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Full text of "Les primitifs Allemands"

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LES    GRANDS    ARTISTES 


Les   Primitifs  Allemands 


LES    GRANDS     ARTISTES 

COLLECTION     d'eNSEIGNE.MENT     ET       DE     VULGARISATION 

Placée  sous  le  haut  patronage 

D  E 

L'ADMINISTRATION     DES     BEAUX-ARTS 


Volumes  par-us 


Architectes  des  Cathédrales  gothiques 
(Les),  par  Henri  Stein. 

Boucher,  par  Gustave  Kahn. 

Canaletto  (Les  deux),  par  Octave  Uzanne. 

Carpaccio,  par  G.  et  L.  Rosenthal. 

Carpeaux,  par  Léon  Riotor. 

Chardin,  par  G.\ston   Schéfer. 

Clouet  (Les),  par  Alphonse  Germain. 

Honoré  Daumier,  par  Henry  Marcel. 

Louis  David,  par  Charles  Saunier. 

Delacroix,  par  Maurice  Tourneux 

Diphilos  et   les  modeleurs  de  terres  cuites 
grecques,  par  Edmond  Pottier. 

Donatello,  par  Arsène  Alexandre. 

Douris    et   les   peintres  de  vases   grecs,  par 

Edmond  Pottiek. 
Albert  Diirer,  par  Auguste  Marguiliier. 
Fragonard,  par  Camille  Mauclair. 
Gainsborough,  par  Gabriel  Mourey. 
Jean  Goujon,  par  Paul  Vitry. 
Gros,   par  Henry  Lemonnier. 
Hais  (Frans),  par  André  Fontainas. 
Hogarth,  par  François  Benoit. 
Holbein,  par  Pierre  Gauthiez. 
Ingres,  par  Jules  Momméja. 
Jordaëns,  par  Fierens-Gevaert. 
La  Tour,  par  Maurice  Tourneux 
Léonard  de  Vinci,  par  Gabriel  Séailles. 
Claude    Lorrain,  par  Raymond  Bouyer 


Luini,  par  Pierre  Gauthiez. 

Lysippe,  par  Maxime  Collignon. 

Meissonier,  par  Léonce  Bénédite. 

Michel-Ange,  par  Marcel  Reymond. 

J.-F.  Millet,  par  Henry  Marcel. 

Murillo,  par   Paul  Lafond. 

Peintres    (Les)    de    manuscrits    et    la 
miniature   en  France,  par   Henri  Martin. 

Percier  et  Fontaine,  par  Maurice  Fouché. 

Pinturicchio,  par  Arnold  Goffin. 

Pisanello    et    les   niédailleurs   italiens,    par 
Je.\n  de  Foville. 

Paul  Potter,  par  Emile  Michel. 

Poussin,  par  Paul  Desjardins. 

Praxitèle,  par  Georges  Perrot. 

Prud  hon,  par  Etienne  Bricon. 

Pierre  Puget,  par  Philippe  Auquier. 

Raphaël,  par  Eugène  Muntz. 

Rembrandt,  par  Emile  Verhaeren. 

Ribera  et  Zurbaran,  par  Paul  Lafond. 

D.-Q.  Rosseiti    et  les  Préraphaélites 

anglais,  par  Gabriel  Mourey. 
Rubens,  par  Gustave  Geffroy. 
Ruysdaël,  par  Georges  Ri.\t. 
Titien,  par  Maurice  Hamel. 
Van  Dyck.  par  Fierens-Gevaert. 
Les  Van  Eyck,  par  Henri  Hymans. 
Velazquez,  par  Elie  Faure. 
Watteau,  par  Gabriel  Séailles. 


9658-10.  —  CoRBEiL.  Imprimerie  Crète. 


LES    GRANDS    ARTISTES 

LEUR   VIE  —  LEUR  ŒUVRE 


Les  Primitifs 

Allemands 


LOUIS    R  E  A  U 

MAÎTRE     DE     CONFÉRENCES     A     l'uNIVERSITÉ     DE     NANCY 

ET  IDE    CRITIQUE 

ILLUSTRÉE     DE      VINGT-QUATRE      REPRODUCTIONS     HORS     TEXTE 


PARIS 

LIBRAIRIE     RENOUARD 

HENRI    LAURENS,    ÉDITEUR 

6,    RUE    DE    TOURNON    (VI^) 
Tous  droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés  pour  tous  pays 


r 


A    MON    AMI 


ROBERT    HERTZ 


Nancv,  Juillet  iqio. 


LES 

PRIMITIFS   ALLEMANDS 

AVANT-PROIMIS 

Les  Primidls  alIciiiaïKls  sont  brauc()ii[)  plus  mal  (■(irmus 
en  France,  \oirt'  inèino  en  Allemagne.  (|ii<'  les  Priniilit's 
néerlandais  el  les  niialli'ocriilislcs  italiens.  Les  «  relahles  » 
des  Ptuklurerli'ns  nont  pas  bént'lici('  au  xix"  siècle  de  cet 
engouement  qui  a  ])rosterné  critiques,  artistes  et  snobs 
devant  les  «  tondi  »  des  PréraphaéUtes.  Aucun  des  vieux 
maîtres  rhénans,  souabes  et  tyroliens  n"a  conquis  l'univer- 
selle popularit('' d'un  Holticelli,  et  les  noms  des  j»lus  gi-ands 
d'entre  eux  :  St<'pban  L()(dmer  et  Martin  S(  liongauer, 
Conrad  Witz  et  Micbael  Pacber  ne  rayomient  guère  au 
delà  des  limites  de  leur  pays  ou  de  leur  province.  (Certes 
l'Italie  et  les  Pays-Bas  ont  été  des  foyers  d'art  plus  bril- 
lants. Mais  s'il  est  vrai  que  riVllemagne  n'a  donné  naissance 
ni  ;i  im  Giotto,  ni  à  un  Jan  van  Evck.  il  s'en  faut  que  le 
rôle  plus  modeste  des  précurseurs  de  Durer  soit  négli- 
g-eable  dans  l'évolution  de  la  peinture  moderne. 
-  L'injuste   discrédit   dont  soutire  l'art   germanique  s'ex- 


6  LES  PRIMITIFS  ALLEMANDS. 

})li(ju('  cil  i^i'aiule  partie  par  rtUroltessc  do  notre  culture 
intellectuelle  et  artistique,  qui,  malgré  une  réaction  salutaire, 
reste  trop  exclusivement  greco-roniaine.  Il  est  certain  que 
l'art  alleuiand  déconcerte,  au  preuiicr  abord,  des  Français 
élevés  dans  le  culte  de  lart  grec  et  de  lart  italien  de  la 
Renaissance  :  de  même  que,  pour  apprécier  l'art  japonais, 
une  initiation  lente  et  progressive  s'impose  à  l'Occidental, 
de  uH'iiic  Tari  germanicjue  exige,  pour  être  goûté  d'un 
Latin,  une  éducation  de  l'œil  et  un  élargissement  du  goût. 
Appliquer  ;i  des  retables  souabes  le  critérium  de  lart 
italianisant,   c'est  se  condamner  à  n'y  rien  comprendre. 

Sans  doute  l'art  allemand  n'a  pas,  au  même  degré  que 
l'art  italien,  le  sens  de  la  beauté'  plastique.  —  il  n'a  pas, 
aulanl  (|ue  lart  français,  cette  passion  des  problèmes  de 
construction  et  de  tecbni(iue  (|ui  a  suscité  le  magniii(jue 
développement  de  rarcbitecture  gothique  et  de  la  peinture 
impressionniste.  Mais  l'inélég-ance  des  formes,  le  bariolage 
du  coloris  et  la  grossièreté  de  la  facture  sont  compensés 
par  des  qualités  d'invention  et  de  mouvement,  par  le 
sens  aigu  de  la  valeur  expressive  de  la  ligne,  par  la  gravité 
de  la  pensée  et  du  sentiment.  lAIieux  (jue  la  littérature, 
cet  art  populaire,  probe  et  sincère,  reflète  l'âme  delà  bour- 
g-eoisie  allemande  à  la  fin  du  moyen  âge. 

Notre  connaissance  des  Primitifs  est  dorigiiie  récente. 
Le  ((  siècle  des  lumières  »  ne  voyait  (|ue  barbarie  dans  ce 
passé  «  gotbique  ».  L'étude  de  l'art  alleuiand  ne  commence 
en  réalité  (ju'avec  le  Romantisme,  (^e  sont  les  elfusions 
mystiques  de  Wackenroder.  les  Fantaisies  sur  /'arf  de 


LES    PRIMITIFS   ALLEMANDS.  7 

Tieclv  <'|  les  (lisscrliilioiis  de  l-ricdridi  Sclilrizcl  (jiii  (ippo- 
sri'ciil  ail  classicisiiie  inloh'raiil  de  W  iiickcliiiaiiii  I  ail 
chrrlicii  ri  ii<'ni!aiii(ni('  du  moyen  àgu  el  altirèreiil  ralleii- 
lioii  sur  les  yii'ilk'S  Ecok's  de  Cologne  et  de  Nui'<Mul)eri;. 

.Mais  l'entlioiisiasine  des  Romantiques  etail  ])ius  anlml 
(ju  (''(dairi'.  L'histoire  de  larl  allcniatid  s'est  Irouxa'-e  encom- 
brée» dès  ses  dt'd)uts  de  |M'('j(iti(''s  lenaces  (|ue  la  science  mo- 
derne a  eu  Ijeaucoup  de  mal  à  déraciner.  I^gai'é-s  par  un 
nationalisme  inlem|)('iant.  les  Romanti(jues  décrétèi'enl 
que  rarchitectiuc  gothique,  dont  les  origines  françaises 
sont  aujourd'hui  universellemenl  reconnues,  n'était  autre 
chose  (jue  ((  rancienne  architecture  g'ermani(|ue  »  ;  st'^duils 
par  le  mysticisme  douceâtre  de  la  jtrimitive  Ecole  colonaise, 
ils  l'exaltèrent  aux  dépens  des  Ecoles  plus  viriles  de 
l'AlIemag-ne  du  Sud.  Bref,  s'ils  ont  glorili»'  l'art  allemand 
du  moyen  âge,  c'est  trop  souvent  à  conti-e-sens. 

11  est  vrai  (jue  la  résurrection  de  ce  passi'  arlisti(jue 
n'f'tail  pas  tâche  facile.  Si  les  monuments  conservés  sont 
relativement  très  nond)reux,  les  documents  suscej)tihles 
de  les  éclairer  sont  très  rares,  hn  Beufsc/ir  Ahddemie  de 
Sandrart  n'est  pas  une  source  comparable  aux  Vite  de 
Yasari  ou  au  Schi/dcrboek  de  Karel  van  Mander.  Entre  les 
noms  d'artistes  exhumés  des  comptes  d'archives  et  les 
œuvres  non  sig-nées  (jue  conservent  églises  et  musées, 
comment  établir  des  corrélations  dont  la  cei'titude  s'im- 
pose ?  Nombreux  sont  les  maîtres  anonymes  que,  dans 
l'état  actuel  de  la  science,  nous  en  sonnnes  réduits  à 
désig'ner  par  leur  oîuvre  principale. 


8  LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

Ce  (|iio  les  recIitTclios  (larchives  110  leur  livraient  pas.  les 
liisloriensle  (leiuandèrcnt  à  l'analyse  stylistique  des  oeuvres. 
Morelli  {Lermolieff)  avait  montré,  non  sans  succès,  en 
e'Iudiant  les  œuvres  des  maîtres  italiens  dans  les  Galeries 
>  de  Munich,  de  Dresde  et  de  Berlin,  le  parti  que  pouvaient 
tirer  les  connaisseurs  de  l'examen  attentif  de  détails  carac- 
téristi((ues,  conuiic  la  l'orme  des  mains  et  des  oreilles. 
Appliquée  à  Tai'l  allemand,  la  méthode  moi'olUcmie  a  donné 
de  remarquables  l'ésultats.  En  moins  de  vingt  ans,  l'histoire 
des  Primitifs  a  été  renouvelée  par  de  minutieuses  mono- 
graphies, publiées  isolément  ou  groupées  dans  la  précieuse 
collection  des   Stiidien    cur  deutschen  Kiinstgeschichte. 

Malheureusement  il  n'existe  guère  d'i'ludes  d'ensemble 
(|ue  sur  les  Ecoles  de  Cologne  et  de  Nuremberg.  Tout 
essai  de  synthèse  présente  une  extrême  difficulté  à  cause 
du  caractère  particulariste  de  lart  allemand  et  de  l'enche- 
vêtrement presque  inextricable  des  Écoles  locales. 

L'idtjel  (Ui  jU'é'sent  volume  est  de  «h'hroniller  ce  chaos  et 
de  condenser  en  (|U(d(jues  pages  substantielles  les  résultats 
(|u'on  peut  considérer  comme  ac(juis. 

I.   —  Caractkrrs  gkniîraux  dk  la  peinture  allemande 

AU    \V''    siècle. 

C'est  au  \v"  siècle  (jue  la  peinture  s'atïranchit  définitive- 
ment du  livre  et  de  la  muraille  et  de\ienl  le  premier  des 
arts  plasti({ues,  lart  majeur,  aux  dépens  de  rarchitecture 
(|ui  passe  au  second  plan. 


i:iirlu-   SI lin. T. 

MAITRE    FRAX.KE.    —    l/lKKMME    DE    nOll.EUR    ^Vei'S    11430). 

(Musée  de  Hamboure:.) 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  H 

Avec  lapparilioii  du  lalilcaii  (!<■  clicNalcI.  la  conrcjjlidn 
même  de  la  peiidui'c  se  liaiislonnc.  Li's  ininial  iiiislcs  cl 
les  fresquistes  se  coidciilaiciil  dVinidir  des  coiitoiirs  avec 
des  tons  posés  à  |)lal.  Le  proldriiic  (|ur  se  prdposciil  les 
peintres  du  xv'  sir(dc.  (d  api'ès  eux  les  lirands  arlisics  de  la 
Renaissance,  n'est  rien  moins  (pic  la  (■on(|U(dcdc  l'espace. 
Il  s'ag"it  de  réaliser  ce  nn'ra(de  :  donner  sur  une  surface^ 
plane  l'illusion  des  trois  dimensions  ;  évoquer  le  rcliid'  des 
figures  réelles  par  le  modelé  des  chairs  et  des  draperies  ; 
suggérer  la  prot'oiideur  des  paysages  par  des  artifices  de 
perspective.  Au  lieu  d"appli(|uer  des  silIiou(dles  sur  un  tond 
d'or,  les  peintres  seliorcent  de  creuser  leur  paimcau.  d'es- 
pacer les  plans,  de  fair<'  l'uii' les  loiidains.  Larl  anl('i'icur 
au  XV-  siècle  nétait  (|ue  de  Ven/ioniiuifc  :  on  peu!  dire  (juc 
la  peinture  ne  commence  à  exister  que  du  jour  où  Ton 
s'avise  de  substituer  à  la  di'coralion  des  sui'faces  (F/d- 
chenkimst)    la   représentation    de    l'espace   [Rauni/iunst). 

En  même  temps  que  la  pcinlurc  prend  conscience  de  sa 
mission  véritable,  sa  technique  se  renouvelle.  L'invention, 
ou  plutôt  le  perfectionnement  de  la  peinture  à  l'huile  pai* 
les  frères  van  Eyck,  permit  une  exécution  plus  minutieuse, 
plus  moelleuse  et  plus  éclataidc  (juc  la  peinture  à  la  dc'lrenqje 
ou  la  gouache  des  minialurisles.  Comme  il  arrive  souvent, 
la  technique  influa  sur  le  style;  le  réalisme  le  plus  franc  et 
le  plus  fécond,  fondé  sur  l'observation  attentive  de  la  nature, 
remplaça  les  schèmes  li-adilionnels  de  l'art  byzantin. 

L'Ecole  allemande  nn  pas  jout'  un  rùle  actif  dans  celte 
révolution,  et   c'est   pour(juoi    (die    doit  être    considérée, 


12  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

malgi't'  ses  iiu-riles,  comme  une  Ecole  de  second  plan.  Ce 
sont  les  Quattrocentistes  italiens  (jui  lui  ont  enseigné  l'art 
délicat  du  modelé  et  les  lois  de  la  perspective  :  c'est  aux 
Pavs-Bas  (ju'clle  a  emjjrunlé  la  l('cliiii(|ii('  de  la  peinture  à 
riiiiilc.  Mais  sans  égaler  leurs  maîtres,  les  Allemands  ont 
su  conserver  à  leur  peinture,  comme  jadis  à  rai'cliilecture 
gotlii({ue  imporle'e  de  Finance,  une  saveui-  originale. 

Les  formes  d'art  qui  se  développent  en  Allemagne  sont 
étroitement  dépendantes  de  l'état  politique  et  social,  qu'il 
importe  tout  d'ahord  de  préciser.  L'empereur  et  les 
nohles  sont  sans  argent,  sans  autorité,  sans  pi-estige  :  il 
n'y  a  donc  pas  place  pour  un  art  de  cour,  monumental  ou 
raffiné.  Non  que  l'Allemagne  du  w"  siècle  fût  un  pays 
pauvre  :  jamais  peut-être  elle  n'a  été  plus  llorissante.  Mais 
toute  la  richesse  est  concentrée  entre  les  mains  des  bour- 
geois. Au  x[v-  siècle,  une  série  de  i't''V(dutions  locales  (|ui 
éclatent  pres(|ue  simultanément  dans  toutes  les  grandes 
villes  :  à  Ulm.  à  Strasbourg,  à  Ratisbonne,  à  Augsbourg, 
à  Cologne,  porte  la  classe  bourgeoise  au  pouvoir  et  subs- 
titue à  la  tvrannio  de  l'évèque  ou  des  patriciens  (Geschle" 
chtev)  le  régime  démocratique  des  corporations  {Ziuifte). 
Les  artistes  ne  peuvent  attendre  de  commandes  (juo  de  ces 
riches  marcdiands,  par\enus  sans  culture,  qui  imposent 
leur  goût  mesquin.  C'est  pourquoi  l'art  allemand  du 
xv'  siècle,  comparé  aux  élégances  florentines,  nous  choque 
par  sa  vulgarité  plébéienne   :  c'est  un  ai'l  de  petites  gens. 

Le  culte  ou  le  respect  des  artistes  est  un  sentiment 
inconnu  aux  civilisations  bourgeoises  :  aussi  la  condition 


MAITRE    Dl'    RETABLE    DE    LIES  Un  R>'.    —    LANCE    AL'    CALICE    ll46H). 

(Musée  de  Munster.) 


LES  PIUMITIFS   ALIJ:MANDS.  l^J 

sociale  des  peintres  esl-ellc  U'ès   liumhle.    Leur  gueuserii; 
est  proverhiale.  Ils  \iveiit  confonrliis  dans  l.i  foule  des  arti- 
sans (/A/y/^'/i'/v'r/v'/')  aux((uels  ils  sont  assiniil«''s.  Ils  foianenl 
une  guilde  sous  le  j)alronaii'e  de  sainl   Luc,   jx'inlre  de  la 
Vierge.  Ils  lialjitentgënéi'aienienl  dans  la  uKMUe  lue,  la  rue 
des  Peintres  (Schi/dergas.sr,^  on  se   dresse    leur    maison 
corporati\'e,  se  niai'ient  dans  la  cor[)oralion   et  travaillent 
en  commun  dans  un  aleliei-.  F^a  durée  des  années  d'appren- 
tissage et  de  voyage  (Lchr-und  \V(in(lerJ(i/u-r]^\v^  condi- 
tions   d'admission    ta    la    maili'ise  son!   strictement    régle- 
mentées. L'artiste  Ti'est  pas  encore  dégagé  de  l'artisan;  il 
n'a  pas  conscience  de  son  «  éminente  dignité  ».  Diirer  s'en 
plaignait  amèrement  à  son  ami  Pircklieimer  :  ((  A  Venise, 
je  suis  un  gentilhomme,  à  Nurem])ei'g  un  pauvre  hère.  » 
Ce  n'est  pas  pour  leur  délectation  personnelle  ou  pour 
éterniser  leur  mt-moire    ((ue    les    riches   hourgeois    com- 
mandent des  œuvres  d'art:  ils  n'ont  d'autre  amhilion  que  de 
se  recommander  à  Dieu  et  à  leurs  saints  patrons  en  dédiant 
un  beau  retahle  dans  leur  église  paroissiale.  Aussi  le  déve- 
loppement du  retah/e  \i  volets  {Flugelaltar)  qui  remplace 
l'antependium   pi'imilif  est-il  un  des  caractères  essentiels 
de  la  peinture  allemande  du    \v'    siècle.    On  oublie   trop 
souvent   que   presque  tous   les  tableaux  du  xv*"  siècle  re- 
cueillis dans    les   Musées  sont   des  volets  détachés  d'an- 
ciens  retables    :    ces   fragments    de    grandes    décorations 
conçues  pour  la  perspective  d'une  nef  ou  la  pénombre  d  une 
chapelle  ne  prennent  tout  leur  sens  que  si  on  les  rattache, 
par  la  pensée,  à  ces  ensembles  disjoints  et  nuitile's. 


16  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

Les  rotabk's  ne  sont  pas  seulement  un  assemblage  de 
peintures  :  car  les  volets  peints,  cloisonnés  et  subdivisés 
en  plusieui's  registres  ou  compai'timents.  encadrent  presque 
toujours  un  bas-i'elief  ou  des  tig-ures  en  bois  sculpté 
{Schnitzwerk).  Le  coffre  repose  sur  uneprédelle  [Staff'el) 
qui  est  très  souvent  sculptée  et  se  complète  par  un  cou- 
ronnement arcliitectonique  \Aufsatc]  en  forme  de  pignon 
ajouré.  Ainsi  la  peinture  et  la  sculpture  collaborent  étroite- 
ment :  les  deux  arts  s Clïorcent  de  se  pénétrer,  la  sculpture 
en  lecliercliant  les  effets  itiffore.sfjues  à  laide  de  poly- 
cbromie  et  de  dorures,  la  peinture  en  visant  à  des  effets 
pfastirjues  par  laccentuation  des  contours,  la  biiitalitt' 
des  contrastes  et  le  stvle  anguleux  des  draperies. 

Certains  retables  ne  possèdent  (ju  une  j)aire  (k'  \(»]ets 
qui  se  rabattent  sur  le  coffi'e  :  mais  dautres  plus  andji- 
tieux  ont  jus(|uà  deux  et  trois  paires  de  volets  fixes 
ou  mobiles  :  ce  sont  des  retables  à  transformations 
{Wandelalt(U')  quon  ouvre  et  qu'on  feuillette  à  la  façon 
d'un  g'ig-antesijue  livre  d'images.  En  temps  ordinaire,  les 
volets,  dont  la  face  extéi'ieure  était  généralement  peinte  en 
grisaille,  restaient  fermés  (  \Ver/,laf/sse(te\  :  les  joui's  de 
fête,  on  les  ouxi'ait  tout  grands  pour  révéler  aux  tidèles 
éblouis  la  splendeui'  des  peintures  intérieures  sur  fond 
dor  et  des  sculptures  polychromes  (Festtagsseite\. 

Un  pareil  travail  ne  pouvait  être  l'œuvre  d'un  seul  aitiste, 
d'autant  ])lus(|iie  les  donateurs  en  exigeaient  l'achèvement 
dans  un  délai  assez  court.  Les  retables  allemands  sont  donc 
dva  œuvres  ro//eef  n'es.  La  conmiande  (''tait  en  ^l'-m'-ral  reçue 


-E    DE    COLOGNE.    —    SAINTE    VÉRUNIQIE     \eVS    1420). 
(Pinacothèque  île  Miinieh.) 

2 


LES   PRIMITIFS   ALT.KMANI3S.  19 

par  un  pciiilrc  (|iii  sassiirail  la  collaltoialKui  d  un  mi  plu- 
sieurs sculplcurs  cl  (|ui  r(''[)arlissail  la  besogne  cnlit'  ses 
apprenlis:  il  se  eliar^cail  lui-ni('ine  des  xolels  inlt-rieiirs 
(|ui  son!  ioujoiirs  les  plus  snii^nt's.  Il  l'aul  connaître  ces  pi'o- 
cédés  (le  (li^■ision  du  Iraxail.  si  conlr.iires  aux  lialiilmlcs  de 
nos  artistes  inodt'rnes.  poui' ju^cr  ('■(|uilal)lenienl  lail  alle- 
mand dn  w"  siècle. 

Les  retables  chiclienient  payés  nVuiraient  pas  suffi  à  l'aire 
vivre  les  peintres  :  c'est  pour(|U(ii  ils  clierclièi-eni  des 
ressources  dans  la  })rati(|ue  de  la  (/rariirc.  arl  jiopulaire 
par  excellence,  (jui  houx  ail  aisément  des  d('l)()U(di('s  aux 
foires  de  Francfoil.  Avec  ces  gravures  d'une  vente  facile, 
larliste  pouvait  attendre  les  commandes. 

L"AlIemag"ne  s'attribue  \  invention  de  la  gravure  comme 
celle  de  l'imprimerie  :  c'est  lii  une  prétention  assez  vaine  : 
car  les  origines  de  la  gravure  sur  bois  [Ilahchnlft)  et  de 
la  gravure  sur  cuivre  (Kii/t/'ft'sttc/i)  sont  aussi  anciennes 
(|ue  l'impression  sur  étoiles  et  l'orlevrerie  et  ((uani  à 
la  pi'iorité  du  tirage  des  estampes  sur  papiei",  il  semble 
que.  dans  1  état  actuel  des  recherclies,  les  Pays-Bas  et 
même  la  France  aient  autant  de  droits  que  l'Allemagne  à 
la  revendifjuei'. 

Mais  il  est  juste  de  reconnaître  (jue  la  gravure  jiril  de 
bonne  heure  plus  d'importance  en  Allemagne  que  dans 
tout  autre  pays.  Ni  l'Italie,  ni  les  Pays-Bas  n'ont  su 
tirer  le  même  parti  de  la  gouge  et  du  burin.  A  partir  de 
Marc-Antoine  Raimondi.  la  g-ravure  italienne  se  voue  à 
la    liaduclion   ou    à    linterprétation   de   la  peinture,  tan- 


20  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

dis  (juen  Alleniagiie  presque  toutes  les  gravures  du  xv^ 
et  du  x\f  siècles  sont  des  œuvres  originales,  indépen- 
dantes de  la  peinture,  expressément  conçues  pour  \v  bois 
ou  le  cuivre.  La  plupart  des  peintres  allnnands  ont  été  des 
peinti-es-gt'aveurs  {Malerstechcr)  et  les  plus  célèbres 
deiitre  eux  :  Scliongauer  etDiirer  sont  même  plus  graveurs 
(|ue  peintres.  C  est  à  leurs  estampes  beaucoup  plus  qu'à 
leurs  tableaux  qu'ils  doivent  leur  renom  dans  leur  pays  et  à 
l'étranger.  C'est  par  ce  mi'diuui  (jue  le  génie  allemand 
s'est  le  mieux  atiiruié  et  conmiuniqué.  En  ce  sens  on  peut 
dire  que  la  gravure  a  été  /"arl  nationa/  de  l'Allemagne  (1). 

Cette  prédominance  des  arts  grapiiiqucs  a  été  aussi 
néfaste  à  la  peinture  allemande  que  son  association  avec  la 
sculpture  sur  bois.  Les  artistes  transposent  inconsciem- 
ment dans  la  peinture  les  procédés  et  le  style  de  la  gi'avure; 
de  là  l'exagé'ration  du  Irait,  la  sécberesse  des  contours,  le 
style  cassant  des  drapei-ies:  si  les  tableaux  italiens  sont  des 
réductions  de  fresques,  les  tableaux  allemands  sont  sou- 
vent des  gravures  coloriées  démesurément  agrandies. 

Dans  les  gravures  comme  dans  les  peintures  de  retables, 
les  bourgeois  alleuiands  duxv"  siècle  ne  s  intéressent  guère 
qu  au  suji'l.  Lart.  qui  est  encore  au  service  de  l'Eglise,  est 
conçu  connue  une  prédication  par  limage  :  il  illustre  les 
(biclrincs  de  la  foi  ou  la  légende  des  saints.  Insensibles  à 


(1)  La  gravure,  qui  était  pour  les  Allemands  une  nécessité  matérielle, 
était  aussi  le  moyen  d'expression  le  plus  conforme  à  leur  génie.  Ce  pro- 
cédé rapide  convient  à  merveille  à  des  artistes  riches  d'idées  et  peu  sou- 
cieux d'exécution  parfaite  :  or  le  goût  de  la  ligne  expressive  prime  chez 
eux  le  sens  de  la  couleur,  et  la  pensée  les  inti'resse  plus  que  la  forme  i)ure. 


STEPIIAN    I.OCH>ER.    —    LA    V  I  E  R  (.  E    A    LA    VIOLETTE. 
(Cologne,  Musi'-e  archiépiscopal.) 


LES  PIILMITIFS   ALLEMANDS.  2.3 

la  pureté  des  ligues  cl  ît  riiariuouic  des  couicui-s,  Icsdouji- 
leurs  ne  demaudeul  aux  peintres  que  des  contes  <'dili;uils. 
Il  en  résulte  que  l'arl  allemand  est  csscntitdlciueiil  iiar- 
ratif.  Un  siin|»lc  ui-()U|)ciiiciil  plasli(|ue  ne  lui  siiflit  pas; 
il  exige  une  action  (|iii  se  déroule  :  de  là  sa  pn''(lileclion 
pour  les  œuvres  rifc/ir/io's  :  assemblag"es  de  peinlurcs 
étagées  sur  les  volels  à  coinpartimenis  des  lelahles  ou 
«  suites  »  de  gi'avures,  (jui  [)ermettent  de  naner  lout  au 
long  Fidvlle  de  l'Enfance  du  (ihrisl  ou  la  li-agédie  de  la 
Passion.  Juscpie  dans  ses  productions  les  plus  médiocres, 
l'ai't  alleuiand  présente  ini  très  vif  intérêt  iconogra|)liique. 

La  Biblia  paujK'riini  et  le  Sprcu/iun  huitiniKi'  sti/ra- 
tionis,  répandus  à  (riimombrables  exemplaires  pai-  liui- 
primerie  et  la  gravure,  restent  les  répertoires  les  plus 
fréquemment  eonsuUV's  par  les  artistes  (  1).  Le  symbolisme 
du  Speculton.  (jui  raconte  I  bistoire  de  la  Cliute  et  de  la 
Rédemption  en  opposant.  sui\ant  la  métbode  tvpologique, 
à  chaque  récit  du  Nouveau  ïestainent  les  tijprs  ou  prtdigures 
de  l'Ancien  Testament,  eut  une  vog'ue  immense:  il  inspira 
une  multitude  d'œuvres  d'art  depuis  les  vitraux  de  l'église 
Saint-Étienne  de  Mulbouse  et  les  fresques  du  cloître  de 
Brixen  en  Tyrol  jus(ju'au  retable  de  Coni'ad  Wilz  à  Bàle. 

\JArs  )nori<'n(ll.i\v\\  montre  le  mouiant  aux  prises  avec 
les  anges  et  les  diMUons  qui  s<'  disputent  son  cuue,  ne  fut 
pas  moins  populaire  :  car  le  xv*^  siècle  est  liante  par  l'idée 
de  la  mort.  Les  famines  et  les  pestes  qui  alFolaient  l'buma- 

(1)  Cf.  sur  ces  tlièmcs  iconographiques  1*.  Peruhizet,  Étude  sur  le  Spé- 
culum humaiife  salvationis  ;  —  La  Vierge  de  Miséricorde,  Paris,  1908. 


2i  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

nilé  développèrent  la  dévotion  à  la  Vierge  de  Misérivorde 
{Schutzmantelmadonna),(\\x\  abrite  la  chrétienté  sous  les 
plis  de  son  manteau,  ainsi  que  le  culte  des  Quatorze  htter- 
cesseurs{14  Nothelfer).  et  des  saints  «  antipesteux  »  comme 
saint  Sébastien,  saint  Christophe  et  sainte  Barbe  qu'on 
invoquait  contre  la  niale  mort.  Enfin  le  thème  pathétique 
de  la  Danse  macabre^  qui  apparaît  en  Fi'ance  auxiV  siècle, 
enfiévra  les  imaginations  allemandes. 

Deux  influences  nouvelles  contribuèrent  à  transformer 
l'iconographie  traditionnelle  :  le  Mystieisme  et  le  Tliéàtre 
des  Mystères  (1). 

Les  grands  Mystiques  allemands  :  maître  EckardL  Tauler 
et  surtout  Suso.  ont  exercé  sur  les  Primitifs  rhénans  delà 
fin  du  XIV''  siècle  une  influence  comparable,  toutes  propor- 
tions gardées,  à  celle  de  saint  pTançois  d'xVssise  sur  les 
GiolleS(jU('s  italiens.  Suso  veut  que  riionune  se  spiritualise 
par  le  jeinic.  pai'  la  soutfrance,  par  la  maladie.  «  Plus  le 
corps  tlcurit.  (ht-il,  plus  lame  se  dessèche  ;  plus  le  corps  se 
dessèche,  pUis  l"àme  se  fortifie.  »  Mais  les  pratiques  ascé- 
ti(|ues  ne  font  qu'exaspérer  sa  sensualité.  Il  se  représente 
la  Vierge  comme  sa  fiancée  :  ses  prières  sont  des  déclara- 
lions  passionnées  :  la  «  Vierge  tendre,  fleurie  et  rose»  [die 
•zarte,  yeblUmte.  rosige  Magd)  est  sa  Dame  céleste.  En 
somme,  il  transporte  dans  la  mariolàtrie  chrétienne  le 
Minnedienst  de  la  chevalerie  et  jus(ju'aux  expressions  de 
la  poésie  amoureuse  des  Mintiesauger. 

(1)  Cf.  I'eltzeu.  Ih'utscito  Mi/st/7,-  uml  deustclu'  Kitiisf,  Strasbourg,  1899. 
—  E.  MÂLE,  L'dfl  rt'lif/ieii.r  (h'  la  /in  (lu  iitouen  (i(ji\  Paris.  1908. 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  27 

C<'S  xisions  mvslico-aiiiourcuscs  oui  eu  une  iiilliiencc; 
ccriaiiic  sui'  les  Ivjx's,  siii"  les  llit'int's,  sur  ICsprit  même 
(le  la  pciiiliirc  ilK'iiane.  Les  vierges  colonaises  aux  tresses 
blondes,  aux  joues  pâles,  aux  soui-cils  à  peine  indifpu's 
sous  le  froni  «  homlx'  ({innocence  ».  à  la  houclie  menue, 
aux  doigts  fuscdés,  ne  sont-elles  pas  les  sœurs  de  la 
•zarti'.  rosi(/('  M/rr/d  de  Suso?  La  Madone  tient  sa  cour 
céleste  dans  le  Jardin  ilu  Paradis  embaumé  de  buissons  de 
roses,  do  lis  blancs  comme  la  neige  el  de  violett<'s  odo- 
ranles.  et  la  natui'e  printanière  loue  le  Cr<'aleur  par  les  mille 
petites  bouclies  })arl"uin('es  des  Meurs,  (les  tbèmes  mys- 
tiques du  Jardin  du  l^aradis  (  Paradirsgarten),  de  la 
VIerf/c  au  buisson  de  roses  (Madonna  ini  Rosenha;/).  sont 
l'apanage  de  l'art  rbénan. 

Au  contraire,  le  tbéàtre  religieux,  dont  AL  Mâle  a  magis- 
tralement démonli'é  l'inlluence.  agit  au  W'  siècle  sur  tout 
lart  européen.  Les  Mystères,  véritables  tableaux  vivants, 
proposent  aux  peintres  des  modèles  pour  la  composition 
des  scènes,  les  attitudes  des  personnages,  les  costumes  et 
les  décors  :  ils  substituent  ainsi  à  l'art  didacli(jue  du 
XHi''  siècle  un  art  patbéli(|ue  et  pitlores(|ue. 

Si  le  tlième  favori  (b-  l'art  allemand  (hi  xv''  siècle  est  la 
Passion,  c'est  que  le  liiéàlic  a  jiopularisé  ce  motif  et  Ta 
imposéàlimagination  des  arlistesetdes  donateurs,  llolbein 
l'ancien  a  dû  peindre  par  trois  fois  le  cycle  de  la  Pas- 
sion, et  Albert  Durer  professe  encore  au  conniiencement 
ilu  \vi'"  siècle  (jue  ((  la  mission  essentielle  de  la  peinture 
est  de  représenter  les  soull'rances  du  Sauveui'  ».  Le  peuple 


28  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

enlciidail  iclrouvcr  dans  la  peinture  limage  lidèle  des 
scènes  louchantes  ou  ljuiles(|ues  (jue  jouaient  sous  ses 
yeux  les  Confrères  de  la  Passion.  Pour  émouvoir  plus 
fortement  ces  âmes  frustes,  les  artistes  exagèrent,  à 
l'exemple  des  acteui's,  la  bestialité  des  bourreaux  k  mine 
patibulaire  (jui  sacharnent  contre  le  Christ  pantelant.  Le 
réalisme  caricatural  de  lart  allemand  nest  ici  que  la  copie 
tro|)  lidèle  du  théâtre  religieux. 

lîien  (|ue  les  œuvres  inspiri-es  par  la  mise  en  scène 
traditionnene  ])résentent  partout  les  mêmes  caractères 
iconographi(pies,  Fextrème  décentralisation  artistique 
qui  résulte  de  l'anarchie  politique  donne  naissance  à 
une  midtitude  d'Ecoles  provinciales  (jui  inqjriment  chacune 
leur  marque  à  ces  thèmes  um'formes.  Des  centres  d'art 
indépendants  se  dévelojipeni  dans  toutes  les  villes  libies 
de  l'Empire  depuis  le  Rhin  jus(]u'à  l'Elbe,  qui  mar(|ue 
au  xv*"  siècle  la  limite  de  l'Allemagne  civihsée  (1).  Cologne 
et  Nurembei'g  sont  les  principales  métropoles  artisti(|ues 
du  W'  siècle;  mais  en  dehors  de  ces  deux  grands 
centres,  des  Ecoles  locales  très  actives  se  constituent  dans 
les  villes  de  la  Hanse,  en  Westphalie,  dans  la  région  du 
haut  Rhin,  en  Souabe  et  dans  le  Tyrol. 

Cette  multiplicité  des  Écoles  locales  ne  permet  pas  d'adop- 
ter pour  l'exposé  des  faits  un  ordre  clu'onologique.  L'histo- 
rien est  contraint  de  recourir  à  la  méthode  topogra- 
phifjKC.    Ce    j)i'Océdé    a   ses    inconvénients    :    il   donne    au 

(1)  Les  pays  à  l'est  de  l'Elbe  ne  sont  encore  que  des  Marches,  des  terri- 
toires de  colonisation  {Kolonialf/eblele)  qui  ne  possèdent  pas  un  art  au- 
tochtone. 


Clicljé  SlorclliK- 

MAITRE    DE    LA    VIE    DE    LA    VIERGE.   LA    MADONE 

ET    SAINT     BERNARD  . 

(Cologne,  Musée  Wallrat'  Ricliartz.) 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS-  '^^ 

Icciciir  mit'  iiiiprcssioii  d  ('■inicllciiiciil  <■!  i-<)iii|)l  I  iiiiih'  «lu 
luouvciiit'iil  (|iii  ciil raîiic  I  iiil  .iIIciiiiiihI  xcrs  ses  (lestiiii'cs. 
Mais  c'esl  le  seul  (|ui  r(''|t()ii(l('  l\  l.i  rtNililr  :  cIi.-kiuc  I^coIc 
provinciale  on  locale  coiislitue  en  elld  un  L:i'()n|M'  aniononir 
(jui  snil  son  ('volnlion  pi'opi-e. 

Pour  nous  orienter  dans  cette  sr/ra  osriira .  nous  adop- 
terons ici  la  division  traditionnelle  et  d'ailleurs  légitime 
entre  les  Eco/es  de  XlhniKuinc  du  Xord  \  n'icdcrdcitlsclie 
Schu/cn)  el  celles  de  1".  1 /Av/z^/yy/c  du  Sud  {oùrrdcufsr/tr 
Schu/i'H). 

II.  —  Lks  Ecolks  de  l  Ali.kmagne  du  XeiU). 

L'histoire  de  l'art  ne  connaissait  naguèie  dans  l'Alle- 
magne du  Nord  (|ue  iJ'^cole  de  Cologne  :  des  recherches 
récentes  ont  dénu)nlré  l'existence  de  centres  d'arl  indépen- 
dants, aussi  anciens  et  aussi  actifs,  en  Weslphalie  el  dans 
les  villes  hanséati(jues. 

1.  L'Ecole  /uiitséali'/uc.  —  Dès  le  \iv"  siècle,  une  Ecole 
de  peinture  se  (hneloppe  dans  les  poris  de  la  Hanse  enri- 
chis par  le  connnerce  avec  les  Pays-Bas,  l'Angleterre  et  la 
Scandinavie,  à  Liiheck  et  surtout  à  Hamhourg\  Les 
recherches  <le  AL  Li(dit\\  ark  ont  mis  en  lumière  les  deux 
maîtres  principaux  de  c<'tte  Ecole  hamhourgeoisc  :  maîti'e 
Bertram  et  maître  Francke. 

ALn'tre  Bertram  de  Minden  vécut  à  Hamhourg'  de  \'Mu 
à  1415,  et  son  œuvre  capitale  :  le  mallre-autel  de  l'ég/ise 
Saint-Pierre  de  ffmnboKr;/.  (|u"on  appelle  ])ai'fois  relahle 


32  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

de  Graboir  iGraôoiver  A/far)  du  nom  de  la  petite  ville 
merkleinbourgeoise  où  il  fut  long-temps  relègue,  porte  la 
date  de  1379.  Ce  grand  retable  comprend  vingt-quatre 
tableaux  et  des  sculptures  en  bois  polycbromé.  Les  tableaux 
représentent  la  Création  du  monde,  Ibistoire  de  nos  pre- 
miers parents,  la  vie  de  la  V^ierg-e;  les  sculptures  groupent 
autour  du  Cbrist  crucifié  les  Propbètes  qui  ont  prédit  la 
Rédenq)tion.  les  Apôtres  (|ui  l'onl  aiinniict''e  au  moinb',  les 
Martyrs  qui  ont  soutfert  pour  la  foi.  les  Pères  de  l'Eglise  et 
les  g-rands  Fondateurs  d'ordres  (jui  ont  organist»  l'Eglise 
cbrétienne.  Ainsi  c'est  toute  Ibistoire  cbrétienne  qui  se  dé- 
roule sous  nos  veux  depuis  la  création  du  monde  et  le  péché 
orig-inel  jusqu'à  la  fondation  des  grands  ordres  monas- 
tiques. 

Bien  qu'elles  soient  mal  proportionnées,  ces  figures 
peintes  et  sculptées  sont  frémissantes  de  vie.  Rien  de  plus 
expressif  que  le  cri  d'Isaac  sous  le  couteau  d'Abraham  et 
ses  g-estes  tâtonnants  d'aveug-le  lors(ju'il  bénit  la  fraude  de 
Jacob.  Les  figures  ne  sont  pas  encore  conçues  dans  l'es- 
pace :  cependant  on  observe  dans  la  Crésition  des  plantes 
un  timide  essai  de  paysage.  La  techiii(jue  est  très  curieuse  : 
la  couleur  n'est  pas  étalée  uniformément,  mais  piquetée  de 
points  et  de  traits  bruns  ou  jaunes. 

Maître  Francke,  qui  fut  peut-être  l'élève  de  Maître 
Bertram,  est  un  des  plus  grands  coloristes  de  l'art  alle- 
mand. Son  œuvre  la  plus  importante,  dont  les  fragments 
ont  été  recueillis  ;m  nuist'e  de  Hambourg,  est  le  retable 
de  sainf  T/iotnas  de  Cantorhérij,  commandé  en  1421  par 


Clicli.j  Aliiiari. 
MAITRE    DE    LA    DÉPOSITION    DE    CHOIX.    —    DEPOSITION    DE  CROIX. 

(Vers  lolO). 
(Paris,  Musée  du  Louvre.) 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  .{3 

une  coiirr('ri('  de  inarcliamls  liaiiiljour^cois  [Jirudcrschaft 
der  Englandsfahrci')  qui  trafiqua icnl  avec  l'Ang-leterre. 
Cet  ensemble  monumenlaL  aiih-rieur  dune  vingtaine  d'an- 
nées au  «  Donibild  »  de  Stephan  Locliner,  eonij)i<'nai(  deux 
paires  de  volets.  Sur  la  face  extérieure  l'artiste  avait  peint 
huit  panneaux  représentant  sur  un  fond  rouge  piqueté 
d'étoiles  d'or  la  lég"ende  de  la  Vierge,  protectrice  des 
navigateurs,  et  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  patron 
de  la  confrérie.  L"inléri«'ur  du  retable  représentait  sur  fond 
d'or  une  grande  Crucifixion,  encadrée  de  quatre  scènes  de 
la  Passion. 

La  rag'e  des  bourreaux  dans  la  scène  de  la  Flagellation, 
les  hésitations  de  Pilate  que  Caïphe  s'efforce  de  vaincre, 
la  fuite  de  saint  Thomas  qui  laisse  entre  les  mains  des  per- 
sécuteurs lancés  à  ses  trousses  la  queue  de  son  clieval,  sont 
rendues  d'une  façon  très  expressive;  mais  c'est  surtout 
l'intensité  du  coloris  qui  est  remarquable. 

Tous  ces  dons  s'exaltent  dans  Yllomme  de  douleur 
{Christus  als  Schînercensmann)  du  musée  de  Hambourg. 
Cette  émouvante  figure  résume  à  elle  seule  toute  la  tra- 
gédie de  la  Passion.  Le  Christ  nu,  couronné  d'épines, 
montre  les  plaies  saignantes  de  son  flanc  et  de  ses  paumes 
trouées.  Deux  petits  anges  tiennent  en  main  le  lys  et 
l'épée  flamboyante,  symboles  du  Jugement  dernier. 

Cette  floraison  fut  de  courte  durée.  Maître  Francke  n'eut 
pas  de  successeur.  A  partir  du  milieu  du  xv^  siècle, 
l'Ecole  de  Hambourg,  dont  la  vitalité  décline  avec  celle  de 
la  Ligue  Hanséafique.  est  absorbée  par  l'Ecole  voisine  des 


36  LES  PRIMITIFS  ALLEMANDS. 

Pays-Bas.  Elle  perd  toute  originalité  et  ne  produit  plus 
dès  lors  que  de   médiocres  pastiches  de  Quentin  Matsys. 

2.  U Ecole  de  Westphalie.  —  Les  origines  de  l'École  de 
Westphalie  sont  plus  anciennes  et  bien  qu'elle  ait  subi 
elle  aussi  l'intluence  des  de  Colog-ne  et  des  Pays-Bas, 
elle  conserve  plus  longtemps  un  goût  de  terroir,  une  saveur 
locale.  Sa  verdeur  rustique  contraste  avec  la  mièvrerie 
douceâtre  des  Primitifs  colonais. 

Cette  rusticité  tient  peut-être  à  ce  que  les  peintres 
westplialiens  ignoraient  les  raffinements  de  la  civilisation 
urbaine.  Au  moyen  âge,  la  capitale  artistique  de  la  Westpha- 
lie était  la  petite  ville  de  Soest  (I  )  qui,  grâce  à  sa  situation  sur 
la  route  de  Cologne  à  Liibeck,  atteignit  dès  le  xin"  siècle 
une  grande  prospérité.  Soest  enlretenait  des  relations 
commerciales  avec  tout  le  nord  dr  l'Europe,  de  Bruges  à 
Novgorod.  Au  xv"  siècle,  la  prééminence  artisti(jue  passe 
à  Dortmund  et  à  Munster. 

.  Les  œuvres  les  plus  anciennes  de  TÉcole  de  Soest  sont 
VAut('iJi'H(lhim  de  .sa'utfe  Wa/piirgetiu  Musée  provincial  de 
Munster  et  les  deux  retables  de  la  Crucifixion  et  de  la  Tri- 
nité au  musée  de  Berlin,  qui  remontent  au  commencement 
du  xni"  siècle.  L'antepenilium  de  Munster  imite  la  déco- 
ration, des  sarcophages  romains.  Les  figures,  rigoureu- 
sement frontales,  sont  de  simples  silhouettes  raides  et 
figées.    Aucune   indication    de   volume  et    d'espace.    Les 

(1)  Prononcer  Sost. 


LES   PRIMITIFS  ALLEMANDS.  -H 

formes  sont  deliiiies  par  des  coiiloiirs  lirs  acccriliirs,  (juc 
le    peintre    enlnniinc    avec    des    couleuis   pdst'cs    à   plal. 

Les  deux  retables  de  lîcrlin  proviennent  de  la,  Wicscin- 
kirclic  (i\otre-Daiii('-(l('s-('Jiainpsj  de  Soesl.  (-»'  son!  des 
panneaux  rectangulaires  en  l)()is  de  chêne,  tendus  de  par- 
elieinin  préparé  à  la  eraie.  Jjes  eouleurs  à  la  délt-einpe  sont 
•étendues  en  couche  très  mince.  Les  ligures  handli'es  de 
rouge  et  de  bleu  sont  cernées  de  contours  brini  noir  et 
s'enlèvent  sur  un  fond  d'or.  Le  vigoureux  relief  di's  nimbes 
et  des  encadrements  en  |tlàtre  g-aufré  montre  (jue  la  pein- 
tui'e  à  ce  stade  [)rimitir  s'elloicede  rivaliser  avec  le  travail 
en  repoussé  des  orfèvres.  Les  retables  peints  ne  sont  encore 
que  des  contrefaçons  à  bon  marché  des  antependiums  en 
métal  précieux. 

Dans  le  retable  de  la  Crucifixion,  le  Christ  en  croix  est 
entouré  des  figures  ti'aditionnelles  de  l'Ecclesia  qui  recueille 
dans  un  calice  le  précieux  sang-  et  de  la  Synagogue  aux 
yeux  bandés,  portant  les  tables  de  la  Loi.  A  gauche,  Jésus 
est  amené,  les  mains  hées,  devant  Caïphe;  à  droite,  les  trois 
Maries  se  rendant  au  tombeau  trouvent  l'ange  assis  sur 
la  pierre  du  sarcophage  béant.  Ce  g-roupe  des  3Ijjrophores 
témoigne  nettement  d'une  inlluence  bvzantine  et  nous 
contraint  d'admettre  (ju'il  y  a  eu.  dans  le  premier  tiers 
du  xni*^  siècle,  des  rapports  étroits  entre  l'École  de  Soest 
et  l'art   byzantino-italien. 

Le  premier  peintre  westphalien  dont  le  nom  soit  parvenu 
jusqu'à  nous  est  maître  Conrad  de  Soest  (jui  vivait  au  com- 
mencement du  xv"  siècle.  Sa  grande  Crurifi.vlon  de   1404. 


38  LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

dans  l'église  de  Nieder-Wildungen.  est  la  première  peinture 
allemande  signée  et  datée  (1).  Au  pied  de  la  croix  où 
Christ  est  cloué  entre  les  deux  larrons,  grouille  une  cohue 
pittoresque  de  chevaliers  magnifiquement  vêtus,  de  pay- 
sans et  de  femmes  du  peuple.  Il  est  possible  que  maître 
Conrad  ait  séjourné  à  la  cour  des  ducs  de  Bourgog"ne,  qui 
était  alors  le  plus  grand  centre  artisti(jue  de  l'Europe  occi- 
dentale. En  tout  cas,  il  marque  nettement  la  rupture  avec 
la  tradition  byzantine. 

Dans  la  seconde  moitié  du  w"  siècle,  la  Westphalie, 
située  dans  le  voisinage  immédiat  des  Pays-Bas,  ne  peut 
se  soustraire  à  leur  influence  qui  triomphe  dans  l'Allemagne 
entière.  L'artiste  le  mieux  doué  de  cette  époque  est  un 
peintre  anonyme  qu'on  a  baptisé  Maître  de  Liesborn 
d'après  son  œuvre  principale  :  le  maître- autel  de  l'abbaye 
bénédictine  de  Liesljorn,  près  de  Miinster,  (|ui  fut  consacré 
en  1465  et  dont  les  fragments  sont  partagés  aujourd'hui 
entre  la  National  Gallery  de  Londres  et  le  Musée  provincial 
de  Munster.  Le  centre  du  retable  était  occupé  par  le  Cin'ist 
en  croix  environné  d'un  essaim  d'anges  ailés  qui  recueillent 
son  précieux  sang-  dans  des  graals.  Au  pied  de  la  croix 
se  dressaient  la  Vierge  et  saint  Jean,  saint  Benoît  et  sainte 
Scolastique,  saint  Cùme  et  saint  Damien. 

Par  sa  technique  minutieuse,  le  maître  de  Liesborn  se 
révèle  disciple  des  Flamands.  Mais  c'est  aux  Primitifs  sien- 


(1)  On  sait  (|ue  les  signatures  d'artistes  sont  très  rares  dans  la  première 
moitié  du  xv  siècle.  L'inscription  est  ainsi  conçue  :  «  Hoc  opus  est  com- 
pletum  per  Conraduin  pictorem  de  Susato  sub  anno  domini  JMCCCCIV  ». 


LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS.  39 

nois  qu'il  s'apparonte  le  plus  iuliniement  par  sou  idéalisiue 
délicat,  par.  la  yràeo  exquise  de  ses  auges  adolescents  aux 
cheveux  bouclés,  aux  grands  yeux  fendus  en  amande. 

Après  lui,  l'inlluence  flamande  qui  s'exerce  sans  contre- 
poids incline  l'École  de  Westplialie  vers  un  réalisme  brutal. 
Les  frères  Victor  et  Heinrich  Dilnwegg-e  appartiennent  déjà 
au  commencement  du  xvi"  siècle.  Leurs  œuvres  les  plus 
caractéristiques  sont  le  g-rand  triptyque  de  l'église  des  Domi- 
nicains à  Dortmund  (KJ2l)  et  les  Exemples  de  Justice 
{Gerechticikeitsb'ilder)  de  l'Iiotel  de  ville  de  Wesel,  Dans 
ces  tableaux  qui  avaient  pour  mission  de  rappeler  aux 
jug'BS  leur  devoir,  aux  témoins  leur  serment,  on  recon- 
naît l'influence  des  compositions  analogues,  que  Rogier 
van  der  Weyden,  Thierry  Bouts  et  Gérard  David  avaient 
été  chargés  de  peindre  pour  les  hôtels  de  ville  de  Bruxelles, 
de  Louvain  et  de  Bruges  (1). 

3.  U Ecole  de  Cologne.  —  L'École  de  Cologne  est  deve- 
nue, grâce  aux  romantiques,  la  plus  populaire  de  toutes  les 
écoles  de  peinture  allemandes.  Sa  prospérité  ne  fut  pas  de 
longue  durée  :  elle  ne  commence  à  proprementparler  qu'à 
la  fin  du  xn**  siècle;  vers  1430  elle  est  devenue  une  simple 
dépendance  des  Pays-Bas  et  sa  vitalité  est  complètement 
épuisée  au  commencement  du  xvi''  siècle.  Mais  pendant  cent 
cinquante  ans  environ  sa  production  fut  extraordinairement 

(1)  Les  derniers  représentants  de  rKcole  westphalienne  sont  des  por- 
traitistes un  peu  secs,  Ludger  et  Heriuann  tom  Ring  de  Miinster,  et  un 
«  petit  maître  »  ornemaniste  et  graveur  :  Heinricti  Aidegrever.  qui  se  rat- 
tache à  l'école  de  Durer  et  intéresse  surtout  l'art  décoratif. 


40  LES   PRIMITIFS  ALLEMANDS 

abondaiitt'.  Les  églises  <le  Cologne  regorgeaient  d'ex-voto 
dus  à  la  munificence  de  pieux  donateurs.  La  plupart  de 
ces  oeuvres  ont  été  sauvées  de  la  destruction  à  1  époque  de 
la  Révolution  française  par  lintervention  opportune  de 
quelques  collectionneurs  avisés,  La  collection  Wallraf  a 
foruié  plus  tard  le  fonds  du  musée  de  Colog"ne,  tandis  que 
la  collection  Boisserée  venait  combler  les  lacunes.de  la  Pina- 
cothèque de  Munich  :  c'est  dans  ces  deux  musées  qu'on  peut 
le  mieux  suivre  aujourd  hui  l'évolution  de  l'Ecole  colonaise. 

La  «  sainte  Cologne  ».  fut,  pendant  tout  le  moven  àg-e, 
la  véiitable  métropole  religieuse,  connnerciale  et  artistique 
de  1  Allemagne  rhénane.  Le  culte  de  sainte  Ursule  et  des 
onze  mille  vierges,  dé  saint  Géréon  et  des  martvrs  de  la 
Légion  théjjaine.  et  siu'toul  les  ]-<di((ues  des  Rois  Mages 
apportées  de  Milan  par  rcmjxMX'ui'Fri'déric  Bai'berousse,  y 
attiraient  les  pèlerins  du  monde  entier.  Elle  se  parait  d'admi- 
rables églises  romanes  et  amorçait  au  \nf  siècle  la  construc- 
tion  d'un  Dùme  gothique  colossal  qui  prétendait  surpasser 
la  cathédrale  d'x\miens.  son  modèle.  Son  Université  riva- 
lisait avec  la  Sorbonne.  La  scolasti((ue  y  était  professée 
avec  éclat  par  !<■  célèbre  dominicain  Albeit  le  Grand,  maître 
de  saint  Thomas  d'Aquin  :  ce  fut  au  xiv"  siècle  la  ville 
d'élection  des  Mysticjues. 

Par  sa  situation  sur  le  bas  Rliin,  au  confluent  de  trois 
civilisations,  Cologne  était  prédestinée  a  servir  d'intermé- 
diaire entre  l'Allemagne,  la  France  et  les  Pays-Bas  :  elle 
propagea  tour  à  tour  en  Allemagne  l'architecture  gothique 
française  et  la  peinture  llamande. 


r   z 


[J:S   PHIiMITIFS   AM.KMANDS.  43 

A  la  lin  du  \iv'  sirclc,  il  scmljlf  (juc  riiilluciicc  sieiiiioist' 
ait  élt'  ti'ansinist'  aux  peintres  rlw'tians  parles  drux  j^iands 
centres  de  ciNilisalion  de  e<'lte  «'pcxjut'  :  Praf^uc,  la  \ill(' 
impériale,  et  Avignon,  la  cité  papale  :  elle  s'avère  dans  le 
retable  des  Clarisses  {Clavenaltai').  peint  vers  l.'WO,  qui 
sert  aujourd'hui  de  maître-autel  à  la  cathédrale.  Ce  polyp- 
tyque, qu'une  restauration  récente  a  déharrassé  des  repeints 
qui  le  défig^uraient,  est  une  œuvre  imposante  divisée  en 
petits  panneaux  par  des  arcatures  dorées.  Toutes  les  pein- 
tures ne  sont  pas  de  même  valeur;  mais  les  scènes  <le 
l'enfance  du  Christ,  traitées  dans  le  style  de  la  miniature, 
ont  une  délicieuse  fraîcheur  d'idylle. C'est  ici  qu'apparaît  pour 
la  première  fois  ce  type  de  Vierge  hlonde  au  gi'and  front 
bombé,  aux  yeux  baissés,  à  la  bouche  mignonne  qui  s'impo- 
sera à  la  peinture  colonaise  pendant  plus  il'un  demi-siècle. 

La  manière  du  peintre  des  Clarisses  se  retrouve  dans  les 
deux  œuvres  les  plus  populaires  que  l'Ecole  de  Cologne  ait 
produites  avant  le  Domb'dd:  la  Madone  à  la  fleur  des  pois 
du  musée  Wallraf,  dont  on  a  récemment  contesté,  sans 
raisons  valables,  l'authenticité  et  la  Sainte  Véronique  de  la 
Pinacothèque  de  Munich.  Toute  la  féminine  tendresse  du 
mysticisme  colonais  est  quintessenciée  dans  cette  moniale 
pâle  qui,  inclinant  son  douloureux  visage,  présente  le  ling-e 
miraculeux  sur  lequel  s'est  imprimée  la  Sainte  Face.  Suso 
aurait  aimé  cette  vierg-e  «  blanche,  toute  en  àme,  qui  se 
découpe  ainsi  qu'une  vision  céleste  sur  un  fond  dor  ». 

Comment  s'appelait  l'auteur  de  ces  œuvres  exquises?  Nous 
savons    qu'après   l'insurrection    victorieuse  des  tisserands. 


U  LES   PHLMITIFS   ALLEMANDS. 

en  137(1.  iiii  certain  Magister  \Vi//ieImus  fut  eliai'gé  \n\Y  le 
Conseil  de  iicindre  la  niiiiialure  de  présentation  du  nouveau 
Livre  de  sei'uient.  Dautre  part,  le  chroniqucuf  de  Liinhourg- 
nous  apprend  qu'il  y  avait  ;i  Cologne  vers  1380  un  jteintre 
noniiné  Willielm  qui  était  réputé  <(  le  meilleur  en  pays 
allemands.))  {der  leste  mêler  in  DuseJien  landen).  Il  est 
bien  tentant  d'attrihuer  à  ce  maître  Willielm  de  Herle  \ au- 
tel des  C/nrisses^  ta  Madone  à  fa  fleur  des  pois  et  la 
Sainte  Véronitjue.  Ccprndanl  M.  Firmenicli-Ricliartz  s'est 
elî'orcé  de  démontrer,  contrairement  à  l'opinion  courante, 
que  celte  gloire  appartient  en  réalité  à  son  successeur, 
Hermann  Wynricli  de  Wes(d. 

Un  hasard  heureux  nous  a  jx-rmis  d  ideiililier  le  plus 
grand  maître  de  l'Ecole  de  Cologne  au  xv''  siècle.  Dans  son 
Jour/ail  de  voyage  aux  Pays-Bas,  Albert  Dîirer  note  qu'il 
se  lit  ouvrir  pour  deux  liards.  dans  la  chapelle  de  rhé)tel  de 
ville  de  Cologne,  le  tripty({ue  de  maître  Stephan.  Il  s'agit 
du  célèbre  triptyque  des  Rois  Mages,  aujourd  hui  conservé 
à  la  cathédrale.  Cette  indication  sommaire  a  permis  de 
reconstituer  la  biographie  de  laitisle.  Les  documents 
d'archives  nous  ont  appris  que  ce  maître  Stephan  s'appelait 
Lochner,  qu'il  était  originaire  de  Meersburg  sur  le  lac  de 
Constance  et  qu'il  émigra  vers  1430  à  Cologne  où  il  mourut 
en  14ol.  Ce  n'est  donc  pas  un  autochtone.  Mais  il  s'adapta 
à  son  nouveau  milieu  et  il  réussit  si  heureusement  à  com- 
biner son  réalisme  souabe  avec  le  mysticisme  du  maître  de 
Sainte  Véronique  qu'il  nous  apparaît  aujourd'hui  comme 
le  représentant  par  excellence  de  l'Ecole  de  Cologne. 


Cli.-lir  Si:-hiiii,lt. 
MAITRE    DU    RETABLE  TU CHER.    —    SAINT    AUGUSTIN 
ET    SAINTE   MONIQUE    (VerS    1450). 

(Nuremberg,  Église  Notre-Dame.) 


LES  PRIMITIFS  ALLEMANDS-  ^*'î 

Les  œuvres  qu'on  peut  lui  altiibuor  avec  ceililude  sont 
en  petit  nombre.  La  plus  ancienne  est  sans  doute  le  Jufje- 
ment  dernier  Hm  musée  de  Colog-ne,  panneau  central  d'un 
retable  dont  les  volets  appartiennent  aux  musées  de  Municli 
et  de  Francfort.  Au-dessous  du  Christ  trônant  sur  un  double 
arc-en-ciel  entre  la  Vierge  et  saint  Jean,  la  séparation  des 
bons  et  des  méchants  est  détaillée  avec  une  verve  réa- 
liste qui  fait  songer  aux  diableries  ilamandes.  Des  diables 
g-rifïus  entraînent  en  enfer,  malgré  leur  résistance  déses- 
pérée, les  gloutons  et  les  luxurieux,  tandis  que  saint  Pierre 
reçoit  à  la  porte  du  Paradis,  aux  sons  d'une  musique 
céleste,  la  longue  théorie  des  bienheureux. 

L'idéalisme  colonais  s'affirme  davantage  dans  deux 
tableaux  consacrés  à  la  Madone.  La  vision  mystique  de 
Y Hortus  conciusus  fleuri  de  lys  et  de  roses  pâles,  où  la 
Vierge  trône  au  milieu  de  sa  cour  d'anges  musiciens,  a 
été  rarement  rendue  avec  plus  de  charme  que  dans  la 
Madone  au  buisson  de  /'oses  du  musée  Wallraf-Richartz. 
La  grande  Madone  à  la  violette  du  Musée  archiépiscopal 
rappelle  la  Véronique  de  Munich.  Drapée  dans  les  plis  d'un 
manteau  rouge,  elle  porte  assis  sur  son  bras  droit  l'Enfant 
nu;  de  la  main  gauche,  elle  tient  d'un  geste  un  peu  mièvre 
une  violette,  symbole  d'humilité.  A  ses  pieds  se  blottit  une 
minuscule  donatrice. 

La  Présentation  au  temple  du  musée  de  Darmstadt  est 
le  seul  tableau  daté  de  l'artiste;  il  est  de  1447  et  appar- 
tient par  conséquent  aux  dernières  années  de  sa  vie.  Le 
grand-prètre    Siméon   pose   l'Enfant  nu  sur   l'autel    sur- 


48  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

montt^  dune  magnifique  châsse  d'orfèvrerie.  Tandis  que  la 
Vierge,  en  manteau  bleu.  ollVe  à  genoux  les  deux  colombes 
du  sacrifice,  Joseph  tire  en  rechignant  son  obole  de  son 
escarcelle.  Au  premier  plan,  des  enfants  de  chœur,  alignés 
par  rang  de  taille,  tiennent  des  cierges  allumes  en  l'hon- 
neur de  la  fête  de  la  Chandeleur;  des  feuilles  de  houx 
jonchent  le  pavement  (1). 

Le  chef-d'd'uvre  de  Stephan  Lochner.  le  célèbre  Dom- 
b'ild  ou  triptyque  de  la  cathédrale,  a  été  peint  probablement 
vers  1440.  quelques  années  après  le  polyptyque  des 
frères  van  Eyck.  Commandé  par  le  Conseil  pour  la 
chapelle  nuinici})ale.  il  est  dédié  aux  patrons  de  la  cité. 
Au  centre,  les  trois  Rois  Mages  adorent  la  Vierge  et  l'En- 
fant :  à  droite  et  à  gauche  s'avancent  à  la  tète  d'un 
brillant  cortège  saint  Géréon  et  sainte  Urside.  Ainsi  tout 
converge  vers  la  Madone.  L'ensemble  est  admirablement 
équilibré;  contrairement  à  l'usage,  au  lieu  de  grouper  les 
trois  rois  du  même  C(jté,  le  peintre  a  agenouillé  symé- 
ln"(|ii('men(  un  Mage  de  cliaque  côté  de  la  Vierge. 

Si  l'on  compare  le  Doinbild  à  la  Sainte- Véro?ii(]ue.  on 
s'aperçoit  immédiatement  du  changement  profond  qui 
s'est  accompli  entre  1420  et  1440  dans  l'esthétique  colo- 
naise.  Les  proportions  des  figures  ne  sont  plus  les  mêmes  ; 

(1)  Une  ri'pliijuc  tle  ce  tableau  avec  quelques  variantes  intéressantes  se 
trouve  dans  la  collection  de  M.  Jean  Dollfus,  à  Paris  :  c"est  un  triptyque, 
admirablement  conservé,  qui  représente  au  centre  la  Présentation  au 
tenqjle,  sur  les  volets  l'Adoration  des  Mages  et  le  Triomphe  du  Christ  et  de 
la  Vierge  :  il  a  été  repi'oduit  dans  la  revue  Les  Arts  (1904).  Les  critiques 
allemands  rattril)U(.'nt  sans  raisons  jM'obanlesau  Maître  de  la  l'arenté  de  la 
Vierge. 


Cliché  Sla'dtiier 
MAITRE    DU    RETABLE    P  E  R  I  N  (i  S  IM)  R  F  I  ER  .    —    VISION    MYSTIQUE 
£IE  SAINT    BERNARD  (1487). 

(NunMiil.KM-,!::.  Musée  Gerinaniqiu?.) 


LKS   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  51 

au  lieu  de  formes  Irèles,  t'inacit'es,  pres(|ue  iiiiiii.itrrielles, 
nous  voyons  des  ligures  robustes  et  trapues,  solidement 
campées  sur  leurs  jambes.  Los  saintes  ne  baissent  plus  les 
yeux  comme  pour  les  fermer  aux  séductions  de  ce  monde  : 
elles  reg"ardent  bien  en  face,  avec  un  sourire  malicieux  et 
des  mines  coquettes. 

Contrairement  aux  bumbles  |)réceptes  des  mysli({ues, 
tous  les  personnages  sont  babilles  somptueusement.  Les 
Mages  font  cbatover  leurs  robes  de  brocart,  fourrées 
dbermine.  Derrière  saint  Géréon  qui  s'avance  fièrement, 
le  poing-  sur  la  banrbe,  brandissant  de  sa  main  gantée 
de  fer  Tétendard  de  la  légion,  marche  une  troupe  de 
jeunes  bellâtres,  couronnés  de  «  cbapeaux  de  Heurs  ».  Des  • 
compagnes  délurées  de  sainte  Ursule  on  serait  tenté  de 
dire  ce  que  Ruskin  insinuait  delà  Vierge  dorée  d'Amiens  :  ce 
sont  des  «  soubrettes  »  colonaises.  Prud'hommes  dévots, 
galants  et  jouvencelles  délilent  en  habits  de  fête.  Dans  ce 
magnifique  spectacle,  aucune  mysticité  :  c'est  la  glorification 
de  la  bourgeoisie  colonaise  à  l'apogée  de  sa  richesse. 

Bien  que  le  Doml)ild  soit  postérieur  de  plusieurs  années 
au  retable  de  l'Agneau,  on  n'y  trouve  aucune  indication  de 
paysage  et  de  plans  :  les  figures  pressées  se  découpent  en 
silhouette  sur  un  fond  d'or.  Mais  si  cette  œuvre  archaïque 
n'est  pas  de  celles  (|ui  mar(juent  un  progrès  dans  Ihistoire 
de  la  peinture,  elle  justifie  son  grand  renom  par  l'éclat  d'un 
coloris  (jui  s'ordonne  harmonieusement  autoui-  du  bleu 
lumineux  du  manteau  de  la  Vierge. 

L'Aîino/iciafiofi  peinte  sur  les  volets  extérieurs  de  ce 


52  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS- 

triptyque  est  dune  rare  beauté.  A  genoux  sur  son  prie- 
dieu,  la  Vierge  se  retourne  avec  un  mouvement  de  grâce 
timide  vers  l'ange  aux  ailes  frémissantes  qui  porte  sur  son 
aube  blanclie  une  magnifique  dalmatique  d'un  brun  rouge 
et  tient  à  la  main  un  parcliemin  d"où  pend  un  sceau  avec 
la  formule  de  salutation:  Ave  gratia  pfena  (1).  Ces  deux 
figures  monuuKMitales  se  détachent  sur  un  rideau  de  bro- 
cart d'or. 

On  peut  dire  (jue  le  Donibild  mar(|ue  à  la  fois  l'apogée 
et  le  terme  de  l'École  de  Cologne.  Les  successeurs  de 
Stephan  Lochner,  vont  se  foi-mer  dans  les  ateliers  de 
Bi'uges  et  de  Louvain  :  en  même  temps,  les  Pays-Bas 
exportent  en  Allemagne  des  artistes  et  des  œuvres  d'art. 
\J homme  aux  œillets  de  Jan  van  Eyck  sert  de  modèle  au 
Maiti-e  de  la  Parenté  de  la  Vierge.  En  1438  un  chanoine 
de  Cologne,  Ileinrich  \\  erl.  connnande  au  maître  de  Fié- 
malle  le  petit  autel  portatif  du  iiuisée  du  Pjado.  Rogier 
van  der  Weyden.  (jui  s'arrête  à  Cologne  en  1431  à  son 
retour  d'Italie,  peint  pour  l'église  Sainte-Colombe  le  célèbre 
triptyque  de  YAdoration  des  Mages  (Pinacothèque  de 
Munich)  (jui  a  fasciné  et  hanté  presque  tous  les  Primitifs 
allemands  du  xv*'  siècle.  Bref,  à  partir  de  1440  environ, 
la  frontière  s'elface  :  lAllemagne  rh(''nane  n'est  })lus  (ju'une 
province  tributaire  de  l'Ecole  des  Pays-Bas. 

Le  premier  de  ces  maîtres  «  llamingants  »  de  la  seconde 
moitié  du  xv''  siècle  est  le  Maître  de  la    Vie  de  la  Vierge 

(1)  L"Ange  annonciateur  appoi'lant  un  parclioniin  scellé  en  bonne  et  due 
l'ni'iiie  est  très  fréquent  dans  l'iconographie  allemande. 


(ilichf  Bruckmaiin. 
MARTIN    SCIIONGAUER.   —  LA    V  I  E  R  T.  E    AU    BUISSON    DE   ROSES    (1473) 

(Colmar,  E2li.se  Saint-Martin.) 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  33 

{Meistt'r  (les  Miirli'/i/»'fj<'n.s),  ainsi  iioiiiiiu''  d  iipirs  un  (;\cl»' 
de  sej)l  lahlcaiix;  <lc  la  Pinacollirque  do  Munich  |uo\('nanl  de 
Tégiise  Sainic-Ursulc  de  (lolo^nc  Ha  (•cifaineuienl  connu 
Thierry  Bouts  à  Louvain  ;  mais  ses  ligures  anguleuses  sont 
moins  lleginatiques  (|ue  c(dles  du  Primitif  hollandais.  11 
sait  traduire  avec  une  émotion  contenue,  et  j)rofonde, 
la  douleur  muette  et  d'autant  plus  poignante  <le  la  Vierg-e 
et  de  saint  Jean  au  {»i('d  de  la  croix.  Sa  rlsioii  de  saint. 
Bernard  est  une  des  œuvres  les  plus  délicates  de  la 
mariolàtrie  chrétienne  :  la  Vierge  de  son  sein  pressé  fait 
jaillir  quehjues  g-outtes  de  lait  sur  la  face  du  moine 
extasié  qui  dune  main  timide  caresse  les  jamhes  nues  de 
l'Enfant:  il  y  a  dans  cette  ceuvre  un  mélange  savoureux 
de  gaucherie  et  de  délicatesse,  d'ascétisme  et  de  sensualité. 
Il  suffit  de  conq)arer  le  3Iaître  de  la  Vie  de  la  Vierge  au 
Maître  de  la  Passion  de  Lyversberg,  avec  lequel  on  lui 
faisait  jadis  l'injure  de  le  confondre,  pour  voir  comhien  il 
s'élève  au-dessus  de  lui  parle  sentiment  et  le  métier. 

l^eMaitre  de  la  Glorifieation  de  la  Vierge  {Meister  der 
Verherrliehung  Maria)  est  un  peintre  plus  fruste.  Avec 
lui,  l'Ecole  de  Cologne  s'éloigne  de  plus  en  plus  du  mysti- 
cisme :  les  saints,  malg'ré  leurs  nindîes  traditionnels,  ne 
sont  plus  (jue  des  rustres  endimanchés.  Le  Maître  de  la 
Parenté  de  la  Vierge  (Meister  der  lieiligen  Sippe),  que  la 
plupart  des  critiques  français  haptisent  ta  tort  Maître  de  la 
Sainte  Famille,  doit  son  nom  à  un  tahleau  du  musée  de 
Cologne  qui  représente  sainte  Anne  et  ses  trois  filles  avec 
leur   nomhreuse  lignée.   Ce  thème   du    Sippenaltar,  qui 


^6  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

s'accordait  avec  le  goût  de  la  bourgeoisie  du  xv'^  siècle  pour 
les  généalogies  compliquées  est  Tun  de  ceux  qui  reviennent 
le  plus  souvent  dans  la  peinture  et  la  sculpture  allemandes. 

Avec  le  Maître  de  Saint-Séverin  dont  la  personnalité 
domine  l'École  de  Cologne  à  la  fin  du  xv*^  siècle,  d'autres 
influences  se  font  jour.  Ce  n'est  plus  Rog-ier  van  der 
Weyden,  mais  Quentin  Matsys  qui  donne  la  note.  Cepen- 
dant le  Maître  de  Saint-Séverin  n'estpasun  simple  épig'one. 
Sa  protestation  contre  l'idéalisme  édulcoré  des  Colonais 
n"a  rien  de  banal.  Dans  son  tableau  de  V Adoration  des 
Mages  du  musée  de  Cologne  comme  dans  le  cycle  de  la 
lég-ende  de  sainte  Ursule,  il  afficlie  un  parti  pris  de  laideur 
expressive  :  il  nous  présente  des  bourgeois  maigres  et 
osseux,  avec  des  yeux  caves  et  cernés,  de  longs  nez 
cartilag'ineux,  des  mentons  en  galoclie,  un  teint  rouge- 
bi'ique.  Ces  grotesques  sont  affublés,  pour  comble  de  ridi- 
cule, de  vêtements  somptueux  de  brocart  et  de  damas,  de 
couronnes  et  de  sceptres.  Mais  ces  mascarades  de  Carnaval 
ne  manquent  pas  de  saveur  :  les  physionomies  vieillotes  et 
fripées  de  ces  fanloclies  ont  une  rare  intensité  d'expres- 
sion et  leurs  oripeaux  sont  peints  dans  une  gamme  cha- 
toyante qui  ne  dégénère  jamais  en  bariolage. 

Le  Maître  du  retable  de  saint-Barthélémy  (Meister 
des  Bartlioloini'iusaltars)  appartient  déjà  par  la  date, 
sinon  par  le  style,  au  commencement  du  xvi''  siècle. 
11  était  d'origine  souabe  comme  Stephan  Lochner  et  se 
forma  à  l'école  de  Martin  Schongauei'.  11  fut  chargé  de 
peindre  vers  1.500  pour  la  Chartreuse  de  Colog-ne  les  deux 


Clirli,:-   Slil'.lIll.T. 

JI  A  IT  R  E    DU    LIVRE    DE    RAISON.    —    LES    A  >I  0  U  R  E  U  X  . 

(Gravure  sur  cuivre). 


LES  I»|{IMITIFS   ALLEMANDS.  ^9 

retables  de  la  Croix  cL  de  saint-Thotnas  qui  sont  aujoiii- 
d'huiau  musëc  Wallraf  Richartz.  Son  retable  de  saint  Bar- 
Me7e//iy  (Pinacotlir(jii«'  do  Munich).  (|ui  oiTiail  jadis  l'ég-lise 
Sainte-Colombe  de  Cologne,  est  une  longue  Irise  de  saints, 
mag'nifiquement  costumés,  qui  se  détaclient  comme  les  lig^u- 
res  d'un  bas-relief  sur  une  tenture  de  brocart  rouge  et  or. 
Mais  son  chef-d'œuvre  incontesté  est  la  Déposition  de 
croix  du  musée  du  Louvre  et,  en  attendant  qu'on  réus- 
sisse à  l'identilier.  le  nom  (jui  lui  convient  le  mieux  est 
celui  de  Maître  de  la  Déposition  de  Croix.  Ce  tableau 
dont  les  volets  sont  perdus  a  certainement  été  peint  pour 
une  confrérie  d'Antonites  ;  car  la  bordure  peinte  de  style 
gothique  lleuri  porte  le  tau  et  la  clochette  de  saint  Antoine. 
Comme  la  célèbre  Descente  de  croix  de  Rogier  van  der 
Weyden,  il  présente  une  forme  cruciale.  Nicodème  monté 
sur  une  échelle  tient  à  bras-le-corps  le  cadavre  décloué  du 
Christ  qui  occupe  le  centre  de  la  composition.  De  chaque 
côté  de  la  croix  sont  groupés  trois  personnages  :  à  gaudie 
saint  Jean  en  robe  rouge  soutient  la  Vierge  évanouie  ;  à 
droite  Joseph  d'Arimathie  vêtu  d'un  manteau  à  ramages 
remet  à  une  Sainte  Femme  la  couronne  d'épines  tandis 
que  Madeleine  à  genoux  caresse  la  jambe  du  Sauveur. 
L'ensemble  a  un  relief  quasi  sculptural  ;  mais  le  style  n'a 
pas  la  gravité  qui  convient  à  cette  scène  douloureuse  ;  on 
souhaiterait  plus  de  simplicité  et  d'émotion.  Les  g-estes 
sont  menus  et  coquets,  les  expressions  affectées.  La 
Madeleine  qui  se  dégante  pour  toucher  la  jamjje  du  Crucifié 
est   une   g'ente    commère    qui  minaude.    Cette   préciosité 


t'>t>  LES    PRIMITIFS   ALLEMAiNDS. 

s'exagère  encore  dans  la  petite  Descente  de  croix  de  la 
collection  Eilward  Wood. 

Ce  mëlangt"  de  trivialité  et  de  mièvrerie  est  un  héritag-e 
du  XV''  siècle  :  mais  ce  qui  assure  une  place  à  part  au  Maître 
de  la  Descente  de  Croix,  c'est  la  mag-nificence  de  son  colo- 
ris :  les  chairs  d'un  ton  chaud,  les  vêtements  modele's  avec 
des  ombres  g'iacées  de  hrun  sur  un  fond  d'or  sont  d'un 
éclat  prestigieux.  Les  tons  qui  se  rejoignent  par  des  gra- 
dations délicates  se  fondent  dans  une  tonalité  générale 
ambrée.  Etalées  par  couches  minces  et  lisses,  les  couleurs 
ont  l'éclat  précieux  d'un  indestructible  émail. 

Au  \yf  siècle,  ce  sont  les  romanistes  de  l'École  d'An- 
vers, Scorel  et  Heemskerk,  qui  après  Quentin  Matsys 
et  Rogier  vont  exercer  une  influence  prépondérante  et 
d'ailleurs  néfaste  sur  l'Ecole  de  Colog'ne  à  laquelle  ils 
inoculent  le  maniérisme  italien.  L'initiateur  de  cette  der- 
nière phase  est  le  peintre  anversois  Joos  van  Cleef  que 
Waagen  avait  baptisé  provisoirement  Maître  de  la  mort 
de  Marie  (Meister  vom  Tode  Maria).  Ce  maître,  qui  a 
longtemps  vécu  en  Italie,  n'appartient  pas  à  l'École  alle- 
mande :  mais  ses  deux  tripty(|ues  de  la  Mort  de  la 
Vierge,  peints  vers  15I.j  pour  une  famille  patricienne  de 
Cologne  d'oi'igine  flamande,  les  Hackeney,  ont  exercé  une 
grande  inlluence  sur  le  dernier  représentant  de  l'École 
colonaise,  Barthélémy  lii'uvn  (  I493-ioo7),  (jui  mérite  de 
survivre  connue  |»ortrailiste  (  l  ).  Les  honnêtes  bourgmestres 

(1)  Sl'S  tableaux  religieux  de  la  cathédrale  d'Essen  et  du  Dùiue  de  Xan- 
ten  ne  sont  que  de  froides  contrel'açons  des  luaniérisles  italiens. 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  «1 

au  visage  placide  (|iril  a  i-('|»i'('sciil»'s  dans  le  cosliuiic  de 
leur  charge  avec  la  rolic  iiii-|iarli('  rouge  el  noire  el  la 
barrette  sont  de  vivantes  elligies  de  la  bourgeoisie  colo- 
naise  qui  peuvent  l'ivaliser  paidois  axcc  les  nieilleuis  por- 
traits d'Arnberger  et  nit'uie  (l'Holbt'in. 

Pendant  bmgtenips,  cette  Ecole  de  Cologne  a  »■!('■  con- 
sidérée connue  bi  Heur  supi'tMue  d<'  l'art  allemand  du 
xv'  siècle.  A  niesuie  (|u'on  connaît  mieux  les  œuvres 
des  Écoles  franconienne,  souabe  et  tyrolienne,  la  primauté 
de  cette  École  trop  vantée  par  les  romanti(jues  parait 
moins  justifiée.  Le  terme  même  d'Ecole  de  Cologne  est 
sujet  à  discussion  :  car  l\  }»artir  de  li'-'A)  (die  jierd  toute 
autonomie.  En  outre,  j»res(jue  tous  les  peintres  (|ui  font  sa 
gloire  sont  d'origine  étrangère  :  Stepban  Locbner  el  le 
Maître  de  la  Descente  de  croix  du  Louvre  sont  des  Souabes 
immigrés;  l'origine  hollandaise  du  Maître  de  Saint-Séve- 
rin  et  de  Barthel  Bruyn  est  plus  (pie  pi(d)able. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  qu'une  certaine  ambiance  r(digieuse 
a  créé  à  Cologne  une  tradition  de  tendresse  mystique  ({ui 
s'est  imposée  avec  force  à  la  plupart  de  ces  étrangers. 
A  l'exemple  de  la  Rome  papale  (|ui  fut  également  stérile  en 
grands  artistes,  la  «  Rome  du  nord  »  a  exercé  une  puissante 
attraction  sur  les  peintres  du  dehors  et  les  a  modelés  à  son 
image. 

Mais  si  l'on  compare  sans  j)arti  pris  les  Primitifs  colo- 
nais  à  leurs  contemporains,  de  graves  restrictions  s  im- 
posent :  ils  n'ont  ni  l'énergie  âpre  ni  la  puissance  drama- 
tique des  Franconiens;  ils  manquent  de  virilité  et  d'accent; 


6-2  LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

leur  lyrisme  suave  confine  à  la  fadeur.  D'autre  part,  ils 
sont  loin  d'ég'aler  les  Souabes  au  point  de  vue  de  l'obser- 
vation de  la  réalité,  du  sens  de  l'espace  et  de  l'atmosphère. 
Traditionnalistes  par  essence,  ils  s'attardent  aux  fonds 
dore's  et  gaufre's  jusqu'en  plein  xm'"  siècle,  alors  qu'en 
Flandre  et  en  Souabe,  le  paysage  avait  fait  depuis  long- 
temps son  apparition.  Ce  n'est  pas  dans  cette  Ecole  retar- 
dataire, mais  dans  1" Allemagne  du  Sud  que  nous  allons 
voir  s'élaborer  les  progrès  décisifs. 

Jll.  —  Les  Ecoles  de  l'Allemagne  du  Sud. 

La  peinture  allemande  s'est  montrée  beaucoup  plus  oi'i- 
ginale  et  beaucoup  plus  féconde  dans  l'Allemagne  du  Sud 
(jue  dans  l'Allemagne  du  Nord.  Tandis  que  les  Ecoles  de 
Hambourg,  de  Soest  et  de  Cologne  se  laissent  asservir  par 
l'École  des  Pays-Bas  et  restent  obstinément  fidèles  aux  pro- 
cédés archaïques  d"enlumi]uire,les  peintres  de  Nuremberg, 
de  Bàle.  d'Augsbourg  se  posent  les  problèmes  essentiels 
([ue  résoudra  la  Renaissance.  Ils  observent  attentivement 
la  nature,  remplacent  les  fonds  d'or  par  des  paysages, 
s'efforcent  de  suggérer  le  relief  par  le  modelé,  la  profon- 
deur par  des  artifices  de  perspective;  ils  sont  plus  sensibles 
aux  effets  de  lumière  et  de  clair-obscur.  Aussi  est-ce  à  l'Alle- 
magne du  Sud  ({n'appartiennent  les  plus  grands  maîtres 
connus  ou  anonymes  du  xv''  siècle,  le  maître  du  retable 
Tucher  et  celui  du  retable  Peringsdcirfîer,  Conrad  ^Vitz  et 
Hans  Multscher,  Martin  Schongauer  et  Michael  Fâcher, 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  ^'>-i 

ainsi  ([lie  l;i  liloricusc  Iriintt''  arlisti((iH'  de  Diircr.  (li'iiiic- 
wald.  Il(»ll)('iii.  (iiii.  au  dt'ltul  du  \vi''  sirclc,  iiiaf(|U('  Tapog-ée 
do  l'art  allcniaud. 

Nous  distini^uorons  dans  colle  réiiion  Iros  uiorooléo  on 
les  contres  d'art  pullulent,  tjuatre  Kcolos  prinoipalos  : 
l'École  franconienne,  qui  est  oonoentroe  à  Nurendjorg  ; 
l'École  du  Haut-Rhin  :  l'École  souahe  et  l'Ecole  alpeslie 
ou  Ivi'olioinio. 

1.  L'Eco/c  de  yKi-ombrvfj.  —  Par  son  caiaclèic  ('iier- 
giquo  et  dramatique.  1  art  l'ranconien  s'oppose  nellenieni  à 
l'art  féminin  de  Cologne.  Ces  divergences  qui  s'ox])li(|uent 
par  le  leniporamont  dos  deux  l'acos,  sont  accentuées  par 
des  circonstances  historiques  :  hi  peinture  à  Nurondjerg 
e'chappe  à  l'influence  émoHient*-  du  mysticisme  ;  elle  suhit 
fatalement  la  contamination  de  la  sculpture  sur  hois  avec 
laquelle  elle  est  intimement  associée  (hnis  h's  l'otahlos. 

Los  documents  d'archives  nous  ont  ré^(''lé  le  nom  d  un 
])eiidre  de  Nureud>erg-,  Sebald  WeinschriUoi',  (|ui  lui  em- 
ployé on  Bohème  par  l'onqtereur  Charles  W .  11  n'est  donc 
pas  surprenant  que  les  premiers  monuments  de  hi  pointure 
nurembergeoise  :  les  fresques  do  la  légende  de  sainte  Ursule 
découvertes  sous  le  hadigeon  dans  la  chapelle  Saint-Mau- 
rice,  l'ollètont  l'influence  de  l'Ecole  do  Prague. 

La  Madone  du  célèj)re  retable  Itnhof  (|ui  a  été  peint 
entre  1418  et  1421  dérive  aussi  de  l'art  Ijoliénnen.  Ce 
retable,  offert  par  Coin-ad  Indiof  à  l'église  Saint-Laurent, 
illustre    la    première    phase    de    cette    École    tardive.    11 


64  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

représente  sur  un  fond  dor  le  (llin'st  couronnant  la 
Vierge  entre  deux  apùtres.  La  Vierge  en  robe  et  manleau 
bleus  incline  liumblenient  sa  tète  gracieuse,  recouverte 
d'un  voile  blanc  à  franges,  pour  recevoir  la  couronne  que 
lui  impose  avec  une  gravité  sacerdotale  le  Cbrist  roi.  Les 
têtes,  qui  se  présentent  de  trois  quarts,  ont  une  certaine 
vigueur  plasli(jue  :  mais  les  corps  sont  très  g'auchemeid 
dessinés  :  l'ignorance  de  lanaloniie  est  extrême.  Les  dra- 
peries gothiques  aux  longs  plis  ne  servent  qu"à  dissimuler 
des  formes  inorganiques.  Le  coloris  est  sans  éclat  et  sans 
tiansparence.  C  est  au  même  maître  (  Berchlold  Landauer?) 
qu'appartient  une  ceuvre  un  ])eu  plus  archaïque  qui  pro 
vient  de  léslise  des  Dominicains  de  Nui'emberff  :  le  retable 
Dciehsler  <\v\  musée  de  lierlin. 

Une  des  œuvres  capitales  de  cette  époque  est  le  rebibJe 
de  Bamberg  au  Musée  national  bavarois  de  Munich.  Il 
est  daté  de  \V1\)  et  représenle  sur  un  fond  dor  le  Por- 
tement de  ci-oix,  la  Crucilixion  et  la  Descente  de  croix. 
A^'ant  les  visions  terribles  de  (rriinewald,  jamais  lart  sep- 
tentrional n"a  plus  éloquemment  exprimé  la  tragédie  de  la 
Passion.  Le  l'etable  de  Bamberg'  marque  un  progrès  sur 
le  retable  Imhof  :  le  modelé  est  plus  énergique,  le  coloris 
plus  éclatant  et  plus  limpide.  Les  scènes  sont  traitées  lar- 
gement dans  le  style  de  la  fresque  et  supposent  la  con- 
naissance des  fresques  de  la  Ilaute-llalie.  Jl  ne  faul  pas 
oublier  que  Nuremberg  entretenait  déjà  des  relations 
commei'ciales  avec  Venise  :  ses  marchands  aflluaient  au 
Fondaco  dei  Tedesclii.  Les  peintres  franconiens  se  détour- 


ATTlUbLK    AU    MAITKK    H  l     LIVRE    l)  K    IIAISON. 

(Vers   149U.) 
(Gotlia,  Musée  gfancl-ducal.) 


Cliché  Stœfltnci' 
LES   AMANTS. 


LKS    PUIMITIFS   ALLEMANDS.  <)7 

nt'iil  c'ilocs  i\{'  I*rai:ii('  riiiiK'f  par  la  guerre  <les  Ihissiles  |»(nir 
se  iiiellre  h   IvciAc  Acs   X't'iiil  iciis. 

Le  rrldhh'  llallcr  de  r(''i;lise  Saiiil-Seha  M  jalf  ililie  lllie 
seconde  t'Iaite.  ('-elle  (eii\  l'e  d  liii  i'(''alisiiie  hriilal  t'NfXiue 
le  (Jii'isl  en  croix  eiiLre  la  ^  iei'tie  el  saiiil  Jean:  lin- 
llueiice  des  bas-r(di(d's  en  Ixiis  jx'inl  y  apparaît  axcc  ('■\-i- 
deiice.  On  est  d'abord  cho(jU(''  par  nn  j)arli  jiris  de  lourdeur 
et  de  laideur  :  le  Christ  trapu,  à  la  large  poitrine  bombée, 
man(jue  de  nojjlesse:  saint  .leaii  est  un  rustre  dniil  les 
gTands  j)ieds  ont  I  aii'  (Mdlt's  au  sol.  Mais  les  coideui's,  où 
dominent  un  rouge  et  un  bleu  prol<tnds.  sont  d  une  inten- 
sité el  d'un  t'clal  incomparables  :  (dies  si'idèvent  sur  un 
fond  d  or  gaufre,  semé  de  lourdes  arabesques. 

Le  même  fond  d'oi'  estampé  se  retrouve  dans  le  relahlc 
Tucher.  l'oMivi'e  la  plus  puissanti'  (|u"ait  j)i'oduit<'  1  <'Cole  de 
Nuremberg  avant  Diirer.  Ce  grand  retable,  peint  vers  1451) 
pour  l'église  des  Cbarti'eux,  orne  aujouidbui  l'église  Notre- 
Dame.  Il  se  divise  en  trois  scènes  cjui  r(''sunient  toute  riiis- 
toire  de  la  Ué(b'mption  :  l'Annonciation,  la  Crucilixion  el 
la  Résurrection.  La  Vierge  assise  devant  un  livre  ouvert 
se  retourne  étonut'e  vers  l'ange  en  robe  blarndu'  dont  les 
grandes  ailes  érigées  sont  nuancées  de  vert.  Dans  la  scène 
de  la  Crucifixion,  elle  regarde  a\ec  une  expression  de  dé- 
tresse infinie  le  Cdn'ist  en  ci'oix  qui  laisse  retomber  lourde- 
ment sa  tête  sur  sa  })oilrine  décbarnée.  La  Résurrection 
est  traitée  suivant  le  scbème  traditioniud  :  le  Christ  en 
manteau  pourpre  surgit  du  londjeau,  la  main  droite  levée, 
la  seneslre  brandissant   liMendaid  de  victoire:  il  a  encore 


tî-S  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

un  pied  dans  le  sarcophage.  Lun  des  veilleurs  endormis 
seveille  et  met  sa  main  devant  ses  yeux  pour  les  proléger 
contre  léclat  aveuglant  de  l'apparition.  Les  analogies  avec 
le  retable  Haller  sont  fi'a]ij)antes  ;  mais  tout  d<'nonce  une  plus 
grande  noblesse  d'expi'ession,  un  art  plus  spiritualisé. 

La  face  intérieure  des  volets  est  consacrée  aux  colloques 
des  saints  que  les  Chartreux  se  proposaient  pour  modèles. 
Saint  Augustin,  en  onicmcnls  <'|>iscopaux.  se  tourne  un  livre 
à  la  main  ^ers  sa  mère  .Moni(jue  (jui  l'écoute  les  mains 
jointes;  au-dessus  d'eux,  un  ange  aux  aih'S  éployées, 
peint  très  gauchement  en  raccouiri,  déroule  une  banderole 
avec  cette  inscription  :  Colloquebantur  soli  vade  dulciter. 
En  regard,  c  est  la  \  isitc  de  saint  Antoine  à  saint  Paul  ermite 
dans  le  dé'scrt  df  la  Tht'banh';  les  deux  anachorètes,  dont 
les  proportions  sont  si  ('coiirlf'cs  (|u"on  les  jtrcndrait  jtour 
des  gnomes  barbus,  causent  sans  doute  dej)uis  buiglemps  : 
carie  cochon  de  saint  Antoine  à  IjouI  de  patience  tire  son 
maître  par  le  pan  de  son  manteau. 

Les  volets  fermés,  on  aperçoit  au  ccnlre  l'Assonijjtion  de 
la  Vierge  et  la  \ision  de  saint  Augustin.  Les  admirables 
figures  latérab'S  de  saint  Vit  et  de  saint  Léonai'd  donnent 
à  supposer  que  ce  retable  fut  consacré  en  temps  de 
siège  et  de  peste  :  saint  Vit  avait  la  r»'j)utation  de  ]»ro- 
téger  contre  la  peste  et  saint  Léonard  était  le  patron  des 
prisonniers  (  1  ). 

(1)  D'après  M.  GeblianU.  ([ui  a  consacré  à  ce  chef-d'ieuvrc  une  étude 
approfondie,  il  faudrait  y  reconnaître  la  main  de  deux  maîtres  différents  : 
car  malgré  une  certaine  unité  apparente,  les  proportions  des  figures  sont 
très  différentes  sur  les  volets  extérieurs  et  intérieurs.  L'un  de  ces  maîtres 


[.KS    l'IilMITIFS   AIJJvMANDS.  fiO 

.liis(|ir;il(ii"s.  les  pciiil  rcs  (le  NiiitiiiIm'Ii:  ;i\  .iiciil  ('It'  clici- 
clicr  Iciii's  iiiodMcs  ;i  l'rni^iK'  cl  à  NCiiisc.  A  piii'lir  de  I  i'iO. 
riiilliicncc  (les  l'iiiiiiamls  cl  de  Mari iii  Sclidimaiicr  rciii|dac(' 
1  inlliit'iici'  \(''iiil  iniiic.  Ia\  iik^'iiic  Iciiijts  larl  aiMsl  (icial  i(|iic 
t'L  moiiLuncnlal  du  rdaldc  linlud'  cl  du  rclaltic  'lUclici- 
s'embourgeoise  dans  ralclicc  des  IMevilciiw  iirll Cl  de  \\(d- 
gemut. 

Le  yei'italjle  iiiliodlicletir  de  la  lcrliiii(jue  llaiiiaiide  en 
Franeonie  fui  Ilaiis  IMeydenwiirll'  :  c  esl  lui  (|ui  le  pre- 
mier  rompt  avee  la  Iradilion  locale.  Il  s'inspire  surlout  <lc 
Rogier  van  der  Weyden  qui  avait  plus  (ralfinih's  (|ue  .lan 
van  Eyck  avec  le  génie  plasti([ue  et  dramatique  de  Xiii-em- 
berg\  Sa  re'putation  dut  s'étendre  très  loin:  car  on  Irouve 
des  retables  de  lui  à  Breslau  et  jus([u  <'n  (iralicie.  Ses 
œuvres  les  plus  conmies  sont  les  deux  Crffci/ixio/is  de 
Municb  et  de  Nurend)erg.  On  lui  allribue  en  oulic  au  Musi'c 
Germanique  le  pelil  portrail  du  (dianoinc  Sclu'trdxuii  (|ui 
est  sans  doute  le  premier  (diel-d  œuvre  du  genre  iconitjuc 
à  Nuremberg.  Ce  vieillard  au  visage  fripé  qui  tieni  un  livre 
à  la  main  et  qui  tout  d'un  coup  s'arrête,  les  lèvres  enlrOu- 
vertes,  comme  aux  écoutes,  donne  rimpression  de  la  \  ie 
même,  surprise  par  un  artiste  d('jà  babile  à  noter  les  gestes 
instantanés.  L'exécution  (|ui  n  a  rien  de  sèclienienl  linésiirc 
surprend  par  sa  délicatesse  raffinée. 

Il  a  été  long-temps  de  mode  de  comparer  Miclud  W 


oli^c- 


serait  le  peintir  aiionyiuu  du  retable  Ualler  et  l'autre  un  eertaiu  Ilaiis  l'euil 
auquel  M.  Gcbhardt  attribue  deux  (euvres  capitales  de  la  peinture  nurem- 
bergeoise  entre  1440  et  1450  :  VÉ///tap/i/'  d'Ehenlielm  à  Féglise  Saint-Lau- 
rent et  la  Vierge  de  iniséi'icurde  du  couvent  des  Cistereiens  d'Ucil^lunnn. 


70  LES   PRIMITIFS    ALLEMANDS. 

iiiul,  maître  de  Ditrer,  à  Peruiiin.  maître  de  Raphaël  (1  )  : 
c'est  faire  beaucoup  hop  d  liomieur  à  cet  artisan  médiocre, 
incapaldr  d  inxcnliou  cl  d  t'iuolioii.  jiour  (|ui  la  peinlui'e 
n'est  qu'une  industrie.  11  avait,  s(don  une  coutume  très 
répandue  dans  les  guildes  de  peintres,  épousé  en  1472  la 
veuve  et  la  clientèle  de  son  maili'c  Plevdenwurft'.  Pendant 
plus  de  (|uai'ante  ans,  il  se  trouva  <à  la  t(''t<'  de  l'atelier  le 
})lus  aidialandé'  de  Nuremberti'.  C'est  lui  (jui  uujuopolisait 
les  counuandes  des  riclu's  bouriicois,  des  corporations  d 
des  chapitres  de  couvents.  Y('rilabl('  entrepreneur  de  re- 
tables, il  se  chargeait  d'exécuter  au  pins  juste  prix  tous  les 
travaux  de  peinture,  de  sculpture  et  d'  <i  estoliaige  »  de 
statues  :  pour  servir  plus  rapidement  sa  clientèle,  il  répar- 
tissait  la  besogne  entre  de  nombreux  ap})renlis. 

11  s'en  faut  (jue  tous  les  retables  ('X('cut('s  dans  son  attdicr 
soient  de  sa  uuiin.  Les  œu^'res  où  il  a  mis  le  plus  de 
lui-même  son!  le  retable  de  la  Trinité  de  llof  (  iili."))  (|ui 
se  trouve  aujourd  hni  à  la  Pinacothè(jue  de  Muni(di  et  le 
uuiilre-aut(d  de  Notre- Da/ne  de  Ziriehau  (  1479).  Oiiant  au 
retable  de  Sidnrulxudi  (l-")07).  (jui  ap])arlient  \\  la  lin  de  sa 
vie, c'est  en  majeure  [)ai'tie  une  annre  d  at(dier  dont  il  s'est 


(1)  l'endant  dus  siècles,  Miclirl  WulgeimiL  a  passé,  sous  pi'ùtuxtr  cju'il 
avait  été  le  maître  de  Durer,  jiour  le  principal  et  presciuo  Tunique  repré- 
sentant de  la  vieille  Ecole  de  IS'uremberg.  Sa  gloire  éclipsait  celle  de  tous 
ses  contemporains  ;  on  lui  attribuait  sans  hésitation  toutes  les  œuvres  de 
valeur  qui  se  placent  entre  1450  et  ioOO  :  le  reste  était  mis  au  compte  de 
son  atelier.  C'est  le  mérite  de  M.  Tliode  d'avoir  coupé  court  à  cette  légende. 
Son  livre,  qui  a  paru  en  18(11,  péchait  par  des  identifications  hasardeuses 
que  la  critique  n'a  pas  ratifiées  ;  mais  ses  conclusions  subsistent  dans  les 
grandes  lignes  et  c'est  grâce  à  ce  travail  fondamental  que  nous  pouvons 
reconstituer  l'évolulion  de  l'Ecole  de  Nuremi.ierg  avant  Diirer. 


T.KS    IMII.M  n  IFS   ALI.K-M  ANDS.  71 

coiili'iiU'  (le  siiiM'ilIcr  rcxi'culioii  cl  tldiii  il  ;i  coiili"'  l''S 
sculptures  à  Xch  Sloss.  On  y  clicrclic  \  aiiiciiicril  un  iicccri! 
de  sin(.'('ril('  ou  d'cMnolion  iicrsdiincllf.  De  nonihrciix  dé- 
tails soid  enipruuh'sà  Mans  PIcNdcnw  urll"  on  à  Scdioniiaucr. 
Partout  le  même  schéma,  les  mêmes  liiiures  ine.vpressives 
etsausàme,  le  même  hai'iolaiie  otfeusanl.  Les  volets  peinls 
simulent  des  bas-reliids  en  hois  colorié.  Jjcs  formes  an.<:u- 
leuses,  les  draperies  cassantes  ont  tous  les  caracléres  du 
Schnitîslij/. 

Aussi  est-il  impossible.  mali:i'('  le  témoig'nage  formel  de 
riiistoriograplie  Neudr)rfer.  d'attribuer  à  \Yolgemut  lanlel 
que  Sebald  Peringsdru'lfei-  commanda  en  I  i87  })our 
l'église  des  Augusiins.  (le  i-elable  dont  les  fragments  se 
trouvent  aujourd'hui  au  Musée  (Ternu^ni(|ue  com[)ortait 
deux  paires  de  volets  mobiles  :  huit  panneaux  étaient  con- 
sacrés à  la  légende  de  saint  \\\.  tandis  quii  rinli-ricur  des 
volets,  à  la  place  privilégiée,  se  déroulaient  quatre  scènes  de 
lég^ende  d'un  charme  exquis  .  saint  Luc  peignant  la  Vierge, 
saint  Sébastien  percé  de  flèches,  saint  Christophe  passant 
le  gué  avec  Jésus  sur  ses  ('|(aulcs,  et  eidin  la  vision 
mystique  de  saint  Bernard  de  (ïlairvaux  ((ui  \(»il  le  Chi'isl 
se  détacher  de  sa  croix  et  le  reçoit  extasié  dans  ses  bras. 
La  nature  des  scènes  représentées  sur  le  retable  Perings- 
dorjfer  a  fait  supposer  que  c'était  un  Pestaltav  dédii'  en 
souvenir  de  la  peste  (jui  désola  Nuremberg-  en  1484.  Saint 
Vit  et  saint  Sébastien  (jui  écarte  les  llèches  d<'  l'é-pidiMuie 
sont  des  saints  «  antipesteux  »  :  on  invO({uait  saint  ("Jn-is- 
toplie  contre  la  maie  mort. 


"2  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

Lt's  }»anneaux  sont  de  valt'ur  In's  iiu'iialc  :  il  esl  é\id('nt 
par  exemple  (pio  la  leiiendo  de  saint  Vit  a  été  peinte  par  nn 
apprenti  encore  noxice  dont  les  initiales  R.  F.  peuvent  se 
rapporter  à  Rneland  Friieauf.  Mais  le  Saint  Luc  peitiuant 
la  Vierge  et  surtout  la  ^  ision  de  saint  Bernard  sont  des 
chefs-dœuvre  dune  i;ràee  infiniment  tendre,  dune  riche 
vie  intérieure,  d'un  coloris  transparent  et  lumineux.  Quel 
({u'il  soil.  l'auteur  du  rctiihfe  P<'rini/s(ldr/l'm\in\  (dre  con- 
sidéré connue  le   vé-ritaide   pr(''curseur  d  Albert   Diirer  (1). 

A  [tartirde  ce  moment.  I  histoire  de  IKcole  de  Nuremberg' 
se   conlbnd  a\'ec  1  histoire   de  Diirer  et  de  son    iniluence. 


2.  L'I'Jco/e  (hi  Haul-Hhin.  —  Tandis  (jue  l'Fcole  fran- 
conienne est  centralisée  à  Nuremberg.  TKcole  du  llaut- 
l{hin  s"éj»ar|)ille  en  ])liisieurs  groupements.  Les  plus  impor- 
tants S(Uil  Mayence.  ville  t'[iisco])ale,  berceau  de  Timpi'i- 
merie  ;  Francfort,  ville  nuirchande  dont  les  foires  célèbres 
attiraient  les  mai(dian(ls  d'estampes;  Strasbourg-  et  Colmar. 

Ce  qui  caract('rise  avant  tout  cette  École,  c'est  le  dt've- 
loppemenl  (|u  y  [iretnieiit  les  ai'ts  grapln(|ues,  la  gravure 
sur  l)ois  el  sur  cuivre.  Les  trois  uuu'tres  les  plus  importants 
de  ce  groupe  ont  ét('  ])lus  graveurs  (|in'  ])einli'es. 

Le  plus  ancien  est  le  Monogrammiste  E.  S.  de  141)6  que 
M.    Lfdn\s  croit  pouvoir  localiser  à  Mayence.  Un  l'a  sur- 

(1)  iM.  Tliodo  a  siii.,'yi'ri'  lu  nom  de  Willieliii  IMeyilcnwurIf,  fils  de  Hans, 
([ui  collabora  a\ee  son  beau-père  Wolgeiiuit  aux  célèbres  gravures  sur 
bols  du  Scluilzbelialter  (Keriii  des  véritables  richesses  du  salut)  et  de  la 
Weltclironik  (Glironiiiue  universelle).  IMus  n'cemmentun  critique  allcaiand, 
M.  Rauch,  a  posé  la  candidalure  tfun  autre  apprenti  de  l'atelier  de  Wol- 
gi'inul.  llaris  Traut. 


l.  U  C  AS     M  (j  S  E  R  . 
Retable  di'  Tiofenbninn  (li31) 


LE    VOYAGE 

DE    SAINTE    MADELEINE 

A     MARSEILLE. 


LA    COMMUNION 

DE   SAINTE    MADELEINE    DANS 

LA    CATII  K  DR  A  LE    d'a  IX  . 


LKS    l'IllM  II  IFS    ALLEMANDS.  "îo 

iioiiiiiK'  If  \aii  l']\ck  (If  lii  l:im\iii('.  I);tiis  ions  les  cas  c'est 
lui  (|tll  lail  l'aire  à  la  lecliiii(|iie  elicol'e  nrllllielllail'e  i\r  la 
^raviire  sur  cui\fe  des  jiroj^i'ès  (li'cisifs.  Il  es!  1res  supé- 
rieur à  ses  devanciers  iiiiiiK'dials  :  le  MnUrc  des  cdrlcs  à 
Jouer  q\  le  Mailrc  ati.r  Ixi ndcntlcs.  Il  a  i^rax»'  siiiloiil  des 
sujets  religieux  cunune  la  célèbre  Madone  du  ijè/i'i-iinn/i' 
cV Einaiedeln  (Notre-Dame-des-Ermites).  Son  dessin  <jin 
li'alul  l'inllnence  des  hdaniands,  et  en  j)articnlier  de  Uoiiier 
van  der  Wevden.  est  d  une  expressive  i;auclierie. 

SiMartinSchongauer(144o-1491)  n'est  pas,  conune  on  la 
dit,  le  plus  grand  peintre  allemand  du  w"  siècle,  il  laul  re- 
connaître que  c'est  le  seul  dont  la  l'i'putaliun  ait  l'raiicin  les 
limites  de  son  pavs  et  dont  la  gloire  soit  européenne.  Son 
père  était  un  orfèxre  originaire  d'Augsbourg'.  Il  na(|iiil  à 
Colmar  vers  lii.'iet  se  forma  sans  doute  dans  l'atelier  d'un 
peintre  local,  Gaspard  Isenmann.  dont  le  réalisme  carica- 
tural s'exprime  sans  retenue  dans  un  cycle  de  la  Passion 
peint  en  1462  pour  l'église  Saint-Martin.  Après  ses  années 
d'apprentissage,  il  descendil  cerlainement  le  llhin  jus(ju"îi 
Colog'ne  et  aux  Pays-Bas.  .Alais  il  ne  l'ut  pas.  connne  le  \cul 
la  tradition.  1  élève  direci  de  Kogier  \an  dei-  WCxden.  (|iii 
venait  de  mourir  en   I  i(l4. 

Bien  que,  d'après  les  témoignages  contemporains,  sa 
production  ait  été  considérable,  les  peintures  qu'on  peiil  lui 
attribueravec certitude  sont  ti'ès  rares.  Aucune  n'est  pourvue 
du  monogramme  31  + S-  Lajdns  aullientique  est  la  Madone 
au  buisson  de  roses,  de  l'église  Saint-Mailin  de  (lolniar. 
qui  est  datée  de  1473  el   appartient    par  cons(M|uent   ;i   sa 


/6  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS- 

jx'riodc  (]<'  jeunesse.  Ce  motif  popularisé  par  la  Mysticjue 
est  essentiellement  i'li('naii  :  la  Vierge  de  Schongauer  appar- 
tient à  la  même  famille  (jue  la  Mddone  aux  /-osiers  de 
Stephan  Loclmer.  le  Jai-dni  du  Punidis  de  Francfort  et 
la  Vierge  aux  fraisiers  de  Soleure.  A'tMue  dun  manteau 
écarlate,  elle  est  assise,  les  cheveux  dénoués,  avec  l'Enfant 
nu  dans  ses  bras,  devant  une  haie  de  rosiers  fleuris  dont 
les  entrelacs  se  détachent  sur  un  fond  dor;  an-dessus  de 
sa  tête,  deux  angelots  en  rohe  hleue  suspendent  unecoui'orme 
enfilig'rane.  La  construclion  du  visage  disgracieux,  les  yeux 
inexpressifs,  les  doigts  minces  et  eflih's  connue  des  pattes 
de  faucheux,  les  draperies  aux  cassures  raides.  tout  dénonce 
l'influence  des  Primitifs  llamands  et  notannneid  de  llogier 
van  der  ^\('vden.  Mais  tandis  (jue  Kogier  s  inspu'e  de  la 
scul[)tui'e  de  son  temps.  Schongauei'  transpose  dans  la 
peinture  les  liahitudcs  du  graveur  :  les  formes  sans  enve- 
loppe sont  découpées  à  Temporte-pièce  :  les  contours  angu- 
leux et  secs  semblent  burin<'S  dans  le  métal.  Cette  peinture 
surfaite  n"<'st  au  vrai  (pi  une  gra\  ure  enluminée. 

Le  Mus(''<'  (h'  Berlin  lui  attribue  en  outre  une  petite 
Adoration  des  Be/ujcrs  (jui  n'est  pas  sans  analogies  avec 
le  fameux  triptvque  Portinari  d'Hugo  van  der  Goes  et 
(jui  vaut  surtout  par  un  (diarmani  fond  de  paysage  d'un 
caractère  très  allemand.  Le  Alus(''e  de  Colmar  a  recueilli 
deux  petits  Nolels  d"aul(d  repr(''senlant  sur  un  h)nd  d  or 
iraufré  la  Vier^-e  adorant  ri^nfanl  et  saint  Antoine  avec  un 
donateur  agenouillé  :  ces  ])anneaux  proNiemu'nt  du  Pi't''- 
c<'ptorat    des    Antoniles    d'Jsenheim.  pour    leipud   Mathias 


F.KS    PHI.MITIFS    A  JJ.K.M  A  NDS.  '9 

Gi'Cnicw  ;il(l  (l('\ail  ('\('ciil('r  (Hi('l(|U('s  aiiiK'cs  [dus  lanl  un 
iiiai;'iiili(|U('  rclahlc.  Ilicii  île  plus  insl  rucl  il  (jur  de  couipai'rr 
à  ce  polvply(|U(' (jui  rsl  le  plus  i^iaud  ciicr-diruN  l'c  piclural 
(le  Tari  allemand  Icsliuudcs  cnhiuiiniircs  de  S(di(>iiL;aucr. 
B(t(d<liii  a\ait  raison  de  s"(''cri('i' :  «  (Mi  \ienl  à  Colniar 
pour    elierclier   Sciioni^auei-   cl    on    lrou\e    Griinewald.    " 

L'œuvre  gravt'  de  Sclioiii^auer  est  très  superieui-  à  son 
œuvre  jieini.  A  vrai  dii'e.  il  ne  n'-alisc  aucun  progrès  au  |Miinl 
de  vue  le(duu'(juc  sur  le  Alailrc  K.  S.  :  mais  ses  eoni|M)sil  ions 
sont  plus  ((  lisil)les  ».  Dans  ses  premières  planelies,  son 
style  n'est  pas  exempt  de  maniérisme  et  d'aircleric.  Ses 
Apôtres  g'raciles  ont  des  allures  dansantes  el  semblenl  jouer 
coquettement  avec  leurs  allrihuls.  La  Iragèdie  du  Golgotha 
elle-nu-me,  avec  le  Christ  en  ci'oix  cnlrr  la  \  lei'ge  el  saini 
Jean,  n  a  pas  toute  la  gra\it('  douloureuse  (|ui  roux  icndrail . 
Mais  peu  à  peu  son  art  s"id(''alisc  et  dans  le  grand  l^orlr- 
ment  rlr  croix,  il  cr('e  un  t\pe  de  ("dnist  proloudt''ment 
émouvant. 

Les  llo  planches  qu'il  a  laisst'es  sont  en  majorité  consa- 
crées à  des  scènes  de  la  Passion.  Il  a  gravé  en  outre  des 
dessins  d'ornement,  des  armoiries,  des  scènes  de  g'enre  et 
des  diableries  fantastiques,  connue  la  Tentation  de  saint 
Antoine  enlevé  dans  les  aii's  par  une  horde  de  démons. 

Son  influence  a  été  très  considérable,  non  seulement  en 

Allemagne,  mais  à  l'étranger  (1  ).  En  Italie,  les  estampes 

du  <i  lîel  Martino  »   étaient   célèbres  et  Michel-Ange,    peu 

(1)  L'Iiumaniste  alsacien  Wimplieling  atteste  en  loOb  que  «les  tableaux 
de  Martin  Scliun  étaient  recliorch('s  en  Italie,  en  Espagne,  en  France,  en 
Angleterre  et  autres  pays  du  uiunde  ». 


80  LES   PUIMITIFS   ALLEMANDS. 

susjicci  (le  p,irlialil(''  ])oiir  1  ai't  allfiiiaiid.  ne  drdaiiinait  pas 
de  copier  la  Tmlalioii  fit'  soinf  Aiito'uie.  Dans  les  Pays- 
Bas  ses  lii'avuit's  ('(aient  démarquées  par  des  ])laiiiaires  sans 
scrupule.  En  xVlleinatine  enfin,  les  jeunes  peintres  s'em- 
pressaient, après  leurs  années  d'apprentissage,  de  faire  le 
pèlerinage  de  Colmar.  On  retrouve  son  empreinte  à 
Cologne  chez  le  Maître  de  la  l)('position  de  cioix.  (|ui  exagère 
sa  tendance  à  la  mièvrerie  ;  à  Augsbourg,  dans  le  style 
d'Holhein  le  Vieux  et  d'Hans  Burgkmair,  et  enfin  à  Nurem- 
berg", dans  l'œuvre  de  Diirer  dont  il  fui.  avec  Manlegna, 
le  maître  d'élection. 

Touiel'ois  on  ne  saurait  considérer  connue  son  disciple 
le  repD'sentanI  le  plus  gt''nial  de  la  gra^"ure  rhénane  à 
la  fin  du  xv"  siècle  :  l'anonyme  (ju On  apjxdle  Mafirc  tlii 
Hausbuch.  à  cause  des  dessins  dont  il  a  illustré  le  Livre  de 
raison  (h-  la  famille  Goldast  (C(dl.  du  jtrince  de  Waldhurg- 
AVolfegg)  ou  encore  Mailre  du  (luù'utel  d'Amsterdam. 
parce  que  le  hasard  a  voulu  qu'une  série  complète  de  ses 
rarissimes  graAures  vînt  échouer  au  Cabinet  des  Estampes 
d'Amsterdam.  (  )n  croil  pouvoir  le  localiser,  comme  le  Maître 
E.  S.,  à  Mayence  où  il  aurait  vécu  vers  1480.  A  la  différence 
Je  Schongauer.  il  préfère  aux  sujets  religieux  les  sujets 
profanes.  Des  allégories  bizarres  et  troublantes  :  un  homme 
sauvage  monté  sur  une  licorne,  une  feunue  nue  sur  le  dos 
d'ini  ceif,  \q  jeune  homme  et  la  Mort,  la  courtisane  Phyllis 
chevaucdiani  ti'iomphalement  le  philosophe  Arislole;  — 
des  scènes  de  genre  dune  observation  familière  :  un  joueur 
de  cornemuse,    un    chien    qui    se  gratte,    une   famille   de 


CUMIM)    WriZ.     —    SAINTE    MA1>ELE1>E    ET    SAINTE     (ATIIKIUNE. 

(Musi'e  de  Strasbouro;.) 


LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS.  «3 

holK'init'iis  en  haillons:  des  j<'iix  (ICiiraiils.  des  rixes 
de  paysans,  des  jouxcnccaiix  amoureux  :  Icis  soûl,  ses 
llièiues  favoi'is.  Il  es!  bien  du  xv'  siècle  par  sou  ^oùl  poul- 
ie mièvre,  le  joli,  le  coquci  :  il  aime  les  formes  graciles  cl 
tenues,  les  doigts  effih's.  les  jaiubes  en  fuseau  qu'allongent 
encore  des  souliers  à  la  poulaiue.  Et  cependant  cfs  pclils 
tableaux  de  mœurs  soni  d'un  modernisme  aigu.  Aucun 
autre  artiste  allemand  du  xv''  siècle  ne  possède  celte  \  ision 
impressionniste,  ce  don  de  saisir  à  la  volée  et  de  lixei* 
d  un  trait  léger  les  expressions  fugitives,  les  gestes  momen- 
tanés. Il  met  au  service  de  son  observation  et  de  sa 
fantaisie  une  technique  extrêmement  légère  et  nuancée. 
On  suppose  qu'il  travaillait  à  la  pointe  sèche  sur  un  métal 
tendre,  plomb  ou  élain.  Ses  planches  à  peine  égrat ignées 
ne  pouvaient  donnei'  qu'un  nombre  très  restreint  d'épreuves 
et  c'est  pourquoi  elles  sont  si  rares.  Ces  gravures  à  fleur 
de  métal,  prestes  et  vives  comme  des  croquetons  à  la 
plume,  ne  se  vendaient  ]»as  dans  les  foires;  elles  étaient 
réserv'ées  à  une  élite    d  amateurs  délicats. 

La  qualité  de  ces  planches,  où  les  valeurs  sont  très  tine- 
ment  indiquées,  trahit  un  métiei'  de  peintre.  Cette  hypo- 
thèse a  été  récemment  confirmée  par  la  découverte  de 
quelques  tableaux  de  sa  main  :  un  cycle  de  la  Vie  de  la 
Vierge  à  Mayence,  un  Calvaire  à  Fribourg  et  surtout 
l'admirable  Pietù  du  Musée  de  Dresde.  On  serait  bien  tenté 
de  lui  attribuer  aussi,  tant  les  analogies  avec  ses  gravures 
sont  frappantes,  les  Deux  Amants  du  Musée  grand-ducal 
de  Gotha.  Un  jeune  homme  aux  boucles  blondes,  coquette- 


84  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

ment  vêtu  à  la  iiuidc  du  jiorlrait  de  Di'iicr  de  1498.  enlace 
la  taille  dune  jeune  fille  qui.  les  paupirres  baissées, 
considère  la  parui-e  quelle  lui  a  donnée.  Au-dessus  des 
amoureux  s'enroule  une  banderole  décorative  qui  porte 
une  légende  en  caractères  gotbiques  :  «  Elle  ne  vous  détestait 
pas  tout  à  fait,  dit  la  jeune  fille,  celle  qui  vous  a  fait  cette 
cordidelle.  —  Elle  n"a  pas  eu  ;i  s'en  repentir,  réplique  le 
jouvenceau;  car  en  écbange  n"a-t-(dle  pas  mon  amour?» 
Naïf  marivaudage  qui  expi'imc  bien  le  cbarme  quin- 
tessencié  de  ce  double  portrait,  le  plus  gracieux  du  Quat- 
trocento allemand. 

3.  L  Ecole  souaùe.  —  J)es  recbei'cbcs  rcM-cnlcs  ont  mis 
en  lumière  le  rôle  capital  j<)U(''  par  l'Ecole  souabe  dans  le 
développement  de  la  peinture  allemande  du  xv''  siècle.  La 
publication  des  retables  de  Tiefenbronn  et  de  Sterzing-,  la 
découverte  du  retable  d'Hans  Multscber.  l'enquête  de  D. 
Burckhai'dl  sur  (^onrad  Witz  ont  entièrement  renouveh' 
notre  concejdion  des  oi-igines  de  la  peinture  allemande. 

L'École  souabe  a  eu  au  xv'  siècle  plusieurs  capitales  suc- 
cessives :  les  centres  d'art  se  forment,  se  déplacent  et  dispa- 
raissent au  gré  des  fluctuations  politi(|ues  et  économiques. 
Au  commencement  du  siècle,  les  conciles  de  Constance 
(1414-1418)  et  de  liàle  (1433-1143)  pi()vo(|uenl  une  acti- 
vité' artistique  très  intense  dans  la  S(>ual)e  rbénane.  — 
Puis  la  construction  de  la  catlu'drale  d'Ulm  attire  des 
équipes  de  scul])teurs  dans  cette  vieille  ville  danubienne. 
—   C'est   seulement   dans   le   dernier  tiers  du    xv'   siècle 


Clicb.'  H.jfflP 
IH  A  I  T  II  E    S  0  U  A  B  E    DE    1  4  4  O  . 
VISITE    IiE    SAINT   ANTOINE    A    SAINT    PAUL    ERMITE 

(Djnauoscllingeii.  Galerie  du  prince  de  Fûrstenberg.) 


LES   PIMMITIFS   ALLEMANDS.  87 

(iirAimsboui'u.  riiricliic  |)ar  son  (•oiiiincrcc  a\'t'c  \  ciiiso, 
et  afliiiéc  ])ar  la  Uciiaissaiico  italienne,  devieiil  la  iii('lr()|)(il<' 
arlisli((iie  de  la  Souahe.  Nous  aiirdiis  donc  à  ('liidier  suc- 
cessivement V  Ecole  de  l((  Souahi'  r/iriKOte.  I  /:Vy>A'  d  11  m 
et  V Ecole  d'Aiu/sljoyr</. 

Les  deux  princi])aux  représentaiils  de  ce  (|u  on  peut 
appeler  rart  des  concih's  sont  Lucas  Moser.  de  W  eil,  et 
Conrad  Witz,  de  Conslance. 

De  Lucas  Moser.  nous  ne  possédons  qu'une  seule  œuvre 
authentique  :  !<■  Jtetaùle  de  sainte  Madeleine  à  Tiefen- 
bronn.,  près  de  Pt'oiziieim.  Linscription  dolente  (jui 
accompagne  la  date  de  1431  est  célèbre  :  le  peinli-e  re^retle 
le  temps  du  concile:  c'i'Iait  le  bon  temps  ])Oui-  les  artistes  : 
les  commandes  ailluaienl.  Mais  maintenant  les  arts  gre- 
lottent :  «  Crie.  art.  crie  et  plains-toi  fort  :  car  aujourd'hui 
personne  ne  veut  plus  de  toi  (  1  )  ». 

La  légende  de  sainte  Madeleine,  telle  qu  elle  s'était  tor- 
mée  au  moyen  àg-e,  amalgame  les  aventures  de  trois  saintes 
qui  n'ont  rien  de  coinimni  :  Marie,  sœur  de  Marllie  et  de 
Lazare,  Marie-Madeleine  et  Marie  rÉgyptienne.  Lucas  Moser 
a  suivi  cette  tradition.  Dans  la  lunette  cintrée  du  retable,  il 
inscrit  la  scène  du  Repas  r/iec  Lazare.  La  table  est  dressée 
sur  le  gazon  devant  une  Ireille.  Marthe,  la  bonne  ménagère, 
a  retroussé  ses  jupes  pour  être  plus  agile  et  apporte  la  cuil- 
ler à  soupe  cependant  (jue  Madeleine,  à  genoux  sur  l'Iierbe, 
essuie  tendrement  avec  ses  tresses  blondes  les  pieds  mis  de 

(1)  Scliri,  KunsI,  sclii-i  und  klag  dicli  sûr 

dein  brgert  ji'tzt  niomcn  iiièr. 


88  LKS  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

Jésus.  Saint  Pierre  ehucluite  sraiidalisé.  Mais  le  Christ 
indulgent  est  sourd  à  ces  reproches. 

La  légende  se  déroule  ensuite  sur  trois  panneaux  de 
forme  allongée,  (l'est  d "abord  le  roijage  par  me)'  à  Mat- 
s<  ll/e.  Dans  une  petite  l)ar(juc  sans  rames  et  sans  voiles, 
cinq  passagers,  confiants  dans  la  protection  divine,  sont 
assis  autour  du  màt  pavoisé  :  sainte  Madeleine  et  sainte 
Mai-lhe,  coitiees  dun  héguin  à  mentonnière,  causent  pai- 
siblement avec  les  trois  saints  évéques  :  Lazare,  Maximin 
et  Cedonius.  L'eau  transparente  se  ride  de  petites  vague- 
lettes aussi  régulières  que  les  mailles  serrées  d'un  filet. 
A  l'horizon  (tn  aperçoit  une  anse  rocheuse  et  un  petit  port. 
Il  est  évident  que  la  ligne  d'horizon  est  placée  trop  haut 
et  (jue,  pour  peindre  cette  entrée  dans  le  poit  de  Afai-seille. 
lartiste,  (jui  n';i\;iil  jamais  vu  la  mer,  s'est  inspii'é  du  lac 
de  Constance.  Mais  les  eli'ets  de  lumière  sur  l'eau  verte  sont 
assez  bien  observés  et  ce  paysage  d'eau  est,  à  sa  date,  un 
an  avant  le  retable  des  van  Evck.  une  singulière  hardiesse. 
C Cst  la  prcunèrc  k  marine  )>  (h'  l'art  allemand. 

Les  (bi'ux  autres  panneaux  sont  d'un  égal  init'rét.  Les 
saints  (|ui  xicnnenl  (h'  débarquer  se  sont  réfugiés  sous  un 
auvent  aux  portes  de  la  ville  :  accablés  de  fatigue,  ils 
s'endorment.  Le  réalisme  des  attitudes  est  frappant  :  l'un 
sommeille  coiffé  de  sa  mitre,  la  tète  ajipuyée  dans  sa  main  : 
1  auli'e  s'est  accrouj)!  dans  un  angle  et  enfonce  IVileusenienI 
ses  mainsdans  ses  larges  manches  :  Lazare  aj)j)uie  sans  faron 
sa  tête  tonsurée  sur  les  genoux  d<'  sa  sœur  Marthe.  Pen- 
dant qu<'  tous  se  l'ejxisent  ainsi,  sainte  Madideine  a|(pai'aît 


i;li,-|i.:-  ,1.-    1,1  iilioln-iaphiN- 
DANS    MULTSCIIKU.     —    LE    PORTEMENT    I»  E    T.  R  0  I  X    il437 

(Musée  de  Berlin.) 


LES   PHIAiniFS   ALLEMANDS.  91 

dans  la  cliaiiiljrc  à  coiiclifr  du  palais  où  doi'iiiciil  le  roi  cl 
la  l'ciiic  cl  les  soiimic  de  rcccxoir  ces  IkMcs  im[)re\us. 

Entiii.  a[)rcs  a\()ir  l'ail  [x'nileiicc  jieiidanl  de  loiiuiies 
années  dans  la  Sainle-Baunie,  la  pécheresse  niouiaide, 
enveloppée  seulement  de  ses  longs  clieveux,  telle  Marid 
Egyptica,  est  ravie  par  les  anges  dans  la  catlicdialc 
d'Aix  où  elle  l'ecoit  la  connnunion  d<'S  mains  de  ré\é(juc 
Maximin.  La  perspective  compliquée  éle  eetintérieurdéglise 
est  pour  l'époque  dune  surprenante  audace. 

Tous  ces  panneaux,  peints  à  la  <létrempe  sur  du  parchemin 
préparé  à  la  craie,  ont  une  fraîcheur  de  miniatuic  (jui 
rappelle  les  Primitifs  ombriens  :  il  n'est  pas  impossible  (jue 
Moser  ait  connu  Gentile  da  Fabriano,  qui  élail  le  peintre 
officiel  du  pape  de  Constance,  Martin  Y.  Son  art  aimable  et 
souriant  est  imprégné  de  quit'tude  heureuse  et  de  féminine 
douceur. 

L'art  de  Conrad  W  ilz  est  inliniment  plus  robuste  el  plus 
viril.  Les  recherches  de  M.  Daniid  Burckhardt  ont  jeté  la 
lunnère  sur  ses  origines.  Son  père  Ilans  Witz  (Hancc  de 
Constance)  était  un  ])einlre  nomade  quon  rencontre  en 
1402  à  Nantes  à  la  cour  de  Jean  V,  duc  de  Bretagne,  puis  à 
Constance  pendant  la  durée  du  concile,  de  1414  à  1418.  Il 
entra  ensuite  au  service  du  duc  de  Bourgogne  Philippe  le 
Hardi,  où  il  connut  sans  doute  Jan  van  Eyck.  «  peintre  et 
varlet  de  chambre  du  duc  »  :  jdustard  il  stdablit  de  1427  à 
1431  à  RottweiL  où  siégeait  la  cour  de  justice  imjx'riale. 

Son  fils  Conrad  Witz.  (jui  était  né  à  Constance  vers  1400, 
grandit  ainsi  dans  un  milieu  tout  pénétrt'  d'art  bourguignon 


92  LES    PRIMITIFS  ALLEMANDS. 

et  flaiiiaiid.  Sosœuvresde  jeunesse  :  !<■  (,7i /'Isf  ('/> rroi.r duMvi- 
sée  <l('  lîcrliii  a\  ec  son  tond  de  paysage  lunniirux.  la  Santa 
Conversazione  du  Museo  Nazionale  de  Naples  avec  sa  pers- 
pective de  nef  d'église,  illustrent  clairement  cette  formation. 

En  1431.  il  se  rend  à  Bàlc.  où  allait  s'ouvrir  un  nouveau 
concile:  il  est  reçu  en  1434  m('nd)rt'  de  la  guilde  des 
peintres.  Pendant  dix  ans.  fiàle  fut  la  vriàlable  ca|iitalc  de 
la  chrélicnl»'.  Aeneas  Sylvius  Piccolomini.  Ir  fuliir  pape 
Pie  II.  nous  a  décrit  le  faste  des  prélats  cosmopolites  qui 
s'y  rencontraient.  Cétait  un  marclié  avantag-eux  pour  les 
artistes  :  il  est  possible  (|ue  le  Maître  de  Flémalle  y  ait 
séjourné  à  cette  épO(|ue.  L  inlluence  artisti(jue  [irédo- 
minante  ('lait  celle  de  l'art  bouriiuiunon.  Telle  t'Iait  la  ré|»u- 
tation  de  la  célèbre  Ciiartreuse  de  (ibampmol.  décoi'ée  par 
Clans  Siuter  et  Jean  Malouel,  qu'en  1418.  lors(jue  le 
Magistrat  de  iiàle  voulut  faire  décorer  une  cbapelle,  il  fut 
bien  spécifié  que  le  peintre  Hans  Tielfental  de  Scblettstadt 
prendrait  modèle  sur  la  (diarlreuse  de  Dijon  en  Bourgogne 
{dcn  iUn-lliusct'  Closter  zc  Dise/tu n  in  Bur</unden).  (Jlaus 
Siuter  et  le  Maître  de  Flémalle  sont  les  deux  maîlres  dont 
Conrad  \Vitz  va  désormais  s'inspii'er. 

Ces  iniluences  sont  très  apparentes  dans  le  i::\dnA  retaù/c 
deBà/t'.  Le  sujet  central,  qui  était  sculpté  et  représentait 
sansdoule  lAdoralion  des  Mages,  est  pei'du.  Mais  le  Musée 
de  Bàle  cons<'rve  la  pliipail  des  volets  qui.  selon  l'usage, 
présentaient  sur  leur  face  inh'rieure  un  fondd Orel  sur  leui" 
face  extérieure  un  fond  de  pavsage.  Les  sujets  sont  em- 
pruntés au  S/jciu/unt  hnnianœ  salvationis  et  nu'ttent  en 


LKS   PUIMiriFS   ALLKMANDS-  93 

paralIMc.  siiixaiil  la  iik'I  IkhIc  (\  |)()l(ii:li|iit'.  des  scriics  de 
r  Ancien  Tcslaincnl  ou  (!<'  I  llisloirc  roi  liai  ne  a\  <■<■  des  scènes 
<lli  i\()ii\('an  Teslaiiieiil .  Les  Irois  lii-ros  (|iii  a|i[i(iile!il 
au  roi  David  de  1  eau  de  la  cilerne  de  IJellili'eiii  soiil  la 
préfig'ure  des  Rois  Mauos.  Loblalion  de  .Mtdcliiss(''dec  à 
Al)i'aliaiii  annonce  la  saiiile  (lèiie.  La  prièi'e  d'l*]sllier 
exaucée  par  Assuérus  s\  iiiholise  rinlercessioii  delà  A  iergc 
auprès  du  Christ.  Aiilipaler  (|iii  ujoiitre  k  JuN'S  César  ses 
blessures  est  rimai^c  du  (  -lirisl  intercédant  auprès  de  Dieu  le 
père.  Sur  les  volets  exl('rieurs.  le  pi'(Mi'e  juif  lenaiil  le  cou- 
teau du  sacrifice  devait  avoir  pour  [lendanl  un  [iitMie  de  la 
nouvelle  Loi.  de  niéiiie  (lue  la  SvnagOS'Ue  avec  unliandeaii 
sur  les  yeux  s  Opposait  à  une  l'^cclesia  Inoiiiplianle. 

Malgré  la  g-auclierie  du  dessin,  on  est  frappé  par  l'effet 
monumental  de  ces  ligures.  Elles  s"enlè\'ent  a^•ec  un  vigou- 
reux relief  sui'  un  fond  d'or  gaufré.  Le  inodidé  saccuse 
comme  dans  une  œuvre  de  statuaire.  Les  ju'opoitions 
ramassées,  la  somptuosil('  des  armes  el  des  costumes,  le 
caractère  y>A/.s7/y//^' des  figures,  tout  décèle  riiilluence  de  la 
sculpture  bourguig"nonne  :  le  prêtre  juif  du  retable  de  Bàle 
est  frère  des  Prophètes  du  Puits  de  Moïse. 

Lorsque  le  concile  de  Dàle  fut  dissous,  en  1443,  Conrad 
Witz  suivit  à  Genève  l'évéque  François  de  Mies.  C'est  dans 
cette  ville  toute  française  ((ui<''(ait  alors  un  centre  commer- 
cial et  religieux  de  j»i-eiiiiei-  ordre,  rival  de  Lyon,  qu'il 
devait  peindre  son  clief-d  œuvre  (1). 

(1)  C.  DE  Mamiach,  Conrad  Witz  et  son  ntable  de  Genève  {Gnz.  des 
Beaux-Arts),  1907. 


94  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

Le  retable,  que  1  évoque  lui  coniman<la  pour  décorer 
la  chapelle  Notre-Dame-des-Macchab«'es.  fondée  dans  la 
cathédrale  Saint-Pierre  par  son  oncle,  le  cardinal  Jean  de 
Brogny.  est  sig-né  et  daté  :  Hoc  opus  pinxlt  magis- 
ter  Conradus  Sapicntis  (Conrad  Wilz)  de  Basilea. 
MCCCCXmiI.  Sur  la  face  intérieure  des  volets,  qui 
sont  conservés  au  Musée  de  Genève,  Y  Adoration  des 
Mages  et  la  Présentation  du  cardinal  de  Brognij  à  la 
Vierge  se  détachent  sur  inic  tenture  de  brocart.  Les  scènes 
extérieures  :  la  l*èehe  ?niraeuleuse  et  la  Délivrance  de 
saint  Pierre  s'enlèvent  sur  dt'S  fonds  de  paysage  et  dar- 
chiteclure. 

C'est  la  Pèche  miraculeuse  (|ui  mérite  surtout  de  re- 
tenir l'attention.  Le  sujet  biblique  n'est  ici  qu'un  pré- 
texte. Ce  (]ui  intéresse  l'artiste,  c'est  le  décor.  Pour 
pciiulre  le  lac  de  Génézarcth.  il  s'avise  de  reproduire  le 
panorama  du  lac  de  Genève,  tel  qu'il  s'olfrait  à  ses  yeux. 
Il  est  encore  facile  aujourd'hui  de  détei-miner  l'endroit 
précis  d  où  cette  vue  est  prise  ;  c Csl  sur  la  rive  droite  du 
lac,  entre  Genève  et  Prég'ny.  sur  le  (juai  actuel  des  Pàquis. 
On  aperçoit  en  face  des  ])rairies  plantées  d'arbres  fruitiers; 
sur  la  droite,  les  maisons  et  la  tour  de  défense  du  fau- 
hourg  de  Rive  marquent  l'entrée  du  port.  Au  fond  se  dres- 
sent les  escarpements  du  mont  Salève.  Les  formes  caracté- 
ristiques du  paysage  sont  très  fidèlement  rendues.  L'eau 
tranquille  réiléchit  la  barque  et  les  rives.  L'artiste  réussit  à 
rendrel'etfel  du  soleil  el  du  vent  sur  le  lac,  à  sugg'érer  l'atmos- 
phère lourde  d'un  jour  d'été.  C'est  un  \év'\iQ.h\Q  portrait  de 


LES    PRIMITIFS   ALLEMANDS.  93 

2ialure.  uiii(|iio  d.iiis  Tari  JilIcmaïKl  ;i  la  dalc  de  liii  M  i. 
Ces!  prohaljlciiiciil  aux  (Icniièrcs  aiim-cs  de  W'ilz  «juaii- 
parlieiil  un  IVamncnl  de  rclaltic  du  Musf'c  dr  Slrusliourg 
qui  rcju'rsciilc  sdintr  dal hcrinc  cl  sainlc  Madi'lrnu'.  Les 
deux  saintes  sont  assises  en  face  l'une  df  laulrr  au  prnuier 
plan:  Madeleine,  vêtue  bourgeoisement  dune  robe  de  drap 
vert-mousse,  tient  de  la  main  gauche  un  vase  de  parfums 
tandis  (jue  Catiicrine,  parée  comme  une  pclitc  relut'  diine 
robe  de  velours  rouge  caruuri  (|ui  s  étale  en  plis  sompkieux, 
lit,  les  paupières  baissées,  dans  un  grand  li\  re  d  heures. 
Ces  petites  Bàloises  manquent  de  grâce  et  de  vie  intérieure. 
Ici  encore  le  peintre  s'int('resse  plus  au  cadre  (juaux  figures. 
Il  noie  avidement  les  jeux  de  lumière,  le  reflet  rouge 
du  velours  (|ui  réchauffe  la  joue  de  Catherine,  lombre 
vigoureuse  (jue  projette  sur  les  dalles  la  roue  svndtd- 
lique.  11  faii  fuir  la  perspective  dune  galerie  de  ch)îlre 
qui  débouche  sui'  une  rue  au  coin  de  hujuidie  se  dresse 
en  plein  soleil  la  bouti(jue  dun  peintre.  De  minuscules 
personnag"es  vêtus  à  la  mode  bourgulgnoime  se  mirent  dans 
th'S  llaijues  d'eau.  Ainsi  ce  sont  des  problèmes  d'éclairage 
et  de  perspective  (jui  |)assioiHient  Conrad  Witz.  Sans  (h)ute 
il  ne  parvient  pas  du  premier  coup  à  la  solution  :  ses  ligures 
sont  plutôt  devant  l'espace  que  dans  l'espace  et  ne  se  rac- 
cordent pas  avec  la  perspecti\  e  ;  le  point  de  vue  est  pris 
trop  haut,  de  sorte  que  le  pavement  de  la  galerie  ne  semble 

(1)  Bien  ([lie  le  sentiiiienl  du  paysage  soit  déjà  très  développé  cliez  les 
miniaturistes  français  ou  llamands,  par  exemple  dans  les  Heures  de  Turin, 
la  Pèche  miraculeuse  de  Witz  n'en  marque  pas  moins  une  date  essentielle 
dans  l'histoire  du  paysage. 


96  LES   PIHMITIFS   ALF.EMANDS. 

pas  liorizoïilal.  Mais  il  v  a  lit  un  cHorl  siiifiulirrciiiciil 
intéressant  pour  ('lartiir  le  domaine   de  la  jtcinlurc. 

Il  ne  semble  pas  qu  il  ail  tail  ('cole.  Cependant  on  [»eul  lui 
lattacher  un  peintre  anonyme  :  le  Maître  souahe  de  1  i i.'i 
qui  dans  le  Sainf  Georr/ps  du  Miise'e  de  Bàle  et  sui-lout 
dans  la  Visite  de  saint  Antoine  à  saint  Paul  crniitc  Aq 
la  Galerie  <Ie  ])onauescliini:<'n  iM'vèle  un  sens  dt'dieal  du 
paysage.  Les  deux  ermites  sont  assis  lun  en  face  de 
laulre.  Sur  la  |)iaèie  de  saint  Paul,  le  eoi-beau  qui  le 
nourrd  dans  sa  solitude  apporte  dans  son  bec  double 
pitance.  Kien  de  plus  riant  (pie  celle  Tlu'baïde  :  c  est  tout 
au  plus  si  un  locdiej-  nu  surm(uit(''  dun  tronc  moi't  jette 
dans  le  paysage  une  note  austère.  Un  ruisseau  serpente 
le  long  d'ini  jtelit  bois.  Au  j»r<'mier  plan  une  cigogne 
bappe  une  grenouille.  Au  lond  on  ajx'rroit  une  porte  de 
ville  il  poivrières  (jui  i-apjxdle  le  Spalentor  de  Bàle.  Les 
robes  d'un  gris  vi(det  des  anacborètes,  les  verts  attf'uués 
du  paysage.  I  or  mat  du  tond  donnent  au  coloris  un  accent 
froid  et  (b'iicat.  Où  I  ai-tist<'  a-l-il  appris  îi  \()ir  ainsi  la 
nature?  Pour  l'éjiondie  à  cette  question,  il  sullit  de  consi- 
dérer Dieu  le  Père  qui  apparaît  à  mi-corps  sur  une  nuée 
avec  un  cortège  danges.  L'intluence  flamande  est  manifeste. 

Le  fondateur  de  \  Ero/c  d  l/rn,  qui  succède  à  1  Ecole 
des  Conciles,  est  Hans  Multscber.  Il  était  né  à  Reiclienbo- 
fen,  dans  les  AI{)i'S  wurlembei'geoises.  En  1427.  il  obtient 
le  droit  de  bourgeoisie  à  Ulm,  où  il  avait  étt:  sans  doute 
attiré  par  les  travaux  de  la  cathédrale.  Les  documents  le 
qualifieiil   de  hildlioircr  f sculpteuiM,  ce    qui   a  fait  douter 


(..Iii-li.'  MuedliiiT. 
MAITRE    DU    RETABLE    DE    STERZINC.  —   l/ A  N  N  O  iN  C  I  A  Tl  0  N   (1438). 

(Sterzing.  Ilùtel  de  Ville.) 


LKS   PltlMITIKS   ALLEMANDS.  '-M) 

qu'il  ait  jamais  vlv  peint rc  (l('[K'ii(laiil  son  iioiii  se  li'ouvc 
sui'lo  i-elablc  du  iiiusrc  de  Hcrlin  daté  de  14)37  (I).  En  \il\H 
il  est  chargé,  eu  qualité  de  Tafolmi'islcr  (uiailic  de 
l'œuvre),  d'exécuter  Je  inafli'c-autel  de  l'église  Nolrc-Dauie 
de  Sterzing'.  dans  le  Tyrol.  Il  meurt  à  Ulm  vers  14G7. 
Le  retable  de  14.'n.  dont  les  volets,  sciés  en  huil  pan- 
neaux, ont  été  acquis  jjar  le  Musée  de  Berlin,  présentait  sur 
sa  face  intérieure  des  scènes  de  la  vie  de  la  Vierge  et  exté- 
rieurement (juatre  scènes  de  la  Passion.  L'exi-cution  esl 
très  inégale.  Ainsi  dans  le  cycle  de  la  Yiei'ge.  la  Nativité 
et  l'Adoration  des  Mages  sont  très  supérieures  à  la  Pente- 
côte et  à  la  Dormition.  Les  détails  familiers  abondent  : 
Joseph,  quia  enlevé  ses  chausses  pour  réchauiier  lEniant, 
prépare  la  bouillie;  des  curieux  tendent  le  cou  pxmr  mieux 
voir.  Les  scènes  de  la  Passion,  inspirées  du  théâtre  d<',s 
Mystères,  sont  d'un  réalisme  encore  plus  trivial.  Cepen- 
dant le  Portement  de  croiv  ne  manque  pas  de  grandeur 
trag-ique.  Courbant  le  dos  sous  le  poids  accablant  de  la 
croix,  arc-boutanl  sa  main  di-oite  sur  sa  cuisse  pour  ne  pas 
tomber,  le  Christ  monte  au  ('alvaire.  Un  bourreau  à  mine 
patibulaire,  coiffé  dun  bonne!  ti'oué,  le  tii-e  par  une  corde 
tandis  que  le  vieux  Simon  de  Cyrène  s'efforce  de  soulever 
l'extrémité  do  la  croix.  Derrière  le  Christ,  une  horde  g'rouil- 
lante  et  hurlante  de  soldats  armés  de  fourches  et  de  lances 
insulte    saint  Jean   et  les   trois  Maries;    des    enfants    en 


(1)  Il  se  peut  que  cette  signature  désigne  non  pas  le  peintre  des  volets, 
mais  le  chef  d"atelier,  l'entrepreneur  du  retable.  Cf.  Dehio,  Ueber  einige 
kiinsllcrinschriften  des  deuischen  15.  Jahrkunderls  (Rei»ert.  l'JlO). 


100  LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

chemisette  lui  jettent  des  pierres.  11  y  a  là  une  véritable 
force  dramatique,  mais  aucun  sentiment  de  la  beauté. 
Le  peintre  éprouve  le  besoin  de  couvrir  tout  le  champ 
du  panneau  avec  des  figures  de  remplissage,  des  enche- 
vêtrements de  tètes  et  de  membres  :  il  ignore  l'art  des 
sacrifices  et  ne  sait  pas  subordonner  les  détails  à  l'en- 
semble :  il  a,  comme  tous  les  Primitifs,  <(  l'horreur  du  vide  » . 
Les  figures  qu'il  entasse  les  unes  sur  les  autres  sont  hors 
de  proportion  :  au  Christ  il  donne  la  stature  d'un  géant, 
à  Simon  la  taille  d'un  gnome.  Il  ])ro(ligue  les  tons  vifs 
et  crus,  le  vert,  le  rouge  cinabre.  Ces  compositions  n'ont 
rien  de  commun  avec  l'art  mesuré  et  plastique  de  Wilz  : 
elles  se  rattachent  plutôt  à  l'Ecole  des  Alpes  bavaroises. 

On  a  peine  à  croire  que  le  même  homme  qui  a  peint  le 
retable  de  Dei'lin  ait  pu.  vingt  ans  plus  tard,  en  14.j8, 
peindre  le  retable  de  Sterling.  Autant  le  retable  de  Berlin 
est  bariolé,  dramatique,  autant  celui  de  Sterzing  est  d'un 
dessin  élégant  et  froid  (  1).  L'ordonnance  des  peintures  est 
identique  :  à  l'intérieur  des  volets,  quatre  scènes  de  la  Vie 
de  la  Vierge:  à  l'extérieur,  quatre  scènes  de  la  Passion, 

\JAnnoneiation~  (jui  ouvre  le  cycle  de  la  A  ierge,  est 
très  inférieure  à  l'Annonciation  du  «  Doinbild  ».  L'ange 
Gabriel  est  raide  et  sans  expression.  La  Vierge  est  à  genoux 
dans  une  pièce  nue,  éclairée  par  de  hautes  fenêtres  à  double 
croisée.  Le  lys  symbolique  ne  s'érige  pas  dans  un  vase;  mais 


(1)  Ce  magnifique  ensemble  est  aujourd'hui  dispersé  :  les  sculptures  sont 
réparties  entre  ditïérentes  églises  de  Sterzing.  Quant  aux  volets  peints,  ils 
ont  été  transférés  à  l'Hôtel  de  Ville. 


LES  PRIMITIFS  ALLEMANDS.  101 

des  lys  coupés  joncliml  les  caiicMux  du  pavciiicuL  La 
lumicro  froido  pénèti'c  h  llols  [»ar  les  larges  baies  vitrées 
bien  (|u  tni  loiid  tVor  gaulr('  icniplace  l'azur  du  ci<'l. 

La  J/o/-/  (le  1(1  Vierge  est  plus  éuiouvîuilc  :  Mari<',  dont 
le  visage  auiiuci  et  pâle  est  encadré  duii  héguin  à  men- 
tonnière, est  élendue  dans  un  gi'and  li(  à  courtines,  les 
mains  croisées  sur  la  blancheur  des  draps.  Au  premier 
plan  deux  apôtres,  d'un  relief  étonnamment  plastique, 
lisent  des  prières  ;  au  ciievel  du  lit,  saint  Jean,  qui  tient 
une  branche  de  cerisier  lleuri  à  la  main,  étoulfe  ses  san- 
g"lots  avec  un  pan  de  son  manteau:  saint  Pierre  en  dal- 
mati({u<»  asperge  la  morte  avec  un  goupillon  :  un  apntre 
gonile  les  joues  pour  souffler  sur  un  encensoir.  Au  fond  de 
la  pièce,  le  Christ  apparaît  sur  un  nuage  et  reçoit  dans 
ses  bras  l'àme  de  la  Vierge  sous  forme  d'une  fdlette  en 
longue  robe,  aux  cheveux  dénoués.  Si  1  on  étudie  de  près 
ces  peintures,  on  constate  qu'elles  dérivent  toutes  de  lart 
des  Pays-Bas.  L'oratoire  de  \  Annonciation  est  purement 
llamand.  h' Adoration  des  Mages  est  une  adaptation  du 
célèbre  triptyque  de  Sainte-Colombe  de  Rogier  van  der 
Weyden;  la  Mort  de  la  Vierge  concorde  presque  trait 
pour  trait  avec  un  tableau  de  la  National  Gallery  attribué 
au  Maître  de  Fié  malle. 

Les  scènes  de  la  Passion  rappellent  davantage  le  retable 
de  Berlin  ;  car  le  thème  de  la  Passion  est  rare  dans  la 
peinture  des  Pays-Bas:  mais  si  l'on  compare  la  Prii're 
sur  le  mont  des  Oliviers  et  le  Portement  de  croix  dans 
les  deux  retables,  on  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer. 


10:i  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS, 

en  (k'pit  de  ([uelques  iiiiilalions  superficielles,  des  diliVrences 
fondamentales.  Le  nombre  des  personnages  est  réduit  de 
moilii'  ;  les  détails  se  subordonnent  à  l'ensemble.  Le  dessin 
est  plus  ferme  et  plus  sec;  le  souci  de  «  lisibilité  »  et 
d'élégance  est  évident.  On  ne  peut  donc  identilier  le  peintre 
du  retable  de  Sterzing  avec  celui  du  retable  de  Berlin. 

L'iniluence  flamande  qui  savère  cliez  le  Maître  du 
retable  dr  Sterzing  s'accuse  encore  davantage  cbezFriedricb 
Herlin,  (jui  a  sans  doute  travaillé  dans  son  atelier.  Berlin, 
dont  le  nom,  simple  diminutif  de  Ilerr.  apparait  <lans  les 
comptes  sous  les  formes  Herlein,  Herlen  ou  Ilerle,  n'était 
pas  Souabe  de  naissance  :  il  est  né  vers  143.J  à  Rotben- 
burg  en  Fianconie.  11  est  certain  qu'il  fit  le  voyage  des 
Pays-Bas.  11  se  fixe  vers  1460  à  Nordlingen.  fdiale  artistique 
d  Ulm.  et  a('(jui('rt  «mi  14(17  le  droit  de  bourgeoisie  :  il  y 
vécut  en  qualité  de  peintre  d<'  la  ville  iStadfmalep]  jus(jue 
vers  1500. 

Toutes  ses  œuvres,  depuis  le  inaltre-autcl  de  léy/ise 
Saint-Georges  de  Nord/inr/en  (1462),  jus(|u'au  retable  de 
Saint -Jacques  de  Jiothenhurg  (1466)  et  au  tableau  votif 
de  1488  (Musée  de  Nordlingen).  où  il  sest  représenté  avec 
sa  famille  sous  la  protection  de  saint  Luc  et  de  sainte  Mar- 
guerite, ne  sont  que  des  démarquages  grossiers  de  Rogier 
van  derWeyden.  Dans  ses  Annonciations,  ses  Nativités,  il 
copie  sans  vergogne  le  triptyque  de  Sainte-Colombe  (Munich) 
ou  le  retable  de  Middelburg  (Berlin)  du  Maître  tournaisien. 

L'École  d'Ulm  se  pi'olonge  avec  ïlans  Scliiicblln,  Bar- 
llitd  Zeitblom    et    Martin    Scbaffner  jus(juau    milieu    du 


LKS    Pin  MIT  IFS    AI.LKMANUS  K»:^ 

wi'-"  sii'clc.  Mans  Srliiiclilin  lui  cliargc  de  pciiiclic  ni  I  W.) 
le  iiiiiilrc-aulcl  de  cclh'  iiiriiic  |MMifo  og-lise  de  Tiei'enhroiin 
jxiur  la(|ii('ll('  Lucas  Moser  a\ail  [x'int  en  W'-U  le  r 'laljle 
de  sainte  Madeleine.  Les  scniplures  du  collVe  re|)i'('stMiteiil 
une  Descente  de  eroix  el  une  Pielâ.  Les  peinlui'es  des 
volets  figurent  des  scènes  de  la  Passion  et  de  la  vie  de  la 
Vierge.  Ces  cycles  sont  trop  disparates  })Our  (|u'on  [)uisse 
les  attribuer  tous  les  deux  ;i  Schiichlin.  Dans  le  cycle  de 
la  Passion,  les  personnages  sont  nombreux,  la  composition 
encondu'f'e  et  mouvementée,  les  contours  raides  et  secs, 
les  couleurs  crues.  L'inlluence  de  l'atelier  de  Wolgemut 
est  d'autant  plus  inconteslable  ((ue  la  Madeleine  de  la  Mise 
au  tombeau  de  Tiefenbronn  n'est  qu'une  copie  de  la  Made- 
leine du  retable  de  Hof.  \u  contraire,  le  cycle  de  la  Vierge 
a  un  caractère  souabe  très  prononce;  peu  de  personnages, 
une  rigoureuse  symétrie,  un  soupçon  de  mignardise.  Il 
faut  en  conclure  que  le  retable  est  l'œuvre  de  deux  maîtres 
différents  :  un  Souabe  et  un  Franconien  (1). 

Bartbélemy  Zeitblom,  élève  de  Multsclier  et  gendre  de 
Scbiicblin,  est  le  plus  populaire  de  tous  les  peintres  de 
l'École  d'Ulni.  Il  a  vécu  entre  1450  et  1518.  Ses  principales 
œuvres  sont  au  musée  de  Stullgart.  On  comparera  utile- 
ment son  Annonciation  du  retable  d'Escïtach  (J496)  aux 
retables  de  Tiefenbronn  (  14<)7)  et  de  Sterzing-  (1458)  si  l'on 

(1)  L'inlluence  des  Pays-Bas  est  très  apparente  dans  le  magnifique  trip- 
tyque d'Elwlnfjen  (Musée  de  Stuttgart)  ((ui  représente  la  Résurrection  du 
Christ  et  ses  apparitions  àla  Vierge  et  à  saint  Tiiomas.  L'auteur  de  ce  chef- 
d'œuvre  trop  peu  connu,  print  vers  1480,  a  dû  connaître  Dirciv  Bouts  à 
Louvain  ;  il  mérite  d'être  considéré  comme  le  principal  représentant  de 
l'inlluence  des  Pays-Bas  sur  la  peinture  souabe  du  xv^  siècle. 


104  LES   PRIMITIFS  ALLEMANDS. 

veut  suivre  sui-  un  même  motif  révolution  de  1  Ecole 
d'Ulm  (1).  Le  triptyque  de  l'église  du  Heerberg  (1498) 
présentait  la  même  ordonnance.  On  attribue  encore  à 
Zeilblom  ou  à  son  atelier  le  cvclf  de  la  Irizende  de  Saint 
Vdleiilni  à  la  Galerie  d'Augsbourg-,  et  les  peintures  du 
célèbre  retable  de  Blaubeuren  (1494-96). 

Il  évoque  à  merveille  la  médiocrité  bourgeoise  de  son 
temps,  la  vie  étriquée  et  la  torpeur  dévote  d'une  petite  ^  ille 
de  province.  Son  art  est  bien  celui  qui  convient  à  ces  philis- 
tins placides,  aux  chairs  tlasques,  au  grand  nez  rougi,  aux 
yeux  ternes,  dont  il  nous  alaissé'  l'image.  Otte  peinture  vul- 
gaire et  veule  représente  l'art  souabe  par  son  côté  le  plus 
déplaisant. 

Au  \vi''  siècle  Llm  ])erd  son  rang'  de  capitale  artistique. 
Martin  Schalïner,  dont  la  période  d'activité  s'étend  de 
1508  à  1529.  n'est  (|u'un  attardé  qui  reste  fidèle  à  des  tradi- 
tions périmées.  Bien  ([ue,  dans  la  prédelle  du  uuiitre- 
autel  de  la  cathérale  A' dm  (  1521  ),  il  fasse  des  emprunts  cà 
Léonard  de  Vinci,  et  que  dans  les  volets  du  maître-autel  de 
\\  ettenhausen  (Pinacothèque  de  Munich)  (1524j,  il  intro- 
duise des  motifs  d'architecture  classique,  il  ne  réussit  pas 
à  s'assimiler  l'esprit  de  la  Renaissance  italienne.  Son  indi- 
Aidualih'  é'tail  Irop  faible  pour  renouveler  l'Ecole  d'Ulm  et 
lui  donner  un  regain  de  vie. 

A  la  lin  du  xv^siècle.  Augsbourg- prend  décidément  la  tète 
du  mouvement  et  la  gardera  jusqu'à  la  fin  de  l'Ecole  souabe. 

(1)  L~a  Sainte  Véroniqui'  qui  élait  printc  sur  la  itrédelle  de  ce  retable  est 
au  Musée  de  Berlin. 


i.liclif  Hoene. 

b  a  r  t  11  k  l  e  >1  y  z  e  1  t  b  1. 0  m  .  —  r  e  t  a  h  i.  e  1>  '  e  s  (.  h  a  c  h  (1496^ 
l'annoxciation  . 

(Musée  de  Stuttgart). 


LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS-  107 

Celle  li'oisièmc  jM-rioiJc  est  <"ai"ac[('ris('('  pai*  I  iiilillialioii 
de  la  lîenaissance  ilalieiiiie.  l*ac  sa  silualioii.  par  ses  rela- 
tions coiiimerciales  avec  Venise,  Augsbourg'  ('lail  xoïK-e 
au  rôle  d'intermédiaire  entre  rAlleniagne  et  l'Italie.  "  Pour 
avoir  ({uelque  considération  à  Augsbourg',  il  fallait  avoir  été 
à  Venise.  »  Les  marchands  taisaient  leur  apprentissage  au 
Fondaco  dei  Tedesclii  ;  les  fils  de  patriciens  achevaient  leurs 
études  à  l'Université  de  Padoue.  Aussi  rempiciiile  ita- 
lienne est-elle  beaucoup  plus  forte  à  Augsbourg  ({ue  par- 
tout ailleurs.  Aujourd'hui  encore,  tandis  que  Nuremberg 
avec  ses  ruelles  étroites,  ses  maisons  à  pignons,  saBurg  et 
sa  ceinture  de  murailles  présente  l'aspect  d'une  ville  alle- 
mande du  moyen  âge,  l'antique  Anr/iisfa  Vinde/tcoru?n, 
fîère  de  ses  larges  rues,  de  ses  fontaines  monumentales  et 
de  ses  façades  peintes  est  comme  une  Vérone  germanique, 
une  enclave  italienne  au  nord  des  Alpes. 

Les  deux  artistes  qui  ont  fondé  la  gloire  artistique 
d' Augsbourg  sont  llolbein  l'Ancien  et  Burgkmair.  Holbein 
marque  la  transition  de  lart  du  moyen  âge  au  style  de  la 
Renaissance. 

Nous  ne  connaissons  ni  la  date  de  sa  naissance,  ni 
sa  formation  artistique.  Sa  première  œuvre  signée  et 
datée  est  le  retable  du  couvent  de  Weingarten  (cathédrale 
d' Augsbourg)  en  1493.  De  1493  à  1517,  il  est  à  Augsbourg- 
où  il  exécute  des  commandes  importantes.  Puis  la  misère 
le  chasse;  il  se  réfugie  à  Isenheim  en  Alsace  où  il  travaille 
pour  le  couvent  des  Antonites  :  c'est  là  probablemeni  (|n"il 
mourut  vers  1520. 


108  LES  PRIiMITIFS   ALLEMANDS. 

On  est  élonnt"  du  chemin  (|u'il  parcourt  depuis  les  deux 
Basiliques  et  les  trois  Passions  i\m  sont  de  style  archaïque, 
jusqu'au  célèbre  retable  de  Saint-Sébastien  (|ui  a  la  pureté 
de  licçnes  d'une  œuvre  de  la  Renaissance.  11  y  a  un  tel 
abîme  entre  ce  point  de  départ  et  ce  point  d'arrivée  qu'on 
a  pendant  long'temps  attribué  systématiquement  à  son  fils 
toutes  ses  œuvres  de  la  dernière  période. 

Les  deux  BasiH(|ues  (|u"il  tut  charité'  de  jH'indre  en  1499 
et  en  1506  pour  le  cou  vent  de  Sainte-Cal  heilnedAuiisbourg-, 
aujourd'hui  li-ansformé  en  musée,  ont  une  origine  curieuse. 
Les  nonnes  du  couvent  avaient  obtenu  en  1484  du  pape 
Innocent  VII  la  faveur  de  participer  aux  indulgences  atta- 
chées à  la  visite  des  sept  Basiliques  de  Rome.  Toutes  fières 
de  ce  glorieux  privilège,  elles  commandèrent  aux  artistes 
les  plus  réputés  d'Augsbourg'  un  cycle  de  tableaux  com- 
mémoratifs.  Holbein  se  réserva  Sainte-Marie-Majeure  et 
Saint-Paul-hors-les-Murs.  Ces  tableaux,  (jui  étaient  des- 
tinés à  décorer  les  arceaux  du  cloîti'e.  sont  de  l'orme  trian- 
gulnii-e.  Ils  sont  divisés  par  des  bandes  d'ornements  g'O- 
lhi(]u<'s  en  plusieurs  comparliments.  Au-(h'ssus  de  la  Basi- 
H(jue  de  Sainte-Marie-Majeui-c.  Ildlltcin  «'iilassr  le  Cou- 
ronnement de  la  Vierge,  l'Adoration  de  rEnfant  et  le  Mar- 
tyre de  sainte  Dorothée,  patronne  de  hi  (h)natrice.  Les 
figures  se  détachent  sur  un  fond  bleu  uni.  seiué  d'étoiles 
d'or.  La  Basilique  de  Saint-Paul.  ])einte  cinq  ans  plus 
laid,  en  1304,  iiiar(]ue  un  cerlain  jnogrès;  mais  l'encom- 
brement n'est  pas  moindre  :  on  n'y  compte  pas  moins  de 
douze  scènes  réparties  sur  trois  plans.  Holbein  devait  être 


I  lirh.'  Slo.'clln.'r. 
HA>S  HOLBEIN  [.ANCIEN.  —  RETABLE  DE  S  A  I  NT- S  É  B  A  ST  I  EN 
SAINTE  BARBE  ET  SAINTE  ELISABETH   1516). 

(Pinacothèque  de  Munich.) 


LES    PUIMITIFS   AF.LKMANDS.  111 

salisl'ail  de  son  œuvre  ;  ear  dans  un  coin  du  lal)lrau  il  sfsL 
représcnlo  avec  ses  deux  lils. 

Pai"  li'ois  fois  il  t'ul  condamnt'  [)ar  les  exigences  des  dona- 
teurs <à  représenter  le  cvcle  de  la  Passion,  bien  (jiie  son 
talent  fût  rebelle  à  ce  sujet  patbétique  et  dramati(jue.  Ces 
trois  Passions  de  la  Galerie  de  l)onauescliinp:en.  du  Mus(''e 
liistorique  de  Francfort  et  de  la  Pinacotlièque  de  Afunicdi 
(retable  de  Kaisbeini)  sont  le  pire  exemple  ((u'on  puisse 
citer  du  it''alisine  brutal  mis  à  la  mode  ])ar  le  Ibéàti'e  des 
Mystères.  Les  ligures  bariolées  de  couleurs  criardes  s'en- 
tassent confusément.  Le  Cbrist  au  front  liaut,  aux  joues 
pleines,  aux  longs  cbeveux  bouclés,  est  d'une  beauté  con- 
ventionnelle. Les  hourreaux  sont  de  véritables  caricatures. 
Pour  accuser  leur  bestialité,  Holbein  leur  donne  un  front 
bas,  un  nez  crocbu.  des  joues  creuses,  une  boufdie  grima- 
çante, des  accoutrements  grotesfjues.  Dans  ce  spectacle  de 
carnaval,  pas  l'ombre  d'art  ou  d'émotion. 

Quelques  années  plus  tard,  Holbein  travaillait  au  retab/e 
de  Saint-Sébastien  (loi6V  II  n'est  pas  douteux  qu'il 
ait  subi  dans  l'intervalle  l'inlluence  de  Burgkmair  et  des 
Vénitiens  :  néanmoins  une  pareille  mue  ne  laisse  pas  de 
surprendre.  Le  panneau  central  du  i-etable  est  encore  ar- 
chaïque ;  incapable  de  représenter  l'espace.  Holbein  fait  tirer 
sur  saint  Sébastien  des  ilèches  et  des  carreaux  d'arbalète  à 
bout  portant.  Son  ignorance  de  la  perspective  est  choquante  : 
la  frise  supérieure  des  volets  qui  est  portée  par  des  pilastres 
en  retrait  apparaît  exactement  sur  le  même  planque  la  frise 
inférieure.  Mais  les  deux  figures  de  saintes  qui  encadrent  le 


112  LES   PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

martyre  de  saint  Sebastien  :  sainte  Barbe  avec  le  calice  et 
la  tour  symboliques,  sainte  Elisabeth  de  Hongrie  versant 
à  boire  aux  lépreux  sont  d'une  grâce  et  d'une  eurythmie 
charmantes;  ce  sont  des  figures  à  la  fois  idéales  et  indivi- 
duelles; vêtues  de  souples  draperies,  elles  semblent  glisser 
sur  le  pavement  de  maibie.  Le  peintre  lui-même,  comme 
en  fait  foi  un  dessin  conserve  à  Chantilly,  s'est  représente 
aux  [>ieds  de  sainte  Elisabeth,  à  genoux  derrière  le  men- 
(haiit    teigneux   (jui    tend  son    écuelle   {[). 

La  plus  grande  surprise  que  réserve  l'œuvre  d'Holbein  Je 
Vieux  est  la  série  de  poi'traits  à  la  pointe  d'argent  de  son 
carnet  d'es(|uisses,  dont  les  Mus<'es  de  liàle  et  de  Berlin  se 
pa  il  agent  les  principaux  feuillets.  Rien  n'égale  la  vérité 
expressive  du  portrait  de  Jakob  Fugger,  du  boutîon  Kunz 
Aon  der  Rosen  et  surtout  de  ces  moines  rabelaisiens 
du  couvent  de  Saint-LIrich  :  prieurs,  scribes  ou  cellériers 
dont  il  faisait  sans  doute  ses  compag^nons  de  beuverie.  La 
ligne  est  pai'lante,  le  modeb'  énergique;  les  plans  et  les 
volumes  sont  nettement  sugg'('rés.  (  hi  se  prend  à  regret- 
ter, en  voyant  ces  chefs-d'œuvre  d'un  sentiment  si  moderne, 
([u'Holbein  le  Vieux  n'ait  pas  eu  l'occasion  de  peindre  un 

(1)  Bien  que  l'œuvi-e  soit  signée  et  datc^e,  ]tlusieurs  critiques  ont  refuse 
de  reconnaître  la  main  d'Holbein  le  Vieux  dans  un  précieux  tableau  du 
Palacio  das  Necesidades  à  Lisbonne,  qui  représente  la  Fontaine  île  vie 
(1519).  C'est  une  Sacra  conversazione  à  la  mode  vénitienne.  Plusieurs 
saintes  en  somptueux  atours  sont  assemblées  autour  du  trône  de  la  Vierge 
ijui  tient  l'Enfant  nu  dans  ses  bras.  Au  fond  se  dresse  une  magnifique 
porte  trionqdiale  de  style  Renaissance  qui  sert  d'encadrement  monumen- 
tal à  la  Madone.  Il  n'y  a  aucun  rapport  de  propoitions  entre  les  figures 
du  premier  plan  et  cette  arcbiteclure  de  fantaisie.  Iloibein  s'est  contenté 
de  copier  cet  arc  de  triomplie  sur  un  bas-relief  en  pierre  tendre  du 
sculpteur  Hans  Daucher  qu'il  avait  vu  sans  doute  à  Augsbourg. 


IIANS    HOLBEtN   L    ANCIEN.    —  PORTRAIT    DU    MOINE    LE  0  N  H  A  R  D  W  A  G  N  ER. 
DESSIN     A     LA     POINTE     d' ARGENT. 

(Berlin,  Cabinet  des  Estampes.) 


LKS   PRIMITIFS   ALLEMANDS.  H^ 

seul  j»()rlr;iil  isolé.  Srs  poi-lrails  ;i  la  mine  d  ari:cii( 
annoncent  les  adniiraliles  ((  crayons  »  de  son  fils  ;i  la 
Bil)Iiolliè(|iie  de  Windsor. 

Après  lui,  la  Renaissance  triomphe  à  Aug-sboiirg-.  Son 
contemporain  Hans  Buriikmair  H 47.'}- 1531)  semble  déjà 
appartenir  à  une  autre  époque  :  tant  il  a  la  main  plus  libre, 
l'imagination  plus  facile.  Dans  son  tableau  du  Couronne- 
ment de  la  Vierge  (  l-iO")  il  remplace,  pour  la  première 
fois  en  Allemagne,  les  nervures  gothiques  par  une  riche 
architecture  Renaissance.  C'est  une  ère  nouvelle  qui 
s'ouvre. 

4.  L'Ecole  tyrolienne.  —  Plus  encore  qu'Augsbourg, 
le  Tyrol,  qui  maivjue  la  frontière  entre  rAllei\3-ao-ne  et 
l'Italie,  était  destiné  à  voir  naiire  un  art  germano-italien. 
La  route  du  Brenner  n'était  pas  une  voie  de  pénétration 
moins  importante  au  point  de  vue  artistique  qu'au  point  de 
vue  économique  :  si  c'est  par  là  que  passaient  nécessaire- 
ment les  caravanes  de  marchands  vénitiens  et  padouans 
qui  commerçaient  avec  les  grands  entrepôts  de  l'Allemagne 
du  Sud,  c'est  aussi  par  cette  trouée  que  la  Renaissance 
italienne  se  frayait  un  chemin  à  travers  les  Alpes.  Vers 
le  milieu  du  xv^  siècle,  une  certaine  activité  artistique  se 
développa  dans  les  villes  qui  servaient  d'étapes  entre  Trente 
et  Innsbruck  :  à  Bozen,  à  Sterzing  et  surtout  dans  la  petite 
cité  épiscopale  de  Brixen  dont  le  cloître  est  décoré  de 
curieuses  fresques  symboliques,  inspirées  par  le  Spéculum 
humanœ  salvationis. 


lie  LES  PRIMITIFS  ALLEMANDS. 

Le  grand  artiste  tyrolien  qui  devait  réaliser  la  fusion 
intime  de  l'art  allemand  et  de  l'art  italien  est  MichaelPacher. 
Nous  savons  peu  de  chose  de  sa  vie.  Il  est  né  vers  1430 
à  Bruneck  dans  le  Pustertal  sur  le  versant  italien  des 
Alpes  (1).  Il  semble  avoir  été  à  la  fois  peintre  et  sculpteur; 
car  la  sculpture  sur  bois  a  toujours  été  très  populaire  dans 
les  vallées  alpestres.  On  ne  peut  guère  douter  qu'il  ait  été 
en  Italie.  Le  relief  plastique  de  ses  fig-ures,  Ténerg-ie  de 
son  dessin,  le  bel  équilibre  de  ses  compositions,  sa  science 
des  raccourcis  et  delà  perspective,  tout  décèle  une  connais- 
sance approfondie  de  Tart  padouan.  Cependant,  il  ne  se 
laisse  pas  italianiser.  11  réussit  à  s'assimiler  ces  éléments 
étrangers  sans  renier  son  tempérament  et  sa  race.  Il  reste 
fidèle  au  Tyrol  et  à  sa  ville  natale  oii  il  meurt  en  1498. 

Son  œuvre  maîtresse  est  le  retable  de  Saint-Wo/f- 
gang^  près  d'Ischl.  dans  la  région  des  lacs  du  Salzkam- 
mergut  (1481).  Ce  retable  monumental,  aussi  important 
pour  l'histoire  delà  sculpture  que  pour  celle  delà  peinture, 
a  eu  la  bonne  fortune  de  se  conserver  absolument  intact 
dans  l'église  même  à  laquelle  il  était  destiné.  L'ensemble 
architectonique,  couronné  par  des  pinacles  et  des  fleurons 
précieusement  ajourés,  produit,  dans  la  pénombre  chaude 
de  la  petite  église,  un  grand  etfet  décoratif  :  l'éclat  des 
sculptures  en  bois  doré  est  rehaussé  par  la  splendeur  mate 
des  volets  peints.  L'architecture,  la  sculpture  et  la  peinture 
concourent  à  la  beauté  de  cette  œuvre  d'art  intég'rale  qui 

(1)  Il  est  (lualifir  dans  un  ilocumentde  1467  de  Meister  Michel  de)-  Maler, 
piii-f/er  cil  Drauneck. 


i;iichr  Sloriltn.T. 
MICHAEL    PVCHEK.    —     RETABLE    DE    S  A  I  >  T  -  \\  U  L  FG  A  N  G     |148  1). 

(Saint-Wolfgang,  Église.) 


LKS   PKIMITIFS   ALLEMANDS.  i  lî> 

unit  à  la  pci  rrclioii  de  l'oiiiics  du  Qiialtrocciiio  ilalifii  la 
puissaiicc  expressive  du  Oualti'occiilo  allciiiaïKL 

Conirne  le  célèbre  retahle  de  Veit  Sloss  à  Cracovio,  c'est 
un  Marienallar.  Au  centre,  sous  un  dais  gothique  riche- 
ment ouvragé,  la  Vierge  Marie  s'agenouille  devant  Dieu 
qui  la  choisit  pour  être  la  mère  du  Sauveur.  Les  figures 
grandioses  de  saint  Benoit  et  de  saint  Wolfgang,  (H'èque 
de  Ratisbonne,  encadrent  la  scène  et  rehaussent  la 
solennité  de  cette  élection  mystique.  Les  volets  peints 
représentent  sur  leur  face  intérieure  divisée  en  deux 
registres  la  Nativité,  la  Cit^concisiofi,  la  Présentation  au 
temple  et  la  Mort  de  la  Vierge.  Ce  sont  des  peintures 
admirables  par  leur  vigueur  plastique,  leurs  audacieux  rac- 
courcis et  leur  vérité  expressive  ;  elles  sont  uniques  dans 
l'art  allemand  du  xv''  siècle  par  la  science  de  la  perspective 
et  l'harmonie  des  groupements  (1). 

Le  retable  des  Pères  de  l'Eglise  {Kirchenvateral- 
tar)  provenant  du  couvent  de  Neustift  près  de  Brixen,  a 
été  malheureusement  dépecé  et  partagé  entre  la  Galerie 
d'Augsbourg  et  la  Pinacothèque  de  Munich.  Les  quatre 
Pères  de  l'Église  latine,  au  masque  maigre,  glabre  et  ridé, 
sont  représentés  assis,  coitfés  de  la  tiare  ou  de  la  mitre 
et  vêtus  de  chapes  somptueuses,  dans  des  stalles  gothiques 
richement  sculptées.  Sur  le  revers  des  volets  sont  peintes 


(1)  Les  peintures  extérieures  des  volets,  qui  sont  consacrées  à  la  légende 
de  saint  Wolfgang,  patron  de  l'église,  sont  de  qualité  trop  inférieure  pour 
qu'on  puisse  les  attribuer  à  Michael  Pacher  :  elles  sont  peut-être  l'œuvre 
de  son  frère  Friedrich,  (jui  a  peint  en  1483  le  curieux  Baptême  du  Clirist 
du  séminaire  de  Freising. 


120  LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

plusieurs  scènes  de  la  légende  de  saint  Wolf^ang-  (i). 
Le  saint  oblige  le  diable  à  lui  tenir  son  missel:  il  guérit 
un  malade  (jui  se  lève  de  son  grabat:  un  ange  lui  apparaît 
tandis  (|u'il  est  prostern('  devant  lautel  et  déplace  la 
monslranee.  Cet  ange,  surpris  en  plein  vol,  ce  malade  nu 
attestent  les  progrès  réalisés  par  Pacher  dans  Tétude  des 
raccourcis  et  de  lanatomie. 

Micliaid  Pacber  est  en  somme  avec  Conrad  Witz  le  plus 
vigoureux  tempérament  d'artiste  (ju'ait  produit  le  Quattro- 
cento allemand  ;  il  demande  à  l'art  padouan  ce  que  Witz 
emprunte  à  Fart  franco-bourguignon.  Mais  tous  les  deux 
restent  foncièrement  allemands  et  préparent  la  synthèse 
que  réalisera  le  génie  de  Durer  (2). 

Conclusion. 

Peut-être  cette  esquisse  fera-t-elle  au  moins  deviner  la 
ricbesse  et  la  variété,  si  méconnues,  du  Quattrocento 
allemand.  L'art  surgit  aloi's  de  partout,  spontanément, 
connue  une  plante  vivace.  Les  conditions  semblent  défa- 
vorables. Pas  d'empereur,  pas  de  princes  ou  de  prélats 
pour  protéger  les   artistes   et   distribuer  les  commandes. 

(1)  Et  non  (le  saint  Nicolas  de  Cusa,  comme  on  l'admet  généralement. 

(2)  Paclier  fit  école  dans  la  région  des  Alpes  autrichiennes  et  bavaroises. 
L'École  de  Salzboui-g,  d'où  était  sortie  en  1449  la  Crucifixion  du  Musée 
de  Vienne,  attribué'e  par  Thode  à  Pfenning.  subit  son  inlluence.  Rueland 
Frueauf,  qui  travailla  peut-être  à  Nuremberg  dans  l'atelier  de  Wolgemut, 
combine  dans  son  i-elable  de  l'église  de  Gro.ssgmain  près  de  Reicbenhall 
(1499)  les  influences  l'ranconienne,  souabe  et  italienne.  Jan  Pollak,  le  peintre 
du  maîb'e-autel  de  l'église  Saint-Pierre  de  Munich  (Musée  National),  monu- 
ment capital  de  la  peinture  bavaroise  à  la  fin  du  xv^  siècle,  n'est  pas  con- 
cevable sans  Michael  Pacher  et  l'École  de  Padoue. 


ciirii.:-  ii.i-nf 

MICIIAEL    PACIIER.     —    RETAliLE     ItES     PEUES     DE     l/ÉGLISE     (1490). 
S  C  É  .N  E    DE    L  A     L  É  T.  E  N  D  E     I)  E    SAINT    \V  (>  I.  F  G  A  N  G  . 

(Musée  d'AuK.sbourK.) 


Li:S    MHIMITIFS    AM.K.MAXUS.  123 

La  bourgeoisie,  (jiii  (le\  ieiil  la  classe  (loiiiiiiaule,  est  élran- 
g"ère  aux  préoccupai  ions  aî'lisLicjues.  Il  nv  a  ni  Mécènes, 
ni  connaisseufs.  Xiniporle.  Clia(|m'  pclile  \illr  xcul 
avoir  son  arl  local.  I)ej)uls  les  Alpes  jus(ju'à  la  iiiei', 
c'esl  un  touruiillcnienl  d'Ecoles  provin(Males  (|ui  naisseTil. 
meurent  et  se  reforment  incessamment. 

Les  recherches  récentes  ont  profon(h''ment  modilié'  et 
enriclii  notre  conception  de  la  peinture  allemande  du 
xv"  siècle.  Le  rôle  des  Ecoles  de  Cologne  et  de  Nuremberg, 
exagéré  par  les  R()inaiiti(jues,  a  »'((''  ramené  à  de  plus  justes 
proportions.  Des  gloires  usurpées  connue  celle  de  Michael 
AYolgemut  et  de  Zeitblom  ont  été  ébranlées  tandis  que  des 
maîties  et  des  chefs-d'œuvre  inconnus  surgissaient  au 
premier  plan,  en  pleine  lumière.  Nous  avons  essayé  de 
rendre  justice  au  coloris  éclatant  de  maître  Francke,  à 
l'énergie  dramatique  d'Hans  Multscher  et  du  Maître  du 
retable  Tucher,  à  la  grâce  mièvre  du  Maître  du  Hausbuch. 
au  lyrisme  tendre  du  Maître  du  retable  Peringsthuifer. 
Dans  le  temps  même  où  llorissaient  Stephan  Lochner, 
Schongauer  et  Holbein  TAncien,  nous  avons  vu  que 
l'Allemagne  avait  en  Conrad  Witz  son  Maître  de  Flémalle, 
en  Michael  Pacher  son  Mantegna. 

Sans  doute  cet  art  allemand,  si  vivace  et  si  dru.  n'a 
pas  une  importance  internationale  :  son  rayonnement  est 
très  limité.  Il  reçoit  beaucoup  plus  (juil  ne  donne.  Les 
grands  centres  du  développement  de  la  peinture  moderne 
restent  les  Pays-Bas  et  l'Italie.  Au  w'"  siècle,  les  peintres 
allemands  hésitent  entre  ces  deux  influences  antagonistes. 


124  LES  PRIMITIFS   ALLEMANDS. 

A  partir  de  1440,  les  Flamands  leur  révèlent  avec  la 
technique  des  couleurs  à  l'huile  une  nouvelle  conception  du 
paysage  et  du  portrait  fonder  sur  le  réalisme  le  plus  scru- 
puleux :  Rogiervan  dcr  Weydcn  devient  \v prœreplo]-  Ger- 
man'iœ.  —  Dans  le  sud  de  l'Allemagne,  Finfluence  des 
peintres  de  la  Haute-Italie  et  spécialement  des  Vénitiens 
se  fait  sentir  d"abord  à  Constance  et  à  Bàle,  à  la  faveur 
des  Conciles,  puis  à  Nuremberg-,  à  Augsbourg-  et  dans  le 
Tyrol  :  à  l'exemple  des  «  Welches  »,  les  «  Tedeschi  »  se 
familiarisent  avec  les  lois  de  la  perspective,  l'anatomie  et 
les  |»i-(»]M)rli()ns  du  corps  humain:  ils  apprennent  à  sim- 
plilier  et  à  styliser,  à  réduire  le  nombre  des  personnages, 
à  concentrer  les  effets  pour  produire  une  impression  forte 
et  harmonieuse.  C'est  ce  double  apprentissage  que  va 
s'imposer  à  son  tour  Albei-t  Diirer,  pèlerin  passionné  de 
Venise  et  d'Anvers. 

xVinsi  à  la  fin  du  xv'^  siècle,  le  terrain  est  préparé  et  ense- 
mencé :  les  moissonneurs  peuvent  venir.  C'est  la  mission 
des  trois  g-rands  artistes  qui  résument  tout  l'etfort  des  géné- 
rations antérieures  et  portent  la  ])einlure  allemanch'  à  son 
apog^ée  :  Diirer.  le  chercheur  iiKjuiel  (|ui  s"appli({ue  à  donner 
à  l'art  em[mi((ue  du  moyen  âge  une  base  scientili(Hie.  en 
approfondissant  les  lois  de  la  perspective  et  en  lixant  les 
propoi'lions  normales  du  corps  humain;  Griinewald,  le 
coloriste  et  le  visionnaire  ;  Holbein,  portraitiste  incom- 
parable «'t  décorateur  tout  pént'trt'  du  génie  de  la  Renais- 
sance ([ui  apporte  le  preuîier  dans  l'art  allemand  des  qua- 
lités latines  d'aisance,  de  mesure  et  de  goût. 


BIBLIOGRAPHIE 


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WoLFF,  Michael  Pacher:  Berlin,  1910. 

Fischer,  Die  altdeutsche  Maierei  in  Salzburg;  Leipzig,  1908. 


TABLE    DES   GRAVURES 


Maître  Fiancke.  —  L'Uomnif  de  douleiii'  (vers  1430).  (Must-e 

(le  llaml)oui'?.) 9 

Maître   du  retable  de   Liesborn.   —  L'Ange   au   calice  (146")). 

(Musée  de  Munster.) 13 

École  de  Coh:)gne.  —  Sainte  Véronique  (vers  1420).  (Pinaco- 
thèque de  Munich. ) 17 

Stephan  Lochner.  —  La  \'ierge  à  la  violette.  (Cologne,  Musée 

archiépiscopal.  ) 21 

Stephan  Lochner.    —  Triptyque  des   Rois  Mages  (vers  1440). 

(Cathédrale  de  Cologne .  ) 25 

Maître  de  la  Vie  de  la  Vierge.  —  La  Madone  et  saint  Bernard. 

(Cologne,  Musée  Wallraf  Richarlz.) 29 

Maître  de  la  Déposition  de  croix.  —  Déposition  de  cioix  (vers 

1510).  (Paris,  Musée  du  Louvre.  1 33 

Attribué  ci  maître  Berchtold  Landauer.  —  Retable  lmhot'(1420). 

(Nuremberg,  Église  Saint-Laurent.) 41 

Maître  du  retable  Tucher.  —  Saint  Augustin  et  sainte  Monique 

(vers  1450).    (Nuremberg,  Église  Notre-Dame.) 45 

Maître  du  retable  PeringsdorfTer.  —  Vision  mystique  de  saint 

Bernard  (1487).  (Nuremberg,  Musée  Germanique. ) 49 

Martin  Schongauer.  —  La  Vierge  au  buisson  de  roses  (1473). 

(Colmar,  Église  Saint-Martin .  ) 53 

Maître  du  Livre  de  raison.  —  Les  Amoureux  (gravure  sur  cuivre).  57 
Attribué  au  maître  du  Livre  de  raison.   —  Les  Amants  (vers 

1490).  (Gotha,  Musée  grand-ducal.) 65 


TABLE  DES   GRAVURES.  J"^" 

Lucas  Moser.  —  Retable  de  Tiefenbronn  (1431).  —  Le  \  oyage 

de  sainte  Madeleine  à  Marseille.  —  La  Communion  de  sainte 

Madeleine  dans  la  cathédrale  d'Aix ~3 

Conrad  Witz.    —   La    Pèche  miraculeuse    (1444).    (Musée  de 

Genève.) 77 

Conrad  Witz.  —  Sainte  Madeleine  et  sainte  Catherine.  (Musée 

de  Strasbourg.^ XI 

Maître  Souabe  de  144.'j.  —  Visile  de  saint  Antoine  à  saint  Paul 

ermite.  (Donaueschingen,  Galerie  du  prince  de  Fûrstenberg.).  85 
Hans  Multscher.  —  Le  Portement  de  croix  (1437).  (Musée  de 

Berlin.) 89 

Maître  du   retable   de    Slerzing.    —    L'Annonciation    (1458). 

(Sterzing,  Hôtel  de  Ville.) 97 

Barthélémy  Zeitblom.  — Retable  dEschach  (1490).  LAnnon- 

ciation  (Musée  de  Stuttgart.) 105 

Hans  Holbein  l'Ancien.  —  Retable  de  Saint-Sébastien  ;  sainte 

Barbe  et  sainte  Elisabeth  (1516).  (Pinacothèque  de  Munich.).  109 
Hans  Holbein  l'Ancien.  —  Portrait  du  moine  Leonhard  Wagner. 

(Berlin.  Cabinet  des  Estampes.) 113 

Michael  Pacher.  —  Retable  de  Saint- Wollgang  (1481).   (Saint- 

Wolfgang,  Église.) 117 

Michael  Pacher.  —  Retable  des  Pères  de  l'Église  (1490).  Scène 

de  la  légende  de  saint  Wolfgang.  (Musée  d'Augsbourg.  . ...     121 


TABLE  DES  MATIERES 


Avant-propos 5 

I.  Caractères  généraux  de  la  peinture  allemande  au  xv^  siècle . .  8 

II.  Les  Écoles  de  TAllemagne  du  Nord 31 

1.  LÉcole  hanséatique 31 

2.  L'École  de  Westphalie 36 

3.  L'École  de  Cologne 39 

III.  Les  Écoles  de  TAllemagne  du  Sud 62 

1 .  L'École  de  Nuremberg 03 

2.  LÉcole  du  Haut-Rhin 72 

3.  L'Ecole  souabe 84 

4.  L'École  tyrolienne 115 

Conclusion 120 

Bibliographie 125 


9658-10.  —  CoRBEiL.  Imprimerie  CnSni. 


2378yi3C 


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ND     Réau,  Louis 

565       Les  primitifs  Allemands 

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