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LES GRANDS ARTISTES
Les Primitifs Allemands
LES GRANDS ARTISTES
COLLECTION d'eNSEIGNE.MENT ET DE VULGARISATION
Placée sous le haut patronage
D E
L'ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS
Volumes par-us
Architectes des Cathédrales gothiques
(Les), par Henri Stein.
Boucher, par Gustave Kahn.
Canaletto (Les deux), par Octave Uzanne.
Carpaccio, par G. et L. Rosenthal.
Carpeaux, par Léon Riotor.
Chardin, par G.\ston Schéfer.
Clouet (Les), par Alphonse Germain.
Honoré Daumier, par Henry Marcel.
Louis David, par Charles Saunier.
Delacroix, par Maurice Tourneux
Diphilos et les modeleurs de terres cuites
grecques, par Edmond Pottier.
Donatello, par Arsène Alexandre.
Douris et les peintres de vases grecs, par
Edmond Pottiek.
Albert Diirer, par Auguste Marguiliier.
Fragonard, par Camille Mauclair.
Gainsborough, par Gabriel Mourey.
Jean Goujon, par Paul Vitry.
Gros, par Henry Lemonnier.
Hais (Frans), par André Fontainas.
Hogarth, par François Benoit.
Holbein, par Pierre Gauthiez.
Ingres, par Jules Momméja.
Jordaëns, par Fierens-Gevaert.
La Tour, par Maurice Tourneux
Léonard de Vinci, par Gabriel Séailles.
Claude Lorrain, par Raymond Bouyer
Luini, par Pierre Gauthiez.
Lysippe, par Maxime Collignon.
Meissonier, par Léonce Bénédite.
Michel-Ange, par Marcel Reymond.
J.-F. Millet, par Henry Marcel.
Murillo, par Paul Lafond.
Peintres (Les) de manuscrits et la
miniature en France, par Henri Martin.
Percier et Fontaine, par Maurice Fouché.
Pinturicchio, par Arnold Goffin.
Pisanello et les niédailleurs italiens, par
Je.\n de Foville.
Paul Potter, par Emile Michel.
Poussin, par Paul Desjardins.
Praxitèle, par Georges Perrot.
Prud hon, par Etienne Bricon.
Pierre Puget, par Philippe Auquier.
Raphaël, par Eugène Muntz.
Rembrandt, par Emile Verhaeren.
Ribera et Zurbaran, par Paul Lafond.
D.-Q. Rosseiti et les Préraphaélites
anglais, par Gabriel Mourey.
Rubens, par Gustave Geffroy.
Ruysdaël, par Georges Ri.\t.
Titien, par Maurice Hamel.
Van Dyck. par Fierens-Gevaert.
Les Van Eyck, par Henri Hymans.
Velazquez, par Elie Faure.
Watteau, par Gabriel Séailles.
9658-10. — CoRBEiL. Imprimerie Crète.
LES GRANDS ARTISTES
LEUR VIE — LEUR ŒUVRE
Les Primitifs
Allemands
LOUIS R E A U
MAÎTRE DE CONFÉRENCES A l'uNIVERSITÉ DE NANCY
ET IDE CRITIQUE
ILLUSTRÉE DE VINGT-QUATRE REPRODUCTIONS HORS TEXTE
PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
HENRI LAURENS, ÉDITEUR
6, RUE DE TOURNON (VI^)
Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays
r
A MON AMI
ROBERT HERTZ
Nancv, Juillet iqio.
LES
PRIMITIFS ALLEMANDS
AVANT-PROIMIS
Les Primidls alIciiiaïKls sont brauc()ii[) plus mal (■(irmus
en France, \oirt' inèino en Allemagne. (|ii<' les Priniilit's
néerlandais el les niialli'ocriilislcs italiens. Les « relahles »
des Ptuklurerli'ns nont pas bént'lici(' au xix" siècle de cet
engouement qui a ])rosterné critiques, artistes et snobs
devant les « tondi » des PréraphaéUtes. Aucun des vieux
maîtres rhénans, souabes et tyroliens n"a conquis l'univer-
selle popularit('' d'un Holticelli, et les noms des j»lus gi-ands
d'entre eux : St<'pban L()(dmer et Martin S( liongauer,
Conrad Witz et Micbael Pacber ne rayomient guère au
delà des limites de leur pays ou de leur province. (Certes
l'Italie et les Pays-Bas ont été des foyers d'art plus bril-
lants. Mais s'il est vrai que riVllemagne n'a donné naissance
ni ;i im Giotto, ni à un Jan van Evck. il s'en faut que le
rôle plus modeste des précurseurs de Durer soit négli-
g-eable dans l'évolution de la peinture moderne.
- L'injuste discrédit dont soutire l'art germanique s'ex-
6 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
})li(ju(' cil i^i'aiule partie par rtUroltessc do notre culture
intellectuelle et artistique, qui, malgré une réaction salutaire,
reste trop exclusivement greco-roniaine. Il est certain que
l'art alleuiand déconcerte, au preuiicr abord, des Français
élevés dans le culte de lart grec et de lart italien de la
Renaissance : de même que, pour apprécier l'art japonais,
une initiation lente et progressive s'impose à l'Occidental,
de uH'iiic Tari germanicjue exige, pour être goûté d'un
Latin, une éducation de l'œil et un élargissement du goût.
Appliquer ;i des retables souabes le critérium de lart
italianisant, c'est se condamner à n'y rien comprendre.
Sans doute l'art allemand n'a pas, au même degré que
l'art italien, le sens de la beauté' plastique. — il n'a pas,
aulanl (|ue lart français, cette passion des problèmes de
construction et de tecbni(iue (|ui a suscité le magniii(jue
développement de rarcbitecture gothique et de la peinture
impressionniste. Mais l'inélég-ance des formes, le bariolage
du coloris et la grossièreté de la facture sont compensés
par des qualités d'invention et de mouvement, par le
sens aigu de la valeur expressive de la ligne, par la gravité
de la pensée et du sentiment. lAIieux (jue la littérature,
cet art populaire, probe et sincère, reflète l'âme delà bour-
g-eoisie allemande à la fin du moyen âge.
Notre connaissance des Primitifs est dorigiiie récente.
Le (( siècle des lumières » ne voyait (|ue barbarie dans ce
passé « gotbique ». L'étude de l'art alleuiand ne commence
en réalité (ju'avec le Romantisme, (^e sont les elfusions
mystiques de Wackenroder. les Fantaisies sur /'arf de
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. 7
Tieclv <'| les (lisscrliilioiis de l-ricdridi Sclilrizcl (jiii (ippo-
sri'ciil ail classicisiiie inloh'raiil de W iiickcliiiaiiii I ail
chrrlicii ri ii<'ni!aiii(ni(' du moyen àgu el altirèreiil ralleii-
lioii sur les yii'ilk'S Ecok's de Cologne et de Nui'<Mul)eri;.
.Mais l'entlioiisiasine des Romantiques etail ])ius anlml
(ju (''(dairi'. L'histoire de larl allcniatid s'est Irouxa'-e encom-
brée» dès ses dt'd)uts de |M'('j(iti(''s lenaces (|ue la science mo-
derne a eu Ijeaucoup de mal à déraciner. I^gai'é-s par un
nationalisme inlem|)('iant. les Romanti(jues décrétèi'enl
que rarchitectiuc gothique, dont les origines françaises
sont aujourd'hui universellemenl reconnues, n'était autre
chose (jue (( rancienne architecture g'ermani(|ue » ; st'^duils
par le mysticisme douceâtre de la jtrimitive Ecole colonaise,
ils l'exaltèrent aux dépens des Ecoles plus viriles de
l'AlIemag-ne du Sud. Bref, s'ils ont glorili»' l'art allemand
du moyen âge, c'est trop souvent à conti-e-sens.
11 est vrai (jue la résurrection de ce passi' arlisti(jue
n'f'tail pas tâche facile. Si les monuments conservés sont
relativement très nond)reux, les documents suscej)tihles
de les éclairer sont très rares, hn Beufsc/ir Ahddemie de
Sandrart n'est pas une source comparable aux Vite de
Yasari ou au Schi/dcrboek de Karel van Mander. Entre les
noms d'artistes exhumés des comptes d'archives et les
œuvres non sig-nées (jue conservent églises et musées,
comment établir des corrélations dont la cei'titude s'im-
pose ? Nombreux sont les maîtres anonymes que, dans
l'état actuel de la science, nous en sonnnes réduits à
désig'ner par leur oîuvre principale.
8 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
Ce (|iio les recIitTclios (larchives 110 leur livraient pas. les
liisloriensle (leiuandèrcnt à l'analyse stylistique des oeuvres.
Morelli {Lermolieff) avait montré, non sans succès, en
e'Iudiant les œuvres des maîtres italiens dans les Galeries
> de Munich, de Dresde et de Berlin, le parti que pouvaient
tirer les connaisseurs de l'examen attentif de détails carac-
téristi((ues, conuiic la l'orme des mains et des oreilles.
Appliquée à Tai'l allemand, la méthode moi'olUcmie a donné
de remarquables l'ésultats. En moins de vingt ans, l'histoire
des Primitifs a été renouvelée par de minutieuses mono-
graphies, publiées isolément ou groupées dans la précieuse
collection des Stiidien cur deutschen Kiinstgeschichte.
Malheureusement il n'existe guère d'i'ludes d'ensemble
(|ue sur les Ecoles de Cologne et de Nuremberg. Tout
essai de synthèse présente une extrême difficulté à cause
du caractère particulariste de lart allemand et de l'enche-
vêtrement presque inextricable des Écoles locales.
L'idtjel (Ui jU'é'sent volume est de «h'hroniller ce chaos et
de condenser en (|U(d(jues pages substantielles les résultats
(|u'on peut considérer comme ac(juis.
I. — Caractkrrs gkniîraux dk la peinture allemande
AU \V'' siècle.
C'est au \v" siècle (jue la peinture s'atïranchit définitive-
ment du livre et de la muraille et de\ienl le premier des
arts plasti({ues, lart majeur, aux dépens de rarchitecture
(|ui passe au second plan.
i:iirlu- SI lin. T.
MAITRE FRAX.KE. — l/lKKMME DE nOll.EUR ^Vei'S 11430).
(Musée de Hamboure:.)
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. H
Avec lapparilioii du lalilcaii (!<■ clicNalcI. la conrcjjlidn
même de la peiidui'c se liaiislonnc. Li's ininial iiiislcs cl
les fresquistes se coidciilaiciil dVinidir des coiitoiirs avec
des tons posés à |)lal. Le proldriiic (|ur se prdposciil les
peintres du xv' sir(dc. (d api'ès eux les lirands arlisics de la
Renaissance, n'est rien moins (pic la (■on(|U(dcdc l'espace.
Il s'ag"it de réaliser ce nn'ra(de : donner sur une surface^
plane l'illusion des trois dimensions ; évoquer le rcliid' des
figures réelles par le modelé des chairs et des draperies ;
suggérer la prot'oiideur des paysages par des artifices de
perspective. Au lieu d"appli(|uer des silIiou(dles sur un tond
d'or, les peintres seliorcent de creuser leur paimcau. d'es-
pacer les plans, de fair<' l'uii' les loiidains. Larl anl('i'icur
au XV- siècle nétait (|ue de Ven/ioniiuifc : on peu! dire (juc
la peinture ne commence à exister que du jour où Ton
s'avise de substituer à la di'coralion des sui'faces (F/d-
chenkimst) la représentation de l'espace [Rauni/iunst).
En même temps que la pcinlurc prend conscience de sa
mission véritable, sa technique se renouvelle. L'invention,
ou plutôt le perfectionnement de la peinture à l'huile pai*
les frères van Eyck, permit une exécution plus minutieuse,
plus moelleuse et plus éclataidc (juc la peinture à la dc'lrenqje
ou la gouache des minialurisles. Comme il arrive souvent,
la technique influa sur le style; le réalisme le plus franc et
le plus fécond, fondé sur l'observation attentive de la nature,
remplaça les schèmes li-adilionnels de l'art byzantin.
L'Ecole allemande nn pas jout' un rùle actif dans celte
révolution, et c'est pour(juoi (die doit être considérée,
12 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
malgi't' ses iiu-riles, comme une Ecole de second plan. Ce
sont les Quattrocentistes italiens (jui lui ont enseigné l'art
délicat du modelé et les lois de la perspective : c'est aux
Pavs-Bas (ju'clle a emjjrunlé la l('cliiii(|ii(' de la peinture à
riiiiilc. Mais sans égaler leurs maîtres, les Allemands ont
su conserver à leur peinture, comme jadis à rai'cliilecture
gotlii({ue imporle'e de Finance, une saveui- originale.
Les formes d'art qui se développent en Allemagne sont
étroitement dépendantes de l'état politique et social, qu'il
importe tout d'ahord de préciser. L'empereur et les
nohles sont sans argent, sans autorité, sans pi-estige : il
n'y a donc pas place pour un art de cour, monumental ou
raffiné. Non que l'Allemagne du w" siècle fût un pays
pauvre : jamais peut-être elle n'a été plus llorissante. Mais
toute la richesse est concentrée entre les mains des bour-
geois. Au x[v- siècle, une série de i't''V(dutions locales (|ui
éclatent pres(|ue simultanément dans toutes les grandes
villes : à Ulm. à Strasbourg, à Ratisbonne, à Augsbourg,
à Cologne, porte la classe bourgeoise au pouvoir et subs-
titue à la tvrannio de l'évèque ou des patriciens (Geschle"
chtev) le régime démocratique des corporations {Ziuifte).
Les artistes ne peuvent attendre de commandes (juo de ces
riches marcdiands, par\enus sans culture, qui imposent
leur goût mesquin. C'est pourquoi l'art allemand du
xv' siècle, comparé aux élégances florentines, nous choque
par sa vulgarité plébéienne : c'est un ai'l de petites gens.
Le culte ou le respect des artistes est un sentiment
inconnu aux civilisations bourgeoises : aussi la condition
MAITRE Dl' RETABLE DE LIES Un R>'. — LANCE AL' CALICE ll46H).
(Musée de Munster.)
LES PIUMITIFS ALIJ:MANDS. l^J
sociale des peintres esl-ellc U'ès liumhle. Leur gueuserii;
est proverhiale. Ils \iveiit confonrliis dans l.i foule des arti-
sans (/A/y/^'/i'/v'r/v'/') aux((uels ils sont assiniil«''s. Ils foianenl
une guilde sous le j)alronaii'e de sainl Luc, jx'inlre de la
Vierge. Ils lialjitentgënéi'aienienl dans la uKMUe lue, la rue
des Peintres (Schi/dergas.sr,^ on se dresse leur maison
corporati\'e, se niai'ient dans la cor[)oralion et travaillent
en commun dans un aleliei-. F^a durée des années d'appren-
tissage et de voyage (Lchr-und \V(in(lerJ(i/u-r]^\v^ condi-
tions d'admission ta la maili'ise son! strictement régle-
mentées. L'artiste Ti'est pas encore dégagé de l'artisan; il
n'a pas conscience de son « éminente dignité ». Diirer s'en
plaignait amèrement à son ami Pircklieimer : (( A Venise,
je suis un gentilhomme, à Nurem])ei'g un pauvre hère. »
Ce n'est pas pour leur délectation personnelle ou pour
éterniser leur mt-moire ((ue les riches hourgeois com-
mandent des œuvres d'art: ils n'ont d'autre amhilion que de
se recommander à Dieu et à leurs saints patrons en dédiant
un beau retahle dans leur église paroissiale. Aussi le déve-
loppement du retah/e \i volets {Flugelaltar) qui remplace
l'antependium pi'imilif est-il un des caractères essentiels
de la peinture allemande du \v' siècle. On oublie trop
souvent que presque tous les tableaux du xv*" siècle re-
cueillis dans les Musées sont des volets détachés d'an-
ciens retables : ces fragments de grandes décorations
conçues pour la perspective d'une nef ou la pénombre d une
chapelle ne prennent tout leur sens que si on les rattache,
par la pensée, à ces ensembles disjoints et nuitile's.
16 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
Les rotabk's ne sont pas seulement un assemblage de
peintures : car les volets peints, cloisonnés et subdivisés
en plusieui's registres ou compai'timents. encadrent presque
toujours un bas-i'elief ou des tig-ures en bois sculpté
{Schnitzwerk). Le coffre repose sur uneprédelle [Staff'el)
qui est très souvent sculptée et se complète par un cou-
ronnement arcliitectonique \Aufsatc] en forme de pignon
ajouré. Ainsi la peinture et la sculpture collaborent étroite-
ment : les deux arts s Clïorcent de se pénétrer, la sculpture
en lecliercliant les effets itiffore.sfjues à laide de poly-
cbromie et de dorures, la peinture en visant à des effets
pfastirjues par laccentuation des contours, la biiitalitt'
des contrastes et le stvle anguleux des draperies.
Certains retables ne possèdent (ju une j)aire (k' \(»]ets
qui se rabattent sur le coffi'e : mais dautres plus andji-
tieux ont jus(|uà deux et trois paires de volets fixes
ou mobiles : ce sont des retables à transformations
{Wandelalt(U') quon ouvre et qu'on feuillette à la façon
d'un g'ig-antesijue livre d'images. En temps ordinaire, les
volets, dont la face extéi'ieure était généralement peinte en
grisaille, restaient fermés ( \Ver/,laf/sse(te\ : les joui's de
fête, on les ouxi'ait tout grands pour révéler aux tidèles
éblouis la splendeui' des peintures intérieures sur fond
dor et des sculptures polychromes (Festtagsseite\.
Un pareil travail ne pouvait être l'œuvre d'un seul aitiste,
d'autant ])lus(|iie les donateurs en exigeaient l'achèvement
dans un délai assez court. Les retables allemands sont donc
dva œuvres ro//eef n'es. La conmiande (''tait en ^l'-m'-ral reçue
-E DE COLOGNE. — SAINTE VÉRUNIQIE \eVS 1420).
(Pinacothèque île Miinieh.)
2
LES PRIMITIFS ALT.KMANI3S. 19
par un pciiilrc (|iii sassiirail la collaltoialKui d un mi plu-
sieurs sculplcurs cl (|ui r(''[)arlissail la besogne cnlit' ses
apprenlis: il se eliar^cail lui-ni('ine des xolels inlt-rieiirs
(|ui son! ioujoiirs les plus snii^nt's. Il l'aul connaître ces pi'o-
cédés (le (li^■ision du Iraxail. si conlr.iires aux lialiilmlcs de
nos artistes inodt'rnes. poui' ju^cr ('■(|uilal)lenienl lail alle-
mand dn w" siècle.
Les retables chiclienient payés nVuiraient pas suffi à l'aire
vivre les peintres : c'est pour(|U(ii ils clierclièi-eni des
ressources dans la })rati(|ue de la (/rariirc. arl jiopulaire
par excellence, (jui houx ail aisément des d('l)()U(di('s aux
foires de Francfoil. Avec ces gravures d'une vente facile,
larliste pouvait attendre les commandes.
L"AlIemag"ne s'attribue \ invention de la gravure comme
celle de l'imprimerie : c'est lii une prétention assez vaine :
car les origines de la gravure sur bois [Ilahchnlft) et de
la gravure sur cuivre (Kii/t/'ft'sttc/i) sont aussi anciennes
(|ue l'impression sur étoiles et l'orlevrerie et ((uani à
la pi'iorité du tirage des estampes sur papiei", il semble
que. dans 1 état actuel des recherclies, les Pays-Bas et
même la France aient autant de droits que l'Allemagne à
la revendifjuei'.
Mais il est juste de reconnaître (jue la gravure jiril de
bonne heure plus d'importance en Allemagne que dans
tout autre pays. Ni l'Italie, ni les Pays-Bas n'ont su
tirer le même parti de la gouge et du burin. A partir de
Marc-Antoine Raimondi. la g-ravure italienne se voue à
la liaduclion ou à linterprétation de la peinture, tan-
20 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
dis (juen Alleniagiie presque toutes les gravures du xv^
et du x\f siècles sont des œuvres originales, indépen-
dantes de la peinture, expressément conçues pour \v bois
ou le cuivre. La plupart des peintres allnnands ont été des
peinti-es-gt'aveurs {Malerstechcr) et les plus célèbres
deiitre eux : Scliongauer etDiirer sont même plus graveurs
(|ue peintres. C est à leurs estampes beaucoup plus qu'à
leurs tableaux qu'ils doivent leur renom dans leur pays et à
l'étranger. C'est par ce mi'diuui (jue le génie allemand
s'est le mieux atiiruié et conmiuniqué. En ce sens on peut
dire que la gravure a été /"arl nationa/ de l'Allemagne (1).
Cette prédominance des arts grapiiiqucs a été aussi
néfaste à la peinture allemande que son association avec la
sculpture sur bois. Les artistes transposent inconsciem-
ment dans la peinture les procédés et le style de la gi'avure;
de là l'exagé'ration du Irait, la sécberesse des contours, le
style cassant des drapei-ies: si les tableaux italiens sont des
réductions de fresques, les tableaux allemands sont sou-
vent des gravures coloriées démesurément agrandies.
Dans les gravures comme dans les peintures de retables,
les bourgeois alleuiands duxv" siècle ne s intéressent guère
qu au suji'l. Lart. qui est encore au service de l'Eglise, est
conçu connue une prédication par limage : il illustre les
(biclrincs de la foi ou la légende des saints. Insensibles à
(1) La gravure, qui était pour les Allemands une nécessité matérielle,
était aussi le moyen d'expression le plus conforme à leur génie. Ce pro-
cédé rapide convient à merveille à des artistes riches d'idées et peu sou-
cieux d'exécution parfaite : or le goût de la ligne expressive prime chez
eux le sens de la couleur, et la pensée les inti'resse plus que la forme i)ure.
STEPIIAN I.OCH>ER. — LA V I E R (. E A LA VIOLETTE.
(Cologne, Musi'-e archiépiscopal.)
LES PIILMITIFS ALLEMANDS. 2.3
la pureté des ligues cl ît riiariuouic des couicui-s, Icsdouji-
leurs ne demaudeul aux peintres que des contes <'dili;uils.
Il en résulte que l'arl allemand est csscntitdlciueiil iiar-
ratif. Un siin|»lc ui-()U|)ciiiciil plasli(|ue ne lui siiflit pas;
il exige une action (|iii se déroule : de là sa pn''(lileclion
pour les œuvres rifc/ir/io's : assemblag"es de peinlurcs
étagées sur les volels à coinpartimenis des lelahles ou
« suites » de gi'avures, (jui [)ermettent de naner lout au
long Fidvlle de l'Enfance du (ihrisl ou la li-agédie de la
Passion. Juscpie dans ses productions les plus médiocres,
l'ai't alleuiand présente ini très vif intérêt iconogra|)liique.
La Biblia paujK'riini et le Sprcu/iun huitiniKi' sti/ra-
tionis, répandus à (riimombrables exemplaires pai- liui-
primerie et la gravure, restent les répertoires les plus
fréquemment eonsuUV's par les artistes ( 1). Le symbolisme
du Speculton. (jui raconte I bistoire de la Cliute et de la
Rédemption en opposant. sui\ant la métbode tvpologique,
à chaque récit du Nouveau ïestainent les tijprs ou prtdigures
de l'Ancien Testament, eut une vog'ue immense: il inspira
une multitude d'œuvres d'art depuis les vitraux de l'église
Saint-Étienne de Mulbouse et les fresques du cloître de
Brixen en Tyrol jus(ju'au retable de Coni'ad Wilz à Bàle.
\JArs )nori<'n(ll.i\v\\ montre le mouiant aux prises avec
les anges et les diMUons qui s<' disputent son cuue, ne fut
pas moins populaire : car le xv*^ siècle est liante par l'idée
de la mort. Les famines et les pestes qui alFolaient l'buma-
(1) Cf. sur ces tlièmcs iconographiques 1*. Peruhizet, Étude sur le Spé-
culum humaiife salvationis ; — La Vierge de Miséricorde, Paris, 1908.
2i LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
nilé développèrent la dévotion à la Vierge de Misérivorde
{Schutzmantelmadonna),(\\x\ abrite la chrétienté sous les
plis de son manteau, ainsi que le culte des Quatorze htter-
cesseurs{14 Nothelfer). et des saints « antipesteux » comme
saint Sébastien, saint Christophe et sainte Barbe qu'on
invoquait contre la niale mort. Enfin le thème pathétique
de la Danse macabre^ qui apparaît en Fi'ance auxiV siècle,
enfiévra les imaginations allemandes.
Deux influences nouvelles contribuèrent à transformer
l'iconographie traditionnelle : le Mystieisme et le Tliéàtre
des Mystères (1).
Les grands Mystiques allemands : maître EckardL Tauler
et surtout Suso. ont exercé sur les Primitifs rhénans delà
fin du XIV'' siècle une influence comparable, toutes propor-
tions gardées, à celle de saint pTançois d'xVssise sur les
GiolleS(jU('s italiens. Suso veut que riionune se spiritualise
par le jeinic. pai' la soutfrance, par la maladie. « Plus le
corps tlcurit. (ht-il, plus lame se dessèche ; plus le corps se
dessèche, pUis l"àme se fortifie. » Mais les pratiques ascé-
ti(|ues ne font qu'exaspérer sa sensualité. Il se représente
la Vierge comme sa fiancée : ses prières sont des déclara-
lions passionnées : la « Vierge tendre, fleurie et rose» [die
•zarte, yeblUmte. rosige Magd) est sa Dame céleste. En
somme, il transporte dans la mariolàtrie chrétienne le
Minnedienst de la chevalerie et jus(ju'aux expressions de
la poésie amoureuse des Mintiesauger.
(1) Cf. I'eltzeu. Ih'utscito Mi/st/7,- uml deustclu' Kitiisf, Strasbourg, 1899.
— E. MÂLE, L'dfl rt'lif/ieii.r (h' la /in (lu iitouen (i(ji\ Paris. 1908.
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. 27
C<'S xisions mvslico-aiiiourcuscs oui eu une iiilliiencc;
ccriaiiic sui' les Ivjx's, siii" les llit'int's, sur ICsprit même
(le la pciiiliirc ilK'iiane. Les vierges colonaises aux tresses
blondes, aux joues pâles, aux soui-cils à peine indifpu's
sous le froni « homlx' ({innocence ». à la houclie menue,
aux doigts fuscdés, ne sont-elles pas les sœurs de la
•zarti'. rosi(/(' M/rr/d de Suso? La Madone tient sa cour
céleste dans le Jardin ilu Paradis embaumé de buissons de
roses, do lis blancs comme la neige el de violett<'s odo-
ranles. et la natui'e printanière loue le Cr<'aleur par les mille
petites bouclies })arl"uin('es des Meurs, (les tbèmes mys-
tiques du Jardin du l^aradis ( Paradirsgarten), de la
VIerf/c au buisson de roses (Madonna ini Rosenha;/). sont
l'apanage de l'art rbénan.
Au contraire, le tbéàtre religieux, dont AL Mâle a magis-
tralement démonli'é l'inlluence. agit au W' siècle sur tout
lart européen. Les Mystères, véritables tableaux vivants,
proposent aux peintres des modèles pour la composition
des scènes, les attitudes des personnages, les costumes et
les décors : ils substituent ainsi à l'art didacli(jue du
XHi'' siècle un art patbéli(|ue et pitlores(|ue.
Si le tlième favori (b- l'art allemand (hi xv'' siècle est la
Passion, c'est que le liiéàlic a jiopularisé ce motif et Ta
imposéàlimagination des arlistesetdes donateurs, llolbein
l'ancien a dû peindre par trois fois le cycle de la Pas-
sion, et Albert Durer professe encore au conniiencement
ilu \vi'" siècle (jue (( la mission essentielle de la peinture
est de représenter les soull'rances du Sauveui' ». Le peuple
28 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
enlciidail iclrouvcr dans la peinture limage lidèle des
scènes louchantes ou ljuiles(|ues (jue jouaient sous ses
yeux les Confrères de la Passion. Pour émouvoir plus
fortement ces âmes frustes, les artistes exagèrent, à
l'exemple des acteui's, la bestialité des bourreaux k mine
patibulaire (jui sacharnent contre le Christ pantelant. Le
réalisme caricatural de lart allemand nest ici que la copie
tro|) lidèle du théâtre religieux.
lîien (|ue les œuvres inspiri-es par la mise en scène
traditionnene ])résentent partout les mêmes caractères
iconographi(pies, Fextrème décentralisation artistique
qui résulte de l'anarchie politique donne naissance à
une midtitude d'Ecoles provinciales (jui inqjriment chacune
leur marque à ces thèmes um'formes. Des centres d'art
indépendants se dévelojipeni dans toutes les villes libies
de l'Empire depuis le Rhin jus(]u'à l'Elbe, qui mar(|ue
au xv*" siècle la limite de l'Allemagne civihsée (1). Cologne
et Nurembei'g sont les principales métropoles artisti(|ues
du W' siècle; mais en dehors de ces deux grands
centres, des Ecoles locales très actives se constituent dans
les villes de la Hanse, en Westphalie, dans la région du
haut Rhin, en Souabe et dans le Tyrol.
Cette multiplicité des Écoles locales ne permet pas d'adop-
ter pour l'exposé des faits un ordre clu'onologique. L'histo-
rien est contraint de recourir à la méthode topogra-
phifjKC. Ce j)i'Océdé a ses inconvénients : il donne au
(1) Les pays à l'est de l'Elbe ne sont encore que des Marches, des terri-
toires de colonisation {Kolonialf/eblele) qui ne possèdent pas un art au-
tochtone.
Clicljé SlorclliK-
MAITRE DE LA VIE DE LA VIERGE. LA MADONE
ET SAINT BERNARD .
(Cologne, Musée Wallrat' Ricliartz.)
LES PRIMITIFS ALLEMANDS- '^^
Icciciir mit' iiiiprcssioii d ('■inicllciiiciil <■! i-<)iii|)l I iiiiih' «lu
luouvciiit'iil (|iii ciil raîiic I iiil .iIIciiiiiihI xcrs ses (lestiiii'cs.
Mais c'esl le seul (|ui r(''|t()ii(l(' l\ l.i rtNililr : cIi.-kiuc I^coIc
provinciale on locale coiislitue en elld un L:i'()n|M' aniononir
(jui snil son ('volnlion pi'opi-e.
Pour nous orienter dans cette sr/ra osriira . nous adop-
terons ici la division traditionnelle et d'ailleurs légitime
entre les Eco/es de XlhniKuinc du Xord \ n'icdcrdcitlsclie
Schu/cn) el celles de 1". 1 /Av/z^/yy/c du Sud {oùrrdcufsr/tr
Schu/i'H).
II. — Lks Ecolks de l Ali.kmagne du XeiU).
L'histoire de l'art ne connaissait naguèie dans l'Alle-
magne du Nord (|ue iJ'^cole de Cologne : des recherches
récentes ont dénu)nlré l'existence de centres d'arl indépen-
dants, aussi anciens et aussi actifs, en Weslphalie el dans
les villes hanséati(jues.
1. L'Ecole /uiitséali'/uc. — Dès le \iv" siècle, une Ecole
de peinture se (hneloppe dans les poris de la Hanse enri-
chis par le connnerce avec les Pays-Bas, l'Angleterre et la
Scandinavie, à Liiheck et surtout à Hamhourg\ Les
recherches <le AL Li(dit\\ ark ont mis en lumière les deux
maîtres principaux de c<'tte Ecole hamhourgeoisc : maîti'e
Bertram et maître Francke.
ALn'tre Bertram de Minden vécut à Hamhourg' de \'Mu
à 1415, et son œuvre capitale : le mallre-autel de l'ég/ise
Saint-Pierre de ffmnboKr;/. (|u"on appelle ])ai'fois relahle
32 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
de Graboir iGraôoiver A/far) du nom de la petite ville
merkleinbourgeoise où il fut long-temps relègue, porte la
date de 1379. Ce grand retable comprend vingt-quatre
tableaux et des sculptures en bois polycbromé. Les tableaux
représentent la Création du monde, Ibistoire de nos pre-
miers parents, la vie de la V^ierg-e; les sculptures groupent
autour du Cbrist crucifié les Propbètes qui ont prédit la
Rédenq)tion. les Apôtres (|ui l'onl aiinniict''e au moinb', les
Martyrs qui ont soutfert pour la foi. les Pères de l'Eglise et
les g-rands Fondateurs d'ordres (jui ont organist» l'Eglise
cbrétienne. Ainsi c'est toute Ibistoire cbrétienne qui se dé-
roule sous nos veux depuis la création du monde et le péché
orig-inel jusqu'à la fondation des grands ordres monas-
tiques.
Bien qu'elles soient mal proportionnées, ces figures
peintes et sculptées sont frémissantes de vie. Rien de plus
expressif que le cri d'Isaac sous le couteau d'Abraham et
ses g-estes tâtonnants d'aveug-le lors(ju'il bénit la fraude de
Jacob. Les figures ne sont pas encore conçues dans l'es-
pace : cependant on observe dans la Crésition des plantes
un timide essai de paysage. La techiii(jue est très curieuse :
la couleur n'est pas étalée uniformément, mais piquetée de
points et de traits bruns ou jaunes.
Maître Francke, qui fut peut-être l'élève de Maître
Bertram, est un des plus grands coloristes de l'art alle-
mand. Son œuvre la plus importante, dont les fragments
ont été recueillis ;m nuist'e de Hambourg, est le retable
de sainf T/iotnas de Cantorhérij, commandé en 1421 par
Clicli.j Aliiiari.
MAITRE DE LA DÉPOSITION DE CHOIX. — DEPOSITION DE CROIX.
(Vers lolO).
(Paris, Musée du Louvre.)
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. .{3
une coiirr('ri(' de inarcliamls liaiiiljour^cois [Jirudcrschaft
der Englandsfahrci') qui trafiqua icnl avec l'Ang-leterre.
Cet ensemble monumenlaL aiih-rieur dune vingtaine d'an-
nées au « Donibild » de Stephan Locliner, eonij)i<'nai( deux
paires de volets. Sur la face extérieure l'artiste avait peint
huit panneaux représentant sur un fond rouge piqueté
d'étoiles d'or la lég"ende de la Vierge, protectrice des
navigateurs, et de saint Thomas de Cantorbéry, patron
de la confrérie. L"inléri«'ur du retable représentait sur fond
d'or une grande Crucifixion, encadrée de quatre scènes de
la Passion.
La rag'e des bourreaux dans la scène de la Flagellation,
les hésitations de Pilate que Caïphe s'efforce de vaincre,
la fuite de saint Thomas qui laisse entre les mains des per-
sécuteurs lancés à ses trousses la queue de son clieval, sont
rendues d'une façon très expressive; mais c'est surtout
l'intensité du coloris qui est remarquable.
Tous ces dons s'exaltent dans Yllomme de douleur
{Christus als Schînercensmann) du musée de Hambourg.
Cette émouvante figure résume à elle seule toute la tra-
gédie de la Passion. Le Christ nu, couronné d'épines,
montre les plaies saignantes de son flanc et de ses paumes
trouées. Deux petits anges tiennent en main le lys et
l'épée flamboyante, symboles du Jugement dernier.
Cette floraison fut de courte durée. Maître Francke n'eut
pas de successeur. A partir du milieu du xv^ siècle,
l'Ecole de Hambourg, dont la vitalité décline avec celle de
la Ligue Hanséafique. est absorbée par l'Ecole voisine des
36 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
Pays-Bas. Elle perd toute originalité et ne produit plus
dès lors que de médiocres pastiches de Quentin Matsys.
2. U Ecole de Westphalie. — Les origines de l'École de
Westphalie sont plus anciennes et bien qu'elle ait subi
elle aussi l'intluence des de Colog-ne et des Pays-Bas,
elle conserve plus longtemps un goût de terroir, une saveur
locale. Sa verdeur rustique contraste avec la mièvrerie
douceâtre des Primitifs colonais.
Cette rusticité tient peut-être à ce que les peintres
westplialiens ignoraient les raffinements de la civilisation
urbaine. Au moyen âge, la capitale artistique de la Westpha-
lie était la petite ville de Soest (I ) qui, grâce à sa situation sur
la route de Cologne à Liibeck, atteignit dès le xin" siècle
une grande prospérité. Soest enlretenait des relations
commerciales avec tout le nord dr l'Europe, de Bruges à
Novgorod. Au xv" siècle, la prééminence artisti(jue passe
à Dortmund et à Munster.
. Les œuvres les plus anciennes de TÉcole de Soest sont
VAut('iJi'H(lhim de .sa'utfe Wa/piirgetiu Musée provincial de
Munster et les deux retables de la Crucifixion et de la Tri-
nité au musée de Berlin, qui remontent au commencement
du xni" siècle. L'antepenilium de Munster imite la déco-
ration, des sarcophages romains. Les figures, rigoureu-
sement frontales, sont de simples silhouettes raides et
figées. Aucune indication de volume et d'espace. Les
(1) Prononcer Sost.
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. -H
formes sont deliiiies par des coiiloiirs lirs acccriliirs, (juc
le peintre enlnniinc avec des couleuis pdst'cs à plal.
Les deux retables de lîcrlin proviennent de la, Wicscin-
kirclic (i\otre-Daiii('-(l('s-('Jiainpsj de Soesl. (-»' son! des
panneaux rectangulaires en l)()is de chêne, tendus de par-
elieinin préparé à la eraie. Jjes eouleurs à la délt-einpe sont
•étendues en couche très mince. Les ligures handli'es de
rouge et de bleu sont cernées de contours brini noir et
s'enlèvent sur un fond d'or. Le vigoureux relief di's nimbes
et des encadrements en |tlàtre g-aufré montre (jue la pein-
tui'e à ce stade [)rimitir s'elloicede rivaliser avec le travail
en repoussé des orfèvres. Les retables peints ne sont encore
que des contrefaçons à bon marché des antependiums en
métal précieux.
Dans le retable de la Crucifixion, le Christ en croix est
entouré des figures ti'aditionnelles de l'Ecclesia qui recueille
dans un calice le précieux sang- et de la Synagogue aux
yeux bandés, portant les tables de la Loi. A gauche, Jésus
est amené, les mains hées, devant Caïphe; à droite, les trois
Maries se rendant au tombeau trouvent l'ange assis sur
la pierre du sarcophage béant. Ce g-roupe des 3Ijjrophores
témoigne nettement d'une inlluence bvzantine et nous
contraint d'admettre (ju'il y a eu. dans le premier tiers
du xni*^ siècle, des rapports étroits entre l'École de Soest
et l'art byzantino-italien.
Le premier peintre westphalien dont le nom soit parvenu
jusqu'à nous est maître Conrad de Soest (jui vivait au com-
mencement du xv" siècle. Sa grande Crurifi.vlon de 1404.
38 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
dans l'église de Nieder-Wildungen. est la première peinture
allemande signée et datée (1). Au pied de la croix où
Christ est cloué entre les deux larrons, grouille une cohue
pittoresque de chevaliers magnifiquement vêtus, de pay-
sans et de femmes du peuple. Il est possible que maître
Conrad ait séjourné à la cour des ducs de Bourgog"ne, qui
était alors le plus grand centre artisti(jue de l'Europe occi-
dentale. En tout cas, il marque nettement la rupture avec
la tradition byzantine.
Dans la seconde moitié du w" siècle, la Westphalie,
située dans le voisinage immédiat des Pays-Bas, ne peut
se soustraire à leur influence qui triomphe dans l'Allemagne
entière. L'artiste le mieux doué de cette époque est un
peintre anonyme qu'on a baptisé Maître de Liesborn
d'après son œuvre principale : le maître- autel de l'abbaye
bénédictine de Liesljorn, près de Miinster, (|ui fut consacré
en 1465 et dont les fragments sont partagés aujourd'hui
entre la National Gallery de Londres et le Musée provincial
de Munster. Le centre du retable était occupé par le Cin'ist
en croix environné d'un essaim d'anges ailés qui recueillent
son précieux sang- dans des graals. Au pied de la croix
se dressaient la Vierge et saint Jean, saint Benoît et sainte
Scolastique, saint Cùme et saint Damien.
Par sa technique minutieuse, le maître de Liesborn se
révèle disciple des Flamands. Mais c'est aux Primitifs sien-
(1) On sait (|ue les signatures d'artistes sont très rares dans la première
moitié du xv siècle. L'inscription est ainsi conçue : « Hoc opus est com-
pletum per Conraduin pictorem de Susato sub anno domini JMCCCCIV ».
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. 39
nois qu'il s'apparonte le plus iuliniement par sou idéalisiue
délicat, par. la yràeo exquise de ses auges adolescents aux
cheveux bouclés, aux grands yeux fendus en amande.
Après lui, l'inlluence flamande qui s'exerce sans contre-
poids incline l'École de Westplialie vers un réalisme brutal.
Les frères Victor et Heinrich Dilnwegg-e appartiennent déjà
au commencement du xvi" siècle. Leurs œuvres les plus
caractéristiques sont le g-rand triptyque de l'église des Domi-
nicains à Dortmund (KJ2l) et les Exemples de Justice
{Gerechticikeitsb'ilder) de l'Iiotel de ville de Wesel, Dans
ces tableaux qui avaient pour mission de rappeler aux
jug'BS leur devoir, aux témoins leur serment, on recon-
naît l'influence des compositions analogues, que Rogier
van der Weyden, Thierry Bouts et Gérard David avaient
été chargés de peindre pour les hôtels de ville de Bruxelles,
de Louvain et de Bruges (1).
3. U Ecole de Cologne. — L'École de Cologne est deve-
nue, grâce aux romantiques, la plus populaire de toutes les
écoles de peinture allemandes. Sa prospérité ne fut pas de
longue durée : elle ne commence à proprementparler qu'à
la fin du xn** siècle; vers 1430 elle est devenue une simple
dépendance des Pays-Bas et sa vitalité est complètement
épuisée au commencement du xvi'' siècle. Mais pendant cent
cinquante ans environ sa production fut extraordinairement
(1) Les derniers représentants de rKcole westphalienne sont des por-
traitistes un peu secs, Ludger et Heriuann tom Ring de Miinster, et un
« petit maître » ornemaniste et graveur : Heinricti Aidegrever. qui se rat-
tache à l'école de Durer et intéresse surtout l'art décoratif.
40 LES PRIMITIFS ALLEMANDS
abondaiitt'. Les églises <le Cologne regorgeaient d'ex-voto
dus à la munificence de pieux donateurs. La plupart de
ces oeuvres ont été sauvées de la destruction à 1 époque de
la Révolution française par lintervention opportune de
quelques collectionneurs avisés, La collection Wallraf a
foruié plus tard le fonds du musée de Colog"ne, tandis que
la collection Boisserée venait combler les lacunes.de la Pina-
cothèque de Munich : c'est dans ces deux musées qu'on peut
le mieux suivre aujourd hui l'évolution de l'Ecole colonaise.
La « sainte Cologne ». fut, pendant tout le moven àg-e,
la véiitable métropole religieuse, connnerciale et artistique
de 1 Allemagne rhénane. Le culte de sainte Ursule et des
onze mille vierges, dé saint Géréon et des martvrs de la
Légion théjjaine. et siu'toul les ]-<di((ues des Rois Mages
apportées de Milan par rcmjxMX'ui'Fri'déric Bai'berousse, y
attiraient les pèlerins du monde entier. Elle se parait d'admi-
rables églises romanes et amorçait au \nf siècle la construc-
tion d'un Dùme gothique colossal qui prétendait surpasser
la cathédrale d'x\miens. son modèle. Son Université riva-
lisait avec la Sorbonne. La scolasti((ue y était professée
avec éclat par !<■ célèbre dominicain Albeit le Grand, maître
de saint Thomas d'Aquin : ce fut au xiv" siècle la ville
d'élection des Mysticjues.
Par sa situation sur le bas Rliin, au confluent de trois
civilisations, Cologne était prédestinée a servir d'intermé-
diaire entre l'Allemagne, la France et les Pays-Bas : elle
propagea tour à tour en Allemagne l'architecture gothique
française et la peinture llamande.
r z
[J:S PHIiMITIFS AM.KMANDS. 43
A la lin du \iv' sirclc, il scmljlf (juc riiilluciicc sieiiiioist'
ait élt' ti'ansinist' aux peintres rlw'tians parles drux j^iands
centres de ciNilisalion de e<'lte «'pcxjut' : Praf^uc, la \ill('
impériale, et Avignon, la cité papale : elle s'avère dans le
retable des Clarisses {Clavenaltai'). peint vers l.'WO, qui
sert aujourd'hui de maître-autel à la cathédrale. Ce polyp-
tyque, qu'une restauration récente a déharrassé des repeints
qui le défig^uraient, est une œuvre imposante divisée en
petits panneaux par des arcatures dorées. Toutes les pein-
tures ne sont pas de même valeur; mais les scènes <le
l'enfance du Christ, traitées dans le style de la miniature,
ont une délicieuse fraîcheur d'idylle. C'est ici qu'apparaît pour
la première fois ce type de Vierge hlonde au gi'and front
bombé, aux yeux baissés, à la bouche mignonne qui s'impo-
sera à la peinture colonaise pendant plus il'un demi-siècle.
La manière du peintre des Clarisses se retrouve dans les
deux œuvres les plus populaires que l'Ecole de Cologne ait
produites avant le Domb'dd: la Madone à la fleur des pois
du musée Wallraf, dont on a récemment contesté, sans
raisons valables, l'authenticité et la Sainte Véronique de la
Pinacothèque de Munich. Toute la féminine tendresse du
mysticisme colonais est quintessenciée dans cette moniale
pâle qui, inclinant son douloureux visage, présente le ling-e
miraculeux sur lequel s'est imprimée la Sainte Face. Suso
aurait aimé cette vierg-e « blanche, toute en àme, qui se
découpe ainsi qu'une vision céleste sur un fond dor ».
Comment s'appelait l'auteur de ces œuvres exquises? Nous
savons qu'après l'insurrection victorieuse des tisserands.
U LES PHLMITIFS ALLEMANDS.
en 137(1. iiii certain Magister \Vi//ieImus fut eliai'gé \n\Y le
Conseil de iicindre la niiiiialure de présentation du nouveau
Livre de sei'uient. Dautre part, le chroniqucuf de Liinhourg-
nous apprend qu'il y avait ;i Cologne vers 1380 un jteintre
noniiné Willielm qui était réputé <( le meilleur en pays
allemands.)) {der leste mêler in DuseJien landen). Il est
bien tentant d'attrihuer à ce maître Willielm de Herle \ au-
tel des C/nrisses^ ta Madone à fa fleur des pois et la
Sainte Véronitjue. Ccprndanl M. Firmenicli-Ricliartz s'est
elî'orcé de démontrer, contrairement à l'opinion courante,
que celte gloire appartient en réalité à son successeur,
Hermann Wynricli de Wes(d.
Un hasard heureux nous a jx-rmis d ideiililier le plus
grand maître de l'Ecole de Cologne au xv'' siècle. Dans son
Jour/ail de voyage aux Pays-Bas, Albert Dîirer note qu'il
se lit ouvrir pour deux liards. dans la chapelle de rhé)tel de
ville de Cologne, le tripty({ue de maître Stephan. Il s'agit
du célèbre triptyque des Rois Mages, aujourd hui conservé
à la cathédrale. Cette indication sommaire a permis de
reconstituer la biographie de laitisle. Les documents
d'archives nous ont appris que ce maître Stephan s'appelait
Lochner, qu'il était originaire de Meersburg sur le lac de
Constance et qu'il émigra vers 1430 à Cologne où il mourut
en 14ol. Ce n'est donc pas un autochtone. Mais il s'adapta
à son nouveau milieu et il réussit si heureusement à com-
biner son réalisme souabe avec le mysticisme du maître de
Sainte Véronique qu'il nous apparaît aujourd'hui comme
le représentant par excellence de l'Ecole de Cologne.
Cli.-lir Si:-hiiii,lt.
MAITRE DU RETABLE TU CHER. — SAINT AUGUSTIN
ET SAINTE MONIQUE (VerS 1450).
(Nuremberg, Église Notre-Dame.)
LES PRIMITIFS ALLEMANDS- ^*'î
Les œuvres qu'on peut lui altiibuor avec ceililude sont
en petit nombre. La plus ancienne est sans doute le Jufje-
ment dernier Hm musée de Colog-ne, panneau central d'un
retable dont les volets appartiennent aux musées de Municli
et de Francfort. Au-dessous du Christ trônant sur un double
arc-en-ciel entre la Vierge et saint Jean, la séparation des
bons et des méchants est détaillée avec une verve réa-
liste qui fait songer aux diableries ilamandes. Des diables
g-rifïus entraînent en enfer, malgré leur résistance déses-
pérée, les gloutons et les luxurieux, tandis que saint Pierre
reçoit à la porte du Paradis, aux sons d'une musique
céleste, la longue théorie des bienheureux.
L'idéalisme colonais s'affirme davantage dans deux
tableaux consacrés à la Madone. La vision mystique de
Y Hortus conciusus fleuri de lys et de roses pâles, où la
Vierge trône au milieu de sa cour d'anges musiciens, a
été rarement rendue avec plus de charme que dans la
Madone au buisson de /'oses du musée Wallraf-Richartz.
La grande Madone à la violette du Musée archiépiscopal
rappelle la Véronique de Munich. Drapée dans les plis d'un
manteau rouge, elle porte assis sur son bras droit l'Enfant
nu; de la main gauche, elle tient d'un geste un peu mièvre
une violette, symbole d'humilité. A ses pieds se blottit une
minuscule donatrice.
La Présentation au temple du musée de Darmstadt est
le seul tableau daté de l'artiste; il est de 1447 et appar-
tient par conséquent aux dernières années de sa vie. Le
grand-prètre Siméon pose l'Enfant nu sur l'autel sur-
48 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
montt^ dune magnifique châsse d'orfèvrerie. Tandis que la
Vierge, en manteau bleu. ollVe à genoux les deux colombes
du sacrifice, Joseph tire en rechignant son obole de son
escarcelle. Au premier plan, des enfants de chœur, alignés
par rang de taille, tiennent des cierges allumes en l'hon-
neur de la fête de la Chandeleur; des feuilles de houx
jonchent le pavement (1).
Le chef-d'd'uvre de Stephan Lochner. le célèbre Dom-
b'ild ou triptyque de la cathédrale, a été peint probablement
vers 1440. quelques années après le polyptyque des
frères van Eyck. Commandé par le Conseil pour la
chapelle nuinici})ale. il est dédié aux patrons de la cité.
Au centre, les trois Rois Mages adorent la Vierge et l'En-
fant : à droite et à gauche s'avancent à la tète d'un
brillant cortège saint Géréon et sainte Urside. Ainsi tout
converge vers la Madone. L'ensemble est admirablement
équilibré; contrairement à l'usage, au lieu de grouper les
trois rois du même C(jté, le peintre a agenouillé symé-
ln"(|ii('men( un Mage de cliaque côté de la Vierge.
Si l'on compare le Doinbild à la Sainte- Véro?ii(]ue. on
s'aperçoit immédiatement du changement profond qui
s'est accompli entre 1420 et 1440 dans l'esthétique colo-
naise. Les proportions des figures ne sont plus les mêmes ;
(1) Une ri'pliijuc tle ce tableau avec quelques variantes intéressantes se
trouve dans la collection de M. Jean Dollfus, à Paris : c"est un triptyque,
admirablement conservé, qui représente au centre la Présentation au
tenqjle, sur les volets l'Adoration des Mages et le Triomphe du Christ et de
la Vierge : il a été repi'oduit dans la revue Les Arts (1904). Les critiques
allemands rattril)U(.'nt sans raisons jM'obanlesau Maître de la l'arenté de la
Vierge.
Cliché Sla'dtiier
MAITRE DU RETABLE P E R I N (i S IM) R F I ER . — VISION MYSTIQUE
£IE SAINT BERNARD (1487).
(NunMiil.KM-,!::. Musée Gerinaniqiu?.)
LKS PRIMITIFS ALLEMANDS. 51
au lieu de formes Irèles, t'inacit'es, pres(|ue iiiiiii.itrrielles,
nous voyons des ligures robustes et trapues, solidement
campées sur leurs jambes. Los saintes ne baissent plus les
yeux comme pour les fermer aux séductions de ce monde :
elles reg"ardent bien en face, avec un sourire malicieux et
des mines coquettes.
Contrairement aux bumbles |)réceptes des mysli({ues,
tous les personnages sont babilles somptueusement. Les
Mages font cbatover leurs robes de brocart, fourrées
dbermine. Derrière saint Géréon qui s'avance fièrement,
le poing- sur la banrbe, brandissant de sa main gantée
de fer Tétendard de la légion, marche une troupe de
jeunes bellâtres, couronnés de « cbapeaux de Heurs ». Des •
compagnes délurées de sainte Ursule on serait tenté de
dire ce que Ruskin insinuait delà Vierge dorée d'Amiens : ce
sont des « soubrettes » colonaises. Prud'hommes dévots,
galants et jouvencelles délilent en habits de fête. Dans ce
magnifique spectacle, aucune mysticité : c'est la glorification
de la bourgeoisie colonaise à l'apogée de sa richesse.
Bien que le Doml)ild soit postérieur de plusieurs années
au retable de l'Agneau, on n'y trouve aucune indication de
paysage et de plans : les figures pressées se découpent en
silhouette sur un fond d'or. Mais si cette œuvre archaïque
n'est pas de celles (|ui mar(juent un progrès dans Ihistoire
de la peinture, elle justifie son grand renom par l'éclat d'un
coloris (jui s'ordonne harmonieusement autoui- du bleu
lumineux du manteau de la Vierge.
L'Aîino/iciafiofi peinte sur les volets extérieurs de ce
52 LES PRIMITIFS ALLEMANDS-
triptyque est dune rare beauté. A genoux sur son prie-
dieu, la Vierge se retourne avec un mouvement de grâce
timide vers l'ange aux ailes frémissantes qui porte sur son
aube blanclie une magnifique dalmatique d'un brun rouge
et tient à la main un parcliemin d"où pend un sceau avec
la formule de salutation: Ave gratia pfena (1). Ces deux
figures monuuKMitales se détachent sur un rideau de bro-
cart d'or.
On peut dire (jue le Donibild mar(|ue à la fois l'apogée
et le terme de l'École de Cologne. Les successeurs de
Stephan Lochner, vont se foi-mer dans les ateliers de
Bi'uges et de Louvain : en même temps, les Pays-Bas
exportent en Allemagne des artistes et des œuvres d'art.
\J homme aux œillets de Jan van Eyck sert de modèle au
Maiti-e de la Parenté de la Vierge. En 1438 un chanoine
de Cologne, Ileinrich \\ erl. connnande au maître de Fié-
malle le petit autel portatif du iiuisée du Pjado. Rogier
van der Weyden. (jui s'arrête à Cologne en 1431 à son
retour d'Italie, peint pour l'église Sainte-Colombe le célèbre
triptyque de YAdoration des Mages (Pinacothèque de
Munich) (jui a fasciné et hanté presque tous les Primitifs
allemands du xv*' siècle. Bref, à partir de 1440 environ,
la frontière s'elface : lAllemagne rh(''nane n'est })lus (ju'une
province tributaire de l'Ecole des Pays-Bas.
Le premier de ces maîtres « llamingants » de la seconde
moitié du xv'' siècle est le Maître de la Vie de la Vierge
(1) L"Ange annonciateur appoi'lant un parclioniin scellé en bonne et due
l'ni'iiie est très fréquent dans l'iconographie allemande.
(ilichf Bruckmaiin.
MARTIN SCIIONGAUER. — LA V I E R T. E AU BUISSON DE ROSES (1473)
(Colmar, E2li.se Saint-Martin.)
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. 33
{Meistt'r (les Miirli'/i/»'fj<'n.s), ainsi iioiiiiiu'' d iipirs un (;\cl»'
de sej)l lahlcaiix; <lc la Pinacollirque do Munich |uo\('nanl de
Tégiise Sainic-Ursulc de (lolo^nc Ha (•cifaineuienl connu
Thierry Bouts à Louvain ; mais ses ligures anguleuses sont
moins lleginatiques (|ue c(dles du Primitif hollandais. 11
sait traduire avec une émotion contenue, et j)rofonde,
la douleur muette et d'autant plus poignante <le la Vierg-e
et de saint Jean au {»i('d de la croix. Sa rlsioii de saint.
Bernard est une des œuvres les plus délicates de la
mariolàtrie chrétienne : la Vierge de son sein pressé fait
jaillir quehjues g-outtes de lait sur la face du moine
extasié qui dune main timide caresse les jamhes nues de
l'Enfant: il y a dans cette ceuvre un mélange savoureux
de gaucherie et de délicatesse, d'ascétisme et de sensualité.
Il suffit de conq)arer le 3Iaître de la Vie de la Vierge au
Maître de la Passion de Lyversberg, avec lequel on lui
faisait jadis l'injure de le confondre, pour voir comhien il
s'élève au-dessus de lui parle sentiment et le métier.
l^eMaitre de la Glorifieation de la Vierge {Meister der
Verherrliehung Maria) est un peintre plus fruste. Avec
lui, l'Ecole de Cologne s'éloigne de plus en plus du mysti-
cisme : les saints, malg'ré leurs nindîes traditionnels, ne
sont plus (jue des rustres endimanchés. Le Maître de la
Parenté de la Vierge (Meister der lieiligen Sippe), que la
plupart des critiques français haptisent ta tort Maître de la
Sainte Famille, doit son nom à un tahleau du musée de
Cologne qui représente sainte Anne et ses trois filles avec
leur nomhreuse lignée. Ce thème du Sippenaltar, qui
^6 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
s'accordait avec le goût de la bourgeoisie du xv'^ siècle pour
les généalogies compliquées est Tun de ceux qui reviennent
le plus souvent dans la peinture et la sculpture allemandes.
Avec le Maître de Saint-Séverin dont la personnalité
domine l'École de Cologne à la fin du xv*^ siècle, d'autres
influences se font jour. Ce n'est plus Rog-ier van der
Weyden, mais Quentin Matsys qui donne la note. Cepen-
dant le Maître de Saint-Séverin n'estpasun simple épig'one.
Sa protestation contre l'idéalisme édulcoré des Colonais
n"a rien de banal. Dans son tableau de V Adoration des
Mages du musée de Cologne comme dans le cycle de la
lég-ende de sainte Ursule, il afficlie un parti pris de laideur
expressive : il nous présente des bourgeois maigres et
osseux, avec des yeux caves et cernés, de longs nez
cartilag'ineux, des mentons en galoclie, un teint rouge-
bi'ique. Ces grotesques sont affublés, pour comble de ridi-
cule, de vêtements somptueux de brocart et de damas, de
couronnes et de sceptres. Mais ces mascarades de Carnaval
ne manquent pas de saveur : les physionomies vieillotes et
fripées de ces fanloclies ont une rare intensité d'expres-
sion et leurs oripeaux sont peints dans une gamme cha-
toyante qui ne dégénère jamais en bariolage.
Le Maître du retable de saint-Barthélémy (Meister
des Bartlioloini'iusaltars) appartient déjà par la date,
sinon par le style, au commencement du xvi'' siècle.
11 était d'origine souabe comme Stephan Lochner et se
forma à l'école de Martin Schongauei'. 11 fut chargé de
peindre vers 1.500 pour la Chartreuse de Colog-ne les deux
Clirli,:- Slil'.lIll.T.
JI A IT R E DU LIVRE DE RAISON. — LES A >I 0 U R E U X .
(Gravure sur cuivre).
LES I»|{IMITIFS ALLEMANDS. ^9
retables de la Croix cL de saint-Thotnas qui sont aujoiii-
d'huiau musëc Wallraf Richartz. Son retable de saint Bar-
Me7e//iy (Pinacotlir(jii«' do Munich). (|ui oiTiail jadis l'ég-lise
Sainte-Colombe de Cologne, est une longue Irise de saints,
mag'nifiquement costumés, qui se détaclient comme les lig^u-
res d'un bas-relief sur une tenture de brocart rouge et or.
Mais son chef-d'œuvre incontesté est la Déposition de
croix du musée du Louvre et, en attendant qu'on réus-
sisse à l'identilier. le nom (jui lui convient le mieux est
celui de Maître de la Déposition de Croix. Ce tableau
dont les volets sont perdus a certainement été peint pour
une confrérie d'Antonites ; car la bordure peinte de style
gothique lleuri porte le tau et la clochette de saint Antoine.
Comme la célèbre Descente de croix de Rogier van der
Weyden, il présente une forme cruciale. Nicodème monté
sur une échelle tient à bras-le-corps le cadavre décloué du
Christ qui occupe le centre de la composition. De chaque
côté de la croix sont groupés trois personnages : à gaudie
saint Jean en robe rouge soutient la Vierge évanouie ; à
droite Joseph d'Arimathie vêtu d'un manteau à ramages
remet à une Sainte Femme la couronne d'épines tandis
que Madeleine à genoux caresse la jambe du Sauveur.
L'ensemble a un relief quasi sculptural ; mais le style n'a
pas la gravité qui convient à cette scène douloureuse ; on
souhaiterait plus de simplicité et d'émotion. Les g-estes
sont menus et coquets, les expressions affectées. La
Madeleine qui se dégante pour toucher la jamjje du Crucifié
est une g'ente commère qui minaude. Cette préciosité
t'>t> LES PRIMITIFS ALLEMAiNDS.
s'exagère encore dans la petite Descente de croix de la
collection Eilward Wood.
Ce mëlangt" de trivialité et de mièvrerie est un héritag-e
du XV'' siècle : mais ce qui assure une place à part au Maître
de la Descente de Croix, c'est la mag-nificence de son colo-
ris : les chairs d'un ton chaud, les vêtements modele's avec
des ombres g'iacées de hrun sur un fond d'or sont d'un
éclat prestigieux. Les tons qui se rejoignent par des gra-
dations délicates se fondent dans une tonalité générale
ambrée. Etalées par couches minces et lisses, les couleurs
ont l'éclat précieux d'un indestructible émail.
Au \yf siècle, ce sont les romanistes de l'École d'An-
vers, Scorel et Heemskerk, qui après Quentin Matsys
et Rogier vont exercer une influence prépondérante et
d'ailleurs néfaste sur l'Ecole de Colog'ne à laquelle ils
inoculent le maniérisme italien. L'initiateur de cette der-
nière phase est le peintre anversois Joos van Cleef que
Waagen avait baptisé provisoirement Maître de la mort
de Marie (Meister vom Tode Maria). Ce maître, qui a
longtemps vécu en Italie, n'appartient pas à l'École alle-
mande : mais ses deux tripty(|ues de la Mort de la
Vierge, peints vers 15I.j pour une famille patricienne de
Cologne d'oi'igine flamande, les Hackeney, ont exercé une
grande inlluence sur le dernier représentant de l'École
colonaise, Barthélémy lii'uvn ( I493-ioo7), (jui mérite de
survivre connue |»ortrailiste ( l ). Les honnêtes bourgmestres
(1) Sl'S tableaux religieux de la cathédrale d'Essen et du Dùiue de Xan-
ten ne sont que de froides contrel'açons des luaniérisles italiens.
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. «1
au visage placide (|iril a i-('|»i'('sciil»'s dans le cosliuiic de
leur charge avec la rolic iiii-|iarli(' rouge el noire el la
barrette sont de vivantes elligies de la bourgeoisie colo-
naise qui peuvent l'ivaliser paidois axcc les nieilleuis por-
traits d'Arnberger et nit'uie (l'Holbt'in.
Pendant bmgtenips, cette Ecole de Cologne a »■!('■ con-
sidérée connue bi Heur supi'tMue d<' l'art allemand du
xv' siècle. A niesuie (|u'on connaît mieux les œuvres
des Écoles franconienne, souabe et tyrolienne, la primauté
de cette École trop vantée par les romanti(jues parait
moins justifiée. Le terme même d'Ecole de Cologne est
sujet à discussion : car l\ }»artir de li'-'A) (die jierd toute
autonomie. En outre, j»res(jue tous les peintres (|ui font sa
gloire sont d'origine étrangère : Stepban Locbner el le
Maître de la Descente de croix du Louvre sont des Souabes
immigrés; l'origine hollandaise du Maître de Saint-Séve-
rin et de Barthel Bruyn est plus (pie pi(d)able.
Ce qui est vrai, c'est qu'une certaine ambiance r(digieuse
a créé à Cologne une tradition de tendresse mystique ({ui
s'est imposée avec force à la plupart de ces étrangers.
A l'exemple de la Rome papale (|ui fut également stérile en
grands artistes, la « Rome du nord » a exercé une puissante
attraction sur les peintres du dehors et les a modelés à son
image.
Mais si l'on compare sans j)arti pris les Primitifs colo-
nais à leurs contemporains, de graves restrictions s im-
posent : ils n'ont ni l'énergie âpre ni la puissance drama-
tique des Franconiens; ils manquent de virilité et d'accent;
6-2 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
leur lyrisme suave confine à la fadeur. D'autre part, ils
sont loin d'ég'aler les Souabes au point de vue de l'obser-
vation de la réalité, du sens de l'espace et de l'atmosphère.
Traditionnalistes par essence, ils s'attardent aux fonds
dore's et gaufre's jusqu'en plein xm'" siècle, alors qu'en
Flandre et en Souabe, le paysage avait fait depuis long-
temps son apparition. Ce n'est pas dans cette Ecole retar-
dataire, mais dans 1" Allemagne du Sud que nous allons
voir s'élaborer les progrès décisifs.
Jll. — Les Ecoles de l'Allemagne du Sud.
La peinture allemande s'est montrée beaucoup plus oi'i-
ginale et beaucoup plus féconde dans l'Allemagne du Sud
(jue dans l'Allemagne du Nord. Tandis que les Ecoles de
Hambourg, de Soest et de Cologne se laissent asservir par
l'École des Pays-Bas et restent obstinément fidèles aux pro-
cédés archaïques d"enlumi]uire,les peintres de Nuremberg,
de Bàle. d'Augsbourg se posent les problèmes essentiels
([ue résoudra la Renaissance. Ils observent attentivement
la nature, remplacent les fonds d'or par des paysages,
s'efforcent de suggérer le relief par le modelé, la profon-
deur par des artifices de perspective; ils sont plus sensibles
aux effets de lumière et de clair-obscur. Aussi est-ce à l'Alle-
magne du Sud ({n'appartiennent les plus grands maîtres
connus ou anonymes du xv'' siècle, le maître du retable
Tucher et celui du retable Peringsdcirfîer, Conrad ^Vitz et
Hans Multscher, Martin Schongauer et Michael Fâcher,
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. ^'>-i
ainsi ([lie l;i liloricusc Iriintt'' arlisti((iH' de Diircr. (li'iiiic-
wald. Il(»ll)('iii. (iiii. au dt'ltul du \vi'' sirclc, iiiaf(|U(' Tapog-ée
do l'art allcniaud.
Nous distini^uorons dans colle réiiion Iros uiorooléo on
les contres d'art pullulent, tjuatre Kcolos prinoipalos :
l'École franconienne, qui est oonoentroe à Nurendjorg ;
l'École du Haut-Rhin : l'École souahe et l'Ecole alpeslie
ou Ivi'olioinio.
1. L'Eco/c de yKi-ombrvfj. — Par son caiaclèic ('iier-
giquo et dramatique. 1 art l'ranconien s'oppose nellenieni à
l'art féminin de Cologne. Ces divergences qui s'ox])li(|uent
par le leniporamont dos deux l'acos, sont accentuées par
des circonstances historiques : hi peinture à Nurondjerg
e'chappe à l'influence émoHient*- du mysticisme ; elle suhit
fatalement la contamination de la sculpture sur hois avec
laquelle elle est intimement associée (hnis h's l'otahlos.
Los documents d'archives nous ont ré^(''lé le nom d un
])eiidre de Nureud>erg-, Sebald WeinschriUoi', (|ui lui em-
ployé on Bohème par l'onqtereur Charles W . 11 n'est donc
pas surprenant que les premiers monuments de hi pointure
nurembergeoise : les fresques do la légende de sainte Ursule
découvertes sous le hadigeon dans la chapelle Saint-Mau-
rice, l'ollètont l'influence de l'Ecole do Prague.
La Madone du célèj)re retable Itnhof (|ui a été peint
entre 1418 et 1421 dérive aussi de l'art Ijoliénnen. Ce
retable, offert par Coin-ad Indiof à l'église Saint-Laurent,
illustre la première phase de cette École tardive. 11
64 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
représente sur un fond dor le (llin'st couronnant la
Vierge entre deux apùtres. La Vierge en robe et manleau
bleus incline liumblenient sa tète gracieuse, recouverte
d'un voile blanc à franges, pour recevoir la couronne que
lui impose avec une gravité sacerdotale le Cbrist roi. Les
têtes, qui se présentent de trois quarts, ont une certaine
vigueur plasli(jue : mais les corps sont très g'auchemeid
dessinés : l'ignorance de lanaloniie est extrême. Les dra-
peries gothiques aux longs plis ne servent qu"à dissimuler
des formes inorganiques. Le coloris est sans éclat et sans
tiansparence. C est au même maître ( Berchlold Landauer?)
qu'appartient une ceuvre un ])eu plus archaïque qui pro
vient de léslise des Dominicains de Nui'emberff : le retable
Dciehsler <\v\ musée de lierlin.
Une des œuvres capitales de cette époque est le rebibJe
de Bamberg au Musée national bavarois de Munich. Il
est daté de \V1\) et représenle sur un fond dor le Por-
tement de ci-oix, la Crucilixion et la Descente de croix.
A^'ant les visions terribles de (rriinewald, jamais lart sep-
tentrional n"a plus éloquemment exprimé la tragédie de la
Passion. Le l'etable de Bamberg' marque un progrès sur
le retable Imhof : le modelé est plus énergique, le coloris
plus éclatant et plus limpide. Les scènes sont traitées lar-
gement dans le style de la fresque et supposent la con-
naissance des fresques de la Ilaute-llalie. Jl ne faul pas
oublier que Nuremberg entretenait déjà des relations
commei'ciales avec Venise : ses marchands aflluaient au
Fondaco dei Tedesclii. Les peintres franconiens se détour-
ATTlUbLK AU MAITKK H l LIVRE l) K IIAISON.
(Vers 149U.)
(Gotlia, Musée gfancl-ducal.)
Cliché Stœfltnci'
LES AMANTS.
LKS PUIMITIFS ALLEMANDS. <)7
nt'iil c'ilocs i\{' I*rai:ii(' riiiiK'f par la guerre <les Ihissiles |»(nir
se iiiellre h IvciAc Acs X't'iiil iciis.
Le rrldhh' llallcr de r(''i;lise Saiiil-Seha M jalf ililie lllie
seconde t'Iaite. ('-elle (eii\ l'e d liii i'(''alisiiie hriilal t'NfXiue
le (Jii'isl en croix eiiLre la ^ iei'tie el saiiil Jean: lin-
llueiice des bas-r(di(d's en Ixiis jx'inl y apparaît axcc ('■\-i-
deiice. On est d'abord cho(jU('' par nn j)arli jiris de lourdeur
et de laideur : le Christ trapu, à la large poitrine bombée,
man(jue de nojjlesse: saint .leaii est un rustre dniil les
gTands j)ieds ont I aii' (Mdlt's au sol. Mais les coideui's, où
dominent un rouge et un bleu prol<tnds. sont d une inten-
sité el d'un t'clal incomparables : (dies si'idèvent sur un
fond d or gaufre, semé de lourdes arabesques.
Le même fond d'oi' estampé se retrouve dans le relahlc
Tucher. l'oMivi'e la plus puissanti' (|u"ait j)i'oduit<' 1 <'Cole de
Nuremberg avant Diirer. Ce grand retable, peint vers 1451)
pour l'église des Cbarti'eux, orne aujouidbui l'église Notre-
Dame. Il se divise en trois scènes cjui r(''sunient toute riiis-
toire de la Ué(b'mption : l'Annonciation, la Crucilixion el
la Résurrection. La Vierge assise devant un livre ouvert
se retourne étonut'e vers l'ange en robe blarndu' dont les
grandes ailes érigées sont nuancées de vert. Dans la scène
de la Crucifixion, elle regarde a\ec une expression de dé-
tresse infinie le Cdn'ist en ci'oix qui laisse retomber lourde-
ment sa tête sur sa })oilrine décbarnée. La Résurrection
est traitée suivant le scbème traditioniud : le Christ en
manteau pourpre surgit du londjeau, la main droite levée,
la seneslre brandissant liMendaid de victoire: il a encore
tî-S LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
un pied dans le sarcophage. Lun des veilleurs endormis
seveille et met sa main devant ses yeux pour les proléger
contre léclat aveuglant de l'apparition. Les analogies avec
le retable Haller sont fi'a]ij)antes ; mais tout d<'nonce une plus
grande noblesse d'expi'ession, un art plus spiritualisé.
La face intérieure des volets est consacrée aux colloques
des saints que les Chartreux se proposaient pour modèles.
Saint Augustin, en onicmcnls <'|>iscopaux. se tourne un livre
à la main ^ers sa mère .Moni(jue (jui l'écoute les mains
jointes; au-dessus d'eux, un ange aux aih'S éployées,
peint très gauchement en raccouiri, déroule une banderole
avec cette inscription : Colloquebantur soli vade dulciter.
En regard, c est la \ isitc de saint Antoine à saint Paul ermite
dans le dé'scrt df la Tht'banh'; les deux anachorètes, dont
les proportions sont si ('coiirlf'cs (|u"on les jtrcndrait jtour
des gnomes barbus, causent sans doute dej)uis buiglemps :
carie cochon de saint Antoine à IjouI de patience tire son
maître par le pan de son manteau.
Les volets fermés, on aperçoit au ccnlre l'Assonijjtion de
la Vierge et la \ision de saint Augustin. Les admirables
figures latérab'S de saint Vit et de saint Léonai'd donnent
à supposer que ce retable fut consacré en temps de
siège et de peste : saint Vit avait la r»'j)utation de ]»ro-
téger contre la peste et saint Léonard était le patron des
prisonniers ( 1 ).
(1) D'après M. GeblianU. ([ui a consacré à ce chef-d'ieuvrc une étude
approfondie, il faudrait y reconnaître la main de deux maîtres différents :
car malgré une certaine unité apparente, les proportions des figures sont
très différentes sur les volets extérieurs et intérieurs. L'un de ces maîtres
[.KS l'IilMITIFS AIJJvMANDS. fiO
.liis(|ir;il(ii"s. les pciiil rcs (le NiiitiiiIm'Ii: ;i\ .iiciil ('It' clici-
clicr Iciii's iiiodMcs ;i l'rni^iK' cl à NCiiisc. A piii'lir de I i'iO.
riiilliicncc (les l'iiiiiiamls cl de Mari iii Sclidimaiicr rciii|dac('
1 inlliit'iici' \(''iiil iniiic. Ia\ iik^'iiic Iciiijts larl aiMsl (icial i(|iic
t'L moiiLuncnlal du rdaldc linlud' cl du rclaltic 'lUclici-
s'embourgeoise dans ralclicc des IMevilciiw iirll Cl de \\(d-
gemut.
Le yei'italjle iiiliodlicletir de la lcrliiii(jue llaiiiaiide en
Franeonie fui Ilaiis IMeydenwiirll' : c esl lui (|ui le pre-
mier rompt avee la Iradilion locale. Il s'inspire surlout <lc
Rogier van der Weyden qui avait plus (ralfinih's (|ue .lan
van Eyck avec le génie plasti([ue et dramatique de Xiii-em-
berg\ Sa re'putation dut s'étendre très loin: car on Irouve
des retables de lui à Breslau et jus([u <'n (iralicie. Ses
œuvres les plus conmies sont les deux Crffci/ixio/is de
Municb et de Nurend)erg. On lui allribue en oulic au Musi'c
Germanique le pelil portrail du (dianoinc Sclu'trdxuii (|ui
est sans doute le premier (diel-d œuvre du genre iconitjuc
à Nuremberg. Ce vieillard au visage fripé qui tieni un livre
à la main et qui tout d'un coup s'arrête, les lèvres enlrOu-
vertes, comme aux écoutes, donne rimpression de la \ ie
même, surprise par un artiste d('jà babile à noter les gestes
instantanés. L'exécution (|ui n a rien de sèclienienl linésiirc
surprend par sa délicatesse raffinée.
Il a été long-temps de mode de comparer Miclud W
oli^c-
serait le peintir aiionyiuu du retable Ualler et l'autre un eertaiu Ilaiis l'euil
auquel M. Gcbhardt attribue deux (euvres capitales de la peinture nurem-
bergeoise entre 1440 et 1450 : VÉ///tap/i/' d'Ehenlielm à Féglise Saint-Lau-
rent et la Vierge de iniséi'icurde du couvent des Cistereiens d'Ucil^lunnn.
70 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
iiiul, maître de Ditrer, à Peruiiin. maître de Raphaël (1 ) :
c'est faire beaucoup hop d liomieur à cet artisan médiocre,
incapaldr d inxcnliou cl d t'iuolioii. jiour (|ui la peinlui'e
n'est qu'une industrie. 11 avait, s(don une coutume très
répandue dans les guildes de peintres, épousé en 1472 la
veuve et la clientèle de son maili'c Plevdenwurft'. Pendant
plus de (|uai'ante ans, il se trouva <à la t(''t<' de l'atelier le
})lus aidialandé' de Nuremberti'. C'est lui (jui uujuopolisait
les counuandes des riclu's bouriicois, des corporations d
des chapitres de couvents. Y('rilabl(' entrepreneur de re-
tables, il se chargeait d'exécuter au pins juste prix tous les
travaux de peinture, de sculpture et d' <i estoliaige » de
statues : pour servir plus rapidement sa clientèle, il répar-
tissait la besogne entre de nombreux ap})renlis.
11 s'en faut (jue tous les retables ('X('cut('s dans son attdicr
soient de sa uuiin. Les œu^'res où il a mis le plus de
lui-même son! le retable de la Trinité de llof ( iili.")) (|ui
se trouve aujourd hni à la Pinacothè(jue de Muni(di et le
uuiilre-aut(d de Notre- Da/ne de Ziriehau ( 1479). Oiiant au
retable de Sidnrulxudi (l-")07). (jui ap])arlient \\ la lin de sa
vie, c'est en majeure [)ai'tie une annre d at(dier dont il s'est
(1) l'endant dus siècles, Miclirl WulgeimiL a passé, sous pi'ùtuxtr cju'il
avait été le maître de Durer, jiour le principal et presciuo Tunique repré-
sentant de la vieille Ecole de IS'uremberg. Sa gloire éclipsait celle de tous
ses contemporains ; on lui attribuait sans hésitation toutes les œuvres de
valeur qui se placent entre 1450 et ioOO : le reste était mis au compte de
son atelier. C'est le mérite de M. Tliode d'avoir coupé court à cette légende.
Son livre, qui a paru en 18(11, péchait par des identifications hasardeuses
que la critique n'a pas ratifiées ; mais ses conclusions subsistent dans les
grandes lignes et c'est grâce à ce travail fondamental que nous pouvons
reconstituer l'évolulion de l'Ecole de Nuremi.ierg avant Diirer.
T.KS IMII.M n IFS ALI.K-M ANDS. 71
coiili'iiU' (le siiiM'ilIcr rcxi'culioii cl tldiii il ;i coiili"' l''S
sculptures à Xch Sloss. On y clicrclic \ aiiiciiicril un iicccri!
de sin(.'('ril(' ou d'cMnolion iicrsdiincllf. De nonihrciix dé-
tails soid enipruuh'sà Mans PIcNdcnw urll" on à Scdioniiaucr.
Partout le même schéma, les mêmes liiiures ine.vpressives
etsausàme, le même hai'iolaiie otfeusanl. Les volets peinls
simulent des bas-reliids en hois colorié. Jjcs formes an.<:u-
leuses, les draperies cassantes ont tous les caracléres du
Schnitîslij/.
Aussi est-il impossible. mali:i'(' le témoig'nage formel de
riiistoriograplie Neudr)rfer. d'attribuer à \Yolgemut lanlel
que Sebald Peringsdru'lfei- commanda en I i87 })our
l'église des Augusiins. (le i-elable dont les fragments se
trouvent aujourd'hui au Musée (Ternu^ni(|ue com[)ortait
deux paires de volets mobiles : huit panneaux étaient con-
sacrés à la légende de saint \\\. tandis quii rinli-ricur des
volets, à la place privilégiée, se déroulaient quatre scènes de
lég^ende d'un charme exquis . saint Luc peignant la Vierge,
saint Sébastien percé de flèches, saint Christophe passant
le gué avec Jésus sur ses ('|(aulcs, et eidin la vision
mystique de saint Bernard de (ïlairvaux ((ui \(»il le Chi'isl
se détacher de sa croix et le reçoit extasié dans ses bras.
La nature des scènes représentées sur le retable Perings-
dorjfer a fait supposer que c'était un Pestaltav dédii' en
souvenir de la peste (jui désola Nuremberg- en 1484. Saint
Vit et saint Sébastien (jui écarte les llèches d<' l'é-pidiMuie
sont des saints « antipesteux » : on invO({uait saint ("Jn-is-
toplie contre la maie mort.
"2 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
Lt's }»anneaux sont de valt'ur In's iiu'iialc : il esl é\id('nt
par exemple (pio la leiiendo de saint Vit a été peinte par nn
apprenti encore noxice dont les initiales R. F. peuvent se
rapporter à Rneland Friieauf. Mais le Saint Luc peitiuant
la Vierge et surtout la ^ ision de saint Bernard sont des
chefs-dœuvre dune i;ràee infiniment tendre, dune riche
vie intérieure, d'un coloris transparent et lumineux. Quel
({u'il soil. l'auteur du rctiihfe P<'rini/s(ldr/l'm\in\ (dre con-
sidéré connue le vé-ritaide pr(''curseur d Albert Diirer (1).
A [tartirde ce moment. I histoire de IKcole de Nuremberg'
se conlbnd a\'ec 1 histoire de Diirer et de son iniluence.
2. L'I'Jco/e (hi Haul-Hhin. — Tandis (jue l'Fcole fran-
conienne est centralisée à Nuremberg. TKcole du llaut-
l{hin s"éj»ar|)ille en ])liisieurs groupements. Les plus impor-
tants S(Uil Mayence. ville t'[iisco])ale, berceau de Timpi'i-
merie ; Francfort, ville nuirchande dont les foires célèbres
attiraient les mai(dian(ls d'estampes; Strasbourg- et Colmar.
Ce qui caract('rise avant tout cette École, c'est le dt've-
loppemenl (|u y [iretnieiit les ai'ts grapln(|ues, la gravure
sur l)ois el sur cuivre. Les trois uuu'tres les plus importants
de ce groupe ont ét(' ])lus graveurs (|in' ])einli'es.
Le plus ancien est le Monogrammiste E. S. de 141)6 que
M. Lfdn\s croit pouvoir localiser à Mayence. Un l'a sur-
(1) iM. Tliodo a siii.,'yi'ri' lu nom de Willieliii IMeyilcnwurIf, fils de Hans,
([ui collabora a\ee son beau-père Wolgeiiuit aux célèbres gravures sur
bols du Scluilzbelialter (Keriii des véritables richesses du salut) et de la
Weltclironik (Glironiiiue universelle). IMus n'cemmentun critique allcaiand,
M. Rauch, a posé la candidalure tfun autre apprenti de l'atelier de Wol-
gi'inul. llaris Traut.
l. U C AS M (j S E R .
Retable di' Tiofenbninn (li31)
LE VOYAGE
DE SAINTE MADELEINE
A MARSEILLE.
LA COMMUNION
DE SAINTE MADELEINE DANS
LA CATII K DR A LE d'a IX .
LKS l'IllM II IFS ALLEMANDS. "îo
iioiiiiiK' If \aii l']\ck (If lii l:im\iii('. I);tiis ions les cas c'est
lui (|tll lail l'aire à la lecliiii(|iie elicol'e nrllllielllail'e i\r la
^raviire sur cui\fe des jiroj^i'ès (li'cisifs. Il es! 1res supé-
rieur à ses devanciers iiiiiiK'dials : le MnUrc des cdrlcs à
Jouer q\ le Mailrc ati.r Ixi ndcntlcs. Il a i^rax»' siiiloiil des
sujets religieux cunune la célèbre Madone du ijè/i'i-iinn/i'
cV Einaiedeln (Notre-Dame-des-Ermites). Son dessin <jin
li'alul l'inllnence des hdaniands, et en j)articnlier de Uoiiier
van der Wevden. est d une expressive i;auclierie.
SiMartinSchongauer(144o-1491) n'est pas, conune on la
dit, le plus grand peintre allemand du w" siècle, il laul re-
connaître que c'est le seul dont la l'i'putaliun ait l'raiicin les
limites de son pavs et dont la gloire soit européenne. Son
père était un orfèxre originaire d'Augsbourg'. Il na(|iiil à
Colmar vers lii.'iet se forma sans doute dans l'atelier d'un
peintre local, Gaspard Isenmann. dont le réalisme carica-
tural s'exprime sans retenue dans un cycle de la Passion
peint en 1462 pour l'église Saint-Martin. Après ses années
d'apprentissage, il descendil cerlainement le llhin jus(ju"îi
Colog'ne et aux Pays-Bas. .Alais il ne l'ut pas. connne le \cul
la tradition. 1 élève direci de Kogier \an dei- WCxden. (|iii
venait de mourir en I i(l4.
Bien que, d'après les témoignages contemporains, sa
production ait été considérable, les peintures qu'on peiil lui
attribueravec certitude sont ti'ès rares. Aucune n'est pourvue
du monogramme 31 + S- Lajdns aullientique est la Madone
au buisson de roses, de l'église Saint-Mailin de (lolniar.
qui est datée de 1473 el appartient par cons(M|uent ;i sa
/6 LES PRIMITIFS ALLEMANDS-
jx'riodc (]<' jeunesse. Ce motif popularisé par la Mysticjue
est essentiellement i'li('naii : la Vierge de Schongauer appar-
tient à la même famille (jue la Mddone aux /-osiers de
Stephan Loclmer. le Jai-dni du Punidis de Francfort et
la Vierge aux fraisiers de Soleure. A'tMue dun manteau
écarlate, elle est assise, les cheveux dénoués, avec l'Enfant
nu dans ses bras, devant une haie de rosiers fleuris dont
les entrelacs se détachent sur un fond dor; an-dessus de
sa tête, deux angelots en rohe hleue suspendent unecoui'orme
enfilig'rane. La construclion du visage disgracieux, les yeux
inexpressifs, les doigts minces et eflih's connue des pattes
de faucheux, les draperies aux cassures raides. tout dénonce
l'influence des Primitifs llamands et notannneid de llogier
van der ^\('vden. Mais tandis (jue Kogier s inspu'e de la
scul[)tui'e de son temps. Schongauei' transpose dans la
peinture les liahitudcs du graveur : les formes sans enve-
loppe sont découpées à Temporte-pièce : les contours angu-
leux et secs semblent burin<'S dans le métal. Cette peinture
surfaite n"<'st au vrai (pi une gra\ ure enluminée.
Le Mus(''<' (h' Berlin lui attribue en outre une petite
Adoration des Be/ujcrs (jui n'est pas sans analogies avec
le fameux triptvque Portinari d'Hugo van der Goes et
(jui vaut surtout par un (diarmani fond de paysage d'un
caractère très allemand. Le Alus(''e de Colmar a recueilli
deux petits Nolels d"aul(d repr(''senlant sur un h)nd d or
iraufré la Vier^-e adorant ri^nfanl et saint Antoine avec un
donateur agenouillé : ces ])anneaux proNiemu'nt du Pi't''-
c<'ptorat des Antoniles d'Jsenheim. pour leipud Mathias
F.KS PHI.MITIFS A JJ.K.M A NDS. '9
Gi'Cnicw ;il(l (l('\ail ('\('ciil('r (Hi('l(|U('s aiiiK'cs [dus lanl un
iiiai;'iiili(|U(' rclahlc. Ilicii île plus insl rucl il (jur de couipai'rr
à ce polvply(|U(' (jui rsl le plus i^iaud ciicr-diruN l'c piclural
(le Tari allemand Icsliuudcs cnhiuiiniircs de S(di(>iiL;aucr.
B(t(d<liii a\ait raison de s"(''cri('i' : « (Mi \ienl à Colniar
pour elierclier Sciioni^auei- cl on lrou\e Griinewald. "
L'œuvre gravt' de Sclioiii^auer est très superieui- à son
œuvre jieini. A vrai dii'e. il ne n'-alisc aucun progrès au |Miinl
de vue le(duu'(juc sur le Alailrc K. S. : mais ses eoni|M)sil ions
sont plus (( lisil)les ». Dans ses premières planelies, son
style n'est pas exempt de maniérisme et d'aircleric. Ses
Apôtres g'raciles ont des allures dansantes el semblenl jouer
coquettement avec leurs allrihuls. La Iragèdie du Golgotha
elle-nu-me, avec le Christ en ci'oix cnlrr la \ lei'ge el saini
Jean, n a pas toute la gra\it(' douloureuse (|ui roux icndrail .
Mais peu à peu son art s"id(''alisc et dans le grand l^orlr-
ment rlr croix, il cr('e un t\pe de ("dnist proloudt''ment
émouvant.
Les llo planches qu'il a laisst'es sont en majorité consa-
crées à des scènes de la Passion. Il a gravé en outre des
dessins d'ornement, des armoiries, des scènes de g'enre et
des diableries fantastiques, connue la Tentation de saint
Antoine enlevé dans les aii's par une horde de démons.
Son influence a été très considérable, non seulement en
Allemagne, mais à l'étranger (1 ). En Italie, les estampes
du <i lîel Martino » étaient célèbres et Michel-Ange, peu
(1) L'Iiumaniste alsacien Wimplieling atteste en loOb que «les tableaux
de Martin Scliun étaient recliorch('s en Italie, en Espagne, en France, en
Angleterre et autres pays du uiunde ».
80 LES PUIMITIFS ALLEMANDS.
susjicci (le p,irlialil('' ])oiir 1 ai't allfiiiaiid. ne drdaiiinait pas
de copier la Tmlalioii fit' soinf Aiito'uie. Dans les Pays-
Bas ses lii'avuit's ('(aient démarquées par des ])laiiiaires sans
scrupule. En xVlleinatine enfin, les jeunes peintres s'em-
pressaient, après leurs années d'apprentissage, de faire le
pèlerinage de Colmar. On retrouve son empreinte à
Cologne chez le Maître de la l)('position de cioix. (|ui exagère
sa tendance à la mièvrerie ; à Augsbourg, dans le style
d'Holhein le Vieux et d'Hans Burgkmair, et enfin à Nurem-
berg", dans l'œuvre de Diirer dont il fui. avec Manlegna,
le maître d'élection.
Touiel'ois on ne saurait considérer connue son disciple
le repD'sentanI le plus gt''nial de la gra^"ure rhénane à
la fin du xv" siècle : l'anonyme (ju On apjxdle Mafirc tlii
Hausbuch. à cause des dessins dont il a illustré le Livre de
raison (h- la famille Goldast (C(dl. du jtrince de Waldhurg-
AVolfegg) ou encore Mailre du (luù'utel d'Amsterdam.
parce que le hasard a voulu qu'une série complète de ses
rarissimes graAures vînt échouer au Cabinet des Estampes
d'Amsterdam. ( )n croil pouvoir le localiser, comme le Maître
E. S., à Mayence où il aurait vécu vers 1480. A la différence
Je Schongauer. il préfère aux sujets religieux les sujets
profanes. Des allégories bizarres et troublantes : un homme
sauvage monté sur une licorne, une feunue nue sur le dos
d'ini ceif, \q jeune homme et la Mort, la courtisane Phyllis
chevaucdiani ti'iomphalement le philosophe Arislole; —
des scènes de genre dune observation familière : un joueur
de cornemuse, un chien qui se gratte, une famille de
CUMIM) WriZ. — SAINTE MA1>ELE1>E ET SAINTE (ATIIKIUNE.
(Musi'e de Strasbouro;.)
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. «3
holK'init'iis en haillons: des j<'iix (ICiiraiils. des rixes
de paysans, des jouxcnccaiix amoureux : Icis soûl, ses
llièiues favoi'is. Il es! bien du xv' siècle par sou ^oùl poul-
ie mièvre, le joli, le coquci : il aime les formes graciles cl
tenues, les doigts effih's. les jaiubes en fuseau qu'allongent
encore des souliers à la poulaiue. Et cependant cfs pclils
tableaux de mœurs soni d'un modernisme aigu. Aucun
autre artiste allemand du xv'' siècle ne possède celte \ ision
impressionniste, ce don de saisir à la volée et de lixei*
d un trait léger les expressions fugitives, les gestes momen-
tanés. Il met au service de son observation et de sa
fantaisie une technique extrêmement légère et nuancée.
On suppose qu'il travaillait à la pointe sèche sur un métal
tendre, plomb ou élain. Ses planches à peine égrat ignées
ne pouvaient donnei' qu'un nombre très restreint d'épreuves
et c'est pourquoi elles sont si rares. Ces gravures à fleur
de métal, prestes et vives comme des croquetons à la
plume, ne se vendaient ]»as dans les foires; elles étaient
réserv'ées à une élite d amateurs délicats.
La qualité de ces planches, où les valeurs sont très tine-
ment indiquées, trahit un métiei' de peintre. Cette hypo-
thèse a été récemment confirmée par la découverte de
quelques tableaux de sa main : un cycle de la Vie de la
Vierge à Mayence, un Calvaire à Fribourg et surtout
l'admirable Pietù du Musée de Dresde. On serait bien tenté
de lui attribuer aussi, tant les analogies avec ses gravures
sont frappantes, les Deux Amants du Musée grand-ducal
de Gotha. Un jeune homme aux boucles blondes, coquette-
84 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
ment vêtu à la iiuidc du jiorlrait de Di'iicr de 1498. enlace
la taille dune jeune fille qui. les paupirres baissées,
considère la parui-e quelle lui a donnée. Au-dessus des
amoureux s'enroule une banderole décorative qui porte
une légende en caractères gotbiques : « Elle ne vous détestait
pas tout à fait, dit la jeune fille, celle qui vous a fait cette
cordidelle. — Elle n"a pas eu ;i s'en repentir, réplique le
jouvenceau; car en écbange n"a-t-(dle pas mon amour?»
Naïf marivaudage qui expi'imc bien le cbarme quin-
tessencié de ce double portrait, le plus gracieux du Quat-
trocento allemand.
3. L Ecole souaùe. — J)es recbei'cbcs rcM-cnlcs ont mis
en lumière le rôle capital j<)U('' par l'Ecole souabe dans le
développement de la peinture allemande du xv'' siècle. La
publication des retables de Tiefenbronn et de Sterzing-, la
découverte du retable d'Hans Multscber. l'enquête de D.
Burckhai'dl sur (^onrad Witz ont entièrement renouveh'
notre concejdion des oi-igines de la peinture allemande.
L'École souabe a eu au xv' siècle plusieurs capitales suc-
cessives : les centres d'art se forment, se déplacent et dispa-
raissent au gré des fluctuations politi(|ues et économiques.
Au commencement du siècle, les conciles de Constance
(1414-1418) et de liàle (1433-1143) pi()vo(|uenl une acti-
vité' artistique très intense dans la S(>ual)e rbénane. —
Puis la construction de la catlu'drale d'Ulm attire des
équipes de scul])teurs dans cette vieille ville danubienne.
— C'est seulement dans le dernier tiers du xv' siècle
Clicb.' H.jfflP
IH A I T II E S 0 U A B E DE 1 4 4 O .
VISITE IiE SAINT ANTOINE A SAINT PAUL ERMITE
(Djnauoscllingeii. Galerie du prince de Fûrstenberg.)
LES PIMMITIFS ALLEMANDS. 87
(iirAimsboui'u. riiricliic |)ar son (•oiiiincrcc a\'t'c \ ciiiso,
et afliiiéc ])ar la Uciiaissaiico italienne, devieiil la iii('lr()|)(il<'
arlisli((iie de la Souahe. Nous aiirdiis donc à ('liidier suc-
cessivement V Ecole de l(( Souahi' r/iriKOte. I /:Vy>A' d 11 m
et V Ecole d'Aiu/sljoyr</.
Les deux princi])aux représentaiils de ce (|u on peut
appeler rart des concih's sont Lucas Moser. de W eil, et
Conrad Witz, de Conslance.
De Lucas Moser. nous ne possédons qu'une seule œuvre
authentique : !<■ Jtetaùle de sainte Madeleine à Tiefen-
bronn., près de Pt'oiziieim. Linscription dolente (jui
accompagne la date de 1431 est célèbre : le peinli-e re^retle
le temps du concile: c'i'Iait le bon temps ])Oui- les artistes :
les commandes ailluaienl. Mais maintenant les arts gre-
lottent : « Crie. art. crie et plains-toi fort : car aujourd'hui
personne ne veut plus de toi ( 1 ) ».
La légende de sainte Madeleine, telle qu elle s'était tor-
mée au moyen àg-e, amalgame les aventures de trois saintes
qui n'ont rien de coinimni : Marie, sœur de Marllie et de
Lazare, Marie-Madeleine et Marie rÉgyptienne. Lucas Moser
a suivi cette tradition. Dans la lunette cintrée du retable, il
inscrit la scène du Repas r/iec Lazare. La table est dressée
sur le gazon devant une Ireille. Marthe, la bonne ménagère,
a retroussé ses jupes pour être plus agile et apporte la cuil-
ler à soupe cependant (jue Madeleine, à genoux sur l'Iierbe,
essuie tendrement avec ses tresses blondes les pieds mis de
(1) Scliri, KunsI, sclii-i und klag dicli sûr
dein brgert ji'tzt niomcn iiièr.
88 LKS PRIMITIFS ALLEMANDS.
Jésus. Saint Pierre ehucluite sraiidalisé. Mais le Christ
indulgent est sourd à ces reproches.
La légende se déroule ensuite sur trois panneaux de
forme allongée, (l'est d "abord le roijage par me)' à Mat-
s< ll/e. Dans une petite l)ar(juc sans rames et sans voiles,
cinq passagers, confiants dans la protection divine, sont
assis autour du màt pavoisé : sainte Madeleine et sainte
Mai-lhe, coitiees dun héguin à mentonnière, causent pai-
siblement avec les trois saints évéques : Lazare, Maximin
et Cedonius. L'eau transparente se ride de petites vague-
lettes aussi régulières que les mailles serrées d'un filet.
A l'horizon (tn aperçoit une anse rocheuse et un petit port.
Il est évident que la ligne d'horizon est placée trop haut
et (jue, pour peindre cette entrée dans le poit de Afai-seille.
lartiste, (jui n';i\;iil jamais vu la mer, s'est inspii'é du lac
de Constance. Mais les eli'ets de lumière sur l'eau verte sont
assez bien observés et ce paysage d'eau est, à sa date, un
an avant le retable des van Evck. une singulière hardiesse.
C Cst la prcunèrc k marine )> (h' l'art allemand.
Les (bi'ux autres panneaux sont d'un égal init'rét. Les
saints (|ui xicnnenl (h' débarquer se sont réfugiés sous un
auvent aux portes de la ville : accablés de fatigue, ils
s'endorment. Le réalisme des attitudes est frappant : l'un
sommeille coiffé de sa mitre, la tète ajipuyée dans sa main :
1 auli'e s'est accrouj)! dans un angle et enfonce IVileusenienI
ses mainsdans ses larges manches : Lazare aj)j)uie sans faron
sa tête tonsurée sur les genoux d<' sa sœur Marthe. Pen-
dant qu<' tous se l'ejxisent ainsi, sainte Madideine a|(pai'aît
i;li,-|i.:- ,1.- 1,1 iilioln-iaphiN-
DANS MULTSCIIKU. — LE PORTEMENT I» E T. R 0 I X il437
(Musée de Berlin.)
LES PHIAiniFS ALLEMANDS. 91
dans la cliaiiiljrc à coiiclifr du palais où doi'iiiciil le roi cl
la l'ciiic cl les soiimic de rcccxoir ces IkMcs im[)re\us.
Entiii. a[)rcs a\()ir l'ail [x'nileiicc jieiidanl de loiiuiies
années dans la Sainle-Baunie, la pécheresse niouiaide,
enveloppée seulement de ses longs clieveux, telle Marid
Egyptica, est ravie par les anges dans la catlicdialc
d'Aix où elle l'ecoit la connnunion d<'S mains de ré\é(juc
Maximin. La perspective compliquée éle eetintérieurdéglise
est pour l'époque dune surprenante audace.
Tous ces panneaux, peints à la <létrempe sur du parchemin
préparé à la craie, ont une fraîcheur de miniatuic (jui
rappelle les Primitifs ombriens : il n'est pas impossible (jue
Moser ait connu Gentile da Fabriano, qui élail le peintre
officiel du pape de Constance, Martin Y. Son art aimable et
souriant est imprégné de quit'tude heureuse et de féminine
douceur.
L'art de Conrad W ilz est inliniment plus robuste el plus
viril. Les recherches de M. Daniid Burckhardt ont jeté la
lunnère sur ses origines. Son père Ilans Witz (Hancc de
Constance) était un ])einlre nomade quon rencontre en
1402 à Nantes à la cour de Jean V, duc de Bretagne, puis à
Constance pendant la durée du concile, de 1414 à 1418. Il
entra ensuite au service du duc de Bourgogne Philippe le
Hardi, où il connut sans doute Jan van Eyck. « peintre et
varlet de chambre du duc » : jdustard il stdablit de 1427 à
1431 à RottweiL où siégeait la cour de justice imjx'riale.
Son fils Conrad Witz. (jui était né à Constance vers 1400,
grandit ainsi dans un milieu tout pénétrt' d'art bourguignon
92 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
et flaiiiaiid. Sosœuvresde jeunesse : !<■ (,7i /'Isf ('/> rroi.r duMvi-
sée <l(' lîcrliii a\ ec son tond de paysage lunniirux. la Santa
Conversazione du Museo Nazionale de Naples avec sa pers-
pective de nef d'église, illustrent clairement cette formation.
En 1431. il se rend à Bàlc. où allait s'ouvrir un nouveau
concile: il est reçu en 1434 m('nd)rt' de la guilde des
peintres. Pendant dix ans. fiàle fut la vriàlable ca|iitalc de
la chrélicnl»'. Aeneas Sylvius Piccolomini. Ir fuliir pape
Pie II. nous a décrit le faste des prélats cosmopolites qui
s'y rencontraient. Cétait un marclié avantag-eux pour les
artistes : il est possible (|ue le Maître de Flémalle y ait
séjourné à cette épO(|ue. L inlluence artisti(jue [irédo-
minante ('lait celle de l'art bouriiuiunon. Telle t'Iait la ré|»u-
tation de la célèbre Ciiartreuse de (ibampmol. décoi'ée par
Clans Siuter et Jean Malouel, qu'en 1418. lors(jue le
Magistrat de iiàle voulut faire décorer une cbapelle, il fut
bien spécifié que le peintre Hans Tielfental de Scblettstadt
prendrait modèle sur la (diarlreuse de Dijon en Bourgogne
{dcn iUn-lliusct' Closter zc Dise/tu n in Bur</unden). (Jlaus
Siuter et le Maître de Flémalle sont les deux maîlres dont
Conrad \Vitz va désormais s'inspii'er.
Ces iniluences sont très apparentes dans le i::\dnA retaù/c
deBà/t'. Le sujet central, qui était sculpté et représentait
sansdoule lAdoralion des Mages, est pei'du. Mais le Musée
de Bàle cons<'rve la pliipail des volets qui. selon l'usage,
présentaient sur leur face inh'rieure un fondd Orel sur leui"
face extérieure un fond de pavsage. Les sujets sont em-
pruntés au S/jciu/unt hnnianœ salvationis et nu'ttent en
LKS PUIMiriFS ALLKMANDS- 93
paralIMc. siiixaiil la iik'I IkhIc (\ |)()l(ii:li|iit'. des scriics de
r Ancien Tcslaincnl ou (!<' I llisloirc roi liai ne a\ <■<■ des scènes
<lli i\()ii\('an Teslaiiieiil . Les Irois lii-ros (|iii a|i[i(iile!il
au roi David de 1 eau de la cilerne de IJellili'eiii soiil la
préfig'ure des Rois Mauos. Loblalion de .Mtdcliiss(''dec à
Al)i'aliaiii annonce la saiiile (lèiie. La prièi'e d'l*]sllier
exaucée par Assuérus s\ iiiholise rinlercessioii delà A iergc
auprès du Christ. Aiilipaler (|iii ujoiitre k JuN'S César ses
blessures est rimai^c du ( -lirisl intercédant auprès de Dieu le
père. Sur les volets exl('rieurs. le pi'(Mi'e juif lenaiil le cou-
teau du sacrifice devait avoir pour [lendanl un [iitMie de la
nouvelle Loi. de niéiiie (lue la SvnagOS'Ue avec unliandeaii
sur les yeux s Opposait à une l'^cclesia Inoiiiplianle.
Malgré la g-auclierie du dessin, on est frappé par l'effet
monumental de ces ligures. Elles s"enlè\'ent a^•ec un vigou-
reux relief sui' un fond d'or gaufré. Le inodidé saccuse
comme dans une œuvre de statuaire. Les ju'opoitions
ramassées, la somptuosil(' des armes el des costumes, le
caractère y>A/.s7/y//^' des figures, tout décèle riiilluence de la
sculpture bourguig"nonne : le prêtre juif du retable de Bàle
est frère des Prophètes du Puits de Moïse.
Lorsque le concile de Dàle fut dissous, en 1443, Conrad
Witz suivit à Genève l'évéque François de Mies. C'est dans
cette ville toute française ((ui<''(ait alors un centre commer-
cial et religieux de j»i-eiiiiei- ordre, rival de Lyon, qu'il
devait peindre son clief-d œuvre (1).
(1) C. DE Mamiach, Conrad Witz et son ntable de Genève {Gnz. des
Beaux-Arts), 1907.
94 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
Le retable, que 1 évoque lui coniman<la pour décorer
la chapelle Notre-Dame-des-Macchab«'es. fondée dans la
cathédrale Saint-Pierre par son oncle, le cardinal Jean de
Brogny. est sig-né et daté : Hoc opus pinxlt magis-
ter Conradus Sapicntis (Conrad Wilz) de Basilea.
MCCCCXmiI. Sur la face intérieure des volets, qui
sont conservés au Musée de Genève, Y Adoration des
Mages et la Présentation du cardinal de Brognij à la
Vierge se détachent sur inic tenture de brocart. Les scènes
extérieures : la l*èehe ?niraeuleuse et la Délivrance de
saint Pierre s'enlèvent sur dt'S fonds de paysage et dar-
chiteclure.
C'est la Pèche miraculeuse (|ui mérite surtout de re-
tenir l'attention. Le sujet biblique n'est ici qu'un pré-
texte. Ce (]ui intéresse l'artiste, c'est le décor. Pour
pciiulre le lac de Génézarcth. il s'avise de reproduire le
panorama du lac de Genève, tel qu'il s'olfrait à ses yeux.
Il est encore facile aujourd'hui de détei-miner l'endroit
précis d où cette vue est prise ; c Csl sur la rive droite du
lac, entre Genève et Prég'ny. sur le (juai actuel des Pàquis.
On aperçoit en face des ])rairies plantées d'arbres fruitiers;
sur la droite, les maisons et la tour de défense du fau-
hourg de Rive marquent l'entrée du port. Au fond se dres-
sent les escarpements du mont Salève. Les formes caracté-
ristiques du paysage sont très fidèlement rendues. L'eau
tranquille réiléchit la barque et les rives. L'artiste réussit à
rendrel'etfel du soleil el du vent sur le lac, à sugg'érer l'atmos-
phère lourde d'un jour d'été. C'est un \év'\iQ.h\Q portrait de
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. 93
2ialure. uiii(|iio d.iiis Tari JilIcmaïKl ;i la dalc de liii M i.
Ces! prohaljlciiiciil aux (Icniièrcs aiim-cs de W'ilz «juaii-
parlieiil un IVamncnl de rclaltic du Musf'c dr Slrusliourg
qui rcju'rsciilc sdintr dal hcrinc cl sainlc Madi'lrnu'. Les
deux saintes sont assises en face l'une df laulrr au prnuier
plan: Madeleine, vêtue bourgeoisement dune robe de drap
vert-mousse, tient de la main gauche un vase de parfums
tandis (jue Catiicrine, parée comme une pclitc relut' diine
robe de velours rouge caruuri (|ui s étale en plis sompkieux,
lit, les paupières baissées, dans un grand li\ re d heures.
Ces petites Bàloises manquent de grâce et de vie intérieure.
Ici encore le peintre s'int('resse plus au cadre (juaux figures.
Il noie avidement les jeux de lumière, le reflet rouge
du velours (|ui réchauffe la joue de Catherine, lombre
vigoureuse (jue projette sur les dalles la roue svndtd-
lique. 11 faii fuir la perspective dune galerie de ch)îlre
qui débouche sui' une rue au coin de hujuidie se dresse
en plein soleil la bouti(jue dun peintre. De minuscules
personnag"es vêtus à la mode bourgulgnoime se mirent dans
th'S llaijues d'eau. Ainsi ce sont des problèmes d'éclairage
et de perspective (jui |)assioiHient Conrad Witz. Sans (h)ute
il ne parvient pas du premier coup à la solution : ses ligures
sont plutôt devant l'espace que dans l'espace et ne se rac-
cordent pas avec la perspecti\ e ; le point de vue est pris
trop haut, de sorte que le pavement de la galerie ne semble
(1) Bien ([lie le sentiiiienl du paysage soit déjà très développé cliez les
miniaturistes français ou llamands, par exemple dans les Heures de Turin,
la Pèche miraculeuse de Witz n'en marque pas moins une date essentielle
dans l'histoire du paysage.
96 LES PIHMITIFS ALF.EMANDS.
pas liorizoïilal. Mais il v a lit un cHorl siiifiulirrciiiciil
intéressant pour ('lartiir le domaine de la jtcinlurc.
Il ne semble pas qu il ail tail ('cole. Cependant on [»eul lui
lattacher un peintre anonyme : le Maître souahe de 1 i i.'i
qui dans le Sainf Georr/ps du Miise'e de Bàle et sui-lout
dans la Visite de saint Antoine à saint Paul crniitc Aq
la Galerie <Ie ])onauescliini:<'n iM'vèle un sens dt'dieal du
paysage. Les deux ermites sont assis lun en face de
laulre. Sur la |)iaèie de saint Paul, le eoi-beau qui le
nourrd dans sa solitude apporte dans son bec double
pitance. Kien de plus riant (pie celle Tlu'baïde : c est tout
au plus si un locdiej- nu surm(uit('' dun tronc moi't jette
dans le paysage une note austère. Un ruisseau serpente
le long d'ini jtelit bois. Au j»r<'mier plan une cigogne
bappe une grenouille. Au lond on ajx'rroit une porte de
ville il poivrières (jui i-apjxdle le Spalentor de Bàle. Les
robes d'un gris vi(det des anacborètes, les verts attf'uués
du paysage. I or mat du tond donnent au coloris un accent
froid et (b'iicat. Où I ai-tist<' a-l-il appris îi \()ir ainsi la
nature? Pour l'éjiondie à cette question, il sullit de consi-
dérer Dieu le Père qui apparaît à mi-corps sur une nuée
avec un cortège danges. L'intluence flamande est manifeste.
Le fondateur de \ Ero/c d l/rn, qui succède à 1 Ecole
des Conciles, est Hans Multscber. Il était né à Reiclienbo-
fen, dans les AI{)i'S wurlembei'geoises. En 1427. il obtient
le droit de bourgeoisie à Ulm, où il avait étt: sans doute
attiré par les travaux de la cathédrale. Les documents le
qualifieiil de hildlioircr f sculpteuiM, ce qui a fait douter
(..Iii-li.' MuedliiiT.
MAITRE DU RETABLE DE STERZINC. — l/ A N N O iN C I A Tl 0 N (1438).
(Sterzing. Ilùtel de Ville.)
LKS PltlMITIKS ALLEMANDS. '-M)
qu'il ait jamais vlv peint rc (l('[K'ii(laiil son iioiii se li'ouvc
sui'lo i-elablc du iiiusrc de Hcrlin daté de 14)37 (I). En \il\H
il est chargé, eu qualité de Tafolmi'islcr (uiailic de
l'œuvre), d'exécuter Je inafli'c-autel de l'église Nolrc-Dauie
de Sterzing'. dans le Tyrol. Il meurt à Ulm vers 14G7.
Le retable de 14.'n. dont les volets, sciés en huil pan-
neaux, ont été acquis jjar le Musée de Berlin, présentait sur
sa face intérieure des scènes de la vie de la Vierge et exté-
rieurement (juatre scènes de la Passion. L'exi-cution esl
très inégale. Ainsi dans le cycle de la Yiei'ge. la Nativité
et l'Adoration des Mages sont très supérieures à la Pente-
côte et à la Dormition. Les détails familiers abondent :
Joseph, quia enlevé ses chausses pour réchauiier lEniant,
prépare la bouillie; des curieux tendent le cou pxmr mieux
voir. Les scènes de la Passion, inspirées du théâtre d<',s
Mystères, sont d'un réalisme encore plus trivial. Cepen-
dant le Portement de croiv ne manque pas de grandeur
trag-ique. Courbant le dos sous le poids accablant de la
croix, arc-boutanl sa main di-oite sur sa cuisse pour ne pas
tomber, le Christ monte au ('alvaire. Un bourreau à mine
patibulaire, coiffé dun bonne! ti'oué, le tii-e par une corde
tandis que le vieux Simon de Cyrène s'efforce de soulever
l'extrémité do la croix. Derrière le Christ, une horde g'rouil-
lante et hurlante de soldats armés de fourches et de lances
insulte saint Jean et les trois Maries; des enfants en
(1) Il se peut que cette signature désigne non pas le peintre des volets,
mais le chef d"atelier, l'entrepreneur du retable. Cf. Dehio, Ueber einige
kiinsllcrinschriften des deuischen 15. Jahrkunderls (Rei»ert. l'JlO).
100 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
chemisette lui jettent des pierres. 11 y a là une véritable
force dramatique, mais aucun sentiment de la beauté.
Le peintre éprouve le besoin de couvrir tout le champ
du panneau avec des figures de remplissage, des enche-
vêtrements de tètes et de membres : il ignore l'art des
sacrifices et ne sait pas subordonner les détails à l'en-
semble : il a, comme tous les Primitifs, <( l'horreur du vide » .
Les figures qu'il entasse les unes sur les autres sont hors
de proportion : au Christ il donne la stature d'un géant,
à Simon la taille d'un gnome. Il ])ro(ligue les tons vifs
et crus, le vert, le rouge cinabre. Ces compositions n'ont
rien de commun avec l'art mesuré et plastique de Wilz :
elles se rattachent plutôt à l'Ecole des Alpes bavaroises.
On a peine à croire que le même homme qui a peint le
retable de Dei'lin ait pu. vingt ans plus tard, en 14.j8,
peindre le retable de Sterling. Autant le retable de Berlin
est bariolé, dramatique, autant celui de Sterzing est d'un
dessin élégant et froid ( 1). L'ordonnance des peintures est
identique : à l'intérieur des volets, quatre scènes de la Vie
de la Vierge: à l'extérieur, quatre scènes de la Passion,
\JAnnoneiation~ (jui ouvre le cycle de la A ierge, est
très inférieure à l'Annonciation du « Doinbild ». L'ange
Gabriel est raide et sans expression. La Vierge est à genoux
dans une pièce nue, éclairée par de hautes fenêtres à double
croisée. Le lys symbolique ne s'érige pas dans un vase; mais
(1) Ce magnifique ensemble est aujourd'hui dispersé : les sculptures sont
réparties entre ditïérentes églises de Sterzing. Quant aux volets peints, ils
ont été transférés à l'Hôtel de Ville.
LES PRIMITIFS ALLEMANDS. 101
des lys coupés joncliml les caiicMux du pavciiicuL La
lumicro froido pénèti'c h llols [»ar les larges baies vitrées
bien (|u tni loiid tVor gaulr(' icniplace l'azur du ci<'l.
La J/o/-/ (le 1(1 Vierge est plus éuiouvîuilc : Mari<', dont
le visage auiiuci et pâle est encadré duii héguin à men-
tonnière, est élendue dans un gi'and li( à courtines, les
mains croisées sur la blancheur des draps. Au premier
plan deux apôtres, d'un relief étonnamment plastique,
lisent des prières ; au ciievel du lit, saint Jean, qui tient
une branche de cerisier lleuri à la main, étoulfe ses san-
g"lots avec un pan de son manteau: saint Pierre en dal-
mati({u<» asperge la morte avec un goupillon : un apntre
gonile les joues pour souffler sur un encensoir. Au fond de
la pièce, le Christ apparaît sur un nuage et reçoit dans
ses bras l'àme de la Vierge sous forme d'une fdlette en
longue robe, aux cheveux dénoués. Si 1 on étudie de près
ces peintures, on constate qu'elles dérivent toutes de lart
des Pays-Bas. L'oratoire de \ Annonciation est purement
llamand. h' Adoration des Mages est une adaptation du
célèbre triptyque de Sainte-Colombe de Rogier van der
Weyden; la Mort de la Vierge concorde presque trait
pour trait avec un tableau de la National Gallery attribué
au Maître de Fié malle.
Les scènes de la Passion rappellent davantage le retable
de Berlin ; car le thème de la Passion est rare dans la
peinture des Pays-Bas: mais si l'on compare la Prii're
sur le mont des Oliviers et le Portement de croix dans
les deux retables, on ne peut s'empêcher de remarquer.
10:i LES PRIMITIFS ALLEMANDS,
en (k'pit de ([uelques iiiiilalions superficielles, des diliVrences
fondamentales. Le nombre des personnages est réduit de
moilii' ; les détails se subordonnent à l'ensemble. Le dessin
est plus ferme et plus sec; le souci de « lisibilité » et
d'élégance est évident. On ne peut donc identilier le peintre
du retable de Sterzing avec celui du retable de Berlin.
L'iniluence flamande qui savère cliez le Maître du
retable dr Sterzing s'accuse encore davantage cbezFriedricb
Herlin, (jui a sans doute travaillé dans son atelier. Berlin,
dont le nom, simple diminutif de Ilerr. apparait <lans les
comptes sous les formes Herlein, Herlen ou Ilerle, n'était
pas Souabe de naissance : il est né vers 143.J à Rotben-
burg en Fianconie. 11 est certain qu'il fit le voyage des
Pays-Bas. 11 se fixe vers 1460 à Nordlingen. fdiale artistique
d Ulm. et a('(jui('rt «mi 14(17 le droit de bourgeoisie : il y
vécut en qualité de peintre d<' la ville iStadfmalep] jus(jue
vers 1500.
Toutes ses œuvres, depuis le inaltre-autcl de léy/ise
Saint-Georges de Nord/inr/en (1462), jus(|u'au retable de
Saint -Jacques de Jiothenhurg (1466) et au tableau votif
de 1488 (Musée de Nordlingen). où il sest représenté avec
sa famille sous la protection de saint Luc et de sainte Mar-
guerite, ne sont que des démarquages grossiers de Rogier
van derWeyden. Dans ses Annonciations, ses Nativités, il
copie sans vergogne le triptyque de Sainte-Colombe (Munich)
ou le retable de Middelburg (Berlin) du Maître tournaisien.
L'École d'Ulm se pi'olonge avec ïlans Scliiicblln, Bar-
llitd Zeitblom et Martin Scbaffner jus(juau milieu du
LKS Pin MIT IFS AI.LKMANUS K»:^
wi'-" sii'clc. Mans Srliiiclilin lui cliargc de pciiiclic ni I W.)
le iiiiiilrc-aulcl de cclh' iiiriiic |MMifo og-lise de Tiei'enhroiin
jxiur la(|ii('ll(' Lucas Moser a\ail [x'int en W'-U le r 'laljle
de sainte Madeleine. Les scniplures du collVe re|)i'('stMiteiil
une Descente de eroix el une Pielâ. Les peinlui'es des
volets figurent des scènes de la Passion et de la vie de la
Vierge. Ces cycles sont trop disparates })Our (|u'on [)uisse
les attribuer tous les deux ;i Schiichlin. Dans le cycle de
la Passion, les personnages sont nombreux, la composition
encondu'f'e et mouvementée, les contours raides et secs,
les couleurs crues. L'inlluence de l'atelier de Wolgemut
est d'autant plus inconteslable ((ue la Madeleine de la Mise
au tombeau de Tiefenbronn n'est qu'une copie de la Made-
leine du retable de Hof. \u contraire, le cycle de la Vierge
a un caractère souabe très prononce; peu de personnages,
une rigoureuse symétrie, un soupçon de mignardise. Il
faut en conclure que le retable est l'œuvre de deux maîtres
différents : un Souabe et un Franconien (1).
Bartbélemy Zeitblom, élève de Multsclier et gendre de
Scbiicblin, est le plus populaire de tous les peintres de
l'École d'Ulni. Il a vécu entre 1450 et 1518. Ses principales
œuvres sont au musée de Stullgart. On comparera utile-
ment son Annonciation du retable d'Escïtach (J496) aux
retables de Tiefenbronn ( 14<)7) et de Sterzing- (1458) si l'on
(1) L'inlluence des Pays-Bas est très apparente dans le magnifique trip-
tyque d'Elwlnfjen (Musée de Stuttgart) ((ui représente la Résurrection du
Christ et ses apparitions àla Vierge et à saint Tiiomas. L'auteur de ce chef-
d'œuvre trop peu connu, print vers 1480, a dû connaître Dirciv Bouts à
Louvain ; il mérite d'être considéré comme le principal représentant de
l'inlluence des Pays-Bas sur la peinture souabe du xv^ siècle.
104 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
veut suivre sui- un même motif révolution de 1 Ecole
d'Ulm (1). Le triptyque de l'église du Heerberg (1498)
présentait la même ordonnance. On attribue encore à
Zeilblom ou à son atelier le cvclf de la Irizende de Saint
Vdleiilni à la Galerie d'Augsbourg-, et les peintures du
célèbre retable de Blaubeuren (1494-96).
Il évoque à merveille la médiocrité bourgeoise de son
temps, la vie étriquée et la torpeur dévote d'une petite ^ ille
de province. Son art est bien celui qui convient à ces philis-
tins placides, aux chairs tlasques, au grand nez rougi, aux
yeux ternes, dont il nous alaissé' l'image. Otte peinture vul-
gaire et veule représente l'art souabe par son côté le plus
déplaisant.
Au \vi'' siècle Llm ])erd son rang' de capitale artistique.
Martin Schalïner, dont la période d'activité s'étend de
1508 à 1529. n'est (|u'un attardé qui reste fidèle à des tradi-
tions périmées. Bien ([ue, dans la prédelle du uuiitre-
autel de la cathérale A' dm ( 1521 ), il fasse des emprunts cà
Léonard de Vinci, et que dans les volets du maître-autel de
\\ ettenhausen (Pinacothèque de Munich) (1524j, il intro-
duise des motifs d'architecture classique, il ne réussit pas
à s'assimiler l'esprit de la Renaissance italienne. Son indi-
Aidualih' é'tail Irop faible pour renouveler l'Ecole d'Ulm et
lui donner un regain de vie.
A la lin du xv^siècle. Augsbourg- prend décidément la tète
du mouvement et la gardera jusqu'à la fin de l'Ecole souabe.
(1) L~a Sainte Véroniqui' qui élait printc sur la itrédelle de ce retable est
au Musée de Berlin.
i.liclif Hoene.
b a r t 11 k l e >1 y z e 1 t b 1. 0 m . — r e t a h i. e 1> ' e s (. h a c h (1496^
l'annoxciation .
(Musée de Stuttgart).
LES PRIMITIFS ALLEMANDS- 107
Celle li'oisièmc jM-rioiJc est <"ai"ac[('ris('(' pai* I iiilillialioii
de la lîenaissance ilalieiiiie. l*ac sa silualioii. par ses rela-
tions coiiimerciales avec Venise, Augsbourg' ('lail xoïK-e
au rôle d'intermédiaire entre rAlleniagne et l'Italie. " Pour
avoir ({uelque considération à Augsbourg', il fallait avoir été
à Venise. » Les marchands taisaient leur apprentissage au
Fondaco dei Tedesclii ; les fils de patriciens achevaient leurs
études à l'Université de Padoue. Aussi rempiciiile ita-
lienne est-elle beaucoup plus forte à Augsbourg ({ue par-
tout ailleurs. Aujourd'hui encore, tandis que Nuremberg
avec ses ruelles étroites, ses maisons à pignons, saBurg et
sa ceinture de murailles présente l'aspect d'une ville alle-
mande du moyen âge, l'antique Anr/iisfa Vinde/tcoru?n,
fîère de ses larges rues, de ses fontaines monumentales et
de ses façades peintes est comme une Vérone germanique,
une enclave italienne au nord des Alpes.
Les deux artistes qui ont fondé la gloire artistique
d' Augsbourg sont llolbein l'Ancien et Burgkmair. Holbein
marque la transition de lart du moyen âge au style de la
Renaissance.
Nous ne connaissons ni la date de sa naissance, ni
sa formation artistique. Sa première œuvre signée et
datée est le retable du couvent de Weingarten (cathédrale
d' Augsbourg) en 1493. De 1493 à 1517, il est à Augsbourg-
où il exécute des commandes importantes. Puis la misère
le chasse; il se réfugie à Isenheim en Alsace où il travaille
pour le couvent des Antonites : c'est là probablemeni (|n"il
mourut vers 1520.
108 LES PRIiMITIFS ALLEMANDS.
On est élonnt" du chemin (|u'il parcourt depuis les deux
Basiliques et les trois Passions i\m sont de style archaïque,
jusqu'au célèbre retable de Saint-Sébastien (|ui a la pureté
de licçnes d'une œuvre de la Renaissance. 11 y a un tel
abîme entre ce point de départ et ce point d'arrivée qu'on
a pendant long'temps attribué systématiquement à son fils
toutes ses œuvres de la dernière période.
Les deux BasiH(|ues (|u"il tut charité' de jH'indre en 1499
et en 1506 pour le cou vent de Sainte-Cal heilnedAuiisbourg-,
aujourd'hui li-ansformé en musée, ont une origine curieuse.
Les nonnes du couvent avaient obtenu en 1484 du pape
Innocent VII la faveur de participer aux indulgences atta-
chées à la visite des sept Basiliques de Rome. Toutes fières
de ce glorieux privilège, elles commandèrent aux artistes
les plus réputés d'Augsbourg' un cycle de tableaux com-
mémoratifs. Holbein se réserva Sainte-Marie-Majeure et
Saint-Paul-hors-les-Murs. Ces tableaux, (jui étaient des-
tinés à décorer les arceaux du cloîti'e. sont de l'orme trian-
gulnii-e. Ils sont divisés par des bandes d'ornements g'O-
lhi(]u<'s en plusieurs comparliments. Au-(h'ssus de la Basi-
H(jue de Sainte-Marie-Majeui-c. Ildlltcin «'iilassr le Cou-
ronnement de la Vierge, l'Adoration de rEnfant et le Mar-
tyre de sainte Dorothée, patronne de hi (h)natrice. Les
figures se détachent sur un fond bleu uni. seiué d'étoiles
d'or. La Basilique de Saint-Paul. ])einte cinq ans plus
laid, en 1304, iiiar(]ue un cerlain jnogrès; mais l'encom-
brement n'est pas moindre : on n'y compte pas moins de
douze scènes réparties sur trois plans. Holbein devait être
I lirh.' Slo.'clln.'r.
HA>S HOLBEIN [.ANCIEN. — RETABLE DE S A I NT- S É B A ST I EN
SAINTE BARBE ET SAINTE ELISABETH 1516).
(Pinacothèque de Munich.)
LES PUIMITIFS AF.LKMANDS. 111
salisl'ail de son œuvre ; ear dans un coin du lal)lrau il sfsL
représcnlo avec ses deux lils.
Pai" li'ois fois il t'ul condamnt' [)ar les exigences des dona-
teurs <à représenter le cvcle de la Passion, bien (jiie son
talent fût rebelle à ce sujet patbétique et dramati(jue. Ces
trois Passions de la Galerie de l)onauescliinp:en. du Mus(''e
liistorique de Francfort et de la Pinacotlièque de Afunicdi
(retable de Kaisbeini) sont le pire exemple ((u'on puisse
citer du it''alisine brutal mis à la mode ])ar le Ibéàti'e des
Mystères. Les ligures bariolées de couleurs criardes s'en-
tassent confusément. Le Cbrist au front liaut, aux joues
pleines, aux longs cbeveux bouclés, est d'une beauté con-
ventionnelle. Les hourreaux sont de véritables caricatures.
Pour accuser leur bestialité, Holbein leur donne un front
bas, un nez crocbu. des joues creuses, une boufdie grima-
çante, des accoutrements grotesfjues. Dans ce spectacle de
carnaval, pas l'ombre d'art ou d'émotion.
Quelques années plus tard, Holbein travaillait au retab/e
de Saint-Sébastien (loi6V II n'est pas douteux qu'il
ait subi dans l'intervalle l'inlluence de Burgkmair et des
Vénitiens : néanmoins une pareille mue ne laisse pas de
surprendre. Le panneau central du i-etable est encore ar-
chaïque ; incapable de représenter l'espace. Holbein fait tirer
sur saint Sébastien des ilèches et des carreaux d'arbalète à
bout portant. Son ignorance de la perspective est choquante :
la frise supérieure des volets qui est portée par des pilastres
en retrait apparaît exactement sur le même planque la frise
inférieure. Mais les deux figures de saintes qui encadrent le
112 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
martyre de saint Sebastien : sainte Barbe avec le calice et
la tour symboliques, sainte Elisabeth de Hongrie versant
à boire aux lépreux sont d'une grâce et d'une eurythmie
charmantes; ce sont des figures à la fois idéales et indivi-
duelles; vêtues de souples draperies, elles semblent glisser
sur le pavement de maibie. Le peintre lui-même, comme
en fait foi un dessin conserve à Chantilly, s'est représente
aux [>ieds de sainte Elisabeth, à genoux derrière le men-
(haiit teigneux (jui tend son écuelle {[).
La plus grande surprise que réserve l'œuvre d'Holbein Je
Vieux est la série de poi'traits à la pointe d'argent de son
carnet d'es(|uisses, dont les Mus<'es de liàle et de Berlin se
pa il agent les principaux feuillets. Rien n'égale la vérité
expressive du portrait de Jakob Fugger, du boutîon Kunz
Aon der Rosen et surtout de ces moines rabelaisiens
du couvent de Saint-LIrich : prieurs, scribes ou cellériers
dont il faisait sans doute ses compag^nons de beuverie. La
ligne est pai'lante, le modeb' énergique; les plans et les
volumes sont nettement sugg'('rés. ( hi se prend à regret-
ter, en voyant ces chefs-d'œuvre d'un sentiment si moderne,
([u'Holbein le Vieux n'ait pas eu l'occasion de peindre un
(1) Bien que l'œuvi-e soit signée et datc^e, ]tlusieurs critiques ont refuse
de reconnaître la main d'Holbein le Vieux dans un précieux tableau du
Palacio das Necesidades à Lisbonne, qui représente la Fontaine île vie
(1519). C'est une Sacra conversazione à la mode vénitienne. Plusieurs
saintes en somptueux atours sont assemblées autour du trône de la Vierge
ijui tient l'Enfant nu dans ses bras. Au fond se dresse une magnifique
porte trionqdiale de style Renaissance qui sert d'encadrement monumen-
tal à la Madone. Il n'y a aucun rapport de propoitions entre les figures
du premier plan et cette arcbiteclure de fantaisie. Iloibein s'est contenté
de copier cet arc de triomplie sur un bas-relief en pierre tendre du
sculpteur Hans Daucher qu'il avait vu sans doute à Augsbourg.
IIANS HOLBEtN L ANCIEN. — PORTRAIT DU MOINE LE 0 N H A R D W A G N ER.
DESSIN A LA POINTE d' ARGENT.
(Berlin, Cabinet des Estampes.)
LKS PRIMITIFS ALLEMANDS. H^
seul j»()rlr;iil isolé. Srs poi-lrails ;i la mine d ari:cii(
annoncent les adniiraliles (( crayons » de son fils ;i la
Bil)Iiolliè(|iie de Windsor.
Après lui, la Renaissance triomphe à Aug-sboiirg-. Son
contemporain Hans Buriikmair H 47.'}- 1531) semble déjà
appartenir à une autre époque : tant il a la main plus libre,
l'imagination plus facile. Dans son tableau du Couronne-
ment de la Vierge ( l-iO") il remplace, pour la première
fois en Allemagne, les nervures gothiques par une riche
architecture Renaissance. C'est une ère nouvelle qui
s'ouvre.
4. L'Ecole tyrolienne. — Plus encore qu'Augsbourg,
le Tyrol, qui maivjue la frontière entre rAllei\3-ao-ne et
l'Italie, était destiné à voir naiire un art germano-italien.
La route du Brenner n'était pas une voie de pénétration
moins importante au point de vue artistique qu'au point de
vue économique : si c'est par là que passaient nécessaire-
ment les caravanes de marchands vénitiens et padouans
qui commerçaient avec les grands entrepôts de l'Allemagne
du Sud, c'est aussi par cette trouée que la Renaissance
italienne se frayait un chemin à travers les Alpes. Vers
le milieu du xv^ siècle, une certaine activité artistique se
développa dans les villes qui servaient d'étapes entre Trente
et Innsbruck : à Bozen, à Sterzing et surtout dans la petite
cité épiscopale de Brixen dont le cloître est décoré de
curieuses fresques symboliques, inspirées par le Spéculum
humanœ salvationis.
lie LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
Le grand artiste tyrolien qui devait réaliser la fusion
intime de l'art allemand et de l'art italien est MichaelPacher.
Nous savons peu de chose de sa vie. Il est né vers 1430
à Bruneck dans le Pustertal sur le versant italien des
Alpes (1). Il semble avoir été à la fois peintre et sculpteur;
car la sculpture sur bois a toujours été très populaire dans
les vallées alpestres. On ne peut guère douter qu'il ait été
en Italie. Le relief plastique de ses fig-ures, Ténerg-ie de
son dessin, le bel équilibre de ses compositions, sa science
des raccourcis et delà perspective, tout décèle une connais-
sance approfondie de Tart padouan. Cependant, il ne se
laisse pas italianiser. 11 réussit à s'assimiler ces éléments
étrangers sans renier son tempérament et sa race. Il reste
fidèle au Tyrol et à sa ville natale oii il meurt en 1498.
Son œuvre maîtresse est le retable de Saint-Wo/f-
gang^ près d'Ischl. dans la région des lacs du Salzkam-
mergut (1481). Ce retable monumental, aussi important
pour l'histoire delà sculpture que pour celle delà peinture,
a eu la bonne fortune de se conserver absolument intact
dans l'église même à laquelle il était destiné. L'ensemble
architectonique, couronné par des pinacles et des fleurons
précieusement ajourés, produit, dans la pénombre chaude
de la petite église, un grand etfet décoratif : l'éclat des
sculptures en bois doré est rehaussé par la splendeur mate
des volets peints. L'architecture, la sculpture et la peinture
concourent à la beauté de cette œuvre d'art intég'rale qui
(1) Il est (lualifir dans un ilocumentde 1467 de Meister Michel de)- Maler,
piii-f/er cil Drauneck.
i;iichr Sloriltn.T.
MICHAEL PVCHEK. — RETABLE DE S A I > T - \\ U L FG A N G |148 1).
(Saint-Wolfgang, Église.)
LKS PKIMITIFS ALLEMANDS. i lî>
unit à la pci rrclioii de l'oiiiics du Qiialtrocciiio ilalifii la
puissaiicc expressive du Oualti'occiilo allciiiaïKL
Conirne le célèbre retahle de Veit Sloss à Cracovio, c'est
un Marienallar. Au centre, sous un dais gothique riche-
ment ouvragé, la Vierge Marie s'agenouille devant Dieu
qui la choisit pour être la mère du Sauveur. Les figures
grandioses de saint Benoit et de saint Wolfgang, (H'èque
de Ratisbonne, encadrent la scène et rehaussent la
solennité de cette élection mystique. Les volets peints
représentent sur leur face intérieure divisée en deux
registres la Nativité, la Cit^concisiofi, la Présentation au
temple et la Mort de la Vierge. Ce sont des peintures
admirables par leur vigueur plastique, leurs audacieux rac-
courcis et leur vérité expressive ; elles sont uniques dans
l'art allemand du xv'' siècle par la science de la perspective
et l'harmonie des groupements (1).
Le retable des Pères de l'Eglise {Kirchenvateral-
tar) provenant du couvent de Neustift près de Brixen, a
été malheureusement dépecé et partagé entre la Galerie
d'Augsbourg et la Pinacothèque de Munich. Les quatre
Pères de l'Église latine, au masque maigre, glabre et ridé,
sont représentés assis, coitfés de la tiare ou de la mitre
et vêtus de chapes somptueuses, dans des stalles gothiques
richement sculptées. Sur le revers des volets sont peintes
(1) Les peintures extérieures des volets, qui sont consacrées à la légende
de saint Wolfgang, patron de l'église, sont de qualité trop inférieure pour
qu'on puisse les attribuer à Michael Pacher : elles sont peut-être l'œuvre
de son frère Friedrich, (jui a peint en 1483 le curieux Baptême du Clirist
du séminaire de Freising.
120 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
plusieurs scènes de la légende de saint Wolf^ang- (i).
Le saint oblige le diable à lui tenir son missel: il guérit
un malade (jui se lève de son grabat: un ange lui apparaît
tandis (|u'il est prostern(' devant lautel et déplace la
monslranee. Cet ange, surpris en plein vol, ce malade nu
attestent les progrès réalisés par Pacher dans Tétude des
raccourcis et de lanatomie.
Micliaid Pacber est en somme avec Conrad Witz le plus
vigoureux tempérament d'artiste (ju'ait produit le Quattro-
cento allemand ; il demande à l'art padouan ce que Witz
emprunte à Fart franco-bourguignon. Mais tous les deux
restent foncièrement allemands et préparent la synthèse
que réalisera le génie de Durer (2).
Conclusion.
Peut-être cette esquisse fera-t-elle au moins deviner la
ricbesse et la variété, si méconnues, du Quattrocento
allemand. L'art surgit aloi's de partout, spontanément,
connue une plante vivace. Les conditions semblent défa-
vorables. Pas d'empereur, pas de princes ou de prélats
pour protéger les artistes et distribuer les commandes.
(1) Et non (le saint Nicolas de Cusa, comme on l'admet généralement.
(2) Paclier fit école dans la région des Alpes autrichiennes et bavaroises.
L'École de Salzboui-g, d'où était sortie en 1449 la Crucifixion du Musée
de Vienne, attribué'e par Thode à Pfenning. subit son inlluence. Rueland
Frueauf, qui travailla peut-être à Nuremberg dans l'atelier de Wolgemut,
combine dans son i-elable de l'église de Gro.ssgmain près de Reicbenhall
(1499) les influences l'ranconienne, souabe et italienne. Jan Pollak, le peintre
du maîb'e-autel de l'église Saint-Pierre de Munich (Musée National), monu-
ment capital de la peinture bavaroise à la fin du xv^ siècle, n'est pas con-
cevable sans Michael Pacher et l'École de Padoue.
ciirii.:- ii.i-nf
MICIIAEL PACIIER. — RETAliLE ItES PEUES DE l/ÉGLISE (1490).
S C É .N E DE L A L É T. E N D E I) E SAINT \V (> I. F G A N G .
(Musée d'AuK.sbourK.)
Li:S MHIMITIFS AM.K.MAXUS. 123
La bourgeoisie, (jiii (le\ ieiil la classe (loiiiiiiaule, est élran-
g"ère aux préoccupai ions aî'lisLicjues. Il nv a ni Mécènes,
ni connaisseufs. Xiniporle. Clia(|m' pclile \illr xcul
avoir son arl local. I)ej)uls les Alpes jus(ju'à la iiiei',
c'esl un touruiillcnienl d'Ecoles provin(Males (|ui naisseTil.
meurent et se reforment incessamment.
Les recherches récentes ont profon(h''ment modilié' et
enriclii notre conception de la peinture allemande du
xv" siècle. Le rôle des Ecoles de Cologne et de Nuremberg,
exagéré par les R()inaiiti(jues, a »'(('' ramené à de plus justes
proportions. Des gloires usurpées connue celle de Michael
AYolgemut et de Zeitblom ont été ébranlées tandis que des
maîties et des chefs-d'œuvre inconnus surgissaient au
premier plan, en pleine lumière. Nous avons essayé de
rendre justice au coloris éclatant de maître Francke, à
l'énergie dramatique d'Hans Multscher et du Maître du
retable Tucher, à la grâce mièvre du Maître du Hausbuch.
au lyrisme tendre du Maître du retable Peringsthuifer.
Dans le temps même où llorissaient Stephan Lochner,
Schongauer et Holbein TAncien, nous avons vu que
l'Allemagne avait en Conrad Witz son Maître de Flémalle,
en Michael Pacher son Mantegna.
Sans doute cet art allemand, si vivace et si dru. n'a
pas une importance internationale : son rayonnement est
très limité. Il reçoit beaucoup plus (juil ne donne. Les
grands centres du développement de la peinture moderne
restent les Pays-Bas et l'Italie. Au w'" siècle, les peintres
allemands hésitent entre ces deux influences antagonistes.
124 LES PRIMITIFS ALLEMANDS.
A partir de 1440, les Flamands leur révèlent avec la
technique des couleurs à l'huile une nouvelle conception du
paysage et du portrait fonder sur le réalisme le plus scru-
puleux : Rogiervan dcr Weydcn devient \v prœreplo]- Ger-
man'iœ. — Dans le sud de l'Allemagne, Finfluence des
peintres de la Haute-Italie et spécialement des Vénitiens
se fait sentir d"abord à Constance et à Bàle, à la faveur
des Conciles, puis à Nuremberg-, à Augsbourg- et dans le
Tyrol : à l'exemple des « Welches », les « Tedeschi » se
familiarisent avec les lois de la perspective, l'anatomie et
les |»i-(»]M)rli()ns du corps humain: ils apprennent à sim-
plilier et à styliser, à réduire le nombre des personnages,
à concentrer les effets pour produire une impression forte
et harmonieuse. C'est ce double apprentissage que va
s'imposer à son tour Albei-t Diirer, pèlerin passionné de
Venise et d'Anvers.
xVinsi à la fin du xv'^ siècle, le terrain est préparé et ense-
mencé : les moissonneurs peuvent venir. C'est la mission
des trois g-rands artistes qui résument tout l'etfort des géné-
rations antérieures et portent la ])einlure allemanch' à son
apog^ée : Diirer. le chercheur iiKjuiel (|ui s"appli({ue à donner
à l'art em[mi((ue du moyen âge une base scientili(Hie. en
approfondissant les lois de la perspective et en lixant les
propoi'lions normales du corps humain; Griinewald, le
coloriste et le visionnaire ; Holbein, portraitiste incom-
parable «'t décorateur tout pént'trt' du génie de la Renais-
sance ([ui apporte le preuîier dans l'art allemand des qua-
lités latines d'aisance, de mesure et de goût.
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TABLE DES GRAVURES
Maître Fiancke. — L'Uomnif de douleiii' (vers 1430). (Must-e
(le llaml)oui'?.) 9
Maître du retable de Liesborn. — L'Ange au calice (146")).
(Musée de Munster.) 13
École de Coh:)gne. — Sainte Véronique (vers 1420). (Pinaco-
thèque de Munich. ) 17
Stephan Lochner. — La \'ierge à la violette. (Cologne, Musée
archiépiscopal. ) 21
Stephan Lochner. — Triptyque des Rois Mages (vers 1440).
(Cathédrale de Cologne . ) 25
Maître de la Vie de la Vierge. — La Madone et saint Bernard.
(Cologne, Musée Wallraf Richarlz.) 29
Maître de la Déposition de croix. — Déposition de cioix (vers
1510). (Paris, Musée du Louvre. 1 33
Attribué ci maître Berchtold Landauer. — Retable lmhot'(1420).
(Nuremberg, Église Saint-Laurent.) 41
Maître du retable Tucher. — Saint Augustin et sainte Monique
(vers 1450). (Nuremberg, Église Notre-Dame.) 45
Maître du retable PeringsdorfTer. — Vision mystique de saint
Bernard (1487). (Nuremberg, Musée Germanique. ) 49
Martin Schongauer. — La Vierge au buisson de roses (1473).
(Colmar, Église Saint-Martin . ) 53
Maître du Livre de raison. — Les Amoureux (gravure sur cuivre). 57
Attribué au maître du Livre de raison. — Les Amants (vers
1490). (Gotha, Musée grand-ducal.) 65
TABLE DES GRAVURES. J"^"
Lucas Moser. — Retable de Tiefenbronn (1431). — Le \ oyage
de sainte Madeleine à Marseille. — La Communion de sainte
Madeleine dans la cathédrale d'Aix ~3
Conrad Witz. — La Pèche miraculeuse (1444). (Musée de
Genève.) 77
Conrad Witz. — Sainte Madeleine et sainte Catherine. (Musée
de Strasbourg.^ XI
Maître Souabe de 144.'j. — Visile de saint Antoine à saint Paul
ermite. (Donaueschingen, Galerie du prince de Fûrstenberg.). 85
Hans Multscher. — Le Portement de croix (1437). (Musée de
Berlin.) 89
Maître du retable de Slerzing. — L'Annonciation (1458).
(Sterzing, Hôtel de Ville.) 97
Barthélémy Zeitblom. — Retable dEschach (1490). LAnnon-
ciation (Musée de Stuttgart.) 105
Hans Holbein l'Ancien. — Retable de Saint-Sébastien ; sainte
Barbe et sainte Elisabeth (1516). (Pinacothèque de Munich.). 109
Hans Holbein l'Ancien. — Portrait du moine Leonhard Wagner.
(Berlin. Cabinet des Estampes.) 113
Michael Pacher. — Retable de Saint- Wollgang (1481). (Saint-
Wolfgang, Église.) 117
Michael Pacher. — Retable des Pères de l'Église (1490). Scène
de la légende de saint Wolfgang. (Musée d'Augsbourg. . ... 121
TABLE DES MATIERES
Avant-propos 5
I. Caractères généraux de la peinture allemande au xv^ siècle . . 8
II. Les Écoles de TAllemagne du Nord 31
1. LÉcole hanséatique 31
2. L'École de Westphalie 36
3. L'École de Cologne 39
III. Les Écoles de TAllemagne du Sud 62
1 . L'École de Nuremberg 03
2. LÉcole du Haut-Rhin 72
3. L'Ecole souabe 84
4. L'École tyrolienne 115
Conclusion 120
Bibliographie 125
9658-10. — CoRBEiL. Imprimerie CnSni.
2378yi3C
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no £^c;i .
JAl^
ND Réau, Louis
565 Les primitifs Allemands
R3
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