Skip to main content

Full text of "Les principes de la vie religieuse : ou, l'explication du catéchisme des voeux; 3rd ed."

See other formats


^je 


•>. 


■ 


&           — 

_j  — 

o 

oo 

oo 

c/) 

0 

lll^~ 

# 

CHAI 

o 

co 

co 

S           _ 

"* 

■  •            — 

o 

£§5 

T— 

CD 

>-^^^ 

r-~ 

NIVERSIl 

co 

r 

fc*  •r**J 


•i*. ,. 


7> 


m 


■ 

i 


..       :       ^) 

•^gçt 

/  ,,  j    : 

■ 

H 


m 

te  ■  tam 


■i^k 


h 


wmœ? 


WE 


•  'm* 


£^f 


m 


wa 


i4^iwl'-m7 


t^>4^^ 


tl^\<? 


ty-i 


^c 


« 


rT^K-  .^ 


&* 


Z) 


HOLY  REDEEMER  UBRfé,  WINDSOR 


<- 


LES  PRINCIPES 


DE  LA  VIE  RELIGIEUSE 


i///(  ro 


LES  PRINCIPES 


tfGp 

-23  M 


LA  VIE  RELIGIEUSE 


OU  L'EXPLICATION 


DU  CATÉCHISME  DES  VŒUX 


LE    P.    PIERRE   COTEL 


DE  LA   COMPAGNIE  DE  JESUS 


TROISIEME  EDITION 


LIBRAIRIE   H.    OUDIN,  ÉDITEUR 

PARIS  •         |  POITIERS 

17,   RUE  BONAPARTE,  17  4,   RUE  DE  L'ÉPERON,  4 

1889 

HOLYREDEEMERUBI^*'«llHDSOR 


S\-  oYô^ 


AVANT-PROPOS. 


Il  n'est  pas  difficile  de  montrer  que  tous  les 
principes  de  la  vie  religieuse  se  rattachent  à  la 
profession  des  vœux  qu'on  y  fait  :  car  ces  vœux 
en  renferment  déjà  les  principales  obligations; 
et  pour  peu  qu'on  cherche  aies  exposer  comme 
il  convient,  on  est  amené  naturellement  à  tou- 
cher toutes  les  autres. 

Or,  dans  le  petit  ouvrage  que  nous  avons 
publié  sous  le  titre  de  Catéchisme  des  Vœux, 
notre  dessein  n'avait  été  que  de  proposer  très 
sommairement  ces  principes  et  ces  obligations 
de  la  vie  religieuse.  C'était  un  livre  élémen- 
taire que  nous  voulions  offrir  à  toutes  les  per- 
sonnes qui  vivent  dans  l'état  religieux  ;  et  nous 
avions  l'espoir  qu'il  serait  d'une  utilité  d'au- 
tant plus  générale,  que  sa  brièveté  même  ferait 
mieux  apprendre  et  retenir  les  choses.  Et,  en 
effet,  nous  avons  eu  la  consolation  de  voir  ce 


petit  livre  se  répandre  en  très  peu  d'années 
dans  un  grand  nombre  de  communautés  reli- 
gieuses. 

Mais  un  catéchisme  impose  ordinairement  la 
nécessité  d'une  explication.  D'autre  part,  il  ne 
lui  est  pas  possible  de  tout  dire  aux  maîtres  ; 
et  cependant,  pour  expliquer  un  abrégé  avec 
plus  d'assurance  et  de  profit,  on  sent  le  besoin 
de  savoir  au  delà  de  ce  qu'il  contient.  Aussi 
plusieurs  de  ceux  qui  ont  à  donner  aux  autres 
l'explication  du  Catéchisme  des  vœux  nous  ont- 
ils  exprimé  le  regret  que  des  questions  de  cette 
importance  y  fussent  présentées  avec  tant  de 
concision.  Du  moins  ils  eussent  encore  voulu 
trouver  quelque  part  les  mêmes  sujets  avec 
des  développements  propres  à  les  éclairer 
davantage. 

C'est  à  ce  désir  que  nous  tâchons  de  répon- 
dre par  la  publication  de  ce  nouveau  travail. 
Au  lieu  de  nous  borner  à  l'indication  des 
grands  auteurs  qui  traitent  de  ces  matières, 
et  de  laisser  ainsi  à  chacun  la  peine  d'y  cher- 
cher çà  et  là  celles  dont  il  a  besoin,  nous  les 
lui  mettons    comme   sous    la    main,    dans  le 


—  VII   — 

même  ordre  que  celui  du  Catéchisme  lui- 
même  ;  et  sans  répéter  les  points  qui  s'y  trou- 
vent déjà,  selon  nous,  suffisamment  exposés, 
nous  ajoutons  tout  ce  qui  nous  a  semblé  néces- 
saire à  l'intelligence  des  autres  \ 

Entre  les  autorités  que  nous  appelons  à 
l'appui  de  notre  parole,  l'Ange  de  l'Ecole, 
saint  Thomas,  est  celui  que  nous  citons  le  plus 
fréquemment  et  le  plus  volontiers  :  c'est  qu'en 
effet,  dans  toute  question  religieuse,  aucune 
doctrine  n'est  plus  sûre,  plus  lucide  et  plus 
pleine  que  celle  du  Docteur  angélique.  Il  est 
vrai  qu'il  résulte  de  là  un  enseignement  dont 
la  gravité  n'est  pas  également  accessible  à 
tous  ;  mais  ceux  à  qui  nous  le  destinons  prin- 
cipalement sauront  l'accommoder  aux  per- 
sonnes selon  la  portée  de  leur  intelligence. 

1.  On  voit,  ici,  pourquoi  nous  avons  encore  jugé  bon  de 
faire  précéder  cette  Explication  du  texte  même  du  Catéchisme 
des  Vœux. 


CATÉCHISME 

DES    VŒUX 

a   l'usage   des   personnes   consacrées   a   dieu 
dans  l'état  religieux. 

PREMIÈRE  PARTIE 
des  voeux  de  religion  en  général. 


CHAPITRE  Ier. 

notion  générale  du  vœu,  considéré  dans 
les  vœux  de  religion 

D.  Qu'est-ce  que  le  voeu  ? 

R.  Le  vœu  estune  promesse  délibérée  que  l'on  fait 
a  dieu  d'un  acte  meilleur,  c'est-à-dire  d'un  acte  plus 
parfait  que  l'acte  opposé. 

D.  Qu'entendez-vous  par  ce  mot,   une  promesse? 

R.  J'entends,  non  pas  une  simple  résolution,  mais 
un  engagement  que  Ton  contracte,  une  obligation 
que  l'on  s'impose  sous  peine  de  péché. 

11  ne  faut  pas  confondre  le  vœu  avec  beaucoup  de  réso- 
lutions qne  Ion  prend  devant  Dieu,  même  sous  ia  forme  de 
promesses,  et  qui  ont  pour  but  de  s'exciter  à  mieux  le  sers. 
-ùr.  Pour  qu'il  y  ait  réellement  vœu,  il  faut  l'intention  for- 
melle de  s'engager  sous  peine  de  péché. 

i 


2  

D.  Pourquoi  dites-vous  une  promesse  délibérée  ? 

R.  Parce  que  le  vœu  demande  une  connaissance 
exacte  de  ce  qu'on  promet,  un  plein  consentement  et 
une  entière  liberté. 

Ainsi,  il  faut  qu'un  religieux  connaisse  clairement  à  quoi 
il  s'engage  par  ses  vœux,  en  entrant  dans  tel  ordre  ou  telle 
congrégation,  et  c'est  en  partie  pour  l'apprendre,  que  le 
noviciat  est  établi. 

Ainsi  encore,  il  doit  réfléchir,  sonder  sa  volonté  et 
essayer  ses  forces  dans  la  pratique  du  genre  de  vie  qu'il  se 
propose  d'embrasser  ;  et  c'est  une  autre  fin  du  noviciat. 

Enfin  telle  est  la  liberté  que  demande  l'émission  de  ses 
vœux,  qu'ils  seraient  nuls  et  sans  valeur,  s'il  ne  les  faisait 
que  par  contrainte,  ou  par  suite  d'une  crainte  grave  et 
injuste  des  hommes. 

D.  Pourquoi  avez-vous  dit,  une  promesse  faite  a 
dieu? 

R.  Parce  que  le  vœu  est  un  acte  du  culte  suprême 
qui  n'est  dû  qu'à  Dieu.  On  ne  fait  point  de  vœu  aux 
hommes  ni  même,  pour  parler  exactement,  à  la 
sainte  Vierge  ou  aux  Saints,  mais  à  Dieu  seul  :  c'est 
un  contrat  que  l'on  passe  avec  la  divine  Majesté  elle- 
même. 

De  là  un  religieux  doit  comprendre  combien  l'engagement 
de  ses  vœux  est  inviolable  ;  combien  cet  engagement  une 
fois  contracté  exige  même  que  l'on  écarte  toute  pensée 
d'inconstance.  Que  si  Dieu  a  mis  dans  son  Eglise  le  pouvoir 
de  remettre  les  vœux,  ceux  qui  exercent  ce  pouvoir  en  son 
nom  ont  toujours  aussi  le  devoir  de  sauvegarder  ses  droits  ; 
ils  ne  peuvent  pas  ôter,  selon  leur  bon  plaisir,  ni  au  gré 
des  hommes,  une  obligation  contractée  envers  le  souverain 
Maître. 

D.  Quel  est  l'effet  de  cette  promesse  faite  à  Dieu? 

R.  L'effet  du  vœu  est  que  l'accomplissement  de  la 

chose  promise,  quelle  qu'elle  soit,  devient  un  acte 


«.  3  - 

de  la  vertu  de  religion,  la  plus  excellente  de  toutes 
les  vertus  morales,  et  que  son  omission  devient  une 
violation  coupable  de  cette  même  vertu. 

D.   Expliquez  davantage  l'obligation  du  vœu. 

R.  Puisque  c'est  une  obligation  qu'on  s'impose 
librement  à  soi-même,  le  vœu  n'oblige  qu'autant 
que  l'on  a  voulu  s'engager:  ce  qui  doit  s'entendre 
de  la  matière  qui  en  est  l'objet,  du  temps,  du  lieu, 
de  la  manière  etautres  circonstances  semblables,  et 
même  de  la  nature  du  lien  qu'on  s'est  crée',  lequel 
peut  obliger  selon  qu'on  Ta  voulu,  ou  sous  peine  de 
péché  mortel,  ou  seulement  de  péché  véniel. 

D.  Chacun  est-il  libre  de  limiter  ainsi,  à  son  gré, 
les  vœux  qu'il  fait  en  entrant  dans  un  ordre  reli- 
gieux ? 

R.  Non  :  carie  pouvoir  spirituel  possède,  à  l'égard 
des  vœux,  le  même  droit  qu'a  le  pouvoir  civil  sur 
les  contrats  :  il  peut  établir  des  conditions  dont  l'in- 
observation entraînerait  la  nullité  d'un  vœu  ;  et 
telle  est  la  condition  imposée  aux  vœux  de  religion 
qu'il  faut  les  faire  dans  le  sens  déterminé  par  l'Église 
et  la  Règle  approuvée  de  Tordre  où  l'on  s'engage. 
On  n'est  pas  libre  d'étendre  ni  de  resteindre  ces 
obligations,  quoiqu'on  soit  libre  de  se  les  imposer  ou 
non. 

D.  Quelle  est  la  gravité  de  l'obligation  qu'imposent 
les  vœux  de  religion  ? 

R.  En  général,  les  vœux  de  religion  obligent  sous 
peine  de  péché  mortel  ;   néanmoins   la  légèreté   de 


'—  4  — 

la  matière,  ou  le  défaut  de  re'flexion  et  de  consente- 
ment peuvent  rendre  l'infraction  seulement  vénielle; 
la  faute  serait  même  nulle,  si  l'advertance  ou  la 
volonté  manquait  entièrement. 

D.  Est-on  toujours  obligé  d'accomplir  un  vœu  ? 

R.  Oui,  à  moins  qu'il  ne  devienne  impossible,  ou 
qu'on  ne  soit  dégagé  légitimement  de  son  obligation. 

D.  Quand  est-ce  qu'on  est  légitimement  délié  d'un 
vœu? 

R.  Le  vœu  et  son  obligation  ne  peuvent  être  vali- 
dementôtés  que  par  l'autorité  compétente  ;  et  encore 
il  faut  pour  cela  dejustesmotifs:  car,  puisqu'il  s'agit 
d'un  engagement  pris  avec  Dieu,  l'homme,  son  délé- 
gué, ne  peut  détruire  cet  engagement  sans  qu'une 
raison  suffisante  Vy  autorise. 

D.  Que  dire  de  celui  qui,  pour  se  faire  délier  d'un 
vœu,  aurait  recours  à  la  fraude  et  à  des  motifs  sup- 
posés? 

R.  La  remise  de  son  vœu  serait  nulle  et  sans 
valeur. 

D.  Que  dire  encore  du  religieux  qui  obligerait 
l'autorité  par  sa  mauvaise  conduite  à  le  délier  de  ses 
vœux  ? 

R.  Il  offenserait  Dieu  gravement  ;  mais  la  remise 
des  vœux  serait  valide,  puisque,  du  côté  de  l'ordre 
ou  de  la  congrégation,  il  existerait  un  motif  très 
insuffisant  de  le  renvoyer. 

Sans  vouloir  entrer  ici   dans  de   longs  détails  sur  cetle 


_  5  — 

matière  de  la  dispense,  de  V annulation e>K  de  la  commutation 
des  vœux,  nous  ferons  seulement  deux  observations: 

4°  Le  pouvoir  de  dispenser  proprement  des  vœux  n'ap- 
pariient  qu'à  la  juridiction  ecclésiastique  :  au  Pape  pour  les 
vœux  solennels  et  le  vœu  perpétuel  et  absolu  de  chasteté; 
à  l'Evêque,  du  moins  ordinairement,  pour  les  vœux  simples. 
Toutefois,  dans  un  corps  religieux  où  la  Règle  approuvée 
l'établirait  ainsi,  les  supérieurs  même  n'ont  pas  le  pou- 
voir de  dispenser  des  vœux  simples  de  religion,  par  le 
fait  seul  du  légitime  renvoi  d'un  sujet  ;  et,  dans  ce  cas, 
le  vœu  de  chasteté  est  également  annulé,  quand  il  a  été 
fait,  non  d'une  manière  absolue,  mais  aux  mêmes  conditions 
que  les  deux  autres,  en  entrant  en  religion. 

2°  Dans  quelque  ordre  ou  congrégation  que  ce  soit,  le 
supérieur,  comme  chef  de  la  famile  religieuse,  a  le  pouvoir 
d'annuler f  ou.  du  moins  de  suspendre  tout  vont  particulier  que 
feraient  ses  inférieurs,  au  préjudice  de  la  communauté  ou 
du  propre  droit  qu'il  a  de  commander. 

Remarquez,  du  reste,  qu'en  général  un  vœu  qui  nuirait 
à  l'observance  religieuse  serait  nul  de  fait,  comme  n'étant 
pas  la  promesse  d'un  acte  meilleur. 

D.  Pourquoi  avez-vous  dit  que  le  vœu  est  la  pro* 
messe  faite  à  Dieu  d'un  acte  meilleur  ? 

R.  Parce  que  le  vœu  devant  avoir  pour  but  de 
rendre  à  Dieu  un  culte  spécial,  ce  but  ne  serait  pas 
atteint,  si  la  chose  promise  n'était  en  rien  meilleure 
que  la  chose  opposée. 

D.  Quels  sont  ces  actes  meilleurs  que  l'on  peut 
vouera  Dieu? 

R.  Les  actes  qui  peuvent  être  matière  de  vœux 
reviennent  tous  à  ces  trois  classes  :  1°  les  actes  déjà 
obligatoires  ;  2°  ceux  qui  ne  sont  que  de  conseil  ; 
3°  les  actes  indifférents  en  eux-mêmes. 

t  1°  Dans  un  acte  déjà  commandé,  le  vœu  ajoutée  l'obliga- 
tion déjà  existante  du  précepte,  une  seconde  obligation  qui 
est  celle  du  vœu  même  :  dès  lors  l'accomplissement  de  cet 


—  6  — 

acte  rerferme  deux  sortes  de  bonté  morale  et  de  mérite, 
comme  non  omission  contient  deux  prévarications  diverses 
et  une  double  malice.  Ainsi,  quelqu'un  a  fait  vœu  d'observer 
le  sixième  commandement  de  Dieu  :  lorsqu'il  résiste  à  la 
lentation  de  le  violer,  il  ajoute  au  mérite  de  l'observation 
du  précepte  le  mérite  de  la  vertu  de  religion  :  son  acte  est 
donc  devenu  meilleur.  Mais  aussi  quand  il  viole  son  vœu, 
il  ajoute  au  péché  contre  le  précepte  un  autre  péché  de 
sacrilège  contre  la  vertu  de  religion. 

2°  Si  l'acte  n'est  que  de  conseil,  par  exemple,  ne  point  se 
marier  quand  on  est  libre  de  le  faire  :  alors  le  vœu  ajoute 
une  nouvelle  excellence  à  une  chose  déjà  meilleure  en  soi  ; 
car  faire  ce  qui  est  de  conseil  et  de  perfection,  c'est  faire 
un  acte  meilleur  ;  mais  s'y  obliger  par  vœu  est  plus  parfait 
encore. 

3°  Quand  un  acte  est  indiffèrent  en  lui-même,  il  y  a, 
outre  l'intention  vertueuse  qu'on  peut  y  mettre  en  le  faisant, 
un  moyen  supérieur  encore  de  le  rendre  formellement  bon 
et  méritoire  :  c'est  de  s'y  engager  par  vœu,  car  il  devient 
alors  un  acte  de  la  vertu  de  religion.  C'est  ce  qui  arrive, 
par  exemple/ et  d'une  manière  admirable,  à  ceux  qui  vivent 
dans  l'état  religieux  :  non-seulement  les  actes  des  vertus, 
objets  des  trois  vœux,  reçoivent  tous  de  ces  mêmes  vœux 
une  heureuse  influence  qui  en  élève  le  prix,  mais  encore 
les  actions  les  plus  indifférentes,  dès  lors  qu'on  les  fait  en 
bon  religieux,  forment  au  moyen  de  l'obéissance  une  source 
abondante  et  journalière  de  mérites. 

Et  voilà,  dit  saint  Thomas,  pourquoi  les  religieux  sont 
ainsi  nommés  par  excellence.  Tandis  que  les  autres  chré- 
tiens ne  pratiquent  la  vertu  de  religion  que  par  intervalles, 
les  religieux  se  trouvent  en  continuel  exercice  de  cette 
grande  vertu,  et  leur  vie  entière,  pour  peu  qu'ils  le  veuillent, 
devient  un  holocauste,  où  tout  sans  exception  est  consacré 
au  culte  divin.    . 


CHAPITRE  IL 

ET    DE 
L'ETAT  DE  PERFECTION. 

D.  Y  a-t-il  plusieurs  espèces  de    vœux,  et  quels 
sont  les  plus  méritoires  ? 


-  7  - 

R.  Il  y  a  différentes  espèces  de  vœux  qu'il  serait 
trop  long  et  superflu  d'exposer  ici  ;  disons  plutôt 
qu'entre  tous  les  vœux  qu'on  peut  faire  à  Dieu  pour 
lui  plaire,  les  plus  méritoires  sans  contredit  sont  les 
trois  vœux  de  religion,  qui  renferment  l'engagement 
à  la  pratique  des  conseils  évangéliques,  c'est-à-dire 

les    VOEUX    DE  PAUVRETÉ,   DE  CHASTETÉ   ET  D'OBÉISSANCE 

que  l'on  fait  dans  F  état  religieux. 

Telle  est  cette  excellence  des  vœux  de  religion,  que  les 
saints  Docteurs  comparent  la  profession  religieuse  au  bap- 
tême ou  au  martyre,  et  que,  comme  l'a  déclaré  le  Pape 
Alexandre  III,  elle  renferme  la  vertu  d'éteindre  toutes  les 
obligations  qu'on  aurait  contractées  auparavant  par  tout 
autre  vœu.  La  grande  raison  est  celle  que  nous  venons  de 
dire,  savoir  que  par  la  profession  religieuse  on  donne  tout 
à  Dieu,  tandis  que,  par  les  autres  vœux,  on  ne  lui  promet 
que  quelque  bonnes  œuvres  particulières.  Une  autre  raison 
est  que,  ordinairement,  les  pratiques  individuelles  ne  con- 
viennent plus  à  la  vie  de  communauté,  ou  même  seraient 
au  détriment  de  la  Discipline  religieuse. 

Il  faut  remarquer  toutefois  que  l'émission  des  vœux  sim- 
ples de  religion  ne  fait  que  suspendre  les  autres  vœux  anté- 
rieurements  faits  :  de  sorte  que  cette  obligation  reprendrait 
sa  première  force,  si  l'on  venait  à  sortir  de  l'ordre  ou  de  la 


D.  Faites-nous  mieux  sentir  encore  pourquoi  les 
vœux  de  religion  sont  si  excellents. 

R.  Leur  prééminence  sur  tous  les  autres  vient  pro- 
prement de  ce  qu'ils  constituent  Ietat  religieux  ou 

1  ETAT  DE  PERFECTION. 

D.  Qu'est-ce  que  L'état  religieux  ? 

R.  C'est  un  état  ou  l'on  fait  profession  détendre 
a  la  perfection,  ou,  pour  développer  un  peu  cette 
définition  et  la  faire  mieux  saisir,  c'est  une  forme  de 


—  8  — 

VIE,  APPROUVÉE  PAR  L'ÉGLISE,  OU  DES  FIDÈLES,  UNIS  EN 
SOCIÉTÉ  RELIGIEUSE,  SE  FIXENT,  POUR  TENDRE  A  LA  PER- 
FECTION, PAR  LES  TROIS  VŒUX  DE  PAUVRETÉ,  DE  CHAS- 
TETÉ ET  D'OBÉISSANCE,  QU'ILS  FONT  SELON  LA  RÈGLE. 

D.  Pourquoi  dites-vous  un  état,  une  forme  de  vie 
où  l'on  se  fixe  avec  permanence  ? 

R.  Parce  que  l'excellence  de  la  vie  religieuse  con- 
siste précisément  dans  cet  état  fixe  où  une  âme  se 
place,  et  dans  cette  heureuse  nécessité  qu'elle  s'im- 
pose au  service  de  Dieu.  Or,  cette  stabilité  est  pro- 
duite par  l'obligation  des  vœux,  comme  celle  de 
Pétat  du  mariage  est  l'effet  du  contrat  nuptial  :  d'où 
vient  que  l'on  appelle  justement  la  profession  reli- 
gieuse une  union  de  l'âme  avec  Jésus-Christ,  dont 
elle  devient  l'épouse. 

De  là  un  religieux  peut  voir  combien  il  fait  plus  pour 
Dieu  et  pour  sa  propre  sanctification,  en  se  fixant  ainsi  dans 
l'état  religieux,  que  s'il  restait  dans'  l'état  séculier,  même 
avec  la  volonté  d'y  pratiquer  les  vertus  chrétiennes.  Aussi 
saint  Thomas  enseigne  qu'en  soi  il  est  meilleur,  quoique 
plus  facile,  d'embrasser  l'état  religieux,  que  de  se  livrer 
dans  le  siècle  aux  plus  rigoureuses  pénitences  durant  de 
longues  années. 

Cependant  les  religieux  doivent  se  souvenir  que  c«  n'est 
pas  précisément  l'état  qui  fait  la  sainteté,  et  que  le  mériie 
devant  Dieu  et  devant  les  hommes  consiste  bien  moins  à 
faire  des  vœux  qu'à  les  garder. 

D.  Pourquoi  faut-il  que  cette  forme  et  cet  état  de 

Vie  SOIENT  APPROUVÉS  PAR  L'ÉGLISE  ? 

R.  Parce  qu'en  effet  c'est  à  l'Église  qu'il  appar. 
tient  déjuger  si  une  forme  de  vie  est  bien  réellement 
selon  la  sainteté  évangélique  ;  et  c'est  encore  à  elle 
de  constituer  le  corps  religieux,  d'y  établir  les  pou- 
voirs et  d'en  sanctionner  toutes  les  obligations. 


—  9  — 

Pour  un  ordre  religieux  proprement  dit,  il  faut  l'appro- 
bation et  l'autorité  du  chef  de  l'Eglise. 

Pour  une  simple  congrégation  religieuse,  il  faut  au  moins 
celle  de  l'Evêque.  L'approbation  du  Saint-Siège  lui-même 
est  sans  doute  d'un  plus  grand  poids;  mais  onne  doit  pas 
ignorer  que  les  Souverains  Pontifes,  en  approuvant  les  con- 
grégations religieuses,  ne  les  placent  point,  par  cela  seul 
au  rang  des  ordres  religieux  proprement  dits. 

D.  Que  veulent  dire  ces  mots  :  pour   tendre  a  la. 

PERFECTION  ? 

R.  Ils  signifient  que  l'état  religieux  n'exige  point 
qu'on  ait  Imperfection  déjà  acquise,  mais  qu'il  impose 
l'obligation  d'y  tendre,  c'est-à-dire  de  travailler  tous 
les  jours  à  l'acque'rir  :  de  sorte  que,  pour  un  religieux, 
ne  vouloir  pas  avancer,  c'est  manquer  positivement 

au  DEVOIR  DE  SON  ÉTAT. 

D.  Quelle  est,  dans  la  pratique,  cette  obligation  de 
tendre  à  la  perfection  ? 

R.  Elle  n'est  autre  que  l'obligation  d'observer  la 
règle,  qui  offre:  1°  les  vœux  comme  moyens  princi- 
paux ;  et  2°  les  règles  de  détail,  comme  moyens  secon- 
daires de  tendre  à,  la  perfection. 

D.  Qu'entendez-vous  précisément  par  cette  per- 
fection à  laquelle  doit  tendre  un  religieux  ? 

R.  C'est  d'abord  essentiellement  la  perfection  de 
la  charité,  qui  consiste  à  s'attacher  par  la  volonté 
totalement  à  Dieu,  notre  dernière  fin.  Mais  elle  em- 
brasse aussi  la  perfection  des  autres  vertus,  qui  sont 
les  auxiliaires  et  les  compagnes  de  la  charité,  et  que 
celle-ci  doit  lier  toutes  ensemble  comme  un  faisceau 
dans  une  unité  parfaite,  selon  ce  que  dit   l'Apôtre: 

V 


—  10  — 

Par- dessus  toutes  choses,  ayez  la  charité  qui  est  le 
lien  de  la  perfection. 

Il  faut  remarquer  ici  que  la  charité  qui  a  Dieu  seul  pour 
motif,  ayant  aussi  notre  prochain  pour  objet,  le  devoir  du 
religieux  est  de  tendre  à  la  perfection  de  cette  vertu  dans 
ses  deux  parties,  savoir  :  l'amour  de  Dieu  et  l'amour  du 
prochain. 

D.  Comment  est-ce  que  l'on  tend  à  cette  perfection 
dans  l'e'tat  religieux  ? 

R.  Nous  venons  de  le  dire,  par  les  vœux  et  par  les 
règles . 

D.  Expliquez  davantage  cette  vérité. 

R.  Premièrement,  je  dis  qu'au  moyen  des  trois 
vœux,  Ton  tend  très  efficacement  à  la  perfection. 

Car  d'abord,  par  la  privation  volontaire  des 
objets  de  la  convoitise  humaine,  ces  trois  vœux 
écartent  les  trois  grands  obstacles  au  règne  de  l 
charité  et  des  vertus  dans  nos  cœurs:  le  vœu  de  pau- 
vreté écarte  la  cupidité  des  richesses  ;  le  vœu  de 
chasteté  écarte  l'amour  des  plaisirs  sensuels  ;  et  le 
vœu  d'obéissance  écarte  l'amour  déréglé  de  sa  vo- 
lonté propre  et  de  ses  propres  idées. 

De  plus,  ces  mêmes  vœux  débarrassent  le  religieux 
des  trois  grandes  sollicitudes  qui  ont  coutume  de 
distraire  les  hommes  de  la  tendance  vers  Dieu:  je 
veux  dire  la  sollicitude  que  cause  la  dispensation  des 
biens  temporels,  la  sollicitude  inhérente  au  gouverne- 
ment d'une  famille,  et  la  sollicitude  qu'on  éprouve 
souvent  par  rapport  à  la  disposition  de  ses  propres 

actes. 
Enfin  cet  holocauste  des  vœux  de  religion  est  lui- 


—  11  — 

même  un  exercice  de  charité  parfaite  :  car  le  reli- 
gieux y  sacrifie  à  son  Dieu  tous  les  biens  que  l'homme 
peut  posséder  en  ce  monde  :  les  biens  extérieurs  de 
la  fortune  par  le  vœu  de  pauvreté,  les  biens  person- 
nels du  corps  par  le  vœu  de  chasteté,  et  les  biens  inti- 
mes de  l'âme  par  le  vœu  d'obéissance. 

Aussi  ces  trois  vœux  sont-ils  essentiels  à  l'état  de 
perfection,  et  les  congrégations  où  ils  manquent  ne 
sont  point  des  corps  religieux. 

D.  Expliquez  également  de  quel  secours  sont  les 
règles  par  rapport  à  la  perfection . 

R.  On  tend  de  même  excellemment  à  la  perfec- 
tion par  l'observation  des  règles.  Quel  est  en  effet  le 
but  de  toutes  les  règles  ?  C'est,  d'une  part,  de  bien 
préciser  le  sens  des  trois  vœux,  de  les  préserver  de 
toute  atteinte,  et  d'en  donner  l'esprit  et  la  perfection 
positive  ;  d'autre  part,  c'est  de  déterminer  l'exercice 
de  la  charité  et  des  autres  vertus,  selon  la  fin  propre 
à  chaque  institut.  D'où  l'on  voit  que  la  pratique 
fidèle  des  saintes  règles  est  un  exercice  de  perfection 
plus  continuel  encore  et  plus  élevé  que  cette  simple 
observation  des  vœux  qui  se  bornerait  à  éviter  le 
péché. 

D.  Pourquoi   avez-vous  ajouté  ces   mots  :   qu'ils 

FONT  SELON  LA  RÈGLE  ? 

R.  Parce  que  les  trois  vœux  de  religion,  bien  qu'ils 
soient  dans  toute  corporation  religieuse,  ont  cepen- 
dant une  matière  plus  ou  moins  étendue  selon  cha- 
que institut  :  voilà  pourquoi  il  est  d'une  grande 
importance  pour  un  religieux  de  savoir  précisément 


—  le- 


quel est  le  sens  attaché  par  la  Règle  aux  vœux   qu'il 
doit  faire,  dans  tel  ordre  ou  telle  congrégation. 


CHAPITRE  III. 

DES   DIVERSES    SORTES   DE  VŒUX   DE  RELIGION. 

D.  Tous  les  vœux  de  religion  sont-ils  d'une  seule 
et  même  espèce? 

R.  Non  :  parmi  les  vœux  de  religion,  on  distingue 
les  vœux  solennels  et  les  vœux  simples  ;  et  les  vœux 
simples  peuvent  être  encore,  ou  des  vœux  perpétuels, 
ou  des  vœux  temporaires,  selon  que  la  sainte  Eglise 
Ta  approuvé  dans  les  divers  instituts. 

D.  Qu'est-ce  que  les  vœux  solennels  de  religion  ? 

R.  Ce  sont  des  vœux  perpétuels,  faits  par  les  reli- 
gieux d'une  manière  absolue,  et  acceptés  de  la  même 
manière  par  l'Eglise,  ou  par  l'ordre  en  son  nom,  en 
sorte  qu'ils  ne  sont  point  susceptibles  d'une  dispense 
ordinaire  ;  seulement  le  chef  de  l'Eglise,  dans  des 
cas  exceptionnels  et  très  rares,  peut  ou  déclarer 
qu'ils  n'existent  plus,  ou  suspendre  partiellement 
leurs  effets,  ou  même  ©n  dispenser  extraordinaire- 
ment  au  nom  de  Jésus-Christ  dont  il  est  le  Vicaire. 

Les  vœux  solennels  de  religion  ne  se  font  que  dans 
les  ordres  religieux  proprement  dits. 

Il  faut  distinguer  deux  sortes  de  solennités  dans  l'émission 
des  vœux  de  religion  :  l'une  accidentelle,  l'autre  substan- 
tielle. La  première  consiste  dans  les  cérémonies  extérieures, 
qui  peuvent  accompagner  môme  l'émission  des  vœux  sim- 
ples,   sans  rien  leur  ajouter.    L'autre   solennité,   que  nous 


—  13  — 

appelons  substantielle,  ne  dépend  point  des  cérémonies 
extérieures,  mais  de  la  volonté  de  l'Eglise  qui  reconnaît  et 
accepte  certains  vœux  comme  solennels,  tandis  qu'elle  n'en 
accepte  d'autres  que  comme  vœux  simples,  quoiqu'ils  puis- 
sent être  également  perpétuels. 

D.  Quels  sont  les  vœux  simples  de  religion  ? 

R.  Ce  sont  des  vœux  que  l'Église  accepte  d'une 
manière  moins  absolue,  et  qu'elle  ne  reconnaît  point 
comme  solennels. 

D.  Quelle  sorte  de  vœux  fait-on  dans  les  congréga- 
tions religieuses  ? 

R.  Pour  de  sages  raisons,  suggérées  par  l'esprit  de 
Dieu,  on  o'y  fait  que  des  vœux  simples,  et  encore  le 
plus  souvent  ils  ne  sont  que  temporaires.  Ainsi,  après 
le  temps  fixé  pour  l'épreuve  préparatoire,  selon  les 
statuts  de  chaque  congrégation,  le  religieux  pro- 
nonce les  trois  vœux  pour  un  temps,  par  exemple 
pour  un  an,  et,  après  le  temps  expiré,  illes  renouvel  (et 
c'est-à-dire  qu'il  les  fait  de  nouveau  avec  l'assentiment 
des  supérieurs. 

Dans  plusieurs  congrégations  on  peut,  au  bout  d'un 
certain  nombre  d'années,  être  admis  à  faire  aussi 
des  vœux  perpétuels;  et  alors  la  rénovation  annuelle 
n'est  plus  qu'une  cérémonie  destinée  à  se  renouveler 
soi-même  dans  la  volonté  d'être  toujours  plus  fidèle 
à  les  garder. 

D.  Ne  serait-il  pas  mieux  de  se  consacrer  toujours 
à  Dieu  par  des  vœux  perpétuels  et  même  solennels  ? 

R.  Ce  qui  est  mieux  pour  chacun  est  d'entendre 
l'appel  du  Seigneur,  et  d'y  répondre  en  toute  fidclitô, 
générosité  et  constance. 


—  14  — 

Sans  doute  les  vœux  perpétuels  et?  solennels  sont  en  soi 
d'un  plus  grand  prix,  puisqu'ils  sacrifient  davantage  et 
fixent  plus  complètement  dans  l'état  de  perfection  ;  mais 
chaque  religieux,  dans  sa  vocation,  doit  se  rappeler  que 
les  dons  de  TEsprit-Saint  sont  divers,  et  qu'il  est  de  notre 
véritable  avantage,  comme  de  notre  devoir,  d'accepter  avec 
reconnaissance,,  et  de  faire  fructifier  avec  fidélité  ce  qu'il  a 
daigné  nous  donner.  Ici  surtout,  rien  n'est  plus  dangereux 
que  l'inconstance  et  la  tentation  suggérée  par  l'ennemi  du 
salut,  sous  le  prétexte  d'une  plus  grande  perfection.  En  effet, 
quoiqu'à  parler  en  général,  Dieu  puisse  appeler  une  âme 
encore  plus  haut,  et  qu'alors  l'Eglise  favorise  le  passage  à 
une  plus  étroite  observance,  il  faut  dire  cependant  que  c'est 
un  piège  dont  le  démon  s'est  trop  souvent  servi  pour  faire 
perdre  à  plusieurs  la  vocation  religieuse  elle-même,  et  pour 
les  rejeter  ainsi  dans  les  périls  du  siècle. 

D'ailleurs,  la  volonté  de  Dieu  une  fois  supposée,  une  voca- 
tion inférieure  peut  avoir  ses  compensations:  4°  il  dépend 
du  religieux  d'y  vivre  avec  plus  de  ferveur,  et  il  aura  plus 
de  mérite  ;  2°  si  on  ne  lui  permet  de  s'engager  que  pour 
un  temps  à  la  fois,  on  lui  donne  aussi  plus  souvent  l'occa- 
sion de  renouveler  avec  pleine  liberté  son  sacrifice  ;  3o  il 
trouve  en  cela  même  un  soutien  à  sa  bonne  volonté,  puis- 
qu'il peut  craindre  de  ne  pas  être  admis  à  redire  ses  saints 
engagements,  s'il  venait  malheureusement  à  se  relâcher. 

Du  reste,  il  doit  bien  comprendre  qu'il  ne  s'agit  nulle- 
ment pour  lui  de  remettre  sa  vocation  en  question  chaque 
année:  car,  sans  parler  du  soin  qu'exige  de  lui  son  propre 
bien  spirituel,  l'intention  qu'avait  la  congrégation  en  l'ad- 
mettant dans  son  sein  et  les  services  qu'il  y  a  reçus,  quel- 
quefois tout  spécialement  dans  l'intérêt  de  la  communauté, 
sont  des  titres  qui  lui  imposent  certainement  quelque  obli- 
gation de  stabilité. 

Il  est  bon  de  lui  faire  remarquer  encore  que  si,  à  l'ex- 
piration de  son  vœu  temporaire,  il  ne  peut  se  permettre  de 
le  faire  de  nouveau,  dans  le  cas  où  les  supérieurs  auraient 
des  motifs  de  s'y  opposer,  d'autre  part,  il  ferait  mal  aussi 
d'en  omettre  le  renouvellement  à  l'insu  des  mêmes  supé- 
rieurs et  sans  leur  autorisation. 

D.  A  quel  âge  est-on  admis  à  faire  validement  les 
vœux  de  religion  ? 

H.  Pour  que  les  vœux  de  religion  soient  valides, 


—  15  — 

le  saint  concile  de  Trente  exige  :  1°  qu'on  ait  au 
moins  seize  ans  accomplis;  2°  qu'on  ait  fait  au 
moins  une  année  entière  de  noviciat. 

Il  faut  voir  dans  chaque  institut  les  autres  condi- 
tions obligatoires  qui  ont  pu  y  être  ajoutées. 


CHAPITRE  IV. 

DES   VERTUS    QUI    FONT   L'OBJET     DES    TROIS    VŒUX 
DE    RELIGION. 

D.  En  matière  de  pauvreté,  de  chasteté'  et  d'obéis- 
sance, n'y  a-t-il  pas  une  distinction  à  faire  entre  le 
vceu  et  la  VERTU? 

R.  Oui,  il  existe  ici  plusieurs  différences  qui  méri- 
tent l'attention  du  religieux. 

D.  Quelle  est  la  première  différence  entre  le  vœu 
et  la  vertu  ? 

R.  La  première  différence  à  signaler  est  que  l'objet 
direct  du  vœu  est  une  privation  qu'on  s'impose  ; 
par  exemple,  on  se  prive  de  la  possession  ou  de 
l'usage  libre  des  biens  temporels  par  le  vœu  de 
pauvreté;  tandis  que  l'objet  de  la  vertu  est  la  des- 
truction des  affections  déréglées.  Le  vœu  est  donc 
comme  le  moyen,  et  la  vertu  est  comme  la  fin.  Ainsi 
la  vertu,  sous  ce  rapport,  est  quelque  chose  de 
meilleur  que  le  vœu,  puisque  c'est  pour  acquérir 
plus  sûrement,  plus  facilement,  plus  pleinement  la 
vertu,  que  le  religieux  se  décide  à  faire  le  vœu.  Par 


—  16  — 

là  on  voit  l'inconséquence  malheureuse  de  ces  reli- 
gieux qui,  après  avoir  prononcé  leurs  vœux,  négli- 
gent les  vertus  religieuses  et  restent  plus  imparfaits 
que  beaucoup  de  chrétiens  du  siècle. 

D.  Quelle  est  la  seconde  différence  entre  le  vœu 
et  la  vertu? 

R.  Quoique  le  vœu  exerce  une  influence  indirecte 
sur  tous  les  actes  de  la  vertu,  comme  nous  le  verrons 
plus  tard,  néanmons  le  vœu  ne  saurait  propre- 
ment s'étendre  au  delà  de  ce  qu'il  impose  sous  peine 
de  péché  ;  tandis  que  la  vertu  peut  s'élever  à  une 
perfection  toujours  plus  haute.  C'est  précisément 
par  ces  accroissements  dans  la  vertu,  qu'on  devient 
un  bon  et  fervent  religieux. 

D.  N'y  a-t-il  pas  aussi  une  troisième  différence 
en  faveur  du  vœu? 

R.  Oui  ;  si  le  vœu  est  un  moyen  relativement  à  la 
vertu,  il  faut  dire  que,  sous  un  autre  rapport,  la 
vertu  aussi  est  un  moyen  relativement  au  vœu.  De 
même  donc  que  le  vœu  sert  à  acquérir  la  vertu, 
ainsi  la  vertu  sert  à  maintenir  l'observation  du  vœu  : 
car  lorsque  vous  manquez  notablement  à  la  vertu, 
vous  mettez  en  péril  le  vœu  lui-même,  dont  vous 
affaiblissez  ainsi  le  principe  ;  et  si  vous  négligez  la 
vertu,  il  vous  sera  bien  difficile  de  rester  fidèle  au 
vœu. 

D.  Avez-vous  à  signaler  une  quatrième  différence 
entre  le  vœu  et  la  vertu? 

R.  Oui,  et  cette  différence  est  la  plus  digne  d'atten- 
tion, parce   qu'elle  intéresse  même  la  conscience  : 


—  17  — 

c'est  que  Ton  peut  pécher  contre  la  vertu,  même 
sans  qu'il  y  ait  violation  du  vœu  :  nous  l'explique- 
rons bientôt;  tandis  qu'en  général  on  ne  saurait 
/ioler  le  vœu,  sans  blesser  du  même  coup  la  vertu, 
qui  doit  avant  tout  s'exercer  sur  la  matière  imposée 
par  le  vœu. 

D.  L'émission  des  vœux  ne  crée-t-elle  pas  quel- 
que autre  obligation  avec  celle  des  vœux  même? 

R.  Oui,  l'émission  des  vœux,  par  cela  seul  qu'elle 
a  lieu  dans  un  corps  religieux,  fait  du  sujet  qui  les 
prononce  un  membre  de  ce  même  corps,  et  par  con- 
séquent lui  impose  l'obligation  de  s'y  soumettre  aux 
supérieurs  et  aux  règles,  abstraction  faite  même  du 
vœu  spécial  d'obéissance. 

Et,  en  effet,  l'émission  des  vœux  renferme  un  contrat, 
une  donation  que  le  religieux  fait  de  sa  personne  à  l'ordre 
ou  à  la  congrégation  qui  le  reçoit  dans  son  sein.  Par  cette 
donation,  ii  cède  les  droits  qu'il  avait  sur  lui-même  et  sur 
ses  actes,  afin  d'être  employé  dorénavant,  selon  la  Règle,  au 
service  de  Dieu  en  vue  duquel  il  s'est  donné.  Les  vœux  em- 
brassent les  devoirs  plus  essentiels  de  son  engagement; 
tout  le  reste  est  déterminé  par  les  règles  et  par  les  pres- 
criptions des  supérieurs. 

Il  faut  remarquer  aussi  que  c'est  de  cette  incorporation 
des  sujets  dans  un  ordre  religieux  par  l'émission  des  vœux, 
que  naissent  les  devoirs  de  la  fraternité  religieuse  et  ceux 
du  détachement  évangélique  envers  les  parents. 

D.  Les  novices  et  ceux  qui  n'ont  pas  encore  fait 
les  vœux  ont-ils  des  devoirs  à  remplir  dans  une 
communauté  ? 

R.  Leur  admission  en  communauté  leur  crée 
trois  obligations  spéciales,    qui  regardent,  non  les 


—  18  — 

vœux ,  mais  les  vertus  religieuses  ;  nous  ne  ferons 
que  les  indiquer  ici. 

D.  Quelle  est  la  première  obligation  des  novices  ? 

R.  La  première  obligation  des  novices  est  celle  de 
répondre  à  leur  vocation  une  fois  connue  ,  et  de  ne 
rien  faire  qui  les  mette  en  danger  de  la  perdre  ,  ou 
de  se  faire  exclure. 

D.  Quelle  est  la  seconde  obligation  des  novices  ? 

R.  La  seconde  obligation  des  novices  est  celle  de 
s'appliquer  à  l'étude  de  la  vie  religieuse  ,  et  d'en 
acquérir  les  saintes  habitudes  par  la  pratique  des 
vertus ,  surtout  de  celles  qui  font  l'objet  des  trois 
vœux  de  religion. 

D.  Quelle  est  la  troisième  obligation  des  novices? 

R.  La  troisième  obligation  des  novices  est  celle 
d'observer  les  règles  et  d'être  soumis  aux  supérieurs  ; 
et  cette  obligation  naît  du  contrat  passé  ,  au  moins 
tacitement,  entre  eux  et  l'ordre  ou  la  congrégation  , 
par  le  seul  fait  de  leur  entrée  et  de  leur  admission. 
C'est  aussi  comme  une  première  donation  qui ,  of- 
ferte et  acceptée  ,  commence  à  faire  du  novice  un 
membre  de  la  famille  religieuse,  ejt  de  même  qu'elle 
lui  procure  des  avantages  ,  elle  lui  crée  aussi  des 
devoirs. 

Cette  troisième  obligation,  en  particulier,  est  pro- 
portionnellement semblable  à  celle  des  religieux  ,  et 
par  conséquent  ce  que  nous  dirons  de  la  vertu 
d'obéissance  devra  aussi  attirer  l'attention  des 
novices. 


DEUXIEME  PARTIE 

DES    TROIS    VOEUX    DE    RELIGION    EN    PARTICULIER, 


CHAPITRE  Ier. 

DE   LA    PAUVRETÉ    RELIGIEUSE. 


ARTICLE  Ier. 

DU    VOEU    DE    PAUVRETÉ 


SECTION   Ire.    —    MATIÈRE   ET   ÉTENDUE  DU   VŒU 
DE   PAUVRETÉ. 

D.  A  quoi  renonce   un  religieux  par   son  voeu  de 

PAUVRETÉ  ? 

R.  Il  n'est  pas  possible  de  satisfaire  par  une 
réponse  ge'nérale  à  cette  question,  parce  que  le  vœu 
de  pauvreté  a  plus  ou  moins  détendue,  et  impose 
des  obligations  plus  ou  moins  étroites  selon  la  diver- 
sité des  instituts.  Et  ce  n'est  pas  toujours  le  plus  ou 
moins  de  ferveur  qui  établit  ces  différences  dans 
les  corps  religieux  ;  elles  peuvent  être  réclamées  par 
la  différence  de  leurs  fins,  de  leurs  ministères,   etc. 

Il  est  donc  nécessaire  de  consulter  la  Règle  de 
chaque  ordre   ou  congrégation,  pour  pouvoir  dire 


—  20  — 

exactement  quel  est  le  sens  et  la  portée  du  vœu 
qu'on  y  fait. 

11  y  a  des  instituts  où  le  vœu  de  pauvreté  interdit  abso- 
lument au  religieux  tout  droit  et  tout  acte  de  propriété, 
jusqu'à  le  rendre  inhabile  à  rien  posséder,  £t  à  rien  acqué- 
rir pour  lui-même  en  propre  par  donation  entre-vifs,  legs 
testamentaire,  et  même  succession  légitime. 

Il  y  a  d'autres  instituts  ou  le  vœu  simple,  laissant  sub- 
sister le  droit  de  posséder  et  d'acquérir,  interdit  celui  de 
disposer  librement  de  ce  que  l'on  garde  en  propriété  :  de 
sorte  que  le  religieux  ne  peut  plus  alors,  sans  manquer  à 
son  vœu,  faire  aucun  acte  de  propriété,  même  par  rapport 
à  ses  propres  biens,  à  moins  que  la  permission  du  supérieur 
compétent  ne  lève  l'interdiction  posée  par  le  vœu. 

D.  Maintenant  dites-moi  clairement  quelle  est  l'es- 
sence du  vœu  de  pauvreté  dans  l'état  religieux. 

R.  Le  vœu  de  pauvreté  consiste  essentiellement 
à  s'interdire,  pour  plaire  à  Dieu,  ou  bien  le  droit  et 
l'acte,  ou  tout  au  moins  Y  acte  de  propriété. 

D.  Qu'entendez-vous  par  le  droit  de  propriété? 

R.  Par  le  droit  de  propriété  j'entends  celui  de 
posséder  ou  d'acquérir  en  propre  un  bien  temporel 
quelconque. 

D.  Qu'entendez-vous  par  l'acte -de  propriété? 

R.  Par  l'acte  de  propriété,  j'entends  la  dispo- 
sition indépendante  et  libre  d'un  bien  temporel,  ou 
d'un  objet  quelconque  estimable  à  prix   d'argent. 

D.  Indiquez  ce  qui  fait  ordinairement  la  matière 
du  vœu  de  pauvreté  dans  une  simple  congrégation. 

R.  Ce  sont  : 

1°  Tous  les  biens  et  objets  qui  n'appartiennent 


-  21  — 

point  en  propre  aux  religieux,  et  spécialement  ceux 
de  la  communauté'  ou  de  la  maison  ; 

2o  Ce  qu'il  aurait  donné  lui-même  ou  cédé  en 
propre  à  la  congrégation,  comme  un  trousseau, 
etc.,  puisqu'il  n'en  a  plus  le  domaine,  dès  que  la 
communauté  l'a  accepté. 

Un  novice  qui  sort  ou  qui  est  renvoyé  avant  d'avoir  fait 
les  vœux  peut  reprendre  tout  ce  qu'il  a  apporté  à  son 
entrée,  et  il  peut  de  même  réclamer  tous  les  dons  gratuits 
qu'il  aurait  fait9  à  la  maison.  C'est  une  prescription  for- 
melle du  concile  de  Trente,  qui  a  pour  but  de  protéger  la 
liberté  entière  du  novice. 

3°  Tous  les  dons  et  libéralités  qu'on  peut  lui  faire 
à  titre  de  reconnaissance,  d'affection  ou  d'aumône, 
car  tout  cela  revient  de  droit  à  la  communauté  ; 

4°  Pour  la  même  raison,  le  produit  de  son  travail 
et  de  son  industrie,  quel  qu'il  soit,  en  tant  qu'il 
est  estimable  à  prix  d'argent. 

Une  personne  religieuse  remarquera  donc  ici  deux  cho* 
ses  :  la  première,  combien  elle  doit  se  mettre  en  garde 
contre  l'illusion  de  la  cupidité,  qui  se  reporte  sur  ces  choses 
comme  si  elles  lui  appartenaient  ;  la  seconde,  avec  quelle 
fidélité  elle  doit,  quand  il  y  a  lieu,  tenir  ses  comptes  et  les 
rendre  aux  chefs  de  la  communauté. 

5°  Enfin,  tout  acte  de  propriété  par  rapport  aux 
biens  mêmes  qui  lui  appartiennent  :  de  sorte  que, 
pour  en  disposer  de  quelque  manière  que  ce  soit, 
il  doit  avoir  la  permission  du  supérieur. 

SECTION   II.  —DE  LA   VIOLATION  DU   VŒU   DE   PAUVRETÉ. 

D.  D'après  ces  exposés,  quand   est-ce    qu'un  reli^ 

GILTX.  PÈCHE  CONTRE  LE  VOEU   DE  PAUVRETÉ  ? 

R.   En  général,  un  religieux  manque  à  son   vœu 


—  22  — 

de  pauvreté,  lorsqu'il  se  met  en  possession  de  tout 
objet  tenant  à  la  matière  de  ce  vœu,  ou  qu'il  en 
dispose  comme  s'il  était  propriétaire,  c'est-à-dire 
indépendamment  de  la  volonté  du  supérieur. 

D.  Exposez  plus  en  détail  cette  doctrine  impor- 
tante. 

R.  Les  cas  où  Ton  pèche  contre  le  vœu  de  pau- 
vreté, même  dans  une  simple  congrégation  reli- 
gieuse, peuvent  se  réduire  à  neuf  principaux,  savoir: 

1°  S'approprier  le  bien  d' autrui,  2°  retenir  en  sa 
possession  un  objet  quelconque,  3°  le  donner  ou  le 
recevoir,  4°  le  vendre  ou  l'acheter  ou  l'échanger, 
5°  le  prêter  ou  l'emprunter,  6°  l'employer  à  une 
autre  destination  que  celle  qui  a  été  prescrite,  7°  le 
détruire  ou  le  laisser  perdre,  8°  l'emporter  avec  soi 
dans  une  autre  maison,  9°  disposer  de  ses  propres 
biens  en  quelque  manière  que  ce  soit,  sans  la  per- 
mission du  supérieur. 

D.  Donnez  quelque  explication  à  chacun  de  ces 
cas,  et  d'abord  au  premier. 

R.  Pour  le  premier  cas,  c'est  violer  le  vœu  de 
pauvreté,  que  de  s'approprier  quoi  que  ce  soit  du 
bien  d' autrui,  en  manquant  au  septième  comman- 
dement de  Dieu.  Il  en  est  de  même,  si  Ton  prend 
pour  soi  ou  pour  un  autre,  sans  permission,  un  objet 
quelconque  de  la  maison  ;  et  le  péché  est  ordinaire- 
ment plus  grave,  quand  l'objet  dérobé  se  trouve 
alors  détruit  par  l'usage.  Il  faut  remarquer  de  plus 
que  le  larcin  fait  à  une  maison  religieuse  prend  le 
caractère  de  sacrilège. 


—  23  — 
D.  Expliquez  le  second  cas. 

R.  C'est  violer  le  vœu  de  pauvreté,  que  de  rete- 
nir en  sa  possession ,  chez  soi  ou  chez  quelque  autre, 
une  chose  sans  permission,  surtout  de  la  garder 
avec  un  esprit  de  propriété  et  comme  si  on  en  était 
le  maître:  par  exemple,  quand  on  la  cache  aux 
supérieurs  pour  qu'ils  ne  la  retranchent  pas. 

D.  Expliquez  le  troisième  cas. 

R.  C'est  manquer  au  vœu  de  pauvreté,  que  de  don- 
ner ou  de  recevoir  sans  permission  quoi  que  ce  soit, 
à  qui  que  ce  soit  et  de  qui  que  ce  soit.  Dans  des  cir- 
constances exceptionnelles,  il  ne  serait  pas  défendu 
d'accepter  provisoirement  une  chose,  en  vertu  d'une 
permission  présumée  et  avec  l'intention  de  se  faire 
ensuite  autoriser  ;  mais  pour  la  garder,  l'autorisation 
est  nécessaire.  Quand  il  s'agit  de  recevoir  pour  la 
communauté  et  en  son  nom,  on  peut  ordinairement 
présumer  la  permission,  surtout  si  le  supérieur  est 
absent  ;  et  même  un  refus  arbitraire  du  religieux 
pourrait  être  une  faute  contre  la  charité,  en  ce  qu'il 
priverait  sans  juste  motif  la  communauté  d'un  bien 
qui  lui  est  offert.  Mais  les  dons  qu'on  lui  fait  pour 
lui-même,  sauf  les  biens  dont  le  vœu  lui  permet  la 
propriété,  doivent  être  remis  au  supérieur,  qui  les 
dispense  à  la  communauté  selon  les  besoins  de 
chacun. 

Dans  les  congrégations  dont  les  membres  vivent  seuls 
quelquefois,  il  est  clair  qu'ils  peuvent  alors  donner  l'au- 
mône aux  pauvres  selon  leurs  moyens,  reconnaître  un  ser- 
vice par  quelque  présent  convenable,  et  faire  certains  petits 
cadeaux  de  piété. 


—  24  — 

D.  Expliquez-moi  te  quatrième  cas. 

R.  C'est  agir  contre  le  vœu  de  pauvreté,  que  de 
vendre,  d1  acheter  et  d'ÉCHANGER  de  son  autorité 
propre  quelque  chose  de  la  communauté,  même 
sous  prétexte  qu'on  le  fait  dans  l'intérêt  de  la  mai- 
son ;  ou  de  vendre  et  d'acheter  sous  d'autres  con- 
ditions que  celles  qui  auraient  été  formellement 
prescrites  par  le  supérieur. 

D.  Expliquez  le  cinquième  cas. 

R.  C'est  blesser  le  vœu  de  fpauvreté,  que  de  prê- 
ter ou  d'EMPRUNTER  une  chose  sans  permission, 
soit  que  le  prêt  ou  l'emprunt  transfèrent  le 
domaine,  comme  il  arrive  pour  l'argent  ;  soit  qu'ils 
ne  confèrent  que  l'usage,  ce  qui  est  encore  faire  un 
acte  de  propriétaire.  Cependant  la  faute  est  beau- 
coup moins  grave  si  le  prêt  ou  l'emprunt  ne  sont 
que  pour  l'usage,  pourvu  qu'on  soit  sûr  que  l'objet 
sera  rendu.  La  faute  est  plus  légère  encore  quand 
on  se  prête  ainsi  entre  personnes  de  la  communauté; 
elle  sera  même  nulle,  si  une  coutume  légitime  l'au- 
torise. 

Dans  ces  petits  prêts  mutuels,  il  faut  éviter  à  la  fois  et 
le  laisser-aller  du  relâchement,  et  la  minutie  ou  la  rudesse  : 
par  exemple,  quand  votre  frère  vous  demande  une  chose, 
généralement  la  charité  doit  vous  faire  supposer  qu'il  a  la 
permission,  du  moins  ce  serait  le  blesser  à  tort  que  de 
l'en  interroger  sans  motif  sulïïsant. 

Ici  revient  l'interdiction  d'accepter  un  dépôt,  et 
de  répondre  en  qualité  de  caution,  sans  une  permis- 
sion formelle.  Mais  le  vœu  n'interdit  point  d'accep- 


—  23  — 

ter  de  l'argent  ou  d'autres  objets,  pour  écre  (7i-tri- 
bués  selon  l'intention  et  la  détermination  expresse 
du  donateur  ;  quoique  la  règle  puisse  exiger  sage- 
ment qu'on  ait  la  permission  pour  recevoir  ainsi,  et 
surtout  pour  garder  soi-même  cet  argent. 

D.  Expliquez  le  sixième  cas. 

R.  C'est  agir  en  propriétaire  et  manquer  au  vœu 
de  pauvreté,  que  de  faire  servir  les  choses  a 
d'autres  destinations  que  celles  qui  ont  été  fixées 
parle  supérieur  :  ce  qui  doit  appeler  surtout  l'atten- 
tion des  religieux,  soit  dans  certains  offices  qu'on 
leur  donne  à  remplir,  soit  dans  les  voyages,  où 
l'argent  confié  pour  en  faire  les  frais  ne  peut  être 
appliqué  sans  permission  à  un  autre  usage,  de  sorte 
que  le  surplus  doit  être  remis  au  supérieur. 

D.  Expliquez  le  septième  cas. 

R.  C'est  porter  atteinte  au  vœu  de  pauvreté,  que 
de  détruire  volontairement  un  objet,  ou  de  le  laisser 
perdre  ou  détériorer  par  négligence.  Un  religieux 
placé  à  la  cuisine,  à  la  dépense,  à  la  lingerie,  etc., 
peut  pécher,  même  grièvement,  en  ces  points  où 
la  diligence  est  pour  lui  une  obligation  spéciale. 
Mais  tous  ont  aussi  le  devoir  de  prendre  soin  des 
effets  que  la  religion  met  à  leur  usage,  et  ce  serait 
un  désordre  criant,  qu'ils  fussent  moins  soigneux, 
de  ménager  les  biens  de  Dieu,  qu'ils  ne  l'auraient 
été  de   ménager  leurs  biens  propres  dans  le  siècle. 

D.  Expliquez  le  huitième  cas. 

R.  On  blesse  le  vœu  de  pauvreté,  si  l'on  emporte 


—  26  - 

d'une  maison  dans  une  autre ,  en  changeant  de 
domicile  ,  au  delà  de  ce  qui  est  accordé  par  les  su- 
périeurs ou  par  une  coutume  légitime. 

D.  Expliquez  le  neuvième  cas. 

R.  Enfin  ,  tout  acte  de  propriété  est  tellement 
interdit  au  religieux,  qu'il  ne  peut  pas  même  garder 
l'administration  ,  ni  l'usage  ,  ni  l'usufruit  de  ses 
ibiens  personnels  ,  tant  que  dure  son  vœu  de  pau- 
vreté. 

D.  Quelles  sont  les  obligations  des  supérieurs  par 
rapport  au  vœu  de  pauvreté  ? 

R.  Le  vœu  de  pauvreté  impose  aux  supérieurs 
des  devoirs  vis-à-vis  d'eux-mêmes ,  et  vis-à-vis  de 
leurs  inférieurs. 

1°  Vis-à-vis  d'eux-mêmes,  les  supérieurs,  ayant  fait 
le  même  vœu  que  les  autres  religieux,  ont  les  mêmes 
obligations  pour  ce  qui  tient  à  leur  propre  personne. 
De  même  dans  l'administration  et  la  dispensation 
des  biens  de  la  religion,  ils  ne  peuvent  agir  en  pro- 
priétaires et  en  maîtres,  mais  seulement  comme  ins- 
truments de  l'autorité  supérieure  ,  et  conformément 
à  la  Règle. 

Leurs  infractions  ont  même  cela  de  spécial,  qu'outre 
le  péché  personnel  contre  le  vœu,  il  y  aurait  encore 
ordinairement  péché  de  scandale. 

2°  Vis-à-vis  de  leurs  inférieurs,  les  supérieurs 
violeraient  eux-mêmes  le  vœu  de  pauvreté  ,  s'ils 
permettaient  ou  accordaient  ce  qu'ils  n'ont  pas  le 
droit  d'accorder  ou  de  permettre,  et  leur  autorisation 
serait  nulle. 


-  27  — 

Ce  serait  encore  de  la  part  d'un  supérieur  une 
i  mnivence  coupable  ,  que  de  tolérer  dans  ses  infé- 
rieurs l'infraction  du  vœu  qu'il  peut  empêcher. 

D.  Quelle  est  la  quantité  requise  pour  qu'il  y  ait 
péché  mortel  contre  le  vœu  de  pauvreté  ? 

R.  Généralement  parlant,  c'est  la  même  quantité 
que  pour  un  péché  mortel  contre  le  septième  com- 
mandement de  Dieu  ;  dans  plusieurs  cas  néanmoins, 
il  faut  une  matière  plus  considérable. 

D.  En  violant  son  vœu  ,  le  religieux  ne  peut-il 
pas  pécher  aussi  contre  la  justice,  et  par  conséquent 
être  obligé  à  restitution  ? 

R.  Oui,  sans  doute,  tout  larcin  et  tout  dommage 
coupable,  fait  par  un  religieux  au  prochain  ou  à  la 
communauté,  est  à  la  fois  contre  son  vœu  et  contre 
la  justice  ,  et  alors  il  est  obligé  à  restitution  ,  même 
envers  la  communauté.  Il  faut  donc  qu'il  compense  le 
tort  injuste  qu'il  a  causé  à  la  maison,  ou  de  ses  biens 
personnels,  ou  par  un  travail  extraordinaire,  s'il  en 
est  capable,  ou  bien  qu'il  en  obtienne  la  remise  des 
supérieurs. 

SECTION  III. —  DE  LA  PERMISSION  QUI  EMPÊCHE  LA  VIO- 
LATION DU  VŒU  DE  PAUVRETÉ,  ET  DE  LA  COUTUME 
LÉGITIME. 

§  1.  De  la  permission. 

D.  Pourquoi  la  permission  empêche-t-elle  la  faute 
contre  le  vœu  ? 

R.  Parce  qu'elle  exclut  l'acte  de  propriété  inter- 
dit par  le  vœu,  et  que  dès  lors  le  religieux  n'agit 


—  23  — 

plus  comme  maître  ou  possesseur  de  la  chose,  mais 
comme  instrument  et  simple  exécuteur  de  la  volonté 
du  supérieur. 

D.  Toute  permission  met-elle   à  l'abri  du  péché  ? 
R.  Non,  il  n'y  a  que   la  permission  légitime. 

D.  Expliquez  bien  cette  matière,  qui  n'intéresse 
pas  moins  l'obéissance  que  la  pauvreté. 

R.  On  distingue  plusieurs  sortes  de  permissions  :  la 
permission  valide  ou  invalide,  la  permission  licite  ou 
illicite,  la  permission  expresse  ou  tacite,  la  permission 
particulière  ou  générale,  et  la  permission  présumée. 

D.  Qu'est-ce  que  la  permission  valide  et  la  per- 
mission invalide  ? 

R.  La  permission  valide  est  celle  que  le  supérieur 
a  le  droit  d'accorder  ;  la  permission  nulle  ou  invalide 
est  celle  qui  dépasse  son  pouvoir. 

D.  Que  faut-il  dire  de  la  permission  nulle  ou 
invalide  ? 

R.  En  matière  de  pauvreté,  le  supérieur  qui  donne 
une  permission  invalide  pèche  lui-même  contre  le 
vœu,  et  l'inférieur  qui  en  use  pèche  également,  s'il 
en  connaît  la  nullité . 

Une  permission  obtenue  par  fraude  ou  sur  de  faux 
exposés  est  une  permission  nulle  ;  elle  ^excuse  pas 
l'inférieur  du  péché  contre  le  vœu  de  pauvreté. 

D.  Qu'entendez-vous  par  la  permission  licite  et 
par  la  permission  illicite  ? 


—  29  — 

R.  Une  permission  est  licite  quand  elle  est  donnée 
pour  de  justes  motifs  ;  elle  est  illicite,  si  elle  est 
donnée  sans  motif  suffisant,  même  par  l'autorité 
compétente. 

D.  Qu'avez-vous  à  remarquer  sur  la  permission 
illicite  ? 

R.  La  permission  illicite  met  le  supérieur  qui  la 
donne,  et  l'inférieur  qui  en  use,  à  l'abri  du  péché 
contre  le  vœu,  mais  non  du  péché  contre  la  vertu 
de  pauvreté  :  car  ce  qui  est  valide  peut  être  encore 
illicite  ou  défendu,  et  le  pouvoir,  dit  saint  Paul, 
a  été  confié  aux  supérieurs  pour  édifier  et  non  pour  dé- 
truire. 

Une  permission  légitime  est  donc  celle  qui  est  tout 
à  la  fois  valide  et  licite. 

En  général,  il  n'est  pas  permis  aux  supérieurs  de  faire 
d'eux-mêmes,  ou  de  laisser  faire  à  leurs  inférieurs,  des 
dépenses  en  objets  de  luxe,  en  superfluités  et  en  achats 
contraires  à  l'esprit  de  la  règle  pour  l'entretien  ou  le  mobi- 
lier, même  sous  prétexte  d'économie  :  car  les  religieux  ne 
font  pas  profession  d'économie  précisément,  mais  de  pau- 
vreté. 

D.  Qu'est-ce  qu'une  permission  expresse  ? 

R.  La  permission  est  expresse  ou  formelle,  quand 
le  supérieur  exprime  formellement  sa  volonté  de 
permettre  quelque  chose. 

D.  Que  pensez-vous  de  la  permission  formelle  ou 
expresse  ? 

R.  Evidemment  c'est  la  plus  sûre  de  toutes,  quand 
elle  est  en  même  temps  valide  et  licite. 


—  30  — 

D.  Que  faut-il  entendre  parune  permission  tacite? 

R.  La  permission  tacite  ou  implicite  est  celle  que 
le  supérieur  donne  par  son  silence  même,  ou  qui  se 
trouve  renfermée  dans  une  permission  expresse  :  par 
exemple,  si  l'on  vous  a  dit  d'acheter  un  objet,  on  vous 
a  permis  implicitement  ou  tacitement  la  dépense 
que  nécessite  Tachât. 

D.  Un  religieux  peut-il  agir  en  sûreté  de  cons- 
cience avec  une  permission  tacite  et  implicite  ? 

R.  La  permission  tacite  et  implicite  est  suffisante, 
pourvu  qu'on  soit  fondé  à  croire  qu'elle  existe  en 
effet,  et  pourvu  qu'on  ne  lui  donne  pas  une  fausse 
interprétation. 

D.  Qu'est-ce  que  la  permission  particulière  et  la 
permission  générale  ? 

R.  La  permission  particulière  est  celle  que  le  supé- 
rieur donne  à  un  seul  et  pour  un  seul  cas  ;  la  permis- 
sion générale  est  celle  qu'il  donne  à  plusieurs  pour  le 
même  cas,  ou  à  un  seul  pour  plusieurs  cas. 

D.  Qu'avez-vous  à  dire  de  la  permission  géné- 
rale ? 

R.  La  permission  générale  est  légitime  sans  doute  ; 
mais  elle  deviendrait  illicite,  si  elle  tendait  à  l'affai- 
blissement de  la  discipline  religieuse. 

D.  Qu'est-ce  que  la  permission  présumée  et  quelle 
en  est  la  valeur? 

R.  La  permission  présumée  est  celle  qui  est  sup- 
posée existante  dans  la  volonté  du  supérieur,  parce 
que  Ton  juge   raisonnablement  qu'elle  serait  accor- 


_  31  - 

dée  si  elle  était  demandée.  Cette  permission  est  sou- 
vent suspecte  ;  elle  ne  vaut  même  rien  quand  c'est 
l'affection  déréglée  qui  ^la  suppose  faussement,  ou 
quand  on  sait  que  le  supérieur  ne  veut  accorder  la 
chose  qu'à  la  condition  qu'on  la  demandera.  Mais 
enlin  la  permission  présumée  de  bonne  foi  peut 
suffire  à  la  rigueur,  du  moins  dans  les  cas  où  il  est 
impossible  ou  difficile  de  recourir  au  supérieur  ; 
même  on  doit  s'en  servir,  si  l'on  est  persuadé  que 
le  supérieur  voudrait  qu'on  la  supposât,  par  exem- 
ple pour  ne  point  laisser  échapper  une  occasion  qui 
se  présente. 

D.  Quel  est  le  moyen  de  s'assurer  qu'on  ne  pré- 
sume pas  faussement  la  permission  ? 

R.  La  bonne  permission  présumée  est  celle  où  l'in- 
férieur, écartant  tout  amour-propre,  se  met  fran- 
chement par  la  pensée  en  présence  de  la  volonté  du 
supérieur,  et  fait  ensuite  exactement  ce  qu'il  juge 
qu'on  lui  dirait  de  faire  ;  dans  le  cas  même  oùf  il  ver- 
rait ensuite  qu'il  s'est  trompé,  il  n'aurait  pas  offensé 
Dieu. 

§  2.  De  la  coutume. 

Une  chose  qui  peut  se  rapporter  à  la  permission 
tacite  et  générale,  c'est  la  coutume  légitime. 

1).  Qu'entendez-vous  ici  par  la  coutume  ? 

R.  La  coutume  en  général  est  un  usage  non  écrit 
qui  s'introduit  peu  à  peu  dans  une  communauté,  soit 
pour  interpréter,  soit  pour  modifier  quelque  point  de 
la  Règle.  Légitimement  établie,  la  coutume  a  la  force 


—  32  — 

d'une  vraie  loi,  tant  pour  défendre  que  pour  per- 
mettre; si  elle  n'est  pas  légitime,  elle  n'a  aucune 
valeur. 

D.  Quand  est-ce  qu'une  coutume  est  légitime? 

R.  Une  coutume  n'est  légitime  qu'à  ces  trois  con- 
ditions : 

La  première,  qu'elle  soit  raisonnable  ; 

La  seconde,  qu'elle  existe  réellement  dans  la  ma- 
jeure partie  de  la  communauté,  et  non  pas  que  ce 
soit  le  fait  et  la  coutume  de  quelques-uns  seulement; 

La  troisième  condition,  qu'elle  se  trouve  suffisam- 
ment établie  par  la  prescription  du  temps,  sans  que 
l'autorité  compétente  ait  réclamé  contre  elle. 

Dans  un  corps  religieux,  une  coutume  qui  n'est  autorisée 
que  par  un  supérieur  particulier  est  ordinairement  abusive 
et  n'excuse  pas  ceux  qui  la  suivent. 

Une  coutume  peut  avoir  été  répréhensible  dans  son  ori- 
gine, même  pour  les  supérieurs  qui  l'ont  tolérée;  et  cepen- 
dant, par  la  prescription  du  temps  et  pour  éviter  un  plus 
grand  mal,  cette  même  coutume  peut  être  devenue  légi- 
time, au  moins  de  manière  à  exempter  du  péché.  C'est  ce 
qui  est  réellement  arrivé  dans  certains  ordres  ou  congréga- 
tions, pour  divers  points  de  la  Règle  primitive. 


ARTICLE  II. 

DE  LA  VERTU  DE  PAUVRETÉ. 

SECTION  Ire.  —  A  QUOI  LA  VEBTU  DE  PAUVRETÉ 
OBLIGE  LES  RELIGIEUX. 

D.  Qu'est-ce  que  la  vertu  de  pauvreté? 

II.  C'est  une  vertu  évangélique  qui  incline  le  cœur 


—  33  — 

du  chrétien  à  se  détacher  de  l'affection  aux  biens 
temporels. 

D.  Cette  vertu  est-elle  obligatoire  pour  un  reli- 
gieux? 

R.  Oui,  sa  profession  lui  en  fait  un  devoir,  et  il 
peut  pécher  contre  la  vertu  de  pauvreté,  même  sans 
qu'il  viole  son  vœu. 

D.  Quand  est-ce  qu'un  religieux  pèche  contre  la 
vertu  de  pauvreté? 

R  Un  religieux  peut  pécher  de  trois  manières 
contre  la  vertu  de  pauvreté,  même  sans  que  le  vœu 
soit  violé  : 

1°  Par  des  regrets  ou  des  désirs  contraires  à  cette 
vertu;  2°  par  un  attachement  déréglé  pour  quelque 
objet;  3°  par  l'usage  des  superfluités. 

D.  Expliquez  davantage  la  première  manière  de 
pécher  contre  la  vertu  de  pauvreté. 

R.  Pour  un  religieux,  la  première  manière  de 
pécher  contre  la  vertu  de  pauvreté  serait  de  reporter 
ses  affections  et  ses  regrets  sur  ce  qu'il  a  sacrifié,  ou 
de  nourrir  volontairement  des  désirs  pour  des  choses 
qu'on  ne  lui  donne  pas  et  qui  ne  conviennent  point 
à  sa  profession. 

Remarquez  cependant  qu'un  péché  formel  contre  le 
dixième  commandement  de  Dieu  serait  encore  une  viola- 
tion du  vœu  lui-même,  parce  que  l'acte  intérieur  du  désir 
coupable  revêt  la  malice  et  l'espèce  de  l'acte  extérieur. 

D.  Expliquezlaseconde  manière  de  blesser  la  vertu 
de  pauvreté. 

R.  La  seconde  manière  de  pécher  contre  la  vertu 


—  34  — 

de  pauvreté  serait  de  s'attacher  avec  dérèglement, 
même  à  un  objet  livré  à  son  usage.  Le  peu  de  valeur 
de  l'objet  n'est  pas  une  excuse  :  car  c'est  l'affection 
qui  fait  le  désordre,  et  cette  affection  est  d'autant  plus 
pitoyable  que  l'objet  en  est  plus  petit  et  plus  mince. 

Voilà  aussi  pourquoi,  dans  les  communautés  bien  réglées, 
on  ne  permet  guère  à  un  religieux  de  garder  entre  ses 
mains  les  objets  dont  il  serait  encore  propriétaire,  surtout 
s'il  est  question  d'une  somme  d'argent. 

D.  Expliquez  la  troisième  manière  de  pécher  con- 
tre la  vertu  de  pauvreté. 

R.  La  troisième  manière  de  manquer  à  la  vertu  de 
pauvreté  est  d'avoir  à  son  usage  des  choses  super- 
flues ou  trop  précieuses  pour  son  état.  Et  ce  n'est 
point  aux  particuliers  à  en  juger  d'après  leur  appré- 
ciation propre  ;  mais  ces  points  sont  ordinairement 
définis  par  les  règles  et  par  les  déclarations  des 
chefs  de  l'institut. 

D.  Signalez-nous  le  principal  devoir  qu'impose  aux 
religieux  la  vertu  de  pauvreté. 

R.  Le  principal  devoir  que  la  vertu  de  pauvreté 
impose  aux  religieux,  c'est  la  vie  commune,  qui  de- 
vient aussi  pour  chacun  d'eux  la  source  de  bien  des 
mérites. 

D.  Qu'entendez-vous  par  la  vie  commune? 
à.  La  vie  commune,  dans  une  maison  religieuse, 
consiste  en  ce  que  chacun,  sans  en  excepter  les  supé- 
rieurs, doive  se  contenter  de  ce  qu'on  donne  à  tous 
pour  la  nourriture,  l'entretien,  etc.,  sans  le  moindre 
privilège  en  faveur  de  personne,  et  sans  aucune  dis- 
pense qui  ne  soit  vraiment  nécessaire. 


—  33  — 

La  vie  commune  est  un  point  capital  pour  la  conserva- 
tion de  l'esprit  religieux.  Aussi  les  supérieurs^ sont-ils  obli- 
gés de  la  mainteniravec  sollicitude  et  fermeté,  et  les  infé- 
rieurs ne  sauraient  montrer  trop  d'empressement  et  trop 
de  délicatesse  à  la  garder. 

Il  faut  néanmoins" observer  deux  choses  :  la  première,  que 
les  supérieurs  ne  peuvent  exiger  la  vie  commune  qu'autant 
qu'ils  pourvoient  eux-mêmes  convenablement  aux  nécessi- 
tés de  chacun;  — la  seconde,  qu'une  exception  commandée 
par  de  justes  motifs,  mais  dont  le  supérieur  est  le  juge  légi- 
time, n'est  pas  contraire  à  la  vie  commune. 

D.  Indiquez  ce  qui  pourrait  être  le  plus  nuisible 
à  la  vie  commune. 

R.  La  brèche  la  plus  fatale  à  la  vie  commune, 
ou  pour  mieux  dire  au  mur  de  la  pauvreté  religieuse, 
serait  l'usage  des  pécules.  On  entend  par  là  une 
somme  d'argent  provenant  ou  des  biens  propres 
du  religieux,  ou  de  dons  reçus  d'ailleurs,  par  exem- 
ple de  ses  parents,  et  dont  le  supérieur  consentirait 
à  lui  laisser  le  libre  emploi.  Cet  abus,  qui  ne  va  rien 
moins  qu'à  la  ruine  de  l'esprit  de  pauvreté,  est  en- 
core fort  nuisible  à  l'union  fraternelle  et  à  l'édifica- 
tion. Il  serait  même  contre  le  vœu,  si  le  supérieur 
renonçait  au  droit  de  révoquer  la  permission,  ou  s'il 
donnait  une  permission  invalide  et  contraire  aux 
constitutions. 

STCTION  II.  —  DE  LA  DISTRIBUTION  QU'UN  RELIGIEUX 
FAIT   DE    SES  BIENS    PROPRES. 

D.  De  quelle  manière  un  religieux  doit-il  disposer 
de  ses  propres  biens  dans  le  dépouillement  e'vangé- 
lique? 

R.  Pour  suivre  le  conseil  de  Jésus-Christ,  il  doit 


—  3G  — 

les  donner  aux  pauvres,  c'est-à-dire  les  appliquer 
à  des  œuvres  pies  et  agréables  à  Dieu.  C'est  pour- 
quoi, après  avoir  satisfait  aux  obligations  que 
peuvent  lui  imposer  la  justice,  la  piété  filiale,  la 
reconnaissance  et  l'édification  publique,  il  dispose 
du  reste  de  ses  biens,  selon  sa  propre  dévotion,  avec 
la  permission  toutefois  du  supérieur,  qui  doit  veiller 
à  ce  qu'il  agisse  sur  ce  point  en  bon  religieux,  mais 
sans  gêner  l'exercice  vertueux  de  sa  liberté.  Dans  les 
questions  douteuses  ou  d'un  intérêt  délicat,  il  est 
sage  de  consulter  quelque  personne  désintéressée, 
éclairée  et  vertueuse. 


SECTION  III.  —  DES  AVANTAGES  ET  DE  LA  PRATIQUE 
DE  LA  PAUVRETÉ  RELIGIEUSE. 

D.  Quels  sont  les  avantages  et  le  prix  de  la  pau- 
vreté religieuse? 

R.  Deux  choses  en  font  bien  ressortir  l'excel- 
lence: 

La  première  est  que  c'est  elle  qui  est  appelée  le 
mur  de  la  religion,  c'est-à-dire  qu'elle  en  est  le  fon- 
dement et  le  rempart,  tant  pour  le  corps  entier  que 
pour  chacun  des  membres. 

La  seconde,  que  la  pauvreté  religieuse  est  une 
riche  et  précieuse  matière  de  mérites,  quand  on  en 
prend  bien  l'esprit  et  qu'on  en  observe  fidèlement 
les  saintes  délicatesses.  Aussi  Notre-Seigneur  lui 
a-t-il  promis,  avec  le  centuple  dès  cette  vie,  non- 
seulement  Yhéritage  de  la  vie  éternelle,  mais  encore 
un  trésor  dans  le  ciel. 


—  37  — 

D.  Indiquez-en  sommairement  la  pratique  ,  et 
les  degrés  de  perfection. 

R.  Pour  la  pratique  extérieure  de  la  pauvreté 
religieuse  : 

Un  premier  degré  est  de  renoncer  réellement  aux 
biens  temporels,  et  de  ne  disposer  de  rien  qu'avec; 
dépendance  du  supérieur  :  c'est  la  matière  même  du 
vœu. 

Va  second  degré  est  de  se  contenter  du  nécessaire, 
d'écarter  toute  affection  déréglée,  ainsi  que  toute! 
superlluité  pour  les  choses  de  son  entretien  :  c'est  la 
matière  obligatoire  de  la  vertu. 

Un  troisième,  de  se  porter  à  ce  qu'il  y  a  de  moin- 
dre dans  la  communauté,  et  d'être  content  que  ce  soit 
là  notre  part,  pour  l'habitation,  les  vêtements,  etc. 

Un  quatrième,  d'aimer  à  manquer  même  quelque- 
fois du  nécessaire,  avec  discrétion  cependant  et  sans 
préjudice  pour  la  santé,  et  de  nous  réjouir  quand 
Jésus-Christ  Notre-Seigneur  nous  fait  part  de  sa 
pauvreté. 

Pour  la  pratique  intérieure  : 

Un  religieux  qui  a  l'esprit  de  pauvreté  s'accou- 
tumera à  regarder  comme  consacré  à  Dieu  tout  ce 
qui  est  à  la  communauté  et  même  à  son  usage. 

Il  ne  tiendra  à  rien  et  sera  toujours  prêt  à  se  laisser 
dépouiller  de  tout. 

Il  aimera  à  se  considérer  comme  un  pauvre,  qui 
reçoit  tout  par  aumùne  et  qui  est  reconnaissant  de 
tout  ce  qu'on  lui  donne ,  bien  loin  de  croire  qu'on 
lui  fasse  tort  quand  on  lui  refuse  quelque  chose. 


-38  — 

Enfin,  il  pratiquera  le  dépouillement  de  tous  les 
biens  temporels  et  des  aises  qu'ils  procurent  : 

Par  principe  de  mortification  et  de  pénitence,  en 
expiation  de  ses  péchés  ; 

Par  mépris  des  biens  de  la  terre,  et  pour  s'assurer 
les  biens  du  ciel  ; 

Par  amour  pour  Jésus-Christ,  son  divin  Roi,  et 
par  le  désir  de  lui  ressembler  dans  sa  pauvreté,  et 
afin  que  toutes  ses  affections  soient  à  lui  sans  partage. 


CHAPITRE  IL 

DE   LA    CHASTETE    RELIGIEUSE. 

ARTICLE  Ier. 

DU  VOEU  ET  DE  LA  VERTU  DE  CHASTETÉ. 

D.  A  quoi  s'oblige  un  religieux  par  son  vœu  de 
chasteté  ? 

R.  Il  s'impose  deux  obligations  :  la  première,  de 
renoncer  au  mariage  ;  la  seconde,  d'éviter  tout  acte 
extérieur  et  intérieur,  déjà  défendu  par  le  sixième 
et  le  neuvième  commandement  de  Dieu. 

Le  vœu  de  chasteté  ajoute  une  nouvelle  obligation  à  celle 
de  ces  deux  commandements,  et  si  le  religieux  viole  son 
vœu,  il  commet  un  second  péché,  de  sacrilège,  qu'il  doit 
aussi  déclarer  en  confession,  à  moins  que  le  confesseur  ne 
connaisse  déjà  le  vœu  qu'il  a  fait.  En  outre,  il  y  a  souvent 
dans  la  faute  extérieure  un  troisième  péché  de  scandale, 
qui  attaque  la  religion  et  la  charité,  en  couvrant  toute  une 
communauté  religieuse  de  l'infamie  attachée  à  ces  sortes  de 
péchés. 


—  39  — 

D.  Toute  infraction  de  la  vertu  est-elle  aussi  une 
violation  du  vœu  de  chasteté? 

R.  Oui,  et  ici  il  n'y  a  point  de  distinction  à  faire, 
comme  en  matière  de  pauvreté  et  d'obéissance. 

D.  Tout  péché  contre  la  chasteté  est-il  toujours 
péché  mortel  ? 

R.  Oui,  dès  lorsque  c'est  un  acte  pleinement  con- 
senti et  directement  défendu  par  le  sixième  ou  le 
neuvième  commandement,  et  il  ne  peut  y  avoir  en 
ce  point  légèreté  de  matière:  tels  sont  non-seulement 
les  actes  extérieurs,  mais  encore  les  complaisances 
intérieures  et  les  mauvais  désirs,  quand  ils  sont  com- 
plètement délibérés  et  volontaires. 

D.  Toute  pensée  ou  impression  mauvaise  est-elle 
coupable? 

R.  Pour  qu'elle  soit  coupable,  il  faut  qu'il  y  ait  at- 
tention de  l'esprit  et  consentement  de  la  volonté. 

Il  peut  exister  en  nous  deux  sortes  de  pensées  mauvaises  : 
l'une  qui  sort  de  notre  propre  volonté  et  que  nous  produi- 
sons ou  entretenons  librement  nous-mêmes  par  affection  au 
mal  ;  l'autre  qui  vient  de  l'ennemi  du  salut  ou  du  mauvais 
penchant  qui  est  en  nous  malgré  nous-mêmes.  La  pre- 
mière nous  appartient,  et  nous  en  avons  la  responsabilité 
devant  Celui  qui  lit  au  fond  de  no»  âmes;  la  deuxième  ne 
nous  appartient  point,  nous  n'en  sommes  pas  responsables, 
tant  que  nous  ne  la  voulons  pas,  que  nous  tâchons  de  l'ex- 
clure, que  nous  n'y  consentons  pas.  Il  y  a  même  plus  :  car 
si  nous  résistons  a  la  mauvaise  pensée^  bien  loin  d'offenser 
Dieu,  nous  avons  le  mérite  de  la  victoire,  et  ce  mérite  est 
d'autant  plus  grand  que  la  tentation  se  montre  plus  opi- 
niâtre. 

Il  en  faut  dire  autant  des  impressions  mauvaises  qui  pour- 
raient survenir  dans  les  sens.  Nous  ne  refondrons  que  de 
celles  dont  nous  aurons  été  cause,  ou  auxquelles  la  volonté 
aura  pris  une  libre  part  ;   mais  celles  que  nous  désavouons 


de  tout  noire  cœur  ne  peuvent  aucunement  nous  rendre 
coupables;  elles  sont  même  alors  un  exercice  de  vertu,  par 
l'horreur  qu'elles  nous  causent  et  par  l'empressement  avec 
lequel  elles  nous  font  recourir  à  Dieu. 

D.  Outre  les  péchés  directement  contraires  à  la 
chasteté,  n'y  en  a-t-il  pas  d'autres  qui  la  blessent 
aussi,  du  moins  indirectement  ? 

R.  Oui,  ce  sont  les  actes  extérieurs  ou  intérieurs 
qui  y  préparent,  et  ceux  qui  nous  y  exposent  à  raison 
de  notre  fragilité. 

Telles  sont  les  libertés  que  l'on  donne  à  ses  pen- 
sées ou  à  ses  sens,  et  qui  deviennent  des  péchés  plus 
ou  moins  graves,  selon  qu'elles  créent  un  danger 
plus  ou  moins  prochain  de  consentir  au  péché 
impur. 

D.  Donnez  quelques  éclaircissements  sur  cette 
matière  délicate,  et  d'abord  quant  aux  actes  exté- 
rieurs. 

R.  Pour  les  yeux,  il  y  a  les  immodesties,  les  regards 
trop  libres  et  les  lectures  dangereuses. 

Pour  les  oreilles,  il  y  a  les  complaisances  à  écouter 
ce  qui  ne  convient  pas,  à  accueillir  des  flatteries,  des 
compliments  suspects  et  des  expressions  d'une  ten- 
dresse trop  vive. 

Pour  la  langue,  il  y  a  les  paroles  équivoques,  peu 
décentes,  trop  affectueuses,  soit  qu'on  les  exprime  de 
vive  voix  ou  par  écrit  -,  il  y  a  encore  les  chansons 
mondaines  et  profanes,  bien  plus  répréhensibles  sur 
des  lèvres  consacrées  à  Dieu. 

Pour  le  toucher,  il  y  a  les  familiarités,  les  jeux  de 
mains,  et  autres  témoiguages  d'affection  sensible. 


—  41  — 

Ces  choses  sont  toujours  fort  dangereuses,  principa- 
lement si  elles  viennent  d'un  attachement  déréglé. 

D.  Ajoutez  ce  qui  regarde  les  actes  intérieurs. 

R.  Pour  les  actes  intérieurs,  il  y  a  les  souvenirs  de 
la  mémoire  ou  les  représentations  séduisantes  de 
l'imagination,  même  sans  qu'il  y  ait  encore  complai- 
sance directe  de  la  volonté  au  mal  lui-même.  De  la 
part  du  cœur  enfin,  il  y  a  les  affections  trop  tendres 
et  les  amitiés  sensuelles. 

Un  religieux  doit  avoir  tout  cela  en  aversion ,  comme 
plein  de  périls  pour  lui,  et  compromettant  déjà  plus 
ou  moins  gravement  la  vertu  angélique. 

D.  Un  acte  qui  paraîtrait  moins  coupable  dans  une 
personne  du  siècle  ne  peut-il  pas  devenir  un  péché 
grave  dans  un  religieux  ? 

R.  Oui,  à  raison  du  scandale  que  peut  donner  faci- 
lement une  personne  consacrée  au  Seigneur  :  par 
exemple,  il  en  sera  très  souvent  ainsi  des  relations 
douteuses  ou  suspectes  qu'on  se  permettrait  entre 
personnes  de  sexe  différent 


ARTICLE  II. 

DES   MOYENS  DE'  CONSERVER  INTACTE   LA   CHASTETÉ 
RELIGIEUSE. 

D.    Que  doit-on   faire  dans  les     tentations  inté- 
rieures ? 

R.  Ii#faut  aussitôt  prendre  le  bouclier  et  les  autres 


—  42  — 

armes  de  la  foi  :  c'est-à-dire  se  rappeler  vivement  la 
présence  de  Dieu ,  implorer  son  secours  avec  con- 
fiance, et  puis  combattre  résolument  et  sans  trouble. 

D.  Ne  faut-il  pas  quelque  chose  de  plus  dans  les 
tentations  extérieures? 

R.  Il  est  de  plus  indispensable  de  fuir  l'occasion 
du  péché,  et  même  c'est  souvent  alors  un  devoir 
grave  de  conscience  d'en  avertir  les  supérieurs. 

D.  Quels  sont  les  préservatifs  nécessaires  à  la  chas- 
teté? 

R.  On  peut  les  réduire  à  sept,  savoir  : 
La  garde  des  sens,  la  fuite  de  l'oisiveté,  celle  des 
occasions,  la  promptitude  à  repousser  la  tentation, 
le  soin  d'éviter  les  amitiés  sensibles,  la  tempérance 
et  l'ouverture  de  conscience.  Chacun  de  ces  préser- 
vatifs demande  quelques  mots  d'explication. 

D.  Revenez  sur  le  premier  préservatif. 

R.  Le  premier  préservatif  est  la  garde  des  sens, 
et  spécialement  la  retenue  dans  les  regards  :  car  le 
Saint-Esprit  nous  avertit  que  nos  sens  sont  les  fenê- 
tres de  notre  âme,  et  que  c'est  par  là  aue  la  mort  y 
entre  facilement. 

D.  Indiquez  le  second  préservatif. 

R.  Le  second  est  la  fuite  de  l'oisiveté  :  ne  soyez 
point  désœuvré  ni  rêveur  ;  que  V ennemi  vous  trouve 
toujours  occupé,  et  ses  tentations  seront  rares  ou  im- 
puissantes. 

D.  En  quoi  consiste  le  troisième  préservatif? 


-  43  — 

R.  Il  consiste  à  éviter  les  occasions  :  car,  dit  le 
Sage,  celui  qui  aime  le  danger  y  périra.  Pour  un  re- 
ligieux, c'est  un  devoir  de  fuir  le  contact  du  monde, 
sauf  les  cas  de  vraie  nécessité  :  il  y  serait  plus  exposé 
et  plus  vulnérable  peut-être  que  les  séculiers  eux- 
mêmes.  A  plus  forte  raison  doit-il  être  fidèle  aux  pré- 
cautions que  commande  la  règle,  surtout  pour  les 
rapports  avec  les  personnes  d'un  autre  sexe. 

D.  Quel  est  le  quatrième  préservatif? 

R.  Le  quatrième  est  la  promptitude  à  arrêter  la  ten- 
tation dans  son  principe  ;  on  secoue  un  charbon  de 
feu  aussitôt  qu'on  le  sent,  sinon  il  brûle  et  prépare 
un  incendie  ;  d'ailleurs  il  est  bien  plus  facile  de  se 
débarrasser  d'une  première  impression,  que  lors- 
qu'elle a  déjà  pénétré  dans  l'âme. 

D.  Quel  est  le  cinquième  préservatif? 

R.  Le  cinquième  est  de  tenir  son  cœur  à  l'abri  des 
affections  trop  humaines  et  de  fuir  les  amitiés  sensi- 
bles ;  celles  même  où  l'on  ne  croit  pas  voir  de  mal 
commencent  par  amollir  l'âme,  et  bientôt  elles  allu- 
ment la  concupiscence. 

D.  Indiquez  le  sixième  préservatif. 

R.  Le  sixième  est  d'éviter  toute  intempérance, 
principalement  dans  le  boire. 

D.  Quel  est  le  septième  préservatif? 

R.  Le  septième,  et  celui  qu'il  faut  recommander 
davantage,  parce  qu'il  garantit  l'emploi  de  tous  les 
autres,  c'est  d'avoir  touiours   une  grande  ouverture 


—  44  — 

de  cœur  et  une  sincérité  parfaite  envers  les  guides 
de  son  âme,  c'est-à-dire  envers  le  confesseur  et  ie 
supérieur. 

D.  Ne  peut-on  pas  encore  signaler  d'autres  moyens 
efficaces  pour  mieux  se  conserver  dans  la  pureté  ? 

R.  Oui,  voici  encore  cinq  moyens  d'assurer  en 
nous  la  vertu  angélique  : 

1°  L'humilité,  qui  fera  craindre  les  louanges  et 
fuira  toute  recherche  dans  les  vêtements  et  la  tenue, 
qui  maintiendra  l'âme  dans  la  défiance  d'elle-même, 
et  attirera  ainsi  le  secours  divin  sans  lequel  on  ne 
peut  être  chaste,  selon  ce  qui  est  écrit  :  Dieu  résiste 
aux  superbes,  mais  il  donne  sa  grâce  aux  humbles  ; 

2°  L'amour  de  la  mortification  et  de  la  prière  ;  ce 
genre  de  démon,  dit  Notre-Seigneur,  ne  se  chasse  que 
par  la  prière  et  le  jeûne  ; 

3°  La  pratique  exacte  des  règles  de  la  modestie; 

4°  De  même,  la  fidélité  à  toutes  les  autres  règles 
et  aux  moindres  devoirs  de  son  état  :  par  là,  notre 
âme  se  maintient  dans  son  énergie,  et,  selon  la  parole 
de  Notre-Seigneur,  celui  qui  est  fidèle  dans  les  petites 
choses  le  sera  aussi  dans  les  grandes; 

5°  Une  grande  dévotion  à  Marie,  la  Reine  et  la 
protectrice  spéciale  des  vierges. 


ARTICLE  III. 

DES  AVANTAGES  DE  LA  CHASTETÉ  RELIGIEUSE. 

D.  Quels  sont  les  avantages  de  la  chasteté  reli- 
gieuse? 


—  45  — 

R.  On  ne  peut  qu'indiquer  ici  ce  qu'en  ont  dit  à 
Tenvi  les  saints  Docteurs  : 

Par  la  chasteté,  le  religieux,  selon  saint  Paul,  est 
affranchi  des  sollicitudes  du  monde  et  de  la  famille  : 
il  ne  lui  reste  qu'un  soin  sur  la  terre,  celui  de  plaire 
au  Seigneur,  et  son  cœur  n'est  plus  divisé  dans  ses 
allections. 

Par  la  chasteté  il  vit,  dès  ce  lieu  d'exil,  comme 
vivent  les  anges  dans  le  ciel.  Il  jouit  de  la  béatitude 
promise  aux  cœurs  purs,  devoir  Dieu  et  de  le  goûter 
dans  la  communion  et  la  prière.  Son  âme  est  en  pos- 
session de  la  liberté,  et  d'une  paix  qui  surpasse  tout 
sentiment  ;  au  lieu  de  cette  tyrannie,  de  ces  remords 
et  de  ces  troubles  auxquels  sont  en  proie  les  cœurs 
corrompus  ou  peu  fidèles. 

Par  la  chasteté  l'âme  religieuse  a  l'inestimable 
honneur  d'être  Tépouse  de  Jésus-Christ,  le  Roi  des 
rois. 

Par  la  chasteté  elle  devient,  comme  Marie,  la 
mère  selon  l'esprit  de  nombreux  enfants  :  Dieu  bénit 
son  zèle  avec  surabondance,  et  l'autorité  de  sa  vertu 
donne  une  efficacité  toute  spéciale  à  ses  paroles  et  à 
ses  œuvres. 

Enfin,  par  la  chasteté  les  religieux  honorent  sin- 
gulièrement la  sainte  Eglise  catholique,  notre  Mère, 
dont  cette  céleste  vertu,  en  eux  surtout  comme  dans 
les  prêtres,  est  l'ornement  et  la  gloire. 


—  46  — 
CHAPITRE  III. 

DE   L'OBÉISSANCE   RELIGIEUSE. 

ARTICLE  I<*. 

DU  VOEU    D'OBÉISSANCE. 

SECTION.  ]>e.  —  PRÉÉMINENCE   DE    CE  YCEU  SUR  LES  DEOX 
AUTRES. 

D.  Quelle  estime  un  religieux  doit-il  avoir  pour  le 
vœu  d'obéissance? 

R.  Il  doit  le  regarder  comme  le  principal  des  trois 
vœux  de  religion,  c'est-à-dire  comme  celui  qui  a  la 
prééminence  sur  les  deux  autres,  et  qui  est  le  plus 
nécessaire  à  l'état  religieux. 

D.  Pourquoi  le  vœu  d'obéissance  a-t-il  la  préémi- 
nence sur  les  deux  autres  vœux? 

R.  Parce  qu'un  religieux,  par  son  vœu  d'obéis- 
sance, offre  et  consacre  à  Dieu  les  biens  intimes  de 
l'âme,  et  par  conséquent  ce  qu'il  possède  de  plus 
précieux  et  de  plus  cher,  savoir  sa  propre  volonté 
avec  les  autres  puissances  qui  en  dépendent  ;  et 
comme  l'obéissance  religieuse  s'étend  sur  tout  le  dé- 
tail de  la  vie  entière,  c'est  l'holocauste  ou  le  sacri- 
iice  parfait. 

D.  Pourquoi  le  vœu  d'obéissance  est-il  le  plus  né- 
cessaire à  l'état  religieux? 

R.  Parce  que  c'est  le   vœu  d'obéissance  qui  con- 


stilue  proprement  le  corps  religieux.  Il  en  est  le  lien 
indispensable,  et  il  est  encore  le  ressort  puissant  qui 
doit  communiquer  à  tous  les  membres  de  ce  corps 
le  mouvement  et  la  vie. 

SECTION  II.  —  DES  OBLIGATIONS  DU    VŒU    D'OBÉISSANCE. 

D.  A  quoi  s'engage  un  religieux  par  son  vœu 
d'obéissance  ? 

R.  Il  promet  à  Dieu  d'obéir  à  ses  supérieurs  légi- 
times DANS  TOUT  CE  QU'lLS  COMMANDERONT  SELON  LA 
RÈGLE. 

D.  Expliquez-moi  d'abord  ces  paroles  :  tout  ce 

QUE  COMMANDERONT  LES  SUPERIEURS. 

R.  Pour  bien  comprendre  les  devoirs  de  l'obéis- 
sance religieuse  en  général ,  il  faut  distinguer  dans 
les  supérieurs  un  triple  pouvoir  de  commander. 

D.  Quel  est  le  premier  pouvoir  qui  se  trouve  dans 
un  corps  religieux  ? 

R.  Le  premier  pouvoir  est  celui  que  l'Église , 
c'est-à-dire  le  Pape  ou  du  moins  l'Évêque,  a  conféré 
au  fondateur  de  l'ordre  ou  de  la  congrégation,  d'im- 
poser la  règle  et  les  constitutions  ;  et  aux  supérieurs 
du  même  corps,  d'y  ajouter  des  statuts  et  des  règles. 
C'est  en  vertu  de  ce  pouvoir  que  l'obéissance  est 
due  aux  constitutions,  aux  statuts  et  aux  règles. 

D.  Quel  est  dans  les  supérieurs  le  second  pouvoir 
de  commander  ? 

R.  Le  second  pouvoir,  également  consacré  par  TÉ- 


—  48  — 

glise,  ressemble  au  pouvoir  paternel  dans  la  famille  : 
c'est  celui  qu'ont  les  supérieurs  ,  comme  chefs  de  la 
famille  religieuse ,  de  commander  à  leurs  inférieurs 
tout  ce  qui  est  dans  les  limites  de  la  règle ,  et  de 
disposer  ainsi  de  leurs  actes  pour  le  service  de  Dieu 
et  le  bien  de  la  communauté. 

Ce  second  pouvoir  peut  être  communiqué  même 
j  des  subalternes  ;  et  alors  on  doit  obéir  à  ces  officiers 
inférieurs  ,  comme  aux  supérieurs  eux-mêmes , 
pour  la  portion  d'autorité  qui  leur  est  confiée. 

De  plus,  ce  second  pouvoir  établit  l'obligation  de 
suivre  les  prescriptions  des  supérieurs  ,  de  même 
que  le  premier  pouvoir  établit  l'obligation  de  gar- 
der les  statuts  et  les  règles,  indépendamment  même  du 
vœu  d'obéissance  :  et  c'est  pourquoi  les  novices  sont 
eux-mêmes  soumis  à  l'un  et  à  l'autre  de  ces  deux 
pouvoirs,  comme  nous  l'avons  déjà  déclaré. 

D.  Quel  est  le  troisième  pouvoir  que  possèdent 
les  supérieurs  ? 

R.  Le  troisième  pouvoir  ,  toujours  sanctionné  par 
l'Église  ,  mais  plus  spécial  et  plus  sacré  ,  est  celui 
qui  résulte  du  vœu  d'obéissance.  Quand  un  religieux 
fait  à  Dieu  ce  vœu,  il  s'impose  une  obligation  beau- 
coup plus  stricte  et  plus  grave  d'obéir  au  supérieur  , 
chaque  fois  que  celui-ci  commandera  en  vertu  de 
ce  même  vœu  ,  de  sorte  que  ,  s'il  désobéit  alors  ,  il 
commet  un  péché  qui  est  la  violation  même  du 
vœu  qu'il  a  fait. 

D.  Que  signifient  ces  autres  paroles  :  selon  la 
règle  1 


—  49  — 

R.  Elles  signifient  que  les  supérieurs  ont  le  droit 
de  commander  non-seulement  ce  qui  se  trouve 
expressément  dans  la  règle  ,  mais  encore  ce  qui 
peut  y  être  implicitement  renfermé  :  telles  sont  les 
pénitences  contre  ceux  qui  la  transgressent ,  les 
moyens  propres  à  en  procurer  l'observation ,  la 
manière  de  bien  remplir  les  emplois  ,  et  tout  ce  qui 
tient  à  une  bonne  et  droite  administration. 

Mais  les  supérieurs  ne  peuvent  point  commander, 
je  ne  dis  pas  seulement  ce  qui  serait  péché  même 
véniel,  mais  encore  ce  qui  est  évidemment  contraire 
à  l'institut ,  ou  en  dehors  des  devoirs  qu'il  impose. 
Dans  le  doute  cependant  ,  l'inférieur  est  obligé 
d'obéir,  sauf  le  recours  à  une  autorité  supérieure. 

D.  Dites-moi  maintenant  quelle  est  la  matière 
précise  du  vœu  d'obéissance. 

R.  La  matière  précise  du  vœu  d'obéissance  est 
uniquement  celle  où  le  supérieur  déclare,  en  com- 
mandant ,  vouloir  obliger  le  religieux  en  vertu  de 
son  vœu.  Toute  autre  injonction  du  supérieur  tire 
son  obligation  du  second  pouvoir  expliqué  plus 
haut,  et  fait  l'objet,  non  du  vœu,  mais  de  la  vertu 
d'obéissance,  comme  nous  l'expliquerons  bientôt. 

D.  Comment  le  supérieur  déclare-t-il  sa  volonté 
d'obliger  en  vertu  du  vœu  ? 

R.  Par  ces  formules  :  En  vertu  de  la  sainte  obéis- 
sance ,  ou  bien  :  Au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  et  autres  semblables. 


-  oO  - 

D.  Quand  est-ce  que  l'on  pèche  mortellement  con- 
tre le  vœu  d'obéissance  ? 

R.  On  pèche  mortellement  contre  le  vœu  d'obéis- 
sance chaque  fois  que  l'on  désobéit ,  dans  une 
matière  suffisamment  grave  ,  à  un  commandement 
du  supérieur  imposé  de  la  sorte  en  particulier  ou 
en  général,  de  vive  voix  ou  par  écrit,  immédiatement 
par  lui-même  ou  par  l'entremise  d'un  autre. 

En  matière  légère,  le  supérieur  ne  pourrait  pas  obliger 
sous  peine  de  péché  mortel,  même  en  vertu  du  vœu  ;  mais 
il  faut  remarquer  que,  dans  les  communautés  religieuses, 
une  matière  qui  semble  légère  en  soi  peut  facilement,  à 
raison  de  l'intérêt  commun,  devenir  grave  par  la  fin  ou  les 
circonstances. 

D.  Tout  supérieur ,  dans  un  corps  religieux , 
a-t-il  le  droit  de  commander  en  vertu  du  vœu 
d'obéissance  ? 

R.  Cela  dépend  des  constitutions  :  ordinairement 
ce  pouvoir  n'est  confié  qu'aux  supérieurs  majeurs 
et  au  premier  supérieur  de  la  maison.  Il  y  a  des 
congrégations  où  celui-ci  même  ne  Ta  point ,  ou  ne 
Ta  qu'avec  de  sages  restrictions. 

D.  Comment  un  supérieur  doit-il  user  du  droit 
de  commander  en  vertu  du  vœu  d'obéissance  ? 

R.  Il  ne  doit  y  recourir  qu'avec  une  grande  dis- 
crétion, bien  rarement  et  pour  des  motifs  vraiment 
graves. 

D.  Mais  de  là  ne  s'ensuivrait-il  pas  que  le  religieux 
aurait  bien  rarement  aussi  le  mérite  du  vœu  d'obéis- 
sance ? 


-   ol  — 

R.  Non,  parce  que  le  vœu  domine  toujours  réel- 
lement tous  les  actes  de  l'obéissance  religieuse , 
même  lorsqu'il  ne  s'agit  pas  actuellement  de  sa  vio- 
lation. Et  il  en  est  de  même  des  deux,  autres  vœux. 


Cette  vérité  se  prouve-par  plusieurs  raisons: 

1<>  Le  religieux  s'étan  trais  par  son  vœu  sous  la  dépen- 
dance universelle  du  supérieur,  il  sent  bien,  en  obéissant, 
que  celui-ci  pourrait  toujours  user  de  son  droit  d'obliger 
en  conscience,  et  ainsi  il  observe  le  \œu  en  prévenant  pour 
ainsi  dire  son  obligation. 

2°  Chaque  fois  qu'il  se  soamet  à  la  volonté  du  supérieur, 
il  le  fait  en  vue  de  son  vœu,  pour  le  respectet  l'amour  qu'il 
en  a,  et  pour  éloigner  tout  péril  d'y  manquer,  quand  le 
supérieur  voudra  recourir  au  droit  qu'il  lui  donne. 

3o  La  pratique  des  vœux  peut  se  comparer  à  celle  des 
commandements  de  Dieu  :  en  faisant  dans  la  môme  ma- 
tière au  delà  de  ce  qu  ils  prescrivent  sous  peine  de  péché, 
nous  les  observons  avec  plus  de  perfection  et  de  mérite. 

J'ajoute  que  cette  obéissance  plus  parfaite  devient  plus 
méritoire  aussi  par  deux  autres  endroits:  4°  parce  que  la 
volonté  s'y  montre  plus  dévouée,  plus  prompte  et  plus  libé- 
rale envers  Dieu,  que  dans  le  précepte  ;  2o  parce  que  l'acte 
d'obéissance  y  reçoit  un  surcroit  d'influence  de  plusieurs 
autres  excellentes  vertus,  telles  que  la  charité,  l'humi- 
lité, etc. 


D.  Le  vœu  simple  d'obéissance  produit-il  le  même 
effet  que  le  vœu  solennel  sur  la  volonté  du  reli- 
gieux ? 

R.  Non  ;  le  vœu  simple  rend  bien  illicite  pour  le 
religieux  toute  obligation  contractée  par  lui  sans  le 
consentement  du  supérieur  :  mais  il  ne  la  rend  point 
de  lui-même  invalide,  bien  que  le  supérieur  ait  le 
droit  de  l'annuler  ;  le  vœu  solennel  ,  au  contraire  , 
renferme  une  telle  abdication  de  la  volonté  ,  que  le 
religieux  ne  peut  plus  contracter,  même  validement, 


—  52  — 

aucune  obligation  naturelle  ou   civile,  sinon  comme 
instrument  ou  mandataire  du  supérieur.  ■ 

D.  En  quoi  le  vœu  d'obéissance  du  religieux  dif- 
fère-t-il  de  la  promesse  d'obéissance  que  fait  le  nou- 
veau prêtre  entre  les  mains  de  son  Évêque  dans  l'or- 
dination ? 

R.  11  diffère  en  deux  choses  considérables  : 
1°  La  promesse  cléricale  n'est  point  un  vœu  fait  à 
Dieu,  mais  une  simple  promesse^  dans  laquelle  le  nou- 
veau ministre  du  sanctuaire  reconnaît  en  face  de 
l'Église  et  accepte  le  droit  que  l'Évèque  vient  d'ac- 
quérir sur  lui  par  l'ordination. 

2°  Le  vœu  d'obéissance  soumet  au  supérieur  toute 
la  vie  et  tous  les  actes  du  religieux,  selon  la  règle  et 
sans  autre  limite  que  celle  du  péché  ;  la  promesse 
cléricale  est  loin  d'imposer  une  obligation  aussi  uni- 
verselle :  car  elle  ne  soumet  le  nouveau  prêtre  à 
son  Évêque  que  dans  les  choses  qui  sont  du  ressort 
delà  juridiction  ecclésiastique,  telles  que  la  distribu- 
tion canonique  des  fonctions,  la  manière  de  les  exer- 
cer et  les  devoirs  de  la  vie  cléricale. 


ARTICLE  IL 

DE  LA   VERTU    D'OBÉISSANCE. 

D.  Qu'est-ce  que  la  vertu  d'obéissance  V 

R.  C'est  une  vertu  qui,  comme  l'enseigne  saint 
Thomas,  fait  partie  de  la  justice,  et  qui  incline  la 
volonté   a   se   soumettre   aux  supérieurs  légitimes, 


-  33  — 

comme  aux  représentants  de  l'autorité    de   Dieu. 

D.  La  vertu  d'obéissance  est-elle  bien  nécessaire 
à  un  religieux  ? 

R.  Une  raison  qui  démontre  sa  grande  nécessité 
est  que  tout  ce  que  fait  un  religieux,  même  le  bien  , 
devient  mal  ou  du  moins  perd  son  mérite,  dès  lors 
qu'il  agit  contre  l'obéissance. 

D.  La  vertu  d'obéissance  s'étend-elle  au  delà  du 
vœu? 

R.  Oui,  elle  peut  produire  un  bien  plus  grand 
nombre  d'actes,  surtout  les  actes  intérieurs,  qu'il 
n'en  a  été  promis  par  le  vœu. 

D.  Sur  quelle  matière  s'exerce  la  vertu  d'obéis- 
sance dans  T état  religieux? 

R.  La  vertu  d'obéissance,  dans  l'état  religieux, 
s'exerce  sur  toutes  les  prescriptions,  générales  ou 
particulières,  que  font  les  supérieurs  selon  la  Règle: 
ce  qui  embrasse  d'un  côté  les  constitutions  ,  les 
statuts  et  les  règles,  et  de  l'autre  côté  les  injonctions, 
désirs,  prières  ou  conseils  de  ceux  qui  ont  l'autorité. 

Le  supérieur  étant  le  représentant  de  Dieu  ,  sa  volonté, 
même  quand  elle  n'oblige  pas  en  conscience,  a  une  effica- 
cité morale  plus  grandeet  d'un  autre  genre  que  ne  serait, 
par  exemple,  celle  d'un  ami  ;  de  même,  comme  il  est  le  chef 
du  corps  religieux,  il  a  un  certain  droit  naturel,  que  les 
membres  conforment  leurs  volontés  à  la  sienne  ;  et  cet 
acquiescement  des  inférieurs  en  vue  de  Dieu  est  toujours 
l'obéissance  religieuse. 

D.  Un  religieux  peut-il  pécher  contre  la  vertu 
d'obéissance,  sans  pécher  contre  le  vœu  ? 


—  54  — 

R.  En  soi,  et  à  parler  rigoureusement,  la  vertu 
d'obéissance,  dans  l'état  religieux,  n'oblige  sous 
peine  de  péché  que  dans  les  cas  où  le  supérieur  veut 
commander  en  vertu  du  vœu.  L'Eglise  et  les  fonda- 
teurs des  instituts  l'ont  ainsi  établi  pour  rendre  le 
joug  de  la  religion  plus  suave,  et  l'obéissance  elle- 
même  plus  digne  de  l'état  de  perfection. 

D.  Que  dire  cependant  d'une  désobéissance  qui 
serait  accompagnée  d'un  mépris  de  l'autorité ,  ou 
suivie  d'un  dommage  considérable  ? 

R.  1°  Il  y  a  toujours  péché  grave  à  mépriser  for- 
mellement l'autorité  dans  le  supérieur.  Je  dis  Y  auto- 
rité, et  non  le  défaut  qu'un  religieux  croirait  voir 
dans  la  personne  ou  dans  l'injonction  du  supérieur. 
C'est  à  raison  de  ce  mépris  formel  de  l'autorité , 
qu'il  y  a  péché  mortel  lorsqu'au  sujet  d'une  chose 
prescrite  le  religieux  ose  dire  à  son  supérieur  :  Je 
ne  veux  pas  obéir,  ou  je  ne  veux  pas  le  faire. 

2°  Le  péché  est  encore  grave  lorsque  d'une  déso- 
béissance quelconque  il  doit  résulter  un  dommage 
considérable ,  soit  spirituel,  soit  temporel,  pour  soi- 
même,  ou  pour  la  communauté,  ou  pour  le  prochain, 
quel  qu'il  soit. 

D.  Les  simples  injonctions  des  supérieurs  n'obli- 
gent donc  pas  sous  peine  de  péché? 

R.  Non  :  l'usage  commun  ,  qui  est  le  meilleur 
interprète  du  droit  et  du  devoir,  veut  que  les  simples 
injonctions  des  supérieurs  réguliers  n'obligent  point 
par  elles-mêmes  sous  peine  de  péché  :  car  autre 
chose  est  que  le  supérieur  dise  :  Ma  volonté  est  que 


—  55  - 

vous  fassiez  ceci,  et  autre  chose  qu'il  dise  en  recou- 
rant à  l'obligation  du  vœu  :  Je  veux  vous  obliger  en 
conscience  à  le  faire.  Si  donc  la  désobéissance  à  une 
simple  injonction  renferme  quelque  faute,  elle  lui 
vient  d'ailleurs,  ce  qui  du  reste  arrive  presque  tou- 
jours :  elle  lui  vient  ou  d'une  autre  obligation  violée, 
ou  d'un  scandale  donné,  ou  d'une  intention  vicieuse, 
d'une  affection  déréglée,  d'un  défaut  de  prudence 
dans  la  manière  d'agir  l ,  etc. 

D.  Mais  n'avez-vous  pas  quelque  chose  à  remar- 
quer ici  ? 

R.  Une  remarque  sérieuse  à  faire,  c'est  que  le  reli- 
gieux qui  s'accoutumerait  à  désobéir  ainsi,  par  suite 
de  ses  affections  déréglées,  perdrait  bientôt  l'esprit 
même  d'obéissance,  et  par  conséquent ,  entre  les 
autres  torts  spirituels  qu'il  se  ferait  à  lui-même,  et 
trop  souvent  à  ses  frères,  il  affaiblirait  en  lui  le  prin- 
cipe même  du  vœu  et  le  mettrait  en  péril. 

D.  Les  règles  imposent-elles  leur  obligation  sous 
peine  de  péché  ? 

R.  Il  faut  distinguer  les  règles  qui  traitent  de  la 
matière  des  vœux  ou  de  quelque  vertu  d" ailleurs 
obligatoire,  et  celles  où  il  ne  s'agit  que  de  la  disci- 
pline. Les  premières  imposent  sans  doute  une  obli- 
gation de  conscience  :  toutes  les  autres  règles  disci- 
plinaires, du  moins  dans  la  plupart  des  corps  reli- 
gieux ,  n'obligent  point  par  elles-mpmes  sous  peine 
de  péché.  HJn  religieux  doit  cependant  savoir  que 

1.  Suarez,  De  Religione. 


—  56  - 

rarement  il   manquera  à  quelqu'une  de  ses  règles 
sans  qu'il  y  ail  par  le  fait  quelque  offense   de  Dieu. 

D.  Pourquoi  et  comment  cela? 

R.  Parce  que  c'est  presque  toujours  l'orgueil,  ou 
la  vanité,  ou  la  sensualité,  ou  la  paresse,  ou  le  res- 
pect humain,  etc.,  qui  le  portera  à  désobéir;  et 
chaque  fois  que  le  religieux  enfreint  ainsi  une  règle 
par  quelque  motif  vicieux,   évidemment  il  y  a  faute. 

11  pèche  encore  toutes  les  fois  que  la  violation  de 
la  règle  est  un  sujet  de  mauvaise  édification,  ou  qu'il 
en  peut  résulter  quelque  autre  dommage. 

Il  faut  remarquer  que  les  règles  ne  sont  pas  de  simples 
conseils,  mai-s  de  véritables  lois,  et  qu'établies  dans  le 
corps  religieux  pour  y  donner  la  direction  des  actes,  selon 
l'institut,  elles  imposent  une  certaine  obligation  à  chacun 
des  membres  :  car,  d'après  l'axiome  du  droit,  la  partie 
devient  digne  de  blâme  lorsque  sans  juste  motif  elle  manque 
de  se  conformer  au  tout.  De  là  vient  que  le  religieux,  en  cas 
d'infraction  même  non  coupable  de  la  règle,  est  tenu  d'ac- 
cepter et  de  subir  la  pénitence,  si  le  supérieur  la  lui  impose. 

D.  Que  dire  de  la  transgression  habituelle  des 
règles? 

R.  La  transgression  habituelle  des  saintes  règles 
devient  beaucoup  plus  coupable,  tant  à  cause  du 
mépris  qu'elle  engendre  facilement,  qu'à  raison  du 
tort  qu'elle  fait  à  la  discipline  religieuse. 

D.  Qu'est-ce  que  la  discipline  religieuse? 

R.  Selon  l'étymologie  du  mot,  discipline  veut  dire 
enseignement,  apprentissage. 

Considérée  dans  l'autorité  qui  dirige,  la  discipline 


—  57  — 

RELIGIEUSE  EST  L'ENSEMBLE   DES  RÈGLES  AVEC  LEUR    SANC- 
TION. 

Par  les  règles,  les  supérieurs  enseignent  le  chemin 
qu'il  faut  suivre;  par  les  pénitences  en  cas  d'infrac- 
tion, ils  y  ramènent  ceux  qui  s'en  écartent  et  répa- 
rent le  scandale  donné. 

Considérée  dans  les  inférieurs,  la  discipline  s'ap- 
pelle  aussi  l'observance  régulière,  et  c'est  la  prati- 
que FIDÈLE  DES  RÈGLES,  A  LAQUELLE  CONCOURENT  DANS 
UNE  SAINTE  HARMONIE  TOUS  LES  MEMBRES  DE  LA  COMMU- 
NAUTÉ. 

D.  De  quelle  importance  est  la  discipline  dans 
l'état  religieux  ? 

R.  Telle  est  l'importance  de  la  discipline  régulière, 
qu'on  doit  la  juger  moralement  nécessaire  à  la  con- 
servation de  l'ordre  en  général,  à  celle  de  la  vie  reli- 
gieuse dans  une  communauté,  et  à  celle  de  la  vie 
spirituelle  dans  chaque  individu. 

D.  Quelle  est  l'obligation  des  supérieurs  par  rap- 
port à  la  discipline  religieuse? 

R.  D'après  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  est  facile 
de  voir  que  les  supérieurs  sont  gravement  obligés 
delà  maintenir  dans  la  communauté;  et  leur  conni- 
vence à  cet  égard  peut  aisément  devenir  une  faute 
considérable. 

D.  Est-on  tenu  d'obéir  également  aux  officiers 
in lerieurs  qui  ont  reçu  du  supérieur  quelque  por- 
tion d'autorité  ? 

R.   Oui,   sans  doute  :  puisque  c'est  la  même  auto- 


rite,  on  est  obligé  de  leur  obéir  avec  la  même  exac- 
titude et  la  même  soumission,  quand  ce  qu'ils  com- 
mandent est  de  leur  ressort.  Il  est  vrai  de  dire  que 
l'on  doit  au  supérieur  plus  de  déférence  et  de  res- 
pect ;  mais  on  doit  une  égale  obéissance  à  quiconque 
est  muni  de  l'autorité. 


ARTICLE  III. 

DES  DÉFAUTS  QUI  ATTAQUENT  l/OBÉlSSANCE 
RELIGIEUSE. 

D.  Outre  les  fautes  directes  contre  l'obéissance, 
n'y  a-t-il  pas  certains  défauts  qui  la  blessent  indi- 
rectement et  en  préparent  la  violation  formelle  ? 

R.  Oui,  il  y  a  plusieurs  défauts  de  ce  genre,  dont 
les  religieux  ne  sauraient  trop  se  garder,  s'ils  veu- 
lent éviter  une  multitude  de  fautes,  et  même  ne 
point  s'exposer  à  la  violation  du  vœu. 

D.  Quels  sont  ces  défauts? 

R.  Ce  sont  les  préventions,  les  antipathies  contre 
le  supérieur  ou  contre  ce  qu'il  commande,  et  les 
jugements  contraires  aux  siens  ; 

Les  murmures  et  les  critiques  ,  les  tristesses  et 
les  dépits  volontaires  ; 

Les  excuses,  les  prétextes  et  les  déguisements 
pour  échapper  à  une  injonction  ; 

Les  lenteurs  et  les  nonchalances  à  obéir,  surtout 
celles  qui  pourraient  compromettre  le  succès  de 
l'exécution. 


—  59  - 

D.  Indiquez  encore  quelques  défauts  qui  ôtent  à 
l'obéissance  tout  son  mérite  et  tout  son  prix. 

R.  Obéir  sans  soumission  de  volonté,  mais  seule- 
ment à  l'extérieur  et  par  manière  d'acquit  ; 

Obéir  par  crainte,  comme  les  esclaves,  et  uni- 
quement parce  qu'on  est  vu  ; 

Obéir  par  politique  ,  par  amour-propre  ,  pour 
s'attirer  les  bonnes  grâces  du  supérieur  ; 

Ce  n'est  point  là,  dit  saint  Bernard,  un  exercice 
de  vertu,  mais  un  voile  dont  ou  couvre  sa  propre 
malice. 

D.  Lorsqu'un  supérieur  a  refusé  quelque  chose  à 
un  religieux,  celui-ci  peut-il  s'adresser  pour  la  même 
chose  à  un  autre  supérieur  ? 

R.  Il  ne  le  peut  qu'en  lui  déclarant  ce  que  le  pre- 
mier lui  a  répondu  et  quels  ont  été  les  motifs  de  son 
refus  :  la  subordination  et  l'ordre  le  veulent  ainsi. 

D.  Est-il  défendu  de  faire  à  son  supérieur  des 
représentations  que  l'on  croit  légitimes  ? 

R.  Non;  les  supérieurs  sont  même  bien  aises 
qu'on  les  éclaire  ;  mais  :  1°  avant  de  parler  ,  il  faut 
qu'un  religieux  y  ait  pensé  devant  Dieu,  et  qu'il  se 
soit  mis  dans  la  disposition  d'adhérer  pleinement  à. 
la  décision  du  supérieur  :  2°  il  faut  que  la  représen- 
tation soit  pleine  de  modestie  et  de  respect. 


—  60  — 
ARTICLE  IV. 

DES    DEGRÉS     ET    DE     LA    PERFECTION    DE    L'OBÉISSANCE 
RELIGIEUSE. 

D.  Quels  sont  les  degrés  par  où  l'on  s'élève  à  la 
parfaite  obéissance  ? 

R.  Il  y  en  a  trois  :  l'obéissance  d'exécution,  l'obéis- 
sance de  volonté  et  l'obéissance  de  jugement. 

D.  En  quoi  consiste  le  premier  degré  de  l'obéis- 
sance ? 

R.  Le  premier  degré  de  l'obéissance  consiste  à 
exécuter  fidèlement  les  choses  que  l'on  commande. 

D.  Quelles  qualités  sont  nécessaires  à  ce  premier 
degré  ? 

R.  L'obéissance  d'exécution  doit  être  prompte  et 
entière. 

Elle  sera  prompte,  si  vous  faites  sans  délai  ce  qui 
est  prescrit,  comme  si  Dieu  même  vous  parlait  par 
la  bouche  du  supérieur, ou  vous  appelait  au  premier 
signal  de  la  cloche. 

Elle  sera  entière,  si  vous  exécutez  tout  ce  qui  est 
prescrit  comme  le  demande  le  supérieur,  avec  l'exac- 
titude, le  soin  et  la  diligence  convenables. 

D.  Qu'est-ce  que  le  second  degré,  ou  l'obéissance 
de  volonté  ? 

R.  C'est  cette  obéissance  intérieure  qui  unit  notre 


—  61  — 

volonté  à  celle  du  supérieur,  en  nous  faisant  vouloir 
ce  qu'il  veut  et  ce  qu'il  prescrit. 

D.  L'obéissance  intérieure  est-elle  bien  néces- 
saire ? 

.R.  Elle  est  tellement  nécessaire,  que  sans  elle 
l'obéissance  d'exécution  serait  indigne  du  nom  de 
cette  vertu,  tant  elle  serait  basse  et  défectueuse. 

Au  contraire,  l'obéissance  intérieure  est  pleine  de 
mérite  et  de  grandeur  :  pleine  de  mérite  ,  parce 
qu'elle  nous  fait  obéir  à  l'homme  par  un  motif  sur- 
naturel, qui  est  celui  d'obéir  à  Dieu  même,  mani- 
festant par  l'homme  sa  volonté  ;  pleine  de  grandeur, 
parce  que  c'est  à  Dieu  que  nous  nous  soumettons,  et 
non  pas  à  l'homme  considéré  en  lui-même. 

D.  Quelle  doit  être  l'obéissance  de  volonté  ? 

R.  Elle  doit  être  accompagnée  de  joie  et  de 
courage. 

1°  Il  faut  obéir  avec  joie  ,  parce  que  Dieu  ,  dit 
l'Apôtre,  aime  ce  qui  donne  avec  joie,  et  que  d'ail- 
leurs cette  joie  facilite  singulièrement  l'obéissance  : 
mais  il  s'agit  ici  bien  moins  de  la  joie  humaine  et 
sensible,  que  de  ce  contentement  spirituel  de  la 
volonté  qui  est  toujours  en  notre  pouvoir,  malgré 
même  les  répugnances  de  la  nature. 

2°  Il  faut  obéir  avec  courage ,  pour  surmonter  les 
difficultés  qui  peuvent  se  présenter ,  et  pour  faire 
généreusement  les  sacrifices  que  Dieu  demande. 

Ainsi,  un  des  grands  mérites  de  l'obéissance  est 
de  laisser  pleine  liberté  aux  supérieurs  de  disposer 


-  62  - 

de  nous  pour  les  emplois  et  les  lieux,  sans  écouter 
nos  dégoûts  et  nos  appréhensions  naturels. 

D.  Qu'est-ce  que  le  troisième  degré  ,  ou  l'obéis- 
sance de  jugement  ? 

R.  L'obéissance  de  jugement  ou  d'entendement 
existe  lorsque  la  volonté  déjà  soumise  oblige  aussi 
l'entendement  à  se  soumettre  au  jugement  du  supé- 
rieur. 

D.  Ce  troisième  degré  d'obéissance  est-il  toujours 
possible  ? 

R.  Excepté  dans  les  cas  extrêmement  rares  d'une 
évidence  opposée,  le  religieux  peut  et  doit  toujours 
se  persuader  que  la  chose  qu'on  lui  commande  est 
meilleure,  en  soi  ou  du  moins  pour  lui,  que  la  chose 
contraire. 

D.  Pourquoi  faut-il  s'élever  à  ce  troisième  degré 
de  l'obéissance  ? 

R.  Pour  deux  raisons  :  la  première  ,  pour  aider 
et  assurer  l'obéissance  d'exécution  et  celle  de  volonté, 
qui  sans  cela  peuvent  aisément  défaillir  ;  la  seconde, 
pour  offrir  à  Dieu,  par  l'obéissance,  l'hommage 
de  son  âme  tout  entière,  et  ne  point  commettre  de 
rapine  dans  l'holocauste  ,  en  soustrayant  ce  qu'il 
y  a  de  meilleur  en  nous,  je  veux  dire  notre  esprit  et 
notre  raison. 

D.  Quels  sont  les  moyens  qu'il  faut  employer 
pour  acquérir  une  parfaite  obéissance  ? 

R.  Le  moyen  général,  c'est  l'humilité  et  la  douceur. 


-  G3  — 

77  ny  a,  dit  saint  Léon,  rien  de  difficile  aux  humbles, 
ni  rien  de  dur  aux  esprits  doux  et  traitables. 

En  outre,  voici  trois  moyens  particuliers  que 
saint  Ignace  nous  présente  : 

Le  premier  moyen  est  de  prendre  l'habitude  de 
voir  toujours  Dieu  même  dans  le  supérieur  qui  com- 
mande. 

Le  second  moyen  est  de  s'appliquer  à  justifier  tou- 
jours en  soi-même  le  commandement  et  le  senti- 
ment du  supérieur,  et  de  ne  se  permettre  jamais  de 
le  désapprouver  :  par  là  on  se  tiendra  toujours 
affectionné  à  ce  qu'il  commande. 

Le  troisième  moyen,  le  plus  facile  et  le  plus  sûr  de 
tous,  et  aussi  le  plus  en  usage  parmi  les  Saints: 
c'est  que  dès  que  le  supérieur  a  prescrit  quelque 
chose,  le  religieux  se  persuade  aussitôt  que  c'est 
le  commandement  de  Dieu  même,  et  qu'ainsi ,  avec 
l'impétuosité  d'une  volonté  qui  ne  tend  qu'à  obéir  , 
il  se  porte  ,  sans  examiner,  sans  rien  voir  ,  à  l'exé- 
cution de  la  chose  commandée. 

Suivant  le  langage  des  maîtres  de  la  vie  spirituelle,  l'o- 
béissance est  en  quelque  sorte  un  mystère  de  foi  ,  comme 
l'Eucharistie  où  les  espèces  sacramentelles  cachent  Jésus- 
Christ  présent.  En  obéissant,  je  respecte  l'autorité  de  Dieu 
même  qui  est  là  dans  celle  de  mon  supérieur,  selon  ce  qu'il 
a  dit  :  Quiconque  vous  écoute  m'écoute.  En  obéissant,  je  me 
confie  à  la  sagesse,  à  la  bonté,  à  la  fidélité  de  Dieu  qui  veut 
que  je  sois  soumis  à  son  représentant.  Si  le  supérieur  a  des 
défauts,  Dieu  n'en  a  point,  et  c'est  lui  que  je  sers.  Si  le 
supérieur  commande  mal,  pourvu  que  ce  ne  soit  pas  le 
péché,  moi,  je  fais  toujours  bien  en  obéissant,  et  Dieu  saura 
bien  en  tirer  déûuitivement  sa  gloire  et  mon  avantage. 


FIN'  DU  CATECHISME  DES  VOEUX. 


LES  PRINCIPES 


LA    VIE    RELIGIEUSE 

ou   l'explication 
DU  CATÉCHISME  DES  VOEUX. 


PREMIERE  PARTIE. 

DES    VŒUX    DE    RELIGION    EN    GÉNÉRAL. 

Cette  première  partie  a  pour  objet  d'exposer  les 
principes  les  plus  fondamentaux  de  la  vie  religieuse. 
Le  petit  Catéchisme  des  vœux  ne  pouvait  que  mon- 
trer pour  ainsi  dire  du  doigt  ces  principes  ;  nous 
allons  tâcher  de  leur  donner  tout  le  jour  que  de- 
mande leur  importance, 


CHAPITRE   I*. 

NOTION  GÉNÉRALE    DU   VŒU,   CONSIDÉRÉE   DANS    LES 


VŒUX    DE    RELIGION 


ARTICLE   Ier. 

DE   LA   DÉFINITION   DU   VOEU. 

On  définit  Je  vœu  une  promesse  délibérée  qui  se  fait 
à  Dieu  d'un  acte  meilleur  que  l'acte  opposé. 

Voyons  les  grandes  leçons  pratiques  qui  jaillissent 
de  cette  définition. 

2*** 


-  66  - 


SECTION  PREMIERE.  — LE  VŒU  EST  UNE  PKOMESSE. 

Parmi  les  promesses  que  les  hommes  ont  coutume 
de  se  faire  entre  eux,  on  peut  en  distinguer  de  trois 
sortes  :  la  promesse  simple  ,  la  promesse  d'honneur, 
et  la  promesse-contrat.  Dans  la  première,  un  homme 
ne  s'engage  envers  un  autre  qu'avec  cette  clause 
sous-entendue  :  «  Si  je  le  puis  facilement ,  s'il  ne 
survient  point  d'obstacle  ».  Dans  la  seconde, la  parole 
donnée  a  mis  l'honneur  en  cause  ;  il  faudrait  un 
empêchement  sérieux  pour  se  croire  et  être  jugé 
quitte  de  son  engagement.  Mais  la  troisième  pro- 
messe, une  fois  faite  et  acceptée  légitimement ,  con- 
stitue un  droit  formel  de  justice  :  si  vous  y  manquez, 
on  pourra  vous  citer  devant  le  juge. 

Il  en  est  à  peu  près  ainsi  des  promesses  qu'il  nous 
arrive  de  faire  au  Seigneur.  Ce  peut  être  une  simple 
promesse  ,  par  exemple  celle  d'entreprendre  ,  pour 
lui  plaire,  quelque  œuvre  surérogatoire  de  piété  ; 
j'ai  sous-entendu  la  clause  :  «  Si  rien  ne  s'y  opose  »  ; 
ou  du  moins  je  n'avais  pas  l'intention  de  me  lier 
sous  peine  de  péché. 

Nous  faisons  souvent  à  Dieu  la  promesse  de  rem- 
plir envers  lui  une  obligation  déjà  existante.  C'est 
une  résolution  que  nous  formulons  ainsi  en  sa  pré- 
sence ,  dans  le  but  de  nous  exciter  à  faire  notre 
devoir  :  ce  n'est  pas  une  obligation  nouvelle  que 
nous  prétendons  nous  imposer. 

Quelquefois  ,  mettant  de  la  solennité  dans  cette 
reconnaissance  d'un  engagement  déjà  contracté  , 
nous  protestons  devant  témoins  que  notre  volonté 


—  67  — 

est  de  le  remplir  :  alors  il  y  a  comme  une  promesse 
d'honneur  ,  dont  l'effet  sera  de  resserrer  le  lien  de 
la  conscience  ,  mais  non  de  le  doubler  :  telles  sont 
les  promesses  du  baptême  ,  auxquelles  on  donne 
improprement  le  nom  de  vœux  ;  telle  est  spéciale- 
ment la  ratification  publique  qui  s'en  fait  en  certai- 
nes circonstances  de  la  vie  ;  telle  est  encore  une 
cérémonie  de  rénovation  des  vœux  ,  lorsqu'ils  n'ont 
pas  cessé  d'exister.  Il  n'y  a  là  aucune  nouvelle  obli- 
gation imposée  à  la  conscience. 

Une  promesse  faite  à  Dieu,  que  l'on  appellera 
proprement  la  promesse  d'honneur,  c'est,  par  exem- 
ple, l'acte  de  consécration  qui  se  fait  en  entrant  dans 
qu  Ique  pieuse  association  :  quoique  l'on  s'engage 
alors ,  même  avec  quelque  solennité  ,  on  ne  se  lie 
cependant  pas  la  conscience,  et  il  n'en  résulte  aucune 
obligation  sous  peine  dépêché. 

Je  parle  des  simples  associations  de  piété  :  car  il 
existe  dans  l'Eglise  des  associations  constituées  par 
elle  ,  telles  que  la  Congrégation  de  Saint -Sulpice,  de 
l'Oratoire,  etc.,  où,  sans  qu'il  y  ait  des  vœux,  il  pourra 
se  faire  qu'une  promesse  de  stabilité  devienne  une 
affaire  de  conscience,  parce  qu'on  se  sera  enga-é 
envers  les  homnes,  auxquels  on  voulait  s'associer 

Mais  il  y  a  aussi  envers  Dieu  la  promesse-contrat 
et  c'est  le  vœu,  qui  vient  alors,  comme  tel ,  imposer 
par  lui-même  un  nouveau  lien  à  la  conscience 
Nous  apprécierons  bientôt  la  gravité  de  cette  pro- 
messe qui  se  fait  à  Dieu  même.  Disons  seulement  ici 
que  si  vous  n'avez  pas  eu  l'intention  de  vous  lier 
sous  peine  de  péché,  il  n'y  a  point  de  vœu  ;  et  même 
si  vous  n'êtes  pas  certain  de  l'intention  que  vous 


—  68  -~ 

aviez  en  promettant,  votre  conscience  ne  se  trouve 
pas  engagée  par  une  obligation  douteuse. 

SECTION".   II.   —  LE  VŒU  EST  UNE  PROMESSE    DÉLIBÉRÉE. 

On  entend  par  un  acte  délibéré  celui  qui  présente 
ces  trois  conditions  essentielles  :  la  connaissance  de 
ce  qu'on  fait  ,  la  détermination  de  la  volonté  ,  et  le 
pouvoir  de  faire  autrement,  si  Ton  voulait.  Or,  il  est 
de  l'essence  d'un  vœu  d'être  un  acte  parfaitement 
délibéré,  sans  quoi  il  n'existerait  pas. 

I.  Un  vœu  exige  la  connaissance  suffisante  de  ce 
que  Ton  promet  à  Dieu.  Il  demande  même  une 
mûre  considération  de  l'esprit  et  une  appréciation 
convenable  :  car,  observe  saint  Thomas,  «  c'est  un 
acte  de  la  raison,  à  laquelle  il  appartient  de  faire  agir 
avec  ordre1  ».  Voilà  pourquoi  la  discrétion  y  est 
si  nécessaire,  que  souvent  on  doit  prendre  aupara- 
vant le  conseil  des  personnes  sages  ,  parce  qu'en 
traitant  avec  Dieu,  il  ne  faut  ni  légèreté,  ni  étourde- 
rie.  Et  c'est  à  quoi  malheureusement  ne  songent  pas 
toujours  ceux  qui  font  les  vœux. 

Mais  cette  condition  devient  beaucoup  plus  indis- 
pensable aux  vœux  de  religion,  qui  sont  un  si  grand 
acte  du  libre  arbitre,  et  l'engagement  de  la  vie 
entière.  Pour  ces  vœux  surtout,  il  faut  avoir  une 
connaissance  nette  et  précise  de  ce  qu'on  promet. 
Donc  les  supérieurs  et  les  maîtres  des  novices  ont  le 
devoir  d'en  instruire  pleinement  l'aspirant  à  la  vie 

1.  Votum  est  actus  ratiouis,  ad  quam  pertinet  ordiuare.  2a, 


—  69  — 

religieuse,  de  ne  rien  lui  déguiser  là-dessus,  de  ne 
point  chercher  à  le  surprendre  ;  une  affaire  de  cette 
nature  ne  se  traite  pas  à  la  dérobée,  par  calcul  d'in- 
térêt temporel  ,  ou  par  une  prudence  humaine  et 
terrestre  ;  donc  aussi,  le  devoir  du  candidat  et  du 
novice  est  d'examiner  les  choses  ,  d'interroger  dans 
ses  doutes  et  de  savoir  clairement  ce  qui  en  est. 

Si  celui  qui  prononce  des  vœux  ignorait  quelque 
point  tenant  à  leur  substance,  ou  quelque  circons- 
tance qui  fût  de  nature,  s'il  la  connaissait,  à  changer 
sa  détermination,  ses  vœux  seraient  nuls  par  défaut 
de  connaissance. 

II.  Il  faut  pour  un  vœu  quelconque  le  consente- 
ment de  la  volonté  ;  et  pour  les  vœux  de  religion, 
il  faut  un  consentement  tout  spécial  ,  qui  doit  être 
précédé  d'un  essai  de  ses  forces  durant  au  moins 
une  année  entière.  Non-seulement  c'est  une  pres- 
cription de  TEglie,  mais  encore  une  condition 
posée  par  elle,  sans  quoi  les  vœux  de  religion  ne 
seraient  point  valides  *. 

Or  ,  ce  consentement  repose  sur  une  première  et 
sur  une  seconde probat ion.  La  première  probation,  soit 
qu'elle  se  compose  d'un  certain  nombre  de  jours  fai- 
sant déjà  partie  du  noviciat,  soit  qu'elle  le  précède 
sous  le  nom  de  postulat,  a  pour  but  d'établir  un  pre- 
mier examen  pour  connaître  la  vocation  de  Dieu  et 
sonder  son  propre  cœur.  Là,  on  délibère  avec  soi- 
même  et  avec  les  supérieurs  de  l'Ordre  ou  de  la  Con- 
grégation ;  et  le  candidat  doit  bien  remarquer  que, 

1.  Concil,  Trideutiu,  Sess,  25.  de  reformat,  c.  15. 


—  70  — 

dans  cette  délibération,  il  a  sa  part  à  mettre,  comme 
l'Ordre  doit  y  mettre  aussi  la  sienne. 

La  part  du  candidat  est  uniquement  de  voir  s  il 
veut,  selon  cette  parole  du  Seigneur  au  jeune  homme 
de  l'Évangile  :  «  Si  vous  voulez  être  parfait1  ».  Mais 
comme  néanmoins  il  s'agit  ici  d'une  vocation  de  la 
part  de  Dieu,  et  que  le  Seigneur  a  dit  encore  :  «  Ce 
n'est  pas  vous  qui  m' avez  choisi ,  mais  c'est  moi  qui 
ai  fait  choix  de  vous  2  »  ;  le  candidat  de  la  vie  reli- 
gieuse sonde  sa  volonté  pour  découvrir  si  Dieu  veut 
conjointement  avec  lui,  et  par  conséquent  si  lui- 
même  veut  comme  il  faut,  c'est-à-dire  par  l'im- 
pulsion de  Dieu,  qui  est  la  cause  principale  du  bon 
vouloir  de  l'homme3.  Or  .  le  moyen  ordinaire  pour 
lui  de  constater  ce  point  capital ,  est  d'examiner 
deux  choses  :  la  première,  s'il  veut  selon  la  droite 
raison,  c'est-à-dire  sans  que  ce  soit  un  caprice  pas- 
sager ou  un  simple  élan  d'imagination,  et  sans  qu'il 
néglige  quelque  obligation  'qui  peut-être  serait  de 
nature  à  le  retenir  légitimement  ailleurs  ;  la  seconde, 
s'il  veut  purement  et  vraiment  pour  Dieu,  sans  se 
laisser  influencer  par  des  motifs  humains  ou  défec- 
tueux. 

Telle  doit  être  k  part  du  candidat,  dans  laquelle 
un  directeur  ou  des  supérieurs  pourront  bien  lui 
être  nécessaires  pour  l'aider  de  leurs  lumières  et 
pour  écarter  de  lui  les  illusions,  mais  où  personne 
ne  peut  suppléer  à  l'indécision  de  sa  volonté. 


1.  Si  vis  perfectus  esse.  Matth.  19.  _ 

2.  Non  vos  me  elegistis,  sed  ego  elegi  vos.  Joan.  15. 

3.  Deus  enim  est  qui  operatur  in  nobis  et  velie  et  perficere, 
pro  bona  voluntate.  Philip.  2. 


—  71  — 

La  part  Je  l'Ordre  est  de  juger  si  ce  même  candi- 
dat est  propre  à  cette  vocation,  et  de  prononcer  ainsi 
en  définitive  s'il  y  a  véritablement  appel  de  Dieu  : 
car,  enfin,  la  grâce  pourrait  encore  inspirer  un  bon 
désir  ,  sans  qu'elle  en  voulût  toujours  l'exécution  , 
puisque  déjà  le  bon  désir  est  un  acte  méritoire,  et 
qu'il  peut  devenir  profitable  à  une  âme  sous  plus 
d'un  rapport.  Les  supérieurs  de  l'Ordre  examinent 
donc  les  aptitudes  du  sujet  relativement  à  leur  pro- 
pre institut  :  aptitudes  du  corps  pour  la  santé  ,  les 
forces,  etc.  ;  aptitudes  de  l'esprit  pour  la  droiture  et 
la  solidité,  pour  le  talent  acquis  ou  les  dispositions  à 
l'acquérir  ;  aptitudes  du  cœur  pour  les  inclina- 
tions, les  habitudes  et  le  caractère.  Ici  le  candidat 
doit  comprendre  que  le  rôle  de  juge  ne  lui  convient 
plus,  parce  qu'en  voulant  prononcer  lui-même,  il 
pourrait  donner  dans  le  faux ,  ou  par  ignorance ,  ou 
par  présomption,  ou  même  par  un  excès  de  modes- 
tie. Son  seul  devoir  est  de  répondre  avec  franchise 
aux  questions  qu'on  lui  pose,  et  de  se  faire  loyale- 
ment connaître. 

La  seconde  probaUon,  ou  le  noviciat,  en  mettant  le 
candidat  à  l'essai  de  la  vie  religieuse  et  de  ses  diffi- 
cultés selon  l'institut,  a  pour  but  de  confirmer  pra- 
tiquement l'élection,  l'admission,  et  la  vocation  tout 
entière.  Et  en  effet ,  cette  épreuve ,  dès  lors  que  le 
novice  s'y  prête  fidèlement,  fournira  une  démons- 
tration qui  ne  laissera  plus  de  doute  :  à  tel  point 
que,  dans  le  cas  même  où  quelque  chose  peut-être 
aurait  manqué  au  travail  de  la  première  probation, 
si  la  seconde  procède  comme  il  faut ,  vainement  le 
tentateur  viendrait  plus  tard  essayer  de  troubler  une 


72  

âme;  on  dirait  à  bon  droit  au  novice,  quoi  qu'il  en  ail 
été  de  la  première  délibération  :  Maintenant  vous 
avez  sciemment  persévéré  dans  cette  vocation  mieux 
connue  ;  vous  y  avez  cherché  Dieu  et  votre  perfec- 
tion ,  il  y  a  donc  eu  non-seulement  ratification  du 
premier  acte,  mais  encore  supplément  au  défaut 
qui  pouvait  s'y  trouver.  —  Et  le  novice  doit  remar- 
quer que,  sa  première  probation  une  fois  terminée  , 
son  devoir  n'est  plus  de  délibérer  comme  s'il  avait 
toujours  à  fixer  son  choix  ,  puisque  cette  indécision 
paralyserait  tout  effort  de  sa  volonté,  mais  bien  de 
subir  avec  courage  les  épreuves  du  noviciat ,  et  de 
prendre  les  vertus  et  les  habitudes  de  la  vie  reli- 
gieuse, selon  l'institut  où  Dieu  l'appelle. 

III.  L'acte  du  vœu  doit  être  libre,  et  exempt  de 
toute  contrainte;  mais  c'est  surtout  pour  les  vœux 
de  religion  qu'il  faut,  dans  celui  qui  les  prononce, 
la  liberté  la  plus  entière:  autrement  l'Église  ne  les 
accepte  pas,  et  ils  restent  sans  valeur.  Non-seule- 
ment toute  pression  étrangère,  telle  que  la  menace^ 
la  violence  ou  la  crainte ,  causerait  la  nullité  de 
l'acte,  mais  il  en  serait  de  même  de  cette  crainte 
qu'on  nomme  révérentielle,  si  vraiment  elle  gênait 
la  liberté  du  sujet.  Aussi  l'Église,  pour  le  sexe 
timide,  surveille  spécialement  ce  point,  et  elle  a  éta- 
bli que  l'Évêque  devait  constater  par  un  examen  la 
plénitude  de  sa  liberté l. 

1.  Concil.  Trideut.  sess.  2ô  dereform,  C.  17. 


-  73  — 

SECTION    III.   —    LE  VŒU  EST   UNE   PROMESSE  QUE  L'ON 
FAIT   A  DIEU. 

t  Je  rendrai  mes  vœux  au  Seigneur  4  » .  Voilà  une 
pensée  fort  sérieuse,  dont  il  importe  de  se  bien  pé- 
nétrer avant  de  faire  un  vœu,  et  qu'il  faut  se  garder 
d'oublier  après  l'avoir  fait  :  le  vœu  est  une  promesse 
qui  se  fait  à  Dieu  même. 

Mais  assurément  c'est  quand  il  s'agit  des  vœux  de 
religion  que  cette  pensée  mérite  toute  la  considéra- 
tion de  l'homme.  Faisons  voir  que  si  elle  pèse  sur 
l'âme,  elle  n*a  pas  moins  de  quoi  la  dilater. 

Les  vœux  de  religion  sont  donc  un  engagement 
étroit  que  l'homme  prend ,  et  pour  la  vie  entière  , 
vis-à-vis  de  Dieu  même  ;  mais  il  faut  ajouter  qu'il 
s'y  fait  des  promesses  réciproques  ,  et  que  Dieu  de 
sa  part  veut-  bien  s'engager  aussi  vis-à-vis  de 
l'homme  ;  de  sorte  qu'on  peut  appeler  la  profession 
de  ces  vœux  un  contrat  synallagmatiqite  passé  entre 
l'homme  et  Dieu.  C'est  pourquoi  le  religieux  peut  et 
doit  se  dire  : 

J'ai  contracté  avec  Dieu  :  de  là  mes  obligations  ; 
mais  Dieu  aussi  a  daigné  contracter  avec  moi  :  de  là 
mes  avantages. 

I.  J'ai  contracté  avec  Dieu,  j'ai  promis  à  Dieu  même 
et  non  aux  hommes.  D'oiije  dois  aussitôt  tirer  cette 
première  conséquence  :  donc  l'accomplissement  de 
ma  promesse  ne  peut  aucunement  dépendre  de  la 
conduite  des  hommes  à  mon  égard.  En  vain  je  pré- 
tendrais faire  valoir  le  tort  de  mon  supérieur  ,  de 

1.  Yotamea  Pomino  recldam.  Ps.  115. 


—  74  — 

mon  égal  ou  de  qui  que  ce  soit  9  pour  me  croire 
dispensé  de  ce  que  j'ai  promis  à  Dieu  ;  la  considé- 
ration de  tout  autre  que  lai  ne  peut  être  ici  d'aucune 
excuse,  d'aucune  valeui'. 

J'ai  promis  à  Dieu,  et  c'est  le  Tout-Puissant  qui 
a  pris  acte  de  mon  obligation  ;  il  Ta  consignée  dans 
son  livre ,  et  personne  que  lui  ne  peut  l'effacer.  Il 
la  garde  pour  la  produire  un  jour ,  au  jour  où  il  me 
fera  rendre  compte  de  l'exécution  *. 

J'ai  promis  à  Dieu  ,  et  il  est  l'Etre  infiniment 
clairvoyant.  Il  pénètre  les  ténèbres  et  le  fond  des 
cœurs  ;  il  voit  les  manquements  qu'on  réussit  à 
cacher  aux  hommes  ;  il  connaît  les  sépulcres  blan- 
chis qui  renferment  de  la  pourriture.  Rien  ne  peut 
échapper  à  son  regard ,  ni  les  plus  secrets  replis 
de  l'âme,  ni  les  moindres  infidélités  ;  et  il  s'appelle 
le  Dieu  jaloux,  qui  exige  tout  ce  qu'on  lui  a  promis , 
et  qui  hait  la  rapine  dans  l'holocauste. 

J'ai  promis  à  Dieu,  et  il  est  l'Être  immuable.  Ah  î 
c'est  ici  qu'il  me  faut  insister.  Car  l'homme  est  si 
inconstant  !  C'est  une  feuille  que  le  vent  emporte,  et 
ce  qu'il  veut  aujourd'hui,  trop  souvent  il  ne  le  vou- 
dra plus  demain  ;  et  cette  inconstance  se  montre 
de  nos  jours  plus  commune  que  jamais.  Cependant, 
quand  on  a  promis  à  Dieu ,  il  faut  tenir  ,  et  une 
fois  engagé  envers  lui  ,  c'en  est  fait ,  le  religieux  ne 
peut  plus  se  dédire.  L'apostasie  !  Quelle  parole  î  Et 
c'est  le  mot  juste,  c'est  l'expression  de  l'Église. 
Hélas  !  cependant  certains  esprits  iront  s'imaginer 
qu'on  peut  changer  ici  à  peu  près  comme  on  change 

1.  Vovete,  et  reddite.  Ps.  75. 


—  75  — 

de  vêtement  t  Vous  qui  ayez  promis  à  Dieu  ,  vous 
voulez  maintenant,  pour  un  déplaisir  qui  est  sur- 
venu, retourner  en  arrière.  Yous  vous  êtes  dégoûté 
de  votre  saint  état  :  à  la  moindre  gêne  ,  on  vous 
entend  dire  ;  si  cela  est  ainsi  je  m'en  irai.  Ecoutez 
celui  qui  a  reçu  votre  promesse:  «  Moi,  dit-il,  je 
suis  le  Seigneur  ,  et  je  ne  change  point  *.  »  Enten- 
dez le  prince  des  Apôtres:  «  Pourquoi  Satan  vous  a-t-il 
«  ainsi  tenté  de  mentir  au  Saint-Esprit  ,  et  de  sous- 
«  traire  ce  qui  ne  vous  appartient  plus  ?  Avant  de 
oc  vous  engager  ,  n'étiez-vous  pas  libre  ?  Pourquoi 
«  donc  avez-vous  mis  dans  votre  cœur  une  pareille 
«  chose  ?  Ce  n'est  point  aux  hommes  que  vous  avez 
«  menti,  mais  à  Dieu2.  »  Et  nous  savons  quel  fut  le 
châtiment  d'Ananie  et  de  Saphire. 

Du  reste,  on  ne  parle  point  ici  de  ee  qui  serait 
purement  une  suggestion  du  tentateur  :  ou ,  s'il  faut 
en  parler,  ce  n'est  que  pour  avertir  le  religieux  de 
deux  choses  :  la  première  que,  vu  la  gravité   de  ce 
genre  de  tentation ,  elle  demande  à  être  repoussée 
dès  les  premières  atteintes,  et  que  l'on  doit  ,  s'il  est 
possible ,   ne  pas    même    lui    prêter   l'oreille.    La 
seconde  chose  est  qu'il  faut  bien  se  garder  de  donner 
soi-même  naissance   à  un  tel  mal,  ou  de  le  fomen- 
ter par  la  tristesse,  par  les  dégoûts   volontaires,  par 
les  susceptibilités  et  la  rancune,  par  les  résistances 
à  l'autorité,  par  la  violation   habituelle  des  saintes 


1.  Ego  Dominus,  et  non  mutor.  M.vlach.  3. 

2.  Curtentavit  Satanas  mentiri  te  Spiritui  Sancto,  et  fraudare 
de  pretioagri?  NoDnemanens  tibi  manebat?  Quare  posuisti  in 
corde  tuo  hanc  rem?  Non  es  mentitus  hominibus,  sed  Deo.  Au- 
diens  autem  Ananias  haïe  verba,  cccidit  et  c::piravit.  Act.  5. 


—  76  — 

règles.  Dès  que  Ton  met  volontairement  en  péril  sa 
propre  fidélité,  c'est  toujours  une  chose  extrême* 
ment  grave  ;  et  parmi  toutes  les  tentations  d'un 
religieux,  il  n'en  est  point  de  plus  sérieuse,  parce 
qu'il  n'est  point  de  dommage  comparable  à  ceux 
qu'elle  peut  lui  causer. 

Aussi,  pour  peu  que  cette  tentation  se  prolonge,  il 
y  a  obligation  de  la  découvrir  à  qui  de  droit  ;  sou- 
vent c'est  le  seul  remède  au  mal,  et  un  remède  plus 
efficace  que  tout  autre.  De  même,  la  charité  défend 
rigoureusement  de  la  communiquer  à  ses  frères: 
ce  serait  là  un  scandale  très  coupable  puisque  ce 
serait  comme  leur  inoculer  un  poison.  Ajoutons 
encore  que  ces  sortes  de  confidences,  faites  à  des 
égaux,  même  sans  intention  perverse,  leur  devien- 
dront presque  toujours  nuisibles  ;  et  d'ailleurs 
aucun  d'eux,  à  parler  en  général,  n'a  grâce  pour 
guérir  des  plaies  de  ce  genre.  Enfin,  il  y  a  un  devoir 
grave  de  charité  pour  qui  voit  son  frère  en  un  tel 
danger:  c'est  d'en  donner  avis  au  supérieur,  afin 
qu'il  se  hâte  d'aller  à  son  secours. 

Puisque  nous  touchons  à  un  point  si  important, 
nous  devons  indiquer  les  remèdes  auxquels  devront 
recourir  elles-mêmes  ces  âmes  que  le  dégoût  de  leur 
vocation,  le  relâchement,  ou  la  tentation  de  l'ennemi 
pousseraient  àlinfidélUé. 

Un  premier  remède  sera  de  revenir  sérieusement 
à  cette  considération  du  droit  de  Dieu  :  Je  me  suis 
donné,  c'en  est  donc  fait,  et  l'hésitation  même  ne 
m'est  plus  permise.  Aux  répugnances  de  ma  mau- 
vaise nature,  aux  impulsions  de  celui  qui  veut  me 
perdre,  je  répondrai  par  l'énergie  de  ma  volonté.  Il 


-  77  - 
est  vrai  que  j'ai,  par  ma  faute  ,  laissé  affaiblir  cette 
énergie  ;  mais  enfin,  je  suis  toujours  libre  et  maître 
de  moi-même  avec  le  secours  de  Dieu.  Loin  de  per- 
dre cœur ,  comme  s'il  m'était  devenu  impossible  de 
vouloir  ce  que  j'ai  voulu  jadis,  je  m'appuierai  sur  la 
certitude  infaillible  de  cette  double  vérité,  que  quand 
Dieu  me  commande  une  chose ,  c'est  qu'elle  m'est 
possible ,  et  que  celui-là  même  qui  m'impose  un 
devoir  est  certainement  là  avec  sa  grâce ,  si  je  la  de- 
mande, pour  m'aider  à  remplir  ce  devoir  l. 

Un  second  remède  est  la  considération  du  châti- 
ment qui  d'ordinaire  atteint ,  même  dès  cette  vie  , 
l'âme  infidèle  à  sa  promesse.  Yous  sentez  la  peine 
présente  et  votre  imagination  ne  manque  pas  de 
l'exagérer  encore.  Eh  !  de  grâce,  pourrais-je  vous  dire 
d'abord,  comparez-la  donc  avec  des  peines  bien  au- 
trement lourdes,  auxquelles  le  monde  condamne  les 
siens  dans  des  positions  où  il  faut  pourtant  rester. 
Mais  enfin,  quelle  que  soit  pour  vous  la  situation 
actuelle,  êtes-vous  bien  sûr  que  l'infidélité  amélio- 
rera votre  sort  ?  Ne  savez-vous  pas  au  contraire  ce  que 
montre  à  peu  près  toujours  l'expérience  ?  Et  au  lieu 
de  profiter  vous-même  de  ses  tristes  leçons  ,  vou- 
drez-vous  ajouter  un  exemple  de  plus  à  citer  ? 

Un  troisième  remède  ,  dont  la  douceur  sera  plus 
efficace,  est  la  considération  qui  va  suivre,  celle  des 
promesses  réciproques  que  votre  Dieu  vous  a  faites. 
Auparavant,  je  veux  vous  indiquer  un  précieux  secret 


1.  Nam  Deus  impossibilia  nonjubet  ;  sed  jubendo  monet  et 
facere  quod  possi s  et  petere  qnod  non  possis,  et  adjuvat  ut  possis. 
Concil.  Trident.  Sess.  G-,  C'a.  10. 


—  78  — 

pour  vous  aider,  en  général,  dans  les  difficultés  que 
vous  rencontrerez  au  service  de  Dieu.  Ce  secret  con- 
siste à  ne  regarder  jamais  les  choses  que  par  leur  côté 
attrayant.  Car  chaque  objet,  dans  tout  ce  que  de- 
mandent le  devoir  ou  la  vertu,  offre  toujours  deux 
aspects  et  comme  deux  visages  :  l'un  qui  effraie  no- 
tre volonté,  l'autre  qui  l'attire.  Ici,  nar  exemple, 
vous  éprouvez  des  répulsions,  parce  que  vous  envi- 
sagez le  côle  pénible,  qui  montre  l'obligation  ou  la 
difficulté  ;  mais  appliquez-vous  donc  plutôt  à  voir  le 
côté  agréable,  qui  vous  présente  un  bienfait  insigne 
de  Dieu,  et  votre  cœur  en  sera  fortifié  ;  l'estime  et 
la  reconnaissance  aideront  puissamment  l'amour 
de  la  vocation  à  se  ranimer  ;  la  prière  fera  le 
reste. 

II.  Dieu  a  daigné  contracter  avec  moi. 

Dans  la  promesse  donnée,  nous  avons  vu  l'obliga- 
sion  ;  mais  il  y  a  aussi  la  promesse  reçue,  et  il  est 
juste  de  voir  également  le  profit  et  les  avantages. 
Car  ne  vouloir  considérer  dans  ce  contrat  que  ce  qui 
nous  pèse,  ce  serait  une  pusillanimité  tout  à  la  fois 
déraisonnable,  nuisible  à  nous-mêmes  et  injurieuse  à 
Dieu.  Oui,  tout  honneur  oblige  sans  doute,  tout 
poste  lucratif  et  tout  contrat  onéreux  imposent  des 
charges.  Mais  jetons  les  yeux  sur  les  mondains  eux- 
mêmes  :  ont-ils  rien  pour  rien  ?  n'est-il  pas  vrai  que 
ceux  qui  poursuivent  la  fortune  ou  la  gloire  regar- 
dent plutôt  le  profit  que  la  peine  ?  a  Et  pour  eux, 
dit  l'Apôtre,  il  ne  s'agit  que  d'un  intérêt  qui  passe, 
tandis  qu'il  s'agit  pour  nous  de  l'éternité  *.  » 

1.  Et  illi  quidem  ut  corruptibilem  coronam  accipiant  ;  nos 
autcm  incorruptam.  I.  COR.  9. 


—  79  — 

Il  est  donc  vrai  qu'au  moment  où  je  faisais  ma 
promesse  au  Seigneur  ,  lui-même  simultanément 
daignait  s'en^a^er  envers  moi. 

Dieu  a  contracté  avec  moi  :  pourrai-je  jamais 
assez  comprendre  l'honneur  que  m'a  fait  en  cela  le 
Roi  des  rois  ?  Tandis  que  d'autres,  en  si  grand  nom- 
bre, ne  sont  que  des  serviteurs  vulgaires,  il  m'a  admis 
dans  sa  maison  pour  que  je  sois  au  rang  de  ses  fa- 
miliers ;  il  m'a  nommé  l'un  des  officiers  de  son  pa- 
lais ;  que  dis-je  ?  par  ce  contrat,  il  a  élevé  mon  âme 
à  la  dignité  d'épouse  !  Sera-t-il  possible  que  je  cesse 
un  seul  jour  de  priser  cet  honneur  et  de  vouloir  y 
correspondre  ? 

Dieu  ,  souverainement  fidèle  en  ses  promesses , 
a  contracté  avec  moi  ;  quelle  que  soit  ma  faiblesse  , 
je  puis  donc  compter  sur  lui ,  pour  avoir  les  forces 
dont  j'ai  besoin  dans  ma  vocation.  Quelles  que  soient 
les  difficultés,  il  sera  toujours  là  prêt  à  me  soutenir; 
c'est  lui-même  qui  m'en  assure  par  la  bouche  de 
son  Apôtre1. 

Dieu,  le  Tout-Puissant ,  a  contracté  avec  moi .  et 
je  suis  devenu  excellemment  sa  propriété ,  par  le 
don  complet  que  je  lui  ai  fait  de  tout  moi-même. 
Or,  quand  ce  grand  Dieu  possède  une  chose  ,  il  la 
défend,  et  personne  n'est  assez  fort  pour  l'enlever 
de  ses  mains  a. 

Dieu,  l'Être  infiniment  clairvoyant ,  a  contracté 
avec  moi  ;  aucun  de  mes  moindres  services  n'é- 
chappera à  son  attention  ,  et  tout  sera  fidèlement  , 


l.Fidelis  Deus,  per  quem  vocati  estis.  I  Cor.  1. 

2.  Xeino  potest  rapere  de  manu  Patris  mei.  JOAN,  10, 


—  80  — 

minutieusement  compté.  Nul  bon  acte,  si  petit  qu'il 
soit,  nulle  bonne  intention,  nul  bon  mouvement 
de  mon  cœur,  nul  bon  désir  même,  qui  soit  oublié 
ou  sans  valeur  à  ses  yeux. 

Dieu ,  l'Être  immuable  ,  a  contracté  avec  moi. 
Ah  !  voilà  aussi  mon  grand  sujet  de  confiance  !  Car 
je  n'ai  qu'à  me  tenir  fermement  attaché  à  lui,  et  je 
perds  mon  instabilité  naturelle.  C'est  ce  que  sentait 
vivement  l'Apôtre  saint  Paul  :  «  Je  suis  ceriain, 
criait-il  avec  une  merveilleuse  assurance,  que  rien 
ne  pourra  me  séparer  de  l'amour  de  mon  Dieu  '.  » 
Et  n'est-ce  pas  là  pour  moi  aussi,  tout  misérable 
que  je  suis,  une  vérité  d'expérience  ?  Cette  cupidité, 
cette  sensualité,  cette  idolâtrie  de  la  volonté  propre 
qui  entraînent  si  facilement  au  désordre  les  pauvres 
âmes  restées  au  milieu  du  siècle,  qui  jadis  m'ont 
peut-être  emporté  moi-même  bien  loin  ;  que  peu- 
vent elles  maintenant  sur  mon  cœur,  depuis  qu'il 
s'est  attaché  à  Dieu  et  lié  par  la  sainte  promesse?  — 
Ce  cœur  sent  qu'il  est  libre,  il  tient  ferme  malgré 
sa  faiblesse  native,  il  lutte  avec  facilité  contre  des 
penchants  que  d'autres  croient  indomptables  ;  il 
méprise  sans  peine  et  sans  regret  les  biens,  les  hon- 
neurs et  les  félicités  du  monde;  enfin,  il  est  telle- 
ment fixé  dans  le  devoir,  que  souvent  les  années 
entières  se  passent,  sans  qu'il  y  ait  une  seule  offense 
un  peu  grave  à  déplorer.  Et  d'où  viennent  ces  pro- 
diges ?  Ah  !  c'est  que  Dieu  de  sa  main  puissante  sou- 


1.  Certussum  enim  quia  neque  mors, neque  vita,  neque  Angeli, 
neque  principatus,  neque  virtntee, neque  instantia,  neque  f utura, 
neque  fortitudo,  neque  altitude»,  neque  profundum,  neque  créa- 
tura  alia  poterit  nos  separare  a  ebaritate  Dei.KOM.  8. 


—  C!  — 

tient  sa  frêle  créature.  «  Il  l'a  promis,  il  l'a  fait, 
dit  le  prophète  *.  »  Voilà  pourquoi  j'ai  si  grandement 
raison  de  m'écriersans  cesse  avec  David  :  «  Oui  vrai- 
ment, il  est  bon  pour  moi  de  m'étre  attaché  au  Sei- 
gneur *  ». 

Enfin  Dieu,  le  Maître  infiniment  riche  et  libéral, 
x  contracté  avec  moi.  Les  hommes  ont  pu  croire 
peut-être  que  par  mon  sacrifice  je  lui  donnais  beau- 
coup ;  mais,  quoi  que  j'eusse  à  lui  offrir,  qu'était- 
ce  en  vérité,  pour  un  tel  Seigneur  et  en  com- 
paraison de  ce  qu'il  voulait  me  rendre?  Ah!  c'est 
bien  ici  qu'il  faut,  comme  dit  saint  Paul,  se  sou- 
venir des  paroles  du  Seigneur  Jésus,  déclarant  lui- 
même  qu'il  est  plus  heureux  de  donner  que  de  re- 
cevoir 3.  Lorsqu'un  grand  roi  accepte  un  présent, 
c'est  qu'il  veut  donner  lui-même  :  il  donne  premiè- 
rement l'honneur,  par  cela  seul  qu'il  a  daigné 
accepter,  et  il  ajoute  ensuite  ces  retours  de  munifi- 
cence royale  qu'il  mesure  à  sa  dignité.  Lorsque  c'est 
à  Dieu  que  l'on  donne,  on  reçoit  aussitôt  en  échange 
son  amour,  selon  ce  qu'enseigne  l'Apôtre:  que 
«  Dieu  aime  celui  qui  donne  gaîment  4  »  ;  et 
l'amour  de  Dieu,  outre  son  propre  prix  qui  surpasse 
tout  autre  trésor,  devient  la  source  de  tous  les  biens, 
puisque  l'Être  infiniment  riche  ne  peut  aimer  quel- 
qu'un sans  vouloir  l'enrichir.  La  libéralité  de  notre 
Dieu  n'attend  que  la  nôtre  à  son  égard,  pour  satis- 


1.  Eeo  Dominas  locutus  sum,  et  feci.  Ezegh.  17. 

2.  Mihi  autem  adhaerere  Deo  bonum  est.  Ps.  72. 

3.  Oportet  meminisse  verbi  Domini  Jesu,  quoniam  ipse  dixit 
Eeatius  est  magis  dare  quam  accipere.  Act    20. 

4.  Hilarem  datorem  diligit  Deus*.  II  Cou,  9. 


—  82  — 

faire  le  besoin  immense  qu'elle  a  de  s'épancher  sur 
nous.  Si  donc,  dans  la  promesse  que  je  lui  ai  faite, 
j'ai  offert  tout  ce  que  j'avais  et  tout  ce  que  j'étais, 
lui  de  son  côté  s'est  engagé  à  me  donner,  avec  le 
centuple  en  ce  monde  et  l'abondance  de  ses  grâces, 
ce  trésor  dans  le  ciel  qui  n'est  autre  que  Lui-même, 
océan  de  toutes  les  joies  et  de  toutes  les  félicités  K 

SECTION  IV.    —  LE  VŒU  EST  LA  PROMESSE  D'UN  ACTE 
MEILLEUR. 

Nous  n'insistons  pas  sur  ces  derniers  mots  de  la 
définition,  parce  qu'ils  nous  semblent  avoir  été 
suffisamment  expliqués  dans  le  catéchisme  lui- 
même  2. 


ARTICLE  II. 

LE  VOEU  EST  UN  ACTE  DE   LA  VERTU  DE  RELIGION.  . 

Le  catéchisme  ne  fait  qu'affirmer  cette  vérité  : 
son  développement  va  fournir  des  réflexions  bien 
touchantes  pour  les  personnes  religieuses. 

SECTION  PEEMIÈKE.  —  le  vœu  appartient  au 

SACRIFICE. 

L'excellence  du  vœu  paraît  en  ce  qu'il  est  un  acte 
du  culte  de  latrie  ,  qui  ne  se  rend  qu'à  Dieu  ,  pour 


1.  Eco  ero...  merces  tua  magna  nimis.  Gen.  15. 

2.  IrePavtie,  C.  1. 


—  83  — 

reconnaître  son  domaine  suprême  et  sa  grandeur 
infinie. 

On  peut  bien  faire  une  promesse  à  la  très-sainte 
Vierge  ou  à  quelque  saint  ;  mais  cette  promesse  ne 
sera  proprement  un  voeu ,  que  si  l'on  s'engage  pour 
l'honneur  de  Dieu  même ,  c'est-à-dire  en  s'oblr 
geant  envers  Lui  sous  peine  de  péché.  Or  c'est  pré- 
cisément par  là  que  le  vceu  appartient  au  sacrifice  : 
car  alors  il  y  a  immolation  faite  à  Dieu  par  le  chan- 
gement de  l'objet  offert ,  en  ce  qu'il  devient  obliga- 
toirement la  chose  de  Dieu. 

Le  vœu  est  une  participation  spéciale  au  sacrifice 
de  Jésus-Christ  ;  en  le  prononçant  et  en  l'exécutant, 
nous  faisons  ce  que  dit  saint  Paul  :  «  Nous  accomplis- 
sons ce  qui  manque  à  la  Passion  du  Sauveur  en  notre 
chair  2  »  :  c'est-à-dire  ,  que  nous  ajoutons  la  part 
qu'il  nous  réservait  pour  nous  faire  mériter  l'appli- 
cation de  son  divin  Sacrifice.  C'est  ainsi  qu'à  la 
Messe  le  sacrifice  sanglant  du  Calvaire  doit  s'appli- 
quer aux  hommes  par  le  sacrifice  non  sanglant  de 
l'autel  :  parce  que  la  Messe  est  à  la  fois  l'oblation  du 
corps  naturel  de  Jésus-Christ  et  celle  de  son  corps 
mystique  qui  sont  les  chrétiens  :  de  sorte  que  l'im- 
molation du  chef  profite  surtout  aux  membres  qui 
ont  soin  de  se  présenter  avec  lui.  Or  ,  cette  immo- 
lation des  membres  n'éclate  nulle  part  autant  que 
dans  le  martyre  et  dans  le  sacrifice  des  vœux  de  reli- 
gion. D'où  l'on  voit  qu'il  y  a  pour  les  religieux  une 
manière  qui  leur  est  propre  de  célébrer  ou  d'entendre 

1 .    Adimpleo  quse  desunt  passionum  Christi  in  carne  mea. 
Coloss.  1. 


—  84  — 

la  sainte  Messe ,  c'est  de  s'y  offrir  comme  victimes 
avec  Jésus-Christ ,  en  renouvelant  l'holocauste  de 
leurs  vœux. 

SECTION  II.  —  DE  LA  VERTU  DE  EEUGION. 

La  religion,  comme  les  mots  le  disent  déjà  d'eux- 
mêmes  ,  est  la  grande  vertu  du  religieux  ;  au  mo- 
ment où  il  prononce  ses  vœux  ,  elle  devient  la  vertu 
propre  de  son  état.  De  là  l'importance  qu'il  y  a  pour 
lui  de  bien  connaître  et  ce  qu'elle  est  et  tout  ce 
qui  la  concerne.  C'est  clans  le  but  de  l'en  instruire 
plus  à  fond  ,  que  nous  allons  exposer  les  beaux 
enseignements  dé^saint  Thomas  sur  cette  vertu.1 

La  religion,  dit  le  saint  docteur,  est  une  vertu  qui 
fait  partie  de  la  justice  et  en  est  même  la  principale 
parti*  ;  et  c'est  celle  par  laquelle  l'homme  rend  à 
Dieu  1»  culte  et  l'hommage  qu'il  lui  doit. 

Insistons  sur  ces  deux  idées  fondamentales  ,  elles 
sont  très-dignes  de  la  considération  du  religieux. 

I.  La  religion  est  une  partie  de  la  justice  ,  car  le 
propre  de  la  justice  est  de  rendre  à  chacun  ce  qui  lui 
est  dû  ;  et  elle  en  est  la  partie  principale,  car  la  pre- 
mière de  nos  dettes  ,  sans  contredit  et  sans  compa- 
raison, est  celle  qui  nous  oblige  envers  notre  Créa- 
teur et  notre  Dieu. 

Représentons-nous  donc  cet  Etre  et  ce  Seigneur 

1.  2a  2seq.  81.  ft.1. 


—  85  — 

suprême  abaissant  ses  regards. du  haut  du  ciel  et  les 
promenant  sur  toute  la  surface  de  la  terre.  Il  y  aper- 
çoit trois  classes  d'hommes  bien  différentes. 

La  première  se  compose  de  tous  ceux,  hélas  !  qui 
le  méconnaissent ,  l'oublient  et  l'offensent  :  classe 
innombrable  de  créatures  intelligentes  qui ,  en  refu- 
sant le  culte  et  l'hommage  dus  à  leur  auteur,  violent 
les  plus  essentiels  devoirs  de  la  justice. 

La  seconde  classe  renferme  ceux  qui  le  reconnais- 
sent ,  il  est  vrai ,  pour  leur  Seigneur  et  ne  nient 
pas  le  droit  qu'il  a  sur  eux.  Mais  chez  ces  hommes , 
tout  à  leurs  intérêts  terrestres  ,  que  le  souvenir  de 
Dieu  est  rare  I  Que  le  soin  de  lui  payer  leur  dette 
occupe  peu  de  place  dans  leur  vie  !  Ce  grand  Dieu , 
qui  devrait  être  tout  pour  eux,  ne  voit  arriver  à  lui, 
de  leur  part ,  qu'un  si  petit  nombre  d'hommages  t 
Et  autant  les  intervalles  sont  grands  ,  autant  les 
cœurs  sont  avares  et  froids  !  Cuite  infime  ,  qui  n'est 
trop  souvent  qu'une  formalité  ,  et  dans  lequel  ceux 
qui  le  rendent  n'atteignent  pas  même  l'indispensa- 
ble ni  la  justice  de  stricte  obligation  ! 

La  troisième  classe  présente  aux  regards  divins 
les  hommes  vraiment  religieux  :  ce  sont  ceux  qui , 
pénétrés  de  la  lin  de  leur  création,  et  tirant  les  justes 
conséquences  de  cette  fondamentale  vérité  ,  mettent 
en  tête  de  leurs  obligations  celle  qui  regarde  le 
Créateur.  Au  premier  rang  sans  doute  doivent  se 
trouver  ceux  que  Ton  appelle  les  religieux  ,  car  ils 
sont  entrés  en  religion,  c'est-à-dire  qu'ils  se  sont  destinés 
par  état  à  vérifier  excellemment  en  eux  la  définition 
de  la  vertu  de  religion  ;  et  quand  ils  sont  tels  en 
effet  que  l'indiquent  leur  nom  et  leur  profession , 


—  80  — 

c'est  assurément  sur  eux  que  le  regard  du  Seigneur  se 
repose  avec  plus  de  complaisance,  selon  ce  qu'il  dit 
lui-même  du  lieu  saint  où  l'on  vaque  spécialement  à 
la  religion  :  «  Mes  yeux  et  mon  cœur  seront  là  tous 
les  jours1». 

IL  La  vertu  de  religion  rend  à  Dieu  le  culte  et 
l'hommage  qui  lui  sont  dus.  Mais  en  quoi  consiste  ce 
culte  et  cet  hommage  ?  Le  docteur  angélique  donne 
une  double  étymologie  qui  imprime  dans  l'esprit 
deux  fécondes  idées,  et  d'où  il  tire  la  notion  substan- 
tielle de  la  religion.  Le  mot  religion  ,  dit-il  ,  vient  du 
verbe  latin  religare,  rattacher  ;  ou  encore  du  verbe 
reeligere,  réélire,  choisir.de  nouveau.  Ainsi,  la  religion 
est  ce  qui  nous  relie    à    Dieu  tout-puissant  dont 
nous  étions  détachés.  Elle  est  encore  ce  qui  nous  fait 
réélire  Dieu  que  nous  avions  perdu  par  négligence  , 
c'est-à-dire  ,  selon  la  force  du  mot  negligere ,  nec 
eligere,  parce  que  notre  cœur  ne  voulait  plus  de  lui. 
En  effet,Dieu  est  celui  auquel  l'homme  doit  se  rattacher 
principalement  comme  à  son  suprême  et  inséparable 
principe;  et  il  est  de  même  celui  vers  lequel  l'homme 
doit  reporter   son  cœur   égaré   comme  vers  sa  fin 
dernière  ;  de  sorte  que  ce  Dieu  qu'il  avait  perdu  par 
négligence  ,  il  le  ressaisisse  par  la  foi  opérant  les 
bonnes  œuvres*. 

Telle  est  essentiellement  la  double  idée  du  culte  que 
nous  devons  à  Dieu,  et  cette  doctrine  sur  la  religion 
s'adresse  au  genre  humain  tout  entier.  L'homme,  na- 


1.  Erunt  oculi  mei  et  cor  meum  ibi  cunctis  diebus.  III  Keg.  9« 

2.  Keligio  a  religando,  quia  nos  religat  omnipotent!  Deo.  — 
Beligio  a  reeligendo,  quia  Deum  reeligimus  quem  ainiseramus 

négligentes. 


—  87  — 

turellement  lié  à  Dieu  son  Créateur  par  son  origine, 
l'était  encore  surnaturellement  par  la  grâce  dont  il 
avait  été  orné;  mais  le  péché  d'Adam  l'en  a  malheu- 
reusement détaché,  et  il  a  fallu  un  Réparateur  pour 
le  rattacher  à  son  principe.  Par  suite  du  même 
péché,  la  volonté  humaine,  ne  se  souciant  plus  de 
Dieu  ,  a  porté  ailleurs  ses  choix  coupables  ;  et  un 
Sauveur  a  été  nécessaire  pour  guérir  cette  volonté , 
et  la  rendre  capable  de  réélire  Celui  qui  est  sa  der- 
nière fin.  Détaché  encore  trop  souvent  par  de  nou- 
veaux péchés  qui  lui  font  perdre  Dieu,  il  lui  faut,  à 
l'aide  de  la  grâce  toujours  miséricordieuse  de  Jésus- 
Christ,  faire  de  nouveaux  efforts  pour  se  relier  en- 
core au  principe ,  et  pour  ramener  sa  volonté  vers 
la  fin.  Ce  doit  être  là  le  travail  continu ,  le  soin 
quotidien  de  l'homme  sur  la  terre  ,  et  il  appartient 
à  la  religion  d'opérer  cet  ouvrage.  Avoir  de  la  reli- 
gion, pratiquer  sa  religion  n'est  pas  autre  chose. 

Mais  ce  principe  universel  et  commun  à  tous .  il 
est  pour  le  religieux  d'une  application  toute  spéciale; 
car  c'est  l'expression  propre  de  tous  ses  devoirs  ,  et 
il  le  presse  de  les  remplir  par  ces  deux  suprêmes 
motifs  :  Dieu  mon  premier  principe ,  Dieu  ma  der- 
nière fin.  Dieu  mon  principe  auquel  il  faut  que  je 
me  rattache  toujours  plus  fortement  et  plus  univer- 
sellement ;  Dieu  ma  fin,  que  mon  cœur  doit  réélire 
sans  cesse  avec  plus  d'efficacité.  Or  pour  cela  ,  que 
d'efforts  le  religieux  n'a-t-ii  point  à  faire  !  Que  de 
vides  à  combler  1  Que  de  choses  journellement  à  ré- 
parer 1  Que  d'inclinations  contraires  à  combatre  ! 
Aussi  est-ce  pour  cela  même  que  la  profession  reli- 
gieuse multiplie  ses  moyens;  les  vœux,  les  règles,  les 


—  88  — 

exercices  spirituels  ,  la  direction  des  supérieurs  , 
tout  est  dans  le  but  de  l'aider  à  se  relier  toujours  plus 
parfaitement  à  son  principe ,  et  à  réélire  toujours 
plus  énergiquement  sa  fin. 

III.  Voyons  maintenant  avec  plus  de  netteté  de 
quoi  se  compose  la  dette  que  la  religion  doit  payer 
au  Seigneur. 

Premièrement,  ce  que  l'homme  doit  à  Dieu,  c'est  le 
culte  de  latrie  ,  qui  n'est  dû  qu'à  lui.   Ensuite  nous 
devons  à  Dieu  l'obéissance  dans  tout  ce  qu'il  exige 
par  un  précepte  formel  :  ce  qui  exclut  le  péché,  quel 
qu'il   soit ,   grave  ou  léger.  Mais  en  troisième  lieu 
nous  lui  devons  encore  tout  ce  que  nous  sommes 
1  capables  de  faire  pour  son   service    et   sa  gloire, 
même  sans  qu'il  commande  sous  peine  de  péché  :  car 
toutes  nos  œuvres  lui  sont  dues  à  titre  de  Créateur 
et  de  Seigneur,  de  Principe  et  de  Fin  ,  et  parce  que 
nous  sommes  en  toutes  manières  ses  serviteurs.  On 
appelle  surérogatoires,  il  est  vrai,  ces  œuvres  qu'il  ne 
commande  pas  rigoureusement  ;  mais  au  fond  ,  re- 
lativement à  l'exigence  de  sa  grandeur,  il  ne  peut  y 
avoir  de  notre  part  aucun   acte  qui   soit  de  pure 
libéralité  ;  loin  de  là  ,  quoi  que  nous  fassions  pour 
lui,  nous  n'aurons  jamais  payé  notre  dette  entière;  et 
toujours  il  nous  faudra  dire  en  présence  de  ce  Maître 
suprême  :  «  Nous  sommes  des   serviteurs  inutiles  ;• 
nous  n'avons  fait  que  ce  qui  était  de  notre  de- 
voir *  ».  De  là  ce  nom  de  justes  que  l'on  donne  à 
tous  ses  serviteurs  ;  en  pratiquant  même  des  œuvres 


1.  Dicite  :  servi  inutiles  sumus  :  quc-d  debuimus  facere,  feci- 
mus.  Luc.  17. 


—  80  — 

héroïques  pour  son  honneur,  ils  ne  font  que  remplir 
une  justice. 

Or,  devons-nous  dire  maintenant  au  religieux  , 
est-il  personne  sur  la  terre  qui  soit  obligé  envers 
Dieu  plus  justement  et  plus  universellement  que  lui? 
Mais  il  faut  ajouter  encore  :  Est-il  personne  qui  soit 
dans  une  position  aussi  favorable  ,  pour  pouvoir 
facilement  lui  payer  toutes  les  parties  de  sa  dette  ? 

1  IL 

Ln  autre  enseignement  de  saint  Thomas  sur  la 
vertu  de  religion  renfermera  la  manière  pratique 
de  s'acquitter  de  cette  dette  ,  et  nous  allons  y  voir 
trois  choses  :  1°  la  vie  religieuse  dans  tous  ses  détails; 
2°  l'essence  de  l'esprit  religieux  ;  3°  le  véritable 
exercice  de  la  religion1.  • 

I.  La  vertu  de  religion  ,  dit  le  saint  docteur ,  a 
deux  espèces  d'actes  :  les  siens  propres  qu'elle  pro- 
duit formellement  elle-même  ,  et  ceux  qu'elle  com- 
mande aux  autres  vertus,  pour  se  les  approprier  en 
les  rapportant  à  sa  fin  et  leur  donner  ainsi  plus  de 
valeur. 

Parmi  les  actes  propres  de  la  religion,  les  uns  sont 
intérieurs,  les  autres  extérieurs. 

Ces  actes  intérieurs  renferment  le  culte  principal 
que  nous  devons  à  Dieu.  Le  premier  de  ces  actes  et 
celui  qui  doit  donner  le  branle  à  tous  les  autres  , 
est  la  dévotion  ;  car  la  dévotion  n'est  rien  autre  chose 
qu'une  certaine  promptitude  de  la  volonté   pour 

1.  2a  fce  q.  81.  a.  2. 


—  90  — 

se  mettre  à  tout  ce  qui  est  de  l'honneur  et  du  service 
de  Dieu.  Et  le  second  de  ces  actes  est  la  prière  ,  par 
laquelle  l'homme  honore  Dieu  et  se  soumet  à  lui  , 
en  ce  qu'il  professe  ,  quand  il  prie  ,  qu'il  a  besoin 
de  Dieu  comme  de  l'auteur  de  tous  ses  biens. 

Les  actes  extérieurs  de  la  religion  sont  l'adoration, 
le  sacrifice  ,  les  offrandes ,  la  louange  ,  etc.  Une 
exposition  de  ces  matières  serait  utile  sans  doute  ; 
mais  elle  surchargerait  la  question  présente  et  nous 
mènerait  trop  loin  :  seulement  nous  reviendrons 
plus  bas  sur  la  dévotion  ,  à  raison  de  son  impor- 
tance1. 

Les  actes  que  la  vertu  de  religion  peut  comman- 
der aux  autres  vertus  sont  sans  nombre  :  car  tout 
entre  dans  son  domaine,  et  tout  acquiert  son  propre 
mérite  par  cela  même  qu'elle  le  rapporte  au  culte  et 
à  l'honneur  de  Dieu.  Telles  sont  les  œuvres  de  misé- 
ricorde, de  tempérance  et  de  mortification ,  selon  ce 
que  dit  saint  Jacques  :  «  La  religion  pure  et  sans 
tache  aux  yeux  de  notre  Dieu  et  Père  ,  la  voici  : 
visiter  les  orphelins  et  les  veuves  ,  et  se  garder  des 
souillures  de  ce  siècle 2  » . 

Il  en  est  même  ainsi  des  actes  qui  procèdent  de 
quelque  affection  légitime  inspirée  par  la  nature , 
comme  l'amour  des  parents  et  des  amis  ,  l'étude  de 
la  science  ,  le  goût  de  telle  ou  telle  occupation  hon- 
nête ,  etc.  La  religion  ne  supprime  pas  ces  affec- 
tions ;  elle  les  épure  ,  les  dégage  de  l'amour  pro- 


1.  Section  III». 

2.  Religio  munda  et  immaculata  apud  Deum  et  Patrem  hsec  est  ; 
visitarepupillosetvidtiasintribvilntioneeorum,  etimmaculatum 
se  custodire  ab  hoc  sœculo.  Jac.  1 


—  91  - 

pre  et  mondain,  les  consolide  et  les  perfectionne  en 
les  rapportant  à  Dieu  :  et  alors  elle  en  fait  de  saintes 
affections  dont  Dieu  même  est  le  principe  et  la  fin. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  actions  les  plus  indifféren- 
tes et  les  plus  communes,  dont  la  religion  ne  puisse 
faire  sa  propriété  ,  comme  nous  l'enseigne  et  nous 
le  recommande  l'Apôtre  :  «  soit  que  vous  mangiez , 
soit  que  vous  buviez  ,  ou  que  vous  fassiez  quelque 
autre  chose,  faites  tout  pour  la  gloire  de  Dieu  ■  ». 

Nous  avons  donc  là  tous  les  détails  de  la  vie  reli- 
gieuse. Nous  voyons  qu'un  religieux,  non-seulement 
peut,  comme  les  autres  chrétiens  ,  transformer  tout 
ce  qu'il  fait  en  actes  de  religion  par  l'intention  qui 
Tanime  ;  mais  de  plus  que  ses  vœux  ,  surtout  celui 
d'obéissance  ,  sont  là  pour  conférer  à  ses  œuvres 
un  mérite  de  religion  beaucoup  plus  spécial,  encore, 
et  pour  tout  rapporter  excellemment  au  culte  du 
divin  Maître. 

II.  Voici  maintenant  l'essence  môme  de  l'esprit 
religieux  qui  doit  pénétrer  tous  nos  actes.  L'homme 
par  la  vertu  de  religion,  dit  toujours  saint  Thomas  , 
révère  et  honore  Dieu  comme  premier  principe , 
tant  pour  la  création  que  pour  le  gouvernement  de 
toutes  choses  et  spécialement  de  l'homme  lui-même. 
C'est  pourquoi  le  Seigneur  nous  dit  par  son  pro- 
phète :  «  Si  je  suis  votre  Père  ,  où  est  l'honneur 
que  vous  me  rendez2  »  ?  Car  le  propre  du  père  est  de 
communiquer  l'être  à  ses  enfants  et  de  les  gou- 
verner3. 

1.  Sive  manducatis,  sive  bibitis,  sive  aliud  quïd  f acitis,  omnia 
in  gioriam  Dei  facite.  I  Cor.  10. 

2.  Si  ergo  Pater  ego  sum,  ubl  est   honor  meus?  àIalach.  1. 

3.  2a  2».  quaest.  81.  art.  3, 


_  92  — 

Saisissons  bien  la  portée  de  cette  doctrine.  L'esprit 
religieux  consiste  essentiellement  à  voir  toujours  en 
Dieu  le  premier  Principe  pour  l'honorer  toujours 
fidèlement  en  cette  qualité.  Mais  où  Dieu  se  mani- 
feste-t-il  comme  premier  Principe  ?  Dans  la  création 
et  le  gouvernement  du  monde  et  de  toutes  choses. 
Prrtout  donc  l'esprit  religieux  rend  l'homme  atten- 
tif à  reconnaître  cette  action  divine,  et  diligent  à 
lui  rendre  hommage.  Toutefois  il  est  un  endroit 
spécial  où  son  attention  et  sa  diligence  doivent  être 
plus  grandes  encore  et  plus  continuelles  :  c'est  sa 
propre  personne  ;  et  c'est  en  lui-même  surtout  qu'il 
aime  à  considérer  Dieu  comme  premier  Principe, 
pour  honorer  Celui  qui,  dans  l'ordre  naturel  et  sur- 
naturel, produit,  conserve  et  gouverne  sa  créature 
raisonnable  avec  l'autorité  et  la  bonté  d'un  Père. 

Tel  fut  sans  doute  l'esprit  religieux  dès  l'origine 
du  m#nde  ;  et  même  parmi  ce  peuple  où  la  loi  de 
crainte  dominait  à  cause  de  la  dureté. des  cœurs,  les 
hommes  vraiment  religieux  surent  reconnaître  cette 
qualité  de  père  dans  le  Dieu  de  majesté.  Mais  Jésus- 
Christ  vint  bien  plus  hautement  marquer  la  religion 
de  ce  caractère,  lorsqu'associantà  sa  propre  filiation 
ceux  qui  croient  en  lui,  «  il  leur  donna  le  pouvoir 
de  devenir  enfants  de  Dieu  *  ». 

Or,  ce  culte  filial  dans  lequel  «  le  Saint-Esprit 
lui-même  nous  fait  crier  :  Père,  Père2  »,  quand  nous 
traitons  avec  le  Créateur,  en  qui  devra-t-il  régner 


1.  Dédit  eis  potestatem  filios  Dei  fieri.  Joan.  1. 

2.  Accepistis  Spiritum  adoptionis  filiorum,  in  quo  clarnamus  : 
Abba,  Pater.  Rom.  8. 


—  93  — 
plus  que  dans  l'esprit  et  le  cœur  du  religieux  vis-à- 
vis  du  Père  céleste?  Quand  on  lit  la  Vie  des  Saints 
par  exemple  celle  dune  sainte  Thérèse,  on  est  frappe 
de  la  mamère  dont  ils  savaient  allier  envers  Dieu 
e  respect  le  plus  profond  avec  l'amour  le  plus  ten- 
dre. Ah  1  c  est  seulement  dans  les  relations  des  hom- 
mes entre  eux  que  la  familiarité  engendre  le  mépris, 
ou  que  le  respect  gêne  l'effusion  de  l'amour.  Mais  avec 
ÏTJ  T,.eSt  t0Ut  autr«,  parce  que  le  Saint- 

nro !Ta    >  P°Ur  ProdUil'e   *  ^  f°iS  le  Senttoent 
piofond  de  la  majesté  et  de  la  bonté. 

III.  Enfin  voici,  selon  saint  Thomas,  le  véritable 
exercée  de  la  religion  tel  qu'il  le  faut  san  d<  fie  à 
ton  chret,en  mais  tel  que  lereligieux  principal  me  n 
do,t  I  avoir  dans  tout  l'ensemble  de  sa  vie.  La  vertu 
de rehgion  d.t-il,  honore  et  sert  Dieu  par  les  même" 
actes  :  car  le  culte  regarde  l'excellence  divine  à  qui 
a  révérence  est  due,  et  le  service  regarde  la  dépen- 
dance de  1  homme  qui  par  sa  condition  naturelle  est 
oblige  de  rendre  à  Dieu  son  hommage.  Or,  ces  deux 

ÎTà,  7  ,et  Ie  service' se  trouvent  nécess^- 

ment  dans  tous  les  actes  qui  appartiennent  à  la  reli- 
gion parce  que  tous  doivent  être  des  témoignages 
par  lesquels  l'homme  déclare  à  la  fois  l'excellence 
divine  et  sa  propre  dépendance,  soit  qu'il  offre  à 
Dieu  quelque  chose,  comme  l'adoration,  la  louant 
le  sacrifice  ete.,  soit  qu'à  son  tour  il  demande  oJ 
reçoive  quelque  bien  de  la  divine  bonté  » 

Qm  ne  voit  combien  ceci  est  fondamental  dans  la 
Vie   chrétienne  et  religieuse  ?  Pour   une  pratique 


1.  2a  2œ.  quasst.  81.  art.  3. 


-  04  — 

solide  et  vraie  de  la  vertu  de  religion  ,  nous  ne  de- 
vons jamais  séparer  ces  deux  choses,  honorer  et  ser- 
vir Dieu  :  car  s'il  demande  et  s'il  accueille  les  protes- 
tations que  nous  faisons  de  son  excellence,  il  n'exige 
pas  moins  la  soumission  de  notre  volonté  et  le  service 
de  nos  œuvres. 

i  ni. 

La  vertu  de  religion  n'est  point  une  vertu  théolo- 
gale, parce  que  Dieu  n'est  pas  son  objet  immédiat 
comme  il  l'est  de  la  foi ,  de  l'espérance  et  de  la 
charité.  L'objet  de  la  religion  est,  non  la  fin  dernière 
elle-même,  mais  tous  les  actes  qui  nous  servent  de 
moyens  pour  l'atteindre. 

Elle  n'est  donc  qu'une  vertu  morale  ;  mais  elle  est 
la  première  de  toutes  en  dignité,  par  la  raison  qu'elle 
approche  de  Dieu  de  plus  près  et  qu'elle  est  plus 
voisine  de  la  fin,  opérant  les  œuvres  qui  vont  direc- 
tement à  la  gloire  divine. 

Cependant  saint  Augustin  nous  enseigne  que 
l'homme  honore  Dieu  par  la  foi  ,  l'espérance  et  la 
charité 4  :  parce  que  ces  vertus,  en  commandant 
elles-mêmes  à  la  religion  d'agir,  font  que  ces  actes 
deviennent  aussi  leurs  actes.  Voilà  un  principe  qu'il 
faut  recueillir  encore  soigneusement  ;  car  il  est  très- 
fécond  en  conséquences  pratiques.  On  y  voit  que  plus 
la  foi,  l'espérance  et  la  charité  sont  vivantes  dans 
une  âme,  plus  elles  y  excitent  ta  religion  à  produire 
les  œuvres  du  culte  et  du  service  de  Dieu.   Aucon- 

1.  Fide,  spe  et  charitate  colitur  Deus. 


-  95  - 

traire,  à  mesure  qu'elles  s'affaiblissent,  la  vertu  de 
religion  devient  plus  inactive,  jusqu'à  tomber  enfin 
dans  une  oisiveté  complète. 

I  iv. 

Tout  ce  qui  vient  d'être  exposé  sur  la  vertu  de  reli- 
gion fait  vivement  ressortir  l'excellence  de  l'état  reli- 
gieux. Aussi  saint  Thomas,  expliquant  aux  religieux 
le  sens  du  nom  qu'ils  portent,  trouve  ici  la  raison 
pour  laquelle  cette  appellation  leur  est  si  spéciale- 
ment attribuée. 

On  donne,  par  antonomase,  dit-il,  le  nom  de  reli- 
gieux à  ceux  qui  se  sont  totalement  dévoués  au  service 
de  Dieu,  parce  qu'ils  sont  des  hommes  qui,  parmi  les 
autres  hommes,  offrent  ce  sacrifice  parfait  de  l'ho- 
locauste dans  lequel  on  ne  se  réserve  rien  de  la  vic- 
time1. Par  état,  les  religieux  sont  donc,  ils  doivent 
être  comme  la  vertu  de  religion  personnifiée,  la 
vertu  de  religion  toujours  en  exercice.  C'est  leur 
obligation  essentielle,  mais  c'est  aussi  leur  mérite 
propre  et  la  belle  part  que  Dieu  leur  a  faite  :  de  sorte 
que  chacun  d'eux  doit  s'appliquer  sans  cesse  les  paro- 
les que  saint  Léon  adresse  au  chrétien  :  «  Connais, 
ô  religieux,  ta  dignité,  et  après  que  le  divin  Maître 
t'a  placé  si  haut  à  son  service,  ne  va  point  dégénérer 
par  tes  œuvres,  ni  revenir  à  la  bassesse  et  à  la  futilité 
misérable  d'une  vie  mondaine2  ».  Le  nom  de  reli- 

1.  Antonomastiee  religiosi  dicuntur  illi  qui  se  totaliter  manci- 
pantdivino  servitio,  quasi  holocaustum  Deo  oflferentes.  2a  2ae-, 
q.  186.  a.  1. 

2.  Agnosee,  o  Chri^tianc.  dignitatemtuam,  et  divinas  eonsors 
factus  naturae,  noh  in  veterem  vilitatem  degeneri  conversatione 
redire. 


—  96  - 

gieux  ,  chaque  fois  qu'on  le  prononce,  est  pour  celui 
qui  le  porte  un  appel  à  la  ferveur,  appel  tout  sem- 
blable à  celui  que  saint  Bernard  se  taisait  à  lui- 
même  :  «  Bernard,  dans  quel  but  es-tu  venu  ici  ?  » 
Ce  nom  est  comme  un  miroir  spirituel  que  le  reli- 
gieux retrouve  perpétuellement  devant  ses  yeux  : 
qu'il  l'interroge  et  le  consulte,  et  il  lui  verra  répéter 
à  tout  inst  mt  la  grande  leçon  que  l'Enfant-Dieu 
donnait  aux  hommes  dans  son  premier  acte  public 
de  religion  :  «  Il  faut  que  je  sois  tout  aux  choses  qui 
sont  du  service  de  mon  Père l  » . 

SECTION  111.  —  DE  LA  DÉVOTION. 

La  dévoti  m  est,  comme  nous  l'avons  dit ,  le  pre- 
mier et  le  principal  acte  de  la  verfcu  de  religion  :  car 
c'est  par  Inique  la  volonté  se  porte  à  tous  les  autres, 
soit  à  ceux  que  cette  vertu  produit  elle-même  ,  tant 
au  dedans  qu'au  dehors,  soit  à  ceux  qu'elle  fait  pro- 
duire aux  autres  dans  le  but  d'honorer  Dieu. 

Il  faut  distinguer  deux  sortes  de  dévotion  :  la 
substantielle  et  l'accidentelle. 

|  I.  —  De  la  dévotion  substantielle 2. 

I.  La  dévotion,  à  la  considérer  en  sa  substance, 
n'est  rien  autre  chose  qu'une  certaine  promptitude 
de  la  volonté  se  livrant  à  tout  ce  qui  est  du  service 
de  Dieu  3. 


1.  In  his  qxise  Patris  mei  sunt,  oportet  me  esse.  Luc.  2. 

2.  2a  2*.  q.  82.  a.  1.  2. 

3.  Devotio  mhil  aliud  estquam  vomntasquœdam  prompte  se 
tradendi  ad  ea  quse  sunt  Dei  famulatus. 


-  97  - 

Le  mot  dévotion  vient  du  mot  latin  devovere,  et 
les  Romains  appelaient  devoti  ceux  qui  se  dévouainet 
à  1  iurs  dieux  et  à  la  mort  pour  la  patrie  :  comme 
firent  les  deux  Décius,  au  rapport  de  Tite-Live.  Être 
dévot  ,  c'est  donc  livrer  par  une  volonté  prompte  sa 
vie  avec  ses  actes  au  culte  et  au  service  de  Dieu  :  et 
la  dévotion  n'est  pas.  ainsi  que  plusieurs  se  l'ima- 
ginent, une  affaire  de  sensibilité,  mais  de  dévoue- 
ment. Elle  ne  consiste  pas  précisément  dans  des  pra- 
tiques pieuses  ,  mais  clans  l'empressement  d'une 
volonté  qui  se  met  aux  choses  que  Dieu  lui  demande. 

Saint  François  de  Sales  a  parlé  de  la  dévotion 
comme  le  Docteur  angélique.  «  Elle  n'est  pas  autre 
chose  ,  dit-il.  qu'une  agilité  et  vivacité  spirituelle 
qui  nous  fait  opérer  pour  Dieu  soigneusement  ,  fré- 
quemment ,  promptement.  » 

IL  L'ennemie  propre  et  directe  de  la  dévotion  est  la 
paresse  spirituelle  ou  la  tiédeur1. 

En  général,  le  vice  de  la  paresse  est  une  tris' esse 
qui  pèse  sur  l'âme  en  présence  d'un  bien  qu'il  faut 
opérer  ,  et  qui  abat  tellement  le  courage  de  l'homme, 
qu'il  n'a  plus  de  volonté  à  rien  faire.  La  paresse  est 
vicieuse  par  deux  endroits:  d'abord,  elle  l'est  en 
elle-même  ,  puisqu'elle  traite  comme  un  mal  ce  qui 
est  bien  :  car  la  tristesse  est  ce  sentiment  de  l'âme 
qui  fait  effort  contre  le  mal  pour  le  repousser.  En 
second  lieu,  la  paresse  est  mauvaise  dans  ses  effets, 
en  ce  qu'elle  empêche  d'opérer  le  bien.  De  plus , 
comme  personne  ne  peut  rester  sous  le  poids  de  la 

1. 2a  2œ.  q  35,  a.  1 .  Acedia  est  qusedam  tristitia  aggravai»,  quaë 
pcilicetita  deprimit  animum  bominis  ut  nihil  agere  libeat. 

3*' 


—  98  — 

tristesse,  ni  vivre  sans  quelque  contentement,  la 
paresse  fait  que  l'âme  se  met  à  la  recherche  des 
satisfactions  sensuelles.  Enfin  ,  après  avoir  fui  le 
bien  qui  l'attriste ,  la  volonté  se  pervertit  même 
jusqu'à  le  combattre  ,  soit  dans  les  choses  par  une 
aversion  de  malice,  soit  dans  les  personnes  par  la 
haine  contre  ceux  dont  les  avis  ou  les  exemples  la 
rappellent  au  devoir. 

Appliquez  tout  ceci  à  la  paresse  spirituelle  qui  est 
le  dégoût  volontaire  de  l'âme  pour  les  œuvres  du  ser- 
vice de  Dieu  ,  et  vous  aurez  bien  caractérisé  le  ter- 
rible mal  de  la  tiédeur  avec  ses  effets.  Mais  remar- 
quez aussi  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  des  dégoûts  invo- 
lontaires ,  lorsque  malgré  eux  la  volonté  reste  fidèle 
à  la  pratique  de  ses  devoirs. 

III.  Les  causes  de  la  dévotion  montrent  comment 
elle  peut  s'allumer  dans  un  cœur.  Sa  cause  pro- 
chaine est  la  charité ,  et  sa  cause  éloignée,  la  contem- 
plation{. 

La  charité  est  la  cause  prochaine  de  la  dévotion , 
parce  qu'il  appartient  à  l'amour  de  rendre  un  ami 
prompt  à  servir  son  ami.  Or,  c'est  Dieu  qui  met  et 
augmente  en  nous  la  charité  :  c'est  donc  à  lui  qu'il 
faut  demander  la  cause,  si  l'on  veut  posséder  reflet. 
D'autre  part  néanmoins,  la  charité  se  nourrit 
elle-même  par  la  dévotion  ,  comme  toute  amitié  se 
conserve  et  s'accroît  par  l'exercice  des  œuvres  qu'elle 
produit.  Et  voilà  la  part  que  nous  devons  mettre 
pour  alimenter  en  nous  le  saint  amour.  Ecoutons 
aussi  saint  François  de  Sales  :  «  Par  le  moyen  de 

1.  2*  2ce.  q.  82.  a.  3,  4.  G. 


—  99- 

cette  agilité  et  vivacité  spirituelle  de  notre  volonté, 
la  charité  fait  les  actions  en  nous,  ou  nous  par  elle, 
promptement  et  affectionnément.  La  charité  est  un 
feu  spirituel,  et  la  dévotion  y  ajoute  la  flamme  qui 
rend  la  charité  prompte,  active  et  diligente.  » 

La  cause  éloignée  de  la  dévotion  est  la  contem- 
plation, c'est-à-dire,  ,en  particulier,  la  méditation 
et  les  lectures  spirituelles,  parce  que  c'est  ainsi 
qu'une  âme  conçoit  la  volonté  de  se  livrer  avec 
promptitude  aux  œuvres  du  service  de  Dieu.  En  effet 
tout  acte  de  notre  volonté  procèdetoujours  de  quel- 
que considération  de  notre  entendement;  et  la  dévo- 
tion naît  en  nous  d'une  double  considération  :  l'une 
où  nous  contemplons  la  divine  Bonté,  l'autre  qui 
nous  fait  voir  notre  propre  misère.  La  considération 
de  la  bonté  divine  excite  en  nous  son  amour,  lequel 
est,  comme  nous  l'avons  dit,  la  cause  prochaine  de 
la  dévotion,  selon  cette  parole  du  Psalmisfe  :  «  Pour 
moi  c'est  une  bonne  chose  de  m'attacher  à  Dieu,  et 
de  placer  en  lui  mon  espérance  1  ».  Considérer  en 
eux-mêmes  les  divins  attributs,  c'est  ce  qui  de  soi  est 
plus  propre  à  exciter  la  dévotion.  Mais  de  notre 
côté  et  à  raison  delà  faiblesse  humaine,  une  considé- 
ration plus  efficace  que  tout  autre  à  cet  effet,  est 
celle  de  Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  Dieu  fait 
homme  comme  nous  et  pour  nous,  de  Jésus-Christ 
qui  nous  est  apparu  comme  étant  la  grâce,  la  béni- 
gnité et  l'humanité  de  notre  Dieu  Sauveur  2.  Voilà 

1.  Mihi  autem  adhasrere  Deo  bonum  est,  ponere  in  Domino 
spem  meam.  Ps.  72. 

2.  Appamit  Dei  gratia  Salratoris  nostri.  Tit.  2.  Benignitaset 
humanitas  apparuit  Balvatoris  Lostii  Dei,  Tit.  3. 


—  100  — 

le  livre  écrit  au  dedans  et  au  dehors {  qu'il  nous 
faut  principalement  lire  et  méditer  ,  à  l'exemple 
de  saint  Paul  qui ,  môme  après  avoir  été  ravi  au 
troisième  ciel  ,  professait  ne  savoir  que  Jésus  ,  et 
Jésus  crucifié  2. 

L'autre  source  de  la  dévotion  est  la  considération 
de  notre  misère.  Car  plus  nous  nous  en  pénétre- 
rons ,  plus  elle  nous  fera  sentir  le  besoin  de  nous 
appuyer  sur  Dieu ,  et  par  conséquent  plus  nous 
tâcherons  de  mériter  son  secours  par  la  fidélité  de 
nos  services  ,  selon  ces  paroles  de  David  :  «  J'ai  levé 
mes  yeux  vers  les  saintes  montagnes  ,  d'où  me  vien- 
dra le  secours,  le  secours  de  Celui  qui  a  fait  le  ciel 
et  la  terre  3  » .  De  plus  ,  cette  vue  de  notre  misère 
exclura  la  présomption,  qui  empêche  l'homme  de  se 
soumetre  à  Dieu  parce  qu'il  compte  sur  sa  propre 
vertu. 

Tout  ce  qu'on  vient  de  dire  montre  combien  la 
méditation  est  nécessaire  ,  et  pourquoi  elle  est  appe- 
lée un  exercice  de  dévotion.  Faite  avec  diligence,  elle 
sert  à  l'enflammer  ;  mais  il  faut  ajouter  que,  faite 
pour  la  forme  et  sans  soin  ,  elle  la  laisse  misérable- 
ment s'éteindre. 

IV.  Les  effets  de  la  dévotion.  Principalement  et  direc- 
tement elle  produit  la  joie  ;  mais  indirectement  elle 
produit  aussi  une  certaine  tristesse  selon  Dieu. 


1.  Vidi  in  dextera  sedentis  supra  thrormm  iibrum  scriptum 
intus  etforis.  Apoc.  5. 

2  Non  enim  judicavi  me  scire  aliquid  inter  vos  nisi  Jesum 
Christum,  et  hune  crucifixum.  I,  Coït.  2. 

3,  Levavi  oculos  meosin  montes,  unde  veniet  auxilium  mihi  : 
auxilium  meum  a  Domino  qui  fecit  cœlum  et  terrain.  PS.  120, 


-  101  - 

En  effet,  la  considération  de  la  divine  Donté  qui , 
comme  on  vient  de  le  voir  ,  est  la  cause  de  la  dévo- 
tion, produit  par  elle-même  l'allégresse  de  l'âme  : 
«  Je  me  suis  souvenu  de  Dieu,  dit  le  saint  roi  David, 
et  j'en  ai  été  réjoui1  ».  — Les  mondains  se  figu- 
rent que  la  dévotion  est  triste  et  sombre.  Ah  !  e'est 
qu'ils  ignorent  combien  le  contentement  d'un  cœur 
qui  est  tout  à  Dieu  surpasse  les  joies  et  les  délecta- 
tions terrestres.  Ou  bien  ils  ne  regardent  que  ceux 
qui  se  traînent  péniblement  dans  le  service  de  Dieu, 
au  lieu  d'y  mettre  cette  promptitude  d'une  volonté 
qui  sait  donner  gaîment  au  Seigneur.  Mais  qu'ils  jet- 
tent les  yeux  sur  ceux  qui  ont  une  dévotion  véritable, 
et  toujours  ils  trouveront  des  cœurs  contents  de  Dieu, 
parce  que  ces  cœurs  s'appliquent  en  toutes  choses  à 
le  contenter  lui-même.  C'est  lexemple  qu'ont  offert 
tous  les  saints  :  un  saint  Romuald,  qui  servit  le  divin 
Maître  avec  tant  de  ferveur  pendant  plus  de  cent  ans, 
avait  toujours  le  visage  si  joyeux ,  qu'il  communi- 
quait sa  joie  à  ceux  qui  le  regardaient  2  ;  et  telle 
était  l'amabilité  d'un  saint  François  Xavier  ,  qu'un 
roi  païen  du  Japon  en  conçut  le  désir  d'aller  au 
ciel  pour  être  en  sa  compagnie  3.  Comme  les  saints, 
tout  vrai  serviteur  de  Dieu  peut  et  doit  donner  au 
monde  cette  édification. 

Toutefois  cette  même  considération  de  la  divine 
bonté  fait  naître  indirectement  dans  l'âme  dévote 
une  certaine  tristesse ,  la   tristesse    de  l'exilé  qui 


1.  Memorfui  Dei,  et  delectatus  sum.  Ps.  76. 

2.  Yultu  arteo  Iseto  semper  erat,  ut  intuentes  exhilararet.  (Lit  ) 

3.  Histoire  de  sa  vie, 

3*** 


—  102  — 

répète  avec  le  Psalmiste  :  «  Mon  âme  a  soif  du 
Dieu  vivant  ;  quand  viendra  le  jour  de  la  claire  vue 
et  de  la  pleine  jouissance?  C'est  pourquoi  le  jour  et 
la  nuit  je  me  nourris  de  mes  larmes  *  » .  Mais  cette  tris- 
tesse même  est  une  des  béatitudes  d'ici-bas  :  «  Bien- 
heureux sont  ceux  qui  pleurent,  parce  qu'ils  seront 
consolés2  ». 

Quant  à  la  considération  de  sa  propre  misère,  l'âme 
dévote  en  tire  un  sujet  de  tristesse  sans  doute,  mais 
aussi  un  sujet  de  joie  en  pensant  que  la  misère  que 
nous  sentons  et  dont  nous  faisons  l'humble  aveu 
attire  infailliblement  la  miséricorde.  Et  cet  élément 
de  la  joie  est  nécessaire  à  la  béatitude  de  ceux  qui 
pleurent,  parce  que,  sans  lui,  la  vue  de  notre  misère 
ne  produirait  que  rabattement ,  avec  une  tristesse 
qui  ne  serait  plus  selon  Dieu.  De  là  vient  que  les 
anxiétés  volontaires  au  service  de  Dieu  ne  sont  pas 
de  bons  indices  de  la  dévotion  réelle  ,  puisqu'on  ne 
joint  pas  au  sentiment  de  ses  maux  la  confiance 
d'être  secouru. 

V.  La  dévotion  substantielle  ,  lorsqu'elle  est  en 
habitude  dans  une  âme ,  est  ce  qu'il  faut  appeler 
proprement  la  ferveur  de  l'esprit  ;  elle  procède  de  la 
charité  et  à  son  tour  elle  sert  à  l'alimenter  ,  comme 
nous  l'avons  dit  ;  mais  cette  vraie  ferveur  est  essen- 
tiellement ,  ainsi  que  la  charité  même ,  dans  la  vo- 
lonté, et  non  dans  les  impressions  sensibles. 


1.  Sitivit  anima  mea  ad  Deum  fortem  vivum.  Quando  veniam 
et  apparebo  ante  f aciem  DeiZ  Fuerunt  mihi  lacrymse  me»  panes 
die  ac  nocte....  Ps.  41. 

2.  Beati  qui  lugent,  quoniam  ipsi  consolabimtur.  Matth,  5% 


-  103  — 

|  2.  —  De  la  dévotion  accidentelle. 

I.  La  dévotion  qu'on  nomme  accidentelle  est  celle 
où  l'âme  éprouve  une  certaine  douceur  qui  soutient 
la  promptitude  de  sa  volonté  dans  ce  qu'elle  fait  pour 
Dieu.  Ce  n'est  qu'un  accident  surajouté  à  la  dévotion, 
et  non  sa  substance  même  :  tellement  que  la  dévo- 
tion peut  très-bien  exister  sans  elle. 

II.  Cette  suavité  qu'on  ressent  dans  la  dévotion 
peut  être  de  deux  sortes  :  ou  bien  elle  charme  seule- 
ment la  volonté,  ou  bien  c'est  une  douceur  qui 
affecte  la  sensibilité  de  l'âme  et,  comme  Tondit, 
l'appétit  inférieur. 

La  première  espèce  de  suavité  est  une  joie  pure- 
ment spirituelle.  En  général ,  il  y  a  toujours  pour 
l'homme ,  même  dans  la  peine  du  sacrifice ,  un 
contentement  de  l'esprit  qui  est  comme  une  récom- 
pense naturelle  de  la  volonté,  quand  elle  est  prompte 
dans  son  acte  vertueux.  Mais  souvent  il  arrive  que 
ce  contentement  reste  pour  ainsi  dire  latent  au 
fond  de  l'âme  ,  comme  ,  par  exemple ,  quand  la 
volonté  doit  faire  un  effort  contre  la  peine  sensible 
ou  contre  la  difficulté  de  l'œuvre.  Pour  que  la  sua- 
vité devienne  intense  et  perceptible  ,  il  faut  que 
Dieu  ajoute  l'onction  de  sa  grâce  ;  et  telle  est  la  pre- 
mière sorte  de  dévotion  accidentelle  ,  celle  qui  fait 
éprouver  un  joie  intime  à  la  volonté  sans  que  la 
sensibilité  inférieure  y  prenne  part  ;  elle  ressemble 
aux  délectations  qu'éprouvent  les  esprits  angéliques. 

C'est  cette  suavité  toute  spirituelle  que  saint 
François  de  Sales  semble  avoir  voulu  décrire  dans 


—  104  — 

ce  gracieux  passage  :  «  La  dévotion  est  la  douceur 
des  douceurs  et  la  reine  des  vertus  :  car  c'est  la 
perfection  de  la  charité.  Si  la  charité  est  un  lait , 
la  dévotion  en  est  la  crème  ;  si  elle  est  une  plante,  la 
dévotion  en  est  le  fruit  ;  si  elle  est  une  pierre  pré- 
cieuse ,  la  dévotion  en  est  l'éclat  ;  si  elle  est  un 
baume  ,  la  dévotion  en  est  l'odeur  ,  l'odeur  de 
suavité  qui  conforte  les  hommes  et  réjouit  les 
anges.  »  Saint  Bernard  avait  dit  aussi ,  en  moins  de 
paroles  ,  mais  avec  non  moins  de  grâce ,  que  la  dé- 
votion est  une  fleur  du  siècle  futur  :  œvi  futuri  flos 
est  devotio. 

Mais  la  suavité  de  la  dévotion  accidentelle  peut 
aussi  présenter  un  autre  caractère  :  à  savoir,  lorsque 
certaines  émotions  douces  se  produisent  dans  la 
sensibilité ,  ou  partie  inférieure  de  l'âme  ;  et  c'est 
alors  qu'il  faut  l'appeler  proprement  la  dévotion  sen- 
sible. 

Si  ces  douces  émotions  du  sentiment  sont  unies 
au  dévouement  réel  de  la  volonté  ,  la  dévotion  est 
véritable  ;  mais  s'il  n'y  a  que  l'impression  sensible 
sans  le  dévouement  des  œuvres  ,  la  dévotion  n'est 
qu'apparente  et  illusoire.  C'est  donc  par  ses  fruits 
et  non  par  le  sentiment  qu'il  faut  juger  de  la  dévotion 
sensible. 

Elle  peut  être  non-seulement  une  apparence 
vaine,  mais  encore  une  duperie  de  l'esprit  mauvais 
ou  de  l'amour-propre,  et  par  conséquent  une  enne- 
mie de  la  vraie  dévotion  ;  d'où  l'on  voit  combien  il 
importe  d'en  examiner  l'origine. 

La  douceur  sensible  de  la  dévotion  peut  avoir  les 
quatre  causes  suivantes  * 


-  10o  - 

1°  L'intensité  de  l'acte  de  charité  :  car  ,  dit  saint 
Thomas  l  ,  lorsqu'un  acte  de  la  volonté  est  intense, 
il  peut  lui  causer  un  tel  contentement ,  que  sa  sur- 
abondance fasse  déborder  comme  un  excédant  qui 
rejaillit  sur  la  partie  inférieure  de  l'âme.  C'est  sur- 
tout ce  qui  peut  avoir  lieu  dans  l'acte  intense  de  la 
charité,  quand  Dieu  y  ajoute  l'onction  d'une  grâce 
spéciale  :  alors  il  se  produit  des  émotions  sensibles, 
des  larmes  et  autres  effets  plus  ou  moins  véhéments, 
comme  nous  le  lisons  dans  les  Vies  des  saints  ;  de 
sorte  qu'on  s'écrie  avec  le  Psalmiste  :  «  Mon  cœur 
et  ma  chair  ont  tressailli  de  joie,  lorsque  je  me 
portais  vers  le  Dieu  vivant a  » . 

2°  L'action  du  bon  ange.  En  effet ,  lorsque  l'âme 
fait  ou  veut  faire  quelque  chose  pour  le  service  du 
Seigneur,  il  arrive  souvent  que  le  bon  esprit  s'ap- 
proche pour  lui  prêter  son  aide  ,  et  que,  par  une 
action  qui  est  au  pouvoir  naturel  de  l'ange 3 ,  il 
excite  dans  la  partie  inférieure  des  émotions  d'où 
naissent  les  douceurs  sensibles  de  la  dévotion.  Sou 
but  est  de  seconder  la  volonté  dans  le  bien,  en  lui 
fournissant  ce  secours  agréable  et  ce  rempart  contre 
les  répugnances  de  la  chair. 

3°  Mais,  de  son  côté,  le  mauvais  ange  possède 
aussi  naturellement  le  pouvoir  d'exciter  en  nous 
des  émotions  et  des  douceurs  sensibles,  que  Ton 
peut  prendre  pour  la  dévotion  ,  et  il  les  excite, 
sans  que  nous  opérions  le  bien  ,  ou  sans  que  nous 


1.  Propter  intensionem  appetiirag  superioris,  exquo  fitredun- 
dantia  in  mferiorem  partem.  la  2»  q.  30,    art.  5. 

2.  Cor  nienm  et  caro  mea  ex ult avérant  in  Deum  vivum.  Ps.  83. 

3.  Voir  S.  Thomas,  1"  partie,  quest,  m. 


—  106  - 

l'opérions  pour  plaire  à  Dieu.  Son  but,  à  lui,  est  tou- 
jours de  nous  causer  du  dommage  par  cet  appât 
trompeur  ,  et  de  préparer  artilicieusement  notre 
ruine. 

4°  Enfin  ,  dans  certaines  natures  impression- 
nables ,  le  seul  amour-propre  peut  réussir  à  pro- 
duire de  même  un  semblant  de  dévotion  avec  ses 
goûts  sensibles  ;  et  ce  fruit  de  l'amour-propre  ne 
saurait  être  bon,  lors  même  qu'il  fait  faire  de  bonnes 
actions  ,  puisque  l'intention  les  gâte  ,  et  que  ces 
douceurs  mensongères  ne  servent  qu'à  égarer  l'âme 
de  plus  en  plus  hors  de  la  voie  du  vrai  service  de 
Dieu. 

Donc,  pour  résumer,  il  y  a  une  suavité  purement 
spirituelle  ,  qui,  comme  le  dit  saint  Paul  ,  est  toute 
au-dessus  des  sens  ;  goûtée  plus  rarement  par  les 
âmes  d'une  dévotion  commune,  elle  est  fréquente 
dans  les  saints,  qui,  selon  saint  Denis * ,  partagent 
ainsi  dès  ici-bas  les  délectations  des  anges,  à  cause 
de  la  surabondance  de  leur  charité.  Quant  aux 
douceurs  de  la  dévotion  sensible  ,  elles  peuvent  être 
encore  les  indices  d'une  charité  ardente  ;  mais  il 
s'en  faut  bien  que  ces  indices  soient  infaillibles  : 
car  ,  d'un  côté  ,  un  tempérament  plus  viril  pourra 
être  naturellement  moins  capable  d'impressions 
sensibles,  même  dans  des  actes  plus  intenses  de  la 
volonté  ,  quoiqu'il  faille  dire  cependant  que  Dieu  a 
donné  souvent  aux  grandes  âmes  des  coeurs  pleins 
de  tendresse.  D'un  autre  côté,  les  consolations  sen- 


1.  Sancti  hommes  multotics  fiunt  in  comniunicatione  dcleeta- 
tionnin  angelicarum. 


—  107  — 

sibles  pourront  être  aussi  les  indices  d'une  moindre 
charité,  parce  que  ce  sont  les  volontés  faibles  ou 
encore  mal  affermies  que  le  bon  esprit  a  coutume 
de  soutenir  de  la  sorte,  et  qu'il  les  donne  même  à 
des  âmes  qui  n'ont  pas  encore  la  charité,  pour  les 
attirer  à  Dieu.  Enfin  ,  elles  peuvent  être  des  indices 
trompeurs  de  la  charité  ,  comme  lorsqu'elles  sont 
l'œuvre  du  démon  ou  de  l'amour-propre. 

La  conséquence  de  tout  ceci  est  que  l'on  doit, 
avant  tout,  s'attachera  la  dévotion  substantielle. 

Cependant  ne  peut-on  pas  aussi  désirer   et  re- 
chercher la  dévotion  sensible? 

Je  réponds,  en  premier  lieu,  par  la  citation  d'une 
proposition  que  l'Eglise  a  condamnée  dans  Molinos, 
faux  mystique  du  xvne  siècle  :  «  Celui  qui  désire  et 
embrasse  ladévotion sensible,  fait  mal  en  la  désirant 
et  en  s'efforçant  de  l'avoir  *  ».  La  vérité  est  donc 
dans  la  proposition  contradictoire  :  77  ne  fait  point 
mal.  Et,  en  effet,  la  dévotion  sensible  est  un  don  de 
Dieu  ;  il  faut  donc  l'estimer,  et,  s'il  daigne  l'accorder, 
il  faut  la  recevoir  avec  reconnaissance.  Elle  peut 
être  un  secours  nécessaire  à  notre  faiblesse,  pour 
nous  soutenir  dans  le  bien  ;  il  faut  donc  la  demander 
avec  un  humble  sentiment  du  besoin  que  nous  pou- 
vons en  avoir.  Elle  est  très-propre  à  nous  faire 
avancer  dans  toutes  les  vertus  ;  il  faut  donc  la  dé- 
sirer ,  s'efforcer  de  la  mériter  par  la  mortification  et 
la  pureté  de  vie,  et,  quand  Dieu  nous  la  donne,  en 


1.  Qui  desiderat  et  ampleotitur  devotionem  sensibilem.  maie 
facit  eam  desiderando  et  ad  eam  conando.  Proposition  con- 
damnée. 


—  108  — 

user  fidèlement,  comme  d'un  instrument  de  progrès 
spirituel. 

Je  réponds,  en  second  lieu,  que  la  dévotion  sensible 
pouvant  être  fausse,  il  faut  bien  prendre  garde  d'où 
elle  procède,  comme  il  a  été  dit.  De  plus ,  même 
quand  le  bon  esprit  en  est  l'auteur  ,  elle  est  une  de 
ces  faveurs  dont  on  peut  user  bien  ou  mal.  Or,  celui- 
là  en  abuse,  qui,  au  lieu  de  s'en  servir  pour  y  pren- 
dre des  forces  et  s'y  préparer  au  temps  de  l'épreuve, 
ne  pense  qu'à  en  jouir  pour  elle-même  :  car  c'est 
alors  ce  que  saint  Jean  delà  Croix  appelle  la  sensualité 
spirituelle,  par  laquelle  on  s'attache  avec  dérègle- 
ment au  don  plutôt  qu'au  donateur.  Aussi  Dieu  fait 
une  grâce  à  ces  âmes  sensuelles  lorsqu'il  leur  retire 
la  consolation,  comme  le  médecin  du  corps  impose 
la  diète  pour  guérir  le  mal  causé  par  la  gourman- 
dise. Enfin,  sachons  bien  que  ce  ne  sont  point  les 
goûts  sensibles  qui  nous  rendent  agréables  à  Dieu. 
Loin  de  là,  souvent  nous  lui  plaisons  d'autant  moins 
alors  que  nous  nous  plaisons   davantage  à  nous- 
mêmes  ,  et  que  nous  nous  applaudissons  de  voir, 
selon  nous,  les  choses  marcher  si  bien.  Mais  ne  nous 
y  trompons  pas,  ce  qui  plaît  au  divin  Maître,   c'est 
l'humilité  et  la  conviction  de  notre  misère  ,  c'est  la 
promptitude  de  notre  volonté  à  faire  la  sienne  en 
toutes  choses  ,  c'est  le  soin  d'exercer  les  vertus  so- 
lides, soit  qu'il  nous  donne  beaucoup  de  consolations 
spirituelles,  soit  qu'il  nous  en  donne  peu. 


-  109  — 

SECTION  IV.  -  DE  LA  RELIGION  COMPAREE  A  LA 
SAINTETÉ  ». 

Nous  ajoutons  ici  volontiers  cette  considération  , 
qui  est  d'un  si  haut  intérêt  pour  tout  vrai  chrétien  , 
et  particulièrement  pour  les  personnes  qui  sont  en 
religion. 

I.  Qu'est-ce  que  la  sainteté  ? 

Un  cœur  ardent  et  généreux  fait  dire  facilement  à 
celui  qui  embrasse  l'état  religieux:  Moi,  j'y  veux 
devenir  un  saint.  Au  contraire,  il  peut  arriver  qu'on 
entende  un  religieux  pusillanime  se  dire  à  lui-même, 
et  répéter  aux  autres  :  Quant  à  moi,  je  n'ai  pas  la 
prétention  de  faire  un  saint  ;  ce  serait  viser  trop 
haut  pour  ma  faiblesse.  Eh  bien!  le  Docteur  angélique 
va  répondre  au  premier  que,  pour  être  un  saint,  il 
n'a  qu'à  être  un  vrai  religieux  ;  mais  le  second  saura 
également  de  lui  que  ne  vouloir  pas  devenir  un 
saint,  c'est  renoncer  à  faire  un  vrai  religieux,  c'est- 
à-dire  ne  vouloir  pas  être  ce  qu'exprime  son  nom 
propre,  et  qu'en  ce  cas,  il  ne  lui  restera  en  partage 
que  l'apparence,  l'écorce,  le  masque  de  la  religion. 

En  effet,  dit  saint  Thomas,  la  différence  oui  se 
trouve  entre  la  religion  et  la  sainteté  n'est  qu'une 
différence  de  raison,  c'est-à-dire  une  différence  de 
rapports  sous  lesquels  notre  esprit  les  envisage- 
mais,  pour  le  fond, leur  essence  est  la  même  :  car  le 
propre  de  la  religion  est  de  rendre  à  Dieu  le  culte  qui 

1.  2a  2ae.  q.  81.  a.  3. 


—  1 10  — 

lui  est  dû,  en  rapportant  à  l'honneur  divin  ses  pro- 
pres actes  et  ceux  qu'elle  fait  produire  aux  autres- 
vertus;  et  la  sainteté  consiste  proprement  en  ce  que 
l'âme  s'applique  elle-même  à  Dieu  avec  tous  ses  actes  4. 
D'où  l'on  voit  manifestement  que  toutes  deux,  en 
définitive,  font  une  œuvre  identique  :  la  religion, 
pour  payer  la  dette  qui  nous  oblige  envers  la  Majesté 
suprême  ;  la  sainteté,  pour  faire  atteindre  à  notre 
âme  sa  perfection,  en  l'appliquant  à  l'Etre  infini- 
ment parfait.  Et  c'est  encore  l'œuvre  qu'opère  la 
charité,  sous  cet  autre  rapport  qu'elle  nous  unit  à 
Dieu  par  le  cœur,  et  marque  du  sceau  de  l'amour 
divin  les  actes  de  toutes  nos  autres  vertus. 

Du  reste,  il  est  nécessaire  de  remarquer  que , 
comme  il  y  a,  clans  la  pratique  de  la  religion  et  de  la 
charité,  deux  degrés  divers,  l'un  indispensable  au 
salut,  et  l'autre  qui  s'élève  plus  haut,  ainsi  J'on  doit 
distinguer  deux  sortes  de  sainteté  :  l'une  sans 
laquelle  il  n'y  a  point  de  ciel  à  espérer,  l'autre  qui 
ne  s'arrête  pas  à  cette  mesure  inférieure.  Déjà,  sans 
doute,  on  doit  dire  aux  chrétiens  ordinaires  eux- 
mêmes  que  vouloir,  par  un  sentiment  de  lâcheté  et 
comme  par  calcul,  se  contenter  de  viser  au  degré 
inférieur  seulement,  c'est  se  mettre  dans  un  grand 
péril  pour  le  salut,  parce  que,  si  on  le  manque,  il  n'y 
en  a  point  d'autre  au-dessous,  et  qu'il  n'est  que  trop 
facile  à  notre  faiblesse  de  le  manquer  en  effet,  dès 
lors  qu'elle  ne  vise  pas  du  moins  un  peu  plus  haut. 
Mais,  quoi  qu'il  en  puisse  être  des  chrétiens  du  siècle, 


1.  Ranctitas  dicitur,  per  quaiu  mens  liominis  seipsam  et  sues 
actus  applicat  Deo. 


—  III  — 

nous  verrons  bientôt,  en  parlant  de  l'obligation  où 
est  le  religieux  de  tendre  à  la  perfection,  qu'il  ne  lui 
est  pas  permis  de  se  contenter  ni  d'une  charité  ni 
d'une  sainteté  vulgaires,  comme  son  nom  l'avertit 
qu'une  religion  vulgaire  ne  saurait  lui  suffire. 

II.  Maintenant,  saint  Thomas  nous  exposera  les 
deux  éléments  de  la  sainteté,  avec  leurs  notions 
extrêmement  nettes  et  précises.  Le  nom  de  sainteté, 
dit-il,  renferme  deux  choses  :  la  première  est  l'exemp- 
tion de  souillure,  qui  permet  à  l'âme  de  s'appliquer 
à  Dieu;  la  seconde  est  une  certaine  fermeté  dans  le 
lien  qui  l'attache  à  Dieu  [. 

1°  Pour  que  l'âme  soit  en  état  de  s'appliquer  elle- 
même  à  Dieu  avec  ses  actes,  il  est  d'abord  nécessaire 
qu'elle  soit  pure,  selon  ces  paroles  de  l'Apôtre: 
«  Quelle  société  pourrait  s'établir  entre  la  lumière 
et  les  ténèbres  2  ?  »  Or,  la  souillure  de  l'âme  lui  vient 
de  ce  qu'elle  s'applique  à  des  objets  qui  sont  au- 
dessous  d'elle  ;  car  toute  substance  se  corrompt  par 
son  mélange  avec  une  substance  inférieure  :  par 
exemple,  l'or  cesse  d'être  pur  quand  on  le  mêle  au 
plomb.  Il  faut  donc  que  l'âme  se  dégage  des  choses 
basses  qui  la  souillent,  afin  de  pouvoir  s'appliquer  à 
la  chose  suprême  qui  est  Dieu. 

C'est  la  langue  grecque  qui  a  donné  le  mot  par 
lequel  on  exprime  ce  premier  élément  de  la  sain- 
teté :  Agios,  sine  terra,  qui  n'est  point  souillé  par  le 
contact  de  la  terre.  Ainsi  une  eau  pure  semble  être 


1  .  Ni  iraen  sanctitatk  videtur  duo  importais  :  munditiam  et  fiï- 
mitatem. 
2.  Qua±  societas  luci  ad  tenebras?  II.  Cob.  6. 


—  112  — 

un  beau  cristal  ;  une  goutte  d'eau  pénétrée  par  la 
lumière,  c'est  comme  un  diamant  ;  mêlée  à  la  terre, 
ce  n'est  plus  que  de  la  boue. 

Cette  partie  de  la  sainteté,  comme  on  le  voit, 
embrasse  tout  ce  qui  tient  au  détachement  et  à 
l'abnégation,  et  nous  n'entrerons  point  ici  dans  les 
détails.  Disons  seulement  en  deux  mots  que,  pour 
s'exciter  à  cette  pureté  de  l'âme,  rien  n'est  plus  utile 
que  de  la  considérer  fréquemment  dans  les  saints. 
Quelle  n'a  pas  été  l'attention  à  éviter  tout  contact 
avec  les  choses  terrestres  dans  un  saint  Jean-Baptiste, 
dans  un  saint  Louis  de  Gonzague  et  dans  ces  mil- 
liers de  vierges  si  pures  ?  Or,  la  prière  et  la  bonne 
volonté  peuvent  nous  rapprocher  des  saints  par 
l'imitation  ;  et  les  âmes  qui  se  livrent  franchement  à 
l'esprit  de  grâce  sentiront  bien  que  les  siècles  passés 
n'ont  pas  tari  la  source  de  la  sainteté,  ni  que  le  bras 
de  Dieu  n'est  point  raccourci. 

2°  La  langue  latine  a  fourni  le  mot  qui  exprime  le 
second  élément  de  la  sainteté  :  Sanctus ,  c'est-à- 
dire  sancitus  ou  firmatus,  affermi,  rendu  inviolable  ; 
et  l'on  appelle  saint  ce  qui  est  si  fortement  appliqué 
à  Dieu,  à  son  culte,  à  son  service,  qu'il  n'est  plus 
possible  de  l'en  séparer,  ni  permis  de  l'appliquer  à 
un  autre  usage. 

Un  saint  est  donc  celui  dont  l'âme,  avec  tous  ses 
actes,  est  tellement  appliquée  à  Dieu,  qu'il  n'y  a  plus 
de  séparation  possible,  parce  qu'un  lien  solide,  celui 
de  la  loi  de  charité,  est  là  pour  retenir  cette  âme. 

La  fermeté  est  nécessaire  encore  à  la  sainteté,  par 
cette  raison  que  l'âme  s'applique  à  Dieu  comme  au 
premier  principe  et  à  la  dernière  lin  ;  or,  une  telle  ap- 


—  113  — 

plication  ne  permet  plus  la  mutabilité,  ainsi  que  le 
dit  saint  Paul  :  «  Qui  nous  séparera  de  la  charité 
de  Jésus-Christ?  sera-ce  la  tiibulation,  l'angoisse, 
la   faim,   la   nudité,    le    péril,    la    persécution,    le 

glaive  ? Je  suis  assuré  que  ce  ne  sera  ni  la  mort. 

ni  la  vie,  etc.  {  ». 

Ce  double  élément  de  la  sainteté  ne  se  trouve  pa<? 
seulement  dans  les  hommes  saints  ;  il  est  aussi  dair 
les  choses  saintes  que  l'on  applique  au  culte  divin, 
comme  sont  les  temples,  les  vases  sacrés,  etc.  Mais 
combien  la  sainteté  de  l'homme  n'est-elle  pas  supé- 
rieure à  celle  de  tout  objet  matériel,  quand  il  tient 
son  esprit,  son  cœur  et  son  corps  à  l'abri  de  toute 
souillure,  et  son  âme  entière  avec  tous  ses  actes 
fermement  appliquée  à  Dieu  1 

III.  Le  baptême  donne  au  chrétien  le  commence- 
ment de  la  sainteté  :  car,  par  la  rémission  des  pé- 
chés, il  lui  ùte  les  souillures  de  l'âme,  et  par  l'infu- 
sion de  la  grâce  sanctifiante,  il  l'applique  fermement 
à  Dieu:  Agios,  sanctus.  Ensuite,  les  autres  sacre- 
ments sont  là  pour  lui  conserver  la  sainteté,  pour 
l'accroître,  et  même  pour  la  lui  rendre,  si  malheu- 
reusement le  péché  mortel  venait  souiller  l'âme  et 
briser  son  union  avec  Dieu.  Enfin,  par  les  secours 
de  la  grâce  actuelle  et  par  l'exercice  des  vertus, 
l'âme  iidèle  s'élève  à  une  sainteté  toujours  crois- 
sante ,  où  sa  pureté  est  toujours  plus  exempte  de 
souillures,  et  son  adhésion  à  Dieu  toujours  plus 
étroite  et  plus  entière. 

1.  Rcni.  3. 


—  114  — 

Mais  la  profession  religieuse  ajoute  aux  moyens 
communs  de  devenir  saint,  des  ressources  toutes 
spéciales  et  d'une  grande  efficacité.  Ainsi,  pour  obte- 
nir le  premier  élément  de  la  sainteté,  le  religieux  a 
ses  trois  vœux,  qui  sont  si  propres  à  le  séparer  des 
choses  basses  et  terrestres,  et  à  le  tenir  dégagé  de 
tout  alliage.  Le  second  élément  lui  vient  aussi, 
d'abord  et  principalement,  de  ces  mêmes  vœux  qui 
l'attachent  étroitement  à  Dieu,  et  puis  de  ses  saintes 
règles  qui,  en  le  préservant,  dans  tous  les  détails 
'e  ses  actes,  du  danger  de  la  souillure  et  de  la  sépa- 
ration, augmentent  continuellement  et  perfection- 
nent son  union  avec  Dieu. 

La  sainteté,  quelle  qu'on  la  suppose  en  ce  monde, 
n'est  jamais  qu'une  sainteté  commencée,  et  cela  pour 
les  deux  parties  dont  elle  se  compose  :  car,  d'une 
part,  l'âme  habite  une  maison  de  boue,  et,  dit  le 
Sage,  «  ce  corps  qui  se  corrompt  la  fait  pencher 
en  bas  4  »  ;  et,  comme  elle  touche  forcément  à  la 
terre,  l'usage  des  créatures,  dont  elle  ne  peut  se  pas- 
ser, amène  toujours  quelque  souillure,  selon  ce  que 
dit  encore  le  Sage,  que  «  le  juste  lui-même  tombera 
plusieurs  fois  2  » . 

D'autre  part,  l'adhésion  de  l'âme  à  Dieu  n'est  ja- 
mais à  l'abri  du  danger  de  la  rupture  :  car,  s'il  est 
vrai  que,  du  coté  de  Dieu  même,  le  lien  est  tel  qu'il 
délie  tous  les  efforts  des  ennemis,  du  côté  de  l'homme, 
hélas  !  que  ce  lien  est  fragile,  puisque,  pour  le  rom- 
pre, il  ne  faut  qu'un  acte  de  sa  volonté  !  De  là  cette 


1 .  Corpus  quod  corrampitur,  aggravât  animam.  Bap.  9. 

2.  Septies  enim  cadet  justus.  Prov.  24. 


—  115  — 

nécessité  pour  le  saint  en  ce  monde,  de  se  défier 
complètement  de  lui-même  et  de  ne  s'appuyer  en 
toutes  choses  que  sur  la  force  divine.  Cette  sainteté 
d'ici-bas  réclame  donc  toujours  l'attention  et  la  di- 
ligence de  l'âme  ;  il  lui  faut  un  travail  continu  de 
réparation,  de  rénovation  et  d'accroissement,  et  le 
saint  sur  la  terre  ne  peut  jamais  dire  :  J'ai  assez  fait. 
Tel  est  l'avertissement  que  Dieu  lui  donne  par  son 
prophète  :  «  Je  t'ai  établi  pour  que  tu  arraches  et 
détruises,  et  pour  que  tu  bâtisses  et  que  tu  plan- 
tes l  »  ;  et  ces  divines  paroles  ne  s'appliquent  à  per- 
sonne avec  plus  de  vérité,  de  continuité  et  d'étendue 
qu'au  religieux  dans  son  saint  état. 

C'est  au  ciel  seulement  que  la  sainteté  sera  par- 
faite et  consommée  dans  ses  deux  parties  :  là,  il  y 
aura  exemption  complète  de  toute  souillure,  et  il  y 
aura  adhésion  inébranlable  et  éternelle  de  l'âme  au 
Dieu  infiniment  saint. 


ARTICLE  111. 

DU  LIEN,  DE  L'OBLIGATION  ET  DE  LA  CESSATION   DU  VOEU. 

Plusieurs  points  importants  qui  touchent  à  ces 
questions  sont  déjà  nettement  exposés  dans  le  caté- 
chisme des  vœux  ~2;  voici  ce  que  nous  avons  à  ajou- 
ter encore. 


1.  Ego  constitui  te  ut  evellas  etdestruas,  et  aedifices  et  plan- 
tes. JÉBÉM.  I. 

2.  1»  part.  C.  I. 


I.  Un  religieux  ne  peut  pas  se  lier  par  des  vœux 
perpétuels,  lorsque  la  règle  qu'il  embrasse  ne  les 
prescrit  que  pour  un  temps  ;  du  moins^  la  commu- 
nauté ne  serait  nullement  engagée  envers  lui  par  de 
semblables  vœux.  De  même,  il  ne  lui  est  pas  permis 
de  se  lier  seulement  pour  un  temps  qu'il  détermi- 
nerait lui-même,  quand  la  règle  entend  qu'il  fasse 
des  vœux  perpétuels.  Enfin,  il  ne  peut  vouer  une 
autre  pauvreté,  une  autre  chasteté,  une  autre  obéis- 
sance, que  celles  qui  sont  marquées  par  les  constitu- 
tions de  l'Ordre  où  il  est  reçu.  Cependant,  si,  en  fai- 
sant vœu  de  chasteté,  il  avait  l'intention  de  vouer 
la  chasteté  perpétuelle  absolue,  ou  s'il  l'avait  vouée 
déjà  auparavant,  alors  il  resterait  lié,  même  dans 
le  cas  où  les  supérieurs  le  délieraient  du  vœu  au- 
quel ils  entendaient  l'admettre  selon  leur  institut: 
de  sorte  que,  pour  être  dispensé  de  son  vœu,  il  lui 
faudrait  recourir  à  l'autorité  du  Souverain  Pontife. 

II.  On  ne  peut  s'obliger  par  vœu,  sous  peine  de 
péché  mortel,  pour  une  chose  qui  serait  petite  sous 
tous  les  rapports  :  par  exemple,  pour  une  légère  vio- 
lation des  règles  ou  pour  une  petite  pratique  de 
piété.  Dieu  n'accepterait  pas  une  obligation  exagérée 
que  la  raison  désavoue,  et  la  chose  elle-même  ne 
serait  point  susceptible  d'un  tel  engagement. 

Un  religieux  peut  très-bien  s'obliger  par  vœu  à 
observer  une  ou  plusieurs  de  ses  règles,  et  c'est 
l'exemple  qu'ont  donné  plusieurs  âmes  ferventes; 
mais  elles  ont  montré  aussi  qu'il  fallait  mettre  en 
cela  une  juste  discrétion,  bien  examiner  si  ce  désir 
vient  de  Dieu  ,  déterminer  nettement  la  matière  et 


—  117  — 

le  sens  du  vœu,  et  ne  rien  faire  sans  la  sage  direc- 
tion des  guides  spirituels  4.  Un  vœu  temporaire  de 
ce  genre,  qu'on  renouvellerait  ensuite  successive- 
ment, serait  d'ordinaire  plus  discret,  et  pourrait  se 
l'aire  plus  aisément  qu'un  vœu  perpétuel. 

On  ne  peut  faire  le  vœu  d'éviter  tout  péché  véniel, 
parce  que  la  chose  est  moralement  impossible,  et  par 
conséquent  un  tel  vœu  serait  nul.  Mais  il  est  per- 
mis de  faire  vœu  d'éviter  tels  ou  tels  péchés  véniels, 
et  même  tout  péché  véniel  pleinement  délibéré. 

III.  Le  vœu  peut  cesser  d'exister  de  quatre  maniè- 
res :  par  l'impossibilité,  par  l'annulation,  par  la  dis- 
pense et  par  la  commutation. 

1°  L'impossibilité.  Y  a-t-il  des  cas  où  les  vœux  de 
religion  cessent  par  cette  cause?  On  n'en  voit  pas  où 
^impossibilité  soit  telle,  qu'elle  ait  d'elle-même  le 
pouvoir  de  détruire  le  lien  de  ces  vœux.  Quant  à  leur 
exécution  et  leur  exercice,  c'est  autre  chose  Ainsi, 
le  cas  de  force  majeure,  comme  celui  d'expulsion  ou 
de  dispersion  de  la  communauté,  laisse  subsister  le 
lien  qui  oblige  les  particuliers,  quoiqu'il  ne  leur  soit 
plus  possible  momentanément  d'en  exercer  tous  les 
actes.  Ainsi  encore,  en  matière  de  pauvreté  et  d'obéis- 
sance, l'impossibilité  ou  une  grande  difficulté  de 
recourir  au  supérieur  met  le  religieux  dans  le  cas  de 
la  permission  présumée,  et,  en  vertu  de  cette  permis- 
sion, il  peut  faire  alors  tout  ce  qui  lui  paraît  urgent , 
nécessaire  et  même  convenable. 


1.  On  peut  voir  à  ce  sujet  le  vœu  que  fit  un  saint  religieux, 
le  Père  de  la  Colombière,  d'observer  toutes  les  règles  de  son 
institut.  Journal  de  sa  grande  retraite. 


—  118  — 

Pour  ce  qui  est  du  vœu  d'entrer  en  religion,  il  cesse 
par  impossibilité,  dès  lors  qu'on  n'a  point  été  jugé 
admissible  dans  l'institut  qu'on  avait  en  vue,  et  il 
n'impose  aucune  obligation  de  se  présenter  ailleurs. 
2°  L'annulation  ou  l'irritation.  Le  droit  d'annuler 
un  vœu  est  différent  de  celui  d'en  dispenser  :  car  le 
premier  appartient  au  pouvoir  de  domination,  et 
le  second  au  pouvoir  de  juridiction.  Ainsi  un  père  , 
un  marî,  un  maître  peuvent  annuler  certains  vœux 
qu'un  enfant,  une  femme,  ou  un  serviteur,  feraient 
au  préjudice  de  leurs  droits.  Le  pouvoir  de  juridic- 
tion n'appartient  qu'à  l'Église  et  à  ceux  de  ses  minis- 
tres à  qui  elle  le  confère.  Une  femme,  fût-elle  supé- 
rieure générale  ou  abbesse,  est  incapable  de  juridic- 
tion, et  par  conséquent  ne  peut  dispenser  des  vœux  ; 
mais  elle  peut  annuler  certains  vœux  particuliers, 
en  vertu  de  son  pouvoir  de  domination,  comme  nous 
allons  l'expliquer. 

Les  vœux  particuliers  qu'on  aurait  faits  avant 
d'entrer  en  religion  se  trouvent  annulés,  quels 
qu'ils  soient,  par  la  profession  des  vœux  solennets , 
et  suspendus  seulement  par  la  profession  des  vœux 
simples;  dans  ce  second  cas,  ils  redeviendraient 
obligatoires  pour  celui  qui  sortirait  de  l'Ordre  ou  de 
la  congrégation  l. 

Quand  un  religieux  a  fait  la  profession  des  vœux 
solennels,  son  supérieur  a  le  droit  d'annuler  tout  vœu 
particulier  qu'il  pourrait  faire  dans  la  suite.  Les 
vœux  perpétuels  de  religion,  quoique  simples,  sem- 
blent  manifestement   conférer   le  même  droit  au 

1,  Voyez  encore  le  Catéchisme  des  Vœux,  lre  partie,  eh.  I. 


—  119  — 

supérieur  ;  car  la  raison  est  la  même,  savoir  :  que 
la  volonté  de  l'inférieur  étant  devenue  totalement 
dépendante  de  la  sienne,  celui-ci  ne  peut  pas  amoin- 
drir par  un  vœu  spécial  le  pouvoir  que  le  supérieur 
a  acquis  sur  tous  ses  actes.  Et  ce  droit,  qui  appar- 
tient au  pouvoir  de  domination,  non  de  juridiction, 
peut  être  exercé  par  quelque  supérieur  que  ce  soit, 
de  sorte  que  tout  vœu  particulier  est  nécessaire- 
ment accompagné  de  cette  réserve  :  «  à  moins  que 
mon  supérieur,  ou  ma  supérieure  ne  s'y  oppose.  »  Et, 
puisque  ces  vœux  sont  annulés,  ils  ne  revivront 
plus,  même  en  cas  de  sortie  ou  de  renvoi. 

Enfin,  que  dire  d'un  vœu  particulier  que  ferait 
un  religieux  qui  n'a  prononcé  que  des  vœux  tempo- 
raires de  religion  ?  Il  faut  répondre,  ce  semble,  que 
si  l'obéissance  vouée  temporairement  est  une  obéis- 
sance universelle,  tout  vœu  particulier  peut  être 
encore  annulé  par  le  supérieur,  puisque  la  raison 
alléguée  ci-dessus  a  également  ici  sa  force.  Mais  si 
ce  vœu  portait  sur  une  matière  qui  dût  subsister 
encore  après  l'expiration  de  l'engagement  tempo- 
raire, il  ne  pourrait  être  alors  que  suspendu,  et 
deviendrait  obligatoire  pour  celui  qui  sortirait  de  la 
congrégation. 

Quant  aux  vœux  de  religion ,  il  y  a  des  instituts 
où  les  supérieurs  pourraient  les  annuler,  même 
sans  posséder  le  pouvoir  de  juridiction,  ni  par  con- 
s  '«[lient  celui  de  dispenser  :  ce  sont  les  congrégations 
où  la  règle  approuvée  leur  attribue  le  droit  d'annuler 
les  vœux  simples  par  Je  seul  fait  du  renvoi  légitime 
d'un  sujet.  Mais  les  supérieurs  doivent  bien  remar- 
quer que,  pour  cette  annulation,  il  taut  que  le  renvoi 


—  120  — 

soit  légitime,  c'est-à-dire  fondé  sur  les  motifs 
d'exclusion  que  les  constitutions  ont  établis  elles- 
mêmes. 

Lorsqu'un  religieux  oblige  par  sa  mauvaise  con- 
duite les  supérieurs  à  le  renvoyer  et  à  le  délier  de 
ses  vœux,  il  doit  savoir  que,  outre  les  péchés  dont  il 
a  pu  se  rendre  en  cela  coupable  contre  d'autres 
obligations  de  conscience,  il  en  commet  un  spécial 
et  très-grave  contre  la  charité  qu'il  se  doit  à  lui- 
même,  en  causant  la  perte  de  sa  vocation,  et  en 
exposant  par  là  son  salut,  hors  de  la  voie  que  la 
divine  bonté  lui  avait  ouverte.  Car,  s'il  est  très-vrai 
que  cette  voie,  par  rapport  à  son  salut  éternel,  n'est 
pas  pour  lui  comme  une  sorte  de  ligne  géométrique 
dont,  une  fois  sorti,  il  ne  pourra  plus  espérer  les 
secours  divins,  il  faut  dire  cependant  qu'en  sortant 
du  plan  providentiel  que  Dieu  lui  avait  tracé,  il  se 
met  hors  du  courant  des  secours  abondants  qui  lui 
avaient  été  aussi  préparés  dans  cette  voie,  et  par 
conséquent  qu'il  s'expose  grandement  à  manquer 
ensuite  son  salut. 

3°  La  dispense.  Le  chef  de  l'Église  a  seul  le  pou- 
voir de  dispenser  des  vœux  solennels  de  religion. 
Tout  évêque,  dans  son  diocèse,  possède  le  pouvoir 
ordinaire  de  dispenser  des  vœux  simples,  excepté 
les  cinq  qui  sont  réservés  au  Pape,  parmi  lesquels 
il  nous  suffit  de  citer  le  vœu  de  chasteté  perpétuelle 
absolue.  Il  faut  excepter  encore  les  vœux  simples 
de  religion,  même  les  vœux  temporaires,  dans  les 
instituts  approuvés  par  le  Saint-Siège. 

Quant  au  vœu  d'entrer  en  religion,  il  est  aussi 
réservé  au  Pape,  mais  seulement  lorsqu'on  a  fait 


—  121  — 

vœu  d'entrer  dans  un  ordre  religieux  proprement 
dit;  or,  l'on  sait,  par  les  déclarations  du  Saint- 
Siège  ,  que  présentement  ce  cas  n'existe  pour  aucune 
communauté  de  femmes  en  France. 

4°  La  commutation  des  vœux.  D'après  la  théologie, 
il  est  permis  à  chacun  de  commuer  un  vœu  qu'il  a 
fait  lui-même,  en  un  autre  évidemment  meilleur, 
par  la  raison  que  le  second  renferme  virtuellement 
le  premier.  C'est  un  principe  certain,  quoique  dans 
son  application  la  prudence  demande  souvent  qu'on 
ne  s'en  rapporte  pas  à  son  seul  jugement.  Or,  de  là 
sort  le  droit  que  conserve,  en  thèse  générale,  tout 
religieux  de  passer  à  un  institut  plus  parfait  :  ce 
qui  n'est  autre  chose  que  commuer  soi-même  ses 
vœux  en  des  vœux  meilleurs.  Mais  cette  application 
du  principe  exige  encore  plus  de  considération,  et 
nous  reviendrons  ailleurs  plus  explicitement  sur 
cette  grave  matière  *. 

1.  Cliap.  III,  art.  IV, 


—  122  — 
CHAPITRE  IL 

D  E    L'EXCELLENCE  DES   VŒUX  DE  KELIGION,  ET   DE 


ARTICLE  I. 

EXCELLENCE  DE  CES  VOEUX. 

SECTION   Irè.  —  LES  VŒUX  DE  RELIGION   COMPARÉS  AUX 
AUTRES    VŒUX. 

Nous  n'avons  point  à  traiter  ici  longuement  des 
différentes  espèces  de  vœux  :  indiquons  cependant 
les  notions  principales. 

On  distingue  le  vœu  personnel  et  le  vœu  réel,  le 
vœu  absolu  et  le  vœu  conditionnel,  le  vœu  perpétuel 
et  le  vœu  temporaire,  le  vœu  commun  et  le  vœu  spé- 
cial de  religion. 

Le  vœu  personnel  impose  son  obligation  exclusi- 
vement à  la  personne  qui  le  fait,  sans  que  cette  obli- 
gation soit  transmissible  à  une  autre. 

Le  vœu  réel  fait  tomber  l'obligation  directement 
sur  la  chose  que  l'on  promet  à  Dieu  :  de  sorte  que 
l'exécution  peut  se  transmettre  à  une  autre  personne 
et  devenir  obligatoire  pour  elle,  par  exemple  pour 
un  héritier. 

Le  vœu  est  absolu  quand  on  promet  quelque 
chose  à  Dieu  sans  condition  ;  il  est  conditionnel,  si 


—  123  — 

l'on  pose  quelque  condition  à  l'exécution  de  la 
chose  promise.  Le  vœu  conditionnel  n'oblige  que 
dans  le  cas  où  la  condition  se  trouve  vérifiée. 

Le  vœu  est  perpétuel  quand  on  a  entendu  s'en- 
gager pour  toute  la  vie.  Il  est  temporaire  si  l'on  ne 
s'est  engagé  que  pour  un  temps. 

Le  vœu  commun  est  celui  où  Ton  promet  à  Dieu 
quelque  bonne  œuvre  que  ce  soit. 

Le  vœu  de  religion  est  celui  où  l'on  promet  à  Dieu 
d'entrer  dans  l'état  religieux,  et  les  vœux  de  reli- 
gion sont  ceux  où  l'on  promet  à  Dieu  la  pauvreté, 
la  chasteté  et  l'obéissance  dans  ce  même  état. 

Les  vœux  de  religion  renferment  l'hommage  le 
plus  parfait,  le  plus  agréable  à  Dieu,  et  par  consé- 
quent le  plus  méritoire,  après  le  martyre,  que 
l'homme  puisse  offrir  en  ce  monde  à  la  divine  Ma- 
jesté. Cest  comme  un  bouquet  de  la  plus  suave 
odeur  pour  le  Seigneur,  et  que  nul  autre  n'égale 
en  beauté  à  ses  yeux.  Ce  bouquet  se  compose  de 
trois  fleurs  nécessaires  et  inséparables,  et  il  ne  se 
fait  que  dans  l'état  religieux,  où  d'ailleurs  se  trou- 
vent des  moyens  abondants  de  le  préserver  de  tout 
dommage ,  de  l'entretenir  dans  sa  fraîcheur ,  d'en 
accroître  chaque  jour  l'éclat,  et  de  le  relever  encore 
par  tous  les  ornements  accessoires  dont  il  est  sus- 
ceptible. 

La  preuve  manifeste  de  cet  éloge  est  que  les  trois 
vœux  de  religion  sont  un  engagement  à  ce  qu'il  y  a 
de  plus  élevé  dans  la  doctrine  de  Jésus-Christ  ou  la 
morale  chrétienne,  c'est-à-dire  un  engagement  à  la 
pratique  des  conseils  évangéliques.  Mais,  ici,  il  est 
nécessaire  de  donner  plusieurs  explications. 


—  I2Î-  — 


SECTION  II.  —  DES  CONSEILS  EVANGÉLIQUES. 

I.  Qu'est-ce  en  général  que  les  conseils  évangéli- 
ques  ?  Pour  le  faire  mieux  entendre,  il  faut  rappeler 
ce  que  nous  avons  déjà  expliqué,  qu'il  y  a  deux  sortes 
de  sainteté  sur  la  terre:  l'une,  réduite  à  ses  élé- 
ments essentiels,  consiste  à  ne  point  se  détacher  de 
Dieu  par  le  péché  mortel  ;  l'autre  s'élève  à  un  plus 
haut  degré  de  pureté  et  d'union  avec  lui.  A  ces  deux 
sortes  de  sainteté,   correspondent  deux  sortes  de 
moyens  :  les  uns  que  Dieu  exige  rigoureusement , 
les  autres  qui  tiennent  seulement  à  sa  volonté  de 
bon  plaisir.  Ainsi,  outre  nos  actions  obligatoires,  il 
en  est  une  foule  d'autres  par  lesquelles  nous  pouvons 
plaire  au  Seigneur,   sans  qu'aucune  loi  nous  les 
prescrive  ;  et  même,  dans  les  actes  commandés,  il  y 
a  lieu  encore  d'ajouter,  à  ce  qui  est  de  rigueur,  plus 
ou  moins  de  perfection,  de  pureté  et  de  soin,  tant 
par  l'intention  qu'on  y  apporte  que  par  la  manière 
de  s'en  acquitter.  C'est  à  quoi  nous  invite  Jésus- 
Christ  dans  son  Évangile,  et  le  Saint-Esprit  par  les 
bons  mouvements  qu'il  nous  suggère  intérieurement 
au  cœur  ;  et  ces  invitations  sont  ce  que  l'on  appelle 
les  conseils,  par  opposition  à  ce  qui  est  compris  sous 
le  nom  de  préceptes. 

II.  On  distingue  deux  sortes  de  conseils  évangéli- 
ques:  les  uns  qui  n'ont  pour  objet  que  des  matières 
spéciales  et  des  actes  particuliers  ;  les  autres  qui  em- 
brassent une  matière  générale  et  pour  ainsi  dire  uni- 
verselle. 


—  125  — 

Ainsi  Jésus-Christ  donne  des  conseils  particuliers, 
quand  il  nous  dit  de  bénir  ceux  qui  nous  maudis- 
sent, de  faire  du  bien  à  notre  ennemi,  même  dans 
les  cas  où  le  précepte  n'oblige  pas,  de  tendre  la  joue 
gauche  à  celui  qui  nous  a  frappé  sur  la  droite,  etc. 
Dans  chaque  vertu  et  même  dans  chaque  comman- 
dement de  Dieu,  il  y  a  de  ces  conseils  particuliers 
qui  invitent  à  faire  au  delà  du  devoir  de  conscience, 
soit  pour  ce  qui  regarde  telle  ou  telle  circonstance, 
soit  pour  ce  qui  tient  à  l'intention  plus  ou  moins  par- 
faite, au  nombre  plus  ou  moins  multiple  des  actes, 
à  la  ferveur  plus  ou  moins  grande  avec  laquelle  on 
peut  agir.  Enfin,  c'est  encore  un  conseil  particulier 
que  de  s'engager  par  vœu  à  faire  une  bonne  œuvre 
quelconque,  soit  libre,  soit  commandée  :  si  elle  est 
libre,  vous  vous  imposez  un  devoir  que  Dieu  ne  vous 
imposait  pas  ;  si  elle  est  commandée,  vous  ajoutez 
à  une  obligation  déjà  existante  une  obligation  nou- 
velle de  votre  plein  gré  ;  et  c'est  ainsi  que,  pour 
plaire  davantage  au  Seigneur,  vous  multipliez  les 
liens  qui  vous  attachent  à  lui. 

Les  conseils  qui  embrassent  une  matière  générale 
et  comme  universelle  sont  précisément  les  trois  que 
Jésus-Christ  a  donnés  dans  son  Évangile  touchant  la 
pauvreté,  la  chasteté,  l'obéissance,  et  dont  l'accom- 
plissement s'étend  sur  la  vie  entière,  de  manière  à 
en  faire  un  genre  de  vie  spécial. 

Les  conseils  particuliers,  remarque  Suarez  * ,  ont 
ordinairement  le  même  objet  que  les  préceptes  ;  ce 
n'est  qu'à  raison  des  circonstances  qu'ils  deviennent 

1.  De  Beligione.  Lib.  I.  c.  8« 


—  128  — 

des  conseils  seulement  :   par  exemple,  aimer  nos 
ennemis  et  faire  du  bien  à  ceux  qui  nous  persécu- 
tent est  un  commandement  en  certaines  choses ,  et 
seulement  un  conseil  dans  certaines  autres  ;  tandis 
que  les  trois  conseils  dont  nous  parlons  maintenant 
se  trouvent  tout  à  fait  en  dehors  des  préceptes.  Les 
premiers,  explique  encore  saint  Thomas  4,  appar- 
tiennent à  la  perfection  déjà  acquise,  et  leur  obser- 
vation procède  de  la  surabondance  de  la  charité  ;  au 
lieu  que  les  seconds  sont  des  moyens  généraux  qui 
servent  à  acquérir  la  perfection,  en  fournissant  des 
instruments  propres  à  toutes  les  vertus,  et  surtout  à 
la  charité.  De  là  vient  que  Jésus-Christ  Notre-Sei- 
gneur  a  choisi  ces  derniers  pour  les  opposer  aux  trois 
concupiscences ,  qui  sont  les  trois  grands  obstacles 
à  la  perfection.  Voilà  aussi  pourquoi  on  les  appelle 
proprement  et  spécialement  les  conseils  évangéli- 
ques ,  et  c'est  la  pratique  de  cette  portion  sublimo 
de  l'Évangile  qui  fait  appeler  ceux  qui  s'y  engagent 
par  état  dans  l'Église,  «  la  portion  choisie  du  trou 
peau  de  Jésus-Christ  ». 

III.  Ne  peut-on  pas,  sans  être  religieux,  vouer  à 
Dieu  la  pauvreté,  la  chasteté  et  l'obéissance? 

1°  Il  est  facile  de  voir  que  l'observation  des  trois 
conseils  évangéliques  ne  peut  être  que  partielle  hors 
de  l'état  religieux,  que  nécessairement  elle  restera 
toujours  incomplète,  et  qu'elle  n'aura  point  ce 
caractère  d'universalité  qui  embrasse  la  vie  entière 
avec  tous  ses  actes.  Celui  qui  vit  au  milieu  du  siècle 

1.  2a  2œ.  q.  186.  a.  2. 


—  lc27  — 

n'est  pas  dans  une  position  où  ni  la  pauvreté  ni 
l'obéissance  puissent  se  pratiquer,  et  par  conséquent 
se  vouer  d'une  manière  absolue;  et,  vu  les  néces- 
sités de  la  vie,  l'exercice  qu'il  en  voudra  la^re  ne 
sera  encore  qu'une  pratique  particulière  des  conseils 
évangéliques.  Pour  avoir  toute  leur  perfection  et  la 
plénitude  de  leur  exécution,  il  faut  faire  ce  que  dit 
Notre-Seigneur  lui-même  :  Si  vous  voulez  être  parfait, 
allez ,  c'est-à-dire  quittez  le  monde  ;  vendez  tout  ce 
que  vous  avez,  c'est-à-dire  dépouillez-vous  de  toute 
propriété,  et  venez  dans  un  lieu  et  dans  un  état  où, 
sans  rien  avoir,  sans  jamais  cesser  d'être  totalement 
pauvre,  vous  trouverez  cependant  toujours  le  néces- 
saire à  votre  vie.  grâce  aux  attentions  de  ma  Provi- 
dence ;  et  là,  il  vous  sera  également  bien  plus  facile 
de  me  suivre  dans  la  perfection  de  la  chasteté  ;  mais, 
surtout,  vous  aurez  le  moyen  de  devenir  comme 
moi  obéissant  jusqu'à  la  mort,  et  de  me  consacrer 
votre  vie  entière  par  l'assujettissement  le  plus  uni- 
versel de  la  volonté 4. 

2°  On  peut,  sans  être  religieux,  se  dévouer,  dans 
une  certaine  mesure  plus  ou  moins  large ,  à  la  pra- 
tique des  trois  conseils  évangéliques  ;  et  Dieu  y 
appelle  quelquefois  certaines  âmes,  sans  les  appeler 
pour  cela  à  la  vie  religieuse.  Mais  alors  il  faut  beau- 
coup de  lumière  et  d'attention  pour  découvrir  nette- 
ment sa  sainte  volonté,  et  beaucoup  de  discrétion 
pour  fixer  les  justes  limites  qu'on  devra  s'imposer  : 
de  sorte  que,  dans  des  choses  si  délicates,  un  direc- 


1.  Si  vis  perfectus  esse,  vade,  vende  omnia  quae  habes,  et  da 
pauperibus,  et  veni,  sequere  me.  Matth.  19, 


—  128  — 

teur  sage  selon  Dieu  est  presque  toujours  indispen- 
sable. 

Ainsi,  pour  la  pauvreté  évangélique  môme  hors 
de  l'état  religieux,  Dieu  a  suscité  dans  son  Église 
d'admirables  exemples,  soit  que  le  vœu  particulier 
Tait  consacrée,  soit  qu'une  ardente  charité  ait  tenu 
lieu  d'engagement.  Qui  ne  connaît  un  saint  Alexis, 
et  ce  bienheureux  Benoît-Joseph  Labre,  dont  le 
Saint-Siège  vient  de  glorifier  l'héroïque  mendicité  ? 

La  chasteté  peut  être  vouée  hors  de  l'état  religieux, 
comme  le  prouve  la  constante  pratique  de  l'Église  ; 
et  c'est  une  vie  à  laquelle  plusieurs  personnes  sécu- 
lières peuvent  être  appelées  de  Dieu.  Cependant  ce 
vœu  perpétuel  ne  doit  se  faire  dans  le  monde  qu'avec 
une  grande  circonspection,  et  après  avoir  bien  con- 
sidéré toutes  les  circonstances  pour  le  présent  et 
l'avenir.  Un  vœu  temporaire  est  de  nature  à  être 
plus  facilement  admis  en  cette  matière,  et  même 
on  ne  voit  pas  pourquoi  cette  consolation,  ce  mérite 
ou  ce  secours,  serait  refusé  à  une  âme  de  bonne  vo- 
lonté que  la  grâce  semble  y  incliner.  Tout  incon- 
vénient disparaîtra,  si  Ton  n'embrasse  à  la  fois 
qu'une  courte  durée,  après  laquelle  on  pourra  tou- 
jours voir  s'il  convient  de  renouveler  l'engagement. 

Enfin,  on  peut,  sans  être  religieux,  dit  Suarez  l, 
vouer  l'obéissance  à  un  autre ,  par  exemple  à  un 
confesseur  :  soit  à  la  condition  que  cet  autre  voudra 
l'accepter,  soit  même  sans  que  cette  acceptation  soit 
une  condition  nécessaire.  Il  sera  très-convenable 
cependant  que  celui  à  qui  l'on  a  voué  l'obéissance 

1.  De  Rellg,  Lib.  X.  c.  3. 


-  129  - 

en  soit  instruit,  pour  qu'il  puisse  mettre  plus  de 
circonspection  à  commander.  Du  reste,  personne 
ne  peut,  en  vertu  de  ce  vœu,  être  obligé  à  changer 
son  état  actuel,  comme  à  se  marier,  à  se  faire  reli- 
gieux, ou  à  ne  pas  entrer  en  religion  ;  en  un  mot, 
l'obéissance,  pour  lui,  doit  rester  dans  les  limites  de 
sa  condition ,  sans  qu'on  puisse  rien  lui  prescrire 
qui  entrave  ses  devoirs  ordinaires.  Même  un  prélat 
ou  un  religieux  peuvent,  dans  les  mêmes  limites, 
vouer  à  Dieu  cette  sorte  d'obéissance  à  un  autre 
homme ,  comme  fit  sainte  Thérèse  à  l'égard  de  ses 
confesseurs. 


SECTIOX    III.  —  LA  PROFESSION    RELIGIEUSE  COMPARÉE 
AU    BAPTÊME. 

«  La  profession  religieuse  est  un  second  bap- 
tême »  ;  ainsi  parlent  les  saints  Docteurs  ;  et  la  rai- 
son qu'ils  en  donnent  est  qu'elle  produit  trois  effets 
semblables  .  elle  efface  les  péchés,  elle  fait  mourir  le 
vieil  homme,  et  elle  communique  une  vie  nouvelle. 

I.  La  profession  religieuse  remet  tous  les  péchés,, 
ainsi  que  le  baptême  ;  c'est  la  doctrine  commune 
des  théologiens,  à  la  suite  de  saint  Thomas  et  de 
saint  Antonin.  Il  se  fait  alors  une  condonation  si 
pleine  et  si  entière  de  toutes  les  peines  temporelles 
dues  au  péché,  qu'un  religieux  qui  mourrait  aus- 
sitôt après  sa  profession  irait  droit  au  ciel .  sans 
avoir  à  craindre  le  purgatoire.  Et  l'Ange  de  l'école 
observe  l  que  cette  rémission  des  péchés  n'est  point 

1.  In  I.  sent.  Dlbt.  I.  q.  3.  a,  3. 


—  130  — 

gratuite  comme  dans  le  baptême  ;  mais  qu'elle  est 
le  fruit  de  la  plus  grande  satisfaction  que  l'homme 
puisse  offrir  à  Dieu,  puisqu'en  ce  moment  il  lui 
sacrifie  tout,  et  se  sacrifie  lui-môme  *. 

Saint  Anselme  cite  le  fait  d'un  religieux  qui  appa- 
rut à  ses  frères,  et  leur  raconta  la  lutte  qu'il  avait 
eu  à  soutenir  contre  le  démon  au  moment  de  sa 
mort.  Il  lui  semblait  être  déjà  au  tribunal  de  Dieu, 
et  l'ennemi  du  salut  s'était  présenté  pour  l'accuser  ; 
mais  il  lui  survint  aussi  du  ciel  quelqu'un  pour  le 
défendre.  Satan  lui  ayant  donc  objecté  des  fautes 
qu'il  avait  commises  avant  son  baptême  (car  il  ne 
l'avait  reçu  qu'à  l'âge  des  adultes),  l'accusé  répli- 
qua que  l'eau  sainte  les  avait  effacés  :  ce  qui  fut  con- 
firmé par  le  défenseur  céleste.  L'ennemi  se  rabattit 
sur  d'autres  péchés  commis  encore  depuis  le  bap- 
tême ;  mais  le  religieux  crut  lui  fermer  la  bouche 
en  répétant  ce  qu'on  lui  avait  dit,  qu'il  n'en  restait 
plus  rien  depuis  le  jour  de  sa  profession,  et  en  effet 
le  défenseur  l'appuya  par  une  démonstration  sans 
réplique.  Enfin  le  démon  ayant  voulu  faire  valoir 
les  fautes  qu'il  lui  avait  fait  commettre  dans  le  cours 
de  sa  vie  religieuse,  le  mourant  eut  encore  sa  ré- 
ponse, toujours  soutenue  par  le  céleste  avocat,  qu'il 
les  avait  couvertes  au  moyen  de  ses  confession:, 
diligentes  et  les  œuvres  de  la  vie  religieuse  elle- 
même.  Saint  Athanase  raconte  un  trait  presque  sem- 
blable clans  la  Vie  de  saint  Antoine. 


1.  11  semble  qu'une  fervente  rénovation  des  vœux  doit  aussi 
participer  proportionnellement  à  ce  mérite  de  leur  première 
émission,  et  que  chacun  peut  l'espérer  selon  la  mesure  des  dis- 
positions qu'il  y  apporte. 


—  131  — 

II.  La  profession  religieuse,  comme  le  baptême, 
donne  la  mort  au  vieil  homme.  En  effet  :  1°  le  reli- 
gieux alors  meurt  au  monde  et  à  tout  ce  qui  est  du 
monde.  Le  triple  renoncement  à  Satan,  à  ses  pom- 
pes et  à  ses  œuvres  est  même  beaucoup  plus  éner- 
gique et  plus  complet  dans  la  profession  des  vœux 
que  dans  les  promesses  baptismales,  et  la  triple  con- 
cupiscence, qui  est  le  fond  du  vieil  homme,  y  reçoit 
un  coup  bien  plus  vigoureux. 

2o  Par  l'engagement  de  ses  vœux,  le  religieux 
cesse  d'être  ce  qu'il  était  vis-à-vis  des  hommes,  "à  tel 
point  que  jadis  la  loi  le  déclarait  mort  civilement. 
De  ce  jour  donc  il  n'est  plus  du  monde,  ni  le  monde 
ne  le  connaît  plus  ;  et  s'il  voulait  y  reparaître,  il 
serait  regardé  et  traité  comme  un  étranger  qui  n'est 
point  à  sa  place,  comme  un  mort  revenu  parmi  les 
vivants. 

3°  Mais  Dieu  surtout  ne  tient  plus  compte  du  passé 
pour  un  homme  qui  s'est  dévoué  à  lui  de  la  sorte. 
A  ses  yeux,  le  religieux,  non  moins  que  le  nouveau 
baptisé,  est  enseveli  dans  la  tombe  avec  Jésus-Christ; 
et,  en  cet  état  où  il  le  voit,  comme  son  Fils  bien-aimé, 
dégagé  des  anciennes  dépouilles,  il  ne  trouve  plus 
en  lui  rien  de  ce  qui  avait  blessé  jadis  ses  divins 
regards  ,  malgré  ces  restes  de  la  concupiscence  qu'il 
sent  encore,  et  qui  lui  sont  laissés  pour  le  combat 
et  pour  le  mérite  l. 


].  In  renatis  nihil  odit  Deus;  quianihil  datnnationis  esi  Lia 
qui  verecouBepultisuntcran  Christo  per  baptisma  in  mortem... 

.Manure  autem  concupiscentiam  vel  fomitem  hœc  sancta  Sy- 
nodus  fatetur  et  sentit,  quae  eu  ni  ad  agonem  relient  -ii.  aocere 
non  eoiisu'Uienubu.s,  sed  viriliterpearCansti  Jesu  gratiam  repu- 


—  132  — 

NI.  La  profession  des  vœux  fait  passer  le  religieux 
à  une  vie  nouvelle,  comme  l'Apôtre  le  dit  encore  du 
saint  baptême  *.  Après  avoir  été  trop  souvent  par  sa 
vie  mondaine  semblable  au  premier  Adam  et  terres- 
tre comme  lui,  le  religieux,  au  jour  de  ses  vœux, 
prend  la  ressemblance  du  second  Adam,  et,  à  son 
exemple,  il  se  voit,  il  se  sent  lui-même  par  sa  grâce 
comme  transformé  en  un  homme  céleste  2.  Alors 
tout  en  lui  devient  nouveau  :  ce  sont  nouvelles  pen- 
sées et  nouveaux  sentiments,  nouvelles  apprécia- 
tions et  nouvelles  tendances,  nouveaux  goûts  et  nou- 
velles jouissances,  nouvelles  œuvres  et  nouvelle  ma- 
nière de  les  faire  :  de  sorte  qu'il  faut  lui  appliquer 
encore  ce  que  le  concile  de  Trente  dit  du  nouveau 
baptisé,  «  qu'il  ne  marche  plus  selon  la  chair,  mais 
que,  dépouillé  du  vieil  homme,  il  est  devenu  par  sa 
profession  innocent,  immaculé,  pur,  sans  souillure, 
et  chéri  de  Dieu,  dans  tous  les  détails  de  sa  nouvelle 


vie 3  ». 


Un  passage  de  saint  Bernard  nous  résumera  toutes 
ces  considérations  :  «  Vous  voulez  apprendre  de  moi 
pour  quelles  raisons,  entre  tous  les  autres  moyens 
de  faire  pénitence,  la  profession  religieuse  a  mérité 
cette  prérogative  d'être  appelée  un  second  baptême? 


gn  an  tibias  non  valet  ;  quinimo  qui  légitime  certaverit  corona- 
bitur.  Conc.  Trid.  sess.  V.  De  Pecc.  orig.  5. 

1.  Ut  quemadmodum  Christus  surrexit  a  mortuis,  ita  et  nos 
in  novitate  vitae  ambulemus.  Kom.  6. 

2.  Prirnus  homo  de  terra  terrenus  ;  secundus  homo  de  cœlo 
cœlestis.  Qualis  terrenus,  taies  et  terreni  ;  et  qualis  cœlestis, 
taies  et  cœlestes.  1.  Cor.  15. 

3.  Qui  non  secundum  carnem  ambulant,  sed  veterem  homi* 
nem  exuentes,  innocentes,  immaculati,  puri,  iruioxii  ac  Deo  di- 
lecti  effecti  sunt.  Conc.  Trid.  ibid» 


—  133  — 

C'est  parce  qu'elle  est  un  parlait  renoncement  au 
monde,  et  que  l'excellence  singulière  de  la  vie  spi- 
rituelle qu'on  y  mène,  l'élève  au-dessus  de  tous  les 
autres  genres  de  vie  qui  sont  sur  la  terre:  de  sorte 
que  les  religieux,  quittant  la  ressemblance  des  hom- 
mes, prennent  celle  des  Anges,  et  même  rétablis- 
sent en  eux  l'image  de  Dieu,  en  se  configurant  à 
Jésus-Christ,  comme  il  arrive  dans  le  baptême.  Mais, 
de  même  que  ce  sacrement  nous  arrache  à  la  puis- 
sance des  ténèbres  pour  nous  transférer  dans  le 
royaume  de  la  clarté  éternelle,  ainsi  par  cette  seconde 
régénération  que  produit  un  si  saint  engagement, 
nous  échappons  aux  ténèbres,  non  du  seul  péché 
d'origine,  mais  de  plusieurs  péchés  actuels,  pour 
entrer  dans  la  lumière  des  vertus,  nous  faisant  à 
nous-mêmes  une  nouvelle  application  de  ces  mots 
de  l'Apôtre:  la  nuit  a  passé,  et  le  jour  s'est  ap- 
proché de  nous  l  » . 

SECTION   IV.  —  LA  PROFESSION  RELIGIEUSE  COMPARÉE 
AU    MARTYRE. 

1.  Saint  Jérôme,  parlant  du  dévouement  religieux, 
s'exprime  ainsi,   dans  lépitaphe  de  sainte  Faule  : 

1.  Aadire  raltis  a  me  ande,  inter  castera  pœnitent'as  insti- 
tata,  nionasterialis  disciplina  meruerit  hanc  pragrogativam.  ut 
secnndnm  baptisma  nuncupetur  1  Arbitror,  ob  perfectam  mandi 
abrennntiationem,  et  singnlarem  excellentiam  vitœ  spirituàlis, 
qua  prreeminens  aniversis  vitre  humanœ  generibus  hujusrnodi 
conversatio  professores  suos  angelis  similes  facit  ;  immo  divi- 
nam  la  homine  reformât  imàgiuem,  configarans  nos  Christo 
instar  baptismi.  Sedet  qnomodo  in  baptismo  eraimar  de  potes- 
tate  tenebrarani  et  trausfeiïmar  in  regnam  claritatis  œterme  ; 
ita  et  in  sanctissinii  hajus  secanda  qaadarn  regeneratione  pro- 
positi,  de  tenebris  aeqne  non  anias  originalis  sed  maltoram  ac- 

4** 


—  134  — 

«  Ce  n'est   pas   seulement  l'effusion  du  sang  qui 
compte  pour  le  martyre,  mais  il  faut  dire  que  ce 
service  parfait  d'une  âme  qui  dévoue  sa  vie  au  Sei- 
gneur est  aussi  un  martyre  de  tous  les  jours  :  le  pre- 
mier tresse  sa  couronne  de  roses  et  de  violettes,  le 
second  compose  la  sienne  de  lis  l  ».  En  effet,  si  le 
martyre  du  sang  est  le  plus  grand  acte  de  charité 
que  l'homme  puisse  produire  avec  l'aide  de  la  grâce, 
le  sacrifice  religieux,  par  son  dévouement  quotidien, 
multiplie  tellement  les  actes  de  la  charité,  qu'ils  sont 
peut-être  capables  d'égaler  ou  même  de  surpasser 
quelquefois  le  mérite  de  l'effusion  du  sang. 

Le  martyre  du  sang  ne  dure  que  peu  de  temps,  et 
un  grand  effort  peut  suffire  pour  s'en  assurer  le  prix; 
celui  de  la  profession  religieuse  est  d'ordinaire  beau- 
coup plus  long,  et  il  rachète  ainsi  par  la  durée  ce 
qui  lui  manque  du  côté  de  la  violence  et  de  l'inten- 
sité. Il  faut  y  mourir  chaque  jour,  selon  l'expression 
de  saint  Paul  2,  c'est-à-dire  qu'il  faut  y  donner  à  la 
nature  corrompue  des  coups  sans  cesse  redoublés, 
par  la  mortification,  qui,  d'après  la  force  du  mot, 
doit  opérer  la  mort 3. 

Martyr  signilie  témoin  ;  or,  quel  beau  témoignage 
on  rend  par  la  profession  religieuse,  et  combien  il 
est  tout  ensemble  glorieux  à  Dieu  et  salutaire  aux 


tualium  delictorum,  in  lumen  virtutum  evadinius,redaptantes 
nobis  illud  Apostoli  :  Nox  prsecessit,  dies  autem  appropinqua- 
vit.  8.  Bern.  de  Prascepto  et  Disciplina. 

1.  Non  solum  effusio  sanguinis  martyrium  reputatur,  sed 
devotse  que-que  mentis  servitus  immaculata  quotidiannm  mar- 
tyrium  est  :  illa  corona  de  rods  et  violis  texitur,  ista  deliliis. 

2.  Quotidie  morior.  I.  Cor.  15. 

3.  Propter  te  mortiiicamur  tota  die.  Rom.  8. 


-  13S    - 

hommes  !  Glorieux  à  Dieu  dont  il  proclame  à  cha- 
que instant  les  droits  à  tous  nos  services;  salutaire 
aux  hommes,  soit  à  nos  frères  mêmes  par  l'encoura- 
gement journalier  du  bon  exemple,  soit  aux  person- 
nes du  siècle,  qui  y  trouvent  une  prédication  élo- 
quente de  la  vérité  chrétienne.  Et  que  de  fois,  en 
effet,  cet  aspect  de  la  vertu,  reconnue  et  appréciée 
par  l'impie,  n'a-t-il  pas  fait  rentrer  la  foi  dans  son 
âme  et  sollicité  de  saintes  résolutions  dans  sa  volonté! 

II.  Mais  la  profession  religieuse  n'est  pas  un  seul 
martyre,  elle  en  renferme  plusieurs  à  la  fois. 

1°  Il  y  a  le  martyre  de  la  pauvreté  volontaire. 
Ecoutons  saint  Bernard  :  «  Pourquoi  la  même  pro- 
messe, dans  le  discours  sur  la  montagne,  est-elle 
faite  aux  pauvres  et  aux  martyrs,  sinon  parce  que  la 
pauvreté  volontaire  est  un  ger^e  de  martyre  [  *?  »Et 
il  décrit  ainsi  ce  martyre  de  la  pauvreté  religieuse 
avec  autant  de  vérité  que  d'énergie.  On  avait  des 
biens  temporels ,  avec  l'assurance  des  avantages 
qu'ils  procurent,  et  l'on  s'est  mis  par  le  dépouille- 
ment dans  la  gêne  de  la  pauvreté  et  l'incertitude  de 
l'avenir.  On  pouvait  du  moins  acquérir  quelque 
chose,  et  Eon  s'est  ôté  le  droit  de  recevoir  même 
ce  que  voudrait  offrir  le  monde.  En  vain  Satan  essaie 
de  tenter  la  cupidité  ;  on  a  renoncé  à  toute  espé- 
rance, et  l'on  se  rit  de  ses  tentations.  Mais,  surtout, 
il  y  a  toujours  au  fond  du  cœur  humain  cet  amour 
des  aises  si  subtil  et  si  vivace,  cette  propension  à 


1.  Quid  sibi  mit  quod  eadem  pronrissio  facta  est  pau- 
peribus  et  martyribus,  nisi  quia  vere  martyrii  genus  est  pau- 
pertas  voluntaria  ? 


—  136  — 

se  créer  des  nécessités  imaginaires,  ce  désir  des 
petits  adoucissements  de  la  vie,  qui  sont  comme  des 
démangeaisons  continuelles  ;  et  l'on  sait  triompher 
constamment  de  soi-même  ;  et  l'on  résiste  chaque 
jour,  pour  l'amour  du  Seigneur,  à  tous  ces  picote- 
ments de  la  nature.  Que  de  couronnes  t  Quels  droits 
aux  richesses  et  aux  jouissances  du  paradis  l  ! 

2°  La  chasteté  religieuse  est  un  martyre  plus  glo- 
rieux et  plus  méritoire  encore  que  la  pauvreté.  Car  la 
vie  de  l'homme,  dit  le  Saint-Esprit,  est  un  combat 
sur  la  terre  ;  mais  quel  est  l'objet  principal  de  cette 
lutte  incessante,  sinon  la  sensualité?  Guerre  intes- 
tine et  domestique  où  l'ennemi  est  au  dedans,  tou- 
jours en  armes,  et  jamais  terrassé;  où,  même  après 
qu'on  a  fui  généreusement  les  occasions  et  les  séduc- 
tions extérieures,  la  chair  est  encore  là  sans  cesse 
harcelant  l'esprit.  Quel  noble  témoignage  donc  l'âme 
parfaitement  chaste  ne  rend-elle  point  à  Dieu,  quand 
elle  conserve  ainsi  son  trésor  clans  un  vase  fragile  ? 
Hélas  !  dit  saint  Isidore,  «  c'est  par  le  vice  impur, 
plus  que  par  tout  autre,  que  le  démon  s'assujettit 
le    genre  humain    »  ;   et    saint    Augustin   observe 
«  qu'entre  tous  les  combats  des  chrétiens,  les  plus 
durs  sont  les  combats  de  la  chasteté,  où  la  lutte  est 
quotidienne,  et  rare  est  la  victoire  »  2.  Et  pourtant 
que    d'âmes    pures  dans  les  maisons    religieuses! 

1.  Paupertate  premi  inter  divitias  quas  affert  mundus,  quas 
ostentat  diabolus,  quas  desiderat  noster  iste  appetitus  :  an  non 
merito  coronabitur  qui  sic  certaverit,  mundum  abjiciens  pro- 
mittentem,  irridens  inimicum  tentantem,  et  quod  gloriosius  est, 
de  seipso  triumphans,  et  crucifigens  concupiscentiam  prurien- 
tem?  Bern.  Serm.  1  omnium  sanct. 

2.  Inter  omnia  christianorum  certamina,  duriora  sunt  praelia 
castitatis  ubi  quotidiana  est  pugna  et  rara  Victoria, 


—  137  — 

Quelle  vigilance  à  repousser  les  moindres  attaques  ! 
Quelle  fidélité  à  se  garder  des  taches  les  plus  légè- 
re- !  En  un  mot,  quelle  gloire  rendue  à  cette  grâce 
divine  qui  triomphe  dans  l'infirmité  ! 

3°  L'obéissance,  troisième  martyre  de  la  vie  reli- 
gieuse, et  c'est  le  plus  méritoire  de  tous,  puisqu'il  im- 
mole ce  que  l'homme  a  de  meilleur  et  de  plus  cher, 
sa  propre  volonté;  c'est  le  plus  étendu  et  le  plus 
continuel,  puisqu'il  embrasse  tous  les  actes  et  toute 
l'existence  du  religieux. 

III.  Une  dernière  et  frappante  considération  à  pré- 
senter sur  le  martyre  de  la  vie  religieuse,  est  qu'il 
ressemble  au  crucifiement.  Les  religieux  sont,  comme 
Jésus-Christ,  des  hommes  crucifiés;  et  c'est  par  les 
vœux  que  s'exécute  ce  martyre.  Après  que,  durant 
leur  noviciat,  on  les  a  pour  ainsi  dire  mesurés  à  leur 
croix  future,  vient  le  moment  de  les  étendre  des- 
sus :  c'est  celui  de  leur  profession,  et  on  les  y  atta- 
che par  trois  clous  ;  en  sorte  qu'ils  peuvent  dire  avec 
l'Apôtre:  «  Le  vieil  homme  en  nous  est  cloué  à  la 
croix  i  »  par  les  clous  des  trois  vœux.  Et  voici  com- 
ment de  pieux  auteurs  ont  expliqué  les  effets  de  ce 
crucifiement  spirituel. 

Premièrement,  un  clou,  quand  on  l'enfonce,  com- 
mence par  pousser  dehors  l'obstacle  qu'il  rencontre. 
Ainsi  font  les  clous  des  saints  vœux  dans  l'âme  du 
religieux  ;  ils  poussent  dehors  les  affections  déré- 
glées, de  manière  à  détruire  d'abord  en  lui  le  corps 
du  péché,  comme  parle  saint  Paul  2. 

1.  Vêtus  homo  noster  crucifixus  est.  Rom  6 

2'  yep^°?°  n°Ster  crucifixus  est>  ut'dêstrnatur  corpus 
peccati.  Rom.  6.  ^ 

4*** 


—  138  — 

Ensuite,  les  clous,  par  un  second  effet,  percent 
et  déchirent  les  membres  du  crucifié  :  tellement 
que,  par  suite  de  cette  violente  suspension  de  tout 
le  corps  sur  trois  points  douloureux,  sa  vie  n'est 
plus  qu'une  souffrance  continue  et  universelle.  Et 
c'est  ce  qui  a  lieu  en  quelque  manière  dans  la  vie 
religieuse,  où  les  trois  clous  des  vœux  sont  toujours 
là  pour  se  faire  sentir.  On  y  est  donc,  comme  ceux 
qui  sont  sur  la  croix,  dans  un  état  de  vie  et  de  mort, 
et  le  religieux,  ainsi  que  le  crucifié,  est,  suivant 
l'expression  de  l'Apôtre,  un  homme  qui  vit  et  meurt 
tout  à  la  fois  l. 

Le  troisième  effet  des  clous  pour  le  patient  est  de 
le  serrer  si  fortement  à  sa  croix,  qu'il  n'y  a  plus 
moyen  pour  lui  de  s'en  détacher,  surtout  si  la  pointe 
en  a  été  recourbée.  Et  n'est-ce  pas  ce  que  font  aussi 
les  vœux  de  religion,  principalement  les  vœux  per- 
pétuels, les  vœux  solennels,  où  l'on  recourbe  pour 
ainsi  dire  leurs  pointes  t  Alors  et  désormais,  il  n'est 
plus  possible  de  quitter  la  croix,  à  moins  d'en  venir 
à  l'horrible  déchirure  de  l'apostasie.  De  plus,  le 
crucifié,  retenu  si  étroitement  à  la  croix,  n'a  plus 
la  liberté  de  ses  actes,  ni  même  de  ses  moindres 
mouvements  ;  et  il  en  est  ainsi  du  religieux  attaché 
par  les  saints  vœux.  Enfin,  quand  un  homme  est 
élevé  en  croix,  il  se  trouve  suspendu  entre  le  ciel  et 
la  terre  ;  et  telle  est  la  situation  du  religieux  en  ce 
monde,  à  partir  du  jour  de  sa  profession  :  par  ses 
pieds  et  ses  sens  il  est  encore  proche  de  la  terre , 
mais  sa  tête  et  son  esprit  sont  rapprochés  du  ciel  ; 

l.  Quasi  morientes  etecce  vivimus.  II.  Cor,  6, 


—  139  — 

toujours  de  ce  monde  par  le  travail  et  l'épreuve,  il 
est  déjà  dans  l'autre  par  le  désir  et  par  la  certitude 
de  son  espérance. 

Il  est  rapporté  dans  la  Vie  de  saint  Bernard  qu'un 
jour  il  rencontra  un  malfaiteur  chargé  de  chaînes, 
que  conduisaient  à  la  potence  les  gens  armés  du 
comte  de  Champagne.  Le  saint  Abbé ,  poussé  par 
une  inspiration  d'en  haut,  s'approche  des  archers 
et  les  prie  de  lui  livrer  cet  homme,  assurant  qu'il 
le  châtiera  comme  il  le  mérite.  On  s'étonne  de  sa 
demande,  et  pendant  qu'il  insiste  pour  vaincre  le 
relus  des  soldats,  le  comte  de  Champagne,  qui  chas- 
sait alors  dans  la  foret  voisine,  survient,  et  après 
avoir  donné  au  saint  des  marques  de  sa  vénération, 
est  tout  surpris  de  lui  entendre  réitérer  sa  propo- 
sition. Eh  quoi!  saint  père,  lui  dit  le  prince,  ignorez- 
vous  quel  est  le  coquin  auquel  vous  vous  intéressez  ? 
Et  aussitôt  il  lui  fait  le  récit  de  ses  méfaits,  pour  les- 
quels assurément,  ajoute-t-il,  la  corde  lui  est  bien 
due.  J'admets  tout  cela,  reprend  le  saint  en  souriant, 
et  voilà  justement  pourquoi  je  me  propose  moi-même 
de  lui  infliger  son  châtiment,  qui  ne  sera  pas  une 
seule,  mais  plusieurs  morts.   Bref,  il  obtient  qu'on 
lui  abandonne  le  coupable,  et  il  le  mène  à  Clair- 
vaux.  Une  grâce  victorieuse  avait  déjà  pénétré  dans 
le  cœur  de  cet  homme  ;  la  charité  du  saint  Abbé  fut 
si  heureuse,  que  le  malfaiteur,  après  une  conversion 
exemplaire,  fut  jugé  digne  d'être  admis  au  nombre 
des  religieux  ;  et  c'est  là  que,  durant  plus  de  trente 
années,  il  vérifia  les  paroles  de  saint  Bernard,  s'in- 
lligeant  chaque  jour  de  ses  propres  mains,  par  des 
austérités  rigoureuses,  le  châtiment  que  des  mains 


—  140  — 

étrangères  ne  lui  eussent  fait  endurer  qu'une  seule 
fois. 


ARTICLE  II 
de  l'état  religieux,  ou  de  perfection. 

SECTION  Ire.  — EN  QUOI  CONSISTE  PRÉCISÉMENT  UN  ÉTAT, 
ET  NOTAMMENT    L'ÉTAT   RELIGIEUX1. 

I.  Le  mot  état,  status,  vient  du  verbe  latin  stare, 
se  tenir  debout;  et  l'on  appelle  proprement  état,  une 
certaine  position  que  prend  chaque  chose,  eu  égard 
à  ce  que  demande  sa  nature,  pour  se  trouver  con- 
venablement dans  une  sorte  de  fixité  et  de  repos. 
Ainsi  l'on  dit  de  l'homme  qu'il  se  tient  debout,  stat , 
quand  les  pieds  étant  fermement  appuyés  en  bas, 
et  la  tête  élevée  en  haut,  tous  les  membres  du  corps 
se  trouvent  dans  une  disposition  convenable  d'équi- 
libre solide  et  d'immobilité. 

Dans  l'ordre  moral,  les  choses  qui  sont  extrin- 
sèques à  l'homme  et  facilement  variables  ne  con- 
stituent point  pour  lui  ce  qui  s'appelle  un  état;  mais 
l'état  doit  affecter  sa  personne  même,  lorsque,  par 
une  cause  permanente  et  fixe,  il  devient  ou  maître 
de  lui-même  ou  dépendant  d'autrui  ;  c'est  pourquoi 
l'on  dit  que  l'état  suppose  une  certaine  condition  de 
servitude  ou  de  liberté. 

Un  oftice,  une  charge,  une  dignité  ne  sont  pas 

1.  2a  2».  9.  183.  a.  1, 


—  141  — 

des  états,  parce  que  ces  choses  peuvent  se  prendre 
ou  se  laisser,  et  qu'elles  n'affectent  point  la  con- 
dition de  la  personne  elle-même. 

Un  offre  se  dit  proprement  à  raison  des  actes  qu'il 
s'agit  d'exercer:  par  exemple,  l'ofiice  de  juge  des- 
tine celui  qui  en  est  chargé,  à  porter  des  sentences. 
Mais  un  état  dit  une  position  inhérente  à  la  personne 
selon  qu'elle  y  devient  dépendante  ou  libre.  Que  si 
Ton  donne  le  nom  d'état  à  certaines  charges,  à  cer- 
tains emplois,  c'est  à  raison  de  l'assujettissement  et 
de  la  fixité  qui  s'y  rencontrent. 

Ainsi,  il  y  a  l'état  de  grâce  et  l'état  de  péché. 
Dans  le  premier,  dit  saint  Paul,  l'homme  est  affran- 
chi du  péché  et  s'assujettit  à  la  justice  ;  dans  le  se- 
cond, il  secoue  le  joug  de  la  loi  divine,  pour  devenir 
l'esclave  du  péché  *. 

Il  y  a  l'état  que  la  théologie  appelle  l'état  de  voija- 
genr,  et  l'état  de  corn  préhenseur  :  l'un  retient  l'homme 
dans  les  conditions  de  ce  pèlerinage  de  la  vie  pré- 
sente; l'autre  l'en  délivre  et  le  place  dans  le  bien- 
heureux assujettissement  de  la  vision  béatifique. 

Il  y  a  l'état  du  mariage  qui  met  les  uns  sous  la  loi 
conjugale,  et  l'état  de  continence  qui  en  retient  d'au- 
tres par  un  engagement  contraire. 

II.  Pour  arriver  à  notre  sujet,  il  y  a  l'état  séculier 
et  l'état  religieux.  Ces  deux  états,  quand  on  les  con- 
sidère relativement  à  la  perfection  évangélique, 
s'appellent  :  le  premier,  l'état  commun  ou  de  précepte; 
le  second,  l'état  parfait  ou  de  conseil.  Un  séculier, 
sans   être   dans  ce   dernier  état  auquel  il  ne  s'est 

1.  Ro.u.  G, 


point  assujetti,  pourrait  cependant  en  acquérir  la 
perfection  intérieure,  et  même  à  un  plus  haut  degré 
que  tel  ou  tel  religieux;  mais  le  religieux  a  toujours 
cela  de  propre  qu'il  s'est  engagé  d'une  manière 
ferme  et  durable  aux  obligations  de  cet  état,  qu'il 
fait  profession  publique  d'être  dans  cet  état,  et  qu'il 
y  possède  des  moyens  très-efficaces  de  perfection 
que  ne  peut  avoir  le  séculier. 

L'état  religieux  affecte  donc  la  personne,  en  ce 
que  par  les  vœux  de  religion  elle  entre  dans  une 
position  de  vie  qui  ne  change  plus,  et  cette  position 
est  tout  à  la  fois  une  sainte  servitude  et  une  sainte 
liberté.  C'est  une  sainte  servitude,  par  l'heureuse 
nécessité  où  l'on  s'est  mis  volontairement  vis-à-vis 
de  Dieu  et  de  la  vertu  ;  mais  il  n'en  résulte  nulle- 
ment ce  que  pensent  les  esprits  mondains,  savoir: 
la  perte  ou  la  diminution  de  la  vraie  liberté  ;  c'est 
même  tout  le  contraire,  comme  on  peut  en  lire  les 
preuves  dans  Rodriguez  *■  :  aussi  cette  nécessité  est- 
elle  pleine  de  mérite  pour  les  religieux.  D'autre 
part,  c'est  un  saint  affranchissement  du  joug  qui 
pèse  sur  tant  d'autres  :  affranchissement  du  monde, 
de  ses  séductions,  de  ses  exigences,  de  ses  vanités  ; 
affranchissement  même,  jusqu'à  un  certain  point, 
de  la  concupiscence  et  du  péché. 

SECTION  IL— DU  MÉRITE  PROPRE  DE  L'ÉTAT  RELIGIEUX. 

I.  Le  mérite  religieux  apparaît  dans  le  dévoue- 
ment à  Dieu  que  renferme  cet  état  de  vie.  Car,  par 
cela  même  qu'on  s'est  mis  au  service  du  Seigneur 

1.  Delà  Perfect.  IIIe  partie,  2e  traité,  ch.  5. 


—  143  — 

dans  une  position  immuable,  et  qu'on  s'est  comme 
enchaîné  volontairement  à  lui  par  une  sainte  néces- 
sité, il  est  manifeste  qu'on  y  fait  beaucoup  plus  pour 
le  divin  Maître,  et  conséquemment  pour  soi-même, 
qu'on  n'eût  pu  faire  dans  le  siècle,  même  avec  une 
égale  volonté  de  servir  Dieu  et  de  se  sanctifier. 

En  effet,  selon  le  langage  des  saints,  on  donne 
ainsi  à  Dieu,  non  plus  seulement  les  fruits  de  l'arbre 
et  du  sol,  mais  l'arbre  et  le  sol  eux-mêmes;  or,  qui 
ne  sait  qu'assurer  à  quelqu'un  la  propriété  du  fonds, 
c'est  faire  plus  sans  comparaison  que  de  lui  en  offrir 
seulement  les  produits? 

De  même,  cet  arbre,  s  il  était  resté  dans  la  terre 
aride  du  siècle,  eût  été  peut-être  condamné,  comme 
tant  d'autres,  à  ne  donner  que  peu  ou  point  de 
fruits  ;  mais,  transplanté  sur  les  bords  des  eaux  * ,  il 
est  dans  toutes  les  conditions  favorables  pour  s'en 
charger  abondamment.  Ce  sol  de  l'âme,  laissé  sous 
une  influence  malsaine,  ou  livré  au  caprice,  à  l'in- 
stabilité, à  la  paresse,  eût  été  bien  exposé  à  ne  se 
couvrir  que  de  chardons  et  de  ronces,  tandis  que, 
confié  spécialement  au  divin  Agriculteur,  et  placé 
sous  l'action  de  ses  grâces  les  plus  abondantes,  il 
donne  le  juste  espoir  d'une  riche  moisson. 

Enfin,  le  mérite  spécial  du  dévouement  religieux, 
c'est  d'être  l'expression  la  plus  haute  de  la  dévotion  : 
car  la  dévotion,  coume  nous  l'avons  vu,  est  une 
certaine  volonté  de  se  mettre  promptement  et  sans 
réserve  à  tout  ce  qui  est  du  service  de  Dieu  ;  or  cette 
promptitude  et  cette  plénitude  de  volonté  ne  se  mon- 

1.  Ps.  1. 


—  144  — 

trent  nulle  part  autant  que  dans  la  profession  reli- 
gieuse. Un  chrétien  du  siècle  aura,  je  le  suppose, 
une  détermination  égale  à  celle  du  religieux  de  ne 
rien  refuser  au  Seigneur;  mais  cette  volonté  durera- 
t-elle,  ainsi  abandonnée  à  elle-même  ?  Pourra-t-elie 
au  besoin  être  soutenue,  excitée,  ranimée,  comme 
elle  l'est  au  sein  d'une  communauté  religieuse,  et 
parmi  des  frères  qui  nous  viennent  en  aide  dans  nos 
défaillances?  Mais  encore,  accordons  qu'elle  soit 
aussi  bonne,  aussi  constante,  et  qu'elle  produise  des 
actes  égaux  de  vertus  ;  toujours  est-il  que  le  mérite 
sera  moindre,  parce  qu'il  y  manque  celui  du  sacri- 
fice religieux. 

II.  C'est  ici  le  lieu  d'examiner  une  curieuse  ob- 
jection que  certains  hommes  du  monde  font  quel- 
quefois aux  religieux.  En  quittant  le  siècle,  disent- 
ils,  vous  avez  fui  la  difficulté;  il  y  a  là  un  manque 
décourage,  et  votre  vertu  plus  facile  en  sera  moins 
méritoire. 

D'abord,  on  pourrait  demander  à  ceux  qui  parlent 
ainsi,  si  c'est  bien  réellement  pour  mériter  davantage 
qu'ils  tiennent  eux-mêmes  à  ne  point  abandonner 
le  monde. 

On  pourrait  ajouter  que  si  eux  ou  d'autres  savent 
triompher  du  monde  en  restant  au  milieu  de  ses 
dangers,  d'autres  aussi,  plus  défiants,  sentent  avant 
tout  la  nécessité  pour  eux  de  fuir  ces  mêmes  dan- 
gers, et  que  ceux-là  font  consister  leur  premier  mé- 
rite à  mettre  en  sûreté  leurs  intérêts  éternels. 

Mais  voici  une  réponse  de  saint  Thomas  plus  ins- 
tructive et  plus  complète  *. 

1.  2a  2œ.  q.  184.  a.  8.  ad  6"»« 


—  14o  — 

Il  faut  distinguer  deux  sortes  de  difficultés  pour  la 
vertu  :  l'une  qui  tient  à  l'œuvre  même,  lorsqu'elle 
est  ardue  ;  l'autre  qui  provient  des  obstacles  exté- 
rieurs. 

La  première  accroît  effectivement  le  mérite,  parce 
qu'elle  naît  de  l'excellence  même  de  cette  œuvre 
ardue  qu'il  s'agit  de  faire. 

Quant  à  la  seconde  espèce  de  difficulté  qui  vient 
du  dehors ,  tantôt  elle  diminue  la  perfection  de  la 
vertu,  et  tantôt  elle  est  l'indice  d'une  vertu  plus  par- 
faite. Elle  diminue  la  perfection  de  la  vertu  dans 
celui  qui  n'aime  pas  assez  la  vertu  pour  vouloir  se 
dégager  des  choses  mêmes  qui  produisent  l'obstacle. 
Elle  est  le  signe  d'une  vertu  plus  parfaite  dans 
celui  qui,  se  voyant  inopinément  ou  forcément  en 
présence  d'un  obstacle,  reste  cependant  fidèle  à  la 
vertu. 

Or,  il  est  manifeste  que  la  première  sorte  de  diffi- 
culté qui  accroît  le  mérite  est  dans  l'état  religieux 
beaucoup  plus  que  dans  tout  autre  état,  puisque  l'on 
y  tend  à  ce  que  la  vie  chrétienne  offre  de  plus  ardu 
et  de  plus  parfait.  Pour  ce  qui  est  de  la  difficulté  du 
second  genre,  ri  est  bien  vrai  que  les  religieux  tâ- 
chent de  s'y  soustraire  en  toutes  choses,  et  c'est  un 
effet  de  leur  sagesse,  comme  c'est  la  preuve  de  leur 
amour  pour  la  vertu,  et  la  matière  spéciale  de  leurs 
mérites.  Du  reste,  ils  ne  nient  pas  que  ceux  qui  sont 
forcés  de  rester  en  présence  des  difficultés  ne  puis- 
sent y  donner  des  signes  d'une  plus  grande  vertu, 
quand  réellement  ils  sont  fidèles. 

III.  A  l'appui  de  cette  réponse,  ajoutons  encore 
un  grand  principe  du  même  saint  Thomas,  et  qui  est 

5 


—  14b*  — 

partout  d'une  fréquente  application  dans  le  service 
de  Dieu.  La  vertu,  dit-il,  consiste  moins  dans  la  dif- 
ficulté que  dans  le  bien  que  Ton  fait  :  de  sorte  que  la 
grandeur  d'un  acte  vertueux  doit  se  mesurer  plutôt 
par  sa  bonté  que  par  sa  difficulté  :  car  c'est  le  bien, 
plus  que  le  difficile,  qui  compte  pour  le  mérite;  d'où 
il  suit  qu'il  faut  regarder  comme  plus  méritoire,  non 
tout  ce  qui  est  plus  difficile  ou  plus  pénible,  mais  ce 
qui  est  à  la  fois  plus  difficile  et  meilleur,  ou  ce  qui 
tire  de  la  difficulté  un  surcroît  de  bonté  l.  Or,  le 
bien  résulte  de  trois  choses  :  de  la  bonté  de  l'objet, 
de  la  bonté  de  l'intention  et  de  la  charité.  Par  exem- 
ple, les  martyrs  sans  doute  ont  beaucoup  mérité  en 
souffrant  pour  Jésus-Christ;  mais  la  très-sainte 
Vierge  méritait  plus  qu'eux  tous  par  ses  moindres 
actes,  quoique  peut-être  la  souffrance  n'y  fût  pas 
toujours.  Et  c'est  là  une  vérité  pratique  qui  offre 
toute  une  direction,  pour  la  consolation  de  ces  âmes 
auxquelles  il  n'est  pas  donné  de  souffrir  pour  Dieu 
autant  qu'elles  le  désireraient. 

IV.  Nous  compléterons  cette  question  du  mérite  de 
l'état  religieux  par  un  autre  enseignement  du  Docteur 
angélique  :  il  s'adresse  à  ceux  que  la  vue  de  leurs 
péchés  passés  et  le  besoin  qu'ils  sentent  d'en  faire  péni- 
tence préoccupent  quelquefois  plus  vivement  que 
la  pensée  ouïe  désir  de  la  perfection.  Voici  ses  paro- 


1.  Ibid.  q.  123,  a.  12;  et  q.  27.  a.  8.  Ratio  virtutis  magis  con- 
Bistit  in  bono  quam  in  difficili;  unde  magis  mensuranda  est  vir- 
tutis magnitudo  secundum  rationem  boni  quam  diflicilis.  — 
Plus  f acit  ad  rationem  meriti  bonum  quam  difficile  ;  unde  non 
oportet  quod  omne  quod  est  difficilius ,  sit  magis  meritorium  ; 
Bed  quod  sic  est  difficilius,  ut  sit  etiam  melius. 


-  147  — 

les  :  «  Sans  cloute,  l'état  religieux  a  été  principalement 
institué  pour  faire  acquérir  la  perfection,  et  c'est 
pourquoi  l'on  y  trouve  des  exercices  et  des  moyens 
qui  retranchent  les  obstacles  à  la  parfaite  charité. 
Mais  par  là  même  qu'on  ôte  ces  obstacles,  on  ôte  à 
plus  forte  raison  les  causes  du  péché  qui  détruit  tota- 
lement la  charité.  Et  comme  c'est  en  cela  que  con- 
siste proprement  et  principalement  la  pénitence, 
savoir  à  retrancher  les  causes  de  nos  péchés,  il 
s'ensuit  que  nul  état  n'est  plus  propre  à  faire  péni- 
tence que  l'état  religieux.  Aussi  le  droit  canon  cite 
l'exemple  d'un  grand  coupable  qui  reçut  le  conseil 
d'entrer  plutôt  dans  un  monastère,  que  de  subir  la 
pénitence  publique  en  restant  dans  le  siècle  ;  et  la 
raison  qu'il  en  donne  est  que  la  pénitence  est  ainsi 
tout  ensemble  et  meilleure  et  plus  légère  4. 

Quant  aux  œuvres  satisfactoires  que  la  profession 
religieuse  donne  également  lieu  de  faire  pour  expier 
ses  péchés,  nous  ne  répéterons  pas  ce  qui  a  été  dit 
plus  haut 


SECTION  III. —  D'UNE  CONDITION    ESSENTIELLE    POUR    LE 
MÉRITE   DU  RELIGIEUX  DANS  SON   ÉTAT. 

Quoique  le  grand  acte  de  la  profession  des  vœux 
soit  d'un  excellent  mérite  devant  Dieu,  néanmoins 
une  vérité  qu'on  ne  saurait  trop  redire  aux  person- 
nes qui  ont  fait  cet  acte  est  que  son  mérite,  pour 
ne  pas  devenir  entièrement  illusoire,  exige  une  in- 


1.  2a  2».  q.  185.  a.  8. 

2.  Ch.  IL  art.  II.  sect.  III. 


—  148  — 

dispensable  condition,  celle  de  l'accomplissement  et 
de  la  fidélité  à  garder  la  promesse.  De  même  que  ce 
n'est  point  l'habit  qui  fait  le  religieux,  ainsi  ce  n'est 
point  la  perfection  de  son  état  qui  lui  donne  sa  per- 
fection personnelle ,  mais  bien  l'observation  des 
devoirs  de  cet  état.  Laissons  encore  ici  parler  saint 
Thomas1.  Quelques-uns,  dit-il,  peuvent  être  par- 
faits, qui  ne  sont  point  dans  l'état  de  perfection  ;  et 
d'autres  peuvent  être  dans  l'état  de  perfection,  qui 
sont  loin  d'être  parfaits.  Autre  chose  est  donc  l'état 
de  perfection,  et  autre  chose  la  perfection  de  la  vie. 
On  dit  qu'une  personne  est  dans  l'état  de  perfection, 
non  pas  de  ce  qu'elle  possède  effectivement  la  charité 
parfaite,  mais  de  ce  qu'elle  s'est  obligée  aux  choses 
de  la  perfection.  Or,  il  arrive  que  certains  hommes 
s'imposent  des  obligations  qu'ils  ne  gardent  point, 
tandis  que  d'autres  font  le  bien  auquel  ils  ne  se  sont 
pas  obligés  ;  comme  M  est  dit  en  l'Évangile,  de  ces 
deux  fils  que  leur  père  envoya  travailler  à  sa  vigne, 
l'un  répondit  :  h  ne  veux  pas,  et  puis  néanmoins  il  y 
alla;  au  lieu  que  l'autre,  après  avoir  dit  :  Tij  rais, 
Seigneur,  n'y  alla  cependant  point2. 

Il  faut  revenir  toujours  à  ces  deux  mots  du  Psaume: 
vovete  et  réduite  3.  Oui ,  dit  le  Seigneur  à  ceux 
qu'il  appeMe,  offrez-moi  vos  vœux  de  religion; 
nulle  autre  offrande  ne  peut  me  plaire  davantage, 


1.  2a  23e.  q.  184.  a.  4. 

2.  Homo  quidam  habuit  duos  filios,  et  accedens  ad  primum 
dixit  :  Fili,  vadehodie,  operarein  vinea  mea.  Ille  autem  respon- 
dens  ait,  nolo  ;  postea  autem  pœnitentia  motus,  abiit.  Acce- 
dens autem  ad  alterum,  dixit  similiter .  At  ille  respondens  ait  : 
Eo,  Domine,  et  non  ivit.  Matth.  21. 

3.  PS.  55, 


—  149  — 

mais  à  une  condition  toutefois,  c'est  que  vous  les 
accomplirez  fidèlement.  Prononcer  ces  quelques 
paroles  de  la  formule  voreo,  etc.,  rien  n'est  si  facile, 
rien  n'est  sitôt  fait;  mais  y  être  fidèle,  voilà  le  grand 
point 4,  et  la  vie  entière  y  est  comprise.  Que  si  par 
malheur  vous  veniez  ensuite  à  oublier  ce  que  vous 
avez  promis;  si  vous  négligiez  les  obligations  de  vos 
saints  vœux,  non-seulement  vous  détruiriez  alors 
vous-même  tout  le  mérite  de  votre  profession,  mais 
vous  en  feriez  encore  la  matière  d'un  jugement  plus 
rigoureux  :  car,  dit  le  sage  :  «  Dieu  n'aime  point 
une  infidèle  et  folle  promesse;  et  il  eût  beaucoup 
mieux  valu  ne  la  point  faire,  que  de  la  faire  pour 
ne  la  point  garder  2. 

On  entend  quelquefois  d'anciens  religieux  parler 
avec  une  certaine  complaisance  des  années  de  leur 
profession  ;  cette  vanité  serait  plus  que  ridicule,  si 
la  manière  dont  ils  ont  vécu  dans  la  religion  s'accor- 
dait mal  avec  leur  ancienneté. 

SECTION  IV.  —POUR     QU'UN    INSTITUT    appartienne  a 
L'ÉTAT  RELIGIEUX,  IL  FAUT  L'APPROBATION  DE  L'ÉGLISE. 

I.  Il  est  facile  de  comprendre  pourquoi  tout  in- 
stitut et  toute  corporation  pieuse  a  besoin  d'être 
approuvée  par  l'Église,  pour  appartenir  à  l'état  reli- 
gieux. En  effet,  voici,  je  suppose,  des  fidèles  qui 
se  réunissent  en  certain  nombre,  avec  la  pensée  de 


1.  Hoc  opus*,  hic  labor  est.  Virg. 

2.  Si  quid  vovisti  Deo,  ne  moreris  reddere  :  displicet  enim 
eiinfidelis  et  stulta  promissio;  multoque  melius  est  nonvovere, 
quam  post  votum  promissa  non  reddere.  Eccl.  5. 


—  4Î50  — 

tendre  de  concert  à  la  perfection  évangélique.  Mais 
pour  cela,  il  leur  faut  une  assurance  qu'on  leur  fera 
prendre  le  véritable  chemin  ;  il  leur  faut  des  garan- 
ties sur  la  légitimité  des  moyens  qu'on  leur  proposera 
pour  arriver  au  but.  Or,  un  homme  quel  qu'il  soit, 
fût-il  animé  des  meilleures  intentions,  fût-il  même 
un  saint,  ne  peut  donner  ni  cette  assurance  ni  ces 
garanties.  De  là  cette  nécessité  de  recourir  à  l'Eglise 
et  d'avoir  son  approbation  :  car  elle  est  infaillible 
quand  elle  prononce  sur  une  règle  des  mœurs  , 
comme  lorsqu'elle  établit  une  règle  de  foi. 

De  plus,  cette  réunion  d'hommes  veut  se  consti- 
tuer en  corps  religieux  avec  sa  forme  spéciale,  et 
avec  le  droit  de  se  gouverner  et  de  s'accroître  sui- 
vant ses  constitutions  ;  mais  pour  toutes  ces  ehoses 
on  voit  que  l'Église  doit  encore  intervenir  par  son 
autorité. 

C'est  pourquoi,  comme  l'enseigne  Suarez,  l'ap- 
probation d'un  institut  par  l'Église  renferme  deux 
choses  :  la  première  est  un  jugement  doctrinal  par 
lequel  elle  déclare,  au  moins  implicitement,  que 
cet  institut  ne  propose  rien  que  de  saint  dans  son 
but,  rien  que  de  sage  et  de  bon  dans  les  moyens 
établis  pour  l'obtenir,  en  un  mot,  que  le  genre  de 
vie  que  trace  cet  institut  est  propre  à  conduire  les 
âmes  à  la  perfection  spéciale  qu'il  a  en  vue.  La 
seconde  chose  renfermée  dans  cette  approbation  est 
an  acte  de  juridiction  par  lequel  l'Église,  d'après  ce 
jugement,  constitue  le  corps  religieux  et  le  munit 
de  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  son  existence,  à  son 
gouvernement  et  au  développement  de  sa  vie. 

Depuis  les  conciles  généraux  de  Latran  et  de  Lyon, 


-  m  — 

l'approbation  du  Saint-Siège  est  nécessaire  .  nu 
moins  pour  un  ordre  religieux  proprement  dit.  Le 
Pape,  en  l'approuvant,  devient  par  là  même  exclu- 
sivement son  premier  supérieur  et  propre  prélat  ; 
c'est  lui  qui  communique  aux  supérieurs  les  pou- 
voirs qu'ils  ont  à  exercer,  et  qui  accepte  par  eux  les 
vœux  de  tous  ceux  qu'on  y  admet. 

II.  Les  simples  congrégations  religieuses  ont 
besoin,  pour  des  raisons  semblables ,  d'être  ap- 
prouvées de  même  par  l'Église,  et  cette  approbation 
doit  leur  venir  au  moins  de  l'autorité  épiscopale. 
Quand  c'est  l'évêque  qui  approuve  une  congrégation 
dans  son  diocèse,  il  en  est  alors  le  premier  supérieur 
de  qui  relèvent  tous  les  pouvoirs  ;  mais  si  cette  con- 
grégation vient  à  se  répandre  dans  d'autres  diocèses, 
elle  doit  dépendre  également  des  Ordinaires  respec- 
tifs des  lieux  pour  les  maisons  qu'elle  y  possède. 

Lorsqu'une  congrégation  sollicite  l'approbation 
du  Saint-Siège,  le  Souverain  Pontife  suit  commu- 
nément cet  ordre  :  d'abord  il  accorde  le  décret  d'é- 
loge, qui  est  comme  le  germe  de  l'approbation  for- 
melle qu'on  peut  espérer  ;  plus  tard,  il  approuve 
l'institut  dans  ses  points  fondamentaux  et  le  consti- 
tue par  l'autorité  apostolique,  ou  même  il  examine 
et  approuve  alors  le  corps  de  ses  constitutions. 

L'approbation  du  Saint-Siège  ne  change  pas  une 
simple  congrégation  en  ordre  religieux  proprement 
dit,  à  moins  que  telle  ne  soit  la  volonté  expresse  et 
la  déclaration  du  chef  de  l'Église.  Cette  approbation 
a  pour  effet  :  1°  de  donner  plus  d'autorité  à  sa  règle 
et  plus  de  fermeté  à  son  existence;  2°  de  l'autoriser 


—  152  — 

à  s'établir  dans  toutes  les  parties  de  l'Église,  du 
consentement  toutefois  des  Ordinaires  ;  3°  d'empêcher 
que  sa  fin  et  ses  moyens  de  l'obtenir,  avec  ses  con- 
stitutions approuvées,  ne  puissent  être  changés  ou 
modifiés  par  une  autorité  inférieure;  4°  de  l'obliger 
à  recourir  au  Saint-Siège  pour  tout  ce  qui  peut  sur- 
venir d'extraordinaire  ou  d'important  dans  son 
gouvernement. 

Ainsi,  comme  il  Va  déclaré  plusieurs  fois  lui-même 
récemment  pour  les  congrégations  de  femmes,  la  dis- 
pense des  vœux,  quoique  simples  ou  temporaires,  lui 
est  réservée.  Il  faut  son  autorisation  pour  aliéner  un 
immeuble  de  la  congrégation,  pour  transférer  a411eurs 
la  maison-mère  de  l'institut,  pour  fonder  une  nou- 
velle maison  de  noviciat,  pour  diviser  la  congréga- 
tion en  province,  et  pour  déposer  une  supérieure 
générale.  Enfin,  tous  les  trois  ans  on  doit  lui  envoyer 
un  compte-rendu  de  Y  état  matériel  et  personnel  indi- 
quant le  nombre  des  maisons  et  des  religieuses,  de 
Y  état  disciplinaire  sur  l'observance  des  constitutions 
et  la  formation  des  novices,  et  de  Y  état  économique 
touchant  l'administration  des  biens  temporels. 

Quant  à  l'autorité  épiscopale  sur  les  instituts 
religieux  approuvés  par  le  Saint-Siège,  elle  est  défi- 
nie par  le  concile  de  Trente,  et  par  les  décrets  des 
Souverains  Pontifes.  Nous  allons  parler  plus  spécia- 
lement des  communautés  de  femmes. 

La  permission  de  l'Ordinaire  est  de  rigueur  pour 
l'établissement  d'une  maison  religieuse  dans  son 
diocèse.  Mais  le  Saint  Siège  n'a  pas  coutume  d'approu- 
ver qu'un  évêque  soit  supérieur  général,  ou  nomme 
quelqu'un  pour  exercer  cette  fonction  sur  un  pieux 


—  Ï53  — 

institut  qui  s'étend  hors  de  son  diocèse,  afin  de  ne 
pas  blesser  les  droits  des  autres  évêques. 

L'évêque  du  lieu  prescrit  ou  approuve  tout  ce  qui 
regarde  les  fonctions  ecclésiastiques  dans  les  chapelles 
de  l'institut,  et  députe  les  chapelains  qui  doivent  y 
présider.  Il  assigne  les  confesseurs,  ordinaire  et 
extraordinaire  de  la  communauté,  et  nulle  sœur  ne 
peut,  excepté  en  voyage,  s'adresser  pour  l'absolu- 
tion qu'à  des  prêtres  approuvés  par  lui  pour  les 
religieuses. 

Il  fait,  par  lui-même  ou  par  un  délégué,  l'examen 
canonique  des  novices,  tel  que  le  prescrit  le  concile 
de  Trente  :  c'est-à-dire,  «  qu'il  explore  ou  fait  ex- 
ce  plorer  avec  soin  la  volonté  de  chacune,  tant  avant 
«  la  vêture  qu'avant  la  profession,  pour  s'assurer 
«  qu'elle  n'est  ni  contrainte  ni  séduite,  et  qu'elle 
«  sait  ce  qu'elle  fait  » . 

Enfin,  il  est  établi  par  le  concile  de  Trente  pour 
gouverner  les  communautés  de  femmes  de  son  dio- 
cèse comme  délégué  du  Saint-Siège.  En  cette  qualité, 
il  visite  les  maisons  par  lui-même  ou  par  un  autre, 
il  préside  les  chapitres  généraux  et  confirme  l'élec- 
tion de  la  supérieure  générale  ;  et  il  transmet  un 
compte-rendu  de  ces  assemblées  à  la  sacrée  Congré- 
gation des  évêques  et  réguliers. 

III.  L'approbation  donnée  par  l'Église  à  un  corps 
religieux  doit  être  pour  chacun  de  ses  membres 
l'objet  d'une  attention  sérieuse,  à  raison  des  consé- 
quences pratiques  qui  en  découlent  :  car  rien  n'est 
plus  capable  d'exciter  la  confiance  en  Dieu  ,  de 
nourrir  la  paix  de  l'âme  dans  sa  vocation,  d'atta- 

5* 


—  m  — 

cher  le  religieux  à  son  saint  état,  et  enfin  de  lui  in- 
spirer l'esprit  d'obéissance.  Aussi  est-ce  la  première 
chose  que  l'on  doit  signaler  à  un  candidat. 

11  faut  que  chaque  religieux  sache  voir  toujours 
cette  autorité  de  l'Église  elle-même,  et  qu'il  la  res- 
pecte en  tout  et  partout  dans  son  institut  ;  ce  sera 
pour  lui  un  grand  et  précieux  exercice  de  l'esprit  de 
foi,  puisque  sans  cesse  il  verra  se  réaliser  la  parole 
du  Seigneur  :  «  Celui  qui  vous  écoute  m'écoute 
moi-même  ».  Mais  tout  enfant  de  l'Église  aussi  est 
tenu  de  reconnaître  avec  respect  son  autorité  dans 
chacun  des  instituts  religieux  :  car  attaquer  ou  mé- 
priser un  ordre  ou  une  règle  qu'elle  approuve,  c'est 
lui  manquer  à  elle-même,  et  pécher  contre  la  reli- 
gion. 

On  peut  remarquer  encore  avec  quelle  sollicitude 
la  sainte  Église  s'occupe  des  instituts  religieux.  C'est 
que  là,  en  effet,  il  s'agit  du  service  de  Dieu  dans  ce 
qu'il  a  de  plus  relevé  et  de  plus  parfait  ;  là  elle 
voit  la  portion  du  troupeau  la  plus  chère  au  divin 
Pasteur,  son  époux;  là  enfin,  l'expérience  des  siè- 
cles lui  montre  les  lieux  où  la  sainteté  a  fleuri  avec 
le  plus  d'abondance  et  d'éclat.  Aussi,  quel  n'est  pas 
son  zèle  à  maintenir  ou  à  relever  l'observance  régu- 
lière !  témoins  tant  de  conciles,  tant  de  décrets  des 
Souverains  Pontifes,  et  les  actes  de  tant  de  pieux 
évêques.  Puis  donc  que  l'Église  de  Dieu  aime  d'une 
affection  toute  spéciale  l'état  et  les  instituts  reli- 
gieux, certainement  celui  qui  a  d'autres  sentiments 
à  cet  égard  n'est  point  animé  de  son  esprit,  et  quel 
qu'il  puisse  être,  son  exemple  n'est  d'aucun  poids, 
mis  contre  le  sien  dans  la  balance.   Que  s'il  se  ren- 


—  Joo  — 

contre  des  taches,  ou  même  des  anus  et  des  défail- 
lances dans  un  corps  religieux,  l'Église  sait  faire  la 
part  de  l'humaine  faiblesse  en  face  du  but  élevé  où 
il  y  faut  tendre,  et,  au  lieu  de  cesser  d'estimer  l'in- 
stitut et  d'affectionner  l'état,  elle  travaille  plutôt  à  y 
ramener  la  discipline  et  la  ferveur.  Ainsi  doivent 
penser  et  sentir  ses  vrais  enfants,  bien  loin  de  pren- 
dre malignement  occasion  des  fautes  particulières 
pour  haïr  ou  déprécier  l'état  et  le  corps. 


ARTICLE  III. 

DE  LA   PERFECTION  RELIGIEUSE. 

SECTION  Ire.  —  QUE  FAUT-IL  ENTENDRE  PRÉCISÉMENT 
PAR  LA  PERFECTION. 

I.  On  parle  souvent  de  la  perfection,  du  désir 
qu'on  a  d'arriver  à  la  perfection,  de  la  nécessité  de 
devenir  parfait;  et  trop  souvent  aussi  cette  idée  de 
perfection  reste  dans  un  vague  où  l'imagination  se 
livre  à  de  pures  illusions,  pour  ne  donner  que  de 
vains  sentiments  et  des  résultats  stériles. 

Voici  les  notions  fondamentales  et  précises  de  la 
perfection,  d'après  le  Docteur  angélique.  On  appelle 
parfaite  une  chose  à  laquelle  il  ne  manque  rien  ; 
Perfectmnest  id  eut  nihil  deest.  Or,  il  faut  distinguer 
trois  sortes  de  perfections.  La  première  consiste  en 
ce  que  la  chose  soit  constituée  dans  son  être  propre, 
de  manière  qu'il  ne  lui  manque  rien  quanta  sanature. 


—  156  — 

Ainsi  un  homme  a  cette  perfection,  quand  il  possède 
une  âme  douée  de  toutes  ses  facultés,  et  un  corps  doué 
de  tous  ses  sens  et  de  tous  ses  membres.  —  La  se- 
conde perfection  donne  à  la  chose  tout  ce  qui  peut  être 
ajouté  à  sa  substance,  pour  qu'il  ne  lui  manque  rien 
en  bonté  de  nature.  Ainsi  un  homme  a  cette  perfec- 
tion quand  il  possède  toutes  les  qualités  du  corps  et 
de  l'âme  qu'il  peut  naturellement  avoir.  —  La  troi- 
sième perfection  consiste  en  ce  que  la  chose  atteigne 
sa  propre  fin  pour  y  trouver  tout  le  bien  que  peut 
exiger  sa  condition.  Ainsi  une  montre  est  parfaite 
lorsqu'elle  atteint  sa  fin,  qui  est  de  montrer  exacte- 
ment les  heures,  et  un  homme  est  parfait  quand 
il  atteint  sa  fin  dernière  qui  est  Dieu,  le  souverain 
bien.  C'est  de  cette  troisième  perfection  que  nous 
avons  à  nous  occuper  relativement  à  l'homme  , 
parce  qu'elle  est  sa  perfection  morale  vers  laquelle 
il  doit  tendre  pour  être  heureux  :  ce  n'est  autre 
chose  que  la  perfection  de  sa  vertu,  et  la  perfection 
de  sa  béatitude. 

On  dit  donc  de  chaque  être  "qu'il  est  parfait  selon 
qu'il  atteint  sa  propre  fin,  parce  que  la  fin 
d'une  chose ,  quand  elle  s'y  trouve  arrivée ,  est 
ce  qui  lui  donne  sa  dernière  perfection.  Or,  c'est 
par  la  charité  que  l'homme  atteint  Dieu ,  sa  fin 
dernière,  suivant  ces  paroles  de  saint  Jean  4  :  «  Celui 
qui  demeure  dans  la  charité  demeure  en  Dieu,  et 
Dieu  en  lui  ».  Par  conséquent,  la  perfection  de  la 
vie  chrétienne  est  spécialement  selon  la  charité. 


1.  Qui  manet  in  charitate,  in  Deo  manet  et  Deus  in  eo.  I 

JOAN.    4„ 


—  157  — 

Mais  une  chose  aussi  peut  être  de  deux  manières 
appelée  parfaite  :  premièrement  d'une  manière 
absolue,  et  alors  la  perfection  de  la  chose  se  consi- 
dère dans  ce  qui  appartient  à  sa  substance  même. 
Secondement,  on  dit  d'une  chose  qu'elle  est  parfaite 
sous  tel  ou  tel  rapport,  lorsque  l'on  considère  la 
perfection  dans  les  accidents  de  la  chose,  c'est-à-dire 
dans  ce  qui  est  surajouté  à  sa  substance.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  qu'on  trouvera  deux  perfections  dis- 
tinctes et  très-différentes  dans  un  corps,  s'il  est 
parfait  quant  à  sa  substance,  et  parfaitement  blanc 
quant  à  sa  couleur.  La  première  perfection  est  la 
perfection  substantielle  et  principale  de  la  chose,  et 
la  seconde  est  sa  perfection  accidentelle  et  secon- 
daire. 

Or  la  vie  chrétienne  consiste  substantiellement 
dans  la  charité,  selon  ce  que  dit  saint  Jean  :  «  Celui 
qui  n'aime  pas  demeure  dans  la  mort  *  »  :  d'où  il 
suit  que  la  perfection  de  la  vie  chrétienne,  dans  son 
idée  absolue,  se  considère  selon  la  charité.  Secondai- 
rement ensuite  et  par  manière  de  complément,  elle 
se  considère  aussi  selon  les  autres  vertus  que  doit 
posséder  l'homme  parfait2. 

IL  Insistons  sur  les  conséquences  pratiques  qui 
découlent  de  ces  principes.  Et  d'abord,  la  perfection 
religieuse  est  selon  la  charité;  or,  rappelez-vous 
que  la  charité  est  une  vertu  par  laquelle  nous 
aimons  Dieu  par-dessus  toutes  choses  parce  qu'il  est 


1.  Qui  non  diligit,  manet  in  morte.  I  Joax,  û, 

2.  9â  2x.  q.  184.  a.  1. 


—  158  — 

le  souverain  bien,  et  notre  prochain  comme  nous- 
mêmes  pour  l'amour  de  Dieu.  La  charité  a  donc  un 
motif  unique,  qui  est  Dieu  seul,  et  un  double  objet, 
qui  est  Dieu  et  le  prochain.  Par  conséquent,  lorsqu'il 
s'agit  de  la  charité  et  de  sa  perfection,  il  faut  pren- 
dre garde  ou  d'oublier  l'un  de  ces  deux  objets,  ou 
de  perdre  de  vue  son  unique  but  qui  ne  doit  être  que 
Dieu. 

Vous  entrez  en  religion  dans  le  but  d'acquérir  la 
perfection  de  la  vie  chrétienne  ;  là  vous  vous  obli- 
gez par  état  à  tendre  vers  cette  perfection,  laquelle 
est  principalement  la  perfection  selon  te  charité.  Il 
faut  donc  vous  bien  pénétrer  de  votre  double  obli- 
gation, qui  est  de  viser  sans  cesse  non-seulement  à 
la  perfection  de  l'amour  de  Dieu,  mais  encore  à  celle 
de  l'amour  du  prochain.  Pour  l'un  et  l'autre,  la  pra- 
tique extérieure  et  en  quelque  sortematérielle  pourra 
être  diverse,  selon  la  diversité  des  instituts  et  de 
leurs  œuvres  spéciales  ;  mais  toujours  il  faut  que  les 
religieux  tendent  vers  ce  qui  est  parfait  sous  ce  dou- 
ble rapport.  G'est  pour  bien  éclairer  la  route  par  où 
ils  doivent  marcher,  que  nous  allons  exposer  avec 
une  juste  étendue  toute  cette  grande  matière  de  la 
charité,  dont  la  perfection  est  le  terme  obligatoire 
de  leurs  efforts. 

D'autre  part,  la  perfection  religieuse  est  encore 
selon  les  autres  vertus,  secondairement  il  est  vrai, 
mais  nécessairement  aussi  poui'  que  rien  ne  lui  man- 
que. Il  nous  faudrait  donc  entrer  de  même  ici  dans 
la  considération  de  toutes  les  vertus  chrétiennes  ; 
mais  comme  ce  sujet  est  très-vaste,  et  qu'il  nous' 
ferait  trop  perdre  de  vue  l'exphcation  du  catéchisme 


—  159  — 

des  vœux,  nous  renvoyons  le  pieux  lecteur  aux  écri- 
vains ascétiques,  qui  en  ont  abondamment  traité. 


SECTION  II.  —DU  PREMIER  OBJET  DE  LA  CHARITÉ,  OU  DE 
L'AMOUR  DIVIN. 


1 1.  En  quoi  consiste  V amour  divin  l. 

1°  L'amour  en  général  n'est  autre  chose  que  la 
complaisance  du  bien,  ou. pour  parler  plus  clairement 
encore,  c'est  le  mouvement  du  cœur  s'attachant  à 
un  objet  qui  lui  paraît  bon.  Aimer  une  chose  est 
donc  se  complaire  en  elle,  c'est-à-dire  s'attacher  à 
elle  parce  qu'on  la  trouve  bonne. 

Aimer  quelqu'un,  c'est  aussi  lui  vouloir  du  bien, 
parce  que  dans  l'amour  d'amitié  il  y  a  non-seule- 
ment l'attachement  à  la  personne  de  l'ami,  mais 
encore  et,  par  une  suite  nécessaire,  la  bienveillance 
à  son  égard  comme  à  un  autre  soi-même. 

Yoilà  deux  idées  très-nettes  pour  caractériser  l'a- 
mour divin,  qui  est  un  amour  d'amitié  :  aimer  Dieu, 
c'est  s'attacher  à  lui  parce  qu'on  le  trouve  bon,  et 
c'est  lui  vouloir  du  bien. 

2°  Dans  l'idée  générale  de  l'amour  divin,  on  peut 
distinguer  quatre  nuances  diverses  :  l'amour,  la 
dilection,  la  charité  et  l'amitié. 

L'flwo/^restproprement  ceque  nous  venonsdedire. 

La  dilection  ajoute  l'idée  d'élection,  diligere,  c'est- 
à-dire,  ex  diversis  eligere,  choisir  entre  diverses  cho- 
ses :  par  conséquent,  la  dilection  ne  se  trouve  que 

1.  2a  2œ.  quaest.  26.  art.  1  et  3.  —  2a  2œ.  q.  23.  a.  1 


—  160  — 

dans  l'appétit  raisonnable  où  est  la  liberté.  Elle 
exprime  aussi  l'acte  de  l'amour  de  charité  plutôt  que 
son  habitude. 

Saint  Denis  a  dit  qu'à  l'égard  de  Dieu  le  nom 
d'amour  est  plus  divin  que  celui  de  dilection,  en  ce 
qu'il  exprime  pour  ainsi  dire  quelque  chose  de  pas- 
sif :  et  en  effet,  dans  l'amour  divin  l'homme  se  porte 
vers  Dieu  plutôt  en  subissant  l'attraction  de  Dieu 
même,  qu'il  ne  peut  aller  à  lui  par  sa  raison  et  sa 
propre  élection  :  aussi  est-ce  principalement  la 
prière  qui  l'obtient. 

La  charité  indique  une  certaine  perfection  de  l'a- 
mour, en  ce  qu'on  estime  cher  et  d'un  grand  prix 
l'objet  qu'on  aime  :  delà  vient  que  le  nom  de  charité 
ne  se  donne  qu'à  cet  amour  qui  met  Dieu  au-dessus 
de  toutes  choses. 

L'amitié  exprime  l'habitude  de  la  charité,  et  elle 
dit  aussi  le  mutuel  attachement  qui  lie  deux  cœurs 
l'un  à  l'autre,  avec  une  réciprocité  de  bienveillance. 
Or,  la  charité  est  une  amitié  qui  s'établit  entre  Dieu 
et  l'homme,  selon  ces  mots  de  saint  Jacques  : 
«  Abraham  a  été  appelé  l'ami  de  Dieu l  »  ;  et  Jésus- 
Christ  Notre-Seigneur  déclare  aux  siens  qu'ils  sont 
i  ses  amis 2  » . 

Cette  mutuelle  liaison  de  Dieu  avec  l'homme  est 
fondée  sur  la  communication  que  Dieu  fait  à 
l'homme  de  sa  béatitude,  ici-bas  par  la  grâce  sancti- 
fiante qui  en  est  le  germe,  et  dans  le  ciel  par  la 
gloire   et   la  pleine  jouissance   de   lui-même.   Et 


1.  Et  amicus  Dei  appellatus  est.  Jac.  2. 

2.  Vos  autemdixi  amicos.  Joan.  15. 


—  161  — 

l'homme  rend  à  Dieu  le  retour  dont  il  est  capable, 
en  lui  communiquant  et  lui  consacrant  ce  qu'il  a,  ce 
qu'il  est,  et  tout  ce  qu'il  peut  lui  donner. 

Le  propre  de  l'amitié  est  de  vivre  avec  son  ami. 
Aussi  par  la  charité  l'homme  entre  dans  une  conti- 
nuelle relation  avec  Dieu,  et  tel  est  l'exercice  de  sa 
vie  spirituelle  sur  la  terre.  Mais,  durant  l'exil,  ces 
relations  de  l'amitié  divine  sont  imparfaites,  parce 
que,  dit  saint  Paul,  «  nous  ne  connaissons  qu'en  par- 
tie1 »,  et  que  le  divin  Ami  reste  pour  nous  derrière 
les  voiles  de  la  foi.  Et  pourtant,  que  ne  s'est-il  point 
passé  entre  Dieu  et  ses  saints  !  C'était  une  familiarité 
étonnante2,  dit  l'auteur  de  limitation;  et  c'est  ce 
qu'éprouve  proportionnellement  toute  âme  fervente 
et  généreuse.  Dans  la  patrie,  les  relations  de  l'amitié 
divine  seront  parfaites,  lorsque  «  nous  verrons  sa 
face  et  qu'il  sera  tout  en  tous  3  ». 

|  II.  Le  siège  de  l'amour  divin  n'est  point  l'appétit  infé- 
rieur de  l'homme,  mais  uniquement  sa  volonté 4. 

Il  y  a  dans  l'âme  humaine  deux  puissances  qui  se 
portent  vers  le  bien  pour  s'y  complaire  et  s'y  atta- 
cher; le  philosophe  les  nomme  les  deux  appétits  de 
notre  nature:  l'un  est  l'appétit  inférieur,  et  l'autre. 
V appétit  raisonnable  ou  supérieur ,  qui  s'appelle  au^s. 
la  volonté. 


1.  Ex  parte  enim  cognoscimus.  I  Cor.  13. 

2.  Familiaritas  stupenda  nimis. 

3.  Et  servi  ejus  servientilli,  et  videbunt  faciem  ejus.ÀPOC  22 
Ut  sit  Deus  omnia  in  omnibus.  I  Cor.  15, 

4.  la  2ae.  q.  26.  a.  1. 


—  162  — 

Ces  deux  puissances  de  notre  âme  ont  donc  cha- 
cune la  faculté  d'aimer;  mais  leur  amour  diffère 
comme  elles-mêmes  :  l'une  aime  nécessairement,  et 
l'autre  librement;  toutes  deux  ont  le  bien  pour 
objet,  mais  chacune  à  sa  manière  :  car  l'objet  de 
l'appétit  inférieur  est  un  bien  que  les  sens  peuvent 
saisir,  tandis  que  l'objet  de  l'appétit  raisonnable  est 
un  bien  saisi  ou  connu  par  l'entendement  sous  l'idée 
commune  de  bien. 

Or  ,  l'objet  de  la  charité  n'est  point  quelque 
bien  sensible,  mais  le  Bien  divin,  c'est-à-dire  Dieu 
même,  qui  ne  peut  être  connu  au  moyen  des  sens, 
mais  uniquement  par  l'intelligence  de  l'homme. 
D'où  il  suit  nécessairement  que  le  sujet  de  la  cha- 
rité, c'est-à-dire  le  siège  de  l'âme  où  elle  peut 
résider,  n'est  pas  l'appétit  inférieur  qui  éprouve  les 
impressions  sensibles,  mais  seulement  la  volonté. 

Yoilà  des  principes  d'une  grande  importance  pour 
la  direction  spirituelle  des  âmes,  soit  qu'il  faille  les 
rassurer  au  sujet  de  ces  inclinations  qu'elles  éprou- 
vent sans  y  consentir  vers  le  plaisir  sensible,  soit 
qu'on  ait  à  les  éclairer  sur  la  vraie  nature  de  la 
charité. 

Mais,  dira-t-on  ,  qu'est-ce  donc  que  ces  douces 
émotions  que  l'on  sent  quelquefois  en  se  livrant  aux 
choses  de  la  piété  ?  Ces  larmes  de  dévotion  et  autres 
impression  sensibles,  n'est-ce  pas  le  saint  amour  ? 

La  réponse  à  cette  question  a  été  donnée  en  par- 
lant de  la  dévotion  sensible  4, 

1.  Ckap,  T.  Art.  II.  Sect,.III3 


—  163  — 

SECTION  III.  —  DE  LA  PERFECTION  DE    L'AMOUR  DIVIN. 

|  I.   Est-il  possible  à  l'homme  d'aimer  Dieu 
parfaitement  i  ? 

La  perfection  de  la  charité  peut  s'entendre  de 
deux  manières  :  la  première,  par  rapport  à  l'objet 
qu'il  s'agit  d'aimer;  la  seconde,  par  rapport  à  celui 
qui  aime. 

1°  Relativement  à  l'objet  de  l'amour,  la  charité 
est  parfaite  quand  on  aime  une  chose  autant  qu'elle 
est  aimable.  Or  Dieu  est  aussi  aimable  qu'il  est  bon  ; 
et  comme  sa  bonté  est  infinie,  il  s'ensuit  qu'il  est 
infiniment  aimable.  Mais  aucune  créature  ne  peut 
l'aimer  infiniment,  puisque  toute  vertu  créée  a  sa 
limite.  Sous  ce  rapport  donc,  la  charité  d'aucune 
créature  ne  peut  être  parfaite  ;  il  n'y  a  de  parfait  que 
l'amour  par  lequel  Dieu  s'aime  lui-même  autant 
au' il  est  digne  d'être  aimé. 

Ici  l'âme  aimante  n'a  qu'une  ressource  dans  son 
impuissance ,  celle  de  s'humilier  à  la  vue  d'une 
bonté  qui  mérite  d'être  infiniment  plus  aimée  qu'elle 
ne  saurait  le  faire;  et  puisque  cependant  Dieu 
s'aime  autant  qu'il  est  aimable,  elle  s'en  réjouira, 
unissant  le  peu  qu'elle  peut  offrir  à  cet  immense 
amour  qu'il  se  porte  à  lui-même. 

2°  Relativement  à  celui  qui  aime  Dieu,  la  charité 
sera  parfaite,  s'il  l'aime  autant  qu'il  en  est  capable, 
ainsi  qu'on  va  l'expliquer. 

1.  2a.  2s,  q.  24.  a.  8, 


—  164  — 

|  H.  De  trois  sortes  de  perfections  de  l'amour  divin1. 

Que  l'homme  aime  Dieu  de  tout  son  pouvoir  et 
autant  qu'il  en  est  capable,  c'est  ce  qui  peut  lui  ar- 
river de  trois  manières  différentes. 

La  première  consiste  à  aimer  Dieu  tellement,  que 
le  cœur  soit  tout  entier  et  toujours  actuellement  porté 
vers  lui,  et  cette  perfection  sera  celle  de  la  patrie; 
elle  n'est  pas  possible  en  cette  vie,  où  l'infirmité 
humaine  ne  permet  point  de  penser  toujours  actuel- 
lement à  Dieu,  ni  de  se  porter  incessamment  vers 
lui  par  le  mouvement  de  l'amour. 

On  pourrait  avoir  besoin  de  rappeler  cette  vérité 
à  certaines  âmes  ambitieuses  et  indiscrètes  qui  veu- 
lent l'impossible. 

Une  seconde  manière  d'aimer  Dieu  parfaitement, 
c'est  que  l'homme  mette  habituellement  en  Dieu  son 
cœur  tout  entier,  de  telle  sorte  qu'il  ne  pense  et  ne 
veuille  rien  de  contraire  à  l'amour  qu'il  doit  à  Dieu, 
et  qu'il  écarte  ainsi  de  son  affection  tout  ce  qui 
détruirait  en  lui  la  charité,  à  savoir,  tout  péché  mor- 
tel. Cette  perfection,  qui  est  de  précepte,  se  trouve  en 
tous  ceux  qui  possèdent  la  charité  et  sont  en  état  de 
grâce  avec  Dieu.  Le  péché  véniel  ne  lui  est  point 
contraire,  parce  qu'il  n'ôte  point  l'habitude  de  la 
charité. 

Il  est  une  troisième  manière  d'aimer  Dieu  parfai- 
tement, qui  occupe  le  milieu  entre  les  deux  autres  : 
elle   consiste  en  ce  que  l'homme  mette  toute  son 

1.  2a  2».  q.  24.  a.  8.,  et  g.  1.84.  a.  2. 


-  165  - 

étude  à  être  par  l'esprit  et  le  cœur  entièrement  à 
Dieu  et  aux  choses  divines,  en  laissant  tout  le  reste. 
autant  que  le  permettent  la  faiblesse  et  la  nécessité 
de  la  vie  présente.  Cette  perfection  de  la  charité  S6 
dégage  donc,  autant  qu'elle  le  peut  ici  bas,  des  choses 
terrestres  même  licites  qui,  en  occupant  l'âme,  empê- 
chent son  mouvement  actuel  vers  Dieu  ;  et  elle 
s* attache  à  exclure  de  l'affection  de  l'homme  jus- 
qu'aux moindres  obstacles  qui  gêneraient  la  direction 
totale  de  son  cœur  vers  le  Bien  divin. 

C'est  à  cette  troisième  perfection  de  la  charité 
que  se  rapportent  les  conseils  évangéliques,  comme 
moyens  de  l'atteindre.  On  peut,  sans  doute,  la  ren- 
contrer dans  une  personne  qui  vit  au  milieu  du 
monde,  on  doit  même  y  exciter  les  âmes  généreu- 
ses ;  mais  le  religieux  possède  dans  son  état  des 
secours  propres  pour  l'obtenir  et  pour  y  faire  des 
progrès  toujours  croisants.  Il  fautencore  ajouterque 
son  état  même  lui  impose  l'obligation  d'y  tendre. 

|  III.  De  la  perfection  de  l'amour  dit in  considérée 
dans  son  acte . 

L'acte  de  charité,  relativement  à  sa  perfection, 
peut  être  considéré  de  deux  manières  :  ou  selon  sa 
nature,  ou  selon  son  degré. 

//  est  parfait  dans  sa  nature,  quand  il  sort  tout 
entier  du  motif  propre  de  la  charité,  sans  mélange 
d'aucun  autre  motif.  C'est  donc  aussi  ce  quon 
appelle  l'acte  du  pur  amour,  où  nous  aimons  Dieu 
uniquement  pour  lui-même.  Cette  charité,  quoique 
parfaite,  peut  toujours  croître  en  intensité  durant  la 


—  166  — 

vie  présente,  de  manière  que  les  actes  en   soient 
d'une  perfection  toujours  plus  haute. 

L'acte  de  charité  sera  imparfait  dans  sa  nature,  si 
l'on  aime  Dieu  pour  quelque  autre  bien  que  lui- 
même,  comme  ses  bienfaits  ou  ses  récompenses.  Ces 
motifs  inférieurs  ne  suffisent  point  par  eux-mêmes 
à  produire  l'acte  de  parfaite  charité;  mais  ils  y 
disposent  notre  cœur  :  de  sorte  que,  par  leur  considé- 
ration, nous  arrivons  facilement  à  aimer  Dieu  pour 
sa  bonté  même  qu'ils  nous  manifestent;  et  il  n'est 
pas  jusqu'aux  châtiments  qu'il  inflige  ou  dont  il 
menace,  qui  ne  puissent  nous  disposer  à  l'acte  de 
charité,  lorsque  c'est  en  nous  réfugiant  dans  le  sein 
de  sa  miséricorde  que  nous  voulons  échapper  à  sa 
justice1. 

L'acte  de  charité  est  parfait  selon  le  degré,  quand, 
sans  être  parfaitement  pur  dans  sa  nature,  il  fait 
cependant  préférer  Dieu  à  tout  autre  bien,  et  qu'ainsi 
on  l'aime  pratiquement  plus  que  toutes  choses.  La 
marque  nécessaire  et  la  preuve  de  cette  charité  est 
l'observation  des  commandements,  allant  au  moins 
jusqu'à  éviter  le  péché  mortel,  selon  ces  paroles  du 
Seigneur  :  «  Si  vous  m'aimez,  gardez  mes  pré- 
ceptes 2  » . 

L'acte  de  charité  est  imparfait  selon  le  degré,  et 
insuffisant  pour  le  salut,  lorsque  l'on  aime  pratique- 
ment quelque  chose  plus  que  Dieu  ou  autant  que  lui. 
La  charité  parfaite  en  sa  nature  est  celle  que  la 
théologie  appelle  affective  summa,  suprême  du  côté 

1.  2a.  2œ  q.  27.  a.  3. 

2.  tSi  diligitis  me,  mandata  mea  servate.  JOAN,  14. 


—  167  — 

de  l'affection  ;  et  la  charité'  parfaite  en  son  degré  est 
celle  qui  est  dite  appréciative  summa,  suprême  du 
côté  de  l'appréciation. 

Pour  que  l'acte  de  charité  justifie  hors  du  sacre- 
ment un  homme  tombé  dans  le  péché  mortel,  il  faut, 
avec  le  désir  du  sacrement,  que  la  charité  soit  par- 
faite non-seulement  selon  son  degré,  mais  encore 
selon  sa  nature.  Néanmoins,  c'est  là  une  vérité  bien 
consolante  :  car,  s'il  arrive  parfois  à  la  fragilité 
humaine  de  faire  une  chute,  on  a,  grâce  à  la  divine 
miséricorde,  un  moyen  prompt  de  retrouver  son 
amitié,  en  attendant  que  l'on  puisse  recevoir  le 
sacrement;  et  cet  acte  de  charité  parfaite  n'est  p  ts 
aussi  difficile  que  plusieurs  le  pensent,  surtout  pour 
une  âme  vraiment  chrétienne  qui  demande  à  Dieu 
cette  grâce  par  une  ardente  prière. 

Il  y  a  eu  des  hommes  qui  ont  prétendu  que 
l'amour  divin,  pour  être  l'amour  pur,  doit  se  porter 
vers  Dieu  considéré  comme  le  souverain  bien  en 
lui-même,  sans  aucune  relation  avec  nous  :  de 
sorte,  disaient-ils,  que  celui  qui  aime  en  Dieu 
son  propre  bien,  n'a  plus  pour  lui  qu'un  amour 
intéressé  qui  n'est  point  le  pur  amour.  Ces  hommes 
n'ont  pas  compris  ce  que  c'est  qu'aimer  Dieu  :  en 
effet,  puisque  l'objet  propre  de  l'amour  est  2e  bien 
ou  ce  qui  est  bon,  et  que  notre  cœur  ne  peut  s'atta- 
cher qu'à  ce  que  nous  avons  reconnu  bon  pour  nous, 
ne  s'ensuit-il  pas  manifestement  qu'aimer  Dieu  c'est 
essentiellement  se  complaire  en  lui  et  y  trouver  son 
bien?  a  Qu'est-ce  qu'aimer  Dieu  gratuitement? 
s'écrie  saint  Augustin.  C'est  l'aimer  lui-même  pour 


—  1(58  — 

lui-môme,  et  non  pour  autre  chose  '  j.  —  Et  saint 
Alphonse  de  Liguori  :  «  Le  désir  de  posséder  Dieu 
est  l'acte  propre  de  la  charité,  et  même  le  plus  par- 
fait de  tous,  puisque  la  possession  de  Dieu  est  la 
charité  consommée2  ». 


|  IV.  Exposition  du  grand  commandement 
de  la  charité 3. 

«  Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout 
votre  cœur,  de  tout  votre  esprit,  de  toute  votre  âme 
et  de  toutes  vos  forces4.  C'est  là  le  très-grand  et  le 
premier  commandement 5.   » 

L'Ange  de  l'École  est  ici  d'une  précision  et  d'une  plé- 
nitude admirables  pour  montrer  dans  la  pratique  cette 
triple  perfection  de  la  charité  qu'on  vient  de  voir;  et  le 
religieux  remarquera  que  c'est  selon  la  troisième  qu'iJ 
doit  se  faire  l'application 'du  grand  commandement. 

L'amour  divin  est,  comme  nous  lavons  dit,  un 
mouvement  de  la  volonté,  et  c'est  elle  qui  est  dési- 
gnée ici  par  le  mot  cœur  :  car,  de  même  que  l'organe 
corporel  du  cœur  est  le  principe  de  tous  les  mou- 
vements de  la  vie  animale,  ainsi  la  volonté,  surtout 
quant  à  la  tendance  vers  la  lin  dernière  qui  est  son 


1.  Quid  est  gratuitum?  Ipse  propter  se,  et  non  propter 
alind. 

2.  Desiderium  possidendi  Deum  est  actus  proprius  charitatis, 
imo  omnium  perfectissimus  ;  quia  possessio  Dei  est  charitas 
consummata. 

3.  2a  2ae.  q.  44.  a.  5. 

4.  Diliges  Dominum  Deum  tuum  ex  toto  corde  tuo,  ex  tota 
mente  tua,  ex  tota  anima  tua,  et  ex  tota  fortitudine  tua. 
Deuter.  6. 

6.  Hoc  est  maximum  et  primum  mandatum.  Matth.  22. 


—  169  — 

objet  propre,  est  le  principe  de  tous  les  mouvements 
de  l'âme  et  de  la  vie  spirituelle.  Il  faut  bien  observer 
et  retenir  ceci,  que  le  mot  cœur,  quand  on  parle  de 
l'amour  divin,  est  une  expression  métaphorique  qui 
ne  sert  qu'à  exprimer  la  volonté  et  ses  affections  ;  il 
ne  s'agit  donc  point  alors  de  l'appétit  inférieur  ni 
de  ses  émotions  sensibles. 

C'est  pourquoi  le  grand  précepte  de  la  charité 
s'adresse  avant  tout  à  la  volonté,  puisque  là  est  le 
principe  de  tous  les  mouvements  de  notre  âme.  Et 
en  effet,  dès  que  Dieu  possède  la  volonté,  il  tient 
déjà  tout  le  reste  de  l'homme  :  de  là  vient  qu'il  dit 
lui-même  à  chacun  de  nous  :  «  Mon  fils,  donne-moi 
ton  cœur  l  »,  c'est-à-dire  ta  volonté. 

Mais  il  y  a  dans  l'homme  trois  autres  principes  de 
ses  actes  qui  sont  placés  sous  le  commandement  et 
l'impulsion  de  la  volonté  :  le  premier  est  l'entende- 
ment, exprimé  ici  par  le  mot  esprit,  mens;  le  second 
est  l'appétit  inférieur  et  sensitif,  rendu  par  le  mot 
âme,  anima,  parce  qu'en  effet  l'Écriture  s'en  sert 
fréquemment  pour  signifier  la  vie  animale  ;  le  troi- 
sième est  la  force  motrice  qui  exécute  par  nos  mem- 
bres les  actions  extérieures,  et  cette  force  d'exécu- 
tion est  rendue  par  les  mots  puissance,  vertu,  forces, 
fortitudo,  ou  virtus,  ou  vires. 

Par  le  grand  commandement  de  la  charité  il  nous 
est  donc  ordonné  :  1°  de  porter  vers  Dieu  toute 
notre  intention  et  tous  les  mouvements  de  notre 
volonté  :  ce  qui  est  l'aimer  de  tout  notre  cœur  ;  et 

1.  Praebe.  fili  mi,  cor  tuum  mihi.  Prov.  23. 

5** 


—  170  — 

voilà  qui  embrasse  l'universalité  de  nos  affections 
intérieures  et  libres  ; 

2°  D'assujettir  totalement  à  Dieu  notre  intel- 
ligence et  notre  raison  :  ce  qui  est  Yaimer  de  tout 
notre  esprit  ;  là  se  trouve  renfermé  l'hommage  de 
la  foi  et  de  tout  ce  qui  tient  à  nos  pensées,  à  nos 
appréciations  et  à  nos  jugements  ; 

3°  De  faire  en  sorte  que  notre  appétit  inférieur 
soit  réglé  selon  Dieu  :  ce  qui  est  Yaimer  de  toute  notre 
âme  ;  et  voilà  notre  devoir  par  rapport  à  la  sensi- 
bilité, à  la  mémoire  et  à  l'imagination  ;  remarquez  la 
justesse  du  mot  reguletur  :  la  volonté,  pour  modérer 
autant  qu'il  dépend  d'elle  l'appétit  inférieur  et  ses 
passions,  doit  tenir  le  frein  selon  la  règle  de  la  droite 
raison  ; 

4°  Enfin,  de  veiller  à  ce  que  toutes  nos  actions 
extérieures  soient  l'exécution  fidèle  de  la  volonté  de 
Dieu  :  ce  qui  est  Yaimer  de  toute  notre  puissance,  ou 
de  toute  notre  vertu  ou  de  toutes  nos  forces.  Ici  est 
contenue  cette  totalité  qui  embrasse  les  œuvres  du 
service  de  Dieu,  soit  lorsqu'il  commande,  soit  lors- 
qu'il invite  et  conseille  seulement. 

Yoilà  comment  la  perfection  tout  entière  se  trouve 
dans  le  grand  précepte  de  la  charité. 

Mais,  poursuit  saint  Thomas  ',  il  ne  sera  parfai- 
tement accompli  que  dans  la  patrie  ;  et,  ici-bas  où 
nous  sommes  sur  la  route,  son  accomplissement 
reste  toujours  imparfait  :  car  accomplir  parfaitement 


1.  2a  2»,  q.  44.  a.  6.  Ce  texte  donne  une  réfutation  des  Jan- 
sénistes et  répond  à  leurs  accusations  contre  les  docteurs  cathu- 
liques  sur  cette  matière  de  la  rhnrïté. 


—  171  — 

le  précepte,  c'est  atteindre  la  fin  que  se  proposait 
celui  qui  l'a  imposé.  Toutefois  on  l'accomplit  aussi, 
quoique  imparfaitement,  lorsque,  sans  atteindre  en- 
core la  fin  du  législateur ,  on  ne  s'écarte  point  de 
l'ordre  qui  mène  à  la  fin.  Ainsi,  quand  un  général 
d'armée  commande  l'attaque  de  l'ennemi  à  ses  sol- 
dats, ceux-là  remplissent  parfaitement  l'ordre  donné, 
qui  combattent  de  manière  à  vaincre  réellement,  ce 
qui  est  la  fin  que  se  propose  le  général.  Mais  ceux 
qui  en  combattant  n'arrivent  pas  jusqu'à  la  vic- 
toire remplissent  néanmoins  aussi,  quoique  impar- 
faitement, Tordre  donné,  dès  lors  qu'ils  ne  font  rien 
contre  la  discipline  militaire. 

Il  en  est  de  même  de  l'accomplissement  du  grand 
précepte.  Dieu,  en  l'imposant  à  l'homme  sur  la  terre, 
a  sans  doute  l'intention  qu'il  s'unisse  pleinement  et 
totalement  à  lui  :  ce  qui  aura  lieu  dans  la  patrie, 
lorsque,  selon  l'expression  de  l'Apôtre,  «  toutes 
choses  lui  seront  tellement  assujetties,  qu'il  sera 
tout  en  tous1  ».  Et  néanmoins  il  ne  l'impose  pas 
vainement  à  ceux  qui  sont  encore  dans  la  voie, 
quoique  nul  d'entre  eux  ne  puisse  alors  en  atteindre 
la  perfection  :  car,  dit  saint  Augustin,  «  on  ne 
court  pas  comme  il  faut,  si  l'on  ignore  le  but  vers 
lequel  il  faut  courir  ;  et  comment  saurait-on  quel 
est  ce  but,  si  aucun  précepte  ne  venait  le  mon- 
trer ?  2  » . 


1. 1.  Cor.  15. 

2.  Non  enim  recte  enmtur,  si  qno  currendum  est  nesciatur. 
Quomodo  auteni  sciretur .  si  nuïlis  praeceptis  ostenderetur  \ 
Lib.  de  perfectione  juàtiti.a. 


—  172  — 

§  V.  D'une  certaine  totalité  relativement  à  l'amour 
divin. 

Quoique  rien  ne  manque  dans  ce  qui  vient  d'être 
exposé  pour  bien  caractériser  la  perfection  de  l'a- 
mour divin,  on  peut  cependant  la  considérer  encore 
sous  une  face  propre  à  lui  donner  un  nouveau  jour. 
La  charité,  pour  être  parfaite,  sans  que  rien  n'y 
manque,  doit  embrasser  une  certaine  totalité  ou 
universalité,  qui  s'étende  à  tout  ce  qui  est  de  Dieu, 
et  à  tout  ce  qui  appartient  à  Dieu. 

Et  ici  quel  vaste  champ  s'ouvre  à  nos  regards 
pour  l'exercice  du  saint  amour  !  Et  qui  doit  s'élancer 
dans  cette  carrière  avec  plus  d'ardeur  que  ceux  qui 
sont  dans  l'état  de  perfection  ?  Pour  aimer  Dieu  par- 
faitement et  totalement,  il  faut  donc  non-seulement 
aimer  Dieu  en  lui-même,  la  bonté  par  essence,  les 
trois  personnes  divines  et  chacun  des  attributs  in- 
finis de  l'Être  divin,  mais  enGore  toutes  les  opéra- 
tions divines  dans  l'univers.  Il  faut  aimer  le  Dieu 
incarné,  Jésus-Christ  Notre-Seigneur ,  sa  vie,  ses 
mystères,  son  nom,  sa  gloire,  sa  mère,  ses  saints, 
etc.  ;  il  faut  aimer  tout  ce  que  fait  sa  Provi- 
dence dans  l'ordre  naturel  et  surnaturel,  spéciale- 
ment en  nous  et  sur  nous  ;  enfin,  il  faut  aimer  Dieu 
dans  toutes  ses  créatures,  surtout  dans  les  hommes 
ses  enfants,  qu'il  appelle  notre  prochain,  et  au  sujet 
desquels  il  a  voulu,  par  une  attention  spéciale,  nous 
imposer  un  second  commandement  qu'il  déclare  sem- 
blable au  premier  l. 

1,  Secundum  autem  simile  est  huic.  Matth.  22» 


-  173  - 


SECTION  IV.  —  DES  EFFETS  DE   L'AMOUR  DIVIN, 

Les  effets  du  saint  amour  sont  de  deux  espèces  : 
les  uns  qu'il  produit  à  l'intérieur  de  l'âme,  les  au- 
tres qui  le  manifestent  dans  les  actions  extérieures, 

§  I.  Les  effets  intérieurs  de  V amour  divin  l. 

1°  Son  effet  le  plus  immédiat,  quand  il  se  trouve 
dans  une  âme,  est  d'y  produire  de  saintes  affections, 
comme  le  propre  du  feu  est  de  causer  de  la  chaleur. 
Mais  nous  avons  déjà  montré  que  ces  affections  sont 
proprement  celles  de  la  volonté,  qui  étant  libre 
peut  toujours  les  produire,  même  en  l'absence  des 
affections  sensibles.  Ajoutons  que  pour  juger  de 
leur  intensité  il  ne  faut  pas  les  comparer  avec  les 
autres  mouvements  de  l'amour  naturel  et  humain, 
comme  par  exemple  de  l'amour  maternel ,  parce 
que  l'amour  de  Dieu  étant  d'un  ordre  tout  différent, 
son  affection  peut  être  vraie  et  même  plus  intense 
sans  avoir  la  même  véhémence  sensible. 

2°  L'amour  divin  cause  la  joie  :  car  la  joie  provient 
de  l'amour,  soit  lorsqu'on  jouit  du  bien  qu'on  aime, 
soit  lorsqu'on  voit  un  ami  jouir  de  son  bien  propre. 

La  joie  principale  de  la  charité  est  celle  qui  se 
réjouit  du  Bien  divin,  ou  du  bonheur  que  Dieu 
possède  lui-même.  Et  cette  joie  en  nous  est  incom- 
patible avec  la  tristesse,  de  même  que  le  bien  dont 
elle  se  réjouit  ne  peut  être  mélangé  d'aucun  mal. 

1.  2a  2ae.  q.  28,  29. 


—  174  — 

C'est  pourquoi  l'Apôtre  nous  dit  :  «  Réjouissez-vous 
toujours  dans  le  Seigneur  *  »,  et  c'est  en  effet  ce  que 
nous  pouvons  toujours  faire,  quels  que  soient  les 
maux  qui  nous  atteignent  en  cette  vie.  Les  saints 
nous  en  fournissent  mille  et  mille  exemples. 

Une  autre  joie  de  la  charité  est  celle  par  laquelle 
on  se  réjouit  du  bien  divin,  selon  qu'on  y  participe. 
Or  ,  le  juste,  même  dès  ce  monde,  participe  à  ce 
bien  :  car,  dit  saint  Jean  :  «  Celui  qui  demeure  dans 
la  charité  demeure  en  Dieu,  et  Dieu  en  lui*  ».  Et 
telle  est  la  source  de  cette  joie,  que  rien  n'est  capa- 
ble de  la  lui  ôter.  Cependant  la  tristesse  peut  se 
mêler  à  cette  seconde  joie  de  la  charité,  à  raison  des 
obstacles  qui  nous  empêchent  ici-bas,  nous  ou  ceux 
que  nous  aimons  comme  nous-mêmes,  de  participer 
au  Bien  divin  ;  ces  obstacles  sont  les  péchés,  les  in- 
firmités spirituelles,  les  périls  de  la  vie  et  le  délai 
de  la  parfaite  possession  dans  le  ciel. 

3°  L'amour  divin  cause  la  paix.  Saint  Augustin 
définit  la  paix  :  la  tranquillité  de  l'ordre.  Or,  l'or- 
dre au  dedans  de  nous-mêmes  est  souvent  en  danger 
d'être  troublé,  soit  par  les  inclinations  de  la  chair 
qui  combat  contre  l'esprit,  soit  par  celles  de  la  vo- 
lonté, lorsqu'elle  se  porte  vers  divers  objets  qu'elle 
ne  peut  atteindre  simultanément.  La  paix  consiste 
donc  à  mettre  d'accord  toutes  ces  tendances  et  à  les 
faire  reposer  dans  l'ordre.  Et  c'est  là  un  effet  pro- 
pre de  la  charité  :  car  ,  en  aimant  Dieu  plus  que 
toutes  choses,  elle  donne  à  l'âme  le  moyen  de  rap- 

1.  Gaudete  in  Domino  semper.  Philip.  4. 

2.  Qui  manet  in  charitate,  in  Deo  marict,  et   Deus   in  eo. 

I.  JOAN.  4. 


-  17o  — 

porter  tout  à  lui,  et  de  faire  marcher  ainsi  toutes 
ses  puissances  vers  un  seul  et  même  but. 

4°  L'amour  divin  cause  l'union  avec  Dieu,  et  cela 
de  deux  manières  :  la  première  est  selon  l'affection 
du  cœur  ;  et  c'est  l'amour  même  qui  est  formelle- 
ment cette  union  et  ce  nœud,  puisqu'il  consiste 
précisément  à  s'attacher  à  Dieu.  La  seconde  union, 
qui  est  l'effet  de  la  première,  se  fait  par  le  rappro- 
chement réel  des  amis,  parce  que  l'amour  nous 
porte  à  rechercher  la  présence  de  son  objet,  comme 
d'un  bien  qui  nous  plaît  et  nous  appartient.  Ainsi, 
celui  qui  aime  Dieu  véritablement  n'omet  rien  pour 
qu'il  lui  soit  présent  de  toutes  les  façons  possibles  : 
par  les  communications  dans  la  prière,  par  la  sainte 
communion  et  l'assiduité  à  le  visiter  dans  son  sacre- 
ment, par  le  recueillement  et  l'exercice  de  la  pré- 
sence de  Dieu,  enfin  par  le  fréquent  désir  d'être  au 
plus  tôt  avec  lui  parfaitement  dans  son  royaume. 

5°  L'amour  divin  va  jusqu'à  causer  entre' Dieu  et 
l'âme  une  compp'nétration  mutuelle,  selon  ce  que  dit 
1  Apôtre  bien-aimé  :  «  Celui  qui  demeure  dans  la 
charité  demeure  en  Dieu,  et  Dieu  en  lui  4.  »  Et 
voici  comment  saint  Thomas  explique  cet  admi- 
rable effet  de  la  charité. 

La  compénétration  mutuelle  a  lieu  tant  pour 
l'entendement  que  pour  la  volonté.  Car  :  1°  Dieu 
demeure  dans  l'entendement  de  celui  qui  l'aime , 
en  ce  que  la  pensée  de  celui-ci  est  pleine  de  son 
Dieu  ;  et  lui-même  demeure  dans    l'entendement 


1.  Deu s  chantas  est  et  qui  manet  in  charitate,  in  Deo  manct, 
et  Densin  eo.  I.  Joax.  4. 


—  176  — 

divin,  en  ce  que,  non  content  d'une  connaissance 
de  Dieu  pour  ainsi  dire  superficielle,  il  pénètre  à 
l'intérieur  et  s'efforce  par  la  méditation  d'atteindre 
autant  qu'il  en  est  capable  les  pensées  divines,  comme 
il  est  écrit  du  Saint-Esprit  qui,  parce  qu'il  est  l'amour 
infini',  «  scrute  tout,  même  les  profondeurs  de 
Dieu  l  ».  2°  Dieu  demeure  dans  la  volonté  qui  l'aime, 
en  ce  qu'il  est  dans  ses  affections,  soit  qu'elle  se  ré- 
jouisse en  lui  des  biens  qu'il  possède,  soit  qu'elle 
désire  elle-même  le  posséder,  soit  qu'elle  tâche  de 
lui  procurer  la  gloire  qu'elle  lui  veut.  Et  la  volonté 
qui  aime  demeure  dans  celle  de  Dieu,  en  ce  qu'elle 
se  montre  inviolablement  unie  à  cette  aimable  vo- 
lonté par  la  pleine  conformité  de  ses  affections,  de 
ses  désirs,  de  ses  projets,  de  ses  déterminations 
et  de  tous  ses  actes. 

|  II.  Les  effets  extérieurs  de  Vmiour  divin. 

1°  L'amour  produit  les  œuvres. 
La  charité  est  un  amour  d'amitié  dont  le  mou- 
vement intérieur  est  de  vouloir  du  bien  à  celui 
qu'on  aime.  De  là  M  suit  que  &a  nature  est  d'être 
libéral ,  et  il  n'a  pas  besoin  qu'on  le  stimule  pour 
se  produire.  «  Après  que  l'homme,  dit  le  sacré 
Cantique,  aura  donné  tout  ce  que  renferme  sa  mai- 
son pour  satisfaire  à  son  amour,  il  comptera  pour 
rien  ce  qu'il  aura  fait 2  .  » 

La  charité  est  une  amitié  entre  Dieu  et  l'homme, 

1.  Spiritus  omnia  scrutatur,  etiam  profunda  Dei.  I.  Cor.  2. 

2.  Si  dederit  homo  omnem  substantiam   dormis  suée  pro  di- 
lectione,  quasi  nihil  despiciet  eam.  Cantic.  8. 


—  177  — 

c'est-à-dire  qu'elle  ne  crée  pas  seulement  entre  eux 
une  mutuelle  inclination  des  coeurs,  mais  encore 
une  bienveillance  mutuelle,  et  une  volonté  ardente 
et  profonde  de  se  faire  la  communication  réciproque 
de  leurs  biens.  Voilà  pourquoi  les  œuvres  sont  né- 
cessaires de  part  et  d'autre  pour  fonder,  fortifier  et 
constater  cette  amitié. 

Or,  voyez  comment  le  divin  Ami  vous  a  montré  la 
réalité  de  son  amour.  Comptez-en,  si  vous  le  pou- 
vez, les  preuves  dans  l'ordre  de  la  nature  et  dans 
celui  de  la  grâce.  Entrevoyez  même  par  la  pensée 
tout  ce  qu'il  veut  faire  encore  pour  vous  dans  l'ordre 
de  la  gloire.  Mais,  après  avoir  ainsi  reconnu  plei- 
nement, par  l'esprit  et  le  cœur,  la  part  que  met 
votre  Dieu  dans  son  amitié,  considérez  aussi  celle 
qu'il  est  de  toute  justice  que  vous,  l'autre  ami, 
mettiez  en  retour,  lui  donnant  tout  ce  que  vous 
avez  et  tout  ce  que  vous  êtes. 

Quelles  sont  les  œuvres  où  la  charité  mérite  da- 
vantage? Sont-ce  les  plus  laborieuses  et  les  plus 
difficiles?  Saint  Thomas  répond  l  qu'une  œuvre 
peut  être  laborieuse  et  difficile  de  deux  manières  : 
l'une,  à  raison  de  la  grandeur  de  l'acte  ;  l'autre, 
par  la  faute  de  celui  qui  l'opère.  Dans  le  premier 
cas,  le  travail  accroît  le  mérite;  mais  il  appartient 
à  l'amour  de  diminuer  ce  travail  sans  cependant 
que  le  mérite  soit  amoindri.  Dans  le  second  cas, 
chacun  trouve  laborieux  et  difficile  ce  qu'il  ne  fait 
pas  d'une  prompte  volonté;  et  la  peine  alors,  au 
lieu  d'augmenter  le  mérite  de  l'œuvre,  a  pour  effet 

1.  la  2».  q.  114.  a.  4. 


—  178  — 

de  le  diminuer;  mais  il  appartient  à  l'amour  d'ôter 
ou  d'alléger  le  travail.  Cette  double  leçon  est 
très-digne  d'être  méditée,  et  l'application  en  est 
facile  et  fréquente. 

2.  L'amour  divin  produit  le  zèle  l. 

Qu'est-ce  que  le  zèle?  C'est  proprement  l'effort 
que  fait  celui  qui  aime,  pour  repousser  et  détruire 
tout  obstacle  contrariant  son  amour. 

En  général,  plus  l'âme  tend  fortement  vers  un 
objet,  plus  aussi  elle  s'efforce  d'écarter  les  choses 
qui  l'arrêtent.  Mais  cela  est  vrai  surtout  de  l'amour, 
qui,  à  mesure  qu'il  grandit,  repousse  avec  plus 
d'énergie  tout  ce  qui  lui  est  contraire,  à  savoir, 
tout  ce  qui  l'entrave  dans  la  poursuite  ou  la  jouis- 
sance du  bien  qu'il  aime,  et  tout  ce  qui  s'oppose 
au  bien  de  son  ami.  Que  si  le  zèle  ne  peut  parvenir 
à  repousser  l'obstacle,  il  souffre  et  il  gémit. 

L'exercice  du  zèle  des  âmes  est  en  même  temps 
celui  du  zèle  de  la  gloire  de  Dieu:  car  la  grande 
gloire  de  Dieu  est  d'être  connu  et  aimé  de  ses  créa- 
tures raisonnables,  et  la  grande  pratique  de  la 
charité  envers  le  prochain  est  de  lui  faire  connaître 
son  bien  suprême  et  de  l'aider  à  s'en  assurer  l'éter- 
nelle jouissance. 

SECTION  V.   —  DU  SECOND  OBJET   DE  LA   CHARITÉ,   OU  DE 
L'AMOUR  DU  PROCHAIN. 

|  I.  Du  motif  de  la  charité  envers  le  prochain  2. 
1°  De  ce  que  la  raison  d'aimer  notre    prochain 

1.  2a  2œ.  q.  28.  a.  4. 

2.  2a  2».  q.  25.  a.  1. 


—  179  — 

est  l'amour  même  que  nous  devons  à  Dieu,  il  s'en- 
suit que  la  charité  embrasse  aussi  l'amour  du  pro- 
chain. En  effet,  nous  sommes  obligés  d'aimer   ce 
qui  est  de  Dieu  dans  notre  prochain,  savoir,  les  dons 
de  la  nature  et  de  la  grâce  qu'il  a  mis  en  lui,  et 
d'aimer  le  prochain  pour  qu'il  soit  lui-même  à  Dieu 
et  en  Dieu,  par  la  grâce  en  cette  vie  et  par  la  gloire 
en  l'autre.  D'où  il  est  manifeste  que  l'acte  par  le- 
quel nous  aimons  Dieu  et  le  prochain  est,   selon 
l'espèce,  le  même  acte  de  charité:  et  c'est  ce  que 
l'apôtre  saint  Jean  enseigne  aux  chrétiens  :    «  Nous 
avons  de  Dieu  ce  commandement  que  celui  qui  aime 
Dieu  doit  aimer  aussi  son  frère1  » .  Un  amour  du  pro- 
chain qui  n'aurait  point  Dieu  pour  motif  serait  par 
cela  seul  inutile  au  salut  ;  et  il  deviendrait  coupable, 
s'il  se  portait  sur  le  prochain  comme  sur  sa  fin  prin- 
cipale, ou  avec  détriment  de  l'amour  de  Dieu. 

Tel  est  donc  le  grand  principe  de  la  charité  frater- 
nelle. Comme  il  importe  aux  chrétiens,  spéciale- 
ment aux  religieux,  de  s'en  bien  pénétrer!  Et  que 
nous  avons  besoin  d'y  revenir  fréquemment,  puis- 
que l'amour-propre  nous  le  fait  oublier  sans  cesse  ! 
2°  Ace  sujet  saint  Thomas  se  propose  une  question 
qui  peut  sembler  étrange  au  premier  coup  d'œil  ; 
mais  elle  appelle  une  réponse  où  se  trouvent  plu- 
sieurs leçons  fort  utiles  2. 

Est-il  plus  méritoire  d'aimer  Dieu  que  d'aimer  le 
prochain  ? 


1.  Hoc    mandatum    habemus  a  Deo,  ut  qui  diligit  De  mu, 
diligat  et  Erafcreni  rarnn.  I,  Jua^,  1, 

2.  2a2ae.  €[.  27.  a,  S. 


—  180  — 

Je  répond?,  dit-il,  que  si  l'on  considère  séparé- 
ment l'un  ou  l'autre  amour,  il  est  hors  de  doute  que 
l'amour  divin  est  plus  méritoire  :  car  la  récompense 
lui  est  due  pour  lui-même,  puisque  la  suprême  et 
dernière  récompense  sera  de  jouir  de  Dieu  vers 
lequel  tend  le  mouvement  de  cet  amour. 

Mais  si  l'on  prend  l'amour  divin  selon  qu'une  per- 
sonne s'applique  à  l'exercer  exclusivement,  à  l'a- 
mour du  prochain  selon  qu'elle  s'applique  à  l'aimer 
pour  Dieu,  alors  l'amour  du  prochain  renferme  l'a- 
mour de  Dieu,  tandis  que  l'amour  de  Dieu  ne  ren- 
ferme point  l'amour  du  prochain.  D'où  il  y  aura  com- 
paraison du  parfait  amour  de  Dieu,  lequel  s'étend 
jusqu'au  prochain,  avec  l'amour  de  Dieu  imparfait, 
parce  que,  comme  nous  a  dit  le  saint  Apôtre,  «  nous 
avons  de  Dieu  ce  commandement,  que  celui  qui 
aime  Dieu  doit  aimer  aussi  son  frère  »  ;  et  dans  ce 
sens,  l'amour  du  prochain  a  la  prééminence. 

De  là  jaillissent  trois  conséquences  pratiques  :  la 
première,  que  celui-là  se  trompe,  qui  croit  aimer 
Dieu  et  mériter  davantage  en  se  retirant  des  exerci- 
ces de  la  charité  du  prochain,  contrairement  à  sa 
vocation  et  à  son  état,  pour  s'appliquer  plus  à  son 
aise  aux  exercices  de  la  dévotion.  La  seconde,  que 
les  actes  de  l'amour  du  prochain  cependant  ne  reçoi- 
vent leur  mérite  que  de  l'amour  de  Dieu  :  d'où  sort 
la  nécessité,  comme  le  dit  si  bien  saint  Ignace, 
«  de  s'assurer,  avant  d'agir,  si  c'est  vraiment  de 
l'amour  divin  que  descend  cet  amour  qu'on  éprouve 
pour  le  prochain,  en  sorte  que,  dans  la  cause  pour 
laquelle    on   l'aime,    Dieu    apparaisse    manifeste- 


—  181  — 

ment  *  ».  La  troisième  leçon  est  que  cet  amour  du 
prochain  a  un  besoin  essentiel,  pour  qu'il  reste  plein 
de  l'amour  de  Dieu,  qu'on  le  retrempe  fréquemment 
dans  les  exercices  propres  de  l'amour  divin,  qui  sont 
les  exercices  spirituels. 

§  II.  Exposition  du  second  commandement  de  la 
charité 2. 

«  Vous  aimerez  votre  prochain  comme  vous- 
même  3.  »  Les  paroles  de  ce  commandement  signa- 
lent d'elles-mêmes  la  raison  de  l'amour  qui  est  dû 
au  prochain,  et  la  manière  dont  il  faut  l'aimer. 

1°  La  raison  de  l'aimer  se  trouve  dans  le  mot  de 
prochain,  proximus  :  car  voilà  pourquoi  nous  devons 
aimer  tous  les  hommes  de  l'amour  de  charité':  c'est 
qu'ils  sont  très  proche  de  nous,  étant  comme  nous 
les  images  naturelles  de  Dieu,  les  enfants  de  Dieu 
comme  nous,  et  capables  aussi  bien  que  nous  de 
cette  gloire,  en  laquelle  nous  serons  un  jour  trans- 
formés à  jamais  tous  ensemble  dans  le  sein  de  Dieu. 
Et  l'Écriture  emploie  tantôt  le  mot  de  prochain, 
tantôt  celui  de  frère,  tantôt  celui  d'ami,  toujours 
pour  exprimer  la  même  affinité. 

2°  La  manière  d'aimer  notre  prochain  est  exprimée 
par  ces  mots  :  comme  vous-même.  Le  précepte  ne  dit 
donc  pas  qu'on  doit  l'aimer  à  légal  de  soi-même, 


i .  Prima  régula  est,  ut  amor  ille  qui  me  movet,  descendat 
desursum  ex  amore  Dei  Donrini  nostri,  ita  ut  sentiam  primum 
in  me  hune  esse  propter  Deum,  et  in  causa  reluceat  DeuSi 
Exerc.  Spirit.  reg.  pro  eleemosynis. 

2.  2a2ae  q.  44.  a.  7. 

3.  Diliges  proximum  tuum  Bicut  teipsum.  MATTH.  22. 


—  182  — 

mais  semMablement  ;  et  cela  par  trois  endroits  :  pre- 
mièrement, du  côté  du  motif,  aimant  son  prochain 
pour  Dieu,  comme  on  est  obligé  de  s'aimer  ainsi 
soi-même;  et  par  là  l'amour  que  nous  aurons  pour 
les  autres  sera  saint.  Secondement,  du  côté  de  la 
règle,  qui  ne  permet  pas  de  condescendre  au  désir 
d'autrui  pour  le  mal,  mais  seulement  pour  le  bien* 
de  même  qu'on  ne  doit  céder  à  ses  propres  désirs 
que  pour  ce  qui  est  honnête  et  bon  ;  et  par  là  l'amour 
du  prochain  sera  juste.  Troisièmement,  du  côté  de  la 
fin,  c'est-à-dire  qu'il  ne  faut  pas  aimer  ses  frères 
pour  son  propre  intérêt,  mais  en  leur  voulant  du 
bien  comme  on  s'en  veut  à  soi-même;  et  par  là 
l'amour  du  prochain  sera  vrai  :  car  Taimér  pour  son 
profit  ou  son  plaisir,  ce  n'est  pas  aimer  véritablement 
le  prochain,  mais  s'aimer  soi-même. 

§  III.  La  perfection  de  l'amour  du  prochain  *. 

Dans  la  charité  qui  regarde  notre  prochain,  il 
faut  distinguer  deux  sortes  de  perfection  : 

La  première,  sans  laquelle  il  n'y  aurait  pas  même 
de  charité,  veut  que  l'on  écarte  de  son  affection  tout 
ce  qui  par  le  péché  mortel  détruirait  en  soi-même 
l'habitude  de  cette  vertu. 

La  seconde  perfection  s'élève  beaucoup  plus  haut 
et  tient  à  trois  choses  :  à  son  extension,  à  son  inten- 
sité et  à  son  effet  ou  exercice. 

1°  La  charité  du  prochain  sera  parfaite  en  exten- 
sion, si  Ton  aime  non-seulement  ses  proches  et  ses 

1.  2a  2».  q.  1S4.  ù.  2, 


—  183  — 

amis  ,  mais  encore  les  inconnus  et  les  étrangers 
et  ultérieurement  même  ses  ennemis:  car,  dit  saint 
Augustin,  «  c'est  là  le  propre  des  parfaits  enfants  de 
Dieu  *  ». 

Autant  cette  perfection  de  la  charité,  qui  embrasse 
dans  son  affection  tout  homme  sans  exception,  est 
digne  de  la  sainte  ambition  des  religieux,  autant 
elle  demande  d'efforts,  à  raison  des  difficultés  qu'elle 
rencontre.  Le  principal  obstacle  n'est  pas  dans 
les  défauts  ou  les  torts  d'autrui,  c'est  celui  que  nous 
posons  nous-mêmes  en  oubliant  toujours  qu'il  faut 
aimer  le  prochain  pour  Dieu,  et  non  pour  ce  qui 
nous  plaît  en  sa  personne. 

2°  La  charité  du  prochain  sera  parfaite  en  inten- 
sité, si  l'on  est  disposé  à  ne  reculer  devant  aucun 
sacrifice,  quand  il  s'agit  de  lui  prouver  son  amour  ; 
et  c'est  ainsi  que,  pour  le  bien  de  ses  frères,  non- 
seulement  on  méprisera  les  avantages  temporels, 
mais  qu'on  sera  prêt  même  à  supporter  le  travail, 
la  peine,  la  souffrance,  et  ultérieurement  même  la 
mort. 

3°  La  charité  du  prochain  sera  parfaite  dans  son 
effet  ou  son  exercice,  si  l'on  emploie  à  l'avantage 
de  ses  frères,  non-seulement  tous  les  biens  temporels, 
mais  encore  tous  les  biens  spirituels  dont  on  peut 
disposer,  et  ultérieurement,  si  l'on  se  dévoue  et  se 
dépense  soi-même  à  leur  service  comme  le  faisait  le 
grand  Apôtre  2. 

Telle  est  la  charité  fraternelle  dans  tous  ceux  qui 

1.  Hoc  est  perfectorum  filiorum  Dei. 

2.  Ego  autem  libentissime  impendam,  et  superimpendar  ipse 
pro  aniniauus  vegtris.  Il  Cor.  12. 


—  184  — 

consacrent  au  bien  du  prochain  leur  existence  et 
leur  vie;  et  cette  perfection  est  propre  à  un  grand 
nombre  d'instituts  religieux  ,  où  elle  devient  un 
devoir  et  le  mérite  singulier  de  chacun  de  leurs 
membres. 

SBCTION  VI.     —    DES    ACCROISSEMENTS      DE    LA    CHABITÉ 
DANS  NOS  AMES. 

§  I.  De  qui  dépendent  ces  accroissements 1  ? 

\o  La  charité  est  une  vertu  qui  ne  peut  avoir  que 
Dieu  pour  auteur  :  car  c'est  une  habitude  surnatu- 
relle, destinée  à  perfectionner  la  volonté  humaine, 
pour  la  rendre  capable  de  produire  les  actes  de 
l'amour  surnaturel,  et  de  les  produire  avec  toujours 
plus  de  promptitude  et  de  facilité.  De  plus,  la  charité 
en  nous  est  une  participation  de  la  charité  infinie  de 
Dieu  même:  en  sorte  qu'il  n'appartient  qu'au  Saint- 
Esprit  de  la  créer  et  de  la  répandre  dans  les  cœurs  2. 
De  là  vient  que  nous  appelons  Dieu  la  vie  de  notre 
âme  dans  Tordre  surnaturel  :  non  pas  qu'il  en  soit 
la  vie  formelle,  mais  parce  que  le  Saint-Esprit  y 
met  la  charité,  laquelle  est  formellement  cette  vie, 
comme  l'âme  est  la  vie  du  corps.  Enfin,  parce  que  la 
charité  a  un  effet  infini,  en  ce  qu'elle  a  la  force  de 
justifier  le  pécheur,  de  l'unira  Dieu  et  de  lui  mériter 
la  béatitude  éternelle,  il  est  manifeste  qu'il  faut  une 
vertu  infinie  pour  la  faire  naître  dant  nos  âmes. 


1.  2a  2se  q.  23,  a.  2,  et  q.  21.  a.  2  et  3. 

2.  Charitas  Dei  diffusa  est  in  cordibus   nostris   per  Sphitum 
sanctum  qui  datus  est  nobis.  Eom.  5* 


—  185  — 

De  même,  donc,  qu'il  n'était  nullement  au  pouvoir 
de  Thomme  d'acquérir  la  charité,  ainsi  elle  ne  peut, 
quanta  sa  mesure  et  à  ses  accroissements,  dépendre 
ni  de  la  capacité  naturelle,  ni  de  la  vertu  humaine. 
C'est  au  Saint-Esprit  de  l'augmenter,  comme  de  la 
produire  dans  une  âme,  selon  ce  qui  est  écrit  : 
a  L'esprit  souffle  où  il  veut  ■  »  ;  et  encore  :  «  Il  par- 
tage ses  dons  dans  la  mesure  qui  lui  plaît 2  ». 

2°  Ilestvrai,  cependant,  que,  pour  recevoir  soit  la 
première  infusion,  soit  les  accroissements  de  la  cha- 
rité, Dieu  demande  notre  préparation  et  nos  efforts, 
et  c'est  le  sens  de  ces  paroles  du  Seigneur  :  «  Il 
confia  ses  biens  à  ses  serviteurs,  donnant  à  chacun 
d'eux  selon  sa  propre  vertu  3  ».  Mais  cette  prépara- 
tion et  ces  efforts,  la  foi  nous  enseigne  que  le  Saint- 
Esprit  les  prévient  encore,  excitant  plus  ou  moins 
notre  volonté  selon  son  bon  plaisir:  de  sorte  que 
c'est  lui  toujours  qui,  selon  l'expression  de  l'Apôtre, 
«  nous  fait  dignes  d'entrer  en  partage  avec  les 
saints  *  ». 

3°  De  là  il  faut  conclure,  en  premier  lieu,  que  pour 
accroître  en  nous  la  charité  et  par  conséquent  la  per- 
fection, le  moyen  est  le  même  que  lorsqu'il  s'agit  de 
l'acquérir  et  de  la  conserver,  c'est-à-dire  qu'il  faut 
nous  adresser  à  Dieu  par  la  prière  ;  en  second  lieu, 
que  nous  devons  y  mettre  aussi  notre  part  avec  le 
secours  de  sa  grâce,  en  écartant  .les  obstacles  et  en 


1.  Spiritus  ubi  vult  spirat.  JoAN.  3. 

2.  Orunia  operatur  unus  atque  idem  Spiritus,  dividens  singu- 
lis  prout  vult.  I  Cor.  12. 

3.  Tradidit  illis   bona  sua...  unicuique  secundum  propriam 
virtutem.  Matth.  25. 

4.  Digno3  nos  fecit  in  partem  sortis  sanctorum.   Coloss.  1. 


—  188  — 

coopérant  à  l'action  du  Saint-Esprit.  Et  plût  à  Dieu 
que  notre  coopération  fût  toujours  ce  qu'elle  pour- 
rait et  ce  qu'elle  devrait  être  !  «  Il  y  a  bien  peu 
d'âmes,  disait  saint  Ignace,  qui  soient  complètement 
fidèles  à  valoir  les  dons  qu'elles  reçoivent,  et  qui 
arrivent  au  degré  de  charité  et  de  perfection  où  Dieu 
les  voulait  élever.  » 


§  II.  Quels  sont  les  accroissements  de  la  charité? 

i°  La  charité  s'accroît  dans  notre  âme,  en  ce 
qu'elle  devient  plus  intense  pour  faire  produire  des 
actes  plus  fervents  à  la  volonté  ;  et  quand  Dieu  l'aug- 
mente en  nous,  il  nous  fait  participer  davantage  à 
la  ressemblance  de  l'Esprit-Saint  qui  est  la  charité 
incréée  et  infinie. 

2°  La  charité  peut  croître  en  une  âme  jusqu'à  la 
fin  de  la  vie  présente.  En  effet,  la  raison  pour 
laquelle  on  nous  appelle  des  voyageurs,  c'est  que 
nous  devons  marcher  vers  Dieu,  qui  est  le  dernier 
terme  de  notre  béatitude.  Or,  dans  ce  voyage,  nous 
avançons  d'autant  plus  que  nous  approchons  davan- 
tage de  Dieu,  non,  dit  saint  Augustin,  par  les  pas 
du  corps,  mais  par  les  affections  de  l'âme  ;  et  c'est 
la  charité  qui  nous  approche  ainsi  de  Dieu  en  nous 
attachant  à  lui  de  plus  en  plus.  Il  appartient  donc  à 
la  charité  de  pouvoir  toujours  s'accroître  en  cette 
vie;  autrement  on  s'arrêterait  dans  le  voyage.  Voilà 
pourquoi  saint  Paul  appelle  la  charité  un  chemin  : 

1.  2a  2x  q.  24,  a.  4,  5,  7, 


—  187  — 

«  Je  vous  montre,  dit-il,  une  voie  plus  excellent3 
encore  ■  ». 

On  peut  faire  ici  une  réflexion  touchante:  si  dans 
le  ciel  il  pouvait  y  avoir  quelque  place  à  l'envie, 
voilà  une  chose  que  les  saints  nous  envieraient  cer- 
tainement ;  leur  charité  n'est  plus  susceptible  de 
croître  comme  la  nôtre  ici-bas  ;  quoique  parfaite 
dans  son  degré,  elle  eût  pu  l'être  dans  un  degré 
supérieur,  par  suite  de  l'augmentation  qu'ils  en  eus- 
sent méritée  sur  la  terre. 

3°  La  charité  peut  s'accroître  indéfiniment  en  cette 
vie.  Car  il  est  impossible  de  lui  assigner  aucune 
limite,  ni  du  côté  de  sa  forme  qui  est  une  participa- 
tion de  la  charité  infinie,  ni  du  côté  de  sa  cause 
qui  est  Dieu  même,  dont  la  vertu  n'a  point  de  bornes, 
ni  du  côté  de  l'âme  qui  la  reçoit,  puisque  toujours 
avec  l'accroissement  de  la  charité  en  elle,  s'accroît 
l'aptitude  à  une  augmentation  ultérieure.  La  charité, 
en  devenant  ainsi  toujours  plus  parfaite,  tend  à  une 
fin  et  à  un  terme;  mais  cette  fin  n'est  pas  dans  la 
vie  présente;  elle  n'est  que  dans  la  vie  future.  Donc, 
s'écrie  saint  Augustin  :  «  Si  longtemps  que  nous 
ayons  vécu  ,  si  loin  que  nous  ayons  marché  et 
avancé,  personne  ne  peut  dire  :  C'est  assez  pour 
moi.  Dire  cela,  c'est  rester  en  chemin  et  ne  savoir 
point  arriver.  Là  où  vous  avez  dit:  C'est  assez,  là 
même  vous  vous  êtes  arrêté  -  ». 


1.  Adhuc  excellentiorem  viam  vobis  demonstro.  I  Cor.  12. 

2.  Quantumcumque  vixerimus,  aut  profecerimu3,  nemo  di- 
cat:  Sufficit  mihi  ;  qui  enim  hoc  dixerit,  remansit  in  via,  non 
novit  pervenire.  Ubi  d'.xerlt:  Sufficit,  ibihaesit. 


—  188  — 

§  III.  La  charité  s'accroît-elle  en  nous  à  chaque  acte  que 
nous  en  faisons  l  ? 

1°  Le  Docteur  angélique  donne  une  réponse  néga- 
tive, qu'il  éclaircit  à  l'aide  de  cette  comparaison 

L'accroissement  spirituel  de  la  charité  peut  en 
quelque  sorte  se  comparer  à  celui  qui  s'opère  cor- 
porellement  dans  l'animal  et  dans  la  plante.  Or  ici 
l'accroissement  n'est  pas  un  mouvement  continu  ; 
mais  durant  quelque  temps  la  nature  opère  en  dis- 
posant à  l'augmentation,  sans  rien  faire  croître  ac- 
tuellement ;  puis  vient  l'instant  où  elle  produit 
l'effet  qu'elle  avait  prépare',  et  elle  augmente  alors 
réellement  l'animal  ou  la  plante. 

Ainsi  en  est-il  de  la  charité  :  chacun  des  actes  que 
nous  en  faisons  ne  l'accroît  pas  toujours  actuelle- 
ment, mais  chacun  la  dispose  à  l'accroissement  en 
rendant  la  volonté  plus  prompte  à  poser  un  nouvel 
acte;  et  l'aptitude  croissant  de  la  sorte,  l'homme 
en  vient  à  quelque  acte  d'amour  plus  intense, 
par  lequel  il  fait  effort  pour  avancer  dans  la 
charité,  et  c'est  alors  qu'elle  se  trouve  actuellement 
augmentée. 

La  raison  qui  prouve  que  la  charité  ne  s'accroît 
point  à  chacun  de  ces  actes,  c'est  que  l'effet  ne  peut 
pas  excéder  la  vertu  de  sa  cause  :  or  il  arrive  parfois 
qu'un  acte  de  charité  se  fait  avec  torpeur  et  relâche- 
ment ;  et  il  est  manifeste  que  cet  acte,  loin  de  con- 
duire à  une  plus  grande  charité,  dispose  plutôt 
l'âme  à  une  moindre. 

1.  2a  2».  q.  24,  a.  6. 


—  189  — 

2°  Nous  avons  ici  deux  remarques  à  faire:  la  pre- 
mière, que  cette  doctrine  de  saint  Thomas  ne  contre- 
dit nullement  la  définition  du  concile  de  Trente, 
que  l'homme  en  état  de  grâce  mérite,  par  les  bonnes  œu. 
vres  quil  fait,  un  accroissement  de  la  grâce  *:  car  le 
saint  Docteur  professe  textuellement  cette  vérité  en 
l'expliquant  ainsi  :  «  De  même  que  tout  acte  de 
charité  mérite  la  vie  éternelle,  non  pour  l'avoir  sur- 
le-champ,  mais  en  son  temps  si  l'on  persévère;  ainsi 
il  mérite  l'augmentation  de  la  charité,  non  à  l'ins- 
tant, mais  lorsque  l'homme  fait  effort  pour  l'avoir  en 
effet  >.  La  seconde  remarque  est  que  ces  actes  qui 
se  font  avec  torpeur  et  relâchement,  ces  oraisons  et 
ces  communions  tièdes  que  multiplient  certaines 
personnes,  au  lieu  d'accroître  en  elles  la  charité, 
n'ont  pour  résultat  que  de  disposer  à  un  décroisse- 
ment  successif.  Voilà  une  leçon  sérieuse  à  l'adresse 
des  âmes  lâches  dans  le  service  de  Dieu. 

§  IV.  Direction  à  suivre  pour  faire  des  progrès  dans 
la  charité2. 

De  même  que  toute  chose  a  un  commencement, 
un  milieu  et  une  fin,  ainsi  il  faut  distinguer  trois 
degrés  dans  la  charité  :  celle  qui  commence,  celle 
qui  progresse  et  celle  qui  est  arrivée  à  sa  perfection. 

Or,  saint  Augustin,  comparant  la  charité  au  corps 
humain,  avertit  que  lorsqu'elle  est  née  dans  une  âme, 

1.  Si  quis  dixerit.....  hominem  justificatum,  bonis  operibu3 
quse  ab  eo  fiunt...  non  vere  mereri  augmentum  gratiae. ..  ana- 
th;ma  sit.  Sess.  VI.  can.  32. 

2.  2»  2».  q.  24.  a.  9. 

6* 


—  190  — 

il  faut  la  nourrir  pour  quelle  vive  ;  puis  on  lui 
donne  des  forces  jusque  ce  qu'elle  atteigne  son  déve- 
loppement parfait  *.  Selon  ces  trois  degrés  princi- 
paux et  successifs,  l'homme  doit  s'appliquer  spécia- 
lement à  des  soins  différents  :  le  premier  est  celui 
d'éviter  les  péchés,  le  second  celui  d'exercer  les  ver- 
tus, et  le  troisième  celui  de  vaquer  à  l'union  avec 
Dieu. 

En  effet,  l'âme  nouvellement  née  à  la  vie  de  la 
grâce  doit  mettre  alors  sa  principale  étude  à  écarter 
le  péché,  et  à  lutter  contre  les  concupiscences  qui  lui 
impriment  un  mouvement  en  opposition  avec  la 
charité.  Telle  est  la  tâche  des  commençants,  en  qui 
la  charité  doit  être  nourrie  et  soutenue,  afin  qu'elle 
ne  se  corrompe  et  ne  se  perde  point. 

Ces  aliments  et  ces  moyens  sont,  entre  autres  cho- 
ses, l'exercice  de  la  crainte  de  Dieu,  la  tempérance, 
la  mortification  ,  l'usage  diligent  des  examens  de 
conscience  et  le  recours  aux  sacrements. 

Ensuite  vient  un  second  état  de  la  charité,  où  le 
soin  principal  doit  être  de  s'avancer  dans  le  bien  et 
de  fortifier  la  charité  par  l'acquisition  des  vertus  : 
c'est  la  tâche  de  ceux  qu'on  nomme  proficientes, 
c'est-à-dire  qui  marchent  en  avant  par  les  accroisse- 
ments que  prend  en  eux  la  charité.  Ils  ont  pour 
leur  grand  et  efficace  moyen  la  méditation  et  l'imita- 
tion des  vertus  de  Jésus-Christ  et  des  saints. 

Enfin  il  y  a  un  troisième  état  de  la  charité,  celui 
d'une    certaine  perfection    acquise  ,    où   une    âme, 

1.  Charitas,  cum  fuerit  nata,  nutritur  ;  cum  fuerit  nutrita, 
roboratur  ;  cum  fuerit  roborata,  perficitur;  cum  autem  acl  per- 
fcctionem  vencrit,  dicit  :  Cupio  dissolvi  et  esse  cum  Christo. 


—  191  — 

lorsqu'il  est  constaté  qu'elle  y  est  parvenue,  peut  et 
doit  principalement  s'appliquer  aux  exercices  de 
l'union  avec  Dieu  :  car  c'est  le  propre  des  parfaits  de 
jouir  de  Dieu,  et,  comme  saint  Paul,  a  de  soupirer 
après  leur  délivrance  pour  être  avec  Jésus-Christ1». 

C'est  ainsi  que,  dans  un  mouvement  corporel,  il  y 
a  unpremier  degré  qui  consiste  à  s'éloigner  du  point 
de  départ;  puis  un  second  degré  où  l'on  s'approche 
de  l'autre  terme  ;  puis  enfin  un  troisième  degré  où 
l'on  se  repose  dans  le  terme  lui-même. 

Ceux  en  qui  la  charité  commence,  se  proposent 
sans  doute  aussi  d'aller  en  avant  :  mais  leur  princi- 
pale étude  doit  être  de  résister  aux  péchés  dont  l'a- 
gression les  moleste  davantage.  Par  la  suite,  sentant 
moins  la  nécessité  de  ces  combats,  ils  s'appliqueront 
avec  plus  d'assurance  à  leur  avancement.  Ils  feront 
alors  comme  ces  Israélites,  qui  rebâtissaient  la  ville 
de  Jérusalem  au  temps  d'Esdras  2  :  d'une  main  ils 
élèveront  l'édifice  des  vertus,  mais  de  l'autre  ils  tien- 
dront encore  l'épée  contre  l'ennemi  en  cas  d'atta- 
que. De  leur  côté,  les  parfaits  eux-mêmes  n'aban- 
donnent point  l'œuvre  de  leur  progrès  spirituel 
puisque  la  charité  d'ici-bas  est  toujours  imparfaite, 
et  que  toujours  elle  a  besoin  décroître4.  Et  même 
ils  ne  peuvent  pas  entièrement  négliger  des  enne- 
mis qui  sont  aussi  toujours  à  craindre,  et  bien  sou- 
vent encore  font  sentir  leur  agression.  Néanmoins, 


1 .  Desiderium    habens  dissolvi  et  esse    cum  Christo.    Pni- 

LTPP.    I. 

2.  Esdhas,  4. 

3.  Perfectio  viœ  non  est  perfectio  simpliciter,  et  ideo  Bémpei 
habet  quo  cre9cat.  2a  2cs.  q.  24.  a.  8.  ad  3 


_  192  — 

leur  élude  principale  est  de  vaquer  à  l'union  avec 
Dieu  ;  ce  qu'ils  font,  non  pas  dans  une  oisive  quiétude, 
ni  au  détriment  de  leurs  devoirs,  mais  par  l'inten- 
tion parfaite  de  l'amour  quand  il  faut  agir,  par 
l'exercice  de  la  présence  de  Dieu,  par  la  contempla- 
tion de  ses  perfections  et  de  ses  ouvrages,  par  le 
soin  de  l'aimer  dans  toutes  ses  créatures  et  toutes  ses 
créatures  en  lui.  Et  quoique  les  autres  aussi  recher- 
chent cette  union  avec  Dieu,  toutefois  ils  ressentent 
plus  de  sollicitude  soit  à  écarter  les  péchés,  soit  à 
s'exercer  et  à  s'avancer  dans  les  vertus. 

On  voit  que  ces  trois  degrés  de  la  vie  spirituelle 
dans  la  charité  ne  sont  autre  chose  que  ce  qu'on 
appelle  encore  la  voie  purgative,  la  voie  illuminative 
et  la  voie  unitive  ;  et  le  Docteur  angélique  nous  ensei- 
gne très  utilement  la  manière  dont  ces  trois  degrés 
doivent  être  entendus  dans  la  pratique. 

SECTION    VII.     —  DU  DÉCROISSEMENT  ET  DE  LA   PERTE 
DE  LA   CHARITÉ   *. 

1.  Directement,  enseigne  saint  Thomas,  l'habitude 
de  la  charité  ne  peut  être  diminuée  dans  une  âme 
ni  par  la  cessation  des  actes,  ni  par  le  péché  véniel. 

Elle  ne  peut  l'être  par  la  cessation  des  actes,  puis- 
que la  charité  n'est  point  une  habitude  naturelle  de 
l'homme,  mais  l'ouvrage  de  Dieu  en  lui. 

Elle  ne  peut  l'être  par  le  péché  véniel,  parce  que 
ce  péché,  n'étant  qu'un  dérèglement  qui  porte  sur  les 
moyens,  n'attaque  point  la  charité,  qui  se  rapporte 

1.  2a  2œ.q.24.  a.  10 


—  193  — 

*%  la  fin.  De  pius,  celui  qui  pèche  sur  un  point 
secondaire  ne  me'rite  pas  une  peine  principale,  et 
Dieu  na'se  détourne  pas  plus  de  l'homme  que 
l'homme  ne  se  détourne  de  Dieu  par  son  péché  :  ce 
qui  arriverait  si,  pour  avoir  manqué  relativement  aux 
moyens,  l'on  souffrait  une  perte  dans  la  charité  qui 
unit  à  la  fin. 

D'où  il  faut  conclure  que  la  charité  ne  peut  être 
diminuée  directement  par  l'homme,  si  l'on  consi- 
dère sa  substance,  le  degré  d'union  qu'elle  a  établi 
avec  Dieu  dans  une  âme,  et  le  mérite  correspondant 
de  la  vie  éternelle. 

Mais  indirectement,  l'homme  peut  affaiblir  en  lui- 
même  la  charité,  en  ce  sens  qu'il  peut  en  préparer 
la  ruine,  et  par  les  péchés  véniels  et  parla  cessation 
des  actes.  Les  péchés  véniels  préparent  sa  ruine, 
parce  qu'ils  disposent  au  péché  mortel  qui  la  détruit. 
La  cessation  des  actes  de  la  charité  est  aussi  une 
préparation  à  sa  perte,  en  ce  que  l'habitude  de  la 
charité  devient  ainsi  moins  prompte  à  produire  ses 
actes;  et  dès  lors  une  habitude  vicieuse  peut  facile- 
ment s'introduire  dans  l'âme,  et  y  prévaloir  par 
quelque  péché  mortel. 

Saint  Grégoire  le  Grand  cite  à  ce  sujet  le  triste 
exemple  de  sa  tante  Gordiesine  qui  avait  voué  à  Dieu 
sa  virginité,  et  qui,  par  des  décroissements  quoti- 
diens, en  vint  jusqu'à  manquer  à  la  foi  jurée  et  à  se 
perdre  *. 

1.  Ccepit  paulatim  a  calore  amoris  intimi  per  quotidiana 
décrémenta  tepescere  ;  unde  factura  est  ut  postmodum  oblita 
dominici  timoris,  oblita  pudoris.  oblita  reTtrennae,  obJita 
consecrationis,  conductorem  agrorum  suorum  matrimonio 
duxerit. 


-  19*  — 

On  voit  que,  pour  bien  entendre  le  sens  de  tout  ce 
passage  de  saint  Thomas,  il  faut  distinguer  la  sub- 
stance de  la  charité,  et  sa  chaleur  en  sa  promptitude 
à  produire  les  actes.  Celle-ci  n'est  que  trop  exposée 
à  se  refroidir  et  à  décroître  en  nous  par  les  péchés 
véniels  et  par  le  relâchement . 

II.  Au  ciel,  où  Ton  voit  Dieu  face  à  face  et  dans 
son  essence,  la  bonté  et  la  beauté  infinie,  en  se  mani- 
festant aux  bienheureux,  ravissent  tellement  leur 
affection,  qu'il  ne  leur  est  plus  possible  de  perdre  la 
charité.  Mais,  sur  la  terre  où  nous  n'apercevons 
Dieu  qu'à  travers  les  voiles  de  la  foi,  nous  sommes 
toujours  exposés  au  malheur  de  perdre  la  charité  par 
le  péché. 

Pour  la  détruire  dans  le  cœur  de  l'homme,  un  seul 
péché  mortel  suffît  :  de  sorte  que  celui  qui  par  elle 
avait  la  vie  de  la  grâce  et  le  mérite  de  la  vie  éter- 
nelle, devient  en  un  instant  digne  de  la  mort 
éternelle. 

Quand  il  s'agit  des  vertus  acquises,  un  seul  acte 
contraire  ne  détruit  pas  l'habitude  vertueuse;  il  faut 
pour  cela  une  suite  d'actes  répétés  qui  l'affaiblissent 
peu  à  peu,  et  finissent  par  l'effacer  et  la  corrompre 
entièrement.  Mais  la  charité  étant  une  vertu  infuse, 
elle  dépend  de  l'action  de  Dieu  qui  l'a  répandue  et 
la  conserve  dans  notre  âme  ;  or  cette  action  de  Dieu 
peut  se  cemparer  à  la  manière  dont  le  soleil  illumine 
l'air  ;  de  même  donc  que  la  lumière  cesserait  d'exis- 
ter dans  l'air,  aussitôt  qu'il  surviendrait  un  obstacle 
à  l'action  du  soleil,  ainsi  la  charité  cesse  d'exister 
dans  l'âme  du  juste,  dès  qu'un  obstacle  vient  intcr- 


—  J93  — 

cepter  l'influence  divine.  Mais  il  est  manifeste  que 
tout  péché  mortel  est  cet  obstacle,  puisque,  par  là 
même  que  l'homme  préfère  son  péché  à  l'amitié  de 
Dieu,  cette  amitié,  qui  exige  que  les  amis  soient  de 
même  volonté  entre  eux,  se  trouve  rompue,  et  l'ha- 
bitude de  la  charité  est  à  l'instant  perdue  et  immé- 
diatement détruite. 

Du  reste,  il  faut  remarquer  que  l'homme  peut  per- 
dre la  charité  de  deux  manières  :  l'une  directe,  et 
l'autre  indirecte.  11  la  perd  directement  par  le  mépris 
formel  qu'il  en  fait  :  ce  qui  arrive  quand  il  pèche 
par  malice,  et  alors  elle  est  bien  plus  difficile  à 
recouvrer.  Il  la  perd  indirectement  lorsqu'il  pèche 
par  surprise  ou  par  un  entraînement  de  passion. 
C'est  de  cette  seconde  manière  que  saint  Pierre  per- 
dit la  charité  ;  mais  il  la  recouvra  promptement  par 
la  pénitence.  D'où  l'on  voit  qu'un  péché  de  malice 
fait  bien  plus  de  mal  à  l'âme  qu'un  péché  de  fragilité, 

III.  Sur  les  péchés  des  religieux  *. 

Saint  Thomas  se  pose  cette  question  :  Un  religieux 
pèche-t-il  plus  gravement  qu'un  séculier,  quand  il 
offense  Dieu  dans  la  même  matière  ?  Et  voici  sa 
réponse  :  Si  le  religieux  pèche  par  mépris,  ou  con- 
tre ses  vœux,  ou  en  donnant  du  scandale  à  un  autre, 
son  péché  est  plus  grave  que  celui  d'un  séculier  ; 
mais  c'est  le  contraire  quand  il  pèche  seulement  par 
ignorance  ou  par  infirmité. 

En  effet,  lorsqu'il  pèche  par  mépris  et  malice, 
son  péché  est   plus  grave,   puisqu'il    montre  plus 

1.2a  2x.  q.  186.  a.  10e 


—  19G  —  • 

d'ingratitude  envers  la  bonté  divine,  qui  lui  a  fait 
cette  faveur  insigne  de  l'élever  à  l'état  de  perfection. 
Et  c'est  de  quoi  le  Seigneur  se  plaint  par  son  Pro- 
phète :  «  Gomment  se  fait-il  que  mon  bien-aimé, 
dans  ma  maison,  a  commis  tant  d'iniquités  f  ?  » 

Si  le  religieux  ose  pécher  contre  les  vœux  qu'il  a 
faits,  il  est  clair  que  son  péché  est  plus  grand,  puis- 
qu'il renferme  une  double  malice  ,  comme  nous 
l'avons  déjà  montré. 

S'il  donne  le  scandale  par  son  péché,  le  religieux 
peut  être  plus  coupable,  et  il  l'est  ordinairement,  par 
la  raison  que  sa  vie  attire  les  regards  d'un  plus  grand 
nombre  de  personnes. 

Mais  quand  un  religieux  vient  à  faillir,  non  par 
mépris  ni  par  malice,  mais  par  infirmité  ou  par 
ignorance,  et  sans  qu'il  y  ait  scandale  ni  violation 
de  son  vœu,  il  pèche  plus  légèrement  qu'un  séculier, 
en  ce  sens  que  son  péché  est  moins  dommageable, 
parce  que  ce  péché,  s'il  est  véniel,  se  trouve  comme 
absorbé  par  la  multitude  des  bonnes  œuvres  qu'il 
fait  ;  et  s'il  est  mortel,  le  religieux  s'en  relève  plus 
facilement.  Et  il  y  a  deux  raisons  de  cette  facilité  : 

La  première  est  que  son  intention  se  trouve  habi- 
tuellement droite  envers  Dieu  :  d'où  il  arrive  que  si 
elle  subit  une  interruption  momentanée,  il  n'a  pas  de 
peine  à  lui  faire  reprendre  sa  direction  età  en  réparer 
le  dommage.  C'est  la  pensée  d'Origène,  expliquant 
ces  mots  du  Psaume:  Lorsque  le  juste  tombera,  il  ne 
se  brisera  point,  parce  que  le  Seigneur  place  sous  lui 

1.  Quid  est  quod  dilectus  meus  in  domo  mea  fecit  scelera 
multa  ?  Jekem.  11. 


-  197  - 

sa  main  '  ».  L'injuste,  dit  Origène,  quand  il  a  péché, 
n'en  a  point  de  repentir,  et  il  ne  sait  pas  s'amender 
de  son  péché  ;  tandis  que  le  juste  sait  se  corriger 
sans  retard  :  comme  celui  qui  avait  dit  de  son  divin 
Maître  :  Je  ne  connais  point  cet  homme,  n'eut  besoin 
que  d'un  regard  du  Seigneur  pour  pleurer  amère- 
ment ;  comme  celui  encore  qui,  ayant  vu  une  femme 
du  haut  de  son  toit  et  ayant  laissé  entraîner  son  cœur, 
sut  dire  bientôt  :  Jai  péché,  et  j'ai  fait,  mon  Dieu,  le 
mal  en  votre  présence. 

La  seconde  raison  est  que  le  religieux  qui  tombe 
trouve  dans  ses  frères  un  secours  pour  se  relever, 
selon  ces  paroles  du  Sage  :  «  Si  l'un  fait  une  chute, 
l'autre  le  soutiendra  :  malheur  à  qui  est  seul,  parce 
que  lorsqu'il  vient  à  tomber,  il  n'aura  personne  pour 
le  remettre  sur  pied  2  !  » 

Les  justes  pèchent  difficilement  par  mépris,  et 
voilà  pourquoi,  si  parfois  ils  tombent,  ils  se  relèvent 
facilement.  Maislorsqu'ils  arrivent  au  point  dépêcher 
par  mépris,  alors  ils  deviennent  très  mauvais  et  les 
plus  incorrigibles  de  tous.  De  là  ces  terribles  paroles 
de  saint  Augustin  :  «  Depuis  que  j'ai  commencé  à 
servir  Dieu,  j'ai  connu  par  expérience  que  comme  il 
n'y  a  guère  de  chrétiens  meilleurs  que  ceux  qui  font 
le  bien  dans  les  maisons  religieuses,  ainsi  il  n'en  est 
pas  de  pires  que  ceux  qui  s'y  abandonnent  au  mal.  » 

Quand  on  parle  des  péchés  des  religieux,  ne  ferait- 


1.  Justuscum  ceciderit,  non  collidetur,  quia    Dominus    sup- 
ponit  manum  suam.   Ps.  36. 

2.  Si  unus  ceciderit,  ab  altero  fulcietur  :  vre  soli,  quia  corn 
ceciderit,  non  habebit  sublevautem  se.  Eccl.  4. 


—  1C3  — 

on  pas  bien  de  proposer  dans   ses  deux  parties  cell* 
doctrine  du  Docteur  angélique  ? 


SECTION  VIII.   —    DE  LA    CHARITE    DANS    SCS    RAPPORT- 
AVEC  LES    AUTRES  VERTUS. 

La  charité  s'appelle  et  est  en  effet  la  forme,  la 
mère,  le  fondement,  le  lien  et  la  fin  de  toutes  les  au- 
tres vertus  :  d'où  Ton  peut  voir  avec  quelle  excel- 
lence elle  est  aussi  leur  reine,  et  par  combien  d'en- 
droits elle  est  essentielle  à  la  perfection  religieuse  '. 

I.  La  charité  est  la  forme  des  autres  vertus,  non 
pas  si  on  les  considère  dans  leur  propre  espèce. 
puisque  chaque  vertu  a  sa  forme  spéciale,  qui  lui 
vient  de  l'objet  sur  lequel  elle  s'exerce  ;  mais  en  ce 
sens  que  la  charité  doit  encore  leur  imprimer  sa 
propre  forme,  sans  quoi  nulle  vertu  ne  mériterait 
plus  le  nom  de  vraie  vertu,  à  prendre  ce  mot  dans 
son  acception  pure  et  absolue  2. 

Et  en  effet  toute  vertu  est  essentiellement  une 
habitude  qui  a  le  bien  pour  objet  ;  or  le  bien  est 
principalement  dans  la  fin  :  car  les  moyens  ne  sont 
bons  qu'autant  qu'ilsse  rapportent  à  la  fin.  G'estpour- 
quoi,  comme  il  y  a  deux  sortes  de  fins,  l'une  pro- 
chaine et  l'autre  dernière,  il  y  a  aussi  deux  sortes 
de  biens,  l'un  prochain  ou  particulier,  et  l'autre 
dernier,  suprême  et  universel.  Or ,  pour  l'homme» 
le  bien  final  qui  doit  embrasser  tous  les  autres, 
c'est  la   possession  de   Dieu,  selon  ces  paroles   du 

1.  2a  2ae.  q.  23.  a.  7. 

2.  Simpliciter  vera  virtus,  siue  charitate,  esso  non  potest. 


Psalmiste  :  «  Pour  moi,  le  bien  est  de  m' attacher  à 
Dieu  l  »  ;  et  l'homme  n'atteint  ce  bien  que  par  la 
charité. 

Quant  au  bien  prochain,  secondaire  et  particulier 
de  l'homme,  il  peut  être  de  deux  sortes  :  l'un  qui 
est  un  vrai  bien,  en  ce  qu'il  sert  de  moyen  pour 
atteindre  le  bien  suprême  et  la  fin  dernière  ;  l'autre 
qui  n'est  qu'apparent  et  non  véritable,  parce  qu'il 
détourne  du  bien  final.  D'où  il  suit  évidemment 
qu'il  n'y  a  de  vraie  vertu  que  celle  qui  est  coordon- 
née par  la  charité  au  bien  suprême  et  à  la  fin  der- 
nière de  Thomme. 

Que  si  l'on  veut  entendre  par  vertu  celle  qui  se 
borne  à  un  bien  particulier,  sans  que  la  charité  le 
rapporte  au  bien  final,  alors  la  vertu  peut,  il  est 
vrai,  avoir  quelque  réalité  ;  néanmoins,  si  ce  bien 
particulier  n'est  point  réel  mais  apparent,  la  vertu 
aussi  ne  sera  qu'une  apparence.  Ainsi,  dit  saint  Au- 
gustin :  «  On  ne  peut  pas  appeler  vraies  vertus,  ni 
la  prudence  des  avares  qui  sait  trouver  le  secret  de 
devenir  plus  riche,  ni  leur  justice  qui  ne  respecte 
le  bien  d'autrui  que  par  crainte  du  châtiment,  ni 
leur  tempérance  qui  comprime  en  eux  les  goûts 
somptueux  de  la  sensualité,  ni  enfin  leur  force  qui, 
selon  l'expression  du  poète,  leur  fait  fuir  la  pauvreté 
à  travers  les  mers,  les  rochers  et  les  flammes 2  » .  Que 
si  ce  bien  particulier  est  en  effet  un  bien  réel,  comme 
le  soin  de  soulager  les  malheureux,  la  piété  filiale, 
la  fidélité  à  sa  parole,  alors  il  y  aura  quelque  réalité 

1.  Mihi  autem  adhrerere  Deo  bonum  est.  Ps.  72. 

2.  Per  mare  pauperiemfuiriunt,  per  saxa,  per  ignés.  HOBAT. 
Lib.  1.  Epist.  1. 


—  200  — 

dans  la  vertu,  mais  elle  restera  imparfaitement  vrai 3 
tant  qu'elle  ne  se  rapportera  point  au  bien  final  et 
parfait.  D'où  il  faut  toujours  conclure  que,  sans  la 
charité,  il  n'y  a  point  de  vraie  vertu,  dans  la  signifi- 
cation absolue  de  ce  mot. 

Plût  à  Dieu  que  tous  les  hommes  comprissent  cette 
fondamentale  vérité  !  Plût  à  Dieu  que  les  religieux 
eux-mêmes  en  fissent  mieux  l'application  à  chacune 
de  leurs  actions  !  Si  la  charité  manque,  toute  vertu, 
si  toutefois  vertu  il  y  a,  n'est  plus  qu'une  vertu 
rampante  qui  ne  s'élève  pas  de  terre  ;  tandis  qu'avec 
la  charité  et  par  la  charité,  la  vertu  la  plus  humble 
a  la  force  de  monter  jusqu'au  Ciel  et  démériter  le 
Bien  suprême. 

IL  *  La  charité  est  la  mère  de  toutes  les  vertus,  » 
parce  que  son  objet  propre  et  le  but  où  elle  aspire 
étant  la  possesston  de  Dieu  même,  son  désir  de 
l'atteindre  toujours  plus  pleinement  lui  fait  concevoir 
les  actes  des  autres  vertus  dans  l'intérêt  de  sa  propre 
fin;  et  elle  les  enfante  lorsqu'elle  commande  à  la  vo- 
lonté de  les  produire.  De  là  vient  que  l'Apôtre  les 
lui  attribue  tous  à  elle-même.  «  La  charité,  dit-il, 
est  patiente,  elle  est  bénigne  et  douce,  elle  n'est 
point  jalouse,  elle  ne  s'enfle  point,  etc.  *  ». 

C'est  pourquoi,  plus  la  charité  s'accroît  dans  une 
âme,  plus  elle  y  devient  féconde  en  actes  de  toutes 


1.  Charitaa  patiens  est,  benigna  est,  non  pemulatur,  non  in- 
flatur,  non  est  ambitiosa,  non  queerit  quae  sua  sunt,non  irritatur, 
non  cogitât  raalum,  non  gaudet  super  iniquitate,  congaudet 
autem'  veritati;  omnia  suffert,  omnia  crédit,  omnia  sperat, 
omnia  sustinet,  I  Cor.  13. 


—  201  — 

les  vertus,  les  mettant  en  exercice  et  exigeant  d'elles 
le  travail  et  l'activité.  Au  contraire,  si  les  vertus  y 
produisent  peu,  c'est  que  la  charité  est  faible  et 
languissante  ;  et  une  preuve  manifeste  de  son  ab- 
sence totale,  ce  sera  l'oisiveté  des  autres  vertus. 

III.  La  charité  est  le  fondement  des  vertus. 

On  dit  de  trois  vertus  qu'elles  sont  les  fondements 
de  toutes  les  autres,  savoir:  l'humilité,  la  foi  et  la  cha- 
rité. Nous  allons  voir  en  quel  sens  ce  nom  de  fonde- 
ment convient  à  chacune  d'elles.  Pour  l'humilité  et 
la  foi,  voici  comment  l'expose  saint  Thomas  *  : 

De  même  que  l'assemblage  bien  coordonné  des 
vertus  de  l'homme  se  compare  à  un  édifice,  ainsi 
la  première  chose  nécessaire  à  cette  construction 
spirituelle  se  compare  au  fondement,  par  quoi 
il  faut  commencer  un  édifice  matériel.  Or,  les 
vertus  de  l'homme  sont  bien  moins  son  ouvrage  que 
celui  de  Dieu,  à  qui  il  appartient  de  les  mettre  en 
nous  et  de  les  y  faire  croître.  D'où  il  suit  qu'en  ce 
qui  regarde  les  vertus,  une  chose  peut  être  appelée 
la  première  ou  le  fondement  de  deux  manières  dif- 
férentes :  l'une  indirecte,  et  l'autre  directe. 

1°  La  chose  qui  devra  être  indirectement  la  pre- 
mière ou  le  fondement  par  rapport  aux  vertus  est 
celle  qui  écartera  les  obstacles  à  l'action  divine  en 
nous.  Et  c'est  ainsi  que  l'humilité  occupe  la  première 
place,  en  ce  qu'elle  chasse  l'orgueil  «  auquel  Dieu 
résiste  2  »,  et  que,  faisant  cesser  l'enflure  de  ce  vice, 


1.  2a  2ae.  q.  161,  a.  5. 

2.  Deus  superbis  resistit.  I  Fetr.  6. 


—  202  — 

elle  présente  une  âme  soumise  et  largement  ouverte 
à  la  grâce  divine  *.  En  ce  sens  donc,  et  de  cette  ma- 
nière, l'humilité  est  le  fondement'de  l'édifice  spiri- 
tuel de  toutes  les  vertus,  selon  ces  paroles  de  saint 
Augustin  :  «  Vous  voulez  élever  une  grande  con- 
struction, songez  d'abord  au  fondement  de  l'humi- 
lité; et  plus  l'édifice  doit  être  considérable,  plus 
on  creuse  profondément  les  fondations  2  ». 

2°  La  chose  qui  devra  être  directement  la  première 
ou  le  fondement  par  rapport  aux  vertus  est  celle 
par  laquelle  il  faut  s'approcher  de  Dieu,  le  Seigneur 
des  vertus.  Or,  c'est  par  la  foi  que  l'homme  s'appro- 
che de  Dieu,  comme  nous  l'enseigne  FApôtre  : 
«  Celui  qui  s'approche  de  Dieu  doit  croire  en  Lui3.  » 
Et  c'est  en  ce  sens  que  la  foi  est  le  fondement  de 
toutes  les  vertus,  d'une  manière  plus  noble  encore 
que  l'humilité. 

3°  Mais  saint  Paul  appelle  aussi  la  charité  un  fon- 
dement. »  Yous  êtes,  dit-il  aux  chrétiens,  enraci- 
nés et  fondés  dans  la  charité  4  »,  parce  qu'en  effet, 
semblable  à  un  fondement  et  à  une  racine,  la  charité 
soutient  et  nourrit  toutes  les  autres  vertus.  Elle  est 
leur  fondement  vivant  et  vivifiant,  comme  la  racine 
l'est  pour  toutes  les  branches  de  l'arbre  :  ce  qui  est 
une  manière   d'être  le    fondement  des  vertus  plus 


1.  Pesez  bien  ces  fortes  paroles  :  Prœbet  hominem  subditum 
et  patulvm  divinœ  gratta. 

2  Cogitas  magnani  fabricam  construere  celsitudinis,  de  fun- 
damento  prius  cogita  humilitatis;  et  quanto  erit  majus  aedi- 
ficium,  tanto  altius  foditur  fundamentum. 

3.  Credeve  enim  oportet  accedenten  ad  Deum  quia  est. 
Hebr.  14. 

i..  In  charitate  radicati  et  fundati.  Ephes.  3. 


—  203  — 

relevée  encore  que  l'humilité  et  la  fui.  De  là  ces 
beiles  paroles  de  saint  Grégoire  pape:  «  Tout  ce  que 
Dieu  commande  à  l'homme,  il  le  fait  reposer  sur  la 
seule  charité:  car  de  même  que  les  diverses  branches 
d'un  arbre  sortent  uniquement  de  sa  racine,  ainsi 
les  vertus  diverses  sont  toutes  le  produit  de  la  cha- 
riié  ;  et  le  rameau  de  la  bonne  œuvre  ne  garde  plus 
rien  de  sa  verdure  s'il  ne  reste  uni  à  la  racine  de  la 
charité'  ». 

IV.  La  charité  est  le  lien  des  mitres  vertus  2. 
Aussi  l'Apôtre,  après  avoir  dit  qu'il  faut  par-dessus 
tout  posséder  la  charité,  ajoute  aussitôt  qu'elle  est 
le  lien  de  la  perfection  3. 

En  effet,  comme  les  autres  vertus  sont  nécessai- 
res au  complément  de  la  perfection,  ainsi  qu'il  a 
été  expliqué  ailleurs  4,  de  même  il  appartient  à  la 
charité,  non-seulement  de  les  produire  et  de  les 
alimenter,  mais  encore  de  les  lier  tous  ensemble 
comme  un  faisceau  dans  une  unité  parfaite.  La  rai- 
son en  est  que  la  charité  est  le  principe  de  toutes  les 
bonnes  œuvres  par  lesquelles  l'homme  doit  arriver 
à  sa  fin  dernière  ;  or,  pour  cela,  il  est  nécessaire 
qu'elle  ait  avec  elle  toutes  les  autres  vertus  qui  pro- 
duisent les  divers  genres  de  bonnes  œuvres.  C'est  pour- 
quoi, dans  l'homme  juste,  les  vertus   morales  ont 


1.  Quidquid  prascipitur,  in  sola  charitate  solidatur  :  ut  enim 
multi  arboris  rarui  ex  una  radice  prodeunt,  sic  multae  virtutes 
ex  una  charitate  generantur;  nec  habet  aliquid  viriditatis 
ramus  boni  operis,  si  non  manet  in  radice  charitatis. 

2.  2a  2se.  q.  184,  a.  1,  et  q.  65,  a.  3. 

3.  Super  omnia  autera  charitatem  habete,  quse  est  vinculum 
perfectionis.  Coloss.  3. 

4.  Ci-dessus  ch.  II.  ait.  III,  Sect.  1. 


—  £04  — 

entre  elles  non-seulement  la  connexion  qui  est  selon 
la  prudence,  mais  encore  cette  autre  connexion  qui 
est  selon  la  charité.  Retenues  par  ce  lien  de  la  cha- 
rité, aussi  fort  qu'il  est  doux,  toutes  les  vertus 
demeurent  avec  elle  dans  une  âme,  sans  qu'aucune 
puisse  y  manquer  tant  qu'elle  y  est  elle-même  ;  et 
par  elle  encore,  toutes  y  sont  dans  une  harmonieuse 
unité,  sans  que  les  actes  d'une  vertu  puissent  con- 
trarier ceux  d'une  autre.  Telle  est  la  perfection  et  la 
sainteté  selon  le  christianisme,  et  l'on  sait,  par  l'his- 
toire de  la  canonisation  des  saints,  que,  pour  en 
déclarer  authentiquement  l'existence  dans  un  chré- 
tien, l'Église  catholique  exige  la  preuve  irréfragable 
que  ce  faisceau  de  toutes  les  vertus  dans  la  charité 
s'est  trouvé  en  lui,  et  même  à  un  degré  héroïque. 

V.  Enfin,  la  charité  es£/tf  fin  de  toutes  les  autres  vertus* y 
parce  qu'elle  les  tient  sous  ses  ordres  et  sa  direction 
pour  les  faire  marcher  vers  sa  propre  fin.  Toutes  sont 
comme  ses  instruments  et  ses  servantes.  Elle  emploie 
les  unes  à  écarter  les  obstacles  qui  gêneraient  son 
union  avec  Dieu:  telles  que  la  force,  la  patience  et 
l'abnégation,  avec  ces  autres  qui  en  dérivent,  l'hu- 
milité, la  tempérance,  la  mortification,  la  modestie, 
etc.  Elle  en  emploie  plus  directement  d'autres  à 
s'exercer  elle-même,  soit  envers  Dieu,  soit  envers  le 
prochain  :  comme  la  foi,  l'espérance,  la  religion,  la 
justice,  le  zèle,  etc. 

Mais  entre  toutes  celles  dont  elle  se  sert  pour  ten- 
dre à  sa  perfection,  il  en  est  trois  qui  appellent  l'at- 

1.  2a2seq.  23.  a.  8. 


-  20o  — 

tention  spéciale  des  religieux:  ce  sont  les  trois  ver- 
tus que  consacrent  les  vœux  de  religion,  la  pauvreté, 
la  chasteté  et  l'obéissance.  Nous  allons  voir  plus  am- 
plement leurs  rapports  avec  la  charité  dans  l'article 
suivant. 

ARTICLE  IV. 

des   moyens  de   perfection    qui    se   trouvent  dans 
l'état  religieux. 

Ces  moyens  sont  de  deux  sortes:  les  uns  princi- 
paux, et  les  autres  secondaires;  les  uns  que  la 
charité  fait  servir  très  efficacement  à  sa  propre 
perfection  ;  les  autres  qui  prêtent  pour  cela  leur 
concours  aux  premiers,  et  qui  sont  encore  d'un  grand 
usage  pour  la  perfection  des  autres  vertus;  on  voit 
qu'il  s'agit  ici  des  vœux  et  des  règles. 

SECTION  Ir«.  —  DES  MOYENS.  PRINCIPAUX  DE     PERFECTION 
QUI  SONT  LES  VŒUX  '. 

I.  L'état  religieux  est  une  discipline,  c'est-à-dire 
une  école  où  Von  apprend  et  une  carrière  où  l'on  s'exerce 
dans  le  but  d'acquérir  la  perfection  de  la  charité.  Or, 
pour  cela  quatre  choses  sont  nécessaires  : 

En  premier  lieu,  il  est  nécessaire  qu'on  pratique 
dans  l'état  religieux  la  pauvreté  volontaire,  je  parle 
de  celle  qui  consiste  dans  le  dépouillement  effectif 
des  biens  temporels.  Car  la  perfection  de  la  charité 
exige  que  l'homme  dégage  totalement  son  affection 

1.  2a  2ae  q.  186.  a.  3,  i,  5,  G. 


—  20G  — 

des  choses  terrestres,  pour  pouvoir  la  porter  tout 
entière  vers  Dieu,  selon  ce  que  dit  saint  Augustin  : 
a  Celui-là,  Seigneur,  vous  aime  trop  peu,  qui  aime 
avec  vous  quelque  chose  qu'il  n'aime  point  pour 
vous  '  »  ;  et  encore  :  «  La  charité  se  nourrit  de  ce 
qu'on  ôte  à  la  cupidité  ;  elle  est  parfaite  quand  il  n'y 
a  plus  de  cupidité  2  ».  Mais  l'expérience  nous  apprend 
que  celui  qui  possède  des  biens  temporels  est  très 
exposé  à  y  attacher  son  cœur,  comme  l'exprime 
énergiquement  le  même  saint  Augustin:  «  Les 
richesses  tiennent  bien  plus  au  cœur  quand  on  les 
possède,  que  quand  on  les  désire  seulement.  Car, 
d'où  vient  que  le  jeune  homme  de  l'Évangile  seretira 
avec  tristesse,  sinon  de  ce  qu'il  possédait  de  grands 
biens?  C'est  qu'autre  chose  est  de  ne  vouloir  pas 
nous  incorporer  ce  qui  est  hors  de  nous,  et  autre 
chose  d'arracher  ce  qui  estdéjà  en  nous-mêmes.  Dans 
le  premier  cas,  c'est  comme  un  objet  étranger  qu'on 
écarte  ;  dans  le  second,  ce  sont  comme  des  membres 
qui  subissent  l'amputation  3  ».  Voilà  donc  pourquoi, 
lorsqu'il  est  question  d'acquérir  la  perfection  de  la 
charité,  le  premier  fondement  qu'il  faut  poser  est  la 
pauvreté  évangélique,  le  Seigneur  ayant  dit  lui- 
même  :  «  Si  vous  voulez  être  parfait,  allez,  vendez 
tout  ce  que  vous  avez  et  donnez-le  aux  pauvres 4  ». 


1.  Minus  te  amat,  qui  tecum  amat  aliquid  quod  non  proptcr 
te  amat. 

2.  Nutrimentum  charitatis  est  imminutio  cupiditatis;  per- 
fectio,  nullacupiditas. 

3.  Terrena  diliguntur  arctius  adepta,  quam  concupita.... 
Aliudest  enim  nolle  incorporare  quae  desunt,  aliud  jam  incor- 
porata  divellere.  Illa  enim  velut  extranea  repudiantur,  ista 
vero  velut  membra  praescinduntur. 

4.  Matth.  19. 


—  207  — 

En  second  lieu,  il  faut  la  pratique  ue  la  conti- 
nence :  d'abord  parce  que  les  plaisirs  charnels,  fus- 
sent-ils même  licites,  sont  pour  l'homme  un  grand 
obstacle  à  une  tendance  parfaite  de  ses  affections 
vers  Dieu  ;  et  ensuite,  parce  qu'il  en  est  de  même 
des  soins  qu'imposent  le  gouvernement  et  les  néces- 
sités temporelles  d'une  famille,  comme  le  dit  saint 
Paul  :  «  Celui  qui  est  engagé  dans  le  mariage  a  les 
sollicitudes  des  choses  de  ce  monde,  et  son  cœur  est 
partagé  ■  ». 

En  troisième  lieu,  il  faut  par-dessus  tout  l'obéis- 
sance, selon  le  conseil  du  Seigneur  :  «  Si  vous 
voulez  être  parfait...  venez,  suivez-moi  ».  Or,  ce 
qui  dans  la  vie  du  divin  modèle  se  recommande  le 
plus  à  notre  imitation,  est  son  obéissance,  ainsi  que 
le  remarque  saint  Paul  :  «  Il  s'est  fait  obéissant 
jusqu'à  la  mort  2  ».  Et,  en  effet,  rappelons-nous  le 
principe  déjà  posé,  que  l'état  religieux  est  un  ap- 
prentissage et  une  carrière  dont  le  but  est  d'acquérir 
la  perfection.  Mais  tous  ceux  qui  apprennent  et 
s'exercent  pour  devenir  habiles  ont  besoin  de  quel- 
qu'un qui  les  enseigne  et  les  dirige,  comme  des 
disciples  sous  un  maître.  C'est  pourquoi  il  est  né- 
cessaire aux  religieux  d'être  sous  la  direction  et 
l'autorité  de  quelqu'un  dans  toute  la  conduite  de 
leur  vie  religieuse,  ce  qui  se  fait  au  moyen  de  l'obéis- 
sance :  d'où  le  droit  canon  porte  que  «  la  vie  des 
religieux  est  une  vie  de  soumission  et  une  école  3  ». 

1 .  Qui  cum  uxore  est,   sollicitus  est  quae  sunt  mundi,  quo- 
modo  placeat  uxori,  et  divisus  est.  I.  Cor.  7. 

2.  Factus  obediens  usque  ad  mortera.   Philip.  2. 

3.  Monachorum  vita   subjectionis  habet  verbum  et  discipu- 
latus. 


—  208  — 

En  quatrième  lieu,  il  faut  même  qu'on  s'impose 
ces  trois  choses  par  l'obligation  du  vœu,  afin  d'être 
ainsi,  d'une  manière  fixe  et  constante,  tout  à  la  per- 
fection de  la  charité,  selon  ces  paroles  de  saint  Gré- 
goire ;  «  Offrir  par  vœu  au  Seigneur  tous  les  biens 
de  la  fortune,  tous  ceux  du  corps  et  tous  ceux  de 
l'esprit,  c'est  le  sacrifice  parfait  de  l'holocauste  *  ». 
De  plus,  comme  la  perfection  de  la  vie  consiste  à  la 
consacrer  totalement  au  culte  divin,  cette  perfection 
demande  que  l'on  présente  effectivement  à  Dieu  tout 
ce  qu'on  désire  lui  consacrer.  Mais  l'homme  ne  peut 
pas  présenter  à  Dieu  dans  un  seul  acte  sa  vie  entière, 
qui  ne.coule  que  successivement  :  il  n'a  donc  d'autre 
moyen  de  lui  offrir  effectivement  l'ensemble  de  sa 
vie  que  l'obligation  du  vœu  perpétuel,  par  lequel  elle 
se  trouve  engagée  tout  entière. 

II.  Le  même  saint  Thomas  résume  ainsi  tout  ce 
que  font  les  trois  vœux  de  religion  pour  la  perfection 
de  la  charité  2  : 

On  peut  considérer  l'état  religieux  sous  trois  rap- 
ports :  le  premier,  selon  qu'il  est  un  exercice  par 
lequel  on  tend  à  la  perfection  ;  le  second,  en  ce  qu'il 
dégage  le  cœur  humain  des  sollicitudes  extérieures  ; 
le  troisième,  selon  qu'il  est  un  holocauste  où  l'on 
offre  tout  à  Dieu  sans  réserve.  Or,  sous  ce  triple 
rapport,  l'état  religieux  fournit  pleinement  ce  qu'il 
faut  à  la  perfection  de  la  charité. 

1°  Il  écarte  les  obstacles  intérieurs  à  une  tendance 


1.  Cura  quia  omne  quod  habet,  omne  quod  vivit,  omne  quod 
8apit,  omnipotenti  Deo  voyerit,  holocaustum  est. 

2.  2a  2se.  q,  186.  a.  7. 


-^  209  — 

totale  de  notre  affection  vers  Dieu  :  car  ces  obstacles 
sont  au  nombre  de  trois  :  la  cupidité  des  richesses 
est  le  premier,  et  le  vœu  de  pauvreté  le  retranche  ; 
la  concupiscence  de  la  chair  est  le  second,  et  elle  est 
exclue  par  le  vœu  de  chasteté  ;  le  dérèglement  de  la 
volonté  est  le  troisième,  et  le  vœu  d'obéissance  le 
fait  disparaître  en  plaçant  la  volonté  sous  la  direc- 
tion de  Dieu  même,  commandant  par  le  Supérieur. 
2°  Il  écarte  les  obstacles  extérieurs  :  car  la  solli- 
citude du  siècle  inquiète  les  âmes  principalement 
en  trois  choses,  dont  Tune  regarde  le  soin  et  la  dis- 
pensation  des  biens  temporels  ;  l'autre,  le  gouverne- 
ment d'une  famille  ;  et  la  troisième,  la  disposition 
de  ses  propres  actes  ;  et  ces  trois  sources  d'inquiétude 
sont  retranchées  par  les  trois  vœux  de  religion, 
selon  le  désir  que  saint  Paul  formait  pour  les  parfaits 
chrétiens  :  «  Pour  moi,  je  veux  que  vous  soyez 
exempts  de  sollicitude  »  *. 

3°  Sous  le  troisième  rapport,  l'état  religieux  fait 
plus  encore  qu'éloigner  les  obstacles  ;  il  est  déjà 
l'exercice  de  la  charité  parfaite  :  car  c'est  un  holo- 
causte, comme  nous  l'a  dit  saint  Grégoire,  que  de 
sacrifier  pour  Dieu  tout  ce  qu'on  possède.  Or  l'homme 
peut  posséder  trois  sortes  de  biens  :  les  richesses, 
qu'il  sacrifie  à  Dieu  par  le  vœu  de  pauvreté  volon- 
taire ;  les  biens  du  corps,  dont  il  se  prive  pour  son 
amour  par  le  vœu  de  continence,  et  ceux  de  l'âme 
qu'il  lui  offre  totalement  par  l'obéissance,  puisqu'il 
sacrifie  sa  volonté  par  laquelle  il  use  de  toutes  les 
puissances  et  de  toutes  les  habitudes  de  son  âme. 

1.  Volo  autem  vos  esse  sine  eollicitudine.  I.  Cor.  7. 


~-  210  *- 

III.  Ici  deux  objections  peuvent  se  présenter  à 
l'esprit  :  l'une  contre  la  pauvreté,  Fautre  contre 
l'obéissance  religieuse. 

Voici  la  première  :  faire  l'aumône  aux  pauvres  est 
une  œuvre  si  agréable  à  Dieu  et  si  douce  au  cœur  1 
Eh  bien  !  cela  est  exclu  par  la  pauvreté  volontaire, 
et  une  fois  que  je  me  serai  dépouillé  de  tout,  il  n'y 
aura  plus  moyen  pour  moi  d'avoir  ce  mérite  et  cette 
consolation.  Tel  est  le  prétexte  dont  l'ennemi  du 
salut  peut  se  servir  lui-même  quelquefois,  pour 
détourner  une  âme  sensible  de  la  perfection  reli- 
gieuse. 

Il  faut  dire,  répond  saint  Thomas,  que  le  renon- 
cement !  aux  biens  temporels,  si  on  le  compare  à 
l'aumône,  est  comme  un  bien  universel  comparé  à 
un  bien  particulier,  et  comme  le  sacrifice  d'holo- 
causte, où  l'on  offre  la  victime  tout  entière,  comparé 
aux  autres  sacrifices  où  l'on  s'en  réserve  une  partie  *. 
C'est  pourquoi  saint  Jérôme,  réfutant  l'erreur  de 
Vigilantius,  parle  en  ces  termes  :  «  C'est  une  bonne 
chose  de  distribuer  successivement  ses  biens  aux 
pauvres  ;  mais  il  est  meilleur  encore  de  tout  donner 
à  la  fois  pour  suivre  Jésus-Christ,  et  après  avoir 
retranché  toute  sollicitude  terrestre,  de  vivre  pauvre 
avec  Jésus-Christ  ».  Ajoutez  encore  ce  sacrifice  du 
cœur  lui-même,  si  plein  d'abnégation  et  d'humilité, 
lorsqu'un  religieux  est  réduit  à  dire  au  malheureux 
qui  lui  tend  la  main  :  Hélas  !  je  n'ai  plus  rien  à 
donner  ! 

L'objection  contre  l'obéissance  religieuse  est  celle- 

1.  2a  2ae.  q.  186.  a.  3.  ad  6m,  a.  5.  ad  5m,  et  a,  6.  ad  3m. 


—  211  — 

ci  :  les  services  les  plus  agréables  à  Dieu  sont  les 
services  spontanés  ;  mais  quand  on  a  fait  vœu 
d'obéir,  la  spontanéité  fait  place  à  la  nécessité  ;  et  il 
en  est  de  même  pour  les  deux  autr  -s  vœux,  qui 
ôtent  désormais  le  mérite  de  la  privation  spontanée. 

Il  faut  dire,  répond  toujours  saint  Thomas,  que 
la  nécessité  de  contrainte  rend  l'acte  involontaire  et 
par  conséquent  lui  ôte  son  mérite.  Mais  telle  n'est 
point  la  nécessité  qui  suit  le  vœu  d'obéissance  :  car 
même  alors  l'homme  reste  parfaitement  maître  de 
sa  volonté,  et  il  agit  parce  qu'il  veut  obéir,  quoique 
d'ailleurs  peut-être  la  chose  qu'on  lui  commande,  à 
la  considérer  en  elle-même,  ne  fût  pas  selon  son 
inclination.  Et  c'est  parce  qu'il  s'est  imposé  pour- 
Dieu  cette  nécessité  de  faire  les  choses  qui  ne 
lui  plaisent  pas,  que  ses  actions  sont  plus  agréables  à 
Dieu,  alors  même  qu'elles  sont  moindres  que  d'autres 
qui  eussent  été  de  son  choix:  parce  que  l'homme 
'ne  peut  donner  au  Seigneur  rien  de  plus  grand  q\  e 
de  soumettre  pour  lui  sa  volonté  propre  à  la  volonté 
d'autrui. 

Et  il  faut  dire  la  même  chose  de  la  nécessilé 
qu'imposent  les  deux  autres  vœux.  Car  parmi  les 
biens  auxquels  il  est  possible  de  renoncer,  se  trouve 
la  liberté  propre,  que  l'homme  chérit  plus  que  tous 
les  autres.  C'est  pourquoi  s'ôter  librement  le  pouvoir 
d'agir  désormais  contrairement  à  la  pauvreté  et  à  la 
chasteté  parfaite,  c'est  faire  de  sa  liberté  l'usage  le 
plus  agréable  à  Dieu.  D'où  saint  Augustin  parle 
ainsi  au  religieux  :  «  Ne  vous  repentez  point  de 
vous  être  lié  par  des  vœux  ;  mais  plutôt  soyez  joyeux 
de  ne    pouvoir  plus   ce   qui  vous  eût   été  permis  à 


—  212  — 

votre  détriment.   Heureuse  ne'cessité  que   celle  qui 
force  à  mieux  faire  !  *  » 

6ECTION  II.  —   DES  MOYENS    SECONDAIRES  DE  PERFECTION 
QUI  SONT  LES  RÈGLES. 

Le  Catéchisme  des  vœux  indique  en  peu  de  mots 2 
de  quel  secours  sont  les  règles  pour  faire  tendre  un 
religieux  à  la  perfection.  Mais  il  nous  reste  à  donner 
sur  ce  sujet  plusieurs  explications  utiles 

I.  Une  règle,  en  latin  régula  et  en  grec  canon,  est 
un  instrument  d'architecture  que  tout  le  monde 
connaît.  Indispensable  pour  les  constructions  maté- 
rielles, la  règle  ne  Test  pas  moins  pour  l'édifice 
spirituel  des  vertus  et  delà  perfection. 

La  qualité  essentielle  d'une  règle  est  d'être  droite  : 
régula,  selon  saint  Isidore,  c'est  comme  si  l'on  disait 
rectula,  à  cause  de  la  rectitude  qui  lui  est  inhérente  ; 
et  le  philosophe  Sénèque  observe  judicieusement 
«  qu'agir  d'après  une  règle  que  l'on  aurait  faussée  soi- 
même,  c'est  outrager  le  droit8  »  :  belle  maxime  qui 
montre  où  est  le  désordre  suprême,  cause  irrémédia- 
ble de  tous  les  autres.  La  règle,  dit  aussi  saint  Gré- 
goire, ne  souffre  ni  addition,  ni  retranchement  : 
autrement  elle  perd  sa  propriété  même  dérègle4.  En 
un  mot,  si  la  rectitude  manque  à  la  règle,  elle  trompe 

1.  Non  te  Toyisse  pœniteat,  imo  gaude  jam  tibi  non  licere 
quod  cum  tuo  detrimento  licuisset.  Félix  nécessitas  quae  in 
meliora  compellit  1 

2.  lre  part.  ch.  2. 

%.  Regulam  si  flectas,  quidquid  ex  illa  mutaveris,  injuria  est 
recti. 

4.  Régula  nec  addisibi  quidquam,  nec  demi  sustinet;  alio- 
quin  hoc  ipsum  quod  régula  est,  amittit  ac  perdit. 


—  213  — 

l'ouvrier,  elle  gâte  son  ouvrage,  elle  va  même  jus- 
qu'à compromettre  la  solidité  de  l'édifice.  Voilà 
pourquoi,  lorsqu'il  s'agit  d'une  règle  de  vie  reli- 
gieuse, l'approbation  de  l'Église  est  nécessaire  pour 
certifier  qu'elle  est  réellement  droite  ;  et  pourquoi 
encore  il  importe  tant  à  un  institut  qu'on  ne  touche 
point  à  sarègle  approuvée,  mais  que  chacun  en  res- 
pecte affectueusement  la  rectitude. 

II.  La  règle  dans  la  main  du  maçon  lui  fait  con- 
naître si  le  mur  qu'il  élève  a  l'aplomb  et  l'égalité 
voulus  :  afin  que,  s'il  voit  rentrer  une  pierre,  il  la 
pousse  en  dehors,  et  s'il  en  voitsaillir  une  autre  il  la 
ramène  au  dedans  ;  c'est  la  comparaison  de  saint 
Grégoire  *f  et  elle  est  d'une  continuelle  application 
au  travail  de  la  perfection. 

Règle  vient  du  mot  regere,  parce  qu'elle  est  des- 
tinée à  diriger  et  à  corriger 2  ;  ce  sont  là  ses  deux 
fonctions  essentielles  :  elle  dirige,  dans  l'ordre 
moral,  en  montrant  ce  qu'il  faut  ou  faire  ou  éviter  ■ 
elle  corrige  en  rappelant  au  droit  ce  qui  s'en  écarte, 
en  reprenant  et  en  punissant  le  tort. 

III.  Par  la  Règle  d'un  institut  on  entend  l'ensem- 
ble de  toutes  les  prescriptions  qui  le  concernent  ;  et 
il  y  faut  distinguer  deux  sortes  d'éléments,  les  uns 
plus  essentiels  et  de  premier  ordre,  et  les  autres 
complémentaires  et  de  second  ordre.  Celui,  dit  saint 
Thomas,   qui  professe  la  règle,   ou  pour  mieux  dire 


1.  Ut  si  lapis  intus  est,  foras    emittatur  ;  si  autem  exterius 
prominet,  interius  revocetur. 

2.  Régula  a  regendo,  id  est,  dirigendo  et  corrigendo,  quiavel 
rectum  dirigit,  vel  distortum  corrigit. 


—  214  — 

de  vivre  selon  la  règle,  ne  s'engage  point  par  vœu  à 
garder  toutes  les  particularités  qui  sont  dans  la 
règle  ;  mais  il  voue  la  vie  régulière,  qui  consiste 
essentiellement  à  garder  les  trois  vœux.  Car,  dans 
une  loi  certaines  choses  sont  proposées,  non  par 
manière  de  précepte  obligeant  sous  peine  de  péché, 
mais  par  manière  d'ordination  ou  de  direction  obli- 
geant seulement  à  quelque  peine,  si  Ton  y  manque. 
Cependant,  puisque  le  religieux  s'est  engagé  à  vivre 
selon  la  règle,  c^est-à-dire  à  s'efforcer  déformer  sa 
vie  sur  elle  comme  sur  un  modèle  qu'on  lui  a  pré- 
senté, il  violerait  cet  engagement  et  pécherait 
même  gravement,  s'ilméprisait  la  règle  dans  unpoint 
quelconque  ;  et  ce  mépris  existe  quand  la  transgres- 
sion vient  précisément  de  ce  que  la  volonté  refuse 
de  se  soumettre  à  elle.  Mais  ce  n'est  point  pécher  par 
mépris  que  d'enfreindre  quelque  point  de  la  règle 
par  une  autre  cause  particulière,  telle  que  la  colère, 
la  paresse,  etc.  ;  on  doit  cependant  remarquer  que 
ces  infractions  engendrent  peu  à  peu  le  mépris, 
quand  elles,  deviennent  fréquentes  *. 

IV.  Souvent  on  distingue  la  Règle  au  singulier,  et 
les  Règ les  au  pluriel. 

La  Règle,  prise  selon  cette  distinction,  est  seule- 
ment l'exposé  des  points  les  plus  substantiels  de  l'ins- 
titut et  que  l'on  présente  à  l'approbation  de  TEglise. 
Ainsi  entendue,  la  règle  est  ce  qui  donne  l'existence 
à  un  corps  religieux,  quand  elle  est  approuvée  et 
mise  à  exécution. 

1.  2a  2sb.  q.  186,  a.  9. 


—  215  — 

Mais  cette  règle,  à  raison  de  sa  brièveté',  demande 
des  développements  ultérieurs  selon  son  esprit  :  de 
là  les  règles  de  détail  ou  constitutions,  soit  celles  qui 
regardent  le  corps  de  l'institut,  soit  celles  que  doivent 
observer  personnellement  ses  membres. 

Ces  règles,  comme  leur  nom  l'exprime  encore, 
doivent  toujours  vérifier  l'idée  de  droiture,  et  c'est 
pour  cela  qu'il  faut  aux  fondateurs  ou  aux  chefs  des 
instituts  l'autorisation  de  TEglise  pour  pouvoir  les 
faire  et  les  imposer.  D'ordinaire  même,  afin  d'en 
garantir  davantage  la  rectitude,  elle  veut  encore  les 
examiner  et  ajouter  son  approbation  formelle. 

Aujourd'hui  le  Saint-Siège  n'admet  point  le  nom  de 
Règle  pour  désigner  l'ensemble  des  constitutions  d'un 
pieux  institut  qu'il  approuve.  Il  réserve  ce  nom  aux 
anciens  ordres  sous  la  règle  desquels  se  sont  mises 
diverses  congrégations  plus  récentes  :  la  Règle  de 
6aint  Basile,  la  Règle  de  saint  Benoit,  de  saint  Augus- 
tin, de  saint  François,  etc. 

V.  Parmi  les  Règles  ou  constitutions  qui  regardent 
personnellement  les  membres  d'un  institut,  il  en  est 
de  deux    sortes   qu'il  est  important   de  distinguer. 

Les  unes  ont  pour  objet  de  former  chaque  religieux 
selon  l'esprit  propre  de  l'institut  :  ce  sont  les  Règles 
de  la  vie  intérieure.  Là  sont  posés  les  principes  d'où 
chacun  devra  tirer  une  foule  de  conséquences  prati- 
ques, pour  tendre  à  la  perfection  positive  de  ses 
vœux  et  à  la  perfection  des  vertus  selon  sa  voca- 
tion. Ces  règles,  il  faut  bien  le  remarquer,  pres- 
crivent plutôt  une  tendance,  des  efforts  et  un  pro- 
grès toujours  croissant,  qu1  elles  ne  commandent  ou 


—  aie  - 

défendent  des  actes  particuliers.  Ainsi,  quoique  le  de- 
voir de  tous  soit  de  s'appliquer  à  suivre  leur  direction, 
néanmoins  elles  ne  sont  pas,  pour  la  plupart,  elles 
ne  peuvent  même  pas  être  observées  par  tous  égale- 
ment ;  mais  il  y  a  des  degrés  très  divers  pour  les  in- 
dividus, et  chacun  les  pratique  dans  sa  propre 
mesure,  selon  la  grâce  qui  lui  est  donnée,  selon  sa 
ferveur  actuelle,  et  selon  les  progrès  qu'il  a  déjà  faits 
dans  la  perfection. 

Les  autres  règles  ont  pour  objet  la  discipline 
ou  la  vie  commune  extérieure  :  c'est  pourquoi  on 
les  appelle  ordinairement  règles  communes.  Elles 
prescrivent  ou  défendent  des  actes  qui  se  produisent 
au  dehors  ;  et  leur  fin  est  d'établir  la  forme  visible  de 
la  vie  de  communauté  selon  l'institut,  et  de  protéger 
l'ordre  domestique.  Aussi  leur  observation  est-elle 
exigée  de  chacun  en  particulier  et  de  tous  à  la  fois  : 
car  c'est  par  elles  que  tous  doivent  prendre  une 
commune  physionomie  et  apparaître  les  membres  du 
même  corps  ;  c'est  par  elles  qu'ils  se  reconnaissent 
entre  eux  pour  frères,  et  qu'un  même  air  de  famille 
les  montre  tous  enfants  d'une  même  mère. 

Mais,  outre  ce  fruit  général,  déjà  si  capable  d'exci- 
ter chacun  à  la  diligente  observation  des  règles  com- 
munes, elles  renferment  encore  pour  lui  un  fruit  de 
sainteté  personnelle,  qui  mérite  assurément  tous  ses 
efforts.  «  Ma  grande  mortification,  c'est  la  vie  com- 
mune »,  disait  un  parfait  religieux,  le  bienheureux 
Jean  Berchmans  ;  et  il  signalait  ainsi  l'une  dçs  sour- 
ces les  plus  fécondes  de  la  perfection  religieuse, 
puisqu'elle  coule  sans  cesse  par  une  multitude  de 
ruisseaux,  et  que  l'observation  des  règles'  est  vérita- 


—  217  — 

blement,  comme  dit  le  Prophète,  «  le  sacrifice  légi- 
time et  perpétuel  de  tous  les  jours  4  ». 

VI.  De  l'exercice  des  vertus  selon  les  Règles.  Les  ver- 
tus chrétiennes  et  religieuses  sont  communes  à  tous 
les  chrétiens  et  à  tous  les  religieux;  mais  les  actes 
de  ces  vertus  doivent  souvent  différer  suivant  la  di- 
versité des  vocations,  et  il  importe  grandement,  pour 
le  légitime  exercice  des  vertus,  de  faire  attention  à 
cette  différence,  même  en  voulant  imiter  les  saints  ; 
sans  quoi  l'on  irait  donner  dans  des  illusions;  à  tel 
point  que  ce  qui  est  louable  chez  l'un  deviendrait 
répréhensible  chez  l'autre.  Ainsi,  par  exemple,  la 
mortilication,  le  zèle,  la  charité  du  prochain,  le 
silence,  et  ainsi  des  autres  vertus,  devront  se  prati- 
quer différemment  selon  les  instituts  et  les  situations. 
Et  voilà  pourquoi  saint  Antoine  insistait  sur  la  vertu 
de  discrétion,  comme  sur  celle  dont  la  fonction 
est  de  régler  les  actes  de  toutes  les  autres.  Or,  com- 
bien de  fois  notre  discrétion  privée  ne  se  trouverait- 
elle  pas  en  défaut,  si  elle  était  réduite  à  ses  propres 
lumières?  Mais  c'est  là  le  grand  avantage  qu'un  reli- 
gieux tire  de  ses  règles  :  elles  lui  fournissent  une 
direction  sûre  par  rapport  à  l'exercice  des  vertus,  et 
lui  en  enseignent  la  pratique  selon  la  volonté  et  le 
bon  plaisir  de  Dieu. 

VII.  Ce  pourrait  être  ici  le  lieu  d'examiner  quelle 
est  l'obligation  de  tendre  à  la  perfection  par  la  pra- 
tique des  règles;   mais  le  catéchisme  des  vœux  ex- 

1.  Sacrificium  Domino  legitimum,  juge  atque  petpetuum. 
Ezech.  46. 


—  218  — 

plique  suffisamment  ce  point 4  ;  on  peut  aussi  le  voir 
plus  amplement  traité  dans  Rodriguez2fl  et  dans  le 
P.  Saint-Jure s. 


ARTICLE   V. 

LES  VOEUX  DE  RELIGION  SE  FONT  SELON  LA  RÈGLE  OU 
LES  CONSTITUTIONS  :  DE  DIVERS  DEGRÉS  DANS  LA 
PERFECTION  RELIGIEUSE. 

Les  vœux  de  religion  se  font  selon  la  règle  spéciale 
et  propre  de  chaque  institut  :  c'est-à-dire  que  celui 
qui  les  prononce  doit  les  entendre,  et  s'engage  à  les 
observer  dans  le  sens  que  leur  donnent  les  constitu- 
tions du  corps  religieux  où  il  est  admis. 

On  voit  par  là  l'obligation  qu'ont  les  supérieurs 
de  bien  instruire  sur  ce  point  les  novices,  et  ensuite 
de  s'assurer  que  tous  les  religieux  en  conservent  tou- 
jours l'intelligence  exacte. 

Mais  une  conséquence  qui  revient  à  la  matière 
présente,  c'est  que  la  manière  plus  ou  moins  parfaite 
dont  la  règle  entend  faire  pratiquer  les  trois  vœux 
de  religion,  fait  naître  des  degrés  différents  dans  la 
perfection  religieuse  elle-même. 

Sans  doute,  il  existe  une  perfection  commune  à  tous 
les  instituts,  et  elle  se  trouve  dans  la  commune 
profession   des    conseils  évangéliques,  par  les  trois 


1.  2e  Partie,  en.  III,  art.  2. 

2.  De  la  Perfection  chrétienne,  première  partie,  1er  traité, 
ch.  6, 

3.  L'homme  religieux.  Liv.  1.  ch.  3. 


—  c219  — 

vœux  essentiels  de  religion.  Mais  il  y  a  aussi  une 
perfection  spéciale  à  chaque  institut,  laquelle  est 
proposée  en  commun  à  tous  les  membres  qui  lui 
appartiennent.  Cette  perfection  tient  à  la  manière 
dont  la  règle  veut  qu'on  y  observe  les  trois  conseils 
évangéliques,  et  elle  est  plus  ou  moins  élevée  selon 
que  les  vœux  et  les  règles  imposent  une  pratique 
plus  ou  moins  parfaite  de  ces  conseils. 

Enfin,  il  y  a  une  perfection  personnelle  qui  devient 
propre  à  chaque  religieux,  selon  qu'il  s'applique 
effectivement  à  la  puiser  dans  son  institut  respectif; 
et  cette  perfection  individuelle  ofire  encore  une  mul 
titude  de  degrés  divers,  qui  dépendent  et  du  prin 
cipe  intérieur  de  la  grâce  et  de  la  coopération  de 
chacun. 

C'est  cette  perfection  personnelle  qui  est  la  plus 
digne  de  considération:  d'abord,  parce  que,  au  fond, 
c'est  la  seule  qui  donne  à  chaque  religieux  son 
mérite  réel  devant  Dieu;  et  ensuite,  parce  que  Dieu 
lui-même,  en  appelant  telle  personne  dans  un  in- 
stitut moins  parfait  en  soi,  peut  très-bien  la  destiner 
à  une  plus  grande  perfection  intérieure,  et  par  des 
grâces  spéciales  l'élever,  si  elle  est  fidèle,  à  un  plus 
haut  degré  de  sainteté. 

La  perfection  personnelle  a  ses  accroissements  et 
pour  ainsi  dire  ses  âges.  Car  autre  sera  la  perfection 
du  novice,  autre  celle  du  religieux  qui  avance,  et 
autre  encore  celle  du  religieux  consommé.  «  On 
exige  de  tous  la  perfection,  dit  saint  Bernard  4,  mais 


1 .  Ab  omnibus  perfectio  exigitur,  licet  non  uniformis  :  si 
incipis,  perfecte  incipe  ;  si  jam  in  profectu  es,  hoc  ipsum  perfecte 


—  220  — 

non  une  perfection  uniforme.  Si  vous  commencez, 
commencez  parfaitement;  si  vous  êtes  envoie  de 
progrès,  soyez-y  parfaitement;  et  si  déjà  vous  avez 
atteint  quelque  chose  de  la  perfection,  mesurez-vous 
avec  vous-même,  et  dites  avec  l'apôtre  :  Non,  je  n'ai 
pas  encore  saisi  le  terme,  mais  je  poursuis  ma  course 
dans  le  désir  et  l'espoir  de  l'atteindre,  oubliant  ce 
qui  est  derrière  moi  pour  m'élancer  en  avant.  »  La 
charité,  dans  ceux  qui  sont  réellement  plus  avancés, 
fait  qu'ils  redoublent  d'as  deur  et  hâtent  leur  course. 
La  charité  est  comme  cette  loi  de  gravité  des  corps 
qui  précipite  leur  mouvement  et  accroît  leur  vitesse, 
à  mesure  qu'ils  approchent  du  centre  de  gravitation. 


ARTICLE  VI. 

COMPARAISON  DES  DIVERS  ÉTATS  QUI  SONT  DANS  L'ÉGLISE, 
CONSIDÉRÉS  SOUS  LE  RAPPORT  DE  LA  PERFECTION. 

C'est  une  question  qu'il  nous  semble  utile  d'offrir 
en  terminant  ce  chapitre  de  Y  État  de  perfection  \  et 
le  Docteur  angélique  l'éclaircit  parfaitement  *, 

i  i. 

Le  prophète  royal  compare  l'épouse,  qui  est  la 
sainte  Église,  à  une  reine  dont  le  vêtement  d'or  est 

âge  ;  sin  autem  aliquid  perfectionis  attigisti,  teipsum  in  teipso 
mettre  et  die  cum  Apostolo  :  non  quod  jam  apprehenderim  aut 
perfectus  sim,  sequor  autem  si  que  modocoinprehendam,  quas 
rétro  sunt  obliviscens.  ad  ea  vero  quas  sunt  priora  extendens 
meipsum.  De  vita  solitar. 

1.    2a  2œ  q.  183,  a.  2.,  et  q.  181,  a.  7  et  8» 


__  221  

rehaussé  par  la  variété  des  couleurs  *.  Cette  robe 
d'or,  c'est  la  charité  ;  et  la  variété  des  couleurs  qui 
en  relève  l'éclat,  est  la  diversité  des  états,  des  offices 
et  des  degrés  qui  sont  dans  l'Église. 

Les  états  où  sont  placés  les  membres  du  corps  de 
l'Église  se  distinguent  selon  que  les  uns  sont  plus 
que  d'autres  engagés  d'une  manière  fixe  à  la  perfec- 
tion évangélique  2. 

La  distinction  des  offices  ou  fonctions  se  tire  de  ce 
que  telle  ou  telle  classe  de  personnes  est  députée  dans 
l'Église  pour  faire  les  actes  qui  lui  sont  nécessaires, 
par  exemple  les  actes  du  ministère  ecclésiastique. 

Enfin  les  degrés  sont  différents  dans  un  même 
état  ou  dans  un  même  office,  selon  que  les  uns  sont 
plus  élevés  que  les  autres  pour  l'autorité,  ou  pour 
la  dignité  et  le  droit  à  l'honneur. 

Au  rang  suprême  se  trouvent  les  Évêques,  non- 
seulement  pour  le  degré  et  pour  l'office,  mais  encore 
pour  la  perfection  de  l'état  :  car  ils  sont  fixés  dans 
une  position  qui  les  engage  irrévocablement  à  la 
garde  et  aux  soins  du  troupeau  de  Jésus-Christ,  et 
cet  état  est  l'état  de  perfection,  supérieur  même  à 
l'état  religieux.  La  raison  en  est  que  pour  conduire 
les  autres  à  la  perfection,  il  faut  que  l'on  soit  déjà 
parfait  soi-même,  tandis  que  pour  y  être  conduit,  il 
suffit  d'avoir  la  volonté  d'y  tendre  :  de  sorte  que 
l'évêque  est  dans  l'état  de  la  perfection  acquise,  et  le 
religieux,  seulement  dans  l'état  de  la  perfection  à 
acquérir.  Aussi  le  Seigneur,  avant  de  confier  ses 

l..Astitit  regina  a  dextris  tuis  in  vestitu  deaurato,  circum- 
data  varietate.  Ps.  -A4. 
2.  Voyez  ci-dessus,  ch.  II.  art.  2,  sect.  1, 


—  222  — 

brebis  à  saint  Pierre,  lui  dit  :  «  Simon,  fils  de  Jean, 
m'aimez-vous  ?  »  Et  ce  n'est  qu'après  une  réponse 
trois  fois  affirmative  qu'il  ajoute  :  «  Paissez  mes 
agneaux,  paissez  mes  brebis  4  »  ;  mais  au  religieux 
il  se  contente  de  dire  :  «  Si  vous  voulez  être  parfait, 
allez,  vendez  tout  ce  que  vous  avez....  et  venez, 
suivez-moi  2  » . 

Et  pourquoi  l'évêque  ne  voue-t-il  pas  la  pauvreté 
ni  l'obéissance  comme  le  religieux  ?  C'est  qu'il  est 
censé  n'avoir  plus  besoin  de  ces  deux  moyens  qui 
servent  à  acquérir  la  perfection,  puisqu'il  doit  la 
posséder  déjà  par  la  charité  ;  c'est  encore  parce  que, 
une  fois  appelé  à  l'épiscopat,  la  pratique  de  ces  vœux 
n'est  plus  compatible  avec  son  office  et  son  degré  ; 
car  il  est  dans  un  poste  où  il  faut  commander  plutôt 
qu'obéir  ;  et  il  doit  avoir  de  quoi  subvenir  aux  néces- 
sités même  temporelles  de  ses  ouailles.  Mais,  dans  les 
besoins  urgents,  la  perfection  de  son  état  lui  fait 
une  obligation,  plus  stricte  qu'à  tout  autre,  de  se 
dépouiller  pour  le  soulagement  de  son  troupeau. 

L'état  de  simple  prêtre,  en  soi,  n'est  point  l'état  de 
perfection  ;  car  le  vœu  de  continence  ne  lui  donne 
pas  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  être  dans  cet  état, 
quoiqu'il  l'élève  au-dessus  de  l'état  commun  ;  et, 
d'autre  part,  il  ne  se  trouve  point  comme  l'évêque 
essentiellement  ni  irrévocablement  engagé  à  la  con- 
duite du  troupeau  de  Jésus-Christ.  C'est  pourquoi 
son  état  s'appelle  l'état  de  prêtre  séculier,  lequel,  com- 


1 .  Simon  Joannis,  diligis  me?. . .  plus  his?.. .  Etiam Domine. 
Pasce  agnos  meos...  oves  meas.  Joan.  21. 

2.  Si  vis  perfectus  esse,  vade,  vende  omnia et  veni.  se- 

quere  me.  Matth.  1,9. 


223  

paré  à  celui  du  religieux,  est  comme  un  moindre 
sacrifice  comparé  à  l'holocauste. 

Sous  le  rapport  de  l'ordre ,  le  prêtre  ,  quel  que 
soit  son  état ,  séculier  ou  régulier  ,  se  trouve  député 
par  l'Église  pour  faire  des  actions  très-saintes  ,  spé- 
cialement dans  les  adorables  mystères  de  l'Eucharis- 
tie. De  là  l'obligation  pour  lui  d'une  sainteté  ou 
perfection  intérieure,  qui  doit  surpasser  celle-là 
même  que  Dieu  demande  du  religieux  laïque  ;  de 
sorte  que  si  le  prêtre  fait  quelque  chose  de  contraire 
à  la  sainteté,  il  est  plus  répréhensible  que  le  simple 
religieux;  quoique  celui-ci,  de  son  cûté,  trouve  dans 
son  état  des  moyens  de  sanctification  ,  comme  aussi 
des  obligations  ,  que  n'a  point  le  prêtre  séculier. 

C'est  à  raison  de  cette  plus  grande  sainteté  exigée 
du  prêtre ,  que  saint  Jérôme  disait  aux  religieux  laï- 
ques de  son  temps  (et  ils  l'étaient  presque  tous  alors)  : 
«  Vivez  dans  le  monastère  de  manière  à  mériter  la 
cléricature  '  » .  Et  en  effet ,  que  de  religieux  ont 
trouvé  dans  l'état  de  perfection  les  moyens  de  se 
rendre  plus  dignes  du  sacerdoce  !  Mais,  devenus  prê- 
tres réguliers,  assurément  ils  n'avaient  rien  perdu 
des  avantages  que  leur  donnait  leur  état,  pour  être 
des  piètres  toujours  plus  parfaits  et  plus  saints. 

Le  degré  ou  le  poste  dans  lequel  un  prêtre,  soit 
séculier,  soit  régulier,  est  placé  par  l'Église,  par 
exemple  pour  administrer  une  paroisse,  lui  donne 
ce  tains  pouvoirs  que  n'a  point  le  simple  prêtre  ré- 
gulier :  mais  ce  degré  ne  change  rien  à  son  état  sous 
le  rapport  de  la  perfection  ;  seulement  il  lui  crée  des 

1.  Sic  vive  iii  monasterio  ut  clericus  esse  merearis. 


__  224  

obligations  et  des  difficultés  pour  lesquelles  il  lui  faut 
une  vertu  plus  solide  et  une  plus  grande  sainteté 
intérieure.  Or,  quant  aux  difficultés  que  l'homme 
rencontre  dans  la  pratique  de  ses  devoirs,  nous  avons 
déjà  vu  que  l'on  doit  distinguer  les  difficultés  qui 
diminuent  le  mérite,  et  celles  qui  l'augmentent1 

§11. 

On  peut  ajouter  ici  une  question  incidente  qui  se 
rattache  à  la  précédente,  et  qu'il  n'est  pas  sans  quel- 
que intérêt  d'examiner  et  de  résoudre  :  Les  réguliers 
sont-ils  de  la  hiérarchie?  Je  réponds  qu'il  faut  distin- 
guer deux  sortes  de  hiérarchie  dans  la  sainte  Église  : 
la  première  est  la  hiérarchie  du  droit  divin,  savoir, 
celle  que  Jésus-Christ  lui-même  a  établie  ;  et  la 
seconde  est  la  hiérarchie  du  droit  ecclésiastique,  c'est-à- 
dire  celle  que  l'Église  a  surajoutée  à  la  première. 

La  hiérarchie  du  droit  divin  se  compose  des  évê- 
ques,  des  prêtres,  et  des  autres  ministres  inférieurs  : 
c'est  un  point  de  la  foi  catholique  défini  par  le  con- 
cile de  Trente  2.  Il  est  bien  évident  que  dans  cette 
hiérarchie  il  n'y  a  aucune  différence  à  mettre  entre 
un  clerc  séculier  ou  un  clerc  régulier. 

La  hiérarchie  de  droit  ecclésiastique  se  divise  en 
deux  espèces  :  l'une  est  la  hiérarchie  générale  et  prin- 
cipale qui  préside  au  gouvernement  universel  de  l'É- 
glise ;  l'autre  est  la  hiérarchie  spéciale  des  réguliers . 

La  hiérarchie  générale  et  principale  a  été  établie 


1:  Voyez  ci-dessus,  ch.  II,  art.  2,  sect.  2, 
2.  Ses».  23e,  can.  6. 


2fg  _ 

pour  faciliter  la  bonne  administration  de  tout  le 
peuple  chrétien. -De  là,  dans  l'ordre  épiscopal.  les 
degrés  de  patriarche,  de  primat,  de  métropolitain  ; 
et  dans  le  second  ordre,  ceux  d'archiprêtres,  d'ar- 
chidiacres, de  curés,  etc.  Et  ces  degrés  ont  varié 
dans  l'Église  selon  les  temps,  les  lieux  et  les  besoins. 
Les  réguliers  par  leur  état  ne  sont  nullement  exclus 
de  cette  hiérarchie  générale  ;  il  y  a  même  eu  des 
époques  où  elle  renfermait  beaucoup  plus  de  régu- 
liers que  de  séculiers. 

La  hiérarchie  spéciale  des  réguliers  n'est  que 
secondaire,  et  elle  dépend  essentiellement  des  chefs 
de  la  première,  notamment  de  son  suprême  Hiérar- 
que qui  est  le  Pontife  romain,  vicaire  de  Jésus-Christ. 
Mais  c'est  une  véritable  hiérarchie,  constituée  avec 
ses  degrés  propres  ;  elle  comprend  les  abbés  et 
autres  prélats  réguliers  de  divers  noms,  supérieurs 
généraux,  provinciaux  et  locaux  ;  et  cette  hiérarchie 
remonte  aussi  bien  que  l'autre  jusqu'au  chef  de  l'É- 
glise, qui  est  strictement  et  proprement  le  Prélat 
suprême  de  tous  les  réguliers. 

S'il  s'agit  de  la  préséance  d'honneur,  le  clergé  régu- 
lier, quand  il  n'entre  point  dans  la  hiérarchie  prin- 
cipale, ne  vient  qu'après  le  clergé  séculier.  D'ail- 
leurs, l'humilité  dont  il  fait  profession  par  état, 
suffirait  seule  pour  lui  en  imposer  le  devoir. 

Quant  à  la  juridiction  non-seulement  régulière, 
mais  même  ecclésiastique  au  for  extérieur,  les  prélats 
réguliers,  dans  les  ordres  exempts,  la  possèdent  sur 
leurs  inférieurs  ;  tandis  que  les  fonctions  sacerdotales 
des  curés  ne  la  leur  donnent  pas  sur  leurs  paroisses. 

Enfin,  pour  ce  qui  est  de  la  juridiction  au  for  inté- 

7* 


—  226  — 

rieur  sur  les  fidèles,  dans  le  sacrement  de  pénitence, 
les  prêtres  séculiers,  quels  qu'ils  soient,  n'en  possè- 
dent que  ce  que  leur  communique  Févêque  dans  son 
diocèse,  soit  par  commission  ordinaire  en  leur 
confiant  une  paroisse,  soit  par  commission  extraor- 
dinaire en  leur  donnant  le  pouvoir  de  confesser. 
Les  prêtres  réguliers  exempts,  quoiqu'ils  reçoivent 
du  Pape  cette  juridiction  par  leurs  supérieurs,  ne 
peuvent  néanmoins  l'exercer  validement  dans  un 
diocèse  sans  l'approbation  de  l'Ordinaire,  comme  Ta 
établi  le  Concile  de  Trente. 


III 


Il  nous  reste  encore  à  dire  quelques  mots  sur  les 
œuvres  du  clergé  régulier  dans  l'Église.  En  dehors 
de  la  hiérarchie  générale,  ce  clergé  se  distingue  en 
deux  classes  de  prêtres.  Les  uns  sont  uniquement 
appliqués,  du  moins  pour  l'ordinaire,  aux  fonctions 
cléricales  qui  regardent  directement  le  culte  divin  : 
tels  sont  certains  ordres  de  chanoines  réguliers,  et 
les  religieux  des  ordres  contemplatifs,  Bénédictins, 
Chartreux,  Cisterciens,  etc.  Les  autres  appartiennent 
à  des  instituts  dont  la  fin  est  aussi  de  travailler  au 
salut  des  âmes,  comme  les  ordres  appelés  Mendiants, 
et  ceux  qu'on  nomme  proprement  ordres  de  clercs 
réguliers.  Tous  ces  instituts  fournissent  des  coopé- 
rateurs  et .  des  auxiliaires  aux  ministres  de  l'Église 
chargés  du  soin  ordinaire  des  fidèles  :  c'est  la  desti- 
nation  providentielle   de    cette   portion   du   clergé 
régulier  ;  et  tout   spécialement  le  Pontife  suprême 
la  regarde  et  l'emploie  comme  son  corps  de  réserve. 


—  227  — 

pour  le  plus  grand  bien  de  l'Église  entière.  On  con- 
naît la  vision  d'Innocent  III  *,  dans  laquelle  saint 
François,  au  temps  où  il  demandait  l'approbation 
de  son  ordre,  lui  fut  montré  soutenant  1  église  de 
Latran  qui  semblait  menacer  ruine.  De  même,  dans 
l'oraison  de  l'office  de  saint  Ignace,  l'Église  fait  dire 
à  tous  ses  prêtres  :  «  0  Dieu,  qui  par  le  bien- 
heureux Ignace  avez  fortifié  d'un  nouveau  renfort 
l'Église  militante2  »  ;  d'où  l'on  voit  que  le  clergé 
régulier,  quoique  auxiliaire  seulement  dans  la  hié- 
rarchie sacrée,  lui  présente  néanmoins  un  secours 
ordinaire  et  constant  que  Dieu  fournit  à  son  Église, 
et  qu'elle-même  veut  voir  mettre  à  profit  pour  son 
plus  grand  avantage  et  celui  de  ses  enfants. 


CHAPITRE    III. 

DES   DIFFÉRENTES    SORTES   DE  VŒUX   DE    RELIGION. 

Afin  de  pouvoir  donner  plus  de  jour  à  cette  ma- 
tière, il  convient  de  reprendre  les  choses  de  plus 
haut. 

ARTICLE  1er. 

de  l'état  religieux  en  général,  et  des  instituts 
en  particulier. 

Nous  avons  ici  plusieurs  différences  notables  à 

1.  Brev.  Rom.  4  octobr. 

2.  Deus,  qui  ad  majorem  tui  nominis  gloriam  propagandam 


signaler,  d'après  Suarez,  entre  l'état  et  les  instituts 
religieux. 

I.  L'état  religieux,  si  on  le  considère  dans  sa  sub- 
stance, a  été  institué  immédiatement  par  Jésus- 
Christ  même  :  de  sorte  que  l'on  peut  dire  qu'il  est 
de  droit  divin,  et  que  l'Église  n'a  pas  le  pouvoir  de 
l'abroger.  C'est  là,  dit  Suarez,  un  sentiment  commun 
à  tous  les  catholiques  qui  pensent  sainement.  Saint 
François  de  Sales  ajoute  que  l'état  religieux  appartient 
à  la  note  de  sainteté  de  l'Église,  parce  que  ce  caractère 
doit  se  manifester  au  dehors  par  l'exercice  des  vertus 
évangéliques  dans  leur  plus  haut  degré  :  ce  qui  de- 
mande l'existence  de  l'état  de  perfection. 

II.  Mais  la  vie  commune  ou  eénobitiqite  que  l'on 
mène  au  sein  des  instituts  réguliers  n'est  pas  essen- 
tielle à  l'état  religieux.  Une  personne  peut  dans  la 
vie  privée  s'appliquer  à  la  perfection,  et  si  elle  s'o- 
blige d'une  manière  fixe  et  stable  à  la  pratique  des 
trois  conseils  évangéliques,  elle  pourra  être  consi- 
dérée comme  une  personne  religieuse.  Tels  étaient 
les  anciens  ascètes,  les  anachorètes,  et  les  vierges 
ou  veuves  consacrées  à  Dieu.  Cependant,  nous  l'avons 
déjà  fait  remarquer,  il  est  bien  difficile  que  la  vie 
privée  donne  le  moyen  de  pratiquer  la  pauvreté  et 
l'obéissance  religieuses  aussi  complètement  qu'on 
peut  le  faire  dans  les  communautés.  C'est  une  des 
raisons  pour  lesquelles  l'état  religieux  se  divise  en 
état  complet  et  incomplet  de  perfection. 


novo  per  "beatum   Ignatium   subsidio  militantem   Ecclesiam 
toborasti 


—  229  — 

Selon  le  droit  actuel  de  l'Église,  son  approbation 
expresse  est  de  rigueur  pour  constituer  un  véritable 
état  de  religion.  Toujours  sans  doute  l'approbation 
au  moins  pratique  de  l'Église  fut  nécessaire  à  l'ad- 
mission réelle  dans  cet  état,  et  pour  que  celui  qui  le 
professe  lût  vraiment  religieux;  car  la  profession 
religieuse  consiste  dans  une  donation  spéciale  que  le 
chrétien  fait  à  Dieu  de  sa  personne,  et  cette  donation 
doit  être  acceptée  pour  être  valide  ;  or,  Dieu  ne  l'ac- 
cepte pas  immédiatement  par  lui-même,  mais  par 
la  sainte  Église  qui  tient  à  notre  égard  sa  place  sur 
la  terre.  Néanmoins,  il  faut  dire  que,  dans  les  pre- 
miers siècles  du  christianisme,  cette  approbation 
pratique  de  l'Église  a  été  très-souvent  tacite,  et  non 
expresse.  Quant  à  celle  du  Saint-Siège,  elle  ne  fut 
requise,  même  pour  les  ordres  religieux  proprement 
dits,  qu'à  partir  des  conciles  de  Latran  sous  Inno- 
cent III,  et  de  Lyon  sous  Grégoire  X 

III.  Autrefois,  la  stabilité  dans  tel  institut  ou 
sous  telle  règle  n'était  point  exigée  pour  la  profes- 
sion religieuse.  Jusqu'au  onzième  siècle,  il  n'y  avait 
qu'un  ordre  monastique,  ou  plutôt  il  n'y  en  avait  au- 
cun, quoiqu'il  y  eût  plusieurs  règles,  mais  variables 
au  gré  des  supérieurs.  A  proprement  parler,  il 
n'existait  que  l'état  religieux,  sans  ces  différences 
précises  qui  constituent  maintenant  la  diversité  des 
instituts.  On  n'était  donc  pas  obligé  de  s'attacher  à 
une  communauté  spéciale;  mais  il  suffisait  de  mani- 
fester par  un  signe  public  qu'on  s'était  consacré 
pleinement  à  Dieu,  et  Ton  appartenait  ainsi  à  l'état 
religieux  ,   avec  l'obligation  d'y  persévérer,   sans 


-  230  - 

subir  celle  de  dépendre  d'un  monastère  ou  d'une 
règle,  à  moins  de  s'y  être  formellement  engagé.  Ce 
fut  saint  Benoît  qui,  pour  mettre  fin  à  ces  fréquents 
et  nuisibles  passages  d'un  monastère  à  l'autre,  établit 
la  célèbre  sanction  de  la  stabilité  que  devaient  pro- 
mettre ses  religieux  :  institution  très-salutaire  qui, 
devenue  bientôt  une  règle  consacrée  universellement 
par  l'autorité  de  l'Église,  devint  aussi  le  principe  de 
la  diversité  des  instituts. 


ARTICLE   II. 

DE  LA  VARIÉTÉ  DES   INSTITUTS  RELIGIEUX. 

SECTION  Ire.  —  LES  CAUSES  ET   LES  FINS  DE  CETTE 
DIVERSITÉ. 

I.  La  diversité  des  instituts  religieux  dans  l'Église 
n'est  point  l'effet  du  hasard,  ni  le  fruit  du  caprice 
des  hommes.  Elle  a  sa  raison  première  dans  la  con- 
duite de  la  Providence  divine  et  dans  les  opérations 
intérieures  de  l'Esprit-Saint  au  fond  des  âmes. 

Dieu,  en  destinant  à  chaque  homme  sa  place  sur 
la  terre,  lui  a  donné  des  qualités,  des  aptitudes  et 
des  goûts  en  rapport  avec  cette  destination  :  de  sorte 
que  la  diversité  qui  se  rencontre  dans  les  caractères, 
les  talents,  les  inclinations  et  même  les  forces  cor- 
porelles et  les  besoins,  contribue  à  déterminer  ces 
choix  divers  qui  fixent  les  uns  dans  une  position 
de  vie,  les  autres  dans  une  autre,  tant  pour  le  bien 
commun  de  la  société  que  pour  la  direction  de  cha- 
cun vers  la  fin  dernière  de  sa  création,  qui  est  le 


—  231  — 

salut  éternel.  Or,  cette  disposition  providentielle  de 
Dieu  se  montre,  à  plus  forte  raison,  dans  ceux  qu'il 
destine  par  une  vocation  plus  spéciale  à  l'état  de  la 
perfection  évangélique.  Il  est  moralement  impossible 
que  toutes  les  aptitudes  et  toutes  les  propensions 
S'accommodent  à  une  seule  manière  de  vivre  dans 
cet  état.  L'un  se  sentira  plus  de  facilité  et  d'attrait 
pour  une  vie  de  contemplation,  de  mortification  et 
de  silence;  un  autre  au  contraire  trouvera  dans  les 
occupations  d'une  vie  active  plus  de  convenance 
avec  sa  nature,  ses  goûts  et  les  impulsions  de  la 
grâce  ;  enfin,  un  troisième  verra  dans  les  dons  qu'il 
a  reçus  en  partage,  les  indices  d'une  vocation  à  une 
vie  où  il  pourra  mêler  l'action  à  la  contemplation  : 
et  c'est  ainsi  que  tous  auront  les  moyens  de  tendre 
à  la  perfection,  mais  sous  des  formes  et  dans  des 
mesures  diverses,  par  l'exercice  de  la  charité  envers 
Dieu  et  le  prochain. 

II.  De  plus,  Dieu,  qui  a  toujours  en  vue  le  bien  de 
son  Église,  sait  l'obtenir  encore  par  cette  même  action 
de  sa  providence  et  de  son  Saint-Esprit  dans  les 
âmes.  Comme  les  besoins  du  peuple  fidèle  sont  très- 
divers,  un  seul  et  même  institut  ne  pourrait  pas  les 
embrasser  tous  à  la  fois  ;  mais  la  divine  bonté  y  a 
pourvu  par  la  diversité  des  corps  religieux,  et  elle 
les  destine,  chacun  pour  sa  part  et  selon  sa  manière, 
à  procurer  à  l'Église  quelque  bien  spirituel  ou  tem- 
porel, et  à  venir  au  secours  de  ses  enfants  dans  les 
maux  de  l'âme  et  du  corps.  Les  instituts  ont  donc 
leur  vocation  comme  les  individus.  Membres  du 
grand  corps  de  l'Église,  ils  reçoivent  chacun,  ainsi 


—  232  — 

que  les  memî3res  du  corps  humain,  une  fin  propre, 
une  destination  spéciale,  dans  laquelle  ils  doivent 
concourir  au  bien  universel.  Les  uns,  plus  retirés 
dans  la  solitude,  prient  pour  l'Église  et  l'édifient  par 
le  bon  exemple1  ;  les  autres,  plus  en  communication 
avec  les  hommes,  travaillent  au  salut  des  âmes  ou 
s'emploient  aux  autres  œuvres  de  miséricorde. 

SECTION.  II.  —  TROIS    ESPÈCES    PRINCIPALES    D'INSTITUTS 
RELIGIEUX. 

I.  D'après  ce  qui  vient  d'être  dit,  on  voit  que  tous 
les  instituts  religieux  peuvent  se  rapporter  à  trois 
classes  principales,  selon  qu'on  y  mène  la  vie  con- 
templative, la  vie  active,  ou  la  vie  mixte. 

A  la  vie  contemplative  appartiennent  les  ordres 
purement  monastiques,  parce  que  leur  lin  directe  et 
spéciale  est  de  vaquer  à  la  prière  et  aux  exercices 
propres  du  culte  divin.  Le  travail  lui-même  y  est 
subordonné  et  rapporté  à  cette  lin  principale  :  tels 
sont  les  Bénédictins,  les  Chartreux,  les  Clarisses,  les 
Carmélites,  etc. 

La  vie  active  est  le  propre  de  ces  nombreux  insti- 
tuts qui  se  livrent  au  soin  des  pauvres,  des  malades, 
ou  à  l'instruction  et  à  l'éducation  de  l'enfance.  Dans 
cette  classe  étaient  aussi  comptés  les  ordres  qui  se 
dévouaient  au  rachat  des  captifs,  et  les  ordres  mili- 
taires employés  à  la  défense  de  la  Chrétienté  contre 
les  infidèles. 

On  appelle  vie  mixte  celle  où  la  contemplation  et 

1.  On  peut  lire  de  belles  pages  sur  ce  sujet  dans  les  Moines 
tf  Occident,  Introduction,  par  M.  de  Montalembert. 


—  233  — 

l'action  s'unissent,  en  marchant  pour  ainsi  dire 
de  front;  alors  les  exercices  de  la  vie  contemplative 
donnent  au  religieux  les  lumières  et  les  grâces  dont 
il  a  besoin  pour  lui-même  et  pour  le  prochain  ;  tandis 
que  par  l'action  et  surtout  par  les  ministères  du 
sacerdoce,  il  s'efforce  de  communiquer  aux  autres 
ces  biens  qu'il  a  reçus;  et  c'est  ainsi  qu'unissant 
étroitement  le  travail  de  sa  propre  perfection  avec 
celui  de  la  sanctification  du  prochain,  il  imite  la 
vie  des  Apôtres  qui  disaient  d'eux-mêmes  :  «  Pour 
nous,  notre  application  constante  sera  à  la  prière  et 
au  ministère  de  la  parole1  ».  A  cette  classe  reviennent 
les  ordres  de  saint  Dominique,  de  saint  François,  de 
saint  Ignace,  etc. 

Une  remarque  sérieuse  à  faire  pour  les  religieux 
qui  sont  dans  la  vie  active,  c'est  qu'ils  ont  eux-mêmes 
un  besoin  essentiel  d'emprunter  à  la  vie  contempla- 
tive une  mesure  convenable  d'exercices  spirituels  ; 
sans  quoi,  au  milieu  des  occupations  extérieures,  ils 
seraient  infailliblement  en  danger  d'oublier  ce 
qu'ils  doivent  à  leur  propre  perfection,  ou  même  à 
l'affaire  personnelle  de  leur  salut,  selon  l'avis  que 
leur  donne  le  Seigneur  :  «  Marthe,  Marthe,  vous  vous 
empressez  à  beaucoup  de  choses  ;  or  une  chose, 
avant  toute  autre,  est  nécessaire2».  Le  monde  qui 
admire  la  Fille  de  Charité  et  reconnaît  le  prix  de  ses 
services,  trouve  pourtant  à  redire  à  ses  dévotions. 
Quand  il  lui  reproche  comme  perdu  le  temps  qu'elle 


1.  Nos  autem  orationi  et  ministerio  verbi  instantes  erimus. 
Act.  6. 

2.  Martha,  Martha,  sollicita   es,  et  turbaris  erga  plurima  : 
porro  unum  est  necessarium.  Luc.  10, 


—  234  — 

leur  consacre,  il  ne  se  doute  même  pas  que  sans 
cela  il  n'y  aurait  plus  de  Fille  de  Charité  possible  ; 
mais  elle,  pourrait  elle  partager  cette  grossière 
illusion,  ou  faire  dans  la  pratique  comme  si  elle 
la  partageait ,  en  négligeant  ses  exercices  spiri- 
tuels ? 

II.  Si  l'on  veut  établir  une  comparaison  entre  ces 
trois  vies  sous  le  rapport  de  la  perfection,  et  entre  les 
instituts  qui  les  exercent,  voici  les  principes  que 
pose  saint  Thomas  !  : 

La  différence  d'un  ordre  à  un  autre  ordre  se  con- 
sidère principalement  d'après  la  fin  propre  de  chacun, 
et  secondairement  d'après  les  moyens  qu'il  emploie 
pour  l'obtenir.  Celui-là  est  donc  meilleur  absolument 
qui  se  propose  une  meilleure  fin.  Ainsi  un  ordre  qui 
s'applique  à  la  vie  contemplative  est  en  soi  meilleur 
que  celui  qui  exerce  la  vie  active;  selon  ce  que  le  Sei- 
gneur disait  à  Marthe,  sœur  de  Marie  :  «  La  meilleure 
part  est  celle  que  Marie  a  choisie  »  :  car,  selon  les 
Pères,  ces  deux  sœurs  sont  les  figures  des  deux  vies  ; 
Marthe  représentant  la  vie  active  au  service  du  divin 
Maître,  et  Marie  figurant  la  vie  contemplative. 

On  doit  remarquer  ici  que  l'esprit  du  monde  ne 
juge  pas  des  instituts  religieux  d'après  ces  principes, 
et  par  conséquent  qu'il  se  trompe  dans  ses  apprécia- 
tions. 

Il  y  a  cependant  certaines  œuvres  de  la  vie  active 
qui  découlent  de  la  plénitude  de  la  contemplation, 
comme  la  prédication  et  le  soin  de  la  sanctification 

1.  2a  2a  q.  ISS.  a.  6. 


-  23S  - 

des  âmes  ;  et  cela  est  meilleur  que  la  simple  contem- 
plation :  car  il  est  plus  parfait  de  communiquer  aux 
autres  ce  que  l'on  contemple  soi-même  que  de  se 
borner  à  le  contempler  seul,  comme  il  est  meilleur 
d'éclairer  que  de  luire  seulement.  C'est  pourquoi  les 
instituts  où  l'on  joint  au  travail  de  sa  propre  per- 
fection celui  de  la  sanctification  du  prochain,  occu- 
pent le  premier  rang  d'excellence  parmi  les  autres  ; 
et  c'est,  en  effet,  la  vie  qu'ont  menée  les  apôtres, 
après  le  grand  modèle  de  toute  perfection,  Jésus- 
Christ  lui-même. 

Que  si  la  fin  de  plusieurs  instituts  est  également 
bonne  et  parfaite,  la  prééminence  se  juge  alors  secon- 
dairement d'après  les  moyens  d'obtenir  cette  fin.  Et 
comme  on  n'établit  pas  les  moyens  pour  eux-mêmes, 
mais  pour  la  fin,  il  s'ensuit  qu'on  doit  juger  meil- 
leures, non  les  observances  plus  rigides,  mais  celles 
qui  sont  mieux  proportionnées  à  la  fin  de  l'institut. 


ARTICLE  III 

DES  VOEUX  SOLENNELS  ET   SIMPLES,   PERPÉTUELS   ET 
TEMPORAIRES   DE   RELIGION. 

I.  Le  catéchisme  des  vœux  explique  ce  qu'il  faut 
entendre  précisément  par  vœu  solennel  et  par  vœu 
simple1. 

De  même,  il  fait  remarquer  que  les  vœux  solennels 
n'ont  lieu  que  dans  les  ordres  religieux  proprement 

1.  lr«  Part.  CU    3. 


—  236  — 
dits;  et  c'est  la  différence  essentielle  qui  distingue 
ces  ordres  des  simples  congrégations  religieuses. 
Ajoutons  que  tous  les  membres  d'un  ordre  propre- 
ment dit  ne  font  pas  toujours  la  profession  solennelle, 
mais  qu'il  en  est  dans  lesquels  plusieurs  ne  sont 
admis,  du  moins  d'abord,  qu'à  faire  des  vœux  sim- 
ples; et  que  ces  vœux,  quoique  simples,  les  consti- 
tuent strictement  religieux,  comme  le  Pape  Gré- 
goire XIII  l'a  déclaré  des  vœux  simples  des  scolas- 
tiques  dans  la  Compagnie  de  Jésus. 

Le  Pape  Pie  IX,  dans  une  congrégation  extraor- 
dinaire, convoquée  le  19  mars  1857,  sur  l'état  des 
réguliers,  a  statué  que  dorénavant,  pour  tous  les 
ordres  religieux  où  la  profession  solennelle  des  vœux 
se  faisait  au  bout  d'un  an  seulement,  il  ne  serait 
plus  permis  après  cette  seule  année  de  noviciat  que 
de  prononcer  les  vœux  simples  de  religion,  et  qu'il 
faudrait  ensuite  une  épreuve  de  trois  autres  années 
pour  être  admis  à  la  profession  solennelle  de  ces 
mêmes  vœux. 

D'après  une  déclaration  du  Saint-Siège4,  les  vœux 
simples  dont  nous  venons  de  parler  peuvent  être 
annulés  par  le  supérieur  de  l'Ordre,  dans  le  cas  et 
par  le  seul  fait  du  renvoi  légitime  du  sujet.  Autre- 
ment il  faut  recourir  au  Souverain  Pontife  pour  la 
dispense. 

II.  Par  rapport  au  mérite  des  vœux  perpétuels  ou 
temporaires,  le  catéchisme  offre  deux  propositions 

1.  Analccta  Juris  Poiitificii.  18C0. 


—  237  — 

qui,  dans  leur  brièveté,  demandent  un  éclaircisse- 
ment1. 

1°  Il  est  dit  «  qu'une  vocation  inférieure  peut  avoir 
des  compensations  »  :  cette  proposition,  pour  être 
vraie,  doit  sous-entendre  la  condition  que  Dieu  est 
bien  l'auteur  de  cette  vocation  ;  car,  alléguée  contre 
l'appel  de  Dieu,  elle  cesserait  d'être  exacte  et  vraie. 
Cependant,  lorsqu'on  n'est  plus  libre  de  réparer  le 
tort,  elle  peut  être  une  consolation,  et  doit  servir 
d'aiguillon  à  la  bonne  volonté. 

2°  Il  est  dit  encore  que  «  ne  s'engager  que  pour 
un  temps,  c'est  avoir  plus  souvent  l'occasion  de  réi- 
térer avec  pleine  liberté  son  sacrifice  » .  Cette  pro- 
position serait  complètement  fausse,  si  on  l'enten- 
dait d'une  personne  qui  se  borne  au  vœu  tempo- 
raire par  manque  de  générosité,  en  la  comparant  à 
une  autre  personne  qui  a  eu  le  cœur  de  se  donner  à 
Dieu  pour  toujours,  qui  serait  prête  à  le  faire  encore 
chaque  jour  de  sa  vie,  et  qui,  après  tout,  reste  tou- 
jours en  pleine  possession  de  sa  liberté  intérieure. 
Quant  à  sa  liberté  extérieure  elle-même,  il  peut  y 
avoir  eu  plus  de  mérite  aussi  à  prévenir  sa  propre 
instabilité  par  le  lien  du  vœu  perpétuel. 

III.  Pour  que  l'admission  aux  vœux  de  religion  soit 
valide,  il  faut  trois  conditions  principales  :  la  pre- 
mière, qu'elle  se  fasse  par  les  supérieurs  compétents, 
selon  les  constitutions;  la  seconde,  que  celui  qu'on 
admet  aux  vœux  ait  l'âge  fixé  par  l'Église  et  par  l'ins- 
titut approuvé;  la  troisième,  que  l'admission  aux  vœux 

1.  l«a  Pari.  Oh.  3. 


—  238  — 

ait  été  précédée  d'un  noviciat  qui  nepeut  durer  moins 
d'une  année;  plusieurs  instituts  ajoutent  l'obliga- 
tion d'une  seconde  année  et  quelquefois  davantage. 
Il  peut  encore  exister  d'autres  conditions  néces- 
saires à  la  validité  des  vœux,  suivant  les  constitu- 
tions des  divers  ordres  ou  congrégations. 

IV.  Le  noviciat  ne  commence  positivement  pour 
un  candidat  qu'après  son  admission  par  le  supérieur 
compétent,  et  même  à  partir  seulement  de  son  en- 
trée réelle  en  probation. 

Sa  durée  doit  être  d'une  année  pleine  et  entière, 
sans  qu'on  puisse  l'abréger  d'un  jour  ou  de  moins 
encore  ;  de  sorte  que  les  vœux  seraient  nuls,  si  on 
les  prononçait  avant  l'année  complètement  révolue, 
même  lorsqu'elle  est  bissextile.  D'où  l'on  voit  com- 
bien il  faut  être  exact  à  noter  le  jour  de  l'entrée  po- 
sitive au  noviciat.  Il  y  a  des  instituts  où  la  règle  a 
établi  que  si  par  hasard  les  vœux  se  trouvaient 
nuls  par  ce  défaut,  ou  par  celui  de  l'âge,  ils  devien- 
nent valides  dans  la  première  rénovation  publique 
qui  s'en  fera  par  la  suite. 

La  durée  du  noviciat  doit  être  continue,  de  ma- 
nière qu'il  n'y  ait  pour  le  novice  aucune  interruption, 
du  moins  morale.  Une  maladie  qui  l'empêcherait  de 
prendre  part  aux  exercices  propres  du  noviciat,  et 
de  même  une  courte  absence  pour  cause  légitime.,  ne 
nuirait  point  à  la  continuité  suffisante.  Mais  il  y  au- 
rait interruption  morale,  si  un  novice  avait  été  ren- 
voyé ou  qu'il  eût  quitté  lui-même  sa  vocation  :  par 
conséquent,  en  cas  de  rentrée  il  serait  obligé  de  re- 
commencer son  noviciat  en  entier. 


—  230  — 
ARTICLE  IV. 

DU   DÉSIR   QUI   PEUT   TENIR  A   UN   RELIGIEUX    DE    PASSER 
A    UN   AUTRE   INSTITUT. 

I.  Sur  cette  question  considérée  en  général,  voici 
la  doctrine  de  saint  Thomas  l. 

Il  faut  dire  que  ce  n'est  pas  une  chose  louable  de 
passer  d'un  institut  à  un  autre,  à  moins  qu'il  n'y  ait 
quelque  nécessité  ou  une  grande  utilité  :  soit  parce 
que  ceux  dont  on  se  sépare  en  sont  scandalisés, 
soit  parce  que,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  on 
fait  mieux  dans  un  ordre  où  l'on  s'est  habitué  à  ser- 
vir Dieu,  qu'on  ne  fera  dans  un  autre. 

Néanmoins,  il  peut  être  louable  de  passer  à  un  au- 
tre ordre  pour  l'une  de  ces  trois  raisons  :  la  pre- 
mière serait  l'amour  et  le  désir  que  Dieu  inspire  d'ui 
institut  plus  parfait.  Or,  il  faut  remarquer  que  cette 
supériorité  dans  la  perfection  d'un  institut  sur  un 
autre  doit  se  juger  non  d'après  l'austérité  seule  des 
observances  de  la  règle,  mais  principalement  d'a- 
près la  fin  que  l'ordre  se  propose,  et  secondairement 
d'après  la  sage  proportion  des  moyens  avec  la  fin  de 
l'institut,  comme  il  a  été  exposé  plus  haut  2. 

La  seconde  raison  pourrait  être  la  décadence  de 
Tordre  où  l'on  se  trouve.  Si  donc  cet  ordre  venait 
à  s'écarter  de  la  perfection  de  son  institut,  il  serait 
louable  de  passer  même  à  un  ordre  moins  strict  où 
la  règle  est  mieux  observée. 


1.  2a  2*  q.  189.  a.  8. 

2.  Chap.  III,  art.  II,  scct.  II,  §  II. 


—  240  — 

La  troisième  raison  serait  l'impuissance  où  se 
trouverait  un  religieux  d'observer  une  règle  trop 
rigide  pour  lui,  tandis  qu'il  pourrait  en  suivre  une 
autre  qui  le  serait  moins. 

Mais  il  faut  observer  que,  dans  le  premier  cas,  le 
religieux  doit  par  humilité  demander  la  permission, 
qui  toutefois  ne  peut  lui  être  refusée,  pourvu  qu'il 
soit  certain  que  l'ordre  auquel  il  veut  passer  est 
d'une  plus  étroite  observance.  S'il  y  a  doute  sur  ce 
point,  il  doit  prendre  l'avis  du  supérieur,  comme  le 
prescrit  le  Droit  canon.  Le  second  cas  exige  égale- 
ment que  le  religieux  consulte  le  supérieur.  Mais 
dans  le  troisième  cas  une  dispense  est  nécessaire. 

II.  Cette  doctrine  est  exactement  celle  de  l'Église 
touchant  le  passage  d'un  religieux  à  un  autre  insti- 
tut; nous  ajouterons  quelques  courtes  explications. 

1°  A  parler  en  général,  il  est  donc  permis  à  un 
religieux  qui  a  fait  les  vœux  selon  une  règle,  de 
passer  à  un  autre  institut  plus  parfait.  Cela  découle, 
comme  nous  l'avons  déjà  dit 4,  du  droit  que  chacun 
conserve,  après  avoir  fait  un  vœu  quelconque,  de  le 
commuer  en  un  meilleur.  De  plus,  quoique  Dieu  ait 
pu  être  vraiment  l'auteur  d'une  première  vocation, 
il  est  évident  qu'il  demeure  toujours  le  maître  de  sa 
créature  ;  et  alors  même  qu'il  Ta  fixée  à  un  poste,  il 
peut,  sans  se  contredire,  l'appeler  plus  tard  à  un  au- 
tre plus  élevé.  On  en  trouve  des  exemples  dans  plu- 
sieurs saints,  tels  que  saint  Antoine  de  Padoue,  etc. 

2°  Nous  avons  dit  :  à  parler  en  général,  parce  qu'il 

1.  Chap.  I.  art.  III, 


—  241  — 

y  a  des  ordres,  et  même  de  simples  congrégations 
religieuses,  où  le  Saint-Siège,  pour  de  justes  motifs, 
a  ri  'tendu  ce  passage  à  tout  autre  institut,  du  moins 
sans  l'autorisation  formelle  des  supérieurs. 

3>  Il  faut  bien  remarquer  que  ce  désir  de  passer 
à  un  autre  institut,  même  plus  parfait,  doit  venir  de 
Dieu  pour  être  légitime,  et  c'est  un  devoir  pour  celui 
qui  l'éprouve  de  s'en  assurer  ;  car  lorsqu'on  est 
déjà  fixé  selon  la  volonté  divine,  rien  n'est  plus 
dangereux  que  la  tentation  dans  laquelle  Fennemi 
du  salut  s'adresse  sur  ce  point  à  l'inconstance 
humaine.  «  A  l'égard  de  ceux  qui  veulent  le  bien, 
dit  saint  Ignace,  le  démon  s'applique  surtout  à  éga- 
rer la  bonne  volonté  :  il  feint  de  ne  vouloir  autre 
chose  que  la  favoriser,  et  il  propose  le  mieux  appa- 
rent et  fictif  pour  amener  une  âme  à  ses  fins  per- 
verses1. » 

Une  affaire  de  cette  nature  exige  donc  un  examen 
tout  spécial  :  car  pour  croire  à  un  nouvel  appel  de 
Dieu,  il  faut  des  preuves  plus  manifestes  même  que 
pour  une  première  vocation.  Cette  personne,  durant 
tout  son  noviciat,  n'avait  eu  aucun  doute  contraire  à 
la  vocation  où  elle  entrait  ;  comment  pourrait-elle 
s'imaginer  maintenant  que  Dieu  demande  d'elle  un 
changement  si  important?  Voilà,  selon  nous,  un 
moyen  ordinaire  de  juger  la  question,  et  une  raison 
surabondante  pour  rejeter  de  prime  abord  de  telles 
pensées  comme  des  suggestions  dangereuses.  Un  cas 
où  la  chose  pourrait  mériter  quelque  examen,  ce 
serait  peut-être  celui  où  la  personne  n'aurait  point 

1.  Exerc.  Spir.  règl.  du  dise,  des  esprits. 

7** 


—  242  — 

alors  connu  d'autre  institut  que  celui  qui  s'offrait  à 
elle  ;  ou  bien  encore,  celui  où  il  se  serait  manifesté 
d  s  lors  qu  lque  indice  dont  elle  aurait  dû  tenir 
compte. 

4°  Qumt  au  motif  de  changer  que  Ton  tirerait  de 
la  décadence  d'une  congrégation,  il  serait  certaine- 
ment légitime,  comme  le  déclare  saint  Thomas,  s'il 
était  malheureusement  fondé,  et  surtout  s'il  en  résul- 
tait un  péril  pour  le  salut  du  religieux.  Mais  il  faut 
dire  que  tout  relâchement  qu'on  s'imagine  voir  autour 
de  soi,  ne  suffit  point  pour  autoriser  une  détermina- 
tion si  grave.  Un  esprit  mécontent  ou  chagrin  c?  ée 
souvent  ce  qui  n'est  pas,  ou  exagère  ce  qui  est;  et  il 
ne  sait  pas  assez  faire  la  part  de  l'infirmité  humaine, 
qui  se  retrouve  partout  où  il  y  a  des  hommes.  La 
critique  est  injuste  quand  elle  jette  sur  l'institut  tout 
entier  le  blâme  qtie  méritent  quelques  particuliers. 
Enfin,  alors  môme  que  le  corps  dont  on  est  mem- 
bre ne  serait  pas  tout  ce  qu'il  doit  être,  il  peut  ar- 
river que  Dieu  demande  plutôt  qu'on  fasse  ce  qu'ont 
fait  de  saints  religieux  en  pareil  cas  ;  savoir,  que  l'on 
montre  son  amour  pour  son  Ordre  et  pour  ses  frè- 
res, en   s'appliquant  à  remédier  au  mal  selon  la 
grâce  qu'on   a  reçue,  ne  fût-ce  que  par  l'humble 
protestation  des  bons  exemples. 

Il  est  donc  rare  que  le  désir  de  laisser  son  institut 
pour  passer  à  un  autre,  soit  louable  et  l'effet  d'une 
impulsion  de  la  grâce.  Ce  qui  est  l'ordre  commun, 
et  en  général  le  grand  devoir  du  religieux,  c'est  ce 
que  nous  allons  exposer,  à  savoir,  l'estime  et  l'a- 
mour de  sa  vocation,  avec  un  attachement  inviola- 
ble au  saint  état  où  il  s'est  consacré  au  Seigneur. 


—  243  — 
ARTICLE  V. 

DE    L'ESTIME  ET   DE   l'aMOL'R    DE    SA    PROPRE    VOCATION. 

I.  L'apôtre  saint  Paul  a  sur  ce  sujet  de  belles  pa- 
roles :  «  Voyez,  dit-il,  mes  frères,  votre  vocation  l,  » 
ayez  sans  cesse  les  yeux  fixés  sur  elle  :  sur  la  vôtre, 
et  non  sur  celle  des  autres.  «  Que  chacun  reste  dans 
la  vocation  où  il  a  été  appelé  2...  Je  vous  conjure 
donc  de  marcher  dignement  dans  la  vocation  que 
Dieu  vous  a  donnée  3.  » 

Il  y  a  des  vocations  plus  élevées  que  d'autres, 
il  y  a  des  instituts  qui  proposent  à  leurs  membres 
une  perfection  supérieure  à  celle  de  tel  autre  institut; 
c'est  un  principe  incontestable,  comme  nous  l'avons 
vu  dans  l'article  précédent.  Mais  un  principe  non 
moins  certain  et  plus  pratique  dans  ses  applications, 
c'est  qu'il  faut  distinguer  deux  sortes  de  bien  ou  de 
perfection  :  le  bien  qui  tire  sa  bonté  de  l'objet,  et  le 
bien  qui  doit  la  sienne  au  sujet.  Un  mieux  pure- 
ment objectif  et  pris  en  dehors  de  l'agent  n'est 
qu'une  abstraction,  une  spéculation  de  l'esprit  sans 
réalité;  ce  qui  est  le  mieux  réel,  plus  agréable  à 
Dieu,  plus  méritoire  pour  l'homme,  c'est  le  mieux 
subjectif  ou  personnel  ;  et  ce  mieux  tient  à  deux  cho- 
ses qui  doivent  s'unir:  d'une  part  à  la  vocation  de 

1.  Yidete  vocationem  vestram,  fratres.  I.  Coe.  1. 

2.  Unusquisque  in  qua  vocatione  vocatus  est,  in  ea  perma- 

neat.  I  Coe.  1. 

2.  Otasecro  itaque  vos,  ut  digne  ambuletis  yocatione  qua 
vocati  estis.  Ephes.  4. 


—  244  — 

Dieu  et  à  sa  grâce,  de  l'autre  à  notre  fidèle  correspon- 
dance à  cette  vocation  et  à  cette  grâce  ;  en  un  mot, 
ce  mieux  consiste  dans  la  volonté  de  Dieu  exécutée 
de  tout  point  ;  et  il  ne  se  trouve  que  là.  Vous  aspirez 
à  un  mieux  que  le  Seigneur  ne  veut  pas  de  vous,  et 
vous  négligez  le  bien  qu'il  vous  assigne!  Sachez 
qu'au  lieu  d'un  mieux  personnel  et  réel,  vous  ne 
rencontrerez  que  déception  et  mécompte.  Mais  sachez 
aussi  que  quand  Dieu  vous  invite  à  monter  plus  haut, 
vous  y  refuser  et  vous  obstiner  à  rester  plus  bas, 
sous  prétexte  que  c'est  assez  pour  votre  ambition , 
et  que  d'ailleurs  vous  saurez  y  tendre  au  mieux  per- 
sonnel, c'est  un  manque  de  générosité,  une  infi- 
délité, une  erreur  pleine  de  périls 

II.  Voici  la  règle  souveraine  au  service  de  Dieu, 
notre  suprême  et  universel  Seigneur  :  «  servir  Dieu, 
dit  saint  Ignace,  avec  une  admirable  et  énergique 
netteté  d'expression,  c'est  se  mettre  à  sa  disposi- 
tion pour  que  lui-même  se  serve  de  nous,  selon 
toute  l'étendue  de  sa  volonté  et  de  son  bon  plai- 
sir *  »  ;  et  le  saint  donne  la  comparaison  de  l'instru- 
ment, qui  ne  résiste  point  à  l'ouvrier,  quel  que  soit 
l'usage  qu'il  en  veuille  faire.  Rien  d'aussi  pratique 
que  cette  lumineuse  maxime,  tant  pour  entrer  dans 
un  état  de  vie  que  pour  y  rester,  quand  il  a  été  pris 
selon  Dieu,  tant  pour  le  poste,  l'office,  le  temps  et  le 
lieu,  que  pour  chacune  de  nos  actions. 

Puisque  nous  touchons  ici  au  premier  principe  de 
toute  vocation ,  ajoutons  encore  cette   remarque  : 

1.  Exerc.  spir.  Prgelud.  ad  consider.  Stat, 


—  245  — 

Souvent  on  entend  certaines  personnes  se  demander 
au  sujet  du  choix  qu'elles  ont  à  faire  d'un  état  de  vie  : 
Quel  est  celui  où  je  ferai  le  plus  de  bien  ?  La  ques- 
tion est  mal  posée  ;  il  faut  dire  :  Quel  est  l'état  où 
Dieu  veut  que  je  fasse  le  bien,  et  pour  quel  bien 
veut-il  se  servir  de  moi  ?  Car,  ce  bien  que  Dieu  veut 
de  moi,  fût-il  moindre  que  celui  que  j'imagine,  c'est 
celui-là  auquel  je  dois  m'attacher  et  m'appliquer.  Il 
est  évident,  en  effet,  que  telle  est  la  condition  essen- 
tielle du  serviteur  vis-à-vis  de  son  maître,  et  telle 
la  disposition  où  il  doit  toujours  être.  Mais,  de  plus, 
on  s'aperçoit  facilement  que  ces  hommes,  quand  ils 
parlent  de  faire  plus  de  bien  dans  un  état  de  vie,  ne 
songent  d'ordinaire  qu'au  bien  qu'ils  feront   aux 
autres  ;  et,  par  une  illusion  manifeste,  ils  oublient 
que  le  premier  bien  qu'il  faut  penser  à  faire  est  son 
propre  bien,  le  bien  de  son  âme  ;  or,  très-certaine- 
ment, nous  ne  pouvons  espérer  de  faire  ce  bien  que 
là  où  Dieu  nous  promet  son  secours  par  la  vocation 
qu'il  nous  donne  lui-même. 

II [.  Le  principe  une  fois  posé  ,  il  est  facile  de  tirer 
les  conséquences. 

1°  La  plus  belle  vocation  pour  moi,  c'est  celle  qui 
me  vient  réellement  de  Dieu.  Le  don  qui  mérite  mes 
préférences  est  celui  qu'il  a  daigné  me  faire.  Le  poste 
où  je  puis  faire  le  plus  de  bien,  et,  avant  tout,  faire 
le  bien  de  ma  propre  sanctification,  est  celui  qu'il  a 
jugé  bon  de  m'assigner. 

2°  Je  dois  sans  doute  estimer  tous  les  instituts  sus- 
cités par  l'Esprit  de  Dieu  et  approuvés  par  son 
Église  ;  mais  mon  institut  est  celui  que  je  dois  aimer 

7*** 


—  246  — 

davantage  :  comme  un  enfant  aime  plus  sa  mère  que 
toute  autre  personne,  fût-elle  moins  belle  ou  moins 
riche. 

3°  La  piété,  la  justice  et  la  charité  m'obligent  de 
reconnaître  et  de  louer  dans  tous  les  corps  religieux 
la  grâce  multiple  du  Saint-Esprit,  pourvoyant  par 
cette  variété  merveilleuse  à  tous  les  besoins  des  corps 
et  des  âmes  ;  mais  il  est  aussi  de  mon  devoir  de  re- 
connaître, d'un  cœur  plus  touché,  la  grâce  spéciale 
de  ma  vocation,  et  tous  les  bienfaits  dont  elle  est 
pour  moi  la  source. 

4°  Nourrir  l'estime  et  l'amour  de  sa  vocation,  c'est 
pour  chaque  religieux  l'une  de  ses  plus  importantes 
obligations.  Celui  qui  laisse  affaiblir  en  lui  ces  deux 
grandes  choses,  donne  à  connaître  qu'il  se  relâche 
lui-même  dans  la  fidélité  qu'il  doit  à  Dieu,  et,  au 
lieu  d'accuser  son  institut,  il  sera  bien  plus  dans  le 
vrai  en  s'accusant  soi-même,  pour  se  rappeler  effi- 
cacement à  l'exactitude  et  à  la  ferveur. 


—  247  — 
CHAPITRE  IV 

DES   VERTUS    QUI   FONT    L'OBJET    DES     TROIS    VŒUX 
DE    RELIGION. 


ARTICLE  I". 


DES  DIFFERENCES   QUI   EXISTENT   ENTRE    LE   VOEU 
ET   LA   VERTU. 

Le  Catéchisme  des  vœux  en  signale  quatre,  et 
donne  à  chacune  d'elles  une  explication  suffisante  *. 
Mais  comme  il  ne  fait  qu'indiquer  certaines  leçons 
pratiques  qui  en  découlent,  il  est  bon  d'v  insister 
davantage  pour  que  leur  considération  excite  la  dili- 
gence des  personnes  consacrées  à  Dieu. 

I.  La  première  différence  fait  voir  dans  le  vœu  un 
moyen  relativement  à  la  vertu  ;  d'où  apparaît  Tin- 
conséquence  de  ces  religieux  relâchés  qui,  après 
avoir  fait  le  vœu,  viennent  à  négliger  la  vertu. 

Pour  mieux  leur  faire  sentir  cette  funeste  inconsé- 
quence, il  faudra  les  confronter  avec  les  fervents 
religieux  qu'a  donnés  la  même  vocation  ;  la  vue  de 
ces  exemples  domestiques  sera  un  aiguillon  puissant 
pour  les  exciter;  car  ce  n'est  qu'en  leur  ressemblant 
qu'ils  peuvent  légitimement  se  faire  honneur  de  les 
avoir  pour  frères. 

De  même,  on  aura  de  quoi  réveiller  leur  ardeur, 
si  on  leur  montre  ces  saints  qui,  même  hors  du  cloî- 

1.  ire  Part.  Ch.  IV. 


tre,  se  sont  élevés  si  haut  dans  la  perfection  des 
vertus,  bien  qu'ils  ne  se  fussent  pas  comme  eux 
engagés  par  des  vœux  au  Seigneur.  Que  dis-je  ?  La 
pensée  même  de  tant  d'âmes  généreuses  que  la 
sainte  Église  peut  toujours  leur  présenter  au  milieu 
du  siècle,  sera  pour  eux  un  sujet  de  salutaire  con- 
fusion. Ali!  si  Dieu  avait  accordé  à  ces  fervents  chré- 
tiens une  vocation  telle  que  la  leur,  avec  tous  les 
moyens  de  sanctification  qu'elle  renferme,  quelle 
n'eût  pas  été  leur  correspondance  et  leur  fidélité  ? 

Voilà  des  réflexions  qu'il  est  difficile  de  faire  sé- 
rieusement sans  en  être  touché  ;  et  c'est  ainsi  qu'un 
religieux  écartera  le  danger  qui  le  menace  au  milieu 
même  de  son  abondance,  celui  de  s'habituer  aux 
dons  de  Dieu  jusqu'à  en  perdre  l'estime,  selon  l'ex- 
pression de  saint  Augustin  *,  et  par  là  d'arriver  bien- 
tôt au  mal  terrible  de  la  tiédeur  et  de  l'abus. 

IL  La  seconde  différence  entre  le  vœu  et  la  vertu  . 
est  que  le  vœu  ne  saurait  proprement  s'étendre  au- 
delà  de  ce  qu'il  impose  sous  peine  de  péché,  au  lieu 
que  la  vertu  peut  s'élever  à  une  perfection  toujours 
plus  haute. 

De  là  encore  il  y  a  une  grande  conséquence  à  tirer, 
savoir,  que  c'est  par  le  zèle  à  croître  de  jour  en  jour 
dans  la  vertu  que  l'on  devient  un  bon  religieux. 
Cette  vérité  se  comprendra  mieux  à  l'aide  d'une 
comparaison.  Dans  les  commandements  de  Dieu,  on 
distingue  la  partie  qu'on  appelle  négative,  laquelle 
oblige  toujours  sous  peine  de  péché,  et  la  partie  dite 

1.  Assiduitate  viluerunt. 


—  249  — 

positive,  qui,  sans  lier  toujours  la  conscience,  guide 
l'homme  vers  une  observation  toujours  plus  par- 
faite du  commandement.  Par  exemple,  les  trois  pre- 
miers préceptes  du  décalogue,  dans  leur  partie  néga- 
tive, défendent  sous  peine  de  l'offense  divine  tout 
ce  qui  est  contraire  au  culte  qui  est  dû  à  Dieu  ;  mais 
dans  leur  partie  positive  ils  vont  bien  plus  haut, 
puisqu'ils  renferment  tous  les  degrés  de  perfection 
avec  lesquels  le  vrai  serviteur  de  Dieu  doit  s'effor- 
cer d'en  exercer  les  actes  :  et  il  en  est  de  même  des 
autres  commandements  pour  la  matière  qui  leur 
est  propre.  Or,  les  vœux  sont  des  obligations  qu'un 
homme  s'impose  à  lui-même  par  la  promesse  quïl 
fait  à  Dieu,  et  ils  deviennent  ainsi  une  sorte  de  pré- 
ceptes personnels  où  l'on  distingue  la  partie  néga- 
tive et  la  partie  positive  :  celle-là  est  la  matière  pro- 
pre du  vœu,  qui  oblige  sous  peine  de  péché  ;  celle-ci 
est  la  matière  de  la  vertu,  dans  laquelle  le  vrai  re- 
ligieux doit  tendre  à  une  perfection  toujours  crois- 
sante. 

Les  religieux  que  l'on  rencontre  dans  les  commu- 
nautés peuvent  être  distingués  en  trois  classes  diver- 
ses :  il  y  a  les  religieux  médiocres,  les  bons  religieux, 
les  saints  religieux;  car  il  faut  écarter  une  quatrième 
classe,  les  mauvais  religieux,  puisqu'ils  ne  sont  point 
religieux  en  effet,  ou  qu'ils  ne  le  sont  que  pour  leur 
condamnation. 

A  ces  trois  classes  on  peut  appliquer  ce  que  dit 
saint  Ignace  de  trois  genres  de  personnes  qui  s'adon- 
nent aux  exercices  spirituels  d'une  retraite  :  «  Les 
uns  se  promènent  à  leur  aise,  et  sans  sortir  d'un  court 
espace  qu'ils  se  sont  fixé  ;  les  autres  prennent  le  pas 


—  250  — 

du  voyageur,  qui  marche  plus  décidément  et  ne  li- 
mite point  l'espace  à  parcourir,  jusqu'à  ce  qu'il  soit 
au  terme  du  voyage  ;  les  troisièmes  font  plus  en- 
core, ils  choisissent  le  pas  de  course,  parce  qu'ils  veu- 
lent aller  plus  loin  et  arriver  plus  vite  *.  » 

Ainsi  le  religieux  médiocre  est  celui  qui  marche  à 
petits  pas,  content  de  se  promener  commodément 
dans  certaines  limites  entre  lesquelles  il  va  et  re- 
vient. En  lui  l'esprit  de  foi  et  de  sacrifice  est  faible 
et  souvent  en  défaut  ;  l'intention  manque  fréquem- 
ment de  droiture  et  de  pureté  ;  il  observe  ses  règles, 
pourvu  qu'elles  ne  lui  imposent  pas  trop  de  gêne  ;  il 
n'agit  pas  contre  la  vertu,  quand  ce  qu'elle  demande 
est  facile  ;  mais  dans  la  difficulté  on  le  trouve  trop 
souvent  en  faute. 

Le  bon  religieux  est  celui  qui  a  pris  dans  la  car- 
rière le  pas  dégagé  et  résolu  du  voyageur  :  car  il 
veut  sérieusement  atteindre  le  but.  Il  n'est  pas  im- 
peccable sans  doute  ;  mais  il  y  a  du  ressort  dans  son 
âme;  il  a  cette  vraie  dévotion  dont  parle  saint  Tho- 
mas, c'est-à-dire  cette  promptitude  de  volonté  à  se 
livrer  aux  choses  du  service  de  Dieu.  Aussi,  non- 
seulement  il  redoute  comme  un  malheur  tout  péché 
et  toute  violation  même  légère  de  ses  vœux  ;  mais 
encore  il  a  coutume  d'agir  selon  l'exigence  de  la 
vertu,  et  s'il  bronche  quelquefois  dans  la  difficulté, 
ce  n'est  que  par  surprise  ou  par  une  faiblesse  mo- 
mentanée, dont  il  se  relève  aussitôt. 

Et  que  dire  du  saint  religieux  ?  Lui,  il  court,  il 
voudrait  voler  dans  la  carrière  2,  et  il  répète  après 

1.  Exerc.  Spir.  lre  Annot. 

'À.  Quis  dabit  mihi  pennas  sicut  columbœ,  et  volabo  ?  Ps.  54. 


l'Apôtre  :  «  Xon,  ce  n'est  pas  que  je  sois  déjà  par- 
fait, mais  je  hâte  le  pas  pour  tâcher  de  saisir:  j'ou- 
blie l'espace  que  j'ai  mis  derrière  moi,  et  je  m'étends 
en  avant  vers  celui  qui  me  reste  à  parcourir  l  ».  Ce- 
pendant n'allez  pas  croire  qu'il  soit  sans  tentations, 
sans  difficultés,  sans  défauts,  sans  défaillances  même 
et  sans  péché.  Non,  cet  affranchissement  parfait  n'est 
point  des  saints  de  ce  monde;  et  même,  les  épreuves 
où  Dieu  les  met  sont  plus  grandes  que  les  vôtres, 
sachez-le  bien,  parce  qu'il  les  proportionne  à  leur 
vertu.  Mais  ce  que  le  saint  religieux  a  de  propre, 
c'est  une  volonté  unique,  et  par  conséquent  forte  et 
constante,  la  volonté  d'aller  à  Dieu  en  se  désrasreant 
de  tout  le  reste,  la  volonté  de  profiter  de  tout,  même 
de  ses  défauts  et  de  ses  fautes,  pour  mieux  s'élever 
vers  le  seul  objet  de  son  amour.  Et  ses  grands 
moyens  d'atteindre  la  fin  sont  ses  vœux  et  ses  règles, 
avec  l'abnégation  et  la  patience,  avec  l'esprit  de  foi, 
de  confiance  et  d'humilité. 

Du  reste,  il  faut  dire  que  les  communautés  fer- 
ventes ne  sont  pas  seulement  celles  où  il  n'y  a  que 
des  saints,  ni  celles  où  nul  défaut  ne  se  rencontre  : 
hélas  !  on  en  chercherait  vainement  de  telles  sur  la 
terre.  Dans  une  bonne  communauté,  il  se  trouve 
toujours  des  religieux  médiocres  ;  mais  les  bons  y 
font  la  majorité  ;  plaise  au  divin  Maître  d'en  écarter 
entièrement  les  mauvais,  et  de  lui  accorder  toujours 
aussi  quelques  saints  1 

Assumeut  pennas  sicut  aquilse,  et  volabunt  et  non  déficient. 

IsAT.  40. 

1.  Non  quod  jam  perfectus  sim  ;  sequor  autem,  si  quomodo 
comprehendam...  quae  quidem  rétro  sunt  obliviscens,  ad  ea 
vcro  qute  sunt  priora  extendens  rocipsuni.  Philip.  3. 


III.  La  troisième  différence  entre  la  vertu  et  le  vœu 
consiste  en  ce  que  la  vertu,  à  son  tour,  est  un 
moyen  relativement  au  vœu:  de  sorte  qu'un  reli- 
gieux sera  d'autant  plus  à  l'abri  de  la  violation  du 
vœu,  qu'il  sera  plus  diligent  à  pratiquer  la  vertu. 
Mais  aussi,  quand  il  néglige  notablement  l'exercice 
de  la  vertu,  il  doit  savoir  qu'il  s'achemine  infailli- 
blement vers  l'infidélité  au  vœu.  Ce  motif  si  pres- 
sant de  s'appliquer  à  la  vertu  est  parfaitement  dé- 
veloppé dans  la  Perfection  chrétienne  de  Rodri- 
guez  4. 

IV.  La  quatrième  différence  pose  ce  principe, 
qu'un  religieux  peut  pécher  contre  la  vertu  sans 
même  qu'il  y  ait  violation  du  vœu  :  d'où  il  doit  re- 
cueillir deux  vérités  importantes  à  connaître  :  la 
première,  que  tout  manquement  à  la  pauvreté  ou  à 
l'obéissance  n'est  pas  nécessairement  un  péché  con- 
tre ces  vœux  ;  la  seconde,  qu'il  ne  peut  pas  toujours 
dire  non  plus  :  Je  ne  viole  pas  mon  vœu,  donc  il  n'y 
a  point  de  péché. 


ARTICLE   IL 

DES  AUTRES  OBLIGATIONS   QUI,   OUTRE   CELLE  DES    VOEUX 
MÊMES,   RÉSULTENT   DE   LA   PROFESSION   RELIGIEUSE. 

Les  obligations  dont  nous  allons  parler  découlent 
de  l'acte  de  donation  que  le  religieux,  par  la  profes- 

1.  III»  Part.  6e  Traité,  ch.  1  et  6. 


-  253  - 

sion,  fait  de  sa  personne  à  l'institut  où  il  prononce 

ses  vœux. 

SECTION  I.  —  QUELLES  BOUT  CES  OBLIGATIONS? 

Tout  homme  qui  se  présente  pour  devenir  mem- 
bre d'un  corps  et  qui  est  en  effet  accepté  comme 
tel,  s'engage  lui-même,  et  contracte  des  obligations 
envers  ce  corps  :  obligation  de  stabilité  selon  la  na- 
ture de  l'engagement  qu'il  a  pris  ;  obligation  de  con- 
courir au  bien  et  à  la  lin  commune  ;  obligation  de 
suivre  la  direction  et  l'impulsion  de  ceux  qui  prési- 
dent légitimement  ;  obligation  de  garder  la  concorde 
et  l'union  avec  les  autres  membres  ;  obligation  d'ai- 
mer d'une  affection  spéciale  le  corps  et  les  membres 
du  corps  dont  il  fait  partie;  obligation  enfin  d'écar- 
ter les  obstacles  qui  pourraient  s'opposer  aux  de- 
voirs de  sa  position. 

Tout  ceci  est  vrai  d'une  association  quelconque, 
et  proportionnel  au  degré  de  connexion  qui  s'établit 
entre  ses  membres  ;  plus  vrai  encore  des  associations 
créées  par  l'Esprit  de  Dieu  pour  une  fin  spirituelle, 
et  consacrées  par  l'approbation  de  l'Église.  Mais  ce 
qui  vient  resserrer  bien  plus  étroitement  entre  eux 
les  membres  d'un  corps  religieux,  c'est  le  lien  sacré 
des  vœux  qu'on  y  a  faits.  Alors  chaque  individu 
ressemble  à  une  pierre  qui  est  entrée  dans  la  con- 
struction d'un  édifice  :  pierre  vivante,  tellement  in- 
corporée à  ce  vivant  édifice,  que  si  elle  voulait 
changer  elle-même  sa  destination,  sa  place  ou  sa 
fonction,  elle  en  compromettrait  non-seulement  la 
beauté,  mais  souvent  même  la  solidité.  On  peut  trou* 

3 


—  254  — 

ver  un  objet  de  comparaison  plus  complet  et  plu? 
expressif  encore  dans  la  famille  naturelle  :  car  tout 
ce  que  les  liens  du  sang  établissent  de  rapports,  de 
droits  et  de  devoirs  au  sein  d'une  famille,  le  lien  des 
vœux  le  fait  dans  un  corps  religieux,  en  y  créant  une 
paternité,  une  filiation  et  une  fraternité  spirituelles. 
Or,  sans  nous  arrêter  davantage  aux  autres  rap- 
ports, c'est  ici  le  lieu  d'insister  sur  deux  grandes 
choses  de  la  vie  religieuse  :  la  première  est  l'union 
et  la  charité  fraternelle;  la  seconde  est  le  déta- 
chement évangélique  du  religieux  à  l'égard  de  ses 
proches. 


SECTION  II.   —  DES  DEVOIRS  DE  LA  FRATERNITE 
RELIGIEUSE. 

I.  Il  serait  superflu  de  prouver  que  tout  ce  qui  est 
dit  dans  l'Évangile  de  la  fraternité  chrétienne,  doit 
s'appliquer  d'une  façon  beaucoup  plus  spéciale  à  la 
fraternité  religieuse.  Or,  quelle  est  la  marque  à  la- 
quelle Jésus-Christ  Notre-Seigneur  a  voulu  qu'on 
reconnût  les  siens?  Il  l'a  dit  lui-même,  c'est 
l'union  et  la  charité  entre  les  frères  :  «  En  cela  tous 
connaîtront  que  vous  êtes  mes  disciples,  si  vous  vous 
aimez  les  uns  les  autres  l  ».  Aussi  tel  fut  le  caractère 
le  plus  frappant  de  l'Église  primitive  :  «  Ils  étaient, 
rapporte  le  texte  sacré3  un  seul  cœur  et  une  seule 
âme*  »  ;  et  les  païens,  à  ce  spectacle  si  nouveau, 

1 .  In  hoc  cognoscent  omnes  quia  mei  discipuli  estis,  si  dilec- 
tionem  habueritis  ad  invicem.  Joann.  13. 

2.  Multitudinis  autem  credentf  um  erat  cor  unum  et  anima 
una  Act. 


—  m  — 

répétaient  dans  leur  admiration  :  Voyez  comme  ils 
s'aiment  t 

Bientôt  malheureusement,  et  à  mesure  que  le 
nombre  des  Croyants  se  multiplia,  la  charité  vint  à 
se  refroidir  dans  les  cœurs  de  plusieurs:  c'est  pour- 
quoi l'ère  des  persécutions  n'avait  pas  encore  cessé, 
que  l'Esprit  de  charité  suscitait  déjà  ces  institutions 
religieuses  où  il  voulait  couserver  le  feu  sacré  dans 
sa  pureté  première;  et  tandis  que  le  vulgaire  des 
chrétiens  avait  souvent  bien  de  la  peine  à  garder 
strictement  le  précepte  de  la  charité,  une  multitude 
de  pieux  asiles  furent  destinés  à  la  montrer  perpé- 
tuellement au  monde  dans  toute  sa  perfection.  Aussi 
que  de  moyens  y  ont  été  réunis  pour  produire  et 
maintenir  ce  divin  résultat  !  à  ne  parler  que  de  l'ho- 
locauste même  des  vœux,  n'est-ce  pas  un  sacri- 
fice que  Ton  offre,  non-seulement  à  Dieu,  mais  en- 
core à  ses  frères  en  vue  de  Dieu?  et  ne  peut-on  pas 
dire  qu'il  est  également  plein  et  de  l'amour  divin  et 
de  l'amour  fraternel? 

Combien  donc  chaque  religieux  doit  s'appliquer  à 
nourrir  en  soi-même  cet  esprit  de  charité,  et  à  faire 
fleurir  tellement  dans  sa  personne  cette  reine  des 
vertus,  que  du  cœur  de  chacun  son  parfum  se  ré- 
pande dans  la  communauté  tout  entière  ! 

II.  Pour  aider  la  bonne  volonté,  nous  signalerons 
brièvement,  d'une  part,  ce  que  demande  la  charité 
fraternelle,  et  de  l'autre  ce  qui  l'altère. 

Ce  qu'elle  demande  par-dessus  tout,  ce  sont  des 
cœurs  humbles  et  doux  :  de  cette  source  on  verra 
jaillir  tout  le  reste:  le  désintéressement,  la  cordia- 


—  256  - 

lité,  l'estime  et  la  confiance  réciproques,  les  préve- 
nances délicates,  l'empressement  le  plus  effectif  à 
rendre  service,  et,  quand  il  en  est  besoin,  le  support 
des  défauts,  et  l'oubli  prompt  et  complet  des  torts 
mutuels. 

Ce  qui  altère  la  charité  et  l'union  entre  les  frères, 
c'est,  avant  toute  autre  cause,  Fégoïsme  avec  sa  dis- 
tinction glaciale  du  mien  et  du  tien,  comme  dit  saint 
Chrysostôme  l  ;  et  pour  donner  les  détails,  ce  sont 
les  prétentions  et  les  hauteurs  ;  ce  sont  les  jalousies, 
l'impatience,  la  rudesse  et  les  paroles  aigres;   ce 
sont  les  indélicatesses  et  le  sans-gêne  ou  les  suscep- 
tibilités, les  bouderies  et  les  rancunes  ;  ce  sont  les 
antipathies  et  les  froideurs,  ou  les  préférences  et  les 
amitiés  exclusives;  c'est  l'esprit  de  curiosité  et  Paf- 
fectation  de  finesse;  ce  sont  les  soupçons,  les  défian- 
ces et  les  rapports  indiscrets  ;  enfin,  c'est  le  penchant 
à  la  critique,  aux  contestations,  à  la  singularité  des 
idées,  à  la  raillerie  et  aux  plaisanteries  sur  ses  frères. 
Voilà  une  double  énumération  de  choses  qui,  vu 
notre  nature  défectueuse,  peuvent  donner  à  la  cha- 
rité fraternelle  un  exercice  bien  méritoire,  de  tous 
les  jours  et  presque  de  toutes  les  heures.  Pour  s'en- 
courager dans  ce  travail  incessant,  les  motifs  abon- 
dent; mais  il  suffirait  déjà  de  se  rappeler  le  mot  du 
grand  apôtre  :  «  Celui  qui  aime  son  prochain  a  rem 
pli  toute  la  loi  2  » . 

III.  A  la  charité  fraternelle  se  rattachent  étroite- 
ment la  bonne  édification  et  les  égards  mutuels. 

1.  Meum  et  tuum,  frigidum  illud  verbum. 

2.  Qui  diligit  proxiiuum,  legem  implevit,  EOM,  13 


—  5857  — 

lo  Un  religieux  qui  aime  véritablement  ses  frères 
le  prouvera  tout  spécialement  en  les  portant  au  bien 
par  les  exemples  de  sa  régularité,  et  il  ne  se  per- 
mettra rien  qui  puisse  leur  donner  mauvaise  édifica- 
tion. C'est  déjà  mal  sans  doute  de  commettre  soi- 
même  des  fautes,  et  les  moindres,  dès  qu'elles  sont 
délibérées  et  réfléchies,  nuisent  considérablement  à 
un  religieux  ;  mais  le  mal  est  bien  plus  grand,  quand 
il  les  fait  commettre  à  ses  frères,  et  qu'il  les  met 
ainsi  sur  une  pente  qui  peut  leur  devenir  dangereuse 
et  les  faire  aller  plus  loin  qu'il  ne  pense.  Eh  !  n'au- 
rons-nous pas  chacun  un  compte  suffisant  à  rendre 
au  souverain  Juge  ?  Voudrons-nous  y  joindre  les 
manquements  dans  lesquels  nos  paroles  et  nos  ac- 
tions auront  entraîné  les  autres?  Un  religieux  doit 
concevoir  une  aversion  extrême  pour  quoi  que  ce 
soit  qui,  de  sa  part,  serait  de  nature  à  mal  édifier 
ses  frères  :  c'était  là  le  sentiment  qu'éprouvait  saint 
Paul  ;  et  en  quels  termes  énergiques  ne  lexprimait- 
il  pas  *  ? 

2°  Pour  ce  qui  est  fies  égards  mutuels  que  l'on  se 
doit  dans  la  religion,  voici  comment  le  même  apôtre 
en  parlait  aux  premiers  chrétiens  :  «  Aimez-vous 
les  uns  les  autres  de  cette  charité  qui  convient  à  des 
frères  ;  prévenez-vous  réciproquement  d'honneur  ; 
que  chacun  regarde  et  traite  son  frère  comme  lui 
étant  supérieur  "2  ».  Ces  belles  paroles  expriment  en 


1.  Videte  autem  ne  forte  hrec  licentia  vestra  offendiculum 
fiât  infirmis...  Sic  autem  peccantes  in  fratres,  et  percutientes 
consciemiam  eorum  infirma  m,  in  Christum  peçcatis.  Quaprop- 
ter  si  esca  scandalizat  fratrem  meum.  non  manducabo  carnem 
in  aeternum,  ne  fratrem  meum  scandalizem.  I  Cor.8. 

2,  Charitate  fraternitatis  invicem  diligentes.   Rom.   11*.  — 


—  258  — 

perfection  les  devoirs  de  la  fraternité  religieuse.  En- 
tre des  frères,  il  faut  l'amour,  la  cordialité,  avec  un 
certain  abandon  d'intimité  qu'on  n'a  point  pour 
d'autres;  mais  avec  des  frères  unis  selon  Dieu,  il 
faut  y  joindre  encore  le  respect  ;  et  tous  se  doivent 
une  réciprocité  d'égards  et  d'honneur  qu'exigent, 
d'une  part  la  dignité  de  leur  vocation,  et  de  l'autre 
l'attention  à  reconnaître  par  la  foi  en  chacun  d'eux 
la  personne  et  l'image  de  Jésus-Christ  Notre-Seigneur 
lui-même. 

Ce  respect  fraternel  doit  présenter  deux  caractères  : 
le  premier,  qu'il  soit  plus  encore  dans  la  réalité  des 
œuvres  que  dans  les  formes  extérieures  ;  le  second, 
que  chacun  y  garde  une  religieuse  simplicité. 

Pour  le  rendre  pratique  et  effectif,  soyez  humble  ; 
alors  vos  déférences  ne  seront  pas  de  vaines  démons- 
trations, comme  le  sont  trop  souvent  celles  du  monde. 
Alors  vous  viserez  toujours,  selon  l'Évangile,  à  la 
dernière  place  plutôt  qu'à  la  première  *,  à  ce  qu'il 
y  a  de  moindre  dans  la  maison  plutôt  qu'à  ce  qui  s'y 
trouve  de  meilleur.  Il  serait  facile  de  multiplier  les 
applications;  mais  je  dirai  tout  en  quelques  mots: 
vous  éviterez  ces  mille  petites  ruses  de  l'amour-pro- 
pre,  toujours  occupé  de  soi,  toujours  en  quête  de 
préférences  et  de  privilèges. 

Quant  à  l'expression  extérieure  du  respect  frater- 
nel, les  membres  d'une  communauté  religieuse  doi- 
vent s'étudier  à  devenir  entre  eux  parfaitement  polis 
et  honnêtes  ;  rien  ne  leur  siérait  moins  que  la  rusti- 

Honore  invicem  prsevenientes  ;  superiores  sibi  invicem  arbi- 
trantes. Philip.  2. 

1.  Rccumbe  in  novissimo  loco.  Luc,  11. 


—  259  — 

cité  et  le  manque  de  savoir-vivre.  Mais  aussi  il  faut 
que  leur  politesse  soit  modeste,  et  les  témoignages 
de  leurs  déférences,  pleins  de  simplicité  :  ce  ne  sera 
de  la  charité  qua  ce  prix;  et  de  même  qu'elle  ne 
plaira,  ainsi  elle  n'édifiera  qu'à  cette  condition. 
Par  conséquent  les  religieux  doivent  écarter  comme 
indignes  de  leur  profession  les  formes  recherchées, 
les  compliments  affectés,  et  tout  ce  qui  sentirait  la 
prétention  et  l'exagération  de  la  politesse  mondaine. 

SECTION  III.  —  DU  DÉTACHEMENT  ÉVANGÉLIQUE  ENVERS 
LES  PARENTS. 

Il  n'est  rien  de  plus  formellement  exprimé  dans 
l'Évangile  que  ce  devoir  du  détachement  des  parents, 
pour  ceux  que  Dieu  appelle  à  l'état  religieux.  Le 
divin  Maître  va  jusqu'à  exiger  même  qu'on  les  quitte, 
pour  pouvoir  être  tout  à  son  service  et  aux  choses 
de  cette  haute  vocation.  Dans  le  dessein  qu'il  a  de 
faire  de  l'âme  religieuse  son  épouse  toute  spéciale, 
il  veut  qu'elle  s'applique  ce  qui  est  écrit  de  l'état 
conjugal  :  «  L'homme  laissera  son  père  et  sa  mère, 
et  s'attachera  à  son  épouse  *  »  ;  et  il  lui  adresse  ces 
paroles  du  psaume  :  «  Écoutez ,  ma  fille,  et  voyez,  et 
inclinez  votre  oreille  :  oubliez  votre  peuple  et  la  mai- 
son de  votre  père  ;  et  le  Roi  recherchera  votre  beauté, 
parce  que  lui-même  est  le  Seigneur  votre  Dieu  2  ». 

Pour  montrer  à  la  fois  la  légitimité,  le  devoir  et  la 


1.  Relinquet  home-  patrem  suum  et  matrem,  et  adhgerebit 
uxori  suœ.  Gènes.  2. 

2.  Audi,  filia,  et  vide,  et  inclina  aurem  tuam,  et  obliviscere 
populum  tuum  et  domum  patris  tui  ;  et  concupiscet  rex  deco- 
rem  tuum,  quoniara  ipse  est  Dominus  Deus  tuus.  Ps.  44. 


—  260  — 

pratique  de  ce  détachement  évangélique,  nous  allons 
citer  spécialement  les  principes  de  saint  Thomas, 
qui  sont  ceux  de  la  sainte  Église  et  de  la  droite  rai- 
son sdioii  Dieu. 

|  I.  Quelle  est  la  dette  de  la  piété  filiale  ? 

Un  fils,  en  vertu  du  droit  naturel,  doit  à  son  père 
et  à  sa  mère  quelque  chose  d'essentiel,  et  quelque 
chose  d'accidentel. 

La  dette  essentielle  d'un  fils  envers  ses  parents, 
considérés  comme  tels,  c'est-à-dire  comme  prin- 
cipes de  son  existence,  et  par  conséquent  ses  supé- 
rieurs naturels,  c'est  l'honneur,  selon  les  paroles  de 
la  loi  :  «  Honore  ton  père  et  ta  mère  i  » .  De  cette 
dette  fondamentale  découlent  ses  autres  devoirs, 
l'amour,  le  respect,  l'obéissance,  les  services. 

La  dette  accidentelle  de  la  piété  filiale  est  celle  que 
viennent  imposer  les  circonstances  à  un  iils  envers 
ses  parents.  Par  exemple,  s'ils  sont  pauvres,  mala- 
des, captifs,  etc. ,  il  doit  les  honorer  en  venant  à  leur 
aide  par  tous  les  moyens  en  son  pouvoir.  Et  cette 
assistance  n'admet  point  d'excuse  ni  de  dispense,  dès 
qu'elle  est  nécessaire  et  possible. 

Les  parents,  de  leur  côté,  parce  qu'ils  sont  les 
principes  de  l'existence  du  fils,  ont  pour  dette  essen- 
tielle envers  lui  de  pourvoir  à  ses  besoins,  non-seu- 
lement pour  un  temps,  mais  durant  toute  sa  vie. 

De  ces  principes  il  suit  :  1°  qu'il  n'est  point  permis 
à  un  père,  à  une  mère,  de  quitter  leurs  enfants,  même 

1 .  Honora  patrem  tuuni  et  matrem  tuam.  Exod.  20. 


—  261  — 

pour  se  consacrer  à  Dieu  dans  l'état  religieux,  avant 
d'avoir  pourvu  à  leur  avenir  ;  2°  qu'un  fils  ne  peut 
pas  laisser  son  père  ou  sa  mère  dans  une  nécessité 
grave  où  lui  seul  peut  les  secourir,  pour  suivre  une 
carrière  qui  ne  lui  permettrait  plus  de  les  aider.  Que 
si  des  parents  se  trouvent  dans  une  nécessité  extrême, 
c'est-à-dire  si  leur  vie  est  en  péril  ,  un  fils  déjà 
religieux  est  tenu  de  les  secourir,  même  en  quittant 
son  état,  s'il  ne  pouvait  les  aider  autrement.  Dans  le 
cas  de  nécessité  grave  et  non  extrême,  il  est  plus 
probable,  disent  les  théologiens,  qu'il  n'est  point 
obligé,  et  même  qu'il  ne  lui  est  pas  permis  d'aban- 
donner l'état  religieux;  mais  il  est  tenu  d'employer, 
sous  l'obéissance  due  à  ses  supérieurs,  tous  les 
moyens  en  son  pouvoir  de  subvenir  aux  besoins  de 
ses  parents. 

§  II.  Faut- il.  à  cause  des  devoirs  de  la  vertu  de  reli- 
gion, omettre  ceux  de  la  piété  filiale  ? 

Voici  la  réponse  du  Docteur  angélique  l  : 
La  religion  et  la  piété  filiale  sont  deux  vertus.  Or, 
nulle  vertu  n'est  contraire  à  une  autre,  parce  que  le 
bien  n'est  jamais  contraire  au  bien.  Il  est  donc  im- 
possible que  la  religion  et  la  piété  filiale  se  contra- 
rient tellement,  que  l'acte  de  l'une  vienne  interdire 
l'acte  de  l'autre.  En  effet,  l'acte  de  n'importe  quelle 
vertu  rencontre  toujours  une  limite,  que  pose  la 
droite  raison  ;  et  s'il  dépassait  cette  limite,  ce  ne  s 
rait  plus  un  acte  de  vertu,  mais  un  acte  vicieux.  Il 

1 .  2a  2se  q.  101,  a.  i,  et  q.  189,  a.  6. 


—  262  — 

en  est  ainsi  de  la  piété  filiale,  qui  a  ses  limites  éta- 
blies par  la  raison  et  la  justice,  et  ces  limites  seraient 
évidemment  dépassées  dans  le  cas  où  un  fils  vou* 
drait  honorer  son  père  plus  que  Dieu.  Si  donc  mon 
père  me  provoque  au  mal,  ou  veut  m' éloigner  du 
service  que  Dieu  demande  de  moi,  mon  devoir  est  de 
ne  pas  acquiescer  en  ce  point  à  sa  volonté  ;  mais, 
comme  dit  l'apôtre,  «  il  faut  plutôt  obéir  à  celui  qui  est 
le  Père  des  âmes,  pour  avoir  la  vie  »  4.  Et  c'est  le  sens 
de  ces  paroles  du  Seigneur  dans  l'Évangile  :  «  Celui 
qui  aime  son  père  et  sa  mère  plus  que  moi,  n'est  pas 
digne  de  moi  2  » . 

La  première  application  de  ces  principes  est  pour 
les  cas  où  des  parents  voudraient  détourner  un  en- 
fant du  service  de  Dieu  dans  les  choses  d'obligation, 
ou  l'exposer  à  des  occasions  dangereuses  pour  son 
salut. 

Mais  ils  ont  encore  leur  application  au  cas  où  un 
enfant  se  trouve  réellement  appelé  de  Dieu  à  se  con- 
sacrer parfaitement  à  son  culte  dans  l'état  religieux. 
En  effet,  saint  Jacques  et  saint  Jean  sont  loués  dans 
l'Évangile  d'avoir  quitté  leur  père  pour  se  mettre  à 
la  suite  de  Jésus-Christ.  Ce  n'est  pas  que  leur  père 
les  excitât  au  péché  ;  mais  comme  il  pouvait  se  suffire 
pour  la  vie  temporelle,  ses  enfants  ne  voyaient  rien 
qui  les  empêchât  de  répondre  à  l'appel  du  Seigneur. 

Il  est  permis  à  un  enfant,  lorsqu'il  a  atteint  l'âge 
légitime,  d'entrer  dans  l'état  religieux,  même  contre 

1 .  Patres  quidem  camis  nostrse,  erudi tores  habuimus,  et  re- 
verebamur  eos  ;  non  multo  magis  obtemperabimus  Patri  spiri- 
tuum,  et  vivemus.  Hebr.  12. 

2.  Qui  amat  patrem  et  matrem  plus  quam  me,  non  est  me 
dignus?MATTH. 


-  2G3  - 

la  volonté  de  ses  parents  :  car  il  possède  alors  sa 
liberté  pour  ce  qui  tient  à  la  disposition  de  sa  vie  par 
le  choix  d'un  état  ;  et  assurément  cette  liberté  existe 
surtout  s'il  s'agit  d'un  état  de  vie  où  l'on  sert  Dieu 
plus  parfaitement. 

Le  Seigneur,  dans  l'Évangile  *,  reprit  un  disciple 
qui  voulait  différer  de  répondre  à  son  appel,  sous 
prétexte  qu'il  lui  fallait  d'abord  aller  ensevelir  son 
père  :  car,  dit  saint  Chrysostome,  d'autres  étaient  là 
pour  remplir  ce  devoir  de  piété  filiale  ;  ou  bien,  selon 
saint  Cyrille,  cet  homme  demandait  à  rester  près  de 
son  vieux  père  jusqu'à  sa  mort  :  ce  que  le  Seigneur 
n'accorda  point,  parce  qu'il  y  en  avait  d'autres,  que 
l'ordre  de  parenté  obligeait  à  prendre  ce  soin. 

Mais,  dira-t-on,  honorer  ses  parents  est  un  devoir 
exigé  par  le  précepte,  tandis  qu'entrer  en  religion 
n'est  qu'une  chose  de  conseil,  et  par  conséquent 
laissée  au  libre  choix  du  chrétien. 

Je  réponds  d'abord  que  le  précepte  d'honorer  ses 
parents  ne  regarde  pas  seulement  les.  services  cor- 
porels, mais  aussi  les  services  spirituels.  Les  enfants 
qui  sont  dans  l'état  religieux  peuvent  donc  très-bien 
accomplir  ce  précepte  par  leurs  prières,  leurs  res- 
pects, et  même  leurs  bons  offices,  selon  qu'il  con- 
vient à  leur  profession.  Et  remarquez  que  ceux-là 
mêmes  qui  restent  dans  le  siècle  n'ont  pas  toujours 
à  honorer  leurs  parents  par  des  services  corporels; 
mais  ils  le  font  de  diverses  manières,  suivant  leur 
condition  et  leur  état. 

Je  réponds,  en   second  lieu,  qu'une  vocation   à 

1.  Matth.  8, 


—  264  — 

l'état  religieux  n'est  point  une  chose  laissée  pure- 
ment à  la  liberté  du  chrétien.  Quoique,  à  parler  en 
général,  elle  ne  soit  que  de  conseil,  il  est  cependant 
de  t'ait  que  le  salut  en  dépend  presque  toujours  ;  et 
ne  fût-ce  que  pour  l'assurer  ou  le  faciliter,  ceux  que- 
Dieu  appelle  ont  le  plus  grand  intérêt  à  ne  point 
résister  à  sa  voix.  Or,  selon  les  principes  de  l'Évan- 
gile, des  parents  ne  peuvent  pas  exiger  qu'un  enfant 
sacrifie  un  semblable  intérêt  à  leur  caprice  ou  même 
à  leurs  avantages  temporels.  Il  y  a  plus  :  car  si  un 
goût  prononcé  porte  cet  enfant  vers  l'état  religieux, 
et  que,  comme  il  arrive  souvent,  il  s'agisse  pour  lui 
du  bonheur  même  temporel  de  sa  vie  entière,  de  quel 
droit  prétendraient-ils  s'y  opposer,  en  faisant  passer 
leur  propre  intérêt  avant  ce  bien  capital  de  leur 
enfant  même  en  ce  monde  ? 

|  III.  De  V amour  d'un  religieux  pour  ses  parents. 

On  entend  parfois  le  monde  accuser  l'état  reli- 
gieux de  retrancher  le  quatrième  commandement  de 
Dieu,  et  d'étouffer  l'amour  des  parents  dans  le  cœur 
de  ceux  qui  l'embrassent.  Outre  les  réponses  données 
plus  haut,  voyons  ce  qui  en  est  réellement  pour  le 
religieux  fidèle  aux  prescriptions  de  son  état. 

Sans  doute,  il  est  de  ceux  à  qui  s'adressent  ces 
paroles  :  «  Quiconque  vient  à  moi,  et  ne  hait  pas  son 
père,  sa  mère,  et  son  âme  encore,  ne  peut  pas  être 
mon  disciple  »  4.  Mais  qui  donc  a  prononcé  ces  paro- 


1.  Si  quis  venit  ad  me,  et  non  odit  patrem  et  matrem,  adhuc 
autem  et  animam  suam,  non  potest  meus  esse  discipulue. 


—  263  — 

les  en  apparence  si  dures?  N'est-ce  pas  le  divin 
Auteur  du  commandement  lui-même  ?  Et  voici  l'in- 
terprétation qu'il  faut  leur  donner  avec  saint  Ignace  : 
«  C'est  pourquoi  le  religieux  doit  se  dépouiller  de 
toute  affection  charnelle  à  l'égard  de  ses  proches, 
pour  la  changer  en  une  affection  spirituelle,  et  ne 
les  plus  aimer  désormais  que  de  ce  seul  amour  que 
demande  la  charité  bien  réglée  :  comme  un  homme 
qui,  étant  mort  au  monde  et  à  l'amour-propre,  ne 
vit  plus  qu'à  Jésus-Christ  Notre-Seigneur.  lequel  lui 
tientlieudepere.de  mère,  de  frères,  de. sœurs  et 
de  toutes  choses  '  ». 

On  le  voit,  ce  n'est  nullement  l'amour  des  parents 
que  supprime  la  profession  religieuse  ;  elle  veut  au 
contraire  le  rendre  plus  vrai,  plus  pur,  plus  réel,  en 
écartant  l'affection  charnelle  qui  vient  trop  souvent 
l'amoindrir;  et  puisque  le  religieux  doit  la  plénitude 
de  ses  affections  à  Jésus-Christ  auquel  il  s'est  en- 
tièrement consacré,  elle  veut  qu'il  se  dépouille  de 
cet  amour  prétendu  des  parents  qui  ne  serait  que 
l'amour  du  monde  et  l'amour  de  soi-même,  se  repor- 
tant au  milieu  du  siècle  et  s'engageant  dans  les  affai- 
res et  les  intérêts  de  la  terre. 

L'amour  des  parents  dans  le  religieux  ne  se  pro- 
duit donc  plus  par  certains  actes  que  ne  comporte 
pas  le  service  parfait  qu'il  doit  à  Dieu;  mais  cet 
amour  occupe  toujours  la  place  que  demande  la 
charité  bien  réglée,  à  savoir,  la  première  place  après 
Dieu  ;  il  est  plus  solide  et  plus  généreux  que  celui 
dont  le  monde  se  contente;  et  il  est  surtout  plus 

1.  Somm.  des  Constitutions,  8. 


—  2GG   - 


profitable  aux  parents,  parce  qu'il  a  d'abord  en  vue 
leur  bien  essentiel,  qui  est  celui  de  leurs  âmes  *. 


1.  Nous  n'ajoutons  rien  à  ce  que  le  catéchisme  indique  briè- 
vement sur  les  obligations  des  novices.  Les  supérieurs  en  trou- 
veront l'explication  dans  le  Traité  de  Vètat  religieux  par  le  P, 
Gautrelet,  lre  partie,  chap.  II  et  III. 


SECONDE  PARTIE. 

DES    TROIS     VOEUX     DE     RELIGION    EN    PART1CULIEI 


La  seconde  partie  du  Catéchisme  des  vœux  nous 
semble  réclamer  ici  beaucoup  moins  de  développe- 
ments que  la  première  :  car,  d'un  côté,  elle  renferme 
moins  les  principes  que  leurs  applications  .  qui 
se  trouvent  déjà  dans  le  texte;  et  d'un  autre  côté, 
les  détails  que  l'on  pourrait  désirer  sont  abondam- 
ment fournis  par  des  livres  que  l'on  met  entre  les 
mains  de  tous,  comme  la  Perfection  chrétienne  de 
Rodrigue/,  l'Homme  religieux  du  P.  Saint-Jure,  etc. 


CHAPITRE  I. 

DE    LA    PAUVRETÉ    RELIGIEUSE. 

ARTICLE  f. 

DEUX   PRINCIPES    SUR  LA   PAUVRETÉ   ÉVANGÉLIQUE. 

SECTION  I.  —  LA  PAUVRETÉ  ÉVANGÉLIQUE  'ATTAQUE  LE; 
PREMIER  ENNEMI  DU  SALUT  ET  DE  LA  PERFECTION.  QUI 
EST   LA   CUPIDITÉ. 

t  Bienheureux  les  pauvres  d'esprit,  parce  que  le 


—  208  — 

royaume  des  ci  eux  leur  appartient  *.  »  Telle  est, 
comme  tous  les  chrétiens  doivent  le  savoir,  la  pre- 
mière des  huit  béatitudes  proclamées  par  Jésus- 
Christ,  la  béatitude  de  la  pauvreté  volontaire. 

Cette  bienheureuse  pauvreté,  à  laquelle  l'Évan- 
gile promet  le  royaume  du  ciel,  c'est  en  général  et 
dans  son  essence  le  soin  de  tenir  son  cœur  détaché 
des  biens  temporels  de  ce  monde  ;  et  les  riches 
mêmes  qui  en  possèdent  doivent  avoir  ce  détache- 
ment dans  un  premier  degré,  pour  pouvoir  mériter 
la  vie  éternelle. 

Il  est,  dans  un  degré  supérieur  et  avec  plus  de 
mérite,  le  partage  de  ceux  qui  acceptent  et  suppor- 
tent chrétiennement  la  privation  réelle  des  biens  de 
la  fortune,  quand  telle  est  la  volonté  de  Dieu  et  les 
dispositiors  de  sa  Providence. 

Mais  son  degré  et  son  mérite  suprême  éclatent  dans 
ces  cœurs  généreux  qui  renoncent  volontairement 
et  aux  richesses  qu'ils  possèdent  et  à  celles  qu'ils 
pourraient  acquérir,  afin  de  porter  tous  leurs  désirs 
vers  les  richesses  de  l'éternité.  A  ceux-là  Jésus-Christ 
déclare  que  le  roijaume  des  deux  leur  appartient 
déjà,  qu'ils  l'ont  payé  d'avance,  et  qu'ils  en  sont 
devenus  les  propriétaires  actuels  par  le  sacrifice 
volontaire  qu'ils  ont  fait. 

Or,  pourquoi  la  pauvreté  d'esprit  est-elle  le  pre- 
mier des  moyens  que  l'homme  doit  employer,  tant 
pour  gagner  le  ciel  que  pour  acquérir  la  perfection  ? 
Nous  l'avons  déjà  dit  2,  et  il  est  bon  de  le  répéter 

1.  Beati  patiperes  spiritu,  quoniam  ipsorum  est  regunui  cœlo- 
îura.  Matth.  5. 

2.  Jer  Part.,  ch.  2,  art.  4,  sect.  1™. 


—  260  — 
encore  :  c'est  parce  qu'elle  est  le  remède  a  celui  de 
nos  maux  spirituels  qui  est  la  racine  de  tous  les 
autres,  selon  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  La  racine  de 
tous  les  maux,  c'est  la  cupidité  4  » .  Yoilà  pourquoi 
le  Sauveur  des  hommes,  non  content  d'ouvrir  par 
là  sa  prédication,  commence  aussi  sa  vie  par  donner 
dans  sa  personne  cette  première  leçon  de  retable  et 
de  la  crèche.  Et  quand  il  veut  enseigner  le  secret  et 
la  route  de  la  perfection,  il  avertit  que  c'est  encore 
de  là  qu'il  faut  partir  :  «  Si  vous  vouiez  être  parfait, 
allez,  vendez  tout  ce  que  vous  avez  et  donnez-le  aux 
pauvres,  et  vous  aurez  un  trésor  dans  le  ciel  2  ».  Les 
premiers  qui  ont  reçu  cette  grande  leçon,  et  qui  ont 
voulu  la  pratiquer  dans  toute  son  étendue,  ce  sont 
les  apôtres.  Ils  l'ont  présentée  de  même  à  la  ferveur 
de  l'Église  primitive ,  et  ils  ont  ainsi  donné  aux 
communautés  religieuses  la  forme  de  la  pauvreté 
parfaite  3. 

La  cupidité  est  donc  le  premier  ennemi  qu'il  faut 
attaquer,  pour  que  l'àme  devienne  capable  de  s'é- 
lever vers  Dieu  et  de  s'attacher  à  lui  :  car  l'obstacle 
que  cet  ennemi  oppose  à  la  charité  est  de  telle  na- 
ture, qu'il  donne  contre  elle  des  moyens  et  des  for- 
ces à  tous  les  autres  ennemis,  les  richesses  étant 
comme  l'aliment  et  l'instrument  de  toutes  nos  pas- 
sions. De  là  cet  anathème  prononcé  contre  les  ri- 
ches 4  ;  de  là  ces  noms  donnés  aux  richesses  ;  ce 


1.  Radix  enim  omnium  malorum  est  cupiditas.   I  Tiaiot.  G. 

2.  Si  vis  perfectus  esse,  vade,  vende  omnia  nuas  habes,  et  da 
pauperibus,  et  habebis  tnesaurum  in  coelo.  Matth.  19. 

3.  Voyez  Rodriguez,  IIIe  Part.,  &  Traité,  en.  4. 

4.  V»  vobia  divitibus.  Luc .  6. 


—  270  — 

sont  des  causes  de  tromperie  ;  ce  sont  des  épines  et 
des  ronces  qui  étouffent  la  bonne  semence  *  ;  c'est 
comme  une  glu  où  les  âmes  se  collent  et  se  prennent  ; 
c'est  comme  de  la  poix  dont  le  seul  contact  salit  les 
mains. 

SECTION  IL—  LA  PAUVRETÉ  EST  LE  MUR  DE  LA  RELIGION. 

Second  principe  sur  lequel  il  est  nécessaire  d'in- 
sister; et  fasse  le  ciel  que  les  religieux  se  convain- 
quent bien  et  demeurent  toujours  pénétrés  de  son 
importance. 

La  pauvreté  est  très-justement  appelée  le  mur  de 
la  religion  : 

Le  mur,  c'est-à-dire  le  fondement;  c'est-à-dire  en- 
core, le  mur  de  construction  de  tout  l'édifice  ;  c'est-à- 
core  enfin,  le  mur  de  défense  et  le  rempart. 

Le  mur  de  la  religion,  c'est-à-dire  de  cet  état  de 
perfection  où  l'on  doit  être  tout  à  Dieu  et  à  son  ser- 
vice :  ce  qu'il  faut  entendre  et  du  corps  religieux  en- 
tier, et  de  chaque  maison  religieuse,  et  de  chaque  reli- 
gieux pris  individuellement. 

1.  La  pauvreté  est  le  mur  de  fondation  sur  lequel 
s'appuient  les  deux  autres  vertus  essentielles  à  l'état 
religieux,  la  chasteté  et  l'obéissance.  Et  en  effet, 
celles-ci  en  ont  un  besoin  moralement  nécessaire  : 
car,  sans  la  pauvreté,  il  est  bien  difficile  d'être  et  de 
rester  parfaitement  chaste,  humble  et  obéissant, 
ainsi  que  le  prouvent  la  plupart  des  riches  du  siècle. 

1.  Fallacia  divitiarum.  Matth.  c.  V.  13,22, 


-  271  - 

A  plus  forte  raison  la  pauvreté  est-elle  le  fondement 
sur  lequel  doit  s'élever  la  charité ,  comme  nous 
venons  de  le  dire  en  parlant  de  la  cupidité,  son  en- 
nemie. 

II.  La  pauvreté  est  encore  le  mur  de  construction  de 
tout  cet  édifice  ,  que  la  chasteté  et  l'obéissance  doi- 
vent ensuite  meubler  et  embellir  ;  de  cet  édifice  spi- 
rituel qui  s'appelle  soit  un  ordre  religieux,  soit  une 
maison  religieuse,  soit  la  vie  religieuse  dans  chaque 
individu. 

En  effet,  voyez  la  différence  radicale  qu'il  y  a  en- 
tre ce  qui  se  passe  ici  et  dans  le  siècle.  Là,  si  l'on 
veut  fonder  une  société  de  commerce,  les  associés 
commencent  par  voir  quels  fonds  ils  peuvent  fournir 
au  capital  social.  De  même,  quand  il  s'agit  de  s'éta- 
blir et,  comme  on  dit,  de  former  maison,  on  exa- 
mine d'abord  quelles  sont  les  ressources  des  deux 
parties.  Enfin,  pour  bâtir  un  édifice  matériel,  il  faut 
de  l'argent:  «  Qui  de  vous,  dit  Notre-Seigneur,  vou- 
lant élever  une  tour,  ne  s'assied  d'abord  pour  cal- 
culer la  dépense  à  faire,  et  voir  s'il  aura  de  quoi 
achever  la  construction  l  ?  » 

Mais,  au  contraire,  est-il  question  de  fonder  une 
société,  une  maison  religieuse  :  l'argent  et  les  fonds 
qui  sont  indispensables,  c'est  la  sainte  pauvreté, 
sans  laquelle  Dieu  et  son  Église  n'en  reconnaissent 
point.  Quelqu'un  veut-il  s'établir  dans  la  religion:  il 
lui  faut  avant  tout  se  dépouiller  de  ses  biens;  et  pour 


1.  Quis  ex  vobis,  volens  turrim  œdificare,  non  prius  sedens 
computat  sumptus  qui  nccessarii  sunt,  si  habeat  ad  periicien- 
clum  ?  Luc.  11. 


272  

élever  en  lui-même  l'édifice  de  la  vie  spirituelle, 
il  doit  encore  et  toujours  rester  pauvre.  «  Ainsi, 
ajoute  le  Seigneur  au  même  endroit,  quiconque  ne 
renonce  pas  à  tout  ce  qu'il  possède  ne  peut  être 
mon  disciple  »  dans  l'état  religieux  *. 

Cependant,   dira-t-on,   ne  faut-il   pas  aussi  des 
ressources  temporelles  aux  sociétés  religieuses  ?  Ne 
faut-il  pas  que  chacun  vive  dans  la  religion?  Oui, 
sans  doute,  il  faut  y  avoir  du  moins  le  nécessaire 
à  la  vie  du  corps  ;  et  c'est  pour  cela  même  que  l'on 
dit  encore  aux  religieux  :   Soyez  de  vrais  pauvres 
volontaires,  gardez  fidèlement  la   sainte  pauvreté, 
et  Dieu  vous  nourrira  ;  sa  parole  y  est  engagée  : 
«  Cherchez  d'abord,  a-t-il  dit,  le  royaume  de  Dieu  et 
sa  justice,  et  tout  le  reste  vous  sera  ajouté  par  sur- 
croît 2  »  :  autrement  la  divine  promesse  ne  s'adresse 
point  à  vous.  Voilà  pourquoi,  lorsque  la  pauvreté 
évangélique  vint  à  manquer  aux  maisons  religieuses, 
elles  s'écroulèrent,  Dieu  et  les  hommes  s'unissant 
pour  les  détruire;  Dieu  faisant  servir  l'injustice  des 
hommes  à  l'accomplissement  de  ses  justes  conseils. 
Que  si  des  édifices  matériels  continuèrent   encore  à 
subsister   çà  et  là,  ce  n'étaient  plus  des  maisons 
religieuses;  ils  n'abritaient  plus  des  religieux  véri- 
tables; au  lieu  de  ces  vocations  réelles,  si  nom- 
breuses aux  époques  de  la  ferveur,  on  n'y  voyait 
plus  entrer  que  des  esprits  et  des  cœurs  mondains, 
qui  venaient  là  pour  faire  curée  des  biens  de  la  reli- 


1.  Si  ergo  omnis  ex  vobis  qui  non   renunciat  omnibus  quse 
possidet,  non  potest  meus  esse  discipulus.  Luc.  14. 

2.  Qiuerite  ergo  primum  regnum  Dei  et  justitiam  ejus  ;  et* 
hsec  omnia  adjicientur  vobis.  Matth.  6. 


—  273  — 

gion,  et  qui  achevaient  d'en  préparer  la  ruine  en- 
tière. 

III.  La  sainte  pauvreté  est  le  mur  de  défense  de  la 
religion  :  «  rempart  solide  et  refuge,  dit  saint  Ignace, 
que  Dieu  inspira  aux  ordres  religieux  d'établir  con- 
tre l'ennemi  de  la  nature  humaine  et  contre  les  au- 
tres adversaires  de  la  perfection  religieuse;  boulevard 
à  l'abri  duquel  ils  se  maintiennent  dans  leur  état, 
conservent  la  vigueur  de  la  discipline,  et  résistent  à 
une  multitude  d'agressions  :  ce  qui  fait  comprendre 
aussi  pourquoi  le  démon  fait  tant  d'efforts  et  met 
en  jeu  tant  de  moyens  pour  renverser  ce  mur  de 
défense  *  » . 

C'est  un  rempart  contre  le  monde  dont  «  les  er- 
reurs, les  amours  et  les  terreurs  » ,  comme  parle 
saint  Augustin,  n'atteignent  plus  le  pauvre  volon- 
taire, parce  qu'en  effet,  en  se  dépouillant  des  biens 
de  ce  monde,  il  s'est  par  là  soustrait  à  ses  séductions, 
à  ses  entraînements,  à  ses  distractions,  à  ses  soucis 
et  à  tous  ses  embarras. 

C'est  un  rempart  contre  le  démon  :  car,  dit  saint 
Grégoire,  «  avec  des  pauvres  volontaires,  Satan  en- 
gage vainement  le  combat  ;  il  lutte  contre  des  athlè- 
tes qui  se  sont  débarrassés  de  leurs  vêtements  »  2  et 
ne  lui  laissent  plus  de  prise  pour  les  saisir. 

C'est  un  rempart  contre  la  chair  elle-même,  mal- 
gré l'avantage  qu'a  cet  ennemi  de  rester  au  dedans 
de  nous.  Car,  où  la  triple  concupiscence  trouve- 
t-elle  son  aliment  ?  Dans  les  richesses,  puisque  l'ar- 

1.  Constitutionum  Parte  X,  §  5. 

2.  Homil.  31  in  Evaugei. 


—  274  — 

gent  sert  à  tout  obtenir  en  ce  monde,  plaisirs,  hon- 
neurs, bien-être  de  la  vie.  Or,  par  la  pauvreté  reli- 
gieuse, nous  l'avons  déjà  dit,  la  cupidité  se  trouve 
bannie  des  cœurs  avec  la  richesse;  impossible  que  la 
pauvreté  restant  intacte,  non-seulement  chaque  reli- 
gieux individuellement,  mais  aussi  la  communauté, 
puisse  même  avoir  le  dessein  de  thésauriser;  les 
pauvres  sont  là  pour  recevoir  le  superflu,  selon  la 
volonté  de  Dieu.  Ainsi,  par  la  pauvreté  religieuse, 
les  plaisirs  et  les  jouissances  de  la  vie  sont  écartés 
dans  la  nourriture,  le  vêtement,  l'ameublement, 
etc.  ;  reste  seulement  le  nécessaire  convenable,  que 
l'obéissance  règle  et  sanctifie,  mais  dont  le  fond  est 
une  vie  de  pénitence  et  de  sacrifice  où  la  sainte 
pauvreté  tient  toujours  en  bride  la  sensualité.  De 
même  aussi,  l'orgueil  de  la  vie  est  fort  mal  à  l'aise 
avec  la  pauvreté:  car  ce  n'est  pas  elle  qui  procure  les 
hommages  du  monde  ni  ce  qui  flatte  la  vanité  hu- 
maine ;  et  elle  aide  encore  naturellement  le  cœur 
à  se  maintenir  dans  l'humilité  intérieure  et  dans  la 
modestie 

IV.  Il  est  donc  vrai  que  la  pauvreté  est  un  rem- 
part derrière  lequel  chaque  religieux  et  le  corps 
entier  de  la  religion  se  trouvent  à  l'abri  de  tous  les 
ennemis.  Aussi,  tant  que  ce  mur  est  resté  solide  et 
intact,  les  ordres  religieux  ont  traversé  les  siècles 
sans  éprouver  d'atteinte;  au  contraire,  dans  ceux 
qu'on  a  vus  dégénérer,  toujours  le  mal  s'est  intro- 
duit par  les  ouvertures  faites  à  ce  rempart.  Et  voilà 
pourquoi  tous  les  saints  fondateurs  l'ont  élevé  au- 
tour de  leur  édifice,  pourquoi  tous  leurs  successeurs 


—  275  — 

dignes  d'eux  et  tous  les  vrais  religieux  n  ont  rien 
omis  pour  le  maintenir  et  le  défendre ,  pourquoi 
tous  les  saints  réformateurs  ont  commencé  par  en 
réparer  les  brèches.  Mais  voilà  aussi  pourquoi,  de 
son  côté,  «  l'ennemi  de  la  nature  humaine,  comme 
dit  encore  saint  Ignace  4,  ne  manque  jamais  de 
s'attaquer  à  ce  boulevard  et  à  ce  refuge  pour  tâcher 
de  l'affaiblir  ;  changeant  ce  que  les  premiers  fonda- 
teurs avaient  sagement  réglé,  et  introduisant  des 
innovations  qui  ne  sont  plus  en  rien  selon  leur  es- 
prit ».  Ces  mots,  appliqués  au  passé,  rappellent, 
hélas!  les  causes  d'une  longue  et  déplorable  histoire. 
Des  maisons  religieuses  et  des  ordres  entiers  où 
s'étaient  formés  tant  de  saints,  furent  jetés,  par  l'ou- 
bli de  la  sainte  pauvreté,  dans  un  relâchement  qui 
alla  pour  quelques-uns  jusqu'à  la  dépravation.  Enlin 
ces  corps  usés  tombaient  en  pourriture,  quand  la 
violence  vint  les  faire  disparaître,  et  jeter  en  pâture 
aux  méchants  leurs  richesses  pernicieuses. 

Résumons  :  la  pauvreté  est  le  mur  de  la  religion 
pour  le  corps  et  les  membres  :  soutien  et  défense 
de  l'esprit  religieux,  de  toute  vocation  religieuse,  de 
toute  vertu  religieuse  et  de  toute  maison  religieuse. 
Avec  la  sainte  pauvreté,  les  religieux  seront  toujours 
facilement  des  hommes  humbles,  chastes,  obéis- 
sants, mortifiés,  doux,  unis  par  la  charité  frater- 
nelle, attachés  à  leur  vocation;  de  même  que  les 
communautés  religieuses  solidement  assises  sur  ce 
fondement  offriront  toujours  le  spectacle  de  la  régu- 
larité et  de  l'édification.  Sans  la  sainte  pauvreté  au 

1.  Conbtitut.  Part.  VI.  c. 


—  276  — 

contraire,  tout  est  en  péril,  et  les  blessures  qu'on 
lui  fait  amènent  toujours  le  relâchement,  la  déca- 
dence et  la  ruine. 

De  toute  cette  considération  sur  la  pauvreté,  saint 
Ignace  tire  la  conclusion,  «  qu'il  faut  donc  l'aimer 
d'une  affection  fondée  sur  l'estime,  et  la  conserver 
dans  toute  sa  pureté  d  ».  Ni  l'estime  seule,  ni  la  seule 
affection  ne  suffisent  point  :  il  faut  un  amour  d'es- 
time, diligenda  est  :  car  on  ne  tient  guère  à  conser- 
ver ce  qu'on  n'aime  pas,  et  l'on  est  exposé  à  ne  pas 
aimer  d'un  amour  assez  constant  ce  que  l'esprit  n'ap- 
précie pas  à  sa  valeur.  Mais,  de  plus,  cet  amour  étant 
ainsi  bien  établi  dans  le  fond  de  l'âme,  il  se  produira 
par  les  œuvres:  d'une  part  on  évitera  soi-même 
toute  infraction,  et  de  l'autre  on  s'opposera  de  tout 
son  pouvoir  à  ce  qui  en  altérerait  dans  son  institut 
la  pureté  première  :  car  enfin,  bien  insensé,  bien 
coupable  et  bien  ennemi  de  la  communauté  et  de 
soi-même,  serait  le  religieux  qui  démolirait  ou  lais- 
serait démolir  le  mur  de  fondement,  de  construction 
et  de  défense. 


ARTICLE  II. 

DU   VOEU   DE   PAUMRETË, 

Le  vœu  de  pauvreté  est,  comme  nous  l'avons  vu2, 
le  premier  des  trois  qu'exige  l'état  de  perfection  ;  et 


1.  Paupertas  ut  muras  religionis  diligenda  est  et  in  sua  pu- 
ritate  conservanda.  Constitua  Part.  VI.  c.  2, 

2.  1™  Part.  ch.  IT,  art.  TV. 


—  277  — 

les  religieux  le  font,  nous  l'avons  vu  aussi  4,  dans  le 
but  d'attaquer  plus  victorieusement  la  cupidité,  cette 
première  ennemie  de  la  charité  dans  le  cœur  de 
l'homme. 

SECTION  I».  —  DE  CE   VŒU  CONSIDÉRÉ  DANS  LE  RELI- 
GIEUX QUI  LE   FAIT. 

§  I.  La  nature  et  la  matière  du  vœu  de  pauvreté. 

Ce  vœu  de  religion  peut  avoir  deux  degrés:  l'un 
plus  complet  et  plus  parfait  consiste  à  interdire  non- 
seulement  tout  acte,  mais  encore  tout  droit  de  pro- 
priété :  de  sorte  que  le  religieux  ne  peut  plus  rien 
posséder  en  propre,  ni  rien  acquérir  pour  lui-même, 
soit  par  donation,  soit  par  legs  testamentaire,  soit 
même  par  succession  légitime.  Cependant,  même 
avec  ce  vœu,  il  peut,  du  consentement  du  supérieur, 
accepter  un  legs  ou  une  donation,  non  pour  lui- 
même,  mais  pour  sa  communauté.  —  Dans  certai- 
nes congrégations,  le  même  vœu  admet  encore  cette 
réserve,  que  le  religieux  pourra  acquérir  personnel- 
lement des  trois  manières  susdites,  mais  avec  i'oWL 
gation  de  se  dépouiller  le  plus  tôt  possible  du  bien 
qui  lui  surviendra,  pour  l'affecter  à  quelque  pieuse 
destination. 

L'autre  degré  du  vœu  de  pauvreté,  moins  élevé 
et  moins  complet,  laisse  au  religieux  la  nue  pro- 
priété de  ses  biens,  et  lui  ôte  seulement  le  droit 
d'en  disposer  sans  l'autorisation  des  supérieurs;  et 

1.  IIe  Part.  eh.  I.  art.  I. 

8** 


—  278  — 

c'est  ainsi  qu'en  lui  interdisant  tout  acte  de  pro- 
priété, il  écarte  l'affection  déréglée,  prévient  les  dan- 
gers de  l'usage,  et  fait  pratiquer  le  détachement  au 
moyen  de  la  dépendance. 

Malgré  ce  qui  se  pratique  dans  certaines  congré- 
gations qui  laissent  à  leurs  membres  l'usage  libre  de 
leur  patrimoine,  il  faut  savoir  que   le  Saint-Siège, 
lorsqu'il  approuve  un  institut,  exige  que  tout  acte 
de  propriété  y  soit  interdit  par  le  vœu,  sans  en 
excepter  les  biens  personnels  ;  et  voici  les  déclara- 
tions qu'il  a  encore  récemment  faites  pour  signaler 
nettement  la  pratique  du  vœu  de  pauvreté,  même 
dans  les  congrégations  où  l'on  ne  fait  que  des  vœux 
temporaires  :  «  Le  vœu  de  pauvreté,  dans  ces  insti- 
«  tuts,  note  point  à  une  professe  la  faculté  de  con- 
«   server  la  nue  propriété  de  ses  biens  temporels  ; 
«  mais  il  lui  ôte  tout  droit  d'administrer  ces  biens 
«  et  de  disposer  des  fruits  ou  revenus  qu'ils  produi- 
«  sent,  tant  quelle  demeure  dans  la  congrégation. 
«  C'est  pourquoi,  avant  de  faire  profession,  une 
«  Sœur  doit  céder,  même  par  acte  privé,  l'adminis- 
«  tration,  l'usage  et  l'usufruit  desdits  biens,  à  qui 
«  il  lui  plaira,  et  même  à  son  propre  institut,  si  elle 
«  le  préfère.  Mais  ladite  cession  sera  de  nul  effet, 
«  dans  le  cas  où  cette  Sœur  sortirait  de  la  congréga- 
«  tion.  Elle  pourra  même  apposer  la  clause  que  la 
«  cession  susdite  sera  toujours  et  en  tout  temps  ré- 
«  vocable,  alors  même  qu'elle  resterait  dans  l'ins- 
«  titut  ;  toutefois,  tant  que  ses  vœux  durent,  il  lui 
«  est  interdit  d'user  de  cette  faculté  qu'elle  s'est  ré- 
«  servée,  sans  la  permission  du  Saint-Siège. 
«  La  même  règle  doit  s'observer  à  l'égard  des 


-  279  - 

«  biens  qui,  après  sa  profession,  lui  arriveraient  par 
«  droit  d'héritage. 

«  Quant  au  domaine  de  ses  biens,  elle  aura  la  fa- 
«.  culte  soit  d'en  disposer  par  testament,  soit  de  faire 
«  à  ce  sujet,  avec  la  permission  néanmoins  de  la 
«  supérieure,  tous  les  actes  de  propriété  que  pres- 
«  crivent  les  lois.  » 

La  règle  posée  ci-dessus  pour  un  héritage  s'appli- 
que également  à  un  legs  testamentaire  et  à  une  dona- 
tion entre-vifs.  Il  faut  remarquer  de  plus  que, pour 
pouvoir  accepter  un  legs  ou  une  donation,  le  vœu 
oblige  le  religieux  d'avoir  la  permission  du  supé- 
rieur ;  et  cette  même  permission  est  requise  pour 
qu'il  puisse  disposer  en  faveur  d'autrui  d'un  bien 
qu'il  possède  en  propre. 

§  II.  La  violation  du  vœu  de  pauvreté. 

Le  catéchisme  expose  les  cas  où  l'on  viole  ce  vœu, 
et  comment  il  faut  la  permission  pour  pouvoir  dis- 
poser des  choses  temporelles.  Les  théologiens  mora- 
listes discutent  encore  d'autres  cas  dans  lesquels 
nous  ne  croyons  pas  devoir  entrer.  Tout  au  plus 
ajouterons-nous  ici  quelques  points  d'une  applica- 
tion plus  ordinaire. 

1°  Les  manuscrits  d'un  religieux  ne  tombent  pas 
sous  le  vœu  de  pauvreté,  à  moins  qu'il  ne  veuille  en 
tirer  quelque  profit  temporel,  comme  les  vendre, 
les  faire  imprimer,  etc.  Toujours  cependant  ils  res- 
tent sous  la  dépendance  du  supérieur  par  l'obéis- 
sance, selon  que  le  bien  générai  ou  particulier  peut 
l'exiger. 


-280   - 

2°  Manger  ou  boire  sans  permission  chez  des  per- 
sonnes du  dehors,  est  non-seulement  une  faute  con- 
tre la  discipline,  mais  aussi  une  violation  réelle 
quoique  ordinairement  légère  du  vœu  de  pauvreté, 
qui  interdit  de  rien  recevoir  de  sa  propre  autorité. 

3°  De  môme,  le  vœu  ne  permet  pas  au  religieux 
de  donner  sans  permission  ce  que  la  communauté 
lui  fournit  pour  son  propre  usage  ou  entretien, 
comme  un  vêtement,  une  portion  de  son  repas,  etc.  ; 
à  moins  que  la  coutume  légitime  n'en  ait  accordé 
l'autorisation  générale. 

4°  Un  religieux  qui  refuserait  sans  permission 
d'accepter  un  salaire  dû  à  son  travail  pécherait 
contre  son  vœu  de  pauvreté,  et  même  contre  la  jus- 
tice envers  la  communauté,  puisque  celle-ci  a  déjà 
un  droit  à  ce  sujet,  en  vertu  du  principe  que  tout  ce 
qu'acquiert  un  religieux  est  acquis  au  monastère. 

5°  Relativement  à  un  dépôt  qu'un  religieux  accep- 
terait pour  le  garder  par  complaisance,  il  faut  re- 
marquer qu'il  ne  viole  pas  son  vœu  de  pauvreté,  s'il 
est  entendu  qu'il  ne  contracte  pas  l'obligation  pro- 
pre du  dépositaire.,  qui  est  de  répondre  de  l'objet  en 
cas  qu'il  se  perde.  Cependant,  même  dans  ce  cas ,  la 
règle  défend  très-sagement  de  rien  accepter  en  dépôt 
sans  permission. 


SECTION   II.  —  DE    L'INFLUENCE    DU    VŒU    DE    PAUVRETE 
SUR  LA  PAUVRETÉ  COMMUNE  A  L'INSTITUT. 


On  distingue  dans  l'état  religieux  deux  sortes  de 
pauvreté,  qui  tiennent  au  vœu  qu'on  en  fait  :  l'une 
est  personnelle  au.  religieux  pris  individuellement; 


—  28!  — 

c'est  la  seule  dont  il  ait  été  question  dans  le  caté- 
chisme des  vœux  :  l'autre  est  commune  à  tout  le  corps, 
et  regarde  collectivement  les  religieux  d'un  institut  : 
il  convient  d'en  dire  ici  quelque  chose. 

I.  La  pauvreté  commune  au  corps  religieux  n'est 
pas  la  même  dans  tous  les  instituts;  c'est  la  règle  de 
chaque  ordre  qui  l'adapte  à  sa  lin   dans  la  mesure 
nécessaire  pour  l'obtenir.  La  plus  stricte  est  celle 
qui  interdit  à  la  communauté  elle-même  la   faculté 
de  posséder  des  biens  immeubles.  On  entend  par  là 
ceux  qui  sont  de  nature  à   produire  des   fruits  ou 
revenus  capables  d'assurer  la  subsistance  et  l'entre- 
tien des  religieux.  Telle  était  jadis  la  pauvreté  com- 
mune dans  tous  les  ordres  qu'on  appelle  mendiants, 
parce  que  les  religieux  doivent  ne  tirer  leurs  moyens 
de  subsister  que  des  aumônes  des  fidèles,  sans  que 
ces  aumônes  puissent  se  convertir  en  biens  fonds  de 
la  communauté.  Cette  pauvreté  n'exclut  pas  cepen- 
dant la  possession  de  la  maison  religieuse,  avec  son 
église  et  son  jardin  ;  excepté  dans  l'ordre  des  Frères- 
Mineurs  et  des  Capucins,  où  ces  trois  choses  elles- 
mêmes  n'appartiennent  point   à  la   communauté, 
mais  restent  sous  le  domaine  du  donateur  ou  de 
l'Église. 

Une  telle  pauvreté  ajoute  sans  doute  beaucoup  à 
la  perfection  de  la  pauvreté  personnelle.  Car  en 
interdisant  à  la  communauté  la  possession  des  im- 
meubles et  des  revenus  qu'on  en  tirerait,  elle  reflue 
sur  les  membres,  qui  par  là  n'ont  plus  de  moyen? 
de  subsister  assurés  d'avance  :  ce  qui  devient  aussi 
pour  chaque  religieux  un  exercice  très-méritoire 


—  282  — 

bandon  à  la  Providence,  et  de  foi  à  la  promesse  du 
divin  Maître.  Cette  promesse  du  reste  ne  faillira 
point,  tant  qu'eux-mêmes  rempliront  la  condition 
qu'il  a  posée  :  «  Cherchez  d'abord  le  royaume  de 
Dieu  et  sa  justice,  et  le  reste  vous  sera  accordé  par 
surcroît !.  » 

IL  Le  concile  de  Trente  2  a,  pour  de  sages  motifs, 
autorisé  tous  les  ordres  religieux  mendiants,  excepté 
les  Frères-Mineurs  et  les  Capucins  (dont  le  père 
saint  François  affectionnait  tant  la  sainte  pauvreté), 
à  posséder  désormais  des  biens  immeubles  en  com- 
mun :  de  sorte  que  plusieurs  instituts  jadis  men- 
diants ne  le  sont  plus  par  le  fait,  quoique  l'Église 
leur  en  conserve  le  nom  et  les  privilèges  à  raison  de 
la  règle  primitive.  Il  n'y  a  que  les  Carmes  Déchaus- 
sés, et  la  Compagnie  de  Jésus  pour  ses  maisons  pro- 
fesses, qui  aient  renoncé  à  profiter  de  cette  conces- 
sion du  Concile. 

III.  Par  rapport  à  la  perfection  de  la  pauvreté 
commune^  saint  Thomas 3  distingue,  entre  les  instituts 
monastiques,  les  ordres  mendiants,  et  ceux  qui  doi- 
vent exercer  les  œuvres  de  la  charité  corporelle. 
Car,  dit-il,  la  pauvreté  la  plus  parfaite  n'est  point  la 
plus  stricte,  mais  celle  qui  est  le  mieux  en  propor- 
tion avec  la  lin  de  l'institut.  Ainsi,  dans  les  ordres 
monastiques,  il  convient  d'avoir  en  commun  des 
moyens  certains  et  suffisants  d'existence  :  autrement 


1.  Matth.  c.  6. 

2.  Ooncil.  Trid.  Sess.  xxv,  c.  3. 

3.  2a  2»  quœst,  188.  art.  7. 


—  283  — 

il  faudrait  les  aller  chercher  dehors,  ce  qui  serait 
au  détriment  de  la  vie  contemplative  qui  est  la  fin 
de  ces  ordres.  Saint  Ignace  a  pensé  de  même  au 
sujet  de  ses  enfants  qui  sont  aux  études  dans  les  sémi- 
naires et  les  collèges,  et  la  Compagnie  de  Jésus 
n'appartient  aux  ordres  mendiants  que  par  ses  mai- 
sons professes. 

Quant  aux  instituts  dont  la  fin  est  l'exercice  de  la 
charité  corporelle,  la  perfection  de  leur  pauvreté 
ne  peut  pas  consister  à  exclure  des  ressources  com- 
munes, puisqu'elles  sont  nécessaires  pour  le  service 
du  prochain  et  les  œuvres  de  leur  vocation. 

IV.  Une  remarque  à  faire  encore  sur  la  pauvreté 
commune,  c'est  que  celle  qui  soumet  les  religieux  à 
une  plus  entière  dépendance  des  supérieurs  devien- 
dra réellement  plus  méritoire  par  l'obéissance, 
qu'une  pauvreté  plus  austère  et  même  plus  souf- 
frante où  il  se  trouverait  moins  de  dépendance  ;  et 
elle  servira  aussi  plus  efficacement  à  la  perfection 
du  détachement,  en  quoi  consiste  surtout  le  mérite 
et  la  perfection  de  la  pauvreté.  Par  exemple,  qui  ne 
voit  que  si,  dans  une  communauté  où  l'on  doit  vivre 
seulement  d'aumônes,  les  supérieurs  laissaient  à 
chacun  l'usage  libre  des  dons  qu'il  reçoit,  l'esprit 
de  pauvreté  y  serait  beaucoup  plus  en  péril  que 
dans  une  maison  où,  avec  des  moyens  assurés  de 
vivre,  tout  est  fidèlement  et  jusque  dans  les  moin- 
dres choses  subordonné  à  l'obéissance? 

On  peut  remarquer  enfin,  pour  la  consolation  de 
plusieurs,  qu'il  existe  beaucoup  de  communautés 
religieuses,  principalement  de  nos  jours,  où  sans 


—  284  — 


avoir,  en  vertu  des  constitutions,  la  pauvreté  com- 
mune des  ordres  mendiants,  on  la  pratique  en  effet, 
avec  le  mérite  du  même  abandon  en  cette  bonté  qui 
prend  soin  de  ceux  qui  ont  tout  quitté  pour  chercher 
le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice. 


ARTICLE  III. 

DE  LA  VERTU   DE  PAUVRETÉ. 

La  vertu  de  pauvreté  n'est  point  explicitement 
désignée  parmi  les  vertus  morales  ;  mais  c'est  une 
vertu  évangélique  qui ,  en  détachant  le  cœur  de 
l'homme  des  biens  temporels  de  ce  monde,  met  en 
exercice  presque  toutes  les  vertus  morales  et  théo- 
logales. Elle  a  un  rapport  plus  direct  avec  la  libéralité 
et  la  tempérance  ;  et  l'on  sait  en  quelle  estime  elle 
a  été  même  parmi  les  sages  du  paganisme  ;  qu'il 
nous  suffise  de  citer  ces  paroles  de  Cicéron  :  «  Il 
n'est  rien  de  plus  digne  d'honneur  et  de  plus  ma- 
gnifique que  de  mépriser  les  richesses  *  » . 

Le  catéchisme  des  vœux  explique  suffisamment 
l'obligation  que  cette  vertu  impose  au  religieux,  et 
comment  il  pécherait  contre  elle,  même  sans  violer 
le  vœu  de  pauvreté.  Nous  n'avons  que  quelques 
observations  à  ajouter  ici. 

I.  De  l'affection  déréglée  aux  biens  et  aux  objets 
temporels. 

1.  NiMlhonestmsmagninceutiusquequam  conteranere  pecu- 
niam, 


—  285  — 

La  cupidité  est  une  passion  si  vivace,  qu'elle  a 
toujours  grand  besoin  d'être  surveillée  et  réprimée 
dans  le  cœur  de  l'homme.  Plût  à  Dieu  que  le  reli- 
gieux, quel  qu'il  soit,  n'oubliât  jamais  cotte  vérité  d'ex- 
périence :  car  cette  inclination,  pour  être  enchaînée 
par  le  vœu,  n'est  point  cependant  détruite  ;  et  quand 
il  s'agit  de  se  satisfaire,  elle  est  extrêmement  féconde 
en  subtilités  et  en  prétextes.  De  même,  on  la  voit, 
après  avoir  fait  de  grands  sacrifices,  tel  qu'est  le  re- 
noncement religieux,  se  prendre  ensuite  souvent  à 
des  riens,  et  y  chercher  sa  pâture  à  défaut  d'objets 
plus  considérables.  Or,  un  religieux  doit  bien  le 
remarquer,  l'objet  de  la  cupidité  importe  peu  au 
tentateur  qui  l'excite  ;  ce  qu'il  faut  à  l'ennemi  des 
âmes  et  ce  qui  lui  suffit,  c'est  l'affection  déréglée  ; 
et  il  tâche  de  faire  coller  le  cœur  d'abord  aux  petites 
choses,  afin  de  pouvoir  obtenir  peu  à  peu  de  plus 
graves  dérèglements  *. 

IL  Des  superfluités. 

Il  faut  remarquer  que  ce  qu'on  doit  appeler  de  ce 
nom  dans  les  communautés,  présente  nécessairement 
des  différences  plus  ou  moins  sensibles,  selon  les 
diverses  fins  des  instituts.  Il  n'appartient  donc  point 
aux  particuliers  d'en  décider  seulement  d'après  leur 
propre  appréciation  ;  les  choses  en  cette  matière  sont 
ordinairement  définies  par  la  règle  ou  par  les  décla- 
rations des  supérieurs,  et  le  devoir  de  chaque  reli- 
gieux est  de  s'y  conformer  fidèlement. 

1.  Voyez  Rodriguez,  IIIe  Part.  3r  Traité,  ch.  o. 


III.  Des  pécules,  et  autres  exceptions  semblables  qui 
regardent  l'usage  des  choses  temporelles. 

On  doit  distinguer  deux  sortes  de  pécules  :  l'un 
qui  est  une  réelle  violation  du  vœu  de  pauvreté, 
parce  qu'il  renferme  au  fond  un  usage  indépendant 
des  choses  temporelles  ;  l'autre  qui  n'est  pas  absolu- 
ment contre  le  vœu,  parce  qu'il  reste  sous  la  dépen- 
dance de  la  volonté  des  supérieurs.  Le  pécule  que 
le  vœu  défend  est  celui  où  le  supérieur  accorderait 
la  permission,  en  renonçant  au  droit  de  la  révoquer 
quand  il  le  voudra;  ou  bien  encore,  celui  où  sa 
permission  serait  invalide,  étant  donnée  contre  la 
défense  des  constitutions.  Du  reste,  le  pécule  même 
qui  ne  va  point  jusqu'à  la  violation  positive  du  vœu 
est  encore  funeste  aux  communautés  religieuses,  parce 
qu'il  nuit,  non-seulement  à  l'esprit  de  pauvreté,  mais 
encore  à  l'union  fraternelle  et  à  l'édification.  Ici 
s'applique  justement  le  reproche  que  saint  Paul 
adressait  à  ces  chrétiens  de  Gorinthe  aui  oubliaient 
les  règles  établies  dans  les  saintes  assemblées  des 
premiers  fidèles  :  «  Parmi  vous,  leur  disait-il,  quand 
vous  vous  réunissez,  l'un  a  faim  et  l'autre  est  dans 
l'abondance.  N'est-ce  pas  faire  rougir  ceux  qui  n'ont 
pas  ce  que  vous  avez  ?  Que  vous  dirai-je  ?  Que  c'est 
bien  ?  Je  ne  le  puis  pas l.  » 

Pour  de  plus  grands  détails  sur  la  question  du  pé- 
cule, les  supérieurs  peuvent  recourir  au  traité  de 
l'État  Religieux  par  le  P.  Gautrelet 2. 

1.  Convenientibus  ergo  vobis in  unum...  alius quidem esurit, 
alius  autera  ebrius  est.  Numquid. ..  confunditis  eos  qui  non ha- 
bent?  Quid  dicam  vobis?  Laudo  vos?  In  hoc  non  laudo. 
I.  Cou.  11. 

2.  Tom.  1,  p.  171. 


-  287  — 

IV.  De  la  distribution  des  biens  temporels  dont  se 
dépouille  Je  religieux  soit  avant,  soit  après  sa  profession. 
Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  en  donnant  la  forme 
de  l'état  religieux,  a  dit  dans  son  Évangile  :  «  Si  vous 
voulez  être  parfait,  allez,  vendez  tout  ce  que  vous 
avez,  et  donnez-le  aux  pauvres  l  » .  Ainsi,  il  est  bien 
remarquable  que  le  conseil  évangélique  sur  la  pau- 
vreté religieuse  s'étend  à  l'usage  même  que  l'on  doit 
faire  des  biens  dont  on  se  dépouille  :  Donnez-les  aux 
pauvres,  dit  le  Seigneur,  et  non  pas  :  Donnez-les  à 
vos  proches  ou  à  vos  amis.  Un  religieux,  après  avoir 
entendu  la  première  partie  du  conseil  divin,  vou- 
drait-il ensuite  fermer  l'oreille  à  la  seconde?  Ce  serait 
agir  contrairement  à  la  perfection  de  son  état,  et 
s'ôter  le  mérite  de  son  dépouillement,  en  le  corrom- 
pant par  le  mélange  des  affections  humaines. 

Il  y  a  de  plus  une  raison  intime  de  cette  destination 
que  Jésus-Christ  propose  au  religieux,  une  raison 
qui  touche  à  la  fermeté  de  sa  vocation  elle-même. 
En  effet,  s'il  donnait  ses  biens  à  des  proches,  ne 
pourrait-il  pas  arriver  un  jour  qu'il  comptât  peut- 
être  sur  eux,  dans  le  cas  d'infidélité  à  cette  vocation? 
Et  le  démon  lui-même,  au  moment  de  la  tentation, 
n'aurait-il  pas  de  quoi  s'en  prévaloir  pour  l'ébranler 
et  le  vaincre?  Mais,  quand  on  a  donné  aux  pauvres  ce 
qu'on  possédait,  d'une  part  on  a  droit  à  ce  trésor  que 
Jésus-Christ  promet  en  échange,  puisque  c'est  à  lui- 
même  qu'on  a  réellement  donné  dans  la  personne 
des  pauvres  ;  et  d'autre  part,  après  que  l'on  a  ainsi, 
comme  on  dit,  brûlé  ses  vaisseaux,  il  ne  reste  plus 

1.  Vende  omuia  quse  habes,  et  da  pfiuperibus.  Matth.  10. 


—  288  — 

qu'à  se  jeter  sans  arrière-pensée,  et  pour  ainsi  dire  à 
corps  perdu,  dans  la  carrière  de  la  perfection.  On 
voit  donc  que  la  pratique  de  ce  conseil  évangélique 
est  non-seulement  plus  méritoire  et  plus  parfaite, 
mais  encore  qu'elle  est  un  préservatif  contre  sa  pro- 
pre instabilité,  un  moyen  de  persévérance  et  de  fer- 
veur au  service  de  Dieu. 

Que  si  cependant  les  proches  eux-mêmes  se  trou- 
vaient être  dans  le  cas  des  pauvres,  il  est  évident 
que  le  devoir  du  religieux  serait  de  songer  à  eux, 
avant  même  de  s'occuper  de  tout  autre  ;  et  dans 
l'appréciation  de  leurs  besoins,  il  devrait  encore  avoir 
égard  à  ce  que  réclame  légitimement  leur  condition. 
Lorsqu'il  s'élève  quelque  doute  à  ce  sujet,  on  doit, 
avec  permission,  consulter  des  personnes  qui  soient  à 
la  fois  désintéressées,éclairées  et  vertueuses  :  éclairées, 
pour  qu'elles  puissent  donner  un  conseil  prudent  ; 
désintéressées  et  vertueuses,  pour  qu'elles  le  donnent 
selon  Dieu  et  la  vraie  piété. 

Il  peut  encore  survenir  d'autres  justes  motifs  dont 
un  religieux  doive  tenir  compte  en  cette  matière  :  par 
exemple,  une  obligation  de  justice,  quelque  devoir 
de  reconnaissance,  ou  même  parfois  la  nécessité  peut- 
être  de  prévenir  des  discussions,  des  scandales,  etc. 
Par  les  pauvres,  il  faut  entendre  aussi  sans  aucun 
doute  les  pauvres  volontaires  de  Jésus-Christ,  et 
spécialement  ses  frères  en  religion.  N'est-ce  pas 
même  pour  le  religieux  un  devoir  de  reconnaissance 
(il  faudrait  dire  plus  encore)  de  ne  point  oublier  les 
besoins  d'une  communauté  qui  se  charge  de  Jui  pour 
le  reste  de  sa  vie  ? 
Les   paroles   évangéliques    doivent    s'interpréter 


-  289  - 

également  de  toutes  les  œuvres  pies  :  telles  que  le 
soin  du  culte  divin,  la  propagation  de  la  foi,  l'édu- 
cation chrétienne  des  enfants,  et  l'assistance  quel- 
conque des  malheureux  ;  et  il  est  aussi  juste  que  na- 
turel de  seconder  en  particulier  les  œuvres  du  corps 
religieux  dont  on  est  membre. 

Dans  ces  limites  que  lui  trace  sa  profession,  le  re- 
ligieux reste  libre  de  suivre  sa  propre  dévotion  pour  k. 
distribution  de  ses  biens  ;  car  c'est  à  lui,  et  non  à 
d'autres  que  Jésus-Christ  s'adresse  :  Donnez-les  aux 
pauvres  ;  et  personne  n'a  le  droit  d'entraver  l'exer- 
cice vertueux  qu'il  veut  faire  de  sa  liberté  dans  cet 
emploi  des  biens  que  Dieu  lui  a  donnés. 

Cependant  les  supérieurs  ont  à  remplir  ici  un  devoir 
de  surveillance  et  de  direction,  pour  empêcher  que 
le  religieux  ne  fasse  rien  contre  l'édification  et  l'es- 
prit de  son  état. 

V.  Pour  ce  qui  regarde  la  pratique  de  la  vertu  de 
pauvreté  et  ses  divers  degrés  de  perfection,  le  caté- 
chisme des  vœux  donne  tous  les  principes  ;  et  quoi- 
qu'il le  fasse  en  peu  de  mots,  H  nous  semble  ne  rien 
omettre  d'essentiel.  Si  l'on  veut  de  plus  amples  déve- 
loppements, on  a  le  livre  de  la  Perfection  chrétienne 
de  Rodriguez1.  Il  nous  suffira  d'ajouter  deux  obser- 
vations. 

La  première  est  que  tous  ceux  qui  entrent  en  reli- 
gion ont  grand  besoin  de  s'appliquer  dès  le  noviciat 
à  bien  saisir  ce  que  c'est  que  la  pauvreté  religieuse, 
à  en  prendre  l'esprit  et  les  saintes  délicatesses  ;  et  à 

1.  LLl*  Part.,  3°  Traité,  eh.  6,  7  et  8. 


—  290  — 

veiller  sur  des  habitudes  précédentes  qui  sont  trop 
souvent  en  opposition  avec  elle.  Une  fois  que  l'on 
est  admis  sous  les  livrées  de  «  Celui  qui  étant  riche 
s'est  fait  pauvre  pour  nous i  » ,  il  n'est  plus  permis  de 
garder  ni  les  pensées,  ni  les  jugements,  ni  le  langage, 
ni  les  tendances  des  hommes  du  siècle  par  rapport 
aux  richesses  de  la  terre  ;  et  le  vrai  pauvre  de  Jésus- 
Christ  aime  à  le  paraître  et  à  l'être  dans  toute  sa 
personne,  dans  toute  sa  conduite  et  jusque  dans  les 
moindres  choses. 

La  seconde  observation  est  qu'aux  yeux  d'un  bon 
religieux,  la  sainte  pauvreté  n'est  pas  seulement  le 
mur  de  la  religion,  c'est  encore  une  mère  qu'il  faut 
aimer  avec  tendresse  :  par  conséquent  il  ne  se  contente 
pas  de  la  supporter  avec  résignation,  mais  il  chérit 
ses  livrées,  et  il  est  heureux  de  saisir  les  occasions  qui 
s'offrent  à  lui  d'en  éprouver  les  privations.  «Que 
tous,  dit  saint  Ignace  à  ses  enfants,  chérissent  la 
pauvreté  comme  une  mère,  et  que,  dans  les  circons- 
tances, ils  soient  bien  aises  d'en  ressentir  quelques 
effets  selon  la  mesure  d'une  sainte  discrétion  2. 


CHAPITRE  IL 

DE   LA   CHASTETÉ   RELIGIEUSE. 

Si  le  premier  vœu  de  religion  est  d'un  si  grand 
mérite  aux  yeux  de  Dieu,  que  sera-ce  du  second  ? 

1.  Propter  vos  egenus  factus   est,    cum   esset   dives.    11 
Cor.  S. 

2.  Constat.  Part.  IIIe,  c.  L 


—  291  — 

Et  si  la  pauvreté  évangélique  fait  du  religieux  un 
homme  qui  ne  tient  plus  à  la  terre,  que  ne  faudra- 
t-il  pas  dire  de  cette  vertu  plus  céleste  encore,  par 
laquelle  il  imite  la  vie  même  des  anges? 

Mais  déjà  le  catéchisme  des  vœux  *  a  expliqué 
suffisamment  ce  qui  concerne  cette  portion  si  belle 
de  Tholocauste  religieux.  Le  vœu  et  la  vertu,  les 
infractions  directes  et  indirectes,  les  préservatifs 
nécessaires,  les  moyens  de  s'assurer  toujours  davan- 
tage la  possession  de  ce  trésor,  enfin  les  prérogatives 
et  les  avantages  de  la  chasteté  religieuse,  tout,  ce 
nous  semble,  y  est  exposé  avec  cette  brièveté  que 
demande  la  délicatesse  de  la  matière,  et  néanmoins 
avec  cette  netteté  qui  est  nécessaire  pour  éclairer  les 
consciences. 

Nous  ne  voyons  donc  rien  à  ajouter  présentement 
sur  le  second  vœu  de  religion.  Si  l'on  veut  un  ré- 
sumé de  tout  ce  qu'il  demande  du  religieux,  le  voici 
dans  ces  trois  paroles  :  la  garde  des  pensées,  la  garde 
des  affections,  la  garde  des  sens;  et  pour  les  dévelop- 
pements, il  n'y  a  qu'à  recourir  aux  PP.  Rodriguez 
et  Saint- Jure  2. 

La  discipline  régulière  embrasse  plusieurs  points 
qui  ont  quelque  relation  avec  la  chasteté  religieuse, 
comme  la  clôture,  le  parloir,  les  visites  et  le  commerce 
des  lettres;  mais  ce  qu'il  faut  dire  aux  religieux  sur 
ces  matières  se  trouve  dans  les  règles  de  leur  institut  ; 
et  quant  aux  supérieurs,  ils  consulteront  avec  fruit 
le  traité  de  VÉtat  Religieux  par  le  P.  Gautrelet,  pour 
avoir  les  explications  qu'ils  peuvent  désirer. 

1.  IIe  Part.,  ch.  2. 

2.  Ferf.  Chrét.  IIIe  Part. ,  4e  traité.  —  L'Homme  Religieux, 
Liv.  1,  ck.  H. 


—  292  — 
CHAPITRE  III. 

DE   L'OBÉISSANCE   RELIGIEUSE. 

ARTICLE  I. 

DIVERS  PRINCIPES   SUR  i/OBÉISSANCE  EN  GÉNÉRAL1. 

I.  Il  est  essentiel  à  l'obéissance  de  faire  l'œuvre 
commandée,  non  parce  qu'elle  plaît  et  qu'on  la  veui 
faire  pour  elle-même,  mais  précisément  à  cause  du 
commandement  et  parce  qu'elle  est  voulue  par  le 
supérieur  :  sans  quoi  ce  n'est  plus  l'acte  de  l'obéis- 
sance. 

De  là  vient  que,  dans  les  choses  qui  nous  sont  agréa- 
bles,  l'obéissance  est  ordinairement  moindre,  ou 
devient  même  nulle  ;  tandis  qu'elle  est  plus  grande 
et  réelle  dans  les  choses  difficiles  ou  qui  ne  vont 
pas  à  notre  goût.  Néanmoins ,  devant  Dieu  qui 
regarde  et  connaît  les  cœurs,  il  peut  arriver  que, 
même  dans  le  premier  cas,  l'obéissance  ne  soit  ni 
moins  vraie  ni  moins  méritoire,  dès  lors  que  la 
volonté  se  porte  à  obéir  avec  un  égal  dévouement 
pour  Dieu. 

H.  Faire  une  chose  contre  le  commandement  sans 
avoir  la  volonté  de  l'enfreindre,  ce  n'est  qu'une 
désobéissance  matérielle  ;  et,  s'il  y  a  faute,  elle  appar- 

1.  2a  iiae  q.  loi.  a*  2. 


—  293  — 

tient  formellement  à  une  autre  espèce  de  péché, 
selon  le  motif  et  l'objet  de  l'acte,  ou  selon  l'inten- 
tion de  celui  qui  pèche. 

III.  Un  inférieur  n'est  tenu  d'obéir  à  son  supérieur 
que  dans  la  matière  où  il  lui  est  soumis,  et  dans  les 
choses  où  le  supérieur  ne  contredit  pas  Tordre  d'un 
pouvoir  au-dessus  du  sien.  Que  si  le  commandement 
était  injuste,  il  ne  serait  nullement  obligatoire, 
puisque  Dieu  ne  communique  point  aux  hommes 
son  autorité  pour  l'injustice.  Il  est  cependant  permis 
quelquefois  à  l'inférieur  d'exécuter  un  commande- 
ment injuste  :  c'est,  par  exemple,  quand  l'injustice 
ne  tombe  que  sur  lui-même  et  qu'il  consent  à  la 
souffrir.  Il  peut  même  arriver  qu'on  soit  tenu  d'exé- 
cuter cette  sorte  de  commandement  injuste,  en  vertu 
d'une  autre  obligation,  comme  d'éviter  un  scandale 
ou  quelque  autre  dommage.  Dans  le  doute,  si  le  com- 
mandement est  juste  ou  non,  l'inférieur  a  le  devoir 
d'obéir,  parce  que  le  droit  de  commander,  qui  est 
certain  dans  le  supérieur,  doit  prévaloir  sur  une 
opinion  douteuse. 

IV.  Obéir  à  l'homme  en  vue  de  Dieu,  peut  devenir 
facilement  plus  méritoire  que  si  l'on  obéissait  à 
Dieu  même  déclarant  immédiatement  sa  volonté.  La 
raison  en  est  qu'on  y  exerce  davantage  plusieurs  ver- 
tus, telles  que  la  foi,  l'humilité,  la  dévotion,  la 
force,  etc.  ;  et  c'est  là  en  particulier  l'avantage  que 
Dieu  a  voulu  attacher  à  l'obéissance  religieuse. 

"V.  L'obéissance  religieuse  consiste  en  ce  que 
l'homme,  dans  le  but  de  plaire  au  Seigneur  ,  se  met 


—  m  — 

volontairement  sous  la  dépendance  d'un  autre 
homme  pour  tout  ce  qu'il  commandera  selon  la 
règle.  Mais,  comme  il  est  dit  dans  le  catéchisme 
des  vœux,  cette  obéissance  n'oblige  par  elle-même, 
sous  peine  de  péché,  que  quand  le  supérieur  déclare 
qu'il  commande  en  vertu  du  vœu.  Pour  ce  qui  est  du 
simple  pouvoir  de  domination  que  possède  encore 
un  supérieur  dans  la  famille  religieuse,  on  le  com- 
pare justement  à  celui  d'un  père  dans  la  famille 
naturelle  ;  cependant  il  faut  remarquer  que  cette  com- 
paraison n'est  pas  de  tout  point  exacte,  puisque  le 
commandement  d'un  père  oblige  toujours  ses  enfants 
sous  peine  de  péché,  dès  lors  que  la  matière  en  est 
juste  et  raisonnable  :  ce  qui  n'a  pas  lieu  pour  une 
simple  prescription  du  supérieur  régulier. 

VI.  L'obéissance  aveugle  que  les  saints  recom- 
mandent au  religieux,  comme  la  plus  parfaite  et  la 
plus  méritoire,  consiste ,  dit  Suarez  * ,  à  exclure 
la  prudence  de  la  chair,  et  non  la  prudence 
véritable  et  surnaturelle.  Car  l'obéissance  étant 
une  vertu  si  excellente,  elle  n'exige  pas  moins  la 
direction  de  la  prudence  pour  ses  actes,  que  toute 
autre  vertu  morale.  Mais  ce  qui  lui  est  propre,  c'est 
que  le  jugement  de  la  prudence  qui  la  guide  se 
fonde  plus  sur  un  principe  extrinsèque,  savoir  le 
jugement  du  supérieur,  que  sur  lui-même  dans  les 
choses  qui  ne  sont  pas  évidentes  ;  et  on  l'appelle 
aveugle  parce  qu'elle  écarte  alors  son  propre  juge- 
ment. Or,  elle  l'exclut  en  tant  que  vicieux  ou  impar- 

1.  Tract,  de  Keligione. 


295  — 


fait,  et  non  pas  selon  qu'il  dit  tout  usage  de  la  rai- 
son. C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'elle  saurait  exa- 
miner et  voir,  si  ce  qu'on  lui  commande  paraissait 
contraire  à  la  règle  ou  au  précepte. 


ARTICLE  IL 

l'obéissance  comparée  aux  autres  vertus1. 

I.  L'obéissance  est  inférieure  en  dignité  aux  trois 
vertus  théologales ,  puisqu'elle  est  seulement  une 
vertu  morale.  Mais  on  doit  remarquer  qu'entre  beau- 
coup d'autres,  elle  a  le  privilège  de  renfermer  un 
excellent  exercice  des  vertus  théologales  elles- 
mêmes. 

IL  L'obéissance,  dit  saint  Thomas,  occupe  la  pre- 
mière place  parmi  les  vertus  morales.  En  effet,  de 
toutes  les  vertus,  la  plus  grande  est  celle  qui  fait 
mépriser  le  plus  grand  des  biens  créés,  pour  s'atta- 
cher à  Dieu.  Or,  il  y  a  en  ce  monde  trois  sortes  de 
biens  que  l'homme  peut  sacrifier  à  l'amour  divin. 
Les  biens  du  dernier  ordre  sont  les  biens  extérieurs; 
au-dessus  d'eux  sont  les  biens  du  corps  ;  et  ceux  qui 
dominent  tous  les  autres  sont  les  biens  de  l'âme, 
dont  le  principal  est  la  volonté  par  laquelle  l'homme 
use  de  tous  les  autres  biens.  De  là  il  suit  que  l'obéis- 
sance, qui  nous  fait  sacrifier  à  Dieu  le  bien  de  notre 
volonté  propre,  est  par  elle-même  la  plus  grande 
et  la  plus  méritoire  de  toutes  les  vertus  morales. 

1.  2a2œ;  q.  104,  a.  3. 


—  296  — 

Ajoutons,  avec  le  même  saint  docteur,  que  comme 
l'obéissance  procède  de  la  révérence  et  de  la  soumis- 
sion que  l'on  rend  à  Dieu,  elle  appartient,  sous  ce 
rapport,  à  la  religion  et  à  son  premier  acte  qui  est 
la  dévotion.  Or  la  religion  est  la  plus  noble  partie 
de  la  justice,  laquelle  est  la  première  des  vertus 
morales. 

Enfin,  la  prééminence  de  l'obéissance  paraît  en 
ce,  qu'il  faut,  pour  obéir,  omettre  tout  autre  acte  de 
vertu  qui  ne  serait  pas  d'ailleurs  obligatoire  :  car 
l'homme  doit  laisser  toute  bonne  œuvre  facultative, 
afin  de  s'attacher  au  bien  de  l'obéissance,  qui  est 
pour  lui  un  devoir.  Et  qu'il  ne  craigne  point  d'é- 
prouver en  cela  quelque  perte  spirituelle,  puisque 
l'obéissance  vient  compenser,  par  un  bien  meilleur, 
celui  qu'il  eût  voulu  faire  et  qu'il  omet  pour  la  pra- 
tiquer, 

III.  Un  oracle  sacré  déclare  que  «  l'obéissance  vaut 
mieux  que  les  victimes  l  »  ;  et  le  Pape  saint  Grégoire 
en  donne  la  raison  :  «  C'est  que  par  les  victimes  on 
immole  la  chair  des  animaux,  tandis  que  par  l'o- 
béissance on  immole  sa  propre  volonté  2  » .  Or  ceci 
est  également  vrai  du  sacrifice  de  l'obéissance  com- 
paré à  tout  autre,  tel  que  celui  de  l'aumône,  de  la 
mortification  et  même  du  martyre  ;  puisque  ces  cho- 
ses perdraient  toute  valeur  hors  de  l'accomplisse- 
ment de  la  divine  volonté. 


1.  Melior  est  obedientia  quam  victime.  I  Eeg.  15. 

2.  Per  victimas  aliéna  caro,  per  obedientiam  vero  voluntas 
propria  mactatur.  Moral.  35,  10. 


—  297  — 

IV.  Une  sentence  célèbre  de  saint  Grégoire   achè- 
vera l'éloge  de  l'obéissance.   «   Cette  vertu,  dit-il. 
est  la  seule  qui  greffe,  pour  ainsi  dire,  toutes  les  au- 
tres dans  notre  âme,  comme  fait  le  jardinier  pour 
ses  arbres,  et  qui,  après  les  avoir  ainsi  greffées,  les 
y  conserve  encore  à  l'abri  de  tout  dommage,  afin 
qu'elles  croissent  et  produisent  heureusement  leurs 
fruits  *  » .  En  effet,  explique  saint  Thomas,  les  actes 
des  autres  vertus  appartiennent  à  l'obéissance,  soit 
que  Dieu  commande  par  lui-même,  soit  qu'il  exprime 
sa  volonté  par  un  supérieur  qui  le  représente.  Lors 
donc  que  ces  actes  font  naître  et  grandir  en  nous  les 
saintes  habitudes  des  vertus,  on  dit  avec  raison  que 
tout  cela  est  l'effet  de  l'obéissance.  De  même,  sa  fonc- 
tion propre  est  de  maintenir  toutes  les  autres  vertus 
dans  ce  milieu  hors  duquel  elles  périraient,  parce 
qu'elles  tourneraient  au  vice  par  le  défaut  ou  l'ex- 
cès ;  et  pour  le  religieux  tout  spécialement,  l'obéis- 
sance de  chaque  jour  lui  procure  cet  avantage  bien 
plus  sûrement  que  s'il  n'avait  que  la  direction  de  sa 
propre  prudence. 


ARTICLE  III. 

DU  VOEU  D'OBÉISSANCE. 

I.  Le  vœu  d'obéissance,  dit  saint  Thomas  2,  est  le 
principal  des  vœux  de  religion,  et  cela  pour  trois 
raisons  : 

1.  Obedientia  sola  virtus  est  qure  virtutes  cscteras  menti  in- 
eerit,  insertasque  custodit.  Moral.  8ô.  10. 

2.  2a2œ.q.  186.  a.  a  8. 


—  298  — 

La  première,  parce  qu'il  offre  à  Dieu  la  volonté 
même  de  l'homme  :  ce  qui  est  quelque  chose  de  plus 
grand  que  l'oblation  des  biens  extérieurs  par  le  vœu 
de  pauvreté,  et  que  celle  du  corps  par  le  vœu  de 
continence.  Aussi  tout  ce  que  Ton  fait  par  obéissance 
est  plus  agréable  à  Dieu  que  les  œuvres  qui  viennent 
de  la  volonté  propre  ;  et  le  jeûne  même  cesse  de  lui 
plaire,  quand  cette  propre  volonté  en  est  le  seul 
principe ,  selon  ces  mots  du  Prophète  :  Voici  que 
dans  vos  jeûnes  se  trouve  le  mal  de  votre  volonté 
propre  *. 

La  seconde  raison  est  que  le  vœu  d'obéissance 
renferme  les  deux  autres,  sans  être  renfermé  lui- 
même  en  eux.  Car  la  continence  et  la  pauvreté, 
quoique  déjà  obligatoires  par  le  vœu,  le  sont  aussi 
par  l'obéissance,  sous  laquelle  tombent  ces  deux 
choses  avec  beaucoup  d'autres  encore:  de  là  vient 
que  dans  l'ordre  de  saint  Benoît  on  se  contente  de 
vouer  explicitement  l'obéissance  selon  la  règle. 

La  troisième  raison  est  que  le  vœu  d'obéissance 
s'étend  proprement  sur  les  actes  qui  touchent  de 
plus  près  à  la  fin  de  la  religion.  Or,  une  chose  est 
d'autant  meilleure  qu'elle  s'approche  davantage  de 
la  lin. 

C'est  pourquoi  le  vœu  d'obéissance  est  plus  es- 
sentiel à  l'état  religieux  que  les  deux  autres.  Car, 
observer  la  pauvreté  et  la  continence,  même  par 
vœu,  ce  n'est  pas  encore  se  trouver  placé  dans  cet 
état,  lequel,  dit  saint  Augustin,  est  préféré  même  à 
la  virginité  que  le  vœu  aurait  consacrée.  Dans  le 

1.  Ecce  injejuniis  vestris  invenitur  voluntas  vestra.  ISAI.  5S. 


—  200  — 

passage  évangélique  où  Notre-Seigneur  invite  à  la 
perfection,  c'est  le  conseil  de  l'obéissance  qui  est 
contenu  dans  ces  derniers  mots  :  «  Et  venez,  suivez 
moi  *  >  :  car  celui  qui  obéit  suit  la  volonté  d'un 
autre.  Par  conséquent,  le  vœu  d'obéissance  appar- 
tient à  la  perfection  plus  encore  que  les  deux  autres, 
ainsi  que  l'enseigne  saint  Jérôme  expliquant  ces  pa- 
roles de  saint  Pierre  :  «  Voici  que  nous  avons  tout 
quitté  et  que  nous  vous  avons  suivi  a  , .  Parce  que, 
dit  le  saint  docteur,  ce  n'est  point  assez  d'abandon- 
ner les  biens  de  la  terre  :  l'Apôtre  ajoute  ce  qui  est 
parfait,  quand  il  dit  qu'il  s'est  mis  à  la  suite  de 
Jésus-Christ  Xotre-Seigneur  3. 

II.  Le  catéchisme  des  vœux  4  s'attache  avec  un 
soin  spécial  à  expliquer  tout  ce  qui  regarde  l'obéis- 
sance religieuse,  tant  pour  l'obligation  du  vœu  que 
pour  l'exercice  parfait  de  la  vertu  ;  mais  il  se  con- 
tente de  présenter  les  choses  avec  une  juste  préci- 
sion :  car,  pour  les  développements  pratiques  dont 
les  religieux  ont  encore  besoin  sur  une  matière  si 
importante,  les  livres  quils  ont  entre  les  mains  en 
sont  remplis  :  ainsi  Rodriguez  en  particulier  expose 
parfaitement  tous  les  points  que  notre  catéchisme 
ne  fait  qu'indiquer  3. 


1.  Si  vis  perfectus  esse,  vade.  vende  quas  habes  et  da  pau- 
peribus,  et  habebis  thesaurum  in  cœlo,  et  veni,  sequere  me. 
aTatth.  19. 

2.  Ecce  nos  reliquimus  omnia  et  secuti  sumus  te.  Matth.  19. 

3.  Quia  non  suflicit  tantum  rejinquere,  jungit  quod  perfectum 
est  :  Et  secuti  sumus  te. 

4.  IJ>  Part..  Ch.  3. 

5.  ïlie  Part,  5e  et  6e  Traité. 


—  300  — 
ARTICLE  IV. 

DE  L'OUVERTURE  DE   CONSCIENCE   AU   SUPÉRIEUR 
ET  DE   LA  DIRECTION. 

Le  même  auteur,  à  la  suite  de  l'obéissance,  traite 
de  l'ouverture  de  conscience,  parce  que,  en  effet,  c'est 
une  dépendance  de  l'obéissance  religieuse  ;  or,  sur 
ce  sujet,  il  y  a  quelques  explications  importantes  à 
donner. 

I.  Il  faut  dire  d'abord  que  la  doctrine  générale  des 
écrivains  ascétiques,  sur  l'ouverture  de  conscience 
que  les  personnes  religieuses  doivent  à  leurs  supé- 
rieurs, ne  peut  point  s'appliquer  dans  une  égale 
mesure  à  tous  les  supérieurs  de  communautés.  Sans 
doute,  quiconque  est  entré  dans  le  chemin  difficile 
de  la  perfection  ne  doit  pas  vouloir  y  marcher  seul 
et  sans  direction  ;  et  c'est  pour  l'aider,  l'éclairer  et 
le  préserver  des  illusions,  qUe  Dieu  lui  a  donné,  non- 
seulement  des  règles  à  suivre,  mais  encore  des  supé- 
rieurs à  consulter. 

Néanmoins,  on  conçoit  qu'il  doit  y  avoir  une 
grande  distinction  à  faire,  pour  le  point  dont  il 
s'agit,  entre  les  supérieurs  qui  sont  de  Tordre  sacer- 
dotal, et  ceux  qui  n'en  sont  pas.  Les  premiers  ont 
la  science  et  la  grâce  du  sacerdoce,  qui  manquent 
l'une  et  l'autre  aux  seconds.  Les  premiers  étant  ca- 
pables de  juridiction  et  la  possédant  en  effet,  un 
religieux  peut  leur  confier  les  secrets  de  sa  cons- 
cience sous  le  sceau  sacramentel  de  la  confession, 


—  301  — 

tandis  que  la  chose  est  impossible  vis-à-vis  des  se* 
conds. 

De  là  il  suit  manifestement  que  le  compte  de  cons- 
cience, tel  qu'en  parlent  les  maîtres  de  la  vie  spiri- 
tuelle, n'est  dû  intégralement  qu'aux  supérieurs 
prêtres,  et  que  les  autres  n'y  peuvent  avoir  droit,  si 
droit  il  y  a,  que  dans  une  mesure  beaucoup  plus 
restreinte,  qu'on  appellera  simplement  la  Direetion. 
A  l'appui  de  cette  conclusion,  voici  une  déclaration 
émanée  de  la  Sacrée  Congrégation  desEvéqueset  Régu- 
liers. Dans  les  observations  qu'elle  faisait  naguère 
sur  les  constitutions  d'une  communauté  de  femmes 
qui  sollicitait  l'approbation  du  Saint-Siège,  la  Sacrée 
Congrégation  disait  ces  paroles  remarquables:  a  A 
a  cause  des  abus  qui  se  sont  glissés  en  cette  ma- 
«  tière,  la  Sacrée  Congrégation  n'a  point  du  tout 
«  coutume  présentement  d'approuver  l'ouverture 
«  de  conscience  à  la  Supérieure  ;  mais  il  est  seule- 
<t  ment  permis  que  les  Sœurs,  si  elles  le  veulent, 
«  puissent  découvrir  les  défauts  dans  l'observation 
«  des  règles,  et  le  progrès  relativement  aux  vertus  : 
«  car,  pour  les  autres  points,  elles  doivent  en  traiter 
«  avec  le  confesseur  *  ».  Si  elles  le  veulent,  dit  la 
Sacrée  Congrégation  ;  sans  doute  que  celles  qui  veu- 
lent leur  progrès  spirituel  doivent  vouloir  aussi  la 


1.  Ob  abusus  quiirrepserunt,  in  praesens  Sacra  Congregatio 
minime  solet  approbare  aperitionem  conscientiae  superiorissae; 
eed  tantum  permittitur  ut  sorores,  si  velint,  pandere  possint 
defectus  inregulae  observantia,et  progressum  quoad  virtutes; 
de  aliis  enim  ab  eis  agcndum  est  cum  confessario.  Analecta 
juris  Pontificii,  38e  livraison,  mai  et  juin  1860. —  Depuis  cette 
époque,  la  Sacrée  Congrégation  a  fait  plusieurs  fois  la  même 
réponse  à  diverses  congrégations  religieuses. 


—  302  — 

direction  de  leurs  supérieures  ;  mais  enfin,  si  c'est 
un  point  de  perfection  pour  elles,  il  reste  toujours 
vrai  que  c'est  un  point  facultatif  et  non  obligatoire 
qu'on  puisse  leur  commander.  Du  reste,  on  com- 
prendra que  nous  ne  parlons  point  ici  de  ces  cas  où 
le  religieux  serait  tenu,  sous  peine  de  péché,  de  faire 
certaines  manifestations  aux  supérieurs,  et  où  le 
confesseur  lui-même  devrait  lui  imposer  cette  obli- 
gation. C'est  ainsi  qu'il  faudrait  avertir  les  supé- 
rieurs, du  moins  par  une  tierce  personne,  afin  qu'ils 
puissent  écarter  ou  prévenir  soit  une  occasion  de 
chute,  soit  un  danger  de  scandale,  soit  un  grave 
dommage  pour  la  communauté. 

II.  Quant  à  l'ouverture  de  conscience,  ou  à  la  direc- 
tion quelle  qu'elle  soit,  on  doit  savoir  que  les  supé- 
rieurs sont  strictement  obligés  au  secret  sur  toutes 
les  confidences  qu'on  peut  leur  faire ,  et  qu'il  ne  leur 
est  pas  même  permis  de  les  communiquer  à  d'autres 
supérieurs  plus  ou  moins  élevés  qu'eux,  sans  le  con- 
sentement du  religieux.  Ils  peuvent,  s'il  ne  s'agit 
pas  du  secret  sacramentel,  en  user  eux-mêmes  pour 
son  bien  et  sa  conduite  personnelle,  et  même  pour 
le  bien  de  la  communauté  ;  mais  à  la  condition  ex- 
presse de  ne  rien  faire  qui  soit  de  nature  à  manifes- 
ter aux  autres  ce  qui  leur  a  été  confié. 

De  plus,  comme  le  religieux  se  découvre  alors  au 
supérieur  comme  à  un  père  et  non  comme  à  un  juge, 
celui-ci  n'a  pas  le  droit  de  partir  de  là  pour  en  venir 
aux  mesures  de  rigueur  contre  son  inférieur,  quoi- 
qu'il lui  soit  permis  de  le  reprendre  quelquefois  avec 
douceur,  et  même  de  le  corriger  par  quelque  péni- 


—  303  — 

tence  médicinale  et  paternelle.  En  un  mot,  l'esprit 
qui  doit  animer  l'inférieur  et  le  supérieur  dans  ces 
relations  intimes,  c'est  uniquement  l'esprit  d'amour 
et  de  charité.  L'un  ouvre  son  cœur  pour  trouver  se- 
cours, lumière,  consolation  :  et  l'autre  l'accueille 
avec  une  affection  et  une  bonté  toute  spéciale,  pour 
le  soutenir,  le  relever,  l'encourager,  l'éclairer,  mais 
non  pour  le  réprimander  durement  ou  le  punir  ;  et 
il  se  garde  bien  de  moins  estimer  celui  qui  ne  se 
découvre  ainsi  que  par  vertu. 


ARTICLE  V.  —  CONCLUSION. 

LE      GRAND      MODÈLE      DE      L'OBÉISSANCE. 

Nous  ne  pouvons  mieux  terminer  ce  chapitre  et 
tout  ce  traité,  qu'en  rappelant  le  Modèle  divin  de 
l'obéissance. 

1°  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  et  Notre-Seigneur, 
est  venu  en  ce  monde  par  obéissance  et  pour  obéir. 
Écoutons  ce  qu'il  dit  par  le  Prophète  royal  et  le 
grand  Apôtre  :  «  En  ttte  du  Livre  il  a  été  écrit  de  moi 
que  j'accomplirais,  mon  Dieu,  votre  volonté  4  ».  Il 
s'agit  de  la  promesse  d'un  Réparateur  faite  au  pre- 
mier homme  désobéissant  et  rebelle.  —  «  Eh  bien  ! 
oui,  ô*  mon  Père  et  mon  Dieu,  j'ai  souscrit  à  votre 
engagement  consigné  à  la  première  page  du  Livre, 


1.  In  capite  libri  scriptum  est  de  me  ut  facerem  voluntatem 
tnam  :  Dena  mens  voluî,  et  legem  tu  ara  in  medio  cordis  raei. 
Ps.  39  ;  Hebr.  10. 


-  304  - 

j'ai  voulu  comme  vous,  et  votre  loi  est  au  milieu  de 
mon  cœur  » .  C'est  ainsi  que  par  son  obéissance  notre 
Sauveur  devait  réparer  le  mal  que  la  désobéissance 
avait  causé  sur  la  terre.  Et  voyez,  durant  toute  sa 
vie  mortelle,  comme  cette  obéissance  de  Jésus-Christ 
à  son  Père  a  été  entière  et  ponctuelle  !  II  a  déclaré 
lui-même  «  qu'il  ne  laisserait  pas  un  seul  iota,  pas 
un  seul  point  de  la  loi,  sans  l'accomplir  parfaite- 
ment '  » . 

2°  Non-seulement  le  Fils  de  Dieu  voulut  prendre 
par  l'Incarnation  une  nature  qui  le  rendît  dépen- 
dant, et  lui  permît  de  soumettre  sa  volonté  humaine 
à  la  volonté  divine  ;  mais  encore,  durant  trente  an- 
nées de  sa  vie,  il  exerça  pour  notre  amour  la  même 
obéissance  que  nous,  se  soumettant  à  des  hommes, 
ses  créatures,  savoir,  à  Marie  et  à  Joseph,  en  qui  il 
reconnaissait  l'autorité  de  Dieu  son  Père.  «  Et  il 
leur  était  soumis  2  »  :  telle  est  toute  l'histoire  que 
le  Saint-Esprit  a  voulu  nous  donner  de  sa  vie  ca- 
chée. 

3°  Enfin,  pour  nous  ce  divin  modèle  «  se  fit  obéis- 
sant jusqu'  à  la  mort,  et  à  la  mort  de  la  Croix  3  »  : 
de  telle  sorte  que,  dans  sa  Passion,  on  le  vit  obéir 
même  à  ses  ennemis  et  à  ses  bourreaux,  avec  une 
humilité  et  une  douceur  incomparables  :  «  tel  que  la 
brebis  qui  se  laisse  conduire  à  la  boucherie,  et  sem- 


1 .  Iota  unum  aut  unus  apex  non  prseteribit  a  lege  donec 
omnia  fiant.  Matth.  5. 

2.  Et  erat  subditus  illis.  Luc.  2. 

3.  Factus  obediens  usque  ad  mortem,  mortem  autem  crucis. 
Philip.  2. 


-  305  — 

blable  à  l'agneau  qui  se  tait  devant  celui  qui  le  tond, 
sans  seulement  ouvrir  la  bouche  *.  » 

Voilà  donc  la  règle  vivante  et  parfaite  de  l'obéis- 
sance religieuse  ;  c'est  Jésus-Christ,  qui  dit  lui-même 
au  candidat  de  la  perfection  :  «  Venez  et  suivez- 
moi  ».  Ah!  ne  faut-il  pas  répéter  ici  les  paroles  de 
saint  Paul  :  «  Quiconque  suivra  cette  règle,  la  paix 
sur  lui  2  »,  dès  ce  monde  même^  et  dans  les  siècles 
des  siècles  ?  Ainsi  soit-il  t 


1.  Sicut  ovis  ad  occisionem  ducetur,  et  quasi  agnus  coram 
tondente  se  obmutescet  et  non  aperiet  ossuum.  Isai.  53. 

2.  Et  quicumque  hanc  regulam  secuti  iuerint,  pax  super  illos. 
Ga.lat.  6. 


TABLE  !)ES  MATIERES. 

AvAXT-PROPOS 

PREMIÈRE  PARTIE. 

DES   VŒUX   DE   RELIGION   EN   GÉNÉRAL.  65 

CHAP.  I.  —  Notions  générales  du  vœu  considérées 
dans  les  vœux  de  religion 

Art.  i.  Définition  du  vœu 65 

Sect.  I.  Le  vœu  est  une  promesse.  —  Diverses 
sortes  de  promesses  que  l'on  peut  faire 
aux  hommes,  à  Dieu 66 

Sect.  II.  Le  vœu  est  une  promesse  délibérée.  — 
Connaissance, — consentement,— liberté. 
—  Première  probation  ou  Postulat.  — 
Seconde  probation  ou  Noviciat  propre- 
ment dit 68 

Sect.  III.  Le  vœu  est  une  promesse  que  V homme 
fait  à  Dieu.  —  Engagement  réciproque 
de  Dieu  envers  l'homme  ;  —  de  là  des 
obligations  —  et  des  avantages.    .     .      73 

Sect.  IV.  Le  vœu  est  une  promesse  d'un  acte 
meilleur.  —  Quels  actes  l'on  peut  vouer 
à  Dieu 82 


—  308  — 
Art.  ii.  —  Sect.  T.  Le  vœu  est  un  acte  de  la  vertu 
de  religion,   il  appartient  au  sacrifice, 

—  il  fait  communiquer  spécialement  à 
celui  de  Jésus-Christ 82 

Sect .  17.  De  la  vertu  de  religion ,  vertu  propre  des 
religieux,  —  sa  définition,  —  significa- 
tion du  mot  religion.  —  Notre  dette 
envers  Dieu.  —  La  vie  religieuse  dans 
ses  détails.  —  L'essence  de  l'esprit  reli- 
gieux. —  Le  véritable  exercice  de  la 
vertu  de  religion.  —  C'est  une  vertu 
morale  et  non  théologale.  —  On  honore 
Dieu  par  la  foi,  l'espérance  et  la  charité. 

—  Le  nom  de  religieux 84 

Sect.  III.  De  la  dévotion  —  substantielle,  —  acci- 
dentelle  96 

Sect.  IV.  De   la  sainteté  comparée  à  la   religion. 

—  Ses  deux  éléments  ,   —  ses  degrés, 

—  ses  moyens,  —  spécialement  dans 
l'état  religieux .109 

Art.  m.  —  Du  lien  et  de  l'obligation  du  vœu.  — 
Peut-on  vouer  une  chose  légère  sous 
peine  de  péché  grave  ?  —  Du  vœu 
d'observer  les  règles,  —  d'éviter  les 
péchés  véniels 115 

De  la  cessation  du  vœu, —  par  impos- 
sibilité,—par  annulation,— par  dispense, 

—  par  commutation.  —  Qui  a  le  pou- 
voir de  dispenser  des  vœux ,  de  les  an- 
nuler ?  —  Du  religieux  qui  force  l'au- 
torité à  le  délier  de  ses  vœux  et  à  l'ex- 
clure. —  Du  droit  de  commuer  soi- 
même  un  vœu 117 


—  309  — 

CHAP.  II.  —  De  l'excellence  des  vœux  de  religion  et 

de  l'état  de  perfection 122 

Art.  i.  Excellence  des  vœux  de  religion.     .     .     .     122 

Sect.  I.  Différentes  espèces  de  vœux ,  —  supério- 
rité de  ceux  de  religion  sur  tous  les 
autres 122 

Sect.  II.  Des  conseils  évangéliques  ;  — -  ils  sont 
de  deux  espèces.  —  Peut-on  vouer  la 
pauvreté  ,  la  chasteté  et  l'obéissance 
sans  être  religieux  ?  —  Du  vœu  d'entrer 
en  religion 124 

Sect.  III.  La  profession  religieuse  comparée  au 
baptême.    —    Rémission   des    péchés. 

—  Mort  du  vieil  homme.  —   Vie  nou- 
velle  120 

Sect.  IV.  La  profession  religieuse  comparée  au  mar- 
tyre, —  triple  martyre  du  religieux,  — 
martyre  du  crucifiement 133 

Art.  ii.  De  l'état  religieux ,  état  de  perfection.     .     .140 

Sect.  I.  Signification  du  mot  état.   —   Différence 

d'un  état  et  d'un  office.  — -  États  divers.     1 40 

Sect.  H.  Mérite  propre  de  l'état  religieux.  —  Le 
dévouement  à  Dieu  dans  cet  état.  — 
Objection  faite  aux  religieux  de  fuir  les 
difficultés  de  la  vie  ordinaire.  —  Deux 
sortes  de  difficultés.  —  Le  mérite  est 
plus  dans  le  bien  que  dans  le  difficile. 

—  L'état   religieux  est  très-propre  à 
ceux  qui  veulent  faire  pénitence.     .     .142 

Sect.  IIÎ.  Condition  essentielle  du  mérite  dans  l'état 

religieux 447 


—  310  — 

Sect.  IV.  L'approbation  de  l'Église,  nécessaire  à 
un  institut  religieux.  —  En  quoi  elle 
consiste.  —  A  qui  il  appartient  de  la 
donner.  — Del'approbationduSaint- 
Siège  et  de  ses  effets.  —  Conséquences 
pratiquesdel'approbationpourle  reli- 
gieux, —  pour  tout  fidèle.     .     .     .      441) 

Art.  ni.  De  la  perfection.     ...,,..,      455 

Sect.  I.  La  perfection  de  la  vie  chrétienne  est 
substantiellement  selon  la  charité,  et 
accidentellement  selon  les  autres  ver- 
tus. —  Définition  de  la  charité,  — 
sonmotifunique.  —  sondouble  objet.      456 

Sect.  II.  Du  premier  objet  de  la  charité  ou  de 
l'amour  divin.  — L'amour  en  général. 
—  L'amour  de  Dieu,  —  ses  quatre 
dénominations.  — La  charité  est  dans 
la  volonté,  non  dans  l'appétit  sensitif.      4  59 

Sect.  III.  De  la  perfection  de  l'amour  divin.  — 
Une  créature  peut-elle  aimer  Dieu 
parfaitement? —  Trois  sortes  de  per- 
fections dans  l'amour  que  l'homme 
peut  avoir  pour  Dieu.  —  Perfection 
de  l'amour  divin,  considérée  dans  son 
acte.  —Exposition  du  grand  comman- 
dement. —  On  l'accomplit  parfaite- 
ment et  imparfaitement.  —  Aimer 
Dieu  totalement,  c'est-à-dire  tout  ce 
qui  est  de  Dieu  et  à  Dieu.     ...      463 

Sect.  IV.  Des  effets  de  l'amour  divin  :  Effets  inté- 
rieurs —  extérieurs.     ....      473 

Sect.  V.  Du  second  objet  de  la  chanté,  ou  de  l'a- 
mour du  prochain. —L'acte  par  lequel 


—  311  — 

on  aime  Dieu  et  le  prochain  est  le 
même  acte  de  charité.  —  Est-il  plus  mé- 
ritoire d'aimer  Dieu  que  d'aimer  le  pro- 
chain? —  Exposition  du  commande- 
ment de  l'amour  du  prochain.  —  Triple 
perfection  de  cet  amour 178 

Scct.  VI.  Des  accroissements  de  la  charité.  — 
Ils  dépendent  de  Dieu  ,  non  de  la  vertu 
naturelle  de  l'homme.  Il  faut  cepen- 
dant notre  coopération.  —  La  charité 
peut  croître  jusqu'à  la  mort.  —  Elle 
peut  croître  indéfiniment.  —  S'accroit- 
elle  à  chaque  acte  que  l'on  en  fait  ?  — 
Direction  à  suivre  pour  croître  dans  la 
charité  ,  selon  qu'on  commence,  qu'on 
avance  ou  qu'on  arrive  à  quelque  per- 
fection    184 

Sect.  VII.  De  la  diminution  et  de  la  perte  de  la  cha- 
rité. —  Sur  les  péchés  des  religieux.     .     192 

Sect.  VIII.  De  la  charité  dans  ses  rapports  avec 
les  autres  vertus.  —  Elle  en  est  la 
forme.  —  Sans  elle  point  de  vertu 
véritable.  —  Elle  en  est  la  mère,  — 
c'est  elle  qui  conçoit  leurs  actes  et  les 
met  au  jour.  —  Elle  en  est  le  fonde- 
ment. —  De  quelle  manière  l'humilité  , 
la  foi  et  la  charité  sont  le  fondement  des 
vertus.  —  Elle  en  est  le  lien ,  qui  les 
assemble  et  les  retient  toutes  dans  une 
unité  parfaite.  —  Elle  en  est  la  fin  , 
toutes  lui  servant  à  sa  fin  propre ,  — 
spécialement  les  trois  que  consacrent  les 
vœux  de  religieux 198 


—  312  — 

Art.  iv.  —  Des  moyens  de  perfection  qui  se  trou- 
vent dans  l'état  religieux 205 

Sect .  T.  Moyens  de  premier  ordre ,  les  trois  vœux 

de  religion 205 

Sect.  IL  Moyens  de  second  ordre,  les  règles.  — 
Qu'est-ce  qu'une  règle?  — ■  Sa  qualité 
essentielle  est  d'être  droite ,  —  ses 
deux  fonctions ,  diriger  et  corriger,  — 
la  Bègle   d'un  institut ,    —   les  règles. 

—  L'exercice  des  vertus  selon  les  règles. 

—  L'obligation  de  tendre  à  la  perfection 

par   l'observation  des  règles.     ...    212 

Art.  v.  Les  vœux  de  religion  se  font  selon  la  règle 
de  chaque  institut.  —  Divers  degrés 
dans  la  perfection  religieuse.  —  De  la 
perfection  personnelle  et  de  ses  accrois- 
sements  248 

Art.  vi.  —  Comparaison  des  divers  états  qni  sont 
dans  l'Église  relativement  à  la  perfec- 
tion, —  Distinction  des  états,  des  offi- 
ces et  des  degrés.  —  Question  inci- 
dente :  —  les  religieux  sont-ils  de  la 
hiérarchie  ?  — -  Double  hiérarchie ,  celle 
de  droit  divin  et  celle  de  droit  ecclésias- 
tique. —  Celle-ci  se  divise  en  deux 
espèces ,  la  hiérarchie  principale  et 
générale  ,  —  et  la  spéciale  hiérarchie 
des  réguliers.  —  Fonctions  du  clergé 
régulier    dans    l'Église 220 

CIIAP.  III.  —  Des  diverses  sortes  de  vœux  de  reli- 
gion      ,    ....    227 


-  313  - 

Art.  i.  De  l'état  religieux  en  général  et  des  insti- 
tuts   en    particulier 2?7 

Art.  ii.  De  la  variété  des  instituts  religieux.     .     .     230 

Sect.  I.  Les  causes  de  cette  variété 

Sect.  II.  Trois  espèces  principales,  selon  qu'on  y 
mène  la  vie  contemplative,  la  vie  active, 
ou  la  vie  mixte;  —  comparaison  entre 
elles 232 

Art.  m.  Des  vœux  solennels  et  simples,  perpé- 
tuels et  temporaires  de  religion; — com- 
pensation que  l'on  peut  trouver  dans 
une  vocation  inférieure.  —  De  l'admis- 
sion aux  vœux  de  religion,  —  trois  con- 
ditions principales  pour  leur  validité. — 
De  la  durée  du  noviciat 235 

Art.  iv.  Du  désir  qui  peut  venir  à  un  religieux  de 

passer  à  un  autre  institut 239 

Art.  v.  De  l'estime  et  de  l'amour  de  sa  propre 

vocation 242 

CHAP.  IV.  —  Des  vertus  qui  font  l'objet  des   trois 

vœux  de  religion 246 

Art.  i.  Différences  qui  existent  entre  le  vœu  et  la 
vertu.  —  Des  religieux  qui,  après  avoir 
fait  le  vœu,  négligent  la  vertu,  —  trois 
classes  de  religieux  dans  les  commu- 
nautés  246 

Art.  ii.  Des  obligations  qui,  outre  celle  des  vœux, 

résultent  de  la  profession  religieuse.     .    252 

Sect.  I.  Quelles  sont  ces  obligations  ?    ....     253 
Sect.  II.  Des  devoirs  delà  fraternité  religieuse.     .     2r34 


—  314  — 

Sect.  HT.  Du  détachement  évangélique  à   l'égard 

des  parents 259 

SECONDE  PARTIE. 

DES   TROIS  VOEUX  DE   RELIGION  EN  PARTICULIER. 

CHAP.  I.  —  De  la  pauvreté  religieuse 267 

Art.  i.  Deux  principes  sur  la  pauvreté  évangélique.    267 
Sect.  I.  1°  Elle  attaque  la  cupidité  ,   qui    est  le 
premier  ennemi  du  salut  et  de  la  per- 
fection  267 

Sect.  II.  2°  Elle  est  le  mur  de  la  religion.     .     .     270 

Art.  ii.  Du  vœu  de  pauvreté 276 

Sect.  I.  Ce  vœu  considéré  dans  le  religieux  qui  le 
'fait.  Il  interdit  le  droit  de  posséder,  ou 
pour  le  moins  celui  de  disposer  libre- 
ment des  biens  temporels;  —  sa  matière 
et  son  étendue  diffèrent  selon  les  divers 
instituts.  —  Sa  violation.  —  De  la  per- 
mission qui  empêche  cette  violation.  .  277 
Sect.  II.  Influence  de  ce  vœu  sur  la  pauvreté 
commune  à  tout  un  ordre,  —  ses  diffé- 
rences, —  ses  degrés  de  perfection.     .    280 

Art.  ni.  De  la  vertu  de  pauvreté  ,  —  à  quoi  elle 
oblige ,  même  en  dehors  du  vœu.  —  De 
l'affection  déréglée  pour  les  objets 
temporels.  —  Des  superfluités.  —  De  la 
vie  commune.  —  Des  pécules.  —  De 
la  distribution  des  biens  dont  se  dé- 
pouille le  religieux.  —  La  pratique  et 
les  degrés  de  perfection  de  la  vertu  de 
pauvreté 284 


—  315  — 

CI1AP.  II.  — De  la  chasteté  religieuse.  —  Le  vœu 
et  la  vertu.  —  Les  moyens  de  la  con- 
server intacte,  —  ses  avantages.     .      290 

CHAP.  III.  —   De  l'obéissance  religieuse.     .     .     .       292 

Art.  i.  Divers  principes  sur  l'obéissance  en  géné- 
ral  292 

Art.  h.  L'obéissance  comparée  aux  autres  vertus.      293 

Art.  m.  Du  vœu  d'obéissance,  —  sa  supériorité 
surlesdeux  autres,  —  à  quoi  il  oblige. 

—  Des  simples  injonctions  des  supé- 
rieurs. —  De  l'obligation  des  règles. 

—  De  la  discipline  religieuse. — Dé- 
fauts contre  l'obéissance. — La  per- 
fection de  cette  vertu  et  ses  trois 
degrés.      .     .     , 297 

Art.  iv.  De  l'ouverture  de  conscience  au  Supé- 
rieur et  de  la  Direction 300 

Art.  v.  Conclusion.  —  Jésus-Christ  Notre-Seigneur 

règle  vivante  et  parfaite  de  l'obéissance.      303 


POITIERS.   —   TYPOGRAPHIE  OUDIN. 


mâM 


as 


i-^v 


«si 


>^^-' 
% 


■-.-  >#a 


*»&r 


*K§8K 


m 


^TT-^    ucs 


BX  2437  .C64  1889 

SMC 

Cote  1  ,  Pierre, 

1800-1884. 
Les  principes  de 

re 1 i  gieuse  :  ou, 
AZI-2664  (mcih) 


a  vie 


Mfpg 


K 


:.r:'3 


K      r 


m 


uw 


ms& 


ï< 


'.•vj