^je
•>.
■
& —
_j —
o
oo
oo
c/)
0
lll^~
#
CHAI
o
co
co
S _
"*
■ • —
o
£§5
T—
CD
>-^^^
r-~
NIVERSIl
co
r
fc* •r**J
•i*. ,.
7>
m
■
i
.. : ^)
•^gçt
/ ,, j :
■
H
m
te ■ tam
■i^k
h
wmœ?
WE
• 'm*
£^f
m
wa
i4^iwl'-m7
t^>4^^
tl^\<?
ty-i
^c
«
rT^K- .^
&*
Z)
HOLY REDEEMER UBRfé, WINDSOR
<-
LES PRINCIPES
DE LA VIE RELIGIEUSE
i///( ro
LES PRINCIPES
tfGp
-23 M
LA VIE RELIGIEUSE
OU L'EXPLICATION
DU CATÉCHISME DES VŒUX
LE P. PIERRE COTEL
DE LA COMPAGNIE DE JESUS
TROISIEME EDITION
LIBRAIRIE H. OUDIN, ÉDITEUR
PARIS • | POITIERS
17, RUE BONAPARTE, 17 4, RUE DE L'ÉPERON, 4
1889
HOLYREDEEMERUBI^*'«llHDSOR
S\- oYô^
AVANT-PROPOS.
Il n'est pas difficile de montrer que tous les
principes de la vie religieuse se rattachent à la
profession des vœux qu'on y fait : car ces vœux
en renferment déjà les principales obligations;
et pour peu qu'on cherche aies exposer comme
il convient, on est amené naturellement à tou-
cher toutes les autres.
Or, dans le petit ouvrage que nous avons
publié sous le titre de Catéchisme des Vœux,
notre dessein n'avait été que de proposer très
sommairement ces principes et ces obligations
de la vie religieuse. C'était un livre élémen-
taire que nous voulions offrir à toutes les per-
sonnes qui vivent dans l'état religieux ; et nous
avions l'espoir qu'il serait d'une utilité d'au-
tant plus générale, que sa brièveté même ferait
mieux apprendre et retenir les choses. Et, en
effet, nous avons eu la consolation de voir ce
petit livre se répandre en très peu d'années
dans un grand nombre de communautés reli-
gieuses.
Mais un catéchisme impose ordinairement la
nécessité d'une explication. D'autre part, il ne
lui est pas possible de tout dire aux maîtres ;
et cependant, pour expliquer un abrégé avec
plus d'assurance et de profit, on sent le besoin
de savoir au delà de ce qu'il contient. Aussi
plusieurs de ceux qui ont à donner aux autres
l'explication du Catéchisme des vœux nous ont-
ils exprimé le regret que des questions de cette
importance y fussent présentées avec tant de
concision. Du moins ils eussent encore voulu
trouver quelque part les mêmes sujets avec
des développements propres à les éclairer
davantage.
C'est à ce désir que nous tâchons de répon-
dre par la publication de ce nouveau travail.
Au lieu de nous borner à l'indication des
grands auteurs qui traitent de ces matières,
et de laisser ainsi à chacun la peine d'y cher-
cher çà et là celles dont il a besoin, nous les
lui mettons comme sous la main, dans le
— VII —
même ordre que celui du Catéchisme lui-
même ; et sans répéter les points qui s'y trou-
vent déjà, selon nous, suffisamment exposés,
nous ajoutons tout ce qui nous a semblé néces-
saire à l'intelligence des autres \
Entre les autorités que nous appelons à
l'appui de notre parole, l'Ange de l'Ecole,
saint Thomas, est celui que nous citons le plus
fréquemment et le plus volontiers : c'est qu'en
effet, dans toute question religieuse, aucune
doctrine n'est plus sûre, plus lucide et plus
pleine que celle du Docteur angélique. Il est
vrai qu'il résulte de là un enseignement dont
la gravité n'est pas également accessible à
tous ; mais ceux à qui nous le destinons prin-
cipalement sauront l'accommoder aux per-
sonnes selon la portée de leur intelligence.
1. On voit, ici, pourquoi nous avons encore jugé bon de
faire précéder cette Explication du texte même du Catéchisme
des Vœux.
CATÉCHISME
DES VŒUX
a l'usage des personnes consacrées a dieu
dans l'état religieux.
PREMIÈRE PARTIE
des voeux de religion en général.
CHAPITRE Ier.
notion générale du vœu, considéré dans
les vœux de religion
D. Qu'est-ce que le voeu ?
R. Le vœu estune promesse délibérée que l'on fait
a dieu d'un acte meilleur, c'est-à-dire d'un acte plus
parfait que l'acte opposé.
D. Qu'entendez-vous par ce mot, une promesse?
R. J'entends, non pas une simple résolution, mais
un engagement que Ton contracte, une obligation
que l'on s'impose sous peine de péché.
11 ne faut pas confondre le vœu avec beaucoup de réso-
lutions qne Ion prend devant Dieu, même sous ia forme de
promesses, et qui ont pour but de s'exciter à mieux le sers.
-ùr. Pour qu'il y ait réellement vœu, il faut l'intention for-
melle de s'engager sous peine de péché.
i
2
D. Pourquoi dites-vous une promesse délibérée ?
R. Parce que le vœu demande une connaissance
exacte de ce qu'on promet, un plein consentement et
une entière liberté.
Ainsi, il faut qu'un religieux connaisse clairement à quoi
il s'engage par ses vœux, en entrant dans tel ordre ou telle
congrégation, et c'est en partie pour l'apprendre, que le
noviciat est établi.
Ainsi encore, il doit réfléchir, sonder sa volonté et
essayer ses forces dans la pratique du genre de vie qu'il se
propose d'embrasser ; et c'est une autre fin du noviciat.
Enfin telle est la liberté que demande l'émission de ses
vœux, qu'ils seraient nuls et sans valeur, s'il ne les faisait
que par contrainte, ou par suite d'une crainte grave et
injuste des hommes.
D. Pourquoi avez-vous dit, une promesse faite a
dieu?
R. Parce que le vœu est un acte du culte suprême
qui n'est dû qu'à Dieu. On ne fait point de vœu aux
hommes ni même, pour parler exactement, à la
sainte Vierge ou aux Saints, mais à Dieu seul : c'est
un contrat que l'on passe avec la divine Majesté elle-
même.
De là un religieux doit comprendre combien l'engagement
de ses vœux est inviolable ; combien cet engagement une
fois contracté exige même que l'on écarte toute pensée
d'inconstance. Que si Dieu a mis dans son Eglise le pouvoir
de remettre les vœux, ceux qui exercent ce pouvoir en son
nom ont toujours aussi le devoir de sauvegarder ses droits ;
ils ne peuvent pas ôter, selon leur bon plaisir, ni au gré
des hommes, une obligation contractée envers le souverain
Maître.
D. Quel est l'effet de cette promesse faite à Dieu?
R. L'effet du vœu est que l'accomplissement de la
chose promise, quelle qu'elle soit, devient un acte
«. 3 -
de la vertu de religion, la plus excellente de toutes
les vertus morales, et que son omission devient une
violation coupable de cette même vertu.
D. Expliquez davantage l'obligation du vœu.
R. Puisque c'est une obligation qu'on s'impose
librement à soi-même, le vœu n'oblige qu'autant
que l'on a voulu s'engager: ce qui doit s'entendre
de la matière qui en est l'objet, du temps, du lieu,
de la manière etautres circonstances semblables, et
même de la nature du lien qu'on s'est crée', lequel
peut obliger selon qu'on Ta voulu, ou sous peine de
péché mortel, ou seulement de péché véniel.
D. Chacun est-il libre de limiter ainsi, à son gré,
les vœux qu'il fait en entrant dans un ordre reli-
gieux ?
R. Non : carie pouvoir spirituel possède, à l'égard
des vœux, le même droit qu'a le pouvoir civil sur
les contrats : il peut établir des conditions dont l'in-
observation entraînerait la nullité d'un vœu ; et
telle est la condition imposée aux vœux de religion
qu'il faut les faire dans le sens déterminé par l'Église
et la Règle approuvée de Tordre où l'on s'engage.
On n'est pas libre d'étendre ni de resteindre ces
obligations, quoiqu'on soit libre de se les imposer ou
non.
D. Quelle est la gravité de l'obligation qu'imposent
les vœux de religion ?
R. En général, les vœux de religion obligent sous
peine de péché mortel ; néanmoins la légèreté de
'— 4 —
la matière, ou le défaut de re'flexion et de consente-
ment peuvent rendre l'infraction seulement vénielle;
la faute serait même nulle, si l'advertance ou la
volonté manquait entièrement.
D. Est-on toujours obligé d'accomplir un vœu ?
R. Oui, à moins qu'il ne devienne impossible, ou
qu'on ne soit dégagé légitimement de son obligation.
D. Quand est-ce qu'on est légitimement délié d'un
vœu?
R. Le vœu et son obligation ne peuvent être vali-
dementôtés que par l'autorité compétente ; et encore
il faut pour cela dejustesmotifs: car, puisqu'il s'agit
d'un engagement pris avec Dieu, l'homme, son délé-
gué, ne peut détruire cet engagement sans qu'une
raison suffisante Vy autorise.
D. Que dire de celui qui, pour se faire délier d'un
vœu, aurait recours à la fraude et à des motifs sup-
posés?
R. La remise de son vœu serait nulle et sans
valeur.
D. Que dire encore du religieux qui obligerait
l'autorité par sa mauvaise conduite à le délier de ses
vœux ?
R. Il offenserait Dieu gravement ; mais la remise
des vœux serait valide, puisque, du côté de l'ordre
ou de la congrégation, il existerait un motif très
insuffisant de le renvoyer.
Sans vouloir entrer ici dans de longs détails sur cetle
_ 5 —
matière de la dispense, de V annulation e>K de la commutation
des vœux, nous ferons seulement deux observations:
4° Le pouvoir de dispenser proprement des vœux n'ap-
pariient qu'à la juridiction ecclésiastique : au Pape pour les
vœux solennels et le vœu perpétuel et absolu de chasteté;
à l'Evêque, du moins ordinairement, pour les vœux simples.
Toutefois, dans un corps religieux où la Règle approuvée
l'établirait ainsi, les supérieurs même n'ont pas le pou-
voir de dispenser des vœux simples de religion, par le
fait seul du légitime renvoi d'un sujet ; et, dans ce cas,
le vœu de chasteté est également annulé, quand il a été
fait, non d'une manière absolue, mais aux mêmes conditions
que les deux autres, en entrant en religion.
2° Dans quelque ordre ou congrégation que ce soit, le
supérieur, comme chef de la famile religieuse, a le pouvoir
d'annuler f ou. du moins de suspendre tout vont particulier que
feraient ses inférieurs, au préjudice de la communauté ou
du propre droit qu'il a de commander.
Remarquez, du reste, qu'en général un vœu qui nuirait
à l'observance religieuse serait nul de fait, comme n'étant
pas la promesse d'un acte meilleur.
D. Pourquoi avez-vous dit que le vœu est la pro*
messe faite à Dieu d'un acte meilleur ?
R. Parce que le vœu devant avoir pour but de
rendre à Dieu un culte spécial, ce but ne serait pas
atteint, si la chose promise n'était en rien meilleure
que la chose opposée.
D. Quels sont ces actes meilleurs que l'on peut
vouera Dieu?
R. Les actes qui peuvent être matière de vœux
reviennent tous à ces trois classes : 1° les actes déjà
obligatoires ; 2° ceux qui ne sont que de conseil ;
3° les actes indifférents en eux-mêmes.
t 1° Dans un acte déjà commandé, le vœu ajoutée l'obliga-
tion déjà existante du précepte, une seconde obligation qui
est celle du vœu même : dès lors l'accomplissement de cet
— 6 —
acte rerferme deux sortes de bonté morale et de mérite,
comme non omission contient deux prévarications diverses
et une double malice. Ainsi, quelqu'un a fait vœu d'observer
le sixième commandement de Dieu : lorsqu'il résiste à la
lentation de le violer, il ajoute au mérite de l'observation
du précepte le mérite de la vertu de religion : son acte est
donc devenu meilleur. Mais aussi quand il viole son vœu,
il ajoute au péché contre le précepte un autre péché de
sacrilège contre la vertu de religion.
2° Si l'acte n'est que de conseil, par exemple, ne point se
marier quand on est libre de le faire : alors le vœu ajoute
une nouvelle excellence à une chose déjà meilleure en soi ;
car faire ce qui est de conseil et de perfection, c'est faire
un acte meilleur ; mais s'y obliger par vœu est plus parfait
encore.
3° Quand un acte est indiffèrent en lui-même, il y a,
outre l'intention vertueuse qu'on peut y mettre en le faisant,
un moyen supérieur encore de le rendre formellement bon
et méritoire : c'est de s'y engager par vœu, car il devient
alors un acte de la vertu de religion. C'est ce qui arrive,
par exemple/ et d'une manière admirable, à ceux qui vivent
dans l'état religieux : non-seulement les actes des vertus,
objets des trois vœux, reçoivent tous de ces mêmes vœux
une heureuse influence qui en élève le prix, mais encore
les actions les plus indifférentes, dès lors qu'on les fait en
bon religieux, forment au moyen de l'obéissance une source
abondante et journalière de mérites.
Et voilà, dit saint Thomas, pourquoi les religieux sont
ainsi nommés par excellence. Tandis que les autres chré-
tiens ne pratiquent la vertu de religion que par intervalles,
les religieux se trouvent en continuel exercice de cette
grande vertu, et leur vie entière, pour peu qu'ils le veuillent,
devient un holocauste, où tout sans exception est consacré
au culte divin. .
CHAPITRE IL
ET DE
L'ETAT DE PERFECTION.
D. Y a-t-il plusieurs espèces de vœux, et quels
sont les plus méritoires ?
- 7 -
R. Il y a différentes espèces de vœux qu'il serait
trop long et superflu d'exposer ici ; disons plutôt
qu'entre tous les vœux qu'on peut faire à Dieu pour
lui plaire, les plus méritoires sans contredit sont les
trois vœux de religion, qui renferment l'engagement
à la pratique des conseils évangéliques, c'est-à-dire
les VOEUX DE PAUVRETÉ, DE CHASTETÉ ET D'OBÉISSANCE
que l'on fait dans F état religieux.
Telle est cette excellence des vœux de religion, que les
saints Docteurs comparent la profession religieuse au bap-
tême ou au martyre, et que, comme l'a déclaré le Pape
Alexandre III, elle renferme la vertu d'éteindre toutes les
obligations qu'on aurait contractées auparavant par tout
autre vœu. La grande raison est celle que nous venons de
dire, savoir que par la profession religieuse on donne tout
à Dieu, tandis que, par les autres vœux, on ne lui promet
que quelque bonnes œuvres particulières. Une autre raison
est que, ordinairement, les pratiques individuelles ne con-
viennent plus à la vie de communauté, ou même seraient
au détriment de la Discipline religieuse.
Il faut remarquer toutefois que l'émission des vœux sim-
ples de religion ne fait que suspendre les autres vœux anté-
rieurements faits : de sorte que cette obligation reprendrait
sa première force, si l'on venait à sortir de l'ordre ou de la
D. Faites-nous mieux sentir encore pourquoi les
vœux de religion sont si excellents.
R. Leur prééminence sur tous les autres vient pro-
prement de ce qu'ils constituent Ietat religieux ou
1 ETAT DE PERFECTION.
D. Qu'est-ce que L'état religieux ?
R. C'est un état ou l'on fait profession détendre
a la perfection, ou, pour développer un peu cette
définition et la faire mieux saisir, c'est une forme de
— 8 —
VIE, APPROUVÉE PAR L'ÉGLISE, OU DES FIDÈLES, UNIS EN
SOCIÉTÉ RELIGIEUSE, SE FIXENT, POUR TENDRE A LA PER-
FECTION, PAR LES TROIS VŒUX DE PAUVRETÉ, DE CHAS-
TETÉ ET D'OBÉISSANCE, QU'ILS FONT SELON LA RÈGLE.
D. Pourquoi dites-vous un état, une forme de vie
où l'on se fixe avec permanence ?
R. Parce que l'excellence de la vie religieuse con-
siste précisément dans cet état fixe où une âme se
place, et dans cette heureuse nécessité qu'elle s'im-
pose au service de Dieu. Or, cette stabilité est pro-
duite par l'obligation des vœux, comme celle de
Pétat du mariage est l'effet du contrat nuptial : d'où
vient que l'on appelle justement la profession reli-
gieuse une union de l'âme avec Jésus-Christ, dont
elle devient l'épouse.
De là un religieux peut voir combien il fait plus pour
Dieu et pour sa propre sanctification, en se fixant ainsi dans
l'état religieux, que s'il restait dans' l'état séculier, même
avec la volonté d'y pratiquer les vertus chrétiennes. Aussi
saint Thomas enseigne qu'en soi il est meilleur, quoique
plus facile, d'embrasser l'état religieux, que de se livrer
dans le siècle aux plus rigoureuses pénitences durant de
longues années.
Cependant les religieux doivent se souvenir que c« n'est
pas précisément l'état qui fait la sainteté, et que le mériie
devant Dieu et devant les hommes consiste bien moins à
faire des vœux qu'à les garder.
D. Pourquoi faut-il que cette forme et cet état de
Vie SOIENT APPROUVÉS PAR L'ÉGLISE ?
R. Parce qu'en effet c'est à l'Église qu'il appar.
tient déjuger si une forme de vie est bien réellement
selon la sainteté évangélique ; et c'est encore à elle
de constituer le corps religieux, d'y établir les pou-
voirs et d'en sanctionner toutes les obligations.
— 9 —
Pour un ordre religieux proprement dit, il faut l'appro-
bation et l'autorité du chef de l'Eglise.
Pour une simple congrégation religieuse, il faut au moins
celle de l'Evêque. L'approbation du Saint-Siège lui-même
est sans doute d'un plus grand poids; mais onne doit pas
ignorer que les Souverains Pontifes, en approuvant les con-
grégations religieuses, ne les placent point, par cela seul
au rang des ordres religieux proprement dits.
D. Que veulent dire ces mots : pour tendre a la.
PERFECTION ?
R. Ils signifient que l'état religieux n'exige point
qu'on ait Imperfection déjà acquise, mais qu'il impose
l'obligation d'y tendre, c'est-à-dire de travailler tous
les jours à l'acque'rir : de sorte que, pour un religieux,
ne vouloir pas avancer, c'est manquer positivement
au DEVOIR DE SON ÉTAT.
D. Quelle est, dans la pratique, cette obligation de
tendre à la perfection ?
R. Elle n'est autre que l'obligation d'observer la
règle, qui offre: 1° les vœux comme moyens princi-
paux ; et 2° les règles de détail, comme moyens secon-
daires de tendre à, la perfection.
D. Qu'entendez-vous précisément par cette per-
fection à laquelle doit tendre un religieux ?
R. C'est d'abord essentiellement la perfection de
la charité, qui consiste à s'attacher par la volonté
totalement à Dieu, notre dernière fin. Mais elle em-
brasse aussi la perfection des autres vertus, qui sont
les auxiliaires et les compagnes de la charité, et que
celle-ci doit lier toutes ensemble comme un faisceau
dans une unité parfaite, selon ce que dit l'Apôtre:
V
— 10 —
Par- dessus toutes choses, ayez la charité qui est le
lien de la perfection.
Il faut remarquer ici que la charité qui a Dieu seul pour
motif, ayant aussi notre prochain pour objet, le devoir du
religieux est de tendre à la perfection de cette vertu dans
ses deux parties, savoir : l'amour de Dieu et l'amour du
prochain.
D. Comment est-ce que l'on tend à cette perfection
dans l'e'tat religieux ?
R. Nous venons de le dire, par les vœux et par les
règles .
D. Expliquez davantage cette vérité.
R. Premièrement, je dis qu'au moyen des trois
vœux, Ton tend très efficacement à la perfection.
Car d'abord, par la privation volontaire des
objets de la convoitise humaine, ces trois vœux
écartent les trois grands obstacles au règne de l
charité et des vertus dans nos cœurs: le vœu de pau-
vreté écarte la cupidité des richesses ; le vœu de
chasteté écarte l'amour des plaisirs sensuels ; et le
vœu d'obéissance écarte l'amour déréglé de sa vo-
lonté propre et de ses propres idées.
De plus, ces mêmes vœux débarrassent le religieux
des trois grandes sollicitudes qui ont coutume de
distraire les hommes de la tendance vers Dieu: je
veux dire la sollicitude que cause la dispensation des
biens temporels, la sollicitude inhérente au gouverne-
ment d'une famille, et la sollicitude qu'on éprouve
souvent par rapport à la disposition de ses propres
actes.
Enfin cet holocauste des vœux de religion est lui-
— 11 —
même un exercice de charité parfaite : car le reli-
gieux y sacrifie à son Dieu tous les biens que l'homme
peut posséder en ce monde : les biens extérieurs de
la fortune par le vœu de pauvreté, les biens person-
nels du corps par le vœu de chasteté, et les biens inti-
mes de l'âme par le vœu d'obéissance.
Aussi ces trois vœux sont-ils essentiels à l'état de
perfection, et les congrégations où ils manquent ne
sont point des corps religieux.
D. Expliquez également de quel secours sont les
règles par rapport à la perfection .
R. On tend de même excellemment à la perfec-
tion par l'observation des règles. Quel est en effet le
but de toutes les règles ? C'est, d'une part, de bien
préciser le sens des trois vœux, de les préserver de
toute atteinte, et d'en donner l'esprit et la perfection
positive ; d'autre part, c'est de déterminer l'exercice
de la charité et des autres vertus, selon la fin propre
à chaque institut. D'où l'on voit que la pratique
fidèle des saintes règles est un exercice de perfection
plus continuel encore et plus élevé que cette simple
observation des vœux qui se bornerait à éviter le
péché.
D. Pourquoi avez-vous ajouté ces mots : qu'ils
FONT SELON LA RÈGLE ?
R. Parce que les trois vœux de religion, bien qu'ils
soient dans toute corporation religieuse, ont cepen-
dant une matière plus ou moins étendue selon cha-
que institut : voilà pourquoi il est d'une grande
importance pour un religieux de savoir précisément
— le-
quel est le sens attaché par la Règle aux vœux qu'il
doit faire, dans tel ordre ou telle congrégation.
CHAPITRE III.
DES DIVERSES SORTES DE VŒUX DE RELIGION.
D. Tous les vœux de religion sont-ils d'une seule
et même espèce?
R. Non : parmi les vœux de religion, on distingue
les vœux solennels et les vœux simples ; et les vœux
simples peuvent être encore, ou des vœux perpétuels,
ou des vœux temporaires, selon que la sainte Eglise
Ta approuvé dans les divers instituts.
D. Qu'est-ce que les vœux solennels de religion ?
R. Ce sont des vœux perpétuels, faits par les reli-
gieux d'une manière absolue, et acceptés de la même
manière par l'Eglise, ou par l'ordre en son nom, en
sorte qu'ils ne sont point susceptibles d'une dispense
ordinaire ; seulement le chef de l'Eglise, dans des
cas exceptionnels et très rares, peut ou déclarer
qu'ils n'existent plus, ou suspendre partiellement
leurs effets, ou même ©n dispenser extraordinaire-
ment au nom de Jésus-Christ dont il est le Vicaire.
Les vœux solennels de religion ne se font que dans
les ordres religieux proprement dits.
Il faut distinguer deux sortes de solennités dans l'émission
des vœux de religion : l'une accidentelle, l'autre substan-
tielle. La première consiste dans les cérémonies extérieures,
qui peuvent accompagner môme l'émission des vœux sim-
ples, sans rien leur ajouter. L'autre solennité, que nous
— 13 —
appelons substantielle, ne dépend point des cérémonies
extérieures, mais de la volonté de l'Eglise qui reconnaît et
accepte certains vœux comme solennels, tandis qu'elle n'en
accepte d'autres que comme vœux simples, quoiqu'ils puis-
sent être également perpétuels.
D. Quels sont les vœux simples de religion ?
R. Ce sont des vœux que l'Église accepte d'une
manière moins absolue, et qu'elle ne reconnaît point
comme solennels.
D. Quelle sorte de vœux fait-on dans les congréga-
tions religieuses ?
R. Pour de sages raisons, suggérées par l'esprit de
Dieu, on o'y fait que des vœux simples, et encore le
plus souvent ils ne sont que temporaires. Ainsi, après
le temps fixé pour l'épreuve préparatoire, selon les
statuts de chaque congrégation, le religieux pro-
nonce les trois vœux pour un temps, par exemple
pour un an, et, après le temps expiré, illes renouvel (et
c'est-à-dire qu'il les fait de nouveau avec l'assentiment
des supérieurs.
Dans plusieurs congrégations on peut, au bout d'un
certain nombre d'années, être admis à faire aussi
des vœux perpétuels; et alors la rénovation annuelle
n'est plus qu'une cérémonie destinée à se renouveler
soi-même dans la volonté d'être toujours plus fidèle
à les garder.
D. Ne serait-il pas mieux de se consacrer toujours
à Dieu par des vœux perpétuels et même solennels ?
R. Ce qui est mieux pour chacun est d'entendre
l'appel du Seigneur, et d'y répondre en toute fidclitô,
générosité et constance.
— 14 —
Sans doute les vœux perpétuels et? solennels sont en soi
d'un plus grand prix, puisqu'ils sacrifient davantage et
fixent plus complètement dans l'état de perfection ; mais
chaque religieux, dans sa vocation, doit se rappeler que
les dons de TEsprit-Saint sont divers, et qu'il est de notre
véritable avantage, comme de notre devoir, d'accepter avec
reconnaissance,, et de faire fructifier avec fidélité ce qu'il a
daigné nous donner. Ici surtout, rien n'est plus dangereux
que l'inconstance et la tentation suggérée par l'ennemi du
salut, sous le prétexte d'une plus grande perfection. En effet,
quoiqu'à parler en général, Dieu puisse appeler une âme
encore plus haut, et qu'alors l'Eglise favorise le passage à
une plus étroite observance, il faut dire cependant que c'est
un piège dont le démon s'est trop souvent servi pour faire
perdre à plusieurs la vocation religieuse elle-même, et pour
les rejeter ainsi dans les périls du siècle.
D'ailleurs, la volonté de Dieu une fois supposée, une voca-
tion inférieure peut avoir ses compensations: 4° il dépend
du religieux d'y vivre avec plus de ferveur, et il aura plus
de mérite ; 2° si on ne lui permet de s'engager que pour
un temps à la fois, on lui donne aussi plus souvent l'occa-
sion de renouveler avec pleine liberté son sacrifice ; 3o il
trouve en cela même un soutien à sa bonne volonté, puis-
qu'il peut craindre de ne pas être admis à redire ses saints
engagements, s'il venait malheureusement à se relâcher.
Du reste, il doit bien comprendre qu'il ne s'agit nulle-
ment pour lui de remettre sa vocation en question chaque
année: car, sans parler du soin qu'exige de lui son propre
bien spirituel, l'intention qu'avait la congrégation en l'ad-
mettant dans son sein et les services qu'il y a reçus, quel-
quefois tout spécialement dans l'intérêt de la communauté,
sont des titres qui lui imposent certainement quelque obli-
gation de stabilité.
Il est bon de lui faire remarquer encore que si, à l'ex-
piration de son vœu temporaire, il ne peut se permettre de
le faire de nouveau, dans le cas où les supérieurs auraient
des motifs de s'y opposer, d'autre part, il ferait mal aussi
d'en omettre le renouvellement à l'insu des mêmes supé-
rieurs et sans leur autorisation.
D. A quel âge est-on admis à faire validement les
vœux de religion ?
H. Pour que les vœux de religion soient valides,
— 15 —
le saint concile de Trente exige : 1° qu'on ait au
moins seize ans accomplis; 2° qu'on ait fait au
moins une année entière de noviciat.
Il faut voir dans chaque institut les autres condi-
tions obligatoires qui ont pu y être ajoutées.
CHAPITRE IV.
DES VERTUS QUI FONT L'OBJET DES TROIS VŒUX
DE RELIGION.
D. En matière de pauvreté, de chasteté' et d'obéis-
sance, n'y a-t-il pas une distinction à faire entre le
vceu et la VERTU?
R. Oui, il existe ici plusieurs différences qui méri-
tent l'attention du religieux.
D. Quelle est la première différence entre le vœu
et la vertu ?
R. La première différence à signaler est que l'objet
direct du vœu est une privation qu'on s'impose ;
par exemple, on se prive de la possession ou de
l'usage libre des biens temporels par le vœu de
pauvreté; tandis que l'objet de la vertu est la des-
truction des affections déréglées. Le vœu est donc
comme le moyen, et la vertu est comme la fin. Ainsi
la vertu, sous ce rapport, est quelque chose de
meilleur que le vœu, puisque c'est pour acquérir
plus sûrement, plus facilement, plus pleinement la
vertu, que le religieux se décide à faire le vœu. Par
— 16 —
là on voit l'inconséquence malheureuse de ces reli-
gieux qui, après avoir prononcé leurs vœux, négli-
gent les vertus religieuses et restent plus imparfaits
que beaucoup de chrétiens du siècle.
D. Quelle est la seconde différence entre le vœu
et la vertu?
R. Quoique le vœu exerce une influence indirecte
sur tous les actes de la vertu, comme nous le verrons
plus tard, néanmons le vœu ne saurait propre-
ment s'étendre au delà de ce qu'il impose sous peine
de péché ; tandis que la vertu peut s'élever à une
perfection toujours plus haute. C'est précisément
par ces accroissements dans la vertu, qu'on devient
un bon et fervent religieux.
D. N'y a-t-il pas aussi une troisième différence
en faveur du vœu?
R. Oui ; si le vœu est un moyen relativement à la
vertu, il faut dire que, sous un autre rapport, la
vertu aussi est un moyen relativement au vœu. De
même donc que le vœu sert à acquérir la vertu,
ainsi la vertu sert à maintenir l'observation du vœu :
car lorsque vous manquez notablement à la vertu,
vous mettez en péril le vœu lui-même, dont vous
affaiblissez ainsi le principe ; et si vous négligez la
vertu, il vous sera bien difficile de rester fidèle au
vœu.
D. Avez-vous à signaler une quatrième différence
entre le vœu et la vertu?
R. Oui, et cette différence est la plus digne d'atten-
tion, parce qu'elle intéresse même la conscience :
— 17 —
c'est que Ton peut pécher contre la vertu, même
sans qu'il y ait violation du vœu : nous l'explique-
rons bientôt; tandis qu'en général on ne saurait
/ioler le vœu, sans blesser du même coup la vertu,
qui doit avant tout s'exercer sur la matière imposée
par le vœu.
D. L'émission des vœux ne crée-t-elle pas quel-
que autre obligation avec celle des vœux même?
R. Oui, l'émission des vœux, par cela seul qu'elle
a lieu dans un corps religieux, fait du sujet qui les
prononce un membre de ce même corps, et par con-
séquent lui impose l'obligation de s'y soumettre aux
supérieurs et aux règles, abstraction faite même du
vœu spécial d'obéissance.
Et, en effet, l'émission des vœux renferme un contrat,
une donation que le religieux fait de sa personne à l'ordre
ou à la congrégation qui le reçoit dans son sein. Par cette
donation, ii cède les droits qu'il avait sur lui-même et sur
ses actes, afin d'être employé dorénavant, selon la Règle, au
service de Dieu en vue duquel il s'est donné. Les vœux em-
brassent les devoirs plus essentiels de son engagement;
tout le reste est déterminé par les règles et par les pres-
criptions des supérieurs.
Il faut remarquer aussi que c'est de cette incorporation
des sujets dans un ordre religieux par l'émission des vœux,
que naissent les devoirs de la fraternité religieuse et ceux
du détachement évangélique envers les parents.
D. Les novices et ceux qui n'ont pas encore fait
les vœux ont-ils des devoirs à remplir dans une
communauté ?
R. Leur admission en communauté leur crée
trois obligations spéciales, qui regardent, non les
— 18 —
vœux , mais les vertus religieuses ; nous ne ferons
que les indiquer ici.
D. Quelle est la première obligation des novices ?
R. La première obligation des novices est celle de
répondre à leur vocation une fois connue , et de ne
rien faire qui les mette en danger de la perdre , ou
de se faire exclure.
D. Quelle est la seconde obligation des novices ?
R. La seconde obligation des novices est celle de
s'appliquer à l'étude de la vie religieuse , et d'en
acquérir les saintes habitudes par la pratique des
vertus , surtout de celles qui font l'objet des trois
vœux de religion.
D. Quelle est la troisième obligation des novices?
R. La troisième obligation des novices est celle
d'observer les règles et d'être soumis aux supérieurs ;
et cette obligation naît du contrat passé , au moins
tacitement, entre eux et l'ordre ou la congrégation ,
par le seul fait de leur entrée et de leur admission.
C'est aussi comme une première donation qui , of-
ferte et acceptée , commence à faire du novice un
membre de la famille religieuse, ejt de même qu'elle
lui procure des avantages , elle lui crée aussi des
devoirs.
Cette troisième obligation, en particulier, est pro-
portionnellement semblable à celle des religieux , et
par conséquent ce que nous dirons de la vertu
d'obéissance devra aussi attirer l'attention des
novices.
DEUXIEME PARTIE
DES TROIS VOEUX DE RELIGION EN PARTICULIER,
CHAPITRE Ier.
DE LA PAUVRETÉ RELIGIEUSE.
ARTICLE Ier.
DU VOEU DE PAUVRETÉ
SECTION Ire. — MATIÈRE ET ÉTENDUE DU VŒU
DE PAUVRETÉ.
D. A quoi renonce un religieux par son voeu de
PAUVRETÉ ?
R. Il n'est pas possible de satisfaire par une
réponse ge'nérale à cette question, parce que le vœu
de pauvreté a plus ou moins détendue, et impose
des obligations plus ou moins étroites selon la diver-
sité des instituts. Et ce n'est pas toujours le plus ou
moins de ferveur qui établit ces différences dans
les corps religieux ; elles peuvent être réclamées par
la différence de leurs fins, de leurs ministères, etc.
Il est donc nécessaire de consulter la Règle de
chaque ordre ou congrégation, pour pouvoir dire
— 20 —
exactement quel est le sens et la portée du vœu
qu'on y fait.
11 y a des instituts où le vœu de pauvreté interdit abso-
lument au religieux tout droit et tout acte de propriété,
jusqu'à le rendre inhabile à rien posséder, £t à rien acqué-
rir pour lui-même en propre par donation entre-vifs, legs
testamentaire, et même succession légitime.
Il y a d'autres instituts ou le vœu simple, laissant sub-
sister le droit de posséder et d'acquérir, interdit celui de
disposer librement de ce que l'on garde en propriété : de
sorte que le religieux ne peut plus alors, sans manquer à
son vœu, faire aucun acte de propriété, même par rapport
à ses propres biens, à moins que la permission du supérieur
compétent ne lève l'interdiction posée par le vœu.
D. Maintenant dites-moi clairement quelle est l'es-
sence du vœu de pauvreté dans l'état religieux.
R. Le vœu de pauvreté consiste essentiellement
à s'interdire, pour plaire à Dieu, ou bien le droit et
l'acte, ou tout au moins Y acte de propriété.
D. Qu'entendez-vous par le droit de propriété?
R. Par le droit de propriété j'entends celui de
posséder ou d'acquérir en propre un bien temporel
quelconque.
D. Qu'entendez-vous par l'acte -de propriété?
R. Par l'acte de propriété, j'entends la dispo-
sition indépendante et libre d'un bien temporel, ou
d'un objet quelconque estimable à prix d'argent.
D. Indiquez ce qui fait ordinairement la matière
du vœu de pauvreté dans une simple congrégation.
R. Ce sont :
1° Tous les biens et objets qui n'appartiennent
- 21 —
point en propre aux religieux, et spécialement ceux
de la communauté' ou de la maison ;
2o Ce qu'il aurait donné lui-même ou cédé en
propre à la congrégation, comme un trousseau,
etc., puisqu'il n'en a plus le domaine, dès que la
communauté l'a accepté.
Un novice qui sort ou qui est renvoyé avant d'avoir fait
les vœux peut reprendre tout ce qu'il a apporté à son
entrée, et il peut de même réclamer tous les dons gratuits
qu'il aurait fait9 à la maison. C'est une prescription for-
melle du concile de Trente, qui a pour but de protéger la
liberté entière du novice.
3° Tous les dons et libéralités qu'on peut lui faire
à titre de reconnaissance, d'affection ou d'aumône,
car tout cela revient de droit à la communauté ;
4° Pour la même raison, le produit de son travail
et de son industrie, quel qu'il soit, en tant qu'il
est estimable à prix d'argent.
Une personne religieuse remarquera donc ici deux cho*
ses : la première, combien elle doit se mettre en garde
contre l'illusion de la cupidité, qui se reporte sur ces choses
comme si elles lui appartenaient ; la seconde, avec quelle
fidélité elle doit, quand il y a lieu, tenir ses comptes et les
rendre aux chefs de la communauté.
5° Enfin, tout acte de propriété par rapport aux
biens mêmes qui lui appartiennent : de sorte que,
pour en disposer de quelque manière que ce soit,
il doit avoir la permission du supérieur.
SECTION II. —DE LA VIOLATION DU VŒU DE PAUVRETÉ.
D. D'après ces exposés, quand est-ce qu'un reli^
GILTX. PÈCHE CONTRE LE VOEU DE PAUVRETÉ ?
R. En général, un religieux manque à son vœu
— 22 —
de pauvreté, lorsqu'il se met en possession de tout
objet tenant à la matière de ce vœu, ou qu'il en
dispose comme s'il était propriétaire, c'est-à-dire
indépendamment de la volonté du supérieur.
D. Exposez plus en détail cette doctrine impor-
tante.
R. Les cas où Ton pèche contre le vœu de pau-
vreté, même dans une simple congrégation reli-
gieuse, peuvent se réduire à neuf principaux, savoir:
1° S'approprier le bien d' autrui, 2° retenir en sa
possession un objet quelconque, 3° le donner ou le
recevoir, 4° le vendre ou l'acheter ou l'échanger,
5° le prêter ou l'emprunter, 6° l'employer à une
autre destination que celle qui a été prescrite, 7° le
détruire ou le laisser perdre, 8° l'emporter avec soi
dans une autre maison, 9° disposer de ses propres
biens en quelque manière que ce soit, sans la per-
mission du supérieur.
D. Donnez quelque explication à chacun de ces
cas, et d'abord au premier.
R. Pour le premier cas, c'est violer le vœu de
pauvreté, que de s'approprier quoi que ce soit du
bien d' autrui, en manquant au septième comman-
dement de Dieu. Il en est de même, si Ton prend
pour soi ou pour un autre, sans permission, un objet
quelconque de la maison ; et le péché est ordinaire-
ment plus grave, quand l'objet dérobé se trouve
alors détruit par l'usage. Il faut remarquer de plus
que le larcin fait à une maison religieuse prend le
caractère de sacrilège.
— 23 —
D. Expliquez le second cas.
R. C'est violer le vœu de pauvreté, que de rete-
nir en sa possession , chez soi ou chez quelque autre,
une chose sans permission, surtout de la garder
avec un esprit de propriété et comme si on en était
le maître: par exemple, quand on la cache aux
supérieurs pour qu'ils ne la retranchent pas.
D. Expliquez le troisième cas.
R. C'est manquer au vœu de pauvreté, que de don-
ner ou de recevoir sans permission quoi que ce soit,
à qui que ce soit et de qui que ce soit. Dans des cir-
constances exceptionnelles, il ne serait pas défendu
d'accepter provisoirement une chose, en vertu d'une
permission présumée et avec l'intention de se faire
ensuite autoriser ; mais pour la garder, l'autorisation
est nécessaire. Quand il s'agit de recevoir pour la
communauté et en son nom, on peut ordinairement
présumer la permission, surtout si le supérieur est
absent ; et même un refus arbitraire du religieux
pourrait être une faute contre la charité, en ce qu'il
priverait sans juste motif la communauté d'un bien
qui lui est offert. Mais les dons qu'on lui fait pour
lui-même, sauf les biens dont le vœu lui permet la
propriété, doivent être remis au supérieur, qui les
dispense à la communauté selon les besoins de
chacun.
Dans les congrégations dont les membres vivent seuls
quelquefois, il est clair qu'ils peuvent alors donner l'au-
mône aux pauvres selon leurs moyens, reconnaître un ser-
vice par quelque présent convenable, et faire certains petits
cadeaux de piété.
— 24 —
D. Expliquez-moi te quatrième cas.
R. C'est agir contre le vœu de pauvreté, que de
vendre, d1 acheter et d'ÉCHANGER de son autorité
propre quelque chose de la communauté, même
sous prétexte qu'on le fait dans l'intérêt de la mai-
son ; ou de vendre et d'acheter sous d'autres con-
ditions que celles qui auraient été formellement
prescrites par le supérieur.
D. Expliquez le cinquième cas.
R. C'est blesser le vœu de fpauvreté, que de prê-
ter ou d'EMPRUNTER une chose sans permission,
soit que le prêt ou l'emprunt transfèrent le
domaine, comme il arrive pour l'argent ; soit qu'ils
ne confèrent que l'usage, ce qui est encore faire un
acte de propriétaire. Cependant la faute est beau-
coup moins grave si le prêt ou l'emprunt ne sont
que pour l'usage, pourvu qu'on soit sûr que l'objet
sera rendu. La faute est plus légère encore quand
on se prête ainsi entre personnes de la communauté;
elle sera même nulle, si une coutume légitime l'au-
torise.
Dans ces petits prêts mutuels, il faut éviter à la fois et
le laisser-aller du relâchement, et la minutie ou la rudesse :
par exemple, quand votre frère vous demande une chose,
généralement la charité doit vous faire supposer qu'il a la
permission, du moins ce serait le blesser à tort que de
l'en interroger sans motif sulïïsant.
Ici revient l'interdiction d'accepter un dépôt, et
de répondre en qualité de caution, sans une permis-
sion formelle. Mais le vœu n'interdit point d'accep-
— 23 —
ter de l'argent ou d'autres objets, pour écre (7i-tri-
bués selon l'intention et la détermination expresse
du donateur ; quoique la règle puisse exiger sage-
ment qu'on ait la permission pour recevoir ainsi, et
surtout pour garder soi-même cet argent.
D. Expliquez le sixième cas.
R. C'est agir en propriétaire et manquer au vœu
de pauvreté, que de faire servir les choses a
d'autres destinations que celles qui ont été fixées
parle supérieur : ce qui doit appeler surtout l'atten-
tion des religieux, soit dans certains offices qu'on
leur donne à remplir, soit dans les voyages, où
l'argent confié pour en faire les frais ne peut être
appliqué sans permission à un autre usage, de sorte
que le surplus doit être remis au supérieur.
D. Expliquez le septième cas.
R. C'est porter atteinte au vœu de pauvreté, que
de détruire volontairement un objet, ou de le laisser
perdre ou détériorer par négligence. Un religieux
placé à la cuisine, à la dépense, à la lingerie, etc.,
peut pécher, même grièvement, en ces points où
la diligence est pour lui une obligation spéciale.
Mais tous ont aussi le devoir de prendre soin des
effets que la religion met à leur usage, et ce serait
un désordre criant, qu'ils fussent moins soigneux,
de ménager les biens de Dieu, qu'ils ne l'auraient
été de ménager leurs biens propres dans le siècle.
D. Expliquez le huitième cas.
R. On blesse le vœu de pauvreté, si l'on emporte
— 26 -
d'une maison dans une autre , en changeant de
domicile , au delà de ce qui est accordé par les su-
périeurs ou par une coutume légitime.
D. Expliquez le neuvième cas.
R. Enfin , tout acte de propriété est tellement
interdit au religieux, qu'il ne peut pas même garder
l'administration , ni l'usage , ni l'usufruit de ses
ibiens personnels , tant que dure son vœu de pau-
vreté.
D. Quelles sont les obligations des supérieurs par
rapport au vœu de pauvreté ?
R. Le vœu de pauvreté impose aux supérieurs
des devoirs vis-à-vis d'eux-mêmes , et vis-à-vis de
leurs inférieurs.
1° Vis-à-vis d'eux-mêmes, les supérieurs, ayant fait
le même vœu que les autres religieux, ont les mêmes
obligations pour ce qui tient à leur propre personne.
De même dans l'administration et la dispensation
des biens de la religion, ils ne peuvent agir en pro-
priétaires et en maîtres, mais seulement comme ins-
truments de l'autorité supérieure , et conformément
à la Règle.
Leurs infractions ont même cela de spécial, qu'outre
le péché personnel contre le vœu, il y aurait encore
ordinairement péché de scandale.
2° Vis-à-vis de leurs inférieurs, les supérieurs
violeraient eux-mêmes le vœu de pauvreté , s'ils
permettaient ou accordaient ce qu'ils n'ont pas le
droit d'accorder ou de permettre, et leur autorisation
serait nulle.
- 27 —
Ce serait encore de la part d'un supérieur une
i mnivence coupable , que de tolérer dans ses infé-
rieurs l'infraction du vœu qu'il peut empêcher.
D. Quelle est la quantité requise pour qu'il y ait
péché mortel contre le vœu de pauvreté ?
R. Généralement parlant, c'est la même quantité
que pour un péché mortel contre le septième com-
mandement de Dieu ; dans plusieurs cas néanmoins,
il faut une matière plus considérable.
D. En violant son vœu , le religieux ne peut-il
pas pécher aussi contre la justice, et par conséquent
être obligé à restitution ?
R. Oui, sans doute, tout larcin et tout dommage
coupable, fait par un religieux au prochain ou à la
communauté, est à la fois contre son vœu et contre
la justice , et alors il est obligé à restitution , même
envers la communauté. Il faut donc qu'il compense le
tort injuste qu'il a causé à la maison, ou de ses biens
personnels, ou par un travail extraordinaire, s'il en
est capable, ou bien qu'il en obtienne la remise des
supérieurs.
SECTION III. — DE LA PERMISSION QUI EMPÊCHE LA VIO-
LATION DU VŒU DE PAUVRETÉ, ET DE LA COUTUME
LÉGITIME.
§ 1. De la permission.
D. Pourquoi la permission empêche-t-elle la faute
contre le vœu ?
R. Parce qu'elle exclut l'acte de propriété inter-
dit par le vœu, et que dès lors le religieux n'agit
— 23 —
plus comme maître ou possesseur de la chose, mais
comme instrument et simple exécuteur de la volonté
du supérieur.
D. Toute permission met-elle à l'abri du péché ?
R. Non, il n'y a que la permission légitime.
D. Expliquez bien cette matière, qui n'intéresse
pas moins l'obéissance que la pauvreté.
R. On distingue plusieurs sortes de permissions : la
permission valide ou invalide, la permission licite ou
illicite, la permission expresse ou tacite, la permission
particulière ou générale, et la permission présumée.
D. Qu'est-ce que la permission valide et la per-
mission invalide ?
R. La permission valide est celle que le supérieur
a le droit d'accorder ; la permission nulle ou invalide
est celle qui dépasse son pouvoir.
D. Que faut-il dire de la permission nulle ou
invalide ?
R. En matière de pauvreté, le supérieur qui donne
une permission invalide pèche lui-même contre le
vœu, et l'inférieur qui en use pèche également, s'il
en connaît la nullité .
Une permission obtenue par fraude ou sur de faux
exposés est une permission nulle ; elle ^excuse pas
l'inférieur du péché contre le vœu de pauvreté.
D. Qu'entendez-vous par la permission licite et
par la permission illicite ?
— 29 —
R. Une permission est licite quand elle est donnée
pour de justes motifs ; elle est illicite, si elle est
donnée sans motif suffisant, même par l'autorité
compétente.
D. Qu'avez-vous à remarquer sur la permission
illicite ?
R. La permission illicite met le supérieur qui la
donne, et l'inférieur qui en use, à l'abri du péché
contre le vœu, mais non du péché contre la vertu
de pauvreté : car ce qui est valide peut être encore
illicite ou défendu, et le pouvoir, dit saint Paul,
a été confié aux supérieurs pour édifier et non pour dé-
truire.
Une permission légitime est donc celle qui est tout
à la fois valide et licite.
En général, il n'est pas permis aux supérieurs de faire
d'eux-mêmes, ou de laisser faire à leurs inférieurs, des
dépenses en objets de luxe, en superfluités et en achats
contraires à l'esprit de la règle pour l'entretien ou le mobi-
lier, même sous prétexte d'économie : car les religieux ne
font pas profession d'économie précisément, mais de pau-
vreté.
D. Qu'est-ce qu'une permission expresse ?
R. La permission est expresse ou formelle, quand
le supérieur exprime formellement sa volonté de
permettre quelque chose.
D. Que pensez-vous de la permission formelle ou
expresse ?
R. Evidemment c'est la plus sûre de toutes, quand
elle est en même temps valide et licite.
— 30 —
D. Que faut-il entendre parune permission tacite?
R. La permission tacite ou implicite est celle que
le supérieur donne par son silence même, ou qui se
trouve renfermée dans une permission expresse : par
exemple, si l'on vous a dit d'acheter un objet, on vous
a permis implicitement ou tacitement la dépense
que nécessite Tachât.
D. Un religieux peut-il agir en sûreté de cons-
cience avec une permission tacite et implicite ?
R. La permission tacite et implicite est suffisante,
pourvu qu'on soit fondé à croire qu'elle existe en
effet, et pourvu qu'on ne lui donne pas une fausse
interprétation.
D. Qu'est-ce que la permission particulière et la
permission générale ?
R. La permission particulière est celle que le supé-
rieur donne à un seul et pour un seul cas ; la permis-
sion générale est celle qu'il donne à plusieurs pour le
même cas, ou à un seul pour plusieurs cas.
D. Qu'avez-vous à dire de la permission géné-
rale ?
R. La permission générale est légitime sans doute ;
mais elle deviendrait illicite, si elle tendait à l'affai-
blissement de la discipline religieuse.
D. Qu'est-ce que la permission présumée et quelle
en est la valeur?
R. La permission présumée est celle qui est sup-
posée existante dans la volonté du supérieur, parce
que Ton juge raisonnablement qu'elle serait accor-
_ 31 -
dée si elle était demandée. Cette permission est sou-
vent suspecte ; elle ne vaut même rien quand c'est
l'affection déréglée qui ^la suppose faussement, ou
quand on sait que le supérieur ne veut accorder la
chose qu'à la condition qu'on la demandera. Mais
enlin la permission présumée de bonne foi peut
suffire à la rigueur, du moins dans les cas où il est
impossible ou difficile de recourir au supérieur ;
même on doit s'en servir, si l'on est persuadé que
le supérieur voudrait qu'on la supposât, par exem-
ple pour ne point laisser échapper une occasion qui
se présente.
D. Quel est le moyen de s'assurer qu'on ne pré-
sume pas faussement la permission ?
R. La bonne permission présumée est celle où l'in-
férieur, écartant tout amour-propre, se met fran-
chement par la pensée en présence de la volonté du
supérieur, et fait ensuite exactement ce qu'il juge
qu'on lui dirait de faire ; dans le cas même oùf il ver-
rait ensuite qu'il s'est trompé, il n'aurait pas offensé
Dieu.
§ 2. De la coutume.
Une chose qui peut se rapporter à la permission
tacite et générale, c'est la coutume légitime.
1). Qu'entendez-vous ici par la coutume ?
R. La coutume en général est un usage non écrit
qui s'introduit peu à peu dans une communauté, soit
pour interpréter, soit pour modifier quelque point de
la Règle. Légitimement établie, la coutume a la force
— 32 —
d'une vraie loi, tant pour défendre que pour per-
mettre; si elle n'est pas légitime, elle n'a aucune
valeur.
D. Quand est-ce qu'une coutume est légitime?
R. Une coutume n'est légitime qu'à ces trois con-
ditions :
La première, qu'elle soit raisonnable ;
La seconde, qu'elle existe réellement dans la ma-
jeure partie de la communauté, et non pas que ce
soit le fait et la coutume de quelques-uns seulement;
La troisième condition, qu'elle se trouve suffisam-
ment établie par la prescription du temps, sans que
l'autorité compétente ait réclamé contre elle.
Dans un corps religieux, une coutume qui n'est autorisée
que par un supérieur particulier est ordinairement abusive
et n'excuse pas ceux qui la suivent.
Une coutume peut avoir été répréhensible dans son ori-
gine, même pour les supérieurs qui l'ont tolérée; et cepen-
dant, par la prescription du temps et pour éviter un plus
grand mal, cette même coutume peut être devenue légi-
time, au moins de manière à exempter du péché. C'est ce
qui est réellement arrivé dans certains ordres ou congréga-
tions, pour divers points de la Règle primitive.
ARTICLE II.
DE LA VERTU DE PAUVRETÉ.
SECTION Ire. — A QUOI LA VEBTU DE PAUVRETÉ
OBLIGE LES RELIGIEUX.
D. Qu'est-ce que la vertu de pauvreté?
II. C'est une vertu évangélique qui incline le cœur
— 33 —
du chrétien à se détacher de l'affection aux biens
temporels.
D. Cette vertu est-elle obligatoire pour un reli-
gieux?
R. Oui, sa profession lui en fait un devoir, et il
peut pécher contre la vertu de pauvreté, même sans
qu'il viole son vœu.
D. Quand est-ce qu'un religieux pèche contre la
vertu de pauvreté?
R Un religieux peut pécher de trois manières
contre la vertu de pauvreté, même sans que le vœu
soit violé :
1° Par des regrets ou des désirs contraires à cette
vertu; 2° par un attachement déréglé pour quelque
objet; 3° par l'usage des superfluités.
D. Expliquez davantage la première manière de
pécher contre la vertu de pauvreté.
R. Pour un religieux, la première manière de
pécher contre la vertu de pauvreté serait de reporter
ses affections et ses regrets sur ce qu'il a sacrifié, ou
de nourrir volontairement des désirs pour des choses
qu'on ne lui donne pas et qui ne conviennent point
à sa profession.
Remarquez cependant qu'un péché formel contre le
dixième commandement de Dieu serait encore une viola-
tion du vœu lui-même, parce que l'acte intérieur du désir
coupable revêt la malice et l'espèce de l'acte extérieur.
D. Expliquezlaseconde manière de blesser la vertu
de pauvreté.
R. La seconde manière de pécher contre la vertu
— 34 —
de pauvreté serait de s'attacher avec dérèglement,
même à un objet livré à son usage. Le peu de valeur
de l'objet n'est pas une excuse : car c'est l'affection
qui fait le désordre, et cette affection est d'autant plus
pitoyable que l'objet en est plus petit et plus mince.
Voilà aussi pourquoi, dans les communautés bien réglées,
on ne permet guère à un religieux de garder entre ses
mains les objets dont il serait encore propriétaire, surtout
s'il est question d'une somme d'argent.
D. Expliquez la troisième manière de pécher con-
tre la vertu de pauvreté.
R. La troisième manière de manquer à la vertu de
pauvreté est d'avoir à son usage des choses super-
flues ou trop précieuses pour son état. Et ce n'est
point aux particuliers à en juger d'après leur appré-
ciation propre ; mais ces points sont ordinairement
définis par les règles et par les déclarations des
chefs de l'institut.
D. Signalez-nous le principal devoir qu'impose aux
religieux la vertu de pauvreté.
R. Le principal devoir que la vertu de pauvreté
impose aux religieux, c'est la vie commune, qui de-
vient aussi pour chacun d'eux la source de bien des
mérites.
D. Qu'entendez-vous par la vie commune?
à. La vie commune, dans une maison religieuse,
consiste en ce que chacun, sans en excepter les supé-
rieurs, doive se contenter de ce qu'on donne à tous
pour la nourriture, l'entretien, etc., sans le moindre
privilège en faveur de personne, et sans aucune dis-
pense qui ne soit vraiment nécessaire.
— 33 —
La vie commune est un point capital pour la conserva-
tion de l'esprit religieux. Aussi les supérieurs^ sont-ils obli-
gés de la mainteniravec sollicitude et fermeté, et les infé-
rieurs ne sauraient montrer trop d'empressement et trop
de délicatesse à la garder.
Il faut néanmoins" observer deux choses : la première, que
les supérieurs ne peuvent exiger la vie commune qu'autant
qu'ils pourvoient eux-mêmes convenablement aux nécessi-
tés de chacun; — la seconde, qu'une exception commandée
par de justes motifs, mais dont le supérieur est le juge légi-
time, n'est pas contraire à la vie commune.
D. Indiquez ce qui pourrait être le plus nuisible
à la vie commune.
R. La brèche la plus fatale à la vie commune,
ou pour mieux dire au mur de la pauvreté religieuse,
serait l'usage des pécules. On entend par là une
somme d'argent provenant ou des biens propres
du religieux, ou de dons reçus d'ailleurs, par exem-
ple de ses parents, et dont le supérieur consentirait
à lui laisser le libre emploi. Cet abus, qui ne va rien
moins qu'à la ruine de l'esprit de pauvreté, est en-
core fort nuisible à l'union fraternelle et à l'édifica-
tion. Il serait même contre le vœu, si le supérieur
renonçait au droit de révoquer la permission, ou s'il
donnait une permission invalide et contraire aux
constitutions.
STCTION II. — DE LA DISTRIBUTION QU'UN RELIGIEUX
FAIT DE SES BIENS PROPRES.
D. De quelle manière un religieux doit-il disposer
de ses propres biens dans le dépouillement e'vangé-
lique?
R. Pour suivre le conseil de Jésus-Christ, il doit
— 3G —
les donner aux pauvres, c'est-à-dire les appliquer
à des œuvres pies et agréables à Dieu. C'est pour-
quoi, après avoir satisfait aux obligations que
peuvent lui imposer la justice, la piété filiale, la
reconnaissance et l'édification publique, il dispose
du reste de ses biens, selon sa propre dévotion, avec
la permission toutefois du supérieur, qui doit veiller
à ce qu'il agisse sur ce point en bon religieux, mais
sans gêner l'exercice vertueux de sa liberté. Dans les
questions douteuses ou d'un intérêt délicat, il est
sage de consulter quelque personne désintéressée,
éclairée et vertueuse.
SECTION III. — DES AVANTAGES ET DE LA PRATIQUE
DE LA PAUVRETÉ RELIGIEUSE.
D. Quels sont les avantages et le prix de la pau-
vreté religieuse?
R. Deux choses en font bien ressortir l'excel-
lence:
La première est que c'est elle qui est appelée le
mur de la religion, c'est-à-dire qu'elle en est le fon-
dement et le rempart, tant pour le corps entier que
pour chacun des membres.
La seconde, que la pauvreté religieuse est une
riche et précieuse matière de mérites, quand on en
prend bien l'esprit et qu'on en observe fidèlement
les saintes délicatesses. Aussi Notre-Seigneur lui
a-t-il promis, avec le centuple dès cette vie, non-
seulement Yhéritage de la vie éternelle, mais encore
un trésor dans le ciel.
— 37 —
D. Indiquez-en sommairement la pratique , et
les degrés de perfection.
R. Pour la pratique extérieure de la pauvreté
religieuse :
Un premier degré est de renoncer réellement aux
biens temporels, et de ne disposer de rien qu'avec;
dépendance du supérieur : c'est la matière même du
vœu.
Va second degré est de se contenter du nécessaire,
d'écarter toute affection déréglée, ainsi que toute!
superlluité pour les choses de son entretien : c'est la
matière obligatoire de la vertu.
Un troisième, de se porter à ce qu'il y a de moin-
dre dans la communauté, et d'être content que ce soit
là notre part, pour l'habitation, les vêtements, etc.
Un quatrième, d'aimer à manquer même quelque-
fois du nécessaire, avec discrétion cependant et sans
préjudice pour la santé, et de nous réjouir quand
Jésus-Christ Notre-Seigneur nous fait part de sa
pauvreté.
Pour la pratique intérieure :
Un religieux qui a l'esprit de pauvreté s'accou-
tumera à regarder comme consacré à Dieu tout ce
qui est à la communauté et même à son usage.
Il ne tiendra à rien et sera toujours prêt à se laisser
dépouiller de tout.
Il aimera à se considérer comme un pauvre, qui
reçoit tout par aumùne et qui est reconnaissant de
tout ce qu'on lui donne , bien loin de croire qu'on
lui fasse tort quand on lui refuse quelque chose.
-38 —
Enfin, il pratiquera le dépouillement de tous les
biens temporels et des aises qu'ils procurent :
Par principe de mortification et de pénitence, en
expiation de ses péchés ;
Par mépris des biens de la terre, et pour s'assurer
les biens du ciel ;
Par amour pour Jésus-Christ, son divin Roi, et
par le désir de lui ressembler dans sa pauvreté, et
afin que toutes ses affections soient à lui sans partage.
CHAPITRE IL
DE LA CHASTETE RELIGIEUSE.
ARTICLE Ier.
DU VOEU ET DE LA VERTU DE CHASTETÉ.
D. A quoi s'oblige un religieux par son vœu de
chasteté ?
R. Il s'impose deux obligations : la première, de
renoncer au mariage ; la seconde, d'éviter tout acte
extérieur et intérieur, déjà défendu par le sixième
et le neuvième commandement de Dieu.
Le vœu de chasteté ajoute une nouvelle obligation à celle
de ces deux commandements, et si le religieux viole son
vœu, il commet un second péché, de sacrilège, qu'il doit
aussi déclarer en confession, à moins que le confesseur ne
connaisse déjà le vœu qu'il a fait. En outre, il y a souvent
dans la faute extérieure un troisième péché de scandale,
qui attaque la religion et la charité, en couvrant toute une
communauté religieuse de l'infamie attachée à ces sortes de
péchés.
— 39 —
D. Toute infraction de la vertu est-elle aussi une
violation du vœu de chasteté?
R. Oui, et ici il n'y a point de distinction à faire,
comme en matière de pauvreté et d'obéissance.
D. Tout péché contre la chasteté est-il toujours
péché mortel ?
R. Oui, dès lorsque c'est un acte pleinement con-
senti et directement défendu par le sixième ou le
neuvième commandement, et il ne peut y avoir en
ce point légèreté de matière: tels sont non-seulement
les actes extérieurs, mais encore les complaisances
intérieures et les mauvais désirs, quand ils sont com-
plètement délibérés et volontaires.
D. Toute pensée ou impression mauvaise est-elle
coupable?
R. Pour qu'elle soit coupable, il faut qu'il y ait at-
tention de l'esprit et consentement de la volonté.
Il peut exister en nous deux sortes de pensées mauvaises :
l'une qui sort de notre propre volonté et que nous produi-
sons ou entretenons librement nous-mêmes par affection au
mal ; l'autre qui vient de l'ennemi du salut ou du mauvais
penchant qui est en nous malgré nous-mêmes. La pre-
mière nous appartient, et nous en avons la responsabilité
devant Celui qui lit au fond de no» âmes; la deuxième ne
nous appartient point, nous n'en sommes pas responsables,
tant que nous ne la voulons pas, que nous tâchons de l'ex-
clure, que nous n'y consentons pas. Il y a même plus : car
si nous résistons a la mauvaise pensée^ bien loin d'offenser
Dieu, nous avons le mérite de la victoire, et ce mérite est
d'autant plus grand que la tentation se montre plus opi-
niâtre.
Il en faut dire autant des impressions mauvaises qui pour-
raient survenir dans les sens. Nous ne refondrons que de
celles dont nous aurons été cause, ou auxquelles la volonté
aura pris une libre part ; mais celles que nous désavouons
de tout noire cœur ne peuvent aucunement nous rendre
coupables; elles sont même alors un exercice de vertu, par
l'horreur qu'elles nous causent et par l'empressement avec
lequel elles nous font recourir à Dieu.
D. Outre les péchés directement contraires à la
chasteté, n'y en a-t-il pas d'autres qui la blessent
aussi, du moins indirectement ?
R. Oui, ce sont les actes extérieurs ou intérieurs
qui y préparent, et ceux qui nous y exposent à raison
de notre fragilité.
Telles sont les libertés que l'on donne à ses pen-
sées ou à ses sens, et qui deviennent des péchés plus
ou moins graves, selon qu'elles créent un danger
plus ou moins prochain de consentir au péché
impur.
D. Donnez quelques éclaircissements sur cette
matière délicate, et d'abord quant aux actes exté-
rieurs.
R. Pour les yeux, il y a les immodesties, les regards
trop libres et les lectures dangereuses.
Pour les oreilles, il y a les complaisances à écouter
ce qui ne convient pas, à accueillir des flatteries, des
compliments suspects et des expressions d'une ten-
dresse trop vive.
Pour la langue, il y a les paroles équivoques, peu
décentes, trop affectueuses, soit qu'on les exprime de
vive voix ou par écrit -, il y a encore les chansons
mondaines et profanes, bien plus répréhensibles sur
des lèvres consacrées à Dieu.
Pour le toucher, il y a les familiarités, les jeux de
mains, et autres témoiguages d'affection sensible.
— 41 —
Ces choses sont toujours fort dangereuses, principa-
lement si elles viennent d'un attachement déréglé.
D. Ajoutez ce qui regarde les actes intérieurs.
R. Pour les actes intérieurs, il y a les souvenirs de
la mémoire ou les représentations séduisantes de
l'imagination, même sans qu'il y ait encore complai-
sance directe de la volonté au mal lui-même. De la
part du cœur enfin, il y a les affections trop tendres
et les amitiés sensuelles.
Un religieux doit avoir tout cela en aversion , comme
plein de périls pour lui, et compromettant déjà plus
ou moins gravement la vertu angélique.
D. Un acte qui paraîtrait moins coupable dans une
personne du siècle ne peut-il pas devenir un péché
grave dans un religieux ?
R. Oui, à raison du scandale que peut donner faci-
lement une personne consacrée au Seigneur : par
exemple, il en sera très souvent ainsi des relations
douteuses ou suspectes qu'on se permettrait entre
personnes de sexe différent
ARTICLE II.
DES MOYENS DE' CONSERVER INTACTE LA CHASTETÉ
RELIGIEUSE.
D. Que doit-on faire dans les tentations inté-
rieures ?
R. Ii#faut aussitôt prendre le bouclier et les autres
— 42 —
armes de la foi : c'est-à-dire se rappeler vivement la
présence de Dieu , implorer son secours avec con-
fiance, et puis combattre résolument et sans trouble.
D. Ne faut-il pas quelque chose de plus dans les
tentations extérieures?
R. Il est de plus indispensable de fuir l'occasion
du péché, et même c'est souvent alors un devoir
grave de conscience d'en avertir les supérieurs.
D. Quels sont les préservatifs nécessaires à la chas-
teté?
R. On peut les réduire à sept, savoir :
La garde des sens, la fuite de l'oisiveté, celle des
occasions, la promptitude à repousser la tentation,
le soin d'éviter les amitiés sensibles, la tempérance
et l'ouverture de conscience. Chacun de ces préser-
vatifs demande quelques mots d'explication.
D. Revenez sur le premier préservatif.
R. Le premier préservatif est la garde des sens,
et spécialement la retenue dans les regards : car le
Saint-Esprit nous avertit que nos sens sont les fenê-
tres de notre âme, et que c'est par là aue la mort y
entre facilement.
D. Indiquez le second préservatif.
R. Le second est la fuite de l'oisiveté : ne soyez
point désœuvré ni rêveur ; que V ennemi vous trouve
toujours occupé, et ses tentations seront rares ou im-
puissantes.
D. En quoi consiste le troisième préservatif?
- 43 —
R. Il consiste à éviter les occasions : car, dit le
Sage, celui qui aime le danger y périra. Pour un re-
ligieux, c'est un devoir de fuir le contact du monde,
sauf les cas de vraie nécessité : il y serait plus exposé
et plus vulnérable peut-être que les séculiers eux-
mêmes. A plus forte raison doit-il être fidèle aux pré-
cautions que commande la règle, surtout pour les
rapports avec les personnes d'un autre sexe.
D. Quel est le quatrième préservatif?
R. Le quatrième est la promptitude à arrêter la ten-
tation dans son principe ; on secoue un charbon de
feu aussitôt qu'on le sent, sinon il brûle et prépare
un incendie ; d'ailleurs il est bien plus facile de se
débarrasser d'une première impression, que lors-
qu'elle a déjà pénétré dans l'âme.
D. Quel est le cinquième préservatif?
R. Le cinquième est de tenir son cœur à l'abri des
affections trop humaines et de fuir les amitiés sensi-
bles ; celles même où l'on ne croit pas voir de mal
commencent par amollir l'âme, et bientôt elles allu-
ment la concupiscence.
D. Indiquez le sixième préservatif.
R. Le sixième est d'éviter toute intempérance,
principalement dans le boire.
D. Quel est le septième préservatif?
R. Le septième, et celui qu'il faut recommander
davantage, parce qu'il garantit l'emploi de tous les
autres, c'est d'avoir touiours une grande ouverture
— 44 —
de cœur et une sincérité parfaite envers les guides
de son âme, c'est-à-dire envers le confesseur et ie
supérieur.
D. Ne peut-on pas encore signaler d'autres moyens
efficaces pour mieux se conserver dans la pureté ?
R. Oui, voici encore cinq moyens d'assurer en
nous la vertu angélique :
1° L'humilité, qui fera craindre les louanges et
fuira toute recherche dans les vêtements et la tenue,
qui maintiendra l'âme dans la défiance d'elle-même,
et attirera ainsi le secours divin sans lequel on ne
peut être chaste, selon ce qui est écrit : Dieu résiste
aux superbes, mais il donne sa grâce aux humbles ;
2° L'amour de la mortification et de la prière ; ce
genre de démon, dit Notre-Seigneur, ne se chasse que
par la prière et le jeûne ;
3° La pratique exacte des règles de la modestie;
4° De même, la fidélité à toutes les autres règles
et aux moindres devoirs de son état : par là, notre
âme se maintient dans son énergie, et, selon la parole
de Notre-Seigneur, celui qui est fidèle dans les petites
choses le sera aussi dans les grandes;
5° Une grande dévotion à Marie, la Reine et la
protectrice spéciale des vierges.
ARTICLE III.
DES AVANTAGES DE LA CHASTETÉ RELIGIEUSE.
D. Quels sont les avantages de la chasteté reli-
gieuse?
— 45 —
R. On ne peut qu'indiquer ici ce qu'en ont dit à
Tenvi les saints Docteurs :
Par la chasteté, le religieux, selon saint Paul, est
affranchi des sollicitudes du monde et de la famille :
il ne lui reste qu'un soin sur la terre, celui de plaire
au Seigneur, et son cœur n'est plus divisé dans ses
allections.
Par la chasteté il vit, dès ce lieu d'exil, comme
vivent les anges dans le ciel. Il jouit de la béatitude
promise aux cœurs purs, devoir Dieu et de le goûter
dans la communion et la prière. Son âme est en pos-
session de la liberté, et d'une paix qui surpasse tout
sentiment ; au lieu de cette tyrannie, de ces remords
et de ces troubles auxquels sont en proie les cœurs
corrompus ou peu fidèles.
Par la chasteté l'âme religieuse a l'inestimable
honneur d'être Tépouse de Jésus-Christ, le Roi des
rois.
Par la chasteté elle devient, comme Marie, la
mère selon l'esprit de nombreux enfants : Dieu bénit
son zèle avec surabondance, et l'autorité de sa vertu
donne une efficacité toute spéciale à ses paroles et à
ses œuvres.
Enfin, par la chasteté les religieux honorent sin-
gulièrement la sainte Eglise catholique, notre Mère,
dont cette céleste vertu, en eux surtout comme dans
les prêtres, est l'ornement et la gloire.
— 46 —
CHAPITRE III.
DE L'OBÉISSANCE RELIGIEUSE.
ARTICLE I<*.
DU VOEU D'OBÉISSANCE.
SECTION. ]>e. — PRÉÉMINENCE DE CE YCEU SUR LES DEOX
AUTRES.
D. Quelle estime un religieux doit-il avoir pour le
vœu d'obéissance?
R. Il doit le regarder comme le principal des trois
vœux de religion, c'est-à-dire comme celui qui a la
prééminence sur les deux autres, et qui est le plus
nécessaire à l'état religieux.
D. Pourquoi le vœu d'obéissance a-t-il la préémi-
nence sur les deux autres vœux?
R. Parce qu'un religieux, par son vœu d'obéis-
sance, offre et consacre à Dieu les biens intimes de
l'âme, et par conséquent ce qu'il possède de plus
précieux et de plus cher, savoir sa propre volonté
avec les autres puissances qui en dépendent ; et
comme l'obéissance religieuse s'étend sur tout le dé-
tail de la vie entière, c'est l'holocauste ou le sacri-
iice parfait.
D. Pourquoi le vœu d'obéissance est-il le plus né-
cessaire à l'état religieux?
R. Parce que c'est le vœu d'obéissance qui con-
stilue proprement le corps religieux. Il en est le lien
indispensable, et il est encore le ressort puissant qui
doit communiquer à tous les membres de ce corps
le mouvement et la vie.
SECTION II. — DES OBLIGATIONS DU VŒU D'OBÉISSANCE.
D. A quoi s'engage un religieux par son vœu
d'obéissance ?
R. Il promet à Dieu d'obéir à ses supérieurs légi-
times DANS TOUT CE QU'lLS COMMANDERONT SELON LA
RÈGLE.
D. Expliquez-moi d'abord ces paroles : tout ce
QUE COMMANDERONT LES SUPERIEURS.
R. Pour bien comprendre les devoirs de l'obéis-
sance religieuse en général , il faut distinguer dans
les supérieurs un triple pouvoir de commander.
D. Quel est le premier pouvoir qui se trouve dans
un corps religieux ?
R. Le premier pouvoir est celui que l'Église ,
c'est-à-dire le Pape ou du moins l'Évêque, a conféré
au fondateur de l'ordre ou de la congrégation, d'im-
poser la règle et les constitutions ; et aux supérieurs
du même corps, d'y ajouter des statuts et des règles.
C'est en vertu de ce pouvoir que l'obéissance est
due aux constitutions, aux statuts et aux règles.
D. Quel est dans les supérieurs le second pouvoir
de commander ?
R. Le second pouvoir, également consacré par TÉ-
— 48 —
glise, ressemble au pouvoir paternel dans la famille :
c'est celui qu'ont les supérieurs , comme chefs de la
famille religieuse , de commander à leurs inférieurs
tout ce qui est dans les limites de la règle , et de
disposer ainsi de leurs actes pour le service de Dieu
et le bien de la communauté.
Ce second pouvoir peut être communiqué même
j des subalternes ; et alors on doit obéir à ces officiers
inférieurs , comme aux supérieurs eux-mêmes ,
pour la portion d'autorité qui leur est confiée.
De plus, ce second pouvoir établit l'obligation de
suivre les prescriptions des supérieurs , de même
que le premier pouvoir établit l'obligation de gar-
der les statuts et les règles, indépendamment même du
vœu d'obéissance : et c'est pourquoi les novices sont
eux-mêmes soumis à l'un et à l'autre de ces deux
pouvoirs, comme nous l'avons déjà déclaré.
D. Quel est le troisième pouvoir que possèdent
les supérieurs ?
R. Le troisième pouvoir , toujours sanctionné par
l'Église , mais plus spécial et plus sacré , est celui
qui résulte du vœu d'obéissance. Quand un religieux
fait à Dieu ce vœu, il s'impose une obligation beau-
coup plus stricte et plus grave d'obéir au supérieur ,
chaque fois que celui-ci commandera en vertu de
ce même vœu , de sorte que , s'il désobéit alors , il
commet un péché qui est la violation même du
vœu qu'il a fait.
D. Que signifient ces autres paroles : selon la
règle 1
— 49 —
R. Elles signifient que les supérieurs ont le droit
de commander non-seulement ce qui se trouve
expressément dans la règle , mais encore ce qui
peut y être implicitement renfermé : telles sont les
pénitences contre ceux qui la transgressent , les
moyens propres à en procurer l'observation , la
manière de bien remplir les emplois , et tout ce qui
tient à une bonne et droite administration.
Mais les supérieurs ne peuvent point commander,
je ne dis pas seulement ce qui serait péché même
véniel, mais encore ce qui est évidemment contraire
à l'institut , ou en dehors des devoirs qu'il impose.
Dans le doute cependant , l'inférieur est obligé
d'obéir, sauf le recours à une autorité supérieure.
D. Dites-moi maintenant quelle est la matière
précise du vœu d'obéissance.
R. La matière précise du vœu d'obéissance est
uniquement celle où le supérieur déclare, en com-
mandant , vouloir obliger le religieux en vertu de
son vœu. Toute autre injonction du supérieur tire
son obligation du second pouvoir expliqué plus
haut, et fait l'objet, non du vœu, mais de la vertu
d'obéissance, comme nous l'expliquerons bientôt.
D. Comment le supérieur déclare-t-il sa volonté
d'obliger en vertu du vœu ?
R. Par ces formules : En vertu de la sainte obéis-
sance , ou bien : Au nom de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, et autres semblables.
- oO -
D. Quand est-ce que l'on pèche mortellement con-
tre le vœu d'obéissance ?
R. On pèche mortellement contre le vœu d'obéis-
sance chaque fois que l'on désobéit , dans une
matière suffisamment grave , à un commandement
du supérieur imposé de la sorte en particulier ou
en général, de vive voix ou par écrit, immédiatement
par lui-même ou par l'entremise d'un autre.
En matière légère, le supérieur ne pourrait pas obliger
sous peine de péché mortel, même en vertu du vœu ; mais
il faut remarquer que, dans les communautés religieuses,
une matière qui semble légère en soi peut facilement, à
raison de l'intérêt commun, devenir grave par la fin ou les
circonstances.
D. Tout supérieur , dans un corps religieux ,
a-t-il le droit de commander en vertu du vœu
d'obéissance ?
R. Cela dépend des constitutions : ordinairement
ce pouvoir n'est confié qu'aux supérieurs majeurs
et au premier supérieur de la maison. Il y a des
congrégations où celui-ci même ne Ta point , ou ne
Ta qu'avec de sages restrictions.
D. Comment un supérieur doit-il user du droit
de commander en vertu du vœu d'obéissance ?
R. Il ne doit y recourir qu'avec une grande dis-
crétion, bien rarement et pour des motifs vraiment
graves.
D. Mais de là ne s'ensuivrait-il pas que le religieux
aurait bien rarement aussi le mérite du vœu d'obéis-
sance ?
- ol —
R. Non, parce que le vœu domine toujours réel-
lement tous les actes de l'obéissance religieuse ,
même lorsqu'il ne s'agit pas actuellement de sa vio-
lation. Et il en est de même des deux, autres vœux.
Cette vérité se prouve-par plusieurs raisons:
1<> Le religieux s'étan trais par son vœu sous la dépen-
dance universelle du supérieur, il sent bien, en obéissant,
que celui-ci pourrait toujours user de son droit d'obliger
en conscience, et ainsi il observe le \œu en prévenant pour
ainsi dire son obligation.
2° Chaque fois qu'il se soamet à la volonté du supérieur,
il le fait en vue de son vœu, pour le respectet l'amour qu'il
en a, et pour éloigner tout péril d'y manquer, quand le
supérieur voudra recourir au droit qu'il lui donne.
3o La pratique des vœux peut se comparer à celle des
commandements de Dieu : en faisant dans la môme ma-
tière au delà de ce qu ils prescrivent sous peine de péché,
nous les observons avec plus de perfection et de mérite.
J'ajoute que cette obéissance plus parfaite devient plus
méritoire aussi par deux autres endroits: 4° parce que la
volonté s'y montre plus dévouée, plus prompte et plus libé-
rale envers Dieu, que dans le précepte ; 2o parce que l'acte
d'obéissance y reçoit un surcroit d'influence de plusieurs
autres excellentes vertus, telles que la charité, l'humi-
lité, etc.
D. Le vœu simple d'obéissance produit-il le même
effet que le vœu solennel sur la volonté du reli-
gieux ?
R. Non ; le vœu simple rend bien illicite pour le
religieux toute obligation contractée par lui sans le
consentement du supérieur : mais il ne la rend point
de lui-même invalide, bien que le supérieur ait le
droit de l'annuler ; le vœu solennel , au contraire ,
renferme une telle abdication de la volonté , que le
religieux ne peut plus contracter, même validement,
— 52 —
aucune obligation naturelle ou civile, sinon comme
instrument ou mandataire du supérieur. ■
D. En quoi le vœu d'obéissance du religieux dif-
fère-t-il de la promesse d'obéissance que fait le nou-
veau prêtre entre les mains de son Évêque dans l'or-
dination ?
R. 11 diffère en deux choses considérables :
1° La promesse cléricale n'est point un vœu fait à
Dieu, mais une simple promesse^ dans laquelle le nou-
veau ministre du sanctuaire reconnaît en face de
l'Église et accepte le droit que l'Évèque vient d'ac-
quérir sur lui par l'ordination.
2° Le vœu d'obéissance soumet au supérieur toute
la vie et tous les actes du religieux, selon la règle et
sans autre limite que celle du péché ; la promesse
cléricale est loin d'imposer une obligation aussi uni-
verselle : car elle ne soumet le nouveau prêtre à
son Évêque que dans les choses qui sont du ressort
delà juridiction ecclésiastique, telles que la distribu-
tion canonique des fonctions, la manière de les exer-
cer et les devoirs de la vie cléricale.
ARTICLE IL
DE LA VERTU D'OBÉISSANCE.
D. Qu'est-ce que la vertu d'obéissance V
R. C'est une vertu qui, comme l'enseigne saint
Thomas, fait partie de la justice, et qui incline la
volonté a se soumettre aux supérieurs légitimes,
- 33 —
comme aux représentants de l'autorité de Dieu.
D. La vertu d'obéissance est-elle bien nécessaire
à un religieux ?
R. Une raison qui démontre sa grande nécessité
est que tout ce que fait un religieux, même le bien ,
devient mal ou du moins perd son mérite, dès lors
qu'il agit contre l'obéissance.
D. La vertu d'obéissance s'étend-elle au delà du
vœu?
R. Oui, elle peut produire un bien plus grand
nombre d'actes, surtout les actes intérieurs, qu'il
n'en a été promis par le vœu.
D. Sur quelle matière s'exerce la vertu d'obéis-
sance dans T état religieux?
R. La vertu d'obéissance, dans l'état religieux,
s'exerce sur toutes les prescriptions, générales ou
particulières, que font les supérieurs selon la Règle:
ce qui embrasse d'un côté les constitutions , les
statuts et les règles, et de l'autre côté les injonctions,
désirs, prières ou conseils de ceux qui ont l'autorité.
Le supérieur étant le représentant de Dieu , sa volonté,
même quand elle n'oblige pas en conscience, a une effica-
cité morale plus grandeet d'un autre genre que ne serait,
par exemple, celle d'un ami ; de même, comme il est le chef
du corps religieux, il a un certain droit naturel, que les
membres conforment leurs volontés à la sienne ; et cet
acquiescement des inférieurs en vue de Dieu est toujours
l'obéissance religieuse.
D. Un religieux peut-il pécher contre la vertu
d'obéissance, sans pécher contre le vœu ?
— 54 —
R. En soi, et à parler rigoureusement, la vertu
d'obéissance, dans l'état religieux, n'oblige sous
peine de péché que dans les cas où le supérieur veut
commander en vertu du vœu. L'Eglise et les fonda-
teurs des instituts l'ont ainsi établi pour rendre le
joug de la religion plus suave, et l'obéissance elle-
même plus digne de l'état de perfection.
D. Que dire cependant d'une désobéissance qui
serait accompagnée d'un mépris de l'autorité , ou
suivie d'un dommage considérable ?
R. 1° Il y a toujours péché grave à mépriser for-
mellement l'autorité dans le supérieur. Je dis Y auto-
rité, et non le défaut qu'un religieux croirait voir
dans la personne ou dans l'injonction du supérieur.
C'est à raison de ce mépris formel de l'autorité ,
qu'il y a péché mortel lorsqu'au sujet d'une chose
prescrite le religieux ose dire à son supérieur : Je
ne veux pas obéir, ou je ne veux pas le faire.
2° Le péché est encore grave lorsque d'une déso-
béissance quelconque il doit résulter un dommage
considérable , soit spirituel, soit temporel, pour soi-
même, ou pour la communauté, ou pour le prochain,
quel qu'il soit.
D. Les simples injonctions des supérieurs n'obli-
gent donc pas sous peine de péché?
R. Non : l'usage commun , qui est le meilleur
interprète du droit et du devoir, veut que les simples
injonctions des supérieurs réguliers n'obligent point
par elles-mêmes sous peine de péché : car autre
chose est que le supérieur dise : Ma volonté est que
— 55 -
vous fassiez ceci, et autre chose qu'il dise en recou-
rant à l'obligation du vœu : Je veux vous obliger en
conscience à le faire. Si donc la désobéissance à une
simple injonction renferme quelque faute, elle lui
vient d'ailleurs, ce qui du reste arrive presque tou-
jours : elle lui vient ou d'une autre obligation violée,
ou d'un scandale donné, ou d'une intention vicieuse,
d'une affection déréglée, d'un défaut de prudence
dans la manière d'agir l , etc.
D. Mais n'avez-vous pas quelque chose à remar-
quer ici ?
R. Une remarque sérieuse à faire, c'est que le reli-
gieux qui s'accoutumerait à désobéir ainsi, par suite
de ses affections déréglées, perdrait bientôt l'esprit
même d'obéissance, et par conséquent , entre les
autres torts spirituels qu'il se ferait à lui-même, et
trop souvent à ses frères, il affaiblirait en lui le prin-
cipe même du vœu et le mettrait en péril.
D. Les règles imposent-elles leur obligation sous
peine de péché ?
R. Il faut distinguer les règles qui traitent de la
matière des vœux ou de quelque vertu d" ailleurs
obligatoire, et celles où il ne s'agit que de la disci-
pline. Les premières imposent sans doute une obli-
gation de conscience : toutes les autres règles disci-
plinaires, du moins dans la plupart des corps reli-
gieux , n'obligent point par elles-mpmes sous peine
de péché. HJn religieux doit cependant savoir que
1. Suarez, De Religione.
— 56 -
rarement il manquera à quelqu'une de ses règles
sans qu'il y ail par le fait quelque offense de Dieu.
D. Pourquoi et comment cela?
R. Parce que c'est presque toujours l'orgueil, ou
la vanité, ou la sensualité, ou la paresse, ou le res-
pect humain, etc., qui le portera à désobéir; et
chaque fois que le religieux enfreint ainsi une règle
par quelque motif vicieux, évidemment il y a faute.
11 pèche encore toutes les fois que la violation de
la règle est un sujet de mauvaise édification, ou qu'il
en peut résulter quelque autre dommage.
Il faut remarquer que les règles ne sont pas de simples
conseils, mai-s de véritables lois, et qu'établies dans le
corps religieux pour y donner la direction des actes, selon
l'institut, elles imposent une certaine obligation à chacun
des membres : car, d'après l'axiome du droit, la partie
devient digne de blâme lorsque sans juste motif elle manque
de se conformer au tout. De là vient que le religieux, en cas
d'infraction même non coupable de la règle, est tenu d'ac-
cepter et de subir la pénitence, si le supérieur la lui impose.
D. Que dire de la transgression habituelle des
règles?
R. La transgression habituelle des saintes règles
devient beaucoup plus coupable, tant à cause du
mépris qu'elle engendre facilement, qu'à raison du
tort qu'elle fait à la discipline religieuse.
D. Qu'est-ce que la discipline religieuse?
R. Selon l'étymologie du mot, discipline veut dire
enseignement, apprentissage.
Considérée dans l'autorité qui dirige, la discipline
— 57 —
RELIGIEUSE EST L'ENSEMBLE DES RÈGLES AVEC LEUR SANC-
TION.
Par les règles, les supérieurs enseignent le chemin
qu'il faut suivre; par les pénitences en cas d'infrac-
tion, ils y ramènent ceux qui s'en écartent et répa-
rent le scandale donné.
Considérée dans les inférieurs, la discipline s'ap-
pelle aussi l'observance régulière, et c'est la prati-
que FIDÈLE DES RÈGLES, A LAQUELLE CONCOURENT DANS
UNE SAINTE HARMONIE TOUS LES MEMBRES DE LA COMMU-
NAUTÉ.
D. De quelle importance est la discipline dans
l'état religieux ?
R. Telle est l'importance de la discipline régulière,
qu'on doit la juger moralement nécessaire à la con-
servation de l'ordre en général, à celle de la vie reli-
gieuse dans une communauté, et à celle de la vie
spirituelle dans chaque individu.
D. Quelle est l'obligation des supérieurs par rap-
port à la discipline religieuse?
R. D'après ce que nous venons de dire, il est facile
de voir que les supérieurs sont gravement obligés
delà maintenir dans la communauté; et leur conni-
vence à cet égard peut aisément devenir une faute
considérable.
D. Est-on tenu d'obéir également aux officiers
in lerieurs qui ont reçu du supérieur quelque por-
tion d'autorité ?
R. Oui, sans doute : puisque c'est la même auto-
rite, on est obligé de leur obéir avec la même exac-
titude et la même soumission, quand ce qu'ils com-
mandent est de leur ressort. Il est vrai de dire que
l'on doit au supérieur plus de déférence et de res-
pect ; mais on doit une égale obéissance à quiconque
est muni de l'autorité.
ARTICLE III.
DES DÉFAUTS QUI ATTAQUENT l/OBÉlSSANCE
RELIGIEUSE.
D. Outre les fautes directes contre l'obéissance,
n'y a-t-il pas certains défauts qui la blessent indi-
rectement et en préparent la violation formelle ?
R. Oui, il y a plusieurs défauts de ce genre, dont
les religieux ne sauraient trop se garder, s'ils veu-
lent éviter une multitude de fautes, et même ne
point s'exposer à la violation du vœu.
D. Quels sont ces défauts?
R. Ce sont les préventions, les antipathies contre
le supérieur ou contre ce qu'il commande, et les
jugements contraires aux siens ;
Les murmures et les critiques , les tristesses et
les dépits volontaires ;
Les excuses, les prétextes et les déguisements
pour échapper à une injonction ;
Les lenteurs et les nonchalances à obéir, surtout
celles qui pourraient compromettre le succès de
l'exécution.
— 59 -
D. Indiquez encore quelques défauts qui ôtent à
l'obéissance tout son mérite et tout son prix.
R. Obéir sans soumission de volonté, mais seule-
ment à l'extérieur et par manière d'acquit ;
Obéir par crainte, comme les esclaves, et uni-
quement parce qu'on est vu ;
Obéir par politique , par amour-propre , pour
s'attirer les bonnes grâces du supérieur ;
Ce n'est point là, dit saint Bernard, un exercice
de vertu, mais un voile dont ou couvre sa propre
malice.
D. Lorsqu'un supérieur a refusé quelque chose à
un religieux, celui-ci peut-il s'adresser pour la même
chose à un autre supérieur ?
R. Il ne le peut qu'en lui déclarant ce que le pre-
mier lui a répondu et quels ont été les motifs de son
refus : la subordination et l'ordre le veulent ainsi.
D. Est-il défendu de faire à son supérieur des
représentations que l'on croit légitimes ?
R. Non; les supérieurs sont même bien aises
qu'on les éclaire ; mais : 1° avant de parler , il faut
qu'un religieux y ait pensé devant Dieu, et qu'il se
soit mis dans la disposition d'adhérer pleinement à.
la décision du supérieur : 2° il faut que la représen-
tation soit pleine de modestie et de respect.
— 60 —
ARTICLE IV.
DES DEGRÉS ET DE LA PERFECTION DE L'OBÉISSANCE
RELIGIEUSE.
D. Quels sont les degrés par où l'on s'élève à la
parfaite obéissance ?
R. Il y en a trois : l'obéissance d'exécution, l'obéis-
sance de volonté et l'obéissance de jugement.
D. En quoi consiste le premier degré de l'obéis-
sance ?
R. Le premier degré de l'obéissance consiste à
exécuter fidèlement les choses que l'on commande.
D. Quelles qualités sont nécessaires à ce premier
degré ?
R. L'obéissance d'exécution doit être prompte et
entière.
Elle sera prompte, si vous faites sans délai ce qui
est prescrit, comme si Dieu même vous parlait par
la bouche du supérieur, ou vous appelait au premier
signal de la cloche.
Elle sera entière, si vous exécutez tout ce qui est
prescrit comme le demande le supérieur, avec l'exac-
titude, le soin et la diligence convenables.
D. Qu'est-ce que le second degré, ou l'obéissance
de volonté ?
R. C'est cette obéissance intérieure qui unit notre
— 61 —
volonté à celle du supérieur, en nous faisant vouloir
ce qu'il veut et ce qu'il prescrit.
D. L'obéissance intérieure est-elle bien néces-
saire ?
.R. Elle est tellement nécessaire, que sans elle
l'obéissance d'exécution serait indigne du nom de
cette vertu, tant elle serait basse et défectueuse.
Au contraire, l'obéissance intérieure est pleine de
mérite et de grandeur : pleine de mérite , parce
qu'elle nous fait obéir à l'homme par un motif sur-
naturel, qui est celui d'obéir à Dieu même, mani-
festant par l'homme sa volonté ; pleine de grandeur,
parce que c'est à Dieu que nous nous soumettons, et
non pas à l'homme considéré en lui-même.
D. Quelle doit être l'obéissance de volonté ?
R. Elle doit être accompagnée de joie et de
courage.
1° Il faut obéir avec joie , parce que Dieu , dit
l'Apôtre, aime ce qui donne avec joie, et que d'ail-
leurs cette joie facilite singulièrement l'obéissance :
mais il s'agit ici bien moins de la joie humaine et
sensible, que de ce contentement spirituel de la
volonté qui est toujours en notre pouvoir, malgré
même les répugnances de la nature.
2° Il faut obéir avec courage , pour surmonter les
difficultés qui peuvent se présenter , et pour faire
généreusement les sacrifices que Dieu demande.
Ainsi, un des grands mérites de l'obéissance est
de laisser pleine liberté aux supérieurs de disposer
- 62 -
de nous pour les emplois et les lieux, sans écouter
nos dégoûts et nos appréhensions naturels.
D. Qu'est-ce que le troisième degré , ou l'obéis-
sance de jugement ?
R. L'obéissance de jugement ou d'entendement
existe lorsque la volonté déjà soumise oblige aussi
l'entendement à se soumettre au jugement du supé-
rieur.
D. Ce troisième degré d'obéissance est-il toujours
possible ?
R. Excepté dans les cas extrêmement rares d'une
évidence opposée, le religieux peut et doit toujours
se persuader que la chose qu'on lui commande est
meilleure, en soi ou du moins pour lui, que la chose
contraire.
D. Pourquoi faut-il s'élever à ce troisième degré
de l'obéissance ?
R. Pour deux raisons : la première , pour aider
et assurer l'obéissance d'exécution et celle de volonté,
qui sans cela peuvent aisément défaillir ; la seconde,
pour offrir à Dieu, par l'obéissance, l'hommage
de son âme tout entière, et ne point commettre de
rapine dans l'holocauste , en soustrayant ce qu'il
y a de meilleur en nous, je veux dire notre esprit et
notre raison.
D. Quels sont les moyens qu'il faut employer
pour acquérir une parfaite obéissance ?
R. Le moyen général, c'est l'humilité et la douceur.
- G3 —
77 ny a, dit saint Léon, rien de difficile aux humbles,
ni rien de dur aux esprits doux et traitables.
En outre, voici trois moyens particuliers que
saint Ignace nous présente :
Le premier moyen est de prendre l'habitude de
voir toujours Dieu même dans le supérieur qui com-
mande.
Le second moyen est de s'appliquer à justifier tou-
jours en soi-même le commandement et le senti-
ment du supérieur, et de ne se permettre jamais de
le désapprouver : par là on se tiendra toujours
affectionné à ce qu'il commande.
Le troisième moyen, le plus facile et le plus sûr de
tous, et aussi le plus en usage parmi les Saints:
c'est que dès que le supérieur a prescrit quelque
chose, le religieux se persuade aussitôt que c'est
le commandement de Dieu même, et qu'ainsi , avec
l'impétuosité d'une volonté qui ne tend qu'à obéir ,
il se porte , sans examiner, sans rien voir , à l'exé-
cution de la chose commandée.
Suivant le langage des maîtres de la vie spirituelle, l'o-
béissance est en quelque sorte un mystère de foi , comme
l'Eucharistie où les espèces sacramentelles cachent Jésus-
Christ présent. En obéissant, je respecte l'autorité de Dieu
même qui est là dans celle de mon supérieur, selon ce qu'il
a dit : Quiconque vous écoute m'écoute. En obéissant, je me
confie à la sagesse, à la bonté, à la fidélité de Dieu qui veut
que je sois soumis à son représentant. Si le supérieur a des
défauts, Dieu n'en a point, et c'est lui que je sers. Si le
supérieur commande mal, pourvu que ce ne soit pas le
péché, moi, je fais toujours bien en obéissant, et Dieu saura
bien en tirer déûuitivement sa gloire et mon avantage.
FIN' DU CATECHISME DES VOEUX.
LES PRINCIPES
LA VIE RELIGIEUSE
ou l'explication
DU CATÉCHISME DES VOEUX.
PREMIERE PARTIE.
DES VŒUX DE RELIGION EN GÉNÉRAL.
Cette première partie a pour objet d'exposer les
principes les plus fondamentaux de la vie religieuse.
Le petit Catéchisme des vœux ne pouvait que mon-
trer pour ainsi dire du doigt ces principes ; nous
allons tâcher de leur donner tout le jour que de-
mande leur importance,
CHAPITRE I*.
NOTION GÉNÉRALE DU VŒU, CONSIDÉRÉE DANS LES
VŒUX DE RELIGION
ARTICLE Ier.
DE LA DÉFINITION DU VOEU.
On définit Je vœu une promesse délibérée qui se fait
à Dieu d'un acte meilleur que l'acte opposé.
Voyons les grandes leçons pratiques qui jaillissent
de cette définition.
2***
- 66 -
SECTION PREMIERE. — LE VŒU EST UNE PKOMESSE.
Parmi les promesses que les hommes ont coutume
de se faire entre eux, on peut en distinguer de trois
sortes : la promesse simple , la promesse d'honneur,
et la promesse-contrat. Dans la première, un homme
ne s'engage envers un autre qu'avec cette clause
sous-entendue : « Si je le puis facilement , s'il ne
survient point d'obstacle ». Dans la seconde, la parole
donnée a mis l'honneur en cause ; il faudrait un
empêchement sérieux pour se croire et être jugé
quitte de son engagement. Mais la troisième pro-
messe, une fois faite et acceptée légitimement , con-
stitue un droit formel de justice : si vous y manquez,
on pourra vous citer devant le juge.
Il en est à peu près ainsi des promesses qu'il nous
arrive de faire au Seigneur. Ce peut être une simple
promesse , par exemple celle d'entreprendre , pour
lui plaire, quelque œuvre surérogatoire de piété ;
j'ai sous-entendu la clause : « Si rien ne s'y opose » ;
ou du moins je n'avais pas l'intention de me lier
sous peine de péché.
Nous faisons souvent à Dieu la promesse de rem-
plir envers lui une obligation déjà existante. C'est
une résolution que nous formulons ainsi en sa pré-
sence , dans le but de nous exciter à faire notre
devoir : ce n'est pas une obligation nouvelle que
nous prétendons nous imposer.
Quelquefois , mettant de la solennité dans cette
reconnaissance d'un engagement déjà contracté ,
nous protestons devant témoins que notre volonté
— 67 —
est de le remplir : alors il y a comme une promesse
d'honneur , dont l'effet sera de resserrer le lien de
la conscience , mais non de le doubler : telles sont
les promesses du baptême , auxquelles on donne
improprement le nom de vœux ; telle est spéciale-
ment la ratification publique qui s'en fait en certai-
nes circonstances de la vie ; telle est encore une
cérémonie de rénovation des vœux , lorsqu'ils n'ont
pas cessé d'exister. Il n'y a là aucune nouvelle obli-
gation imposée à la conscience.
Une promesse faite à Dieu, que l'on appellera
proprement la promesse d'honneur, c'est, par exem-
ple, l'acte de consécration qui se fait en entrant dans
qu Ique pieuse association : quoique l'on s'engage
alors , même avec quelque solennité , on ne se lie
cependant pas la conscience, et il n'en résulte aucune
obligation sous peine dépêché.
Je parle des simples associations de piété : car il
existe dans l'Eglise des associations constituées par
elle , telles que la Congrégation de Saint -Sulpice, de
l'Oratoire, etc., où, sans qu'il y ait des vœux, il pourra
se faire qu'une promesse de stabilité devienne une
affaire de conscience, parce qu'on se sera enga-é
envers les homnes, auxquels on voulait s'associer
Mais il y a aussi envers Dieu la promesse-contrat
et c'est le vœu, qui vient alors, comme tel , imposer
par lui-même un nouveau lien à la conscience
Nous apprécierons bientôt la gravité de cette pro-
messe qui se fait à Dieu même. Disons seulement ici
que si vous n'avez pas eu l'intention de vous lier
sous peine de péché, il n'y a point de vœu ; et même
si vous n'êtes pas certain de l'intention que vous
— 68 -~
aviez en promettant, votre conscience ne se trouve
pas engagée par une obligation douteuse.
SECTION". II. — LE VŒU EST UNE PROMESSE DÉLIBÉRÉE.
On entend par un acte délibéré celui qui présente
ces trois conditions essentielles : la connaissance de
ce qu'on fait , la détermination de la volonté , et le
pouvoir de faire autrement, si Ton voulait. Or, il est
de l'essence d'un vœu d'être un acte parfaitement
délibéré, sans quoi il n'existerait pas.
I. Un vœu exige la connaissance suffisante de ce
que Ton promet à Dieu. Il demande même une
mûre considération de l'esprit et une appréciation
convenable : car, observe saint Thomas, « c'est un
acte de la raison, à laquelle il appartient de faire agir
avec ordre1 ». Voilà pourquoi la discrétion y est
si nécessaire, que souvent on doit prendre aupara-
vant le conseil des personnes sages , parce qu'en
traitant avec Dieu, il ne faut ni légèreté, ni étourde-
rie. Et c'est à quoi malheureusement ne songent pas
toujours ceux qui font les vœux.
Mais cette condition devient beaucoup plus indis-
pensable aux vœux de religion, qui sont un si grand
acte du libre arbitre, et l'engagement de la vie
entière. Pour ces vœux surtout, il faut avoir une
connaissance nette et précise de ce qu'on promet.
Donc les supérieurs et les maîtres des novices ont le
devoir d'en instruire pleinement l'aspirant à la vie
1. Votum est actus ratiouis, ad quam pertinet ordiuare. 2a,
— 69 —
religieuse, de ne rien lui déguiser là-dessus, de ne
point chercher à le surprendre ; une affaire de cette
nature ne se traite pas à la dérobée, par calcul d'in-
térêt temporel , ou par une prudence humaine et
terrestre ; donc aussi, le devoir du candidat et du
novice est d'examiner les choses , d'interroger dans
ses doutes et de savoir clairement ce qui en est.
Si celui qui prononce des vœux ignorait quelque
point tenant à leur substance, ou quelque circons-
tance qui fût de nature, s'il la connaissait, à changer
sa détermination, ses vœux seraient nuls par défaut
de connaissance.
II. Il faut pour un vœu quelconque le consente-
ment de la volonté ; et pour les vœux de religion,
il faut un consentement tout spécial , qui doit être
précédé d'un essai de ses forces durant au moins
une année entière. Non-seulement c'est une pres-
cription de TEglie, mais encore une condition
posée par elle, sans quoi les vœux de religion ne
seraient point valides *.
Or , ce consentement repose sur une première et
sur une seconde probat ion. La première probation, soit
qu'elle se compose d'un certain nombre de jours fai-
sant déjà partie du noviciat, soit qu'elle le précède
sous le nom de postulat, a pour but d'établir un pre-
mier examen pour connaître la vocation de Dieu et
sonder son propre cœur. Là, on délibère avec soi-
même et avec les supérieurs de l'Ordre ou de la Con-
grégation ; et le candidat doit bien remarquer que,
1. Concil, Trideutiu, Sess, 25. de reformat, c. 15.
— 70 —
dans cette délibération, il a sa part à mettre, comme
l'Ordre doit y mettre aussi la sienne.
La part du candidat est uniquement de voir s il
veut, selon cette parole du Seigneur au jeune homme
de l'Évangile : « Si vous voulez être parfait1 ». Mais
comme néanmoins il s'agit ici d'une vocation de la
part de Dieu, et que le Seigneur a dit encore : « Ce
n'est pas vous qui m' avez choisi , mais c'est moi qui
ai fait choix de vous 2 » ; le candidat de la vie reli-
gieuse sonde sa volonté pour découvrir si Dieu veut
conjointement avec lui, et par conséquent si lui-
même veut comme il faut, c'est-à-dire par l'im-
pulsion de Dieu, qui est la cause principale du bon
vouloir de l'homme3. Or . le moyen ordinaire pour
lui de constater ce point capital , est d'examiner
deux choses : la première, s'il veut selon la droite
raison, c'est-à-dire sans que ce soit un caprice pas-
sager ou un simple élan d'imagination, et sans qu'il
néglige quelque obligation 'qui peut-être serait de
nature à le retenir légitimement ailleurs ; la seconde,
s'il veut purement et vraiment pour Dieu, sans se
laisser influencer par des motifs humains ou défec-
tueux.
Telle doit être k part du candidat, dans laquelle
un directeur ou des supérieurs pourront bien lui
être nécessaires pour l'aider de leurs lumières et
pour écarter de lui les illusions, mais où personne
ne peut suppléer à l'indécision de sa volonté.
1. Si vis perfectus esse. Matth. 19. _
2. Non vos me elegistis, sed ego elegi vos. Joan. 15.
3. Deus enim est qui operatur in nobis et velie et perficere,
pro bona voluntate. Philip. 2.
— 71 —
La part Je l'Ordre est de juger si ce même candi-
dat est propre à cette vocation, et de prononcer ainsi
en définitive s'il y a véritablement appel de Dieu :
car, enfin, la grâce pourrait encore inspirer un bon
désir , sans qu'elle en voulût toujours l'exécution ,
puisque déjà le bon désir est un acte méritoire, et
qu'il peut devenir profitable à une âme sous plus
d'un rapport. Les supérieurs de l'Ordre examinent
donc les aptitudes du sujet relativement à leur pro-
pre institut : aptitudes du corps pour la santé , les
forces, etc. ; aptitudes de l'esprit pour la droiture et
la solidité, pour le talent acquis ou les dispositions à
l'acquérir ; aptitudes du cœur pour les inclina-
tions, les habitudes et le caractère. Ici le candidat
doit comprendre que le rôle de juge ne lui convient
plus, parce qu'en voulant prononcer lui-même, il
pourrait donner dans le faux , ou par ignorance , ou
par présomption, ou même par un excès de modes-
tie. Son seul devoir est de répondre avec franchise
aux questions qu'on lui pose, et de se faire loyale-
ment connaître.
La seconde probaUon, ou le noviciat, en mettant le
candidat à l'essai de la vie religieuse et de ses diffi-
cultés selon l'institut, a pour but de confirmer pra-
tiquement l'élection, l'admission, et la vocation tout
entière. Et en effet , cette épreuve , dès lors que le
novice s'y prête fidèlement, fournira une démons-
tration qui ne laissera plus de doute : à tel point
que, dans le cas même où quelque chose peut-être
aurait manqué au travail de la première probation,
si la seconde procède comme il faut , vainement le
tentateur viendrait plus tard essayer de troubler une
72
âme; on dirait à bon droit au novice, quoi qu'il en ail
été de la première délibération : Maintenant vous
avez sciemment persévéré dans cette vocation mieux
connue ; vous y avez cherché Dieu et votre perfec-
tion , il y a donc eu non-seulement ratification du
premier acte, mais encore supplément au défaut
qui pouvait s'y trouver. — Et le novice doit remar-
quer que, sa première probation une fois terminée ,
son devoir n'est plus de délibérer comme s'il avait
toujours à fixer son choix , puisque cette indécision
paralyserait tout effort de sa volonté, mais bien de
subir avec courage les épreuves du noviciat , et de
prendre les vertus et les habitudes de la vie reli-
gieuse, selon l'institut où Dieu l'appelle.
III. L'acte du vœu doit être libre, et exempt de
toute contrainte; mais c'est surtout pour les vœux
de religion qu'il faut, dans celui qui les prononce,
la liberté la plus entière: autrement l'Église ne les
accepte pas, et ils restent sans valeur. Non-seule-
ment toute pression étrangère, telle que la menace^
la violence ou la crainte , causerait la nullité de
l'acte, mais il en serait de même de cette crainte
qu'on nomme révérentielle, si vraiment elle gênait
la liberté du sujet. Aussi l'Église, pour le sexe
timide, surveille spécialement ce point, et elle a éta-
bli que l'Évêque devait constater par un examen la
plénitude de sa liberté l.
1. Concil. Trideut. sess. 2ô dereform, C. 17.
- 73 —
SECTION III. — LE VŒU EST UNE PROMESSE QUE L'ON
FAIT A DIEU.
t Je rendrai mes vœux au Seigneur 4 » . Voilà une
pensée fort sérieuse, dont il importe de se bien pé-
nétrer avant de faire un vœu, et qu'il faut se garder
d'oublier après l'avoir fait : le vœu est une promesse
qui se fait à Dieu même.
Mais assurément c'est quand il s'agit des vœux de
religion que cette pensée mérite toute la considéra-
tion de l'homme. Faisons voir que si elle pèse sur
l'âme, elle n*a pas moins de quoi la dilater.
Les vœux de religion sont donc un engagement
étroit que l'homme prend , et pour la vie entière ,
vis-à-vis de Dieu même ; mais il faut ajouter qu'il
s'y fait des promesses réciproques , et que Dieu de
sa part veut- bien s'engager aussi vis-à-vis de
l'homme ; de sorte qu'on peut appeler la profession
de ces vœux un contrat synallagmatiqite passé entre
l'homme et Dieu. C'est pourquoi le religieux peut et
doit se dire :
J'ai contracté avec Dieu : de là mes obligations ;
mais Dieu aussi a daigné contracter avec moi : de là
mes avantages.
I. J'ai contracté avec Dieu, j'ai promis à Dieu même
et non aux hommes. D'oiije dois aussitôt tirer cette
première conséquence : donc l'accomplissement de
ma promesse ne peut aucunement dépendre de la
conduite des hommes à mon égard. En vain je pré-
tendrais faire valoir le tort de mon supérieur , de
1. Yotamea Pomino recldam. Ps. 115.
— 74 —
mon égal ou de qui que ce soit 9 pour me croire
dispensé de ce que j'ai promis à Dieu ; la considé-
ration de tout autre que lai ne peut être ici d'aucune
excuse, d'aucune valeui'.
J'ai promis à Dieu, et c'est le Tout-Puissant qui
a pris acte de mon obligation ; il Ta consignée dans
son livre , et personne que lui ne peut l'effacer. Il
la garde pour la produire un jour , au jour où il me
fera rendre compte de l'exécution *.
J'ai promis à Dieu , et il est l'Etre infiniment
clairvoyant. Il pénètre les ténèbres et le fond des
cœurs ; il voit les manquements qu'on réussit à
cacher aux hommes ; il connaît les sépulcres blan-
chis qui renferment de la pourriture. Rien ne peut
échapper à son regard , ni les plus secrets replis
de l'âme, ni les moindres infidélités ; et il s'appelle
le Dieu jaloux, qui exige tout ce qu'on lui a promis ,
et qui hait la rapine dans l'holocauste.
J'ai promis à Dieu, et il est l'Être immuable. Ah î
c'est ici qu'il me faut insister. Car l'homme est si
inconstant ! C'est une feuille que le vent emporte, et
ce qu'il veut aujourd'hui, trop souvent il ne le vou-
dra plus demain ; et cette inconstance se montre
de nos jours plus commune que jamais. Cependant,
quand on a promis à Dieu , il faut tenir , et une
fois engagé envers lui , c'en est fait , le religieux ne
peut plus se dédire. L'apostasie ! Quelle parole î Et
c'est le mot juste, c'est l'expression de l'Église.
Hélas ! cependant certains esprits iront s'imaginer
qu'on peut changer ici à peu près comme on change
1. Vovete, et reddite. Ps. 75.
— 75 —
de vêtement t Vous qui ayez promis à Dieu , vous
voulez maintenant, pour un déplaisir qui est sur-
venu, retourner en arrière. Yous vous êtes dégoûté
de votre saint état : à la moindre gêne , on vous
entend dire ; si cela est ainsi je m'en irai. Ecoutez
celui qui a reçu votre promesse: « Moi, dit-il, je
suis le Seigneur , et je ne change point *. » Enten-
dez le prince des Apôtres: « Pourquoi Satan vous a-t-il
« ainsi tenté de mentir au Saint-Esprit , et de sous-
« traire ce qui ne vous appartient plus ? Avant de
oc vous engager , n'étiez-vous pas libre ? Pourquoi
« donc avez-vous mis dans votre cœur une pareille
« chose ? Ce n'est point aux hommes que vous avez
« menti, mais à Dieu2. » Et nous savons quel fut le
châtiment d'Ananie et de Saphire.
Du reste, on ne parle point ici de ee qui serait
purement une suggestion du tentateur : ou , s'il faut
en parler, ce n'est que pour avertir le religieux de
deux choses : la première que, vu la gravité de ce
genre de tentation , elle demande à être repoussée
dès les premières atteintes, et que l'on doit , s'il est
possible , ne pas même lui prêter l'oreille. La
seconde chose est qu'il faut bien se garder de donner
soi-même naissance à un tel mal, ou de le fomen-
ter par la tristesse, par les dégoûts volontaires, par
les susceptibilités et la rancune, par les résistances
à l'autorité, par la violation habituelle des saintes
1. Ego Dominus, et non mutor. M.vlach. 3.
2. Curtentavit Satanas mentiri te Spiritui Sancto, et fraudare
de pretioagri? NoDnemanens tibi manebat? Quare posuisti in
corde tuo hanc rem? Non es mentitus hominibus, sed Deo. Au-
diens autem Ananias haïe verba, cccidit et c::piravit. Act. 5.
— 76 —
règles. Dès que Ton met volontairement en péril sa
propre fidélité, c'est toujours une chose extrême*
ment grave ; et parmi toutes les tentations d'un
religieux, il n'en est point de plus sérieuse, parce
qu'il n'est point de dommage comparable à ceux
qu'elle peut lui causer.
Aussi, pour peu que cette tentation se prolonge, il
y a obligation de la découvrir à qui de droit ; sou-
vent c'est le seul remède au mal, et un remède plus
efficace que tout autre. De même, la charité défend
rigoureusement de la communiquer à ses frères:
ce serait là un scandale très coupable puisque ce
serait comme leur inoculer un poison. Ajoutons
encore que ces sortes de confidences, faites à des
égaux, même sans intention perverse, leur devien-
dront presque toujours nuisibles ; et d'ailleurs
aucun d'eux, à parler en général, n'a grâce pour
guérir des plaies de ce genre. Enfin, il y a un devoir
grave de charité pour qui voit son frère en un tel
danger: c'est d'en donner avis au supérieur, afin
qu'il se hâte d'aller à son secours.
Puisque nous touchons à un point si important,
nous devons indiquer les remèdes auxquels devront
recourir elles-mêmes ces âmes que le dégoût de leur
vocation, le relâchement, ou la tentation de l'ennemi
pousseraient àlinfidélUé.
Un premier remède sera de revenir sérieusement
à cette considération du droit de Dieu : Je me suis
donné, c'en est donc fait, et l'hésitation même ne
m'est plus permise. Aux répugnances de ma mau-
vaise nature, aux impulsions de celui qui veut me
perdre, je répondrai par l'énergie de ma volonté. Il
- 77 -
est vrai que j'ai, par ma faute , laissé affaiblir cette
énergie ; mais enfin, je suis toujours libre et maître
de moi-même avec le secours de Dieu. Loin de per-
dre cœur , comme s'il m'était devenu impossible de
vouloir ce que j'ai voulu jadis, je m'appuierai sur la
certitude infaillible de cette double vérité, que quand
Dieu me commande une chose , c'est qu'elle m'est
possible , et que celui-là même qui m'impose un
devoir est certainement là avec sa grâce , si je la de-
mande, pour m'aider à remplir ce devoir l.
Un second remède est la considération du châti-
ment qui d'ordinaire atteint , même dès cette vie ,
l'âme infidèle à sa promesse. Yous sentez la peine
présente et votre imagination ne manque pas de
l'exagérer encore. Eh ! de grâce, pourrais-je vous dire
d'abord, comparez-la donc avec des peines bien au-
trement lourdes, auxquelles le monde condamne les
siens dans des positions où il faut pourtant rester.
Mais enfin, quelle que soit pour vous la situation
actuelle, êtes-vous bien sûr que l'infidélité amélio-
rera votre sort ? Ne savez-vous pas au contraire ce que
montre à peu près toujours l'expérience ? Et au lieu
de profiter vous-même de ses tristes leçons , vou-
drez-vous ajouter un exemple de plus à citer ?
Un troisième remède , dont la douceur sera plus
efficace, est la considération qui va suivre, celle des
promesses réciproques que votre Dieu vous a faites.
Auparavant, je veux vous indiquer un précieux secret
1. Nam Deus impossibilia nonjubet ; sed jubendo monet et
facere quod possi s et petere qnod non possis, et adjuvat ut possis.
Concil. Trident. Sess. G-, C'a. 10.
— 78 —
pour vous aider, en général, dans les difficultés que
vous rencontrerez au service de Dieu. Ce secret con-
siste à ne regarder jamais les choses que par leur côté
attrayant. Car chaque objet, dans tout ce que de-
mandent le devoir ou la vertu, offre toujours deux
aspects et comme deux visages : l'un qui effraie no-
tre volonté, l'autre qui l'attire. Ici, nar exemple,
vous éprouvez des répulsions, parce que vous envi-
sagez le côle pénible, qui montre l'obligation ou la
difficulté ; mais appliquez-vous donc plutôt à voir le
côté agréable, qui vous présente un bienfait insigne
de Dieu, et votre cœur en sera fortifié ; l'estime et
la reconnaissance aideront puissamment l'amour
de la vocation à se ranimer ; la prière fera le
reste.
II. Dieu a daigné contracter avec moi.
Dans la promesse donnée, nous avons vu l'obliga-
sion ; mais il y a aussi la promesse reçue, et il est
juste de voir également le profit et les avantages.
Car ne vouloir considérer dans ce contrat que ce qui
nous pèse, ce serait une pusillanimité tout à la fois
déraisonnable, nuisible à nous-mêmes et injurieuse à
Dieu. Oui, tout honneur oblige sans doute, tout
poste lucratif et tout contrat onéreux imposent des
charges. Mais jetons les yeux sur les mondains eux-
mêmes : ont-ils rien pour rien ? n'est-il pas vrai que
ceux qui poursuivent la fortune ou la gloire regar-
dent plutôt le profit que la peine ? a Et pour eux,
dit l'Apôtre, il ne s'agit que d'un intérêt qui passe,
tandis qu'il s'agit pour nous de l'éternité *. »
1. Et illi quidem ut corruptibilem coronam accipiant ; nos
autcm incorruptam. I. COR. 9.
— 79 —
Il est donc vrai qu'au moment où je faisais ma
promesse au Seigneur , lui-même simultanément
daignait s'en^a^er envers moi.
Dieu a contracté avec moi : pourrai-je jamais
assez comprendre l'honneur que m'a fait en cela le
Roi des rois ? Tandis que d'autres, en si grand nom-
bre, ne sont que des serviteurs vulgaires, il m'a admis
dans sa maison pour que je sois au rang de ses fa-
miliers ; il m'a nommé l'un des officiers de son pa-
lais ; que dis-je ? par ce contrat, il a élevé mon âme
à la dignité d'épouse ! Sera-t-il possible que je cesse
un seul jour de priser cet honneur et de vouloir y
correspondre ?
Dieu , souverainement fidèle en ses promesses ,
a contracté avec moi ; quelle que soit ma faiblesse ,
je puis donc compter sur lui , pour avoir les forces
dont j'ai besoin dans ma vocation. Quelles que soient
les difficultés, il sera toujours là prêt à me soutenir;
c'est lui-même qui m'en assure par la bouche de
son Apôtre1.
Dieu, le Tout-Puissant , a contracté avec moi . et
je suis devenu excellemment sa propriété , par le
don complet que je lui ai fait de tout moi-même.
Or, quand ce grand Dieu possède une chose , il la
défend, et personne n'est assez fort pour l'enlever
de ses mains a.
Dieu, l'Être infiniment clairvoyant , a contracté
avec moi ; aucun de mes moindres services n'é-
chappera à son attention , et tout sera fidèlement ,
l.Fidelis Deus, per quem vocati estis. I Cor. 1.
2. Xeino potest rapere de manu Patris mei. JOAN, 10,
— 80 —
minutieusement compté. Nul bon acte, si petit qu'il
soit, nulle bonne intention, nul bon mouvement
de mon cœur, nul bon désir même, qui soit oublié
ou sans valeur à ses yeux.
Dieu , l'Être immuable , a contracté avec moi.
Ah ! voilà aussi mon grand sujet de confiance ! Car
je n'ai qu'à me tenir fermement attaché à lui, et je
perds mon instabilité naturelle. C'est ce que sentait
vivement l'Apôtre saint Paul : « Je suis ceriain,
criait-il avec une merveilleuse assurance, que rien
ne pourra me séparer de l'amour de mon Dieu '. »
Et n'est-ce pas là pour moi aussi, tout misérable
que je suis, une vérité d'expérience ? Cette cupidité,
cette sensualité, cette idolâtrie de la volonté propre
qui entraînent si facilement au désordre les pauvres
âmes restées au milieu du siècle, qui jadis m'ont
peut-être emporté moi-même bien loin ; que peu-
vent elles maintenant sur mon cœur, depuis qu'il
s'est attaché à Dieu et lié par la sainte promesse? —
Ce cœur sent qu'il est libre, il tient ferme malgré
sa faiblesse native, il lutte avec facilité contre des
penchants que d'autres croient indomptables ; il
méprise sans peine et sans regret les biens, les hon-
neurs et les félicités du monde; enfin, il est telle-
ment fixé dans le devoir, que souvent les années
entières se passent, sans qu'il y ait une seule offense
un peu grave à déplorer. Et d'où viennent ces pro-
diges ? Ah ! c'est que Dieu de sa main puissante sou-
1. Certussum enim quia neque mors, neque vita, neque Angeli,
neque principatus, neque virtntee, neque instantia, neque f utura,
neque fortitudo, neque altitude», neque profundum, neque créa-
tura alia poterit nos separare a ebaritate Dei.KOM. 8.
— C! —
tient sa frêle créature. « Il l'a promis, il l'a fait,
dit le prophète *. » Voilà pourquoi j'ai si grandement
raison de m'écriersans cesse avec David : « Oui vrai-
ment, il est bon pour moi de m'étre attaché au Sei-
gneur * ».
Enfin Dieu, le Maître infiniment riche et libéral,
x contracté avec moi. Les hommes ont pu croire
peut-être que par mon sacrifice je lui donnais beau-
coup ; mais, quoi que j'eusse à lui offrir, qu'était-
ce en vérité, pour un tel Seigneur et en com-
paraison de ce qu'il voulait me rendre? Ah! c'est
bien ici qu'il faut, comme dit saint Paul, se sou-
venir des paroles du Seigneur Jésus, déclarant lui-
même qu'il est plus heureux de donner que de re-
cevoir 3. Lorsqu'un grand roi accepte un présent,
c'est qu'il veut donner lui-même : il donne premiè-
rement l'honneur, par cela seul qu'il a daigné
accepter, et il ajoute ensuite ces retours de munifi-
cence royale qu'il mesure à sa dignité. Lorsque c'est
à Dieu que l'on donne, on reçoit aussitôt en échange
son amour, selon ce qu'enseigne l'Apôtre: que
« Dieu aime celui qui donne gaîment 4 » ; et
l'amour de Dieu, outre son propre prix qui surpasse
tout autre trésor, devient la source de tous les biens,
puisque l'Être infiniment riche ne peut aimer quel-
qu'un sans vouloir l'enrichir. La libéralité de notre
Dieu n'attend que la nôtre à son égard, pour satis-
1. Eeo Dominas locutus sum, et feci. Ezegh. 17.
2. Mihi autem adhaerere Deo bonum est. Ps. 72.
3. Oportet meminisse verbi Domini Jesu, quoniam ipse dixit
Eeatius est magis dare quam accipere. Act 20.
4. Hilarem datorem diligit Deus*. II Cou, 9.
— 82 —
faire le besoin immense qu'elle a de s'épancher sur
nous. Si donc, dans la promesse que je lui ai faite,
j'ai offert tout ce que j'avais et tout ce que j'étais,
lui de son côté s'est engagé à me donner, avec le
centuple en ce monde et l'abondance de ses grâces,
ce trésor dans le ciel qui n'est autre que Lui-même,
océan de toutes les joies et de toutes les félicités K
SECTION IV. — LE VŒU EST LA PROMESSE D'UN ACTE
MEILLEUR.
Nous n'insistons pas sur ces derniers mots de la
définition, parce qu'ils nous semblent avoir été
suffisamment expliqués dans le catéchisme lui-
même 2.
ARTICLE II.
LE VOEU EST UN ACTE DE LA VERTU DE RELIGION. .
Le catéchisme ne fait qu'affirmer cette vérité :
son développement va fournir des réflexions bien
touchantes pour les personnes religieuses.
SECTION PEEMIÈKE. — le vœu appartient au
SACRIFICE.
L'excellence du vœu paraît en ce qu'il est un acte
du culte de latrie , qui ne se rend qu'à Dieu , pour
1. Eco ero... merces tua magna nimis. Gen. 15.
2. IrePavtie, C. 1.
— 83 —
reconnaître son domaine suprême et sa grandeur
infinie.
On peut bien faire une promesse à la très-sainte
Vierge ou à quelque saint ; mais cette promesse ne
sera proprement un voeu , que si l'on s'engage pour
l'honneur de Dieu même , c'est-à-dire en s'oblr
geant envers Lui sous peine de péché. Or c'est pré-
cisément par là que le vceu appartient au sacrifice :
car alors il y a immolation faite à Dieu par le chan-
gement de l'objet offert , en ce qu'il devient obliga-
toirement la chose de Dieu.
Le vœu est une participation spéciale au sacrifice
de Jésus-Christ ; en le prononçant et en l'exécutant,
nous faisons ce que dit saint Paul : « Nous accomplis-
sons ce qui manque à la Passion du Sauveur en notre
chair 2 » : c'est-à-dire , que nous ajoutons la part
qu'il nous réservait pour nous faire mériter l'appli-
cation de son divin Sacrifice. C'est ainsi qu'à la
Messe le sacrifice sanglant du Calvaire doit s'appli-
quer aux hommes par le sacrifice non sanglant de
l'autel : parce que la Messe est à la fois l'oblation du
corps naturel de Jésus-Christ et celle de son corps
mystique qui sont les chrétiens : de sorte que l'im-
molation du chef profite surtout aux membres qui
ont soin de se présenter avec lui. Or , cette immo-
lation des membres n'éclate nulle part autant que
dans le martyre et dans le sacrifice des vœux de reli-
gion. D'où l'on voit qu'il y a pour les religieux une
manière qui leur est propre de célébrer ou d'entendre
1 . Adimpleo quse desunt passionum Christi in carne mea.
Coloss. 1.
— 84 —
la sainte Messe , c'est de s'y offrir comme victimes
avec Jésus-Christ , en renouvelant l'holocauste de
leurs vœux.
SECTION II. — DE LA VERTU DE EEUGION.
La religion, comme les mots le disent déjà d'eux-
mêmes , est la grande vertu du religieux ; au mo-
ment où il prononce ses vœux , elle devient la vertu
propre de son état. De là l'importance qu'il y a pour
lui de bien connaître et ce qu'elle est et tout ce
qui la concerne. C'est clans le but de l'en instruire
plus à fond , que nous allons exposer les beaux
enseignements dé^saint Thomas sur cette vertu.1
La religion, dit le saint docteur, est une vertu qui
fait partie de la justice et en est même la principale
parti* ; et c'est celle par laquelle l'homme rend à
Dieu 1» culte et l'hommage qu'il lui doit.
Insistons sur ces deux idées fondamentales , elles
sont très-dignes de la considération du religieux.
I. La religion est une partie de la justice , car le
propre de la justice est de rendre à chacun ce qui lui
est dû ; et elle en est la partie principale, car la pre-
mière de nos dettes , sans contredit et sans compa-
raison, est celle qui nous oblige envers notre Créa-
teur et notre Dieu.
Représentons-nous donc cet Etre et ce Seigneur
1. 2a 2seq. 81. ft.1.
— 85 —
suprême abaissant ses regards. du haut du ciel et les
promenant sur toute la surface de la terre. Il y aper-
çoit trois classes d'hommes bien différentes.
La première se compose de tous ceux, hélas ! qui
le méconnaissent , l'oublient et l'offensent : classe
innombrable de créatures intelligentes qui , en refu-
sant le culte et l'hommage dus à leur auteur, violent
les plus essentiels devoirs de la justice.
La seconde classe renferme ceux qui le reconnais-
sent , il est vrai , pour leur Seigneur et ne nient
pas le droit qu'il a sur eux. Mais chez ces hommes ,
tout à leurs intérêts terrestres , que le souvenir de
Dieu est rare I Que le soin de lui payer leur dette
occupe peu de place dans leur vie ! Ce grand Dieu ,
qui devrait être tout pour eux, ne voit arriver à lui,
de leur part , qu'un si petit nombre d'hommages t
Et autant les intervalles sont grands , autant les
cœurs sont avares et froids ! Cuite infime , qui n'est
trop souvent qu'une formalité , et dans lequel ceux
qui le rendent n'atteignent pas même l'indispensa-
ble ni la justice de stricte obligation !
La troisième classe présente aux regards divins
les hommes vraiment religieux : ce sont ceux qui ,
pénétrés de la lin de leur création, et tirant les justes
conséquences de cette fondamentale vérité , mettent
en tête de leurs obligations celle qui regarde le
Créateur. Au premier rang sans doute doivent se
trouver ceux que Ton appelle les religieux , car ils
sont entrés en religion, c'est-à-dire qu'ils se sont destinés
par état à vérifier excellemment en eux la définition
de la vertu de religion ; et quand ils sont tels en
effet que l'indiquent leur nom et leur profession ,
— 80 —
c'est assurément sur eux que le regard du Seigneur se
repose avec plus de complaisance, selon ce qu'il dit
lui-même du lieu saint où l'on vaque spécialement à
la religion : « Mes yeux et mon cœur seront là tous
les jours1».
IL La vertu de religion rend à Dieu le culte et
l'hommage qui lui sont dus. Mais en quoi consiste ce
culte et cet hommage ? Le docteur angélique donne
une double étymologie qui imprime dans l'esprit
deux fécondes idées, et d'où il tire la notion substan-
tielle de la religion. Le mot religion , dit-il , vient du
verbe latin religare, rattacher ; ou encore du verbe
reeligere, réélire, choisir.de nouveau. Ainsi, la religion
est ce qui nous relie à Dieu tout-puissant dont
nous étions détachés. Elle est encore ce qui nous fait
réélire Dieu que nous avions perdu par négligence ,
c'est-à-dire , selon la force du mot negligere , nec
eligere, parce que notre cœur ne voulait plus de lui.
En effet,Dieu est celui auquel l'homme doit se rattacher
principalement comme à son suprême et inséparable
principe; et il est de même celui vers lequel l'homme
doit reporter son cœur égaré comme vers sa fin
dernière ; de sorte que ce Dieu qu'il avait perdu par
négligence , il le ressaisisse par la foi opérant les
bonnes œuvres*.
Telle est essentiellement la double idée du culte que
nous devons à Dieu, et cette doctrine sur la religion
s'adresse au genre humain tout entier. L'homme, na-
1. Erunt oculi mei et cor meum ibi cunctis diebus. III Keg. 9«
2. Keligio a religando, quia nos religat omnipotent! Deo. —
Beligio a reeligendo, quia Deum reeligimus quem ainiseramus
négligentes.
— 87 —
turellement lié à Dieu son Créateur par son origine,
l'était encore surnaturellement par la grâce dont il
avait été orné; mais le péché d'Adam l'en a malheu-
reusement détaché, et il a fallu un Réparateur pour
le rattacher à son principe. Par suite du même
péché, la volonté humaine, ne se souciant plus de
Dieu , a porté ailleurs ses choix coupables ; et un
Sauveur a été nécessaire pour guérir cette volonté ,
et la rendre capable de réélire Celui qui est sa der-
nière fin. Détaché encore trop souvent par de nou-
veaux péchés qui lui font perdre Dieu, il lui faut, à
l'aide de la grâce toujours miséricordieuse de Jésus-
Christ, faire de nouveaux efforts pour se relier en-
core au principe , et pour ramener sa volonté vers
la fin. Ce doit être là le travail continu , le soin
quotidien de l'homme sur la terre , et il appartient
à la religion d'opérer cet ouvrage. Avoir de la reli-
gion, pratiquer sa religion n'est pas autre chose.
Mais ce principe universel et commun à tous . il
est pour le religieux d'une application toute spéciale;
car c'est l'expression propre de tous ses devoirs , et
il le presse de les remplir par ces deux suprêmes
motifs : Dieu mon premier principe , Dieu ma der-
nière fin. Dieu mon principe auquel il faut que je
me rattache toujours plus fortement et plus univer-
sellement ; Dieu ma fin, que mon cœur doit réélire
sans cesse avec plus d'efficacité. Or pour cela , que
d'efforts le religieux n'a-t-ii point à faire ! Que de
vides à combler 1 Que de choses journellement à ré-
parer 1 Que d'inclinations contraires à combatre !
Aussi est-ce pour cela même que la profession reli-
gieuse multiplie ses moyens; les vœux, les règles, les
— 88 —
exercices spirituels , la direction des supérieurs ,
tout est dans le but de l'aider à se relier toujours plus
parfaitement à son principe , et à réélire toujours
plus énergiquement sa fin.
III. Voyons maintenant avec plus de netteté de
quoi se compose la dette que la religion doit payer
au Seigneur.
Premièrement, ce que l'homme doit à Dieu, c'est le
culte de latrie , qui n'est dû qu'à lui. Ensuite nous
devons à Dieu l'obéissance dans tout ce qu'il exige
par un précepte formel : ce qui exclut le péché, quel
qu'il soit , grave ou léger. Mais en troisième lieu
nous lui devons encore tout ce que nous sommes
1 capables de faire pour son service et sa gloire,
même sans qu'il commande sous peine de péché : car
toutes nos œuvres lui sont dues à titre de Créateur
et de Seigneur, de Principe et de Fin , et parce que
nous sommes en toutes manières ses serviteurs. On
appelle surérogatoires, il est vrai, ces œuvres qu'il ne
commande pas rigoureusement ; mais au fond , re-
lativement à l'exigence de sa grandeur, il ne peut y
avoir de notre part aucun acte qui soit de pure
libéralité ; loin de là , quoi que nous fassions pour
lui, nous n'aurons jamais payé notre dette entière; et
toujours il nous faudra dire en présence de ce Maître
suprême : « Nous sommes des serviteurs inutiles ;•
nous n'avons fait que ce qui était de notre de-
voir * ». De là ce nom de justes que l'on donne à
tous ses serviteurs ; en pratiquant même des œuvres
1. Dicite : servi inutiles sumus : quc-d debuimus facere, feci-
mus. Luc. 17.
— 80 —
héroïques pour son honneur, ils ne font que remplir
une justice.
Or, devons-nous dire maintenant au religieux ,
est-il personne sur la terre qui soit obligé envers
Dieu plus justement et plus universellement que lui?
Mais il faut ajouter encore : Est-il personne qui soit
dans une position aussi favorable , pour pouvoir
facilement lui payer toutes les parties de sa dette ?
1 IL
Ln autre enseignement de saint Thomas sur la
vertu de religion renfermera la manière pratique
de s'acquitter de cette dette , et nous allons y voir
trois choses : 1° la vie religieuse dans tous ses détails;
2° l'essence de l'esprit religieux ; 3° le véritable
exercice de la religion1. •
I. La vertu de religion , dit le saint docteur , a
deux espèces d'actes : les siens propres qu'elle pro-
duit formellement elle-même , et ceux qu'elle com-
mande aux autres vertus, pour se les approprier en
les rapportant à sa fin et leur donner ainsi plus de
valeur.
Parmi les actes propres de la religion, les uns sont
intérieurs, les autres extérieurs.
Ces actes intérieurs renferment le culte principal
que nous devons à Dieu. Le premier de ces actes et
celui qui doit donner le branle à tous les autres ,
est la dévotion ; car la dévotion n'est rien autre chose
qu'une certaine promptitude de la volonté pour
1. 2a fce q. 81. a. 2.
— 90 —
se mettre à tout ce qui est de l'honneur et du service
de Dieu. Et le second de ces actes est la prière , par
laquelle l'homme honore Dieu et se soumet à lui ,
en ce qu'il professe , quand il prie , qu'il a besoin
de Dieu comme de l'auteur de tous ses biens.
Les actes extérieurs de la religion sont l'adoration,
le sacrifice , les offrandes , la louange , etc. Une
exposition de ces matières serait utile sans doute ;
mais elle surchargerait la question présente et nous
mènerait trop loin : seulement nous reviendrons
plus bas sur la dévotion , à raison de son impor-
tance1.
Les actes que la vertu de religion peut comman-
der aux autres vertus sont sans nombre : car tout
entre dans son domaine, et tout acquiert son propre
mérite par cela même qu'elle le rapporte au culte et
à l'honneur de Dieu. Telles sont les œuvres de misé-
ricorde, de tempérance et de mortification , selon ce
que dit saint Jacques : « La religion pure et sans
tache aux yeux de notre Dieu et Père , la voici :
visiter les orphelins et les veuves , et se garder des
souillures de ce siècle 2 » .
Il en est même ainsi des actes qui procèdent de
quelque affection légitime inspirée par la nature ,
comme l'amour des parents et des amis , l'étude de
la science , le goût de telle ou telle occupation hon-
nête , etc. La religion ne supprime pas ces affec-
tions ; elle les épure , les dégage de l'amour pro-
1. Section III».
2. Religio munda et immaculata apud Deum et Patrem hsec est ;
visitarepupillosetvidtiasintribvilntioneeorum, etimmaculatum
se custodire ab hoc sœculo. Jac. 1
— 91 -
pre et mondain, les consolide et les perfectionne en
les rapportant à Dieu : et alors elle en fait de saintes
affections dont Dieu même est le principe et la fin.
Il n'est pas jusqu'aux actions les plus indifféren-
tes et les plus communes, dont la religion ne puisse
faire sa propriété , comme nous l'enseigne et nous
le recommande l'Apôtre : « soit que vous mangiez ,
soit que vous buviez , ou que vous fassiez quelque
autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu ■ ».
Nous avons donc là tous les détails de la vie reli-
gieuse. Nous voyons qu'un religieux, non-seulement
peut, comme les autres chrétiens , transformer tout
ce qu'il fait en actes de religion par l'intention qui
Tanime ; mais de plus que ses vœux , surtout celui
d'obéissance , sont là pour conférer à ses œuvres
un mérite de religion beaucoup plus spécial, encore,
et pour tout rapporter excellemment au culte du
divin Maître.
II. Voici maintenant l'essence môme de l'esprit
religieux qui doit pénétrer tous nos actes. L'homme
par la vertu de religion, dit toujours saint Thomas ,
révère et honore Dieu comme premier principe ,
tant pour la création que pour le gouvernement de
toutes choses et spécialement de l'homme lui-même.
C'est pourquoi le Seigneur nous dit par son pro-
phète : « Si je suis votre Père , où est l'honneur
que vous me rendez2 » ? Car le propre du père est de
communiquer l'être à ses enfants et de les gou-
verner3.
1. Sive manducatis, sive bibitis, sive aliud quïd f acitis, omnia
in gioriam Dei facite. I Cor. 10.
2. Si ergo Pater ego sum, ubl est honor meus? àIalach. 1.
3. 2a 2». quaest. 81. art. 3,
_ 92 —
Saisissons bien la portée de cette doctrine. L'esprit
religieux consiste essentiellement à voir toujours en
Dieu le premier Principe pour l'honorer toujours
fidèlement en cette qualité. Mais où Dieu se mani-
feste-t-il comme premier Principe ? Dans la création
et le gouvernement du monde et de toutes choses.
Prrtout donc l'esprit religieux rend l'homme atten-
tif à reconnaître cette action divine, et diligent à
lui rendre hommage. Toutefois il est un endroit
spécial où son attention et sa diligence doivent être
plus grandes encore et plus continuelles : c'est sa
propre personne ; et c'est en lui-même surtout qu'il
aime à considérer Dieu comme premier Principe,
pour honorer Celui qui, dans l'ordre naturel et sur-
naturel, produit, conserve et gouverne sa créature
raisonnable avec l'autorité et la bonté d'un Père.
Tel fut sans doute l'esprit religieux dès l'origine
du m#nde ; et même parmi ce peuple où la loi de
crainte dominait à cause de la dureté. des cœurs, les
hommes vraiment religieux surent reconnaître cette
qualité de père dans le Dieu de majesté. Mais Jésus-
Christ vint bien plus hautement marquer la religion
de ce caractère, lorsqu'associantà sa propre filiation
ceux qui croient en lui, « il leur donna le pouvoir
de devenir enfants de Dieu * ».
Or, ce culte filial dans lequel « le Saint-Esprit
lui-même nous fait crier : Père, Père2 », quand nous
traitons avec le Créateur, en qui devra-t-il régner
1. Dédit eis potestatem filios Dei fieri. Joan. 1.
2. Accepistis Spiritum adoptionis filiorum, in quo clarnamus :
Abba, Pater. Rom. 8.
— 93 —
plus que dans l'esprit et le cœur du religieux vis-à-
vis du Père céleste? Quand on lit la Vie des Saints
par exemple celle dune sainte Thérèse, on est frappe
de la mamère dont ils savaient allier envers Dieu
e respect le plus profond avec l'amour le plus ten-
dre. Ah 1 c est seulement dans les relations des hom-
mes entre eux que la familiarité engendre le mépris,
ou que le respect gêne l'effusion de l'amour. Mais avec
ÏTJ T,.eSt t0Ut autr«, parce que le Saint-
nro !Ta > P°Ur ProdUil'e * ^ f°iS le Senttoent
piofond de la majesté et de la bonté.
III. Enfin voici, selon saint Thomas, le véritable
exercée de la religion tel qu'il le faut san d< fie à
ton chret,en mais tel que lereligieux principal me n
do,t I avoir dans tout l'ensemble de sa vie. La vertu
de rehgion d.t-il, honore et sert Dieu par les même"
actes : car le culte regarde l'excellence divine à qui
a révérence est due, et le service regarde la dépen-
dance de 1 homme qui par sa condition naturelle est
oblige de rendre à Dieu son hommage. Or, ces deux
ÎTà, 7 ,et Ie service' se trouvent nécess^-
ment dans tous les actes qui appartiennent à la reli-
gion parce que tous doivent être des témoignages
par lesquels l'homme déclare à la fois l'excellence
divine et sa propre dépendance, soit qu'il offre à
Dieu quelque chose, comme l'adoration, la louant
le sacrifice ete., soit qu'à son tour il demande oJ
reçoive quelque bien de la divine bonté »
Qm ne voit combien ceci est fondamental dans la
Vie chrétienne et religieuse ? Pour une pratique
1. 2a 2œ. quasst. 81. art. 3.
- 04 —
solide et vraie de la vertu de religion , nous ne de-
vons jamais séparer ces deux choses, honorer et ser-
vir Dieu : car s'il demande et s'il accueille les protes-
tations que nous faisons de son excellence, il n'exige
pas moins la soumission de notre volonté et le service
de nos œuvres.
i ni.
La vertu de religion n'est point une vertu théolo-
gale, parce que Dieu n'est pas son objet immédiat
comme il l'est de la foi , de l'espérance et de la
charité. L'objet de la religion est, non la fin dernière
elle-même, mais tous les actes qui nous servent de
moyens pour l'atteindre.
Elle n'est donc qu'une vertu morale ; mais elle est
la première de toutes en dignité, par la raison qu'elle
approche de Dieu de plus près et qu'elle est plus
voisine de la fin, opérant les œuvres qui vont direc-
tement à la gloire divine.
Cependant saint Augustin nous enseigne que
l'homme honore Dieu par la foi , l'espérance et la
charité 4 : parce que ces vertus, en commandant
elles-mêmes à la religion d'agir, font que ces actes
deviennent aussi leurs actes. Voilà un principe qu'il
faut recueillir encore soigneusement ; car il est très-
fécond en conséquences pratiques. On y voit que plus
la foi, l'espérance et la charité sont vivantes dans
une âme, plus elles y excitent ta religion à produire
les œuvres du culte et du service de Dieu. Aucon-
1. Fide, spe et charitate colitur Deus.
- 95 -
traire, à mesure qu'elles s'affaiblissent, la vertu de
religion devient plus inactive, jusqu'à tomber enfin
dans une oisiveté complète.
I iv.
Tout ce qui vient d'être exposé sur la vertu de reli-
gion fait vivement ressortir l'excellence de l'état reli-
gieux. Aussi saint Thomas, expliquant aux religieux
le sens du nom qu'ils portent, trouve ici la raison
pour laquelle cette appellation leur est si spéciale-
ment attribuée.
On donne, par antonomase, dit-il, le nom de reli-
gieux à ceux qui se sont totalement dévoués au service
de Dieu, parce qu'ils sont des hommes qui, parmi les
autres hommes, offrent ce sacrifice parfait de l'ho-
locauste dans lequel on ne se réserve rien de la vic-
time1. Par état, les religieux sont donc, ils doivent
être comme la vertu de religion personnifiée, la
vertu de religion toujours en exercice. C'est leur
obligation essentielle, mais c'est aussi leur mérite
propre et la belle part que Dieu leur a faite : de sorte
que chacun d'eux doit s'appliquer sans cesse les paro-
les que saint Léon adresse au chrétien : « Connais,
ô religieux, ta dignité, et après que le divin Maître
t'a placé si haut à son service, ne va point dégénérer
par tes œuvres, ni revenir à la bassesse et à la futilité
misérable d'une vie mondaine2 ». Le nom de reli-
1. Antonomastiee religiosi dicuntur illi qui se totaliter manci-
pantdivino servitio, quasi holocaustum Deo oflferentes. 2a 2ae-,
q. 186. a. 1.
2. Agnosee, o Chri^tianc. dignitatemtuam, et divinas eonsors
factus naturae, noh in veterem vilitatem degeneri conversatione
redire.
— 96 -
gieux , chaque fois qu'on le prononce, est pour celui
qui le porte un appel à la ferveur, appel tout sem-
blable à celui que saint Bernard se taisait à lui-
même : « Bernard, dans quel but es-tu venu ici ? »
Ce nom est comme un miroir spirituel que le reli-
gieux retrouve perpétuellement devant ses yeux :
qu'il l'interroge et le consulte, et il lui verra répéter
à tout inst mt la grande leçon que l'Enfant-Dieu
donnait aux hommes dans son premier acte public
de religion : « Il faut que je sois tout aux choses qui
sont du service de mon Père l » .
SECTION 111. — DE LA DÉVOTION.
La dévoti m est, comme nous l'avons dit , le pre-
mier et le principal acte de la verfcu de religion : car
c'est par Inique la volonté se porte à tous les autres,
soit à ceux que cette vertu produit elle-même , tant
au dedans qu'au dehors, soit à ceux qu'elle fait pro-
duire aux autres dans le but d'honorer Dieu.
Il faut distinguer deux sortes de dévotion : la
substantielle et l'accidentelle.
| I. — De la dévotion substantielle 2.
I. La dévotion, à la considérer en sa substance,
n'est rien autre chose qu'une certaine promptitude
de la volonté se livrant à tout ce qui est du service
de Dieu 3.
1. In his qxise Patris mei sunt, oportet me esse. Luc. 2.
2. 2a 2*. q. 82. a. 1. 2.
3. Devotio mhil aliud estquam vomntasquœdam prompte se
tradendi ad ea quse sunt Dei famulatus.
- 97 -
Le mot dévotion vient du mot latin devovere, et
les Romains appelaient devoti ceux qui se dévouainet
à 1 iurs dieux et à la mort pour la patrie : comme
firent les deux Décius, au rapport de Tite-Live. Être
dévot , c'est donc livrer par une volonté prompte sa
vie avec ses actes au culte et au service de Dieu : et
la dévotion n'est pas. ainsi que plusieurs se l'ima-
ginent, une affaire de sensibilité, mais de dévoue-
ment. Elle ne consiste pas précisément dans des pra-
tiques pieuses , mais clans l'empressement d'une
volonté qui se met aux choses que Dieu lui demande.
Saint François de Sales a parlé de la dévotion
comme le Docteur angélique. « Elle n'est pas autre
chose , dit-il. qu'une agilité et vivacité spirituelle
qui nous fait opérer pour Dieu soigneusement , fré-
quemment , promptement. »
IL L'ennemie propre et directe de la dévotion est la
paresse spirituelle ou la tiédeur1.
En général, le vice de la paresse est une tris' esse
qui pèse sur l'âme en présence d'un bien qu'il faut
opérer , et qui abat tellement le courage de l'homme,
qu'il n'a plus de volonté à rien faire. La paresse est
vicieuse par deux endroits: d'abord, elle l'est en
elle-même , puisqu'elle traite comme un mal ce qui
est bien : car la tristesse est ce sentiment de l'âme
qui fait effort contre le mal pour le repousser. En
second lieu, la paresse est mauvaise dans ses effets,
en ce qu'elle empêche d'opérer le bien. De plus ,
comme personne ne peut rester sous le poids de la
1. 2a 2œ. q 35, a. 1 . Acedia est qusedam tristitia aggravai», quaë
pcilicetita deprimit animum bominis ut nihil agere libeat.
3*'
— 98 —
tristesse, ni vivre sans quelque contentement, la
paresse fait que l'âme se met à la recherche des
satisfactions sensuelles. Enfin , après avoir fui le
bien qui l'attriste , la volonté se pervertit même
jusqu'à le combattre , soit dans les choses par une
aversion de malice, soit dans les personnes par la
haine contre ceux dont les avis ou les exemples la
rappellent au devoir.
Appliquez tout ceci à la paresse spirituelle qui est
le dégoût volontaire de l'âme pour les œuvres du ser-
vice de Dieu , et vous aurez bien caractérisé le ter-
rible mal de la tiédeur avec ses effets. Mais remar-
quez aussi qu'il ne s'agit pas ici des dégoûts invo-
lontaires , lorsque malgré eux la volonté reste fidèle
à la pratique de ses devoirs.
III. Les causes de la dévotion montrent comment
elle peut s'allumer dans un cœur. Sa cause pro-
chaine est la charité , et sa cause éloignée, la contem-
plation{.
La charité est la cause prochaine de la dévotion ,
parce qu'il appartient à l'amour de rendre un ami
prompt à servir son ami. Or, c'est Dieu qui met et
augmente en nous la charité : c'est donc à lui qu'il
faut demander la cause, si l'on veut posséder reflet.
D'autre part néanmoins, la charité se nourrit
elle-même par la dévotion , comme toute amitié se
conserve et s'accroît par l'exercice des œuvres qu'elle
produit. Et voilà la part que nous devons mettre
pour alimenter en nous le saint amour. Ecoutons
aussi saint François de Sales : « Par le moyen de
1. 2* 2ce. q. 82. a. 3, 4. G.
— 99-
cette agilité et vivacité spirituelle de notre volonté,
la charité fait les actions en nous, ou nous par elle,
promptement et affectionnément. La charité est un
feu spirituel, et la dévotion y ajoute la flamme qui
rend la charité prompte, active et diligente. »
La cause éloignée de la dévotion est la contem-
plation, c'est-à-dire, ,en particulier, la méditation
et les lectures spirituelles, parce que c'est ainsi
qu'une âme conçoit la volonté de se livrer avec
promptitude aux œuvres du service de Dieu. En effet
tout acte de notre volonté procèdetoujours de quel-
que considération de notre entendement; et la dévo-
tion naît en nous d'une double considération : l'une
où nous contemplons la divine Bonté, l'autre qui
nous fait voir notre propre misère. La considération
de la bonté divine excite en nous son amour, lequel
est, comme nous l'avons dit, la cause prochaine de
la dévotion, selon cette parole du Psalmisfe : « Pour
moi c'est une bonne chose de m'attacher à Dieu, et
de placer en lui mon espérance 1 ». Considérer en
eux-mêmes les divins attributs, c'est ce qui de soi est
plus propre à exciter la dévotion. Mais de notre
côté et à raison delà faiblesse humaine, une considé-
ration plus efficace que tout autre à cet effet, est
celle de Jésus-Christ Notre-Seigneur, Dieu fait
homme comme nous et pour nous, de Jésus-Christ
qui nous est apparu comme étant la grâce, la béni-
gnité et l'humanité de notre Dieu Sauveur 2. Voilà
1. Mihi autem adhasrere Deo bonum est, ponere in Domino
spem meam. Ps. 72.
2. Appamit Dei gratia Salratoris nostri. Tit. 2. Benignitaset
humanitas apparuit Balvatoris Lostii Dei, Tit. 3.
— 100 —
le livre écrit au dedans et au dehors { qu'il nous
faut principalement lire et méditer , à l'exemple
de saint Paul qui , môme après avoir été ravi au
troisième ciel , professait ne savoir que Jésus , et
Jésus crucifié 2.
L'autre source de la dévotion est la considération
de notre misère. Car plus nous nous en pénétre-
rons , plus elle nous fera sentir le besoin de nous
appuyer sur Dieu , et par conséquent plus nous
tâcherons de mériter son secours par la fidélité de
nos services , selon ces paroles de David : « J'ai levé
mes yeux vers les saintes montagnes , d'où me vien-
dra le secours, le secours de Celui qui a fait le ciel
et la terre 3 » . De plus , cette vue de notre misère
exclura la présomption, qui empêche l'homme de se
soumetre à Dieu parce qu'il compte sur sa propre
vertu.
Tout ce qu'on vient de dire montre combien la
méditation est nécessaire , et pourquoi elle est appe-
lée un exercice de dévotion. Faite avec diligence, elle
sert à l'enflammer ; mais il faut ajouter que, faite
pour la forme et sans soin , elle la laisse misérable-
ment s'éteindre.
IV. Les effets de la dévotion. Principalement et direc-
tement elle produit la joie ; mais indirectement elle
produit aussi une certaine tristesse selon Dieu.
1. Vidi in dextera sedentis supra thrormm iibrum scriptum
intus etforis. Apoc. 5.
2 Non enim judicavi me scire aliquid inter vos nisi Jesum
Christum, et hune crucifixum. I, Coït. 2.
3, Levavi oculos meosin montes, unde veniet auxilium mihi :
auxilium meum a Domino qui fecit cœlum et terrain. PS. 120,
- 101 -
En effet, la considération de la divine Donté qui ,
comme on vient de le voir , est la cause de la dévo-
tion, produit par elle-même l'allégresse de l'âme :
« Je me suis souvenu de Dieu, dit le saint roi David,
et j'en ai été réjoui1 ». — Les mondains se figu-
rent que la dévotion est triste et sombre. Ah ! e'est
qu'ils ignorent combien le contentement d'un cœur
qui est tout à Dieu surpasse les joies et les délecta-
tions terrestres. Ou bien ils ne regardent que ceux
qui se traînent péniblement dans le service de Dieu,
au lieu d'y mettre cette promptitude d'une volonté
qui sait donner gaîment au Seigneur. Mais qu'ils jet-
tent les yeux sur ceux qui ont une dévotion véritable,
et toujours ils trouveront des cœurs contents de Dieu,
parce que ces cœurs s'appliquent en toutes choses à
le contenter lui-même. C'est lexemple qu'ont offert
tous les saints : un saint Romuald, qui servit le divin
Maître avec tant de ferveur pendant plus de cent ans,
avait toujours le visage si joyeux , qu'il communi-
quait sa joie à ceux qui le regardaient 2 ; et telle
était l'amabilité d'un saint François Xavier , qu'un
roi païen du Japon en conçut le désir d'aller au
ciel pour être en sa compagnie 3. Comme les saints,
tout vrai serviteur de Dieu peut et doit donner au
monde cette édification.
Toutefois cette même considération de la divine
bonté fait naître indirectement dans l'âme dévote
une certaine tristesse , la tristesse de l'exilé qui
1. Memorfui Dei, et delectatus sum. Ps. 76.
2. Yultu arteo Iseto semper erat, ut intuentes exhilararet. (Lit )
3. Histoire de sa vie,
3***
— 102 —
répète avec le Psalmiste : « Mon âme a soif du
Dieu vivant ; quand viendra le jour de la claire vue
et de la pleine jouissance? C'est pourquoi le jour et
la nuit je me nourris de mes larmes * » . Mais cette tris-
tesse même est une des béatitudes d'ici-bas : « Bien-
heureux sont ceux qui pleurent, parce qu'ils seront
consolés2 ».
Quant à la considération de sa propre misère, l'âme
dévote en tire un sujet de tristesse sans doute, mais
aussi un sujet de joie en pensant que la misère que
nous sentons et dont nous faisons l'humble aveu
attire infailliblement la miséricorde. Et cet élément
de la joie est nécessaire à la béatitude de ceux qui
pleurent, parce que, sans lui, la vue de notre misère
ne produirait que rabattement , avec une tristesse
qui ne serait plus selon Dieu. De là vient que les
anxiétés volontaires au service de Dieu ne sont pas
de bons indices de la dévotion réelle , puisqu'on ne
joint pas au sentiment de ses maux la confiance
d'être secouru.
V. La dévotion substantielle , lorsqu'elle est en
habitude dans une âme , est ce qu'il faut appeler
proprement la ferveur de l'esprit ; elle procède de la
charité et à son tour elle sert à l'alimenter , comme
nous l'avons dit ; mais cette vraie ferveur est essen-
tiellement , ainsi que la charité même , dans la vo-
lonté, et non dans les impressions sensibles.
1. Sitivit anima mea ad Deum fortem vivum. Quando veniam
et apparebo ante f aciem DeiZ Fuerunt mihi lacrymse me» panes
die ac nocte.... Ps. 41.
2. Beati qui lugent, quoniam ipsi consolabimtur. Matth, 5%
- 103 —
| 2. — De la dévotion accidentelle.
I. La dévotion qu'on nomme accidentelle est celle
où l'âme éprouve une certaine douceur qui soutient
la promptitude de sa volonté dans ce qu'elle fait pour
Dieu. Ce n'est qu'un accident surajouté à la dévotion,
et non sa substance même : tellement que la dévo-
tion peut très-bien exister sans elle.
II. Cette suavité qu'on ressent dans la dévotion
peut être de deux sortes : ou bien elle charme seule-
ment la volonté, ou bien c'est une douceur qui
affecte la sensibilité de l'âme et, comme Tondit,
l'appétit inférieur.
La première espèce de suavité est une joie pure-
ment spirituelle. En général , il y a toujours pour
l'homme , même dans la peine du sacrifice , un
contentement de l'esprit qui est comme une récom-
pense naturelle de la volonté, quand elle est prompte
dans son acte vertueux. Mais souvent il arrive que
ce contentement reste pour ainsi dire latent au
fond de l'âme , comme , par exemple , quand la
volonté doit faire un effort contre la peine sensible
ou contre la difficulté de l'œuvre. Pour que la sua-
vité devienne intense et perceptible , il faut que
Dieu ajoute l'onction de sa grâce ; et telle est la pre-
mière sorte de dévotion accidentelle , celle qui fait
éprouver un joie intime à la volonté sans que la
sensibilité inférieure y prenne part ; elle ressemble
aux délectations qu'éprouvent les esprits angéliques.
C'est cette suavité toute spirituelle que saint
François de Sales semble avoir voulu décrire dans
— 104 —
ce gracieux passage : « La dévotion est la douceur
des douceurs et la reine des vertus : car c'est la
perfection de la charité. Si la charité est un lait ,
la dévotion en est la crème ; si elle est une plante, la
dévotion en est le fruit ; si elle est une pierre pré-
cieuse , la dévotion en est l'éclat ; si elle est un
baume , la dévotion en est l'odeur , l'odeur de
suavité qui conforte les hommes et réjouit les
anges. » Saint Bernard avait dit aussi , en moins de
paroles , mais avec non moins de grâce , que la dé-
votion est une fleur du siècle futur : œvi futuri flos
est devotio.
Mais la suavité de la dévotion accidentelle peut
aussi présenter un autre caractère : à savoir, lorsque
certaines émotions douces se produisent dans la
sensibilité , ou partie inférieure de l'âme ; et c'est
alors qu'il faut l'appeler proprement la dévotion sen-
sible.
Si ces douces émotions du sentiment sont unies
au dévouement réel de la volonté , la dévotion est
véritable ; mais s'il n'y a que l'impression sensible
sans le dévouement des œuvres , la dévotion n'est
qu'apparente et illusoire. C'est donc par ses fruits
et non par le sentiment qu'il faut juger de la dévotion
sensible.
Elle peut être non-seulement une apparence
vaine, mais encore une duperie de l'esprit mauvais
ou de l'amour-propre, et par conséquent une enne-
mie de la vraie dévotion ; d'où l'on voit combien il
importe d'en examiner l'origine.
La douceur sensible de la dévotion peut avoir les
quatre causes suivantes *
- 10o -
1° L'intensité de l'acte de charité : car , dit saint
Thomas l , lorsqu'un acte de la volonté est intense,
il peut lui causer un tel contentement , que sa sur-
abondance fasse déborder comme un excédant qui
rejaillit sur la partie inférieure de l'âme. C'est sur-
tout ce qui peut avoir lieu dans l'acte intense de la
charité, quand Dieu y ajoute l'onction d'une grâce
spéciale : alors il se produit des émotions sensibles,
des larmes et autres effets plus ou moins véhéments,
comme nous le lisons dans les Vies des saints ; de
sorte qu'on s'écrie avec le Psalmiste : « Mon cœur
et ma chair ont tressailli de joie, lorsque je me
portais vers le Dieu vivant a » .
2° L'action du bon ange. En effet , lorsque l'âme
fait ou veut faire quelque chose pour le service du
Seigneur, il arrive souvent que le bon esprit s'ap-
proche pour lui prêter son aide , et que, par une
action qui est au pouvoir naturel de l'ange 3 , il
excite dans la partie inférieure des émotions d'où
naissent les douceurs sensibles de la dévotion. Sou
but est de seconder la volonté dans le bien, en lui
fournissant ce secours agréable et ce rempart contre
les répugnances de la chair.
3° Mais, de son côté, le mauvais ange possède
aussi naturellement le pouvoir d'exciter en nous
des émotions et des douceurs sensibles, que Ton
peut prendre pour la dévotion , et il les excite,
sans que nous opérions le bien , ou sans que nous
1. Propter intensionem appetiirag superioris, exquo fitredun-
dantia in mferiorem partem. la 2» q. 30, art. 5.
2. Cor nienm et caro mea ex ult avérant in Deum vivum. Ps. 83.
3. Voir S. Thomas, 1" partie, quest, m.
— 106 -
l'opérions pour plaire à Dieu. Son but, à lui, est tou-
jours de nous causer du dommage par cet appât
trompeur , et de préparer artilicieusement notre
ruine.
4° Enfin , dans certaines natures impression-
nables , le seul amour-propre peut réussir à pro-
duire de même un semblant de dévotion avec ses
goûts sensibles ; et ce fruit de l'amour-propre ne
saurait être bon, lors même qu'il fait faire de bonnes
actions , puisque l'intention les gâte , et que ces
douceurs mensongères ne servent qu'à égarer l'âme
de plus en plus hors de la voie du vrai service de
Dieu.
Donc, pour résumer, il y a une suavité purement
spirituelle , qui, comme le dit saint Paul , est toute
au-dessus des sens ; goûtée plus rarement par les
âmes d'une dévotion commune, elle est fréquente
dans les saints, qui, selon saint Denis * , partagent
ainsi dès ici-bas les délectations des anges, à cause
de la surabondance de leur charité. Quant aux
douceurs de la dévotion sensible , elles peuvent être
encore les indices d'une charité ardente ; mais il
s'en faut bien que ces indices soient infaillibles :
car , d'un côté , un tempérament plus viril pourra
être naturellement moins capable d'impressions
sensibles, même dans des actes plus intenses de la
volonté , quoiqu'il faille dire cependant que Dieu a
donné souvent aux grandes âmes des coeurs pleins
de tendresse. D'un autre côté, les consolations sen-
1. Sancti hommes multotics fiunt in comniunicatione dcleeta-
tionnin angelicarum.
— 107 —
sibles pourront être aussi les indices d'une moindre
charité, parce que ce sont les volontés faibles ou
encore mal affermies que le bon esprit a coutume
de soutenir de la sorte, et qu'il les donne même à
des âmes qui n'ont pas encore la charité, pour les
attirer à Dieu. Enfin , elles peuvent être des indices
trompeurs de la charité , comme lorsqu'elles sont
l'œuvre du démon ou de l'amour-propre.
La conséquence de tout ceci est que l'on doit,
avant tout, s'attachera la dévotion substantielle.
Cependant ne peut-on pas aussi désirer et re-
chercher la dévotion sensible?
Je réponds, en premier lieu, par la citation d'une
proposition que l'Eglise a condamnée dans Molinos,
faux mystique du xvne siècle : « Celui qui désire et
embrasse ladévotion sensible, fait mal en la désirant
et en s'efforçant de l'avoir * ». La vérité est donc
dans la proposition contradictoire : 77 ne fait point
mal. Et, en effet, la dévotion sensible est un don de
Dieu ; il faut donc l'estimer, et, s'il daigne l'accorder,
il faut la recevoir avec reconnaissance. Elle peut
être un secours nécessaire à notre faiblesse, pour
nous soutenir dans le bien ; il faut donc la demander
avec un humble sentiment du besoin que nous pou-
vons en avoir. Elle est très-propre à nous faire
avancer dans toutes les vertus ; il faut donc la dé-
sirer , s'efforcer de la mériter par la mortification et
la pureté de vie, et, quand Dieu nous la donne, en
1. Qui desiderat et ampleotitur devotionem sensibilem. maie
facit eam desiderando et ad eam conando. Proposition con-
damnée.
— 108 —
user fidèlement, comme d'un instrument de progrès
spirituel.
Je réponds, en second lieu, que la dévotion sensible
pouvant être fausse, il faut bien prendre garde d'où
elle procède, comme il a été dit. De plus , même
quand le bon esprit en est l'auteur , elle est une de
ces faveurs dont on peut user bien ou mal. Or, celui-
là en abuse, qui, au lieu de s'en servir pour y pren-
dre des forces et s'y préparer au temps de l'épreuve,
ne pense qu'à en jouir pour elle-même : car c'est
alors ce que saint Jean delà Croix appelle la sensualité
spirituelle, par laquelle on s'attache avec dérègle-
ment au don plutôt qu'au donateur. Aussi Dieu fait
une grâce à ces âmes sensuelles lorsqu'il leur retire
la consolation, comme le médecin du corps impose
la diète pour guérir le mal causé par la gourman-
dise. Enfin, sachons bien que ce ne sont point les
goûts sensibles qui nous rendent agréables à Dieu.
Loin de là, souvent nous lui plaisons d'autant moins
alors que nous nous plaisons davantage à nous-
mêmes , et que nous nous applaudissons de voir,
selon nous, les choses marcher si bien. Mais ne nous
y trompons pas, ce qui plaît au divin Maître, c'est
l'humilité et la conviction de notre misère , c'est la
promptitude de notre volonté à faire la sienne en
toutes choses , c'est le soin d'exercer les vertus so-
lides, soit qu'il nous donne beaucoup de consolations
spirituelles, soit qu'il nous en donne peu.
- 109 —
SECTION IV. - DE LA RELIGION COMPAREE A LA
SAINTETÉ ».
Nous ajoutons ici volontiers cette considération ,
qui est d'un si haut intérêt pour tout vrai chrétien ,
et particulièrement pour les personnes qui sont en
religion.
I. Qu'est-ce que la sainteté ?
Un cœur ardent et généreux fait dire facilement à
celui qui embrasse l'état religieux: Moi, j'y veux
devenir un saint. Au contraire, il peut arriver qu'on
entende un religieux pusillanime se dire à lui-même,
et répéter aux autres : Quant à moi, je n'ai pas la
prétention de faire un saint ; ce serait viser trop
haut pour ma faiblesse. Eh bien! le Docteur angélique
va répondre au premier que, pour être un saint, il
n'a qu'à être un vrai religieux ; mais le second saura
également de lui que ne vouloir pas devenir un
saint, c'est renoncer à faire un vrai religieux, c'est-
à-dire ne vouloir pas être ce qu'exprime son nom
propre, et qu'en ce cas, il ne lui restera en partage
que l'apparence, l'écorce, le masque de la religion.
En effet, dit saint Thomas, la différence oui se
trouve entre la religion et la sainteté n'est qu'une
différence de raison, c'est-à-dire une différence de
rapports sous lesquels notre esprit les envisage-
mais, pour le fond, leur essence est la même : car le
propre de la religion est de rendre à Dieu le culte qui
1. 2a 2ae. q. 81. a. 3.
— 1 10 —
lui est dû, en rapportant à l'honneur divin ses pro-
pres actes et ceux qu'elle fait produire aux autres-
vertus; et la sainteté consiste proprement en ce que
l'âme s'applique elle-même à Dieu avec tous ses actes 4.
D'où l'on voit manifestement que toutes deux, en
définitive, font une œuvre identique : la religion,
pour payer la dette qui nous oblige envers la Majesté
suprême ; la sainteté, pour faire atteindre à notre
âme sa perfection, en l'appliquant à l'Etre infini-
ment parfait. Et c'est encore l'œuvre qu'opère la
charité, sous cet autre rapport qu'elle nous unit à
Dieu par le cœur, et marque du sceau de l'amour
divin les actes de toutes nos autres vertus.
Du reste, il est nécessaire de remarquer que ,
comme il y a, clans la pratique de la religion et de la
charité, deux degrés divers, l'un indispensable au
salut, et l'autre qui s'élève plus haut, ainsi J'on doit
distinguer deux sortes de sainteté : l'une sans
laquelle il n'y a point de ciel à espérer, l'autre qui
ne s'arrête pas à cette mesure inférieure. Déjà, sans
doute, on doit dire aux chrétiens ordinaires eux-
mêmes que vouloir, par un sentiment de lâcheté et
comme par calcul, se contenter de viser au degré
inférieur seulement, c'est se mettre dans un grand
péril pour le salut, parce que, si on le manque, il n'y
en a point d'autre au-dessous, et qu'il n'est que trop
facile à notre faiblesse de le manquer en effet, dès
lors qu'elle ne vise pas du moins un peu plus haut.
Mais, quoi qu'il en puisse être des chrétiens du siècle,
1. Ranctitas dicitur, per quaiu mens liominis seipsam et sues
actus applicat Deo.
— III —
nous verrons bientôt, en parlant de l'obligation où
est le religieux de tendre à la perfection, qu'il ne lui
est pas permis de se contenter ni d'une charité ni
d'une sainteté vulgaires, comme son nom l'avertit
qu'une religion vulgaire ne saurait lui suffire.
II. Maintenant, saint Thomas nous exposera les
deux éléments de la sainteté, avec leurs notions
extrêmement nettes et précises. Le nom de sainteté,
dit-il, renferme deux choses : la première est l'exemp-
tion de souillure, qui permet à l'âme de s'appliquer
à Dieu; la seconde est une certaine fermeté dans le
lien qui l'attache à Dieu [.
1° Pour que l'âme soit en état de s'appliquer elle-
même à Dieu avec ses actes, il est d'abord nécessaire
qu'elle soit pure, selon ces paroles de l'Apôtre:
« Quelle société pourrait s'établir entre la lumière
et les ténèbres 2 ? » Or, la souillure de l'âme lui vient
de ce qu'elle s'applique à des objets qui sont au-
dessous d'elle ; car toute substance se corrompt par
son mélange avec une substance inférieure : par
exemple, l'or cesse d'être pur quand on le mêle au
plomb. Il faut donc que l'âme se dégage des choses
basses qui la souillent, afin de pouvoir s'appliquer à
la chose suprême qui est Dieu.
C'est la langue grecque qui a donné le mot par
lequel on exprime ce premier élément de la sain-
teté : Agios, sine terra, qui n'est point souillé par le
contact de la terre. Ainsi une eau pure semble être
1 . Ni iraen sanctitatk videtur duo importais : munditiam et fiï-
mitatem.
2. Qua± societas luci ad tenebras? II. Cob. 6.
— 112 —
un beau cristal ; une goutte d'eau pénétrée par la
lumière, c'est comme un diamant ; mêlée à la terre,
ce n'est plus que de la boue.
Cette partie de la sainteté, comme on le voit,
embrasse tout ce qui tient au détachement et à
l'abnégation, et nous n'entrerons point ici dans les
détails. Disons seulement en deux mots que, pour
s'exciter à cette pureté de l'âme, rien n'est plus utile
que de la considérer fréquemment dans les saints.
Quelle n'a pas été l'attention à éviter tout contact
avec les choses terrestres dans un saint Jean-Baptiste,
dans un saint Louis de Gonzague et dans ces mil-
liers de vierges si pures ? Or, la prière et la bonne
volonté peuvent nous rapprocher des saints par
l'imitation ; et les âmes qui se livrent franchement à
l'esprit de grâce sentiront bien que les siècles passés
n'ont pas tari la source de la sainteté, ni que le bras
de Dieu n'est point raccourci.
2° La langue latine a fourni le mot qui exprime le
second élément de la sainteté : Sanctus , c'est-à-
dire sancitus ou firmatus, affermi, rendu inviolable ;
et l'on appelle saint ce qui est si fortement appliqué
à Dieu, à son culte, à son service, qu'il n'est plus
possible de l'en séparer, ni permis de l'appliquer à
un autre usage.
Un saint est donc celui dont l'âme, avec tous ses
actes, est tellement appliquée à Dieu, qu'il n'y a plus
de séparation possible, parce qu'un lien solide, celui
de la loi de charité, est là pour retenir cette âme.
La fermeté est nécessaire encore à la sainteté, par
cette raison que l'âme s'applique à Dieu comme au
premier principe et à la dernière lin ; or, une telle ap-
— 113 —
plication ne permet plus la mutabilité, ainsi que le
dit saint Paul : « Qui nous séparera de la charité
de Jésus-Christ? sera-ce la tiibulation, l'angoisse,
la faim, la nudité, le péril, la persécution, le
glaive ? Je suis assuré que ce ne sera ni la mort.
ni la vie, etc. { ».
Ce double élément de la sainteté ne se trouve pa<?
seulement dans les hommes saints ; il est aussi dair
les choses saintes que l'on applique au culte divin,
comme sont les temples, les vases sacrés, etc. Mais
combien la sainteté de l'homme n'est-elle pas supé-
rieure à celle de tout objet matériel, quand il tient
son esprit, son cœur et son corps à l'abri de toute
souillure, et son âme entière avec tous ses actes
fermement appliquée à Dieu 1
III. Le baptême donne au chrétien le commence-
ment de la sainteté : car, par la rémission des pé-
chés, il lui ùte les souillures de l'âme, et par l'infu-
sion de la grâce sanctifiante, il l'applique fermement
à Dieu: Agios, sanctus. Ensuite, les autres sacre-
ments sont là pour lui conserver la sainteté, pour
l'accroître, et même pour la lui rendre, si malheu-
reusement le péché mortel venait souiller l'âme et
briser son union avec Dieu. Enfin, par les secours
de la grâce actuelle et par l'exercice des vertus,
l'âme iidèle s'élève à une sainteté toujours crois-
sante , où sa pureté est toujours plus exempte de
souillures, et son adhésion à Dieu toujours plus
étroite et plus entière.
1. Rcni. 3.
— 114 —
Mais la profession religieuse ajoute aux moyens
communs de devenir saint, des ressources toutes
spéciales et d'une grande efficacité. Ainsi, pour obte-
nir le premier élément de la sainteté, le religieux a
ses trois vœux, qui sont si propres à le séparer des
choses basses et terrestres, et à le tenir dégagé de
tout alliage. Le second élément lui vient aussi,
d'abord et principalement, de ces mêmes vœux qui
l'attachent étroitement à Dieu, et puis de ses saintes
règles qui, en le préservant, dans tous les détails
'e ses actes, du danger de la souillure et de la sépa-
ration, augmentent continuellement et perfection-
nent son union avec Dieu.
La sainteté, quelle qu'on la suppose en ce monde,
n'est jamais qu'une sainteté commencée, et cela pour
les deux parties dont elle se compose : car, d'une
part, l'âme habite une maison de boue, et, dit le
Sage, « ce corps qui se corrompt la fait pencher
en bas 4 » ; et, comme elle touche forcément à la
terre, l'usage des créatures, dont elle ne peut se pas-
ser, amène toujours quelque souillure, selon ce que
dit encore le Sage, que « le juste lui-même tombera
plusieurs fois 2 » .
D'autre part, l'adhésion de l'âme à Dieu n'est ja-
mais à l'abri du danger de la rupture : car, s'il est
vrai que, du coté de Dieu même, le lien est tel qu'il
délie tous les efforts des ennemis, du côté de l'homme,
hélas ! que ce lien est fragile, puisque, pour le rom-
pre, il ne faut qu'un acte de sa volonté ! De là cette
1 . Corpus quod corrampitur, aggravât animam. Bap. 9.
2. Septies enim cadet justus. Prov. 24.
— 115 —
nécessité pour le saint en ce monde, de se défier
complètement de lui-même et de ne s'appuyer en
toutes choses que sur la force divine. Cette sainteté
d'ici-bas réclame donc toujours l'attention et la di-
ligence de l'âme ; il lui faut un travail continu de
réparation, de rénovation et d'accroissement, et le
saint sur la terre ne peut jamais dire : J'ai assez fait.
Tel est l'avertissement que Dieu lui donne par son
prophète : « Je t'ai établi pour que tu arraches et
détruises, et pour que tu bâtisses et que tu plan-
tes l » ; et ces divines paroles ne s'appliquent à per-
sonne avec plus de vérité, de continuité et d'étendue
qu'au religieux dans son saint état.
C'est au ciel seulement que la sainteté sera par-
faite et consommée dans ses deux parties : là, il y
aura exemption complète de toute souillure, et il y
aura adhésion inébranlable et éternelle de l'âme au
Dieu infiniment saint.
ARTICLE 111.
DU LIEN, DE L'OBLIGATION ET DE LA CESSATION DU VOEU.
Plusieurs points importants qui touchent à ces
questions sont déjà nettement exposés dans le caté-
chisme des vœux ~2; voici ce que nous avons à ajou-
ter encore.
1. Ego constitui te ut evellas etdestruas, et aedifices et plan-
tes. JÉBÉM. I.
2. 1» part. C. I.
I. Un religieux ne peut pas se lier par des vœux
perpétuels, lorsque la règle qu'il embrasse ne les
prescrit que pour un temps ; du moins^ la commu-
nauté ne serait nullement engagée envers lui par de
semblables vœux. De même, il ne lui est pas permis
de se lier seulement pour un temps qu'il détermi-
nerait lui-même, quand la règle entend qu'il fasse
des vœux perpétuels. Enfin, il ne peut vouer une
autre pauvreté, une autre chasteté, une autre obéis-
sance, que celles qui sont marquées par les constitu-
tions de l'Ordre où il est reçu. Cependant, si, en fai-
sant vœu de chasteté, il avait l'intention de vouer
la chasteté perpétuelle absolue, ou s'il l'avait vouée
déjà auparavant, alors il resterait lié, même dans
le cas où les supérieurs le délieraient du vœu au-
quel ils entendaient l'admettre selon leur institut:
de sorte que, pour être dispensé de son vœu, il lui
faudrait recourir à l'autorité du Souverain Pontife.
II. On ne peut s'obliger par vœu, sous peine de
péché mortel, pour une chose qui serait petite sous
tous les rapports : par exemple, pour une légère vio-
lation des règles ou pour une petite pratique de
piété. Dieu n'accepterait pas une obligation exagérée
que la raison désavoue, et la chose elle-même ne
serait point susceptible d'un tel engagement.
Un religieux peut très-bien s'obliger par vœu à
observer une ou plusieurs de ses règles, et c'est
l'exemple qu'ont donné plusieurs âmes ferventes;
mais elles ont montré aussi qu'il fallait mettre en
cela une juste discrétion, bien examiner si ce désir
vient de Dieu , déterminer nettement la matière et
— 117 —
le sens du vœu, et ne rien faire sans la sage direc-
tion des guides spirituels 4. Un vœu temporaire de
ce genre, qu'on renouvellerait ensuite successive-
ment, serait d'ordinaire plus discret, et pourrait se
l'aire plus aisément qu'un vœu perpétuel.
On ne peut faire le vœu d'éviter tout péché véniel,
parce que la chose est moralement impossible, et par
conséquent un tel vœu serait nul. Mais il est per-
mis de faire vœu d'éviter tels ou tels péchés véniels,
et même tout péché véniel pleinement délibéré.
III. Le vœu peut cesser d'exister de quatre maniè-
res : par l'impossibilité, par l'annulation, par la dis-
pense et par la commutation.
1° L'impossibilité. Y a-t-il des cas où les vœux de
religion cessent par cette cause? On n'en voit pas où
^impossibilité soit telle, qu'elle ait d'elle-même le
pouvoir de détruire le lien de ces vœux. Quant à leur
exécution et leur exercice, c'est autre chose Ainsi,
le cas de force majeure, comme celui d'expulsion ou
de dispersion de la communauté, laisse subsister le
lien qui oblige les particuliers, quoiqu'il ne leur soit
plus possible momentanément d'en exercer tous les
actes. Ainsi encore, en matière de pauvreté et d'obéis-
sance, l'impossibilité ou une grande difficulté de
recourir au supérieur met le religieux dans le cas de
la permission présumée, et, en vertu de cette permis-
sion, il peut faire alors tout ce qui lui paraît urgent ,
nécessaire et même convenable.
1. On peut voir à ce sujet le vœu que fit un saint religieux,
le Père de la Colombière, d'observer toutes les règles de son
institut. Journal de sa grande retraite.
— 118 —
Pour ce qui est du vœu d'entrer en religion, il cesse
par impossibilité, dès lors qu'on n'a point été jugé
admissible dans l'institut qu'on avait en vue, et il
n'impose aucune obligation de se présenter ailleurs.
2° L'annulation ou l'irritation. Le droit d'annuler
un vœu est différent de celui d'en dispenser : car le
premier appartient au pouvoir de domination, et
le second au pouvoir de juridiction. Ainsi un père ,
un marî, un maître peuvent annuler certains vœux
qu'un enfant, une femme, ou un serviteur, feraient
au préjudice de leurs droits. Le pouvoir de juridic-
tion n'appartient qu'à l'Église et à ceux de ses minis-
tres à qui elle le confère. Une femme, fût-elle supé-
rieure générale ou abbesse, est incapable de juridic-
tion, et par conséquent ne peut dispenser des vœux ;
mais elle peut annuler certains vœux particuliers,
en vertu de son pouvoir de domination, comme nous
allons l'expliquer.
Les vœux particuliers qu'on aurait faits avant
d'entrer en religion se trouvent annulés, quels
qu'ils soient, par la profession des vœux solennets ,
et suspendus seulement par la profession des vœux
simples; dans ce second cas, ils redeviendraient
obligatoires pour celui qui sortirait de l'Ordre ou de
la congrégation l.
Quand un religieux a fait la profession des vœux
solennels, son supérieur a le droit d'annuler tout vœu
particulier qu'il pourrait faire dans la suite. Les
vœux perpétuels de religion, quoique simples, sem-
blent manifestement conférer le même droit au
1, Voyez encore le Catéchisme des Vœux, lre partie, eh. I.
— 119 —
supérieur ; car la raison est la même, savoir : que
la volonté de l'inférieur étant devenue totalement
dépendante de la sienne, celui-ci ne peut pas amoin-
drir par un vœu spécial le pouvoir que le supérieur
a acquis sur tous ses actes. Et ce droit, qui appar-
tient au pouvoir de domination, non de juridiction,
peut être exercé par quelque supérieur que ce soit,
de sorte que tout vœu particulier est nécessaire-
ment accompagné de cette réserve : « à moins que
mon supérieur, ou ma supérieure ne s'y oppose. » Et,
puisque ces vœux sont annulés, ils ne revivront
plus, même en cas de sortie ou de renvoi.
Enfin, que dire d'un vœu particulier que ferait
un religieux qui n'a prononcé que des vœux tempo-
raires de religion ? Il faut répondre, ce semble, que
si l'obéissance vouée temporairement est une obéis-
sance universelle, tout vœu particulier peut être
encore annulé par le supérieur, puisque la raison
alléguée ci-dessus a également ici sa force. Mais si
ce vœu portait sur une matière qui dût subsister
encore après l'expiration de l'engagement tempo-
raire, il ne pourrait être alors que suspendu, et
deviendrait obligatoire pour celui qui sortirait de la
congrégation.
Quant aux vœux de religion , il y a des instituts
où les supérieurs pourraient les annuler, même
sans posséder le pouvoir de juridiction, ni par con-
s '«[lient celui de dispenser : ce sont les congrégations
où la règle approuvée leur attribue le droit d'annuler
les vœux simples par Je seul fait du renvoi légitime
d'un sujet. Mais les supérieurs doivent bien remar-
quer que, pour cette annulation, il taut que le renvoi
— 120 —
soit légitime, c'est-à-dire fondé sur les motifs
d'exclusion que les constitutions ont établis elles-
mêmes.
Lorsqu'un religieux oblige par sa mauvaise con-
duite les supérieurs à le renvoyer et à le délier de
ses vœux, il doit savoir que, outre les péchés dont il
a pu se rendre en cela coupable contre d'autres
obligations de conscience, il en commet un spécial
et très-grave contre la charité qu'il se doit à lui-
même, en causant la perte de sa vocation, et en
exposant par là son salut, hors de la voie que la
divine bonté lui avait ouverte. Car, s'il est très-vrai
que cette voie, par rapport à son salut éternel, n'est
pas pour lui comme une sorte de ligne géométrique
dont, une fois sorti, il ne pourra plus espérer les
secours divins, il faut dire cependant qu'en sortant
du plan providentiel que Dieu lui avait tracé, il se
met hors du courant des secours abondants qui lui
avaient été aussi préparés dans cette voie, et par
conséquent qu'il s'expose grandement à manquer
ensuite son salut.
3° La dispense. Le chef de l'Église a seul le pou-
voir de dispenser des vœux solennels de religion.
Tout évêque, dans son diocèse, possède le pouvoir
ordinaire de dispenser des vœux simples, excepté
les cinq qui sont réservés au Pape, parmi lesquels
il nous suffit de citer le vœu de chasteté perpétuelle
absolue. Il faut excepter encore les vœux simples
de religion, même les vœux temporaires, dans les
instituts approuvés par le Saint-Siège.
Quant au vœu d'entrer en religion, il est aussi
réservé au Pape, mais seulement lorsqu'on a fait
— 121 —
vœu d'entrer dans un ordre religieux proprement
dit; or, l'on sait, par les déclarations du Saint-
Siège , que présentement ce cas n'existe pour aucune
communauté de femmes en France.
4° La commutation des vœux. D'après la théologie,
il est permis à chacun de commuer un vœu qu'il a
fait lui-même, en un autre évidemment meilleur,
par la raison que le second renferme virtuellement
le premier. C'est un principe certain, quoique dans
son application la prudence demande souvent qu'on
ne s'en rapporte pas à son seul jugement. Or, de là
sort le droit que conserve, en thèse générale, tout
religieux de passer à un institut plus parfait : ce
qui n'est autre chose que commuer soi-même ses
vœux en des vœux meilleurs. Mais cette application
du principe exige encore plus de considération, et
nous reviendrons ailleurs plus explicitement sur
cette grave matière *.
1. Cliap. III, art. IV,
— 122 —
CHAPITRE IL
D E L'EXCELLENCE DES VŒUX DE KELIGION, ET DE
ARTICLE I.
EXCELLENCE DE CES VOEUX.
SECTION Irè. — LES VŒUX DE RELIGION COMPARÉS AUX
AUTRES VŒUX.
Nous n'avons point à traiter ici longuement des
différentes espèces de vœux : indiquons cependant
les notions principales.
On distingue le vœu personnel et le vœu réel, le
vœu absolu et le vœu conditionnel, le vœu perpétuel
et le vœu temporaire, le vœu commun et le vœu spé-
cial de religion.
Le vœu personnel impose son obligation exclusi-
vement à la personne qui le fait, sans que cette obli-
gation soit transmissible à une autre.
Le vœu réel fait tomber l'obligation directement
sur la chose que l'on promet à Dieu : de sorte que
l'exécution peut se transmettre à une autre personne
et devenir obligatoire pour elle, par exemple pour
un héritier.
Le vœu est absolu quand on promet quelque
chose à Dieu sans condition ; il est conditionnel, si
— 123 —
l'on pose quelque condition à l'exécution de la
chose promise. Le vœu conditionnel n'oblige que
dans le cas où la condition se trouve vérifiée.
Le vœu est perpétuel quand on a entendu s'en-
gager pour toute la vie. Il est temporaire si l'on ne
s'est engagé que pour un temps.
Le vœu commun est celui où Ton promet à Dieu
quelque bonne œuvre que ce soit.
Le vœu de religion est celui où l'on promet à Dieu
d'entrer dans l'état religieux, et les vœux de reli-
gion sont ceux où l'on promet à Dieu la pauvreté,
la chasteté et l'obéissance dans ce même état.
Les vœux de religion renferment l'hommage le
plus parfait, le plus agréable à Dieu, et par consé-
quent le plus méritoire, après le martyre, que
l'homme puisse offrir en ce monde à la divine Ma-
jesté. Cest comme un bouquet de la plus suave
odeur pour le Seigneur, et que nul autre n'égale
en beauté à ses yeux. Ce bouquet se compose de
trois fleurs nécessaires et inséparables, et il ne se
fait que dans l'état religieux, où d'ailleurs se trou-
vent des moyens abondants de le préserver de tout
dommage , de l'entretenir dans sa fraîcheur , d'en
accroître chaque jour l'éclat, et de le relever encore
par tous les ornements accessoires dont il est sus-
ceptible.
La preuve manifeste de cet éloge est que les trois
vœux de religion sont un engagement à ce qu'il y a
de plus élevé dans la doctrine de Jésus-Christ ou la
morale chrétienne, c'est-à-dire un engagement à la
pratique des conseils évangéliques. Mais, ici, il est
nécessaire de donner plusieurs explications.
— I2Î- —
SECTION II. — DES CONSEILS EVANGÉLIQUES.
I. Qu'est-ce en général que les conseils évangéli-
ques ? Pour le faire mieux entendre, il faut rappeler
ce que nous avons déjà expliqué, qu'il y a deux sortes
de sainteté sur la terre: l'une, réduite à ses élé-
ments essentiels, consiste à ne point se détacher de
Dieu par le péché mortel ; l'autre s'élève à un plus
haut degré de pureté et d'union avec lui. A ces deux
sortes de sainteté, correspondent deux sortes de
moyens : les uns que Dieu exige rigoureusement ,
les autres qui tiennent seulement à sa volonté de
bon plaisir. Ainsi, outre nos actions obligatoires, il
en est une foule d'autres par lesquelles nous pouvons
plaire au Seigneur, sans qu'aucune loi nous les
prescrive ; et même, dans les actes commandés, il y
a lieu encore d'ajouter, à ce qui est de rigueur, plus
ou moins de perfection, de pureté et de soin, tant
par l'intention qu'on y apporte que par la manière
de s'en acquitter. C'est à quoi nous invite Jésus-
Christ dans son Évangile, et le Saint-Esprit par les
bons mouvements qu'il nous suggère intérieurement
au cœur ; et ces invitations sont ce que l'on appelle
les conseils, par opposition à ce qui est compris sous
le nom de préceptes.
II. On distingue deux sortes de conseils évangéli-
ques: les uns qui n'ont pour objet que des matières
spéciales et des actes particuliers ; les autres qui em-
brassent une matière générale et pour ainsi dire uni-
verselle.
— 125 —
Ainsi Jésus-Christ donne des conseils particuliers,
quand il nous dit de bénir ceux qui nous maudis-
sent, de faire du bien à notre ennemi, même dans
les cas où le précepte n'oblige pas, de tendre la joue
gauche à celui qui nous a frappé sur la droite, etc.
Dans chaque vertu et même dans chaque comman-
dement de Dieu, il y a de ces conseils particuliers
qui invitent à faire au delà du devoir de conscience,
soit pour ce qui regarde telle ou telle circonstance,
soit pour ce qui tient à l'intention plus ou moins par-
faite, au nombre plus ou moins multiple des actes,
à la ferveur plus ou moins grande avec laquelle on
peut agir. Enfin, c'est encore un conseil particulier
que de s'engager par vœu à faire une bonne œuvre
quelconque, soit libre, soit commandée : si elle est
libre, vous vous imposez un devoir que Dieu ne vous
imposait pas ; si elle est commandée, vous ajoutez
à une obligation déjà existante une obligation nou-
velle de votre plein gré ; et c'est ainsi que, pour
plaire davantage au Seigneur, vous multipliez les
liens qui vous attachent à lui.
Les conseils qui embrassent une matière générale
et comme universelle sont précisément les trois que
Jésus-Christ a donnés dans son Évangile touchant la
pauvreté, la chasteté, l'obéissance, et dont l'accom-
plissement s'étend sur la vie entière, de manière à
en faire un genre de vie spécial.
Les conseils particuliers, remarque Suarez * , ont
ordinairement le même objet que les préceptes ; ce
n'est qu'à raison des circonstances qu'ils deviennent
1. De Beligione. Lib. I. c. 8«
— 128 —
des conseils seulement : par exemple, aimer nos
ennemis et faire du bien à ceux qui nous persécu-
tent est un commandement en certaines choses , et
seulement un conseil dans certaines autres ; tandis
que les trois conseils dont nous parlons maintenant
se trouvent tout à fait en dehors des préceptes. Les
premiers, explique encore saint Thomas 4, appar-
tiennent à la perfection déjà acquise, et leur obser-
vation procède de la surabondance de la charité ; au
lieu que les seconds sont des moyens généraux qui
servent à acquérir la perfection, en fournissant des
instruments propres à toutes les vertus, et surtout à
la charité. De là vient que Jésus-Christ Notre-Sei-
gneur a choisi ces derniers pour les opposer aux trois
concupiscences , qui sont les trois grands obstacles
à la perfection. Voilà aussi pourquoi on les appelle
proprement et spécialement les conseils évangéli-
ques , et c'est la pratique de cette portion sublimo
de l'Évangile qui fait appeler ceux qui s'y engagent
par état dans l'Église, « la portion choisie du trou
peau de Jésus-Christ ».
III. Ne peut-on pas, sans être religieux, vouer à
Dieu la pauvreté, la chasteté et l'obéissance?
1° Il est facile de voir que l'observation des trois
conseils évangéliques ne peut être que partielle hors
de l'état religieux, que nécessairement elle restera
toujours incomplète, et qu'elle n'aura point ce
caractère d'universalité qui embrasse la vie entière
avec tous ses actes. Celui qui vit au milieu du siècle
1. 2a 2œ. q. 186. a. 2.
— lc27 —
n'est pas dans une position où ni la pauvreté ni
l'obéissance puissent se pratiquer, et par conséquent
se vouer d'une manière absolue; et, vu les néces-
sités de la vie, l'exercice qu'il en voudra la^re ne
sera encore qu'une pratique particulière des conseils
évangéliques. Pour avoir toute leur perfection et la
plénitude de leur exécution, il faut faire ce que dit
Notre-Seigneur lui-même : Si vous voulez être parfait,
allez , c'est-à-dire quittez le monde ; vendez tout ce
que vous avez, c'est-à-dire dépouillez-vous de toute
propriété, et venez dans un lieu et dans un état où,
sans rien avoir, sans jamais cesser d'être totalement
pauvre, vous trouverez cependant toujours le néces-
saire à votre vie. grâce aux attentions de ma Provi-
dence ; et là, il vous sera également bien plus facile
de me suivre dans la perfection de la chasteté ; mais,
surtout, vous aurez le moyen de devenir comme
moi obéissant jusqu'à la mort, et de me consacrer
votre vie entière par l'assujettissement le plus uni-
versel de la volonté 4.
2° On peut, sans être religieux, se dévouer, dans
une certaine mesure plus ou moins large , à la pra-
tique des trois conseils évangéliques ; et Dieu y
appelle quelquefois certaines âmes, sans les appeler
pour cela à la vie religieuse. Mais alors il faut beau-
coup de lumière et d'attention pour découvrir nette-
ment sa sainte volonté, et beaucoup de discrétion
pour fixer les justes limites qu'on devra s'imposer :
de sorte que, dans des choses si délicates, un direc-
1. Si vis perfectus esse, vade, vende omnia quae habes, et da
pauperibus, et veni, sequere me. Matth. 19,
— 128 —
teur sage selon Dieu est presque toujours indispen-
sable.
Ainsi, pour la pauvreté évangélique môme hors
de l'état religieux, Dieu a suscité dans son Église
d'admirables exemples, soit que le vœu particulier
Tait consacrée, soit qu'une ardente charité ait tenu
lieu d'engagement. Qui ne connaît un saint Alexis,
et ce bienheureux Benoît-Joseph Labre, dont le
Saint-Siège vient de glorifier l'héroïque mendicité ?
La chasteté peut être vouée hors de l'état religieux,
comme le prouve la constante pratique de l'Église ;
et c'est une vie à laquelle plusieurs personnes sécu-
lières peuvent être appelées de Dieu. Cependant ce
vœu perpétuel ne doit se faire dans le monde qu'avec
une grande circonspection, et après avoir bien con-
sidéré toutes les circonstances pour le présent et
l'avenir. Un vœu temporaire est de nature à être
plus facilement admis en cette matière, et même
on ne voit pas pourquoi cette consolation, ce mérite
ou ce secours, serait refusé à une âme de bonne vo-
lonté que la grâce semble y incliner. Tout incon-
vénient disparaîtra, si Ton n'embrasse à la fois
qu'une courte durée, après laquelle on pourra tou-
jours voir s'il convient de renouveler l'engagement.
Enfin, on peut, sans être religieux, dit Suarez l,
vouer l'obéissance à un autre , par exemple à un
confesseur : soit à la condition que cet autre voudra
l'accepter, soit même sans que cette acceptation soit
une condition nécessaire. Il sera très-convenable
cependant que celui à qui l'on a voué l'obéissance
1. De Rellg, Lib. X. c. 3.
- 129 -
en soit instruit, pour qu'il puisse mettre plus de
circonspection à commander. Du reste, personne
ne peut, en vertu de ce vœu, être obligé à changer
son état actuel, comme à se marier, à se faire reli-
gieux, ou à ne pas entrer en religion ; en un mot,
l'obéissance, pour lui, doit rester dans les limites de
sa condition , sans qu'on puisse rien lui prescrire
qui entrave ses devoirs ordinaires. Même un prélat
ou un religieux peuvent, dans les mêmes limites,
vouer à Dieu cette sorte d'obéissance à un autre
homme , comme fit sainte Thérèse à l'égard de ses
confesseurs.
SECTIOX III. — LA PROFESSION RELIGIEUSE COMPARÉE
AU BAPTÊME.
« La profession religieuse est un second bap-
tême » ; ainsi parlent les saints Docteurs ; et la rai-
son qu'ils en donnent est qu'elle produit trois effets
semblables . elle efface les péchés, elle fait mourir le
vieil homme, et elle communique une vie nouvelle.
I. La profession religieuse remet tous les péchés,,
ainsi que le baptême ; c'est la doctrine commune
des théologiens, à la suite de saint Thomas et de
saint Antonin. Il se fait alors une condonation si
pleine et si entière de toutes les peines temporelles
dues au péché, qu'un religieux qui mourrait aus-
sitôt après sa profession irait droit au ciel . sans
avoir à craindre le purgatoire. Et l'Ange de l'école
observe l que cette rémission des péchés n'est point
1. In I. sent. Dlbt. I. q. 3. a, 3.
— 130 —
gratuite comme dans le baptême ; mais qu'elle est
le fruit de la plus grande satisfaction que l'homme
puisse offrir à Dieu, puisqu'en ce moment il lui
sacrifie tout, et se sacrifie lui-môme *.
Saint Anselme cite le fait d'un religieux qui appa-
rut à ses frères, et leur raconta la lutte qu'il avait
eu à soutenir contre le démon au moment de sa
mort. Il lui semblait être déjà au tribunal de Dieu,
et l'ennemi du salut s'était présenté pour l'accuser ;
mais il lui survint aussi du ciel quelqu'un pour le
défendre. Satan lui ayant donc objecté des fautes
qu'il avait commises avant son baptême (car il ne
l'avait reçu qu'à l'âge des adultes), l'accusé répli-
qua que l'eau sainte les avait effacés : ce qui fut con-
firmé par le défenseur céleste. L'ennemi se rabattit
sur d'autres péchés commis encore depuis le bap-
tême ; mais le religieux crut lui fermer la bouche
en répétant ce qu'on lui avait dit, qu'il n'en restait
plus rien depuis le jour de sa profession, et en effet
le défenseur l'appuya par une démonstration sans
réplique. Enfin le démon ayant voulu faire valoir
les fautes qu'il lui avait fait commettre dans le cours
de sa vie religieuse, le mourant eut encore sa ré-
ponse, toujours soutenue par le céleste avocat, qu'il
les avait couvertes au moyen de ses confession:,
diligentes et les œuvres de la vie religieuse elle-
même. Saint Athanase raconte un trait presque sem-
blable clans la Vie de saint Antoine.
1. 11 semble qu'une fervente rénovation des vœux doit aussi
participer proportionnellement à ce mérite de leur première
émission, et que chacun peut l'espérer selon la mesure des dis-
positions qu'il y apporte.
— 131 —
II. La profession religieuse, comme le baptême,
donne la mort au vieil homme. En effet : 1° le reli-
gieux alors meurt au monde et à tout ce qui est du
monde. Le triple renoncement à Satan, à ses pom-
pes et à ses œuvres est même beaucoup plus éner-
gique et plus complet dans la profession des vœux
que dans les promesses baptismales, et la triple con-
cupiscence, qui est le fond du vieil homme, y reçoit
un coup bien plus vigoureux.
2o Par l'engagement de ses vœux, le religieux
cesse d'être ce qu'il était vis-à-vis des hommes, "à tel
point que jadis la loi le déclarait mort civilement.
De ce jour donc il n'est plus du monde, ni le monde
ne le connaît plus ; et s'il voulait y reparaître, il
serait regardé et traité comme un étranger qui n'est
point à sa place, comme un mort revenu parmi les
vivants.
3° Mais Dieu surtout ne tient plus compte du passé
pour un homme qui s'est dévoué à lui de la sorte.
A ses yeux, le religieux, non moins que le nouveau
baptisé, est enseveli dans la tombe avec Jésus-Christ;
et, en cet état où il le voit, comme son Fils bien-aimé,
dégagé des anciennes dépouilles, il ne trouve plus
en lui rien de ce qui avait blessé jadis ses divins
regards , malgré ces restes de la concupiscence qu'il
sent encore, et qui lui sont laissés pour le combat
et pour le mérite l.
]. In renatis nihil odit Deus; quianihil datnnationis esi Lia
qui verecouBepultisuntcran Christo per baptisma in mortem...
.Manure autem concupiscentiam vel fomitem hœc sancta Sy-
nodus fatetur et sentit, quae eu ni ad agonem relient -ii. aocere
non eoiisu'Uienubu.s, sed viriliterpearCansti Jesu gratiam repu-
— 132 —
NI. La profession des vœux fait passer le religieux
à une vie nouvelle, comme l'Apôtre le dit encore du
saint baptême *. Après avoir été trop souvent par sa
vie mondaine semblable au premier Adam et terres-
tre comme lui, le religieux, au jour de ses vœux,
prend la ressemblance du second Adam, et, à son
exemple, il se voit, il se sent lui-même par sa grâce
comme transformé en un homme céleste 2. Alors
tout en lui devient nouveau : ce sont nouvelles pen-
sées et nouveaux sentiments, nouvelles apprécia-
tions et nouvelles tendances, nouveaux goûts et nou-
velles jouissances, nouvelles œuvres et nouvelle ma-
nière de les faire : de sorte qu'il faut lui appliquer
encore ce que le concile de Trente dit du nouveau
baptisé, « qu'il ne marche plus selon la chair, mais
que, dépouillé du vieil homme, il est devenu par sa
profession innocent, immaculé, pur, sans souillure,
et chéri de Dieu, dans tous les détails de sa nouvelle
vie 3 ».
Un passage de saint Bernard nous résumera toutes
ces considérations : « Vous voulez apprendre de moi
pour quelles raisons, entre tous les autres moyens
de faire pénitence, la profession religieuse a mérité
cette prérogative d'être appelée un second baptême?
gn an tibias non valet ; quinimo qui légitime certaverit corona-
bitur. Conc. Trid. sess. V. De Pecc. orig. 5.
1. Ut quemadmodum Christus surrexit a mortuis, ita et nos
in novitate vitae ambulemus. Kom. 6.
2. Prirnus homo de terra terrenus ; secundus homo de cœlo
cœlestis. Qualis terrenus, taies et terreni ; et qualis cœlestis,
taies et cœlestes. 1. Cor. 15.
3. Qui non secundum carnem ambulant, sed veterem homi*
nem exuentes, innocentes, immaculati, puri, iruioxii ac Deo di-
lecti effecti sunt. Conc. Trid. ibid»
— 133 —
C'est parce qu'elle est un parlait renoncement au
monde, et que l'excellence singulière de la vie spi-
rituelle qu'on y mène, l'élève au-dessus de tous les
autres genres de vie qui sont sur la terre: de sorte
que les religieux, quittant la ressemblance des hom-
mes, prennent celle des Anges, et même rétablis-
sent en eux l'image de Dieu, en se configurant à
Jésus-Christ, comme il arrive dans le baptême. Mais,
de même que ce sacrement nous arrache à la puis-
sance des ténèbres pour nous transférer dans le
royaume de la clarté éternelle, ainsi par cette seconde
régénération que produit un si saint engagement,
nous échappons aux ténèbres, non du seul péché
d'origine, mais de plusieurs péchés actuels, pour
entrer dans la lumière des vertus, nous faisant à
nous-mêmes une nouvelle application de ces mots
de l'Apôtre: la nuit a passé, et le jour s'est ap-
proché de nous l » .
SECTION IV. — LA PROFESSION RELIGIEUSE COMPARÉE
AU MARTYRE.
1. Saint Jérôme, parlant du dévouement religieux,
s'exprime ainsi, dans lépitaphe de sainte Faule :
1. Aadire raltis a me ande, inter castera pœnitent'as insti-
tata, nionasterialis disciplina meruerit hanc pragrogativam. ut
secnndnm baptisma nuncupetur 1 Arbitror, ob perfectam mandi
abrennntiationem, et singnlarem excellentiam vitœ spirituàlis,
qua prreeminens aniversis vitre humanœ generibus hujusrnodi
conversatio professores suos angelis similes facit ; immo divi-
nam la homine reformât imàgiuem, configarans nos Christo
instar baptismi. Sedet qnomodo in baptismo eraimar de potes-
tate tenebrarani et trausfeiïmar in regnam claritatis œterme ;
ita et in sanctissinii hajus secanda qaadarn regeneratione pro-
positi, de tenebris aeqne non anias originalis sed maltoram ac-
4**
— 134 —
« Ce n'est pas seulement l'effusion du sang qui
compte pour le martyre, mais il faut dire que ce
service parfait d'une âme qui dévoue sa vie au Sei-
gneur est aussi un martyre de tous les jours : le pre-
mier tresse sa couronne de roses et de violettes, le
second compose la sienne de lis l ». En effet, si le
martyre du sang est le plus grand acte de charité
que l'homme puisse produire avec l'aide de la grâce,
le sacrifice religieux, par son dévouement quotidien,
multiplie tellement les actes de la charité, qu'ils sont
peut-être capables d'égaler ou même de surpasser
quelquefois le mérite de l'effusion du sang.
Le martyre du sang ne dure que peu de temps, et
un grand effort peut suffire pour s'en assurer le prix;
celui de la profession religieuse est d'ordinaire beau-
coup plus long, et il rachète ainsi par la durée ce
qui lui manque du côté de la violence et de l'inten-
sité. Il faut y mourir chaque jour, selon l'expression
de saint Paul 2, c'est-à-dire qu'il faut y donner à la
nature corrompue des coups sans cesse redoublés,
par la mortification, qui, d'après la force du mot,
doit opérer la mort 3.
Martyr signilie témoin ; or, quel beau témoignage
on rend par la profession religieuse, et combien il
est tout ensemble glorieux à Dieu et salutaire aux
tualium delictorum, in lumen virtutum evadinius,redaptantes
nobis illud Apostoli : Nox prsecessit, dies autem appropinqua-
vit. 8. Bern. de Prascepto et Disciplina.
1. Non solum effusio sanguinis martyrium reputatur, sed
devotse que-que mentis servitus immaculata quotidiannm mar-
tyrium est : illa corona de rods et violis texitur, ista deliliis.
2. Quotidie morior. I. Cor. 15.
3. Propter te mortiiicamur tota die. Rom. 8.
- 13S -
hommes ! Glorieux à Dieu dont il proclame à cha-
que instant les droits à tous nos services; salutaire
aux hommes, soit à nos frères mêmes par l'encoura-
gement journalier du bon exemple, soit aux person-
nes du siècle, qui y trouvent une prédication élo-
quente de la vérité chrétienne. Et que de fois, en
effet, cet aspect de la vertu, reconnue et appréciée
par l'impie, n'a-t-il pas fait rentrer la foi dans son
âme et sollicité de saintes résolutions dans sa volonté!
II. Mais la profession religieuse n'est pas un seul
martyre, elle en renferme plusieurs à la fois.
1° Il y a le martyre de la pauvreté volontaire.
Ecoutons saint Bernard : « Pourquoi la même pro-
messe, dans le discours sur la montagne, est-elle
faite aux pauvres et aux martyrs, sinon parce que la
pauvreté volontaire est un ger^e de martyre [ *? »Et
il décrit ainsi ce martyre de la pauvreté religieuse
avec autant de vérité que d'énergie. On avait des
biens temporels , avec l'assurance des avantages
qu'ils procurent, et l'on s'est mis par le dépouille-
ment dans la gêne de la pauvreté et l'incertitude de
l'avenir. On pouvait du moins acquérir quelque
chose, et Eon s'est ôté le droit de recevoir même
ce que voudrait offrir le monde. En vain Satan essaie
de tenter la cupidité ; on a renoncé à toute espé-
rance, et l'on se rit de ses tentations. Mais, surtout,
il y a toujours au fond du cœur humain cet amour
des aises si subtil et si vivace, cette propension à
1. Quid sibi mit quod eadem pronrissio facta est pau-
peribus et martyribus, nisi quia vere martyrii genus est pau-
pertas voluntaria ?
— 136 —
se créer des nécessités imaginaires, ce désir des
petits adoucissements de la vie, qui sont comme des
démangeaisons continuelles ; et l'on sait triompher
constamment de soi-même ; et l'on résiste chaque
jour, pour l'amour du Seigneur, à tous ces picote-
ments de la nature. Que de couronnes t Quels droits
aux richesses et aux jouissances du paradis l !
2° La chasteté religieuse est un martyre plus glo-
rieux et plus méritoire encore que la pauvreté. Car la
vie de l'homme, dit le Saint-Esprit, est un combat
sur la terre ; mais quel est l'objet principal de cette
lutte incessante, sinon la sensualité? Guerre intes-
tine et domestique où l'ennemi est au dedans, tou-
jours en armes, et jamais terrassé; où, même après
qu'on a fui généreusement les occasions et les séduc-
tions extérieures, la chair est encore là sans cesse
harcelant l'esprit. Quel noble témoignage donc l'âme
parfaitement chaste ne rend-elle point à Dieu, quand
elle conserve ainsi son trésor clans un vase fragile ?
Hélas ! dit saint Isidore, « c'est par le vice impur,
plus que par tout autre, que le démon s'assujettit
le genre humain » ; et saint Augustin observe
« qu'entre tous les combats des chrétiens, les plus
durs sont les combats de la chasteté, où la lutte est
quotidienne, et rare est la victoire » 2. Et pourtant
que d'âmes pures dans les maisons religieuses!
1. Paupertate premi inter divitias quas affert mundus, quas
ostentat diabolus, quas desiderat noster iste appetitus : an non
merito coronabitur qui sic certaverit, mundum abjiciens pro-
mittentem, irridens inimicum tentantem, et quod gloriosius est,
de seipso triumphans, et crucifigens concupiscentiam prurien-
tem? Bern. Serm. 1 omnium sanct.
2. Inter omnia christianorum certamina, duriora sunt praelia
castitatis ubi quotidiana est pugna et rara Victoria,
— 137 —
Quelle vigilance à repousser les moindres attaques !
Quelle fidélité à se garder des taches les plus légè-
re- ! En un mot, quelle gloire rendue à cette grâce
divine qui triomphe dans l'infirmité !
3° L'obéissance, troisième martyre de la vie reli-
gieuse, et c'est le plus méritoire de tous, puisqu'il im-
mole ce que l'homme a de meilleur et de plus cher,
sa propre volonté; c'est le plus étendu et le plus
continuel, puisqu'il embrasse tous les actes et toute
l'existence du religieux.
III. Une dernière et frappante considération à pré-
senter sur le martyre de la vie religieuse, est qu'il
ressemble au crucifiement. Les religieux sont, comme
Jésus-Christ, des hommes crucifiés; et c'est par les
vœux que s'exécute ce martyre. Après que, durant
leur noviciat, on les a pour ainsi dire mesurés à leur
croix future, vient le moment de les étendre des-
sus : c'est celui de leur profession, et on les y atta-
che par trois clous ; en sorte qu'ils peuvent dire avec
l'Apôtre: « Le vieil homme en nous est cloué à la
croix i » par les clous des trois vœux. Et voici com-
ment de pieux auteurs ont expliqué les effets de ce
crucifiement spirituel.
Premièrement, un clou, quand on l'enfonce, com-
mence par pousser dehors l'obstacle qu'il rencontre.
Ainsi font les clous des saints vœux dans l'âme du
religieux ; ils poussent dehors les affections déré-
glées, de manière à détruire d'abord en lui le corps
du péché, comme parle saint Paul 2.
1. Vêtus homo noster crucifixus est. Rom 6
2' yep^°?° n°Ster crucifixus est> ut'dêstrnatur corpus
peccati. Rom. 6. ^
4***
— 138 —
Ensuite, les clous, par un second effet, percent
et déchirent les membres du crucifié : tellement
que, par suite de cette violente suspension de tout
le corps sur trois points douloureux, sa vie n'est
plus qu'une souffrance continue et universelle. Et
c'est ce qui a lieu en quelque manière dans la vie
religieuse, où les trois clous des vœux sont toujours
là pour se faire sentir. On y est donc, comme ceux
qui sont sur la croix, dans un état de vie et de mort,
et le religieux, ainsi que le crucifié, est, suivant
l'expression de l'Apôtre, un homme qui vit et meurt
tout à la fois l.
Le troisième effet des clous pour le patient est de
le serrer si fortement à sa croix, qu'il n'y a plus
moyen pour lui de s'en détacher, surtout si la pointe
en a été recourbée. Et n'est-ce pas ce que font aussi
les vœux de religion, principalement les vœux per-
pétuels, les vœux solennels, où l'on recourbe pour
ainsi dire leurs pointes t Alors et désormais, il n'est
plus possible de quitter la croix, à moins d'en venir
à l'horrible déchirure de l'apostasie. De plus, le
crucifié, retenu si étroitement à la croix, n'a plus
la liberté de ses actes, ni même de ses moindres
mouvements ; et il en est ainsi du religieux attaché
par les saints vœux. Enfin, quand un homme est
élevé en croix, il se trouve suspendu entre le ciel et
la terre ; et telle est la situation du religieux en ce
monde, à partir du jour de sa profession : par ses
pieds et ses sens il est encore proche de la terre ,
mais sa tête et son esprit sont rapprochés du ciel ;
l. Quasi morientes etecce vivimus. II. Cor, 6,
— 139 —
toujours de ce monde par le travail et l'épreuve, il
est déjà dans l'autre par le désir et par la certitude
de son espérance.
Il est rapporté dans la Vie de saint Bernard qu'un
jour il rencontra un malfaiteur chargé de chaînes,
que conduisaient à la potence les gens armés du
comte de Champagne. Le saint Abbé , poussé par
une inspiration d'en haut, s'approche des archers
et les prie de lui livrer cet homme, assurant qu'il
le châtiera comme il le mérite. On s'étonne de sa
demande, et pendant qu'il insiste pour vaincre le
relus des soldats, le comte de Champagne, qui chas-
sait alors dans la foret voisine, survient, et après
avoir donné au saint des marques de sa vénération,
est tout surpris de lui entendre réitérer sa propo-
sition. Eh quoi! saint père, lui dit le prince, ignorez-
vous quel est le coquin auquel vous vous intéressez ?
Et aussitôt il lui fait le récit de ses méfaits, pour les-
quels assurément, ajoute-t-il, la corde lui est bien
due. J'admets tout cela, reprend le saint en souriant,
et voilà justement pourquoi je me propose moi-même
de lui infliger son châtiment, qui ne sera pas une
seule, mais plusieurs morts. Bref, il obtient qu'on
lui abandonne le coupable, et il le mène à Clair-
vaux. Une grâce victorieuse avait déjà pénétré dans
le cœur de cet homme ; la charité du saint Abbé fut
si heureuse, que le malfaiteur, après une conversion
exemplaire, fut jugé digne d'être admis au nombre
des religieux ; et c'est là que, durant plus de trente
années, il vérifia les paroles de saint Bernard, s'in-
lligeant chaque jour de ses propres mains, par des
austérités rigoureuses, le châtiment que des mains
— 140 —
étrangères ne lui eussent fait endurer qu'une seule
fois.
ARTICLE II
de l'état religieux, ou de perfection.
SECTION Ire. — EN QUOI CONSISTE PRÉCISÉMENT UN ÉTAT,
ET NOTAMMENT L'ÉTAT RELIGIEUX1.
I. Le mot état, status, vient du verbe latin stare,
se tenir debout; et l'on appelle proprement état, une
certaine position que prend chaque chose, eu égard
à ce que demande sa nature, pour se trouver con-
venablement dans une sorte de fixité et de repos.
Ainsi l'on dit de l'homme qu'il se tient debout, stat ,
quand les pieds étant fermement appuyés en bas,
et la tête élevée en haut, tous les membres du corps
se trouvent dans une disposition convenable d'équi-
libre solide et d'immobilité.
Dans l'ordre moral, les choses qui sont extrin-
sèques à l'homme et facilement variables ne con-
stituent point pour lui ce qui s'appelle un état; mais
l'état doit affecter sa personne même, lorsque, par
une cause permanente et fixe, il devient ou maître
de lui-même ou dépendant d'autrui ; c'est pourquoi
l'on dit que l'état suppose une certaine condition de
servitude ou de liberté.
Un oftice, une charge, une dignité ne sont pas
1. 2a 2». 9. 183. a. 1,
— 141 —
des états, parce que ces choses peuvent se prendre
ou se laisser, et qu'elles n'affectent point la con-
dition de la personne elle-même.
Un offre se dit proprement à raison des actes qu'il
s'agit d'exercer: par exemple, l'ofiice de juge des-
tine celui qui en est chargé, à porter des sentences.
Mais un état dit une position inhérente à la personne
selon qu'elle y devient dépendante ou libre. Que si
Ton donne le nom d'état à certaines charges, à cer-
tains emplois, c'est à raison de l'assujettissement et
de la fixité qui s'y rencontrent.
Ainsi, il y a l'état de grâce et l'état de péché.
Dans le premier, dit saint Paul, l'homme est affran-
chi du péché et s'assujettit à la justice ; dans le se-
cond, il secoue le joug de la loi divine, pour devenir
l'esclave du péché *.
Il y a l'état que la théologie appelle l'état de voija-
genr, et l'état de corn préhenseur : l'un retient l'homme
dans les conditions de ce pèlerinage de la vie pré-
sente; l'autre l'en délivre et le place dans le bien-
heureux assujettissement de la vision béatifique.
Il y a l'état du mariage qui met les uns sous la loi
conjugale, et l'état de continence qui en retient d'au-
tres par un engagement contraire.
II. Pour arriver à notre sujet, il y a l'état séculier
et l'état religieux. Ces deux états, quand on les con-
sidère relativement à la perfection évangélique,
s'appellent : le premier, l'état commun ou de précepte;
le second, l'état parfait ou de conseil. Un séculier,
sans être dans ce dernier état auquel il ne s'est
1. Ro.u. G,
point assujetti, pourrait cependant en acquérir la
perfection intérieure, et même à un plus haut degré
que tel ou tel religieux; mais le religieux a toujours
cela de propre qu'il s'est engagé d'une manière
ferme et durable aux obligations de cet état, qu'il
fait profession publique d'être dans cet état, et qu'il
y possède des moyens très-efficaces de perfection
que ne peut avoir le séculier.
L'état religieux affecte donc la personne, en ce
que par les vœux de religion elle entre dans une
position de vie qui ne change plus, et cette position
est tout à la fois une sainte servitude et une sainte
liberté. C'est une sainte servitude, par l'heureuse
nécessité où l'on s'est mis volontairement vis-à-vis
de Dieu et de la vertu ; mais il n'en résulte nulle-
ment ce que pensent les esprits mondains, savoir:
la perte ou la diminution de la vraie liberté ; c'est
même tout le contraire, comme on peut en lire les
preuves dans Rodriguez *■ : aussi cette nécessité est-
elle pleine de mérite pour les religieux. D'autre
part, c'est un saint affranchissement du joug qui
pèse sur tant d'autres : affranchissement du monde,
de ses séductions, de ses exigences, de ses vanités ;
affranchissement même, jusqu'à un certain point,
de la concupiscence et du péché.
SECTION IL— DU MÉRITE PROPRE DE L'ÉTAT RELIGIEUX.
I. Le mérite religieux apparaît dans le dévoue-
ment à Dieu que renferme cet état de vie. Car, par
cela même qu'on s'est mis au service du Seigneur
1. Delà Perfect. IIIe partie, 2e traité, ch. 5.
— 143 —
dans une position immuable, et qu'on s'est comme
enchaîné volontairement à lui par une sainte néces-
sité, il est manifeste qu'on y fait beaucoup plus pour
le divin Maître, et conséquemment pour soi-même,
qu'on n'eût pu faire dans le siècle, même avec une
égale volonté de servir Dieu et de se sanctifier.
En effet, selon le langage des saints, on donne
ainsi à Dieu, non plus seulement les fruits de l'arbre
et du sol, mais l'arbre et le sol eux-mêmes; or, qui
ne sait qu'assurer à quelqu'un la propriété du fonds,
c'est faire plus sans comparaison que de lui en offrir
seulement les produits?
De même, cet arbre, s il était resté dans la terre
aride du siècle, eût été peut-être condamné, comme
tant d'autres, à ne donner que peu ou point de
fruits ; mais, transplanté sur les bords des eaux * , il
est dans toutes les conditions favorables pour s'en
charger abondamment. Ce sol de l'âme, laissé sous
une influence malsaine, ou livré au caprice, à l'in-
stabilité, à la paresse, eût été bien exposé à ne se
couvrir que de chardons et de ronces, tandis que,
confié spécialement au divin Agriculteur, et placé
sous l'action de ses grâces les plus abondantes, il
donne le juste espoir d'une riche moisson.
Enfin, le mérite spécial du dévouement religieux,
c'est d'être l'expression la plus haute de la dévotion :
car la dévotion, coume nous l'avons vu, est une
certaine volonté de se mettre promptement et sans
réserve à tout ce qui est du service de Dieu ; or cette
promptitude et cette plénitude de volonté ne se mon-
1. Ps. 1.
— 144 —
trent nulle part autant que dans la profession reli-
gieuse. Un chrétien du siècle aura, je le suppose,
une détermination égale à celle du religieux de ne
rien refuser au Seigneur; mais cette volonté durera-
t-elle, ainsi abandonnée à elle-même ? Pourra-t-elie
au besoin être soutenue, excitée, ranimée, comme
elle l'est au sein d'une communauté religieuse, et
parmi des frères qui nous viennent en aide dans nos
défaillances? Mais encore, accordons qu'elle soit
aussi bonne, aussi constante, et qu'elle produise des
actes égaux de vertus ; toujours est-il que le mérite
sera moindre, parce qu'il y manque celui du sacri-
fice religieux.
II. C'est ici le lieu d'examiner une curieuse ob-
jection que certains hommes du monde font quel-
quefois aux religieux. En quittant le siècle, disent-
ils, vous avez fui la difficulté; il y a là un manque
décourage, et votre vertu plus facile en sera moins
méritoire.
D'abord, on pourrait demander à ceux qui parlent
ainsi, si c'est bien réellement pour mériter davantage
qu'ils tiennent eux-mêmes à ne point abandonner
le monde.
On pourrait ajouter que si eux ou d'autres savent
triompher du monde en restant au milieu de ses
dangers, d'autres aussi, plus défiants, sentent avant
tout la nécessité pour eux de fuir ces mêmes dan-
gers, et que ceux-là font consister leur premier mé-
rite à mettre en sûreté leurs intérêts éternels.
Mais voici une réponse de saint Thomas plus ins-
tructive et plus complète *.
1. 2a 2œ. q. 184. a. 8. ad 6"»«
— 14o —
Il faut distinguer deux sortes de difficultés pour la
vertu : l'une qui tient à l'œuvre même, lorsqu'elle
est ardue ; l'autre qui provient des obstacles exté-
rieurs.
La première accroît effectivement le mérite, parce
qu'elle naît de l'excellence même de cette œuvre
ardue qu'il s'agit de faire.
Quant à la seconde espèce de difficulté qui vient
du dehors , tantôt elle diminue la perfection de la
vertu, et tantôt elle est l'indice d'une vertu plus par-
faite. Elle diminue la perfection de la vertu dans
celui qui n'aime pas assez la vertu pour vouloir se
dégager des choses mêmes qui produisent l'obstacle.
Elle est le signe d'une vertu plus parfaite dans
celui qui, se voyant inopinément ou forcément en
présence d'un obstacle, reste cependant fidèle à la
vertu.
Or, il est manifeste que la première sorte de diffi-
culté qui accroît le mérite est dans l'état religieux
beaucoup plus que dans tout autre état, puisque l'on
y tend à ce que la vie chrétienne offre de plus ardu
et de plus parfait. Pour ce qui est de la difficulté du
second genre, ri est bien vrai que les religieux tâ-
chent de s'y soustraire en toutes choses, et c'est un
effet de leur sagesse, comme c'est la preuve de leur
amour pour la vertu, et la matière spéciale de leurs
mérites. Du reste, ils ne nient pas que ceux qui sont
forcés de rester en présence des difficultés ne puis-
sent y donner des signes d'une plus grande vertu,
quand réellement ils sont fidèles.
III. A l'appui de cette réponse, ajoutons encore
un grand principe du même saint Thomas, et qui est
5
— 14b* —
partout d'une fréquente application dans le service
de Dieu. La vertu, dit-il, consiste moins dans la dif-
ficulté que dans le bien que Ton fait : de sorte que la
grandeur d'un acte vertueux doit se mesurer plutôt
par sa bonté que par sa difficulté : car c'est le bien,
plus que le difficile, qui compte pour le mérite; d'où
il suit qu'il faut regarder comme plus méritoire, non
tout ce qui est plus difficile ou plus pénible, mais ce
qui est à la fois plus difficile et meilleur, ou ce qui
tire de la difficulté un surcroît de bonté l. Or, le
bien résulte de trois choses : de la bonté de l'objet,
de la bonté de l'intention et de la charité. Par exem-
ple, les martyrs sans doute ont beaucoup mérité en
souffrant pour Jésus-Christ; mais la très-sainte
Vierge méritait plus qu'eux tous par ses moindres
actes, quoique peut-être la souffrance n'y fût pas
toujours. Et c'est là une vérité pratique qui offre
toute une direction, pour la consolation de ces âmes
auxquelles il n'est pas donné de souffrir pour Dieu
autant qu'elles le désireraient.
IV. Nous compléterons cette question du mérite de
l'état religieux par un autre enseignement du Docteur
angélique : il s'adresse à ceux que la vue de leurs
péchés passés et le besoin qu'ils sentent d'en faire péni-
tence préoccupent quelquefois plus vivement que
la pensée ouïe désir de la perfection. Voici ses paro-
1. Ibid. q. 123, a. 12; et q. 27. a. 8. Ratio virtutis magis con-
Bistit in bono quam in difficili; unde magis mensuranda est vir-
tutis magnitudo secundum rationem boni quam diflicilis. —
Plus f acit ad rationem meriti bonum quam difficile ; unde non
oportet quod omne quod est difficilius , sit magis meritorium ;
Bed quod sic est difficilius, ut sit etiam melius.
- 147 —
les : « Sans cloute, l'état religieux a été principalement
institué pour faire acquérir la perfection, et c'est
pourquoi l'on y trouve des exercices et des moyens
qui retranchent les obstacles à la parfaite charité.
Mais par là même qu'on ôte ces obstacles, on ôte à
plus forte raison les causes du péché qui détruit tota-
lement la charité. Et comme c'est en cela que con-
siste proprement et principalement la pénitence,
savoir à retrancher les causes de nos péchés, il
s'ensuit que nul état n'est plus propre à faire péni-
tence que l'état religieux. Aussi le droit canon cite
l'exemple d'un grand coupable qui reçut le conseil
d'entrer plutôt dans un monastère, que de subir la
pénitence publique en restant dans le siècle ; et la
raison qu'il en donne est que la pénitence est ainsi
tout ensemble et meilleure et plus légère 4.
Quant aux œuvres satisfactoires que la profession
religieuse donne également lieu de faire pour expier
ses péchés, nous ne répéterons pas ce qui a été dit
plus haut
SECTION III. — D'UNE CONDITION ESSENTIELLE POUR LE
MÉRITE DU RELIGIEUX DANS SON ÉTAT.
Quoique le grand acte de la profession des vœux
soit d'un excellent mérite devant Dieu, néanmoins
une vérité qu'on ne saurait trop redire aux person-
nes qui ont fait cet acte est que son mérite, pour
ne pas devenir entièrement illusoire, exige une in-
1. 2a 2». q. 185. a. 8.
2. Ch. IL art. II. sect. III.
— 148 —
dispensable condition, celle de l'accomplissement et
de la fidélité à garder la promesse. De même que ce
n'est point l'habit qui fait le religieux, ainsi ce n'est
point la perfection de son état qui lui donne sa per-
fection personnelle , mais bien l'observation des
devoirs de cet état. Laissons encore ici parler saint
Thomas1. Quelques-uns, dit-il, peuvent être par-
faits, qui ne sont point dans l'état de perfection ; et
d'autres peuvent être dans l'état de perfection, qui
sont loin d'être parfaits. Autre chose est donc l'état
de perfection, et autre chose la perfection de la vie.
On dit qu'une personne est dans l'état de perfection,
non pas de ce qu'elle possède effectivement la charité
parfaite, mais de ce qu'elle s'est obligée aux choses
de la perfection. Or, il arrive que certains hommes
s'imposent des obligations qu'ils ne gardent point,
tandis que d'autres font le bien auquel ils ne se sont
pas obligés ; comme M est dit en l'Évangile, de ces
deux fils que leur père envoya travailler à sa vigne,
l'un répondit : h ne veux pas, et puis néanmoins il y
alla; au lieu que l'autre, après avoir dit : Tij rais,
Seigneur, n'y alla cependant point2.
Il faut revenir toujours à ces deux mots du Psaume:
vovete et réduite 3. Oui , dit le Seigneur à ceux
qu'il appeMe, offrez-moi vos vœux de religion;
nulle autre offrande ne peut me plaire davantage,
1. 2a 23e. q. 184. a. 4.
2. Homo quidam habuit duos filios, et accedens ad primum
dixit : Fili, vadehodie, operarein vinea mea. Ille autem respon-
dens ait, nolo ; postea autem pœnitentia motus, abiit. Acce-
dens autem ad alterum, dixit similiter . At ille respondens ait :
Eo, Domine, et non ivit. Matth. 21.
3. PS. 55,
— 149 —
mais à une condition toutefois, c'est que vous les
accomplirez fidèlement. Prononcer ces quelques
paroles de la formule voreo, etc., rien n'est si facile,
rien n'est sitôt fait; mais y être fidèle, voilà le grand
point 4, et la vie entière y est comprise. Que si par
malheur vous veniez ensuite à oublier ce que vous
avez promis; si vous négligiez les obligations de vos
saints vœux, non-seulement vous détruiriez alors
vous-même tout le mérite de votre profession, mais
vous en feriez encore la matière d'un jugement plus
rigoureux : car, dit le sage : « Dieu n'aime point
une infidèle et folle promesse; et il eût beaucoup
mieux valu ne la point faire, que de la faire pour
ne la point garder 2.
On entend quelquefois d'anciens religieux parler
avec une certaine complaisance des années de leur
profession ; cette vanité serait plus que ridicule, si
la manière dont ils ont vécu dans la religion s'accor-
dait mal avec leur ancienneté.
SECTION IV. —POUR QU'UN INSTITUT appartienne a
L'ÉTAT RELIGIEUX, IL FAUT L'APPROBATION DE L'ÉGLISE.
I. Il est facile de comprendre pourquoi tout in-
stitut et toute corporation pieuse a besoin d'être
approuvée par l'Église, pour appartenir à l'état reli-
gieux. En effet, voici, je suppose, des fidèles qui
se réunissent en certain nombre, avec la pensée de
1. Hoc opus*, hic labor est. Virg.
2. Si quid vovisti Deo, ne moreris reddere : displicet enim
eiinfidelis et stulta promissio; multoque melius est nonvovere,
quam post votum promissa non reddere. Eccl. 5.
— 4Î50 —
tendre de concert à la perfection évangélique. Mais
pour cela, il leur faut une assurance qu'on leur fera
prendre le véritable chemin ; il leur faut des garan-
ties sur la légitimité des moyens qu'on leur proposera
pour arriver au but. Or, un homme quel qu'il soit,
fût-il animé des meilleures intentions, fût-il même
un saint, ne peut donner ni cette assurance ni ces
garanties. De là cette nécessité de recourir à l'Eglise
et d'avoir son approbation : car elle est infaillible
quand elle prononce sur une règle des mœurs ,
comme lorsqu'elle établit une règle de foi.
De plus, cette réunion d'hommes veut se consti-
tuer en corps religieux avec sa forme spéciale, et
avec le droit de se gouverner et de s'accroître sui-
vant ses constitutions ; mais pour toutes ces ehoses
on voit que l'Église doit encore intervenir par son
autorité.
C'est pourquoi, comme l'enseigne Suarez, l'ap-
probation d'un institut par l'Église renferme deux
choses : la première est un jugement doctrinal par
lequel elle déclare, au moins implicitement, que
cet institut ne propose rien que de saint dans son
but, rien que de sage et de bon dans les moyens
établis pour l'obtenir, en un mot, que le genre de
vie que trace cet institut est propre à conduire les
âmes à la perfection spéciale qu'il a en vue. La
seconde chose renfermée dans cette approbation est
an acte de juridiction par lequel l'Église, d'après ce
jugement, constitue le corps religieux et le munit
de tout ce qui est nécessaire à son existence, à son
gouvernement et au développement de sa vie.
Depuis les conciles généraux de Latran et de Lyon,
- m —
l'approbation du Saint-Siège est nécessaire . nu
moins pour un ordre religieux proprement dit. Le
Pape, en l'approuvant, devient par là même exclu-
sivement son premier supérieur et propre prélat ;
c'est lui qui communique aux supérieurs les pou-
voirs qu'ils ont à exercer, et qui accepte par eux les
vœux de tous ceux qu'on y admet.
II. Les simples congrégations religieuses ont
besoin, pour des raisons semblables , d'être ap-
prouvées de même par l'Église, et cette approbation
doit leur venir au moins de l'autorité épiscopale.
Quand c'est l'évêque qui approuve une congrégation
dans son diocèse, il en est alors le premier supérieur
de qui relèvent tous les pouvoirs ; mais si cette con-
grégation vient à se répandre dans d'autres diocèses,
elle doit dépendre également des Ordinaires respec-
tifs des lieux pour les maisons qu'elle y possède.
Lorsqu'une congrégation sollicite l'approbation
du Saint-Siège, le Souverain Pontife suit commu-
nément cet ordre : d'abord il accorde le décret d'é-
loge, qui est comme le germe de l'approbation for-
melle qu'on peut espérer ; plus tard, il approuve
l'institut dans ses points fondamentaux et le consti-
tue par l'autorité apostolique, ou même il examine
et approuve alors le corps de ses constitutions.
L'approbation du Saint-Siège ne change pas une
simple congrégation en ordre religieux proprement
dit, à moins que telle ne soit la volonté expresse et
la déclaration du chef de l'Église. Cette approbation
a pour effet : 1° de donner plus d'autorité à sa règle
et plus de fermeté à son existence; 2° de l'autoriser
— 152 —
à s'établir dans toutes les parties de l'Église, du
consentement toutefois des Ordinaires ; 3° d'empêcher
que sa fin et ses moyens de l'obtenir, avec ses con-
stitutions approuvées, ne puissent être changés ou
modifiés par une autorité inférieure; 4° de l'obliger
à recourir au Saint-Siège pour tout ce qui peut sur-
venir d'extraordinaire ou d'important dans son
gouvernement.
Ainsi, comme il Va déclaré plusieurs fois lui-même
récemment pour les congrégations de femmes, la dis-
pense des vœux, quoique simples ou temporaires, lui
est réservée. Il faut son autorisation pour aliéner un
immeuble de la congrégation, pour transférer a411eurs
la maison-mère de l'institut, pour fonder une nou-
velle maison de noviciat, pour diviser la congréga-
tion en province, et pour déposer une supérieure
générale. Enfin, tous les trois ans on doit lui envoyer
un compte-rendu de Y état matériel et personnel indi-
quant le nombre des maisons et des religieuses, de
Y état disciplinaire sur l'observance des constitutions
et la formation des novices, et de Y état économique
touchant l'administration des biens temporels.
Quant à l'autorité épiscopale sur les instituts
religieux approuvés par le Saint-Siège, elle est défi-
nie par le concile de Trente, et par les décrets des
Souverains Pontifes. Nous allons parler plus spécia-
lement des communautés de femmes.
La permission de l'Ordinaire est de rigueur pour
l'établissement d'une maison religieuse dans son
diocèse. Mais le Saint Siège n'a pas coutume d'approu-
ver qu'un évêque soit supérieur général, ou nomme
quelqu'un pour exercer cette fonction sur un pieux
— Ï53 —
institut qui s'étend hors de son diocèse, afin de ne
pas blesser les droits des autres évêques.
L'évêque du lieu prescrit ou approuve tout ce qui
regarde les fonctions ecclésiastiques dans les chapelles
de l'institut, et députe les chapelains qui doivent y
présider. Il assigne les confesseurs, ordinaire et
extraordinaire de la communauté, et nulle sœur ne
peut, excepté en voyage, s'adresser pour l'absolu-
tion qu'à des prêtres approuvés par lui pour les
religieuses.
Il fait, par lui-même ou par un délégué, l'examen
canonique des novices, tel que le prescrit le concile
de Trente : c'est-à-dire, « qu'il explore ou fait ex-
ce plorer avec soin la volonté de chacune, tant avant
« la vêture qu'avant la profession, pour s'assurer
« qu'elle n'est ni contrainte ni séduite, et qu'elle
« sait ce qu'elle fait » .
Enfin, il est établi par le concile de Trente pour
gouverner les communautés de femmes de son dio-
cèse comme délégué du Saint-Siège. En cette qualité,
il visite les maisons par lui-même ou par un autre,
il préside les chapitres généraux et confirme l'élec-
tion de la supérieure générale ; et il transmet un
compte-rendu de ces assemblées à la sacrée Congré-
gation des évêques et réguliers.
III. L'approbation donnée par l'Église à un corps
religieux doit être pour chacun de ses membres
l'objet d'une attention sérieuse, à raison des consé-
quences pratiques qui en découlent : car rien n'est
plus capable d'exciter la confiance en Dieu , de
nourrir la paix de l'âme dans sa vocation, d'atta-
5*
— m —
cher le religieux à son saint état, et enfin de lui in-
spirer l'esprit d'obéissance. Aussi est-ce la première
chose que l'on doit signaler à un candidat.
11 faut que chaque religieux sache voir toujours
cette autorité de l'Église elle-même, et qu'il la res-
pecte en tout et partout dans son institut ; ce sera
pour lui un grand et précieux exercice de l'esprit de
foi, puisque sans cesse il verra se réaliser la parole
du Seigneur : « Celui qui vous écoute m'écoute
moi-même ». Mais tout enfant de l'Église aussi est
tenu de reconnaître avec respect son autorité dans
chacun des instituts religieux : car attaquer ou mé-
priser un ordre ou une règle qu'elle approuve, c'est
lui manquer à elle-même, et pécher contre la reli-
gion.
On peut remarquer encore avec quelle sollicitude
la sainte Église s'occupe des instituts religieux. C'est
que là, en effet, il s'agit du service de Dieu dans ce
qu'il a de plus relevé et de plus parfait ; là elle
voit la portion du troupeau la plus chère au divin
Pasteur, son époux; là enfin, l'expérience des siè-
cles lui montre les lieux où la sainteté a fleuri avec
le plus d'abondance et d'éclat. Aussi, quel n'est pas
son zèle à maintenir ou à relever l'observance régu-
lière ! témoins tant de conciles, tant de décrets des
Souverains Pontifes, et les actes de tant de pieux
évêques. Puis donc que l'Église de Dieu aime d'une
affection toute spéciale l'état et les instituts reli-
gieux, certainement celui qui a d'autres sentiments
à cet égard n'est point animé de son esprit, et quel
qu'il puisse être, son exemple n'est d'aucun poids,
mis contre le sien dans la balance. Que s'il se ren-
— Joo —
contre des taches, ou même des anus et des défail-
lances dans un corps religieux, l'Église sait faire la
part de l'humaine faiblesse en face du but élevé où
il y faut tendre, et, au lieu de cesser d'estimer l'in-
stitut et d'affectionner l'état, elle travaille plutôt à y
ramener la discipline et la ferveur. Ainsi doivent
penser et sentir ses vrais enfants, bien loin de pren-
dre malignement occasion des fautes particulières
pour haïr ou déprécier l'état et le corps.
ARTICLE III.
DE LA PERFECTION RELIGIEUSE.
SECTION Ire. — QUE FAUT-IL ENTENDRE PRÉCISÉMENT
PAR LA PERFECTION.
I. On parle souvent de la perfection, du désir
qu'on a d'arriver à la perfection, de la nécessité de
devenir parfait; et trop souvent aussi cette idée de
perfection reste dans un vague où l'imagination se
livre à de pures illusions, pour ne donner que de
vains sentiments et des résultats stériles.
Voici les notions fondamentales et précises de la
perfection, d'après le Docteur angélique. On appelle
parfaite une chose à laquelle il ne manque rien ;
Perfectmnest id eut nihil deest. Or, il faut distinguer
trois sortes de perfections. La première consiste en
ce que la chose soit constituée dans son être propre,
de manière qu'il ne lui manque rien quanta sanature.
— 156 —
Ainsi un homme a cette perfection, quand il possède
une âme douée de toutes ses facultés, et un corps doué
de tous ses sens et de tous ses membres. — La se-
conde perfection donne à la chose tout ce qui peut être
ajouté à sa substance, pour qu'il ne lui manque rien
en bonté de nature. Ainsi un homme a cette perfec-
tion quand il possède toutes les qualités du corps et
de l'âme qu'il peut naturellement avoir. — La troi-
sième perfection consiste en ce que la chose atteigne
sa propre fin pour y trouver tout le bien que peut
exiger sa condition. Ainsi une montre est parfaite
lorsqu'elle atteint sa fin, qui est de montrer exacte-
ment les heures, et un homme est parfait quand
il atteint sa fin dernière qui est Dieu, le souverain
bien. C'est de cette troisième perfection que nous
avons à nous occuper relativement à l'homme ,
parce qu'elle est sa perfection morale vers laquelle
il doit tendre pour être heureux : ce n'est autre
chose que la perfection de sa vertu, et la perfection
de sa béatitude.
On dit donc de chaque être "qu'il est parfait selon
qu'il atteint sa propre fin, parce que la fin
d'une chose , quand elle s'y trouve arrivée , est
ce qui lui donne sa dernière perfection. Or, c'est
par la charité que l'homme atteint Dieu , sa fin
dernière, suivant ces paroles de saint Jean 4 : « Celui
qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et
Dieu en lui ». Par conséquent, la perfection de la
vie chrétienne est spécialement selon la charité.
1. Qui manet in charitate, in Deo manet et Deus in eo. I
JOAN. 4„
— 157 —
Mais une chose aussi peut être de deux manières
appelée parfaite : premièrement d'une manière
absolue, et alors la perfection de la chose se consi-
dère dans ce qui appartient à sa substance même.
Secondement, on dit d'une chose qu'elle est parfaite
sous tel ou tel rapport, lorsque l'on considère la
perfection dans les accidents de la chose, c'est-à-dire
dans ce qui est surajouté à sa substance. C'est ainsi,
par exemple, qu'on trouvera deux perfections dis-
tinctes et très-différentes dans un corps, s'il est
parfait quant à sa substance, et parfaitement blanc
quant à sa couleur. La première perfection est la
perfection substantielle et principale de la chose, et
la seconde est sa perfection accidentelle et secon-
daire.
Or la vie chrétienne consiste substantiellement
dans la charité, selon ce que dit saint Jean : « Celui
qui n'aime pas demeure dans la mort * » : d'où il
suit que la perfection de la vie chrétienne, dans son
idée absolue, se considère selon la charité. Secondai-
rement ensuite et par manière de complément, elle
se considère aussi selon les autres vertus que doit
posséder l'homme parfait2.
IL Insistons sur les conséquences pratiques qui
découlent de ces principes. Et d'abord, la perfection
religieuse est selon la charité; or, rappelez-vous
que la charité est une vertu par laquelle nous
aimons Dieu par-dessus toutes choses parce qu'il est
1. Qui non diligit, manet in morte. I Joax, û,
2. 9â 2x. q. 184. a. 1.
— 158 —
le souverain bien, et notre prochain comme nous-
mêmes pour l'amour de Dieu. La charité a donc un
motif unique, qui est Dieu seul, et un double objet,
qui est Dieu et le prochain. Par conséquent, lorsqu'il
s'agit de la charité et de sa perfection, il faut pren-
dre garde ou d'oublier l'un de ces deux objets, ou
de perdre de vue son unique but qui ne doit être que
Dieu.
Vous entrez en religion dans le but d'acquérir la
perfection de la vie chrétienne ; là vous vous obli-
gez par état à tendre vers cette perfection, laquelle
est principalement la perfection selon te charité. Il
faut donc vous bien pénétrer de votre double obli-
gation, qui est de viser sans cesse non-seulement à
la perfection de l'amour de Dieu, mais encore à celle
de l'amour du prochain. Pour l'un et l'autre, la pra-
tique extérieure et en quelque sortematérielle pourra
être diverse, selon la diversité des instituts et de
leurs œuvres spéciales ; mais toujours il faut que les
religieux tendent vers ce qui est parfait sous ce dou-
ble rapport. G'est pour bien éclairer la route par où
ils doivent marcher, que nous allons exposer avec
une juste étendue toute cette grande matière de la
charité, dont la perfection est le terme obligatoire
de leurs efforts.
D'autre part, la perfection religieuse est encore
selon les autres vertus, secondairement il est vrai,
mais nécessairement aussi poui' que rien ne lui man-
que. Il nous faudrait donc entrer de même ici dans
la considération de toutes les vertus chrétiennes ;
mais comme ce sujet est très-vaste, et qu'il nous'
ferait trop perdre de vue l'exphcation du catéchisme
— 159 —
des vœux, nous renvoyons le pieux lecteur aux écri-
vains ascétiques, qui en ont abondamment traité.
SECTION II. —DU PREMIER OBJET DE LA CHARITÉ, OU DE
L'AMOUR DIVIN.
1 1. En quoi consiste V amour divin l.
1° L'amour en général n'est autre chose que la
complaisance du bien, ou. pour parler plus clairement
encore, c'est le mouvement du cœur s'attachant à
un objet qui lui paraît bon. Aimer une chose est
donc se complaire en elle, c'est-à-dire s'attacher à
elle parce qu'on la trouve bonne.
Aimer quelqu'un, c'est aussi lui vouloir du bien,
parce que dans l'amour d'amitié il y a non-seule-
ment l'attachement à la personne de l'ami, mais
encore et, par une suite nécessaire, la bienveillance
à son égard comme à un autre soi-même.
Yoilà deux idées très-nettes pour caractériser l'a-
mour divin, qui est un amour d'amitié : aimer Dieu,
c'est s'attacher à lui parce qu'on le trouve bon, et
c'est lui vouloir du bien.
2° Dans l'idée générale de l'amour divin, on peut
distinguer quatre nuances diverses : l'amour, la
dilection, la charité et l'amitié.
L'flwo/^restproprement ceque nous venonsdedire.
La dilection ajoute l'idée d'élection, diligere, c'est-
à-dire, ex diversis eligere, choisir entre diverses cho-
ses : par conséquent, la dilection ne se trouve que
1. 2a 2œ. quaest. 26. art. 1 et 3. — 2a 2œ. q. 23. a. 1
— 160 —
dans l'appétit raisonnable où est la liberté. Elle
exprime aussi l'acte de l'amour de charité plutôt que
son habitude.
Saint Denis a dit qu'à l'égard de Dieu le nom
d'amour est plus divin que celui de dilection, en ce
qu'il exprime pour ainsi dire quelque chose de pas-
sif : et en effet, dans l'amour divin l'homme se porte
vers Dieu plutôt en subissant l'attraction de Dieu
même, qu'il ne peut aller à lui par sa raison et sa
propre élection : aussi est-ce principalement la
prière qui l'obtient.
La charité indique une certaine perfection de l'a-
mour, en ce qu'on estime cher et d'un grand prix
l'objet qu'on aime : delà vient que le nom de charité
ne se donne qu'à cet amour qui met Dieu au-dessus
de toutes choses.
L'amitié exprime l'habitude de la charité, et elle
dit aussi le mutuel attachement qui lie deux cœurs
l'un à l'autre, avec une réciprocité de bienveillance.
Or, la charité est une amitié qui s'établit entre Dieu
et l'homme, selon ces mots de saint Jacques :
« Abraham a été appelé l'ami de Dieu l » ; et Jésus-
Christ Notre-Seigneur déclare aux siens qu'ils sont
i ses amis 2 » .
Cette mutuelle liaison de Dieu avec l'homme est
fondée sur la communication que Dieu fait à
l'homme de sa béatitude, ici-bas par la grâce sancti-
fiante qui en est le germe, et dans le ciel par la
gloire et la pleine jouissance de lui-même. Et
1. Et amicus Dei appellatus est. Jac. 2.
2. Vos autemdixi amicos. Joan. 15.
— 161 —
l'homme rend à Dieu le retour dont il est capable,
en lui communiquant et lui consacrant ce qu'il a, ce
qu'il est, et tout ce qu'il peut lui donner.
Le propre de l'amitié est de vivre avec son ami.
Aussi par la charité l'homme entre dans une conti-
nuelle relation avec Dieu, et tel est l'exercice de sa
vie spirituelle sur la terre. Mais, durant l'exil, ces
relations de l'amitié divine sont imparfaites, parce
que, dit saint Paul, « nous ne connaissons qu'en par-
tie1 », et que le divin Ami reste pour nous derrière
les voiles de la foi. Et pourtant, que ne s'est-il point
passé entre Dieu et ses saints ! C'était une familiarité
étonnante2, dit l'auteur de limitation; et c'est ce
qu'éprouve proportionnellement toute âme fervente
et généreuse. Dans la patrie, les relations de l'amitié
divine seront parfaites, lorsque « nous verrons sa
face et qu'il sera tout en tous 3 ».
| II. Le siège de l'amour divin n'est point l'appétit infé-
rieur de l'homme, mais uniquement sa volonté 4.
Il y a dans l'âme humaine deux puissances qui se
portent vers le bien pour s'y complaire et s'y atta-
cher; le philosophe les nomme les deux appétits de
notre nature: l'un est l'appétit inférieur, et l'autre.
V appétit raisonnable ou supérieur , qui s'appelle au^s.
la volonté.
1. Ex parte enim cognoscimus. I Cor. 13.
2. Familiaritas stupenda nimis.
3. Et servi ejus servientilli, et videbunt faciem ejus.ÀPOC 22
Ut sit Deus omnia in omnibus. I Cor. 15,
4. la 2ae. q. 26. a. 1.
— 162 —
Ces deux puissances de notre âme ont donc cha-
cune la faculté d'aimer; mais leur amour diffère
comme elles-mêmes : l'une aime nécessairement, et
l'autre librement; toutes deux ont le bien pour
objet, mais chacune à sa manière : car l'objet de
l'appétit inférieur est un bien que les sens peuvent
saisir, tandis que l'objet de l'appétit raisonnable est
un bien saisi ou connu par l'entendement sous l'idée
commune de bien.
Or , l'objet de la charité n'est point quelque
bien sensible, mais le Bien divin, c'est-à-dire Dieu
même, qui ne peut être connu au moyen des sens,
mais uniquement par l'intelligence de l'homme.
D'où il suit nécessairement que le sujet de la cha-
rité, c'est-à-dire le siège de l'âme où elle peut
résider, n'est pas l'appétit inférieur qui éprouve les
impressions sensibles, mais seulement la volonté.
Yoilà des principes d'une grande importance pour
la direction spirituelle des âmes, soit qu'il faille les
rassurer au sujet de ces inclinations qu'elles éprou-
vent sans y consentir vers le plaisir sensible, soit
qu'on ait à les éclairer sur la vraie nature de la
charité.
Mais, dira-t-on , qu'est-ce donc que ces douces
émotions que l'on sent quelquefois en se livrant aux
choses de la piété ? Ces larmes de dévotion et autres
impression sensibles, n'est-ce pas le saint amour ?
La réponse à cette question a été donnée en par-
lant de la dévotion sensible 4,
1. Ckap, T. Art. II. Sect,.III3
— 163 —
SECTION III. — DE LA PERFECTION DE L'AMOUR DIVIN.
| I. Est-il possible à l'homme d'aimer Dieu
parfaitement i ?
La perfection de la charité peut s'entendre de
deux manières : la première, par rapport à l'objet
qu'il s'agit d'aimer; la seconde, par rapport à celui
qui aime.
1° Relativement à l'objet de l'amour, la charité
est parfaite quand on aime une chose autant qu'elle
est aimable. Or Dieu est aussi aimable qu'il est bon ;
et comme sa bonté est infinie, il s'ensuit qu'il est
infiniment aimable. Mais aucune créature ne peut
l'aimer infiniment, puisque toute vertu créée a sa
limite. Sous ce rapport donc, la charité d'aucune
créature ne peut être parfaite ; il n'y a de parfait que
l'amour par lequel Dieu s'aime lui-même autant
au' il est digne d'être aimé.
Ici l'âme aimante n'a qu'une ressource dans son
impuissance , celle de s'humilier à la vue d'une
bonté qui mérite d'être infiniment plus aimée qu'elle
ne saurait le faire; et puisque cependant Dieu
s'aime autant qu'il est aimable, elle s'en réjouira,
unissant le peu qu'elle peut offrir à cet immense
amour qu'il se porte à lui-même.
2° Relativement à celui qui aime Dieu, la charité
sera parfaite, s'il l'aime autant qu'il en est capable,
ainsi qu'on va l'expliquer.
1. 2a. 2s, q. 24. a. 8,
— 164 —
| H. De trois sortes de perfections de l'amour divin1.
Que l'homme aime Dieu de tout son pouvoir et
autant qu'il en est capable, c'est ce qui peut lui ar-
river de trois manières différentes.
La première consiste à aimer Dieu tellement, que
le cœur soit tout entier et toujours actuellement porté
vers lui, et cette perfection sera celle de la patrie;
elle n'est pas possible en cette vie, où l'infirmité
humaine ne permet point de penser toujours actuel-
lement à Dieu, ni de se porter incessamment vers
lui par le mouvement de l'amour.
On pourrait avoir besoin de rappeler cette vérité
à certaines âmes ambitieuses et indiscrètes qui veu-
lent l'impossible.
Une seconde manière d'aimer Dieu parfaitement,
c'est que l'homme mette habituellement en Dieu son
cœur tout entier, de telle sorte qu'il ne pense et ne
veuille rien de contraire à l'amour qu'il doit à Dieu,
et qu'il écarte ainsi de son affection tout ce qui
détruirait en lui la charité, à savoir, tout péché mor-
tel. Cette perfection, qui est de précepte, se trouve en
tous ceux qui possèdent la charité et sont en état de
grâce avec Dieu. Le péché véniel ne lui est point
contraire, parce qu'il n'ôte point l'habitude de la
charité.
Il est une troisième manière d'aimer Dieu parfai-
tement, qui occupe le milieu entre les deux autres :
elle consiste en ce que l'homme mette toute son
1. 2a 2». q. 24. a. 8., et g. 1.84. a. 2.
- 165 -
étude à être par l'esprit et le cœur entièrement à
Dieu et aux choses divines, en laissant tout le reste.
autant que le permettent la faiblesse et la nécessité
de la vie présente. Cette perfection de la charité S6
dégage donc, autant qu'elle le peut ici bas, des choses
terrestres même licites qui, en occupant l'âme, empê-
chent son mouvement actuel vers Dieu ; et elle
s* attache à exclure de l'affection de l'homme jus-
qu'aux moindres obstacles qui gêneraient la direction
totale de son cœur vers le Bien divin.
C'est à cette troisième perfection de la charité
que se rapportent les conseils évangéliques, comme
moyens de l'atteindre. On peut, sans doute, la ren-
contrer dans une personne qui vit au milieu du
monde, on doit même y exciter les âmes généreu-
ses ; mais le religieux possède dans son état des
secours propres pour l'obtenir et pour y faire des
progrès toujours croisants. Il fautencore ajouterque
son état même lui impose l'obligation d'y tendre.
| III. De la perfection de l'amour dit in considérée
dans son acte .
L'acte de charité, relativement à sa perfection,
peut être considéré de deux manières : ou selon sa
nature, ou selon son degré.
// est parfait dans sa nature, quand il sort tout
entier du motif propre de la charité, sans mélange
d'aucun autre motif. C'est donc aussi ce quon
appelle l'acte du pur amour, où nous aimons Dieu
uniquement pour lui-même. Cette charité, quoique
parfaite, peut toujours croître en intensité durant la
— 166 —
vie présente, de manière que les actes en soient
d'une perfection toujours plus haute.
L'acte de charité sera imparfait dans sa nature, si
l'on aime Dieu pour quelque autre bien que lui-
même, comme ses bienfaits ou ses récompenses. Ces
motifs inférieurs ne suffisent point par eux-mêmes
à produire l'acte de parfaite charité; mais ils y
disposent notre cœur : de sorte que, par leur considé-
ration, nous arrivons facilement à aimer Dieu pour
sa bonté même qu'ils nous manifestent; et il n'est
pas jusqu'aux châtiments qu'il inflige ou dont il
menace, qui ne puissent nous disposer à l'acte de
charité, lorsque c'est en nous réfugiant dans le sein
de sa miséricorde que nous voulons échapper à sa
justice1.
L'acte de charité est parfait selon le degré, quand,
sans être parfaitement pur dans sa nature, il fait
cependant préférer Dieu à tout autre bien, et qu'ainsi
on l'aime pratiquement plus que toutes choses. La
marque nécessaire et la preuve de cette charité est
l'observation des commandements, allant au moins
jusqu'à éviter le péché mortel, selon ces paroles du
Seigneur : « Si vous m'aimez, gardez mes pré-
ceptes 2 » .
L'acte de charité est imparfait selon le degré, et
insuffisant pour le salut, lorsque l'on aime pratique-
ment quelque chose plus que Dieu ou autant que lui.
La charité parfaite en sa nature est celle que la
théologie appelle affective summa, suprême du côté
1. 2a. 2œ q. 27. a. 3.
2. tSi diligitis me, mandata mea servate. JOAN, 14.
— 167 —
de l'affection ; et la charité' parfaite en son degré est
celle qui est dite appréciative summa, suprême du
côté de l'appréciation.
Pour que l'acte de charité justifie hors du sacre-
ment un homme tombé dans le péché mortel, il faut,
avec le désir du sacrement, que la charité soit par-
faite non-seulement selon son degré, mais encore
selon sa nature. Néanmoins, c'est là une vérité bien
consolante : car, s'il arrive parfois à la fragilité
humaine de faire une chute, on a, grâce à la divine
miséricorde, un moyen prompt de retrouver son
amitié, en attendant que l'on puisse recevoir le
sacrement; et cet acte de charité parfaite n'est p ts
aussi difficile que plusieurs le pensent, surtout pour
une âme vraiment chrétienne qui demande à Dieu
cette grâce par une ardente prière.
Il y a eu des hommes qui ont prétendu que
l'amour divin, pour être l'amour pur, doit se porter
vers Dieu considéré comme le souverain bien en
lui-même, sans aucune relation avec nous : de
sorte, disaient-ils, que celui qui aime en Dieu
son propre bien, n'a plus pour lui qu'un amour
intéressé qui n'est point le pur amour. Ces hommes
n'ont pas compris ce que c'est qu'aimer Dieu : en
effet, puisque l'objet propre de l'amour est 2e bien
ou ce qui est bon, et que notre cœur ne peut s'atta-
cher qu'à ce que nous avons reconnu bon pour nous,
ne s'ensuit-il pas manifestement qu'aimer Dieu c'est
essentiellement se complaire en lui et y trouver son
bien? a Qu'est-ce qu'aimer Dieu gratuitement?
s'écrie saint Augustin. C'est l'aimer lui-même pour
— 1(58 —
lui-môme, et non pour autre chose ' j. — Et saint
Alphonse de Liguori : « Le désir de posséder Dieu
est l'acte propre de la charité, et même le plus par-
fait de tous, puisque la possession de Dieu est la
charité consommée2 ».
| IV. Exposition du grand commandement
de la charité 3.
« Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout
votre cœur, de tout votre esprit, de toute votre âme
et de toutes vos forces4. C'est là le très-grand et le
premier commandement 5. »
L'Ange de l'École est ici d'une précision et d'une plé-
nitude admirables pour montrer dans la pratique cette
triple perfection de la charité qu'on vient de voir; et le
religieux remarquera que c'est selon la troisième qu'iJ
doit se faire l'application 'du grand commandement.
L'amour divin est, comme nous lavons dit, un
mouvement de la volonté, et c'est elle qui est dési-
gnée ici par le mot cœur : car, de même que l'organe
corporel du cœur est le principe de tous les mou-
vements de la vie animale, ainsi la volonté, surtout
quant à la tendance vers la lin dernière qui est son
1. Quid est gratuitum? Ipse propter se, et non propter
alind.
2. Desiderium possidendi Deum est actus proprius charitatis,
imo omnium perfectissimus ; quia possessio Dei est charitas
consummata.
3. 2a 2ae. q. 44. a. 5.
4. Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, ex tota
mente tua, ex tota anima tua, et ex tota fortitudine tua.
Deuter. 6.
6. Hoc est maximum et primum mandatum. Matth. 22.
— 169 —
objet propre, est le principe de tous les mouvements
de l'âme et de la vie spirituelle. Il faut bien observer
et retenir ceci, que le mot cœur, quand on parle de
l'amour divin, est une expression métaphorique qui
ne sert qu'à exprimer la volonté et ses affections ; il
ne s'agit donc point alors de l'appétit inférieur ni
de ses émotions sensibles.
C'est pourquoi le grand précepte de la charité
s'adresse avant tout à la volonté, puisque là est le
principe de tous les mouvements de notre âme. Et
en effet, dès que Dieu possède la volonté, il tient
déjà tout le reste de l'homme : de là vient qu'il dit
lui-même à chacun de nous : « Mon fils, donne-moi
ton cœur l », c'est-à-dire ta volonté.
Mais il y a dans l'homme trois autres principes de
ses actes qui sont placés sous le commandement et
l'impulsion de la volonté : le premier est l'entende-
ment, exprimé ici par le mot esprit, mens; le second
est l'appétit inférieur et sensitif, rendu par le mot
âme, anima, parce qu'en effet l'Écriture s'en sert
fréquemment pour signifier la vie animale ; le troi-
sième est la force motrice qui exécute par nos mem-
bres les actions extérieures, et cette force d'exécu-
tion est rendue par les mots puissance, vertu, forces,
fortitudo, ou virtus, ou vires.
Par le grand commandement de la charité il nous
est donc ordonné : 1° de porter vers Dieu toute
notre intention et tous les mouvements de notre
volonté : ce qui est l'aimer de tout notre cœur ; et
1. Praebe. fili mi, cor tuum mihi. Prov. 23.
5**
— 170 —
voilà qui embrasse l'universalité de nos affections
intérieures et libres ;
2° D'assujettir totalement à Dieu notre intel-
ligence et notre raison : ce qui est Yaimer de tout
notre esprit ; là se trouve renfermé l'hommage de
la foi et de tout ce qui tient à nos pensées, à nos
appréciations et à nos jugements ;
3° De faire en sorte que notre appétit inférieur
soit réglé selon Dieu : ce qui est Yaimer de toute notre
âme ; et voilà notre devoir par rapport à la sensi-
bilité, à la mémoire et à l'imagination ; remarquez la
justesse du mot reguletur : la volonté, pour modérer
autant qu'il dépend d'elle l'appétit inférieur et ses
passions, doit tenir le frein selon la règle de la droite
raison ;
4° Enfin, de veiller à ce que toutes nos actions
extérieures soient l'exécution fidèle de la volonté de
Dieu : ce qui est Yaimer de toute notre puissance, ou
de toute notre vertu ou de toutes nos forces. Ici est
contenue cette totalité qui embrasse les œuvres du
service de Dieu, soit lorsqu'il commande, soit lors-
qu'il invite et conseille seulement.
Yoilà comment la perfection tout entière se trouve
dans le grand précepte de la charité.
Mais, poursuit saint Thomas ', il ne sera parfai-
tement accompli que dans la patrie ; et, ici-bas où
nous sommes sur la route, son accomplissement
reste toujours imparfait : car accomplir parfaitement
1. 2a 2», q. 44. a. 6. Ce texte donne une réfutation des Jan-
sénistes et répond à leurs accusations contre les docteurs cathu-
liques sur cette matière de la rhnrïté.
— 171 —
le précepte, c'est atteindre la fin que se proposait
celui qui l'a imposé. Toutefois on l'accomplit aussi,
quoique imparfaitement, lorsque, sans atteindre en-
core la fin du législateur , on ne s'écarte point de
l'ordre qui mène à la fin. Ainsi, quand un général
d'armée commande l'attaque de l'ennemi à ses sol-
dats, ceux-là remplissent parfaitement l'ordre donné,
qui combattent de manière à vaincre réellement, ce
qui est la fin que se propose le général. Mais ceux
qui en combattant n'arrivent pas jusqu'à la vic-
toire remplissent néanmoins aussi, quoique impar-
faitement, Tordre donné, dès lors qu'ils ne font rien
contre la discipline militaire.
Il en est de même de l'accomplissement du grand
précepte. Dieu, en l'imposant à l'homme sur la terre,
a sans doute l'intention qu'il s'unisse pleinement et
totalement à lui : ce qui aura lieu dans la patrie,
lorsque, selon l'expression de l'Apôtre, « toutes
choses lui seront tellement assujetties, qu'il sera
tout en tous1 ». Et néanmoins il ne l'impose pas
vainement à ceux qui sont encore dans la voie,
quoique nul d'entre eux ne puisse alors en atteindre
la perfection : car, dit saint Augustin, « on ne
court pas comme il faut, si l'on ignore le but vers
lequel il faut courir ; et comment saurait-on quel
est ce but, si aucun précepte ne venait le mon-
trer ? 2 » .
1. 1. Cor. 15.
2. Non enim recte enmtur, si qno currendum est nesciatur.
Quomodo auteni sciretur . si nuïlis praeceptis ostenderetur \
Lib. de perfectione juàtiti.a.
— 172 —
§ V. D'une certaine totalité relativement à l'amour
divin.
Quoique rien ne manque dans ce qui vient d'être
exposé pour bien caractériser la perfection de l'a-
mour divin, on peut cependant la considérer encore
sous une face propre à lui donner un nouveau jour.
La charité, pour être parfaite, sans que rien n'y
manque, doit embrasser une certaine totalité ou
universalité, qui s'étende à tout ce qui est de Dieu,
et à tout ce qui appartient à Dieu.
Et ici quel vaste champ s'ouvre à nos regards
pour l'exercice du saint amour ! Et qui doit s'élancer
dans cette carrière avec plus d'ardeur que ceux qui
sont dans l'état de perfection ? Pour aimer Dieu par-
faitement et totalement, il faut donc non-seulement
aimer Dieu en lui-même, la bonté par essence, les
trois personnes divines et chacun des attributs in-
finis de l'Être divin, mais enGore toutes les opéra-
tions divines dans l'univers. Il faut aimer le Dieu
incarné, Jésus-Christ Notre-Seigneur , sa vie, ses
mystères, son nom, sa gloire, sa mère, ses saints,
etc. ; il faut aimer tout ce que fait sa Provi-
dence dans l'ordre naturel et surnaturel, spéciale-
ment en nous et sur nous ; enfin, il faut aimer Dieu
dans toutes ses créatures, surtout dans les hommes
ses enfants, qu'il appelle notre prochain, et au sujet
desquels il a voulu, par une attention spéciale, nous
imposer un second commandement qu'il déclare sem-
blable au premier l.
1, Secundum autem simile est huic. Matth. 22»
- 173 -
SECTION IV. — DES EFFETS DE L'AMOUR DIVIN,
Les effets du saint amour sont de deux espèces :
les uns qu'il produit à l'intérieur de l'âme, les au-
tres qui le manifestent dans les actions extérieures,
§ I. Les effets intérieurs de V amour divin l.
1° Son effet le plus immédiat, quand il se trouve
dans une âme, est d'y produire de saintes affections,
comme le propre du feu est de causer de la chaleur.
Mais nous avons déjà montré que ces affections sont
proprement celles de la volonté, qui étant libre
peut toujours les produire, même en l'absence des
affections sensibles. Ajoutons que pour juger de
leur intensité il ne faut pas les comparer avec les
autres mouvements de l'amour naturel et humain,
comme par exemple de l'amour maternel , parce
que l'amour de Dieu étant d'un ordre tout différent,
son affection peut être vraie et même plus intense
sans avoir la même véhémence sensible.
2° L'amour divin cause la joie : car la joie provient
de l'amour, soit lorsqu'on jouit du bien qu'on aime,
soit lorsqu'on voit un ami jouir de son bien propre.
La joie principale de la charité est celle qui se
réjouit du Bien divin, ou du bonheur que Dieu
possède lui-même. Et cette joie en nous est incom-
patible avec la tristesse, de même que le bien dont
elle se réjouit ne peut être mélangé d'aucun mal.
1. 2a 2ae. q. 28, 29.
— 174 —
C'est pourquoi l'Apôtre nous dit : « Réjouissez-vous
toujours dans le Seigneur * », et c'est en effet ce que
nous pouvons toujours faire, quels que soient les
maux qui nous atteignent en cette vie. Les saints
nous en fournissent mille et mille exemples.
Une autre joie de la charité est celle par laquelle
on se réjouit du bien divin, selon qu'on y participe.
Or , le juste, même dès ce monde, participe à ce
bien : car, dit saint Jean : « Celui qui demeure dans
la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui* ». Et
telle est la source de cette joie, que rien n'est capa-
ble de la lui ôter. Cependant la tristesse peut se
mêler à cette seconde joie de la charité, à raison des
obstacles qui nous empêchent ici-bas, nous ou ceux
que nous aimons comme nous-mêmes, de participer
au Bien divin ; ces obstacles sont les péchés, les in-
firmités spirituelles, les périls de la vie et le délai
de la parfaite possession dans le ciel.
3° L'amour divin cause la paix. Saint Augustin
définit la paix : la tranquillité de l'ordre. Or, l'or-
dre au dedans de nous-mêmes est souvent en danger
d'être troublé, soit par les inclinations de la chair
qui combat contre l'esprit, soit par celles de la vo-
lonté, lorsqu'elle se porte vers divers objets qu'elle
ne peut atteindre simultanément. La paix consiste
donc à mettre d'accord toutes ces tendances et à les
faire reposer dans l'ordre. Et c'est là un effet pro-
pre de la charité : car , en aimant Dieu plus que
toutes choses, elle donne à l'âme le moyen de rap-
1. Gaudete in Domino semper. Philip. 4.
2. Qui manet in charitate, in Deo marict, et Deus in eo.
I. JOAN. 4.
- 17o —
porter tout à lui, et de faire marcher ainsi toutes
ses puissances vers un seul et même but.
4° L'amour divin cause l'union avec Dieu, et cela
de deux manières : la première est selon l'affection
du cœur ; et c'est l'amour même qui est formelle-
ment cette union et ce nœud, puisqu'il consiste
précisément à s'attacher à Dieu. La seconde union,
qui est l'effet de la première, se fait par le rappro-
chement réel des amis, parce que l'amour nous
porte à rechercher la présence de son objet, comme
d'un bien qui nous plaît et nous appartient. Ainsi,
celui qui aime Dieu véritablement n'omet rien pour
qu'il lui soit présent de toutes les façons possibles :
par les communications dans la prière, par la sainte
communion et l'assiduité à le visiter dans son sacre-
ment, par le recueillement et l'exercice de la pré-
sence de Dieu, enfin par le fréquent désir d'être au
plus tôt avec lui parfaitement dans son royaume.
5° L'amour divin va jusqu'à causer entre' Dieu et
l'âme une compp'nétration mutuelle, selon ce que dit
1 Apôtre bien-aimé : « Celui qui demeure dans la
charité demeure en Dieu, et Dieu en lui 4. » Et
voici comment saint Thomas explique cet admi-
rable effet de la charité.
La compénétration mutuelle a lieu tant pour
l'entendement que pour la volonté. Car : 1° Dieu
demeure dans l'entendement de celui qui l'aime ,
en ce que la pensée de celui-ci est pleine de son
Dieu ; et lui-même demeure dans l'entendement
1. Deu s chantas est et qui manet in charitate, in Deo manct,
et Densin eo. I. Joax. 4.
— 176 —
divin, en ce que, non content d'une connaissance
de Dieu pour ainsi dire superficielle, il pénètre à
l'intérieur et s'efforce par la méditation d'atteindre
autant qu'il en est capable les pensées divines, comme
il est écrit du Saint-Esprit qui, parce qu'il est l'amour
infini', « scrute tout, même les profondeurs de
Dieu l ». 2° Dieu demeure dans la volonté qui l'aime,
en ce qu'il est dans ses affections, soit qu'elle se ré-
jouisse en lui des biens qu'il possède, soit qu'elle
désire elle-même le posséder, soit qu'elle tâche de
lui procurer la gloire qu'elle lui veut. Et la volonté
qui aime demeure dans celle de Dieu, en ce qu'elle
se montre inviolablement unie à cette aimable vo-
lonté par la pleine conformité de ses affections, de
ses désirs, de ses projets, de ses déterminations
et de tous ses actes.
| II. Les effets extérieurs de Vmiour divin.
1° L'amour produit les œuvres.
La charité est un amour d'amitié dont le mou-
vement intérieur est de vouloir du bien à celui
qu'on aime. De là M suit que &a nature est d'être
libéral , et il n'a pas besoin qu'on le stimule pour
se produire. « Après que l'homme, dit le sacré
Cantique, aura donné tout ce que renferme sa mai-
son pour satisfaire à son amour, il comptera pour
rien ce qu'il aura fait 2 . »
La charité est une amitié entre Dieu et l'homme,
1. Spiritus omnia scrutatur, etiam profunda Dei. I. Cor. 2.
2. Si dederit homo omnem substantiam dormis suée pro di-
lectione, quasi nihil despiciet eam. Cantic. 8.
— 177 —
c'est-à-dire qu'elle ne crée pas seulement entre eux
une mutuelle inclination des coeurs, mais encore
une bienveillance mutuelle, et une volonté ardente
et profonde de se faire la communication réciproque
de leurs biens. Voilà pourquoi les œuvres sont né-
cessaires de part et d'autre pour fonder, fortifier et
constater cette amitié.
Or, voyez comment le divin Ami vous a montré la
réalité de son amour. Comptez-en, si vous le pou-
vez, les preuves dans l'ordre de la nature et dans
celui de la grâce. Entrevoyez même par la pensée
tout ce qu'il veut faire encore pour vous dans l'ordre
de la gloire. Mais, après avoir ainsi reconnu plei-
nement, par l'esprit et le cœur, la part que met
votre Dieu dans son amitié, considérez aussi celle
qu'il est de toute justice que vous, l'autre ami,
mettiez en retour, lui donnant tout ce que vous
avez et tout ce que vous êtes.
Quelles sont les œuvres où la charité mérite da-
vantage? Sont-ce les plus laborieuses et les plus
difficiles? Saint Thomas répond l qu'une œuvre
peut être laborieuse et difficile de deux manières :
l'une, à raison de la grandeur de l'acte ; l'autre,
par la faute de celui qui l'opère. Dans le premier
cas, le travail accroît le mérite; mais il appartient
à l'amour de diminuer ce travail sans cependant
que le mérite soit amoindri. Dans le second cas,
chacun trouve laborieux et difficile ce qu'il ne fait
pas d'une prompte volonté; et la peine alors, au
lieu d'augmenter le mérite de l'œuvre, a pour effet
1. la 2». q. 114. a. 4.
— 178 —
de le diminuer; mais il appartient à l'amour d'ôter
ou d'alléger le travail. Cette double leçon est
très-digne d'être méditée, et l'application en est
facile et fréquente.
2. L'amour divin produit le zèle l.
Qu'est-ce que le zèle? C'est proprement l'effort
que fait celui qui aime, pour repousser et détruire
tout obstacle contrariant son amour.
En général, plus l'âme tend fortement vers un
objet, plus aussi elle s'efforce d'écarter les choses
qui l'arrêtent. Mais cela est vrai surtout de l'amour,
qui, à mesure qu'il grandit, repousse avec plus
d'énergie tout ce qui lui est contraire, à savoir,
tout ce qui l'entrave dans la poursuite ou la jouis-
sance du bien qu'il aime, et tout ce qui s'oppose
au bien de son ami. Que si le zèle ne peut parvenir
à repousser l'obstacle, il souffre et il gémit.
L'exercice du zèle des âmes est en même temps
celui du zèle de la gloire de Dieu: car la grande
gloire de Dieu est d'être connu et aimé de ses créa-
tures raisonnables, et la grande pratique de la
charité envers le prochain est de lui faire connaître
son bien suprême et de l'aider à s'en assurer l'éter-
nelle jouissance.
SECTION V. — DU SECOND OBJET DE LA CHARITÉ, OU DE
L'AMOUR DU PROCHAIN.
| I. Du motif de la charité envers le prochain 2.
1° De ce que la raison d'aimer notre prochain
1. 2a 2œ. q. 28. a. 4.
2. 2a 2». q. 25. a. 1.
— 179 —
est l'amour même que nous devons à Dieu, il s'en-
suit que la charité embrasse aussi l'amour du pro-
chain. En effet, nous sommes obligés d'aimer ce
qui est de Dieu dans notre prochain, savoir, les dons
de la nature et de la grâce qu'il a mis en lui, et
d'aimer le prochain pour qu'il soit lui-même à Dieu
et en Dieu, par la grâce en cette vie et par la gloire
en l'autre. D'où il est manifeste que l'acte par le-
quel nous aimons Dieu et le prochain est, selon
l'espèce, le même acte de charité: et c'est ce que
l'apôtre saint Jean enseigne aux chrétiens : « Nous
avons de Dieu ce commandement que celui qui aime
Dieu doit aimer aussi son frère1 » . Un amour du pro-
chain qui n'aurait point Dieu pour motif serait par
cela seul inutile au salut ; et il deviendrait coupable,
s'il se portait sur le prochain comme sur sa fin prin-
cipale, ou avec détriment de l'amour de Dieu.
Tel est donc le grand principe de la charité frater-
nelle. Comme il importe aux chrétiens, spéciale-
ment aux religieux, de s'en bien pénétrer! Et que
nous avons besoin d'y revenir fréquemment, puis-
que l'amour-propre nous le fait oublier sans cesse !
2° Ace sujet saint Thomas se propose une question
qui peut sembler étrange au premier coup d'œil ;
mais elle appelle une réponse où se trouvent plu-
sieurs leçons fort utiles 2.
Est-il plus méritoire d'aimer Dieu que d'aimer le
prochain ?
1. Hoc mandatum habemus a Deo, ut qui diligit De mu,
diligat et Erafcreni rarnn. I, Jua^, 1,
2. 2a2ae. €[. 27. a, S.
— 180 —
Je répond?, dit-il, que si l'on considère séparé-
ment l'un ou l'autre amour, il est hors de doute que
l'amour divin est plus méritoire : car la récompense
lui est due pour lui-même, puisque la suprême et
dernière récompense sera de jouir de Dieu vers
lequel tend le mouvement de cet amour.
Mais si l'on prend l'amour divin selon qu'une per-
sonne s'applique à l'exercer exclusivement, à l'a-
mour du prochain selon qu'elle s'applique à l'aimer
pour Dieu, alors l'amour du prochain renferme l'a-
mour de Dieu, tandis que l'amour de Dieu ne ren-
ferme point l'amour du prochain. D'où il y aura com-
paraison du parfait amour de Dieu, lequel s'étend
jusqu'au prochain, avec l'amour de Dieu imparfait,
parce que, comme nous a dit le saint Apôtre, « nous
avons de Dieu ce commandement, que celui qui
aime Dieu doit aimer aussi son frère » ; et dans ce
sens, l'amour du prochain a la prééminence.
De là jaillissent trois conséquences pratiques : la
première, que celui-là se trompe, qui croit aimer
Dieu et mériter davantage en se retirant des exerci-
ces de la charité du prochain, contrairement à sa
vocation et à son état, pour s'appliquer plus à son
aise aux exercices de la dévotion. La seconde, que
les actes de l'amour du prochain cependant ne reçoi-
vent leur mérite que de l'amour de Dieu : d'où sort
la nécessité, comme le dit si bien saint Ignace,
« de s'assurer, avant d'agir, si c'est vraiment de
l'amour divin que descend cet amour qu'on éprouve
pour le prochain, en sorte que, dans la cause pour
laquelle on l'aime, Dieu apparaisse manifeste-
— 181 —
ment * ». La troisième leçon est que cet amour du
prochain a un besoin essentiel, pour qu'il reste plein
de l'amour de Dieu, qu'on le retrempe fréquemment
dans les exercices propres de l'amour divin, qui sont
les exercices spirituels.
§ II. Exposition du second commandement de la
charité 2.
« Vous aimerez votre prochain comme vous-
même 3. » Les paroles de ce commandement signa-
lent d'elles-mêmes la raison de l'amour qui est dû
au prochain, et la manière dont il faut l'aimer.
1° La raison de l'aimer se trouve dans le mot de
prochain, proximus : car voilà pourquoi nous devons
aimer tous les hommes de l'amour de charité': c'est
qu'ils sont très proche de nous, étant comme nous
les images naturelles de Dieu, les enfants de Dieu
comme nous, et capables aussi bien que nous de
cette gloire, en laquelle nous serons un jour trans-
formés à jamais tous ensemble dans le sein de Dieu.
Et l'Écriture emploie tantôt le mot de prochain,
tantôt celui de frère, tantôt celui d'ami, toujours
pour exprimer la même affinité.
2° La manière d'aimer notre prochain est exprimée
par ces mots : comme vous-même. Le précepte ne dit
donc pas qu'on doit l'aimer à légal de soi-même,
i . Prima régula est, ut amor ille qui me movet, descendat
desursum ex amore Dei Donrini nostri, ita ut sentiam primum
in me hune esse propter Deum, et in causa reluceat DeuSi
Exerc. Spirit. reg. pro eleemosynis.
2. 2a2ae q. 44. a. 7.
3. Diliges proximum tuum Bicut teipsum. MATTH. 22.
— 182 —
mais semMablement ; et cela par trois endroits : pre-
mièrement, du côté du motif, aimant son prochain
pour Dieu, comme on est obligé de s'aimer ainsi
soi-même; et par là l'amour que nous aurons pour
les autres sera saint. Secondement, du côté de la
règle, qui ne permet pas de condescendre au désir
d'autrui pour le mal, mais seulement pour le bien*
de même qu'on ne doit céder à ses propres désirs
que pour ce qui est honnête et bon ; et par là l'amour
du prochain sera juste. Troisièmement, du côté de la
fin, c'est-à-dire qu'il ne faut pas aimer ses frères
pour son propre intérêt, mais en leur voulant du
bien comme on s'en veut à soi-même; et par là
l'amour du prochain sera vrai : car Taimér pour son
profit ou son plaisir, ce n'est pas aimer véritablement
le prochain, mais s'aimer soi-même.
§ III. La perfection de l'amour du prochain *.
Dans la charité qui regarde notre prochain, il
faut distinguer deux sortes de perfection :
La première, sans laquelle il n'y aurait pas même
de charité, veut que l'on écarte de son affection tout
ce qui par le péché mortel détruirait en soi-même
l'habitude de cette vertu.
La seconde perfection s'élève beaucoup plus haut
et tient à trois choses : à son extension, à son inten-
sité et à son effet ou exercice.
1° La charité du prochain sera parfaite en exten-
sion, si Ton aime non-seulement ses proches et ses
1. 2a 2». q. 1S4. ù. 2,
— 183 —
amis , mais encore les inconnus et les étrangers
et ultérieurement même ses ennemis: car, dit saint
Augustin, « c'est là le propre des parfaits enfants de
Dieu * ».
Autant cette perfection de la charité, qui embrasse
dans son affection tout homme sans exception, est
digne de la sainte ambition des religieux, autant
elle demande d'efforts, à raison des difficultés qu'elle
rencontre. Le principal obstacle n'est pas dans
les défauts ou les torts d'autrui, c'est celui que nous
posons nous-mêmes en oubliant toujours qu'il faut
aimer le prochain pour Dieu, et non pour ce qui
nous plaît en sa personne.
2° La charité du prochain sera parfaite en inten-
sité, si l'on est disposé à ne reculer devant aucun
sacrifice, quand il s'agit de lui prouver son amour ;
et c'est ainsi que, pour le bien de ses frères, non-
seulement on méprisera les avantages temporels,
mais qu'on sera prêt même à supporter le travail,
la peine, la souffrance, et ultérieurement même la
mort.
3° La charité du prochain sera parfaite dans son
effet ou son exercice, si l'on emploie à l'avantage
de ses frères, non-seulement tous les biens temporels,
mais encore tous les biens spirituels dont on peut
disposer, et ultérieurement, si l'on se dévoue et se
dépense soi-même à leur service comme le faisait le
grand Apôtre 2.
Telle est la charité fraternelle dans tous ceux qui
1. Hoc est perfectorum filiorum Dei.
2. Ego autem libentissime impendam, et superimpendar ipse
pro aniniauus vegtris. Il Cor. 12.
— 184 —
consacrent au bien du prochain leur existence et
leur vie; et cette perfection est propre à un grand
nombre d'instituts religieux , où elle devient un
devoir et le mérite singulier de chacun de leurs
membres.
SBCTION VI. — DES ACCROISSEMENTS DE LA CHABITÉ
DANS NOS AMES.
§ I. De qui dépendent ces accroissements 1 ?
\o La charité est une vertu qui ne peut avoir que
Dieu pour auteur : car c'est une habitude surnatu-
relle, destinée à perfectionner la volonté humaine,
pour la rendre capable de produire les actes de
l'amour surnaturel, et de les produire avec toujours
plus de promptitude et de facilité. De plus, la charité
en nous est une participation de la charité infinie de
Dieu même: en sorte qu'il n'appartient qu'au Saint-
Esprit de la créer et de la répandre dans les cœurs 2.
De là vient que nous appelons Dieu la vie de notre
âme dans Tordre surnaturel : non pas qu'il en soit
la vie formelle, mais parce que le Saint-Esprit y
met la charité, laquelle est formellement cette vie,
comme l'âme est la vie du corps. Enfin, parce que la
charité a un effet infini, en ce qu'elle a la force de
justifier le pécheur, de l'unira Dieu et de lui mériter
la béatitude éternelle, il est manifeste qu'il faut une
vertu infinie pour la faire naître dant nos âmes.
1. 2a 2se q. 23, a. 2, et q. 21. a. 2 et 3.
2. Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Sphitum
sanctum qui datus est nobis. Eom. 5*
— 185 —
De même, donc, qu'il n'était nullement au pouvoir
de Thomme d'acquérir la charité, ainsi elle ne peut,
quanta sa mesure et à ses accroissements, dépendre
ni de la capacité naturelle, ni de la vertu humaine.
C'est au Saint-Esprit de l'augmenter, comme de la
produire dans une âme, selon ce qui est écrit :
a L'esprit souffle où il veut ■ » ; et encore : « Il par-
tage ses dons dans la mesure qui lui plaît 2 ».
2° Ilestvrai, cependant, que, pour recevoir soit la
première infusion, soit les accroissements de la cha-
rité, Dieu demande notre préparation et nos efforts,
et c'est le sens de ces paroles du Seigneur : « Il
confia ses biens à ses serviteurs, donnant à chacun
d'eux selon sa propre vertu 3 ». Mais cette prépara-
tion et ces efforts, la foi nous enseigne que le Saint-
Esprit les prévient encore, excitant plus ou moins
notre volonté selon son bon plaisir: de sorte que
c'est lui toujours qui, selon l'expression de l'Apôtre,
« nous fait dignes d'entrer en partage avec les
saints * ».
3° De là il faut conclure, en premier lieu, que pour
accroître en nous la charité et par conséquent la per-
fection, le moyen est le même que lorsqu'il s'agit de
l'acquérir et de la conserver, c'est-à-dire qu'il faut
nous adresser à Dieu par la prière ; en second lieu,
que nous devons y mettre aussi notre part avec le
secours de sa grâce, en écartant .les obstacles et en
1. Spiritus ubi vult spirat. JoAN. 3.
2. Orunia operatur unus atque idem Spiritus, dividens singu-
lis prout vult. I Cor. 12.
3. Tradidit illis bona sua... unicuique secundum propriam
virtutem. Matth. 25.
4. Digno3 nos fecit in partem sortis sanctorum. Coloss. 1.
— 188 —
coopérant à l'action du Saint-Esprit. Et plût à Dieu
que notre coopération fût toujours ce qu'elle pour-
rait et ce qu'elle devrait être ! « Il y a bien peu
d'âmes, disait saint Ignace, qui soient complètement
fidèles à valoir les dons qu'elles reçoivent, et qui
arrivent au degré de charité et de perfection où Dieu
les voulait élever. »
§ II. Quels sont les accroissements de la charité?
i° La charité s'accroît dans notre âme, en ce
qu'elle devient plus intense pour faire produire des
actes plus fervents à la volonté ; et quand Dieu l'aug-
mente en nous, il nous fait participer davantage à
la ressemblance de l'Esprit-Saint qui est la charité
incréée et infinie.
2° La charité peut croître en une âme jusqu'à la
fin de la vie présente. En effet, la raison pour
laquelle on nous appelle des voyageurs, c'est que
nous devons marcher vers Dieu, qui est le dernier
terme de notre béatitude. Or, dans ce voyage, nous
avançons d'autant plus que nous approchons davan-
tage de Dieu, non, dit saint Augustin, par les pas
du corps, mais par les affections de l'âme ; et c'est
la charité qui nous approche ainsi de Dieu en nous
attachant à lui de plus en plus. Il appartient donc à
la charité de pouvoir toujours s'accroître en cette
vie; autrement on s'arrêterait dans le voyage. Voilà
pourquoi saint Paul appelle la charité un chemin :
1. 2a 2x q. 24, a. 4, 5, 7,
— 187 —
« Je vous montre, dit-il, une voie plus excellent3
encore ■ ».
On peut faire ici une réflexion touchante: si dans
le ciel il pouvait y avoir quelque place à l'envie,
voilà une chose que les saints nous envieraient cer-
tainement ; leur charité n'est plus susceptible de
croître comme la nôtre ici-bas ; quoique parfaite
dans son degré, elle eût pu l'être dans un degré
supérieur, par suite de l'augmentation qu'ils en eus-
sent méritée sur la terre.
3° La charité peut s'accroître indéfiniment en cette
vie. Car il est impossible de lui assigner aucune
limite, ni du côté de sa forme qui est une participa-
tion de la charité infinie, ni du côté de sa cause
qui est Dieu même, dont la vertu n'a point de bornes,
ni du côté de l'âme qui la reçoit, puisque toujours
avec l'accroissement de la charité en elle, s'accroît
l'aptitude à une augmentation ultérieure. La charité,
en devenant ainsi toujours plus parfaite, tend à une
fin et à un terme; mais cette fin n'est pas dans la
vie présente; elle n'est que dans la vie future. Donc,
s'écrie saint Augustin : « Si longtemps que nous
ayons vécu , si loin que nous ayons marché et
avancé, personne ne peut dire : C'est assez pour
moi. Dire cela, c'est rester en chemin et ne savoir
point arriver. Là où vous avez dit: C'est assez, là
même vous vous êtes arrêté - ».
1. Adhuc excellentiorem viam vobis demonstro. I Cor. 12.
2. Quantumcumque vixerimus, aut profecerimu3, nemo di-
cat: Sufficit mihi ; qui enim hoc dixerit, remansit in via, non
novit pervenire. Ubi d'.xerlt: Sufficit, ibihaesit.
— 188 —
§ III. La charité s'accroît-elle en nous à chaque acte que
nous en faisons l ?
1° Le Docteur angélique donne une réponse néga-
tive, qu'il éclaircit à l'aide de cette comparaison
L'accroissement spirituel de la charité peut en
quelque sorte se comparer à celui qui s'opère cor-
porellement dans l'animal et dans la plante. Or ici
l'accroissement n'est pas un mouvement continu ;
mais durant quelque temps la nature opère en dis-
posant à l'augmentation, sans rien faire croître ac-
tuellement ; puis vient l'instant où elle produit
l'effet qu'elle avait prépare', et elle augmente alors
réellement l'animal ou la plante.
Ainsi en est-il de la charité : chacun des actes que
nous en faisons ne l'accroît pas toujours actuelle-
ment, mais chacun la dispose à l'accroissement en
rendant la volonté plus prompte à poser un nouvel
acte; et l'aptitude croissant de la sorte, l'homme
en vient à quelque acte d'amour plus intense,
par lequel il fait effort pour avancer dans la
charité, et c'est alors qu'elle se trouve actuellement
augmentée.
La raison qui prouve que la charité ne s'accroît
point à chacun de ces actes, c'est que l'effet ne peut
pas excéder la vertu de sa cause : or il arrive parfois
qu'un acte de charité se fait avec torpeur et relâche-
ment ; et il est manifeste que cet acte, loin de con-
duire à une plus grande charité, dispose plutôt
l'âme à une moindre.
1. 2a 2». q. 24, a. 6.
— 189 —
2° Nous avons ici deux remarques à faire: la pre-
mière, que cette doctrine de saint Thomas ne contre-
dit nullement la définition du concile de Trente,
que l'homme en état de grâce mérite, par les bonnes œu.
vres quil fait, un accroissement de la grâce *: car le
saint Docteur professe textuellement cette vérité en
l'expliquant ainsi : « De même que tout acte de
charité mérite la vie éternelle, non pour l'avoir sur-
le-champ, mais en son temps si l'on persévère; ainsi
il mérite l'augmentation de la charité, non à l'ins-
tant, mais lorsque l'homme fait effort pour l'avoir en
effet >. La seconde remarque est que ces actes qui
se font avec torpeur et relâchement, ces oraisons et
ces communions tièdes que multiplient certaines
personnes, au lieu d'accroître en elles la charité,
n'ont pour résultat que de disposer à un décroisse-
ment successif. Voilà une leçon sérieuse à l'adresse
des âmes lâches dans le service de Dieu.
§ IV. Direction à suivre pour faire des progrès dans
la charité2.
De même que toute chose a un commencement,
un milieu et une fin, ainsi il faut distinguer trois
degrés dans la charité : celle qui commence, celle
qui progresse et celle qui est arrivée à sa perfection.
Or, saint Augustin, comparant la charité au corps
humain, avertit que lorsqu'elle est née dans une âme,
1. Si quis dixerit..... hominem justificatum, bonis operibu3
quse ab eo fiunt... non vere mereri augmentum gratiae. .. ana-
th;ma sit. Sess. VI. can. 32.
2. 2» 2». q. 24. a. 9.
6*
— 190 —
il faut la nourrir pour quelle vive ; puis on lui
donne des forces jusque ce qu'elle atteigne son déve-
loppement parfait *. Selon ces trois degrés princi-
paux et successifs, l'homme doit s'appliquer spécia-
lement à des soins différents : le premier est celui
d'éviter les péchés, le second celui d'exercer les ver-
tus, et le troisième celui de vaquer à l'union avec
Dieu.
En effet, l'âme nouvellement née à la vie de la
grâce doit mettre alors sa principale étude à écarter
le péché, et à lutter contre les concupiscences qui lui
impriment un mouvement en opposition avec la
charité. Telle est la tâche des commençants, en qui
la charité doit être nourrie et soutenue, afin qu'elle
ne se corrompe et ne se perde point.
Ces aliments et ces moyens sont, entre autres cho-
ses, l'exercice de la crainte de Dieu, la tempérance,
la mortification , l'usage diligent des examens de
conscience et le recours aux sacrements.
Ensuite vient un second état de la charité, où le
soin principal doit être de s'avancer dans le bien et
de fortifier la charité par l'acquisition des vertus :
c'est la tâche de ceux qu'on nomme proficientes,
c'est-à-dire qui marchent en avant par les accroisse-
ments que prend en eux la charité. Ils ont pour
leur grand et efficace moyen la méditation et l'imita-
tion des vertus de Jésus-Christ et des saints.
Enfin il y a un troisième état de la charité, celui
d'une certaine perfection acquise , où une âme,
1. Charitas, cum fuerit nata, nutritur ; cum fuerit nutrita,
roboratur ; cum fuerit roborata, perficitur; cum autem acl per-
fcctionem vencrit, dicit : Cupio dissolvi et esse cum Christo.
— 191 —
lorsqu'il est constaté qu'elle y est parvenue, peut et
doit principalement s'appliquer aux exercices de
l'union avec Dieu : car c'est le propre des parfaits de
jouir de Dieu, et, comme saint Paul, a de soupirer
après leur délivrance pour être avec Jésus-Christ1».
C'est ainsi que, dans un mouvement corporel, il y
a unpremier degré qui consiste à s'éloigner du point
de départ; puis un second degré où l'on s'approche
de l'autre terme ; puis enfin un troisième degré où
l'on se repose dans le terme lui-même.
Ceux en qui la charité commence, se proposent
sans doute aussi d'aller en avant : mais leur princi-
pale étude doit être de résister aux péchés dont l'a-
gression les moleste davantage. Par la suite, sentant
moins la nécessité de ces combats, ils s'appliqueront
avec plus d'assurance à leur avancement. Ils feront
alors comme ces Israélites, qui rebâtissaient la ville
de Jérusalem au temps d'Esdras 2 : d'une main ils
élèveront l'édifice des vertus, mais de l'autre ils tien-
dront encore l'épée contre l'ennemi en cas d'atta-
que. De leur côté, les parfaits eux-mêmes n'aban-
donnent point l'œuvre de leur progrès spirituel
puisque la charité d'ici-bas est toujours imparfaite,
et que toujours elle a besoin décroître4. Et même
ils ne peuvent pas entièrement négliger des enne-
mis qui sont aussi toujours à craindre, et bien sou-
vent encore font sentir leur agression. Néanmoins,
1 . Desiderium habens dissolvi et esse cum Christo. Pni-
LTPP. I.
2. Esdhas, 4.
3. Perfectio viœ non est perfectio simpliciter, et ideo Bémpei
habet quo cre9cat. 2a 2cs. q. 24. a. 8. ad 3
_ 192 —
leur élude principale est de vaquer à l'union avec
Dieu ; ce qu'ils font, non pas dans une oisive quiétude,
ni au détriment de leurs devoirs, mais par l'inten-
tion parfaite de l'amour quand il faut agir, par
l'exercice de la présence de Dieu, par la contempla-
tion de ses perfections et de ses ouvrages, par le
soin de l'aimer dans toutes ses créatures et toutes ses
créatures en lui. Et quoique les autres aussi recher-
chent cette union avec Dieu, toutefois ils ressentent
plus de sollicitude soit à écarter les péchés, soit à
s'exercer et à s'avancer dans les vertus.
On voit que ces trois degrés de la vie spirituelle
dans la charité ne sont autre chose que ce qu'on
appelle encore la voie purgative, la voie illuminative
et la voie unitive ; et le Docteur angélique nous ensei-
gne très utilement la manière dont ces trois degrés
doivent être entendus dans la pratique.
SECTION VII. — DU DÉCROISSEMENT ET DE LA PERTE
DE LA CHARITÉ *.
1. Directement, enseigne saint Thomas, l'habitude
de la charité ne peut être diminuée dans une âme
ni par la cessation des actes, ni par le péché véniel.
Elle ne peut l'être par la cessation des actes, puis-
que la charité n'est point une habitude naturelle de
l'homme, mais l'ouvrage de Dieu en lui.
Elle ne peut l'être par le péché véniel, parce que
ce péché, n'étant qu'un dérèglement qui porte sur les
moyens, n'attaque point la charité, qui se rapporte
1. 2a 2œ.q.24. a. 10
— 193 —
*% la fin. De pius, celui qui pèche sur un point
secondaire ne me'rite pas une peine principale, et
Dieu na'se détourne pas plus de l'homme que
l'homme ne se détourne de Dieu par son péché : ce
qui arriverait si, pour avoir manqué relativement aux
moyens, l'on souffrait une perte dans la charité qui
unit à la fin.
D'où il faut conclure que la charité ne peut être
diminuée directement par l'homme, si l'on consi-
dère sa substance, le degré d'union qu'elle a établi
avec Dieu dans une âme, et le mérite correspondant
de la vie éternelle.
Mais indirectement, l'homme peut affaiblir en lui-
même la charité, en ce sens qu'il peut en préparer
la ruine, et par les péchés véniels et parla cessation
des actes. Les péchés véniels préparent sa ruine,
parce qu'ils disposent au péché mortel qui la détruit.
La cessation des actes de la charité est aussi une
préparation à sa perte, en ce que l'habitude de la
charité devient ainsi moins prompte à produire ses
actes; et dès lors une habitude vicieuse peut facile-
ment s'introduire dans l'âme, et y prévaloir par
quelque péché mortel.
Saint Grégoire le Grand cite à ce sujet le triste
exemple de sa tante Gordiesine qui avait voué à Dieu
sa virginité, et qui, par des décroissements quoti-
diens, en vint jusqu'à manquer à la foi jurée et à se
perdre *.
1. Ccepit paulatim a calore amoris intimi per quotidiana
décrémenta tepescere ; unde factura est ut postmodum oblita
dominici timoris, oblita pudoris. oblita reTtrennae, obJita
consecrationis, conductorem agrorum suorum matrimonio
duxerit.
- 19* —
On voit que, pour bien entendre le sens de tout ce
passage de saint Thomas, il faut distinguer la sub-
stance de la charité, et sa chaleur en sa promptitude
à produire les actes. Celle-ci n'est que trop exposée
à se refroidir et à décroître en nous par les péchés
véniels et par le relâchement .
II. Au ciel, où Ton voit Dieu face à face et dans
son essence, la bonté et la beauté infinie, en se mani-
festant aux bienheureux, ravissent tellement leur
affection, qu'il ne leur est plus possible de perdre la
charité. Mais, sur la terre où nous n'apercevons
Dieu qu'à travers les voiles de la foi, nous sommes
toujours exposés au malheur de perdre la charité par
le péché.
Pour la détruire dans le cœur de l'homme, un seul
péché mortel suffît : de sorte que celui qui par elle
avait la vie de la grâce et le mérite de la vie éter-
nelle, devient en un instant digne de la mort
éternelle.
Quand il s'agit des vertus acquises, un seul acte
contraire ne détruit pas l'habitude vertueuse; il faut
pour cela une suite d'actes répétés qui l'affaiblissent
peu à peu, et finissent par l'effacer et la corrompre
entièrement. Mais la charité étant une vertu infuse,
elle dépend de l'action de Dieu qui l'a répandue et
la conserve dans notre âme ; or cette action de Dieu
peut se cemparer à la manière dont le soleil illumine
l'air ; de même donc que la lumière cesserait d'exis-
ter dans l'air, aussitôt qu'il surviendrait un obstacle
à l'action du soleil, ainsi la charité cesse d'exister
dans l'âme du juste, dès qu'un obstacle vient intcr-
— J93 —
cepter l'influence divine. Mais il est manifeste que
tout péché mortel est cet obstacle, puisque, par là
même que l'homme préfère son péché à l'amitié de
Dieu, cette amitié, qui exige que les amis soient de
même volonté entre eux, se trouve rompue, et l'ha-
bitude de la charité est à l'instant perdue et immé-
diatement détruite.
Du reste, il faut remarquer que l'homme peut per-
dre la charité de deux manières : l'une directe, et
l'autre indirecte. 11 la perd directement par le mépris
formel qu'il en fait : ce qui arrive quand il pèche
par malice, et alors elle est bien plus difficile à
recouvrer. Il la perd indirectement lorsqu'il pèche
par surprise ou par un entraînement de passion.
C'est de cette seconde manière que saint Pierre per-
dit la charité ; mais il la recouvra promptement par
la pénitence. D'où l'on voit qu'un péché de malice
fait bien plus de mal à l'âme qu'un péché de fragilité,
III. Sur les péchés des religieux *.
Saint Thomas se pose cette question : Un religieux
pèche-t-il plus gravement qu'un séculier, quand il
offense Dieu dans la même matière ? Et voici sa
réponse : Si le religieux pèche par mépris, ou con-
tre ses vœux, ou en donnant du scandale à un autre,
son péché est plus grave que celui d'un séculier ;
mais c'est le contraire quand il pèche seulement par
ignorance ou par infirmité.
En effet, lorsqu'il pèche par mépris et malice,
son péché est plus grave, puisqu'il montre plus
1.2a 2x. q. 186. a. 10e
— 19G — •
d'ingratitude envers la bonté divine, qui lui a fait
cette faveur insigne de l'élever à l'état de perfection.
Et c'est de quoi le Seigneur se plaint par son Pro-
phète : « Gomment se fait-il que mon bien-aimé,
dans ma maison, a commis tant d'iniquités f ? »
Si le religieux ose pécher contre les vœux qu'il a
faits, il est clair que son péché est plus grand, puis-
qu'il renferme une double malice , comme nous
l'avons déjà montré.
S'il donne le scandale par son péché, le religieux
peut être plus coupable, et il l'est ordinairement, par
la raison que sa vie attire les regards d'un plus grand
nombre de personnes.
Mais quand un religieux vient à faillir, non par
mépris ni par malice, mais par infirmité ou par
ignorance, et sans qu'il y ait scandale ni violation
de son vœu, il pèche plus légèrement qu'un séculier,
en ce sens que son péché est moins dommageable,
parce que ce péché, s'il est véniel, se trouve comme
absorbé par la multitude des bonnes œuvres qu'il
fait ; et s'il est mortel, le religieux s'en relève plus
facilement. Et il y a deux raisons de cette facilité :
La première est que son intention se trouve habi-
tuellement droite envers Dieu : d'où il arrive que si
elle subit une interruption momentanée, il n'a pas de
peine à lui faire reprendre sa direction età en réparer
le dommage. C'est la pensée d'Origène, expliquant
ces mots du Psaume: Lorsque le juste tombera, il ne
se brisera point, parce que le Seigneur place sous lui
1. Quid est quod dilectus meus in domo mea fecit scelera
multa ? Jekem. 11.
- 197 -
sa main ' ». L'injuste, dit Origène, quand il a péché,
n'en a point de repentir, et il ne sait pas s'amender
de son péché ; tandis que le juste sait se corriger
sans retard : comme celui qui avait dit de son divin
Maître : Je ne connais point cet homme, n'eut besoin
que d'un regard du Seigneur pour pleurer amère-
ment ; comme celui encore qui, ayant vu une femme
du haut de son toit et ayant laissé entraîner son cœur,
sut dire bientôt : Jai péché, et j'ai fait, mon Dieu, le
mal en votre présence.
La seconde raison est que le religieux qui tombe
trouve dans ses frères un secours pour se relever,
selon ces paroles du Sage : « Si l'un fait une chute,
l'autre le soutiendra : malheur à qui est seul, parce
que lorsqu'il vient à tomber, il n'aura personne pour
le remettre sur pied 2 ! »
Les justes pèchent difficilement par mépris, et
voilà pourquoi, si parfois ils tombent, ils se relèvent
facilement. Maislorsqu'ils arrivent au point dépêcher
par mépris, alors ils deviennent très mauvais et les
plus incorrigibles de tous. De là ces terribles paroles
de saint Augustin : « Depuis que j'ai commencé à
servir Dieu, j'ai connu par expérience que comme il
n'y a guère de chrétiens meilleurs que ceux qui font
le bien dans les maisons religieuses, ainsi il n'en est
pas de pires que ceux qui s'y abandonnent au mal. »
Quand on parle des péchés des religieux, ne ferait-
1. Justuscum ceciderit, non collidetur, quia Dominus sup-
ponit manum suam. Ps. 36.
2. Si unus ceciderit, ab altero fulcietur : vre soli, quia corn
ceciderit, non habebit sublevautem se. Eccl. 4.
— 1C3 —
on pas bien de proposer dans ses deux parties cell*
doctrine du Docteur angélique ?
SECTION VIII. — DE LA CHARITE DANS SCS RAPPORT-
AVEC LES AUTRES VERTUS.
La charité s'appelle et est en effet la forme, la
mère, le fondement, le lien et la fin de toutes les au-
tres vertus : d'où Ton peut voir avec quelle excel-
lence elle est aussi leur reine, et par combien d'en-
droits elle est essentielle à la perfection religieuse '.
I. La charité est la forme des autres vertus, non
pas si on les considère dans leur propre espèce.
puisque chaque vertu a sa forme spéciale, qui lui
vient de l'objet sur lequel elle s'exerce ; mais en ce
sens que la charité doit encore leur imprimer sa
propre forme, sans quoi nulle vertu ne mériterait
plus le nom de vraie vertu, à prendre ce mot dans
son acception pure et absolue 2.
Et en effet toute vertu est essentiellement une
habitude qui a le bien pour objet ; or le bien est
principalement dans la fin : car les moyens ne sont
bons qu'autant qu'ilsse rapportent à la fin. G'estpour-
quoi, comme il y a deux sortes de fins, l'une pro-
chaine et l'autre dernière, il y a aussi deux sortes
de biens, l'un prochain ou particulier, et l'autre
dernier, suprême et universel. Or , pour l'homme»
le bien final qui doit embrasser tous les autres,
c'est la possession de Dieu, selon ces paroles du
1. 2a 2ae. q. 23. a. 7.
2. Simpliciter vera virtus, siue charitate, esso non potest.
Psalmiste : « Pour moi, le bien est de m' attacher à
Dieu l » ; et l'homme n'atteint ce bien que par la
charité.
Quant au bien prochain, secondaire et particulier
de l'homme, il peut être de deux sortes : l'un qui
est un vrai bien, en ce qu'il sert de moyen pour
atteindre le bien suprême et la fin dernière ; l'autre
qui n'est qu'apparent et non véritable, parce qu'il
détourne du bien final. D'où il suit évidemment
qu'il n'y a de vraie vertu que celle qui est coordon-
née par la charité au bien suprême et à la fin der-
nière de Thomme.
Que si l'on veut entendre par vertu celle qui se
borne à un bien particulier, sans que la charité le
rapporte au bien final, alors la vertu peut, il est
vrai, avoir quelque réalité ; néanmoins, si ce bien
particulier n'est point réel mais apparent, la vertu
aussi ne sera qu'une apparence. Ainsi, dit saint Au-
gustin : « On ne peut pas appeler vraies vertus, ni
la prudence des avares qui sait trouver le secret de
devenir plus riche, ni leur justice qui ne respecte
le bien d'autrui que par crainte du châtiment, ni
leur tempérance qui comprime en eux les goûts
somptueux de la sensualité, ni enfin leur force qui,
selon l'expression du poète, leur fait fuir la pauvreté
à travers les mers, les rochers et les flammes 2 » . Que
si ce bien particulier est en effet un bien réel, comme
le soin de soulager les malheureux, la piété filiale,
la fidélité à sa parole, alors il y aura quelque réalité
1. Mihi autem adhrerere Deo bonum est. Ps. 72.
2. Per mare pauperiemfuiriunt, per saxa, per ignés. HOBAT.
Lib. 1. Epist. 1.
— 200 —
dans la vertu, mais elle restera imparfaitement vrai 3
tant qu'elle ne se rapportera point au bien final et
parfait. D'où il faut toujours conclure que, sans la
charité, il n'y a point de vraie vertu, dans la signifi-
cation absolue de ce mot.
Plût à Dieu que tous les hommes comprissent cette
fondamentale vérité ! Plût à Dieu que les religieux
eux-mêmes en fissent mieux l'application à chacune
de leurs actions ! Si la charité manque, toute vertu,
si toutefois vertu il y a, n'est plus qu'une vertu
rampante qui ne s'élève pas de terre ; tandis qu'avec
la charité et par la charité, la vertu la plus humble
a la force de monter jusqu'au Ciel et démériter le
Bien suprême.
IL * La charité est la mère de toutes les vertus, »
parce que son objet propre et le but où elle aspire
étant la possesston de Dieu même, son désir de
l'atteindre toujours plus pleinement lui fait concevoir
les actes des autres vertus dans l'intérêt de sa propre
fin; et elle les enfante lorsqu'elle commande à la vo-
lonté de les produire. De là vient que l'Apôtre les
lui attribue tous à elle-même. « La charité, dit-il,
est patiente, elle est bénigne et douce, elle n'est
point jalouse, elle ne s'enfle point, etc. * ».
C'est pourquoi, plus la charité s'accroît dans une
âme, plus elle y devient féconde en actes de toutes
1. Charitaa patiens est, benigna est, non pemulatur, non in-
flatur, non est ambitiosa, non queerit quae sua sunt,non irritatur,
non cogitât raalum, non gaudet super iniquitate, congaudet
autem' veritati; omnia suffert, omnia crédit, omnia sperat,
omnia sustinet, I Cor. 13.
— 201 —
les vertus, les mettant en exercice et exigeant d'elles
le travail et l'activité. Au contraire, si les vertus y
produisent peu, c'est que la charité est faible et
languissante ; et une preuve manifeste de son ab-
sence totale, ce sera l'oisiveté des autres vertus.
III. La charité est le fondement des vertus.
On dit de trois vertus qu'elles sont les fondements
de toutes les autres, savoir: l'humilité, la foi et la cha-
rité. Nous allons voir en quel sens ce nom de fonde-
ment convient à chacune d'elles. Pour l'humilité et
la foi, voici comment l'expose saint Thomas * :
De même que l'assemblage bien coordonné des
vertus de l'homme se compare à un édifice, ainsi
la première chose nécessaire à cette construction
spirituelle se compare au fondement, par quoi
il faut commencer un édifice matériel. Or, les
vertus de l'homme sont bien moins son ouvrage que
celui de Dieu, à qui il appartient de les mettre en
nous et de les y faire croître. D'où il suit qu'en ce
qui regarde les vertus, une chose peut être appelée
la première ou le fondement de deux manières dif-
férentes : l'une indirecte, et l'autre directe.
1° La chose qui devra être indirectement la pre-
mière ou le fondement par rapport aux vertus est
celle qui écartera les obstacles à l'action divine en
nous. Et c'est ainsi que l'humilité occupe la première
place, en ce qu'elle chasse l'orgueil « auquel Dieu
résiste 2 », et que, faisant cesser l'enflure de ce vice,
1. 2a 2ae. q. 161, a. 5.
2. Deus superbis resistit. I Fetr. 6.
— 202 —
elle présente une âme soumise et largement ouverte
à la grâce divine *. En ce sens donc, et de cette ma-
nière, l'humilité est le fondement'de l'édifice spiri-
tuel de toutes les vertus, selon ces paroles de saint
Augustin : « Vous voulez élever une grande con-
struction, songez d'abord au fondement de l'humi-
lité; et plus l'édifice doit être considérable, plus
on creuse profondément les fondations 2 ».
2° La chose qui devra être directement la première
ou le fondement par rapport aux vertus est celle
par laquelle il faut s'approcher de Dieu, le Seigneur
des vertus. Or, c'est par la foi que l'homme s'appro-
che de Dieu, comme nous l'enseigne FApôtre :
« Celui qui s'approche de Dieu doit croire en Lui3. »
Et c'est en ce sens que la foi est le fondement de
toutes les vertus, d'une manière plus noble encore
que l'humilité.
3° Mais saint Paul appelle aussi la charité un fon-
dement. » Yous êtes, dit-il aux chrétiens, enraci-
nés et fondés dans la charité 4 », parce qu'en effet,
semblable à un fondement et à une racine, la charité
soutient et nourrit toutes les autres vertus. Elle est
leur fondement vivant et vivifiant, comme la racine
l'est pour toutes les branches de l'arbre : ce qui est
une manière d'être le fondement des vertus plus
1. Pesez bien ces fortes paroles : Prœbet hominem subditum
et patulvm divinœ gratta.
2 Cogitas magnani fabricam construere celsitudinis, de fun-
damento prius cogita humilitatis; et quanto erit majus aedi-
ficium, tanto altius foditur fundamentum.
3. Credeve enim oportet accedenten ad Deum quia est.
Hebr. 14.
i.. In charitate radicati et fundati. Ephes. 3.
— 203 —
relevée encore que l'humilité et la fui. De là ces
beiles paroles de saint Grégoire pape: « Tout ce que
Dieu commande à l'homme, il le fait reposer sur la
seule charité: car de même que les diverses branches
d'un arbre sortent uniquement de sa racine, ainsi
les vertus diverses sont toutes le produit de la cha-
riié ; et le rameau de la bonne œuvre ne garde plus
rien de sa verdure s'il ne reste uni à la racine de la
charité' ».
IV. La charité est le lien des mitres vertus 2.
Aussi l'Apôtre, après avoir dit qu'il faut par-dessus
tout posséder la charité, ajoute aussitôt qu'elle est
le lien de la perfection 3.
En effet, comme les autres vertus sont nécessai-
res au complément de la perfection, ainsi qu'il a
été expliqué ailleurs 4, de même il appartient à la
charité, non-seulement de les produire et de les
alimenter, mais encore de les lier tous ensemble
comme un faisceau dans une unité parfaite. La rai-
son en est que la charité est le principe de toutes les
bonnes œuvres par lesquelles l'homme doit arriver
à sa fin dernière ; or, pour cela, il est nécessaire
qu'elle ait avec elle toutes les autres vertus qui pro-
duisent les divers genres de bonnes œuvres. C'est pour-
quoi, dans l'homme juste, les vertus morales ont
1. Quidquid prascipitur, in sola charitate solidatur : ut enim
multi arboris rarui ex una radice prodeunt, sic multae virtutes
ex una charitate generantur; nec habet aliquid viriditatis
ramus boni operis, si non manet in radice charitatis.
2. 2a 2se. q. 184, a. 1, et q. 65, a. 3.
3. Super omnia autera charitatem habete, quse est vinculum
perfectionis. Coloss. 3.
4. Ci-dessus ch. II. ait. III, Sect. 1.
— £04 —
entre elles non-seulement la connexion qui est selon
la prudence, mais encore cette autre connexion qui
est selon la charité. Retenues par ce lien de la cha-
rité, aussi fort qu'il est doux, toutes les vertus
demeurent avec elle dans une âme, sans qu'aucune
puisse y manquer tant qu'elle y est elle-même ; et
par elle encore, toutes y sont dans une harmonieuse
unité, sans que les actes d'une vertu puissent con-
trarier ceux d'une autre. Telle est la perfection et la
sainteté selon le christianisme, et l'on sait, par l'his-
toire de la canonisation des saints, que, pour en
déclarer authentiquement l'existence dans un chré-
tien, l'Église catholique exige la preuve irréfragable
que ce faisceau de toutes les vertus dans la charité
s'est trouvé en lui, et même à un degré héroïque.
V. Enfin, la charité es£/tf fin de toutes les autres vertus* y
parce qu'elle les tient sous ses ordres et sa direction
pour les faire marcher vers sa propre fin. Toutes sont
comme ses instruments et ses servantes. Elle emploie
les unes à écarter les obstacles qui gêneraient son
union avec Dieu: telles que la force, la patience et
l'abnégation, avec ces autres qui en dérivent, l'hu-
milité, la tempérance, la mortification, la modestie,
etc. Elle en emploie plus directement d'autres à
s'exercer elle-même, soit envers Dieu, soit envers le
prochain : comme la foi, l'espérance, la religion, la
justice, le zèle, etc.
Mais entre toutes celles dont elle se sert pour ten-
dre à sa perfection, il en est trois qui appellent l'at-
1. 2a2seq. 23. a. 8.
- 20o —
tention spéciale des religieux: ce sont les trois ver-
tus que consacrent les vœux de religion, la pauvreté,
la chasteté et l'obéissance. Nous allons voir plus am-
plement leurs rapports avec la charité dans l'article
suivant.
ARTICLE IV.
des moyens de perfection qui se trouvent dans
l'état religieux.
Ces moyens sont de deux sortes: les uns princi-
paux, et les autres secondaires; les uns que la
charité fait servir très efficacement à sa propre
perfection ; les autres qui prêtent pour cela leur
concours aux premiers, et qui sont encore d'un grand
usage pour la perfection des autres vertus; on voit
qu'il s'agit ici des vœux et des règles.
SECTION Ir«. — DES MOYENS. PRINCIPAUX DE PERFECTION
QUI SONT LES VŒUX '.
I. L'état religieux est une discipline, c'est-à-dire
une école où Von apprend et une carrière où l'on s'exerce
dans le but d'acquérir la perfection de la charité. Or,
pour cela quatre choses sont nécessaires :
En premier lieu, il est nécessaire qu'on pratique
dans l'état religieux la pauvreté volontaire, je parle
de celle qui consiste dans le dépouillement effectif
des biens temporels. Car la perfection de la charité
exige que l'homme dégage totalement son affection
1. 2a 2ae q. 186. a. 3, i, 5, G.
— 20G —
des choses terrestres, pour pouvoir la porter tout
entière vers Dieu, selon ce que dit saint Augustin :
a Celui-là, Seigneur, vous aime trop peu, qui aime
avec vous quelque chose qu'il n'aime point pour
vous ' » ; et encore : « La charité se nourrit de ce
qu'on ôte à la cupidité ; elle est parfaite quand il n'y
a plus de cupidité 2 ». Mais l'expérience nous apprend
que celui qui possède des biens temporels est très
exposé à y attacher son cœur, comme l'exprime
énergiquement le même saint Augustin: « Les
richesses tiennent bien plus au cœur quand on les
possède, que quand on les désire seulement. Car,
d'où vient que le jeune homme de l'Évangile seretira
avec tristesse, sinon de ce qu'il possédait de grands
biens? C'est qu'autre chose est de ne vouloir pas
nous incorporer ce qui est hors de nous, et autre
chose d'arracher ce qui estdéjà en nous-mêmes. Dans
le premier cas, c'est comme un objet étranger qu'on
écarte ; dans le second, ce sont comme des membres
qui subissent l'amputation 3 ». Voilà donc pourquoi,
lorsqu'il est question d'acquérir la perfection de la
charité, le premier fondement qu'il faut poser est la
pauvreté évangélique, le Seigneur ayant dit lui-
même : « Si vous voulez être parfait, allez, vendez
tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres 4 ».
1. Minus te amat, qui tecum amat aliquid quod non proptcr
te amat.
2. Nutrimentum charitatis est imminutio cupiditatis; per-
fectio, nullacupiditas.
3. Terrena diliguntur arctius adepta, quam concupita....
Aliudest enim nolle incorporare quae desunt, aliud jam incor-
porata divellere. Illa enim velut extranea repudiantur, ista
vero velut membra praescinduntur.
4. Matth. 19.
— 207 —
En second lieu, il faut la pratique ue la conti-
nence : d'abord parce que les plaisirs charnels, fus-
sent-ils même licites, sont pour l'homme un grand
obstacle à une tendance parfaite de ses affections
vers Dieu ; et ensuite, parce qu'il en est de même
des soins qu'imposent le gouvernement et les néces-
sités temporelles d'une famille, comme le dit saint
Paul : « Celui qui est engagé dans le mariage a les
sollicitudes des choses de ce monde, et son cœur est
partagé ■ ».
En troisième lieu, il faut par-dessus tout l'obéis-
sance, selon le conseil du Seigneur : « Si vous
voulez être parfait... venez, suivez-moi ». Or, ce
qui dans la vie du divin modèle se recommande le
plus à notre imitation, est son obéissance, ainsi que
le remarque saint Paul : « Il s'est fait obéissant
jusqu'à la mort 2 ». Et, en effet, rappelons-nous le
principe déjà posé, que l'état religieux est un ap-
prentissage et une carrière dont le but est d'acquérir
la perfection. Mais tous ceux qui apprennent et
s'exercent pour devenir habiles ont besoin de quel-
qu'un qui les enseigne et les dirige, comme des
disciples sous un maître. C'est pourquoi il est né-
cessaire aux religieux d'être sous la direction et
l'autorité de quelqu'un dans toute la conduite de
leur vie religieuse, ce qui se fait au moyen de l'obéis-
sance : d'où le droit canon porte que « la vie des
religieux est une vie de soumission et une école 3 ».
1 . Qui cum uxore est, sollicitus est quae sunt mundi, quo-
modo placeat uxori, et divisus est. I. Cor. 7.
2. Factus obediens usque ad mortera. Philip. 2.
3. Monachorum vita subjectionis habet verbum et discipu-
latus.
— 208 —
En quatrième lieu, il faut même qu'on s'impose
ces trois choses par l'obligation du vœu, afin d'être
ainsi, d'une manière fixe et constante, tout à la per-
fection de la charité, selon ces paroles de saint Gré-
goire ; « Offrir par vœu au Seigneur tous les biens
de la fortune, tous ceux du corps et tous ceux de
l'esprit, c'est le sacrifice parfait de l'holocauste * ».
De plus, comme la perfection de la vie consiste à la
consacrer totalement au culte divin, cette perfection
demande que l'on présente effectivement à Dieu tout
ce qu'on désire lui consacrer. Mais l'homme ne peut
pas présenter à Dieu dans un seul acte sa vie entière,
qui ne.coule que successivement : il n'a donc d'autre
moyen de lui offrir effectivement l'ensemble de sa
vie que l'obligation du vœu perpétuel, par lequel elle
se trouve engagée tout entière.
II. Le même saint Thomas résume ainsi tout ce
que font les trois vœux de religion pour la perfection
de la charité 2 :
On peut considérer l'état religieux sous trois rap-
ports : le premier, selon qu'il est un exercice par
lequel on tend à la perfection ; le second, en ce qu'il
dégage le cœur humain des sollicitudes extérieures ;
le troisième, selon qu'il est un holocauste où l'on
offre tout à Dieu sans réserve. Or, sous ce triple
rapport, l'état religieux fournit pleinement ce qu'il
faut à la perfection de la charité.
1° Il écarte les obstacles intérieurs à une tendance
1. Cura quia omne quod habet, omne quod vivit, omne quod
8apit, omnipotenti Deo voyerit, holocaustum est.
2. 2a 2se. q, 186. a. 7.
-^ 209 —
totale de notre affection vers Dieu : car ces obstacles
sont au nombre de trois : la cupidité des richesses
est le premier, et le vœu de pauvreté le retranche ;
la concupiscence de la chair est le second, et elle est
exclue par le vœu de chasteté ; le dérèglement de la
volonté est le troisième, et le vœu d'obéissance le
fait disparaître en plaçant la volonté sous la direc-
tion de Dieu même, commandant par le Supérieur.
2° Il écarte les obstacles extérieurs : car la solli-
citude du siècle inquiète les âmes principalement
en trois choses, dont Tune regarde le soin et la dis-
pensation des biens temporels ; l'autre, le gouverne-
ment d'une famille ; et la troisième, la disposition
de ses propres actes ; et ces trois sources d'inquiétude
sont retranchées par les trois vœux de religion,
selon le désir que saint Paul formait pour les parfaits
chrétiens : « Pour moi, je veux que vous soyez
exempts de sollicitude » *.
3° Sous le troisième rapport, l'état religieux fait
plus encore qu'éloigner les obstacles ; il est déjà
l'exercice de la charité parfaite : car c'est un holo-
causte, comme nous l'a dit saint Grégoire, que de
sacrifier pour Dieu tout ce qu'on possède. Or l'homme
peut posséder trois sortes de biens : les richesses,
qu'il sacrifie à Dieu par le vœu de pauvreté volon-
taire ; les biens du corps, dont il se prive pour son
amour par le vœu de continence, et ceux de l'âme
qu'il lui offre totalement par l'obéissance, puisqu'il
sacrifie sa volonté par laquelle il use de toutes les
puissances et de toutes les habitudes de son âme.
1. Volo autem vos esse sine eollicitudine. I. Cor. 7.
~- 210 *-
III. Ici deux objections peuvent se présenter à
l'esprit : l'une contre la pauvreté, Fautre contre
l'obéissance religieuse.
Voici la première : faire l'aumône aux pauvres est
une œuvre si agréable à Dieu et si douce au cœur 1
Eh bien ! cela est exclu par la pauvreté volontaire,
et une fois que je me serai dépouillé de tout, il n'y
aura plus moyen pour moi d'avoir ce mérite et cette
consolation. Tel est le prétexte dont l'ennemi du
salut peut se servir lui-même quelquefois, pour
détourner une âme sensible de la perfection reli-
gieuse.
Il faut dire, répond saint Thomas, que le renon-
cement ! aux biens temporels, si on le compare à
l'aumône, est comme un bien universel comparé à
un bien particulier, et comme le sacrifice d'holo-
causte, où l'on offre la victime tout entière, comparé
aux autres sacrifices où l'on s'en réserve une partie *.
C'est pourquoi saint Jérôme, réfutant l'erreur de
Vigilantius, parle en ces termes : « C'est une bonne
chose de distribuer successivement ses biens aux
pauvres ; mais il est meilleur encore de tout donner
à la fois pour suivre Jésus-Christ, et après avoir
retranché toute sollicitude terrestre, de vivre pauvre
avec Jésus-Christ ». Ajoutez encore ce sacrifice du
cœur lui-même, si plein d'abnégation et d'humilité,
lorsqu'un religieux est réduit à dire au malheureux
qui lui tend la main : Hélas ! je n'ai plus rien à
donner !
L'objection contre l'obéissance religieuse est celle-
1. 2a 2ae. q. 186. a. 3. ad 6m, a. 5. ad 5m, et a, 6. ad 3m.
— 211 —
ci : les services les plus agréables à Dieu sont les
services spontanés ; mais quand on a fait vœu
d'obéir, la spontanéité fait place à la nécessité ; et il
en est de même pour les deux autr -s vœux, qui
ôtent désormais le mérite de la privation spontanée.
Il faut dire, répond toujours saint Thomas, que
la nécessité de contrainte rend l'acte involontaire et
par conséquent lui ôte son mérite. Mais telle n'est
point la nécessité qui suit le vœu d'obéissance : car
même alors l'homme reste parfaitement maître de
sa volonté, et il agit parce qu'il veut obéir, quoique
d'ailleurs peut-être la chose qu'on lui commande, à
la considérer en elle-même, ne fût pas selon son
inclination. Et c'est parce qu'il s'est imposé pour-
Dieu cette nécessité de faire les choses qui ne
lui plaisent pas, que ses actions sont plus agréables à
Dieu, alors même qu'elles sont moindres que d'autres
qui eussent été de son choix: parce que l'homme
'ne peut donner au Seigneur rien de plus grand q\ e
de soumettre pour lui sa volonté propre à la volonté
d'autrui.
Et il faut dire la même chose de la nécessilé
qu'imposent les deux autres vœux. Car parmi les
biens auxquels il est possible de renoncer, se trouve
la liberté propre, que l'homme chérit plus que tous
les autres. C'est pourquoi s'ôter librement le pouvoir
d'agir désormais contrairement à la pauvreté et à la
chasteté parfaite, c'est faire de sa liberté l'usage le
plus agréable à Dieu. D'où saint Augustin parle
ainsi au religieux : « Ne vous repentez point de
vous être lié par des vœux ; mais plutôt soyez joyeux
de ne pouvoir plus ce qui vous eût été permis à
— 212 —
votre détriment. Heureuse ne'cessité que celle qui
force à mieux faire ! * »
6ECTION II. — DES MOYENS SECONDAIRES DE PERFECTION
QUI SONT LES RÈGLES.
Le Catéchisme des vœux indique en peu de mots 2
de quel secours sont les règles pour faire tendre un
religieux à la perfection. Mais il nous reste à donner
sur ce sujet plusieurs explications utiles
I. Une règle, en latin régula et en grec canon, est
un instrument d'architecture que tout le monde
connaît. Indispensable pour les constructions maté-
rielles, la règle ne Test pas moins pour l'édifice
spirituel des vertus et delà perfection.
La qualité essentielle d'une règle est d'être droite :
régula, selon saint Isidore, c'est comme si l'on disait
rectula, à cause de la rectitude qui lui est inhérente ;
et le philosophe Sénèque observe judicieusement
« qu'agir d'après une règle que l'on aurait faussée soi-
même, c'est outrager le droit8 » : belle maxime qui
montre où est le désordre suprême, cause irrémédia-
ble de tous les autres. La règle, dit aussi saint Gré-
goire, ne souffre ni addition, ni retranchement :
autrement elle perd sa propriété même dérègle4. En
un mot, si la rectitude manque à la règle, elle trompe
1. Non te Toyisse pœniteat, imo gaude jam tibi non licere
quod cum tuo detrimento licuisset. Félix nécessitas quae in
meliora compellit 1
2. lre part. ch. 2.
%. Regulam si flectas, quidquid ex illa mutaveris, injuria est
recti.
4. Régula nec addisibi quidquam, nec demi sustinet; alio-
quin hoc ipsum quod régula est, amittit ac perdit.
— 213 —
l'ouvrier, elle gâte son ouvrage, elle va même jus-
qu'à compromettre la solidité de l'édifice. Voilà
pourquoi, lorsqu'il s'agit d'une règle de vie reli-
gieuse, l'approbation de l'Église est nécessaire pour
certifier qu'elle est réellement droite ; et pourquoi
encore il importe tant à un institut qu'on ne touche
point à sarègle approuvée, mais que chacun en res-
pecte affectueusement la rectitude.
II. La règle dans la main du maçon lui fait con-
naître si le mur qu'il élève a l'aplomb et l'égalité
voulus : afin que, s'il voit rentrer une pierre, il la
pousse en dehors, et s'il en voitsaillir une autre il la
ramène au dedans ; c'est la comparaison de saint
Grégoire *f et elle est d'une continuelle application
au travail de la perfection.
Règle vient du mot regere, parce qu'elle est des-
tinée à diriger et à corriger 2 ; ce sont là ses deux
fonctions essentielles : elle dirige, dans l'ordre
moral, en montrant ce qu'il faut ou faire ou éviter ■
elle corrige en rappelant au droit ce qui s'en écarte,
en reprenant et en punissant le tort.
III. Par la Règle d'un institut on entend l'ensem-
ble de toutes les prescriptions qui le concernent ; et
il y faut distinguer deux sortes d'éléments, les uns
plus essentiels et de premier ordre, et les autres
complémentaires et de second ordre. Celui, dit saint
Thomas, qui professe la règle, ou pour mieux dire
1. Ut si lapis intus est, foras emittatur ; si autem exterius
prominet, interius revocetur.
2. Régula a regendo, id est, dirigendo et corrigendo, quiavel
rectum dirigit, vel distortum corrigit.
— 214 —
de vivre selon la règle, ne s'engage point par vœu à
garder toutes les particularités qui sont dans la
règle ; mais il voue la vie régulière, qui consiste
essentiellement à garder les trois vœux. Car, dans
une loi certaines choses sont proposées, non par
manière de précepte obligeant sous peine de péché,
mais par manière d'ordination ou de direction obli-
geant seulement à quelque peine, si Ton y manque.
Cependant, puisque le religieux s'est engagé à vivre
selon la règle, c^est-à-dire à s'efforcer déformer sa
vie sur elle comme sur un modèle qu'on lui a pré-
senté, il violerait cet engagement et pécherait
même gravement, s'ilméprisait la règle dans unpoint
quelconque ; et ce mépris existe quand la transgres-
sion vient précisément de ce que la volonté refuse
de se soumettre à elle. Mais ce n'est point pécher par
mépris que d'enfreindre quelque point de la règle
par une autre cause particulière, telle que la colère,
la paresse, etc. ; on doit cependant remarquer que
ces infractions engendrent peu à peu le mépris,
quand elles, deviennent fréquentes *.
IV. Souvent on distingue la Règle au singulier, et
les Règ les au pluriel.
La Règle, prise selon cette distinction, est seule-
ment l'exposé des points les plus substantiels de l'ins-
titut et que l'on présente à l'approbation de TEglise.
Ainsi entendue, la règle est ce qui donne l'existence
à un corps religieux, quand elle est approuvée et
mise à exécution.
1. 2a 2sb. q. 186, a. 9.
— 215 —
Mais cette règle, à raison de sa brièveté', demande
des développements ultérieurs selon son esprit : de
là les règles de détail ou constitutions, soit celles qui
regardent le corps de l'institut, soit celles que doivent
observer personnellement ses membres.
Ces règles, comme leur nom l'exprime encore,
doivent toujours vérifier l'idée de droiture, et c'est
pour cela qu'il faut aux fondateurs ou aux chefs des
instituts l'autorisation de TEglise pour pouvoir les
faire et les imposer. D'ordinaire même, afin d'en
garantir davantage la rectitude, elle veut encore les
examiner et ajouter son approbation formelle.
Aujourd'hui le Saint-Siège n'admet point le nom de
Règle pour désigner l'ensemble des constitutions d'un
pieux institut qu'il approuve. Il réserve ce nom aux
anciens ordres sous la règle desquels se sont mises
diverses congrégations plus récentes : la Règle de
6aint Basile, la Règle de saint Benoit, de saint Augus-
tin, de saint François, etc.
V. Parmi les Règles ou constitutions qui regardent
personnellement les membres d'un institut, il en est
de deux sortes qu'il est important de distinguer.
Les unes ont pour objet de former chaque religieux
selon l'esprit propre de l'institut : ce sont les Règles
de la vie intérieure. Là sont posés les principes d'où
chacun devra tirer une foule de conséquences prati-
ques, pour tendre à la perfection positive de ses
vœux et à la perfection des vertus selon sa voca-
tion. Ces règles, il faut bien le remarquer, pres-
crivent plutôt une tendance, des efforts et un pro-
grès toujours croissant, qu1 elles ne commandent ou
— aie -
défendent des actes particuliers. Ainsi, quoique le de-
voir de tous soit de s'appliquer à suivre leur direction,
néanmoins elles ne sont pas, pour la plupart, elles
ne peuvent même pas être observées par tous égale-
ment ; mais il y a des degrés très divers pour les in-
dividus, et chacun les pratique dans sa propre
mesure, selon la grâce qui lui est donnée, selon sa
ferveur actuelle, et selon les progrès qu'il a déjà faits
dans la perfection.
Les autres règles ont pour objet la discipline
ou la vie commune extérieure : c'est pourquoi on
les appelle ordinairement règles communes. Elles
prescrivent ou défendent des actes qui se produisent
au dehors ; et leur fin est d'établir la forme visible de
la vie de communauté selon l'institut, et de protéger
l'ordre domestique. Aussi leur observation est-elle
exigée de chacun en particulier et de tous à la fois :
car c'est par elles que tous doivent prendre une
commune physionomie et apparaître les membres du
même corps ; c'est par elles qu'ils se reconnaissent
entre eux pour frères, et qu'un même air de famille
les montre tous enfants d'une même mère.
Mais, outre ce fruit général, déjà si capable d'exci-
ter chacun à la diligente observation des règles com-
munes, elles renferment encore pour lui un fruit de
sainteté personnelle, qui mérite assurément tous ses
efforts. « Ma grande mortification, c'est la vie com-
mune », disait un parfait religieux, le bienheureux
Jean Berchmans ; et il signalait ainsi l'une dçs sour-
ces les plus fécondes de la perfection religieuse,
puisqu'elle coule sans cesse par une multitude de
ruisseaux, et que l'observation des règles' est vérita-
— 217 —
blement, comme dit le Prophète, « le sacrifice légi-
time et perpétuel de tous les jours 4 ».
VI. De l'exercice des vertus selon les Règles. Les ver-
tus chrétiennes et religieuses sont communes à tous
les chrétiens et à tous les religieux; mais les actes
de ces vertus doivent souvent différer suivant la di-
versité des vocations, et il importe grandement, pour
le légitime exercice des vertus, de faire attention à
cette différence, même en voulant imiter les saints ;
sans quoi l'on irait donner dans des illusions; à tel
point que ce qui est louable chez l'un deviendrait
répréhensible chez l'autre. Ainsi, par exemple, la
mortilication, le zèle, la charité du prochain, le
silence, et ainsi des autres vertus, devront se prati-
quer différemment selon les instituts et les situations.
Et voilà pourquoi saint Antoine insistait sur la vertu
de discrétion, comme sur celle dont la fonction
est de régler les actes de toutes les autres. Or, com-
bien de fois notre discrétion privée ne se trouverait-
elle pas en défaut, si elle était réduite à ses propres
lumières? Mais c'est là le grand avantage qu'un reli-
gieux tire de ses règles : elles lui fournissent une
direction sûre par rapport à l'exercice des vertus, et
lui en enseignent la pratique selon la volonté et le
bon plaisir de Dieu.
VII. Ce pourrait être ici le lieu d'examiner quelle
est l'obligation de tendre à la perfection par la pra-
tique des règles; mais le catéchisme des vœux ex-
1. Sacrificium Domino legitimum, juge atque petpetuum.
Ezech. 46.
— 218 —
plique suffisamment ce point 4 ; on peut aussi le voir
plus amplement traité dans Rodriguez2fl et dans le
P. Saint-Jure s.
ARTICLE V.
LES VOEUX DE RELIGION SE FONT SELON LA RÈGLE OU
LES CONSTITUTIONS : DE DIVERS DEGRÉS DANS LA
PERFECTION RELIGIEUSE.
Les vœux de religion se font selon la règle spéciale
et propre de chaque institut : c'est-à-dire que celui
qui les prononce doit les entendre, et s'engage à les
observer dans le sens que leur donnent les constitu-
tions du corps religieux où il est admis.
On voit par là l'obligation qu'ont les supérieurs
de bien instruire sur ce point les novices, et ensuite
de s'assurer que tous les religieux en conservent tou-
jours l'intelligence exacte.
Mais une conséquence qui revient à la matière
présente, c'est que la manière plus ou moins parfaite
dont la règle entend faire pratiquer les trois vœux
de religion, fait naître des degrés différents dans la
perfection religieuse elle-même.
Sans doute, il existe une perfection commune à tous
les instituts, et elle se trouve dans la commune
profession des conseils évangéliques, par les trois
1. 2e Partie, en. III, art. 2.
2. De la Perfection chrétienne, première partie, 1er traité,
ch. 6,
3. L'homme religieux. Liv. 1. ch. 3.
— c219 —
vœux essentiels de religion. Mais il y a aussi une
perfection spéciale à chaque institut, laquelle est
proposée en commun à tous les membres qui lui
appartiennent. Cette perfection tient à la manière
dont la règle veut qu'on y observe les trois conseils
évangéliques, et elle est plus ou moins élevée selon
que les vœux et les règles imposent une pratique
plus ou moins parfaite de ces conseils.
Enfin, il y a une perfection personnelle qui devient
propre à chaque religieux, selon qu'il s'applique
effectivement à la puiser dans son institut respectif;
et cette perfection individuelle ofire encore une mul
titude de degrés divers, qui dépendent et du prin
cipe intérieur de la grâce et de la coopération de
chacun.
C'est cette perfection personnelle qui est la plus
digne de considération: d'abord, parce que, au fond,
c'est la seule qui donne à chaque religieux son
mérite réel devant Dieu; et ensuite, parce que Dieu
lui-même, en appelant telle personne dans un in-
stitut moins parfait en soi, peut très-bien la destiner
à une plus grande perfection intérieure, et par des
grâces spéciales l'élever, si elle est fidèle, à un plus
haut degré de sainteté.
La perfection personnelle a ses accroissements et
pour ainsi dire ses âges. Car autre sera la perfection
du novice, autre celle du religieux qui avance, et
autre encore celle du religieux consommé. « On
exige de tous la perfection, dit saint Bernard 4, mais
1 . Ab omnibus perfectio exigitur, licet non uniformis : si
incipis, perfecte incipe ; si jam in profectu es, hoc ipsum perfecte
— 220 —
non une perfection uniforme. Si vous commencez,
commencez parfaitement; si vous êtes envoie de
progrès, soyez-y parfaitement; et si déjà vous avez
atteint quelque chose de la perfection, mesurez-vous
avec vous-même, et dites avec l'apôtre : Non, je n'ai
pas encore saisi le terme, mais je poursuis ma course
dans le désir et l'espoir de l'atteindre, oubliant ce
qui est derrière moi pour m'élancer en avant. » La
charité, dans ceux qui sont réellement plus avancés,
fait qu'ils redoublent d'as deur et hâtent leur course.
La charité est comme cette loi de gravité des corps
qui précipite leur mouvement et accroît leur vitesse,
à mesure qu'ils approchent du centre de gravitation.
ARTICLE VI.
COMPARAISON DES DIVERS ÉTATS QUI SONT DANS L'ÉGLISE,
CONSIDÉRÉS SOUS LE RAPPORT DE LA PERFECTION.
C'est une question qu'il nous semble utile d'offrir
en terminant ce chapitre de Y État de perfection \ et
le Docteur angélique l'éclaircit parfaitement *,
i i.
Le prophète royal compare l'épouse, qui est la
sainte Église, à une reine dont le vêtement d'or est
âge ; sin autem aliquid perfectionis attigisti, teipsum in teipso
mettre et die cum Apostolo : non quod jam apprehenderim aut
perfectus sim, sequor autem si que modocoinprehendam, quas
rétro sunt obliviscens. ad ea vero quas sunt priora extendens
meipsum. De vita solitar.
1. 2a 2œ q. 183, a. 2., et q. 181, a. 7 et 8»
__ 221
rehaussé par la variété des couleurs *. Cette robe
d'or, c'est la charité ; et la variété des couleurs qui
en relève l'éclat, est la diversité des états, des offices
et des degrés qui sont dans l'Église.
Les états où sont placés les membres du corps de
l'Église se distinguent selon que les uns sont plus
que d'autres engagés d'une manière fixe à la perfec-
tion évangélique 2.
La distinction des offices ou fonctions se tire de ce
que telle ou telle classe de personnes est députée dans
l'Église pour faire les actes qui lui sont nécessaires,
par exemple les actes du ministère ecclésiastique.
Enfin les degrés sont différents dans un même
état ou dans un même office, selon que les uns sont
plus élevés que les autres pour l'autorité, ou pour
la dignité et le droit à l'honneur.
Au rang suprême se trouvent les Évêques, non-
seulement pour le degré et pour l'office, mais encore
pour la perfection de l'état : car ils sont fixés dans
une position qui les engage irrévocablement à la
garde et aux soins du troupeau de Jésus-Christ, et
cet état est l'état de perfection, supérieur même à
l'état religieux. La raison en est que pour conduire
les autres à la perfection, il faut que l'on soit déjà
parfait soi-même, tandis que pour y être conduit, il
suffit d'avoir la volonté d'y tendre : de sorte que
l'évêque est dans l'état de la perfection acquise, et le
religieux, seulement dans l'état de la perfection à
acquérir. Aussi le Seigneur, avant de confier ses
l..Astitit regina a dextris tuis in vestitu deaurato, circum-
data varietate. Ps. -A4.
2. Voyez ci-dessus, ch. II. art. 2, sect. 1,
— 222 —
brebis à saint Pierre, lui dit : « Simon, fils de Jean,
m'aimez-vous ? » Et ce n'est qu'après une réponse
trois fois affirmative qu'il ajoute : « Paissez mes
agneaux, paissez mes brebis 4 » ; mais au religieux
il se contente de dire : « Si vous voulez être parfait,
allez, vendez tout ce que vous avez.... et venez,
suivez-moi 2 » .
Et pourquoi l'évêque ne voue-t-il pas la pauvreté
ni l'obéissance comme le religieux ? C'est qu'il est
censé n'avoir plus besoin de ces deux moyens qui
servent à acquérir la perfection, puisqu'il doit la
posséder déjà par la charité ; c'est encore parce que,
une fois appelé à l'épiscopat, la pratique de ces vœux
n'est plus compatible avec son office et son degré ;
car il est dans un poste où il faut commander plutôt
qu'obéir ; et il doit avoir de quoi subvenir aux néces-
sités même temporelles de ses ouailles. Mais, dans les
besoins urgents, la perfection de son état lui fait
une obligation, plus stricte qu'à tout autre, de se
dépouiller pour le soulagement de son troupeau.
L'état de simple prêtre, en soi, n'est point l'état de
perfection ; car le vœu de continence ne lui donne
pas tout ce qui est nécessaire pour être dans cet état,
quoiqu'il l'élève au-dessus de l'état commun ; et,
d'autre part, il ne se trouve point comme l'évêque
essentiellement ni irrévocablement engagé à la con-
duite du troupeau de Jésus-Christ. C'est pourquoi
son état s'appelle l'état de prêtre séculier, lequel, com-
1 . Simon Joannis, diligis me?. . . plus his?.. . Etiam Domine.
Pasce agnos meos... oves meas. Joan. 21.
2. Si vis perfectus esse, vade, vende omnia et veni. se-
quere me. Matth. 1,9.
223
paré à celui du religieux, est comme un moindre
sacrifice comparé à l'holocauste.
Sous le rapport de l'ordre , le prêtre , quel que
soit son état , séculier ou régulier , se trouve député
par l'Église pour faire des actions très-saintes , spé-
cialement dans les adorables mystères de l'Eucharis-
tie. De là l'obligation pour lui d'une sainteté ou
perfection intérieure, qui doit surpasser celle-là
même que Dieu demande du religieux laïque ; de
sorte que si le prêtre fait quelque chose de contraire
à la sainteté, il est plus répréhensible que le simple
religieux; quoique celui-ci, de son cûté, trouve dans
son état des moyens de sanctification , comme aussi
des obligations , que n'a point le prêtre séculier.
C'est à raison de cette plus grande sainteté exigée
du prêtre , que saint Jérôme disait aux religieux laï-
ques de son temps (et ils l'étaient presque tous alors) :
« Vivez dans le monastère de manière à mériter la
cléricature ' » . Et en effet , que de religieux ont
trouvé dans l'état de perfection les moyens de se
rendre plus dignes du sacerdoce ! Mais, devenus prê-
tres réguliers, assurément ils n'avaient rien perdu
des avantages que leur donnait leur état, pour être
des piètres toujours plus parfaits et plus saints.
Le degré ou le poste dans lequel un prêtre, soit
séculier, soit régulier, est placé par l'Église, par
exemple pour administrer une paroisse, lui donne
ce tains pouvoirs que n'a point le simple prêtre ré-
gulier : mais ce degré ne change rien à son état sous
le rapport de la perfection ; seulement il lui crée des
1. Sic vive iii monasterio ut clericus esse merearis.
__ 224
obligations et des difficultés pour lesquelles il lui faut
une vertu plus solide et une plus grande sainteté
intérieure. Or, quant aux difficultés que l'homme
rencontre dans la pratique de ses devoirs, nous avons
déjà vu que l'on doit distinguer les difficultés qui
diminuent le mérite, et celles qui l'augmentent1
§11.
On peut ajouter ici une question incidente qui se
rattache à la précédente, et qu'il n'est pas sans quel-
que intérêt d'examiner et de résoudre : Les réguliers
sont-ils de la hiérarchie? Je réponds qu'il faut distin-
guer deux sortes de hiérarchie dans la sainte Église :
la première est la hiérarchie du droit divin, savoir,
celle que Jésus-Christ lui-même a établie ; et la
seconde est la hiérarchie du droit ecclésiastique, c'est-à-
dire celle que l'Église a surajoutée à la première.
La hiérarchie du droit divin se compose des évê-
ques, des prêtres, et des autres ministres inférieurs :
c'est un point de la foi catholique défini par le con-
cile de Trente 2. Il est bien évident que dans cette
hiérarchie il n'y a aucune différence à mettre entre
un clerc séculier ou un clerc régulier.
La hiérarchie de droit ecclésiastique se divise en
deux espèces : l'une est la hiérarchie générale et prin-
cipale qui préside au gouvernement universel de l'É-
glise ; l'autre est la hiérarchie spéciale des réguliers .
La hiérarchie générale et principale a été établie
1: Voyez ci-dessus, ch. II, art. 2, sect. 2,
2. Ses». 23e, can. 6.
2fg _
pour faciliter la bonne administration de tout le
peuple chrétien. -De là, dans l'ordre épiscopal. les
degrés de patriarche, de primat, de métropolitain ;
et dans le second ordre, ceux d'archiprêtres, d'ar-
chidiacres, de curés, etc. Et ces degrés ont varié
dans l'Église selon les temps, les lieux et les besoins.
Les réguliers par leur état ne sont nullement exclus
de cette hiérarchie générale ; il y a même eu des
époques où elle renfermait beaucoup plus de régu-
liers que de séculiers.
La hiérarchie spéciale des réguliers n'est que
secondaire, et elle dépend essentiellement des chefs
de la première, notamment de son suprême Hiérar-
que qui est le Pontife romain, vicaire de Jésus-Christ.
Mais c'est une véritable hiérarchie, constituée avec
ses degrés propres ; elle comprend les abbés et
autres prélats réguliers de divers noms, supérieurs
généraux, provinciaux et locaux ; et cette hiérarchie
remonte aussi bien que l'autre jusqu'au chef de l'É-
glise, qui est strictement et proprement le Prélat
suprême de tous les réguliers.
S'il s'agit de la préséance d'honneur, le clergé régu-
lier, quand il n'entre point dans la hiérarchie prin-
cipale, ne vient qu'après le clergé séculier. D'ail-
leurs, l'humilité dont il fait profession par état,
suffirait seule pour lui en imposer le devoir.
Quant à la juridiction non-seulement régulière,
mais même ecclésiastique au for extérieur, les prélats
réguliers, dans les ordres exempts, la possèdent sur
leurs inférieurs ; tandis que les fonctions sacerdotales
des curés ne la leur donnent pas sur leurs paroisses.
Enfin, pour ce qui est de la juridiction au for inté-
7*
— 226 —
rieur sur les fidèles, dans le sacrement de pénitence,
les prêtres séculiers, quels qu'ils soient, n'en possè-
dent que ce que leur communique Févêque dans son
diocèse, soit par commission ordinaire en leur
confiant une paroisse, soit par commission extraor-
dinaire en leur donnant le pouvoir de confesser.
Les prêtres réguliers exempts, quoiqu'ils reçoivent
du Pape cette juridiction par leurs supérieurs, ne
peuvent néanmoins l'exercer validement dans un
diocèse sans l'approbation de l'Ordinaire, comme Ta
établi le Concile de Trente.
III
Il nous reste encore à dire quelques mots sur les
œuvres du clergé régulier dans l'Église. En dehors
de la hiérarchie générale, ce clergé se distingue en
deux classes de prêtres. Les uns sont uniquement
appliqués, du moins pour l'ordinaire, aux fonctions
cléricales qui regardent directement le culte divin :
tels sont certains ordres de chanoines réguliers, et
les religieux des ordres contemplatifs, Bénédictins,
Chartreux, Cisterciens, etc. Les autres appartiennent
à des instituts dont la fin est aussi de travailler au
salut des âmes, comme les ordres appelés Mendiants,
et ceux qu'on nomme proprement ordres de clercs
réguliers. Tous ces instituts fournissent des coopé-
rateurs et . des auxiliaires aux ministres de l'Église
chargés du soin ordinaire des fidèles : c'est la desti-
nation providentielle de cette portion du clergé
régulier ; et tout spécialement le Pontife suprême
la regarde et l'emploie comme son corps de réserve.
— 227 —
pour le plus grand bien de l'Église entière. On con-
naît la vision d'Innocent III *, dans laquelle saint
François, au temps où il demandait l'approbation
de son ordre, lui fut montré soutenant 1 église de
Latran qui semblait menacer ruine. De même, dans
l'oraison de l'office de saint Ignace, l'Église fait dire
à tous ses prêtres : « 0 Dieu, qui par le bien-
heureux Ignace avez fortifié d'un nouveau renfort
l'Église militante2 » ; d'où l'on voit que le clergé
régulier, quoique auxiliaire seulement dans la hié-
rarchie sacrée, lui présente néanmoins un secours
ordinaire et constant que Dieu fournit à son Église,
et qu'elle-même veut voir mettre à profit pour son
plus grand avantage et celui de ses enfants.
CHAPITRE III.
DES DIFFÉRENTES SORTES DE VŒUX DE RELIGION.
Afin de pouvoir donner plus de jour à cette ma-
tière, il convient de reprendre les choses de plus
haut.
ARTICLE 1er.
de l'état religieux en général, et des instituts
en particulier.
Nous avons ici plusieurs différences notables à
1. Brev. Rom. 4 octobr.
2. Deus, qui ad majorem tui nominis gloriam propagandam
signaler, d'après Suarez, entre l'état et les instituts
religieux.
I. L'état religieux, si on le considère dans sa sub-
stance, a été institué immédiatement par Jésus-
Christ même : de sorte que l'on peut dire qu'il est
de droit divin, et que l'Église n'a pas le pouvoir de
l'abroger. C'est là, dit Suarez, un sentiment commun
à tous les catholiques qui pensent sainement. Saint
François de Sales ajoute que l'état religieux appartient
à la note de sainteté de l'Église, parce que ce caractère
doit se manifester au dehors par l'exercice des vertus
évangéliques dans leur plus haut degré : ce qui de-
mande l'existence de l'état de perfection.
II. Mais la vie commune ou eénobitiqite que l'on
mène au sein des instituts réguliers n'est pas essen-
tielle à l'état religieux. Une personne peut dans la
vie privée s'appliquer à la perfection, et si elle s'o-
blige d'une manière fixe et stable à la pratique des
trois conseils évangéliques, elle pourra être consi-
dérée comme une personne religieuse. Tels étaient
les anciens ascètes, les anachorètes, et les vierges
ou veuves consacrées à Dieu. Cependant, nous l'avons
déjà fait remarquer, il est bien difficile que la vie
privée donne le moyen de pratiquer la pauvreté et
l'obéissance religieuses aussi complètement qu'on
peut le faire dans les communautés. C'est une des
raisons pour lesquelles l'état religieux se divise en
état complet et incomplet de perfection.
novo per "beatum Ignatium subsidio militantem Ecclesiam
toborasti
— 229 —
Selon le droit actuel de l'Église, son approbation
expresse est de rigueur pour constituer un véritable
état de religion. Toujours sans doute l'approbation
au moins pratique de l'Église fut nécessaire à l'ad-
mission réelle dans cet état, et pour que celui qui le
professe lût vraiment religieux; car la profession
religieuse consiste dans une donation spéciale que le
chrétien fait à Dieu de sa personne, et cette donation
doit être acceptée pour être valide ; or, Dieu ne l'ac-
cepte pas immédiatement par lui-même, mais par
la sainte Église qui tient à notre égard sa place sur
la terre. Néanmoins, il faut dire que, dans les pre-
miers siècles du christianisme, cette approbation
pratique de l'Église a été très-souvent tacite, et non
expresse. Quant à celle du Saint-Siège, elle ne fut
requise, même pour les ordres religieux proprement
dits, qu'à partir des conciles de Latran sous Inno-
cent III, et de Lyon sous Grégoire X
III. Autrefois, la stabilité dans tel institut ou
sous telle règle n'était point exigée pour la profes-
sion religieuse. Jusqu'au onzième siècle, il n'y avait
qu'un ordre monastique, ou plutôt il n'y en avait au-
cun, quoiqu'il y eût plusieurs règles, mais variables
au gré des supérieurs. A proprement parler, il
n'existait que l'état religieux, sans ces différences
précises qui constituent maintenant la diversité des
instituts. On n'était donc pas obligé de s'attacher à
une communauté spéciale; mais il suffisait de mani-
fester par un signe public qu'on s'était consacré
pleinement à Dieu, et Ton appartenait ainsi à l'état
religieux , avec l'obligation d'y persévérer, sans
- 230 -
subir celle de dépendre d'un monastère ou d'une
règle, à moins de s'y être formellement engagé. Ce
fut saint Benoît qui, pour mettre fin à ces fréquents
et nuisibles passages d'un monastère à l'autre, établit
la célèbre sanction de la stabilité que devaient pro-
mettre ses religieux : institution très-salutaire qui,
devenue bientôt une règle consacrée universellement
par l'autorité de l'Église, devint aussi le principe de
la diversité des instituts.
ARTICLE II.
DE LA VARIÉTÉ DES INSTITUTS RELIGIEUX.
SECTION Ire. — LES CAUSES ET LES FINS DE CETTE
DIVERSITÉ.
I. La diversité des instituts religieux dans l'Église
n'est point l'effet du hasard, ni le fruit du caprice
des hommes. Elle a sa raison première dans la con-
duite de la Providence divine et dans les opérations
intérieures de l'Esprit-Saint au fond des âmes.
Dieu, en destinant à chaque homme sa place sur
la terre, lui a donné des qualités, des aptitudes et
des goûts en rapport avec cette destination : de sorte
que la diversité qui se rencontre dans les caractères,
les talents, les inclinations et même les forces cor-
porelles et les besoins, contribue à déterminer ces
choix divers qui fixent les uns dans une position
de vie, les autres dans une autre, tant pour le bien
commun de la société que pour la direction de cha-
cun vers la fin dernière de sa création, qui est le
— 231 —
salut éternel. Or, cette disposition providentielle de
Dieu se montre, à plus forte raison, dans ceux qu'il
destine par une vocation plus spéciale à l'état de la
perfection évangélique. Il est moralement impossible
que toutes les aptitudes et toutes les propensions
S'accommodent à une seule manière de vivre dans
cet état. L'un se sentira plus de facilité et d'attrait
pour une vie de contemplation, de mortification et
de silence; un autre au contraire trouvera dans les
occupations d'une vie active plus de convenance
avec sa nature, ses goûts et les impulsions de la
grâce ; enfin, un troisième verra dans les dons qu'il
a reçus en partage, les indices d'une vocation à une
vie où il pourra mêler l'action à la contemplation :
et c'est ainsi que tous auront les moyens de tendre
à la perfection, mais sous des formes et dans des
mesures diverses, par l'exercice de la charité envers
Dieu et le prochain.
II. De plus, Dieu, qui a toujours en vue le bien de
son Église, sait l'obtenir encore par cette même action
de sa providence et de son Saint-Esprit dans les
âmes. Comme les besoins du peuple fidèle sont très-
divers, un seul et même institut ne pourrait pas les
embrasser tous à la fois ; mais la divine bonté y a
pourvu par la diversité des corps religieux, et elle
les destine, chacun pour sa part et selon sa manière,
à procurer à l'Église quelque bien spirituel ou tem-
porel, et à venir au secours de ses enfants dans les
maux de l'âme et du corps. Les instituts ont donc
leur vocation comme les individus. Membres du
grand corps de l'Église, ils reçoivent chacun, ainsi
— 232 —
que les memî3res du corps humain, une fin propre,
une destination spéciale, dans laquelle ils doivent
concourir au bien universel. Les uns, plus retirés
dans la solitude, prient pour l'Église et l'édifient par
le bon exemple1 ; les autres, plus en communication
avec les hommes, travaillent au salut des âmes ou
s'emploient aux autres œuvres de miséricorde.
SECTION. II. — TROIS ESPÈCES PRINCIPALES D'INSTITUTS
RELIGIEUX.
I. D'après ce qui vient d'être dit, on voit que tous
les instituts religieux peuvent se rapporter à trois
classes principales, selon qu'on y mène la vie con-
templative, la vie active, ou la vie mixte.
A la vie contemplative appartiennent les ordres
purement monastiques, parce que leur lin directe et
spéciale est de vaquer à la prière et aux exercices
propres du culte divin. Le travail lui-même y est
subordonné et rapporté à cette lin principale : tels
sont les Bénédictins, les Chartreux, les Clarisses, les
Carmélites, etc.
La vie active est le propre de ces nombreux insti-
tuts qui se livrent au soin des pauvres, des malades,
ou à l'instruction et à l'éducation de l'enfance. Dans
cette classe étaient aussi comptés les ordres qui se
dévouaient au rachat des captifs, et les ordres mili-
taires employés à la défense de la Chrétienté contre
les infidèles.
On appelle vie mixte celle où la contemplation et
1. On peut lire de belles pages sur ce sujet dans les Moines
tf Occident, Introduction, par M. de Montalembert.
— 233 —
l'action s'unissent, en marchant pour ainsi dire
de front; alors les exercices de la vie contemplative
donnent au religieux les lumières et les grâces dont
il a besoin pour lui-même et pour le prochain ; tandis
que par l'action et surtout par les ministères du
sacerdoce, il s'efforce de communiquer aux autres
ces biens qu'il a reçus; et c'est ainsi qu'unissant
étroitement le travail de sa propre perfection avec
celui de la sanctification du prochain, il imite la
vie des Apôtres qui disaient d'eux-mêmes : « Pour
nous, notre application constante sera à la prière et
au ministère de la parole1 ». A cette classe reviennent
les ordres de saint Dominique, de saint François, de
saint Ignace, etc.
Une remarque sérieuse à faire pour les religieux
qui sont dans la vie active, c'est qu'ils ont eux-mêmes
un besoin essentiel d'emprunter à la vie contempla-
tive une mesure convenable d'exercices spirituels ;
sans quoi, au milieu des occupations extérieures, ils
seraient infailliblement en danger d'oublier ce
qu'ils doivent à leur propre perfection, ou même à
l'affaire personnelle de leur salut, selon l'avis que
leur donne le Seigneur : « Marthe, Marthe, vous vous
empressez à beaucoup de choses ; or une chose,
avant toute autre, est nécessaire2». Le monde qui
admire la Fille de Charité et reconnaît le prix de ses
services, trouve pourtant à redire à ses dévotions.
Quand il lui reproche comme perdu le temps qu'elle
1. Nos autem orationi et ministerio verbi instantes erimus.
Act. 6.
2. Martha, Martha, sollicita es, et turbaris erga plurima :
porro unum est necessarium. Luc. 10,
— 234 —
leur consacre, il ne se doute même pas que sans
cela il n'y aurait plus de Fille de Charité possible ;
mais elle, pourrait elle partager cette grossière
illusion, ou faire dans la pratique comme si elle
la partageait , en négligeant ses exercices spiri-
tuels ?
II. Si l'on veut établir une comparaison entre ces
trois vies sous le rapport de la perfection, et entre les
instituts qui les exercent, voici les principes que
pose saint Thomas ! :
La différence d'un ordre à un autre ordre se con-
sidère principalement d'après la fin propre de chacun,
et secondairement d'après les moyens qu'il emploie
pour l'obtenir. Celui-là est donc meilleur absolument
qui se propose une meilleure fin. Ainsi un ordre qui
s'applique à la vie contemplative est en soi meilleur
que celui qui exerce la vie active; selon ce que le Sei-
gneur disait à Marthe, sœur de Marie : « La meilleure
part est celle que Marie a choisie » : car, selon les
Pères, ces deux sœurs sont les figures des deux vies ;
Marthe représentant la vie active au service du divin
Maître, et Marie figurant la vie contemplative.
On doit remarquer ici que l'esprit du monde ne
juge pas des instituts religieux d'après ces principes,
et par conséquent qu'il se trompe dans ses apprécia-
tions.
Il y a cependant certaines œuvres de la vie active
qui découlent de la plénitude de la contemplation,
comme la prédication et le soin de la sanctification
1. 2a 2a q. ISS. a. 6.
- 23S -
des âmes ; et cela est meilleur que la simple contem-
plation : car il est plus parfait de communiquer aux
autres ce que l'on contemple soi-même que de se
borner à le contempler seul, comme il est meilleur
d'éclairer que de luire seulement. C'est pourquoi les
instituts où l'on joint au travail de sa propre per-
fection celui de la sanctification du prochain, occu-
pent le premier rang d'excellence parmi les autres ;
et c'est, en effet, la vie qu'ont menée les apôtres,
après le grand modèle de toute perfection, Jésus-
Christ lui-même.
Que si la fin de plusieurs instituts est également
bonne et parfaite, la prééminence se juge alors secon-
dairement d'après les moyens d'obtenir cette fin. Et
comme on n'établit pas les moyens pour eux-mêmes,
mais pour la fin, il s'ensuit qu'on doit juger meil-
leures, non les observances plus rigides, mais celles
qui sont mieux proportionnées à la fin de l'institut.
ARTICLE III
DES VOEUX SOLENNELS ET SIMPLES, PERPÉTUELS ET
TEMPORAIRES DE RELIGION.
I. Le catéchisme des vœux explique ce qu'il faut
entendre précisément par vœu solennel et par vœu
simple1.
De même, il fait remarquer que les vœux solennels
n'ont lieu que dans les ordres religieux proprement
1. lr« Part. CU 3.
— 236 —
dits; et c'est la différence essentielle qui distingue
ces ordres des simples congrégations religieuses.
Ajoutons que tous les membres d'un ordre propre-
ment dit ne font pas toujours la profession solennelle,
mais qu'il en est dans lesquels plusieurs ne sont
admis, du moins d'abord, qu'à faire des vœux sim-
ples; et que ces vœux, quoique simples, les consti-
tuent strictement religieux, comme le Pape Gré-
goire XIII l'a déclaré des vœux simples des scolas-
tiques dans la Compagnie de Jésus.
Le Pape Pie IX, dans une congrégation extraor-
dinaire, convoquée le 19 mars 1857, sur l'état des
réguliers, a statué que dorénavant, pour tous les
ordres religieux où la profession solennelle des vœux
se faisait au bout d'un an seulement, il ne serait
plus permis après cette seule année de noviciat que
de prononcer les vœux simples de religion, et qu'il
faudrait ensuite une épreuve de trois autres années
pour être admis à la profession solennelle de ces
mêmes vœux.
D'après une déclaration du Saint-Siège4, les vœux
simples dont nous venons de parler peuvent être
annulés par le supérieur de l'Ordre, dans le cas et
par le seul fait du renvoi légitime du sujet. Autre-
ment il faut recourir au Souverain Pontife pour la
dispense.
II. Par rapport au mérite des vœux perpétuels ou
temporaires, le catéchisme offre deux propositions
1. Analccta Juris Poiitificii. 18C0.
— 237 —
qui, dans leur brièveté, demandent un éclaircisse-
ment1.
1° Il est dit « qu'une vocation inférieure peut avoir
des compensations » : cette proposition, pour être
vraie, doit sous-entendre la condition que Dieu est
bien l'auteur de cette vocation ; car, alléguée contre
l'appel de Dieu, elle cesserait d'être exacte et vraie.
Cependant, lorsqu'on n'est plus libre de réparer le
tort, elle peut être une consolation, et doit servir
d'aiguillon à la bonne volonté.
2° Il est dit encore que « ne s'engager que pour
un temps, c'est avoir plus souvent l'occasion de réi-
térer avec pleine liberté son sacrifice » . Cette pro-
position serait complètement fausse, si on l'enten-
dait d'une personne qui se borne au vœu tempo-
raire par manque de générosité, en la comparant à
une autre personne qui a eu le cœur de se donner à
Dieu pour toujours, qui serait prête à le faire encore
chaque jour de sa vie, et qui, après tout, reste tou-
jours en pleine possession de sa liberté intérieure.
Quant à sa liberté extérieure elle-même, il peut y
avoir eu plus de mérite aussi à prévenir sa propre
instabilité par le lien du vœu perpétuel.
III. Pour que l'admission aux vœux de religion soit
valide, il faut trois conditions principales : la pre-
mière, qu'elle se fasse par les supérieurs compétents,
selon les constitutions; la seconde, que celui qu'on
admet aux vœux ait l'âge fixé par l'Église et par l'ins-
titut approuvé; la troisième, que l'admission aux vœux
1. l«a Pari. Oh. 3.
— 238 —
ait été précédée d'un noviciat qui nepeut durer moins
d'une année; plusieurs instituts ajoutent l'obliga-
tion d'une seconde année et quelquefois davantage.
Il peut encore exister d'autres conditions néces-
saires à la validité des vœux, suivant les constitu-
tions des divers ordres ou congrégations.
IV. Le noviciat ne commence positivement pour
un candidat qu'après son admission par le supérieur
compétent, et même à partir seulement de son en-
trée réelle en probation.
Sa durée doit être d'une année pleine et entière,
sans qu'on puisse l'abréger d'un jour ou de moins
encore ; de sorte que les vœux seraient nuls, si on
les prononçait avant l'année complètement révolue,
même lorsqu'elle est bissextile. D'où l'on voit com-
bien il faut être exact à noter le jour de l'entrée po-
sitive au noviciat. Il y a des instituts où la règle a
établi que si par hasard les vœux se trouvaient
nuls par ce défaut, ou par celui de l'âge, ils devien-
nent valides dans la première rénovation publique
qui s'en fera par la suite.
La durée du noviciat doit être continue, de ma-
nière qu'il n'y ait pour le novice aucune interruption,
du moins morale. Une maladie qui l'empêcherait de
prendre part aux exercices propres du noviciat, et
de même une courte absence pour cause légitime., ne
nuirait point à la continuité suffisante. Mais il y au-
rait interruption morale, si un novice avait été ren-
voyé ou qu'il eût quitté lui-même sa vocation : par
conséquent, en cas de rentrée il serait obligé de re-
commencer son noviciat en entier.
— 230 —
ARTICLE IV.
DU DÉSIR QUI PEUT TENIR A UN RELIGIEUX DE PASSER
A UN AUTRE INSTITUT.
I. Sur cette question considérée en général, voici
la doctrine de saint Thomas l.
Il faut dire que ce n'est pas une chose louable de
passer d'un institut à un autre, à moins qu'il n'y ait
quelque nécessité ou une grande utilité : soit parce
que ceux dont on se sépare en sont scandalisés,
soit parce que, toutes choses égales d'ailleurs, on
fait mieux dans un ordre où l'on s'est habitué à ser-
vir Dieu, qu'on ne fera dans un autre.
Néanmoins, il peut être louable de passer à un au-
tre ordre pour l'une de ces trois raisons : la pre-
mière serait l'amour et le désir que Dieu inspire d'ui
institut plus parfait. Or, il faut remarquer que cette
supériorité dans la perfection d'un institut sur un
autre doit se juger non d'après l'austérité seule des
observances de la règle, mais principalement d'a-
près la fin que l'ordre se propose, et secondairement
d'après la sage proportion des moyens avec la fin de
l'institut, comme il a été exposé plus haut 2.
La seconde raison pourrait être la décadence de
Tordre où l'on se trouve. Si donc cet ordre venait
à s'écarter de la perfection de son institut, il serait
louable de passer même à un ordre moins strict où
la règle est mieux observée.
1. 2a 2* q. 189. a. 8.
2. Chap. III, art. II, scct. II, § II.
— 240 —
La troisième raison serait l'impuissance où se
trouverait un religieux d'observer une règle trop
rigide pour lui, tandis qu'il pourrait en suivre une
autre qui le serait moins.
Mais il faut observer que, dans le premier cas, le
religieux doit par humilité demander la permission,
qui toutefois ne peut lui être refusée, pourvu qu'il
soit certain que l'ordre auquel il veut passer est
d'une plus étroite observance. S'il y a doute sur ce
point, il doit prendre l'avis du supérieur, comme le
prescrit le Droit canon. Le second cas exige égale-
ment que le religieux consulte le supérieur. Mais
dans le troisième cas une dispense est nécessaire.
II. Cette doctrine est exactement celle de l'Église
touchant le passage d'un religieux à un autre insti-
tut; nous ajouterons quelques courtes explications.
1° A parler en général, il est donc permis à un
religieux qui a fait les vœux selon une règle, de
passer à un autre institut plus parfait. Cela découle,
comme nous l'avons déjà dit 4, du droit que chacun
conserve, après avoir fait un vœu quelconque, de le
commuer en un meilleur. De plus, quoique Dieu ait
pu être vraiment l'auteur d'une première vocation,
il est évident qu'il demeure toujours le maître de sa
créature ; et alors même qu'il Ta fixée à un poste, il
peut, sans se contredire, l'appeler plus tard à un au-
tre plus élevé. On en trouve des exemples dans plu-
sieurs saints, tels que saint Antoine de Padoue, etc.
2° Nous avons dit : à parler en général, parce qu'il
1. Chap. I. art. III,
— 241 —
y a des ordres, et même de simples congrégations
religieuses, où le Saint-Siège, pour de justes motifs,
a ri 'tendu ce passage à tout autre institut, du moins
sans l'autorisation formelle des supérieurs.
3> Il faut bien remarquer que ce désir de passer
à un autre institut, même plus parfait, doit venir de
Dieu pour être légitime, et c'est un devoir pour celui
qui l'éprouve de s'en assurer ; car lorsqu'on est
déjà fixé selon la volonté divine, rien n'est plus
dangereux que la tentation dans laquelle Fennemi
du salut s'adresse sur ce point à l'inconstance
humaine. « A l'égard de ceux qui veulent le bien,
dit saint Ignace, le démon s'applique surtout à éga-
rer la bonne volonté : il feint de ne vouloir autre
chose que la favoriser, et il propose le mieux appa-
rent et fictif pour amener une âme à ses fins per-
verses1. »
Une affaire de cette nature exige donc un examen
tout spécial : car pour croire à un nouvel appel de
Dieu, il faut des preuves plus manifestes même que
pour une première vocation. Cette personne, durant
tout son noviciat, n'avait eu aucun doute contraire à
la vocation où elle entrait ; comment pourrait-elle
s'imaginer maintenant que Dieu demande d'elle un
changement si important? Voilà, selon nous, un
moyen ordinaire de juger la question, et une raison
surabondante pour rejeter de prime abord de telles
pensées comme des suggestions dangereuses. Un cas
où la chose pourrait mériter quelque examen, ce
serait peut-être celui où la personne n'aurait point
1. Exerc. Spir. règl. du dise, des esprits.
7**
— 242 —
alors connu d'autre institut que celui qui s'offrait à
elle ; ou bien encore, celui où il se serait manifesté
d s lors qu lque indice dont elle aurait dû tenir
compte.
4° Qumt au motif de changer que Ton tirerait de
la décadence d'une congrégation, il serait certaine-
ment légitime, comme le déclare saint Thomas, s'il
était malheureusement fondé, et surtout s'il en résul-
tait un péril pour le salut du religieux. Mais il faut
dire que tout relâchement qu'on s'imagine voir autour
de soi, ne suffit point pour autoriser une détermina-
tion si grave. Un esprit mécontent ou chagrin c? ée
souvent ce qui n'est pas, ou exagère ce qui est; et il
ne sait pas assez faire la part de l'infirmité humaine,
qui se retrouve partout où il y a des hommes. La
critique est injuste quand elle jette sur l'institut tout
entier le blâme qtie méritent quelques particuliers.
Enfin, alors môme que le corps dont on est mem-
bre ne serait pas tout ce qu'il doit être, il peut ar-
river que Dieu demande plutôt qu'on fasse ce qu'ont
fait de saints religieux en pareil cas ; savoir, que l'on
montre son amour pour son Ordre et pour ses frè-
res, en s'appliquant à remédier au mal selon la
grâce qu'on a reçue, ne fût-ce que par l'humble
protestation des bons exemples.
Il est donc rare que le désir de laisser son institut
pour passer à un autre, soit louable et l'effet d'une
impulsion de la grâce. Ce qui est l'ordre commun,
et en général le grand devoir du religieux, c'est ce
que nous allons exposer, à savoir, l'estime et l'a-
mour de sa vocation, avec un attachement inviola-
ble au saint état où il s'est consacré au Seigneur.
— 243 —
ARTICLE V.
DE L'ESTIME ET DE l'aMOL'R DE SA PROPRE VOCATION.
I. L'apôtre saint Paul a sur ce sujet de belles pa-
roles : « Voyez, dit-il, mes frères, votre vocation l, »
ayez sans cesse les yeux fixés sur elle : sur la vôtre,
et non sur celle des autres. « Que chacun reste dans
la vocation où il a été appelé 2... Je vous conjure
donc de marcher dignement dans la vocation que
Dieu vous a donnée 3. »
Il y a des vocations plus élevées que d'autres,
il y a des instituts qui proposent à leurs membres
une perfection supérieure à celle de tel autre institut;
c'est un principe incontestable, comme nous l'avons
vu dans l'article précédent. Mais un principe non
moins certain et plus pratique dans ses applications,
c'est qu'il faut distinguer deux sortes de bien ou de
perfection : le bien qui tire sa bonté de l'objet, et le
bien qui doit la sienne au sujet. Un mieux pure-
ment objectif et pris en dehors de l'agent n'est
qu'une abstraction, une spéculation de l'esprit sans
réalité; ce qui est le mieux réel, plus agréable à
Dieu, plus méritoire pour l'homme, c'est le mieux
subjectif ou personnel ; et ce mieux tient à deux cho-
ses qui doivent s'unir: d'une part à la vocation de
1. Yidete vocationem vestram, fratres. I. Coe. 1.
2. Unusquisque in qua vocatione vocatus est, in ea perma-
neat. I Coe. 1.
2. Otasecro itaque vos, ut digne ambuletis yocatione qua
vocati estis. Ephes. 4.
— 244 —
Dieu et à sa grâce, de l'autre à notre fidèle correspon-
dance à cette vocation et à cette grâce ; en un mot,
ce mieux consiste dans la volonté de Dieu exécutée
de tout point ; et il ne se trouve que là. Vous aspirez
à un mieux que le Seigneur ne veut pas de vous, et
vous négligez le bien qu'il vous assigne! Sachez
qu'au lieu d'un mieux personnel et réel, vous ne
rencontrerez que déception et mécompte. Mais sachez
aussi que quand Dieu vous invite à monter plus haut,
vous y refuser et vous obstiner à rester plus bas,
sous prétexte que c'est assez pour votre ambition ,
et que d'ailleurs vous saurez y tendre au mieux per-
sonnel, c'est un manque de générosité, une infi-
délité, une erreur pleine de périls
II. Voici la règle souveraine au service de Dieu,
notre suprême et universel Seigneur : « servir Dieu,
dit saint Ignace, avec une admirable et énergique
netteté d'expression, c'est se mettre à sa disposi-
tion pour que lui-même se serve de nous, selon
toute l'étendue de sa volonté et de son bon plai-
sir * » ; et le saint donne la comparaison de l'instru-
ment, qui ne résiste point à l'ouvrier, quel que soit
l'usage qu'il en veuille faire. Rien d'aussi pratique
que cette lumineuse maxime, tant pour entrer dans
un état de vie que pour y rester, quand il a été pris
selon Dieu, tant pour le poste, l'office, le temps et le
lieu, que pour chacune de nos actions.
Puisque nous touchons ici au premier principe de
toute vocation , ajoutons encore cette remarque :
1. Exerc. spir. Prgelud. ad consider. Stat,
— 245 —
Souvent on entend certaines personnes se demander
au sujet du choix qu'elles ont à faire d'un état de vie :
Quel est celui où je ferai le plus de bien ? La ques-
tion est mal posée ; il faut dire : Quel est l'état où
Dieu veut que je fasse le bien, et pour quel bien
veut-il se servir de moi ? Car, ce bien que Dieu veut
de moi, fût-il moindre que celui que j'imagine, c'est
celui-là auquel je dois m'attacher et m'appliquer. Il
est évident, en effet, que telle est la condition essen-
tielle du serviteur vis-à-vis de son maître, et telle
la disposition où il doit toujours être. Mais, de plus,
on s'aperçoit facilement que ces hommes, quand ils
parlent de faire plus de bien dans un état de vie, ne
songent d'ordinaire qu'au bien qu'ils feront aux
autres ; et, par une illusion manifeste, ils oublient
que le premier bien qu'il faut penser à faire est son
propre bien, le bien de son âme ; or, très-certaine-
ment, nous ne pouvons espérer de faire ce bien que
là où Dieu nous promet son secours par la vocation
qu'il nous donne lui-même.
II [. Le principe une fois posé , il est facile de tirer
les conséquences.
1° La plus belle vocation pour moi, c'est celle qui
me vient réellement de Dieu. Le don qui mérite mes
préférences est celui qu'il a daigné me faire. Le poste
où je puis faire le plus de bien, et, avant tout, faire
le bien de ma propre sanctification, est celui qu'il a
jugé bon de m'assigner.
2° Je dois sans doute estimer tous les instituts sus-
cités par l'Esprit de Dieu et approuvés par son
Église ; mais mon institut est celui que je dois aimer
7***
— 246 —
davantage : comme un enfant aime plus sa mère que
toute autre personne, fût-elle moins belle ou moins
riche.
3° La piété, la justice et la charité m'obligent de
reconnaître et de louer dans tous les corps religieux
la grâce multiple du Saint-Esprit, pourvoyant par
cette variété merveilleuse à tous les besoins des corps
et des âmes ; mais il est aussi de mon devoir de re-
connaître, d'un cœur plus touché, la grâce spéciale
de ma vocation, et tous les bienfaits dont elle est
pour moi la source.
4° Nourrir l'estime et l'amour de sa vocation, c'est
pour chaque religieux l'une de ses plus importantes
obligations. Celui qui laisse affaiblir en lui ces deux
grandes choses, donne à connaître qu'il se relâche
lui-même dans la fidélité qu'il doit à Dieu, et, au
lieu d'accuser son institut, il sera bien plus dans le
vrai en s'accusant soi-même, pour se rappeler effi-
cacement à l'exactitude et à la ferveur.
— 247 —
CHAPITRE IV
DES VERTUS QUI FONT L'OBJET DES TROIS VŒUX
DE RELIGION.
ARTICLE I".
DES DIFFERENCES QUI EXISTENT ENTRE LE VOEU
ET LA VERTU.
Le Catéchisme des vœux en signale quatre, et
donne à chacune d'elles une explication suffisante *.
Mais comme il ne fait qu'indiquer certaines leçons
pratiques qui en découlent, il est bon d'v insister
davantage pour que leur considération excite la dili-
gence des personnes consacrées à Dieu.
I. La première différence fait voir dans le vœu un
moyen relativement à la vertu ; d'où apparaît Tin-
conséquence de ces religieux relâchés qui, après
avoir fait le vœu, viennent à négliger la vertu.
Pour mieux leur faire sentir cette funeste inconsé-
quence, il faudra les confronter avec les fervents
religieux qu'a donnés la même vocation ; la vue de
ces exemples domestiques sera un aiguillon puissant
pour les exciter; car ce n'est qu'en leur ressemblant
qu'ils peuvent légitimement se faire honneur de les
avoir pour frères.
De même, on aura de quoi réveiller leur ardeur,
si on leur montre ces saints qui, même hors du cloî-
1. ire Part. Ch. IV.
tre, se sont élevés si haut dans la perfection des
vertus, bien qu'ils ne se fussent pas comme eux
engagés par des vœux au Seigneur. Que dis-je ? La
pensée même de tant d'âmes généreuses que la
sainte Église peut toujours leur présenter au milieu
du siècle, sera pour eux un sujet de salutaire con-
fusion. Ali! si Dieu avait accordé à ces fervents chré-
tiens une vocation telle que la leur, avec tous les
moyens de sanctification qu'elle renferme, quelle
n'eût pas été leur correspondance et leur fidélité ?
Voilà des réflexions qu'il est difficile de faire sé-
rieusement sans en être touché ; et c'est ainsi qu'un
religieux écartera le danger qui le menace au milieu
même de son abondance, celui de s'habituer aux
dons de Dieu jusqu'à en perdre l'estime, selon l'ex-
pression de saint Augustin *, et par là d'arriver bien-
tôt au mal terrible de la tiédeur et de l'abus.
IL La seconde différence entre le vœu et la vertu .
est que le vœu ne saurait proprement s'étendre au-
delà de ce qu'il impose sous peine de péché, au lieu
que la vertu peut s'élever à une perfection toujours
plus haute.
De là encore il y a une grande conséquence à tirer,
savoir, que c'est par le zèle à croître de jour en jour
dans la vertu que l'on devient un bon religieux.
Cette vérité se comprendra mieux à l'aide d'une
comparaison. Dans les commandements de Dieu, on
distingue la partie qu'on appelle négative, laquelle
oblige toujours sous peine de péché, et la partie dite
1. Assiduitate viluerunt.
— 249 —
positive, qui, sans lier toujours la conscience, guide
l'homme vers une observation toujours plus par-
faite du commandement. Par exemple, les trois pre-
miers préceptes du décalogue, dans leur partie néga-
tive, défendent sous peine de l'offense divine tout
ce qui est contraire au culte qui est dû à Dieu ; mais
dans leur partie positive ils vont bien plus haut,
puisqu'ils renferment tous les degrés de perfection
avec lesquels le vrai serviteur de Dieu doit s'effor-
cer d'en exercer les actes : et il en est de même des
autres commandements pour la matière qui leur
est propre. Or, les vœux sont des obligations qu'un
homme s'impose à lui-même par la promesse quïl
fait à Dieu, et ils deviennent ainsi une sorte de pré-
ceptes personnels où l'on distingue la partie néga-
tive et la partie positive : celle-là est la matière pro-
pre du vœu, qui oblige sous peine de péché ; celle-ci
est la matière de la vertu, dans laquelle le vrai re-
ligieux doit tendre à une perfection toujours crois-
sante.
Les religieux que l'on rencontre dans les commu-
nautés peuvent être distingués en trois classes diver-
ses : il y a les religieux médiocres, les bons religieux,
les saints religieux; car il faut écarter une quatrième
classe, les mauvais religieux, puisqu'ils ne sont point
religieux en effet, ou qu'ils ne le sont que pour leur
condamnation.
A ces trois classes on peut appliquer ce que dit
saint Ignace de trois genres de personnes qui s'adon-
nent aux exercices spirituels d'une retraite : « Les
uns se promènent à leur aise, et sans sortir d'un court
espace qu'ils se sont fixé ; les autres prennent le pas
— 250 —
du voyageur, qui marche plus décidément et ne li-
mite point l'espace à parcourir, jusqu'à ce qu'il soit
au terme du voyage ; les troisièmes font plus en-
core, ils choisissent le pas de course, parce qu'ils veu-
lent aller plus loin et arriver plus vite *. »
Ainsi le religieux médiocre est celui qui marche à
petits pas, content de se promener commodément
dans certaines limites entre lesquelles il va et re-
vient. En lui l'esprit de foi et de sacrifice est faible
et souvent en défaut ; l'intention manque fréquem-
ment de droiture et de pureté ; il observe ses règles,
pourvu qu'elles ne lui imposent pas trop de gêne ; il
n'agit pas contre la vertu, quand ce qu'elle demande
est facile ; mais dans la difficulté on le trouve trop
souvent en faute.
Le bon religieux est celui qui a pris dans la car-
rière le pas dégagé et résolu du voyageur : car il
veut sérieusement atteindre le but. Il n'est pas im-
peccable sans doute ; mais il y a du ressort dans son
âme; il a cette vraie dévotion dont parle saint Tho-
mas, c'est-à-dire cette promptitude de volonté à se
livrer aux choses du service de Dieu. Aussi, non-
seulement il redoute comme un malheur tout péché
et toute violation même légère de ses vœux ; mais
encore il a coutume d'agir selon l'exigence de la
vertu, et s'il bronche quelquefois dans la difficulté,
ce n'est que par surprise ou par une faiblesse mo-
mentanée, dont il se relève aussitôt.
Et que dire du saint religieux ? Lui, il court, il
voudrait voler dans la carrière 2, et il répète après
1. Exerc. Spir. lre Annot.
'À. Quis dabit mihi pennas sicut columbœ, et volabo ? Ps. 54.
l'Apôtre : « Xon, ce n'est pas que je sois déjà par-
fait, mais je hâte le pas pour tâcher de saisir: j'ou-
blie l'espace que j'ai mis derrière moi, et je m'étends
en avant vers celui qui me reste à parcourir l ». Ce-
pendant n'allez pas croire qu'il soit sans tentations,
sans difficultés, sans défauts, sans défaillances même
et sans péché. Non, cet affranchissement parfait n'est
point des saints de ce monde; et même, les épreuves
où Dieu les met sont plus grandes que les vôtres,
sachez-le bien, parce qu'il les proportionne à leur
vertu. Mais ce que le saint religieux a de propre,
c'est une volonté unique, et par conséquent forte et
constante, la volonté d'aller à Dieu en se désrasreant
de tout le reste, la volonté de profiter de tout, même
de ses défauts et de ses fautes, pour mieux s'élever
vers le seul objet de son amour. Et ses grands
moyens d'atteindre la fin sont ses vœux et ses règles,
avec l'abnégation et la patience, avec l'esprit de foi,
de confiance et d'humilité.
Du reste, il faut dire que les communautés fer-
ventes ne sont pas seulement celles où il n'y a que
des saints, ni celles où nul défaut ne se rencontre :
hélas ! on en chercherait vainement de telles sur la
terre. Dans une bonne communauté, il se trouve
toujours des religieux médiocres ; mais les bons y
font la majorité ; plaise au divin Maître d'en écarter
entièrement les mauvais, et de lui accorder toujours
aussi quelques saints 1
Assumeut pennas sicut aquilse, et volabunt et non déficient.
IsAT. 40.
1. Non quod jam perfectus sim ; sequor autem, si quomodo
comprehendam... quae quidem rétro sunt obliviscens, ad ea
vcro qute sunt priora extendens rocipsuni. Philip. 3.
III. La troisième différence entre la vertu et le vœu
consiste en ce que la vertu, à son tour, est un
moyen relativement au vœu: de sorte qu'un reli-
gieux sera d'autant plus à l'abri de la violation du
vœu, qu'il sera plus diligent à pratiquer la vertu.
Mais aussi, quand il néglige notablement l'exercice
de la vertu, il doit savoir qu'il s'achemine infailli-
blement vers l'infidélité au vœu. Ce motif si pres-
sant de s'appliquer à la vertu est parfaitement dé-
veloppé dans la Perfection chrétienne de Rodri-
guez 4.
IV. La quatrième différence pose ce principe,
qu'un religieux peut pécher contre la vertu sans
même qu'il y ait violation du vœu : d'où il doit re-
cueillir deux vérités importantes à connaître : la
première, que tout manquement à la pauvreté ou à
l'obéissance n'est pas nécessairement un péché con-
tre ces vœux ; la seconde, qu'il ne peut pas toujours
dire non plus : Je ne viole pas mon vœu, donc il n'y
a point de péché.
ARTICLE IL
DES AUTRES OBLIGATIONS QUI, OUTRE CELLE DES VOEUX
MÊMES, RÉSULTENT DE LA PROFESSION RELIGIEUSE.
Les obligations dont nous allons parler découlent
de l'acte de donation que le religieux, par la profes-
1. III» Part. 6e Traité, ch. 1 et 6.
- 253 -
sion, fait de sa personne à l'institut où il prononce
ses vœux.
SECTION I. — QUELLES BOUT CES OBLIGATIONS?
Tout homme qui se présente pour devenir mem-
bre d'un corps et qui est en effet accepté comme
tel, s'engage lui-même, et contracte des obligations
envers ce corps : obligation de stabilité selon la na-
ture de l'engagement qu'il a pris ; obligation de con-
courir au bien et à la lin commune ; obligation de
suivre la direction et l'impulsion de ceux qui prési-
dent légitimement ; obligation de garder la concorde
et l'union avec les autres membres ; obligation d'ai-
mer d'une affection spéciale le corps et les membres
du corps dont il fait partie; obligation enfin d'écar-
ter les obstacles qui pourraient s'opposer aux de-
voirs de sa position.
Tout ceci est vrai d'une association quelconque,
et proportionnel au degré de connexion qui s'établit
entre ses membres ; plus vrai encore des associations
créées par l'Esprit de Dieu pour une fin spirituelle,
et consacrées par l'approbation de l'Église. Mais ce
qui vient resserrer bien plus étroitement entre eux
les membres d'un corps religieux, c'est le lien sacré
des vœux qu'on y a faits. Alors chaque individu
ressemble à une pierre qui est entrée dans la con-
struction d'un édifice : pierre vivante, tellement in-
corporée à ce vivant édifice, que si elle voulait
changer elle-même sa destination, sa place ou sa
fonction, elle en compromettrait non-seulement la
beauté, mais souvent même la solidité. On peut trou*
3
— 254 —
ver un objet de comparaison plus complet et plu?
expressif encore dans la famille naturelle : car tout
ce que les liens du sang établissent de rapports, de
droits et de devoirs au sein d'une famille, le lien des
vœux le fait dans un corps religieux, en y créant une
paternité, une filiation et une fraternité spirituelles.
Or, sans nous arrêter davantage aux autres rap-
ports, c'est ici le lieu d'insister sur deux grandes
choses de la vie religieuse : la première est l'union
et la charité fraternelle; la seconde est le déta-
chement évangélique du religieux à l'égard de ses
proches.
SECTION II. — DES DEVOIRS DE LA FRATERNITE
RELIGIEUSE.
I. Il serait superflu de prouver que tout ce qui est
dit dans l'Évangile de la fraternité chrétienne, doit
s'appliquer d'une façon beaucoup plus spéciale à la
fraternité religieuse. Or, quelle est la marque à la-
quelle Jésus-Christ Notre-Seigneur a voulu qu'on
reconnût les siens? Il l'a dit lui-même, c'est
l'union et la charité entre les frères : « En cela tous
connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous
aimez les uns les autres l ». Aussi tel fut le caractère
le plus frappant de l'Église primitive : « Ils étaient,
rapporte le texte sacré3 un seul cœur et une seule
âme* » ; et les païens, à ce spectacle si nouveau,
1 . In hoc cognoscent omnes quia mei discipuli estis, si dilec-
tionem habueritis ad invicem. Joann. 13.
2. Multitudinis autem credentf um erat cor unum et anima
una Act.
— m —
répétaient dans leur admiration : Voyez comme ils
s'aiment t
Bientôt malheureusement, et à mesure que le
nombre des Croyants se multiplia, la charité vint à
se refroidir dans les cœurs de plusieurs: c'est pour-
quoi l'ère des persécutions n'avait pas encore cessé,
que l'Esprit de charité suscitait déjà ces institutions
religieuses où il voulait couserver le feu sacré dans
sa pureté première; et tandis que le vulgaire des
chrétiens avait souvent bien de la peine à garder
strictement le précepte de la charité, une multitude
de pieux asiles furent destinés à la montrer perpé-
tuellement au monde dans toute sa perfection. Aussi
que de moyens y ont été réunis pour produire et
maintenir ce divin résultat ! à ne parler que de l'ho-
locauste même des vœux, n'est-ce pas un sacri-
fice que Ton offre, non-seulement à Dieu, mais en-
core à ses frères en vue de Dieu? et ne peut-on pas
dire qu'il est également plein et de l'amour divin et
de l'amour fraternel?
Combien donc chaque religieux doit s'appliquer à
nourrir en soi-même cet esprit de charité, et à faire
fleurir tellement dans sa personne cette reine des
vertus, que du cœur de chacun son parfum se ré-
pande dans la communauté tout entière !
II. Pour aider la bonne volonté, nous signalerons
brièvement, d'une part, ce que demande la charité
fraternelle, et de l'autre ce qui l'altère.
Ce qu'elle demande par-dessus tout, ce sont des
cœurs humbles et doux : de cette source on verra
jaillir tout le reste: le désintéressement, la cordia-
— 256 -
lité, l'estime et la confiance réciproques, les préve-
nances délicates, l'empressement le plus effectif à
rendre service, et, quand il en est besoin, le support
des défauts, et l'oubli prompt et complet des torts
mutuels.
Ce qui altère la charité et l'union entre les frères,
c'est, avant toute autre cause, Fégoïsme avec sa dis-
tinction glaciale du mien et du tien, comme dit saint
Chrysostôme l ; et pour donner les détails, ce sont
les prétentions et les hauteurs ; ce sont les jalousies,
l'impatience, la rudesse et les paroles aigres; ce
sont les indélicatesses et le sans-gêne ou les suscep-
tibilités, les bouderies et les rancunes ; ce sont les
antipathies et les froideurs, ou les préférences et les
amitiés exclusives; c'est l'esprit de curiosité et Paf-
fectation de finesse; ce sont les soupçons, les défian-
ces et les rapports indiscrets ; enfin, c'est le penchant
à la critique, aux contestations, à la singularité des
idées, à la raillerie et aux plaisanteries sur ses frères.
Voilà une double énumération de choses qui, vu
notre nature défectueuse, peuvent donner à la cha-
rité fraternelle un exercice bien méritoire, de tous
les jours et presque de toutes les heures. Pour s'en-
courager dans ce travail incessant, les motifs abon-
dent; mais il suffirait déjà de se rappeler le mot du
grand apôtre : « Celui qui aime son prochain a rem
pli toute la loi 2 » .
III. A la charité fraternelle se rattachent étroite-
ment la bonne édification et les égards mutuels.
1. Meum et tuum, frigidum illud verbum.
2. Qui diligit proxiiuum, legem implevit, EOM, 13
— 5857 —
lo Un religieux qui aime véritablement ses frères
le prouvera tout spécialement en les portant au bien
par les exemples de sa régularité, et il ne se per-
mettra rien qui puisse leur donner mauvaise édifica-
tion. C'est déjà mal sans doute de commettre soi-
même des fautes, et les moindres, dès qu'elles sont
délibérées et réfléchies, nuisent considérablement à
un religieux ; mais le mal est bien plus grand, quand
il les fait commettre à ses frères, et qu'il les met
ainsi sur une pente qui peut leur devenir dangereuse
et les faire aller plus loin qu'il ne pense. Eh ! n'au-
rons-nous pas chacun un compte suffisant à rendre
au souverain Juge ? Voudrons-nous y joindre les
manquements dans lesquels nos paroles et nos ac-
tions auront entraîné les autres? Un religieux doit
concevoir une aversion extrême pour quoi que ce
soit qui, de sa part, serait de nature à mal édifier
ses frères : c'était là le sentiment qu'éprouvait saint
Paul ; et en quels termes énergiques ne lexprimait-
il pas * ?
2° Pour ce qui est fies égards mutuels que l'on se
doit dans la religion, voici comment le même apôtre
en parlait aux premiers chrétiens : « Aimez-vous
les uns les autres de cette charité qui convient à des
frères ; prévenez-vous réciproquement d'honneur ;
que chacun regarde et traite son frère comme lui
étant supérieur "2 ». Ces belles paroles expriment en
1. Videte autem ne forte hrec licentia vestra offendiculum
fiât infirmis... Sic autem peccantes in fratres, et percutientes
consciemiam eorum infirma m, in Christum peçcatis. Quaprop-
ter si esca scandalizat fratrem meum. non manducabo carnem
in aeternum, ne fratrem meum scandalizem. I Cor.8.
2, Charitate fraternitatis invicem diligentes. Rom. 11*. —
— 258 —
perfection les devoirs de la fraternité religieuse. En-
tre des frères, il faut l'amour, la cordialité, avec un
certain abandon d'intimité qu'on n'a point pour
d'autres; mais avec des frères unis selon Dieu, il
faut y joindre encore le respect ; et tous se doivent
une réciprocité d'égards et d'honneur qu'exigent,
d'une part la dignité de leur vocation, et de l'autre
l'attention à reconnaître par la foi en chacun d'eux
la personne et l'image de Jésus-Christ Notre-Seigneur
lui-même.
Ce respect fraternel doit présenter deux caractères :
le premier, qu'il soit plus encore dans la réalité des
œuvres que dans les formes extérieures ; le second,
que chacun y garde une religieuse simplicité.
Pour le rendre pratique et effectif, soyez humble ;
alors vos déférences ne seront pas de vaines démons-
trations, comme le sont trop souvent celles du monde.
Alors vous viserez toujours, selon l'Évangile, à la
dernière place plutôt qu'à la première *, à ce qu'il
y a de moindre dans la maison plutôt qu'à ce qui s'y
trouve de meilleur. Il serait facile de multiplier les
applications; mais je dirai tout en quelques mots:
vous éviterez ces mille petites ruses de l'amour-pro-
pre, toujours occupé de soi, toujours en quête de
préférences et de privilèges.
Quant à l'expression extérieure du respect frater-
nel, les membres d'une communauté religieuse doi-
vent s'étudier à devenir entre eux parfaitement polis
et honnêtes ; rien ne leur siérait moins que la rusti-
Honore invicem prsevenientes ; superiores sibi invicem arbi-
trantes. Philip. 2.
1. Rccumbe in novissimo loco. Luc, 11.
— 259 —
cité et le manque de savoir-vivre. Mais aussi il faut
que leur politesse soit modeste, et les témoignages
de leurs déférences, pleins de simplicité : ce ne sera
de la charité qua ce prix; et de même qu'elle ne
plaira, ainsi elle n'édifiera qu'à cette condition.
Par conséquent les religieux doivent écarter comme
indignes de leur profession les formes recherchées,
les compliments affectés, et tout ce qui sentirait la
prétention et l'exagération de la politesse mondaine.
SECTION III. — DU DÉTACHEMENT ÉVANGÉLIQUE ENVERS
LES PARENTS.
Il n'est rien de plus formellement exprimé dans
l'Évangile que ce devoir du détachement des parents,
pour ceux que Dieu appelle à l'état religieux. Le
divin Maître va jusqu'à exiger même qu'on les quitte,
pour pouvoir être tout à son service et aux choses
de cette haute vocation. Dans le dessein qu'il a de
faire de l'âme religieuse son épouse toute spéciale,
il veut qu'elle s'applique ce qui est écrit de l'état
conjugal : « L'homme laissera son père et sa mère,
et s'attachera à son épouse * » ; et il lui adresse ces
paroles du psaume : « Écoutez , ma fille, et voyez, et
inclinez votre oreille : oubliez votre peuple et la mai-
son de votre père ; et le Roi recherchera votre beauté,
parce que lui-même est le Seigneur votre Dieu 2 ».
Pour montrer à la fois la légitimité, le devoir et la
1. Relinquet home- patrem suum et matrem, et adhgerebit
uxori suœ. Gènes. 2.
2. Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam, et obliviscere
populum tuum et domum patris tui ; et concupiscet rex deco-
rem tuum, quoniara ipse est Dominus Deus tuus. Ps. 44.
— 260 —
pratique de ce détachement évangélique, nous allons
citer spécialement les principes de saint Thomas,
qui sont ceux de la sainte Église et de la droite rai-
son sdioii Dieu.
| I. Quelle est la dette de la piété filiale ?
Un fils, en vertu du droit naturel, doit à son père
et à sa mère quelque chose d'essentiel, et quelque
chose d'accidentel.
La dette essentielle d'un fils envers ses parents,
considérés comme tels, c'est-à-dire comme prin-
cipes de son existence, et par conséquent ses supé-
rieurs naturels, c'est l'honneur, selon les paroles de
la loi : « Honore ton père et ta mère i » . De cette
dette fondamentale découlent ses autres devoirs,
l'amour, le respect, l'obéissance, les services.
La dette accidentelle de la piété filiale est celle que
viennent imposer les circonstances à un iils envers
ses parents. Par exemple, s'ils sont pauvres, mala-
des, captifs, etc. , il doit les honorer en venant à leur
aide par tous les moyens en son pouvoir. Et cette
assistance n'admet point d'excuse ni de dispense, dès
qu'elle est nécessaire et possible.
Les parents, de leur côté, parce qu'ils sont les
principes de l'existence du fils, ont pour dette essen-
tielle envers lui de pourvoir à ses besoins, non-seu-
lement pour un temps, mais durant toute sa vie.
De ces principes il suit : 1° qu'il n'est point permis
à un père, à une mère, de quitter leurs enfants, même
1 . Honora patrem tuuni et matrem tuam. Exod. 20.
— 261 —
pour se consacrer à Dieu dans l'état religieux, avant
d'avoir pourvu à leur avenir ; 2° qu'un fils ne peut
pas laisser son père ou sa mère dans une nécessité
grave où lui seul peut les secourir, pour suivre une
carrière qui ne lui permettrait plus de les aider. Que
si des parents se trouvent dans une nécessité extrême,
c'est-à-dire si leur vie est en péril , un fils déjà
religieux est tenu de les secourir, même en quittant
son état, s'il ne pouvait les aider autrement. Dans le
cas de nécessité grave et non extrême, il est plus
probable, disent les théologiens, qu'il n'est point
obligé, et même qu'il ne lui est pas permis d'aban-
donner l'état religieux; mais il est tenu d'employer,
sous l'obéissance due à ses supérieurs, tous les
moyens en son pouvoir de subvenir aux besoins de
ses parents.
§ II. Faut- il. à cause des devoirs de la vertu de reli-
gion, omettre ceux de la piété filiale ?
Voici la réponse du Docteur angélique l :
La religion et la piété filiale sont deux vertus. Or,
nulle vertu n'est contraire à une autre, parce que le
bien n'est jamais contraire au bien. Il est donc im-
possible que la religion et la piété filiale se contra-
rient tellement, que l'acte de l'une vienne interdire
l'acte de l'autre. En effet, l'acte de n'importe quelle
vertu rencontre toujours une limite, que pose la
droite raison ; et s'il dépassait cette limite, ce ne s
rait plus un acte de vertu, mais un acte vicieux. Il
1 . 2a 2se q. 101, a. i, et q. 189, a. 6.
— 262 —
en est ainsi de la piété filiale, qui a ses limites éta-
blies par la raison et la justice, et ces limites seraient
évidemment dépassées dans le cas où un fils vou*
drait honorer son père plus que Dieu. Si donc mon
père me provoque au mal, ou veut m' éloigner du
service que Dieu demande de moi, mon devoir est de
ne pas acquiescer en ce point à sa volonté ; mais,
comme dit l'apôtre, « il faut plutôt obéir à celui qui est
le Père des âmes, pour avoir la vie » 4. Et c'est le sens
de ces paroles du Seigneur dans l'Évangile : « Celui
qui aime son père et sa mère plus que moi, n'est pas
digne de moi 2 » .
La première application de ces principes est pour
les cas où des parents voudraient détourner un en-
fant du service de Dieu dans les choses d'obligation,
ou l'exposer à des occasions dangereuses pour son
salut.
Mais ils ont encore leur application au cas où un
enfant se trouve réellement appelé de Dieu à se con-
sacrer parfaitement à son culte dans l'état religieux.
En effet, saint Jacques et saint Jean sont loués dans
l'Évangile d'avoir quitté leur père pour se mettre à
la suite de Jésus-Christ. Ce n'est pas que leur père
les excitât au péché ; mais comme il pouvait se suffire
pour la vie temporelle, ses enfants ne voyaient rien
qui les empêchât de répondre à l'appel du Seigneur.
Il est permis à un enfant, lorsqu'il a atteint l'âge
légitime, d'entrer dans l'état religieux, même contre
1 . Patres quidem camis nostrse, erudi tores habuimus, et re-
verebamur eos ; non multo magis obtemperabimus Patri spiri-
tuum, et vivemus. Hebr. 12.
2. Qui amat patrem et matrem plus quam me, non est me
dignus?MATTH.
- 2G3 -
la volonté de ses parents : car il possède alors sa
liberté pour ce qui tient à la disposition de sa vie par
le choix d'un état ; et assurément cette liberté existe
surtout s'il s'agit d'un état de vie où l'on sert Dieu
plus parfaitement.
Le Seigneur, dans l'Évangile *, reprit un disciple
qui voulait différer de répondre à son appel, sous
prétexte qu'il lui fallait d'abord aller ensevelir son
père : car, dit saint Chrysostome, d'autres étaient là
pour remplir ce devoir de piété filiale ; ou bien, selon
saint Cyrille, cet homme demandait à rester près de
son vieux père jusqu'à sa mort : ce que le Seigneur
n'accorda point, parce qu'il y en avait d'autres, que
l'ordre de parenté obligeait à prendre ce soin.
Mais, dira-t-on, honorer ses parents est un devoir
exigé par le précepte, tandis qu'entrer en religion
n'est qu'une chose de conseil, et par conséquent
laissée au libre choix du chrétien.
Je réponds d'abord que le précepte d'honorer ses
parents ne regarde pas seulement les. services cor-
porels, mais aussi les services spirituels. Les enfants
qui sont dans l'état religieux peuvent donc très-bien
accomplir ce précepte par leurs prières, leurs res-
pects, et même leurs bons offices, selon qu'il con-
vient à leur profession. Et remarquez que ceux-là
mêmes qui restent dans le siècle n'ont pas toujours
à honorer leurs parents par des services corporels;
mais ils le font de diverses manières, suivant leur
condition et leur état.
Je réponds, en second lieu, qu'une vocation à
1. Matth. 8,
— 264 —
l'état religieux n'est point une chose laissée pure-
ment à la liberté du chrétien. Quoique, à parler en
général, elle ne soit que de conseil, il est cependant
de t'ait que le salut en dépend presque toujours ; et
ne fût-ce que pour l'assurer ou le faciliter, ceux que-
Dieu appelle ont le plus grand intérêt à ne point
résister à sa voix. Or, selon les principes de l'Évan-
gile, des parents ne peuvent pas exiger qu'un enfant
sacrifie un semblable intérêt à leur caprice ou même
à leurs avantages temporels. Il y a plus : car si un
goût prononcé porte cet enfant vers l'état religieux,
et que, comme il arrive souvent, il s'agisse pour lui
du bonheur même temporel de sa vie entière, de quel
droit prétendraient-ils s'y opposer, en faisant passer
leur propre intérêt avant ce bien capital de leur
enfant même en ce monde ?
| III. De V amour d'un religieux pour ses parents.
On entend parfois le monde accuser l'état reli-
gieux de retrancher le quatrième commandement de
Dieu, et d'étouffer l'amour des parents dans le cœur
de ceux qui l'embrassent. Outre les réponses données
plus haut, voyons ce qui en est réellement pour le
religieux fidèle aux prescriptions de son état.
Sans doute, il est de ceux à qui s'adressent ces
paroles : « Quiconque vient à moi, et ne hait pas son
père, sa mère, et son âme encore, ne peut pas être
mon disciple » 4. Mais qui donc a prononcé ces paro-
1. Si quis venit ad me, et non odit patrem et matrem, adhuc
autem et animam suam, non potest meus esse discipulue.
— 263 —
les en apparence si dures? N'est-ce pas le divin
Auteur du commandement lui-même ? Et voici l'in-
terprétation qu'il faut leur donner avec saint Ignace :
« C'est pourquoi le religieux doit se dépouiller de
toute affection charnelle à l'égard de ses proches,
pour la changer en une affection spirituelle, et ne
les plus aimer désormais que de ce seul amour que
demande la charité bien réglée : comme un homme
qui, étant mort au monde et à l'amour-propre, ne
vit plus qu'à Jésus-Christ Notre-Seigneur. lequel lui
tientlieudepere.de mère, de frères, de. sœurs et
de toutes choses ' ».
On le voit, ce n'est nullement l'amour des parents
que supprime la profession religieuse ; elle veut au
contraire le rendre plus vrai, plus pur, plus réel, en
écartant l'affection charnelle qui vient trop souvent
l'amoindrir; et puisque le religieux doit la plénitude
de ses affections à Jésus-Christ auquel il s'est en-
tièrement consacré, elle veut qu'il se dépouille de
cet amour prétendu des parents qui ne serait que
l'amour du monde et l'amour de soi-même, se repor-
tant au milieu du siècle et s'engageant dans les affai-
res et les intérêts de la terre.
L'amour des parents dans le religieux ne se pro-
duit donc plus par certains actes que ne comporte
pas le service parfait qu'il doit à Dieu; mais cet
amour occupe toujours la place que demande la
charité bien réglée, à savoir, la première place après
Dieu ; il est plus solide et plus généreux que celui
dont le monde se contente; et il est surtout plus
1. Somm. des Constitutions, 8.
— 2GG -
profitable aux parents, parce qu'il a d'abord en vue
leur bien essentiel, qui est celui de leurs âmes *.
1. Nous n'ajoutons rien à ce que le catéchisme indique briè-
vement sur les obligations des novices. Les supérieurs en trou-
veront l'explication dans le Traité de Vètat religieux par le P,
Gautrelet, lre partie, chap. II et III.
SECONDE PARTIE.
DES TROIS VOEUX DE RELIGION EN PART1CULIEI
La seconde partie du Catéchisme des vœux nous
semble réclamer ici beaucoup moins de développe-
ments que la première : car, d'un côté, elle renferme
moins les principes que leurs applications . qui
se trouvent déjà dans le texte; et d'un autre côté,
les détails que l'on pourrait désirer sont abondam-
ment fournis par des livres que l'on met entre les
mains de tous, comme la Perfection chrétienne de
Rodrigue/, l'Homme religieux du P. Saint-Jure, etc.
CHAPITRE I.
DE LA PAUVRETÉ RELIGIEUSE.
ARTICLE f.
DEUX PRINCIPES SUR LA PAUVRETÉ ÉVANGÉLIQUE.
SECTION I. — LA PAUVRETÉ ÉVANGÉLIQUE 'ATTAQUE LE;
PREMIER ENNEMI DU SALUT ET DE LA PERFECTION. QUI
EST LA CUPIDITÉ.
t Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le
— 208 —
royaume des ci eux leur appartient *. » Telle est,
comme tous les chrétiens doivent le savoir, la pre-
mière des huit béatitudes proclamées par Jésus-
Christ, la béatitude de la pauvreté volontaire.
Cette bienheureuse pauvreté, à laquelle l'Évan-
gile promet le royaume du ciel, c'est en général et
dans son essence le soin de tenir son cœur détaché
des biens temporels de ce monde ; et les riches
mêmes qui en possèdent doivent avoir ce détache-
ment dans un premier degré, pour pouvoir mériter
la vie éternelle.
Il est, dans un degré supérieur et avec plus de
mérite, le partage de ceux qui acceptent et suppor-
tent chrétiennement la privation réelle des biens de
la fortune, quand telle est la volonté de Dieu et les
dispositiors de sa Providence.
Mais son degré et son mérite suprême éclatent dans
ces cœurs généreux qui renoncent volontairement
et aux richesses qu'ils possèdent et à celles qu'ils
pourraient acquérir, afin de porter tous leurs désirs
vers les richesses de l'éternité. A ceux-là Jésus-Christ
déclare que le roijaume des deux leur appartient
déjà, qu'ils l'ont payé d'avance, et qu'ils en sont
devenus les propriétaires actuels par le sacrifice
volontaire qu'ils ont fait.
Or, pourquoi la pauvreté d'esprit est-elle le pre-
mier des moyens que l'homme doit employer, tant
pour gagner le ciel que pour acquérir la perfection ?
Nous l'avons déjà dit 2, et il est bon de le répéter
1. Beati patiperes spiritu, quoniam ipsorum est regunui cœlo-
îura. Matth. 5.
2. Jer Part., ch. 2, art. 4, sect. 1™.
— 260 —
encore : c'est parce qu'elle est le remède a celui de
nos maux spirituels qui est la racine de tous les
autres, selon ces paroles de l'Apôtre : « La racine de
tous les maux, c'est la cupidité 4 » . Yoilà pourquoi
le Sauveur des hommes, non content d'ouvrir par
là sa prédication, commence aussi sa vie par donner
dans sa personne cette première leçon de retable et
de la crèche. Et quand il veut enseigner le secret et
la route de la perfection, il avertit que c'est encore
de là qu'il faut partir : « Si vous vouiez être parfait,
allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux
pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel 2 ». Les
premiers qui ont reçu cette grande leçon, et qui ont
voulu la pratiquer dans toute son étendue, ce sont
les apôtres. Ils l'ont présentée de même à la ferveur
de l'Église primitive , et ils ont ainsi donné aux
communautés religieuses la forme de la pauvreté
parfaite 3.
La cupidité est donc le premier ennemi qu'il faut
attaquer, pour que l'àme devienne capable de s'é-
lever vers Dieu et de s'attacher à lui : car l'obstacle
que cet ennemi oppose à la charité est de telle na-
ture, qu'il donne contre elle des moyens et des for-
ces à tous les autres ennemis, les richesses étant
comme l'aliment et l'instrument de toutes nos pas-
sions. De là cet anathème prononcé contre les ri-
ches 4 ; de là ces noms donnés aux richesses ; ce
1. Radix enim omnium malorum est cupiditas. I Tiaiot. G.
2. Si vis perfectus esse, vade, vende omnia nuas habes, et da
pauperibus, et habebis tnesaurum in coelo. Matth. 19.
3. Voyez Rodriguez, IIIe Part., & Traité, en. 4.
4. V» vobia divitibus. Luc . 6.
— 270 —
sont des causes de tromperie ; ce sont des épines et
des ronces qui étouffent la bonne semence * ; c'est
comme une glu où les âmes se collent et se prennent ;
c'est comme de la poix dont le seul contact salit les
mains.
SECTION IL— LA PAUVRETÉ EST LE MUR DE LA RELIGION.
Second principe sur lequel il est nécessaire d'in-
sister; et fasse le ciel que les religieux se convain-
quent bien et demeurent toujours pénétrés de son
importance.
La pauvreté est très-justement appelée le mur de
la religion :
Le mur, c'est-à-dire le fondement; c'est-à-dire en-
core, le mur de construction de tout l'édifice ; c'est-à-
core enfin, le mur de défense et le rempart.
Le mur de la religion, c'est-à-dire de cet état de
perfection où l'on doit être tout à Dieu et à son ser-
vice : ce qu'il faut entendre et du corps religieux en-
tier, et de chaque maison religieuse, et de chaque reli-
gieux pris individuellement.
1. La pauvreté est le mur de fondation sur lequel
s'appuient les deux autres vertus essentielles à l'état
religieux, la chasteté et l'obéissance. Et en effet,
celles-ci en ont un besoin moralement nécessaire :
car, sans la pauvreté, il est bien difficile d'être et de
rester parfaitement chaste, humble et obéissant,
ainsi que le prouvent la plupart des riches du siècle.
1. Fallacia divitiarum. Matth. c. V. 13,22,
- 271 -
A plus forte raison la pauvreté est-elle le fondement
sur lequel doit s'élever la charité , comme nous
venons de le dire en parlant de la cupidité, son en-
nemie.
II. La pauvreté est encore le mur de construction de
tout cet édifice , que la chasteté et l'obéissance doi-
vent ensuite meubler et embellir ; de cet édifice spi-
rituel qui s'appelle soit un ordre religieux, soit une
maison religieuse, soit la vie religieuse dans chaque
individu.
En effet, voyez la différence radicale qu'il y a en-
tre ce qui se passe ici et dans le siècle. Là, si l'on
veut fonder une société de commerce, les associés
commencent par voir quels fonds ils peuvent fournir
au capital social. De même, quand il s'agit de s'éta-
blir et, comme on dit, de former maison, on exa-
mine d'abord quelles sont les ressources des deux
parties. Enfin, pour bâtir un édifice matériel, il faut
de l'argent: « Qui de vous, dit Notre-Seigneur, vou-
lant élever une tour, ne s'assied d'abord pour cal-
culer la dépense à faire, et voir s'il aura de quoi
achever la construction l ? »
Mais, au contraire, est-il question de fonder une
société, une maison religieuse : l'argent et les fonds
qui sont indispensables, c'est la sainte pauvreté,
sans laquelle Dieu et son Église n'en reconnaissent
point. Quelqu'un veut-il s'établir dans la religion: il
lui faut avant tout se dépouiller de ses biens; et pour
1. Quis ex vobis, volens turrim œdificare, non prius sedens
computat sumptus qui nccessarii sunt, si habeat ad periicien-
clum ? Luc. 11.
272
élever en lui-même l'édifice de la vie spirituelle,
il doit encore et toujours rester pauvre. « Ainsi,
ajoute le Seigneur au même endroit, quiconque ne
renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être
mon disciple » dans l'état religieux *.
Cependant, dira-t-on, ne faut-il pas aussi des
ressources temporelles aux sociétés religieuses ? Ne
faut-il pas que chacun vive dans la religion? Oui,
sans doute, il faut y avoir du moins le nécessaire
à la vie du corps ; et c'est pour cela même que l'on
dit encore aux religieux : Soyez de vrais pauvres
volontaires, gardez fidèlement la sainte pauvreté,
et Dieu vous nourrira ; sa parole y est engagée :
« Cherchez d'abord, a-t-il dit, le royaume de Dieu et
sa justice, et tout le reste vous sera ajouté par sur-
croît 2 » : autrement la divine promesse ne s'adresse
point à vous. Voilà pourquoi, lorsque la pauvreté
évangélique vint à manquer aux maisons religieuses,
elles s'écroulèrent, Dieu et les hommes s'unissant
pour les détruire; Dieu faisant servir l'injustice des
hommes à l'accomplissement de ses justes conseils.
Que si des édifices matériels continuèrent encore à
subsister çà et là, ce n'étaient plus des maisons
religieuses; ils n'abritaient plus des religieux véri-
tables; au lieu de ces vocations réelles, si nom-
breuses aux époques de la ferveur, on n'y voyait
plus entrer que des esprits et des cœurs mondains,
qui venaient là pour faire curée des biens de la reli-
1. Si ergo omnis ex vobis qui non renunciat omnibus quse
possidet, non potest meus esse discipulus. Luc. 14.
2. Qiuerite ergo primum regnum Dei et justitiam ejus ; et*
hsec omnia adjicientur vobis. Matth. 6.
— 273 —
gion, et qui achevaient d'en préparer la ruine en-
tière.
III. La sainte pauvreté est le mur de défense de la
religion : « rempart solide et refuge, dit saint Ignace,
que Dieu inspira aux ordres religieux d'établir con-
tre l'ennemi de la nature humaine et contre les au-
tres adversaires de la perfection religieuse; boulevard
à l'abri duquel ils se maintiennent dans leur état,
conservent la vigueur de la discipline, et résistent à
une multitude d'agressions : ce qui fait comprendre
aussi pourquoi le démon fait tant d'efforts et met
en jeu tant de moyens pour renverser ce mur de
défense * » .
C'est un rempart contre le monde dont « les er-
reurs, les amours et les terreurs » , comme parle
saint Augustin, n'atteignent plus le pauvre volon-
taire, parce qu'en effet, en se dépouillant des biens
de ce monde, il s'est par là soustrait à ses séductions,
à ses entraînements, à ses distractions, à ses soucis
et à tous ses embarras.
C'est un rempart contre le démon : car, dit saint
Grégoire, « avec des pauvres volontaires, Satan en-
gage vainement le combat ; il lutte contre des athlè-
tes qui se sont débarrassés de leurs vêtements » 2 et
ne lui laissent plus de prise pour les saisir.
C'est un rempart contre la chair elle-même, mal-
gré l'avantage qu'a cet ennemi de rester au dedans
de nous. Car, où la triple concupiscence trouve-
t-elle son aliment ? Dans les richesses, puisque l'ar-
1. Constitutionum Parte X, § 5.
2. Homil. 31 in Evaugei.
— 274 —
gent sert à tout obtenir en ce monde, plaisirs, hon-
neurs, bien-être de la vie. Or, par la pauvreté reli-
gieuse, nous l'avons déjà dit, la cupidité se trouve
bannie des cœurs avec la richesse; impossible que la
pauvreté restant intacte, non-seulement chaque reli-
gieux individuellement, mais aussi la communauté,
puisse même avoir le dessein de thésauriser; les
pauvres sont là pour recevoir le superflu, selon la
volonté de Dieu. Ainsi, par la pauvreté religieuse,
les plaisirs et les jouissances de la vie sont écartés
dans la nourriture, le vêtement, l'ameublement,
etc. ; reste seulement le nécessaire convenable, que
l'obéissance règle et sanctifie, mais dont le fond est
une vie de pénitence et de sacrifice où la sainte
pauvreté tient toujours en bride la sensualité. De
même aussi, l'orgueil de la vie est fort mal à l'aise
avec la pauvreté: car ce n'est pas elle qui procure les
hommages du monde ni ce qui flatte la vanité hu-
maine ; et elle aide encore naturellement le cœur
à se maintenir dans l'humilité intérieure et dans la
modestie
IV. Il est donc vrai que la pauvreté est un rem-
part derrière lequel chaque religieux et le corps
entier de la religion se trouvent à l'abri de tous les
ennemis. Aussi, tant que ce mur est resté solide et
intact, les ordres religieux ont traversé les siècles
sans éprouver d'atteinte; au contraire, dans ceux
qu'on a vus dégénérer, toujours le mal s'est intro-
duit par les ouvertures faites à ce rempart. Et voilà
pourquoi tous les saints fondateurs l'ont élevé au-
tour de leur édifice, pourquoi tous leurs successeurs
— 275 —
dignes d'eux et tous les vrais religieux n ont rien
omis pour le maintenir et le défendre , pourquoi
tous les saints réformateurs ont commencé par en
réparer les brèches. Mais voilà aussi pourquoi, de
son côté, « l'ennemi de la nature humaine, comme
dit encore saint Ignace 4, ne manque jamais de
s'attaquer à ce boulevard et à ce refuge pour tâcher
de l'affaiblir ; changeant ce que les premiers fonda-
teurs avaient sagement réglé, et introduisant des
innovations qui ne sont plus en rien selon leur es-
prit ». Ces mots, appliqués au passé, rappellent,
hélas! les causes d'une longue et déplorable histoire.
Des maisons religieuses et des ordres entiers où
s'étaient formés tant de saints, furent jetés, par l'ou-
bli de la sainte pauvreté, dans un relâchement qui
alla pour quelques-uns jusqu'à la dépravation. Enlin
ces corps usés tombaient en pourriture, quand la
violence vint les faire disparaître, et jeter en pâture
aux méchants leurs richesses pernicieuses.
Résumons : la pauvreté est le mur de la religion
pour le corps et les membres : soutien et défense
de l'esprit religieux, de toute vocation religieuse, de
toute vertu religieuse et de toute maison religieuse.
Avec la sainte pauvreté, les religieux seront toujours
facilement des hommes humbles, chastes, obéis-
sants, mortifiés, doux, unis par la charité frater-
nelle, attachés à leur vocation; de même que les
communautés religieuses solidement assises sur ce
fondement offriront toujours le spectacle de la régu-
larité et de l'édification. Sans la sainte pauvreté au
1. Conbtitut. Part. VI. c.
— 276 —
contraire, tout est en péril, et les blessures qu'on
lui fait amènent toujours le relâchement, la déca-
dence et la ruine.
De toute cette considération sur la pauvreté, saint
Ignace tire la conclusion, « qu'il faut donc l'aimer
d'une affection fondée sur l'estime, et la conserver
dans toute sa pureté d ». Ni l'estime seule, ni la seule
affection ne suffisent point : il faut un amour d'es-
time, diligenda est : car on ne tient guère à conser-
ver ce qu'on n'aime pas, et l'on est exposé à ne pas
aimer d'un amour assez constant ce que l'esprit n'ap-
précie pas à sa valeur. Mais, de plus, cet amour étant
ainsi bien établi dans le fond de l'âme, il se produira
par les œuvres: d'une part on évitera soi-même
toute infraction, et de l'autre on s'opposera de tout
son pouvoir à ce qui en altérerait dans son institut
la pureté première : car enfin, bien insensé, bien
coupable et bien ennemi de la communauté et de
soi-même, serait le religieux qui démolirait ou lais-
serait démolir le mur de fondement, de construction
et de défense.
ARTICLE II.
DU VOEU DE PAUMRETË,
Le vœu de pauvreté est, comme nous l'avons vu2,
le premier des trois qu'exige l'état de perfection ; et
1. Paupertas ut muras religionis diligenda est et in sua pu-
ritate conservanda. Constitua Part. VI. c. 2,
2. 1™ Part. ch. IT, art. TV.
— 277 —
les religieux le font, nous l'avons vu aussi 4, dans le
but d'attaquer plus victorieusement la cupidité, cette
première ennemie de la charité dans le cœur de
l'homme.
SECTION I». — DE CE VŒU CONSIDÉRÉ DANS LE RELI-
GIEUX QUI LE FAIT.
§ I. La nature et la matière du vœu de pauvreté.
Ce vœu de religion peut avoir deux degrés: l'un
plus complet et plus parfait consiste à interdire non-
seulement tout acte, mais encore tout droit de pro-
priété : de sorte que le religieux ne peut plus rien
posséder en propre, ni rien acquérir pour lui-même,
soit par donation, soit par legs testamentaire, soit
même par succession légitime. Cependant, même
avec ce vœu, il peut, du consentement du supérieur,
accepter un legs ou une donation, non pour lui-
même, mais pour sa communauté. — Dans certai-
nes congrégations, le même vœu admet encore cette
réserve, que le religieux pourra acquérir personnel-
lement des trois manières susdites, mais avec i'oWL
gation de se dépouiller le plus tôt possible du bien
qui lui surviendra, pour l'affecter à quelque pieuse
destination.
L'autre degré du vœu de pauvreté, moins élevé
et moins complet, laisse au religieux la nue pro-
priété de ses biens, et lui ôte seulement le droit
d'en disposer sans l'autorisation des supérieurs; et
1. IIe Part. eh. I. art. I.
8**
— 278 —
c'est ainsi qu'en lui interdisant tout acte de pro-
priété, il écarte l'affection déréglée, prévient les dan-
gers de l'usage, et fait pratiquer le détachement au
moyen de la dépendance.
Malgré ce qui se pratique dans certaines congré-
gations qui laissent à leurs membres l'usage libre de
leur patrimoine, il faut savoir que le Saint-Siège,
lorsqu'il approuve un institut, exige que tout acte
de propriété y soit interdit par le vœu, sans en
excepter les biens personnels ; et voici les déclara-
tions qu'il a encore récemment faites pour signaler
nettement la pratique du vœu de pauvreté, même
dans les congrégations où l'on ne fait que des vœux
temporaires : « Le vœu de pauvreté, dans ces insti-
« tuts, note point à une professe la faculté de con-
« server la nue propriété de ses biens temporels ;
« mais il lui ôte tout droit d'administrer ces biens
« et de disposer des fruits ou revenus qu'ils produi-
« sent, tant quelle demeure dans la congrégation.
« C'est pourquoi, avant de faire profession, une
« Sœur doit céder, même par acte privé, l'adminis-
« tration, l'usage et l'usufruit desdits biens, à qui
« il lui plaira, et même à son propre institut, si elle
« le préfère. Mais ladite cession sera de nul effet,
« dans le cas où cette Sœur sortirait de la congréga-
« tion. Elle pourra même apposer la clause que la
« cession susdite sera toujours et en tout temps ré-
« vocable, alors même qu'elle resterait dans l'ins-
« titut ; toutefois, tant que ses vœux durent, il lui
« est interdit d'user de cette faculté qu'elle s'est ré-
« servée, sans la permission du Saint-Siège.
« La même règle doit s'observer à l'égard des
- 279 -
« biens qui, après sa profession, lui arriveraient par
« droit d'héritage.
« Quant au domaine de ses biens, elle aura la fa-
«. culte soit d'en disposer par testament, soit de faire
« à ce sujet, avec la permission néanmoins de la
« supérieure, tous les actes de propriété que pres-
« crivent les lois. »
La règle posée ci-dessus pour un héritage s'appli-
que également à un legs testamentaire et à une dona-
tion entre-vifs. Il faut remarquer de plus que, pour
pouvoir accepter un legs ou une donation, le vœu
oblige le religieux d'avoir la permission du supé-
rieur ; et cette même permission est requise pour
qu'il puisse disposer en faveur d'autrui d'un bien
qu'il possède en propre.
§ II. La violation du vœu de pauvreté.
Le catéchisme expose les cas où l'on viole ce vœu,
et comment il faut la permission pour pouvoir dis-
poser des choses temporelles. Les théologiens mora-
listes discutent encore d'autres cas dans lesquels
nous ne croyons pas devoir entrer. Tout au plus
ajouterons-nous ici quelques points d'une applica-
tion plus ordinaire.
1° Les manuscrits d'un religieux ne tombent pas
sous le vœu de pauvreté, à moins qu'il ne veuille en
tirer quelque profit temporel, comme les vendre,
les faire imprimer, etc. Toujours cependant ils res-
tent sous la dépendance du supérieur par l'obéis-
sance, selon que le bien générai ou particulier peut
l'exiger.
-280 -
2° Manger ou boire sans permission chez des per-
sonnes du dehors, est non-seulement une faute con-
tre la discipline, mais aussi une violation réelle
quoique ordinairement légère du vœu de pauvreté,
qui interdit de rien recevoir de sa propre autorité.
3° De môme, le vœu ne permet pas au religieux
de donner sans permission ce que la communauté
lui fournit pour son propre usage ou entretien,
comme un vêtement, une portion de son repas, etc. ;
à moins que la coutume légitime n'en ait accordé
l'autorisation générale.
4° Un religieux qui refuserait sans permission
d'accepter un salaire dû à son travail pécherait
contre son vœu de pauvreté, et même contre la jus-
tice envers la communauté, puisque celle-ci a déjà
un droit à ce sujet, en vertu du principe que tout ce
qu'acquiert un religieux est acquis au monastère.
5° Relativement à un dépôt qu'un religieux accep-
terait pour le garder par complaisance, il faut re-
marquer qu'il ne viole pas son vœu de pauvreté, s'il
est entendu qu'il ne contracte pas l'obligation pro-
pre du dépositaire., qui est de répondre de l'objet en
cas qu'il se perde. Cependant, même dans ce cas , la
règle défend très-sagement de rien accepter en dépôt
sans permission.
SECTION II. — DE L'INFLUENCE DU VŒU DE PAUVRETE
SUR LA PAUVRETÉ COMMUNE A L'INSTITUT.
On distingue dans l'état religieux deux sortes de
pauvreté, qui tiennent au vœu qu'on en fait : l'une
est personnelle au. religieux pris individuellement;
— 28! —
c'est la seule dont il ait été question dans le caté-
chisme des vœux : l'autre est commune à tout le corps,
et regarde collectivement les religieux d'un institut :
il convient d'en dire ici quelque chose.
I. La pauvreté commune au corps religieux n'est
pas la même dans tous les instituts; c'est la règle de
chaque ordre qui l'adapte à sa lin dans la mesure
nécessaire pour l'obtenir. La plus stricte est celle
qui interdit à la communauté elle-même la faculté
de posséder des biens immeubles. On entend par là
ceux qui sont de nature à produire des fruits ou
revenus capables d'assurer la subsistance et l'entre-
tien des religieux. Telle était jadis la pauvreté com-
mune dans tous les ordres qu'on appelle mendiants,
parce que les religieux doivent ne tirer leurs moyens
de subsister que des aumônes des fidèles, sans que
ces aumônes puissent se convertir en biens fonds de
la communauté. Cette pauvreté n'exclut pas cepen-
dant la possession de la maison religieuse, avec son
église et son jardin ; excepté dans l'ordre des Frères-
Mineurs et des Capucins, où ces trois choses elles-
mêmes n'appartiennent point à la communauté,
mais restent sous le domaine du donateur ou de
l'Église.
Une telle pauvreté ajoute sans doute beaucoup à
la perfection de la pauvreté personnelle. Car en
interdisant à la communauté la possession des im-
meubles et des revenus qu'on en tirerait, elle reflue
sur les membres, qui par là n'ont plus de moyen?
de subsister assurés d'avance : ce qui devient aussi
pour chaque religieux un exercice très-méritoire
— 282 —
bandon à la Providence, et de foi à la promesse du
divin Maître. Cette promesse du reste ne faillira
point, tant qu'eux-mêmes rempliront la condition
qu'il a posée : « Cherchez d'abord le royaume de
Dieu et sa justice, et le reste vous sera accordé par
surcroît !. »
IL Le concile de Trente 2 a, pour de sages motifs,
autorisé tous les ordres religieux mendiants, excepté
les Frères-Mineurs et les Capucins (dont le père
saint François affectionnait tant la sainte pauvreté),
à posséder désormais des biens immeubles en com-
mun : de sorte que plusieurs instituts jadis men-
diants ne le sont plus par le fait, quoique l'Église
leur en conserve le nom et les privilèges à raison de
la règle primitive. Il n'y a que les Carmes Déchaus-
sés, et la Compagnie de Jésus pour ses maisons pro-
fesses, qui aient renoncé à profiter de cette conces-
sion du Concile.
III. Par rapport à la perfection de la pauvreté
commune^ saint Thomas 3 distingue, entre les instituts
monastiques, les ordres mendiants, et ceux qui doi-
vent exercer les œuvres de la charité corporelle.
Car, dit-il, la pauvreté la plus parfaite n'est point la
plus stricte, mais celle qui est le mieux en propor-
tion avec la lin de l'institut. Ainsi, dans les ordres
monastiques, il convient d'avoir en commun des
moyens certains et suffisants d'existence : autrement
1. Matth. c. 6.
2. Ooncil. Trid. Sess. xxv, c. 3.
3. 2a 2» quœst, 188. art. 7.
— 283 —
il faudrait les aller chercher dehors, ce qui serait
au détriment de la vie contemplative qui est la fin
de ces ordres. Saint Ignace a pensé de même au
sujet de ses enfants qui sont aux études dans les sémi-
naires et les collèges, et la Compagnie de Jésus
n'appartient aux ordres mendiants que par ses mai-
sons professes.
Quant aux instituts dont la fin est l'exercice de la
charité corporelle, la perfection de leur pauvreté
ne peut pas consister à exclure des ressources com-
munes, puisqu'elles sont nécessaires pour le service
du prochain et les œuvres de leur vocation.
IV. Une remarque à faire encore sur la pauvreté
commune, c'est que celle qui soumet les religieux à
une plus entière dépendance des supérieurs devien-
dra réellement plus méritoire par l'obéissance,
qu'une pauvreté plus austère et même plus souf-
frante où il se trouverait moins de dépendance ; et
elle servira aussi plus efficacement à la perfection
du détachement, en quoi consiste surtout le mérite
et la perfection de la pauvreté. Par exemple, qui ne
voit que si, dans une communauté où l'on doit vivre
seulement d'aumônes, les supérieurs laissaient à
chacun l'usage libre des dons qu'il reçoit, l'esprit
de pauvreté y serait beaucoup plus en péril que
dans une maison où, avec des moyens assurés de
vivre, tout est fidèlement et jusque dans les moin-
dres choses subordonné à l'obéissance?
On peut remarquer enfin, pour la consolation de
plusieurs, qu'il existe beaucoup de communautés
religieuses, principalement de nos jours, où sans
— 284 —
avoir, en vertu des constitutions, la pauvreté com-
mune des ordres mendiants, on la pratique en effet,
avec le mérite du même abandon en cette bonté qui
prend soin de ceux qui ont tout quitté pour chercher
le royaume de Dieu et sa justice.
ARTICLE III.
DE LA VERTU DE PAUVRETÉ.
La vertu de pauvreté n'est point explicitement
désignée parmi les vertus morales ; mais c'est une
vertu évangélique qui , en détachant le cœur de
l'homme des biens temporels de ce monde, met en
exercice presque toutes les vertus morales et théo-
logales. Elle a un rapport plus direct avec la libéralité
et la tempérance ; et l'on sait en quelle estime elle
a été même parmi les sages du paganisme ; qu'il
nous suffise de citer ces paroles de Cicéron : « Il
n'est rien de plus digne d'honneur et de plus ma-
gnifique que de mépriser les richesses * » .
Le catéchisme des vœux explique suffisamment
l'obligation que cette vertu impose au religieux, et
comment il pécherait contre elle, même sans violer
le vœu de pauvreté. Nous n'avons que quelques
observations à ajouter ici.
I. De l'affection déréglée aux biens et aux objets
temporels.
1. NiMlhonestmsmagninceutiusquequam conteranere pecu-
niam,
— 285 —
La cupidité est une passion si vivace, qu'elle a
toujours grand besoin d'être surveillée et réprimée
dans le cœur de l'homme. Plût à Dieu que le reli-
gieux, quel qu'il soit, n'oubliât jamais cotte vérité d'ex-
périence : car cette inclination, pour être enchaînée
par le vœu, n'est point cependant détruite ; et quand
il s'agit de se satisfaire, elle est extrêmement féconde
en subtilités et en prétextes. De même, on la voit,
après avoir fait de grands sacrifices, tel qu'est le re-
noncement religieux, se prendre ensuite souvent à
des riens, et y chercher sa pâture à défaut d'objets
plus considérables. Or, un religieux doit bien le
remarquer, l'objet de la cupidité importe peu au
tentateur qui l'excite ; ce qu'il faut à l'ennemi des
âmes et ce qui lui suffit, c'est l'affection déréglée ;
et il tâche de faire coller le cœur d'abord aux petites
choses, afin de pouvoir obtenir peu à peu de plus
graves dérèglements *.
IL Des superfluités.
Il faut remarquer que ce qu'on doit appeler de ce
nom dans les communautés, présente nécessairement
des différences plus ou moins sensibles, selon les
diverses fins des instituts. Il n'appartient donc point
aux particuliers d'en décider seulement d'après leur
propre appréciation ; les choses en cette matière sont
ordinairement définies par la règle ou par les décla-
rations des supérieurs, et le devoir de chaque reli-
gieux est de s'y conformer fidèlement.
1. Voyez Rodriguez, IIIe Part. 3r Traité, ch. o.
III. Des pécules, et autres exceptions semblables qui
regardent l'usage des choses temporelles.
On doit distinguer deux sortes de pécules : l'un
qui est une réelle violation du vœu de pauvreté,
parce qu'il renferme au fond un usage indépendant
des choses temporelles ; l'autre qui n'est pas absolu-
ment contre le vœu, parce qu'il reste sous la dépen-
dance de la volonté des supérieurs. Le pécule que
le vœu défend est celui où le supérieur accorderait
la permission, en renonçant au droit de la révoquer
quand il le voudra; ou bien encore, celui où sa
permission serait invalide, étant donnée contre la
défense des constitutions. Du reste, le pécule même
qui ne va point jusqu'à la violation positive du vœu
est encore funeste aux communautés religieuses, parce
qu'il nuit, non-seulement à l'esprit de pauvreté, mais
encore à l'union fraternelle et à l'édification. Ici
s'applique justement le reproche que saint Paul
adressait à ces chrétiens de Gorinthe aui oubliaient
les règles établies dans les saintes assemblées des
premiers fidèles : « Parmi vous, leur disait-il, quand
vous vous réunissez, l'un a faim et l'autre est dans
l'abondance. N'est-ce pas faire rougir ceux qui n'ont
pas ce que vous avez ? Que vous dirai-je ? Que c'est
bien ? Je ne le puis pas l. »
Pour de plus grands détails sur la question du pé-
cule, les supérieurs peuvent recourir au traité de
l'État Religieux par le P. Gautrelet 2.
1. Convenientibus ergo vobis in unum... alius quidem esurit,
alius autera ebrius est. Numquid. .. confunditis eos qui non ha-
bent? Quid dicam vobis? Laudo vos? In hoc non laudo.
I. Cou. 11.
2. Tom. 1, p. 171.
- 287 —
IV. De la distribution des biens temporels dont se
dépouille Je religieux soit avant, soit après sa profession.
Jésus-Christ Notre-Seigneur, en donnant la forme
de l'état religieux, a dit dans son Évangile : « Si vous
voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous
avez, et donnez-le aux pauvres l » . Ainsi, il est bien
remarquable que le conseil évangélique sur la pau-
vreté religieuse s'étend à l'usage même que l'on doit
faire des biens dont on se dépouille : Donnez-les aux
pauvres, dit le Seigneur, et non pas : Donnez-les à
vos proches ou à vos amis. Un religieux, après avoir
entendu la première partie du conseil divin, vou-
drait-il ensuite fermer l'oreille à la seconde? Ce serait
agir contrairement à la perfection de son état, et
s'ôter le mérite de son dépouillement, en le corrom-
pant par le mélange des affections humaines.
Il y a de plus une raison intime de cette destination
que Jésus-Christ propose au religieux, une raison
qui touche à la fermeté de sa vocation elle-même.
En effet, s'il donnait ses biens à des proches, ne
pourrait-il pas arriver un jour qu'il comptât peut-
être sur eux, dans le cas d'infidélité à cette vocation?
Et le démon lui-même, au moment de la tentation,
n'aurait-il pas de quoi s'en prévaloir pour l'ébranler
et le vaincre? Mais, quand on a donné aux pauvres ce
qu'on possédait, d'une part on a droit à ce trésor que
Jésus-Christ promet en échange, puisque c'est à lui-
même qu'on a réellement donné dans la personne
des pauvres ; et d'autre part, après que l'on a ainsi,
comme on dit, brûlé ses vaisseaux, il ne reste plus
1. Vende omuia quse habes, et da pfiuperibus. Matth. 10.
— 288 —
qu'à se jeter sans arrière-pensée, et pour ainsi dire à
corps perdu, dans la carrière de la perfection. On
voit donc que la pratique de ce conseil évangélique
est non-seulement plus méritoire et plus parfaite,
mais encore qu'elle est un préservatif contre sa pro-
pre instabilité, un moyen de persévérance et de fer-
veur au service de Dieu.
Que si cependant les proches eux-mêmes se trou-
vaient être dans le cas des pauvres, il est évident
que le devoir du religieux serait de songer à eux,
avant même de s'occuper de tout autre ; et dans
l'appréciation de leurs besoins, il devrait encore avoir
égard à ce que réclame légitimement leur condition.
Lorsqu'il s'élève quelque doute à ce sujet, on doit,
avec permission, consulter des personnes qui soient à
la fois désintéressées,éclairées et vertueuses : éclairées,
pour qu'elles puissent donner un conseil prudent ;
désintéressées et vertueuses, pour qu'elles le donnent
selon Dieu et la vraie piété.
Il peut encore survenir d'autres justes motifs dont
un religieux doive tenir compte en cette matière : par
exemple, une obligation de justice, quelque devoir
de reconnaissance, ou même parfois la nécessité peut-
être de prévenir des discussions, des scandales, etc.
Par les pauvres, il faut entendre aussi sans aucun
doute les pauvres volontaires de Jésus-Christ, et
spécialement ses frères en religion. N'est-ce pas
même pour le religieux un devoir de reconnaissance
(il faudrait dire plus encore) de ne point oublier les
besoins d'une communauté qui se charge de Jui pour
le reste de sa vie ?
Les paroles évangéliques doivent s'interpréter
- 289 -
également de toutes les œuvres pies : telles que le
soin du culte divin, la propagation de la foi, l'édu-
cation chrétienne des enfants, et l'assistance quel-
conque des malheureux ; et il est aussi juste que na-
turel de seconder en particulier les œuvres du corps
religieux dont on est membre.
Dans ces limites que lui trace sa profession, le re-
ligieux reste libre de suivre sa propre dévotion pour k.
distribution de ses biens ; car c'est à lui, et non à
d'autres que Jésus-Christ s'adresse : Donnez-les aux
pauvres ; et personne n'a le droit d'entraver l'exer-
cice vertueux qu'il veut faire de sa liberté dans cet
emploi des biens que Dieu lui a donnés.
Cependant les supérieurs ont à remplir ici un devoir
de surveillance et de direction, pour empêcher que
le religieux ne fasse rien contre l'édification et l'es-
prit de son état.
V. Pour ce qui regarde la pratique de la vertu de
pauvreté et ses divers degrés de perfection, le caté-
chisme des vœux donne tous les principes ; et quoi-
qu'il le fasse en peu de mots, H nous semble ne rien
omettre d'essentiel. Si l'on veut de plus amples déve-
loppements, on a le livre de la Perfection chrétienne
de Rodriguez1. Il nous suffira d'ajouter deux obser-
vations.
La première est que tous ceux qui entrent en reli-
gion ont grand besoin de s'appliquer dès le noviciat
à bien saisir ce que c'est que la pauvreté religieuse,
à en prendre l'esprit et les saintes délicatesses ; et à
1. LLl* Part., 3° Traité, eh. 6, 7 et 8.
— 290 —
veiller sur des habitudes précédentes qui sont trop
souvent en opposition avec elle. Une fois que l'on
est admis sous les livrées de « Celui qui étant riche
s'est fait pauvre pour nous i » , il n'est plus permis de
garder ni les pensées, ni les jugements, ni le langage,
ni les tendances des hommes du siècle par rapport
aux richesses de la terre ; et le vrai pauvre de Jésus-
Christ aime à le paraître et à l'être dans toute sa
personne, dans toute sa conduite et jusque dans les
moindres choses.
La seconde observation est qu'aux yeux d'un bon
religieux, la sainte pauvreté n'est pas seulement le
mur de la religion, c'est encore une mère qu'il faut
aimer avec tendresse : par conséquent il ne se contente
pas de la supporter avec résignation, mais il chérit
ses livrées, et il est heureux de saisir les occasions qui
s'offrent à lui d'en éprouver les privations. «Que
tous, dit saint Ignace à ses enfants, chérissent la
pauvreté comme une mère, et que, dans les circons-
tances, ils soient bien aises d'en ressentir quelques
effets selon la mesure d'une sainte discrétion 2.
CHAPITRE IL
DE LA CHASTETÉ RELIGIEUSE.
Si le premier vœu de religion est d'un si grand
mérite aux yeux de Dieu, que sera-ce du second ?
1. Propter vos egenus factus est, cum esset dives. 11
Cor. S.
2. Constat. Part. IIIe, c. L
— 291 —
Et si la pauvreté évangélique fait du religieux un
homme qui ne tient plus à la terre, que ne faudra-
t-il pas dire de cette vertu plus céleste encore, par
laquelle il imite la vie même des anges?
Mais déjà le catéchisme des vœux * a expliqué
suffisamment ce qui concerne cette portion si belle
de Tholocauste religieux. Le vœu et la vertu, les
infractions directes et indirectes, les préservatifs
nécessaires, les moyens de s'assurer toujours davan-
tage la possession de ce trésor, enfin les prérogatives
et les avantages de la chasteté religieuse, tout, ce
nous semble, y est exposé avec cette brièveté que
demande la délicatesse de la matière, et néanmoins
avec cette netteté qui est nécessaire pour éclairer les
consciences.
Nous ne voyons donc rien à ajouter présentement
sur le second vœu de religion. Si l'on veut un ré-
sumé de tout ce qu'il demande du religieux, le voici
dans ces trois paroles : la garde des pensées, la garde
des affections, la garde des sens; et pour les dévelop-
pements, il n'y a qu'à recourir aux PP. Rodriguez
et Saint- Jure 2.
La discipline régulière embrasse plusieurs points
qui ont quelque relation avec la chasteté religieuse,
comme la clôture, le parloir, les visites et le commerce
des lettres; mais ce qu'il faut dire aux religieux sur
ces matières se trouve dans les règles de leur institut ;
et quant aux supérieurs, ils consulteront avec fruit
le traité de VÉtat Religieux par le P. Gautrelet, pour
avoir les explications qu'ils peuvent désirer.
1. IIe Part., ch. 2.
2. Ferf. Chrét. IIIe Part. , 4e traité. — L'Homme Religieux,
Liv. 1, ck. H.
— 292 —
CHAPITRE III.
DE L'OBÉISSANCE RELIGIEUSE.
ARTICLE I.
DIVERS PRINCIPES SUR i/OBÉISSANCE EN GÉNÉRAL1.
I. Il est essentiel à l'obéissance de faire l'œuvre
commandée, non parce qu'elle plaît et qu'on la veui
faire pour elle-même, mais précisément à cause du
commandement et parce qu'elle est voulue par le
supérieur : sans quoi ce n'est plus l'acte de l'obéis-
sance.
De là vient que, dans les choses qui nous sont agréa-
bles, l'obéissance est ordinairement moindre, ou
devient même nulle ; tandis qu'elle est plus grande
et réelle dans les choses difficiles ou qui ne vont
pas à notre goût. Néanmoins , devant Dieu qui
regarde et connaît les cœurs, il peut arriver que,
même dans le premier cas, l'obéissance ne soit ni
moins vraie ni moins méritoire, dès lors que la
volonté se porte à obéir avec un égal dévouement
pour Dieu.
H. Faire une chose contre le commandement sans
avoir la volonté de l'enfreindre, ce n'est qu'une
désobéissance matérielle ; et, s'il y a faute, elle appar-
1. 2a iiae q. loi. a* 2.
— 293 —
tient formellement à une autre espèce de péché,
selon le motif et l'objet de l'acte, ou selon l'inten-
tion de celui qui pèche.
III. Un inférieur n'est tenu d'obéir à son supérieur
que dans la matière où il lui est soumis, et dans les
choses où le supérieur ne contredit pas Tordre d'un
pouvoir au-dessus du sien. Que si le commandement
était injuste, il ne serait nullement obligatoire,
puisque Dieu ne communique point aux hommes
son autorité pour l'injustice. Il est cependant permis
quelquefois à l'inférieur d'exécuter un commande-
ment injuste : c'est, par exemple, quand l'injustice
ne tombe que sur lui-même et qu'il consent à la
souffrir. Il peut même arriver qu'on soit tenu d'exé-
cuter cette sorte de commandement injuste, en vertu
d'une autre obligation, comme d'éviter un scandale
ou quelque autre dommage. Dans le doute, si le com-
mandement est juste ou non, l'inférieur a le devoir
d'obéir, parce que le droit de commander, qui est
certain dans le supérieur, doit prévaloir sur une
opinion douteuse.
IV. Obéir à l'homme en vue de Dieu, peut devenir
facilement plus méritoire que si l'on obéissait à
Dieu même déclarant immédiatement sa volonté. La
raison en est qu'on y exerce davantage plusieurs ver-
tus, telles que la foi, l'humilité, la dévotion, la
force, etc. ; et c'est là en particulier l'avantage que
Dieu a voulu attacher à l'obéissance religieuse.
"V. L'obéissance religieuse consiste en ce que
l'homme, dans le but de plaire au Seigneur , se met
— m —
volontairement sous la dépendance d'un autre
homme pour tout ce qu'il commandera selon la
règle. Mais, comme il est dit dans le catéchisme
des vœux, cette obéissance n'oblige par elle-même,
sous peine de péché, que quand le supérieur déclare
qu'il commande en vertu du vœu. Pour ce qui est du
simple pouvoir de domination que possède encore
un supérieur dans la famille religieuse, on le com-
pare justement à celui d'un père dans la famille
naturelle ; cependant il faut remarquer que cette com-
paraison n'est pas de tout point exacte, puisque le
commandement d'un père oblige toujours ses enfants
sous peine de péché, dès lors que la matière en est
juste et raisonnable : ce qui n'a pas lieu pour une
simple prescription du supérieur régulier.
VI. L'obéissance aveugle que les saints recom-
mandent au religieux, comme la plus parfaite et la
plus méritoire, consiste , dit Suarez * , à exclure
la prudence de la chair, et non la prudence
véritable et surnaturelle. Car l'obéissance étant
une vertu si excellente, elle n'exige pas moins la
direction de la prudence pour ses actes, que toute
autre vertu morale. Mais ce qui lui est propre, c'est
que le jugement de la prudence qui la guide se
fonde plus sur un principe extrinsèque, savoir le
jugement du supérieur, que sur lui-même dans les
choses qui ne sont pas évidentes ; et on l'appelle
aveugle parce qu'elle écarte alors son propre juge-
ment. Or, elle l'exclut en tant que vicieux ou impar-
1. Tract, de Keligione.
295 —
fait, et non pas selon qu'il dit tout usage de la rai-
son. C'est ainsi, par exemple, qu'elle saurait exa-
miner et voir, si ce qu'on lui commande paraissait
contraire à la règle ou au précepte.
ARTICLE IL
l'obéissance comparée aux autres vertus1.
I. L'obéissance est inférieure en dignité aux trois
vertus théologales , puisqu'elle est seulement une
vertu morale. Mais on doit remarquer qu'entre beau-
coup d'autres, elle a le privilège de renfermer un
excellent exercice des vertus théologales elles-
mêmes.
IL L'obéissance, dit saint Thomas, occupe la pre-
mière place parmi les vertus morales. En effet, de
toutes les vertus, la plus grande est celle qui fait
mépriser le plus grand des biens créés, pour s'atta-
cher à Dieu. Or, il y a en ce monde trois sortes de
biens que l'homme peut sacrifier à l'amour divin.
Les biens du dernier ordre sont les biens extérieurs;
au-dessus d'eux sont les biens du corps ; et ceux qui
dominent tous les autres sont les biens de l'âme,
dont le principal est la volonté par laquelle l'homme
use de tous les autres biens. De là il suit que l'obéis-
sance, qui nous fait sacrifier à Dieu le bien de notre
volonté propre, est par elle-même la plus grande
et la plus méritoire de toutes les vertus morales.
1. 2a2œ; q. 104, a. 3.
— 296 —
Ajoutons, avec le même saint docteur, que comme
l'obéissance procède de la révérence et de la soumis-
sion que l'on rend à Dieu, elle appartient, sous ce
rapport, à la religion et à son premier acte qui est
la dévotion. Or la religion est la plus noble partie
de la justice, laquelle est la première des vertus
morales.
Enfin, la prééminence de l'obéissance paraît en
ce, qu'il faut, pour obéir, omettre tout autre acte de
vertu qui ne serait pas d'ailleurs obligatoire : car
l'homme doit laisser toute bonne œuvre facultative,
afin de s'attacher au bien de l'obéissance, qui est
pour lui un devoir. Et qu'il ne craigne point d'é-
prouver en cela quelque perte spirituelle, puisque
l'obéissance vient compenser, par un bien meilleur,
celui qu'il eût voulu faire et qu'il omet pour la pra-
tiquer,
III. Un oracle sacré déclare que « l'obéissance vaut
mieux que les victimes l » ; et le Pape saint Grégoire
en donne la raison : « C'est que par les victimes on
immole la chair des animaux, tandis que par l'o-
béissance on immole sa propre volonté 2 » . Or ceci
est également vrai du sacrifice de l'obéissance com-
paré à tout autre, tel que celui de l'aumône, de la
mortification et même du martyre ; puisque ces cho-
ses perdraient toute valeur hors de l'accomplisse-
ment de la divine volonté.
1. Melior est obedientia quam victime. I Eeg. 15.
2. Per victimas aliéna caro, per obedientiam vero voluntas
propria mactatur. Moral. 35, 10.
— 297 —
IV. Une sentence célèbre de saint Grégoire achè-
vera l'éloge de l'obéissance. « Cette vertu, dit-il.
est la seule qui greffe, pour ainsi dire, toutes les au-
tres dans notre âme, comme fait le jardinier pour
ses arbres, et qui, après les avoir ainsi greffées, les
y conserve encore à l'abri de tout dommage, afin
qu'elles croissent et produisent heureusement leurs
fruits * » . En effet, explique saint Thomas, les actes
des autres vertus appartiennent à l'obéissance, soit
que Dieu commande par lui-même, soit qu'il exprime
sa volonté par un supérieur qui le représente. Lors
donc que ces actes font naître et grandir en nous les
saintes habitudes des vertus, on dit avec raison que
tout cela est l'effet de l'obéissance. De même, sa fonc-
tion propre est de maintenir toutes les autres vertus
dans ce milieu hors duquel elles périraient, parce
qu'elles tourneraient au vice par le défaut ou l'ex-
cès ; et pour le religieux tout spécialement, l'obéis-
sance de chaque jour lui procure cet avantage bien
plus sûrement que s'il n'avait que la direction de sa
propre prudence.
ARTICLE III.
DU VOEU D'OBÉISSANCE.
I. Le vœu d'obéissance, dit saint Thomas 2, est le
principal des vœux de religion, et cela pour trois
raisons :
1. Obedientia sola virtus est qure virtutes cscteras menti in-
eerit, insertasque custodit. Moral. 8ô. 10.
2. 2a2œ.q. 186. a. a 8.
— 298 —
La première, parce qu'il offre à Dieu la volonté
même de l'homme : ce qui est quelque chose de plus
grand que l'oblation des biens extérieurs par le vœu
de pauvreté, et que celle du corps par le vœu de
continence. Aussi tout ce que Ton fait par obéissance
est plus agréable à Dieu que les œuvres qui viennent
de la volonté propre ; et le jeûne même cesse de lui
plaire, quand cette propre volonté en est le seul
principe , selon ces mots du Prophète : Voici que
dans vos jeûnes se trouve le mal de votre volonté
propre *.
La seconde raison est que le vœu d'obéissance
renferme les deux autres, sans être renfermé lui-
même en eux. Car la continence et la pauvreté,
quoique déjà obligatoires par le vœu, le sont aussi
par l'obéissance, sous laquelle tombent ces deux
choses avec beaucoup d'autres encore: de là vient
que dans l'ordre de saint Benoît on se contente de
vouer explicitement l'obéissance selon la règle.
La troisième raison est que le vœu d'obéissance
s'étend proprement sur les actes qui touchent de
plus près à la fin de la religion. Or, une chose est
d'autant meilleure qu'elle s'approche davantage de
la lin.
C'est pourquoi le vœu d'obéissance est plus es-
sentiel à l'état religieux que les deux autres. Car,
observer la pauvreté et la continence, même par
vœu, ce n'est pas encore se trouver placé dans cet
état, lequel, dit saint Augustin, est préféré même à
la virginité que le vœu aurait consacrée. Dans le
1. Ecce injejuniis vestris invenitur voluntas vestra. ISAI. 5S.
— 200 —
passage évangélique où Notre-Seigneur invite à la
perfection, c'est le conseil de l'obéissance qui est
contenu dans ces derniers mots : « Et venez, suivez
moi * > : car celui qui obéit suit la volonté d'un
autre. Par conséquent, le vœu d'obéissance appar-
tient à la perfection plus encore que les deux autres,
ainsi que l'enseigne saint Jérôme expliquant ces pa-
roles de saint Pierre : « Voici que nous avons tout
quitté et que nous vous avons suivi a , . Parce que,
dit le saint docteur, ce n'est point assez d'abandon-
ner les biens de la terre : l'Apôtre ajoute ce qui est
parfait, quand il dit qu'il s'est mis à la suite de
Jésus-Christ Xotre-Seigneur 3.
II. Le catéchisme des vœux 4 s'attache avec un
soin spécial à expliquer tout ce qui regarde l'obéis-
sance religieuse, tant pour l'obligation du vœu que
pour l'exercice parfait de la vertu ; mais il se con-
tente de présenter les choses avec une juste préci-
sion : car, pour les développements pratiques dont
les religieux ont encore besoin sur une matière si
importante, les livres quils ont entre les mains en
sont remplis : ainsi Rodriguez en particulier expose
parfaitement tous les points que notre catéchisme
ne fait qu'indiquer 3.
1. Si vis perfectus esse, vade. vende quas habes et da pau-
peribus, et habebis thesaurum in cœlo, et veni, sequere me.
aTatth. 19.
2. Ecce nos reliquimus omnia et secuti sumus te. Matth. 19.
3. Quia non suflicit tantum rejinquere, jungit quod perfectum
est : Et secuti sumus te.
4. IJ> Part.. Ch. 3.
5. ïlie Part, 5e et 6e Traité.
— 300 —
ARTICLE IV.
DE L'OUVERTURE DE CONSCIENCE AU SUPÉRIEUR
ET DE LA DIRECTION.
Le même auteur, à la suite de l'obéissance, traite
de l'ouverture de conscience, parce que, en effet, c'est
une dépendance de l'obéissance religieuse ; or, sur
ce sujet, il y a quelques explications importantes à
donner.
I. Il faut dire d'abord que la doctrine générale des
écrivains ascétiques, sur l'ouverture de conscience
que les personnes religieuses doivent à leurs supé-
rieurs, ne peut point s'appliquer dans une égale
mesure à tous les supérieurs de communautés. Sans
doute, quiconque est entré dans le chemin difficile
de la perfection ne doit pas vouloir y marcher seul
et sans direction ; et c'est pour l'aider, l'éclairer et
le préserver des illusions, qUe Dieu lui a donné, non-
seulement des règles à suivre, mais encore des supé-
rieurs à consulter.
Néanmoins, on conçoit qu'il doit y avoir une
grande distinction à faire, pour le point dont il
s'agit, entre les supérieurs qui sont de Tordre sacer-
dotal, et ceux qui n'en sont pas. Les premiers ont
la science et la grâce du sacerdoce, qui manquent
l'une et l'autre aux seconds. Les premiers étant ca-
pables de juridiction et la possédant en effet, un
religieux peut leur confier les secrets de sa cons-
cience sous le sceau sacramentel de la confession,
— 301 —
tandis que la chose est impossible vis-à-vis des se*
conds.
De là il suit manifestement que le compte de cons-
cience, tel qu'en parlent les maîtres de la vie spiri-
tuelle, n'est dû intégralement qu'aux supérieurs
prêtres, et que les autres n'y peuvent avoir droit, si
droit il y a, que dans une mesure beaucoup plus
restreinte, qu'on appellera simplement la Direetion.
A l'appui de cette conclusion, voici une déclaration
émanée de la Sacrée Congrégation desEvéqueset Régu-
liers. Dans les observations qu'elle faisait naguère
sur les constitutions d'une communauté de femmes
qui sollicitait l'approbation du Saint-Siège, la Sacrée
Congrégation disait ces paroles remarquables: a A
a cause des abus qui se sont glissés en cette ma-
« tière, la Sacrée Congrégation n'a point du tout
« coutume présentement d'approuver l'ouverture
« de conscience à la Supérieure ; mais il est seule-
<t ment permis que les Sœurs, si elles le veulent,
« puissent découvrir les défauts dans l'observation
« des règles, et le progrès relativement aux vertus :
« car, pour les autres points, elles doivent en traiter
« avec le confesseur * ». Si elles le veulent, dit la
Sacrée Congrégation ; sans doute que celles qui veu-
lent leur progrès spirituel doivent vouloir aussi la
1. Ob abusus quiirrepserunt, in praesens Sacra Congregatio
minime solet approbare aperitionem conscientiae superiorissae;
eed tantum permittitur ut sorores, si velint, pandere possint
defectus inregulae observantia,et progressum quoad virtutes;
de aliis enim ab eis agcndum est cum confessario. Analecta
juris Pontificii, 38e livraison, mai et juin 1860. — Depuis cette
époque, la Sacrée Congrégation a fait plusieurs fois la même
réponse à diverses congrégations religieuses.
— 302 —
direction de leurs supérieures ; mais enfin, si c'est
un point de perfection pour elles, il reste toujours
vrai que c'est un point facultatif et non obligatoire
qu'on puisse leur commander. Du reste, on com-
prendra que nous ne parlons point ici de ces cas où
le religieux serait tenu, sous peine de péché, de faire
certaines manifestations aux supérieurs, et où le
confesseur lui-même devrait lui imposer cette obli-
gation. C'est ainsi qu'il faudrait avertir les supé-
rieurs, du moins par une tierce personne, afin qu'ils
puissent écarter ou prévenir soit une occasion de
chute, soit un danger de scandale, soit un grave
dommage pour la communauté.
II. Quant à l'ouverture de conscience, ou à la direc-
tion quelle qu'elle soit, on doit savoir que les supé-
rieurs sont strictement obligés au secret sur toutes
les confidences qu'on peut leur faire , et qu'il ne leur
est pas même permis de les communiquer à d'autres
supérieurs plus ou moins élevés qu'eux, sans le con-
sentement du religieux. Ils peuvent, s'il ne s'agit
pas du secret sacramentel, en user eux-mêmes pour
son bien et sa conduite personnelle, et même pour
le bien de la communauté ; mais à la condition ex-
presse de ne rien faire qui soit de nature à manifes-
ter aux autres ce qui leur a été confié.
De plus, comme le religieux se découvre alors au
supérieur comme à un père et non comme à un juge,
celui-ci n'a pas le droit de partir de là pour en venir
aux mesures de rigueur contre son inférieur, quoi-
qu'il lui soit permis de le reprendre quelquefois avec
douceur, et même de le corriger par quelque péni-
— 303 —
tence médicinale et paternelle. En un mot, l'esprit
qui doit animer l'inférieur et le supérieur dans ces
relations intimes, c'est uniquement l'esprit d'amour
et de charité. L'un ouvre son cœur pour trouver se-
cours, lumière, consolation : et l'autre l'accueille
avec une affection et une bonté toute spéciale, pour
le soutenir, le relever, l'encourager, l'éclairer, mais
non pour le réprimander durement ou le punir ; et
il se garde bien de moins estimer celui qui ne se
découvre ainsi que par vertu.
ARTICLE V. — CONCLUSION.
LE GRAND MODÈLE DE L'OBÉISSANCE.
Nous ne pouvons mieux terminer ce chapitre et
tout ce traité, qu'en rappelant le Modèle divin de
l'obéissance.
1° Jésus-Christ, Fils de Dieu et Notre-Seigneur,
est venu en ce monde par obéissance et pour obéir.
Écoutons ce qu'il dit par le Prophète royal et le
grand Apôtre : « En ttte du Livre il a été écrit de moi
que j'accomplirais, mon Dieu, votre volonté 4 ». Il
s'agit de la promesse d'un Réparateur faite au pre-
mier homme désobéissant et rebelle. — « Eh bien !
oui, ô* mon Père et mon Dieu, j'ai souscrit à votre
engagement consigné à la première page du Livre,
1. In capite libri scriptum est de me ut facerem voluntatem
tnam : Dena mens voluî, et legem tu ara in medio cordis raei.
Ps. 39 ; Hebr. 10.
- 304 -
j'ai voulu comme vous, et votre loi est au milieu de
mon cœur » . C'est ainsi que par son obéissance notre
Sauveur devait réparer le mal que la désobéissance
avait causé sur la terre. Et voyez, durant toute sa
vie mortelle, comme cette obéissance de Jésus-Christ
à son Père a été entière et ponctuelle ! II a déclaré
lui-même « qu'il ne laisserait pas un seul iota, pas
un seul point de la loi, sans l'accomplir parfaite-
ment ' » .
2° Non-seulement le Fils de Dieu voulut prendre
par l'Incarnation une nature qui le rendît dépen-
dant, et lui permît de soumettre sa volonté humaine
à la volonté divine ; mais encore, durant trente an-
nées de sa vie, il exerça pour notre amour la même
obéissance que nous, se soumettant à des hommes,
ses créatures, savoir, à Marie et à Joseph, en qui il
reconnaissait l'autorité de Dieu son Père. « Et il
leur était soumis 2 » : telle est toute l'histoire que
le Saint-Esprit a voulu nous donner de sa vie ca-
chée.
3° Enfin, pour nous ce divin modèle « se fit obéis-
sant jusqu' à la mort, et à la mort de la Croix 3 » :
de telle sorte que, dans sa Passion, on le vit obéir
même à ses ennemis et à ses bourreaux, avec une
humilité et une douceur incomparables : « tel que la
brebis qui se laisse conduire à la boucherie, et sem-
1 . Iota unum aut unus apex non prseteribit a lege donec
omnia fiant. Matth. 5.
2. Et erat subditus illis. Luc. 2.
3. Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis.
Philip. 2.
- 305 —
blable à l'agneau qui se tait devant celui qui le tond,
sans seulement ouvrir la bouche *. »
Voilà donc la règle vivante et parfaite de l'obéis-
sance religieuse ; c'est Jésus-Christ, qui dit lui-même
au candidat de la perfection : « Venez et suivez-
moi ». Ah! ne faut-il pas répéter ici les paroles de
saint Paul : « Quiconque suivra cette règle, la paix
sur lui 2 », dès ce monde même^ et dans les siècles
des siècles ? Ainsi soit-il t
1. Sicut ovis ad occisionem ducetur, et quasi agnus coram
tondente se obmutescet et non aperiet ossuum. Isai. 53.
2. Et quicumque hanc regulam secuti iuerint, pax super illos.
Ga.lat. 6.
TABLE !)ES MATIERES.
AvAXT-PROPOS
PREMIÈRE PARTIE.
DES VŒUX DE RELIGION EN GÉNÉRAL. 65
CHAP. I. — Notions générales du vœu considérées
dans les vœux de religion
Art. i. Définition du vœu 65
Sect. I. Le vœu est une promesse. — Diverses
sortes de promesses que l'on peut faire
aux hommes, à Dieu 66
Sect. II. Le vœu est une promesse délibérée. —
Connaissance, — consentement,— liberté.
— Première probation ou Postulat. —
Seconde probation ou Noviciat propre-
ment dit 68
Sect. III. Le vœu est une promesse que V homme
fait à Dieu. — Engagement réciproque
de Dieu envers l'homme ; — de là des
obligations — et des avantages. . . 73
Sect. IV. Le vœu est une promesse d'un acte
meilleur. — Quels actes l'on peut vouer
à Dieu 82
— 308 —
Art. ii. — Sect. T. Le vœu est un acte de la vertu
de religion, il appartient au sacrifice,
— il fait communiquer spécialement à
celui de Jésus-Christ 82
Sect . 17. De la vertu de religion , vertu propre des
religieux, — sa définition, — significa-
tion du mot religion. — Notre dette
envers Dieu. — La vie religieuse dans
ses détails. — L'essence de l'esprit reli-
gieux. — Le véritable exercice de la
vertu de religion. — C'est une vertu
morale et non théologale. — On honore
Dieu par la foi, l'espérance et la charité.
— Le nom de religieux 84
Sect. III. De la dévotion — substantielle, — acci-
dentelle 96
Sect. IV. De la sainteté comparée à la religion.
— Ses deux éléments , — ses degrés,
— ses moyens, — spécialement dans
l'état religieux .109
Art. m. — Du lien et de l'obligation du vœu. —
Peut-on vouer une chose légère sous
peine de péché grave ? — Du vœu
d'observer les règles, — d'éviter les
péchés véniels 115
De la cessation du vœu, — par impos-
sibilité,—par annulation,— par dispense,
— par commutation. — Qui a le pou-
voir de dispenser des vœux , de les an-
nuler ? — Du religieux qui force l'au-
torité à le délier de ses vœux et à l'ex-
clure. — Du droit de commuer soi-
même un vœu 117
— 309 —
CHAP. II. — De l'excellence des vœux de religion et
de l'état de perfection 122
Art. i. Excellence des vœux de religion. . . . 122
Sect. I. Différentes espèces de vœux , — supério-
rité de ceux de religion sur tous les
autres 122
Sect. II. Des conseils évangéliques ; — - ils sont
de deux espèces. — Peut-on vouer la
pauvreté , la chasteté et l'obéissance
sans être religieux ? — Du vœu d'entrer
en religion 124
Sect. III. La profession religieuse comparée au
baptême. — Rémission des péchés.
— Mort du vieil homme. — Vie nou-
velle 120
Sect. IV. La profession religieuse comparée au mar-
tyre, — triple martyre du religieux, —
martyre du crucifiement 133
Art. ii. De l'état religieux , état de perfection. . .140
Sect. I. Signification du mot état. — Différence
d'un état et d'un office. — - États divers. 1 40
Sect. H. Mérite propre de l'état religieux. — Le
dévouement à Dieu dans cet état. —
Objection faite aux religieux de fuir les
difficultés de la vie ordinaire. — Deux
sortes de difficultés. — Le mérite est
plus dans le bien que dans le difficile.
— L'état religieux est très-propre à
ceux qui veulent faire pénitence. . .142
Sect. IIÎ. Condition essentielle du mérite dans l'état
religieux 447
— 310 —
Sect. IV. L'approbation de l'Église, nécessaire à
un institut religieux. — En quoi elle
consiste. — A qui il appartient de la
donner. — Del'approbationduSaint-
Siège et de ses effets. — Conséquences
pratiquesdel'approbationpourle reli-
gieux, — pour tout fidèle. . . . 441)
Art. ni. De la perfection. ...,,.., 455
Sect. I. La perfection de la vie chrétienne est
substantiellement selon la charité, et
accidentellement selon les autres ver-
tus. — Définition de la charité, —
sonmotifunique. — sondouble objet. 456
Sect. II. Du premier objet de la charité ou de
l'amour divin. — L'amour en général.
— L'amour de Dieu, — ses quatre
dénominations. — La charité est dans
la volonté, non dans l'appétit sensitif. 4 59
Sect. III. De la perfection de l'amour divin. —
Une créature peut-elle aimer Dieu
parfaitement? — Trois sortes de per-
fections dans l'amour que l'homme
peut avoir pour Dieu. — Perfection
de l'amour divin, considérée dans son
acte. —Exposition du grand comman-
dement. — On l'accomplit parfaite-
ment et imparfaitement. — Aimer
Dieu totalement, c'est-à-dire tout ce
qui est de Dieu et à Dieu. ... 463
Sect. IV. Des effets de l'amour divin : Effets inté-
rieurs — extérieurs. .... 473
Sect. V. Du second objet de la chanté, ou de l'a-
mour du prochain. —L'acte par lequel
— 311 —
on aime Dieu et le prochain est le
même acte de charité. — Est-il plus mé-
ritoire d'aimer Dieu que d'aimer le pro-
chain? — Exposition du commande-
ment de l'amour du prochain. — Triple
perfection de cet amour 178
Scct. VI. Des accroissements de la charité. —
Ils dépendent de Dieu , non de la vertu
naturelle de l'homme. Il faut cepen-
dant notre coopération. — La charité
peut croître jusqu'à la mort. — Elle
peut croître indéfiniment. — S'accroit-
elle à chaque acte que l'on en fait ? —
Direction à suivre pour croître dans la
charité , selon qu'on commence, qu'on
avance ou qu'on arrive à quelque per-
fection 184
Sect. VII. De la diminution et de la perte de la cha-
rité. — Sur les péchés des religieux. . 192
Sect. VIII. De la charité dans ses rapports avec
les autres vertus. — Elle en est la
forme. — Sans elle point de vertu
véritable. — Elle en est la mère, —
c'est elle qui conçoit leurs actes et les
met au jour. — Elle en est le fonde-
ment. — De quelle manière l'humilité ,
la foi et la charité sont le fondement des
vertus. — Elle en est le lien , qui les
assemble et les retient toutes dans une
unité parfaite. — Elle en est la fin ,
toutes lui servant à sa fin propre , —
spécialement les trois que consacrent les
vœux de religieux 198
— 312 —
Art. iv. — Des moyens de perfection qui se trou-
vent dans l'état religieux 205
Sect . T. Moyens de premier ordre , les trois vœux
de religion 205
Sect. IL Moyens de second ordre, les règles. —
Qu'est-ce qu'une règle? — ■ Sa qualité
essentielle est d'être droite , — ses
deux fonctions , diriger et corriger, —
la Bègle d'un institut , — les règles.
— L'exercice des vertus selon les règles.
— L'obligation de tendre à la perfection
par l'observation des règles. ... 212
Art. v. Les vœux de religion se font selon la règle
de chaque institut. — Divers degrés
dans la perfection religieuse. — De la
perfection personnelle et de ses accrois-
sements 248
Art. vi. — Comparaison des divers états qni sont
dans l'Église relativement à la perfec-
tion, — Distinction des états, des offi-
ces et des degrés. — Question inci-
dente : — les religieux sont-ils de la
hiérarchie ? — - Double hiérarchie , celle
de droit divin et celle de droit ecclésias-
tique. — Celle-ci se divise en deux
espèces , la hiérarchie principale et
générale , — et la spéciale hiérarchie
des réguliers. — Fonctions du clergé
régulier dans l'Église 220
CIIAP. III. — Des diverses sortes de vœux de reli-
gion , .... 227
- 313 -
Art. i. De l'état religieux en général et des insti-
tuts en particulier 2?7
Art. ii. De la variété des instituts religieux. . . 230
Sect. I. Les causes de cette variété
Sect. II. Trois espèces principales, selon qu'on y
mène la vie contemplative, la vie active,
ou la vie mixte; — comparaison entre
elles 232
Art. m. Des vœux solennels et simples, perpé-
tuels et temporaires de religion; — com-
pensation que l'on peut trouver dans
une vocation inférieure. — De l'admis-
sion aux vœux de religion, — trois con-
ditions principales pour leur validité. —
De la durée du noviciat 235
Art. iv. Du désir qui peut venir à un religieux de
passer à un autre institut 239
Art. v. De l'estime et de l'amour de sa propre
vocation 242
CHAP. IV. — Des vertus qui font l'objet des trois
vœux de religion 246
Art. i. Différences qui existent entre le vœu et la
vertu. — Des religieux qui, après avoir
fait le vœu, négligent la vertu, — trois
classes de religieux dans les commu-
nautés 246
Art. ii. Des obligations qui, outre celle des vœux,
résultent de la profession religieuse. . 252
Sect. I. Quelles sont ces obligations ? .... 253
Sect. II. Des devoirs delà fraternité religieuse. . 2r34
— 314 —
Sect. HT. Du détachement évangélique à l'égard
des parents 259
SECONDE PARTIE.
DES TROIS VOEUX DE RELIGION EN PARTICULIER.
CHAP. I. — De la pauvreté religieuse 267
Art. i. Deux principes sur la pauvreté évangélique. 267
Sect. I. 1° Elle attaque la cupidité , qui est le
premier ennemi du salut et de la per-
fection 267
Sect. II. 2° Elle est le mur de la religion. . . 270
Art. ii. Du vœu de pauvreté 276
Sect. I. Ce vœu considéré dans le religieux qui le
'fait. Il interdit le droit de posséder, ou
pour le moins celui de disposer libre-
ment des biens temporels; — sa matière
et son étendue diffèrent selon les divers
instituts. — Sa violation. — De la per-
mission qui empêche cette violation. . 277
Sect. II. Influence de ce vœu sur la pauvreté
commune à tout un ordre, — ses diffé-
rences, — ses degrés de perfection. . 280
Art. ni. De la vertu de pauvreté , — à quoi elle
oblige , même en dehors du vœu. — De
l'affection déréglée pour les objets
temporels. — Des superfluités. — De la
vie commune. — Des pécules. — De
la distribution des biens dont se dé-
pouille le religieux. — La pratique et
les degrés de perfection de la vertu de
pauvreté 284
— 315 —
CI1AP. II. — De la chasteté religieuse. — Le vœu
et la vertu. — Les moyens de la con-
server intacte, — ses avantages. . 290
CHAP. III. — De l'obéissance religieuse. . . . 292
Art. i. Divers principes sur l'obéissance en géné-
ral 292
Art. h. L'obéissance comparée aux autres vertus. 293
Art. m. Du vœu d'obéissance, — sa supériorité
surlesdeux autres, — à quoi il oblige.
— Des simples injonctions des supé-
rieurs. — De l'obligation des règles.
— De la discipline religieuse. — Dé-
fauts contre l'obéissance. — La per-
fection de cette vertu et ses trois
degrés. . . , 297
Art. iv. De l'ouverture de conscience au Supé-
rieur et de la Direction 300
Art. v. Conclusion. — Jésus-Christ Notre-Seigneur
règle vivante et parfaite de l'obéissance. 303
POITIERS. — TYPOGRAPHIE OUDIN.
mâM
as
i-^v
«si
>^^-'
%
■-.- >#a
*»&r
*K§8K
m
^TT-^ ucs
BX 2437 .C64 1889
SMC
Cote 1 , Pierre,
1800-1884.
Les principes de
re 1 i gieuse : ou,
AZI-2664 (mcih)
a vie
Mfpg
K
:.r:'3
K r
m
uw
ms&
ï<
'.•vj