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Full text of "Les prophéties et leur accomplissement littéral : tel qu'il résulte surtout de l'histoire des peuples et des découvertes des voyageurs modernes"

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lisai  XaXI/.  11.        Jeremie  XLIX.   10      E  lechiol,  XXXV.  3  , 

TIIJIK  FIEIISIE  B'îSIL   ÎTa.2£:E  ffi/IE  l^ZX  ILlàuffiS  AU  SUIE'   ISÏÏJ  MÎ^ÏÏMT  ffi'S' 

VIEW  TAKEN  FRBMJEL  N.'.KÎ  .i;:."   ;..?,.'-';  Jr  ES   fiOHTTH    OF   MOUNT   HOR 


LES  PROPHETIES 


£T 


LEUR  ACCOMPLISSEMENT  LITTÉRAL, 

TEL  qu'il  RÉSULTE  SURTOUT 


?. 


DE  L  HISTOIRE  DES  PEUPLES 
ET  DES  DÉCOUVERTES  DES  VOYAGEURS  MODERNES 

Par  LE  D^  a.  KEITH. 

TRADUIT  DE  l'ANGLAIS  SDR  LA  QUINZIÈME  ÉDITION. 
Opinionum  commenta  dies  delet,  naturae  judicia  confirmât.  Cicero. 


PARIS, 

CHEZ  J.-J.  RISLER,  LIBRAIRE, 

BUE    BASSE-DU-REMPAKT,  62, 
Boulevard  de  la  Madeleine. 

1838 


TABLE  DES  CHAPITRES 

CONTENUS   DANS    CE   VOLUME. 


Pages 

Introduction.  1 

Chap.  I.  Prophéties  concernant  Ninive.  IT 

IL  Prophéties  concernant  Babylone.  ^^ 

III.  Prophéties  concernant  Tyr.  108 

IV.  Propliéties  concernant  l'Egypte.  114 
V.  Les  Arabes.  121 

VI.  Esclavage  des  Africains.  —  Colonies  euro- 
péennes en  Asie.  125 

Vil.  Des  prophéties  sur  la  destruction  de  Jéru- 
salem. 129 
VIII.  Prédictions  relatives  aux  Juifs.  149 

IX.  Prophéties  concernant  la  Judée  et  les  con- 
trées adj  acentes .  176 
X.  Prophéties  concernant  Ammon.  230 

XL  Prophéties  concernant  Moab.  236 

XII.  Prophéties  concernant  Édom  ou  ridumée.  247 

XIII.  Prophéties  concernant  la  Philistie.  298 

XIV.  Prophéties  concernant  le  Christ  et  la  reli- 

gion chrétienne.  311 

XV.  Prophéties   concernant  les  sept  Églises 

d'Asie.  350 

Conclusion,  367 


rwy 


lABLE  DES  GRAVURES 

CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Pages 

Vue  prise  d'El  Nakb,  de  six  lieues  au  sud  du  mont 

Hor.  (  Frontispice.  ) 

Vue  des  ruines  de  Babylone.  84 

Vue  de  Birs  Nimrod.                                          -  92 

Idem,             prise  du  nord.  94 

Vue  de  Mujélibé.  98 

Vue  générale  de  Pétra,  prise  du  nord-est.  268 

Intérieur  d'un  tombeau.  272 

Ruines  d'un  temple.  276 

Vue  d'une  colonne  isolée,  prise  dans  Ouadi  Mousa.  278 

Ruines  d'un  arc  de  triomphe.  Ibid, 

Tombeau  avec  une  inscription  latine.  280 

Tombeau  corinthien.  Ibid. 


L'ouvrage  de  M.  le  docteur  Keith  sur  les  Pro- 
phéties est  déjà  connu  en  France  par  un  abrégé 
dont  on  a  publié  trois  éditions  en  peu  d'années  ^ 
Ce  petit  volume  a  été  accueilli  de  la  manière  la 
plus  favorable ,  et  nous  aimons  à  penser  qu'il  n'a 
pas  été  sans  quelque  utilité  ;  cependant  l'extrême 
importance  du  sujet ,  l'étendue  et  la  variété  des 
recherches  du  pieux  et  savant  auteur,  et  le  grand 
nombre  de  faits  intéressants  qu'il  a  recueillis  5 
n'ont  pu  être  que  très  imparfaitement  présentés 
dans  de  si  étroites  limites. 

En  publiant  aujourd'hui  l'ouvrage  entier,  nous 
croyons  faire  une  chose  agréable  à  ceux  qui  dé- 
sirent s'enquérir  avec  plus  de  soin  et  de  détail 
des  événements  qui  ont  servi  a  l'accomplissement 
littéral  des  prophéties,  et  qui  veulent  étudier 
dans  leurs  rapports  mutuels  les  livres  de  l'Écrî- 

(1)  Les  deux  premières  éditions  ont  paru  sous  ce  titre  :  Évidence 
des  Prophéties^  etc.,  et  la  dernière  sous  celui  de  Volney  attestmiû 
l'accomplissement  des  Prophéties^  aiCr 


M    

lure-Sain  le  el  lliisloire  du  gouvernemenl  deDieu. 
Nous  sojumes  persuadés  aussi  que  celle  traduc- 
tion con]]>lète  sera  bien  accueillie  par  beaucou[» 
de  cliréUens  (pii  se  féliciteronl  de  pouvoir  mettre 
entre  les  inains  des  hommes  qui  se  livrent  h  la 
recliercîjc  de  la  vérité ^  de  ceux  qui  sont  encore 
indécis,  et  de  ceux  mêmes  qiii  se  montrent  plus 
ou  moins  hosliles  au  christianisme,  quelques-unes 
des  preuves  les  plus  frappantes  de  sa  divine  ori- 
gine. Non-seulement  ils  regarderont  cet  excellent 
ouvrage  comme  une  bonne  acquisition  pour  eux- 
mêmes,  mais  encore  ils  en  favoriseront  la  circu- 
lation de  tout  leur  pouvoir. 

Un  fait  qui  en  dit  plus  que  tous  les  éloges,  sur 
la  haute  opinion  qu'on  a  en  Angleterre  du  livre 
de  M.  le  docteur  Keith,  c'est  qu'il  y  est  déjà  ar- 
rivé à  sa  seizième  édition,  et  qu'il  s'en  est  vendu 
dans  ce  pays  plus  de  quarante  mille  exemplaires, 
indépendamment  de  plusieurs  éditions  tirées  a 
grand  nombre,  qu'on  a  publiées  aux  États-Unis. 
L'édition  abrégée  a  en  outre  été  imprimée,  non- 
seulement  en  anglais  et  en  français,  mcâs  aussi  eu 
allemand  et  en  italien. 

La  traduction  complète  que  nous  en  publions 
aujourd'hui  a  été  faite  sur  la  quinzièiiie  édition 
de  l'ouvrage  original.  Ce  volume  est  e:inchi  d'un 
assez  grand  nombre  de  planches.  M.  Léon  de  La»^ 
borde  a  bien  voulu  permettre  à  réditeur  de  faire 
copier  plusieurs  de  celles  que  renferme  son  utile 


—  vii  — 

et  magïîifique  ouvrage  sur  FArabie-Pétrée.  Elles 
aideront  beaucoup  à  comprendre  les  descriptions 
de  cette  contrer^ .  dont  les  prophètes  ont  prédit 
ce  qucp  de  nos  jours^  les  voyageurs  en  racontent. 
Nous  croyons  pouvoir  ap[)liquer  à  cette  tra- 
duction les  premtferes  lignée  de  la  préface  que  le 
modeste  auteur  a  mise  en  tête  de  la  première  édi 
tion  de  son  livre  :  «  Nous  offrons  ces  pages  au 
«  public 5  lans  Fespérancc  que  peut-être  elles  ne 
«  seront  pas  sans  produire  quelque  bien.  » 


INTRODUCTION. 


11  n'est  point  de  sujet  d'étude  plus  important 
pour  le  chrétien 5  pour  l'incrédule  lui-même, 
qu'une  recherche  sincère  des  preuves  du  chris- 
tianisme. En  effet  5  si  l'incrédule  est  de  bonne  foi , 
s'il  n'a  d'autre  but  que  la  connaissance  de  la  vé- 
rité ,  comment  pourrait-il  contester  l'obligation 
où  il  est  d'examiner  à  fond  les  prétentions  du 
christianisme  k  une  origine  divine?  Comment 
pourrait-il  se  complaire ,  se  reposer  tranquille- 
ment dans  son  incrédulité  5  sans  courir  le  danger 
de  la  plus  fatale  de  toutes  les  erreurs  ^  s'il  n'a  pas 
auparavant  pesé  les  arguments  que  Ton  produit 
en  faveur  de  cette  religion  qu'il  repousse  ?  — 
Fournir  la  preuve  d'une  proposition  négative  est, 
on  le  sait  ^  chose  difficile  ;  et  cette  preuve  n'est 
d'ailleurs  admissible  en  aucun  cas  ^  si  avant  tout 
on  n'a  complètement  anéanti  les  preuves  de  la 
proposition  affirmative.  C'est  donc  ce  qu'on  est 
tenu  de  faire  avant  d'entreprendre  de  prouver  la 
fausseté  du  christianisme.  Sans  ce  premier  exa- 
men, et  si  l'on  n'y  a  apporté  tout  le  soin  et  toute 
la  bonne  foi  quai  exige,  rien  ne  garantit  que  tou- 
tes les  assertions  gratuites,  toutes  les  inductions 
d'analogie,  tous  les  raisonnements  hypothétiques 
qui  paraissent  militer  contre  la  vérité  de  la  reli- 
gion ne  soient  complètement  erronés;  et  quand 
même  ils  tendraient  à  exciter  quelques  doutes 
passagers,  toujours  est41  qu'ils  ne  peuvent  jqs- 

i 


2  IMKODIICTIOIV. 

liiier  unv  inciédulilé  arrêtée.  Unis  à  une  vue 
fausse  el,  bornée  de  la  nature  j  éelle  de  la  relif^ion 
elirétienne,  ils  jîeuvent  opérer  une  sorte  de 
eonvielion;  mais  cette  conviction  n'(^st  lii  consé- 
quente ni  rationnelle:  cen'estcju'uncî  a])j)lication 
vicieuse  de  ce  qu'on  appelle  la  liberté  de  jjcnser. 
l.e  christianisme,  loin  de  décliner  l'autorité  de  la 
raison ,  ne  demande  qu'a  lui  soumettre  ses  doc- 
trines; il  sollicite,  il  commande  la  critique  la 
plus  sévère,  et  si  l'incrédule  est  fidèle  à  ses 
propres  principes ,  cette  critique  devient  pour  lui 
un  devoir  auquel  il  ne  peut  se  soustraire;  s'il  se 
sent  ferme  dans  son  incrédulité ,  pourquoi  recu- 
lerait«il  devant  la  nécessité  de  cet  examen?  Si  la 
vérité  est  son  but ,  pourquoi  repousserait-il  les 
moyens  d'y  arriver?  Ce  défi ,  la  religion  ne  craint 
pas  de  le  porter  à  ses  adversaires;  quiconque  le 
refuse  ou  cherche  à  l'esquiver  ne  peut  se  donner 
ni  pour  un  champion  de  l'incrédulité,  ni  pour  un 
ami  de  la  vérité  et  de  la  sagesse. 

Quant  au  chrétien ,  ce  sujet  n'a  pour  lui  ni 
moins  d'importance  ni  moins  d'intérêt.  L'apathie 
qui  se  remarque  aujourd'hui  chez  tant  de  chré- 
tiens de  nom  est  souyent  mise  en  parallèle  avec 
le  zèle  et  la  ferveur  de  ceux  qui  les  premiers  se 
soumirent  a  la  foi.  L'influence  morale  de  la  reli- 
gion chrétienne  n'est  ni  ce  qu'elle  a  été  ni  ce 
<ju'elle  devrait  être.  A  quoi  attribuer  cette  dn^'fë- 
rence  dans  les  dispositions  de  ceux  qui  en  font 
profession,  si  ce  n'est,  en  grande  partie,  à  une  im- 
pression plus  faible  ,  à  une  conviction  moins  vive 
de  sa  vérité?  Les  premiers  convertis,  ceux  €|ui 
avaient  été  témoins  des  miracles  du  Seigneur  et 
de  ses  apôtres,  qui  avaient  entendu  de  leurs 
bouches  mêmes  les  doctrines  divines ,  ceux  aussi 
qui  en  avaient  reçu  la  tradition  immédiate  des  pre- 
miers 5  et  qui  pouvaient  comparer  eux-mêmes  les 


INTRODUCTION.  3 

ténèbres  morales  dont  ils  sortaient  avec  la  lu- 
mière merveilleuse  de  rÉvangile ,  fondaient  leur 
foi  sur  révidence;  ils  sentaient  en  eux  la  plus 
ferme  conviction  de  la  vérité;  leurs  ennemis 
mêmes  rendaient  témoignage  à  leurs  vertus  ;  ils 
vivaient  et  mouraient  dans  cette  espérance  de 
l'immortalité  ,  dans  cette  certitude  d'une  vie  fu- 
ture que  leur  inspirait  la  nouvelle  religion.  Entre 
cet  état  de  choses  et  ce  qui  se  passe  aujourd'hui 
sous  nos  yeux  ^  la  différence  n'est  malheureuse- 
ment que  trop  frappante.  En  général,  la  manière 
dont  vivent  ceux  qui  se  disent  chrétiens^  non-seu- 
lement a  cessé  d'être  une  confirmation  de  la  vé- 
rité du  christianisme ,  mais  encore  fournit  des 
armes  aux  incrédules  qui  l'attaquent.  La  religion 
et  la  nature  humaine  ne  sont  pas  autres  qu'elles 
n'étaient  quand ,  pour  la  première  fois ,  des  hom- 
mes prirent  le  titre  de  chrétiens ,  et  dans  un  temps 
où  ceux  qui  croyaient  en  Christ  ne  déshonoraient 
pas  son  nom  ;  mais  alors  on  avait  bien  plus  qu'une 
croyance  passive  ^  bien  plus  qu'une  croyance  in- 
différente à  tout  examen  ;  on  savait  en  qui  l'on 
croyait,  on  sentait  le  pouvoir  vivifiant  de  chacune 
des  vérités  dont  on  faisait  profession.  La  même 
cause  produirait  encore  aujourd'hui  les  mêmes 
effets;  de  la  même  foi,  établie  sur  la  raison  et  sur 
la  conviction,  résulteraient  encore  la  même  paix, 
la  même  joie  et  tous  les  autres  fruits  qui  l'accom- 
pagnent. Employer  tous  les  moyens  propres  à 
effacer  cette  distinction  entre  une  foi  purement 
extérieure  et  une  foi  réelle,  c'est  là  un  devoir  pour 
tous  ceux  qui  font  profession  de  croire  à  l'Evan- 
gile; ils  doivent  chercher,  examiner ,  «  éprouver 
«  toutes  choses  et  se  tenir  à  ce  qui  est  bon ,  » 
et ,  selon  l'avis  de  Pierre  l'apôtre ,  «  être  tou- 
«  jours  prêts  à  répondre  à  tous  ceux  qui  leur 
«demandent  raison  de  l'espérance  qu'ils  ont.» 


4  INTUODUCTION. 

IN)ur  le  clirétien  sincere,  ce  doit  toujours  e^re 
un  objet  de  la  plus  haute  importance  (jue  d'ap- 
prolbndir  les  niotils  de  ses  saintes  espérances; 
plus  il  les  étudiera,  plus  il  s'affermira  dans  sa 
croyance.  L'instruction  est  le  fruit  des  efforts  de 
Tesprit,  l'aliment  et  le  festin  de  l'âme.  Dans 
tout  ce  qui  tend  à  l'instruction ,  plus  la  matière 
des  recherches  auxquelles  on  se  livre  est  d'un 
ordre  élevé,  plus  l'intérêt  doit  être  profond, 
plus  on  doit  apporter  d'ardeur  dans  ses  investi- 
gations, plus  enfin  la  vérité  qu'on  découvre  doit 
sembler  d'un  prix  infini.  Donc  un  genre  d'instruc- 
tion qui  se  rapporte  immédiatement  à  l'intérêt  de 
notre  âme,  qui  tend  à  rehausser  notre  nature  mo- 
rale ,  à  agrandir  la  sphère  des  idées  religieuses 
de  l'homme,  qui  appartient  a  l'éternité;  une  in- 
struction qui  ne  conduit  pas  seulement  à  la  con- 
templation des  œuvres  du  grand  Architecte  de 
Tunivers  ,  mais  qui  conduit  aussi  à  la  découverte 
d'une  révélation  irréfragable  de  sa  volonté  et 
des  moyens  de  lui  plaire,  ah !'  sans  doute ,  c'est 
là  «  un  trésor  qu'un  homme  a  trouvé  dans  un 
«  champ ,  et  qui  vend  tout  ce  qu'il  a  pour  s'en 
((  rendre  maître.  » 

Oui ,  c'est  un  véritable  délice  que  de  voir  tous 
les  doutes  s'évanouir  devant  la  démonstration 
positive  de  la  vérité  du  christianisme  ;  de  sentir 
au-dedans  de  soi  cette  conviction  de  sa  certitude 
qu'il  n'est  pas  au  pouvoir  de  l'incrédulité  d  inspi- 
rer a  ses  adeptes;  et  d'embrasser,  par  rapport  à 
la  foi,  cette  assurance  qui,  tant  pour  les  espé- 
rances qui  l'accompagnent  que  pour  les  preuves 
sur  lesquelles  elle  s'appuie,  est  si  supérieure  à 
l'inc[uiétude  continuelle  et  aux  doutes  désolants 
de  l'incrédulité.  Loin  d'être  un  pur  préjugé  de 
l'éducation,  que  la  plus  légère  attaque  peut  af- 
faiblir ,  la  croyance  ainsi  fondée  sur  la  raison  est 


INTRODUCTION.  5 

désormais  fixe  et  inébranlable;  tous  les  sar- 
casmes des  railleurs,  toutes  les  objections  des 
incrédules  glissent  alors  sur  l'âme;  ils  reflleu- 
rent  à  peine ,  ils  y  laissent  aussi  peu  de  trace  que 
l'écume  de  la  yague  sur  le  rocher  qui  brise  son 
impuissant  courroux. 

En  offrant  au  lecteur  quelques  remarques  pré- 
liminaires ayant  d'aborder  plus  particulièrement 
le  sujet  des  prophéties ,  on  ne  saurait  dire  que 
peu  de  chose  sur  I'eyidence  si  étendue  et  si  variée 
de  la  divinité  du  christianisme.  Nous  serions 
fâchés  que  l'on  put  croire  qu'en  faisant  choix 
d'une  portion  quelconque  de  cette  évidence, 
nous  voulussions  affaiblir  en  rien  le  reste.  Les 
moyens  d'une  conviction  positive  sont  très  abon- 
dants :  Newton ,  Bacon ,  et  Locke ,  qui  sont  tous 
arrivés  au  plus  haut  degré  de  certitude  dans  la 
science  humaine ,  et  qui  y  sont  tous  arrivés  par 
des  routes  jusqu'alors  inconnues ,  ont  pu  trouver 
dans  le  christianisme  de  quoi  satisfaire  complè- 
tement aux  besoins  de  leur  intelligence.  Il  est 
impossible  de  rendre  l'évidence  intérieure  plus 
forte.  Dans  les  Actes  des  Apôtres  on  trouve  à  cha- 
que pas  des  coïncidences  qui,  n'ayant  point  été 
préparées  à  dessein,  deviennent  autant  de  preu- 
ves de  l'authenticité  des  faits  que  ce  livre  raconte. 
Est-on  jamais  parvenu  à  enseigner  une  morale 
plus  pure  ,  des  préceptes  plus  saints ,  à  offrir  des 
motifs  plus  puissants  que  ceux  que  l'Evangile 
propose  au  cœur  de  l'homme  ?  A-t-il  jamais  paru 
un  système  de  religion  qui  lui  soit  comparable  ? 
Pourrait-on  même  en  concevoir  un  qui  fut  mieux 
adapté  aux  besoins  et  à  la  nature  d'un  être  dé- 
chu et  coupable  ,  et  qui  cependant  est  doué  d'une 
raison  et  de  facultés  qui  le  rendent  capable  de 
comprendre  et  d'embrasser  une  religion  divine? 
Ensuite  les  miracles  que  l'Evangile  raconte  sont 


<>  IMHODl'CriON. 

(le  natmo  à  exclure  lonle  idée  de  fraude  (mi  (Tar- 
tilice  :  faits  en  |>rés(Mice  d'une  niullilude  de  \h}\- 
sonnes,ils  |)rouvaient  en  niènu^  leni|)s  la  eoin- 
passion  d'uïi  Sauveui*  et  la  puissance  d'un  Dieu  ; 
il  était  impossible  que  les  disciples  du  Cliiist 
fussent  tr()nij)és:  cux-niémes  ils  reçurent  le  don 
des  lanf^ues,  le  don  de  prophétie,  et  le  pouvoir 
d'opérer  des  miracles;  toute  leur  carrière  fut 
consacrée  k  la  propagation  du  christianisme ,  quoi- 
qu'en  opposition  k  tous  leurs  intérêts  humains  ;  et 
malgré  toutes  les  souffrances  auxquelles  leurs 
efforts  les  exposaient,  la  religion  chrétienne  se 
répandit  avec  rapidité  sur  toute  la  surface  de 
l'empire  romain  et  même  au-delk  de  ses  limites. 
Nous  possédons  encore  le  témoignage  écrit  de 
plusieurs  de  ceux  qui ,  d'abord  prosélytes  de  ces 
doctrines,  devinrent  plus  tard  les  martyrs  de 
leur  foi;  et  les  ennemis  les  plus  acharnés  de 
l'Evangile,  obligés  d'admettre  l'existence  des  mi- 
racles ,  pour  être  d'accord  avec  eux-mêmes ,  les 
attribuent  a  l'influence  des  esprits  malins.  Cepen- 
dant on  méprise  toutes  ces  preuves  ;  on  les 
rejette  parceque  des  siècles  se  sont  écoulés ,  et 
parceque  leur  témoignage  vient  k  l'appui  de 
faits  miraculeux.  Il  est  vrai  que  l'on  a  répondu  k 
toutes  ces  objections  générales  faites  contre  le 
christianisme  ;  toutefois ,  on  peut  encore  les  citer 
comme  servant  de  confirmation  aux  preuves 
fournies  par  l'accomplissement  des  prophéties. 
L'accomplissement  des  paroles  prophétiques 
offre  cette  évidence  que  les  ennemis  du  christia- 
nisme demandent;  évidence  qui  s'applique  au 
temps  présent,  qui  ne  dépend  du  témoignage 
de  personne ,  qui  est  k  la  portée  de  tout  esprit 
sérieux  ou  investigateur.  Les  événements  passés, 
présents ,  futurs ,  se  réunissent  pour  attester  sa 
vérité  ;  chaque  siècle  semble  lui  apporter  le  tribut 


INTRODUCTION.  7 

(le  son  éclataiit  témoignage   et   ne  servir  qu'à 
l'asseoir  sur  des  bases  plus  larges  et  plus  solides. 

Ainsi^  en  même  temps  que  l'on  résistait  à  la  force 
de  révidence  intérieure  du  christianisme  et  que 
Ton  rejetait  une  conviction  fondée  sur  la  foi  aux 
miracles,  on  laissait  de  côté,  et  même  sans  exa- 
men, les  prophéties,  comme  étant  d'une  nature 
trop  vague  pour  pouvoir  trouver  leur  application 
soit  à  l'histoire  ancienne,  soit  à  l'histoire  moderne. 
Pourtant  un  rapide  coup  d'œil  jeté  sur  les  pro- 
phéties de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 
suffira  tout  d'abord  pour  réfuter  cette  conclusion 
tirée  avec  tant  de  légèreté.  Vues  k  part ,  quel- 
ques-unes des  prophéties  peuvent,  il  est  vrai, 
paraître  obscures  ;  mais  dès  qu'on  les  envisage 
toutes  comme  un  ensemble ,  le  lecteur  le  plus 
indifférent  ne  peut  qu'être  frappé  de  l'harmonie 
qui  existe  entre  elles ,  et  de  leur  complète  adapta- 
tion aux  faits  qu'elles  annoncent;  et  il  lui  faudra 
bientôt  reconnaître  qu'elles  portent  l'empreinte 
de  l'Esprit  divin  qui  les  a  dictées. 

Plusieurs  prophéties  sont  aussi  positives  et  aussi 
directes  qu'il  est  possible  de  l'être.  En  sorte 
que,  si  l'histoire  rend  témoignage  de  leur  accom- 
plissement, de  leur  côté,  elles  viennent  souvent 
lui  servir  de  commentaire,  comme  nous  le  verrons 
dans  la  suite  de  cet  ouvrage.  Si  la  partie  proplié- 
tique  des  Ecritures  qui  se  rapporte  aux  commen- 
cements et  aux  chutes  des  empires  avait  été  plus 
claire  qu'elle  ne  l'est,  on  aurait  pu  craindre  son 
influence  sur  le  libre  arbitre  de  l'homme;  elle 
serait  ainsi  devenue  un  instrument  entre  les  mains 
des  gens  pervers,  tandis  que  les  peuples  n'auraient 
vu  dans  les  prédictions  qu'elle  renferme  qu'une 
simple  communication  des  événements  futurs.  Au 
lieu  donc  de  servir  d'appui  au  christianisme,  les 
prophéties,  par  l'unité  qu'elles  auraient  donnée 


8  INTRODUCTION. 

aux  efforts  dos  chrétiens  ,  auraient  été  rcf^arclées 
comme  la  cause  même  de  l'accomplissement  des 
fails  (jn'elle  annonçaient.  L'incrédule  aurait  pos- 
sédé par  cela  même  une  arme  puissante  contre»  le 
cliristianisme. 

Ce  n'est  donc  que  dans  des  cas  où  un  pareil  abus 
est  impossible^  ou  bien  dans  ceux  où  les  agents  de 
l'accomplissement  de  la  prédiction  doivent  en 
ignorer  l'existence,  que  le  prophète  emploie  un 
langage  aussi  clair  et  aussi  positif  que  celui  de 
l'historien.  Partout  où  la  connaissance  des  événe- 
ments futurs  aurait  pu  être  préjudiciable  à  la  puis. 
et  au  bonheur  du  monde,  la  prophétie  prend  la 
forme  d'une  allégorie,  qui  ne  saurait  être  expli- 
quée que  par  son  accomplissement;  ce  n'est  qu'a- 
lors que  l'on  parvient  à  saisir  toutes  les  nuances, 
tous  les  points  lumineux,  toutes  les  ombres  du  ta- 
bleau. Il  est  donc  nécessaire  que  dans  bien  des 
occasions  la  prophétie  soit  d'abord  entourée  de 
mystère  et  de  ténèbres ,  tout  en  portant  en  elle- 
même  la  lumière  qui  doit  tôt  ou  tard  dissiper  tous 
les  doutes  ;  et  de  même  que  la  prophétie  ne  sau- 
rait devenir  une  évidence  de  la  divinité  du  chris- 
tianisme avant  que  l'événement  en  ait  prouvé 
l'accomplissement,  de  même  elle  peut  rester  ob- 
scure jusqu'à  ce  que  l'histoire  en  devienne  l'in- 
terprète ,  et  même  jusqu'à  ce  que  toutes  les  pré- 
dictions qui  s'y  rattachent  aient  été  également 
accomplies. 

Nous  nous  contenterons,  dans  les  pages  suivan- 
tes, de  réfuter  l'objection  générale  et  presque  la 
seule  que  l'on  avance  contre  l'évidence  fournie 
par  les  prophéties ,  savoir  qu'elles  sont  vagues  et 
d'un  sens  ambigu.  Nous  ne  saurions  mieux  y  répon- 
dre qu'en  présentant  au  lecteur  une  simple  analyse 
des  prédictions  si  précises ,  si  nombreuses ,  qui 
ont  déjà  reçu  un  accomplissement  littéral. 


!?iitRODUCïION.  y 

Peu  de  mots  suffiraient  pour  exjposer  la  nature 
de  l'évidence  fournie  par  les  prophéties.  On  ne 
saurait  nier  que  leur  origine  ne  soit  divine.  Elles 
équivalent  à  un  miracle  puisqu'elles  sont  en  elles- 
mêmes  miraculeuses.  L'un  des  attributs  les  plus 
incompréhensibles  de  la  Divinité  consiste  dans  sa 
connaissance  des  actions  futures  d'êtres  libres  et 
intelligents;  cet  attribut  est  exclusivement  une 
perfection  divine.  Le  passé,  le  présent ,  l'avenir, 
sont  également  visibles  pour  l'œil  de  Dieu;  sa  vue 
si3ule  peut  les  sonder ,  et  on  ne  trouverait  nulle 
part  une  preuve  plus  frappante  de  l'intervention 
du  Très-Haut  que  celles  que  fournissent  les  pro- 
phéties. Aucun  attribut  de  la  nature  divine  n'a 
autant  confondu  toutes  les  conceptions  humaines 
que  celui  de  sa  prescience;  et  c'est  cette  perfec- 
tion même  que  Dieu  a  fait  connaître  a  l'homme 
lorsqu'il  lui  a  révélé  ce  qu'un  être  infini  pouvait 
seul  concevoir.  Comment  refuser  de  voir  dans  cette 
révélation  le  cachet  de  sa  vérité,  cachet  qu'aucun 
mortel  ne  saurait  imprimer  ni  à  ses  propres  œuvres 
ni  aux  œuvres  divines  ?  Il  s'agit  donc  d'examiner 
si  cette  évidence  existe,  et,  si  on  le  prouve,  alors 
il   faut  admettre   Taction   d'une  puissance  sur- 
humaine. La  vérité  de  ce  qu'elle  avance  ne  sau- 
rait plus  être  révoquée  en  doute.  Si  l'on  peut 
prouver  que  les  prophéties  sont  véritables  ^   si 
elles  sont  de  nature  à  exclure  toute  participation 
de  l'esprit  humain  ,   si  les  événements  qu'elles 
ont  prédits,  des  centaines  et   des  milliers  d'an- 
nées   avant    leur   accomplissement ,  font  partie 
maintenant  de  l'histoire  des  nations,  si  l'histoire 
elle-même    est  d'accord  avec  les  prédictions, 
alors  révidence  fournie  par  les  prophéties  doit 
être  un  miracle  permanent  pour  les  hommes  de 
tousles  siècles;  et  si  ces  mêmes  hommes  ne  veu- 
lent pas  croire  à  Moïse  et  aux  prophètes,  «  ils  ne 


JO  INTHODl  ClION. 

seraient  pas  non  ])1ns  persuades  (piand  niénuî  quel- 
(ju'un  (les  iuorls  ressuscîiUuail  ;  »  ear  si  quelcpi'un 
ressuseilait  (l'enlre  les  nioils,  il  faudrait  prouver 
le  fait  avant  d'en  admettre  la  eonvietion  ;  et  si  l'es- 
prit est  eonvaincu  de  la  vérité  des  prophéties,  le 
résultat,  dans  les  deux  cas,  sera  le  même.  —  La 
voix  de  la  toute-puissance  pourrait  seule  faire 
sortir  un  mort  du  tombeau;  la  voix  de  la  toute- 
puissance  pouvait  seule  révéler  tout  ce  qui  était 
caché  dans  un  avenir  plus  impénétrable  à  l'œil  de 
l'homme  que  les  secrets  de  la  tombe.  Cette  voi^^ 
toute-puissante  ne  peut  être  que  celle  de  Dieu  ! 
Il  y  a  d'abondantes  preuves  de  l'antiquité  des 
Ecritures.  Les  livres  de  l'Ancien  Testament  ne 
sont  pas  comme  d'autres  écrits,  des  efforts  isolés 
du  génie  et  des  recherches  individuelles,  ni  même 
de  simples  sujets  d'amusement  ou  d'instruction. 
Ils  formaient  une  partie  essentielle  de  la  consti- 
tution de  la  nation  juive.  Le  caractère  particulier 
de  ce  peuple  provenait  en  grande  partie  de  la 
possession  de  ces  écrits;  ils  renfermaient  son  code 
civil  et  moral,  son  histoire  aussi  bien  que  les  pro- 
phéties, dont  ils  étaient  les  dépositaires  et  les 
conservateurs.  Les  Juifs  rega^rdaient  ces  écrits 
comme  d'origine  divine ,  et  c'est  a  ce  titre  qu'ils 
furent  publiés  et  conservés.  Il  y  a  déjà  dix-huit 
siècles  que  leur  antiquité  a  été  reconnue  *.  On  les 
traduisit  en  grec  250  ans  avant  l'ère  chrétienne, 
et  l'on  en  faisait  une  lecture  publique,  chaque  jour 
de  sabbat,  dans  les  synagogues.  Les  livres  les  plus 
anciens  étaient  regardés  comme  divinement  inspi- 
rés par  les  Samaritains  qui,  malgré  leur  inimitié 
contre  les  Juifs,  les  firent  conserver  dans  leur 
langue  particulière.  Aucun  écrit  humain  n'a  été 
gardé  avec  un  soin  aussi  scrupuleux,  et  on  a 

(1)  Josèphe,  c.  Apion, 


INTRODUCTION.  î  l 

veillé  avec  exactitude  à  ce  que  ces  ivres  ne  su- 
bissent aucune  altération*.  Les  arguments  ne  re- 
posent plus  ici  sur  le  témoignage  des  chrétiens; 
car  ce  sont  les  ennemis  du  christianisme  qui  vien- 
nent confirmer  ces  titres  à  Tauthenticité  et  four- 
nir des  évidences  à  notre  foi.  La  langue  même  dans 
laquelle  les  livres  de  l'Ancien  Testament  avaient 
été  écrits  n'était  plus  en  usage  lors  de  la  venue 
du  Christ.  Il  serait  impossible  d'avancer  des  preu- 
ves plus  fortes  en  faveur  de  leur  antiquité  ^  que 
celles  dont  la  vérité  est  inattaquable.  Si  on  les 
rejette,  alors  il  faut  également  rejeter  l'authen- 
ticité de  l'histoireancienne  tout  entière. 

L'état  actuel  du  monde  prouve  à  lui  seul  que 
les  prédictions  ont  été  faites  longtemps  avant  les 
événementsqu'elles  annonçaient;  il  en  reste  même 
encore  plusieurs  à  accomplir.  Mais,  indépendam- 
ment de  ce  témoignage  extérieur,  les  prophéties 
portent  en  elles-mêmes  l'empreinte  de  l'antiquité 
et  de  la  véracité.  Quelquefois  une  longue  suite  de 
prophètes  prédisent  le  même  événement;  parfois 
une  prophétie  relative  à  une  ville  ou  à  une  nation 
ne  s'accomplit  que  lentement,  graduellement,  de 
manière  à  ne  faire  connaître  que  par  degrés  la 
vérité  de  la  prédiction.  En  général,  les  prophé- 
ties sont  une  partie  si  importante  de  Hiistoire 
juive,  elles  ne  s'appliquent  que  d'une  manière  si 
secondaire  aux  autres  nations,  leur  but  est  si  sou- 
vent caché  à  celui  même  qui  est  l'organe  de  leur 


(1)  Il  y  a  d'abondantes  preuves  du  soin  scrupuleux  avec  lequel 
les  Juifs  conservaient  le  texte  sacré  ;  ils  ont  été  même  jusqu'à 
compter  les  grandes  et  petites  sections,  îes  versets,  les  mots  et 
même  les  lettres  de  quelques-uns  des  livres.  Ils  ont  également 
trouvé  quelle  est  la  lellre  qui  se  trouve  au  milieu  du  Pentateuque, 
quel  est  le  milieu  de  chaque  livre  et  combien  de  fois  chaque  lettre 
de  l'alphabet  se  trouve  dans  les  livres  sacrés  des  Juifs.  Ceci  nous 
prouve  bien  combien  les  Juifs  tenaient  au  sens  littéral  de  rEcriture, 
{Le  Judaïsme  moderne,  par  Allen.  —  Simon,  HisU  cnt,^  6,  26.J 


12  INTRODICTION. 

coiumuiiicalioii,  elles  conservent  partout  un  (îa- 
raetère  si  unilbiine  tout  en  eni[)l()yant  une  si 
{grande  variété  de  dessin  et  de  style,  elles  sont  si 
éloignées  d'adopter  aucune  formule  arrêtée,  et 
elles  sont  parfois  tellement  ensevelies  sous  les 
types  et  les  syiuboles,  elles  se  lient  en  apparence  si 
peu  entre  elles ,  qu'il  suffit  de  les  examiner 
pour  se  convaincre  qu'il  n'y  a  aucune  fraude 
dans  la  manière  dont  elles  ont  été  annoncées.  Si 
elles  n'étaient  que  des  inventions  et  des  rêveries 
de  l'homme  ,  rien  ne  serait  plus  facile  que  d'en 
découvrir  l'artifice;  si  elles  ne  le  sont  pas  ,  alors 
il  est  impossible  qu'elles  soient  autre  chose  qu'une 
conception  divine. 

Ainsi  donc,  si  l'on  ne  peut  prouver  cjue  les 
prophéties  soient  des  écrits  humains,  n'ayant 
aucun  titre  à  l'inspiration,  ne  pouvant  suppor- 
ter un  examen  approfondi ,  et  n'ayant  véritable- 
ment aucun  rapport  à  l'avenir,  il  faut  nécessaire- 
ment admettre  comme  unique  alternative  que  ces 
prédictions,  renfermant  des  détails  si  minutieux 
et  une  représentation  si  exacte  d'événements  en- 
core éloignés ,  ne  peuvent  être  que  l'œuvre  de 
celui  qui  connaît  «  la  fin  dèsle  commencement,  »  et 
que  c'est  lui  qui  a  bien  voulu  les  révéler  a  l'homme. 
Ah  !  il  faut  que  celui-là  ait  volontairement  endurci 
son  cœur  et  aveuglé  ses  yeux,  qui  ne  trouve  pas 
dans  ces  écrits  tous  les  caractères  de  la  vérité,  et 
qui  ne  voit  pas  briller  sur  chaque  page  la  lumière 
du  ciel  ! 

Remarquons  encore  ici  que,  dans  bien  des 
circonstances  particulières,  les  prophètes,  pour 
justifier  aux  yeux  de  leurs  contemporains  leurs 
prétentions  à  l'inspiration,  s'en  référaient  à  des 
événements  prochains,  qu'ils  prenaient  comme 
symboles  ou  comme  représentations  de  quelque 
événement  plus  éloigné  et  plus  important.  C'était 


INTRODUCTION.  13 

ainsi  que,  dans  leur  siècle  même,  ils  se  faisaient 
distinguer  des  faux  prophètes  et  qu'ils  semblaient 
prouver  leur  droit  de  soulever  d'une  main  hardie 
le  voile  qui  couvrait  l'avenir  du  genre  humain  ; 
alors  ils  annonçaient  avec  autorité  la  venue  d'un 
puissant  Rédempteur ,  ils  déclaraient  la  chute  et 
la  désolation  des  nations  et  des  villes  encore  au 
faîte  de  leur  grandeur,  et  toutes  leurs  prédictions 
étaient  de  nature  à  être  réalisées  ou  démenties 
par  les  siècles  futurs. 

La  religion  mérite  un  candide  examen,  et  c'est 
tout  ce  qu'elle  demande.  L'accomplissement  des 
prophéties  forme  un  anneau  dans  la  chaîne  des 
preuves  du  christianisme;  et  chacun  doit  se  de- 
mander :  Les  prophéties  de  l'Ecriture  sont-elles 
fausses  ou  sont-elles  véritables?  L'événement  a-t-il 
démontré  leur  fausseté  ?  Ont-elles  leur  source 
dans  l'imagination  de  quelque  imposteur,  ou  ont- 
elles  les  caractères  d'une  révélation  divine? — ^11 
suffit  d'un  examen  patient  et  impartial  pour  ré- 
pondre à  ces  questions.  Nous  en  appelons  simple- 
ment à  la  raison,  et  il  ne  s'agit  ici  que  d'une  foi 
qui  découle  naturellement  d'une  conviction  spon- 
tanée. Celui  qui  ne  veut  pas  entreprendre  cet 
examen,  celui  qui  ne  veut  pas  se  laisser  convain- 
cre, non-seulement  est  d'une  complète  indiffé- 
rence pour  son  propre  salut ,  mais  n'a  pas  même 
droit  au  titre  dont  il  s'enorgueillit  le  plus,  celui 
de  franc  penseur;  il  n'est  qu'un  hypocrite  d'in- 
crédulité ,  il  se  refuse  à  croire  la  vérité  parce- 
qu'elle  est  la  vérité. 

On  ne  peut  nier  qu'un  changement  merveil- 
leux ne  se  soit  opéré  dans  l'état  politique  et  reli- 
gieux du  monde  depuis  l'époque  des  prophéties. 
Un  système  de  religion  essentiellement  différent 
de  tous  ceux  qui  existaient  alors  a  pris  nais- 
sance dans  la  Judée,  et  s'est  répandu  dans  toutes 


14  iNTRODDCTlON. 

les  parlirs  du  monde  civilisé.  Beaucoup  de  cir- 
constances renian{ual)les  accoinpa^nc^nt  son  ori- 
ç;i\w  et  ses  jiroji^rès.  L'histoire  de  la  vie  (4  du  ca- 
ractère de  son  fondateui\,  telle  ([«relie  fut  écrite 
de  son  temps  et  re(M)nnue  véridicjue  par  ses  dis- 
ciples^ est  tellement  sans  exemple  dans  les  an- 
nales du  genre  humain  qu'elle  a  souvent  obtenu 
les  suffrages  et  excité  l'admiration  des  incrédules 
eux-mêmes;  l'un  d'entre  eux  demande  s'il  est 
possible  que  le  saint  personnage  dont  les  Ecri- 
tures renferment  l'histoire  soit  simplement  un 
homme,  et  il  reconnaît  que  l'inventeur  de  l'Evan- 
gile serait  plus  étonnant  que  le  héros*  !  Ce  Jésus 
cependant  ne  possédait  aucun  pouvoir  tempo- 
rel ;  il  enseignait  toutes  les  vertus,  sa  vie  était  sans 
tache  et  parfaite  comme  sa  doctrine ,  et  il  mou- 
rut de  la  mort  d'un  criminel.  Sa  religion  se  pro- 
pagea avec  rapidité,  et  l'on  persécuta  ses  disciples; 
mais  leur  cause  ne  prévalut  pas  moins.  Sa  doc- 
trine se  conserva  pendant  quelque  temps  dans  sa 
primitive  pureté;  et  quoique  peu  à  peu  la  corrup- 
tion se  soit  glissée  dans  ses  institutions,  cependant 
le  christianisme  a  amené  d'immenses  améliora- 
tions. Depuis  son  établissement  le  culte  des  idoles 
a  cessé ,  les  sacrifices  ont  été  abolis ,  et  le  sang 
des  victimes  humaines  ne  coule  plus.  L'esclavage 
est  maintenant  inconnu  dans  tous  les  états  chré- 
tiens de  l'Europe.  La  science  s'est  répandue; 
des  nations  entières  ont  été  civilisées;  la  religion 
chrétienne  a  pris  un  vaste  développement;  cha- 
que année  elle  étend  davantage  son  influence;  et 
les  Juifs,  chez  qui  elle  prit  naissance,  continuent, 
comme  jadis ,  à  ne  pas  reconnaître    sa  divine 


origme. 


Quant  aux  changements  politiques  et  aux  ré- 

(1)  Rousseau,  Emile,  \i\^  IV. 


ÎÎSTRODUCTION.  16 

volutions  qui  se  sont  effectués  dans  différents 
royaumes  depuis  l'époque  des  prophéties ,  il  est 
facile  de  les  constater  :  Jérusalem  a  été  dévastée 
et  détruite  par  les  Romains  ;  la  Palestine^  autre- 
fois si  florissante  et  si  peuplée,  ne  possède  mainte- 
nant que  peu  d'habitants,  et  ses  conquérants  Font 
réduite  en  désolation  ;  les  Juifs  ont  été  dispersés 
parmi  les  nations,  mais  ils  conservent  leur  carac- 
tère distinctif  ;  TEgypte  ,  jadis  une  des  plus  puis- 
santes nations  de  la  terre,  a  cessé  d'être  un 
royaume  ;  Ninive  n'existe  plus  ;  Babylone  est  en 
ruine  ;  l'empire  perse  a  succédé  à  l'empire  de  Ba- 
bylone; l'empire  grec  a  succédé  à  celui  de  Perse, 
Rome  à  la  Grèce;  l'ancien  empire  romain  a  été  par- 
tagé en  plusieurs  royaumes  ;  Rome  elle-même  est 
devenue  le  siège  d'un  gouvernement  bien  différent 
de  tous  ceux  qui  jusqu'alors  avaient  existé  dans 
le  monde.  La  doctrine  de  l'Évangile  a  été  trans- 
formée en  un  système  de  tyrannie  spirituelle  et  est 
devenue  l'instrument  d'un  immense  pouvoir  sécu- 
lier. L'autorité  du  pape  a  été  reconnue  comme  su- 
prême en  Europe  pendant  plusieurs  siècles.  Les 
infidèles  se  sont  emparés  tout-à-coup  d'une  grande 
puissance.  Ils  ont  subjugué  une  partie  de  l'Asie 
et  de  l'Europe,  et  la  chrétienté  même  n'a  pas  été 
à  l'abri  de  leurs  incursions.  Les  Arabes  conservent 
leur  caractère  guerrier  et  indépendant,  et  demeu- 
rent en  possession  des  contrées  qui  leur  ont  ap- 
partenu dès  l'origine.  Les  Africains,  race  faible , 
sont  encore  esclaves.  L'Europe  a  fondé  des  colo- 
nies en  Asie.  L'empire  turc  avait  acquis  une 
grande  extension;  pendant  plusieurs  siècles  sa 
puissance  n'a  fait  que  croître,  mais  tout-à-coup  ses 
progrès  ont  été  arrêtés ,  son  déclin  a  commencé  , 
et  il  semble  maintenant  près  de  sa  ruine.  ' 

Voilà  les  faits  les  plus  remarquables  de  l'his- 
toire du  monde,  depuis  le  temps  des  prophètes. 


16  INTKODllCTION. 

Les  propliélies  les  annoncent  Ions  vl  cliaenn  en 
partienlier.  N'en  devons-nons  pas  Iianlinient  con- 
clnre  (jne  cette  révélation  n'a  pn  être  fait(^  que 
l)ar  le  gouverneur  supreme  de  toutes  les  nations 
de  la  terre ,  et  rpie  dans  cette  révélation  nous 
possédons  un  témoignage  plus  qu'humain  de  la 
divinité  du  christianisme? 

Dans  l'ouvrage  suivant  nous  avons  essayé  de 
rassembler  toutes  les  prophéties  clairement  énon- 
cées et  qui  ont  reçu  un  accomplissement  littéral; 
nous  croyons  qu'elles  suffiront  à  établir  la  divinité 
du  christianisme.   Ah  !  si  un  seul  incrédule  se 
trouve  entraîné  à  faire  le  premier  pas  vers  un 
examen  approfondi  et  sincère  de  la  vérité ,  si  un 
seul  esprit  voit  ses  doutes  se  dissiper  ^  si  un  seul 
chrétien  se  sent  fortifié  dans  ses  espérances  et 
dans  ses  convictions,  si  un  seul  cœur  abattu  puise 
dans  cet  écrit  un  faible  rayon  de  consolation  et 
de  joie,  si  un  seul  grain  est  ajouté  à  la  masse  d'é- 
vidence que  la  religion  de  Jésus  peut  produire 
en  sa  faveur ,  alors ,  certes ,  Fauteur  de  ce  petit 
ouvrage  aura  reçu  sa  récompense ,  il  n'aura  pas 
travaillé  en  vain  ! 


EVIDENCE 


DES   PROPHETIES. 


CHAPITRE  r\ 


PROPHETIES  CONCERNANT  NINIVE. 

Après  avoir  retracé  en  peu  de  mots  la  création 
du  monde  anté-diiuvien  et  la  dispersion  du  genre 
humain  après  le  déluge  ^  TAncien -Testament 
passe  à  l'histoire  des  Hébreux  ^  embrassant  un 
espace  de  quinze  cents  ans  depuis  les  jours  d'A- 
braham jusqu'à  l'ère  des  derniers  prophètes. 
Ainsi  la  partie  historique  des  Ecritures  nous  offre 
l'histoire  du  monde  à  partir  de  son  origine  ^  et 
les  prophètes  nous  donnent  une  vue  anticipée  des 
événements  à  venir^  qui  nous  conduit  jusqu'à  sa 
fin.  Et  une  chose  bien  digne  de  remarque  ^  c'est 
que  l'histoire  profane  ne  devient  claire  et  authen- 
tique que  vers  l'époque  même  où  se  termine 
l'histoire  sacrée  ^  et  où  commencent  à  s'accomplir 
ces  prophéties  qui  se  rapportent  à  plusieurs 
nations  autres  que  les  Juifs. 

Ninive,  capitale  de  l'empire  d'Assyrie ^  fut  pen- 
dant une  longue  suite  de  siècles  une  grande  et 


1^>  PROPHliriES  CH.  I. 

|)opiil(M!so   cifv»;  ses  iiniraillos,   scion  (jnclciiies 
iiisloricMis  i)n)ram\s,  avaicMit  100  pieds  do  haul  et, 
^)0,000   de   eircnit;    elles  étaicMit  llaiHiuees  de 
l,o00  tours,  dont  cliaeinie  avait  200  [)ieds  d'é- 
lévation. 11  ])arait(|ue,  quoiqu'elle  fut  le  sujet 
de  quelques-unes  des  premières  prophéties,  et 
quoique  ce  fût  elle  qui  subit  la  première  le  sort 
prédit,  cependant  un  historien  profane,  en  racon- 
tant sa  prise  et  sa  destruction ,  fait  de  fréquentes 
allusions  à  une  ancienne  prophétie  qui  y  avait 
rapi)ort.  Diodore  de  Sicile  rapporte  que  le  roi 
d'Assyrie,  après  la  défaite  de  son  armée,  seconlia 
en  une  vieille  prédiction  qui  disait  que  Ninive  ne 
serait  prise  que  lorsque  la  rivière  deviendrait 
Tennemi  de  la  ville*,  et  qu'après  un  siège  inutile 
de  deux  ans  la  rivière,  grossie  par  des  pluies 
continuelles,  inonda  la  ville,  renversa  une  partie 
de  la  muraille  et  ouvrit  un  chemin  à  l'ennemi , 
et  qu'alors  le  roi,  désespéré  et  ne  doutant  plus  de 
l'accomplissement  de  la  prédiction ,  fit  élever  un 
immense  bûcher ,  y  mit  le  feu'ainsi  qu'à  son  pa- 
lais ,   et  fut  consumé ,  lui ,  toute  sa  maison  et 
toutes  ses  richesses  ^  Le  livre  de  Nahum  conte- 
nait des  prophéties  très  claires  relatives  à  la 
destruction  de  Ninive,  et  il  y  est  écrit  :  «  Les 
«  portes  des  fleuves  sont  ouvertes,   et  le  palais 
«  s'est  fondu.  »  —  «Ninive  a  été  comme  un  vivier 
«  d'eau.  ))  —  c(  Il  s'en  va  passer  comme  un  débor- 
«  dement  d'eau ,  il  réduira  son  lieu  à  néant^  » 

Le  même  historien  rapporte  encore  des  faits 
qui  prouvent  l'entier  accomplissement  des  autres 
paroles  du  prophète.  Il  raconte  que  le  roi  d'As- 
syrie, orgueilleux  de  ses  précédentes  victoires, 
et  ignorant  la  révolte  des  Bactriens ,  s'était  aban- 

(1)  Diod.  Sic,  liv.  II,  p.  82,  83.  Edit.  Wessel,  1793. 

(2)  Ibid.  II,  8/{. 

(3)  Nahum,  I,  8;  11^  6,  8.  —  Voir  les  Disserf  niions  de  Tévêque 


CH.  I.  CONCERNANT  NINIVE.  19 

donné  à  la  plus  honteuse  inertie,  qu'il  ayait  or- 
donné une  réjouissance  publique ,  et  qu'il  avait 
fait  distribuer  aux  soldats  du  yin  en  grande  abon- 
dance; que,  pendant  la  fête  même ,  le  général 

Newton.  Niiiive,  qui  la  première  emmena  Israël  en  captivité,  fut 
aussi  la  première  des  villes  des  gentils  qui  vit  s'accomplir  le  sort  que 
les  prophètes  lui  avaient  prédit.  Les  prophéties  qui  touchent  Ninive 
sont  toutes  renfermées  dans  le  livre  si  succinct  de  Nahum  et  dans 
trois  versets  de  Sophonie.  Leur  entier  accomplissement  était  un 
fait  trop  remarquable  pour  passer  inaperçu  par  les  contemporains 
des  premiers  temps  de  notre  ère.  Josèphe,  après  une  courte  descrip- 
tion du  règne  de  Jotl  am,  rapporte  que  «  dans  ce  temps  vivait  un 
proph:te  nommé  Nahum  qui  avait  prédit  la  désolation  de  Ninive  en 
ces  mots  :  Ninive  sera  comme  un  vivier  d'eau,  etc.  (  II,  8,  13.)  ;  et 
il  ajoute  que  le  prophète  avait  également  prédit  diverses  autres 
choses  qu'il  croit  inutile  d'indiquer  et  qui  toutes  s'étaient  accom- 
plies après  l'espace  de  115  ans  «(Ant.  liv.  IX,  ch  xi,  §3).  Jérôme 
(A.  D.  392),  dans  sa  préface  au  livre  de  Jonas,  rapporte  que  cette 
chute  est  constatée  à  la  fois  par  des  auteurs  hébreux  et  par  des  his- 
toriens grecs  (t.  VI,  c.  399,  390,  édit.  Venet.,  1768).  Et  dans 
son  commentaire  sur  Nahum,  il  revient  à  chaque  instant  sur  la 
prise  et  le  sac  de  cette  ville  par  les  Chaldéens  ou  les  Babyloniens 
(Ibid.,  c.  534,555,  etc.).  C'est  ainsi  que  Cyrile  d'Alexandrie 
(A. D.  412),  dans  son  commentaire  sur  la  même  prophétie,  com- 
mentaire cité  par  Bochart ,  non-seulement  décrit  la  destruction  de 
Ninive,  mais  nous  en  peint  l'entière  désolation  en  traits  aussi 
énergiques  que  ceux  de  Lucien.  Sans  faire  mention  de  plusieurs 
autres  auteurs  postérieurs  à  ceux-ci  et  qui  traitèrent  également 
ce  sujet,  Bochart,  Marsham  et  Poole,  au  dix-septième  siCcle, 
s'appuyèrent  du  témoignage  de  Diodore  de  Sicile ,  qui  est  depuis 
longtemps  la  seule  autorité  que  l'on  invoque  sous  ce  rapport, 
bien  que  Strabon,  Tacite,  Pline,  etc.  soient  entrés  dans  les  mânes 
détails  que  lui  au  sujet  de  la  magnificence  de  Ninive  et  de  sa  des- 
truction. Les  auteurs  du  dernier  siècle  qui  se  sont  occupés  de  la 
chute  de  Ninive  et  des  prophéties  de  Nahum  et  de  Sophonie,  dont 
elle  est  la  preuve  et  le  commentaire,  sont  Prideaux  (A.  D.,  1715) 
et  Rollin  dans  son  Histoire  ancienne  (A.  D.  1730).  L'auteur  du 
présent  ouvrage  s'est  également  servi  de  VHisioire  universelle 
(A.  D.  j  747)  et  des  Dissertations  sur  les  prophéties  de  l'évêque  New- 
ton (A.  D.,  1752).  Il  renvoie  encore  le  lecteur,  comme  îl  Ta  fait  dans 
les  éditions  précédentes,  à  la  dernière  de  ces  dissertaions  qu'il  con- 
sidère aussi  comme  la  meilleure.  L'édition  de  Diodore  de  Sicile,  où 
l'auteur  a  puisé  les  faits  et  les  citations  auxquels  il  a  eu  recours,  fut 
publiée  40  ans  après  le  dernier  des  ouvrages  dont  on  vient  de  par- 
ler. Ces  faits  sont,  comme  les  prophéties,  en  petit  nombre.  Ils  ne 
tiennent  que  quelques  pages,  et  elles  sont  indiquées  dans  l'index 
qtii  se  trouve  dans  toutes  les  éditions  de  son  ouvrage. 


20  PllOPlIlhlES  CH.  I. 

tMinonii,   averti  par  des  déserteurs,   attaqua  à 
l'iniproviste  Taruiée  des  Assyriens  (jui,  ayant  l)U 
avec  excès  ,  ne  furent  plus  eu  état  dcî  se  défendre  ; 
il  lit  passer  la  [)lu|)art  d'entre  eux  au  lildeTépée, 
et  força  les  autres  à  se  réfugier  dans  la  ville\ 
Que  dit  encore  le  prophète?  «Etant  entortillés 
«  couinie  des  épines ,  et  ivres  comme  des  gens 
«  ivres ,  ils  seront  entièrement  consumés  comme 
«  la  paille  sèclie^.  «Le  prophète  promet  aussi  une 
grande  dépouille  à  rennemi  :  «  Pillez  l'argent , 
«pillez  l'or,  car  il  y  a  un  luxe  sans  bornes,  magni- 
«fique  en  tous  meubles  précieux^  »  Et  l'historien 
assurequ'une  quantitéprodigieuse  d'or  et  d'argent 
fut  emportée  à  Ecbatane^  Selon  Nahum,  la  ville 
devait  être  réduite  en  partie  par  l'eau,  et  en  partie 
par  le  feu  ^^  et  Diodore  rapporte  qu'il  en  fut  ainsi. 
L'entière  destruction  et  la  désolation  perpé- 
tuelle de  Ninive  avaient  été  prédites.  «  L'Eternel 
«réduira  son  lieu  à  néant;  la  détresse  n'y  retour- 
«nera  pas  une  seconde  fois,  qu'elle  soit  toute 
«vidée  et  revidée,  même  toul  épuisée.  »  —  «  Il 
«  étendra  aussi  sa  main  sur  l'Aquilon ,   et  il  dé- 
«  truira  l'Assyrie ,  et  mettra  Ninive  en  désolation , 
«  en  un  lieu  aride  comme  un  désert.  »  —  «Comment 
«a-t-elle  été  réduite  en  désert  pour  être  le  gîte 
«  desbêtes^?»  Au  second  siècle,  Lucien,  originaire 
d'une  des  villes  au  bord  de  l'Euphrate,  assure 
que  Ninive  avait  entièrement  disparu,  qu'il  n'en 
restait  aucun  vestige ,  et  que  personne  n'en  pou- 
vait indiquer  l'ancien  site.  Ce  témoignage  rendu 
par  Lucien  et  l'intervalle  de  plusieurs  siècles, 
pendant  lesquels  on  ne  sut  pas  même  quelle  avait 
été  la  position  de  Ninive,  nous  font  un  peu  douter 
si  les  ruines  d'une  ancienne  capitale,  vis-à-vis  de 

(4)  Diod.  Sic,  II,  p,  81,  84. 

(5)  Nahum,  I,  10.  —  (6)  Ibid.,  II,  9.  —  (7)  Diod.,  II,  87. 

(8)  Nahum,  III,  15.  —(9)  Ibid.,  I,  8,9;  II,  10.  —Soph.,  II,  13, 15. 


CH.  I.  CONCERNANT  NINIVE.  21 

Mosaic  sont  bien ,  comme  le  pensent  des  voyageurs 
modernes  5  les  ruines  de  Ninive.  Probablement 
elles  sont  les  restes  de  la  ville  qui  succéda  à  Ni- 
nive, ou  ceux  d'une  ville  persanne  du  même  nom, 
que  les  Persans  bâtirent  sur  les  bords  du  Tigre, 
230  ans  après  le  commencement  de  l'ère  chré- 
tienne, et  que  les  Sarrazins  démolirent  en  632  *^ 
Le  prophète  Nahum,  en  comparant  l'opulence 
et  la  splendeur  de  Ninive,  à  son  époque,  avec  la 
ruine  qui  devait  inévitablement  fondre  sur  elle , 
parle  ainsi  :  «  Qu'on  s'amasse  comme  les  grillons: 
«  amasse-toi  comme  les  sauterelles.  Tu  as  multi- 
«  plié  tes  négociants  en  plus  grand  nombre  que 
«  les  étoiles  des  cieux;  les  grillons  s'étant  répan- 
«  dus  ont  tout  ravagé,  et  ils  se  sont  envolés.  Tes 
«  princes  sont  comme  des  sauterelles,  et  tes  ca- 
c(  pitaines  comme  de  grandes  sauterelles  qui  cam- 
c(  pent  dans  les  haies  au  temps  de  la  fraîcheur ,  et 
«qui,  lorsque  le  soleil  est  levé,  s'écartent,  de 
c<  sortie  qu'on  ne  connaît  plus  le  lieu  oîi  elles  ont 
«  été*\  »  Soit  que  ces  paroles  signifient  que  le  site 
même  de  Ninive  serait  inconnu  ou  incertain  ^ 
soit  qu'elles  veuillent  prédire  que  chaque  vestige 
des  palais  de  ses  monarques,  de  la  grandeur  de 
ses  princes  et  de  l'opulence  de  ses  négociants 
disparaîtrait  entièrement ,  la  vérité  de  la  préxlie- 
tion,  dans  les  deux  interprétations,  ne  peut  être 
contestée;  l'ignorance  que  l'on  avoue  hautement 
par  rapport  à  ce  quiregardeNinive,  et  l'oubli  dans 
lequel  elle  est  restée  pendant  bien  des  siècles , 
joints  à  la  pauvreté  des  renseignements  que  Ton  a 
pu  obtenir,  nous  font  bien  voir  que  son  emplace- 
ment même  a  été  longtemps  inconnu,  et  que  main- 
tenant on  peut  à  peine  le  distinguer.  «  Où  sont-ils 

(10)  IVÎarsham,  Can.  ckroiu^  sect,  xvni,  p.  600,  édit.  Francq, 
1696. 

(11)  Nabum,  111,16. 


22  MIOPIIÉTIES  (Aï,  11. 

cesrcMn[)arts  do  Ninive,(litV()lii(\v.,Ninivo  donl  le 
nom  soul  suhsisliî  h  peiiu»?  Que  dil-on  du  scmiI  en- 
droit (|ui  porte  encore  son  nom,  on  (|ni  jmisseetre 
considéré  connue  son  ancien  site?  Que  dit-on  de 
tout  ce  (jui  reste  d'une  des  plus  f>randes  capitah^s 
du  monde,  de  la  riche  métropole  de  l'Assyrie*^?  » 
Les  principaux  monceaux  qui  subsistent  encore 
ne  ressemblent  ni  à  des  briques ,  ni  à  des  pierres^ 
mais  en  beaucoup  d'endroits  ils  sont  recouverts 
d'herbes ,  et  offrent  le  même  aspect  que  les  restes 
de  retranchements  et  de  fortihcations  des  camps 
romains.  On  rencontre  de  ces  ouvrages  et  de  ces 
ruines  sur  une  étendue  de  dix  milles  ;  on  les  pren- 
drait pour  les  débris  d'anciens  édifices  *\  Ainsi 
on  ne  découvre  aucun  monument  royal,  aucune 
trace  de  l'antique  splendeur  des  souverains  de 
Ninive  ;  on  ne  sait  pas  même  oii  pouvaient  être 
ces  édifices  ;  c'est  une  destruction ,  une  désola- 
tion totale.  «Elle  a  été  vidée,  revidée;  et  même 
«épuisée;  »  les  ruines  même  ont  péri.  Telle  a  été 
sa  complète  désolation  c^  et  telle  est  la  vérité  de  la 
parole  de  notre  Dieu*\ 


CHAPITRE  IL 


PROPHETIES  CONCERNANT  BABYLONE. 

Si  jamais  il  y  eut  une  ville  qui  semblât  devoir 
donner  un  défi  à  toutes  les  prophéties  qui  annon- 
çaient sa  ruine,  c'était  la  ville  de  Babylone  ;  pen- 
dant longtemps  elle  fut  une  des  merveilles  du 

(12)  Ruinesy  ch.  II ,  iv. 

(13)  Voyage  de  Biicknujliam  en  Mésopotamie,  t.  II,  p.  49,  51,  52. 
(U)  Voyez  les  dissertaiions  de  Bishop,  Newton. 


CH.  II.  CONCERNANT  BABYLONE.  23 

monde*".  Ses  murailles  semblaient  plutôt  des  for- 
tifications naturelles  que  le  résultat  des  efforts 
de  rart*^  Le  temple  de  Bélus,  haut  de  600  pieds  ; 
ses  jardins  suspendus  ^  dont  les  terrasses  s'éle- 
vaient au  niveau  des  murailles;  les  quais  de  l'Eu- 
phrate;  les  100  portes  d'airain  ^  et  le  lac  artifi- 
ciel, dont  le  circuit  était  de  plus  de  100  milles 
et  la  profondeur  de  35  pieds  au  moins;  tant  de 
merveilles  réunies  sur  un  seul  point  offraient  les 
monuments  les  plus  imposants  de  la  puissance  de 
^homme*^  Cependant  ce  fut  lorsque  Babylone  eut 
atteint  la  plénitude  de  son  pouvoir ,  et  160  ans 
avant  qu'aucun  ennemi  eût  pénétré  dans  son  en- 
ceinte,  que,  selon  le  calcul  chronologique  le  plus 
exact,  la  voix  de  la  prophétie  vint  annoncer  hau- 
tement le  sort  inévitable  qui  l'attendait.  Une  dé- 

(15)  Pline,  Hist.  Naturelle,  1.  V,  ch.  26. 

(46)  L'étendue  des  murs  de  Babylone  était  de  840  stades,  c'est-à- 
dire  de  21,000  pas,  selon  Hérodote;  selon  Pline  et  Solinus,  de 
60  milles  romains,  distance  égale  à  la  précédente;  selon  Strabon, 
de  385  slades ;  selon  Diodore  de  Sicile,  d'après  les  témoignages 
presque  unifor^nes  de  Stésias  et  de  Glitarque,  qui  tous  les  deux 
visitèrent  Babylone,  de  360  à  365  stades;  enfin,  selon  Quinte-Curce, 
ces  murs  avaient  368  stades.  La  différence  presque  insignifiante 
qui  existe  entre  les  calculs  des  trois  derniers  auteurs  tend  à  en 
corroborer  Pexaclitude.  Peut-être  qu'il  se  trouvait  une  erreur  dans 
le  texte  d'Hérodote,  qu'il  devait  indiquer  380  au  lieu  de  480,  et 
que  cette  erreur  a  été  copiée  par  Pline  et  Solinus.  Sa  différence  en 
plus  de  20  à  25  milles  pourrait  alors  s'expliquer,  soit  que  les  uns 
aient  compris  les  fossés  dans  la  circonférence  de  la  ville,  soit  que 
les  autres  les  en  aient  déduits.  Parce  moyen  on  parvient  ù  faire  con- 
corder les  diverses  supputations  dont  nous  venons  de  parler.  Le 
major  Renne! ,  estimant  le  stade  à  491  pieds,  évalue  l'étendue  du 
m-ur  à  34  milles  dont  8  et  demi  de  chaque  côté. 

Les  contradictions  et  les  variations  dans  les  calculs  faits  ôe 
la  hauteur  et  de  l'épaisseur  de  ces  murs  viennent  probablemeiit  de 
ce  que  ces  calculs  remontent  à  des  époques  différentes.  Hérodote 
dit  qu'ils  avaient  200  coudées  ou  300  pieds  de  haut,  et  50  coudées 
ou  75  pieds  de  large.  Selon  Quinte-Curce  ils  n'en  avaient  que  150  de 
hauteur  et  32  de  largeur,  tandis  qu'au  dire  de  Strabon  leur  hau- 
teur n'était  que  de  75  pieds  et  leur  largeur  de  32. 

(17)  Ilérod.,  1.  I,  ch.  clxxviii.  —  Diod.  Sic.,  Il,  p.  226.  — 
Pline,  V,  XXVI.  —  Quinte-Curce,  V,  iv. 


24  HABYLONE.  Cil.  il. 

eadonco  proj^iessive  la  réduisit  vn  poussière,  el 
les  Ecritures  nous  marquent  dans  le  [)lus  {^rand 
détail  eliaque  |)rogrès  de  cette  décadence  et  sa 
désolation  finale  et  complète.  Ce  fut  lorsqu'une» 
inagnilicence  sans  bornes  entourait  Bahylone  la 
superbe  que  la  plume  du  prophète  décrivait  Ba- 
bylone  la  détruite  dans  les  termes  mêmes  que  les 
voyageurs  emploient  aujourd'hui.  Nous  pouvons 
suivre  la  chaîne  de  ces  prophéties  depuis  le  com- 
mencement jusqu'à  la  fin  de  leur  accomplisse- 
ment. 

L'immense  fertilité  de  la  Chaldée,  qui  conserva 
encore  le  nom  de  Babylonie  jusqu'à  l'ère  chré- 
tienne^', répondait  à  la  grandeur  de  Babylone. 
C'était  la  plus  riche  contrée  de  l'Orient  *\  La 
Babylonie  n'était  qu'une  vaste  étendue  de  plaines 
arrosées  et  enrichies  par  l'Euphrate  et  le  Tigre; 
de  nombreux  canaux  s'étendaient  d'une  rivière 
à  l'autre;  l'eau  était  ainsi  distribuée  sur  tous  les 
champs  par  la  main  de  l'homme  et  par  des  ma- 
chines hydrauliques  ^%  ce  qui-,  dans  ce  doux  cli- 
mat et  sur  ce  sol  fertile  ^  occasionnait  une  ri- 
chesse de  productions  sans  égale  dans  les  temps 
anciens  ou  modernes.  Hérodote  dit  qu'il  ne  sait 
comment  décrire  cette  étonnante  fertilité,  qu'il 
fallait  en  être  témoin  oculaire  pour  y  ajouter 
foi;  et  quoicjue  Grec  lui-même,  et  écrivant  dans 
la  langue  d'un  pays  célèbre  par  sa  richesse  ^  il  ne 
s'attend  pas  à  ce  que  l'on  puisse  croire  la  des- 
cription qu'il  fait  d'après  ses  observations  per- 
sonnelles; et  selon  lui,  et  selon  Strabon  et  Pline, 
les  trois  meilleures  autorités  que  nous  puissions 
citer 5  la  Babylonie  était  la  contrée  la  plus  riche  en 
blé,   le  sol  ne  produisant  jamais  moins  qu'aux 

(18)  Strabon,  1.  XVI ,  p.  743. 

(19)  Jgrinn  totius  OrieniU  fertilissimnm»  Pline,  Ilist,  Naturelle, 
1.  V,  ch.  XXV  [.  —  (20)  Hérod.,  I,  cuii. 


CH.  lï.  BABYLONE.  25 

deux  centuples  5  ce  qui  nous  paraît  presque  in- 
croyable; et  cependant  Strabon,  le  plus  ancien  des 
géographes ,  s'accorde  avec  le  père  de  l'histoire 
pour  assurer  que  le  sol  a  même  rapporté  aux  trois 
centuples,  le  grain  étant  en  outre  d'une  grosseur 
prodigieuse^'. 

Après  avoir  été  soumis  au  joug  persan ,  la  Chai- 
dée  fut  encore  considérée  comme  un  des  gou- 
vernements les  plus  importants  de  l'empire  "  ; 
cette  province,  non-seulement  dut  fournir  des 
chevaux  pour  le  service  militaire  du  royaume, 
mais  encore  dut  entretenir  17,000  chevaux 
pour  l'usage  particulier  du  souverain.  Sans  par- 
ler des  subsides  mensuels ,  le  tribut  que  la  Chal- 
dée  payait  pour  les  besoins  du  roi  et  de  son  ar- 
mée faisait  le  timers  de  tout  le  revenu  du  royaume 
de  Perse ,  qui  s'étendait  alors  depuis  l'Hellespont 
jusqu'aux  Indes.  Hérodote  dit  en  passant  qu'il 
y  avait  quatre  grandes  villes  dans  le  voisinage  de 
Babylone. 

Et  telle  était  la  grandeur  de  la  Chaldée  qu'une 
première  conquête  ne  suffit  pas  pour  la  détruire  ; 
elle  survécut  même  à  la  destruction  de  sa  capitale, 
et  lorsque  «  la  gloire  des  royaumes  »  eut  suc- 
combé, une  nouvelle  capitale  succéda  à  l'autre,  et 
ne  tarda  pas  à  s'élever  dans  le  pays  de  la  Chal- 
dée. 

La  célèbre  ville  de  Séleucie  fut  fondée  et  con- 
struite par  Séleucus  Nicanor,  roi  d'Assyrie,  un 
des  successeurs  d'Alexandre-le-Grand ,  293  ans 
avant  Jésus-Christ,  et  trois  siècles  après  la  prédic- 
tion faite  par  Jérémie.  Dans  le  premier  siècle  de 
l'ère  chrétienne,  elle  contenait  600,000  habi- 
tants^\  Les  rois  des  Parthes  transportèrent  le  siège 
du  gouvernement  à  Ctésiphon,  sur  la  rive  opposée 

(21)Strabon,  XVÎ,  p.  742- 

(22)  Hérod.,  1.  I,  ch.  cxcii.  —  (23)  Pline,  V,  xxvi. 


26  BAItVLOiNE.  Cil.  ir. 

du  Tii^i'i*^  <'ii  liiMMit  leur  séjour  (riiivor,  ol  celte 
ville ,  ifabord  siujple  villai^c,  devint  riche  et  lloris- 
sanle^\  Six  siècles  après  la  dernière  [)r()j)lièlie , 
la  Clialdèe  pouvait  se  vanter  de  posséder  encore 
d'autres   (grandes  villes,  telles  qu'Artémise  et 
Sitacène'^".  Lors  de  l'invasion  de  Julien,  dit  Gib- 
bon ,  «  c'était  un  pays  agréable  et  fertile ,  »  et  au 
septième   sijècle  ,  sous  le    règne   de  Chosroès , 
la  Clialdée  présentait  le  plus  magnifique  tableau. 
Sa  demeure  favorite  à  Artémise,  ou  Destagered, 
était  située  au-delà  du  Tigre  5  soixante  milles  au 
nord  de  Ctésiplion,  la  capitale.   «Les  pâturages 
voisins,   dit  Gibbon,  étaient  couverts  de  trou- 
peaux; le  paradis  ou  parc  abondait  en  faisans, 
en  paons ,  en  autruches  et  daims ,  et  en  sangliers 
sauvages;  et  quelquefois  même  on  lâchait  des 
lions  et  des  tigres  pour  animer  la  chasse  :  on  con- 
servait 960  éléphants  et  12,000  grands  chameaux 
pour  l'usage  du  roi;  18,000  plus  petits  servaient 
a    transporter  ses    tentes   .et  ses   bagages  ,  et 
récurie  royale  contenait  6,000  chevaux  et  mu- 
lets; 6,000  soldats  montaient  la  garde  devant 
la  porte  du   palais ,   et  le  service   des  appar- 
tements   se   faisait   par    12,000    esclaves.   Les 
trésors  en  or,  argent,  pierreries,  soieries,  aro- 
mates, étaient  déposés  dans  100  caveaux ^^)> 

Dans  le  huitième  siècle,  les  villes  de  Samorah, 
d'Horounieh  et  de  Djasserik  ne  formaient,  pour 
ainsi  dire,  qu'une  longue  rue  qui  s'étendait  à 
28  milles  ^^  La  Chaldée  était  donc,  avec  son  riche 
sol  et  son  doux  climat,  le  dernier  pays  du  monde 
qu'on  eût  pu  croire  destiné  à  une  désolation  totale; 
car  encore  aujourd'hui  il  n'y  a  pas  le  moindre 
doute  que,  si  l'on  prenait  les  mesures  nécessaires, 

(24)  Strabon,  XVI ,  p.  Zi73.  —  (25)  Ibid.,  p.  7Z}/i. 
(26)  Histoire  de  Gibbon,  vol.  IV,  cli.  xlyi,  p.  /i23. 
(57)  Géographie  de  Malte-Brun,  II,  p.  119. 


CH.  H.  BABYLOrsE.  27 

cette  contrée  ne  pût  être  facilement  cultivée  ^^ 
Les  prophéties  relatives  à  la  terre  de  Clialdée 
et  à  Babylone  sont  fort  nombreuses  ^  et  le  long 
intervalle  qui  s'est  écoulé  depuis  qu'elles  ont  été 
prononcées  n'a  servi  qu'à  en  rendre  l'accomplisse- 
ment plus  complet.  Les  jugements  du  ciel  ne  sont 
pas  sujets  au  hasard^  ils  sont  sûrs  ;  ils  ne  sont  point 
arbitraires  ,  mais  justes  ;  et  ils  furent  rendus 
contre  les  habitants  de  Babylone  à  cause  de  leur 
idolâtrie  ^  de  leur  tyrannie ,  de  leur  orgueil ,  de 
leur  avarice^  de  leur  ivrognerie  ^  de  leur  astuce 
et  de  leur  méchanceté.  Leur  idolâtrie  était  telle- 
ment brutale 5  ou  plutôt  ils  faisaient  tellement  ser- 
vir la  religion  d'instrument  à  leurs  passions  ^  que 
les  rits  les  plus  abominables  étaient  usités  parmi 
eux  et  formaient  même  une  partie  de  ce  culte  • 
dont  les  auteurs  païens  parlent  avec  indignation 
et  avec  horreur.  Quoique  enrichis  des  dons  de 
Dieu^  les  Chaldéensne  cherchaient  passa  gloire  , 
et  maintenant  toute  cette  gloire  qui  s'étendail 
sur  la  plaine  de  Shinar  n'est  que  désolation  et 
ruine.  Yoici  comment  la  parole  de  Celui  qu'ils 
méprisaient  annonça  leurs  malheurs  : 

«  Prédiction  contre  Babylone  révélée  à  Esaïe^ 
«  filsd'Amos  :  Il  y  a  aux  montagnes  le  bruit  d'une 
«  multitude,  tel  que  celui  d'un  grand  peuple^  un 
«  bruit  d'un  son  éclatant^  des  royaumes.^  des  na- 
«  tions  assemblées.  L'Éternel  des  armées  fait  la 
c<  revue  pour  la  guerre.  L'Éternel  et  les  instru- 
«  ments  de  son  indignation  viennent  d'un  pays 
«  éloigné,  du  bout  des  cieux^  pour  détruire  tout 
c(  le  pays.  »  —  «  Voici  ^  la  journée  de  l'Éternel  qui 
c(  vient  est  cruelle  ;  elle  n'est  que  fureur  et  ar- 
«  deur  de  colère,  pour  réduire  ce  pays  en  désola- 
(^  tion,  et  il  en  exterminera  les  méchants.  » 

(28)  Recherches  philosophiques  de  Bombay,  I,  p.  124 


2H  HAHYLONE.  CU.  H. 

«  Il  en  s(Ma  de  IJahylone,  la  noblesse  des royau- 
<<  mes,  et.  la  {ijloire  de  l'orgueil  des  (^lialdéens, 
<^  eoiniiie  quand  Dieu  renversa  Sodonie  et  Go- 
«  niorrhe.  Elle  ne  sera  jamais  rétablie;  elle  ne 
<<  sera  habitée  en  aueun  temps;  les  Arabes  n'y 
<<  dresseront  plus  leurs  tentes  et  les  bergers  n'y 
«  panjueront  plus.  Mais  les  bêtes  sauvages  des 
«  déserts  y  auront  leurs  repaires,  et  leurs  mai- 
i^  sons  seront  remplies  de  fouines  ;  les  chats-huants 
«  y  habiteront,  et  les  chevreuils  y  sauteront;  et 
«  les  bètes  sauvages  des  îles  et  les  dragons  hur- 
«  leront ,  se  répondant  les  uns  aux  autres  dans 
«  ses  palais,  dans  ses  maisons  de  plaisance  ^^.  Tu 
«  te  moqueras  ainsi  du  roi  de  Babylone,  et  tu  lui 
«  diras  :  Comment  Texacteur  se  repose-t-il?  Corn- 
«  ment  se  repose  celle  qui  était  toute  d'or?  On  a 
«  fait  descendre  ta  magnificence  dans  le  sépul- 
«  cre  5  avec  le  bruit  de  tes  instruments  ;  tu  es 
«  couché  sur  une  couche  de  vers ,  et  la  vermine 
«  te  couvre  ;  tu  as  été  jeté  loin  de  ton  sépulcre 
«  comme  un  tronc  pourri.  »  —  «J'abolirai  le  nom 
«  de  Babylone,  et  ce  qui  y  reste ,  le  fils  et  le  pe- 
«  tit-fils ,  dit  l'Eternel.  Je  la  rendrai  la  demeure 
«  du  butor^  et  je  la  réduirai  en  marais  d'eaux  et 
«  je  la  balaierai  d'un  balai  de  destruction ,  dit 
«  l'Éternel  des  armées  ^\  »  —  «  Elle  est  tombée, 
.^i  elle  est  tombée,  Babylone,  et  toutes  les  images 
«  taillées  de  ses  dieux  ont  été  brisées  et  jetées 
«  par  terre  ^\  »  —  «  Ainsi  a  dit  l'Éternel,  qui  dit 
«  à  l'abîme  :  Sois  desséché,  je  tarirai  tes  fleuves; 
«  qui  dit  de  Cyrus  :  Il  accomplira  toute  ma  vo- 
it lonté  ;  j'ôte  la  force  aux  rois  afin  qu'on  ouvre 
«  les  portes  devant  lui,  et  qu'elles  ne  soient  point 
K  fermées.    »  —  «  Bel  est  tombé   sur  ses  ge- 
«  noux  ^^  !  »  —  «  Descends,  sieds-toi  sur  la  pous- 

(29jEsaie,  XIII,  4,  lu  5,  9,  19,  22.  —  (30)  Ibid.,  XIV,  4,  11,19, 
22,  2:5.— (31  )  II).  XXI ,  9. --(o2)  Ib.  XLIV,  27,  28;  XLV,  1  ;  XLVI ,  1 . 


CM.  ih  BABYLONfi.  2') 

«sière,  vierge,  fille  de  Babylone,  sieds-toi  à 
«  terre  ;  il  n'y  a  plus  de  trône  pour  la  fille  des 
«  Chaldéens  ;  car  on  ne  parlera  plus  de  ta  mol- 
«  lesse  et  de  ta  délicatesse.  »  —  «  Sieds-toi 
«  dans  le  silence  et  entre  dans  les  ténèbres,  fille 
«  des  Chaldéens  ;  car  tu  ne  seras  plus  appelée  la 
«  souveraine  des  royaumes.  »  —  «  Tu  as  dit:  Je 
<'  serai  reine  à  toujours  ;  maintenant  donc  écoute 
«  ceci,  toi,  voluptueuse,  qui  habites  en  assurance, 
«  et  qui  dis  en  ton  cœur  :  C'est  moi,  il  n'y  en  a  point 
«  d'autre  que  moi;  je  ne  demeurerai  point  veuve, 
«  et  je  ne  saurai  point  ce  que  c'est  que  d'être 
«  privée  de  mes  enfants.  C'est  que  ces  deux  cho- 
«  ses  t'arriveront  en  un  moment ,  en  un  même 
<<  jour,  la  privation  d'enfants  et  le  veuvage  ;  elles 
«  viendront  sur  toi  dans  tout  leur  entier,  à  cause 
<v  du  grand  nombre  de  tes  enchantements  et  de 
«  la  multitude  de  tes  enchanteurs;  car  tu  t'es 
«  confiée  dans  ta  malice,  etc., etc.  C'est  pourquoi 
«  le  mal  viendra  sur  toi,  et  tu  ne  sauras  pas  quand 
«  il  arrivera;  et  une  affliction  tombera  sur  toi  que 
«  tu  ne  pourras  point  détourner,  et  une  desola- 
te tion  que  tu  n'auras  pas  prévue  viendra  subite- 
«  ment  sur  toi  '^  »  —  «  Je  ferai  la  punition  de 
«  Babylone  et  du  pays  des  Chaldéens  que  je  ré- 
i(  duirai  en  des  désolations  éternelles.  Et  j'exé- 
«  enterai  sur  ce  pays-là  toutes  mes  paroles  que 
«  j'ai  prononcées  contre  lui,  toutes  les  choses  qui 
«  sont  écrites  dans  ce  li  ^re,  lesquelles  Jérémie  a 
«  prophétisées  contre  toutes  ces  nations.  Car  de 
«  grands  rois  aussi  et  de  grandes  nations  les  as- 
<(  sujétiront,  et  je  leur  rendrai  selon  leurs  ac- 
<i  tions  et  selon  l'œuvre  de  leurs  mains  "\  » 

«  La  parole  que  l'Éternel  prononça  contre  Ba- 
it bylone  et  contre  le  pays  des  Chaldéens  par  le 

(  33)  Esaïc,  XLVII,  1,  5,  7,  11.  —  (34)  Jérémie ,  XXV,  12,  14* 


30  liAliVLONE.  eu.  IL 

''  moyen  de  Jéréinic  le  proplièle  :  Faites  savoir 
^'  parmi  les  nalioiis,  et  piihliez-le,  et  élevez  Tcn- 
«  seij^jiie, publiez-le,  et  ne  le  ea(îliez  point;  dites: 
''  Bal)ylone  a  été  prise ,  lîel  est  rendu  liontcMix; 
^'  Méi'odac  est  brisé;  ses  idoles  sont  rendues  lion- 
^^  teuses,  et  ses  dieux  infâmes  sont  mis  en  pièces. 
«  Car  une  nation  est  montée  contre  elle  de  de- 
«  vers  l'Aquilon 5  elle  mettra  son  pays  en  désola- 
«  tion,  et  il  n'y  aura  personne  qui  y  habite;  les 
«  hommes  et  les  bêtes  s'en  sont  fuis  ;  ils  s'en  sont 
«  allés  ^^.  »  —  «  Car  voici ,  je  m'en  vais  susciter  et 
«  faire  venir  contre  Babylone  une  multitude  de 
«  grandes  nations,  du  pays  de  l'Aquilon;  elles  se 
«  rangeront    en   bataille   contre  elle ,  de  sorte 
«  qu'elle  sera  prise.  Leurs  flèches  seront  comme 
«  celles  d'un  homme  puissant,  qui  ne  fait  que  dé- 
«  truire  et  qui  ne  retourne  point  à  vide.  Et  la 
«  Chaldée  sera  abandonnée  au  pillage,  et  tous 
«  ceux  qui  la  pilleront  seront  assouvis,  dit  l'Éter- 
«  nel.  Elle  sera  toute  la  dernière  entre  les  na- 
«  tions ,  elle  sera  un  désert ,  un  pays  sec ,  une 
«  lande.  Elle  ne  sera  plus  habitée  à  cause  de  Fin- 
«  dignation  de  l'Éternel  ;  elle  ne  sera  tout  en- 
«  tière  que  désolation  ;  quiconque  passera  près 
«  de  Babylone  sera  étonné,  et  lui  insultera  à  cause 
«  de  toutes  ses  plaies  ^^  »  —  «  Ses  fondements 
«  sont  tombés,  ses  murailles  sont  renversées;  car 
i<  c'est  ici  la  vengeance  de  l'Éternel  ;  vengez- 
«  vous  d'elle  ;  faites-lui  comme  elle  vous  a  fait. 
«  Retranchez  de  Babylone  celui  qui  sème  et  ce- 
«  lui  qui  tient  la  faucille  au  temps  de  la  moisson  ; 
«  que  chacun  s'en  retourne  vers  son  peuple,  et 
«  que  chacun  s'enfuie  vers  son  pays  à  cause  de 
«  l'épée  qui  désole  tout  ".  »  —  «  Monte  sur  la 
«  terre  des  rebelles;  monte  contre  eux,  contre  les 

(35)  Jérémie,  L,  1,  2,  3.  —  (36)  Ibid.,  9,  10,  12,  13. 
(37)  Ibid.,  15,  16. 


<^H.  II.  BABYLONE.  31 

«  habitants  destinés  a  la  visitation  ;  tue  et  détruis 
«  à  la  façon  d'interdit  ceux  qui  sont  après  eux  : 
«  l'alarme  est  au  pays  et  une  grande  calamité. 
«  Comment  est  mis  en  pièces  et  rompu  le  marteau 
^<  de  toute  la  terre  ?  Comment  Babylone  est-elle 
^<  en  étonnement  parmi  les  nations  ?  Je  t'ai  tendu 
«  des  filets,  et  aussi  as-tu  été  prise,  ô  Babylone  ! 
«  et  tu  n'en  savais  rien  ;  tu  as  été  trouvée  et 
«  même  atteinte,  parceque  tu  t'en  es  prise  à  l'E- 
«  ternel.  L'Eternel  a  ouvert  son  arsenal ,  et  en  a 
«  tiré  les  armes  de  son  indignation ,  parceque  le 
«  Seigneur,  l'Eternel  des  armées,  a  une  entreprise 
«  à  exécuter  dans  le  pays  des  Chaldéens.  Venez 
«  contre  elle  des  bouts  de  la  terre;  ouvrez  ses 
«  granges,  foulez-la  comme  des  javelles;  détrui- 
«  sez-la  et  qu'elle  n'ait  rien  de  reste  ^^  »  —  «  Que 
<<  personne  n'échappe  ;  rendez-lui  selon  ses  œu- 
«  vres ,  car  elle  s'est  élevée  avec  fierté  contre  le 
«  saint  d'Israël.  La  superbe  bronchera  et  tombera, 
«  et  il  n'y  aura  personne  qui  la  relève  ;  j'allume- 
<<  rai  aussi  le  feu  h  ses  villes ,  et  il  dévorera  tout 
<î  autour  d'elles  ^.  » 

«L'épée  est  sur  les  Chaldéens,  dit  l'Eternel ,  et 
<  sur  les  habitants  de  Babylone,  sur  ses  principaux 
«  et  sur  ses  sages;  répée  est  tirée  con  treses  devins, 
<^  ils  seront  reconnus  insensés  ;  Tépée  est  sur  ses 
«  hommes  forts,  et  lisseront  éperdus;  Tépéeestsur 
«  ses  chevaux  et  sur  ses  chariots,  et  sur  tout  l'amas 
<^  de  diverses  sortes  de  gens  qui  sont  au  milieu 
«  d'elle ,  et  ils  deviendront  comme  des  femmes  ; 
<^  l'épée  est  sur  ses  trésors,  et  ils  seront  pillés.  La 
«  sécheresse  sera  sur  ses  eaux  et  elles  tariront,  car 
«  c'est  le  pays  d'images  taillées ,  et  ils  sont  fous  après 
<(  leurs  idoles  monstrueuses.  C'est  pourquoi  les 
«  bêtes  sauvasses  des  déserts  avec  celles  des  îles 

(38)  Jéréniie,  L,  21,  26.  —  (39)  Ibkl,  29,  32- 


32  KAHVLONE.  CH.  H. 

t<  y  habiteront,  et  les  clials-linaiits  y  habiteront 
^^  aussi,  et  elle  ne  sera  jamais  j)lus  habitée  ,  et  on 
«  if  y  demeurera  point  en  quelque  temps  que  cela 
^  soit.  Il  n'y  demeurera  personne,  a  dit  l'Eternel, 
^'  et  aucun  (ils  d'homme  n'y  habitera ,  comme  dans 
^^  la  subversion  que  Dieu  a  faite  de  Sodome  et 
'  de  Gomorrhe  et  de  leurs  lieux  circon voisins; 
^^  voici,  un  peuple  et  une  grande  nation  vient  de 
<<  l'Aquilon,  et  plusieurs  rois  se  réveilleront  du 
u  fond  de  la  terre.  Ils  prendront  l'arc  et  l'éten- 
c<  dard;  ils  sont  cruels  et  ils  n'auront  point  de 
c(  compassion;  leur  voix  bruira  comme  la  mer,  et 
<  ils  seront  montés  sur  des   chevaux;   chacun 
«  d'eux  est  rangé  en  homme  de  guerre  contre 
«  toi,  fille  de  Babylone.  Voici,  il  montera  comme 
«  un  lion  à  cause  du  débordement  du  Jourdain , 
«  vers  la  demeure  forte,  et  en  un  moment  je  les 
«  ferai  courir  sur  elle;  et  qui  me  déterminera  le 
«  temps?  et  qui  sera  le  pasteur  qui  tiendra  con- 
«  tre  moi?  et  qui  est  semblable  à  moi?  C'est  pour- 
«  quoi  ^  écoutez  la  résolution  qu^  l'Eternel  a  prise 
«  contre  Babylone,  et  les  desseins  qu'il  a  faits 
«  contre  le  pays  des  Chaldéens;  si  les  plus  petits 
«  du    troupeau,  dit-il,  ne  les  traînent  pas  par 
«  terre,  et  si  on  ne  réduit  pas  en  désolation  leur 
«pays  sur  eux^\^  » 

«  J'enverrai  contre  Babylone  des  vanneurs  qui 
«la  vanneront  et  qui  videront  son  pays;  et  les 
«  blessés  à  mort  tomberont  au  pays  des  Chal- 
«  déens.  Babylone  est  tombée  en  un  instant,  et  a 
«  été  brisée;  hurlez  sur  elle!  prenez  du  baume 
«pour  sa  douleur,  peut-être  qu'elle  guérira. 
«  Nous  avons  traité  Babylone ,  et  elle  n'est  point 
«  guérie;  laissons-la,  et  nous  en  allons  chacun  en 
«  son  pays;  car  son  procès  est  parvenu  jusqu'aux 

(40)  Jérémie,  L,  55,  42,  44,  45. 


CH.  11.  BABYLONE.  33 

«  deux  5  et  s'est  élevé  jusqu'aux  nues^*.  »  — «  L^È- 
«  ternel  a  réveillé  Tesprit  du  roi  de  Médie,  car  il 
«a  résolu  de  détruire  Baby  lone.  » — ^«  Tu  étais 
«  assise  sur  plusieurs  eaux,  abondante  en  trésors  ; 
«  ta  fin  est  venue  et  le  comble  de  ton  gain  déshon- 
«  nête.  L'Eternel  des  armées  a  juré  par  soi-même, 
«  en  disant  :  «  Si  je  ne  te  remplis  d'hommes 
«  comme  de  sauterelles,  et  s'ils  ne  jettent  pas  des 
«  cris  pour  s'encourager  contre  toi^^  !  » 

«  Voici,  j'en  veux  à  toi,  dit  l'Eternel,  montagne 
«  qui  détruis,  qui  détruis  toute  la  terre  ;  j'étendrai 
«  aussi  ma  main  sur  toi,  et  je  te  roulerai  en  bas  du 
«  haut  des  rochers ,  et  je  te  réduirai  en  une  montagne 
«  embrasée.  »  —  «  Levez  l'enseigne  sur  la  terre; 
«  sonnez  de  la  trompette  parmi  les  nations,  pré- 
«  parez  les  nations  contre  elle  ;  convoquez  contre 
«  elle  les  royaumes  d' Ararat,  de  Minni  et  d'As- 
«  ckénaz.  Préparez  contre  elle  les  nations,  les 
«  rois  de  Médie ,  ses  gouverneurs  et  tous  ses  ma- 
«  gistrats,  et  tout  le  pays  de  sa  domination.  Et  la 
«  terre  en  sera  ébranlée  et  en  sera  en  travail , 
«  parceque  tout  ce  que  J'Eternel  a  résolu  a  été 
«  exécuté  contre  Babylone ,  pour  réduire  le  pays 
«  en  désolation ,  tellement  qu'il  n'y  ait  personne 
<^  qui  y  habite.  Les  hommes  vaillants  de  Babylone 
«  ont  cessé  de  combattre ,  ils  se  sont  tenus  dans 
«  les  forteresses,  leur  force  a  manqué,  et  ils  sont 
«  devenus  comme  des  femmes  ;  on  a  brûlé  ses  de- 
«  meures ,  et  les  barres  de  ses  portes  ont  été 
«  rompues.  11  viendra  courrier  sur  courrier,  et 
«  messager  sur  messager,  pour  annoncer  au  roi 
«  de  Babylone  que  sa  ville  est  prise  par  un  bout , 
«  et  que  ses  quais  sont  surpris;  car  ainsi  a  dit 
«  l'Eternel  des  armées,  le  Dieu  d'Israël  :  La  fille 
«  de  Babylone  est  comme  Taire,  il  est  temps  qu'elle 

(/il)  Jérémie,  LI,  2,4,8,9.  —  (42)  Ibid.,  il,  i 3,  14. 

2. 


34  BABYLONE,  CH.  II. 

w  soil  foulée;  le  temps  de  sa  moisson  \ieiidra 
«  bieniôt^\  »  —  «Je  dcsséeherai  sa  mer,  et  Je  fe- 
«  rai  tarir  sa  souree,  et  lîabylone  sera  réduite  en 
«  moneeaux,  en  demeure  de  draj^ons,  en  éton- 
«  nement  et  en  opprobre,  sans  que  ])ersonne  y 
«  habite.  Je  les  ferai  échauffer  dans  leurs  festins, 
«  alin  qu'ils  dorment  d'un  sommeil  perpétuel,  et 
«  qu'ils  ne  se  réveillent  plus.  »  —  «  Comment  celle 
«  qui  était  célèbre  par  toute  la  terre  a-t-elle  été 
«  saisie?  Comment  Babylone  a-t-elle  été  réduite 
«  en  désolation  parmi  les  nations?  La  mer  est 
«  montée  sur  Babylone ,  elle  a  été  couverte  de  la 
«  multitude  de  ses  flots  ;  ses  villes  ont  été  ré- 
«  duites  en  désolation ,  en  une  terre  sèche  et  de 
«  landes ,  en  un  pays  oîi  personne  ne  demeure ,  et 
«  oil  il  ne  passe  pas  un  tils  d'homme.  Je  punirai 
«  aussi  Bel  à  Babylone,  et  je  tirerai  de  sa  bouche 
«  ce  qu'il  avait  englouti,  et  les  nations  n'aborde- 
«  rontplus  vers  lui-même;  la  muraille  de  Baby- 
«  loue  est  renversée.  »  —  «  Des  nouvelles  vien- 
«  dront  une  année,  et  après  cela  d'autres  nouvelles 
«  une  autre  année ,  et  la  violence  sera  dans  le 
«  pays ,  et  un  dominateur  succédera  à  un  autre 
c<  dominateur.  C'est  pourquoi  voici,  les  jours  vien- 
«  nent  que  je  punirai  les  images  taillées  de  Baby- 
«  lone  ;  tout  son  pays  sera  rendu  honteux ,  et 
«  tous  ses  blessés  à  mort  tomberont  au  milieu 
«  d'elle^^.  ))  — «  J'enivrerai  donc  ses  principaux  et 
w  ses  sages ,  ses  gouverneurs  et  ses  magistrats , 
^  et  ses  hommes  forts  ;  ils  dormiront  d'un  sommeil 
«  perpétuel,  et  ils  ne  se  réveilleront  plus,  dit  le 
«  roi  dont  le  nom  est  l'Eternel  des  armées.  Il  n'y 
«  aura  aucune  muraille  de  Babylone,  quelque  large 
«  qu'elle  soit ,  qui  ne  soit  entièrement  rasée ,  et 
«ses  portes  qui  sont  si  hautes  seront  brûlées; 

(43)  Jérémie,  LI,  25,  27, 33.— (44)  îbid.,  35,  37,  39, 41, 44,46, /j 7. 


CH. IK  BABYLONE.  35 

«  ainsi  les  peuples  auront  travaillé  pour  néant ,  et 
«  les  nations  pour  le  feu  ^  et  elles  s'y  seront  las- 
ce  sees.  »  —  c(  Et  sitôt  que  tu  auras  achevé  de  lire 
«  ce  livre  ^  tu  le  lieras  à  une  pierre  ^  et  tu  le  jette- 
«  ras  dans  TEuphrate  ^  et  tu  diras  :  Babylon^ 
«  sera  ainsi  plongée;  elle  ne  se  relèvera  point  du 
«  mal  que  je  m'en  vais  faire  venir  sur  elle^".  » 

Toutes  ces  prédictions  sur  les  ennemis  de  Ba- 
bylone,  sur  la  frayeur  de  ses  habitants,  sur  la 
manière  dont  la  ville  fut  prise ,  et  toutes  les  cir- 
constances remarquables  qui  accompagnèrent  ce 
siège,  sont  annoncées  parles  prophètes  comme  les 
faits  nous  ont  été  racontés  depuis  par  les  auteurs 
anciens. 

«  Hélamites,  montez;  Mèdes  5  asssiêgez^^!  »  — 
«  L'Eternel  a  réveillé  l'esprit  des  rois  de  Médie  , 
c(  car  il  a  résolu  de  détruire  Babylone.  »  Les  rois 
de  Médie  et  de  Perse,  poussés  par  unintérêt  com- 
mun ,  formèrent  une  alliance  contre  Babylone ,  et 
confièrent  le  commandement  de  l'armée  alliée  à 
Cyrus ^%  parent  des  deux  princes,  et  plus  tard 
possesseur  des  deux  royaumes  ;  mais  la  prise  de 
Babylone  ne  dut  pas  être  l'œuvre  de  ces  deux  na- 
tions seules. 

«  Levez  l'enseigne  sur  la  terre  ;  sonnez  de  la 
«  trompette  parmi  les  nations,  préparez  les  na- 
«  tions  contre  elle ,  convoquez  contre  elle  les 
«  royaumes  d'Ararat,  de  Minni,  et  d'Asckénaz. 
«^  Car  voici,  je  m'en  vais  susciter  et  faire  venir 
«  contre  Babylone  une  assemblée  de  grandes  na- 
«  tions  du  pays  d'Aquilon.  »  Cyrus  subjugua  les 
Arméniens  qui  s'étaient  révoltés  contre  les 
Mèdes;  il  épargna  leur  roi,  les  fit  rentrer  de  nou- 
veau sous  le  joug,  plutôt  par  la  douceur  que  par 

(45)  Jérémie,  LI,  57,  58,  63,  Qfr  —  (AG)  Esoïe,  XXI,  2. 
(47)  Xénophon,  Cyrop,,  1,  I.  p.  53;  id.,  p.  12, 


^^  nVBYLONE.  CH.  If. 

la  force,  et  incorpora  leur  armée  dans  la  sienne**. 
11  reçntlesHyrcaniens,  <(ui  avaient  secoué  le  Joug 
des  Chaldéens,  au  nombre  des  alliés  et  des  confé- 
dérés des  Mèdes  et  des  Perses'^  H  maîtrisa  les 
forces  réunies  des  Chaldéens  et  des  Lydiens,  prit 
Sardes ,  s'empara  de  Crésus  et  de  tous  ses  trésors, 
lui  épargna  la  vie  lorsqu'il  était  déjà  sur  le  bûcher, 
le  rendit  à  sa  famille  et  à  sa  maison,  le  reçut  au 
nombre  de  ses  conseillers  et  de  ses  amis ,  et  pré- 
para ainsi  les  Lydiens,  jadis  les  alliés  de  Baby- 
lone,  à  «monter  contre  elle*^^.  »  Il  renversa  les 
Phrygiens  et  les  Cappadociens ,  etréunitleursar- 
mées  à  ses  troupes  victorieuses^*.  Ainsi,  par  des 
alliances  et  des  conquêtes  successives,  par  une 
politique  sage  et  modérée ,  par  une  grande  géné- 
rosité et  par  une  habileté  sans  pareille,  il  changea 
dans  l'espace  de  vingt  ans  en  confédération  contre 
le  roi  de  Babylone  une  ligue  que  celui-ci  avait 
formée  contre  les  Mèdes  et  les  Perses  eux-mêmes. 
C'est  ainsi  que  «  l'enseigne  fut  levée  parmi  les  na- 
tions contre  Babylone;  ainsi ^elles  furent  con- 
voquées 5  assemblées  contre  elle ,  et  même  une 
assemblée  de  grandes  nations  de  l'Aquilon.  » 
C'est-à-dire,  Ararat  et  Minni,  ou  la  petite  et 
grande  Arménie,  et  Asckénazou  laPhrygie,  selon 
Bochart,  «furentsuscitées contre  Babylone.  »  Sans 
leur  aide ,  et  avant  qu'elles  fussent  soumises  à  sa 
puissance ,  Cyrus  avait  essayé  en  vain  de  se  rendre 
maître  de  Babylone ,  et  même  lorsqu'il  eut  «  as- 
semblé et  préparé  »  toutes  ces  nations,  sa  conquête 
fut  le  résultat  plutôt  de  la  ruse  que  de  la  force. 

«Ils  prendront  l'arc  et  l'étendard;  ils  seront 
«  montés  sur  des  chevaux.  »  Quax^ante  mille  ca- 
valiers perses  furent  équipés  par  les  nations  que 
Cyrus  avait  subjuguées  5  et  beaucoup  de  chevaux 

(48)  Xénophon,  1.  III,  p.  156.  —  (49)  Ibid.,  IV,  p.  215,  217. 
(50)  Ibid.,  Ill,  p.  408,  416.  —  (51)  Ibid.,  IV,  p.  427,  428. 


CH.  II.  BABYLONE.  37 

furent  aussi  distribués  parmi  les  alliés.  Cyrus 
monta  contre  Babylone  avec  une  grande  multitude 
de  chevaux ,  et  avec  une  grande  multitude  d'ar- 
chers 5  c(  de  gens  qui  tendaient  Tare  et  la  javeline  "^ .  » 
A  peine  Cyrus  fut -il  arrivé  devant  Babylone 
avec  les  nations  qu'il  avait  rassemblées  que,  dans 
l'espoir  de  trouver  quelque  endroit  accessible,  ilfit 
le  tour  de  ses  murailles,  accompagné  de  ses  prin- 
cipaux officiers  et  de  ses  amis ,  et  les  examina  de 
tous  les  côtés ,  ayant  déjà  à  cet  effet  placé  son 
armée  «tout autour»  delaville^^  «Rangez- vous 
«  en  bataille  contre  Babylone ,  mettez-vous  tous  à 
«  Tentour  d'elle.  »  Déçu  dans  son  attente,  ne 
trouvant  pas  dans  toute  la  circonférence  des  mu- 
railles un  seul  point  attaquable,  voyant  qu'il 
lui  était  impossible  de  se  rendre  maître  de  ces 
murs  si  élevés  et  si  forts ,  et  craignant  que  son  ar- 
mée ne  fut  trop  exposée  aux  attaques  des  Babylo- 
niens sur  une  ligne  aussi  étendue,  Cyrus,  debout 
au  milieu  de  son  armée,  commanda  aux  corps 
pesamment  armés  de  se  diriger  en  sens  opposé  des 
extrémités  au  centre.  La  cavalerie  et  l'infanterie 
légère  s'avancèrent  en  première  ligne;  la  pha- 
lange étant  ainsi  doublée  et  resserrée ,  les  troupes 
les  plus  braves  occupèrent  l'avant  et  l'arrière- 
garde,  et  les  troupes  inférieures  se  trouvèrent  au 
centre  de  l'armée^*.  Cette  disposition  de  l'armée , 
selon  Xénophon,  lui-même  général  fort  habile, 
était  admirablement  calculée  pour  combattre  et 
pour  empêcher  la  fuite.  Mais  le  chrétien  voit 
encore  ici  l'accomplissement  d'une  prophétie  ; 
car  lorsque  l'armée ,  quoique  formée  de  tant  de 
nations ,  se  tenait  ainsi  autour  de  la  ville  en  bon 
ordre,  et  non  comme  une  masse  indisciplinée, 
«  ces  nations  se  rangeaient  en  bataille  contre 

(52)  Xénophon,  p.  428,  429.  —   (53)  WM,,  IV,  p.  429. 
(54)  Ibid.,  p.  430. 


38  DAnVLONE.  eu.  II. 

elle.  »  —  «Chacune  cVelle  raiifjoailses  lioniines  de 
«  giienc  contre  Bal>yIone.  » 

On  creusa  une  tranchée  tout  autour  de  la  ville, 
on  éleva  des  tours,  on  partagea  Tannée  en  douze 
corps,  qui  devaient  être  successivement,  et  pen- 
dant un  mois  chacun,  de  garde  autour  de  la  ville  : 
ce  fut  ainsi  que,  sans  s'en  douter  lui-même,  Cyrus 
accomplit  le  commandement  de  l'Eternel  des  ar- 
mées: «Que  personne  n'échappe.  » 

«  Les  hommes  vaillants  de  Babylone  ont  cessé 
«  de  combattre,  ils  se  sont  tenus  dans  leurs  forte- 
«  resses;  leur  force  a  manqué,  et  ils  sont  deve- 
«  nus  comme  des  femmes.  »  Babylone  avait  été  le 
marteau  de  toute  la  terre ,  elle  avait  brisé  les  na- 
tions et  détruit  les  royaumes;  ses  hommes  de 
guerre  avaient  porté  la  terreur  de  son  nom  jus- 
qu'aux contrées  les  plus  lointaines;  mais  «  l'alarme 
fut  au  pays,  »  comme  l'avait  prédit  la  parole  de 
Dieu,  lorsque  les  habitants  de  Babylone  virent  tou- 
tes ces  nations  étrangères  se  ranger  contre  elle.  Ce 
fut  de  cette  frayeur  même ,  si  clairement  annon- 
cée ,  que  se  plaignirent  ses  ennemis  qui  essayèrent 
en  vain  de  les  provoquer  au  combat.  Cyrus  défia 
même  leur  monarque  en  combat  singulier ,  mais 
également  sans  succès;  «car  les  mains  du  roi  de 
«Babylone  étaient  devenues  lâches.  »  Le  prince  et 
son  peuple  avaient  perdu  courage,  et  personne 
ne  fit  un  effort  pour  délivrer  son  pays ,  ou  pour 
chasser  les  assaillants  loin  des  murailles.  On  ne 
fit  aucune  sortie  contre  rennemî,  on  n'essaya 
point  de  le  couper,  même  lorsque  la  vaste 
étendue  de  sa  ligne  offrait  pour  cela  la  plus 
grande  facilité.  Toutes  les  portes  restèrent  fer- 
mées, et  chacun  se  tint  «dans  sa  forteresse.» 
Ne  parvenant  donc  point  à  réveiller  leur  courage 
ou  à  les  décider  à  combattre  en  rase  campagne , 
se  voyant  également  dans  l'impossibilité  de  dé- 


eu.  II.  BABYLONE.  39 

molir  la  moindre  partie  de  leurs  fortes  murailles, 
ou  de  forcer  leurs  portes  d'airain,  Cyrus  se  per- 
suada que  plus  leur  nombre  était  considérable , 
plus  il  lui  serait  facile  de  les  réduire  par  la  famine 
et  de  les  forcer  à  se  rendre  par  ce  moyen ,  puis- 
qu'ils ne  voulaient  pas  en  venir  aux  armes.  Ce  fut 
là  pendant  deux  ans  son  seul  espoir  de  succès; 
mais  Babylone  5  si  long  temps  «  marteau  du  monde,» 
se  laissa  tranquillement  assiéger.  Elle  possédait 
des  champs  fertiles  et  un  abondant  approvision- 
nement pour  vingt  ans  ;  ainsi  renfermée  dans  ses 
inexpugnables  murailles,  elle  défiait  toute  la 
puissance  de  Cyrus.  Rien  ne  put  d'ailleurs  di- 
minuer la  méchanceté  et  la  fausse  sécurité  de  ses 
habitants;  ils  vivaient  dans  la  débauche,  abandon 
nés  au  plaisir,  mais  ils  ne  retrouvèrent  plus  leur 
force;  et  Babylone  la  grande  ne  fit  pas  un  seul  ef- 
fort pour  se  délivrer  de  son  ennemi,  ou  pour 
reconquérir  sa  liberté. 

Après  avoir  perdu  beaucoup  de  temps,  et 
la  prise  de  la  ville  n'étant  pas  plus  avancée  que  le 
premier  jour,  Cyrus  se  trouva  dans  un  grand  em- 
barras; il  était  dans  une  position  en  effet  fort  diffi 
cile,  quand  on  lui  proposa  de  détourner  le  cours  de 
l'Euphrate  ;  expédient  extraordinaire  qu'il  adopta 
avec  joie.  Mais  ce  travail  était  loin  d'être  facile  :  le 
fleuve  était  large  d'un  quart  de  mille  et  profond  de 
1 2  pieds  ;  et  selon  quelques-uns  de  ses  officiers  la 
ville  était  encore  plus  forte  par  sa  rivière  que  par 
ses  murailles.  On  fit  à  la  hâte  de  grands  préparatifs 
pour  exécuter  ce  projet  à  l'insu  des  Babyloniens , 
et  la  grande  tranchée  faite  ostensiblement  pour  en 
former  le  blocus  fut  creusée  tout  autour  des  murs 
afin  d'y  faire  couler  les  eaux  de  l'Euphrate,  dont 
le  lit  servirait  ensuite  de  chemin  pour  arriver  dans 
le  centre  de  la  ville  qu'il  traversait.  «  Mais,  dit 
Hérodote ,  si  les  assiégés  avaient  eu  la  moindre 


iO  nVHYLONE.  CM.  \\ , 

idee  du  dessein  de  Cyrus,  ou  s'ils  s'en  élaiiîiit  aper- 
çus avant  l'exécMition,  ils  auraient  pu  s'en  servir 
eux-mêmes  pour  détruire  toute  son  armée;  ils 
n'auraient  eu  qu'à  fermer  les  petites  |)oites  qui 
eonduisaient  vers  le  (leuve,  et  garnir  de  trou[)es 
les  quais,  et  les  Perses  auraient  été  pris  dans  un 
fdet  hors  duquel  il  leur  aurait  été  impossible  d'é- 
chapper ^^  »  Cyrus  se  tint  autant  que  possible 
sur  ses  gardes  contre  une  pareille  catastrophe,  et  il 
choisit  pour  l'exécution  de  son  projet  l'époque 
d'une  grande  fête  annuelle  des  Babyloniens,  pen- 
dant laquelle  selon  leur  coutume  «  ils  s'abandon- 
naient à  la  débauche  toute  la  nuit.  »  Tandis  que 
les  habitants  se  livraient  ainsià  la  danse  età  la  joie, 
la  rivière  fut  subitement  détournée;  elle  remplit 
le  lac,  les  tranchées  et  le  canal;  et  dès  que  le  lit 
du  fleuve  se  trouva  à  sec ,  les  troupes  perses,  infan- 
terie et  cavalerie,  profitèrent  du  chemin  qu'il  leur 
ouvrit  pour  pénétrer  avec  leurs  alliés  dans  la 
ville ^^  «  Ainsi  ditrÉternel,qui  dit  à  l'abîme:  Sois 
«  desséché;  je  tarirai  tes  fleuves.^ » 

On  porta  un  détachement  de  troupes  à  l'entrée 
du  fleuve  dans  la  ville  et  un  autre  à  sa  sortie'^^  et 
«  courrier  vint  sur  courrier,  et  messager  sur  mes- 
«  sager  pour  annoncer  au  roi  de  Babylone  que  sa 
«  ville  est  prise  par  un  bout,  et  que  ses  gués  sont 
«  surpris.  »  La  ville  fu tprise,  ditHérodote,  «  par  sur- 
prise, et  son  étendue  était  telle  que  les  habitants 
eux-mêmes  assurent  que  ceux  qui  demeuraient 
dans  les  faubourgs  furent  faits  prisonniers  avant 
que  le  moindre  bruit  arrivât  au  centre  de  la  ville^S) 
où  était  le  palais  du  roi  :  pas  une  seule  des  portes 
de  la  ville  ne  fut  ouverte,  on  ne  démolit  pas  une 
seule  pierre.  Mais  «je  t'ai  tendu  des  filets  et  aussi 
«  tu  as  été  prise,  ô  Babylone  !  et  tu  n'en  savais 

(55)  Ilérod.,  1.  I,  ch.  csci.  —  (56)  Ibid.  —  Xénop.,  Cyrop,  VII, 
p.  434,  437.  —  (57)  Hérod.,  I,  ch.  cxci.  ^  (58)  Ibid. 


CH.  11.  BABYLONE.  4l 

«rien;  tu  as  été  trouvée  et  même  surprise  parce- 
«  que  tu  t'en  es  prise  à  l'Eternel.  Comment  celle 
«qui  était  célèbre  par  toute  la  terre  a  t-elle  été 
«  saisie?  car  tu  t'es  confiée  en  ta  malice. Ta  sagesse 
«  et  ta  science  est  celle  qui  t'a  séduite  ;  c'est  pour- 
«  quoi  le  mal  viendra  sur  toi ,  et  tu  ne  sauras 
«  point  quand  il  sera  près  d'arriver  ;  et  le  mal- 
«  heur  qui  tombera  sur  toi  sera  tel  que  tu  ne  le 
«  pourras  point  détourner  ;  il  n'y  a  personne  qui 
«  te  délivre.  » 

«  Je  les  ferai  échauffer  dans  leurs  festins ,  et  je 
«  les  enivrerai  afin  qu'ils  se  réjouissent ,  et  qu'ils 
«  dorment  d'un  sommeil  perpétuel ,  et  qu'ils  ne  se 
«  réveillent  plus,  dit  l'Eternel.  Je  les  ferai  des- 
«  cendre  comme  des  agneaux  k  la  tuerie ,  etc.  etc. 
«  J'enverrai  donc  ses  principaux  et  ses  sages , 
«  ses  gouverneurs  et  ses  magistrats ,  et  ses 
«  hommes  forts  ;  ils  dormiront  d'un  sommeil  per- 
«  pétuel.  »  A  mesure  que  la  nuit  s'avançait,  Cyrus 
encourageait  ses  troupes  à  pénétrer  dans  la  ville, 
parceque ,  dans  cette  nuit  de  débauche,  beaucoup 
de  gens  devaient  sommeiller ,  d'autres  devaient 
être  ivres ,  et  la  confusion  devait  être  générale. 
Après  avoir  traversé  la  ville  sans  obstacle,  les  Per- 
ses, tout  en  massacrant  quelques  personnes,  et  en 
mettant  d'autres  en  fuite  ,  arrivèrent  au  palais , 
avant  qu'aucun  messager  y  fût  parvenu  pour 
annoncer  au  roi  la  prise  de  sa  capitale.  Les  portes 
du  palais ,  fortifiées  avec  soin ,  étaient  fermées  ; 
les  gardes  bivouaquaient  autour  d'un  grand  feu 
lorsque  les  Perses  fondirent  sur  eux  ;  des  cris 
élevés ,  mais  non  plus  des  cris  joyeux ,  parvinrent 
auxoreillesduprince,  et  unelueur  vive  vint  éblouir 
ses  yeux  et  lui  annoncer  une  œuvre  de  destruc- 
tion dont  il  ignorait  encore  la  cause.  Ce  fut  donc 
le  roi  lui-même,  qui,  sans  se  douter  de  la  présence 
de  rennemî,  se  réveilla  le  premier  de  sa  léthargie  3, 


^<2  BABYLONE.  CH.  II. 

et  commanda  à  scîs  couiiisans  de  s'informer  de  la 
cause  de  tout  ce  limmlle.  (On  sait  qu'il  avait  déjà 
été  iiiterjompn  dans  sa  débauche  par  une  main 
qui  traçait  devant  lui,  sur  la  muraille,  des  carac- 
tères mystérieux.)  Ainsi  fut  accomplie  la  parole 
de  celui  qui  dit  de  Cyrus  :  «11  accomplira  toute  ma 
«  volonté;  je  délie  les  reins  des  rois,  afin  qu'on 
«ouvre  devant  lui  les  portes,  et  que  les  portes 
«  ne  soient  point  fermées.  »  Dès  que  les  Perses 
virent  les  portes  du  palais  s'ouvrir ,  ils  s'y  préci- 
pitèrent avec  fureur.  «  Le  roi  de  Babylone  en 
«  ouït  le  bruit ,  l'angoisse  se  saisit  de  lui ,  »  et  il 
fut  massacré ,  lui  et  tous  ceux  qui  l'entouraient. 
Dieu  avait  calculé  son  règne  et  y  avait  mis  fin  ; 
son  royaume  fut  divisé  et  donné  aux  Mèdes  et 
aux  Perses  ;  cette  même  nuit  ^  «  ses  principaux, 
«  et  ses  sages  et  ses  gouverneurs  dormirent  d'un 
«sommeil  perpétuel,  et  ils  ne  se  réveillèrent 
«  plus^^.  » 

«  Les  gens  d'élite  tomberont  dans  les  places  , 
«  et  on  fera  perdre  la  parole  à  tous  ces  gens  de 
«  guerre  en  ces  jours-là.  »  Cyrus  envoya  des  trou- 
pes de  cavalerie  dans  les  rues  et  places ,  avec 
Tordre  de  passer  au  fil  de  Fépée  tous  ceux  qui 
s'y  trouveraient  ;  et  il  fit  une  ordonnance  en  lan- 
gue syrienne ,  par  laquelle  il  commandait  à  tous 
les  habitants  de  rester  dans  leurs  maisons  sous 
peine  de  mort.  On  obéit  à  ces  ordres^\  —  «  Si  je  ne 
«  te  remplis  d'hommes  comme  de  grillons  !  »  L'ar- 
mée perse  pénétra  dans  la  ville  avec  autant  de 
facilité  que  des  grillons ,  et  ses  nombreuses  co- 
hortes semblaient  vérifier  la  comparaison  faite 
par  le  prophète.  Après  la  prise  de  la  ville, 
Cyrus  déploya  toute  la  force  de  sa  cavalerie  de- 
vant les  Babyloniens ,  au  centre  de  leur  capitale; 

(59)  Hérod.,  I.  I,  cli.  cxcf.  —  Xénophon,  Cyrop.  VII,  434,  439. 

(60)  Xénophon,  V,  439. 


en.  II.  BABYLONE.  43 

quatre  mille  gardes  se  tenaient  devant  les  portes 
du  palais,  et  deux  mille  de  chaque  côté.  Ceux- 
ci  s'avancèrent  comme  Tavant-garde  de  Cyrus , 
et  deux  mille  lanciers  le  suivaient.  A  ces  derniers 
succédèrent  quatre  corps  de  cavalerie ,  compo- 
sés de  IO5OOO  hommes  chacun ,  et  à  ceux-ci  on 
réunit  encore  la  cavalerie  des  Mèdes ,  des  Armé- 
niens,  des  Hyrcaniens,  des  Caduriens  et  des 
Sariens ,  «  tous  montés  sur  des  chevaux  et  rangés 
«  en  hommes  de  guerre  contre  elle^*.  «Le  cortège 
se  terminait  par  des  files  de  chariots ,  quatre  de 
front  5  qui  formèrent  Tarrière-garde  de  cette  mul- 
titude. Cyrus  passa  plus  tard  en  revue ,  àBabylone , 
toute  sa  puissante  armée,  qui  consistait  enl20,000 
hommes  de  cavalerie,  2000  chariots  et  600,000 
hommes  d'infanterie.^^  Ainsi  Babylone,  qui  jamais 
n'était  tombée  au  pouvoir  d'un  ennemi,  fut  empor- 
tée par  surprise ,  et  «  remplie  d'hommes  comme 
«  de  sauterelles.  »  Les  Saintes  Ecritures  ne  ra- 
content nulle  part  la  manière  dont  Babylone  fut 
prise ,  et  elles  ne  font  jamais  allusion  à  l'accom- 
plissement des  prophéties  ;  mais  il  y  a  presque 
dans  tous  les  détails  un  accord  parfait  entre  les 
prédictions  des  prophètes  et  les  faits  racontés  par 
Hérodote  et  par  Xénophon. 

Selon  qu'il  avait  été  prédit,  dès  que  Cyrus  se 
fut  rendu  maître  de  Babylone  (Esaïe,  xlv,  1 , 4  ^^), 
il  prit  possession  de  ses  trésors  cachés.  Jamais 
avant  lui  aucun  ennemi  n'avait  osé  se  présenter 
devant  elle.  Il  ne  semblait  pas  qu'un  homme  put 
s'emparer  de  la  grande  Babylone  ;  mais  elle  fut 
une  conquête  facile  pour  le  «  pasteur  du  Sei- 
gneur. »  Et  de  même  qu'aujourd'hui  on  peut  re- 
connaître que  le  Seigneur  est  l'Éternel ,  par  la 

(61)  Xénophon  1.  VIII,  p.  494,  405.  —  (62)  Ibid.  XIII,  494,  495. 
(63)  Esaïe  fit  ceUe  prédiction  260  ans  avant  la  prise  de  Babylone, 
250  ans  avant  Hérodote  et  plus  de  358  ans  avant  Xénophon. 


4i  n.UiVLONE.  cil.  II. 

parfaite  concordance  des  descriptions  des  pro- 
phètes avec  celles  de  tons  les  voyagenrs  <pii  visi- 
tent anjonrd'lini  les  restes  de  cette  Babylone 
tonte  désolée  et  détrnite;  de  même  alors  Cyrus, 
(pii  contemplait  depnis  deux  ans  les  murailles 
extérieures  de  lîabylone,  et  désespérait  de  la  ré- 
duire même  par  la  famine  ,  put  s'assurer  que  «  le 
«  Dieu  d'Esaïe ,  qui  l'appelait  par  son  nom,  était 
«  l'Eternel ,  par  les  trésors  cachés  et  les  riches- 
«  ses  secrètement  gardées ,  »  qu'il  lui  remit 
ainsi  entre  les  mains.  Lors  donc  que  l'heure  de  la 
destruction  eut  sonné,  Babylone  fut  prise;  et 
lorsque  l'époque  prescrite  pour  la  durée  de  la 
captivité  des  Juifs  se  fut  écoulée ,  Cyrus  accom- 
plit encore  la  volonté  de  l'Eternel  et  devint  leur 
libérateur. 

«  Ainsi  a  dit  l'Eternel  k  son  oint,  à  Cyrus ,  du- 
«  quel  j'ai  pris  la  main  droite,  afin  que  je  terrasse 
«  les  nations  devant  lui.  »  Cyrus  commença  sa 
carrière  avec  une  petite  armée  de  Perses  ;  non- 
seulement  il  succéda  à  la  couronne  des  royau- 
mes de  Médie  et  de  Perse,  qui  se  trouvèrent 
ainsi  réunis  en  lui,  mais  les  Hyrcaniens  se 
soumirent  volontairement  à  son  autorité.  Il  sub- 
jugea les  Syriens ,  les  Assyriens ,  les  Arabes ,  les 
Cappadociens ,  les  Phrygiens ,  le  Lydiens ,  les 
Cariens ,  le  Phéniciens  et  les  Chaldéens.  Il  régna 
sur  les  Bactriens  ,  les  Indiens  et  les  Ciliciens ,  et 
son  empire  s'étendit  sur  la  Perse,  la  Paphlagonie 
et  sur  d'autres  nations  encore  ;  il  força  les  Grecs 
d'Asie,  les  Cypriens  et  les  Egyptiens,  à  se  soumet- 
tre à  son  autorité;  c'est  ainsi  «  qu'il  terrassa  les 
«  nations  ^\  » 

«  Voici,  je  vais  susciter  contre  eux  les  Mèdes  , 
«  qui  ne  feront  aucune  estime  de  l'argent  et  qui 

(6/i)  Xénopbon,  Cyrop,,  1.  I,  p.  45, 


en.  iï.  BABYLONE.  45 

«  ne  s'arrêteront  point  a  l'or  ^\  »  Celui  qui  était 
appelé  l'oint  du  Seigneur  ne  connaissait  pas  l'a- 
varice; Xénophon  le  dépeint  comme  le  modèle 
du  guerrier  sage  et  généreux.  Ce  n'était  pas  la 
possession  des  richesses  de  Crésus  et  des  trésors 
de  Babylone  qui  relevait  le  conquérant  ^  c'était 
sa  générosité.  11  disait  que  ses  richesses  ne  lui 
appartenaient  pas  plus  qu'à  ses  amis  ^^  ;  il  prou- 
vait que  le  but  de  sa  vie  était  de  savoir  répandre 
et  non  d'accumuler  des  trésors^  et  de  pourvoir 
par  là  aux  besoins  de  ses  serviteurs.  Il  faisait  si 
peu  de  cas  de  «  l'or  et  de  l'argent  »  que  Crésus 
lui  fit  observer  qu'il  se  rendrait  pauvre  à  force 
de  libéralités  ^  au  lieu  de  se  rendre  riche  par 
ses  grands  biens.  Les  Mèdes  ,  même  à  cet  égard, 
étaient  animés  de  l'esprit  de  leur  chef,  et  Xé- 
nophon en  raconte  un  trait  remarquable  ^'  : 
Lorsque  Cobryas ,  gouverneur  assyrien  dont 
le  fils  avait  été  tué  par  le  roi  de  Babylone ,  reçut 
avec  hospitalité  Cyrus  et  son  armée ,  celui-ci, 
avant  de  le  quitter,  demanda  aux  chefs  des  Mè- 
des et  des  Hyrcaniens  si,  après  avoir  donné  aux 
dieux  et  à  Tarmée  ce  qui  leur  revenait  des  tré- 
sors de  Babylone ,  il  ne  serait  pas  convenable 
qu'ils  abandonnassent  leur  part  à  Cobryas,  en  re- 
tour de  sa  généreuse  hospitalité.  Un  cri  unanime 
d'approbation  fut  la  réponse  qu'il  reçut  ;  et  l'un 
des  nobles  ajouta  :  «  Cobryas  a  pu  penser  que 
nous  étions  pauvres  parceque  nous  ne  venions 
pas  chargés  de  monnaies  d'or,  et  que  nous  ne  por- 
tions pas  avec  nous  des  coupes  d'or,  mais  il  ap- 
prencfra  maintenant  que  l'homme  peut  être  gé- 
néreux sans  avoir  beaucoup  d'or  ^^  «  Ils  ne 
«  s'arrêtaient  point  à  l'or.  »  On  peut  aisément 

(65)  Esaïe,  13, 17.  —  (66)  Xénophon,  VIII,  516.— (67)  Ibid.,  482. 
(68)  Xénophon,  V,  289, 


iG  HAUVLONK.  CH.  II. 

croire  que  la  reconnaissance,  anssi  hien  que  le  dé- 
sir (le  la  venijfeance,  j)oila  (lobryas  à  marcher 
contre  Hal)ylone,  elcernUui(]ni,])lns  tard,  péné- 
tra le  j)reniier  dans  le  palais  du  roi.  «  Les  jnije- 
«  nients  de  rKternel  sont  un  abîme  »  mais  aussi 
ne  sont-ils  pas  «  toujours  justes?  »  Sa  main  fut  du 
nombre  de  celles  qui  immolèrent  le  meuitrier  de 
son  Ills. 

A  tous  les  faits  que  nous  venons  de  citer,  à  l'ap- 
pui de  la  yérité  de  la  prophétie  relative  au  siège 
de  Babylone,  il  faut  en  ajouter  un  autre  qui  n'est 
pas  moins  remarquable ,  c'est  que ,  d'après  le  por- 
trait qu'ont  fait  de  Cyrus  les  écrivains  profanes, 
jamais  il  n'exista  de  roi  ou  de  conquérant,  soit 
avant  soit  après  lui,  qui  ait  eu  plus  de  désinté- 
ressement et  de  grandeur  d'âme ,  et  une  politique 
plus  saine  et  plus  morale ,  un  plus  haut  degré  d'in- 
tégrité ,  ni  enfin ,  si  l'on  en  excepte  sa  rigueur  à 
l'égard  des  Babyloniens,  plus  de  douceur  et  de 
générosité  envers  des  ennemis  vaincus.  La  beauté 
même  de  ce  portrait  a  fait  croirfe  à  certaines  per- 
sonnes qu'il  était  en  partie  imaginaire.  Nous  ne 
'sommes  pas  de  cet  avis,  vu  surtout  que  le  langage 
de  l'auteur  païen  à  qui  nous  devons  ce  portrait 
coïncide  parfaitement  avec  les  paroles  du  pro- 
phète. «  Ainsi  a  dit  l'Eternel  à  son  oint,  à  Cyrus 
«  que  j'ai  pris  par  la  main  droite;  c'est  moi  qui  ai 
«  suscité  celui-ci  pour  la  justice  et  je  conduirai 
«  tous  ses  desseins.  »  Et,  aussitôt  après,  le  pro- 
phète ajoute  :  «  Il  rebâtira  ma  ville,  et  renverra 
«  sans  rançon  et  sans  présents  mon  peuple  qui  y 
«  avait  été  transporté ,  a  dit  l'Eternel  des  ar- 
ec mées  *^^  ))  En  effet,  ce  fut  lui  qui  publia  le  pre- 
mier édit  en  faveur  de  la  restauration  des  Juifs 
et  de  la  reconstruction  du  temple  de  Jérusalem. 

(69)EsaïP,  XLV,  J,  12. 


CH. IL  BABYLONE,  47 

Et  5  loin  d'exiger  une  rançon  ou  des  présents  ,  il 
donna  l'ordre  à  ses  généraux  et  aux  gouyerneurs 
des  yilles  limitrophes  de  la  Judée  de  fournir  aux 
Juifs  tout  l'or  et  l'argent  dont  ils  auraient  besoin 
pour  rebâtir  le  temple  ^  ainsi  que  des  bêtes  pour 
les  sacrifices;  et  cet  ordre  fut  exécuté  h  la  lettre. 
Avant  de  commencer  le   siège  de   Babylone^ 
Cyrus  crut  devoir  s'assurer   de  l'appui  des  na- 
tions qui  l'entouraient.  Il  lui  fallut  d'abord  mar- 
cher contre  les  Egyptiens  et  les  autres  alliés  de 
Crésus  5  qu'il  vainquit  après  une  guerre  acharnée. 
Une  fois  soumis  ^  les  Egyptiens  ^  qui  avaient  été 
les  plus  vaillants  et  les  plus  opiniâtres  de  ses  en- 
nemis,  lui  restèrent  toujours  fidèles.  L'Ethiopie 
formait  la  limite  de  ses  possessions  à  l'est.  «  Ainsi 
«  a  dit  l'Eternel  :  Le  travail  de  l'Egypte  et  le  trafic 
«  de  Cus^  et  les  Sabéens,  hommes  de  grande  taille^ 
<(  passeront  vers  toi  et  seront  à  toi  :  ils  marche- 
c(  ront  après  toi.  »  (Esaïe^  xlv^  14.) 

c(  Ils  se  prosterneront  devant  toi.  »  Lors  de  la 
magnifique  marche  triomphale  qui  eut  lieu  après 
la  conquête  de  Babylone,  et  oii  Cyrus  apparais- 
sait pour  la  première  fois  en  public  à  la  tête  de 
son  armée  rangée  en  bataille,  au  milieu  d'une  mul- 
titude innombrable ,  au  moment  oii ,  sur  son  char, 
il  eut  franchi  la  porte  du  palais ,  tous  les  specta- 
teurs, en  l'apercevant,  se  prosternèrent  devant  lui 
pour  l'adorer.  Quelques  historiens  de  l'antiquité 
prétendent  que  Cyrus  fut  le  premier  homme  objet 
d'une  semblable  adoration,  et  c'est  de  là  que  vint, 
selon  eux,  la  coutume  parmi  les  peuples  de  l'O- 
rient, et  surtout  chez  les  Mèdes  et  les  Persans, 
de  se  laisser  tomber  ou  de  se  prosterner  devant  les 
monarques.  Que  cette  opinion  soit  fondée  ou  non., 
du  moins  elle  vient  à  l'appui  de  ce  qu'il  y  eut  à 
la  fois  de  remarquable  et  de  mémorable  dans  l'a- 
doration que  l'on  rendit  à  Cyrus. 


48  lUlJYLONE.  CH.  II. 

«  Et  ils  le  rendront  hommage.  »  L'adoration, 
Dieu  seul  y  a  droit;  mais  l'adoration  même  ne 
put  troubler  la  sérénité  d'esprit  qui  distinguait 
Cyrus  ;  sa  clémence  et  sa  bonté  brillaient  d'un  éclat 
plus  vif  encore  que  celui  de  son  diadème.  La  plu- 
part de  ceux  qu'il  avait  soustraits  au  joug  du  roi  de 
lîabj  lone ,  qui ,  orgueilleux  comme  Lucifer,  s'était 
toujours  montré  sourd  aux  cris  des  opprimés  et 
impitoyable  envers  ses  prisonniers,  vinrent  sur 
son  passage,  à  travers  la  foule  frappée  d'admira- 
tion, lui  présenter  des  suppliques,  chacun  selon 
ses  besoins.  Ces  suppliques  étaient  en  si  grand 
nombre  que  ne  pouvant  y  faire  droit  simultané- 
ment ,  et  voulant  allier  la  miséricorde  à  la  pru- 
dence ,  la  générosité  k  la  justice ,  il  fit  placer  trois 
porte-sceptre  aux  trois  côtés  de  son  char,  et  leur 
donna  l'ordre  de  publier,  en  son  nom,  qu'il  autori- 
sait tous  ceux  qui  avaient  des  demandes  à  lui  faire 
à  s'adresser  dans  ce  but  à  ses  généraux  ou  à  ses 
amis.  Ces  derniers  étaient  chargés  de  lui  soumet- 
tre tous  les  cas  dignes  de  son  aftention.  Telle  fut 
la  première  conquête  de  Babylon e,  tel  en  fut  le 
premier  conquérant;  ainsi  s'accomplit  ce  qui  avait 
été  prédit  de  l'un  et  de  l'autre. 

«  Qui  ne  retourne  point  à  vide  ^^.  »  Les  murail- 
les de  Babylone  étaient  incomparablement  les 
plus  élevées  et  les  plus  fortes  qui  eussent  jamais  été 
construites  par  l'homme.  On  leur  avait  donné 
cette  prodigieuse  hauteur  afin  qu'il  n'y  eût  pas  la 
moindre  possibilité  que  Babylone  fut  prise.  Et 
cette  confiance  semblait  pleinement  justifiée 
lorsque,  retranchés  dans  leurs  forteresses,  les  ha- 
bitants de  Babylone,  qui  ne  voulaient  pas  courii' 
la  chance  d'une  bataille,  se  moquaient  de  l'in- 
nombrable multitude  quientourait  leur  ville,  et  se 

(70)  Jéiém'c,  L,  9. 


€H.  IL  BABYLONE.  49 

voyaient  ainsi  hors  de  l'atteinte  de  tous  les  dards 
desParthes.  Toutefois,  quoique  cette  orgueilleuse 
assurance  que  la  yille  ne  pourrait  jamais  être  prise 
semblât  presque  devoir  se  réaliser,  Babylone  fut 
assiégée  plusieurs  fois  après  la  prédiction  du 
prophète ,  et  jamais  sans  succès.  Il  est  vrai  que 
d'abord  Cyrus  en  leva  le  siège ,  mais  ce  ne  fut 
que  pour  y  revenir  «  avec  les  nations  qu'il  avait 
«  suscitées  contre  elle  ;  et  il  ne  retourna  point  à 
«  vide.  »  Cette  prophétie  se  trouve  ainsi  accom- 
plie non-seulement  par  lui,  mais  encore  par  tous 
ceux  qui  lui  succédèrent.  Babylone  tomba  devant 
quiconque  leva  le  bras  contre  elle. 

Et  cependant  sa  grandeur  ne  s'effaça  pas,  sa 
gloire  ne  disparut  pas  tout-à-coup.  Cyrus  ne  fut  pas 
son  destructeur;  il  essaya  au  contraire  de  lui  con- 
server, par  des  institutions  sages,  la  prééminence 
parmi  les  nations  ;  il  la  laissa  à  son  successeur  dans 
toute  sa  force  et  toute  sa  magnificence.  Mais, 
après  s'être  révoltés  contre  Darius ,  les  Babylo- 
niens se  préparèrent  à  soutenir  un  nouveau  siège 
et  défièrent  toute  la  puissance  réunie  de  l'empire 
perse.  Déterminés  à  ne  pas  se  rendre,  et  résolus 
à  ne  pas  céder  même  à  la  famine,  ils  eurent  la 
cruauté  de  mettre  à  mort  toutes  les  femmes 
de  la  vilk ,  k  l'exception  de  leurs  mères  et  d'une 
seule  femme,  la  plus  chérie  dans  chaque  famille , 
pour  cuire  le  pain.  On  rassembla  toutes  les  autres 
et  on  les  étrangla  ^\  «  Ces  choses  t'arriveront  en 
«  un  moment ,  en  un  même  jour,  la  privation 
«  d'enfants  et  le  veuvage;  elles  sont  venues  sur 
tt  toi  dans  tout  leur  entier,  pour  le  grand  nombre 
«  de  tes  sortilèges  et  pour  la  grande  abondance 
«  de  tes  enchantements.  Et  tu  t'es  confiée  en  ta 
«  malice.  »  Certes  ces  choses  vinrent  sur    eux 

(71)  Hérodote,  1,  III,  cb.  cl  ;  t.  III,  160,  édit.  Foui. 


ûO  BABVLONE.  CH.  II. 

dans  tout  leur  entier ,  lorsqu'ils  étranglèrent 
leurs  femmes  et  leurs  enfants  de  leurs  propres 
mains.  Et  ee  fut  encore  cette  fois  «  subitement,  » 
en  un  c(  même  jour,  »  que  toutes  ces  victimes  pé- 
rirent; le  veuvage  fut  si  général  que  plus  tard 
il  ft\llut  rassembler  des  provinces  éloignées  50,000 
femmes  pour  remplacer  celles  qui  furent  alors 
massacrées.  La  «  privation  d'enfants»  fut  d'autant 
plus  sentie  que  ce  furent  les  mères  qu'on  épargna 
et  qui  restèrent  pour  les  pleurer.  Ils  se  confièrent 
en  yain  «  k  leur  malice;  »  car  en  devenant  ainsi 
les  instruments  de  l'exécution  d'un  des  jugements 
qui  devaient  fondre  sur  eux ,  ils  ne  diminuaient 
pas  la  grandeur  de  leurs  iniquités;  et  c'était  à 
cause  de  ces  iniquités  mêmes  que  d'autres  mal- 
heurs allaient  fondre  sur  Babylone.  Les  habitants 
se  croyaient  en  état  de  défier  la  famine.  Le  stra- 
tagème de  Cyrus  ne  pouvait  plus  être  un  piège 
pour  eux;  il  leur  était  facile  de  déjouer  un  sem- 
blable projet;  cependant  ce  ne  fut  «pas  en  vain y> 
que  Darius  assiégea  Babylone.  . 

Dans  le  vingtième  mois  du  siège ,  un  Perse , 
couvert  de  marques  de  mauvais  traitements ,  le 
corps  ruisselant  de  sang ,  le  nez  et  les  oreilles  cou- 
pés ,  se  présenta  seul  devant  une  des  portes  de 
Babylone  ;  objet  digne  de  pitié,  il  devait  être  sinon 
un  gi^and  criminel ,  du  moins  la  victime  d'une  af- 
freuse cruauté.  Il  s'était  échappé  du  camp;  ce 
n'était  pas  un  déserteur  obscur,  qu'on  aurait  natu- 
rellement repoussé  loin  des  murs  de  la  ville;  c'é- 
tait Zopyre,  un  des  principaux  seigneurs  du 
royaume  de  Perse.  Il  assura  aux  Babyloniens 
qu'il  n'avait  pas  reçu  ce  traitement  comme  châj 
timent  d'aucun  crime,  mais  que  ces  blessures 
dont  son  corps  était  sillonné  n'étaient  autre  chose 
que  les  traces  du  déplaisir  et  de  la  colère  du  roi , 
parcequ'il  lui  avait  donné  le  conseil  de  lever  un 


CH.  lï.  BABYLONE.  51 

siège  dont  il  considérait  la  réussite  comme  im- 
possible. Cet  avis  avait ,  dit-il ,  réveillé  toutes 
les  craintes  et  blessé  Torgueil  du  monarque ,  et 
toute  sa  fureur  s^était  épuisée  sur  son  fidèle  con- 
seiller. Pour  un  esprit  altier  comme  le  sien^  la 
honte  était  pire  que  la  souffrance ,  et  il  venait 
maintenantsejoindre  aux  rebelles,  le  cœur  brûlant 
du  désir  de  la  vengeance.  «  Je  viens,  leur  dit-il, 
vous  faire  un  grand  bien ,  et  en  même  temps  un 
grand  mal  à  Darius ,  à  son  armée  et  à  toute  la 
Perse.  L'outrage  que  j'ai  reçu  ne  restera  pas  sans 
vengeance  ;  car  je  connais  ses  projets  et  je  vous  les 
communiquerai.  »  Avec  de  telles  promesses  et  de 
telles  paroles ,  les  Babyloniens  ne  songèrent  pas 
à  douter  seulement  de  la  sincérité  de  Zopyre , 
ni  de  son  dévouement  à  leur  cause,  puisque  cette 
cause  semblait  s'identifier  à  son  espoir  de  ven- 
geance. Il  ne  voulait  que  combattre  contre 
leurs  propres  ennemis.  Sur  sa  demande,  on  lui 
confia  sans  hésitation  un  commandement  mili- 
taire. Ce  n'était  pas  alors  une  vertu  que  de  par- 
donner le  mal ,  et  la  vengeance  était  en  honneur. 
Zopyre  fit  espérer  aux  Babyloniens  qu'il  parvien- 
drait bientôt  à  se  venger  de  celui  qui  l'avait  si 
cruellement  fait  souffrir.  A  leur  grande  joie ,  dix 
jours  après  son  arrivée  dans  la  ville,  une  occasion 
favorable  se  présenta;  il  fit  une  sortie  par  la 
porte  de  Sémiramis,  tomba  sur  un  détachement 
de  l'ennemi  et  lui  tua  3,000  hommes;  et,  sept 
jours  plus  tard ,  deux  fois  autant  périrent  près  de 
la  porte  de  Ninias.  Les  habitants  de  Babylone 
sentirent  alors  renaître  leur  courage  et  leur 
ardeur. 

Les  louanges  de  Zopyre  étaient  dans  toutes 
les  bouches  ;  on  lui  accorda  un  commandement 
supérieur;  mais  pendant  vingt  jours  les  Perses, 
devenus  plus  craintifs,  ne  prêtèrent  nulle  part  le 


Ô2  iiAnvLONE.  en.  n. 

liane  à  une  attaque;  au  bout  de  ce  temps  Zopyre 
se  montra  digne  d'une  conliance  plus  j,^rande  en- 
core par  une  sortie  qu'il  lit  faire  par  la  porte  de 
Chaldée,  et  dans  laquelle  il  tua  i,0()0  soldats  en- 
nemis. Pour  le  récompenser  de  pareils  services, 
et  pour  prouver  la  haute  estime  qu'on  avait  pour 
sa  lidélitc,  sa  bravoure  et  son  habileté ,  non-seu- 
lement on  lui  accorda  le  commandement  en  chef 
de  l'armée  ^  mais  encore  on  lui  confia  le  poste  le 
plus  important  et  le  plus  honorable  de  Babylone, 
celui  de  gardien  des  murailles  ''. 

Darius,  comme  pour  se  mettre  a  l'abri  de  ces 
surprises  et  de  ces  pertes  inutiles,  se  rapprocha 
des  murs  de  la  ville.  On  les  garnit  de  troupes  suf- 
fisantes pour  résister  aux  attaques,  mais  la  perfidie 
de  Zopyre,  dont  les  Babyloniens  et  les  Perses  ne 
se  doutaient  pas  plus  les  uns  que  les  autres ,  se 
fit  alors  connaître.  A  peine  l'ennemi  s'était-il  ap- 
proché ,  à  peine  les  citoyens  étaient-ils  arrivés 
sur  les  murailles ,  que  Zopyre ,  à  qui  était  con- 
fiée la  garde  des  portes ,  fit  ouvrir  celles  qu'on 
appelait  Cissiènes  etBélides,  et  auprès  desquelles 
les  troupes  d'élite  des  Perses  étaient  stationnées  '^ 
C'était  un  piège  préparé  d'avance;  Darius  en  con- 
naissait seul  le  secret  ;  Zopyre  l'avait  conçu  et 
c'était  de  lui-même  et  de  son  plein  gré  qu'il  s'était 
mutilé.  A  la  gloire  d'un  tel  dévouement  on  ajouta 
de  grands  honneurs  et  d'immenses  richesses  ; 
et  on  lui  accorda  le  gouvernement  de  Babylone 
exempt  de  tout  tribut. 

On  avait  arrangé  d'avance  le  nombre  d'hom- 
mes qu'il  fallait  sacrifier,  la  position  que  les 
troupes  devaient  occuper,  et  l'intervalle  entre 
les  sorties  était  aussi  fixé.  Darius  sacrifia  aussi  fa- 
cilement la  vie  de  7,000  hommes  que  Zopyre  s'é- 

(72)  HérocL,  ch.  clh-clvii,  p.  166-173.  —  (73)  Ibid.  ch.  clviii^ 

IIX. 


en.  H.  BABYLONE.  53 

tait  infligé  des  Ijlessures  incurables.  «C'est  ainsi, 
dit  Hérodote,  que  Babylone  fut  prise  une  se- 
conde fois.  »  Et  ce  fut  ainsi  que  la  parole  de  Celui 
qui  voit  la  fin  dé  toutes  choses  dès  le  commen- 
cement fut  une  seconde  fois  accomplie  contre 
Babylone  :  «  Il  ne  retournera  point  a  yide.  » 

Babylone  fut  prise  une  troisième  fois  par 
Alexandre-le-Grand.  Mazœus,  général  perse,  lui 
rendit  la  ville,  et  il  y  entra  à  la  tête  de  son  armée 
rangée  en  ordre  de  bataille '\  Encore  une  fois 
elle  c(  fut  remplie  d'hommes  ;  »  chacun  d'eux  «  fut 
<(  rangé  en  homme  de  guerre  contre  elle.  »  Le 
siège  d'une  ville  défendue  par  d'aussi  superbcA 
fortifications'^  aurait  été  une  entreprise  difficile 
et  pénible,  même  pour  le  conquérant  de  l'Asie; 
mais  les  habitants  de  Babylone  se  précipitèrent 
sur  les  murailles  en  toute  hâte  pour  voir  leur  nou 
veau  roi ,  et  ils  échangèrent  sans  lutte  le  roi  de 
Perse  pour  le  roi  de  Macédoine.  Babylone  fut 
ensuite  prise  par  Antigone ,  par  Démétrius ,  par 
Antiochus-le-Grand  et  par  les  Parthes.  Ainsi ,  quel 
que  fut  le  roi  ou  la  nation  qui  marchât  contre 
elle ,  «  personne  ne  retourna  à  vide.  » 

Chaque  pas  de  la  décadence  de  Babylone  est 
raccomplissement  d'une  prophétie.  Conquise  la 
première  fois  par  Cyrus  '^ ,  elle  cessa  d'être 
ville  impériale  et  ne  fut  plus  qu'une  ville  tribu- 
taire. «  Descends,  assieds-toi  sur  la  poussière, 
«  vierge ,  fille  de  Babylone,  assieds-toi  à  terre  ;  il 
«  n'y  a  plus  de  trône  pour  la  fille  des  Chaldéens.» 
Après  la  révolte  des  Babyloniens  contre  Darius, 
les  murs  furent  baissés  et  les  portes  détruites  ". 
«La  muraille  même  de  Babylone  est  renversée.» 

(7A)  Quadrato  agmine,  quod  ipse  ducebat,  velut  in  aciem  irent, 
ing:redi  svios  jubet.  Quint.  Gurt.  1.  V,  ch,  m. 
(75)  Tam  munilae  urbis.  Ibid.  —  (76)  Hérod.  I,  c\Li. 
(77)  Rérod.,  III,  cl. 


''>î  OAWYLONK.  CH.  II. 

Xerxès,  a])rès  sa  relraite  ij;ii()iiiii)ieiise(ie  la  Grèce, 
pilla  le  temple  de  Babylone'%  dont  les  idoles  en 
or  étaient  seules  estimées  à  ,500,000,000  de 
tVaiics,  et  s'empara  en  outre  de  vastes  trésors. 
«  Je  punirai  aussi  Bel  a  lîabylone  et  je  tirerai  hors 
«  de  sa  bouche  ce  qu'il  avait  englouti.  »  —  «Je  pu- 
te nirai  les  images  taillées  de  Babylone^'^  )> 

Alexandre-le-Grand  entreprit  de  rétablir  Ba- 
bylone  dans  sa  gloire  première,  et  eut  l'idée  d'en 
faire  la  métropole  d'un  empire  universel;  mais 
pendant  que  plusieurs  milliers  d'hommes  étaient 
employés  à  rebâtir  le  temple  de  Bélus  et  à  répa- 
rer les  quais  de  l'Euphrate  ^%  le  conquérant  du 
monde  mourut  à  la  fleur  de  son  âge  et  k  l'a- 
pogée de  sa  grandeur.  «  Prenez  du  baume  pour 
«  sa  douleur ,  peut-être  qu'elle  guérira  ;  nous 
^<  avons  traité  Babylone,  et  elle  n'est  point  gué- 
ce  rie  ^*. 

Patrocle,  gouverneur  de  Babylone  sous  Sé- 
leucus ,  l'un  des  successeurs  d'Alexandre ,  ayant 
appris  que  son  ennemi  Démétriùs  s'approchait  ra- 
pidement h  la  tête  d'une  armée  considérable ,  et 
n'ayant  lui-même  qu'un  petit  nombre  de  troupes  à 
sa  disposition ,  n'osa  pas  l'attendre ,  mais  donna 
l'ordre  aux  Babyloniens  de  quitter  la  ville  et  de 
«  fuir  au  désert^-.  »  De  son  côté ,  il  alla  camper 
avec  son  armée  dans  les  marais  de  l'Euphrate , 
persuadé  qu'il  y  serait  plus  en  sûreté  que  derrière 
les  murs  de  Babylone.  A  son  entrée  dans  cette 
ville ,  Démétriùs ,  qui  y  était  arrivé  avec  la  rapi- 
dité d'un  torrent  qui  se  déborde ,  la  trouva  com- 
plètement déserte.  «  Voici,  il  montera  comme  un 
«  lion  monte ,  à  cause  du  débordement  du  Jour- 

(78)  Hérod.,  I,  cLxxxiii.  —  (79)  Jéiémie,  LI,  4/i,  47,  52. 

(80)  Arrian.,  1.  VII,  c.  xvii.  —Stiabon,  XVI,  p.  738. 

(81)  Jérémie,  LI,  8,  9. 

(8?.)  (I)u-j^ctv^'£;TriV  £p*/;p.cv.  Dlod.  Sic.  t.  VIII,  l.  xix,423,  4^4- 


cil.  ïî.  BABYLONE.  55 

«  clain  vers  la  demeure  forte ,  et  en  un  moment  je 
«  le  ferai  courir  sur  elle^\  » 

Baby  lone  ne  tarda  pas  à  revoir  ses  habitants  ^ 
mais  le  voisinage  de  la  ville  de  Séleucie  lui  fut 
désormais  fatal ,  en  lui  enlevant  une  partie  de  sa 
population.  Tel  était  en  effet,  comme  Pline  le  rap- 
porte 5  et  comme  Font  depuis  longtemps  observé 
les  auteurs  chrétiens,  le  but  que  s'était  proposé 
le  fondateur  de  Séleucie,  et  c'est  surtout  à  la  fon- 
dation de  cette  ville  qu'il  faut  attribuer  le  déclin 
de  Babylone**\  Ptolémée  Evergète,  qui  étendit  ses 
conquêtes  au-delà  de  l'Euphrate ,  fit  transporter 
en  Egypte  2,500  idoles ,  au  nombre  desquelles  il 
s'en  trouvait  plusieurs  que  Cambyses,  roi  de  Ba- 
bylone,  avait  autrefois  enlevées  aux  Egyptiens^". 

A  une  époque  plus  rapprochée,  environ  1 30  ans 
avant  l'ère  chrétienne,  Phrahates5roi  des  Parthes, 
s'étant  vu  obligé ,  comme  le  rapporte  Justin ,  de 
marcher  contre  les  Scythes  qui  ravageaient  son 
territoire,  délégua  son  autorité  entre  les  mains 
d'un  certain  Himère.  Cet  homme,  que  sa  beauté 
seule  avait  recommandé  à  la  faveur  de  Phrahates , 
oublia  son  origine  obscure  et  ses  devoirs  de  gou- 
verneur ,  et  opprima  cruellement  les  Babylo- 
niens et  les  autres  peuples  soumis  à  ses  caprices  ^^. 
Phrahates  périt  dans  son  expédition  contre  les 
Scythes,  et  son  oncle,  qui  lui  succéda,  étant  mort 
en  combattant  les  Thogares,  Mithridate-le-Grand, 
son  fils,  fut  aussitôt  proclamé  roi  de  Parthie. 

(83)  Jérémie,  L,  44- 

(84)  In  solitudinem  rediit  exhausta  vicînitate  Seleuciae,  ob  id 
conditae  a  Nicatore.  Plin.  Nat.  HisUy  1.  VI,  c.  xxxvi. 

(85)  Hiéron,  t.  V,  p.  706,  in  Dan.,  XI,  8. 

(86)  Phrahates,  cum  adversuseos  proficisceretur,  ad  tutelam 
regni  reliquit  Himerum  quemdara,  pueritiœ  sibi  flore  conciliatum , 
qui  lyrannica  crudelitate,  oblitus  et vitae  praeteritae,  et  vicarii  officii , 
Babylonios,  multasque  aUas  civitates  importuné  ve*avit.  Justinus, 
1.  xLii,  p.  268. 


5C  ItABYLONE.  CH.  11. 

Diodure  de  Sicile  parle,  par  inadvertance  sans 
doide,  deEvenicieou  Hunièrc  comme  d'un  roi  des 
Parlhes,  ajoutant  toutefois  qu'il  était  Hyrcanien 
de  naissance  :  mais  ce  qu'il  rapporte  de  sa  cruauté 
envers  les  Babyloniens  prouve  abondamment 
que  les  jugements  prononcés  par  les  prophètes 
contre  Babylone  continuaient  de  recevoir  leur 
pleine  et  entière  exécution.  «  En  méchanceté.,  dit 
cet  historien,  il  surpassa  les  tyrans  les  plus  cruels  : 
il  n'est  pas  de  supplice  imaginable  auquel  il  n'ait 
eu  recours.  Sans  la  plus  légère  cause ,  il  fit  char- 
ger de  chaînes  un  grand  nombre  de  Babyloniens, 
et  les  envoya  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants 
en  Médie ,  ordonnant  qu'on  vendit  tout  ce  qu'ils 
possédaient,  et,  au  besoin,  qu'on  les  vendît  eux- 
mêmes  comme  du  butin.  Il  incendia  le  forum  de 
Babylone  ainsi  que  plusieurs  temples  de  cette 
ville  dont  il  détruisit  la  plus  belle  partie ^^  » 

«  Il  n'y  a  plus  de  trône  pour  la  fille  des  Chal- 
«  déens,  car  on  ne  parlera  plus  de  ta  mollesse  et 
«  de  ta  délicatesse.  Mets  la  main  aux  meules,  et 
«  fais  moudre  la  farine,  etc.  »  Cette  prophétie  est 
également  interprétée  par  Grotius  et  Lowth  de 
la  manière  suivante ,  mais  sans  que  ces  deux  au- 

^^y)  'On  Eù'/ifjLspoç  6  Twv  Ilapôtov  pacùsuç,  'Yp>caviGÇ  wv  to -^c- 
vc; ,  wpxTT/Ti    ^£   UTTspêaXXtov  -Travra;  tgu;  {^,v/ip.ov£ucty.£vcuç  Tupav- 

VOU;  ,  CtJX    6(7T'.V  OTTCICV  Ttawpta?   -^SVOÇ  aTTSXlTTS.   noXXci);    S'a  7Ct>V  Ba.- 

êjXo)v'.wv  xai  £7:t  rai:  Tuy^cuo-atc  atTiatç  7ravot>c'.cu;  £;av5'pa7rc- 
â''.(7a(j.&vcc  zl;  Ty;v  Mvi^tav  i'^zTzeu.'^z  7rps(rraEa;  XaîpuTTtoXr.cat  (*)  xai 
TTiÇ  BaêuXoivoç  tyiv  à'YOpay  )cai  riva  t<ov  Upojv  £V£T:p'/)(T£ ,  /.y.i  to 
x-paTi(rrcv  rri;  ttcXec;  di£cpOctp£.  Diod.  Sic,  vol.  X,  p,  128,  traduit 
ci-dessus.  —  Ce  passage  de  Diodore  est  cité  par  Usher  et  Tévêque 
NewtoB,  etc.,  au  sujet  de  la  désolation  de  Babylone  et  des  cruautés 

(*)  Xy.fjpy.  est  un  terme  qui  s'applique  aux  dépouilles  prises 
AUX  vivants  par  opposition  à  a/y/a,  dépouilles  des  morts.  Scap. 
Le  mot  composé  dont  se  sert  Diodore  dénote  que  les  captifs  eux- 
mêmes  étaient  vendus  comme  du  butin  et  que,  par  conséquent, 
ils  étaient  soumis  à  la  sei-vitnde  la  plus  abjecte,  à  la  spoliation 
la  plus  absolue. 


CH.  II.  BABYLONE.  O  / 

teurs  fassent  de  rapprochement  entre  le  fait  de 
l'esclavage  ou  de  la  servitude  des  Babyloniens 
et  la  prophétie  elle-même.  ^  Prépare-toi  pour 
des  offices  servîtes ^\  De  maîtresse  de  plusieurs 
royaumes 5  tu  deviendras  une  vile  esclave;  tes 
enfants  seront ,  dans  leur  captivité ,  employés  à 
moudre  la  farine  :  et  cette  occupation  était  consi- 
dérée comme  la  plus  basse  de  toutes  (voir 
Exode,  xi;  Juges,  XVI521).  Elle  correspondait 
anpistrinum^  emploi  de  celui  qui  tournait  la  meule 
chez  les  Romains^^.  »  Himère,  le  plus  cruel  des 
tyrans,  qui  exerça  toutes  les  cruautés  imagina- 
bles envers  les  Babyloniens ,  et  qui  en  réduisit  un 
grand  nombre  en  esclavage ,  dut  nécessairement 
les  soumettre  aux  travaux  les  plus  vils  de  cet 
état.  ((Je  ferai  cesser  l'arrogance  de  ceux  qui  se 
((Conduisent  avec  fierté,  et  j'abaisserai  l'orgueil 
«  de  ceux  qui  se  font  redouter.  » 
Dans  «leur  fuite  soudaine  »  à  l'approche  de 

auxquelles  ses  habitants  furent  exposés;  mais  ces  auteurs  n'y  ont 
pas  vu  de  rapport  direct  à  telle  ou  telle  prédiction.  La  traduction 
latine  ,  à  laquelle  ils  ont  recours,  ne  dit  pas,  comme  le  fait  Tori- 
ginal ,  que  le  tyran  donna  l'ordre  de  vendre  les  dépouilles  ou  les 
exilés  eux-mêmes  en  guise  de  butin.  Cela  pourtant  est  digne  de 
remarque;  car  Low th,  qui  ne  s^appuie  pas  du  témoignage  de 
Diodore  ni  de  celui  d'aucun  autre  auteur,  interprète  ainsi  qu'il 
suit  ces  paroles  du  Prophète  :  «Découvre  tes  tresses,  »  —  «  tes  che- 
veux tomberont  sur  tes  oreilles,  ils  ne  seront  plus  tressés  ni  retenus 
par  un  diadème;  tn  seras  privée  de  toutes  les  parures,  de  tous  les 
ornements  dont  tu  étais  vaine,  parcequ'ils  étaient  étaient  les  marques 
de  ta  qualité;  les  personnes  du  plus  haut  rang  elles-mêmes  per- 
dront ce  qui  faisait  leur  joie  :  elles  seront  menées  en  captivité  dans 
un  état  abject  et  couverles  de  haillons.  »  Voilà  comment  cet  habile 
commentateur  expliqua  ces  paroles  avant  qu'aucun  rapprochement 
n'ait  été  établi  entre  le  fait  en  question  et  la  prophétie  dont  il  est 
l'accomplissement.  Et  ce  commentaire  s'est  vu  confirmé  plus  de 
cent  ans  après  par  les  mots  omis  dans  la  traduction  du  texte  grec, 
mots  que  Ton  trouve  dans  toutes  les  éditions  anciennes  ou  mo- 
dernes des  ouvrages  de  Diodore. 

(88)  Para  te  servilibus  ministeriis.  Grot.  — Esaïe,  XLVIÏ ,  1,  2. 

(89)  Lowth.  —  Esaïe,  XIII,  IJ. 

3. 


58  BAftVLÔNE.  CM.  a. 

Déinélriiis ,  quelques-uns  des  habitants  de  Bahy- 
lone  quillèrent  l'Euphrale  et  se  réfugièrent  au  dé- 
sert; d'autres  passèrent  le  Tigre  pour  se  rendre 
dans  la  Susiane.  Quant  à  Patrocle  et  àsessoldats, 
ils  trouvèrent  leur  salut  au  milieu  des  marais, 
des  fossés  et  des  rivières  qu'ils  furent  obligés  de 
franchir  dans  leur  retraite  précipitée.  Après  avoir 
réduit  un  grand  nombre  de  Babyloniens  à  l'es- 
clavage 5  Himère  les  exila  en  Médie ,  «  pays  situé 
au-delà  du  Tigre,  du  Choaspe  et  des  rivières 
qui  en  sont  tributaires  ;  »  mais  d'abord  il  ordonna 
que  l'on  vendît  leurs  effets  précieux;  aussi  bien, 
les  ornements  riches  et  éclatants  de  la  fille  de 
Babylone  ne  convenaient  plus  à  de  malheureux 
exilés,  ni  à  l'état  abject  et  aux  travaux  auxquels 
ils  étaient  soumis:  Les  ordres  de  leurs  gouver- 
neurs étrangers  recevaient  leur  exécution  ;  mais  il 
avait  été  depuis  longtemps  écrit  de  la  fille  des 
Chaldéens  :  «  Découvre  tes  tresses,  déchausse-toi, 
«  trousse-toi,  passe  les  fleuves ,  etc.  Et  tu  as  dit  : 
«  Je  serai  reine  à  toujours;  tellement  que  tu  n'as 
«  point  mis  ces  choses-là  dans  ton  cœur ,  tu  n'as 
«  point  pensé  à  ce  qui  t'arriverait  unjour  ^^.w 

Xerxès,  roi  de  Perse ,  dépouilla  les  temples  de 
Babylone  des  idoles  qui  s'y  trouvaient.  Elles 
étaient  en  si  grand  nombre  que  leur  poids  en  or 
s'éleva  à 400,000  livres.  Nous  avons  dit  plus  haut 
que  Ptolémée  Evergète,  ayant  étendu  ses  conquê- 
tes au-delà  de  l'Euphrate,  en  rapporta  à  son  retour 
précipité  en  Egypte,  oîi  il  avait  été  subitement 
rappelé,  2,500  idoles. 

Lorsque  les  Babyloniens  abandonnèrent  leur 
ville  natale  pour  s'établir  à  Séleucie,  qui  était  à 
environ  seize  lieues  de  Babylone,  et  lorsque  plus 
tard  ils  se  virent  obligés  de  se  rendre  en  Médie 

(90)  Esaïe,  XL VII,  2,  7. 


CH.  II.  ÔABYLÔNE.  59 

avec  tout  ce  qu'ils  possédaient  (  Tiavoi/aouc;  )  ^  il 
est  probable  que  ^  malgré  les  difficultés  du  trans- 
port ^  ils  ne  laissèrent  pas  derrière  eux  leurs 
dieux  domestiques.  On  doit  supposer  au  con- 
traire qu'après  avoir  vu  brûler  leurs  temples, 
les  Babyloniens,  toujours  idolâtres,  et  condamnés 
désormais  à  un  esclavage  et  à  un  bannissement 
perpétuels,emmenèrentun  grand  nombre  de  leurs 
idoles  dans  le  pénible  pèlerinage  qu'ils  firent  vers 
la  terre  d'exil,  au  pays  lointain  de  leurs  ennemis. 
Aussi  avait-il  été  écrit  :  a  Leurs  faux  dieux  ont 
«  été  mis  sur  des  bêtes  et  sur  des  chevaux;  les 
<c  idoles  que  vous  portiez  les  ont  chargés,  elles 
<(  ont  été  un  fardeau  aux  bêtes  lassées.  Elles  ont 
«été  renversées,  elles  sont  tombées  ensemble 
<i  sur  leurs  genoux,  elles  n'ont  pu  éviter  d'être 
«  chargées.  » 

«Et  elles-mêmes  sont  allées  en  captivité^*.  » 
La  Médie  fut  dès  le  commencement  appelée  à 
prendre  part  au  siège  de  Babylone;  car  l'esprit 
de  Dieu  était  tourné  contre  Babylone  pour  la  dé- 
truire. Et  quand  les  temps  furent  accomplis, 
c'est-à-dire  308  ans  après  le  siège  de  cette  ville, 
et  582  ans  après  la  prophétie ,  les  Babyloniens  fu- 
rent en  effet  «  envoyés  captifs  «  en  Médie. 

Himère,  natif  d'Hyrcanie,  et  à  peine  alors  au 
sortir  de  l'enfance ,  dut  à  sa  beauté  {flore  pueri- 
tiœ)  d'être  nommé  gouverneur  pendant  l'absence 
du  roi.  Oubliant  son  origine,  il  abusa  tellement 
du  pouvoir  auquel  il  avait  été  subitement  élevé, 
qu'il  surpassa  tous  les  tyrans  en  cruauté.  Et  si, 
d'un  côté  ,  sa  méchanceté  raffinée  ne  faisait  que 
remplir  la  coupe  d'amertume  préparée  de  longue 
date  aux  Babyloniens,  de  l'autre,  onpeutlui  ap- 
pliquer à  lui-même  lesparoles  du  prophète  :  «  Si  les 

(91)Esaïe,  XLVI,  j,  2. 


GO  nAHYLONE.  CH.  11. 

«  plus  j»ol  ils  (III  lrc)U|)eau,clit-il,  ne  les  tiaînentpar 
«terre,  et  si  on  ne  détruit  leurs  cabanes  sur 
c(  eux*-^*!  »  Sa  jeunesse  et  la  cause  ridicule  de  son 
élévation  au  pouvoir  nous  le  montrent  indubita- 
blement comme  «  le  plus  petit  du  troupeau,  »  et 
en  exécutant  «  la  résolution  que  TEternel  avait 
«  prise  contre  Babylone,  »  on  ne  peut  nier  «  qu'il 
«  ne  les  ait  traînés  par  terre,  qu'il  n'ait  détruit 
«  leurs  cabanes  sur  eux.  » 

Il  les  renvoya  de  Babylone  avec  tout  ce  qu'ils 
possédaient.  Mais  cette  émigration  forcée  avait 
été  précédée,  comme  elle  fut  suivie,  d'une  émi- 
gration volontaire  de  la  part  d'un  grand  nombre 
de  Babyloniens  qui  s'établirent  à  Séleucie,  selon 
ce  qui  avait  été  prédit  :  «  Tant  les  hommes  que 
<(  les  bêtes  se  sont  enfuis  et  s'en  sont  allés  ^\  » 

Avant  la  destruction  du  temple  de  Bélus ,  bâti 
dans  le  principe  pour  fixer  la  race  humaine  dans 
les  plaines  de  Shinar,  avant  que  les  temples  des 
dieux  et  les  riches  palais  des  habitants  de  Baby- 
lone eussent  été  la  proie  des  flammes,  on  conçoit 
que  les  Babyloniens  n'aient  pu  se  décider  à  s'en 
éloigner.  Mais  le  jugement  de  Dieu  devait  s'appe- 
santir sur  leurs  temples  magnifiques ,  non  moins 
que  sur  eux-mêmes  et  sur  les  vains  objets  de  leur 
coupable  idolâtrie.  Les  devins,  les  astrologues, 
ceux  qui  faisaient  des  pronostics  mensuels,  ne 
purent  détourner  des  habitants  les  calamités  qui 
s'amoncelaient  sur  leurs  têtes,  car  le  temps  était 
venu  ou  les  temples  des  Babyloniens  ne  devaient 
plus  leur  servir  de  lieux  forts  et  de  retraites ,  oîi 
tous  leurs  efforts ,  soit  pour  soustraire  à  leur  sort 
les  malheureux  habitants ,  soit  pour  sauver  leurs 
demeures,  devaient  être  aussi  inutiles  que  leur 
science  était  yaine.  En  effet,  il  est  expressément 

(92)  Jérémie,  L,  45.  —  (93)  Ibid.,  3. 


CH.  II.  CABYLONE.  61 

rapporté  qu'Himère  mit  le  feu  au  forum  et  à  plu- 
sieurs temples  5  et  qu'il  détruisit  la  plus  belle 
partie  de  la  ville.  «  Voici ,  ils  sont  devenus  comme 
«  de  la  paille  ;  le  feu  les  a  brûlés  ;  ils  ne  délivreront 
«  point  leur  âme  de  la  violence  de  la  flamme^. 
«Ainsi,  a  dit  l'Eternel ,  les  peuples  auront  tra- 
ct vaille  pour  néant ,  et  les  nations  pour  le  feu ,  et 
«elles  s'y  seront  lassées^".  »  —  «Je  punirai  aussi 
«  Bel  à  Babylone,  et  je  tirerai  de  sa  bouche  ce  qu'il 
«  avait  englouti  5  et  les  nations  n'aborderont  plus 
«  vers  lui®^.  » 

«  C'est  la  vengeance  de  l'Éternel;  vengez-vous 
«  d'elle,  faites-lui  comme  elle  a  fait.  »  —  «  Malheur 
«  à  eux,  car  le  jour  est  venu  et  le  temps  de  leur 
«  visitation.  On  entend  la  voix  de  ceux  qui  s'en- 
«  fuient  et  qui  sont  échappés  du  pays  de  Babylone 
«  pour  annoncer  dans  Sion  la  vengeance  de  l'Eter- 
«nel  notre  Dieu,  la  vengeance  de  son  temple. 
«  Rendez-lui  selon  ses  œuvres ,  faites-lui  selon 
«  tout  ce  qu'elle  a  fait,  car  elle  s'est  élevée  avec 
«  fierté  contre  l'Eternel,  contre  le  Saint  d'IsraëP'. 
«  Mais  je  rendrai  à  Babylone  et  à  tous  les  habi- 
«  tants  de  la  Chaldée,  à  vos  yeux,  tous  les  maux 
«  qu'ils  ont  faits  dans  Sion,  dit  l'Eternel.  »Le  Dieu 
fort  des  rétributions ,  l'Eternel  ne  manque  jamais 
à  rendre  la  pareille^^  Les  faits  relatifs  au  siège  de 
Jérusalem  et  à  la  captivité  des  Juifs  se  sont, 
comme  nous  l'avons  vu,  substitués  aux  prédic- 
tions ,  et  nous  pouvons  désormais  établir  un  pa- 
rallèle entre  la  conduite   des  Babyloniens  et  le 
châtiment  qu'elle  leur  attira. 

«  Et  l'Eternel  envoya  contre  lui  des  troupes  de 
«  Chaldéens,  et  des  troupes  de  Syriens,  et  des 
«  troupes  de  Moabites ,  et  des  troupes  d'Ammo- 
«  nites ,  et  il  les  envoya ,  dis-je ,  contre  Juda  pour 

(94)  Esaïe,  XL VII,  14.  — (95)  Jér.,  LI,  58  — (96)  Ibid.,  LI,  4^4. 
(97)  Jér.,  L,  15,  27,  28,  29.  —  (98)  Ibid.,  LI,  2/i,  56. 


62  MAnYLONK.  eu.  II. 

«  le  (^étnlire'^^  »  Aussilôl  que  le  jour  de  la  rétri- 
bution fut  arrivé 5  la  plupart  des  j^Mandes  nations 
comprises  entre  l'Egypte  et  la  mer  Caspienne, 
entre  la  Lydie  et  le  golfe  Persique ,  marchèrent 
d'un  commun  accord  contre  Babylone.  «  Nebu- 
c(  cadnetzar,  roi  de  Babylone ,  vint  contre  Jéru- 
«  salem,  lui  et  toute  son  armée ,  et  il  campa  con- 
«  tre  elle  ,  et  ils  bâtirent  des  forts  tout  autour ,  et 
«la  ville  fut  assiégée *^^  »  Cyrus ,  après  avoir 
réuni  les  nations  de  l'Asie  contre  Babylone  ^  alla 
camper  autour  de  ses  murailles;  en  un  mot,  il  fit 
le  siège  de  cette  ville  qui  avait  été  si  longtemps  la 
terreur  des  nations.  «Ils  prirent  donc  le  roi,  et 
«  le  tirent  monter  vers  le  roi  de  Babylone  à  Ribla, 
«  oil  on  lui  fit  son  procès ,  et  on  égorgea  les  fils  de 
«  Sédécias  en  sa  présence...  Le  prévôt  de  l'hôtel 
«  emmena  aussi  Séraja ,  premier  sacrificateur  ;  et 
«  Sophonie ,  second  sacrificateur  ;  et  les  trois 
«  gardes  des  vaisseaux.  Il  emmena  aussi  de  la 
«  ville  un  officier  qui  avait  la  charge  des  gens  de 
«  guerre ,  et  cinq  hommes  de-  ceux  qui  étaient 
«  près  de  la  personne  du  roi  qui  furent  trouvés 
«  dans  la  ville  ;  de  plus  le  secrétaire  du  capitaine 
«  qui  tenait  les  rôles  du  peuple ,  du  pays  et 
«  soixante  hommes  d'entre  le  peuple ,  qui  fu- 
«  rent  trouvés  dans  la  ville.  Nebuzar-Adan  les 
«  mena  au  roi  de  Babylone...  et  le  roi  de  Baby- 
«  lone  les  frappa  et  les  fit  mourir.  »  Or,  pendant 
la  nuit  oil  Babylone  fut  prise,  le  roi  fut  mis  à 
mort  avec  un  grand  nombre  de  ses  principaux 
officiers.  Et  le  massacre  des  gouverneurs  d'Is- 
raël fut  amplement  vengé  par  Darius,  qui,  selon 
Hérodote,  fit  empaler  3,000  des  plus  notables 
habitants  de  Babylone*^'.  «Et  toute  l'armée  qui 
«  était  avec  le  prévôt  de  l'hôtel  démolit  les  mu- 

(99)  II  Rois,  XXIV,  2.  —  (100)  Ibid.,  xxv. 
(lOJ)  II,  Rois,  XXV,  6,  7,  10,  15,  21. 


CH.  il.  BABYLONE.  63 

«  railles  de  Jérusalem  tout  autour.  »  C'est  ainsi 
que  plus  tard  Darius  démolit  à  son  tour  les  murail- 
les de  Babylone.  «  Nébucadnetzar  emporta  aussi 
«  à  Babylone  des  vases  de  la  maison  de  l'Eternel, 
«  et  il  les  mit  dans  son  temple  à  Babylone^^  » 
Cyrus,  Xerxès  etDarius  s'emparèrent  successive- 
ment des  trésors  du  temple  de  Bélus.  Ces  princes, 
adorateurs  du  feu ,  furent  les  instruments  de  la 
vengeance  prédite  contre  le  temple  de  Babylone 
au  sujet  de  la  destruction  de  celui  de  Jérusalem  ; 
enfin  Bel  fut  dépouillé  de  tout  ce  qu'il  contenait 
d'objets  précieux,  ses  idoles  furent  brisées,  et 
ce  qu'il  avait  englouti  lui  fut  arraché  de  la  bouche. 
«  Nebuzar-Adan ,  prévôt  de  l'hôtel,  officier  du 
c(  roi  de  Babylone,  entra  dans  Jérusalem,  et  il 
«  brûla  la  maison  de  l'Eternel ,  et  la  maison 
«  royale ,  et  toutes  les  maisons  de  Jérusalem ,  et 
«  il  mit  le  feu  à  toutes  les  maisons  des  grands'.  » 
Himère,  vice-gouverneur  du  roi  des  Parthes, 
incendia  le  forum  et  quelques-uns  des  temples  de 
Babylone ,  et  détruisit  la  plus  belle  partie  de  la 
ville.  «  Ils  continuèrent  de  plus  en  plus  à  com- 
et mettre  de  grands  crimes...  ils  se  moquaient  des 
«  envoyés  de  Dieu,  etc..  C'est  pourquoi  il  fit  ve- 
«  nir  contre  eux  le  roi  des  Chaldéens,  etc..  il  les 
«  livra  tous  entre  ses  mains ^  »  Les  Juifs  captifs 
«  furent  les  esclaves  du  roi  des  Chaldéens  et  de  ses 
«  enfants.  On  ne  laissa  pour  labourer  la  terre  et 
«  tailler  la  vigne  que  les  plus  pauvres  des  habi- 
«  tants  du  pays,  et  eux  aussi  furent  les  serviteurs 
«  du  roi  de  Babylone.  »  Voyons  maintenant  ce 
qui  arriva  aux  conquérants,  après  avoir  été 
eux-mêmes  vaincus  par  Cyrus. 

Ce  prince  déclara  lui  appartenir  les  biens  ainsi 
que  les  personnes  des  Babyloniens.  Après  la  prise 

(402)11,  Chron.,  xxxvi,  7. 

(1)  II  RoiSj  XXV)  8,  9.  —  (2)  II,  Chron.,  xxxv,  1/i,  16,  17. 


fii  BABVLONi:.  CH.  îï. 

ile  leur  ville,  il  exigea  cjifils  lui  livrassent  leurs 
armes  sous  peine  de  mort.  Un  autre  décret  les  obli- 
gea à  cultiver  la  terre,  à  j)ayer  le  tribut,  à  servir 
ceux  dont  ils  devenaient  la  propriété;  et  Cyrus 
voulut  que  les  Persans  et  leurs  alliés  parlassent 
en  maîtres  à  leurs  nouveaux  esclaves.  Dans  une 
allocution  qu'il  fit  à  ses  généraux,  il  maintint  que 
tout  leur  appartenait  par  droit  de  conquête  , 
comme  par  une  loi  éternelle  ;  qu'ils  pouvaient  par- 
conséquent  se  considérer  comme  les  possesseurs 
légitimes  d'un  pays  vaste  et  fertile,  et  d'un  peuple 
qui  le  cultiverait  à  leur  profit. 

Après  avoir  vécu  pendant  plusieurs  années  dans 
cet  état  de  dépendance,  les  Babyloniens  finirent 
par  se  révolter  contre  leurs  oppresseurs,  et  s'ex- 
posèrent de  la  sorte  à  un  «  esclavage  »  aussi  hu- 
miliant et  aussi  pénible  que  celui  qu'ils  avaient 
autrefois  imposé  à  leurs  ennemis.  Ils  avaient  sou- 
mis les  Juifs  «  à  une  dure  servitude ,  »  ils  n'en 
avaient  pas  eu  pitié ,  mais  «  les  avaient  asservis.  » 
Cyrus  à  son  tour,  afin  de  s'assurer  de  la  soumission 
des  Babyloniens ,  les  réduisit  à  l'état  le  plus  misé- 
rable. Le  peuple  idolâtre  avait  autrefois  exercé 
d'indicibles  cruautés  contre  les  adorateurs  du 
Dieu  d'Israël,  et  maintenant  de  pareilles  cruautés 
étaient  exercées  contre  lui  par  les  adorateurs  du 
feu  et  les  ennemis  de  l'idolâtrie.  Et  si  jadis  Israël 
fut  traité  sans  miséricorde ,  aujourd'hui  c'est 
Himère  qui  n'a  «  pas  de  pitié  »  pour  les  habitants 
de  Babylone.  Babylone  qui  avait  mené  Judas  en 
captivité,  «  qui  frappait  avec  fureur  les  peuples 
de  coups  qu'on  ne  pouvait  détourner.^  »  devient 
elle-même  v  ictime  de  la  colère  qu'elle  avait  pro- 
voquée; elle  est  sans  cesse  frappée  de  coups, 
comme  l'aire  oii  l'on  bat  le  blé.  Elle  continua  de 
gémir  dans  cet  état,  et  d'être  l'opprobre  des  na- 
tions pendant  les  quatre  cents  ans  qui  s'écoule- 


CH.  if,  BABYLONE.  65 

rent  depuis  que  Cyrus  en  fit  la  conquête^  jusqu'au 
jour  oil  ses  habitants,  condamnés  à  expier  le  crime 
qu'avaient  commis  leurs  ancêtres  en  détruisant 
le  temple  du  Seigneur,  se  virent  eux-mêmes  ré- 
duits à  l'esclavage  et  chassés  de  Babylone  à  la 
lueur  de  leurs  temples  incendiés. 

C'est  ainsi  que  cette  ville  aux  palais  dorés ,  et 
qui  avait  jadis  fait  la  loi  à  Jérusalem,  fut  pendant 
plusieurs  siècles  dans  un  état  voisin  de  sa  ruine. 
En  vain  Cvrus  voulut  lui  rendre  son  ancien  éclat  en 
y  fixant  le  siège  de  son  empire  ;  les  rois  de  Perse, 
ses  successeurs,  préférèrent  habiter  Suse,  Persé- 
poiis  ou  Ecbatane,  villes  situées  dans  leur  propre 
pays.  Les  successeurs  d'Alexandre  ne  s'occupè- 
rent pas  non  plus  d'achever  ce  que  ce  conquérant 
avait  fait  pour  rendre  à  Babylone  sa  prééminence 
et  sa  grandeur;  et,  après  la  subdivision  de  son 
immense  empire,  Babylone  se  vit  préférer  Séleu- 
cie,  même  par  les  rois  d'Assyrie  durant  leurs 
excursions  en  Chaldée.  C'est  ainsi  que  sous  la  do- 
mination persane  et ,  plus  tard ,  sous  la  domina- 
tion des  Grecs ,  les  habitants ,  suivant  l'exemple 
de  leurs  rois,  abandonnèrent  la  ville  de  Babylone 
comme  si  vraiment  ils  se  fussent  dit  :  «  Laissez-la, 
«  et  nous  en  allons  chacun  dans  son  pays,  car  sa 
«  condamnation  est  parvenue  jusqu'aux  cieux  et 
«  s'est  élevée  jusqu'aux  nues.  »  (Jér.,  l.) 

Mais  il  y  avait  des  malédictions  prononcées 
contre  la  terre  de  Chaldée  aussi  bien  que  contre 
sa  capitale ,  et,  en  examinant  leur  accomplisse- 
ment ,  nous  parviendrons  à  connaître  toute  l'é- 
tendue de  la  désolation  actuelle  de  Babylone. 

«  Ils  viennent  d'un  pays  éloigné ,  du  bout  des 
«  cieux,  pour  détruire  le  pays.  Car  de  grands  rois 
«  aussi  et  de  grandes  nations  les  assujétiront.  » 
Les  Perses,  les  Macédoniens,  les  Parthes,  les  Ro- 
mains, les  Sarrazins  et  les  Turcs,  sont  les  princi- 


f)fi  nABTLONR.  r.rtft.  n. 

paiix  i)eu|)l('s  (jui  out  successivemont  régné  sans 
|)it ic  sur  la  I orn»  de  Hahylone.  Cyrus  ot  Darius,  rois 
de  Perse,  Alexandre-lc-Grand^Sélcurus,  rois  d'As- 
syrie, Demetrius  et  Antiochus-le-Grand,  Trajan  , 
Sévère,  Julien  et  Héraclius^  empereurs  de  Rome, 
et  le  vietorieux  Omar,  successeur  de  Mahomet, 
Holagouet  Tamerlan,  voilà  les  grands  roisquiont 
tour  h  tour  asservi  et  détruit  tout  le  pays,  et  qui 
ont  exigé  un  tribut  inoui  dans  l'histoire  des  nations 
de  la  terre.  Plusieurs  de  ces  peuples  n'existaient 
pas  au  temps  des  Babyloniens,  et  d'autres  étaient 
entièrement  inconnus  à  l'époque  delà  prophétie  ; 
cependant  il  est  facile  de  voir  maintenant  que  la 
plupart  de  ces  rois  et  de  ces  nations  «  sont  venus 
«  d'un  pays  éloigné ,  du  bout  des  cieux.  » 

«  Ils  sont  cruels,  ils  ne  sont  que  fureur  et  ardeur 
«  de  colère  pour  réduire  le  pays  en  désolation.  » 
Les  Perses  exerçaient  à  Tenvi ,  avec  les  Parthes, 
leur  cruauté  contre  leurs  ennemis  vaincus.  Trois 
mille  Babyloniens  furent  empalés  par  l'ordre  de 
Darius.  Les  conquérants  de  Macédoine  n'étaient 
guère  portés  à  la  miséricorde  ;  Antigone  et  Séleu- 
cus  se  disputèrent  longtemps  la  possession  de  la 
Chaldée;  et  après  la  longue  domination  des  Seleu- 
cides  les  Parthes,  connus  parleur  cruauté,  y  com- 
mirent toutes  sortes  d'excès.  Au  deuxième  siècle 
de  l'ère  chrétienne,  les  Romains,  venus  «  d'un  pays 
«  éloigné  ,  »  continuèrent  à  «  réduire  le  pays  en 
«  désolation,  »  et  accomplirent  aussi  la  parole  du 
prophète.  «  Sous  le  règne  de  Marcus ,  les  géné- 
raux romains  pénétrèrent  jusqu'à  Ctésiphon  et 
à    Séleucie.   La   colonie  grecque   les   reçut  en 
amis;  ils  attaquèrent   en  ennemis   la   capitale 
du  roi  des  Parthes  ;  mais  les  deux  villes  subirent  le 
même  sort.  Le  sac  et  l'incendie  de  Séleucie  et  le 
massacre  de  30,000  de  ses  habitants  ternirent 
la  gloire  du  triomphe.  Séleucie  ne  se  releva  plus 


CM.  II.  BABYLONE.  67 

après  cette  chute;  mais  trente-trois  ans  plus  tard 
Ctésiphon  avait  recouvré  assez  de  force  pour 
soutenir  un  siège  que  lui  fit  Tempereur  Sévère. 
Ctésiphon  fut  trois  fois  assiégée  et  trois  fois  prise 
par  les  prédécesseurs  de  Julien  \  »  Et  lorsque 
Julien  vint  y  mettre  le  siège,  sa  colère  ne  fut  pas 
apaisée,  et  la  cruauté  de  son  armée  ne  fut  pas  di- 
minuée par  la  résistance  que  les  habitants  de  Cté- 
siphon firent  éprouvera  60,000  assiégeants. L'em- 
pereur Julien  abandonna  les  champs  de  l'Assyrie 
aux  dévastations  de  la  guerre,  et  le  philosophe  se 
vengea  ainsi  sur  un  peuple  innocent  de  la  rapine 
et  de  la  cruauté  que  son  orgueilleux  maître  avait 
exercées  dans  les  provinces  romaines. 

Les  Perses  purent  contempler  du  haut  des  murs 
de  Ctésiphon  la  désolation  de  tout  le  pays  envi- 
ronnant \  La  violence  avec  laquelle  les  Romains 
exercèrent  leur  vengeance  contre  les  habitants  de 
la  Chaldée  souleva  «  l'ardeur  de  leur  colère ,  »  et 
ces  deux  causes  se  réunirent  pour  rendre  la  déso- 
lation du  pays  plus  complète  et  plus  générale.  La 
vaste  étendue  de  territoire  qui  ^se  trouve  entre  le 
Tigre  et  les  montagnes  de  Médie  était  couverte 
de  villages  et  de  villes,  et  le  sol  généralement  fer 
tile  était  encore  enrichi  par  une  bonne  culture  : 
mais  à  l'approche  des  Romains  cet  aspect  riant 
fut  tout-à-coup  changé.  Partout  sur  leur  passage, 
les  habitants,  désertant  leurs  villages,  se  réfu- 
giaient dans  les  villes  fortifiées  ;  on  chassait  le  bé- 
tail ,  on  mettait  le  feu  à  l'herbe  et  au  blé  déjà 
mûr  ;  et  dès  que  les  flammes  qui  interrompaient 
les  progrès  de  Julien  eurent  diminué,  il  ne  vit 
plus  autour  de  lui  que  le  triste  spectacle  d'un  dé- 
sert aride  et  embrasé  ^.  Mais  la  seconde  ville  de 
la  province ,  grande ,  populeuse  et  bien  fortifiée , 

(3)  Gibbon,  vol.  I,  ch.  viii,  p,  212  —  {H)  Ibid.,  II,  xxiv,  369. 
(5)  Ibid.,  vol.  II,  ch.  xxiv,  p.  374. 


(>f>  HAnVLOE.  Cil.  II. 

clierchn  cii  vain  à  résisler  à  une;  allacjuc  violente 
et  désespérée;  on  parvint  h  faire  une;  large  brè- 
elie  aux  murailles;  les  soldais  de  Julien  se  pré- 
eipitèrent  avec  impétuosité  dans  la  ville  ^  et  après 
que  le  soldat  eut  assouvi  toutes  ses  passions  dés- 
ordonnées,  Périsabor  fut  réduite  en  cendres,  et 
on  planta  les  machines  qui  devaient  servir  à  l'as- 
saut de  la  citadelle  sur  les  murs  encore  fumants 
des  habitations  des  citoyens  ^  Lorsque,  dans  la 
suite,  les  Romains,  sous  la  conduite  d'Héracliu.*', 
arrivèrent  jusque  devant  la  capitale  royale  de 
Destagered,  et  se  répandirent  sur  toute  la  Chal- 
dée,  jusqu'à  Ctésiphon,  ils  incendièrent  tout  ce 
qu'ils  ne  purent  pas  emporter,  afin  de  faire  subir 
à  Chosroës  le  même  traitement  qu'il  avait  si 
souvent  fait  éprouver  aux  provinces  de  l'empire 
romain;  ce  qui  aurait  pu  être  juste,  dit  Gibbon, 
si  cette  destruction  s'était  bornée  aux  objets  de 
luxe  et  de  magnificence  royale ,  et  si  la  haine 
nationale  ,  la  licence  militaire  et  le  fanatisme 
religieux  ne  s'étaient  pas  réunis  pour  détruire 
avec  une  rage  égale  les  demeures  et  les  temples 
des  habitants  innocents  ^  La  race  féroce  des 
Abassides,  dont  le  but  principal  était  partout  le 
meurtre  et  le  pillage,  furent  longtemps  en  pos- 
session de  la  Chaldée,  et  Bagdad,  sa  nouvelle 
capitale ,  située  à  peu  de  distance  de  Séleucie  et 
de  Ctésiphon,  fut  pendant  500  ans  le  siège  de 
leur  gouvernement  et  de  leur  empire  ^  «  Leurs 
poignards,  leurs  seules  armes,  furent  brisés  par 
i'épée  d'Holagou ,  et  excepté  le  titre  d'assassins  il 
ne  reste  aucun  vestige  de  ces  ennemis  de  l'humani- 
té^. »  Ainsi  de  toutes  les  manières  cette  parole  s'est 
réalisée  :  «  Il  en  exterminera  les  méchants  *^.  » 

(6)  Gibbon,   361. 

(7)  Ibid.,  XLVi,  V.  IV,  p.  441.  —  (8)  Ibid.,  II,  V,  338. 

(o)  Gibbon,  vol.  VI,  cb.  lxiv,  p.  278.  —  (40)  Esoïf,  XIII,  9. 


CH.  11.  BABYLONE.  69 

Ce  furent  ensuite  les  Tartares  Mogols  qui  prirent 
possession  de  la  terre  de  Babylone,  et  qui  conti- 
nuèrent cette  œuvre  de  désolation. 

Après  un  siège  de  deux  mois,  Bagdad  fut  prise 
et  saccagée  par  les  Mogols ,  sous  les  ordres  de 
Holagou  Khan,  petit-fils  de  Gingis  Klian  *'. 

Et  ïamerlan,  autre  dévastateur  fameux,  sou- 
mit à  son  autorité  tout  le  pays  voisin  du  Tigre  et  de 
l'Euphrate,  depuis  la  source  jusqu'à  l'embouchure 
de  ces  rivières,  et  fit  élever  sur  les  ruines  de 
Bagdad  une  pyramide  de  90,000  têtes  *\  Enfin, 
avec  une  cruauté  toujours  croissante ,  les  Turcs  , 
les  Sarrazins,  les  Kourdes  et  les  Tartares  sont  de- 
venus «  les  armes  de  l'indignation  du  Seigneur, 
«  tirés  de  l'arsenal  qu'il  avait  ouvert ,  car  l'Eter- 
«  nel  des  armées  avait  une  entreprise  à  exécuter 
«  dans  le  pays  desChaldéens.  Ainsi  il  a  dit:  Détrui- 
«  sez  et  qu'il  n'y  ait  rien  de  reste.  L'épée  est  sur 
«  les  Chaldéens  ;  l'alarme  est  au  pays  et  une 
«  grande  destruction.  J'allumerai  aussi  le  feu  en 
«  ses  villes,  et  il  dévorera  tous  ses  environs,  y^ 

«  LaChaldéesera  abandonnée  au  pillage  et  tous 
«  ceux  qui  la  pilleront  seront  rassasiés,  dit  l'Eter- 
«  nel.  L'épée  est  sur  ses  trésors  et  ils  seront  pil- 
«  lés.  Tu  étais  assise  sur  plusieurs  eaux,  abondante 
«  en  trésors;  ta  fin  est  venue,  et  le  comble  de  ton 
«  gain  deshonnête.  »  Après  avoir  pris  Babylone 
subitement  et  par  surprise,  Cyrus  devint  posses- 
seur «  des  trésors  cachés  et  des  richesses  secrè- 
«  tes.  »  Lors  de  son  entrée  publique  dans  Baby- 
lone, tous  les  officiers  de  son  armée,  soit  Perses, 
soit  alliés,  portèrent,  parson  ordre,  des  robes 
magnifiques,  celles  des  officiers  supérieurs  étant 
de  couleurs  variées  et  richement  brodées  d'or 
et  d'argent;  ce  fut  ainsi  qu'on  déploya  «les  ri- 

(11)  Gibbon,  VI,  lxiv,  278.  —  (12)  Ibib.,  lxv,  312,  322. 


70  IJABYLONE.  Cil.  II. 

c(  chesses  cachées.  «  Lorsque  ensnile  Jes  trésors 
de  liahylone  lonibèreiit  entre  les  mains  (run  autre 
puissant  nionanjue,  Alexandre-le-Grand ,  il  donna 
à  chaque  cavalier  macédonien  six  mines  (ce  qui 
é(]uivaut  après  de  400  francs),  et  à  chaque  soldat, 
et  à  chaque  cavalier  étranger  deux  mines  ou  125  fr. 
et  il  accorda  h  chaque  homme  de  son  armée  ime 
gratification  égale  a  deux  mois  de  sa  paie.  Deme- 
trius commanda  à  ses  troupes  de  piller  Babylone 
a  leur  profit  *". 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  à  ces  deux  épo- 
ques que  tous  ceux  qui  «  l'ont  j^illée  ont  été  as- 
c(  souvis.  »  C'était  l'abondance  de  ses  richesses 
qui  attirait  les  spoliateurs.  Plusieurs  nations  vin- 
rent d'un  pays  éloigné  «  et  aucune  ne  retourna  à 
«  vide.  »  La  richesse  du  sol  créait  bientôt  un 
nouveau  trésor  jusqu'à  ce  que  de  nouveau  «  Té- 
«  pée  vint  sur  eux ,  et  ses  richesses  furent  pil- 
«  lées.  »  Pendant  deux  siècles ,  jusqu'à  la  mort 
d'Alexandre ,  ce  pays  fut  la  proie  des  Perses  et 
des  Grecs;  ensuite  il  fut  livré  aii  pillage  des  Par- 
ties; et  plus  tard  les  Romains,  «  nation  venue  des 
(c  bouts  des  cieux,  »  prirent  à  tâche  de  le  sac- 
cager. Au  dire  de  ces  célèbres  conquérants  du 
monde,  il  ne  s'agissait  que  de  le  contraindre  à  la 
soumission  et  de  lui  ôter  les  moyens  de  commet- 
tre des  pillages  ;  c'était  là  leur  prétexte  et  la  cause 
de  leur  colère  ;  du  reste  il  entrait  dans  leur  poli- 
tique, à  l'égard  des  provinces  de  leur  empire ,  de 
protéger  tous  les  habitants  vaincus  dès  qu'ils  se 
soumettaient  à  leur  joug  ;  mais  la  Chaldée,  en  rai- 
son de  son  extrême  éloignement,  ne  s'étant jamais 
soumise  entièrement  à  son  autorité,  et  les  limites 
de  l'empire  romain  ayant  été  fixées  par  Adrien  à  la 
rive  occidentale  de  l'Euphrate,  sur  les  frontières 

(13)  Plularqne,  lie  de  Démétrius, 


CH.  n.  BABYLONE.  71 

même  de  la  Clialdée,  ce  peuple  malheuieux  n'ob- 
tint jamais  leur  protection  et  fut  toujours  exposé 
aux  spoliations  des  Romains. 

Lorsqu'il  s'agit  d'expliquer  les  paroles  de  l'E- 
criture sainte,  le  témoignage  de  Gibbon  est  aussi 
peu  suspect  que  celui  des  auteurs  païens,  et  pour 
employer  ses  propres  expressions:  «  Cent  mille 
prisonniers  et  un  riche  butin  furent  la  récom- 
pense des  soldats  romains,  lorsqu'ils  s'emparè- 
rent de  Ctésiphon,  au  deuxième  siècle,  sous  les 
ordres  des  généraux  de  Marcus.  »  Julien,  qui  au 
quatrième  siècle  se  yit  obligé  de  lever  le  siège  de 
Ctésiphon,  ne  manqua  pas  deprouverpar  sesactes 
la  vérité  de  cette  divine  parole  qu'il  rejetait;  car 
il  soumit  la  Chaldée  à  sa  puissance  et  en  enleva 
les  trésors.  Il  abandonna  Périsabor aux  flammes; 
il  fit  partager  entre  ses  troupes  l'immense  quan- 
tité de  provisions  et  d'armes  qui  s'y  trouvait  ;  il  en 
réserva  une  partie  pour  le  service  public ,  et  fit 
ensuite  jeter  dans  l'Êuplirate  ou  dans  les  flammes 
tout  ce  qui  lui  semblait  inutile  *^.  11  récompensa  ses 
soldats  en  leur  donnant  à  chacun  100  pièces  d'ar- 
gent, et  leur  dit:  «  Vous  voulez  des  richesses? 
elles  sont  entre  les  mains  des  Perses  ;  nous  vous 
proposons  leurs  dépouilles  comme  prix  de  votre 
valeur  *^.  »  L'ennemi  fut  vaincu  après  un  ru<te 
combat ,  et  le  butin  était  tel  qu'on  devait  s'y  at- 
tendre, d'après  les  richesses  et  le  luxe  d'uncamj) 
oriental  :  c'étaient  «  de  grandes  quantités  d'or  et 
«  d'argent,  des  armes  magnifiques,  de  riches  équi- 
«pements,  des  lits  et  des  tables  en  argent  mas- 
«sif^D 

Lorsque  ,  sous  Héraclius ,  les  Romains  ravagè- 
rent la  Chaldée,  quoique  Dastagered  eût  été  dé- 
pouillé d'une  grande  partie  de  ses  trésors,  il 

(14)  Gibbon,  voJ.  I,  cb.  VIII,  p.  211,  —  (15)  Ibid.,  36/|. 
(16)  Ibid.,  369. 


72  BABVLONE.  CH.  II. 

parait  qu'il  en  resta  cependant  assez  pour  surpas- 
ser leurs  espérances  et  pour  assouvir  leur  ava- 
rice'^  Ainsi  les  actions  de  Julien  et  les  paroles  de 
Gibbon  nous  font  bien  voir  comment  «  la  Chaldée 
a  été  en  désolation,»  comment  «  l'épée  a  été  sur 
ses  trésors,  »  et  comment  d'année  en  année  et  de 
génération  en  génération  il  y  a  eu  un  bruit  de 
guerre  et  de  violence  dans  le  pays,  et  comment 
«  tous  ceux  qui  l'ont  pillé  ont  été  assouvis.  » 

Mais  il  nous  reste  encore  k  donner  d'autres  dé- 
tails sur  l'accomplissement  de  ces  paroles  pro- 
phétiques; et,  de  même  que  deux  grands  peintres 
peuvent  rivaliser  par  la  beauté  du  coloris  et  par 
la  vérité  avec  laquelle  ils  reproduisent  la  nature, 
quoique  les  traits  qu'ils  choisissent  soient  diffé- 
rents ;  de  même,  dans  la  description  qu'il  fait  du  sac 
de  Ctésiphon,  Gibbon  semble,  dansson  tableau  his- 
torique, rivaliser  avec  Volney,  et  vouloir  rendre 
autan t  que  lui  témoignage  à  la  vérité  des  prophé  ties 
de  l'Ecriture.  «  La  capitale  fut  prise  d'assaut,  et 
le  désordre  et  la  résistance  du'peuple  semblaient 
aiguiser  le  sabre  des  vainqueurs,  qui  criaient  dans 
un  transport  religieux  :  «  Voici  le  palais  blanc  de 
Choroès,  c'est  ici  la  promenade  de  l'Apôtre  de 
Dieu.  »  Les  pauvres  voleurs  du  désert  se  virent 
tout-à-coup  «  enrichis  au-delà  de  leurs  espérances» 
ou  de  leur  imagination.  Chaque  chambre  révélait 
un  nouveau  trésor  caché  avec  soin  ou  étalé  avec 
orgueil.  La  variété  des  étoffes  et  la  splendeur  des 
ameublements  dépassaient  (dit  Abulféda)  tous  les 
effortsde  l'imagination,  et  un  autre  historien  tâche 
de  définir  ces  masses  énormes  de  richesses  en 
disant  qu'on  y  avait  trouvé  trois  mille  milliers  de 
pièces  d'or.  Une  des  chambres  du  palais  était  cou- 
verte d'un  tapis  de  soie  ayant  90  pieds  de  long  et 

(17)  Gibbon,  vol.  I,  cb.  viii,  p.  36P. 


eu.  H.  BABYLONE.  73 

autantde  large,  llreprésentaituiî  paradis  OU  jardin. 
Les  fleurs 5  les  fruits  et  les  arbrisseaux  étaient  re- 
présentés par  un  tissu  d'or  et  par  les  couleurs  des 
pierres  précieuses,  et  le  grand  carré  était  entouré 
d'une  riche  broderie  verte  nuancée.  Le  farouche 
Omar  partagea  le  butin  entre  ses  frères  de  Médine. 
On  détruisit  le  tableau ,  mais  les  matériaux  dont 
il  était  composé  avaient  un  si  grand  prix  que  la 
part  d'Ali  fut  vendue  20,000  dragmes.  Un  mulet 
chargé  de  la  tiare  et  de  la  cuirasse  de  Chosroes 
ayant  été  surpris  par  l'ennemi,  ce  riche  trophée 
fut  présenté  au  commandant  des  croyants,  et  le 
plus  grave  de  ses  conseillers  se  permit  un  sourire 
ïorscpi'il  vit  la  vénérable  barbe  et  la  singulière 
figure  du  vieillard  couvertes  de  la  dépouille  du 
£;rand  roi  *^ 

Le  témoignage  des  voyageurs  modernes  vient 
encore  nous  prouver  que  partout  oii  se  trouve  un 
trésor,  l'épée  de  l'ennemi  ne  manque  pas  d'être 
«  sur  lui,  »  et  que  le  pillage  n'a  pas  encore  cessé 
dans  le  pays  de  Babylone. 

A  l'occident  de  Hillah,  sont  deux  villes  €|ue  les 
Perses  et  les  Shiites  considèrent  comme  consa- 
crées à  la  mémoire  de  deux  de  leurs  plus  saints 
martyrs;  «  ce  sont  Meshed  Ali  et  Meshed  Housein , 
enrichies  naguères  par  la  dévotion  des  Perses, 
mais  maintenant  dépouillées  de  leurs  trésors 
par  les  féroces  Wahabis  *^ 

Et  aujourd'hui  qu'après  plusieurs  siècles  de 
spoliations  les  trésors  de  Babylone  ont  eu  leur 
fin ,  la  terre  elle-même  ne  manque  pas  de  montrer 
<(  ses  richesses  cachées,  »  comme  preuve  de  leur 
ancienne  abondance.  Dans  les  ruines  de  Houma- 
nia,  près  de  celles  de  Ctésiphon,  on  a  découvert 

(18)  Gibbon,  vol.  Ill,  ch.  n,  p.  1^51. 

{1^)  Géographie  de  MaliC'B nui,  vol.  II,   p.  119,   ^i  Voyage  de 
Buckingham  en  Mésopotamie^  vol.  II,  p.  246. 


7i  lUBYLONE.  CH.  II. 

pai  hasard,  lii  o  mars  1812,  des  pièces  d'argent  qui 
sortaient  des  bords  du  Tigre.  Examen  fait  par 
des  personnes  qu'avaient  envoyées  dansée  but  les 
ofliciers  du  pacha  de  Badgad,  il  se  trouva  que 
c'était  environ  6  à  700  lingots  d'argent,  ayant 
chacun  un  pied  et  demi  de  long,  et  qui  furent 
enq3ortés.  On  trouva  aussi  un  pot  de  terre  conte- 
aant  plus  de  2,000  pièces  de  monnaie  grecque, 
toutes  en  argent.  —  M.  Rich,  autrefois  chargé 
d'affaires  de  la  Compagnie  des  Indes  à  Bagdad,  en 
acheta  plusieurs,  et  elles  font  partie  de  sa  pré- 
cieuse collection,  dont  le  gouvernement  anglais 
a  depuis  lors  fait  l'acquisition ,  et  qui  est  déposée 
au  Musée  Britannique ^^ 

Parmi  les  ruines  de  Ctésiphon ,  les  habitants  du 
pays  ramassent  souvent  des  pièces  d'or ,  d'argent 
et  de  cuivre  qu'ils  vendent  facilement  à  Bagdad  ; 
il  paraît  même  que  quelques  riches  Juifs  et  Armé- 
niens ,  qui  sont  chargés  de  faire  des  collections 
pour  des  consuls  français  et  allemands,  font 
fouiller  parmi  ces  ruines  et  y  trouvent  souvent 
des  médailles,  des  monnaies  et  d'anciens  bi- 
Jous.  On  m'a  assuré  que  ces  fouilles  ne  sont  ja- 
mais sans  résultat.  Ne  semble-t-il  pas  vrai  que 
<<  tous  ceux  qui  la  pilleront  seront  assouvis  ?  » 

L'histoire  ancienne  du  pays  de  Babylone  peut 
être  terminée  par  les  paroles  mêmes  des  pro- 
phètes :  il  n'en  était  pas  pour  eux  comme  pour  les 
historiens  profanes  ,  qui  n'osèrent  décrire  sa 
fertilité,  même  au  commencement  de  sa  déca- 
dence, parcequ'ils  disaient  qu'elle  surpassait 
tout  ce  que  l'on  pouvait  croire.  Ceux  qui  rap- 
portent les  paroles  que  «  l'Eternel  prononça 
contre  Babylone  »  le  font  sans  crainte,  quoiqu'il 
fallait  que  2/i00  ans   s'écoulassent  avant   que 

(20)  Voyage  du  capitaine  Mignan,  p.  53  et  7^% 


CH. IL  BABYLONE.  75 

cette    prédiction    fût    entièrement    accomplie. 

«  Je  punirai  le  pays  des  Chaidéens,  que  je  ré- 
«  duirai  en  des  désolations  éternelles.  »  —  «  Re~ 
«  tranchez  de  Babylone  celui  qui  sème ,  celui  qui 
«tient  la  faucille  au  temps  de  la  moisson.  »  — 
«  La  sécheresse  sera  sur  ses  eaux  et  elles  tari- 

«  ront.  »  —  «Elle  sera la  dernière  entre  les 

«  nations  ^  elle  sera  un  désert ,  un  pays  sec  ^  une 
«  lande.  Elle  ne  sera  plus  habitée  à  jamais;  il  n'y 
«  demeurera  personne  ^  et  aucun  fils  d'homme  n'y 
«  habitera.  »  —  «J'enverrai  contre  Babylone  des 
«  vanneurs  qui  la  vanneront.  La  terre  en  sera 
«  ébranlée  et  en  sera  en  travail ,  parceque  tout 
«  ce  que  l'Eternel  a  résolu  a  été  exécuté  contre 
«  Babylone ,  pour  réduire  le  pays  en  désolation  , 
«  tellement  qu'il  n'y  ait  personne  qui  y  habite.  » 
La  terre  de  Chaldée  devait  être  une  désolation 
éternelle;  après  avoir  été  ravagée  et  dépouillée 
pendant  des  siècles  ^  toute  «  son  excellence  »  a 
disparu 5  et  elle  est  devenue  stérile  et  déserte, 
comme  elle  l'est  encore.  Rauwolff ,  qui  visita 
cette  contrée  en  1574 ,  en  parle  comme  d'un  «  sol 
si  sec  5  si  stérile ,  qu'il  est  impossible  de  le  labou- 
rer^*. »  Tousles  voyageurs  modernes  s'accordent 
à  porter  le  même  témoignage. 

«  La  terre  de  Babylone  sera  vannée ,  aucun  fils 
«  d'homme  n'y  habitera;  elle  sera  un  désert  et  un 
«  pays  sec  5  une  lande.  » 

D'un  côté,  près  du  site  d'Opis,  «  le  pays  envi- 
ronnant paraît  être  un  vaste  désert  de  sable ,  un 
sol  aride;  par-ci  parJàseulement  on  aperçoit  quel- 
ques signes  de  végétation  et  un  peu  d'herbe^'.  » 
De  l'autre  côté,  entre  Bussorah  et  Bagdad,  sur  les 
rives  du  Tigre,  tout  le  pays  est  un  désert;  l'ab- 
sence complète  de  tout^  culture ,  l'aspect  stérile  , 

(21)  Voyage  de  îlauivolff,  Ray.  1693,  p.  164. 

(22)  Buckingham  ,  vol.  II,  p.  156. 


7()  JJABYLONE.  CH.   II. 

;iri(le  et  sauv.Mf^e  de  la  terre ,  fornu»  nn  contraste 
frappant  avec  les  riches  et  cléliciens(^s  descriptions 
de  IMicrilnre  Sainte.  En  traversant  ces  immenses 
déserts ,  oii  ne  se  trouvent  point  de  sentiers,  les  in- 
digènes sont  obligés  de  s'orienterpar  les  étoiles^". 
La  surface  du  pays  est  plate,  et  présente  aux 
regards  une  vaste  étendue  de  plaine  sur  lacpielle 
on  ne  voit  que  de  loin  k  loin  des  troupeaux  de 
chameaux  à  demi  sauvages;  à  peine  aperçoit-on 
quelques  petits  arbustes.  Cette  immense  lande 
n'est  bornée  que  par  rhorison^\ 

Au  centre  du  i^ays,  toute  la  contrée  qui  s'é- 
tend depuis  Bagdad  est  une  plaine  oii  l'on  ne  dis- 
tingue pas  le  moindre  vestige  de  végétation.  En 
sortant  des  portes  de  Bagdad ,  le  voyageur  a  de- 
vant lui  la  vue  d'un  désert  aride,  un  pays  plat  et 
stérile.  Toute  1^  contrée  entre  Bagdad  et  Hillah 
est  parfaitement  plate ,  et ,  à  l'exception  de  quel- 
ques endroits  près  de  ce  dernier  lieu,  un  désert 
inculte^".  11  est  facile  de  voir,  par  le  nombre  des 
canaux  qui  traversent  ce  pays  et  qui  sont  mainte- 
nant à  sec,  qu'autrefois  il  était  dans  un  état  bien 
différent,  et,  à  en  juger  d'après  les  monceaux  de 
terre  couverts  de  fragments  d'édifices  et  de 
tuiles,  que  tout  ce  désert  était  jadis  peuplé...  Au- 
jourd'hui ses  seuls  habitants  sont  les  Arabes-So- 
béides'^..  De  tous  côtés,  aussi  loin  que  l'œil 
peut  atteindre,  on  ne  voit  qu'une  vaste  soli- 
tude ^^  —  La  richesse  du  pays  a  aussi  complè- 
tement disparu  que  si  le  «  balai  de  la  désolation  « 
l'avait  parcouru  du  nord  au  midi.  Depuis  les 
environs  de  Babylone  jusqu'aux  extrémités  du 

(23)  Mignan,  p.  5. 

(24)  Ibid.,  p.  31-32.  —  Buckingham,  p.  240  ;  vol.  I,  p.  260. 

(25)  Mémoires  de  Rich,  p.  4. 

(26)  Travaux  de  la  Société  de  littérature  de  Bombay,  vol,  I , 
p^  /^28.  —  (27)  f^cyage  de  Keppely  p.  87. 


CH.  II.  BABYLONE.  i  > 

territoire  on  ne  voit  qu'un  triste  désert.  On  est 
des  heures  entières  sans  rencontrer  une  seule 
habitation  ^^  —  «La  terre  de  Babylone  est  en  déso- 
«  lation^  il  n'y  a  personne  qui  y  habite.  »  —  Les 
Arabes  seuls  la  parcourent ,  et  chaque  homme 
que  l'on  rencontre  dans  ces  déserts  semble  être 
un  ennemi.  La  terre  de  laChaldée  est  maintenant 
le  repaire  des  bêtes  sauvages;  mais  le  voyageur 
les  voit  avec  moins  d'effroi  qu'il  n'envisage  un 
animal  plus  sauvage  encore^  l'Arabe  du  désert. 
— Souvent  il  est  parfaitement  impossible  de  tra- 
verser le  pays. — Lorsque  Ton  compare  ces  belles 
descriptions  des  riches  récoltes  de  Babylone^ 
quand  le  blé  rendait  un ^ deux  et  trois  centuples, 
avec  l'état  actuel  du  pays^  on  est  frappé  de  voir 
combien  sa  désolation  a  été  grande.  On  ne  distin- 
gue plus  ses  canaux  que  par  leurs  bords  tombés 
en  ruines^^. 

Le  sol  de  ce  désert^,  dit  le  capitaine  Mignan^  qui 
le  traversa  à  pied^  et  qui  en  un  seul  jour  rencon- 
tra quarante  ruisseaux^  son  sol  est  composé  d'une 
terre  glaise  mêlée  de  sable;  il  s'échauffe  telle- 
ment aux  rayons  du  soleil  que  vers  midi  je 
trouvai  qu'il  était  impossible  de  marcher  sans 
beaucoup  souffrir.  Celui  qui  a  traversé  ces  vastes 
régions  a  cheval  sait  combien  elles  sont  tristes  et 
monotones^  même  pour  le  cavalier^  et  peut  s'ima- 
giner combien  elles  le  sont  davantage  pour  le 
voyageur  à  piecP^ 

Que  les  temps  sont  changés!  Dans  ce  pays  qui 
donna  au  monde  les  premières  notions  d'astrono- 
mie 5  oil  l'on  apprit  pour  la  première  fois  à  remar- 
quer le  mouvement  des  astres,  la  marche  des 
corps  célestes,  le  misérable  habitant  ne  sait  plus 
s'orienter  au  milieu  de  ces  vastes  solitudes  que  pai 

(28)  Voyage  en  Babylonie,  par  sir  K.  Porter,  vol,  lî,  p.  285e 

(29)  Migiian,  p.  2.  —  (30)  Ibid.,  p.  2,  31-34. 


^^  BAKYLONE.  (Ai.  il. 

les  él()il(^s  du  v'w\  !  Là  oil  la  eullure  avait  atteint 
son  plus  haut  defjré  de  perfectionnement ,  et  oii  le 
ljlé  i'af)poitait  nn  et  deux  centuples,  on  ne  trouve 
plus  maintenant  qu'une  immense  plaine  sans  vé- 
Jactation.  «  J.e  semeur  et  celui  qui  tient  la  faucille 
^(  ont  été  reti  anches  du  pays  de  Babylone.  »  Lk  oii 
l'on  amassait  des  trésors  incalculables   et   une 
surabondance    de    provisions,    «  le   vanneur  a 
«  vanné,  »  les  spoliateurs  «  ont  pillé,  »  et  ils  ont 
«  vidé  le  pays.  »  Lk  oii  des  milliers  de  laboureurs, 
k  Tombre  de  beaux   palmiers,  arrosaient  leurs 
champs  au  moyen  de  leurs  nombreux  canaux ,  le 
voyageur  s'arrête  maintenant  et  ne  trouve  plus 
que  quelques  faibles  arbrisseaux;  il  ne  sait  au- 
jourd'hui où  poser  le  pied  sans  douleur,  il  cher- 
che en  vain  k  s'abriter  du  soleil  brûlant  de  midi , 
en    poursuivant    son    chemin   dans    ce    pays, 
maintenant  «  un  désert,  un  pays  sec,  une  lande.  » 
Le  silence  et  la  solitude  ont  remplacé  le  bruit  des 
riches  et  populeuses  cités ,  car  les  anciennes  villes 
de  Babylone  sont  «  en  désolation  ;  il  n'y  demeure 
«  personne,  et  aucun  fils  d'homme  n'y  habite^*.  » 

(31)  Le  péché  a  causé  la  désolation  de  la  Ghaldée,  comme  il  eau  - 
sera  finalement  celle  de  tout  pays  qui  ne  voudra  pas  se  repentir. 
Mais  «  le  jugement  habitera  au  désert,  et  la  justice  se  tiendra  en 
Carmel.  »  Il  en  sera  ainsi  non-seulement  en  Judée,  mais  chez  tou- 
tes les  nations  que  la  parole  de  Dieu  aura  éclairées,  que  son  esprit 
aura  renouvelées.  «  La  paix  sera  Teffet  de  la  justice  et  le  labourage 
de  la  justice  produira  le  repos  et  la  sdreté  à  toujours.  »  Il  est  consolant 
de  détourner  pour  un  moment  les  yeux  du  spectacle  de  désolation  que 
la  Chaldée  présente  en  expiation  des  péchés  de  ses  habitants,  et  de 
s'arrêter  à  ces  autres  passages  de  TEcriture  qui  sont  comme  les 
avant-conreurs  du  jour  de  lumière  dont  seront  suivies  les  ténèbres 
où  se  trouve  plongé  depuis  tant  de  siècles  ce  pays  si  plein  d'iniquités 
qu'il  a  fallu  le  purifier  par  le  jugement.  Déjà  de  sourdes  convulsions, 
devançant  la  guerre  de  principes  dont  ce  monde  doit  être  inévita- 
blement le  théâtre,  semblent  indiquer  que  le  temps  n'est  pas  éloigné 
où  ce  qui  n'est  encore  que  vision  sera  réalité.  «  Et  je  dis  à  l'ange 
qui  parlait  avec  moi  :  Où  emportent-elles  l'épha  ?  Et  il  me  répondit  ; 
C'est  pour  lui  bâtir  une  maison  au  pays  de  Shinar,  laquelle  étant 
bâiie,  il  sera  posé  ià  sur  sa  base  (Zacharie,  V,  10, 11).  Le  prophète 


CH.  H.  BABYLONE.  79 

c(  Ses  villes  seront  en  désolation.  »  —  Le  cours 
du  Tigre  qui  traverse  la  Babylonie^au  lieu  d'être 
comme  autrefois  embelli  par  de  riches  et  grandes 
villes  5  n'est  plus  marqué  que  par  les  emplace- 
ments  «  d'antiques  ruines  ^^.  »  Sitace,  Sabata^ 
Narisa^  Fuchera,  Sendia ,  n'existent  plus  ^\  Des 
monceaux  de  décombres  indiquent  la  place  sup- 
posée d'Artémite  ou  Destagered. 
-  Les  jardins  autrefois  si  magnifiques  sont  ca- 
chés sous  l'herbe  5  et  un  monceau  plus  élevé 
que  les  autres  indique  l'ancienne  résidence 
royale  ^\  Des  monticules  et  des  décombres  de  di- 
verses grandeurs  et  de  diverses  hauteurs  (près 
d'Houmania)  s'étendent  de  tous  cô tés  ^^  Une  mu- 
raille soutenue  par  seize  bastions  est  tout  ce  qui 
reste  d'ApoUonia^^. 

La  superbe  Séleucie  n'est  maintenant  qu'une 
scène  de  désolation.  Il  n'y  reste  pas  un  seul  édi- 
fice 5  mais  tout  le  pays  environnant  est  couvert  de 
ses  décombres.  Aussi  loin  que  l'œil  peut  s'éten- 
tre  5  dit  le  major  Keppel ,  l'horizon  est  borné  par 
une  ligne  de  monticules  ;  tout  cet  endroit  est  un 
désert  plat".  Sur  la  rive  opposée  du  Tigre  ^  oii 
se  trouvait  autrefois  Ctésiphon  sa  rivale ,  outre 
des  fragments  de  murs 5  des  décombres  de  briques 
et  des  pierres  5  et  des  restes  de  grands  édifices 

s'explique  clairement  :  c'est  au  pays  de  Shinar,  non  pas  dans  la  ville 
de  Babylone.  Bâtir,  établir,  poser  une  base  semblent  équivaloir  ici 
à  bénir,  reconstruire  sur  une  fondation  nouvelle  et  indestructible. 
Mais  du  reste  il  est  dit,  sans  métaphore,  «  que  tous  les  bouts  de  la 
terre  verront  le  salut  du  Seigneur.  Toute  la  terre  se  réjouira  ;  les 
endroits  solitaires  en  seront  aises,  le  désert  même  en  aura  de  la 
joie  et  fleurira  comme  la  rose.  » 

(32)  Voyez  la  Carte  des  Voyages  du  major  Keppel. 

(33)  Plan  des  environs  de  Babylone^  et  dans  Touvrage  du  major 
Rennell  :  Géographie  d'Hérodote^  p.  335. 

(34)  Keppel.  vol.  I,  p,  267. 

(35)  M^gnan,  p.  49.  —  (36)  Keppel,  p.  276. 
(37)  Keppel ,  p.  125. 


^><>  HAHYLONE.  Cil.   II. 

rocouverts  de  inonceanx  de  terre,  on  trouve  un 
iiia{;ni(i([U(^  UKUiunieut  de  i'auti(|uité  parl'ititeuient 
eonservé  ,  un  grand  et  bel  édiliee  qui  présente  de 
front   un   mur   de  ;30()  pieds  de  long,  orné  de 
'(  rangs  d'arcades  ;  l'arche  du  milieu,  qui  a  8(i  j)ieds 
de  large  et  plus  de  IGO  pieds  de  hauteur,  est  sou- 
tenue par  des  murailles  de  IG  pieds  d'épaisseur, 
et  conduit  à  une  salle  profonde  de  lôG  pieds,  lar- 
geur du  biitiment'".   Une  grande  partie  de  la 
muraille  du  fond  a  été  détruite  et  le  toit  aussi,  mais 
ce  qui  en  reste  paraît  plus  vaste  que  l'abbaye  de 
Westminster  "^  On  suppose  que  c'était  le  superbe 
palais  de  Chosroës;  mais  aujourd'hui  la  désola- 
tion y  règne.  —  Le  plus  petit  insecte  ne  saurait 
trouver  parmi  les  ruines  de  Ctésiphon  le  moindre 
brin  d'herbe  où  il  puisse  se  réfugier  ,  ou  la  moin- 
dre goutte  d'eau  pour  se  désaltérer^^.  Derrière 
le  palais  on  trouve  des  monticules  de  terre  de 
deux  milles  de  circonférence,  ce  qui  indique  bien 
la  destruction  complète  d'un  lieu  autrefois  con- 
sacré au  luxe  et  au  plaisir.  M^is ,  dit  le  capitaine 
Mignan ,  telle  est  l'étendue  de  ces  monticules  ir- 
réguliers qu'on  seraitpîusieurs  mois  à  en  prendre 
les  dimensions  avec  exactitude^'. 

Les  villes  plus  modernes  qui  florissaient  au 
temps  des  califes  sont  également  en  ruines '*^  Il 
est  vrai  que  le  second  Bagdad  n'a  pas  encore  subi 
le  sort  du  premier;  et  Hillah,  ville  comparative- 
ment moderne,  située  près  de  l'emplacement  de 
Babylone  dont  il  ne  reste  pas  le  moindre  vestige, 
existe  encore  de  nos  jours.  Mais  la  première  de 
ces  villes,  après  avoir  été  pillée,  dévastée,  oppri- 
mée pendant  plusieurs  siècles,  a  été  graduelle- 
ment réduite  à  un  état  de  pauvreté  comparatif  et 

(88)  KeppeJ,  ISO.  —  (39)   Mignan,  p.  79. 

(40)  Buckingham ,  p,  441.  —  (41)  Mignan,  p.  81. 

(42)  Mignan ,  p.  82, 


CH.  II.  BABYLONE.  (S  ( 

ne  possède  aucun  moyen  de  défense  '".  On  dit  en 
suite  des  habitants  de  Hillah  que  si  l'on  pouvait 
les  assimiler  en  quelque  chose  aux  anciens  Baby- 
loniens^  ce  serait  par  leur  vie  désordonnée^  qui 
les  distingue  même  du  peuple  immoral  qui  les  en 
toure"^'*;  rien  dans  leur  conduite  ne  fait  espérer 
qu'ils  cherchent  à  s'amender,  et  que  la  malédiction 
qui  pèse  sur  eux  à  cause  de  leurs  péchés  soit 
jamais  leyée  de  dessus  leurs  têtes.  Il  n'y  a  pas  plus 
de  20  ans  que  les  Wahabis  ont  ravagé  et  pillé  les 
villes  de  la  Chaldée;  et  même  en  1823  la  ville  de 
Shehreban  fut  saccagée  par  les  Kourdes  et  réduite 
en  désolation"^".  On  trouve  sur  toute  la  surface  du 
pays  des  traces  de  villes  ruinées  à  une  époque  plus 
ou  moins  récente.  Les  progrès  de  la  destruction 
se  font  encore  sentir;  dernièrement  des  jardins 
qui  ornaient  les  rives  du  Tigre  ont  disparu,  et  il 
n'est  cjue  trop  littéralement  vrai  que  «  les  villes  de 
la  Chaldée  sont  en  désolation  ;  »  car  toute  la  con- 
trée est  couverte  de  débris  de  villes  grecques , 
romaines  et  arabes ,  maintenant  confondues  dans 
une  masse  uniforme  de  décômbres^^  Mais  au 
milieu  de  toutes  ces  villes  en  ruines ,  la  grande 
capitale  de  la  Chaldée,  la  ville  la  plus  puissante 
et  la  plus  célèbre  du  monde,  porte  plus  que  toutes 
les  autres  l'empreinte  de  la  malédiction  du  ciel. 
Nous  avons  déjà  décrit  succinctement  la  déca- 
dence progressive  et  prédite  de  la  grande  Baby- 
lone.  Dans  les  premières  années  de  l'ère  chré- 
tienne, elle  était  habitée  en  partie,  et  il  y  avait  dans 
l'intérieur  des  murailles  un  vaste  espace  en  cul- 
ture ^^  Elle  ne  cessa  de  décliner  à  mesure  que 
Séleucie  acquérait  de  l'importance  ,  et  cette  der- 

(43)  Voijage  de  sir  K.  Porter,  vol.   II ,  p.  265-266. 

(44)  Keppel,  vol.  I,  p.  182-183.  —  (45)  Keppel,  p.  272  el  27<s. 

(46)  Malle-Brun,  voi.  II,  p.  119. 

(47)  Diod.  Sic,  t.  II,  p.  35. 

•1. 


82  «AnVLOXE.  CH.  II. 

uièic  ville  iinit  \)^y  être  la  pins  c()nsi(léral)le.  Au 
dcnixièiiKî  siècle  il  ne  restait  de  lîabylone  que  les 
nuijs.  Elle  devint  peu-à-peu  un  grand  désert,  et  au 
<(uatriènje  siècle  ses  murailles  servirent  d'enceinte 
pour  enfermer  les  bêtes  féroces  comme  dans  un 
parc,  et  elle  fut  convertie  en  un  lieu  de  chasse 
pour  les  plaisirs  des  monarques  persans.  Le  nom 
même  de  Babylone  disparut,  et  il  s'écoula  une  lon- 
gue suite  de  siècles  pendant  lesquels  il  ne  fut  point 
parlé  de  ses  restes  mutilés,  ni  de  ses  ruines  déso- 
lées. Elle  fut  longtemps  au  pouvoir  des  Sarrazins, 
et  nous  avons  fait  voir  clairement  que  toute  la  dé- 
solation que  le  Prophète  avait  annoncée  est  venue 
fondre  sur  elle.  Car  les  témoignages  des  anciens 
historiens  sur  les  faits  qui  confirment  les  prophé- 
ties relatives  à  la  prise  de  ces  villes  par  Cyrus  ne 
sont  pas  plus  positifs  que  ceux  des  voyageurs  mo- 
dernes sur  sa  ruine  complète  et  finale.  On  est 
parvenu  à  établir  parfaitement  l'identité  de  son 
assiette  ^%  et  l'accomplissement  de  chaque  grand 
fait  et  de  chaque  petit  détail  est  si  clairement  prou- 
vé qu'il  suffit  d'avancer  ces  faits  pour  réduire  au 
silence  tous  ceux  qui  voudraient  les  contester. 
Ce  n'est  pas  seulement  la  désolation  générale 
de  la  Babylonie  que  le  Seigneur  annonça  par  la  bou- 
che des  prophètes.  Ils  ne  virent  pas  avec  moins 
de  clarté  l'histoire  future  de  Baljylone ,  depuis 
l'apogée  de  sa  gloire  jusqu'à  sa  désolation  ,  qu'ils 
n'ont  vu  et  qu'ils  n'ont  décrit  Babylone  tombée, 
telle  qu'on  vient  de  la  décrire  au  dix-neuvième 
siècle  de  l'ère  chrétienne^^;  et  maintenant  que  «  la 
fin  est  venue  sur  Babylone  »  et  qu'une  longue  suite 

(48)  Rennel,  Géographie  d'Hérodote,  p.  349.  —  Voyage  de 
Keppel,  p.  171. 

(49)  Le  major  Rennel  consulta  Niebuhr,  Ives,  Irwin,  Okar, 
ïhévénot,  Delia  Valle,  Texeire,  Edrisi,  Abulfeda  et  Balbi;  on  peut 
maintenant  ajouter  à  ces  noms  ceux  de  MM.  Rich,  K.  Porter, 
Frf  dericb,  Keppel,  Kinnier,  Buckingham  et  Mignan. 


CH.  If.  BABYLONE.  83 

de  siècles  a  accompli  sa  désolation,  la  plume  et  le 
crayon  des  voyageurs  se  réunissent  pour  confir- 
mer ce  qui  avait  été  annoncé  dès  le  commence- 
ment parla  bouche  des  prophètes. 

La  vérité  rejette  toujours  le  secours  de  Terreur  ; 
mais  dans  le  cas  actuel  la  démonstration  serait 
affaiblie  et  détruite  même,  si  Ton  cherchait  à  s'é- 
loigner le  moins  du  monde  des  faits  précis;  car,  si 
les  prédictions  s'accordent  littéralement  avec 
quelque  chose,  c'est  avec  la  réalité  telle  qu'on  la 
trouve  :  en  s'éloignant  de  celle-ci  on  s'éloigne 
aussi  de  celles-là,  et  la  moindre  fausseté  serait 
aussi  injurieuse  que  coupable.  Mais  à  côté  des 
faits,  tels  qu'ils  se  présentent,  toute  exagération 
est  impossible,  et  toute  fiction  pauvre  et  inutile. 
Il  aurait  été  impossible  à  l'imagination  de  se  re- 
présenter un  contraste  plus  grand  ou  une  destruc- 
tion plus  complète  que  celle  que  l'Eternel  a  fajt 
venir  sur  Babylone.  Et  quoique  la  plus  grande 
ville  sous  le  soleil  ne  soit  maintenant  qu'un  mon- 
ceau de  décombres,  il  n'y  a  pas  un  seul  endroit 
sur  la  terre  plus  clairement  décrit  que  ne  l'est  la 
scène  de  la  désolation  de  Babylone  par  la  bouche 
du  prophète.  On  n'aurait  pu  trouver  des  mots 
propres  à  peindre  cette  scène  plus  clairement  que 
ceux  qu'Esaïe  a  employés  il  y  a  2, 500  ans  en  parlant 
de  la  «  charge»  qui  pèse  encore  sur  la  Babylonie. 

La  multiplicité  des  prophéties  et  le  nombre  des 
faits  sont  tels  qu'il  est  difficile  de  les  arranger  avec 
assez  d'ordre  et  de  précision  pour  lier  chaque 
prophétie  au  fait  qui  atteste  son  accomplissement. 
Tous  ceux  qui  ont  visité  Babylone  s'accordent  à 
dire  que  la  désolation  est  précisément  telle  qu'elle 
avait  été  prédite.  En  général,  ils  savent  faire  l'ap- 
plication des  grandes  prophéties ,  et  souvent  dans 
les  détails  ils  adoptent  sans  s'en  douter  les  paroles 
même  de  l'Ecriture  divinement  inspirées. 


^^<  ijahvlom:.  cii.  n. 

l}al)yloiio  est  conipUHeuKMil  déserte.  KllejfesI 
plus  (ju(î  nioneeaux  de  Jiiiiu^s,  nix^lee,  le- 
(liiile  au  loniljeau,  foulée  aux  |)i<»ds,  sans  liahita- 
tion;  ses  londenients  sont  tombés,  ses  niuiailles 
sont  renversées,  ses  plus  maj,^niliques  édilieesont 
roulé  en  bas  du  haut  des  rochers.  La  viHe  d'or  a 
disparu,  les  vers  la  couyrent  et  rampent  sur  elle; 
les  Arabes  n'y  dressent  point  leurs  tentes,  les  ber- 
gers n'y  mènent  point  paître  leurs  troupeaux.  Les 
bétes  sauvages  y  habitent,  les  chats-huants  y  de- 
meurent: elle  est  devenue  l'habitation  des  hiboux, 
la  demeure  du  dragon,  un  désert,  un  pays  sec, 
une  lande,  une  montagne  d'embrasement,  un 
étang  d'eau.  Elle  a  été  pillée,  vidée,  on  ne  lui 
a  point  laissé  de  reste;  elle  n'est  tout  entière  que 
désolation;  quiconque  passe  auprès  d'elle  est 
étonné. 

«  Babylone  sera  réduite  en  monceaux.  » — Baby- 
lone,  leplusgrand  des  royaumes,  n'est  plus  que  la 
plus  grande  des  ruines.  On  voit  de  tous  côtés  d'im- 
menses ruines  de  temples,  de  palais  et  d'habita- 
tions humaines  de  toutes  espèces.  Elles  forment 
une  longue  ligne  de  ruines  qui  ressemblent 
plutôt  à  des  collines  naturelles  qu'à  des  monceaux 
recouvrant  de  grands  et  beaux  édiiîces^^Ces  bâ- 
timents autrefois  l'orgueil  des  rois  ne  sont  plus 
qu'un  tas  de  décombres.  Toute  la  surface  du 
pays  est  couverte  de  vestiges  de  constructions  ; 
dans  quelques  endroits  on  trouve  des  pans  de  mu- 
railles très  bien  conservés,  dans  d'autres  rien 
qu'une  longue  suite  de  monceaux  sans  formes  et 
de  diverses  grandeurs.  Il  serait  impossible  de  fon- 
der une  théorie  sur  ces  multitudes  de  monticules 
allongés  allant  du  nord  au  sud,  croisés  par  d'au- 
tres allant  de  l'ouest  a  l'est,  et  ne  se  distinguant 

(50)  Porter,  vol.  II ,  p.  294  et  297. 


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CH.  II.  BABYLONE.  85 

des  ruines  des  canaux  que  par  leur  forme  et  leur 
nombre.  Certainement  la  plus  grande  partie  de 
ces  monticules  sont  des  restes  d'édifices  autrefois 
alignés  et  formant  des  rues  entrecoupées  à  angles 
droits  "*.  —  Les  monceaux  que  l'on  distingue  le 
plus  facilement  sont  doubles  et  en  lignes  parallèles; 
chacun  a  plus  de  vingt  pieds  de  long^  et  ils  sont  sé- 
parés les  uns  des  autres,  ce  qui  ne  laisse  aucun 
doute  que  ce  ne  fut  là  des  rangées  de  maisons,  ou 
des  rues  tombées  en  ruines^^. 

Telle  était  la  forme  des  rues  de  Babylone  con- 
duisant aux  portes  de  la  ville.  Il  y  a  aussi  dans 
quelques  endroits  deux  canaux  profonds  et  trois 
monticules  en  lignes  parallèles;  le  monticule  du 
centre  est  ordinairement  plus  grand  et  plus  élevé 
que  les  deux  autres  ;  il  paraîtrait  que  ce  sont  les 
décombres  de  deux  rues  parallèles,  une  rangée  de 
maisons  plus  profondes  formant  la  division,  ayant 
deuxfacades  et  faisant  ainsi  une  habitation  double. 

Le  temple  de  Bélus,  les  deux  résidences  royales,- 
les  rues  de  la  ville ,  les  habitations  particulières , 
tout  cela  est  réduit  «  en  monceaux,  »  et  la  seule 
différence  qui  existe  entre  eux  vient  de  la  diffé- 
rence et  de  la  grandeur  des  monticules  ;  les  uns 
paraissent  semblables  à  des  montagnes,  les  autres 
s'élèvent  à  peine  au-dessus  du  niveau  du  sol. 
«  Babylone  est  tombée,  »  et  tombée  tellement  a  la 
lettre  que  la  personne  qui,  debout  sur  le  sol, 
contemple  ses  nombreux  monticules,  séparés 
les  uns  des  autres  par  un  creux  étroit,  a  de  la  peine 
à  distinguer  les  restes  d'une  rue  des  restes  d'un 
canal;  à  peine  peut-il  dire  :  Ici  s'écoulait  la  multi- 
tude, là  s'écoulaient  les  eaux.  «Babylone  est  tom- 
bée; »  et  ses  ruines  ne  peuvent  être  couchées 
plus  bas  qu'elles  ne  le  sont  maintenant.  «  Elle  a 

(51)  Voyage  de  Buckingham  en  Mésopotamie^  vol.  II,  p.  298, 

(52)  Buckinghani,  p.  299. 


86  BABYLONE.  Cil.  II. 

été  brisée,  ses  fondements  sont  tombés;  »>  ils  ne 
soutiennent  plus  ses  ruines.  Ses  palais ,  ses  tem- 
ples, ses  rues  et  ses  maisons  sont  ensevelis  sous 
des  masses  de  décombres  "%  et  la  vue  de  Baby- 
lone,  telle  qu'elle  a  été  dépeinte  sur  les  lieux  me 
mes,  ne  présente  plus  à  l'œil  qu'une  scène  de 
complète  désolation  et  des  monceaux  qui  peu- 
vent attester  que  Babylone  est  «  descendue  au 
sépulcre.  » 

«  Qu'elle  n'ait  rien  de  reste.  »  —  De  grands  mon- 
ceaux de  ruines  sont  tout  ce  qui  reste  maintenant 
de  l'ancienne  Babylone.  Toute  sa  grandeur  a 
disparu ,  ses  trésors  ont  été  pillés ,  son  excellence 
s'est  évanouie,  on  cherche  même  des  briques 
parmi  ses  monceaux ,  oii  l'on  sait  ne  pouvoir  trou- 
ver autre  chose ,  et  depuis  un  grand  nombre  de 
siècles  Babylone  a  été  sur  la  surface  du  sol  une 
carrière  que  chacun  est  libre  d'exploiter.  Sans 
faire  allusion  à  la  prophétie ,  le  capitaine  Mignan 
parle  d'un  monticule  faisant  partie  des  ruines  du 
palais ,  qui  a  90  verges  de  large  et  45  de  haut. 
Le  sol  est  extrêmement  mou  et  fatigant  pour  les 
pieds  ;  il  ne  semble  pas  qu'il  reste  les  moindres 
matériaux  propres  à  la  construction.  Il  ne  reste 
plus  une  colline ,  excepté  une  assez  élevée  ,  sur 
la  surface  de  laquelle  on  peut  trouver  des  mor- 
ceaux de  briques ,  des  tuiles ,  du  bitume  ,  de  la 
chaux,  du  verre,  des  coquillages,  et  quelques  frag- 
ments de  nacre  et  de  perles;  fragmens  inutiles, 
même  aux  gens  les  plus  pauvres.  «  Aussi  a-t-elle 
«  été  prise  ;  qu'elle  n'ait  rien  de  reste.  »  Ala  fin  du 
dernier  siècle,  un  voyageur  traversal'emplacement 
de  l'ancienne  Babylone  sans  même  s'en  douter  ^\ 

«  Je  la  réduirai  en  marais  d'eaux.  »  — Le  sol  est 

(53)  Voyage  de  Porter,  p.  294. 

(54)  Travaux  de  la  Société  littéraire  de  Bombay^  vol.  I,  p.  180. 
(Voyez  Voyage  dans  les  Indes,  par  Cunningham,  1785.) 


CH.  II.  BABYLONÊ.  87 

quelquefois  couvert  de  mares  d'eau ^^  Les  ouvriers 
qui  5  afin  qu'elle  n'ait  rien  de  reste  ,  fouillent  pour 
y  chercher  des  briques  ^%  travaillent  sans  s'en 
douter  à  l'accomplissement  des  prophéties  ;  les 
excavations  qu'ils  laissent  deviennent  des  étangs 
qui  sont  remplis  par  les  débordements  de  l'Eu- 
phrate  et  oîi  l'eau  séjourne  toute  l'année, 

(c  Assieds-toi  sur  la  poussière ,  assieds-toi  à 
«  terre  5  fille  de  Baby  lone.»  —  La  surface  des  mon- 
ticules,  seuls  restes  de  Babylone,  consiste  en 
édifices  écroulés ,  réduits  en  poussière  ;  il  est 
littéralement  vrai  que^  parmi  les  ruines  des  habi- 
tations et  des  bâtiments  publics,  on  ne  peut  s'as-^ 
seoir  ou  se  reposer  que  dans  la  poussière.  «  Ta 
«  honte  sera  découverte.  »  —  Notre  route  ,  dit  le 
capitaine  Mignan ,  nous  conduisait  à  travers  une 
grande  masse  de  monceaux ,  décombres  qui  cou- 
vrent le  site  de  l'ancienne  Baby  lone.  Il  m'est 
parfaitement  impossible  de  donner  une  idée  juste 
de  la  scène  de  désolation  et  de  solitude  que 
j'avais  devant  les  yeux^^  «  Assieds-toi  sans  dire 
«  mot  5  et  entre  dans  les  ténèbres.  » —  Le  silence 
du  tombeau  règne  parmi  ces  ruines '^  —  Baby- 
lone  est  une  scène  de  tranquillité ,  une  solitude 
sublime  ^^. 

«  Elle  ne  sera  plus  habitée  à  jamais.  »  —  D'après 
le  témoignage  de  Rauwolff,  il  paraît  que  déjà 
au  deuxième  siècle  on  n'y  voyait  pas  une  seule 
habitations^;  maintenant  l'œil  parcourt  un  désert 
aride  oîi  les  ruines  seules  indiquent  «  qu'il  ait 
«  jamais  été  habité.  »  Il  est  impossible,  dit  le  major 
Keppel,  de  contempler  cette  scène,  et  de  ne 

(55)  Buckingham,  vol.  II,  p.  296.  —  (56)  Mignan,  p.  213. 

(57)  Mignan,  p.  116. 

(58)  Porter,  vol.  II,  p.  294. 

(59)  Ibid.,  p.  407. 

(60)  Ibid.,  p.  174. 


88  BAUVLONi:.  CH.   il. 

pas  être  IVappé  de  rexacUludc  avec  lacjuelle  oui 
été  accomplies  les  prophéties  d'Esaïe  et  de  Jéré 
mie,  de  ne  [)as  voir  qu'eu  elTet  «  elle  ne  devait 
«  plus  être  habitée,  »  et  que  les  Arabes  lie  devaient 
plus  y  dresser  leurs  tentes;  qu'elle  devait  être 
réduite  en  monceaux ,  et  ses  villes  en  désolation  , 
en  lieu  sec  et  en  désert"^*.  Babylone  est  jnéprisée 
également  par  les  Ottomans ,  les  Israelites  et  les 
(ils  d'IsmaëP^  Elle  est  devenue  une  capitale  «  sans 
«  habitants  et  déserte.  »  —  «  Elle  ne  sera  point 
«  habitée  k  jamais.  » 

«  Même  les  Arabes  n'y  dresseront  point  leurs 
«  tentes,  ni  les  bergers  n'y  parqueront  point  leurs 
ce  troupeaux.  »  —  La  prophétie  annonça  qu'Ammon 
deviendrait  un  lieu  de  repos  pour  les  chameaux 
et  un  parc  de  brebis,  que  la  Philistie  ne  serait  que 
cabanes  de  bergers  et  parcs  de  brebis  ;  mais  une 
bien  plus  terrible  désolation  devait  fondre  sur 
Babylone;  un  sort  plus  affreux  encore  l'attendait. 
Un  Arabe  même  n'y  dresserait  point  sa  tente ,  n'y 
mènerait  point  paître  ses  troupeaux  ^  ce  qui  in- 
dique une  solitude  complète ,  un  abandon  entier. 
Il  est  d'usage  dans  ces  contrées  que  les  bergers 
abritent  leurs  troupeaux  dans  les  édifices  rui- 
nés ^^  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  Babylone.  Au 
lieu  d'en  emporter  les  briques,  le  berger  pourrait 
avec  facilité  se  construire  un  abri  au  milieu  des 
ruines  ,  s'y  garantir  des  bêtes  féroces  ,  et  faire 
un  parc  pour  ses  brebis  parmi  les  monceaux  de 
Babylone  :  l'Arabe,  qui  le  traverse  sans  crainte, 
pourrait  y  dresser  sa  tente  de  nuit  ;  mais  rien  ne 
saurait  les  y  porter  ni  Fun  ni  l'autre  ;  c'est  la  crainte 
superstitieuse  des  mauvais  esprits ,  bien  plus  que 
la  crainte  mieux  fondée  des  bêtes  féroces,  qui  em- 
pêche les  Arabes  d'y  dresser  leurs  tentes,  — Le 

(61)  Keppel ,  vol.  I,  p.  397.  —  (62)  Ibid. ,  p.  234. 
(63)  Mignan,  p.  225. 


OH.  IL  BABYLONE.  89 

capitaine  Mignan  s'y  était  fait  accompagner  d'Ara- 
bes complètement  armés,  «mais  rien  ne  put  les 
engager  à  y  passer  la  nuit ,  à  cause  des  esprits 
malfaisants.  11  est  impossible  de  déraciner  cette 
idée  de  l'esprit  d'un  peuple  extrêmement  supers- 
titieux; et  dès  que  le  soleil  eut  disparu  derrière 
le  Mujelibé,  quoique  la  lune  YÎnt  éclairer  la 
route  de  ses  pâles  rayons ,  le  capitaine  se  vit 
forcé  5  bien  à  regret ,  d'obéir  aux  ordres  de  ses 
guides  ^\ — ^Les  gens  du  pays  assurent  qu'il  est 
très  dangereux  d'approcher  de  ces  monceaux 
après  la  nuit  tombée.,  à  cause  de  la  multitude  de 
mauvais  esprits  cjuiles  fréquentent^". 

«  Mais  les  bétes  sauvages  des  déserts  y  auront 
<(  leurs  repaires ,  et  ses  maisons  seront  remplies 
«  de  bêtes  hideuses  ;  les  chats-huants  y  habiteront 
«et  les  chouettes  y  danseront.  »  —  Et  en  effet 
on  y  trouve  beaucoup  d'antres  de  bêtes  féroces 
et  un  grand  nombre  de  tuyaux  de  porcs  -  épies; 
tandis  que  les  excavations  les  plus  basses  sont 
des  mares  d'eau ,  les  plus  élevées  sont  occu- 
pées par  des  chats-huants  et  des  chauves-sou- 
ris ^^.  —  Ces  souterrains ,  au-dessus  desquels 
s'élevait  peut-être  la  demeure  de  la  royauté , 
ne  sont  plus  que  des  cavernes  de  refuge  pour 
les  jackals  et  d'autres  animaux;  les  abords 
sont  encombrés  d'ossements  de  brebis  et  de 
chèvres  5  et  il  en  sort  une  odeur  isi  fétide  qu'on 
n'a  nulle  envie  de  pénétrer  dans  ces  repaires^^ 
Le  roi  des  animaux  se  promène  sur  l'emplace- 
ment de  cette  Babylone  que  le  roi  Nabucho- 
donozor  avait  élevée  pour  sa  propre  gloire;  et 
le  temple  de  Bélus ,  chef-d'œuvre   de  l'art  d^s 

(64)  Mignan,  p.  225,  —(65)  Ibid.,  p.  201,  235.  — Rich,  p.   27. 
—  Buckingham,  vol.  II,  p.  342. 

(66)  Buckingham,  vol.  II,  p.  30. 

(67)  Poller,  vol,  II,  p.  342. 


^0  RABYLONR.  Cil.  II. 

lioninios ,  est  maintenaiit  l'anlre  du  lion  et  du 
tif^re.  Sir  Rolx^rt  Ker  Porter  vit  sur  les  hauteurs 
deux  niaguiliques  lions  et  il  distinj^nia  sur  le  sol 
niaréeaf^eux  Tempreinte  de  leurs  immenses 
griffes '^".  Le  major  Keppel  vit  également  les  mar- 
ques des  pieds  d'un  lion.  C'est  aussi  la  retraite 
des  jackals ,  des  hiènes  et  d'autres  bétes  malfai- 
santes^^. Les  animaux  sauvages  sont  en  grand 
nombre  sur  le  Mujélibé  ,  aussi  bien  que  sur  le 
Birs  Nimroud.  Le  monticule  était  couvert  de 
grand  trous  ;  nous  entrâmes  dans  quelques-uns 
et  nous  les  trouvâmes  remplis  de  carcasses  et 
de  squelettes  d'animaux  récemment  tués.  L'o- 
deur des  bêtes  sauvages  était  si  forte  que  la 
prudence  prévalut  sur  notre  curiosité  ;  nous  ne 
pûmes  douter  de  la  nature  féroce  des  habitants 
de  ces  cavités ,  et  nos  guides  nous  assurèrent  que 
toutes  les  ruines  abondent  en  lions  et  en  animaux 
sauvages.  C'est  ainsi  que  la  prédiction  divine  se 
trouve  accomplie  à  la  lettre  ;  les  bêtes  sauvages 
des  déserts  y  ont  leur  repaire,  les  maisons  sont 
remplies  de  bêtes  hideuses ,  et  les  bétes  sauva- 
ges des  îles  s'entre -répondront  les  unes  aux 
autres  dans  les  palais  désolés  "^^ . 

«  La  mer  est  venue  sur  Babylone  ;  elle  a  été 
«  couverte  de  la  multitude  de  ses  flots.»  —  On  ne 
découvre  plus  aucune  trace  de  la  rive  occidentale 
de  l'Euphrate.  La  rivière  s'étale  sans  obstacle ,  et 
jusqu'au  moindre  vestige  de  bords  et  de  digues, 
tout  a  été  emporté.  La  surface  généralement  ma- 
récageuse n'offre  aucun  signe  d'anciennes  habi- 
tations^*; des  marécages  et  des  étangs  sillonnent, 
pour  ainsi  dire,  le  terrain;  pendant  un  certain 

(68)  Sir  R.  K.  Porter,  p.  387. 

(69)  Voyages  de  limier^  p.  273. 

(70)  Keppel,  vol.  I,  p.  173  et  180. 

(71)  Buckingham,  vol.  II,  p.  178, 


CH.  n.  BABYLONE.  91 

temps  après  le  débordement  de  FEuphrate  5  tout 
ce  pays  a  Tair  d'un  vaste  marécage '^  Dans  ces 
moments  les  ruines  de  Babylone  sont  submer- 
gées et  inaccessibles,  les  vallées,  dans  plusieurs 
endroits,  étant  devenues  des  marais'^".  Ainsi  d'un 
côté,  tandis  que  Babylone  est  couverte  de  la  mul- 
titude des  flots,  de  l'autre  elle  présente  à  l'œil 
un  contraste  frappant  par  les  hautes  ruines  qui 
s'élèvent  aux  rayons  d'un  soleil  ardent,  et  par  les 
monceaux  de  décombres  qui ,  répandues  sur  une 
plaine  aride  et  brûlante ,  semblent  prouver  que 
Babylone  est  devenue  «  un  pays  sec ,  un  désert , 
«  une  lande.  »  Une  partie  de  la  rive  occidentale 
du  fleuve  est  un  vaste  marécage ,  l'autre  est  un 
désert  aride  ^^. 

«  Elle  ne  sera  tout  entière  que  désolation ,  elle 
«  ne  sera  plus  habitée  à  jamais.  »  —  Des  ruines 
composées,  comme  le  sont  celles  de  Babylone,  de 
monceauxde  décombres  saturés  de  nitre  ne  sont 
pas  susceptibles  de  culture''^  ;  ainsi  les  matériaux 
des  édifices  de  Babylone  semblent,  en  se  décom- 
posant, condamner  la  terre  à  la  stérilité.  La 
partie  de  la  plaine  oii  Ton  trouve  des  vestiges 
de  bâtiments ,  aussi  bien  que  celle  où  il  n'y  en  a 
jamais  eu ,  est  entièrement  dépourvue  de  toute 
apparence  de  végétation.  Le  sol  paraît  aride 
comme  s'il  avait  été  inondé  plusieurs  fois,  en  sorte 
que  toute  la  terre  productive  semble  avoir  été 
emportée  par  les  eaux;  sa  surface  composée 
moitié  de  sable,  moitié  de  terre  glaise,  peut 
être  comparée  aux  bords  de  la  mer  à  la  marée 
basse  ^^.  Babylone,  qui  avait  dit  dans  son  orgueil  : 
«  Je  serai  reine  à  toujours,  »  n'est  plus  appelée  la 

(72)  Rich,  ps  13. 

(73)  Buckingham,  vol.  II,  p.  302. 

(7 A)  Mignan,  p.  439.  —  (75)  Rich,  p.  16. 
(76)  Sir  R.  K.  Porter,  vol.  II,  p.  392. 


92  «AliYLONK.  <:il.  IÎ. 

reine  des  royaiiuies  ;  elle  «  n'est  (oui  entière  que 
i^  désolation.  » 

c(  lîel  s'est  ineliné.  »  —  J.e  t(^nij)le  de  Hé!usou  de 
tiaal,  dont  il  est  clairement  i)arlé  ici,  avait,  selon 
le  major  llennel,  500  pieds ,  et  selon  Tiideaux, 
()00  ])ieds  d'élévation;  il  était,  d'après  le  calcul  le 
plus  bas ,  plus  élevé  que  la  plus  haute  des  pyra- 
mides d'Egypte. 

Le  monceau  le  plus  élevé  que  l'on  distingue  sur 
l'emplacement  de  Fancienne  Babylone,  le  Birs 
Nimroud,  est  regardé  comme  les  ruines  du  temple 
de  Bélus.  Ce  monceau  occupe  un  plus  grand  es- 
pace de  terrain  que  celui  où  se  trouvait  jadis  le 
temple ,  parcequ'en  tombant  les  pierres  se  sont 
éloignées  de  leur  véritable  assiette.  Les  ruines  ne 
sont  donc  plus  sur  leur  ancienne  base,  mais  elles 
sont  couchées  par  terre  et  forment  une  masse 
énorme.  Au  premier  coupd'œil  elles  présentent 
l'idée  d'une  colline,  avec  une  forteresse  placée  sur 
son  sommet ''^j  et  même,  quelque  singulier  que 
€ela  puisse  paraître  ,  le  père  Emmanuel  parle 
des  ruines  qui  se  trouvent  aussi  sur  cette  som- 
mité ,  sans  avoir  remarqué  l'élévation  extraor- 
dinaire du  monticule  qui  les  porte.  Il  est  presque 
inutile  de  faire  remarquer  que  tout  le  monticule 
est  en  lui-même  une  ruine.  Et  pour  démontrer 
que  c(  Bel  s'est  incliné  »  il  suffit  de  mettre  sous  les 
yeux  du  lecteur  le  dessin  ci-joint,  pris  des  Voyages 
de  sir  K.  Porter,  et  qui  fait  voir  la  différence 
entre  l'ancienne  élévation  du  temple  et  la  hauteur 
de  ses  ruines  actuelles '^^ 

(77)  Mignan,  p.  192. 

(78)  Porter,  vol.  II,  p.  323. 


CH.  ir.  BABYLONE.  93 

Elévation  de  Birs  Nimroud  (du  côté  du  nord) 
suivant  Strabon  et  Hérodote. 


Entree   ?i 
supposée.  - 


Les  lignes  pointées 
indiquent  les  rui- 
nes actuelles. 


800  pieds 
PLAN    DE    BIRS    MMROUD. 

«Bel  s'est  incliné.  »  — D'abord  composé  de  huit 
tours  s'éleyant  les  unes  au-dessus  des  autres ,  le 
temple  de  Béius  ne  présente  plus  que  l'aspect 
d'une  colline  irrégulière  ^  dont  chaque  côté  a  une 
élévation  différente.  Ce  n'est  plus  qu'une  masse 
sans  forme.  Le  côté  oriental  présente  deux  étages 
de  collines;  le  premier  s'élève  à  une  hauteur  de 
soixante  pieds;  il  est  partagé  au  milieu  par  un 
profond  ravin  qu'y  ont  creusé  les  pluies  de  plu- 
sieurs  siècles.  Le  sommet  de  ce  premier  étage 
forme  une  plate-forme  inclinée  graduellement 
jusqu'à  la  base  du  second  étage^  qui  semble  s'é- 
lancer hors  du  premier  en  forme  de  cône^  son 
sommet  étant  orné  d'un  fragment  d'édifice  sem- 
blable à  une  tour  en  briques.  Depuis  la  base  de 
la  colline  jusqu'aux  fondements  de  cette  ruine 
l'élévation  est  d'environ  200  pieds  ^  et  depuis 
le  bas  de  la  ruine  jusqu'à  son  sommet  on  compte 
35  pieds  de  hauteur.  A  l'occident  ^  toute  la 
masse  qui  s'élève  de  la  plaine  ne  présente  qu'un 
immense  monticule  ayant  la  forme  d'une  pyra- 
mide irrégulière  ;  ses  flancs  sont  creusés  çà  et  là , 


94  BABYLOINE.  CH.   II. 

par  l'effet  du  temps  et  de  la  dévastation.  Les 
faces  méridionales  et  septentrionales  en  sont  très- 
escarpées  '^  C'est  ainsi  que  le  tem])ie  de  Bel 
«  s'est  incliné.  » 

«  J'étendrai  ma  main  sur  toi^  et  Je  te  roulerai 
c(  en  bas  du  haut  des  rochers ,  et  je  te  réduirai 
«  en  montagne  embrasée.  »  —  On  trouve  sur  le 
sonmiet  de  la  colline  d'énormes  fragments  de 
constructions  en  briques ,  sans  formes  arrêtées , 
et  qui  ont  été  converties  en  des  masses  com- 
plètement vitrifiées  '^^  Quelques-uns  de  ces 
énormes  fragments  ont  douze  pieds  de  haut 
sur  vingt-quatre  de  circonférence ,  et  comme  la 
construction  en  brique  encore  debout  est  par- 
faitement conservée ,  le  changement  qui  s'est 
fait  dans  ces  fragments  ne  peut  être  attriljué  qu'à 
l'ardeur  d'un  feu  égal  à  celui  de  la  fournaise, 
ou  plutôt  qu'aux  effets  de  la  foudre  ^\  —  Ces 
ruines  sont  entièrement  fondues ,  ce  qui  porte- 
rait à  croire  que  le  feu  a  été  employé  comme 
moyen  pour  la  destruction  de  cette  tour.  —  L'ac- 
tion du  feu  sur  ces  débris ,  dit  Buckingham,  s'est 
prolongée  après  leur  chute,  et ,  suivant  l'expres- 
sion de  Keppel ,  cette  ruine  ressemble  à  ce  que 
les  Ecritures  avaient  annoncé  d'elle ,  qu'elle  de- 
viendrait «  une  montagne  embrasée.  »  Dans  la 
prophétie  contre  Babylone ,  il  est  clairement  an- 
noncé que  le  feu  sera  employé  contre  elle;  Jéré- 
mie  l'indique  évidemment  quand  il  dit  :  «  Comme 
(c  dans  la  subversion  que  Dieu  a  faite  de  Sodome 
«  et  de  Gomorhe.  »  Et  nous  savons  que  «  l'Eternel 
fit  pleuvoir  des  cieux  sur  ces  villes  du  soufre  et 
du  feu,  ))  —  «  Ses  portes  qui  sont  si  hautes  seront 
ft  brûlées  ;  ainsi  les  peuples  auront  travaillé  pour 
«  néant,  et  les  nations  pour  le  feu,  et  elles  s'y 

(79)  Porter,  vol.  II,  p.  310. 

(80)  Ricb,  p,  36.  —  (81)  Mignan,  p.  207. 


!ii||iiil!iii:M,j,":[fsi|::«if::;'i'.4' 


CH.  II.  BABYLONE.  -  95 

«  seront  lassées  ^\  »  —  On  peut  retrouver  dans 
beaucoup  de  ces  fragments  sans  formes  les  ef- 
fets graduels  de  la  puissance  consumante;  on 
voit  dans  bien  des  endroits  cette  teinte  verdâtre 
que  l'on  aperçoit  dans  les  masses  vitrifiées  des 
verreries;  en  même  temps  que  l'on  distingue 
ces  traces  du  feu  (et  quel  feu  !  )  qui  a  précipité 
ces  masses  de  leur  immense  élévation ,  on  peut 
encore  remarquer  les  restes  de  ciment  qui,  s'étant 
durcis  avec  les  briques,  sonnent  comme  du  verre. 
En  examinant  la  base  de  la  muraille  encore  de- 
bout, on  trouve  qu'elle  n'a  point  été  atteinte 
par  ce  changement  et  qu'elle  est  toujours  dans  son 
état  primitif;  ce  qui  me  porte  à  conclure,  con- 
tinue sir  R.  K,  Porter,  que  le  feu  est  venu 
d'en  haut ,  et  que  la  ruine  est  tombée  d'une 
plus  grande  élévation  que  celle  du  fragment  en- 
core debout.  Le  feu  qui  a  pu  produire  de  tels  ef- 
fets a  dû  être  plus  fort  que  celui  de  la  plus  ar- 
dente fournaise ,  et  d'après  l'apparence  de  la  fente 
que  présente  le  mur ,  et  l'aspect  des  substances 
vitrifiées,  je  serais  porté  à  attribuer  cette  ca- 
tastrophe à  l'action  de  la  foudre;  des  ruines 
produites  par  l'explosion  de  quelque  matière 
combustible  présenteraient  une  tout  autre  ap- 
parence ^'\ 

Les  masses  tombées  démontrent  clairement  que 
l'action  du  feu  a  été  d'une  longue  durée  après  la 
destruction  de  l'édifice  ;  car  chaque  partie  de  la 
surface  a  été  également  soumise  à  son  influence; 
dans  beaucoup  d'endroits  les  formes  se  sont  ar- 
rondies et  on  ne  peut  distinguer  une  masse  de 
l'autre  par  aucune  apparence  de  meilleure 
conservation ^\  Les  hautes  portes  du  temple  de 

(82)  Jérém.,  LI,  58.  —  Keppel,  p.  194,  195. 

(83)  Sir  R.  K.  Porter,  vol.  II,  p.  312,  313. 

(84)  Buckingham,  vol.  II,  p.  376. 


90  BAHVLONK.  CH.  |I. 

Bolus,  encore  HcImmiI  <hi  teiJi]>s  d'IIéiodolo^  oui 
été  ((  brûlées  »;  U^s  énormes  IVijgmenls  vilrifiés 
qui  tonihèreni  lors^jue  «  Bel  se  lui  ineliîté  »  sont 
eneore  (M)ueliés  sur  ses  liantes  ruines.  «La  main 
«  (le  TElejnel  a  été  étendue  sur  lui ,  et  il  l'a  roulé 
(V  en  bas  du  haut  des  rochers,  et  il  a  été  réduil 
«  en  montagne  embrasée.  » 

«  Et  on  ne  pourra  prendre  de  toi  aucune  pierre 
«pour  servir  d'angle.^  ni  aucune  pierre  pour 
«  servir  de  fondement;  car  tu  seras  réduite  en 
«ruines  perpétuelles ,  dit  l'Eternel.  »  —  Les 
restes  ruinés  de  Sion  seront  rebâtis ,  ses  désola- 
tions seront  relevées;  Jérusalem  sera  habitée  de 
nouveau,  sur  remplacement  même  de  Jérusalem; 
mais  il  n'en  sera  pas  de  Bel  comme  de  Sion,  ni 
de  Babylone  comme  de  Jérusalem;  car  de  même 
que  les  monceaux  de  décombres  saturés  de 
nitre  qui  couvrentlaplace  de  Babylone  ne  peuvent 
pas  être  cultivés  ^^5  de  même  les  substances  vi- 
trifiées qui  couvrent  le  sommet  de  Birs  Nimroud 
ne  peuvent  être  reconstruites.  Il  est  vrai  qu'elles 
sont  composées  des  matériaux  les  pFus  durs, 
des  éléments  les  plus  indestructibles;  mais 
quoiqu'elles  aient  formé  autrefois  les  tours  les 
plus  élevées  du  temple  de  Bélos,  elles  sont 
maintenant  hors  d'état  d'être  taillées  ^  et  ne 
peuvent  plus  «  servir  d'angle  ni  servir  de  fon- 
«  dement  ».  Et  les  briques  qui  font  encore  par- 
tie de  la  muraille  solide  ^  et  qui  ne  sont  ni  fondues 
ni  brûlées ,  sont  cependant  si  fortement  cimen- 
tées que^  selon  M.  Rich^  il  serait  impossible  de 
les  en  détacher  entières  ^^;  ou,  comme  le  dit 
le  capitaine  Mignan ,  il  ne  serait  pas  possible 
d'en  détacher  une  seule  ^^ — Malgré  tous  mes 
efforts  je  ne  pus  en  détacher  une  seule  ^%  dit  Por- 

(85)  Rich,   }>.  16.  —  (86)  Rich,  p.  36. 

(87)  Mignan,  p.  ^06.  —  (8b)  Porter,  vol.  II,  p.  311. 


CH.  11.  BABYLONE.         -  97 

ter;  et  Buckingham ,  voulant  assigner  une  raison 
à  la  disparition  totale  des  murailles ,  et  en  par- 
lant du  Birs  Nimroud ,  dit  :  Les  seules  briques 
dont  on  puisse  se  servir  se  trouvent  dans  les  rui- 
nes des  grands  monuments  deMujélibé,  de  Kar 
et  de  Birs  Nimroud,  et  il  est  si  difficile,  ou  plutôt 
si  impossible  de  les  extraire  entières,  à  cause  de 
la  force  du  ciment,  qu'il  est  très  probable  qu'on 
n'a  jamais  eu  recours  à  ce  moyen  tant  qu'il  est 
resté  des  pans  de  murailles;  quelquefois  encore 
on  creuse  la  rive  occidentale  du  fleuve  pour 
en  extraire  des  briques,  mais  la  dépense  est 
considérable  et  le  résultat  très  peu  satisfaisant^^. 
—  On  ne  trouve  pas  une  seule  brique  entière 
dans  les  environs  de  la  tour  ®^. 

Ces  témoignages  réunis ,  sans  aucune  allusion  à 
la  prédiction,  en  sont  le  meilleur  commentaire. 
Ainsi,  tandis  qu'il  a  été  dit  de  Babylone  qu'elle 
<(  serait  rasée  au  loin  » ,  et  que  véritablement  dans 
bien  des  endroits  il  «n'y a  rien  de  reste»,  ce- 
pendant de  la  «  montagne  embrasée  » ,  dont  les 
ruines  suffiraient  à  elles  seules  pour  la  construc- 
tion d'une  ville  magnifique,  on  ne  retire  pas  une 
seule  pierre  pour  placer  à  l'angte ,  ni  pour  servir 
de  fondement. 

«  Mérodac  est  brisé  » .  Mérodac  était  un  nom 
ou  un  titre  donné  aux  princes  et  aux  rois  de 
Babylone;  l'Écriture  sainte  y  fait  allusion  deux 
fois.  Elle  parle  de  Mérodac-Baîadan,  fils  de 
Baladan,  roi  de  Babylone,  qui  tenait  les  rênes  du 
gouvernement;  et  d'Evil-Mérodac,  qui  vivait  du 
temps  de  Jérémie.  De  ce  que  ce  nom  de  Mérodac 
est  associé  à  celui  de  Bel,  ou  du  temple  de  Belus, 
et  de  la  ressemblance  du  jugement  prononcé 
contre  eux  (l'un  devait  être  c(  incliné  »  et  l'autre 

(89)  Buckingham,  voU  II,  p.  332.  —  (90)  Porter,  II,  329. 

5 


1^8  ÏJAOYLONE.  en.   II. 

w  brisé)  » ,  on  peut  raisonnableinenl  conclure  que 
Mérodac  était  le  nom  de  quelque  autre  f^rand 
édifice  de  Bahylone;  et  en  même  temps,  d'après 
ridentité  de  ce  nom  avec  celui  des  rois  de  lîaby- 
lone,  et  même  avec  celui  d'Evil-Mérodac,  qui 
vivait  du  temps  de  Jérémie,  il  est  assez  probable 
que  le  prophète  voulait  parler  du  palais  même 
des  princes.  Il  est  plus  que  vraisemblable  qu'après 
le  temple  païen,  qu'après  le  siège  d'un  culte  cor- 
rompu et  destructeur,  c'était  sur  la  demeure 
royale  du  tyran  qui  opprimait  si  cruellement  le 
peuple  d'Israël  et  qui  faisait  trembler  toute  la 
terre ,  que  tomberait  plus  particulièrement  la  ma- 
lédiction de  Dieu.  En  effet,  en  seconde  ligne,  et 
inférieur  seulement  en  grandeur  aux  ruines  de 
Birs-Nimroud ,  vient  le  Mujélibé  ou  Màkloubé, 
que  les  voyageurs  regardent  comme  l'ancienne 
résidence  des  rois  de  Babylone. 

Le  palais  du  roi  des  Babyloniens  rivalisait 
presque  en  grandeur  avec  le  temple  de  leur  dieu. 
Il  y  a  eu  même  diversité  d'opinions  à  ce  sujet; 
cependant  Fentière  désolation  est  la  même  pour 
les  deux  :  l'un  «  s'est  incliné  » ,  et  l'autre  a  été 
«  brisé.  »  Les  deux  palais  de  Babylone  avaient  de 
belles  fortifications  ;  le  plus  grand  était  entouré 
de  trois  hautes  et  larges  murailles  ^\ 

Lors  de  la  prise  de  la  ville  par  Démétrius,  il 
s'empara  d'un  des  châteaux  par  surprise  et  en 
chassa  la  garnison ,  qu'il  remplaça  par  7000 
hommes  de  ses  troupes  ^^  Il  ne  put  se  rendre 
maître  de  l'autre  palais.  Ces  faits  nous  prouvent 
quelles  en  étaient  encore  la  grandeur  et  la 
force ,  300  ans  après  la  prédiction.  La  solidité 
des  constructions  aurait  dû  en  assurer  Pexistence 
pendant  des  siècles  entiers,  et  il  n'y  eut  jamais  un 

(91)  Diod.  Sic,  1.  II.  —  Héiod.,  1,  I,  ch.  clxxxi. 

(92)  Plutarque,  Vie  de  Démétrius. 


il 


CP.  IT.  BABYLONE.        ^  99 

contraste  plus  frappant  qu'entre  l'ancienne  magni- 
ficence de  ces  palais  et  leur  désolation  actuelle. 
On  voit  encore  quelques  pans  des  murailles  qui 
environnaient  ce  site ,  et  qui  servent  à  en  établir 
l'identité  avec  Mujélibé,  comme  le  nom  de  Méro- 
dac  s'identifie  avec  celui  du  palais.  «  11  a  été^ 
«  brisé;  ^)  d'oîi  lui  vient  le  nom  de  Mujélibé,  qui 
signifie  renversé  ^  détruit.  Sa  circonférence  est 
d'environ  un  demi-milte ,  et  son  élévation  de 
140  pieds;  mais  c'est  un  monceau  de  décombres 
dans  lequel  il  est  impossible  de  distinguer  quel- 
que forme  que  ce  soit^\ 

On  a  pu  s'assurer  qu^il  existait  des  chambres  ^ 
des  corridors,  des  cellules  de  grandeurs  diverses, 
et  construits  de  différents  matériaux ^\  C'est  le 
repaire  des  bétes  sauvages  et  des  fouines.  «  Les 
«  animaux  féroces  s'entre-répondront  dans  ses  pa- 
«  lais  désolés ,  et  les  dragons  dans  ses  maisons  de 
«  plaisance.»  —  On  rencontre  à  chaque  pas  parmi 
€es  ruines  des  reptiles  venimeux  ^".  —  Les  côtés 
ont  été  creusés  par  l'effet  du  temps,  et  les  grandes 
pluies  ont  formé  plusieurs  canaux  qui  se  sont 
réunis  et  forment  des  ravines  dont  le  sol  est  pro- 
fondément pénétré  ^^;  les  côtés  de  la  ruine  offrent 
des  creux  faits  par  les  pluies  ^^  —  «  On  t'a  fait 
<^  descendre  au  sépulcre  au  fond  de  la  fosse.» 

«  Ceux  qui  te  verront  te  regarderont ,  et  te 
«  considéreront ,  disant  :  N'est-ce  pas  ici  cet 
«  homme  qui  faisait  trembler  la  terre,  qui  ébran- 
«  laities  royaumes^^?»Il  suffit  de  regarder,  d'exa- 
miner avec  attention  la  vue  de  l'emplacement  de 
Mujélibé,  pour  se  convaincre  que  le  palais  de 
ces  rois  orgueilleux  comme  Lucifer,  qui  s'élevaieut 

(9a)  Delia  Valle.  —  Buckingham,  vol.  Il,  p.  273. 

(94)  Buckingham,  vol.  Il,  p.  274 —  (95)  Mignan,  p,  468. 

(96)  Rich,  p.  29.  •—  (97)  Mignan,  p.  167. 

(98)  Esaïe,  XIV,  16. 


i(K)  iJAiiVLo-Mî:.  cil.  11. 

au-dessus  des  étoiles  du  Dieu  fort,  a  a  éU;  renversé, 
«  foulé  et  lu'isé"'*.  »  —  Kn  me  pronuMi.'int  au  mi- 
lieu de  ees  [)ierres  et  de  ees  immenses  IVaf^ments, 
en  contemplant  la  sublimité  de  ces  ruines  gi- 
gantesques ,  je  me  reportais  naturellement,  dit 
ie  capitaine  Mignan/a  ces  temps  d'ancienne  s])len- 
deur,  où  de  larges  murailles  s'élevaient  orgueil- 
leusement sur  ce  même  site  ;  je  me  disais  :  Autre- 
lois  ces  salles  résonnaient  de  chants  joyeux;  ici 
se  donnaient  des  festins  magnifiques,  ici  retentis- 
saient des  yoix  qui  ont  depuis  longtemps  cessé  de 
se  faire  entendre  sur  la  terre.  Ce  monceau  était 
jadis  le  séjour  du  luxe  et  de  la  débauche;  mainte- 
nant il  n'offre  plus  qu'une  désolation  complète  et 
une.  preuve  de  la  justice  des  jugements  du  ciel.  Il 
est  solitaire  ;  la  cabane  du  berger  ne  vient  pas 
même  égayer  cette  affreuse  solitude. —  «  On  a 
«  fait  descendre  ta  magnificence  dans  le  sépulcre, 
«  avec  le  bruit  de  tes  instruments  ;  tu  es  couché 
«  sur  une   couche    de  vers ,    et  la   v  ermine  te 


«  couvre  '^^.  » 


«  Il  n'y  aura  aucune  muraille  de  Bat>ylone , 
<<  quelque  large  qu'elle  soit ,  qui  ne  soit  entière- 
«  ment  rasée.  »  —Telle  était,  au  rapport  des  an- 

(99)  C'est  à  Tobligcance  de  sir  Robert  Porter  que  Tauteur  a  dà 
de  pouvoir  faire  graver,  d'après  des  dessins  faits  sur  les  lieux,  les 
vues  de  BirsNimroucl  et  de  Mujélibé.  Ses  Voyages  en  Perse^  en  Ba- 
bylonien etc.  coiitiennent  quatre  vues  de  chacun  de  ces  objets  et  Fou 
peut  voir  combien  elles  sont  «  abaissées  et  tombées  en  ruines.  » 
On  en  trouve  aussi  de  petites  esquisses  dans  les  Mines  de  l'Orient 
(Vienne) ,  dans  les  mémoires  de  Rich  sur  les  ruines  de  Babylone,  et 
dans  les  voyages  de  M.  Buckingham,  et  encore  dans  les  voyages  du 
capitaine  Mlgnan.  Le  lecteur  curieux  peut  rapprocher  le  Mujélibé 
du  magnifique  tableau  de  la  fête  de  Belsçatzar,  de  Marlhi.  L'em- 
placement, car  il  n'y  a  plus  de  palais,  est  toujours  le  muiie.  Tout 
le  monde  a  entendu  parler  du  temple  de  Bélus  ;  or  l'imagination 
no  saurait  pas  pins  en  exagérer  la  magnificence  qu'elle  ne  pourrait 
se  former  la  moindre  idée  de  ce  qu'il  était  jadis  d'après  ce  qu'il  en 
reste. 

(-100)  Esaïe,  XIV,  11. 


CH.  II.  BABYLONË.  fOl 

ciens  historiens,  la  largeur  de  ces  murailles ,  que 
six  chariots  pouvaient  y  passer  de  front.  Elles  sub- 
sistaient plus  de  mille  ans  après  la  prédiction  ; 
on  les  mettait  encore  au  nombre  des  sept  mer- 
veilles du  monde ,  bien  des  siècles  après  que  la 
prophétie  en  eut  annoncé  la  destruction.  Mais 
qu'y  a-t-il  de  plus  étonnant  pour  nous  aujourd'hui, 
et  quel  événement  aurait  pu  paraître  plus  invrai- 
semblable à  un  habitant  de  Babylone,  au  temps 
de  la  gloire  et  de  la  puissance  de  cette  ville  ,  que 
la  destruction  de  ces  murs  fameux,  destruction  si 
complète  qu'à  peine  peut-on  en  retrouver  quel- 
ques traces  certaines.  «  Tous  les  historiens  s'ac- 
cordent, dit  M.  Rich,  quant  à  la  hauteur  de  ces 
murailles,  qui  était  de  cinquante  coudées;  ayant 
été  réduits  à  cette  mesure,  après  avoir  eu  la  pro- 
digieuse hauteur  de  350  pieds,  par  Darius  His- 
taspe,  lors  de  la  révolte  de  la  ville.  Je  n'ai  pas  été 
assez  heureux  pour  en  retrouver  les  moindres 
vestiges  parmi  les  ruines  de  Hillah;  ce  qui  me 
paraît  assez  extraordinaire ,  puisque  nous  savons 
qu'elles  restèrent  debout  longtemps  après  la  des- 
truction de  la  ville,  qu'elles  servaient  de  clôture 
au  parc  des  animaux,  et  que  saint  Jérôme  nous 
dit  qu'elles  étaient  en  assez  bon  état  à  l'époque 
oil  il  vivait*^*.  » 

Ce  fut  dans  le  seizième  siècle  qu'elles  furent 
vues  pour  la  dernière  fois  par  un  voyageur  euro- 
péen (  du  moins  autant  que  l'auteur  a  pu  s'en 
assurer).  Il  sera  intéressant  pour  nous  de  suivre  la 
marche  de  cette  destruction ,  et  de  voir  comment 
et  quand  elles  furent  détruites ,  ainsi  que  la  ville 
dont  elles  avaient  été  si  long-temps  l'orgueil  et  la 
puissance. 

«Pendant  le  temps  que  nous  y  restâmes,  dit 

(101)  Rich,  p.  4?,  M. 


n)2  «ABVLONE.  Cil.  II. 

Rauwollï,  j\3xaniinai  cette  élévation,  et  je  dé- 
couvris (jifil  y  avait  deux  luui ailles,  l'une  derrière 
l'autre  (Hérodote  rapporte  qu'il  y  avait  une  mu- 
raille intérieure  et  une  extérieure),  séparées  par 
un  fossé,  et  s'étendant  parallèlement  au  loin,  et 
que  d'espace  en  espace  il  y  avait  des  ouvertures 
qne  l'on  pouvait  considérer  comme  ayant  été  au 
trefois  des  portes.  Ainsi  j'ai  tout  lieu  de  croire 
que  c'étaient  là  les  anciennes  murailles  de  la 
ville,  et  que  les  ouvertures  indiquent  la  place  des 
anciennes  portes,  au  nombre  de  cent.  Et  ce  qui 
donne  du  poids  à  cette  opinion ,  c'est  que  je  vis 
en  quelques  endroits,  sous  le  sable  qui  couvre 
presque  entièrement  ces  élévations,  des  restes 
de  vieux  murs*^^  » 

Les  villes  de  Séleucie,  de  Ctésiphon,  de  Des- 
tagered,  de  Kufa,  et  beaucoup  d'autres  de  ces 
environs,  et  les  villes  modernes  de  Meschid-Ali, 
de  Meschid-Tessein  et  d'Hillah,  ainsi  que  d'autres 
villes,  villages,  et  caravansérails  sans  nombre ,^ 
ont  été  construits  probablement  avec  les  maté- 
riaux des  murs  de  Babylone^*^  Comme  la  ville, 
«  ils  ont  été  pillés  jusqu'à  ce  qu'il  n'y  en  ait  rien  de 
«  reste.  »  Les  pluies  d'une  longue  suite  de  siècles 
et  les  débordements  réguliers  de  l'Euphrate  ont 
aussi  probablement  emporté  les  décombres  et  les 
débris  des  murailles  dans  le  fossé  d'oîi  elles 
avaient  été  tirées  jadis,  jusqu'à  ce  que  le  sable  du 
désert  les  eiit  nivelées  avec  la  plaine,  et  leur  em- 
placement fait  aujourd'hui  partie  du  désert  ;  c'est 
ainsi  que  «les  larges  murailles  de  Babylone  ont 
«  été  rasées.  »  Ne  pouvons-nous  pas  dire  d'après 
ce  témoignage  que  les  hautes  murailles  sont 
tombées ,  que  la  ville  qui  était  l'orgueil  des  na- 
tions a  été  désolée ,  que  le  sol  le  plus  fertile  a 

(102)  Collection  de  Voyages,  par  Ray,  p.  177,  178. 

(103)  Voyages  de  sir  K  K.  Porter,  vol,  II,  p,  338. 


C:H.  ir.  BABYLOISE.      ^  lO'S 

disparu^   paiceque    «TEternel   des  armées  l'a 
«  balayé  avec  le  balai  de  la  destruction.  » 

Un  des  chapitres  du  Voyage  de  M.  Buckingham 
en  Mésopotamie 5  qui  n'a  pas  moins  de  60  pages, 
est  intitulé  :  «  Recherches  relatives  aux  Murailles 
«  de  Babylone.  »  Après  une  longue  et  inutile 
recherche ,  il  découvrit  à  la  fin ,  près  des  landes 
orientales  5  sur  le  haut  d'un  monticule  ovale 
d'environ  70  à  80  pieds  de  haut,  et  d'environ  3  à 
100  pieds  de  circonférence,  un  pan  de  mur  solide 
ayant  30  pieds  de  long,  sur  12  ou  15  pieds  d'é- 
paisseur; il  était  évident  que  jadis  il  était  d'une 
dimension  beaucoup  plus  grande;  maintenant 
il  est  en  ruines  et  partout  incomplet '^\  Il  en 
conclut  que  ce  fragment  de  muraille  et  ce  mon- 
ticule de  décombres  étaient  tout  ce  qu'on  pouvait 
découvrir  des  anciennes  murailles  de  Babylone , 
«  si  entièrement  rasées;  «  c'est  là  le  seul  vesfigr: 
qu'on  en  retrouve. 

Le  capitaine  Frederick,  dont  le  voyage  avait 
pour  but  principal  de  découvrir  les  restes  des 
murailles  et  du  fossé  qui  avaient  entouré  Ba- 
bylone, assure  qu'aucun  voyageur  moderne  n'a 
pu  en  retrouver  les  moindres  traces.  —  «  Je  fis  inu- 
tilement des  questions  aux  Arabes,  dit-il;  ils  ne 
purent  rien  me  dire  sur  ce  sujet.  lime  fut  impos- 
sible, après  avoir  examiné  tous  les  bords  du  fleuve 
sur  un  espace  de  21  milles  de  longueur,  et  de 
12  milles  en  largeur,  de  découvrir  le  moindre  in-- 
dice  qui  put  me  permettre  de  croire  qu'il  y  eût 
jamais  eu  là  un  fossé  ou  des  murailles.  S'il  reste 
quelques  vestiges  de  ces  murs,  il  faut  qu'ils  soient 
à  une  plus  grande  distance  que  celle  qu'indiquent 
les  géographes  modernes.  Je  puis  m'ctre  trompé , 
mais  je  ne  me  suis  épargné  aucune  fatigue  pour 

(lO/i)  Buckingham,  vol  11^  p.  S06^  307. 


loi  babylom:.  eu.  il 

éviter  toiilo  errc^ir.  J'ai  parcourii  ces  lic^iix  pcn- 
(laiif  Imit  heures,  durant  six  jours  consécutifs,  et 
plus  (le  (lou/e  heures  le  septième  '"*.  » 

Le  ma  jorlu^ppel, après  avoir  rap})ortè  comment 
il  avait  complètement  éclioué,  lui,  ses  compa- 
gnons et  cpielques  autres  voyageurs  qui  s'étaient 
associés  à  ses  courses,  dans  la  recherche  qu'ils 
ont  faite  de  quelques  vestiges  des  murailles  de  la 
ville,  ajoute  ce  qui  suit  :  Les  prédictions  divines 
contre  Babylone  se  trouveut  si  littéralement  ac- 
complies dans  l'état  actuel  de  ses  ruines,  que  je 
n'hésite  pas  à  donner  l'interprétation  la  plus  éten- 
due aux  paroles  de  Jér^mie  :  «  Il  n'y  aura  aucune 
«muraille,  quelque  large  qu'elle  soit,  qui  ne 
«  soit  entièrement  rasée.  » 

«  Babylone  sera  réduite  en  étonnement  ;  qui- 
«  conque  passera  près  de  Babylone  sera  étonné.  » 
Il  est  impossible  de  penser  à  ce  que  Babylone 
était,  et  de  yoir  ce  qu'elle  est  aujourd'hui,  sans 
être  étonné.  Sir  R.  Porter  s'exprime  ainsi  lors  de 
sa  première  vue  de  ces  ruines  :  Je  ressentis  une 
crainte  indéfinissable  en  passant,  pour  ainsi  dire, 
par  les  portes  de  l'ancienne  Babylone  ^^^.  —  Je  ne 
puis  décrire,  dit  le  capitaine  Mignan,  l'impres- 
sion de  respect  et  de  terreur  dont  je  fus  comme 
accablé,  en  contemplant  l'étendue  et  la  grandeur 
de  la  désolation  qui  m'entourait  de  toutes  parts  *^^ 
—  «  Comment  le  marteau  de  toute  la  terre  a-t-il 
«  été  brisé?  Comment  Babylone  a-t-elle  été  réduite 
«  en  désolation  parmi  les  nations?  »  La  descrip- 
tion suivante ,  si  pleine  d'intérêt,  a  été  faite  sur 
les  lieux  mêmes. 

Après  avoir  parlé  des  quais  détruits  ,  des  eaux 
stagnantes ,  des  anciens  fondements ,  et  de  la 

(i05)  Travaux  de  la  Société  de  littérature  de  Bombay,  vol,   I, 
p.  130,  131.  —  Keppel,  v.  I,  p.  175.  —  Jér.,  LI. 

(106)  Sir  Robert  Porter,  vol.  II,  p.  29/i.  — (107)Mgnan,  p.  117. 


ai.  II.  BABYLONE/  105 

longue  ligne  ondulante  de  monceaux  de  déconi- 
bres^  sir  Robert  Ker  Porter  ajoute  :  Toute  cette 
vue  avait  quelque  chose  de  solennel.  Le  majes- 
tueux fleuve  de  l'Euphrate,  coulant  au  milieu 
d'une  profonde  solitude ,  tel  qu'un  monarque 
pèlerin  qui  visite  les  ruines  silencieuses  de  son 
royaume  dévasté ,  nous  paraissait  encore  une 
belle  rivière  malgré  la  tristesse  de  la  scène  qu'il 
parcourait.  Ses  rivages  sont  blancs  de  rosea ux,  et 
l'on  voit  encore  sur  ses  bords  les  saules  aux- 
quels les  prisonniers  d'Israël  avaient  suspendu 
leurs  harpes  ^  ne  voulant  pas  se  réjouir  pendant 
la  captivité  de  Jérusalem.  Mais  combien  tout  le 
reste  a  changé  depuis  ce  temps  !  Alors  ces  monti- 
cules étaient  des  palais;  ces  monceaux  étaient  des 
rues;  cette  vaste  solitude  était  remplie  des 
riches  habitants  de  l'orgueilleuse  Babylon  e.  Main- 
tenant «  elle  est  abattue  jusqu'en  terre;  elle  n'est 
«  plus  habitée;  la  vermine  la  couvre  *^^  » 

On  peut  donc  voir  dans  cette  merveilleuse  his- 
toire de  la  Babylonie  qu'il  n'y  a  pas  un  seul  fait 
qui  n'ait  été  l'objet  d'une  prophétie  spéciale.  Elle 
avait  annoncé  que  ses  palais  seraient  réduits  en 
monceaux  5  que  ses  rues  seraient  détruites  et 
désertes  ^  que  l'orgueil  du  monde  serait  assis  sur 
la  poussière,  que  le  silence  du  tombeau  succé- 
derait au  bruit  de  la  multitude  de  Baby  lone ,  que 
ce  vaste  entrepôt  du  monde  oii  toutes  les  nations 
venaient  apporter  leurs  trésors,  cette  prison  où 
le  peuple  juif  fut  tenu  captif  jusqu'à  ce  que  Ba~ 
bylone  elle-même  eut  été  pillée  par  divers  peu- 
ples, descendrait  au  sépulcre;  que  la  vaste 
métropole,  le  pays  des  palais  et  l'orgueil  des 
royaumes,  le  rendez-vous  de  tous  les  peuples 
deviendrait  un  endroit  méprisé  et  solitaire,  oh 

(108)  Sir  K.  Porter,  vol.  II,  p.  237. 

5, 


106  BA«YLONE.  eu.   II. 

personne  ifhabiterail  de  génération  en  {généra- 
lion  ;  oil  les  Ai  abes  mêmes  ne  voudraient  pas  dres- 
ser leurs  tentes,  ni  les  bergers  faire  paître  leurs 
troupeaux;  qu'il  n'y  aurait  plus  de  richesses  se- 
crètement gardées,  ni  de  trésors  cachés,  mais 
que  sa  honte  serait  découverte  ;  que  celle  qui 
faisait  trembler  la  terre  et  qui  ébranlait  les  royau- 
mes serait  jetée  loin  de  son  sépulcre  comme  une 
branche  pourrie  ;  que  beaucoup  de  nations  et  de 
grands  rois  viendraient  du  bout  du  monde  contre 
Babylone;  que  des  ouvriers  la  réduiraient  en 
monceaux  et  formeraient  des  étangs  au  milieu 
d'elle  ;  que  cet  immense  lac  artificiel ,  ayant  plu- 
sieurs milles  de  circonférence  et  qui  servait  à 
arrêter  les  débordements  annuels  de  TEu- 
phrate,  que  ce  lac  serait  réduit  en  étangs  d'eau, 
creusés  par  des  ouvriers  et  remplis  par  la  ri- 
vière ;  que  le  premier  et  le  plus  grand  des  tem- 
ples serait  réduit  en  montagne  d'embrasement; 
que  la  statue  d'or  de  40  pieds  qui  en  ornait 
le  sommet,  jusqu'aux  images  taillées  de  leurs 
dieux ,  tout  serait  brisé  et  réduit  en  poussière  ; 
que  les  magnifiques  fêtes  des  monarques  de  Ba- 
bylone,  que  le  bruit  des  instruments,  que  la  splen- 
deur du  festin  de  Belsçatzar,  que  les  cris  de  dé- 
bauche de  mille  grands  seigneurs  qui  s'enivraient 
dans  les  vases  sacrés  de  Sion ,  feraient  place  aux 
cris  des  bêtes  sauvages;  que  les  maisons  seraient 
remplies  de  fouines,  que  les  chat-huants  habite- 
raient dans  leurs  maisons  de  plaisance,  que  les 
chouettes  y  sauteraient;  que  les  dragons  se  loge- 
raient dans  ses  palais  désolés  ;  que  les  terrasses 
élevées  sur  terrasses,  et  qui  faisaient  ressembler 
les  jardins  suspendus  de  Babylone  à  une  vaste 
montagne,  seraient  mises  au  niveau  de  la  fosse; 
que  les  palais  des  princes ,  qui ,  assis  en  la  mon- 
tagne d'assignation,  croyaient  pouvoir  placer  leur 


€H.  II.  BABYLONE/  107 

trône  au-dessus  des  étoiles  du  Dieu  fort,  seraient 
réduits  en  pièces,  comme  des  habillements  trans- 
percés avec  l'épée,  comme  une  charogne  foulée  au  x 
pieds;  que  les  larges  murailles  devant  lesquelles 
l'armée  de  Cyrus  s'était  rangée  en  bataille  sans 
pouvoir  trouver  un  seul  endroit  accessible  à  Tas- 
saut,  seraient  entièrement  rasées,  et  que  l'on 
chercherait  en  vain  la  place  oii  elles  avaient  été. 
Enfin,  elle  avait  annoncé  que  Babylone  la  grande, 
l'orgueilleuse  Babylone,  la  gloire  des  royaumes, 
ne  serait  plus  que  la  Babylone  désolée ,  Tétonne- 
ment  de  quiconque  passerait  auprès  d'elle.  Quel- 
que merveilleux  donc  qu'ait  été  le  changementqui 
devait  ainsi  se  faire  en  Babylone,  on  ne  peut  nier 
qu'il  ne  se  soit  opéré,  et,  quels  que  soient  les 
instruments  que  l'Éternel  a  employés,  l'effet 
n'en  est  pas  moins  évident,  et  cette  destruction 
est  venue  sur  Babylone  comme  un  «  dégât  fait 
«  par  le  Tout-Puissant.  » 

Tous  les  desseins  de  rÉternel  n'ont-îls  pas  été 
accomplis  contre  Babylone  ?  Qui  oserait,  après 
avoir  examiné  tous  les  faits,  qui  oserait  répondre 
d'une  manière  négative  aux  questions  que  le 
Seigneur  fait  lui-même  en  commençant  ces  pré- 
dictions ?  «  Qui  annonce  dès  le  commencement  ce 
«  qui  arrivera  à  la  fin ,  et  longtemps  auparavant 
«  ce  qui  n'a  point  encore  été  fait?  Qui  dit  :  Mon 
«  conseil  tiendra,  etj'exécuterai  toute  ma  volonté? 
«  Qui  est  semblable  à  moi?  »  —  Serait-il  possible 
d'admettre  l'accomplissement  d'une  seule  prophé- 
tie, si  l'on  refuse  le  témoignage  qui  se  rapporte  k 
celle-ci?  Y  eut-il  jamais  lieu  sur  la  terre  qui  ait 
subi  un  changement  plus  complet? 

Les  annales  du  genre  humain,  a-t-on  dit 
avec  vérité,  ne  présentent  pas  un  contraste  plus 
frappant  que  celui  qui  existe  entre  la  magnifi- 
cence primitive  de  Babylone  et  sa  longue  déso- 


108  TYK.  en.  III. 

lation  *'*".  Ses  i  nines  ont  été  visitées  dernière- 
nient  par  plusieurs  personnes  dont  le  caraetère 
est  bien  connu  et  dont  la  véracité  (»st  à  l'épreuve, 
et  toutes  leurs  recherches  n'ont  servi  cpi'à  rendre 
un  éclatant  témoignage  à  raccomplissement  lit- 
téral de  chaque  prophétie.  —  Combien  peu 
de  contrées  de  la  terre  dont  nous  ayons  une 
description  aussi  exacte  et  aussi  détaillée  que 
celle  que  fit  le  prophète,  à  une  époque  où 
Babylone  était  loin  de  ressembler  à  ce  qu'elle 
est  maintenant  devenue!  Serait-il  possible  de 
trouver  des  prédictions  plus  précises,  plus  éton- 
nantes, plus  nombreuses  et  plus  véridiques,  ou 
qui  se  soient  plus  visiblement  accomplies  par 
degrés  pendant  une  longue  série  de  siècles?  — 
Ah!  qu'en  méditant  sur  le  sort  de  Babylone,  en 
envisageant  ce  qu'elle  était  et  ce  qu'elle  est  deve- 
nue, les  nations  apprennent  la  sagesse,  que  les 
tyrans  tremblent,  que  les  incrédules  croient! 


CHAPITRE  III. 


PROPHETIES  CONCERNANT  TYR. 

Tyr  était  la  ville  la  plus  célèbre  de  la  Phénicie, 
et  pendant  longtemps  elle  fut  la  première  ville  de 
commerce  de  l'univers.  C'était  le  théâtre  d'un 
commerce  et  d'une  navigation  immense,  dit  Vol- 
ney ,  le  berceau  des  arts  et  des  sciences ,  et  la 
patrie  du  peuple  le  plus  industrieux  peut-être  et 
le  plus  actif  qui  ait  jamais  existé*.   Le  royaume 

(409)  Revue  d'Edimbourg,  vol.  I,p.'439. 

(1)  Voyages  de  Volney.  —  Steph.  Diet.  p.  2039.  —  Strabou. 


CH.  III.  TYR.         '  109 

de  Carthage,  cette  rivale  de  Rome,  était  une  des 
colonies  de  ïyr.  Ce  fut  lorsque  ce  centre  du  com- 
merce du  monde  avait  atteint  son  plus  haut  degré 
de  puissance  et'd'opulence,  et  au  moins  125  ans 
avant  la  destruction  de  l'ancienne  Tyr,que  le  pro- 
phète Isaïe  annonça  sa  chute  irrévocable.  La  nou- 
velle Tyr,  bâtie  sur  une  île,  succéda  à  la  ville  con- 
tinentale ;  elle  fut  habitée  par  le  même  peuple,  con- 
serva le  même  nom ,  et  son  sort  fut  également 
compris  dans  les  mêmes  prédictions.  Le  prophète 
assigne  comme  causes  de  la  malédiction  prononcée 
contre  elle  son  orgueil  et  sa  méchanceté,  la  joie 
qu'elle  éprouva  des  malheurs  des  Juifs,  et  sa 
cruauté  en  les  vendant  comme  esclaves.  Toute  la 
destinée  de  Tyr  fut  prédite. 

L'évêque  Newton  nous  montre  comment  les 
prophéties  suivantes  ont  été  aussi  exactement  ac- 
complies qu'elles  ont  été  clairement  énoncées, 
c'est-à-dire  que  Tyr  devait  être  prise  et  détruite 
par  les  Chaldéens,  qui,  à  l'époque  de  la  pro- 
phétie ,  n'étaient  qu'un  peuple  obscur  et  peu  im- 
portant, et  que  cette  destruction  devait  se  faire 
par  le  moyen  de  Nabuchodonozor,  roi  de  Baby- 
lone  ;  que  les  habitants  de  Tyr  s'enfuiraient  sur 
l'île  voisine  et  se  répandraient  dans  les  contrées 
environnantes ,  mais  qu'ils  n'y  trouveraient  aucun 
lieu  de  repos;  qu'après  un  intervalle  de  70  ans 
la  ville  serait  reconstruite ,  et  que  le  peuple  re- 
tournerait à  son  commerce  et  à  ses  richesses; 
qu'après  un  certain  temps  le  peuple  renoncerait 
à  l'idolâtrie  et  se  convertirait  au  culte  du  vrai 
Dieu,  et  qu'enfin  la  ville  serait  entièrement  dé- 
truite et  qu'elle  ne  serait  plus  qu'un  lieu  pour 
étendre  les  filets. 

Mais  au  lieu  de  les  passer  toutes  en  revue, 
nous  nous  contenterons  d'en  présenter  au  lecteur 
quelques-unes  des  plus  remarquables,  qui  furent 


1 10  TYR.  en.  m. 

accomplies  après  répoque  des  derniers  prophè- 
tes de  l'Ancien  Testament,  et  dont  l'accomplis 
sèment  repose  sur  des  témoignages  non  équi- 
voques. 

Le  siège  de  Tyr,  par  Alexandre-le-Grand,  est 
un  des  plus  singuliers  événements  de  l'histoire. 
Irrité  de  ce  qu'une  ville  solitaire  comme  Tyr 
pût  aussi  longtemps  arrêter  la  marche  de  son 
armée  victorieuse  ,  exaspéré  par  le  meurtre 
de  quelques-uns  de  ses  soldats ,  et  jaloux  de  sa 
renommée ,  rien  ne  put  faire  consentir  le  jeune 
vainqueur  à  en  lever  le  siège.  La  prise  de  Tyr 
fut  encore  plus  étonnante  que  le  plan  d'attaque 
ne  fut  audacieux,  car  la  ville  était  entourée 
d'une  muraille  haute  de  150  pieds,  et  sa  position 
sur  une  île  éloignée  d'un  demi-mille  du  rivage 
semblait  la  rendre  inaccessible.  On  forma,  pour 
ainsi  dire,  une  chaussée  qui  s'étendait  du  rivage 
à  l'île ,  et  les  ruines  de  l'ancienne  Tyr  ^,  détruite 
depuis  250  ans,  en  fournirent  les  matériaux. 
Une  entreprise  aussi  gigantesque  sembla  pendant 
quelque  temps  au  -  dessus  des  efforts  mêmes 
d'un  Alexandre.  Les  ouvrages  commencés  furent 
brûlés  par  l'ennemi,  et  ensuite  détruits  par  un 
orage;  mais  leurs  restes  ensevelis  sous  l'eau  for- 
mèrent une  barrière  sur  laquelle  il  recommença 
ses  travaux.  Il  fallut  encore  rassembler  une  im- 
mense quantité  de  matériaux;  on  ramassa  la 
terre  et  jusqu'aux  décombres;  et  ce  même  con- 
quérant, qui  ne  parvint  jamais  à  rebâtir  les  mu- 
railles de  Babylone ,  jeta  celles  de  Tyr  dans  la 
mer  et  en  enleva  même  la  poudre  de  dessus  la 
place  qu'elles  occupaient  ^  Il  ne  laissa  pas  ves- 

(2)  c  Magna  vis  saxo  rum  ad  mainim  erat,  Tyro  vetere  prae- 
bente.  »  Quint.  Curt.,  1.  IV,  cap.  ix. — P rideaux,  RoUin,  etc. 

(3)  Humus  aggerebatur.       Quint.    Curt.,  cap.  xi.   Arrian.   de 
Exp.  Ai.,  1.  II,  cap.  x\r-xxiv.  Quint.  Cnrt. ,  L  IV,  cap.  vii-xix. 


<:h.  hi.  tyr.      "  111 

tige  d'une  seule  ruine ,  et  l'emplacement  de  l'an- 
cienne Tyr  est  inconnu*.  Qui  est  celui  qui  a 
enseigné  au  prophète  à  dire  :  «  Elles  détruiront 
«  les  murailles  de  Tyr ,  et  démoliront  tes  tours  ^ 
«  et  jetteront  ton  bois ,  tes  pierres  et  ta  poussière 
«  au  milieu  des  eaux.  » — «Je  raclerai  sa  poussière 
«  hors  d'elle  5  je  ferai  qu'on  sera  tout  éperdu  à 
«cause  de  toi,  de  ce  que  tu  ne  seras  plus;  et 
«  quand  on  te  cherchera ,  on  ne  te  trouvera  plus 
«  à  jamais  5  dit  l'Eternel  ^.  » 

Après  la  prise  de  Tyr ,  le  conquérant  fit  incen 
dier  la  ville.  Quinze  mille  Tyriens  s'échappèrent 
dans  des  vaisseaux  ;  mais  une  grande  partie  des 
habitants  furent  massacrés,  et  230,000  vendus 
comme  esclaves.  De  tous  ces  faits,  les  plus  saillants 
de  l'histoire  de  Tyr ,  il  n'y  en  a  pas  un  seul  qui  ne 
soit  l'accomplissement  d'une  prophétie.  «Voici, 
«  le  Seigneur  l'appauvrira,  et  en  la  frappant  il  jet- 
«  tera  sa  puissance  dans  la  mer ,  et  elle  sera  con- 
«  sumée  par  le  feu®.  »  —  «  Je  ferai  sortir  du  milieu 
«  de  toi  un  feu  qui  te  consumera,  et  je  te  réduirai 
«  en  cendre  sur  la  terre  ^  » — «  Passe  en  Tarsis, 
«  lève-toi,  traverse  en  Kittim^  »  —  «  Les  îles  qui 
«  sont  dans  la  mer  seront  éperdues  à  cause  de  ton 
«  issue  ®.  »  —  «  Tu  mourras  au  milieu  de  la  mer,  de 
«  la  mort  de  ceux  qui  sont  tués*^.  » — «  Vous  avez 
«  vendu  les  enfants  de  Juda  et  les  enfants  de  Jéru- 
«  salem;  voici,  je  ferai  retourner  sur  votre  tête 
«  votre  salaire*'.  »  Mais  que  dit  encore  le  prophète 
de  la  première  ville  de  commerce  de  l'univers , 
dont  les  marchands  étaient  des  princes ,  et  les  fac- 
teurs des  grands  de  la  terre  ?  «  Je  te  rendrai  sem- 

(4)  Volney ,  vol,  II.  —  Description   de  TOrient,  par  Pococke , 
1.  I ,  ch.  XX.  —  Buckingbam,  p.  46. 

(5)  Ezécbiel,  XXVI,  4,  12,  21. 

(6)  Zacharie,  IX,  /i.  —  (7)  Ezéchiel,  XXVIII,  16. 
(8)  Esaïe,  XXIII,  6,  42.  —  (9)  Ezéchiel,  XXVI,  13. 
(10)  Ezéchiel,  XXYIII,  8.  —  (11)  Joel,  III,  6,  7. 


ï  l^  TYR.  CH.   III. 

^(  blabkî  à  une  pierre  sèelie.^  un  li(Mi  i>()nr  éU  .nlre 
^t  les  rilels*\  ))  Jl  est  encore  répélé  ailleurs  avec 
la  inénie  force  et  la  même  vérité  :  «  J(i  la  rendrai 
«  semblable  à  une  pierre  sèche.  Elle  servira  à 
«étendre  les  lilets  au  milieu  de  la  mer,  car  i'ai 
«parle  \  » 

Cependant^  quoique  privée  de  ses  anciens  ha- 
bitants, Tyr  ne  tarda  pas  à  redevenir  une  ville 
commerçante.  Elle  était  populeuse  et  florissante 
au  commencement  de  l'ère  chrétienne.  On  y  trou- 
vait du  temps  des  apôtres  plusieurs  disciples  du 
Christ;  on  y  construisit  plus  tard  un  temple  élé- 
gant et  plusieurs  églises;  elle  fut  le  siège  episco- 
pal du  premier  archevêque  soumis  au  patriarche 
de  Jérusalem.  Tyr  fut  prise  par  les  Sarrazins  au 
septième  siècle ,  et  au  douzième  par  les  croisés , 
époque  à  laquelle  elle  était  une  ville  de  commerce 
riche  et  importante.  Les  Mameloucks  s'en  rendi- 
rent maîtres  plus  tard,  et  depuis  300  ans  elle  est 
demeurée  au  pouvoir  des  Turcs.  La  cruauté  et  les 
spoliations  continuelles  des  Turcs  ne  lui  ont  pas 
permis  d'échapper  au  sort  qu'elle  a  du  reste  par- 
tagé avec  un e  multitude  d'autres  villes  et  avec  plu- 
sieurs autres  pays,  et  sa  désolation  avait  été  pré- 
dite 2,000  ans  avant  l'existence  du  peuple  qui  a 
été  l'instrument  de  sa  destruction  et  de  sa  ruine. 
Il  est  vrai  que  dernièrement  la  ville  a  paru  sortir 
un  peu  du  milieu  de  ses  ruines,  grâce  à  un  court 
intervalle  de  repos;  cependant  les  dernières  pu- 
nitions prononcées  contre  elle  ont  été  parfaite- 
mentaccomplies  d'aprèsle  témoignageque  nousen 
rendent  Maundrell,  Shavv,  Volney  et  Bruce. 

Il  ne  reste  aucun  vestige  de  son  ancienne 
splendeur;  elle  n'est  plus  qu'une  ville  de  mu- 
railles brisées,  de  colonnes  tronquées  et  détruites, 

(12)  Ezéchiel,  XXVI,  1^,  15.  —  (d3)  Ibid.,  k,  5. 


CH.   III.  TYR.        -  113 

et  de  caveaux.  Toute  sa  population  consiste  en 
quelques  pauvres  familles  qui  se  logent  dans  les 
souterrains  5  et  dont  la  pêche  est  le  principal 
moyen  de  subsistance  ;  elles  ne  semblent  y  être  que 
pour  servir  de  témoignage  vivant  a  l'accomplisse- 
ment de  la  parole  de  Dieu'\  —  Le  port  de  Tyr, 
déjà  très  petit ,  est  tellement  obstrué  par  le  sable 
et  par  les  décombres  que  les  bateaux  de  pê- 
cheurs, qui  de  temps  à  autre  visitent  ce  marché 
jadis  si  renommé ,  et  viennent  sécher  leurs  filets 
sur  ses  rochers  et  sur  ses  ruines ,  n'y  pénètrent 
qu'avec  beaucoup  de  peine  *^  Et  Volney  lui-même , 
après  avoir  cité  la  magnifique  description  que  fait 
Ezéchiel  de  l'ancienne  grandeur  de  Tyr,  de  la 
destruction  de  la  ville  et  de  son  commerce  ^  re- 
connaît expressément  :  que  les  révolutions  du 
sort  ou  plutôt  la  barbarie  des  Grecs  du  Bas-Em- 
pire et  des  Mahometans  ont  accompli  ces  ora- 
cles. Au  lieu  de  cette  ancienne  circulation  si  active 
et  si  vaste.  Sour  (Tyr),  réduit  à  l'état  d'un  miséra- 
ble village  5  n'a  plus  pour  tout  commerce  qu'une 
exportation  de  quelques  sacs  de  coton  et  laine , 
et  pour  tout  négociant  qu'un  facteur  grec  au  ser- 
vice des  Français  de  Saïde,  et  qui  gagne  a  peine  de 
quoi  soutenir  sa  famille.  Ensuite,  sans  remarquer 
dans  ses  détails  l'accomplissement  de  la  prophétie, 
il  ajoute  cependant  des  faits  plus  précieux  qu'au- 
cune opinion,  et  qui  sont  le  témoignage  le  plus 
puissant  de  l'accomplissement  des  prédictions,  — 
Toute  la  population  du  village  de  Tyr  consiste  en 
50  à  60  pauvres  familles  qui  vivent  obscurément  de 
quelques  cultures  de  grains  et  d'un  peu  de  pêche. 
Les  maisons  qu'elles  occupent  ne  sont  plus, 
comme  au  temps  de  Strabon,  des  édifices  à  trois 
ou  quatre  étages,  mais  de  chétives  huttes  sur  le 

(i/i)  Voyages  de  Maiindrell,  p.  82. 
(15)  Voyages  de  Shaw,  vol.  II,  p.  34, 


1  14  KGYPTE.  <:il.  IV. 

f)oint.  do  s'écrouler *M{i  lice  parle  de  Tyr  comme 
d'un  c(  rocher  sur  lequel  des  pécheurs  sècheni 
«  leurs  lilets.  » 

Peu  nous  iuiporte par  quels  moyens  ces  i)ro[)hé- 
ties  ont  été  accomplies  ;  il  était  aussi  impossible  a 
rhomme  de  prévoir  ces  moyens  que  de  prévoir 
l'événement  lui-même.  Le  fait  est  positif,  les 
prédictions  ont  été  accomplies;  donc  les  prophètes 
ont  annoncé  la  vérité.  On  peut  les  mépriser,  mais 
on  ne  peut  rien  changer  à  leurs  paroles;  il  n'y  a 
jamais  eu  de  faits  plus  frappants  et  moins  pro- 
bables, et  jamais  il  n'y  a  eu  de  prédictions  plus 
précises  et  plus  claires. 


CHAPITRE  IV. 


PROPHÉTIES  CONCERNANT  l'ÉGYPTE 


L'Egypte  était  un  des  plus  anciens  et  des  plus 
puissants  royaumes  de  la  terre,  et  encore  aujour- 
hui  les  voyageurs  s'occupent  à  découvrir  les  mo- 
numents sans  pareils  de  son  antique  splendeur. 
Jamais  nation  ,  ancienne  ou  moderne ,  ne  par- 
vint à  élever  des  monuments  aussi  grands  et  aussi 
impérissables.  Tandis  que  l'on  ne  reconnaît  la 
grandeur  des  autres  royaumes  qu^aux  ruines  de 
leurs  villes  et  qu'aux  vestiges  de  leur  magnifi- 
cence, les  pyramides  d'Egypte  s'élèvent  sembla- 
bles à  des  monts  [impérissables ,  sans  date  qui 
serve  à  reconnaître  leur  fondation,  et  elles  ont 
défié  les  ravages  des  siècles.  Le  royaume  d'Egypte 

(16)  Volney,  Voyage  en  Syrie,  vol.  lï,  ch.  xxix, 


Cfl.  IV.  EGYPTE.    '  Ho 

est  le  plus  ancien  de  tous.  Aucune  nation  de 
l'antiquité  n'eut  une  aussi  longue  succession  non 
interrompue  de  rois.  La  science  des  Egyptiens  a 
passé  en  proverbe;  le  nombre  de  leurs  villes  et  la 
population  de  leur  pays,  selon  ce  qu'en  rapportent 
les  anciens  historiens,  étaient  presque  incroya- 
bles". La  nature  semblait  se  réunir  à  l'art  pour 
faire  de  l'Egypte  la  contrée  la  plus  fertile  de  la 
terre  ;  on  l'appelait  le  grenier  du  monde  :  elle 
était  divisée  en  plusieurs  royaumes,  et  sa  puis- 
sance s'étendait  sur  plusieurs  pays  voisins". 
Cependant  la  connaissance  de  toute  cette  grandeur 
et  de  toute  cette  gloire  n'empêchèrent  pas  le  pro- 
phète juif  de  déclarer  que  «  l'Egypte  deviendrait 
«  le  plus  bas  des  royaumes ,  et  qu'elle  ne  s'élève- 
nt rait  plus  auprès  des  nations.  » 

L'Egypte  fut  le  sujet  d^un  grand  nombre  de  pro- 
phéties qui  ont  reçu  autrefois  leur  accomplisse- 
ment, et  le  temps  n'a  pu  effacer  encore  les  marques 
par  lesquelles  les  prophéties  ont  caractérisé  la 
destinée  qui  l'attendait. 

«  Ils  seront  un  royaume  abaissé.  Il  sera  le  plus 
c(  bas  des  royaumes,  et  il  ne  s'élèvera  plus  par- 
«  dessus  les  nations,  et  je  le  diminuerai  afin  qu'il 
«  ne  domine  plus  sur  les  autres  nations'^  L'or- 
«  gueil  de  sa  force  sera  renversé,  et  ils  seront  dé- 
«  soles  parmi  des  pays  désolés,  et  ses  villes  seront 
«  parmi  des  yilles  rendues  désertes.  »  —  «  Je  dé- 
«  solerai  le  pays  et  tout  ce  qui  est  par  la  puissance 
«  des  étrangers.  Je  livrerai  le  pays  entre  les  mains 
«  des  gens  méchants,  des  étrangers.  Moi,  l'Eter- 
«  nel,  j'ai  parlé.  Il  n'y  aura  plus  de  prince  du  pays 
«  d'Egypte '\  » 

L'Egypte  fut  subjuguée  par  les  Perses  536  ans 

(17)  Vingt  mille.  Hérodote,  1.  II,  ch.  clxxvii. 

(18)  Marshaiïi,  Can.  chron.,  p,  239-242. 

(19)  Ezéchiel,  XXIX,  1/i,  15.  —  (20)  Ibid.,  XXX,  6,  7,  13,  15. 


I  !<>  KiJVPTE.  Cil.   IV. 

avant  l'ère  chrétienne;  elle  le  fnt  ensnite  par  les 
Macédoniens,  et  i,M)nvernée  pendant  [)lns  de  trois 
siècles  par  les  Ptolénièes,  JMS(|n'à  ce  (pie  vers 
Tan  :U)  avant  l'ère  chrétienne  cUcsnhitlejonj^des 
Koniains. 

Elle  leur  fut  soumise  pendant  plusieurs  siècles; 
d'abord  tributaire  de  Rome  et  ensuite  de  Constan- 
tinople. L'an  G41  derèrechrétienne^  elle  tomba  au 
pouvoir  des  Sarrazins.  En  1250  5  les  Mameloucks 
secouèrent  l'autorité  de  leurs  chefs  et  s'emparè- 
rent du  j^ouvernement  de  l'Egypte.  Ils  établirent 
la  plus  singulière  forme  de  gouvernement  qui  ait 
jamais  existé.  Tous  les  gouverneurs  étaient  élevés 
successivement  au  rang  suprême  ^  de  l'état  d'es- 
clave ou  d'étranger;  jamais  le  fils  du  souverain 
précédent  ou  un  Egyptien  de  naissance  ne  posséda 
la  royauté;  mais  le  chef  était  choisi  d'entre  une 
race  d'esclaves  nouvellement  importée.  Lors- 
qu'en  1517  l'Egypte  fut  tombée  entre  les  mains 
des  Turcs,  les  Mameloucks  possédèrent  encore 
beaucoup  d'autorité,  et  chaque  pacha  fut  un  tyran 
et  un  étranger.  Pendant  le  cours  de  tous  ces  siè- 
cles,  toute  tentative  de  délivrance  a  échoué.^  et  on  a 
vainement  essayé  de  placer  sur  le  trône  un  prince 
originaire  du  pays  d'Egypte.  —  Nous  allons  laisser 
parler  Volney  et  Gibbon;  leurs  témoignages  réunis 
viendront  à  l'appui  de  ces  faits,  qui  du  reste  sont 
assez  communs  dans  l'histoire  du  monde;  les  incré- 
dules ne  sauraient  rejeter  l'autorité  d'hommes 
qui  certes  ne  cherchaient  pas  à  établir  la  vérité 
du  christianisme  sur  des  bases  larges  et  solides. 

«  Tel  est,  dit  Volney,  l'état  de  l'Egypte.  Enle- 
vée depuis  23  siècles  à  ses  propriétaires  naturels, 
elle  a  vu  successivement  s'établir  dans  son  sein 
des  Perses ,  des  Macédoniens ,  des  Romains ,  des 
Grecs,  des  Arabes,  des  Géorgiens,  et  enfin  cette 
race  de  Tartares  connue  sous  le  nom  de  Turcs 


CH.  IV.  EGYPTE.       -  117 

Ottomans. — Les  Mameloucks,  achetés  comme  es- 
claves et  introduits  comme  soldats  ^  usurpèrent 
bientôt  le  pouvoir  et  s'élurent  un  chef.  Si  leur  pre- 
mier établissement  fut  un  fait  singulier^  leur  per- 
pétuation en  est  un  autre  qui  n'en  est  pas  moins 
bizarre  ;  ils  se  sont  régénérés  par  des  esclaves 
trans])ortés  de  leur  pays  originel.  Leur  système 
d'oppression   est  méthodique.   Tout  ce    que    le 
voyageur  voit  et  entend  lui  rappelle  qu'il  est 
dans  une  terre  d'esclavage  et  de  tyrannie  ^*.  » 
—  «  Il  serait  impossible  d'imaginer  une  forme  de 
gouvernement  plus  absurde  que  celle  qui  con- 
damne les  naturels  originaires  d'un  pays  a  une 
servitude  perpétuelle  sous  une  domination  arbi- 
traire d'étrangers  et  d'esclaves.  Cependant  tel  a 
été  l'état  de  l'Egypte  depuis  500  ans.  Les  sultans 
les  plus  illustres  des  dynasties  baharite  et  bor- 
gite    sortaient    des    rangs  des    esclaves    tarta- 
res  et  circassiens^  et  les  24  beys  ou  commandants 
militaires  ont  toujours  eu  pour  successeurs  non 
leurs  fils,  mais  leurs  esclaves  ^^.  »  Voilà  les  paroles 
de  Volney  et  de  Gibbon  ;  voyons  quelle  est  la  pré- 
diction des  prophètes?  —  «Je  désolerai  le  pays  et 
cv  tout  ce  qui  y  est  par  la  puissance  des  étrangers'; 
«moi^  l'Eternel^  j'ai  parlé.  Il  n'y  aura  plus  de 
«  prince  du  pays  d'Egypte.  »  Et  elle  ajoute  encore  : 
«  Il  sera  le  plus  bas  des  royaumes.  Ils  seront  un 
«  royaume   abaissé.   »   Après   un   intervalle   de 
2 ,400  ans 5  un  incrédule  ^  mais  témoin  oculaire 
des  faits,  en  parlant  de  ce  pays^  le  décrit  ainsi  : 
«  En  Egypte   il   n'y   a  ni   classe    moyenne ,    ni 
noblesse^  ni  clergé^  ni  négociants^  ni  propriétaires 
de  terres.  L'étranger  qui  arrive  est  frappé  d'un 
aspect  général  de  ruine  et  de  misère;  tout  ce  que 
l'on  voit^  tout  ce  que  l'on  entend  annonce  que  l'on 

(21)  Voyage  de  Vohie}^  en  Égypie  elen  Syrie,  vol.I,  cb.  vi-vir, 

(22)  Gibbon,  vol.  VI,  p.  j  09-110,  édit.  Dublin,  1789. 


1  18  EGYPTE.  en.   IV. 

est  dans  le  pay  s  de  l'escla  viige  et  de  la  tyrannie;  c'esl 
l'ififnorance  profonde  de  la  nation  qui,  aveuglanl 
les  esprits  sur  les  eauses  de  ees  maux  et  sur  leurs 
remèdes,  les  aveugle  aussi  sur  les  moyens  d'y  re- 
médier; cette  ignorance  répandue  dans  toutes  les 
classes  étend  ses  effets  sur  tous  les  genres  de  con- 
naissances morales  et  physiques.  On  ne  parle  que 
de  troubles  civils,  que  de  misère  publique,  que 
d'extorsion  d'argent,  que  de  bastonnades  et  de 
meurtres.  La  justice  même  yerse  le  sang  sans  for- 
malité ^\  » 

D'autres  voyageurs  encore  parlent  de  la  pro- 
fonde dégradation  morale  du  peuple  égyptien  et 
de  sa  complète  corruption.  On  ne  trouve  plus  que 
des  cabanes  et  des  huttes  au  milieu  des  ruines  des 
palais  et  des  temples.  Toute  l'Egypte  est  environ- 
née des  territoires  des  Turcs  et  des  Arabes ,  et  la 
prophétie  qui  annonce  sa  désolation  a  été  litté*^ 
ralement  accomplie  :  «  Ils  seront  désolés  parmi 
«  des  pays  désolés.  Et  ses  villes  seront  désertes 
«  au  milieu  des  villes  désertes.  » 

Le  système  d'oppression ,  de  spoliation  et  de 
rapine  qui  règne  depuis  si  longtemps,  et  le  prix 
que  doit  payer  à  la  Porte,  à  son  avènement,  cha- 
que pacha,  ont  également  contribué  à  «  désoler  le 
pays  »  et  tout  «  ce  qui  y  est  ;  »  et  c'est  ainsi  que  s'est 
littéralement  accomplie  la  prophétie  :  «  Le  pays 
«  sera  désolé  par  la  puissance  des  étrangers,  et  je 
«  le  livrerai  entre  les  mains  des  gens  méchants.  » 

Oil  trouver  des  paroles  plus  claires  et  plus 
précises?  quels  événements  semblaient  moins 
probables  ou  moins  possibles  que  ceux  que  les 
prophètes  annonçaient  en  ces  termes?  La  longue 
suite  des  roisd'Egypte  avait  conservé  sa  puissance 
sans  interruption  depuis  les  premiers  âges  du 

(23)  Vdney^  vol.  I,  du  vu,  xxiu 


CH.  IV.  EGYPTE.      .  119 

monde  5  et  cependant  la  prophétie  annonce  sa  fin. 
La  tentative  faite  par  les  incrédules  pour  prou- 
ver d'après  les  chroniques  des  rois  d'Egypte,  et 
d'après  la  durée  de  leurs  règnes,  que  ce  pays  exis- 
tait comme  royaume  avant  l'époque  que  Moïse 
assigne  au  déluge ,  ne  sert  qu'à  relever  la  nature 
extraordinaire  de  ces  prédictions.  Le  fait  même 
que  depuis  2000  ans  l'Egypte  n'avait  jamais  été 
sans  roi,  semblait  devoir  rendre  impossible  l'ac- 
complissement de  la  prophétie,  et  l'expérience 
de  2000  ans  n'a  servi  qu'à  la  vérifier.  Quoiqu'elle 
se  fût  souvent  rendue  maîtresse  de  la  Judée  et  des 
contrées  adjacentes,  cependant  les  prophètes  juifs 
n'hésitèrent  pas  à  déclarer  que  «  le  sceptre  s'en 
«irait  d'entre  ses  mains,  «et  que  le  pays  des  rois 
(titre  que  lui  avait  mérité  la  longue  suite  non 
interrompue  de  ses  monarques)  n'aurait  «  plus 
«  de  prince  qui  fût  de  son  pays,  »  et  qu'elle  serait 
désolée  à  son  tour  par  la  puissance  des  étrangers. 
Ils  prédirent  qu'elle  serait  abaissée,  le  plus  bas 
des  royaumes;  qu'elle  serait  désolée  au  milieu  de 
la  désolation,  et  qu'elle  ne  s'élèverait  plus  au 
milieu  des  nations.  Ils  parlèrent  de  sa  bassesse, 
de  sa  dégradation  complète,  quoique  son  état  ac- 
tuel ne  ressemble  pas  plus  à  sa  grandeur  primitive 
que  les  cabanes  et  les  huttes  de  ses  habitants  d'au- 
jourd'hui ne  ressemblent  à  ses  palais  et  à  ses  pyra- 
mides. De  telles  prophéties  accomplies  d'une 
manière  aussi  remarquable  ne  prouvent-elles  pas 
bien  clairement  qu'elles  n'étaient  qu'une  révéla- 
tion faite  par  Celui  qui  gouverne  l'univers? 

En  passant  en  revue  les  prophéties  relatives  à 
Babylone,  à  Ninive,  à  Tyr,  à  l'Egypte,  comment 
ne  pas  reconnaître  comme  un  fait  certain  que  le 
sort  de  toutes  ces  villes  et  de  toutes  ces  contrées 
démontre  la  vérité  des  prophéties?  Comment  ne 
pas  reconnaître  que  toutes  ces  prophéties  ainsi 


120  Kr-VPTK.  Clî.  IV. 

conliriJïécs  par  les  événements  foiirnissenl  la 
preuve  la  plus  (léeisive  de  la  divinilé  de  la  reli- 
gion eliréli(Mine?  —  Toutes  ces  désolations  furent 
Tœu  V  re  des  honniies;  les  ennemis  du  christianisme 
en  furent  les  instruments,  et  elles  auraient  éf^ale- 
ment  eu  lieu,  quand  même  la  parole  des  propliètes 
ne  les  eût  pas  annoncées.  C'est  la  prédiction  de 
ces  faits,  avec  tant  de  circonstances  et  de  détails 
hors  de  la  portée  de  toute  prévoyance  Jiumaine, 
qui  est  et  qui  ne  peut  être  que  la  parole  de  Dieu. 
Et  la  ruine  des  empires,  tout  en  démontrant  la  vé- 
rité de  ces  prophéties,  devient  par-là  une  confir- 
mation miraculeuse  et  une  preuve  de  l'inspiration 
des  Ecritures. 

Par  quelle  fatalité  se  fait-il  donc  que  les  infidè- 
les, comme  s'ils  eussent  voulu  mettre  en  évidence 
la  faiblesse  de  leur  cause,  aient  choisi  pour  leur 
champ  de  bataille  ces  contrées  même  oii  ils  au- 
raient pu  lire  à  chaque  pas  l'accomplissement  des 
oracles  sacrés?  Car  plus  ces  ruines  sont  grandes, 
plus  elles  confirment  la  vérité  des  Ecritures: 
et  ce  n'est  pas  sur  cette  forteresse  de  la  foi  que  les 
incrédules  peuvent  arborer  leur  bannière.  Parmi 
les  faits  rapportés  par  Volney,  il  n'en  est  pas  un 
seul  qui  ne  soit  une  protestation  contre  son  sys- 
tème; il  se  condamne  de  sa  propre  bouche.  Est-il 
un  aveuglement  plus  déplorable  que  celui  d'un 
auteur  qui,  dédaignant  ou  feignant  d'oublier  ces 
prophéties ,  essaie  de  tirer  ses  arguments  contre 
le  christianisme  des  faits  mêmes  qui  en  attestent 
l'accomplissement  et  en  établissent  ainsi  la  divine 
autorité?  Quelle  évidence  serait  plus  claire  et 
plus  décisive  que  celle  qui  ressort  d'un  examen 
détaillé  des  prédictions  et  de  leur  parfait  accom- 
plissement? 


CH.  V.  LES  ARABES.  ^  121 


CHAPITRE  V. 


LES  ARABES. 


L'histoire  des  Arabes,  qui  forme  un  contraste  si 
frappant  avec  celle  des  Juifs,  mais  qui  est,  comme 
la  leur,  remplie  de  singularités,  a  été  prédite  en 
termes  précis  et  clairs.  C'est  dlsmael  qu'il  est 
dit^^  :  «  11  sera  semblable  a  un  ane  sauvage;  il  lèvera 
«  la  main  contre  tous,  et  tous  lèverontlsi  main  con- 
«  tre  lui,  et  il  dressera  ses  tentes  aux  yeux  de  tous 
«  ses  frères.  «  —  «  Je  le  ferai  croître  et  multiplier 
«  très  abondamment  ;  je  le  ferai  devenir  une 
«  grande  nation.  » 

Le  sort  d'Ismaël  est,  on  le  voit  dans  ce  passage, 
identifié   avec  celui  de  ses  descendants;  et  la 
marque  distinctive  de  l'un  est  aussi  celle  qui  sert 
à  caractériser  les  autres.  La  vérité  de  l'histoire, 
la  tradition  universelle,  les  prétentions  des  Arabes 
eux-mêmes,  la  conservation  d'un  rit  primitif  à  eux 
transmis  par  celui  qu'ils  prétendent  êlre  le  pre- 
mier homme  de  leur  race,  tout  tend  à  prouver 
qu'ils  sont  les  véritables  descendants  iî'ismaël. 
L'accomplissement  de  la  prophétie  est  évident. 
Gibbon  lui-même,  parlant  de  l'indépendance  dans 
laquelle  les  Arabes  se  sont  constamment  mainte- 
nus, et  cherchant,  par  des  exceptionsqu'ilspéciiîe, 
à  atténuer  les  conséquences  de  ce  fait,  admet  que 
ces  exceptions  ne  sont  que  temporaires  et  locales; 
que  le  corps  de  la  nation  s'est  soustrait  au  joug 
des  plus  puissants  empires,  et  que  les  armes  de 

(n)  GeiHse,  XVI,  12  ;  XVÏI.  50. 

G 


122  LES  ARABES.  CU.   V. 

Sésost ris  et  de  Cyrus,  de  Pompée  et  de  Trnjan  ne 
pureiil  jainais  eltectiier  la  conciiiéle  de  l'Arabie. 
En  supposant  même  que  les  exec^ptions  de  Gibbon 
fussent  bien  fondées  et  qu'elles  ne  perdissent  pas 
toute  valeur  par  le  commentaire  dont  l'auteur  les 
fait  suivre,  elles  n'ôteraient  rien  h  la  vérité  de  la 
proj)hétie.  L'indépendance  des  Arabes  était  chose 
proverbiale  autrefois  ainsi  que  maintenant,  et 
l'existence  actuelle  de  cette  nation  toujours  libre 
et  indépendante ,  de  ce  peuple  dont  l'origine  est 
si  reculée ,  sufiirait  par  elle-même  à  prouver  que 
jamais  il  n'a  été  complètement  soumis  comme  l'ont 
été  bien  certainement  tous  les  peuples  dont  il 
était  entouré,  et  que  jamais  «  il  n'a  dressé  ses  pa- 
<(  villons  qu'aux  yeux  de  ses  frères.  » 

Mais  ce  serait  peu  d'établir  ce  fait,  si  l'on  ne 
pouvait  encore  reconnaître  les  descendants  d'Is- 
maël  aux  traits  distinctifs  et  inaltérables  qui  leur 
sont  imprimés  par  le  Prophète  :  «  Ce  sera  un 
«  homme  sauvage;  il  lèvera  sa  main  contre  tous , 
«  et  tous  lèveront  la  main  contre  lui.  » 

Selon  Gibbon,  dont  l'expression  semble  calquée 
sur  celle  de  la  Bible,  les  Arabes  sont  «  un  peuple 
armé  contre  le  genre  humain.  »  Le  pillage  est  leur 
profession.  Nul  ne  recherche  leur  alliance,  car 
nul  ne  la  pourrait  obtenir  ;  et  tout  ce  que  les  Turcs, 
les  Persans  ou  leurs  autres  voisins  leur  deman- 
dent,  c'est  une  neutralité  chèrement  achetée.  Les 
Anglais  eux-mêmes ,  qui  ont  des  établissements 
dans  presque  tous  les  pays  du  monde,  n'ont  péné- 
tré sur  le  sol  des  descendants  d'Ismaël  que  pour 
s'en  retirer,  après  y  avoir  opéré  la  destruction 
d'une  forteresse  qui  les  inquiétait.  Il  n'est  pas 
vrai  de  dire  que  leurs  mœurs  et  leur  caractère 
soient  le  résultat  nécessaire  de  la  nature  de  leur 
pays.  On  ne  les  voit  pas  croître  en  civilisation,  ou 
renoncer  à  leur  état  d'hostilité  envers  le  reste  des 


CH.  V.  LES  ARABES,'  123 

hommes  pendant  les  300  années  qu'ils  furent  les 
maîtres  de  contrées  d'une  nature  essentiellement 
différente  de  celle  des  montagnes  de  l'Arabie. 
Dans  leurs  conquêtes  se  trouvait  comprise  la  plus 
grande  partie  de  la  zone  tempérée  ;  elles  s'éten- 
daient depuis  les  Indes  jusqu'à  l'Océan  atlantique 
et  couvraient  un  plus  vaste  espace  de  territoire 
que  n'en  possédèrent  jamais  les  Romains,  ces  pré- 
tendus maîtres  du  monde.  La  durée  de  leur  do- 
mination et  l'étendue  de  leurs  conquêtes  auraient 
altéré  les  mœurs  de  tout  autre  peuple;  mais  au 
pays  de  Shinar  ou  dans  les  vallées  de  l'Espagne, 
sur  les  bords  du  Tigre  ou  sur  ceux  du  ïage, 
dans  l'Arabie  heureuse  ou  dans  l'Arabie  pétrée , 
les  enfants  d'Ismaël  ont  toujours  conservé  le 
caractère  que  leur  donnent  les  prophètes  ;  ils 
ont  toujours  été  un  peuple  nomade  sinon  «  sau- 
ce vage  ;  leur  main  a  été  levée  contre  tous.  » 

Les  marques  frappantes  de  la  vérité  de  la  pro- 
phétie ne  sauraient  être  mieux  présentées  que 
dans  ce  passage  d'un  voyageur  judicieux  qui  ve- 
nait de  visiter  un  camp  arabe  : 

tf  En  calculant  au  plus  bas,  dit  Porter,  il  doit  y 
avoir  aujourd'hui  plus  de  3000  ans  que  ce  peuple 
a  les  mêmes  mœurs  et  les  mêmes  usages;  vérifiant 
ainsi  en  tous  points  ce  qui  avait  été  prédit  à  Is- 
maël  le  jour  de  sa  naissance,  qu'il  serait  dans  sa 
postérité  un  homme  farouche,  et  que  ses  descen- 
dants ne  perdraient  jamais  ce  caractère ,  quoique 
habitant  pour  toujours  en  présence  de  leurs  frè- 
res ^^  Qu'un  peuple  spirituel  et  actif,  environné 
depuis  tant  de  siècles  de  nations  policées  et  qui 
jouissent  de  toutes  les  douceurs  et  de  tout  le  luxe 

(25)  Les  Juifs,  les  Edomites,  les  Moabites,  les  Ainalékiles  et  les 
Amiîionites  étaient  en  réalité  les  frères  des  Arabes,  puisqu'ils  des- 
cendaient comme  eux  d'Abraham  ainsi  que  toutes  les  nations  voi- 
s  nés. 


124  Li:S  AUABES.  cil.  V. 

dv  lacnilisalioii,  soil  encore  de  nos  jour  s  tel  qu'il 
s'esl  nu)nlré  dès  sa  foruialion,  un  i)eu|)le  sauvage, 
liahilanl  il  la  vue  de  tous  ses  IVères  (car  nous  pou- 
vons donner  ce  nom  à  ses  voisins);  (|ue  rien  n'ait 
j)u  ni  le  subjuguer  ni  le  changer;  il  y  a  là  en  effel 
un  miracle  permanent,  un  de  ces  faits  mystérieux 
<(ui  établissent  la  vérité  de  la  prophétie^^  » 

Des  découvertes  récentes  ont  aussi  révélé  Texis- 
tence  et  la  conservation  miraculeuse  d'une  race 
moins  nombreuse,  mais  non  moins  intéressante, 
et  formant  un  peuple  distinct  des  Arabes;  d'une 
plante  qui  s'est  élevée  a  l'ombre  du  majestueux 
cèdre  d'Israël ,  mais  qui  était  destinée  à  fleurir 
longtemps  après  que  cet  arbre  orgueilleux  aurait 
été  renversé  sur  la  terre  ^^  «  Ainsi  a  dit  l'Eternel 
«  des  armées,  le  Dieu  d'Israël  :  Il  n'arrivera  jamais 
c(  qu'il  n'y  ait  quelqu'un  appartenant  à  Jéhonadab, 
«  fils  de  Réchab,  qui  assiste  devant  moi  tous  les 
ex  jours ^^  »  Les  Beni-Réchab,  enfants  de  Réchab, 
existent  encore  et  forment  un  peuple  distinct  et 
iacîle  à  reconnaître.  Ils  se  glorifient  de  leur-  des- 
cendance de  Réchab,  professent  le  judaïsme  pur 
et  savent  tous  l'hébreu.  Cependant  ils  vivent  dans 
les  environs  de  la  Mecque,  principal  siège  du  ma- 
hométisme,  et  l'on  porte  leur  nombre  à  soixante 
mille.  Ce  qu'en  a  rapporté  Benjamin  Tudela ,  au 
douzième  siècle  ^^,  a  été  récemment  confirmé  par 
M.  Wolf;  et ,  ainsi  qu'il  l'a  vu  lui-niême,  ainsi  que 
le  lui  a  dit  un  intrépide  cavalier  réchabite  :  «  Il 
((  y  a  toujours  quelqu'un  qui  assiste  devant  le  Sei- 
((  gneur  comme  fils  de  Réchab.  » 

(20)  Sir  R.  K.  Porter,  1. 1,  p.  304.— (27)  Quarterly  Review,  n  '  75. 
(28)  Jérémie,  XXXV,  J9.  —  (29)  Hist,  de  Basnage, 


en.  VI.  ESCLAVAGE  DES  AFRICAINS.  l2 


CHAPITRE  VI. 

ESCLAVAGE  DES  AFPJCAINS.  — COLONIES 
EUROPÉENNES  EN  ASIE. 


Non-seulement  les  ruines  de  différentes  villes 
et  l'état  actuel  de  plusieurs  contrées  attestent 
encore  aujourd'hui  la  vérité  des  prophéties  qui 
les  concernaient ,  mais  de  plus  nous  voyons  s'ac- 
complir sous  nos  yeux  une  autre  prophétie  qui 
date  du  déluge  ^  alors  qu'une  seule  ftimille  com- 
posait le  genre  humain.  Et  comme  le  sort  des 
Juifs  et  des  Arabes  a  confirmé  les  unes  après  les 
autres  les  prédictions  relatives  aux  descen- 
dants d'Isaac  et  d'ismaël,  de  même  certains  faits 
contemporains,  faits  importants  dans  l'histoire  du 
monde ,  confirment  les  prophéties  relatives  aux 
enfants  de  Noé.  Le  manque  de  respect  de  Cham 
pour  son  vieux  père  et  les  égards  que  lui  montrè- 
rent ses  deux  autres  fils  Sem  et  Japhet,  furent  l'o- 
rigine de  la  prédiction  faite  à  leur  postérité,  sans 
que  leur  conduite  soit  assignée  comme  la  cause 
du  sort  réservé  à  leurs  descendants  :  «  Maudit 
«  soit  Canaan,  il  sera  serviteur  des  serviteurs  de 
«  ses  frères.  Béni  soit  l'Eternel ,  Dieu  de  Sem,  et 
«que  Canaan  leur  soit  fait  serviteur.  Que  Japhet 
«  loge  dans  les  tabernacles  de  Sem^^  » 

Quelle  que  soit  cette  cause,  cherchons  la  vérité 
de  la  prophétie  dans  son  accomplissement.  La 
partie  historique  de  la  Bible,  en  décrivant  en  dé- 

(30)  GeiiLse,  IX,  25,  26,  27, 


CH.   VI.  ESCLAVAGE  DES  AFRICAINS.  12() 

tail  les  cîlahlisseinents  respeclifs  des  dc^scendants 
de  Noé,  nous  met  à  même  de  verifier  la  prédiction 
dont  il  vi(Mit  d'être  question,  et  de  nous  assurer  si 
les  postérités  de  Sem,  de  Cham  et  de  Japliet,  par 
(]ui  turcMit  peuplées  les  différentes  régions  delà 
terre,  conservent  encore  le  caractère  qui  leur  est 
attribué  prophétiquement  par  le  patriarche.  «Les 
«  îles  des  nations,  »  ou  pays  situés  au-delk  de  la  Mé- 
diterranée, en  d'autres  termes  les  îles  de  l'Europe 
furent  partagées  entre  les  fds  de  Japhet.  Les  des- 
cendants de  Cham  s'établirent  en  Afrique  et  dans 
la  partie  sud-ouest  de  l'Asie.  «  Les  familles  des 
«  Cananéens  se  sont  dispersées,  et  les  limites  des 
«  Cananéens  furent  depuis  Sidon^*.  »  Tyr  fut  sur- 
nommée la  fille  de  Sidon,  et  Carthage,  la  plus  cé- 
lèbre des  villes  de  l'Afrique,  fut  peuplée  par  une 
colonie  tyrîenne.  Enfin  les  habitations  des  fils  de 
Sem  furent  à  l'est,  c'est-à-dire  en  Asie. 

On  voit  que  le  lot  qui  échut  aux  trois  frères , 
«  selon  leurs  familles  et  leurs  langues ,  leurs  ter- 
«  res  et  leurs  nations ^%  »  est  distinctement  spé- 
cifié. Et  bien  que  ces  différentes  nations  se  soient 
amalgamées  à  la  suite  d'une  série  de  révolutions, 
néanmoins  les  trois  grandes  divisions  de  la  terre 
subsistent  toujours  et  sont  en  la  possession  des 
descendants  respectifs  de  chacun  des  fils  de  Noé. 
Les  premiers  commentateurs  s'accordaient  tous 
à  ce  sujet,  longtemps  avant  l'existence  des  faits 
qui  ont  jeté  le  plus  grand  jour  sur  la  prophétie  en 
question.  Ces  faits,  du  reste,  sont  si  connus  et  d'une 
application  si  facile  que  nous  nous  contenterons 
de  les  indiquer. 

Avant  la  propagation  du  christianisme,  qui  le 
premier  vint  annoncer  la  paix  h  la  terre,  qui  en- 
seigna la  loi  de  l'amour  universel  et  appela  tous 

(31)Gen.,  X,  6,  18. 

(32)  Ibid.,  30,  3J,  32,  —  Voyez  Mède,  Die,  L,  p.  277,  etc. 


127  COLONIES  EUROPÉENNES-EN  ASIE.  CB.  VK 

les  hommes  frères,  ayant  cette  époque  Tesclayage 
était  partout,  et  la  plus  grande  portion  du  genre 
humain  naissait  et  mourait  dans  cet  état.  L'homme 
maintenant  peut  revendiquer  son  droit  de  nais- 
sance. Mais,  bien  que  banni  depuis  longtemps  de 
presque  toute  l'Europe,  l'esclavage  subsiste  tou- 
jours en  Afrique.  C'est,  avant  tous  les  autres,  le 
pays  de  l'esclavage.  Esclaves  chez  eux  et  vendus 
à  l'étranger  comme  esclaves,  les  pauvres  Africains, 
les  descendants  de  Cham,  sont  les  serviteurs  des 
serviteurs,  ou  esclaves  des  autres  hommes.  Ce  fait 
étaittout-k-faiten  dehors  desprévisionshumaines; 
bien  plus,  on  sait  que,  pendant  plusieurs  siècles 
après  l'époque  où  s'arrête  l'histoire  de  l'Ancien 
Testament,  les  habitants  de  l'Afrique  disputèrent 
aux  Romains  l'empire  du  monde.  Mais  Annibal , 
qui  fut  un  moment  presque  le  maître  de  Rome,  fut 
à  la  fin  vaincu,  et  Carthage  dut  subir  son  sort^\ 

«  Dieu  bénira  Japhet  et  celui-ci  logera  dans  les 
«tabernacles  de  Sem.  »  Quelques-uns  des  plus 
doctes  etdesplus  anciens  interprètes  des  prophé- 
ties crurent  voir  l'accomplissement  de  cette  pro- 
phétie dans  les  conquêtes  des  Macédoniens  et  des 
Romains  en  Asie,  et  dans  la  propagation  de  la  vé- 
ritable religion  parmi  les  nations  de  l'Europe,  sui- 
vant la  promesse  de  bénédiction  faite  a  Japhet, 
promesse  qui  se  trouverait  ainsi  vérifiée  dans  un 
sens  métaphorique.  Mais  à  Fépoque  oii  nous  vi- 
vons, il  ne  reste  plus  de  doute  à  cet  égard  et  la 
prophétie  s'est  accomplie  dans  son  sens  littéral. 
Quels  sont  en  effet  les  rapports  qui  existent  actuel- 
lement entre  les  habitants  de  l'Europe  et  de  l'Asie, 
entre  les  descendants  de  Japhet  et  ceux  de  Sem? 
Ne  peut-on  pas  dire  à  la  lettre  que  les  premiers 
vivent  dans  les  tabernacles  des  seconds?  Et  par 
quelle  autre  comparaison  la  simplicité  des  pre-- 

(33)  Livii  HJsL,  lib,  XXVII,  c.  lu 


i2H  COLOMKS  HLKOPKENNES  EN  ASIE.  Cil.  VI. 

micrs  a^osi)onvaif-olle  micMix  dopc^indro  les  nom- 
lueiisrs  vl  vaslos  (^oloiiies  des  liiiiopcMMis  en  Asie? 
C()nd>ien  la  posiérilé  de  Ja[)liel  n'a-t-(»ll(»  pas  été 
ninili|)lié(^  dans  les  reliions  éeliiies  en  ))arta^eàla 
p()slérilé  de  Sem?  Combien  descsaneienncs\illes 
soni  maintenant  en  la  possession  des  enfants  de 
Ja])hci?  Comliien  de  colonies  ceux-ci  n'ont-ils  pas 
fondées  en  Asie.^  tandis  que  les  descendants  de 
Sem  n'occupent  pas  en  maîtres  un  seul  point  de 
l'Europe?  Et,  par  rapport  à  l'Angleterre  et  à 
Fimmense  étendue  de  ses  possessions  en  Asie, 
n'est-il  pas  vrai  de  dire  que  les  habitants  des  «  îles 
des  gentils  vivent  dans  les  tabernacles  de  l'O- 
rient? »  D'oii  pouvait  donc  émaner  une  semblable 
prophétie,  sinon  de  l'inspiration  de  Celui  dont  la 
présence  et  la  prescience  ne  sont  bornées  ni  par 
l'espace  ni  par  le  temps  ? 

Les  prophéties  font  la  révélation  d'événements 
futurs,  sans  jamais  sanctioîuier  en  principe  l'ini- 
quité ou  le  mal.  Les  mauvaises  passions  des 
hommes  accomplissent  les  décrets  de  la  Provi- 
dence, mais  elles  n'en  sont  pas  moins  cr-iminelles, 
bien  qu'elles  tournent  à  la  louange  de  Dieu.  C'est 
c  n  vain  q  ue  l'on  s'appuierait  sur  l'accomplissement 
le  la  prophétie  dont  nous  venons  de  parler  pour 
défendre  ou  justifier  l'esclavage,  ou  le  droit  de 
propriété  de  l'homme  sur  son  semblable.  Nabu- 
chodonozor  fut  le  coupable  instrument  de  la  jus- 
tice divine ,  alors  même  qu'il  ne  croyait  travailler 
cjue  pour  son  intérêt  ou  pour  sa  gloire  personnelle, 
et,  après  avoir  subjugué  un  gi^and  nombre  de  na- 
tions, il  se  vit  chassé  d'entre  les  hommes  et  réduit 
à  aller  vivre  au  milieu  des  bêtes  sauvages.  Jamais 
jugements  ne  furent  plus  clairs  que  ceux  qui  pèsent 
encore  sur  les  Juifs ,  et  cependant  quiconque  les 
blesse,  blesse  la  prunelle  de  son  œil ,  et,  avec  l'an- 
née de  la  miséricorde  pour  Sion,  viendra  le  jour 


€H.  VII.  DESTRUCTION  DE  JERXSALEM.  129 

de  la  vengeance  du  Seigneur;  en  ce  jour  il  entrera 
en  jugement  avec  tous  les  hommes  en  faveur  de 
son  peuple  et  de  son  héritage.  Que  si  de  teîs 
exemples  ne  suffisent  pas  pour  prouver  à  certai- 
nes personnes  qu'elles  interprètent  la  Bible  à  leurs 
risques  et  périls,  en  cherchant  à  justifier  l'escla- 
vage par  le  fait  que  Canaan  fut  le  serviteur  des 
serviteurs  de  ses  frères;  que  ceux  au  moins  qui 
ont  la  prétention  d'invoquer  les  saintes  Ecritures  a 
l'appui  du  droit  de  propriété  qu'ils  s'arrogent  sur 
leurs  semblables  5  que  ceux-là  se  rappellent  que 
bien  que  Jésus-Christ  ait  été  livré  entre  les  niains^ 
de  ses  ennemis  «  selon  la  volonté  déterminée  et 
selon  la  prescience  de  Dieu ,  »  néanmoins  ce  fu- 
«r^nt  les  mains  des  méchants  qui  le  crucifièrent  et 
«le  tuèrent.  C'est  «  d'un  seul  sang  que  Dieu  a  fait 
«naître  tout  le  genre  humain.  »  Et,  si  l'Evangile 
était  mieux  et  plus  généralement  compris,  il  n'y 
aurait  d'autre  lien  parmi  les  hommes  que  celui  de 
la  fraternité  chrétienne. 


CHAPITRE  VII. 

DES  PROPHÉTIES  SUR  LA  DESTRUCTION  DE 

JÉRUSALEM. 


La  république  d'Israël,  depuis  son  commence- 
ment jusqu'à  sa  fin,  exista  pendant  l'espace  de 
plus  de  quinze  cents  ans.  En  donnant  aux  Juifs 
leur  loi ,  Moïse  s'attribua  plus  que  l'autorité 
d'un  législateur  humain  ;  il  déclara  hautement 
qu'il  était  revêtu  d'une  autorité  divine;  et,  après 

6. 


130  DESTRlJCTION   DE  JÉRtJSAÎ.ÈM.  (Al.  VU* 

avoir  conduil  los  dix  Iribiis  jusqu'anx  frontières 
du  pays  do  Canaan,  il  assura  que  la  bénédielion 
céleste  accompagnerait  leur  soumission  à  cette  loi, 
et  prédit  des  jugements  sévères  contre  ceux  qui 
oseraient  l'enfreindre. 

L'histoire  des  Juifs  témoigne  en  faveur  de  la 
vérité  de  cette  prophétie  faite  par  le  premier  de 
leurs  conducteurs,  mais  il  faudrait,  pour  élucider 
ce  fait,  entrer  dans  trop  de  détails.  Heureu- 
sement cette  histoire  contient  des  prédictions  qui, 
en  s'appliquant  à  des  événements  plus  récents, 
n'admettent  aucune  interprétation  ambiguë  et  se 
rapportent  k  des  faits  historiques  aussi  positifs  que 
remarquables.  Celui  qui  fonda  le  gouvernement 
des  Israélites  annonça ,  malgré  le  cours  de  tant 
de  siècles,  quelle  serait  sa  fin.  Lorsqu'ils  erraient 
dans  le  désert,  sans  villes  et  sans  domiciles,  il  les 
menaça  de  la  ruine  de  leurs  villes,  de  la  dévas- 
tation de  leur  contrée.  Ils  contemplaient  pour  la 
première  fois  la  terre  de  Canaan  ;  triomphants  et 
victorieux,  ils  allaient  en  devenir  possesseurs,  que 
déjà  il  leur  montrait  la  scène  de  désolation  qu'elle 
présenterait  à  leur  postérité  vaincue  et  esclave. 
Avant  qu'ils  y  fussent  eux-mêmes  entrés ,  en  en 
chassant  les  habitants,  il  leur  parle  de  ces  enne- 
mis qui  devaient  subjuguer  et  disperser  leurs  des- 
cendants, quoiqu'ils  dussent  venir  d'une  partie 
éloignée  du  globe  et  ne  paraître  sur  la  scène  que 
plus  de  mille  ans  plus  tard.  «  L'Éternel  fera  lever 
«  contre  toi  de  loin  au  bout  de  la  terre  une  nation 
«  qui  volera  comme  vole  l'aigle  ;  une  nation  dont  tu 
«  n'entendras  point  la  langue  ;  une  nation  fière  qui 
c(  n'aura  point  égard  au  vieillard,  qui  n'aura  point 
«  pitié  de  l'enfant.  Elle  mangera  tes  fruits  et  tes 
«  bêtes,  et  les  fruits  de  ta  terre,  jusqu'à  ce  que  tu 
«  sois  exterminée;  elle  ne  te  laissera  rien  de  reste, 
«  ni  fromage,  ni  vin,  ni  huile,  ni  aucune  portée  de 


CH.  VII.  DESTRUCTION  DE  JÉRUSALEM.  131 

«  tes  vaches^  nibrebis  de  ton  troupeau^  jus€j[u'k  ce 
«  qu'elle  t'ait  ruinée  ;  et  elle  t'assiégera  dans  toutes 
«  tes  villes  jusqu'à  ce  que  tes  murailles  les  plus 
«  hautes  et  les  plus  fortes,  sur  lesquelles  tu  te  seras 
«  assurée  dans  tout  ton  pays,  tombent  par  terre '\  « 

Chaque  partie  de  cette  prophétie  a  reçu  son 
entier  accomplissement.  Comment  dépeindre  en 
termes  plus  exacts  la  situation  lointaine  des 
Romains  ?  la  rapidité  de  leur  marche ,  leur  lan- 
gue inconnue,  leur  air  martial,  leur  cruauté,  et 
le  pillage  qu'ils  exercèrent  sur  les  personnes  et  les 
possessions  des  Juifs?  Vespasien,  Adrien  et  Jules 
Sévère  transportèrent  une  partie  de  leur  armée 
de  la  Grande-Bretagne  à  la  Palestine ,  les  deux 
extrémités  de  l'empire  romain.  Des  aigles  surmon- 
taient leurs  étendards,  et  ils  marchèrent  avec 
ia  plus  grande  célérité  à  la  réduction  de  la  Judée. 
C'était  une  nation  à  la  physionomie  farouche  ;  race 
entièrement  distincte  des  troupes  efféminées  de 
l'Asie.  A  Gadare  et  à  Samale,  dans  plusieurs  en- 
droits de  l'empire  romain,  et  plusieurs  fois  à  Jé- 
rusalem même,  les  Juifs  furent  passés  au  fil  de 
répée,  sans  égard  à  l'âge  ou  au  sexe.  Les  habitants 
furent  rendus  esclaves  et  bannis;  toutes  leurs  pos- 
sessions furent  confisquées,  etle  royaume  d'Israël, 
d'abordhumiliéjusqu'à  devenir  province  romaine, 
finit  par  être  la  propriété  particulière  de  l'empe- 
reur. Chaque  ville  de  la  Judée  fut  assiégée,  prise 
et  saccagée,  et  toutes  ses  hautes  forteresses  furent 
détruites. 

Mais  le  prophète  continue  encore  à  raconter 
des  détails  qui  font  horreur  à  l'humanité ,  et  qui 
indiquent  le  plus  haut  degré  de  misère  et  de 
dégradation,  le  dernier  excès  de  la  famine  ou  du 
désespoir  :    l'homme  aurait -il  jamais  pu  pré- 

(3AjDent.,  XXVIII,  49-52. 


''>2  ï>i:srru cTïON  i)K  jKULSALKM.        cil.  vu. 

iWrv   (le  lelles  scènes?    u  Tu  man^^ciras  durant 
«  le  sièf,^(î,  el  dans  rextréniité  oii  Ion  (Mnienii  te 
«  redniia,  le  (Vnit  de  ton  venire,  la  eliair  de  tes 
c(  Ills  et  de  tes  lilies,  que rEteinel  ton  Dieu  t'aura 
c(  donnés;  riiomme  le  plus  tendre  et  le  plus  déli- 
«  eat  d'enlre  vous  rej^^ardera  d'un  œil  d'envie  son 
((  fîèie,  sa  femme  bien-aimée,  et  le  reste  de  ses 
«  enfants  qu'il  aura  réservés  pour  ne  donner  k 
«aucun  d'eux  de  la  chair  de  ses  enfants,  qu'il 
c(  mangera ,  parcequ'il  ne  lui  sera  rien  demeuré 
«  du  tout  à  cause  du  siège  et  de  l'extrémité  où  ton 
«  ennemi  te  réduira  dans  tes  villes;  la  plus  tendre 
«  et  la  plus  délicate  d'entre  vous,  qui  n'aura  point 
((  essayé  de  mettre  la  plante  de  son  pied  par  terre, 
«  par  délicatesse  et  par  mollesse ,  regardera  d'un 
«œil  d'envie  son  mari  bien-aimé,  son  fils  et  sa 
«  fille,  et  la  taie  de  son  petit  enfant  qui  sortira 
«  d'entre  ses  pieds ,  et  les  enfants  qu'elle  enfan- 
a  tera;  car  elle  les  mangera  secrètement  dans  la 
«  disette  où  elle  sera  de  toutes  choses  à  cause  du 
(-<  siège  et  de  l'extrémité  où  ton  ennemi  te  réduira 
«  dans  toutes  tes  villes  "^  »—  Six  cents  aYis  après 
cette  prédiction,  Samarie,  alors  la  capitale  d'Is- 
raël.^ était  assiégée  par  toute  l'armée  du  roi  de 
Syrie.  La  plus  mauvaise  ,  la  plus  vile  nourriture 
fut  vendue  à  un  prix  exorbitant,  «  et  la  tête  d'un 
âne   coûtait   80  pièces    d'argent  ^\  »    Lorsque 
Nabuchodonozor  assiégea  Jérusalem,  il  y  eut  une 
famine  dans  toute  la  ville ,  et  le  pain  manquait 
pour  les  habitants   du  pays.   Josèphe   raconte 
les   affreuses   souffrances  des  Juifs  pendant  le 
dernier    siège   qu'ils   soutinrent    avant  la  des- 
truction finale  de  leur  ville.  La  faim  maîtrisait 
tous  les  sentiments  de  l'humanité,  et  ce  qui  avait 
été  un  objet  de  respect  en  devint  un  de  mépris. 

(35)  Dent.,  XXVIII,  53-57.  —  (36)  Il  Rois,  VI,  25. 


CH.  VU.  DESTRUCTION  DE  JÉRUSALEM.  133 

Des  enfants  arrachaient  la  nourriture  de  la  bou- 
che de  leurs  pères;  et  des  mères  mêmes^  impo- 
sant silence  à  la  voix  de  la  nature,  étaient  de  la 
bouche  de  leurs  enfants  mourants  le  dernier  sou- 
tien de  leur  vie  ;  dans  chaque  maison  où  il  restait 
la  moindre  substance  nutritive ,  il  s'élevait  d'af- 
freuses disputes  5  et  les  plus  proches  parents 
s'arrachaient  le  plus  petit  moyen  d'existence  ^^ 
Il  ajoute  des  détails  horribles;  les  menaces 
du  prophète  inspiré  ne  se  trouvent  que  trop  af- 
freusement accomplies 5  lorsque  l'historien  conti- 
nue à  raconter  qu^l  terrible  accord  deux  femmes 
de  Samarie  firent  entre  elles  ;  accord  qui  réalisait 
les  paroles  de  Jérémie,  lorsque ,  pleurant  sur  les 
misères  du  siège  qui  eut  lieu  de  son  temps,  il  dit  : 
«  Les  mains  des  femmes  naturellement  pitoyables 
«  ont  fait  cuire  leurs  enfants,  qui  leur  ont  servi 
«  de  viande  dans  la  ruine  de  la  fille  de  mon  peu- 
«  pie.  »  Josèphe  parle  d'une  dame  noble  qui  tua 
de  ses  propres  mains  et  mangea  en  secret  son 
nouveau-né  (fait  qui  remplit  même  d'horreur  toute 
la  ville),  sans  que,  par  ces  faits,  l'historien  profane 
fasse  allusion  à  la  vérité  des  prophéties  de  l'An- 
cien Testament.  Or,  quand  des  événements  si 
bien  constatés,  d'une  nature  si  singulière  et  si 
frappante,  ont  été  prédits  plusieurs  siècles  avant 
leur  accomplissement ,  il  est  impossible  qu'ils 
aient  été  révélés  autrement  que  par  l'inspiration 
de  Celui  qui  prévoit  la  fin  de  toutes  les  iniquités 
delà  terre. 

Moïse  et  d'autres  prophètes  ont  aussi  annoncé 
que  les  Juifs  resteraient  en  petit  nombre  dispersés 
parmi  les  nations,  qu'ils  seraient  tués  devant  leurs 
ennemis ,  que  l'orgueil  de  leur  puissance  serait 
abaissé,  que  leurs  villes  seraient  saccagées,  qu'el- 

(37)  Jostphe,  De  bello,  1.  V,  c.  x,  §  3;  — VI,  c.  nr,  §  3-/i. 


134  DESTRUCTION  DE  JÉIUJSALEM.  CU.  VU. 

les  seraient  détruites  et  sapées  jusqu'à  leurs  fon- 
dements; qu'ils  seraient  tirés  de  leur  pays,  vendus 
pour  esclaves ,  et  que  personne  ne  voudrait  les 
acquérir;  que  leurs  autels  seraient  désolés  et  que 
leurs  os  seraient  dispersés  autour  de  leurs  autels; 
que  des  nations  étrangères  camperaient  autour  de 
Jérusalem  5  l'assiégeraient  avec  des  tours  et  dres- 
seraient contre  elle  des  forts  ;  qu'elle  serait  labou- 
rée comme  un  champ;  qu'elle  serait  réduite  en 
monceaux;  que  la  lin  viendrait  sur  eux,  et  que 
l'Eternel  les  jugerait  selon  leurs  voies ,  et  qu'il  les 
récompenserait  selon  leurs  abominations  ;  au  de- 
hors l'épée  5  en  dedans  la  peste  et  la  famine.  — 
«  Celui  qui  sera  aux  champs  mourra  par  l'épée, 
«  et  la  famine  et  la  mortalité  dévoreront  celui  qui 
«  sera  dans  la  ville^\  »  — Les  prédictions  relatives 
au  siège  et  à  la  destruction  de  Jérusalem ,  rap- 
portées dans  le  Pentateuque  et  dans  les  pro- 
phéties suivantes ,  s'accordent  avec  la  prophétie 
détaillée  que  fait  Jésus-Christ  du  même  événe- 
ment. L'étendue  de  cet  écrit  ne  nous  permet 
pas  d'entrer  dans  tous  ces  détails;  mais  ce  sujet  a 
été  fréquemment  discuté  avec  habileté,  et  cette 
prédiction  est  si  parfaitement  en  accord  avec  le 
témoignage  incontestable  d'historiens  impartiaux, 
qu'il  nous  suffira,  pour  élucider  cette  vérité,  de 
comparer  la  description  prophétique  aux  faits  de 
Thistoire  elle-même  ^^ 

Outre  de  fréquentes  allusions  dans  ses  dis- 

(38)  Lév.,  XXVI,  30,  etc.  —  Deut.,  XXVIII,  62,  etc  —  Esaïe, 
XXIX,  3.  — Ezéchiel,  VI,  5.  —  Michée,  III,  12.  —  Jérémie,  XXVI, 
48.  —  Ezéchiel ,  VII,  7-9,  15. 

(39)  «  Les  écrivains  chrétiens  ont  toujours  et  avec  raison  considéré 
rHîs!oire  de  Judée  de  José  plie  comme  le  meilleur  commentaire  sur 
le  ch.  XXIV  de  S.  Mattb.  Plusieurs  même  d'entre  ces  écrivains  ont  cru 
que  la  Providence  avait  montré  un  soin  merveilleux  pour  T Église 
dirétienne,  en  permettant  que  des  faits  si  importants,  et  qui  cor- 
respondent si  exactement  avec  presque  toutes  les  parties  de  cette 


en.  vu.  DESTRUCTION  DE  JÉRUSALEM.  135 

cours  et  dans  ses  paraboles  ^^  au  sort  futur  de 
Jérusalem,  les  prédictions  de  Christ  sont  rap- 
portées en  entier  par  trois  des  évangélistes.  Il  n*y 
a  que  l'apôtre  Jean  qui  omette  de  les  transcrire; 
aussi  est-il  le  seul  dont  le  témoignage ,  d'après 
répoque  où  il  vécut,  eût  pu  paraître  suspect.  Ces 
prophéties  furent  données  aux  disciples  de  Christ 
en  réponse  aux  questions  qu'ils  lui  adressaient, 
dans  la  frayeur  et  la  surprise  que  leur  causait  sa 
prédiction  de  la  destruction  du  temple.  «  Quand 
«ces  choses  arriveront-elles?  »  —  «A  quel  signe 
«  reconnaîtrons-nous  que  la  fin  du  monde  appro- 
«che?  »  La  réponse  comprend  toute  la  portée  de 

touchante  et  noble  prophétie,  nous  fussent  transmis  par  un  témoin 
oculaire  de  l'histoire  qu'il  a  écrite,  par  un  homme  dont  le  témoi- 
gnage en  ces  choses  est  du  plus  grand  poids.  ^XDoddrige's  Family • 
Expositor,)  Jamais  peut-être  écrivain  n'a  été  plus  souvent  cité  au 
sujet  du  fait  dont  nous  nous  occupons  ;  et  son  Histoire  des  guerres 
des  Romains  contre  les  Juifs  est,  depuis  plusieurs  siècles,  le  flambeau 
à  la  lueur  duquel  TÉglise  chrétienne  se  plaît  à  expliquer  les  pro- 
phéties qui  ont  rapport  à  la  destruction  de  Jérusalem.  Ces  prophé- 
ties ont  été  citées  et  expliquées  par  Eusèbe,  il  y  a  plus  de  1500  ans, 
1.  IV,  ch.  v-ix,  p.  92-102,  édit.  Cantab.,  1720.  Après  avoir  décrit, 
d'après  les  v®  et  vi®  livres  deriiistoiredelosèphe,  les  horribles  souf- 
frances que  les  Juifs  eurent  à  endurer  pendant  le  siège ,  il  ajoute 
avec  raison  qu'on  ne  saurait,  en  comparant  les  paroles  de  Jésus- 
Christ  avec  le  récit  de  Josèphe,  s'empêcher  d'admirer  la  merveilleuse 
prescience  de  Jésus-Christ,  et  d'avouer  que  sa  prophétie  au  sujet 
de  Jérusalem  est  vraiment  miraculeuse  et  divine.  Le  sujet  dont 
nous  nous  occupons  a  été  l'objet  de  recherches  si  multipliées  et  si 
nombreuses  que  nous  posons  en  fait,  comme  nous  l'avons  dit  dans 
toutes  les  éditions  de  cet  ouvrage ,  qu'il  n'est  pas  un  seul  chrétien, 
quelque  peu  studieux  et  au  fait  de  la  matière,  qui  ne  pût  facilement, 
à  l'aide  des  écrits  d'auteurs  anciens  ou  modernes,  former  un  vo- 
lume de  faits  à  l'appui  des  mêmes  prédictions  et  puisés  aux  mêmes 
sources.  Parmi  les  auteurs  à  consulter,  nous  nous  contenterons  de 
dter  Eusèbe,  Grotius,  Tillemont,  Jackson,  Poole,  Patrick,  Tillotson, 
Whitby,  Abbadie ,  Whiston ,  Doddrige ,  Pearce ,  Bishop  Newton, 
Lardner,  etc.  Josèphe  seul  a  fourni  à  ce  dernier  150  citations.  l\  est 
tel  fait  à  l'appui  duquel  Doddrige  et  plusieurs  autres  écrivains 
nomment  Josèphe,  Tacite,  Suétone  et  Eusèbe  ;  et  c'est  à  ces  sources 
que  nous  nous  sommes  empressés  de  puiser. 

(40)  Matt.,  XXI,  18, 19, 33-44;  XXII,  1-7;  XXV,  14-30.— Marc,  XI, 
12, 20,  etc.  —  Luc,  XIII,  6, 9;  XIV,  16,  24;  XX^  9, 18;  XXIII,  27,  31 . 


136  DESTRLCTIOIN  DE  JERUSALEM.  Cil.   VU. 

la  demande  et  est  également  eireoustaiieiée^dis- 
tliiete  et  elaire.  La  mort  de  (Christ  arriva  37  ans 
avant  la  destrnetion  de  Jérusalem.  D'après  le  té- 
moij^nai^e  unanime  de  l'antiquité,  les  trois  évan- 
}>iles  furent  publiés,  et  deux  des  évangélistes 
étaient  morts ,  plusieurs  années  avant  cet  évèniv 
ment.  Les  évangiles  furent  répandus  avec  une 
telle  rapidité  et  à  une  si  grande  étendue,  que  les 
ennemis  nombreux,  puissants  et  attentifs  du 
Christ  auraient  bientôt  découvert  toute  apparence 
de  fraude,  et  l'évidence  de  la  publicité  déjà  don- 
née aux  évangiles  était  si  forte  que  ni  Julien  ,  ni 
Porphyre,  ni  Celse  ne  pensèrent  h  la  contester. 
L'authenticité  de  la  prophétie  repose  donc  sur  un 
terrain  sûr,  et  les  faits  par  lesquels  son  accomplis- 
sement est  démontré  sont  incontestables.  Josèphe 
était  un  des  généraux  les  plus  distingués  au  com- 
mencement de  la  guerre  des  Juifs;  il  avait  été 
témoin  des  faits  qu'il  rapporte;  il  en  appelle  à 
Vespasien  et  à  ïite  pour  rendre  témoignage  à  la 
vérité  de  son  histoire ,  elle  reçut  même  la  singu- 
lière attestation  de  ce  dernier  :  elle  fut  publiée 
au  moment  où  les  faits  étaient  encore  récents  et 
notoires,  et  le  soin  extrême  avec  lequel  il  évite 
de  mentionner  le  nom  de  Christ ,  dans  l'histoire 
de  la  guerre  des  Juifs,  n'est  pas  moins  remarqua- 
ble que  la  grande  précision  avec  laquelle  il  décrit 
les  événements  qui  vérifient  ses  prédictions.  Ta- 
cite, Philostrate  et  Dion  Cassius  racontent  aussi 
plusieurs  de  ces  faits. 

Les  diverses  prophéties  de  Christ  sur  Jérusa- 
lem peuvent  être  rassemblées  ainsi  qu'il  suit  : 

«Comme  Jésus  sortait  du  temple  et  qu'il  s'en 
«  allait ,  ses  disciples  vinrent  pour  lui  faire  cousi- 
ez dérer  les  bâtiments  du  temple,  et  Jésus  leur  dit  : 
«  Ne  voyez-vous  pas  tout  cela?  Je  vous  dis  en  Yé- 
«  rite  qu'il  ne  restera  pas  pierre  sur  pierre  qui  ne 


en.  Vil.  DESTUUCTION  DE  JÉRUSALEM.  137 

«  soit  renversée.  Et  s'étant  assis  sur  la  montagne 
«  des  Oliviers,  ses  disciples  vinrent  a  lui  en  parti- 
«  culier  et  lui  dirent  :  Dis-nous  quand  ces  choses 
«  arriveront,  etquelsera le  signe  detonayènement 
«  et  de  la  fin  du  monde?  « — «  Et  Jésus  répondant 
«  leur  dit  :  Prenez  garde  que  personne  ne  vous 
«séduise,  car  plusieurs  viendront  en  mon  nom, 
^^  disant  :  JesuisleClirist,etilsséduirontbeaucoup 
«  de  gens.  Vous  entendrez  parler  de  guerres  et 
«  de  bruits  de  guerre  ;  prenez  garde  de  ne  vous 
«  pas  troubler,  car  il  faut  que  toutes  ces  choses 
«  arrivent;  mais  ce  ne  sera  pas  encore  la  fin.  Car 
«  une  nation  s'élèvera  contre  une  autre  nation  et 
«  un  royaume  contre  un  autre  royaume ,  et  il  y 
«  aura  des  famines,  des  pestes,  des  tremblements 
«  de  terre  en  divers  lieux  ;  mais  tout  cela  ne  sera 
«qu'un  commencement  de  douleurs.  Alors  ils 
«  vous  livreront  aux  tribunaux  et  aux  synagogues, 
«  vous  serez  fouettés  et  vous  serez  présentés  de- 
«  vaut  les  gouverneurs  et  devant  les  rois,  à  cause 
«  de  moi.  Mais  il  ne  se  perdra  pas  un  cheveu  de 
«  vos  têtes.  Car  de  faux  prophètes  s'élèveront  et 
«séduiront  beaucoup  de  gens;  etparceque  l'ini- 
«  quite  sera  multipliée,  la  charité  de  plusieurs  se 
«  refroidira.  Cet  évangile  du  royaume  de  Dieu 
«sera  prêché  par  toute  la  terre,  et  alors  la  fin 
«arrivera.  Et  quand  vous  verrez  Jérusalem  en- 
«vironnée  par  les  armées,  quand  vous  verrez 
«  l'abomination  qui  cause  la  désolation  établie  où 
«  elle  ne  doit  pas  être,  alors  que  ceux  qui  seront 
«  dans  la  Judée  s'enfuient  sur  les  montagnes ,  que 
«  ceux  qui  seront  au  milieu  d'elle  se  retirent.  Et 
«  que  celui  qui  sera  sur  la  maison  ne  descende 
«  point  dans  la  maison  et  n'y  entre  point  pour  s'ar- 
«  rêter  à  en  emporter  quoi  que  ce  soit.  Et  que  ceux 
«  qui  seront  à  la  campagne  n'entrent  point  dans 
«la  ville,  car  ce  seront  alors  les  jours  de  la  ven~ 


138  DESTIUCTION  DE  JÉRUSALEM.  CU.  Vil. 

«  geance.  Malheur  aux  femmes  qui  seront  enceia- 
«  tes  et  à  celles  qui  allaiteront  en  ces  jours-là  !  car 
tt  il  y  aura  une  grande  calamité  sur  ce  pays ,  et  une 
«  grande  colère  sur  ce  peuple.  Ils  tomberont  sous 
«  le  tranchant  de  Tépée  et  ils  seront  menés  captifs 
«parmi  toutes  les  nations.  Car  il  y  aura  en  ce 
a  jour-là  une  telle  afiliction  que ,  depuis  le  com- 
«  mencement  de  la  création  de  toutes  choses  jus- 
«  qu'à  maintenant  ^  il  n'y  en  a  point  eu  et  qu'il  n'y 
«  en  aura  jamais  de  semblable.  Et  Jérusalem 
«sera  foulée  par  les  nations ^  jusqu'à  ce  que 
«les  temps  des  nations  soient  accomplis.  Cette 
«  génération  ne  passera  point  que  toutes  ces  choses 
<i  n'arrivent^*'.» 

«  Malheur  à  vous ,  scribes  et  pharisiens  hypo- 
«  crites  !  vous  achevez  de  combler  la  mesure  de 
«  vos  pères  !  Voici  5  je  vous  envoie  des  prophètes, 
a  des  sages  et  des  scribes;  vous  fouetterez  les  uns 
«dans  vos  synagogues  et  vous  les  persécuterez 
«de  ville  en  ville;  toutes  ces  choses  viendront 
«  sur  cette  génération.  O  Jérusalem  !  Jérusalem  ! 
«qui  tues  les  prophètes  et  qui  lapides- ceux  qui 
«te  sont  envoyés!  combien  de  fois  ai-je  voulu 
«rassembler  tes  enfants  comme  une  poule  ras- 
oc  semble  ses  poussins  sous  ses  ailes  !  et  vous  ne 
«l'avez  pas  voulu.  Voici,  votre  demeure  va  de- 
«  venir  déserte;  car  je  vous  disque  désormais 
«vous  ne  me  verrez  plus,  jusqu'à  ce  que  vous 
«disiez  :  Béni  soit  celui  qui  vient  au  nom  du 
«  Seigneur^^  Et  lorsqu'il  fut  proche  de  la  ville, 
«  en  la  voyant ,  il  pleura  sur  elle  et  dit  :  Oh  !  si  tu 
«  avais  reconnu ,  au  moins  en  ce  jour  qui  t'est 
«  donné,  les  choses  qui  regardent  ta  paix  !  Mais 
«  maintenant  elles  sont  cachées  à  tes  yeux  ;  car 
«  les  jours  viendront  sur  toi  que  tes  ennemis  t'en- 

(41)  MaU.,  XXI V.  —  Marc,  XIII.  —  Luc,  XXL 

(42)  Matt.,  XXIII,  29,  32,  34,  36-39. 


CH.  VU.  DESTRUCTION  DE  JERUSALEM.  139 

«  vironneront  de  tranchées  et  t'enfermeront  de 
«toutes  parts 5  et  ils  te  détruiront  entièrement, 
«  toi  et  tes  enfants  qui  seront  au  milieu  de  toi,  et 
a  ils  ne  te  laisseront  pierre  sur  pierre ,  parceque 
«  tu  n'as  point  connu  le  temps  auquel  tu  as  été 
«  visitée  ^^» 

Ces  prophéties  tirées  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament  sont  également  claires  et  détaillées. 
L'histoire  peut  affirmer  la  vérité  de  toutes  en  gé- 
néral et  de  chacune  en  particulier,  et  il  suffit 
d'en  faire  une  récapitulation  pour  avoir  une 
complète  enumeration  des  faits. 

De  faux  Christs  parurent .  Simon  le  Magicien  pré- 
tendit être  «  un  grand  personnage.  »  Dosilhe ,  le 
Samaritain,  se  vanta  d'être  le  grand  législateur 
que  Moïse  avait  annoncé.  Henaas,  par  la  pro- 
messe d'accomplir  un  miracle ,  entraîna  avec  lui 
une  assez  grande  multitude  sur  les  rives  du  Jour- 
dain et  en  séduisit  plusieurs ^\  Le  paysétait  rempli 
d'imposteurs  et  de  séducteurs  qui  cherchaient  à 
emmener  des  multitudes  dans  les  déserts;  leur 
crédulité  fut  la  punition  de  leur  incrédulité  pre- 
mière, et,  pendant  un  moment,  le  tumulte  qu'ils 
firent  fut  si  grand  que  les  soldats  prirent  deux 
cents  prisonniers  et  en  tuèrent  deux  fois  autant. 

«  Vous  entendrez  parler  de  guerres  et  de  bruits 
a  de  guerres;  une  nation  s'élèvera  contre  une 
<i  autre  nation,  et  un  royaume  contre  un  autre 
a  royaume.  »  Les  Juifs  se  refusèrent  à  ériger  une 
statue  à  Caligula  dans  le  temple  ;  et  telle  fut  la 
crainte  qu'inspira  la  vengeance  des  Romains  que 
les  champs  restèrent  sans  culture^".  ACésarée,  les 
Juifs  et  les  Syriens  se  disputèrent  pour  obtenir  le 

M)  Luc,  XIX,  41-44. 

44)  Josèphe,  Ant.  L  XX,  c,  v,  §1;  1.  XX,  c  vin,  §  5.  —  Grolius. 
;45)  Josèphe,  Debello,  1.   II,   c,  xviii,  §  i,  2.  •— Tillotson. 
—  Newton. 


I  iO  DESTRUCTION  DE  JÉiU  SALEM.  Cil.  VH. 

conimaiuleniont  de  la  \ille.  On  y  mit  à  mort 
SOjOOO  Juifs  et  l'on  exila  le  reste ^^  La  nation  juive 
se  révolta  eontre  les  Romains;  l'Italie  était  boule- 
versée par  les  guerres  civiles;  pour  donner  une 
preuve  de  la  turbulence  et  de  l'esprit  guerrier  de 
cette  épocpie,  dans  le  court  espace  de  deux  ans, 
quatre  empereurs,  Néron,  Galba,  Otlion  et  Vitel- 
lius,  furent  mis  k  mort. 

«  Il  y  aura  des  famines,  des  pestes,  des  trem- 
«  blements  de  terre  en  divers  lieux.  »  Pendant  le 
règne  de  Claude  César,  il  y  eut  plusieurs  famines. 
Elles  continuèrent  d'aftliger  la  Judée  pendant 
quelques  années.  La  peste  les  suivit  cle  près. 
Durant  ce  même  règne ,  il  y  eut  des  tremble- 
ments de  terre  à  Rome,  k  Apamé  et  en  Crète.  Sous 
le  règne  de  Néron,  il  y  eut  un  tremblement  de 
terre  en  Campanie,  et  un  autre  qui  détruisit  Lao- 
dice,  Théirapoiis  et  Colone,  et  plusieurs  autres  eu- 
rent lieu  en  divers  endroits  avant  la  destruction 
de  la  ville  de  Jérusalem^^  Le  cours  de  la  nature 
fut  changé,  dit  Tliistorien  juif,  pour  opérer  la 
destruction  de  riiomme,  et  Ton  peut  facilement 
croire  que  de  tels  prodiges  n'étaient  point  destinés 
k  présager  des  calamités  ordinaires. 

«  Et  il  paraîtra  des  choses  épouvantables  et  de 
«grands  signes  dans  le  ciel.  »  Tacite  et  Josèphe 
s'accordent  pour  raconter  des  événements  telle- 
ment surprenants  et  surnaturels  que  leur  récit 
vérilie  parfaitement  la  précédente  prédiction  ^^ 
Et  l'on  ne  peut  pas  nier  le  fait  que  partout  oii  l'on 
apercevait  ces  prodiges,  les  hommes  étaient  con- 
vaincus qu'ils  étaient  en  effet  des  avertissements 

(46)  Josèphe,  De  bello,  1.  II,  c.  18,  §§  4,  2,  7,  8,  ;  c.  xx,  $  2. 

(47)  Ibid.,  IV,  c.  IV.  —  Suet.,  Vit.  Claud.,  c.  xviii.  —  Tac,  Ami,, 
1.  XII,  XIV.  —  Grotius,  etc. 

C4'S)  «  Eveiierunt  prodigia,  quœ  neque  hostiis,  neque  votis  piare 
fas  habet  gens  superstitioni  obnoxia,  religionibus  advcrsa.  Visée  per 
cœlum  concurrere  acies,  rutilaiilia  arma,  et  subito  nubium  igné 


CH.  VU.  DESTRUCTION  DE  JÉRUSALEM.  141 

du  ciel.  Voilà  encore  ce  que  Tliomme  n'aurait  pu 
prévoir.  Il  y  a  certes  quelque  chose  d'extraordi- 
naire dans  cette  prédiction  et  dans  le  témoignage 
qu'en  rendent  des  historiens  tous  ennemis  de 
cette  cause  qu'ils  soutiennent  ainsi  malgré  eux- 
mêmes. 

Les  disciples  de  Jésus  furent  «  persécutés,  mis 
«  en  prison  ,  et  haïs  de  toutes  les  nations  a  cause 
«  de  son  nom,  et  on  fit  mourir  plusieurs  d'entre 
«eux.  ))  Pierre,  Simon  et  Jean  furent  crucifiés ^% 
Paul  fut  décapité;  Matthieu,  Thomas,  Jacques, 
Matthias,  Marc  et  Luc  souffrirent  en  divers  pays 
différents  genres  de  supplices.  On  faisait  la  guerre 
au  nom  même  de  chrétien  ;  on  accusait  les  chré- 
tiensdehaïrl'humanité.Lespréjugésetlesintérêts 
des  partisans  du  paganisme  se  liguèrent  partout 
contre  eux ,  et  dans  une  occasion  mémorable  Né- 
ron,pour  s'épargner  la  honte  d'être  regardé  comme 
l'incendiaire  de  sa  propre  capitale,  en  accusa  la 
race  haïe  et  méprisée  des  chrétiens  et  leur  fit  subir 
les  tortures  les  plus  affreuses^®.  Il  donna  leurs 
souffrances  en  spectacle  aux  Romains,  et  pour  se 
consoler  de  n'avoir  pu  fouler  sous  ses  pieds  Rome 
en  cendres,  et  en  même  temps  pour  cacher  son 
iniquité ,  le  monstre  à  figure  humaine  assouvit  sa  soif 
de  cruauté  en  substituant  une  fête  sanglante  à  une 
autre.  Il  choisit  les  chrétiens  pour  en  faire  ses  vic- 
times à  cause  de  l'opprobre  général  jeté  sur  eux , 
et  leur  nom  seul  suffit  pour  motiver  son  choix  et 
pour  légitimer  d'infâmes  barbaries. 

«  Parceque  l'iniquité  sera  multipliée ,  l'amour 
«  de  plusieurs  se  refroidira.  »  L'apôtre  des  gentils 
se  plaint  souvent  de  faux  frères,  de  ceux  qui  re. 

coUucere  lemplum,  Expassae  repente  delubri  fores  et  audita  major 
hnmana  vox,  excedere  deos;  simul  ingens  motus  excedenli uni.  » 
Tacit.,  Hist.,  l.V,  c.  xiii.  — (/i9)  Vies  des  Apôtres,  par  Cave.  Dupin. 
(50)  Tacite,  Annal.,  1.  XV,  c.  xliv.  —Whitby. 


142  DESTRUCTION  DE  JÉRLSALEM.  CH.  VII. 

tournèrent  en  arrière ,  et  ce  l'ut  seul,  abandonné 
de  tous,  qu'il  se  présenta  devant  Néron  j)our  la 
première  fois.  Tacite  raconte  (jue  plusieurs  chré- 
tiens furent  condamnés  sur  le  témoif^na^^e  de  ceux 
qui  auparavant  avaient  appartenu  à  leur  société; 
mais  malgré  les  périls  et  les  persécutions,  «  cet 
«  évangile  du  royaume  s'est  prêché  sur  toute  la 
«  terre  » .  Au  temps  même  des  apôtres,  des  épîtres 
furent  envoyées  aux  chrétiens  de  Rome ,  de  Co- 
rinthe  ,  d'Ephèse ,  de  Philippes ,  de  Colosse ,  de 
Thessalonique  et  du  Pont ,  de  Galicie ,  de  Cappa- 
doce,  d'Asie  et  de  Bythinie.  Fort  peu  de  temps 
après  que  Christ  eut  fait  cette  prophétie,  eut  été 
abandonné  de  tous  ses  disciples  et  mis  à  mort 
comme  un  malfaiteur,  à  leur  première  assemblée, 
ses  disciples  n'étaient  qu'un  tout  «  petit  trou- 
peau »  ;  leur  nombre  ne  montait  qu'à  environ 
cent  vingt,  et,  quelque  petit  que  fût  ce  commen- 
cement ,  les  pêcheurs  de  la  Galilée  et  ensuite  un 
fabriquant  de  tentes  de  Tarse  prêchèrent  avec 
succès  leur  nouvelle  doctrine  bien  au-delà  des 
bornes  de  l'empire  romain.  La  manière  dont  Christ 
lui-même  avait  été  reçu  et  le  genre  de  sa  mort  pou- 
vaient-ils assurer  un  tel  résultat?  Y  eut-il  jamais 
un  triomphe  effectué  par  de  tels  moyens?  Y  eut- 
îl  jamais  cause  qui  éprouva  autant  d'opposition 
que  la  sienne?  Et  cependant  aurait-on  pu  prédire 
avec  plus  d'assurance  quelque  chose  qui  pût 
moins  probablement  s'accomplir?  —  Tous  ces 
événements  précédèrent  la  destruction  de  Jéru- 
salem; et  alors  la  fin  de  cette  ville  fut  proche. — 
Les  signes  d'une  ruine  imminente  devaient  aver- 
tir les  habitants  d'en  sortir. 

<^  Jérusalem  sera  environnée  d'armées.  »  Les 
armées  romaines,  avec  leurs  étendards  idolâtres, 
en  abomination  aux  Juifs,  environnaient  la  ville. 
Cette  circonstance   assurément  ne   ressemblait 


en.  VIL  DESTRUCTION  DB  JÉRUSALEM.  143 

guerre  à  un  signal  de  fuite;  elle  paraissait  faite 
au  contraire  pour  démontrer  l'impossibilité  de  la 
fuite,  et  il  semblait  que  les  ayertissements  de  Jé- 
sus dussent  être  inutiles;  on  va  voir  cependant 
qu'ils  ne  furent  pas  pour  ses  disciples  de  vaines  et 
trompeuses  paroles.  —  Le  général  romain  ,  Ces- 
tins  Gallus,  assiégeait  Jérusalem;  mais  contre 
toute  attente  il  se  présenta  bientôt  une  occasion 
de  fuite.  Il  fit  une  retraite  subite  et  sans  raison 
apparente,  quoique  quelques-uns  des  principaux 
de  la  ville  eussent  offert  de  lui  en  ouvrir  les  por- 
tes. Josèplie  avoue  que  les  assiégés  étaient  dans  la 
plus  grande  consternation ,  et  que  la  place  aurait 
été  infailliblement  prise ^*.  Il  attribue  à  la  juste 
vengeance  de  Dieu  que  la  ville  ne  fut  pas  dé- 
truite et  la  guerre  immédiatement  terminée.  Il 
raconte  aussi  qu'un  grand  nombre  des  princi- 
pales familles  de  la  ville  s'enfuirent  comme  d'un 
vaisseau  qui  fait  naufrage  ;  et  que  plus  tard ,  lors 
de  l'approche  de  Vespasien ,  des  multitudes  quit- 
tèrent Jéricho  pour  chercher  un  refuge  dans  les 
montagnes.  Plusieurs  historiens  dignes  de  foi  as- 
surent que  ce  fut  là  et  à  Pella  que  se  réfugièrent 
les  disciples  de  Jésus  ^^5  et  au  milieu  de  tant  de 
dangers  et  de  calamités  «  il  ne  se  perdit  pas  un 
«  seul  cheveu  de  leurs  têtes  »  • 

«  Car  il  y  aura  une  grande  affliction ,  telle  que 
a  depuis  le  commencement  du  monde  jusqu'à 
a  présent  il  n'y  en  a  point  eu  et  qu'il  n'y  en  aura 
«  jamais  de  semblable.  Il  y  aura  une  grande  cal^r 
«  mité  sur  ce  pays ,  et  une  grande  colère  sur  ce 
«  peuple.  Ce  seront  alors  les  jours  de  la  vea- 
a  geance  ».  Telles  sont  les  paroles  de  Jésus  sur 
la  destruction  de  Jérusalem  ;  et  toutes  les  ancien- 

(51)  Josèphe,  L  II,  c.  xix,  xx.  —  Grotius. 
j[52)  EpipLanius  in  Hœres.  Nazar,,  c.  xii.  —  Eusebil  Eco.  Hist., 
l.  ni,  c.  V.  —  Whitby,  Doddridge. 


lii  DESTRCCTION  DE  JKHUSALEM.  tH.  V IL 

lies  pro])liolios  luMiiient  Ic  menu»  lan^ai^o.  Les 
évèneiiienis  de  ce  siè*;e,  rapi^orlés  \n\r  Josèplie, 
(X)iilieiiiRMiL  des  délails  qui  ne  periiieiteiil  aucune 
exa^éialion;  et  il  aflirnie  lui-niènie  ,  parlant 
comme  la  prophétie,  qu'il  n'y  en  eut  «  jamais 
de  semblables  »  dans  l'histoiie  du  monde.  Il  est 
impossible  qu'une  description  générale  donne 
une  juste  idée  de  ces  terribles  souffrances. 

Les  Juifs  s'étaient  assemblésàJérusalemde  tout 
le  pays  environnant  pour  célébrer  la  fête  des  pains 
sans  levain.  La  ville  était  remplie  d'habitants, 
lorsqu'elle  devint  une  grande  prison.  La  fête  de 
Pâques,  commémoration  de  leur  première  grande 
délivrance,  les  avait  réunis  pour  l'accomplisse- 
ment de  leur  destruction  finale.  Avant  même  l'ap- 
proche de  l'ennemi,  ils  avaient  entre  eux  les  dis- 
sensions les  plus  terribles;  leur  sang  coulait  a  flots 
par  la  main  de  leurs  frères;  dans  leur  fureur,  ils  in- 
cendièrent et  mirent  au  pillage  les  provisions  fai- 
tes pour  soutenir  le  siège;  ils  n'avaient  point  de 
gouvernement  établi.  La  ville  se  partageait  en  trois 
factions.  Après  la  destruction  d'une  des  trois,  les 
deux  autres  se  disputèrent  pour  s'en  rendre  maî- 
tresses; et  à  la  fin  ce  furent  les  plus  féroces,  les  plus 
fanatiques,  les  voleurs  ou  zélés,  comme  on  les 
appelle,  qui  prévalurent.  Ils  entrèrent  dans  le 
temple  sous  prétexte  d'y  offrir  des  sacrifices, 
emportant  des  armes  cachées  pour  faciliter  leurs 
assassinats.  Ils  tuèrent  les  prêtres  sur  les  marches 
des  autels ,  et  ce  fut  leur  sang  cjui  coula  au  lieu 
de  celui  des  victimes  qu'on  devait  sacrifier.  Ils 
rejetèrent  ensuite  tous  les  moyens  de  concilia- 
tion avec  l'ennemi.  On  ne  permit  à  personne  de 
sortir  de  la  ville.  On  entra  dans  chaque  maison , 
on  les  saccagea  toutes,  et  on  y  commit  les  plus 
horribles  outrages.  Rien  ne  put  arrêter  leur  fu- 
reur; partout  oil  il  y  avait  une  apparence  ou  une 


Cfl.  VH.  DESTRUCTION  DE  JERUSALEM.  145 

odeur  même  de  nourriture^  semblables  k  des  ani- 
maux affamés,  ils  en  suivaient  la  piste,  et  malgré 
la  famine  qui  régnait  autour  d'eux,  malgré  les 
cadavres  qu'ils  foulaient  aux  pieds,  quoique 
les  maisons  des  vivants  ne  fussent  plus  que  des 
asiles  pour  les  morts,  rien  ne  put  les  intimider, 
ni  les  contenir,  ni  les  satisfaire,  jusqu'à  ce 
que  Marie,  fille  d'Eléazar,  femme  ^loble  et  jadis 
riche,  vint  leur  présenter  tout  ce  qui  lui  restait 
de  son  repas,  dont  l'odeur  les  avait  attirés  au- 
près d'elle,  le  morceau  le  plus  amer  qu'ait  jamais 
mangé  une  mère,  les  restes  à  moitié  dévorés  de  son 
enfant  nouveau-né. 

Jérusalem  fut  assiégée  sans  relâche  par  soixante 
mille  soldats  romains  ;  ils  élevèrent  une  muraille 
tout  autour  de  la  ville  et  creusèrent  des  tran- 
chées de  tous  les  côtés;  ils  démolirent  les 
hauts  murs;  ils  massacrèrent  les  assassins,  ils 
n'épargnèrent  point  le  peuple;  ils  incendièrent 
le  temple  malgré  les  ordres,  les  menaces  et  la 
résistance  de  leur  général.  Les  Juifs  perdirent 
alors  leur  dernière  espérance  ;  à  la  vue  de  ce  dé- 
sastre ils  élevèrent  un  dernier  cri  d'angoisse  et  de 
désespoir.  Dix  mille  personnes  furent  tuées,  et  six 
mille  périrent  dans  les  flammes.  La  ville  entière, 
remplie  de  mourants  affamés  et  des  cadavres  des 
morts,  ne  présenta  plus  qu'une  scène  d'horreur. 
La  foule  désespérée  se  jeta  en  dernier  lieu  dans 
les  aqueducs  et  les  citernes  de  la  ville.  On  y 
trouva  deux  mille  morts,  et  on  en  retira  d'autres 
pour  les  égorger.  Les  soldats  passèrent  tous  les 
habitants  au  fil  de  l'épée  sans  aucune  distinction, 
et  ne  s'arrêtèrent  que  lorsque  leurs  forces  physi- 
ques ne  leur  permirent  plus  de  continuer  cette 
œuvre  de  destruction. 

Mais  ils  ne  remirent  l'épée  dans  le  fourreau  que 
pour  allumer  la  torche.  Ils  mirent  le  feu  à  la  ville 


1  iO  DESTRUCTION  DE  JERUSALEM.  Cil.  VU. 

sur  plusieurs  points.  Les  flammes  se  ré|)andirenl 
(le  tous  côtés  5  et  ne  se  Inmvèrent  arrêtées  que  de 
lenips  en  temps  par  les  ruisseaux  ensan^^lantés  (jui 
inondaient  les  rues.  «Jérusalem  ne  fut  pluscfu'un 
i(  monceau,  et  la  montagne  de  la  maison  de  l'Éter- 
«  nel  que  comme  les  lieux  élevés  des  forets  » .  — 
Dans  un  circuit  de  huit  milles,  et  pendant  l'espace 
tie  cinq  mois,  il  y  eut,  a  l'intérieur,  l'ennemi  et  la 
lamine;  à  l'extérieur,  de  hautes  murailles  et  une 
armée  qui  les  assiégeait  sans  relâche.  Onze  cent 
mille  individus  périrent  et  l'histoire  de  chacun 
d'eux  était  à  elle  seule  une  tragédie.  Y  eut-il  ja- 
mais un  tel  assemblage  de  misères? 

Quelle  prophétie  aurait  pu  être  plus  fidèle- 
ment, plus  terriblement  accompHe?  Jésus  sem- 
blait souffrir  moins,  en  envisageant  sa  propre  mort , 
sur  le  chemin  du  Calvaire,  que  lorsqu'il  annonça 
le  sort  de  Jérusalem.  Qu'elle  fut  pleine  de  ten- 
dresse et  de  vérité,   la  réponse    qu'il  fit  aux 
femmes  désolées  qui   l'accompagnaient  de  leurs 
pleurs,  lorsqu'en   se    retournant  il    contempla 
la    ville   et    dit  à   celles    qui    devaient   peut- 
être  la  voir  inondée  de  sang  et  enveloppée  de 
llammes  :  «  Filles  de  Jérusalem ,  ne  pleurez  point 
«  sur  moi,  mais  pleurez  sur  vous-mêmes  et  sur  vos 
«  enfants;  car  les  jours  viendront  auxquels  on 
c(  dira  :  Heureuses  les  stériles,  les  femmes  qui 
<(  n'ont  point  enfanté  et  les  mamelles  qui  n'ont 
<(  point  allaité  !  Alors  ils  se  mettront  à  dire  aux 
«  montagnes  :  tombez  sur  nous ,  et  aux  coteaux  : 
«  couvrez-nous;  car  si  on  a  fait  ces  choses  au  bois 
c<  vert,  que  fera-t-on  au  bois  sec?  » — Y  eut-il  ja- 
mais un  imposteur  qui  manifesta  de  tels  senti- 
ments comme  homme,  et  qui  ait,  €omm<3  prophète, 
prédit  des  événements  aussi  improbables,  aussi 
étonnants  et  aussi  vrais?  Pour  démontrer  la  divi- 
nité de  sa  mission,  Jésus^Ghrist  révéla  les  juge- 


CH.  VU.  DESTRUCTION  DE  JÉRUSALEM.  147 

ments  de  Dieu;  car  ce  fut  ainèi  que  la  pris(î 
et  la  destruction  de  Jérusalem  fut  considérée  par 
celui-là  même  qui  devait  en  être  le  ministre  et  qui 
avoua  qu'autrement  sa  propre  puissance  eût  été 
inefficace.  Lorsqu'on  vint  rendre  hommage  a  Ti- 
tus pour  sa  victoire  ,  il  refusa  la  gloire  qu'on  lui 
attribuait ,  en  déclarant  qu'il  ne  se  regardait  que 
comme  un  instrument  entre  les  mains  de  la  jus- 
tice divine.  De  plus  leur  propre  histoire  assure^ 
conformément  à  toutes  les  déclarations  de  l'Ecri- 
ture, que  les  iniquités  des  Juifs  étaient ,  comme 
leur  punition  5  sans  exemple. 

Toutes  ces  prophéties»,  dont  nous  venons  de 
raconter  l'accomplissement ,  panirent  daos  un 
temps  de  paix  parfaite,  dans  le  moment  où  les 
Juifs  étaient  gouvernés  d'après  leurs  propres 
lois,  oil  ils  jouissaient  de  la  protection  et  étaient 
soumis  à  l'autorité  de  l'empire  romain ,  alors  dans 
toute  sa  splendeur  et  toute  sa  puissance.  Ce  foi 
l'admiration  que  les  disciples  de  Christ  ressen- 
taient en  s'entretenant  de  l'antiquité  et  de  la  durée 
probable  du  temple,  qui  porta  Jésus  à  en  prédire 
la  destruction  prochaine  et  entière. 

Il  annonça  la  venue  des  faux  Christs  et  des  pré- 
tendus prophètes,  les  guerres  et  les  bruits  de 
guerres,  les  famines,  les  pestes,  les  tremble- 
ments de  terre  et  les  signes  effrayants  qui  devaient 
les  suivre ,  la  persécution  de  ses  disciples ,  l'apos- 
tasie de  plusieurs  d'entre  eux,  la  propagation  de 
l'Evangile ,  le  signe  qui  devait  les  avertir  de  fuir 
la  ruine  qui  s'approchait,  le  siège  de  Jérusalem, 
la  terrible  affliction  qui  devait  fondre  sur  les  fem- 
mes, les  malheurs  sans  pareils  qui  devaient  tom- 
ber sur  tous ,  la  destruction  de  la  ville ,  la  ma- 
nière dont  les  souffrances  seraient  abrégées,  afin 
que  quelques-uns  pussent  être  sauvés  ;  et  il  prédit 
que  tous  ces  épouvantables  événements,  qni  au- 


1  is  DESTÎUCTION  DE  JÉni SALEM.  CH.  VH. 

raient  pu  remplir  des  siècles  entiers^  se  passe- 
raient pendant  la  dnrée  d'une  seule  génération. 
Personne,  excepté  celui  qui  connaît  l'avenir, 
n'aurait  pu  annoncer  et  préciser  ainsi  toutes  ces 
choses;  et  leur  entier  et  indubitable  accomplis- 
sementprouye  qu'elles  étaient  véritablement  une 
révélation  de  Dieu. 

Mais  ces  prophéties  annoncent  des  faits  plus 
minutieux  et  dont  l'accomplissement  semblait  de- 
voir être  plus  improbable  encore  :  - —  Jérusalem 
devait  être  labourée  comme  un  champ  et  rasée  au 
niveau  de  la  terre  .11  ne  devait  pas  rester  pierre  sur 
pierre  du  temple.  Les  Juifs  devaient  demeurer 
en  petit  nombre,  être  emmenés  captifs  par  les 
nations,  vendus  pour  esclaves  sans  que  per- 
sonne voulût  les  acheter;  et  toutes  ces  prédic- 
tions furent  exactement  vérifiées. —  Titus  com- 
manda que  la  ville  et  le  temple  fussent  sapés  à 
leurs  fondements.  Cette  fois  les  soldats  ne  man- 
quèrent pas  d^obéir  aux  ordres  de  leur  général. 
L'avarice  se  mêla  au  sentiment  du  devoir  et  de 
la  colère;  on  renversa  l'autel,  le  temple,  les  mu- 
railles et  la  ville ,  dans  respoir  de  trouver  les  tré- 
sors que  les  Juifs,  environnés  de  pillards,  avaient 
cachés  et  ensevelis  pendant  le  siège.  Trois  tours 
e^t  un  pan  de  mur  restèrent  seuls  debouts ,  monu- 
ments et  souvenirs  de  Jérusalem,  et  la  ville  fut  la- 
bourée par  TérentiusRufus.^ — Pendant  le  siège,  et 
dans  la  destruction  des  villes  et  des  villages  de  la 
Judée,  qui  eut  lieu  avant  et  après  cet  événement, 
plus  d'un  million  trois  cent  mille  individus ,  selon 
le  calcul  de  Josèphe,  furent  massacrés  ;  quatre- 
vingt-dix-sept  mille  furent  m^nés  en  captivité;  ils 
furent  vendus  comme  es<îlaves,  mais  on  les  mépri- 
sait 5  on  les  haïssait  au  point  que  beaucoup  d'en- 
tre eux  restèrent  sans  acquéreurs;  enfin,  leurs 
vainqueurs  étaient  si  prodigues  de  la  vie  de  ces 


CH.  VIII.  LES  JUIFS.  149 

malheureux,  qu'en  honneur  de  la  fête  de  Domitien 
on  en  condamna  deux  mille  cinq  cents  h  lutter 
dans  les  jeux  avec  les  bêtes  féroces  pour  le  diver- 
tissement des  vainqueurs,  ou  à  recevoir  la  mort^'. 
Mais  ce  ne  fut  pas  là  la  fin  des  malheurs  de  ce 
peuple  :  une  malédiction  pesait  sur  cette  terre  et 
Ta  rendue  stérile  ;  une  vengeance  terrible  s'atta- 
tachait  à  ce  peuple  et  l'a  dispersé  sur  toute  la  sur- 
face du  globe.  Nous  avons  encore  à  examiner  plu- 
sieurs prophéties  qui  se  rapportent  aux  Juifs  ;  et 
il  reste  une  grande  partie  de  leur  histoire  a  ra- 
conter. Les  prédictions  sont  aussi  claires  que  les 
faits  sont  palpables. 


CHAPITRE  YIIL 

*    PRÉDICTIONS  RELATIVES  AUX  JUIFS. 

Lorsque  Moïse  ,  comme  législateur  inspiré , 
promettait  aux  Israélites  que  la  prospérité  et  la 
paix  récompenseraient  leur  obéissance^  il  les  me- 

(53)  Tacite,  qui  vécut  environ  30  ans  après  la  destruction  de 
Jérusalem,  parle  de  la  force  des  fortifications  de  cette  ville,  des 
immenses  richesses  et  de  la  beauté  du  temple,  des  factions  inté- 
rieures pendant  le  siège,  et  des  prodiges  qui  précédèrent  la  prise 
de  la  ville.  Il  parle  particulièrement  d'une  puissante  armée  que 
Vespasien  conduisit  devant  Jérusalem,  «  fait  qui  prouve,  selon  lui, 
la  grandeur  et  l'importance  de  l'expédition.  »  Philostrate  raconte 
qu'après  la  prise  de  Jérusalem  Tite  déclara  qu'il  ne  se  trouvait  pas 
digne  déporter  la  couronne  des  vainqueurs,  attendu  qu'il  n'avait  fait 
que  prêter  son  bras  à  l'exécution  d'une  œuvre  qu'il  avait  plu  à  Dieu 
d'accomplir  en  sa  colère.  —  Dion  Gassius  parle  de  la  conquête  de 
la  Judée  par  Tite  et  par  Vespasien  ;  il  rappelle  la  sanglante  résis- 
tance des  Juifs  et  la  destruction  du  temple  par  le  feu.  —  Maimoni- 
des  raconte,  et  le  Talmud  juif  aussi,  ainsi  que  le  citent  Basnage  et 
Lardner,  que  Terentius  Rufus,  officier  de  l'armée  romaine,  fit 
labourer  avec  une  charrue  les  fondements  du  temple.  L'arc  de 
Tite,  commémoratif  de  la  destruction  de  Jérusalem  et  représen- 
tant des  soldats  romains  portant  sur  les  épaules  les  vases  sacrés  du 
temple,  se  voit  encore  à  Rome, 


1)0  LES  JUIFS.  CH.  VIII. 

iiaçiiil  (Ml  nic'iine  lom])s  de  })iniiLi()ns  ({iii  s'aiigmcn- 
leraiciil  en  propoiiion  de  leur  rebellion  et  de 
Unir  inipénilence.  C'est  la  seule  nation  de  la  terre 
à  l'éi^ard  de  huinelle  le  supreme  Gonverneiir  du 
nionde  ait  tenu  une  pareille  conduite ,  et  cepen- 
dant ses  crimes  amenèrent  sur  elle  des  malheurs 
extraordinaires,  malheurs  qui  continuent  encore. 

Il  serait  impossible  de  retracer  aujourd'hui  en 
fermes  plus  précis  l'histoire  des  Juifs  depuis  leur 
dispersion  que  ne  le  fait  leur  prophète,  trois  mille 
deux  cents  ans  avant  Févènement.  C'est  dans 
le  plus  ancien  des  livres  que  nous  trouvons  la 
fidèle  représentation  de  la  condition  actuelle  de 
ce  peuple  infidèle.  Moïse  ne  prétendit  porter  ses 
regards  que  dans  un  avenir  lointain;  mais  une 
révolution  de  plusieurs  siècles  a  mis  l'objet  de  sa 
contemplation  sous  nos  yeux;  nous  pouvons  exa- 
miner les  traits  de  cet  avenir  qu'il  voyait  déjà,  et 
nous  pouvons  décider  s'il  est  probable  que  ses 
prophéties  fussent  les  simples  souvenirs  cFun 
homme  qui  ne  sait  pas  ce  qu'un  jour  peut  amener, 
ou  la  révélation  immédiate  de  «Celui  pour  qui 
«  mille  ans  ne  sont  que  comme  le  jour  d'hier  qui 
«  est  passé  » . 

«  Je  vous  disperserai  parmi  tes  nations,  je  dé- 
«  gainerai  l'épée  après  vous,  et  votre  pays  sera  en 
«  désolation,  et  vos  villes  en  désert;  et  pour  ce 
«  qui  est  de  ceux  qui  demeureront  de  reste  d'en- 
<<  tre  vous,  je  rendrai  leur  cœur  lâche  quand  ils 
«  seront  au  pays  de  leurs  ennemis ,  de  sorte  que 
(^  le  bruit  d'une  feuille  émue  les  poursuivra;  ils 
«  fuiront  comme  s'ils  fuyaient  de  devant  l'épée, 
«  et  ils  tomberont  sans  que  personne  les  pour- 
«  suive  ;  et  vous  ne  pourrez  point  subsister  de- 
«  vaut  vos  ennemis;  vous  périrez  parmi  les  na- 
«  tions,etla  terre  devos  ennemis  vous  consumera, 
c<  et  ceux  qui  demeureront  de  reste  d'entre  vous 


CH.  Vilï.  LES  JUIFS.  loi 

«  se  fondront  dans  les  pays  de  vos  ennemis  a 
«  cause  de  leurs  iniquités,  et  ils  se  fondront  aussi 
«  à  cause  des  iniquités  de  leurs  pères  et  des  leurs. 
«  Mais  cependant,  lorsqu'ils  seront  dans  le  pays 
«  de  leurs  ennemis ,  je  me  souviendrai  d'eux  et 
«  je  ne  les  rejeterai  point,  et  je  ne  les  aurai  point 
c(  en  aversion  jusqu'à  les  consumer  entièrement"^. 
«  L'Éternel  vous  dispersera  entre  les  peuples 
«  et  vous  demeurerez  en  petit  nombre  entre  les 
«  nations  parmi  lesquelles  l'Éternel  vous  fera 
<^  emmener"^.  »  —  «  L'Éternel  fera  que  tu  seras 
«  battu  devant  tes  ennemis  ;  tu  sortiras  par  un 
«  chemin  contre  eux,  et  par  sept  chemins  tu  t'en- 
«  fuiras  devant  eux,  et  tu  seras  vagabond  par 
«  tous  les  royaumes  de  la  terre  ^^))  —  «  L'Éternel 
«  te  frappera  de  frénésie,  d'aveuglement  et  d'é- 
«  tonnement  de  cœur;  tu  iras  en  tâtonnant  en 
«  plein  midi  comme  un  aveugle  tâtonne  dans  les 
«  ténèbres;  tu  n'auras  point  d'heureux  succès 
^  dans  tes  entreprises  et  tu  seras  toujours  oppri- 
«  mé  et  pillé ,  et  il  n'y  aura  personne  qui  te  ga- 
«  rantisse.  Tes  fils  et  tes  filles  seront  livrés  à  un 
«  autre  peuple ,  et  tes  yeux  le  verront  et  se  con- 
«  sumeront  tous  les  jours  en  regardant  vers  eux , 
«  et  ta  main  n'aura  aucune  force  ;  et  un  peuple 
«  que  tu  n'auras  point  connu  prendra  le  fruit  de 
c(  ta  terre  et  tout  ton  travail ,  et  tu  seras  exposé 
«  tous  les  jours  à  souffrir  des  torts  et  des  concus- 
c(  sions,  et  tu  seras  hors  de  toi-même  pour  les 
«  choses  que  tu  verras  de  tes  yeux.  L'Éternel  te 
«  fera  marcher  vers  une  nation  que  tu  n'auras 
«  point  connue  ni  toi  ni  tes  frères,  et  tu  seras  là  un 
c(  sujet  d'étonnement,  de  railleries  et  de  folie 
«  parmi  tous  les  peuples  vers  lesquels  l'Éternel 
«t'aura    emmené  ^^)) — ^  «  Parceque  tu   n'auras 

(54)  L6v„  XXVI,  33,  36;  34-4/i.  —  (55)  Deut.,  IV,  27, 
(56)  DeuU,  XXVIII,  25.-^(57)  IbicU,  29,  32,  33,  36,  37c 


1  '>2  LES  JUIFS.  CH.  Vin. 

(»  poifil  s(M'vi  rKlernrl  Ion  Dieu  autrefois  et  de 
«  \h)\\  eoMir,  dans  l'ahondaiiee  de  foules  choses, 
^^  lu  serviias  ion  ennemi  que  Dieu  enverra  contre 
^<  toi  dans  la  faim,  dans  la  soif,  dans  la  nudité  et 
c<  dans  la  disette  de  toutes  choses,  et  il  mettra  un 
«  jouf>  de  fer  sur  ton  cou  jusqu'à  ce  qu'il  t'ait  ex- 
u  terminé;  alors  l'Éternel  te  frappera,  toi  et  ta 
«  postérité,  de  plaies  étranges,  de  plaies  grandes 
((  et  de  longue  durée^^))  —  «  Et  toutes  ces  malédic- 
«  tions  t'environneront  et  te  poursuivront,  et  ces 
((  malédictions  seront  sur  toi  et  ta  postérité ,  pour 
«  être  des  signes  et  des  prodiges  à  jamais;  et  il 
«  arrivera  que  comme  l'Eternel  s'est  réjoui  sur 
«  vous,  en  vous  faisant  du  bien  et  en  vous  multi- 
((  pliant,  aussi  l'Éternel  prendra  plaisir  à' vous 
«  faire  périr  et  à  vous  exterminer,  et  vous  serez 
«s  arrachés  de  dessus  la  terre  où  vous  allez  pour 
«  la  posséder;  et  l'Éternel  te  dispersera  parmi 
«  tous  les  peuples  depuis  un  bout  de  la  terre  jus« 
«  qu'à  l'autre  :  encore  ne  trouveras-tu  aucun  re- 
«  pos  parmi  ces  nations-là,  et  même  la  plante  de 
«  ton  pied  n'aura  aucun  repos;  car  l'Eternel  te 
«  donnera  là  un  cœur  tremblant  et  des  yeux  qui 
«  ne  verront  point,  une  âme  penchée  d€  douleur, 
«  et  la  vie  sera  comme  pendante  devant  toi ,  et  tu 
«  seras  dans  l'effroi  nuit  et  jour ,  et  tu  ne  seras 
«  point  assuré  de  ta  vie.  Tu  diras  le  matin  :  Qui 
((  me  fera  voir  le  soir?  et  le  soir  tu  diras  :  Qui  me 
«  fera  voir  le  matin  ?  à  cause  de  l'effroi  dont  ton 
«  cœur  sera  effrayé ,  et  à  cause  de  ce  que  tu  ver- 
ce  ras  de  tes  yeux  ^^.  » 

Les  prophètes  qui  se  succédèrent  pendant 
beaucoup  de  siècles  firent  aussi  des  prédictions 
semblables  :  «  Je  les  livrerai  à  être  agités  partons 
«  les  royaumes  de  la  terre.  Je  vous  transporterai 

(58)  Deut.,  XXVIIl,  47,  48,  59.  —  (59)  Ibid.,.  ^5,.  46,  63-57. 


€H.  VHI.  LES  JUIFS.  153 

«  en  un  pays  que  vous  n'aurez  point  connu ^parce- 
«  que  je  ne  vous  aurai  point  fait  grâce.  Je  leur 
«  donnerai  à  manger  de  Tabsynthe,  je  leur  don- 
«  nerai  à  boire  de  l'eau  de  fiel  et  je  les  disperserai 
«  parmi  des  nations  qu'eux  ni  leurs  pères  n'ont 
«  point  connues^^.  Et  je  les  livrerai  pour  être  agi- 
«  tés  5  pour  souffrir  du  mal  par  tous  les  royaumes 
«  de  la  terre ,  et  pour  être  en  opprobre ,  en  pro- 
«  verbe,  en  risée  et  en  malédiction  par  tous  les 
«  lieux  oil  je  les  aurai  chassés;  et  j'enverrai  sur 
«  eux  l'épée,  la  famine  et  la  mortalité,  jusqu'à  ce 
«  qulls  soient  consumés  de  dessus  la  terre  que 
«  je  leur  avais  donnée  à  eux  et  à  leur  pères  ^* .  J'ai 
«  désolé  et  j'ai  fait  périr  mon  peuple,  et  je  les-aba^R- 
«  donnerai  pour  être  agités  par  tousles  royaumes 
«  de  la  terre,  et  pour  être  en  exécration ,  en  éton- 
«  nement ,  en  sifflement  et  en  opprobre  à  toutes  les 
«  nations  parmi  lesquelles  je  les  aurai  chassés  ^^ 
«  J'exécuterai  mes  jugements  sur  toi,  etjedisper- 
«  serai  à  tous  vents  tout  ce  qui  restera  de  toi^\ 
«  Je  les  répandrai  parmi  les  nations  et  je  les  dis- 
«  perserai  par  les  pays  ^'*.  Ils  jetteront  leur  argent 
«  par  les  rues,  et  leur  or  sera  comme  une  chose 
«  souillée;  ni  leur  argent  ni  leur  or  ne  les  pourra 
«  délivrer  du  jour  de  la  grande  colère  de  l'Éternel; 
«  ils  n'en  rassasieront  point  leurs  âmes  et  n'en  rem- 
«  pliront  point  leurs  entrailles  parceque  leur  ini- 
«  quite  a  été  leur  ruine  ^".  Car  je  commanderai,  et 
«  je  ferai  courir  la  maison  d'Israël  parmi  toutes  les 
«  nations ,  comme  le  blé  est  remue  dans  le  crible 
«  sans  qu'il  en  tombe  un  grain  en  terre.  Et  la  mort 
«  sera  plus  désirable  que  la  vie ,  a  tout  le  reste  de 
«  ceux  qui  seront  restés  de  cette  race  méchante  ; 
«  même  à  ceux  qui  seront  restés  parmi  tous  les 

(60)Jérémie,XV,  /i;XVI,  13;  IX,  15, 16.— (61)lbid.,XXIV,  9,  10. 
(62)  Ibid.,  XV,  7;  XXIX,  J8.  —  (63)  Ezéchiel,  V,  10. 
(64)  Ezéchiel,  XII,  15.  —  (65)  Ibid.,  VII,  19. 


loi  LES  JtlFS.  Cil.  VIII. 

((  li(Mi\  ou  j(î  les  aurai  chassés 5  dit  rEUniiel  des 

a  ariuck's.  Ils  siéront  errants  parmi  les  nations*^". 

(^  l'jii;raisse  le  eœur  de  ce  ])euj)le-ci5  et  rends  ses 

«  oreilles  pesantes  et  houclie  ses  yeux.,  en  sorte 

«  qu'il  ne  voie  pas  de  ses  yeux ,  et  qu'il  n'entende 

«  pas  de  ses  oreilles,  et  que  son  cœur  ne  comprenne 

((  pas 5  et  qu'il  ne  se  convertisse  pas,  et  qu'il  ne 

«  recouvre  pas  la  santé;  et  Je  dis  :  Jusqu'à  quand, 

«  Seigneur? Etilrépondit  :  Jusqu'àcequeles  villes 

((  et  les  maisons  aient  été  tellement  désolées  qu'il 

«  o'y  ait  aucun  homme,  et  que  le  pays  soit  mis 

«  dans  une  entière  désolation,  et  que  l'Éternel  ait 

«  éloigné  les  hommes,  et  que  le  pays  ait  été  long- 

«  temps  abandonné  ^^  Et  lorsqu'ils  s'en  iront  en 

«  captivité  devant  leurs  ennemis,  je  commanderai 

«  à  l'épée  qu'elle  les  y  tue;  je  mettrai  mes  yeux 

((  sur  eux  pour  leur  faire  du  mal  et  non  pas  du 

((  bien.  Celui  qui  a  dispersé  Israël  le  rassemblera 

«  et  le  guidera  comme  un  berger  guide  son  trou- 

«  peau*^^  Et  toi,  Jacob,  mon  serviteur,  ne  crains 

(c  point  et  ne  t'épouvante  point ,  ô  Israël  !  car  voici, 

«  je  vais  te  délivrer  du  pays  éloigné ,  et  ta  posté- 

«  rite  du  pays  de  ta  captivité.  Je  détruirai  entiè- 

«  rement  toutes  les  nations  parmi  lesquelles  je 

«  t'aurai  dispersé;  mais  je  ne  te  consumerai  pas 

«  tout-à  fait,  mais  je  te  châtierai  par  mesure;  tou- 

((  tefois  je  ne  te  tiendrai  pas  tout-à-fait  comme  in- 

((  nocent  ^^.    Les    enfants  d'Israël   demeureront 

«  plusieurs  jours  sans  roi  et  sans  princes,  sans  sa- 

«  crifice  et  sans  statuts,  sans  épliod  et  sans  téra- 

«  plîim.  Mais  après  cela  les  enfants  d'Israël  se 

((  retourneront  et  rechercheront  l'Éternel  leur 

«  Dieu ,  et  David  leur  roi ,  et  révéreront  rÉternel 

«  et  sa  bonté  aux  derniers  jours 


70 


(66)  Amos,  IX,  9.  —  Jérémie,  VIII,  3.  —  Osée,  IX,  17. 

(67)  Esaïe,  VI,  10-12.  —{68)  Amos,  IX,  4.-- Jérémie, XXXI,  dO. 
(69)  Jéiémie,  XLVI,  27,  28,  —  (70)  Osée,  III,  4,  5. 


i:h.  VIII.  LES  JUIFS.  165 

Toutes  ces  prédictions  relatives  aux  Juifs  ont 
toute  la  clarté  de  l'histoire  et  toute  l'assurance  de 
la  vérité.  On  y  voit  les  circonstances ,  l'éten- 
due^ la  nature  et  la  durée  de  leur  dispersion  ;  les 
persécutions  qu'il  leur  a  fallu  éprouver ,  leur  aveu- 
glement,  leurs  souffrances,  leur  faiblesse ,  leurs 
craintes 5  leur  pusillanimité ,  leur  existence  vaga- 
bonde,  leur  incorrigible  impénitence,  leur  avarice 
insatiable,  et  la  terrible  oppression,  la  continuelle 
spoliation  ,  la  moquerie  universelle  auxquelles  ils 
sont  exposés,  et  cependant  l'existence  indestruc- 
tible de  leur  race  desséminée  sur  toutes  les  par- 
ties du  globe. 

Ils  devaient  être,  «  chassés  de  leur  pays,  battus 
t<  devant  leurs  ennemis,  leur  pays  désolé,  et  ne 
«  demeurer  de  reste  qu'en  petit  nombre.»  — Les 
Romains  assiégèrent  leurs  villes,  les  détruisirent 
et  ravagèrent  tout  le  pays;  et  ceux  qui  parvinrent  à 
échapper  à  la  famine,  à  la  peste,  à  l'épée  et  à  la 
captivité,  furent  forcés  de  quitter  la  Judée,  et 
s'enfuirent  pour  chercher  une  retraite  dans  les 
contrées  environnantes.  Néanmoins  ils  s'attachè- 
rent quelque  temps  encore  à  la  terre  que  leurs 
pères  avaient  possédée  pendant  tant  de  siècles,  et 
qu'iis  regardaient  comme  l'héritage  que  le  ciel 
destinait  à  leur  race;  et  une  seule  expulsion,  tout 
affreuse  qu'elle  fut,  ne  put  les  décider  à  abandon- 
ner leurs  droits  à  un  si  glorieux  patrimoine. Quel- 
que grandes  qu'eussent  été  les  misères  qu'ils 
avaient  eu  à  souffrir  par  le  massacre  de  leurs  fa- 
milles, par  la  perte  de  leur  fortune  et  de  leurs 
maisons ,  par  l'anéantissement  de  leur  puissance, 
parla  destruction  de  la  capitale  de  leur  royaume , 
et  par  la  dévastation  de  leur  pays  par  Titus ,  les 
Juifs  fugitifs  et  proscrits  ne  tardèrent  pas  à  reve- 
nir sur  leur  sol  natal;  à  peine  soixante  ans  se 
furent-ils  écoulés  que,  trompés  par  un  séducteur, 


ioi)  LES  JUIFS.  CH.  Vin. 

séduilspar  Tespoirclela  venue  d'un  Messie  victo- 
rieux ,  el  ]>oussés  à  la  révolte  par  une  tyrannie  in- 
supportable, ils  tentèrent  un  effort  vigoureux 
et  combiné  ,  niais  désespéré ,  pour  reprendre 
possession  de  la  Judée,  briser  le  joug  des  Ro- 
mains et  arracher  leur  pays  à  sa  ruine.  Une 
guerre  soutenue  pendant  deux  ans  par  l'en- 
thousiasme  et  le  désespoir,  et  dans  laquelle, 
dit-on ,  cinq  cent  quatre-vingt  mille  Juifs  furent 
tués ,  sans  parler  d'un  grand  nombre  qui  périrent 
par  la  famine,  la  maladie  et  le  feu,  se  termina 
enfin  par  leur  entière  défaite  et  le  bannissement 
sous  peine  de  mort  décrété  contre  les  Juifs  qui 
oseraient  se  montrer  dans  Jérusalem.  Les  vain- 
queurs les  entourèrent  si  complètement  que  des 
détachements  entiers  tombèrent  sous  le  glaive 
des  soldats  romains ,  et  que  ,  selon  un  historien 
profane,  il  n'en  échappa  qu'un  très  petit  nombre. 
On  détruisit  cinquante  de  leurs  forteresses  et  on 
incendia  et  saccagea  leurs  villes;  la  Judée  fut 
entièrement  dévastée  et  rendue  déserte  ^^  Des 
malheurs  semblables,  arrivés  à  tout  autre  peu- 
ple ,  auraient  été  la  fin  de  sa  race  ou  la  dernière 
de  ses  misères,  tandis  que,  par  rapport  aux  Juifs, 
la  prédiction  reçut  son  entier  accomplisse- 
ment; car  ils  existent  encore  disséminés  parmi 
toutes  les  nations  de  la  terre ,  exilés  de  leur  pa- 
trie et  rencontrant  partout  des  malheurs  sans  fin, 
qui  se  renouvellent  a  chaque  génération. 

«  Les  villes  sont  tellement  désolées  qu'il  n'y  a 
«  pas  un  homme.  ))—  «  Toutes  les  villes  sont  aban- 
«  données  et  personne  n'y  habite.  »  —  «  Et  l'Eter- 
c<  nel  les  a  arrachés  de  leur  terre  en  sa  terrible 
«  colère  et  en  sa  grande  indignation  ^^  »  Un  édit 
de  l'empereur  Adrien   déclara  qu'il  serait  re- 

(71J  Dion  Cassius,  1.  lxix. 

(72)  Esaïe.  VI,  il.  ~  Jérémie,  IV,  29.  —  Dcut.,  XXIX,  28. 


CH.  Vin.  LES  JUIFS.    .  157 

gardé  comme  un  crime  capital  de  la  part  d'un 
Juif  de  remettre  le  pied  dans  Jérusalem  ^% 
et  il  leur  défendit  même  de  contempler  à  une 
certaine  distance  cette  ville,  dont  des  païens , 
des  chrétiens  5  des  mahométans,  ont  été  tour-à- 
tour  les  maîtres.  La  Judée  a  été  la  proie  des  Sar- 
razins;  elle  a  été  parcourue  par  les  descendants 
d'Ismaël  ;  ce  n'est  qu'aux  enfants  d'Israël  que  la 
possession  en  a  été  défendue,  quoique  ce  fût  tou- 
jours là  l'objet  de  leurs  vœux ,  et  que  ce  fût  le 
seul  endroit  de  la  terre  où  les  rites  de  leur  reli- 
gion pouvaient  être  célébrés. 

Il  est  même  digne  de  remarque  que ,  malgré 
toutes  les  révolutions  des  états ,  malgré  l'extinc- 
tion de  tant  de  nations ,  non-seulement  les  Juifs 
sont  toujours  restés  étrangers  au  pays  de  leurs 
pères,  mais  lors  même  que  quelques-uns  d'entre 
eux  ont  eu  la  permission  d'yséjourner,  ils  y  ont  tou- 
jours essuyé  un  traitement  encore  plus  injurieux 
que  partout  ailleurs.  Benjamin  de  Tudela,  qui  par- 
courut, au  douzième  siècle,  la  plus  grande  partie 
de  l'Europe  et  de  l'Asie ,  trouva  les  Juifs  partout 
opprimés  ,  et  particulièrement  dans  la  Terre- 
Sainte;  et  encore  aujourd'hui,  on  sait  que  les  Juifs 
qui  demeurent  en  Palestine,  ou  qui  s'y  rendent 
dans  leurs  vieux  ans  afin  que  leurs  os  ne  repo- 
sent pas  sur  un  sol  étranger,  sont  également 
maltraités  par  les  Grecs ,  les  Arméniens  et  les 
Ethiopiens  ^*  ;  la  conduite  orgueilleuse  des  sol- 
dats turcs  et  l'abjecte  soumission  des  Juifs 
pauvres  et  dégradés  sont  décrites  à  la  lettre 
par  ces  paroles  du  prophète  :  «  L'Étranger  qui 
«  est  au  milieu  de   toi   montera  au-dessus  de 


(73)  Terl.  Ap.,  c.  xxi.  —  Basnage,  Continuation  de  rHîstoire 
de  Josèphe,  1.  VI,  c.  ix,  §  27. 


(74)  Voyages  naanuscrits  du  général  Straton. 


lo8  *  LES  JUIFS.  CH.  VIll. 

c(  toi  foi  l  haul,  et  tu  desceiHlrns  fort  has  '^'.  » 
Si  le  fait  seul  de  leur  dispersiou  est  au  des  évè- 
neaieuts  les  plus  étoiuiauts  de  l'histoire,  TétcMidue 
et  réloi^ueiueut  des  coutrées  qui  eu  out  été  le 
théâtre  sout  peut-être  plus  remarquables  eneore. 
Nombre  de  prophètes  décrivaient  et  prédisaient, 
il  y  a  des  milliers  d'années,  ce  qui  se  passe  aujour- 
d'hui sous  nos  yeux.  «Ils  ont  été  dispersés  parmi 
«  les  nations ,  parmi  les  nations  idolâtres ,  parmi 
«  les  nations  depuis  un  bout  de  la  terre  jusqu'à 
«  l'autre.  Ils  ont  été  répandus  parmi  tous  les 
«  royaumes.  Tout  ce  qui  restait  d'eux  a  été  dis- 
«  perse  à  tous  vents.  »  —  «  L'Éternel  a  fait  cou- 
«  rir  la  maison  d'Israël  parmi  toutes  les  nations 
«  comme  le  blé  est  remué  dans  le  crible,  sans  qu'il 
«  en  tombe  un  grain  en  terre.  »  —  Mais,  quoique 
dispersés  parmi  toutes  les  nations ,  ils  demeurent 
à  part  et  ne  se  sont  jamais  confondus  avec  aucune 
d'elles;  et  il  n'y  a  pas  une  seule  contrée  sur 
la  surface  du  globe  où  les  Juifs  soient  inconnus. 
On  en  trouve  également  en  Europe ,  en  Asie ,  en 
Afrique  et  en  Amérique.  Citoyens  du  monde,  ils 
n'ont  point  de  patrie:  les  m.ontagnes,les  rivières, 
les  déserts ,  les  océans ,  qui  sont  les  limites  natu- 
relles des  autres  nations,  n'ont  pas  pu  former 
de  barrières  contre  leurs  courses  vagabondes.  Ils 
abondent  en  Pologne,  dans  la  Hollande,  en  Rus- 
sie et  dans  la  Turquie  ;  il  y  en  a  moins  dans  l'Al- 
lemagne, en  Espagne,  en  Italie,  en  France  et 
dans  la  Grande-Bretagne.  En  Perse,  en  Chine, 
dans  l'Inde ,  à  Test  et  à  l'ouest  du  Gange ,  ils  sont 
«  en  petit  nombre  parmi  les  païens.  »  Ils  ont  im- 
primé leurs  pas  sur  les  neiges  de  la  Sibérie 
comme  sur  les  sables  brûlants  du  désert,  et  le 
voyageur  européen  apprend  qu'il  y  a  des  Juifs^ 

(75)  Deut.,  XXVIII,  43. 


CH.  Vin.  LES  JUIFS.  159 

dans  des  régions  oîi  lui-même  il  ne  saurait  par- 
venir, et  jusque  dans  l'intérieur  inaccessible  de 
l'Afrique,  au  sud  de  Tombouctou  ^^  Depuis  Mos- 
cou jusqu'à  Lisbonne,  depuis  le  Japon  jusqu'à  la 
Grande  -  Bretagne ,  de  Bornéo  à  Archangel , 
de  l'Indostan  à  Honduras ,  quel  est  l'habitant  de 
la  terre  que  l'on  retrouve  partout ,  si  ce  n'est  le 
Juif? 

Mais  l'histoire  du  peuple  juif,  dans  toutes  les 
parties  du  monde  et  dans  tous  les  siècles,  depuis 
sa  dispersion ,  confirme  les  prédictions  oîi  sont 
tracés  avec  tant  de  clarté,  et  avec  des  détails 
presque  minutieux,  les  traits  caractéristiques  de 
leur  race  persécutée;  et  au  récit  des  faits  parfai- 
tement constatés  on  pourrait  en  ajouter  une  des- 
cription dans  les  termes  mêmes  de  la  prophétie , 
selon  l'expression  de  Basnage,  le  savant  histo- 
rion  des  Juifs.  Les  rois  ont  souvent  employé 
la  sévérité  de  leurs  edits  et  la  main  de  leurs 
bourreaux  pour  les  détruire.  Des  séditions  popu- 
laires ont  eu  pour  résultat  des  massacres  et  des 
boucheries  plus  tragiques  encore  que  tout  ce 
qu'ont  pu  décréter  les  princes,  les  rois  et  les  peu- 
ples; les  païens,  les  chrétiens  et  les  mahomé- 
tans,  si  opposés  dans  bien  des  choses,  se  sont 
réunis  dans  le  but  d'exterminer  la  race  des  Hé- 
breux et  ils  n'ont  pu  y  réussir.  Comme  le  buisson 
vu  par  Moïse,  «  qui  était  tout  en  feu,  mais  qui 
«  ne  se  consumait  point  » ,  malgré  les  flammes  de 
la  persécution,  le  peuple  de  Dieu  existe  encore; 
les  Juifs  ont  été  chassés  d'entre  toutes  les  na- 
tions et  cela  n'a  servi  qu'à  les  disperser  sur  toute 
la  surface  du  globe.  Chaque  siècle  leur  a  apporté 
le  malheur  et  la  proscription,  et  les  a  forcés 
de   marcher    à  travers   des    torrents   de   leur 

(76)  Voyage  de  Lyon  en  Afrique,  p.  146. 


^^^  LES  JUIFS.  en.  VIII. 

san^  ".  Leur  hannissernoiil  de  la  Judée  n'é- 
tait (jiie  le  prélude  de  leur  e\j)iilsi()ii  d'une  ville 
à  une  autre,  d'un  royaume  à  un  autre  royaume. 
Leur  dis])ersi()n  sur  toute  la  surfaee  du  j^lobe, 
fait  dont  des  doeuments  nombreux  attestent  la 
vérité,  en  est  une  preuve  certaine. Non-seulement 
ils  furent  chassés  loin  de  leur  patrie  à  deux  dif- 
férentes reprises  pendant  les  premiers  siècles  de 
l'ère  chrétienne ,  mais  encore  chaque  siècle  a  été 
pour  eux  fécond  en  calamités  et  en  persécutions 
nouvelles. 

L'histoire  de  leurs  souffrances  est  un  conti- 
nuel tissu  d'horreurs.  La  révolte  est  la  consé- 
quence naturelle  de  l'oppression;  mais  leurs  sé- 
ditions sans  cesse  renaissantes  ne  produisirent 
pour  eux  qu'un  surcroît  de  persécutions  et  de 
misères.  Les  empereurs,  les  rois,  les  califes  se 
réunirent  pour  leur  faire  porter  un  ^^  joug  de 
fer  » .  Après  une  de  leurs  révoltes,  Constantin  leur 
fit  couper  les  oreilles,  et  les  dispersa  vagabonds  et 
captifs  dans  les  pays  d'alentour,  oii  ils  portèrent 
le  signe  de  leurs  souffrances  et  de  leurjnfamie. 
Dans  le  cinquième  siècle,  ils  sont  expulsés  d'A- 
lexandrie ,  longtemps  une  de  leurs  plus  sures  re- 
traites. Justinien,  dont  les  principes  auraient  dû 
le  porter  à  une  politique  plus  sage  et  plus  humai- 
ne, ne  le  céda  en  cruauté  et  en  inhumanité  con- 
tre eux  à  aucun  de  ses  prédécesseurs.  Il  détruisit 
leurs  synagogues,  leur  défendit  même  l'usage  des 
caves  pour  la  célébration  de  leur  culte;  il  déclara 
leur  témoignage  inadmissible,  et  les  priva  du 
droit  naturel  de  faire  des  legs  ou  des  testaments  ; 
et  lorsqu'exaspérés  par  des  persécutions  inouïes 
ils  cherchèrent  à  y  mettre  fin  par  des  insurrec- 
tions, des  mouvements  séditieux,  leurs  biens  fu- 
rent confisqués,  plusieurs  d'entre  eux  furent  dé- 

(77)  Basnage,  1.  VI,  c.  i,  §  1.  —  Jortin,  Eccl.  Hist.,  V,  ii. 


CH.  VIII.  LES  JUIFS.  ^  16f 

capites,  et  le  nombre  des  exécutions  fut  si  grand 
«que  tous  les  Juifs  en  furent  effrayés  ^\  >)  — 
«  L'Éternel  leur  donnera  un  cœur  tremblant.  » 
Sous  le  règne  du  tyran  Pliocas,  il  y  eut  une  sé- 
dition générale  parmi  les  Juifs  de  la  Syrie;  les 
révoltés  réussirent  a  Antioche,  mais  ce  succès  mo- 
mentané ne  fit  que  précéder  un  asservissement 
plus  cruel  encore  et  amener  pour  eux  des  souf- 
frances plus  atroces.  Ils  furent  bientôt  vaincus  et 
faits  prisonniers  ;  grand  nombre  d'entre  eux  fu- 
rent mutilés  5  d'autres  subirent  la  mort,  et  tous 
ceux  qui  survécurent  à  cette  honteuse  défaite  fu- 
rent chassés  de  la  ville.  Grégoire -le -Grand  leur 
accorda  une  protection  passagère,  ce  qui  ne  servit 
qu'à  rendre  leur  spoliation  plus  complète  et  leurs 
souffrances  plus  cruelles;  car  l'empereur  Héra- 
clius,  dans  sa  haine  implacable  contre  les  Juifs, 
non-seulement  fit  fondre  sur  ceux  qui  habitaient 
les  pays  soumis  à  son  autorité  les  persécutions  les 
plus  violentes,  et  les  chassa  de  son  empire,  mais 
exerça  contre  eux  une  influence  puissante  dans 
d'autres  pays ,  de  manière  qu'ils  eurent  à  sup- 
porter une  persécution  générale  et  simultanée  de^ 
puis  l'Asie  jusqu'aux  extrémités  de  l'Europe  ^\  En 
Espagne  ils  avaient  à  choisir  entre  l'apostasie, 
Temprisonnement  et  l'exil;  en  France  un  sort 
semblable  les  attendait  Ils  erraient  de  pays  en 
pays,  cherchant  en  vain  du  repos  pour  la  plante  de 
leurs  pieds.  Les  vastes  champs  de  TAsie  même  ne 
leur  offrirent  aucun  lieu  oîi  ils  pussent  se  reposer  ; 
car  là,  comme  sur  les  montagnes  et  dans  les  val- 
lées de  l'Europe,  leur  passage  était  marqué  par 
les  traces  de  leur  sang.  Mahomet,  dont  l'impos- 
ture est  devenue  la  règle  de  foi  de  tant  de  millions 
de  nos  semblables,  Mahomet,  par  les  préceptes  du 

(78)  Basnage,  1.  VI,  c.  xxi,  §  9.  —  (79)  Ibid.,  §17. 


n>2  LES  .11  IFS.  CH.  VIII. 

Coran,  lit  poiiélrer  dans  l'esprit  de  ses  diseij)les 
la  même  animosité  et  la  même  liaiiKî  (îonireles 
Juifs  inerédnles  et  méprisés.  11  donna  le  premiei' 
Texemple  d'une  persécntion  qni  dnreeneoie.  Dans 
la  troisième  année  de  riiéi>ire,  il  assiégea  les  elia- 
teanx  que  les  Juifs  possédaient  dans  Tlléi^ian  ,  il 
força  ceux  qui  s'y  étaient  réfugiés  de  se  rendre  à 
discrétion  ,  les  bannit  du  pays,  et  partagea  leurs 
biens  entre  ses  musulmans.  Plus  tard,  il  dispersa 
leurs  forces  encore  une  lois  décimées,  massacra 
un  grand  nombre  d'entre  eux,  et  fit  peser  sur  le 
reste  d'accablantes  contributions. 

L'Kglise  de  Rome  les  a  toujours  mis  au  rang 
des  hérétiques.  Les  edits  de  différents  conciles 
prononcent  l'excommunication  contre  tous  ceux 
qui  favoriseraient  les  Juifs  ou  soutiendraient  leurs 
droits  contre  ceux  des  Chrétiens  ;  ils  déclarent 
les  Juifs  incapables  d'exercer  aucune  fonction 
publique ,  ou  de  posséder  des  esclaves  chrétiens  ; 
ils  leur  assignent  des  marques  distinctives  et  in- 
famantes; ils  ordonnent  que  leurs  enfants  leur 
soient  enlevés  et  placés  dans  des  monastères;  et 
ce  qui  prouve  le  peu  de  cas  que  l'on  faisait  d'eux 
et  montre  le  genre  de  traitement  qui  les  attendait 
partout,  c'est  que  ceux  mêmes  qui  les  opprimaient 
étaient  souvent  obligés  de  défendre  de  tuer  un 
Juif  comme  une  bête  féroce  ^^. 

L'histoire  des  Juifs  pendant  le  moyen-âge,  par 
Hallam,  est  courte,  mais  pleine  d'intérêt.  Ils  sont 
partout  l'objet  des  insultes  de  la  populace,  de  la 
tyrannie  des  gouvernements,  et  périssent  plus 
d'une  fois  dans  un  massacre  général.  On  choisissait 
ordinairement  des  jours  de  réjouissances  et  de 
fêtes  pour  faire  d'eux  les  objets  du  mépris  et  des 

(80)  Dupin,  Ecc.  Hist.,  Con.  Toi.  A.  D.  633.  Meaiix,  8/j5. 
Paris,  846.  Pavie,  850.  Metz,  1050.  Rouen,  1074.  Ravenne,  J3id. 
Saltzbourg,  i/j20. 


CH.  VIII.  LES  JUIFS.  16S 

insultes  de  la  populace.  — A  Toulouse,  on  ne 
manquait  jamais  de  les  frapper  au  visage  le  jour 
de  Pâques;  à  Beziers,  on  les  lapidait  depuis  le 
dimanche  des  Rameaux  jusqu'à  Pâques.^  anniver- 
saire où  leur  sang  coulait  souvent  en  abondance , 
fête  de  cruauté  à  laquelle  Tévêque  de  la  ville 
invitait  ses  diocésains  à  prendre  part.  Les  rois 
de  France .  se  servaient  d'eux  comme  d'une 
éponge  pour  ramasser  l'argent  de  leurs  sujets , 
afin  de  pouvoir  l'enlever  plus  tard  sans  encou- 
rir l'opprobre  d'une  taxe  vexatoire.  Il  est  pres- 
que incroyable  jusqu'à  quel  point  on  porta  cette 
manie  d'extorquer  l'argent  des  Juifs.  Mais  ce 
peuple  extraordinaire  supporta  avec  un  courage 
invincible  cette  série  de  persécutions,  et  continua 
avec  encore  plus  de  persévérance  à  amasser  des 
richesses  ,  à  mesure  que  ses  spoliateurs  l'en 
dépouillaient. 

Philippe- Auguste  remit  à  tous  les  chrétiens  de 
son  royaume  leurs  dettes  envers  les  Juifs,  s'en 
réservant  une  cinquième  partie  pour  lui-même. 
Plus  tard  il  expulsa  la  nation  tout  entière  hors 
de  la  France'*.  Saint-Louis  les  exila  deux  fois 
et  deux  fois  les  rappela;  finalement  Charles  VI 
les  bannit  de  son  royaume.  Sept  fois,  selon  Méze- 
ray,  ils  furent  chassés  de  France.  Ils  furent  égale- 
ment bannis  d'Espagne,  et,  d'après  le  calcul  le 
moins  élevé,  il  paraît  que  cent-soixante-dix  mille 
familles  quittèrent  cette  contrée '^  A  Verdun ,  à 
Trêves,  à  Metz,  à  Spires  et  à  Worms,  on  en  dé- 
pouilla et  massacra  plusieurs  milliers.  Quelques- 
uns  se  sauvèrent  par  une  conversion  simulée  et 
passagère;  mais  la  plupart  barricadèrent  leurs 
maisons,  et  se  précipitèrent  avec  leurs  familles  et 
leurs  richesses  dans  les  rivières  ou  au  milieu  des 

(81)  Hallam,  vol.  I,  p.  233,  234. 

(82)  Basnage,  1.  VII,  c.  xxi.  —  Newton, 


l^i  LESJLIFS.  Cil.  Vllf. 

llammes.  il  iiyciUpcis  mmc  croisade  à  laquelle 
on  ne  préludai  par  des  assassinats  de  Juifs  et 
par  d'iniques  déprédations "'.  Ils  n'eurent  pas 
moins  de  cruautés  et  d'oppression  à  souffrir  en 
Angleterre.  Pendant  les  croisades,  la  nation  tout 
entière  se  ligua  pour  les  persécuter. 

A  NorAvicli,  rien  ne  put  arrêter  la  furie  du 
peuple,  qui  ne  se  calma  qu'après  les  avoir  mas- 
sacrés jusqu'au  dernier.  Il  y  en  eut  un  grand 
nombre  de  tués  à  Stamford,  k  Saint-Edmunds,  à 
Lincoln  et  dans  l'île  d'Ely,  oîiune  foule  de  ces 
infortunés  avaient  cherché  un  asile;  mais  k  York, 
à  une  seule  époque,  1500  Juifs,  y  compris  les 
femmes  et  les  enfants,  périrent  d'une  mort  af- 
freuse. On  leur  refusa  toute  merci,  et  quand  ils 
virent  qu'il  ne  pouvaient  racheter  leur  vie  k 
quelque  prix  que  ce  fût,  devenus  furieux  de 
désespoir,  ils  prirent  le  parti  de  s'entretuer; 
chaque  père  fut  le  meurtrier  de  sa  femme  et  de 
ses  enfants,  et  ils  ne  trouvèrent  ainsi  de  refuge 
que  dans  la  mort.  Le  spectacle  qu'avait  présenté 
le  château  de  Mussada ,  dernière  forteresse  qu'ils 
possédaient  encore  dans  la  Palestine,  et  où  près 
de  mille  terminèrent  leur  vie  par  le  même  acte 
de  désespoir,  se  renouvela  ainsi  dans  le  château 
d'York  ^\ — On  leur  portait  une  haine  et  un  mépris 
si  grands  que  lorsque  les  barons  étaient  en  lutte 
avec  Henri  III,  voulant  se  mettre  dans  les  bonnes 
grâces  du  peuple ,  ils  donnèrent  l'ordre  de  faire 
passer  sept  cents  Juifs  au  fil  de  l'épée,  et  de 
brûler  leur  synagogue.  Richard ,  Jean  '^  et 
Henri  HI  leur  demandaient  souvent  de  l'argent, 
et  ce  dernier,  par  les  moyens  les  plus  atroces, 
s'assura  des  sommes  énormes,  suffisantes  pour 

(83)  Gibbon,  vol.  XI,  c.  lviii.  —  (84)  Basnage,  1,  VII,  c.  x,  §  20. 
—  Rapin,  vol.  III,  p.  47.  —  Josèphe,  1.  VII,  c.  8. 

(85)  Les  persécutions  auxquelles  les  Juifs  étaient  exposés  à  cetter 


CH.  vin.  LES  JUIFS..  165 

subvenir  à  ses  honteuses  dépenses.  Ses  exactions 
devinrent  à  la  fin  si  exorbitantes,  et  ses  exigences 
si  vexa toires,  que  les  Juifs,  d'après  leur  historien, 
ne  désiraient  plus  que  de  pouvoir  obtenir  la  per- 
mission de  quitter  le  royaume  ^^'.  Mais  cet  exil 
même  leur  fut  refusé.  Edouard  P^  acheva  leur 
ruine ,  confisqua  tous  leurs  revenus  et  les  bannit 


du 

sans 


pays.  Plus  de  15,000  Juifs  se  trouvèrent  ainsi 
s  asile,  dépouillés  de  toute  ressource  et  réduits 


époque  sont  fidèlement  décrites  dans  le  roman  historique  d'Ivan- 
hoè.  Ils  y  sont  dépeints  comme  «  une  race  qui,  pendant  ce  siècle 
d'ignorance,  était  détestée  par  le  peuple  crédule  et  rempli  de  préju- 
gés, et  persécutée  par  la  noblesse  avide  et  rapace.  »  Plus  loin 
r auteur  ajoute  : 

G  Excepté  le  poisson  volant  qui  trouve  des  ennemis  dans  deux 
éléments,  il  n'existait  point  d'êtres  dans  la  nature  qui  fussent, 
comme  les  Juifs  d'alors,  l'objet  d'une  persécution  si  générale,  si 
constante  et  si  cruelle.  Sous  les  prétextes  les  plus  légers  et  les 
plus  déraison  sables,  et  d'après  les  accusations  les  plus  injustes  et 
les  plus  absurdes,  leurs  personnes  et  leur  fortune  étaient  exposées 
à  la  fureur  populaire.  Normands  et  Saxons,  Danois  et  Bretons,  tous, 
quoique  ennemis  les  uns  des  autres,  se  disputaient  à  qui  serait  le 
plus  acharné  contre  un  peuple  qu'on  se  faisait  un  devoir  de  religion 
de  haïr,  d'insulter,  de  piller  et  de  tourmenter.  Les  rois  de  race  nor- 
mande et  les  nobles  indépendants,  qui  suivaient  leur  exemple  en  se 
permettant  des  actes  arbitraires,  exerçaient  contre  cet  te  mal  heureuse 
nation  un  système  de  persécution  plus  régulier  et  fondé  sur  les 
calculs  d'une  cupidité  insatiable.  On  connaît  le  trait  du  roi  Jean 
qui ,  ayant  fait  enfermer  dans  son  château  un  Juif  opulent,  lui  fit 
arracher  tous  les  jours  une  dent  jusqu'à  ce  que  l'Israélite,  voyant 
la  moitié  de  sa  mâchoire  dégarnie,  eut  consenti  h  payer  une  somme 
considérable  que  le  tyran  voulait  lui  extorquer.  Le  peu  d'argent 
comptant  qui  se  trouvait  dans  le  pays  était  entre  les  mains  de  ce 
peuple  persécuté ,  et  la  noblesse  n'hésitait  pas  à  suivre  l'exemple 
du  monarque  et  à  mettra  les  Juifs  à  contribution,  en  employant 
contre  eux  toute  espèce  de  persécution  et  quelquefois  même  en 
les  condamnant  aux  tortures^  »  (Vol.  L)  Le  caractère  fictif  d'Lsaac 
d'York  est  conçu  d'une  manière  également  conforme  à  la  vérité 
de  l'histoire  et  aux  prophéties  concernant  le  peuple  juif.  Sir  Walter 
Scott  a  décrit  de  main  de  maître,  et  en  conservant  la  couleur 
prophétique,  le  sort  qui  fut  prédit  à  cette  race  il  y  a  près  de  vingtr 
six  siècles,  dans  un  pays  éloigné  d'environ  700  lieues  des  scènes  oii 
la  prophétie  était  annoncée,  et  du  seul  pays  que  les  Juifs  aient  ja- 
mais possédé. 

(86)  Rapin,  vol.  III,  p.  405. 


IGG  LES  JUIFS.  CH.  Vlll. 

à  laiiiisèro.  Il  se  passa  près  de  quatre  siècles  avant 
que  cette  race  malheureuse  pût  revenir  en  An- 

i^ieterrc. 

Plusieurs  circonstances  remarquables  prouvent 
encore,  sans  entrer  dans  des  détails  minutieux, 
que  partout  ce  peuple  a  été  particulièrement  op- 
primé. Le  premier  essai  de  législation  en  France, 
ce  fut  une  loi  contre  les  Juifs.  Et  ce  fut  pour  eux 
seuls  que  la  grande  charte ,  ce  pacte  si  glorieux 
pour  les  Anglais,  et  le  boulevard  de  la  liberté 
britanique,  légalisa  un  acte  d'injustice  ®^ 

Pendant  plusi eurs  siècles  après  leur  dispersion , 
ils  ne  purent  trouver  ni  en  Europe,  ni  en  Asie, 
ni  en  Afrique ,  un  seul  pays  oii  il  leur  fût  permis 
de  se  reposer;  il  leur  fallut  en  chercher  un  aux 
extrémités  de  la  terre.  Dans  les  pays  mahométans, 
on  leur  a  fait  subir  toutes  espèces  d'outrages  et 
d'injures.  Ordinairement  on  leur  assigne  pour 
demeure  une  certaine  portion  de  la  ville,  comme 
autrefois  à  Londres;  on  leur  ordonne  de  porter 
un  certain  habit  particulier  ;  et  dans  plusieurs 
endroits  il  leur  est  enjoint  de  ne  quitter  leur 
domicile  qu'à  certaines  heures.  A  Hamadan, 
comme  du  reste  dans  toute  la  Perse ,  ils  forment 
une  race  méprisée ,  qui  n'a  d'autre  moyen  d'exis- 
tence que  le  métier  de  colporteur.  Ils  vivent  dans 
la  plus  grande  pauvreté,  paient  une  taxe  men- 
suelle  au  gouyernement,  ne  peuvent  cultiver  la 
terre  ou  acquérir  des  propriétés  ^^  Ils  ne  peuvent 
paraître  en  public,  et  encore  moins  suivre  leurs 
rits  religieux,  sans  être  tournés  en  ridicule  et 
traités  avec  le  dernier  mépris"®.  — Le  prince  de 
Bohan  n'a  d'autre  revenu  qu'un  tribut  versé  par 
500  familles  juives,  imposées  selon  leurs  moyens. 

(87)  Art.  19,  93.  —  (88)  J.  Morier,  Voyages  en  Perse,  p.  ^79. 
(89)  Histoire  de  la  Perse,  par  sir  J.  Malcolm,  vol.  II,  jk  425. 


CH.  VIII.  LES  JUIFS.     ^  167 

A  Zante  ils  sont  dans  la  plus  profonde  indigence^ 
et  gémissent  sous  la  plus  intolérable  oppression  ^^. 
Lorsqu'un  criminel  est  condamné  à  mort  h  Tripoli, 
c'est  le  premier  Juif  sur  lequel  on  peut  mettre  la 
main  qui  remplit  la  fonction  de  bourreau  ;  dégra- 
dation infligée  sur  les  enfants  d'Israël  à  laquelle  un 
Maurenese  trouve  jamais  exposé^'.  En  Egypte  ils 
sont  sans  cesse  en  but  à  la  persécution  ^^  Dans 
l'Arabie  on  les  traite  avec  encore  plus  de  mépris 
qu'en  Turquie^".  Presque  tous  les  voyageurs  mo- 
dernes en  Afrique  et  en  Asie  disent  que  les  Juifs 
eux-mêmes  sont  étonnés  ^  et  le  peuple  indigné , 
au  moindre  signe  de  bienveillance  ou  au  moindre 
sentiment  de  justice  qu'on  témoigne  à  ce  peuple 
déchu  et  persécuté  ^^. 

On  trouve  dans  les  lettres  de  Southey  sur  l'Es- 
pagne et  le  Portugal  le  rapport  suivant  :  Il  n'y  a 
pas  encore  cinquante  ans  que  le  supplice  d'un  Juif 
était  le  spectacle  favori  des  Portugais;  ils  accou- 
raient en  foule  jouir  de  ce  qu'ils  appelaient  le 
triomphe  de  la  foi,  et  les  femmes  jetaient  des  cris 
d'allégresse  à  la  vue  de  l'agonie  du  martyr  brûlé 
vif:  rien  ne  pouvait  sauver  ces  malheureux;  on 
n'avait  égard  ni  à  l'âge  ni  au  sexe,  et  Antonio 
Joseph  de  Sylva,  l'un  de  leurs  meilleurs  écrivains 
dramatiques,  fut  brûlé  vif  parcequ'il  était  Juif. — 
Il  n'y  a  que  quelques  années  que  les  Juifs  eurent 
encore  à  subir  une  cruelle  persécution  en  Prusse 
et  en  Allemagne;  et  dans  plusieurs  des  petits 
états  de  ce  dernier  pays  on  ne  leur  permet  pas 
aujourd'hui  de  vendre  leurs  marchandises  sur  les 
places  des  marchés  publics.  Dernièrement  encore 

(90)  Voyages,  par  Hughes,  vol.  I,  p.  150. 

(91)  Lyon,  p.  16, 

(92)  Voyages  en  Egypte,  par  Denon,  vol.  I,  p.  215. 

(93)  Voyages  de  Niebuhr,  vol.  II,  p.  408. 

(94)  Morier,  p.  266.  — -  Lyon,  p.  32. 


1G8  LES  JUIFS.  CH.  Vin. 

des  bulles  papales  fort  sévères  ont  été  lancées 
contre  eux ,  et  plusieurs  ukases  ont  défendu  aux 
Juifs  de  faire  le  commerce  dans  aucune  des  par- 
ties de  l'empire  russe.  Il  leur  esl  absolument  in- 
terdit sous  peine  d'exil  d'offrir  en  vente  quoi  qiw 
ce  puisse  être^soit  en  public,  soit  en  particulier'^'. 
On  ne  leur  permet  pas  de  séjourner,  même  pour 
un  temps  limité,  dans  aucune  des  villes  de  la 
Russie,  sans  une  permission  expresse  du  gouver- 
nement, qui  n'est  donnée  que  dans  des  cas  oii  leurs 
services  peuvent  être  nécessaires  ou  utiles  k  l'État. 
Sur  leur  refus  de  quitter  leur  demeure,  dès  qu'ils 
deviennent  suspects  au  gouvernement,  on  les 
traite  comme  des  malfaiteurs  et  des  vagabonds; 
personne  n'ose  leur  donner  asile.  Et  quoique  l'ef- 
fet de  pareilles  lois  soit  de  les  priver  dans  beau- 
coup de  cas  des  moyens  de  subsistance  réguliers, 
cependant  leur  désobéissance  les  expose  à  toutes 
sortes  d'oppressions  légales  et  à  toute  espèce 
d'insultes,  contre  lesquelles  ils  n'ont  ni  recours 
ni  appel.  Ils  peuvent  être  quelquefois  des  objets 
de  pitié  ;  mais  les  décrets  impériaux  défendent  k 
leur  égard  tout  acte  d'humanité  ;  et  même 
celui  qui  donne  asile  à  un  Juif,  condamné 
pour  des  fautes  que  d'autres  commettraient 
impunément ,  est ,  selon  l'expression  du  dernier 
ukase  ,  «  coupable  devant  la  loi  comme  complice 
de  vagabonds;  «  ainsi,  selon  la  prédiction,  «  per- 
«  sonne  ne  doit  les  épargner ^^  » 

(95)15  nov.  1797;  25  fév.  1823;  8  juin  1826. —Ukase  cité 
dans  le  FForUI,  le  31  octobre  1827.  —  Ibid.,  art.  8. 

(96)  Si  d'un  côté  les  prophéties  décrivent  les  malheurs  éprouvés 
par  les  Juifs  et  ceux  qu'ils  éprouvent  maintenant,  de  l'autre  elles 
nous  transportent  avec  la  môme  précision  au  temps  où  les  Juifs 
retourneront  à  la  terre  chérie  de  leurs  pères,  temps  où  ils  ne 
seront  plus  abreuvés  de  mépris,  et  où  leur  bonheur  leur 
paraîtra  d'autant  plus  grand  qu'il  contrastera  avec  les  misères 
passées  de  leur  race.  Avant  que  cela  arrive  cependant,  les  mau- 
vaises passions  des  hommes  et  la  politique  des  rois  de  ce  monde 


CH.  vin.  LES  JUIFS.    -  169 

Ces  faits,  tout  en  n'étant  qu'une  esquisse  légère 
et  imparfaite  des  souffrances  qu'il  leur  a  fallu  en- 
durer,  nous  montrent  cependant  que  les  Juifs 
«  ont  été  dispersés  parmi  les  nations  5  que  l'épée 
«  a  été  tirée  contre  eux,  que  la  plante  de  leurs 
«  pieds  n'a  eu  aucun  repos,  qu'ils  n'ont  point  pu 
«  subsister  devant  leurs  ennemis ,  qu'il  n'y  a  eu 
«  aucun  pouvoir  en  leurs  mains ,  que  leur  avarice 
«  même  a  été  la  cause  de  leur  misère,  qu'ils  ont 
«  souffert  l'injustice  et  le  pillage,  qu'ils  ont  été 
«  en  opprobre  et  en  servitude,  et  qu'ils  ont  été 
«  hors  de  sens,  à  cause  des  choses  qu'ils  ont  vues 
«  de  leurs  yeux  ;  »  comme  le  prouvent  les  scènes 
tragiques  de  Massada,  d'York  :  «  ils  ont  été  dans 
a  la  faim,  dans  la  soif,  dans  la  nudité,  et  dans 
«  la  disette  de  toutes  choses.  L'Éternel  leur  a 
«  donné  un  cœur  tremblant  et  la  détresse  d'âme, 
«  leur  vie  n'a  point  été  assurée,  leurs  plaies  ont 
«  été  grandes  et  de  longue  durée.  Ils  ont  été  en 
«  étonnement  et  en  prodige  à  jamais.  » 

Mais  les  prophéties  vont  plus  loin  encore  !  Il 
fut  clairement  prédit  que  les  Juifs  rejetteraient 

auront  en  toutes'choses  démontré  la  vérité  de  la  parole  de  Dieu,  el 
elle  apparaîtra  dans  tout  son  éclat  alors  que  les  impérieux  décrets 
des  mortels  seront  oubliés  ainsi  que  leurs  auteurs.  Nous  croyons, 
à  ce  sujet,  devoir  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  le  onzième  article 
de  Tukase  actuellement  en  vigueur,  comme  digne  d'altenlion. 
Nous  nous  bornerons  à  observer  que  c'est  dans  un  district  spécifié 
de  la  Pologne  conquise  que  les  rabbins  doivent  désormais  être  exilés, 
a  Les  rabbins  ou  autres  fonctionnaires  religieux  seront  renvoyés 
par  Tofficier  de  police  aussitCt  qu'il  se  sera  assuré  que  telle  est 
leur  profession.» — «  Tes  docteurs  ne  seront  plus  mis  à  l'écart, 
a  mais  tes  yeux  verront  tes  docteurs.  «  Esaïe,  XXX,  20. 

La  description  concise  mais  énergique  que  lord  Byron  a  faiîe  des 
Juifs  nous  les  représente  tels  qu'ils  sont,  tels  qu'ils  doivent  être 
selon  les  prédictions  : 

«  Hommes  aux  pieds  errants,  au  cœur  faible  et  peureux,}  '  '" 
«  Quand  pourrons-nous  donc  fuir,  quand  serons-nous  heureux? 

«  La  plante  de  leurs  pieds  n'a  eu  aucun  repos.  L'Éternel  leur  a 
«  donné  un  cœur  tremblant  et  la  détresse  de  l'âme.  » 

8 


170  LES  JUIFS.  Cil.  viir. 

l'Êvaii{^ilc,  et  que  sa  simplicité  et  l'orçueilleuse 
dureté  de  leur  cœur  les  eni])èclieraient  de  croire 
à  uu  Messie  souffrant;  «  qu'ils  seraient  frappés 
«  d'aveuglement  et  d'étonnement  de  cœur;  qu'ils 
«  continueraient  longtemps  ayant  les  oreilles 
«  sourdes  5  et  les  yeux  fermés ,  et  le  cœur  en- 
ce  durci,  et  qu'ils  iraient  tâtonnant  en  plein  midi 
((  comme  un  aveugle  tâtonne  dans  les  ténèbres^^  » 
Et  il  y  a  longtemps  que  la  grande  masse  du  peuple 
juif  continue  à  rejeter  le  christianisme.  Us  con- 
servent les  prophéties,  sans  en  apercevoir  la 
clarté,  qu'ils  ont  obscurcie  par  leurs  traditions. 
Plusieurs  de  leurs  idées  sont  tellement  absurdes 
et  même  impies,  la  plupart  de  leurs  rits  sont  si 
minutieux,  si  frivoles  et  si  ridicules ,  qu'on  aurait 
peine  à  en  croire  le  récit,  si  on  ne  le  lisait  dans 
leurs  propres  auteurs ,  et  s'il  n'était  attesté  par 
leurs  coutumes^^  Il  serait  impossible  de  décrire 
en  termes  plus  frappants  ou  plus  justes  le  con- 
traste qui  existe  entre  leurs  croyances  supersti- 
tieuses et  celles  d'une  raison  éclairée,  et  celles 
de  l'Évangile  qu'ils  méprisent ,  que  ne  le  font  ces 
paroles:  «  Ils  vont  tâtonnant  en  plein  midi, 
a  comme  un  aveugle  tâtonne  dans  les  ténèbres.  » 
— Quand  même  d'autres  preuves  de  ces  prédic- 
tions viendraient  à  manquer,  il  serait  clair  encore 
que  le  sentiment  des  nations  à  leur  égard  a  été  pré- 
dit avec  autant  de  précision  que  ce  qui  se  rapporte 
aux  Juifs  eux-mêmes.  Que  les  Juifs  aient  été  «  en 
«  proverbe,  en  étonnement,  un  sujet  de  honnisse- 
«  ment  et  d'invectives  parmi  tous  les  peuples,» 
c'est  une  vérité  qu'il  n'est  nullement  nécessaire 
de  prouver,  et  qui  cependant  est  un  fait  aussi  inoui 
dans  l'histoire  du  monde  que  la  prédiction  en  est 

(97)  Deut.,  XXVIII,  24. 

(98)  Voyez  Histoire  du  Judaïsme  moderne  par  Allen.  —  Ency- 
clopédie d'Edimbourg,  arU  Juifs. 


CH.  VIII.  LES  JUIFS.   *  171 

miraculeuse  et  raccomplissement  inconcevable. 

Plusieurs  prophéties  fayorables  aux  Juifs  et  qui 
ne  sont  pas  encore  accomplies  sont  autant  de  té 
moignages  réservés ,  sinon  à  la  génération  ac- 
tuelle, du  moins  à  celles  qui  doivent  lui  succéder; 
mais  il  est  bon  de  remarquer  que ,  selon  qu'il  a  été 
prédit,  ils  n'ont  jamais  été  entièrement  détruits, 
tandis  que  leurs  ennemis  ont  disparu  de  dessus  la 
surface  de  la  terre.  Où  sont  maintenant  les 
descendants  des  Egyptiens,  des  Assyriens,  des 
Babyloniens,  des  Romains,  peuples  puissants  qui 
dominaient  sur  le  monde  entier?  mais  les  Juifs, 
quoique  opprimés  et  vaincus,  quoique  bannis, 
quoique  esclaves  ,  ont  survécu  à  toutes  ces 
nations,  et  aujourd'hui  encore  ils  sont  dispersés 
sur  toutes  les  parties  du  globe.  De  toutes  les  na- 
tions qui  environnent  la  Judée,  la  Perse  seule, 
qui  les  renvoya  de  la  captivité  de  Babylone ,  forme 
encore  un  rovaume. 

Les  Ecritures  déclarent  aussi  que  l'alliance 
faite  avec  Abraham,  dans  laquelle  Dieu  lui 
promet  qu'il  donnera  la  terre  de  Chanaan  en 
héritage  éternel  à  ses  descendants,  ne  pouvait 
être  rompue;  mais  que  les  enfants  d'Israël 
seraient  rassemblés  d'entre  les  nations  idolâ- 
tres 5  recueillis  de  tous  les  bouts  de  la  terre ,  et 
qu'ils  reviendraient  habiter  pour  toujours  sur  le 
sol  de  leurs  pères.  Il  y  a  déjà  trois  mille  sept  cents 
ans  que  cette  promesse  fut  faite  à  Abraham  ;  et  si 
cette  promesse  avait  été  faite  à  toute  autre  nation, 
excepté  aux  descendants  d'Abraham,  l'accom- 
plissement en  serait  devenu  impossible ,  vu  qu'il 
n'existe  point  sur  le  globe  de  postérité  connue  ou 
inconnue  d'aucun  autre  individu  ou  d'aucun  au- 
tre peuple  contemporain  de  ce  patriarche  :  mais 
qu'à  travers  toutes  les  révolutions  qui  ont  changé 
la  face  des  royaumes  de  la  terre,  il  ne  soit  sur- 


172  LES  JUIFS.  Cil.  VIII. 

venu  aiicim  événement  qui  ail  pu  rendre  iinpos- 
si!)le  raccomplissement  de  ces  prophélies;  mais 
qu'au  contraire  réi.at  des  Juifs,  celui  des  chrétiens 
et  des  nations  païennes,  conspirent  pour  le  pré- 
parer; assurément  il  y  a  dans  tout  cela  un  miracle. 
Telles  sont  les  prophéties  et  tels  sont  les  faits 
relatifs  aux  Juifs,  et  de  telles  données  n'est-i! 
pas  facile  au  plus  faible  logicien  de  tirer  une 
démonstration  morale?  Si  les  Juifs  avaient  été 
entièrement  détruits  ,  s'ils  avaient  été  perdus 
parmi  les  autres  nations  de  la  terre;  si ,  pendant 
l'espace  de  dix-huit  siècles  qui  se  sont  écoulés 
depuis  leur  dispersion ,  ils  s'étaient  éteints 
comme  peuple,  si  même  ils  avaient  été  relégués 
dans  une  seule  région  et  s'étaient  maintenus  a 
part^  unis  entre  eux;  si  leur  histoire  avait  été  ana- 
logue à  celle  de  quelque  autre  nation ,  on  aurait 
pu  essayer,  avec  quelque  apparence  de  raison,  de 
démontrer  que  la  prédiction  faite  du  sort  qui  les 
attendait,  quelque  d'accord  qu'elle  fût  avec  la 
vérité ,  ne  pouvait  en  pareil  cas  être  reçue  comme 
preuve  de  la  vérité  de  l'inspiration.  — ^  Si  seule- 
ment l'histoire  passée  des  Juifs  et  leur  état  présent 
n'étaient  pas  d'une  nature  si  singulière  et  si  spé- 
ciale, qu'ils  accomplissent  jusqu'à  la  lettre  toutes 
les  prédictions,  quel  triomphe  ne  serait-ce  pas 
pour  rincrédule  que  de  produire  ces  prophéties 
mêmes  comme  preuve  convaincante  de  la  non-in- 
spiration divine  des  saintes  Écritures?  Et  après 
que  les  Juifs  ont  été  dispersés  sur  toute  la  terre , 
après  qu'il  a  été  prouvé  qu'ils  existent  encore  et 
forment  une  race  à  part,  qu'ils  ont  été  dépouillés 
de  toutes  les  manières  sans  être  anéantis;  après 
que  les  faits  les  plus  merveilleux,  tels  qu'on  ne 
peut  en  citer  d'aucun  autre  peuple,  après,  disons- 
nous,  que  toute  leur  histoire  contient  de  tels  faits, 
faits  accomplissant  littéralement  les  prophéties 


CH.  Vllï.  LES  JUIFS^  173 

qni  les  regardent ,  le  croyant  ne  peut-il  pas  appeler 
son  adversaire  à  produire  de  semblables  faits  à 
l'appui  de  sa  croyance?  —  Voilà  donc  une  longue 
chaîne  d'évidences  non  interrompues  et  dont 
chaque  anneau  contient  une  prophétie  et  un  fait; 
et  cette  chaîne  s'étend  à  travers  une  multitude  de 
générations  et  se  continue  encore;  quoique  ces 
événements,  tout  variés  et  tout  singuliers  qu'ils 
sont,  aient  été  amenés  par  des  moyens  et  des  in- 
struments humains  et  par  des  causes  secondaires, 
ils  n'en  sont  pas  moins  prophétiques  et  miracu- 
leux; car  il  était  aussi  impossible  que  les  moyens 
fussent  prévus  qu'il  était  impossible  de  prévoir 
la  fin  et  les  causes  d'un  événement  inscrutable  , 
et  dans  beaucoup  de  cas  ces  prophéties  ont  été 
accomplies  par  les  ennemis  mêmes  du  christia- 
nisme. Pour  celui  qui  veut  un  miracle,  en  voilà 
un;  et  oil  saurait-il  en  trouver  un  seul  plus  complet 
et  plus  étonnant? —  Quant  au  chrétien,  il  peut  se 
tenir  ferme  dans  cette  forteresse  du  christianisme  ; 
de  tous  côtés  elle  est  inabordable  et  impénétrable. 
Les  prophéties  relatives  aux  Juifs  sont  aussi 
claires  que  le  récit  des  événements.  Elles  sont 
aussi  anciennes  que  les  annales  du  monde,  et 
on  n'a  jamais  prétendu  qu'elles  n'aient  pas  été 
prononcées  avant  leur  accomplissement.  Elles 
sont  tellement  en  dehors  des  spéculations  de 
la  sagesse  humaine  que  la  sphère  de  la  nature  tout 
entière  ne  présente  rien  qui  leur  soit  semblable; 
et  les  faits  sont  visibles,  palpables  et  saisissables 
dans  toute  leur  étendue.  Aurait-il  été  possible  à 
Moïse ,  homme  non  inspiré ,  de  décrire  l'histoire , 
la  destinée ,  la  dispersion ,  le  caractère  du  peuple 
d'Israël  jusqu'à  ce  jour,  c'est-à-dire  pour  plus  de 
trois  mille  deux  cents  ans ,  puisque  lui-même,  en 
descendant  du  mont  Sinaï  oii  il  avait  séjourné 
quarante  jours,  était  dans  la  surprise  et  l'éton- 


17  4  LES  JUIFS.  Cfl.  VIII. 

/ieinent,  du  changement  qui  s'était  opéré  dans  la 
nuiUilude  qu'il  conduisait?  Aurait-il  été  possible 
à  différentes  personnes,  à  des  époques  diverses, 
d'annoncer  les  mêmes  faits,  qui  se  sont  tiouvés 
aussi  véritables  que  surprenants?  Auraient-elles 
pu  divulguer  ainsi  les  secrets  de  l'avenir,  que  leur 
nature  même  cachait  à  leurs  yeux?  Une  infinité  de 
probabilités  s'élèvent  contre  unetellesupposition, 
car  l'esprit  de  l'homme  hésite,  balance  souvent 
même  devant  des  événements  très  près  de  lui,  en 
vue  des  résultats  les  plus  probables;  mais  dès 
qu'il  s'agit  de  siècles  éloignés,  dès  qu'il  s'a- 
git d'événements  qui  se  rapportent  à  des  milliers 
d'années  postérieures  à  son  existence ,  à  des  faits 
qui  paraissent  contraires  à  toute  science ,  à  toute 
expérience,  à  toutes  les  idées  d'analogie,  tout 
est  voilé  et  impénétrable  devant  ses  pas. 

Repassons  en  peu  de  mots  chaque  fait  comme 
il  se  présente  devant  nous  :  en    est-il  un  seul 
qui  ne    semble  défier   nos   conjectures  et  les 
calculs  de  la  sagacité  la  plus  profonde?  La  disper- 
sion des  Juifs  et  les  circonstances  qui  l'accompa- 
gnaient, la  désolation  de  leurs  villes,  la  destruc- 
tion de  leur  temple ,  le  lieu  où  il  s'élevait  labouré 
comme  un  champ ,  leur  pays  dévasté ,  le  peuple 
passé  au  fil  de  l'épée,  en  proie  à  la  famine  et  à  la 
peste,  une  portion  échappant  néanmoins,  mais 
dépouillée,  persécutée,  rendue  esclave  et  con- 
duite  en  captivité;  ces  malheureux  chassés  de 
leur  propre  pays,  non  pas  vers  un  lieu  de  retraite, 
mais  dispersés  parmi  toutes  les  nations  et  aban- 
donnés à  la  merci  d'un  monde  qui  partout  les 
méprisait  et  les  opprimait;  brisés   comme   un 
vaisseau  naufragé  par   un  violent  orage,    dis- 
persés  sur   toute   la   terre   comme  des  débris 
sur  les  eaux ,  et  au  lieu  de  disparaître  parmi  les 
nations  ou   d'y  être  mêlés,  demeurant   encore 


CH.  Vlll.  LES  JUIFS..  175 

un  peuple  parfaitement  distinct,  le  même  dans 
chaque  royaume ,  ayant  les  mêmes  habitudes , 
les  mêmes  mœurs,  et  les  mêmes  croyances  dans 
chaque  partie  du  globe,  sans  avoir  d'éphod,  de 
théraphim  ou  de  sacrifices;  rencontrant  partout 
les  mêmes  insultes ,  la  même  dérision ,  la  même 
servitude  ;  ne  trouvant  aucun  lieu  de  sûreté  d'où 
un  ennemi  ne  vînt  les  déloger;  se  multipliant 
malgré  leurs  misères,  survivant  à  leurs  ennemis, 
voyant,  sans  en  être  atteints,  la  fin  de  plusieurs 
nations  et  le  bouleversement  de  toutes;  se  voyant 
enlever  leur  argent  et  leur  or  et  y  tenant  ton* 
jours;  souvent  privés  même  de  leurs  enfants; 
séparés  et  désorganisés,  mais  toujours  les  mê- 
mes; ne  changeant  jamais,  toujours  froissés, 
mais  jamais  brisés;  faibles,  craintifs,  tristes  et 
affligés  ;  perdant  la  raison  au  spectacle  de  leurs 
propres  misères,  devenant  un  mot  d'opprobre 
dans  la  bouche  de  tous;  en  but  à  la  moquerie,  aux 
insultes  de  chaque  peuple  ;  et  leur  nom  continuant 
à  être  ce  qu'il  a  toujours  été  jusqu'à  ce  jour ,  une 
injure  universelle. 

Comment  un  simple  mortel,  franchissant  par  la 
pensée  cent  générations  successives ,  aurait-il  pu 
prédire  une  de  ces  merveilles  qui  frappent  au- 
jourd'hui tous  les  yeux?  Qui,  si  ce  n'est  le  Père 
des  esprits,  possédant  une  prescience  parfaite 
des  volontés  et  des  actions  des  agents  moraux  et 
intelligents,  aurait  pu  nous  montrer  à  l'avance 
les  Juifs  toujours  errants  et  vagabonds,  sans  pou- 
voir jamais  se  fixer  nulle  part,  leur  étonnante 
destinée ,  leurs  sentiments  et  ceux  de  leurs  en- 
nemis dans  tous  les  siècles  et  sous  tous  les  cli- 
mats? Autant  vaudrait  dire  que  la  création  est 
l'œuvre  d'un  aveugle  hasard,  que  de  lui  attribuer 
la  révélation  de  toutes  ces  choses.  Elle  ne  peut 
être  qu'un  acte  et  une  démonstration  palpable 


'"^^^  LA  JliDEK.  Cil.   IX. 

(lu  pouvoir,  (1(3  la  i)resci(MKM^  do  Dieu  et  d(5  la 
\én\é  (le  sa  parole,  uueaeeiuuulalioude  niiraeles; 
et  (]uoi(|ue  eetr(î  iév(3latioii  ne  loi ine  (pTune  fai- 
ble portion  de  l'cividenee  de  la  relii^ion  ciné- 
tienne,  elle  n'en  demeure  pas  moins  comme  une 
pierre  d'aelioppement  pour  Tincrédulité,  ou  plu- 
t(it  comme  une  insurmontable  barrière  que  tout 
l'art  des  sceptiques  ne  saurait  tourner,  que  toute 
leur  puissance  ne  parviendra  jamais  à  renverser. 


CHAPITRE  IX. 

PROPHÉTIES  CONCERNANT    LA    JUDÉE    ET    LES 
CONTRÉES  ADJACENTES. 

Non-seulement  les  prophètes  juifs  prédirent 
quelle  devait  être  la  destinée  de  ce  peuple  pen- 
(îant  la  durée  d'une  infinité  de  générations ,  dont 
les  premières  ne  devaient  naître  que  plusieurs 
siècles  après  l'époque  que  le  scepticisme  lui- 
même  assignerait  à  leurs  prédictions;  mais  au 
temps  même  où  l'abondance  régnait  dans  la  Ju- 
dée ,  oil  une  population  innombrable  remplissait 
ses  cités ,  ils  en  annoncèrent  la  longue  et  épou- 
vantable désolation.  Le  pays  lui-même  est  donc  un 
témoin  irrécusable,  non  moins  que  la  nation.  L'as- 
pect de  ces  contrées,  et  de  nos  jours  et  depuis  plu- 
sieurs siècles,  est  précisément  celui  que  décrit  la 
plume  des  prophètes,  à  une  époque  où  chaque  trait 
qui  pouvait  admettre  un  changement  était  parfai- 
tement le  contraire  de  ce  qu'il  est  aujourd'hui.  Il 
suflit  de  comparer  les  prédictions  avec  les  preuves 
de  leur  accomplissement,  fournies  par  les  païens 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.    -  177 

et  par  les  infidèles  eux-mêmes.  Il  était  prédit  que 
les  calamités  d'Israël  augmenteraient  graduelle- 
ment avec  ses  iniquités,  qu'il  serait  châtié  «  sept 
fois  à  cause  de  ses  péchés^^  » .  Et  parmi  les  terribles 
châtiments  qui  devaient  remplir  la  mesure  de  sa 
punition ,  le  plus  affreux  de  tous  devait  être  la 
longue  désolation  de  son  pays.  Les  prophéties  qui 
annonçaient  ces  grands  malheurs  ont  reçu  un  ac- 
complissement littéral. 

«Je  réduirai  aussi  vos  villes  en  désert,  je^dé- 
«  solerai  vos  sanctuaires,  je  désolerai  ce  pays 
«  tellement  que  vos  ennemis  qui  s'y  établiront 
«  s'en  étonneront;  et  je  vous  disperserai  parmi 
«  les  nations;  je  dégainerai  l'épée  après  vous,  et 
«  votre  pays  sera  en  désolation ,  et  vos  villes  en 
«  désert.  Alors  cette  terre  se  plaira  dans  ses  sab- 
«  bats  tout  le  temps  gu'elle  sera  désolée,  et  lors- 
«  que  vous  serez  au  pays  de  vos  ennemis  la  terre 
«  se  reposera  et  se  plaira  en  ses  sabbats ,  et  cette 
«  terre  sera  abandonnée  par  eux,  et  elle  se  plaira 
«  dans  ses  sabbats  quand  elle  aura  été  désolée  à 
«  cause  d'eux*  ;  et  alors  la  génération  à  venir  dira, 
«  savoir  :  vos  enfants  qui  viendront  après  vous  et 
«  l'étranger  qui  viendra  d'un  pays  éloigné ,  quand 
«  ils  verront  les  plaies  de  ce  pays  et  ses  maladies 
«  dont  l'Eternel  l'affligera  :  Pourquoi  l'Eternel  a-t- 
«  il  ainsi  traité  ce  pays?  quelle  est  la  cause  de  l'ar- 
«  deur  de  cette  grande  colère?  La  colère  de  l'E- 
«  ternel  s'est  embrasée  contre  ce  pays  pour  faire 
«  venir  sur  lui  toutes  les  malédictions  écrites  dans 
«  ce  livre  ^.  »  —  «  Votre  pays  n'est  que  désolation 
«  et  vos  villes  sont  en  feu;  les  étrangers  dévore- 
«  ront  en  votre  présence  votre  pays ,  et  cette  dé- 
«  solation  sera  comme  une  ruine  faite  par  des 
«  étrangers;  et  la  fille  de  Sion  restera  comme  une 

(99)  LéviU,  XXVI,  18-21.  24.  —  (1)  Ibid.,  31-34,  43. 
(2)  Deut.,  XXIV,  22,  24,  27. 

8. 


^^^  LA  JUDÉE.  en.  IX. 

«  cabane  dans  une  vigne,  comme  une  loge  dans 
«  un  champ  de  concombres,  comme  une  ville  ser- 
«  rée  de  près.  Si  TEternel  des  armées  ne  nous  eût 
«réservé  quelque  petit  reste,  nous  aurions  été 
«  comme  Sodome,  et  nousserions  devenussembla- 
«  blés  à  Gomorrhe  ^  » — «  Car  vous  serez  comme 
«  un  chêne  duquel  la  feuille  déchoit,  et  comme  un 
«  verger  qui  n'a  point  d'eau \  » — «  Je  réduirai  ma 
«  vigne  en  désert;  si  plusieurs  maisons  ne  sont 
c(  réduites  en  désolation  et  si  les  plus  grandes  et 
«plus  belles  ne  sont  sans  habitants!  Même  dix 
«journaux  de  vigne  ne  produiront  qu'un  bath, 
«  et  la  semence  d'un  homer  ne  produira  qu'un 
«  épha.  Les  agneaux  paîtront  à  leur  ordinaire  et 
«  les  étrangers  mangeront  les  déserts  où  le  bétail 
«  devenait  gras  ^.  »  —  «  Et  je  dis  :  Jusques  à  quand, 
«  Seigneur?  Et  il  répondit  :  Jusqu'à  ce  que  les 
«  villes  et  les  maisons  aient  été  tellement  déso- 
«  lées  qu'il  n'y  ait  aucun  homme  et  que  le  pays 
«  soit  mis  dans  une  entière  désolation ,  et  que  l'E- 
«  ternel  ait  éloigné  les  hommes ,  et  que  le  pays  ait 
«  été  longtemps  abandonné.  Toutefois,  il  en  res- 
«  tera  une  dixième  partie  qui  sera  de  nouveau 
«  broutée ,  comme  la  fermeté  des  chênes  et  des 
«  ormes  consiste  en  ce  qu'ils  rejettent  ^  »  —  «Car 
«  le  Seigneur,  l'Eternel  des  armées,  va  faire  ve- 
«  nir  la  destruction  qu'il  a  résolue  au  milieu  de 
«  toute  la  terre  \  » — «  Et  il  arrivera  en  ce  jour-là 
«  que  la  gloire  de  Jacob  sera  diminuée ,  et  que  la 
«  graisse  de  son  corps  sera  amaigrie ,  et  il  en  sera 
«  comme  quand  le  moissonneur  cueille  les  blés  et 
«  moissonne  les  épis  avec  son  bras;  même  il  en 
«  arrivera  comme  quand  on  ramasse  les  épis  dans 
«  la  vallée  des  Rephaïns  ;  mais  il  en  demeurera 
«  quelques  grappillages,  comme  quand  on  secoue 

(3)  Esaïe,  I,  7,  9.  —  (4)  Ibid.,  30.  —  (5)  Ibid.,  V,  6,  9,  iO,  17. 
(6)  Ibîd.,  VI,  11,  13.  —  (7)  Ibid.,  X,  23. 


€H,  IX.  LAJUDÉE.^  179 

«  Tolivier  et  qu'il  reste  deux  ou  trois  olives  au . 
<^  bout  des  plus  hautes  branches ,  et  quatre  ou 
^  cinq  au  haut  des  branches  fertiles ,  dit  TEter- 
«  nel,  le  Dieu  d'Israël  \  »  —  «Voici,  le  Seigneur 
^  s'en  va  rendre  le  pays  vide  et  l'épuiser,  il  le  fera 
^  changer  de  face,  et  il  dispersera  ses  habitants; 
«  le  pays  sera  entièrement  vidé  et  entièrement 
«pillé,  car  l'Eternel  a  prononcé  cet  arrêt-là.  La 
«  terre  est  dans  le  deuil ,  elle  est  déchue ,  le  pays 
«  a  été  profané  par  ses  habitants ,  parcequ'ils  ont 
«  transgressé  les  lois,  ils  ont  changé  les  ordonnan- 
«  ces  et  ont  violé  l'alliance  éternelle.  C'est  pour« 
«  quoi  l'imprécation  du  serment  a  dévoré  le  pays, 
«  et  ses  habitants  ont  été  mis  en  désolation  et  peu 
«  de  gens  y  ont  demeuré  de  reste.  Le  vin  excel- 
«lent  pleure,  la  vigne  languit,  tous  ceux  qui 
«  avaient  le  cœur  joyeux  soupirent ,  la  joie  des 
«  tambours  a  cessé,  le  bruit  de  ceux  qui  se  ré- 
«  jouissent  est  fini,  la  joie  de  la  tente  a  cessé;  on 
«  ne  boira  plus  de  vin  avec  des  chansons,  la  cer- 
«  voise  sera  amère  a  ceux  qui  la  boivent;  la  ville 
<x  de  la  confusion  a  été  minée ,  toute  maison  est 
«  fermée  tellement  que  nul  n'y  entre.  Il  y  aura 
«  des  cris  dans  les  places,  parceque  le  vin  man- 
<f  quera;  toute  la  joie  est  tournée  en  obscurité; 
«  l'allégresse  du  pays  s'en  est  allée ,  car  il  arri- 
«  vera  au  milieu  du  pays  et  parmi  les  peuples 
«  comme  quand  on  secoue  l'olivier  et  quand  on 
«  grappille  après  avoir  achevé  de  vendanger  ^  »  — 
<«  Car  la  ville  forte  sera  désolée,  la  maison  de  plai- 
«  sance  sera  abandonnée  et  quittée  comme  un  dé- 
«  sert.  Le  veau  y  paîtra  et  y  gîtera,  et  broutera  les 
«  branches  quiy seront;  quand  son  branchage  sera 
«  sec  il  sera  brisé,  et  les  flammes  y  venant  en  allu- 
«  nieront  du  feu ,  car  ce  peuple  n'a  point  d'inte W 

(8)  Esaïe,  XVII,  /i-6.  --  (9)  Ibid.,  XXÏV,  1,  3-11,  13- 


180  LA  JIIDKE.  CH.  IX. 

w  ligeiice  *^  )>  —  (^  l  onimcs  qui  eles  à  votre  aise, 
«  levez-vous  :  clans  un  an  et  queUfues  jours,  vous 
u  qui  el  es  assuîés,  vous  serez  troul)lés,  car  laven- 
c(  danjje  nuuHjuera  et  on  ne  fera  point  de  récolte. 
«  Vous  qui  êtes  a  votre  aise ,  tremblez;  vous  qui 
c(  vous  tenez  assurés,  soyez  troublés;  dépouillez- 
((  vous,  quittez  vos  habits  pour  vous  ceindre  les 
((  reins;  frappez-vous  la  poitrine  a  cause  de  vos 
«  belles  campagnes  et  de  vos  vignes  fertiles.  Les 
«  épines  et  les  ronces  monteront  sur  la  terre  de 
«  mon  peuple  même,  et  en  toutes  les  maisons  de 
«  plaisir  et  sur  la  ville  qui  est  dans  la  joie,  car  le 
«  palais  va  être  renversé,  la  multitude  de  la  ville 
«  va  être  abandonnée,  les  lieux  élevés  du  pays  et 
<c  les  forteresses  seront  autant  de  cavernes  à  ja- 
«  mais;  ce  sera  là  que  se  joueront  les  ânes  sau- 
«  vages  et  que  paîtront  les  troupeaux  jusqu'à  ce 
«  que  l'esprit  soit  répandu  d'en  haut  sur  nous  et 
«  que  le  désert  devienne  un  Carmel,  et  que  Car- 
«  mel  soit  réputé  comme  une  forêt  ".  »  —  «Les 
«  chemins  ont  été  réduits  en  désolation  ;  les  pas- 
ce  sants  ne  passent  plus  parles  sentiers  ;  il  a  rompu 
«  l'alliance ,  il  a  rejeté  les  villes ,  il  n'a  fait  aucun 
«  cas  des  hommes;  le  pays  est  dans  les  pleurs  et 
«  languit;  le  Liban  est  confus  et  coupé.  Saron  est 
«  devenu  comme  une  lande  et  Bascan  et  Carmel 
«  ont  été  secoués  *^  »  —  «  Une  ruine  est  appelée 
«  par  une  autre,  car  toute  la  terre  est  détruite. 
«  J'ai  regardé  et  voici,  Carmel  est  un  désert,  et 
«  toutes  ses  villes  ont  été  ruinées  à  cause  de  la 
'c  présence  de  l'Eternel ,  car  ainsi  a  dit  l'Eternel  : 
c(  Toute  la  terre  ne  sera  que  désolation ,  toutefois 
«  je  ne  la  détruirai  pas  entièrement;  c'est  pour- 
«  quoi  la  terre  sera  dans  le  deuil,  parceque  je  Tai 
c(  prononcé,  je  l'ai  pensé  et  je  ne  m'en  repentirai 

(10)  Esaïe,  XXVII,  10,  11,  —  (11)  Ibid.,  XXXII,  9,  10-15. 
(12)  Ibid.,  XXXfti,  8,  9. 


CH.  IX.  LA  JUDEE.    ^  Ï81 

«  point  *\  »  —  «Jusqu'à  quand  la  terre  sera-t-elle 
«  dans  le  deuil  et  l'herbe  de  tous  les  champs  sè-^ 
«  chera-t-elle  à  cause  de  la  malice  des  habitants? 
«  J'ai  abandonné  ma  maison ,  j'ai  quitté  mon  hé- 
«  ritage.  Plusieurs  bergers  ont  gâté  ma  vigne  ^  ils 
«  ont  foulé  mon  partage  et  ils  ont  réduit  mon  par- 
«  tage  désirable  en  une  solitude  déserte.  On  l'a 
«  réduit  en  désolation ,  il  est  tout  désolation  et  en 
«  deuil  devant  moi.  Toute  la  terre  a  été  réduite 
«  en  désolation ,  parcequ'il  n'y  a  personne  qui 
«  pense  à  elle.  Les  destructeurs  sont  venus  sur 
«  tous  les  lieux  élevés  du  désert ,  il  n'y  a  point  de 
«  paix  pour  qui  que  cela  soit.  Ils  ont  semé  du  fro- 
«  ment  et  ils  moissonneront  des  épines.  Ils  se  sont 
«  donné  de  lapeine  et  ils  n'y  profiteront  rien;  vous 
«  serez  frustrés  de  vos  revenus  par  l'ardeur  delà 
«  colère  de  l'Eternel  *\  »  —  «  Vous^  montagnes 
«  d'Israël,  écoutez  la  parole  du  Seigneur  l'Eter- 
«  nel  aux  montagnes  et  aux  coteaux ,  aux  cours 
«  des  rivières  et  aux  vallées  :  Me  voici ,  moi  5  je 
«  vais  faire  venir  l'épée  sur  vous  et  je  détruirai 
«  ces  hauts  lieux;  les  villes  seront  désertes  et  les 
«  hauts  lieux  seront  désolés  dans  toutes  vos  de- 
«  meures ,  en  sorte  que  vos  autels  seront  rendus 
«  déserts  et  désolés.  J'étendrai  donc  ma  main  sur 
«  eux  et  je  rendrai  leur  pays  désolé  et  désert  dans 
«  toutes  leurs  demeures  plus  que  le  désert  qui 
«  est  vers  Dibla*^.  » — «Et  je  ferai  venir  les  plus 
«  méchantes  des  nations  qui  posséderont  leurs 
«  maisons  5  et  je  ferai  cesser  l'orgueil  des  puis- 
«  sants,  et  leurs  saints  lieux  seront  profanés,  et  tu 
«  diras  au  peuple  du  pays  :  Ainsi  a  dit  le  Seigneur 
«  TEteTnel  touchant  les  habitants  de  Jérusalem 
«  qui  sont  au  pays  d'Israël  :  Ils  mangeront  leur 
«  pain  avec  chagrin  et  boiront  leur  eau  avec  étonne- 
«  ment,  parceque  le  pays  sera  désolé,  étantprivé 

(13)  Jérémie,  IV,  20,  26-28.  --  (14)  Ibid.,  XII,  4,  7,  10-13. 
(15)  Ezéchiel,  VI,  3,  6,  14. 


182  LA  JUDÉE.  CH.  IX. 

«  de  son  abondance  à  cause  de  l'iniquité  de 
«  tous  ceux  qui  l'habitent.  Quiconque  passera  au- 
«  près  d'elle  sera  étonné  *^  »  —  ((Ecoulez  ceci,  tous 
«  les  habitants  du  pays,  une  telle  chose  a-t-elle 
(ï  été  faite  deVotre  temps,  ou  même  du  temps  de 
«  vos  pères?  Faites-en  le  récit  à  vos  enfants  et 
«  vos  enfants  à  leurs  enfants,  et  leurs  enfants  à 
«  une  autre  génération.  La  sauterelle  a  brouté  le 
«  reste  du  hanneton,  et  le  grillon  a  brouté  le  reste 
«  de  la  sauterelle,  et  le  vermisseau  a  brouté  le 
«  reste  du  grillon.  Les  champs  sont  ravagés  et  la 
«  terre  en  gémit;  la  joie  a  cessé  parmi  les  hom- 
«  mes.  Et  je  vous  rendrai  le  fruit  des  années  que 
«  la  sauterelle ,  le  grillon ,  le  vermisseau  et  le 
«  hanneton  avaient  broutés ,  et  mon  peuple  ne 
«  sera  plus  jamais  confus*^» — «La  ville  de  la- 
«  quelle  il  en  sortait  mille  n'en  aura.de  reste  que 
((  cent,  et  celle  de  laquelle  il  en  sortait  cent  n'en 
«  aura  de  reste  que  dix.  Ne  cherche  point  Bé-^ 
((  thel,  car  Bethel  sera  réduite  à  rien  *^  »  —  «  Je 
«  vais  mettre  le  niveau  au  milieu  de  mon  peuple 
«  Israël  et  je  ne  lui  en  passerai  plus,  et  les  saints 
c<  lieux  d'Isaac  seront  désolés ,  et  les  sanctuaires 
«  d'Israël  seront  détruits  '^.  » — «Je  réduirai  Sa- 
«  marie  comme  en  un  monceau  de  pierres  qu'on 
«  fait  dans  les  champs  oii  l'on  plante  des  vignes, 
«  et  je  ferai  rouler  ces  pierres  dans  la  vallée  et  je 
«  découvrirai  ses  fondements  ^^.  » 

Quelque  claires  ,  quelque  nombreuses  que 
fussent  ces  menaces,  cependant,  loin  de  produire 
la  repentance  et  l'humilité ,  l'incrédulité  des  Juifs 
fut  telle  qu'ils  se  moquèrent  de  la  longue  attente 
de  leur  Dieu,  et  ces  paroles  étaient  passées  en  pro- 
verbe dans  leur  pays  :  «  Les  jours  seront  prolongés 

(16)  Ezéchiel,  VII,  24;  XII,  4  9.  —  Jérém.,  XIX,  8. 

(17)  Joël,  I,  2-4, 10,  12;  II,  25,  26.  —  (18)  Araos,  V,  3,  5. 
(19)  Amos,  VII,  8,  9.  —  (20)  Michée,  I,  6. 


CH,  IX.  LA  JUDÉE.    ^  183 

et  toute  Yision  périra^'.  »  Ce  proverbe ,  ainsi  qu'il 
avait  été  prédit ,  cessa  de  se  faire  entendre  lorsque 
de  grandes  calamités  vinrent  fondre  sur  eux  ; 
mais  les  malédictions  prononcées  contre  eux  ne 
furent  pas  effacées  par  un  accomplissement  par- 
tiel et  passager;  au  contraire,  dès  que  le  peuple 
recommença  ses  iniquités,  elles  retombèrent  sur 
sa  tête  selon  qu'il  lui  était  prédit,  avec  une  sé- 
vérité sept  fois  plus  terrible. 

Ce  fut  dans  le  but  spécial  de  décider  leur  choix 
que  Moïse  et  tous  les  prophètes  annoncèrent  tout 
à  la  fois  aux  Juifs  des  bénédictions  et  des  malédic- 
tions. Hélas!  toute  l'histoire  du  peuple  d'Israël 
prouve  que  tous  leurs  avertissements  ne  rencon- 
trèrent que  du  mépris  ;  mais  la  parole  de  Dieu  de- 
meure :  «Ma parole,  dit-il,  ne  retournera  point  à 
«  moi  sans  effet,  mais  elle  fera  ce  que  j'aurai  or- 
«  donné,  et  aura  son  effet  dans  les  choses  pour  les- 
c(  quelles  je  l'aurai  envoyée  ^'.  «  Ainsi,  après  que  les 
statuts  et  les  jugements  de  l'Eternel  eurent  été  mis 
devant  les  Israelites  pendant  l'espace  de  mille  ans, 
«  la  parole  de  l'Eternel  par  la  bouche  de  Mala- 
«  chie,»  au  lieu  déparier  de  jugements  révoqués, 
termine  par  la  déclaration  suivante  :  «  Souvenez- 
c(  vous  de  la  loi  de  Moïse ,  mon  serviteur,  auquel 
«  je  donnai  en  Horeb  des  statuts  et  desordonnan- 
«  ces  pour  tout  Israël '\  »  Toutes  ces  prophéties 
démontrent  clairement  que,  quelque  long  que  fût 
le  support  de  Dieu  envers  les  Juifs,  pour  leurs 
transgressions,  cependant,  lorsqu'ils  refuseraient 
de  se  repentir  quand  «  le  prophète  »  qui  devait 
être  «  le  messager  de  l'Eternel  »  serait  venu, 
alors  l'Eternel  viendrait  frapper  la  terre  «  à  la 
«  façon  de  l'interdit  *^  >> 

Le  temps  de  la  durée  de  ces  jugements  et  ce- 

(21)  Ezéchiel,  XII,  22-25.  —  (22)  Esaïe,  LV,  il. 
(23)  Malachie,  IV,  4.  —  {U)  Ibid.,  5-6. 


iHi  LA  JUDEE.  CH,  IX. 

lui  de  leur  entier  aeeuniplissenjent  est  elairement 
indiqué  conune  devant  se  prolon^^er  autant  que  la 
dispersion  des  Juifs  et  se  terminer  à  leur  restau- 
ration linale.  Tant  qu'ils  resteront  dans  le  pays 
des  ennemis,  leur  terre  restera  désolée.  I.a  ma- 
lédiction ne  doit  pas  être  ôtée  «  jusqu'à  ee  que 
«  l'esprit  soit  répandu  d'en  haut  et  que  le  désert 
«  devienne  un  CarmeP".  » 

Ces  prophéties  ne  se  bornent  pas  non  plus  à  dé- 
peindre la  Judée  abandonnée  parle  Seigneur  et 
donnée  à  ses  ennemis;  mais  elles  décrivent  le  ca- 
ractère et  la  condition  de  ceux  qui  y  habiteront 
pendant  la  dispersion  et  l'exil  de  ses  anciens  pos- 
sesseurs jusqu'au  temps  où  «  l'Eternel  régnera  à 
«  Jérusalem  et  oîi  il  sera  glorieux  en  présence  de 
t<  ses  anciens^^  »  Les  promesses  d'une  restauration 
finale  accompagnent  presque  toujours  les  malédic- 
tions prononcées  contre  le  peuple ,  et  dans  toutes 
les  prophéties  on  trouve  clairement  annoncé  que 
le  temps  doit  venir  où  les  enfants  d'Israël  seront 
rassemblés  d'entre  les  nations,  où  les  villes  qui  ont 
été  «  désertes  d'âge  en  âge  »  seront  rebâties,  où  les 
montagnes  d'Israël,  si  longtemps  «  désolées,  «  ne 
le  seront  plus,  et  où  l'on  ne  parlera  plus  de  la 
«  nation  délaissée  ^^  »  Il  était  prédit  par  Daniel  : 
«  Le  Christ  sera  retranché,  et  le  sacrifice  et  l'obla- 
«  tion  cesseront.  Et  alors  la  désolation  fondra  sur  le 
«  désolé  ^^  »  Et  Jésus-Christ  lui-même  déclare  que 
Jérusalem  sera  foulée  par  les  nations  (gentils), 
jusqu'à  ce  que  les  temps  des  nations  soient  ac- 
complis ^^. 

Ni  la  dispersion  des  Juifs ,  ni  la  désolation  de  la 
Judée  ne  doivent  donc  cesser,  selon  qu'il  a  été 

(25)  Esaïe,  XXXII,  15.  —  (26)  Ibid.,  XXIV,  1,  23. 

(27)  Ibid.,  LXI,  4.  —  Ezéchiel,  XXXVI,   8,  10;  XXXVII,  21  ; 
XXXVIII,  8.  —  Esaïe,  LXII,  4. 

(28)  Daniel ,  IX,  26,  27.  —  (29)  Luc,  XXI,  24. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  185 

prédit,  jusqu'à  ce  que,  par  cet  événement,  une 
nouvelle  évidence  ne  soit  donnée  à  la  vérité  de 
Tinspiration  propliétique.  Il  s'en  suit  que  les  pro- 
phéties concernant  la  désolation  de  la  Judée  s'ap- 
pliquent aux  temps  modernes.  Et  plus  ces  pré- 
dictions sont  nombreuses, plusl'épreuveàlaquelle 
on  les  soumet  est  sévère.  Et  aussi  longtemps  que 
les  Juifs  ne  seront  pas  ramenés  de  leur  captivité , 
qu'ils  ne  seront  pas  «  plantés  sur  leur  terre  pour 
«  n'en  être  plus  arrachés  ^^;  »  aussi  longtemps  que 
ceux  c(  qui  Font  réduite  en  désert  ne  seront 
«  pas  sortis  du  milieu  d'elle"*;  »  aussi  longtemps 
que  «  les  lieux  déserts  depuis  longtemps  »  ne  se- 
ront pas  «  rebâtis  »  ;  aussi  longtemps  que  les  «  fon- 
ce dements  abandonnés  depuis  plusieurs  généra- 
«  tions  ne  seront  pas  rétablis  ^^  »  ;  aussi  longtemps 
que  la  désolation  du  pays  n'aura  point  cessé, 
l'effet  de  toutes  ces  prophéties  sera  visible; 
de  sorte  que ,  de  nos  jours  encore ,  il  existe  par- 
tout d'abondantes  preuves  que  tout  ce  qui  avait 
été  déterminé  a  été  accompli,  et  que  «  toutes 
«  les  malédictions  écrites  dans  le  livre  du  Sei- 
«  gneur  ont  été  répandues  sur  ce  pays  ^%  « 

La  désolation  de  la  Judée  est  tellement  éton- 
nante ,  et  la  pauvreté  de  cette  contrée  si  remar- 
quable, qu'oubliant  toutes  les  prophéties  qui  s'y 
rapportent,  les  incrédules  ont  tiré  de  ce  fait 
même  un  argument  contre  la  vérité  du  christia- 
nisme. Ils  tournent  en  ridicule  l'existence  d'une 
population  aussi  nombreuse  que  celle  dont  parle 
l'histoire  sainte,  dans  ce  pays  si  singulièrement 
aride  et  si  peu  susceptible  de  culture  '\  Ils  ont, 

(30)  Amos,  IX,  14, 15.  —  (31)  Esaïe,  XLIX,  17. 
(32)  Esaïe,  LVIII,  12.  ■—  (33)  Deut.,  XXIX,  27. 

(34)  Sans  citer  d'autorité  à  l'appui  de  ses  assertions,  et  sans  nous 
apprendre  si,  à  défaut  de  preuves,  il  était  doué  d'en  haut  de  la 
connaissance  de  l'histoire  et  de  la  géographie,  Voltaire  parle  de 


186  LA  JUDÉE.  CH.  IX. 

dans  plus  d'un  cas,  abandonné  d'enx-niêmes  cette 
objection  insoutenable;  ils  ont  rendu  un  témoi- 
gnaf^e  non  suspect  de  la  vérité  des  prophéties  et  ont 
servi  à  établir  la  cause  qu'ils  cherchaient  à  dé- 
truire. Les  ouvrages  des  écrivains  de  l'antiquité, 
la  richesse  naturelle  du  sol ,  les  restes  de  terre 
végétale  que  Ton  trouve  jetés  par  des  moyens 
artificiels  sur  le  flanc  des  montagnes  et  qui  les 
couvraient  des  récoltes  les  plus  riches,  et  enfin 
la  multitude  de  villes  en  ruines  disséminées  dans 
les  plaines  maintenant  incultes  et  désertes,  at- 
testent qu'autrefois  il  y  avait  dans  ces  mêmes  lieux 
une  population  immense  et  florissante,  et  que  si 
l'histoire  parle  de  la  grandeur  de  ce  pays,  si  les 
prophéties  en  annoncent  la  désolation ,  l'histoire 
et  les  prophéties  ont  été  également  veridiques. 
Les  aveux  de  Volney  et  la  description  qu'il  fait 


Tancienne  Palestine  en  termes  de  mépris,  et  la  décrit  comme  un 
des  plus  mauvais  pays  de  TAsie  ;  il  la  compare  à  la  Suisse  et  prétend 
qu'on  ne  peut  la  considérer  coinme  fertile  que  par  rapport  au  dé- 
sert, a  La  Palestine  n'était  que  ce  qu'elle  est  aujourd'hui,  un  des 
plus  mauvais  pays  de  l'Asie.  Cette  petite  province,  etc.  (OEuvres  de 
Voltaire,  t.  XXVII,  p.  107).  »  Sans  opposer  à  ce  passage  l'autorité 
de  Josèphe  et  de  Jérôme,  tous  deux  habitants  de  la  Judée,  et  meilleurs 
juges  du  fait  que  Voltaire,  nous  renvoyons  le  lecteur  au  récit  sui- 
vant qui  n'est  pas  entaché  de  la  partialité  que  Ton  remarque  chez 
les  écrivains  juifs  ou  chrétiens.  Nous  serions  surpris,  disons-le  en 
passant,  que  Voltaire  n'eût  pas  mieux  apprécié  ce  passage,  si  nous 
ne  nous  rappelions  que  le  grand-prêtre  de  L'incrédulité  moderne  avait 
pris  l'habitude  de  sacrifier  la  vérité  sur  l'autel  du  sarcasme. 

«  Corpora  hominum  salubria  et  ferentia  labor um  ;  rari  imbres, 
uber  solum,  fruges  nostrum  ad  morem  ;  praeterque  eas  balsamum 
et  palmae.  Magna  pars  Judœae  vicis  dispergitur  :  habent  et  oppida. 
Hierolyma  genti  caput.  Illic  immensae  opulentiœ  templum,  et  pri- 
mis  munimentis  urbs  (Taciti  Hist,,  1,  V,  c.  vi-viii)  »  —  «  Ultima 
Syria  est  Paleslina,  per  interval  la  magna  protenta,  cultis  abundans 
terris  et  nitidis,  et  civitates  habens  quasdam  egregias,  nullam  sibi 
cedentem,  sed  sibi  vicissim  velut  ad  perpendiculum  aemulas  (  Am- 
mianus  Marcellinus ,  1.  XIV,  c.  vui,  §41).  » — «  Nec  sane  viris, 
oppidis,  armis  quicquam  copiosius  Syria  (FioriHist.,  1,  II,  c.  viii, 
%  Â).  »  —  «Syria in  hortis  operosissima  est,  indeque  proverbium 
Graecis  :  Multa  Syrorum  olera  (Plinii  Hist,  nat,^  1.  XX,  c.  v).  » 


CH.IX.  LA  JUDÉE.  187 

d'après  ses  observations  personnelles ,  suffisent 
seuls  pour  détruire  les  fausses  données  et  les 
sarcasmes  dédaigneux  de  Voltaire;  et  tout  éton- 
nant que  cela  peut  paraître,  ce  même  écrivain.^ 
par  son  témoignage  involontaire  sur  les  faits  dont 
il  a  été  lui-même  témoin,  rend  un  aussi  grand 
service  au  christianisme  qu'il  lui  a  fait  de  tort 
par  ses  vaines  théories  et  par  ses  vues  erronées 
sur  sa  nature  et  sur  son  influence. 

On  ne  saurait  en  effet  trouver  un  témoignage 
plus  fort  5  pour  confirmer  la  vérité  des  pro- 
phéties, que  celui  que  rend  Volney  lui-même, 
renversant  ainsi  par  des  faits  ses  propres  doc- 
trines. Au  sujet  de  la  fertilité  naturelle  du  sol 
et  de  son  ancienne  population,  il  dit  :  «La  Syrie 
réunit  sous  un  même  sol  des  climats  différents, 

sauces  que  la  nature  a  dispersées  ailleurs  à  de 
grandes  distances  de  temps  et  de  lieux.  A  cet 
avantage  qui  perpétue  les  jouissances  par  leur 
succession ,  la  Syrie  en  joint  un  second ,  celui 
de  les  multiplier  par  la  variété  de  ses  produc- 
tions ;  avec  ces  avantages  nombreux  de  climat  et 
de  sol ,  il  n'est  pas  étonnant  que  la  Syrie  ait 
passé  de  tout  temps  pour  un  pays  délicieux,  et 
que  les  Grecs  et  les  Romains  l'aient  mise  au  rang 
de  leurs  plus  belles  provinces,  à  l'égal  même  de 
l'Egypte  '^  »  Après  avoir  donné  plusieurs  rai- 
sons justes  et  suffisantes  qui  rendent  probable 
la  grande  population  de  la  Judée  dans  les  temps 
reculés ,  il  ajoute  :  «  En  n'admettant  que  l'état 
conforme  à  l'expérience  et  à  la  nature,  rien  ne 
prouve  contre  les  grandes  populations  d'une  cer- 
taine antiquité  ;  sans  parler  du  témoignage  po- 
sitif de  l'histoire,  il  est  une  foule  de  monuments 

(35)  Volney,  1. 1,  c,  xx,  §  8. 


188  LA  JiiDÉi:.  ni.  IX. 

qui  déposeiil  en  leur  faveur.  Telles  sont  les  ruines 
innoinlnahles  semées  dans  des  plaines  et  même 
dans  des  montagnes  aujourd'hui  désertes.  On 
trouve  aux  lieux  écartés  du  Carmel  des  vignes 
et  des  oliviers  sauvages  qui  n'y  ont  été  portés 
que  par  la  main  des  hommes^  et  dans  le  J.iban 
des  Druses  et  des  Maronites  les  rochers  aban- 
donnés aux  sapins  et  aux  broussailles  offrent  en 
mille  endroits  des  terrasses  qui  attestent  une 
ancienne  culture  et  par  conséquent  une  popula- 
tion encore  plus  forte  que  de  nos  jours  ^^ 

La  Syrie 5  dit  Gibbon,  un  des  pays  qui  jouirent 
les  premiers  des  avantages  de  la  culture ,  n'était 
pas  indigne  d'obtenir  cette  préférence.  La  chaleur 
du  climat  est  tempérée  par  le  voisinage  de  la 
mer  et  des  montagnes  et  par  l'abondance  de  bois 
et  d'eau  ;  et  les  productions  d'un  sol  fertile  four- 
nissent à  la  subsistance  et  encouragent  l'accrois- 
sement des  hommes  et  des  animaux.  Depuis  le 
temps  de  David  jusqu'à  celui  d'Héraclius,  toute 
cette  contrée  était  couverte  de  villes  anciennes 
et  florissantes;  leurs  habitants  étaient  nombreux 
et  riches.  —  Ce  témoignage  n'est  rapporté  ici 
que  parcequ'il  est  non  équivoque  ;  mais  on  pour- 
rait encore  en  produire  beaucoup  d'autres.  Le 
pays  environnant  Jérusalem  même  est  à  la  vé- 
rité rocailleux  5  comme  Strabon  le  représente ,  et 
maintenant  il  est  complètement   stérile;    mais 
on  était  parvenu  à  rendre  fertiles  les  montagnes 
les  plus  arides  des  environs  de  Jérusalem  en  les 
coupant  en  terrasses  élevées  par  degrés  les  unes 
au-dessus  des  autres,  et  en  y  entassant  de  la  terre 
par  un  travail  étonnant^^  «Dans  toutes  les  parties 
de  la  Judée  ,  ajoute  Clarke,  les  bons  effets  d'un 

(36)  Volney,  t.  II,  c.  xxxiii, 

(37)  Voyages  de  Clarke,  vol.  II,  p.  520.  — Le  général  Straton  re- 
présente ces  terrasses  comme  ressemblant  aux  gradins  d'un  théâtre , 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  189 

changement  d'administration  sont  bientôt  visi- 
bies/car  les  plaines  arides  prennent  aussitôt  un 
air  de  fertilité.  Sous  un  gouvernement  sage  et 
paternel,  les  productions  de  la  Terre  Sainte  se- 
raient incalculables.  Ses  abondantes  récoltes,  la 
salubrité  de  son  air,  la  pureté  de  ses  eaux ,  ses 
rivières,  ses  lacs,  ses  belles  plaines,  toutes  ces 
choses,  ajoutées  à  la  douceurdu  climat,  indiquent 
bien  que  c'était  ici  la  terre  que  le  Seigneur  avait 
bénie  ^\  » 

Mais  ce  fait  de  l'ancienne  fertilité  de  la  Ju- 
dée, aussi  bien  que  celui  de  sa  désolation  ac- 
tuelle ,  sont  si  bien  établis  qu'il  n'y  a  plus  lieu 
à  les  discuter  ;  et  en  essayant  de  faire  douter  à 
cet  égard  de  la  vérité  de  l'histoire  sainte,  les  in- 
crédules ont  fait  choix  d'un  terrain  qu'ils  ont  été 
obligés  d'abandonner,  et  toutes  leurs  déclamations 
n'ont  servi  qu'à  prouver,  avec  leur  incrédulité, 
leur  insigne  mauvaise  foi.  En  terminant  donc 
sur  ce  sujet,  on  peut  ajouter  que  l'étendue  et  la 
durée  de  cette  désolation ,  sur  laquelle  ils  se  fon- 
dent pour  rejeter  la  description  biblique  de  l'an- 
cienne gloire  de  la  Judée,  ayant  été  clairement 
prédites,  plus  il  est  difficile  d'accorder  ce  qui 
était  avec  ce  qui  est,  plus  les  prophéties  qui 
l'ont  révélée  sont  étonnantes,  et  plus  il  est  visible 
qu'elles  ne  sont  que  la  voix  du  ciel;  et  les  argu- 
ments de  l'incrédule  conduisent  à  une  conclusion 
qui  tourne  contre  lui.  Tel  est  le  témoignage  po- 
sitif de  l'histoire;  telles  sont  les  preuves  pa- 
tentes de  l'ancienne  grandeur  et  de  l'ancienne 
fertilité  de  la  Palestine  ;  et  maintenant  nous 
pouvons  examiner  avec  calme  le  changement 
complet  qui  s'est  opéré  dans  ce  pays,  et  la  con- 

et  les  considère  précisément  comme  des  restes  et  les  preuves  du 
luxe  de  Tancien  temps. 

(38)  Clarke,  vol.  II,  p.  521. 


190  LA  JUDÉE.  eu.  IX. 

foiniilé  qui  existe  entre  ce  chan^^enient  et   les 
paroles  de  la  prophétie. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  sous  un  {gouverne- 
ment réf^ulier  et  solidement  élahli,  un  pays  si  fa- 
vorisé par  son  climat,  si  divers  dans  sa  surface, 
d'un  sol  si  riche  et  si  productif,  aurait  pu  réel- 
lement retrouver  son  ancienne  opulence  et  sa 
puissance;  sa  constante  et  continuelle  désolation 
est  donc  contraire  également  à  tous  les  calculs 
derexpérience  et  de  la  raison,  et  paraît  inconce- 
vable à  l'homme.  «  Mais  le  pays  avait  été  désolé 
«  par  des  étrangers.  Malheur  devait  venir  sur 
«  malheur,  une  ruine  être  appelée  par  une  autre 
«  ruine:  car  toute  la  terre  devait  être  détruite.  » 
Les  Chaldéens  dévastèrent  la  Judée,  et  tous  ses 
habitants  furent  menés  en  captivité  :  les  rois  de 
Syrie  et  d'Egypte  ruinèrent  ce  pays  par  leurs  ex- 
torsions et  leur  oppression  continuelle  :  longtemps 
il  fut  soumis  au  joug  de  fer  des  Romains,  et  les 
Perses  essayèrent  de  s'en  rendre  maîtres;  mais 
quelque  temps  plus  tard,  des  ennemis  plus  ter- 
ribles encore  parurent  sur  la  scène  et  mirent  le 
comble  à  cette  œuvre  de  destruction.  «  L'an  622 
(  636  )  les  tribus  de  l'Arabie  rassemblées  sous 
l'étendard  de  Mahomet  vinrent  s'en  emparer  ou 
plutôt  la  dévaster.  Depuis  ce  temps ,  déchirée 
par  les  guerres  civiles  des  Fatimites  et  des  Om- 
miades,  soustraite  aux  califes  par  leurs  lieutenants 
rebelles ,  ravie  à  ceux-ci  par  les  milices  turko- 
manes,  disputée  par  les  Européens  divisés,  re- 
prise par  les  Mamelucks  d'Egypte  et  ravagée  par 
Tamerlan  et  ses  Tartares,  elle  est  enfin  restée 
aux  mains  des  Turcs  Ottomans  ^^  «  Elle  a  été  dé- 
«  voréepar  des  étrangers,  foulée  par  les  nations; 
«  malheur  est  venu  sur  malheur.  » 

(39)  Volney,  c.  xxji,  p.  350. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  191 

«  Les  villes  seront  désertes  ;  »  d'après  le  témoi- 
gnage unanime  des  voyageurs,  on  peut  appeler  la 
Judée  un  vaste  champ  de  ruines.  Sur  toute  l'é- 
tendue de  la  Syrie,  des  colonnes,  des  monuments 
d'une  magnificence  passée,  sont  ensevelis  sous 
des  ruines  et  des  décombres  '\  Du  sommet  du 
mont  Tliabor  on  contemple  une  immense  éten- 
due de  plaines  entrecoupées  de  hameaux  ,  de 
forteresses  et  de  monceaux  de  ruines.  Les  édi- 
fices élevés  sur  cette  montagne  furent  détruits 
par  le  sultan  d'Egypte  en  1250,  et  les  nombreux 
restes  des  forts  et  des  ruines  ne  sont  plus  qu'une 
triste  masse  de  désolation  ^*.  Des  monceaux  de 
décombres  sont  tout  ce  qui  reste  des  anciennes 
et  célèbres  villes  de  Capharnaûm,  de  Bethsaïde, 
de  Gadara,  de  Zanthée  et  de  Chorazin''. 

On  peut  encore  voir  quelques  vestiges  d'Em- 
maiis.  Cana  n'est  qu'un  tout  petit  village.  —  Les 
murs  de  Tékoa  ne  présentent  plus  que  les  fonde- 
ments de  quelques  grands  édifices  ^\  — La  ville 
de  Naïn  n'est  plus  qu'un  hameau.  — Les  ruines  de 
l'ancienne  Sapphura  prouvent  l'existence  d'une 
ville  autrefois  considérable,  et  son  nom  se  re- 
trouve encore  dans  celui  d'un  misérable  village 
appelé  Séphoury  '\  —  Lourd ,  anciennement 
Lydde,  et  Diospolis  ressemblent  à  des  lieux  récem- 
ment dévastés  par  le  feu  ou  par  l'épée,  et  ne  sont 
plus  qu'un  amas  de  débris  et  de  décombres  ^^ 
—  Ramla,  autrefois  Arimathée,  est  presque  aussi 
délabrée;  on  ne  trouve  que  décombres  dans  toute 
son  enceinte.  Dans  tous  les  pays  environnants, 
on  rencontre  à  chaque  pas  des  puits  sèches,  des 

(40)  Voyages  de  Mariti ,  vol.  II,  p.  14i. 

(41)  Buckingham,  p.  109.  —  Mariti, 

(42)  Ibid.  —  Voyages  de  Wilson,  p,  221. 

(43)  Voyage  à  Constantinople,  par  Macmichael,  p.  156. 
f44)  Clarke,  vol.  II,  p.  401.  —  (45)  Volaey. 


192  LA  JUDÉE.  eu.  lï, 

citernes  crevassées  et  de  f^^raiids  réservoirs  voûtés^ 
qui  prouvent  qne  jadis  cette  ville  devait  avoir  au 
moins  une  lieue  et  demie  de  eirconférence*\  — 
Césarée  ne  peut  plus  exciter  l'envie  d'un  concjue- 
rant;  il  y  a  longtemps  qu'elle  ne  connaît  que  le  si- 
lence de  la  désolation  *^ — La  ville  de  Tibériade 
est  maintenant  presque  abandonnée,  et  sa  subsis- 
tance est  précaire.  Jl  ne  reste  plus  de  traces  des 
villes  qui  autrefois  entouraient  le  lac^^.  —  Zabulon , 
jadis  la  rivale  de  Tyr  etde  Sidon,  n'est  qu'un  mon- 
ceau de  ruines.  —  Quelques  pierres  sans  forme,  in- 
dignes de  l'attention  d'un  voyageur,  indiquent  le 
site  de  la  Saffra^^  — Les  ruines  de  Jéricho,  ne  cou- 
vrant pas  moins  d'un  mille  carré,  sont  environnées 
d'une  désolation  complète,  et  tout  a  l'entour  de 
cette  ville  abandonnée  on  ne  pourrait  trouver  un 
arbre  de  quelque  espèce  que  soit,  et  à  peine  le 
moindre  indice  de  verdure  ^^.  — On  ne  rencontre 
point  de  traces  de  Bethel;  les  ruines  de  Sarepta 
et  de  plusieurs  grandes  villes  de  son  voisinage 
ne  sont  plus  que  des  monceaux  de  décombres  ; 
et  on  ne  les  reconnaît  comme  ayant  été  des  em- 
placements de  villes  que  par  les  tas  de  pierres  et 
les  fragments  de  colonnes  ^V;  mais  à  Djerash  (Ge- 
rasa,  à  ce  que  l'on  suppose)  on  retrouve  encore  les 
restes  d'une  ville  magnifique,  la  forme  des  rues  ja- 
dis entourées  d'une  double  colonade  et  couvertes 
de  pavés  encore  presque  entiers,  sur  lesquels  on 
distingue  les  traces  des  roues;  de  chaque  côté 
un  trottoir  élevé,  deux  théâtres,  deux  grands 
temples  construits  en  marbre  et  d'autres  d'une 
architecture  inférieure ,  des  bains,  des  ponts ,  un 
cimetière  contenant  beaucoup  de  monuments  qui 

(hQ)  Volney.  «—  (M)  Light,  p.  20/».  —Buckingham,  p.  126. 

fAS;  Ibid.  —  (li9)  Mariti,  vol.  II,  p.  158,  169. 

(50;  Buckingham,  p.  300. 

(5J  j  Voyages  des  capitaines  Irby  et  Mougles,  p.  199. 


VM.n.  LA  XUDÉE.  193 

environnait  la  ville,  un  arc  de  triomphe,  une 
grande  fontaine,  un  tombeau  pittoresque  garni  de 
colonnes,  un  aqueduc,  et  plus  de  deux  cent  trente 
colonnes  encore  debout  au  milieu  des  ruines  dé- 
sertes delà  ville  qu'elles  devaient  embellir,  tout 
cela  réuni  présente  à  l'œil  du  voyageur,  à  ce  que 
disent  ceux  qui  sont  à  même  de  faire  la  comparai- 
son, une  masse  de  ruines  qui  l'emportent  en  ma- 
gnificence sur  celles  de  Palmyre  si  vantées^^ 
Ah  !  que  les  prédictions  qui  annoncent  cette 
désolation  sont  merveilleusement  accomplies  , 
lorsque  partout  on  ne  trouve  que  des  ruines,  là  où 
florissaient  autrefois  ]es  belles  villes  de  la  Judée: 
lorsqu'on  voit  cette  multitude  de  villes  entourées 
d'assez  de  vestiges  pour  en  montrer  le  nombre , 
mais  sans  le  moindre  signe  qui  en  indique  le 
nom  !  «  Votre  peuple  sera  en  désolation ,  et  vos 
«  villes  en  désert.  Alors  cette  terre  se  plaira  dans 
«  ses  sabbats  tout  le  temps  qu'elle  sera  désolée: 
«  lorsque  vous  serez  au  pays  de  vos  ennemis  ,  la 
«  terre  se  reposera  et  se  plaira  en  ses  sabbats  ^^) . 
Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  la  loi  mo- 
saïque et  sur  ce  qui  regarde  le  sabbat,  pour 
comprendre  toute  la  portée  de  cette  prédic- 
tion. «  En  la  septième  année  il  y  aura  un  sabbat 
«  de  repos  pour  la  terre  ;  ce  sera  un  sabbat  à  l'E- 
«  ternel.  Tu  ne  sèmeras  point  ton  champ  et  tu 
«  ne  tailleras  point  ta  vigne  ^^  »  ;  c'est  ainsi  que 

(52)  Voyages  deliby  et  Mangles,  p.  317-318. 

C'est  en  {1806  que  Scetzen  découvrit  pour  la  première  fois 
les  ruines  de  Djerasb.  Parmi  les  personnes  qui  les  ont  visitées 
depuis  se  trouvent  Sheikh  Ibrahim  (Burckhardt),  sir  William 
Chalterton,  M.  Bankes,  le  capitaine  Irby,  le  capitaine  Mangles, 
M.  Leigh c.  M.  Leslie  et  M.  Buckingham.  Burckhardt  et  Buckin- 
gham nous  eu  ont  Pun  et  l'autre  laissé  une  description.  Plusieurs 
d'entre  ses  édifices  furent  bûtis  longtemps  après  l'époque  de  la 
prophétie.  II  paraît  qu'ils  ne  devaient  pas,  pour  cela,  échapper 
ù  la  sentence  de  désolation  prononcée  contre  la  ville  entière. 

(53)  Lév.,  XXVI,  33-3/i.  —  (54)  n)id.,  XXV,  4. 

9 


I9i  I A  JUDÉE.  CH.  IX. 

la  terre  de  Judée  a  joui  de  ses  sabbats  pendaul 
tout  le  teuips  qu'elle  a  été  désolée.  I.à  ou  eliaque 
pouce  de  terraiu  était  cultivé  comme  nu  jardin  par 
le  possesseur,  là  où  chaque  petite  colline  rap- 
portait des  fruits  en  abondance,  là  oii  chaque  en- 
droit escarpé  était  rendu  fertile  par  le  pénible  tra- 
vail deThomme,  là  où  les  rochers  même  cessaient 
d'être  arides,  à  force  de  peines  et  d'efforts,  dans  ce 
même  pays,  sous  le  même  climat  "^,  avec  le  même 
sol ,  on  ne  voit  depuis  de  longs  siècles  que  des 
plaines  sans  culture  et  une  désolation  universelle. 
Jamais,  depuis  que  les  descendants  d'Abraham 
ont  dû  quitter  leur  patrie,  jamais  depuis  leur  ex- 
pulsion de  leur  terre  natale,  cette  terre  n'a  été 
si  fertile  ni  si  peuplée  ;  elle  a  semblé  se  refuser 
constamment  à  devenir  la  propriété  d'un  autre 
peuple.  Elle  s'est  reposée  de  siècle  en  siècle, 
et  tant  que  cette  race  dispersée,  réprouvée,  mau- 
dite ,  possédant  cependant  la  promesse  de  Dieu , 
et  la  conservant  comme  le  gage  de  sa  restaura- 
tion finale,  «  tant  que  ce  peuple  restera  au  pays 
«  de  ses  ennemis,  la  terre  se  reposera  )).  On 
pourrait  presque  dire  qu'il  semble  exister  une 
sympathie  secrète  entre  ce  peuple  exilé  et  son 
pays  abandonné  ;  comme  si  la  terre  d'Israël 
gémissait  sur  les  malheurs  de  ses  enfants,  atten- 
dait leur  retour  ,  et  répondait  de  son  côté  à  leur 
invincible  attachement,  en  se  refusant  à  donnei* 
à  ses  possesseurs  actuels  ces  riches  récoltes  qui, 
du  temps  de  leur  soumissisn  au  Très-Haut,  étaient 
la  marque  spéciale  et  particulière  de  la  bénédic- 
tion qu'il  répandait  sur  eux.  Et  quelque  frappant 
que  soit  ce  parfait  accord  entre  le  sort  des  Juifs  et 
l'état  delà  Judée  àl  en  existe  un  non  moins  remar- 
quable  entre  ce  sort  et  les  prédictions  faites  par 

(55)  Voyez  le  Journal  philosophique  de  Brewster,  n°  16,  p.  227. 


CH.  IX.  LA  JLDÉE.  195 

la  bouche  de  Moïse ^  avant  que  les  liibus  d'Israël 
eussent  mis  leur  pied  sur  la  terre  de  Glianaan  : 
«  Et  lorsque  vous  serez  au  pays  de  vos  ennemis  ^ 
«  la  terre  se  reposera  et  se  plaira  en  ses  sabbats  » . 
Tous  les  voyageurs  se  trouvent  d'accord  en 
parlant  de  la  désolation  de  la  Judée.  La  malé- 
diction prophétique  s'adressait  aux  montagnes 
et  aux  collines^  aux  rivières  et  aux  vallées, 
et  leur  beauté  a  été  flétrie.  Là  où  les  habitants 
vivaient  en  paix,  chacun  à  l'ombre  de  sa  vigne 
et  de  son  figuier ,  la  tyrannie  des  Turcs  et  les 
continuelles  incursions  de  leurs  anciens  oppres- 
seurs, les  Arabes,  ont  laissé  une  désolation  pres- 
que universelle.  La  plaine  d'Esdraelon,  naturel- 
lement si  fertile,  dont  le  sol  consistait  en  «  une 
«  terre  riche  et  grasse  « ,  unie  comme  un  lac,  sauf 
aU  centre  où  s'élevait  le  mont  Ephraïm ,  bornée 
par  le  mont  Hermon  ,  le  Carmel  et  le  Thabor^% 
dont  l'étendue  occupait  plus  de  trois  cent  milles 
carrés,  n'est  plus  maintenant  qu'une  vaste  soli 
tude^^  Toute  cette  contrée  est  entièrement  dé- 
serte ^^  La  vallée  de  Saron  n'estplus  qu'un  désert. 
Il  n'existe  plus  aucun  vestige  de  culture  dans  la 
vallée  de  Chanaan,  autrefois  si  belle,  si  délicieuse, 
si  fertile  ^^.  Des  tribus  infidèles  parcourent  con- 
stamment le  pays  dans  tous  les  sens;  les  Arabes 
nourrissent  leurs  bestiaux  du  produit  spontané 
de  ces  riches  plaines  ^^.  On  y  a  détruit  toutes  les 
anciennes  bornes.  Il  n'y  existe  aucune  loi.  La  vie 
et  les  propriétés  y  sont  également  sans  protection. 
Les  vallées  ne  sentent  jamais  le  tranchant  de  la 
charrue ,  les  montagnes  ont  perdu  leur  verdure  ; 

(56)  Voyages  manuscrits  du  général  Straton. 

(57)  Clarke,  vol.  II,  p.  497.  — Voyages  deMaundrell,  p.  95. 

(58)  Burckhardt,  p.  334,  342. 

(59)  Siraton. 

(60)  Clarke,  vol.  II,  p.  484,  491. 


19B  LA  JUDÉE.  Cil.   IX. 

les  rivières  arrosent  un  pays  désert  et  aride; 
fout  ce  que  les  honiuies  [)()uvaient  détruire  de  ce 
qui  taisait  la  beauté  du  Ttiabor,  ils  l'ont  anéanti  ; 
d'inmienses  ruines  qui  en  couvrent  la  sommité 
sont  tout  ce  qui  reste   d'une  cité  magnifique, 
et  le  Carmel  est  la  demeure  des  animaux  sau- 
vages *^*.  «  L'art  de  la   culture,  dit  Volney,  est 
dans  un  état  déplorable  ;  il  faut  que  le  paysan 
sème  le  fusil  à  la  main,  et  l'on  ne  sème  qu'autant 
qu'il  faut  pour  vivre.  Chaque  jour  je  trouvais  des 
champs  abandonnés  par  la  charrue  *^^  »  En  faisant 
la  description  de  son  voyage  en  Galilée ,  Clarke 
observe  que  la  terre  était  couverte  d'une  telle 
variété  de  chardons  que  la  collection  en  eût  été 
précieuse  pour  l'étude  de  la  botanique  ^^  ;  lui- 
même  il  en  découvrit  six  nouvelles  espèces  dans 
une  petite  collection  qu'il  fut  à  même  de  faire. 
«  Depuis  Kanc-Leban  jusqu'à  Bir 5  ditMaundrel,  au 
milieu  de  ruines  de  villes ,  le  voyageur  ne  distin- 
gue, aussi  loin  qu'il  peut  porter  ses  regards ,  que 
des  rochers  arides,  fles  montagnes  et  des  préci- 
pices. A  cette  vue  les  pèlerins  sont  frappés  d'é- 
tonnement,  déçus  dans  leur  attente  et  presque 
ébranlés  dans  leur  M^\  »  Du  haut  des  élévations 
voisines,  dans  les  environs  de  Jérusalem,  on  ne 
voit  qu'un  désert  sauvage,  aride  et  montagneux; 
point  de  troupeaux  sur  les  sommets,  point  de  forêt 
pour  en  embellir  les  pentes  escarpées;  point  de 
fleuves  pour  arroser  les  vallées;  rien  qu'une  scène 
triste,  mélancolique;  une  désolation  sauvage, 
au  milieu  de  laquelle,  veuve  de  son  antique  gloi- 
re, la  Judée  courbe  sa  tête  abattue  ^^  11  est  inu- 

(65)  LeUres  de  Joliffe  sur  la  Palestine,  vol.  I,  p.  104. 
((M)  Marili,  vol.  II,  p.  140. 

(62)  Volney,  Voyages,  cli.  xxxvii  et  xxxvm.  —  Ruines. 

(63)  Clarke,  vol.  II,  p.  45i. 
(6A)Maundrell,p.  169. 


M 


Cîl.  IX.  LA  KJDÉE.  197 

tile  de  continuer  nos  citations  pour  prouver  la 
désolation  d'un  pays  possédé  par  des  Turcs  et  dé- 
pouillé par  des  Arabes^  pendant  une  longue  suite 
de  siècles.  Il  a  été  suffisamment  démontré  que 
«  la  terre  a  été  réduite  en  désolation^  qu'elle  est 
«  toute  désolée  et  en  deuil.  » 

«  Toutefois  5  il  en  restera  une  dixième  partie, 
«  qui  sera  de  nouveau  broutée  ;  mais  comme  la 
«  fermeté  des  chênes  et  des  ormes  consiste  en  ce 
«qu'ils  rejettent 5  ainsi  la  semence  sainte  sera 
«  sa  fermeté  ^®  )) .  —  Quoique  les  villes  soient  dé- 
sertes et  la  terre  désolée.,  si  Ton  a  cessé  de  culti- 
ver le  sol  5  ce  n'est  pas  qu'il  soit  appauvri ,  et  si 
la  terre  se  repose  depuis  tant  de  siècles,  ce  n'est 
pas  que  son  ancienne  fertilité  soit  diminuée.  La 
fertilité  de  la  Judée  ne  provenait  pas  seulement 
de  moyens  artificiels  ou  de  telle  ou  telle  cause 
locale  ;  dans  ce  cas ,  il  n'aurait  pas  été  nécessaire 
qu'un  prophète  prédît  qu'une  fois  désolée  et 
dévastée  elle  retournerait  à  sa  stérilité  première. 
Dans  tous  les  temps,  la  Ph^nicie  occupa  un  rang 
bien  différent  parmi  les  plus  riches  contrées  de  la 
terre;  ce  n'était  pas  une  possession  inculte  et  sté- 
rile, ce  n'était  pas  une  terre  désolée  et  abandon- 
née que  Dieu  aurait  donnée,  dans  son  alliance,  à 
la  semence  d'Abraham.  La  Judée,  il  est  vrai,  n'é- 
tant plus  cultivée  comme  un  jardin,  est  bien  diffé  - 
rente  de  ce  qu'elle  était;  tout  ce  que  le  génie  de 
l'homme  avait  pu  imaginer  ou  exécuter  a  été  dé- 
truit par  la  main  de  l'homme  ;  «  tous  les  nombreux 
«  biens  y^  dont  elle  était  enrichie,  embellie  et  bé- 
nie, ont  disparu  comme  des  feuilles  sèches  lors- 
que leur  verdure  est  flétrie.  Dépouillée  de  son 
ancienne  splendeur,  elle  est  semblable  à  un  chêne 
puissant  dont  les  feuilles  sont  mortes  ;  mais  elle 

(66)  Esaïe,  VI,  13. 


198  LA  JUDÉE.  CH.  iX. 

conserve  en  elle-même  la  source  secrète  de  sa 
ferlilité  ;  la  richesse  naturelle  du  sol  est  toujours 
la  même  ;  «  sa  fermeté  est  en  elle,  pareille  au  chêne 
w  ou  à  l'orme  dont  la  fermeté  consiste  en  ce  qu'ils 
«  rejettent».  Et  semblable  au  chêne  qui  attend, 
dépouillé  de  ses  feuilles,  la  douce  chaleur  du 
printemps  pour  se  revêtir  d'un  nouveau  feuillage, 
de  même  la  terre  de  Judée,  jadis  si  riche  et  si  flo~ 
rissante ,  est  encore  pleine  de  force  et  de  puis- 
sance végétative,  et  elle  est  prête  a  revivre,  plus 
belle  encore  que  dans  le  commencement,  dès  que 
le  soleil  d'en  haut  daignera  luire  sur  elle  et  que  la 
semence  sainte  lui  sera  confiée.  «  La  fermeté  qui 
«  est  en  elle  »  ne  peut  être  mieux  décrite  que  par 
les  paroles  suivantes  d'un  des  plus  grands  enne- 
mis de  la  religion  :  «  La  terre  des  plaines  est  grasse, 
légère,  et  annonce  la  plus  grande  fécondité  ;  — -  si 
l'art  venait  au  secours  de  la  nature,  on  pourrait  y 
rapprocher  dans  un  espace  de  vingt  lieues  les  pro- 
ductions des  contrées  les  plus  distantes  ^^  » — «  La 
Galilée,  dit  Malte-Brun,  serait  un  paradis,  si  elle 
était  habitée  par  un  peuple  industrieux  sous  un 
gouvernement  éclairé.  On  y  voit  des  plants  de  vi- 
gnes qui  ont  plus  d'un  pied  et  demi  de  diamètre^^  » 
«  Et  je  la  livrerai  au  pillage  dans  les  mains  des 
«  étrangers  et  en  proie  aux  méchants  de  la  terre, 
«  et  des  voleurs  y  entreront  et  la  profaneront  ^^ 
Au  lieu  d'être  soumise  a  un  gouvernement  stable 
et  éclairé,  la  Judée  a  eu  constamment  à  subir  de 
nouvelles  invasions  qui  y  ont  introduit  et  établi 
successivement  plusieurspeuples  étrangers.  Lors- 
que les  Ottomans  enlevèrent  la  Syrie  aux  Mame- 
louks ,  ils  ne  la  regardèrent  que  comme  la  dé- 
pouille d'un  peuple  vaincu.  Or,  suivant  ce  prin- 
cipe, le  vaincu  est  entièrement  à  la  discrétion  du 

(67)  Volney,  vol.  I,  §  7,  8.  —  (68)  Schulze,  dans  Pallas,  cité  par 
VlaUe-Bniti,  Géog,,  v.  II,  p.  140.  —  (69)  Ezéchiel,  VII,  21,  22, 


CO.  IX.  LA  JUDÉE.  199 

vainqueur;  sa  vie^  ses  biens  lui  appartiennent.  Le 
gouvernement  est  loin  de  condamner  ce  système 
de  vol  et  de  brigandage  dont  il  retire  un  si  grand 
profit  '^. 

«  Plusieurs  bergers  ont  gâté  ma  vigne ,  ils  ont 
«  foulé  mon  partage  '*.»  —  Les  ravages  que  com- 
met une  armée  étrangère  ne  sont  ordinairement 
que  de  courte  durée;  ou,  si  un  conquérant  prend 
possession  du  pays  qu'il  a  vaincu,  il  s'y  établit, 
le  cultive  et  le  protège.  C'est  le  propre  d'un  gou- 
vernement sage  de  protéger  les  personnes  et  les 
propriétés.  Il  n'en  a  jamais  été  ainsi  de  la  Judée; 
car,  outre  les  nouvelles  invasions  qu'il  lui  a  fallu 
constamment  subir,  et  outre  le  système  de  spo- 
liation exercé  par  son  despotique  gouvernement, 
d'autres  causes  se  sont  réunies  à  celles-ci  pour 
maintenir  cet  état  de  désolation,  et  pour  rendre 
inutiles  les  richesses  qu'elle  pouvait  conserver 
en  elle-même.  Parmi  ces  causes  est  le  fait  que, 
littéralement,  «  elle  a  été  foulée  par  plusieurs  ber- 
«  gers  » .  —  Volney  consacre  un  chapitre  tout 
entier  à  la  description  de  ce  qu'il  appelle  «  les 
«  peuples  pasteurs  ou  errants  de  la  Syrie  » ,  par- 
ticulièrement des  Arabes  Bédouins  qui  parcourent 
constamment  la  Judée.  On  peut  compter  en- 
viron 30,000  Turkmans  dans  le  pachalik  d'Alep 
et  celui  de  Damas  ;  tous  leurs  biens  consistent  en 
bestiaux.  Dans  le  même  pachalik  on  estime  que 
cette  peuplade  dépasse  20  mille  tentes,  c'est- 
à-dire  120  mille  hommes  armés.  Les  Kourdes 
passent  presque  partout  pour  des  brigands  ; 
comme  les  Turkmans  ils  sont  pasteurs  et  vaga- 
bonds ^^ .  Un  troisième  peuple  errant  dans  la  Syrie 
sont  les  Arabes  Bédouins  ^^  «  Souvent  il  arrive 
que  des  individus,  devenus  voleurs  pour  se  sous- 

(70)  Volney,  toI.  IL  —  (71)  Jérémie,XII,  10. 
(72)  Volney,  ch,  xxiii,  §  2.  —  (73)  Ibid.,  xxiii,  §  3. 


200  LA  JUDÉE.  en.  IX. 

traire  aux  lois  ou  à  la  tyrannie,  se  réunissent  et 
forment  de  petits  eamps  cjui  se  maintiennent  à 
main  armée,  et  deviennent,  en  se  multipliant, 
de  nouvelles  hordes  ou  de  nouvelles  tribus. 

On  peut  donc  dire  que  dans  les  terrains  culti- 
vables la  vie  errante  n'a  pour  cause  que  la  dépra 
vation  du  gouvernement;  et  tout  indique  que  la  vie 
sédentaire  et  cultivatrice  est  celle  a  laquelle  les 
hommes  sont  le  plus  naturellement  portés  '\  On 
sent  qu'un  tel  pays  ne  peut  avoir  qu'une  agricul- 
ture précaire,  et  que,  sous  un  régime  comme  celui 
des  Turcs,  il  est  plus  sûr  de  vivre  errant  que  la- 
boureur sédentaire'^  Les  Turkmans,  lesKourdes 
et  les  Bédouins  n'ont  pas  de  demeures  fixes,  mais 
ils  errent  sans  cesse  avec  leurs  tentes  et  leurs 
troupeaux  dans  l'étendue  restreinte  des  districts 
dont  ils  se  regardent  comme  les  propriétaires. 
Les  Arabes  campent  sur  toute  la  frontière  de  la 
Syrie  et  même  dans  les  plaines  de  la  Palestine  ''^ 
Ainsi,  contrairement  à  leur  inclination  naturelle, 
les  paysans  sont  souvent  forcés  d'abandonner 
leurs  demeures  fixes,  et  beaucoup  de  tribus  de 
pasteurs  sans  habitations  se  partagent  le  pays  par 
consentement  mutuel,  pour  ainsi  dire ,  et  se  le 
divisent  en  districts  par  une  espèce  de  droit  de 
propriété  qu'elles  se  sont  arrogé.  Les  Arabes,  sub- 
divisés à  leur  tour  en  différentes  peuplades,  par- 
courent les  plaines  de  la  Palestine,  et,  par  leurs 
courses  interminables,  semblent  vouloir  la  fouler 
aux  pieds.  Quel  état  de  choses  aurait  pu  paraître 
plus  improbable  ou  moins  naturel  !  et  cependant 
en  est-il  un  plus  littéralement  vrai!  et  l'effet  de 
la  prédiction  pouvait-il  être  plus  frappant  !  «  Plu- 
«  sieurs  pasteurs  ont  gâté  ma  vigne  ;  ils  ont  foulé 
«  mon  partage  !  » 

(74j  Volney,  ch.  xxiii,  §3,  p.  350.  —  (75)  Ibid.,  p.  354. 
(76)  Ibid.,  ch.  xxir,  p.  326. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  201 

«  Vous  serez  comme  un  verger  qui  n'a  point 
«  d'eau  ".  Jusqu'à  quand  la  terre  sera-t-elle  dans 
«  le  deuil,  et  l'herbe  de  tous  les  champs  sèchera- 
«  t-elle  à  cause  de  la  malice  de  ses  habitants  ^^?  » 
Dans  les  pays  chauds ,  partout  où  il  y  a  de  Feau, 
on  peut  entretenir  la  végétation  dans  un  travail 
perpétuel  ^^  et  faire  succéder  sans  relâche  des 
fruits  aux  fleurs  et  des  fleurs  aux  fruits.  On 
trouve  par  toute  la  Judée  des  restes  de  citernes 
ou  réservoirs  pour  l'eau  de  pluie ,  et  on  remarque 
encore  des  traces  de  canaux  au  moyen  desquels 
on  arrosait  les  champs.  De  ce  travail  résultait  né- 
cessairement une  prodigieuse  fertilité^  sous  un 
soleil  ardent^  la  oii  il  ne  fallait  qu'un  peu  d'eau  pour 
activer  la  végétation  *^^.  A  fort  peu  d'exceptions 
près,  ce  travail  est  maintenant  inconnu.  La  Judée 
est  un  verger  qui  n'a  point  d'eau ,  et  l'herbe  de 
tous  les  champs  est  desséchée.  «  L'on  n'y  voit 
point  ces  riants  tapis  d'herbes  et  de  fleurs  qu'é- 
talent les  prairies  de  la  Normandie  et  de  la  Flan- 
dre 5  ni  ces  massifs  de  beaux  arbres  qui  donnent 
tant  de  vie  et  de  richesse  aux  paysages  de  la 
Bourgogne  et  de  la  Bretagne;  la  terre  en  Syrie 
a  presque  toujours  un  aspect  poudreux^\  »  Toute 
la  montagne,  près  de  ïibériade,  est  couverte 
d'herbe  desséchée  ^^  «  Peut-être ,  si  la  main  de 
l'homme  n'eut  ravagé  ces  campagnes ,  seraient- 
t-elles  ombragées  de  forêts;  si  donc  il  arrive 
que  les  produits  ne  répondent  pas  à  ses  moyens, 
c'est  moins  à  son  état  physique  qu'à  son  régime 
politique  qu'il  en  faut  reporter  la  cause  ^^  » 

«  Les  forteresses  seront  autant  de  cavernes 
à  toujours  » .  «  A  chaque  pas  l'on  y  rencontre  des 

(77)  Esaïe,  I,  30.  -—  (78)  Jérémie,  XII,  /|.  —  (79)  Volney,  vol.  II, 
p.  381.  —  (80)  Géoî^Taphie  de  Malte-Biuii,  vo).  I,  p.  15Zi,  4  57. 
(8J)  Volney,  vol.  II,  p.  330.  —  (82)  Burckhardt,  p.  331. 
(83)  Volney,  vol.  II,  p.  331. 

9. 


202  LA  JUDÉE.  eu.   IX. 

ruines  de  (ours,  de  donjons,  de  ehaleanx  avec 
des  fosses  ;  ils  son!  abandonnés  «  aux  chacals , 
«  aux  hiboux  el  aux  scorpions  ))°\ 

«  La  ville  forte  sera  désolée,  la  maison  de  plai- 
es sance  sera  abandonnée.  »  —  H  y  a  un  nombre 
prodigieux  de  ruines  dispersées  sur  les  plaines,  el 
jusque  dans  les  montagnes  maintenant  désertes °". 

«  Le  veau  y  paîtra  et  y  gîtera,  et  broutera  les 
«  branches  qui  y  seront;  les  troupeaux  y  paîtront; 
«les  agneaux  paîtront  à  leur  ordinaire;  et  les 
«  étrangers  mangeront  les  déserts  où  le  bétail  de- 
ft venait  gras  ».  —  Josèphe,  en  parlant  de  la  Ga- 
lilée dont  il  était  gouverneur,  dit  :  «  Elle  est  pleine 
de  plantations  de  toutes  sortes  d'arbres  ;  le  sol 
est  universellement  riche  et  fertile,  et  tout  le  pays, 
sans  en  excepter  la  moindre  partie,  est  soigneuse- 
ment cultivé  par  ses  habitants  :  de  plus,  ajoute- t-il, 
les  villes  sont  en  grand  nombre,  et  il  y  a  beaucoup 
de  villages  où  le  sol  est  si  riche  et  les  habitants  si 
nombreux  que  la  population  du  moindre  d'entre 
eux  est  de  plus  de  15,000  âmes^^  »  Telle  était  la 
Galilée  au  commencement  de  Tère  chrétienne,  plu- 
sieurs siècles  après  cette  prophétie.  Mais  mainte- 
nant la  plaine  d'Esdraelon  et  toutes  les  autres 
parties  de  la  Galilée  qui  offrent  des  pâtures  sont 
occupées  par  des  tribus  arabes,  et  autour  de  leurs 
tentes  grisâtres  les  moutons  et  les  agneaux  dan- 
sent au  son  du  cor  qui  le  soir  leur  fait  entendre 
le  rappel  ^^  Le  veau  se  couche  et  se  nourrit 
parmi  les  ruines  des  villes  ;  il  dévore  sans  obsta- 
cle les  branches  des  arbres  ;  quelque  changé  que 
soit  rétat  des  habitants ,  les  agneaux  paissent  à 
leur  ordinaire ,  et  tandis  que  la  terre  est  désolée, 

(8/i)  Volney,  ch.  xxxi. 

(85)  Ibid. 

(86   JosLphe,  De  bello  judaico,  1,  III,  ch.  m,  §  2. 

(87)  Sciiulze,  cité  par  Malte-Brun,  vol,  II,  p.  148. 


CH.  IX.  LA  JUDEE.  203 

et  que  les  joyeux  de  cœur  gémissent,  eux  ils  sau- 
tent au  son  des  instruments- 

II  est  évident  qu'il  s'est  opéré  un  changement 
complet  dans  tout  ce  qui  autrefois  faisait  la  beauté 
et  la  gloire  de  ce  pays  :  à  cet  égard ,  les  différents 
récits  des  historiens  juifs  et  romains  ,  et  toutes  les 
descriptions  des  voyageurs  s'accordent  parfaite- 
ment^  même  dans  les  plus  petites  circonstances. 
Josèphe  représente  le  sol  de  la  Galilée  comme 
tellement  riche  et  fertile,  et  tellement  couvert  de 
plantations  d'arbres,  «  qu'il  semblait  inviter  les 
plus  paresseux  à  le  cultiver  » .  Il  décrit  les  autres 
provinces  de  la  Terre-Sainte  comme  abondantes 
en  arbres  qui  portent  leur  fruit  en  automne,  tant 
ceux  qu'on  cultivait  que  ceux  qui  croissaient 
sans  culture  ^^  Tacite  raconte  que  non-seulement 
tous  les  fruits  de  l'Italie  venaient  dans  le  sol  fer- 
tile de  la  Judée ,  mais  qu'on  y  trouvait  encore  le 
palmier  et  le  baumier  ;  et  il  parle  des  précautions 
extrêmes  avec  lesquelles,  lorsque  la  sève  était  en 
circulation,  on  faisait  une  incision  dans  les  bran- 
ches du  baumier ,  soit  avec  une  coquille  ou  une 
pierre  aiguë,  parcequ'on  n'osait  les  toucher  avec 
une  lame.  On  chercherait  inutilement  aujourd'hui 
et  cet  art  et  ces  soins.  Le  baumier  a  disparu  du  soi 
qui  l'a  longtemps  nourri  :  d'autres  plantes  plus 
robustes  ont  péri  également.  Et  au  lieu  de  remar- 
quer maintenant  la  culture  de  tel  ou  tel  arbre 
délicat ,  ou  de  raconter  comment  on  en  extrait 
telle  ou  telle  essence  médicinale,  avec  un  art  que 
Tacite  trouvait  digne  de  son  attention  et  de  ses 
éloges  5  la  tâche  du  voyageur  se  réduit  à  étudier 
les  mœurs  de  ceux  qui  occupent  présentement 
ce  même  territoire.  Les  oliviers  (aux  environs 
d'Arimathée  )  dépérissent  de  vétusté ,  par  les 

(88)  Josèphe,  De  bello  judaico,  1.  III,  ch.  m,  §  2, 


204  LA  JUDKIi.  eu.  iX. 

ravages  des  factions  opposées  ef  môme  par  des 
délils  secrets.  Les  Mamelouks  ayant  coupé  les  oli- 
viers, pour  le  plaisir  de  détruire  ou  pour  se  chauf- 
fer^  Yafa  a  perdu  la  plupart  de  ses  avantages  et 
de  ses  agréments ''^  )>  — Au  lieu  donc  «  de  l'abon- 
dance d'arbres  provenant  d'une  culture  soignée» , 
l'effet  des  ravages  de  l'ennemi  a  été  tel  que  dans 
plusieurs  parties  delà  Palestine  on  ne  trouve  pas 
même  de  Ijois  k  brûler.  Cependant  cette  destruc- 
tion, son  progrès  et  son  étendue  accomplissent 
littéralement  les  paroles  de  la  prophétie,  qui  non- 
seulement  déclare  que  les  villes  désertes  de  la 
Judée  deviendront  des  lieux  oîi  les  troupeaux 
paîtront,  où  le  veau  gîtera  et  broutera,  mais  qui 
dit  aussi  que  «quand  son  branchage  sera  sec,  il 
«  sera  brisé,  et  les  femmes  y  venant  en  allumeront 
«  du  feu.  — Car  ce  peuple  n'a  pas  d'intelligence  !  » 
Les  arts  les  plus  simples  sont  dans  la  barbarie , 
les  sciences  sont  entièrement  inconnues  ®^. 

«  Les  épines  et  les  ronces  monteront  sur  la  terre 
«  de  mon  peuple.  »  La  terre  ne  produit  que  des 
ronces  et  des  épines®*.  Les  plaines  et  les  monta- 
gnes désertes  de  la  Palestine  abondent  en  une  es- 
pèce de  plante  épineuse  appelée  mérar,  et  en  d'au- 
tres du  même  genre.  Plusieurs  des  montagnes 
sont  tellement  couvertes  de  ces  plantes  qu'il  est 
fort  difficile  de  parvenir  a  leur  sommet,  et  tout 
le  district  de  Tibériade  est  parsemé  d'un  arbris- 
seau épineux  ®^!! 

«  Vos  chemins  seront  déserts  ^'\  Les  chemins 
«  ont  été  réduits  en  désolation ,  les  passants  ne 
«  passent  plus  par  les  sentiers  ®^  » .  Les  communi- 
cations étaient  tellement  fréquentes  autrefois 
dans  la  Judée,  et  les  communications  sirégulière- 

(89)  Volney,  ch.  xxxi,  p.  307,  308.  —  (90)  Ibid.,  ch.  xxxi. 
(94)  Ibid.,  Ruines,  ch.  ii.  —  (92)  Burckhardt,  p.  333. 
(93)  LéviU,  XXVI,  22,  —  (94)  Esaïe,  XXXIII,  8. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  205 

ment  entretenues  par  les  voyages  ordonnés  au 
peuple,  pour  se  rendre  à  Jérusalem,  à  la  célé- 
bration du  culte  5  et  pour  obéir  au  précepte  de 
l'ancienne  loi,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  pays  oîi 
les  grands  chemins  fussent  aussi  fréquentés  ou 
aussi  nécessaires.  Du  temps  d'Esaïe,  «  le  pays 
abondait  en  chevaux,  et  il  n'y  avait  fin  de  ses 
chariots  ;  »  et  même  encore  aujourd'hui  il  existe 
de  nombreuses  traces  de  chemins  pavés  con- 
struits par  les  Romains ^^,  et  d'autres  qui,  évi- 
demment ,  ne  sont  pas  d'origine  romaine  ;  mais 
parmi  les  précieux  monuments  littéraires  qui 
sont  parvenus  jusqu'à  nous,  se  trouvent  trois  itiné- 
raires romains  que  nous  pouvons  invoquer.  D'a- 
près ces  itinéraires,  et  aussi  d'après  le  témoignage 
d'Arrien  et  de  Diodore  de  Sicile,  de  Josèphe  et 
d'Eusèbe,  il  paraît,  comme  Reland  le  fait  voir 
aussi,  que  dans  la  Palestine ,  longtemps  après  sa 
décadence,  il  existait  quarante-deux  grands  che- 
mins différents  (viœpublicœ)^  tous  distinctement 
spécifiés,  et  qui  parcouraient  des  lignes  d'une 
longueur  de  près  de  neuf  cents  milles  ^^. 

Cependant  la  prophétie  a  été  littéralement  ac- 
complie. Dans  l'intérieur,  ni  grandes  routes ,  ni 
canaux  ;  pas  même  de  ponts  sur  la  plupart  des  ri- 
vières et  des  torrents,  quelque  nécessaires  qu'ils 
fussent  pendant  l'hiver.  Il  n'y  a  de  ville  en  ville 
ni  poste  ni  moyens  de  transport.  Personne  ne 
voyage  seul,  vu  le  peu  de  sûreté  des  routes.  Il 
faut  attendre  que  plusieurs  voyageurs  veuillent 
aller  au  même  endroit,  ou  profiter  du  passage 
de  quelque  grand  qui  se  fait  protecteur  et  sou- 
vent oppresseur  de  la  caravane.  Les  chemins  des 
montagnes  sont  très  pénibles,  parceque  les  ha- 
bitants, loin  de  les  adoucir,  les  rendent  le  plus 

(95)  Straton.  —  (96)  Relandi  Palœstina  ex  monumentis  veterîbus 
illustrata,  t.  I,  I.  II,  ch,  m,  p.  405,  425. 


206  LA  JUDÉE.  CH.  IX, 

(liflicilos  possible,  alin.^  discMil-ils,  d'ôter  aux 
Turcs  l'envie  d'y  amener  leur  cavalerie.  Il  est 
remarquable  (|ue  dans  toute  la  Syrie  l'on  ne  voit 
pas  un  chariot  5  pas  une  charrette '^^  Il  n'y  a 
d'auberges  en  aucun  lieu,  continue  Volney;  les 
logements  dans  les  kans  (  bâtiments  destinés  aux 
voyageurs)  sont  des  cellules  oii  l'on  ne  trouve 
que  les  quatre  murs,  de  la  poussière  et  quelque- 
fois des  scorpions.  Le  gardien  du  kan  est  chargé 
de  donner  la  clef  et  une  natte ,  le  voyageur  a  dû 
se  fournir  du  reste;  ainsi  il  doit  porter  avec  lui 
son  lit,  sa  batterie  de  cuisine  et  même  ses  provi- 
sions ;  car  souvent  on  ne  trouve  pas  de  pain  dans 
les  villages'^  —  Il  n'y  a  aucune  espèce  de  voiture 
dans  ce  pays,  dit  un  autre  voyageur.  —  Il  est  im- 
possible de  traverser  lesmontagnes  de  la  Palestine, 
rapporte  un  troisième  témoin  ;  le  chemin  en  est 
impraticable  ^^.  Le  voyayeur  se  trouve  au  milieu 
d'une  infâme  race  de  voleurs  qui  lui  couperaient 
le  cou  pour  un  liard,  et  lui  enlèveraient  son  argent 
par  pure  oisiveté  '  .  Dans  un  pays  oîi  il  y  a  ainsi 
absence  complète  de  voitures ,  il  faut  que  les 
chemins,  quelque  nombreux  et  quelque  excellents 
qu'ils  aient  été  autrefois,  restent  déserts;  et  là  ou  à 
chaque  pas  on  rencontre  des  périls  sans  nombre 
et  des  privations  inouies,  on  ne  peut  pas  s'étonner 
de  ce  que  «  les  passants  ne  passent  plus  par  les 
«  sentiers  » .  Mais  que  les  disciples  de  Volney  nous 
disent  à  leur  tour  comment  la  sagesse  humaine  a 
pu  imaginer  et  transmettre  tous  ces  détails  comme 
Moise  et  Esaïe  l'ont  fait,  l'un  trente-trois  et 
l'autre  vingt-cinq  siècles  avant  que  le  fait  pût 
s'accomplir  ? 

«  Les  destructeurs  sont  venus  sur  tous  les 

(97)  Volney,  ch.  xxxviii,  p.  382.  —  (98)  Ibid.»  p.  38^. 

(99)  Voyages  de  Wilson,  p.  100. 

(1)  Voyages  de  Richardson,  vol.  II,  p.  225. 


CH.  IX.  La  /udée.  207 

«  lieux  élevés  du  désert.  »  —  Les  précautions 
dont  nous  parlons  plus  haut  sont  surtout  néces- 
saires dans  les  pays  ouverts  aux  Arabes,  tels 
que  la  Palestine  et  la  frontière  du  désert  \ 

«  Les  habitants  de  Jérusalem  qui  sont  du 
«  pays  d'Isragl  mangeront  leur  pain  avec  cha- 
^<  grin  5  et  boiront  leur  eau  avec  étonnement , 
«  parceque  le  pays  sera  désolé,  étant  privé  de 
«  son  abondance  à  cause  de  l'iniquité  de  tous 
«  ceux  qui  y  habitent.  »  On  observe  que  dans 
les  grandes  villes  (de  la  Syrie,  car  il  n'y  en  a  pas 
en  Palestine)  le  peuple  a  beaucoup  de  cet  air  dis- 
sipé et  sans  souci  qu'il  a  chez  nous;  pourquoi 
cela?  c'est  que  là  comme  ici,  ditVolney  en  par- 
lant de  la  France,  endurci  à  la  souffrance  par 
l'habitude,  affranchi  de  la  réflexion  par  l'igno- 
rance, le  peuple  vit  dans  une  sorte  de  sécurité; 
il  n'a  rien  à  perdre ,  il  n'a  pas  peur  qu'on  le  dé- 
pouille. Le  marchand,  au  contraire,  vit  dans  la 
crainte  perpétuelle  et  de  ne  pas  acquérir  da- 
vantage et  de  perdre  ce  qu'il  a  ;  il  tremble  d'at- 
tirer les  regards  d'un  gouvernement  rapace  pour 
qui  un  air  de  satisfaction  serait  l'enseigne  de 
l'aisance  etle  signal  d'une  avanie.  La  même  crainte 
règne  dans  les  villages,  oii  chaque  paysan  redoute 
d'exciter  l'envie  de  ses  égaux  et  la  cupidité  de 
l'aga  et  des  gens  de  guerre.  Dans  un  tel  pays,  où 
l'on  est  sans  cesse  surveillé  par  une  autorité  spo- 
liatrice, on  doit  porter  un  visage  sérieux ,  par  la 
même  raison  que  l'on  porte  des  habits  percés  ^; 
ou  bien,  pour  terminer  par  les  paroles  du  pro- 
phète ,  «  à  cause  de  l'iniquité  de  tous  ceux  qui  y 
«  habitent.  » 

«  Vous  serez  frustrés  de  vos  revenus.  »  —  D'a- 
près l'état  des  contributions  de  chaque  pachalik, 

(2)  Volney,  ch.  xxxviii,  p.  383.  —  (3)  Ibid, ,  xl,  p.  437. 


208  LA  JUDÉE.  Cil.  IX. 

il  paraît  que  la  soiuine  annuelle  que  la  S>rie  verse 
au  kazna  on  trésor  du  sultan  se  monte  à  2^5  i  5  bour- 
ses, savoir  : 

Pour  Alep  800  bourses. 

Pour  Tripoli  750        » 

Pour  Damas  45    -    » 

Pour  S^-Jean-d'Acre  750        » 
Et  pour  la  Palestine  0 


Total  25845  bourses 

qui  font  2,931 ,250  livres  de  notre  monnaie.  Après 
avoir  spécifié  quelques  autres  sources  de  reve~ 
nus.  Fauteur  ajoute  :  «  On  doit  se  rapprocher 
beaucoup  de  la  vérité,  en  portant  à  7  millions 
et  demi  la  totalité  du  revenu  que  le  sultan  tire  de 
la  Syrie,  total,  7,500,000  livres^  »  ce  qui  ne  fait 
pas  la  septième  partie  du  tribut  payé  à  l'Egypte , 
tel  qu'il  était  longtemps  après  cette  prédiction. 
Voilà  tout  ce  que  le  gouvernement  le  plus  despo- 
tique est  parvenu  à  tirer  de  la  Syrie  appauvrie  ; 
mais  quelque  insignifiante  que  soit  cette  somme, 
comme  revenu  de  possessions  aussi  étendues,  qui 
autrefois  contenaient  plusieurs  états  opulents  et 
puissants,  il  faut  encore  en  déduire  la  plus  grande 
partie  avant  de  pouvoir  connaître  exactement 
quelle  est  la  cliétive  pitance  qu'à  titre  de  revenu, 
et  à  force  d'extorsions,  on  tire  de  la  terre  d'Israël. 
En  jetant  un  coup  d'œil  rapide  sur  le  tableau  ci- 
dessus,  il  est  facile  de  se  convaincre  de  la  désola- 
tion et  de  la  pauvreté  respective  des  différentes 
provinces  de  la  Syrie  ;  et  encore  les  moins  stéri- 
les de  ces  provinces,  c'est-à-dire  les  pachaliks 
d'Alep  et  de  Tripoli,  ne  faisaient  point  partie  de 
l'ancienne  Judée.  La  Palestine,  contenant  l'an- 

(4)  Volney,  ch.  xxxii,  p.  332. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  209 

cienne  Philistie  et  une  partie  de  la  Judée  5  fut 
partagée  en  deux  portions  par  le  sultan,  et  sou- 
mise à  l'autorité  de  deux  individus.  Le  vaste  pa- 
chalik  de  Damas ,  si  peu  productif  en  revenus,  con- 
tient cependant  Jérusalem  et  une  grande  partie 
de  Tancienne  Judée  ;  ainsi  on  peut  en  dire  avec 
encore  plus  d'exactitude  que  de  tout  le  reste  ^  : 
«  Vous  serez  frustrés  de  vos  revenus.  » 

Au  lieu  d'examiner  à  part  chaque  prédiction 
relative  à  la  désolation  de  la  terre  de  Judée,  on 
peut  en  envisager  plusieurs  à  la  fois,  et  le  sens 
en  est  si  clair  qu'il  serait  fort  inutile  de  les 
expliquer  plus  au  long.  La  preuve  de  leur  parfait 
accomplissement  n'est  pas  non  plus  difficile  à 
trouver,  car  Volney  confirme  six  prédictions  dans 
une  seule  phrase,  à  laquelle  il  ajoute  une  réflexion 
qui  ne  tend  pas  moins  à  établir  la  vérité  des  pa- 
roles prophétiques. 

«  Je  détruirai  vos  hauts  lieux,  je  ruinerai  vos 
«  tabernacles.  »  —  «  Je  désolerai  vos  sanctuaires.  » 
—  «  Le  palais  va  être  renversé.  »  —  «  Je  ferai  pé- 
«  rir  le  reste  de  leurs  ports  de  mer.  »  —  c(  Je  ré- 
«  duirai  aussi  vos  villes  en  désert.  »  —  «  Les  habi- 
«  tants  du  pays  sont  consumés  et  peu  de  gens  y 
«sont  demeurés.» — «Toute  la  terre  ne  sera 
a  que  désolation.  » — Les  temples  se  sont  écroulés, 
les  palais  sont  renversés ,  les  ports  sont  comblés , 
les  villes  sont  détruites,  et  la  terre,  nue  d'habi- 
tants, ressemble  à  un  vaste  cimetière  ^  Grand 
Dieu  !  s'écrie  Volney,  d'où  viennent  d'aussi  fu- 
nestes révolutions?  Par  quels  motifs  la  fortune  de 
ces  contrées  a-t-elle  si  fort  changé?  Pourquoi 
tant  de  villes  sont -elles  détruites?  Pourquoi 
cette  ancienne  population  ne  s'est-elle  point  re- 
produite et  perpétuée?  Je  l'ai  parcourue,  cette 

(5)  Ruines  de  Volney. 


210  LA  jldép:.  ch.  ix. 

terre  ravagée  ;  j'ai  dénombré  les  royaumes  de 
Damas  et  dldumée,  de  Jérusalem  et  de  Sama- 
rie.  Cette  Syrie,  me  disais-je,  aujourd'hui  pres- 
que dépeuplée ,  contenait  alors  cent  villes  puis- 
santes, et  ses  campagnes  étaient  couvertes  de  vil- 
lages, de  bourgs  et  de  hameaux.  Que  sont  deve- 
nues tant  de  brillantes  créations  de  la  main  de 
l'homme?  Que  sont  devenus  ces  ages  d'abondance 
et  de  vie  ?  etc. 

En  cherchant  à  être  sage,  l'homme  devient  in- 
sensé, tant  qu'il  ne  veut  se  fier  qu'à  son  imagina- 
tion trompeuse  ,  au  lieu  de  chercher  la  sagesse 
dans  cette  parole  de  Dieu  qui  confond  les  sages, 
mais  qui  rend  intelligents  les  simples.  Ces  paroles, 
prononcées  par  la  bouche  de  l'incrédule,  rendent 
témoignage  à  cette  vérité  même  qu'il  était  trop 
aveugle  ou  trop  orgueilleux  pour  apercevoir  et 
pour  admettre.  Car  les  «  pasteurs  arabes  »  n'ac- 
complissent pas  plus,  sans  s'en  douter,  une  prédic- 
tion, quand  ils  «  foulent  aux  pieds  >>  la  Palestine, 
que  Volney l'académicienne  confirme  l'aiîcomplis- 
sement  d'une  autre,  lorsqu'il  parle  ainsi  en  son 
propre  nom  et  en  celui  des  autres.    «  Et  la  gêné- 
«  ration   à  venir  dira,  savoir  vos  enfants    qui 
«  viendront  après  vous,  et  l'étranger  qui  viendra 
«  d'un  pays  éloigné,  quand  ils  verront  les  plaies 
«  de  ce  pays  et  les  maladies  dont  l'Eternel  l'af- 
(^  fligera  :  Pourquoi  l'Eternel  a-t-il  ainsi  traité  ce 
«  peuple?  Quelle  est  la  cause  de  Tardeur  de  sa 
«  grande  colère^?  » 

Ce  n'est  point  un  «  ana  thème  secret ,  »  comme 
le  dit  Volney,  que  Dieu  a  prononcé  contre  la  Ju- 
dée ;  c'est  la  malédiction  résultant  d'une  alliance 
abandonnée  qui  pèse  sur  cette  contrée  ;  ce  sont  les 
conséquences  des  péchés  de  l'ancien  peuple  main- 

(6)  Dent.,  XXIX,  22. 


CH.  IX.  la' JUDÉE.  211 

tenant  dispersé^  et  de  ceux  de  ses  habitants  ac- 
tuels. Ce  n'est  pas  le  respect  que  les  peuples  ont 
porté  à  une  religion  révélée  qui  a  causé  la  ruine 
des  empires;  la  source  en  est  bien  différente.  La 
destruction  de  Jérusalem  et  celle  des  autres 
villes  de  la  Palestine  fut  l'œuvre  des  Romains, 
païens  idolâtres ,  et  la  dévastation ,  pendant  des 
siècles,  fut  continuée  par  les  Sarrazins  et  par  les 
Turcs,  disciples  de  Mahomet  l'imposteur;  et  tou- 
tes les  désolations  y  furent  apportées  par  des  en- 
nemis de  la  dispensation  mosaïque  et  chrétienne. 
Ces  désolations  elles-mêmes  n'ont  été  ordonnées 
par  la  volonté  divine  qu'en  tant  qu'elles  ont  été 
une  suite  de  la  violation  de  la  loi  de  Dieu.  —  C'est 
la  décadence  de  la  foi  qui  a  amené  la  destruction. 
Et  la  terre  n'a  eu  à  subir  d'autres  malédictions  que 
celles  qui  sont  décrites  dans  le  Livre  Saint.  — Là, 
le  caractère  et  la  condition  du  peuple,  et  l'aspect 
du  pays,  frappé  de  malédiction  à  cause  du  pé- 
ché de  ses  habitants ,  se  trouvent  dépeints  avec 
la  même  exactitude.  Et  quand  l'incrédule  de- 
mande :  Pourquoi  l'Éternel  a-t-il  ainsi  traité  ce 
peuple?  la  même  parole  qui  prédit  que  cette 
question  serait  faite  fournit  aussi  la  réponse  : 
«  Et  on  répondra  :  C'est  parcequ'ils  ont  aban- 
«  donné  l'alliance  de  l'Éternel ,  le  Dieu  de  leurs 
«  pères.  » 

«  Le  pays  a  été  profané  par  ses  habitants ,  parce- 
«  qu'ils  ont  transgressé  ses  lois  ;  ils  ont  changé  les 
«ordonnances,  et  ont  violé  l'alliance  éternelle, 
«  c'est  pourquoi  l'imprécation  du  serment  a  dé- 
«  voré  le  pays.  »  —  Ces  paroles  si  expressives,  en 
déclarant  la  cause  des  jugements  et  des  désola- 
tions, décrivent  aussi  la  méchanceté  de  ceux  qui 
devaient  occuper  la  terre  de  Judée  pendant  le 
temps  de  sa  désolation,  et  pendant  que  ses  anciens 
habitants  seraient  «  dispersés  sur  la  terre.  »  —  Et 


212  LA  JUDÉE.  CH.   IX. 

quoique  rif^norance  de  ces  peuj)lcs  puisse  être 
un  sujet  de  pitié,  cependant  on  ne  peut  nier  leur 
excessive  dégénération.  La  férocité  des  Turcs,  les 
mœurs  désordonnées  des  Arabes,  l'état  d'avilis- 
sement du  petit  nombre  de  Juifs  à  qui  l'on  permet 
encore  de  vivre  sur  le  sol  de  leurs  ancêtres,  les 
disputes  sans  cesse  renaissantes  parmi  ce  peuple 
mélangé,  et  la  grande  dépravation  qui  règne  dans 
toutes  les  classes,  ont  complètement  changé  l'as- 
pect moral  de  ce  pays  qu'au  temps  d'autrefois  on 
appelait  «  la  Terre  Sainte.  »  Et  cette  région ,  où , 
pendant  plusieurs  siècles ,  le  seul  vrai  Dieu  fut 
connu  et  adoré  ;  ce  pays  qui  présentait  aux  regards 
des  hommes  l'unique  exemple  d'une  parfaite  mo- 
rale ,  est  maintenant  une  des  parties  du  monde 
les  plus  dégradées;  et  on  peut  véritablement 
dire  que  cette  terre  a  été  profanée  par  ses  ha- 
bitants. 

Et  il  y  a  bien  des  siècles  qu'il  est  ainsi  profané. 
Le  Père  des  miséricordes  n'afflige  pas  volon- 
tairement les  enfants  des  hommes. ,  C'est  le 
péché  qui  est  toujours  l'avant-coureur  des  ma- 
lédictions du  ciel.  Ce  fut  à  cause  de  leur  idolâ- 
trie et  de  leurs  iniquités  que  les  dix  tribus 
furent  d'abord  «retranchées  de  la  terre  d'Israël.  » 
Plus  tard,  à  leur  propre  prière  et  d'après  la  me- 
sure de  leurs  péchés,  le  sang  de  Jésus  retomba 
sur  les  Juifs  et  sur  leurs  enfants  ;  et  avant  leur 
expulsion  finale  de  cette  terre  que  leur  iniquité 
avait  profanée ,  elle  fut  arrosée  du  sang  de  plus 
d'un  demi-million  de  leur  peuple.  La  Judée  se 
reposa  ensuite  pendant  un  court  espace  de 
temps,  lors  du  premier  établissement  des  églises 
chrétiennes^  mais  dans  cette  terre,  berceau  du 
christianisme,  les  semences  de  corruption  ne 
tardèrent  pas  à  paraître.  La  puissance  morale  de 
la  religion  commença  à  s'effacer,  le  culte  des 


CH.  IX.  .       LA'JUDÉE.  213 

images  se  propagea^  elles  disciples  apparents  de 
la  vraie  foi  violèrent  Talliance  éternelle  ^  La 
doctrine  de  Mahomet  ^  le  Coran  ou  Tépée,  fut 
le  fléau  ou  la  guérison  de  l'idolâtrie;  mais 
toutes  les  impuretés  de  la  croyance  mahomé- 
tane  succédèrent  à  un  christianisme  corrompu 
et  grossier.  Depuis  lors^  des  hordes  de  Sar- 
razins^  d'Égyptiens ,  de  Fatimites,  de  Tartares, 
de  Mameloucks  et  de  Turcs  (  assemblage  de 
noms  barbares  sans  pareils ,  du  moins  dans  les 
temps  modernes) 5  ont  pendant  l'espace  de  douze 
cents  ans  «profané  la  terre»  des  enfants  d'Israël 
par  l'iniquité  et  par  le  sang.  Ainsi  la  prophétie 
n'a  rien  d'hyperbolique  :  «  Les  plus  méchantes 
«  des  nations  posséderont  leurs  habitations ,  et 
«  leurs  saints  lieux  seront  profanés  ^  »  Quant 
aux  saints  lieux  ^  Omar ,  à  la  première  conquête 
de  Jérusalem  par  les  Mahometans ,  construisit 
une  mosquée  sur  l'emplacement  même  du  temple 
de  Salomon,  et  quelque  jaloux  de  sa  gloire  que 
soit  le  Dieu  d'Israël ,  les  disputes  continuelles  et 
sanglantes  entre  les  sectes  chrétiennes,  autour 
même  du  sépulcre  de  l'auteur  de  leur  foi ,  qu'ils 
déshonorent ,  témoignent  encore  aujourd'hui 
de  la  vérité  de  cette  prédiction.  Le  zèle  frénétique 
des  chrétiens  croisés  ne  put  extirper  de  la  Judée 
les  païens  qui  la  possédaient ,  quoique  l'Europe 
se  répandît  comme  un  torrent  sur  l'Asie.  Mais  la 
profanation  de  la  terre,  comme  celle  des  lieux 
saints^  n'est  pas  encore  passée,  et  la  Judée  est 
encore  profanée  à  l'heure  qu'il  est,  non-seule- 
ment par  des  gouverneurs  tyranniques,  mais 
aussi  par  des  peuples  sans  lois  et  sans  principes. 
La  barbarie  est  complète  dans  la  Syrie,  dit 
Volney*.  J'ai  souvent  pensé,  dit  Burckhardt,  en 

(7)  Esaïe,  XXIV,  5.  —  (8)  Ezéchiel,  VII,  24. 
(9)  Volney,  ch.  xxxix. 


21  \  LA  JUDÉE.  Cil.  IX. 

décrivant  lacoruluilc  inimoralo  d'un  j)ielre  grec 
dans  le  Jlauran  (  mais  en  termes  qui  ne  sont 
que  trop  suseej)tibles  d'une api)lication  (générale), 
que  si  le  code  pénal  anj^^lais  était  soudainement 
proclamé  dans  ce  pays,  à  peine  y  aurait-il  un 
homme  dans  les  affaires ,  ou  ayant  avec  d'autres 
des  relations  pécuniaires,  qui  ne  fût  sujet  à  la  dé- 
portation *^.  «  Sous  le  nom  de  christianisme  »  on  pro- 
fesse ou  Ton  tolère  toutes  sortes  de  superstitions 
et  de  cérémonies  profanes,  également  éloignées 
des  saintes  doctrines  de  l'Évangile  et  de  la  di- 
gnité de  la  nature  de  l'homme.  Le  pur  Évangile 
de  Christ  5  partout  le  précurseur  de  la  civilisa- 
tion et  de  la  science,  est  presque  aussi  inconnu 
dans  la  Terre- Sainte  que  dans  la  Californie  ou 
la  Nouvelle-Hollande.  Quelques  légendes,  quel- 
ques traditions,  empreintes  de  vestiges  de  ju- 
daïsme, et  les  misérables  visions  d'ermites 
ignorants ,  font  cependant  apercevoir  de  temps  en 
temps  une  lueur  de  la  lumière  céleste  ;  mais,  si 
nous  recherchons  les  effets  du  christianisme  sur 
la  terre  de  Chanaan,  il  nous  faut  attendre  ce  bien- 
heureux temps  oil  «  le  désert  fleurira  comme  la 
rose  »  **.  «  Le  pays  a  été  profané  parceque  ses 
«  habitants  ont  transgressé  ses  lois;  ils  ont  changé 
«  les  ordonnances  et  ont  violé  l'alliance  éternelle , 
«  c'est  pourquoi  l'imprécation  du  serment  a  dé- 
«  voré  le  pays.  »  (  Esaïe,  xxiv,  5,6.) 

«  Les  habitants  ont  été  mis  en  désolation.  » 
—  Le  gouvernement  des  Turcs  en  Syrie  est  un 
pur  despotisme  militaire,  c'est-à-dire  que  la 
foule  des  habitants  y  est  soumise  aux  volontés 
d'une  faction  d'hommes  armés  qui  disposent  de 
tout  selon  leur  intérêt  et  à  leur  gré.  Dans  chaque 
gouvernement,  le  pacha  est  despote  absolu.  Le 

(10)  Burckhart,  p.  84.  —  (11)  Clarke,  vol.  II,  p.  405. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  215 

peuple^  gêné  dans  la  jouissance  des  fruits  de  son 
travail ,  restreint  son  activité  dans  les  bornes  des 
premiers  besoins.  —  On  n'est  en  sûreté  ni  dans 
les  villes  ni  dans  les  campagnes  '^. 

«  Et  peu  de  gens  y  seront  demeurés  de  reste.  » 
Si  le  caractère  du  peuple  est  ainsi  corrompu,  si 
sa  condition  est  misérable ,  son  nombre  est  aussi 
bien  petit ,  comparé  à  l'étendue  du  pays  et  à  la 
fertilité  du  sol.   Après  avoir  évalué  le  nombre 
des  habitants  de  la  Syrie ,  Volney  ajoute  :  «  On 
a  droit  de  s'étonner  d'une  population  si  faible  dans 
un  pays  si  excellent;  mais  l'on  s'en  étonnera 
encore  davantage ,  si  on  la  compare  à  la  popula- 
tion des  temps  anciens.  Les  seuls  territoires  de 
Jamma  et  de  Joppé  en  Palestine  5  dit  le   géo- 
graphe philosophe  Strabon  5  furent  jadis  si  peu- 
plés qu'ils  pouvaient  entre  eux  armer  quarante 
mille  hommes;  à  peine   aujourd'hui  en  fourni- 
raient-ils trois  mille.  D'après  le  tableau  assez  bien 
constaté  de  la  Judée  au  temps  de  Titus,  cette 
contrée  devait  contenir  quatre  millions  d'âmes , 
et  aujourd'hui  elle  n'en  a  peut-être  pas  trois  cent 
mille.  Si  l'on  remonte  aux  siècles  antérieurs,  on 
trouve  la  même  abondance  d'habitants  chez  les 
Philistins,  chez  les  Phéniciens,  et  dans  les  royau- 
mes de  Samarie  et  de  Damas  *\)>  En  estimant  l'an- 
cienne population  de  la  Judée  à  son  taux  le  plus 
bas  et  celle  d'aujourd'hui  au  taux  le  plus  élevé ,  le 
pays  ne  semble  pas  contenir  la  dixième  partie  de 
ses  anciens  habitants,  qui  subsistèrent  pendant 
des  siècles ,  uniquement  par  ses  propres  ressour- 
ces et  par  la  richesse  de  son  sol.  Qui  aurait  pu 
s'imaginer  que  ce  même  pays  ne  devait  donner 
un  jour  qu'une  chétive  nourriture  au  «  peu  de 
«  gens  qui  y  seraient  demeurés  de  reste?» 

(12)  Volney,  ch.  xxxii,  §  3.  —  (13)  Ibid.,  xxxii. 


216  LA  JUDÉE.  CH.  IX. 

—  c(  Toutefois  il  en  restera  un  dixième.  « 
—  «  La  ville  de  laquelle  il  en  sortait  mille  n'en 
«  aura  de  reste  que  cent;  et  celle  de  la([uelle  il 
«  en  sortait  cent  n'en  aura  de  reste  que  dix^\  >) 
La  population  actuelle  de  la  Judée  a  été  éva- 
luée, sans  aucun  rapport  aux  prophéties,  à  un 
dixième  de  ce  qu'elle  était  avant  la  dispersion  du 
peuple  juif.  Volney,  d'après  une  estimation  com- 
parative, révalue  à  moins  encore.  Il  est  impossi- 
ble d'en  obtenir  la  proportion  exacte.  Les  paroles 
de  Pierre  lîello,  citées  par  Malte-Brun,  quoique 
rendant  au  fond  un  témoignage  semblable  à  celui 
des  autres  voyageurs,  nous  offrent  cependant  la 
supputation  la  plus  précise  :  Le  même  district 
qui  aujourd'hui  ne  fournit  à  cent  individus  qu'une 
faible  subsistance  fournissait  autrefois  abondam- 
ment à  mille  *^ 

«  La  joie  des  tambours  a  cessé ,  le  bruit  de 
«  ceux  qui  se  réjouissent  est  fini  ;  la  joie  de  la 
«  harpe  a  cessé  *^  »  — La  musique  instrumentale 
était  fort  en  usage  chez  les  Juifs.  Le  tambour  et 
la  harpe,  la  cymbale,  le  psaltérion  et  le  clairon 
é  talent  en  vogue  parmi  eux ,  et  faisaient  régu- 
lièrement partie  du  service  au  temple.  A  l'épo- 
que de  cette  prédiction,  la  harpe,  le  clairon, 
le  tambour,  la  viole  et  la  flûte  résonnaient  dans 
toutes  leurs  fêtes;  et  quoiqu'il  y  ait  longtemps  que 
les  Juifs  ne  font  plus  une  nation ,  cependant  ces 
instruments  se  trouvent  encore  parmi  eux.  Mais 
hélas!  dans  la  terre  de  la  Judée,  jadis  si  heureuse, 
la  voix  joyeuse  de  la  musique  a  cessé  de  se  faire 
entendre.  Dans  une  esquisse  de  l'état  des  arts  et 
des  sciences  en  Syrie  et  dans  toute  la  Terre-Sainte, 
Volney  observe  qu'on  ne  rencontre  que  rare- 
ment des  personnes   initiées  à  l'art  de  la  mu- 

(U)  Amos,  V,  3.  —  (45)  Géog.  de  Malte-Brun,  vo].  II,  p.  181. 
(16)Esnïe,  XXIV,  6. 


Ca.  IX.  LA  JUDÉE.  217 

siqiie.  Toute  leur  musique  est  vocale;  ils  ne  con- 
naissent ni  n'estiment  le  jeu  des  instruments, 
et  ils  ont  raison  ;  car  les  leurs ,  sans  en  excepter 
les  flûtes  5  sont  détestables*'.  «  La  joie  du  tam- 
«  bour  a  cessé ,  la  joie  de  la  harpe  a  cessé.  » 

Encore  n'est-ce  pas  ici  le  seul  trait  mélan- 
colique qui  semble  avoir  passé  du  pays  au  cœur 
de  ses  habitants.  Et  le  langage  plaintif  du  pro- 
phète se  trouve  réalisé  à  la  lettre  (quoiqu'on  eût 
fort  bien  pu  s'attendre  h  un  accomplissement 
moins  littéral)  lorsqu'on  le  compare  simplement 
aux  paroles  d'un  incrédule  célèbre. 

«  Car  ceux  qui  avaient  le  cœur  joyeux  sou- 
«  pirent  ;  on  ne  boira  plus  de  vin  avec  des  chan- 
«  sons  ;  toute  la  joie  est  tournée  en  obscurité  ;  l'ai- 
de légresse  du  pays  s'en  est  allée.  Le  chant  de  la 
«  vendange  n'y  retentira  plus  *^ 

Leur  expression  (en  chantant)  est  accompagnée 
de  soupirs.  On  peut  dire  qu'ils  excellent  dans 
le  genre  mélancolique.  A  voir  un  Arabe  la  tête 
penchée,  la  main  près  de  l'oreille  en  forme  de 
conque;  a  voir  ses  sourcils  froncés,  ses  yeux 
languissants,  à  entendre  ses  intonations  plain- 
lives,  ses  tenues  prolongées,  ses  soupirs  sanglo- 
tants, il  est  presque  impossible  de  retenir  ses 
larmes  '\  Le  même  auteur,  dans  ses  tristes  récits, 
nous  reproduit  encore  les  visions  du  prophète. 
Dans  le  chapitre  où  il  donne  la  description  des 
habitudes  et  du  caractère  des  habitants  de  la  Syrie, 
il  appuie  surtout  sur  l'expression  de  tristesse 
répandue  sur  les  physionomies.  —  Au  lieu  de  ce 
visage  ouvert  et  gai ,  dit-il ,  que  chez  nous  l'on 
porte  ou  l'on  affecte,  ils  ont  un  visage  sérieux, 
austère  ou  mélancolique;  rarement  ils  rient,  et 
renjouenient  de  nos  Français  leur  paraît  un  accès 

(d7)  Volney,  cb.  xxxii. 

(18)  Esaïe,  XXIV.  —  Jérémic,  XLVIII,  SS.—CîO)  Voiney,  du  xl. 

ÏO 


218  LA  JUDÉE.  en.  IX. 

(le  délire.  S'ils  parlent,  e'esl  sans  empressement, 
sans  geste,  sans  i)assion  ;  ils  éeonlent  sans  inter- 
rompre, ils  {^ardent  le  silenee  des  jonrnees  entiè- 
res, et  ils  ne  se  piquent  point  d'entretenir  la 
eonversation.  Toujours  assis,  ils  passent  des  jour- 
nées entières  rêvant,  les  jambes  croisées,  la  pipe 
à  la  bouche,  presque  sans  changer  d'altitude.  — 
Les  Orientaux  en  général  ont  l'extérieur  grave 
et  fîegmatiqne;  s'ils  marchent,  c'est  posément  et 
pour  affaires;  ils  regardent  l'inaction  comme  un 
des  éléments  de  bonheur  ^^ 

Après  avoir  ainsi  énoncé  le  fait,  Volney  s'ef- 
force de  combattre,  par  plusieurs  arguments  éga- 
lement justes  et  judicieux,  l'idée  que  la  nature  du 
climat,  du  sol,  puisse  être  la  cause  radicale  d'un 
phénomène  si  frappant;  et  après  avoir  exposé  un 
grand  nombre  d'exemples  tirés  de  l'histoire  an- 
cienne qui  prouvent  l'insuffisance  de  cette  cause, 
il  remarque  que  les  Juifs  eux-mêmes,  quoique 
bornés  à  un  petit  état,  ne  cessèrent  de  lutter  pen- 
dant mille  ans  contre  des  empires  puissants.  Si 
les  hommes  de  ces  nations,  ajoute-t-il,  furent  des 
hommes  inertes,  qu'est-ce  que  l'activité?  s'ils 
furent  actifs,  où  est  l'influence  du  climat?  Pour- 
,  quoi,  dans  les  mêmes  contrées  où  se  développa 
jadis  tant  d'énergie,  règne-t-il  aujourd'hui  une 
inertie  si  profonde^*?  Et  après  avoir  affranchi 
l'avocat  du  christianisme  de  la  nécessité  de  prou- 
ver que  ce  contraste  entre  les  anciennes  mœurs  et 
les  habitudes  du  peuple  de  la  Syrie  ne  peut  prove- 
nir d'une  cause  naturelle  que  peut-être  il  y  aurait 
eu  possibilité  de  prévoir,  Volney  continue  à  dé- 
montrer quelle  en  est  la  véritable  source  ,  c'est-à- 
dire  le  genre  de  gouvernement  et  l'état  de  la 
religion  et  des  lois,  qu'il  eût  été  impossible  à  la 

(20)  Volïiey,  ch.  xl.  —  (21)  UM. 


CH.  iX.  LA  JUDEE.  219 

sagacité  de  Thomme  de  décrire  d'avance,  et  qui 
n'ont  commencé  à  agir  que  bien  des  siècles  après 
l'époque  où  leur  action  et  leur  effet  furent  révélés 
aux  anciens  prophètes  d'Israël. 

Non-seulement  on  est  étonné  d'un  état  de  cho- 
ses ainsi  clairement  prédit  et  prouvé  par  rapport 
aux  habitants  de  la  Judée,  et  aussi  en  raison  du 
contraste  complet  et  frappant  qu'il  présente,  mais 
encore  cet  état  est  tellement  contraire  aux  usages 
et  aux  mœurs  des  peuples  qu'il  est  impossible  d'ex- 
pliquer comment,  par  des  moyens  purement  hu- 
mains, il  aurait  pu  être  prédit  :  car  cetteprédiction^ 
qui  a  trouvé  son  parfait  accomplissement  sur  la 
terre  jadis  heureuse  de  la  Judée,  est  également  en 
contradiction  avec  la  nature  humaine  partout  oii 
on  Tenyisage,  sous  quelque  climat  qu'on  l'étudié. 
— Voyez  les  groupes  de  sauvages  reunis  autour  de 
leurs  misérables  habitations ,  s'égayant  par  de 
grossières  harmonies,  ou  s'exaltant  par  des  chants 
guerriers  ?  Allez  de  là  dans  les  cercles  élégants  de 
notre  société  civilisée,  et  vous  y  trouverez  encore 
la  même  jouissance  et  le  même  entraînement.  Dans 
les  cabanes  des  déserts,  dans  les  palais  de  l'Asie 
et  de  l'Europe,  dans  les  vastes  solitudes  de  l'Amé- 
rique, dans  les  immenses  plaines  de  FAfricjue,  sur 
lesprairies  de  la  Grande-Bretagne,  dansles  champs 
de  la  France  ou  dans  les  vallées  de  l'Italie,  l'obser- 
vation de  l'homme  à  cet  égard  donne  partout  le 
même  résultat;  mais  peut-être  ce  fait  n'aurait-il 
été  que  lentement  établi,  et  les  paroles  de  la  pro- 
phétie n'auraient  été  regardées  que  comme  l'hal- 
lucination d'un  esprit  prévenu,  si  un  chrétien,  au 
lieu  de  Volney,  avait  rendu  le  même  témoignage. 
«  On  ne  boira  plus  de  vin  avec  une  chanson. 
«  La  cervoise  sera  amèreàceux  qui  la  boivent'^  >> . 

(22)  Esaïe,  XXIV. 


220  LA   JUDÉE.  ^:ii.  IX. 

—  Plus  raulenr  des  «Ruines  »  exainine  la  cause 
de  la  désolalion  de  ces  reliions  et  la  source  des 
caiauiilés  (|ui  ont  Tondu  sur  leurs  habitants,  plus 
il  fournit  de  preuves  que  les  prophéties  qui  se 
rapportent  h  ce  sujet  ne  peuvent  avoir  qu'une 
orii^^ine  divine. — Cheznous^  ditVolney,  l'une  des 
sources  de  la  gaîté  est  la  table  et  Tusaj^e  des 
vins;  chez  les  Orientaux  ce  double  plaisir  est 
presque  inconnu.  La  bonne  chère  attirerait  une 
avanie,  et  le  vin  une  punition  corporelle,  vu  le 
zèle  de  la  police  à  faire  exécuter  les  préceptes  du 
Koran.  Ce  n'est  pas  môme  sans  peine  que  les  mu- 
sulmans tolèrent  dans  les  chrétiens  l'usage  d'une 
liqueur  qu'ils  leur  envient  ^^  —  A  cette  déclara- 
tion on  peut  ajouter  le  témoignage  d'autres  voya- 
geurs également  désintéressés.  Les  vins  de  Jé- 
rusalem, dit  M.  Jolifie  ,  sont  exécrables.  Dans 
un  pays  oîi  toutes  les  espèces  de  jus  de  raisin 
sont  prohibées,  autant  par  la  loi  que  par  l'Évan- 
gile, uue  seule  fontaine  a  une  plus  grande  valeur 
que  beaucoup  de  pressoirs  '^\  M.  Wilson  assure 
qn'il  est  impossible  de  trouver  de  plus  mauvais 
vin  que  celui  que  l'on  boit  à  Jérusalem  ^^. 

Tandis  que  d'un  côté  l'intolérance  et  le  despo- 
tisme des  Turcs,  la  rapacité  et  le  vagabondage  des 
Arabes  ont  entièrement  annulé  toute  l'influence 
du  climat  et  la  fertilité  de  ces  vignobles,  d'un 
autre  côté  la  prohibition  peu  naturelle  de  l'usage 
des  vins  et  la  rigueur  qui  force  à  l'obéissance  de 
cette  loi  ont  complètement  découragé  la  culture 
de  la  vigne;  le  pressoir  n'est  plus  qu'un  travail 
onéreux  et  odieux;  cependant,  dans  un  pays  où 
la  vigne  croît  naturellement,  oii  elle  était  célèbre 
par  Texcellence  de  ses  produits,  il  ne  fallait  rien 
de  moins  que  des  causes  surnaturelles  et  extraordi- 

(23)  Volncy,  ch.  xl,  p.  W.  —  (2/i)  Jolilfe,  vol.  I,  p.  3  84. 
(?5)  Voyages  de  Wilson,  p.  180. 


en.  iX.  LA  JIDÉE.  221 

naires  pour  réaliser  le  langage  du  prophète.  Dans 
ce  cas-ci,  comme  clans  tous  les  autres,  la  récapi- 
tulation des  prophéties  est  le  meilleur  sommaire 
des  faits  que  Ton  puisse  établir.  Il  suffit  de  changer 
le  futur  en  présent  et  en  passé  ^  pour  prouver 
qu'il  serait  impossible  à  un  témoin  oculaire ,  écri- 
vant sur  les  lieux  mêmes ,  de  représenter  plus 
exactement  l'état  actuel  de  la  Judée  que  ne  le 
fait  Esaïe  dans  son  langage  prophétique ,  si  riche, 
si  clair  et  si  varié. 

«  La  vendange  manquera  et  l'on  ne  fera  point 
«  de  récolte.  Frappez-vous  la  poitrine  à  cause  de 
<^  vos  belles  campagnes  et  de  vos  vignes  fertiles, 
tf  Les  épines  et  les  ronces  monteront  sur  la  terre 
<f'  de  mon  peuple ,  même  sur  toutes  les  maisons 
«  de  plaisir  et  sur  la  ville  qui  est  dans  la  joie;  car 
«  le  palais  va  être  renversé ,  la  multitude  de  la 
«  ville  va  être  abandonnée;  les  lieux  élevés  du 
«  pays  et  les  forteresses  seront  autant  de  ca- 
«  vernes  à  jamais;  ce  sera  là  que  se  joueront  les 
<«  ânes  sauvages  et  que  paîtront  les  troupeaux  ^^  » 
<i  —  Les  chemins  ont  été  réduits  en  désolation , 
«f  les  passants  ne  passent  plus  par  les  sentiers;  le 
<i  pays  est  dans  les  pleurs  et  languit;  le  Liban  est 
«  confus  et  coupé ,  Saron  est  devenu  comme  une 
a  lande,  et  Bascan  et  Carmel  ont  été  secoués ^^  » 
«  Le  pays  sera  entièrement  vidé  et  entièrement 
«  pillé;  le  monde  est  languissant,  il  est  déchu. 
«  Le  pays  a  été  prc-fané  par  ses  habitants,  parce 
«  qu'ils  ont  transgressé  les  lois.  C'est  pourquoi 
«  l'imprécation  du  serment  a  dévoré  le  pays  ;  à 
a  cause  de  cela  les  habitants  du  pays  sont  con- 
«  sûmes,  et  peu  de  gens  y  sont  demeurés  de  reste  ; 
«  la  vigne  languit  et  tous  ceux  qui  avaient  le 
«  cœur  joyeux  soupirent.  La  joie  des  tambours 

(26)  Esaïe,  XXXIÎ,  10,  12,  IS-l/j.  —  (27)  îbid.,  XXXIII,  8,  9. 


222  i.A  jiiDÉii:.  CH.  IX. 

i<  a  cessé;  le  hniil  de  ceux  qui  se  réjouissent  est 
«  fini,  la  joie  de  la  harpe  a  cessé;  on  ne  boira 
«  plus  de  Ain  avec  des  chansons;  la  cervoise  sera 
«  amère  à  ceux  qui  la  boivent;  la  ville  de  confu- 
«  sion  a  été  ruinée;  toute  la  joie  est  tournée  en 
«  obscurité ,  l'allégresse  du  pays  s'en  est  allée ^\  » 

Ace  tableau  d'une  destruction  et  d'une  dévas- 
tation générales  ^  le  prophète  ,  comme  pour  y 
mettre  la  dernière  main ,  ajoute  :  «  Il  arrivera  au 
«  milieu  du  pays  comme  quand  on  secoue  Toli- 
«  vier  et  quand  on  grapille  après  avoir  achevé 
«  de  vendanger  ^^  »  —  «  La  gloire  de  Jacob  sera 
«  diminuée,  et  il  en  sera  comme  quand  on  secoue 
«  l'olivier  et  qu'il  reste  deux  ou  trois  olives  au 
i<  bout  des  plus  hautes  branches,  et  quatre  ou  cinq 
«  au  haut  des  branches  fertiles  ^^.  »  Ce  qui  veut 
dire,  comme  ailleurs  on  le  déclare  sans  méta- 
phore, qu'une  petite  portion  serait  réservée  ;  que 
quoique  la  Judée  dût  devenir  aussi  pauvre  qu'un 
champ  qu'on  vient  de  moissonner,  ou  semblable 
à  une  vigne  après  la  vendange,  cependant  sa  déso- 
lation ne  serait  pas  tellement  complète  qu'on  ne 
pût  encore  découvrir  quelques  indices  de  son 
abondance  première,  comme  ces  épis  laissés  par 
les  moissonneurs  après  la  récolte ,  ou  ces  raisins 
suspendus  encore  à  la  vigne ,  ou  les  fruits  restés 
sur  l'olivier  après  qu'on  l'a  secoué. 

Aperçoit-on  donc  encore  un  reste  de  Tan- 
cienne  gloire  d'Israël?  oui,  certes;  et  il  serait 
impossible  de  trouver  une  image  plus  exacte  ou 
qui  peignît  mieux  son  état  présent.  Naplouse 
(anciennement  Sichar  ou  Sichem)  est  environné 
des^plus  délicieux  bosquets  ;  il  est  à  moitié  caché 
par  les  riches  jardins  et  les  arbres  magnifiques 


(28)  Esaie,  XXIV,  3-11.  —  (29)  Ibid.,  13. 
(30)  Ibid.,  XVII,  4-6. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  223 

répandus  dans  la  belle  yallée  où  il  est  situé  ^'.  Le 
jardin  de  Jeddin ,  situé  sur  les  confins  du  mont 
Saron ,  et  protégé  parle  flanc  de  cette  montagne, 
s'étend  sur  plusieurs  lieues  dans  une  large  vallée, 
et  abonde  en  excellents  fruits,  tels  qu'olives, 
amandes,  pêches,  abricots  et  figues;  il  est  tra- 
versé par  nombre  de  ruisseaux  qui  descendent 
de  la  montagne  et  arrosent  les  cotonniers  qui 
viennent  très  bien  dans  ce  sol  fertile  "^  La  plaine 
de  Zabulon  ne  le  cède  pas  en  beauté  à  la  riche 
vallée  située  au  sud  de  la  Crimée  ;  elle  rappelle 
au  souvenir  du  voyageur  les  paysages  les  plus 
pittoresques  du  Kent  et  du  Sussey  ^\  Le  sol,  quoi- 
que pierreux,  est  extrêmement  riche,  mais  tota- 
lement négligé;  et  la  délicieuse  plaine  de  Zabulon 
paraît  couverte  d'une  végétation  spontanée, 
abondante  et  sauvage.  Même  parmi  les  monta- 
gnes de  Gilead,  la  nature  est  d'une  richesse 
extraordinaire.  A  chaque  pas  on  rencontre  des 
paysages  ravissants;  on  voit  de  magnifiques  fo- 
rêts entrecoupées  de  gazons  fleuris ,  et  de  vastes 
plaines  d'un  sol  rougeàtre  sont  couvertes  de  char- 
dons, preuve  de  fertilité ^\  La  vallée  de  St.  Jean, 

(31)  Clarke,  vol.11,  p.  506.  —  Capernaum,  capitale  de 
la  Galilée,  qui  «  était  portée  jusqu'au  ciel  n  ,  c'est-à-dire  qui 
était  dans  Fétat  de  la  plus  grande  prospérité  à  Tépoque  où  Jésus- 
Christ  et  ses  apôtres  s'y  firent  entendre  en  vain ,  se  trouve  mairi- 
tenant  «  abaissée  jusqu'en  enfer  »,  ou  ea  d'autres  mots  «  entière- 
(i  ment  détruite»,  et  ne  présente,  comme  Choraiin  et  Bethsaïde, 
qu'une  masse  de  ruines.  D'un  autre  côté,  Samarie,  capitale  du 
pays  de  ce  nom ,  est  également  «  renversée  dans  la  vallée  » .  En 
présence  de  ces  faits,  le  lecteur  chrétien  verra  avec  intérêt  que 
Sicliar,  l'une  des  villes  inférieures  de  la  Samarie,  que  Sichar, 
dont  les  habitants  vinrent  au-devant  de  Jésus  et  crurent  en  lui 
après  l'avoir  entendu,  forme  maintenant ,  au  dire  des  voyageurs 
qui  en  parlent,  une  des  exceptions  les  plus  frappantes  à  la 
désolation  générale  des  pays  qui  l'entourent ,  et  qu'elle  est  le  seul 
vestige  qui  rappelle  les  villes  de  la  Judée,  de  la  Samarie  et  de  la 
Galilée. 

(32)  MariU,  t.  II,  p.  151.  —  (33)  Clarke,  t.  II,  p.  /4OO, 
(3/4)  Buckingham,  p.  332. 


?2i  LA  H]\)i:E,  eu.  ix. 

:iu\  environs  dc  Jérusalem,  est  entièremenl:  cou- 
verte à  sa  sonnniLé  d'oliviers  et  de  vij^Mies,  tandis 
(jne  le  fond  de  la  vallée  produit  des  lijjniers  et 
des  amandiers''.  Dès  qu'un  lieu  devient  la  pro- 
priété d'un  aga  turc  ou  d'un  sheik  arabe,  ou 
qu'il  en  fait  sa  résidence,  alors  il  faut  que  le 
sol  fournisse  à  son  luxe  ou  à  ses  besoins,  et  la 
fertilité  et  la  beauté  de  la  terre  de  Clianaan 
reparaissent  bientôt;  mais  ces  endroits  ne  se 
voient  que  de  loin  a  loin ,  au  milieu  d'une  vaste 
désolation.  Et  comment  aurait-on  jamais  pu  pré- 
voir  que  d'un  côté  la  même  cause,  c'est-à-dire  la 
résidence  de  chefs  avides,  causerait  une  immense 
désolation  sur  toute  la  surface  du  pays,  et  que 
de  l'autre  il  faudrait  lui  attribuer  le  peu  qui  reste 
de  son  ancienne  gloire?  ou  enfin ,  que  les  fruits 
rares  que  Ton  cueillerait  au  bout  des  plus  hautes 
branches  seraient  conservés  parles  mains  mêmes 
de  celui  qui  aurait  «  secoué  l'olivier  » . 

Parmi  un  si  grand  nombre  de  prophéties ,  oîi 
la  prédiction  et  son  accomplissement  forment  un 
miracle  si  frappant,  il  est  presque  impossible 
d'en  désigner  une  qui  soit  plus  remarquable 
cjue  les  autres;  mais,  certes,  celle  qui  regarde 
Samarie  n'est  pas  la  moins  digne  d'attention. 
Pendant  longtemps  cette  ville  fut  la  capitale 
des  dix  tribus  d'Israël.  Hérode-le-^Grand  Tem- 
bellit ,  l'agrandit ,  et  en  honneur  de  César-Au- 
guste lui  donna  le  nom  de  Sébaste.  On  conserve 
encore  plusieurs  rnédailles  en  cuivre  qui  y  furent 
frappées  "^  C'était  un  évêché ,  comme  le  prouve 
la  signature  de  plusieurs  de  ses  évêques  apposée 
h  de  vieux  documents.  On  peut  ainsi  faire  remon- 
ter son  histoire  à  une  époque  considérablement 
éloignée  de  celle  de  la  prédiction  ;  le  récit  d'un 

(35)  Straton.  —  (36)  Dictionnaire  de  Calniet.  — -  Relandi  Pa» 
lestiiia. 


^.H.  IX.  LA  JODÈE.  225 

voyageur  fait  sans  égard  à  la  prophétie ,  et  que  les 
commentateurs  n'ont  pas  même  remarqué  ^  nous 
en  montre  l'entier  accomplissement. 

Parmi  d'autres  passages  relatifs  à  la  destruc- 
tion de  cette  ville  5  remarquons  cette  parole  de 
l'Eternel  sortie  de  la  bouche  de  Michée  :  «  Je 
«  réduirai  Samarie  comme  en  un  monceau  de 
«  pierres  qu'on  fait  dans  les  champs  oii  l'on  plante 
«  les  vignes,  et  je  ferai  rouler  ses  pierres  dans  la 
«  vallée  et  je  découvrirai  ses  fondements  ^^  >^ 
Cette  grande  ville  est  maintenant  entièrement 
changée  en  jardins ,  et  tout  ce  qui  reste  pour  en 
prouver  l'existence,  c'est,  du  côté  du  nord,  une 
grande  place  carrée  entourée  de  colonnes,  et  à 
l'est  les  ruines  d'une  ancienne  église.  C'est  tout 
ce  que  Maundrell  rapporte  sur  cette  ancienne 
capitale  en  1696,  et  Buckingham  confirme  ainsi 
ce  qu'il  en  dit  :  La  distance  relative,  la  position 
et  le  nom  prouvent  que  c'est  bien  ici  le  site  de 
Samarie,  et  le  prophète  Michée  a  fait  lui-même 
la  description  de  ce  qu'elle  est  maintenant  ^^ 

Mais  le  sort  prédit  à  Jérusalem  a  été  encore 
plus  clairement  accompli  que  celui  de  la  capitale 
des  dix  tribus  d'Israël;  c'est  le  sujet  de  la  pro- 
phétie de  Jacob  sur  son  lit  de  mort;  et  comme 
siège  du  gouvernement  de  Judas,  le  sceptre  ne 
devait  pas  être  ôté  du  milieu  d'elle  jusqu'à  ce  que 
le  Messie  fût  venu,  c'est-à-dire  dix-sept  siècles 
après  la  mort  du  patriarche,  et  jusqu'à  ce  que  le 
temps  de  la  désolation  prédite  par  Daniel  fût 
accompli  :  une  destinée  diamétralement  opposée 

(37)  Miellée,  1,6. 

(38)  Buckingham,  p.  511-512.  D'autres  voyageurs  ont  fait  une 
description  semblable,  et  presque  dans  les  mêmes  termes.  Les  pierres 
sont  roulées  dans  la  vallée,  les  fondements  sont  à  découvert  et  on 
ne  voit  plus  que  «  la  colline  où  fut  jadis  Samarie  ».  Un  voyageur  a 
pris  Naplouse  pour  l'antique  Samarie. 

10. 


226  LA  JÏTDKR.  en.   IX. 

à  sa  siluali(Mi  picMiiière  devait  ralteinclro  dans 
le  lointain;  et  avant  qn'cllc  perdit  rien  de  sa 
grandenr,  an  temps  même  oîi  les  Jnifs  en  foule 
se  rendaient  dans  son  sein  pour  célébrer  leurs 
fetes,  au  temps  même  oii  elle  contenait  une  popu- 
lation nombreuse  et  paisible,  son  arrêt  fut  pro- 
noncé; elle  devait  être  foulée  aux  pieds  parles 
nations  (  gentils  )  jusqu'à  ce  que  le  temps  des 
nations  fût  accompli.  Le  temps  des  nations  n'est 
pas  encore  accompli,  car  aujourd'hui  encore 
Jérusalem  est  foulée  par  les  nations. 

Les  Juifs  ont  fait,  pour  la  recouvrer,  maintes 
et  maintes  tentatives;  ni  le  temps  ni  l'espace  n'ont 
pu  l'effacer  de  leurs  affections  ;  dans  les  céré- 
monies de  leur  culte  ils  ont  le  visage  tourné  vers 
elle,  comme  vers  l'objet  de  leur  adoration  et  de 
leur  amour  ;  et  quoique  le  désir  d'y  retourner 
soit  toujours  vivant  et  indélébile  dans  le  cœur 
de  chaque  Juif  qui  se  regarde  comme  un  exilé, 
cependant  ils    n'ont  jamais  pu  ni  rebâtir  leur 
temple   ni  arracher  Jérusalem  de  la  main   des 
gentils.  Ils  n'ont  pas  fait  seuls  cette  tentative, 
dont  le  succès  devait  annuler  le  jugement  de 
Dieu.  Julien,  empereur  des  Romains,  ne  permit 
pas  seulement  aux   Juifs  de  rebâtir  Jérusalem 
et  leur  temple ,  mais  il  les  invita  à  le  faire ,  et 
leur  promit  de  les  rétablir  dans  la  cité  de  leurs 
pères.  Par  ce  seul  acte  il   aurait  pu,  plus  que 
par  tous  ses  écrits,  détruire  l'influence  du  chris- 
tianisme et  amener  le  retour  de  son  paganisme 
chéri.  Le  zèle  des  Juifs  fut  égal  au  sien.  On  com- 
mença par  poser  de  nouveau  les  fondements  du 
temple.  —  Tite  était  parvenu  à  entourer  toute  la 
ville  d'une  haute  muraille  ;  ce  travail  ne  lui  avait 
pris  que  trois  jours,  en  présence  d'une  ville  remplie 
de  ses  ennemis;  car, loin  d'être  interrompu,  ce 
grand  ouvrage  se  continua  avec  une  merveilleuse 


CM.  li.  LAJtiDÉE.  227 

activité^  et  par  là  s'accomplissaient  les  paroles  de 
Jésus.  Qu'est-ce  donc  qui  a  pu  empêcher  Fem- 
pereur  Julien  de  rebâtir  le  temple  5  lorsque  tous 
les  Juifs  se  mettaient  à  l'œuvre  avec  tant  de 
courage?  rien  ne  lui  était  contraire  ^  sauf  une  seule 
phrase  prononcée  quelques  siècles  auparavant 
par  la  bouche  du  Crucifié  !  Si  cette  parole  avait 
été  d'un  homme 5  aurait-elle  pu  lutter  contre  la 
toute-puissance  du  Maître  du  monde  ? 

Et  pourquoi  Julien  5  avec  sa  profonde  haine 
contre  le  christianisme ,  pourquoi  n'est-il  point 
parvenu  à  exécuter  un  travail  si  facile  et  si  dura- 
ble? Un  historien  païen  rapporte  que  des  tour- 
billons de  flamme  sortaient  de  terre  et  brûlaient 
les  ouvriers  5  qui,  ne  pouvant  plus  résister  à  ce 
terrible  élément,  furentforcésd'abandonnerleurs 
travaux  "^  D'autres  auteurs  rendent  le  même  té- 
moignage. Ghrysostôme,  contemporain  de  cet 
événement,  en  appelle  à  l'état  des  fondements  et 
au  témoignage  universel  sur  ce  fait;  et  un  voyageur 
moderne  fort  distingué,  et  quia  visité  ce  lieu  avec 
soin,  assure  qu'il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  les 
restes  mutilés  qui  occupent  l'emplacement  de 
l'ancien  temple  sont  un  monument  de  l'inutilité 

(39)  Imperii  sui  memoriam  magnitudine  operum  gesliens  propa- 
gare,  ambitiosum  quondam  apud  Hierosolymam  templum  quod, 
post  multa  et  interneciva  certamina,  obsidente  Vespasiano,  postea- 
que  Tito ,  îegre  est  expugnatum ,  instauraie  sumptibus  cogitabat 
immodicis  ;  negotiumque  maturandum  Alypio  dederat  Antiocbensi, 
qui  olim  Britannias  curaverat  pro  praefectis.  Cum  itaque  rei  eidem 
instaret  Alypius,  juvaretque  provinciae  rector,  metuendi  globi 
flammarum,  prope  fundamenta,  crebris  assultibus  erumpentes, 
fecere  locum  exustis  aliquoties  operantibus  inaccessum;  hocque 
modo,  elemento  destiiiatius  repeliente,  cessavit  inceptum  (Ammian. 
Marcel!.,  I.  XXIII,  c.  i,  §  2-3).  ))— Rufmi  Hist.  E c,  l.I,c.cxxxvii. 
—  Socrat.,  1.  II,  c.  xvii.  — Théodoret,  1.  III,  c.  xvii.  — Sozomen, 
).  V,  c.  XXI.  Cassiodorus,  Hist.  Tripart.  1.  VI,  c.  xliii.  —  Nicephor, 
Callis.,  1.  X,  c.  xxxiu  —  Grég,  Nazian.  in  Julian.,  oralio  11.  — 
Chrysostome  de  L.  Bab.  Mart,  et  contra  Judœos,  III,  p.  491.  — 
Lind.  —  (Vide  Amm,  Marc,  ITI,  p.  2.) 


228  LA  juDÉii:.  cii.  IX. 

des  (îlTorts  de  Julien  ^'\  Mais  indépendaniriieut  de 
ee  iiouveaii  léinoii^îiaf^e,  Gihhoji  même  n'a  pu 
résisler  à  la  loree  de  Tévidenee  liislorûjiie  ,  et  il 
avoue(|nel'ineiédule  ne  i)enh|ues'él()nner  devant 
une  telle  autorité.  Mais,  même  abstraetion  faite  de 
l'idée  d'une  interposition  miraculeuse,  la  prédic- 
tion n'en  a  pas  moins  été  accomplie.  On  a  ouverte- 
ment essayé  de  rebâtir  le  temple,  et  il  a  fallu 
abandonner  la  tentative  sans  cause  explicable.  Elle 
n'a  jamais  réussi  et  la  prophétie  s'est  accomplie. 
Et  lors  même  que  Julien  n'eût  jamais  fait 
cette  tentative,  la  prophétie  n'en  serait  pas  moins 
remarquable.  Les  Juifs  n'ont  jamais  été  rétablis 
dans  la  Judée.  Jérusalem  a  toujours  été  foulée 
par  les  nations.  L'édit  d'Adrien  fut  renouvelé 
par  les  successeurs  de  Julien  ,  et  aucun  Juif  ne 
pouvait  approcher  de  Jérusalem,  si  ce  n'est  en 
trompant  ou  en  achetant  les  gardes  :  le  sol  leur  était 
interdit  par  la  loi.  — Du  temps  des  Croisés,  toute 
la  puissance  de  la  chrétienté  fut  concentrée  pour 
délivrer  Jérusalem  de  la  main  des  païens ,  et  elle 
ncNput  y  réussir.  Romains,  Grecs,  Périmes,  Sarra- 
zins,  Tartares,  Mamelouks,  Turcs,  Egyptiens,  et 
encore  Arabes  et  Turcs.^  l'ont  foulée  tour-à-tour, 
pendant  plus  de  dix-huit  siècles.  Y  avait-il  évé- 
nement moins  probable,  et  pouvait-on  prévoir 
chose  plus  impossible  que  cet  état  d'un  peuple 
qui,  banni  de  son  pays  et  de  sa  capitale,  en  reste- 
rait exilé  pendant  dix-huit  cents  ans?  Oii  est  la 
nation  qui  ait  jamais  subi  un  pareil  sort?  L'Ecri- 
ture contient-t-elle  un  seul  point  plus  difficile  à 
croire  que  ne  l'était  ce  seul  fait  au  moment  de  la 
prédiction  ?  et  même  avec  cet  exemple  des  Juifs 
devant  nos  yeux  ,  est-il  possible,  ou  est-il  croya- 
ble quQ  les  habitants  de  quelque  autre  contrée  de 

(AO)  Clarke,  vol.  II.  —  Note  1,  à  la  fin  de  ce  volume. 


CH.  IX.  LA  JUDÉE.  229 

notre  globe  soient  jamais  dispersés  parmi  toutes  les 
nations^  qu'ils  conservent  leurs  traits  distinctifs, 
qu'ils  aient  à  endurer  des  vicissitudes  sans  pa- 
reilles,  qu'ils  existent  comme  peuple  sans  gouver- 
nement  et  sans  patrie ^  et  que  tel  soit  constamment 
leur  sort  5  jusqu'à  ce  qu'un  certain  événement 
prédit  autrefois  soit  pleinement  accompli?  A  qui 
donc  pourrions- nous  attribuer  la  connaissance 
de  faits  semblables  à  ceux-ci  ^  si  ce  n'est  à  Celui 
dont  la  prescience  embrasse  en  même  temps  les 
voies  et  les  volontés  des  peuples»,  et  qui  connaît 
d'avance  toutes  les  actions  et  toute  l'histoire  des 
nations 5  jusqu'aux  générations  les  plus  reculées? 
Mais  les  prophètes  ne  bornent  pas  leurs  prédic- 
tions à  la  terre  de  Judée  ;  elles  parcourent  un  vaste 
champ  ^  elles  embrassent  un  espace  immense. 
Après  un  laps  de  plusieurs  siècles  on  commence 
à  connaître  les  contrées  voisines  de  la  Judée  ^  et 
à  mesure  que  les  voyageurs  les  visitent^  leurs  re- 
lations développent  la  description  que  les  pro- 
phètes ont  donnée  de  leur  pauvreté  et  de  leur 
désolation  futures  5  au  temps  même  de  leur  plus 
grande  prospérité  et  de  leur  luxe  prodigieux.  — 
Les  pays  des  Ammonites^  des  Moabites,  d'Edom, 
d'Idumée  et  de  la  Philistie  ont  été  tour-à-tour  le 
sujet  des  prophéties.  Leurs  positions  relatives, 
clairement  désignées  dans  les  Saintes-Ecritures , 
ont  été  constatées,  et  les  territoires  des  anciens 
ennemis  des  Juifs,  si  longtemps  occupés  par  les 
ennemis  du  christianisme,  vont  nous  offrir  des 
preuves  de  l'inspiration  divine  des  Livres  Juifs  et 
de  la  vérité  la  religion  chrétienne  ^* . 

(41)  Relandi  Palestina  illustrata.  —  Carte  de  d'Anville.  —  Car- 
tes, dans  les  Voyages  de  Volney,  de  Burckhardt  et  de  Buckingham. 
—  Géographie  sainte  de  Wells.  —  Histoire  de  Gibbon.  —  Voyages 
de  Shaw,  etc. 


230  AMMON.  CB.  X. 


■jii'w—gr»a 


CHAPITRE  X. 

PROPHÉTIES  CONCERNANT  AMMON. 

Ce  pays  5  situé  à  l'est  de  la  Palestine,  ancien-^ 
nemeiit  peuple  par  les  Ammonites,  et  appartenant 
maintenant  partie  aux  Arabes  et  partie  aux  Turcs, 
fut  pendant  plusieurs  siècles  une  des  plus  popu- 
leuses et  des  plus  fertiles  contrées  de  l'Asie. 

Les  Ammonites  faisaient  de  fréquentes  invasions 
sur  les  terres  dTsraël,  et  même,  s'étant  alliés  une 
fois  avec  lesMoabites,  ils  tinrent  pendant  dix-huit 
ans  les  Israelites  sous  leur  joug.  Enfin  Jephté 
non-seulement  les  délivra  de  leurs  oppresseurs, 
mais  s'empara  de  vingt  villes  des  Ammonites. 

—  Ils  continuèrent  cependant  leurs  attaques  ; 
mais  enfin  David  assiégea  leur  capitale  et  réussit  à 
rendre  leur  pays  tributaire.  —  Ils  reconquirent 
plus  tard  leur  indépendance  et  la  conservèrent 
jusqu'à  ce  que  Jotliam,  roi  de  Juda,  les  ayant  sub- 
jugués, exigea  le  paiement  annuel  de  la  somme  de 

100  talents  et  30,000  mesures  d'orge  et  de  blé. 

—  Ils  ne  tardèrent  pas  à  recommencer  la  lutte  avec 
leurs  anciens  ennemis ,  et  se  réjouirent  des  mal- 
heurs qui  vinrent  fondre  sur  eux,  lorsque  Nabu- 
chodonosor  se  rendit  maître  de  Jérusalem  et 
emmena  captifs  ses  habitants.  Plus  tard,  quoique 
soumise  successivement  au  joug  des  Chaldéens, 
des  Egyptiens  et  des  Syriens,  lorsque  les  Romains 
se  rendirent  maîtres  de  toutes  les  provinces  de 
la  Syrie,  la  terre  d'Ammon  fut  encore  considérée 
comme  riche  et  fertile,  et  plusieurs  des  dix  cités 
dont  se  composait  la  célèbre  Décapole  se  trou- 


bu.  X.  AMMON.  23 ï 

vèrent  dans  ses  limites.  —  Lors  de  la  première 
invasion  des  Sarrazins^  ce  pays,  ainsi  que  celui 
de  Moab,  s'était  enrichi  par  le  commerce ,  était 
défendu  par  une  ligne  de  forteresses  et  par  plu- 
sieurs villes  fortes  et  populeuses  ^^  Volney  dit 
que,  dans  les  immenses  plaines  de  Hauran,  on 
rencontre  des  ruines  presque  à  chaque  pas,  et 
que  ce  que  Ton  dit  de  sa  fertilité  s'accorde  par- 
faitement avec  l'idée  qu'en  donnent  les  livres 
hébreux  ^^  — Son  ancienne  fécondité  est  attestée 
partons  les  voyageurs  qui  Font  visitée;  etBurck- 
hardt,  qui  y  était  il  n'y  a  que  quelques  années, 
observe  qu'il  fallait  bien  que  dans  ce  pays  l'agri- 
culture fut  poussée  à  un  haut  point  de  perfection, 
pour  qu'on  y  pût  nourrir  les  habitants  de  tant  de 
villes  dont  aujourd'hui  on  ne  voit  plus  que  les 
débris  ^\ 

Ainsi  donc,  tandis  que  la  fertilité  du  pays 
d'Ammon,  et  l'état  de  prospérité  et  de  puissance 
dont  il  a  longtemps  joui;  nous  sont  clairement 
prouvés  par  le  témoignage  de  l'histoire  et  par 
des  preuves  encore  existantes,  les  recherches 
de  plusieurs  voyageurs  modernes,  qui  ont  visité 
ces  régions  uniquement  dans  un  but  d'études  géo- 
graphiques, nous  ont  fait  connaître  le  triste  état 
de  désolation  de  cette  partie  de  la  Syrie.  «  Fils 
«  de  l'homme ,  dit  la  prophétie  contre  Amnion , 
«  dresse  ta  face  contre  les  enfants  d'Ammon  et  pro- 
«  phétise  contre  eux.  Je  livrerai  Rabba  pour  être 
«  le  repaire  des  chameaux ,  et  le  pays  des  en- 
«  fants  d'Ammon  pour  être  le  gîte  des  brebis.  Voici, 
«  j'étendrai  ma  main  sur  toi ,  et  je  te  livrerai  pour 
«  être  pillée  parmi  les  nations  ;  je  te  retrancherai 
«  d'entre  les  peuples,  et  je  te  ferai  périr  d'entre 
«  les  pays,  en  sorte  qu'on  ne  fera  plus  mention  des 

(42)  Gibbon,  vol.  V.  — (43)  Volney. —(M)  Burckhardl,  p.  357. 


2-^2  AMMON.  Cil.   \. 

«  (MifaiiLs  (rAinrnoij  parmi  les  nations.  —  Uabha 
«  soraiédiiile  (mi  un  monceau  de  ruin(»s.  Ainmon 
«  sera  un  lieu  de  désolation  à  jamais.  —  Les  en- 
«  fants  d'Ammon  seront  comme  Goiuoirlie,  un  lieu 
«  couvert  d'orties ,  et  une  carrière  de  sel  et  de 
«  désolation  à  jamais  '''.  » 

Amnion  devait  être  «  livrée  pour  être  pillée 
par  les  nations  »  ;  elle  devait  être  détruite ,  et  un 
lieu  de  désolation  à  jamais.  —  Toute  cette  con- 
trée 5  autrefois  si  peuplée  et  si  florissante  5  est 
changée  aujourd'hui  en  un  vaste  désert  ^^  On  n'y 
rencontre  que  des  monceaux  de  ruines.  Le  pays 
est  partagé  entre  les  Turcs  et  les  Arabes,  et  ces 
derniers  en  ont  la  partie  la  plus  considérable. 
Les  extorsions  des  uns  et  les  brigandages  des 
autres  le  tiennent  «  dans  une  désolation  perma- 
«  nente,  et  en  font  la  proie  des  nations  ».  La  plus 
grande  partie  en  est  entièrement  inhabitée  ;  on 
n'y  rencontre  que  des  Arabes  vagabonds ,  et  les 
villes  et  les  villages  ne  sont  que  des  ruines  ^^ 
—  A  chaque  pas  on  trouve  des  vestiges  d'an- 
ciennes villes  5  des  restes  de  temples /d'édifices 
publics  et  d'églises  grecques  ;  les  villes  sont  dé- 
sertes ^^ .  Un  grand  nombre  de  ces  ruines  n'offrent 
rien  d'intéressant  ;  ce  sont  des  murs  d'habitations 
particulières ,  des  tas  de  pierres ,  des  fondations 
d'édifices  publics,  et  quelques  citernes  comblées  ; 
et  quoiqu'il  ne  reste  rien  d'entier,  à  en  juger  par 
les  fragments  énormes  dont  se  composent  ces  dé- 
bris, il  paraît  que  le  mode  de  construction  alors  en 
usage  était  d'une  grande  solidité.  Dans  le  voisi- 
nage d'Ammon  est  une  plaine  fertile  semée  de 
petites  eminences ,  dont  la  plupart  sont  couvertes 
de  ruines  ^^. 

(45)Ezéc.,XXV,2,5,7,10;XXI,32.— Jér.XLIX,  2.— Soph.,  11,9. 
(46)  Seetzen,  p.  34.  ~(47)Ib.,  p.  87.  — (48)  Burckhardt,  p.  27, 
38,  44.  —  (49)  Burckhardt,  p.  355,  357,  364. 


CH.  X.  AMMON.  233 

Dans  ce  paj  s  ainsi  nu  et  désolé  ^  on  trouve  ça 
et  la  quelques  vallées  verdoyantes  qui  servent 
de  retraite  aux  Bédouins ,  et  oîi  ils  font  paître 
leurs  chameaux  et  leurs  moutons  ^^  Sur  toute  la 
route  que  nous  suivîmes ,  dit  Seetzen ,  nous  vîmes 
des  villages  ruinés ,  et  nous  rencontrâmes  nom- 
bre d'Arabes  avec  leurs  chameaux. 

M.  Buckingham^  en  décrivant  un  bâtiment  aux 
environs  des  ruines  d' Amnion,  dit:  Il  était  évi- 
demment composé  de  divers  matériaux  apparte- 
nant à  des  ruines  de  quelques  anciens  édifices. 
En  y  pénétrant  par  le  côté  du  sud ,  nous  arrivânies 
dans  un  carré  ouvert ,  entouré  de  chaque  côté 
par  des  renfoncements  voûtés ,  tournés  vers  les 
quatre  points  cardinaux.  — Ces  renfoncements , 
du  côté  des  murs  du  nord  et  du  sud  ,  formaient 
jadis  des  corridors ,  et  avaient  des  ouvertures 
vis-à-vis  les  unes  des  autres  ;  mais  nous  trouvâmes 
la  première  complètement  fermée,  et  la  seconde 
n'ayant  qu'un  passage  très  étroit  par  lequel  les 
bergers  arabes  font  entrer  leurs  troupeaux  pour 
y  passer  la  nuit. — Il  raconte  encore  qu'Use  coucha 
au  milieu  des  troupeaux  de  brebis  et  de  chèvres , 
et  que  pendant  la  nuit  il  put  à  peine  prendre  un 
instant  de  sommeil  à  cause  des  bêlements  des 
moutons  ^\  Ainsi,  il  est  littéralement  vrai,  quoi- 
que Seetzen ,  Burckhardt  et  Buckingham  ne  fassent 
point  allusion  aux  prophètes,  et  qu'ils  n'aient 
point  voyagé  dans  l'intention  d'en  vérifier  l'ac- 
complissement ,  que  «  la  principale  ville  des 
«  Ammonites  est  le  repaire  des  chameaux  et  le 
«  gîte  des  brebis.  » 

«  On  ne  fera  plus  mention  des  enfants  d'Ammon 
«  parmi  les  nations.  »  Les  Juifs,  longtemps  leurs 
ennemis  héréditaires,  quoique  dispersés  parmi 

(50)  Buckingham,  p.  329. 

(5i)  Ibid.,  Voyages  parmi  les  tribus  arabes,  p.  72-73,  etc. 


23i  AMMON.  eu.  X. 

Wtes  les  nations,  sonl  lonjonrs  aussi  distincts  et 
aussi  séparés  que  jamais  ;  partout  on  peut  les  re- 
connaître, tandis  qu'il  ne  reste  aucune  trace  des 
enfants  d'Ammon.  Ils  existèrent  cependant  long- 
temps encore  après  que  leur  destruction  eut  été 
prédite  5  car  ils  conservaient  leur  nom  et  for- 
maient encore,  selon  un  ancien  auteur  chrétien, 
un  peuple  nombreux  dans  le  second  siècle  de  l'ère 
chrétienne  ^^  «  Cependant  ils  ont  été  retranchés 
«  d'entre  les  peuples.  Ammon  a  péri  d'entre  les 
«pays,  il  est  détruit.  »  Aucun  peuple  n'est  attaché 
à  son  sol ,  aucun  peuple  ne  le  regarde  comme  sa 
patrie ,  on  ne  porte  plus  son  nom ,  et  «  on  ne  se 
«  souvient  plus  des  enfants  d' Ammon  parmi 
«  les  nations.  » 

Six  cents  ans  avant  Christ ,  Jérémie  avait  écrit  : 
«  Rabba  (Rabba  Ammon ,  la  principale  ville  d'Am- 
«  mon  )  sei^a  détruite  en  un  monceau  de  ruines.  » 
—  Il  y  avait  plusieurs  siècles  qu'elle  existait; 
située  sur  les  bords  d'une  grande  rivière ,  au  mi- 
lieu d'une  contrée  fertile,  défendue. par  son 
assiette  naturelle,  et  fortifiée  par  l'art,  rien  ne 
paraissait  justifier  le  soupçon,  rien  ne  pouvait 
faire  présager  que  la  ville  royale  d'Ammon  dût 
être  tellement  détruite  et  changée,  et  devenir 
un  jour  un  monceau  de  ruines.  Il  y  avait  déjà 
plusieurs  siècles  qu'elle  jouissait  d'une  prospé- 
rité non  interrompue  lorsque  les  prophètes  d'Is- 
raël annoncèrent  son  sort,  et  maintenant  un  laps 
de  temps  non  moins  long  a  confirmé  la  vérité  des 
paroles  prophétiques ,  et  Ammon  n'est  plus  qu'un 
monceau  de  ruines,  qu'une  désolation  continuelle. 
Les  Arabes  conservent  encore  l'ancien  nom  de 
Rabba,  et  la  place  qu'elle  occupait  est  couverte 
de  débris  d'habitations  particulières  dont  il  ne 

(52)  Justin,  Martyrs,  p.  392. 


CH.  X.  AMMON.  235 

reste  que  les  fondations  et  quelques  jambages  de 
portes.  Toutes  les  parties  des  édifices  exposées  à 
l'action  de  l'atmosphère  sont  en  ruines  ^^  Les  édi- 
fices publics  qui  jadis  servaient  à  fortifier  ou  à 
embellir  la  ville  sont  maintenant  déserts  ^  et  les 
ruines  les  mieux  conservées  ^  dégradées  par  les 
spoliations  continuelles  des  Arabes  errants ,  ne 
sont  plus  propres  qu'à  être  des  étables  de  cha- 
meaux. Mais  ces  palais  ruinés,  ces  débris  sans 
forme  et  sans  beauté,  peuvent  concourir  à  un 
plus  noble  but  que  bien  des  monuments  magni- 
fiques, puisqu'ils  rendent  témoignage  de  la  vérité 
des  Écritures  et  de  l'immutabilité  de  la  parole  de 
notre  Dieu. 

Il  ne  sera  donc  peut-être  pas  sans  intérêt  d'en- 
trer dans  plus  de  détails. 

Seetzen,  que  son  ardeur  infatigable  porta  à 
parcourir  le  premier ,  malgré  tous  les  dangers  de 
la  route ,  les  contrées  à  l'est  du  Jourdain,  et  à  l'est 
et  au  sud  de  la  Mer  Morte,  autrement  les  pays 
d'Ammon,  de  Moab  et  d'Edom,  dit  :  Ammon 
était  la  résidence  de  beaucoup  de  rois ,  ville  an- 
tique et  florissante,  longtemps  avant  le  temps 
des  Grecs  et  des  Romains,  et  même  avant  celui 
des  Hébreux  ^\  Quoique  cette  ville  soit  détruite 
et  abandonnée  depuis  plusieurs  siècles,  j'y  ai 
trouvé  encore  quelques  ruines  remarquables, 
qui  attestent  son  ancienne  splendeur.  Je  citerai , 
1®  un  édifice  carré  dont  les  ornements  sont  d'une 
richesse  extraordinaire ,  et  qui  a  peut-être  été 
un  lieu  de  sépulture;  2^  un  grand  palais;  3^  un 
magnifique  amphithéâtre  ayant  un  péristyle  de 
colonnes  corinthiennes  ;  4<^  un  temple  païen  avec 

(53)  Burckhardt,  p.  359. 

(54)  Courte  description  des  pays  voisins  du  lac  de  Tibérîade,  du 
Jourdain  et  de  la  Mer-Morte,  par  M,  d^  Seetzen ,  conseiller  d'am- 
bassade de  S*  M.  Fempereur  de  Russie,  p.  35  et  36. 


236  MOAij.  eu.  XI 

(le  très  belles  colonnes;  5°  nnef^nvinde  éf^lise bâtie 
par  les  elirétieiis,  peut-être  lesièj^e  d'un  éveque, 
da  temps  des  enipeienrs  grecs;  ()«  les  ruines  d'un 
temple  entoure  de  cokmnes  d'une  {5nx)sseur  i)rodi- 
fçieuse;  7^  quelques  portions  des  anciennes  mu- 
railles et  plusieurs  autres  édilices  ^\ 

Burckliardt^  qui  visita  plus  tard  le  même  site^ 
décrit  avec  plus  de  détails  ce  qu'il  a  vu  sur  l'empla- 
cement de  Rabba.  Il  donne  un  plan  de  ces  ruines 
et  parle  des  restes  de  plusieurs  temples  ^  d'une 
église  très  spacieuse  5  d'un  mur  circulaire ,  d'un 
pont  dont  les  arches  sont  très  élevées  ^  des  bords 
et  du  lit  d'une  rivière  encore  pavée  dans  quelques 
endroits  5  d'un  vaste  théâtre  ^  de  majestueuses  co- 
lonnades 5  d'un  château  très  ancien  et  jadis  très 
fort,  de  plusieurs  citernes ,  d'une  plaine  jon- 
chée de  ruines  d'édifices  particuliers'%  et  de  mo- 
numents d'une  grandeur  passée,  qui  s'élèvent  au 
milieu  d'un  monceau  de  désolation. 


CHAPITRE  XL 

PROPHÉTIES  CONCERNANT  MOAB. 

Les  prophéties  qui  concernent  Moab  ne  sont 
pas  moins  nombreuses  ,  et  sont  tout  aussi  remar- 
quables. Nous  n'examinerons  pas  celles  qui ,  ayant 
rapport  à  son  ancienne  histoire  et  à  ses  an- 
ciennes querelles  avec  le  peuple  juif  et  les  états 
voisins,  étaient  importantes  alors,  en  tant  qu'elles 
pouvaient  tendre  à  raffermir  la  foi  et  à  soutenir 
le  courage  des  enfants  d'Israël ,  mais  ne  sont  pas 

(55)  Seetzen,  p.  35-36.  —  (56)  Burckhardt,  p.  358,  etc. 


CH.  XL  MOAB.  237 

nécessaires  aujourcriiui  pour  prouver  l'inspiration 
divine  des  Ecritures.  Les  prédictions  qui  ont  rap- 
port à  des  faits  connus  et  avérés  sont  si  nom- 
breuses qu'on  peut  presque  dire  qu'il  n'y  a  pas 
un  seul  trait  de  la  désolation  actuelle  de  Moab  qui 
n'ait  été  tracé  par  la  plume  du  prophète  juif. 

«  Quant  à  Moab ,  ainsi  a  dit  l'Eternel  des  ar-  ^ 
«  mées  5  le  dieu  d'Israël  :  Malheur  à  Nébo ,  car 
«  elle  a  été  saccagée;  Kirjathajim  a  été  rendue 
«  honteuse  et  a  été  prise  :  la  ville  forte  a  été  ren- 
«  due  honteuse  et  effrayée  :  Moab  ne  se  glori- 
«  fiera  plus.  Celui  qui  a  fait  le  dégât  entrera  dans 
«  toutes  les  villes^  et  pas  une  ville  n'échappera; 
«  la  vallée  périra  et  le  plat  pays  sera  détruit , 
a  suivant  ce  que  l'Eternel  a  dit  :  Donnez  des  ailes 
oc  à  Moab 5  car  certainement  il  s'envolera,  et  ses 
«  villes  seront  réduites  en  désolation  sans  qu'il  y 
«  ait  personne  qui  y  habite.  Moab  a  été  à  son  aise 
«  depuis  sa  jeunesse,  il  a  reposé  sur  sa  lie;  il  n'a 
«  point  été  vidé  d'un  vase  dans  un  autre ,  et  il 
c<  n'a  point  été  transporté.  Mais  voici,  les  jours 
«  viennent,  dit  l'Eternel,  que  je  lui  enverrai  des 
r^  gens  qui  l'enlèveront.  Comment  a  été  rompue 
ff  cette  verge  et  ce  sceptre  d'honneur  ?  Toi  qui  te 
«  tiens  chez  la  fille  de  Dibon ,  descends  de  ta 
«  gloire  et  t'assieds  dans  un  lieu  de  sécheresse; 
«  car  celui  qui  a  saccagé  Moab  est  monté  contre 
c<  toi  et  a  détruit  tes  forteresses.  Moab  a  été  rendu 
«  honteux,  car  il  a  été  mis  en  pièces;  Moab  a  été 
«  saccagé  et  le  jugement  est  venu  sur  le  plat 
«  pays,  sur  Holon  et  sur  Jathsa,  et  sur  Mepha- 
a  hat,  et  sur  Dibon,  et  sur  Nébo ,  et  sur  Belhdi- 
«  blathajim,  et  sur  Kirjathajim,  et  sur  Beth-Ga- 
«  mui ,  et  sur  Beth-Mélion ,  et  sur  Kéryoth ,  et 
«  sur  Botsra,  et  sur  toutes  les  villes  du  pays  de 
«  Moab,  éloignées  et  proches.  La  corne  de  Moab 
c(  a  été  retranchée  et  son  bras  a  été  brisé ,  dit 


238  MOAD.  en.  XI. 

«  I'Elerncl.  HabilaMls  de  Moah^  (juiltez  les  villes 
«  et  demeurez  dans  les  roehers,  et  soyez  eomme 
«  le  pij;eon  qui  fait  son  nid  aux  eotés  de  Tentrée 
«  des  cavernes.  Nous  avons  appris  l'oryueil  de 
«  Moab,  le  très  orgueilleux  ^  son  arroganee  et  son 
«  orgueil,  et  sa  fierté  et  son  cœur  altier.  L'allé- 
es gresse  et  la  gaîté  se  sont  retirées  loin  du  champ 
«  fertile  et  du  pays  de  Moab;  et  j'ai  fait  cesser  le 
c'  vin  des  cuves;  on  n'y  foulera  plus  en  chantant , 
«  et  la  chanson  de  la  vendange  n'y  sera  plus 
«  chantée.  A  cause  du  cri  de  Hesbon  qui  est  par- 
«  venu  jusqu'à  Elhalé,  ils  ont  jeté  leurs  cris  jus- 
«  qu'à  Jahats;  même  depuis  Tsohar  jusqu'à  Ho- 
«  ronajim;  car  aussi  les  eaux  de  Nimrim  seront 
(c  désolées.  J'ai  brisé  Moab  comme  un  vaisseau 
«  auquel  on  ne  prend  nul  plaisir.  »  —  «  Hurlez  et 
«  dites  :  comment  a-t-il  été  brisé  ?  Moab  sera  ex- 
ce  terminé  tellement  qu'il  ne  sera  plus  peuple, 
«  parcequ'il  s'est  élevé  contre  l'Eternel.  » — «Les 
«  villes  d'Haroher  seront  abandonnées;  elles  de- 
ce  viendront  des  prés  de  brebis  qui  y  reposeront, 
ce  et  il  n'y  aura  personne  qui  les  épouvante.  Moab 
ce  sera  un  lieu  de  désolation  à  jamais  ^^  » 

Le  pays  de  Moab  était  situé  à  l'est  et  au  sud 
de  la  Judée  sur  les  bords  de  la  Mer-Morte,  mer 
salée,  et  le  sol,  quoique  plus  diversifié,  ne  le 
cédait  pas  en  fertilité ,  dans  les  endroits  où  les 
sables  du  désert  et  les  plaines  salines  ne  s'en 
sont  pas  emparés,  au  pays  d'Ammon,  et  paraît 
avoir  été  puissant  et  très  peuplé.  Quant  à  l'an- 
cienne grandeur  de  Moab,  elle  est  attestée  par 
une  foule  de  preuves  et  de  témoignages. 

On  rencontre  à  chaque  instant  dans  les  plaines 
les  vestiges  de  quelques  grandes  villes;  sur  toutes 
les  eminences ,  partout  oii  une  ville  a  pu  être 

(57)  Jérémie,  XLVÏII,  j,  2,  8,  9,  41,  12,  17,  18,  20-25,  28,  29, 
33,  3/|,  38,  39,  li%  —  Esaïe,  XVII,  2.  —  Sophonie,  il,  9. 


CH.  XI.  MOAB.  239 

bâtie,  on  en  retrouve  quelques  traces.  Et  comme 
la  terre  y  est  susceptible  de  la  plus  riche  culture, 
on  ne  saurait  douter  que  ce  pays,  maintenant 
désert ,  n'ait  offert  jadis  un  tableau  non  inter- 
rompu d'abondance  et  de  fertilité  ^^  La  configu- 
ration des  champs  est  encore  visible ,  ainsi  que 
des  restes  de  grands  chemins,  oîi  Ton  voit  en- 
core des  fragments  de  pavés  romains ,  et  où  se 
sont  conservées  quelques-unes  des  bornes  miî- 
liaires  qui  y  furent  plantées  du  temps  de 
Trajan,  de  Marc-Aurèle  et  de  Sévère.  Esaïe 
fait  allusion  à  la  fertilité  d'Hesbon^^;  partout  où 
l'on  cultive  le  blé ,  la  récolte  est  abondante ,  et 
rien  ne  saurait  mieux  peindre  la  richesse  du  sol 
que  le  seul  fait  qu'un  grain  de  froment  d'Hesbon 
pèse  plus  de  deux  grains  de  l'espèce  ordinaire,  et 
que  i'^pi  en  contient  plus  du  double.  Il  n'y  a  pas 
de  province  en  Europe  où  les  villes  soient  aussi 
pressées  que  les  ruines  le  sont  dans  le  pays  de 
Moab.  Burckhardt  fait  nombre  d'environ  cin- 
quante villes  ruinées  dans  l'étendue  de  Moab  ; 
il  parle  de  traces  nombreuses  de  champs  enclos, 
et  s'accorde  avec  Irby  et  Mangles  quant  à  son 
ancienne  population. 

Nous  avons  donc  plus  de  preuves  qu'il  ne  nous 
en  faut  sur  l'état  florissant  de  cette  contrée  et  de 
ce  peuple ,  et  cela  k  une  époque  postérieure  de 
plusieurs  siècles  au  temps  où  les  prophéties 
publiaient  les  jugements  de  Dieu  contre  elle, 
pour  bien  nous  démontrer  qu'il  eût  été  impossible 
à  l'homme  d'imaginer  qu'elle  put  jamais  être  ré- 
duite à  l'état  de  désolation  complète  et  entière 
dans  lequel  elle  demeure  depuis  un  si  grand 
nombre  d'années. 

«  Les  villes  de  Moab  seront  réduites  en  désola- 

(58)  Voyages  des  capitaines  Irby  e  tMangles,  p.  370. 

(59)  Esaïe,  XVI,  8-10. 


240  MOAB.  cil.  XI. 

«tion;  pas  une  n'écha|)|)era.  Moab  s'cMivolera.  » 
El  loules  les  villes  de  Moab  ont  disparu.  Yolney 
indi(|ue  le  pays  de  Moab  sur  la  carie  (jui  aeeom- 
pa^nie  ses  voyages  par  ces  mots  :  Villes  ruinées, 
11  lire  ses  délails  sur  ces  ruines  des  Arabes 
erranls,  et  la  vérité  de  ce  qu'il  avance  a  été  con- 
statée par  le  témoignage  de  plusieurs  voya- 
geurs européens  dignes  de  foi,  qui  depuis  lors 
ont  visité  cette  région.  Le  pays  tout  entier  est 
couvert  de  ruines ,  et  Burckliardt ,  qui  eut  à 
essuyer  beaucoup  de  périls  dans  ce  pays  désert 
et  dangereux,  parle  en  particulier  de  l'état  actuel 
de  différentes  villes  nommées  dans  l'Ecriture. 
Les  ruines  d'Elhalé ,  d'Hesbon  ,  de  Mélion  ,  de 
Médaba,  de  Dibon  et  d'Harolier  sont  là  pour 
faire  ressortir  la  yérité  de  l'histoire  des  enfants 
d'Israël *^..  on  pourrait  ajouter,  pour  confirmer 
la  divine  autorité  des  Ecritures,  et  pour  prouver 
que  «  les  prophètes  ont  parlé  comme  ils  étaient 
poussés  par  le  Saint-Esprit.  » 

Tout  ce  qui  est  digne  d'attention  a  été  décrit 
non-seulement  par  Burckliardt,  mais  aussi  plus 
récemment  par  les  capitaines  Irby  et  Mangles 
qui^  de  concert  avec  Bankes  et  Legh,  ont  par- 
couru toute  cette  région  déserte.  Les  jugements 
prédits  sont  tombés  avec  une  telle  violence  sur 
toutes  les  villes  de  la  terre  de  Moab  que ,  malgré 
tout  leur  désir  et  toute  leur  curiosité  ,  nos  infati- 
gables voyageurs  n'ont  pu  découvrir ,  dans  une 
multitude  de  ruines,  que  fort  peu  de  débris  assez 
bien  conservés  pour  mériter  une  mention  particu- 
lière. C'est  de  leurs  témoignages  réunis  que  l'on 
lire  les  détails  suivants. 

Parmi  les  ruines  d'El  Ael  (  EShalé  )  se  trouvent 
un  nombre  de  grandes  citernes,  des  fragments 

(GO)Buickharclt,  Voyïigcs  t n  Arabie,  Introd.,  p.  38. 


241  MOAB.  CH.  XÎ. 

d'édifices  et  de  fondements  de  maisons.  A  Hesh- 
ban  (  Hesbon  )  sont  les  raines  d'une  grande  et  an- 
cienne cité,  avec  les  débris  d'un  temple  et  de  quel- 
ques édifices  ;  un  petit  nombre  de  colonnes  mu- 
tilées sont  encore  debout,  et  l'on  voit  plusieurs 
puits  très  profonds   creusés  dans  le   roc.  Les 
ruines  de  Médaba  ont  près  de  deux  milles  de 
circuit;  on  y  voit  le  reste  des  murailles  de  mai- 
sons particulières,  et  près  délaies  fondations  d'un 
templeavec  deux  colonnes,  mais  pas  un  seul  édi- 
fice entier.  L'objet  le  plus  intéressant  est  une 
immense  citerne  en  pierre  de  taille;  et  comme  il 
n'y  a  aucun  cours  d'eau  à  Médaba ,  les  Arabes 
pourraient  encore  en  tirer  parti ,  s'ils  voulaient 
se  donner  la  peine  de  déblayer  les  décombres 
qui  en  obstruent  les  approches ,  afin  que  les  eaux 
puissent  s'y  rendre;  mais  un  tel  travail  dépasse 
de  beaucoup  les  vues  d'Arabes  vagabonds^*.  Les 
ruines  de  Deban  (Dibon  ),  situéesau  milieu  d'une 
belle  plaine,  sont  d'une  étendue  considérable, 
mais  n'offrent   rien  d'intéressant  ^^.  Celles   de 
Myoun  (  le  Seth-Mehon  de  l'Ecriture  )  sont  indi 
quées  par   leurs   sources   d'eaux  thermales  ^', 
Il  ne  reste  plus  rien  de  remarquable  de  cette 
ancienne  ville  ni  d'Araayr  (Haroher),  si  ce  n'est 
ce  qu'elles  ont  de  commun  avec  les  autres  villes 
de  Moab,  leur  entière  désolation.  L'étendue  des 
ruines  de  Rabba,  autrefois  la  résidence  des  rois 
de  Moab,  suffit  pour  attester  son  ancienne  im- 
portance, quoique  l'on  ne  puisse  rien  distinguer 
parmi  ces  ruines,  excepté  les  restes  d'un  palais  ou 
tempi  e,  des  murs  duquel  on  retrouve  encore  une 
partie,  ainsi  que  la  porte  d'une  autre  habitation, 
et  un  autel  solitaire.  Il  y  a  quelques  vestiges  d'ha- 

(61)  Burckhardt,  p.  366.  — Seetz^n,  p.  37.  — Voyages  des  capi- 
taines, p.  411.  —(62)  Voyages  des  capitaines  p.  452. — SeeUen,  p.  38. 
(63)  Burckhardt,  p.  365.  —  Irbyet  Mangle^,  p.  454. 


5iî?  MOAB.  eu.  XI. 

hilalions  parliciilièi  es,  mais  rien  (rentier.  La  ville, 
n'ayant  point  de  sonrces  d'canx,  avait  deux  puits 
dont  le  phis  profond  a  été  creusé  dans  le  roc ,  et 
plusieurs  citernes  *^\  Le  mont  Nébo  était  entière- 
ment nu  lors  du  passage  de  Burckhardt,  et  on  n'a 
pu  déterminer  l'emplacement  de  l'ancienne  ville. 
«  Nébo  a  été  saccagée.  » 

Une  circonstance  remarquable,  c'est  que  toutes 
ces  \illes  ont  conservé  leurs  anciens  noms,  qu'elles 
sont  partout  distinguées  par  leur  désolation  com- 
plète, et  que  chacune  d'elles  a  été  l'objet  d'une 
prophétie  particulière;  cependant  elles  ne  for- 
maient que  le  plus  petit  nombre  des  villes  de  Moab; 
ainsi  toutes  fournissent  d'incontestables  preuves 
de  la  vérité  des  prophéties,  puisqu'elles  sont 
toutes  abandonnées ,  «  sans  qu'il  y  ait  personne 
qui  y  habite  » .  Il  n'y  a  pas  une  seule  des  anciennes 
villes  de  Moab  qui  soit  habitée.  La  seule  ville  qui 
existe  est  apjyelée  Kerek  ;  il  ne  paraît  pas,  d'après 
ses  monuments  ou  son  nom,  qu'elle  ait  existé  du 
temps  des  Israelites  ;  et  Seetzen  qui  l'a  visitée  dit 
que  dans  son  état  actuel  de  ruine  on  ne  peut  la 
regarder  que  comme  un  hameau.  Les  habitations 
n'ont  qu'un  étage  ^^  Les  ruines  en  général  ont  été 
mutilées  et  ne  sont  plus  qu'une  masse  informe. 
Plusieurs  même  n'ont  jamais  été  examinées  en 
détail.    Quelquefois   cependant   on  trouve   des 
vestiges  de  temples ,  de  mausolées ,  des  ruines 
d'édifices  très  considérables  construits  en  pierres 
énormes  ;  quelques-unes  d'entre  elles  ont  vingt 
pieds  de  long,  et  la  largeur  d'une  seule  suffit  pour 
l'épaisseur  des  murs  :  on  rencontre  des  jardins  en 
terrasses  ,  des  colonnes  de  marbre  couchées  sur 
la  terre,  ayant  trois  pieds  de  diamètre,  et  des  res- 
tes de  colonnes  moins  grandes  et  de  plusieurs 

(6/j)  Seetzen,  p.  3A.  —  Burckhardt,  p.  377.  ~  (G5)  Seelzen. 


CH.  XI.  MOAB.  213 

citernes  creusées  dans  le  roc.  Lors  donc  que  les 
villes  de  Moab  existaient  dans  toute  leur  gloire ,, 
quand  son  arrogance  et  sa  fierté  étaient  à  leur  plus 
haut  point,  il  eût  été  impossible  àriiomine  d'ima- 
giner qu'il  pût  jamais  devenir  la  proie  de  la  déso- 
lation. Qui  est-ce  qui  aurait  pu  se  douter  que 
ces  villes  si  nombreuses,  qui  avaient  déjà  existé 
depuis  un  si  grand  nombre  de  siècles,  dont  la 
position  était  si  belle,  les  sites  si  variés,  les 
unes  fortifiées  par  leur  assiette  naturelle,  d'autres 
par  toutes  les  ressources  de  l'art,  celles-ci  assises 
au  fond  des  vallées  fertiles  auprcs  de  sources 
abondantes,  et  celles-là  entourées  de  citernes 
creusées  dans  le  roc  même ,  qui  est-ce  qui  aurait 
pu  croire  que  toutes  ces  villes  auraient  à  subir  le 
même  sort,  qu'elles  seraient  toutes  réduites  en 
désolation  sans  qu'il  y  ait  personne  qui  y  habite  ? 

Tous  ces  indices  d'une  longue  prospérité  au- 
raient rendu  ce  fait  impossible  et  incroyable  J" 
si  ce  pays  avait  appartenu  à  un  autre  peuple ,  et 
si  ce  n'était  pas  la  parole  de  notre  Dieu  qui  eût 
dit:  «  Malheur  à  Moab,  car  elle  a  été  saccagée  !  » 

«  La  vallée  aussi  périra ,  et  le  plat  pays  sera 
«  détruit.  »  Moab  a  été  plus  d'une  fois  le  champ  de 
bataille  des  Arabes  et  des  Turcs,  et  quoique  les 
premiers  en  soient  restés  maîtres,  cependant 
tous  les  deux  ont  contribué  à  sa  désolation.  Les 
différentes  tribus  d'Arabes  qui  le  traversent  con- 
stamment sont  en  hostilité  permanente  avec  les 

chrétiens  et  les  Turcs,  et  en  outre  perpétuellement 
en  guerre  l'une  contre  l'autre.  Ainsi  on  ne  pense 
jamais  à  cultiver  le  sol  ou  à  tirer  partie  des  avan- 
tages naturels  que  le  pays  possède  en  si  grande 
abondance.  La  propriété  est  sous  la  garde  de  la 
force  et  non  delà  loi;  ainsi  les  vastes  plaines  of- 
frant, excepté  de  loin  à  loin,  l'aspect  le  pins  aride, 
l'œil  attristé  n'est  récréé  que  par  quelques  bos- 


244  MOAB.  CH.  XI, 

(liiets  cle  liguiers  sauvages,  qui  prouvent  combien 
les  dons  les  plus  riches  de  la  nature  sont  perdus 
quand  l'industrie  de  l'homme  ne  vient  pas  les  fé- 
conder. Au  lieu  donc  de  cette  abondance  que 
jadis  on  trouvait  partout,  il  n'y  a  maintenant  que 
quelques  morceaux  de  terre  d'une  excellente  qua- 
lité cultivés  par  les  Arabes,  qui  toutefois  ne  pren- 
nent cette  peine  que  lorsqu'ils  peuvent  espérer 
d'en  mettre  la  récolte  a  l'abri  des  incursions  de 
leurs  ennemis*^^  Les  troupeaux  des  Arabes  parcou- 
rent en  toute  liberté  les  vallées  et  les  plaines,  et 
les  vestiges  nombreux  de  champs  enclos"  ne  leur 
offrent  plus  de  barrières;  ils  broutent  sans  inter- 
ruption autour  des  tentes  de  leurs  possesseurs 
sur  toute  la  surface  du  pays;  «  la  vallée  périra  et 
c<  le  plat  pays  sera  détruit;  les  villes  de  Haroher 
«  seront  aussi  abandonnées  ;  elles  deviendront 
((  des  prés  de  brebis  qui  y  reposeront,  et  il  n'y 
«  aura  personne  qui  les  épouvante.  » 

Ce  contraste  frappant  ne  se  voit  pas  moins  dans 
la  condition  des  habitants  que  dans  l'état  du  sol. 

(f.  Les  jours  viennent,  dit  TEternel,  que  je  lui 
«  enverrai  des  gens  qui  l'enlèveront  et  qui  vidé- 
es ront  ses  vaisseaux.  »  —  Quelques  Arabes  vaga- 
bonds sont  aujourd'hui  les  seuls  habitants  de  cette 
contrée  jadis  semée  de  villes.  Ils  traversent  le 
pays,  dressant  leurs  tentes  tantôt  d'un  côté,  tantôt 
de  l'autre,  décampant  ensuite  pour  se  rendre  dans 
une  autre  partie  de  la  contrée,  consumant  tout  le 
pâturage,  et  dépouillant  la  terre  de  toutes  ses  pro- 
ductions naturelles. 

«  Ce  sont  les  étrangers  qui  sont  venus  contre 
«  lui  et  qui  en  font  une  désolation  à  jamais.  »  — 
Ils  ne  connaissent  ni  lois  ni  règles;  rien  n'est  or- 
ganisé chez  eux  si  ce  n'est  le  brigandage.  Quel- 

(66)  Burckhardt,  p.  369.  —  (67 j  Ibid.,  565. 


CH.  XI.  MOAB.  245 

qu'un  montre-t-il  Tintention  de  former  uu  établis- 
sement fixe 5  ils  s'y  opposent;  car,  quoique  la 
fertilité  du  sol  récompensât  en  abondance  le 
travail  du  cultivateur  et  rendît  toute  émigration 
inutile,  même  quand  la  population  augmenterait 
indéfiniment,  cependant  les  Bédouins  les  forcent 
à  errer  et  à  chercher  ailleurs  leur  nourriture 
journalière.  Burckhardt  fait  à  cet  égard  une  obser- 
vation pleine  de  justesse,  en  parlant  de  l'avarice 
des  Bédouins  :  C'est,  dit-il,  que  toutes  les  fois 
que  des  cultivateurs  se  trouvent  dans  leur  dé- 
pendance, ils  les  ont  bientôt  réduits  à  la  mendi- 
cité par  leurs  demandes  continuelles  ^^ 

«  Habitants  de  Moab,  quittez  les  villes  et  de- 
a  meurez  dans  les  rochers,  et  fuyez  comme  le 
«  pigeon  qui  fait  son  nid  aux  côtés  de  l'entrée  des 
a  cavernes.  »  —  Dans  une  description  générale 
qu'il  fait  des  habitants  de  ce  vaste  désert,  qui 
occupe  maintenant  l'emplacement  de  villes  jadis 
si  florissantes,  Volney  dit  :  Les  malheureux 
paysans  vivent  dans  une  crainte  continuelle  de 
perdre  le  fruit  de  leurs  travaux,  et  ils  n'ont  pas 
plus  tôt  ramassé  leur  récolte  qu'ils  se  hâtent  de  la 
cacher  dans  quelque  endroit  écarté  et  se  retirent 
parmi  les  rochers  qui  bordent  la  Mer-Morte  '^ 
Vers  l'extrémité  opposée  du  pays  de  Moab  et  à  une 
petite  distance  de  ses  bords,  Seetzen  rapporte 
qu'un  grand  nombre  de  familles  habitent  dans  des 
cavernes  qui  avoisinent  cette  mer,  et  il  les  ap- 
pelle «  les  habitants  des  rochers  '%) .  A  quelques 
milles  des  ruines  d'Hesbon,  dans  une  grande 
chaîne  de  rochers  perpendiculaires ,  se  trouvent 
plusieurs  cavernes  artificielles  dans  lesquelles  on 
a  pratiqué  des  chambres  et  quelques  petites  cel- 
lules à  coucher'^*.  Ainsi  les  rochers  se  peuplent 

(68)  Burckhardt,  p.  781.  —  (69)  Volney,  vol.  II,  p.  S/j/i. 
(70)  Seetzen,  p.  26.  ■—  (71)  Irby  et  Mangles,  p.  473. 


21G  MOAB.  eu.  XI. 

(riial)i(anls  pendant  que  les  villes  sont  désertes. 
Mais  soit  que  «  les  troupeaux  reposent  dans  les 
villes  sans  (|ue  persoune  les  é[)Oiivante  »,  soit 
que  des  hommes  fossent  leur  retraite  dan  sees  ro- 
ehers,  «  comme  le  pigeon  qui  fait  son  nid  aux 
côtes  de  l'entrée  des  cavernes»,  ce  singulier 
changement  et  le  parfait  accord  des  faits  avec  la 
prédiction  nous  prouvent  clairement  que,  quel- 
que aveugles  que  nous  soyons,  elle  n'en  est  pas 
moins  la  parole  de  ce  Dieu  devant  qui  les  ténèbres 
de  l'avenir  ne  sont  que  clarté,  et  sans  la  permis- 
sion duquel  un  seul  passereau  ne  peut  tomber  en 
terre  ''^ 

Ici  nous  croyons  pouvoir  remarquer  que  les 
prophéties  et  les  faits  qui  s'accordent  si  bien  avec 
elles,  quoiqu'empreints  d'un  caractère  de  sévérité, 
n'en  sont  pas  moins  consolants  pour  le  chrétien, 
en  tant  qu'il  sait  que  Celui  qui  ne  peut  souffrir  le 
péché,  qui  récompense  chacun  selon  ses  œuvres, 
peut  aussi  changer  «  le  mal  en  bénédiction,  »  et 
que,  «  lorsqu'il  est  en  colère,  il  se  souvient  d'avoir 


(7^)  Nous  ne  devrions  pas  passer  sous  silence  une  autre  prédic- 
tion relative  au  sort  de  Moab,  quoique  les  expressions  ne  soient  pas 
aussi  claires  et  aussi  positives  que  celles  que  nous  avons  citées  dans 
cet  ouvrage.  Le  passage  suivant  nous  fait  bien  voir  combien  Moab 
est  tombée  de  son  ancienne  élévation,  et  juqu'à  quel  point  il  a  dû 
déposer  l'orgueil  et  l'arrogance  de  son  cœur  :  a  Dans  la  vallée  de 
Wala,  tout  près  de  la  rivière  d'Ammon,  dans  laquelle  se  jette  celle 
de  Wala,  Burckhardt  observa  un  nombreux  parti  d'Arabes  du  dé- 
sert qui  y  avaient  établi  leur  camp.  Sans  cesse  poursuivis  par  les 
autres  tribus,  «  ils  errent  dans  une  misère  profonde,  »  ne  possèdent 
qu'un  très  petit  nombre  de  chevaux,  sont  hors  d'état  de  nourrir  des 
troupeaux  de  chèvres  ou  de  brebis.  Leurs  tentes  sont  dans  l'état  le 
plus  misérable  ;  ils  vont  presque  nus,  hommes  et  femmes  ;  les  pre- 
miers n'ont  d'autres  vêtements  que  quelques  morceaux  d'étoffe  au- 
tour de  la  ceinture  ;  celui  des  femmes  ne  consiste  qu'en  une  espèce 
de  chemise  flottante  qui  pend  en  haillons  autour  d'elles. 

«  Moab  sera  un  sujet  de  moquerie;  car  il  arrivera  que  les  fdles 
«  de  Moab  seront  au  passage  d'Arnon  comme  un  oiseau  volant  çà 
a  et  là,  »  (Voyages  de  Burckhardt,  p,  370,  371.  — Jérémie,  XL VIII, 
39.  —  Esaïe,  XVI,  2.) 


247  ÉDOM.  CH.  xn. 

«  compassion  » .  En  raisonnant  donc  simplement 
d'après  rexpérience  (pour  nous  servir  d'un  ar- 
gument de  Hume''),  ne  devons -nous  pas  aussi 
tirer  la  conclusion  que,  puisque  les  prédictions 
qui  ont  annoncé  la  désolation  ont  été  accomplies 
par  le  passé,  celles  qui  se  rapportent  au  rétablis- 
sement final  de  Moab  et  d' Amnion  seront  égale- 
ment accomplies  dans  Tavenir?  Ne  serait-ce  pas 
rejeter  l'autorité  de  la  raison,  ainsi  que  celle  de 
l'Ecriture,  que  de  ne  pas  ajouter  foi  aux  paroles 
du  prophète,  quand  il  dit  :  «  Toutefois  je  rame- 
a  nerai  et  je  mettrai  en  repos  les  captifs  de  Moab 
a  dans  les  derniers  jours '\  »  —  «  Je  ferai  revenir 
a  les  captifs  des  enfants  d'Ammon ,  dit  l'Eter- 
«  nel  '^  » — «  Les  restes  de  mon  peuple  les  possé- 
a  deront  '\  »  —  «  Ils  rebâtiront  ce  qui  aura  été 
<i  désert  longtemps ,  ils  rétabliront  les  lieux  qui 
«  auront  été  auparavant  désolés ,  et  ils  renouvel- 
le leront  les  villes  abandonnées  et  ce  qui  était 
«  désolé  depuis  longtemps"- 


CHAPITRE  XIL 

PROPHÉTIES  CONCERNANT  ÉDOM  OU  ï/lDlIMÉE. 

Mais  un  sort  plus  terrible  encore  attendait  le 

(73)  L'habitude  où  nous  sommes  de  transporter  le  passé  à  l'avenir 
dans  toutes  nos  inductions,  fait  que  lorsque  'e  passé  a  été  complè- 
tement uniforme,  nous  attendons  les  événements  futurs  arec  la  plus 
grande  assurance,  ne  supposant  même  pas  qu'il  puisse  y  avoir  la 
moindre  différence.  (  Hume,  Essai  sur  les  probabilités.) 

(7/i)  Jérémie,  XL VIII,  47.  —  (75)  Ibid.,  XLIX,  6. 

(76)  Sophonie,  II,  3. 

(77)  Esaïe,  LXI,  /i;  LVÏÏI,  12.  —  Ezécbiel,  XXXVI,  33,  38. 


2îH  KDOM.  Cil.  :Kn. 

payscrEdoni  ou  criduniéc.^  et  c'est  un  incrédule 
qui  le  preuiicr  a  rendu  témoii^na^^e  de  son  acconi- 
plissement.  Nous  pourrons  tout  d'abord  joindre 
ce  ténioii^nage  aux  prophéties  elles-mêmes,  et  ce 
rapprochement  ne  manquera  pas  de  frapj)er  tout 
esprit  impartial.  11  y  a  plusieurs  prophéties  rela- 
tives à  Edom  qui  admettent  une  interprétation 
littérale ,  quelque  hyperboliques  qu'elles  puis- 
sent paraître. 

«  Mon  épée  descendra  en  jugement  sur  Edom 
«  et  sur  le  peuple  que  j'ai  mis  à  l'interdit.  Elle 
«  sera  désolée  de  génération  en  génération  et  il 
«  n'y  aura  personne  qui  passe  par  elle  à  jamais. 
«  Mais  le  cormoran  et  le  butor  la  posséderont; 
«  le  hibou  et  le  corbeau  y  habiteront,  et  on  éten- 
«  dra  sur  elle  la  ligne  de  confusion  et  le  niveau 
«  de  désordre.  Les  princes  crieront  qu'il  n'y  a 
X  plus  là  de  royaume ,  et  tous  ses  gouverneurs 
«  seront  réduits  à  rien.  Les  épines  croîtront  dans 
«  ses  palais ,  les  chardons  et  les  buissons  dans 
«  ses  forteresses,  et  elle  sera  le  repaire  des  dra- 
«  gons  et  le  parvis  des  chats-huants  ;  là  les  bêtes 
«  sauvages  des  déserts  rencontreront  les  bêtes 
«  sauvages  des  îles ,  et  la  chouette  criera  à  sa 
u  compagne;  là  même  se  reposera  l'orfraie,  etelle 
«  y  trouvera  son  repos.  Là  le  martinet  fera  son 
«  nid  et  y  couvera ,  il  y  éclora  et  il  y  recueillera 
«  ses  petits  sous  son  ombre;  là  aussi  seront  ras- 
«  semblés  les  vautours  l'un  avec  l'autre.  Re- 
«  cherchez  au  livre  de  l'Eternel  et  lisez  :  il  ne 
«  s'en  est  manqué  quoi  que  ce  soit  ;  celle  -  là 
«  ni  sa  compagne  n'y  ont  point  manqué;  car 
«  c'est  ma  bouche  qui  l'a  commandé ,  et  son 
*<  esprit  est  celui  qui  les  aura  assemblés  ; 
«  car  il  leur  a  jeté  le  sort,  et  sa  main  leur  a 
«  distribué  ce  pays  au  cordeau.  Ils  le  pos- 
((  sèderont  à  toujours  ^  et  ils  y  habiteront  d'âge 


m.  XîL  Èi)ôM.  249 

^^^  en  âge'".  Quant  à  Edom,  ainsi  a  dit  TEter- 
«  nel  des  armées  :  N'est-il  pas  vrai  qu'il  n'y 
<c  a  plus  de  sagesse  dans  Théman?  le  conseil  a 
«  manqué  aux  hommes  entendus;  leur  sagesse 
<i  s'est  évanouie.  J'ai  fait  venir  sur  Esaii  sa  ca- 
«  laraité.,  le  temps  auquel  je  veux  le  visiter.  Il 
^  était  entré  chez  toi  des  vendangeurs;  ne  t'au- 
«  raient-ils  point  laissé  de  grapillage?  Si  c'étaient 
«  des  larrons  de  nuit ,  ils  n'auraient  pris  que  ce 
«  qui  leur  aurait  suffi.  Mais  j'ai  fouillé  Esaû,  j'ai 
<c  découvert  ce  qu'il  avait  de  plus  caché,  telie- 
«  ment  qu'il  ne  se  pourra  cacher.  Voici ,  ceux  qui 
<ï  ne  devaient  pas  boire  de  la  coupe  en  boiront 
<î  certainement;  et  toi,  en  serais-tu  exempt  eu 
«  quelque  manière?  Tu  n'en  seras  point  exempt; 
«  mais  tu  en  boiras  certainement.  J'ai  juré  par 
«  moi-même,  dit  l'Eternel,  que  Bohra  sera  ré^ 
«  duite  en  désolation,  en  opprobre,  en  désert  et 
«  en  malédiction ,  et  que  toutes  ces  villes  seront 
«  réduites  en  déserts  perpétuels;  car  voici,  je  te 
<i  rendrai  petit  entre  les  nations  et  méprisable 
«  entre  les  hommes.  Ta  présomption  et  la  fierté 
«  de  ton  cœur  t'ont  séduit,  toi  qui  habites  dans  le 
«  creux  des  rochers,  et  qui  occupes  le  sommet  des 
<c  coteaux.  Quand  tu  aurais  élevé  ton  nid  comme 
«  l'aigle,  je  t'en  jetterai  bas  de  là,  dit  l'Eternel 
«  Idumée  sera  réduite  en  désolation,  tellement 
«  que  quiconque  passera  près  d'elle  en  sera  éton- 
«  née  et  sifflera  à  cause  de  toutes  ses  plaies.  11 
ce  n'y  demeurera  personne,  a  dit  l'Eternel,  et  au- 
<x  cun  fils  d'homme  n'y  séjournera,  comme  cela 
«  arriva  dans  la  subversion  de  Sodome  et  de  Go- 
«  morrhe  et  de  leurs  lieux  circonvoisins '^  » 

«  Ainsi  a  dit  le  Seigneur  l'Eternel:  J'étendrai 
«  ma    main    sur   Edom ,  j'en    retrancherai   les 

(78)  Esaïe,  XXXIX,  5,  10-17. 

(79)  Jérémie,  XLIX,  7-10-12,  13,  15-18. 

11. 


260  ÉDOM.  CH.  XII. 

«  liomnies  et  les  hètcs,  et  je  le  réduirai  en  dé- 
«  sert;  depuis  Tliéuian  ils  loinberontpar  l'épée"^ 
«  La  parole  de  TEternel  me  fui  eneore  adressée  et 
«  il  me  dit  :  Fils  d'homme,  tourne  ta  face  contre 
^'  la  montagne  de  Séhir  et  prophétise  contre  elle, 
«  etiuidis:  AinsiaditleSeigneurrEternel:  J'éten- 
«  drai  ma  main  contre  toi  et  je  te  réduirai  en  dé- 
«  solation  et  en  désert,  je  réduirai  tes  villes  en 
«  déserts  et  tu  ne  seras  que  désolation  ^*.  Je  ré- 
<<  duirai  la  montagne  de  Séhir  en  désolation  et  en 
«  désert,  et  je  retrancherai  d'elle  les  allants  et 
«  les  venants  ^'\  Je  te  réduirai  en  désolations  éter- 
«  nelles  et  tes  villes  ne  seront  plus  habitées  ^^ 
«  Lorsque  toute  la  terre  se  réjouira,  je  te  réduirai 
^<  en  désolation.  Tu  seras  désolée,  ô  montagne  de 
c<  Séhir,  et  même  toute  Tldumée  entièrement;  on 
«  connaîtra  que  je  suis  TEternel  ^^,  Idumée  sera 
«  réduite  en  désert^"  à  cause  de  trois  crimes  d'E- 
«  dom ,  même  à  cause  de  quatre;  je  ne  révoque- 
nt rai  point  ceci^^.  »  —  «  Ainsi  a  dit  le  Seigneur  l'E- 
«  teroel  touchant  Edom  :  Voici ,  je  te  rendrai  petit 
«  entre  les  nations  et  tu  seras  fort  méprisé.  L'or- 
«  gueil  de  ton  cœur  te  trompe,  toi  qui  habites 
«  dans  les  fentes  des  rochers ,  qui  sont  ta  haute 
«  demeure.  Je  ferai  périr  les  sages  au  milieu 
«  d'Edom ,  et  la  prudence  dans  la  montagne  d'E- 
u  saii.  La  maison  de  Jacob  possédera  ses  posses- 
((  sions,  mais  il  n'y  aura  rien  de  reste  dans  la 
«  maison  d'Esaù^^  J'ai  mis  les  montagnes  d'Esaii 
«  en  désolation  et  exposé  son  héritage  aux  dra- 
X  gons  du  désert.  Que  si  Edom  dit  :  Nous  avons 
«  été  appauvris,  mais  nous  retournerons,  nous 
«  rebâtirons  les  villes  ruinées;  ainsi  a  dit  l'Eter- 

(80j  Ezéchiel,  XXV,  13.  —  (8J)Ibid.,  XXXV,  1-4. 

(82)  Ibid.,  7.  —  (83)  Ibid.,  XXXV,  9.  —  (84)  Ibid.,  14-15. 

(85)  Joël ,  m,  4  9.  —  (86)  Amos,  I,  dl. 

(87)  Abdias,  I,  d-3,  8,  17,  18. 


0      , 

CH.  Xlt.  ÉDOM.  251 

«  nel  des  armées  :  Ils  rebâtiront ,  mais  je  les  dé- 
«  détruirai  et  on  les  appellera  le  pays  de  mé- 
«  chanceté  ^^  » 

Existe-t-il  donc  quelque  part  un  pays  jadis  riche 
et  peuplé  qui  ait  été  frappé  d'un  tel  excès  de 
désolation?  Oui^  et  ce  pays  estridumée^  et  le 
territoire  des  descendants  d'Esaû  nous  offre  une 
preuve  aussi  frappante  de  la  divine  autorité  des 
Ecritures ,  que  Ta  déjà  fait  le  sort  des  enfants 
d'Israël.  L'Idumée  était  située  au  sud  de  la  Judée 
et  deMoab;  elle  confinait  à  l'est  avec  l'Arabie 
Pétrée^  nom  sous  lequel  elle  a  été  englobée  dans 
la  dernière  partie  de  son  histoire,  et  elle  s'éten- 
dait au  sud  jusqu'au  golfe  oriental  de  la  Mer- 
Rouge.  Un  seul  extrait  de  Volney  fera  ressortir 
également  et  la  vérité  de  la  prophétie  et  le  fait  qui 
en  est  l'accomplissement  :  Ce  pays  n'a  été  visité 
par  aucun  voyageur  ;  cependant  il  mériterait  de 
l'être  ;  car  d'après  ce  que  j'ai  ouï  dire  aux  Arabes 
de  Bàkir  et  aux  gens  de  Gaza  qui  vont  à  Màân  et 
au  Karak  sur  la  route  des  pèlerins,  il  y  a  au  sud-est 
du  lac  Asphaltite  (la  Mer-Morte),  dans  un  espace 
de  trois  journées,  plus  de  trente  villes  ruinées, 
absolument  désertes.  Plusieurs  d'entre  elles  ont 
de  grands  édifices,  avec  des  colonnes  qui  ont  pu 
être  des  temples  anciens,  ou  tout  au  moins  des 
églises  grecques.  Les  Arabes  s'en  servent  quelque- 
fois pour  parquer  leurs  troupeaux  ;  mais  plus  sou- 
vent ils  les  évitent,  à  cause  des  énormes  scorpions 
qui  s'y  trouvent.  On  ne  doit  pas  s'étonner  de  ces 
traces  de  population,  si  l'on  se  rappelle  que  ce  fut 
là  le  pays  des  Nabathéens  qui  furent  les  plus  puis- 
sants des  Arabes,  et  des  Iduméens  qui,  dans  le  der- 
nier siècle  de  Jérusalem,  étaient  presque  aussi 
nombreux  que  les  Juifs;  témoin  le  trait  cité  par 

(88)  Malachie,  I,  3,  4. 


262  ÉDOM.  eu.  XH, 

Josèplie,  (j[ui  dit  qu'au  bruit  de  la  marche  de 
Titus  contre  Jérusalem  il  s'assembla  tout-à-coup 
trente  mille  Idumécns  qui  se  jetèrent  dans  la 
ville  pour  la  défendre. 

Il  paraît  qu'outre  un  assez  bon  gouvernement 
ces  cantons  eurent  encore  pour  mobile  d'activité 
et  cause  de  population  une  branche  considérable 
de  commerce  de  l'Arabie  et  de  l'Inde.  On  sait  que 
dès  le  temps  de  Salomon  les  villes  d' A  stioum-Gâber 
(Esion-Gâber)  et  d'Aïlah  (Eloth)  en  étaient  deux 
entrepôts  très  fréquentés  ;  ces  villes  étaient  situées 
sur  le  golfe  adjacent  de  la  Mer-Rouge,  où  Ton 
trouve  encore  la  seconde  avec  son  nom ,  et  peut- 
être  la  première  dans  el'Agabé  ou  /a  ^n( de  la  mer). 
Ces  deux  lieux  sont  entre  les  mains  des  Bédouins 
qui,  n'ayant  ni  marine  ni  commerce,  ne  les  habitent 
point  ;  mais  les  pèlerins  du  Kaire  qui  y  passent  rap- 
portent qu'il  y  a  à  el-Agabé  un  mauvais  fort^^  Les 
Iduméens,  à  qui  les  Juifs  n'enlevèrent  ces  ports 
que  par  époques  passagères,  durent  en  tirer  de 
grands  moyens  de  population  et  de  richesse  ;  il  pa- 
raît même  qu'ils  rivalisèrent  avec  les  Tyriens  qui 
possédaient  en  ces  cantons  une  ville  dont  le  nom 
est  inconnu,  sur  la  côte  de  VHedjaz,  dans  le  désert 
de  Tih,  la  ville  de  Faran,  et  sans  doute  el-Tor, 
qui  lui  servait  de  port.  Délaies  caravanes  pou- 
vaient se  rendre  en  Palestine  et  en  Judée  (  en 
traversant  l'Idumée)  dans  l'espace  de  huit  à  dix 
jours;  cette  route,  plus  longue  que  celle  de  Suez  au 
Kaire,  l'est  infiniment  moins  que  celle  d'Alep  à 
Basra  ^^ 

Voilà  un  témoignage  qui  n'admet  pas  le  plus 
léger  doute  sur  son  impartialité  ;  il  est  impossible 
d'y  rien  trouver  à  redire,  et  cependant  elle  pèse 
de  tout  son  poids  en  faveur  de  la  véracité  de  ces 

(89)  Ce  port  appartient  maintenant  au  pacha  d'Egypte. 
(90)Volney,  eh.  xxxr,  p.  317,  318,  319. 


CH.  Xfl.  ÉDOM.  253 

pi  ophéties  extraordinaires.  Q  ue  les  Iduméens  aient 
été  une  nation  nombreuse  et  puissante  plusieurs 
siècles  après  rémission  des  prophéties  ;  qu'ils  aient 
eu,  de  même  au  jugement  de  Volney,  un  assez  bon 
gouvernement;  que  Tldumée  ait  contenu  un  grand 
nombre  de  villes  ;  que  ces  villes  soient  aujourd'hui 
absolument  désertes  ;  que  leurs  ruines  soient  le 
repaire  des  scorpions;  que  les  Iduméens  aient  été 
une  nation  commerçante  et  aient  possédé  des  en- 
trepôts  très  fréquentés;  que  ce  pays  offre  pour 
aller  aux  Indes  une  route  plus  courte  que  le  che- 
min ordinaire ,  et  que  cependant  il  n'ait  été  visité 
par  aucun  voyageur  ;  ce  sont  autant  de  faits 
avancés  et  prouvés  par  le  témoignage  involon- 
taire de  l'habile  auteur  des  Ruines. 

L'Idumée  avait  été  constituée  en  royaume 
longtemps  avant  que  celui  d'Israël  existât  ;  elle 
avait  été  gouvernée  d'abord  par  des  chefs  et  des 
princes ,  ensuite  successivement  par  huit  rois , 
plus  tard  encore  par  des  chefs ,  avant  qu'aucun 
roi  eût  régné  sur  les  enfants  d'Israël  ^* .  Sa  ferti- 
lité et  sa  civilisation  se  trouvent  clairement  indi- 
quées non-seulement  dans  la  bénédiction  d'Esaii 
dont  la  demeure  devait  être  «  au  milieu  d'un  terroir 
gras,  arrosé  de  la  rosée  des  cieux  d'en  haut  » ,  mais 
aussi  dans  la  condition  que  fît  Moïse  lorsqu'il  solli- 
cita pour  les  Israelites  la  permission  de  traverser 
les  frontières  :  «  Nous  ne  passerons  point,  dit-il, 
par  les  champs  ni  par  les  vignes  ;  »  et  encore  dans 
le  tableau  qui  nous  est  fait  de  la  richesse  et  des 
troupeaux  que  possédait  un  individu  de  ce  pays , 
à  une  époque  probablement  très  éloignée  ^^  Il  n'y 
a  aucun  doute  que  les  Iduméens  ne  fussent  un 
peuple  riche  et  puissant.  Ils  faisaient  souvent  la 
guerre  aux  Israelites  et  se  liguèrent  contre  eux 

(91)  Genèse,  XXXVI,  3i-/i3. 

(92)  Ibid.,  XXVII,  39.  —  Nombres,  XX,  ^7.  —  Job,  XLII,  42. 


2o4  ÉDOM  (H.  XII. 

aveclenrsauln^scnnoinis.  David  les  souniilet  les 
lit  beaucoup  souffrir;  i^rand  noinhre  d'entre  eux 
furent  dispersés  dans  les  contrées  ad  jacentcîs,  par- 
liculièrenient  dans  la  Pliénicie  et  dans  TEf^ypte. 
Mais  pendant  la  décadence  du  royaume  de  Judée, 
et  déjà  quelques  années  avant  sa  chute ,  les  Idu- 
méens  s'emparèrent  d'une  partie  du  territoire  des 
Juifs  et  étendirent  leurs  possessions  au  sud-ouest 
de  la  Judée.  Et  quoique  maintenant  aucune  gloire 
ne  s'attache  au  nom  de  l'Idumée,  qui  n'existe  plus 
que  dans  l'histoire  ancienne,  cependant  le  premier 
des  poètes  de  Rome  ne  la  jugea  pas  indigne  de 
ses  louanges  : 

Primu^Idiiinaeas  referam  tibi,  Mantua,  palmas. 
Virg.jGéorg.,  III,  12. 

Et  Lucain  en  dit  : 


Arbustis  palmarum  dives  Idume. 

Pharsah,  III,  216. 

L'Idumée ,  comme  royaume ,  peut  pourtant 
montrer  ses  titres  à  une  plus  grande  célébrité 
que  celle  que  put  lui  procurer  la  multitude  de 
ses  troupeaux  ou  la  beauté  de  ses  palmiers. 

La  célèbre  ville  de  Pétra,  nommée  ainsi  par  les 
Grecs  à  cause  de  son  site  rocailleux ,  était  située 
dans  le  territoire  du  pays  d'Edom  ^\  Il  y  a  des 

(93)  Le  nom  de  celte  capitale,  dans  toutes  les  différentes  langues, 
signifie  rocher  ou  roc,  et  c'est  ainsi  que  Strabon,  Edrissi  et  les  SS. 
Ecritures  en  parlent.  La  Pétrée,  dit  Bochart,  tire  son  nom  de  sa 
capitale,  Pétra,  en  hébreu  Sélah  et  en  arabe  Hagar.  Cette  ville  fut 
ainsi  nommée  à  cause  des  rochers  et  des  montagnes  qui  la  domi- 
naient. La  population  arabe  dit  encore  aujourd'hui  que  les  maisons 
de  Pétra  étaient  toutes  bâties  dans  le  roc.  Bochart,  Phaleg.,  1.  IV, 
c  cxxvii,  édit.  Lugd.  1712. 

Par  rapport  à  Tallégorie  dont  parle  saint  Paul  (  Galates,  IV,  25), 
comme  Ta  remarqué  Josèphe,  il  est  intéressant  de  savoir  que  les 
Nabathéens  étaient  les  descendants  d'Ishmaël,  fils  d'Hagar.  Or,  la 
prophétie  qui  menace  Edom  d'une  perpétuelle  désolation  peut  ser- 
vir de  commentaire  à  l'allégorie  dont  nous  venons  de  parler;  et 
cette  allégorie  elle-même  serait  un  véritable  enseignement,  si ,  pénc- 


€H.  XU.  ÉDOM.  255 

preuves  certaines  qu'elle  était  une  des  villes 
d'Edoni  ^*  et  la  métropole  des  Nabathéens  ^  qui  ^  à 
ce  que  dit  Strabon^  formaient  une  même  nation  ^% 
et  que  les  Iduméens  possédaient  le  même  pays  et 
étaient  gouvernés  par  les  mêmes  lois®^  Le  docteur 
Vincent 5  en  parlant  de  l'ancien  commerce  de  Pétra^ 
avant  qu'on  eût  découvert  ses  ruines^  dit  :  Pétra 
est  la  capitale  d'Edom  ou  de  Séhir ,  l'Idumée  ou 
l'Arabie  Pétrée  des  Grecs ,  le  Nabathé  que  les 
géographes,  les  historiens  et  les  poètes  regardent 
comme  la  source  des  plus  précieuses  denrées  de 
l'Orient  ^^  A  toutes  les  époques  ,  les  caravanes 
venant  de  Minée  dans  l'intérieur  de  l'Arabie ,  et 
de  Gerrha  sur  le  golfe  persique,  et  d'Hadramaut 
vers  l'Orient,  ont  considéré  Pétra  comme  leur 
centre  commun.  Et  depuis  Pétra  le  commerce 
semblait  s'étendre  de  tous  côtés ,  vers  l'Egypte , 
la  Palestine,  la  Syrie,  par  Arsinoë,  Gaza,  Tyr, 
Jérusalem,  Damas,  et  nombre  d'autres  routes 
qui  aboutissaient  toutes  à  la  Méditerranée  ^^  Il  est 
très  facile  de  prouver  que  ce  sont  les  Tyriens  et 
les  Sydoniens  qui  ont  les  premiers  porté  les  pro- 
ductions des  Indes  à  toutes  les  nations  voisines 
de  la  Méditerranée,  et  qu'ainsi  les  Tyriens  tiraient 
toutes  leurs  denrées  de  l'Arabie.  Mais  si  l'Arabie 
était  le  centre  de  ce  commerce,  c'était  vers  Pétra 

tré  du  caractère  de  vérité  prophétique  qu'elle  présente,  le  lecteur 
voulait  faire  un  rapprochement  entre  l'état  moral  et  définitif  des 
enfants  de  la  femme  esclave  et  ceux  de  la  femme  libre. 

(94)  Comme  Pétra  deviendra  plus  tard  Tobjet  d'une  attention 
particulière,  on  peut  ici  citer  quelques  paroles  des  anciens  auteurs 
qui  se  rapportent  à  cette  ville.  Uir^y.  sv  -^yi  E^cùu.  ttj;  Apa^iocç. 
(Eusebii  Onomast.) 

Petra  Àrabiœ  internae  Edom  (Hiéron).  —  Vide  Relaadi  Palaesti- 
nam,  t.  I,  p.  70. 

(95)  Strabon,  1.  XVI,  p.  775,  édit.  de  Paris,  1620.— (96)lbid.,  760. 

(97)  Commerce  des  Anciens,  par  Vincent,  vol,  II,  p.  263. 

(98)  Agatharchides,  Huds,  p.  67.  —Hist.  nat.  de  Pline,  I.  VI, 
ch.    XVII I. 


2ô6  KDOM.  eu.  Xll. 

que  se  dirij»eaient  tous  les  Arabes  des  divers 
points  de  la  vaste  péninsule  ^^ 

Environ  800  ans  avant  Jésus-Christ,  Ama- 
zias,  roi  de  Judée,  s'empara  de  Sélah  ou  Pétra 
(ces  deux  mots  signifient,  l'un  et  l'autre,  rocher), 
après  avoir  tué  10,000  Edomites  *.  Cinq  cents  ans 
après ,  cette  ville  résista  aux  assauts  réitérés  de 
Démétrius,  qui  s'en  était  approché  à  l'impro- 
viste,  dans  l'espoir  de  la  prendre  par  surprise  ; 
et  ce  même  conquérant,  qui  plus  tard  parvint 
à  prendre  Babylone ,  se  vit  obligé  de  lever  le 
siège  de  la  capitale  d'Edom^  Pétra,  après  s'être 
soumise  aux  Arabes  Nabathéens ,  devint  la  capi- 
tale de  l'Arabie ,  ou  du  moins  de  l'Arabie  Pé- 
Irée  ;  et  les  rois  qui  y  régnèrent  sous  le  nom  d'O- 
bodas  et  d'Arétas  prirent  successivement  le 
titre  de  rois  d'Arabie.  Trois  cents  ans  après  le 
dernier  des  prophètes,  c'est-à-dire  environ  un 
siècle  avant  l'ère  chrétienne,  Alexandre  Jan- 
née ,  roi  de  Judée ,  après  s'être  emparé  de  plu- 
sieurs villes  de  l'Idumée  et  des  nations^  voisines , 
fut  défait  par  Obodas,  perdit  son  armée,  et  faillit 
lui-même  tomber  au  pouvoir  du  vainqueur.  Le 
deuxième  roi  de  Pétra  fut  Aretas,  successeur 
d'Obodas.  Ce  personnage  fameux  défit  et  tua 
Antiochus  Dionysius,  roi  de  Syrie ,  et  augmenta 
ses  états  en  y  joignant  la  Calésyrie.  Ce  fut  à  cette 
époque  qu'Hyrcan ,  fils  d'Alexandre ,  se  vit 
dépossédé  de  son  royaume  par  Aristobule ,  son 
frère  aîné.  Antipater,  riche  Iduméen,  et  père 
d'Hérode- le -Grand,  conseilla  à  Hyrcan  d'im- 
plorer le  secours  du  roi  d'Arabie ,  et  le  mena  à 
Pétra,  oil  était  situé  le  palais  d'Arétas  ". 

Hyrcan  s'étant   engagé,   aussitôt  qu'il  aurait 

(99)  Vincent,  p.  260,  262,  2Qli.  —  (1)  IL  Rois,  XIV,  7. 

(2)  Diod.  Sic,  t.  VIII.  —  Prideaux. 

(3)  Josèphe,  Ant.,  LXIV,  ch.  i.  §  /». 


CH.  XÎL  ÉDOM.  257 

reconquis  son  royaume  ^  à  rendre  les  douze  villes 
et  le  territoire  que  son  père  avait  enlevés  aux 
Arabes  ou  Nabathéens,  Aretas  s'avança  contre 
Aristobule  à  la  tête  de  50,000  hommes ,  et  le 
vainquit.  Il  se  dirigea  alors  sur  Jérusalem ,  oil, 
ayant  réuni  ses  forces  à  celles  des  Juifs ,  il  pressa 
vigoureusement  le  siège  du  temple ,  et  ne  le  leva 
qu'à  l'approche  des  Romains  qui  venaient  au  se- 
cours des  assiégés.  Au  dire  de  Strabon ,  Pétra , 
soit  avant ,  soit  après  l'ère  chrétienne  5  ne  cessa 
jamais  d'être  gouvernée  par  des  rois  de  la  race 
d'Obodas  ou  de  celle  d'Aretas;  seulement  ils 
s'associèrent  un  prince  ou  procurateur  5  avec  le 
titre  de  frère  ^.  Au  commencement  du  second 
siècle  5  Pétra,  bien  qu'elle  eût  perdu  son  indé- 
pendance 5  et  qu'elle  fût  alors  la  capitale  d'une 
province  romaine ,  était  toujours  réputée  la  mé- 
tropole de  l'Arabie  ;  et ,  comme  l'attestent  plu- 
sieurs médailles,  l'empereur  Adrien  ajouta  soa 
nom  à  celui  de  cette  ville  ^  Elle  fut  longtemps  la 
capitale  de  la  troisième  Palestine ,  Palestina  ter- 
tiana,  she  salutaris,  et ,  comme  telle ,  elle  était  le 
siège  métropolitain  des  quinze  villes  dont  cette 
province  se  composait  ®. 

L'ancien  état  de  l'Idumée  ne  peut  pas  être  aussi 
bien  constaté  de  nos  jours  par  les  récits  histo- 
riques qui  nous  restent  de  son  ancienne  splen- 
deur que  par  les  merveilleux  vestiges  que 
nous  trouvons  de  sa  capitale,  et  par  les  nom- 
breuses traces  de  villes  et  de  villages  qui  nous 
montrent  indubitablement  que  sa  population  était 
jadis  considérable  ^  —  «  Il  est  donc  clairement 


(4)Strabon,  p.  779. 

(5)  Pelra  est  Arabiaa  metropolis  ;  extant  numrai ,  in  quibus 
AAPIAINH  PETPA  MHTP0n0AI2  legitur,  etc  Relandi  Palestina, 
t.  II,  p.  931.  —  (6)  Ibid.,  1. 1,  p.  315. 

(7)  Burckhardt,  p.  /i36. 


2o8  ÉI)()\I.  CH.  XII. 

doiijontré  que  la  terre  d'Ecloiu  existait  dans  un 
état  bien  dilïérent  de  la  désolalion  universelle 
qui  la  caractérise  maintenant ,  et  qui  fut  annoncée 
par  les  prophètes  bien  des  siècles  avant  qu'elle 
arrivât  véritablement;  mais  de  plus,  il  y  a 
d'autres  prédictions  qui  se  rapportent  h  elle, 
surtout  celles  que  renferme  le  xxxiv®  chapitre 
d'Isaïe,  qui  parlent  des  temps  où  les  enfants  d'É- 
saii  la  posséderont  à  toujours,  et  aussi  de  Tannée 
de  rétribution  pour  soutenir  le  droit  de  Sion.  » 
Quelque  dangereux  qu'il  soit  maintenant  de  par- 
courir l'Idumée ,  quelque  difficile  qu'il  soit  de 
constater  la  vérité  des  faits  qui  la  concernent  et 
de  préciser  les  circonstances  de  son  état  actuel , 
cependant  on  est  parvenu  à  s'assurer  que  la 
malédiction  de  Dieu  est  tombée  sur  elle ,  que  sa 
sentence  s'estaccomplie,etque5  bienquel'homme 
lui-même  ait  été  l'instrument  entre  les  mains  du 
Tout-Puissant  pour  l'accabler  de  tant  de  fléaux, 
cependant  tout  est  en  parfait  accord  avec  les 
prédictions  des  prophètes  inspirés. 

Il  y  a  une  prophétie  relative  à  l'Idumée  qui 
doit ,  plus  que  toutes  les  autres ,  attirer  notre 
attention,  parce  qu'elle  explique  la  cause  de  la  dif- 
ficulté que  nous  trouvons  à  obtenir  une  connais- 
sance exacte  et  approfondie  de  l'état  Intérieur  du 
pays.  «  Il  n'y  aura  personne  qui  passe  par  elle  à 
«  jamais.  Je  réduirai  la  montagne  de  Séhir  en  dé- 
«  solation.  Je  retrancherai  d'elle  les  allants  et 
«  les  venants.  »  L'ancienne  importance  de  l'I- 
dumée dépendait  en  grande  partie  de  son  com- 
merce. Touchant  à  l'est  à  l'Arabie ,  et  à  l'Egypte 
au  sud-ouest,  et  formant  du  nord  au  sud  une 
voie  de  communication  directe  et  facile  entre 
Jérusalem  et  ses  possessions  sur  la  Mer-Rouge , 
entre  la  Syrie  et  les  Indes ,  par  les  vallées  d"El- 
Ghor  etd'El-Araba,  quis'étendaientpar  une  extré- 


CH.  XII.  EDOM.  259 

mité  jusqu'aux  bords  de  la  Mer-Rouge  5  et  par 
l'autre  jusqu'à  Elath  et  à  Esiongaber ,  sur  le  golfe 
élanitique  de  la  Mer-Rouge,  on  peut  regarder 
ridumée  comme  formée  pour  être  le  centre  du 
commerce  de  l'Orient.  Une  voie  romaine  traversait 
ridumée  depuis  Jérusalem  jusqu'à  Akaba,  et 
une  autre  d'Akaba  à  Moab  \  Quand  ces  routes 
furent  construites ,  plusieurs  siècles  antérieure- 
ment à  ces  prédictions  5  comment  aurait-il  été 
possible  de  concevoir  l'idée  qu'un  jour  viendrait 
oil  personne  n'y  passerait?  Plus  de  sept  cents 
ans  après  l'époque  de  cette  prophétie,  Stra- 
bon  rapporte  que  son  ami  Athénodore  le  philo- 
sophe, qui  visita  Pétra,  y  rencontra  plusieurs  Ro- 
mains et  d'autres  étrangers  ^  Cette  prédiction 
est  encore  plus  remarquable,  quand  on  la  lie  à 
une  autre  oîi  il  est  bien  entendu  que  des  voya- 
geurs «  traverseront  »  cette  contrée ,  puisqu'il  est 
dit  que  «  quiconque  passera  près  d'elle  sera 
«  étonné.  »  Et  les  routes  d'Hadji  (les  routes  des  pè- 
lerins )  depuis  Damas  jusqu'au  Kaire  et  la  Mè- 
que.  Tune  à  l'orient,  l'autre  au  sud  de  l'Idu- 
mée ,  touchent  à  la  frontière  dans  toute  son 
étendue;  on  la  côtoie  sans  traverser  le  pays. 

On  pourrait  croire  facilement  que  les  paroles 
de  la  prédiction  annoncent  seulement  que  l'I- 
dumée  cessera  d'être  le  centre  du  commerce 
de  beaucoup  de  nations,  et  que  ses  places  si  fré- 
quentées ne  seront  plus  des  entrepôts  de  luxe  et 
de  trafic;  et  il  ne  serait  pas  difficile  de  démontrer 
même  à  l'esprit  le  plus  sceptique  combien,  dans 
ce  sens  restreint,  la  prédiction  a  été  généralement 
accomplie.  Mais  le  fait  auquel  elle  se  rapporte 
exige  que  la  prophétie  soit  littéralement  comprise 
et  accomplie  dans  tous  ses  détails.  Le  fait  étant 

(8)  Cartes  des  Voyages  de  Burckhardr,  —  (9)  Strabon,  p.  775, 


2G0  EDOM.  Cfl.  Xll. 

en  lui-inèiiic  iiéi^atif ,  il  nécessite  un  examen  plus 
minutieux  et  plus  exact  que  s'il  s'était  agi  d'une 
observation  ou  d'une  découverte  qu'une  simple 
description  aurait  pu  prouver.  —  Ainsi  donc,  au 
lieu  de  nous  contenter  de  citer  telle  ou  telle  auto- 
rité ,  nous  allons  présenter  au  lecteur  des  preuves 
aussi  remarquables  que  les  prophéties,  et  qui  ten- 
dent involontairement  à  établir  l'exactitude  de  ce 
fait  pour  les  siècles  passés.  C'est  pour  les  siècles 
à  venir  qu'est  réservé  l'entier  accomplissement 
de  ces  prophéties. 

Volney,  qui  pénétra  à  l'ouest  de  l'Idumée,  fait 
la  remarque  que  ce  pays  n'a  jamais  été  visité 
par  aucun^voyageur,  et  cette  remarque,  qui  n'est 
que  la  répétition  de  ce  qu'il  a  ouï  dire  aux  Ara- 
bes de  cette  contrée,  n'a  pas  échappé  à  l'atten- 
tion du  lecteur.  —  Dès  que  Burckhardt  eut  mis 
le  pied  sur  le  territoire  des  Iduméens,  dont 
il  marque  exactement  les  limites ,  il  dit  qu'il  se  vit 
sans  protection  au  milieu  d'un  désert  oii  aucun 
voyageur  n'avait  pénétré  avant  lui  *^.  Pour  la  pre- 
mière fois  pendant  tout  le  cours  de  ses  voyages , 
il  eut  un  sentiment  de  crainte,  et  sa  route  était 
la  plus  périlleuse  qu'il  eût  jamais  parcourue  **. 
M.  Joliffe,  qui  visita  les  bords  septentrionaux  de 
la  Mer-Morte,  en  parlant  de  la  contrée  qui  s'étend 
au  sud ,  dit  que  c'est  une  des  parties  les  plus  sau- 
vages et  les  plus  dangereuses  de  l'Arabie.  Il 
ajoute  qu'il  était  impossible  d'y  faire  aucune  re- 
cherche '^  —  Sir  Frédéric  Henniker,  dans  ses 
notes  datées  du  mont  Sinaï,  au  sud  de  l'Idumée, 
rend  un  témoignage  éclatant  à  l'accomplissement 
de  la  prophétie  5  tout  en  racontant  un  fait  qui 
d'abord  y  semblerait  contraire.  «Seetzen  imagina 
d'écrire  sur  un  morceau  de  papier  collé  contre  le 

(10)  Burckhardt,  p.  421.  —  (11)  Ibid.,  p.  400. 
(12)  Lettres  sur  la  Palestine,  vol,  I,  p.  129. 


CÏI.  Xli.  ÉDOM,  261 

mur  5  qu'il  a  traversé  le  pay%  en  ligne  droite  ^ 
entre  la  Mer-Morte  et  le  mont  Sinaï  (  à  travers 
ridumée  )  «  voyage  que  personne  n'avait  encore 
fait  ^^  » .  Cette  nouvelle  fut  d'autant  plus  intéres- 
sante pour  moi ,  que  déjà  je  m'étais  décidé  à  ten- 
ter la  même  route ,  qui  me  parut  devoir  être  la 
«  plus  courte  5  »  pour  me  rendre  à  Jérusalem.  Le 
chevalier  Frediani,  que  j'avais  rencontré  en 
Egypte  5  voulut  me  persuader  qu'elle  était  impra- 
ticable ^  qu'il  avait  lui-même  eu  cette  intention^ 
et  qu'après  un  délai  de  cinq  semaines  il  s'était  vu 
forcé  de  renoncer  à  son  entreprise.  —  Pendant 
que  j'étais  encore  occupé  de  ce  chiffon  de  papier^ 
le  supérieur  vint  me  rendre  visite;  il  me  dit  en- 
core que  mon  projet  était  impraticable  ^  mais  à  la 
fin  il  promit  de  me  chercher  des  guides.  — J'avais 
essayé  en  vain  de  persuader  à  ceux  qui  m'avaient 
conduit  depuis  Edom  de  m'accompagner  dans  ma 
nouvelle  route.  L'idée  du  danger  les  effrayait.» 
Il  trouva  enfin  des  guides,  qui  à  force  de  prières 
et  d'argent  5  promirent  de  le  conduire  par  la 
route  qu'il  voulait  faire;  mais  enfin ,  subjugués 
par  leurs  craintes ,  ils  le  trompèrent  et  le  menè- 
rent vers  la  côte  de  la  Méditerranée ,  à  travers 
le  désert  de  Gaza  *\ 

Il  nous  reste  encore  à  donner  le  détail  des 
nombreuses  difficultés  que  le  voyageur  rencontre 
aussi  sur  une  autre  route,  qui  semble  la  plus  di- 
recte et  la  plus  rapprochée  de  la  Judée,  lorsqu'il 
veut  pénétrer  dans  l'ancien  royaume  d'Idumée  ; 
difficultés  qui  ne  se  rencontreraient  probablement 
dans  aucune  autre  partie  de  l'Asie,  et  certai- 
nement dans  aucune  autre  partie  du  monde.  Les 
capitaines  Irby  et  Mangles,  ayant  échoué  dans 
toutes  leurs  tentatives  pour  obtenir  le  consente- 

(iS)Burckhar(]t,p.  553. 

(i4)  Voyages  de  sir  Frederic  Henuiker,  p.  223-22a. 


262  ÉDOM.  CH.    XII. 

ment  ou  \v  secours  des  aulorilés  j)iil)liques  de 
ConslanUnople,  Damas ,  Jérusalem  et  Jaffa,  et 
quoique  avertis  du  danj^er  qu'ils  auraient  à  cou- 
rir de  la  part  des  Arabes  sauvages  et  faux,  se  dé- 
cidèrent h  visiter  seuls  les  ruines  de  Pétra;  s'étant 
pourvus  de  chevaux  et  de  munitions,  et  vêtus  de 
costumes  arabes ,  au  nombre  de  onze ,  y  compris 
les  domestiques  et  les  guides,  ils  se  décidèrent 
à  tenter  fortune  auprès  du  clieik  d'Hébron.  Il 
commença  par  leur  promettre  ce  qu'ils  deman- 
daient ,  puis ,  «  effrayé  à  la  pensée  de  sa  propre 
témérité,  »  il  leur  refusa  et  secours  et  protection. 
—  On  offrit  en  vain  de  l'argent  aux  guides.  —  Il 
fut  donc  impossible  de  trouver  la  moindre  faci- 
lité '^ 

Nous  avons  encore  une  preuve  de  la  difficulté 
qui  existe  non  pas  pour  traverser  l'Idumée  (  les 
voyageurs  n'y  ont  jamais  songé),  mais  pour  entrer 
sur  son  territoire ,  dans  la  conduite  d'une  tribu 
arabe  qui  offrit  plus  tard  de  les  accompagner  et 
de  les  protéger  jusqu'à  Kerek,  à  un  prix  assez 
raisonnable,  mais  qui  se  refusa  nettement  et  posi- 
tivement à  les  conduire  à  aucun  pays  au-dedans 
des  limites  d'Edom.  —  Nous  leur  offrîmes  500 
piastres  pour  nous  conduire  à  Wady  Mousa;  mais 
rien  ne  put  les  y  déterminer.  Ils  nous  dirent  qu'ils 
n'iraient  pas,  quand  nous  leurs  donnerions  5,000 
piastres,  parceque,  disaient-ils,  de  quoi  sert  l'ar- 
gent à  un  homme  qui  perd  la  vie  *^  ?  Ayant  à  la 
fin  obtenu  la  protection  d'un  chef  arabe  intré- 
pide et  de  sa  suite,  les  voyageurs  arrivèrent  jus- 
qu'aux frontières  de  l'Idumée  ;  mais  alors  leur 
marche  fut  arrêtée  de  la  manière  la  plus  dé- 
cidée et  la  plus  menaçante.  Le  cheik  de  Wady 

(15)  Voyages  à  Constantinople  en  1813,  par  Macmichael.  Ap- 
pendix, p.  1 99. 

{\6)  Irbv  et  Mangles  p.  349. 


(M.  X!î.  ÉDOM.  263 

Mousa  et  son  peuple  firent  serment  qu'ils  ne  leur 
permettraient  pas  d'avancer,  et  qu'ils  ne  leur  lais- 
seraient pas  boire  de  leur  eau,  ni  passer  par  leur 
territoire.  Le  chef  arabe  qui  les  avait  pris  sous  sa 
protection  jura  de  son  côté  qu'ils  boiraient  de 
l'eau  de  Wady  Mousa,  et  qu'ils  iraient  oîi  bon  lui 
semblerait. 

Plusieurs  jours  se  passèrent  ainsi  en  prières, 
en  intrigues  et  en  menaces;  tout  fut  également 
infructueux.  La  détermination  et  la  persévérance 
de  l'un  des  partis  furent  égalées  par  la  résistance  et 
l'opiniâtreté  de  l'autre.  Les  artifices ,  les  argu- 
ments et  les  mensonges  d'Abou  Raschid,le  chef 
intrépide  qui  avait  pris  les  voyageurs  sous  sa 
protection ,  et  dont  rien  ne  pouvait  dompter  l'o- 
piniâtreté, ayant  manqué  leur  but ,  il  envoya  des 
messagers  vers  tous  les  camps  soumis  à  son  in- 
fluence, rejeta  toute  espèce  d'arrangement  avec 
l'ennemi,  résista  aux  remontrances  de  ses  servi- 
teurs ,  et  se  décida  à  faire  par  force  ce  qu'il  avait 
juré  d'accomplir.  —  A  la  fin  cependant  on  per- 
mit aux  voyageurs  de  poursuivre  en  paix  leur 
route  ;  on  leur  accorda  un  court  espace  de  temps 
pour  visiter  les  ruines;  mais  on  apercevait  de 
tous  côtés  sur  les  hauteurs  des  troupes  d'Arabes 
qui  épiaient  leurs  mouvements.  —  Abou  Ras- 
chid  lui-même  en  fut  effrayé;  il  avait  perdu  son 
calme,  et  priait  les  voyageurs  de  partir.  Il  y  eut 
donc  beaucoup  de  choses  qu'il  leur  fut  impossible 
de  visiter;  et  même  on  ne  leur  accorda  pas  le 
temps  de  visiter  les  ruines  d'un  grand  temple 
qu'on  apercevait  dans  le  lointain. —  Ils  ne  pas- 
sèrent pas  par  l'Idumée. 

Ainsi,  Volney ,  Burckhardt,  Joliffe,  Henniker,  et 
les  capitaines  Irby  et  Mangles,  non-seulement  ren- 
dent témoignage  de  la  vérité  du  fait  qui  est  l'accom- 
plissement de  la  prophétie,  mais  encore  racontent 


264  ÈDOM.  CH.  XIL 

une  variété  de  circonstances  qui  [)r()uvent  toutes 
que  riduuiée,  si  longtemps  le  rendez-vous  de  tou- 
tes les  nations,  est  maintenant  environnée  de  dan- 
gers pour  tous  les  voyageurs  qui  veulent  «  y  pas 
ser  »  ;  les  Arabes  même  qui  habitent  aux  environs, 
et  qui  sont  accoutumés  aux  dangers  du  désert, 
craignent  de  pénétrer  dans  l'intérieur  ou  d'y  con- 
duire des  étrangers.  Cependant,  dans  aucun  des 
différents  récits,  on  ne  trouve  une  seule  allusion 
aux  prophéties  de  la  Bible,  et  ce  témoignage  est 
aussi  peu  suspect  et  aussi  indépendant  qu'il  est 
abondant  et  clair. 

Il  y  eut  peu  de  pays  aussi  fréquentés  que  le  fut 
pendant  longtemps  l'Idumée,  et  peu  de  villes 
aussi  renommées ,  comme  centre  de  commerce , 
que  l'était  sa  capitale  ;  et  depuis  un  grand  nombre 
de  siècles  il  n'y  a  point  de  pays  qui  soit  aussi 
abandonné,  ou  plus  complètement  privé  des  avan- 
tages de  la  civilisation  et  du  commerce  ^\  Qui  au- 
rait pu  prévoir  et  prédire  un  tel  contraste  si  ce  n'est 
Celui  dont  la  prescience  est  parfaite^  en  toutes 
choses?  Mais  quoique,  depuis  des  siècles,  per- 
sonne ne  passe  par  ce  pays,  cependant  le  sens  de 
la  prédiction  indique  clairement  que  cet  état  de 
désolation  devait  être  connu,  et  que  le  temps 
viendrait  oîi  des  personnes  visiteraient  le  pays ,  et 
qu'on  y  trouverait  l'accomplissement  de  toutes  les 
autres  prophéties  qui  le  regardent. 

L'époque  à  laquelle  se  rapportent  toutes  les 
malédictions  prononcées  contre  Edom ,  c'est-à- 
dire  «  l'année  de  rétribution  pour  maintenir  le 
droit  de  Sion  »  (Esaïe,  xxxiv,  8),  n'est  pas  encore 

(17)  La  peste  faisait  de  grands  ravages  parmi  les  fellahs  de 
Wadi-Mousa,  à  répoqueoù  MM.  de  Laborde  et  Linart  visitèrent 
la  Péliée.  Cependant  des  menaces  continuelles  leur  étaient  faîtes, 
et  ils  ne  jugèrent  pas  prudent  d'y  séjourner  au-delà  d'une  huitaine 
de  jours;  aprCs  quoi,  ils  se  mirent  en  route  pendant  la  nuit,  de 
peur  Qu'oîi  ne  leiu'  erJovàt  le  fruit  de  tous  leurs  travaux. 


CH.  XfK  ÈDOM.  265 

venue  5  et  ridumée  doit  être  encore  le  théâtre 
d^'autres  jugements  qui  fondront  en  même  temps 
sur  toutes  les  nations  et  sur  toutes  les  armées,  et 
auxquels  tout  le  monde  habitable  est  sommé  de 
prêter  Toreille.  (Esaïe,  xxxiv,  1-10). 

«  L'Idumée  sera  désolée  de  génération  en  gé- 
«  nération.  »  —  La  Judée ,  le  pays  d'Ammon  et 
celui  de  Moab  présentent  de  si  abondantes  preuves 
de  leur  ancienne  fertilité,  qu'un  esprit  réfléchi  se 
demande  comment  les  efforts  de  l'homme  ont  pu 
parvenir  a  paralyser  pendant  tant  de  siècles  tous 
les  efforts  de  la  nature.  Mais  la  désolation  de 
ridumée  est  tellement  complète  que  l'on  com- 
mence tout  d'abord  par  s'étonner  de  ce  qu'une 
aussi  vaste  région,  entièrement  sauvage  et  dé- 
serte, ait  jamais  été  couverte  de  villes,  et  habitée 
pendant  des  siècles  par  un  peuple  riche  et  puissant. 
Son  aspect  actuel  donnerait  un  démenti  formel  h 
son  ancienne  histoire ,  si  la  véracité  de  cette  his- 
toire n'était  démontrée  par  des  restes  d'une  an- 
cienne culture,  par  des  vestiges  de  murs  et  des 
routes  pavées,  et  par  les  ruines  de  villes  que 
Ton  retrouve  partout  sur  le  sol  de  ce  pays  dé- 
vasté. 

Beaucoup  de  circonstances  ont  contribué  comme 
autant  de  causes  à  rendre  complète  la  désolation 
d'Edom  ;  l'anéantissement  de  tout  commerce ,  l'ab- 
sence de  moyens  artificiels  pour  arroser  les 
vallées ,  la  destruction  de  toutes  les  villes ,  le 
dépouillement  du  pays  par  les  Arabes,  tant  qu'il  y 
a  eu  quelque  chose  de  reste,  l'effet  des  rayons 
ardents  du  soleil,  depuis  un  grand  nombre  de 
siècles ,  sur  un  sol  que  n'ombragent  pas  même 
les  plus  petits  arbustes,  l'envahissement  con- 
tinuel du  terrain  par  le  sable  de  la  Mer-Rouge, 
ce  qui  a  absorbé  toute  l'humidité ,  et  dessé- 
ché pendant  l'été  les  petites  sources  et  les  ruis- 

12 


266  ÉDOM.  (Al,  XH. 

seaux;  toutes  ces  causes  ont  concouru  à  rendre 
«  Edovn  désolé  de  ^a^nération  en  génération.  » 

LerécitquenousfaitVolney  prouve  combien  en 
effet  cette  désolation  est  complète^  et  Seetzen, 
d'après  ce  qu'il  parvint  a  apprendre  à  Jérusalem, 
en  rend  le  même  témoignage  *".  Depuis  les  fron- 
tières d'Edom,  les  capitaines  Irby  et  Mangles  ne 
virent  qu'une  vaste  étendue  qui  frappe  le  voyageur 
par  son  lugubre  et  singulier  aspect  de  désert.  — 
L'extrait  suivant,  dans  lequel  Burckhardt  décrit  ce 
qu'il  a  vu  dans  diverses  parties  de  l'Idumée,  ne 
saurait  être  mieux  analysé  que  par  les  paroles 
mêmes  du  prophète.  En  parlant  de  ses  limites 
orientales  et  de  l'Arabie  Pétrée,  Burckhardt  dit  : 
On  pouvait  avec  justesse  la  nommer  Pétrée,  non- 
seulement  à  cause  de  ses  montagnes  rocailleuses, 
mais  encore  à  cause  de  la  plaine  élevée  dont  j'ai 
déjà  parlé,  et  qui 5  couverte  d'énormes  pierres, 
ressemble  à  un  désert,  quoiqu'elle  soit  susceptible 
de  culture  ;  de  distance  en  distance  elle  est  parse- 
mée de  plantes  sauvages;  sans  doute  qu'autrefois 
elle  était  fort  peuplée ,  car  on  trouve  partout  sur 
la  route  d'Hadj  beaucoup  de  restes  de  villes  et  de 
villages,  entre  Maan  et  Akaba  aussi  bien  qu'entre 
Maan  et  les  plaines  d'Hauran,  oii  l'on  rencontre 
aussi  beaucoup  de  sources  d'eaux.  Maintenant 
toute  cette  contrée  est  déserte, et  Maan  (Théman)  *^ 
est  le  seul  endroit  habité  qui  s'y  rencontre  *^ 
«  J'étendrai  ma  main  sur  toi,  ô  montagne  de 
«  Séhir,  je  te  réduirai  en  désolation  et  en  désert  ; 
«  j'étendrai  ma  main  sur  Edom  et  je  la  réduirai 
«  en  désert  depuis  Théman.  » 

Dans  l'intérieur  del'Idumée,  oiil'on  voit  encore, 
dit  Burckhardt,  les  ruines  de  quelques  anciennes 

(18)  Seelzen,  p.  46. 

(19)  Voyez  la  Carte  des  Voyages  de  Burckhardt. 

(20)  Burckhardt,  p.  436. 


CH.  XII.  ÉDOM.  267 

villes ,  et  dans  toute  la  grande  vallée  qui  s'étend 
depuis  la  Mer  -  Rouge  jusqu'à  la  Mer  -  Morte , 
et  qui  sans  doute  présentait  autrefois  un  aspect 
bien  différent,  toute  l'ancienne  plaine  n'offre  à 
l'œil  qu'une  étendue  de  sables  mouvants ,  dont 
la  surface  uniforme  n'est  inte  rrompue  que  par  de 
légères  ondulations  et  par  de  petites  collines. 
11  paraîtrait  que  ce  sable  a  été  apporté  des 
bords  de  la  Mer  -  Rouge  par  les  vents  du  sud , 
et  les  Arabes  m'ont  dit  qu'au  delà  de  la  latitude 
d'Ouadi  Mousa  les  vallées  présentaient  le  même 
aspect.  Il  y  a  des  endroits  de  la  vallée  oîi  le  sable 
est  très  profond;  il  ne  reste  plus  le  moindre  ves- 
tige de  l'art  ou  du  passage  de  l'homme;  quelques 
arbres  croissent  au  milieu  du  sable;  mais  la  pro- 
fondeur de  ce  sable  s'oppose  à  toute  apparence  de 
végétation  ou  d'herbe.  «  S'il  était  entré  chez  toi 
«  des  vendangeurs,  ne  t'auraient-ils  point  laissé 
«  de  grapillage?  des  larrons  de  nuit  n'auraient 
«  pris  que  ce  qui  leur  aurait  suffi  ;  mais  j'ai  fouillé 
«  Esaû.  »  En  remontant  les  plaines  à  l'occident, 
plus  élevées  que  celle  de  l'Arabie,  nous  eûmes 
devant  les  yeux  une  immense  étendue  de  pays 
désert,  entièrement  couvert  de  cailloux  noirs; 
çà  et  là  se  dessinait  une  petite  ligne  de  coteaux  ^\ 
«  J'étendrai  sur  l'Idumée  le  cordeau  de  confusion 
«  et  le  niveau  du  désordre.  » 

Dans  la  description  que  Burckhardt  fait  des  dif- 
férentes villes  de  l'Idumée,  il  parle  des  ruines 
d'une  grande  cité  dont  il  ne  reste  que  des  débris 
de  murailles  et  des  monceaux  de  pierres,  de 
celles  de  plusieurs  villages  des  environs  ^%  d'une 
ancienne  ville  construite  en  blocs  taillés  de 
pierre  siliceuse,  et  des  ruines  considérables  de 
Gherandel  Arindela ,  une  des  villes  de  la  «  Pa- 

(21)  Burckhardt,  p.  442,  444.  — (22)  Ibid.,  418 


268  ÉDOM.  en.  XII. 

Lnestina  Tertia  »  ^'\  Il  éniimère  les  cndroils suivante 
dans  le  DJcl)al  Shera  (  Mont  Séliir  ),  au  sud  et  au 
sud-ouest  d'Ouadi  Mousa  :  Kalaat,  Djerha,  Basta, 
Eyl,  Fcrdakli,  Anyk,  Bir  el  Beytar,  Shemakli  et 
Syk.  Thoana  exceptée ,  il  ne  reste  pas  vestige 
des  villes  ^^  indiquées  dans  la  carte  de  d'An- 
ville  ''. 

M.  de  Laborde  a  passé  sur  les  ruines  d'Elana, 
ville  de  l'Ouadi  (vallée)  Pambouchebe;  il  a  passé 
sur  celles  d'une  autre  ville  de  l'Ouadi  Sabra  où 
l'on  voit  encore  les  ruines  d'un  théâtre  et  celles 
de  plusieurs  temples.  A  AmeimCj  oii  ce  voyageur 
est  allé^  l'on  découvre  à  chaque  pas  d'anciennes 
citernes  creusées  dans  le  roc,  et  oii  l'eau  arrivait 
par  des  aqueducs  de  neuf  milles  de  longueur. 
«  Je  réduirai  tes  villes  en  désert,  et  tu  ne  seras 
«  que  désolation.  O  montagne  de  Séhir,  j'étendrai 
((  ma  main  contre  toi,  et  je  te  réduirai  en  désola- 
«  tion  et  en  désert.  »  (Ezechiel,  xxxv.  ) 

Le  dernier  des  prophètes,  Malachie,  qui  écri- 
vit deux  cents  ans  après  Ezéchiel,  et  plus  de  trois 
cents  ans  après  Esaïe ,  dit  de  l'héritage  d'Esau 
^  qu'il  serait  exposé  aux  dragons  du  désert». 
Mais  il  ajoute  :  «  Que  si  Edom  dit  :  Nous  avons 
«  été  appauvris,  mais  nous  retournerons  et  nous 
((  rebâtirons  les  lieux  qui  ont  été  détruits;  ainsi  a 
«  dit  l'Éternel  des  armées  :  Ils  rebâtiront,  mais 
«  je  les  ruinerai.  »  Dans  la  description  que  Dio- 
dore  fait  de  l'invasion  de  la  terre  d'Edom  par  De- 
metrius,  environ  trois  cents  ans  avant  l'ère  chré- 
tienne, il  dit  que  ce  pays  n'était  qu'un  désert,  et 
que  les  habitants  n'y  avaient  pas  de  maisons;  la 

(23)  Burckhardt,  p.  AAl. 

(24)  Dans  la  carte  dont  nous  parlons,  ces  villes  |K)rlerjt  les  noms 
suivants  :  Elusa,  Tamara,  Zoara,  Thoana,  Necta,  Phénon,  Suzuroa^ 
Carcaria,  Oboda,  Berzumma,  Lysa,  Gypsaria,  Zodocala,  Gerasa, 
Havara,  Priiesidium,  ad  Dianam,  OElana,  Asion  Gaber. 

(25)  Burckhardt,  p.  /JAS,  444. 


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CH.  xn.  Emu.  269 

seule  ville  dont  il  fasse  mention  est  Pétra.  Néan- 
moins, les  noms  des  villes  de  l'Arabie  Pétrée, 
énumérées  par  Josèphe,  comme  existantes  du 
tempsde  l'invasion  delà  Palestinepar  les  Romains; 
les  noms  des  quinze  villes  de  la  Palsestina  Tertia , 
dont  Pétra  était  la  capitale  et  le  siège  métropoli- 
tain,  au  temps  du  Bas-Empire  ;  les  villes  indiquées 
dans  la  carte  de  d'Anville,  et  les  ruines  de  plu- 
sieurs villes  d'Edom ,  ruines  dont  l'existence  a  été 
constatée  par  Burckhardt  et  de  Laborde ,  tout 
cela  prouve  qu'après  avoir  été  appauvri,  Edom 
retourna  en  effet,  et  rebâtit  ses  villes  détruites. 
Leurs  ruines,  encore  visibles ,  montrent  qu'elles 
furent  rebâties,  et  que,  selon  la  prédiction,  elles 
ont  été  de  nouveau  ruinées ,  et  sont  maintenant 
dans  l'état  de  désolation  le  plus  absolu. 

Tandis  que  les  villes  de  l'Idumée  sont  telle- 
ment désolées,  qu'il  règne  dans  leurs  ruines 
le  même  vague  indéfini  que  dans  la  prophétie 
qui  les  annonce  (  car  rien  n'a  été  prédit  sur  elles 
si  ce  n'est  leur  entière  désolation,  et  c'est  là  la 
seule  chose  qui  frappe  l'œil  des  curieux  ),  il  y  a 
cependant  une  exception  à  cette  règle  générale , 
également  signalée  par  le  prophète  inspiré  et  par 
le  savant  voyageur 

Burckhardt  donne  des  détails  pleins  d'intérêt 
sur  l'emplacement  de  l'ancienne  ville  qu'il  visita, 
dont  les  ruines  non-seulement  tendent  à  prouver 
son  ancienne  splendeur ,  mais  méritent  d'obtenir 
une  place  parmi  les  plus  curieux  monuments  des 
arts.  Quoique  la  ville  soit  déserte,  les  restes  de 
son  opulence  et  de  sa  gloire  existent  encore.  On 
voit,  par  exemple ,  un  canal  creusé  de  chaque 
côté  de  la  rivière  pour  conduire  les  eaux  dans 
la  ville,  un  grand  nombre  de  tombeaux,  deux 
cent  cinquante  caveaux,  plusieurs  mausolées.  Il 
en  est  un  en  particulier  dont  on  parle  comme 


270  Kï)05f.  en.  xu. 

d'un  oiivrap;c  immense ,  colossal,  et  parCailement 
conservé.  Il  confient  une  chambre  de  scîize  pas 
carrés,  et  de  plus  de  vingt-cinq  pieds  d'élévation; 
sa  façade  est  ornée  d'un  rang*  de  colonnes  de 
trente-cinq  pieds  de  hauteur,  et  couronnée  d'un 
fronton  du  travail  le  plus  riche;  on  voit  encore 
deux  pyramides  tronquées,  et  un  théâtre  capable 
de  contenir  environ  3000  spectateurs ,  le  tout 
taillé  dans  le  roc.  Dans  d'autres  endroits,  ces 
sépulcres  sont  creusés  les  uns  au-dessus  des 
autres,  dans  les  flancs  de  rocs  perpendiculaires, 
et  il  paraît  impossible  d'approcher  du  plus  élevé. 
La  terre  est  jonchée  partout  de  pierres  taillées  ^ 
de  fondations  d'édifices,  de  fragments  de  colonnes 
et  de  vestiges  de  rues  pavées,  qui  indiquent  clai- 
rement l'existence  d'une  grande  ville.  Sur  la  rive 
gauche  du  fleuve,  est  un  terrain  élevé  qui  s'é- 
tend à  environ  trois  quarts  de  lieue ,  et  est  éga- 
lement couvert  de  semblables  ruines.  Sur  la  rive 
droite,  plus  élevée  encore,  on  retrouve  les  mêmes 
vestiges ,  entre  autres  les  restes  d'un  palais  et 
de  plusieurs  temples.  Dans  les  rochers  escarpés, 
vers  l'orient,  on  a  creusé  plus  de  cinquante  sé- 
pulcres. Ce  ne  sont  pas  là  les  travaux  d'un  petit 
peuple ,  ou  d'une  race  destinée  a  une  destruction 
entière;  mais  un  jugement  avait  été  prononcé 
contre  les  forteresses  d'Edom ,  et  il  fallait  que  les 
paroles  retentissantes  de  la  prophétie  trouvassent 
quelque  part  leur  accomplissement,  et  qu'elles 
fussent  reconnues  comme  n'étant  pas  celles  de 
simples  mortels.  «  Je  te  rendrai  petit  entre 
«  les  nations;  ta  présomption  et  la  fierté  de  ton 
«  cœur  t'ont  séduit,  toi  qui  habites  dans  le 
«  creux  des  rochers ,  et  qui  occupes  la  hauteur 
«  des  coteaux  ;  quand  tu  aurais  élevé  ton  nid 
«  comme  l'aigle,  je  t'en  ferai  descendre,  dit  VÈ- 
«  ternelj  etl'Idumée  sera  réduite  en  désolation.  » 


en.  XII.  ÉDOM.  271 

En  entrant  dans  le  défilé  qui  conduit  au 
théâtre  de  Pétra  ^  les  capitaines  Irby  et  Mangles 
font  les  observations  suivantes  :  Les  ruines  de  la 
ville  se  présentèrent  ici  à  notre  vue  dans  toute  leur 
grandeur  5  enfermées  à  l'extrémité  opposée  par 
des  rocs  perpendiculaires  5  et  coupées  de  vallées 
et  de  ravins.  Le  flanc  des  montagnes,  oii  sont  creu- 
sés d'innombrables  tombeaux  et  même  des  ha- 
bitations particulières  (  «  O  toi  qui  habites  dans  le 
«  creux  des  rochers,  Jérém.  xlix,  16  »)  offrait  le 
plus  singulier  spectacle  que  nous  eussions  jamais 
vu.  — Nous  arrivions  et  nous  descendions,  dit 
M.  deLaborde,  par  le  ravin.  C'est  de  ce  point,  et 
en  avançant  un  peu  plus ,  qu'on  domine  l'étendue 
de  la  ville  couverte  de  débris ,  et  sa  grande  en- 
ceinte de  rochers,  percée  de  milliers  de  tom- 
beaux qui  forment  autour  comme  une  grande 
décoration.  » 

Les  capitaines  Irby  et  Mangles,  ayant  passé, 
de  concert  avec  MM.  Bankes  et  Legh,  deux 
jours  à  examiner  ces  ruines  avec  soin,  nous 
donnent  encore  plus  de  détails  sur  les  restes 
de  Pétra  que  n'en  contient  la  description  de 
Burckhardt,  et  plus  la  description  est  détail- 
lée, plus  elle  s'accorde  en  tout  point  avec  les 
paroles  de  la  prophétie.  Près  de  l'endroit  oii  ils 
attendaient  le  résultat  de  la  querelle  des  Arabes, 
le  tertre  élevé  était  couvert  des  deux  côtés  par 
des  lignes  et  de  solides  masses  de  murs  secs. 
—  Les  premières  semblaient  indiquer  les  traces 
de  l'ancienne  culture,  et  les  ruines  nous  sem- 
blaient être  les  restes  de  tours  construites  pour 
faire  le  guet,  pendant  le  temps  de  la  récolte  et 
de  la  vendange.  —  Tous  les  environs  présentent 
de  semblables  restes  d'industrie ,  et  paraissent  in- 
diquer le  voisinage  d'une  grande  capitale.  Un 
défilé  étroit,  environné  de  chaque  côté  par  des 


272  Éno5f.  (il.  K(l 

rocs  pcrpendiculaii'cs,  dont  la  hauleiir  varie  de 
400  k  700  pieds,  et  qui   Ibrnie,  sur  un  espace 
de  deux  milles,  une  espèce    de    voie    souter- 
raine, ouvre  à  l'orient  le  chemin  qui  conduit  aux 
ruines  de  Pétra. — Les  rochers,  ou  plutôt  les 
montagnes,  s'étendent  alors  de  chaque  coté,  et 
laissent  un  espace  oblong  oil  l'on  voyait  autrefois 
la  capitale  de  l'Idumée,  mais  où  Ton  ne  trouve 
plus  maintenant  qu'un  monceau  de  débris ,  en- 
tourés partout,  excepté  au  nord-est,  de  rochers 
affreux  qui  ne  servent  plus  qu'^à  faire  voir  jus- 
qu'à quel  point  l'orgueil  de  l'homme  et  les  ef- 
forts de  l'art  ont  voulu  lutter  avec  la  puissance 
de  la  nature.  Au  bord  de  ces  précipices  on  a 
creusé,  dans  des  blocs  de  rochers  détachés,  d'im- 
menses sépultures,  dont  l'intérieur  est  divisé 
en  chambres,  et  à  l'extérieur  desquels  ces  rochers 
mêmes  ont  été  taillés  en  tours ,  en  colonnes,  pilas- 
tres ,  frises ,  entablements  et  figures  d'animaux  ^  '. 

Les  planches  ci -jointes  peuvent  donner  une 
idée  de  ces  singulières  excavations. 

Cependant ,  quelque  nombreuses  qu'elles 
soient,  elles  ne  font  qu'une  faible  partie  de  la 
vaste  «  nécropole  de  Pétra  » .  Des  tombeaux  se 
présentent  non-seulement  à  chaque  approche 
ou  avenue  de  la  ville ,  et  dans  tous  les  précipices 
qui  l'entourent,  mais  encore  mêlés  à  tous  les 
édifices  publics  et  aux  habitations  particulières  ; 
les  traits  naturels  du  défilé  se  dessinent  davan- 
tage à  chaque  pas,  et  les  excavations  et  les  sculp- 
tures deviennent  de  plus  en  plus  nombreuses, 
jusqu'à  ne  plus  présenter  qu'une  longue  rue  de 
tombeaux.  ^^  La  face  des  rochers  est  taillée  avec 
toute  la  symétrie  et  toute  la  régularité  de  l'art; 
on  y  voit  des  colonnes ,   des  piédestaux ,  des 

(26)  Irby  el  Mangles,  p,  402-407, 


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cil.  XII.  ÉDOM.  273 

lignes  de  corridors  adossés  à  la  façade  des  ro- 
chers ;  des  escaliers  sont  pratiqués  dans  le  roc , 
et  il  y  a  un  nombre  immense  de  grottes  qui  n'é- 
taient certainement  pas  des  sépulcres.  On  trouve 
beaucoup  d'habitations  de  grandes  dimensions; 
il  y  en  a  une  en  particulier  oii  Ton  voit  une  seule 
chambre  de  soixante  pieds  de  long  et  d'une  largeur 
proportionnée;  d'autres  habitations  d'un  ordre 
inférieur  abondent  dans  un  des  défilés  qui  mè- 
nent à  la  ville,  et  qui  contient  une  espèce  de  fau- 
bourg creusé ,  auquel  on  parvient  par  des  esca- 
liers. On  voit  des  enfoncements  de  trente  pieds 
de  haut  5  ayant  un  autel ,  ou  des  pyramides ,  des 
colonnes  ou  des  obélisques;  un  pont  jeté  sur  un 
précipice  maintenant  inaccessible ,  quelques  pe- 
tites pyramides  taillées  dans  le  roc ,  sur  le  sommet 
des  hauteurs  ;  des  rigoles  horizontales  pour  l'é- 
coulement des  eaux ,  pratiquées  le  long  de  la 
façade  des  rochers ,  et  même  sur  le  devant  des 
habitations  ;  en  un  mot ,  les  rochers  creusés  en 
innombrables  chambres  de  diverses  dimensions, 
dont  l'entrée  est   souvent   embellie   par   tout 
ce  que  l'architecture  offre  de  plus  riche ,  de  plus 
varié   et  de  plus  fantastique;  tout  cela  réuni 
présente  aux  regards  de  l'homme ,  non-seulemerît 
l'ensemble  le  plus  singulier  que  l'imagination 
puisse  concevoir ,  un  groupe  de  merveilles  sansi 
égales  dans  leur  genre ,  mais  encore  une  preuve 
indubitable  que  dans  la  terre  d'Edom  il  existait 
une  ville  oxi  l'homme  avait  déployé  toutes  ses 
ressources  et  toute  son  énergie ,  et  qu'elle  avait 
bien  mérité  d'être  distinguée  par  «  sa  force  et  sa 
«  présomption ,  »  et  qu'ainsi  la  description  faite 
par  le  prophète  est  aussi  exacte  que  l'accomplis- 
sem^at  de  la  prophétie  a  été  complet  ^^  L'aridité 

(27)  Irby  et  Mangles,  p.^  407-437,  —  Macmichael ,  p.  228,  229. 

12. 


S74  ÊDÔM.  CH.  XH. 

universelle  du  sol  et  la  désolation  de  la  ville, 
près  de  laquelle  aucun  être  vivant  n'habite, 
semblent  vérilier  la  malédiction  prononcée  contre 
elle.  «  O  toi  qui  habites  dans  le  creux  des  rochers, 
«  etc.,  Edom  sera  réduite  en  désolation  ^".  » 

Parmi  les  ruines  de  Pétra  ,  les  mausolées  et  les 
tombeaux  sont  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  : 
ils  attestent  le  long  règne  de  la  royauté  et  l'an- 
cienne grandeur  et  l'opulence  du  royaume  ;  et 
leur  nombre  immense  est  en  accord  avec  la  no- 
menclature que  font  Moïse  et  Strabon  des  rois  et 
des  princes  de  l'Idumée ,  pendant  les  quinze  siècles 
qui  se  sont  écoulés  entre  leurs  récits.  L'architec- 
ture de  beaucoup  de  sépulcres  démontre  aussi 
qu'ils  sont  d'une  date  plus  moderne.  Quelle  ne 
doit  pas  avoir  été,  dit  Burckhardt,  l'opulence 
d'une  ville  qui  pouvait  ériger  de  semblables  mo- 
numents à  la  mémoire  de  ses  princes  ^^^  Mais  cette 
longue  race  de  rois  et  de  grands  a  été  depuis 
bien  des  siècles  retranchée  de  l'Idumée  ;  ils  n'ont 
rien  laissé  pour  les  représenter  sur  la  terre  , 
excepté  une  multitude  de  tombeaux  magnifiques, 
mais  inconnus  et  presque  invisibles.  «  Les  magis- 
«  trats  crieront  qu'il  n'y  a  plus  là  de  royaume  ,  et 
«  tous  les  gouverneurs  seront  réduits  à  rien.  » 

Au  milieu  de  tous  ces  mausolées,  de  ces  tom- 
beaux, de  ces  restes  de  temples  et  de  palais  qui 
forment,  pour  ainsi  dire,  un  vaste  tombeau  où  l'an- 
cienne splendeur  de  l'Idumée  gît  enterrée,  on 
découvre  encore  des  vestiges  d'architecture 
grecque  ou  romaine  qui  font  voir  que  ces  édi- 
fices ont  été  construits  longtemps  après  le  temps 
des  prophètes.  «Ilsrebâtiront;  mais  je  détruirai.  » 
Jusqu'à  présent  les  seuls  renseignements  que  nous 
possédions   sur  l'état  actuel  de  l'Idumée  nous 

(28)  Irby  et  Mangles,  p.  A39,  —  (29)  Burckhardt,  p.  ^25, 


1 


Clî.Xiï.  ÈûOM.  ^75 

ont  été  donnés  par  Volney^tjui  les  avait  recueillis 
des  Arabes^  et  quoique  son  témoignage  ne  fût  pas 
suspect  5  cependant  il  n'était  pas  suffisamment  dé- 
taillé pour  nous  faire  distinguer  les  traits  parti- 
culiers et  prophétiques.  Mais  depuis  lors,  Burck- 
hardt  et  les  capitaines  Irby  et  Mangles  nous  ont 
communiqué 5  d'après  leurs  observations  person- 
nelleSj  des  détails  qui  jettent  une  grande  lumière 
sur  ce  sujet  et  qui  nous  font  connaître  le  fait  re- 
marquable des  ruines  d'une  ville  taillée ,  pour  ainsi 
dire,  dans  le  roc,  et  située  au  milieu  d'un  désert. 

Lorsque  dans  les  rues  de  Jérusalem  le  peuple 
fit  entendre  le  cri  :  «  Hosanna  au  fils  de  David  !  » 
et  que  quelques-uns  des  Pharisiens  dirent  à  Jé- 
sus: «Maître,  reprends  tes  disciples,  »  ilrépondit: 
t(  Si  ceux-ci  se  taisent,  les  pierres  même  crieront  »  ; 
de  même,  de  nos  jours,  oîi  l'incrédulité  règne  sur 
tant  de  villes  et  parmi  tant  de  peuples  qui  re- 
jettent l'autorité  du  Dieu  d'Israël,  et  repoussent  sa 
parole ,  les  anciennes  nations  et  les  anciennes 
villes  comparaissent  de  nouveau  sur  la  scène 
comme  des  témoins  ressuscites  des  morts,  et  qui 
viennent  montrer  la  puissance  que  cette  même 
parole  a  exercée  sur  leur  sort,  et  elles  crient  aux 
nations  de  la  terre  de  prendre  garde  de  ne  pas 
devenir  à  leur  tour  des  monuments  de  la  colère 
qu'elles  ont  méprisée.  Lorsque  les  hommes   ne 
voulurent  pas  entendre  des  Ilosannas  au  fils  de 
David,  et  refusèrent  de  rendre  hommage  au  nom 
du  Christ,  les  déserts  et  les  rochers  élevèrent 
leur  voix ,  et  se  joignirent  aux  prophètes  pour 
rendre  témoignage  h  Jésus;  de  même  ^n  a  de 
nouveau   entendu  parler  la  Capitale   de  i'Idu- 
mée,  ainsi  que  d'autres  capitales,  et  les  rochers 
même  font  entendre  un  cri  qui  peut  parvenir  jus- 
qu'aux extrémités  de  la  terre. 

L'auteur  de  cet  ouvrage  n'osait  pas  espérer^ 


276  ÉDOM.  CH.  xir. 

quand  il  cntiepiit  de  comparer  les  prophéties 
relatives  à  Edom  avec  les  renseignements  que 
Volney  était  parvenu  à  en  donner,  qu'il  se  pas- 
sât si  peu  de  temps  avant  que  l'accomplisse- 
ment de  ces  prédictions  fût  devenu  évident  à 
tous  les  yeux,  sans  même  qu'il  fût  nécessaire  de 
dire  :  «  Venez  et  voyez.  »  Mais  maintenant  il 
peut  en  appeler  k  la  vue  aussi  bien  qu'à  l'intelli- 
gence de  l'homme  ;  car ,  au  moment  même  où  ces 
pages  étaient  sous  presse ,  il  a  reçu  les  six  pre- 
mières livraisons  d'un  ouvrage  intitulé  :  «  Voyage 
de  l'Arabie  Pétrée  par  MM.  Léon  de  Laborde 
et  Linant^\  »  Ces  livraisons  contiennent  de  magni- 
fiques gravures  5  toutes  relatives  aux  ruines  de 
Pétra,  et  il  suffirait  de  les  accompagner  d'un  pas- 
sage de  l'Ecriture  Sainte,  pour  faire  des  beautés 
de  l'art  de  puissants  auxiliaires  des  intérêts  de 
la  religion.  Ce  magnifique  ouvrage  est  maintenant 
terminé,  et  M.  de  Laborde,  avec  une  bienveillance 
que  nous  aimons  à  publier  ici ,  en  lui  témoignant 
notre  sincère  reconnaissance,  nous  a  permis  de 
copier  plusieurs  de  ses  planches  pour  les  insérer 
dans  ce  volume.  Ainsi  donc,  au  lieu  d'en  être 
réduits,  comme  jusqu'à  ce  jour,  à  quelques 
maigres  renseignements,  on  n'a  maintenant  qu'à 
jeter  les  yeux  sur  Edom,  et  l'on  peut  voir  à  quel 
point  «  le  cordeau  de  confusion  et  le  niveau  du  dé- 
sordre «  ont  été  étendus  sur  lui.  Nous  pouvons  de 
la  même  manière  contempler  les  ruines  de  la  ca- 
pitale de  cet  Edom,  dont  jusqu'à  présent  nous 
ignorions  même  l'existence.  Toutes  ces  gravures 
font  foi  de  son  ancienne  magnificence  et  du  travail 
inconcevable  qu'il  a  fallu,  pendant  une  longue 
suite  de  siècles,  pour  construire  cette  multitude 
d'habitations,  de  tombeaux  et  de  temples  creusés 

(30)  Notre  ouvrage  était  alors  5  sa  treizic  nie  édilloii. 


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tu.  XII.  ÉDOM.  27*/ 

dans  le  roc.  La  yérité  ne  parle  donc  point  «par 
des  lèvres  trompeuses  »  ni  par  la  bouche  d'un 
sceptique;  mais  ce  sont  les  rochers  même  qui 
prennent  la  parole,  ce  sont  ces  habitations  prati- 
quées dans  leurs  profondeurs,  par  le  travail  du 
ciseau ,  et  par  les  efforts  de  rarchitecte ,  qui  di- 
sent que  les  habitants  de  Pétra  bâtirent  pos- 
térieurement à  l'ère  des  prophètes,  mais  que 
tous  ces  édifices,  d'architecture  grecque  ou  ror 
maine,  et  d'autres  plus  anciens  encore  couvrent 
la  vallée  de  leurs  ruines,  et  montrent  par  leurs 
débris  que  l'arrêt  prononcé  contre  eux  devait 
s'accomplir,  et  que  «  tout  a  été  détruit.  » 

La  vue  topographique  de  la  contrée  d'Edom , 
prise  depuis  d'El  Nakb,  montée  escarpée  au 
sud  du  Mont  Hor  et  de  Pétra  ,  nous  montre  que 
ridumée  n'est  que  désolation,  «  désolée  de  gé- 
nération en  génération,  »  et  que  le  pays  qui  avait 
été  donné  à  Esaii  comme  étant  «  la  graisse  de  la 
ce  terre,  »  et  dans  lequel  on  construisit  une  multi- 
tude de  villes,  est  maintenant  «fouillé,  »  et  que 
«  le  cordeau  de  confusion  et  le  niveau  du  désordre 
«  ont  été  partout  étendus.  » 

Sur  la  gauche  du  dessin,  dit  M.  de  Laborde,  en 
remontant  vers  le  milieu,  s'étend  l'Ouadi-Araba, 
longue  plaine  de  sable  qui  descend  de  la  Mer 
Morte  à  la  Mer  Rouge,  dans  une  direction  régu- 
lière et  continue.  On  doit  reconnaître ,  comme  je 
l'ai  déjà  dit ,  dans  cette  disposition  le  lit  d'un 
fleuve,  et  celui  du  Jourdain,  avant  l'éruption  vol- 
canique qui  forma  le  bassin  actuel  de  la  Mer 
Morte.  Sur  la  rive  droite ,  à  l'ouest ,  s'y  joint 
rOuadi  Gebb,  vallée  par  laquelle  les  Fellahs  de 
Pétra  se  rendent  à  Gaza.  En  appuyant  à  Test  (  à 
la  droite  du  dessin  )  on  remarque,  au  milieu  d'une 
petite  plaine,  le  rocher  isolé  d'El  Aase,  surmonté 
d'un  tombeau  dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Plys  à 


278  ÉDOM.  cil.  Xlh 

droite  un  rocher,  forjiiant  comme  le  premier 
rempart  aux  environs  de  Pelra,  s'élève  en  forme 
de  cône  :  un  arbre  le  domine.  En  suivant  la 
môme  direction ,  on  rencontre  le  mont  Uor,  le 
plus  haut  rocher  de  la  contrée ,  au  sommet  du- 
quel  est  construit  le  Tombeau  d' Aaron.  Cest  à 
l'est  de  ce  piton ,  enclave  au  milieu  des  rochers 
dont  les  masses  semblent,  en  s'amoncelant,  s'être 
resserrées  davantage ,  qu'est  bâtie  la  ville  de  Pé- 
tra,  capitale  des  Nabathéens.  Ce  tableau,  espèce 
de  demi-panorama  ,  est  terminé  par  la  grande 
chaîne  de  montagnes  qui  sépare  l'Arabie  Pétrée 
de  l'Arabie  déserte. 

Le  témoignage  de  M.  de  Laborde  rehausse  en* 
core  la  valeur  de  cesprécieux  dessins.  Del'éléva- 
tion  d'El  Nakb,  on  peut  juger ,  dit-il,  de  l'aspect 
général  du  pays,  dont  le  triste  et  lugubre  carac- 
tère est  difficile  à  reproduire  à  l'aide  du  crayon , 
et  il  ajoute  :  Plusieurs  prophètes  avaient  annoncé 
le  malheur  de  l'Idumée  ,  mais  la  forte  parole 
d'Ezéchiel  peut  seule  s'élever  à  la  hauteur  de 
cette  grande  désolation.  » 

«  La  parole  de  TÉternel  me  fut  encore  adres- 
«  sée  ,  et  il  me  dit  :  Fils  de  l'homme ,  dresse  ta 
«  face  contre  la  montagne  de  Séhir  et  prophétise 
«  contre  elle  ;  il  lui  dit  :  Ainsi  a  dit  le  Seigneur 
«  l'Éternel  :  Voici ,  je  viens  à  toi ,  ô  montagne  de 
«  Séhir  !  et  j^étendrai  ma  main  contre  toi ,  et  te 
«  réduirai  en  désolation  et  en  désert.  Je  réduirai 
«  tes  villes  en  déserts,  et  tu  ne  seras  que  désola- 
«  tion.  Et  je  remplirai  tes  montagnes  de  tes  gens 
«  blessés  à  mort  ;  les  hommes  blessés  à  mort  tom- 
«  beront  dans  tes  coteaux,  et  dans  tes  vallées,  et 
«  dans  tes  torrents.  Tu  seras  désolée ,  ô  monta- 
«  gne  de  Séhir  !  et  même  toute  l'Idumée  entière- 
«  ment;  et  on  connaîtra  que  je  suis  l'Éternel^'.  » 

(31)  Éaéchiel ,  XXXV* 


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CH.  Xil.  ÉDOM.  279 

Une  des  gravures  données  par  M.  de  Laborde 
est  surtout  remarquable  ;  on  y  voit  le  caractère 
unique  de  ce  pays,  et  par  lequel  Pétra  se  distingue 
de  tout  autre  pays  dont  Thistoire  nous  fasse  con- 
naître Inexistence.  L'intention  principale  de  l'artis- 
te était  d'y  représenter  une  colonne  isolée,  mais 
en  même  temps  on  y  voit ,  en  partie ,  TOuadi 
Mousa  avec  les  rochers  en  perspective.  —  La 
longue  muraille  de  rochers  qui  s'étend  sur  la 
droite^  restreinte  dans  ce  petit  cadre,  étonne  en- 
core par  la  prodigieuse  quantité  de  tombes  qui 
ornent  ses  parois  :  qu'on  se  figure  l'impression 
que  produit  dans  la  nature  ce  tableau ,  quand  le 
silence  de  la  mort  en  est  le  seul  accompagne- 
ment. 

Dans  la  perspective  5  la  distance  rapetisse  des 
excavations  percées  à  une  si  grande  hauteur, 
et  cela  même  fait  ressortir  la  vérité  de  la  des- 
cription du  prophète,  quand  il  dit  que  les  habi- 
tants font  leur  nid  haut  comme  celui  de  l'aigle. 

Dans  la  note  qui  accompagne  la  vue  des  ruines 
d'un  temple,  il  est  dit  que,  bien  qu'on  voie  à  Pétra, 
outre  de  nombreux  et  gigantesques  tombeaux 
taillés  dans  le  roc ,  un  grand  nombre  de  monu- 
ments dont  les  ruines  attestent  la  beauté  et  la 
magnificence,  il  n'y  a  que  celui-là  qui  ait  résisté  aux 
ravages  du  temps.  Situé  à  l'ouest  de  la  ville  et  sur 
le  bord  de  la  rivière  il  présente  ,  bien  qu'eii 
ruines,  une  masse  imposante  et  riche  en  détails 
d'architecture.  Il  m'a  paru  intéressant  à  repro- 
duire,  dit  M.  de  Laborde,  parcequ'il  présente  une 
frise  et  une  corniche  de  bon  goût  et  qui  peuvent 
en  indiquer  le  style. 

Une  autre  planche  représente  les  ruines  d^un 
arc  de  triomphe,  sous  lequel  on  passait  pour  ar- 
river à  une  place,  espèce  de  forum,  et  au  temple 
qu'on  trouve  plus  loin.  On  voit  à  travers  l'arcade 


280  ÉDOM.  en.  XII. 

du  milieu  le  pavé  antique;  dans  celle  de  droite^  la 
rivière  d'Ouadi  Mousa  qui  s'enfonce  enire  les 
rochers.  Les  ornements  des  pilastres  qui  subsis- 
tent rap[)ellent  Tare  de  triomphe  qui  termine  la 
colonnade  de  Palmyre  a  l'est  ;  tous  les  débris  et 
quelques  fragments  en  bas-reliefs  qu'on  retrouve 
sur  le  sol  permettraient  une  restauration  de  ce 
monument. 

Un  des  dessins^  celui  qui  donne  une  vue  d'un 
tombeau  corinthien,  sert  en  même  temps  de  vue 
générale  de  Pétra,  au  nord-est,  et  reproduit  dans 
un  sens  inverse  la  ligne  des  monuments  qu'on  re- 
marque dans  la  vue  générale  prise  du  sud-ouest. 
On  distingue  dans  le  fond  le  théâtre  et  les  rochers 
qui  le  dominent,  au  haut  desquels  on  aperçoit 
un  point  en  forme  d'obélisque ,  espèce  de  signal 
qui  se  voit  de  tous  les  points  de  la  ville. 

L'ouvrage  de  M.  de  Laborde  contient  plusieurs 
tableaux  des  tombeaux  de  Pétra,  d'une  magnifi- 
cence vraiment  étonnante.  —  Sur  un  de  ces  édifi- 
ces, nous  trouvâmes,  dit-il,  une  inscription  latine 
en  trois  lignes,  gravée  sur  l'entablement.  Cette 
inscription,  outre  qu'elle  est  la  seule  que  nous 
ayons  découverte  à  Pétra ,  est  importante  en  ce 
qu'elle  nous  donne  le  nom  d'un  magistrat,  Quin- 
tus  Pra3textus  Florentinus ,  qui  mourut  dans  cette 
ville,  étant  gouverneur  de  cette  partie  de  l'Ara- 
bie. Elle  paraît  être  du  temps  d'x\drien  ou  d'An- 
tonin-le- Pieux  ,  c'est-à-dire  plusieurs  siècles 
après  les  dernières  prédictions. 

La  description  qui  accompagne  les  vues  du 
Khasne ,  Tune  prise  sous  le  péristyle  et  l'autre  en 
face,  est  terminée  par  ces  paroles  :  Quel  est 
donc  ce  peuple  qui  ouvrait  la  montagne  pour  y 
apposer  ainsi  le  sceau  de  sa  force  et  de  son  géaie? 
Et  quel  est  ce  climat  qui  dore  de  ses  rayons  les 
formes  gracieuses  de  ces  sculptures ,  sans  per- 


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mettre  à  ses  hivers  d'en  rompre  les  vives  arêtes, 
d'en  amoindrir  le  haut  relief?  Tout  se  tait;  car 
dans  cette  solitude  la  chouette  seule  a  conservé 
son  cri  plaintif,  et  l'Arabe  passe  en  regardant 
avec  indifférence  des  travaux  si  habilement  exé- 
cutés, en  pensant  avec  mépris  à  l'inutilité  de 
tant  d'efforts,  pour  un  but  qu'il  ne  cherche  même 
pas  à  comprendre. 

«  On  les  appellera  le  pays  de  méchanceté.  » 
Strabon  fait  remarquer  le  contraste  qui  existe 
entre  l'humeur  tranquille  des  citoyens  de  Pétra 
et  le  caractère  turbulent  des  habitants  étrangers  ; 
la  bonne  intelligence  qui  régnait  parmi  le  peuple 
faisait  l'admiration  d'Athénodore.  L'or  pur  est 
changé  ;  on  ne  trouve  plus  maintenant  un  sem- 
blable peuple.  Burckhardt,  quoiqu'il  voyageât 
comme  les  Arabes ,  vivant  dans  leur  société , 
se  soumettant  à  toutes  leurs  privations ,  parlant 
parfaitement  leur  langue  et  connaissant  toutes 
leurs  habitudes ,  se  vit  réduit  sur  la  terre  d'Idu- 
mée  à  la  seule  condition  qui  garantit  la  vie  du 
voyageur  du  désert;  il  se  dépouilla  de  tout  ce 
qui  pouvait  attirer  l'attention  ou  exciter  la  cupi- 
dité, et  cependant  on  lui  prit  jusqu'aux  lam- 
beaux d'étoffe  dont  il  s'était  enveloppé  les  che- 
villes des  pieds,  blessés  par  le  voyage ^^  Les 
Arabes  de  cette  contrée  ont  la  réputation ,  dit-il , 
d'être  des  voleurs  entreprenants.  De  même, 
un  Motselim ,  qui  était  au  service  depuis  vingt 
ans ,  assura  les  capitaines  Irby  et  Mangles  et  les 
voyageurs  qui  les  accompagnaient  (  en  présence 
du  gouverneur  de  Jérusalem  )  que  les  Arabes 
d'OuadiMousa  **sont  une  race  cruelle  et  traîtresse." 
Il  ajouta  qu'ils  ne  se  feraient  pas  scrupule  de  se  ser- 
vir du  sang  des  Francs  pour  en  composer  un  remè- 

(32)  Burckhardt,  p.  438. 


282  ÉDOM.  CH.  XII. 

de. Ils  purent  s'assurer  que  cette  réputation  de  mé- 
chanceté et  de  cruauté  n'était  pas  exafjérée,  non- 
seulement  par  les  dangers  qu'ils  eurent  eux-mêmes 
à  essuyer,  mais  encore  en  apprenant  sur  les  lieux 
que  plus  de  trente  pèlerins  venant  de  la  Barbarie 
avaient  été  massacrés  a  Pétra,  l'année  précédente, 
par  les  lialjitants  d'Ouadi  Mousa  ^".  Les  Arabes 
des  déserts  limitrophes,  comme  nous  l'avons  déjà 
vu,  n'osent  pas  s'approcher  d'eux;  et  les  Arabes 
des  environs  d'Akaba,  vers  les  frontières  méridio- 
nales de  l'Idumée,  sont,  à  ce  que  disent  Pococke 
et  Burckhardt,  un  peuple  fort  méchant;  c'est  une 
horde  d'insignes  voleurs  faisant  continuellement 
la  guerre  à  toutes  les  autres  tribus  ^\ 

Ces  témoignages,  rendus  sans  intention,  prou- 
vent assez  que  l'Idumée  est  en  effet  «  le  pays  de 
méchanceté  » . 

«  Les  épines  croîtront  dans  ses  palais ,  les  char- 
«  dons  et  les  buissons  dans  ses  forteresses.  »  — 
Sans  examiner  en  détail  l'accomplissement  litté- 
ral de  cette  prophétie ,  il  suffira  de  dire  que  les 
diameaux  des  Bédouins  se  nourrissent  des  bran- 
chies épineuses  du  Talh  (gommier  arabique)  dont 
ils  sont  très  friands  ;  que  les  grandes  épines 
de  ces  arbres  sont  extrêmement  incommodes 
pour  les  Bédouins  ainsi  que  pour  leurs  troupeaux, 
et  que  dans  plusieurs  parties  de  l'Idumée  elles 
sont  en  si  grande  abondance  que  chaque  Bédouin 
porte  à  sa  ceinture  une  paire  de  petites  pinces 
pour  arracher  les  épines  qui  peuvent  lui  entrer 
dans  les  pieds  ^^  Nous  pouvons  maintenant  puiser 
dans  le  récit  de  M.  de  Laborde  un  témoignage 
plus  direct  encore  :  en  parlant  de  l'état  actuel  de 


(33)  Irby  et  Mangles,  p.  lx\l.  —  Macmichael,  p.  202,  234- 

(34)  Détails  sur  rOrient ,  par  Pococke,  vol.  I,  p.  136. 

(35)  Burckhardt,  p.  446. 


CIL  XiL  ÉDOM.  283 

Pétra^  il  dit  que  les  épines  s'élèvent  aussi  haut  que 
les  colonnes  5  que  des  plantes  épineuses  cachent 
aux  yeux  les  vestiges  des  travaux  de  Thomme  ; 
l'épine  ou  les  buissons  grimpent  au  sommet  des 
monuments,  croissent  sur  leurs  ruines,  et  cachent 
la  base  des  colonnes.  «  Les  épines  croîtront  dans 
«  ses  palais ,  les  chardons  et  les  buissons  dans 
«  ses  forteresses.  » 

«  Je  te  ferai  petit  entre  les  nations  et  mépri- 
«  sable  entre  les  hommes.  »  —  Quoique  le  pays 
de  la  méchanceté,  et  la  retraite  de  bandits  fameux 
parmi  les  Arabes  par  leur  rapacité  et  leur  cruauté, 
cependant,  comparée  aux  autres  nations,  ridumée 
est  véritablement  petite,  et  sans  population  fixe, 
puisque  tous  ceux  qui  vivent  dans  ses  limites 
n'ont  ni  habitations  permanentes ,  ni  moyens  de 
subsistance  assurés.  A  ces  superbes  édifices  dont 
s'enorgueillissait  jadis  cette  contrée,  ont  succédé 
quelques  huttes  rares  et  misérables;  et  toutes 
petites  et  basses  qu'elles  sont,  elles  ne  paraissent 
exister  que  dans  une  très  petite  partie  de  l'Idu- 
mée;  dans  tous  les  autres  endroits  oîi  les  Arabes 
vont  à  la  recherche  de  pâturages  pour  leurs 
troupeaux,  ils  n'ont  que  des  tentes  pour  abri. 
Celles  qui  appartiennent  aux  tribus  les  plus  flo- 
rissantes sont  quelquefois  nombreuses  et  gran- 
des ;  mais  elles  ne  forment  que  de  chétives  ha- 
bitations ,  et  beaucoup  d'entre  elles  sont  basses 
et  étroites.  » 

Près  des  ruines  de  Pétra,  Burckhardt  vit  un 
camp  arabe,  dont  la  plupart  des  tentes  étaient  les 
plus  petites  qu'il  eût  jamais  vues,  n'ayant  qu'en- 
viron quatre  pieds  de  hauteur  et  dix  de  longueur; 
et  vers  la  limite  sud-ouest  de  l'Idumée  il  ren- 
contra quelques  voyageurs  errant  sans  tentes,  et 
n'ayant  d'autre  abri  contre  les  rayons  brûlants 
du  soleil  et  la  forte  rosée  de  la  nuit  que  les  minces 


284  LDOM.  en.  xn. 

branches  des  Tailiiers.  —  Les  moyens  de  subsis- 
tance des  Bédouins  sont  souvent  aussi  précaires 
que  leurs  habitations  sont  frêles  ;  leurs  seuls  biens 
consistent  dans  des  troupeaux  qu'ils  nour- 
rissentj  ou  qu'ils  enlèvent  dans  des  régions  plus 
abondantes;  et  dans  le  même  pays  où,  pendant  si 
longtemps,  le  commerce  semblait  concentrer  ses 
richesses  5  et  par  lequel  passaient  tous  les  trésors 
d'Ophir,  il  ne  reste  plus  aucune  industrie,  si  ce 
n'est  la  misérable  occupation  des  tribus  vaga- 
bondes 5  celle  de  recueillir  la  gomme  parmi  les 
épines.  Combien  Edom  est  «  petit  parmi  les  na- 
tions, et  combien  il  est  méprisé  !  »  Lorsqu'on  en- 
tend les  autorités  de  Constantinople  prétendre  ne 
pas  la  connaître  et  déclarer  ne  pouvoir  indiquer 
les  ruines  de  cette  capitale,  jadis  rivale  de  Rome, 
lorsqu'on  raconte  que  la  ville  dePétra  est  oubliée 
et  inconnue  parmi  les  représentants  des  paysans 
deByzance,  le  mépris  peut-il  aller  plus  loin? 

«  Quant  à  Edom,  ainsi  a  dit  l'Eternel  des  ar» 
<f  mées:  N'est-ilpas  vrai  qu'il  n'y  a  plus  de  sagesse 
«  dans  Théman?  Le  conseil  a  manqué  à  ses  habi- 
«  tants.  Ne  ferai-jé  pas  périr  les  sages  au  milieu 
«  d'Edom,  et  la  prudence  dans  la  montagne  d'E- 
«  sail  ?  Malgré  sa  dégradation  actuelle ,  Edom 
pourrait  se  faire  reconnaître  comme  ayant  été  le 
premier  siège  de  la  science,  aussi  bien  que  le 
centre  du  commerce-  Isaac  Newton,  dont  le  savoir 
chronologique  est  reconnu ,  et  qui  peut  être 
considéré  comme  juge  compétent ,  parle  de  lldu- 
mée  comme  du  berceau  des  arts  et  des  scien- 
ces ,  et  appuie  ces  faits  sur  des  preuves  tirées  de 
l'histoire  sacrée  et  profane.  —  Les  Egyptiens , 
dit-il,  ayant  appris  Tart  des  Edomites,  commen- 
cèrent k  observer  la  position  des  astres  et  la 
durée  de  l'année  solaire ,  afin  de  pouvoir  tou- 
jours reconnaître  la  position  des  étoiles,  et  se 


CH.  XII.  ÉDOM.  285 

diriger  par  ce  moyen  ^  même  en  pleine  mer.  Ce 
fut  là  le  commencement  de  l'astronomie  et  de  la 
navigation  ^\  Il  paraît  que  l'invention  des  lettres, 
de  l'astronomie,  et  de  l'architecture  nautique,  est 
due  aux  marchands  de  la  Mer  Rouge,  et  qu'elles 
se  répandirent  par  l'Arabie  Pétrée  en  Egypte,  en 
Chaldée,  en  Syrie,  dans  l'Asie  Mineure  et  en  Eu- 
rope^^ 

Tandis  que  le  philosophe  rend  ainsi  hommage  au 
savoir  del'Idumée,  l'admirateur  du  vrai  génie  et 
l'homme  véritablement  pieux  ne  trouveront  dans 
aucun  pays  un  plus  riche  trésor  de  poésie  élégia- 
quCjd'éloquencepassionnéejOudeprofonde  piété, 
que  dans  ce  livre  de  Job  que  l'Idumée  a  présenté 
au  monde. — Là,  nous  voyons  dans  un  langage  pa- 
thétique et  sublime  tout  ce  que  l'homme  peut 
sentir ,  tout  ce  qu'il  peut  éprouver  de  souffrances 
physiques  ou  de  douleurs  morales;  tout  ce  que 
son  corps  peut   endurer   de  misères;  tout  ce 
qu'il  peut  perdre  de  bonheur  ;  tout  ce  qu'il  est 
donné  à  l'esprit  mortel  de  comprendre  sur  les 
œuvres  de  Dieu,  sur  la  prescience  et  la  toute- 
puissance  de  l'Éternel,  et  sur  les  avis  mysté- 
rieux de  la  Providence  ;  là ,  pour  la  première  fois , 
la  sagesse  humaine  parle  d'Arcture,  d'Orion, 
et  des  Pléiades;  là,  on  trouve  ce  dévouement 
de  l'âme,  cette  immortalité  de  l'espérance,  cette 
patience  qui  ne  s'altéra  jamais ,  même  quand  le 
cœur  se  brisait  à  force  d'angoisses ,  et  qui  s'écrie 
encore  :  «  Voilà,  quand  il  me  tuerait,  je  ne  lais- 
«  serais  pas  d'espérer  en  lui.  »  (Job,  xni,  15.) 

«Mais,  pourrait-on  encore  demander,  la  sa- 
«  gesse  a-t-elle  disparu  du  milieu  d'Edom?  »  A  cela 
la  réponse  est  courte  et  précise  ;  «  oui,  elle  en  a 

(36)  Chronologie  des  anciennes  nations,  par  sir  Isaac  Newton. 

(37)  Ibid. 


286  KDOM.  CH.  xn. 

disparu.  »  L'esprit  des  Bedouins  est  aussi  peu  cul- 
tivé que  les  déserts  qu'ils  traversent.  La  sagesse 
pratique  est  en  général  ce  que  rhoninieai)prend 
en  premier,  et  ce  qu'il  retient  en  dernier;  mais  le 
simple  fait  que  déblayer  quelques  décombres, 
pour  faciliter  l'écoulement  des  eaux  dans  quelque 
ancienne  citerne,  qui  par-là  leur  deviendrait  utile, 
est  une  entreprise  à  la  hauteur  de  laquelle  ne  sau- 
raient s'élever  les  vues  des  Arabes  vagabonds, 
nous  montre  assez  clairement  que  leur  sagesse 
s'est  évanouie.  Ils  regardent  les  antiques  monu- 
ments qui  les  entourent,  non-seulement  avec 
étonnement ,  mais  encore  avec  superstition  , 
comme  étant  l'ouvrage  des  génies.  Chaque  Euro- 
péen est  à  leurs  yeux  un  magicien ,  et  ils  croient 
qu'il  lui  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  l'endroit  oii  ils 
auraient  caché  leurs  trésors  pour  qu'il  puisse 
ensuite  commander  au  gardien  dudit  trésor  de  le 
lui  remettre  ^^  DansThéman,  qui  conserve  en- 
core une  existence  précaire,  les  habitants,  cu- 
rieux de  s'instruire,  n'en  trouvent  pas  le  moyen. 
Le  Coran  fait  leur  seule  étude,  et  contient  la  sub- 
stance de  toute  leur  sagesse.  Ce  serait  vainement 
qu'on  chercherait  aujourd'hui  parmi  eux  un  Thé- 
manite  qui  pût  discourir  avec  la  sagesse  d'Eliphaz , 
quoique  Jobne  le  trouvât  qu'un  faible  consolateur. 
«  Il  n'y  a  plus  de  sagesse  dans  Théman ,  ni  de 
c(  prudence  dans  la  montagne  d'Esaii.  » 

Ainsi  nous  voyons  d'un  côté  quelle  fut  l'an- 
cienne sagesse  des  habitants  d'Edom,  et  de  l'autre 
quelle  est  sa  désolation  universelle  ;  mais  aussi 
nous  verrons  par  la  suite  qu'elle  sert  encore  de  re- 
paire a  des  créatures  que  Dieuavait  désignées  dans 
sa  parole.  Et  tout  insignifiant  que  cela  peut  paraî- 
tre aux  esprits  incrédules  qui  veulent  toujours 

(38)  Burckhardt ,  p.  429. 


cil.  XII.  ÉDOM.  287 

soumettre  la  vérité  à  la  mesure  de  leurs  étroites 
facultés  5  et  faute  d'autres  armes ,  entrepreunent 
de  jeter  du  ridicule  sur  tout  ce  qui  dépasse  les 
bornes  de  leur  faible  entendement  5  les  détails 
suivants 5  renfermés  dans  la  parole  de  Dieu, 
font  encore  comprendre  à  celui  qui  veut  se  don- 
ner la  peine  de  les  examiner,  qu'ils  ne  peuvent 
provenir  que  de  Celui  qui  sait  toutes  choses ,  et 
qui  assigne  à  toute  créature  son  occupation 
et  sa  demeure.  Peut-être  cette  nouvelle  mortifi- 
cation servira- 1- elle  à  ouvrir  l'intelligence  de 
l'incrédule ,  et  à  lui  faire  sentir  quelle  est  la  force 
et  la  vérité  de  cette  parole  qui  donne  la  vie.  «  Et 
«  le  cormoran  et  le  butor  la  posséderont  (  l'Idu- 
«  mée  )  ;  le  hibou  et  le  corbeau  y  habiteront  ;  elle 
(c  sera  le  repaire  des  dragons  et  lé  parvis  des  chats- 
«  huants.  Là,  les  bêtes  sauvages  des  déserts  rencon- 
«  treront  lesbêtes  sauvages  des  îles ,  et  la  chouette 
«  criera  à  sa  compagne  ;  là  même  se  reposera  For- 
ce fraie  et  elle  y  trouvera  du  repos.  Là,  le  mar- 
c(  tinet  fera  son  nid,  il  y  couvera,  il  y  éclôra,  et 
((il  recueillera  ses  petits  sous  son  ombre,  et  là 
((  aussi  seront  assemblés  les  vautours  l'un  avec 
t(  l'autre.  Recherchez  au  livre  de  l'Éternel,  et  li- 
ce sez  ;  il  ne  s'en  est  pas  manqué  un  seul  point  ; 
«  celle-là  ni  sa  compagne  n'y  a  point  manqué ,  car 
((  c'est  ma  bouche  qui  l'a  commandé ,  et  son  Esprit 
c(  est  celui  qui  les  aura  assemblées.  Car  il  leur  a 
«jeté  le  sort,  et  sa  main  leur  a  distribué  cette 
«  terre  au  cordeau.  Ils  la  posséderont  à  toujours; 
ff  ils  y  habiteront  d'âge  en  âge.  —  J'ai  mis  les 
((  montagnes  d'Esaiien  désolation,  et  son  héritage 
«  pour  les  dragons  du  désert  ^^  )> 

La  précision   des  prophéties  est  telle,  leur 
langage   est  si  éloigné  de   toute  ambiguïté,  et 

(39)  Esaïe,  XXXIV,  11,  13-17.  —Mal,,  I,  3, 


288  ÉDOM.  CH.  xn. 

les  événements  qu'elles  annoncent  sont  si  bien  dé- 
taillés, qu'il  est  presque  inutile  de  faire  obser- 
ver que  ces  différents  animaux  ne  devaient  pas 
posséder  dans  le  même  degré  la  terre  d'Edom. 
Quelques-uns  d'entre  eux  devaient  s'y  reposer, 
d'autres  s'y  assembler.  Le  martinet  et  le  vau- 
tour devaient  y  faire  leur  nid,  les  dragons  de- 
vaient en  faire  leur  habitation ,  tandis  que,  du  cor- 
moran et  du  butor,  il  est  dit  qu'il  la  posséderont. 
N'est-il  pas  plus  que  singulier,  malgré  le  peu  de 
renseignements  que  nous  possédons  sur  l'Idumée, 
que,  lorsque  nous  fîmes  des  recherches  pour  dé- 
couvrir si  véritablement  il  ne  manquait  pas  quel- 
qu'un de  tous  ces  animaux,  la  première  lumière 
que  nous  reçûmes  des  frontières  d'Edom  se  rap- 
portât précisément  à  l'animal  dont  il  est  fait  men- 
tion en  premier  dans  la  prédiction?  On  admettra 
sans  difficulté  que,  dans  un  pays  où  un  animalquel- 
conque  est  inconnu,  on  ne  puisse  pas  donner  une 
traduction  convenable  de  son  nom, et  que,  pour 
le  désigner  ou  le  spécifier,  il  faille  se  reporter  à 
son  nom  primitif,  et  à  l'histoire  du  pays  où  il  a 
été  connu;  et  sans  qu'il  y  ait  aucune  difficulté  par 
rapport  au  nom ,  ou  au  besoin  de  le  traduire ,  il 
paraît  que  le  mot  même  de  l'original ,  avec  une 
très  légère  variation,  en  raison  delà  ressemblance 
entre  l'hébreu  et  l'arabe,  est  encore  employé  par 
les  Arabes  pour  désigner  l'oiseau  dont  on  peut 
dire  littéralement  qu'il  «  possède  le  pays  » . 

Lorsque  Burckhardt  est  en  Moab,  dans  le  der- 
nier village  voisin  des  limites  d'Edom,  il  énumère 
les  différents  animaux  qui  se  trouvent  dans  ce  ter- 
ritoire, et  particulièrement  dans  Shera,  un  des  dis- 
tricts de  ridumée  ;  il  ajoute  qu'on  y  rencontre  une 
multitude  innombrable  d'oiseaux  appelés  katta  ^^ 

(/^O)  n^^p  kath,  espèce  de  perdrix.  Quelquefois  dans  roriginal 
on  écrit  katha.  Onkel  ^np  ;  \ide  Simonis  Lexicon,  p.  1393. 


GH.  XI!.  ÉBOM.  589 

lis  volent  en  si  grandes  troupes,  dit-il ,  que  sou- 
vent il  suffit  aux  petits  Arabes  d'y  jeter  un  bâton 
pour  en  tuer  deux  ou  trois  d'un  même  coup  ^\ 
•  Quelqu'un  objecterait-il  ici  que  ce  n'est  pas 
chose  bien  étonnante  qu'il  se  trouve  dans  un 
pays  un  oiseau  particulier ,  qu'il  y  fasse  sa  de- 
meure depuis  nombre  de  siècles,  et  qu'un  te! 
fait  ne  sort  pas  du  tout  des  limites  des  probabi- 
lités humaines?  Nous  répondrons  que  nous  ad- 
mettons la  possibilité  de  ce  fait  pour  presque 
toutes  les  parties  du  globe  ;  mais  qui  vit  jamais , 
dans  un  autre  pays  que  celui-ci,  des  oiseaux  sau- 
vages se  grouper  en  telle  quantité  qu'un  enfant 
peut  en  tuer  deux  ou  trois  d'un  même  coup?  et 
cette  circonstance  est  notée ,  non  point  comme  un 
incident  extraordinaire,  mais  comme  un  fait  habi- 
tuel dans  le  pays.  Or,  qui  entendit  jamais  parler 
d'une  particularité  semblable  dans  une  autre  con- 
trée,non  pas  près  de  la  mer,  où  les  oiseaux  s'assem- 
blent communément  en  grand  nombre  sur  les  ro- 
chers, mais  au  milieu  d'un  vaste  pays  plat  dont 
ils  ont  pris  possession?  Et  quand  même  les  re- 
cherches des  voyageurs  modernes  parviendraient 
à  nous  faire  connaître  un  autre  pays  oii  la  même 
singularité  existe,  qui  donc  pourrait  découvrir 
dans  les  annales  de  l'antiquité  une  prédiction  par 
laquelle  elle  fut  annoncée  et  constatée?  A  quelle 
contrée  maintenant  peuplée  pourrait-on  prédire 
un  semblable  avenir?  et  où  est  le  prophète  capable 
de  dstinguer  un  pays  d'entre  tous,  et  de  désigner, 
parmi  la  multitude  des  oiseaux  du  ciel,  celui  qui 
le  possédera  le  premier  et  en  plus  grand  nom- 
bre? On  n'a  point  encore  de  preuves  de  l'exis- 
tence du  butor  (kephud  )  qui  devait  aussi  possé- 
der la  terre  d'Edom;  mais  la  parole  de  vérité 

(41)  Burckhardt,  p.  406, 

13 


290  ÉDOM.  CH.  XU. 

peut  en  appeler  à  d'autres  faits  inconnus  à  This- 
toire,  mais  écrits  dans  les  prophéties  et  ainsi  de- 
puis longtemps  révélés. 

^  Le  hibou  et  le  corbeau  y  habiteront.  »  Le 
hibou  et  le  corbeau  en  ont  fait  leurs  demeures.  Le 
capitaine  Mangles  raconte  que  pendant  qu'il  vi- 
sitait avec  ses  compagnons  les  ruines  de  Pétra,  le 
cri  des  aigles,  des  corbeaux  et  des  hiboux  qui 
planaient  au-dessus  de  leurs  tètes  en  innombra- 
bles légions,  et  qui  semblaient  se  plaindre  de  ce 
qu'un  être  humain  osât  approcher  de  leur  domai- 
ne, ajoutait  à  la  singularité  et  à  la  tristesse  de  la 
scène.  Les  champs  de  Tafilé,  situés  dans  le  voisi- 
nage immédiat  d'Edom,sont,  à  ce  que  dit  Burck- 
liardt ,  fréquentés  par  d'innombrables  légions  de 
corbeaux  ^^  J'espérais,  dit  Seetzen,  en  parlant  de 
son  voyage  projeté  dans  l'Idumée  et  d'après  les  ren^ 
seignements  que  lui  avaient  donnés  les  Arabes, 
faire  plusieurs  découvertes  en  minéralogie,  aussi 
bien  que  sur  les  animaux  et  les  plantes  du  pays, 
sur  la  manne  du  désert,  les  corbeaux  ^%  etc. 

«  L'Idumée  sera  le  repaire  des  dragons  ;  j'ai 
«  mis  en  désolation  son  héritage  pour  les  dragons 
«  du  désert.  »  Les  témoignages  de  deux  voyageurs 
aussi  opposés  de  vues  et  de  principes  que  le  sont 
Shaw  et  Volney  sont  cependant  si  complètement 
lesmêmes,  que,  bien  que  ces  auteurs  neparlentpas 
d'après  leurs  observations  personnelles ,  on  peut 
admettre  leur  rapport,  faute  de  preuves  plus 
directes.  Le  premier  représente  tout  le  pays 
d'Edomet  le  désert  qui  en  fait  partie  comme  rem- 
plis de  lézards  et  de  vipères  d'une  espèce  très 
dangereuse  "*%  et  le  rapport  de  Volney,  déjà  cité, 
est  concluant  à  cet  égard.  Les  Arabes  en  général 
évitent  les  ruines  des  villes  de  l'Idumée  «  à  cause 

(42)  Burckhardt,  p.  405,  —  (43)  Seetzen,  p.  46. 
(44)  Voyages  de  Shaw,  \ol.  II,  p.  105,  338. 


€ti*  Xlï.  ÈDOtf.  291 

des  énormes  scorpions  qui  y  abondent.  »  Ainsi 
abandonnée  par  l'homme  et  habitée  sans  con- 
trainte par  ses  possesseurs  héréditaires,  Tldumée 
peut  être  justement  appelée  «  Théritage  des  dra- 
gons du  désert.  » 

a  La  les  bêtes  sauvages  des  déserts  rencon- 
«  treront  les  bêtes  sauvages  des  îles  »  (oudesbords 
de  la  mer).  Au  lieu  de  ces  paroles,  Parkhurst 
avait  rendu  cette  phrase  :  «  Les  oiseaux  de  proie 
«  du  désert....  »  Mais  cette  interprétation  fut 
donnée  longtemps  avant  que  le  fait  fût  recon- 
nu ;  et  maintenant  Ton  a  pu  s'assurer  *"  (sans  au- 
cune allusion  à  la  prédiction)  que  des  aigles,  des 
vautours,  des  faucons,  tous  oiseaux  de  proie, 
se  trouvent  par  milliers  dans  Tldumée;  ainsi 
Taccomplissement  de  cette  prédiction  est  littéral 
et  complet.  —  Mais  s'il  est  dit  que  des  animaux 
de  différentes  régions  sV  rencontrent,  cela  signi- 
fie sans  doute  qu'il  s'y  en  trouve  qui  n'appartien- 
nent pas  naturellement  au  sol,  et  une  explica- 
tion semblerait  nécessaire.  Parmi  beaucoup  d'au- 
tres choses  remarquables  dans  Thistoire  de  l'I- 
dumée,  il  est  un  fait  singulier  qui  mérite  que 
nous  le  fassions  connaître  ici.  Une  ancienne  chro- 
nique nous  dit  que  l'empereur  Dèce  fit  trans- 
porter d'Afrique  ,  sur  les  frontières  de  l'Ara- 
Ijie  ou  de  la  Palestine,  des  lions  et  des  lionnes,  afin 
que  ces  animaux  féroces,  en  se  multipliant,  in- 
quiétassent les  Sarrasins  et  servissent  de  barrières 
contre  eux.  Entre  la  Palestine  et  l'Arabie  se 
trouve  la  terre  maudite  de  l'Idumée.  Ne  peut-on 
pas  présumer  que  cette  cause  si  peu  naturelle 
et  si  peu  prévue  a  contribué  a  hâter  la  destruc- 
tion des  troupeaux  et  la  désolation  de  tout  le 
territoire  voisin ,  et  ne  peut-on  pas  dire  littéra- 
lement que  «  là  les  bêtes  sauvages  des  déserts 

(45)  Burckhardt,  p.  405, 


292  KOOM.  CII.  XfK 

«  ont  ronconlié  les  l)etes  sauvages  des  bords  de 
«  la  mer?  » 

«  Elle  sera  le  parvis  descliats-lmanls;  là  même 
*(  se  reposera  l'orfraie,  et  y  trouvera  du  repos; 
«  là  le  martinet  fera  sgn  nid,  et  y  couvera,  il  y 
«  éelora,  et  il  recueillera   ses   petits   sous  son 
((  ventre,  et  là  seront  assemblés  les  vautours  l'un 
«avec  l'autre.  Celle-là  ni  sa  compagne  n'y  ont 
«  point  manqué.  »  —  Nous  avons  déjà  dit  que  les 
aigles,  les  faucons  et  les  chats-huants,  qui  s'assem- 
blaient en  troupes  au-dessus  de  leurs  têtes,  fati- 
guaient, même  en  plein  jour,  quelques-uns  de  nos 
voyageurs.  M.Laborde,  qui  a  visité  ce  pays  plus 
récemment  encore  et  qui  y  a  séjourné  plus  long- 
temps ,  dit  en  passant  que  pendant  la  nuit  on 
entendait  principalement  le  cri  du  chat-huant.  «  Il 
«  se  repose  là  et  y  trouve  son  repos;  »  et  comme 
le  cri  de  l'oiseau  de  proie,  le  hurlement  des  bêtes 
féroces ,  sont  maintenant  le  seul  son  qui  se  fasse 
entendre  dans  toute  l'ancienne  capitale  de  l'Idu- 
mée ,  véritablement  «  ils  sont  assemblés  l'un  avec 
l'autre.  » 

Toutefois  on  n'est  pas  encore  parvenu  à  dé- 
couvrir l'existence  de  tous  les  animaux  que  la 
prophétie  désigne  comme  devant  être  les  posses- 
seurs de  l'Idumée,  et  il  est  réservé  peut-être  à 
quelqu'autre  d'aplanir  cette  difficulté,  d'inter- 
roger le  livre  de  l'Éternel,  et  de  s'assurer  «  qu'il 
n'en  a  pas  manqué  un  seul  au  rendez -vous.  » 
Cependant  les  preuves  que  nous  sommes  déjà 
parvenus  à  recueillir,  et  que  nous  offrons  main- 
maintenant  à  l'examen  des  esprits  impartiaux , 
doivent  être  suffisantes  pour  prouver  combien  il 
jurait  été  impossible  à  l'homme  de  préciser  de 
tels  faits  et  d'en  prévoir  l'accomplissement.  Cer- 
tes, on  ne  peut  manquer  de  reconnaître  encorq 
ici  l'œuvre  de  Celui  devant  qui  les  siècles  à  venir 


fcS.XlI.  ÊDOM.  295 

ne  sont  que  comme  le  jour  d'aujourd'hui  et  à  la 
puissance  duquel  toute  la  nature  est  soumise. 

Fameux  comme  Tétait  Edom  par  «  sa  force  et 
sa  puissance  »  ,  et  possédant  une  capitale  hors 
de  laquelle  il  eût  été  difficile  de  chasser  même 
un  peuple  faible ,  sans  doute  il  n'a  jamais  dû  être 
question  ,  même  parmi  les  anciens ,  de  savoir  à 
quelle  nation  il  appartiendrait  un  jour  ;  et  certes 
il  était  impossible  qu'un  prophète  d'une  nation 
étrangère  imaginât  de  lui-même  qu'un  peuple 
qui  existait  depuis  si  longtemps  ^  et  dont  la  ri- 
chesse et  la  grandeur  étaient  connues  depuis  tant 
de  siècles  ,  dut  jamais  être  totalement  détruit , 
que  toutes  ces  villes  seraient  réduites  en  des  mon- 
ceaux de  ruines^  que  ces  habitations  devien- 
draient désertes,  et  que  telles  ou  telles  bêtes  fé- 
roces en  feraient  leur  repaire etleur  domaine,  de 
génération  en  génération. 

v(  Il  n'y  aura  rien  de  reste  dans  la  maison  d'E^ 
«  sail.  J'étendrai  ma  main  sur  Edom ,  et  j'en 
«  retrancherai  les  hommes.  »  Les  exilés  de  Jucla 
tournent  constamment  un  œil  de  désir  vers  la 
terre  de  leurs  pères;  maisoii  trouver  maintenant 
un  Edomite  qui  cherchât  à  disputer  aux  animaux 
sauvages  la  possession  de  la  terre  de  ses  aïeux , 
ou  à  chasser  de  ses  temples  et  de  ses  palais 
ruinés  le  chat -huant  qui  en  fait  sa  demeure? 
Cependant  la  maison  d'Esaû  existait  encore  à 
une  époque  postérieure  au  commencement  de 
l'ère  chrétienne,  et  à  une  période  trop  éloignée 
de  celle  où  fut  prononcée  la  prédiction,  pour  que 
son  histoire  future  pût  alors  être  connue.  Peu 
après  ce  temps  les  Edomites  se  fondirent  dans  les 
Nabathéens  ;  au  troisième  siècle  on  cessa  de 
parler  leur  langue,  et  leur  nom,  comme  dési- 
gnant un  peuple ,  disparut  d'entre  les  nations  ^^  ; 

(40)  OrigèneJ.  III,  in  Job. 


2di  ÉDonf.  en.  xir. 

enfin  leur  pays,  rejeté  par  la  Syrie  dont  il  faisait 
partie  depuis  lonj,^temps,  fut  uni  à  l'Arabie-Pétrée. 
Ainsi  les  descendants  des  deux  frères,  Esaii  et 
Jacob,  ont  eu  h  subir  un  sort  totalement  diffé- 
rent, de  même  que  les  prédictions  relatives  à  cet 
avenir  différaient  essentiellement  entre  elles. 
Tandis  que  les  enfants  de  Jacob  «  ont  été 
«  dispersés  dans  toutes  les  contrées  sous  la  face 
«  du  ciel,  et  parmi  toutes  les  nations  de  la  terre» , 
tandis  qu'ils  ont  conservé  leurs  traits  distinctifs,  et 
qu'il  a  été  dit  qu'ils  ne  seront  jamais  entièrement 
détruits,  les  Edomites  au  contraire ,  après  avoir 
existé  comme  nation  pendant  plus  de  dix-sept  siè- 
cles, ont  cependant  été  «  retranchés  à  toujours  «  ; 
et  tandis  que  dans  tous  les  pays  on  retrouve  des 
Juifs,  «  il  n'y  a  rien  sur  la  terre  de  reste  de  la 
<c  maison  d'Esaii.  » 

Pour  secourir  un  état  voisin,  Tldumée  envoya 
au  premier  signal  une  armée  de  vingt  mille  hom- 
mes ;  elle  possédait  dix-huit  villes  plusieurs  siè- 
cles encore  après  l'ère  chrétienne;  une  longue 
succession  de  princes  et  de  rois  régnèrent  à  Pétra  ; 
le  voyageur  est  étonné  à  chaque  pas  de  rencontrer 
des  palais  magnifiques,  des  temples  immenses, 
des  habitations  dont  l'architecture  merveilleuse 
date  d'une  tout  autre  époque  que  celle  oîi  fu- 
rent prononcées  parles  prophètes  juifs  les  prédic- 
tions qui  la  regardent  ;  ces  prédictions  qui  disaient 
que ,  malgré  toute  cette  force  et  toute  cette  ri- 
chesse, «  la  maison  d'Esaii  serait  retranchée  pour 
«  toujours,  qu'il  n'y  aurait  là  plus  de  royaume, 
«  et  que  les  bêtes  sauvages  la  posséderaient  en  hé- 
«  ritage.  » — Et  l'idumée  est  tellement  «  méprisée» 
qu'il  n'existe  plus  dans  les  annales  de  l'antiquité 
rien  qui  puisse  nous  faire  connaître  ce  qu'elle 
était  dans  les  jours  de  sa  grandeur,  aussi  claire- 
ment que  les  prophéties  nous  font  voir  sa  désola- 


m.  XII.  ÈDOM.  295 

lion.  Là  où  jadis  s'assemblaient  les  princes  et 
les  grands  du  royaume,  là  oîi  ils  célébraient  leurs 
fêtes,  là  oil  se  réunissent  mille  preuves  de  leur 
ancienne  opulence ,  on  ne  retrouve  plus  que 
des  restes  de  richesse  et  de  magnificence;  «aucun 
«  homme  ify  habite  ;  »  les  oiseaux ,  les  bêtes  et 
les  reptiles  en  ont  fait  leurs  demeures  ;  c'est  le 
parvis  du  chat-huant;  «  aucun  fils  d'homme  n'y 
«  séjourne  ,  »  et  l'éternelle  tranquillité  de  ses  ha- 
bitations désertes  n'est  interrompue  que  par  le 
bruit  des  pas  du  voyageur  solitaire. 

Quelque  cachée  qu'ait  été  depuis  bien  des 
siècles  l'histoire  d'Edom,  cependant  chaque  nou~ 
velle  découverte  que  l'on  est  parvenu  à  faire 
sur  son  état  actuel  devient  une  preuve  que  la 
parole  de  l'Éternel  ne  retourne  jamais  à  lui  sans 
effet,  mais  qu'elle  se  vérifie  dans  toutes  les 
choses  pour  lesquelles  il  l'a  envoyée  ^^  Toute 
son  œuvre  n'est  pas  encore  accomplie  en 
Edom,  et  de  même  que  l'évidence  des  pro- 
phéties n'est  pas  encore  complète,  de  même 
toutes  les  malédictions  prédites  ne  sont  pas  en- 
core venues  sur  ce  pays.  Il  a  été  prédit  que  la  Ju- 
dée ,  Ammon  et  Moab  reviendraient  de  leur 
désolation,  et  les  bêtes  sauvages,  qui  ont  aidé  les 
hommes  barbares  à  désoler  ces  contrées,  trouve- 
ront finalement  un  refuge  assuré  dans  la  posses- 
sion d'Edom,  lorsque,  l'année  de  rétribution  étant 
passée  pour  Sion,  «cette  terre  leur  sera  distribuée 
au  cordeau,  et  ils  la  posséderont  à  toujours,  et  ils  y 
habiteront  d'âge  en  âge.  »  Mais  au  lieu  de  regarder 
plus  avant  dans  l'avenir,  nous  pouvons  mainte- 
nant jeter  un  coup  d'œil  sur  le  passé,  et  en  tirer 
une  dernière  conséquence. 

Il  faut  que  Tincrédule  soit  d'une  crédulité  bien 

(47)  Esaïe,  LV,  H. 


2yC  ÉI>O.M.  cil.  \l\. 

sinj^ulièrc,  si,  après  avoir  exainirie  toutes  les  pré- 
dictions coiiteiincs  dans  la  Bible  sur  rjduniée,  et 
dont  les  faits  démontrent  TaccoinpIisscHnent,  il 
les  rejette  comme  les  elîets  d'un  pur  hasard, 
lui  le  résultat  de  conjectures  fortuites;  certes, 
i'iionune  qui  peut  ainsi  «  couler  le  moucheron 
et  avaler  le  chameau,  »  et  qui  peut  mettre  une 
semblable  opinion  parmi  ses  articles  de  foi,  mé- 
rite la  pitié  de  ceux  qui  «  savent  en  qui  ils  ont 
<(  cru;  »  et  s'il  neperdpas  tout  droit  au  titre  de  phi- 
losophe, du  moins  s'ôte-t-il  le  droit  de  blâ- 
mer dans  autrui  telle  ou  telle  erreur,  quelque 
grossière  qu'elle  soit.  S'il  persiste  dans  cette  opi- 
nion prétendue  philosophique,  qu'est-ce  qui  l'em- 
pêche de  croire  également  que  d'autres  mots, 
effets  du  hasard ,  comme  ceux  qui  prédisent  le 
sort  d'Edoni,  et  qui  se  trouvent  encore  dans  le 
livre  de  rEteroel ,  n'annoncent  pas  aussi  le  sort 
qui  attend  les  hypocrites  et  les  incrédules?  Cette 
opinion  ne  peot-elle  pas  être  appuyée  par  l'expé- 
rience que  plusieurs  des  prédictions  de  l'Écriture 
ont  été  accomplies?  et  ne  peut-il  pas  trouver  quel- 
que analogie  sur  laquelle  il  puisse  baser  cette  con- 
viction^ tandis  cjue  celle  qu'il  soutient  dans  le 
premier  cas  est  entièrement  dépourvue  de  tout 
ce  qui  en  peut  garantir  la  vérité?  Ou  bien  toute  sa 
grande  sagesse  se  borne-t-elle  à  soutenir  la  faus- 
seté de  toute  prédiction ,  jusqu'à  ce  que  son  «  ex- 
périence personnelle  »  le  force  à  en  reconnaître 
la  vérité  par  le  passé,  et  qu'il  ne  lui  reste  plus 
que  le  mérite  d'une  foi  forcée  et  arrachée  par  le 
désespoir?  —  Ou  si  des  preuves  moins  fortes  l\ 
ses  yeux  peuvent  le  contenter,  qu'il  lise,  qu'il 
examine,  qu'il  réfute  toutes  les  déclarations  de 
la  révélation ,  avant  d'oser  traiter  le  croyant  de 
(îrédule,  ou  l'incrédule  de  sage;  ou  bien  il  sera 
forcé  de  reconnaître  un  jour^  malgré  toute  la  per- 


Cfl.  XII.  ÉDOM.  297 

versitë,  rincrédulité,  et  l'orgueil  du  cœur  de 
riiomme,  que  Tldumée  ne  sera  pas  le  seul  monu- 
ment terrible  de  la  colère  et  des  jugements  de  Dieu. 
Nous  pouvons  ici  en  passant  dire  un  mot  aux  sa- 
ges eux-mêmes.  Que  ces  sages  selon  le  monde,  qui 
ne  sont  pas  instruits  dans  cette  «  crainte  du  Sei- 
gneur qui  est  le  commencement  de  la  véritable  sa- 
gesse, »  à  qui  manque  la  connaissance  de  sa  parole 
qui  rend  sage  à  salut,  et  qui  sont  étrangers  aux 
préceptes  et  aux  vérités  de  rÉvangile,  apprennent 
aussi  par  le  sort  d'Edom  que  sans  tout  cela  il  en 
serait  de  toutes  les  sciences,  dont  ils  sont  si  fiers^ 
comme  de  la  prudence  des  sages  d'Edom.  Quand 
ils  parviendraient  à  perfectionner  l'astronomie,  la 
navigation,  la  mécanique,  ces  sciences  dont, 
suivant  Newton,  les  Edomites  furent  les  pre- 
miers inventeurs,  à  quoi  les  avancerait,  comme 
êtres  moraux  et  responsables,  d'arranger  la  ma- 
tière à  leur  volonté,  s'ils  n'ont  pas  conformé 
leurs  cœurs  à  la  volonté  divine?  Et  quel  serait 
en  définitive  le  résultat  de  leurs  grands  travaux? 
car  lors  même  qu'ils  parviendraient  à  élever  co- 
lonne sur  colonne,  à  tailler  une  autre  ville  dans' 
l'épaisseur  des  rochers,  il  suffirait  d'une  autre 
parole  de  ce  Dieu  qu'ils  ne  cherclientpointk  con- 
naître, d'une  seule  parole  prononcée  contre  leur 
ouvrage  ;  et  tous  leurs  travaux ,  tout  leur  génie 
n'aboutiraient  qu'à  ce  que  Pétra  est  devenue  et 
ce  que  Rome  elle-même  est  destinée  à  devenir, 
«  le  repaire  de  tout  oiseau  immonde  et  exécra- 
ble. »  L'expérience  en  a  déjà  été  faite ,  on  peut 
bien  s'en  rapporter  à  cette  leçon  qui  est  de- 
vant nos  yeux ,  afin  qu'au  lieu  d'attirer  sur  nous 
des  jugements  plus  terribles  encore,  nous  puis- 
sions être  avertis  par  «  l'esprit  de  prophétie, 
qui  est  le  témoignage  de  Jésus,  »  d'entendre  et 
d'obsçrver  les  paroles  de  Celui  «  qui  nous  délivra 

13. 


208  rHiLFsîiË.  en.  xnï. 

do  la  colère  à  venir.  «  Car  eoinl)ien  sera  terrible 
pour  une  Ame  la  malédiction  prononcée  con- 
tre elle  par  rÉlernel,  lorsque  au  lieu  d'être  re- 
nouvelée à  l'image  de  Dieu,  et  d'avoir  été  rendue 
digne  de  le  contempler  dans  sa  gloire,  elle  se  verra 
passer  d'un  état  de  ténèbres  a  cet  état  de  vie  spi- 
rituelle, oil  toute  la  connaissance  des  choses 
terrestres  ne  sera  plus  que  néant  et  vanité,  où 
l'absence  de  foi  et  d'amour  laissera  Tame  aussi 
vide  que  les  habitations  désertes  des  rochers, 
où  les  pensées  de  grandeur  et  de  puissance  mon- 
daines viendront  occuper  l'ame  immortelle  d'une 
manière  bien  plus  affreuse  que  les  bêtes  féroces 
n'occupent  maintenant  les  palais  de  l'Idumée  ,  et 
où  toutes  les  passions  et  tous  les  péchés  de  la  vie 
passée  viendront  prendre  possession  de  cette 
âme,  comme  les  scorpions  et  les  reptiles  s'atta- 
chent aux  ruines  d'Edom  et  aux  autels  des  faux 
dieux,  sans  que  rien  puisse  leur  arracher Théri- 
tage  éternel'  qui  leur  aura  été  assigné^ 


CHAÎ^ITRE  XÎIL 

PROPHÉtiES  CONCERNANT  LA  PHÎLISTIE. 

La  terre  des  Philistins,  à  l'ouest  et  au  sud- 
ouest,  confinait  à  la  Judée,  et  se  trouve  à  l'extré^ 
mité  sud- est  de  la  Méditerranée.  Le  pays  au 
nord  de  Gaza  est  très  fertile,  et,  longtemps  après 
l'ère  chrétienne,  il  était  habité  par  une  population 
nombreuse  et  protégé  par  des  villes  supérieure- 
ment  fortifiées  ;  rien  ne  pouvait  faire  présager  au 
temps  des  prophètes,  ni  même  à  une  époque  posté- 
rieure,  révèneinent  de  sa  destruction.  Mais  depuis 


en.  \m.  PHiLisTiE.  299' 

bien  des  siècles  il  présente  le  contraste  de  tout 
ce  que  la  fertilité  de  son  sol,  Texcellence  de  son  cli- 
mat et  de  sa  position  semblaient  promettre  pour 
Tavenir.  —  La  voix  des  prophètes  s'est  aussi  fait 
entendre  contre  la  Philistie  ;  et  leurs  prédictions 
étaient  aussi  opposées  h  toute  probabilité  hu- 
maine qu'elles  sont  véridiques  dans  leurs  des- 
criptions de  son  état  actuel. 

«  Je  m'en  vais  étendre  ma  main  sur  les  Philis- 
«  tins,  et  je  ferai  périr  le  reste  de  leurs  ports  de 
«  de  mer  *^  Gaza  est  devenue  chauve;  Asçkélon 
«  ne  dit  plus  mot,  avec  le  reste  de  leur  vallée  ^^)) 
«  A  cause  de  trois  crimes  de  Gaza,  même  à  cause 
«  de  quatre,  je  ne  rappellerai  point  cela;  mais 
«  j'enverrai  le  feu  à  la  muraille  de  Gaza,  et  il  dé- 
«  vorera  ses  palais.  Et  j'exterminerai  d'Asçdod 
«  ses  habitant^ ,  et  d' Asçkélon  celui  qui  tient  le 
«  sceptre  ;  puis  je  tournerai  ma  main  sur  Hékron , 
«  et  le  reste  des  Philistins  périra,  aditl'EterneP^. 
«  Asçkélon  sera  en  désolation .  on  chassera  les  ha- 
c(  bitants  d'Asçdod  en  plein  midi,  et  Hékron  sera 
«  arrachée.  Chanaan,  quieslepaysdesPhilistins, 
«  je  te  détruirai  tellement  que  personne  n'y  ha- 
ft bitera,  et  la  contrée  maritime  ne  sera  que  ca- 
«  bane§ ,  que  des  loges  de  bergers ,  et  que  des 
«  parcs  de  brebis  ^'.))  «  Il  n'y  aura  plus  de  roi  à 
«  Gaza,  et  Asçkélon  ne  fleurira  plus ^'\  » 

«  Le  pays  des  Philistins  sera  détruit.  »— -Il  par- 
tage aujourd'hui  la  désolation  commune  a  la  Judée 
et  aux  contrées  voisines,  et  les  ruines  dont  elles 
sont  couvertes  abondent  plus  particulièrement  le 
long  des  cotes  de  la  mer ,  qui  formaient  la  partie 
méridionale  du  royaume  des  Philistins.  Mais  son 
aspect  présente  quelques  particularités  que  les 

(SB)  Ez^iel,  XXV,  16.  —  (49)  Jérémie,  XLVIl,  5. 
(50)  Amos,  I,  6,  7,  8.  —  (51)Sophonie,  II,  4,  D,  6. 
(52)  Zachiine,  IX,  5. 


300  PilïLISTIE.  Cil.  XIH. 

>()yageurs  modernes  ifoiit  pas  marKjné  de  spéci- 
lier,  et  qui  nous  font  voir  clairenieni  que  la  des- 
iîription  des  prophètes  était  aussi  exaete  que 
s'ils  avaient  été  eux  -  monies  spectateurs  de 
cette  scène,  et  aussi  (îdèle  que  s'ils  avaient  reçu 
leurs  informations  de  la  source  la  plus  authenti- 
que. Mais  nous  pouvons  encore  ici  nous  en 
rapporter  a  une  autorité  que  nous  avons  bien 
souventcitée.  —  Volney,par  la  justesse  de  ses  re- 
marques topographiques,  et  la  sagacité  de  ses  re- 
cherches, fait  ressortir  plus  qu'aucun  autre  voya- 
geur la  vérité  et  l'exactitude  des  descriptions  pro- 
phétiques, tandis  que  d'un  autre  côté  son  inimitié 
bien  connue  contre  le  christianisme  rend  son  té- 
moignage non  équivoque  et  non  suspect.  Nous 
nous  en  rapportons  donc  aux  récits  de  ce  voya- 
geur, pour  prouver  l'accomplissement  des  pro- 
phéties suivantes  : 

«  La  contrée  maritime  ne  sera  que  cabanes, 
«  que  loges  de  bergers  et  parcs  de  brebis.  L'Éter- 
«  nel  s'en  va  saccager  les  Philistins;  Gaza  est  de- 
«  venue  chauve^  elle  sera  abandonnée.  Iln'yaura 
«  plus  de  roi  à  Gaza.  J'exterminerai  d'Ascdod 
«  ses  habitants:  Asckélon  sera  en  désolation,  elle 
«  ne  dit  plus  mot,  avec  le  reste  de  leur  vallée;  per- 
«  sonne  n'y  habitera.  »  Dans  la  plaine  entre 
Ramla  et  Gaza  (  précisément  celle  qui  apparte- 
nait aux  Philistins,  le  long  des  côtes  de  la  mer  ) , 
on  rencontre  d'espace  en  espace  quelques  villa- 
ges mal  bâtis  en  terre ,  qui ,  comme  leurs 
habitants,  portentl'empreintede  la  pauvreté  et  de 
la  misère.  Les  maisons,  vues  de  près,  sont  des 
huttes  tantôt  isolées,  et  tantôt  rangées  en  forme 
de  cellules,  autour  d'une  cour  fermée  par  un 
mur  de  terre.  En  hiver,  l'appartement  habité 
est  aussi  celui  des  bestiaux;  seulement  la  partie 
oil  l'on  se  tient  est  élevée  de  deux  pieds  au-des- 


CH.  XIH-  PFIILÏSTIE.  301 

SUS  du  sol  des  animaux  («  des  cabanes  ^  des  loges 
de  bergers  et  des  parcs  de  brebis»).  Tout  le  reste 
du  pays  est  désert ^  et  livré  aux  Arabes  Bédouins 
qui  y  font  paître  leurs  troupeaux  ^^  «  Je  feraipé- 
«  rir  le  reste;  le  pays  des  Philistins  sera  détruit^ 
«personne  n'y  habitera,  et  la  contrée  maritime 
«  sera  lademeuredes  bergers  et  un  parc  aux  bre- 
«  bis.  » 

Les  ruines  de  marbre  blanc  que  Ton  trouve 
encore  quelquefois  à  Gaza  prouvent  que  jadis 
elle  fut  le  séjour  du  luxe  et  de  l'opulence;  mais 
elle  a  participé  à  la  décadence  générale ,  et  mal- 
gré son  titre  de  capitale  de  la  Palestine,  elle  n'est 
plus  qu'un  bourg  sans  défense  («  Gaza  est  deve- 
nue chauve  »  ),  peuplé  tout  au  plus  de  deux 
mille  âmes  ^\  «  Il  n'y  aura  plus  de  roi.  »  Sur  la 
droite  est  Asçkélon,  dont  les  mines  désertes 
s'éloignent  de  jour  en  jour  de  la  mer,  qui  jadis 
les  baignait  ^".  «  Elle  sera  en  désolation.  »  L'on 
rencontre  successivement  diverses  ruines  dont 
la  plus  considérable  est  Edzoud  (Ascdod),  l'an- 
cienne Azot,  célèbre  en  ce  moment  par  ses 
scorpions.  Cette  ville,  puissante  sous  les  Philis- 
tins, n'a  plus  rien  qui  atteste  son  ancienne  acti- 
vité, (f  J'exterminerai  d^Ascdod  ses  habitants.  » 

Quoique  le  voyageur  chrétien  doive  céder  le 
pas  à  Volney,  lorsqu'il  se  fait  le  topographe  de 
la  prophétie ,  et  qu'ainsi  tout  autre  témoignage 
devienne  superflu,  cependant  il  ne  sera  pas  inutile 
d'insérer  ici  les  observations  suivantes  : 

Asçkélon  était  une  des  plus  opulentes  satra- 
pies des  Philistins;  aujourd'hui  ses  murs  ne  ren- 
ferment pas  un  seul  habitant.  Ainsi  s'est  accom- 
plie la  prédiction  de  Zacharie  :  «  Il  n'y  aura  plus 
('  de  roi  à  Gaza,  et  Asçkélon  ne  fleurira  plus.  »  A 

(53)  Volney,  Voyages  en  Syrio,  ch.  xxxi,  p.  309. 
(5/|)  Ib'd.,  313.  —  (55)  Ibid.,  312. 


302  piiiLisTiE.  en.  XIIL 

répoquo  oil  celle  prophétie  fut  prononcée ,  ces 
deux  villes  étaient  également  florissantes,  et  il 
ne  fallait  rien  moins  que  la  prescience  de  Dieu 
pour  décider  sur  laquelle  des  deux  et  de  quelle 
manière  serait  répandu  le  vase  de  sa  colère. 
Gaza  en  effet  n'a  plus  de  roi.  Les  superbes  tours 
d'Asçkélon  gisent  éparses  sur  le  sol  et  au-dedans 
de  ses  murailles;  ses  murs  ne  servent  d'asile  k 
aucun  être  humain.  ((Certainement  la  fureur  de 
l'homme  tournera  à  ta  louange.  »  Cet  oracle  fut 
rendu  par  la  bouche  du  prophète ,  plus  de  cinq 
cents  ans  avant  l'ère  chrétienne  ,  et  c'est  plus 
de  dix-huit  siècles  après  cette  époque  que  nos 
yeux  sont  témoins  de  son  accomplissement^^. 

Quelque  péremptoire  que  soit  ce  raisonnement, 
cependant  les  faits  rapportés  par  Volney  sont  plus 
remarquables  encore.  Non  -  seulement  il  décrit 
le  sort  de  telle  ou  telle  ville,  mais  il  parle  de 
l'aspect  général  du  sol,  des  cabanes  et  des  huttes 
de  bergers  qu'il  trouve  dans  une  partie  du 
pays  seulement,  tout  le  reste  n'étant  qu'un  vaste 
désert  sans  habitants,  ou  bien  abandonné  aux 
troupeaux  des  Arabes  ;  U  dit  que  Gaza  est  privé 
de  son  roi ,  que  ce  n'est  plus  qu'un  bourg  sans 
défense  et  sans  fortifications ,  qu'Asçkélon  n'est 
qu'une  désolation,  qu'Asçdod  n'a  plus  d'habitants, 
que  des  scorpions  y  ont  remplacé  les  hommes; 
eh  bien ,  toutes  ces  choses  sont  l'objet  d'une  pro- 
phétie spéciale,  et  chaque  fait  que  Volney  énu- 
mère  nous  force  à  nous  demander  si  la  description 
la  plus  frappante  sort  de  la  bouche  de  l'incrédule 
ou  de  la  bouche  du  prophète  inspiré.  Il  n'y  a  nulle 
part  la  moindre  obscurité  ;  aucune  circonstance, 
aucune  preuve  ne  manque.  L'accord  est  parfait, 
trop  parfait  pour  que  l'on  puisse  s^^y  niépren(Jrpf 

(56)  Ricàardson,  vol  II,  p.  20$. 


Cfï.  XIII.  PHILISTIÊ.  303 

Il  est  facile  au  plus  ignorant  de  s'assurer  que  la 
prédiction  est  de  bien  des  siècles  antérieure  aux 
événements,  et  telle  était  la  fertilité  naturelle  du 
sol,  la  beauté  de  ses  villes  et  la  force  de  leurs 
fortifications  5  qu'il  était  impossible  a  un  être 
humain  de  prévoir  une  destruction  aussi  com« 
plète  et  une  désolation  aussi  universelle.  Même 
après  l'époque  de  l'oracle.  Gaza  soutint  pendant 
deux  mois  le  siège  que  lui  fit  Alexandre-le-Grand 
à  la  tête  d'une  puissante  armée.  Cette  armée,  avec 
laquelle  il  renversa  plus  tard  l'empire  des  Perses, 
ayant  été  repoussée,  là  aussi  bien  qu'à  Tyr,  le  roi 
ayant  été  lui-même  deux  fois  blessé  ,  il  en  fut 
tellement  exaspéré  qu'il  fit  attacher  aux  roues 
de  son  chariot  l'intrépide  général  qui  avait  dé- 
fendu la  ville  et  le  traîna  deux  fois  autour  des 
murailles  de  Gaza  ^^ 

Asçkélon  étaitnon  moins  célèbr e jadis  par  T^x- 
cellence  de  ses  vins  que  par  la  force  des  ou- 
vrages qui  la  défendaient  ^^  Un  ancien  historien, 
en  parlant  d'Asçdod,  nous  dit  que  cette  ville  sou- 
tint sous  Psamméticus,  roi  d'Egypte,  le  plus 
long  siège  peut-être  dont  l'histoire  fasse  mention, 
puisqu^il  dura  29  ans  ^^  Strabon,  au  commence- 
ment de  l'ère  chrétienne,  met  les  Asckélonites 
au  rang  des  principaux  habitants  delà  Syrie.  Gaza, 
Asçkélon,  et  Ascdod  formèrent  chacun  un  sièee 
episcopal,  depuis  le  règne  de  Constantin  jusqu'à 
l'invasion  desSarrazins.  Et  nous  avons  encore  une 
preuve  positive  de  l'existence  de  ces  différentes 
villes  à  une  époque  bien  postérieure  à  celle 
de  la  prédiction  ,  par  les  monnaies  dont  on  a 
encore  une  collection,  et  qui  ont  été  décrites 
dans  différents  ouvrages  sur  les  médailles  et  les 

(57)  Quinle-Curce,  1.  IV,  clu  xxvr. 

(58)  Relandi  Palaeslina,  p,  351,  586. 

(59)  Hérodot.,  Hîst>,  U  II,  ch.  clviu 


BOl  niiLisTiK.  en.  xiii. 

liioiinaies  des  anciens '^  On  reconnailcMicoreran- 
rienne  niaj;rii licence  de  Gaza  «  a  ses  mines  de 
jnarbri»  hlanc»,  et  à  la  maison  de  l'ai^ja  actuel, 
composée  de  fraiîfments  de  vieilles  colonnes,  etc.  : 
dans  la  cour  du  bâtiment  et  enfoncés  dans  les 
murs,  on  retrouve  des  chapiteaux  de  colonnes  d;:^ 
granit  ^*.  En  un  mot  «  des  loges  de  bergers  et 
<<  des  parcs  pour  les  brebis  »  sont  jetés  çà  et  là 
sur  «  la  côte  maritime  ;  »  ce  sont  les  seules 
grandes  villes  que  toute  la  Philistie  puisse  pré- 
senter maintenant,  et  le  reste  de  ce  royaume  qui 
donna  tant  de  gloire  et  de  puissance  à  ses  an- 
ciens possesseurs  «  est  détruit  aussi.  » — Gaza,  une 
des  principales  satrapies,  «le  séjourduluxe  etde 
Fopulence,  »  est  maintenant  «  privée  de  son  roî, 
et  elle  est  devenue  chauve  »  de  toutes  ses  an- 
ciennes fortifications  ;  elle  n'est  plus  que  le  sé- 
jour sans  défense  du  gouverneur  d'une  province 
dévastée^  et  les  ornements  de  ses  édifices ,  jadis 
si  superbes,  ne  forment  plus  maintenant  que  des 
pans  de  murs  pour  les  étables  des  bestiaux.  Une 
poignée  d'hommes  pourrait  aujourd'hui  s'emparer 
de  cette  place  si  forte,  et  qui  résista  si  longtemps 
au  conquérant  du  monde. — Les  murailles,  les  habi- 
tations et  les  habitants  d' Asckélon  ont  été  détruits, 
et  quoique  ce  nom  fût  répété  avec  des  cris  de 
triomphe,  pendant  la  guerre  des  croisés,  à  tra- 
vers toutes  les  contrées  de  l'Europe,  maintenant 
«  il  ne  fleurit  plus  » .  Et  Asçdod,  qui  soutint  un 
siège  trois  fois  aussi  long  que  celui  de  Troie ,  a 
«  été  retranchée  »  devant  la  parole  de  Dieu  qui  est 
plus  pénétrante  que  mille  épées  à  deux  tran- 
chants, et  devant  qui  elle  s'est  trouvée  sans  dé- 
fense.—  Il  y  a  encore  une  autre  ville  sur  laquelle 
nous  ne  savons  presque  rien^  et  dont  le  nom  même 

(60)  Relandi  Palaeslina,  p.  595,  609,  797. 

(61)  Manuscrit  du  général  Stralon. 


CH.  Xlir.  LIBAN.  305 

n'existe  pas  sur  plusieurs  des  cartes  de  la  Pales- 
tine .  et  cette  ignorance  même  dans  laquelle 
nous  sommes  est  une  puissante  preuve  de  Tac-^ 
complissement  de  la  prophétie.  «  Asçkélon  sera  ar- 
rachée,» et  elle  est  retranchée.  Elle  était  une  des 
principales  yilles  de  la  Philistie  ;  mais  parmi  les 
ruines  d'Asçkélon,  de  Gaza  et  d'Asçdod,  on  cher^ 
che  en  vain  le  nom  d'Hékron^^ 

Cette  différence  remarquable  entre  l'état  dit 
sol  et  celui  de  chacune  des  villes  de  la  Phi- 
listie,  s'accorde  parfaitement  avec  les  paroles 
de  la  prophétie ,  et  le  témoignage  de  Volney  con- 
state tous  ces  détails.  Après  avoir  examiné  tous 
ces  événements^  et  après  s'être  assuré  de  la  prio- 
rité de  la  prédiction,  comment  l'expliquer  autre- 
ment qu'en  l'attribuant  à  la  prescience  de  Dieu  ? 

La  Judée  est  bornée  au  nord  par  les  mon-^ 
tagnes  du  Liban,  célèbres  jadis  par  l'étendue 
des  forêts  dont  elles  étaient  couvertes,  et  par 
la  grandeur  et  la  beauté  de  leurs  cèdres  ^'\  On 
y  trouva  partout  des  sapins,  des  cyprès  et  des 
vignes,  etc.  Mais  en  parlant  de  ce  qu'est  le  Liban 
maintenant ,  Volney  dit  :  Vers  le  Liban ,  les  mon- 
tagnes sont  assez  hautes,  et  cependant  elles  se 
couvrent  en  beaucoup  d'endroits  d'autant  de  terre 
qu'il  en  faut  pour  devenir  cultivables  à  force  d'in- 
dustrie et  de  travail.  Là  parmi  les  rocailles  se 
présentent  les  restes  peu  magnifiques  des  cèdres 


(62)  Dans  la  carie  qui  accompagne  les  Voyages  de  Shaw,  Akrotï 
est  marquée,  il  est  vrai ,  mais  elle  est  placée  sur  le  côté,  et  la  vé- 
ritable Hékron  était  plutôt  dans  Tintérieur  du  pays.  Shaw  n'a  pas 
visité  ce  site  ,  et  Richardson  se  borne  à  supposer  que  des 
ruines  près  d'Asçdo  délaient  celles  d'Hékron.  Mais  ces  ruines  ne  cor- 
respondent pas  à  celles  dusited'Hékron,  qui  se  trouvait,  selon  Bu- 
st be,  entre  Asçdod  et  Jamnia,  vers  Forient,  ou  dans  finlérieur* 
(Voyez  Relandi  Palœstina,  p.  77.) 

(63)  Relandi  Paliestina,  p.  320,  379.  —  Hist.  Tacili ,  K  V,  c*  vu 


306  JUDÉE.  en.  XIII. 

si  vantés  *^\  Les  paroles  des  prophéties  d'Esaïe 
conlirincnt  ce  sarcasme  et  en  font  un  témoi- 
gnage de  la  vérité.  «  Liban  est  sec  et  coupé.  Les 
a  plus  hauts  seront  abaissés  et  le  Liban  tombera 
«  avec  impétuosité  **^.  Les  branches  sont  tombées 
«  sur  les  montagnes  et  sur  toutes  les  vallées.  C'est 
«  pourquoi  tous  les  arbres  ne  s'élèveront  plus 
a  dans  leur  hauteur  et  ne  produiront  plus  de  cime 
«  touffue ^'^.  Liban,  ouvre  tes  portes  et  le  feu  con- 
«  sumera  tes  cèdres  :  le  cèdre  est  tombé ,  la  forêt 
«  qui  était  comme  une  place  forte  a  été  coupée  *^.  » 

Telles  sont  les  prophéties  qui  se  rapportent 
expressément  à  la  terre  de  Judée  et  aux  contrées 
adjacentes,  et  tels  sont  les  faits  qui,  diaprés  les 
écrits  de  divers  voyageurs,  constatent  leur  accom- 
plissement; nous  avons  tâché  de  rassembler  les 
preuves  les  moins  suspectes,  et  beaucoup  d'autres 
témoignages  viennent  à  l'appui  de  celles-là.  Les 
prédictions  et  les  preuves  de  leur  accomplis- 
sement sont  si  nombreuses  qu'il  est  impossible 
de  les  concentrer  en  un  seul  point  de  vue,  sans  en 
exclure  beaucoup  de  très  importantes,  qui  sont  en 
elles-mêmes  si  claires  et  dont  l'application  est  si 
facile,  qu'en  voulant  les  expliquer  davantage  on 
ne  ferait  que  les  obscurcir  ou  en  diminuer  la 
force.  Il  n'y  a  point  d'ambiguité  dans  les  prophé- 
ties, et  elles  n'admettent  aucune  autre  interpré- 
tation que  celle  que  les  faits  actuels  leur  donnent. 
On  ne  peut  plus  douter  de  leur  authenticité  ou 
de  leur  antiquité,  puisque  les  pays  dont  elles 

(64)  Volney,  ch  xx,  §  il.  —  Volney  fait  observer  dans  une  noie 
qu'il  n'y  a  plus  que  quatre  ou  cinq  de  ces  arbres  qui  aient  quelque 
apparence,  et  nous  pourrions,  à  notre  tour,  ajouter  une  note  tirée 
des  paroles  d'Esaïe  :  «  Et  le  reste  des  arbres  de  ses  forêts  seront 
«  aisés  à  compter,  tellement  qu'un  enfant  les  mettrait  bien  en  écrit,  n 
(Esaïe,  X,  J9.)-C65j  Esaie ,  XXX,  9  ;  X,  33,  3ii.-(66;  Ezéclu,  XXXI, 
12,  14.-(67;Zach.,XI,  1,  2. 


CH.  III.         ET   LES    CONTRÉES    ADJACENTES.  307 

annonçaient  le  sort  possédaient  plusieurs  mil- 
lions d'habitants  et  de  nombreuses  villes ,  opu- 
lentes et  florissantes ,  plusieurs  siècles  après 
la  publication  de  cesoracles,  k  une  époque  oîi  ii 
était  d'usage  général  parmi  les  Juifs  de  lire  pu- 
bliquement leurs  saintes  écritures^  et  ce  n'est  que 
lentement  et  graduellement  que  la  destruction 
qu'elles  prédisaient  est  venue  fondre  sur  ces  na- 
tions. Il  est  parfaitement  impossible,  dans  l'ordre 
de  la  nature^que  de  simples  mortels  aient  pu  pré- 
voir des  faits  semblables  5  faits  que  toutes  les 
apparences  contredisaient  et  qui  étaient  con- 
traires au  témoignage  de  l'histoire  tout  entière , 
et  il  n'y  avait  que  des  spoliateurs  Arabes  ou  un  gou- 
vernement Turc  qui  fussent  capables  de  réduire 
un  pays  naturellement  fertile  à  un  tel  état  de  dé- 
solation et  de  dégradation.  Aurait-il  été  possible 
de  prévoir  qu'après  un  intervalle  de  plusieurs 
siècles,  cette  terre  resterait  pendant  des  géné- 
rations entières  privée  de  toute  prospérité ,  de 
tout  bien-être ,  que  rien  ne  saurait  la  faire  re- 
vivre, que  rien  ne  parviendrait  à  éloigner  la  dé- 
solation qui  pesait  sur  une  des  plus  riches  et  des 
plus  saines  contrées  du  globe?  Aurait-il  été 
possible  à  la  plume  d'un  simple  mortel  de  dé- 
crire ,  2,200  h  3,300  ans  d'avance,  tous  les  traits 
de  cette  désolation  actuelle? 

Plus  on  fait  de  recherches  et  plus  on  approfondit 
l'état  de  ce  pays,  plus  on  est  convaincu  de  la  vé- 
rité et  de  l'authenticité  de  toutes  ces  prophéties. 
En  parlant  de  la  parfaite  vérité  historique  des 
prédictions  relatives  aux  rois  de  Syrie  et  d'Egypte, 
î'évêque  Newton  fait  observer  (comme  sir  Isaac 
Newton  l'avait  remarqué  précédemment)  qu'au- 
cun auteur  moderne  ne  fournit  un  récit  également 
clair,  également  concis  de  ces  événements;  que 
la  prophétie  même  est  plus  complète  que  l'bis- 


S08  JtlDÉR  Cit.  xrlf; 

foire,  et  qu'il  n'y  a  i)()iiit  criiistorien  qui  ait  à  lui 
^eul  raconté  autant  de  faits  c|ue  les  pioplièt^s  en 
ont  ])réciit5  et  qu'ainsi  il  a  fallu  avoir  recours  à 
plusieurs  auteurs  pour  expliquer  le  j^rand  nombre 
de  faits  auxquels  les  prophéties  ont  rapport.  On 
peut  appliquer  cette  observation  aux  preuves 
t;éograpliiques  aussi  bien  qu'aux  preuves  histo- 
riques de  l'authenticité  des  prophéties. 

J.a  Judée,  qui,  avant  le  temps  des  projihètes  , 
avait  depuis  tant  de  siècles  conservé  un  gouver-^ 
nenient  particulier  et  uniforme  qui  la  distinguait 
des  autres  nations,  la  Judée,  disons-nous,  a  de- 
puis lors  subi  bien  des  changements;  depuis  bien 
des  générations  elle  a  été  soumise  à  tous  les  genres 
de  spoliations;  et  maintenant,  après  un  intervalle 
de  plusieurs  siècles,  les  voyageurs  reconnaissent 
ce  que  les  prophètes  avaient  annoncé.  Chaque 
prédiction  est  accomplie  dans  tous  ses  détails,  du 
moins  partout  oîi  l'on  est  parvenu  à  connaître  les 
faits.  Le  récit  d'un  seul  voyageur  ne  suffit  pas 
pour  nous  donner  exactement  l'état  actuel  de  ce 
pays,  et  il  faut  réunir  un  grand  nombre  de  témoi- 
gnages de  différents  voyageurs  pour  parvenir  a 
posséder  tous  les  traits  si  diversifiés  et  si  distincts 
de  cette  vaste  scène,  dont  la  plume  des  prophè- 
tes nous  avait  tracé  chaque  ligne,  chaque  teinte, 
en  nous  décrivant  l'histoire  de  la  terre  et  des  ha- 
bitants de  la  Palestine. 

Que  disent  les  prophètes?  La  Judée  sera  foulée 
par  une  longue  succession  de  spoliateurs.  — Elle 
restera  sans  culture  de  siècle  en  siècle.  —  La 
désolation  du  pays  sera  universelle;  toutes  ses 
villes  tomberont  en  ruines.  — Ses  riantes  plaines 
ne  seront  plus  qu'une  vaste  solitude.  — ^Ses  ferti- 
les montagnes  ne  produiront  plus;  la  terre  sera 
couverte  de  ronces  et  d'épines,  ses  grands  che- 
mins seront  déserts,  ses  anciens  possesseurs  se- 


ÇH.  XHI.    ET  LES  CONTRÉES  ADJACENTES.       309 

vont  dispersés  parmi  toutes  les  nations.  Les  habi- 
tants dépravés  5  peu  nombreux ,  mangeront  leur 
pain  à  la  sueur  de  leur  front,  dans  la  crainte  conti- 
nuelle de  la  spoliation  ou  de  Toppression.— Le  tra- 
vail deviendra  inutile 5  les  produits  seront  nuls, 
le  pays  sera  entièrement  saccagé  et  dépouillé.  — 
On  n'y  entendra  plus  le  son  de  la  musique  ;  toute 
la  gaîté  des  habitants  disparaîtra ,  l'usage  du  vin 
sera  défendu  dans  un  pays  vignoble,  et  le  vin 
deviendra  amer  à  celui  quileboira. —  Il  n'y  aura 
que  de  très  petites  exceptions  à  cette  désolation 
universelle  ;  il  ne  restera  que  quelques  épis  lais- 
sés sur  le  champ,  et  quelques  faibles  lueurs  seu- 
lement attesteront  l'ancienne  gloire  de  la  Judée. 

La  terre  d' Ammon  sera  dévastée ,  la  race  des 
Ammonites  sera  éteinte,  leur  pays  sera  la  proie 
des  païens,  et  dans  une  désolation  perpétuelle. 
Moab  sera  désolée ,  personne  n'habitera  ses  villes, 
pas  une  seule  n'échappera,  la  vallée  périra,  la 
plaine  sera  détruite ,  une  troupe  de  vagabonds 
viendra  contre  elle  et  chassera  ses  habitants;  on 
se  réfugiera  parmi  les  rochers,  les  troupeaux 
paîtront  parmi  les  ruines  des  villes,  et  personne 
ne  les  inquiétera. 

L'Idumée  restera  inconnue  aux  voyageurs,  elle 
sera  victime  d'une  désolation  sans  exemple;  ses 
villes  seront  entièrement  abandonnées  et  détrui- 
tes; il  ne  restera  pas  le  moindre  vestige  de  laplu- 
partd'entre  elles. — Elle  sera  une  solitude  désolée 
surlaquelleon  aura  tiré lecordeaudu désordre.  Le 
pays  sera  fouillé,  il  n'y  aura  point  d'apparence  de 
royaume.  Ses  rois  et  ses  princes  disparaîtront,  et 
tout  ce  qui  restera  d'eux,  ce  sera  leurs  sépultures. 
— Desroncesetdesépinescroîtrontdanssespalais, 
ce  sera  le  pays  de  la  méchanceté,  pays  tout-à-fait 
méprisé.  Il  n'y  aura  plus  de  sagesse  en  Théman , 
toute  sagesse  disparaîtra  de  la  montagne  d'Esaïi, 


310  JUDEE,    etc.  CH.  XIII. 

toute  la  contrée  deviendra  la  proie  d'animaux 
sauva{];es,  d'oiseaux  de  proie  et  de  reptiles,  dont 
les  noms  mêmes  sont  spécifiés.  — 11  ne  restera  per- 
sonne de  la  maison  d'Esaïi. 

—  Les  villes  des  Philistins  seront  détruites,  la 
côte  maritime  sera  convertie  en  cabanes  de  ber- 
gers et  en  parcs  aux  brebis  ;  le  reste  de  la  plaine 
sera  détruit,  et  aucun  habitant  fixe  n'y  demeu- 
rera. —  Le  Liban  sera  abaissé;  ses  quelques  cè- 
dres, épars  ça  et  là ,  deviendront  un  objet  de  mé- 
pris au  lieu  d'être  un  sujet  d'orgueil.  —  En  un 
mot,  le  différent  sort  de  chaque  ville  est  prédit. 

La  longue  domination  des  Gentils  sur  Jérusa- 
lem, les  édifices  de  Samarie  détruits  et  jetés  dans 
la  vallée ,  ses  fondements  découverts,  et  des  vi- 
gnes couvrant  ses  décombres  ;  Rabbah  Ammon,  la 
capitale  des  Ammonites ,  le  repaire  des  chameaux 
et  des  troupeaux;  la  principale  ville  d'Edom  dé- 
truite, le  parvis  deschats-huants;  Gaza  dcTcnue 
chauve,  privée  de  son  roi,  ses  fortifications  ra- 
sées; Asçkélon  déserte,  sans  habitants,  etHékron 
arrachée,  voilà  les  anciennes  prophéties,  voilà 
les  faits  actuels  ;  et  n'y  a-t-il  pas  là  un  vaste  corps 
de  preuves  contre  lesquelles  tous  les  traits  de 
l'incrédulité  viennent  s'émousser  ? 

Les  contrées  qu'embrassent  ces  prophéties  s'é- 
tendent sur  plus  de  120,000  milles  carrés;  cepen- 
dant il  n'est  pas  une  partie  de  ce  champ  immense 
qui  ne  rende  témoignage  à  leur  accomplissement. 
Les  prophètes  inspirés  de  Dieu  ont  annoncé  le  sort 
des  nations  les  plus  puissantes,  ont  prédit  la  déso- 
lation des  plus  opulentes  cités;  et  il  n'y  a  pas  un 
peuple,  pas  un  pays,  pas  une  capitale  alors  connue 
des  Juifs,  dont  leurs  oracles  n'aient  proclamé  l'a- 
venir. 

Nous  allons  donc  maintenant  laisser  derrière 
nous  le  champ  que  nous  explorons  depuis  si  long- 


CH.  XIV.    CHRIST  ET  LA  RELIGION  CHRÉTIENNE.  311 

temps  ;  nous  allons  laisser  tous  les  faits  que  nous 
avons  avancés  à  leur  force  propre ,  et  démontrer 
par  d'autres  faits  que  Tédifice  de  la  foi  chrétienne 
repose  sur  des  fondements  qui  ne  peuvent  être 
ébranlés. 


CHAPITRE  XIV. 

PROPHÉTIES  CONCERNANT  CHRIST  ET  LA 
RELIGION  CHRÉTIENNE. 

Un  des  caractères  les  plus  remarquables  de  la 
religion  judaïque,  c'est  que,  tout  en  prétendant  à 
une  grande  supériorité,  et  tout  en  se  distinguant 
de  toutes  les  autres  religions  par  le  culte  du  seul 
vrai  Dieu,  cependant  elle  ne  s'annonce  que  comme 
Tavant-coureur  d'une  révélation  future,  plus  ex- 
cellente et  plus  parfaite.  Dans  son  origine,  elle 
était  adaptée  à  un  peuple  particulier  et  restreinte 
à  son  usage.  Dans  beaucoup  de  ses  institutions, 
en  effet  elle  ne  convenait  qu'à  la  Judée  ;  sa  mo- 
rale était  incomplète  ;  ses  formes  extérieures 
multipliées,  onéreuses,  et  sans  aucune  valeur 
en  elles-mêmes *^\  Il  est  donc  évidentque  cette  pre- 
mière dispensation  n'était  que  le  présage  d'une 
autre,  et  que,  partielle,  imparfaite  et  temporaire, 
remplie  des  promesses  «  de  quelque  chose  de  meil- 

(68)  ParcequMls  n'avalent  pas  accompli  mes  ordonnances  ^  ,et 
quMls  avaient  rejeté  mes  statuts  et  profané  mes  sabbats,  et  que  leurs 
yeux  étaient  après  les  dieux  infâmes  de  leurs  pères,  c'est  pourquoi 
je  leur  ai  donné  des  statuts  qui  n'étaient  pas  bons,  et  des  ordon- 
nances par  lesquelles  ils  ne  vivraient  point.  (Ezéchiel,  X2(^f^2^25. 
—  Actes,  XV,  10.) 


s  12  CHRIST.  Cil.  XIV. 

leur»,  elle  ne  faisait  qu'en  préparer  la  voie.  Ainsi, 
par  sa  nature  même,  elle  ne  pouvait  aceomplir  la 
promesse  qu'elle  dit  avoir  été  faite  à  Abraham, 
qu'en  lui  toutes  les  familles  de  la  terre  seraient 
bénies,  quoique  cette  promesse  fût  devenue  la 
base  de  la  dispensation,  et  quoique  son  accom- 
plissement fût  le  grand  but  de  la  séparation  des 
descendants  du  patriarche  d'avec  toutes  les  au- 
tres nations  de  la  terre. 

Mais  la  religion  judaïque  tendait  en  tout  vers  ce 
but ,  quoiqu'elle  ne  pût  pas  l'atteindre  directe- 
ment; car  la  venue  d'un  Sauveur  était  le  grand 
sujet  des  prophéties  et  la  croyance  universelle 
des  Juifs.  Depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin 
des  Livres  de  rAncien  Testament,  ce  fait  est  pré- 
dit ou  représenté.  Dès  le  premier  acte  de  la  ju- 
stice divine  sur  les  premiers  auteurs  de  notre 
race,  on  voit  la  miséricorde  de  Dieu  unie  à  sa  jus- 
tice. Avant  l'expulsion  du  jardin  d'Eden ,  un  rayon 
d'espérance  vint  consoler  les  coupables  ;  ce  fut  la 
promesse  d'un  Libérateur  destiné  à  souffrir  et  à 
triompher.  La  même  promesse  fut  faite  à  Abra- 
ham sous  une  forme  plus  distincte.  Jacob  parle 
clairement  de  la  venue  d'un  Sauveur.  Moïse,  le 
législateur  et  le  conducteur  du  peuple  hébreu, 
annonce  un  autre  Législateur  que  Dieu  devait 
susciter  dans  des  siècles  a  venir  ^^.  Et  tandis  que 
ces  premières  prédictions  sont  faites  dans  la  par- 
tie liistx)rique  des  Ecritures  de  manière  à  indiquer 
clairement  le  dessein  de  la  dispensation  de  Moïse, 
les  Livres  prophétiques  proprement  dits  contien- 
nent une  exposition  parfaite  de  la  venue  du 
Sauveur,  et  de  tout  ce  qui  appartient  au  royaume 
qu'ir  devait  établir.  Beaucoup  de  choses  en  appa- 
rence contradictoires  sont  prédites  sur  ce  grand 

(69)  Deut.,  XVIII,  15-18. 


CH.  XIV.  BELIGION  CHRÉTIENNE.  313 

Libérateur  dont  la  dignité,  le  caractère  et  les 
fonctions  étaient  toutes  spéciales ,  et  auquel  le 
sort  de  riiumanité  tout  entière  devait  se  trouver 
lié.  Beaucoup  de  passages  qui  ne  peuvent  avoir 
une  autre  application  en  font  témoignage  :  Ton 
Roi  vient.  —  Ton  Salut  approche. — Ton  Ré- 
dempteur viendra  en  Sion.  —  Le  Seigneur  vient. 
—  Celui  qui  vient  au  nom  de  l'Eternel  ^^  On  re- 
trouve ces  mêmes  expressions  dans  toutes  les 
prophéties.  Elles  parlent  clairement  de  la  venue 
d'unSauveur,  et  même,  n'eussions-nous  pas  d'au- 
tres preuves,  la  prophétie  de  Daniel  est  assez 
précise  pour  établir  le  fait  que  nous  affirmons, 
que  la  venue  du  Messie  est  prédite  dans  l'Ancien 
Testament.  Le  même  fait  est  encore  prouvé  par 
la  croyance  universelle  des  Juifs  dans  tous  les 
siècles.  Elle  est  si  profondément  gravée  dans 
leur  cœur  que,  malgré  la  dispersion  de  leur  race 
sur  toute  la  terre,  pendant  dix-huit  siècles  après 
le  moment  fixé  pour  son  avènement,  l'attente 
d'un  Messie  forme  encore  entre  eux  un  lien  d'u- 
nion qu'aucune  distance    ne  peut    rompre,  et 
qu'aucune  puissance  humaine  ne  peut  détruire. 
Donc,  puisque  l'Ancien  Testament  contient  des 
prophéties  sur  un  Sauveur  qui  doit  paraître  dans 
le  monde,  il  reste  à  savoir  si  tout  ce  qu'elles 
prédisent  se  trouve  accompli  dans  la  personne  de 
Jésus-Christ.  Sur  un  sujet  aussi  intéressant  et 
aussi  important,  qui  a  été  si  amplement  traité 
par  tant  de  théologiens  distingués,  nous  ne  pou- 
vons offrir  à  nos  lecteurs  qu'un  coup-d'œil  som- 
maire, imparfait  et  incomplet;  mais  nous  le  pré- 
sentons pour  démontrer  la  liaison  qui  existe  entre 
l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament ,  et  pour  qu'il 


(70)  Zach.,  IX,  9.  —  Esaïe,  LIX,  20;  LXII,  11,  —  Mal,  III,  1. 
—  Ps.  CXVIIT,  26.  --  Dan.,  IX,  25,  26. 

H 


314  CHRIST.  CH.  XIV. 

serve  en  même  temps  de  conclusion  a  toutes  nos 
autres  preuves  en  faveur  du  christianisme. 

Nous  rapporterons  ici  les  traits  principaux  des 
prophéties  qui  se  rapportent  à  Jésus-Christ ,  et 
leur  accomplissement,  en  tant  qu'elles  indiquent 
l'époque  de  son  avènement ,  le  lieu  de  sa  nais- 
sance 5  et  la  famille  de  laquelle  il  devait  sortir;  sa 
vie  et  son  caractère ,  ses  miracles,  ses  souffran- 
ces, et  sa  mort;  la  nature  de  sa  doctrine,  le 
but  et  l'effet  de  sa  venue ,  et  l'étendue  de  son 
royaume. 

L'époque  de  la  venue  du  Messie  dans  le  monde, 
ainsi  qu'elle  est  indiquée  dans  l'Ancien  Testa- 
ment, est  déterminée  par  nombre  de  circons- 
tances accessoires,  qui  la  fixent  avec  précision 
à  la  date  de  l'avènement  de  Jésus-Christ.  La  der- 
nière bénédiction  que  Jacob  donne  à  ses  enfants, 
lorsqu'il  leur  commande  de  s'assembler  devant 
lui ,  afin  qu'il  leur  prédise  ce  qui  doit  leur  arri- 
ver dans  les  derniers  temps ,  contient  cette  pro- 
phétie qui  se  rapporte  à  Juda.  «  Le  sceptre  ne 
«  sera  point  ôté  de  Juda,  ni  le  législateur  d'entre 
«  ses  pieds,  jusqu'à  ce  que  le  Sçilo  vienne;  et 
«  c'est  à  lui  qu'appartient  l'assemblée  des  peu- 
«  pies  '* .  »  Le  moment  fixé  par  cette  prophétie  pour 
la  venue  du  Sçilo ,  ou  du  Sauveur ,  ne  devait  pas 
dépasser  le  temps  pendant  lequel  les  descendants 
de  Juda  continueraient  à  former  un  peuple  uni, 
gouverné  par  un  roi ,  d'après  leurs  propres  lois , 
et  ayant  des  juges  pris  d'entre  leur  nation.  La 
prophétie  de  Malachie  nous  permet  encore  de 
fixer  cette  époque  :  «  Voici,  je  vais  envoyer  mon 
«  ange,  et  il  préparera  la  voie  devant  moi,  et  aus- 
«  sitôt  le  Seigneur  que  vous  cherchez  et  l'ange  de 
«  l'alliance  que  vous  désirez  entrera  dans  son  tem- 

(71)  Genèse,  XLIX,  10. 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  315 

«  pie;  voici  :  il  vient,  a  dit  rÉternel  des  armées^^» 
Il  n'y  a  point  d'expressions  qui  puissent  indiquer 
plus  clairement  la  venue  du  Messie  promis ,  et 
elles  annoncent  d'une  manière  également  précise 
sa  présence  dans  le  temple,  avant  sa  destruction. 
On  peut  encore  remarquer  ici  que  Malachie  a  été 
le  dernier  prophète;  après  ses  prédictions  le  sceau 
fut  posé  sur  les  visions  et  sur  les  prophéties ,  et 
l'Ancien  Testament  fut  complet.  Quoiqu'il  y  eût 
plusieurs  prophètes  immédiatement  avant  lui, 
il  n'y  en  eut  point  en  Israël  après  lui;  eependant 
tous  les  Juifs,  soit  des  temps  anciens, soit  des 
temps  modernes ,  s'attendent  à  un  précurseur  du 
Messie,  pour  annoncer  sa  venue.  La  longue  suc- 
cession des  prophètes  approchait  de  sa  fin ,  et  les 
dernières  paroles  de  l'Ancien  Testament,  jointes 
à  un  commandement  de  se  ressouvenir  de  la  loi 
de  Moïse,  semblent  signifier  que  le  premier  pro- 
phète qui  apparaîtrait  serait  l'avant-coureur  du 
Messie. 

Quanta  ce  qui  se  rapporte  à  la  venue  du  Messie 
avant  la  destruction  du  second  temple,  les  pa- 
rolesd'Aggée  sont  d'une  clarté  remarquable:  «  Le 
c(  désiré  de  toutes  les  nations  viendra,  je  rempli- 
«  rai  cette  maison  de  gloire,  a  dit  l'Éternel  des 
<c  armées.  La  gloire  de  cette  dernière  maison  sera 
«plus  grande  que  celle  de  la  première;  et  je 
a  mettrai  la  paix  en  ce  lieu'^»  Le  contraste  que  le 
prophète  vient  d'établir  entre  la  gloire  du  temple 
de  Salomon  et  celui  qui  avait  été  rebâti  à  sa  place, 
en  comparaison  duquel  il  déclare  que  le  premier 
n'était  rien  ;  la  manière  solennelle  par  laquelle  il 
eommence  :  «  Car  ainsi  a  dit  l'Éternel  des  armées  : 
«  encore  une  fois ,  et  ce  sera  dans  peu  de  temps , 
«  j'ébranlerai  les  cieux  et  la  terre  ;  «  rexcellence 

(72)  Malachie,  III,  1.  —  (73)  Aggée,  II,  7,  9. 


316  CHRIST.  CH.  XIV. 

de  celle  dernière  maison  bien  supérieure  à  celle 
de  l'or  on  de  l'argent  ;  l'expression  caraclérislique 
du  Messie,  «  le  désiré  de  toules  les  nalions,  »  et  le 
bienfait  de  la  paix  qui  devait  accompagner  sa  ve- 
nue; tout,  en  un  mot,  tend  a  nous  montrer  que 
c'est  de  lui  seulement  qu'il  est  parlé,  de  lui  qui 
était  l'attente  d'Israël,  à  qui  tous  les  prophètes 
rendaient  témoignage ,  et  dont  la  présence  devait 
donner  à  ce  temple  une  gloire  plus  grande  que 
celle  du  premier. 

Le  Sauveur  devait  ainsi  venir ,  selon  les  pro- 
phètes de  l'Ancien  Testament,  pendant  le  temps 
de  la  durée  du  royaume  de  Juda,  avant  la  des- 
truction du   temple,  et   immédiatement   après 
le  dernier  prophète.  Mais  le  moment  est  spécifié 
plus  clairement  encore.  Dans  les  prophéties  de 
Daniel,  il  est  prédit  non  seulement  que  le  royaume 
du  Messie  doit  commencer  à  l'époque  de    la 
quatrième  monarchie,  ou  de  l'empire  romain; 
mais  le  nombre  précis  des  années  qui  devaient 
s'écouler  avant  sa  venue  est  exactement  indi- 
qué :  «  Il  y  a  soixante-et-dix  semaines  déter- 
«  minées  sur  ton  peuple  et  sur  la  ville  sainte , 
«  pour  abolir  le  crime ,  pour  consumer  le  péché , 
«  pour  faire  propitiation  pour  l'iniquité,  et  pour 
«  amener  la  justice  des  siècles,  et  pour  accom- 
«  plir  la  vision  et  la  prophétie,  et  pour  oindre  le 
«  saint  des  saints;  tu  sauras  donc ,  et  tu  l'enten- 
«  dras,  que  depuis  que  la  parole  sera  sortie, 
«  pour  s'en  retourner  et  pour  rebâtir  Jérusalem, 
«jusqu'au  Christ  le  conducteur,  il  y  a  sept  se- 
«  maines  et  soixante-deux  semaines  ^\  »  Les  se- 
maines d'années  sont  un  calcul  employé   assez 
fréquemment  par  les  Juifs,  et  chaque  septième 
était  l'année  sabbatique  ;  soixante  dix-semaines 

(7/0  Daniel,  IX,  24-25. 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  317 

équivalaient  ainsi  à  quatre  cent  quatre- vingt  dix 
années.  Par  ces  paroles  :  le  prophète  indique  pré- 
cisément l'époque  et  la  venue  du  Messie  ;  même 
il  emploie  l'expression  ^  «  Christ  le  conducteur.  » 
On  peut  tirer  une  conclusion  très  simple  de 
toutes  ces  prophéties:  toutes  supposent  une  con- 
naissance exacte  de  l'avenir  ;  toutes  sont  annon- 
cées publiquement;  toutes  sont  parfaitement 
connues  plusieurs  siècles  avant  l'événement  au- 
quel elles  se  rapportent;  les  témoignages  les  plus 
respectables  parmi  les  Juifs  sont  d'accord  sur 
leur  application  à  l'époque  de  la  venue  du  Mes- 
sie ^^  ;  elles  ont  toutes  rapport  à  d'autres  événe- 
ments différents  nullement  liés  les  uns  aux  autres ^ 
et  que  toute  la  sagacité  humaine  ne  pouvait  ni 
déterminer,  ni  concevoir;  mais  elles  s'accordent 
parfaitement  sur  un  point  oîi  leurs  différentes 
lignes  vont  toutes  se  rencontrer,  le  temps  précis 
oil  Jésus  parut.  Un  roi  régnait  alors  sur  les  Juifs, 
ils  obéissaient  à  leurs  propres  lois,  et  le  conseil 
de  leur  nation  exerçait  son  autorité.  Dès  avant 
cette  période j  les  autres  tribus  étaient  éteintes 
et  dispersées  parmi  les  nations.  Juda  restait  seul, 
et  le  dernier  sceptre  n'avait  pas  encore  quitté 
Israël.  Le  temple  était  encore  entier;  il  faisait 
l'admiration  des  Romains ,  et  aurait  pu  subsister 
pendant  des  siècles  encore  ;  mais  il  ne  se  passa 
pas  longtemps  avant  que  toutes  ces  circonstances 
qui  devaient  servir  à  constater  l'époque  de  la 
venue  du  Messie  eussent  disparu.  Dans  l'an^ 
née  même ,  la  douzième  de  son  âge ,  oîi  Christ 
apparut  pour  la  première  fois  publiquement  dans 
le  temple,  le  roi  Archelaiis  fut  détrôné  et  exilé. 
Coponius  fut  nommé  procurateur,  et  le  royaume 
de  Judée,  dernier  débris  de  la  puissance  d'Israël, 

(75)  Grolius,  de  verit.,  1.  V,  c,  xvi,  —  Opera,  t.  IV, 


318  CHRIST.  CH.  XlV. 

fut  abaissé  jusqu'à  devenir  une  simple  province 
de  la  Syrie.  Le  sceptre  fut  ôté  des  mains  de  la 
tribu  de  Juda,  la  couronne  ne  ceif^nit  plus  sa 
tête,  sa  gloire  s'évanouit,  et  bientôt  après  la  mort 
de  Christ  il  ne  resta  pas  de  leur  temple  pierre 
sur  pierre;  leur  état  politique  lui-même  tomba 
en  ruines  et  fut  divisé,  et  depuis  lors  tout  ce 
peuple  a  été  dispersé  sur  la  terre,  conservant  son 
nom,  mais  n'étant  plus  une  nation '^  Environ 
400  ans  après  la  prédiction  de  Malachie,  parut  un 
autre  prophète  qui  fut  le  précurseur  du  Messie  ; 
et  le  témoignage  de  Josèphe  confirme  ce  que 
l'Evangile  raconte  de  Jean-Baptiste  ". 

Tous  les  signes  qui  marquaient  l'époque  de  la 
venue  du  Messie  disparurent  bientôt  après  la 
crucifixion  de  Christ  ^  et  ne  purent  jamais  être  re- 
nouvelés. Et,  quant  aux  prophéties  de  Daniel , 
il  est  remarquable  combien ,  à  une  époque  éloi- 
gnée, il  y  a  eu  peu  de  différence  d'opinion  parmi 
les  hommes  les  plus  savants,  par  rapport  au  temps 
qui  s'écoula  depuis  la  publication  de  l'édit,  pour 
rebâtir  Jérusalem  après  la  captivité  de  Babylone, 
jusqu'au  commencement  de  l'ère  chrétienne  5  et 
jusqu'aux  événements  qui  suivirent,  et  que  la 
prophétie  avait  annoncés.  Notre  plan  ne  nous 
permet  pas  les  détails,  mais  la  parfaite  coïn- 
cidence des  faits  dont  il  est  question  dans  le 
Nouveau  Testament,  et  de  l'histoire  des  Juifs, 
avec  les  subdivisions  de  temps  qui  y  sont  enu- 
mérées ,  sont  encore  des  preuves  de  son  exacti- 
îude  générale  par  rapport  au  Christ.  Cette  coïn- 
cidence est  d'autant  plus  frappante  qu'elle  n'est 
point  relevée  par  les    historiens  des  faits  qui 

(76)  Josèphe,  Aiitiq.,  1.  XVII,  c.  xv;  XVIII. 

(77)  Ibid.,  Antiq.,  XVIII,  c.  y. 


cil.  XiV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  319 

la  constatent,   et  elle  a  été  laissée  à  la  décou- 
verte des  chronologistes  modernes. 

Les  observations  suivantes  du  docteur  Samuel 
Clarke ,  qui  lui  ont  été  suggérées  en  partie ,  dit-il, 
par  sir  Isaac  New^ton ,  jettent  une  grande  clarté 
sur  la  prophétie. 

Quand  range  dit  à  Daniel  :  «  Il  y  a  soixante-et- 
a  dix   semaines  déterminées  sur  ton  peuple,  » 
cela  fut-il  écrit  après  Févènement?  ou  peut-on  rai- 
sonnablement regarder  comme  l'effet  du  hasard 
que ,  depuis  la  septième  année  du  roi  Artaxerxès , 
lorsque    Ezra   fut   envoyé  de  Babylone  à  Jé- 
rusalem (  avec  la  mission  de  rétablir  le  gouver- 
nement des  Juifs  ),  jusqu'à  la  mort  du  Christ  (  de 
l'année  Nabon.  290  à  l'année  Nabon.  780  ) ,  il  y 
eut  exactement  490  ans  (70  semaines  d'années  )? 
— Quand  Fange  dit  à  Daniel  que  «  dans  sept  semai- 
nes et  soixante-et-deux  semaines  Jerusalem  se- 
rait rebâtie,  et  que  les  places  et  la  brèche  seraient 
rebâties  dans  un  temps  fâcheux,  »  (mais  non  pas 
en  des  temps  fâcheux  semblables  à  ceux  qui  de- 
vaient accompagner  la  venue  du  Christ,  du  Con- 
ducteur) ,  cela  fut-il  écrit  après  que  Févènement 
eut  eu  lieu  ?  ou   peut-on  avec  raison  regarder 
comme  Feffet  du  hasard  que,  depuis  la  28  année 
d'Artaxerx  es,  époque  à  laquelle  la  ville  fut  rebâtie 
jusqu'à  la  naissance  du  Christ  (de  l'an  Nabon.  311 
jusqu'en  745  ),  il  y  eut  précisément  434  ans  (ou 
62  semaines  d'années)?  —  Lorsque  Daniel  ajoute 
encore  :  «  Et  il  confirmera  l'alliance  à  plusieurs 
dans  une  semaine  ?  »  a~t-on  écrit  cela  après  Févène- 
ment? Est-ce  un  effet  du  hasard  que,  en  comptant 
depuis  la  mort  du  Christ  (  33  de  Fère  chrétienne ) 
jusqu'au  moment  où  le  commandement  fut  donné  à 
Pierre  de  prêcher  à  Cornelius  et  aux  gentils  (  en 
Fan  40),  il  y  eut  exactement  sept  ans  (une  semaine 
d'années  )? — Quand  il  ajoute  :  «  Et  à  la  moitié  de 


320  CHRIST.  en.  XIV. 

«  cette  semaine-là,  il  fera  cesser  le  sacrifice  et 
«  rohiation,  et  parle  moyen  des  ailes  al)()minables 
«  la  désolation  fondra  snr  le  désolé!  »  cela  fn  t-il  écrit 
après  révènement,  ou  pent-on  attril)uer  au  ha- 
sard qu'entre  l'époque  de  l'entrée  de  Vespasien 
en  Judée,  dans  le  printemps  de  l'année  ()7,  et 
celle  de  la  prise  de  Jerusalem  par  Tite,  dans  l'au- 
tomne de  l'année  70,  il  y  eut  la  moitié  d'une 
semaine  d'année  ou  trois  ans  et  demi  ^*? 

Que  l'époque  de  la  venue  du  Messie  soit  claire- 
ment indiquée  par  les  prophéties;  que  Tattente 
de  l'avènement  d'un  grand  roi  ou  libérateur  fût 
générale,  non-seulement  parmi  les  Juifs,  mais 
aussi  parmi  toutes  les  nations  de  l'Orient,  en  con- 
séquence de  ces  prophéties;  que  cette  espérance 
ait  ensuite  porté  !e  peuple  à  se  révolter  et  ait  été 
la  cause  de  sa  destruction,  c'est  ce  qu'atteste  le 
témoignage  non  suspect  des  auteurs  païens , 
joint  à  celui  même  des  Juifs^  quoiqu'ils  ne  l'aient 
donné  qu'à  regret. 

Tacite,  Suétone,  Josèphe  et  Philon  s'accordent 
à  témoigner  de  l'antiquité  de  ces  prophéties  et  du 
rapport  reconnu  qu'elles  ont  à  cette  époque  '^^.  Les 
Juifs  mêmes  de  nosjours  admettent  que  le  temps.de 
la  venue  de  leur  Messie,  selon  leurs  prophéties,  est 
passé  depuis  longtemps,  et  ils  attribuent  le  retard 

(78)  OEuvresde  Clarke,  édit.  in-folio,  vol.  II,  p.  721. 

(79)  a  Pluribus  persuasio  inerat,  antiquîs  sacerdotum  lileris 
contiiieri,  eo  ipso  tempore  fore,  ut  valesceret  Oriens,  profectique 
Judœa  rerum  potirentur.  Quae  ambages  Vespasianum  et  Titum  prae- 
dixerant  ;  sed  vulgiis  (Judœorum)  more  liumaiiiier.upidinis,  sibi  tan- 
tam  fatorum  magnitudinem  înterpretati,  ne  adversis  quidem  ad 
vera  mutabantur.  »  (Tacit.,  Hist.,  1.  V,  eh.  xiii.) —  «  Percrebuerat 
Oriente  toto  vêtus  et  constans  opinio  esse  in  fatis,  ut^  eo  tempore, 
Judœa  profecti  rerum  potirentur.  Id  de  imperio  romano,  quantum 
postea  eventu  paluit,  pr.nedictum  Judœi  ad  se  trahentes  rebeliarunt.  » 
Suet.  in  Vesp.  1.  VIII ,  ch.  iv.  —  Julius  Marathus,  cité  par  Suet.^ 
1.  II,  ch.  XXIV.  —  Josephe,  De  bello,  1.  VIh  ch.  xxxi.  —  Philon  de 
Praem.  et  Pen.,  p.  923-924.  —  Clarke,  etc. 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  321 

de  son  avènement  à  l'état  de  corruption  de  leur  na- 
tion. Ainsi  donc^  et  par  le  témoignage  des  auteurs 
profanes,  et  parles  concessions  des  Juifs,  nous  ob- 
tenons la  preuve  que  Jésus- Christ  est  venu  au 
monde  précisément  à  l'époque  oii  toutes  les  cir- 
constances du  moment  tendaient  à  indiquer  l'ins- 
tant que  marquaient  les  prophéties  comme  celui 
de  l'apparition  du  Messie. 

Les  prédictions  contenues  dans  l'Ancien  Tes- 
tament sur  la  famille  dont  le  Messie  devait  sortir, 
et  le  lieu  de  sa  naissance,  sont  presque  aussi  cir- 
constanciés, et  s'appliquent  autant  à  Jésus-Christ 
que  celles  qui  se  rapportent  à  l'époque  de  sa 
venue.  Il  devait  être  Israelite,  de  la  tribu  de 
Juda,  de  la  famille  de  David,  et  de  la  ville  de 
Bethlehem.  Les  deux  premiers  faits  sont  compris 
dans  la  promesse  faite  à  Abraham,  dans  la  pré- 
diction de  Moïse,  dans  la  bénédiction  prophé- 
tique donnée  par  Jacob  a  Juda,  et  dans  la  raison 
donnée  pour  la  supériorité  de  cette  tribu,  savoir 
que  de  son  sein  devait  sortir  le  grand  chef 
de  la  nation.  Et  les  deux  derniers  faits,  que  le 
Messie  devait  être  un  descendant  de  David, 
et  naître  à  Bethlehem ,  sont  clairement  énoncés. 
«  Il  sortira  un  rejeton  du  tronc  d'Isaïe,  et  un 
«  bourgeon  croîtra  de  ses  racines ,  et  l'esprit  de 
«  l'Eternel  reposera  sur  lui  ^\  »  Que  cette  prédic- 
tion se  rapporte  au  libérateur  du  genre  humain , 
c'est  ce  qui  est  clairement  indiqué  par  tout  le 
chapitre  qui  décrit  le  règne  du  Messie,  Tappel  des 
gentils,  et  la  restauration  d'Israël. 

Le  même  fait  est  prédit  dans  plusieurs  passages 
des  prophètes  :  «  Ta  maison  et  ton  règne  seront 
«  assurés  pour  jamais  devant  tes  yeux. — J'ai  traité 
«  alliance  avec  mon  élu.  J'ai  fait  serment  à  David 


(80)  Esaïe,  XI. 

14. 


S22  CHÏIIST.  eu.  XIV. 

«mon  serviteur,  disant:  J'établirai  ta  postérité 
«  pour  toujours  et  j'affermirai  ton  trône  d'âge  en 
«  âge. — Voiei^lesjoursviennent,  dit  l'Eternel,  que 
^  je  susciterai  à  David  un  germe  juste,  et  il  régnera 
u  comme  roi,  il  prospérera  et  il  exercera  lejuge- 
((  ment  et  la  justice  sur  la  terre,  et  c'est  ici  le 
«  nom  duquel  on  l'appellera:  rEternel notre  jus- 
«  tice  ^*.  » 

Le  lieu  de  la  naissance  du  Messie  est  ensuite 
clairement  prédit  :  «  Mais  toi,  Bethlehem  vers 
«  Ephrath,  quoique  tu  sois  petite  entre  les  mil- 
«tiers  de  Juda,  c'est  de  toi  que  sortira  (ou, 
«  comme  signifie  le  mot  hébreu,  naitra  )  *^^  celui 
«  qui  doit  être  dominateur  en  Israël,  et  ses  issues 
«  sont  d'ancienneté,  dès  les  jours  éternels  ^'\  » 
Que  toutes  ces  prédictions  aient  trouvé  leur  ac- 
complissement en  Christ,  qu'il  ait  appartenu  à  ce 
pays,àcette  tribu,  à  cette  famille,  qu'ilait  été  de  la 
maison  et  de  la  postérité  de  David,  et  qu'il  soit 
né  à  Bethlehem,  c'est  ce  que  nous  prouvent  de  la 
manière  la  plus  évidente  le  témoignage  de  tous 
les  évangélistes  ,  deux  généalogies  complètes 
et  distinctes  (  c'est-à-dire  la  filiation  naturelle 
et  la  filiation  légale  ) ,  lesquelles  ,  selon  la  cou- 
tume des  Juifs ,  étaient  toujours  conservées 
avec  soin,  l'acquiescement  des  ennemis  du  Christ 
à  la  vérité  du  fait ,  contre  lequel  l'histoire  elle- 
même  ne  contient  pas  un  seul  démenti,  et  l'appel 
fait  par  quelques-uns  des  premiers  chrétiens 
aux  registres  mêmes  du  recensement  fait  au 
moment  de  la  naissance  de  notre  Sauveur  par 
les  ordres  de  César  ^^  Il  est  impossible  même 
de    ne    pas  être    frappé   de   l'accomplissement 

(81  j  IL  Sam.,  VII,  16.— Ps.  LXXXIX,  4,  5.— Jérémie,  XXIII, 
5.  6.  —  (82)  Genèse,  X,  1/i;  XV,  4-  XVII,  6  —  II.  Sam.  VII,  i2. 

(83)  Michée,  V,  2.  —(84)  Justin,  Martvrs.  Ap.,  II,  p.  55,  édit. 
Thirl.  —  TerU  sur  Marc,  IV,  19. 


CH.  XiV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  32S 

exact  de  ces  prophéties  en  apparence  contra- 
dictoires et  inconciliables,  et  de  la  manière  proYi- 
dentielle  dont  elles  se  sont  accomplies*  Le  lieu  de 
la  naissance  du  Christ  était  éloigné  du  lieu  de  la 
demeure  de  ses  parents,  et  le  pays  où  il  commença 
à  exercer  son  ministère  était  à  une  grande  dis- 
tance de  celui  de  sa  naissance;  c'est  ainsi  que  fut 
accomplie  une  autre  prédiction:  «Yersle  pays  de 
«  Zabulon  et  yers  le  pays  de  Nephtali,  sur  le  che- 
«  min  de  la  mer,  au-delà  du  Jourdain,  dans  la 
«  Galilée  des  Gentils  ;  les  peuples  qui  marchaient 
<i  dans  les  ténèbres  ont  vu  une  grande  lumière, 
«  et  la  lumière  a  relui  sur  ceux  qui  habitaient  dans 
«  le  pays  de  l'ombre  de  là  mort  ^^  »  .  Ainsi ,  l'é- 
poque où  le  Messie  promis  devait  paraître ,  la 
nation,  la  tribu  et  la  famille  dont  il  devait  sortir, 
le  lieu  de  sa  naissance,  ville  peu  populeuse  et 
presque  inconnue,  tout  est  clairement  prédit;  ces 
prédictions  se  rapportent  aussi  clairement  à  Jé- 
sus-Christ, et  trouvent  toutes  leur  accomplisse- 
ment en  lui. 

Mais  les  événements  de  sa  vie  et  les  traits  de 
son  caractère  sont  aussi  décrits  avec  une  préci- 
sion sur  laquelle  il  est  impossible  de  se  méprendre. 
On  nous  peint  ainsi  l'obscurité,  la  simplicité  et  la 
pauvreté  de  sa  condition  :  «  Or,  il  est  monté 
«comme  un  rejeton  devant  lui,  et  comme  une 
«  racine  qui  sort  d'une  terre  sèche.  Il  n'y  a  en 
«  lui  ni  forme ,  ni  éclat ,  quand  nous  le  regardons; 
«  il  n'y  a  rien  en  lui  à  le  voir,  qui  nous  le  fasse 
tf  désirer.  — Ainsi  a  dit  rEternel  à  celui  qui  est 
«  méprisé ,  à  la  nation  détestée ,  à  celui  qui  est 
«  l'esclave  de  ceux  qui  le  dominent  :  Les  rois  lé 
«  verront  et  se  lèveront ,  et  les  principaux  se 
«  prosterneront  devant  ^ui^^  »  Que  tel  ait  été 

(85)  Esaïe,  VIII,  23;  IX,  i,  —  (86)  Esaïe,  LUI,  2.;  ^  IX,  % 


'52  i  CIIRÏST.  CH.  XIV. 

Texlérieiir  sons  lequel  le  Christ  se  montra  aux 
lioiinues ,  loule  son  histoire  nous  le  prouve. 

Les  Juifs,  attendant  dans  l'orgueil  de  leur 
eœur  un  roi  terrestre^  ne  firent  aucune  atten- 
tion à  toutes  ces  prophéties ,  et  trompés  par  leurs 
traditions  ne  trouvèrent  qu'une  pierre  d'achop- 
pement la  oîx  5  s'ils  avaient  sondé  l'Ecriture  avec 
simplicité,  ils  auraient  trouvé  toutes  les  marques 
du  Messie.  «  N'est-ce  point  ici  le  fils  du  charpen- 
te tier?  n'est-ce  point  ici  le  fils  de  Marie?»  disent- 
ils  dans  leur  dédain.  Son  humble  entrée  dans  Jé- 
rusalem, la  manière  dont  il  fut  vendu  pour  trente 
pièces  d'argent,  les  coups  et  les  injures  qu'il  re- 
çut, le  vinaigre  etl'hysope  qu'on  lui  offrit  à  boire 
en  dernier  lieu  ,  le  partage  de  ses- vêtements ,  le 
sort  qu'on  jeta  sur  sa  robe ,  son  supplice ,  son 
ensevelissement ,  sa  résurrection  sans  avoir  senti 
la  corruption  ^^  ,  tout  avait  été  expressément 
prédit,  et  toutes  ces  prédictions  reçurent  un 
accomplissement  littéral.  Si  toutes  ces  prophéties 
peuvent  s'appliquer  aux  événements  de  la  vie 
d'un  seul  individu  ,  ce  ne  peut  être  qu'à  celle  de 
l'auteur  du  christianisme.  Et  quel  autre  religion 
peut  avancer  un  seul  fait  prédit  sur  l'apparition 
de  son  fondateur? 

Quoique  les  prophètes  juifs  représentent  la 
personne  et  la  condition  du  Messie  comme  dé- 
nuées de  toute  grandeur ,  cependant  on  dé- 
peint son  caractère  comme  infiniment  supérieur 
à  celui  des  fils  des  hommes.  «  Et  la  justice 
«  sera  la  ceinture  de  ses  reins ,  et  la  fidélité  la 
«  ceinture  de  ses  flancs.  Il  n'avait  point  fait  d'ou- 
«  trage ,  et  il  ne  s'est  point  trouvé  de  fraude  en 
«  sa  bouche.  L'Esprit  de  l'Eternel  reposera  sur 
«  lui ,  l'Esprit  de  sagesse  et  d'intelligence ,  l'Es- 

(87)  Zach.  IX,  9;  XI,  4  2.  -—  Esaïe,  L,  6.  —  Ps.  XXII,  16;  LXIX, 
21  ;  XXII,  18.  —  Esaie,  LUI,  9.  —  Ps.  XVI,  10. 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  S25 

«  prit  de  conseil  et  de  force  5  l'Esprit  de  science  ef 
«  de  crainte  de  TEternel.  —  Le  Seigneur  FEter- 
«  nel  m'a  donné  une  parole  savante  pour  savoir 
«  parler  à  propos  à  celui  qui  est  abattu.  —-Il  paî- 
«  tra  son  troupeau  comme  un  berger,  il  rassem- 
a  blera  les  agneaux  entre  ses  bras ,  et  les  portera 
«  dans  son  sein.  — Il  ne  brisera  point  le  roseau 
«  froissé  5  et  il  n'éteindra  point  le  lumignon  qui 
«fume  encore. — Voici,  ton  roi  viendra  à  toi, 
«  juste  et  sauveur,  humble  et  monté  sur  un  âne. 
«  —  Il  ne  criera  point ,  il  n'élèvera  point  sa  voix 
«  et  ne  se  fera  point  entendre  dans  les  rues. 
«  —  On  le  presse  et  on  l'accable  ,  et  il  n'a  point 
«  ouvert  sa  bouche  ;  il  a  été  mené  h  la  tuerie 
«comme  un  agneau,  et  comme  une  brebis 
«  muette  devant  celui  qui  la  tond;  même  il  n'a 
«  point  ouvert  sa  bouche.  —  J'ai  exposé  mon  dos 
«  à  ceux  qui  me  frappaient^  et  mes  joues  à  ceux 
«  qui  m'arrachaient  ma  barbe  ;  je  n'ai  point  caché 
«  mon  visage  pour  éviter  l'ignominie  des  cra- 
«  chats.  Le  Seigneur  m'a  ouvert  l'oreille ,  et  Je 
«  n'ai  point  été  rebelle ,  et  je  ne  me  suis  point 
«  retiré  en  arrière.  Mais  le  Seigneur  l'Eternel 
«  m'a  aidé  ;  c'est  pourquoi  je  n'ai  point  été  confus; 
«  c'est  pourquoi  j'ai  rendu  ma  face  semblable  à 
«  un  caillou  ;  car  je  sais  que  je  ne  serai  point 
«  rendu  honteux  ^^ . 

Combien  de  vertus  caractérisent  le  Messie,  ainsi 
que  l'avaient  annoncé  les  prophètes!  avec  quelle 
précision  elles  s'appliquent  uniquement  à  Christ,  et 
comme  son  caractère  les  réunit  toutes!  sa  sa- 
gesse et  sa  science ,  sa  parole  qui  ne  ressemblait 
à  celle  d'aucun  homme  ,  la  sainte  douceur  de  ses 
manières  et  de  ses  entretiens ,  sa  candeur  par- 
faite ,  sa  pureté  sans  tache ,  sa  sainteté ,  sa  bonté 

(88)  Esaïe,  XI,  2,  5;  XL,  i  1;  L,  4-7;  XLII,  2,  3;  LUI,  7,  9.  — 
Zacharie,  IX,  9, 


32(5  ciiuist.  eu.  iiV. 

et  sa  coinpassion  5  sa  ])r()r()iule  limuilité,  son  ca- 
ractère i)aci!i(]ue ,  sa  ])aUence  inrali^ahle,  son 
invincible  couraj^e,  sa  l'ernielé  plus  (ju'liéroïcjne, 
son  indulgence  plus  qu'humaine,  sa  conliance 
en  Dieu,  sa  résignation  parfaite  à  sa  volonté, 
tout  est  décrit  dans  les  termes  les  plus  précis , 
les  plus  toucliailts  et  les  plus  vrais;  et  de  tous  les 
mortels  qui  ont  paru  sur  la  terre,  Jésus  est  le  seul 
k  qui  Tonpuisse  appliquer  un  semblable  portrait  "^. 

Mahomet  prétendait  avoir  reçu  une  autorité 
divine  qui  sanctionnait  ses  impuretés  passées,  et 
légitimait  ses  nouveaux  crimes.  Combien  est 
différent  l'appel  que  fait  Jésus  de  la  terre  au 
ciel?  —  «  Si  je  ne  fais  point  les  œuvres  de  mon 
«  père ,  ne  me  croyez  point.  »  —  «  Sondez  les 
«  Ecritures,  car  ce  sont  elles  qui  témoignent  de 
c<  moi.  y>  —  Oui ,  elles  portaient  témoignage  de  la 
venue  d'un  Messie,  derexcellence  surhumaine  de 
son  caractère  moral.  Et  si  la  vie  de  Jésus  est  mer- 
veilleuse et  sans  pareille  en  elle-même ,  ne  pa- 
raît-elle pas  plus  miraculeuse  encore,  lorsque  Ton 
considère  que  toutes  ses  actions  développent  le 
caractère  prophétique  du  Sauveur  promis?  Les 
preuves  extérieures  et  intérieures  se  réunissent 
ici ,  et  si  la  vie  de  Christ  prouve  sa  sainteté , 
elle  prouve  en  même  temps ,  ainsi  qu'il  a  été  an- 
noncé par  les  prophètes,  qu'il  est  le  Fils  de  Dieu. 

En  décrivant  les  bienfaits  du  règne  du  Messie , 
le  prophète  Esaïe  prédisait  la  grandeur  et  Tex- 
cellence  de  ses  miracles  :  —  «  Les  yeux  des  aveu- 
«  gles  seront  ouverts ,  et  les  oreilles  des  sourds 
«  seront  débouchées  ;  alors  le  boiteux  sautera 
«  comme  un  cerf,  et  la  langue  du  muet  chantera 
«avec  triomphe ®\))  —L'histoire  de  la  vie  de 
Jésus  nous  montre  combien  de  fois  de  tels  actes 


(39)  Voy<^  Barrow  sur  le  Credo.  —  (90)  Esaïe,  XXXV,  5-6.  ^ 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  327 

servaient  à  manifester  sa  puissance.  A  sa  pa- 
role «  les  aveugles  recouvrent  la  vue,  les  boiteux 
«  marchent ,  les  sourds  entendent ,  les  lépreux 
«  sont  nettoyés^*.» 

La  mort  de  Christ  a  été  aussi  extraordinaire 
que  sa  vie ,  et  les  prophètes  parlent  de  ses  souf- 
frances avec  autant  de  détails  que  de  ses  vertus. 
Non-seulement  l'agneau  pascal ,  qui  devait  être 
tué  chaque  année  dans  toutes  les  familles  d'Israël, 
qui  devait  être  sans  défaut,  dont  on  devait  ré- 
pandre le  sang  sans  rompre  un  seul  de  ses  os, 
et  qui  devait  être  mangé  avec  des  herbes  amères; 
non-seulement  le  sacrifice  d'Isaac  et  l'élévation 
du  serpent  d'airain  dans  le  désert,  vers  lequel  il 
fallait  lever  les  yeux  pour  être  guéri,  et  beau- 
coup d'autres  cérémonies  des  Juifs,  non-seu- 
lement tout  cela  préfigure  la  mort  de  Christ, 
et  le  sacrifice  qu'il  devait  faire  pour  le  péché  ; 
mais  beaucoup  de  passages  des  prophéties  dé- 
clarent encore  positivement  que  le  Christ  de- 
vait souffrir  une  mort  ignominieuse. 

Sans  parler  de  ces  descriptions  de  souffrances  si 
souvent  répétées  dans  les  psaumes ,  qui  s'appli- 
quent littéralement  à  Christ,  et  qui  se  lient  à  des 
prédictions  sur  le  règne  du  Messie ,  le  prophète 
Daniel, tout  en  fixant  l'époque  de  sa  venue, affirme 
que  le  Messie  sera  retranché  ;  et ,  faisant  allu- 
sion au  même  événement,  Zacharie  emploie  ces 
solennelles  expressions  :  «  Epée ,  réveille  -  toi 
«  contre  mon  pasteur,  et  contre  l'homme  qui  est 
«mon  compagnon,  dit  l'Eternel  des  armées; 
«  frappe  le  pasteur,  et  les  brebis  seront  disper- 
«  sees.  Et  je  répandrai  sur  la  maison  de  David  et 
«sur  les  habitants  de  Jérusalem  l'esprit  de 
«  grâces  et  de  supplications ,  et  ils  regarderont 

C91)MaU.,  IX,  33;XI,  5,. 


328  CHRIST.  eu.  XIV. 

«  vers  moi  qu'ils  auronl  percé  cl  ils  en  feront  le 
«deuir\« 

Esaïe,(jui  décril  avec  une  éloquence  digne  d'un 
prophète  les  gloires  du  royaume  futur ,  carac- 
térise avec  la  précision  d'un  historien  l'humilia- 
tion 5  les  épreuves  et  les  injures  qui  doivent  pré- 
céder les  triomphes  du  Rédempteur  du  monde  ; 
et  l'histoire  de  Christ  sert  à  la  lettre  de  commen- 
taire et  d'accomplissement  a  chacune  de  ses  pré- 
dictions. Dans  un  seul  passage  ,  dont  la  liaison 
est  claire ,  l'antiquité  indisputable ,  et  l'ap- 
plication évidente  5  les  souffrances  du  serviteur 
de  Dieu  5  qui^  sous  la  même  appellation,  est  au- 
paravant désigné  comme  celui  qui  doit  être  la 
lumière  des  gentils ,  le  salut  de  Dieu  jusqu'aux 
bouts  de  la  terre ,  et  l'élu  de  Dieu  en  qui  son  ame 
prend  plaisir,  sont  prédites  avec  une  telle  exac- 
titude que  toute  discussion  serait  superflue  pour 
prouver  qu'elles  se  rapportent  h  Jésus- Christ ^^ 
—  Parmi  la  multitude  des  passages  semblables 
du  Nouveau  Testament,  nous  en  choisissons  quel- 
ques-uns que  nous  ajouterons  à  la  prophétie  : 

«  11  est  le  méprisé  et  le  dernier  des  hommes.» — 
Il  est  venu  chez  soi,  et  les  siens  ne  l'ont  point  reçu; 
il  n'avait  pas  où  reposer  sa  tête  ;  ils  se  moquaient 
de  lui. —  c(  Un  homme  de  douleur  et  qui  sait  ce  que 
«  c'est  que  la  langueur.  »  Jésus  pleura  sur  la  tombe 
de  Lazare,  il  pleura  sur  Jérusalem;  il  ressentit 
l'ingratitude  et  la  cruauté  des  hommes;  il  souffrit 
la  contradiction  des  pécheurs;  et  voici  les  expres- 
sions propres  de  sa  douleur  :  «  Mon  Père ,  que 
cette  coupe  passe  loin  de  moi,  s'il  est  possible  ; 
mais  pour  cette  fin  suis-je  venu  au  monde? — Mon 

(92)  Ps.  II;  XXII,  2,  6,  7,  16,  18;  XXXV,  7,  11,  12;  LXIX,  20, 
U;  CIX,  2,  3,  5,  25;  CXVIII,  12.  —Dan.,  IX,  26.  —  Zacharie, 
XIII,  7;  XII,  10, 

(93j  Esaie,  LU,  13-15;  elch.  LUI;  XLIX,  6  ;  LU,  1. 


i 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  329 

Dieu  !  mon  Dieu  !  pourquoi  m'as-tu  abandonné  !  » 
--^  «  Nous  avons  comme  caché  notre  face  de  lui; 
«  il  était  méprisé  et  nous  n'en  avons  fait  aucun  cas.  » 

—  Alors  tous  ses  disciples  l'ayant  abandonné, 
s'enfuirent. — Non  pas  celui-ci, mais  Barabbas;or, 
Barabbas  était  un  brigand. — Et  les  soldats,  s'age- 
nouillant  devant  lui,  se  moquaient  de  lui.  —  Le 
prophète  continue  ainsi  le  tableau  de  ses  souf- 
frances : 

«  Il  s'est  chargé  véritablement  de  nos  lan- 
«gueurs;  nous  avons  cru  qu'il  était  frappé, 
«  battu  de  Dieu  et  affligé.  On  le  presse  et  on  l'ac- 
«  cable;  il  a  été  mené  à  la  tuerie  comme  un 
«  agneau.  11  a  été  enlevé  par  la  force  de  l'angoissé 
a  et  par  la  condamnation.  »  Et  à  cette  description 
générale  il  ajoute  des  détails  plus  minutieux  en- 
core, qui  en  déterminent  visiblement  l'application 
à  Jésus  :  c(  Il  a  été  retranché  de  la  terre  des  vivants .  » 

—  Il  fut  crucifié  a  la  fleur  de  son  âge.  —  «  Le  peu- 
«  pie  avait  ordonné  son  sépulcre  avec  le  méchant, 
«  mais  dans  sa  mort  il  a  été  avec  le  riche .  »  — Joseph 
d'Arimathée,  homme  riche  d'entre  les  Juifs ,  alla 
demander  le  corps  de  Jésus ,  et  le  déposa  dans 
son  sépulcre  neuf.  —  «  Il  aura  été  mis  au  rang 
«  des  méchants.  » — Il  fut  crucifié  entre  deux  mal- 
faiteurs. —  «  Tu  étais  défait  de  visage  plusqu'au- 
«  cun  autre  ,  et  sans  apparence  ,  plus  que  pas  un 
«  des  enfants  des  hommes.  »  —  Ces  paroles 
ont  été  littéralement  accomplies;  la  sueur  de 
sang,  la  couronne  d'épines,  les  crachats  au  vi- 
sage ,  les  coups  sur  la  joue,  la  flagellation, 
les  clous  dans  les  mains  et  dans  les  pieds,  la 
lance  qui  lui  perça  le  côté ,  tout  tendit  à  rendre 
le  corps  de  Jésus  plus  défait  que  pas  un  des  en- 
fants des  hommes. 

Or,  afin  de  prévenir  toute  ambiguïté  dans  le  sens 
de  cette  description  soutenue  et  circonstanciée  des 


330  CHRIST.  CH.  XIV. 

souffrances  du  Messie,  la  dij^^nité  de  sa  personne, 
IMucrédulité  des  Juifs,  l'innocence  de  la  victime, 
et  son  élévation  iinale ,  tout  est  spécialement  dé- 
taillé ,  et  tout  s'accorde  avec  la  doctrine  de  l'É- 
vangile. «  Il  sera  fort  exalté,  et  il  s'agrandira  ex- 
«  trémement.  — Qui  a  cru  à  notre  prédiction?  Et  à 
«  qui  le  bras  de  l'Éternel  a-t-il  été  révélé  ?  »  —  «  Or, 
«  il  est  monté  comme  un  rejeton  devant  lui,  etc.» 

La  pauvreté  apparente  de  la  condition  de  Jésus- 
Christ  est  la  raison  que  la  prophétie  assigne  au 
rejet  que  les  Juifs  ont  fait  de  lui,  et  c'est  la  raison 
qu'ils  en  donnent  eux-mêmes.  La  prédiction  spé- 
cifie la  cause  de  ses  souffrances.  «  Il  s'est  chargé 
«  véritablement  de  nos  langueurs,  et  il  a  porté 
«  nos  douleurs.  »  Christ ,  dit  saint  Paul ,  fut 
offert  une  fois  pour  ôter  les  péchés  de  plusieurs. 
«  Il  a  été  navré  pour  nos  forfaits ,  et  frappé  pour 
«  nos  iniquités;  le  châtiment  qui  nous  apporte  la 
ce  paix  est  tombé  sur  lui ,  et  nous  avons  la  guéri- 
«  son  par  sa  meurtrissure.  »  Il  a  porté  nos  pé- 
chés en  son  corps  sur  le  bois,  dit  saint  Pierre, 
afin  qu'étant  morts  au  péché  nous  vivions  à  la  jus- 
tice ;  et  nous  avons  la  guérison  par  sa  meurtris- 
sure, ff  Nous  avons  tous  été  errants  comme  des 
«  brebis ,  nous  nous  sommes  détournés  pour  sui- 
«  vre  chacun  son  propre  chemin ,  et  l'Eternel  a 
«  fait  venir  sur  lui  l'iniquité  de  nous  tous.  »  Car 
vous  étiez  comme  des  brebis  errantes,  dit  le  même 
apôtre,  mais  vous  êtes  maintenant  retournés  au 
pasteur  et  à  l'évêque  de  vos  âmes.  «  Il  n'avait 
«  point  fait  d'outrage ,  et  il  ne  s'est  point  trouvé 
«  de  fraude  en  sa  bouche.  Toutefois  l'Éternel  a  mis 
«  son  âme  en  oblation  pour  le  péché.  »  Celui ,  dit 
saint  Paul,  qui  n'avait  point  connu  le  péché,  il  Ta 
traité  à  cause  de  nous  comme  un  pécheur ,  afin 
que  nous  devinssions  justes  devant  Dieu  par  lui. 

Toute   cette  prophétie  se  rapporte   donc  au 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  331 

Messie.  Elle  décrit   son  abaissement  et  sa  di- 
gnité ;  son  rejet  par  les  Juifs ,  ses  afflictions  et  son 
agonie,  sa  grandeur  et  sa  charité ,  la  manière 
dont  son  ministère  fut  méconnu ,    la  bassesse 
de  sa  condition ,  son  silence  au  milieu  des  souf- 
frances les  plus  terribles  5  silence  qu'il  ne  rompt 
que  pour  intercéder  pour  les  pécheurs.  Com- 
plètement opposée  à  toutes  les  autres  dispen- 
sations de  la  Proyidence,  enregistrées  dans  les 
annales  des  Juifs,  la  prophétie  représente  une 
innocence  parfaite  souffrant  par  la  volonté  du 
ciel,  la  mort  comme  la  suite  d'une  obéissance  en- 
tière 5  le  serviteur  de  Dieu  abandonné  par  lui ,  et 
celui  qui  était  parfaitement  pur  portant  le  châ- 
timent  des   coupables ,   lavant  les   nations  de 
leurs    péchés  par  la  vertu  de   son    sacrifice, 
les  justifiant  par  sa  science,  ayant  son   héri- 
tage parmi  les  grands,  et  partageant  le  butin 
avec  les  puissants,  parcequ'il  a  livré  son  âme  à  la 
mort.  —  Cette  prophétie ,  considérée  simplement 
comme  prédiction  antérieure  à  l'événement,  fait 
donc  de  l'incrédulité  même  des  Juifs  un  argu- 
ment contre  eux ,  change  le  scandale  de  la  croix 
en  preuve  du  christianisme,  et  nous  présente 
un  épitomé  de  la  vérité ,  un  abrégé  des  traits  les 
plus  frappants  de  l'Evangile.  La  simple  explica- 
tion de  cette  prophétie  suffit  pour  opérer  la  con- 
version de  l'eunuque  d'Ethiopie,  et  sans  le  secours 
d'un  apôtre  elle  a  la  gloire  d'avoir  obtenu  dans 
les  temps  modernes  un  plus  noble  triomphe,  en 
renversant  les  préjugés  si  fortement  enracinés,  et 
l'incrédulité  si  hautement  déclarée  d'un  homme 
illustre  par  son  rang  et  par  son  génie ,  alors  un 
des  avocats  les  plus  spirituels  et  les  plus  heu- 
reux de  l'impiété,  et  un  des  ennemis  les  plus  dé- 
clarés du  christianisme  ^*. 

(94)  Mémoires  de  Rochester,  par  Burnet,  p.  70,  71. 


332  CHRIST.  CH.  XIV. 

C'est  ainsi  qu'il  a  été  écrit  que  le  Christ  souf- 
frirait, c'est  ainsi  qu'il  fallait  cjue  le  Christ  souf- 
frit, selon  les  Ecritures;  et  c'est  ainsi  que  l'apô- 
tre l'atteste  :  «  Dieu  a  accompli  ce  (pi'il  avait  pré- 
«  dit  par  la  bouche  de  tous  ses  prophètes,  que  le 
«  Christ  devait  souffrir.  » 

Que  les  Juifs  conservent  encore  ces  pro- 
phéties 5  et  qu'ils  soient  ainsi  un  des  instruments 
de  leur  conservation  et  de  leur  propagation  sur 
toute  la  terre ,  quoiqu'elles  témoignent  si  for- 
tement contre  eux-mêmes,  quoiqu'elles  décla- 
rent si  clairement  qu'un  Sauveur  devait  premiè- 
rement souffrir  et  être  ensuite  exalté,  ce  sont 
là  des  faits  aussi  indubitables  qu'ils  sont  singu-^ 
liers,  et  qui  ne  peuvent  qu'attester  la  vérité  du 
christianisme,  de  la  manière  la  plus  forte  et  la 
plus  convaincante. — Ces  prédictions,  comme  nous 
l'avons  vu  par  la  courte  analyse  que  nous  en 
avons  faite,  n'ont  pas  besoin  d'interprétation  for- 
cée ,  mais  elles  s'appliquent  de  la  manière  la  plus 
claire,  la  plus  simple  et  la  plus  littérale,  à  l'his- 
toire des  souffrances  et  de  la  mort  du  Christ.  Le 
témoignage  des  Juifs  sur  l'existence  de  ces  pro- 
phéties longtemps  avant  l'ère  chrétienne ,  leur 
conservation  jusqu'à  ce  jour,  le  récit  que  don- 
nent les  évangélistes  de  la  vie  et  de  la  mort  du 
Christ ,  le  témoignage  des  auteurs  profanes ,  et 
les  arguments  même  des  premiers  adversaires  du 
christianisme,  fondés  sur  l'humble  condition  de 
Jésus  et  sur  le  genre  de  sa  mort,  toutes  ces 
choses  concourent  ensemble  à  donner  sur  Tac- 
complissement  de  ces  prophéties  des  preuves 
plus  décisives  que  nous  n'aurions  cru  possible 
d'en  obtenir  dans  un  temps  aussi  reculé  ^^. 

(95)  Auctor  nominis  ejus  Christus,  Tiberio  imperitante,  per  pro- 
curatorem  Ponlium  Pilalum  supplicio  adfeclus  erat.  Tacili  Annal., 

1.  XV,  C.  XLIY, 


<'*H.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  333 

Mais  les  prophéties  nous  parlent  de  la  nature 
de  rÉyangile  aussi  bien  que  du  caractère  de  son 
auteur^  et  décrivent  l'étendue  de  son  règne  aussi 
bien  que  ses  souffrances.  Il  était  prédit  que  le  Mes- 
sie révélerait  la  volonté  de  Dieu  aux  hommes,  et 
qu'il  établirait  une  religion  nouvelle  etplusparfaite. 

«  Je  leur  susciterai  un  prophète  d'entre  leurs 
«  frères  5  et  je  mettrai  mes  paroles  en  sa  bouche, 
«  et  il  leur  dira  tout  ce  que  j'aurai  commandé , 
«  et  il  arrivera  que  quiconque  n'écoutera  pas  les 
«  paroles  qu'il  aura  dites  en  mon  nom, je  lui  en 
«  demanderai  compte.  —  Car  l'enfant  nous  est  né , 
«  le  fils  nous  a  été  donné ,  et  l'empire  a  été  posé 
«  sur  son  épaule ,  et  on  appellera  son  nom  TAd- 
«  mirable,  le  Conseiller,  le  Dieu  fort,  le  Puissant, 
«  le  père  de  l'Eternité,  le  prince  de  la  Paix.  Et 
«  il  n'y  aura  point  de  fin  à  l'accroissement  de 
((  l'empire ,  et  à  la  prospérité  du  trône  de  David 
«  et  de  son  règne,  pour  l'affermir  et  pour  l'éta- 
«  blir  dans  l'équité  et  dans  la  justice,  dès  main- 
te tenant  et  à  toujours.  La  jalousie  de  l'Éternel 
«  des  armées  fera  cela.  —  Il  sortira  un  reje- 
«  ton  du  trône  de  David,  et  un  surgeon  croîtra  dé 
«  ses  racines;  il  ne  jugera  point  par  ce  qui  frappe 
«  les  yeux,  et  il  ne  condamnera  point  par  un  ouï- 
«  dire,  mais  il  jugera  avec  justice  les  petits,  et  il 
«  condamnera  avec  droiture.  — Moi  qui  suis  l'É- 
«  ternel ,  je  t'ai  appelé  dans  la  justice ,  je  te  pren- 
«  drai  par  la  main  et  je  te  garderai,  et  je  te  ferai 
a  être  l'alliance  du  peuple  et  la  lumière  des  na- 
«  tions,  afin  d'ouvrir  les  yeux  des  aveugles. 
«  —  Prêtez  l'oreille  et  venez  à  moi;  écoutez,  et 
«  votre  âme  vivra ,  et  je  traiterai  avec  vous  une 
(i  alliance  éternelle  pour  rendre  stable  la  miséri- 
«  corde  promise  à  David.  Voici ,  je  l'ai  donné  pour 
«  être  témoin  aux  peuples,  pour  être  conducteur, 
«  et  afin  qu'il  commande  aux  peuples.  Je  suscite- 


334  CHRIST.  OH.  XIV. 

«  raisurcllos  un  paslenrqni  les  paîtra,  et  je  traite- 
«  rai  avec  elles  une  alliance  de  paix.  — Et  il  y  aura 
«  une  alliance  éternelle  avec  eux.  Je  mettrai  mon 
a  sanctuaire  au  milieu  d'eux  à  toujours,  et  eux 
«  tous  n'auront  qu'un  roi  pour  leur  roi,  et  ils  ne 
«  se  souilleront  plus  par  leurs  dieux  infâmes;  ils 
«  auront  tous  un  seul  pasteur,  ils  marcheront  dans 
<(  mes  ordonnances,  et  David  mon  serviteur  sera 
«  leur  prince  à  toujours.  —  Voici,  les  jours  vien- 
«  nent,  dit  l'Éternel,  que  je  traiterai  une  nouvelle 
«  alliance  avec  la  maison  d'Israël  et  avec  la  maison 
«  de  Juda;  et  c'est  ici  l'alliance  que  je  traiterai  avec 
«  la  maison  d'Israël;  je  mettrai  ma  loi  au-devant 
«  d'eux  et  je  l'écrirai  dans  leur  cœur,  et  je  serai 
«leur  Dieu,  et  ils  seront  mon  peuple.  Chacun 
«  d'eux  n'enseignera  plus  son  prochain ,  ni  chacun 
«  son  frère,  en  disant  :  Connaissez  l'Éternel;  car 
«  ils  me  connaîtront  tous,  depuis  le  plus  petit  jus- 
«qu'au  plus  grand,  dit  l'Éternel,  parceque  je 
«  pardonnerai  leur  iniquité ,  et  que  je  ne  me  sou- 
«  viendrai  plus  de  leur  péché  ^^  » 

Il  est  souvent  et  expressément  déclaré  que  ces 
bénédictions  s'étendraient  plus  loin  que  la  Judée. 
«  C'est  peu  de  chose  que  tu  sois  mon  serviteur 
«  pour  rétablir  les  tribus  de  Jacob  et  pour  ra- 
ft mener  les  restes  d'Israël  ;  mais  je  t'ai  donné 
«  pour  être  la  lumière  des  nations ,  et  pour  être 
«  mon  salut  jusqu'au  bout  delà  terre  ^^  » 

Tandis  que  plusieurs  des  prophéties,  en  dépei- 
gnant la  gloire  du  royaume  du  Messie ,  se  rap- 
portent aussi  à  son  étendue  universelle  et  a  la  res- 
tauration finale  des  Juifs,  elles  décrivent  en  même 
temps  la  nature  et  les  bienfaits  de  l'Évangile;  et 

(96)Deut.,  XVIII,  4.8-19.  —  Esaïe,  IX,  5,  6;  XI,  j,  S,  4;  XLII, 
C;  LV,  3,  h.  —  Ezécbiel,  XXXIV,  23,  25;  XXXVII,  22-26,  28.  — 
Jérémie,  XXXI,  31,  33,  34. 

(97)  Esaïe,  XLIX,  C;  LVI,  6-8. 


CH.  XIV.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  335 

il  serait  impossible  de  donner  maintenant  un 
exposé  plus  correct  ou  une  définition  plus  juste 
de  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  et  des  conditions 
qu'il  a  proposées  à  l'homme,  que  ceux  que  con- 
tiennent ces  mêmes  prophéties,  publiées  plusieurs 
siècles  ayant  son  apparition  dans  le  monde.  L'E- 
vangile, comme  son  nom  l'indique,  signifie  bonne 
nouvelle  ;  Christ  lui-même  invitait  ceux  qui  étaient 
travaillés  et  chargés  a  venir  à  lui  pour  obtenir 
le  repos  de  leurs  âmes.  Il  était  le  messager  de 
paix.  Il  vint,  ainsi  qu'il  le  dit  lui-même,  s'offrir 
en  sacrifice  pour  les  péchés  du  monde  et  révéler 
à  l'homme  la  volonté  de  son  Père  céleste.  Il  pu- 
blia les  termes  de  notre  pardon.  Sa  parole  est  en- 
core la  parole  de  conciliation;  sa  loi,  une  loi  de 
bonté  ;  et  tous  les  devoirs  qu'il  inculque  tendent  à 
rendre  l'homme  digne  de  participer  à  la  félicité 
éternelle;  tel  estlebut  de  toute  son  œuvre.  Qu'au- 
rait-il pu  donner  de  plus,  qu'aurait-il  pu  exiger 
de  moins? 

Les  prophètes  des  anciens  temps  emploient 
les  mêmes  termes  en  parlant  de  la  nouvelle  loi 
qui  devait  être  révélée,  et  de  la  venue  du  Sau- 
veur :  «  Rejouis-toi  extrêmement,  fille  de  Sion, 
«  jette  des  cris  de  rejouissance ,  fille  de  Jéru- 
«  salem  ;  voici ,  ton  roi  viendra  à  toi.  —  Que  les 
«  pieds  de  ceux  qui  annoncent  la  paix  sont  beaux, 
a  de  ceux  qui  annoncent  de  bonnes  nouvelles. 
«  L'esprit  du  Seigneur  l'Eternel  est  sur  moi , 
«  c'est  pourquoi  l'Eternel  m'a  oint  pour  évangé- 
«  User  aux  débonnaires;  il  m'a  envoyé  pour  guérir 
c(  ceux  qui  ont  le  cœur  brisé,  pour  publier  aux 
«  captifs  la  liberté ,  pour  publier  l'année  de  la 
ft  bienveillance  de  l'Eternel.  »  Ayant  lu  ces  pa- 
roles à  haute  voix  dans  la  synagogue,  Jésus  s'é- 
cria :  a  Aujourd'hui  l'Écriture  est  accomplie.  »  Il 
est  en  effet  le  prédicateur  de  la  justice  et  de  la 


33G  rjiiusr.  ch.  xiv. 

paix^et  CO  n'élail  qu'en  Inique  l'Ecriture  pouvait 
trouver  son  aecomplissenient. 

U'aulres  pjoplièles  encore  parlent  de  la  joie  qui 
devait  surtout  caractériser  le  rèj^ne  du  Messie.  Il 
devait  mettre  fin  aux  transgressions ,  effacer  le 
péché,  et  réconcilier  les  pécheurs;  il  devait  faire 
rejaillir  de  l'eau  pure  sur  le  peuple  de  Dieu,  ar- 
roser de  son  sang  les  nations  pour  les  laver  de 
leurs  iuiquités,  et  ouvrir  une  source  pour  puri- 
fier le  péché  et  la  souillure.  «  Que  le  méchant 
«  délaisse  sa  voix ,  et  l'homme  inique  ses  pen- 
«  sees,  et  qu'il  retourne  à  l'Éternel,  et  il  aura 
«  pitié  de  lui.  —  Je  pardonnerai  leurs  iniquités 
«  et  je  ne  me  souviendrai  plus  de  leurs  pé- 
«  chés,  »  Le  Messie  devait  être  «  oint  pour  gué- 
«  rir  ceux  qui  ont  le  cœur  brisé;  pour  publier  à 
«  ceux  de  Sionqui  pleurent,  que  la  magnificence 
a  leur  sera  donnée  au  lieu  de  la  cendre,  l'huile 
<(  de  joie  au  lieu  du  deuil ,  un  manteau  de  louange 
«au  lieu  d'un  esprit  affligé  ^^  »  L'Évangile  de 
paix  réalise  toutes  ces  bénédictions  promises. 
Nous  voyons  maintenant  ce  que  beaucoup  de  pro- 
phètes et  beaucoup  de  sages  ont  désiré  de  voir. 

La  religion  chrétienne  a  été  malheureusement 
pervertie  et  altérée  ;  mais  ces  corruptions  mêmes 
ont  été  le  sujet  des  prophéties.  La  bigoterie 
n^a  que  trop  souvent  terni  sa  perfection  ;  sa 
beauté  a  disj)aru  sous  le  voile  de  la  supersti- 
tion ,  de  la  tyrannie  et  du  meurtre  ;  mais  la 
"  religion  de  Jésus,  sortie  pure  de  la  bouche  de 
son  auteur  et  de  la  plume  de  ses  apôtres ,  a  en 
elle  tout  ce  qu'il  faut  pour  répandre  universelle- 
mentle  bonheur, pour  avancer  efficacement  la  cul- 
ture morale  et  la  civilisation  de  l'humanité,  etpour 
améliorer  la  condition  et  perfectionner  la  nature 

(98)  —  Esaïe,  LV,  7.  —  Jérémie,  XXXÏ,  34.  —Daniel,  IX,  9. 
Esaïe,  LXI,  1-2. 


€H.  XiV,  RELIGION  CHRÉTIENNE.  -  33? 

de  riiomme.  Sa  doctrine  est  sainte,  elle  prescrit 
des  règles  de  conduite  pures  et  parfaites  ;  elle 
abolit  l'idolâtrie  ;  elle  enseigne  le  culte  du  seul 
vrai  Dieu ,  elle  annonce  des  promesses  faites  à 
tous  ceux  qui  obéissent  à  sa   loi;  elle  révèle  Ix 
seule  voie  du  pardon  pour  le  pécheur  et  lui  in- 
dique le  moyen  d'y  parvenir.  L'Évangile  est  une 
bonne  nouvelle  pour  les  débonnaires  ;  il  bande 
les  plaies  des  coeurs,  et  nous  offre  l'huile  de  joie  au 
lieu  du  deuil,  un  manteau  de  louange  au  lieu  d'un 
esprit  d'affliction,  ou,  en  d'autres  mots,  la  consola- 
tion la  plus  complète  dans  tous  les  maux  delà  vie. 
Pour  obtenir  la  confirmation  de  toutes  ces  prophé- 
ties, il  ne  nous  est  pas  nécessaire  de  recourir  au 
témoignage  des  Juifs  ou  à  celui  des  premiers  chré- 
tiens; c'est  une  question  d'expérience  et  de  fait. 
La  doctrine  de  l'Evangile  s'accorde  en  tout  avec 
les  prédictions  qui  l'ont  annoncée  ;   et  si  nous 
la  comparons  avec  la  cruauté,  l'impureté,  l'absur- 
dité   dégradante   des  systèmes  de  religion  qui 
existaient    au   temps  des  prophètes,  nous    ne 
pouvons    qu'être   pénétrés    de    sa   supériorité 
et  reconnaître    son    incomparable    excellence. 
On  adorait  alors  des  dieux  dont  les  vices  fai- 
saient honte  h  l'humanité ,  et  l'incrédulité  même 
n'oserait  les  comparer  au  Dieu  des  chrétiens  ; 
l'usage   des   sacrifices   était  partout  établi,  et 
souvent  le  sang  humain  coulait  là  où  la  doctrine 
chrétienne  de  la  réconciliation  pour  l'iniquité 
était   inconnue.  Et  dès  que  nous   sortons  des 
pays  chrétiens,  si  nous  regardons  vers  l'Afrique, 
vers  l'Inde,  ou  vers  la  Chine,  nous  avons  encore 
devant  les  yeux  les  spectacles  lesplus  révoltants 
dans  les  cérémonies  religieuses  des  hommes.  En 
envisageant  donc  la  supériorité  du  christianisme 
seulement  comme  ayant  été  le  sujet  de  la  pro- 
phétie, on  ne  peut  guère  se  refuser  à  reconnaître 

15 


338  CHRIST.  ni.  XIV. 

(jue  les  prédictions  qui  se  rapporleiit  à  celle  ex- 
cellence et  les  bieiirails  qu'elles  promettent  ont 
leçu  leur  entier  accomplissement  clans  l'Kvan- 
t;ire  de  Jésus-Christ. 

Mais,  tout  en  prouvant  sa  vérité  par  l'accom- 
plissement  même  de  ces  anciennes  prophéties, 
on  ne  demande  point  h  l'incrédule  de  renoncer  a 
iui  seul  iota  de  son  incrédulité  ,  sur  aucune  ma- 
tière qui  puisse  admettre  le  moindre  doute;  car 
il  y  a  beaucoup  de  prophéties  à  la  vérité  des- 
quelles chaque  chrétien  peut  rendre  témoignage, 
et  dont  Faccomplissement  est  prouvé  par  les  in- 
crédules eux-mêmes.  Que  l'Evangile  ait  pris  sa 
source  a  Jérusalem,  que  la  plupart  des  Juifs  l'aient 
rejeté,  qu'il  ait  eu  à  combattre  la  puissance  hu- 
maine, que  l'iclolâtrie  ait  été  renversée  devant 
lui,  que  les  rois  de  la  terre  se  soient  soumis  h 
son  joug,  qu'il  existe  depuis  plusieurs  siècles, 
qu'il  s'étencîe  sur  un  grand  nombre  de  contrées, 
voilà  des  faits  clairement  prédits  et  littéralement 
accomplis. 

«  Car  la  loi  sortira  de  Sion  et  la  parole  de  l'E- 
a  ternel  de  Jérusalem;  il  exercera  les  jugements 
a  parmi  les  nations '^^.  11  sera  votre  saxactuaire: 
«  mais  il  sera  une  pierre  d'achoppement  et  un 
«  rocher  de  trébuchement  aux  deux  maisons  d'Is- 
«  raël,  en  piège  et  en  lacs  aux  habitants  de  Jé- 
«  rusalem  !  Pourquoi  les  rois  de  la  terre  s'as 
«  semblent-ils  et  les  princes  consultent-ils  en- 
«  semble  contre  l'Eternel  et  contre  son  Christ*  ?» 
De  la  même  manière.  Christ  prédisait  souvent  à 
ses  disciples  la  persécution  qui  les  atteindrait  et 
le  triomphe  final  de  l'Evangile,  malgré  toute  Top- 
position  qu'il  aurait  à  combattre  ^ .   «  L'Eternel 

(99)  Esaïe,  II,  3,  /i.  —  Michée,  IV,  2. 

(1)  Esaïe,  VIII,  lA.  —  Ps.  II,  2. 

(2)  MaU.,  X,  47;  XVI,  18;  XXIV,  14;  XXVÏII,  19. 


(M,  XïV.  UELîGiO?^  CÎÎUÉTIENNE.  339 

«  sera  seul  haut  élevé  en  ce  jour -là;  et  pour  ce 
«  qui  est  des  idoles  elles  seront  toutes  détruites. 
«  Et  je  vous  nétoyerai  de  tous  vos  dieux  infâmes. 
«  Je  retrancherai  les  noms  des  faux  dieux  du 
«  pays  et  on  n'en  fera  plus  mention  ^ .  A  celui  qui 
«  est  esclave  de  ceux  qui  le  dominent  :  Les  rois 
«  le  verront  et  se  lèveront,  et  les  principaux  se 
«  prosterneront  devant  lui.  Et  les  nations  mar 
«  cherontà  ta  lumière ,  et  les  rois  à  la  splendeur 
«  qui  se  lèvera  sur  toi.  Et  les  rois  seront  tes  nour- 
<<  riciers  et  les  princesses  leurs  femmes  tes  nour- 
«  rices  ^ .  Les  nations  verront  ta  justice ,  et  on 
«  t'appellera  d'un  nouveau  nom  que  la  bouche  de 
A  TEternelaura  expressément  déclaré.  En  cejour- 
<(  là  il  arrivera  que  les  nations  rechercheront  la 
«  racine  d'Isaï,  dressée  pour  enseigne  despeuples^ 
^<  et  son  séjour  ne  sera  que  gloire.  Et  je  traiterai 
«  avec  vous  une  alliance  éternelle.  Voici  tu 
«  appelleras  la  nation  que  tu  ne  connaissais  point, 
«  et  les  nations  qui  ne  te  connaissaient  point  ac- 
«  courerontà  toi^ .  » 

A  l'époque  oîi  ces  prophéties  parurent,  il  n'y 
avait  pas  sur  toute  la  surface  du  monde  le  moin- 
dre signe  de  ce  royaume  spirituel,  de  cette  reli-* 
gionpure  qu'elles  prédisent  si  clairement  devoir 
s'étendre  non-seulement  sur  la  Judée  et  sur 
toutes  les  contrées  éloignées  que  les  prophètes 
seuls  connaissaient,  mais  aussi  sur  tous  les  oeu- 
pîes  des  gentils,  et  même  jusqu'aux  extrémités 
de  la  terre.  Maintenant  chacun  sait  que  la  reli- 
gion qui  enseigne  la  piété ,  la  pureté  ,  la  charité, 
qui  délivre  Fhomme  de  tous  ces  rites  péni- 
bles ,  qui  l'affranchit  de  toutes  ces  institu- 
tions barbares ,  et  qui  offre  à  l'humanité  le  plus 

(3)  Esaïe,  II,  17,  18.  — Ezéchiei,  XXXVI,  25.— Zach.,  XIII,  2. 

Ih)  Esaïe,  XLIX,  7,  23;  LX,  3. 

(5)  Ibid.,  LXII,  2;  XI,  10;  LV,  3-5, 


3iO  ciinisT.  cii.  xiT- 

grand  des  bienfails;  que  celtc  religion ,  disons- 
nous  5  prit  naissance  en  Judée  ,  au  sein  du  peuple 
le  plus  égoïste  et  le  plus  sensuel  de  la  terre  ;  que 
persécutée  à  son  origine,  et  rejetée  par  les  Juifs, 
elle  s'est  cependant  répandue  sur  plusieurs  na~ 
lions,  qu'elle  s'est  étendue  jusqu'à  celles  qu'un 
immense  intervalle  séparait  de  son  berceau  et  de 
son  centre  d'action,  et  qu'elle  invite  sans  excep- 
tion le  monde  entier  à  participer  aux  privilèges 
qu'elle  accorde ,  sans  faire  de  distinction  quel- 
conque entre  le  Barbare  et  le  Scythe ,  l'esclave 
et  l'homme  libre. 

Unpoëte  latin,  qui  vécut  au  commencement  de 
l'ère  chrétienne,  parle  des  Bretons  barbares 
comme  séparés  delà  terre  entière.  Et  cependant, 
quoique  la  Grande-Bretagne  fût  plus  éloignée 
de  la  Judée  que  de  Rome ,  la  loi  sortie  de  Jéru- 
salem lui  a  fait  perdre  sa  réputation  de  barbarie; 
dans  cette  île  éloignée  des  gentils,  les  prophéties 
qui  déclarent  que  le  royaume  du  Messie  s'éten- 
dra jusqu'aux  bouts  de  la  terre  ont  recti  leur  ac- 
complissement ;  et  aujourd'hui,  si  d'une  île  éloi- 
gnée des  gentils  nous  portons  nos  regards  vers 
une  autre  île,  de  l'océan  du  nord  à  l'océan  du 
sud ,  d'une  extrémité  du  globe  à  l'autre ,  nous 
verrons  encore  l'influence  régénératrice  de  l'E- 
vangile dans  l'extinction  de  l'idolâtrie ,  et  l'a- 
bolition des  rites  cruels  et  barbares  du  paga- 
nisme. 

Mais  ce  fut  à  une  époque  où,  excepté  la  seule 
terre  de  la  Judée,  la  lumière  de  la  vérité  divine 
n'éclairait  pas  le  m.onde,  ce  fut  lorsque  toutes  les 
autres  nations  ,  par  rapport  à  la  religion ,  étaient 
plongées  dans  les  ténèbres,  adonnées  à  une  su- 
perstition grossière  et  à  une  idolâtrie  aveugle; 
ce  fut  lorsque  lès  hommes  se  formaient  à  eux- 
mêmes  des  divinités   de  choses  corruptibles; 


CH.  XIV.  ÎIELIGION  CHRÉTIENNE.  341 

ce  fut  lorsqu'on  déifiait ^  après  leur  mort,  ceux- 
là  mêmes  qui  avaient  donné  l'exemple  des  vi- 
ces  les  plus  grossiers  ;  ce  fut  lorsqu'on  rempla- 
çait la  religion  par  des  rites  affreux  et  obscènes  ; 
ce  fut  lorsque  la  nation  la  plus  éclairée  du  monde 
élevait  publiquement  un  autel  au  Dieu  inconnu  , 
et  ne  mettait  point  de  bornes  au  nombre  de  ses 
divinités  ;  ce  fut  au  moment  oii  l'un  des  plus  cé- 
lèbres philosophes  du  paganisme ,  l'un  des  plus 
purs  de  ses  moralistes ,  désespérant  de  parvenir 
à  la  vérité  par  des  moyens  humains  5  demandait 
une  révélation  divine  comme  unique  voie  de 
salut  ^;  ce  fut  lorsque  le  nombre  des  esclaves  dé- 
passait celui  des  hommes  libres;  ce  fut  lorsqu'il 
n'y  avait  aucun  espoir  de  pouvoir  sortir  de  cet 
état  d'esclavage  spirituel  et  temporel;  ce  fut  alors 
que  la  voix  de  la  prophétie  se  fit  entendre  dans 
ia  terre  de  la  Judée,  ce  fut  alors  qu'elle  annonça 
le  jour  glorieux  qui  allait  luire  sur  le  monde. 

Et  d'où  cette  lumière  pouvait-elle  descendre  , 
que  du  ciel?  —  Le  Messie  fut  promis  ;  le  prince 
de  la  paix  allait  paraître  ;  une  pierre  allait  être 
détachée  de  la  montagne  sans  main ,  qui  devait 
frapper  et  mettre  en  pièces  les  royaumes  du  monde . 
Mais  le  règne  spirituel  du  Messie  est  décrit  en 
termes  qui  indiquent  tout  à  la  fois  sa  nature  ,  sa 
durée,  son  étendue:  «  Sa  renommée  durera  tou- 
«  jours,  sa  réputation  ira  de  père  en  fils,  tant  que 
«le  soleil  durera.  On  sera  béni  en  lui.  Toutes  les 
<(  nations  le  publieront  bienheureux.  Il  dominera 
«  depuis  une  mer  jusqu'à  l'autre ,  et  depuis  le 
«fleuve  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre.  De- 
«  mande  moi ,  et  je  te  donnerai  pour  ton  hé- 
«  ritage  les  nations ,  et  pour  ta  possession  les 
«  bouts  de  la  terre.  Tous  les  bouts  de  la  terre 

(6)  Platon,  in  Phœdone  et  in  Alcibiade,  II. 


3i2  f:ni{(ST.  cif.  xiv. 

«  s'en  souviendront    et  se  con  ver!  iront   à    FH- 
«  lornel ,  et   tontes  les  familles  des  nations    se 
«  prosterneront  devant  toi  \  —  Je  t'ai  donné  pour 
«  être  la  linnière  des  nations,  et  pour  être  mon 
t<  salut jns(pi'anx  bouts  de  la  terre.  —  La  j^^loire  de 
«  l'Eternel  se  nsanifestera,  et  toute  eliair  la  vena 
«en   même  temps,  car  la  bouche  de  rElern<*i 
^<  a  parle  ^  —  L'Eternel  a  découvert  le  bras  de  sa 
<^  sainteté  devant  les  yeux  de  toutes  les  nations. 
^^11   ne  se  retirera  point,  ni  ne  se  précipitera 
«  point  jusqu'à  ce  qu'il  ait  établi  la  justice  sur  la 
«  terre,  et  les  îîes  s  arrêteront  à  sa  loi  ^  —  Il  enlè- 
«  vera  l'enveloppe  redoublée  qu'on  voit  sur  tous 
«les  peuples,  et  la  couverture  qui  est  étendue 
«  sur  toutes  les  nations  *^ .  —  J'étais  recherché  par 
«  ceux  qui  ne  s'informaient  pas  de  moi ,  et  j'ai  été 
«  trouvé  par  ceux  qui  ne  me  cherchaient  point; 
«j'ai  dit  à  la  nation  qui  ne  s'appelait  point  de 
«  mon  nom  :  Me  voici,  me  voici  ** .  — -  Il  arrivera 
«  aux  derniers  jours ,  disent  Esaïe  et  Michée  dans 
«  les  mêmes  paroles,  que  la  montagne  de  la  mai- 
«  son  de  l'Eternel  sera  affermie  au  sommet  des 
«  montagnes ,  et  élevée  par-dessus  les  coteaux , 
«  et  toutes  les  nations  y  aborderont*^ .  —  Il  arri- 
«  vera  que  dans  le  lieu  où  on  leur  aura  dit  :  Vous 
«  n'êtes  pins  mon  peuple ,  on  leur  dira  :  Vous 
«  êtes  les  enfants  du  Dieu  fort  et  vivant  '^ .  —  L'a- 
«  bondance  de  la  mer  se  tournera  vers  toi,  et  !a 
<(  puissance  des  nations  viendra  à  toi  *^ . — Réjouis- 
«  toi  avec  des  chants  de  triomphe:  stérile  qui  n'en- 
«  fantais  point;  éclate  de  joie  avec  des  chants  de 
«triomphe,  car  les  enfants  de  celle  qui  était 
«  abandonnée  seront  en  plus  grand  nombre  qiw* 

(7)  Ps.  LXXII,  8-17;  II,  8,  XXII,  28. 

(8)  Esaïe,  XLIX,  6;  XL,  5.  —  (9)  Ibid.,  LU,  10;  XLIII,  4. 
(10)  Ibid.,  XXV,  7.  —  (11)  Ibid.,  LXV,  1. 

(12)  Ibid.,  IL  2.  —  Miellée,  IV,  1.  —  (15>  Osée,  I,  10. 
(l/i)Esa:e,  LX;  5. 


Cïl.  Xiy.  RELIGION  CHRÉTIENNE.  2i3 

«  les  enfants  de  celle  qui  était  mariée  (plus  de 
«Gentils  que  de  Juifs).  Elargis  le  lieu  de  ta 
«  tente  5  et  qu'on  étende  les  rideaux  de  ton  pavil- 
«  Ion  5  ne  néglige  rien;  allonge  tes  cordages; 
«  car  tu  te  répandras  à  droite  et  à  gauche ,  et  ta 
«  postérité  possédera  les  nations ,  car  celui  qui 
«  t'a  formé  sera  ton  époux  ;  l'Eternel  des  armées 
«  est  son  nom ,  il  sera  appelé  le  Dieu  de  toute  la 
«  terre  *" .  —  Le  désert  et  le  lieu  aride  se  réjoui- 
«ront,  et  la  solitude  sera  dans  l'allégresse,  et 
«  fleurira  comme  une  rose  *^. 

Ces  prophéties  ont  toutes  rapport  à  l'étendue 
du  règne  du  Messie,  et  toutes  claires,  tout  amples 
qu'elles  sont,  elles  ne  forment  qu'une  très  petifci^. 
portion  des  prédictions  qui  ont  le  même  objet. 
Nous  devons  donc  examiner  non-seulement  ce 
qui  en  reste  encore  à  accomplir,  mais  tout  ce  qui 
en  a  déjà  été  accompli,  et  dont  il  aurait  été  impossi- 
ble à  notre  sagesse  bornée  de  concevoir  la  moindre 
idée.  Toutes  elles  ont  été  publiées  plusieurs  siè- 
cles avant  l'existence  de  cette  religion  dont  elles 
décrivent  si  minutieusement  les  progrès;  cepen- 
dant, lorsque  nous  comparons  l'état  actuel  des 
pays  oil  l'Evangile  est  professé  dans  &a  pureté, 
avec  celui  dans  lequel  ils  étaient  k  l'époque  où  le 
soleil  de  justice  commença  à  luire  sur  eux ,  nous 
voyons  partout  la  lumière  dissipant  les  ténèbres  , 
l'ignorance  et  le  paganisme  disparaissant  devant 
les  efforts  de  la  science  et  de  la  culture  morale. 
—  Malgré  toutes  les  probabilités  humaines  ,  mal- 
gré toutes  les  prévisions  de  la  sagesse  et  de  la 
puissance  de  l'homme,  l'Evangile  de  Jésus,  pro- 
pagé d'abord  par  quelques  obscurs  pêcheurs  de 
la  Galilée ,  a  sapé  dans  leurs  fondements  les  tem- 
ples païens,  a  renversé  les  autels  impurs  ,  a  jeté 
hors  des  palais  et  des  chaumières  les  faux  dieux; 

(15)  Ibu!.,  LIV,  1-3,  5.  —  (16)  Ibid.,  XXXV,  1. 


Sii  CHRIST.  CH.  XIV 

toules  les  nations  civilisées  reconnaissent  son  au- 
torité; il  a  trioniplié  depuis  son  origine  jusqu'à 
ce  jour  ,  niali;ré  la  persécution  ,  malgré  l'opposi- 
tion la  plus  forte  et  la  plus  yiolente,  malgré  les 
attaques  les  plus  directes,  malgré  tous  les  pièges 
de  ses  adversaires  cachés  ;  et  combattant,  comme 
il  a  toujours  combattu,  contre  les  mauvaises 
passions  de  l'homme  qui  les  portent  à  lui  résis- 
ter et  ix  la  pervertir,  il  demeure  encore  debout, 
et  le  cours  de  quinze  siècles  ne  fait  que  confir- 
mer toutes  les  anciennes  prophéties  ,  et  vérifie  à 
l'heure  qu'il  est  la  déclaration  de  son  auteur  : 
c(  Les  portes  de  reiifer  ne  prévaudront  point  con- 
tre lui.  » 

Qui  aurait  pu  concevoir  que  jamais  un  tel  sys- 
tème religieux  serait  formé ,  qu'il  serait  institué, 
combattu ,  établi ,  propagé  sur  toute  la  surface 
du  globe ,  embrassé  par  tant  de  nations ,  protégé 
par  des  rois  et  des  princes,  et  regardé  comme 
règle  de  foi ,  comme  la  volonté  même  de  Dieu  ? 
Comment  toutes  ces  choses  et  beaucoup  d'autres 
encore  auraient-elles  pu  être  prédites,  comme 
elles  l'ont  été  sans  aucun  doute ,  tant  de  siècles 
avant  la  venue  de  l'auteur  du  christianisme,  si 
ces  prophéties  n'étaient  pas  en   elles-mêmes  une 
preuve  venue  d'en  haut ,  que  chaque  prophétie 
et  son  accomplissement  sont  l'œuvre  de  Dieu ,  et 
non  celle  de  l'homme  ?  —  Quel  mortel  non  ins- 
piré eût  pu  décrire  la  nature,  les  effets  et  les 
progrès    du  christianisme,  quand  aucun   d'eux 
n'aurait  pu  se  faire  seulement  l'idée  de  son  exis- 
tence ?  car  le  paganisme  ne  consistait  qu'en  céré- 
monie-s  extérieures,  en  sanglants  sacrifices  et  en 
prétendus  mystères.  Sa  tolérance ,  il  est  vrai,  a 
été  vantée ,  et  non  sans  cause  ;  car  il  tolérait  tout 
ce  qui  est  impie  et  absurde  en  religion ,  tout  ce 
qui  est  impur  et  vicieux  en  morale. 


CH.XIV.  BELIGiON  CÎIÎIÉTÎEÎS^E.  ?>4;) 

Mais  les  prophètes  jaife,  alors  même  que  le 
monde  était  plongé  dans  les  ténèbres  et  ne  pou- 
vait leur  fournir  aucune  lumière  pour  les  guider 
dans  cette  connaissance,  annoncèrent  la  naissance 
d'une  religion  qui  ne  se  piquerait  point  de  cette 
espèce  de  tolérance,  mais  qui  révélerait  la  volonté 
et  enseignerait  le  culte  du  seul  vrai  Dieu;  religion 
qui  consisterait  en  obéissance  morale,  quideman^ 
derait  de  la  pureté  dans  la  vie  et  dans  les  mœui*s, 
qui  abolirait  tous  les  sacrifices,  en  révélant  un 
seul  moyen  de  réconciliation  avec  Dieu  ;  qui  se 
ferait  comprendre  à  tous  par  la  simplicité  de  ses 
préceptes ,  mais  qui  ne  saurait  tolérer  le  mal  en 
aucune  manière;  doctrine  en  tout  contraire  au 
paganisme  ,  et  pour  laquelle  rien  sur  la  terre 
n'aurait  pu  leur  servir  de  modèle.  —  Ces  pro- 
phètes, dans  toutes  les  nations  qui  existaient  au- 
tour d'eux ,  ne  pouvaient  découvrir  que  le  culte 
d'un  nombre  infini  de  divinités  et  d'idoles  ;  ils 
auraient  parcouru  le  monde  entier,  qu'ils  n'y  au- 
raient trouvé  que  dépravation  spirituelle  et  mo- 
rale ;  et  cependant  ils  annoncent  l'abolition  finale 
du  polythéisme  et  de  l'idolâtrie.  Le  système  reli- 
gieux des  Juifs  était  local,  et  les  Juifs  prédisaient 
une  religion  qui  devait  commencer  à  Jérusalem,  et 
s'étendre  ensuite  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre. 
—  Il  est  donc  improbable,  ou  plutôt  absolument 
incroyable  que  ces  prédictions  eussent  jamais  pu 
être  faites  par  la  sagesse  humaine,  ou  accomplies 
par  la  puissance  de  l'homme;  et  lorsque  ces  deux 
merveilles  se  rencontrent ,  elles  fournissent  une 
nouvelle  preuve  de  la  vérité.  —  Comme  point 
d'histoire,  les  progrès  du  Christianisme  sorrt  au 
moins  étonnants,  et  comme  accomplissement  de 
tant  de  prophéties,  ils  sont  évidemment  miracu- 
leux. 

L'influence  et  l'étendue  du  règne  de  l'Évangile 

15. 


^ia  cmi^t.  au  t\v. 

ne  sont  pas  moins  clairement  |)iédils  dans  le  Noii 
veau  Testament  que  dans  l'Ancien.  Une  seule* 
(*itation  peut  nous  suffire  :  «  Je  vis  un  autre  an^e 
«  qui  volait  par  le  milieu  du  ciel,  poitant  KKvan- 
<c  gile  éternel,  pour  Tannoncer  à  ceux  qui  liahi- 
«  tent  sur  la  terre,  à  toute  nation,  à  toute  tribu,  ii 
«  toute  langue  et  a  tout  peuple.  » — Telles  sont  l(\4 
paroles  d'un  homme  banni,  exilé  dans  nue  petite 
île  d'où  il  ne  pouvait  sortir;  d'un  disciple  d'imi^^ 
religion  nouvelle  partout  décriée  et  persécutée. 
Elles  furent  prononcées  k  une  époque  où  il  était 
impossible  qu'elles  fussent  réalisées  autant 
qu'elles  le  sont  maintenant,  lors  même  que  tout 
le  pouvoir  de  Thomme  se  fût  réuni  pour  propa- 
ger l'Evangile,  au  lieu  d'hêtre  employé  à  l'éteindre. 
Il  était  alors  extrêmement  difficile  de  répandre 
la  science;  Tart  de  Timprimerie  était  ignoré: 
et  plusieurs  pays  qui  professent  maintenant  le 
christianisme  étaient  encore  inconnus.  Et  quel- 
que nombreux  que  soient  maintenant  les  ouvra- 
ges imprimés,  et  ils  le  sont  plus  qu'à  aucune  au- 
tre période  de  l'histoire,  quelqu'étendues  que 
soient  les  relations  actuelles  du  commerce ,  la 
manière  dont  l'Ecriture  Sainte  a  été  répandue  est 
bien  plus  étonnante  que  raccroissement  des  uns 
ou  des  autres.  Elle  est  parvenue  dans  des  régiontr 
inconnues  à  tous  les  autres  ouvrages  du  génie  de 
l'homme,  elle  a  pénétré  dans  des  contrées  que 
n'a  point  encore  exploitées  la  fureur  des  spécu- 
lations commerciales. 

La  vérité  de  la  prophétie  du  pauvre  exilé  de 
Patmos  est  n:aintenant  mise  au  jour;  elle  a  en  sa 
faveurune  prescription  de  dix-sept  siècles;  il  esl 
évident  maintenant  que  ce  n'était  point  là  une 
vision  humaine,  puisque  l'Évangile  éternel  a  été 
communiqué  d'une  manière  inouïe  à  tous  ceux 
qui  habitent    sur    la   terre,  à  toute  nation,  k 


en.  XîV.  RELIGION  CîIîlKTlE^^'I^.^  317 

toute  tribu,  a  toute  langue ,  a  tout  peuple.  L'Eu- 
rope et  l'Amérique  professent  le  christianisme; 
dans  toutes  les  portions  du  globe  on  trouve  des 
chrétiens.  L'Évangile  est  traduit  en  150  langues 
.  et  dialectes  qu'on  parle  d'une  extrémité  de  la 
terre  à  l'autre;  et  quel  autre  livre  depuis  la  créa- 
tion a  été  lu  ou  connu  dans  la  dixième  partie  de 
ce  nombre  de  langues!..  Quelles  que  soient  donc 
les  causes  secondaires  qui  ont  amené  ces  évé- 
nements,  ou  quelles  que  soient  les  opinions  des 
hommes  par  rapport  à  eux ,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  qu'il  faut  que  les  prophéties  dont  ils  sont  l'ac- 
complissement aient  été  inspirées  par  Celui  qui  est 
la  première  grande  cause  de  tout.  Quelle  autorité 
divine  l'incrédulité  peut-elle  offrir ,  quelles  doc- 
trines l'incrédule  peut-il  avancer,  qui  équivaillent 
à  cette  preuve  de  la  vérité  du  christianisme? 

Il  est  évident,  d'après  un  coup  d'œil  générai 
jeté  sur  les  prophéties  qui  se  rapportent  à  Christ 
et  à  la  religion  chrétienne,  qu'elles  contiennent 
des  prédictions  exclusivement  relatives  à  plu- 
sieurs doctrines  de  l'Évangile,  qui  ne  pouvaient 
émaner  que  d'une  révélation  divine,  et  que  la 
raison  à  elle  seule  n'aurait  jamais  pu  découvrir; 
et  ces  mêmes  doctrines ,  contre  lesquelles  la  suf- 
fisance de  la  sagesse  humaine  se  révolte  le  plus, 
souvent,  sont  par  là  même  des  preuves  de  leur 
divine  origine  ;  car  si  ces  doctrines  n'avaient  pas 
été  contenues  dans  les  Saintes  Écritures,  les  pro- 
phéties qui  les  regardent  n'auraient  pu  s'accom- 
plir. Et  plus  elles  sont  merveilleuses,  plus  il  est  im- 
probable et  inconcevable  qu'elles  aient  pu  être  an- 
noncées par  de  simples  moriels  ^  ou  qu'elles  aient 
été  plus  tard  constituées  en  système  religieux. 

Il  est  aussi  évident  qu'il  y  a  plusieurs  pro- 
phéties applicables  à  Jésus,  et  auxquelles  aucune 
allusion  n'est  faite  dans  l'histoire  de  sa  vie.  L'es-^ 


'Ii8  CHRIST.  eu.  XIV. 

prit  de  ses  disc  iples  fnt  longtemps  prévenu  contre 
lui  à  cause  de  la  bassesse  de  sa  condition  ^  pré- 
juge très  général  parmi  les  Juifs.  —  Ils  ne  virent 
les  prophéties  qu'à  travers  le  \  oile  de  ces  tradi- 
tions (pii  agrandissaient  la  puissance  terrestre  à 
laquelle  ils  s'atlendaient,  et  qui  avaient  obscurci 
la  nature  divine  du  Messie  promis.  —  Ce  ne  fui 
qu'après  la  résurrection   de    Christ ,    nous    dit 
l'Écriture  ,  que  leur  entendement    fut    ouvert 
pour  comprendre  les  prophéties.  —  Mais  tandis 
que  raccomplissement  de  beaucoup  de  ces  pré- 
dictions n'est  pas  remarqué  dans  le  Nouveau 
Testament  5  l'accomplissement  de  toutes  et  de 
chacune    est  écrit   comme  par  une  plume  de 
fer  5  dans  la  vie  ^  la  doctrine  et  la  mort  du  Sau- 
veur, et  cette  preuve  secondaire,  indirectement 
mais    pleinement   donnée,  est  plus   forte   que 
ne  serait  un  appel  fait  à  chaque  prophétie  :  af- 
Ixanchis  des  préjugés  des  Juifs,  nous  pouvons 
maintenant  rassembler  toutes  les  prophéties  anté- 
rieures qui  se  rapportent  au  Messie ,  et  les  com- 
parer avec  l'histoire  du  Nouveau  Testament,  et 
avec  la  nature  et  la  marche  du  christianisme;  et 
après  avoir  vu  jusqu'à  quel  point  les  premières 
sont  une  représentation  fidèle  du  dernier,  nous 
pourrons  tirer  la  conclusion  légitime,  que  «  l'es- 
prit de  prophétie  est  en  effet  le  témoignage  de 
Jésus  ». 

Après  avoir  repassé  le  tout  ensemble,  ne  pou- 
vons-nous pas  affirmer  avec  hardiesse  que  l'épo- 
que et  le  lieu  de  la  naissance  de  Christ,  la  tribu 
et  la  famille  dont  il  sortait,  son  genre  de  vie,  son 
caractère,  ses  miracles,  ses  souffrances  et  sa  mort^ 
la  nature  de  sa  doctrine  et  le  sort  de  sa  religion , 
avaient  été  depuis  longtemps  révélés  ;  que  cette 
doctrine  devait  prendre  naissance  à  Jérusalem , 
que4es  Juifs  la  rejeteraient,  que  dès  son  origine 


en.  XIV.  BELIGÏON  CHRÉTIENNE.  349 

on  la  combattrait,  et  qu'elle  s'étendrait  jus- 
qu'aux Gentils;  que  l'idolâtrie  disparaîtrait  de- 
vant elle,  que  les  rois  de  la  terre  se  soumet- 
traient à  son  autorité,  qu'elle  se  répandrait 
parmi  toute  les  nations,  même  jusqu'aux  extré- 
mités du  monde  :  toutes  ces  choses  n'ont-elles  pas 
été  l'objet  des  anciennes  prophéties? 

Pourquoi  donc  toutes  ces  prophéties?  — Pour- 
quoi ,  depuis  l'appel  fait  à  Abraham  jusqu'à 
nos  jours ,  les  Juifs  ont-ils  été  un  peuple  à  part, 
séparé  d'avec  toutes  les  autres  nations  de  la 
terre  ?  Pourquoi ,  depuis  le  temps  de  Moïse  jus- 
qu'à celui  de  Malachie,  pendant  un  espace  de 
mille  ans ,  a-t-on  vu  s'élever  une  race  de  pro- 
phètes qui  tous  témoignèrent  de  la  venue  d'un 
Sauveur?  Pourquoi  le  livre  des  prophéties  fut-il 
scellé  400  ans  avant  la  naissance  du  Christ? 
Pourquoi  y  a-t-il  encore  jusqu'à  ce  jour  une  évi 
dence  incontestable,  sinon  miraculeuse,  de  l'an- 
tiquité de  toutes  ces  prophéties,  en  ce  qu'elles 
ont  été  religieusement  conservées  pendant  tous 
ces  siècles  par  les  soins  mêmes  des  ennemis  du 
christianisme?  Pourquoi  une  telle  multitude  de 
faits,  qui  ne  peuvent  être  appliqués  qu'à  Jésus- 
Christ,  ont-ils  été  prédits?  Pourquoi?  —  afin  que 
ces  immenses  préparatifs  pussent  amener  enfin 
l'Evangile  de  salut,  et  aussi  pour  que,  comme 
toutes  les  autres  œuvres  du  Tout-Puissant,  sa 
parole  par  Jésus-Christ  ne  fut  jamais  sans  témoi- 
gnage au  milieu  des  hommes. 

Ah!  si,  par  le  rapide  coup  d'œil  que  nous  venons 
de  jeter  sur  elles ,  ces  prophéties  rendent  témoi- 
gnage à  la  vérité  de  l'Evangile  et  à  la  sagesse  de 
son  auteur ,  quelle  force  n'auraient  elles  pas  pour 
celui  qui  sonderait  avec  soin  les  Ecritures,  et 
qui  apprendrait  par  là  avec  quelle  clarté  elles 
parlent  de  Jésus! 


3A0  LKS  SKPT  ÉGLISES  dVvSIE.  Gïî.  XV. 


CHAPITRE  XV. 

PraiPllKTIES  CONCEîlNAx\T   LES    SEPT   ÉGLISES^ 

d'asie. 

Quelque  incomplet  que  soit  le  précis  contenu 
dans  les  chapitres  précédents  sur  l'évidence  des 
prophéties ,  les  prophéties  sont  si  claires  par 
elles-uiénies,  et  les  faits  qui  en  sont  Taccomplis- 
s€ment  sont  tellement  multipliés,  qu'on  ose  dé- 
lier le  sceptique  le  plus  subtil  d'imaginer  un  sys- 
tème quelconque  pour  expliquer  comment  ces 
faits  auraient  pu  être  prédits  autrement  que  par 
l'inspiration  de  Dieu. 

La  parole  de  la  prophétie  a  certainement  fait 
apercevoir  bien  des  désolations  survenues  sur 
la  terre  ;  mais  tout  en  démontrant  ainsi  l'action 
c(  du  mystère  de  l'iniquité  »,  elle  fait  elle-même 
par! le  «  du  mystère  de  la  piété  » .  Les  péchés  des 
hommes  leur  ont  attiré  des  désolations  que  la 
parole  de  Dieu  avait  prédites  et  que  la  cruauté 
des  hommes  a  exécutées.  Cesjugemenls  ont  été 
annoncés,  il  est  vrai,  par  des  signes  et  des  aver- 
tissements, mais  ils  ne  sesont  jamais  trouvés  que 
là  oil  l'iniquité  avait  tl'abord  prévalu.  Et  quand 
même  tous  les  autres  avertissements  de  Dieu  de- 
vraient être  sans  effet ,  les  monuments  de  ses 
jugements  passés  et  les  indications  de  ses  juge- 
ments à  venir  pourront  aprendre  au  pécheur 
jusqu'ici  inaccessible  au  repentir  ,  à  prendre 
gai'de  aux  menaces  de  sa  parole,  a  examiner  ses 
voieSj  et  à  i^evenir  à  lui  avant  que  la  mort   ait 


CM.  XV.  LES  SEPT  ÉGLISES  D  ASIE.  351 

îuis  le  sceau  à  son  jugeniciit.  Toutes  ces  désola- 
tions que  l'Eternel  a  ainsi  foit  descenelie  sur  la 
terre,  et  qui  tendent  à  prouver  la  vérilé  de  sa 
parole  qui  révèle  la  vie  et  rimniortalilé,  ue  de- 
vraient-elles pas  apprendre  à  Tliomme  dont  ce 
monde  est  le  Dieu,  a  ne  plus  le  juger  digne  de 
son  adoration  et  de  son  culte?  Pourquoi  n'ap- 
prendrai Ul  pas  par  elle  à  renoncer  à  Ta  varice 
qui  est  une  idolâtrie,  et  pourquoi  Tidole  de  Mam- 
mon qui  est  dans  le  temple  ne  tomberait  -  elle 
pas  comme  l'image  de  Dagon  tomba  devant  l'ar- 
che qui  renfermait  le  témoignage  du  Seigneur? 

Mais  pour  ceux  qui ,  comme  tant  de  millions 
d'hommes,  font  profession  de  la  foi  du  Seigneur 
Jésus,  sans  sortir  de  la  route  du  péché,  il  est  une 
autre  voix  qui  peut  arriver  plus  directement  à 
leurs  oreilles.  Et  ce  n^'est  pas  seulement  des  ré- 
gions désolées,  jadis  habitées  par  des  païens, 
mais  aussi  des  ruines  de  quelques-unes  des  villes 
où  les  apôtres  avaient  établi  des  églises  et  où  la 
religion  de  Jésus  brilla  jadis  dans  toute  sa  pureté, 
que  tous  peuvent  apprendre  que  Dieu  ne  fait 
point  acception  de  personnes,  et  qu'il  «  ne  tienl 
«  point  le  coupable  pour  l'innocent.»  —  «Que  celui 
«  qui  a  des  oreilles  écoute  ce  que  l'esprit  dit  aux 
«  églises,  i) 

Quelle  église  pourrait  réclamer  ou  désirer  un 
titre  plus  élevé  que  celui  qui  est  donné  dans  l'E- 
criture aux  sept  églises  d'Asie ,  dont  les  anges 
étaient  les  sept  étoiles  dans  la  main  droite  «  de 
«  Celui  qui  est  le  premier  et  le  dernier,  qui  vit  et 
«  qui  était  mort,  qui  est  vivant  aux  siècles  des 
«  siècles,  et  qui  tient  les  clefs  de  l'enfer  et  de  ht 
«  mort  ;  »  ces  églises  qui  étaient  elles-mêmes  «  les 
«  sept  chandeliers  d'or  au  milieu  desquels  il  mar- 
«  chait  ?  »  Et  quel  est  celui  qui  a  des  oreilles  pour 
entendre  ,  et  qui  n'écoutera  pas  humblement,  et 


3o2  LES  SEPT  ÉGMSES  d'aSIR.  CÎI.  \V. 

pour  le  nietlieà  profit,  ce  que  l'Kspiit  dit  à  ces 
éjjlises*'? 

L'Kjîlise  (r^PiiÈSE,  qaoiijue  louée  poisr  ses 
preuiières  œuvres,  auxquelles  il  lui  est  ordonné 
de  retourner,  était  accusée  d'avoir  abandonné  sa 
première  charité,  et  menacée  de  voir  ôter  son 
chandelier  de  sa  place,  si  elle  ne  se  repentait*'. 
Ephèse  est  située  h  environ  cinquante  milles  de 
Smyrne.  Elle  était  la  métropole  de  Flonie  ,  elle 
était  grande ,  riche,  et,  suivant  Strabon  ,  le  mar- 
ché le  plus  considérable  de  l'Asie  mineure.  Elle 
était  surtout  fameuse  par  son  temple  de  Diane, 
«  lequel  toute  l'Asie  révérait  »,  orné  de  127  co- 
lonnes de  marbre  de  Paros,  toutes  d'un  seul  bloc, 
hautes  de  soixante  pieds,  et  regardé  comme 
une  des  sept  merveilles  du  monde.  On  voit  encore 
les  restes  de  son  magnifique  théâtre,  oii  l'on  dit 
que  20,000  spectateurs  pouvaient  s'asseoir  com- 
modément. Mais  quelques  monceaux  de  pierres, 
quelques  misérables  huttes  en  terre,  passagère- 
ment |habitées  par  des  Turcs  sans  qu'aucun  chré- 
tien y  demeure  jamais,  sont  tout  ce  qui  reste  de 
Fancienne  Ephèse  *^.  Ce  n'est  plus,  suivant  la  des- 
cription de  divers  voyageurs,  qu'un  lieu  aban- 
donné ,  d'un  aspect  triste  et  solennel.  Partout 
dans  l'univers  on  lit  Tépitre  aux  Ephésiens  ;  mais 
à  Ephèse  il  n'y  a  personne  aujourd'hui  qui  la 
lise.  Ils  ont  abandonné  leur  première  charité,  ils 
ne  sont  point  retournés  à  leurs  premières  œu- 
vres. Leur  chandelier  a  été  ôté  de  son  lieu,  et  la 
grande  cité  d'Ephèse  n'existe  plus  ^^. 

L'Église  de  Smyrne  fut  louée  comme  «riche»,  et 
aucun  jugement  ne  fut  prononcé  contre  elle;  mais 
elle  fut  avertie  d'une  affliction  de  dix  jours  (  les 

(J7)  Apocalypse,  II  et  III.  —  (18)  Ibid.,  II,  5. 

(19)  Actes,  XIX,  29. 

(20)  Voyag  s  d'Amndel  aux  sept  Eglises  d'Asie, 


CH.  XV*  LES  SEPT  ÉGLISES  d'aSIE.  353 

dix  années  de  persécution  sous  Dioclétien  ),  et  il 
lui  fut  recommandé  d'être  fidèle  jusqu'à  la  mort, 
pour  mériter  que  la  couronne  de  yie  lui  fût  ac- 
cordée ^*.  Smyrne  n'a  point  partagé  le  sort  d'E- 
phèse,  plus  fameuse  qu'elle  ;  c'est  encore  aujour- 
d'hui une  grande  yille ,  contenant  près  de  cent 
mille  habitants  et  plusieurs  églises  grecques  ; 
l'Angleterre  et  d'autres  nations  chrétiennes  y  ont 
eu  des  ministres.  La  lumière,  il  est  vrai,  y  a 
perdu  de  son  éclat,  mais  le  chandelier  n'y  a  pas 
été  ôté  de  son  lieu. 

L'Église  dePERGAMEfut  louée  de  ce  qu'elle  re- 
tenait le  nom  de  l'Eternel ,  et  pour  n'avoir  pas 
renoncé  sa  foi  dans  des  temps  de  persécution  et 
au  milieu  d'une  ville  corrompue;  mais  il  y  en 
avait  dans  son  sein  qui  retenaient  de  mauvaises 
doctrines  et  qui  commettaient  de  mauvaises  ac- 
tions que  l'Eternel  haïssait.  L'Eternel  devait  com^ 
battre  contre  eux  par  l'épée  de  sa  bouche  et  tous 
étaient  appelés  à  la  repentance.  Mais  il  n'était 
pas  dit,  comme  d'Ephèse ,  que  son  chandelier  se- 
rait ôté  de  son  lieu^^.  Pergame  est  située  au  nord 
de  Smyrne  à  une  distance  de  près  de  64  milles , 
et  était  autrefois  la  capitale  de  la  Mysie  Helles- 
pontique.  Elle  contient  encore  aujourd'hui  quinze 
mille  habitants  dont  quinze  cents  Grecs  et  deux 
cents  Arniéniens  qui  ont  leurs  églises  séparées. 

Dans  l'Église  de  Thyatike,  comme  dans  celle  de 
Pergame,  quelque  ivraie  s'était  bientôt  mêlée  au 
bon  grain;  celui  qui  a  ses  yeux  comme  une  flamme 
de  feu  distingua  l'un  et  l'autre.  Mais  heureu- 
sement pour  les  âmes  des  fidèles,  plutôt  que  pour 
la  conservation  de  la  ville,  voici  comment  l'apôtre 
décrit  le  caractère  général  de  cette  église,  tel 
qu'il  était  alors  : 

(21)  Apoc,  II,  8-11.  —  (22)  Ibid.,  12-16. 


Soi  LES  SEPT  L(iLISES  d'aSIE.  CM.  \V. 

«  Je  connais  tes  œuvres,  la  eliarilé,  Ion  niiiiis- 
^^  1ère,  la  loi,  la  palienee,  et  que  les  dernières 
«œuvres  stirpasseul  les  préiuièies  ^\  »  Mais  à 
réf^ard  de  eeu\  qui  s'èlaieul  rendus  coupables  de 
fornication  ,  qui  avaienl  nianj^è  des  choses  sacri- 
fiées aux  idoles,  car  il  y  en  avait  quelques-uns 
(ians  celle  église,  et  à  qui  le  Seigneur  avait  donné 
Je  temps  pour  qu'ils  serepenlissent  de  leur  forni- 
cation, et  qui  ne  s'étaient  point  repentis,  la  nie- 
liace  d'unegrande  afiliction  était  prononcée  contre 
eux,  et  il  devait  être  rendu  à  chacun  selon  ses 
œuvres.  Ces  pécheurs,  ainsi  inutilement  avertis 
pendant  qu'ils  étaient  sur  la  terre,  sont  allés  de- 
puis longtemps  dans  ce  lieu  oii  il  n'y  a  ni  occupa- 
tion, ni  science,  ni  sagesse,  ni  repentance  efiicace. 
«  Mais  quant  aux  autres  qui  sont  à  Thyatîre,  je 
«  ne  mettrai  point  sur  eux  d'autre  charge,  dit 
«  l'Eternel'\  »  Il  y  avait  à  Thyatire  assez  de  jusles 
pour  sauver  une  ville.  ïhyatire  existe  encore,  tan- 
dis que  de  plus  grandes  cités  sont  tombées. 
M.  Hartley,  qui  la  visita  en  1826,  dit  qu'elle  est 
comme  perdue  au  milieu  des  cyprès  et  des  peu- 
pliers ;  que  les  Grecs  y  occupent  trois  cents  mai- 
sons et  les  Arméniens  une  trentaine  ,  chacune 
de  ces  sectes  ayant  son  église. 

L'Église  de  Sardes  différait  de  celle  de  Per- 
i'ame  et  deThvatire  :  ces  deux  églises  n'avaient 
point  renoncé  leur  foi,  cependant  rEteniel  avait 
plusieurs  griefs  contre  elles,  car  il  y  avait  dans  leur 
sein  quelques  hommes  faisant  le  mal  et  sur  qui 
devait  tomber  le  jugement,  s'ils  ne  se  repentaient 
pas.  Mais  à  Sardes  ,  toute  grande  qu'était  cette 
ville,  et  bien  que  son  église  eût  été  fondée  par  uii 
apôtre,  il  n'y  avait  que  quelque  peu  depersonnes 
qui  n'eussent  point  souillé  leurs  vêtements ,  et 

(23)  Apoc,  II,  19  —  (2/|)  Ibid.,  2/i. 


CH.  XV.  LES  SEPT  ÉGLISES  d'aSIE.  Sfo^' 

l'Esprit  avait  dit  a  l'ange  de  cette  église:   «Je 
«  connais  tes  œuvres;  c'est  que  tu  as  le  bruit  de 
V  «  vivre,  mais  tu  es  mort.  » 

Mais  l'Eternel  est  patient,  et  ne  veut  pas  la 
mort  du  pécheur,  mais  son  repentir;  et  tel  fat 
l'avertissement  adressé  à  l'ange  de  l'église  d(» 
Sardes:  «  Soisvigiîanteteonîirmeie  reste  qui  s'ea 
«  va  mourir,  car  je  n^ai  point  trouvé  tes  œuvres 
«  parfaites  devant  Dieu.  Souviens-toi  donc  des 
«  choses  que  tu  as  reçues  et  entendues,  et  garde- 
«  les  et  te  repens.  Mais  si  tu  ne  veilles  pas ,  je 
«  viendrai  contre  toi  comme  le  larron ,  et  lu  ne 
«  sauras  point  à  quelle  heure  je  viendrai  conti  e 
«  toi  ''^  » 

L'état  actuel  de  Sardes  nous  montre  que  Taver- 
lissement  fut  inutile,  et  en  même  temps  que  les 
îîienaces  de  l'Eternel,  quand  on  les  néglige  ,>  se 
changent  en  arrêts  inévitables.  Sardes,  capitale  de 
la  Lydie  ^  était  une  ville  grande  et  célèbre,  oii 
avaient  été  accumulées  ces  richesses  de  Crésus 
devenues  proverbiales.  Aujourd'hui  les  seules 
habitations  que  Sardes  renferme  sont  quelques 
mauvaises  huttes  en  terre ,  éparses  parmi  les 
ruines,  demeures  de  bergers  turcs,  seule  popu- 
lation de  cette  antique  cité.  Comme  siège  d'une 
église  chrétienne  elle  a  perdu  tout  ce  qu'elle  pou- 
vait perdre,  jusqu'à  son  nom.  «  On  y  chercherait 
en  vain  un  seul  adorateur  de  Jésus-Christ.  » 

«  Ecris  aussi  à  l'ange  de  l'Eglise  de  PinLADEL- 
«  PHFE.  Le  saint  et  le  véritable  qui  a  la  clef  de  Da- 
«  vid,  qui  ouvre  et  nul  ne  ferme,  qui  ferme  et 
«  nul  n'ouvre,  dit  ces  choses  :  Je  connais  tes  œu~ 
«  vres.  Voici,  je  t'ai  ouvert  une  porte,  et  per- 
((  sonne  ne  la  peut  fermer,  parceque  ta  as  i\u 
i.^  peu  de  force ,  que  tu  as  gardé  ma  parole ,  et  qua 

(25)  Apoc,  m,  2-3. 


356  LES  SEPT  KGLISF.S  d'aSIE.  CII.  \\\ 

«  Uin'as  poiiil  roiioncéa  mon  nom;  parccque  lu 
«  as  p^ardé  la  parole  de  ma  patience  ^  je  te  ^^arde- 
«  rai  aussi  à  Tlieure  de  la  tentation  qui  doit  arri- 
«  ver  dans  tout  le  monde  ^'^.  »  —  Les  promesses  de 
TEternei  sont  aussi  infaillibles  que  ses  menaces. 
Philadelphie  seule  résista  h)ngtemps  à  la  puis- 
sance des  Turcs,  et,  suivant  l'expression  de  Gib- 
bon, capitula  enlîn  avec  le  plus  fier  des  Otto- 
mans. Parmi  les  colonies  et  les  églises  grecques 
de  l'Asie ,  ajoute  Gibbon ,  Philadelphie  est  encore 
debout;  c'est  une  colonne  sur  un  vaste  théâtre 
de  ruines  ^\  Quoi  de  plus  intéressant,  dit  M.  Hart- 
ley, que  de  trouver  le  christianisme  plus 
florissant  ici  que  dans  beaucoup  d'autres  parties 
de  l'empire  turc  !  la  population  chrétienne  y  est 
encore  nombreuse,  et  occupe  trois  cents  maisons; 
le  service  divin  se  fait  chaque  dimanche  dans  cinq 
églises.  Ce  qui  n'est  pas  moins  intéressant,  dans 
ces  temps  si  fertiles  en  événements ,  et  malgré  la 
dégénération  de  l'église  grecque  en  général ,  c'est 
d'apprendre  que  ré\'éque  actuel  de  Philadelphie 
regarde  la  Bible  comme  le  seul  fondement  de 
toute  croyance  religieuse,  et  qu'il  admet  qu'il 
s'est  glissé  dans  l'église  des  abus  que  l'on  pou- 
vait tolérer  dans  les  siècles  passés,  mais  qu'il 
faut  détruire  aujourd'hui.  — ^  Nous  croyons  à  pro- 
pos d'ajouter  ici  une  observation  de  M.  Hartley  ^% 
c'est  que  Philadelphie  est  aujourd'hui  appelée 
Allah  Schehr,  «  la  ville  de  Dieu,  »  et  qu'en  rappro- 
chant cette  circonstance  des  prédictions  faites  à 
cette  église,  et  surtout  de  la  promesse  d'écrire  le 
«  nom  de  Dieu  »  sur  ses  membres  fidèles,  on  ne 
peut  s'empêcher  d'y  trouver  une  coïncidence  sin- 
gulière, pour  ne  rien  dire  de  plus.  —  Lesjniquités 
des  hommes  ont  plus  d'une  fois  prouvé  combien 

(26)  Apoc,  III,  7,  8,  10.  —  (27)  Gibbon,  t.  XI,  ch.  lxiv, 
(28)  Missionary  Register  du  mois  de  juin  1827. 


m.  XV.  LES  SEPT  ÉGLISES  d'asîe.  357 

les  jugements  de  Dieu  sont  terribles;  mais  parce- 
que  réglise  de  Philadelphie  a  persisté  à  garder 
sa  parole  5  un  monument  de  la  fidélité  de  Dieu  a 
remplir  ses  promesses  a  été  laissé  sur  la  terre, 
en  attendant  qu'une  gloire  plus  grande,  promise 
à  ceux  qui  vainquent,  leur  soit  donnée  dans  le 
ciel.  —  Le  Rédempteur  glorifié  confirmera  à  leur 
égard  la  vérité  de  ses  paroles  :  «  Celui  qui  vain- 
ce  era,  je  le  ferai  une  colonne  dans  le  temple  de 
«mon  Dieu;  »  il  la  confirmera  aussi  sûrement 
que  Philadelphie,  lorsque  tout  tombait  autour 
d'elle,  est  restée  debout,  au  jugement  de  nos 
ennemis  eux-mêmes,  «  comme  une  colonne  au 
milieu  des  ruines.  » 

«  Ecris  aussi  à  l'ange  de  l'Eglise  de  Laodicée  : 
«  L'Amen,  le  témoin  fidèle  et  véritable,  le  corn- 
«  mencement  de  la  créature  de  Dieu,  dit  ces  cho- 
«  ses.  —  Je  connais  tes  œuvres,  c'est  que  tu  n'es 
«ni  froid  ni  bouillant,  et  si  tu  étais  ou  froid  ou 
«  bouillant!  Parce  donc  que  tu  es  tiède,  et  quiî 
«  tu  n'est  ni  froid  ni  bouillant,  je  te  vomirai  de 
«  ma  bouche;  car  tu  dis  :  Je  suis  riche  et  je  suis 
«  dans  raboudance ,  et  je  n'ai  besoin  de  rien  ;  mais 
«  tu  ne  connais  pas  que  tu  es  malheureux,  misé- 
«  rable,  pauvre,  aveugle,  et  nu.  Je  te  conseille 
«  d'acheter  de  moi  de  l'or  éprouvé  par  le  feu , 
«  afin  que  tu  deviennes  riche,  et  des  vêtements 
«  blancs,  afin  que  tu  sois  vêtu ,  et  que  la  honte  de 
«  ta  nudité  ne  paraisse  point,  et  de  couvrir  tes 
«  yeux  d'un  collyre,  afin  que  tu  voies  ^^.  » 

La  voix  qui  se  fait  entendre  dans  l'Apocalypse 
avait  trouvé  quelques  éloges  à  donner  à  toutes  les 
autres  églises;  dans  toutes,  il  était  resté  quelque 
chose  de  bon.  L'église  d'Ephèse  avait  travaillé, 
et  »e  s'était  point  lassée,  quoiqu'elle  eût  aban- 

• 

(29)  Apoc.  III,  14-18. 


'So8  m:s  skt»i  églises  d^asik.  r.u.  xv. 

donné  sn  priMniire  charité;  vl  lo  cliandelicîr  h\\ 
oté  de  son  lion  :  Ici  lui  son  clialiincnL  In  petit 
nombre  d'inddèles  souillèrent  les  éf^lises  de  Ter-  * 
i;ame  et  de  Thyatire,  parleurs  doctrines  et  par 
leur  vie,  mais  le  corps  était  sain,  et  ces  églises 
appartenaient  à  Christ  .Môme  dans  Sardes,  quoi- 
qu'elle tut  morte,  quelque  peu  de  personnes  n'a- 
vaient point  souillé  leurs  vêtements,  et  devaient 
marcher  avec  le  Seigneur  en  vêtements  blancs, 
car  ils  en  étaient  dignes. 

Mais  le  Saint-Esprit  n'adressa  pas  un  seul  mot 
d'approbation  h  l'église  de  Laodicée;  elle  était 
tiède  sans  exception;  elle  fut  donc  vomie  de  la 
bouche  du  Seigneur.  La  religion  de  Jésus  était 
devenue  pour  les  chrétiens  de  cette  église 
comme  une  chose  ordinaire.  Ils  ne  s'en  occu- 
paient absolument  que  comme  de  divers  autres 
objets  pour  lesquels  ils  ne  se  sentaient  ni  plus  ni 
moins  de  goût.  Le  sacrifice  du  Fils  de  Dieu  sur  la 
croix  ne  faisait  pas  plus  d'impression  sur  leur 
pensée  qu'un  présent  vulgaire  qu'ils  eussent 
reçu  de  la  main  d'un  homme .  et  l'amour  de  Christ 
n'avait  pas  plus  d'empire  sur  leurs  cœurs  que 
d'autres  affections.  Ils  pouvaient  répéter  le  pre- 
mier et  le  plus  grand  commandement,  et  le  se- 
cond qui  lui  est  semblable,  sans  que  rien  en 
leur  conduite  montrât  leur  respect  pour  cette  loi 
d'amour.  —  Il  n'y  avait  point  parmi  eux  de  Dor- 
cas pour  vêtir  les  pauvves,  point  de  Philemon  à 
qui  l'on  pût  écrire  :  «  A  l'église  qui  est  dans  ta 
maison,  yy  — Il  n'y  avait  point  parmi  eux  de  ser- 
viteur qui  regardât  à  l'œil  de  son  père  céleste, 
plus  qu'à  celui  de  son  maître  terrestre;  rien  n'é- 
tait fait  plutôt  pour  obtenir  la  récompense  éter- 
nelle que  par  égard  aux  récompenses  de  la  terre  ; 
il  n'y  avait  personne  qui  cherchât  à  faire  hono- 
rer partout  la  doctrine  de  son  Dieu  et  Sauveur. 


en.  XV.  LES  SEPT  ÉGLISES  d'asîe.  353 

—  On  n'y  foisaitrien  comme  tout  doitèlre  fait, 
<^  de  bon  cœnr,  comme  pour  le  Seigneur  et  non 
[)our  les  hommes.  » 

En  effet 5  rien  dans  leur  vie  ne  semblait  mon-^ 
trer  qu'ils  eussent  appris  que  ce  qui  n'est  pas 
seion  la  foi  est  pèche.  Leur  tiédeur  était  cent 
fois  pire  qu'une  froideur  décidée;  car  elle  laissait 
bien  moins  d'espoir  d'amélioration.  Un  homme 
de  Sardes  aurait  plutôt  senti  le  frisson  de  la  mort 
s'emparer  de  lui ,  et  appelé  un  médecin  à  son  se- 
cours, qu'un  homme  de  Laodicée,  comptant 
tranquillement  les  battements  réguliers  de  son 
pouls,  n'eût  imaginé  qne  la  mort  s'approchait  de 
lui,  et  qu'il  ne  pouvait  lui  échapper.  —  Le  ca- 
ractère des  chrétiens  tièdes,  deux  mots  qui  se 
contredisent  d'eux-mêmes,  est  le  même  dans, 
tous  les  temps.  —  Telle  était  l'église  de  Lao- 
dicée.  Mais  quel  est  aujourd'hui  l'état  de  celte 
ville,  et  combien  elle  diffère  de  ce  qu'elle  a  été 
jadis  ! 

Laodicée  était  la  métropole  delagrande  Phry- 
gie;  au  rapport  des  auteurs  païens,  c'était  une 
ville  grande  et  célèbre.  Loin  d'offrir  aucun  syni- 
ptôme  de  décadence,  vers  le  commencement  de 
l'ère  chrétienne^  elle  s'était  élevée  a  son  plus 
haut  point  de  prospérité.  Ses  trois  théâtres,  son 

cirque  immense,  capable  decon  tenir  plus  de  trente 
mille  spectateurs,  et  dont  on  voit  encore  des 
restes  considérables,  ainsi  que  d'autres  ruines 
ensevelies  sous  des  ruines,  attestent  son  ancienne 
splendeur  et  sa  nombreuse  population,  preuves 
frappantes  en  même  temps  que  dans  cette  ville, 
dont  tous  les  chrétiens  sans  exception  s'étaient 
attiré  les  censures  de  l'apôtre  ,  habitait  une 
multitude  d'hommes  «  qui  aimaient  les  voluptés 
plutôt  que  Dieu.  »  L'amphithéâtre  fut  construit 
postérieurement  à  l'Apocalypse,  et  après  que  l'Es- 


3(50  LES  SKPT  ÉGLISES  D  ASIE.  Cil.  XV. 

prit  eut  averti  ré*;lise  de  Laodicée  d'avoir  «  du 
«  zèle  et  de  se  repeutir.  »  Mais  leurs  cœurs  ne 
s'ouvrirent  ni  à  un  renouvellement  de  zèle  pour 
le  service  et  pour  la  gloire  de  Dieu,  ni  à  un  pro- 
fond chagrin  de  leurs  péchés,  ni  k  un  sincère  re- 
pentir. 

Aussi  quel  contraste  frappant  entre  le  sort  de 
Laodicée  et  celui  de  Philadelphie!  On  chercherait 
en  vain  aujourd'hui  dans  les  environs  de  Laodicée 
des  monuments  de  la  grandeur  d'un  peuple,  et 
ces  lieux  consacrés  aux  plaisirs  et  à  la  séduction 
des  sens.  Peu  de  mots  suffisent  pour  en  exposer 
la  déplorable  catastrophe.  Elle  était  tiède,  elle 
n'était  ni  froide  ni  bouillante, etDieu  l'a  vomie  de 
sa  bouche.  Elle  fut  aimée  inutilement,  inutilement 
réprimandée  et  châtiée,  et  elle  a  été  effacée  de 
dessus  la  terre.  Elle  est  maintenant  aussi  dénuée 
d'habitants  que  les  habitants  étaient  dénués  de 
toute  crainte  et  de  tout  amour  de  Dieu,  et  que 
son  église  était  dépourvue  de  foi  véritable  au 
Sauveur  et  de  zèle  pour  son  service.     ^ 

Elle  est  véritablement  déserte ,  dit  le  docteur 
Smith  dans  ses  voyages,  elle  n'a  pour  habitants  que 
des  loups,  des  chacals  et  des  renards.  Les  seules 
créatures  humaines  qui  y  apparaissent  passagère- 
ment sont  des  Turcomans  vagabonds  qiii  viennent 
dresser  leurs  tentes  dans  les  ruines  de  son  vaste 
amphitéâtre.  On  a  pratiqué,  dit  Arundel,  des 
fouilles  parmi  ses  ruines  et  on  y  a  trouvé  à  une 
profondeur  considérable  les  fragments  de  scul- 
pture les  plus  précieux  ^^.  Il  y  a  peu  d'anciennes 
villes ,  dit  le  colonel  Leake ,  qui  promettent  un 
plus  grand  nombre  d'antiquités  curieuses,  si  Ton 
voulait  chercher  sous  la  surface  du  sol.  D'après 
son  ancienne  opulence  et  les  tremblements  de 

(30)  Voyages  d' Arundel,  p.  35, 


Ctt.  \t.  LES  SEPT  EGLISES  D^ASIÉ.  361 

terre  aux^quels  elle  était  sujette,  il  est  plus  que 
probable  que  les  plus  précieux  ouvrages  de  Fart 
ont  souvent  été  ensevelis  sous  les  débris  des 
édifices  publics  et  particuliers"*. — Voilà  ce  qui 
explique  ces  paroles  du  Saint-Esprit:  «  Parce- 
«  que  tu  es  tiède  et  que  tu  n'es  ni  froide  ni  bouil- 
w  lante,  je  te  vomirai  de  ma  bouche.  » 

«  Que  celui  qui  a  des  oreilles  écoute  ce  que 
c(  l'Esprit  dit  aux  églises.  —  L'Esprit  sonde  toutes 
«  choses  5  mêmes  les  choses  profondes  de  Dieu"'^.  » 
Chaque  église  et  chaque  membre  de  ces  églises 
furent  pesés  dans  les  balances  du  sanctuaire. 
Chacun  d'eux  fut  approuvé ,  censuré  ou  averti 
selon  son  caractère  et  suivant  ses  œuvres.  L'église 
elle-même  était-elle  pure,  ses  membres  corrom- 
pus devaient  seuls  être  retranchés.  L'église  était- 
elle  morte,  les  noms  du  petit  nombre  de  membres 
encore  vivants  étaient  tous  écrits  devant  Dieu , 
et  aucun  n'était  effacé  du  livre  de  vie.  Les  sept 
églises  furenttoutes  exhortées  séparément  parle 
Saint-Esprit,  selon  le  besoin  qu'elles  avaient  de  ses 
avertissements.  «  La  foi  qui  avait  été  donnée  aux 
«  saints  »   leur  fut  prêchée ,  et  toutes ,  en  tant 
qu'églises  chrétiennes,  possédaient  les  moyens  de 
salut.  Le  Fils  de  Fhomme  passa  au  milieu  d'elles, 
démêlant  ceux  qui  étaient  à  lui  et  ceux  qui  ne 
Fêtaient  pas. 

Par  la  prédication  de  FEvangile  et  par  la  parole 
écrite,  chaque  membre  de  ces  églises  fut  averti, 
et  tout  homme  fut  enseigné  en  toute  sagesse , 
afin  que  tout  homme  fut  rendu  parfait  en  Jésus- 
Christ;  et  dans  tout  ce  que  FEsprit  dit  à  toutes 
ces  églises  et  h  chacune  d'elles  en  particulier ,  il 
fait  sans  restriction  et  sans  réserve,  et  sous  les 
plus  brillantes  images,  la  promesse  d'une  félicité 

(31)  Journal,  p.  252.  (32)  I,  Cor.,  II,  10, 

16 


\ 


362  LES  SEPT  ÉGLISES  d'asie.         cq,  XV. 

éternelle  à  celui  qui  vaincra.  Le  langage  de  Ta- 
mour,  non  moins  que  celui  de  la  remontrance  et 
de  la  censure,  fut  adressé  aux  Laodicéens.  Et  si 
des  chrétiens  de  cette  église  ont  péri,  ils  ne 
peuvent  l'imputer  qu'à  leur  résistance  à  l'Esprit, 
à  leur  obstination  à  préférer  tout  autre  joug  à 
celui  de  Jésus;  à  leur  tiédeur,  à  leur  manque 
actuel  de  foi,  à  l'indifférence  avec  laquelle  ils  re- 
jetaient une  grâce  qui  leur  était  librement  offerte 
et  qui  avait  été  si  chèrement  achetée  ;  grâce  suffi- 
sante ,  s'ils  l'avaient  cherchée ,  s'ils  avaient  voulu 
en  profiter,  pour  les  faire  triompher  dans  ce  com- 
bat auquel  Jésus  a  appelé  ses  disciples ,  et  oîi  il 
est  en  son  pouvoir,  comme  consommateur  de  leur 
foi,  de  rendre  le  chrétien  plus  que  vainqueur. 

Mais  si  les  églises  et  les  chrétiens  étaient  alors 
tels  que  l'Esprit  les  dépeint,  que  dirions-nous  des 
églises  et  des  chrétiens  de  nos  jours,  ou  plutôt 
nous  vous  le  demanderons  h  vous-même ,  lec- 
teur, quelle  est  votre  propre  espérance  en  Dieu? 
quelles  sont  les  œuvres  de  votre  foi?  Si  à  une 
époque  oîi  le  christianisme  était  encore  dans  son 
premier  éclat,  lorque  les  vérités  divines  avaient 
à  peine  cessé  de  découler  des  lèvres  des  apôtres , 
sur  qui  l'Esprit-Saint  était  visiblement  descendu, 
et  sur  les  tètes  desquels  il  s'était  reposé  en  langue 
de  feu;  si,  dis-je,  à  cette  époque  même  une  des 
sept  églises  d'Asie  avait  abandonné  sa  première 
charité,  si  deux  autres  étaient  déjà  souillées  en 
partie  par  des  erreurs  dans  la  doctrine  et  par 
des  fautes  dans  la  pratique;  si  une  autre  n'avait 
que  quelque  peu  de  personnes  qui  fussent  dignes 
des  vêtements  blancs;  si  dans  une  autre  il  ne 
s'en  trouvait  pas  une  seule  ;  si  enfin  la  dernière 
et  la  pire  de  ces  églises  se  croyait  riche  et  dans 
l'abondance,  et  ne  savait  pas  qu'étant  tiède  elle 
çtait  misérable^  pauvre  et  nue  ;  avez-vous,  lecteur, 


CH.  XV.  LES  SEPT  ÉGLISES  d'aSIE.  363 

des  oreilles  pour  entendre  et  un  cœur  pour  com- 
prendre ces  faits  ?  Vous  qui  vous  donnez  aussi 
pour  chrétien,  ne  voyez-vous  rien  dans  tout  ceci 
qui  puisse  vous  décider  à  vous  examiner  vous- 
même  et  à  sonder,  en  invoquant  sur  vous  le  même 
Saint-Esprit,  votre  charité,  votre  foi,  votre  pa- 
tience? 

Quelles  sont  vos  œuvres  d'amour?  et  en  quoi 
avez-vous  travaillé  pour  la  gloire  de  Celui  dont 
vous  portez  le  nom?  quelles  épreuves  votre  foi 
endure-t-elle  avec  patience?  de  quelles  tentations 
sort-elle  victorieuse?  Christ  est-il  en  vous  l'es- 
pérance de  la  gloire?  cette  sainte  espérance  puri- 
fie-t-elle  votre  cœur?  Vous  appartenez  à  une 
église  quelconque,  mais  quel  est  le  royaume 
établi  au-dedans  de  vous?  Etes-vous  dirigé  parles 
principes  qu'enseignaient  Christ  et  ses  apôtres  ? 
Oil  sont  les  fruits  de  l'Esprit,  l'amour,  la  joie, 
la  paix,  la  douceur,  la  bonté,  la  tempérance? 
Faites-vous  des  questions  sur  les  préceptes  de 
l'Evangile,  et  demandez-vous  ce  que  vous  dirait 
TEsprit  qui  parla  aux  sept  églises? 

Ce  que  l'Esprit  dit  aux  églises  primitives  et 
apostoliques  auxquelles  présidait  Jean,  l'apôtre 
bien-aimé,  doit  nous  prouver  que  nul  de  ceux  qui 
ont  abandonné  leur  première  charité,  que  nul  de 
ceux  qui  ont  cherché  à  attirer  les  autres  au  péché, 
que  nul  de  ceux  qui  ont  le  bruit  de  vivre  et  qui 
sont  morts,  que  nul  de  ceux  qui  sont  tièdes,  n'est 
un  digne  membre  d'aucune  communion  chré- 
tienne, et  que  tant  qu'il  persistera  dans  cet  état, 
aucune  communion  chrétienne  ne  peut  lui  être 
profitable.  Mais  à  ceux-là  est  donné  du  «  temps 
«  pour  se  repentir.  »  A  ceux-là  s'adressent  les 
paroles  de  l'Esprit,  en  supplications,  en  encoura- 
gements, en  exhortations  et  en  avertissements, 
afin  qu'ils  puissent  revenir  de  leurs  péchés  et 


364  LES  SEPT  ÉGLISES  d'aSIË.  CH.  XV, 

letourncr  au  Seii;ncnr,  afin  qu'ils  puissent  vivre 
et  ne  pas  mourir.  —  Mais  il  y  avait  dans  Sodonie  un 
seuljuste;  il  y  en  avait  quelques-uns  dans  Sardes; 
FEternel  les  connaît  et  les  nomme^  et  la  mort  de 
ses  saints  est  précieuse  à  ses  yeux.  D\in  autre 
côté  il  eu  est  un  grand  nombre  dont  la  place  est 
déjà  marquée  dans  les  profondeurs  de  l'empire 
de  Satan^  quoique  étant  h  Textérieur  en  commu- 
nion ayec  une  église  aussi  pure  que  Tétait  celle 
de  Tliyatire.  Ainsi^  quelle  que  puisse  être  votre 
profession  de  foi,  cherchez  le  royaume  de  Dieu 
et  sa  justice,  le  royaume  qui  est  la  paix  et  la  joie 
dans  le  Saint-Esprit,  et  cherchez  cette  justice 
qui  consiste  dans  la  foi  en  Jésus-Christ,  lequel 
s'est  sacrifié  pour  PEglise,  afin  de  la  sanctifier  et 
de  la  purifier;  et,  quels  que  soient  les  périls  qui 
TOUS  environnent,  ne  craignez  point,  croyez  seule- 
ment; toutes  choses  sont  possibles  à  celui  qui  croit. 
Ce  fut  parcequ'elle  avait  gardé  la  parole  de 
l'Eternel^  parcequ'elle  était  demeurée  ferme  dans 
sa  foi ,  parcequ'elle  avait  été  docile  aux  avertisse- 
ments de  l'Esprit,  que  l'église  de  Philadelphie  a 
tenu  ferme  ce  qu'elle  avait,  et  que  personne  ne 
lui  a  enlevé  sa  couronne,  quoique  cette  église 
fût  située  entre  celle  de  Laodicée,  qui  était  tiède, 
et  celle  de  Sardes  qui  était  morte;  et  toute  morte 
qu'elle  était,  le  Seigneur  y  avait  trouvé  quel- 
ques personnes  qui  n'avaient  point  souillé  leurs 
vêtements,  quelqueschretiens  qui  vivaient  comme 
vous  devez  vivre,  dans  la  foi  au  Seigneur  Jésus; 
qui  étaient  morts  au  péché  et  vivants  pour  la 
justice,  tandisque  tous  ceux  qui  les  entouraient 
étaient  morts  dans  leurs  fautes  et  dans  leurs  pé- 
chés. Eprouvez  donc  votre  foi  par  ses  fruits, 
jugez-vous  vous-même,  afin  que  vous  ne  soyez 
pas  jugé;  sondez  votre  propre  cœur,  et  mettant 
à  profit  le  conseil  de  Dieu,  tel  que  l'Evangile  vous 


im.  XV.  LES  sï:pt  églï^es  d'asîe.  365 

le  révèle,  que  la  règle  de  cet  examen  soit  ce  que 
l'Esprit  dit  aux  sept  églises. 

Si  dans  la  loi  de  l'Eternel ,  si  dans  les  juge- 
ments de  Dieu  qui  ont  épouvanté  la  terre ,  des 
choses  merveillenses  vous  ont  frappé  d'étonne- 
nient,  ah!  gardez  que  le  souvenir  ne  s'en  efface 
quand  vous  ne  tiendrez  plus  ce  livre.  N'agis- 
sez pas  comme  si  vous  n'aviez  fait  que  lire  quel- 
ques récits  oiseux,  ou  comme  si  vous  n'étiez  pas 
destiné  vous-même  à  être  témoin  et  plus  que  té- 
moin d'un  plus  grand  jugement  qui  vous  touchera 
de  près ,  et  qui  vous  intéresse  persoiiàellement. 

Si  en  parcourant  quelques-unes  des  parties  les 
plus  claires  des  prophéties,  vous  avez  été  conduits 
par  une  voie  qui  vous  était  inconnue  auparavant, 
qu<3  cette  voie  vous  mène  h  la  fontaine  d'eau  vive 
jaillissante  en  vie  éternelle ,  pour  quiconque  en  a 
soif  et  y  boit.  Que  les  paroles  de  notre  Seigneur 
et  Sauveur  Jésus-Christ  soient  pour  vous  cette 
$ource  de  vie.  Que  les  paroles  de  Dieu  éclairent 
vos  yeux,  et  elles  réjouiront  aussi  votre  cœur. 
Cherchez  aussi  les  Ecritures,  elles  ne  contiennent 
aucun  oracle  faux  et  mensonger;  elles  rendent 
témoignage  de  Jésus,  et  vous  y  trouverez  la  vie 
éternelle.  —  Implorez  les  lumières  et  l'aide  de 
F  Esprit- Saint  qui  les  a  inspirées.  Au-dessus  de 
toutes  les  vertus  chrétiennes  qui  peuvent  attester 
votre  foi,  mettez  la  charité,  l'amour  de  Dieu  et 
l'amour  des  hommes ,  cette  charité  ou  cet  amour 
qui  est  le  fruit  de  l'Esprit,  la  fm  des  commande- 
ments ,  l'accomplissement  de  la  loi  ^  le  lien  de 
la  perfection ,  don  supérieur  à  celui  des  langues , 
à  celui  d'interprétation  et  de  prophétie,  et  sans 
laquel  vous  seriez  comme  si  vous  n'étiez  pas, 
quand  même  vous  auriez  pénétré  tous  les  mys- 
tères et  épuisé  toutes  les  sciences.  Faute  de  ce 
don ,  la  terre  a  été  couverte  de  ruines.  Qu'il  de- 


366  LES  SEPT  ÉGLISES  d'aSFE.  CH.  XV. 

vienne  votre  partage,  et  quelque  pauvre  que 
soit  votre  héritage  sur  la  terre,  il  vous  sera  plus 
utile  que  tous  les  royaumes  du  monde  et  toute 
leur  gloire.  Quant  aux  prophéties,  elles  seront 
abolies,  et  quant  aux  langues  elles  cesseront,  et 
quant  à  la  connaissance,  elle  sera  abolie.  La  terre 
elle-même  sera  consumée  avec  tout  ce  qu'elle 
contient;  mais  la  charité  ne  périt  jamais '^^ 

Si  vous  avez  gardé  la  parole  de  TEternel,  et  si 
vous  n'avez  pas  renoncé  à  son  nom,  tenez  ferme 
ce  que  vous  avez,  afin  que  personne  ne  vous  en- 
lève votre  couronne.  — Mais  si  vous  avez  été  tiède 
jusqu'à  ce  jour,  si  vous  n'avez  eu  ni  la  foi  ni  le 
zèle,  ni  l'espérance,  ni  l'amour  d'un  chrétien^ 
tous  les  avertissements  d'une  voix  mortelle  vous 
seraient  inutiles;  mais  écoutez  ce  que  ditl'Esprit, 
et  n'endurcissez  pas  votre  cœur  contre  la  voix 
céleste,  et  contre  les  glorieux  encouragements 
qui  vous  sont  donnés  par  ce  Jésus  à  qui  les  pro- 
phètes ont  rendu  témoignage,  et  à  qui  le  Père  a 
remis  maintenant  toutes  choses.  —  «  Je  te  con- 
«  seille  d'acheter  de  moi  de  l'or  éprouvé  par  le 
«  feu ,  afin  que  tu  deviennes  riche ,  et  des  vête- 
«  ments  blancs,  afin  que  tu  sois  vêtu,  et  que  la 
«  honte  de  ta  nudité  ne  paraisse  point,  et  d'oîn- 
«  dre  tes  yeux  de  collyre  afin  que  tu  voies.  Je  re- 
«  prends  et  je  châtie  tous  ceux  que  j'aime  ;  aie  du 
«  zèle  et  te  repents.  Voici,  je  me  tiens  à  la  porte 
«  et  je  frappe;  si  quelqu'un  entend  ma  voix  et 
«  m'ouvre  la  porte, j'entrerai  chez  lui,  jesouperaî 
«  avec  lui  et  lui  avec  moi.  Celui  qui  vaincra ,  je 
«  le  ferai  asseoir  avec  moi  sur  mon  trône,  ainsi 
«  que  j'ai  vaincu ,  et  me  suis  assis  avec  mon 
«  père  sur  son  trône.  Que  celui  qui  a  des  oreilles 
«  écoute  ce  que  l'Esprit  dit  aux  églises  '*.  » 

(33)  I.  Cor.,  XIII,  8.  —  (u)  Apoc,  lïl,  18-22. 


CONCLUSION. 


Tout  ce  qu'on  vient  de  dire  est  une  esquisse , 
bien  incomplète  à  la  vérité,  mais  qui  pourtant 
résume  les  prophéties  les  plus  marquantes  et  les 
faits  qui  en  démontrent  Taccomplissement  :  il 
serait  donc  inutile  d'y  revenir  encore.  Nous  avons 
passé  sur  un  grand  nombre  de  prophéties,  un  peu 
obscures  peut-être ,  quoiqu'elles  puissent  four- 
nir des  preuves  assez  éclatantes  en  faveur  de  la 
religion.  Nous  avons  suivi  cette  marche  pour 
éviter  l'accusation  d^'ambîguité  qu'on  porte  con- 
tre toutes  les  prophéties  indistinctement.  Mais  y 
après  avoir  démontré  par  une  foule  d'exemples 
que  les  plus  claires  des  prophéties  se  sont  accom- 
plies à  la  lettre ,  nous  n'hésitons  plus  à  les  sou- 
mettre au  jugement  des  ennemis  du  christianisme 
ou  de  ceux  dont  la  foi  est  mal  assurée.  Sans  exi- 
ger d'eux  aucune  concession ,  nous  leur  deman- 
derons s^il  leur  serait  facile  de  détruire  par  des 
preuves  contraires  les  preuves  positives  de  la  vé- 
rité de  la  religion  de  Jésus,  que  nous  avons  pui- 
sées dans  l'étude  des  prophéties.  —  Si  cette  in- 
crédulité qui  révoque  en  doute  toute  «  révéla- 
tion »  les  a  portés  à  renier  les  promesses  et  les 
menaces  contenues  dans  l'Écriture-Sainte ,  ne 
peuvent-ils  pas  du  moins  découvrir  ici  des  témoi- 
gnages surnaturels  de  vérités  également  surna- 
turelles? La  vue  ne  suffit-elle  pas  ici  pour  con- 


3G8  co?fCLUsioiv. 

duii  e  à  la  «  foi  »  ?  Ne  seront-ils  pas  forces  d'à- 
TOiier  que  l'espoir  du  chrétien  repose  sur  des 
bases  raisonnables?  et  ne  devront-ils  pas  au 
moins  se  livrer  à  un  examen  attentif  et  impartial^ 
non-seulement  des  prophéties,  mais  de  toutes  les 
preuves  en  faveur  du  christianisme  ? 

On  serait  mal  fondé  à  dire  que  les  prophéties 
dont  nous  nous  sommes  occupés  ne  sont  pas  des 
plus  claires  ;  à  prétendre  qu'elles  tiennent  de  la 
nature  des  oracles  qui  sortaient  du  nuage  dont 
était  ton  jours  surmonté  le  temple  d'Apollon,  ou 
bien  qu'elles  ressemblent  à  ces  prétendues  inspi- 
rations qui  émanaient  du  caveau  d'Héra.  On  ne 
saurait  nier  que  ces  prophéties  n'aient  précédé 
de  centaines  et  de  milliers  d'années  les  événe- 
ments qui  en  sont  les  corollaires  et  l'accomplis- 
sement :  on  ne  saurait  nier  non  plus  le  silence 
absolu  de  tous  les  autres  oracles  de  l'antiquité. 
Les  faits  historiques  et  géographiques,  objets  des 
prophéties,  ont  en  général  un  caractère  si  ex- 
traordinaire, que  le  langage  des  prophètes,  alors 
même  qu'il  décrit  les  choses  à  la  lettre,  paraît  exa- 
géré, hyperbolique. On  a  surtout  reproché  auxpro- 
phéties  d'Esaïe  d'être  «  remplies  de  métaphores 
extravagantes  * 5  »  mais,  plus  la  métaphore  pa- 

(1)  A  part  rimpiélé  dont  elles  abondent,  les  remarques  que 
Paine  tait  au  sujet  des  prophéties  sont  vraiment  divertissantes  pour 
toute  personne  qui  a  étudié  le  sujet.  l\  dit  du  livre  d'Etaïe  que 
c'est  «  une  suite  de  déclamations  ampoulées,  pleines  de  métaphores 
extravagantes,  sans  application  et  vides  de  sens,  »  Les  prédictions 
au  sujet  de  Babylone,  de  Moab,  etc.,  il  les  compare  «  au  conte  du 
Chevalier  de  la  montagne  de  feu,  à  Cendrillon  »  et  autres  contes  de 
cette  esp(ce.  Esaïe,  en  un  mot,  était  un  praphijte  menteur  et  un 
imposteur,  g  Que  dirons-nous,  ajoute-t-il,  de  ces  prophètes,  si  ce 
n'est  qu'ils  sont  tous  des  menteurs  et  des  imposteurs  ?  »  Ce  langage 
n'est  pas  seulement  absurde  à  force  de  violence,  il  a  pour  utilité 
de  montrer  que  si  d'un  cCté  l'histoire,  les  faits,  la  raison,  le  témoi- 
gnage involontaire  des  incrédules  eux-mêmes,  attestent  la  vérité  des 
prophéties,  de  l'autre,  on  ne  peut  les  combattre  que  par  des  «  dé- 
clamations ampoulées,  pleines  de  mélaphores  c.\lvuvaû:uv.lep,  ^^;âu^ 


1 1 


CaNCLUsioN.  369 

raît  outrée,  ou,  en  d'autres  mots,  plus  le  fait 
annoncé  semble  extraordinaire,  plus  aussi  la  di- 
vine origine  des  prophéties  doit  se  faire  sentir. 

On  nous  saura  gré  d'intercaler  ici  en  entier 
l'exposé  suivant  de  la  question,  que  nous  avons 
extrait  d'un  compte  rendu  de  la  première  édi- 
tion de  cet  ouvrage. 

«  L'argument  géographique,  c'est-à-dire  l'ac- 
complissement de  celles  des  prophéties  qui  dé- 
crivent l'état  à  venir  de  certaines  nations  et  l'as- 
pect futur  des  pays  qu'elles  habitaient,  nous  a 
toujours  pai'u  être  la  preuve  la  plus  concluante 
en  faveur  des  prophéties  chrétiennes  en  géné- 
ral. Il  n'y  a  dans  le  langage  du  prophète  au- 
cune obscurité .  et  il  ne  saurait  v  avoir  deux 
opinions  quant  à  l'objet  qu'il  avait  en  vue.  On  ne 
peut  nier  que  le  changement  par  lui  prédit  ne  se 
soit  accompli  ;  on  ne  peut  convaincre  de  faus- 
seté les  témoins  qui  déposent  de  la  vérité  des 
faits.  L'antique  gloire  de  ces  pays  et  de  ces 
royaumes  nous  est  attestée  par  la  plupart  des 
écrivains  païens  qui  ignoraient  la  prédiction  de 
leur  décadence  ;  l'état  actuel  de  ces  mêmes  pays 
se  trouve  décrit  par  des  voyageurs  modernes,  ïa 
plupart  faisant  profession  d'incrédulité  5  et  souvent 
peu  au  fait  des  prophéties  dont  leurs  écrits  sont 
la  vérification.  Il  ne  s'agit  pas  ici  d'un  événement 


application  et  vicies  de  sens.  »  Or,  comme  îa  vérité  ne  saurait  être 
(les  deux  côtés,  qui  est-ce  qui  ment  ?  Est-ce  Esaïe  le  prophète,  ou 
Paine  l'incrédule  ?  Et  «  que  dirons-nous»  de  ce  vigoureux  défenseur 
des  droits,  si  ce  n'est  que  le  droit  qu'il  a  au  surnom  d'incrédule  ne 
lui  est  pas  disputé,  et  que  ses  paroles  seules,  quand  on  n^en  pourrait 
citer  d'autres,  suffiront,  dans  tous  les  siècles  éclairés,  pour  entacher 
sa  mémoire  des  injures  odieuses  qu'il  a  si  injustement  déversées 
sur  les  autres?  Vouloir  argumenter  avec  un  tel  homme,  ce  serait 
perdre  son  temps;  mais,  s'il  y  a  de  la  prodigalité  et  de  la  folie 
à  jeter  des  perles  aux  pourceaux,  du  moins  on  peut  refouler  daRS 
leur  auge  l'ordure  qu'ils  en  ont  fait  déborder,  afin  de  leur  rendre 
k  eux  et  à  qui  leur  ressemble  ce  qui  leur  appartient. 


370  CONCLCSION. 

isolé  qui  a  passé  san^  laisser  de  traces  après  lui , 
il  ne  s'agit  pas  de  rechercher  dans  la  vaste  page 
de  l'histoire  un  caractère  individuel,  avec  lequel 
d'autres  ont  tant  de  points  de  ressemblance  que 
l'on  ne  sait  à  quoi  s'en  tenir.  Le  prophète  a 
nommé  les  lieux  et  les  hommes,  et  l'état  actuel 
des  uns  et  des  autres  s'offre  aujourd'hui  même  à 
notre  observation.  L'accomplissement  des  pro- 
phéties se  trouve  ainsi  en  quelque  sorte  gravé 
sur  un  monument  public  qui  se  présente  aux  re- 
gards de  quiconque  peut  aller  visiter  les  pays  en 
question;  et  les  ruines  qui  servent  d'inscription  k 
ce  monument  parlent  une  langue  comprise  de 
tous  les  hommes.  Les  scènes  prédites  par  les 
prophéties  sont  une  démonstration  oculaire  qui 
nous  autorise  à  faire  usage  du  langage  de  l'évan- 
géliste,  et  à  dire  avec  orgueil  au  philosophe  in» 
crédule  :  «  Viens  et  vois.  »  Les  nombreux  voya- 
geurs qui  ont  depuis  peu  visité  la  Terre-Sainte 
et  les  pays  environnants ,  ont  fourni  des  preuves 
abondantes  et  authentiques  à  l'appui  d'un  argu- 
ment si  victorieux.  La  plupart  de  ces  voya- 
geurs n'ont  manifesté  dans  leurs  récits  aucune 
intention  de  soutenir  la  cause  de  la  révélation, 
tandis  que  les  autres  y  étaient  décidément  hos- 
tiles. Néanmoins,  les  uns,  sous  l'influence  de  leurs 
préjugés,  et  les  autres,  dans  leur  impartialité, 
ont  constaté  les  faits  les  plus  confirmatifs  de  la 
vérité  des  prophéties.  Ajoutons  que  leurs  descrip- 
tions, qui  souvent  rappellent  le  langage  inspiré, 
portent,  quoique  évidemment  sans  intention,  sur 
les  points  de  la  scène  qui  constituent  précisé- 
ment le  tableau  tracé  dans  les  visions  du  pro- 
phète. » 

Assurément,  le  chrétien  pourrait  bien  ici  s'en 
tenir  à  la  certitude  qu'il  a  «  de  la  fol,  jadis  trans- 
mise aux  Saints ,  »  et  abandonner  l'incrédule  à 


CONCLUSION.  37  i 

ses  désolantes  théories;  mais,  en  réfutant  les  rai- 
sonnements desincrédules  d'une  espèce^par  les  re- 
cherches qu'ont  faites  des  incrédules  d'une  espèce 
différente  5  nous  parviendrons  à  donner  «  aux  éyi- 
dences  des  prophéties  »  toute  la  force  qui  leur  ap- 
partient ;  or  les  uns  et  les  autres  nous  fournissent 
conjointement  les  faits  les  plus  clairs  et  les  argu- 
ments les  plus  forts  ;  ils  ont  mis  à  notre  disposition 
des  moyens  qu'il  suffit  d'employer,  pour  terminer 
promptement  la  controverse  qui  subsiste  entre 
eux  et  nous. 

La  métaphysique  de  Hume  ' ,  et  les  démonstra- 
tions mathématiques  de  La  Place ,  qui  ont  pour 

(1)  n  n'est  pas  Lors  de  propos  de  parler  ici  de  rofficîeuse  et  cour- 
toise exhortation  que  fait  aux  écrivains  clirétiens  ce  grand  maître 
de  la  philosophie  idéale.  Avec  autant  de  sagesse  que  de  modestie, 
(  t  pour  mettre  leurs  arguments  au  niveau  des  siens,  il  leur  conseille 
de  rejeter  toute  espèce  de  raisonnement,  cela  étant  ce  qu'ils  ont  de 
mieux  à  faire  dans  Tinlérêt  de  leur  cause.  Après  avoir  cité  un  pas- 
sage de  lord  Bacon^  qu'il  détourne  de  son  sens  véritable,  il  ajoute  : 
«  Cette  manière  de  raisonner  (i!  s'agit  de  monstres,  de  magie» 
d'alchimie,  etc.  )  peut  servir  à  confondre  ces  dangereux  amis,  ou 
plutôt  ces  ennemis  déguisés  de  la  religion  chrétienne,  qui  se  sont 
donné  la  lâche  de  la  défendre  par  les  principes  de  la  raison  hu- 
maine. »  (  Disons,  en  passant,  que  lord  Bacon  et  sir  Isaac  Newton 
sont  du  nombre  de  ces  hommes-là.)  Hume  ajoute  :  «  Notre  très  sainte 
religion  est  fondée  sur  la  foi  et  non  pas  sur  la  raison,  et  c'est  un 
moyen  certain  de  l'exposer  au  ridicule  que  de  la  soumettre  à  un 
examen  qu'elle  ne  saurait  nullement  soutenir,  b  (EssaldeHume,  §10, 
vol.  II,  p.  136-137,  édit.  Edimb.,  1800.)  Si  l'on  ne  peut  rétorquer 
cet  argument  contre  la  doctrine  de  l'incrédule,  dont  on  rayerait  le 
mot  «  sainte  »,  ou  s'il  est  vrai  que  M.  Hume  connaissait  mieux  les 
principes  de  la  religion  chrétienne  que  celui  qui  en  est  l'auteur,  et 
qui  en  appelait  à  la  raison  des  hommes,  leur  reprochant  de  ne  sa- 
voir pas  juger  par  eux-mêmes  de  ce  qui  était  bon  ;  si ,  disons-npus, 
M.  Hume  connaissait  mieux  cette  religion  que  Paul,  qui  enjoint  aux 
chrétiens  d'essayer  toutes  choses  et  de  s'en  tenir  à  ce  qui  est  bon, 
qui  les  exhortait  à  se  mettre  en  état  de  donner  «  raison  «  de  l'espé^ 
rance  qui  était  en  eux;  s'il  en  était  ainsi,  alors  l'auteur  du  présent 
livre,  n'ayant  que  la  dure  alternative  d'être  ou  un  dangereux  ami 
ou  un  ennemi  déguisé  de  la  religion  chrétienne,  ferait,  quoique  avec 
laplus  grande  répugnance,  choix  du  premier  titre,  et  déplorerait  le 
mal  qu'il  a  causé  à  là  religion,  ayant  eu  recours,  comme  on  sait , 
«  à  une  méthode  qui  ne  peut  manquer  de  l'exposer  au  ridicule  j>. 


372  CONCLUSIO?(, 

but  d'attaqiior  la  crédilnlité  des  miracles,  repo- 
sent sur  la  théorie  des  probabilités.  Après  avoir. 
j)osé  en  fait  (jue  cette  théorie  peut  loj^icpienient 
et  légiljnienient  s'appliquer  aux  ténu)ii>nages  et 
aux  preuves  surnaturelles  d'une  révélation  di- 
vine, on  conclut  que  les  miracles  sont  des  faits 
qui  contredisent  toute  expérience,  et  que  leur 
improbabilité  est  telle  qu'elle  ôte  toute  valeur 
aux  témoignages,  quels  qu'ils  soient,  que  les 
siècles  nous  ont  transmis  à  leur  appui.  Et ,  a  tout 
prendre,  nous  pouvons  conclure,  dit  Hume,  qu'il 
n'est  pas  de  personne  raisonnable  qui,  de  nos 
jours,  puisse,  à  moins  d'un  miracle,  croire  à  la  re- 
ligion chrétienne. 

Hume  ignorait-il,  ou  comptait-il  pour  rien  la 
preuve  que  l'on  aurait  pu  lui  fournir,  qu'il  s'o- 
père même  de  nos  jours  des  miracles,  et  des  mi- 
racles permanents  qui  doivent  fonder  la  croyance  à 
la  vérité  de  la  religion  chrétienne,  chez  quiconque 
n'est  pas  asse:^  déraisonnable,  assez  prévenu 
contre  toute  conviction  pour  refuser  ele  croire- 
mème  à  une  démonstration  miraculeuse?  On  ne 
saurait,  du  reste,  administrer  cette  preuve  d^lne 
manière  plus  convenable  qu'en  se  conformant  au 
calcul  des  probabilités,  si  fort  en  vogue  parmi  les 
incrédules ,  calcul  au  moyen  duquel  ils  se  vantent 
d'avoir  trouvé  le  côté  faible  des  témoignages  pro- 
duits en  faveur  de  la  vérité  des  anciens  miracles. 

Archimède  ne  demandait  qu'un  point  d'appui 
pour  soulever  le  monde.  Si  la  concession  la  plus 
raisonnable  n'était  pas  chose  aussi  impossible  à 
obtenir  de  la  part  de  l'infidèle  que  la  demande 
d' Archimède ,  s'il  consentait  à  admettre  ou  la  vé-^ 
rite  de  ses  propres  principes,  ou  la  force  de  la 
preuve  mathémathique;  ou  bien  encore,  si  ses 
préjugés  n'étaient  pas  plus  inébranlables  qu'un 
mondCj  l'accomplissement  actuel,  palpable,  d'une 


CONCLUSION.  373 

foule  de  prophélies  suffirait,  certes,  pour  exci- 
ter son  attention, et  pour  le  convaincre  de  la  vé- 
rité. 

La  doctrine  des  chances  ou  calcul  des  pro- 
babilités est  devenue  une  science  d'une  utilité 
pratique  et  réelle  dans  les  affaires  de  la  vie.  Mais 
il  est  impossible,  autant  que  chose  puisse  l'ê- 
tre, que  l'homme,  dont  la  vue  est  si  bornée,  ait 
pu  choisir,  d'entre  l'infinité  d'événements  proba- 
bles que  recelait  l'avenir ,  un  seul  des  faits  dont 
les  prophéties  abondent;  et  d'après  le  principe 
même  des  probabilités,  il  y  aurait  une  chance 
incalculable  contre  le  succès  d'une  telle  prédic- 
tion ,  même  dans  un  cas  isolé.  L'accomplissement 
de  toute  prédiction  est  un  miracle.  Mais  l'avocat 
du  christianisme  peut  faire  les  concessions  les 
plus  grandes,  et  si  de  son  côté  l'incrédule  ne 
considère  pas  sa  cause  comme  perdue,  il  doit 
au  moins  convenir  qu'il  y  avait  autant  de  proba- 
bilités négatives  que  d'affirmatives  en  faveur  de 
Taccomplissement  de  chacune  de  ces  prédictions  ; 
en  d'autres  mots,  que  les  chances  étaient  égales 
d'un  côté  comme  de  l'autre.  Le  chrétien  ne  se 
refuse  pas  à  combattre  même  sur  ce  terrain ,  qui 
est  celui  de  son  adversaire;  car,  sans  compter 
tous  les  détails  contenus  dans  le  livre  des  prophé- 
ties sur  la  vie,  le  caractère  et  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  sur  la  nature  et  l'étendue  du  christia- 
nisme, etc.,  sur  la  destruction  de  Jérusalem,  sur 
le  sort  des  Juifs  dans  tousles  siècles  et  danstou^ 
les  pays  ;  sans  parler  de  l'état  actuel  de  la  Judée  ^ 
d'Ammon ,  de  Moab ,  d'Edom ,  de  Philistie ,  de 
Babylone,  deTyr,  d'Egypte,  des  Arabes,  etc., 
sans  parler  de  l'église  de  Rome  et  de  l'histoire 
prophétique  qui  embrasse   un  espace   de  deux 
mille  trois  cents  ans;  ne  peut-on  pas  clairement 
démontrer  que  plus  de  cent  faits  différents  se  sont 


'^"i  CONCLUSION. 


accomplis  selon  la  prédiction  qui  s'y  raltacliait? 
Observons  en  passant  que  la  moitié  de  ce  nombre 
serait  plus  que  suffisante  pour  nous  donner  gain 
de  cause  selon  la  théorie  des  probabilités,  et  que 
pourtant  nous  avons  cité  des  preuves  incontesta- 
bles à  l'appui  de  plus  du  double  de  ce  nombre  de 
faits.  Or  donc,  d'après  ces  données,  et  selon  le 
calcul  des  probabilités,  quelle  est  la  chance,  en 
supposant  que  cette  chance  diminue  de  moitié  par 
chaque  fait  accompli,  en  faveur  de  l'accomplisse- 
ment de  tous  les  faits  prédits  par  les  prophètes, 
ou,  en  d'autres  mots ,  qu'est  la  centième  puissance 
de  deux  par  rapport  à  l'unité  *?  On  voit  que  le 
calcul  des  probabilités  ne  sert  pas  ici  l'incrédule, 
puisque ,  même  d'après  cette  théorie ,  on  peut  dé- 
montrer mathématiquement  que  le  nombre  de 
chances  contre  lui  est  plus  grande  que  ne  le  se- 
rait le  nombre  de  gouttes  d'eau  de  la  mer,  quand 
bien  même  le  monde  entier  ne  formerait  qu'un 
vaste  océan.  Avant  de  s'en  rapporter  à  une 
chance  pareille,  il  importerait  au  moins  qu'on  la 
pesât.  Mais  qui  voudrait  risquer  un  atome  contre 
le  gain  le  plus  grand,  au  jeu  oîi  les  incrédules  ex- 
posent aveuglément  à  un  péril  certain  les  inté- 
rêts de  l'éternité? 

Mais  chaque  prédiction  rapportée  dans  l'Ecri- 
ture, en  tant  que  miracle  de  science,  est  égale  à 
tout  miracle  de  puissance  quelconque  ,  et  n'a  pu 
émaner  que  de  la  Divinité.  «  Toutes  les  prophéties 
sont  de  véritables  miracles,  et  c'est  comme  mira- 
cles seulement  qu'elles  peuvent  servir  de  preuves 
à  la  révélation  ^  »  On  peut  même  les  considérer, 

(1)  Essai  philosophique  sur  les  Probabilités,  par  M.  le  comte  La- 
place.  —  Emerson,  sur  les  Chances,  prop.  3.  —  L'édition  des 
Malhém.  récr.  d'Ozanam,  par  Button,  vol.  L  —  Voir  les  lettres  de 
Grégoire  sur  la  religion  chrétienne,  p.  124. 

(2)  EssaisdeHume,  vol.  II,p.  137.  Si  Ton  rapproche  de  la  vérité 
manifeste  des  prophéties  ce  que  Hume  dit  ici ,  on  verra  combien  il 


CONCLUSION.  375 

dans  ce  siècle  de  sciences  et  de  lumières,  comme 
les  témoins  de  Jésus;  et  Ton  ne  saurait  sans  injus- 
tice les  estimer  comme  inférieurs  en  importance 
ou  en  autorité  à  aucun  des  autres  miracles. 

On  conçoit  que  le  fondateur  d'une  religion  nou- 
velle 5  que  le  messager  d'une  révélation  divine , 
ainsi  que  ceux  d'entre  ses  disciples  qu'il  avait 
chargés  de  propager  sa  doctrine ,  aient,  par  des 
miracles,  donné  des  preuves  claires  et  éclatantes 
que  leur  mission  leur  venait  d'en  haut;  mais  on 
ne  saisirait  pas  si  clairement  le  rapport  entre  un 
miracle  opéré  dans  la  suite  des  siècles  et  une  re- 
ligion depuis  long-temps  établie.  Or,  même  en 
supposant  que  ce  rapport  fût  facile  à  saisir,  néan- 
moins, comme  tout  acte  isolé  et  passager  d'un 
pouvoir  surnaturel  est  nécessairement  circons- 
crit par  sa  nature ,  et  vu  seulement  par  un  petit 
nombre  de  témoins,  le  témoignage  de  ceux-ci 
n'aurait  qu'une  valeur  secondaire  et  ne  pourrait, 
du  moins  chez  une  nation  chrétienne ,  être  cor- 
roboré par  des  preuves  aussi  complètes  que  celles 
qui  furent  scellées  par  le  sang  des  martyrs.  Et, 
quand  bien  même  la  Providence  consentirait  à 
manifester  perpétuellement  son  pouvoir  miracu- 
leux (  c'est  ce   que  demandent  sans  raison  les 

serait  facile,  au  moyen  de  ses  propres  aveux,  de  renverser  sa  Uiéo- 
rie  contre  la  vérité  des  miracles.  Les  prophéties  étant  véritables  et 
Tuniformité  étant  également  vraie,  comme  toutes  les  prophéties 
sont  de  vrais  miracles,  les  miracles  ne  sont  pas  contraires  à  Texpé- 
rience'universelle.  «  Tant  d'analogies  les  rendent  si  probables  »  flbid., 
p.  134)  que,  Ton  peut,  avec  des  témoignages  suffisants,  les  prouver, 
même  d'après  les  principes  de  Hume,  et  cela  d'autant  plus  facile- 
ment que  rinspiration  de  ces  mêmes  Écritures  qui  contiennent  les 
miracles  dont  on  dispute,  cette  inspiration  est  vérifiée  par  d'autres 
miracles  dont  l'authenticité  est  établie  et  reconnue.  C'est  ainsi  que 
l'on  peut  non-seulement  braver,  mais  rétorquer  les  dogmes  les  plus 
hardis  du  scepticisme.  Il  serait  du  reste  «  plus  étonnant  que  le  té- 
moignage »  scellé  de  sang  et  rendu  croyable  par  des  miracles  éga- 
lement grands ,  «  fut  faux,  qu'il  ne  lé  serait  que  les  miracles  fussent 
vrdis  ». 


lioiiiMics  qui(îherehent  à  présenter  la  ccssalion 
(les  miracles  eoinnie  l'excuse  de  leur  incrédulité  ), 
si  ce  pouvoir  se  manifestait  d'a^^e  en  a^^^e,  au  vu  et 
au  su  de  cliaque  individu,  on  Unirait  i)ar  n'y  voir 
qu'un  obstacle  à  l'ordre  de  la  nature;  et  eu  inter- 
rompant la  régularité  et  l'uniformité  de  ses  opé- 
rations, les  miracles  cesseraient,  k  cause  mém<3 
de  leur  fréquente  répétition ,  d'etre  considérés 
comme  des  événements  surnaturels.  11  arriverait 
que,  toujours  sousl'influence  du  scepticisme,  ceux- 
là  même  qui  demandent  un  signe  seraient  les 
premiers  à  n'y  pas  ajouter  foi.  Car  la  nature  et  la 
raison  s'accordent  à  proclamer  que  ceux  qui 
n'ont  pas  foi  à  Moïse  et  aux  prophètes  ne  se  lais- 
seraient pas  persuader  quand  bien  même  un  mort 
ressusciterait. 

Les  prophéties  ont  un  rapport  direct  à  la  reli- 
gion, et  ce  rapport  est  aussi  facile  à  comprendre 
qu'à  établir.  Le  sens  en  est  naturel  et  évident  : 
tous  les  hommes  peuvent  le  lire  et  l'interpréter. 
«  Ainsi  dit  le  Seigneur  :  »  voilà  leur  exorde  ;  et 
le  fait  même  de  leur  existence  est  la  preuve  de 
leur  réalité.  Loin  que  leur  grand  nombre  les 
entache  de  faiblesse,  plus  au  con  traire  elles  se  mul- 
tiplient^ plus  elles  nous  révèlent  de  faits  inconnus, 
et  plus  elles  nous  mettent  sur  la  voix  d'événements 
non  encore  accomplis ,  plus  leur  authenticité  res- 
sort de  toutes  ces  circonstances  qui  nous  font 
voir  en  elles  les  témoins  permanents  et  actuels  de 
la  parole  de  Dieu.  De  plus,  les  témoignages  que 
chaque  époque  dépose  en  faveur  des  prophéties 
sont  au-dessus  de  tonte  chicane;  ces  témoignages 
ne  sont  pas  de  la  nature  de  ceux  «  qui  nous  arri- 
«^  vent  imparfaits  à  travers  une  longue  série  de 
«  siècles;  »  ils  nous  sont  transmis  non  par  des- 
miracles,  mais  par  des  faits  ,  dans  l'ordre  ordi- 
naire de  la  nature  ^  par  des  faits  géographiques  ou 


CONCLUSION*  377 

historiques  attestés  par  des  preuves  concluantes^ 
et  la  plupart  de  ces  faits  subsistent  encore  et  se 
prêtent  à  Tëpreuve  de  Texamen.  Nous  n'en  cite- 
rons que  deux  :  comme  ils  sont  évidents  pour 
tous,  ils  peuvent  se  passer  de  tout  témoignage  en 
leur  faveur  :  L'un  est  l'histoire  des  Juifs  expa- 
triés, et  l'autre  la  conservation  jusqu'à  nos  jours 
de  la  parole  de  Dieu,  conservation  que  l'on  doit 
aux  ennemis  même  du  christianisme.  Après  avoir 
admis  qu'il  serait  impossible  d'offrir  à  ce  sujet 
des  preuves  plus  fortes,  plus  concluantes,  plus 
clairement  miraculeuses ,  les  disciples  de  Hume 
n'ont  besoin,  pour  passer  de  la  foi  «  académique  » 
a  la  foi  chrétienne,  qu'à  bien  appliejuer  les  pa- 
roles de  leur  maître  qui  a  dit  :  «  Tout  homme 
sage  proportionne  sa  croyance  à  la  preuve  *  .  » 
Peut-être  alors  trouveront-ils  ce  que  Hume  s'é- 
tait vainement  flatté  d'avoir  découvert,  une  éter- 
nelle sauve-garde  contre  l'erreur^ . 

Bolingbroke  se  vantait,  en  résumant  ses  tra- 
vaux «  philosophiques  » ,  d'avoir  poussé  ses  in- 
vestigations aussi  avant  que  le  permettent  les 
véritables  règles  de  toute  humaine  recherche, 
c'est-à-dire  de  ne  s'être  arrêté  que  là  ou  s'arrê- 
taient les  phénomènes  qui  lui  servaient  de  guides. 
La  philosophie  chrétienne  n'en  demande  pas 
davantage:  elle  ouvre  le  livre  de  l'enquête  et 
nous  présente,  dans  l'accomplissement  des  pro- 
phéties, des  phénomènes  plus  surprenants  que  la 
nature  extérieure  n'en  a  jamais  offerts.  Pourvu 
clone  qu'on  n'ait  d'autre  but  que  d'arriver  à  la 
vérité,  et  qu'on  pousse  ses  recherches  aussi  loin 
que  possible,  la  candeur  et  laraison,  éclairées  par 
la  lumière  de  preuves  positives  et  miraculeuses^ 

(1)  Essai  sur  les  Miracles,  de  Hume,  voU  II,  \\  117* 

(2)  Ibîd.,p,  110, 


37(i  CONCLUSION. 

ne  pourront  manquer  d'amener  tout  homme  im- 
partial à  reconnaître  et  à  avouer  l'inspiration  de 
TEcriture. 

L'argument  que  Volney  a  basé  sur  les  «  ruines 
«  des  Empires  »  s'évanouit  en  présence  des  faits 
qu'il  a  lui-même  établis.  Ces  faits^  loin  de  militer 
contre  la  religion,  établissent  directement  la 
vérité  des  prophéties,  de  sorte  que  l'édifice  fragile 
qu'il  a  élevé  s'est  brisé  entre  ses  propres  mains. 

Mais  le  ridicule  seul  a  souvent  usurpé  la  place 
de  la  raison  :  on  en  a  fait  la  pierre  de  touche  de 
la  vérité,  et  c'est  aux  prophéties  surtout  qu'on  a 
voulu  rappliquer.  Or,  ne  pourrait-on  pas  trouver 
une  preuve  de  leur  inspiration  jusque  dans  cette 
dernière  retraite  de  l'incrédulité  ?  Les  ruines  du 
monde  moral  sont  aussi  visibles  aux  yeux  de  Dieu 
que  les  ruines  du  monde  physique,  que  celles  des 
royaumes  et  des  empires;  sa  parole  peut  pré^ 
dire  les  unes  comme  les  autres.  Si  donc  les  con- 
tempteurs de  la  religion  ne  savent  découvrir  de 
preuves  de  sa  réalité,  ni  dans  les  faits  historiques 
ni  dans  les  objets  extérieurs,  qu'ils  reportentleurs 
regards  au-dedans  d'eux-mêmes,  et  ils  y  trouve- 
ront gravée  en  caractères  fort  lisibles  la  confir- 
mation intime  de  la  vérité  des  prophéties.  Et 
pendant  qu'ils  substituent  la  raillerie  auraisonne- 
mentet  se  font  forts  d'anéantir  la  religion  par  leurs 
sarcasmes,  aux  yeux  des  autres  hommes  ils  sont 
des  preuves  vivantes  de  sa  vérité.  «  Aux  derniers 
«  jours,  il  viendra  des  moqueurs  qui  se  conduiront 
«  par  leurs  propres  convoitises,  et  qui  diront  :  Oîi 
«  est  la  promesse  de  son  avènement?  car  depuis 
^  que  nos  pères  sont  morts,  toutes  choses  sont  de- 
«  meurées  dans  le  même  état  où  elles  étaient  au 
«  moment  de  la  création;  car  ils  ignorent  volontai- 
c(  rement  ceci  :  c'est  que  les  cieux  furent  autrefois 
«  créés  par  la  parole  de  Dieu,  aussi  bien  que  la 


CONCLtSION.  379 

«  terre  qui  fut  tirée  de  Teau,  et  qui  subsistait  par- 
«  mi  l'eau,  et  que  ce  fut  par  ces  choses  mêmes  que 
«  le  monde  d'alors  périt  étant  submergé  par  les 
«  eaux.  »  —  «  Il  y  aura  au  dernier  temps  des  mo* 
«  queurs  * .  » 

(1)  IL  Pet.,  m,  3-6.  Jude,  18*  .  .     ^ 

La  religion  chrétienne  a  eu,  ainsi  qu'il  avait  élê  prédit,  à  cdttîp* 
ter  parmi  ses  ennemis  de  faux  docteurs  qui,  comme  le  dit  l'E- 
criture, c  parlent  en  mal  des  choses  qu'ils  ne  comprennent  pas,  qui 
méprisent  les  puissances,  qui  sont  audacieux  et  attachés  à  leurs 
cens,  tenant  des  discours  entlés  et  pleins  de  vanité  pour  amorcer  les 
autres,  et  leur  promettant  la  liberté,  quoiqu'ils  soient  eux-mêmes 
les  esclaves  de  la  corruption  »  (IL  Pierre,  II,  v»  1,  10, 12, 18,  19)* 
Les  blasphèmes,  les  obscénités,  les  injures,  voilà  avec  quelles  armes 
ils  se  plaisent  à  combattre;  ils  s'eflorcent  de  ravaler  la  religion  au 
niveau  de  leur  imagination  grossière  et  rampante  ;  et,  parlant  de 
clioses  qu'ils  ignorent,  ils  tiennent  des  discours  fort  enflés  et  pleins 
de  vanité,  comme  s'il  leur  suffisait  d'un  coup  d^œil  pour  mesurer 
les  profondeurs  des  vérités  religieuses.  Mais  leurs  raisonnements 
sont  aussi  faibles  que  leurs  principes  sont  vils»  En  général ,  ce  que 
l'on  a  de  mieux  à  faire  pour  combattre  la  fausseté  de  leurs  prémis^ 
ses,  c'est  d'y  opposer  des  démentis  aussi  absolus  que  leurs  asser- 
tions sont  positives.  Par  exemple,  dans  la  liste  d'aphorismes  que^  la 
société  des  incrédules  de  Londres  vient  de  mettre  en  vente,  il  s'en 
trouve  un  ainsi  conçu  :  «  Toutes  les  autres  religions  sont  fausses , 
donc  la  religion  chrétienne  est  fausse  aussi  »  ;  il  suffit  ici  d'admettre 
la  prémisse  et  de  dire,  attendu  que  cela  sera  plus  logique  :  «  Toutes  les 
autres  religions  sont  fausses,  donc  la  religion  chrétienne  est  vraie  » . 
Cependant,  tout  en  se  lamentant  sur  le  sort  à  venir  de  ces  tristes 
philosophes,  on  pe  peut  s'emptcher  de  sourire  de  pitié  aux  vaines 
attaques,  aux  coups  d'épingles  dont  ils  harcèlent  la  religion  chré- 
tienne. Ne  dirait-ôn  pas  (car  moins  notre  comparaison  a  de  dignité 
et  plus  elle  convient  à  ceux  à  qui  elle  s'applique),  ne  dirait-on  pas 
d'une  multitude  de  petits  poissons  mordant  quelques  herbes  jetées 
par  des  mains  d'homme  sur  un  rocher,  et  réunissant  toutes  leurs 
petites  forces  pour  l'ébranler. 

Mais  il  y  a  une  autre  classe  d'incrédules  h  qui  les  paroles  du  texte 
ne  s'appliquent  pas  aussi  évidemment.  Ces  hommes  savent,  quand 
ils  le  veulent,  réfuter  les  arguments  les  plus  subtils  du  scepticisme, 
et  ne  se  font  pas  faute  de  condamner  les  moqueries  profanes  des 
railleurs  les  plus  déhontés.  Ce  sont  eux  qui,  de  nos  jours,  ont 
trouvé  un  nouvel  argument  en  faveur  de  l'incrédulité,  et  qui  tend  à 
nier  la  crédibilité  des  miracles,  sous  prétexte  qu'ils  détruiraient  l'in- 
violabilité des  lois  de  la  nature.  Cet  argument  ne  saurait  être  exprimé 
avec  plus  de  force  que  l'Apôtre  lui-même  ne  l'a  fait,  lorsqu'il  a  pré- 
dit ce  résultat  de  la  science  moderne.  Si  l'on  se  fût  abstenu  de  le 
produire,  la  partie  des  preuves  du  christianisme  qui  consiste  dîtns 


380  CONCLUSION. 

Que  si  les  incrédules  prétendent  jiislcmont  art 
titre  de  sages,  et  font  un  légitime  usage  de  la  rai- 
son, alors,  plutôt  que  de  placer  leur  sécurité 
dans  des  spéculations  abstraites,  et  de  se  jouer 
ainsi  des  immortelles  espérances  de  leurs  sem- 

raccomnlîssementde  cette  prophétie  nous  ferait  maintenant  défaut, 
et  nous  en  serions  à  attendre  que  l'incrédulité  eût  fait  valoir  celte 
dernière  ressource,  afin  d'en  tirer  une  nouvelle  preuve  de  la  vérité* 
Mais  Tapolre  ne  se  contente  pas  de  prédire  ce  que  diront  les  mo- 
queurs aux  derniers  jours,  il  fait  plus,  il  les  réfute,  non  par  l'auto- 
rité  de  TEcriture  qu'ils  no  reconnaissent  pas,  mais  à  l'aide  de 
principes  philosophiques  et  de  faits  qu'ils  ignorent  «  volontaire- 
ment » ,  c'est-à-dire  au  moyen  de  la  création  du  monde  et  du  déluge, 
d'où  il  résulte  que  toutes  choses  ne  sont  pas  demeurées  dans  le 
même  état  où  elles  étaient  au  commencement  de  la  création.  Hume^ 
Bentham  et  Laplace  doivenr  céder  le  pas  dans  l'académie,  aussi 
bien  que  dans  le  temple,  aux  humbles  pêcheurs  de  Galilée.  Il  suflit 
de  bien  appliquer  les  raisonnements  de  ces  philosojîhes  pour  en 
tirer  des  conclusions  qui  militent  autant  en  faveur  des  miracles  et 
de  la  divinité  de  la  doctrine  que  les  faits  attestés  par  Gibbon  et 
Volney  démontrent  que  les  prophéties  de  l'Ecriture  émanent  de 
l'inspiration  de  Dieu.  Mais  si  nous  nous  abstenons  ici  de  tirer  tout 
le  parti  que  nous  pourrions  decettemanièred'envisager  la  question, 
rcla  prouve  que  les  preuves  à  Tappui  des  prophéties  ne  manquent 
pas,  puisque  nous  nous  contentons  d'en  parler  ici  pour  note.  Déduire 
du  principal  argument  de  l'incrédulité  une  preuve  nouvelle  et  fonda- 
mentale de  la  vérité,  c'est  ce  qui  demanderait  plus  de  temps,  bien 
que  cela  puisse  se  faire  à  l'aide  d'un  texte  et  d'un  fuit.  L'auteur 
du  présent  Essai  se  propose  de  traiter  ce  sujet  dans  un  livre  ajant 
pour  titre  :  a  Aperçu  général  et  relatif  des  preuves  du  christia- 
nisme )),  En  attendant,  il  a  cru  devoir  appeler  l'atlentio!!  des  per- 
sonnes pieuses  sur  une  marche  qu'il  croit  bonne  à  suivre  pour 
répondre  aux  raisons  des  déistes.  Cette  marche,  du  reste,  n'est  pas 
d'invention  humaine,  elle  est  suggérée  par  la  parole  infaillible  du 
Dieu  vivant;  elle  est  indiquée  dans  les  Ecritures  qui  sont  remplies 
de  tré  ors  en  faveur  de  ceux  qui  les  consultent,  et  qui  contiennent 
les  paroles  de  la  vie  éternelle. 

Il  est  satisfaisant  d*ohserver  comment,  en  toutes  choses,  les  pro- 
grès de  la  science  tendent  finalement  à  servir  la  cause  de  la  vérité. 
La  philosophie  commence  à  reconnaître  sa  grande  méprise  et  à 
faire  amende  honorable  à  la  religion.  Depuis  îa  publication  de 
la  sixième  édition  de  cet  ouvrage,  nous  avons  pu  corroborer  la 
note  qui  précède  à  l'aide  de  faits  aussi  importants  par  les  éclair- 
cissements qu'ils  contiennent  à  l'appui  de  la  vérité  du  christian- 


CONCLUSION.  381 

blables;  au  lieu  de  considérer  le  ridicule  comme 
la  pierre  de  touche  de  la  vérité  religieuse,  et  de 
donner  le  nom  de  liberté  à  la  licence  du  blas- 
phème; ne  leur  importe-t-il  pas  d'examiner  les 
preuves  positives  et  miraculeuses  de  la  révé- 
lation ,  afin  d'en  découvrir  la  fausseté  ou  d'eu 
avouer  la  puissance,  et  d'abandonner  enfin  leurs 
faibles  retranchements  en  voyant  que  l'étendard 

(n°  CIV,  p.  396),  le  rédacteur  s'exprime  ainsi  qu'il  suit  à  ce 
sujet  ;  Cela  nous  semble  fatal  à  une  théorie  que  nous  avons 
récemment  jugée  comme  contraire  à  Tuniformité  des  causes  et  des 
effets,  ce  qui  veut  dire,  en  d'autres  mots,  que  c'est  une  démons- 
tration d'où  il  résulte  que  toutes  choses  ne  sont  pas  restées  dans 
le  même  état  où  elles  étaient  au  commencement  de  la  création. 
On  a,  ajoute  le  rédacteur^  reconnu  que  certaines  couches  de  terre 
sont  contemporaines  de  la  première  apparition  de  l'homme  sur  la 
terre.  Nous  n'avons  rien  de  mieux  à  faire  qu'à  ouvrir  l'excellent 
ouvrage  du  docteur  Pritchard,  intitulé:  «Recherches  au  sujet  de 
l'histoire  physique  du  genre  humain.  »  Voici  le  commentaire  qu'il 
fait  au  sujet  du  fait  qui  nous  occupe  et  les  conclusions  qu'il  en 
tire  :  «  Onsait  que  toutes  les  couches  dont  se  composent  nos  conti- 
nents ont  servi,  à  des  époques  plus  ou  moins  éloignées,  de  lit  à 
l'océan.  Il  n'y  a  pas  de  terre  qui  n'ait  été  formée  sous  la  surface 
de  la  mer  ou  qui  ne  se  soit  élevée  du  fond  des  eaux.  Le  genre  hu- 
main a  eu  un  commencement,  puisque  nous  pouvons  nous  reporter 
en  esprit  à  la  naissance  de  la  terre  sur  laquelle  il  se  meut.  Si  main- 
tenant nous  nous  représentons  en  imagination  l'époque  où  rien 
n'existait  en  ce  monde  qu'à  l'état  d'élément  informe,  si  nous  re- 
connaissons que  l'époque  suivante  vit  la  première  créature  hu- 
maine commencer  à  respirer  et  à  se  mouvoir  dans  un  certain  point 
de  la  terre,  nous  aurons  par  cela  même  admis  le  miracle  le  plus 
extraordinaire  peutrêtre  que  contienne  le  volume  entier  de  la  sainte 
Ecriture  »,  etc.  C'est  ainsi  que  dans  un  esprit  meilleur  et  plus 
philosophique,  en  s'appuyant  sur  un  fait  garanti  parlac(nfor- 
mation  de  la  terre,  des  hommes,  sans  avoir  la  prédiction  en  vue, 
ont  enfin  découvert  l'argument  même  dont  l'apôtre  se  sert  pour 
réfuter  les  raisonnements  sceptiques  des  moqueurs  aux  derniers 
jours,  c  Les  cieux  furent  autrefois  créés,  aussi  bien  que  la  terre 
qui  fut  tirée  de  l'eau  et  qui  subsistait  parmi  l'eau  ».  Au  commen- 
cement, la  terre  était  sans  forme  et  vide,  et  c'est  postérieurement 
à  la  création  que  l'homme  a  été  créé.  On  ne  peut  donc  arguer 
contre  la  vérité  des  prophéties  chrétiennes  d'une  expérience  inalté- 
rable, car  nous  avons  l'expérience  de  la  vérité  «  du  miracle  le  plus 
extraordinaire  peut-être  que  contienne  le  ^  olume  entier  des  saintes 
Ecritures  ».  Les  arguments  des  moqueurs  et  leur  réfutation  mani- 
feste confirment  également  la  vérité  de  la  prophétie. 


383  CONCLUSION. 

de  la  foi  chrétienne  flottera  bientôt  en  dépit  de 
tons  leurs  efforts  sur  les  plus  orj^ueilleux  rem- 
parts de  l'incrédulité?  Qu'ils  produisent  leurs  té- 
moins, selon  l'expression  du  prophète,  afin  qu'ils 
puissent  se  justifier,  ou  qu'ils  apprennent  que 
c'est  ici  la  vérité  et  qu'ils  la  proclament. 

Mais,  pour  terminer,  on  peut  raisonnablement 
se  demander  s'il  n'y  a  pas  je  ne  sais  quoi  qui  ré- 
pugne aux  principes  du  christianisme,  dans  l'es- 
prit de  l'homme  qui  ne  veut  pas  entendre  parler 
de  Moïse  et  des  prophètes,  et  don  tie  cœur  est  lent 
h  croire  à  tout  ce  qu'ils  ont  dit,  bien  que  la  vérité 
de  leurs  prédictions  ressorte  des  moyens  mêmes 
que  l'on  avait  d'en  découvrir  la  fausseté  ;  bien 
que  ces  prédictions  fussent  autant  d'appels  à  des 
événements  sans  nombre,  que  des  siècles  éloignés 
devaient  produire  au  grand  jour  ;  bien  que  l'hisr- 
toire  ait  répondu  à  ces  appels  et  que  la  démons-? 
tration  oculaire  les  ait  confirmés,  comme  nos  en- 
nemis mêmes  en  sont  garants;  bien  qu'enfin  il  n'ait 
jamais  existé  d'autre  vérité  5  quelle  qu'elle  fût, 
qui  pût  subir  une  semblable  épreuve  ?  L^homme 
dont  nous  avons  parlé  ne  se  laisserait-il  pas  con^ 
vaincre  d'une  doctrine  moins  morale,  ou  tant 
soit  peu  éloignée  de  la  sainteté  qui  est  en  Dieu , 
par  des  preuves  moins  miraculeuses?  Ne  serions- 
nous  pas  fondés  à  croire  que  ces  preuves,  quoi- 
que suffisantes  pour  percer  les  nuages  de  l'in- 
telligence, sont  inefficaces  à  soulever  le  voile  du 
cœur?  Le  scepticisme  ne  saurait  être,  en  aucun 
cas ,  un  sujet  de  vanterie.  Quoi  de  plus  facile 
que  de  fermer  l'œil  à  la  lumière  du  jour?  Il  est 
facile  aussi  de  résister,  par  l'endurcissement  du 
cœur,  aux  vérités  les  plus  clair  es.  Et,  quand  on  con- 
sidère d'un  autre  côté  qu'il  y  a  des  esprits  (  New^- 
ton  en  est  un  exemple  )  sur  lesquels  les  preuves 
des  prophéties  produisent  un  effet  tout  différent 


CONCLUSION,  383 

el  qui  ne  peuvent  résister  aux  rayons  concentrés 
de  cette  lumière  céleste ,  on  se  demande  d'oîi 
peut  venir  une  divergence  d'opinion  si  grande 
sur  un  sujet  identique.  Peut-on  s'expliquer  autre- 
ment l'absence  de  conviction  que  par  la  solution 
que  les  Ecritures  contiennent  de  cette  difficulté, 
par  un  cœur  mauvais  et  incrédule?  «  Ils  n'ont 
«  pas  voulu  venir  à  la  lumière  parceque  la  lu-* 
«  mière  les  aurait  rendus  à  la  liberté.  » 

Pendant  que  l'mcrédule  rejette  tout  moyen  de 
conviction ,  et  qu'il  fonde  son  espoir  sur  la  possi- 
bilité non  démontrée  de  la  vérité  de  ses  dogmes , 
ce  sont  des  preuves  positives  du  christianisme  qui 
témoignent  à  l'homme  impartial ,  au  croyant  rai- 
sonnable et  sincère,  qull  est  impossible  que  sa  foi 
soit  fausse.  Il  consulte  le  livre  du  Seigneur,  et,  en 
voyant  que  nulle  des  prophéties  ne  manque  a 
s'accomplir,  il  les  considère  toutes ,  même  alors 
qu'elles  ne  sont  réalisées  que  par  l'effet  de  la 
colère  des  hommes,  comme  des  témoins  de  Dieu  ; 
il  sait  en  qui  il  croit  ;  il  voit  s'élever  et  tomber 
les  potentats  de  ce  monde,  et  la  ruine  de  leurs 
empires  lui  atteste  la  présence  de  Dieu  ,  et  con*^ 
firme  la  parole  de  Celui  qui  gouverne  les  nations 
delà  terre.  Il  demeure  convaincu  que  la  plus  pré- 
cieuse de  toutes  les  vérités,  que  cet  espoir  qui  ne 
périt  pas,  est  corroboré  par  les  plus  puissants  té- 
moignages ,  et  que  le  ciel  lui-même  a  ratifié  la 
paix  qu'il  a  proclamée.  Il  est  fermement  assuré, 
i(  que  la  prophétie  n'a  point  été  apportée  autrefois 
«  par  la  volonté  humaine  ;  mais  que  les  saints 
«  hommes  de  Dieu ,  étant  poussés  par  le  Saint- 
«  Esprit ,»  ont  parlé  *  ;  et,  bien  qu'il  ignore  par 
quelles  opérations  procède  le  Saint-Esprit,  il  voit 
avec  ses  yeux  la  démonstration  de  sa  puissance, 

(1)  II  Pierre,  1,21, 


S8i  rONCLLSION. 

Le  \rai  croyant  puise  ainsi  dans  les  ëvëne- 
nienls  passés  la  certitude  des  choses  qui  sont  à 
>enir.  11  ne  se  contente  pas  de  savoir  que  la  >ie 
est  en  Jésus-Christ  ;  mais  ayant  obtenu  cette  foi 
précieuse  qui  contient  le  germe  de  l'immortalité, 
et  qui  est  comme  le  gage  de  la  yie  éternelle , 
il  éprouve  déjà  en  son  cœur  le  pouvoir  du  monde 
à  venir  et  joint  la  pratique  de  la  religion  à  la  théo- 
rie de  ses  dogmes.  Non  moins  zélé  que  ceux  qui 
consument  leur  force  à  ce  qui  est  vain  et  péris- 
sable^ et  dont  le  travail  est  sansfruit^il  dirige  ses 
efforts  vers  l'acquisition  d'un  héritage  incorrup- 
tible, car  il  sait  que  son  travail  ne  lui  sera  pas 
inutile,  s'il  s'y  consacre  en  toute  obéissance  à 
cette  parole  qui  est  la  charte  de  son  salut ,  et 
qui  porte  en  caractères  si  éclatants  le  sceau  et  le 
seing  du  Roi  des  Rois. 


FIN, 


^>L^ —    I  .■-.-■■<-.  ■■>  ^-  -  — ,— i-"  '  f 

ÎAiPKJMBRIE  D^A.  RENE 

A  Sèvres^  près  l*ari».