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lisai XaXI/. 11. Jeremie XLIX. 10 E lechiol, XXXV. 3 ,
TIIJIK FIEIISIE B'îSIL ÎTa.2£:E ffi/IE l^ZX ILlàuffiS AU SUIE' ISÏÏJ MÎ^ÏÏMT ffi'S'
VIEW TAKEN FRBMJEL N.'.KÎ .i;:." ;..?,.'-'; Jr ES fiOHTTH OF MOUNT HOR
LES PROPHETIES
£T
LEUR ACCOMPLISSEMENT LITTÉRAL,
TEL qu'il RÉSULTE SURTOUT
?.
DE L HISTOIRE DES PEUPLES
ET DES DÉCOUVERTES DES VOYAGEURS MODERNES
Par LE D^ a. KEITH.
TRADUIT DE l'ANGLAIS SDR LA QUINZIÈME ÉDITION.
Opinionum commenta dies delet, naturae judicia confirmât. Cicero.
PARIS,
CHEZ J.-J. RISLER, LIBRAIRE,
BUE BASSE-DU-REMPAKT, 62,
Boulevard de la Madeleine.
1838
TABLE DES CHAPITRES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
Pages
Introduction. 1
Chap. I. Prophéties concernant Ninive. IT
IL Prophéties concernant Babylone. ^^
III. Prophéties concernant Tyr. 108
IV. Propliéties concernant l'Egypte. 114
V. Les Arabes. 121
VI. Esclavage des Africains. — Colonies euro-
péennes en Asie. 125
Vil. Des prophéties sur la destruction de Jéru-
salem. 129
VIII. Prédictions relatives aux Juifs. 149
IX. Prophéties concernant la Judée et les con-
trées adj acentes . 176
X. Prophéties concernant Ammon. 230
XL Prophéties concernant Moab. 236
XII. Prophéties concernant Édom ou ridumée. 247
XIII. Prophéties concernant la Philistie. 298
XIV. Prophéties concernant le Christ et la reli-
gion chrétienne. 311
XV. Prophéties concernant les sept Églises
d'Asie. 350
Conclusion, 367
rwy
lABLE DES GRAVURES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
Pages
Vue prise d'El Nakb, de six lieues au sud du mont
Hor. ( Frontispice. )
Vue des ruines de Babylone. 84
Vue de Birs Nimrod. - 92
Idem, prise du nord. 94
Vue de Mujélibé. 98
Vue générale de Pétra, prise du nord-est. 268
Intérieur d'un tombeau. 272
Ruines d'un temple. 276
Vue d'une colonne isolée, prise dans Ouadi Mousa. 278
Ruines d'un arc de triomphe. Ibid,
Tombeau avec une inscription latine. 280
Tombeau corinthien. Ibid.
L'ouvrage de M. le docteur Keith sur les Pro-
phéties est déjà connu en France par un abrégé
dont on a publié trois éditions en peu d'années ^
Ce petit volume a été accueilli de la manière la
plus favorable , et nous aimons à penser qu'il n'a
pas été sans quelque utilité ; cependant l'extrême
importance du sujet , l'étendue et la variété des
recherches du pieux et savant auteur, et le grand
nombre de faits intéressants qu'il a recueillis 5
n'ont pu être que très imparfaitement présentés
dans de si étroites limites.
En publiant aujourd'hui l'ouvrage entier, nous
croyons faire une chose agréable à ceux qui dé-
sirent s'enquérir avec plus de soin et de détail
des événements qui ont servi a l'accomplissement
littéral des prophéties, et qui veulent étudier
dans leurs rapports mutuels les livres de l'Écrî-
(1) Les deux premières éditions ont paru sous ce titre : Évidence
des Prophéties^ etc., et la dernière sous celui de Volney attestmiû
l'accomplissement des Prophéties^ aiCr
M
lure-Sain le el lliisloire du gouvernemenl deDieu.
Nous sojumes persuadés aussi que celle traduc-
tion con]]>lète sera bien accueillie par beaucou[»
de cliréUens (pii se féliciteronl de pouvoir mettre
entre les inains des hommes qui se livrent h la
recliercîjc de la vérité ^ de ceux qui sont encore
indécis, et de ceux mêmes qiii se montrent plus
ou moins hosliles au christianisme, quelques-unes
des preuves les plus frappantes de sa divine ori-
gine. Non-seulement ils regarderont cet excellent
ouvrage comme une bonne acquisition pour eux-
mêmes, mais encore ils en favoriseront la circu-
lation de tout leur pouvoir.
Un fait qui en dit plus que tous les éloges, sur
la haute opinion qu'on a en Angleterre du livre
de M. le docteur Keith, c'est qu'il y est déjà ar-
rivé à sa seizième édition, et qu'il s'en est vendu
dans ce pays plus de quarante mille exemplaires,
indépendamment de plusieurs éditions tirées a
grand nombre, qu'on a publiées aux États-Unis.
L'édition abrégée a en outre été imprimée, non-
seulement en anglais et en français, mcâs aussi eu
allemand et en italien.
La traduction complète que nous en publions
aujourd'hui a été faite sur la quinzièiiie édition
de l'ouvrage original. Ce volume est e:inchi d'un
assez grand nombre de planches. M. Léon de La»^
borde a bien voulu permettre à réditeur de faire
copier plusieurs de celles que renferme son utile
— vii —
et magïîifique ouvrage sur FArabie-Pétrée. Elles
aideront beaucoup à comprendre les descriptions
de cette contrer^ . dont les prophètes ont prédit
ce qucp de nos jours^ les voyageurs en racontent.
Nous croyons pouvoir ap[)liquer à cette tra-
duction les premtferes lignée de la préface que le
modeste auteur a mise en tête de la première édi
tion de son livre : « Nous offrons ces pages au
« public 5 lans Fespérancc que peut-être elles ne
« seront pas sans produire quelque bien. »
INTRODUCTION.
11 n'est point de sujet d'étude plus important
pour le chrétien 5 pour l'incrédule lui-même,
qu'une recherche sincère des preuves du chris-
tianisme. En effet 5 si l'incrédule est de bonne foi ,
s'il n'a d'autre but que la connaissance de la vé-
rité , comment pourrait-il contester l'obligation
où il est d'examiner à fond les prétentions du
christianisme k une origine divine? Comment
pourrait-il se complaire , se reposer tranquille-
ment dans son incrédulité 5 sans courir le danger
de la plus fatale de toutes les erreurs ^ s'il n'a pas
auparavant pesé les arguments que Ton produit
en faveur de cette religion qu'il repousse ? —
Fournir la preuve d'une proposition négative est,
on le sait ^ chose difficile ; et cette preuve n'est
d'ailleurs admissible en aucun cas ^ si avant tout
on n'a complètement anéanti les preuves de la
proposition affirmative. C'est donc ce qu'on est
tenu de faire avant d'entreprendre de prouver la
fausseté du christianisme. Sans ce premier exa-
men, et si l'on n'y a apporté tout le soin et toute
la bonne foi quai exige, rien ne garantit que tou-
tes les assertions gratuites, toutes les inductions
d'analogie, tous les raisonnements hypothétiques
qui paraissent militer contre la vérité de la reli-
gion ne soient complètement erronés; et quand
même ils tendraient à exciter quelques doutes
passagers, toujours est41 qu'ils ne peuvent jqs-
i
2 IMKODIICTIOIV.
liiier unv inciédulilé arrêtée. Unis à une vue
fausse el, bornée de la nature j éelle de la relif^ion
elirétienne, ils jîeuvent opérer une sorte de
eonvielion; mais cette conviction n'(^st lii consé-
quente ni rationnelle: cen'estcju'uncî a])j)lication
vicieuse de ce qu'on appelle la liberté de jjcnser.
l.e christianisme, loin de décliner l'autorité de la
raison , ne demande qu'a lui soumettre ses doc-
trines; il sollicite, il commande la critique la
plus sévère, et si l'incrédule est fidèle à ses
propres principes , cette critique devient pour lui
un devoir auquel il ne peut se soustraire; s'il se
sent ferme dans son incrédulité , pourquoi recu-
lerait«il devant la nécessité de cet examen? Si la
vérité est son but , pourquoi repousserait-il les
moyens d'y arriver? Ce défi , la religion ne craint
pas de le porter à ses adversaires; quiconque le
refuse ou cherche à l'esquiver ne peut se donner
ni pour un champion de l'incrédulité, ni pour un
ami de la vérité et de la sagesse.
Quant au chrétien , ce sujet n'a pour lui ni
moins d'importance ni moins d'intérêt. L'apathie
qui se remarque aujourd'hui chez tant de chré-
tiens de nom est souyent mise en parallèle avec
le zèle et la ferveur de ceux qui les premiers se
soumirent a la foi. L'influence morale de la reli-
gion chrétienne n'est ni ce qu'elle a été ni ce
<ju'elle devrait être. A quoi attribuer cette dn^'fë-
rence dans les dispositions de ceux qui en font
profession, si ce n'est, en grande partie, à une im-
pression plus faible , à une conviction moins vive
de sa vérité? Les premiers convertis, ceux €|ui
avaient été témoins des miracles du Seigneur et
de ses apôtres, qui avaient entendu de leurs
bouches mêmes les doctrines divines , ceux aussi
qui en avaient reçu la tradition immédiate des pre-
miers 5 et qui pouvaient comparer eux-mêmes les
INTRODUCTION. 3
ténèbres morales dont ils sortaient avec la lu-
mière merveilleuse de rÉvangile , fondaient leur
foi sur révidence; ils sentaient en eux la plus
ferme conviction de la vérité; leurs ennemis
mêmes rendaient témoignage à leurs vertus ; ils
vivaient et mouraient dans cette espérance de
l'immortalité , dans cette certitude d'une vie fu-
ture que leur inspirait la nouvelle religion. Entre
cet état de choses et ce qui se passe aujourd'hui
sous nos yeux ^ la différence n'est malheureuse-
ment que trop frappante. En général, la manière
dont vivent ceux qui se disent chrétiens^ non-seu-
lement a cessé d'être une confirmation de la vé-
rité du christianisme , mais encore fournit des
armes aux incrédules qui l'attaquent. La religion
et la nature humaine ne sont pas autres qu'elles
n'étaient quand , pour la première fois , des hom-
mes prirent le titre de chrétiens , et dans un temps
où ceux qui croyaient en Christ ne déshonoraient
pas son nom ; mais alors on avait bien plus qu'une
croyance passive ^ bien plus qu'une croyance in-
différente à tout examen ; on savait en qui l'on
croyait, on sentait le pouvoir vivifiant de chacune
des vérités dont on faisait profession. La même
cause produirait encore aujourd'hui les mêmes
effets; de la même foi, établie sur la raison et sur
la conviction, résulteraient encore la même paix,
la même joie et tous les autres fruits qui l'accom-
pagnent. Employer tous les moyens propres à
effacer cette distinction entre une foi purement
extérieure et une foi réelle, c'est là un devoir pour
tous ceux qui font profession de croire à l'Evan-
gile; ils doivent chercher, examiner , « éprouver
« toutes choses et se tenir à ce qui est bon , »
et , selon l'avis de Pierre l'apôtre , « être tou-
« jours prêts à répondre à tous ceux qui leur
«demandent raison de l'espérance qu'ils ont.»
4 INTUODUCTION.
IN)ur le clirétien sincere, ce doit toujours e^re
un objet de la plus haute importance (jue d'ap-
prolbndir les niotils de ses saintes espérances;
plus il les étudiera, plus il s'affermira dans sa
croyance. L'instruction est le fruit des efforts de
Tesprit, l'aliment et le festin de l'âme. Dans
tout ce qui tend à l'instruction , plus la matière
des recherches auxquelles on se livre est d'un
ordre élevé, plus l'intérêt doit être profond,
plus on doit apporter d'ardeur dans ses investi-
gations, plus enfin la vérité qu'on découvre doit
sembler d'un prix infini. Donc un genre d'instruc-
tion qui se rapporte immédiatement à l'intérêt de
notre âme, qui tend à rehausser notre nature mo-
rale , à agrandir la sphère des idées religieuses
de l'homme, qui appartient a l'éternité; une in-
struction qui ne conduit pas seulement à la con-
templation des œuvres du grand Architecte de
Tunivers , mais qui conduit aussi à la découverte
d'une révélation irréfragable de sa volonté et
des moyens de lui plaire, ah !' sans doute , c'est
là « un trésor qu'un homme a trouvé dans un
« champ , et qui vend tout ce qu'il a pour s'en
(( rendre maître. »
Oui , c'est un véritable délice que de voir tous
les doutes s'évanouir devant la démonstration
positive de la vérité du christianisme ; de sentir
au-dedans de soi cette conviction de sa certitude
qu'il n'est pas au pouvoir de l'incrédulité d inspi-
rer a ses adeptes; et d'embrasser, par rapport à
la foi, cette assurance qui, tant pour les espé-
rances qui l'accompagnent que pour les preuves
sur lesquelles elle s'appuie, est si supérieure à
l'inc[uiétude continuelle et aux doutes désolants
de l'incrédulité. Loin d'être un pur préjugé de
l'éducation, que la plus légère attaque peut af-
faiblir , la croyance ainsi fondée sur la raison est
INTRODUCTION. 5
désormais fixe et inébranlable; tous les sar-
casmes des railleurs, toutes les objections des
incrédules glissent alors sur l'âme; ils reflleu-
rent à peine , ils y laissent aussi peu de trace que
l'écume de la yague sur le rocher qui brise son
impuissant courroux.
En offrant au lecteur quelques remarques pré-
liminaires ayant d'aborder plus particulièrement
le sujet des prophéties , on ne saurait dire que
peu de chose sur I'eyidence si étendue et si variée
de la divinité du christianisme. Nous serions
fâchés que l'on put croire qu'en faisant choix
d'une portion quelconque de cette évidence,
nous voulussions affaiblir en rien le reste. Les
moyens d'une conviction positive sont très abon-
dants : Newton , Bacon , et Locke , qui sont tous
arrivés au plus haut degré de certitude dans la
science humaine , et qui y sont tous arrivés par
des routes jusqu'alors inconnues , ont pu trouver
dans le christianisme de quoi satisfaire complè-
tement aux besoins de leur intelligence. Il est
impossible de rendre l'évidence intérieure plus
forte. Dans les Actes des Apôtres on trouve à cha-
que pas des coïncidences qui, n'ayant point été
préparées à dessein, deviennent autant de preu-
ves de l'authenticité des faits que ce livre raconte.
Est-on jamais parvenu à enseigner une morale
plus pure , des préceptes plus saints , à offrir des
motifs plus puissants que ceux que l'Evangile
propose au cœur de l'homme ? A-t-il jamais paru
un système de religion qui lui soit comparable ?
Pourrait-on même en concevoir un qui fut mieux
adapté aux besoins et à la nature d'un être dé-
chu et coupable , et qui cependant est doué d'une
raison et de facultés qui le rendent capable de
comprendre et d'embrasser une religion divine?
Ensuite les miracles que l'Evangile raconte sont
<> IMHODl'CriON.
(le natmo à exclure lonle idée de fraude (mi (Tar-
tilice : faits en |>rés(Mice d'une niullilude de \h}\-
sonnes,ils |)rouvaient en niènu^ leni|)s la eoin-
passion d'uïi Sauveui* et la puissance d'un Dieu ;
il était impossible que les disciples du Cliiist
fussent tr()nij)és: cux-niémes ils reçurent le don
des lanf^ues, le don de prophétie, et le pouvoir
d'opérer des miracles; toute leur carrière fut
consacrée k la propagation du christianisme , quoi-
qu'en opposition k tous leurs intérêts humains ; et
malgré toutes les souffrances auxquelles leurs
efforts les exposaient, la religion chrétienne se
répandit avec rapidité sur toute la surface de
l'empire romain et même au-delk de ses limites.
Nous possédons encore le témoignage écrit de
plusieurs de ceux qui , d'abord prosélytes de ces
doctrines, devinrent plus tard les martyrs de
leur foi; et les ennemis les plus acharnés de
l'Evangile, obligés d'admettre l'existence des mi-
racles , pour être d'accord avec eux-mêmes , les
attribuent a l'influence des esprits malins. Cepen-
dant on méprise toutes ces preuves ; on les
rejette parceque des siècles se sont écoulés , et
parceque leur témoignage vient k l'appui de
faits miraculeux. Il est vrai que l'on a répondu k
toutes ces objections générales faites contre le
christianisme ; toutefois , on peut encore les citer
comme servant de confirmation aux preuves
fournies par l'accomplissement des prophéties.
L'accomplissement des paroles prophétiques
offre cette évidence que les ennemis du christia-
nisme demandent; évidence qui s'applique au
temps présent, qui ne dépend du témoignage
de personne , qui est k la portée de tout esprit
sérieux ou investigateur. Les événements passés,
présents , futurs , se réunissent pour attester sa
vérité ; chaque siècle semble lui apporter le tribut
INTRODUCTION. 7
(le son éclataiit témoignage et ne servir qu'à
l'asseoir sur des bases plus larges et plus solides.
Ainsi^ en même temps que l'on résistait à la force
de révidence intérieure du christianisme et que
Ton rejetait une conviction fondée sur la foi aux
miracles, on laissait de côté, et même sans exa-
men, les prophéties, comme étant d'une nature
trop vague pour pouvoir trouver leur application
soit à l'histoire ancienne, soit à l'histoire moderne.
Pourtant un rapide coup d'œil jeté sur les pro-
phéties de l'Ancien et du Nouveau Testament
suffira tout d'abord pour réfuter cette conclusion
tirée avec tant de légèreté. Vues k part , quel-
ques-unes des prophéties peuvent, il est vrai,
paraître obscures ; mais dès qu'on les envisage
toutes comme un ensemble , le lecteur le plus
indifférent ne peut qu'être frappé de l'harmonie
qui existe entre elles , et de leur complète adapta-
tion aux faits qu'elles annoncent; et il lui faudra
bientôt reconnaître qu'elles portent l'empreinte
de l'Esprit divin qui les a dictées.
Plusieurs prophéties sont aussi positives et aussi
directes qu'il est possible de l'être. En sorte
que, si l'histoire rend témoignage de leur accom-
plissement, de leur côté, elles viennent souvent
lui servir de commentaire, comme nous le verrons
dans la suite de cet ouvrage. Si la partie proplié-
tique des Ecritures qui se rapporte aux commen-
cements et aux chutes des empires avait été plus
claire qu'elle ne l'est, on aurait pu craindre son
influence sur le libre arbitre de l'homme; elle
serait ainsi devenue un instrument entre les mains
des gens pervers, tandis que les peuples n'auraient
vu dans les prédictions qu'elle renferme qu'une
simple communication des événements futurs. Au
lieu donc de servir d'appui au christianisme, les
prophéties, par l'unité qu'elles auraient donnée
8 INTRODUCTION.
aux efforts dos chrétiens , auraient été rcf^arclées
comme la cause même de l'accomplissement des
fails (jn'elle annonçaient. L'incrédule aurait pos-
sédé par cela même une arme puissante contre» le
cliristianisme.
Ce n'est donc que dans des cas où un pareil abus
est impossible^ ou bien dans ceux où les agents de
l'accomplissement de la prédiction doivent en
ignorer l'existence, que le prophète emploie un
langage aussi clair et aussi positif que celui de
l'historien. Partout où la connaissance des événe-
ments futurs aurait pu être préjudiciable à la puis.
et au bonheur du monde, la prophétie prend la
forme d'une allégorie, qui ne saurait être expli-
quée que par son accomplissement; ce n'est qu'a-
lors que l'on parvient à saisir toutes les nuances,
tous les points lumineux, toutes les ombres du ta-
bleau. Il est donc nécessaire que dans bien des
occasions la prophétie soit d'abord entourée de
mystère et de ténèbres , tout en portant en elle-
même la lumière qui doit tôt ou tard dissiper tous
les doutes ; et de même que la prophétie ne sau-
rait devenir une évidence de la divinité du chris-
tianisme avant que l'événement en ait prouvé
l'accomplissement, de même elle peut rester ob-
scure jusqu'à ce que l'histoire en devienne l'in-
terprète , et même jusqu'à ce que toutes les pré-
dictions qui s'y rattachent aient été également
accomplies.
Nous nous contenterons, dans les pages suivan-
tes, de réfuter l'objection générale et presque la
seule que l'on avance contre l'évidence fournie
par les prophéties , savoir qu'elles sont vagues et
d'un sens ambigu. Nous ne saurions mieux y répon-
dre qu'en présentant au lecteur une simple analyse
des prédictions si précises , si nombreuses , qui
ont déjà reçu un accomplissement littéral.
!?iitRODUCïION. y
Peu de mots suffiraient pour exjposer la nature
de l'évidence fournie par les prophéties. On ne
saurait nier que leur origine ne soit divine. Elles
équivalent à un miracle puisqu'elles sont en elles-
mêmes miraculeuses. L'un des attributs les plus
incompréhensibles de la Divinité consiste dans sa
connaissance des actions futures d'êtres libres et
intelligents; cet attribut est exclusivement une
perfection divine. Le passé, le présent , l'avenir,
sont également visibles pour l'œil de Dieu; sa vue
si3ule peut les sonder , et on ne trouverait nulle
part une preuve plus frappante de l'intervention
du Très-Haut que celles que fournissent les pro-
phéties. Aucun attribut de la nature divine n'a
autant confondu toutes les conceptions humaines
que celui de sa prescience; et c'est cette perfec-
tion même que Dieu a fait connaître a l'homme
lorsqu'il lui a révélé ce qu'un être infini pouvait
seul concevoir. Comment refuser de voir dans cette
révélation le cachet de sa vérité, cachet qu'aucun
mortel ne saurait imprimer ni à ses propres œuvres
ni aux œuvres divines ? Il s'agit donc d'examiner
si cette évidence existe, et, si on le prouve, alors
il faut admettre Taction d'une puissance sur-
humaine. La vérité de ce qu'elle avance ne sau-
rait plus être révoquée en doute. Si l'on peut
prouver que les prophéties sont véritables ^ si
elles sont de nature à exclure toute participation
de l'esprit humain , si les événements qu'elles
ont prédits, des centaines et des milliers d'an-
nées avant leur accomplissement , font partie
maintenant de l'histoire des nations, si l'histoire
elle-même est d'accord avec les prédictions,
alors révidence fournie par les prophéties doit
être un miracle permanent pour les hommes de
tousles siècles; et si ces mêmes hommes ne veu-
lent pas croire à Moïse et aux prophètes, « ils ne
JO INTHODl ClION.
seraient pas non ])1ns persuades (piand niénuî quel-
(ju'un (les iuorls ressuscîiUuail ; » ear si quelcpi'un
ressuseilait (l'enlre les nioils, il faudrait prouver
le fait avant d'en admettre la eonvietion ; et si l'es-
prit est eonvaincu de la vérité des prophéties, le
résultat, dans les deux cas, sera le même. — La
voix de la toute-puissance pourrait seule faire
sortir un mort du tombeau; la voix de la toute-
puissance pouvait seule révéler tout ce qui était
caché dans un avenir plus impénétrable à l'œil de
l'homme que les secrets de la tombe. Cette voi^^
toute-puissante ne peut être que celle de Dieu !
Il y a d'abondantes preuves de l'antiquité des
Ecritures. Les livres de l'Ancien Testament ne
sont pas comme d'autres écrits, des efforts isolés
du génie et des recherches individuelles, ni même
de simples sujets d'amusement ou d'instruction.
Ils formaient une partie essentielle de la consti-
tution de la nation juive. Le caractère particulier
de ce peuple provenait en grande partie de la
possession de ces écrits; ils renfermaient son code
civil et moral, son histoire aussi bien que les pro-
phéties, dont ils étaient les dépositaires et les
conservateurs. Les Juifs rega^rdaient ces écrits
comme d'origine divine , et c'est a ce titre qu'ils
furent publiés et conservés. Il y a déjà dix-huit
siècles que leur antiquité a été reconnue *. On les
traduisit en grec 250 ans avant l'ère chrétienne,
et l'on en faisait une lecture publique, chaque jour
de sabbat, dans les synagogues. Les livres les plus
anciens étaient regardés comme divinement inspi-
rés par les Samaritains qui, malgré leur inimitié
contre les Juifs, les firent conserver dans leur
langue particulière. Aucun écrit humain n'a été
gardé avec un soin aussi scrupuleux, et on a
(1) Josèphe, c. Apion,
INTRODUCTION. î l
veillé avec exactitude à ce que ces ivres ne su-
bissent aucune altération*. Les arguments ne re-
posent plus ici sur le témoignage des chrétiens;
car ce sont les ennemis du christianisme qui vien-
nent confirmer ces titres à Tauthenticité et four-
nir des évidences à notre foi. La langue même dans
laquelle les livres de l'Ancien Testament avaient
été écrits n'était plus en usage lors de la venue
du Christ. Il serait impossible d'avancer des preu-
ves plus fortes en faveur de leur antiquité ^ que
celles dont la vérité est inattaquable. Si on les
rejette, alors il faut également rejeter l'authen-
ticité de l'histoireancienne tout entière.
L'état actuel du monde prouve à lui seul que
les prédictions ont été faites longtemps avant les
événementsqu'elles annonçaient; il en reste même
encore plusieurs à accomplir. Mais, indépendam-
ment de ce témoignage extérieur, les prophéties
portent en elles-mêmes l'empreinte de l'antiquité
et de la véracité. Quelquefois une longue suite de
prophètes prédisent le même événement; parfois
une prophétie relative à une ville ou à une nation
ne s'accomplit que lentement, graduellement, de
manière à ne faire connaître que par degrés la
vérité de la prédiction. En général, les prophé-
ties sont une partie si importante de Hiistoire
juive, elles ne s'appliquent que d'une manière si
secondaire aux autres nations, leur but est si sou-
vent caché à celui même qui est l'organe de leur
(1) Il y a d'abondantes preuves du soin scrupuleux avec lequel
les Juifs conservaient le texte sacré ; ils ont été même jusqu'à
compter les grandes et petites sections, îes versets, les mots et
même les lettres de quelques-uns des livres. Ils ont également
trouvé quelle est la lellre qui se trouve au milieu du Pentateuque,
quel est le milieu de chaque livre et combien de fois chaque lettre
de l'alphabet se trouve dans les livres sacrés des Juifs. Ceci nous
prouve bien combien les Juifs tenaient au sens littéral de rEcriture,
{Le Judaïsme moderne, par Allen. — Simon, HisU cnt,^ 6, 26.J
12 INTRODICTION.
coiumuiiicalioii, elles conservent partout un (îa-
raetère si unilbiine tout en eni[)l()yant une si
{grande variété de dessin et de style, elles sont si
éloignées d'adopter aucune formule arrêtée, et
elles sont parfois tellement ensevelies sous les
types et les syiuboles, elles se lient en apparence si
peu entre elles , qu'il suffit de les examiner
pour se convaincre qu'il n'y a aucune fraude
dans la manière dont elles ont été annoncées. Si
elles n'étaient que des inventions et des rêveries
de l'homme , rien ne serait plus facile que d'en
découvrir l'artifice; si elles ne le sont pas , alors
il est impossible qu'elles soient autre chose qu'une
conception divine.
Ainsi donc, si l'on ne peut prouver cjue les
prophéties soient des écrits humains, n'ayant
aucun titre à l'inspiration, ne pouvant suppor-
ter un examen approfondi , et n'ayant véritable-
ment aucun rapport à l'avenir, il faut nécessaire-
ment admettre comme unique alternative que ces
prédictions, renfermant des détails si minutieux
et une représentation si exacte d'événements en-
core éloignés , ne peuvent être que l'œuvre de
celui qui connaît « la fin dèsle commencement, » et
que c'est lui qui a bien voulu les révéler a l'homme.
Ah ! il faut que celui-là ait volontairement endurci
son cœur et aveuglé ses yeux, qui ne trouve pas
dans ces écrits tous les caractères de la vérité, et
qui ne voit pas briller sur chaque page la lumière
du ciel !
Remarquons encore ici que, dans bien des
circonstances particulières, les prophètes, pour
justifier aux yeux de leurs contemporains leurs
prétentions à l'inspiration, s'en référaient à des
événements prochains, qu'ils prenaient comme
symboles ou comme représentations de quelque
événement plus éloigné et plus important. C'était
INTRODUCTION. 13
ainsi que, dans leur siècle même, ils se faisaient
distinguer des faux prophètes et qu'ils semblaient
prouver leur droit de soulever d'une main hardie
le voile qui couvrait l'avenir du genre humain ;
alors ils annonçaient avec autorité la venue d'un
puissant Rédempteur , ils déclaraient la chute et
la désolation des nations et des villes encore au
faîte de leur grandeur, et toutes leurs prédictions
étaient de nature à être réalisées ou démenties
par les siècles futurs.
La religion mérite un candide examen, et c'est
tout ce qu'elle demande. L'accomplissement des
prophéties forme un anneau dans la chaîne des
preuves du christianisme; et chacun doit se de-
mander : Les prophéties de l'Ecriture sont-elles
fausses ou sont-elles véritables? L'événement a-t-il
démontré leur fausseté ? Ont-elles leur source
dans l'imagination de quelque imposteur, ou ont-
elles les caractères d'une révélation divine? — ^11
suffit d'un examen patient et impartial pour ré-
pondre à ces questions. Nous en appelons simple-
ment à la raison, et il ne s'agit ici que d'une foi
qui découle naturellement d'une conviction spon-
tanée. Celui qui ne veut pas entreprendre cet
examen, celui qui ne veut pas se laisser convain-
cre, non-seulement est d'une complète indiffé-
rence pour son propre salut , mais n'a pas même
droit au titre dont il s'enorgueillit le plus, celui
de franc penseur; il n'est qu'un hypocrite d'in-
crédulité , il se refuse à croire la vérité parce-
qu'elle est la vérité.
On ne peut nier qu'un changement merveil-
leux ne se soit opéré dans l'état politique et reli-
gieux du monde depuis l'époque des prophéties.
Un système de religion essentiellement différent
de tous ceux qui existaient alors a pris nais-
sance dans la Judée, et s'est répandu dans toutes
14 iNTRODDCTlON.
les parlirs du monde civilisé. Beaucoup de cir-
constances renian{ual)les accoinpa^nc^nt son ori-
ç;i\w et ses jiroji^rès. L'histoire de la vie (4 du ca-
ractère de son fondateui\, telle ([«relie fut écrite
de son temps et re(M)nnue véridicjue par ses dis-
ciples^ est tellement sans exemple dans les an-
nales du genre humain qu'elle a souvent obtenu
les suffrages et excité l'admiration des incrédules
eux-mêmes; l'un d'entre eux demande s'il est
possible que le saint personnage dont les Ecri-
tures renferment l'histoire soit simplement un
homme, et il reconnaît que l'inventeur de l'Evan-
gile serait plus étonnant que le héros* ! Ce Jésus
cependant ne possédait aucun pouvoir tempo-
rel ; il enseignait toutes les vertus, sa vie était sans
tache et parfaite comme sa doctrine , et il mou-
rut de la mort d'un criminel. Sa religion se pro-
pagea avec rapidité, et l'on persécuta ses disciples;
mais leur cause ne prévalut pas moins. Sa doc-
trine se conserva pendant quelque temps dans sa
primitive pureté; et quoique peu à peu la corrup-
tion se soit glissée dans ses institutions, cependant
le christianisme a amené d'immenses améliora-
tions. Depuis son établissement le culte des idoles
a cessé , les sacrifices ont été abolis , et le sang
des victimes humaines ne coule plus. L'esclavage
est maintenant inconnu dans tous les états chré-
tiens de l'Europe. La science s'est répandue;
des nations entières ont été civilisées; la religion
chrétienne a pris un vaste développement; cha-
que année elle étend davantage son influence; et
les Juifs, chez qui elle prit naissance, continuent,
comme jadis , à ne pas reconnaître sa divine
origme.
Quant aux changements politiques et aux ré-
(1) Rousseau, Emile, \i\^ IV.
ÎÎSTRODUCTION. 16
volutions qui se sont effectués dans différents
royaumes depuis l'époque des prophéties , il est
facile de les constater : Jérusalem a été dévastée
et détruite par les Romains ; la Palestine^ autre-
fois si florissante et si peuplée, ne possède mainte-
nant que peu d'habitants, et ses conquérants Font
réduite en désolation ; les Juifs ont été dispersés
parmi les nations, mais ils conservent leur carac-
tère distinctif ; TEgypte , jadis une des plus puis-
santes nations de la terre, a cessé d'être un
royaume ; Ninive n'existe plus ; Babylone est en
ruine ; l'empire perse a succédé à l'empire de Ba-
bylone; l'empire grec a succédé à celui de Perse,
Rome à la Grèce; l'ancien empire romain a été par-
tagé en plusieurs royaumes ; Rome elle-même est
devenue le siège d'un gouvernement bien différent
de tous ceux qui jusqu'alors avaient existé dans
le monde. La doctrine de l'Évangile a été trans-
formée en un système de tyrannie spirituelle et est
devenue l'instrument d'un immense pouvoir sécu-
lier. L'autorité du pape a été reconnue comme su-
prême en Europe pendant plusieurs siècles. Les
infidèles se sont emparés tout-à-coup d'une grande
puissance. Ils ont subjugué une partie de l'Asie
et de l'Europe, et la chrétienté même n'a pas été
à l'abri de leurs incursions. Les Arabes conservent
leur caractère guerrier et indépendant, et demeu-
rent en possession des contrées qui leur ont ap-
partenu dès l'origine. Les Africains, race faible ,
sont encore esclaves. L'Europe a fondé des colo-
nies en Asie. L'empire turc avait acquis une
grande extension; pendant plusieurs siècles sa
puissance n'a fait que croître, mais tout-à-coup ses
progrès ont été arrêtés , son déclin a commencé ,
et il semble maintenant près de sa ruine. '
Voilà les faits les plus remarquables de l'his-
toire du monde, depuis le temps des prophètes.
16 INTKODllCTION.
Les propliélies les annoncent Ions vl cliaenn en
partienlier. N'en devons-nons pas Iianlinient con-
clnre (jne cette révélation n'a pn être fait(^ que
l)ar le gouverneur supreme de toutes les nations
de la terre , et rpie dans cette révélation nous
possédons un témoignage plus qu'humain de la
divinité du christianisme?
Dans l'ouvrage suivant nous avons essayé de
rassembler toutes les prophéties clairement énon-
cées et qui ont reçu un accomplissement littéral;
nous croyons qu'elles suffiront à établir la divinité
du christianisme. Ah ! si un seul incrédule se
trouve entraîné à faire le premier pas vers un
examen approfondi et sincère de la vérité , si un
seul esprit voit ses doutes se dissiper ^ si un seul
chrétien se sent fortifié dans ses espérances et
dans ses convictions, si un seul cœur abattu puise
dans cet écrit un faible rayon de consolation et
de joie, si un seul grain est ajouté à la masse d'é-
vidence que la religion de Jésus peut produire
en sa faveur , alors , certes , Fauteur de ce petit
ouvrage aura reçu sa récompense , il n'aura pas
travaillé en vain !
EVIDENCE
DES PROPHETIES.
CHAPITRE r\
PROPHETIES CONCERNANT NINIVE.
Après avoir retracé en peu de mots la création
du monde anté-diiuvien et la dispersion du genre
humain après le déluge ^ TAncien -Testament
passe à l'histoire des Hébreux ^ embrassant un
espace de quinze cents ans depuis les jours d'A-
braham jusqu'à l'ère des derniers prophètes.
Ainsi la partie historique des Ecritures nous offre
l'histoire du monde à partir de son origine ^ et
les prophètes nous donnent une vue anticipée des
événements à venir^ qui nous conduit jusqu'à sa
fin. Et une chose bien digne de remarque ^ c'est
que l'histoire profane ne devient claire et authen-
tique que vers l'époque même où se termine
l'histoire sacrée ^ et où commencent à s'accomplir
ces prophéties qui se rapportent à plusieurs
nations autres que les Juifs.
Ninive, capitale de l'empire d'Assyrie ^ fut pen-
dant une longue suite de siècles une grande et
1^> PROPHliriES CH. I.
|)opiil(M!so cifv»; ses iiniraillos, scion (jnclciiies
iiisloricMis i)n)ram\s, avaicMit 100 pieds do haul et,
^)0,000 de eircnit; elles étaicMit llaiHiuees de
l,o00 tours, dont cliaeinie avait 200 [)ieds d'é-
lévation. 11 ])arait(|ue, quoiqu'elle fut le sujet
de quelques-unes des premières prophéties, et
quoique ce fût elle qui subit la première le sort
prédit, cependant un historien profane, en racon-
tant sa prise et sa destruction , fait de fréquentes
allusions à une ancienne prophétie qui y avait
rapi)ort. Diodore de Sicile rapporte que le roi
d'Assyrie, après la défaite de son armée, seconlia
en une vieille prédiction qui disait que Ninive ne
serait prise que lorsque la rivière deviendrait
Tennemi de la ville*, et qu'après un siège inutile
de deux ans la rivière, grossie par des pluies
continuelles, inonda la ville, renversa une partie
de la muraille et ouvrit un chemin à l'ennemi ,
et qu'alors le roi, désespéré et ne doutant plus de
l'accomplissement de la prédiction , fit élever un
immense bûcher , y mit le feu'ainsi qu'à son pa-
lais , et fut consumé , lui , toute sa maison et
toutes ses richesses ^ Le livre de Nahum conte-
nait des prophéties très claires relatives à la
destruction de Ninive, et il y est écrit : « Les
« portes des fleuves sont ouvertes, et le palais
« s'est fondu. » — «Ninive a été comme un vivier
« d'eau. )) — c( Il s'en va passer comme un débor-
« dement d'eau , il réduira son lieu à néant^ »
Le même historien rapporte encore des faits
qui prouvent l'entier accomplissement des autres
paroles du prophète. Il raconte que le roi d'As-
syrie, orgueilleux de ses précédentes victoires,
et ignorant la révolte des Bactriens , s'était aban-
(1) Diod. Sic, liv. II, p. 82, 83. Edit. Wessel, 1793.
(2) Ibid. II, 8/{.
(3) Nahum, I, 8; 11^ 6, 8. — Voir les Disserf niions de Tévêque
CH. I. CONCERNANT NINIVE. 19
donné à la plus honteuse inertie, qu'il ayait or-
donné une réjouissance publique , et qu'il avait
fait distribuer aux soldats du yin en grande abon-
dance; que, pendant la fête même , le général
Newton. Niiiive, qui la première emmena Israël en captivité, fut
aussi la première des villes des gentils qui vit s'accomplir le sort que
les prophètes lui avaient prédit. Les prophéties qui touchent Ninive
sont toutes renfermées dans le livre si succinct de Nahum et dans
trois versets de Sophonie. Leur entier accomplissement était un
fait trop remarquable pour passer inaperçu par les contemporains
des premiers temps de notre ère. Josèphe, après une courte descrip-
tion du règne de Jotl am, rapporte que « dans ce temps vivait un
proph:te nommé Nahum qui avait prédit la désolation de Ninive en
ces mots : Ninive sera comme un vivier d'eau, etc. ( II, 8, 13.) ; et
il ajoute que le prophète avait également prédit diverses autres
choses qu'il croit inutile d'indiquer et qui toutes s'étaient accom-
plies après l'espace de 115 ans «(Ant. liv. IX, ch xi, §3). Jérôme
(A. D. 392), dans sa préface au livre de Jonas, rapporte que cette
chute est constatée à la fois par des auteurs hébreux et par des his-
toriens grecs (t. VI, c. 399, 390, édit. Venet., 1768). Et dans
son commentaire sur Nahum, il revient à chaque instant sur la
prise et le sac de cette ville par les Chaldéens ou les Babyloniens
(Ibid., c. 534,555, etc.). C'est ainsi que Cyrile d'Alexandrie
(A. D. 412), dans son commentaire sur la même prophétie, com-
mentaire cité par Bochart , non-seulement décrit la destruction de
Ninive, mais nous en peint l'entière désolation en traits aussi
énergiques que ceux de Lucien. Sans faire mention de plusieurs
autres auteurs postérieurs à ceux-ci et qui traitèrent également
ce sujet, Bochart, Marsham et Poole, au dix-septième siCcle,
s'appuyèrent du témoignage de Diodore de Sicile , qui est depuis
longtemps la seule autorité que l'on invoque sous ce rapport,
bien que Strabon, Tacite, Pline, etc. soient entrés dans les mânes
détails que lui au sujet de la magnificence de Ninive et de sa des-
truction. Les auteurs du dernier siècle qui se sont occupés de la
chute de Ninive et des prophéties de Nahum et de Sophonie, dont
elle est la preuve et le commentaire, sont Prideaux (A. D., 1715)
et Rollin dans son Histoire ancienne (A. D. 1730). L'auteur du
présent ouvrage s'est également servi de VHisioire universelle
(A. D. j 747) et des Dissertations sur les prophéties de l'évêque New-
ton (A. D., 1752). Il renvoie encore le lecteur, comme îl Ta fait dans
les éditions précédentes, à la dernière de ces dissertaions qu'il con-
sidère aussi comme la meilleure. L'édition de Diodore de Sicile, où
l'auteur a puisé les faits et les citations auxquels il a eu recours, fut
publiée 40 ans après le dernier des ouvrages dont on vient de par-
ler. Ces faits sont, comme les prophéties, en petit nombre. Ils ne
tiennent que quelques pages, et elles sont indiquées dans l'index
qtii se trouve dans toutes les éditions de son ouvrage.
20 PllOPlIlhlES CH. I.
tMinonii, averti par des déserteurs, attaqua à
l'iniproviste Taruiée des Assyriens (jui, ayant l)U
avec excès , ne furent plus eu état dcî se défendre ;
il lit passer la [)lu|)art d'entre eux au lildeTépée,
et força les autres à se réfugier dans la ville\
Que dit encore le prophète? «Etant entortillés
« couinie des épines , et ivres comme des gens
« ivres , ils seront entièrement consumés comme
« la paille sèclie^. «Le prophète promet aussi une
grande dépouille à rennemi : « Pillez l'argent ,
«pillez l'or, car il y a un luxe sans bornes, magni-
«fique en tous meubles précieux^ » Et l'historien
assurequ'une quantitéprodigieuse d'or et d'argent
fut emportée à Ecbatane^ Selon Nahum, la ville
devait être réduite en partie par l'eau, et en partie
par le feu ^^ et Diodore rapporte qu'il en fut ainsi.
L'entière destruction et la désolation perpé-
tuelle de Ninive avaient été prédites. « L'Eternel
«réduira son lieu à néant; la détresse n'y retour-
«nera pas une seconde fois, qu'elle soit toute
«vidée et revidée, même toul épuisée. » — « Il
« étendra aussi sa main sur l'Aquilon , et il dé-
« truira l'Assyrie , et mettra Ninive en désolation ,
« en un lieu aride comme un désert. » — «Comment
«a-t-elle été réduite en désert pour être le gîte
« desbêtes^?» Au second siècle, Lucien, originaire
d'une des villes au bord de l'Euphrate, assure
que Ninive avait entièrement disparu, qu'il n'en
restait aucun vestige , et que personne n'en pou-
vait indiquer l'ancien site. Ce témoignage rendu
par Lucien et l'intervalle de plusieurs siècles,
pendant lesquels on ne sut pas même quelle avait
été la position de Ninive, nous font un peu douter
si les ruines d'une ancienne capitale, vis-à-vis de
(4) Diod. Sic, II, p, 81, 84.
(5) Nahum, I, 10. — (6) Ibid., II, 9. — (7) Diod., II, 87.
(8) Nahum, III, 15. —(9) Ibid., I, 8,9; II, 10. —Soph., II, 13, 15.
CH. I. CONCERNANT NINIVE. 21
Mosaic sont bien , comme le pensent des voyageurs
modernes 5 les ruines de Ninive. Probablement
elles sont les restes de la ville qui succéda à Ni-
nive, ou ceux d'une ville persanne du même nom,
que les Persans bâtirent sur les bords du Tigre,
230 ans après le commencement de l'ère chré-
tienne, et que les Sarrazins démolirent en 632 *^
Le prophète Nahum, en comparant l'opulence
et la splendeur de Ninive, à son époque, avec la
ruine qui devait inévitablement fondre sur elle ,
parle ainsi : « Qu'on s'amasse comme les grillons:
« amasse-toi comme les sauterelles. Tu as multi-
« plié tes négociants en plus grand nombre que
« les étoiles des cieux; les grillons s'étant répan-
« dus ont tout ravagé, et ils se sont envolés. Tes
« princes sont comme des sauterelles, et tes ca-
c( pitaines comme de grandes sauterelles qui cam-
c( pent dans les haies au temps de la fraîcheur , et
«qui, lorsque le soleil est levé, s'écartent, de
c< sortie qu'on ne connaît plus le lieu oîi elles ont
« été*\ » Soit que ces paroles signifient que le site
même de Ninive serait inconnu ou incertain ^
soit qu'elles veuillent prédire que chaque vestige
des palais de ses monarques, de la grandeur de
ses princes et de l'opulence de ses négociants
disparaîtrait entièrement , la vérité de la préxlie-
tion, dans les deux interprétations, ne peut être
contestée; l'ignorance que l'on avoue hautement
par rapport à ce quiregardeNinive, et l'oubli dans
lequel elle est restée pendant bien des siècles ,
joints à la pauvreté des renseignements que Ton a
pu obtenir, nous font bien voir que son emplace-
ment même a été longtemps inconnu, et que main-
tenant on peut à peine le distinguer. « Où sont-ils
(10) IVÎarsham, Can. ckroiu^ sect, xvni, p. 600, édit. Francq,
1696.
(11) Nabum, 111,16.
22 MIOPIIÉTIES (Aï, 11.
cesrcMn[)arts do Ninive,(litV()lii(\v.,Ninivo donl le
nom soul suhsisliî h peiiu»? Que dil-on du scmiI en-
droit (|ui porte encore son nom, on (|ni jmisseetre
considéré connue son ancien site? Que dit-on de
tout ce (jui reste d'une des plus f>randes capitah^s
du monde, de la riche métropole de l'Assyrie*^? »
Les principaux monceaux qui subsistent encore
ne ressemblent ni à des briques , ni à des pierres^
mais en beaucoup d'endroits ils sont recouverts
d'herbes , et offrent le même aspect que les restes
de retranchements et de fortihcations des camps
romains. On rencontre de ces ouvrages et de ces
ruines sur une étendue de dix milles ; on les pren-
drait pour les débris d'anciens édifices *\ Ainsi
on ne découvre aucun monument royal, aucune
trace de l'antique splendeur des souverains de
Ninive ; on ne sait pas même oii pouvaient être
ces édifices ; c'est une destruction , une désola-
tion totale. «Elle a été vidée, revidée; et même
«épuisée; » les ruines même ont péri. Telle a été
sa complète désolation c^ et telle est la vérité de la
parole de notre Dieu*\
CHAPITRE IL
PROPHETIES CONCERNANT BABYLONE.
Si jamais il y eut une ville qui semblât devoir
donner un défi à toutes les prophéties qui annon-
çaient sa ruine, c'était la ville de Babylone ; pen-
dant longtemps elle fut une des merveilles du
(12) Ruinesy ch. II , iv.
(13) Voyage de Biicknujliam en Mésopotamie, t. II, p. 49, 51, 52.
(U) Voyez les dissertaiions de Bishop, Newton.
CH. II. CONCERNANT BABYLONE. 23
monde*". Ses murailles semblaient plutôt des for-
tifications naturelles que le résultat des efforts
de rart*^ Le temple de Bélus, haut de 600 pieds ;
ses jardins suspendus ^ dont les terrasses s'éle-
vaient au niveau des murailles; les quais de l'Eu-
phrate; les 100 portes d'airain ^ et le lac artifi-
ciel, dont le circuit était de plus de 100 milles
et la profondeur de 35 pieds au moins; tant de
merveilles réunies sur un seul point offraient les
monuments les plus imposants de la puissance de
^homme*^ Cependant ce fut lorsque Babylone eut
atteint la plénitude de son pouvoir , et 160 ans
avant qu'aucun ennemi eût pénétré dans son en-
ceinte, que, selon le calcul chronologique le plus
exact, la voix de la prophétie vint annoncer hau-
tement le sort inévitable qui l'attendait. Une dé-
(15) Pline, Hist. Naturelle, 1. V, ch. 26.
(46) L'étendue des murs de Babylone était de 840 stades, c'est-à-
dire de 21,000 pas, selon Hérodote; selon Pline et Solinus, de
60 milles romains, distance égale à la précédente; selon Strabon,
de 385 slades ; selon Diodore de Sicile, d'après les témoignages
presque unifor^nes de Stésias et de Glitarque, qui tous les deux
visitèrent Babylone, de 360 à 365 stades; enfin, selon Quinte-Curce,
ces murs avaient 368 stades. La différence presque insignifiante
qui existe entre les calculs des trois derniers auteurs tend à en
corroborer Pexaclitude. Peut-être qu'il se trouvait une erreur dans
le texte d'Hérodote, qu'il devait indiquer 380 au lieu de 480, et
que cette erreur a été copiée par Pline et Solinus. Sa différence en
plus de 20 à 25 milles pourrait alors s'expliquer, soit que les uns
aient compris les fossés dans la circonférence de la ville, soit que
les autres les en aient déduits. Parce moyen on parvient ù faire con-
corder les diverses supputations dont nous venons de parler. Le
major Renne! , estimant le stade à 491 pieds, évalue l'étendue du
m-ur à 34 milles dont 8 et demi de chaque côté.
Les contradictions et les variations dans les calculs faits ôe
la hauteur et de l'épaisseur de ces murs viennent probablemeiit de
ce que ces calculs remontent à des époques différentes. Hérodote
dit qu'ils avaient 200 coudées ou 300 pieds de haut, et 50 coudées
ou 75 pieds de large. Selon Quinte-Curce ils n'en avaient que 150 de
hauteur et 32 de largeur, tandis qu'au dire de Strabon leur hau-
teur n'était que de 75 pieds et leur largeur de 32.
(17) Ilérod., 1. I, ch. clxxviii. — Diod. Sic., Il, p. 226. —
Pline, V, XXVI. — Quinte-Curce, V, iv.
24 HABYLONE. Cil. il.
eadonco proj^iessive la réduisit vn poussière, el
les Ecritures nous marquent dans le [)lus {^rand
détail eliaque |)rogrès de cette décadence et sa
désolation finale et complète. Ce fut lorsqu'une»
inagnilicence sans bornes entourait Bahylone la
superbe que la plume du prophète décrivait Ba-
bylone la détruite dans les termes mêmes que les
voyageurs emploient aujourd'hui. Nous pouvons
suivre la chaîne de ces prophéties depuis le com-
mencement jusqu'à la fin de leur accomplisse-
ment.
L'immense fertilité de la Chaldée, qui conserva
encore le nom de Babylonie jusqu'à l'ère chré-
tienne^', répondait à la grandeur de Babylone.
C'était la plus riche contrée de l'Orient *\ La
Babylonie n'était qu'une vaste étendue de plaines
arrosées et enrichies par l'Euphrate et le Tigre;
de nombreux canaux s'étendaient d'une rivière
à l'autre; l'eau était ainsi distribuée sur tous les
champs par la main de l'homme et par des ma-
chines hydrauliques ^% ce qui-, dans ce doux cli-
mat et sur ce sol fertile ^ occasionnait une ri-
chesse de productions sans égale dans les temps
anciens ou modernes. Hérodote dit qu'il ne sait
comment décrire cette étonnante fertilité, qu'il
fallait en être témoin oculaire pour y ajouter
foi; et quoicjue Grec lui-même, et écrivant dans
la langue d'un pays célèbre par sa richesse ^ il ne
s'attend pas à ce que l'on puisse croire la des-
cription qu'il fait d'après ses observations per-
sonnelles; et selon lui, et selon Strabon et Pline,
les trois meilleures autorités que nous puissions
citer 5 la Babylonie était la contrée la plus riche en
blé, le sol ne produisant jamais moins qu'aux
(18) Strabon, 1. XVI , p. 743.
(19) Jgrinn totius OrieniU fertilissimnm» Pline, Ilist, Naturelle,
1. V, ch. XXV [. — (20) Hérod., I, cuii.
CH. lï. BABYLONE. 25
deux centuples 5 ce qui nous paraît presque in-
croyable; et cependant Strabon, le plus ancien des
géographes , s'accorde avec le père de l'histoire
pour assurer que le sol a même rapporté aux trois
centuples, le grain étant en outre d'une grosseur
prodigieuse^'.
Après avoir été soumis au joug persan , la Chai-
dée fut encore considérée comme un des gou-
vernements les plus importants de l'empire " ;
cette province, non-seulement dut fournir des
chevaux pour le service militaire du royaume,
mais encore dut entretenir 17,000 chevaux
pour l'usage particulier du souverain. Sans par-
ler des subsides mensuels , le tribut que la Chal-
dée payait pour les besoins du roi et de son ar-
mée faisait le timers de tout le revenu du royaume
de Perse , qui s'étendait alors depuis l'Hellespont
jusqu'aux Indes. Hérodote dit en passant qu'il
y avait quatre grandes villes dans le voisinage de
Babylone.
Et telle était la grandeur de la Chaldée qu'une
première conquête ne suffit pas pour la détruire ;
elle survécut même à la destruction de sa capitale,
et lorsque « la gloire des royaumes » eut suc-
combé, une nouvelle capitale succéda à l'autre, et
ne tarda pas à s'élever dans le pays de la Chal-
dée.
La célèbre ville de Séleucie fut fondée et con-
struite par Séleucus Nicanor, roi d'Assyrie, un
des successeurs d'Alexandre-le-Grand , 293 ans
avant Jésus-Christ, et trois siècles après la prédic-
tion faite par Jérémie. Dans le premier siècle de
l'ère chrétienne, elle contenait 600,000 habi-
tants^\ Les rois des Parthes transportèrent le siège
du gouvernement à Ctésiphon, sur la rive opposée
(21)Strabon, XVÎ, p. 742-
(22) Hérod., 1. I, ch. cxcii. — (23) Pline, V, xxvi.
26 BAItVLOiNE. Cil. ir.
du Tii^i'i*^ <'ii liiMMit leur séjour (riiivor, ol celte
ville , ifabord siujple villai^c, devint riche et lloris-
sanle^\ Six siècles après la dernière [)r()j)lièlie ,
la Clialdèe pouvait se vanter de posséder encore
d'autres (grandes villes, telles qu'Artémise et
Sitacène'^". Lors de l'invasion de Julien, dit Gib-
bon , « c'était un pays agréable et fertile , » et au
septième sijècle , sous le règne de Chosroès ,
la Clialdée présentait le plus magnifique tableau.
Sa demeure favorite à Artémise, ou Destagered,
était située au-delà du Tigre 5 soixante milles au
nord de Ctésiplion, la capitale. «Les pâturages
voisins, dit Gibbon, étaient couverts de trou-
peaux; le paradis ou parc abondait en faisans,
en paons , en autruches et daims , et en sangliers
sauvages; et quelquefois même on lâchait des
lions et des tigres pour animer la chasse : on con-
servait 960 éléphants et 12,000 grands chameaux
pour l'usage du roi; 18,000 plus petits servaient
a transporter ses tentes .et ses bagages , et
récurie royale contenait 6,000 chevaux et mu-
lets; 6,000 soldats montaient la garde devant
la porte du palais , et le service des appar-
tements se faisait par 12,000 esclaves. Les
trésors en or, argent, pierreries, soieries, aro-
mates, étaient déposés dans 100 caveaux ^^)>
Dans le huitième siècle, les villes de Samorah,
d'Horounieh et de Djasserik ne formaient, pour
ainsi dire, qu'une longue rue qui s'étendait à
28 milles ^^ La Chaldée était donc, avec son riche
sol et son doux climat, le dernier pays du monde
qu'on eût pu croire destiné à une désolation totale;
car encore aujourd'hui il n'y a pas le moindre
doute que, si l'on prenait les mesures nécessaires,
(24) Strabon, XVI , p. Zi73. — (25) Ibid., p. 7Z}/i.
(26) Histoire de Gibbon, vol. IV, cli. xlyi, p. /i23.
(57) Géographie de Malte-Brun, II, p. 119.
CH. H. BABYLOrsE. 27
cette contrée ne pût être facilement cultivée ^^
Les prophéties relatives à la terre de Clialdée
et à Babylone sont fort nombreuses ^ et le long
intervalle qui s'est écoulé depuis qu'elles ont été
prononcées n'a servi qu'à en rendre l'accomplisse-
ment plus complet. Les jugements du ciel ne sont
pas sujets au hasard^ ils sont sûrs ; ils ne sont point
arbitraires , mais justes ; et ils furent rendus
contre les habitants de Babylone à cause de leur
idolâtrie ^ de leur tyrannie , de leur orgueil , de
leur avarice^ de leur ivrognerie ^ de leur astuce
et de leur méchanceté. Leur idolâtrie était telle-
ment brutale 5 ou plutôt ils faisaient tellement ser-
vir la religion d'instrument à leurs passions ^ que
les rits les plus abominables étaient usités parmi
eux et formaient même une partie de ce culte •
dont les auteurs païens parlent avec indignation
et avec horreur. Quoique enrichis des dons de
Dieu^ les Chaldéensne cherchaient passa gloire ,
et maintenant toute cette gloire qui s'étendail
sur la plaine de Shinar n'est que désolation et
ruine. Yoici comment la parole de Celui qu'ils
méprisaient annonça leurs malheurs :
« Prédiction contre Babylone révélée à Esaïe^
« filsd'Amos : Il y a aux montagnes le bruit d'une
« multitude, tel que celui d'un grand peuple^ un
« bruit d'un son éclatant^ des royaumes.^ des na-
« tions assemblées. L'Éternel des armées fait la
c< revue pour la guerre. L'Éternel et les instru-
« ments de son indignation viennent d'un pays
« éloigné, du bout des cieux^ pour détruire tout
c( le pays. » — « Voici ^ la journée de l'Éternel qui
c( vient est cruelle ; elle n'est que fureur et ar-
« deur de colère, pour réduire ce pays en désola-
(^ tion, et il en exterminera les méchants. »
(28) Recherches philosophiques de Bombay, I, p. 124
2H HAHYLONE. CU. H.
« Il en s(Ma de IJahylone, la noblesse des royau-
<< mes, et. la {ijloire de l'orgueil des (^lialdéens,
<^ eoiniiie quand Dieu renversa Sodonie et Go-
« niorrhe. Elle ne sera jamais rétablie; elle ne
<< sera habitée en aueun temps; les Arabes n'y
<< dresseront plus leurs tentes et les bergers n'y
« panjueront plus. Mais les bêtes sauvages des
« déserts y auront leurs repaires, et leurs mai-
i^ sons seront remplies de fouines ; les chats-huants
« y habiteront, et les chevreuils y sauteront; et
« les bètes sauvages des îles et les dragons hur-
« leront , se répondant les uns aux autres dans
« ses palais, dans ses maisons de plaisance ^^. Tu
« te moqueras ainsi du roi de Babylone, et tu lui
« diras : Comment Texacteur se repose-t-il? Corn-
« ment se repose celle qui était toute d'or? On a
« fait descendre ta magnificence dans le sépul-
« cre 5 avec le bruit de tes instruments ; tu es
« couché sur une couche de vers , et la vermine
« te couvre ; tu as été jeté loin de ton sépulcre
« comme un tronc pourri. » — «J'abolirai le nom
« de Babylone, et ce qui y reste , le fils et le pe-
« tit-fils , dit l'Eternel. Je la rendrai la demeure
« du butor^ et je la réduirai en marais d'eaux et
« je la balaierai d'un balai de destruction , dit
« l'Éternel des armées ^\ » — « Elle est tombée,
.^i elle est tombée, Babylone, et toutes les images
« taillées de ses dieux ont été brisées et jetées
« par terre ^\ » — « Ainsi a dit l'Éternel, qui dit
« à l'abîme : Sois desséché, je tarirai tes fleuves;
« qui dit de Cyrus : Il accomplira toute ma vo-
it lonté ; j'ôte la force aux rois afin qu'on ouvre
« les portes devant lui, et qu'elles ne soient point
K fermées. » — « Bel est tombé sur ses ge-
« noux ^^ ! » — « Descends, sieds-toi sur la pous-
(29jEsaie, XIII, 4, lu 5, 9, 19, 22. — (30) Ibid., XIV, 4, 11,19,
22, 2:5.— (31 ) II). XXI , 9. --(o2) Ib. XLIV, 27, 28; XLV, 1 ; XLVI , 1 .
CM. ih BABYLONfi. 2')
«sière, vierge, fille de Babylone, sieds-toi à
« terre ; il n'y a plus de trône pour la fille des
« Chaldéens ; car on ne parlera plus de ta mol-
« lesse et de ta délicatesse. » — « Sieds-toi
« dans le silence et entre dans les ténèbres, fille
« des Chaldéens ; car tu ne seras plus appelée la
« souveraine des royaumes. » — « Tu as dit: Je
<' serai reine à toujours ; maintenant donc écoute
« ceci, toi, voluptueuse, qui habites en assurance,
« et qui dis en ton cœur : C'est moi, il n'y en a point
« d'autre que moi; je ne demeurerai point veuve,
« et je ne saurai point ce que c'est que d'être
« privée de mes enfants. C'est que ces deux cho-
« ses t'arriveront en un moment , en un même
<< jour, la privation d'enfants et le veuvage ; elles
« viendront sur toi dans tout leur entier, à cause
<v du grand nombre de tes enchantements et de
« la multitude de tes enchanteurs; car tu t'es
« confiée dans ta malice, etc., etc. C'est pourquoi
« le mal viendra sur toi, et tu ne sauras pas quand
« il arrivera; et une affliction tombera sur toi que
« tu ne pourras point détourner, et une desola-
te tion que tu n'auras pas prévue viendra subite-
« ment sur toi '^ » — « Je ferai la punition de
« Babylone et du pays des Chaldéens que je ré-
i( duirai en des désolations éternelles. Et j'exé-
« enterai sur ce pays-là toutes mes paroles que
« j'ai prononcées contre lui, toutes les choses qui
« sont écrites dans ce li ^re, lesquelles Jérémie a
« prophétisées contre toutes ces nations. Car de
« grands rois aussi et de grandes nations les as-
<( sujétiront, et je leur rendrai selon leurs ac-
<i tions et selon l'œuvre de leurs mains "\ »
« La parole que l'Éternel prononça contre Ba-
it bylone et contre le pays des Chaldéens par le
( 33) Esaïc, XLVII, 1, 5, 7, 11. — (34) Jérémie , XXV, 12, 14*
30 liAliVLONE. eu. IL
'' moyen de Jéréinic le proplièle : Faites savoir
^' parmi les nalioiis, et piihliez-le, et élevez Tcn-
« seij^jiie, publiez-le, et ne le ea(îliez point; dites:
'' Bal)ylone a été prise , lîel est rendu liontcMix;
^' Méi'odac est brisé; ses idoles sont rendues lion-
^^ teuses, et ses dieux infâmes sont mis en pièces.
« Car une nation est montée contre elle de de-
« vers l'Aquilon 5 elle mettra son pays en désola-
« tion, et il n'y aura personne qui y habite; les
« hommes et les bêtes s'en sont fuis ; ils s'en sont
« allés ^^. » — « Car voici , je m'en vais susciter et
« faire venir contre Babylone une multitude de
« grandes nations, du pays de l'Aquilon; elles se
« rangeront en bataille contre elle , de sorte
« qu'elle sera prise. Leurs flèches seront comme
« celles d'un homme puissant, qui ne fait que dé-
« truire et qui ne retourne point à vide. Et la
« Chaldée sera abandonnée au pillage, et tous
« ceux qui la pilleront seront assouvis, dit l'Éter-
« nel. Elle sera toute la dernière entre les na-
« tions , elle sera un désert , un pays sec , une
« lande. Elle ne sera plus habitée à cause de Fin-
« dignation de l'Éternel ; elle ne sera tout en-
« tière que désolation ; quiconque passera près
« de Babylone sera étonné, et lui insultera à cause
« de toutes ses plaies ^^ » — « Ses fondements
« sont tombés, ses murailles sont renversées; car
i< c'est ici la vengeance de l'Éternel ; vengez-
« vous d'elle ; faites-lui comme elle vous a fait.
« Retranchez de Babylone celui qui sème et ce-
« lui qui tient la faucille au temps de la moisson ;
« que chacun s'en retourne vers son peuple, et
« que chacun s'enfuie vers son pays à cause de
« l'épée qui désole tout ". » — « Monte sur la
« terre des rebelles; monte contre eux, contre les
(35) Jérémie, L, 1, 2, 3. — (36) Ibid., 9, 10, 12, 13.
(37) Ibid., 15, 16.
<^H. II. BABYLONE. 31
« habitants destinés a la visitation ; tue et détruis
« à la façon d'interdit ceux qui sont après eux :
« l'alarme est au pays et une grande calamité.
« Comment est mis en pièces et rompu le marteau
^< de toute la terre ? Comment Babylone est-elle
^< en étonnement parmi les nations ? Je t'ai tendu
« des filets, et aussi as-tu été prise, ô Babylone !
« et tu n'en savais rien ; tu as été trouvée et
« même atteinte, parceque tu t'en es prise à l'E-
« ternel. L'Eternel a ouvert son arsenal , et en a
« tiré les armes de son indignation , parceque le
« Seigneur, l'Eternel des armées, a une entreprise
« à exécuter dans le pays des Chaldéens. Venez
« contre elle des bouts de la terre; ouvrez ses
« granges, foulez-la comme des javelles; détrui-
« sez-la et qu'elle n'ait rien de reste ^^ » — « Que
<< personne n'échappe ; rendez-lui selon ses œu-
« vres , car elle s'est élevée avec fierté contre le
« saint d'Israël. La superbe bronchera et tombera,
« et il n'y aura personne qui la relève ; j'allume-
<< rai aussi le feu h ses villes , et il dévorera tout
<î autour d'elles ^. »
«L'épée est sur les Chaldéens, dit l'Eternel , et
< sur les habitants de Babylone, sur ses principaux
« et sur ses sages; répée est tirée con treses devins,
<^ ils seront reconnus insensés ; Tépée est sur ses
« hommes forts, et lisseront éperdus; Tépéeestsur
« ses chevaux et sur ses chariots, et sur tout l'amas
<^ de diverses sortes de gens qui sont au milieu
« d'elle , et ils deviendront comme des femmes ;
<^ l'épée est sur ses trésors, et ils seront pillés. La
« sécheresse sera sur ses eaux et elles tariront, car
« c'est le pays d'images taillées , et ils sont fous après
<( leurs idoles monstrueuses. C'est pourquoi les
« bêtes sauvasses des déserts avec celles des îles
(38) Jéréniie, L, 21, 26. — (39) Ibkl, 29, 32-
32 KAHVLONE. CH. H.
t< y habiteront, et les clials-linaiits y habiteront
^^ aussi, et elle ne sera jamais j)lus habitée , et on
« if y demeurera point en quelque temps que cela
^ soit. Il n'y demeurera personne, a dit l'Eternel,
^' et aucun (ils d'homme n'y habitera , comme dans
^^ la subversion que Dieu a faite de Sodome et
' de Gomorrhe et de leurs lieux circon voisins;
^^ voici, un peuple et une grande nation vient de
<< l'Aquilon, et plusieurs rois se réveilleront du
u fond de la terre. Ils prendront l'arc et l'éten-
c< dard; ils sont cruels et ils n'auront point de
c( compassion; leur voix bruira comme la mer, et
< ils seront montés sur des chevaux; chacun
« d'eux est rangé en homme de guerre contre
« toi, fille de Babylone. Voici, il montera comme
« un lion à cause du débordement du Jourdain ,
« vers la demeure forte, et en un moment je les
« ferai courir sur elle; et qui me déterminera le
« temps? et qui sera le pasteur qui tiendra con-
« tre moi? et qui est semblable à moi? C'est pour-
« quoi ^ écoutez la résolution qu^ l'Eternel a prise
« contre Babylone, et les desseins qu'il a faits
« contre le pays des Chaldéens; si les plus petits
« du troupeau, dit-il, ne les traînent pas par
« terre, et si on ne réduit pas en désolation leur
«pays sur eux^\^ »
« J'enverrai contre Babylone des vanneurs qui
«la vanneront et qui videront son pays; et les
« blessés à mort tomberont au pays des Chal-
« déens. Babylone est tombée en un instant, et a
« été brisée; hurlez sur elle! prenez du baume
«pour sa douleur, peut-être qu'elle guérira.
« Nous avons traité Babylone , et elle n'est point
« guérie; laissons-la, et nous en allons chacun en
« son pays; car son procès est parvenu jusqu'aux
(40) Jérémie, L, 55, 42, 44, 45.
CH. 11. BABYLONE. 33
« deux 5 et s'est élevé jusqu'aux nues^*. » — « L^È-
« ternel a réveillé Tesprit du roi de Médie, car il
«a résolu de détruire Baby lone. » — ^« Tu étais
« assise sur plusieurs eaux, abondante en trésors ;
« ta fin est venue et le comble de ton gain déshon-
« nête. L'Eternel des armées a juré par soi-même,
« en disant : « Si je ne te remplis d'hommes
« comme de sauterelles, et s'ils ne jettent pas des
« cris pour s'encourager contre toi^^ ! »
« Voici, j'en veux à toi, dit l'Eternel, montagne
« qui détruis, qui détruis toute la terre ; j'étendrai
« aussi ma main sur toi, et je te roulerai en bas du
« haut des rochers , et je te réduirai en une montagne
« embrasée. » — « Levez l'enseigne sur la terre;
« sonnez de la trompette parmi les nations, pré-
« parez les nations contre elle ; convoquez contre
« elle les royaumes d' Ararat, de Minni et d'As-
« ckénaz. Préparez contre elle les nations, les
« rois de Médie , ses gouverneurs et tous ses ma-
« gistrats, et tout le pays de sa domination. Et la
« terre en sera ébranlée et en sera en travail ,
« parceque tout ce que J'Eternel a résolu a été
« exécuté contre Babylone , pour réduire le pays
« en désolation , tellement qu'il n'y ait personne
<^ qui y habite. Les hommes vaillants de Babylone
« ont cessé de combattre , ils se sont tenus dans
« les forteresses, leur force a manqué, et ils sont
« devenus comme des femmes ; on a brûlé ses de-
« meures , et les barres de ses portes ont été
« rompues. 11 viendra courrier sur courrier, et
« messager sur messager, pour annoncer au roi
« de Babylone que sa ville est prise par un bout ,
« et que ses quais sont surpris; car ainsi a dit
« l'Eternel des armées, le Dieu d'Israël : La fille
« de Babylone est comme Taire, il est temps qu'elle
(/il) Jérémie, LI, 2,4,8,9. — (42) Ibid., il, i 3, 14.
2.
34 BABYLONE, CH. II.
w soil foulée; le temps de sa moisson \ieiidra
« bieniôt^\ » — «Je dcsséeherai sa mer, et Je fe-
« rai tarir sa souree, et lîabylone sera réduite en
« moneeaux, en demeure de draj^ons, en éton-
« nement et en opprobre, sans que ])ersonne y
« habite. Je les ferai échauffer dans leurs festins,
« alin qu'ils dorment d'un sommeil perpétuel, et
« qu'ils ne se réveillent plus. » — « Comment celle
« qui était célèbre par toute la terre a-t-elle été
« saisie? Comment Babylone a-t-elle été réduite
« en désolation parmi les nations? La mer est
« montée sur Babylone , elle a été couverte de la
« multitude de ses flots ; ses villes ont été ré-
« duites en désolation , en une terre sèche et de
« landes , en un pays oîi personne ne demeure , et
« oil il ne passe pas un tils d'homme. Je punirai
« aussi Bel à Babylone, et je tirerai de sa bouche
« ce qu'il avait englouti, et les nations n'aborde-
« rontplus vers lui-même; la muraille de Baby-
« loue est renversée. » — « Des nouvelles vien-
« dront une année, et après cela d'autres nouvelles
« une autre année , et la violence sera dans le
« pays , et un dominateur succédera à un autre
c< dominateur. C'est pourquoi voici, les jours vien-
« nent que je punirai les images taillées de Baby-
« lone ; tout son pays sera rendu honteux , et
« tous ses blessés à mort tomberont au milieu
« d'elle^^. )) — « J'enivrerai donc ses principaux et
w ses sages , ses gouverneurs et ses magistrats ,
^ et ses hommes forts ; ils dormiront d'un sommeil
« perpétuel, et ils ne se réveilleront plus, dit le
« roi dont le nom est l'Eternel des armées. Il n'y
« aura aucune muraille de Babylone, quelque large
« qu'elle soit , qui ne soit entièrement rasée , et
«ses portes qui sont si hautes seront brûlées;
(43) Jérémie, LI, 25, 27, 33.— (44) îbid., 35, 37, 39, 41, 44,46, /j 7.
CH. IK BABYLONE. 35
« ainsi les peuples auront travaillé pour néant , et
« les nations pour le feu ^ et elles s'y seront las-
ce sees. » — c( Et sitôt que tu auras achevé de lire
« ce livre ^ tu le lieras à une pierre ^ et tu le jette-
« ras dans TEuphrate ^ et tu diras : Babylon^
« sera ainsi plongée; elle ne se relèvera point du
« mal que je m'en vais faire venir sur elle^". »
Toutes ces prédictions sur les ennemis de Ba-
bylone, sur la frayeur de ses habitants, sur la
manière dont la ville fut prise , et toutes les cir-
constances remarquables qui accompagnèrent ce
siège, sont annoncées parles prophètes comme les
faits nous ont été racontés depuis par les auteurs
anciens.
« Hélamites, montez; Mèdes 5 asssiêgez^^! » —
« L'Eternel a réveillé l'esprit des rois de Médie ,
c( car il a résolu de détruire Babylone. » Les rois
de Médie et de Perse, poussés par unintérêt com-
mun , formèrent une alliance contre Babylone , et
confièrent le commandement de l'armée alliée à
Cyrus ^% parent des deux princes, et plus tard
possesseur des deux royaumes ; mais la prise de
Babylone ne dut pas être l'œuvre de ces deux na-
tions seules.
« Levez l'enseigne sur la terre ; sonnez de la
« trompette parmi les nations, préparez les na-
« tions contre elle , convoquez contre elle les
« royaumes d'Ararat, de Minni, et d'Asckénaz.
«^ Car voici, je m'en vais susciter et faire venir
« contre Babylone une assemblée de grandes na-
« tions du pays d'Aquilon. » Cyrus subjugua les
Arméniens qui s'étaient révoltés contre les
Mèdes; il épargna leur roi, les fit rentrer de nou-
veau sous le joug, plutôt par la douceur que par
(45) Jérémie, LI, 57, 58, 63, Qfr — (AG) Esoïe, XXI, 2.
(47) Xénophon, Cyrop,, 1, I. p. 53; id., p. 12,
^^ nVBYLONE. CH. If.
la force, et incorpora leur armée dans la sienne**.
11 reçntlesHyrcaniens, <(ui avaient secoué le Joug
des Chaldéens, au nombre des alliés et des confé-
dérés des Mèdes et des Perses'^ H maîtrisa les
forces réunies des Chaldéens et des Lydiens, prit
Sardes , s'empara de Crésus et de tous ses trésors,
lui épargna la vie lorsqu'il était déjà sur le bûcher,
le rendit à sa famille et à sa maison, le reçut au
nombre de ses conseillers et de ses amis , et pré-
para ainsi les Lydiens, jadis les alliés de Baby-
lone, à «monter contre elle*^^. » Il renversa les
Phrygiens et les Cappadociens , etréunitleursar-
mées à ses troupes victorieuses^*. Ainsi, par des
alliances et des conquêtes successives, par une
politique sage et modérée , par une grande géné-
rosité et par une habileté sans pareille, il changea
dans l'espace de vingt ans en confédération contre
le roi de Babylone une ligue que celui-ci avait
formée contre les Mèdes et les Perses eux-mêmes.
C'est ainsi que « l'enseigne fut levée parmi les na-
tions contre Babylone; ainsi ^elles furent con-
voquées 5 assemblées contre elle , et même une
assemblée de grandes nations de l'Aquilon. »
C'est-à-dire, Ararat et Minni, ou la petite et
grande Arménie, et Asckénazou laPhrygie, selon
Bochart, «furentsuscitées contre Babylone. » Sans
leur aide , et avant qu'elles fussent soumises à sa
puissance , Cyrus avait essayé en vain de se rendre
maître de Babylone , et même lorsqu'il eut « as-
semblé et préparé » toutes ces nations, sa conquête
fut le résultat plutôt de la ruse que de la force.
«Ils prendront l'arc et l'étendard; ils seront
« montés sur des chevaux. » Quax^ante mille ca-
valiers perses furent équipés par les nations que
Cyrus avait subjuguées 5 et beaucoup de chevaux
(48) Xénophon, 1. III, p. 156. — (49) Ibid., IV, p. 215, 217.
(50) Ibid., Ill, p. 408, 416. — (51) Ibid., IV, p. 427, 428.
CH. II. BABYLONE. 37
furent aussi distribués parmi les alliés. Cyrus
monta contre Babylone avec une grande multitude
de chevaux , et avec une grande multitude d'ar-
chers 5 c( de gens qui tendaient Tare et la javeline "^ . »
A peine Cyrus fut -il arrivé devant Babylone
avec les nations qu'il avait rassemblées que, dans
l'espoir de trouver quelque endroit accessible, ilfit
le tour de ses murailles, accompagné de ses prin-
cipaux officiers et de ses amis , et les examina de
tous les côtés , ayant déjà à cet effet placé son
armée «tout autour» delaville^^ «Rangez- vous
« en bataille contre Babylone , mettez-vous tous à
« Tentour d'elle. » Déçu dans son attente, ne
trouvant pas dans toute la circonférence des mu-
railles un seul point attaquable, voyant qu'il
lui était impossible de se rendre maître de ces
murs si élevés et si forts , et craignant que son ar-
mée ne fut trop exposée aux attaques des Babylo-
niens sur une ligne aussi étendue, Cyrus, debout
au milieu de son armée, commanda aux corps
pesamment armés de se diriger en sens opposé des
extrémités au centre. La cavalerie et l'infanterie
légère s'avancèrent en première ligne; la pha-
lange étant ainsi doublée et resserrée , les troupes
les plus braves occupèrent l'avant et l'arrière-
garde, et les troupes inférieures se trouvèrent au
centre de l'armée^*. Cette disposition de l'armée ,
selon Xénophon, lui-même général fort habile,
était admirablement calculée pour combattre et
pour empêcher la fuite. Mais le chrétien voit
encore ici l'accomplissement d'une prophétie ;
car lorsque l'armée , quoique formée de tant de
nations , se tenait ainsi autour de la ville en bon
ordre, et non comme une masse indisciplinée,
« ces nations se rangeaient en bataille contre
(52) Xénophon, p. 428, 429. — (53) WM,, IV, p. 429.
(54) Ibid., p. 430.
38 DAnVLONE. eu. II.
elle. » — «Chacune cVelle raiifjoailses lioniines de
« giienc contre Bal>yIone. »
On creusa une tranchée tout autour de la ville,
on éleva des tours, on partagea Tannée en douze
corps, qui devaient être successivement, et pen-
dant un mois chacun, de garde autour de la ville :
ce fut ainsi que, sans s'en douter lui-même, Cyrus
accomplit le commandement de l'Eternel des ar-
mées: «Que personne n'échappe. »
« Les hommes vaillants de Babylone ont cessé
« de combattre, ils se sont tenus dans leurs forte-
« resses; leur force a manqué, et ils sont deve-
« nus comme des femmes. » Babylone avait été le
marteau de toute la terre , elle avait brisé les na-
tions et détruit les royaumes; ses hommes de
guerre avaient porté la terreur de son nom jus-
qu'aux contrées les plus lointaines; mais « l'alarme
fut au pays, » comme l'avait prédit la parole de
Dieu, lorsque les habitants de Babylone virent tou-
tes ces nations étrangères se ranger contre elle. Ce
fut de cette frayeur même , si clairement annon-
cée , que se plaignirent ses ennemis qui essayèrent
en vain de les provoquer au combat. Cyrus défia
même leur monarque en combat singulier , mais
également sans succès; «car les mains du roi de
«Babylone étaient devenues lâches. » Le prince et
son peuple avaient perdu courage, et personne
ne fit un effort pour délivrer son pays , ou pour
chasser les assaillants loin des murailles. On ne
fit aucune sortie contre rennemî, on n'essaya
point de le couper, même lorsque la vaste
étendue de sa ligne offrait pour cela la plus
grande facilité. Toutes les portes restèrent fer-
mées, et chacun se tint «dans sa forteresse.»
Ne parvenant donc point à réveiller leur courage
ou à les décider à combattre en rase campagne ,
se voyant également dans l'impossibilité de dé-
eu. II. BABYLONE. 39
molir la moindre partie de leurs fortes murailles,
ou de forcer leurs portes d'airain, Cyrus se per-
suada que plus leur nombre était considérable ,
plus il lui serait facile de les réduire par la famine
et de les forcer à se rendre par ce moyen , puis-
qu'ils ne voulaient pas en venir aux armes. Ce fut
là pendant deux ans son seul espoir de succès;
mais Babylone 5 si long temps « marteau du monde,»
se laissa tranquillement assiéger. Elle possédait
des champs fertiles et un abondant approvision-
nement pour vingt ans ; ainsi renfermée dans ses
inexpugnables murailles, elle défiait toute la
puissance de Cyrus. Rien ne put d'ailleurs di-
minuer la méchanceté et la fausse sécurité de ses
habitants; ils vivaient dans la débauche, abandon
nés au plaisir, mais ils ne retrouvèrent plus leur
force; et Babylone la grande ne fit pas un seul ef-
fort pour se délivrer de son ennemi, ou pour
reconquérir sa liberté.
Après avoir perdu beaucoup de temps, et
la prise de la ville n'étant pas plus avancée que le
premier jour, Cyrus se trouva dans un grand em-
barras; il était dans une position en effet fort diffi
cile, quand on lui proposa de détourner le cours de
l'Euphrate ; expédient extraordinaire qu'il adopta
avec joie. Mais ce travail était loin d'être facile : le
fleuve était large d'un quart de mille et profond de
1 2 pieds ; et selon quelques-uns de ses officiers la
ville était encore plus forte par sa rivière que par
ses murailles. On fit à la hâte de grands préparatifs
pour exécuter ce projet à l'insu des Babyloniens ,
et la grande tranchée faite ostensiblement pour en
former le blocus fut creusée tout autour des murs
afin d'y faire couler les eaux de l'Euphrate, dont
le lit servirait ensuite de chemin pour arriver dans
le centre de la ville qu'il traversait. « Mais, dit
Hérodote , si les assiégés avaient eu la moindre
iO nVHYLONE. CM. \\ ,
idee du dessein de Cyrus, ou s'ils s'en élaiiîiit aper-
çus avant l'exécMition, ils auraient pu s'en servir
eux-mêmes pour détruire toute son armée; ils
n'auraient eu qu'à fermer les petites |)oites qui
eonduisaient vers le (leuve, et garnir de trou[)es
les quais, et les Perses auraient été pris dans un
fdet hors duquel il leur aurait été impossible d'é-
chapper ^^ » Cyrus se tint autant que possible
sur ses gardes contre une pareille catastrophe, et il
choisit pour l'exécution de son projet l'époque
d'une grande fête annuelle des Babyloniens, pen-
dant laquelle selon leur coutume « ils s'abandon-
naient à la débauche toute la nuit. » Tandis que
les habitants se livraient ainsià la danse età la joie,
la rivière fut subitement détournée; elle remplit
le lac, les tranchées et le canal; et dès que le lit
du fleuve se trouva à sec , les troupes perses, infan-
terie et cavalerie, profitèrent du chemin qu'il leur
ouvrit pour pénétrer avec leurs alliés dans la
ville ^^ « Ainsi ditrÉternel,qui dit à l'abîme: Sois
« desséché; je tarirai tes fleuves.^ »
On porta un détachement de troupes à l'entrée
du fleuve dans la ville et un autre à sa sortie'^^ et
« courrier vint sur courrier, et messager sur mes-
« sager pour annoncer au roi de Babylone que sa
« ville est prise par un bout, et que ses gués sont
« surpris. » La ville fu tprise, ditHérodote, « par sur-
prise, et son étendue était telle que les habitants
eux-mêmes assurent que ceux qui demeuraient
dans les faubourgs furent faits prisonniers avant
que le moindre bruit arrivât au centre de la ville^S)
où était le palais du roi : pas une seule des portes
de la ville ne fut ouverte, on ne démolit pas une
seule pierre. Mais «je t'ai tendu des filets et aussi
« tu as été prise, ô Babylone ! et tu n'en savais
(55) Ilérod., 1. I, ch. csci. — (56) Ibid. — Xénop., Cyrop, VII,
p. 434, 437. — (57) Hérod., I, ch. cxci. ^ (58) Ibid.
CH. 11. BABYLONE. 4l
«rien; tu as été trouvée et même surprise parce-
« que tu t'en es prise à l'Eternel. Comment celle
«qui était célèbre par toute la terre a t-elle été
« saisie? car tu t'es confiée en ta malice. Ta sagesse
« et ta science est celle qui t'a séduite ; c'est pour-
« quoi le mal viendra sur toi , et tu ne sauras
« point quand il sera près d'arriver ; et le mal-
« heur qui tombera sur toi sera tel que tu ne le
« pourras point détourner ; il n'y a personne qui
« te délivre. »
« Je les ferai échauffer dans leurs festins , et je
« les enivrerai afin qu'ils se réjouissent , et qu'ils
« dorment d'un sommeil perpétuel , et qu'ils ne se
« réveillent plus, dit l'Eternel. Je les ferai des-
« cendre comme des agneaux k la tuerie , etc. etc.
« J'enverrai donc ses principaux et ses sages ,
« ses gouverneurs et ses magistrats , et ses
« hommes forts ; ils dormiront d'un sommeil per-
« pétuel. » A mesure que la nuit s'avançait, Cyrus
encourageait ses troupes à pénétrer dans la ville,
parceque , dans cette nuit de débauche, beaucoup
de gens devaient sommeiller , d'autres devaient
être ivres , et la confusion devait être générale.
Après avoir traversé la ville sans obstacle, les Per-
ses, tout en massacrant quelques personnes, et en
mettant d'autres en fuite , arrivèrent au palais ,
avant qu'aucun messager y fût parvenu pour
annoncer au roi la prise de sa capitale. Les portes
du palais , fortifiées avec soin , étaient fermées ;
les gardes bivouaquaient autour d'un grand feu
lorsque les Perses fondirent sur eux ; des cris
élevés , mais non plus des cris joyeux , parvinrent
auxoreillesduprince, et unelueur vive vint éblouir
ses yeux et lui annoncer une œuvre de destruc-
tion dont il ignorait encore la cause. Ce fut donc
le roi lui-même, qui, sans se douter de la présence
de rennemî, se réveilla le premier de sa léthargie 3,
^<2 BABYLONE. CH. II.
et commanda à scîs couiiisans de s'informer de la
cause de tout ce limmlle. (On sait qu'il avait déjà
été iiiterjompn dans sa débauche par une main
qui traçait devant lui, sur la muraille, des carac-
tères mystérieux.) Ainsi fut accomplie la parole
de celui qui dit de Cyrus : «11 accomplira toute ma
« volonté; je délie les reins des rois, afin qu'on
«ouvre devant lui les portes, et que les portes
« ne soient point fermées. » Dès que les Perses
virent les portes du palais s'ouvrir , ils s'y préci-
pitèrent avec fureur. « Le roi de Babylone en
« ouït le bruit , l'angoisse se saisit de lui , » et il
fut massacré , lui et tous ceux qui l'entouraient.
Dieu avait calculé son règne et y avait mis fin ;
son royaume fut divisé et donné aux Mèdes et
aux Perses ; cette même nuit ^ « ses principaux,
« et ses sages et ses gouverneurs dormirent d'un
«sommeil perpétuel, et ils ne se réveillèrent
« plus^^. »
« Les gens d'élite tomberont dans les places ,
« et on fera perdre la parole à tous ces gens de
« guerre en ces jours-là. » Cyrus envoya des trou-
pes de cavalerie dans les rues et places , avec
Tordre de passer au fil de Fépée tous ceux qui
s'y trouveraient ; et il fit une ordonnance en lan-
gue syrienne , par laquelle il commandait à tous
les habitants de rester dans leurs maisons sous
peine de mort. On obéit à ces ordres^\ — « Si je ne
« te remplis d'hommes comme de grillons ! » L'ar-
mée perse pénétra dans la ville avec autant de
facilité que des grillons , et ses nombreuses co-
hortes semblaient vérifier la comparaison faite
par le prophète. Après la prise de la ville,
Cyrus déploya toute la force de sa cavalerie de-
vant les Babyloniens , au centre de leur capitale;
(59) Hérod., I. I, cli. cxcf. — Xénophon, Cyrop. VII, 434, 439.
(60) Xénophon, V, 439.
en. II. BABYLONE. 43
quatre mille gardes se tenaient devant les portes
du palais, et deux mille de chaque côté. Ceux-
ci s'avancèrent comme Tavant-garde de Cyrus ,
et deux mille lanciers le suivaient. A ces derniers
succédèrent quatre corps de cavalerie , compo-
sés de IO5OOO hommes chacun , et à ceux-ci on
réunit encore la cavalerie des Mèdes , des Armé-
niens, des Hyrcaniens, des Caduriens et des
Sariens , « tous montés sur des chevaux et rangés
« en hommes de guerre contre elle^*. «Le cortège
se terminait par des files de chariots , quatre de
front 5 qui formèrent Tarrière-garde de cette mul-
titude. Cyrus passa plus tard en revue , àBabylone ,
toute sa puissante armée, qui consistait enl20,000
hommes de cavalerie, 2000 chariots et 600,000
hommes d'infanterie.^^ Ainsi Babylone, qui jamais
n'était tombée au pouvoir d'un ennemi, fut empor-
tée par surprise , et « remplie d'hommes comme
« de sauterelles. » Les Saintes Ecritures ne ra-
content nulle part la manière dont Babylone fut
prise , et elles ne font jamais allusion à l'accom-
plissement des prophéties ; mais il y a presque
dans tous les détails un accord parfait entre les
prédictions des prophètes et les faits racontés par
Hérodote et par Xénophon.
Selon qu'il avait été prédit, dès que Cyrus se
fut rendu maître de Babylone (Esaïe, xlv, 1 , 4 ^^),
il prit possession de ses trésors cachés. Jamais
avant lui aucun ennemi n'avait osé se présenter
devant elle. Il ne semblait pas qu'un homme put
s'emparer de la grande Babylone ; mais elle fut
une conquête facile pour le « pasteur du Sei-
gneur. » Et de même qu'aujourd'hui on peut re-
connaître que le Seigneur est l'Éternel , par la
(61) Xénophon 1. VIII, p. 494, 405. — (62) Ibid. XIII, 494, 495.
(63) Esaïe fit ceUe prédiction 260 ans avant la prise de Babylone,
250 ans avant Hérodote et plus de 358 ans avant Xénophon.
4i n.UiVLONE. cil. II.
parfaite concordance des descriptions des pro-
phètes avec celles de tons les voyagenrs <pii visi-
tent anjonrd'lini les restes de cette Babylone
tonte désolée et détrnite; de même alors Cyrus,
(pii contemplait depnis deux ans les murailles
extérieures de lîabylone, et désespérait de la ré-
duire même par la famine , put s'assurer que « le
« Dieu d'Esaïe , qui l'appelait par son nom, était
« l'Eternel , par les trésors cachés et les riches-
« ses secrètement gardées , » qu'il lui remit
ainsi entre les mains. Lors donc que l'heure de la
destruction eut sonné, Babylone fut prise; et
lorsque l'époque prescrite pour la durée de la
captivité des Juifs se fut écoulée , Cyrus accom-
plit encore la volonté de l'Eternel et devint leur
libérateur.
« Ainsi a dit l'Eternel k son oint, à Cyrus , du-
« quel j'ai pris la main droite, afin que je terrasse
« les nations devant lui. » Cyrus commença sa
carrière avec une petite armée de Perses ; non-
seulement il succéda à la couronne des royau-
mes de Médie et de Perse, qui se trouvèrent
ainsi réunis en lui, mais les Hyrcaniens se
soumirent volontairement à son autorité. Il sub-
jugea les Syriens , les Assyriens , les Arabes , les
Cappadociens , les Phrygiens , le Lydiens , les
Cariens , le Phéniciens et les Chaldéens. Il régna
sur les Bactriens , les Indiens et les Ciliciens , et
son empire s'étendit sur la Perse, la Paphlagonie
et sur d'autres nations encore ; il força les Grecs
d'Asie, les Cypriens et les Egyptiens, à se soumet-
tre à son autorité; c'est ainsi « qu'il terrassa les
« nations ^\ »
« Voici, je vais susciter contre eux les Mèdes ,
« qui ne feront aucune estime de l'argent et qui
(6/i) Xénopbon, Cyrop,, 1. I, p. 45,
en. iï. BABYLONE. 45
« ne s'arrêteront point a l'or ^\ » Celui qui était
appelé l'oint du Seigneur ne connaissait pas l'a-
varice; Xénophon le dépeint comme le modèle
du guerrier sage et généreux. Ce n'était pas la
possession des richesses de Crésus et des trésors
de Babylone qui relevait le conquérant ^ c'était
sa générosité. 11 disait que ses richesses ne lui
appartenaient pas plus qu'à ses amis ^^ ; il prou-
vait que le but de sa vie était de savoir répandre
et non d'accumuler des trésors^ et de pourvoir
par là aux besoins de ses serviteurs. Il faisait si
peu de cas de « l'or et de l'argent » que Crésus
lui fit observer qu'il se rendrait pauvre à force
de libéralités ^ au lieu de se rendre riche par
ses grands biens. Les Mèdes , même à cet égard,
étaient animés de l'esprit de leur chef, et Xé-
nophon en raconte un trait remarquable ^' :
Lorsque Cobryas , gouverneur assyrien dont
le fils avait été tué par le roi de Babylone , reçut
avec hospitalité Cyrus et son armée , celui-ci,
avant de le quitter, demanda aux chefs des Mè-
des et des Hyrcaniens si, après avoir donné aux
dieux et à Tarmée ce qui leur revenait des tré-
sors de Babylone , il ne serait pas convenable
qu'ils abandonnassent leur part à Cobryas, en re-
tour de sa généreuse hospitalité. Un cri unanime
d'approbation fut la réponse qu'il reçut ; et l'un
des nobles ajouta : « Cobryas a pu penser que
nous étions pauvres parceque nous ne venions
pas chargés de monnaies d'or, et que nous ne por-
tions pas avec nous des coupes d'or, mais il ap-
prencfra maintenant que l'homme peut être gé-
néreux sans avoir beaucoup d'or ^^ « Ils ne
« s'arrêtaient point à l'or. » On peut aisément
(65) Esaïe, 13, 17. — (66) Xénophon, VIII, 516.— (67) Ibid., 482.
(68) Xénophon, V, 289,
iG HAUVLONK. CH. II.
croire que la reconnaissance, anssi hien que le dé-
sir (le la venijfeance, j)oila (lobryas à marcher
contre Hal)ylone, elcernUui(]ni,])lns tard, péné-
tra le j)reniier dans le palais du roi. « Les jnije-
« nients de rKternel sont un abîme » mais aussi
ne sont-ils pas « toujours justes? » Sa main fut du
nombre de celles qui immolèrent le meuitrier de
son Ills.
A tous les faits que nous venons de citer, à l'ap-
pui de la yérité de la prophétie relative au siège
de Babylone, il faut en ajouter un autre qui n'est
pas moins remarquable , c'est que , d'après le por-
trait qu'ont fait de Cyrus les écrivains profanes,
jamais il n'exista de roi ou de conquérant, soit
avant soit après lui, qui ait eu plus de désinté-
ressement et de grandeur d'âme , et une politique
plus saine et plus morale , un plus haut degré d'in-
tégrité , ni enfin , si l'on en excepte sa rigueur à
l'égard des Babyloniens, plus de douceur et de
générosité envers des ennemis vaincus. La beauté
même de ce portrait a fait croirfe à certaines per-
sonnes qu'il était en partie imaginaire. Nous ne
'sommes pas de cet avis, vu surtout que le langage
de l'auteur païen à qui nous devons ce portrait
coïncide parfaitement avec les paroles du pro-
phète. « Ainsi a dit l'Eternel à son oint, à Cyrus
« que j'ai pris par la main droite; c'est moi qui ai
« suscité celui-ci pour la justice et je conduirai
« tous ses desseins. » Et, aussitôt après, le pro-
phète ajoute : « Il rebâtira ma ville, et renverra
« sans rançon et sans présents mon peuple qui y
« avait été transporté , a dit l'Eternel des ar-
ec mées *^^ )) En effet, ce fut lui qui publia le pre-
mier édit en faveur de la restauration des Juifs
et de la reconstruction du temple de Jérusalem.
(69)EsaïP, XLV, J, 12.
CH. IL BABYLONE, 47
Et 5 loin d'exiger une rançon ou des présents , il
donna l'ordre à ses généraux et aux gouyerneurs
des yilles limitrophes de la Judée de fournir aux
Juifs tout l'or et l'argent dont ils auraient besoin
pour rebâtir le temple ^ ainsi que des bêtes pour
les sacrifices; et cet ordre fut exécuté h la lettre.
Avant de commencer le siège de Babylone^
Cyrus crut devoir s'assurer de l'appui des na-
tions qui l'entouraient. Il lui fallut d'abord mar-
cher contre les Egyptiens et les autres alliés de
Crésus 5 qu'il vainquit après une guerre acharnée.
Une fois soumis ^ les Egyptiens ^ qui avaient été
les plus vaillants et les plus opiniâtres de ses en-
nemis, lui restèrent toujours fidèles. L'Ethiopie
formait la limite de ses possessions à l'est. « Ainsi
« a dit l'Eternel : Le travail de l'Egypte et le trafic
« de Cus^ et les Sabéens, hommes de grande taille^
<( passeront vers toi et seront à toi : ils marche-
c( ront après toi. » (Esaïe^ xlv^ 14.)
c( Ils se prosterneront devant toi. » Lors de la
magnifique marche triomphale qui eut lieu après
la conquête de Babylone, et oii Cyrus apparais-
sait pour la première fois en public à la tête de
son armée rangée en bataille, au milieu d'une mul-
titude innombrable , au moment oii , sur son char,
il eut franchi la porte du palais , tous les specta-
teurs, en l'apercevant, se prosternèrent devant lui
pour l'adorer. Quelques historiens de l'antiquité
prétendent que Cyrus fut le premier homme objet
d'une semblable adoration, et c'est de là que vint,
selon eux, la coutume parmi les peuples de l'O-
rient, et surtout chez les Mèdes et les Persans,
de se laisser tomber ou de se prosterner devant les
monarques. Que cette opinion soit fondée ou non.,
du moins elle vient à l'appui de ce qu'il y eut à
la fois de remarquable et de mémorable dans l'a-
doration que l'on rendit à Cyrus.
48 lUlJYLONE. CH. II.
« Et ils le rendront hommage. » L'adoration,
Dieu seul y a droit; mais l'adoration même ne
put troubler la sérénité d'esprit qui distinguait
Cyrus ; sa clémence et sa bonté brillaient d'un éclat
plus vif encore que celui de son diadème. La plu-
part de ceux qu'il avait soustraits au joug du roi de
lîabj lone , qui , orgueilleux comme Lucifer, s'était
toujours montré sourd aux cris des opprimés et
impitoyable envers ses prisonniers, vinrent sur
son passage, à travers la foule frappée d'admira-
tion, lui présenter des suppliques, chacun selon
ses besoins. Ces suppliques étaient en si grand
nombre que ne pouvant y faire droit simultané-
ment , et voulant allier la miséricorde à la pru-
dence , la générosité k la justice , il fit placer trois
porte-sceptre aux trois côtés de son char, et leur
donna l'ordre de publier, en son nom, qu'il autori-
sait tous ceux qui avaient des demandes à lui faire
à s'adresser dans ce but à ses généraux ou à ses
amis. Ces derniers étaient chargés de lui soumet-
tre tous les cas dignes de son aftention. Telle fut
la première conquête de Babylon e, tel en fut le
premier conquérant; ainsi s'accomplit ce qui avait
été prédit de l'un et de l'autre.
« Qui ne retourne point à vide ^^. » Les murail-
les de Babylone étaient incomparablement les
plus élevées et les plus fortes qui eussent jamais été
construites par l'homme. On leur avait donné
cette prodigieuse hauteur afin qu'il n'y eût pas la
moindre possibilité que Babylone fut prise. Et
cette confiance semblait pleinement justifiée
lorsque, retranchés dans leurs forteresses, les ha-
bitants de Babylone, qui ne voulaient pas courii'
la chance d'une bataille, se moquaient de l'in-
nombrable multitude quientourait leur ville, et se
(70) Jéiém'c, L, 9.
€H. IL BABYLONE. 49
voyaient ainsi hors de l'atteinte de tous les dards
desParthes. Toutefois, quoique cette orgueilleuse
assurance que la yille ne pourrait jamais être prise
semblât presque devoir se réaliser, Babylone fut
assiégée plusieurs fois après la prédiction du
prophète , et jamais sans succès. Il est vrai que
d'abord Cyrus en leva le siège , mais ce ne fut
que pour y revenir « avec les nations qu'il avait
« suscitées contre elle ; et il ne retourna point à
« vide. » Cette prophétie se trouve ainsi accom-
plie non-seulement par lui, mais encore par tous
ceux qui lui succédèrent. Babylone tomba devant
quiconque leva le bras contre elle.
Et cependant sa grandeur ne s'effaça pas, sa
gloire ne disparut pas tout-à-coup. Cyrus ne fut pas
son destructeur; il essaya au contraire de lui con-
server, par des institutions sages, la prééminence
parmi les nations ; il la laissa à son successeur dans
toute sa force et toute sa magnificence. Mais,
après s'être révoltés contre Darius , les Babylo-
niens se préparèrent à soutenir un nouveau siège
et défièrent toute la puissance réunie de l'empire
perse. Déterminés à ne pas se rendre, et résolus
à ne pas céder même à la famine, ils eurent la
cruauté de mettre à mort toutes les femmes
de la vilk , k l'exception de leurs mères et d'une
seule femme, la plus chérie dans chaque famille ,
pour cuire le pain. On rassembla toutes les autres
et on les étrangla ^\ « Ces choses t'arriveront en
« un moment , en un même jour, la privation
« d'enfants et le veuvage; elles sont venues sur
tt toi dans tout leur entier, pour le grand nombre
« de tes sortilèges et pour la grande abondance
« de tes enchantements. Et tu t'es confiée en ta
« malice. » Certes ces choses vinrent sur eux
(71) Hérodote, 1, III, cb. cl ; t. III, 160, édit. Foui.
ûO BABVLONE. CH. II.
dans tout leur entier , lorsqu'ils étranglèrent
leurs femmes et leurs enfants de leurs propres
mains. Et ee fut encore cette fois « subitement, »
en un c( même jour, » que toutes ces victimes pé-
rirent; le veuvage fut si général que plus tard
il ft\llut rassembler des provinces éloignées 50,000
femmes pour remplacer celles qui furent alors
massacrées. La « privation d'enfants» fut d'autant
plus sentie que ce furent les mères qu'on épargna
et qui restèrent pour les pleurer. Ils se confièrent
en yain « k leur malice; » car en devenant ainsi
les instruments de l'exécution d'un des jugements
qui devaient fondre sur eux , ils ne diminuaient
pas la grandeur de leurs iniquités; et c'était à
cause de ces iniquités mêmes que d'autres mal-
heurs allaient fondre sur Babylone. Les habitants
se croyaient en état de défier la famine. Le stra-
tagème de Cyrus ne pouvait plus être un piège
pour eux; il leur était facile de déjouer un sem-
blable projet; cependant ce ne fut «pas en vain y>
que Darius assiégea Babylone. .
Dans le vingtième mois du siège , un Perse ,
couvert de marques de mauvais traitements , le
corps ruisselant de sang , le nez et les oreilles cou-
pés , se présenta seul devant une des portes de
Babylone ; objet digne de pitié, il devait être sinon
un gi^and criminel , du moins la victime d'une af-
freuse cruauté. Il s'était échappé du camp; ce
n'était pas un déserteur obscur, qu'on aurait natu-
rellement repoussé loin des murs de la ville; c'é-
tait Zopyre, un des principaux seigneurs du
royaume de Perse. Il assura aux Babyloniens
qu'il n'avait pas reçu ce traitement comme châj
timent d'aucun crime, mais que ces blessures
dont son corps était sillonné n'étaient autre chose
que les traces du déplaisir et de la colère du roi ,
parcequ'il lui avait donné le conseil de lever un
CH. lï. BABYLONE. 51
siège dont il considérait la réussite comme im-
possible. Cet avis avait , dit-il , réveillé toutes
les craintes et blessé Torgueil du monarque , et
toute sa fureur s^était épuisée sur son fidèle con-
seiller. Pour un esprit altier comme le sien^ la
honte était pire que la souffrance , et il venait
maintenantsejoindre aux rebelles, le cœur brûlant
du désir de la vengeance. « Je viens, leur dit-il,
vous faire un grand bien , et en même temps un
grand mal à Darius , à son armée et à toute la
Perse. L'outrage que j'ai reçu ne restera pas sans
vengeance ; car je connais ses projets et je vous les
communiquerai. » Avec de telles promesses et de
telles paroles , les Babyloniens ne songèrent pas
à douter seulement de la sincérité de Zopyre ,
ni de son dévouement à leur cause, puisque cette
cause semblait s'identifier à son espoir de ven-
geance. Il ne voulait que combattre contre
leurs propres ennemis. Sur sa demande, on lui
confia sans hésitation un commandement mili-
taire. Ce n'était pas alors une vertu que de par-
donner le mal , et la vengeance était en honneur.
Zopyre fit espérer aux Babyloniens qu'il parvien-
drait bientôt à se venger de celui qui l'avait si
cruellement fait souffrir. A leur grande joie , dix
jours après son arrivée dans la ville, une occasion
favorable se présenta; il fit une sortie par la
porte de Sémiramis, tomba sur un détachement
de l'ennemi et lui tua 3,000 hommes; et, sept
jours plus tard , deux fois autant périrent près de
la porte de Ninias. Les habitants de Babylone
sentirent alors renaître leur courage et leur
ardeur.
Les louanges de Zopyre étaient dans toutes
les bouches ; on lui accorda un commandement
supérieur; mais pendant vingt jours les Perses,
devenus plus craintifs, ne prêtèrent nulle part le
Ô2 iiAnvLONE. en. n.
liane à une attaque; au bout de ce temps Zopyre
se montra digne d'une conliance plus j,^rande en-
core par une sortie qu'il lit faire par la porte de
Chaldée, et dans laquelle il tua i,0()0 soldats en-
nemis. Pour le récompenser de pareils services,
et pour prouver la haute estime qu'on avait pour
sa lidélitc, sa bravoure et son habileté , non-seu-
lement on lui accorda le commandement en chef
de l'armée ^ mais encore on lui confia le poste le
plus important et le plus honorable de Babylone,
celui de gardien des murailles ''.
Darius, comme pour se mettre a l'abri de ces
surprises et de ces pertes inutiles, se rapprocha
des murs de la ville. On les garnit de troupes suf-
fisantes pour résister aux attaques, mais la perfidie
de Zopyre, dont les Babyloniens et les Perses ne
se doutaient pas plus les uns que les autres , se
fit alors connaître. A peine l'ennemi s'était-il ap-
proché , à peine les citoyens étaient-ils arrivés
sur les murailles , que Zopyre , à qui était con-
fiée la garde des portes , fit ouvrir celles qu'on
appelait Cissiènes etBélides, et auprès desquelles
les troupes d'élite des Perses étaient stationnées '^
C'était un piège préparé d'avance; Darius en con-
naissait seul le secret ; Zopyre l'avait conçu et
c'était de lui-même et de son plein gré qu'il s'était
mutilé. A la gloire d'un tel dévouement on ajouta
de grands honneurs et d'immenses richesses ;
et on lui accorda le gouvernement de Babylone
exempt de tout tribut.
On avait arrangé d'avance le nombre d'hom-
mes qu'il fallait sacrifier, la position que les
troupes devaient occuper, et l'intervalle entre
les sorties était aussi fixé. Darius sacrifia aussi fa-
cilement la vie de 7,000 hommes que Zopyre s'é-
(72) HérocL, ch. clh-clvii, p. 166-173. — (73) Ibid. ch. clviii^
IIX.
en. H. BABYLONE. 53
tait infligé des Ijlessures incurables. «C'est ainsi,
dit Hérodote, que Babylone fut prise une se-
conde fois. » Et ce fut ainsi que la parole de Celui
qui voit la fin dé toutes choses dès le commen-
cement fut une seconde fois accomplie contre
Babylone : « Il ne retournera point a yide. »
Babylone fut prise une troisième fois par
Alexandre-le-Grand. Mazœus, général perse, lui
rendit la ville, et il y entra à la tête de son armée
rangée en ordre de bataille '\ Encore une fois
elle c( fut remplie d'hommes ; » chacun d'eux « fut
<( rangé en homme de guerre contre elle. » Le
siège d'une ville défendue par d'aussi superbcA
fortifications'^ aurait été une entreprise difficile
et pénible, même pour le conquérant de l'Asie;
mais les habitants de Babylone se précipitèrent
sur les murailles en toute hâte pour voir leur nou
veau roi , et ils échangèrent sans lutte le roi de
Perse pour le roi de Macédoine. Babylone fut
ensuite prise par Antigone , par Démétrius , par
Antiochus-le-Grand et par les Parthes. Ainsi , quel
que fut le roi ou la nation qui marchât contre
elle , « personne ne retourna à vide. »
Chaque pas de la décadence de Babylone est
raccomplissement d'une prophétie. Conquise la
première fois par Cyrus '^ , elle cessa d'être
ville impériale et ne fut plus qu'une ville tribu-
taire. « Descends, assieds-toi sur la poussière,
« vierge , fille de Babylone, assieds-toi à terre ; il
« n'y a plus de trône pour la fille des Chaldéens.»
Après la révolte des Babyloniens contre Darius,
les murs furent baissés et les portes détruites ".
«La muraille même de Babylone est renversée.»
(7A) Quadrato agmine, quod ipse ducebat, velut in aciem irent,
ing:redi svios jubet. Quint. Gurt. 1. V, ch, m.
(75) Tam munilae urbis. Ibid. — (76) Hérod. I, c\Li.
(77) Rérod., III, cl.
''>î OAWYLONK. CH. II.
Xerxès, a])rès sa relraite ij;ii()iiiii)ieiise(ie la Grèce,
pilla le temple de Babylone'% dont les idoles en
or étaient seules estimées à ,500,000,000 de
tVaiics, et s'empara en outre de vastes trésors.
« Je punirai aussi Bel a lîabylone et je tirerai hors
« de sa bouche ce qu'il avait englouti. » — «Je pu-
te nirai les images taillées de Babylone^'^ )>
Alexandre-le-Grand entreprit de rétablir Ba-
bylone dans sa gloire première, et eut l'idée d'en
faire la métropole d'un empire universel; mais
pendant que plusieurs milliers d'hommes étaient
employés à rebâtir le temple de Bélus et à répa-
rer les quais de l'Euphrate ^% le conquérant du
monde mourut à la fleur de son âge et k l'a-
pogée de sa grandeur. « Prenez du baume pour
« sa douleur , peut-être qu'elle guérira ; nous
^< avons traité Babylone, et elle n'est point gué-
ce rie ^*.
Patrocle, gouverneur de Babylone sous Sé-
leucus , l'un des successeurs d'Alexandre , ayant
appris que son ennemi Démétriùs s'approchait ra-
pidement h la tête d'une armée considérable , et
n'ayant lui-même qu'un petit nombre de troupes à
sa disposition , n'osa pas l'attendre , mais donna
l'ordre aux Babyloniens de quitter la ville et de
« fuir au désert^-. » De son côté , il alla camper
avec son armée dans les marais de l'Euphrate ,
persuadé qu'il y serait plus en sûreté que derrière
les murs de Babylone. A son entrée dans cette
ville , Démétriùs , qui y était arrivé avec la rapi-
dité d'un torrent qui se déborde , la trouva com-
plètement déserte. « Voici, il montera comme un
« lion monte , à cause du débordement du Jour-
(78) Hérod., I, cLxxxiii. — (79) Jéiémie, LI, 4/i, 47, 52.
(80) Arrian., 1. VII, c. xvii. —Stiabon, XVI, p. 738.
(81) Jérémie, LI, 8, 9.
(8?.) (I)u-j^ctv^'£;TriV £p*/;p.cv. Dlod. Sic. t. VIII, l. xix,423, 4^4-
cil. ïî. BABYLONE. 55
« clain vers la demeure forte , et en un moment je
« le ferai courir sur elle^\ »
Baby lone ne tarda pas à revoir ses habitants ^
mais le voisinage de la ville de Séleucie lui fut
désormais fatal , en lui enlevant une partie de sa
population. Tel était en effet, comme Pline le rap-
porte 5 et comme Font depuis longtemps observé
les auteurs chrétiens, le but que s'était proposé
le fondateur de Séleucie, et c'est surtout à la fon-
dation de cette ville qu'il faut attribuer le déclin
de Babylone**\ Ptolémée Evergète, qui étendit ses
conquêtes au-delà de l'Euphrate , fit transporter
en Egypte 2,500 idoles , au nombre desquelles il
s'en trouvait plusieurs que Cambyses, roi de Ba-
bylone, avait autrefois enlevées aux Egyptiens^".
A une époque plus rapprochée, environ 1 30 ans
avant l'ère chrétienne, Phrahates5roi des Parthes,
s'étant vu obligé , comme le rapporte Justin , de
marcher contre les Scythes qui ravageaient son
territoire, délégua son autorité entre les mains
d'un certain Himère. Cet homme, que sa beauté
seule avait recommandé à la faveur de Phrahates ,
oublia son origine obscure et ses devoirs de gou-
verneur , et opprima cruellement les Babylo-
niens et les autres peuples soumis à ses caprices ^^.
Phrahates périt dans son expédition contre les
Scythes, et son oncle, qui lui succéda, étant mort
en combattant les Thogares, Mithridate-le-Grand,
son fils, fut aussitôt proclamé roi de Parthie.
(83) Jérémie, L, 44-
(84) In solitudinem rediit exhausta vicînitate Seleuciae, ob id
conditae a Nicatore. Plin. Nat. HisUy 1. VI, c. xxxvi.
(85) Hiéron, t. V, p. 706, in Dan., XI, 8.
(86) Phrahates, cum adversuseos proficisceretur, ad tutelam
regni reliquit Himerum quemdara, pueritiœ sibi flore conciliatum ,
qui lyrannica crudelitate, oblitus et vitae praeteritae, et vicarii officii ,
Babylonios, multasque aUas civitates importuné ve*avit. Justinus,
1. xLii, p. 268.
5C ItABYLONE. CH. 11.
Diodure de Sicile parle, par inadvertance sans
doide, deEvenicieou Hunièrc comme d'un roi des
Parlhes, ajoutant toutefois qu'il était Hyrcanien
de naissance : mais ce qu'il rapporte de sa cruauté
envers les Babyloniens prouve abondamment
que les jugements prononcés par les prophètes
contre Babylone continuaient de recevoir leur
pleine et entière exécution. « En méchanceté., dit
cet historien, il surpassa les tyrans les plus cruels :
il n'est pas de supplice imaginable auquel il n'ait
eu recours. Sans la plus légère cause , il fit char-
ger de chaînes un grand nombre de Babyloniens,
et les envoya avec leurs femmes et leurs enfants
en Médie , ordonnant qu'on vendit tout ce qu'ils
possédaient, et, au besoin, qu'on les vendît eux-
mêmes comme du butin. Il incendia le forum de
Babylone ainsi que plusieurs temples de cette
ville dont il détruisit la plus belle partie ^^ »
« Il n'y a plus de trône pour la fille des Chal-
« déens, car on ne parlera plus de ta mollesse et
« de ta délicatesse. Mets la main aux meules, et
« fais moudre la farine, etc. » Cette prophétie est
également interprétée par Grotius et Lowth de
la manière suivante , mais sans que ces deux au-
^^y) 'On Eù'/ifjLspoç 6 Twv Ilapôtov pacùsuç, 'Yp>caviGÇ wv to -^c-
vc; , wpxTT/Ti ^£ UTTspêaXXtov -Travra; tgu; {^,v/ip.ov£ucty.£vcuç Tupav-
VOU; , CtJX 6(7T'.V OTTCICV Ttawpta? -^SVOÇ aTTSXlTTS. noXXci); S'a 7Ct>V Ba.-
êjXo)v'.wv xai £7:t rai: Tuy^cuo-atc atTiatç 7ravot>c'.cu; £;av5'pa7rc-
â''.(7a(j.&vcc zl; Ty;v Mvi^tav i'^zTzeu.'^z 7rps(rraEa; XaîpuTTtoXr.cat (*) xai
TTiÇ BaêuXoivoç tyiv à'YOpay )cai riva t<ov Upojv £V£T:p'/)(T£ , /.y.i to
x-paTi(rrcv rri; ttcXec; di£cpOctp£. Diod. Sic, vol. X, p, 128, traduit
ci-dessus. — Ce passage de Diodore est cité par Usher et Tévêque
NewtoB, etc., au sujet de la désolation de Babylone et des cruautés
(*) Xy.fjpy. est un terme qui s'applique aux dépouilles prises
AUX vivants par opposition à a/y/a, dépouilles des morts. Scap.
Le mot composé dont se sert Diodore dénote que les captifs eux-
mêmes étaient vendus comme du butin et que, par conséquent,
ils étaient soumis à la sei-vitnde la plus abjecte, à la spoliation
la plus absolue.
CH. II. BABYLONE. O /
teurs fassent de rapprochement entre le fait de
l'esclavage ou de la servitude des Babyloniens
et la prophétie elle-même. ^ Prépare-toi pour
des offices servîtes ^\ De maîtresse de plusieurs
royaumes 5 tu deviendras une vile esclave; tes
enfants seront , dans leur captivité , employés à
moudre la farine : et cette occupation était consi-
dérée comme la plus basse de toutes (voir
Exode, xi; Juges, XVI521). Elle correspondait
anpistrinum^ emploi de celui qui tournait la meule
chez les Romains^^. » Himère, le plus cruel des
tyrans, qui exerça toutes les cruautés imagina-
bles envers les Babyloniens , et qui en réduisit un
grand nombre en esclavage , dut nécessairement
les soumettre aux travaux les plus vils de cet
état. ((Je ferai cesser l'arrogance de ceux qui se
((Conduisent avec fierté, et j'abaisserai l'orgueil
« de ceux qui se font redouter. »
Dans «leur fuite soudaine » à l'approche de
auxquelles ses habitants furent exposés; mais ces auteurs n'y ont
pas vu de rapport direct à telle ou telle prédiction. La traduction
latine , à laquelle ils ont recours, ne dit pas, comme le fait Tori-
ginal , que le tyran donna l'ordre de vendre les dépouilles ou les
exilés eux-mêmes en guise de butin. Cela pourtant est digne de
remarque; car Low th, qui ne s^appuie pas du témoignage de
Diodore ni de celui d'aucun autre auteur, interprète ainsi qu'il
suit ces paroles du Prophète : «Découvre tes tresses, » — « tes che-
veux tomberont sur tes oreilles, ils ne seront plus tressés ni retenus
par un diadème; tn seras privée de toutes les parures, de tous les
ornements dont tu étais vaine, parcequ'ils étaient étaient les marques
de ta qualité; les personnes du plus haut rang elles-mêmes per-
dront ce qui faisait leur joie : elles seront menées en captivité dans
un état abject et couverles de haillons. » Voilà comment cet habile
commentateur expliqua ces paroles avant qu'aucun rapprochement
n'ait été établi entre le fait en question et la prophétie dont il est
l'accomplissement. Et ce commentaire s'est vu confirmé plus de
cent ans après par les mots omis dans la traduction du texte grec,
mots que Ton trouve dans toutes les éditions anciennes ou mo-
dernes des ouvrages de Diodore.
(88) Para te servilibus ministeriis. Grot. — Esaïe, XLVIÏ , 1, 2.
(89) Lowth. — Esaïe, XIII, IJ.
3.
58 BAftVLÔNE. CM. a.
Déinélriiis , quelques-uns des habitants de Bahy-
lone quillèrent l'Euphrale et se réfugièrent au dé-
sert; d'autres passèrent le Tigre pour se rendre
dans la Susiane. Quant à Patrocle et àsessoldats,
ils trouvèrent leur salut au milieu des marais,
des fossés et des rivières qu'ils furent obligés de
franchir dans leur retraite précipitée. Après avoir
réduit un grand nombre de Babyloniens à l'es-
clavage 5 Himère les exila en Médie , « pays situé
au-delà du Tigre, du Choaspe et des rivières
qui en sont tributaires ; » mais d'abord il ordonna
que l'on vendît leurs effets précieux; aussi bien,
les ornements riches et éclatants de la fille de
Babylone ne convenaient plus à de malheureux
exilés, ni à l'état abject et aux travaux auxquels
ils étaient soumis: Les ordres de leurs gouver-
neurs étrangers recevaient leur exécution ; mais il
avait été depuis longtemps écrit de la fille des
Chaldéens : « Découvre tes tresses, déchausse-toi,
« trousse-toi, passe les fleuves , etc. Et tu as dit :
« Je serai reine à toujours; tellement que tu n'as
« point mis ces choses-là dans ton cœur , tu n'as
« point pensé à ce qui t'arriverait unjour ^^.w
Xerxès, roi de Perse , dépouilla les temples de
Babylone des idoles qui s'y trouvaient. Elles
étaient en si grand nombre que leur poids en or
s'éleva à 400,000 livres. Nous avons dit plus haut
que Ptolémée Evergète, ayant étendu ses conquê-
tes au-delà de l'Euphrate, en rapporta à son retour
précipité en Egypte, oîi il avait été subitement
rappelé, 2,500 idoles.
Lorsque les Babyloniens abandonnèrent leur
ville natale pour s'établir à Séleucie, qui était à
environ seize lieues de Babylone, et lorsque plus
tard ils se virent obligés de se rendre en Médie
(90) Esaïe, XL VII, 2, 7.
CH. II. ÔABYLÔNE. 59
avec tout ce qu'ils possédaient ( Tiavoi/aouc; ) ^ il
est probable que ^ malgré les difficultés du trans-
port ^ ils ne laissèrent pas derrière eux leurs
dieux domestiques. On doit supposer au con-
traire qu'après avoir vu brûler leurs temples,
les Babyloniens, toujours idolâtres, et condamnés
désormais à un esclavage et à un bannissement
perpétuels,emmenèrentun grand nombre de leurs
idoles dans le pénible pèlerinage qu'ils firent vers
la terre d'exil, au pays lointain de leurs ennemis.
Aussi avait-il été écrit : a Leurs faux dieux ont
« été mis sur des bêtes et sur des chevaux; les
<c idoles que vous portiez les ont chargés, elles
<( ont été un fardeau aux bêtes lassées. Elles ont
«été renversées, elles sont tombées ensemble
<i sur leurs genoux, elles n'ont pu éviter d'être
« chargées. »
«Et elles-mêmes sont allées en captivité^*. »
La Médie fut dès le commencement appelée à
prendre part au siège de Babylone; car l'esprit
de Dieu était tourné contre Babylone pour la dé-
truire. Et quand les temps furent accomplis,
c'est-à-dire 308 ans après le siège de cette ville,
et 582 ans après la prophétie , les Babyloniens fu-
rent en effet « envoyés captifs « en Médie.
Himère, natif d'Hyrcanie, et à peine alors au
sortir de l'enfance , dut à sa beauté {flore pueri-
tiœ) d'être nommé gouverneur pendant l'absence
du roi. Oubliant son origine, il abusa tellement
du pouvoir auquel il avait été subitement élevé,
qu'il surpassa tous les tyrans en cruauté. Et si,
d'un côté , sa méchanceté raffinée ne faisait que
remplir la coupe d'amertume préparée de longue
date aux Babyloniens, de l'autre, onpeutlui ap-
pliquer à lui-même lesparoles du prophète : « Si les
(91)Esaïe, XLVI, j, 2.
GO nAHYLONE. CH. 11.
« plus j»ol ils (III lrc)U|)eau,clit-il, ne les tiaînentpar
«terre, et si on ne détruit leurs cabanes sur
c( eux*-^*! » Sa jeunesse et la cause ridicule de son
élévation au pouvoir nous le montrent indubita-
blement comme « le plus petit du troupeau, » et
en exécutant « la résolution que TEternel avait
« prise contre Babylone, » on ne peut nier « qu'il
« ne les ait traînés par terre, qu'il n'ait détruit
« leurs cabanes sur eux. »
Il les renvoya de Babylone avec tout ce qu'ils
possédaient. Mais cette émigration forcée avait
été précédée, comme elle fut suivie, d'une émi-
gration volontaire de la part d'un grand nombre
de Babyloniens qui s'établirent à Séleucie, selon
ce qui avait été prédit : « Tant les hommes que
<( les bêtes se sont enfuis et s'en sont allés ^\ »
Avant la destruction du temple de Bélus , bâti
dans le principe pour fixer la race humaine dans
les plaines de Shinar, avant que les temples des
dieux et les riches palais des habitants de Baby-
lone eussent été la proie des flammes, on conçoit
que les Babyloniens n'aient pu se décider à s'en
éloigner. Mais le jugement de Dieu devait s'appe-
santir sur leurs temples magnifiques , non moins
que sur eux-mêmes et sur les vains objets de leur
coupable idolâtrie. Les devins, les astrologues,
ceux qui faisaient des pronostics mensuels, ne
purent détourner des habitants les calamités qui
s'amoncelaient sur leurs têtes, car le temps était
venu ou les temples des Babyloniens ne devaient
plus leur servir de lieux forts et de retraites , oîi
tous leurs efforts , soit pour soustraire à leur sort
les malheureux habitants , soit pour sauver leurs
demeures, devaient être aussi inutiles que leur
science était yaine. En effet, il est expressément
(92) Jérémie, L, 45. — (93) Ibid., 3.
CH. II. CABYLONE. 61
rapporté qu'Himère mit le feu au forum et à plu-
sieurs temples 5 et qu'il détruisit la plus belle
partie de la ville. « Voici , ils sont devenus comme
« de la paille ; le feu les a brûlés ; ils ne délivreront
« point leur âme de la violence de la flamme^.
«Ainsi, a dit l'Eternel , les peuples auront tra-
ct vaille pour néant , et les nations pour le feu , et
«elles s'y seront lassées^". » — «Je punirai aussi
« Bel à Babylone, et je tirerai de sa bouche ce qu'il
« avait englouti 5 et les nations n'aborderont plus
« vers lui®^. »
« C'est la vengeance de l'Éternel; vengez-vous
« d'elle, faites-lui comme elle a fait. » — « Malheur
« à eux, car le jour est venu et le temps de leur
« visitation. On entend la voix de ceux qui s'en-
« fuient et qui sont échappés du pays de Babylone
« pour annoncer dans Sion la vengeance de l'Eter-
«nel notre Dieu, la vengeance de son temple.
« Rendez-lui selon ses œuvres , faites-lui selon
« tout ce qu'elle a fait, car elle s'est élevée avec
« fierté contre l'Eternel, contre le Saint d'IsraëP'.
« Mais je rendrai à Babylone et à tous les habi-
« tants de la Chaldée, à vos yeux, tous les maux
« qu'ils ont faits dans Sion, dit l'Eternel. »Le Dieu
fort des rétributions , l'Eternel ne manque jamais
à rendre la pareille^^ Les faits relatifs au siège de
Jérusalem et à la captivité des Juifs se sont,
comme nous l'avons vu, substitués aux prédic-
tions , et nous pouvons désormais établir un pa-
rallèle entre la conduite des Babyloniens et le
châtiment qu'elle leur attira.
« Et l'Eternel envoya contre lui des troupes de
« Chaldéens, et des troupes de Syriens, et des
« troupes de Moabites , et des troupes d'Ammo-
« nites , et il les envoya , dis-je , contre Juda pour
(94) Esaïe, XL VII, 14. — (95) Jér., LI, 58 — (96) Ibid., LI, 4^4.
(97) Jér., L, 15, 27, 28, 29. — (98) Ibid., LI, 2/i, 56.
62 MAnYLONK. eu. II.
« le (^étnlire'^^ » Aussilôl que le jour de la rétri-
bution fut arrivé 5 la plupart des j^Mandes nations
comprises entre l'Egypte et la mer Caspienne,
entre la Lydie et le golfe Persique , marchèrent
d'un commun accord contre Babylone. « Nebu-
c( cadnetzar, roi de Babylone , vint contre Jéru-
« salem, lui et toute son armée , et il campa con-
« tre elle , et ils bâtirent des forts tout autour , et
«la ville fut assiégée *^^ » Cyrus , après avoir
réuni les nations de l'Asie contre Babylone ^ alla
camper autour de ses murailles; en un mot, il fit
le siège de cette ville qui avait été si longtemps la
terreur des nations. «Ils prirent donc le roi, et
« le tirent monter vers le roi de Babylone à Ribla,
« oil on lui fit son procès , et on égorgea les fils de
« Sédécias en sa présence... Le prévôt de l'hôtel
« emmena aussi Séraja , premier sacrificateur ; et
« Sophonie , second sacrificateur ; et les trois
« gardes des vaisseaux. Il emmena aussi de la
« ville un officier qui avait la charge des gens de
« guerre , et cinq hommes de- ceux qui étaient
« près de la personne du roi qui furent trouvés
« dans la ville ; de plus le secrétaire du capitaine
« qui tenait les rôles du peuple , du pays et
« soixante hommes d'entre le peuple , qui fu-
« rent trouvés dans la ville. Nebuzar-Adan les
« mena au roi de Babylone... et le roi de Baby-
« lone les frappa et les fit mourir. » Or, pendant
la nuit oil Babylone fut prise, le roi fut mis à
mort avec un grand nombre de ses principaux
officiers. Et le massacre des gouverneurs d'Is-
raël fut amplement vengé par Darius, qui, selon
Hérodote, fit empaler 3,000 des plus notables
habitants de Babylone*^'. «Et toute l'armée qui
« était avec le prévôt de l'hôtel démolit les mu-
(99) II Rois, XXIV, 2. — (100) Ibid., xxv.
(lOJ) II, Rois, XXV, 6, 7, 10, 15, 21.
CH. il. BABYLONE. 63
« railles de Jérusalem tout autour. » C'est ainsi
que plus tard Darius démolit à son tour les murail-
les de Babylone. « Nébucadnetzar emporta aussi
« à Babylone des vases de la maison de l'Eternel,
« et il les mit dans son temple à Babylone^^ »
Cyrus, Xerxès etDarius s'emparèrent successive-
ment des trésors du temple de Bélus. Ces princes,
adorateurs du feu , furent les instruments de la
vengeance prédite contre le temple de Babylone
au sujet de la destruction de celui de Jérusalem ;
enfin Bel fut dépouillé de tout ce qu'il contenait
d'objets précieux, ses idoles furent brisées, et
ce qu'il avait englouti lui fut arraché de la bouche.
« Nebuzar-Adan , prévôt de l'hôtel, officier du
c( roi de Babylone, entra dans Jérusalem, et il
« brûla la maison de l'Eternel , et la maison
« royale , et toutes les maisons de Jérusalem , et
« il mit le feu à toutes les maisons des grands'. »
Himère, vice-gouverneur du roi des Parthes,
incendia le forum et quelques-uns des temples de
Babylone , et détruisit la plus belle partie de la
ville. « Ils continuèrent de plus en plus à com-
et mettre de grands crimes... ils se moquaient des
« envoyés de Dieu, etc.. C'est pourquoi il fit ve-
« nir contre eux le roi des Chaldéens, etc.. il les
« livra tous entre ses mains ^ » Les Juifs captifs
« furent les esclaves du roi des Chaldéens et de ses
« enfants. On ne laissa pour labourer la terre et
« tailler la vigne que les plus pauvres des habi-
« tants du pays, et eux aussi furent les serviteurs
« du roi de Babylone. » Voyons maintenant ce
qui arriva aux conquérants, après avoir été
eux-mêmes vaincus par Cyrus.
Ce prince déclara lui appartenir les biens ainsi
que les personnes des Babyloniens. Après la prise
(402)11, Chron., xxxvi, 7.
(1) II RoiSj XXV) 8, 9. — (2) II, Chron., xxxv, 1/i, 16, 17.
fii BABVLONi:. CH. îï.
ile leur ville, il exigea cjifils lui livrassent leurs
armes sous peine de mort. Un autre décret les obli-
gea à cultiver la terre, à j)ayer le tribut, à servir
ceux dont ils devenaient la propriété; et Cyrus
voulut que les Persans et leurs alliés parlassent
en maîtres à leurs nouveaux esclaves. Dans une
allocution qu'il fit à ses généraux, il maintint que
tout leur appartenait par droit de conquête ,
comme par une loi éternelle ; qu'ils pouvaient par-
conséquent se considérer comme les possesseurs
légitimes d'un pays vaste et fertile, et d'un peuple
qui le cultiverait à leur profit.
Après avoir vécu pendant plusieurs années dans
cet état de dépendance, les Babyloniens finirent
par se révolter contre leurs oppresseurs, et s'ex-
posèrent de la sorte à un « esclavage » aussi hu-
miliant et aussi pénible que celui qu'ils avaient
autrefois imposé à leurs ennemis. Ils avaient sou-
mis les Juifs « à une dure servitude , » ils n'en
avaient pas eu pitié , mais « les avaient asservis. »
Cyrus à son tour, afin de s'assurer de la soumission
des Babyloniens , les réduisit à l'état le plus misé-
rable. Le peuple idolâtre avait autrefois exercé
d'indicibles cruautés contre les adorateurs du
Dieu d'Israël, et maintenant de pareilles cruautés
étaient exercées contre lui par les adorateurs du
feu et les ennemis de l'idolâtrie. Et si jadis Israël
fut traité sans miséricorde , aujourd'hui c'est
Himère qui n'a « pas de pitié » pour les habitants
de Babylone. Babylone qui avait mené Judas en
captivité, « qui frappait avec fureur les peuples
de coups qu'on ne pouvait détourner.^ » devient
elle-même v ictime de la colère qu'elle avait pro-
voquée; elle est sans cesse frappée de coups,
comme l'aire oii l'on bat le blé. Elle continua de
gémir dans cet état, et d'être l'opprobre des na-
tions pendant les quatre cents ans qui s'écoule-
CH. if, BABYLONE. 65
rent depuis que Cyrus en fit la conquête^ jusqu'au
jour oil ses habitants, condamnés à expier le crime
qu'avaient commis leurs ancêtres en détruisant
le temple du Seigneur, se virent eux-mêmes ré-
duits à l'esclavage et chassés de Babylone à la
lueur de leurs temples incendiés.
C'est ainsi que cette ville aux palais dorés , et
qui avait jadis fait la loi à Jérusalem, fut pendant
plusieurs siècles dans un état voisin de sa ruine.
En vain Cvrus voulut lui rendre son ancien éclat en
y fixant le siège de son empire ; les rois de Perse,
ses successeurs, préférèrent habiter Suse, Persé-
poiis ou Ecbatane, villes situées dans leur propre
pays. Les successeurs d'Alexandre ne s'occupè-
rent pas non plus d'achever ce que ce conquérant
avait fait pour rendre à Babylone sa prééminence
et sa grandeur; et, après la subdivision de son
immense empire, Babylone se vit préférer Séleu-
cie, même par les rois d'Assyrie durant leurs
excursions en Chaldée. C'est ainsi que sous la do-
mination persane et , plus tard , sous la domina-
tion des Grecs , les habitants , suivant l'exemple
de leurs rois, abandonnèrent la ville de Babylone
comme si vraiment ils se fussent dit : « Laissez-la,
« et nous en allons chacun dans son pays, car sa
« condamnation est parvenue jusqu'aux cieux et
« s'est élevée jusqu'aux nues. » (Jér., l.)
Mais il y avait des malédictions prononcées
contre la terre de Chaldée aussi bien que contre
sa capitale , et, en examinant leur accomplisse-
ment , nous parviendrons à connaître toute l'é-
tendue de la désolation actuelle de Babylone.
« Ils viennent d'un pays éloigné , du bout des
« cieux, pour détruire le pays. Car de grands rois
« aussi et de grandes nations les assujétiront. »
Les Perses, les Macédoniens, les Parthes, les Ro-
mains, les Sarrazins et les Turcs, sont les princi-
f)fi nABTLONR. r.rtft. n.
paiix i)eu|)l('s (jui out successivemont régné sans
|)it ic sur la I orn» de Hahylone. Cyrus ot Darius, rois
de Perse, Alexandre-lc-Grand^Sélcurus, rois d'As-
syrie, Demetrius et Antiochus-le-Grand, Trajan ,
Sévère, Julien et Héraclius^ empereurs de Rome,
et le vietorieux Omar, successeur de Mahomet,
Holagouet Tamerlan, voilà les grands roisquiont
tour h tour asservi et détruit tout le pays, et qui
ont exigé un tribut inoui dans l'histoire des nations
de la terre. Plusieurs de ces peuples n'existaient
pas au temps des Babyloniens, et d'autres étaient
entièrement inconnus à l'époque delà prophétie ;
cependant il est facile de voir maintenant que la
plupart de ces rois et de ces nations « sont venus
« d'un pays éloigné , du bout des cieux. »
« Ils sont cruels, ils ne sont que fureur et ardeur
« de colère pour réduire le pays en désolation. »
Les Perses exerçaient à Tenvi , avec les Parthes,
leur cruauté contre leurs ennemis vaincus. Trois
mille Babyloniens furent empalés par l'ordre de
Darius. Les conquérants de Macédoine n'étaient
guère portés à la miséricorde ; Antigone et Séleu-
cus se disputèrent longtemps la possession de la
Chaldée; et après la longue domination des Seleu-
cides les Parthes, connus parleur cruauté, y com-
mirent toutes sortes d'excès. Au deuxième siècle
de l'ère chrétienne, les Romains, venus « d'un pays
« éloigné , » continuèrent à « réduire le pays en
« désolation, » et accomplirent aussi la parole du
prophète. « Sous le règne de Marcus , les géné-
raux romains pénétrèrent jusqu'à Ctésiphon et
à Séleucie. La colonie grecque les reçut en
amis; ils attaquèrent en ennemis la capitale
du roi des Parthes ; mais les deux villes subirent le
même sort. Le sac et l'incendie de Séleucie et le
massacre de 30,000 de ses habitants ternirent
la gloire du triomphe. Séleucie ne se releva plus
CM. II. BABYLONE. 67
après cette chute; mais trente-trois ans plus tard
Ctésiphon avait recouvré assez de force pour
soutenir un siège que lui fit Tempereur Sévère.
Ctésiphon fut trois fois assiégée et trois fois prise
par les prédécesseurs de Julien \ » Et lorsque
Julien vint y mettre le siège, sa colère ne fut pas
apaisée, et la cruauté de son armée ne fut pas di-
minuée par la résistance que les habitants de Cté-
siphon firent éprouvera 60,000 assiégeants. L'em-
pereur Julien abandonna les champs de l'Assyrie
aux dévastations de la guerre, et le philosophe se
vengea ainsi sur un peuple innocent de la rapine
et de la cruauté que son orgueilleux maître avait
exercées dans les provinces romaines.
Les Perses purent contempler du haut des murs
de Ctésiphon la désolation de tout le pays envi-
ronnant \ La violence avec laquelle les Romains
exercèrent leur vengeance contre les habitants de
la Chaldée souleva « l'ardeur de leur colère , » et
ces deux causes se réunirent pour rendre la déso-
lation du pays plus complète et plus générale. La
vaste étendue de territoire qui ^se trouve entre le
Tigre et les montagnes de Médie était couverte
de villages et de villes, et le sol généralement fer
tile était encore enrichi par une bonne culture :
mais à l'approche des Romains cet aspect riant
fut tout-à-coup changé. Partout sur leur passage,
les habitants, désertant leurs villages, se réfu-
giaient dans les villes fortifiées ; on chassait le bé-
tail , on mettait le feu à l'herbe et au blé déjà
mûr ; et dès que les flammes qui interrompaient
les progrès de Julien eurent diminué, il ne vit
plus autour de lui que le triste spectacle d'un dé-
sert aride et embrasé ^. Mais la seconde ville de
la province , grande , populeuse et bien fortifiée ,
(3) Gibbon, vol. I, ch. viii, p, 212 — {H) Ibid., II, xxiv, 369.
(5) Ibid., vol. II, ch. xxiv, p. 374.
(>f> HAnVLOE. Cil. II.
clierchn cii vain à résisler à une; allacjuc violente
et désespérée; on parvint h faire une; large brè-
elie aux murailles; les soldais de Julien se pré-
eipitèrent avec impétuosité dans la ville ^ et après
que le soldat eut assouvi toutes ses passions dés-
ordonnées, Périsabor fut réduite en cendres, et
on planta les machines qui devaient servir à l'as-
saut de la citadelle sur les murs encore fumants
des habitations des citoyens ^ Lorsque, dans la
suite, les Romains, sous la conduite d'Héracliu.*',
arrivèrent jusque devant la capitale royale de
Destagered, et se répandirent sur toute la Chal-
dée, jusqu'à Ctésiphon, ils incendièrent tout ce
qu'ils ne purent pas emporter, afin de faire subir
à Chosroës le même traitement qu'il avait si
souvent fait éprouver aux provinces de l'empire
romain; ce qui aurait pu être juste, dit Gibbon,
si cette destruction s'était bornée aux objets de
luxe et de magnificence royale , et si la haine
nationale , la licence militaire et le fanatisme
religieux ne s'étaient pas réunis pour détruire
avec une rage égale les demeures et les temples
des habitants innocents ^ La race féroce des
Abassides, dont le but principal était partout le
meurtre et le pillage, furent longtemps en pos-
session de la Chaldée, et Bagdad, sa nouvelle
capitale , située à peu de distance de Séleucie et
de Ctésiphon, fut pendant 500 ans le siège de
leur gouvernement et de leur empire ^ « Leurs
poignards, leurs seules armes, furent brisés par
i'épée d'Holagou , et excepté le titre d'assassins il
ne reste aucun vestige de ces ennemis de l'humani-
té^. » Ainsi de toutes les manières cette parole s'est
réalisée : « Il en exterminera les méchants *^. »
(6) Gibbon, 361.
(7) Ibid., XLVi, V. IV, p. 441. — (8) Ibid., II, V, 338.
(o) Gibbon, vol. VI, cb. lxiv, p. 278. — (40) Esoïf, XIII, 9.
CH. 11. BABYLONE. 69
Ce furent ensuite les Tartares Mogols qui prirent
possession de la terre de Babylone, et qui conti-
nuèrent cette œuvre de désolation.
Après un siège de deux mois, Bagdad fut prise
et saccagée par les Mogols , sous les ordres de
Holagou Khan, petit-fils de Gingis Klian *'.
Et ïamerlan, autre dévastateur fameux, sou-
mit à son autorité tout le pays voisin du Tigre et de
l'Euphrate, depuis la source jusqu'à l'embouchure
de ces rivières, et fit élever sur les ruines de
Bagdad une pyramide de 90,000 têtes *\ Enfin,
avec une cruauté toujours croissante , les Turcs ,
les Sarrazins, les Kourdes et les Tartares sont de-
venus « les armes de l'indignation du Seigneur,
« tirés de l'arsenal qu'il avait ouvert , car l'Eter-
« nel des armées avait une entreprise à exécuter
« dans le pays desChaldéens. Ainsi il a dit: Détrui-
« sez et qu'il n'y ait rien de reste. L'épée est sur
« les Chaldéens ; l'alarme est au pays et une
« grande destruction. J'allumerai aussi le feu en
« ses villes, et il dévorera tous ses environs, y^
« LaChaldéesera abandonnée au pillage et tous
« ceux qui la pilleront seront rassasiés, dit l'Eter-
« nel. L'épée est sur ses trésors et ils seront pil-
« lés. Tu étais assise sur plusieurs eaux, abondante
« en trésors; ta fin est venue, et le comble de ton
« gain deshonnête. » Après avoir pris Babylone
subitement et par surprise, Cyrus devint posses-
seur « des trésors cachés et des richesses secrè-
« tes. » Lors de son entrée publique dans Baby-
lone, tous les officiers de son armée, soit Perses,
soit alliés, portèrent, parson ordre, des robes
magnifiques, celles des officiers supérieurs étant
de couleurs variées et richement brodées d'or
et d'argent; ce fut ainsi qu'on déploya «les ri-
(11) Gibbon, VI, lxiv, 278. — (12) Ibib., lxv, 312, 322.
70 IJABYLONE. Cil. II.
c( chesses cachées. « Lorsque ensnile Jes trésors
de liahylone lonibèreiit entre les mains (run autre
puissant nionanjue, Alexandre-le-Grand , il donna
à chaque cavalier macédonien six mines (ce qui
é(]uivaut après de 400 francs), et à chaque soldat,
et à chaque cavalier étranger deux mines ou 125 fr.
et il accorda h chaque homme de son armée ime
gratification égale a deux mois de sa paie. Deme-
trius commanda à ses troupes de piller Babylone
a leur profit *".
Mais ce n'est pas seulement à ces deux épo-
ques que tous ceux qui « l'ont j^illée ont été as-
c( souvis. » C'était l'abondance de ses richesses
qui attirait les spoliateurs. Plusieurs nations vin-
rent d'un pays éloigné « et aucune ne retourna à
« vide. » La richesse du sol créait bientôt un
nouveau trésor jusqu'à ce que de nouveau « Té-
« pée vint sur eux , et ses richesses furent pil-
« lées. » Pendant deux siècles , jusqu'à la mort
d'Alexandre , ce pays fut la proie des Perses et
des Grecs; ensuite il fut livré aii pillage des Par-
ties; et plus tard les Romains, « nation venue des
(c bouts des cieux, » prirent à tâche de le sac-
cager. Au dire de ces célèbres conquérants du
monde, il ne s'agissait que de le contraindre à la
soumission et de lui ôter les moyens de commet-
tre des pillages ; c'était là leur prétexte et la cause
de leur colère ; du reste il entrait dans leur poli-
tique, à l'égard des provinces de leur empire , de
protéger tous les habitants vaincus dès qu'ils se
soumettaient à leur joug ; mais la Chaldée, en rai-
son de son extrême éloignement, ne s'étant jamais
soumise entièrement à son autorité, et les limites
de l'empire romain ayant été fixées par Adrien à la
rive occidentale de l'Euphrate, sur les frontières
(13) Plularqne, lie de Démétrius,
CH. n. BABYLONE. 71
même de la Clialdée, ce peuple malheuieux n'ob-
tint jamais leur protection et fut toujours exposé
aux spoliations des Romains.
Lorsqu'il s'agit d'expliquer les paroles de l'E-
criture sainte, le témoignage de Gibbon est aussi
peu suspect que celui des auteurs païens, et pour
employer ses propres expressions: « Cent mille
prisonniers et un riche butin furent la récom-
pense des soldats romains, lorsqu'ils s'emparè-
rent de Ctésiphon, au deuxième siècle, sous les
ordres des généraux de Marcus. » Julien, qui au
quatrième siècle se yit obligé de lever le siège de
Ctésiphon, ne manqua pas deprouverpar sesactes
la vérité de cette divine parole qu'il rejetait; car
il soumit la Chaldée à sa puissance et en enleva
les trésors. Il abandonna Périsabor aux flammes;
il fit partager entre ses troupes l'immense quan-
tité de provisions et d'armes qui s'y trouvait ; il en
réserva une partie pour le service public , et fit
ensuite jeter dans l'Êuplirate ou dans les flammes
tout ce qui lui semblait inutile *^. 11 récompensa ses
soldats en leur donnant à chacun 100 pièces d'ar-
gent, et leur dit: « Vous voulez des richesses?
elles sont entre les mains des Perses ; nous vous
proposons leurs dépouilles comme prix de votre
valeur *^. » L'ennemi fut vaincu après un ru<te
combat , et le butin était tel qu'on devait s'y at-
tendre, d'après les richesses et le luxe d'uncamj)
oriental : c'étaient « de grandes quantités d'or et
« d'argent, des armes magnifiques, de riches équi-
«pements, des lits et des tables en argent mas-
«sif^D
Lorsque , sous Héraclius , les Romains ravagè-
rent la Chaldée, quoique Dastagered eût été dé-
pouillé d'une grande partie de ses trésors, il
(14) Gibbon, voJ. I, cb. VIII, p. 211, — (15) Ibid., 36/|.
(16) Ibid., 369.
72 BABVLONE. CH. II.
parait qu'il en resta cependant assez pour surpas-
ser leurs espérances et pour assouvir leur ava-
rice'^ Ainsi les actions de Julien et les paroles de
Gibbon nous font bien voir comment « la Chaldée
a été en désolation,» comment « l'épée a été sur
ses trésors, » et comment d'année en année et de
génération en génération il y a eu un bruit de
guerre et de violence dans le pays, et comment
« tous ceux qui l'ont pillé ont été assouvis. »
Mais il nous reste encore k donner d'autres dé-
tails sur l'accomplissement de ces paroles pro-
phétiques; et, de même que deux grands peintres
peuvent rivaliser par la beauté du coloris et par
la vérité avec laquelle ils reproduisent la nature,
quoique les traits qu'ils choisissent soient diffé-
rents ; de même, dans la description qu'il fait du sac
de Ctésiphon, Gibbon semble, dansson tableau his-
torique, rivaliser avec Volney, et vouloir rendre
autan t que lui témoignage à la vérité des prophé ties
de l'Ecriture. « La capitale fut prise d'assaut, et
le désordre et la résistance du'peuple semblaient
aiguiser le sabre des vainqueurs, qui criaient dans
un transport religieux : « Voici le palais blanc de
Choroès, c'est ici la promenade de l'Apôtre de
Dieu. » Les pauvres voleurs du désert se virent
tout-à-coup « enrichis au-delà de leurs espérances»
ou de leur imagination. Chaque chambre révélait
un nouveau trésor caché avec soin ou étalé avec
orgueil. La variété des étoffes et la splendeur des
ameublements dépassaient (dit Abulféda) tous les
effortsde l'imagination, et un autre historien tâche
de définir ces masses énormes de richesses en
disant qu'on y avait trouvé trois mille milliers de
pièces d'or. Une des chambres du palais était cou-
verte d'un tapis de soie ayant 90 pieds de long et
(17) Gibbon, vol. I, cb. viii, p. 36P.
eu. H. BABYLONE. 73
autantde large, llreprésentaituiî paradis OU jardin.
Les fleurs 5 les fruits et les arbrisseaux étaient re-
présentés par un tissu d'or et par les couleurs des
pierres précieuses, et le grand carré était entouré
d'une riche broderie verte nuancée. Le farouche
Omar partagea le butin entre ses frères de Médine.
On détruisit le tableau , mais les matériaux dont
il était composé avaient un si grand prix que la
part d'Ali fut vendue 20,000 dragmes. Un mulet
chargé de la tiare et de la cuirasse de Chosroes
ayant été surpris par l'ennemi, ce riche trophée
fut présenté au commandant des croyants, et le
plus grave de ses conseillers se permit un sourire
ïorscpi'il vit la vénérable barbe et la singulière
figure du vieillard couvertes de la dépouille du
£;rand roi *^
Le témoignage des voyageurs modernes vient
encore nous prouver que partout oii se trouve un
trésor, l'épée de l'ennemi ne manque pas d'être
« sur lui, » et que le pillage n'a pas encore cessé
dans le pays de Babylone.
A l'occident de Hillah, sont deux villes €|ue les
Perses et les Shiites considèrent comme consa-
crées à la mémoire de deux de leurs plus saints
martyrs; « ce sont Meshed Ali et Meshed Housein ,
enrichies naguères par la dévotion des Perses,
mais maintenant dépouillées de leurs trésors
par les féroces Wahabis *^
Et aujourd'hui qu'après plusieurs siècles de
spoliations les trésors de Babylone ont eu leur
fin , la terre elle-même ne manque pas de montrer
<( ses richesses cachées, » comme preuve de leur
ancienne abondance. Dans les ruines de Houma-
nia, près de celles de Ctésiphon, on a découvert
(18) Gibbon, vol. Ill, ch. n, p. 1^51.
{1^) Géographie de MaliC'B nui, vol. II, p. 119, ^i Voyage de
Buckingham en Mésopotamie^ vol. II, p. 246.
7i lUBYLONE. CH. II.
pai hasard, lii o mars 1812, des pièces d'argent qui
sortaient des bords du Tigre. Examen fait par
des personnes qu'avaient envoyées dansée but les
ofliciers du pacha de Badgad, il se trouva que
c'était environ 6 à 700 lingots d'argent, ayant
chacun un pied et demi de long, et qui furent
enq3ortés. On trouva aussi un pot de terre conte-
aant plus de 2,000 pièces de monnaie grecque,
toutes en argent. — M. Rich, autrefois chargé
d'affaires de la Compagnie des Indes à Bagdad, en
acheta plusieurs, et elles font partie de sa pré-
cieuse collection, dont le gouvernement anglais
a depuis lors fait l'acquisition , et qui est déposée
au Musée Britannique ^^
Parmi les ruines de Ctésiphon , les habitants du
pays ramassent souvent des pièces d'or , d'argent
et de cuivre qu'ils vendent facilement à Bagdad ;
il paraît même que quelques riches Juifs et Armé-
niens , qui sont chargés de faire des collections
pour des consuls français et allemands, font
fouiller parmi ces ruines et y trouvent souvent
des médailles, des monnaies et d'anciens bi-
Jous. On m'a assuré que ces fouilles ne sont ja-
mais sans résultat. Ne semble-t-il pas vrai que
<< tous ceux qui la pilleront seront assouvis ? »
L'histoire ancienne du pays de Babylone peut
être terminée par les paroles mêmes des pro-
phètes : il n'en était pas pour eux comme pour les
historiens profanes , qui n'osèrent décrire sa
fertilité, même au commencement de sa déca-
dence, parcequ'ils disaient qu'elle surpassait
tout ce que l'on pouvait croire. Ceux qui rap-
portent les paroles que « l'Eternel prononça
contre Babylone » le font sans crainte, quoiqu'il
fallait que 2/i00 ans s'écoulassent avant que
(20) Voyage du capitaine Mignan, p. 53 et 7^%
CH. IL BABYLONE. 75
cette prédiction fût entièrement accomplie.
« Je punirai le pays des Chaidéens, que je ré-
« duirai en des désolations éternelles. » — « Re~
« tranchez de Babylone celui qui sème , celui qui
«tient la faucille au temps de la moisson. » —
« La sécheresse sera sur ses eaux et elles tari-
« ront. » — «Elle sera la dernière entre les
« nations ^ elle sera un désert , un pays sec ^ une
« lande. Elle ne sera plus habitée à jamais; il n'y
« demeurera personne ^ et aucun fils d'homme n'y
« habitera. » — «J'enverrai contre Babylone des
« vanneurs qui la vanneront. La terre en sera
« ébranlée et en sera en travail , parceque tout
« ce que l'Eternel a résolu a été exécuté contre
« Babylone , pour réduire le pays en désolation ,
« tellement qu'il n'y ait personne qui y habite. »
La terre de Chaldée devait être une désolation
éternelle; après avoir été ravagée et dépouillée
pendant des siècles ^ toute « son excellence » a
disparu 5 et elle est devenue stérile et déserte,
comme elle l'est encore. Rauwolff , qui visita
cette contrée en 1574 , en parle comme d'un « sol
si sec 5 si stérile , qu'il est impossible de le labou-
rer^*. » Tousles voyageurs modernes s'accordent
à porter le même témoignage.
« La terre de Babylone sera vannée , aucun fils
« d'homme n'y habitera; elle sera un désert et un
« pays sec 5 une lande. »
D'un côté, près du site d'Opis, « le pays envi-
ronnant paraît être un vaste désert de sable , un
sol aride; par-ci parJàseulement on aperçoit quel-
ques signes de végétation et un peu d'herbe^'. »
De l'autre côté, entre Bussorah et Bagdad, sur les
rives du Tigre, tout le pays est un désert; l'ab-
sence complète de tout^ culture , l'aspect stérile ,
(21) Voyage de îlauivolff, Ray. 1693, p. 164.
(22) Buckingham , vol. II, p. 156.
7() JJABYLONE. CH. II.
;iri(le et sauv.Mf^e de la terre , fornu» nn contraste
frappant avec les riches et cléliciens(^s descriptions
de IMicrilnre Sainte. En traversant ces immenses
déserts , oii ne se trouvent point de sentiers, les in-
digènes sont obligés de s'orienterpar les étoiles^".
La surface du pays est plate, et présente aux
regards une vaste étendue de plaine sur lacpielle
on ne voit que de loin k loin des troupeaux de
chameaux à demi sauvages; à peine aperçoit-on
quelques petits arbustes. Cette immense lande
n'est bornée que par rhorison^\
Au centre du i^ays, toute la contrée qui s'é-
tend depuis Bagdad est une plaine oii l'on ne dis-
tingue pas le moindre vestige de végétation. En
sortant des portes de Bagdad , le voyageur a de-
vant lui la vue d'un désert aride, un pays plat et
stérile. Toute 1^ contrée entre Bagdad et Hillah
est parfaitement plate , et , à l'exception de quel-
ques endroits près de ce dernier lieu, un désert
inculte^". 11 est facile de voir, par le nombre des
canaux qui traversent ce pays et qui sont mainte-
nant à sec, qu'autrefois il était dans un état bien
différent, et, à en juger d'après les monceaux de
terre couverts de fragments d'édifices et de
tuiles, que tout ce désert était jadis peuplé... Au-
jourd'hui ses seuls habitants sont les Arabes-So-
béides'^.. De tous côtés, aussi loin que l'œil
peut atteindre, on ne voit qu'une vaste soli-
tude ^^ — La richesse du pays a aussi complè-
tement disparu que si le « balai de la désolation «
l'avait parcouru du nord au midi. Depuis les
environs de Babylone jusqu'aux extrémités du
(23) Mignan, p. 5.
(24) Ibid., p. 31-32. — Buckingham, p. 240 ; vol. I, p. 260.
(25) Mémoires de Rich, p. 4.
(26) Travaux de la Société de littérature de Bombay, vol, I ,
p^ /^28. — (27) f^cyage de Keppely p. 87.
CH. II. BABYLONE. i >
territoire on ne voit qu'un triste désert. On est
des heures entières sans rencontrer une seule
habitation ^^ — «La terre de Babylone est en déso-
« lation^ il n'y a personne qui y habite. » — Les
Arabes seuls la parcourent , et chaque homme
que l'on rencontre dans ces déserts semble être
un ennemi. La terre de laChaldée est maintenant
le repaire des bêtes sauvages; mais le voyageur
les voit avec moins d'effroi qu'il n'envisage un
animal plus sauvage encore^ l'Arabe du désert.
— Souvent il est parfaitement impossible de tra-
verser le pays. — Lorsque Ton compare ces belles
descriptions des riches récoltes de Babylone^
quand le blé rendait un ^ deux et trois centuples,
avec l'état actuel du pays^ on est frappé de voir
combien sa désolation a été grande. On ne distin-
gue plus ses canaux que par leurs bords tombés
en ruines^^.
Le sol de ce désert^, dit le capitaine Mignan^ qui
le traversa à pied^ et qui en un seul jour rencon-
tra quarante ruisseaux^ son sol est composé d'une
terre glaise mêlée de sable; il s'échauffe telle-
ment aux rayons du soleil que vers midi je
trouvai qu'il était impossible de marcher sans
beaucoup souffrir. Celui qui a traversé ces vastes
régions a cheval sait combien elles sont tristes et
monotones^ même pour le cavalier^ et peut s'ima-
giner combien elles le sont davantage pour le
voyageur à piecP^
Que les temps sont changés! Dans ce pays qui
donna au monde les premières notions d'astrono-
mie 5 oil l'on apprit pour la première fois à remar-
quer le mouvement des astres, la marche des
corps célestes, le misérable habitant ne sait plus
s'orienter au milieu de ces vastes solitudes que pai
(28) Voyage en Babylonie, par sir K. Porter, vol, lî, p. 285e
(29) Migiian, p. 2. — (30) Ibid., p. 2, 31-34.
^^ BAKYLONE. (Ai. il.
les él()il(^s du v'w\ ! Là oil la eullure avait atteint
son plus haut defjré de perfectionnement , et oii le
ljlé i'af)poitait nn et deux centuples, on ne trouve
plus maintenant qu'une immense plaine sans vé-
Jactation. « J.e semeur et celui qui tient la faucille
^( ont été reti anches du pays de Babylone. » Lk oii
l'on amassait des trésors incalculables et une
surabondance de provisions, « le vanneur a
« vanné, » les spoliateurs « ont pillé, » et ils ont
« vidé le pays. » Lk oii des milliers de laboureurs,
k Tombre de beaux palmiers, arrosaient leurs
champs au moyen de leurs nombreux canaux , le
voyageur s'arrête maintenant et ne trouve plus
que quelques faibles arbrisseaux; il ne sait au-
jourd'hui où poser le pied sans douleur, il cher-
che en vain k s'abriter du soleil brûlant de midi ,
en poursuivant son chemin dans ce pays,
maintenant « un désert, un pays sec, une lande. »
Le silence et la solitude ont remplacé le bruit des
riches et populeuses cités , car les anciennes villes
de Babylone sont « en désolation ; il n'y demeure
« personne, et aucun fils d'homme n'y habite^*. »
(31) Le péché a causé la désolation de la Ghaldée, comme il eau -
sera finalement celle de tout pays qui ne voudra pas se repentir.
Mais « le jugement habitera au désert, et la justice se tiendra en
Carmel. » Il en sera ainsi non-seulement en Judée, mais chez tou-
tes les nations que la parole de Dieu aura éclairées, que son esprit
aura renouvelées. « La paix sera Teffet de la justice et le labourage
de la justice produira le repos et la sdreté à toujours. » Il est consolant
de détourner pour un moment les yeux du spectacle de désolation que
la Chaldée présente en expiation des péchés de ses habitants, et de
s'arrêter à ces autres passages de TEcriture qui sont comme les
avant-conreurs du jour de lumière dont seront suivies les ténèbres
où se trouve plongé depuis tant de siècles ce pays si plein d'iniquités
qu'il a fallu le purifier par le jugement. Déjà de sourdes convulsions,
devançant la guerre de principes dont ce monde doit être inévita-
blement le théâtre, semblent indiquer que le temps n'est pas éloigné
où ce qui n'est encore que vision sera réalité. « Et je dis à l'ange
qui parlait avec moi : Où emportent-elles l'épha ? Et il me répondit ;
C'est pour lui bâtir une maison au pays de Shinar, laquelle étant
bâiie, il sera posé ià sur sa base (Zacharie, V, 10, 11). Le prophète
CH. H. BABYLONE. 79
c( Ses villes seront en désolation. » — Le cours
du Tigre qui traverse la Babylonie^au lieu d'être
comme autrefois embelli par de riches et grandes
villes 5 n'est plus marqué que par les emplace-
ments « d'antiques ruines ^^. » Sitace, Sabata^
Narisa^ Fuchera, Sendia , n'existent plus ^\ Des
monceaux de décombres indiquent la place sup-
posée d'Artémite ou Destagered.
- Les jardins autrefois si magnifiques sont ca-
chés sous l'herbe 5 et un monceau plus élevé
que les autres indique l'ancienne résidence
royale ^\ Des monticules et des décombres de di-
verses grandeurs et de diverses hauteurs (près
d'Houmania) s'étendent de tous cô tés ^^ Une mu-
raille soutenue par seize bastions est tout ce qui
reste d'ApoUonia^^.
La superbe Séleucie n'est maintenant qu'une
scène de désolation. Il n'y reste pas un seul édi-
fice 5 mais tout le pays environnant est couvert de
ses décombres. Aussi loin que l'œil peut s'éten-
tre 5 dit le major Keppel , l'horizon est borné par
une ligne de monticules ; tout cet endroit est un
désert plat". Sur la rive opposée du Tigre ^ oii
se trouvait autrefois Ctésiphon sa rivale , outre
des fragments de murs 5 des décombres de briques
et des pierres 5 et des restes de grands édifices
s'explique clairement : c'est au pays de Shinar, non pas dans la ville
de Babylone. Bâtir, établir, poser une base semblent équivaloir ici
à bénir, reconstruire sur une fondation nouvelle et indestructible.
Mais du reste il est dit, sans métaphore, « que tous les bouts de la
terre verront le salut du Seigneur. Toute la terre se réjouira ; les
endroits solitaires en seront aises, le désert même en aura de la
joie et fleurira comme la rose. »
(32) Voyez la Carte des Voyages du major Keppel.
(33) Plan des environs de Babylone^ et dans Touvrage du major
Rennell : Géographie d'Hérodote^ p. 335.
(34) Keppel. vol. I, p, 267.
(35) M^gnan, p. 49. — (36) Keppel, p. 276.
(37) Keppel , p. 125.
^><> HAHYLONE. Cil. II.
rocouverts de inonceanx de terre, on trouve un
iiia{;ni(i([U(^ UKUiunieut de i'auti(|uité parl'ititeuient
eonservé , un grand et bel édiliee qui présente de
front un mur de ;30() pieds de long, orné de
'( rangs d'arcades ; l'arche du milieu, qui a 8(i j)ieds
de large et plus de IGO pieds de hauteur, est sou-
tenue par des murailles de IG pieds d'épaisseur,
et conduit à une salle profonde de lôG pieds, lar-
geur du biitiment'". Une grande partie de la
muraille du fond a été détruite et le toit aussi, mais
ce qui en reste paraît plus vaste que l'abbaye de
Westminster "^ On suppose que c'était le superbe
palais de Chosroës; mais aujourd'hui la désola-
tion y règne. — Le plus petit insecte ne saurait
trouver parmi les ruines de Ctésiphon le moindre
brin d'herbe où il puisse se réfugier , ou la moin-
dre goutte d'eau pour se désaltérer^^. Derrière
le palais on trouve des monticules de terre de
deux milles de circonférence, ce qui indique bien
la destruction complète d'un lieu autrefois con-
sacré au luxe et au plaisir. M^is , dit le capitaine
Mignan , telle est l'étendue de ces monticules ir-
réguliers qu'on seraitpîusieurs mois à en prendre
les dimensions avec exactitude^'.
Les villes plus modernes qui florissaient au
temps des califes sont également en ruines '*^ Il
est vrai que le second Bagdad n'a pas encore subi
le sort du premier; et Hillah, ville comparative-
ment moderne, située près de l'emplacement de
Babylone dont il ne reste pas le moindre vestige,
existe encore de nos jours. Mais la première de
ces villes, après avoir été pillée, dévastée, oppri-
mée pendant plusieurs siècles, a été graduelle-
ment réduite à un état de pauvreté comparatif et
(88) KeppeJ, ISO. — (39) Mignan, p. 79.
(40) Buckingham , p, 441. — (41) Mignan, p. 81.
(42) Mignan , p. 82,
CH. II. BABYLONE. (S (
ne possède aucun moyen de défense '". On dit en
suite des habitants de Hillah que si l'on pouvait
les assimiler en quelque chose aux anciens Baby-
loniens^ ce serait par leur vie désordonnée^ qui
les distingue même du peuple immoral qui les en
toure"^'*; rien dans leur conduite ne fait espérer
qu'ils cherchent à s'amender, et que la malédiction
qui pèse sur eux à cause de leurs péchés soit
jamais leyée de dessus leurs têtes. Il n'y a pas plus
de 20 ans que les Wahabis ont ravagé et pillé les
villes de la Chaldée; et même en 1823 la ville de
Shehreban fut saccagée par les Kourdes et réduite
en désolation"^". On trouve sur toute la surface du
pays des traces de villes ruinées à une époque plus
ou moins récente. Les progrès de la destruction
se font encore sentir; dernièrement des jardins
qui ornaient les rives du Tigre ont disparu, et il
n'est cjue trop littéralement vrai que « les villes de
la Chaldée sont en désolation ; » car toute la con-
trée est couverte de débris de villes grecques ,
romaines et arabes , maintenant confondues dans
une masse uniforme de décômbres^^ Mais au
milieu de toutes ces villes en ruines , la grande
capitale de la Chaldée, la ville la plus puissante
et la plus célèbre du monde, porte plus que toutes
les autres l'empreinte de la malédiction du ciel.
Nous avons déjà décrit succinctement la déca-
dence progressive et prédite de la grande Baby-
lone. Dans les premières années de l'ère chré-
tienne, elle était habitée en partie, et il y avait dans
l'intérieur des murailles un vaste espace en cul-
ture ^^ Elle ne cessa de décliner à mesure que
Séleucie acquérait de l'importance , et cette der-
(43) Voijage de sir K. Porter, vol. II , p. 265-266.
(44) Keppel, vol. I, p. 182-183. — (45) Keppel, p. 272 el 27<s.
(46) Malle-Brun, voi. II, p. 119.
(47) Diod. Sic, t. II, p. 35.
•1.
82 «AnVLOXE. CH. II.
uièic ville iinit \)^y être la pins c()nsi(léral)le. Au
dcnixièiiKî siècle il ne restait de lîabylone que les
nuijs. Elle devint peu-à-peu un grand désert, et au
<(uatriènje siècle ses murailles servirent d'enceinte
pour enfermer les bêtes féroces comme dans un
parc, et elle fut convertie en un lieu de chasse
pour les plaisirs des monarques persans. Le nom
même de Babylone disparut, et il s'écoula une lon-
gue suite de siècles pendant lesquels il ne fut point
parlé de ses restes mutilés, ni de ses ruines déso-
lées. Elle fut longtemps au pouvoir des Sarrazins,
et nous avons fait voir clairement que toute la dé-
solation que le Prophète avait annoncée est venue
fondre sur elle. Car les témoignages des anciens
historiens sur les faits qui confirment les prophé-
ties relatives à la prise de ces villes par Cyrus ne
sont pas plus positifs que ceux des voyageurs mo-
dernes sur sa ruine complète et finale. On est
parvenu à établir parfaitement l'identité de son
assiette ^% et l'accomplissement de chaque grand
fait et de chaque petit détail est si clairement prou-
vé qu'il suffit d'avancer ces faits pour réduire au
silence tous ceux qui voudraient les contester.
Ce n'est pas seulement la désolation générale
de la Babylonie que le Seigneur annonça par la bou-
che des prophètes. Ils ne virent pas avec moins
de clarté l'histoire future de Baljylone , depuis
l'apogée de sa gloire jusqu'à sa désolation , qu'ils
n'ont vu et qu'ils n'ont décrit Babylone tombée,
telle qu'on vient de la décrire au dix-neuvième
siècle de l'ère chrétienne^^; et maintenant que « la
fin est venue sur Babylone » et qu'une longue suite
(48) Rennel, Géographie d'Hérodote, p. 349. — Voyage de
Keppel, p. 171.
(49) Le major Rennel consulta Niebuhr, Ives, Irwin, Okar,
ïhévénot, Delia Valle, Texeire, Edrisi, Abulfeda et Balbi; on peut
maintenant ajouter à ces noms ceux de MM. Rich, K. Porter,
Frf dericb, Keppel, Kinnier, Buckingham et Mignan.
CH. If. BABYLONE. 83
de siècles a accompli sa désolation, la plume et le
crayon des voyageurs se réunissent pour confir-
mer ce qui avait été annoncé dès le commence-
ment parla bouche des prophètes.
La vérité rejette toujours le secours de Terreur ;
mais dans le cas actuel la démonstration serait
affaiblie et détruite même, si Ton cherchait à s'é-
loigner le moins du monde des faits précis; car, si
les prédictions s'accordent littéralement avec
quelque chose, c'est avec la réalité telle qu'on la
trouve : en s'éloignant de celle-ci on s'éloigne
aussi de celles-là, et la moindre fausseté serait
aussi injurieuse que coupable. Mais à côté des
faits, tels qu'ils se présentent, toute exagération
est impossible, et toute fiction pauvre et inutile.
Il aurait été impossible à l'imagination de se re-
présenter un contraste plus grand ou une destruc-
tion plus complète que celle que l'Eternel a fajt
venir sur Babylone. Et quoique la plus grande
ville sous le soleil ne soit maintenant qu'un mon-
ceau de décombres, il n'y a pas un seul endroit
sur la terre plus clairement décrit que ne l'est la
scène de la désolation de Babylone par la bouche
du prophète. On n'aurait pu trouver des mots
propres à peindre cette scène plus clairement que
ceux qu'Esaïe a employés il y a 2, 500 ans en parlant
de la « charge» qui pèse encore sur la Babylonie.
La multiplicité des prophéties et le nombre des
faits sont tels qu'il est difficile de les arranger avec
assez d'ordre et de précision pour lier chaque
prophétie au fait qui atteste son accomplissement.
Tous ceux qui ont visité Babylone s'accordent à
dire que la désolation est précisément telle qu'elle
avait été prédite. En général, ils savent faire l'ap-
plication des grandes prophéties , et souvent dans
les détails ils adoptent sans s'en douter les paroles
même de l'Ecriture divinement inspirées.
^^< ijahvlom:. cii. n.
l}al)yloiio est conipUHeuKMil déserte. KllejfesI
plus (ju(î nioneeaux de Jiiiiu^s, nix^lee, le-
(liiile au loniljeau, foulée aux |)i<»ds, sans liahita-
tion; ses londenients sont tombés, ses niuiailles
sont renversées, ses plus maj,^niliques édilieesont
roulé en bas du haut des rochers. La viHe d'or a
disparu, les vers la couyrent et rampent sur elle;
les Arabes n'y dressent point leurs tentes, les ber-
gers n'y mènent point paître leurs troupeaux. Les
bétes sauvages y habitent, les chats-huants y de-
meurent: elle est devenue l'habitation des hiboux,
la demeure du dragon, un désert, un pays sec,
une lande, une montagne d'embrasement, un
étang d'eau. Elle a été pillée, vidée, on ne lui
a point laissé de reste; elle n'est tout entière que
désolation; quiconque passe auprès d'elle est
étonné.
« Babylone sera réduite en monceaux. » — Baby-
lone, leplusgrand des royaumes, n'est plus que la
plus grande des ruines. On voit de tous côtés d'im-
menses ruines de temples, de palais et d'habita-
tions humaines de toutes espèces. Elles forment
une longue ligne de ruines qui ressemblent
plutôt à des collines naturelles qu'à des monceaux
recouvrant de grands et beaux édiiîces^^Ces bâ-
timents autrefois l'orgueil des rois ne sont plus
qu'un tas de décombres. Toute la surface du
pays est couverte de vestiges de constructions ;
dans quelques endroits on trouve des pans de mu-
railles très bien conservés, dans d'autres rien
qu'une longue suite de monceaux sans formes et
de diverses grandeurs. Il serait impossible de fon-
der une théorie sur ces multitudes de monticules
allongés allant du nord au sud, croisés par d'au-
tres allant de l'ouest a l'est, et ne se distinguant
(50) Porter, vol. II , p. 294 et 297.
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CH. II. BABYLONE. 85
des ruines des canaux que par leur forme et leur
nombre. Certainement la plus grande partie de
ces monticules sont des restes d'édifices autrefois
alignés et formant des rues entrecoupées à angles
droits "*. — Les monceaux que l'on distingue le
plus facilement sont doubles et en lignes parallèles;
chacun a plus de vingt pieds de long^ et ils sont sé-
parés les uns des autres, ce qui ne laisse aucun
doute que ce ne fut là des rangées de maisons, ou
des rues tombées en ruines^^.
Telle était la forme des rues de Babylone con-
duisant aux portes de la ville. Il y a aussi dans
quelques endroits deux canaux profonds et trois
monticules en lignes parallèles; le monticule du
centre est ordinairement plus grand et plus élevé
que les deux autres ; il paraîtrait que ce sont les
décombres de deux rues parallèles, une rangée de
maisons plus profondes formant la division, ayant
deuxfacades et faisant ainsi une habitation double.
Le temple de Bélus, les deux résidences royales,-
les rues de la ville , les habitations particulières ,
tout cela est réduit « en monceaux, » et la seule
différence qui existe entre eux vient de la diffé-
rence et de la grandeur des monticules ; les uns
paraissent semblables à des montagnes, les autres
s'élèvent à peine au-dessus du niveau du sol.
« Babylone est tombée, » et tombée tellement a la
lettre que la personne qui, debout sur le sol,
contemple ses nombreux monticules, séparés
les uns des autres par un creux étroit, a de la peine
à distinguer les restes d'une rue des restes d'un
canal; à peine peut-il dire : Ici s'écoulait la multi-
tude, là s'écoulaient les eaux. «Babylone est tom-
bée; » et ses ruines ne peuvent être couchées
plus bas qu'elles ne le sont maintenant. « Elle a
(51) Voyage de Buckingham en Mésopotamie^ vol. II, p. 298,
(52) Buckinghani, p. 299.
86 BABYLONE. Cil. II.
été brisée, ses fondements sont tombés; »> ils ne
soutiennent plus ses ruines. Ses palais , ses tem-
ples, ses rues et ses maisons sont ensevelis sous
des masses de décombres "% et la vue de Baby-
lone, telle qu'elle a été dépeinte sur les lieux me
mes, ne présente plus à l'œil qu'une scène de
complète désolation et des monceaux qui peu-
vent attester que Babylone est « descendue au
sépulcre. »
« Qu'elle n'ait rien de reste. » — De grands mon-
ceaux de ruines sont tout ce qui reste maintenant
de l'ancienne Babylone. Toute sa grandeur a
disparu , ses trésors ont été pillés , son excellence
s'est évanouie, on cherche même des briques
parmi ses monceaux , oii l'on sait ne pouvoir trou-
ver autre chose , et depuis un grand nombre de
siècles Babylone a été sur la surface du sol une
carrière que chacun est libre d'exploiter. Sans
faire allusion à la prophétie , le capitaine Mignan
parle d'un monticule faisant partie des ruines du
palais , qui a 90 verges de large et 45 de haut.
Le sol est extrêmement mou et fatigant pour les
pieds ; il ne semble pas qu'il reste les moindres
matériaux propres à la construction. Il ne reste
plus une colline , excepté une assez élevée , sur
la surface de laquelle on peut trouver des mor-
ceaux de briques , des tuiles , du bitume , de la
chaux, du verre, des coquillages, et quelques frag-
ments de nacre et de perles; fragmens inutiles,
même aux gens les plus pauvres. « Aussi a-t-elle
« été prise ; qu'elle n'ait rien de reste. » Ala fin du
dernier siècle, un voyageur traversal'emplacement
de l'ancienne Babylone sans même s'en douter ^\
« Je la réduirai en marais d'eaux. » — Le sol est
(53) Voyage de Porter, p. 294.
(54) Travaux de la Société littéraire de Bombay^ vol. I, p. 180.
(Voyez Voyage dans les Indes, par Cunningham, 1785.)
CH. II. BABYLONÊ. 87
quelquefois couvert de mares d'eau ^^ Les ouvriers
qui 5 afin qu'elle n'ait rien de reste , fouillent pour
y chercher des briques ^% travaillent sans s'en
douter à l'accomplissement des prophéties ; les
excavations qu'ils laissent deviennent des étangs
qui sont remplis par les débordements de l'Eu-
phrate et oîi l'eau séjourne toute l'année,
(c Assieds-toi sur la poussière , assieds-toi à
« terre 5 fille de Baby lone.» — La surface des mon-
ticules, seuls restes de Babylone, consiste en
édifices écroulés , réduits en poussière ; il est
littéralement vrai que^ parmi les ruines des habi-
tations et des bâtiments publics, on ne peut s'as-^
seoir ou se reposer que dans la poussière. « Ta
« honte sera découverte. » — Notre route , dit le
capitaine Mignan , nous conduisait à travers une
grande masse de monceaux , décombres qui cou-
vrent le site de l'ancienne Baby lone. Il m'est
parfaitement impossible de donner une idée juste
de la scène de désolation et de solitude que
j'avais devant les yeux^^ « Assieds-toi sans dire
« mot 5 et entre dans les ténèbres. » — Le silence
du tombeau règne parmi ces ruines '^ — Baby-
lone est une scène de tranquillité , une solitude
sublime ^^.
« Elle ne sera plus habitée à jamais. » — D'après
le témoignage de Rauwolff, il paraît que déjà
au deuxième siècle on n'y voyait pas une seule
habitations^; maintenant l'œil parcourt un désert
aride oîi les ruines seules indiquent « qu'il ait
« jamais été habité. » Il est impossible, dit le major
Keppel, de contempler cette scène, et de ne
(55) Buckingham, vol. II, p. 296. — (56) Mignan, p. 213.
(57) Mignan, p. 116.
(58) Porter, vol. II, p. 294.
(59) Ibid., p. 407.
(60) Ibid., p. 174.
88 BAUVLONi:. CH. il.
pas être IVappé de rexacUludc avec lacjuelle oui
été accomplies les prophéties d'Esaïe et de Jéré
mie, de ne [)as voir qu'eu elTet « elle ne devait
« plus être habitée, » et que les Arabes lie devaient
plus y dresser leurs tentes; qu'elle devait être
réduite en monceaux , et ses villes en désolation ,
en lieu sec et en désert"^*. Babylone est jnéprisée
également par les Ottomans , les Israelites et les
(ils d'IsmaëP^ Elle est devenue une capitale « sans
« habitants et déserte. » — « Elle ne sera point
« habitée k jamais. »
« Même les Arabes n'y dresseront point leurs
« tentes, ni les bergers n'y parqueront point leurs
ce troupeaux. » — La prophétie annonça qu'Ammon
deviendrait un lieu de repos pour les chameaux
et un parc de brebis, que la Philistie ne serait que
cabanes de bergers et parcs de brebis ; mais une
bien plus terrible désolation devait fondre sur
Babylone; un sort plus affreux encore l'attendait.
Un Arabe même n'y dresserait point sa tente , n'y
mènerait point paître ses troupeaux ^ ce qui in-
dique une solitude complète , un abandon entier.
Il est d'usage dans ces contrées que les bergers
abritent leurs troupeaux dans les édifices rui-
nés ^^ Mais il n'en est pas ainsi de Babylone. Au
lieu d'en emporter les briques, le berger pourrait
avec facilité se construire un abri au milieu des
ruines , s'y garantir des bêtes féroces , et faire
un parc pour ses brebis parmi les monceaux de
Babylone : l'Arabe, qui le traverse sans crainte,
pourrait y dresser sa tente de nuit ; mais rien ne
saurait les y porter ni Fun ni l'autre ; c'est la crainte
superstitieuse des mauvais esprits , bien plus que
la crainte mieux fondée des bêtes féroces, qui em-
pêche les Arabes d'y dresser leurs tentes, — Le
(61) Keppel , vol. I, p. 397. — (62) Ibid. , p. 234.
(63) Mignan, p. 225.
OH. IL BABYLONE. 89
capitaine Mignan s'y était fait accompagner d'Ara-
bes complètement armés, «mais rien ne put les
engager à y passer la nuit , à cause des esprits
malfaisants. 11 est impossible de déraciner cette
idée de l'esprit d'un peuple extrêmement supers-
titieux; et dès que le soleil eut disparu derrière
le Mujelibé, quoique la lune YÎnt éclairer la
route de ses pâles rayons , le capitaine se vit
forcé 5 bien à regret , d'obéir aux ordres de ses
guides ^\ — ^Les gens du pays assurent qu'il est
très dangereux d'approcher de ces monceaux
après la nuit tombée., à cause de la multitude de
mauvais esprits cjuiles fréquentent^".
« Mais les bétes sauvages des déserts y auront
<( leurs repaires , et ses maisons seront remplies
« de bêtes hideuses ; les chats-huants y habiteront
«et les chouettes y danseront. » — Et en effet
on y trouve beaucoup d'antres de bêtes féroces
et un grand nombre de tuyaux de porcs - épies;
tandis que les excavations les plus basses sont
des mares d'eau , les plus élevées sont occu-
pées par des chats-huants et des chauves-sou-
ris ^^. — Ces souterrains , au-dessus desquels
s'élevait peut-être la demeure de la royauté ,
ne sont plus que des cavernes de refuge pour
les jackals et d'autres animaux; les abords
sont encombrés d'ossements de brebis et de
chèvres 5 et il en sort une odeur isi fétide qu'on
n'a nulle envie de pénétrer dans ces repaires^^
Le roi des animaux se promène sur l'emplace-
ment de cette Babylone que le roi Nabucho-
donozor avait élevée pour sa propre gloire; et
le temple de Bélus , chef-d'œuvre de l'art d^s
(64) Mignan, p. 225, —(65) Ibid., p. 201, 235. — Rich, p. 27.
— Buckingham, vol. II, p. 342.
(66) Buckingham, vol. II, p. 30.
(67) Poller, vol, II, p. 342.
^0 RABYLONR. Cil. II.
lioninios , est maintenaiit l'anlre du lion et du
tif^re. Sir Rolx^rt Ker Porter vit sur les hauteurs
deux niaguiliques lions et il distinj^nia sur le sol
niaréeaf^eux Tempreinte de leurs immenses
griffes '^". Le major Keppel vit également les mar-
ques des pieds d'un lion. C'est aussi la retraite
des jackals , des hiènes et d'autres bétes malfai-
santes^^. Les animaux sauvages sont en grand
nombre sur le Mujélibé , aussi bien que sur le
Birs Nimroud. Le monticule était couvert de
grand trous ; nous entrâmes dans quelques-uns
et nous les trouvâmes remplis de carcasses et
de squelettes d'animaux récemment tués. L'o-
deur des bêtes sauvages était si forte que la
prudence prévalut sur notre curiosité ; nous ne
pûmes douter de la nature féroce des habitants
de ces cavités , et nos guides nous assurèrent que
toutes les ruines abondent en lions et en animaux
sauvages. C'est ainsi que la prédiction divine se
trouve accomplie à la lettre ; les bêtes sauvages
des déserts y ont leur repaire, les maisons sont
remplies de bêtes hideuses , et les bétes sauva-
ges des îles s'entre -répondront les unes aux
autres dans les palais désolés "^^ .
« La mer est venue sur Babylone ; elle a été
« couverte de la multitude de ses flots.» — On ne
découvre plus aucune trace de la rive occidentale
de l'Euphrate. La rivière s'étale sans obstacle , et
jusqu'au moindre vestige de bords et de digues,
tout a été emporté. La surface généralement ma-
récageuse n'offre aucun signe d'anciennes habi-
tations^*; des marécages et des étangs sillonnent,
pour ainsi dire, le terrain; pendant un certain
(68) Sir R. K. Porter, p. 387.
(69) Voyages de limier^ p. 273.
(70) Keppel, vol. I, p. 173 et 180.
(71) Buckingham, vol. II, p. 178,
CH. n. BABYLONE. 91
temps après le débordement de FEuphrate 5 tout
ce pays a Tair d'un vaste marécage '^ Dans ces
moments les ruines de Babylone sont submer-
gées et inaccessibles, les vallées, dans plusieurs
endroits, étant devenues des marais'^". Ainsi d'un
côté, tandis que Babylone est couverte de la mul-
titude des flots, de l'autre elle présente à l'œil
un contraste frappant par les hautes ruines qui
s'élèvent aux rayons d'un soleil ardent, et par les
monceaux de décombres qui , répandues sur une
plaine aride et brûlante , semblent prouver que
Babylone est devenue « un pays sec , un désert ,
« une lande. » Une partie de la rive occidentale
du fleuve est un vaste marécage , l'autre est un
désert aride ^^.
« Elle ne sera tout entière que désolation , elle
« ne sera plus habitée à jamais. » — Des ruines
composées, comme le sont celles de Babylone, de
monceauxde décombres saturés de nitre ne sont
pas susceptibles de culture''^ ; ainsi les matériaux
des édifices de Babylone semblent, en se décom-
posant, condamner la terre à la stérilité. La
partie de la plaine oii Ton trouve des vestiges
de bâtiments , aussi bien que celle où il n'y en a
jamais eu , est entièrement dépourvue de toute
apparence de végétation. Le sol paraît aride
comme s'il avait été inondé plusieurs fois, en sorte
que toute la terre productive semble avoir été
emportée par les eaux; sa surface composée
moitié de sable, moitié de terre glaise, peut
être comparée aux bords de la mer à la marée
basse ^^. Babylone, qui avait dit dans son orgueil :
« Je serai reine à toujours, » n'est plus appelée la
(72) Rich, ps 13.
(73) Buckingham, vol. II, p. 302.
(7 A) Mignan, p. 439. — (75) Rich, p. 16.
(76) Sir R. K. Porter, vol. II, p. 392.
92 «AliYLONK. <:il. IÎ.
reine des royaiiuies ; elle « n'est (oui entière que
i^ désolation. »
c( lîel s'est ineliné. » — J.e t(^nij)le de Hé!usou de
tiaal, dont il est clairement i)arlé ici, avait, selon
le major llennel, 500 pieds , et selon Tiideaux,
()00 ])ieds d'élévation; il était, d'après le calcul le
plus bas , plus élevé que la plus haute des pyra-
mides d'Egypte.
Le monceau le plus élevé que l'on distingue sur
l'emplacement de Fancienne Babylone, le Birs
Nimroud, est regardé comme les ruines du temple
de Bélus. Ce monceau occupe un plus grand es-
pace de terrain que celui où se trouvait jadis le
temple , parcequ'en tombant les pierres se sont
éloignées de leur véritable assiette. Les ruines ne
sont donc plus sur leur ancienne base, mais elles
sont couchées par terre et forment une masse
énorme. Au premier coupd'œil elles présentent
l'idée d'une colline, avec une forteresse placée sur
son sommet ''^j et même, quelque singulier que
€ela puisse paraître , le père Emmanuel parle
des ruines qui se trouvent aussi sur cette som-
mité , sans avoir remarqué l'élévation extraor-
dinaire du monticule qui les porte. Il est presque
inutile de faire remarquer que tout le monticule
est en lui-même une ruine. Et pour démontrer
que c( Bel s'est incliné » il suffit de mettre sous les
yeux du lecteur le dessin ci-joint, pris des Voyages
de sir K. Porter, et qui fait voir la différence
entre l'ancienne élévation du temple et la hauteur
de ses ruines actuelles '^^
(77) Mignan, p. 192.
(78) Porter, vol. II, p. 323.
CH. ir. BABYLONE. 93
Elévation de Birs Nimroud (du côté du nord)
suivant Strabon et Hérodote.
Entree ?i
supposée. -
Les lignes pointées
indiquent les rui-
nes actuelles.
800 pieds
PLAN DE BIRS MMROUD.
«Bel s'est incliné. » — D'abord composé de huit
tours s'éleyant les unes au-dessus des autres , le
temple de Béius ne présente plus que l'aspect
d'une colline irrégulière ^ dont chaque côté a une
élévation différente. Ce n'est plus qu'une masse
sans forme. Le côté oriental présente deux étages
de collines; le premier s'élève à une hauteur de
soixante pieds; il est partagé au milieu par un
profond ravin qu'y ont creusé les pluies de plu-
sieurs siècles. Le sommet de ce premier étage
forme une plate-forme inclinée graduellement
jusqu'à la base du second étage^ qui semble s'é-
lancer hors du premier en forme de cône^ son
sommet étant orné d'un fragment d'édifice sem-
blable à une tour en briques. Depuis la base de
la colline jusqu'aux fondements de cette ruine
l'élévation est d'environ 200 pieds ^ et depuis
le bas de la ruine jusqu'à son sommet on compte
35 pieds de hauteur. A l'occident ^ toute la
masse qui s'élève de la plaine ne présente qu'un
immense monticule ayant la forme d'une pyra-
mide irrégulière ; ses flancs sont creusés çà et là ,
94 BABYLOINE. CH. II.
par l'effet du temps et de la dévastation. Les
faces méridionales et septentrionales en sont très-
escarpées '^ C'est ainsi que le tem])ie de Bel
« s'est incliné. »
« J'étendrai ma main sur toi^ et Je te roulerai
c( en bas du haut des rochers , et je te réduirai
« en montagne embrasée. » — On trouve sur le
sonmiet de la colline d'énormes fragments de
constructions en briques , sans formes arrêtées ,
et qui ont été converties en des masses com-
plètement vitrifiées '^^ Quelques-uns de ces
énormes fragments ont douze pieds de haut
sur vingt-quatre de circonférence , et comme la
construction en brique encore debout est par-
faitement conservée , le changement qui s'est
fait dans ces fragments ne peut être attriljué qu'à
l'ardeur d'un feu égal à celui de la fournaise,
ou plutôt qu'aux effets de la foudre ^\ — Ces
ruines sont entièrement fondues , ce qui porte-
rait à croire que le feu a été employé comme
moyen pour la destruction de cette tour. — L'ac-
tion du feu sur ces débris , dit Buckingham, s'est
prolongée après leur chute, et , suivant l'expres-
sion de Keppel , cette ruine ressemble à ce que
les Ecritures avaient annoncé d'elle , qu'elle de-
viendrait « une montagne embrasée. » Dans la
prophétie contre Babylone , il est clairement an-
noncé que le feu sera employé contre elle; Jéré-
mie l'indique évidemment quand il dit : « Comme
(c dans la subversion que Dieu a faite de Sodome
« et de Gomorhe. » Et nous savons que « l'Eternel
fit pleuvoir des cieux sur ces villes du soufre et
du feu, )) — « Ses portes qui sont si hautes seront
ft brûlées ; ainsi les peuples auront travaillé pour
« néant, et les nations pour le feu, et elles s'y
(79) Porter, vol. II, p. 310.
(80) Ricb, p, 36. — (81) Mignan, p. 207.
!ii||iiil!iii:M,j,":[fsi|::«if::;'i'.4'
CH. II. BABYLONE. - 95
« seront lassées ^\ » — On peut retrouver dans
beaucoup de ces fragments sans formes les ef-
fets graduels de la puissance consumante; on
voit dans bien des endroits cette teinte verdâtre
que l'on aperçoit dans les masses vitrifiées des
verreries; en même temps que l'on distingue
ces traces du feu (et quel feu ! ) qui a précipité
ces masses de leur immense élévation , on peut
encore remarquer les restes de ciment qui, s'étant
durcis avec les briques, sonnent comme du verre.
En examinant la base de la muraille encore de-
bout, on trouve qu'elle n'a point été atteinte
par ce changement et qu'elle est toujours dans son
état primitif; ce qui me porte à conclure, con-
tinue sir R. K, Porter, que le feu est venu
d'en haut , et que la ruine est tombée d'une
plus grande élévation que celle du fragment en-
core debout. Le feu qui a pu produire de tels ef-
fets a dû être plus fort que celui de la plus ar-
dente fournaise , et d'après l'apparence de la fente
que présente le mur , et l'aspect des substances
vitrifiées, je serais porté à attribuer cette ca-
tastrophe à l'action de la foudre; des ruines
produites par l'explosion de quelque matière
combustible présenteraient une tout autre ap-
parence ^'\
Les masses tombées démontrent clairement que
l'action du feu a été d'une longue durée après la
destruction de l'édifice ; car chaque partie de la
surface a été également soumise à son influence;
dans beaucoup d'endroits les formes se sont ar-
rondies et on ne peut distinguer une masse de
l'autre par aucune apparence de meilleure
conservation ^\ Les hautes portes du temple de
(82) Jérém., LI, 58. — Keppel, p. 194, 195.
(83) Sir R. K. Porter, vol. II, p. 312, 313.
(84) Buckingham, vol. II, p. 376.
90 BAHVLONK. CH. |I.
Bolus, encore HcImmiI <hi teiJi]>s d'IIéiodolo^ oui
été (( brûlées »; U^s énormes IVijgmenls vilrifiés
qui tonihèreni lors^jue « Bel se lui ineliîté » sont
eneore (M)ueliés sur ses liantes ruines. «La main
« (le TElejnel a été étendue sur lui , et il l'a roulé
(V en bas du haut des rochers, et il a été réduil
« en montagne embrasée. »
« Et on ne pourra prendre de toi aucune pierre
«pour servir d'angle.^ ni aucune pierre pour
« servir de fondement; car tu seras réduite en
«ruines perpétuelles , dit l'Eternel. » — Les
restes ruinés de Sion seront rebâtis , ses désola-
tions seront relevées; Jérusalem sera habitée de
nouveau, sur remplacement même de Jérusalem;
mais il n'en sera pas de Bel comme de Sion, ni
de Babylone comme de Jérusalem; car de même
que les monceaux de décombres saturés de
nitre qui couvrentlaplace de Babylone ne peuvent
pas être cultivés ^^5 de même les substances vi-
trifiées qui couvrent le sommet de Birs Nimroud
ne peuvent être reconstruites. Il est vrai qu'elles
sont composées des matériaux les pFus durs,
des éléments les plus indestructibles; mais
quoiqu'elles aient formé autrefois les tours les
plus élevées du temple de Bélos, elles sont
maintenant hors d'état d'être taillées ^ et ne
peuvent plus « servir d'angle ni servir de fon-
« dement ». Et les briques qui font encore par-
tie de la muraille solide ^ et qui ne sont ni fondues
ni brûlées , sont cependant si fortement cimen-
tées que^ selon M. Rich^ il serait impossible de
les en détacher entières ^^; ou, comme le dit
le capitaine Mignan , il ne serait pas possible
d'en détacher une seule ^^ — Malgré tous mes
efforts je ne pus en détacher une seule ^% dit Por-
(85) Rich, }>. 16. — (86) Rich, p. 36.
(87) Mignan, p. ^06. — (8b) Porter, vol. II, p. 311.
CH. 11. BABYLONE. - 97
ter; et Buckingham , voulant assigner une raison
à la disparition totale des murailles , et en par-
lant du Birs Nimroud , dit : Les seules briques
dont on puisse se servir se trouvent dans les rui-
nes des grands monuments deMujélibé, de Kar
et de Birs Nimroud, et il est si difficile, ou plutôt
si impossible de les extraire entières, à cause de
la force du ciment, qu'il est très probable qu'on
n'a jamais eu recours à ce moyen tant qu'il est
resté des pans de murailles; quelquefois encore
on creuse la rive occidentale du fleuve pour
en extraire des briques, mais la dépense est
considérable et le résultat très peu satisfaisant^^.
— On ne trouve pas une seule brique entière
dans les environs de la tour ®^.
Ces témoignages réunis , sans aucune allusion à
la prédiction, en sont le meilleur commentaire.
Ainsi, tandis qu'il a été dit de Babylone qu'elle
<( serait rasée au loin » , et que véritablement dans
bien des endroits il «n'y a rien de reste», ce-
pendant de la « montagne embrasée » , dont les
ruines suffiraient à elles seules pour la construc-
tion d'une ville magnifique, on ne retire pas une
seule pierre pour placer à l'angte , ni pour servir
de fondement.
« Mérodac est brisé » . Mérodac était un nom
ou un titre donné aux princes et aux rois de
Babylone; l'Écriture sainte y fait allusion deux
fois. Elle parle de Mérodac-Baîadan, fils de
Baladan, roi de Babylone, qui tenait les rênes du
gouvernement; et d'Evil-Mérodac, qui vivait du
temps de Jérémie. De ce que ce nom de Mérodac
est associé à celui de Bel, ou du temple de Belus,
et de la ressemblance du jugement prononcé
contre eux (l'un devait être c( incliné » et l'autre
(89) Buckingham, voU II, p. 332. — (90) Porter, II, 329.
5
1^8 ÏJAOYLONE. en. II.
w brisé) » , on peut raisonnableinenl conclure que
Mérodac était le nom de quelque autre f^rand
édifice de Bahylone; et en même temps, d'après
ridentité de ce nom avec celui des rois de lîaby-
lone, et même avec celui d'Evil-Mérodac, qui
vivait du temps de Jérémie, il est assez probable
que le prophète voulait parler du palais même
des princes. Il est plus que vraisemblable qu'après
le temple païen, qu'après le siège d'un culte cor-
rompu et destructeur, c'était sur la demeure
royale du tyran qui opprimait si cruellement le
peuple d'Israël et qui faisait trembler toute la
terre , que tomberait plus particulièrement la ma-
lédiction de Dieu. En effet, en seconde ligne, et
inférieur seulement en grandeur aux ruines de
Birs-Nimroud , vient le Mujélibé ou Màkloubé,
que les voyageurs regardent comme l'ancienne
résidence des rois de Babylone.
Le palais du roi des Babyloniens rivalisait
presque en grandeur avec le temple de leur dieu.
Il y a eu même diversité d'opinions à ce sujet;
cependant Fentière désolation est la même pour
les deux : l'un « s'est incliné » , et l'autre a été
« brisé. » Les deux palais de Babylone avaient de
belles fortifications ; le plus grand était entouré
de trois hautes et larges murailles ^\
Lors de la prise de la ville par Démétrius, il
s'empara d'un des châteaux par surprise et en
chassa la garnison , qu'il remplaça par 7000
hommes de ses troupes ^^ Il ne put se rendre
maître de l'autre palais. Ces faits nous prouvent
quelles en étaient encore la grandeur et la
force , 300 ans après la prédiction. La solidité
des constructions aurait dû en assurer Pexistence
pendant des siècles entiers, et il n'y eut jamais un
(91) Diod. Sic, 1. II. — Héiod., 1, I, ch. clxxxi.
(92) Plutarque, Vie de Démétrius.
il
CP. IT. BABYLONE. ^ 99
contraste plus frappant qu'entre l'ancienne magni-
ficence de ces palais et leur désolation actuelle.
On voit encore quelques pans des murailles qui
environnaient ce site , et qui servent à en établir
l'identité avec Mujélibé, comme le nom de Méro-
dac s'identifie avec celui du palais. « 11 a été^
« brisé; ^) d'oîi lui vient le nom de Mujélibé, qui
signifie renversé ^ détruit. Sa circonférence est
d'environ un demi-milte , et son élévation de
140 pieds; mais c'est un monceau de décombres
dans lequel il est impossible de distinguer quel-
que forme que ce soit^\
On a pu s'assurer qu^il existait des chambres ^
des corridors, des cellules de grandeurs diverses,
et construits de différents matériaux ^\ C'est le
repaire des bétes sauvages et des fouines. « Les
« animaux féroces s'entre-répondront dans ses pa-
« lais désolés , et les dragons dans ses maisons de
« plaisance.» — On rencontre à chaque pas parmi
€es ruines des reptiles venimeux ^". — Les côtés
ont été creusés par l'effet du temps, et les grandes
pluies ont formé plusieurs canaux qui se sont
réunis et forment des ravines dont le sol est pro-
fondément pénétré ^^; les côtés de la ruine offrent
des creux faits par les pluies ^^ — « On t'a fait
<^ descendre au sépulcre au fond de la fosse.»
« Ceux qui te verront te regarderont , et te
« considéreront , disant : N'est-ce pas ici cet
« homme qui faisait trembler la terre, qui ébran-
« laities royaumes^^?»Il suffit de regarder, d'exa-
miner avec attention la vue de l'emplacement de
Mujélibé, pour se convaincre que le palais de
ces rois orgueilleux comme Lucifer, qui s'élevaieut
(9a) Delia Valle. — Buckingham, vol. Il, p. 273.
(94) Buckingham, vol. Il, p. 274 — (95) Mignan, p, 468.
(96) Rich, p. 29. •— (97) Mignan, p. 167.
(98) Esaïe, XIV, 16.
i(K) iJAiiVLo-Mî:. cil. 11.
au-dessus des étoiles du Dieu fort, a a éU; renversé,
« foulé et lu'isé"'*. » — Kn me pronuMi.'int au mi-
lieu de ees [)ierres et de ees immenses IVaf^ments,
en contemplant la sublimité de ces ruines gi-
gantesques , je me reportais naturellement, dit
ie capitaine Mignan/a ces temps d'ancienne s])len-
deur, où de larges murailles s'élevaient orgueil-
leusement sur ce même site ; je me disais : Autre-
lois ces salles résonnaient de chants joyeux; ici
se donnaient des festins magnifiques, ici retentis-
saient des yoix qui ont depuis longtemps cessé de
se faire entendre sur la terre. Ce monceau était
jadis le séjour du luxe et de la débauche; mainte-
nant il n'offre plus qu'une désolation complète et
une. preuve de la justice des jugements du ciel. Il
est solitaire ; la cabane du berger ne vient pas
même égayer cette affreuse solitude. — « On a
« fait descendre ta magnificence dans le sépulcre,
« avec le bruit de tes instruments ; tu es couché
« sur une couche de vers , et la v ermine te
« couvre '^^. »
« Il n'y aura aucune muraille de Bat>ylone ,
<< quelque large qu'elle soit , qui ne soit entière-
« ment rasée. » —Telle était, au rapport des an-
(99) C'est à Tobligcance de sir Robert Porter que Tauteur a dà
de pouvoir faire graver, d'après des dessins faits sur les lieux, les
vues de BirsNimroucl et de Mujélibé. Ses Voyages en Perse^ en Ba-
bylonien etc. coiitiennent quatre vues de chacun de ces objets et Fou
peut voir combien elles sont « abaissées et tombées en ruines. »
On en trouve aussi de petites esquisses dans les Mines de l'Orient
(Vienne) , dans les mémoires de Rich sur les ruines de Babylone, et
dans les voyages de M. Buckingham, et encore dans les voyages du
capitaine Mlgnan. Le lecteur curieux peut rapprocher le Mujélibé
du magnifique tableau de la fête de Belsçatzar, de Marlhi. L'em-
placement, car il n'y a plus de palais, est toujours le muiie. Tout
le monde a entendu parler du temple de Bélus ; or l'imagination
no saurait pas pins en exagérer la magnificence qu'elle ne pourrait
se former la moindre idée de ce qu'il était jadis d'après ce qu'il en
reste.
(-100) Esaïe, XIV, 11.
CH. II. BABYLONË. fOl
ciens historiens, la largeur de ces murailles , que
six chariots pouvaient y passer de front. Elles sub-
sistaient plus de mille ans après la prédiction ;
on les mettait encore au nombre des sept mer-
veilles du monde , bien des siècles après que la
prophétie en eut annoncé la destruction. Mais
qu'y a-t-il de plus étonnant pour nous aujourd'hui,
et quel événement aurait pu paraître plus invrai-
semblable à un habitant de Babylone, au temps
de la gloire et de la puissance de cette ville , que
la destruction de ces murs fameux, destruction si
complète qu'à peine peut-on en retrouver quel-
ques traces certaines. « Tous les historiens s'ac-
cordent, dit M. Rich, quant à la hauteur de ces
murailles, qui était de cinquante coudées; ayant
été réduits à cette mesure, après avoir eu la pro-
digieuse hauteur de 350 pieds, par Darius His-
taspe, lors de la révolte de la ville. Je n'ai pas été
assez heureux pour en retrouver les moindres
vestiges parmi les ruines de Hillah; ce qui me
paraît assez extraordinaire , puisque nous savons
qu'elles restèrent debout longtemps après la des-
truction de la ville, qu'elles servaient de clôture
au parc des animaux, et que saint Jérôme nous
dit qu'elles étaient en assez bon état à l'époque
oil il vivait*^*. »
Ce fut dans le seizième siècle qu'elles furent
vues pour la dernière fois par un voyageur euro-
péen ( du moins autant que l'auteur a pu s'en
assurer). Il sera intéressant pour nous de suivre la
marche de cette destruction , et de voir comment
et quand elles furent détruites , ainsi que la ville
dont elles avaient été si long-temps l'orgueil et la
puissance.
«Pendant le temps que nous y restâmes, dit
(101) Rich, p. 4?, M.
n)2 «ABVLONE. Cil. II.
Rauwollï, j\3xaniinai cette élévation, et je dé-
couvris (jifil y avait deux luui ailles, l'une derrière
l'autre (Hérodote rapporte qu'il y avait une mu-
raille intérieure et une extérieure), séparées par
un fossé, et s'étendant parallèlement au loin, et
que d'espace en espace il y avait des ouvertures
qne l'on pouvait considérer comme ayant été au
trefois des portes. Ainsi j'ai tout lieu de croire
que c'étaient là les anciennes murailles de la
ville, et que les ouvertures indiquent la place des
anciennes portes, au nombre de cent. Et ce qui
donne du poids à cette opinion , c'est que je vis
en quelques endroits, sous le sable qui couvre
presque entièrement ces élévations, des restes
de vieux murs*^^ »
Les villes de Séleucie, de Ctésiphon, de Des-
tagered, de Kufa, et beaucoup d'autres de ces
environs, et les villes modernes de Meschid-Ali,
de Meschid-Tessein et d'Hillah, ainsi que d'autres
villes, villages, et caravansérails sans nombre ,^
ont été construits probablement avec les maté-
riaux des murs de Babylone^*^ Comme la ville,
« ils ont été pillés jusqu'à ce qu'il n'y en ait rien de
« reste. » Les pluies d'une longue suite de siècles
et les débordements réguliers de l'Euphrate ont
aussi probablement emporté les décombres et les
débris des murailles dans le fossé d'oîi elles
avaient été tirées jadis, jusqu'à ce que le sable du
désert les eiit nivelées avec la plaine, et leur em-
placement fait aujourd'hui partie du désert ; c'est
ainsi que «les larges murailles de Babylone ont
« été rasées. » Ne pouvons-nous pas dire d'après
ce témoignage que les hautes murailles sont
tombées , que la ville qui était l'orgueil des na-
tions a été désolée , que le sol le plus fertile a
(102) Collection de Voyages, par Ray, p. 177, 178.
(103) Voyages de sir K K. Porter, vol, II, p, 338.
C:H. ir. BABYLOISE. ^ lO'S
disparu^ paiceque «TEternel des armées l'a
« balayé avec le balai de la destruction. »
Un des chapitres du Voyage de M. Buckingham
en Mésopotamie 5 qui n'a pas moins de 60 pages,
est intitulé : « Recherches relatives aux Murailles
« de Babylone. » Après une longue et inutile
recherche , il découvrit à la fin , près des landes
orientales 5 sur le haut d'un monticule ovale
d'environ 70 à 80 pieds de haut, et d'environ 3 à
100 pieds de circonférence, un pan de mur solide
ayant 30 pieds de long, sur 12 ou 15 pieds d'é-
paisseur; il était évident que jadis il était d'une
dimension beaucoup plus grande; maintenant
il est en ruines et partout incomplet '^\ Il en
conclut que ce fragment de muraille et ce mon-
ticule de décombres étaient tout ce qu'on pouvait
découvrir des anciennes murailles de Babylone ,
« si entièrement rasées; « c'est là le seul vesfigr:
qu'on en retrouve.
Le capitaine Frederick, dont le voyage avait
pour but principal de découvrir les restes des
murailles et du fossé qui avaient entouré Ba-
bylone, assure qu'aucun voyageur moderne n'a
pu en retrouver les moindres traces. — « Je fis inu-
tilement des questions aux Arabes, dit-il; ils ne
purent rien me dire sur ce sujet. lime fut impos-
sible, après avoir examiné tous les bords du fleuve
sur un espace de 21 milles de longueur, et de
12 milles en largeur, de découvrir le moindre in--
dice qui put me permettre de croire qu'il y eût
jamais eu là un fossé ou des murailles. S'il reste
quelques vestiges de ces murs, il faut qu'ils soient
à une plus grande distance que celle qu'indiquent
les géographes modernes. Je puis m'ctre trompé ,
mais je ne me suis épargné aucune fatigue pour
(lO/i) Buckingham, vol 11^ p. S06^ 307.
loi babylom:. eu. il
éviter toiilo errc^ir. J'ai parcourii ces lic^iix pcn-
(laiif Imit heures, durant six jours consécutifs, et
plus (le (lou/e heures le septième '"*. »
Le ma jorlu^ppel, après avoir rap})ortè comment
il avait complètement éclioué, lui, ses compa-
gnons et cpielques autres voyageurs qui s'étaient
associés à ses courses, dans la recherche qu'ils
ont faite de quelques vestiges des murailles de la
ville, ajoute ce qui suit : Les prédictions divines
contre Babylone se trouveut si littéralement ac-
complies dans l'état actuel de ses ruines, que je
n'hésite pas à donner l'interprétation la plus éten-
due aux paroles de Jér^mie : « Il n'y aura aucune
«muraille, quelque large qu'elle soit, qui ne
« soit entièrement rasée. »
« Babylone sera réduite en étonnement ; qui-
« conque passera près de Babylone sera étonné. »
Il est impossible de penser à ce que Babylone
était, et de yoir ce qu'elle est aujourd'hui, sans
être étonné. Sir R. Porter s'exprime ainsi lors de
sa première vue de ces ruines : Je ressentis une
crainte indéfinissable en passant, pour ainsi dire,
par les portes de l'ancienne Babylone ^^^. — Je ne
puis décrire, dit le capitaine Mignan, l'impres-
sion de respect et de terreur dont je fus comme
accablé, en contemplant l'étendue et la grandeur
de la désolation qui m'entourait de toutes parts *^^
— « Comment le marteau de toute la terre a-t-il
« été brisé? Comment Babylone a-t-elle été réduite
« en désolation parmi les nations? » La descrip-
tion suivante , si pleine d'intérêt, a été faite sur
les lieux mêmes.
Après avoir parlé des quais détruits , des eaux
stagnantes , des anciens fondements , et de la
(i05) Travaux de la Société de littérature de Bombay, vol, I,
p. 130, 131. — Keppel, v. I, p. 175. — Jér., LI.
(106) Sir Robert Porter, vol. II, p. 29/i. — (107)Mgnan, p. 117.
ai. II. BABYLONE/ 105
longue ligne ondulante de monceaux de déconi-
bres^ sir Robert Ker Porter ajoute : Toute cette
vue avait quelque chose de solennel. Le majes-
tueux fleuve de l'Euphrate, coulant au milieu
d'une profonde solitude , tel qu'un monarque
pèlerin qui visite les ruines silencieuses de son
royaume dévasté , nous paraissait encore une
belle rivière malgré la tristesse de la scène qu'il
parcourait. Ses rivages sont blancs de rosea ux, et
l'on voit encore sur ses bords les saules aux-
quels les prisonniers d'Israël avaient suspendu
leurs harpes ^ ne voulant pas se réjouir pendant
la captivité de Jérusalem. Mais combien tout le
reste a changé depuis ce temps ! Alors ces monti-
cules étaient des palais; ces monceaux étaient des
rues; cette vaste solitude était remplie des
riches habitants de l'orgueilleuse Babylon e. Main-
tenant « elle est abattue jusqu'en terre; elle n'est
« plus habitée; la vermine la couvre *^^ »
On peut donc voir dans cette merveilleuse his-
toire de la Babylonie qu'il n'y a pas un seul fait
qui n'ait été l'objet d'une prophétie spéciale. Elle
avait annoncé que ses palais seraient réduits en
monceaux 5 que ses rues seraient détruites et
désertes ^ que l'orgueil du monde serait assis sur
la poussière, que le silence du tombeau succé-
derait au bruit de la multitude de Baby lone , que
ce vaste entrepôt du monde oii toutes les nations
venaient apporter leurs trésors, cette prison où
le peuple juif fut tenu captif jusqu'à ce que Ba~
bylone elle-même eut été pillée par divers peu-
ples, descendrait au sépulcre; que la vaste
métropole, le pays des palais et l'orgueil des
royaumes, le rendez-vous de tous les peuples
deviendrait un endroit méprisé et solitaire, oh
(108) Sir K. Porter, vol. II, p. 237.
5,
106 BA«YLONE. eu. II.
personne ifhabiterail de génération en {généra-
lion ; oil les Ai abes mêmes ne voudraient pas dres-
ser leurs tentes, ni les bergers faire paître leurs
troupeaux; qu'il n'y aurait plus de richesses se-
crètement gardées, ni de trésors cachés, mais
que sa honte serait découverte ; que celle qui
faisait trembler la terre et qui ébranlait les royau-
mes serait jetée loin de son sépulcre comme une
branche pourrie ; que beaucoup de nations et de
grands rois viendraient du bout du monde contre
Babylone; que des ouvriers la réduiraient en
monceaux et formeraient des étangs au milieu
d'elle ; que cet immense lac artificiel , ayant plu-
sieurs milles de circonférence et qui servait à
arrêter les débordements annuels de TEu-
phrate, que ce lac serait réduit en étangs d'eau,
creusés par des ouvriers et remplis par la ri-
vière ; que le premier et le plus grand des tem-
ples serait réduit en montagne d'embrasement;
que la statue d'or de 40 pieds qui en ornait
le sommet, jusqu'aux images taillées de leurs
dieux , tout serait brisé et réduit en poussière ;
que les magnifiques fêtes des monarques de Ba-
bylone, que le bruit des instruments, que la splen-
deur du festin de Belsçatzar, que les cris de dé-
bauche de mille grands seigneurs qui s'enivraient
dans les vases sacrés de Sion , feraient place aux
cris des bêtes sauvages; que les maisons seraient
remplies de fouines, que les chat-huants habite-
raient dans leurs maisons de plaisance, que les
chouettes y sauteraient; que les dragons se loge-
raient dans ses palais désolés ; que les terrasses
élevées sur terrasses, et qui faisaient ressembler
les jardins suspendus de Babylone à une vaste
montagne, seraient mises au niveau de la fosse;
que les palais des princes , qui , assis en la mon-
tagne d'assignation, croyaient pouvoir placer leur
€H. II. BABYLONE/ 107
trône au-dessus des étoiles du Dieu fort, seraient
réduits en pièces, comme des habillements trans-
percés avec l'épée, comme une charogne foulée au x
pieds; que les larges murailles devant lesquelles
l'armée de Cyrus s'était rangée en bataille sans
pouvoir trouver un seul endroit accessible à Tas-
saut, seraient entièrement rasées, et que l'on
chercherait en vain la place oii elles avaient été.
Enfin, elle avait annoncé que Babylone la grande,
l'orgueilleuse Babylone, la gloire des royaumes,
ne serait plus que la Babylone désolée , Tétonne-
ment de quiconque passerait auprès d'elle. Quel-
que merveilleux donc qu'ait été le changementqui
devait ainsi se faire en Babylone, on ne peut nier
qu'il ne se soit opéré, et, quels que soient les
instruments que l'Éternel a employés, l'effet
n'en est pas moins évident, et cette destruction
est venue sur Babylone comme un « dégât fait
« par le Tout-Puissant. »
Tous les desseins de rÉternel n'ont-îls pas été
accomplis contre Babylone ? Qui oserait, après
avoir examiné tous les faits, qui oserait répondre
d'une manière négative aux questions que le
Seigneur fait lui-même en commençant ces pré-
dictions ? « Qui annonce dès le commencement ce
« qui arrivera à la fin , et longtemps auparavant
« ce qui n'a point encore été fait? Qui dit : Mon
« conseil tiendra, etj'exécuterai toute ma volonté?
« Qui est semblable à moi? » — Serait-il possible
d'admettre l'accomplissement d'une seule prophé-
tie, si l'on refuse le témoignage qui se rapporte k
celle-ci? Y eut-il jamais lieu sur la terre qui ait
subi un changement plus complet?
Les annales du genre humain, a-t-on dit
avec vérité, ne présentent pas un contraste plus
frappant que celui qui existe entre la magnifi-
cence primitive de Babylone et sa longue déso-
108 TYK. en. III.
lation *'*". Ses i nines ont été visitées dernière-
nient par plusieurs personnes dont le caraetère
est bien connu et dont la véracité (»st à l'épreuve,
et toutes leurs recherches n'ont servi cpi'à rendre
un éclatant témoignage à raccomplissement lit-
téral de chaque prophétie. — Combien peu
de contrées de la terre dont nous ayons une
description aussi exacte et aussi détaillée que
celle que fit le prophète, à une époque où
Babylone était loin de ressembler à ce qu'elle
est maintenant devenue! Serait-il possible de
trouver des prédictions plus précises, plus éton-
nantes, plus nombreuses et plus véridiques, ou
qui se soient plus visiblement accomplies par
degrés pendant une longue série de siècles? —
Ah! qu'en méditant sur le sort de Babylone, en
envisageant ce qu'elle était et ce qu'elle est deve-
nue, les nations apprennent la sagesse, que les
tyrans tremblent, que les incrédules croient!
CHAPITRE III.
PROPHETIES CONCERNANT TYR.
Tyr était la ville la plus célèbre de la Phénicie,
et pendant longtemps elle fut la première ville de
commerce de l'univers. C'était le théâtre d'un
commerce et d'une navigation immense, dit Vol-
ney , le berceau des arts et des sciences , et la
patrie du peuple le plus industrieux peut-être et
le plus actif qui ait jamais existé*. Le royaume
(409) Revue d'Edimbourg, vol. I,p.'439.
(1) Voyages de Volney. — Steph. Diet. p. 2039. — Strabou.
CH. III. TYR. ' 109
de Carthage, cette rivale de Rome, était une des
colonies de ïyr. Ce fut lorsque ce centre du com-
merce du monde avait atteint son plus haut degré
de puissance et'd'opulence, et au moins 125 ans
avant la destruction de l'ancienne Tyr,que le pro-
phète Isaïe annonça sa chute irrévocable. La nou-
velle Tyr, bâtie sur une île, succéda à la ville con-
tinentale ; elle fut habitée par le même peuple, con-
serva le même nom , et son sort fut également
compris dans les mêmes prédictions. Le prophète
assigne comme causes de la malédiction prononcée
contre elle son orgueil et sa méchanceté, la joie
qu'elle éprouva des malheurs des Juifs, et sa
cruauté en les vendant comme esclaves. Toute la
destinée de Tyr fut prédite.
L'évêque Newton nous montre comment les
prophéties suivantes ont été aussi exactement ac-
complies qu'elles ont été clairement énoncées,
c'est-à-dire que Tyr devait être prise et détruite
par les Chaldéens, qui, à l'époque de la pro-
phétie , n'étaient qu'un peuple obscur et peu im-
portant, et que cette destruction devait se faire
par le moyen de Nabuchodonozor, roi de Baby-
lone ; que les habitants de Tyr s'enfuiraient sur
l'île voisine et se répandraient dans les contrées
environnantes , mais qu'ils n'y trouveraient aucun
lieu de repos; qu'après un intervalle de 70 ans
la ville serait reconstruite , et que le peuple re-
tournerait à son commerce et à ses richesses;
qu'après un certain temps le peuple renoncerait
à l'idolâtrie et se convertirait au culte du vrai
Dieu, et qu'enfin la ville serait entièrement dé-
truite et qu'elle ne serait plus qu'un lieu pour
étendre les filets.
Mais au lieu de les passer toutes en revue,
nous nous contenterons d'en présenter au lecteur
quelques-unes des plus remarquables, qui furent
1 10 TYR. en. m.
accomplies après répoque des derniers prophè-
tes de l'Ancien Testament, et dont l'accomplis
sèment repose sur des témoignages non équi-
voques.
Le siège de Tyr, par Alexandre-le-Grand, est
un des plus singuliers événements de l'histoire.
Irrité de ce qu'une ville solitaire comme Tyr
pût aussi longtemps arrêter la marche de son
armée victorieuse , exaspéré par le meurtre
de quelques-uns de ses soldats , et jaloux de sa
renommée , rien ne put faire consentir le jeune
vainqueur à en lever le siège. La prise de Tyr
fut encore plus étonnante que le plan d'attaque
ne fut audacieux, car la ville était entourée
d'une muraille haute de 150 pieds, et sa position
sur une île éloignée d'un demi-mille du rivage
semblait la rendre inaccessible. On forma, pour
ainsi dire, une chaussée qui s'étendait du rivage
à l'île , et les ruines de l'ancienne Tyr ^, détruite
depuis 250 ans, en fournirent les matériaux.
Une entreprise aussi gigantesque sembla pendant
quelque temps au - dessus des efforts mêmes
d'un Alexandre. Les ouvrages commencés furent
brûlés par l'ennemi, et ensuite détruits par un
orage; mais leurs restes ensevelis sous l'eau for-
mèrent une barrière sur laquelle il recommença
ses travaux. Il fallut encore rassembler une im-
mense quantité de matériaux; on ramassa la
terre et jusqu'aux décombres; et ce même con-
quérant, qui ne parvint jamais à rebâtir les mu-
railles de Babylone , jeta celles de Tyr dans la
mer et en enleva même la poudre de dessus la
place qu'elles occupaient ^ Il ne laissa pas ves-
(2) c Magna vis saxo rum ad mainim erat, Tyro vetere prae-
bente. » Quint. Curt., 1. IV, cap. ix. — P rideaux, RoUin, etc.
(3) Humus aggerebatur. Quint. Curt., cap. xi. Arrian. de
Exp. Ai., 1. II, cap. x\r-xxiv. Quint. Cnrt. , L IV, cap. vii-xix.
<:h. hi. tyr. " 111
tige d'une seule ruine , et l'emplacement de l'an-
cienne Tyr est inconnu*. Qui est celui qui a
enseigné au prophète à dire : « Elles détruiront
« les murailles de Tyr , et démoliront tes tours ^
« et jetteront ton bois , tes pierres et ta poussière
« au milieu des eaux. » — «Je raclerai sa poussière
« hors d'elle 5 je ferai qu'on sera tout éperdu à
«cause de toi, de ce que tu ne seras plus; et
« quand on te cherchera , on ne te trouvera plus
« à jamais 5 dit l'Eternel ^. »
Après la prise de Tyr , le conquérant fit incen
dier la ville. Quinze mille Tyriens s'échappèrent
dans des vaisseaux ; mais une grande partie des
habitants furent massacrés, et 230,000 vendus
comme esclaves. De tous ces faits, les plus saillants
de l'histoire de Tyr , il n'y en a pas un seul qui ne
soit l'accomplissement d'une prophétie. «Voici,
« le Seigneur l'appauvrira, et en la frappant il jet-
« tera sa puissance dans la mer , et elle sera con-
« sumée par le feu®. » — « Je ferai sortir du milieu
« de toi un feu qui te consumera, et je te réduirai
« en cendre sur la terre ^ » — « Passe en Tarsis,
« lève-toi, traverse en Kittim^ » — « Les îles qui
« sont dans la mer seront éperdues à cause de ton
« issue ®. » — « Tu mourras au milieu de la mer, de
« la mort de ceux qui sont tués*^. » — « Vous avez
« vendu les enfants de Juda et les enfants de Jéru-
« salem; voici, je ferai retourner sur votre tête
« votre salaire*'. » Mais que dit encore le prophète
de la première ville de commerce de l'univers ,
dont les marchands étaient des princes , et les fac-
teurs des grands de la terre ? « Je te rendrai sem-
(4) Volney , vol, II. — Description de TOrient, par Pococke ,
1. I , ch. XX. — Buckingbam, p. 46.
(5) Ezécbiel, XXVI, 4, 12, 21.
(6) Zacharie, IX, /i. — (7) Ezéchiel, XXVIII, 16.
(8) Esaïe, XXIII, 6, 42. — (9) Ezéchiel, XXVI, 13.
(10) Ezéchiel, XXYIII, 8. — (11) Joel, III, 6, 7.
ï l^ TYR. CH. III.
^( blabkî à une pierre sèelie.^ un li(Mi i>()nr éU .nlre
^t les rilels*\ )) Jl est encore répélé ailleurs avec
la inénie force et la même vérité : « J(i la rendrai
« semblable à une pierre sèche. Elle servira à
«étendre les lilets au milieu de la mer, car i'ai
«parle \ »
Cependant^ quoique privée de ses anciens ha-
bitants, Tyr ne tarda pas à redevenir une ville
commerçante. Elle était populeuse et florissante
au commencement de l'ère chrétienne. On y trou-
vait du temps des apôtres plusieurs disciples du
Christ; on y construisit plus tard un temple élé-
gant et plusieurs églises; elle fut le siège episco-
pal du premier archevêque soumis au patriarche
de Jérusalem. Tyr fut prise par les Sarrazins au
septième siècle , et au douzième par les croisés ,
époque à laquelle elle était une ville de commerce
riche et importante. Les Mameloucks s'en rendi-
rent maîtres plus tard, et depuis 300 ans elle est
demeurée au pouvoir des Turcs. La cruauté et les
spoliations continuelles des Turcs ne lui ont pas
permis d'échapper au sort qu'elle a du reste par-
tagé avec un e multitude d'autres villes et avec plu-
sieurs autres pays, et sa désolation avait été pré-
dite 2,000 ans avant l'existence du peuple qui a
été l'instrument de sa destruction et de sa ruine.
Il est vrai que dernièrement la ville a paru sortir
un peu du milieu de ses ruines, grâce à un court
intervalle de repos; cependant les dernières pu-
nitions prononcées contre elle ont été parfaite-
mentaccomplies d'aprèsle témoignageque nousen
rendent Maundrell, Shavv, Volney et Bruce.
Il ne reste aucun vestige de son ancienne
splendeur; elle n'est plus qu'une ville de mu-
railles brisées, de colonnes tronquées et détruites,
(12) Ezéchiel, XXVI, 1^, 15. — (d3) Ibid., k, 5.
CH. III. TYR. - 113
et de caveaux. Toute sa population consiste en
quelques pauvres familles qui se logent dans les
souterrains 5 et dont la pêche est le principal
moyen de subsistance ; elles ne semblent y être que
pour servir de témoignage vivant a l'accomplisse-
ment de la parole de Dieu'\ — Le port de Tyr,
déjà très petit , est tellement obstrué par le sable
et par les décombres que les bateaux de pê-
cheurs, qui de temps à autre visitent ce marché
jadis si renommé , et viennent sécher leurs filets
sur ses rochers et sur ses ruines , n'y pénètrent
qu'avec beaucoup de peine *^ Et Volney lui-même ,
après avoir cité la magnifique description que fait
Ezéchiel de l'ancienne grandeur de Tyr, de la
destruction de la ville et de son commerce ^ re-
connaît expressément : que les révolutions du
sort ou plutôt la barbarie des Grecs du Bas-Em-
pire et des Mahometans ont accompli ces ora-
cles. Au lieu de cette ancienne circulation si active
et si vaste. Sour (Tyr), réduit à l'état d'un miséra-
ble village 5 n'a plus pour tout commerce qu'une
exportation de quelques sacs de coton et laine ,
et pour tout négociant qu'un facteur grec au ser-
vice des Français de Saïde, et qui gagne a peine de
quoi soutenir sa famille. Ensuite, sans remarquer
dans ses détails l'accomplissement de la prophétie,
il ajoute cependant des faits plus précieux qu'au-
cune opinion, et qui sont le témoignage le plus
puissant de l'accomplissement des prédictions, —
Toute la population du village de Tyr consiste en
50 à 60 pauvres familles qui vivent obscurément de
quelques cultures de grains et d'un peu de pêche.
Les maisons qu'elles occupent ne sont plus,
comme au temps de Strabon, des édifices à trois
ou quatre étages, mais de chétives huttes sur le
(i/i) Voyages de Maiindrell, p. 82.
(15) Voyages de Shaw, vol. II, p. 34,
1 14 KGYPTE. <:il. IV.
f)oint. do s'écrouler *M{i lice parle de Tyr comme
d'un c( rocher sur lequel des pécheurs sècheni
« leurs lilets. »
Peu nous iuiporte par quels moyens ces i)ro[)hé-
ties ont été accomplies ; il était aussi impossible a
rhomme de prévoir ces moyens que de prévoir
l'événement lui-même. Le fait est positif, les
prédictions ont été accomplies; donc les prophètes
ont annoncé la vérité. On peut les mépriser, mais
on ne peut rien changer à leurs paroles; il n'y a
jamais eu de faits plus frappants et moins pro-
bables, et jamais il n'y a eu de prédictions plus
précises et plus claires.
CHAPITRE IV.
PROPHÉTIES CONCERNANT l'ÉGYPTE
L'Egypte était un des plus anciens et des plus
puissants royaumes de la terre, et encore aujour-
hui les voyageurs s'occupent à découvrir les mo-
numents sans pareils de son antique splendeur.
Jamais nation , ancienne ou moderne , ne par-
vint à élever des monuments aussi grands et aussi
impérissables. Tandis que l'on ne reconnaît la
grandeur des autres royaumes qu^aux ruines de
leurs villes et qu'aux vestiges de leur magnifi-
cence, les pyramides d'Egypte s'élèvent sembla-
bles à des monts [impérissables , sans date qui
serve à reconnaître leur fondation, et elles ont
défié les ravages des siècles. Le royaume d'Egypte
(16) Volney, Voyage en Syrie, vol. lï, ch. xxix,
Cfl. IV. EGYPTE. ' Ho
est le plus ancien de tous. Aucune nation de
l'antiquité n'eut une aussi longue succession non
interrompue de rois. La science des Egyptiens a
passé en proverbe; le nombre de leurs villes et la
population de leur pays, selon ce qu'en rapportent
les anciens historiens, étaient presque incroya-
bles". La nature semblait se réunir à l'art pour
faire de l'Egypte la contrée la plus fertile de la
terre ; on l'appelait le grenier du monde : elle
était divisée en plusieurs royaumes, et sa puis-
sance s'étendait sur plusieurs pays voisins".
Cependant la connaissance de toute cette grandeur
et de toute cette gloire n'empêchèrent pas le pro-
phète juif de déclarer que « l'Egypte deviendrait
« le plus bas des royaumes , et qu'elle ne s'élève-
nt rait plus auprès des nations. »
L'Egypte fut le sujet d^un grand nombre de pro-
phéties qui ont reçu autrefois leur accomplisse-
ment, et le temps n'a pu effacer encore les marques
par lesquelles les prophéties ont caractérisé la
destinée qui l'attendait.
« Ils seront un royaume abaissé. Il sera le plus
c( bas des royaumes, et il ne s'élèvera plus par-
« dessus les nations, et je le diminuerai afin qu'il
« ne domine plus sur les autres nations'^ L'or-
« gueil de sa force sera renversé, et ils seront dé-
« soles parmi des pays désolés, et ses villes seront
« parmi des yilles rendues désertes. » — « Je dé-
« solerai le pays et tout ce qui est par la puissance
« des étrangers. Je livrerai le pays entre les mains
« des gens méchants, des étrangers. Moi, l'Eter-
« nel, j'ai parlé. Il n'y aura plus de prince du pays
« d'Egypte '\ »
L'Egypte fut subjuguée par les Perses 536 ans
(17) Vingt mille. Hérodote, 1. II, ch. clxxvii.
(18) Marshaiïi, Can. chron., p, 239-242.
(19) Ezéchiel, XXIX, 1/i, 15. — (20) Ibid., XXX, 6, 7, 13, 15.
I !<> KiJVPTE. Cil. IV.
avant l'ère chrétienne; elle le fnt ensnite par les
Macédoniens, et i,M)nvernée pendant [)lns de trois
siècles par les Ptolénièes, JMS(|n'à ce (pie vers
Tan :U) avant l'ère chrétienne cUcsnhitlejonj^des
Koniains.
Elle leur fut soumise pendant plusieurs siècles;
d'abord tributaire de Rome et ensuite de Constan-
tinople. L'an G41 derèrechrétienne^ elle tomba au
pouvoir des Sarrazins. En 1250 5 les Mameloucks
secouèrent l'autorité de leurs chefs et s'emparè-
rent du j^ouvernement de l'Egypte. Ils établirent
la plus singulière forme de gouvernement qui ait
jamais existé. Tous les gouverneurs étaient élevés
successivement au rang suprême ^ de l'état d'es-
clave ou d'étranger; jamais le fils du souverain
précédent ou un Egyptien de naissance ne posséda
la royauté; mais le chef était choisi d'entre une
race d'esclaves nouvellement importée. Lors-
qu'en 1517 l'Egypte fut tombée entre les mains
des Turcs, les Mameloucks possédèrent encore
beaucoup d'autorité, et chaque pacha fut un tyran
et un étranger. Pendant le cours de tous ces siè-
cles, toute tentative de délivrance a échoué.^ et on a
vainement essayé de placer sur le trône un prince
originaire du pays d'Egypte. — Nous allons laisser
parler Volney et Gibbon; leurs témoignages réunis
viendront à l'appui de ces faits, qui du reste sont
assez communs dans l'histoire du monde; les incré-
dules ne sauraient rejeter l'autorité d'hommes
qui certes ne cherchaient pas à établir la vérité
du christianisme sur des bases larges et solides.
« Tel est, dit Volney, l'état de l'Egypte. Enle-
vée depuis 23 siècles à ses propriétaires naturels,
elle a vu successivement s'établir dans son sein
des Perses , des Macédoniens , des Romains , des
Grecs, des Arabes, des Géorgiens, et enfin cette
race de Tartares connue sous le nom de Turcs
CH. IV. EGYPTE. - 117
Ottomans. — Les Mameloucks, achetés comme es-
claves et introduits comme soldats ^ usurpèrent
bientôt le pouvoir et s'élurent un chef. Si leur pre-
mier établissement fut un fait singulier^ leur per-
pétuation en est un autre qui n'en est pas moins
bizarre ; ils se sont régénérés par des esclaves
trans])ortés de leur pays originel. Leur système
d'oppression est méthodique. Tout ce que le
voyageur voit et entend lui rappelle qu'il est
dans une terre d'esclavage et de tyrannie ^*. »
— « Il serait impossible d'imaginer une forme de
gouvernement plus absurde que celle qui con-
damne les naturels originaires d'un pays a une
servitude perpétuelle sous une domination arbi-
traire d'étrangers et d'esclaves. Cependant tel a
été l'état de l'Egypte depuis 500 ans. Les sultans
les plus illustres des dynasties baharite et bor-
gite sortaient des rangs des esclaves tarta-
res et circassiens^ et les 24 beys ou commandants
militaires ont toujours eu pour successeurs non
leurs fils, mais leurs esclaves ^^. » Voilà les paroles
de Volney et de Gibbon ; voyons quelle est la pré-
diction des prophètes? — «Je désolerai le pays et
cv tout ce qui y est par la puissance des étrangers';
«moi^ l'Eternel^ j'ai parlé. Il n'y aura plus de
« prince du pays d'Egypte. » Et elle ajoute encore :
« Il sera le plus bas des royaumes. Ils seront un
« royaume abaissé. » Après un intervalle de
2 ,400 ans 5 un incrédule ^ mais témoin oculaire
des faits, en parlant de ce pays^ le décrit ainsi :
« En Egypte il n'y a ni classe moyenne , ni
noblesse^ ni clergé^ ni négociants^ ni propriétaires
de terres. L'étranger qui arrive est frappé d'un
aspect général de ruine et de misère; tout ce que
l'on voit^ tout ce que l'on entend annonce que l'on
(21) Voyage de Vohie}^ en Égypie elen Syrie, vol.I, cb. vi-vir,
(22) Gibbon, vol. VI, p. j 09-110, édit. Dublin, 1789.
1 18 EGYPTE. en. IV.
est dans le pay s de l'escla viige et de la tyrannie; c'esl
l'ififnorance profonde de la nation qui, aveuglanl
les esprits sur les eauses de ees maux et sur leurs
remèdes, les aveugle aussi sur les moyens d'y re-
médier; cette ignorance répandue dans toutes les
classes étend ses effets sur tous les genres de con-
naissances morales et physiques. On ne parle que
de troubles civils, que de misère publique, que
d'extorsion d'argent, que de bastonnades et de
meurtres. La justice même yerse le sang sans for-
malité ^\ »
D'autres voyageurs encore parlent de la pro-
fonde dégradation morale du peuple égyptien et
de sa complète corruption. On ne trouve plus que
des cabanes et des huttes au milieu des ruines des
palais et des temples. Toute l'Egypte est environ-
née des territoires des Turcs et des Arabes , et la
prophétie qui annonce sa désolation a été litté*^
ralement accomplie : « Ils seront désolés parmi
« des pays désolés. Et ses villes seront désertes
« au milieu des villes désertes. »
Le système d'oppression , de spoliation et de
rapine qui règne depuis si longtemps, et le prix
que doit payer à la Porte, à son avènement, cha-
que pacha, ont également contribué à « désoler le
pays » et tout « ce qui y est ; » et c'est ainsi que s'est
littéralement accomplie la prophétie : « Le pays
« sera désolé par la puissance des étrangers, et je
« le livrerai entre les mains des gens méchants. »
Oil trouver des paroles plus claires et plus
précises? quels événements semblaient moins
probables ou moins possibles que ceux que les
prophètes annonçaient en ces termes? La longue
suite des roisd'Egypte avait conservé sa puissance
sans interruption depuis les premiers âges du
(23) Vdney^ vol. I, du vu, xxiu
CH. IV. EGYPTE. . 119
monde 5 et cependant la prophétie annonce sa fin.
La tentative faite par les incrédules pour prou-
ver d'après les chroniques des rois d'Egypte, et
d'après la durée de leurs règnes, que ce pays exis-
tait comme royaume avant l'époque que Moïse
assigne au déluge , ne sert qu'à relever la nature
extraordinaire de ces prédictions. Le fait même
que depuis 2000 ans l'Egypte n'avait jamais été
sans roi, semblait devoir rendre impossible l'ac-
complissement de la prophétie, et l'expérience
de 2000 ans n'a servi qu'à la vérifier. Quoiqu'elle
se fût souvent rendue maîtresse de la Judée et des
contrées adjacentes, cependant les prophètes juifs
n'hésitèrent pas à déclarer que « le sceptre s'en
«irait d'entre ses mains, «et que le pays des rois
(titre que lui avait mérité la longue suite non
interrompue de ses monarques) n'aurait « plus
« de prince qui fût de son pays, » et qu'elle serait
désolée à son tour par la puissance des étrangers.
Ils prédirent qu'elle serait abaissée, le plus bas
des royaumes; qu'elle serait désolée au milieu de
la désolation, et qu'elle ne s'élèverait plus au
milieu des nations. Ils parlèrent de sa bassesse,
de sa dégradation complète, quoique son état ac-
tuel ne ressemble pas plus à sa grandeur primitive
que les cabanes et les huttes de ses habitants d'au-
jourd'hui ne ressemblent à ses palais et à ses pyra-
mides. De telles prophéties accomplies d'une
manière aussi remarquable ne prouvent-elles pas
bien clairement qu'elles n'étaient qu'une révéla-
tion faite par Celui qui gouverne l'univers?
En passant en revue les prophéties relatives à
Babylone, à Ninive, à Tyr, à l'Egypte, comment
ne pas reconnaître comme un fait certain que le
sort de toutes ces villes et de toutes ces contrées
démontre la vérité des prophéties? Comment ne
pas reconnaître que toutes ces prophéties ainsi
120 Kr-VPTK. Clî. IV.
conliriJïécs par les événements foiirnissenl la
preuve la plus (léeisive de la divinilé de la reli-
gion eliréli(Mine? — Toutes ces désolations furent
Tœu V re des honniies; les ennemis du christianisme
en furent les instruments, et elles auraient éf^ale-
ment eu lieu, quand même la parole des propliètes
ne les eût pas annoncées. C'est la prédiction de
ces faits, avec tant de circonstances et de détails
hors de la portée de toute prévoyance Jiumaine,
qui est et qui ne peut être que la parole de Dieu.
Et la ruine des empires, tout en démontrant la vé-
rité de ces prophéties, devient par-là une confir-
mation miraculeuse et une preuve de l'inspiration
des Ecritures.
Par quelle fatalité se fait-il donc que les infidè-
les, comme s'ils eussent voulu mettre en évidence
la faiblesse de leur cause, aient choisi pour leur
champ de bataille ces contrées même oii ils au-
raient pu lire à chaque pas l'accomplissement des
oracles sacrés? Car plus ces ruines sont grandes,
plus elles confirment la vérité des Ecritures:
et ce n'est pas sur cette forteresse de la foi que les
incrédules peuvent arborer leur bannière. Parmi
les faits rapportés par Volney, il n'en est pas un
seul qui ne soit une protestation contre son sys-
tème; il se condamne de sa propre bouche. Est-il
un aveuglement plus déplorable que celui d'un
auteur qui, dédaignant ou feignant d'oublier ces
prophéties , essaie de tirer ses arguments contre
le christianisme des faits mêmes qui en attestent
l'accomplissement et en établissent ainsi la divine
autorité? Quelle évidence serait plus claire et
plus décisive que celle qui ressort d'un examen
détaillé des prédictions et de leur parfait accom-
plissement?
CH. V. LES ARABES. ^ 121
CHAPITRE V.
LES ARABES.
L'histoire des Arabes, qui forme un contraste si
frappant avec celle des Juifs, mais qui est, comme
la leur, remplie de singularités, a été prédite en
termes précis et clairs. C'est dlsmael qu'il est
dit^^ : « 11 sera semblable a un ane sauvage; il lèvera
« la main contre tous, et tous lèverontlsi main con-
« tre lui, et il dressera ses tentes aux yeux de tous
« ses frères. « — « Je le ferai croître et multiplier
« très abondamment ; je le ferai devenir une
« grande nation. »
Le sort d'Ismaël est, on le voit dans ce passage,
identifié avec celui de ses descendants; et la
marque distinctive de l'un est aussi celle qui sert
à caractériser les autres. La vérité de l'histoire,
la tradition universelle, les prétentions des Arabes
eux-mêmes, la conservation d'un rit primitif à eux
transmis par celui qu'ils prétendent êlre le pre-
mier homme de leur race, tout tend à prouver
qu'ils sont les véritables descendants iî'ismaël.
L'accomplissement de la prophétie est évident.
Gibbon lui-même, parlant de l'indépendance dans
laquelle les Arabes se sont constamment mainte-
nus, et cherchant, par des exceptionsqu'ilspéciiîe,
à atténuer les conséquences de ce fait, admet que
ces exceptions ne sont que temporaires et locales;
que le corps de la nation s'est soustrait au joug
des plus puissants empires, et que les armes de
(n) GeiHse, XVI, 12 ; XVÏI. 50.
G
122 LES ARABES. CU. V.
Sésost ris et de Cyrus, de Pompée et de Trnjan ne
pureiil jainais eltectiier la conciiiéle de l'Arabie.
En supposant même que les exec^ptions de Gibbon
fussent bien fondées et qu'elles ne perdissent pas
toute valeur par le commentaire dont l'auteur les
fait suivre, elles n'ôteraient rien h la vérité de la
proj)hétie. L'indépendance des Arabes était chose
proverbiale autrefois ainsi que maintenant, et
l'existence actuelle de cette nation toujours libre
et indépendante , de ce peuple dont l'origine est
si reculée , sufiirait par elle-même à prouver que
jamais il n'a été complètement soumis comme l'ont
été bien certainement tous les peuples dont il
était entouré, et que jamais « il n'a dressé ses pa-
<( villons qu'aux yeux de ses frères. »
Mais ce serait peu d'établir ce fait, si l'on ne
pouvait encore reconnaître les descendants d'Is-
maël aux traits distinctifs et inaltérables qui leur
sont imprimés par le Prophète : « Ce sera un
« homme sauvage; il lèvera sa main contre tous ,
« et tous lèveront la main contre lui. »
Selon Gibbon, dont l'expression semble calquée
sur celle de la Bible, les Arabes sont « un peuple
armé contre le genre humain. » Le pillage est leur
profession. Nul ne recherche leur alliance, car
nul ne la pourrait obtenir ; et tout ce que les Turcs,
les Persans ou leurs autres voisins leur deman-
dent, c'est une neutralité chèrement achetée. Les
Anglais eux-mêmes , qui ont des établissements
dans presque tous les pays du monde, n'ont péné-
tré sur le sol des descendants d'Ismaël que pour
s'en retirer, après y avoir opéré la destruction
d'une forteresse qui les inquiétait. Il n'est pas
vrai de dire que leurs mœurs et leur caractère
soient le résultat nécessaire de la nature de leur
pays. On ne les voit pas croître en civilisation, ou
renoncer à leur état d'hostilité envers le reste des
CH. V. LES ARABES,' 123
hommes pendant les 300 années qu'ils furent les
maîtres de contrées d'une nature essentiellement
différente de celle des montagnes de l'Arabie.
Dans leurs conquêtes se trouvait comprise la plus
grande partie de la zone tempérée ; elles s'éten-
daient depuis les Indes jusqu'à l'Océan atlantique
et couvraient un plus vaste espace de territoire
que n'en possédèrent jamais les Romains, ces pré-
tendus maîtres du monde. La durée de leur do-
mination et l'étendue de leurs conquêtes auraient
altéré les mœurs de tout autre peuple; mais au
pays de Shinar ou dans les vallées de l'Espagne,
sur les bords du Tigre ou sur ceux du ïage,
dans l'Arabie heureuse ou dans l'Arabie pétrée ,
les enfants d'Ismaël ont toujours conservé le
caractère que leur donnent les prophètes ; ils
ont toujours été un peuple nomade sinon « sau-
ce vage ; leur main a été levée contre tous. »
Les marques frappantes de la vérité de la pro-
phétie ne sauraient être mieux présentées que
dans ce passage d'un voyageur judicieux qui ve-
nait de visiter un camp arabe :
tf En calculant au plus bas, dit Porter, il doit y
avoir aujourd'hui plus de 3000 ans que ce peuple
a les mêmes mœurs et les mêmes usages; vérifiant
ainsi en tous points ce qui avait été prédit à Is-
maël le jour de sa naissance, qu'il serait dans sa
postérité un homme farouche, et que ses descen-
dants ne perdraient jamais ce caractère , quoique
habitant pour toujours en présence de leurs frè-
res ^^ Qu'un peuple spirituel et actif, environné
depuis tant de siècles de nations policées et qui
jouissent de toutes les douceurs et de tout le luxe
(25) Les Juifs, les Edomites, les Moabites, les Ainalékiles et les
Amiîionites étaient en réalité les frères des Arabes, puisqu'ils des-
cendaient comme eux d'Abraham ainsi que toutes les nations voi-
s nés.
124 Li:S AUABES. cil. V.
dv lacnilisalioii, soil encore de nos jour s tel qu'il
s'esl nu)nlré dès sa foruialion, un i)eu|)le sauvage,
liahilanl il la vue de tous ses IVères (car nous pou-
vons donner ce nom à ses voisins); (|ue rien n'ait
j)u ni le subjuguer ni le changer; il y a là en effel
un miracle permanent, un de ces faits mystérieux
<(ui établissent la vérité de la prophétie^^ »
Des découvertes récentes ont aussi révélé Texis-
tence et la conservation miraculeuse d'une race
moins nombreuse, mais non moins intéressante,
et formant un peuple distinct des Arabes; d'une
plante qui s'est élevée a l'ombre du majestueux
cèdre d'Israël , mais qui était destinée à fleurir
longtemps après que cet arbre orgueilleux aurait
été renversé sur la terre ^^ « Ainsi a dit l'Eternel
« des armées, le Dieu d'Israël : Il n'arrivera jamais
c( qu'il n'y ait quelqu'un appartenant à Jéhonadab,
« fils de Réchab, qui assiste devant moi tous les
ex jours ^^ » Les Beni-Réchab, enfants de Réchab,
existent encore et forment un peuple distinct et
iacîle à reconnaître. Ils se glorifient de leur- des-
cendance de Réchab, professent le judaïsme pur
et savent tous l'hébreu. Cependant ils vivent dans
les environs de la Mecque, principal siège du ma-
hométisme, et l'on porte leur nombre à soixante
mille. Ce qu'en a rapporté Benjamin Tudela , au
douzième siècle ^^, a été récemment confirmé par
M. Wolf; et , ainsi qu'il l'a vu lui-niême, ainsi que
le lui a dit un intrépide cavalier réchabite : « Il
(( y a toujours quelqu'un qui assiste devant le Sei-
(( gneur comme fils de Réchab. »
(20) Sir R. K. Porter, 1. 1, p. 304.— (27) Quarterly Review, n ' 75.
(28) Jérémie, XXXV, J9. — (29) Hist, de Basnage,
en. VI. ESCLAVAGE DES AFRICAINS. l2
CHAPITRE VI.
ESCLAVAGE DES AFPJCAINS. — COLONIES
EUROPÉENNES EN ASIE.
Non-seulement les ruines de différentes villes
et l'état actuel de plusieurs contrées attestent
encore aujourd'hui la vérité des prophéties qui
les concernaient , mais de plus nous voyons s'ac-
complir sous nos yeux une autre prophétie qui
date du déluge ^ alors qu'une seule ftimille com-
posait le genre humain. Et comme le sort des
Juifs et des Arabes a confirmé les unes après les
autres les prédictions relatives aux descen-
dants d'Isaac et d'ismaël, de même certains faits
contemporains, faits importants dans l'histoire du
monde , confirment les prophéties relatives aux
enfants de Noé. Le manque de respect de Cham
pour son vieux père et les égards que lui montrè-
rent ses deux autres fils Sem et Japhet, furent l'o-
rigine de la prédiction faite à leur postérité, sans
que leur conduite soit assignée comme la cause
du sort réservé à leurs descendants : « Maudit
« soit Canaan, il sera serviteur des serviteurs de
« ses frères. Béni soit l'Eternel , Dieu de Sem, et
«que Canaan leur soit fait serviteur. Que Japhet
« loge dans les tabernacles de Sem^^ »
Quelle que soit cette cause, cherchons la vérité
de la prophétie dans son accomplissement. La
partie historique de la Bible, en décrivant en dé-
(30) GeiiLse, IX, 25, 26, 27,
CH. VI. ESCLAVAGE DES AFRICAINS. 12()
tail les cîlahlisseinents respeclifs des dc^scendants
de Noé, nous met à même de verifier la prédiction
dont il vi(Mit d'être question, et de nous assurer si
les postérités de Sem, de Cham et de Japliet, par
(]ui turcMit peuplées les différentes régions delà
terre, conservent encore le caractère qui leur est
attribué prophétiquement par le patriarche. «Les
« îles des nations, » ou pays situés au-delk de la Mé-
diterranée, en d'autres termes les îles de l'Europe
furent partagées entre les fds de Japhet. Les des-
cendants de Cham s'établirent en Afrique et dans
la partie sud-ouest de l'Asie. « Les familles des
« Cananéens se sont dispersées, et les limites des
« Cananéens furent depuis Sidon^*. » Tyr fut sur-
nommée la fille de Sidon, et Carthage, la plus cé-
lèbre des villes de l'Afrique, fut peuplée par une
colonie tyrîenne. Enfin les habitations des fils de
Sem furent à l'est, c'est-à-dire en Asie.
On voit que le lot qui échut aux trois frères ,
« selon leurs familles et leurs langues , leurs ter-
« res et leurs nations ^% » est distinctement spé-
cifié. Et bien que ces différentes nations se soient
amalgamées à la suite d'une série de révolutions,
néanmoins les trois grandes divisions de la terre
subsistent toujours et sont en la possession des
descendants respectifs de chacun des fils de Noé.
Les premiers commentateurs s'accordaient tous
à ce sujet, longtemps avant l'existence des faits
qui ont jeté le plus grand jour sur la prophétie en
question. Ces faits, du reste, sont si connus et d'une
application si facile que nous nous contenterons
de les indiquer.
Avant la propagation du christianisme, qui le
premier vint annoncer la paix h la terre, qui en-
seigna la loi de l'amour universel et appela tous
(31)Gen., X, 6, 18.
(32) Ibid., 30, 3J, 32, — Voyez Mède, Die, L, p. 277, etc.
127 COLONIES EUROPÉENNES-EN ASIE. CB. VK
les hommes frères, ayant cette époque Tesclayage
était partout, et la plus grande portion du genre
humain naissait et mourait dans cet état. L'homme
maintenant peut revendiquer son droit de nais-
sance. Mais, bien que banni depuis longtemps de
presque toute l'Europe, l'esclavage subsiste tou-
jours en Afrique. C'est, avant tous les autres, le
pays de l'esclavage. Esclaves chez eux et vendus
à l'étranger comme esclaves, les pauvres Africains,
les descendants de Cham, sont les serviteurs des
serviteurs, ou esclaves des autres hommes. Ce fait
étaittout-k-faiten dehors desprévisionshumaines;
bien plus, on sait que, pendant plusieurs siècles
après l'époque où s'arrête l'histoire de l'Ancien
Testament, les habitants de l'Afrique disputèrent
aux Romains l'empire du monde. Mais Annibal ,
qui fut un moment presque le maître de Rome, fut
à la fin vaincu, et Carthage dut subir son sort^\
« Dieu bénira Japhet et celui-ci logera dans les
«tabernacles de Sem. » Quelques-uns des plus
doctes etdesplus anciens interprètes des prophé-
ties crurent voir l'accomplissement de cette pro-
phétie dans les conquêtes des Macédoniens et des
Romains en Asie, et dans la propagation de la vé-
ritable religion parmi les nations de l'Europe, sui-
vant la promesse de bénédiction faite a Japhet,
promesse qui se trouverait ainsi vérifiée dans un
sens métaphorique. Mais à Fépoque oii nous vi-
vons, il ne reste plus de doute à cet égard et la
prophétie s'est accomplie dans son sens littéral.
Quels sont en effet les rapports qui existent actuel-
lement entre les habitants de l'Europe et de l'Asie,
entre les descendants de Japhet et ceux de Sem?
Ne peut-on pas dire à la lettre que les premiers
vivent dans les tabernacles des seconds? Et par
quelle autre comparaison la simplicité des pre--
(33) Livii HJsL, lib, XXVII, c. lu
i2H COLOMKS HLKOPKENNES EN ASIE. Cil. VI.
micrs a^osi)onvaif-olle micMix dopc^indro les nom-
lueiisrs vl vaslos (^oloiiies des liiiiopcMMis en Asie?
C()nd>ien la posiérilé de Ja[)liel n'a-t-(»ll(» pas été
ninili|)lié(^ dans les reliions éeliiies en ))arta^eàla
p()slérilé de Sem? Combien descsaneienncs\illes
soni maintenant en la possession des enfants de
Ja])hci? Comliien de colonies ceux-ci n'ont-ils pas
fondées en Asie.^ tandis que les descendants de
Sem n'occupent pas en maîtres un seul point de
l'Europe? Et, par rapport à l'Angleterre et à
Fimmense étendue de ses possessions en Asie,
n'est-il pas vrai de dire que les habitants des « îles
des gentils vivent dans les tabernacles de l'O-
rient? » D'oii pouvait donc émaner une semblable
prophétie, sinon de l'inspiration de Celui dont la
présence et la prescience ne sont bornées ni par
l'espace ni par le temps ?
Les prophéties font la révélation d'événements
futurs, sans jamais sanctioîuier en principe l'ini-
quité ou le mal. Les mauvaises passions des
hommes accomplissent les décrets de la Provi-
dence, mais elles n'en sont pas moins cr-iminelles,
bien qu'elles tournent à la louange de Dieu. C'est
c n vain q ue l'on s'appuierait sur l'accomplissement
le la prophétie dont nous venons de parler pour
défendre ou justifier l'esclavage, ou le droit de
propriété de l'homme sur son semblable. Nabu-
chodonozor fut le coupable instrument de la jus-
tice divine , alors même qu'il ne croyait travailler
cjue pour son intérêt ou pour sa gloire personnelle,
et, après avoir subjugué un gi^and nombre de na-
tions, il se vit chassé d'entre les hommes et réduit
à aller vivre au milieu des bêtes sauvages. Jamais
jugements ne furent plus clairs que ceux qui pèsent
encore sur les Juifs , et cependant quiconque les
blesse, blesse la prunelle de son œil , et, avec l'an-
née de la miséricorde pour Sion, viendra le jour
€H. VII. DESTRUCTION DE JERXSALEM. 129
de la vengeance du Seigneur; en ce jour il entrera
en jugement avec tous les hommes en faveur de
son peuple et de son héritage. Que si de teîs
exemples ne suffisent pas pour prouver à certai-
nes personnes qu'elles interprètent la Bible à leurs
risques et périls, en cherchant à justifier l'escla-
vage par le fait que Canaan fut le serviteur des
serviteurs de ses frères; que ceux au moins qui
ont la prétention d'invoquer les saintes Ecritures a
l'appui du droit de propriété qu'ils s'arrogent sur
leurs semblables 5 que ceux-là se rappellent que
bien que Jésus-Christ ait été livré entre les niains^
de ses ennemis « selon la volonté déterminée et
selon la prescience de Dieu , » néanmoins ce fu-
«r^nt les mains des méchants qui le crucifièrent et
«le tuèrent. C'est « d'un seul sang que Dieu a fait
«naître tout le genre humain. » Et, si l'Evangile
était mieux et plus généralement compris, il n'y
aurait d'autre lien parmi les hommes que celui de
la fraternité chrétienne.
CHAPITRE VII.
DES PROPHÉTIES SUR LA DESTRUCTION DE
JÉRUSALEM.
La république d'Israël, depuis son commence-
ment jusqu'à sa fin, exista pendant l'espace de
plus de quinze cents ans. En donnant aux Juifs
leur loi , Moïse s'attribua plus que l'autorité
d'un législateur humain ; il déclara hautement
qu'il était revêtu d'une autorité divine; et, après
6.
130 DESTRlJCTION DE JÉRtJSAÎ.ÈM. (Al. VU*
avoir conduil los dix Iribiis jusqu'anx frontières
du pays do Canaan, il assura que la bénédielion
céleste accompagnerait leur soumission à cette loi,
et prédit des jugements sévères contre ceux qui
oseraient l'enfreindre.
L'histoire des Juifs témoigne en faveur de la
vérité de cette prophétie faite par le premier de
leurs conducteurs, mais il faudrait, pour élucider
ce fait, entrer dans trop de détails. Heureu-
sement cette histoire contient des prédictions qui,
en s'appliquant à des événements plus récents,
n'admettent aucune interprétation ambiguë et se
rapportent k des faits historiques aussi positifs que
remarquables. Celui qui fonda le gouvernement
des Israélites annonça , malgré le cours de tant
de siècles, quelle serait sa fin. Lorsqu'ils erraient
dans le désert, sans villes et sans domiciles, il les
menaça de la ruine de leurs villes, de la dévas-
tation de leur contrée. Ils contemplaient pour la
première fois la terre de Canaan ; triomphants et
victorieux, ils allaient en devenir possesseurs, que
déjà il leur montrait la scène de désolation qu'elle
présenterait à leur postérité vaincue et esclave.
Avant qu'ils y fussent eux-mêmes entrés , en en
chassant les habitants, il leur parle de ces enne-
mis qui devaient subjuguer et disperser leurs des-
cendants, quoiqu'ils dussent venir d'une partie
éloignée du globe et ne paraître sur la scène que
plus de mille ans plus tard. « L'Éternel fera lever
« contre toi de loin au bout de la terre une nation
« qui volera comme vole l'aigle ; une nation dont tu
« n'entendras point la langue ; une nation fière qui
c( n'aura point égard au vieillard, qui n'aura point
« pitié de l'enfant. Elle mangera tes fruits et tes
« bêtes, et les fruits de ta terre, jusqu'à ce que tu
« sois exterminée; elle ne te laissera rien de reste,
« ni fromage, ni vin, ni huile, ni aucune portée de
CH. VII. DESTRUCTION DE JÉRUSALEM. 131
« tes vaches^ nibrebis de ton troupeau^ jus€j[u'k ce
« qu'elle t'ait ruinée ; et elle t'assiégera dans toutes
« tes villes jusqu'à ce que tes murailles les plus
« hautes et les plus fortes, sur lesquelles tu te seras
« assurée dans tout ton pays, tombent par terre '\ «
Chaque partie de cette prophétie a reçu son
entier accomplissement. Comment dépeindre en
termes plus exacts la situation lointaine des
Romains ? la rapidité de leur marche , leur lan-
gue inconnue, leur air martial, leur cruauté, et
le pillage qu'ils exercèrent sur les personnes et les
possessions des Juifs? Vespasien, Adrien et Jules
Sévère transportèrent une partie de leur armée
de la Grande-Bretagne à la Palestine , les deux
extrémités de l'empire romain. Des aigles surmon-
taient leurs étendards, et ils marchèrent avec
ia plus grande célérité à la réduction de la Judée.
C'était une nation à la physionomie farouche ; race
entièrement distincte des troupes efféminées de
l'Asie. A Gadare et à Samale, dans plusieurs en-
droits de l'empire romain, et plusieurs fois à Jé-
rusalem même, les Juifs furent passés au fil de
répée, sans égard à l'âge ou au sexe. Les habitants
furent rendus esclaves et bannis; toutes leurs pos-
sessions furent confisquées, etle royaume d'Israël,
d'abordhumiliéjusqu'à devenir province romaine,
finit par être la propriété particulière de l'empe-
reur. Chaque ville de la Judée fut assiégée, prise
et saccagée, et toutes ses hautes forteresses furent
détruites.
Mais le prophète continue encore à raconter
des détails qui font horreur à l'humanité , et qui
indiquent le plus haut degré de misère et de
dégradation, le dernier excès de la famine ou du
désespoir : l'homme aurait -il jamais pu pré-
(3AjDent., XXVIII, 49-52.
''>2 ï>i:srru cTïON i)K jKULSALKM. cil. vu.
iWrv (le lelles scènes? u Tu man^^ciras durant
« le sièf,^(î, el dans rextréniité oii Ion (Mnienii te
« redniia, le (Vnit de ton venire, la eliair de tes
c( Ills et de tes lilies, que rEteinel ton Dieu t'aura
c( donnés; riiomme le plus tendre et le plus déli-
« eat d'enlre vous rej^^ardera d'un œil d'envie son
(( fîèie, sa femme bien-aimée, et le reste de ses
« enfants qu'il aura réservés pour ne donner k
«aucun d'eux de la chair de ses enfants, qu'il
c( mangera , parcequ'il ne lui sera rien demeuré
« du tout à cause du siège et de l'extrémité où ton
« ennemi te réduira dans tes villes; la plus tendre
« et la plus délicate d'entre vous, qui n'aura point
(( essayé de mettre la plante de son pied par terre,
« par délicatesse et par mollesse , regardera d'un
«œil d'envie son mari bien-aimé, son fils et sa
« fille, et la taie de son petit enfant qui sortira
« d'entre ses pieds , et les enfants qu'elle enfan-
a tera; car elle les mangera secrètement dans la
« disette où elle sera de toutes choses à cause du
(-< siège et de l'extrémité où ton ennemi te réduira
« dans toutes tes villes "^ »— Six cents aYis après
cette prédiction, Samarie, alors la capitale d'Is-
raël.^ était assiégée par toute l'armée du roi de
Syrie. La plus mauvaise , la plus vile nourriture
fut vendue à un prix exorbitant, « et la tête d'un
âne coûtait 80 pièces d'argent ^\ » Lorsque
Nabuchodonozor assiégea Jérusalem, il y eut une
famine dans toute la ville , et le pain manquait
pour les habitants du pays. Josèphe raconte
les affreuses souffrances des Juifs pendant le
dernier siège qu'ils soutinrent avant la des-
truction finale de leur ville. La faim maîtrisait
tous les sentiments de l'humanité, et ce qui avait
été un objet de respect en devint un de mépris.
(35) Dent., XXVIII, 53-57. — (36) Il Rois, VI, 25.
CH. VU. DESTRUCTION DE JÉRUSALEM. 133
Des enfants arrachaient la nourriture de la bou-
che de leurs pères; et des mères mêmes^ impo-
sant silence à la voix de la nature, étaient de la
bouche de leurs enfants mourants le dernier sou-
tien de leur vie ; dans chaque maison où il restait
la moindre substance nutritive , il s'élevait d'af-
freuses disputes 5 et les plus proches parents
s'arrachaient le plus petit moyen d'existence ^^
Il ajoute des détails horribles; les menaces
du prophète inspiré ne se trouvent que trop af-
freusement accomplies 5 lorsque l'historien conti-
nue à raconter qu^l terrible accord deux femmes
de Samarie firent entre elles ; accord qui réalisait
les paroles de Jérémie, lorsque , pleurant sur les
misères du siège qui eut lieu de son temps, il dit :
« Les mains des femmes naturellement pitoyables
« ont fait cuire leurs enfants, qui leur ont servi
« de viande dans la ruine de la fille de mon peu-
« pie. » Josèphe parle d'une dame noble qui tua
de ses propres mains et mangea en secret son
nouveau-né (fait qui remplit même d'horreur toute
la ville), sans que, par ces faits, l'historien profane
fasse allusion à la vérité des prophéties de l'An-
cien Testament. Or, quand des événements si
bien constatés, d'une nature si singulière et si
frappante, ont été prédits plusieurs siècles avant
leur accomplissement , il est impossible qu'ils
aient été révélés autrement que par l'inspiration
de Celui qui prévoit la fin de toutes les iniquités
delà terre.
Moïse et d'autres prophètes ont aussi annoncé
que les Juifs resteraient en petit nombre dispersés
parmi les nations, qu'ils seraient tués devant leurs
ennemis , que l'orgueil de leur puissance serait
abaissé, que leurs villes seraient saccagées, qu'el-
(37) Jostphe, De bello, 1. V, c. x, § 3; — VI, c. nr, § 3-/i.
134 DESTRUCTION DE JÉIUJSALEM. CU. VU.
les seraient détruites et sapées jusqu'à leurs fon-
dements; qu'ils seraient tirés de leur pays, vendus
pour esclaves , et que personne ne voudrait les
acquérir; que leurs autels seraient désolés et que
leurs os seraient dispersés autour de leurs autels;
que des nations étrangères camperaient autour de
Jérusalem 5 l'assiégeraient avec des tours et dres-
seraient contre elle des forts ; qu'elle serait labou-
rée comme un champ; qu'elle serait réduite en
monceaux; que la lin viendrait sur eux, et que
l'Eternel les jugerait selon leurs voies , et qu'il les
récompenserait selon leurs abominations ; au de-
hors l'épée 5 en dedans la peste et la famine. —
« Celui qui sera aux champs mourra par l'épée,
« et la famine et la mortalité dévoreront celui qui
« sera dans la ville^\ » — Les prédictions relatives
au siège et à la destruction de Jérusalem , rap-
portées dans le Pentateuque et dans les pro-
phéties suivantes , s'accordent avec la prophétie
détaillée que fait Jésus-Christ du même événe-
ment. L'étendue de cet écrit ne nous permet
pas d'entrer dans tous ces détails; mais ce sujet a
été fréquemment discuté avec habileté, et cette
prédiction est si parfaitement en accord avec le
témoignage incontestable d'historiens impartiaux,
qu'il nous suffira, pour élucider cette vérité, de
comparer la description prophétique aux faits de
Thistoire elle-même ^^
Outre de fréquentes allusions dans ses dis-
(38) Lév., XXVI, 30, etc. — Deut., XXVIII, 62, etc — Esaïe,
XXIX, 3. — Ezéchiel, VI, 5. — Michée, III, 12. — Jérémie, XXVI,
48. — Ezéchiel , VII, 7-9, 15.
(39) « Les écrivains chrétiens ont toujours et avec raison considéré
rHîs!oire de Judée de José plie comme le meilleur commentaire sur
le ch. XXIV de S. Mattb. Plusieurs même d'entre ces écrivains ont cru
que la Providence avait montré un soin merveilleux pour T Église
dirétienne, en permettant que des faits si importants, et qui cor-
respondent si exactement avec presque toutes les parties de cette
en. vu. DESTRUCTION DE JÉRUSALEM. 135
cours et dans ses paraboles ^^ au sort futur de
Jérusalem, les prédictions de Christ sont rap-
portées en entier par trois des évangélistes. Il n*y
a que l'apôtre Jean qui omette de les transcrire;
aussi est-il le seul dont le témoignage , d'après
répoque où il vécut, eût pu paraître suspect. Ces
prophéties furent données aux disciples de Christ
en réponse aux questions qu'ils lui adressaient,
dans la frayeur et la surprise que leur causait sa
prédiction de la destruction du temple. « Quand
«ces choses arriveront-elles? » — «A quel signe
« reconnaîtrons-nous que la fin du monde appro-
«che? » La réponse comprend toute la portée de
touchante et noble prophétie, nous fussent transmis par un témoin
oculaire de l'histoire qu'il a écrite, par un homme dont le témoi-
gnage en ces choses est du plus grand poids. ^XDoddrige's Family •
Expositor,) Jamais peut-être écrivain n'a été plus souvent cité au
sujet du fait dont nous nous occupons ; et son Histoire des guerres
des Romains contre les Juifs est, depuis plusieurs siècles, le flambeau
à la lueur duquel TÉglise chrétienne se plaît à expliquer les pro-
phéties qui ont rapport à la destruction de Jérusalem. Ces prophé-
ties ont été citées et expliquées par Eusèbe, il y a plus de 1500 ans,
1. IV, ch. v-ix, p. 92-102, édit. Cantab., 1720. Après avoir décrit,
d'après les v® et vi® livres deriiistoiredelosèphe, les horribles souf-
frances que les Juifs eurent à endurer pendant le siège , il ajoute
avec raison qu'on ne saurait, en comparant les paroles de Jésus-
Christ avec le récit de Josèphe, s'empêcher d'admirer la merveilleuse
prescience de Jésus-Christ, et d'avouer que sa prophétie au sujet
de Jérusalem est vraiment miraculeuse et divine. Le sujet dont
nous nous occupons a été l'objet de recherches si multipliées et si
nombreuses que nous posons en fait, comme nous l'avons dit dans
toutes les éditions de cet ouvrage , qu'il n'est pas un seul chrétien,
quelque peu studieux et au fait de la matière, qui ne pût facilement,
à l'aide des écrits d'auteurs anciens ou modernes, former un vo-
lume de faits à l'appui des mêmes prédictions et puisés aux mêmes
sources. Parmi les auteurs à consulter, nous nous contenterons de
dter Eusèbe, Grotius, Tillemont, Jackson, Poole, Patrick, Tillotson,
Whitby, Abbadie , Whiston , Doddrige , Pearce , Bishop Newton,
Lardner, etc. Josèphe seul a fourni à ce dernier 150 citations. l\ est
tel fait à l'appui duquel Doddrige et plusieurs autres écrivains
nomment Josèphe, Tacite, Suétone et Eusèbe ; et c'est à ces sources
que nous nous sommes empressés de puiser.
(40) Matt., XXI, 18, 19, 33-44; XXII, 1-7; XXV, 14-30.— Marc, XI,
12, 20, etc. — Luc, XIII, 6, 9; XIV, 16, 24; XX^ 9, 18; XXIII, 27, 31 .
136 DESTRLCTIOIN DE JERUSALEM. Cil. VU.
la demande et est également eireoustaiieiée^dis-
tliiete et elaire. La mort de (Christ arriva 37 ans
avant la destrnetion de Jérusalem. D'après le té-
moij^nai^e unanime de l'antiquité, les trois évan-
}>iles furent publiés, et deux des évangélistes
étaient morts , plusieurs années avant cet évèniv
ment. Les évangiles furent répandus avec une
telle rapidité et à une si grande étendue, que les
ennemis nombreux, puissants et attentifs du
Christ auraient bientôt découvert toute apparence
de fraude, et l'évidence de la publicité déjà don-
née aux évangiles était si forte que ni Julien , ni
Porphyre, ni Celse ne pensèrent h la contester.
L'authenticité de la prophétie repose donc sur un
terrain sûr, et les faits par lesquels son accomplis-
sement est démontré sont incontestables. Josèphe
était un des généraux les plus distingués au com-
mencement de la guerre des Juifs; il avait été
témoin des faits qu'il rapporte; il en appelle à
Vespasien et à ïite pour rendre témoignage à la
vérité de son histoire , elle reçut même la singu-
lière attestation de ce dernier : elle fut publiée
au moment où les faits étaient encore récents et
notoires, et le soin extrême avec lequel il évite
de mentionner le nom de Christ , dans l'histoire
de la guerre des Juifs, n'est pas moins remarqua-
ble que la grande précision avec laquelle il décrit
les événements qui vérifient ses prédictions. Ta-
cite, Philostrate et Dion Cassius racontent aussi
plusieurs de ces faits.
Les diverses prophéties de Christ sur Jérusa-
lem peuvent être rassemblées ainsi qu'il suit :
«Comme Jésus sortait du temple et qu'il s'en
« allait , ses disciples vinrent pour lui faire cousi-
ez dérer les bâtiments du temple, et Jésus leur dit :
« Ne voyez-vous pas tout cela? Je vous dis en Yé-
« rite qu'il ne restera pas pierre sur pierre qui ne
en. Vil. DESTUUCTION DE JÉRUSALEM. 137
« soit renversée. Et s'étant assis sur la montagne
« des Oliviers, ses disciples vinrent a lui en parti-
« culier et lui dirent : Dis-nous quand ces choses
« arriveront, etquelsera le signe detonayènement
« et de la fin du monde? « — « Et Jésus répondant
« leur dit : Prenez garde que personne ne vous
«séduise, car plusieurs viendront en mon nom,
^^ disant : JesuisleClirist,etilsséduirontbeaucoup
« de gens. Vous entendrez parler de guerres et
« de bruits de guerre ; prenez garde de ne vous
« pas troubler, car il faut que toutes ces choses
« arrivent; mais ce ne sera pas encore la fin. Car
« une nation s'élèvera contre une autre nation et
« un royaume contre un autre royaume , et il y
« aura des famines, des pestes, des tremblements
« de terre en divers lieux ; mais tout cela ne sera
«qu'un commencement de douleurs. Alors ils
« vous livreront aux tribunaux et aux synagogues,
« vous serez fouettés et vous serez présentés de-
« vaut les gouverneurs et devant les rois, à cause
« de moi. Mais il ne se perdra pas un cheveu de
« vos têtes. Car de faux prophètes s'élèveront et
«séduiront beaucoup de gens; etparceque l'ini-
« quite sera multipliée, la charité de plusieurs se
« refroidira. Cet évangile du royaume de Dieu
«sera prêché par toute la terre, et alors la fin
«arrivera. Et quand vous verrez Jérusalem en-
«vironnée par les armées, quand vous verrez
« l'abomination qui cause la désolation établie où
« elle ne doit pas être, alors que ceux qui seront
« dans la Judée s'enfuient sur les montagnes , que
« ceux qui seront au milieu d'elle se retirent. Et
« que celui qui sera sur la maison ne descende
« point dans la maison et n'y entre point pour s'ar-
« rêter à en emporter quoi que ce soit. Et que ceux
« qui seront à la campagne n'entrent point dans
«la ville, car ce seront alors les jours de la ven~
138 DESTIUCTION DE JÉRUSALEM. CU. Vil.
« geance. Malheur aux femmes qui seront enceia-
« tes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! car
tt il y aura une grande calamité sur ce pays , et une
« grande colère sur ce peuple. Ils tomberont sous
« le tranchant de Tépée et ils seront menés captifs
«parmi toutes les nations. Car il y aura en ce
a jour-là une telle afiliction que , depuis le com-
« mencement de la création de toutes choses jus-
« qu'à maintenant ^ il n'y en a point eu et qu'il n'y
« en aura jamais de semblable. Et Jérusalem
«sera foulée par les nations ^ jusqu'à ce que
«les temps des nations soient accomplis. Cette
« génération ne passera point que toutes ces choses
<i n'arrivent^*'.»
« Malheur à vous , scribes et pharisiens hypo-
« crites ! vous achevez de combler la mesure de
« vos pères ! Voici 5 je vous envoie des prophètes,
a des sages et des scribes; vous fouetterez les uns
«dans vos synagogues et vous les persécuterez
«de ville en ville; toutes ces choses viendront
« sur cette génération. O Jérusalem ! Jérusalem !
«qui tues les prophètes et qui lapides- ceux qui
«te sont envoyés! combien de fois ai-je voulu
«rassembler tes enfants comme une poule ras-
oc semble ses poussins sous ses ailes ! et vous ne
«l'avez pas voulu. Voici, votre demeure va de-
« venir déserte; car je vous disque désormais
«vous ne me verrez plus, jusqu'à ce que vous
«disiez : Béni soit celui qui vient au nom du
« Seigneur^^ Et lorsqu'il fut proche de la ville,
« en la voyant , il pleura sur elle et dit : Oh ! si tu
« avais reconnu , au moins en ce jour qui t'est
« donné, les choses qui regardent ta paix ! Mais
« maintenant elles sont cachées à tes yeux ; car
« les jours viendront sur toi que tes ennemis t'en-
(41) MaU., XXI V. — Marc, XIII. — Luc, XXL
(42) Matt., XXIII, 29, 32, 34, 36-39.
CH. VU. DESTRUCTION DE JERUSALEM. 139
« vironneront de tranchées et t'enfermeront de
«toutes parts 5 et ils te détruiront entièrement,
« toi et tes enfants qui seront au milieu de toi, et
a ils ne te laisseront pierre sur pierre , parceque
« tu n'as point connu le temps auquel tu as été
« visitée ^^»
Ces prophéties tirées de l'Ancien et du Nouveau
Testament sont également claires et détaillées.
L'histoire peut affirmer la vérité de toutes en gé-
néral et de chacune en particulier, et il suffit
d'en faire une récapitulation pour avoir une
complète enumeration des faits.
De faux Christs parurent . Simon le Magicien pré-
tendit être « un grand personnage. » Dosilhe , le
Samaritain, se vanta d'être le grand législateur
que Moïse avait annoncé. Henaas, par la pro-
messe d'accomplir un miracle , entraîna avec lui
une assez grande multitude sur les rives du Jour-
dain et en séduisit plusieurs ^\ Le paysétait rempli
d'imposteurs et de séducteurs qui cherchaient à
emmener des multitudes dans les déserts; leur
crédulité fut la punition de leur incrédulité pre-
mière, et, pendant un moment, le tumulte qu'ils
firent fut si grand que les soldats prirent deux
cents prisonniers et en tuèrent deux fois autant.
« Vous entendrez parler de guerres et de bruits
a de guerres; une nation s'élèvera contre une
<i autre nation, et un royaume contre un autre
a royaume. » Les Juifs se refusèrent à ériger une
statue à Caligula dans le temple ; et telle fut la
crainte qu'inspira la vengeance des Romains que
les champs restèrent sans culture^". ACésarée, les
Juifs et les Syriens se disputèrent pour obtenir le
M) Luc, XIX, 41-44.
44) Josèphe, Ant. L XX, c, v, §1; 1. XX, c vin, § 5. — Grolius.
;45) Josèphe, Debello, 1. II, c, xviii, § i, 2. •— Tillotson.
— Newton.
I iO DESTRUCTION DE JÉiU SALEM. Cil. VH.
conimaiuleniont de la \ille. On y mit à mort
SOjOOO Juifs et l'on exila le reste ^^ La nation juive
se révolta eontre les Romains; l'Italie était boule-
versée par les guerres civiles; pour donner une
preuve de la turbulence et de l'esprit guerrier de
cette épocpie, dans le court espace de deux ans,
quatre empereurs, Néron, Galba, Otlion et Vitel-
lius, furent mis k mort.
« Il y aura des famines, des pestes, des trem-
« blements de terre en divers lieux. » Pendant le
règne de Claude César, il y eut plusieurs famines.
Elles continuèrent d'aftliger la Judée pendant
quelques années. La peste les suivit cle près.
Durant ce même règne , il y eut des tremble-
ments de terre à Rome, k Apamé et en Crète. Sous
le règne de Néron, il y eut un tremblement de
terre en Campanie, et un autre qui détruisit Lao-
dice, Théirapoiis et Colone, et plusieurs autres eu-
rent lieu en divers endroits avant la destruction
de la ville de Jérusalem^^ Le cours de la nature
fut changé, dit Tliistorien juif, pour opérer la
destruction de riiomme, et Ton peut facilement
croire que de tels prodiges n'étaient point destinés
k présager des calamités ordinaires.
« Et il paraîtra des choses épouvantables et de
«grands signes dans le ciel. » Tacite et Josèphe
s'accordent pour raconter des événements telle-
ment surprenants et surnaturels que leur récit
vérilie parfaitement la précédente prédiction ^^
Et l'on ne peut pas nier le fait que partout oii l'on
apercevait ces prodiges, les hommes étaient con-
vaincus qu'ils étaient en effet des avertissements
(46) Josèphe, De bello, 1. II, c. 18, §§ 4, 2, 7, 8, ; c. xx, $ 2.
(47) Ibid., IV, c. IV. — Suet., Vit. Claud., c. xviii. — Tac, Ami,,
1. XII, XIV. — Grotius, etc.
C4'S) « Eveiierunt prodigia, quœ neque hostiis, neque votis piare
fas habet gens superstitioni obnoxia, religionibus advcrsa. Visée per
cœlum concurrere acies, rutilaiilia arma, et subito nubium igné
CH. VU. DESTRUCTION DE JÉRUSALEM. 141
du ciel. Voilà encore ce que Tliomme n'aurait pu
prévoir. Il y a certes quelque chose d'extraordi-
naire dans cette prédiction et dans le témoignage
qu'en rendent des historiens tous ennemis de
cette cause qu'ils soutiennent ainsi malgré eux-
mêmes.
Les disciples de Jésus furent « persécutés, mis
« en prison , et haïs de toutes les nations a cause
« de son nom, et on fit mourir plusieurs d'entre
«eux. )) Pierre, Simon et Jean furent crucifiés ^%
Paul fut décapité; Matthieu, Thomas, Jacques,
Matthias, Marc et Luc souffrirent en divers pays
différents genres de supplices. On faisait la guerre
au nom même de chrétien ; on accusait les chré-
tiensdehaïrl'humanité.Lespréjugésetlesintérêts
des partisans du paganisme se liguèrent partout
contre eux , et dans une occasion mémorable Né-
ron,pour s'épargner la honte d'être regardé comme
l'incendiaire de sa propre capitale, en accusa la
race haïe et méprisée des chrétiens et leur fit subir
les tortures les plus affreuses^®. Il donna leurs
souffrances en spectacle aux Romains, et pour se
consoler de n'avoir pu fouler sous ses pieds Rome
en cendres, et en même temps pour cacher son
iniquité , le monstre à figure humaine assouvit sa soif
de cruauté en substituant une fête sanglante à une
autre. Il choisit les chrétiens pour en faire ses vic-
times à cause de l'opprobre général jeté sur eux ,
et leur nom seul suffit pour motiver son choix et
pour légitimer d'infâmes barbaries.
« Parceque l'iniquité sera multipliée , l'amour
« de plusieurs se refroidira. » L'apôtre des gentils
se plaint souvent de faux frères, de ceux qui re.
coUucere lemplum, Expassae repente delubri fores et audita major
hnmana vox, excedere deos; simul ingens motus excedenli uni. »
Tacit., Hist., l.V, c. xiii. — (/i9) Vies des Apôtres, par Cave. Dupin.
(50) Tacite, Annal., 1. XV, c. xliv. —Whitby.
142 DESTRUCTION DE JÉRLSALEM. CH. VII.
tournèrent en arrière , et ce l'ut seul, abandonné
de tous, qu'il se présenta devant Néron j)our la
première fois. Tacite raconte (jue plusieurs chré-
tiens furent condamnés sur le témoif^na^^e de ceux
qui auparavant avaient appartenu à leur société;
mais malgré les périls et les persécutions, « cet
« évangile du royaume s'est prêché sur toute la
« terre » . Au temps même des apôtres, des épîtres
furent envoyées aux chrétiens de Rome , de Co-
rinthe , d'Ephèse , de Philippes , de Colosse , de
Thessalonique et du Pont , de Galicie , de Cappa-
doce, d'Asie et de Bythinie. Fort peu de temps
après que Christ eut fait cette prophétie, eut été
abandonné de tous ses disciples et mis à mort
comme un malfaiteur, à leur première assemblée,
ses disciples n'étaient qu'un tout « petit trou-
peau » ; leur nombre ne montait qu'à environ
cent vingt, et, quelque petit que fût ce commen-
cement , les pêcheurs de la Galilée et ensuite un
fabriquant de tentes de Tarse prêchèrent avec
succès leur nouvelle doctrine bien au-delà des
bornes de l'empire romain. La manière dont Christ
lui-même avait été reçu et le genre de sa mort pou-
vaient-ils assurer un tel résultat? Y eut-il jamais
un triomphe effectué par de tels moyens? Y eut-
îl jamais cause qui éprouva autant d'opposition
que la sienne? Et cependant aurait-on pu prédire
avec plus d'assurance quelque chose qui pût
moins probablement s'accomplir? — Tous ces
événements précédèrent la destruction de Jéru-
salem; et alors la fin de cette ville fut proche. —
Les signes d'une ruine imminente devaient aver-
tir les habitants d'en sortir.
<^ Jérusalem sera environnée d'armées. » Les
armées romaines, avec leurs étendards idolâtres,
en abomination aux Juifs, environnaient la ville.
Cette circonstance assurément ne ressemblait
en. VIL DESTRUCTION DB JÉRUSALEM. 143
guerre à un signal de fuite; elle paraissait faite
au contraire pour démontrer l'impossibilité de la
fuite, et il semblait que les ayertissements de Jé-
sus dussent être inutiles; on va voir cependant
qu'ils ne furent pas pour ses disciples de vaines et
trompeuses paroles. — Le général romain , Ces-
tins Gallus, assiégeait Jérusalem; mais contre
toute attente il se présenta bientôt une occasion
de fuite. Il fit une retraite subite et sans raison
apparente, quoique quelques-uns des principaux
de la ville eussent offert de lui en ouvrir les por-
tes. Josèplie avoue que les assiégés étaient dans la
plus grande consternation , et que la place aurait
été infailliblement prise ^*. Il attribue à la juste
vengeance de Dieu que la ville ne fut pas dé-
truite et la guerre immédiatement terminée. Il
raconte aussi qu'un grand nombre des princi-
pales familles de la ville s'enfuirent comme d'un
vaisseau qui fait naufrage ; et que plus tard , lors
de l'approche de Vespasien , des multitudes quit-
tèrent Jéricho pour chercher un refuge dans les
montagnes. Plusieurs historiens dignes de foi as-
surent que ce fut là et à Pella que se réfugièrent
les disciples de Jésus ^^5 et au milieu de tant de
dangers et de calamités « il ne se perdit pas un
« seul cheveu de leurs têtes » •
« Car il y aura une grande affliction , telle que
a depuis le commencement du monde jusqu'à
a présent il n'y en a point eu et qu'il n'y en aura
« jamais de semblable. Il y aura une grande cal^r
« mité sur ce pays , et une grande colère sur ce
« peuple. Ce seront alors les jours de la vea-
a geance ». Telles sont les paroles de Jésus sur
la destruction de Jérusalem ; et toutes les ancien-
(51) Josèphe, L II, c. xix, xx. — Grotius.
j[52) EpipLanius in Hœres. Nazar,, c. xii. — Eusebil Eco. Hist.,
l. ni, c. V. — Whitby, Doddridge.
lii DESTRCCTION DE JKHUSALEM. tH. V IL
lies pro])liolios luMiiient Ic menu» lan^ai^o. Les
évèneiiienis de ce siè*;e, rapi^orlés \n\r Josèplie,
(X)iilieiiiRMiL des délails qui ne periiieiteiil aucune
exa^éialion; et il aflirnie lui-niènie , parlant
comme la prophétie, qu'il n'y en eut « jamais
de semblables » dans l'histoiie du monde. Il est
impossible qu'une description générale donne
une juste idée de ces terribles souffrances.
Les Juifs s'étaient assemblésàJérusalemde tout
le pays environnant pour célébrer la fête des pains
sans levain. La ville était remplie d'habitants,
lorsqu'elle devint une grande prison. La fête de
Pâques, commémoration de leur première grande
délivrance, les avait réunis pour l'accomplisse-
ment de leur destruction finale. Avant même l'ap-
proche de l'ennemi, ils avaient entre eux les dis-
sensions les plus terribles; leur sang coulait a flots
par la main de leurs frères; dans leur fureur, ils in-
cendièrent et mirent au pillage les provisions fai-
tes pour soutenir le siège; ils n'avaient point de
gouvernement établi. La ville se partageait en trois
factions. Après la destruction d'une des trois, les
deux autres se disputèrent pour s'en rendre maî-
tresses; et à la fin ce furent les plus féroces, les plus
fanatiques, les voleurs ou zélés, comme on les
appelle, qui prévalurent. Ils entrèrent dans le
temple sous prétexte d'y offrir des sacrifices,
emportant des armes cachées pour faciliter leurs
assassinats. Ils tuèrent les prêtres sur les marches
des autels , et ce fut leur sang cjui coula au lieu
de celui des victimes qu'on devait sacrifier. Ils
rejetèrent ensuite tous les moyens de concilia-
tion avec l'ennemi. On ne permit à personne de
sortir de la ville. On entra dans chaque maison ,
on les saccagea toutes, et on y commit les plus
horribles outrages. Rien ne put arrêter leur fu-
reur; partout oil il y avait une apparence ou une
Cfl. VH. DESTRUCTION DE JERUSALEM. 145
odeur même de nourriture^ semblables k des ani-
maux affamés, ils en suivaient la piste, et malgré
la famine qui régnait autour d'eux, malgré les
cadavres qu'ils foulaient aux pieds, quoique
les maisons des vivants ne fussent plus que des
asiles pour les morts, rien ne put les intimider,
ni les contenir, ni les satisfaire, jusqu'à ce
que Marie, fille d'Eléazar, femme ^loble et jadis
riche, vint leur présenter tout ce qui lui restait
de son repas, dont l'odeur les avait attirés au-
près d'elle, le morceau le plus amer qu'ait jamais
mangé une mère, les restes à moitié dévorés de son
enfant nouveau-né.
Jérusalem fut assiégée sans relâche par soixante
mille soldats romains ; ils élevèrent une muraille
tout autour de la ville et creusèrent des tran-
chées de tous les côtés; ils démolirent les
hauts murs; ils massacrèrent les assassins, ils
n'épargnèrent point le peuple; ils incendièrent
le temple malgré les ordres, les menaces et la
résistance de leur général. Les Juifs perdirent
alors leur dernière espérance ; à la vue de ce dé-
sastre ils élevèrent un dernier cri d'angoisse et de
désespoir. Dix mille personnes furent tuées, et six
mille périrent dans les flammes. La ville entière,
remplie de mourants affamés et des cadavres des
morts, ne présenta plus qu'une scène d'horreur.
La foule désespérée se jeta en dernier lieu dans
les aqueducs et les citernes de la ville. On y
trouva deux mille morts, et on en retira d'autres
pour les égorger. Les soldats passèrent tous les
habitants au fil de l'épée sans aucune distinction,
et ne s'arrêtèrent que lorsque leurs forces physi-
ques ne leur permirent plus de continuer cette
œuvre de destruction.
Mais ils ne remirent l'épée dans le fourreau que
pour allumer la torche. Ils mirent le feu à la ville
1 iO DESTRUCTION DE JERUSALEM. Cil. VU.
sur plusieurs points. Les flammes se ré|)andirenl
(le tous côtés 5 et ne se Inmvèrent arrêtées que de
lenips en temps par les ruisseaux ensan^^lantés (jui
inondaient les rues. «Jérusalem ne fut pluscfu'un
i( monceau, et la montagne de la maison de l'Éter-
« nel que comme les lieux élevés des forets » . —
Dans un circuit de huit milles, et pendant l'espace
tie cinq mois, il y eut, a l'intérieur, l'ennemi et la
lamine; à l'extérieur, de hautes murailles et une
armée qui les assiégeait sans relâche. Onze cent
mille individus périrent et l'histoire de chacun
d'eux était à elle seule une tragédie. Y eut-il ja-
mais un tel assemblage de misères?
Quelle prophétie aurait pu être plus fidèle-
ment, plus terriblement accompHe? Jésus sem-
blait souffrir moins, en envisageant sa propre mort ,
sur le chemin du Calvaire, que lorsqu'il annonça
le sort de Jérusalem. Qu'elle fut pleine de ten-
dresse et de vérité, la réponse qu'il fit aux
femmes désolées qui l'accompagnaient de leurs
pleurs, lorsqu'en se retournant il contempla
la ville et dit à celles qui devaient peut-
être la voir inondée de sang et enveloppée de
llammes : « Filles de Jérusalem , ne pleurez point
« sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos
« enfants; car les jours viendront auxquels on
c( dira : Heureuses les stériles, les femmes qui
<( n'ont point enfanté et les mamelles qui n'ont
<( point allaité ! Alors ils se mettront à dire aux
« montagnes : tombez sur nous , et aux coteaux :
« couvrez-nous; car si on a fait ces choses au bois
c< vert, que fera-t-on au bois sec? » — Y eut-il ja-
mais un imposteur qui manifesta de tels senti-
ments comme homme, et qui ait, €omm<3 prophète,
prédit des événements aussi improbables, aussi
étonnants et aussi vrais? Pour démontrer la divi-
nité de sa mission, Jésus^Ghrist révéla les juge-
CH. VU. DESTRUCTION DE JÉRUSALEM. 147
ments de Dieu; car ce fut ainèi que la pris(î
et la destruction de Jérusalem fut considérée par
celui-là même qui devait en être le ministre et qui
avoua qu'autrement sa propre puissance eût été
inefficace. Lorsqu'on vint rendre hommage a Ti-
tus pour sa victoire , il refusa la gloire qu'on lui
attribuait , en déclarant qu'il ne se regardait que
comme un instrument entre les mains de la jus-
tice divine. De plus leur propre histoire assure^
conformément à toutes les déclarations de l'Ecri-
ture, que les iniquités des Juifs étaient , comme
leur punition 5 sans exemple.
Toutes ces prophéties», dont nous venons de
raconter l'accomplissement , panirent daos un
temps de paix parfaite, dans le moment où les
Juifs étaient gouvernés d'après leurs propres
lois, oil ils jouissaient de la protection et étaient
soumis à l'autorité de l'empire romain , alors dans
toute sa splendeur et toute sa puissance. Ce foi
l'admiration que les disciples de Christ ressen-
taient en s'entretenant de l'antiquité et de la durée
probable du temple, qui porta Jésus à en prédire
la destruction prochaine et entière.
Il annonça la venue des faux Christs et des pré-
tendus prophètes, les guerres et les bruits de
guerres, les famines, les pestes, les tremble-
ments de terre et les signes effrayants qui devaient
les suivre , la persécution de ses disciples , l'apos-
tasie de plusieurs d'entre eux, la propagation de
l'Evangile , le signe qui devait les avertir de fuir
la ruine qui s'approchait, le siège de Jérusalem,
la terrible affliction qui devait fondre sur les fem-
mes, les malheurs sans pareils qui devaient tom-
ber sur tous , la destruction de la ville , la ma-
nière dont les souffrances seraient abrégées, afin
que quelques-uns pussent être sauvés ; et il prédit
que tous ces épouvantables événements, qni au-
1 is DESTÎUCTION DE JÉni SALEM. CH. VH.
raient pu remplir des siècles entiers^ se passe-
raient pendant la dnrée d'une seule génération.
Personne, excepté celui qui connaît l'avenir,
n'aurait pu annoncer et préciser ainsi toutes ces
choses; et leur entier et indubitable accomplis-
sementprouye qu'elles étaient véritablement une
révélation de Dieu.
Mais ces prophéties annoncent des faits plus
minutieux et dont l'accomplissement semblait de-
voir être plus improbable encore : - — Jérusalem
devait être labourée comme un champ et rasée au
niveau de la terre .11 ne devait pas rester pierre sur
pierre du temple. Les Juifs devaient demeurer
en petit nombre, être emmenés captifs par les
nations, vendus pour esclaves sans que per-
sonne voulût les acheter; et toutes ces prédic-
tions furent exactement vérifiées. — Titus com-
manda que la ville et le temple fussent sapés à
leurs fondements. Cette fois les soldats ne man-
quèrent pas d^obéir aux ordres de leur général.
L'avarice se mêla au sentiment du devoir et de
la colère; on renversa l'autel, le temple, les mu-
railles et la ville , dans respoir de trouver les tré-
sors que les Juifs, environnés de pillards, avaient
cachés et ensevelis pendant le siège. Trois tours
e^t un pan de mur restèrent seuls debouts , monu-
ments et souvenirs de Jérusalem, et la ville fut la-
bourée par TérentiusRufus.^ — Pendant le siège, et
dans la destruction des villes et des villages de la
Judée, qui eut lieu avant et après cet événement,
plus d'un million trois cent mille individus , selon
le calcul de Josèphe, furent massacrés ; quatre-
vingt-dix-sept mille furent m^nés en captivité; ils
furent vendus comme es<îlaves, mais on les mépri-
sait 5 on les haïssait au point que beaucoup d'en-
tre eux restèrent sans acquéreurs; enfin, leurs
vainqueurs étaient si prodigues de la vie de ces
CH. VIII. LES JUIFS. 149
malheureux, qu'en honneur de la fête de Domitien
on en condamna deux mille cinq cents h lutter
dans les jeux avec les bêtes féroces pour le diver-
tissement des vainqueurs, ou à recevoir la mort^'.
Mais ce ne fut pas là la fin des malheurs de ce
peuple : une malédiction pesait sur cette terre et
Ta rendue stérile ; une vengeance terrible s'atta-
tachait à ce peuple et l'a dispersé sur toute la sur-
face du globe. Nous avons encore à examiner plu-
sieurs prophéties qui se rapportent aux Juifs ; et
il reste une grande partie de leur histoire a ra-
conter. Les prédictions sont aussi claires que les
faits sont palpables.
CHAPITRE YIIL
* PRÉDICTIONS RELATIVES AUX JUIFS.
Lorsque Moïse , comme législateur inspiré ,
promettait aux Israélites que la prospérité et la
paix récompenseraient leur obéissance^ il les me-
(53) Tacite, qui vécut environ 30 ans après la destruction de
Jérusalem, parle de la force des fortifications de cette ville, des
immenses richesses et de la beauté du temple, des factions inté-
rieures pendant le siège, et des prodiges qui précédèrent la prise
de la ville. Il parle particulièrement d'une puissante armée que
Vespasien conduisit devant Jérusalem, « fait qui prouve, selon lui,
la grandeur et l'importance de l'expédition. » Philostrate raconte
qu'après la prise de Jérusalem Tite déclara qu'il ne se trouvait pas
digne déporter la couronne des vainqueurs, attendu qu'il n'avait fait
que prêter son bras à l'exécution d'une œuvre qu'il avait plu à Dieu
d'accomplir en sa colère. — Dion Gassius parle de la conquête de
la Judée par Tite et par Vespasien ; il rappelle la sanglante résis-
tance des Juifs et la destruction du temple par le feu. — Maimoni-
des raconte, et le Talmud juif aussi, ainsi que le citent Basnage et
Lardner, que Terentius Rufus, officier de l'armée romaine, fit
labourer avec une charrue les fondements du temple. L'arc de
Tite, commémoratif de la destruction de Jérusalem et représen-
tant des soldats romains portant sur les épaules les vases sacrés du
temple, se voit encore à Rome,
1)0 LES JUIFS. CH. VIII.
iiaçiiil (Ml nic'iine lom])s de })iniiLi()ns ({iii s'aiigmcn-
leraiciil en propoiiion de leur rebellion et de
Unir inipénilence. C'est la seule nation de la terre
à l'éi^ard de huinelle le supreme Gonverneiir du
nionde ait tenu une pareille conduite , et cepen-
dant ses crimes amenèrent sur elle des malheurs
extraordinaires, malheurs qui continuent encore.
Il serait impossible de retracer aujourd'hui en
fermes plus précis l'histoire des Juifs depuis leur
dispersion que ne le fait leur prophète, trois mille
deux cents ans avant Févènement. C'est dans
le plus ancien des livres que nous trouvons la
fidèle représentation de la condition actuelle de
ce peuple infidèle. Moïse ne prétendit porter ses
regards que dans un avenir lointain; mais une
révolution de plusieurs siècles a mis l'objet de sa
contemplation sous nos yeux; nous pouvons exa-
miner les traits de cet avenir qu'il voyait déjà, et
nous pouvons décider s'il est probable que ses
prophéties fussent les simples souvenirs cFun
homme qui ne sait pas ce qu'un jour peut amener,
ou la révélation immédiate de «Celui pour qui
« mille ans ne sont que comme le jour d'hier qui
« est passé » .
« Je vous disperserai parmi tes nations, je dé-
« gainerai l'épée après vous, et votre pays sera en
« désolation, et vos villes en désert; et pour ce
« qui est de ceux qui demeureront de reste d'en-
<< tre vous, je rendrai leur cœur lâche quand ils
« seront au pays de leurs ennemis , de sorte que
(^ le bruit d'une feuille émue les poursuivra; ils
« fuiront comme s'ils fuyaient de devant l'épée,
« et ils tomberont sans que personne les pour-
« suive ; et vous ne pourrez point subsister de-
« vaut vos ennemis; vous périrez parmi les na-
« tions,etla terre devos ennemis vous consumera,
c< et ceux qui demeureront de reste d'entre vous
CH. Vilï. LES JUIFS. loi
« se fondront dans les pays de vos ennemis a
« cause de leurs iniquités, et ils se fondront aussi
« à cause des iniquités de leurs pères et des leurs.
« Mais cependant, lorsqu'ils seront dans le pays
« de leurs ennemis , je me souviendrai d'eux et
« je ne les rejeterai point, et je ne les aurai point
c( en aversion jusqu'à les consumer entièrement"^.
« L'Éternel vous dispersera entre les peuples
« et vous demeurerez en petit nombre entre les
« nations parmi lesquelles l'Éternel vous fera
<^ emmener"^. » — « L'Éternel fera que tu seras
« battu devant tes ennemis ; tu sortiras par un
« chemin contre eux, et par sept chemins tu t'en-
« fuiras devant eux, et tu seras vagabond par
« tous les royaumes de la terre ^^)) — « L'Éternel
« te frappera de frénésie, d'aveuglement et d'é-
« tonnement de cœur; tu iras en tâtonnant en
« plein midi comme un aveugle tâtonne dans les
« ténèbres; tu n'auras point d'heureux succès
^ dans tes entreprises et tu seras toujours oppri-
« mé et pillé , et il n'y aura personne qui te ga-
« rantisse. Tes fils et tes filles seront livrés à un
« autre peuple , et tes yeux le verront et se con-
« sumeront tous les jours en regardant vers eux ,
« et ta main n'aura aucune force ; et un peuple
« que tu n'auras point connu prendra le fruit de
c( ta terre et tout ton travail , et tu seras exposé
« tous les jours à souffrir des torts et des concus-
c( sions, et tu seras hors de toi-même pour les
« choses que tu verras de tes yeux. L'Éternel te
« fera marcher vers une nation que tu n'auras
« point connue ni toi ni tes frères, et tu seras là un
c( sujet d'étonnement, de railleries et de folie
« parmi tous les peuples vers lesquels l'Éternel
«t'aura emmené ^^)) — ^ « Parceque tu n'auras
(54) L6v„ XXVI, 33, 36; 34-4/i. — (55) Deut., IV, 27,
(56) DeuU, XXVIII, 25.-^(57) IbicU, 29, 32, 33, 36, 37c
1 '>2 LES JUIFS. CH. Vin.
(» poifil s(M'vi rKlernrl Ion Dieu autrefois et de
« \h)\\ eoMir, dans l'ahondaiiee de foules choses,
^^ lu serviias ion ennemi que Dieu enverra contre
^< toi dans la faim, dans la soif, dans la nudité et
c< dans la disette de toutes choses, et il mettra un
« jouf> de fer sur ton cou jusqu'à ce qu'il t'ait ex-
u terminé; alors l'Éternel te frappera, toi et ta
« postérité, de plaies étranges, de plaies grandes
(( et de longue durée^^)) — « Et toutes ces malédic-
« tions t'environneront et te poursuivront, et ces
(( malédictions seront sur toi et ta postérité , pour
« être des signes et des prodiges à jamais; et il
« arrivera que comme l'Eternel s'est réjoui sur
« vous, en vous faisant du bien et en vous multi-
(( pliant, aussi l'Éternel prendra plaisir à' vous
« faire périr et à vous exterminer, et vous serez
«s arrachés de dessus la terre où vous allez pour
« la posséder; et l'Éternel te dispersera parmi
« tous les peuples depuis un bout de la terre jus«
« qu'à l'autre : encore ne trouveras-tu aucun re-
« pos parmi ces nations-là, et même la plante de
« ton pied n'aura aucun repos; car l'Eternel te
« donnera là un cœur tremblant et des yeux qui
« ne verront point, une âme penchée d€ douleur,
« et la vie sera comme pendante devant toi , et tu
« seras dans l'effroi nuit et jour , et tu ne seras
« point assuré de ta vie. Tu diras le matin : Qui
(( me fera voir le soir? et le soir tu diras : Qui me
« fera voir le matin ? à cause de l'effroi dont ton
« cœur sera effrayé , et à cause de ce que tu ver-
ce ras de tes yeux ^^. »
Les prophètes qui se succédèrent pendant
beaucoup de siècles firent aussi des prédictions
semblables : « Je les livrerai à être agités partons
« les royaumes de la terre. Je vous transporterai
(58) Deut., XXVIIl, 47, 48, 59. — (59) Ibid.,. ^5,. 46, 63-57.
€H. VHI. LES JUIFS. 153
« en un pays que vous n'aurez point connu ^parce-
« que je ne vous aurai point fait grâce. Je leur
« donnerai à manger de Tabsynthe, je leur don-
« nerai à boire de l'eau de fiel et je les disperserai
« parmi des nations qu'eux ni leurs pères n'ont
« point connues^^. Et je les livrerai pour être agi-
« tés 5 pour souffrir du mal par tous les royaumes
« de la terre , et pour être en opprobre , en pro-
« verbe, en risée et en malédiction par tous les
« lieux oil je les aurai chassés; et j'enverrai sur
« eux l'épée, la famine et la mortalité, jusqu'à ce
« qulls soient consumés de dessus la terre que
« je leur avais donnée à eux et à leur pères ^* . J'ai
« désolé et j'ai fait périr mon peuple, et je les-aba^R-
« donnerai pour être agités par tousles royaumes
« de la terre, et pour être en exécration , en éton-
« nement , en sifflement et en opprobre à toutes les
« nations parmi lesquelles je les aurai chassés ^^
« J'exécuterai mes jugements sur toi, etjedisper-
« serai à tous vents tout ce qui restera de toi^\
« Je les répandrai parmi les nations et je les dis-
« perserai par les pays ^'*. Ils jetteront leur argent
« par les rues, et leur or sera comme une chose
« souillée; ni leur argent ni leur or ne les pourra
« délivrer du jour de la grande colère de l'Éternel;
« ils n'en rassasieront point leurs âmes et n'en rem-
« pliront point leurs entrailles parceque leur ini-
« quite a été leur ruine ^". Car je commanderai, et
« je ferai courir la maison d'Israël parmi toutes les
« nations , comme le blé est remue dans le crible
« sans qu'il en tombe un grain en terre. Et la mort
« sera plus désirable que la vie , a tout le reste de
« ceux qui seront restés de cette race méchante ;
« même à ceux qui seront restés parmi tous les
(60)Jérémie,XV, /i;XVI, 13; IX, 15, 16.— (61)lbid.,XXIV, 9, 10.
(62) Ibid., XV, 7; XXIX, J8. — (63) Ezéchiel, V, 10.
(64) Ezéchiel, XII, 15. — (65) Ibid., VII, 19.
loi LES JtlFS. Cil. VIII.
(( li(Mi\ ou j(î les aurai chassés 5 dit rEUniiel des
a ariuck's. Ils siéront errants parmi les nations*^".
(^ l'jii;raisse le eœur de ce ])euj)le-ci5 et rends ses
« oreilles pesantes et houclie ses yeux., en sorte
« qu'il ne voie pas de ses yeux , et qu'il n'entende
« pas de ses oreilles, et que son cœur ne comprenne
(( pas 5 et qu'il ne se convertisse pas, et qu'il ne
« recouvre pas la santé; et Je dis : Jusqu'à quand,
« Seigneur? Etilrépondit : Jusqu'àcequeles villes
(( et les maisons aient été tellement désolées qu'il
« o'y ait aucun homme, et que le pays soit mis
« dans une entière désolation, et que l'Éternel ait
« éloigné les hommes, et que le pays ait été long-
« temps abandonné ^^ Et lorsqu'ils s'en iront en
« captivité devant leurs ennemis, je commanderai
« à l'épée qu'elle les y tue; je mettrai mes yeux
(( sur eux pour leur faire du mal et non pas du
(( bien. Celui qui a dispersé Israël le rassemblera
« et le guidera comme un berger guide son trou-
« peau*^^ Et toi, Jacob, mon serviteur, ne crains
(c point et ne t'épouvante point , ô Israël ! car voici,
« je vais te délivrer du pays éloigné , et ta posté-
« rite du pays de ta captivité. Je détruirai entiè-
« rement toutes les nations parmi lesquelles je
« t'aurai dispersé; mais je ne te consumerai pas
« tout-à fait, mais je te châtierai par mesure; tou-
(( tefois je ne te tiendrai pas tout-à-fait comme in-
(( nocent ^^. Les enfants d'Israël demeureront
« plusieurs jours sans roi et sans princes, sans sa-
« crifice et sans statuts, sans épliod et sans téra-
« plîim. Mais après cela les enfants d'Israël se
(( retourneront et rechercheront l'Éternel leur
« Dieu , et David leur roi , et révéreront rÉternel
« et sa bonté aux derniers jours
70
(66) Amos, IX, 9. — Jérémie, VIII, 3. — Osée, IX, 17.
(67) Esaïe, VI, 10-12. —{68) Amos, IX, 4.-- Jérémie, XXXI, dO.
(69) Jéiémie, XLVI, 27, 28, — (70) Osée, III, 4, 5.
i:h. VIII. LES JUIFS. 165
Toutes ces prédictions relatives aux Juifs ont
toute la clarté de l'histoire et toute l'assurance de
la vérité. On y voit les circonstances , l'éten-
due^ la nature et la durée de leur dispersion ; les
persécutions qu'il leur a fallu éprouver , leur aveu-
glement, leurs souffrances, leur faiblesse , leurs
craintes 5 leur pusillanimité , leur existence vaga-
bonde, leur incorrigible impénitence, leur avarice
insatiable, et la terrible oppression, la continuelle
spoliation , la moquerie universelle auxquelles ils
sont exposés, et cependant l'existence indestruc-
tible de leur race desséminée sur toutes les par-
ties du globe.
Ils devaient être, « chassés de leur pays, battus
t< devant leurs ennemis, leur pays désolé, et ne
« demeurer de reste qu'en petit nombre.» — Les
Romains assiégèrent leurs villes, les détruisirent
et ravagèrent tout le pays; et ceux qui parvinrent à
échapper à la famine, à la peste, à l'épée et à la
captivité, furent forcés de quitter la Judée, et
s'enfuirent pour chercher une retraite dans les
contrées environnantes. Néanmoins ils s'attachè-
rent quelque temps encore à la terre que leurs
pères avaient possédée pendant tant de siècles, et
qu'iis regardaient comme l'héritage que le ciel
destinait à leur race; et une seule expulsion, tout
affreuse qu'elle fut, ne put les décider à abandon-
ner leurs droits à un si glorieux patrimoine. Quel-
que grandes qu'eussent été les misères qu'ils
avaient eu à souffrir par le massacre de leurs fa-
milles, par la perte de leur fortune et de leurs
maisons , par l'anéantissement de leur puissance,
parla destruction de la capitale de leur royaume ,
et par la dévastation de leur pays par Titus , les
Juifs fugitifs et proscrits ne tardèrent pas à reve-
nir sur leur sol natal; à peine soixante ans se
furent-ils écoulés que, trompés par un séducteur,
ioi) LES JUIFS. CH. Vin.
séduilspar Tespoirclela venue d'un Messie victo-
rieux , el ]>oussés à la révolte par une tyrannie in-
supportable, ils tentèrent un effort vigoureux
et combiné , niais désespéré , pour reprendre
possession de la Judée, briser le joug des Ro-
mains et arracher leur pays à sa ruine. Une
guerre soutenue pendant deux ans par l'en-
thousiasme et le désespoir, et dans laquelle,
dit-on , cinq cent quatre-vingt mille Juifs furent
tués , sans parler d'un grand nombre qui périrent
par la famine, la maladie et le feu, se termina
enfin par leur entière défaite et le bannissement
sous peine de mort décrété contre les Juifs qui
oseraient se montrer dans Jérusalem. Les vain-
queurs les entourèrent si complètement que des
détachements entiers tombèrent sous le glaive
des soldats romains , et que , selon un historien
profane, il n'en échappa qu'un très petit nombre.
On détruisit cinquante de leurs forteresses et on
incendia et saccagea leurs villes; la Judée fut
entièrement dévastée et rendue déserte ^^ Des
malheurs semblables, arrivés à tout autre peu-
ple , auraient été la fin de sa race ou la dernière
de ses misères, tandis que, par rapport aux Juifs,
la prédiction reçut son entier accomplisse-
ment; car ils existent encore disséminés parmi
toutes les nations de la terre , exilés de leur pa-
trie et rencontrant partout des malheurs sans fin,
qui se renouvellent a chaque génération.
« Les villes sont tellement désolées qu'il n'y a
« pas un homme. ))— « Toutes les villes sont aban-
« données et personne n'y habite. » — « Et l'Eter-
c< nel les a arrachés de leur terre en sa terrible
« colère et en sa grande indignation ^^ » Un édit
de l'empereur Adrien déclara qu'il serait re-
(71J Dion Cassius, 1. lxix.
(72) Esaïe. VI, il. ~ Jérémie, IV, 29. — Dcut., XXIX, 28.
CH. Vin. LES JUIFS. . 157
gardé comme un crime capital de la part d'un
Juif de remettre le pied dans Jérusalem ^%
et il leur défendit même de contempler à une
certaine distance cette ville, dont des païens ,
des chrétiens 5 des mahométans, ont été tour-à-
tour les maîtres. La Judée a été la proie des Sar-
razins; elle a été parcourue par les descendants
d'Ismaël ; ce n'est qu'aux enfants d'Israël que la
possession en a été défendue, quoique ce fût tou-
jours là l'objet de leurs vœux , et que ce fût le
seul endroit de la terre où les rites de leur reli-
gion pouvaient être célébrés.
Il est même digne de remarque que , malgré
toutes les révolutions des états , malgré l'extinc-
tion de tant de nations , non-seulement les Juifs
sont toujours restés étrangers au pays de leurs
pères, mais lors même que quelques-uns d'entre
eux ont eu la permission d'yséjourner, ils y ont tou-
jours essuyé un traitement encore plus injurieux
que partout ailleurs. Benjamin de Tudela, qui par-
courut, au douzième siècle, la plus grande partie
de l'Europe et de l'Asie , trouva les Juifs partout
opprimés , et particulièrement dans la Terre-
Sainte; et encore aujourd'hui, on sait que les Juifs
qui demeurent en Palestine, ou qui s'y rendent
dans leurs vieux ans afin que leurs os ne repo-
sent pas sur un sol étranger, sont également
maltraités par les Grecs , les Arméniens et les
Ethiopiens ^* ; la conduite orgueilleuse des sol-
dats turcs et l'abjecte soumission des Juifs
pauvres et dégradés sont décrites à la lettre
par ces paroles du prophète : « L'Étranger qui
« est au milieu de toi montera au-dessus de
(73) Terl. Ap., c. xxi. — Basnage, Continuation de rHîstoire
de Josèphe, 1. VI, c. ix, § 27.
(74) Voyages naanuscrits du général Straton.
lo8 * LES JUIFS. CH. VIll.
c( toi foi l haul, et tu desceiHlrns fort has '^'. »
Si le fait seul de leur dispersiou est au des évè-
neaieuts les plus étoiuiauts de l'histoire, TétcMidue
et réloi^ueiueut des coutrées qui eu out été le
théâtre sout peut-être plus remarquables eneore.
Nombre de prophètes décrivaient et prédisaient,
il y a des milliers d'années, ce qui se passe aujour-
d'hui sous nos yeux. «Ils ont été dispersés parmi
« les nations , parmi les nations idolâtres , parmi
« les nations depuis un bout de la terre jusqu'à
« l'autre. Ils ont été répandus parmi tous les
« royaumes. Tout ce qui restait d'eux a été dis-
« perse à tous vents. » — « L'Éternel a fait cou-
« rir la maison d'Israël parmi toutes les nations
« comme le blé est remué dans le crible, sans qu'il
« en tombe un grain en terre. » — Mais, quoique
dispersés parmi toutes les nations , ils demeurent
à part et ne se sont jamais confondus avec aucune
d'elles; et il n'y a pas une seule contrée sur
la surface du globe où les Juifs soient inconnus.
On en trouve également en Europe , en Asie , en
Afrique et en Amérique. Citoyens du monde, ils
n'ont point de patrie: les m.ontagnes,les rivières,
les déserts , les océans , qui sont les limites natu-
relles des autres nations, n'ont pas pu former
de barrières contre leurs courses vagabondes. Ils
abondent en Pologne, dans la Hollande, en Rus-
sie et dans la Turquie ; il y en a moins dans l'Al-
lemagne, en Espagne, en Italie, en France et
dans la Grande-Bretagne. En Perse, en Chine,
dans l'Inde , à Test et à l'ouest du Gange , ils sont
« en petit nombre parmi les païens. » Ils ont im-
primé leurs pas sur les neiges de la Sibérie
comme sur les sables brûlants du désert, et le
voyageur européen apprend qu'il y a des Juifs^
(75) Deut., XXVIII, 43.
CH. Vin. LES JUIFS. 159
dans des régions oîi lui-même il ne saurait par-
venir, et jusque dans l'intérieur inaccessible de
l'Afrique, au sud de Tombouctou ^^ Depuis Mos-
cou jusqu'à Lisbonne, depuis le Japon jusqu'à la
Grande - Bretagne , de Bornéo à Archangel ,
de l'Indostan à Honduras , quel est l'habitant de
la terre que l'on retrouve partout , si ce n'est le
Juif?
Mais l'histoire du peuple juif, dans toutes les
parties du monde et dans tous les siècles, depuis
sa dispersion , confirme les prédictions oîi sont
tracés avec tant de clarté, et avec des détails
presque minutieux, les traits caractéristiques de
leur race persécutée; et au récit des faits parfai-
tement constatés on pourrait en ajouter une des-
cription dans les termes mêmes de la prophétie ,
selon l'expression de Basnage, le savant histo-
rion des Juifs. Les rois ont souvent employé
la sévérité de leurs edits et la main de leurs
bourreaux pour les détruire. Des séditions popu-
laires ont eu pour résultat des massacres et des
boucheries plus tragiques encore que tout ce
qu'ont pu décréter les princes, les rois et les peu-
ples; les païens, les chrétiens et les mahomé-
tans, si opposés dans bien des choses, se sont
réunis dans le but d'exterminer la race des Hé-
breux et ils n'ont pu y réussir. Comme le buisson
vu par Moïse, « qui était tout en feu, mais qui
« ne se consumait point » , malgré les flammes de
la persécution, le peuple de Dieu existe encore;
les Juifs ont été chassés d'entre toutes les na-
tions et cela n'a servi qu'à les disperser sur toute
la surface du globe. Chaque siècle leur a apporté
le malheur et la proscription, et les a forcés
de marcher à travers des torrents de leur
(76) Voyage de Lyon en Afrique, p. 146.
^^^ LES JUIFS. en. VIII.
san^ ". Leur hannissernoiil de la Judée n'é-
tait (jiie le prélude de leur e\j)iilsi()ii d'une ville
à une autre, d'un royaume à un autre royaume.
Leur dis])ersi()n sur toute la surfaee du j^lobe,
fait dont des doeuments nombreux attestent la
vérité, en est une preuve certaine. Non-seulement
ils furent chassés loin de leur patrie à deux dif-
férentes reprises pendant les premiers siècles de
l'ère chrétienne , mais encore chaque siècle a été
pour eux fécond en calamités et en persécutions
nouvelles.
L'histoire de leurs souffrances est un conti-
nuel tissu d'horreurs. La révolte est la consé-
quence naturelle de l'oppression; mais leurs sé-
ditions sans cesse renaissantes ne produisirent
pour eux qu'un surcroît de persécutions et de
misères. Les empereurs, les rois, les califes se
réunirent pour leur faire porter un ^^ joug de
fer » . Après une de leurs révoltes, Constantin leur
fit couper les oreilles, et les dispersa vagabonds et
captifs dans les pays d'alentour, oii ils portèrent
le signe de leurs souffrances et de leurjnfamie.
Dans le cinquième siècle, ils sont expulsés d'A-
lexandrie , longtemps une de leurs plus sures re-
traites. Justinien, dont les principes auraient dû
le porter à une politique plus sage et plus humai-
ne, ne le céda en cruauté et en inhumanité con-
tre eux à aucun de ses prédécesseurs. Il détruisit
leurs synagogues, leur défendit même l'usage des
caves pour la célébration de leur culte; il déclara
leur témoignage inadmissible, et les priva du
droit naturel de faire des legs ou des testaments ;
et lorsqu'exaspérés par des persécutions inouïes
ils cherchèrent à y mettre fin par des insurrec-
tions, des mouvements séditieux, leurs biens fu-
rent confisqués, plusieurs d'entre eux furent dé-
(77) Basnage, 1. VI, c. i, § 1. — Jortin, Eccl. Hist., V, ii.
CH. VIII. LES JUIFS. ^ 16f
capites, et le nombre des exécutions fut si grand
«que tous les Juifs en furent effrayés ^\ >) —
« L'Éternel leur donnera un cœur tremblant. »
Sous le règne du tyran Pliocas, il y eut une sé-
dition générale parmi les Juifs de la Syrie; les
révoltés réussirent a Antioche, mais ce succès mo-
mentané ne fit que précéder un asservissement
plus cruel encore et amener pour eux des souf-
frances plus atroces. Ils furent bientôt vaincus et
faits prisonniers ; grand nombre d'entre eux fu-
rent mutilés 5 d'autres subirent la mort, et tous
ceux qui survécurent à cette honteuse défaite fu-
rent chassés de la ville. Grégoire -le -Grand leur
accorda une protection passagère, ce qui ne servit
qu'à rendre leur spoliation plus complète et leurs
souffrances plus cruelles; car l'empereur Héra-
clius, dans sa haine implacable contre les Juifs,
non-seulement fit fondre sur ceux qui habitaient
les pays soumis à son autorité les persécutions les
plus violentes, et les chassa de son empire, mais
exerça contre eux une influence puissante dans
d'autres pays , de manière qu'ils eurent à sup-
porter une persécution générale et simultanée de^
puis l'Asie jusqu'aux extrémités de l'Europe ^\ En
Espagne ils avaient à choisir entre l'apostasie,
Temprisonnement et l'exil; en France un sort
semblable les attendait Ils erraient de pays en
pays, cherchant en vain du repos pour la plante de
leurs pieds. Les vastes champs de TAsie même ne
leur offrirent aucun lieu oîi ils pussent se reposer ;
car là, comme sur les montagnes et dans les val-
lées de l'Europe, leur passage était marqué par
les traces de leur sang. Mahomet, dont l'impos-
ture est devenue la règle de foi de tant de millions
de nos semblables, Mahomet, par les préceptes du
(78) Basnage, 1. VI, c. xxi, § 9. — (79) Ibid., §17.
n>2 LES .11 IFS. CH. VIII.
Coran, lit poiiélrer dans l'esprit de ses diseij)les
la même animosité et la même liaiiKî (îonireles
Juifs inerédnles et méprisés. 11 donna le premiei'
Texemple d'une persécntion qni dnreeneoie. Dans
la troisième année de riiéi>ire, il assiégea les elia-
teanx que les Juifs possédaient dans Tlléi^ian , il
força ceux qui s'y étaient réfugiés de se rendre à
discrétion , les bannit du pays, et partagea leurs
biens entre ses musulmans. Plus tard, il dispersa
leurs forces encore une lois décimées, massacra
un grand nombre d'entre eux, et fit peser sur le
reste d'accablantes contributions.
L'Kglise de Rome les a toujours mis au rang
des hérétiques. Les edits de différents conciles
prononcent l'excommunication contre tous ceux
qui favoriseraient les Juifs ou soutiendraient leurs
droits contre ceux des Chrétiens ; ils déclarent
les Juifs incapables d'exercer aucune fonction
publique , ou de posséder des esclaves chrétiens ;
ils leur assignent des marques distinctives et in-
famantes; ils ordonnent que leurs enfants leur
soient enlevés et placés dans des monastères; et
ce qui prouve le peu de cas que l'on faisait d'eux
et montre le genre de traitement qui les attendait
partout, c'est que ceux mêmes qui les opprimaient
étaient souvent obligés de défendre de tuer un
Juif comme une bête féroce ^^.
L'histoire des Juifs pendant le moyen-âge, par
Hallam, est courte, mais pleine d'intérêt. Ils sont
partout l'objet des insultes de la populace, de la
tyrannie des gouvernements, et périssent plus
d'une fois dans un massacre général. On choisissait
ordinairement des jours de réjouissances et de
fêtes pour faire d'eux les objets du mépris et des
(80) Dupin, Ecc. Hist., Con. Toi. A. D. 633. Meaiix, 8/j5.
Paris, 846. Pavie, 850. Metz, 1050. Rouen, 1074. Ravenne, J3id.
Saltzbourg, i/j20.
CH. VIII. LES JUIFS. 16S
insultes de la populace. — A Toulouse, on ne
manquait jamais de les frapper au visage le jour
de Pâques; à Beziers, on les lapidait depuis le
dimanche des Rameaux jusqu'à Pâques.^ anniver-
saire où leur sang coulait souvent en abondance ,
fête de cruauté à laquelle Tévêque de la ville
invitait ses diocésains à prendre part. Les rois
de France . se servaient d'eux comme d'une
éponge pour ramasser l'argent de leurs sujets ,
afin de pouvoir l'enlever plus tard sans encou-
rir l'opprobre d'une taxe vexatoire. Il est pres-
que incroyable jusqu'à quel point on porta cette
manie d'extorquer l'argent des Juifs. Mais ce
peuple extraordinaire supporta avec un courage
invincible cette série de persécutions, et continua
avec encore plus de persévérance à amasser des
richesses , à mesure que ses spoliateurs l'en
dépouillaient.
Philippe- Auguste remit à tous les chrétiens de
son royaume leurs dettes envers les Juifs, s'en
réservant une cinquième partie pour lui-même.
Plus tard il expulsa la nation tout entière hors
de la France'*. Saint-Louis les exila deux fois
et deux fois les rappela; finalement Charles VI
les bannit de son royaume. Sept fois, selon Méze-
ray, ils furent chassés de France. Ils furent égale-
ment bannis d'Espagne, et, d'après le calcul le
moins élevé, il paraît que cent-soixante-dix mille
familles quittèrent cette contrée '^ A Verdun , à
Trêves, à Metz, à Spires et à Worms, on en dé-
pouilla et massacra plusieurs milliers. Quelques-
uns se sauvèrent par une conversion simulée et
passagère; mais la plupart barricadèrent leurs
maisons, et se précipitèrent avec leurs familles et
leurs richesses dans les rivières ou au milieu des
(81) Hallam, vol. I, p. 233, 234.
(82) Basnage, 1. VII, c. xxi. — Newton,
l^i LESJLIFS. Cil. Vllf.
llammes. il iiyciUpcis mmc croisade à laquelle
on ne préludai par des assassinats de Juifs et
par d'iniques déprédations "'. Ils n'eurent pas
moins de cruautés et d'oppression à souffrir en
Angleterre. Pendant les croisades, la nation tout
entière se ligua pour les persécuter.
A NorAvicli, rien ne put arrêter la furie du
peuple, qui ne se calma qu'après les avoir mas-
sacrés jusqu'au dernier. Il y en eut un grand
nombre de tués à Stamford, k Saint-Edmunds, à
Lincoln et dans l'île d'Ely, oîiune foule de ces
infortunés avaient cherché un asile; mais k York,
à une seule époque, 1500 Juifs, y compris les
femmes et les enfants, périrent d'une mort af-
freuse. On leur refusa toute merci, et quand ils
virent qu'il ne pouvaient racheter leur vie k
quelque prix que ce fût, devenus furieux de
désespoir, ils prirent le parti de s'entretuer;
chaque père fut le meurtrier de sa femme et de
ses enfants, et ils ne trouvèrent ainsi de refuge
que dans la mort. Le spectacle qu'avait présenté
le château de Mussada , dernière forteresse qu'ils
possédaient encore dans la Palestine, et où près
de mille terminèrent leur vie par le même acte
de désespoir, se renouvela ainsi dans le château
d'York ^\ — On leur portait une haine et un mépris
si grands que lorsque les barons étaient en lutte
avec Henri III, voulant se mettre dans les bonnes
grâces du peuple , ils donnèrent l'ordre de faire
passer sept cents Juifs au fil de l'épée, et de
brûler leur synagogue. Richard , Jean '^ et
Henri HI leur demandaient souvent de l'argent,
et ce dernier, par les moyens les plus atroces,
s'assura des sommes énormes, suffisantes pour
(83) Gibbon, vol. XI, c. lviii. — (84) Basnage, 1, VII, c. x, § 20.
— Rapin, vol. III, p. 47. — Josèphe, 1. VII, c. 8.
(85) Les persécutions auxquelles les Juifs étaient exposés à cetter
CH. vin. LES JUIFS.. 165
subvenir à ses honteuses dépenses. Ses exactions
devinrent à la fin si exorbitantes, et ses exigences
si vexa toires, que les Juifs, d'après leur historien,
ne désiraient plus que de pouvoir obtenir la per-
mission de quitter le royaume ^^'. Mais cet exil
même leur fut refusé. Edouard P^ acheva leur
ruine , confisqua tous leurs revenus et les bannit
du
sans
pays. Plus de 15,000 Juifs se trouvèrent ainsi
s asile, dépouillés de toute ressource et réduits
époque sont fidèlement décrites dans le roman historique d'Ivan-
hoè. Ils y sont dépeints comme « une race qui, pendant ce siècle
d'ignorance, était détestée par le peuple crédule et rempli de préju-
gés, et persécutée par la noblesse avide et rapace. » Plus loin
r auteur ajoute :
G Excepté le poisson volant qui trouve des ennemis dans deux
éléments, il n'existait point d'êtres dans la nature qui fussent,
comme les Juifs d'alors, l'objet d'une persécution si générale, si
constante et si cruelle. Sous les prétextes les plus légers et les
plus déraison sables, et d'après les accusations les plus injustes et
les plus absurdes, leurs personnes et leur fortune étaient exposées
à la fureur populaire. Normands et Saxons, Danois et Bretons, tous,
quoique ennemis les uns des autres, se disputaient à qui serait le
plus acharné contre un peuple qu'on se faisait un devoir de religion
de haïr, d'insulter, de piller et de tourmenter. Les rois de race nor-
mande et les nobles indépendants, qui suivaient leur exemple en se
permettant des actes arbitraires, exerçaient contre cet te mal heureuse
nation un système de persécution plus régulier et fondé sur les
calculs d'une cupidité insatiable. On connaît le trait du roi Jean
qui , ayant fait enfermer dans son château un Juif opulent, lui fit
arracher tous les jours une dent jusqu'à ce que l'Israélite, voyant
la moitié de sa mâchoire dégarnie, eut consenti h payer une somme
considérable que le tyran voulait lui extorquer. Le peu d'argent
comptant qui se trouvait dans le pays était entre les mains de ce
peuple persécuté , et la noblesse n'hésitait pas à suivre l'exemple
du monarque et à mettra les Juifs à contribution, en employant
contre eux toute espèce de persécution et quelquefois même en
les condamnant aux tortures^ » (Vol. L) Le caractère fictif d'Lsaac
d'York est conçu d'une manière également conforme à la vérité
de l'histoire et aux prophéties concernant le peuple juif. Sir Walter
Scott a décrit de main de maître, et en conservant la couleur
prophétique, le sort qui fut prédit à cette race il y a près de vingtr
six siècles, dans un pays éloigné d'environ 700 lieues des scènes oii
la prophétie était annoncée, et du seul pays que les Juifs aient ja-
mais possédé.
(86) Rapin, vol. III, p. 405.
IGG LES JUIFS. CH. Vlll.
à laiiiisèro. Il se passa près de quatre siècles avant
que cette race malheureuse pût revenir en An-
i^ieterrc.
Plusieurs circonstances remarquables prouvent
encore, sans entrer dans des détails minutieux,
que partout ce peuple a été particulièrement op-
primé. Le premier essai de législation en France,
ce fut une loi contre les Juifs. Et ce fut pour eux
seuls que la grande charte , ce pacte si glorieux
pour les Anglais, et le boulevard de la liberté
britanique, légalisa un acte d'injustice ®^
Pendant plusi eurs siècles après leur dispersion ,
ils ne purent trouver ni en Europe, ni en Asie,
ni en Afrique , un seul pays oii il leur fût permis
de se reposer; il leur fallut en chercher un aux
extrémités de la terre. Dans les pays mahométans,
on leur a fait subir toutes espèces d'outrages et
d'injures. Ordinairement on leur assigne pour
demeure une certaine portion de la ville, comme
autrefois à Londres; on leur ordonne de porter
un certain habit particulier ; et dans plusieurs
endroits il leur est enjoint de ne quitter leur
domicile qu'à certaines heures. A Hamadan,
comme du reste dans toute la Perse , ils forment
une race méprisée , qui n'a d'autre moyen d'exis-
tence que le métier de colporteur. Ils vivent dans
la plus grande pauvreté, paient une taxe men-
suelle au gouyernement, ne peuvent cultiver la
terre ou acquérir des propriétés ^^ Ils ne peuvent
paraître en public, et encore moins suivre leurs
rits religieux, sans être tournés en ridicule et
traités avec le dernier mépris"®. — Le prince de
Bohan n'a d'autre revenu qu'un tribut versé par
500 familles juives, imposées selon leurs moyens.
(87) Art. 19, 93. — (88) J. Morier, Voyages en Perse, p. ^79.
(89) Histoire de la Perse, par sir J. Malcolm, vol. II, jk 425.
CH. VIII. LES JUIFS. ^ 167
A Zante ils sont dans la plus profonde indigence^
et gémissent sous la plus intolérable oppression ^^.
Lorsqu'un criminel est condamné à mort h Tripoli,
c'est le premier Juif sur lequel on peut mettre la
main qui remplit la fonction de bourreau ; dégra-
dation infligée sur les enfants d'Israël à laquelle un
Maurenese trouve jamais exposé^'. En Egypte ils
sont sans cesse en but à la persécution ^^ Dans
l'Arabie on les traite avec encore plus de mépris
qu'en Turquie^". Presque tous les voyageurs mo-
dernes en Afrique et en Asie disent que les Juifs
eux-mêmes sont étonnés ^ et le peuple indigné ,
au moindre signe de bienveillance ou au moindre
sentiment de justice qu'on témoigne à ce peuple
déchu et persécuté ^^.
On trouve dans les lettres de Southey sur l'Es-
pagne et le Portugal le rapport suivant : Il n'y a
pas encore cinquante ans que le supplice d'un Juif
était le spectacle favori des Portugais; ils accou-
raient en foule jouir de ce qu'ils appelaient le
triomphe de la foi, et les femmes jetaient des cris
d'allégresse à la vue de l'agonie du martyr brûlé
vif: rien ne pouvait sauver ces malheureux; on
n'avait égard ni à l'âge ni au sexe, et Antonio
Joseph de Sylva, l'un de leurs meilleurs écrivains
dramatiques, fut brûlé vif parcequ'il était Juif. —
Il n'y a que quelques années que les Juifs eurent
encore à subir une cruelle persécution en Prusse
et en Allemagne; et dans plusieurs des petits
états de ce dernier pays on ne leur permet pas
aujourd'hui de vendre leurs marchandises sur les
places des marchés publics. Dernièrement encore
(90) Voyages, par Hughes, vol. I, p. 150.
(91) Lyon, p. 16,
(92) Voyages en Egypte, par Denon, vol. I, p. 215.
(93) Voyages de Niebuhr, vol. II, p. 408.
(94) Morier, p. 266. — - Lyon, p. 32.
1G8 LES JUIFS. CH. Vin.
des bulles papales fort sévères ont été lancées
contre eux , et plusieurs ukases ont défendu aux
Juifs de faire le commerce dans aucune des par-
ties de l'empire russe. Il leur esl absolument in-
terdit sous peine d'exil d'offrir en vente quoi qiw
ce puisse être^soit en public, soit en particulier'^'.
On ne leur permet pas de séjourner, même pour
un temps limité, dans aucune des villes de la
Russie, sans une permission expresse du gouver-
nement, qui n'est donnée que dans des cas oii leurs
services peuvent être nécessaires ou utiles k l'État.
Sur leur refus de quitter leur demeure, dès qu'ils
deviennent suspects au gouvernement, on les
traite comme des malfaiteurs et des vagabonds;
personne n'ose leur donner asile. Et quoique l'ef-
fet de pareilles lois soit de les priver dans beau-
coup de cas des moyens de subsistance réguliers,
cependant leur désobéissance les expose à toutes
sortes d'oppressions légales et à toute espèce
d'insultes, contre lesquelles ils n'ont ni recours
ni appel. Ils peuvent être quelquefois des objets
de pitié ; mais les décrets impériaux défendent k
leur égard tout acte d'humanité ; et même
celui qui donne asile à un Juif, condamné
pour des fautes que d'autres commettraient
impunément , est , selon l'expression du dernier
ukase , « coupable devant la loi comme complice
de vagabonds; « ainsi, selon la prédiction, « per-
« sonne ne doit les épargner ^^ »
(95)15 nov. 1797; 25 fév. 1823; 8 juin 1826. —Ukase cité
dans le FForUI, le 31 octobre 1827. — Ibid., art. 8.
(96) Si d'un côté les prophéties décrivent les malheurs éprouvés
par les Juifs et ceux qu'ils éprouvent maintenant, de l'autre elles
nous transportent avec la môme précision au temps où les Juifs
retourneront à la terre chérie de leurs pères, temps où ils ne
seront plus abreuvés de mépris, et où leur bonheur leur
paraîtra d'autant plus grand qu'il contrastera avec les misères
passées de leur race. Avant que cela arrive cependant, les mau-
vaises passions des hommes et la politique des rois de ce monde
CH. vin. LES JUIFS. - 169
Ces faits, tout en n'étant qu'une esquisse légère
et imparfaite des souffrances qu'il leur a fallu en-
durer, nous montrent cependant que les Juifs
« ont été dispersés parmi les nations 5 que l'épée
« a été tirée contre eux, que la plante de leurs
« pieds n'a eu aucun repos, qu'ils n'ont point pu
« subsister devant leurs ennemis , qu'il n'y a eu
« aucun pouvoir en leurs mains , que leur avarice
« même a été la cause de leur misère, qu'ils ont
« souffert l'injustice et le pillage, qu'ils ont été
« en opprobre et en servitude, et qu'ils ont été
« hors de sens, à cause des choses qu'ils ont vues
« de leurs yeux ; » comme le prouvent les scènes
tragiques de Massada, d'York : « ils ont été dans
a la faim, dans la soif, dans la nudité, et dans
« la disette de toutes choses. L'Éternel leur a
« donné un cœur tremblant et la détresse d'âme,
« leur vie n'a point été assurée, leurs plaies ont
« été grandes et de longue durée. Ils ont été en
« étonnement et en prodige à jamais. »
Mais les prophéties vont plus loin encore ! Il
fut clairement prédit que les Juifs rejetteraient
auront en toutes'choses démontré la vérité de la parole de Dieu, el
elle apparaîtra dans tout son éclat alors que les impérieux décrets
des mortels seront oubliés ainsi que leurs auteurs. Nous croyons,
à ce sujet, devoir mettre sous les yeux du lecteur le onzième article
de Tukase actuellement en vigueur, comme digne d'altenlion.
Nous nous bornerons à observer que c'est dans un district spécifié
de la Pologne conquise que les rabbins doivent désormais être exilés,
a Les rabbins ou autres fonctionnaires religieux seront renvoyés
par Tofficier de police aussitCt qu'il se sera assuré que telle est
leur profession.» — « Tes docteurs ne seront plus mis à l'écart,
a mais tes yeux verront tes docteurs. « Esaïe, XXX, 20.
La description concise mais énergique que lord Byron a faiîe des
Juifs nous les représente tels qu'ils sont, tels qu'ils doivent être
selon les prédictions :
« Hommes aux pieds errants, au cœur faible et peureux,} ' '"
« Quand pourrons-nous donc fuir, quand serons-nous heureux?
« La plante de leurs pieds n'a eu aucun repos. L'Éternel leur a
« donné un cœur tremblant et la détresse de l'âme. »
8
170 LES JUIFS. Cil. viir.
l'Êvaii{^ilc, et que sa simplicité et l'orçueilleuse
dureté de leur cœur les eni])èclieraient de croire
à uu Messie souffrant; « qu'ils seraient frappés
« d'aveuglement et d'étonnement de cœur; qu'ils
« continueraient longtemps ayant les oreilles
« sourdes 5 et les yeux fermés , et le cœur en-
ce durci, et qu'ils iraient tâtonnant en plein midi
(( comme un aveugle tâtonne dans les ténèbres^^ »
Et il y a longtemps que la grande masse du peuple
juif continue à rejeter le christianisme. Us con-
servent les prophéties, sans en apercevoir la
clarté, qu'ils ont obscurcie par leurs traditions.
Plusieurs de leurs idées sont tellement absurdes
et même impies, la plupart de leurs rits sont si
minutieux, si frivoles et si ridicules , qu'on aurait
peine à en croire le récit, si on ne le lisait dans
leurs propres auteurs , et s'il n'était attesté par
leurs coutumes^^ Il serait impossible de décrire
en termes plus frappants ou plus justes le con-
traste qui existe entre leurs croyances supersti-
tieuses et celles d'une raison éclairée, et celles
de l'Évangile qu'ils méprisent , que ne le font ces
paroles: « Ils vont tâtonnant en plein midi,
a comme un aveugle tâtonne dans les ténèbres. »
— Quand même d'autres preuves de ces prédic-
tions viendraient à manquer, il serait clair encore
que le sentiment des nations à leur égard a été pré-
dit avec autant de précision que ce qui se rapporte
aux Juifs eux-mêmes. Que les Juifs aient été « en
« proverbe, en étonnement, un sujet de honnisse-
« ment et d'invectives parmi tous les peuples,»
c'est une vérité qu'il n'est nullement nécessaire
de prouver, et qui cependant est un fait aussi inoui
dans l'histoire du monde que la prédiction en est
(97) Deut., XXVIII, 24.
(98) Voyez Histoire du Judaïsme moderne par Allen. — Ency-
clopédie d'Edimbourg, arU Juifs.
CH. VIII. LES JUIFS. * 171
miraculeuse et raccomplissement inconcevable.
Plusieurs prophéties fayorables aux Juifs et qui
ne sont pas encore accomplies sont autant de té
moignages réservés , sinon à la génération ac-
tuelle, du moins à celles qui doivent lui succéder;
mais il est bon de remarquer que , selon qu'il a été
prédit, ils n'ont jamais été entièrement détruits,
tandis que leurs ennemis ont disparu de dessus la
surface de la terre. Où sont maintenant les
descendants des Egyptiens, des Assyriens, des
Babyloniens, des Romains, peuples puissants qui
dominaient sur le monde entier? mais les Juifs,
quoique opprimés et vaincus, quoique bannis,
quoique esclaves , ont survécu à toutes ces
nations, et aujourd'hui encore ils sont dispersés
sur toutes les parties du globe. De toutes les na-
tions qui environnent la Judée, la Perse seule,
qui les renvoya de la captivité de Babylone , forme
encore un rovaume.
Les Ecritures déclarent aussi que l'alliance
faite avec Abraham, dans laquelle Dieu lui
promet qu'il donnera la terre de Chanaan en
héritage éternel à ses descendants, ne pouvait
être rompue; mais que les enfants d'Israël
seraient rassemblés d'entre les nations idolâ-
tres 5 recueillis de tous les bouts de la terre , et
qu'ils reviendraient habiter pour toujours sur le
sol de leurs pères. Il y a déjà trois mille sept cents
ans que cette promesse fut faite à Abraham ; et si
cette promesse avait été faite à toute autre nation,
excepté aux descendants d'Abraham, l'accom-
plissement en serait devenu impossible , vu qu'il
n'existe point sur le globe de postérité connue ou
inconnue d'aucun autre individu ou d'aucun au-
tre peuple contemporain de ce patriarche : mais
qu'à travers toutes les révolutions qui ont changé
la face des royaumes de la terre, il ne soit sur-
172 LES JUIFS. Cil. VIII.
venu aiicim événement qui ail pu rendre iinpos-
si!)le raccomplissement de ces prophélies; mais
qu'au contraire réi.at des Juifs, celui des chrétiens
et des nations païennes, conspirent pour le pré-
parer; assurément il y a dans tout cela un miracle.
Telles sont les prophéties et tels sont les faits
relatifs aux Juifs, et de telles données n'est-i!
pas facile au plus faible logicien de tirer une
démonstration morale? Si les Juifs avaient été
entièrement détruits , s'ils avaient été perdus
parmi les autres nations de la terre; si , pendant
l'espace de dix-huit siècles qui se sont écoulés
depuis leur dispersion , ils s'étaient éteints
comme peuple, si même ils avaient été relégués
dans une seule région et s'étaient maintenus a
part^ unis entre eux; si leur histoire avait été ana-
logue à celle de quelque autre nation , on aurait
pu essayer, avec quelque apparence de raison, de
démontrer que la prédiction faite du sort qui les
attendait, quelque d'accord qu'elle fût avec la
vérité , ne pouvait en pareil cas être reçue comme
preuve de la vérité de l'inspiration. — ^ Si seule-
ment l'histoire passée des Juifs et leur état présent
n'étaient pas d'une nature si singulière et si spé-
ciale, qu'ils accomplissent jusqu'à la lettre toutes
les prédictions, quel triomphe ne serait-ce pas
pour rincrédule que de produire ces prophéties
mêmes comme preuve convaincante de la non-in-
spiration divine des saintes Écritures? Et après
que les Juifs ont été dispersés sur toute la terre ,
après qu'il a été prouvé qu'ils existent encore et
forment une race à part, qu'ils ont été dépouillés
de toutes les manières sans être anéantis; après
que les faits les plus merveilleux, tels qu'on ne
peut en citer d'aucun autre peuple, après, disons-
nous, que toute leur histoire contient de tels faits,
faits accomplissant littéralement les prophéties
CH. Vllï. LES JUIFS^ 173
qni les regardent , le croyant ne peut-il pas appeler
son adversaire à produire de semblables faits à
l'appui de sa croyance? — Voilà donc une longue
chaîne d'évidences non interrompues et dont
chaque anneau contient une prophétie et un fait;
et cette chaîne s'étend à travers une multitude de
générations et se continue encore; quoique ces
événements, tout variés et tout singuliers qu'ils
sont, aient été amenés par des moyens et des in-
struments humains et par des causes secondaires,
ils n'en sont pas moins prophétiques et miracu-
leux; car il était aussi impossible que les moyens
fussent prévus qu'il était impossible de prévoir
la fin et les causes d'un événement inscrutable ,
et dans beaucoup de cas ces prophéties ont été
accomplies par les ennemis mêmes du christia-
nisme. Pour celui qui veut un miracle, en voilà
un; et oil saurait-il en trouver un seul plus complet
et plus étonnant? — Quant au chrétien, il peut se
tenir ferme dans cette forteresse du christianisme ;
de tous côtés elle est inabordable et impénétrable.
Les prophéties relatives aux Juifs sont aussi
claires que le récit des événements. Elles sont
aussi anciennes que les annales du monde, et
on n'a jamais prétendu qu'elles n'aient pas été
prononcées avant leur accomplissement. Elles
sont tellement en dehors des spéculations de
la sagesse humaine que la sphère de la nature tout
entière ne présente rien qui leur soit semblable;
et les faits sont visibles, palpables et saisissables
dans toute leur étendue. Aurait-il été possible à
Moïse , homme non inspiré , de décrire l'histoire ,
la destinée , la dispersion , le caractère du peuple
d'Israël jusqu'à ce jour, c'est-à-dire pour plus de
trois mille deux cents ans , puisque lui-même, en
descendant du mont Sinaï oii il avait séjourné
quarante jours, était dans la surprise et l'éton-
17 4 LES JUIFS. Cfl. VIII.
/ieinent, du changement qui s'était opéré dans la
nuiUilude qu'il conduisait? Aurait-il été possible
à différentes personnes, à des époques diverses,
d'annoncer les mêmes faits, qui se sont tiouvés
aussi véritables que surprenants? Auraient-elles
pu divulguer ainsi les secrets de l'avenir, que leur
nature même cachait à leurs yeux? Une infinité de
probabilités s'élèvent contre unetellesupposition,
car l'esprit de l'homme hésite, balance souvent
même devant des événements très près de lui, en
vue des résultats les plus probables; mais dès
qu'il s'agit de siècles éloignés, dès qu'il s'a-
git d'événements qui se rapportent à des milliers
d'années postérieures à son existence , à des faits
qui paraissent contraires à toute science , à toute
expérience, à toutes les idées d'analogie, tout
est voilé et impénétrable devant ses pas.
Repassons en peu de mots chaque fait comme
il se présente devant nous : en est-il un seul
qui ne semble défier nos conjectures et les
calculs de la sagacité la plus profonde? La disper-
sion des Juifs et les circonstances qui l'accompa-
gnaient, la désolation de leurs villes, la destruc-
tion de leur temple , le lieu où il s'élevait labouré
comme un champ , leur pays dévasté , le peuple
passé au fil de l'épée, en proie à la famine et à la
peste, une portion échappant néanmoins, mais
dépouillée, persécutée, rendue esclave et con-
duite en captivité; ces malheureux chassés de
leur propre pays, non pas vers un lieu de retraite,
mais dispersés parmi toutes les nations et aban-
donnés à la merci d'un monde qui partout les
méprisait et les opprimait; brisés comme un
vaisseau naufragé par un violent orage, dis-
persés sur toute la terre comme des débris
sur les eaux , et au lieu de disparaître parmi les
nations ou d'y être mêlés, demeurant encore
CH. Vlll. LES JUIFS.. 175
un peuple parfaitement distinct, le même dans
chaque royaume , ayant les mêmes habitudes ,
les mêmes mœurs, et les mêmes croyances dans
chaque partie du globe, sans avoir d'éphod, de
théraphim ou de sacrifices; rencontrant partout
les mêmes insultes , la même dérision , la même
servitude ; ne trouvant aucun lieu de sûreté d'où
un ennemi ne vînt les déloger; se multipliant
malgré leurs misères, survivant à leurs ennemis,
voyant, sans en être atteints, la fin de plusieurs
nations et le bouleversement de toutes; se voyant
enlever leur argent et leur or et y tenant ton*
jours; souvent privés même de leurs enfants;
séparés et désorganisés, mais toujours les mê-
mes; ne changeant jamais, toujours froissés,
mais jamais brisés; faibles, craintifs, tristes et
affligés ; perdant la raison au spectacle de leurs
propres misères, devenant un mot d'opprobre
dans la bouche de tous; en but à la moquerie, aux
insultes de chaque peuple ; et leur nom continuant
à être ce qu'il a toujours été jusqu'à ce jour , une
injure universelle.
Comment un simple mortel, franchissant par la
pensée cent générations successives , aurait-il pu
prédire une de ces merveilles qui frappent au-
jourd'hui tous les yeux? Qui, si ce n'est le Père
des esprits, possédant une prescience parfaite
des volontés et des actions des agents moraux et
intelligents, aurait pu nous montrer à l'avance
les Juifs toujours errants et vagabonds, sans pou-
voir jamais se fixer nulle part, leur étonnante
destinée , leurs sentiments et ceux de leurs en-
nemis dans tous les siècles et sous tous les cli-
mats? Autant vaudrait dire que la création est
l'œuvre d'un aveugle hasard, que de lui attribuer
la révélation de toutes ces choses. Elle ne peut
être qu'un acte et une démonstration palpable
'"^^^ LA JliDEK. Cil. IX.
(lu pouvoir, (1(3 la i)resci(MKM^ do Dieu et d(5 la
\én\é (le sa parole, uueaeeiuuulalioude niiraeles;
et (]uoi(|ue eetr(î iév(3latioii ne loi ine (pTune fai-
ble portion de l'cividenee de la relii^ion ciné-
tienne, elle n'en demeure pas moins comme une
pierre d'aelioppement pour Tincrédulité, ou plu-
t(it comme une insurmontable barrière que tout
l'art des sceptiques ne saurait tourner, que toute
leur puissance ne parviendra jamais à renverser.
CHAPITRE IX.
PROPHÉTIES CONCERNANT LA JUDÉE ET LES
CONTRÉES ADJACENTES.
Non-seulement les prophètes juifs prédirent
quelle devait être la destinée de ce peuple pen-
(îant la durée d'une infinité de générations , dont
les premières ne devaient naître que plusieurs
siècles après l'époque que le scepticisme lui-
même assignerait à leurs prédictions; mais au
temps même où l'abondance régnait dans la Ju-
dée , oil une population innombrable remplissait
ses cités , ils en annoncèrent la longue et épou-
vantable désolation. Le pays lui-même est donc un
témoin irrécusable, non moins que la nation. L'as-
pect de ces contrées, et de nos jours et depuis plu-
sieurs siècles, est précisément celui que décrit la
plume des prophètes, à une époque où chaque trait
qui pouvait admettre un changement était parfai-
tement le contraire de ce qu'il est aujourd'hui. Il
suflit de comparer les prédictions avec les preuves
de leur accomplissement, fournies par les païens
CH. IX. LA JUDÉE. - 177
et par les infidèles eux-mêmes. Il était prédit que
les calamités d'Israël augmenteraient graduelle-
ment avec ses iniquités, qu'il serait châtié « sept
fois à cause de ses péchés^^ » . Et parmi les terribles
châtiments qui devaient remplir la mesure de sa
punition , le plus affreux de tous devait être la
longue désolation de son pays. Les prophéties qui
annonçaient ces grands malheurs ont reçu un ac-
complissement littéral.
«Je réduirai aussi vos villes en désert, je^dé-
« solerai vos sanctuaires, je désolerai ce pays
« tellement que vos ennemis qui s'y établiront
« s'en étonneront; et je vous disperserai parmi
« les nations; je dégainerai l'épée après vous, et
« votre pays sera en désolation , et vos villes en
« désert. Alors cette terre se plaira dans ses sab-
« bats tout le temps gu'elle sera désolée, et lors-
« que vous serez au pays de vos ennemis la terre
« se reposera et se plaira en ses sabbats , et cette
« terre sera abandonnée par eux, et elle se plaira
« dans ses sabbats quand elle aura été désolée à
« cause d'eux* ; et alors la génération à venir dira,
« savoir : vos enfants qui viendront après vous et
« l'étranger qui viendra d'un pays éloigné , quand
« ils verront les plaies de ce pays et ses maladies
« dont l'Eternel l'affligera : Pourquoi l'Eternel a-t-
« il ainsi traité ce pays? quelle est la cause de l'ar-
« deur de cette grande colère? La colère de l'E-
« ternel s'est embrasée contre ce pays pour faire
« venir sur lui toutes les malédictions écrites dans
« ce livre ^. » — « Votre pays n'est que désolation
« et vos villes sont en feu; les étrangers dévore-
« ront en votre présence votre pays , et cette dé-
« solation sera comme une ruine faite par des
« étrangers; et la fille de Sion restera comme une
(99) LéviU, XXVI, 18-21. 24. — (1) Ibid., 31-34, 43.
(2) Deut., XXIV, 22, 24, 27.
8.
^^^ LA JUDÉE. en. IX.
« cabane dans une vigne, comme une loge dans
« un champ de concombres, comme une ville ser-
« rée de près. Si TEternel des armées ne nous eût
«réservé quelque petit reste, nous aurions été
« comme Sodome, et nousserions devenussembla-
« blés à Gomorrhe ^ » — « Car vous serez comme
« un chêne duquel la feuille déchoit, et comme un
« verger qui n'a point d'eau \ » — « Je réduirai ma
« vigne en désert; si plusieurs maisons ne sont
c( réduites en désolation et si les plus grandes et
«plus belles ne sont sans habitants! Même dix
«journaux de vigne ne produiront qu'un bath,
« et la semence d'un homer ne produira qu'un
« épha. Les agneaux paîtront à leur ordinaire et
« les étrangers mangeront les déserts où le bétail
« devenait gras ^. » — « Et je dis : Jusques à quand,
« Seigneur? Et il répondit : Jusqu'à ce que les
« villes et les maisons aient été tellement déso-
« lées qu'il n'y ait aucun homme et que le pays
« soit mis dans une entière désolation , et que l'E-
« ternel ait éloigné les hommes , et que le pays ait
« été longtemps abandonné. Toutefois, il en res-
« tera une dixième partie qui sera de nouveau
« broutée , comme la fermeté des chênes et des
« ormes consiste en ce qu'ils rejettent ^ » — «Car
« le Seigneur, l'Eternel des armées, va faire ve-
« nir la destruction qu'il a résolue au milieu de
« toute la terre \ » — « Et il arrivera en ce jour-là
« que la gloire de Jacob sera diminuée , et que la
« graisse de son corps sera amaigrie , et il en sera
« comme quand le moissonneur cueille les blés et
« moissonne les épis avec son bras; même il en
« arrivera comme quand on ramasse les épis dans
« la vallée des Rephaïns ; mais il en demeurera
« quelques grappillages, comme quand on secoue
(3) Esaïe, I, 7, 9. — (4) Ibid., 30. — (5) Ibid., V, 6, 9, iO, 17.
(6) Ibîd., VI, 11, 13. — (7) Ibid., X, 23.
€H, IX. LAJUDÉE.^ 179
« Tolivier et qu'il reste deux ou trois olives au .
<^ bout des plus hautes branches , et quatre ou
^ cinq au haut des branches fertiles , dit TEter-
« nel, le Dieu d'Israël \ » — «Voici, le Seigneur
^ s'en va rendre le pays vide et l'épuiser, il le fera
^ changer de face, et il dispersera ses habitants;
« le pays sera entièrement vidé et entièrement
«pillé, car l'Eternel a prononcé cet arrêt-là. La
« terre est dans le deuil , elle est déchue , le pays
« a été profané par ses habitants , parcequ'ils ont
« transgressé les lois, ils ont changé les ordonnan-
« ces et ont violé l'alliance éternelle. C'est pour«
« quoi l'imprécation du serment a dévoré le pays,
« et ses habitants ont été mis en désolation et peu
« de gens y ont demeuré de reste. Le vin excel-
«lent pleure, la vigne languit, tous ceux qui
« avaient le cœur joyeux soupirent , la joie des
« tambours a cessé, le bruit de ceux qui se ré-
« jouissent est fini, la joie de la tente a cessé; on
« ne boira plus de vin avec des chansons, la cer-
« voise sera amère a ceux qui la boivent; la ville
<x de la confusion a été minée , toute maison est
« fermée tellement que nul n'y entre. Il y aura
« des cris dans les places, parceque le vin man-
<f quera; toute la joie est tournée en obscurité;
« l'allégresse du pays s'en est allée , car il arri-
« vera au milieu du pays et parmi les peuples
« comme quand on secoue l'olivier et quand on
« grappille après avoir achevé de vendanger ^ » —
<« Car la ville forte sera désolée, la maison de plai-
« sance sera abandonnée et quittée comme un dé-
« sert. Le veau y paîtra et y gîtera, et broutera les
« branches quiy seront; quand son branchage sera
« sec il sera brisé, et les flammes y venant en allu-
« nieront du feu , car ce peuple n'a point d'inte W
(8) Esaïe, XVII, /i-6. -- (9) Ibid., XXÏV, 1, 3-11, 13-
180 LA JIIDKE. CH. IX.
w ligeiice *^ )> — (^ l onimcs qui eles à votre aise,
« levez-vous : clans un an et queUfues jours, vous
u qui el es assuîés, vous serez troul)lés, car laven-
c( danjje nuuHjuera et on ne fera point de récolte.
« Vous qui êtes a votre aise , tremblez; vous qui
c( vous tenez assurés, soyez troublés; dépouillez-
(( vous, quittez vos habits pour vous ceindre les
(( reins; frappez-vous la poitrine a cause de vos
« belles campagnes et de vos vignes fertiles. Les
« épines et les ronces monteront sur la terre de
« mon peuple même, et en toutes les maisons de
« plaisir et sur la ville qui est dans la joie, car le
« palais va être renversé, la multitude de la ville
« va être abandonnée, les lieux élevés du pays et
<c les forteresses seront autant de cavernes à ja-
« mais; ce sera là que se joueront les ânes sau-
« vages et que paîtront les troupeaux jusqu'à ce
« que l'esprit soit répandu d'en haut sur nous et
« que le désert devienne un Carmel, et que Car-
« mel soit réputé comme une forêt ". » — «Les
« chemins ont été réduits en désolation ; les pas-
ce sants ne passent plus parles sentiers ; il a rompu
« l'alliance , il a rejeté les villes , il n'a fait aucun
« cas des hommes; le pays est dans les pleurs et
« languit; le Liban est confus et coupé. Saron est
« devenu comme une lande et Bascan et Carmel
« ont été secoués *^ » — « Une ruine est appelée
« par une autre, car toute la terre est détruite.
« J'ai regardé et voici, Carmel est un désert, et
« toutes ses villes ont été ruinées à cause de la
'c présence de l'Eternel , car ainsi a dit l'Eternel :
c( Toute la terre ne sera que désolation , toutefois
« je ne la détruirai pas entièrement; c'est pour-
« quoi la terre sera dans le deuil, parceque je Tai
c( prononcé, je l'ai pensé et je ne m'en repentirai
(10) Esaïe, XXVII, 10, 11, — (11) Ibid., XXXII, 9, 10-15.
(12) Ibid., XXXfti, 8, 9.
CH. IX. LA JUDEE. ^ Ï81
« point *\ » — «Jusqu'à quand la terre sera-t-elle
« dans le deuil et l'herbe de tous les champs sè-^
« chera-t-elle à cause de la malice des habitants?
« J'ai abandonné ma maison , j'ai quitté mon hé-
« ritage. Plusieurs bergers ont gâté ma vigne ^ ils
« ont foulé mon partage et ils ont réduit mon par-
« tage désirable en une solitude déserte. On l'a
« réduit en désolation , il est tout désolation et en
« deuil devant moi. Toute la terre a été réduite
« en désolation , parcequ'il n'y a personne qui
« pense à elle. Les destructeurs sont venus sur
« tous les lieux élevés du désert , il n'y a point de
« paix pour qui que cela soit. Ils ont semé du fro-
« ment et ils moissonneront des épines. Ils se sont
« donné de lapeine et ils n'y profiteront rien; vous
« serez frustrés de vos revenus par l'ardeur delà
« colère de l'Eternel *\ » — « Vous^ montagnes
« d'Israël, écoutez la parole du Seigneur l'Eter-
« nel aux montagnes et aux coteaux , aux cours
« des rivières et aux vallées : Me voici , moi 5 je
« vais faire venir l'épée sur vous et je détruirai
« ces hauts lieux; les villes seront désertes et les
« hauts lieux seront désolés dans toutes vos de-
« meures , en sorte que vos autels seront rendus
« déserts et désolés. J'étendrai donc ma main sur
« eux et je rendrai leur pays désolé et désert dans
« toutes leurs demeures plus que le désert qui
« est vers Dibla*^. » — «Et je ferai venir les plus
« méchantes des nations qui posséderont leurs
« maisons 5 et je ferai cesser l'orgueil des puis-
« sants, et leurs saints lieux seront profanés, et tu
« diras au peuple du pays : Ainsi a dit le Seigneur
« TEteTnel touchant les habitants de Jérusalem
« qui sont au pays d'Israël : Ils mangeront leur
« pain avec chagrin et boiront leur eau avec étonne-
« ment, parceque le pays sera désolé, étantprivé
(13) Jérémie, IV, 20, 26-28. -- (14) Ibid., XII, 4, 7, 10-13.
(15) Ezéchiel, VI, 3, 6, 14.
182 LA JUDÉE. CH. IX.
« de son abondance à cause de l'iniquité de
« tous ceux qui l'habitent. Quiconque passera au-
« près d'elle sera étonné *^ » — ((Ecoulez ceci, tous
« les habitants du pays, une telle chose a-t-elle
(ï été faite deVotre temps, ou même du temps de
« vos pères? Faites-en le récit à vos enfants et
« vos enfants à leurs enfants, et leurs enfants à
« une autre génération. La sauterelle a brouté le
« reste du hanneton, et le grillon a brouté le reste
« de la sauterelle, et le vermisseau a brouté le
« reste du grillon. Les champs sont ravagés et la
« terre en gémit; la joie a cessé parmi les hom-
« mes. Et je vous rendrai le fruit des années que
« la sauterelle , le grillon , le vermisseau et le
« hanneton avaient broutés , et mon peuple ne
« sera plus jamais confus*^» — «La ville de la-
« quelle il en sortait mille n'en aura.de reste que
(( cent, et celle de laquelle il en sortait cent n'en
« aura de reste que dix. Ne cherche point Bé-^
(( thel, car Bethel sera réduite à rien *^ » — « Je
« vais mettre le niveau au milieu de mon peuple
« Israël et je ne lui en passerai plus, et les saints
c< lieux d'Isaac seront désolés , et les sanctuaires
« d'Israël seront détruits '^. » — «Je réduirai Sa-
« marie comme en un monceau de pierres qu'on
« fait dans les champs oii l'on plante des vignes,
« et je ferai rouler ces pierres dans la vallée et je
« découvrirai ses fondements ^^. »
Quelque claires , quelque nombreuses que
fussent ces menaces, cependant, loin de produire
la repentance et l'humilité , l'incrédulité des Juifs
fut telle qu'ils se moquèrent de la longue attente
de leur Dieu, et ces paroles étaient passées en pro-
verbe dans leur pays : « Les jours seront prolongés
(16) Ezéchiel, VII, 24; XII, 4 9. — Jérém., XIX, 8.
(17) Joël, I, 2-4, 10, 12; II, 25, 26. — (18) Araos, V, 3, 5.
(19) Amos, VII, 8, 9. — (20) Michée, I, 6.
CH, IX. LA JUDÉE. ^ 183
et toute Yision périra^'. » Ce proverbe , ainsi qu'il
avait été prédit , cessa de se faire entendre lorsque
de grandes calamités vinrent fondre sur eux ;
mais les malédictions prononcées contre eux ne
furent pas effacées par un accomplissement par-
tiel et passager; au contraire, dès que le peuple
recommença ses iniquités, elles retombèrent sur
sa tête selon qu'il lui était prédit, avec une sé-
vérité sept fois plus terrible.
Ce fut dans le but spécial de décider leur choix
que Moïse et tous les prophètes annoncèrent tout
à la fois aux Juifs des bénédictions et des malédic-
tions. Hélas! toute l'histoire du peuple d'Israël
prouve que tous leurs avertissements ne rencon-
trèrent que du mépris ; mais la parole de Dieu de-
meure : «Ma parole, dit-il, ne retournera point à
« moi sans effet, mais elle fera ce que j'aurai or-
« donné, et aura son effet dans les choses pour les-
c( quelles je l'aurai envoyée ^'. « Ainsi, après que les
statuts et les jugements de l'Eternel eurent été mis
devant les Israelites pendant l'espace de mille ans,
« la parole de l'Eternel par la bouche de Mala-
« chie,» au lieu déparier de jugements révoqués,
termine par la déclaration suivante : « Souvenez-
c( vous de la loi de Moïse , mon serviteur, auquel
« je donnai en Horeb des statuts et desordonnan-
« ces pour tout Israël '\ » Toutes ces prophéties
démontrent clairement que, quelque long que fût
le support de Dieu envers les Juifs, pour leurs
transgressions, cependant, lorsqu'ils refuseraient
de se repentir quand « le prophète » qui devait
être « le messager de l'Eternel » serait venu,
alors l'Eternel viendrait frapper la terre « à la
« façon de l'interdit *^ >>
Le temps de la durée de ces jugements et ce-
(21) Ezéchiel, XII, 22-25. — (22) Esaïe, LV, il.
(23) Malachie, IV, 4. — {U) Ibid., 5-6.
iHi LA JUDEE. CH, IX.
lui de leur entier aeeuniplissenjent est elairement
indiqué conune devant se prolon^^er autant que la
dispersion des Juifs et se terminer à leur restau-
ration linale. Tant qu'ils resteront dans le pays
des ennemis, leur terre restera désolée. I.a ma-
lédiction ne doit pas être ôtée « jusqu'à ee que
« l'esprit soit répandu d'en haut et que le désert
« devienne un CarmeP". »
Ces prophéties ne se bornent pas non plus à dé-
peindre la Judée abandonnée parle Seigneur et
donnée à ses ennemis; mais elles décrivent le ca-
ractère et la condition de ceux qui y habiteront
pendant la dispersion et l'exil de ses anciens pos-
sesseurs jusqu'au temps où « l'Eternel régnera à
« Jérusalem et oîi il sera glorieux en présence de
t< ses anciens^^ » Les promesses d'une restauration
finale accompagnent presque toujours les malédic-
tions prononcées contre le peuple , et dans toutes
les prophéties on trouve clairement annoncé que
le temps doit venir où les enfants d'Israël seront
rassemblés d'entre les nations, où les villes qui ont
été « désertes d'âge en âge » seront rebâties, où les
montagnes d'Israël, si longtemps « désolées, « ne
le seront plus, et où l'on ne parlera plus de la
« nation délaissée ^^ » Il était prédit par Daniel :
« Le Christ sera retranché, et le sacrifice et l'obla-
« tion cesseront. Et alors la désolation fondra sur le
« désolé ^^ » Et Jésus-Christ lui-même déclare que
Jérusalem sera foulée par les nations (gentils),
jusqu'à ce que les temps des nations soient ac-
complis ^^.
Ni la dispersion des Juifs , ni la désolation de la
Judée ne doivent donc cesser, selon qu'il a été
(25) Esaïe, XXXII, 15. — (26) Ibid., XXIV, 1, 23.
(27) Ibid., LXI, 4. — Ezéchiel, XXXVI, 8, 10; XXXVII, 21 ;
XXXVIII, 8. — Esaïe, LXII, 4.
(28) Daniel , IX, 26, 27. — (29) Luc, XXI, 24.
CH. IX. LA JUDÉE. 185
prédit, jusqu'à ce que, par cet événement, une
nouvelle évidence ne soit donnée à la vérité de
Tinspiration propliétique. Il s'en suit que les pro-
phéties concernant la désolation de la Judée s'ap-
pliquent aux temps modernes. Et plus ces pré-
dictions sont nombreuses, plusl'épreuveàlaquelle
on les soumet est sévère. Et aussi longtemps que
les Juifs ne seront pas ramenés de leur captivité ,
qu'ils ne seront pas « plantés sur leur terre pour
« n'en être plus arrachés ^^; » aussi longtemps que
ceux c( qui Font réduite en désert ne seront
« pas sortis du milieu d'elle"*; » aussi longtemps
que « les lieux déserts depuis longtemps » ne se-
ront pas « rebâtis » ; aussi longtemps que les « fon-
ce dements abandonnés depuis plusieurs généra-
« tions ne seront pas rétablis ^^ » ; aussi longtemps
que la désolation du pays n'aura point cessé,
l'effet de toutes ces prophéties sera visible;
de sorte que , de nos jours encore , il existe par-
tout d'abondantes preuves que tout ce qui avait
été déterminé a été accompli, et que « toutes
« les malédictions écrites dans le livre du Sei-
« gneur ont été répandues sur ce pays ^% «
La désolation de la Judée est tellement éton-
nante , et la pauvreté de cette contrée si remar-
quable, qu'oubliant toutes les prophéties qui s'y
rapportent, les incrédules ont tiré de ce fait
même un argument contre la vérité du christia-
nisme. Ils tournent en ridicule l'existence d'une
population aussi nombreuse que celle dont parle
l'histoire sainte, dans ce pays si singulièrement
aride et si peu susceptible de culture '\ Ils ont,
(30) Amos, IX, 14, 15. — (31) Esaïe, XLIX, 17.
(32) Esaïe, LVIII, 12. ■— (33) Deut., XXIX, 27.
(34) Sans citer d'autorité à l'appui de ses assertions, et sans nous
apprendre si, à défaut de preuves, il était doué d'en haut de la
connaissance de l'histoire et de la géographie, Voltaire parle de
186 LA JUDÉE. CH. IX.
dans plus d'un cas, abandonné d'enx-niêmes cette
objection insoutenable; ils ont rendu un témoi-
gnaf^e non suspect de la vérité des prophéties et ont
servi à établir la cause qu'ils cherchaient à dé-
truire. Les ouvrages des écrivains de l'antiquité,
la richesse naturelle du sol , les restes de terre
végétale que Ton trouve jetés par des moyens
artificiels sur le flanc des montagnes et qui les
couvraient des récoltes les plus riches, et enfin
la multitude de villes en ruines disséminées dans
les plaines maintenant incultes et désertes, at-
testent qu'autrefois il y avait dans ces mêmes lieux
une population immense et florissante, et que si
l'histoire parle de la grandeur de ce pays, si les
prophéties en annoncent la désolation , l'histoire
et les prophéties ont été également veridiques.
Les aveux de Volney et la description qu'il fait
Tancienne Palestine en termes de mépris, et la décrit comme un
des plus mauvais pays de TAsie ; il la compare à la Suisse et prétend
qu'on ne peut la considérer coinme fertile que par rapport au dé-
sert, a La Palestine n'était que ce qu'elle est aujourd'hui, un des
plus mauvais pays de l'Asie. Cette petite province, etc. (OEuvres de
Voltaire, t. XXVII, p. 107). » Sans opposer à ce passage l'autorité
de Josèphe et de Jérôme, tous deux habitants de la Judée, et meilleurs
juges du fait que Voltaire, nous renvoyons le lecteur au récit sui-
vant qui n'est pas entaché de la partialité que Ton remarque chez
les écrivains juifs ou chrétiens. Nous serions surpris, disons-le en
passant, que Voltaire n'eût pas mieux apprécié ce passage, si nous
ne nous rappelions que le grand-prêtre de L'incrédulité moderne avait
pris l'habitude de sacrifier la vérité sur l'autel du sarcasme.
« Corpora hominum salubria et ferentia labor um ; rari imbres,
uber solum, fruges nostrum ad morem ; praeterque eas balsamum
et palmae. Magna pars Judœae vicis dispergitur : habent et oppida.
Hierolyma genti caput. Illic immensae opulentiœ templum, et pri-
mis munimentis urbs (Taciti Hist,, 1, V, c. vi-viii) » — « Ultima
Syria est Paleslina, per interval la magna protenta, cultis abundans
terris et nitidis, et civitates habens quasdam egregias, nullam sibi
cedentem, sed sibi vicissim velut ad perpendiculum aemulas ( Am-
mianus Marcellinus , 1. XIV, c. vui, §41). » — « Nec sane viris,
oppidis, armis quicquam copiosius Syria (FioriHist., 1, II, c. viii,
% Â). » — «Syria in hortis operosissima est, indeque proverbium
Graecis : Multa Syrorum olera (Plinii Hist, nat,^ 1. XX, c. v). »
CH.IX. LA JUDÉE. 187
d'après ses observations personnelles , suffisent
seuls pour détruire les fausses données et les
sarcasmes dédaigneux de Voltaire; et tout éton-
nant que cela peut paraître, ce même écrivain.^
par son témoignage involontaire sur les faits dont
il a été lui-même témoin, rend un aussi grand
service au christianisme qu'il lui a fait de tort
par ses vaines théories et par ses vues erronées
sur sa nature et sur son influence.
On ne saurait en effet trouver un témoignage
plus fort 5 pour confirmer la vérité des pro-
phéties, que celui que rend Volney lui-même,
renversant ainsi par des faits ses propres doc-
trines. Au sujet de la fertilité naturelle du sol
et de son ancienne population, il dit : «La Syrie
réunit sous un même sol des climats différents,
sauces que la nature a dispersées ailleurs à de
grandes distances de temps et de lieux. A cet
avantage qui perpétue les jouissances par leur
succession , la Syrie en joint un second , celui
de les multiplier par la variété de ses produc-
tions ; avec ces avantages nombreux de climat et
de sol , il n'est pas étonnant que la Syrie ait
passé de tout temps pour un pays délicieux, et
que les Grecs et les Romains l'aient mise au rang
de leurs plus belles provinces, à l'égal même de
l'Egypte '^ » Après avoir donné plusieurs rai-
sons justes et suffisantes qui rendent probable
la grande population de la Judée dans les temps
reculés , il ajoute : « En n'admettant que l'état
conforme à l'expérience et à la nature, rien ne
prouve contre les grandes populations d'une cer-
taine antiquité ; sans parler du témoignage po-
sitif de l'histoire, il est une foule de monuments
(35) Volney, 1. 1, c, xx, § 8.
188 LA JiiDÉi:. ni. IX.
qui déposeiil en leur faveur. Telles sont les ruines
innoinlnahles semées dans des plaines et même
dans des montagnes aujourd'hui désertes. On
trouve aux lieux écartés du Carmel des vignes
et des oliviers sauvages qui n'y ont été portés
que par la main des hommes^ et dans le J.iban
des Druses et des Maronites les rochers aban-
donnés aux sapins et aux broussailles offrent en
mille endroits des terrasses qui attestent une
ancienne culture et par conséquent une popula-
tion encore plus forte que de nos jours ^^
La Syrie 5 dit Gibbon, un des pays qui jouirent
les premiers des avantages de la culture , n'était
pas indigne d'obtenir cette préférence. La chaleur
du climat est tempérée par le voisinage de la
mer et des montagnes et par l'abondance de bois
et d'eau ; et les productions d'un sol fertile four-
nissent à la subsistance et encouragent l'accrois-
sement des hommes et des animaux. Depuis le
temps de David jusqu'à celui d'Héraclius, toute
cette contrée était couverte de villes anciennes
et florissantes; leurs habitants étaient nombreux
et riches. — Ce témoignage n'est rapporté ici
que parcequ'il est non équivoque ; mais on pour-
rait encore en produire beaucoup d'autres. Le
pays environnant Jérusalem même est à la vé-
rité rocailleux 5 comme Strabon le représente , et
maintenant il est complètement stérile; mais
on était parvenu à rendre fertiles les montagnes
les plus arides des environs de Jérusalem en les
coupant en terrasses élevées par degrés les unes
au-dessus des autres, et en y entassant de la terre
par un travail étonnant^^ «Dans toutes les parties
de la Judée , ajoute Clarke, les bons effets d'un
(36) Volney, t. II, c. xxxiii,
(37) Voyages de Clarke, vol. II, p. 520. — Le général Straton re-
présente ces terrasses comme ressemblant aux gradins d'un théâtre ,
CH. IX. LA JUDÉE. 189
changement d'administration sont bientôt visi-
bies/car les plaines arides prennent aussitôt un
air de fertilité. Sous un gouvernement sage et
paternel, les productions de la Terre Sainte se-
raient incalculables. Ses abondantes récoltes, la
salubrité de son air, la pureté de ses eaux , ses
rivières, ses lacs, ses belles plaines, toutes ces
choses, ajoutées à la douceurdu climat, indiquent
bien que c'était ici la terre que le Seigneur avait
bénie ^\ »
Mais ce fait de l'ancienne fertilité de la Ju-
dée, aussi bien que celui de sa désolation ac-
tuelle , sont si bien établis qu'il n'y a plus lieu
à les discuter ; et en essayant de faire douter à
cet égard de la vérité de l'histoire sainte, les in-
crédules ont fait choix d'un terrain qu'ils ont été
obligés d'abandonner, et toutes leurs déclamations
n'ont servi qu'à prouver, avec leur incrédulité,
leur insigne mauvaise foi. En terminant donc
sur ce sujet, on peut ajouter que l'étendue et la
durée de cette désolation , sur laquelle ils se fon-
dent pour rejeter la description biblique de l'an-
cienne gloire de la Judée, ayant été clairement
prédites, plus il est difficile d'accorder ce qui
était avec ce qui est, plus les prophéties qui
l'ont révélée sont étonnantes, et plus il est visible
qu'elles ne sont que la voix du ciel; et les argu-
ments de l'incrédule conduisent à une conclusion
qui tourne contre lui. Tel est le témoignage po-
sitif de l'histoire; telles sont les preuves pa-
tentes de l'ancienne grandeur et de l'ancienne
fertilité de la Palestine ; et maintenant nous
pouvons examiner avec calme le changement
complet qui s'est opéré dans ce pays, et la con-
et les considère précisément comme des restes et les preuves du
luxe de Tancien temps.
(38) Clarke, vol. II, p. 521.
190 LA JUDÉE. eu. IX.
foiniilé qui existe entre ce chan^^enient et les
paroles de la prophétie.
Il y a tout lieu de croire que sous un {gouverne-
ment réf^ulier et solidement élahli, un pays si fa-
vorisé par son climat, si divers dans sa surface,
d'un sol si riche et si productif, aurait pu réel-
lement retrouver son ancienne opulence et sa
puissance; sa constante et continuelle désolation
est donc contraire également à tous les calculs
derexpérience et de la raison, et paraît inconce-
vable à l'homme. « Mais le pays avait été désolé
« par des étrangers. Malheur devait venir sur
« malheur, une ruine être appelée par une autre
« ruine: car toute la terre devait être détruite. »
Les Chaldéens dévastèrent la Judée, et tous ses
habitants furent menés en captivité : les rois de
Syrie et d'Egypte ruinèrent ce pays par leurs ex-
torsions et leur oppression continuelle : longtemps
il fut soumis au joug de fer des Romains, et les
Perses essayèrent de s'en rendre maîtres; mais
quelque temps plus tard, des ennemis plus ter-
ribles encore parurent sur la scène et mirent le
comble à cette œuvre de destruction. « L'an 622
( 636 ) les tribus de l'Arabie rassemblées sous
l'étendard de Mahomet vinrent s'en emparer ou
plutôt la dévaster. Depuis ce temps , déchirée
par les guerres civiles des Fatimites et des Om-
miades, soustraite aux califes par leurs lieutenants
rebelles , ravie à ceux-ci par les milices turko-
manes, disputée par les Européens divisés, re-
prise par les Mamelucks d'Egypte et ravagée par
Tamerlan et ses Tartares, elle est enfin restée
aux mains des Turcs Ottomans ^^ « Elle a été dé-
« voréepar des étrangers, foulée par les nations;
« malheur est venu sur malheur. »
(39) Volney, c. xxji, p. 350.
CH. IX. LA JUDÉE. 191
« Les villes seront désertes ; » d'après le témoi-
gnage unanime des voyageurs, on peut appeler la
Judée un vaste champ de ruines. Sur toute l'é-
tendue de la Syrie, des colonnes, des monuments
d'une magnificence passée, sont ensevelis sous
des ruines et des décombres '\ Du sommet du
mont Tliabor on contemple une immense éten-
due de plaines entrecoupées de hameaux , de
forteresses et de monceaux de ruines. Les édi-
fices élevés sur cette montagne furent détruits
par le sultan d'Egypte en 1250, et les nombreux
restes des forts et des ruines ne sont plus qu'une
triste masse de désolation ^*. Des monceaux de
décombres sont tout ce qui reste des anciennes
et célèbres villes de Capharnaûm, de Bethsaïde,
de Gadara, de Zanthée et de Chorazin''.
On peut encore voir quelques vestiges d'Em-
maiis. Cana n'est qu'un tout petit village. — Les
murs de Tékoa ne présentent plus que les fonde-
ments de quelques grands édifices ^\ — La ville
de Naïn n'est plus qu'un hameau. — Les ruines de
l'ancienne Sapphura prouvent l'existence d'une
ville autrefois considérable, et son nom se re-
trouve encore dans celui d'un misérable village
appelé Séphoury '\ — Lourd , anciennement
Lydde, et Diospolis ressemblent à des lieux récem-
ment dévastés par le feu ou par l'épée, et ne sont
plus qu'un amas de débris et de décombres ^^
— Ramla, autrefois Arimathée, est presque aussi
délabrée; on ne trouve que décombres dans toute
son enceinte. Dans tous les pays environnants,
on rencontre à chaque pas des puits sèches, des
(40) Voyages de Mariti , vol. II, p. 14i.
(41) Buckingham, p. 109. — Mariti,
(42) Ibid. — Voyages de Wilson, p, 221.
(43) Voyage à Constantinople, par Macmichael, p. 156.
f44) Clarke, vol. II, p. 401. — (45) Volaey.
192 LA JUDÉE. eu. lï,
citernes crevassées et de f^^raiids réservoirs voûtés^
qui prouvent qne jadis cette ville devait avoir au
moins une lieue et demie de eirconférence*\ —
Césarée ne peut plus exciter l'envie d'un concjue-
rant; il y a longtemps qu'elle ne connaît que le si-
lence de la désolation *^ — La ville de Tibériade
est maintenant presque abandonnée, et sa subsis-
tance est précaire. Jl ne reste plus de traces des
villes qui autrefois entouraient le lac^^. — Zabulon ,
jadis la rivale de Tyr etde Sidon, n'est qu'un mon-
ceau de ruines. — Quelques pierres sans forme, in-
dignes de l'attention d'un voyageur, indiquent le
site de la Saffra^^ — Les ruines de Jéricho, ne cou-
vrant pas moins d'un mille carré, sont environnées
d'une désolation complète, et tout a l'entour de
cette ville abandonnée on ne pourrait trouver un
arbre de quelque espèce que soit, et à peine le
moindre indice de verdure ^^. — On ne rencontre
point de traces de Bethel; les ruines de Sarepta
et de plusieurs grandes villes de son voisinage
ne sont plus que des monceaux de décombres ;
et on ne les reconnaît comme ayant été des em-
placements de villes que par les tas de pierres et
les fragments de colonnes ^V; mais à Djerash (Ge-
rasa, à ce que l'on suppose) on retrouve encore les
restes d'une ville magnifique, la forme des rues ja-
dis entourées d'une double colonade et couvertes
de pavés encore presque entiers, sur lesquels on
distingue les traces des roues; de chaque côté
un trottoir élevé, deux théâtres, deux grands
temples construits en marbre et d'autres d'une
architecture inférieure , des bains, des ponts , un
cimetière contenant beaucoup de monuments qui
(hQ) Volney. «— (M) Light, p. 20/». —Buckingham, p. 126.
fAS; Ibid. — (li9) Mariti, vol. II, p. 158, 169.
(50; Buckingham, p. 300.
(5J j Voyages des capitaines Irby et Mougles, p. 199.
VM.n. LA XUDÉE. 193
environnait la ville, un arc de triomphe, une
grande fontaine, un tombeau pittoresque garni de
colonnes, un aqueduc, et plus de deux cent trente
colonnes encore debout au milieu des ruines dé-
sertes delà ville qu'elles devaient embellir, tout
cela réuni présente à l'œil du voyageur, à ce que
disent ceux qui sont à même de faire la comparai-
son, une masse de ruines qui l'emportent en ma-
gnificence sur celles de Palmyre si vantées^^
Ah ! que les prédictions qui annoncent cette
désolation sont merveilleusement accomplies ,
lorsque partout on ne trouve que des ruines, là où
florissaient autrefois ]es belles villes de la Judée:
lorsqu'on voit cette multitude de villes entourées
d'assez de vestiges pour en montrer le nombre ,
mais sans le moindre signe qui en indique le
nom ! « Votre peuple sera en désolation , et vos
« villes en désert. Alors cette terre se plaira dans
« ses sabbats tout le temps qu'elle sera désolée:
« lorsque vous serez au pays de vos ennemis , la
« terre se reposera et se plaira en ses sabbats ^^) .
Il suffit de jeter un coup d'œil sur la loi mo-
saïque et sur ce qui regarde le sabbat, pour
comprendre toute la portée de cette prédic-
tion. « En la septième année il y aura un sabbat
« de repos pour la terre ; ce sera un sabbat à l'E-
« ternel. Tu ne sèmeras point ton champ et tu
« ne tailleras point ta vigne ^^ » ; c'est ainsi que
(52) Voyages deliby et Mangles, p. 317-318.
C'est en {1806 que Scetzen découvrit pour la première fois
les ruines de Djerasb. Parmi les personnes qui les ont visitées
depuis se trouvent Sheikh Ibrahim (Burckhardt), sir William
Chalterton, M. Bankes, le capitaine Irby, le capitaine Mangles,
M. Leigh c. M. Leslie et M. Buckingham. Burckhardt et Buckin-
gham nous eu ont Pun et l'autre laissé une description. Plusieurs
d'entre ses édifices furent bûtis longtemps après l'époque de la
prophétie. II paraît qu'ils ne devaient pas, pour cela, échapper
ù la sentence de désolation prononcée contre la ville entière.
(53) Lév., XXVI, 33-3/i. — (54) n)id., XXV, 4.
9
I9i I A JUDÉE. CH. IX.
la terre de Judée a joui de ses sabbats pendaul
tout le teuips qu'elle a été désolée. I.à ou eliaque
pouce de terraiu était cultivé comme nu jardin par
le possesseur, là où chaque petite colline rap-
portait des fruits en abondance, là oii chaque en-
droit escarpé était rendu fertile par le pénible tra-
vail deThomme, là où les rochers même cessaient
d'être arides, à force de peines et d'efforts, dans ce
même pays, sous le même climat "^, avec le même
sol , on ne voit depuis de longs siècles que des
plaines sans culture et une désolation universelle.
Jamais, depuis que les descendants d'Abraham
ont dû quitter leur patrie, jamais depuis leur ex-
pulsion de leur terre natale, cette terre n'a été
si fertile ni si peuplée ; elle a semblé se refuser
constamment à devenir la propriété d'un autre
peuple. Elle s'est reposée de siècle en siècle,
et tant que cette race dispersée, réprouvée, mau-
dite , possédant cependant la promesse de Dieu ,
et la conservant comme le gage de sa restaura-
tion finale, « tant que ce peuple restera au pays
« de ses ennemis, la terre se reposera )). On
pourrait presque dire qu'il semble exister une
sympathie secrète entre ce peuple exilé et son
pays abandonné ; comme si la terre d'Israël
gémissait sur les malheurs de ses enfants, atten-
dait leur retour , et répondait de son côté à leur
invincible attachement, en se refusant à donnei*
à ses possesseurs actuels ces riches récoltes qui,
du temps de leur soumissisn au Très-Haut, étaient
la marque spéciale et particulière de la bénédic-
tion qu'il répandait sur eux. Et quelque frappant
que soit ce parfait accord entre le sort des Juifs et
l'état delà Judée àl en existe un non moins remar-
quable entre ce sort et les prédictions faites par
(55) Voyez le Journal philosophique de Brewster, n° 16, p. 227.
CH. IX. LA JLDÉE. 195
la bouche de Moïse ^ avant que les liibus d'Israël
eussent mis leur pied sur la terre de Glianaan :
« Et lorsque vous serez au pays de vos ennemis ^
« la terre se reposera et se plaira en ses sabbats » .
Tous les voyageurs se trouvent d'accord en
parlant de la désolation de la Judée. La malé-
diction prophétique s'adressait aux montagnes
et aux collines^ aux rivières et aux vallées,
et leur beauté a été flétrie. Là où les habitants
vivaient en paix, chacun à l'ombre de sa vigne
et de son figuier , la tyrannie des Turcs et les
continuelles incursions de leurs anciens oppres-
seurs, les Arabes, ont laissé une désolation pres-
que universelle. La plaine d'Esdraelon, naturel-
lement si fertile, dont le sol consistait en « une
« terre riche et grasse « , unie comme un lac, sauf
aU centre où s'élevait le mont Ephraïm , bornée
par le mont Hermon , le Carmel et le Thabor^%
dont l'étendue occupait plus de trois cent milles
carrés, n'est plus maintenant qu'une vaste soli
tude^^ Toute cette contrée est entièrement dé-
serte ^^ La vallée de Saron n'estplus qu'un désert.
Il n'existe plus aucun vestige de culture dans la
vallée de Chanaan, autrefois si belle, si délicieuse,
si fertile ^^. Des tribus infidèles parcourent con-
stamment le pays dans tous les sens; les Arabes
nourrissent leurs bestiaux du produit spontané
de ces riches plaines ^^. On y a détruit toutes les
anciennes bornes. Il n'y existe aucune loi. La vie
et les propriétés y sont également sans protection.
Les vallées ne sentent jamais le tranchant de la
charrue , les montagnes ont perdu leur verdure ;
(56) Voyages manuscrits du général Straton.
(57) Clarke, vol. II, p. 497. — Voyages deMaundrell, p. 95.
(58) Burckhardt, p. 334, 342.
(59) Siraton.
(60) Clarke, vol. II, p. 484, 491.
19B LA JUDÉE. Cil. IX.
les rivières arrosent un pays désert et aride;
fout ce que les honiuies [)()uvaient détruire de ce
qui taisait la beauté du Ttiabor, ils l'ont anéanti ;
d'inmienses ruines qui en couvrent la sommité
sont tout ce qui reste d'une cité magnifique,
et le Carmel est la demeure des animaux sau-
vages *^*. « L'art de la culture, dit Volney, est
dans un état déplorable ; il faut que le paysan
sème le fusil à la main, et l'on ne sème qu'autant
qu'il faut pour vivre. Chaque jour je trouvais des
champs abandonnés par la charrue *^^ » En faisant
la description de son voyage en Galilée , Clarke
observe que la terre était couverte d'une telle
variété de chardons que la collection en eût été
précieuse pour l'étude de la botanique ^^ ; lui-
même il en découvrit six nouvelles espèces dans
une petite collection qu'il fut à même de faire.
« Depuis Kanc-Leban jusqu'à Bir 5 ditMaundrel, au
milieu de ruines de villes , le voyageur ne distin-
gue, aussi loin qu'il peut porter ses regards , que
des rochers arides, fles montagnes et des préci-
pices. A cette vue les pèlerins sont frappés d'é-
tonnement, déçus dans leur attente et presque
ébranlés dans leur M^\ » Du haut des élévations
voisines, dans les environs de Jérusalem, on ne
voit qu'un désert sauvage, aride et montagneux;
point de troupeaux sur les sommets, point de forêt
pour en embellir les pentes escarpées; point de
fleuves pour arroser les vallées; rien qu'une scène
triste, mélancolique; une désolation sauvage,
au milieu de laquelle, veuve de son antique gloi-
re, la Judée courbe sa tête abattue ^^ 11 est inu-
(65) LeUres de Joliffe sur la Palestine, vol. I, p. 104.
((M) Marili, vol. II, p. 140.
(62) Volney, Voyages, cli. xxxvii et xxxvm. — Ruines.
(63) Clarke, vol. II, p. 45i.
(6A)Maundrell,p. 169.
M
Cîl. IX. LA KJDÉE. 197
tile de continuer nos citations pour prouver la
désolation d'un pays possédé par des Turcs et dé-
pouillé par des Arabes^ pendant une longue suite
de siècles. Il a été suffisamment démontré que
« la terre a été réduite en désolation^ qu'elle est
« toute désolée et en deuil. »
« Toutefois 5 il en restera une dixième partie,
« qui sera de nouveau broutée ; mais comme la
« fermeté des chênes et des ormes consiste en ce
«qu'ils rejettent 5 ainsi la semence sainte sera
« sa fermeté ^® )) . — Quoique les villes soient dé-
sertes et la terre désolée., si Ton a cessé de culti-
ver le sol 5 ce n'est pas qu'il soit appauvri , et si
la terre se repose depuis tant de siècles, ce n'est
pas que son ancienne fertilité soit diminuée. La
fertilité de la Judée ne provenait pas seulement
de moyens artificiels ou de telle ou telle cause
locale ; dans ce cas , il n'aurait pas été nécessaire
qu'un prophète prédît qu'une fois désolée et
dévastée elle retournerait à sa stérilité première.
Dans tous les temps, la Ph^nicie occupa un rang
bien différent parmi les plus riches contrées de la
terre; ce n'était pas une possession inculte et sté-
rile, ce n'était pas une terre désolée et abandon-
née que Dieu aurait donnée, dans son alliance, à
la semence d'Abraham. La Judée, il est vrai, n'é-
tant plus cultivée comme un jardin, est bien diffé -
rente de ce qu'elle était; tout ce que le génie de
l'homme avait pu imaginer ou exécuter a été dé-
truit par la main de l'homme ; « tous les nombreux
« biens y^ dont elle était enrichie, embellie et bé-
nie, ont disparu comme des feuilles sèches lors-
que leur verdure est flétrie. Dépouillée de son
ancienne splendeur, elle est semblable à un chêne
puissant dont les feuilles sont mortes ; mais elle
(66) Esaïe, VI, 13.
198 LA JUDÉE. CH. iX.
conserve en elle-même la source secrète de sa
ferlilité ; la richesse naturelle du sol est toujours
la même ; « sa fermeté est en elle, pareille au chêne
w ou à l'orme dont la fermeté consiste en ce qu'ils
« rejettent». Et semblable au chêne qui attend,
dépouillé de ses feuilles, la douce chaleur du
printemps pour se revêtir d'un nouveau feuillage,
de même la terre de Judée, jadis si riche et si flo~
rissante , est encore pleine de force et de puis-
sance végétative, et elle est prête a revivre, plus
belle encore que dans le commencement, dès que
le soleil d'en haut daignera luire sur elle et que la
semence sainte lui sera confiée. « La fermeté qui
« est en elle » ne peut être mieux décrite que par
les paroles suivantes d'un des plus grands enne-
mis de la religion : « La terre des plaines est grasse,
légère, et annonce la plus grande fécondité ; — - si
l'art venait au secours de la nature, on pourrait y
rapprocher dans un espace de vingt lieues les pro-
ductions des contrées les plus distantes ^^ » — « La
Galilée, dit Malte-Brun, serait un paradis, si elle
était habitée par un peuple industrieux sous un
gouvernement éclairé. On y voit des plants de vi-
gnes qui ont plus d'un pied et demi de diamètre^^ »
« Et je la livrerai au pillage dans les mains des
« étrangers et en proie aux méchants de la terre,
« et des voleurs y entreront et la profaneront ^^
Au lieu d'être soumise a un gouvernement stable
et éclairé, la Judée a eu constamment à subir de
nouvelles invasions qui y ont introduit et établi
successivement plusieurspeuples étrangers. Lors-
que les Ottomans enlevèrent la Syrie aux Mame-
louks , ils ne la regardèrent que comme la dé-
pouille d'un peuple vaincu. Or, suivant ce prin-
cipe, le vaincu est entièrement à la discrétion du
(67) Volney, vol. I, § 7, 8. — (68) Schulze, dans Pallas, cité par
VlaUe-Bniti, Géog,, v. II, p. 140. — (69) Ezéchiel, VII, 21, 22,
CO. IX. LA JUDÉE. 199
vainqueur; sa vie^ ses biens lui appartiennent. Le
gouvernement est loin de condamner ce système
de vol et de brigandage dont il retire un si grand
profit '^.
« Plusieurs bergers ont gâté ma vigne , ils ont
« foulé mon partage '*.» — Les ravages que com-
met une armée étrangère ne sont ordinairement
que de courte durée; ou, si un conquérant prend
possession du pays qu'il a vaincu, il s'y établit,
le cultive et le protège. C'est le propre d'un gou-
vernement sage de protéger les personnes et les
propriétés. Il n'en a jamais été ainsi de la Judée;
car, outre les nouvelles invasions qu'il lui a fallu
constamment subir, et outre le système de spo-
liation exercé par son despotique gouvernement,
d'autres causes se sont réunies à celles-ci pour
maintenir cet état de désolation, et pour rendre
inutiles les richesses qu'elle pouvait conserver
en elle-même. Parmi ces causes est le fait que,
littéralement, « elle a été foulée par plusieurs ber-
« gers » . — Volney consacre un chapitre tout
entier à la description de ce qu'il appelle « les
« peuples pasteurs ou errants de la Syrie » , par-
ticulièrement des Arabes Bédouins qui parcourent
constamment la Judée. On peut compter en-
viron 30,000 Turkmans dans le pachalik d'Alep
et celui de Damas ; tous leurs biens consistent en
bestiaux. Dans le même pachalik on estime que
cette peuplade dépasse 20 mille tentes, c'est-
à-dire 120 mille hommes armés. Les Kourdes
passent presque partout pour des brigands ;
comme les Turkmans ils sont pasteurs et vaga-
bonds ^^ . Un troisième peuple errant dans la Syrie
sont les Arabes Bédouins ^^ « Souvent il arrive
que des individus, devenus voleurs pour se sous-
(70) Volney, toI. IL — (71) Jérémie,XII, 10.
(72) Volney, ch, xxiii, § 2. — (73) Ibid., xxiii, § 3.
200 LA JUDÉE. en. IX.
traire aux lois ou à la tyrannie, se réunissent et
forment de petits eamps cjui se maintiennent à
main armée, et deviennent, en se multipliant,
de nouvelles hordes ou de nouvelles tribus.
On peut donc dire que dans les terrains culti-
vables la vie errante n'a pour cause que la dépra
vation du gouvernement; et tout indique que la vie
sédentaire et cultivatrice est celle a laquelle les
hommes sont le plus naturellement portés '\ On
sent qu'un tel pays ne peut avoir qu'une agricul-
ture précaire, et que, sous un régime comme celui
des Turcs, il est plus sûr de vivre errant que la-
boureur sédentaire'^ Les Turkmans, lesKourdes
et les Bédouins n'ont pas de demeures fixes, mais
ils errent sans cesse avec leurs tentes et leurs
troupeaux dans l'étendue restreinte des districts
dont ils se regardent comme les propriétaires.
Les Arabes campent sur toute la frontière de la
Syrie et même dans les plaines de la Palestine ''^
Ainsi, contrairement à leur inclination naturelle,
les paysans sont souvent forcés d'abandonner
leurs demeures fixes, et beaucoup de tribus de
pasteurs sans habitations se partagent le pays par
consentement mutuel, pour ainsi dire , et se le
divisent en districts par une espèce de droit de
propriété qu'elles se sont arrogé. Les Arabes, sub-
divisés à leur tour en différentes peuplades, par-
courent les plaines de la Palestine, et, par leurs
courses interminables, semblent vouloir la fouler
aux pieds. Quel état de choses aurait pu paraître
plus improbable ou moins naturel ! et cependant
en est-il un plus littéralement vrai! et l'effet de
la prédiction pouvait-il être plus frappant ! « Plu-
« sieurs pasteurs ont gâté ma vigne ; ils ont foulé
« mon partage ! »
(74j Volney, ch. xxiii, §3, p. 350. — (75) Ibid., p. 354.
(76) Ibid., ch. xxir, p. 326.
CH. IX. LA JUDÉE. 201
« Vous serez comme un verger qui n'a point
« d'eau ". Jusqu'à quand la terre sera-t-elle dans
« le deuil, et l'herbe de tous les champs sèchera-
« t-elle à cause de la malice de ses habitants ^^? »
Dans les pays chauds , partout où il y a de Feau,
on peut entretenir la végétation dans un travail
perpétuel ^^ et faire succéder sans relâche des
fruits aux fleurs et des fleurs aux fruits. On
trouve par toute la Judée des restes de citernes
ou réservoirs pour l'eau de pluie , et on remarque
encore des traces de canaux au moyen desquels
on arrosait les champs. De ce travail résultait né-
cessairement une prodigieuse fertilité^ sous un
soleil ardent^ la oii il ne fallait qu'un peu d'eau pour
activer la végétation *^^. A fort peu d'exceptions
près, ce travail est maintenant inconnu. La Judée
est un verger qui n'a point d'eau , et l'herbe de
tous les champs est desséchée. « L'on n'y voit
point ces riants tapis d'herbes et de fleurs qu'é-
talent les prairies de la Normandie et de la Flan-
dre 5 ni ces massifs de beaux arbres qui donnent
tant de vie et de richesse aux paysages de la
Bourgogne et de la Bretagne; la terre en Syrie
a presque toujours un aspect poudreux^\ » Toute
la montagne, près de ïibériade, est couverte
d'herbe desséchée ^^ « Peut-être , si la main de
l'homme n'eut ravagé ces campagnes , seraient-
t-elles ombragées de forêts; si donc il arrive
que les produits ne répondent pas à ses moyens,
c'est moins à son état physique qu'à son régime
politique qu'il en faut reporter la cause ^^ »
« Les forteresses seront autant de cavernes
à toujours » . « A chaque pas l'on y rencontre des
(77) Esaïe, I, 30. -— (78) Jérémie, XII, /|. — (79) Volney, vol. II,
p. 381. — (80) Géoî^Taphie de Malte-Biuii, vo). I, p. 15Zi, 4 57.
(8J) Volney, vol. II, p. 330. — (82) Burckhardt, p. 331.
(83) Volney, vol. II, p. 331.
9.
202 LA JUDÉE. eu. IX.
ruines de (ours, de donjons, de ehaleanx avec
des fosses ; ils son! abandonnés « aux chacals ,
« aux hiboux el aux scorpions ))°\
« La ville forte sera désolée, la maison de plai-
es sance sera abandonnée. » — H y a un nombre
prodigieux de ruines dispersées sur les plaines, el
jusque dans les montagnes maintenant désertes °".
« Le veau y paîtra et y gîtera, et broutera les
« branches qui y seront; les troupeaux y paîtront;
«les agneaux paîtront à leur ordinaire; et les
« étrangers mangeront les déserts où le bétail de-
ft venait gras ». — Josèphe, en parlant de la Ga-
lilée dont il était gouverneur, dit : « Elle est pleine
de plantations de toutes sortes d'arbres ; le sol
est universellement riche et fertile, et tout le pays,
sans en excepter la moindre partie, est soigneuse-
ment cultivé par ses habitants : de plus, ajoute- t-il,
les villes sont en grand nombre, et il y a beaucoup
de villages où le sol est si riche et les habitants si
nombreux que la population du moindre d'entre
eux est de plus de 15,000 âmes^^ » Telle était la
Galilée au commencement de Tère chrétienne, plu-
sieurs siècles après cette prophétie. Mais mainte-
nant la plaine d'Esdraelon et toutes les autres
parties de la Galilée qui offrent des pâtures sont
occupées par des tribus arabes, et autour de leurs
tentes grisâtres les moutons et les agneaux dan-
sent au son du cor qui le soir leur fait entendre
le rappel ^^ Le veau se couche et se nourrit
parmi les ruines des villes ; il dévore sans obsta-
cle les branches des arbres ; quelque changé que
soit rétat des habitants , les agneaux paissent à
leur ordinaire , et tandis que la terre est désolée,
(8/i) Volney, ch. xxxi.
(85) Ibid.
(86 JosLphe, De bello judaico, 1, III, ch. m, § 2.
(87) Sciiulze, cité par Malte-Brun, vol, II, p. 148.
CH. IX. LA JUDEE. 203
et que les joyeux de cœur gémissent, eux ils sau-
tent au son des instruments-
II est évident qu'il s'est opéré un changement
complet dans tout ce qui autrefois faisait la beauté
et la gloire de ce pays : à cet égard , les différents
récits des historiens juifs et romains , et toutes les
descriptions des voyageurs s'accordent parfaite-
ment^ même dans les plus petites circonstances.
Josèphe représente le sol de la Galilée comme
tellement riche et fertile, et tellement couvert de
plantations d'arbres, « qu'il semblait inviter les
plus paresseux à le cultiver » . Il décrit les autres
provinces de la Terre-Sainte comme abondantes
en arbres qui portent leur fruit en automne, tant
ceux qu'on cultivait que ceux qui croissaient
sans culture ^^ Tacite raconte que non-seulement
tous les fruits de l'Italie venaient dans le sol fer-
tile de la Judée , mais qu'on y trouvait encore le
palmier et le baumier ; et il parle des précautions
extrêmes avec lesquelles, lorsque la sève était en
circulation, on faisait une incision dans les bran-
ches du baumier , soit avec une coquille ou une
pierre aiguë, parcequ'on n'osait les toucher avec
une lame. On chercherait inutilement aujourd'hui
et cet art et ces soins. Le baumier a disparu du soi
qui l'a longtemps nourri : d'autres plantes plus
robustes ont péri également. Et au lieu de remar-
quer maintenant la culture de tel ou tel arbre
délicat , ou de raconter comment on en extrait
telle ou telle essence médicinale, avec un art que
Tacite trouvait digne de son attention et de ses
éloges 5 la tâche du voyageur se réduit à étudier
les mœurs de ceux qui occupent présentement
ce même territoire. Les oliviers (aux environs
d'Arimathée ) dépérissent de vétusté , par les
(88) Josèphe, De bello judaico, 1. III, ch. m, § 2,
204 LA JUDKIi. eu. iX.
ravages des factions opposées ef môme par des
délils secrets. Les Mamelouks ayant coupé les oli-
viers, pour le plaisir de détruire ou pour se chauf-
fer^ Yafa a perdu la plupart de ses avantages et
de ses agréments ''^ )> — Au lieu donc « de l'abon-
dance d'arbres provenant d'une culture soignée» ,
l'effet des ravages de l'ennemi a été tel que dans
plusieurs parties delà Palestine on ne trouve pas
même de Ijois k brûler. Cependant cette destruc-
tion, son progrès et son étendue accomplissent
littéralement les paroles de la prophétie, qui non-
seulement déclare que les villes désertes de la
Judée deviendront des lieux oîi les troupeaux
paîtront, où le veau gîtera et broutera, mais qui
dit aussi que «quand son branchage sera sec, il
« sera brisé, et les femmes y venant en allumeront
« du feu. — Car ce peuple n'a pas d'intelligence ! »
Les arts les plus simples sont dans la barbarie ,
les sciences sont entièrement inconnues ®^.
« Les épines et les ronces monteront sur la terre
« de mon peuple. » La terre ne produit que des
ronces et des épines®*. Les plaines et les monta-
gnes désertes de la Palestine abondent en une es-
pèce de plante épineuse appelée mérar, et en d'au-
tres du même genre. Plusieurs des montagnes
sont tellement couvertes de ces plantes qu'il est
fort difficile de parvenir a leur sommet, et tout
le district de Tibériade est parsemé d'un arbris-
seau épineux ®^!!
« Vos chemins seront déserts ^'\ Les chemins
« ont été réduits en désolation , les passants ne
« passent plus par les sentiers ®^ » . Les communi-
cations étaient tellement fréquentes autrefois
dans la Judée, et les communications sirégulière-
(89) Volney, ch. xxxi, p. 307, 308. — (90) Ibid., ch. xxxi.
(94) Ibid., Ruines, ch. ii. — (92) Burckhardt, p. 333.
(93) LéviU, XXVI, 22, — (94) Esaïe, XXXIII, 8.
CH. IX. LA JUDÉE. 205
ment entretenues par les voyages ordonnés au
peuple, pour se rendre à Jérusalem, à la célé-
bration du culte 5 et pour obéir au précepte de
l'ancienne loi, qu'il n'y a jamais eu de pays oîi
les grands chemins fussent aussi fréquentés ou
aussi nécessaires. Du temps d'Esaïe, « le pays
abondait en chevaux, et il n'y avait fin de ses
chariots ; » et même encore aujourd'hui il existe
de nombreuses traces de chemins pavés con-
struits par les Romains ^^, et d'autres qui, évi-
demment , ne sont pas d'origine romaine ; mais
parmi les précieux monuments littéraires qui
sont parvenus jusqu'à nous, se trouvent trois itiné-
raires romains que nous pouvons invoquer. D'a-
près ces itinéraires, et aussi d'après le témoignage
d'Arrien et de Diodore de Sicile, de Josèphe et
d'Eusèbe, il paraît, comme Reland le fait voir
aussi, que dans la Palestine , longtemps après sa
décadence, il existait quarante-deux grands che-
mins différents (viœpublicœ)^ tous distinctement
spécifiés, et qui parcouraient des lignes d'une
longueur de près de neuf cents milles ^^.
Cependant la prophétie a été littéralement ac-
complie. Dans l'intérieur, ni grandes routes , ni
canaux ; pas même de ponts sur la plupart des ri-
vières et des torrents, quelque nécessaires qu'ils
fussent pendant l'hiver. Il n'y a de ville en ville
ni poste ni moyens de transport. Personne ne
voyage seul, vu le peu de sûreté des routes. Il
faut attendre que plusieurs voyageurs veuillent
aller au même endroit, ou profiter du passage
de quelque grand qui se fait protecteur et sou-
vent oppresseur de la caravane. Les chemins des
montagnes sont très pénibles, parceque les ha-
bitants, loin de les adoucir, les rendent le plus
(95) Straton. — (96) Relandi Palœstina ex monumentis veterîbus
illustrata, t. I, I. II, ch, m, p. 405, 425.
206 LA JUDÉE. CH. IX,
(liflicilos possible, alin.^ discMil-ils, d'ôter aux
Turcs l'envie d'y amener leur cavalerie. Il est
remarquable (|ue dans toute la Syrie l'on ne voit
pas un chariot 5 pas une charrette '^^ Il n'y a
d'auberges en aucun lieu, continue Volney; les
logements dans les kans ( bâtiments destinés aux
voyageurs) sont des cellules oii l'on ne trouve
que les quatre murs, de la poussière et quelque-
fois des scorpions. Le gardien du kan est chargé
de donner la clef et une natte , le voyageur a dû
se fournir du reste; ainsi il doit porter avec lui
son lit, sa batterie de cuisine et même ses provi-
sions ; car souvent on ne trouve pas de pain dans
les villages'^ — Il n'y a aucune espèce de voiture
dans ce pays, dit un autre voyageur. — Il est im-
possible de traverser lesmontagnes de la Palestine,
rapporte un troisième témoin ; le chemin en est
impraticable ^^. Le voyayeur se trouve au milieu
d'une infâme race de voleurs qui lui couperaient
le cou pour un liard, et lui enlèveraient son argent
par pure oisiveté ' . Dans un pays oîi il y a ainsi
absence complète de voitures , il faut que les
chemins, quelque nombreux et quelque excellents
qu'ils aient été autrefois, restent déserts; et là ou à
chaque pas on rencontre des périls sans nombre
et des privations inouies, on ne peut pas s'étonner
de ce que « les passants ne passent plus par les
« sentiers » . Mais que les disciples de Volney nous
disent à leur tour comment la sagesse humaine a
pu imaginer et transmettre tous ces détails comme
Moise et Esaïe l'ont fait, l'un trente-trois et
l'autre vingt-cinq siècles avant que le fait pût
s'accomplir ?
« Les destructeurs sont venus sur tous les
(97) Volney, ch. xxxviii, p. 382. — (98) Ibid.» p. 38^.
(99) Voyages de Wilson, p. 100.
(1) Voyages de Richardson, vol. II, p. 225.
CH. IX. La /udée. 207
« lieux élevés du désert. » — Les précautions
dont nous parlons plus haut sont surtout néces-
saires dans les pays ouverts aux Arabes, tels
que la Palestine et la frontière du désert \
« Les habitants de Jérusalem qui sont du
« pays d'Isragl mangeront leur pain avec cha-
^< grin 5 et boiront leur eau avec étonnement ,
« parceque le pays sera désolé, étant privé de
« son abondance à cause de l'iniquité de tous
« ceux qui y habitent. » On observe que dans
les grandes villes (de la Syrie, car il n'y en a pas
en Palestine) le peuple a beaucoup de cet air dis-
sipé et sans souci qu'il a chez nous; pourquoi
cela? c'est que là comme ici, ditVolney en par-
lant de la France, endurci à la souffrance par
l'habitude, affranchi de la réflexion par l'igno-
rance, le peuple vit dans une sorte de sécurité;
il n'a rien à perdre , il n'a pas peur qu'on le dé-
pouille. Le marchand, au contraire, vit dans la
crainte perpétuelle et de ne pas acquérir da-
vantage et de perdre ce qu'il a ; il tremble d'at-
tirer les regards d'un gouvernement rapace pour
qui un air de satisfaction serait l'enseigne de
l'aisance etle signal d'une avanie. La même crainte
règne dans les villages, oii chaque paysan redoute
d'exciter l'envie de ses égaux et la cupidité de
l'aga et des gens de guerre. Dans un tel pays, où
l'on est sans cesse surveillé par une autorité spo-
liatrice, on doit porter un visage sérieux , par la
même raison que l'on porte des habits percés ^;
ou bien, pour terminer par les paroles du pro-
phète , « à cause de l'iniquité de tous ceux qui y
« habitent. »
« Vous serez frustrés de vos revenus. » — D'a-
près l'état des contributions de chaque pachalik,
(2) Volney, ch. xxxviii, p. 383. — (3) Ibid, , xl, p. 437.
208 LA JUDÉE. Cil. IX.
il paraît que la soiuine annuelle que la S>rie verse
au kazna on trésor du sultan se monte à 2^5 i 5 bour-
ses, savoir :
Pour Alep 800 bourses.
Pour Tripoli 750 »
Pour Damas 45 - »
Pour S^-Jean-d'Acre 750 »
Et pour la Palestine 0
Total 25845 bourses
qui font 2,931 ,250 livres de notre monnaie. Après
avoir spécifié quelques autres sources de reve~
nus. Fauteur ajoute : « On doit se rapprocher
beaucoup de la vérité, en portant à 7 millions
et demi la totalité du revenu que le sultan tire de
la Syrie, total, 7,500,000 livres^ » ce qui ne fait
pas la septième partie du tribut payé à l'Egypte ,
tel qu'il était longtemps après cette prédiction.
Voilà tout ce que le gouvernement le plus despo-
tique est parvenu à tirer de la Syrie appauvrie ;
mais quelque insignifiante que soit cette somme,
comme revenu de possessions aussi étendues, qui
autrefois contenaient plusieurs états opulents et
puissants, il faut encore en déduire la plus grande
partie avant de pouvoir connaître exactement
quelle est la cliétive pitance qu'à titre de revenu,
et à force d'extorsions, on tire de la terre d'Israël.
En jetant un coup d'œil rapide sur le tableau ci-
dessus, il est facile de se convaincre de la désola-
tion et de la pauvreté respective des différentes
provinces de la Syrie ; et encore les moins stéri-
les de ces provinces, c'est-à-dire les pachaliks
d'Alep et de Tripoli, ne faisaient point partie de
l'ancienne Judée. La Palestine, contenant l'an-
(4) Volney, ch. xxxii, p. 332.
CH. IX. LA JUDÉE. 209
cienne Philistie et une partie de la Judée 5 fut
partagée en deux portions par le sultan, et sou-
mise à l'autorité de deux individus. Le vaste pa-
chalik de Damas , si peu productif en revenus, con-
tient cependant Jérusalem et une grande partie
de Tancienne Judée ; ainsi on peut en dire avec
encore plus d'exactitude que de tout le reste ^ :
« Vous serez frustrés de vos revenus. »
Au lieu d'examiner à part chaque prédiction
relative à la désolation de la terre de Judée, on
peut en envisager plusieurs à la fois, et le sens
en est si clair qu'il serait fort inutile de les
expliquer plus au long. La preuve de leur parfait
accomplissement n'est pas non plus difficile à
trouver, car Volney confirme six prédictions dans
une seule phrase, à laquelle il ajoute une réflexion
qui ne tend pas moins à établir la vérité des pa-
roles prophétiques.
« Je détruirai vos hauts lieux, je ruinerai vos
« tabernacles. » — « Je désolerai vos sanctuaires. »
— « Le palais va être renversé. » — « Je ferai pé-
« rir le reste de leurs ports de mer. » — c( Je ré-
« duirai aussi vos villes en désert. » — « Les habi-
« tants du pays sont consumés et peu de gens y
«sont demeurés.» — «Toute la terre ne sera
a que désolation. » — Les temples se sont écroulés,
les palais sont renversés , les ports sont comblés ,
les villes sont détruites, et la terre, nue d'habi-
tants, ressemble à un vaste cimetière ^ Grand
Dieu ! s'écrie Volney, d'où viennent d'aussi fu-
nestes révolutions? Par quels motifs la fortune de
ces contrées a-t-elle si fort changé? Pourquoi
tant de villes sont -elles détruites? Pourquoi
cette ancienne population ne s'est-elle point re-
produite et perpétuée? Je l'ai parcourue, cette
(5) Ruines de Volney.
210 LA jldép:. ch. ix.
terre ravagée ; j'ai dénombré les royaumes de
Damas et dldumée, de Jérusalem et de Sama-
rie. Cette Syrie, me disais-je, aujourd'hui pres-
que dépeuplée , contenait alors cent villes puis-
santes, et ses campagnes étaient couvertes de vil-
lages, de bourgs et de hameaux. Que sont deve-
nues tant de brillantes créations de la main de
l'homme? Que sont devenus ces ages d'abondance
et de vie ? etc.
En cherchant à être sage, l'homme devient in-
sensé, tant qu'il ne veut se fier qu'à son imagina-
tion trompeuse , au lieu de chercher la sagesse
dans cette parole de Dieu qui confond les sages,
mais qui rend intelligents les simples. Ces paroles,
prononcées par la bouche de l'incrédule, rendent
témoignage à cette vérité même qu'il était trop
aveugle ou trop orgueilleux pour apercevoir et
pour admettre. Car les « pasteurs arabes » n'ac-
complissent pas plus, sans s'en douter, une prédic-
tion, quand ils « foulent aux pieds >> la Palestine,
que Volney l'académicienne confirme l'aiîcomplis-
sement d'une autre, lorsqu'il parle ainsi en son
propre nom et en celui des autres. « Et la gêné-
« ration à venir dira, savoir vos enfants qui
« viendront après vous, et l'étranger qui viendra
« d'un pays éloigné, quand ils verront les plaies
« de ce pays et les maladies dont l'Eternel l'af-
(^ fligera : Pourquoi l'Eternel a-t-il ainsi traité ce
« peuple? Quelle est la cause de Tardeur de sa
« grande colère^? »
Ce n'est point un « ana thème secret , » comme
le dit Volney, que Dieu a prononcé contre la Ju-
dée ; c'est la malédiction résultant d'une alliance
abandonnée qui pèse sur cette contrée ; ce sont les
conséquences des péchés de l'ancien peuple main-
(6) Dent., XXIX, 22.
CH. IX. la' JUDÉE. 211
tenant dispersé^ et de ceux de ses habitants ac-
tuels. Ce n'est pas le respect que les peuples ont
porté à une religion révélée qui a causé la ruine
des empires; la source en est bien différente. La
destruction de Jérusalem et celle des autres
villes de la Palestine fut l'œuvre des Romains,
païens idolâtres , et la dévastation , pendant des
siècles, fut continuée par les Sarrazins et par les
Turcs, disciples de Mahomet l'imposteur; et tou-
tes les désolations y furent apportées par des en-
nemis de la dispensation mosaïque et chrétienne.
Ces désolations elles-mêmes n'ont été ordonnées
par la volonté divine qu'en tant qu'elles ont été
une suite de la violation de la loi de Dieu. — C'est
la décadence de la foi qui a amené la destruction.
Et la terre n'a eu à subir d'autres malédictions que
celles qui sont décrites dans le Livre Saint. — Là,
le caractère et la condition du peuple, et l'aspect
du pays, frappé de malédiction à cause du pé-
ché de ses habitants , se trouvent dépeints avec
la même exactitude. Et quand l'incrédule de-
mande : Pourquoi l'Éternel a-t-il ainsi traité ce
peuple? la même parole qui prédit que cette
question serait faite fournit aussi la réponse :
« Et on répondra : C'est parcequ'ils ont aban-
« donné l'alliance de l'Éternel , le Dieu de leurs
« pères. »
« Le pays a été profané par ses habitants , parce-
« qu'ils ont transgressé ses lois ; ils ont changé les
«ordonnances, et ont violé l'alliance éternelle,
« c'est pourquoi l'imprécation du serment a dé-
« voré le pays. » — Ces paroles si expressives, en
déclarant la cause des jugements et des désola-
tions, décrivent aussi la méchanceté de ceux qui
devaient occuper la terre de Judée pendant le
temps de sa désolation, et pendant que ses anciens
habitants seraient « dispersés sur la terre. » — Et
212 LA JUDÉE. CH. IX.
quoique rif^norance de ces peuj)lcs puisse être
un sujet de pitié, cependant on ne peut nier leur
excessive dégénération. La férocité des Turcs, les
mœurs désordonnées des Arabes, l'état d'avilis-
sement du petit nombre de Juifs à qui l'on permet
encore de vivre sur le sol de leurs ancêtres, les
disputes sans cesse renaissantes parmi ce peuple
mélangé, et la grande dépravation qui règne dans
toutes les classes, ont complètement changé l'as-
pect moral de ce pays qu'au temps d'autrefois on
appelait « la Terre Sainte. » Et cette région , où ,
pendant plusieurs siècles , le seul vrai Dieu fut
connu et adoré ; ce pays qui présentait aux regards
des hommes l'unique exemple d'une parfaite mo-
rale , est maintenant une des parties du monde
les plus dégradées; et on peut véritablement
dire que cette terre a été profanée par ses ha-
bitants.
Et il y a bien des siècles qu'il est ainsi profané.
Le Père des miséricordes n'afflige pas volon-
tairement les enfants des hommes. , C'est le
péché qui est toujours l'avant-coureur des ma-
lédictions du ciel. Ce fut à cause de leur idolâ-
trie et de leurs iniquités que les dix tribus
furent d'abord «retranchées de la terre d'Israël. »
Plus tard, à leur propre prière et d'après la me-
sure de leurs péchés, le sang de Jésus retomba
sur les Juifs et sur leurs enfants ; et avant leur
expulsion finale de cette terre que leur iniquité
avait profanée , elle fut arrosée du sang de plus
d'un demi-million de leur peuple. La Judée se
reposa ensuite pendant un court espace de
temps, lors du premier établissement des églises
chrétiennes^ mais dans cette terre, berceau du
christianisme, les semences de corruption ne
tardèrent pas à paraître. La puissance morale de
la religion commença à s'effacer, le culte des
CH. IX. . LA'JUDÉE. 213
images se propagea^ elles disciples apparents de
la vraie foi violèrent Talliance éternelle ^ La
doctrine de Mahomet ^ le Coran ou Tépée, fut
le fléau ou la guérison de l'idolâtrie; mais
toutes les impuretés de la croyance mahomé-
tane succédèrent à un christianisme corrompu
et grossier. Depuis lors^ des hordes de Sar-
razins^ d'Égyptiens , de Fatimites, de Tartares,
de Mameloucks et de Turcs ( assemblage de
noms barbares sans pareils , du moins dans les
temps modernes) 5 ont pendant l'espace de douze
cents ans «profané la terre» des enfants d'Israël
par l'iniquité et par le sang. Ainsi la prophétie
n'a rien d'hyperbolique : « Les plus méchantes
« des nations posséderont leurs habitations , et
« leurs saints lieux seront profanés ^ » Quant
aux saints lieux ^ Omar , à la première conquête
de Jérusalem par les Mahometans , construisit
une mosquée sur l'emplacement même du temple
de Salomon, et quelque jaloux de sa gloire que
soit le Dieu d'Israël , les disputes continuelles et
sanglantes entre les sectes chrétiennes, autour
même du sépulcre de l'auteur de leur foi , qu'ils
déshonorent , témoignent encore aujourd'hui
de la vérité de cette prédiction. Le zèle frénétique
des chrétiens croisés ne put extirper de la Judée
les païens qui la possédaient , quoique l'Europe
se répandît comme un torrent sur l'Asie. Mais la
profanation de la terre, comme celle des lieux
saints^ n'est pas encore passée, et la Judée est
encore profanée à l'heure qu'il est, non-seule-
ment par des gouverneurs tyranniques, mais
aussi par des peuples sans lois et sans principes.
La barbarie est complète dans la Syrie, dit
Volney*. J'ai souvent pensé, dit Burckhardt, en
(7) Esaïe, XXIV, 5. — (8) Ezéchiel, VII, 24.
(9) Volney, ch. xxxix.
21 \ LA JUDÉE. Cil. IX.
décrivant lacoruluilc inimoralo d'un j)ielre grec
dans le Jlauran ( mais en termes qui ne sont
que trop suseej)tibles d'une api)lication (générale),
que si le code pénal anj^^lais était soudainement
proclamé dans ce pays, à peine y aurait-il un
homme dans les affaires , ou ayant avec d'autres
des relations pécuniaires, qui ne fût sujet à la dé-
portation *^. « Sous le nom de christianisme » on pro-
fesse ou Ton tolère toutes sortes de superstitions
et de cérémonies profanes, également éloignées
des saintes doctrines de l'Évangile et de la di-
gnité de la nature de l'homme. Le pur Évangile
de Christ 5 partout le précurseur de la civilisa-
tion et de la science, est presque aussi inconnu
dans la Terre- Sainte que dans la Californie ou
la Nouvelle-Hollande. Quelques légendes, quel-
ques traditions, empreintes de vestiges de ju-
daïsme, et les misérables visions d'ermites
ignorants , font cependant apercevoir de temps en
temps une lueur de la lumière céleste ; mais, si
nous recherchons les effets du christianisme sur
la terre de Chanaan, il nous faut attendre ce bien-
heureux temps oil « le désert fleurira comme la
rose » **. « Le pays a été profané parceque ses
« habitants ont transgressé ses lois; ils ont changé
« les ordonnances et ont violé l'alliance éternelle ,
« c'est pourquoi l'imprécation du serment a dé-
« voré le pays. » ( Esaïe, xxiv, 5,6.)
« Les habitants ont été mis en désolation. »
— Le gouvernement des Turcs en Syrie est un
pur despotisme militaire, c'est-à-dire que la
foule des habitants y est soumise aux volontés
d'une faction d'hommes armés qui disposent de
tout selon leur intérêt et à leur gré. Dans chaque
gouvernement, le pacha est despote absolu. Le
(10) Burckhart, p. 84. — (11) Clarke, vol. II, p. 405.
CH. IX. LA JUDÉE. 215
peuple^ gêné dans la jouissance des fruits de son
travail , restreint son activité dans les bornes des
premiers besoins. — On n'est en sûreté ni dans
les villes ni dans les campagnes '^.
« Et peu de gens y seront demeurés de reste. »
Si le caractère du peuple est ainsi corrompu, si
sa condition est misérable , son nombre est aussi
bien petit , comparé à l'étendue du pays et à la
fertilité du sol. Après avoir évalué le nombre
des habitants de la Syrie , Volney ajoute : « On
a droit de s'étonner d'une population si faible dans
un pays si excellent; mais l'on s'en étonnera
encore davantage , si on la compare à la popula-
tion des temps anciens. Les seuls territoires de
Jamma et de Joppé en Palestine 5 dit le géo-
graphe philosophe Strabon 5 furent jadis si peu-
plés qu'ils pouvaient entre eux armer quarante
mille hommes; à peine aujourd'hui en fourni-
raient-ils trois mille. D'après le tableau assez bien
constaté de la Judée au temps de Titus, cette
contrée devait contenir quatre millions d'âmes ,
et aujourd'hui elle n'en a peut-être pas trois cent
mille. Si l'on remonte aux siècles antérieurs, on
trouve la même abondance d'habitants chez les
Philistins, chez les Phéniciens, et dans les royau-
mes de Samarie et de Damas *\)> En estimant l'an-
cienne population de la Judée à son taux le plus
bas et celle d'aujourd'hui au taux le plus élevé , le
pays ne semble pas contenir la dixième partie de
ses anciens habitants, qui subsistèrent pendant
des siècles , uniquement par ses propres ressour-
ces et par la richesse de son sol. Qui aurait pu
s'imaginer que ce même pays ne devait donner
un jour qu'une chétive nourriture au « peu de
« gens qui y seraient demeurés de reste?»
(12) Volney, ch. xxxii, § 3. — (13) Ibid., xxxii.
216 LA JUDÉE. CH. IX.
— c( Toutefois il en restera un dixième. «
— « La ville de laquelle il en sortait mille n'en
« aura de reste que cent; et celle de la([uelle il
« en sortait cent n'en aura de reste que dix^\ >)
La population actuelle de la Judée a été éva-
luée, sans aucun rapport aux prophéties, à un
dixième de ce qu'elle était avant la dispersion du
peuple juif. Volney, d'après une estimation com-
parative, révalue à moins encore. Il est impossi-
ble d'en obtenir la proportion exacte. Les paroles
de Pierre lîello, citées par Malte-Brun, quoique
rendant au fond un témoignage semblable à celui
des autres voyageurs, nous offrent cependant la
supputation la plus précise : Le même district
qui aujourd'hui ne fournit à cent individus qu'une
faible subsistance fournissait autrefois abondam-
ment à mille *^
« La joie des tambours a cessé , le bruit de
« ceux qui se réjouissent est fini ; la joie de la
« harpe a cessé *^ » — La musique instrumentale
était fort en usage chez les Juifs. Le tambour et
la harpe, la cymbale, le psaltérion et le clairon
é talent en vogue parmi eux , et faisaient régu-
lièrement partie du service au temple. A l'épo-
que de cette prédiction, la harpe, le clairon,
le tambour, la viole et la flûte résonnaient dans
toutes leurs fêtes; et quoiqu'il y ait longtemps que
les Juifs ne font plus une nation , cependant ces
instruments se trouvent encore parmi eux. Mais
hélas! dans la terre de la Judée, jadis si heureuse,
la voix joyeuse de la musique a cessé de se faire
entendre. Dans une esquisse de l'état des arts et
des sciences en Syrie et dans toute la Terre-Sainte,
Volney observe qu'on ne rencontre que rare-
ment des personnes initiées à l'art de la mu-
(U) Amos, V, 3. — (45) Géog. de Malte-Brun, vo]. II, p. 181.
(16)Esnïe, XXIV, 6.
Ca. IX. LA JUDÉE. 217
siqiie. Toute leur musique est vocale; ils ne con-
naissent ni n'estiment le jeu des instruments,
et ils ont raison ; car les leurs , sans en excepter
les flûtes 5 sont détestables*'. « La joie du tam-
« bour a cessé , la joie de la harpe a cessé. »
Encore n'est-ce pas ici le seul trait mélan-
colique qui semble avoir passé du pays au cœur
de ses habitants. Et le langage plaintif du pro-
phète se trouve réalisé à la lettre (quoiqu'on eût
fort bien pu s'attendre h un accomplissement
moins littéral) lorsqu'on le compare simplement
aux paroles d'un incrédule célèbre.
« Car ceux qui avaient le cœur joyeux sou-
« pirent ; on ne boira plus de vin avec des chan-
« sons ; toute la joie est tournée en obscurité ; l'ai-
de légresse du pays s'en est allée. Le chant de la
« vendange n'y retentira plus *^
Leur expression (en chantant) est accompagnée
de soupirs. On peut dire qu'ils excellent dans
le genre mélancolique. A voir un Arabe la tête
penchée, la main près de l'oreille en forme de
conque; a voir ses sourcils froncés, ses yeux
languissants, à entendre ses intonations plain-
lives, ses tenues prolongées, ses soupirs sanglo-
tants, il est presque impossible de retenir ses
larmes '\ Le même auteur, dans ses tristes récits,
nous reproduit encore les visions du prophète.
Dans le chapitre où il donne la description des
habitudes et du caractère des habitants de la Syrie,
il appuie surtout sur l'expression de tristesse
répandue sur les physionomies. — Au lieu de ce
visage ouvert et gai , dit-il , que chez nous l'on
porte ou l'on affecte, ils ont un visage sérieux,
austère ou mélancolique; rarement ils rient, et
renjouenient de nos Français leur paraît un accès
(d7) Volney, cb. xxxii.
(18) Esaïe, XXIV. — Jérémic, XLVIII, SS.—CîO) Voiney, du xl.
ÏO
218 LA JUDÉE. en. IX.
(le délire. S'ils parlent, e'esl sans empressement,
sans geste, sans i)assion ; ils éeonlent sans inter-
rompre, ils {^ardent le silenee des jonrnees entiè-
res, et ils ne se piquent point d'entretenir la
eonversation. Toujours assis, ils passent des jour-
nées entières rêvant, les jambes croisées, la pipe
à la bouche, presque sans changer d'altitude. —
Les Orientaux en général ont l'extérieur grave
et fîegmatiqne; s'ils marchent, c'est posément et
pour affaires; ils regardent l'inaction comme un
des éléments de bonheur ^^
Après avoir ainsi énoncé le fait, Volney s'ef-
force de combattre, par plusieurs arguments éga-
lement justes et judicieux, l'idée que la nature du
climat, du sol, puisse être la cause radicale d'un
phénomène si frappant; et après avoir exposé un
grand nombre d'exemples tirés de l'histoire an-
cienne qui prouvent l'insuffisance de cette cause,
il remarque que les Juifs eux-mêmes, quoique
bornés à un petit état, ne cessèrent de lutter pen-
dant mille ans contre des empires puissants. Si
les hommes de ces nations, ajoute-t-il, furent des
hommes inertes, qu'est-ce que l'activité? s'ils
furent actifs, où est l'influence du climat? Pour-
, quoi, dans les mêmes contrées où se développa
jadis tant d'énergie, règne-t-il aujourd'hui une
inertie si profonde^*? Et après avoir affranchi
l'avocat du christianisme de la nécessité de prou-
ver que ce contraste entre les anciennes mœurs et
les habitudes du peuple de la Syrie ne peut prove-
nir d'une cause naturelle que peut-être il y aurait
eu possibilité de prévoir, Volney continue à dé-
montrer quelle en est la véritable source , c'est-à-
dire le genre de gouvernement et l'état de la
religion et des lois, qu'il eût été impossible à la
(20) Volïiey, ch. xl. — (21) UM.
CH. iX. LA JUDEE. 219
sagacité de Thomme de décrire d'avance, et qui
n'ont commencé à agir que bien des siècles après
l'époque où leur action et leur effet furent révélés
aux anciens prophètes d'Israël.
Non-seulement on est étonné d'un état de cho-
ses ainsi clairement prédit et prouvé par rapport
aux habitants de la Judée, et aussi en raison du
contraste complet et frappant qu'il présente, mais
encore cet état est tellement contraire aux usages
et aux mœurs des peuples qu'il est impossible d'ex-
pliquer comment, par des moyens purement hu-
mains, il aurait pu être prédit : car cetteprédiction^
qui a trouvé son parfait accomplissement sur la
terre jadis heureuse de la Judée, est également en
contradiction avec la nature humaine partout oii
on Tenyisage, sous quelque climat qu'on l'étudié.
— Voyez les groupes de sauvages reunis autour de
leurs misérables habitations , s'égayant par de
grossières harmonies, ou s'exaltant par des chants
guerriers ? Allez de là dans les cercles élégants de
notre société civilisée, et vous y trouverez encore
la même jouissance et le même entraînement. Dans
les cabanes des déserts, dans les palais de l'Asie
et de l'Europe, dans les vastes solitudes de l'Amé-
rique, dans les immenses plaines de FAfricjue, sur
lesprairies de la Grande-Bretagne, dansles champs
de la France ou dans les vallées de l'Italie, l'obser-
vation de l'homme à cet égard donne partout le
même résultat; mais peut-être ce fait n'aurait-il
été que lentement établi, et les paroles de la pro-
phétie n'auraient été regardées que comme l'hal-
lucination d'un esprit prévenu, si un chrétien, au
lieu de Volney, avait rendu le même témoignage.
« On ne boira plus de vin avec une chanson.
« La cervoise sera amèreàceux qui la boivent'^ >> .
(22) Esaïe, XXIV.
220 LA JUDÉE. ^:ii. IX.
— Plus raulenr des «Ruines » exainine la cause
de la désolalion de ces reliions et la source des
caiauiilés (|ui ont Tondu sur leurs habitants, plus
il fournit de preuves que les prophéties qui se
rapportent h ce sujet ne peuvent avoir qu'une
orii^^ine divine. — Cheznous^ ditVolney, l'une des
sources de la gaîté est la table et Tusaj^e des
vins; chez les Orientaux ce double plaisir est
presque inconnu. La bonne chère attirerait une
avanie, et le vin une punition corporelle, vu le
zèle de la police à faire exécuter les préceptes du
Koran. Ce n'est pas môme sans peine que les mu-
sulmans tolèrent dans les chrétiens l'usage d'une
liqueur qu'ils leur envient ^^ — A cette déclara-
tion on peut ajouter le témoignage d'autres voya-
geurs également désintéressés. Les vins de Jé-
rusalem, dit M. Jolifie , sont exécrables. Dans
un pays oîi toutes les espèces de jus de raisin
sont prohibées, autant par la loi que par l'Évan-
gile, uue seule fontaine a une plus grande valeur
que beaucoup de pressoirs '^\ M. Wilson assure
qn'il est impossible de trouver de plus mauvais
vin que celui que l'on boit à Jérusalem ^^.
Tandis que d'un côté l'intolérance et le despo-
tisme des Turcs, la rapacité et le vagabondage des
Arabes ont entièrement annulé toute l'influence
du climat et la fertilité de ces vignobles, d'un
autre côté la prohibition peu naturelle de l'usage
des vins et la rigueur qui force à l'obéissance de
cette loi ont complètement découragé la culture
de la vigne; le pressoir n'est plus qu'un travail
onéreux et odieux; cependant, dans un pays où
la vigne croît naturellement, oii elle était célèbre
par Texcellence de ses produits, il ne fallait rien
de moins que des causes surnaturelles et extraordi-
(23) Volncy, ch. xl, p. W. — (2/i) Jolilfe, vol. I, p. 3 84.
(?5) Voyages de Wilson, p. 180.
en. iX. LA JIDÉE. 221
naires pour réaliser le langage du prophète. Dans
ce cas-ci, comme clans tous les autres, la récapi-
tulation des prophéties est le meilleur sommaire
des faits que Ton puisse établir. Il suffit de changer
le futur en présent et en passé ^ pour prouver
qu'il serait impossible à un témoin oculaire , écri-
vant sur les lieux mêmes , de représenter plus
exactement l'état actuel de la Judée que ne le
fait Esaïe dans son langage prophétique , si riche,
si clair et si varié.
« La vendange manquera et l'on ne fera point
« de récolte. Frappez-vous la poitrine à cause de
<^ vos belles campagnes et de vos vignes fertiles,
tf Les épines et les ronces monteront sur la terre
<f' de mon peuple , même sur toutes les maisons
« de plaisir et sur la ville qui est dans la joie; car
« le palais va être renversé , la multitude de la
« ville va être abandonnée; les lieux élevés du
« pays et les forteresses seront autant de ca-
« vernes à jamais; ce sera là que se joueront les
<« ânes sauvages et que paîtront les troupeaux ^^ »
<i — Les chemins ont été réduits en désolation ,
«f les passants ne passent plus par les sentiers; le
<i pays est dans les pleurs et languit; le Liban est
« confus et coupé , Saron est devenu comme une
a lande, et Bascan et Carmel ont été secoués ^^ »
« Le pays sera entièrement vidé et entièrement
« pillé; le monde est languissant, il est déchu.
« Le pays a été prc-fané par ses habitants, parce
« qu'ils ont transgressé les lois. C'est pourquoi
« l'imprécation du serment a dévoré le pays ; à
a cause de cela les habitants du pays sont con-
« sûmes, et peu de gens y sont demeurés de reste ;
« la vigne languit et tous ceux qui avaient le
« cœur joyeux soupirent. La joie des tambours
(26) Esaïe, XXXIÎ, 10, 12, IS-l/j. — (27) îbid., XXXIII, 8, 9.
222 i.A jiiDÉii:. CH. IX.
i< a cessé; le hniil de ceux qui se réjouissent est
« fini, la joie de la harpe a cessé; on ne boira
« plus de Ain avec des chansons; la cervoise sera
« amère à ceux qui la boivent; la ville de confu-
« sion a été ruinée; toute la joie est tournée en
« obscurité , l'allégresse du pays s'en est allée ^\ »
Ace tableau d'une destruction et d'une dévas-
tation générales ^ le prophète , comme pour y
mettre la dernière main , ajoute : « Il arrivera au
« milieu du pays comme quand on secoue Toli-
« vier et quand on grapille après avoir achevé
« de vendanger ^^ » — « La gloire de Jacob sera
« diminuée, et il en sera comme quand on secoue
« l'olivier et qu'il reste deux ou trois olives au
i< bout des plus hautes branches, et quatre ou cinq
« au haut des branches fertiles ^^. » Ce qui veut
dire, comme ailleurs on le déclare sans méta-
phore, qu'une petite portion serait réservée ; que
quoique la Judée dût devenir aussi pauvre qu'un
champ qu'on vient de moissonner, ou semblable
à une vigne après la vendange, cependant sa déso-
lation ne serait pas tellement complète qu'on ne
pût encore découvrir quelques indices de son
abondance première, comme ces épis laissés par
les moissonneurs après la récolte , ou ces raisins
suspendus encore à la vigne , ou les fruits restés
sur l'olivier après qu'on l'a secoué.
Aperçoit-on donc encore un reste de Tan-
cienne gloire d'Israël? oui, certes; et il serait
impossible de trouver une image plus exacte ou
qui peignît mieux son état présent. Naplouse
(anciennement Sichar ou Sichem) est environné
des^plus délicieux bosquets ; il est à moitié caché
par les riches jardins et les arbres magnifiques
(28) Esaie, XXIV, 3-11. — (29) Ibid., 13.
(30) Ibid., XVII, 4-6.
CH. IX. LA JUDÉE. 223
répandus dans la belle yallée où il est situé ^'. Le
jardin de Jeddin , situé sur les confins du mont
Saron , et protégé parle flanc de cette montagne,
s'étend sur plusieurs lieues dans une large vallée,
et abonde en excellents fruits, tels qu'olives,
amandes, pêches, abricots et figues; il est tra-
versé par nombre de ruisseaux qui descendent
de la montagne et arrosent les cotonniers qui
viennent très bien dans ce sol fertile "^ La plaine
de Zabulon ne le cède pas en beauté à la riche
vallée située au sud de la Crimée ; elle rappelle
au souvenir du voyageur les paysages les plus
pittoresques du Kent et du Sussey ^\ Le sol, quoi-
que pierreux, est extrêmement riche, mais tota-
lement négligé; et la délicieuse plaine de Zabulon
paraît couverte d'une végétation spontanée,
abondante et sauvage. Même parmi les monta-
gnes de Gilead, la nature est d'une richesse
extraordinaire. A chaque pas on rencontre des
paysages ravissants; on voit de magnifiques fo-
rêts entrecoupées de gazons fleuris , et de vastes
plaines d'un sol rougeàtre sont couvertes de char-
dons, preuve de fertilité ^\ La vallée de St. Jean,
(31) Clarke, vol.11, p. 506. — Capernaum, capitale de
la Galilée, qui « était portée jusqu'au ciel n , c'est-à-dire qui
était dans Fétat de la plus grande prospérité à Tépoque où Jésus-
Christ et ses apôtres s'y firent entendre en vain , se trouve mairi-
tenant « abaissée jusqu'en enfer », ou ea d'autres mots « entière-
(i ment détruite», et ne présente, comme Choraiin et Bethsaïde,
qu'une masse de ruines. D'un autre côté, Samarie, capitale du
pays de ce nom , est également « renversée dans la vallée » . En
présence de ces faits, le lecteur chrétien verra avec intérêt que
Sicliar, l'une des villes inférieures de la Samarie, que Sichar,
dont les habitants vinrent au-devant de Jésus et crurent en lui
après l'avoir entendu, forme maintenant , au dire des voyageurs
qui en parlent, une des exceptions les plus frappantes à la
désolation générale des pays qui l'entourent , et qu'elle est le seul
vestige qui rappelle les villes de la Judée, de la Samarie et de la
Galilée.
(32) MariU, t. II, p. 151. — (33) Clarke, t. II, p. /4OO,
(3/4) Buckingham, p. 332.
?2i LA H]\)i:E, eu. ix.
:iu\ environs dc Jérusalem, est entièremenl: cou-
verte à sa sonnniLé d'oliviers et de vij^Mies, tandis
(jne le fond de la vallée produit des lijjniers et
des amandiers''. Dès qu'un lieu devient la pro-
priété d'un aga turc ou d'un sheik arabe, ou
qu'il en fait sa résidence, alors il faut que le
sol fournisse à son luxe ou à ses besoins, et la
fertilité et la beauté de la terre de Clianaan
reparaissent bientôt; mais ces endroits ne se
voient que de loin a loin , au milieu d'une vaste
désolation. Et comment aurait-on jamais pu pré-
voir que d'un côté la même cause, c'est-à-dire la
résidence de chefs avides, causerait une immense
désolation sur toute la surface du pays, et que
de l'autre il faudrait lui attribuer le peu qui reste
de son ancienne gloire? ou enfin , que les fruits
rares que Ton cueillerait au bout des plus hautes
branches seraient conservés parles mains mêmes
de celui qui aurait « secoué l'olivier » .
Parmi un si grand nombre de prophéties , oîi
la prédiction et son accomplissement forment un
miracle si frappant, il est presque impossible
d'en désigner une qui soit plus remarquable
cjue les autres; mais, certes, celle qui regarde
Samarie n'est pas la moins digne d'attention.
Pendant longtemps cette ville fut la capitale
des dix tribus d'Israël. Hérode-le-^Grand Tem-
bellit , l'agrandit , et en honneur de César-Au-
guste lui donna le nom de Sébaste. On conserve
encore plusieurs rnédailles en cuivre qui y furent
frappées "^ C'était un évêché , comme le prouve
la signature de plusieurs de ses évêques apposée
h de vieux documents. On peut ainsi faire remon-
ter son histoire à une époque considérablement
éloignée de celle de la prédiction ; le récit d'un
(35) Straton. — (36) Dictionnaire de Calniet. — - Relandi Pa»
lestiiia.
^.H. IX. LA JODÈE. 225
voyageur fait sans égard à la prophétie , et que les
commentateurs n'ont pas même remarqué ^ nous
en montre l'entier accomplissement.
Parmi d'autres passages relatifs à la destruc-
tion de cette ville 5 remarquons cette parole de
l'Eternel sortie de la bouche de Michée : « Je
« réduirai Samarie comme en un monceau de
« pierres qu'on fait dans les champs oii l'on plante
« les vignes, et je ferai rouler ses pierres dans la
« vallée et je découvrirai ses fondements ^^ >^
Cette grande ville est maintenant entièrement
changée en jardins , et tout ce qui reste pour en
prouver l'existence, c'est, du côté du nord, une
grande place carrée entourée de colonnes, et à
l'est les ruines d'une ancienne église. C'est tout
ce que Maundrell rapporte sur cette ancienne
capitale en 1696, et Buckingham confirme ainsi
ce qu'il en dit : La distance relative, la position
et le nom prouvent que c'est bien ici le site de
Samarie, et le prophète Michée a fait lui-même
la description de ce qu'elle est maintenant ^^
Mais le sort prédit à Jérusalem a été encore
plus clairement accompli que celui de la capitale
des dix tribus d'Israël; c'est le sujet de la pro-
phétie de Jacob sur son lit de mort; et comme
siège du gouvernement de Judas, le sceptre ne
devait pas être ôté du milieu d'elle jusqu'à ce que
le Messie fût venu, c'est-à-dire dix-sept siècles
après la mort du patriarche, et jusqu'à ce que le
temps de la désolation prédite par Daniel fût
accompli : une destinée diamétralement opposée
(37) Miellée, 1,6.
(38) Buckingham, p. 511-512. D'autres voyageurs ont fait une
description semblable, et presque dans les mêmes termes. Les pierres
sont roulées dans la vallée, les fondements sont à découvert et on
ne voit plus que « la colline où fut jadis Samarie ». Un voyageur a
pris Naplouse pour l'antique Samarie.
10.
226 LA JÏTDKR. en. IX.
à sa siluali(Mi picMiiière devait ralteinclro dans
le lointain; et avant qn'cllc perdit rien de sa
grandenr, an temps même oîi les Jnifs en foule
se rendaient dans son sein pour célébrer leurs
fetes, au temps même oii elle contenait une popu-
lation nombreuse et paisible, son arrêt fut pro-
noncé; elle devait être foulée aux pieds parles
nations ( gentils ) jusqu'à ce que le temps des
nations fût accompli. Le temps des nations n'est
pas encore accompli, car aujourd'hui encore
Jérusalem est foulée par les nations.
Les Juifs ont fait, pour la recouvrer, maintes
et maintes tentatives; ni le temps ni l'espace n'ont
pu l'effacer de leurs affections ; dans les céré-
monies de leur culte ils ont le visage tourné vers
elle, comme vers l'objet de leur adoration et de
leur amour ; et quoique le désir d'y retourner
soit toujours vivant et indélébile dans le cœur
de chaque Juif qui se regarde comme un exilé,
cependant ils n'ont jamais pu ni rebâtir leur
temple ni arracher Jérusalem de la main des
gentils. Ils n'ont pas fait seuls cette tentative,
dont le succès devait annuler le jugement de
Dieu. Julien, empereur des Romains, ne permit
pas seulement aux Juifs de rebâtir Jérusalem
et leur temple , mais il les invita à le faire , et
leur promit de les rétablir dans la cité de leurs
pères. Par ce seul acte il aurait pu, plus que
par tous ses écrits, détruire l'influence du chris-
tianisme et amener le retour de son paganisme
chéri. Le zèle des Juifs fut égal au sien. On com-
mença par poser de nouveau les fondements du
temple. — Tite était parvenu à entourer toute la
ville d'une haute muraille ; ce travail ne lui avait
pris que trois jours, en présence d'une ville remplie
de ses ennemis; car, loin d'être interrompu, ce
grand ouvrage se continua avec une merveilleuse
CM. li. LAJtiDÉE. 227
activité^ et par là s'accomplissaient les paroles de
Jésus. Qu'est-ce donc qui a pu empêcher Fem-
pereur Julien de rebâtir le temple 5 lorsque tous
les Juifs se mettaient à l'œuvre avec tant de
courage? rien ne lui était contraire ^ sauf une seule
phrase prononcée quelques siècles auparavant
par la bouche du Crucifié ! Si cette parole avait
été d'un homme 5 aurait-elle pu lutter contre la
toute-puissance du Maître du monde ?
Et pourquoi Julien 5 avec sa profonde haine
contre le christianisme , pourquoi n'est-il point
parvenu à exécuter un travail si facile et si dura-
ble? Un historien païen rapporte que des tour-
billons de flamme sortaient de terre et brûlaient
les ouvriers 5 qui, ne pouvant plus résister à ce
terrible élément, furentforcésd'abandonnerleurs
travaux "^ D'autres auteurs rendent le même té-
moignage. Ghrysostôme, contemporain de cet
événement, en appelle à l'état des fondements et
au témoignage universel sur ce fait; et un voyageur
moderne fort distingué, et quia visité ce lieu avec
soin, assure qu'il y a tout lieu de croire que les
restes mutilés qui occupent l'emplacement de
l'ancien temple sont un monument de l'inutilité
(39) Imperii sui memoriam magnitudine operum gesliens propa-
gare, ambitiosum quondam apud Hierosolymam templum quod,
post multa et interneciva certamina, obsidente Vespasiano, postea-
que Tito , îegre est expugnatum , instauraie sumptibus cogitabat
immodicis ; negotiumque maturandum Alypio dederat Antiocbensi,
qui olim Britannias curaverat pro praefectis. Cum itaque rei eidem
instaret Alypius, juvaretque provinciae rector, metuendi globi
flammarum, prope fundamenta, crebris assultibus erumpentes,
fecere locum exustis aliquoties operantibus inaccessum; hocque
modo, elemento destiiiatius repeliente, cessavit inceptum (Ammian.
Marcel!., I. XXIII, c. i, § 2-3). ))— Rufmi Hist. E c, l.I,c.cxxxvii.
— Socrat., 1. II, c. xvii. — Théodoret, 1. III, c. xvii. — Sozomen,
). V, c. XXI. Cassiodorus, Hist. Tripart. 1. VI, c. xliii. — Nicephor,
Callis., 1. X, c. xxxiu — Grég, Nazian. in Julian., oralio 11. —
Chrysostome de L. Bab. Mart, et contra Judœos, III, p. 491. —
Lind. — (Vide Amm, Marc, ITI, p. 2.)
228 LA juDÉii:. cii. IX.
des (îlTorts de Julien ^'\ Mais indépendaniriieut de
ee iiouveaii léinoii^îiaf^e, Gihhoji même n'a pu
résisler à la loree de Tévidenee liislorûjiie , et il
avoue(|nel'ineiédule ne i)enh|ues'él()nner devant
une telle autorité. Mais, même abstraetion faite de
l'idée d'une interposition miraculeuse, la prédic-
tion n'en a pas moins été accomplie. On a ouverte-
ment essayé de rebâtir le temple, et il a fallu
abandonner la tentative sans cause explicable. Elle
n'a jamais réussi et la prophétie s'est accomplie.
Et lors même que Julien n'eût jamais fait
cette tentative, la prophétie n'en serait pas moins
remarquable. Les Juifs n'ont jamais été rétablis
dans la Judée. Jérusalem a toujours été foulée
par les nations. L'édit d'Adrien fut renouvelé
par les successeurs de Julien , et aucun Juif ne
pouvait approcher de Jérusalem, si ce n'est en
trompant ou en achetant les gardes : le sol leur était
interdit par la loi. — Du temps des Croisés, toute
la puissance de la chrétienté fut concentrée pour
délivrer Jérusalem de la main des païens , et elle
ncNput y réussir. Romains, Grecs, Périmes, Sarra-
zins, Tartares, Mamelouks, Turcs, Egyptiens, et
encore Arabes et Turcs.^ l'ont foulée tour-à-tour,
pendant plus de dix-huit siècles. Y avait-il évé-
nement moins probable, et pouvait-on prévoir
chose plus impossible que cet état d'un peuple
qui, banni de son pays et de sa capitale, en reste-
rait exilé pendant dix-huit cents ans? Oii est la
nation qui ait jamais subi un pareil sort? L'Ecri-
ture contient-t-elle un seul point plus difficile à
croire que ne l'était ce seul fait au moment de la
prédiction ? et même avec cet exemple des Juifs
devant nos yeux , est-il possible, ou est-il croya-
ble quQ les habitants de quelque autre contrée de
(AO) Clarke, vol. II. — Note 1, à la fin de ce volume.
CH. IX. LA JUDÉE. 229
notre globe soient jamais dispersés parmi toutes les
nations^ qu'ils conservent leurs traits distinctifs,
qu'ils aient à endurer des vicissitudes sans pa-
reilles, qu'ils existent comme peuple sans gouver-
nement et sans patrie ^ et que tel soit constamment
leur sort 5 jusqu'à ce qu'un certain événement
prédit autrefois soit pleinement accompli? A qui
donc pourrions- nous attribuer la connaissance
de faits semblables à ceux-ci ^ si ce n'est à Celui
dont la prescience embrasse en même temps les
voies et les volontés des peuples», et qui connaît
d'avance toutes les actions et toute l'histoire des
nations 5 jusqu'aux générations les plus reculées?
Mais les prophètes ne bornent pas leurs prédic-
tions à la terre de Judée ; elles parcourent un vaste
champ ^ elles embrassent un espace immense.
Après un laps de plusieurs siècles on commence
à connaître les contrées voisines de la Judée ^ et
à mesure que les voyageurs les visitent^ leurs re-
lations développent la description que les pro-
phètes ont donnée de leur pauvreté et de leur
désolation futures 5 au temps même de leur plus
grande prospérité et de leur luxe prodigieux. —
Les pays des Ammonites^ des Moabites, d'Edom,
d'Idumée et de la Philistie ont été tour-à-tour le
sujet des prophéties. Leurs positions relatives,
clairement désignées dans les Saintes-Ecritures ,
ont été constatées, et les territoires des anciens
ennemis des Juifs, si longtemps occupés par les
ennemis du christianisme, vont nous offrir des
preuves de l'inspiration divine des Livres Juifs et
de la vérité la religion chrétienne ^* .
(41) Relandi Palestina illustrata. — Carte de d'Anville. — Car-
tes, dans les Voyages de Volney, de Burckhardt et de Buckingham.
— Géographie sainte de Wells. — Histoire de Gibbon. — Voyages
de Shaw, etc.
230 AMMON. CB. X.
■jii'w—gr»a
CHAPITRE X.
PROPHÉTIES CONCERNANT AMMON.
Ce pays 5 situé à l'est de la Palestine, ancien-^
nemeiit peuple par les Ammonites, et appartenant
maintenant partie aux Arabes et partie aux Turcs,
fut pendant plusieurs siècles une des plus popu-
leuses et des plus fertiles contrées de l'Asie.
Les Ammonites faisaient de fréquentes invasions
sur les terres dTsraël, et même, s'étant alliés une
fois avec lesMoabites, ils tinrent pendant dix-huit
ans les Israelites sous leur joug. Enfin Jephté
non-seulement les délivra de leurs oppresseurs,
mais s'empara de vingt villes des Ammonites.
— Ils continuèrent cependant leurs attaques ;
mais enfin David assiégea leur capitale et réussit à
rendre leur pays tributaire. — Ils reconquirent
plus tard leur indépendance et la conservèrent
jusqu'à ce que Jotliam, roi de Juda, les ayant sub-
jugués, exigea le paiement annuel de la somme de
100 talents et 30,000 mesures d'orge et de blé.
— Ils ne tardèrent pas à recommencer la lutte avec
leurs anciens ennemis , et se réjouirent des mal-
heurs qui vinrent fondre sur eux, lorsque Nabu-
chodonosor se rendit maître de Jérusalem et
emmena captifs ses habitants. Plus tard, quoique
soumise successivement au joug des Chaldéens,
des Egyptiens et des Syriens, lorsque les Romains
se rendirent maîtres de toutes les provinces de
la Syrie, la terre d'Ammon fut encore considérée
comme riche et fertile, et plusieurs des dix cités
dont se composait la célèbre Décapole se trou-
bu. X. AMMON. 23 ï
vèrent dans ses limites. — Lors de la première
invasion des Sarrazins^ ce pays, ainsi que celui
de Moab, s'était enrichi par le commerce , était
défendu par une ligne de forteresses et par plu-
sieurs villes fortes et populeuses ^^ Volney dit
que, dans les immenses plaines de Hauran, on
rencontre des ruines presque à chaque pas, et
que ce que Ton dit de sa fertilité s'accorde par-
faitement avec l'idée qu'en donnent les livres
hébreux ^^ — Son ancienne fécondité est attestée
partons les voyageurs qui Font visitée; etBurck-
hardt, qui y était il n'y a que quelques années,
observe qu'il fallait bien que dans ce pays l'agri-
culture fut poussée à un haut point de perfection,
pour qu'on y pût nourrir les habitants de tant de
villes dont aujourd'hui on ne voit plus que les
débris ^\
Ainsi donc, tandis que la fertilité du pays
d'Ammon, et l'état de prospérité et de puissance
dont il a longtemps joui; nous sont clairement
prouvés par le témoignage de l'histoire et par
des preuves encore existantes, les recherches
de plusieurs voyageurs modernes, qui ont visité
ces régions uniquement dans un but d'études géo-
graphiques, nous ont fait connaître le triste état
de désolation de cette partie de la Syrie. « Fils
« de l'homme , dit la prophétie contre Amnion ,
« dresse ta face contre les enfants d'Ammon et pro-
« phétise contre eux. Je livrerai Rabba pour être
« le repaire des chameaux , et le pays des en-
« fants d'Ammon pour être le gîte des brebis. Voici,
« j'étendrai ma main sur toi , et je te livrerai pour
« être pillée parmi les nations ; je te retrancherai
« d'entre les peuples, et je te ferai périr d'entre
« les pays, en sorte qu'on ne fera plus mention des
(42) Gibbon, vol. V. — (43) Volney. —(M) Burckhardl, p. 357.
2-^2 AMMON. Cil. \.
« (MifaiiLs (rAinrnoij parmi les nations. — Uabha
« soraiédiiile (mi un monceau de ruin(»s. Ainmon
« sera un lieu de désolation à jamais. — Les en-
« fants d'Ammon seront comme Goiuoirlie, un lieu
« couvert d'orties , et une carrière de sel et de
« désolation à jamais '''. »
Amnion devait être « livrée pour être pillée
par les nations » ; elle devait être détruite , et un
lieu de désolation à jamais. — Toute cette con-
trée 5 autrefois si peuplée et si florissante 5 est
changée aujourd'hui en un vaste désert ^^ On n'y
rencontre que des monceaux de ruines. Le pays
est partagé entre les Turcs et les Arabes, et ces
derniers en ont la partie la plus considérable.
Les extorsions des uns et les brigandages des
autres le tiennent « dans une désolation perma-
« nente, et en font la proie des nations ». La plus
grande partie en est entièrement inhabitée ; on
n'y rencontre que des Arabes vagabonds , et les
villes et les villages ne sont que des ruines ^^
— A chaque pas on trouve des vestiges d'an-
ciennes villes 5 des restes de temples /d'édifices
publics et d'églises grecques ; les villes sont dé-
sertes ^^ . Un grand nombre de ces ruines n'offrent
rien d'intéressant ; ce sont des murs d'habitations
particulières , des tas de pierres , des fondations
d'édifices publics, et quelques citernes comblées ;
et quoiqu'il ne reste rien d'entier, à en juger par
les fragments énormes dont se composent ces dé-
bris, il paraît que le mode de construction alors en
usage était d'une grande solidité. Dans le voisi-
nage d'Ammon est une plaine fertile semée de
petites eminences , dont la plupart sont couvertes
de ruines ^^.
(45)Ezéc.,XXV,2,5,7,10;XXI,32.— Jér.XLIX, 2.— Soph., 11,9.
(46) Seetzen, p. 34. ~(47)Ib., p. 87. — (48) Burckhardt, p. 27,
38, 44. — (49) Burckhardt, p. 355, 357, 364.
CH. X. AMMON. 233
Dans ce paj s ainsi nu et désolé ^ on trouve ça
et la quelques vallées verdoyantes qui servent
de retraite aux Bédouins , et oîi ils font paître
leurs chameaux et leurs moutons ^^ Sur toute la
route que nous suivîmes , dit Seetzen , nous vîmes
des villages ruinés , et nous rencontrâmes nom-
bre d'Arabes avec leurs chameaux.
M. Buckingham^ en décrivant un bâtiment aux
environs des ruines d' Amnion, dit: Il était évi-
demment composé de divers matériaux apparte-
nant à des ruines de quelques anciens édifices.
En y pénétrant par le côté du sud , nous arrivânies
dans un carré ouvert , entouré de chaque côté
par des renfoncements voûtés , tournés vers les
quatre points cardinaux. — Ces renfoncements ,
du côté des murs du nord et du sud , formaient
jadis des corridors , et avaient des ouvertures
vis-à-vis les unes des autres ; mais nous trouvâmes
la première complètement fermée, et la seconde
n'ayant qu'un passage très étroit par lequel les
bergers arabes font entrer leurs troupeaux pour
y passer la nuit. — Il raconte encore qu'Use coucha
au milieu des troupeaux de brebis et de chèvres ,
et que pendant la nuit il put à peine prendre un
instant de sommeil à cause des bêlements des
moutons ^\ Ainsi, il est littéralement vrai, quoi-
que Seetzen , Burckhardt et Buckingham ne fassent
point allusion aux prophètes, et qu'ils n'aient
point voyagé dans l'intention d'en vérifier l'ac-
complissement , que « la principale ville des
« Ammonites est le repaire des chameaux et le
« gîte des brebis. »
« On ne fera plus mention des enfants d'Ammon
« parmi les nations. » Les Juifs, longtemps leurs
ennemis héréditaires, quoique dispersés parmi
(50) Buckingham, p. 329.
(5i) Ibid., Voyages parmi les tribus arabes, p. 72-73, etc.
23i AMMON. eu. X.
Wtes les nations, sonl lonjonrs aussi distincts et
aussi séparés que jamais ; partout on peut les re-
connaître, tandis qu'il ne reste aucune trace des
enfants d'Ammon. Ils existèrent cependant long-
temps encore après que leur destruction eut été
prédite 5 car ils conservaient leur nom et for-
maient encore, selon un ancien auteur chrétien,
un peuple nombreux dans le second siècle de l'ère
chrétienne ^^ « Cependant ils ont été retranchés
« d'entre les peuples. Ammon a péri d'entre les
«pays, il est détruit. » Aucun peuple n'est attaché
à son sol , aucun peuple ne le regarde comme sa
patrie , on ne porte plus son nom , et « on ne se
« souvient plus des enfants d' Ammon parmi
« les nations. »
Six cents ans avant Christ , Jérémie avait écrit :
« Rabba (Rabba Ammon , la principale ville d'Am-
« mon ) sei^a détruite en un monceau de ruines. »
— Il y avait plusieurs siècles qu'elle existait;
située sur les bords d'une grande rivière , au mi-
lieu d'une contrée fertile, défendue. par son
assiette naturelle, et fortifiée par l'art, rien ne
paraissait justifier le soupçon, rien ne pouvait
faire présager que la ville royale d'Ammon dût
être tellement détruite et changée, et devenir
un jour un monceau de ruines. Il y avait déjà
plusieurs siècles qu'elle jouissait d'une prospé-
rité non interrompue lorsque les prophètes d'Is-
raël annoncèrent son sort, et maintenant un laps
de temps non moins long a confirmé la vérité des
paroles prophétiques , et Ammon n'est plus qu'un
monceau de ruines, qu'une désolation continuelle.
Les Arabes conservent encore l'ancien nom de
Rabba, et la place qu'elle occupait est couverte
de débris d'habitations particulières dont il ne
(52) Justin, Martyrs, p. 392.
CH. X. AMMON. 235
reste que les fondations et quelques jambages de
portes. Toutes les parties des édifices exposées à
l'action de l'atmosphère sont en ruines ^^ Les édi-
fices publics qui jadis servaient à fortifier ou à
embellir la ville sont maintenant déserts ^ et les
ruines les mieux conservées ^ dégradées par les
spoliations continuelles des Arabes errants , ne
sont plus propres qu'à être des étables de cha-
meaux. Mais ces palais ruinés, ces débris sans
forme et sans beauté, peuvent concourir à un
plus noble but que bien des monuments magni-
fiques, puisqu'ils rendent témoignage de la vérité
des Écritures et de l'immutabilité de la parole de
notre Dieu.
Il ne sera donc peut-être pas sans intérêt d'en-
trer dans plus de détails.
Seetzen, que son ardeur infatigable porta à
parcourir le premier , malgré tous les dangers de
la route , les contrées à l'est du Jourdain, et à l'est
et au sud de la Mer Morte, autrement les pays
d'Ammon, de Moab et d'Edom, dit : Ammon
était la résidence de beaucoup de rois , ville an-
tique et florissante, longtemps avant le temps
des Grecs et des Romains, et même avant celui
des Hébreux ^\ Quoique cette ville soit détruite
et abandonnée depuis plusieurs siècles, j'y ai
trouvé encore quelques ruines remarquables,
qui attestent son ancienne splendeur. Je citerai ,
1® un édifice carré dont les ornements sont d'une
richesse extraordinaire , et qui a peut-être été
un lieu de sépulture; 2^ un grand palais; 3^ un
magnifique amphithéâtre ayant un péristyle de
colonnes corinthiennes ; 4<^ un temple païen avec
(53) Burckhardt, p. 359.
(54) Courte description des pays voisins du lac de Tibérîade, du
Jourdain et de la Mer-Morte, par M, d^ Seetzen , conseiller d'am-
bassade de S* M. Fempereur de Russie, p. 35 et 36.
236 MOAij. eu. XI
(le très belles colonnes; 5° nnef^nvinde éf^lise bâtie
par les elirétieiis, peut-être lesièj^e d'un éveque,
da temps des enipeienrs grecs; ()« les ruines d'un
temple entoure de cokmnes d'une {5nx)sseur i)rodi-
fçieuse; 7^ quelques portions des anciennes mu-
railles et plusieurs autres édilices ^\
Burckliardt^ qui visita plus tard le même site^
décrit avec plus de détails ce qu'il a vu sur l'empla-
cement de Rabba. Il donne un plan de ces ruines
et parle des restes de plusieurs temples ^ d'une
église très spacieuse 5 d'un mur circulaire , d'un
pont dont les arches sont très élevées ^ des bords
et du lit d'une rivière encore pavée dans quelques
endroits 5 d'un vaste théâtre ^ de majestueuses co-
lonnades 5 d'un château très ancien et jadis très
fort, de plusieurs citernes , d'une plaine jon-
chée de ruines d'édifices particuliers'% et de mo-
numents d'une grandeur passée, qui s'élèvent au
milieu d'un monceau de désolation.
CHAPITRE XL
PROPHÉTIES CONCERNANT MOAB.
Les prophéties qui concernent Moab ne sont
pas moins nombreuses , et sont tout aussi remar-
quables. Nous n'examinerons pas celles qui , ayant
rapport à son ancienne histoire et à ses an-
ciennes querelles avec le peuple juif et les états
voisins, étaient importantes alors, en tant qu'elles
pouvaient tendre à raffermir la foi et à soutenir
le courage des enfants d'Israël , mais ne sont pas
(55) Seetzen, p. 35-36. — (56) Burckhardt, p. 358, etc.
CH. XL MOAB. 237
nécessaires aujourcriiui pour prouver l'inspiration
divine des Ecritures. Les prédictions qui ont rap-
port à des faits connus et avérés sont si nom-
breuses qu'on peut presque dire qu'il n'y a pas
un seul trait de la désolation actuelle de Moab qui
n'ait été tracé par la plume du prophète juif.
« Quant à Moab , ainsi a dit l'Eternel des ar- ^
« mées 5 le dieu d'Israël : Malheur à Nébo , car
« elle a été saccagée; Kirjathajim a été rendue
« honteuse et a été prise : la ville forte a été ren-
« due honteuse et effrayée : Moab ne se glori-
« fiera plus. Celui qui a fait le dégât entrera dans
« toutes les villes^ et pas une ville n'échappera;
« la vallée périra et le plat pays sera détruit ,
a suivant ce que l'Eternel a dit : Donnez des ailes
oc à Moab 5 car certainement il s'envolera, et ses
« villes seront réduites en désolation sans qu'il y
« ait personne qui y habite. Moab a été à son aise
« depuis sa jeunesse, il a reposé sur sa lie; il n'a
« point été vidé d'un vase dans un autre , et il
c< n'a point été transporté. Mais voici, les jours
« viennent, dit l'Eternel, que je lui enverrai des
r^ gens qui l'enlèveront. Comment a été rompue
ff cette verge et ce sceptre d'honneur ? Toi qui te
« tiens chez la fille de Dibon , descends de ta
« gloire et t'assieds dans un lieu de sécheresse;
« car celui qui a saccagé Moab est monté contre
c< toi et a détruit tes forteresses. Moab a été rendu
« honteux, car il a été mis en pièces; Moab a été
« saccagé et le jugement est venu sur le plat
« pays, sur Holon et sur Jathsa, et sur Mepha-
a hat, et sur Dibon, et sur Nébo , et sur Belhdi-
« blathajim, et sur Kirjathajim, et sur Beth-Ga-
« mui , et sur Beth-Mélion , et sur Kéryoth , et
« sur Botsra, et sur toutes les villes du pays de
« Moab, éloignées et proches. La corne de Moab
c( a été retranchée et son bras a été brisé , dit
238 MOAD. en. XI.
« I'Elerncl. HabilaMls de Moah^ (juiltez les villes
« et demeurez dans les roehers, et soyez eomme
« le pij;eon qui fait son nid aux eotés de Tentrée
« des cavernes. Nous avons appris l'oryueil de
« Moab, le très orgueilleux ^ son arroganee et son
« orgueil, et sa fierté et son cœur altier. L'allé-
es gresse et la gaîté se sont retirées loin du champ
« fertile et du pays de Moab; et j'ai fait cesser le
c' vin des cuves; on n'y foulera plus en chantant ,
« et la chanson de la vendange n'y sera plus
« chantée. A cause du cri de Hesbon qui est par-
« venu jusqu'à Elhalé, ils ont jeté leurs cris jus-
« qu'à Jahats; même depuis Tsohar jusqu'à Ho-
« ronajim; car aussi les eaux de Nimrim seront
(c désolées. J'ai brisé Moab comme un vaisseau
« auquel on ne prend nul plaisir. » — « Hurlez et
« dites : comment a-t-il été brisé ? Moab sera ex-
ce terminé tellement qu'il ne sera plus peuple,
« parcequ'il s'est élevé contre l'Eternel. » — «Les
« villes d'Haroher seront abandonnées; elles de-
ce viendront des prés de brebis qui y reposeront,
ce et il n'y aura personne qui les épouvante. Moab
ce sera un lieu de désolation à jamais ^^ »
Le pays de Moab était situé à l'est et au sud
de la Judée sur les bords de la Mer-Morte, mer
salée, et le sol, quoique plus diversifié, ne le
cédait pas en fertilité , dans les endroits où les
sables du désert et les plaines salines ne s'en
sont pas emparés, au pays d'Ammon, et paraît
avoir été puissant et très peuplé. Quant à l'an-
cienne grandeur de Moab, elle est attestée par
une foule de preuves et de témoignages.
On rencontre à chaque instant dans les plaines
les vestiges de quelques grandes villes; sur toutes
les eminences , partout oii une ville a pu être
(57) Jérémie, XLVÏII, j, 2, 8, 9, 41, 12, 17, 18, 20-25, 28, 29,
33, 3/|, 38, 39, li% — Esaïe, XVII, 2. — Sophonie, il, 9.
CH. XI. MOAB. 239
bâtie, on en retrouve quelques traces. Et comme
la terre y est susceptible de la plus riche culture,
on ne saurait douter que ce pays, maintenant
désert , n'ait offert jadis un tableau non inter-
rompu d'abondance et de fertilité ^^ La configu-
ration des champs est encore visible , ainsi que
des restes de grands chemins, oîi Ton voit en-
core des fragments de pavés romains , et où se
sont conservées quelques-unes des bornes miî-
liaires qui y furent plantées du temps de
Trajan, de Marc-Aurèle et de Sévère. Esaïe
fait allusion à la fertilité d'Hesbon^^; partout où
l'on cultive le blé , la récolte est abondante , et
rien ne saurait mieux peindre la richesse du sol
que le seul fait qu'un grain de froment d'Hesbon
pèse plus de deux grains de l'espèce ordinaire, et
que i'^pi en contient plus du double. Il n'y a pas
de province en Europe où les villes soient aussi
pressées que les ruines le sont dans le pays de
Moab. Burckhardt fait nombre d'environ cin-
quante villes ruinées dans l'étendue de Moab ;
il parle de traces nombreuses de champs enclos,
et s'accorde avec Irby et Mangles quant à son
ancienne population.
Nous avons donc plus de preuves qu'il ne nous
en faut sur l'état florissant de cette contrée et de
ce peuple , et cela k une époque postérieure de
plusieurs siècles au temps où les prophéties
publiaient les jugements de Dieu contre elle,
pour bien nous démontrer qu'il eût été impossible
à l'homme d'imaginer qu'elle put jamais être ré-
duite à l'état de désolation complète et entière
dans lequel elle demeure depuis un si grand
nombre d'années.
« Les villes de Moab seront réduites en désola-
(58) Voyages des capitaines Irby e tMangles, p. 370.
(59) Esaïe, XVI, 8-10.
240 MOAB. cil. XI.
«tion; pas une n'écha|)|)era. Moab s'cMivolera. »
El loules les villes de Moab ont disparu. Yolney
indi(|ue le pays de Moab sur la carie (jui aeeom-
pa^nie ses voyages par ces mots : Villes ruinées,
11 lire ses délails sur ces ruines des Arabes
erranls, et la vérité de ce qu'il avance a été con-
statée par le témoignage de plusieurs voya-
geurs européens dignes de foi, qui depuis lors
ont visité cette région. Le pays tout entier est
couvert de ruines , et Burckliardt , qui eut à
essuyer beaucoup de périls dans ce pays désert
et dangereux, parle en particulier de l'état actuel
de différentes villes nommées dans l'Ecriture.
Les ruines d'Elhalé , d'Hesbon , de Mélion , de
Médaba, de Dibon et d'Harolier sont là pour
faire ressortir la yérité de l'histoire des enfants
d'Israël *^.. on pourrait ajouter, pour confirmer
la divine autorité des Ecritures, et pour prouver
que « les prophètes ont parlé comme ils étaient
poussés par le Saint-Esprit. »
Tout ce qui est digne d'attention a été décrit
non-seulement par Burckliardt, mais aussi plus
récemment par les capitaines Irby et Mangles
qui^ de concert avec Bankes et Legh, ont par-
couru toute cette région déserte. Les jugements
prédits sont tombés avec une telle violence sur
toutes les villes de la terre de Moab que , malgré
tout leur désir et toute leur curiosité , nos infati-
gables voyageurs n'ont pu découvrir , dans une
multitude de ruines, que fort peu de débris assez
bien conservés pour mériter une mention particu-
lière. C'est de leurs témoignages réunis que l'on
lire les détails suivants.
Parmi les ruines d'El Ael ( EShalé ) se trouvent
un nombre de grandes citernes, des fragments
(GO)Buickharclt, Voyïigcs t n Arabie, Introd., p. 38.
241 MOAB. CH. XÎ.
d'édifices et de fondements de maisons. A Hesh-
ban ( Hesbon ) sont les raines d'une grande et an-
cienne cité, avec les débris d'un temple et de quel-
ques édifices ; un petit nombre de colonnes mu-
tilées sont encore debout, et l'on voit plusieurs
puits très profonds creusés dans le roc. Les
ruines de Médaba ont près de deux milles de
circuit; on y voit le reste des murailles de mai-
sons particulières, et près délaies fondations d'un
templeavec deux colonnes, mais pas un seul édi-
fice entier. L'objet le plus intéressant est une
immense citerne en pierre de taille; et comme il
n'y a aucun cours d'eau à Médaba , les Arabes
pourraient encore en tirer parti , s'ils voulaient
se donner la peine de déblayer les décombres
qui en obstruent les approches , afin que les eaux
puissent s'y rendre; mais un tel travail dépasse
de beaucoup les vues d'Arabes vagabonds^*. Les
ruines de Deban (Dibon ), situéesau milieu d'une
belle plaine, sont d'une étendue considérable,
mais n'offrent rien d'intéressant ^^. Celles de
Myoun ( le Seth-Mehon de l'Ecriture ) sont indi
quées par leurs sources d'eaux thermales ^',
Il ne reste plus rien de remarquable de cette
ancienne ville ni d'Araayr (Haroher), si ce n'est
ce qu'elles ont de commun avec les autres villes
de Moab, leur entière désolation. L'étendue des
ruines de Rabba, autrefois la résidence des rois
de Moab, suffit pour attester son ancienne im-
portance, quoique l'on ne puisse rien distinguer
parmi ces ruines, excepté les restes d'un palais ou
tempi e, des murs duquel on retrouve encore une
partie, ainsi que la porte d'une autre habitation,
et un autel solitaire. Il y a quelques vestiges d'ha-
(61) Burckhardt, p. 366. — Seetz^n, p. 37. — Voyages des capi-
taines, p. 411. —(62) Voyages des capitaines p. 452. — SeeUen, p. 38.
(63) Burckhardt, p. 365. — Irbyet Mangle^, p. 454.
5iî? MOAB. eu. XI.
hilalions parliciilièi es, mais rien (rentier. La ville,
n'ayant point de sonrces d'canx, avait deux puits
dont le phis profond a été creusé dans le roc , et
plusieurs citernes *^\ Le mont Nébo était entière-
ment nu lors du passage de Burckhardt, et on n'a
pu déterminer l'emplacement de l'ancienne ville.
« Nébo a été saccagée. »
Une circonstance remarquable, c'est que toutes
ces \illes ont conservé leurs anciens noms, qu'elles
sont partout distinguées par leur désolation com-
plète, et que chacune d'elles a été l'objet d'une
prophétie particulière; cependant elles ne for-
maient que le plus petit nombre des villes de Moab;
ainsi toutes fournissent d'incontestables preuves
de la vérité des prophéties, puisqu'elles sont
toutes abandonnées , « sans qu'il y ait personne
qui y habite » . Il n'y a pas une seule des anciennes
villes de Moab qui soit habitée. La seule ville qui
existe est apjyelée Kerek ; il ne paraît pas, d'après
ses monuments ou son nom, qu'elle ait existé du
temps des Israelites ; et Seetzen qui l'a visitée dit
que dans son état actuel de ruine on ne peut la
regarder que comme un hameau. Les habitations
n'ont qu'un étage ^^ Les ruines en général ont été
mutilées et ne sont plus qu'une masse informe.
Plusieurs même n'ont jamais été examinées en
détail. Quelquefois cependant on trouve des
vestiges de temples , de mausolées , des ruines
d'édifices très considérables construits en pierres
énormes ; quelques-unes d'entre elles ont vingt
pieds de long, et la largeur d'une seule suffit pour
l'épaisseur des murs : on rencontre des jardins en
terrasses , des colonnes de marbre couchées sur
la terre, ayant trois pieds de diamètre, et des res-
tes de colonnes moins grandes et de plusieurs
(6/j) Seetzen, p. 3A. — Burckhardt, p. 377. ~ (G5) Seelzen.
CH. XI. MOAB. 213
citernes creusées dans le roc. Lors donc que les
villes de Moab existaient dans toute leur gloire ,,
quand son arrogance et sa fierté étaient à leur plus
haut point, il eût été impossible àriiomine d'ima-
giner qu'il pût jamais devenir la proie de la déso-
lation. Qui est-ce qui aurait pu se douter que
ces villes si nombreuses, qui avaient déjà existé
depuis un si grand nombre de siècles, dont la
position était si belle, les sites si variés, les
unes fortifiées par leur assiette naturelle, d'autres
par toutes les ressources de l'art, celles-ci assises
au fond des vallées fertiles auprcs de sources
abondantes, et celles-là entourées de citernes
creusées dans le roc même , qui est-ce qui aurait
pu croire que toutes ces villes auraient à subir le
même sort, qu'elles seraient toutes réduites en
désolation sans qu'il y ait personne qui y habite ?
Tous ces indices d'une longue prospérité au-
raient rendu ce fait impossible et incroyable J"
si ce pays avait appartenu à un autre peuple , et
si ce n'était pas la parole de notre Dieu qui eût
dit: « Malheur à Moab, car elle a été saccagée ! »
« La vallée aussi périra , et le plat pays sera
« détruit. » Moab a été plus d'une fois le champ de
bataille des Arabes et des Turcs, et quoique les
premiers en soient restés maîtres, cependant
tous les deux ont contribué à sa désolation. Les
différentes tribus d'Arabes qui le traversent con-
stamment sont en hostilité permanente avec les
chrétiens et les Turcs, et en outre perpétuellement
en guerre l'une contre l'autre. Ainsi on ne pense
jamais à cultiver le sol ou à tirer partie des avan-
tages naturels que le pays possède en si grande
abondance. La propriété est sous la garde de la
force et non delà loi; ainsi les vastes plaines of-
frant, excepté de loin à loin, l'aspect le pins aride,
l'œil attristé n'est récréé que par quelques bos-
244 MOAB. CH. XI,
(liiets cle liguiers sauvages, qui prouvent combien
les dons les plus riches de la nature sont perdus
quand l'industrie de l'homme ne vient pas les fé-
conder. Au lieu donc de cette abondance que
jadis on trouvait partout, il n'y a maintenant que
quelques morceaux de terre d'une excellente qua-
lité cultivés par les Arabes, qui toutefois ne pren-
nent cette peine que lorsqu'ils peuvent espérer
d'en mettre la récolte a l'abri des incursions de
leurs ennemis*^^ Les troupeaux des Arabes parcou-
rent en toute liberté les vallées et les plaines, et
les vestiges nombreux de champs enclos" ne leur
offrent plus de barrières; ils broutent sans inter-
ruption autour des tentes de leurs possesseurs
sur toute la surface du pays; « la vallée périra et
c< le plat pays sera détruit; les villes de Haroher
« seront aussi abandonnées ; elles deviendront
(( des prés de brebis qui y reposeront, et il n'y
« aura personne qui les épouvante. »
Ce contraste frappant ne se voit pas moins dans
la condition des habitants que dans l'état du sol.
(f. Les jours viennent, dit TEternel, que je lui
« enverrai des gens qui l'enlèveront et qui vidé-
es ront ses vaisseaux. » — Quelques Arabes vaga-
bonds sont aujourd'hui les seuls habitants de cette
contrée jadis semée de villes. Ils traversent le
pays, dressant leurs tentes tantôt d'un côté, tantôt
de l'autre, décampant ensuite pour se rendre dans
une autre partie de la contrée, consumant tout le
pâturage, et dépouillant la terre de toutes ses pro-
ductions naturelles.
« Ce sont les étrangers qui sont venus contre
« lui et qui en font une désolation à jamais. » —
Ils ne connaissent ni lois ni règles; rien n'est or-
ganisé chez eux si ce n'est le brigandage. Quel-
(66) Burckhardt, p. 369. — (67 j Ibid., 565.
CH. XI. MOAB. 245
qu'un montre-t-il Tintention de former uu établis-
sement fixe 5 ils s'y opposent; car, quoique la
fertilité du sol récompensât en abondance le
travail du cultivateur et rendît toute émigration
inutile, même quand la population augmenterait
indéfiniment, cependant les Bédouins les forcent
à errer et à chercher ailleurs leur nourriture
journalière. Burckhardt fait à cet égard une obser-
vation pleine de justesse, en parlant de l'avarice
des Bédouins : C'est, dit-il, que toutes les fois
que des cultivateurs se trouvent dans leur dé-
pendance, ils les ont bientôt réduits à la mendi-
cité par leurs demandes continuelles ^^
« Habitants de Moab, quittez les villes et de-
a meurez dans les rochers, et fuyez comme le
« pigeon qui fait son nid aux côtés de l'entrée des
a cavernes. » — Dans une description générale
qu'il fait des habitants de ce vaste désert, qui
occupe maintenant l'emplacement de villes jadis
si florissantes, Volney dit : Les malheureux
paysans vivent dans une crainte continuelle de
perdre le fruit de leurs travaux, et ils n'ont pas
plus tôt ramassé leur récolte qu'ils se hâtent de la
cacher dans quelque endroit écarté et se retirent
parmi les rochers qui bordent la Mer-Morte '^
Vers l'extrémité opposée du pays de Moab et à une
petite distance de ses bords, Seetzen rapporte
qu'un grand nombre de familles habitent dans des
cavernes qui avoisinent cette mer, et il les ap-
pelle « les habitants des rochers '%) . A quelques
milles des ruines d'Hesbon, dans une grande
chaîne de rochers perpendiculaires , se trouvent
plusieurs cavernes artificielles dans lesquelles on
a pratiqué des chambres et quelques petites cel-
lules à coucher'^*. Ainsi les rochers se peuplent
(68) Burckhardt, p. 781. — (69) Volney, vol. II, p. S/j/i.
(70) Seetzen, p. 26. ■— (71) Irby et Mangles, p. 473.
21G MOAB. eu. XI.
(riial)i(anls pendant que les villes sont désertes.
Mais soit que « les troupeaux reposent dans les
villes sans (|ue persoune les é[)Oiivante », soit
que des hommes fossent leur retraite dan sees ro-
ehers, « comme le pigeon qui fait son nid aux
côtes de l'entrée des cavernes», ce singulier
changement et le parfait accord des faits avec la
prédiction nous prouvent clairement que, quel-
que aveugles que nous soyons, elle n'en est pas
moins la parole de ce Dieu devant qui les ténèbres
de l'avenir ne sont que clarté, et sans la permis-
sion duquel un seul passereau ne peut tomber en
terre ''^
Ici nous croyons pouvoir remarquer que les
prophéties et les faits qui s'accordent si bien avec
elles, quoiqu'empreints d'un caractère de sévérité,
n'en sont pas moins consolants pour le chrétien,
en tant qu'il sait que Celui qui ne peut souffrir le
péché, qui récompense chacun selon ses œuvres,
peut aussi changer « le mal en bénédiction, » et
que, « lorsqu'il est en colère, il se souvient d'avoir
(7^) Nous ne devrions pas passer sous silence une autre prédic-
tion relative au sort de Moab, quoique les expressions ne soient pas
aussi claires et aussi positives que celles que nous avons citées dans
cet ouvrage. Le passage suivant nous fait bien voir combien Moab
est tombée de son ancienne élévation, et juqu'à quel point il a dû
déposer l'orgueil et l'arrogance de son cœur : a Dans la vallée de
Wala, tout près de la rivière d'Ammon, dans laquelle se jette celle
de Wala, Burckhardt observa un nombreux parti d'Arabes du dé-
sert qui y avaient établi leur camp. Sans cesse poursuivis par les
autres tribus, « ils errent dans une misère profonde, » ne possèdent
qu'un très petit nombre de chevaux, sont hors d'état de nourrir des
troupeaux de chèvres ou de brebis. Leurs tentes sont dans l'état le
plus misérable ; ils vont presque nus, hommes et femmes ; les pre-
miers n'ont d'autres vêtements que quelques morceaux d'étoffe au-
tour de la ceinture ; celui des femmes ne consiste qu'en une espèce
de chemise flottante qui pend en haillons autour d'elles.
« Moab sera un sujet de moquerie; car il arrivera que les fdles
« de Moab seront au passage d'Arnon comme un oiseau volant çà
a et là, » (Voyages de Burckhardt, p, 370, 371. — Jérémie, XL VIII,
39. — Esaïe, XVI, 2.)
247 ÉDOM. CH. xn.
« compassion » . En raisonnant donc simplement
d'après rexpérience (pour nous servir d'un ar-
gument de Hume''), ne devons -nous pas aussi
tirer la conclusion que, puisque les prédictions
qui ont annoncé la désolation ont été accomplies
par le passé, celles qui se rapportent au rétablis-
sement final de Moab et d' Amnion seront égale-
ment accomplies dans Tavenir? Ne serait-ce pas
rejeter l'autorité de la raison, ainsi que celle de
l'Ecriture, que de ne pas ajouter foi aux paroles
du prophète, quand il dit : « Toutefois je rame-
a nerai et je mettrai en repos les captifs de Moab
a dans les derniers jours '\ » — « Je ferai revenir
a les captifs des enfants d'Ammon , dit l'Eter-
« nel '^ » — « Les restes de mon peuple les possé-
a deront '\ » — « Ils rebâtiront ce qui aura été
<i désert longtemps , ils rétabliront les lieux qui
« auront été auparavant désolés , et ils renouvel-
le leront les villes abandonnées et ce qui était
« désolé depuis longtemps"-
CHAPITRE XIL
PROPHÉTIES CONCERNANT ÉDOM OU ï/lDlIMÉE.
Mais un sort plus terrible encore attendait le
(73) L'habitude où nous sommes de transporter le passé à l'avenir
dans toutes nos inductions, fait que lorsque 'e passé a été complè-
tement uniforme, nous attendons les événements futurs arec la plus
grande assurance, ne supposant même pas qu'il puisse y avoir la
moindre différence. ( Hume, Essai sur les probabilités.)
(7/i) Jérémie, XL VIII, 47. — (75) Ibid., XLIX, 6.
(76) Sophonie, II, 3.
(77) Esaïe, LXI, /i; LVÏÏI, 12. — Ezécbiel, XXXVI, 33, 38.
2îH KDOM. Cil. :Kn.
payscrEdoni ou criduniéc.^ et c'est un incrédule
qui le preuiicr a rendu témoii^na^^e de son acconi-
plissement. Nous pourrons tout d'abord joindre
ce ténioii^nage aux prophéties elles-mêmes, et ce
rapprochement ne manquera pas de frapj)er tout
esprit impartial. 11 y a plusieurs prophéties rela-
tives à Edom qui admettent une interprétation
littérale , quelque hyperboliques qu'elles puis-
sent paraître.
« Mon épée descendra en jugement sur Edom
« et sur le peuple que j'ai mis à l'interdit. Elle
« sera désolée de génération en génération et il
« n'y aura personne qui passe par elle à jamais.
« Mais le cormoran et le butor la posséderont;
« le hibou et le corbeau y habiteront, et on éten-
« dra sur elle la ligne de confusion et le niveau
« de désordre. Les princes crieront qu'il n'y a
X plus là de royaume , et tous ses gouverneurs
« seront réduits à rien. Les épines croîtront dans
« ses palais , les chardons et les buissons dans
« ses forteresses, et elle sera le repaire des dra-
« gons et le parvis des chats-huants ; là les bêtes
« sauvages des déserts rencontreront les bêtes
« sauvages des îles , et la chouette criera à sa
u compagne; là même se reposera l'orfraie, etelle
« y trouvera son repos. Là le martinet fera son
« nid et y couvera , il y éclora et il y recueillera
« ses petits sous son ombre; là aussi seront ras-
« semblés les vautours l'un avec l'autre. Re-
« cherchez au livre de l'Eternel et lisez : il ne
« s'en est manqué quoi que ce soit ; celle - là
« ni sa compagne n'y ont point manqué; car
« c'est ma bouche qui l'a commandé , et son
*< esprit est celui qui les aura assemblés ;
« car il leur a jeté le sort, et sa main leur a
« distribué ce pays au cordeau. Ils le pos-
(( sèderont à toujours ^ et ils y habiteront d'âge
m. XîL Èi)ôM. 249
^^^ en âge'". Quant à Edom, ainsi a dit TEter-
« nel des armées : N'est-il pas vrai qu'il n'y
<c a plus de sagesse dans Théman? le conseil a
« manqué aux hommes entendus; leur sagesse
<i s'est évanouie. J'ai fait venir sur Esaii sa ca-
« laraité., le temps auquel je veux le visiter. Il
^ était entré chez toi des vendangeurs; ne t'au-
« raient-ils point laissé de grapillage? Si c'étaient
« des larrons de nuit , ils n'auraient pris que ce
« qui leur aurait suffi. Mais j'ai fouillé Esaû, j'ai
<c découvert ce qu'il avait de plus caché, telie-
« ment qu'il ne se pourra cacher. Voici , ceux qui
<ï ne devaient pas boire de la coupe en boiront
<î certainement; et toi, en serais-tu exempt eu
« quelque manière? Tu n'en seras point exempt;
« mais tu en boiras certainement. J'ai juré par
« moi-même, dit l'Eternel, que Bohra sera ré^
« duite en désolation, en opprobre, en désert et
« en malédiction , et que toutes ces villes seront
« réduites en déserts perpétuels; car voici, je te
<i rendrai petit entre les nations et méprisable
« entre les hommes. Ta présomption et la fierté
« de ton cœur t'ont séduit, toi qui habites dans le
« creux des rochers, et qui occupes le sommet des
<c coteaux. Quand tu aurais élevé ton nid comme
« l'aigle, je t'en jetterai bas de là, dit l'Eternel
« Idumée sera réduite en désolation, tellement
« que quiconque passera près d'elle en sera éton-
« née et sifflera à cause de toutes ses plaies. 11
ce n'y demeurera personne, a dit l'Eternel, et au-
<x cun fils d'homme n'y séjournera, comme cela
« arriva dans la subversion de Sodome et de Go-
« morrhe et de leurs lieux circonvoisins '^ »
« Ainsi a dit le Seigneur l'Eternel: J'étendrai
« ma main sur Edom , j'en retrancherai les
(78) Esaïe, XXXIX, 5, 10-17.
(79) Jérémie, XLIX, 7-10-12, 13, 15-18.
11.
260 ÉDOM. CH. XII.
« liomnies et les hètcs, et je le réduirai en dé-
« sert; depuis Tliéuian ils loinberontpar l'épée"^
« La parole de TEternel me fui eneore adressée et
« il me dit : Fils d'homme, tourne ta face contre
^' la montagne de Séhir et prophétise contre elle,
« etiuidis: AinsiaditleSeigneurrEternel: J'éten-
« drai ma main contre toi et je te réduirai en dé-
« solation et en désert, je réduirai tes villes en
« déserts et tu ne seras que désolation ^*. Je ré-
<< duirai la montagne de Séhir en désolation et en
« désert, et je retrancherai d'elle les allants et
« les venants ^'\ Je te réduirai en désolations éter-
« nelles et tes villes ne seront plus habitées ^^
« Lorsque toute la terre se réjouira, je te réduirai
^< en désolation. Tu seras désolée, ô montagne de
c< Séhir, et même toute Tldumée entièrement; on
« connaîtra que je suis TEternel ^^, Idumée sera
« réduite en désert^" à cause de trois crimes d'E-
« dom , même à cause de quatre; je ne révoque-
nt rai point ceci^^. » — « Ainsi a dit le Seigneur l'E-
« teroel touchant Edom : Voici , je te rendrai petit
« entre les nations et tu seras fort méprisé. L'or-
« gueil de ton cœur te trompe, toi qui habites
« dans les fentes des rochers , qui sont ta haute
« demeure. Je ferai périr les sages au milieu
« d'Edom , et la prudence dans la montagne d'E-
u saii. La maison de Jacob possédera ses posses-
(( sions, mais il n'y aura rien de reste dans la
« maison d'Esaù^^ J'ai mis les montagnes d'Esaii
« en désolation et exposé son héritage aux dra-
X gons du désert. Que si Edom dit : Nous avons
« été appauvris, mais nous retournerons, nous
« rebâtirons les villes ruinées; ainsi a dit l'Eter-
(80j Ezéchiel, XXV, 13. — (8J)Ibid., XXXV, 1-4.
(82) Ibid., 7. — (83) Ibid., XXXV, 9. — (84) Ibid., 14-15.
(85) Joël , m, 4 9. — (86) Amos, I, dl.
(87) Abdias, I, d-3, 8, 17, 18.
0 ,
CH. Xlt. ÉDOM. 251
« nel des armées : Ils rebâtiront , mais je les dé-
« détruirai et on les appellera le pays de mé-
« chanceté ^^ »
Existe-t-il donc quelque part un pays jadis riche
et peuplé qui ait été frappé d'un tel excès de
désolation? Oui^ et ce pays estridumée^ et le
territoire des descendants d'Esaû nous offre une
preuve aussi frappante de la divine autorité des
Ecritures , que Ta déjà fait le sort des enfants
d'Israël. L'Idumée était située au sud de la Judée
et deMoab; elle confinait à l'est avec l'Arabie
Pétrée^ nom sous lequel elle a été englobée dans
la dernière partie de son histoire, et elle s'éten-
dait au sud jusqu'au golfe oriental de la Mer-
Rouge. Un seul extrait de Volney fera ressortir
également et la vérité de la prophétie et le fait qui
en est l'accomplissement : Ce pays n'a été visité
par aucun voyageur ; cependant il mériterait de
l'être ; car d'après ce que j'ai ouï dire aux Arabes
de Bàkir et aux gens de Gaza qui vont à Màân et
au Karak sur la route des pèlerins, il y a au sud-est
du lac Asphaltite (la Mer-Morte), dans un espace
de trois journées, plus de trente villes ruinées,
absolument désertes. Plusieurs d'entre elles ont
de grands édifices, avec des colonnes qui ont pu
être des temples anciens, ou tout au moins des
églises grecques. Les Arabes s'en servent quelque-
fois pour parquer leurs troupeaux ; mais plus sou-
vent ils les évitent, à cause des énormes scorpions
qui s'y trouvent. On ne doit pas s'étonner de ces
traces de population, si l'on se rappelle que ce fut
là le pays des Nabathéens qui furent les plus puis-
sants des Arabes, et des Iduméens qui, dans le der-
nier siècle de Jérusalem, étaient presque aussi
nombreux que les Juifs; témoin le trait cité par
(88) Malachie, I, 3, 4.
262 ÉDOM. eu. XH,
Josèplie, (j[ui dit qu'au bruit de la marche de
Titus contre Jérusalem il s'assembla tout-à-coup
trente mille Idumécns qui se jetèrent dans la
ville pour la défendre.
Il paraît qu'outre un assez bon gouvernement
ces cantons eurent encore pour mobile d'activité
et cause de population une branche considérable
de commerce de l'Arabie et de l'Inde. On sait que
dès le temps de Salomon les villes d' A stioum-Gâber
(Esion-Gâber) et d'Aïlah (Eloth) en étaient deux
entrepôts très fréquentés ; ces villes étaient situées
sur le golfe adjacent de la Mer-Rouge, où Ton
trouve encore la seconde avec son nom , et peut-
être la première dans el'Agabé ou /a ^n( de la mer).
Ces deux lieux sont entre les mains des Bédouins
qui, n'ayant ni marine ni commerce, ne les habitent
point ; mais les pèlerins du Kaire qui y passent rap-
portent qu'il y a à el-Agabé un mauvais fort^^ Les
Iduméens, à qui les Juifs n'enlevèrent ces ports
que par époques passagères, durent en tirer de
grands moyens de population et de richesse ; il pa-
raît même qu'ils rivalisèrent avec les Tyriens qui
possédaient en ces cantons une ville dont le nom
est inconnu, sur la côte de VHedjaz, dans le désert
de Tih, la ville de Faran, et sans doute el-Tor,
qui lui servait de port. Délaies caravanes pou-
vaient se rendre en Palestine et en Judée ( en
traversant l'Idumée) dans l'espace de huit à dix
jours; cette route, plus longue que celle de Suez au
Kaire, l'est infiniment moins que celle d'Alep à
Basra ^^
Voilà un témoignage qui n'admet pas le plus
léger doute sur son impartialité ; il est impossible
d'y rien trouver à redire, et cependant elle pèse
de tout son poids en faveur de la véracité de ces
(89) Ce port appartient maintenant au pacha d'Egypte.
(90)Volney, eh. xxxr, p. 317, 318, 319.
CH. Xfl. ÉDOM. 253
pi ophéties extraordinaires. Q ue les Iduméens aient
été une nation nombreuse et puissante plusieurs
siècles après rémission des prophéties ; qu'ils aient
eu, de même au jugement de Volney, un assez bon
gouvernement; que Tldumée ait contenu un grand
nombre de villes ; que ces villes soient aujourd'hui
absolument désertes ; que leurs ruines soient le
repaire des scorpions; que les Iduméens aient été
une nation commerçante et aient possédé des en-
trepôts très fréquentés; que ce pays offre pour
aller aux Indes une route plus courte que le che-
min ordinaire , et que cependant il n'ait été visité
par aucun voyageur ; ce sont autant de faits
avancés et prouvés par le témoignage involon-
taire de l'habile auteur des Ruines.
L'Idumée avait été constituée en royaume
longtemps avant que celui d'Israël existât ; elle
avait été gouvernée d'abord par des chefs et des
princes , ensuite successivement par huit rois ,
plus tard encore par des chefs , avant qu'aucun
roi eût régné sur les enfants d'Israël ^* . Sa ferti-
lité et sa civilisation se trouvent clairement indi-
quées non-seulement dans la bénédiction d'Esaii
dont la demeure devait être « au milieu d'un terroir
gras, arrosé de la rosée des cieux d'en haut » , mais
aussi dans la condition que fît Moïse lorsqu'il solli-
cita pour les Israelites la permission de traverser
les frontières : « Nous ne passerons point, dit-il,
par les champs ni par les vignes ; » et encore dans
le tableau qui nous est fait de la richesse et des
troupeaux que possédait un individu de ce pays ,
à une époque probablement très éloignée ^^ Il n'y
a aucun doute que les Iduméens ne fussent un
peuple riche et puissant. Ils faisaient souvent la
guerre aux Israelites et se liguèrent contre eux
(91) Genèse, XXXVI, 3i-/i3.
(92) Ibid., XXVII, 39. — Nombres, XX, ^7. — Job, XLII, 42.
2o4 ÉDOM (H. XII.
aveclenrsauln^scnnoinis. David les souniilet les
lit beaucoup souffrir; i^rand noinhre d'entre eux
furent dispersés dans les contrées ad jacentcîs, par-
liculièrenient dans la Pliénicie et dans TEf^ypte.
Mais pendant la décadence du royaume de Judée,
et déjà quelques années avant sa chute , les Idu-
méens s'emparèrent d'une partie du territoire des
Juifs et étendirent leurs possessions au sud-ouest
de la Judée. Et quoique maintenant aucune gloire
ne s'attache au nom de l'Idumée, qui n'existe plus
que dans l'histoire ancienne, cependant le premier
des poètes de Rome ne la jugea pas indigne de
ses louanges :
Primu^Idiiinaeas referam tibi, Mantua, palmas.
Virg.jGéorg., III, 12.
Et Lucain en dit :
Arbustis palmarum dives Idume.
Pharsah, III, 216.
L'Idumée , comme royaume , peut pourtant
montrer ses titres à une plus grande célébrité
que celle que put lui procurer la multitude de
ses troupeaux ou la beauté de ses palmiers.
La célèbre ville de Pétra, nommée ainsi par les
Grecs à cause de son site rocailleux , était située
dans le territoire du pays d'Edom ^\ Il y a des
(93) Le nom de celte capitale, dans toutes les différentes langues,
signifie rocher ou roc, et c'est ainsi que Strabon, Edrissi et les SS.
Ecritures en parlent. La Pétrée, dit Bochart, tire son nom de sa
capitale, Pétra, en hébreu Sélah et en arabe Hagar. Cette ville fut
ainsi nommée à cause des rochers et des montagnes qui la domi-
naient. La population arabe dit encore aujourd'hui que les maisons
de Pétra étaient toutes bâties dans le roc. Bochart, Phaleg., 1. IV,
c cxxvii, édit. Lugd. 1712.
Par rapport à Tallégorie dont parle saint Paul ( Galates, IV, 25),
comme Ta remarqué Josèphe, il est intéressant de savoir que les
Nabathéens étaient les descendants d'Ishmaël, fils d'Hagar. Or, la
prophétie qui menace Edom d'une perpétuelle désolation peut ser-
vir de commentaire à l'allégorie dont nous venons de parler; et
cette allégorie elle-même serait un véritable enseignement, si , pénc-
€H. XU. ÉDOM. 255
preuves certaines qu'elle était une des villes
d'Edoni ^* et la métropole des Nabathéens ^ qui ^ à
ce que dit Strabon^ formaient une même nation ^%
et que les Iduméens possédaient le même pays et
étaient gouvernés par les mêmes lois®^ Le docteur
Vincent 5 en parlant de l'ancien commerce de Pétra^
avant qu'on eût découvert ses ruines^ dit : Pétra
est la capitale d'Edom ou de Séhir , l'Idumée ou
l'Arabie Pétrée des Grecs , le Nabathé que les
géographes, les historiens et les poètes regardent
comme la source des plus précieuses denrées de
l'Orient ^^ A toutes les époques , les caravanes
venant de Minée dans l'intérieur de l'Arabie , et
de Gerrha sur le golfe persique, et d'Hadramaut
vers l'Orient, ont considéré Pétra comme leur
centre commun. Et depuis Pétra le commerce
semblait s'étendre de tous côtés , vers l'Egypte ,
la Palestine, la Syrie, par Arsinoë, Gaza, Tyr,
Jérusalem, Damas, et nombre d'autres routes
qui aboutissaient toutes à la Méditerranée ^^ Il est
très facile de prouver que ce sont les Tyriens et
les Sydoniens qui ont les premiers porté les pro-
ductions des Indes à toutes les nations voisines
de la Méditerranée, et qu'ainsi les Tyriens tiraient
toutes leurs denrées de l'Arabie. Mais si l'Arabie
était le centre de ce commerce, c'était vers Pétra
tré du caractère de vérité prophétique qu'elle présente, le lecteur
voulait faire un rapprochement entre l'état moral et définitif des
enfants de la femme esclave et ceux de la femme libre.
(94) Comme Pétra deviendra plus tard Tobjet d'une attention
particulière, on peut ici citer quelques paroles des anciens auteurs
qui se rapportent à cette ville. Uir^y. sv -^yi E^cùu. ttj; Apa^iocç.
(Eusebii Onomast.)
Petra Àrabiœ internae Edom (Hiéron). — Vide Relaadi Palaesti-
nam, t. I, p. 70.
(95) Strabon, 1. XVI, p. 775, édit. de Paris, 1620.— (96)lbid., 760.
(97) Commerce des Anciens, par Vincent, vol, II, p. 263.
(98) Agatharchides, Huds, p. 67. —Hist. nat. de Pline, I. VI,
ch. XVII I.
2ô6 KDOM. eu. Xll.
que se dirij»eaient tous les Arabes des divers
points de la vaste péninsule ^^
Environ 800 ans avant Jésus-Christ, Ama-
zias, roi de Judée, s'empara de Sélah ou Pétra
(ces deux mots signifient, l'un et l'autre, rocher),
après avoir tué 10,000 Edomites *. Cinq cents ans
après , cette ville résista aux assauts réitérés de
Démétrius, qui s'en était approché à l'impro-
viste, dans l'espoir de la prendre par surprise ;
et ce même conquérant, qui plus tard parvint
à prendre Babylone , se vit obligé de lever le
siège de la capitale d'Edom^ Pétra, après s'être
soumise aux Arabes Nabathéens , devint la capi-
tale de l'Arabie , ou du moins de l'Arabie Pé-
Irée ; et les rois qui y régnèrent sous le nom d'O-
bodas et d'Arétas prirent successivement le
titre de rois d'Arabie. Trois cents ans après le
dernier des prophètes, c'est-à-dire environ un
siècle avant l'ère chrétienne, Alexandre Jan-
née , roi de Judée , après s'être emparé de plu-
sieurs villes de l'Idumée et des nations^ voisines ,
fut défait par Obodas, perdit son armée, et faillit
lui-même tomber au pouvoir du vainqueur. Le
deuxième roi de Pétra fut Aretas, successeur
d'Obodas. Ce personnage fameux défit et tua
Antiochus Dionysius, roi de Syrie , et augmenta
ses états en y joignant la Calésyrie. Ce fut à cette
époque qu'Hyrcan , fils d'Alexandre , se vit
dépossédé de son royaume par Aristobule , son
frère aîné. Antipater, riche Iduméen, et père
d'Hérode- le -Grand, conseilla à Hyrcan d'im-
plorer le secours du roi d'Arabie , et le mena à
Pétra, oil était situé le palais d'Arétas ".
Hyrcan s'étant engagé, aussitôt qu'il aurait
(99) Vincent, p. 260, 262, 2Qli. — (1) IL Rois, XIV, 7.
(2) Diod. Sic, t. VIII. — Prideaux.
(3) Josèphe, Ant., LXIV, ch. i. § /».
CH. XÎL ÉDOM. 257
reconquis son royaume ^ à rendre les douze villes
et le territoire que son père avait enlevés aux
Arabes ou Nabathéens, Aretas s'avança contre
Aristobule à la tête de 50,000 hommes , et le
vainquit. Il se dirigea alors sur Jérusalem , oil,
ayant réuni ses forces à celles des Juifs , il pressa
vigoureusement le siège du temple , et ne le leva
qu'à l'approche des Romains qui venaient au se-
cours des assiégés. Au dire de Strabon , Pétra ,
soit avant , soit après l'ère chrétienne 5 ne cessa
jamais d'être gouvernée par des rois de la race
d'Obodas ou de celle d'Aretas; seulement ils
s'associèrent un prince ou procurateur 5 avec le
titre de frère ^. Au commencement du second
siècle 5 Pétra, bien qu'elle eût perdu son indé-
pendance 5 et qu'elle fût alors la capitale d'une
province romaine , était toujours réputée la mé-
tropole de l'Arabie ; et , comme l'attestent plu-
sieurs médailles, l'empereur Adrien ajouta soa
nom à celui de cette ville ^ Elle fut longtemps la
capitale de la troisième Palestine , Palestina ter-
tiana, she salutaris, et , comme telle , elle était le
siège métropolitain des quinze villes dont cette
province se composait ®.
L'ancien état de l'Idumée ne peut pas être aussi
bien constaté de nos jours par les récits histo-
riques qui nous restent de son ancienne splen-
deur que par les merveilleux vestiges que
nous trouvons de sa capitale, et par les nom-
breuses traces de villes et de villages qui nous
montrent indubitablement que sa population était
jadis considérable ^ — « Il est donc clairement
(4)Strabon, p. 779.
(5) Pelra est Arabiaa metropolis ; extant numrai , in quibus
AAPIAINH PETPA MHTP0n0AI2 legitur, etc Relandi Palestina,
t. II, p. 931. — (6) Ibid., 1. 1, p. 315.
(7) Burckhardt, p. /i36.
2o8 ÉI)()\I. CH. XII.
doiijontré que la terre d'Ecloiu existait dans un
état bien dilïérent de la désolalion universelle
qui la caractérise maintenant , et qui fut annoncée
par les prophètes bien des siècles avant qu'elle
arrivât véritablement; mais de plus, il y a
d'autres prédictions qui se rapportent h elle,
surtout celles que renferme le xxxiv® chapitre
d'Isaïe, qui parlent des temps où les enfants d'É-
saii la posséderont à toujours, et aussi de Tannée
de rétribution pour soutenir le droit de Sion. »
Quelque dangereux qu'il soit maintenant de par-
courir l'Idumée , quelque difficile qu'il soit de
constater la vérité des faits qui la concernent et
de préciser les circonstances de son état actuel ,
cependant on est parvenu à s'assurer que la
malédiction de Dieu est tombée sur elle , que sa
sentence s'estaccomplie,etque5 bienquel'homme
lui-même ait été l'instrument entre les mains du
Tout-Puissant pour l'accabler de tant de fléaux,
cependant tout est en parfait accord avec les
prédictions des prophètes inspirés.
Il y a une prophétie relative à l'Idumée qui
doit , plus que toutes les autres , attirer notre
attention, parce qu'elle explique la cause de la dif-
ficulté que nous trouvons à obtenir une connais-
sance exacte et approfondie de l'état Intérieur du
pays. « Il n'y aura personne qui passe par elle à
« jamais. Je réduirai la montagne de Séhir en dé-
« solation. Je retrancherai d'elle les allants et
« les venants. » L'ancienne importance de l'I-
dumée dépendait en grande partie de son com-
merce. Touchant à l'est à l'Arabie , et à l'Egypte
au sud-ouest, et formant du nord au sud une
voie de communication directe et facile entre
Jérusalem et ses possessions sur la Mer-Rouge ,
entre la Syrie et les Indes , par les vallées d"El-
Ghor etd'El-Araba, quis'étendaientpar une extré-
CH. XII. EDOM. 259
mité jusqu'aux bords de la Mer-Rouge 5 et par
l'autre jusqu'à Elath et à Esiongaber , sur le golfe
élanitique de la Mer-Rouge, on peut regarder
ridumée comme formée pour être le centre du
commerce de l'Orient. Une voie romaine traversait
ridumée depuis Jérusalem jusqu'à Akaba, et
une autre d'Akaba à Moab \ Quand ces routes
furent construites , plusieurs siècles antérieure-
ment à ces prédictions 5 comment aurait-il été
possible de concevoir l'idée qu'un jour viendrait
oil personne n'y passerait? Plus de sept cents
ans après l'époque de cette prophétie, Stra-
bon rapporte que son ami Athénodore le philo-
sophe, qui visita Pétra, y rencontra plusieurs Ro-
mains et d'autres étrangers ^ Cette prédiction
est encore plus remarquable, quand on la lie à
une autre oîi il est bien entendu que des voya-
geurs « traverseront » cette contrée , puisqu'il est
dit que « quiconque passera près d'elle sera
« étonné. » Et les routes d'Hadji (les routes des pè-
lerins ) depuis Damas jusqu'au Kaire et la Mè-
que. Tune à l'orient, l'autre au sud de l'Idu-
mée , touchent à la frontière dans toute son
étendue; on la côtoie sans traverser le pays.
On pourrait croire facilement que les paroles
de la prédiction annoncent seulement que l'I-
dumée cessera d'être le centre du commerce
de beaucoup de nations, et que ses places si fré-
quentées ne seront plus des entrepôts de luxe et
de trafic; et il ne serait pas difficile de démontrer
même à l'esprit le plus sceptique combien, dans
ce sens restreint, la prédiction a été généralement
accomplie. Mais le fait auquel elle se rapporte
exige que la prophétie soit littéralement comprise
et accomplie dans tous ses détails. Le fait étant
(8) Cartes des Voyages de Burckhardr, — (9) Strabon, p. 775,
2G0 EDOM. Cfl. Xll.
en lui-inèiiic iiéi^atif , il nécessite un examen plus
minutieux et plus exact que s'il s'était agi d'une
observation ou d'une découverte qu'une simple
description aurait pu prouver. — Ainsi donc, au
lieu de nous contenter de citer telle ou telle auto-
rité , nous allons présenter au lecteur des preuves
aussi remarquables que les prophéties, et qui ten-
dent involontairement à établir l'exactitude de ce
fait pour les siècles passés. C'est pour les siècles
à venir qu'est réservé l'entier accomplissement
de ces prophéties.
Volney, qui pénétra à l'ouest de l'Idumée, fait
la remarque que ce pays n'a jamais été visité
par aucun^voyageur, et cette remarque, qui n'est
que la répétition de ce qu'il a ouï dire aux Ara-
bes de cette contrée, n'a pas échappé à l'atten-
tion du lecteur. — Dès que Burckhardt eut mis
le pied sur le territoire des Iduméens, dont
il marque exactement les limites , il dit qu'il se vit
sans protection au milieu d'un désert oii aucun
voyageur n'avait pénétré avant lui *^. Pour la pre-
mière fois pendant tout le cours de ses voyages ,
il eut un sentiment de crainte, et sa route était
la plus périlleuse qu'il eût jamais parcourue **.
M. Joliffe, qui visita les bords septentrionaux de
la Mer-Morte, en parlant de la contrée qui s'étend
au sud , dit que c'est une des parties les plus sau-
vages et les plus dangereuses de l'Arabie. Il
ajoute qu'il était impossible d'y faire aucune re-
cherche '^ — Sir Frédéric Henniker, dans ses
notes datées du mont Sinaï, au sud de l'Idumée,
rend un témoignage éclatant à l'accomplissement
de la prophétie 5 tout en racontant un fait qui
d'abord y semblerait contraire. «Seetzen imagina
d'écrire sur un morceau de papier collé contre le
(10) Burckhardt, p. 421. — (11) Ibid., p. 400.
(12) Lettres sur la Palestine, vol, I, p. 129.
CÏI. Xli. ÉDOM, 261
mur 5 qu'il a traversé le pay% en ligne droite ^
entre la Mer-Morte et le mont Sinaï ( à travers
ridumée ) « voyage que personne n'avait encore
fait ^^ » . Cette nouvelle fut d'autant plus intéres-
sante pour moi , que déjà je m'étais décidé à ten-
ter la même route , qui me parut devoir être la
« plus courte 5 » pour me rendre à Jérusalem. Le
chevalier Frediani, que j'avais rencontré en
Egypte 5 voulut me persuader qu'elle était impra-
ticable ^ qu'il avait lui-même eu cette intention^
et qu'après un délai de cinq semaines il s'était vu
forcé de renoncer à son entreprise. — Pendant
que j'étais encore occupé de ce chiffon de papier^
le supérieur vint me rendre visite; il me dit en-
core que mon projet était impraticable ^ mais à la
fin il promit de me chercher des guides. — J'avais
essayé en vain de persuader à ceux qui m'avaient
conduit depuis Edom de m'accompagner dans ma
nouvelle route. L'idée du danger les effrayait.»
Il trouva enfin des guides, qui à force de prières
et d'argent 5 promirent de le conduire par la
route qu'il voulait faire; mais enfin , subjugués
par leurs craintes , ils le trompèrent et le menè-
rent vers la côte de la Méditerranée , à travers
le désert de Gaza *\
Il nous reste encore à donner le détail des
nombreuses difficultés que le voyageur rencontre
aussi sur une autre route, qui semble la plus di-
recte et la plus rapprochée de la Judée, lorsqu'il
veut pénétrer dans l'ancien royaume d'Idumée ;
difficultés qui ne se rencontreraient probablement
dans aucune autre partie de l'Asie, et certai-
nement dans aucune autre partie du monde. Les
capitaines Irby et Mangles, ayant échoué dans
toutes leurs tentatives pour obtenir le consente-
(iS)Burckhar(]t,p. 553.
(i4) Voyages de sir Frederic Henuiker, p. 223-22a.
262 ÉDOM. CH. XII.
ment ou \v secours des aulorilés j)iil)liques de
ConslanUnople, Damas , Jérusalem et Jaffa, et
quoique avertis du danj^er qu'ils auraient à cou-
rir de la part des Arabes sauvages et faux, se dé-
cidèrent h visiter seuls les ruines de Pétra; s'étant
pourvus de chevaux et de munitions, et vêtus de
costumes arabes , au nombre de onze , y compris
les domestiques et les guides, ils se décidèrent
à tenter fortune auprès du clieik d'Hébron. Il
commença par leur promettre ce qu'ils deman-
daient , puis , « effrayé à la pensée de sa propre
témérité, » il leur refusa et secours et protection.
— On offrit en vain de l'argent aux guides. — Il
fut donc impossible de trouver la moindre faci-
lité '^
Nous avons encore une preuve de la difficulté
qui existe non pas pour traverser l'Idumée ( les
voyageurs n'y ont jamais songé), mais pour entrer
sur son territoire , dans la conduite d'une tribu
arabe qui offrit plus tard de les accompagner et
de les protéger jusqu'à Kerek, à un prix assez
raisonnable, mais qui se refusa nettement et posi-
tivement à les conduire à aucun pays au-dedans
des limites d'Edom. — Nous leur offrîmes 500
piastres pour nous conduire à Wady Mousa; mais
rien ne put les y déterminer. Ils nous dirent qu'ils
n'iraient pas, quand nous leurs donnerions 5,000
piastres, parceque, disaient-ils, de quoi sert l'ar-
gent à un homme qui perd la vie *^ ? Ayant à la
fin obtenu la protection d'un chef arabe intré-
pide et de sa suite, les voyageurs arrivèrent jus-
qu'aux frontières de l'Idumée ; mais alors leur
marche fut arrêtée de la manière la plus dé-
cidée et la plus menaçante. Le cheik de Wady
(15) Voyages à Constantinople en 1813, par Macmichael. Ap-
pendix, p. 1 99.
{\6) Irbv et Mangles p. 349.
(M. X!î. ÉDOM. 263
Mousa et son peuple firent serment qu'ils ne leur
permettraient pas d'avancer, et qu'ils ne leur lais-
seraient pas boire de leur eau, ni passer par leur
territoire. Le chef arabe qui les avait pris sous sa
protection jura de son côté qu'ils boiraient de
l'eau de Wady Mousa, et qu'ils iraient oîi bon lui
semblerait.
Plusieurs jours se passèrent ainsi en prières,
en intrigues et en menaces; tout fut également
infructueux. La détermination et la persévérance
de l'un des partis furent égalées par la résistance et
l'opiniâtreté de l'autre. Les artifices , les argu-
ments et les mensonges d'Abou Raschid,le chef
intrépide qui avait pris les voyageurs sous sa
protection , et dont rien ne pouvait dompter l'o-
piniâtreté, ayant manqué leur but , il envoya des
messagers vers tous les camps soumis à son in-
fluence, rejeta toute espèce d'arrangement avec
l'ennemi, résista aux remontrances de ses servi-
teurs , et se décida à faire par force ce qu'il avait
juré d'accomplir. — A la fin cependant on per-
mit aux voyageurs de poursuivre en paix leur
route ; on leur accorda un court espace de temps
pour visiter les ruines; mais on apercevait de
tous côtés sur les hauteurs des troupes d'Arabes
qui épiaient leurs mouvements. — Abou Ras-
chid lui-même en fut effrayé; il avait perdu son
calme, et priait les voyageurs de partir. Il y eut
donc beaucoup de choses qu'il leur fut impossible
de visiter; et même on ne leur accorda pas le
temps de visiter les ruines d'un grand temple
qu'on apercevait dans le lointain. — Ils ne pas-
sèrent pas par l'Idumée.
Ainsi, Volney , Burckhardt, Joliffe, Henniker, et
les capitaines Irby et Mangles, non-seulement ren-
dent témoignage de la vérité du fait qui est l'accom-
plissement de la prophétie, mais encore racontent
264 ÈDOM. CH. XIL
une variété de circonstances qui [)r()uvent toutes
que riduuiée, si longtemps le rendez-vous de tou-
tes les nations, est maintenant environnée de dan-
gers pour tous les voyageurs qui veulent « y pas
ser » ; les Arabes même qui habitent aux environs,
et qui sont accoutumés aux dangers du désert,
craignent de pénétrer dans l'intérieur ou d'y con-
duire des étrangers. Cependant, dans aucun des
différents récits, on ne trouve une seule allusion
aux prophéties de la Bible, et ce témoignage est
aussi peu suspect et aussi indépendant qu'il est
abondant et clair.
Il y eut peu de pays aussi fréquentés que le fut
pendant longtemps l'Idumée, et peu de villes
aussi renommées , comme centre de commerce ,
que l'était sa capitale ; et depuis un grand nombre
de siècles il n'y a point de pays qui soit aussi
abandonné, ou plus complètement privé des avan-
tages de la civilisation et du commerce ^\ Qui au-
rait pu prévoir et prédire un tel contraste si ce n'est
Celui dont la prescience est parfaite^ en toutes
choses? Mais quoique, depuis des siècles, per-
sonne ne passe par ce pays, cependant le sens de
la prédiction indique clairement que cet état de
désolation devait être connu, et que le temps
viendrait oîi des personnes visiteraient le pays , et
qu'on y trouverait l'accomplissement de toutes les
autres prophéties qui le regardent.
L'époque à laquelle se rapportent toutes les
malédictions prononcées contre Edom , c'est-à-
dire « l'année de rétribution pour maintenir le
droit de Sion » (Esaïe, xxxiv, 8), n'est pas encore
(17) La peste faisait de grands ravages parmi les fellahs de
Wadi-Mousa, à répoqueoù MM. de Laborde et Linart visitèrent
la Péliée. Cependant des menaces continuelles leur étaient faîtes,
et ils ne jugèrent pas prudent d'y séjourner au-delà d'une huitaine
de jours; aprCs quoi, ils se mirent en route pendant la nuit, de
peur Qu'oîi ne leiu' erJovàt le fruit de tous leurs travaux.
CH. XfK ÈDOM. 265
venue 5 et ridumée doit être encore le théâtre
d^'autres jugements qui fondront en même temps
sur toutes les nations et sur toutes les armées, et
auxquels tout le monde habitable est sommé de
prêter Toreille. (Esaïe, xxxiv, 1-10).
« L'Idumée sera désolée de génération en gé-
« nération. » — La Judée , le pays d'Ammon et
celui de Moab présentent de si abondantes preuves
de leur ancienne fertilité, qu'un esprit réfléchi se
demande comment les efforts de l'homme ont pu
parvenir a paralyser pendant tant de siècles tous
les efforts de la nature. Mais la désolation de
ridumée est tellement complète que l'on com-
mence tout d'abord par s'étonner de ce qu'une
aussi vaste région, entièrement sauvage et dé-
serte, ait jamais été couverte de villes, et habitée
pendant des siècles par un peuple riche et puissant.
Son aspect actuel donnerait un démenti formel h
son ancienne histoire , si la véracité de cette his-
toire n'était démontrée par des restes d'une an-
cienne culture, par des vestiges de murs et des
routes pavées, et par les ruines de villes que
Ton retrouve partout sur le sol de ce pays dé-
vasté.
Beaucoup de circonstances ont contribué comme
autant de causes à rendre complète la désolation
d'Edom ; l'anéantissement de tout commerce , l'ab-
sence de moyens artificiels pour arroser les
vallées , la destruction de toutes les villes , le
dépouillement du pays par les Arabes, tant qu'il y
a eu quelque chose de reste, l'effet des rayons
ardents du soleil, depuis un grand nombre de
siècles , sur un sol que n'ombragent pas même
les plus petits arbustes, l'envahissement con-
tinuel du terrain par le sable de la Mer-Rouge,
ce qui a absorbé toute l'humidité , et dessé-
ché pendant l'été les petites sources et les ruis-
12
266 ÉDOM. (Al, XH.
seaux; toutes ces causes ont concouru à rendre
« Edovn désolé de ^a^nération en génération. »
LerécitquenousfaitVolney prouve combien en
effet cette désolation est complète^ et Seetzen,
d'après ce qu'il parvint a apprendre à Jérusalem,
en rend le même témoignage *". Depuis les fron-
tières d'Edom, les capitaines Irby et Mangles ne
virent qu'une vaste étendue qui frappe le voyageur
par son lugubre et singulier aspect de désert. —
L'extrait suivant, dans lequel Burckhardt décrit ce
qu'il a vu dans diverses parties de l'Idumée, ne
saurait être mieux analysé que par les paroles
mêmes du prophète. En parlant de ses limites
orientales et de l'Arabie Pétrée, Burckhardt dit :
On pouvait avec justesse la nommer Pétrée, non-
seulement à cause de ses montagnes rocailleuses,
mais encore à cause de la plaine élevée dont j'ai
déjà parlé, et qui 5 couverte d'énormes pierres,
ressemble à un désert, quoiqu'elle soit susceptible
de culture ; de distance en distance elle est parse-
mée de plantes sauvages; sans doute qu'autrefois
elle était fort peuplée , car on trouve partout sur
la route d'Hadj beaucoup de restes de villes et de
villages, entre Maan et Akaba aussi bien qu'entre
Maan et les plaines d'Hauran, oii l'on rencontre
aussi beaucoup de sources d'eaux. Maintenant
toute cette contrée est déserte, et Maan (Théman) *^
est le seul endroit habité qui s'y rencontre *^
« J'étendrai ma main sur toi, ô montagne de
« Séhir, je te réduirai en désolation et en désert ;
« j'étendrai ma main sur Edom et je la réduirai
« en désert depuis Théman. »
Dans l'intérieur del'Idumée, oiil'on voit encore,
dit Burckhardt, les ruines de quelques anciennes
(18) Seelzen, p. 46.
(19) Voyez la Carte des Voyages de Burckhardt.
(20) Burckhardt, p. 436.
CH. XII. ÉDOM. 267
villes , et dans toute la grande vallée qui s'étend
depuis la Mer - Rouge jusqu'à la Mer - Morte ,
et qui sans doute présentait autrefois un aspect
bien différent, toute l'ancienne plaine n'offre à
l'œil qu'une étendue de sables mouvants , dont
la surface uniforme n'est inte rrompue que par de
légères ondulations et par de petites collines.
11 paraîtrait que ce sable a été apporté des
bords de la Mer - Rouge par les vents du sud ,
et les Arabes m'ont dit qu'au delà de la latitude
d'Ouadi Mousa les vallées présentaient le même
aspect. Il y a des endroits de la vallée oîi le sable
est très profond; il ne reste plus le moindre ves-
tige de l'art ou du passage de l'homme; quelques
arbres croissent au milieu du sable; mais la pro-
fondeur de ce sable s'oppose à toute apparence de
végétation ou d'herbe. « S'il était entré chez toi
« des vendangeurs, ne t'auraient-ils point laissé
« de grapillage? des larrons de nuit n'auraient
« pris que ce qui leur aurait suffi ; mais j'ai fouillé
« Esaû. » En remontant les plaines à l'occident,
plus élevées que celle de l'Arabie, nous eûmes
devant les yeux une immense étendue de pays
désert, entièrement couvert de cailloux noirs;
çà et là se dessinait une petite ligne de coteaux ^\
« J'étendrai sur l'Idumée le cordeau de confusion
« et le niveau du désordre. »
Dans la description que Burckhardt fait des dif-
férentes villes de l'Idumée, il parle des ruines
d'une grande cité dont il ne reste que des débris
de murailles et des monceaux de pierres, de
celles de plusieurs villages des environs ^% d'une
ancienne ville construite en blocs taillés de
pierre siliceuse, et des ruines considérables de
Gherandel Arindela , une des villes de la « Pa-
(21) Burckhardt, p. 442, 444. — (22) Ibid., 418
268 ÉDOM. en. XII.
Lnestina Tertia » ^'\ Il éniimère les cndroils suivante
dans le DJcl)al Shera ( Mont Séliir ), au sud et au
sud-ouest d'Ouadi Mousa : Kalaat, Djerha, Basta,
Eyl, Fcrdakli, Anyk, Bir el Beytar, Shemakli et
Syk. Thoana exceptée , il ne reste pas vestige
des villes ^^ indiquées dans la carte de d'An-
ville ''.
M. de Laborde a passé sur les ruines d'Elana,
ville de l'Ouadi (vallée) Pambouchebe; il a passé
sur celles d'une autre ville de l'Ouadi Sabra où
l'on voit encore les ruines d'un théâtre et celles
de plusieurs temples. A AmeimCj oii ce voyageur
est allé^ l'on découvre à chaque pas d'anciennes
citernes creusées dans le roc, et oii l'eau arrivait
par des aqueducs de neuf milles de longueur.
« Je réduirai tes villes en désert, et tu ne seras
« que désolation. O montagne de Séhir, j'étendrai
(( ma main contre toi, et je te réduirai en désola-
« tion et en désert. » (Ezechiel, xxxv. )
Le dernier des prophètes, Malachie, qui écri-
vit deux cents ans après Ezéchiel, et plus de trois
cents ans après Esaïe , dit de l'héritage d'Esau
^ qu'il serait exposé aux dragons du désert».
Mais il ajoute : « Que si Edom dit : Nous avons
« été appauvris, mais nous retournerons et nous
(( rebâtirons les lieux qui ont été détruits; ainsi a
« dit l'Éternel des armées : Ils rebâtiront, mais
« je les ruinerai. » Dans la description que Dio-
dore fait de l'invasion de la terre d'Edom par De-
metrius, environ trois cents ans avant l'ère chré-
tienne, il dit que ce pays n'était qu'un désert, et
que les habitants n'y avaient pas de maisons; la
(23) Burckhardt, p. AAl.
(24) Dans la carte dont nous parlons, ces villes |K)rlerjt les noms
suivants : Elusa, Tamara, Zoara, Thoana, Necta, Phénon, Suzuroa^
Carcaria, Oboda, Berzumma, Lysa, Gypsaria, Zodocala, Gerasa,
Havara, Priiesidium, ad Dianam, OElana, Asion Gaber.
(25) Burckhardt, p. /JAS, 444.
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CH. xn. Emu. 269
seule ville dont il fasse mention est Pétra. Néan-
moins, les noms des villes de l'Arabie Pétrée,
énumérées par Josèphe, comme existantes du
tempsde l'invasion delà Palestinepar les Romains;
les noms des quinze villes de la Palsestina Tertia ,
dont Pétra était la capitale et le siège métropoli-
tain, au temps du Bas-Empire ; les villes indiquées
dans la carte de d'Anville, et les ruines de plu-
sieurs villes d'Edom , ruines dont l'existence a été
constatée par Burckhardt et de Laborde , tout
cela prouve qu'après avoir été appauvri, Edom
retourna en effet, et rebâtit ses villes détruites.
Leurs ruines, encore visibles , montrent qu'elles
furent rebâties, et que, selon la prédiction, elles
ont été de nouveau ruinées , et sont maintenant
dans l'état de désolation le plus absolu.
Tandis que les villes de l'Idumée sont telle-
ment désolées, qu'il règne dans leurs ruines
le même vague indéfini que dans la prophétie
qui les annonce ( car rien n'a été prédit sur elles
si ce n'est leur entière désolation, et c'est là la
seule chose qui frappe l'œil des curieux ), il y a
cependant une exception à cette règle générale ,
également signalée par le prophète inspiré et par
le savant voyageur
Burckhardt donne des détails pleins d'intérêt
sur l'emplacement de l'ancienne ville qu'il visita,
dont les ruines non-seulement tendent à prouver
son ancienne splendeur , mais méritent d'obtenir
une place parmi les plus curieux monuments des
arts. Quoique la ville soit déserte, les restes de
son opulence et de sa gloire existent encore. On
voit, par exemple , un canal creusé de chaque
côté de la rivière pour conduire les eaux dans
la ville, un grand nombre de tombeaux, deux
cent cinquante caveaux, plusieurs mausolées. Il
en est un en particulier dont on parle comme
270 Kï)05f. en. xu.
d'un oiivrap;c immense , colossal, et parCailement
conservé. Il confient une chambre de scîize pas
carrés, et de plus de vingt-cinq pieds d'élévation;
sa façade est ornée d'un rang* de colonnes de
trente-cinq pieds de hauteur, et couronnée d'un
fronton du travail le plus riche; on voit encore
deux pyramides tronquées, et un théâtre capable
de contenir environ 3000 spectateurs , le tout
taillé dans le roc. Dans d'autres endroits, ces
sépulcres sont creusés les uns au-dessus des
autres, dans les flancs de rocs perpendiculaires,
et il paraît impossible d'approcher du plus élevé.
La terre est jonchée partout de pierres taillées ^
de fondations d'édifices, de fragments de colonnes
et de vestiges de rues pavées, qui indiquent clai-
rement l'existence d'une grande ville. Sur la rive
gauche du fleuve, est un terrain élevé qui s'é-
tend à environ trois quarts de lieue , et est éga-
lement couvert de semblables ruines. Sur la rive
droite, plus élevée encore, on retrouve les mêmes
vestiges , entre autres les restes d'un palais et
de plusieurs temples. Dans les rochers escarpés,
vers l'orient, on a creusé plus de cinquante sé-
pulcres. Ce ne sont pas là les travaux d'un petit
peuple , ou d'une race destinée a une destruction
entière; mais un jugement avait été prononcé
contre les forteresses d'Edom , et il fallait que les
paroles retentissantes de la prophétie trouvassent
quelque part leur accomplissement, et qu'elles
fussent reconnues comme n'étant pas celles de
simples mortels. « Je te rendrai petit entre
« les nations; ta présomption et la fierté de ton
« cœur t'ont séduit, toi qui habites dans le
« creux des rochers , et qui occupes la hauteur
« des coteaux ; quand tu aurais élevé ton nid
« comme l'aigle, je t'en ferai descendre, dit VÈ-
« ternelj etl'Idumée sera réduite en désolation. »
en. XII. ÉDOM. 271
En entrant dans le défilé qui conduit au
théâtre de Pétra ^ les capitaines Irby et Mangles
font les observations suivantes : Les ruines de la
ville se présentèrent ici à notre vue dans toute leur
grandeur 5 enfermées à l'extrémité opposée par
des rocs perpendiculaires 5 et coupées de vallées
et de ravins. Le flanc des montagnes, oii sont creu-
sés d'innombrables tombeaux et même des ha-
bitations particulières ( « O toi qui habites dans le
« creux des rochers, Jérém. xlix, 16 ») offrait le
plus singulier spectacle que nous eussions jamais
vu. — Nous arrivions et nous descendions, dit
M. deLaborde, par le ravin. C'est de ce point, et
en avançant un peu plus , qu'on domine l'étendue
de la ville couverte de débris , et sa grande en-
ceinte de rochers, percée de milliers de tom-
beaux qui forment autour comme une grande
décoration. »
Les capitaines Irby et Mangles, ayant passé,
de concert avec MM. Bankes et Legh, deux
jours à examiner ces ruines avec soin, nous
donnent encore plus de détails sur les restes
de Pétra que n'en contient la description de
Burckhardt, et plus la description est détail-
lée, plus elle s'accorde en tout point avec les
paroles de la prophétie. Près de l'endroit oii ils
attendaient le résultat de la querelle des Arabes,
le tertre élevé était couvert des deux côtés par
des lignes et de solides masses de murs secs.
— Les premières semblaient indiquer les traces
de l'ancienne culture, et les ruines nous sem-
blaient être les restes de tours construites pour
faire le guet, pendant le temps de la récolte et
de la vendange. — Tous les environs présentent
de semblables restes d'industrie , et paraissent in-
diquer le voisinage d'une grande capitale. Un
défilé étroit, environné de chaque côté par des
272 Éno5f. (il. K(l
rocs pcrpendiculaii'cs, dont la hauleiir varie de
400 k 700 pieds, et qui Ibrnie, sur un espace
de deux milles, une espèce de voie souter-
raine, ouvre à l'orient le chemin qui conduit aux
ruines de Pétra. — Les rochers, ou plutôt les
montagnes, s'étendent alors de chaque coté, et
laissent un espace oblong oil l'on voyait autrefois
la capitale de l'Idumée, mais où Ton ne trouve
plus maintenant qu'un monceau de débris , en-
tourés partout, excepté au nord-est, de rochers
affreux qui ne servent plus qu'^à faire voir jus-
qu'à quel point l'orgueil de l'homme et les ef-
forts de l'art ont voulu lutter avec la puissance
de la nature. Au bord de ces précipices on a
creusé, dans des blocs de rochers détachés, d'im-
menses sépultures, dont l'intérieur est divisé
en chambres, et à l'extérieur desquels ces rochers
mêmes ont été taillés en tours , en colonnes, pilas-
tres , frises , entablements et figures d'animaux ^ '.
Les planches ci -jointes peuvent donner une
idée de ces singulières excavations.
Cependant , quelque nombreuses qu'elles
soient, elles ne font qu'une faible partie de la
vaste « nécropole de Pétra » . Des tombeaux se
présentent non-seulement à chaque approche
ou avenue de la ville , et dans tous les précipices
qui l'entourent, mais encore mêlés à tous les
édifices publics et aux habitations particulières ;
les traits naturels du défilé se dessinent davan-
tage à chaque pas, et les excavations et les sculp-
tures deviennent de plus en plus nombreuses,
jusqu'à ne plus présenter qu'une longue rue de
tombeaux. ^^ La face des rochers est taillée avec
toute la symétrie et toute la régularité de l'art;
on y voit des colonnes , des piédestaux , des
(26) Irby el Mangles, p, 402-407,
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;->
S5
cil. XII. ÉDOM. 273
lignes de corridors adossés à la façade des ro-
chers ; des escaliers sont pratiqués dans le roc ,
et il y a un nombre immense de grottes qui n'é-
taient certainement pas des sépulcres. On trouve
beaucoup d'habitations de grandes dimensions;
il y en a une en particulier oii Ton voit une seule
chambre de soixante pieds de long et d'une largeur
proportionnée; d'autres habitations d'un ordre
inférieur abondent dans un des défilés qui mè-
nent à la ville, et qui contient une espèce de fau-
bourg creusé , auquel on parvient par des esca-
liers. On voit des enfoncements de trente pieds
de haut 5 ayant un autel , ou des pyramides , des
colonnes ou des obélisques; un pont jeté sur un
précipice maintenant inaccessible , quelques pe-
tites pyramides taillées dans le roc , sur le sommet
des hauteurs ; des rigoles horizontales pour l'é-
coulement des eaux , pratiquées le long de la
façade des rochers , et même sur le devant des
habitations ; en un mot , les rochers creusés en
innombrables chambres de diverses dimensions,
dont l'entrée est souvent embellie par tout
ce que l'architecture offre de plus riche , de plus
varié et de plus fantastique; tout cela réuni
présente aux regards de l'homme , non-seulemerît
l'ensemble le plus singulier que l'imagination
puisse concevoir , un groupe de merveilles sansi
égales dans leur genre , mais encore une preuve
indubitable que dans la terre d'Edom il existait
une ville oxi l'homme avait déployé toutes ses
ressources et toute son énergie , et qu'elle avait
bien mérité d'être distinguée par « sa force et sa
« présomption , » et qu'ainsi la description faite
par le prophète est aussi exacte que l'accomplis-
sem^at de la prophétie a été complet ^^ L'aridité
(27) Irby et Mangles, p.^ 407-437, — Macmichael , p. 228, 229.
12.
S74 ÊDÔM. CH. XH.
universelle du sol et la désolation de la ville,
près de laquelle aucun être vivant n'habite,
semblent vérilier la malédiction prononcée contre
elle. « O toi qui habites dans le creux des rochers,
« etc., Edom sera réduite en désolation ^". »
Parmi les ruines de Pétra , les mausolées et les
tombeaux sont ce qu'il y a de plus remarquable :
ils attestent le long règne de la royauté et l'an-
cienne grandeur et l'opulence du royaume ; et
leur nombre immense est en accord avec la no-
menclature que font Moïse et Strabon des rois et
des princes de l'Idumée , pendant les quinze siècles
qui se sont écoulés entre leurs récits. L'architec-
ture de beaucoup de sépulcres démontre aussi
qu'ils sont d'une date plus moderne. Quelle ne
doit pas avoir été, dit Burckhardt, l'opulence
d'une ville qui pouvait ériger de semblables mo-
numents à la mémoire de ses princes ^^^ Mais cette
longue race de rois et de grands a été depuis
bien des siècles retranchée de l'Idumée ; ils n'ont
rien laissé pour les représenter sur la terre ,
excepté une multitude de tombeaux magnifiques,
mais inconnus et presque invisibles. « Les magis-
« trats crieront qu'il n'y a plus là de royaume , et
« tous les gouverneurs seront réduits à rien. »
Au milieu de tous ces mausolées, de ces tom-
beaux, de ces restes de temples et de palais qui
forment, pour ainsi dire, un vaste tombeau où l'an-
cienne splendeur de l'Idumée gît enterrée, on
découvre encore des vestiges d'architecture
grecque ou romaine qui font voir que ces édi-
fices ont été construits longtemps après le temps
des prophètes. «Ilsrebâtiront; mais je détruirai. »
Jusqu'à présent les seuls renseignements que nous
possédions sur l'état actuel de l'Idumée nous
(28) Irby et Mangles, p. A39, — (29) Burckhardt, p. ^25,
1
Clî.Xiï. ÈûOM. ^75
ont été donnés par Volney^tjui les avait recueillis
des Arabes^ et quoique son témoignage ne fût pas
suspect 5 cependant il n'était pas suffisamment dé-
taillé pour nous faire distinguer les traits parti-
culiers et prophétiques. Mais depuis lors, Burck-
hardt et les capitaines Irby et Mangles nous ont
communiqué 5 d'après leurs observations person-
nelleSj des détails qui jettent une grande lumière
sur ce sujet et qui nous font connaître le fait re-
marquable des ruines d'une ville taillée , pour ainsi
dire, dans le roc, et située au milieu d'un désert.
Lorsque dans les rues de Jérusalem le peuple
fit entendre le cri : « Hosanna au fils de David ! »
et que quelques-uns des Pharisiens dirent à Jé-
sus: «Maître, reprends tes disciples, » ilrépondit:
t( Si ceux-ci se taisent, les pierres même crieront » ;
de même, de nos jours, oîi l'incrédulité règne sur
tant de villes et parmi tant de peuples qui re-
jettent l'autorité du Dieu d'Israël, et repoussent sa
parole , les anciennes nations et les anciennes
villes comparaissent de nouveau sur la scène
comme des témoins ressuscites des morts, et qui
viennent montrer la puissance que cette même
parole a exercée sur leur sort, et elles crient aux
nations de la terre de prendre garde de ne pas
devenir à leur tour des monuments de la colère
qu'elles ont méprisée. Lorsque les hommes ne
voulurent pas entendre des Ilosannas au fils de
David, et refusèrent de rendre hommage au nom
du Christ, les déserts et les rochers élevèrent
leur voix , et se joignirent aux prophètes pour
rendre témoignage h Jésus; de même ^n a de
nouveau entendu parler la Capitale de i'Idu-
mée, ainsi que d'autres capitales, et les rochers
même font entendre un cri qui peut parvenir jus-
qu'aux extrémités de la terre.
L'auteur de cet ouvrage n'osait pas espérer^
276 ÉDOM. CH. xir.
quand il cntiepiit de comparer les prophéties
relatives à Edom avec les renseignements que
Volney était parvenu à en donner, qu'il se pas-
sât si peu de temps avant que l'accomplisse-
ment de ces prédictions fût devenu évident à
tous les yeux, sans même qu'il fût nécessaire de
dire : « Venez et voyez. » Mais maintenant il
peut en appeler k la vue aussi bien qu'à l'intelli-
gence de l'homme ; car , au moment même où ces
pages étaient sous presse , il a reçu les six pre-
mières livraisons d'un ouvrage intitulé : « Voyage
de l'Arabie Pétrée par MM. Léon de Laborde
et Linant^\ » Ces livraisons contiennent de magni-
fiques gravures 5 toutes relatives aux ruines de
Pétra, et il suffirait de les accompagner d'un pas-
sage de l'Ecriture Sainte, pour faire des beautés
de l'art de puissants auxiliaires des intérêts de
la religion. Ce magnifique ouvrage est maintenant
terminé, et M. de Laborde, avec une bienveillance
que nous aimons à publier ici , en lui témoignant
notre sincère reconnaissance, nous a permis de
copier plusieurs de ses planches pour les insérer
dans ce volume. Ainsi donc, au lieu d'en être
réduits, comme jusqu'à ce jour, à quelques
maigres renseignements, on n'a maintenant qu'à
jeter les yeux sur Edom, et l'on peut voir à quel
point « le cordeau de confusion et le niveau du dé-
sordre « ont été étendus sur lui. Nous pouvons de
la même manière contempler les ruines de la ca-
pitale de cet Edom, dont jusqu'à présent nous
ignorions même l'existence. Toutes ces gravures
font foi de son ancienne magnificence et du travail
inconcevable qu'il a fallu, pendant une longue
suite de siècles, pour construire cette multitude
d'habitations, de tombeaux et de temples creusés
(30) Notre ouvrage était alors 5 sa treizic nie édilloii.
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tu. XII. ÉDOM. 27*/
dans le roc. La yérité ne parle donc point «par
des lèvres trompeuses » ni par la bouche d'un
sceptique; mais ce sont les rochers même qui
prennent la parole, ce sont ces habitations prati-
quées dans leurs profondeurs, par le travail du
ciseau , et par les efforts de rarchitecte , qui di-
sent que les habitants de Pétra bâtirent pos-
térieurement à l'ère des prophètes, mais que
tous ces édifices, d'architecture grecque ou ror
maine, et d'autres plus anciens encore couvrent
la vallée de leurs ruines, et montrent par leurs
débris que l'arrêt prononcé contre eux devait
s'accomplir, et que « tout a été détruit. »
La vue topographique de la contrée d'Edom ,
prise depuis d'El Nakb, montée escarpée au
sud du Mont Hor et de Pétra , nous montre que
ridumée n'est que désolation, « désolée de gé-
nération en génération, » et que le pays qui avait
été donné à Esaii comme étant « la graisse de la
ce terre, » et dans lequel on construisit une multi-
tude de villes, est maintenant «fouillé, » et que
« le cordeau de confusion et le niveau du désordre
« ont été partout étendus. »
Sur la gauche du dessin, dit M. de Laborde, en
remontant vers le milieu, s'étend l'Ouadi-Araba,
longue plaine de sable qui descend de la Mer
Morte à la Mer Rouge, dans une direction régu-
lière et continue. On doit reconnaître , comme je
l'ai déjà dit , dans cette disposition le lit d'un
fleuve, et celui du Jourdain, avant l'éruption vol-
canique qui forma le bassin actuel de la Mer
Morte. Sur la rive droite , à l'ouest , s'y joint
rOuadi Gebb, vallée par laquelle les Fellahs de
Pétra se rendent à Gaza. En appuyant à Test ( à
la droite du dessin ) on remarque, au milieu d'une
petite plaine, le rocher isolé d'El Aase, surmonté
d'un tombeau dont j'ai parlé plus haut. Plys à
278 ÉDOM. cil. Xlh
droite un rocher, forjiiant comme le premier
rempart aux environs de Pelra, s'élève en forme
de cône : un arbre le domine. En suivant la
môme direction , on rencontre le mont Uor, le
plus haut rocher de la contrée , au sommet du-
quel est construit le Tombeau d' Aaron. Cest à
l'est de ce piton , enclave au milieu des rochers
dont les masses semblent, en s'amoncelant, s'être
resserrées davantage , qu'est bâtie la ville de Pé-
tra, capitale des Nabathéens. Ce tableau, espèce
de demi-panorama , est terminé par la grande
chaîne de montagnes qui sépare l'Arabie Pétrée
de l'Arabie déserte.
Le témoignage de M. de Laborde rehausse en*
core la valeur de cesprécieux dessins. Del'éléva-
tion d'El Nakb, on peut juger , dit-il, de l'aspect
général du pays, dont le triste et lugubre carac-
tère est difficile à reproduire à l'aide du crayon ,
et il ajoute : Plusieurs prophètes avaient annoncé
le malheur de l'Idumée , mais la forte parole
d'Ezéchiel peut seule s'élever à la hauteur de
cette grande désolation. »
« La parole de TÉternel me fut encore adres-
« sée , et il me dit : Fils de l'homme , dresse ta
« face contre la montagne de Séhir et prophétise
« contre elle ; il lui dit : Ainsi a dit le Seigneur
« l'Éternel : Voici , je viens à toi , ô montagne de
« Séhir ! et j^étendrai ma main contre toi , et te
« réduirai en désolation et en désert. Je réduirai
« tes villes en déserts, et tu ne seras que désola-
« tion. Et je remplirai tes montagnes de tes gens
« blessés à mort ; les hommes blessés à mort tom-
« beront dans tes coteaux, et dans tes vallées, et
« dans tes torrents. Tu seras désolée , ô monta-
« gne de Séhir ! et même toute l'Idumée entière-
« ment; et on connaîtra que je suis l'Éternel^'. »
(31) Éaéchiel , XXXV*
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CH. Xil. ÉDOM. 279
Une des gravures données par M. de Laborde
est surtout remarquable ; on y voit le caractère
unique de ce pays, et par lequel Pétra se distingue
de tout autre pays dont Thistoire nous fasse con-
naître Inexistence. L'intention principale de l'artis-
te était d'y représenter une colonne isolée, mais
en même temps on y voit , en partie , TOuadi
Mousa avec les rochers en perspective. — La
longue muraille de rochers qui s'étend sur la
droite^ restreinte dans ce petit cadre, étonne en-
core par la prodigieuse quantité de tombes qui
ornent ses parois : qu'on se figure l'impression
que produit dans la nature ce tableau , quand le
silence de la mort en est le seul accompagne-
ment.
Dans la perspective 5 la distance rapetisse des
excavations percées à une si grande hauteur,
et cela même fait ressortir la vérité de la des-
cription du prophète, quand il dit que les habi-
tants font leur nid haut comme celui de l'aigle.
Dans la note qui accompagne la vue des ruines
d'un temple, il est dit que, bien qu'on voie à Pétra,
outre de nombreux et gigantesques tombeaux
taillés dans le roc , un grand nombre de monu-
ments dont les ruines attestent la beauté et la
magnificence, il n'y a que celui-là qui ait résisté aux
ravages du temps. Situé à l'ouest de la ville et sur
le bord de la rivière il présente , bien qu'eii
ruines, une masse imposante et riche en détails
d'architecture. Il m'a paru intéressant à repro-
duire, dit M. de Laborde, parcequ'il présente une
frise et une corniche de bon goût et qui peuvent
en indiquer le style.
Une autre planche représente les ruines d^un
arc de triomphe, sous lequel on passait pour ar-
river à une place, espèce de forum, et au temple
qu'on trouve plus loin. On voit à travers l'arcade
280 ÉDOM. en. XII.
du milieu le pavé antique; dans celle de droite^ la
rivière d'Ouadi Mousa qui s'enfonce enire les
rochers. Les ornements des pilastres qui subsis-
tent rap[)ellent Tare de triomphe qui termine la
colonnade de Palmyre a l'est ; tous les débris et
quelques fragments en bas-reliefs qu'on retrouve
sur le sol permettraient une restauration de ce
monument.
Un des dessins^ celui qui donne une vue d'un
tombeau corinthien, sert en même temps de vue
générale de Pétra, au nord-est, et reproduit dans
un sens inverse la ligne des monuments qu'on re-
marque dans la vue générale prise du sud-ouest.
On distingue dans le fond le théâtre et les rochers
qui le dominent, au haut desquels on aperçoit
un point en forme d'obélisque , espèce de signal
qui se voit de tous les points de la ville.
L'ouvrage de M. de Laborde contient plusieurs
tableaux des tombeaux de Pétra, d'une magnifi-
cence vraiment étonnante. — Sur un de ces édifi-
ces, nous trouvâmes, dit-il, une inscription latine
en trois lignes, gravée sur l'entablement. Cette
inscription, outre qu'elle est la seule que nous
ayons découverte à Pétra , est importante en ce
qu'elle nous donne le nom d'un magistrat, Quin-
tus Pra3textus Florentinus , qui mourut dans cette
ville, étant gouverneur de cette partie de l'Ara-
bie. Elle paraît être du temps d'x\drien ou d'An-
tonin-le- Pieux , c'est-à-dire plusieurs siècles
après les dernières prédictions.
La description qui accompagne les vues du
Khasne , Tune prise sous le péristyle et l'autre en
face, est terminée par ces paroles : Quel est
donc ce peuple qui ouvrait la montagne pour y
apposer ainsi le sceau de sa force et de son géaie?
Et quel est ce climat qui dore de ses rayons les
formes gracieuses de ces sculptures , sans per-
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eu. XII. ÉDOM. 2&i
mettre à ses hivers d'en rompre les vives arêtes,
d'en amoindrir le haut relief? Tout se tait; car
dans cette solitude la chouette seule a conservé
son cri plaintif, et l'Arabe passe en regardant
avec indifférence des travaux si habilement exé-
cutés, en pensant avec mépris à l'inutilité de
tant d'efforts, pour un but qu'il ne cherche même
pas à comprendre.
« On les appellera le pays de méchanceté. »
Strabon fait remarquer le contraste qui existe
entre l'humeur tranquille des citoyens de Pétra
et le caractère turbulent des habitants étrangers ;
la bonne intelligence qui régnait parmi le peuple
faisait l'admiration d'Athénodore. L'or pur est
changé ; on ne trouve plus maintenant un sem-
blable peuple. Burckhardt, quoiqu'il voyageât
comme les Arabes , vivant dans leur société ,
se soumettant à toutes leurs privations , parlant
parfaitement leur langue et connaissant toutes
leurs habitudes , se vit réduit sur la terre d'Idu-
mée à la seule condition qui garantit la vie du
voyageur du désert; il se dépouilla de tout ce
qui pouvait attirer l'attention ou exciter la cupi-
dité, et cependant on lui prit jusqu'aux lam-
beaux d'étoffe dont il s'était enveloppé les che-
villes des pieds, blessés par le voyage ^^ Les
Arabes de cette contrée ont la réputation , dit-il ,
d'être des voleurs entreprenants. De même,
un Motselim , qui était au service depuis vingt
ans , assura les capitaines Irby et Mangles et les
voyageurs qui les accompagnaient ( en présence
du gouverneur de Jérusalem ) que les Arabes
d'OuadiMousa **sont une race cruelle et traîtresse."
Il ajouta qu'ils ne se feraient pas scrupule de se ser-
vir du sang des Francs pour en composer un remè-
(32) Burckhardt, p. 438.
282 ÉDOM. CH. XII.
de. Ils purent s'assurer que cette réputation de mé-
chanceté et de cruauté n'était pas exafjérée, non-
seulement par les dangers qu'ils eurent eux-mêmes
à essuyer, mais encore en apprenant sur les lieux
que plus de trente pèlerins venant de la Barbarie
avaient été massacrés a Pétra, l'année précédente,
par les lialjitants d'Ouadi Mousa ^". Les Arabes
des déserts limitrophes, comme nous l'avons déjà
vu, n'osent pas s'approcher d'eux; et les Arabes
des environs d'Akaba, vers les frontières méridio-
nales de l'Idumée, sont, à ce que disent Pococke
et Burckhardt, un peuple fort méchant; c'est une
horde d'insignes voleurs faisant continuellement
la guerre à toutes les autres tribus ^\
Ces témoignages, rendus sans intention, prou-
vent assez que l'Idumée est en effet « le pays de
méchanceté » .
« Les épines croîtront dans ses palais , les char-
« dons et les buissons dans ses forteresses. » —
Sans examiner en détail l'accomplissement litté-
ral de cette prophétie , il suffira de dire que les
diameaux des Bédouins se nourrissent des bran-
chies épineuses du Talh (gommier arabique) dont
ils sont très friands ; que les grandes épines
de ces arbres sont extrêmement incommodes
pour les Bédouins ainsi que pour leurs troupeaux,
et que dans plusieurs parties de l'Idumée elles
sont en si grande abondance que chaque Bédouin
porte à sa ceinture une paire de petites pinces
pour arracher les épines qui peuvent lui entrer
dans les pieds ^^ Nous pouvons maintenant puiser
dans le récit de M. de Laborde un témoignage
plus direct encore : en parlant de l'état actuel de
(33) Irby et Mangles, p. lx\l. — Macmichael, p. 202, 234-
(34) Détails sur rOrient , par Pococke, vol. I, p. 136.
(35) Burckhardt, p. 446.
CIL XiL ÉDOM. 283
Pétra^ il dit que les épines s'élèvent aussi haut que
les colonnes 5 que des plantes épineuses cachent
aux yeux les vestiges des travaux de Thomme ;
l'épine ou les buissons grimpent au sommet des
monuments, croissent sur leurs ruines, et cachent
la base des colonnes. « Les épines croîtront dans
« ses palais , les chardons et les buissons dans
« ses forteresses. »
« Je te ferai petit entre les nations et mépri-
« sable entre les hommes. » — Quoique le pays
de la méchanceté, et la retraite de bandits fameux
parmi les Arabes par leur rapacité et leur cruauté,
cependant, comparée aux autres nations, ridumée
est véritablement petite, et sans population fixe,
puisque tous ceux qui vivent dans ses limites
n'ont ni habitations permanentes , ni moyens de
subsistance assurés. A ces superbes édifices dont
s'enorgueillissait jadis cette contrée, ont succédé
quelques huttes rares et misérables; et toutes
petites et basses qu'elles sont, elles ne paraissent
exister que dans une très petite partie de l'Idu-
mée; dans tous les autres endroits oîi les Arabes
vont à la recherche de pâturages pour leurs
troupeaux, ils n'ont que des tentes pour abri.
Celles qui appartiennent aux tribus les plus flo-
rissantes sont quelquefois nombreuses et gran-
des ; mais elles ne forment que de chétives ha-
bitations , et beaucoup d'entre elles sont basses
et étroites. »
Près des ruines de Pétra, Burckhardt vit un
camp arabe, dont la plupart des tentes étaient les
plus petites qu'il eût jamais vues, n'ayant qu'en-
viron quatre pieds de hauteur et dix de longueur;
et vers la limite sud-ouest de l'Idumée il ren-
contra quelques voyageurs errant sans tentes, et
n'ayant d'autre abri contre les rayons brûlants
du soleil et la forte rosée de la nuit que les minces
284 LDOM. en. xn.
branches des Tailiiers. — Les moyens de subsis-
tance des Bédouins sont souvent aussi précaires
que leurs habitations sont frêles ; leurs seuls biens
consistent dans des troupeaux qu'ils nour-
rissentj ou qu'ils enlèvent dans des régions plus
abondantes; et dans le même pays où, pendant si
longtemps, le commerce semblait concentrer ses
richesses 5 et par lequel passaient tous les trésors
d'Ophir, il ne reste plus aucune industrie, si ce
n'est la misérable occupation des tribus vaga-
bondes 5 celle de recueillir la gomme parmi les
épines. Combien Edom est « petit parmi les na-
tions, et combien il est méprisé ! » Lorsqu'on en-
tend les autorités de Constantinople prétendre ne
pas la connaître et déclarer ne pouvoir indiquer
les ruines de cette capitale, jadis rivale de Rome,
lorsqu'on raconte que la ville dePétra est oubliée
et inconnue parmi les représentants des paysans
deByzance, le mépris peut-il aller plus loin?
« Quant à Edom, ainsi a dit l'Eternel des ar»
<f mées: N'est-ilpas vrai qu'il n'y a plus de sagesse
« dans Théman? Le conseil a manqué à ses habi-
« tants. Ne ferai-jé pas périr les sages au milieu
« d'Edom, et la prudence dans la montagne d'E-
« sail ? Malgré sa dégradation actuelle , Edom
pourrait se faire reconnaître comme ayant été le
premier siège de la science, aussi bien que le
centre du commerce- Isaac Newton, dont le savoir
chronologique est reconnu , et qui peut être
considéré comme juge compétent , parle de lldu-
mée comme du berceau des arts et des scien-
ces , et appuie ces faits sur des preuves tirées de
l'histoire sacrée et profane. — Les Egyptiens ,
dit-il, ayant appris Tart des Edomites, commen-
cèrent k observer la position des astres et la
durée de l'année solaire , afin de pouvoir tou-
jours reconnaître la position des étoiles, et se
CH. XII. ÉDOM. 285
diriger par ce moyen ^ même en pleine mer. Ce
fut là le commencement de l'astronomie et de la
navigation ^\ Il paraît que l'invention des lettres,
de l'astronomie, et de l'architecture nautique, est
due aux marchands de la Mer Rouge, et qu'elles
se répandirent par l'Arabie Pétrée en Egypte, en
Chaldée, en Syrie, dans l'Asie Mineure et en Eu-
rope^^
Tandis que le philosophe rend ainsi hommage au
savoir del'Idumée, l'admirateur du vrai génie et
l'homme véritablement pieux ne trouveront dans
aucun pays un plus riche trésor de poésie élégia-
quCjd'éloquencepassionnéejOudeprofonde piété,
que dans ce livre de Job que l'Idumée a présenté
au monde. — Là, nous voyons dans un langage pa-
thétique et sublime tout ce que l'homme peut
sentir , tout ce qu'il peut éprouver de souffrances
physiques ou de douleurs morales; tout ce que
son corps peut endurer de misères; tout ce
qu'il peut perdre de bonheur ; tout ce qu'il est
donné à l'esprit mortel de comprendre sur les
œuvres de Dieu, sur la prescience et la toute-
puissance de l'Éternel, et sur les avis mysté-
rieux de la Providence ; là , pour la première fois ,
la sagesse humaine parle d'Arcture, d'Orion,
et des Pléiades; là, on trouve ce dévouement
de l'âme, cette immortalité de l'espérance, cette
patience qui ne s'altéra jamais , même quand le
cœur se brisait à force d'angoisses , et qui s'écrie
encore : « Voilà, quand il me tuerait, je ne lais-
« serais pas d'espérer en lui. » (Job, xni, 15.)
«Mais, pourrait-on encore demander, la sa-
« gesse a-t-elle disparu du milieu d'Edom? » A cela
la réponse est courte et précise ; « oui, elle en a
(36) Chronologie des anciennes nations, par sir Isaac Newton.
(37) Ibid.
286 KDOM. CH. xn.
disparu. » L'esprit des Bedouins est aussi peu cul-
tivé que les déserts qu'ils traversent. La sagesse
pratique est en général ce que rhoninieai)prend
en premier, et ce qu'il retient en dernier; mais le
simple fait que déblayer quelques décombres,
pour faciliter l'écoulement des eaux dans quelque
ancienne citerne, qui par-là leur deviendrait utile,
est une entreprise à la hauteur de laquelle ne sau-
raient s'élever les vues des Arabes vagabonds,
nous montre assez clairement que leur sagesse
s'est évanouie. Ils regardent les antiques monu-
ments qui les entourent, non-seulement avec
étonnement , mais encore avec superstition ,
comme étant l'ouvrage des génies. Chaque Euro-
péen est à leurs yeux un magicien , et ils croient
qu'il lui suffit de jeter les yeux sur l'endroit oii ils
auraient caché leurs trésors pour qu'il puisse
ensuite commander au gardien dudit trésor de le
lui remettre ^^ DansThéman, qui conserve en-
core une existence précaire, les habitants, cu-
rieux de s'instruire, n'en trouvent pas le moyen.
Le Coran fait leur seule étude, et contient la sub-
stance de toute leur sagesse. Ce serait vainement
qu'on chercherait aujourd'hui parmi eux un Thé-
manite qui pût discourir avec la sagesse d'Eliphaz ,
quoique Jobne le trouvât qu'un faible consolateur.
« Il n'y a plus de sagesse dans Théman , ni de
c( prudence dans la montagne d'Esaii. »
Ainsi nous voyons d'un côté quelle fut l'an-
cienne sagesse des habitants d'Edom, et de l'autre
quelle est sa désolation universelle ; mais aussi
nous verrons par la suite qu'elle sert encore de re-
paire a des créatures que Dieuavait désignées dans
sa parole. Et tout insignifiant que cela peut paraî-
tre aux esprits incrédules qui veulent toujours
(38) Burckhardt , p. 429.
cil. XII. ÉDOM. 287
soumettre la vérité à la mesure de leurs étroites
facultés 5 et faute d'autres armes , entrepreunent
de jeter du ridicule sur tout ce qui dépasse les
bornes de leur faible entendement 5 les détails
suivants 5 renfermés dans la parole de Dieu,
font encore comprendre à celui qui veut se don-
ner la peine de les examiner, qu'ils ne peuvent
provenir que de Celui qui sait toutes choses , et
qui assigne à toute créature son occupation
et sa demeure. Peut-être cette nouvelle mortifi-
cation servira- 1- elle à ouvrir l'intelligence de
l'incrédule , et à lui faire sentir quelle est la force
et la vérité de cette parole qui donne la vie. « Et
« le cormoran et le butor la posséderont ( l'Idu-
« mée ) ; le hibou et le corbeau y habiteront ; elle
(c sera le repaire des dragons et lé parvis des chats-
« huants. Là, les bêtes sauvages des déserts rencon-
« treront lesbêtes sauvages des îles , et la chouette
« criera à sa compagne ; là même se reposera For-
ce fraie et elle y trouvera du repos. Là, le mar-
c( tinet fera son nid, il y couvera, il y éclôra, et
((il recueillera ses petits sous son ombre, et là
(( aussi seront assemblés les vautours l'un avec
t( l'autre. Recherchez au livre de l'Éternel, et li-
ce sez ; il ne s'en est pas manqué un seul point ;
« celle-là ni sa compagne n'y a point manqué , car
(( c'est ma bouche qui l'a commandé , et son Esprit
c( est celui qui les aura assemblées. Car il leur a
«jeté le sort, et sa main leur a distribué cette
« terre au cordeau. Ils la posséderont à toujours;
ff ils y habiteront d'âge en âge. — J'ai mis les
(( montagnes d'Esaiien désolation, et son héritage
« pour les dragons du désert ^^ )>
La précision des prophéties est telle, leur
langage est si éloigné de toute ambiguïté, et
(39) Esaïe, XXXIV, 11, 13-17. —Mal,, I, 3,
288 ÉDOM. CH. xn.
les événements qu'elles annoncent sont si bien dé-
taillés, qu'il est presque inutile de faire obser-
ver que ces différents animaux ne devaient pas
posséder dans le même degré la terre d'Edom.
Quelques-uns d'entre eux devaient s'y reposer,
d'autres s'y assembler. Le martinet et le vau-
tour devaient y faire leur nid, les dragons de-
vaient en faire leur habitation , tandis que, du cor-
moran et du butor, il est dit qu'il la posséderont.
N'est-il pas plus que singulier, malgré le peu de
renseignements que nous possédons sur l'Idumée,
que, lorsque nous fîmes des recherches pour dé-
couvrir si véritablement il ne manquait pas quel-
qu'un de tous ces animaux, la première lumière
que nous reçûmes des frontières d'Edom se rap-
portât précisément à l'animal dont il est fait men-
tion en premier dans la prédiction? On admettra
sans difficulté que, dans un pays où un animalquel-
conque est inconnu, on ne puisse pas donner une
traduction convenable de son nom, et que, pour
le désigner ou le spécifier, il faille se reporter à
son nom primitif, et à l'histoire du pays où il a
été connu; et sans qu'il y ait aucune difficulté par
rapport au nom , ou au besoin de le traduire , il
paraît que le mot même de l'original , avec une
très légère variation, en raison delà ressemblance
entre l'hébreu et l'arabe, est encore employé par
les Arabes pour désigner l'oiseau dont on peut
dire littéralement qu'il « possède le pays » .
Lorsque Burckhardt est en Moab, dans le der-
nier village voisin des limites d'Edom, il énumère
les différents animaux qui se trouvent dans ce ter-
ritoire, et particulièrement dans Shera, un des dis-
tricts de ridumée ; il ajoute qu'on y rencontre une
multitude innombrable d'oiseaux appelés katta ^^
(/^O) n^^p kath, espèce de perdrix. Quelquefois dans roriginal
on écrit katha. Onkel ^np ; \ide Simonis Lexicon, p. 1393.
GH. XI!. ÉBOM. 589
lis volent en si grandes troupes, dit-il , que sou-
vent il suffit aux petits Arabes d'y jeter un bâton
pour en tuer deux ou trois d'un même coup ^\
• Quelqu'un objecterait-il ici que ce n'est pas
chose bien étonnante qu'il se trouve dans un
pays un oiseau particulier , qu'il y fasse sa de-
meure depuis nombre de siècles, et qu'un te!
fait ne sort pas du tout des limites des probabi-
lités humaines? Nous répondrons que nous ad-
mettons la possibilité de ce fait pour presque
toutes les parties du globe ; mais qui vit jamais ,
dans un autre pays que celui-ci, des oiseaux sau-
vages se grouper en telle quantité qu'un enfant
peut en tuer deux ou trois d'un même coup? et
cette circonstance est notée , non point comme un
incident extraordinaire, mais comme un fait habi-
tuel dans le pays. Or, qui entendit jamais parler
d'une particularité semblable dans une autre con-
trée,non pas près de la mer, où les oiseaux s'assem-
blent communément en grand nombre sur les ro-
chers, mais au milieu d'un vaste pays plat dont
ils ont pris possession? Et quand même les re-
cherches des voyageurs modernes parviendraient
à nous faire connaître un autre pays oii la même
singularité existe, qui donc pourrait découvrir
dans les annales de l'antiquité une prédiction par
laquelle elle fut annoncée et constatée? A quelle
contrée maintenant peuplée pourrait-on prédire
un semblable avenir? et où est le prophète capable
de dstinguer un pays d'entre tous, et de désigner,
parmi la multitude des oiseaux du ciel, celui qui
le possédera le premier et en plus grand nom-
bre? On n'a point encore de preuves de l'exis-
tence du butor (kephud ) qui devait aussi possé-
der la terre d'Edom; mais la parole de vérité
(41) Burckhardt, p. 406,
13
290 ÉDOM. CH. XU.
peut en appeler à d'autres faits inconnus à This-
toire, mais écrits dans les prophéties et ainsi de-
puis longtemps révélés.
^ Le hibou et le corbeau y habiteront. » Le
hibou et le corbeau en ont fait leurs demeures. Le
capitaine Mangles raconte que pendant qu'il vi-
sitait avec ses compagnons les ruines de Pétra, le
cri des aigles, des corbeaux et des hiboux qui
planaient au-dessus de leurs tètes en innombra-
bles légions, et qui semblaient se plaindre de ce
qu'un être humain osât approcher de leur domai-
ne, ajoutait à la singularité et à la tristesse de la
scène. Les champs de Tafilé, situés dans le voisi-
nage immédiat d'Edom,sont, à ce que dit Burck-
liardt , fréquentés par d'innombrables légions de
corbeaux ^^ J'espérais, dit Seetzen, en parlant de
son voyage projeté dans l'Idumée et d'après les ren^
seignements que lui avaient donnés les Arabes,
faire plusieurs découvertes en minéralogie, aussi
bien que sur les animaux et les plantes du pays,
sur la manne du désert, les corbeaux ^% etc.
« L'Idumée sera le repaire des dragons ; j'ai
« mis en désolation son héritage pour les dragons
« du désert. » Les témoignages de deux voyageurs
aussi opposés de vues et de principes que le sont
Shaw et Volney sont cependant si complètement
lesmêmes, que, bien que ces auteurs neparlentpas
d'après leurs observations personnelles , on peut
admettre leur rapport, faute de preuves plus
directes. Le premier représente tout le pays
d'Edomet le désert qui en fait partie comme rem-
plis de lézards et de vipères d'une espèce très
dangereuse "*% et le rapport de Volney, déjà cité,
est concluant à cet égard. Les Arabes en général
évitent les ruines des villes de l'Idumée « à cause
(42) Burckhardt, p. 405, — (43) Seetzen, p. 46.
(44) Voyages de Shaw, \ol. II, p. 105, 338.
€ti* Xlï. ÈDOtf. 291
des énormes scorpions qui y abondent. » Ainsi
abandonnée par l'homme et habitée sans con-
trainte par ses possesseurs héréditaires, Tldumée
peut être justement appelée « Théritage des dra-
gons du désert. »
a La les bêtes sauvages des déserts rencon-
« treront les bêtes sauvages des îles » (oudesbords
de la mer). Au lieu de ces paroles, Parkhurst
avait rendu cette phrase : « Les oiseaux de proie
« du désert.... » Mais cette interprétation fut
donnée longtemps avant que le fait fût recon-
nu ; et maintenant Ton a pu s'assurer *" (sans au-
cune allusion à la prédiction) que des aigles, des
vautours, des faucons, tous oiseaux de proie,
se trouvent par milliers dans Tldumée; ainsi
Taccomplissement de cette prédiction est littéral
et complet. — Mais s'il est dit que des animaux
de différentes régions sV rencontrent, cela signi-
fie sans doute qu'il s'y en trouve qui n'appartien-
nent pas naturellement au sol, et une explica-
tion semblerait nécessaire. Parmi beaucoup d'au-
tres choses remarquables dans Thistoire de l'I-
dumée, il est un fait singulier qui mérite que
nous le fassions connaître ici. Une ancienne chro-
nique nous dit que l'empereur Dèce fit trans-
porter d'Afrique , sur les frontières de l'Ara-
Ijie ou de la Palestine, des lions et des lionnes, afin
que ces animaux féroces, en se multipliant, in-
quiétassent les Sarrasins et servissent de barrières
contre eux. Entre la Palestine et l'Arabie se
trouve la terre maudite de l'Idumée. Ne peut-on
pas présumer que cette cause si peu naturelle
et si peu prévue a contribué a hâter la destruc-
tion des troupeaux et la désolation de tout le
territoire voisin , et ne peut-on pas dire littéra-
lement que « là les bêtes sauvages des déserts
(45) Burckhardt, p. 405,
292 KOOM. CII. XfK
« ont ronconlié les l)etes sauvages des bords de
« la mer? »
« Elle sera le parvis descliats-lmanls; là même
*( se reposera l'orfraie, et y trouvera du repos;
« là le martinet fera sgn nid, et y couvera, il y
« éelora, et il recueillera ses petits sous son
(( ventre, et là seront assemblés les vautours l'un
«avec l'autre. Celle-là ni sa compagne n'y ont
« point manqué. » — Nous avons déjà dit que les
aigles, les faucons et les chats-huants, qui s'assem-
blaient en troupes au-dessus de leurs têtes, fati-
guaient, même en plein jour, quelques-uns de nos
voyageurs. M.Laborde, qui a visité ce pays plus
récemment encore et qui y a séjourné plus long-
temps , dit en passant que pendant la nuit on
entendait principalement le cri du chat-huant. « Il
« se repose là et y trouve son repos; » et comme
le cri de l'oiseau de proie, le hurlement des bêtes
féroces , sont maintenant le seul son qui se fasse
entendre dans toute l'ancienne capitale de l'Idu-
mée , véritablement « ils sont assemblés l'un avec
l'autre. »
Toutefois on n'est pas encore parvenu à dé-
couvrir l'existence de tous les animaux que la
prophétie désigne comme devant être les posses-
seurs de l'Idumée, et il est réservé peut-être à
quelqu'autre d'aplanir cette difficulté, d'inter-
roger le livre de l'Éternel, et de s'assurer « qu'il
n'en a pas manqué un seul au rendez -vous. »
Cependant les preuves que nous sommes déjà
parvenus à recueillir, et que nous offrons main-
maintenant à l'examen des esprits impartiaux ,
doivent être suffisantes pour prouver combien il
jurait été impossible à l'homme de préciser de
tels faits et d'en prévoir l'accomplissement. Cer-
tes, on ne peut manquer de reconnaître encorq
ici l'œuvre de Celui devant qui les siècles à venir
fcS.XlI. ÊDOM. 295
ne sont que comme le jour d'aujourd'hui et à la
puissance duquel toute la nature est soumise.
Fameux comme Tétait Edom par « sa force et
sa puissance » , et possédant une capitale hors
de laquelle il eût été difficile de chasser même
un peuple faible , sans doute il n'a jamais dû être
question , même parmi les anciens , de savoir à
quelle nation il appartiendrait un jour ; et certes
il était impossible qu'un prophète d'une nation
étrangère imaginât de lui-même qu'un peuple
qui existait depuis si longtemps ^ et dont la ri-
chesse et la grandeur étaient connues depuis tant
de siècles , dut jamais être totalement détruit ,
que toutes ces villes seraient réduites en des mon-
ceaux de ruines^ que ces habitations devien-
draient désertes, et que telles ou telles bêtes fé-
roces en feraient leur repaire etleur domaine, de
génération en génération.
v( Il n'y aura rien de reste dans la maison d'E^
« sail. J'étendrai ma main sur Edom , et j'en
« retrancherai les hommes. » Les exilés de Jucla
tournent constamment un œil de désir vers la
terre de leurs pères; maisoii trouver maintenant
un Edomite qui cherchât à disputer aux animaux
sauvages la possession de la terre de ses aïeux ,
ou à chasser de ses temples et de ses palais
ruinés le chat -huant qui en fait sa demeure?
Cependant la maison d'Esaû existait encore à
une époque postérieure au commencement de
l'ère chrétienne, et à une période trop éloignée
de celle où fut prononcée la prédiction, pour que
son histoire future pût alors être connue. Peu
après ce temps les Edomites se fondirent dans les
Nabathéens ; au troisième siècle on cessa de
parler leur langue, et leur nom, comme dési-
gnant un peuple , disparut d'entre les nations ^^ ;
(40) OrigèneJ. III, in Job.
2di ÉDonf. en. xir.
enfin leur pays, rejeté par la Syrie dont il faisait
partie depuis lonj,^temps, fut uni à l'Arabie-Pétrée.
Ainsi les descendants des deux frères, Esaii et
Jacob, ont eu h subir un sort totalement diffé-
rent, de même que les prédictions relatives à cet
avenir différaient essentiellement entre elles.
Tandis que les enfants de Jacob « ont été
« dispersés dans toutes les contrées sous la face
« du ciel, et parmi toutes les nations de la terre» ,
tandis qu'ils ont conservé leurs traits distinctifs, et
qu'il a été dit qu'ils ne seront jamais entièrement
détruits, les Edomites au contraire , après avoir
existé comme nation pendant plus de dix-sept siè-
cles, ont cependant été « retranchés à toujours « ;
et tandis que dans tous les pays on retrouve des
Juifs, « il n'y a rien sur la terre de reste de la
<c maison d'Esaii. »
Pour secourir un état voisin, Tldumée envoya
au premier signal une armée de vingt mille hom-
mes ; elle possédait dix-huit villes plusieurs siè-
cles encore après l'ère chrétienne; une longue
succession de princes et de rois régnèrent à Pétra ;
le voyageur est étonné à chaque pas de rencontrer
des palais magnifiques, des temples immenses,
des habitations dont l'architecture merveilleuse
date d'une tout autre époque que celle oîi fu-
rent prononcées parles prophètes juifs les prédic-
tions qui la regardent ; ces prédictions qui disaient
que , malgré toute cette force et toute cette ri-
chesse, « la maison d'Esaii serait retranchée pour
« toujours, qu'il n'y aurait là plus de royaume,
« et que les bêtes sauvages la posséderaient en hé-
« ritage. » — Et l'idumée est tellement « méprisée»
qu'il n'existe plus dans les annales de l'antiquité
rien qui puisse nous faire connaître ce qu'elle
était dans les jours de sa grandeur, aussi claire-
ment que les prophéties nous font voir sa désola-
m. XII. ÈDOM. 295
lion. Là où jadis s'assemblaient les princes et
les grands du royaume, là oîi ils célébraient leurs
fêtes, là oil se réunissent mille preuves de leur
ancienne opulence , on ne retrouve plus que
des restes de richesse et de magnificence; «aucun
« homme ify habite ; » les oiseaux , les bêtes et
les reptiles en ont fait leurs demeures ; c'est le
parvis du chat-huant; « aucun fils d'homme n'y
« séjourne , » et l'éternelle tranquillité de ses ha-
bitations désertes n'est interrompue que par le
bruit des pas du voyageur solitaire.
Quelque cachée qu'ait été depuis bien des
siècles l'histoire d'Edom, cependant chaque nou~
velle découverte que l'on est parvenu à faire
sur son état actuel devient une preuve que la
parole de l'Éternel ne retourne jamais à lui sans
effet, mais qu'elle se vérifie dans toutes les
choses pour lesquelles il l'a envoyée ^^ Toute
son œuvre n'est pas encore accomplie en
Edom, et de même que l'évidence des pro-
phéties n'est pas encore complète, de même
toutes les malédictions prédites ne sont pas en-
core venues sur ce pays. Il a été prédit que la Ju-
dée , Ammon et Moab reviendraient de leur
désolation, et les bêtes sauvages, qui ont aidé les
hommes barbares à désoler ces contrées, trouve-
ront finalement un refuge assuré dans la posses-
sion d'Edom, lorsque, l'année de rétribution étant
passée pour Sion, «cette terre leur sera distribuée
au cordeau, et ils la posséderont à toujours, et ils y
habiteront d'âge en âge. » Mais au lieu de regarder
plus avant dans l'avenir, nous pouvons mainte-
nant jeter un coup d'œil sur le passé, et en tirer
une dernière conséquence.
Il faut que Tincrédule soit d'une crédulité bien
(47) Esaïe, LV, H.
2yC ÉI>O.M. cil. \l\.
sinj^ulièrc, si, après avoir exainirie toutes les pré-
dictions coiiteiincs dans la Bible sur rjduniée, et
dont les faits démontrent TaccoinpIisscHnent, il
les rejette comme les elîets d'un pur hasard,
lui le résultat de conjectures fortuites; certes,
i'iionune qui peut ainsi « couler le moucheron
et avaler le chameau, » et qui peut mettre une
semblable opinion parmi ses articles de foi, mé-
rite la pitié de ceux qui « savent en qui ils ont
<( cru; » et s'il neperdpas tout droit au titre de phi-
losophe, du moins s'ôte-t-il le droit de blâ-
mer dans autrui telle ou telle erreur, quelque
grossière qu'elle soit. S'il persiste dans cette opi-
nion prétendue philosophique, qu'est-ce qui l'em-
pêche de croire également que d'autres mots,
effets du hasard , comme ceux qui prédisent le
sort d'Edoni, et qui se trouvent encore dans le
livre de rEteroel , n'annoncent pas aussi le sort
qui attend les hypocrites et les incrédules? Cette
opinion ne peot-elle pas être appuyée par l'expé-
rience que plusieurs des prédictions de l'Écriture
ont été accomplies? et ne peut-il pas trouver quel-
que analogie sur laquelle il puisse baser cette con-
viction^ tandis cjue celle qu'il soutient dans le
premier cas est entièrement dépourvue de tout
ce qui en peut garantir la vérité? Ou bien toute sa
grande sagesse se borne-t-elle à soutenir la faus-
seté de toute prédiction , jusqu'à ce que son « ex-
périence personnelle » le force à en reconnaître
la vérité par le passé, et qu'il ne lui reste plus
que le mérite d'une foi forcée et arrachée par le
désespoir? — Ou si des preuves moins fortes l\
ses yeux peuvent le contenter, qu'il lise, qu'il
examine, qu'il réfute toutes les déclarations de
la révélation , avant d'oser traiter le croyant de
(îrédule, ou l'incrédule de sage; ou bien il sera
forcé de reconnaître un jour^ malgré toute la per-
Cfl. XII. ÉDOM. 297
versitë, rincrédulité, et l'orgueil du cœur de
riiomme, que Tldumée ne sera pas le seul monu-
ment terrible de la colère et des jugements de Dieu.
Nous pouvons ici en passant dire un mot aux sa-
ges eux-mêmes. Que ces sages selon le monde, qui
ne sont pas instruits dans cette « crainte du Sei-
gneur qui est le commencement de la véritable sa-
gesse, » à qui manque la connaissance de sa parole
qui rend sage à salut, et qui sont étrangers aux
préceptes et aux vérités de rÉvangile, apprennent
aussi par le sort d'Edom que sans tout cela il en
serait de toutes les sciences, dont ils sont si fiers^
comme de la prudence des sages d'Edom. Quand
ils parviendraient à perfectionner l'astronomie, la
navigation, la mécanique, ces sciences dont,
suivant Newton, les Edomites furent les pre-
miers inventeurs, à quoi les avancerait, comme
êtres moraux et responsables, d'arranger la ma-
tière à leur volonté, s'ils n'ont pas conformé
leurs cœurs à la volonté divine? Et quel serait
en définitive le résultat de leurs grands travaux?
car lors même qu'ils parviendraient à élever co-
lonne sur colonne, à tailler une autre ville dans'
l'épaisseur des rochers, il suffirait d'une autre
parole de ce Dieu qu'ils ne cherclientpointk con-
naître, d'une seule parole prononcée contre leur
ouvrage ; et tous leurs travaux , tout leur génie
n'aboutiraient qu'à ce que Pétra est devenue et
ce que Rome elle-même est destinée à devenir,
« le repaire de tout oiseau immonde et exécra-
ble. » L'expérience en a déjà été faite , on peut
bien s'en rapporter à cette leçon qui est de-
vant nos yeux , afin qu'au lieu d'attirer sur nous
des jugements plus terribles encore, nous puis-
sions être avertis par « l'esprit de prophétie,
qui est le témoignage de Jésus, » d'entendre et
d'obsçrver les paroles de Celui « qui nous délivra
13.
208 rHiLFsîiË. en. xnï.
do la colère à venir. « Car eoinl)ien sera terrible
pour une Ame la malédiction prononcée con-
tre elle par rÉlernel, lorsque au lieu d'être re-
nouvelée à l'image de Dieu, et d'avoir été rendue
digne de le contempler dans sa gloire, elle se verra
passer d'un état de ténèbres a cet état de vie spi-
rituelle, oil toute la connaissance des choses
terrestres ne sera plus que néant et vanité, où
l'absence de foi et d'amour laissera Tame aussi
vide que les habitations désertes des rochers,
où les pensées de grandeur et de puissance mon-
daines viendront occuper l'ame immortelle d'une
manière bien plus affreuse que les bêtes féroces
n'occupent maintenant les palais de l'Idumée , et
où toutes les passions et tous les péchés de la vie
passée viendront prendre possession de cette
âme, comme les scorpions et les reptiles s'atta-
chent aux ruines d'Edom et aux autels des faux
dieux, sans que rien puisse leur arracher Théri-
tage éternel' qui leur aura été assigné^
CHAÎ^ITRE XÎIL
PROPHÉtiES CONCERNANT LA PHÎLISTIE.
La terre des Philistins, à l'ouest et au sud-
ouest, confinait à la Judée, et se trouve à l'extré^
mité sud- est de la Méditerranée. Le pays au
nord de Gaza est très fertile, et, longtemps après
l'ère chrétienne, il était habité par une population
nombreuse et protégé par des villes supérieure-
ment fortifiées ; rien ne pouvait faire présager au
temps des prophètes, ni même à une époque posté-
rieure, révèneinent de sa destruction. Mais depuis
en. \m. PHiLisTiE. 299'
bien des siècles il présente le contraste de tout
ce que la fertilité de son sol, Texcellence de son cli-
mat et de sa position semblaient promettre pour
Tavenir. — La voix des prophètes s'est aussi fait
entendre contre la Philistie ; et leurs prédictions
étaient aussi opposées h toute probabilité hu-
maine qu'elles sont véridiques dans leurs des-
criptions de son état actuel.
« Je m'en vais étendre ma main sur les Philis-
« tins, et je ferai périr le reste de leurs ports de
« de mer *^ Gaza est devenue chauve; Asçkélon
« ne dit plus mot, avec le reste de leur vallée ^^))
« A cause de trois crimes de Gaza, même à cause
« de quatre, je ne rappellerai point cela; mais
« j'enverrai le feu à la muraille de Gaza, et il dé-
« vorera ses palais. Et j'exterminerai d'Asçdod
« ses habitant^ , et d' Asçkélon celui qui tient le
« sceptre ; puis je tournerai ma main sur Hékron ,
« et le reste des Philistins périra, aditl'EterneP^.
« Asçkélon sera en désolation . on chassera les ha-
c( bitants d'Asçdod en plein midi, et Hékron sera
« arrachée. Chanaan, quieslepaysdesPhilistins,
« je te détruirai tellement que personne n'y ha-
ft bitera, et la contrée maritime ne sera que ca-
« bane§ , que des loges de bergers , et que des
« parcs de brebis ^'.)) « Il n'y aura plus de roi à
« Gaza, et Asçkélon ne fleurira plus ^'\ »
« Le pays des Philistins sera détruit. »— -Il par-
tage aujourd'hui la désolation commune a la Judée
et aux contrées voisines, et les ruines dont elles
sont couvertes abondent plus particulièrement le
long des cotes de la mer , qui formaient la partie
méridionale du royaume des Philistins. Mais son
aspect présente quelques particularités que les
(SB) Ez^iel, XXV, 16. — (49) Jérémie, XLVIl, 5.
(50) Amos, I, 6, 7, 8. — (51)Sophonie, II, 4, D, 6.
(52) Zachiine, IX, 5.
300 PilïLISTIE. Cil. XIH.
>()yageurs modernes ifoiit pas marKjné de spéci-
lier, et qui nous font voir clairenieni que la des-
iîription des prophètes était aussi exaete que
s'ils avaient été eux - monies spectateurs de
cette scène, et aussi (îdèle que s'ils avaient reçu
leurs informations de la source la plus authenti-
que. Mais nous pouvons encore ici nous en
rapporter a une autorité que nous avons bien
souventcitée. — Volney,par la justesse de ses re-
marques topographiques, et la sagacité de ses re-
cherches, fait ressortir plus qu'aucun autre voya-
geur la vérité et l'exactitude des descriptions pro-
phétiques, tandis que d'un autre côté son inimitié
bien connue contre le christianisme rend son té-
moignage non équivoque et non suspect. Nous
nous en rapportons donc aux récits de ce voya-
geur, pour prouver l'accomplissement des pro-
phéties suivantes :
« La contrée maritime ne sera que cabanes,
« que loges de bergers et parcs de brebis. L'Éter-
« nel s'en va saccager les Philistins; Gaza est de-
« venue chauve^ elle sera abandonnée. Iln'yaura
« plus de roi à Gaza. J'exterminerai d'Ascdod
« ses habitants: Asckélon sera en désolation, elle
« ne dit plus mot, avec le reste de leur vallée; per-
« sonne n'y habitera. » Dans la plaine entre
Ramla et Gaza ( précisément celle qui apparte-
nait aux Philistins, le long des côtes de la mer ) ,
on rencontre d'espace en espace quelques villa-
ges mal bâtis en terre , qui , comme leurs
habitants, portentl'empreintede la pauvreté et de
la misère. Les maisons, vues de près, sont des
huttes tantôt isolées, et tantôt rangées en forme
de cellules, autour d'une cour fermée par un
mur de terre. En hiver, l'appartement habité
est aussi celui des bestiaux; seulement la partie
oil l'on se tient est élevée de deux pieds au-des-
CH. XIH- PFIILÏSTIE. 301
SUS du sol des animaux (« des cabanes ^ des loges
de bergers et des parcs de brebis»). Tout le reste
du pays est désert ^ et livré aux Arabes Bédouins
qui y font paître leurs troupeaux ^^ « Je feraipé-
« rir le reste; le pays des Philistins sera détruit^
«personne n'y habitera, et la contrée maritime
« sera lademeuredes bergers et un parc aux bre-
« bis. »
Les ruines de marbre blanc que Ton trouve
encore quelquefois à Gaza prouvent que jadis
elle fut le séjour du luxe et de l'opulence; mais
elle a participé à la décadence générale , et mal-
gré son titre de capitale de la Palestine, elle n'est
plus qu'un bourg sans défense (« Gaza est deve-
nue chauve » ), peuplé tout au plus de deux
mille âmes ^\ « Il n'y aura plus de roi. » Sur la
droite est Asçkélon, dont les mines désertes
s'éloignent de jour en jour de la mer, qui jadis
les baignait ^". « Elle sera en désolation. » L'on
rencontre successivement diverses ruines dont
la plus considérable est Edzoud (Ascdod), l'an-
cienne Azot, célèbre en ce moment par ses
scorpions. Cette ville, puissante sous les Philis-
tins, n'a plus rien qui atteste son ancienne acti-
vité, (f J'exterminerai d^Ascdod ses habitants. »
Quoique le voyageur chrétien doive céder le
pas à Volney, lorsqu'il se fait le topographe de
la prophétie , et qu'ainsi tout autre témoignage
devienne superflu, cependant il ne sera pas inutile
d'insérer ici les observations suivantes :
Asçkélon était une des plus opulentes satra-
pies des Philistins; aujourd'hui ses murs ne ren-
ferment pas un seul habitant. Ainsi s'est accom-
plie la prédiction de Zacharie : « Il n'y aura plus
(' de roi à Gaza, et Asçkélon ne fleurira plus. » A
(53) Volney, Voyages en Syrio, ch. xxxi, p. 309.
(5/|) Ib'd., 313. — (55) Ibid., 312.
302 piiiLisTiE. en. XIIL
répoquo oil celle prophétie fut prononcée , ces
deux villes étaient également florissantes, et il
ne fallait rien moins que la prescience de Dieu
pour décider sur laquelle des deux et de quelle
manière serait répandu le vase de sa colère.
Gaza en effet n'a plus de roi. Les superbes tours
d'Asçkélon gisent éparses sur le sol et au-dedans
de ses murailles; ses murs ne servent d'asile k
aucun être humain. ((Certainement la fureur de
l'homme tournera à ta louange. » Cet oracle fut
rendu par la bouche du prophète , plus de cinq
cents ans avant l'ère chrétienne , et c'est plus
de dix-huit siècles après cette époque que nos
yeux sont témoins de son accomplissement^^.
Quelque péremptoire que soit ce raisonnement,
cependant les faits rapportés par Volney sont plus
remarquables encore. Non - seulement il décrit
le sort de telle ou telle ville, mais il parle de
l'aspect général du sol, des cabanes et des huttes
de bergers qu'il trouve dans une partie du
pays seulement, tout le reste n'étant qu'un vaste
désert sans habitants, ou bien abandonné aux
troupeaux des Arabes ; U dit que Gaza est privé
de son roi , que ce n'est plus qu'un bourg sans
défense et sans fortifications , qu'Asçkélon n'est
qu'une désolation, qu'Asçdod n'a plus d'habitants,
que des scorpions y ont remplacé les hommes;
eh bien , toutes ces choses sont l'objet d'une pro-
phétie spéciale, et chaque fait que Volney énu-
mère nous force à nous demander si la description
la plus frappante sort de la bouche de l'incrédule
ou de la bouche du prophète inspiré. Il n'y a nulle
part la moindre obscurité ; aucune circonstance,
aucune preuve ne manque. L'accord est parfait,
trop parfait pour que l'on puisse s^^y niépren(Jrpf
(56) Ricàardson, vol II, p. 20$.
Cfï. XIII. PHILISTIÊ. 303
Il est facile au plus ignorant de s'assurer que la
prédiction est de bien des siècles antérieure aux
événements, et telle était la fertilité naturelle du
sol, la beauté de ses villes et la force de leurs
fortifications 5 qu'il était impossible a un être
humain de prévoir une destruction aussi com«
plète et une désolation aussi universelle. Même
après l'époque de l'oracle. Gaza soutint pendant
deux mois le siège que lui fit Alexandre-le-Grand
à la tête d'une puissante armée. Cette armée, avec
laquelle il renversa plus tard l'empire des Perses,
ayant été repoussée, là aussi bien qu'à Tyr, le roi
ayant été lui-même deux fois blessé , il en fut
tellement exaspéré qu'il fit attacher aux roues
de son chariot l'intrépide général qui avait dé-
fendu la ville et le traîna deux fois autour des
murailles de Gaza ^^
Asçkélon étaitnon moins célèbr e jadis par T^x-
cellence de ses vins que par la force des ou-
vrages qui la défendaient ^^ Un ancien historien,
en parlant d'Asçdod, nous dit que cette ville sou-
tint sous Psamméticus, roi d'Egypte, le plus
long siège peut-être dont l'histoire fasse mention,
puisqu^il dura 29 ans ^^ Strabon, au commence-
ment de l'ère chrétienne, met les Asckélonites
au rang des principaux habitants delà Syrie. Gaza,
Asçkélon, et Ascdod formèrent chacun un sièee
episcopal, depuis le règne de Constantin jusqu'à
l'invasion desSarrazins. Et nous avons encore une
preuve positive de l'existence de ces différentes
villes à une époque bien postérieure à celle
de la prédiction , par les monnaies dont on a
encore une collection, et qui ont été décrites
dans différents ouvrages sur les médailles et les
(57) Quinle-Curce, 1. IV, clu xxvr.
(58) Relandi Palaeslina, p, 351, 586.
(59) Hérodot., Hîst>, U II, ch. clviu
BOl niiLisTiK. en. xiii.
liioiinaies des anciens '^ On reconnailcMicoreran-
rienne niaj;rii licence de Gaza « a ses mines de
jnarbri» hlanc», et à la maison de l'ai^ja actuel,
composée de fraiîfments de vieilles colonnes, etc. :
dans la cour du bâtiment et enfoncés dans les
murs, on retrouve des chapiteaux de colonnes d;:^
granit ^*. En un mot « des loges de bergers et
<< des parcs pour les brebis » sont jetés çà et là
sur « la côte maritime ; » ce sont les seules
grandes villes que toute la Philistie puisse pré-
senter maintenant, et le reste de ce royaume qui
donna tant de gloire et de puissance à ses an-
ciens possesseurs « est détruit aussi. » — Gaza, une
des principales satrapies, «le séjourduluxe etde
Fopulence, » est maintenant « privée de son roî,
et elle est devenue chauve » de toutes ses an-
ciennes fortifications ; elle n'est plus que le sé-
jour sans défense du gouverneur d'une province
dévastée^ et les ornements de ses édifices , jadis
si superbes, ne forment plus maintenant que des
pans de murs pour les étables des bestiaux. Une
poignée d'hommes pourrait aujourd'hui s'emparer
de cette place si forte, et qui résista si longtemps
au conquérant du monde. — Les murailles, les habi-
tations et les habitants d' Asckélon ont été détruits,
et quoique ce nom fût répété avec des cris de
triomphe, pendant la guerre des croisés, à tra-
vers toutes les contrées de l'Europe, maintenant
« il ne fleurit plus » . Et Asçdod, qui soutint un
siège trois fois aussi long que celui de Troie , a
« été retranchée » devant la parole de Dieu qui est
plus pénétrante que mille épées à deux tran-
chants, et devant qui elle s'est trouvée sans dé-
fense.— Il y a encore une autre ville sur laquelle
nous ne savons presque rien^ et dont le nom même
(60) Relandi Palaeslina, p. 595, 609, 797.
(61) Manuscrit du général Stralon.
CH. Xlir. LIBAN. 305
n'existe pas sur plusieurs des cartes de la Pales-
tine . et cette ignorance même dans laquelle
nous sommes est une puissante preuve de Tac-^
complissement de la prophétie. « Asçkélon sera ar-
rachée,» et elle est retranchée. Elle était une des
principales yilles de la Philistie ; mais parmi les
ruines d'Asçkélon, de Gaza et d'Asçdod, on cher^
che en vain le nom d'Hékron^^
Cette différence remarquable entre l'état dit
sol et celui de chacune des villes de la Phi-
listie, s'accorde parfaitement avec les paroles
de la prophétie , et le témoignage de Volney con-
state tous ces détails. Après avoir examiné tous
ces événements^ et après s'être assuré de la prio-
rité de la prédiction, comment l'expliquer autre-
ment qu'en l'attribuant à la prescience de Dieu ?
La Judée est bornée au nord par les mon-^
tagnes du Liban, célèbres jadis par l'étendue
des forêts dont elles étaient couvertes, et par
la grandeur et la beauté de leurs cèdres ^'\ On
y trouva partout des sapins, des cyprès et des
vignes, etc. Mais en parlant de ce qu'est le Liban
maintenant , Volney dit : Vers le Liban , les mon-
tagnes sont assez hautes, et cependant elles se
couvrent en beaucoup d'endroits d'autant de terre
qu'il en faut pour devenir cultivables à force d'in-
dustrie et de travail. Là parmi les rocailles se
présentent les restes peu magnifiques des cèdres
(62) Dans la carie qui accompagne les Voyages de Shaw, Akrotï
est marquée, il est vrai , mais elle est placée sur le côté, et la vé-
ritable Hékron était plutôt dans Tintérieur du pays. Shaw n'a pas
visité ce site , et Richardson se borne à supposer que des
ruines près d'Asçdo délaient celles d'Hékron. Mais ces ruines ne cor-
respondent pas à celles dusited'Hékron, qui se trouvait, selon Bu-
st be, entre Asçdod et Jamnia, vers Forient, ou dans finlérieur*
(Voyez Relandi Palœstina, p. 77.)
(63) Relandi Paliestina, p. 320, 379. — Hist. Tacili , K V, c* vu
306 JUDÉE. en. XIII.
si vantés *^\ Les paroles des prophéties d'Esaïe
conlirincnt ce sarcasme et en font un témoi-
gnage de la vérité. « Liban est sec et coupé. Les
a plus hauts seront abaissés et le Liban tombera
« avec impétuosité **^. Les branches sont tombées
« sur les montagnes et sur toutes les vallées. C'est
« pourquoi tous les arbres ne s'élèveront plus
a dans leur hauteur et ne produiront plus de cime
« touffue ^'^. Liban, ouvre tes portes et le feu con-
« sumera tes cèdres : le cèdre est tombé , la forêt
« qui était comme une place forte a été coupée *^. »
Telles sont les prophéties qui se rapportent
expressément à la terre de Judée et aux contrées
adjacentes, et tels sont les faits qui, diaprés les
écrits de divers voyageurs, constatent leur accom-
plissement; nous avons tâché de rassembler les
preuves les moins suspectes, et beaucoup d'autres
témoignages viennent à l'appui de celles-là. Les
prédictions et les preuves de leur accomplis-
sement sont si nombreuses qu'il est impossible
de les concentrer en un seul point de vue, sans en
exclure beaucoup de très importantes, qui sont en
elles-mêmes si claires et dont l'application est si
facile, qu'en voulant les expliquer davantage on
ne ferait que les obscurcir ou en diminuer la
force. Il n'y a point d'ambiguité dans les prophé-
ties, et elles n'admettent aucune autre interpré-
tation que celle que les faits actuels leur donnent.
On ne peut plus douter de leur authenticité ou
de leur antiquité, puisque les pays dont elles
(64) Volney, ch xx, § il. — Volney fait observer dans une noie
qu'il n'y a plus que quatre ou cinq de ces arbres qui aient quelque
apparence, et nous pourrions, à notre tour, ajouter une note tirée
des paroles d'Esaïe : « Et le reste des arbres de ses forêts seront
« aisés à compter, tellement qu'un enfant les mettrait bien en écrit, n
(Esaïe, X, J9.)-C65j Esaie , XXX, 9 ; X, 33, 3ii.-(66; Ezéclu, XXXI,
12, 14.-(67;Zach.,XI, 1, 2.
CH. III. ET LES CONTRÉES ADJACENTES. 307
annonçaient le sort possédaient plusieurs mil-
lions d'habitants et de nombreuses villes , opu-
lentes et florissantes , plusieurs siècles après
la publication de cesoracles, k une époque oîi ii
était d'usage général parmi les Juifs de lire pu-
bliquement leurs saintes écritures^ et ce n'est que
lentement et graduellement que la destruction
qu'elles prédisaient est venue fondre sur ces na-
tions. Il est parfaitement impossible, dans l'ordre
de la nature^que de simples mortels aient pu pré-
voir des faits semblables 5 faits que toutes les
apparences contredisaient et qui étaient con-
traires au témoignage de l'histoire tout entière ,
et il n'y avait que des spoliateurs Arabes ou un gou-
vernement Turc qui fussent capables de réduire
un pays naturellement fertile à un tel état de dé-
solation et de dégradation. Aurait-il été possible
de prévoir qu'après un intervalle de plusieurs
siècles, cette terre resterait pendant des géné-
rations entières privée de toute prospérité , de
tout bien-être , que rien ne saurait la faire re-
vivre, que rien ne parviendrait à éloigner la dé-
solation qui pesait sur une des plus riches et des
plus saines contrées du globe? Aurait-il été
possible à la plume d'un simple mortel de dé-
crire , 2,200 h 3,300 ans d'avance, tous les traits
de cette désolation actuelle?
Plus on fait de recherches et plus on approfondit
l'état de ce pays, plus on est convaincu de la vé-
rité et de l'authenticité de toutes ces prophéties.
En parlant de la parfaite vérité historique des
prédictions relatives aux rois de Syrie et d'Egypte,
î'évêque Newton fait observer (comme sir Isaac
Newton l'avait remarqué précédemment) qu'au-
cun auteur moderne ne fournit un récit également
clair, également concis de ces événements; que
la prophétie même est plus complète que l'bis-
S08 JtlDÉR Cit. xrlf;
foire, et qu'il n'y a i)()iiit criiistorien qui ait à lui
^eul raconté autant de faits c|ue les pioplièt^s en
ont ])réciit5 et qu'ainsi il a fallu avoir recours à
plusieurs auteurs pour expliquer le j^rand nombre
de faits auxquels les prophéties ont rapport. On
peut appliquer cette observation aux preuves
t;éograpliiques aussi bien qu'aux preuves histo-
riques de l'authenticité des prophéties.
J.a Judée, qui, avant le temps des projihètes ,
avait depuis tant de siècles conservé un gouver-^
nenient particulier et uniforme qui la distinguait
des autres nations, la Judée, disons-nous, a de-
puis lors subi bien des changements; depuis bien
des générations elle a été soumise à tous les genres
de spoliations; et maintenant, après un intervalle
de plusieurs siècles, les voyageurs reconnaissent
ce que les prophètes avaient annoncé. Chaque
prédiction est accomplie dans tous ses détails, du
moins partout oîi l'on est parvenu à connaître les
faits. Le récit d'un seul voyageur ne suffit pas
pour nous donner exactement l'état actuel de ce
pays, et il faut réunir un grand nombre de témoi-
gnages de différents voyageurs pour parvenir a
posséder tous les traits si diversifiés et si distincts
de cette vaste scène, dont la plume des prophè-
tes nous avait tracé chaque ligne, chaque teinte,
en nous décrivant l'histoire de la terre et des ha-
bitants de la Palestine.
Que disent les prophètes? La Judée sera foulée
par une longue succession de spoliateurs. — Elle
restera sans culture de siècle en siècle. — La
désolation du pays sera universelle; toutes ses
villes tomberont en ruines. — Ses riantes plaines
ne seront plus qu'une vaste solitude. — ^Ses ferti-
les montagnes ne produiront plus; la terre sera
couverte de ronces et d'épines, ses grands che-
mins seront déserts, ses anciens possesseurs se-
ÇH. XHI. ET LES CONTRÉES ADJACENTES. 309
vont dispersés parmi toutes les nations. Les habi-
tants dépravés 5 peu nombreux , mangeront leur
pain à la sueur de leur front, dans la crainte conti-
nuelle de la spoliation ou de Toppression.— Le tra-
vail deviendra inutile 5 les produits seront nuls,
le pays sera entièrement saccagé et dépouillé. —
On n'y entendra plus le son de la musique ; toute
la gaîté des habitants disparaîtra , l'usage du vin
sera défendu dans un pays vignoble, et le vin
deviendra amer à celui quileboira. — Il n'y aura
que de très petites exceptions à cette désolation
universelle ; il ne restera que quelques épis lais-
sés sur le champ, et quelques faibles lueurs seu-
lement attesteront l'ancienne gloire de la Judée.
La terre d' Ammon sera dévastée , la race des
Ammonites sera éteinte, leur pays sera la proie
des païens, et dans une désolation perpétuelle.
Moab sera désolée , personne n'habitera ses villes,
pas une seule n'échappera, la vallée périra, la
plaine sera détruite , une troupe de vagabonds
viendra contre elle et chassera ses habitants; on
se réfugiera parmi les rochers, les troupeaux
paîtront parmi les ruines des villes, et personne
ne les inquiétera.
L'Idumée restera inconnue aux voyageurs, elle
sera victime d'une désolation sans exemple; ses
villes seront entièrement abandonnées et détrui-
tes; il ne restera pas le moindre vestige de laplu-
partd'entre elles. — Elle sera une solitude désolée
surlaquelleon aura tiré lecordeaudu désordre. Le
pays sera fouillé, il n'y aura point d'apparence de
royaume. Ses rois et ses princes disparaîtront, et
tout ce qui restera d'eux, ce sera leurs sépultures.
— Desroncesetdesépinescroîtrontdanssespalais,
ce sera le pays de la méchanceté, pays tout-à-fait
méprisé. Il n'y aura plus de sagesse en Théman ,
toute sagesse disparaîtra de la montagne d'Esaïi,
310 JUDEE, etc. CH. XIII.
toute la contrée deviendra la proie d'animaux
sauva{];es, d'oiseaux de proie et de reptiles, dont
les noms mêmes sont spécifiés. — 11 ne restera per-
sonne de la maison d'Esaïi.
— Les villes des Philistins seront détruites, la
côte maritime sera convertie en cabanes de ber-
gers et en parcs aux brebis ; le reste de la plaine
sera détruit, et aucun habitant fixe n'y demeu-
rera. — Le Liban sera abaissé; ses quelques cè-
dres, épars ça et là , deviendront un objet de mé-
pris au lieu d'être un sujet d'orgueil. — En un
mot, le différent sort de chaque ville est prédit.
La longue domination des Gentils sur Jérusa-
lem, les édifices de Samarie détruits et jetés dans
la vallée , ses fondements découverts, et des vi-
gnes couvrant ses décombres ; Rabbah Ammon, la
capitale des Ammonites , le repaire des chameaux
et des troupeaux; la principale ville d'Edom dé-
truite, le parvis deschats-huants; Gaza dcTcnue
chauve, privée de son roi, ses fortifications ra-
sées; Asçkélon déserte, sans habitants, etHékron
arrachée, voilà les anciennes prophéties, voilà
les faits actuels ; et n'y a-t-il pas là un vaste corps
de preuves contre lesquelles tous les traits de
l'incrédulité viennent s'émousser ?
Les contrées qu'embrassent ces prophéties s'é-
tendent sur plus de 120,000 milles carrés; cepen-
dant il n'est pas une partie de ce champ immense
qui ne rende témoignage à leur accomplissement.
Les prophètes inspirés de Dieu ont annoncé le sort
des nations les plus puissantes, ont prédit la déso-
lation des plus opulentes cités; et il n'y a pas un
peuple, pas un pays, pas une capitale alors connue
des Juifs, dont leurs oracles n'aient proclamé l'a-
venir.
Nous allons donc maintenant laisser derrière
nous le champ que nous explorons depuis si long-
CH. XIV. CHRIST ET LA RELIGION CHRÉTIENNE. 311
temps ; nous allons laisser tous les faits que nous
avons avancés à leur force propre , et démontrer
par d'autres faits que Tédifice de la foi chrétienne
repose sur des fondements qui ne peuvent être
ébranlés.
CHAPITRE XIV.
PROPHÉTIES CONCERNANT CHRIST ET LA
RELIGION CHRÉTIENNE.
Un des caractères les plus remarquables de la
religion judaïque, c'est que, tout en prétendant à
une grande supériorité, et tout en se distinguant
de toutes les autres religions par le culte du seul
vrai Dieu, cependant elle ne s'annonce que comme
Tavant-coureur d'une révélation future, plus ex-
cellente et plus parfaite. Dans son origine, elle
était adaptée à un peuple particulier et restreinte
à son usage. Dans beaucoup de ses institutions,
en effet elle ne convenait qu'à la Judée ; sa mo-
rale était incomplète ; ses formes extérieures
multipliées, onéreuses, et sans aucune valeur
en elles-mêmes *^\ Il est donc évidentque cette pre-
mière dispensation n'était que le présage d'une
autre, et que, partielle, imparfaite et temporaire,
remplie des promesses « de quelque chose de meil-
(68) ParcequMls n'avalent pas accompli mes ordonnances ^ ,et
quMls avaient rejeté mes statuts et profané mes sabbats, et que leurs
yeux étaient après les dieux infâmes de leurs pères, c'est pourquoi
je leur ai donné des statuts qui n'étaient pas bons, et des ordon-
nances par lesquelles ils ne vivraient point. (Ezéchiel, X2(^f^2^25.
— Actes, XV, 10.)
s 12 CHRIST. Cil. XIV.
leur», elle ne faisait qu'en préparer la voie. Ainsi,
par sa nature même, elle ne pouvait aceomplir la
promesse qu'elle dit avoir été faite à Abraham,
qu'en lui toutes les familles de la terre seraient
bénies, quoique cette promesse fût devenue la
base de la dispensation, et quoique son accom-
plissement fût le grand but de la séparation des
descendants du patriarche d'avec toutes les au-
tres nations de la terre.
Mais la religion judaïque tendait en tout vers ce
but , quoiqu'elle ne pût pas l'atteindre directe-
ment; car la venue d'un Sauveur était le grand
sujet des prophéties et la croyance universelle
des Juifs. Depuis le commencement jusqu'à la fin
des Livres de rAncien Testament, ce fait est pré-
dit ou représenté. Dès le premier acte de la ju-
stice divine sur les premiers auteurs de notre
race, on voit la miséricorde de Dieu unie à sa jus-
tice. Avant l'expulsion du jardin d'Eden , un rayon
d'espérance vint consoler les coupables ; ce fut la
promesse d'un Libérateur destiné à souffrir et à
triompher. La même promesse fut faite à Abra-
ham sous une forme plus distincte. Jacob parle
clairement de la venue d'un Sauveur. Moïse, le
législateur et le conducteur du peuple hébreu,
annonce un autre Législateur que Dieu devait
susciter dans des siècles a venir ^^. Et tandis que
ces premières prédictions sont faites dans la par-
tie liistx)rique des Ecritures de manière à indiquer
clairement le dessein de la dispensation de Moïse,
les Livres prophétiques proprement dits contien-
nent une exposition parfaite de la venue du
Sauveur, et de tout ce qui appartient au royaume
qu'ir devait établir. Beaucoup de choses en appa-
rence contradictoires sont prédites sur ce grand
(69) Deut., XVIII, 15-18.
CH. XIV. BELIGION CHRÉTIENNE. 313
Libérateur dont la dignité, le caractère et les
fonctions étaient toutes spéciales , et auquel le
sort de riiumanité tout entière devait se trouver
lié. Beaucoup de passages qui ne peuvent avoir
une autre application en font témoignage : Ton
Roi vient. — Ton Salut approche. — Ton Ré-
dempteur viendra en Sion. — Le Seigneur vient.
— Celui qui vient au nom de l'Eternel ^^ On re-
trouve ces mêmes expressions dans toutes les
prophéties. Elles parlent clairement de la venue
d'unSauveur, et même, n'eussions-nous pas d'au-
tres preuves, la prophétie de Daniel est assez
précise pour établir le fait que nous affirmons,
que la venue du Messie est prédite dans l'Ancien
Testament. Le même fait est encore prouvé par
la croyance universelle des Juifs dans tous les
siècles. Elle est si profondément gravée dans
leur cœur que, malgré la dispersion de leur race
sur toute la terre, pendant dix-huit siècles après
le moment fixé pour son avènement, l'attente
d'un Messie forme encore entre eux un lien d'u-
nion qu'aucune distance ne peut rompre, et
qu'aucune puissance humaine ne peut détruire.
Donc, puisque l'Ancien Testament contient des
prophéties sur un Sauveur qui doit paraître dans
le monde, il reste à savoir si tout ce qu'elles
prédisent se trouve accompli dans la personne de
Jésus-Christ. Sur un sujet aussi intéressant et
aussi important, qui a été si amplement traité
par tant de théologiens distingués, nous ne pou-
vons offrir à nos lecteurs qu'un coup-d'œil som-
maire, imparfait et incomplet; mais nous le pré-
sentons pour démontrer la liaison qui existe entre
l'Ancien et le Nouveau Testament , et pour qu'il
(70) Zach., IX, 9. — Esaïe, LIX, 20; LXII, 11, — Mal, III, 1.
— Ps. CXVIIT, 26. -- Dan., IX, 25, 26.
H
314 CHRIST. CH. XIV.
serve en même temps de conclusion a toutes nos
autres preuves en faveur du christianisme.
Nous rapporterons ici les traits principaux des
prophéties qui se rapportent à Jésus-Christ , et
leur accomplissement, en tant qu'elles indiquent
l'époque de son avènement , le lieu de sa nais-
sance 5 et la famille de laquelle il devait sortir; sa
vie et son caractère , ses miracles, ses souffran-
ces, et sa mort; la nature de sa doctrine, le
but et l'effet de sa venue , et l'étendue de son
royaume.
L'époque de la venue du Messie dans le monde,
ainsi qu'elle est indiquée dans l'Ancien Testa-
ment, est déterminée par nombre de circons-
tances accessoires, qui la fixent avec précision
à la date de l'avènement de Jésus-Christ. La der-
nière bénédiction que Jacob donne à ses enfants,
lorsqu'il leur commande de s'assembler devant
lui , afin qu'il leur prédise ce qui doit leur arri-
ver dans les derniers temps , contient cette pro-
phétie qui se rapporte à Juda. « Le sceptre ne
« sera point ôté de Juda, ni le législateur d'entre
« ses pieds, jusqu'à ce que le Sçilo vienne; et
« c'est à lui qu'appartient l'assemblée des peu-
« pies '* . » Le moment fixé par cette prophétie pour
la venue du Sçilo , ou du Sauveur , ne devait pas
dépasser le temps pendant lequel les descendants
de Juda continueraient à former un peuple uni,
gouverné par un roi , d'après leurs propres lois ,
et ayant des juges pris d'entre leur nation. La
prophétie de Malachie nous permet encore de
fixer cette époque : « Voici, je vais envoyer mon
« ange, et il préparera la voie devant moi, et aus-
« sitôt le Seigneur que vous cherchez et l'ange de
« l'alliance que vous désirez entrera dans son tem-
(71) Genèse, XLIX, 10.
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 315
« pie; voici : il vient, a dit rÉternel des armées^^»
Il n'y a point d'expressions qui puissent indiquer
plus clairement la venue du Messie promis , et
elles annoncent d'une manière également précise
sa présence dans le temple, avant sa destruction.
On peut encore remarquer ici que Malachie a été
le dernier prophète; après ses prédictions le sceau
fut posé sur les visions et sur les prophéties , et
l'Ancien Testament fut complet. Quoiqu'il y eût
plusieurs prophètes immédiatement avant lui,
il n'y en eut point en Israël après lui; eependant
tous les Juifs, soit des temps anciens, soit des
temps modernes , s'attendent à un précurseur du
Messie, pour annoncer sa venue. La longue suc-
cession des prophètes approchait de sa fin , et les
dernières paroles de l'Ancien Testament, jointes
à un commandement de se ressouvenir de la loi
de Moïse, semblent signifier que le premier pro-
phète qui apparaîtrait serait l'avant-coureur du
Messie.
Quanta ce qui se rapporte à la venue du Messie
avant la destruction du second temple, les pa-
rolesd'Aggée sont d'une clarté remarquable: « Le
c( désiré de toutes les nations viendra, je rempli-
« rai cette maison de gloire, a dit l'Éternel des
<c armées. La gloire de cette dernière maison sera
«plus grande que celle de la première; et je
a mettrai la paix en ce lieu'^» Le contraste que le
prophète vient d'établir entre la gloire du temple
de Salomon et celui qui avait été rebâti à sa place,
en comparaison duquel il déclare que le premier
n'était rien ; la manière solennelle par laquelle il
eommence : « Car ainsi a dit l'Éternel des armées :
« encore une fois , et ce sera dans peu de temps ,
« j'ébranlerai les cieux et la terre ; « rexcellence
(72) Malachie, III, 1. — (73) Aggée, II, 7, 9.
316 CHRIST. CH. XIV.
de celle dernière maison bien supérieure à celle
de l'or on de l'argent ; l'expression caraclérislique
du Messie, « le désiré de toules les nalions, » et le
bienfait de la paix qui devait accompagner sa ve-
nue; tout, en un mot, tend a nous montrer que
c'est de lui seulement qu'il est parlé, de lui qui
était l'attente d'Israël, à qui tous les prophètes
rendaient témoignage , et dont la présence devait
donner à ce temple une gloire plus grande que
celle du premier.
Le Sauveur devait ainsi venir , selon les pro-
phètes de l'Ancien Testament, pendant le temps
de la durée du royaume de Juda, avant la des-
truction du temple, et immédiatement après
le dernier prophète. Mais le moment est spécifié
plus clairement encore. Dans les prophéties de
Daniel, il est prédit non seulement que le royaume
du Messie doit commencer à l'époque de la
quatrième monarchie, ou de l'empire romain;
mais le nombre précis des années qui devaient
s'écouler avant sa venue est exactement indi-
qué : « Il y a soixante-et-dix semaines déter-
« minées sur ton peuple et sur la ville sainte ,
« pour abolir le crime , pour consumer le péché ,
« pour faire propitiation pour l'iniquité, et pour
« amener la justice des siècles, et pour accom-
« plir la vision et la prophétie, et pour oindre le
« saint des saints; tu sauras donc , et tu l'enten-
« dras, que depuis que la parole sera sortie,
« pour s'en retourner et pour rebâtir Jérusalem,
«jusqu'au Christ le conducteur, il y a sept se-
« maines et soixante-deux semaines ^\ » Les se-
maines d'années sont un calcul employé assez
fréquemment par les Juifs, et chaque septième
était l'année sabbatique ; soixante dix-semaines
(7/0 Daniel, IX, 24-25.
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 317
équivalaient ainsi à quatre cent quatre- vingt dix
années. Par ces paroles : le prophète indique pré-
cisément l'époque et la venue du Messie ; même
il emploie l'expression ^ « Christ le conducteur. »
On peut tirer une conclusion très simple de
toutes ces prophéties: toutes supposent une con-
naissance exacte de l'avenir ; toutes sont annon-
cées publiquement; toutes sont parfaitement
connues plusieurs siècles avant l'événement au-
quel elles se rapportent; les témoignages les plus
respectables parmi les Juifs sont d'accord sur
leur application à l'époque de la venue du Mes-
sie ^^ ; elles ont toutes rapport à d'autres événe-
ments différents nullement liés les uns aux autres ^
et que toute la sagacité humaine ne pouvait ni
déterminer, ni concevoir; mais elles s'accordent
parfaitement sur un point oîi leurs différentes
lignes vont toutes se rencontrer, le temps précis
oil Jésus parut. Un roi régnait alors sur les Juifs,
ils obéissaient à leurs propres lois, et le conseil
de leur nation exerçait son autorité. Dès avant
cette période j les autres tribus étaient éteintes
et dispersées parmi les nations. Juda restait seul,
et le dernier sceptre n'avait pas encore quitté
Israël. Le temple était encore entier; il faisait
l'admiration des Romains , et aurait pu subsister
pendant des siècles encore ; mais il ne se passa
pas longtemps avant que toutes ces circonstances
qui devaient servir à constater l'époque de la
venue du Messie eussent disparu. Dans l'an^
née même , la douzième de son âge , oîi Christ
apparut pour la première fois publiquement dans
le temple, le roi Archelaiis fut détrôné et exilé.
Coponius fut nommé procurateur, et le royaume
de Judée, dernier débris de la puissance d'Israël,
(75) Grolius, de verit., 1. V, c, xvi, — Opera, t. IV,
318 CHRIST. CH. XlV.
fut abaissé jusqu'à devenir une simple province
de la Syrie. Le sceptre fut ôté des mains de la
tribu de Juda, la couronne ne ceif^nit plus sa
tête, sa gloire s'évanouit, et bientôt après la mort
de Christ il ne resta pas de leur temple pierre
sur pierre; leur état politique lui-même tomba
en ruines et fut divisé, et depuis lors tout ce
peuple a été dispersé sur la terre, conservant son
nom, mais n'étant plus une nation '^ Environ
400 ans après la prédiction de Malachie, parut un
autre prophète qui fut le précurseur du Messie ;
et le témoignage de Josèphe confirme ce que
l'Evangile raconte de Jean-Baptiste ".
Tous les signes qui marquaient l'époque de la
venue du Messie disparurent bientôt après la
crucifixion de Christ ^ et ne purent jamais être re-
nouvelés. Et, quant aux prophéties de Daniel ,
il est remarquable combien , à une époque éloi-
gnée, il y a eu peu de différence d'opinion parmi
les hommes les plus savants, par rapport au temps
qui s'écoula depuis la publication de l'édit, pour
rebâtir Jérusalem après la captivité de Babylone,
jusqu'au commencement de l'ère chrétienne 5 et
jusqu'aux événements qui suivirent, et que la
prophétie avait annoncés. Notre plan ne nous
permet pas les détails, mais la parfaite coïn-
cidence des faits dont il est question dans le
Nouveau Testament, et de l'histoire des Juifs,
avec les subdivisions de temps qui y sont enu-
mérées , sont encore des preuves de son exacti-
îude générale par rapport au Christ. Cette coïn-
cidence est d'autant plus frappante qu'elle n'est
point relevée par les historiens des faits qui
(76) Josèphe, Aiitiq., 1. XVII, c. xv; XVIII.
(77) Ibid., Antiq., XVIII, c. y.
cil. XiV. RELIGION CHRÉTIENNE. 319
la constatent, et elle a été laissée à la décou-
verte des chronologistes modernes.
Les observations suivantes du docteur Samuel
Clarke , qui lui ont été suggérées en partie , dit-il,
par sir Isaac New^ton , jettent une grande clarté
sur la prophétie.
Quand range dit à Daniel : « Il y a soixante-et-
a dix semaines déterminées sur ton peuple, »
cela fut-il écrit après Févènement? ou peut-on rai-
sonnablement regarder comme l'effet du hasard
que , depuis la septième année du roi Artaxerxès ,
lorsque Ezra fut envoyé de Babylone à Jé-
rusalem ( avec la mission de rétablir le gouver-
nement des Juifs ), jusqu'à la mort du Christ ( de
l'année Nabon. 290 à l'année Nabon. 780 ) , il y
eut exactement 490 ans (70 semaines d'années )?
— Quand Fange dit à Daniel que « dans sept semai-
nes et soixante-et-deux semaines Jerusalem se-
rait rebâtie, et que les places et la brèche seraient
rebâties dans un temps fâcheux, » (mais non pas
en des temps fâcheux semblables à ceux qui de-
vaient accompagner la venue du Christ, du Con-
ducteur) , cela fut-il écrit après que Févènement
eut eu lieu ? ou peut-on avec raison regarder
comme Feffet du hasard que, depuis la 28 année
d'Artaxerx es, époque à laquelle la ville fut rebâtie
jusqu'à la naissance du Christ (de l'an Nabon. 311
jusqu'en 745 ), il y eut précisément 434 ans (ou
62 semaines d'années)? — Lorsque Daniel ajoute
encore : « Et il confirmera l'alliance à plusieurs
dans une semaine ? » a~t-on écrit cela après Févène-
ment? Est-ce un effet du hasard que, en comptant
depuis la mort du Christ ( 33 de Fère chrétienne )
jusqu'au moment où le commandement fut donné à
Pierre de prêcher à Cornelius et aux gentils ( en
Fan 40), il y eut exactement sept ans (une semaine
d'années )? — Quand il ajoute : « Et à la moitié de
320 CHRIST. en. XIV.
« cette semaine-là, il fera cesser le sacrifice et
« rohiation, et parle moyen des ailes al)()minables
« la désolation fondra snr le désolé! » cela fn t-il écrit
après révènement, ou pent-on attril)uer au ha-
sard qu'entre l'époque de l'entrée de Vespasien
en Judée, dans le printemps de l'année ()7, et
celle de la prise de Jerusalem par Tite, dans l'au-
tomne de l'année 70, il y eut la moitié d'une
semaine d'année ou trois ans et demi ^*?
Que l'époque de la venue du Messie soit claire-
ment indiquée par les prophéties; que Tattente
de l'avènement d'un grand roi ou libérateur fût
générale, non-seulement parmi les Juifs, mais
aussi parmi toutes les nations de l'Orient, en con-
séquence de ces prophéties; que cette espérance
ait ensuite porté !e peuple à se révolter et ait été
la cause de sa destruction, c'est ce qu'atteste le
témoignage non suspect des auteurs païens ,
joint à celui même des Juifs^ quoiqu'ils ne l'aient
donné qu'à regret.
Tacite, Suétone, Josèphe et Philon s'accordent
à témoigner de l'antiquité de ces prophéties et du
rapport reconnu qu'elles ont à cette époque '^^. Les
Juifs mêmes de nosjours admettent que le temps.de
la venue de leur Messie, selon leurs prophéties, est
passé depuis longtemps, et ils attribuent le retard
(78) OEuvresde Clarke, édit. in-folio, vol. II, p. 721.
(79) a Pluribus persuasio inerat, antiquîs sacerdotum lileris
contiiieri, eo ipso tempore fore, ut valesceret Oriens, profectique
Judœa rerum potirentur. Quae ambages Vespasianum et Titum prae-
dixerant ; sed vulgiis (Judœorum) more liumaiiiier.upidinis, sibi tan-
tam fatorum magnitudinem înterpretati, ne adversis quidem ad
vera mutabantur. » (Tacit., Hist., 1. V, eh. xiii.) — « Percrebuerat
Oriente toto vêtus et constans opinio esse in fatis, ut^ eo tempore,
Judœa profecti rerum potirentur. Id de imperio romano, quantum
postea eventu paluit, pr.nedictum Judœi ad se trahentes rebeliarunt. »
Suet. in Vesp. 1. VIII , ch. iv. — Julius Marathus, cité par Suet.^
1. II, ch. XXIV. — Josephe, De bello, 1. VIh ch. xxxi. — Philon de
Praem. et Pen., p. 923-924. — Clarke, etc.
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 321
de son avènement à l'état de corruption de leur na-
tion. Ainsi donc^ et par le témoignage des auteurs
profanes, et parles concessions des Juifs, nous ob-
tenons la preuve que Jésus- Christ est venu au
monde précisément à l'époque oii toutes les cir-
constances du moment tendaient à indiquer l'ins-
tant que marquaient les prophéties comme celui
de l'apparition du Messie.
Les prédictions contenues dans l'Ancien Tes-
tament sur la famille dont le Messie devait sortir,
et le lieu de sa naissance, sont presque aussi cir-
constanciés, et s'appliquent autant à Jésus-Christ
que celles qui se rapportent à l'époque de sa
venue. Il devait être Israelite, de la tribu de
Juda, de la famille de David, et de la ville de
Bethlehem. Les deux premiers faits sont compris
dans la promesse faite à Abraham, dans la pré-
diction de Moïse, dans la bénédiction prophé-
tique donnée par Jacob a Juda, et dans la raison
donnée pour la supériorité de cette tribu, savoir
que de son sein devait sortir le grand chef
de la nation. Et les deux derniers faits, que le
Messie devait être un descendant de David,
et naître à Bethlehem , sont clairement énoncés.
« Il sortira un rejeton du tronc d'Isaïe, et un
« bourgeon croîtra de ses racines , et l'esprit de
« l'Eternel reposera sur lui ^\ » Que cette prédic-
tion se rapporte au libérateur du genre humain ,
c'est ce qui est clairement indiqué par tout le
chapitre qui décrit le règne du Messie, Tappel des
gentils, et la restauration d'Israël.
Le même fait est prédit dans plusieurs passages
des prophètes : « Ta maison et ton règne seront
« assurés pour jamais devant tes yeux. — J'ai traité
« alliance avec mon élu. J'ai fait serment à David
(80) Esaïe, XI.
14.
S22 CHÏIIST. eu. XIV.
«mon serviteur, disant: J'établirai ta postérité
« pour toujours et j'affermirai ton trône d'âge en
« âge. — Voiei^lesjoursviennent, dit l'Eternel, que
^ je susciterai à David un germe juste, et il régnera
u comme roi, il prospérera et il exercera lejuge-
(( ment et la justice sur la terre, et c'est ici le
« nom duquel on l'appellera: rEternel notre jus-
« tice ^*. »
Le lieu de la naissance du Messie est ensuite
clairement prédit : « Mais toi, Bethlehem vers
« Ephrath, quoique tu sois petite entre les mil-
«tiers de Juda, c'est de toi que sortira (ou,
« comme signifie le mot hébreu, naitra ) *^^ celui
« qui doit être dominateur en Israël, et ses issues
« sont d'ancienneté, dès les jours éternels ^'\ »
Que toutes ces prédictions aient trouvé leur ac-
complissement en Christ, qu'il ait appartenu à ce
pays,àcette tribu, à cette famille, qu'ilait été de la
maison et de la postérité de David, et qu'il soit
né à Bethlehem, c'est ce que nous prouvent de la
manière la plus évidente le témoignage de tous
les évangélistes , deux généalogies complètes
et distinctes ( c'est-à-dire la filiation naturelle
et la filiation légale ) , lesquelles , selon la cou-
tume des Juifs , étaient toujours conservées
avec soin, l'acquiescement des ennemis du Christ
à la vérité du fait , contre lequel l'histoire elle-
même ne contient pas un seul démenti, et l'appel
fait par quelques-uns des premiers chrétiens
aux registres mêmes du recensement fait au
moment de la naissance de notre Sauveur par
les ordres de César ^^ Il est impossible même
de ne pas être frappé de l'accomplissement
(81 j IL Sam., VII, 16.— Ps. LXXXIX, 4, 5.— Jérémie, XXIII,
5. 6. — (82) Genèse, X, 1/i; XV, 4- XVII, 6 — II. Sam. VII, i2.
(83) Michée, V, 2. —(84) Justin, Martvrs. Ap., II, p. 55, édit.
Thirl. — TerU sur Marc, IV, 19.
CH. XiV. RELIGION CHRÉTIENNE. 32S
exact de ces prophéties en apparence contra-
dictoires et inconciliables, et de la manière proYi-
dentielle dont elles se sont accomplies* Le lieu de
la naissance du Christ était éloigné du lieu de la
demeure de ses parents, et le pays où il commença
à exercer son ministère était à une grande dis-
tance de celui de sa naissance; c'est ainsi que fut
accomplie une autre prédiction: «Yersle pays de
« Zabulon et yers le pays de Nephtali, sur le che-
« min de la mer, au-delà du Jourdain, dans la
« Galilée des Gentils ; les peuples qui marchaient
<i dans les ténèbres ont vu une grande lumière,
« et la lumière a relui sur ceux qui habitaient dans
« le pays de l'ombre de là mort ^^ » . Ainsi , l'é-
poque où le Messie promis devait paraître , la
nation, la tribu et la famille dont il devait sortir,
le lieu de sa naissance, ville peu populeuse et
presque inconnue, tout est clairement prédit; ces
prédictions se rapportent aussi clairement à Jé-
sus-Christ, et trouvent toutes leur accomplisse-
ment en lui.
Mais les événements de sa vie et les traits de
son caractère sont aussi décrits avec une préci-
sion sur laquelle il est impossible de se méprendre.
On nous peint ainsi l'obscurité, la simplicité et la
pauvreté de sa condition : « Or, il est monté
«comme un rejeton devant lui, et comme une
« racine qui sort d'une terre sèche. Il n'y a en
« lui ni forme , ni éclat , quand nous le regardons;
« il n'y a rien en lui à le voir, qui nous le fasse
tf désirer. — Ainsi a dit rEternel à celui qui est
« méprisé , à la nation détestée , à celui qui est
« l'esclave de ceux qui le dominent : Les rois lé
« verront et se lèveront , et les principaux se
« prosterneront devant ^ui^^ » Que tel ait été
(85) Esaïe, VIII, 23; IX, i, — (86) Esaïe, LUI, 2.; ^ IX, %
'52 i CIIRÏST. CH. XIV.
Texlérieiir sons lequel le Christ se montra aux
lioiinues , loule son histoire nous le prouve.
Les Juifs, attendant dans l'orgueil de leur
eœur un roi terrestre^ ne firent aucune atten-
tion à toutes ces prophéties , et trompés par leurs
traditions ne trouvèrent qu'une pierre d'achop-
pement la oîx 5 s'ils avaient sondé l'Ecriture avec
simplicité, ils auraient trouvé toutes les marques
du Messie. « N'est-ce point ici le fils du charpen-
te tier? n'est-ce point ici le fils de Marie?» disent-
ils dans leur dédain. Son humble entrée dans Jé-
rusalem, la manière dont il fut vendu pour trente
pièces d'argent, les coups et les injures qu'il re-
çut, le vinaigre etl'hysope qu'on lui offrit à boire
en dernier lieu , le partage de ses- vêtements , le
sort qu'on jeta sur sa robe , son supplice , son
ensevelissement , sa résurrection sans avoir senti
la corruption ^^ , tout avait été expressément
prédit, et toutes ces prédictions reçurent un
accomplissement littéral. Si toutes ces prophéties
peuvent s'appliquer aux événements de la vie
d'un seul individu , ce ne peut être qu'à celle de
l'auteur du christianisme. Et quel autre religion
peut avancer un seul fait prédit sur l'apparition
de son fondateur?
Quoique les prophètes juifs représentent la
personne et la condition du Messie comme dé-
nuées de toute grandeur , cependant on dé-
peint son caractère comme infiniment supérieur
à celui des fils des hommes. « Et la justice
« sera la ceinture de ses reins , et la fidélité la
« ceinture de ses flancs. Il n'avait point fait d'ou-
« trage , et il ne s'est point trouvé de fraude en
« sa bouche. L'Esprit de l'Eternel reposera sur
« lui , l'Esprit de sagesse et d'intelligence , l'Es-
(87) Zach. IX, 9; XI, 4 2. -— Esaïe, L, 6. — Ps. XXII, 16; LXIX,
21 ; XXII, 18. — Esaie, LUI, 9. — Ps. XVI, 10.
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. S25
« prit de conseil et de force 5 l'Esprit de science ef
« de crainte de TEternel. — Le Seigneur FEter-
« nel m'a donné une parole savante pour savoir
« parler à propos à celui qui est abattu. —-Il paî-
« tra son troupeau comme un berger, il rassem-
a blera les agneaux entre ses bras , et les portera
« dans son sein. — Il ne brisera point le roseau
« froissé 5 et il n'éteindra point le lumignon qui
«fume encore. — Voici, ton roi viendra à toi,
« juste et sauveur, humble et monté sur un âne.
« — Il ne criera point , il n'élèvera point sa voix
« et ne se fera point entendre dans les rues.
« — On le presse et on l'accable , et il n'a point
« ouvert sa bouche ; il a été mené h la tuerie
«comme un agneau, et comme une brebis
« muette devant celui qui la tond; même il n'a
« point ouvert sa bouche. — J'ai exposé mon dos
« à ceux qui me frappaient^ et mes joues à ceux
« qui m'arrachaient ma barbe ; je n'ai point caché
« mon visage pour éviter l'ignominie des cra-
« chats. Le Seigneur m'a ouvert l'oreille , et Je
« n'ai point été rebelle , et je ne me suis point
« retiré en arrière. Mais le Seigneur l'Eternel
« m'a aidé ; c'est pourquoi je n'ai point été confus;
« c'est pourquoi j'ai rendu ma face semblable à
« un caillou ; car je sais que je ne serai point
« rendu honteux ^^ .
Combien de vertus caractérisent le Messie, ainsi
que l'avaient annoncé les prophètes! avec quelle
précision elles s'appliquent uniquement à Christ, et
comme son caractère les réunit toutes! sa sa-
gesse et sa science , sa parole qui ne ressemblait
à celle d'aucun homme , la sainte douceur de ses
manières et de ses entretiens , sa candeur par-
faite , sa pureté sans tache , sa sainteté , sa bonté
(88) Esaïe, XI, 2, 5; XL, i 1; L, 4-7; XLII, 2, 3; LUI, 7, 9. —
Zacharie, IX, 9,
32(5 ciiuist. eu. iiV.
et sa coinpassion 5 sa ])r()r()iule limuilité, son ca-
ractère i)aci!i(]ue , sa ])aUence inrali^ahle, son
invincible couraj^e, sa l'ernielé plus (ju'liéroïcjne,
son indulgence plus qu'humaine, sa conliance
en Dieu, sa résignation parfaite à sa volonté,
tout est décrit dans les termes les plus précis ,
les plus toucliailts et les plus vrais; et de tous les
mortels qui ont paru sur la terre, Jésus est le seul
k qui Tonpuisse appliquer un semblable portrait "^.
Mahomet prétendait avoir reçu une autorité
divine qui sanctionnait ses impuretés passées, et
légitimait ses nouveaux crimes. Combien est
différent l'appel que fait Jésus de la terre au
ciel? — « Si je ne fais point les œuvres de mon
« père , ne me croyez point. » — « Sondez les
« Ecritures, car ce sont elles qui témoignent de
c< moi. y> — Oui , elles portaient témoignage de la
venue d'un Messie, derexcellence surhumaine de
son caractère moral. Et si la vie de Jésus est mer-
veilleuse et sans pareille en elle-même , ne pa-
raît-elle pas plus miraculeuse encore, lorsque Ton
considère que toutes ses actions développent le
caractère prophétique du Sauveur promis? Les
preuves extérieures et intérieures se réunissent
ici , et si la vie de Christ prouve sa sainteté ,
elle prouve en même temps , ainsi qu'il a été an-
noncé par les prophètes, qu'il est le Fils de Dieu.
En décrivant les bienfaits du règne du Messie ,
le prophète Esaïe prédisait la grandeur et Tex-
cellence de ses miracles : — « Les yeux des aveu-
« gles seront ouverts , et les oreilles des sourds
« seront débouchées ; alors le boiteux sautera
« comme un cerf, et la langue du muet chantera
«avec triomphe ®\)) —L'histoire de la vie de
Jésus nous montre combien de fois de tels actes
(39) Voy<^ Barrow sur le Credo. — (90) Esaïe, XXXV, 5-6. ^
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 327
servaient à manifester sa puissance. A sa pa-
role « les aveugles recouvrent la vue, les boiteux
« marchent , les sourds entendent , les lépreux
« sont nettoyés^*.»
La mort de Christ a été aussi extraordinaire
que sa vie , et les prophètes parlent de ses souf-
frances avec autant de détails que de ses vertus.
Non-seulement l'agneau pascal , qui devait être
tué chaque année dans toutes les familles d'Israël,
qui devait être sans défaut, dont on devait ré-
pandre le sang sans rompre un seul de ses os,
et qui devait être mangé avec des herbes amères;
non-seulement le sacrifice d'Isaac et l'élévation
du serpent d'airain dans le désert, vers lequel il
fallait lever les yeux pour être guéri, et beau-
coup d'autres cérémonies des Juifs, non-seu-
lement tout cela préfigure la mort de Christ,
et le sacrifice qu'il devait faire pour le péché ;
mais beaucoup de passages des prophéties dé-
clarent encore positivement que le Christ de-
vait souffrir une mort ignominieuse.
Sans parler de ces descriptions de souffrances si
souvent répétées dans les psaumes , qui s'appli-
quent littéralement à Christ, et qui se lient à des
prédictions sur le règne du Messie , le prophète
Daniel, tout en fixant l'époque de sa venue, affirme
que le Messie sera retranché ; et , faisant allu-
sion au même événement, Zacharie emploie ces
solennelles expressions : « Epée , réveille - toi
« contre mon pasteur, et contre l'homme qui est
«mon compagnon, dit l'Eternel des armées;
« frappe le pasteur, et les brebis seront disper-
« sees. Et je répandrai sur la maison de David et
«sur les habitants de Jérusalem l'esprit de
« grâces et de supplications , et ils regarderont
C91)MaU., IX, 33;XI, 5,.
328 CHRIST. eu. XIV.
« vers moi qu'ils auronl percé cl ils en feront le
«deuir\«
Esaïe,(jui décril avec une éloquence digne d'un
prophète les gloires du royaume futur , carac-
térise avec la précision d'un historien l'humilia-
tion 5 les épreuves et les injures qui doivent pré-
céder les triomphes du Rédempteur du monde ;
et l'histoire de Christ sert à la lettre de commen-
taire et d'accomplissement a chacune de ses pré-
dictions. Dans un seul passage , dont la liaison
est claire , l'antiquité indisputable , et l'ap-
plication évidente 5 les souffrances du serviteur
de Dieu 5 qui^ sous la même appellation, est au-
paravant désigné comme celui qui doit être la
lumière des gentils , le salut de Dieu jusqu'aux
bouts de la terre , et l'élu de Dieu en qui son ame
prend plaisir, sont prédites avec une telle exac-
titude que toute discussion serait superflue pour
prouver qu'elles se rapportent h Jésus- Christ ^^
— Parmi la multitude des passages semblables
du Nouveau Testament, nous en choisissons quel-
ques-uns que nous ajouterons à la prophétie :
« 11 est le méprisé et le dernier des hommes.» —
Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu;
il n'avait pas où reposer sa tête ; ils se moquaient
de lui. — c( Un homme de douleur et qui sait ce que
« c'est que la langueur. » Jésus pleura sur la tombe
de Lazare, il pleura sur Jérusalem; il ressentit
l'ingratitude et la cruauté des hommes; il souffrit
la contradiction des pécheurs; et voici les expres-
sions propres de sa douleur : « Mon Père , que
cette coupe passe loin de moi, s'il est possible ;
mais pour cette fin suis-je venu au monde? — Mon
(92) Ps. II; XXII, 2, 6, 7, 16, 18; XXXV, 7, 11, 12; LXIX, 20,
U; CIX, 2, 3, 5, 25; CXVIII, 12. —Dan., IX, 26. — Zacharie,
XIII, 7; XII, 10,
(93j Esaie, LU, 13-15; elch. LUI; XLIX, 6 ; LU, 1.
i
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 329
Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'as-tu abandonné ! »
--^ « Nous avons comme caché notre face de lui;
« il était méprisé et nous n'en avons fait aucun cas. »
— Alors tous ses disciples l'ayant abandonné,
s'enfuirent. — Non pas celui-ci, mais Barabbas;or,
Barabbas était un brigand. — Et les soldats, s'age-
nouillant devant lui, se moquaient de lui. — Le
prophète continue ainsi le tableau de ses souf-
frances :
« Il s'est chargé véritablement de nos lan-
«gueurs; nous avons cru qu'il était frappé,
« battu de Dieu et affligé. On le presse et on l'ac-
« cable; il a été mené à la tuerie comme un
« agneau. 11 a été enlevé par la force de l'angoissé
a et par la condamnation. » Et à cette description
générale il ajoute des détails plus minutieux en-
core, qui en déterminent visiblement l'application
à Jésus : c( Il a été retranché de la terre des vivants . »
— Il fut crucifié a la fleur de son âge. — « Le peu-
« pie avait ordonné son sépulcre avec le méchant,
« mais dans sa mort il a été avec le riche . » — Joseph
d'Arimathée, homme riche d'entre les Juifs , alla
demander le corps de Jésus , et le déposa dans
son sépulcre neuf. — « Il aura été mis au rang
« des méchants. » — Il fut crucifié entre deux mal-
faiteurs. — « Tu étais défait de visage plusqu'au-
« cun autre , et sans apparence , plus que pas un
« des enfants des hommes. » — Ces paroles
ont été littéralement accomplies; la sueur de
sang, la couronne d'épines, les crachats au vi-
sage , les coups sur la joue, la flagellation,
les clous dans les mains et dans les pieds, la
lance qui lui perça le côté , tout tendit à rendre
le corps de Jésus plus défait que pas un des en-
fants des hommes.
Or, afin de prévenir toute ambiguïté dans le sens
de cette description soutenue et circonstanciée des
330 CHRIST. CH. XIV.
souffrances du Messie, la dij^^nité de sa personne,
IMucrédulité des Juifs, l'innocence de la victime,
et son élévation iinale , tout est spécialement dé-
taillé , et tout s'accorde avec la doctrine de l'É-
vangile. « Il sera fort exalté, et il s'agrandira ex-
« trémement. — Qui a cru à notre prédiction? Et à
« qui le bras de l'Éternel a-t-il été révélé ? » — « Or,
« il est monté comme un rejeton devant lui, etc.»
La pauvreté apparente de la condition de Jésus-
Christ est la raison que la prophétie assigne au
rejet que les Juifs ont fait de lui, et c'est la raison
qu'ils en donnent eux-mêmes. La prédiction spé-
cifie la cause de ses souffrances. « Il s'est chargé
« véritablement de nos langueurs, et il a porté
« nos douleurs. » Christ , dit saint Paul , fut
offert une fois pour ôter les péchés de plusieurs.
« Il a été navré pour nos forfaits , et frappé pour
« nos iniquités; le châtiment qui nous apporte la
ce paix est tombé sur lui , et nous avons la guéri-
« son par sa meurtrissure. » Il a porté nos pé-
chés en son corps sur le bois, dit saint Pierre,
afin qu'étant morts au péché nous vivions à la jus-
tice ; et nous avons la guérison par sa meurtris-
sure, ff Nous avons tous été errants comme des
« brebis , nous nous sommes détournés pour sui-
« vre chacun son propre chemin , et l'Eternel a
« fait venir sur lui l'iniquité de nous tous. » Car
vous étiez comme des brebis errantes, dit le même
apôtre, mais vous êtes maintenant retournés au
pasteur et à l'évêque de vos âmes. « Il n'avait
« point fait d'outrage , et il ne s'est point trouvé
« de fraude en sa bouche. Toutefois l'Éternel a mis
« son âme en oblation pour le péché. » Celui , dit
saint Paul, qui n'avait point connu le péché, il Ta
traité à cause de nous comme un pécheur , afin
que nous devinssions justes devant Dieu par lui.
Toute cette prophétie se rapporte donc au
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 331
Messie. Elle décrit son abaissement et sa di-
gnité ; son rejet par les Juifs , ses afflictions et son
agonie, sa grandeur et sa charité , la manière
dont son ministère fut méconnu , la bassesse
de sa condition , son silence au milieu des souf-
frances les plus terribles 5 silence qu'il ne rompt
que pour intercéder pour les pécheurs. Com-
plètement opposée à toutes les autres dispen-
sations de la Proyidence, enregistrées dans les
annales des Juifs, la prophétie représente une
innocence parfaite souffrant par la volonté du
ciel, la mort comme la suite d'une obéissance en-
tière 5 le serviteur de Dieu abandonné par lui , et
celui qui était parfaitement pur portant le châ-
timent des coupables , lavant les nations de
leurs péchés par la vertu de son sacrifice,
les justifiant par sa science, ayant son héri-
tage parmi les grands, et partageant le butin
avec les puissants, parcequ'il a livré son âme à la
mort. — Cette prophétie , considérée simplement
comme prédiction antérieure à l'événement, fait
donc de l'incrédulité même des Juifs un argu-
ment contre eux , change le scandale de la croix
en preuve du christianisme, et nous présente
un épitomé de la vérité , un abrégé des traits les
plus frappants de l'Evangile. La simple explica-
tion de cette prophétie suffit pour opérer la con-
version de l'eunuque d'Ethiopie, et sans le secours
d'un apôtre elle a la gloire d'avoir obtenu dans
les temps modernes un plus noble triomphe, en
renversant les préjugés si fortement enracinés, et
l'incrédulité si hautement déclarée d'un homme
illustre par son rang et par son génie , alors un
des avocats les plus spirituels et les plus heu-
reux de l'impiété, et un des ennemis les plus dé-
clarés du christianisme ^*.
(94) Mémoires de Rochester, par Burnet, p. 70, 71.
332 CHRIST. CH. XIV.
C'est ainsi qu'il a été écrit que le Christ souf-
frirait, c'est ainsi qu'il fallait cjue le Christ souf-
frit, selon les Ecritures; et c'est ainsi que l'apô-
tre l'atteste : « Dieu a accompli ce (pi'il avait pré-
« dit par la bouche de tous ses prophètes, que le
« Christ devait souffrir. »
Que les Juifs conservent encore ces pro-
phéties 5 et qu'ils soient ainsi un des instruments
de leur conservation et de leur propagation sur
toute la terre , quoiqu'elles témoignent si for-
tement contre eux-mêmes, quoiqu'elles décla-
rent si clairement qu'un Sauveur devait premiè-
rement souffrir et être ensuite exalté, ce sont
là des faits aussi indubitables qu'ils sont singu-^
liers, et qui ne peuvent qu'attester la vérité du
christianisme, de la manière la plus forte et la
plus convaincante. — Ces prédictions, comme nous
l'avons vu par la courte analyse que nous en
avons faite, n'ont pas besoin d'interprétation for-
cée , mais elles s'appliquent de la manière la plus
claire, la plus simple et la plus littérale, à l'his-
toire des souffrances et de la mort du Christ. Le
témoignage des Juifs sur l'existence de ces pro-
phéties longtemps avant l'ère chrétienne , leur
conservation jusqu'à ce jour, le récit que don-
nent les évangélistes de la vie et de la mort du
Christ , le témoignage des auteurs profanes , et
les arguments même des premiers adversaires du
christianisme, fondés sur l'humble condition de
Jésus et sur le genre de sa mort, toutes ces
choses concourent ensemble à donner sur Tac-
complissement de ces prophéties des preuves
plus décisives que nous n'aurions cru possible
d'en obtenir dans un temps aussi reculé ^^.
(95) Auctor nominis ejus Christus, Tiberio imperitante, per pro-
curatorem Ponlium Pilalum supplicio adfeclus erat. Tacili Annal.,
1. XV, C. XLIY,
<'*H. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 333
Mais les prophéties nous parlent de la nature
de rÉyangile aussi bien que du caractère de son
auteur^ et décrivent l'étendue de son règne aussi
bien que ses souffrances. Il était prédit que le Mes-
sie révélerait la volonté de Dieu aux hommes, et
qu'il établirait une religion nouvelle etplusparfaite.
« Je leur susciterai un prophète d'entre leurs
« frères 5 et je mettrai mes paroles en sa bouche,
« et il leur dira tout ce que j'aurai commandé ,
« et il arrivera que quiconque n'écoutera pas les
« paroles qu'il aura dites en mon nom, je lui en
« demanderai compte. — Car l'enfant nous est né ,
« le fils nous a été donné , et l'empire a été posé
« sur son épaule , et on appellera son nom TAd-
« mirable, le Conseiller, le Dieu fort, le Puissant,
« le père de l'Eternité, le prince de la Paix. Et
« il n'y aura point de fin à l'accroissement de
(( l'empire , et à la prospérité du trône de David
« et de son règne, pour l'affermir et pour l'éta-
« blir dans l'équité et dans la justice, dès main-
te tenant et à toujours. La jalousie de l'Éternel
« des armées fera cela. — Il sortira un reje-
« ton du trône de David, et un surgeon croîtra dé
« ses racines; il ne jugera point par ce qui frappe
« les yeux, et il ne condamnera point par un ouï-
« dire, mais il jugera avec justice les petits, et il
« condamnera avec droiture. — Moi qui suis l'É-
« ternel , je t'ai appelé dans la justice , je te pren-
« drai par la main et je te garderai, et je te ferai
a être l'alliance du peuple et la lumière des na-
« tions, afin d'ouvrir les yeux des aveugles.
« — Prêtez l'oreille et venez à moi; écoutez, et
« votre âme vivra , et je traiterai avec vous une
(i alliance éternelle pour rendre stable la miséri-
« corde promise à David. Voici , je l'ai donné pour
« être témoin aux peuples, pour être conducteur,
« et afin qu'il commande aux peuples. Je suscite-
334 CHRIST. OH. XIV.
« raisurcllos un paslenrqni les paîtra, et je traite-
« rai avec elles une alliance de paix. — Et il y aura
« une alliance éternelle avec eux. Je mettrai mon
a sanctuaire au milieu d'eux à toujours, et eux
« tous n'auront qu'un roi pour leur roi, et ils ne
« se souilleront plus par leurs dieux infâmes; ils
« auront tous un seul pasteur, ils marcheront dans
<( mes ordonnances, et David mon serviteur sera
« leur prince à toujours. — Voici, les jours vien-
« nent, dit l'Éternel, que je traiterai une nouvelle
« alliance avec la maison d'Israël et avec la maison
« de Juda; et c'est ici l'alliance que je traiterai avec
« la maison d'Israël; je mettrai ma loi au-devant
« d'eux et je l'écrirai dans leur cœur, et je serai
«leur Dieu, et ils seront mon peuple. Chacun
« d'eux n'enseignera plus son prochain , ni chacun
« son frère, en disant : Connaissez l'Éternel; car
« ils me connaîtront tous, depuis le plus petit jus-
«qu'au plus grand, dit l'Éternel, parceque je
« pardonnerai leur iniquité , et que je ne me sou-
« viendrai plus de leur péché ^^ »
Il est souvent et expressément déclaré que ces
bénédictions s'étendraient plus loin que la Judée.
« C'est peu de chose que tu sois mon serviteur
« pour rétablir les tribus de Jacob et pour ra-
ft mener les restes d'Israël ; mais je t'ai donné
« pour être la lumière des nations , et pour être
« mon salut jusqu'au bout delà terre ^^ »
Tandis que plusieurs des prophéties, en dépei-
gnant la gloire du royaume du Messie , se rap-
portent aussi à son étendue universelle et a la res-
tauration finale des Juifs, elles décrivent en même
temps la nature et les bienfaits de l'Évangile; et
(96)Deut., XVIII, 4.8-19. — Esaïe, IX, 5, 6; XI, j, S, 4; XLII,
C; LV, 3, h. — Ezécbiel, XXXIV, 23, 25; XXXVII, 22-26, 28. —
Jérémie, XXXI, 31, 33, 34.
(97) Esaïe, XLIX, C; LVI, 6-8.
CH. XIV. RELIGION CHRÉTIENNE. 335
il serait impossible de donner maintenant un
exposé plus correct ou une définition plus juste
de la doctrine de Jésus-Christ, et des conditions
qu'il a proposées à l'homme, que ceux que con-
tiennent ces mêmes prophéties, publiées plusieurs
siècles ayant son apparition dans le monde. L'E-
vangile, comme son nom l'indique, signifie bonne
nouvelle ; Christ lui-même invitait ceux qui étaient
travaillés et chargés a venir à lui pour obtenir
le repos de leurs âmes. Il était le messager de
paix. Il vint, ainsi qu'il le dit lui-même, s'offrir
en sacrifice pour les péchés du monde et révéler
à l'homme la volonté de son Père céleste. Il pu-
blia les termes de notre pardon. Sa parole est en-
core la parole de conciliation; sa loi, une loi de
bonté ; et tous les devoirs qu'il inculque tendent à
rendre l'homme digne de participer à la félicité
éternelle; tel estlebut de toute son œuvre. Qu'au-
rait-il pu donner de plus, qu'aurait-il pu exiger
de moins?
Les prophètes des anciens temps emploient
les mêmes termes en parlant de la nouvelle loi
qui devait être révélée, et de la venue du Sau-
veur : « Rejouis-toi extrêmement, fille de Sion,
« jette des cris de rejouissance , fille de Jéru-
« salem ; voici , ton roi viendra à toi. — Que les
« pieds de ceux qui annoncent la paix sont beaux,
a de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles.
« L'esprit du Seigneur l'Eternel est sur moi ,
« c'est pourquoi l'Eternel m'a oint pour évangé-
« User aux débonnaires; il m'a envoyé pour guérir
c( ceux qui ont le cœur brisé, pour publier aux
« captifs la liberté , pour publier l'année de la
ft bienveillance de l'Eternel. » Ayant lu ces pa-
roles à haute voix dans la synagogue, Jésus s'é-
cria : a Aujourd'hui l'Écriture est accomplie. » Il
est en effet le prédicateur de la justice et de la
33G rjiiusr. ch. xiv.
paix^et CO n'élail qu'en Inique l'Ecriture pouvait
trouver son aecomplissenient.
U'aulres pjoplièles encore parlent de la joie qui
devait surtout caractériser le rèj^ne du Messie. Il
devait mettre fin aux transgressions , effacer le
péché, et réconcilier les pécheurs; il devait faire
rejaillir de l'eau pure sur le peuple de Dieu, ar-
roser de son sang les nations pour les laver de
leurs iuiquités, et ouvrir une source pour puri-
fier le péché et la souillure. « Que le méchant
« délaisse sa voix , et l'homme inique ses pen-
« sees, et qu'il retourne à l'Éternel, et il aura
« pitié de lui. — Je pardonnerai leurs iniquités
« et je ne me souviendrai plus de leurs pé-
« chés, » Le Messie devait être « oint pour gué-
« rir ceux qui ont le cœur brisé; pour publier à
« ceux de Sionqui pleurent, que la magnificence
a leur sera donnée au lieu de la cendre, l'huile
<( de joie au lieu du deuil , un manteau de louange
«au lieu d'un esprit affligé ^^ » L'Évangile de
paix réalise toutes ces bénédictions promises.
Nous voyons maintenant ce que beaucoup de pro-
phètes et beaucoup de sages ont désiré de voir.
La religion chrétienne a été malheureusement
pervertie et altérée ; mais ces corruptions mêmes
ont été le sujet des prophéties. La bigoterie
n^a que trop souvent terni sa perfection ; sa
beauté a disj)aru sous le voile de la supersti-
tion , de la tyrannie et du meurtre ; mais la
" religion de Jésus, sortie pure de la bouche de
son auteur et de la plume de ses apôtres , a en
elle tout ce qu'il faut pour répandre universelle-
mentle bonheur, pour avancer efficacement la cul-
ture morale et la civilisation de l'humanité, etpour
améliorer la condition et perfectionner la nature
(98) — Esaïe, LV, 7. — Jérémie, XXXÏ, 34. —Daniel, IX, 9.
Esaïe, LXI, 1-2.
€H. XiV, RELIGION CHRÉTIENNE. - 33?
de riiomme. Sa doctrine est sainte, elle prescrit
des règles de conduite pures et parfaites ; elle
abolit l'idolâtrie ; elle enseigne le culte du seul
vrai Dieu , elle annonce des promesses faites à
tous ceux qui obéissent à sa loi; elle révèle Ix
seule voie du pardon pour le pécheur et lui in-
dique le moyen d'y parvenir. L'Évangile est une
bonne nouvelle pour les débonnaires ; il bande
les plaies des coeurs, et nous offre l'huile de joie au
lieu du deuil, un manteau de louange au lieu d'un
esprit d'affliction, ou, en d'autres mots, la consola-
tion la plus complète dans tous les maux delà vie.
Pour obtenir la confirmation de toutes ces prophé-
ties, il ne nous est pas nécessaire de recourir au
témoignage des Juifs ou à celui des premiers chré-
tiens; c'est une question d'expérience et de fait.
La doctrine de l'Evangile s'accorde en tout avec
les prédictions qui l'ont annoncée ; et si nous
la comparons avec la cruauté, l'impureté, l'absur-
dité dégradante des systèmes de religion qui
existaient au temps des prophètes, nous ne
pouvons qu'être pénétrés de sa supériorité
et reconnaître son incomparable excellence.
On adorait alors des dieux dont les vices fai-
saient honte h l'humanité , et l'incrédulité même
n'oserait les comparer au Dieu des chrétiens ;
l'usage des sacrifices était partout établi, et
souvent le sang humain coulait là où la doctrine
chrétienne de la réconciliation pour l'iniquité
était inconnue. Et dès que nous sortons des
pays chrétiens, si nous regardons vers l'Afrique,
vers l'Inde, ou vers la Chine, nous avons encore
devant les yeux les spectacles lesplus révoltants
dans les cérémonies religieuses des hommes. En
envisageant donc la supériorité du christianisme
seulement comme ayant été le sujet de la pro-
phétie, on ne peut guère se refuser à reconnaître
15
338 CHRIST. ni. XIV.
(jue les prédictions qui se rapporleiit à celle ex-
cellence et les bieiirails qu'elles promettent ont
leçu leur entier accomplissement clans l'Kvan-
t;ire de Jésus-Christ.
Mais, tout en prouvant sa vérité par l'accom-
plissement même de ces anciennes prophéties,
on ne demande point h l'incrédule de renoncer a
iui seul iota de son incrédulité , sur aucune ma-
tière qui puisse admettre le moindre doute; car
il y a beaucoup de prophéties à la vérité des-
quelles chaque chrétien peut rendre témoignage,
et dont Faccomplissement est prouvé par les in-
crédules eux-mêmes. Que l'Evangile ait pris sa
source a Jérusalem, que la plupart des Juifs l'aient
rejeté, qu'il ait eu à combattre la puissance hu-
maine, que l'iclolâtrie ait été renversée devant
lui, que les rois de la terre se soient soumis h
son joug, qu'il existe depuis plusieurs siècles,
qu'il s'étencîe sur un grand nombre de contrées,
voilà des faits clairement prédits et littéralement
accomplis.
« Car la loi sortira de Sion et la parole de l'E-
a ternel de Jérusalem; il exercera les jugements
a parmi les nations '^^. 11 sera votre saxactuaire:
« mais il sera une pierre d'achoppement et un
« rocher de trébuchement aux deux maisons d'Is-
« raël, en piège et en lacs aux habitants de Jé-
« rusalem ! Pourquoi les rois de la terre s'as
« semblent-ils et les princes consultent-ils en-
« semble contre l'Eternel et contre son Christ* ?»
De la même manière. Christ prédisait souvent à
ses disciples la persécution qui les atteindrait et
le triomphe final de l'Evangile, malgré toute Top-
position qu'il aurait à combattre ^ . « L'Eternel
(99) Esaïe, II, 3, /i. — Michée, IV, 2.
(1) Esaïe, VIII, lA. — Ps. II, 2.
(2) MaU., X, 47; XVI, 18; XXIV, 14; XXVÏII, 19.
(M, XïV. UELîGiO?^ CÎÎUÉTIENNE. 339
« sera seul haut élevé en ce jour -là; et pour ce
« qui est des idoles elles seront toutes détruites.
« Et je vous nétoyerai de tous vos dieux infâmes.
« Je retrancherai les noms des faux dieux du
« pays et on n'en fera plus mention ^ . A celui qui
« est esclave de ceux qui le dominent : Les rois
« le verront et se lèveront, et les principaux se
« prosterneront devant lui. Et les nations mar
« cherontà ta lumière , et les rois à la splendeur
« qui se lèvera sur toi. Et les rois seront tes nour-
<< riciers et les princesses leurs femmes tes nour-
« rices ^ . Les nations verront ta justice , et on
« t'appellera d'un nouveau nom que la bouche de
A TEternelaura expressément déclaré. En cejour-
<( là il arrivera que les nations rechercheront la
« racine d'Isaï, dressée pour enseigne despeuples^
^< et son séjour ne sera que gloire. Et je traiterai
« avec vous une alliance éternelle. Voici tu
« appelleras la nation que tu ne connaissais point,
« et les nations qui ne te connaissaient point ac-
« courerontà toi^ . »
A l'époque oîi ces prophéties parurent, il n'y
avait pas sur toute la surface du monde le moin-
dre signe de ce royaume spirituel, de cette reli-*
gionpure qu'elles prédisent si clairement devoir
s'étendre non-seulement sur la Judée et sur
toutes les contrées éloignées que les prophètes
seuls connaissaient, mais aussi sur tous les oeu-
pîes des gentils, et même jusqu'aux extrémités
de la terre. Maintenant chacun sait que la reli-
gion qui enseigne la piété , la pureté , la charité,
qui délivre Fhomme de tous ces rites péni-
bles , qui l'affranchit de toutes ces institu-
tions barbares , et qui offre à l'humanité le plus
(3) Esaïe, II, 17, 18. — Ezéchiei, XXXVI, 25.— Zach., XIII, 2.
Ih) Esaïe, XLIX, 7, 23; LX, 3.
(5) Ibid., LXII, 2; XI, 10; LV, 3-5,
3iO ciinisT. cii. xiT-
grand des bienfails; que celtc religion , disons-
nous 5 prit naissance en Judée , au sein du peuple
le plus égoïste et le plus sensuel de la terre ; que
persécutée à son origine, et rejetée par les Juifs,
elle s'est cependant répandue sur plusieurs na~
lions, qu'elle s'est étendue jusqu'à celles qu'un
immense intervalle séparait de son berceau et de
son centre d'action, et qu'elle invite sans excep-
tion le monde entier à participer aux privilèges
qu'elle accorde , sans faire de distinction quel-
conque entre le Barbare et le Scythe , l'esclave
et l'homme libre.
Unpoëte latin, qui vécut au commencement de
l'ère chrétienne, parle des Bretons barbares
comme séparés delà terre entière. Et cependant,
quoique la Grande-Bretagne fût plus éloignée
de la Judée que de Rome , la loi sortie de Jéru-
salem lui a fait perdre sa réputation de barbarie;
dans cette île éloignée des gentils, les prophéties
qui déclarent que le royaume du Messie s'éten-
dra jusqu'aux bouts de la terre ont recti leur ac-
complissement ; et aujourd'hui, si d'une île éloi-
gnée des gentils nous portons nos regards vers
une autre île, de l'océan du nord à l'océan du
sud , d'une extrémité du globe à l'autre , nous
verrons encore l'influence régénératrice de l'E-
vangile dans l'extinction de l'idolâtrie , et l'a-
bolition des rites cruels et barbares du paga-
nisme.
Mais ce fut à une époque où, excepté la seule
terre de la Judée, la lumière de la vérité divine
n'éclairait pas le m.onde, ce fut lorsque toutes les
autres nations , par rapport à la religion , étaient
plongées dans les ténèbres, adonnées à une su-
perstition grossière et à une idolâtrie aveugle;
ce fut lorsque lès hommes se formaient à eux-
mêmes des divinités de choses corruptibles;
CH. XIV. ÎIELIGION CHRÉTIENNE. 341
ce fut lorsqu'on déifiait ^ après leur mort, ceux-
là mêmes qui avaient donné l'exemple des vi-
ces les plus grossiers ; ce fut lorsqu'on rempla-
çait la religion par des rites affreux et obscènes ;
ce fut lorsque la nation la plus éclairée du monde
élevait publiquement un autel au Dieu inconnu ,
et ne mettait point de bornes au nombre de ses
divinités ; ce fut au moment oii l'un des plus cé-
lèbres philosophes du paganisme , l'un des plus
purs de ses moralistes , désespérant de parvenir
à la vérité par des moyens humains 5 demandait
une révélation divine comme unique voie de
salut ^; ce fut lorsque le nombre des esclaves dé-
passait celui des hommes libres; ce fut lorsqu'il
n'y avait aucun espoir de pouvoir sortir de cet
état d'esclavage spirituel et temporel; ce fut alors
que la voix de la prophétie se fit entendre dans
ia terre de la Judée, ce fut alors qu'elle annonça
le jour glorieux qui allait luire sur le monde.
Et d'où cette lumière pouvait-elle descendre ,
que du ciel? — Le Messie fut promis ; le prince
de la paix allait paraître ; une pierre allait être
détachée de la montagne sans main , qui devait
frapper et mettre en pièces les royaumes du monde .
Mais le règne spirituel du Messie est décrit en
termes qui indiquent tout à la fois sa nature , sa
durée, son étendue: « Sa renommée durera tou-
« jours, sa réputation ira de père en fils, tant que
«le soleil durera. On sera béni en lui. Toutes les
<( nations le publieront bienheureux. Il dominera
« depuis une mer jusqu'à l'autre , et depuis le
«fleuve jusqu'aux extrémités de la terre. De-
« mande moi , et je te donnerai pour ton hé-
« ritage les nations , et pour ta possession les
« bouts de la terre. Tous les bouts de la terre
(6) Platon, in Phœdone et in Alcibiade, II.
3i2 f:ni{(ST. cif. xiv.
« s'en souviendront et se con ver! iront à FH-
« lornel , et tontes les familles des nations se
« prosterneront devant toi \ — Je t'ai donné pour
« être la linnière des nations, et pour être mon
t< salut jns(pi'anx bouts de la terre. — La j^^loire de
« l'Eternel se nsanifestera, et toute eliair la vena
«en même temps, car la bouche de rElern<*i
^< a parle ^ — L'Eternel a découvert le bras de sa
<^ sainteté devant les yeux de toutes les nations.
^^11 ne se retirera point, ni ne se précipitera
« point jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la
« terre, et les îîes s arrêteront à sa loi ^ — Il enlè-
« vera l'enveloppe redoublée qu'on voit sur tous
«les peuples, et la couverture qui est étendue
« sur toutes les nations *^ . — J'étais recherché par
« ceux qui ne s'informaient pas de moi , et j'ai été
« trouvé par ceux qui ne me cherchaient point;
«j'ai dit à la nation qui ne s'appelait point de
« mon nom : Me voici, me voici ** . — - Il arrivera
« aux derniers jours , disent Esaïe et Michée dans
« les mêmes paroles, que la montagne de la mai-
« son de l'Eternel sera affermie au sommet des
« montagnes , et élevée par-dessus les coteaux ,
« et toutes les nations y aborderont*^ . — Il arri-
« vera que dans le lieu où on leur aura dit : Vous
« n'êtes pins mon peuple , on leur dira : Vous
« êtes les enfants du Dieu fort et vivant '^ . — L'a-
« bondance de la mer se tournera vers toi, et !a
<( puissance des nations viendra à toi *^ . — Réjouis-
« toi avec des chants de triomphe: stérile qui n'en-
« fantais point; éclate de joie avec des chants de
«triomphe, car les enfants de celle qui était
« abandonnée seront en plus grand nombre qiw*
(7) Ps. LXXII, 8-17; II, 8, XXII, 28.
(8) Esaïe, XLIX, 6; XL, 5. — (9) Ibid., LU, 10; XLIII, 4.
(10) Ibid., XXV, 7. — (11) Ibid., LXV, 1.
(12) Ibid., IL 2. — Miellée, IV, 1. — (15> Osée, I, 10.
(l/i)Esa:e, LX; 5.
Cïl. Xiy. RELIGION CHRÉTIENNE. 2i3
« les enfants de celle qui était mariée (plus de
«Gentils que de Juifs). Elargis le lieu de ta
« tente 5 et qu'on étende les rideaux de ton pavil-
« Ion 5 ne néglige rien; allonge tes cordages;
« car tu te répandras à droite et à gauche , et ta
« postérité possédera les nations , car celui qui
« t'a formé sera ton époux ; l'Eternel des armées
« est son nom , il sera appelé le Dieu de toute la
« terre *" . — Le désert et le lieu aride se réjoui-
«ront, et la solitude sera dans l'allégresse, et
« fleurira comme une rose *^.
Ces prophéties ont toutes rapport à l'étendue
du règne du Messie, et toutes claires, tout amples
qu'elles sont, elles ne forment qu'une très petifci^.
portion des prédictions qui ont le même objet.
Nous devons donc examiner non-seulement ce
qui en reste encore à accomplir, mais tout ce qui
en a déjà été accompli, et dont il aurait été impossi-
ble à notre sagesse bornée de concevoir la moindre
idée. Toutes elles ont été publiées plusieurs siè-
cles avant l'existence de cette religion dont elles
décrivent si minutieusement les progrès; cepen-
dant, lorsque nous comparons l'état actuel des
pays oil l'Evangile est professé dans &a pureté,
avec celui dans lequel ils étaient k l'époque où le
soleil de justice commença à luire sur eux , nous
voyons partout la lumière dissipant les ténèbres ,
l'ignorance et le paganisme disparaissant devant
les efforts de la science et de la culture morale.
— Malgré toutes les probabilités humaines , mal-
gré toutes les prévisions de la sagesse et de la
puissance de l'homme, l'Evangile de Jésus, pro-
pagé d'abord par quelques obscurs pêcheurs de
la Galilée , a sapé dans leurs fondements les tem-
ples païens, a renversé les autels impurs , a jeté
hors des palais et des chaumières les faux dieux;
(15) Ibu!., LIV, 1-3, 5. — (16) Ibid., XXXV, 1.
Sii CHRIST. CH. XIV
toules les nations civilisées reconnaissent son au-
torité; il a trioniplié depuis son origine jusqu'à
ce jour , niali;ré la persécution , malgré l'opposi-
tion la plus forte et la plus yiolente, malgré les
attaques les plus directes, malgré tous les pièges
de ses adversaires cachés ; et combattant, comme
il a toujours combattu, contre les mauvaises
passions de l'homme qui les portent à lui résis-
ter et ix la pervertir, il demeure encore debout,
et le cours de quinze siècles ne fait que confir-
mer toutes les anciennes prophéties , et vérifie à
l'heure qu'il est la déclaration de son auteur :
c( Les portes de reiifer ne prévaudront point con-
tre lui. »
Qui aurait pu concevoir que jamais un tel sys-
tème religieux serait formé , qu'il serait institué,
combattu , établi , propagé sur toute la surface
du globe , embrassé par tant de nations , protégé
par des rois et des princes, et regardé comme
règle de foi , comme la volonté même de Dieu ?
Comment toutes ces choses et beaucoup d'autres
encore auraient-elles pu être prédites, comme
elles l'ont été sans aucun doute , tant de siècles
avant la venue de l'auteur du christianisme, si
ces prophéties n'étaient pas en elles-mêmes une
preuve venue d'en haut , que chaque prophétie
et son accomplissement sont l'œuvre de Dieu , et
non celle de l'homme ? — Quel mortel non ins-
piré eût pu décrire la nature, les effets et les
progrès du christianisme, quand aucun d'eux
n'aurait pu se faire seulement l'idée de son exis-
tence ? car le paganisme ne consistait qu'en céré-
monie-s extérieures, en sanglants sacrifices et en
prétendus mystères. Sa tolérance , il est vrai, a
été vantée , et non sans cause ; car il tolérait tout
ce qui est impie et absurde en religion , tout ce
qui est impur et vicieux en morale.
CH.XIV. BELIGiON CÎIÎIÉTÎEÎS^E. ?>4;)
Mais les prophètes jaife, alors même que le
monde était plongé dans les ténèbres et ne pou-
vait leur fournir aucune lumière pour les guider
dans cette connaissance, annoncèrent la naissance
d'une religion qui ne se piquerait point de cette
espèce de tolérance, mais qui révélerait la volonté
et enseignerait le culte du seul vrai Dieu; religion
qui consisterait en obéissance morale, quideman^
derait de la pureté dans la vie et dans les mœui*s,
qui abolirait tous les sacrifices, en révélant un
seul moyen de réconciliation avec Dieu ; qui se
ferait comprendre à tous par la simplicité de ses
préceptes , mais qui ne saurait tolérer le mal en
aucune manière; doctrine en tout contraire au
paganisme , et pour laquelle rien sur la terre
n'aurait pu leur servir de modèle. — Ces pro-
phètes, dans toutes les nations qui existaient au-
tour d'eux , ne pouvaient découvrir que le culte
d'un nombre infini de divinités et d'idoles ; ils
auraient parcouru le monde entier, qu'ils n'y au-
raient trouvé que dépravation spirituelle et mo-
rale ; et cependant ils annoncent l'abolition finale
du polythéisme et de l'idolâtrie. Le système reli-
gieux des Juifs était local, et les Juifs prédisaient
une religion qui devait commencer à Jérusalem, et
s'étendre ensuite jusqu'aux extrémités de la terre.
— Il est donc improbable, ou plutôt absolument
incroyable que ces prédictions eussent jamais pu
être faites par la sagesse humaine, ou accomplies
par la puissance de l'homme; et lorsque ces deux
merveilles se rencontrent , elles fournissent une
nouvelle preuve de la vérité. — Comme point
d'histoire, les progrès du Christianisme sorrt au
moins étonnants, et comme accomplissement de
tant de prophéties, ils sont évidemment miracu-
leux.
L'influence et l'étendue du règne de l'Évangile
15.
^ia cmi^t. au t\v.
ne sont pas moins clairement |)iédils dans le Noii
veau Testament que dans l'Ancien. Une seule*
(*itation peut nous suffire : « Je vis un autre an^e
« qui volait par le milieu du ciel, poitant KKvan-
<c gile éternel, pour Tannoncer à ceux qui liahi-
« tent sur la terre, à toute nation, à toute tribu, ii
« toute langue et a tout peuple. » — Telles sont l(\4
paroles d'un homme banni, exilé dans nue petite
île d'où il ne pouvait sortir; d'un disciple d'imi^^
religion nouvelle partout décriée et persécutée.
Elles furent prononcées k une époque où il était
impossible qu'elles fussent réalisées autant
qu'elles le sont maintenant, lors même que tout
le pouvoir de Thomme se fût réuni pour propa-
ger l'Evangile, au lieu d'hêtre employé à l'éteindre.
Il était alors extrêmement difficile de répandre
la science; Tart de Timprimerie était ignoré:
et plusieurs pays qui professent maintenant le
christianisme étaient encore inconnus. Et quel-
que nombreux que soient maintenant les ouvra-
ges imprimés, et ils le sont plus qu'à aucune au-
tre période de l'histoire, quelqu'étendues que
soient les relations actuelles du commerce , la
manière dont l'Ecriture Sainte a été répandue est
bien plus étonnante que raccroissement des uns
ou des autres. Elle est parvenue dans des régiontr
inconnues à tous les autres ouvrages du génie de
l'homme, elle a pénétré dans des contrées que
n'a point encore exploitées la fureur des spécu-
lations commerciales.
La vérité de la prophétie du pauvre exilé de
Patmos est n:aintenant mise au jour; elle a en sa
faveurune prescription de dix-sept siècles; il esl
évident maintenant que ce n'était point là une
vision humaine, puisque l'Évangile éternel a été
communiqué d'une manière inouïe à tous ceux
qui habitent sur la terre, à toute nation, k
en. XîV. RELIGION CîIîlKTlE^^'I^.^ 317
toute tribu, a toute langue , a tout peuple. L'Eu-
rope et l'Amérique professent le christianisme;
dans toutes les portions du globe on trouve des
chrétiens. L'Évangile est traduit en 150 langues
. et dialectes qu'on parle d'une extrémité de la
terre à l'autre; et quel autre livre depuis la créa-
tion a été lu ou connu dans la dixième partie de
ce nombre de langues!.. Quelles que soient donc
les causes secondaires qui ont amené ces évé-
nements, ou quelles que soient les opinions des
hommes par rapport à eux , il n'en est pas moins
vrai qu'il faut que les prophéties dont ils sont l'ac-
complissement aient été inspirées par Celui qui est
la première grande cause de tout. Quelle autorité
divine l'incrédulité peut-elle offrir , quelles doc-
trines l'incrédule peut-il avancer, qui équivaillent
à cette preuve de la vérité du christianisme?
Il est évident, d'après un coup d'œil générai
jeté sur les prophéties qui se rapportent à Christ
et à la religion chrétienne, qu'elles contiennent
des prédictions exclusivement relatives à plu-
sieurs doctrines de l'Évangile, qui ne pouvaient
émaner que d'une révélation divine, et que la
raison à elle seule n'aurait jamais pu découvrir;
et ces mêmes doctrines , contre lesquelles la suf-
fisance de la sagesse humaine se révolte le plus,
souvent, sont par là même des preuves de leur
divine origine ; car si ces doctrines n'avaient pas
été contenues dans les Saintes Écritures, les pro-
phéties qui les regardent n'auraient pu s'accom-
plir. Et plus elles sont merveilleuses, plus il est im-
probable et inconcevable qu'elles aient pu être an-
noncées par de simples moriels ^ ou qu'elles aient
été plus tard constituées en système religieux.
Il est aussi évident qu'il y a plusieurs pro-
phéties applicables à Jésus, et auxquelles aucune
allusion n'est faite dans l'histoire de sa vie. L'es-^
'Ii8 CHRIST. eu. XIV.
prit de ses disc iples fnt longtemps prévenu contre
lui à cause de la bassesse de sa condition ^ pré-
juge très général parmi les Juifs. — Ils ne virent
les prophéties qu'à travers le \ oile de ces tradi-
tions (pii agrandissaient la puissance terrestre à
laquelle ils s'atlendaient, et qui avaient obscurci
la nature divine du Messie promis. — Ce ne fui
qu'après la résurrection de Christ , nous dit
l'Écriture , que leur entendement fut ouvert
pour comprendre les prophéties. — Mais tandis
que raccomplissement de beaucoup de ces pré-
dictions n'est pas remarqué dans le Nouveau
Testament 5 l'accomplissement de toutes et de
chacune est écrit comme par une plume de
fer 5 dans la vie ^ la doctrine et la mort du Sau-
veur, et cette preuve secondaire, indirectement
mais pleinement donnée, est plus forte que
ne serait un appel fait à chaque prophétie : af-
Ixanchis des préjugés des Juifs, nous pouvons
maintenant rassembler toutes les prophéties anté-
rieures qui se rapportent au Messie , et les com-
parer avec l'histoire du Nouveau Testament, et
avec la nature et la marche du christianisme; et
après avoir vu jusqu'à quel point les premières
sont une représentation fidèle du dernier, nous
pourrons tirer la conclusion légitime, que « l'es-
prit de prophétie est en effet le témoignage de
Jésus ».
Après avoir repassé le tout ensemble, ne pou-
vons-nous pas affirmer avec hardiesse que l'épo-
que et le lieu de la naissance de Christ, la tribu
et la famille dont il sortait, son genre de vie, son
caractère, ses miracles, ses souffrances et sa mort^
la nature de sa doctrine et le sort de sa religion ,
avaient été depuis longtemps révélés ; que cette
doctrine devait prendre naissance à Jérusalem ,
que4es Juifs la rejeteraient, que dès son origine
en. XIV. BELIGÏON CHRÉTIENNE. 349
on la combattrait, et qu'elle s'étendrait jus-
qu'aux Gentils; que l'idolâtrie disparaîtrait de-
vant elle, que les rois de la terre se soumet-
traient à son autorité, qu'elle se répandrait
parmi toute les nations, même jusqu'aux extré-
mités du monde : toutes ces choses n'ont-elles pas
été l'objet des anciennes prophéties?
Pourquoi donc toutes ces prophéties? — Pour-
quoi , depuis l'appel fait à Abraham jusqu'à
nos jours , les Juifs ont-ils été un peuple à part,
séparé d'avec toutes les autres nations de la
terre ? Pourquoi , depuis le temps de Moïse jus-
qu'à celui de Malachie, pendant un espace de
mille ans , a-t-on vu s'élever une race de pro-
phètes qui tous témoignèrent de la venue d'un
Sauveur? Pourquoi le livre des prophéties fut-il
scellé 400 ans avant la naissance du Christ?
Pourquoi y a-t-il encore jusqu'à ce jour une évi
dence incontestable, sinon miraculeuse, de l'an-
tiquité de toutes ces prophéties, en ce qu'elles
ont été religieusement conservées pendant tous
ces siècles par les soins mêmes des ennemis du
christianisme? Pourquoi une telle multitude de
faits, qui ne peuvent être appliqués qu'à Jésus-
Christ, ont-ils été prédits? Pourquoi? — afin que
ces immenses préparatifs pussent amener enfin
l'Evangile de salut, et aussi pour que, comme
toutes les autres œuvres du Tout-Puissant, sa
parole par Jésus-Christ ne fut jamais sans témoi-
gnage au milieu des hommes.
Ah! si, par le rapide coup d'œil que nous venons
de jeter sur elles , ces prophéties rendent témoi-
gnage à la vérité de l'Evangile et à la sagesse de
son auteur , quelle force n'auraient elles pas pour
celui qui sonderait avec soin les Ecritures, et
qui apprendrait par là avec quelle clarté elles
parlent de Jésus!
3A0 LKS SKPT ÉGLISES dVvSIE. Gïî. XV.
CHAPITRE XV.
PraiPllKTIES CONCEîlNAx\T LES SEPT ÉGLISES^
d'asie.
Quelque incomplet que soit le précis contenu
dans les chapitres précédents sur l'évidence des
prophéties , les prophéties sont si claires par
elles-uiénies, et les faits qui en sont Taccomplis-
s€ment sont tellement multipliés, qu'on ose dé-
lier le sceptique le plus subtil d'imaginer un sys-
tème quelconque pour expliquer comment ces
faits auraient pu être prédits autrement que par
l'inspiration de Dieu.
La parole de la prophétie a certainement fait
apercevoir bien des désolations survenues sur
la terre ; mais tout en démontrant ainsi l'action
c( du mystère de l'iniquité », elle fait elle-même
par! le « du mystère de la piété » . Les péchés des
hommes leur ont attiré des désolations que la
parole de Dieu avait prédites et que la cruauté
des hommes a exécutées. Cesjugemenls ont été
annoncés, il est vrai, par des signes et des aver-
tissements, mais ils ne sesont jamais trouvés que
là oil l'iniquité avait tl'abord prévalu. Et quand
même tous les autres avertissements de Dieu de-
vraient être sans effet , les monuments de ses
jugements passés et les indications de ses juge-
ments à venir pourront aprendre au pécheur
jusqu'ici inaccessible au repentir , à prendre
gai'de aux menaces de sa parole, a examiner ses
voieSj et à i^evenir à lui avant que la mort ait
CM. XV. LES SEPT ÉGLISES D ASIE. 351
îuis le sceau à son jugeniciit. Toutes ces désola-
tions que l'Eternel a ainsi foit descenelie sur la
terre, et qui tendent à prouver la vérilé de sa
parole qui révèle la vie et rimniortalilé, ue de-
vraient-elles pas apprendre à Tliomme dont ce
monde est le Dieu, a ne plus le juger digne de
son adoration et de son culte? Pourquoi n'ap-
prendrai Ul pas par elle à renoncer à Ta varice
qui est une idolâtrie, et pourquoi Tidole de Mam-
mon qui est dans le temple ne tomberait - elle
pas comme l'image de Dagon tomba devant l'ar-
che qui renfermait le témoignage du Seigneur?
Mais pour ceux qui , comme tant de millions
d'hommes, font profession de la foi du Seigneur
Jésus, sans sortir de la route du péché, il est une
autre voix qui peut arriver plus directement à
leurs oreilles. Et ce n^'est pas seulement des ré-
gions désolées, jadis habitées par des païens,
mais aussi des ruines de quelques-unes des villes
où les apôtres avaient établi des églises et où la
religion de Jésus brilla jadis dans toute sa pureté,
que tous peuvent apprendre que Dieu ne fait
point acception de personnes, et qu'il « ne tienl
« point le coupable pour l'innocent.» — «Que celui
« qui a des oreilles écoute ce que l'esprit dit aux
« églises, i)
Quelle église pourrait réclamer ou désirer un
titre plus élevé que celui qui est donné dans l'E-
criture aux sept églises d'Asie , dont les anges
étaient les sept étoiles dans la main droite « de
« Celui qui est le premier et le dernier, qui vit et
« qui était mort, qui est vivant aux siècles des
« siècles, et qui tient les clefs de l'enfer et de ht
« mort ; » ces églises qui étaient elles-mêmes « les
« sept chandeliers d'or au milieu desquels il mar-
« chait ? » Et quel est celui qui a des oreilles pour
entendre , et qui n'écoutera pas humblement, et
3o2 LES SEPT ÉGMSES d'aSIR. CÎI. \V.
pour le nietlieà profit, ce que l'Kspiit dit à ces
éjjlises*'?
L'Kjîlise (r^PiiÈSE, qaoiijue louée poisr ses
preuiières œuvres, auxquelles il lui est ordonné
de retourner, était accusée d'avoir abandonné sa
première charité, et menacée de voir ôter son
chandelier de sa place, si elle ne se repentait*'.
Ephèse est située h environ cinquante milles de
Smyrne. Elle était la métropole de Flonie , elle
était grande , riche, et, suivant Strabon , le mar-
ché le plus considérable de l'Asie mineure. Elle
était surtout fameuse par son temple de Diane,
« lequel toute l'Asie révérait », orné de 127 co-
lonnes de marbre de Paros, toutes d'un seul bloc,
hautes de soixante pieds, et regardé comme
une des sept merveilles du monde. On voit encore
les restes de son magnifique théâtre, oii l'on dit
que 20,000 spectateurs pouvaient s'asseoir com-
modément. Mais quelques monceaux de pierres,
quelques misérables huttes en terre, passagère-
ment |habitées par des Turcs sans qu'aucun chré-
tien y demeure jamais, sont tout ce qui reste de
Fancienne Ephèse *^. Ce n'est plus, suivant la des-
cription de divers voyageurs, qu'un lieu aban-
donné , d'un aspect triste et solennel. Partout
dans l'univers on lit Tépitre aux Ephésiens ; mais
à Ephèse il n'y a personne aujourd'hui qui la
lise. Ils ont abandonné leur première charité, ils
ne sont point retournés à leurs premières œu-
vres. Leur chandelier a été ôté de son lieu, et la
grande cité d'Ephèse n'existe plus ^^.
L'Église de Smyrne fut louée comme «riche», et
aucun jugement ne fut prononcé contre elle; mais
elle fut avertie d'une affliction de dix jours ( les
(J7) Apocalypse, II et III. — (18) Ibid., II, 5.
(19) Actes, XIX, 29.
(20) Voyag s d'Amndel aux sept Eglises d'Asie,
CH. XV* LES SEPT ÉGLISES d'aSIE. 353
dix années de persécution sous Dioclétien ), et il
lui fut recommandé d'être fidèle jusqu'à la mort,
pour mériter que la couronne de yie lui fût ac-
cordée ^*. Smyrne n'a point partagé le sort d'E-
phèse, plus fameuse qu'elle ; c'est encore aujour-
d'hui une grande yille , contenant près de cent
mille habitants et plusieurs églises grecques ;
l'Angleterre et d'autres nations chrétiennes y ont
eu des ministres. La lumière, il est vrai, y a
perdu de son éclat, mais le chandelier n'y a pas
été ôté de son lieu.
L'Église dePERGAMEfut louée de ce qu'elle re-
tenait le nom de l'Eternel , et pour n'avoir pas
renoncé sa foi dans des temps de persécution et
au milieu d'une ville corrompue; mais il y en
avait dans son sein qui retenaient de mauvaises
doctrines et qui commettaient de mauvaises ac-
tions que l'Eternel haïssait. L'Eternel devait com^
battre contre eux par l'épée de sa bouche et tous
étaient appelés à la repentance. Mais il n'était
pas dit, comme d'Ephèse , que son chandelier se-
rait ôté de son lieu^^. Pergame est située au nord
de Smyrne à une distance de près de 64 milles ,
et était autrefois la capitale de la Mysie Helles-
pontique. Elle contient encore aujourd'hui quinze
mille habitants dont quinze cents Grecs et deux
cents Arniéniens qui ont leurs églises séparées.
Dans l'Église de Thyatike, comme dans celle de
Pergame, quelque ivraie s'était bientôt mêlée au
bon grain; celui qui a ses yeux comme une flamme
de feu distingua l'un et l'autre. Mais heureu-
sement pour les âmes des fidèles, plutôt que pour
la conservation de la ville, voici comment l'apôtre
décrit le caractère général de cette église, tel
qu'il était alors :
(21) Apoc, II, 8-11. — (22) Ibid., 12-16.
Soi LES SEPT L(iLISES d'aSIE. CM. \V.
« Je connais tes œuvres, la eliarilé, Ion niiiiis-
^^ 1ère, la loi, la palienee, et que les dernières
«œuvres stirpasseul les préiuièies ^\ » Mais à
réf^ard de eeu\ qui s'èlaieul rendus coupables de
fornication , qui avaienl nianj^è des choses sacri-
fiées aux idoles, car il y en avait quelques-uns
(ians celle église, et à qui le Seigneur avait donné
Je temps pour qu'ils serepenlissent de leur forni-
cation, et qui ne s'étaient point repentis, la nie-
liace d'unegrande afiliction était prononcée contre
eux, et il devait être rendu à chacun selon ses
œuvres. Ces pécheurs, ainsi inutilement avertis
pendant qu'ils étaient sur la terre, sont allés de-
puis longtemps dans ce lieu oii il n'y a ni occupa-
tion, ni science, ni sagesse, ni repentance efiicace.
« Mais quant aux autres qui sont à Thyatîre, je
« ne mettrai point sur eux d'autre charge, dit
« l'Eternel'\ » Il y avait à Thyatire assez de jusles
pour sauver une ville. ïhyatire existe encore, tan-
dis que de plus grandes cités sont tombées.
M. Hartley, qui la visita en 1826, dit qu'elle est
comme perdue au milieu des cyprès et des peu-
pliers ; que les Grecs y occupent trois cents mai-
sons et les Arméniens une trentaine , chacune
de ces sectes ayant son église.
L'Église de Sardes différait de celle de Per-
i'ame et deThvatire : ces deux églises n'avaient
point renoncé leur foi, cependant rEteniel avait
plusieurs griefs contre elles, car il y avait dans leur
sein quelques hommes faisant le mal et sur qui
devait tomber le jugement, s'ils ne se repentaient
pas. Mais à Sardes , toute grande qu'était cette
ville, et bien que son église eût été fondée par uii
apôtre, il n'y avait que quelque peu depersonnes
qui n'eussent point souillé leurs vêtements , et
(23) Apoc, II, 19 — (2/|) Ibid., 2/i.
CH. XV. LES SEPT ÉGLISES d'aSIE. Sfo^'
l'Esprit avait dit a l'ange de cette église: «Je
« connais tes œuvres; c'est que tu as le bruit de
V « vivre, mais tu es mort. »
Mais l'Eternel est patient, et ne veut pas la
mort du pécheur, mais son repentir; et tel fat
l'avertissement adressé à l'ange de l'église d(»
Sardes: « Soisvigiîanteteonîirmeie reste qui s'ea
« va mourir, car je n^ai point trouvé tes œuvres
« parfaites devant Dieu. Souviens-toi donc des
« choses que tu as reçues et entendues, et garde-
« les et te repens. Mais si tu ne veilles pas , je
« viendrai contre toi comme le larron , et lu ne
« sauras point à quelle heure je viendrai conti e
« toi ''^ »
L'état actuel de Sardes nous montre que Taver-
lissement fut inutile, et en même temps que les
îîienaces de l'Eternel, quand on les néglige ,> se
changent en arrêts inévitables. Sardes, capitale de
la Lydie ^ était une ville grande et célèbre, oii
avaient été accumulées ces richesses de Crésus
devenues proverbiales. Aujourd'hui les seules
habitations que Sardes renferme sont quelques
mauvaises huttes en terre , éparses parmi les
ruines, demeures de bergers turcs, seule popu-
lation de cette antique cité. Comme siège d'une
église chrétienne elle a perdu tout ce qu'elle pou-
vait perdre, jusqu'à son nom. « On y chercherait
en vain un seul adorateur de Jésus-Christ. »
« Ecris aussi à l'ange de l'Eglise de PinLADEL-
« PHFE. Le saint et le véritable qui a la clef de Da-
« vid, qui ouvre et nul ne ferme, qui ferme et
« nul n'ouvre, dit ces choses : Je connais tes œu~
« vres. Voici, je t'ai ouvert une porte, et per-
(( sonne ne la peut fermer, parceque ta as i\u
i.^ peu de force , que tu as gardé ma parole , et qua
(25) Apoc, m, 2-3.
356 LES SEPT KGLISF.S d'aSIE. CII. \\\
« Uin'as poiiil roiioncéa mon nom; parccque lu
« as p^ardé la parole de ma patience ^ je te ^^arde-
« rai aussi à Tlieure de la tentation qui doit arri-
« ver dans tout le monde ^'^. » — Les promesses de
TEternei sont aussi infaillibles que ses menaces.
Philadelphie seule résista h)ngtemps à la puis-
sance des Turcs, et, suivant l'expression de Gib-
bon, capitula enlîn avec le plus fier des Otto-
mans. Parmi les colonies et les églises grecques
de l'Asie , ajoute Gibbon , Philadelphie est encore
debout; c'est une colonne sur un vaste théâtre
de ruines ^\ Quoi de plus intéressant, dit M. Hart-
ley, que de trouver le christianisme plus
florissant ici que dans beaucoup d'autres parties
de l'empire turc ! la population chrétienne y est
encore nombreuse, et occupe trois cents maisons;
le service divin se fait chaque dimanche dans cinq
églises. Ce qui n'est pas moins intéressant, dans
ces temps si fertiles en événements , et malgré la
dégénération de l'église grecque en général , c'est
d'apprendre que ré\'éque actuel de Philadelphie
regarde la Bible comme le seul fondement de
toute croyance religieuse, et qu'il admet qu'il
s'est glissé dans l'église des abus que l'on pou-
vait tolérer dans les siècles passés, mais qu'il
faut détruire aujourd'hui. — ^ Nous croyons à pro-
pos d'ajouter ici une observation de M. Hartley ^%
c'est que Philadelphie est aujourd'hui appelée
Allah Schehr, « la ville de Dieu, » et qu'en rappro-
chant cette circonstance des prédictions faites à
cette église, et surtout de la promesse d'écrire le
« nom de Dieu » sur ses membres fidèles, on ne
peut s'empêcher d'y trouver une coïncidence sin-
gulière, pour ne rien dire de plus. — Lesjniquités
des hommes ont plus d'une fois prouvé combien
(26) Apoc, III, 7, 8, 10. — (27) Gibbon, t. XI, ch. lxiv,
(28) Missionary Register du mois de juin 1827.
m. XV. LES SEPT ÉGLISES d'asîe. 357
les jugements de Dieu sont terribles; mais parce-
que réglise de Philadelphie a persisté à garder
sa parole 5 un monument de la fidélité de Dieu a
remplir ses promesses a été laissé sur la terre,
en attendant qu'une gloire plus grande, promise
à ceux qui vainquent, leur soit donnée dans le
ciel. — Le Rédempteur glorifié confirmera à leur
égard la vérité de ses paroles : « Celui qui vain-
ce era, je le ferai une colonne dans le temple de
«mon Dieu; » il la confirmera aussi sûrement
que Philadelphie, lorsque tout tombait autour
d'elle, est restée debout, au jugement de nos
ennemis eux-mêmes, « comme une colonne au
milieu des ruines. »
« Ecris aussi à l'ange de l'Eglise de Laodicée :
« L'Amen, le témoin fidèle et véritable, le corn-
« mencement de la créature de Dieu, dit ces cho-
« ses. — Je connais tes œuvres, c'est que tu n'es
«ni froid ni bouillant, et si tu étais ou froid ou
« bouillant! Parce donc que tu es tiède, et quiî
« tu n'est ni froid ni bouillant, je te vomirai de
« ma bouche; car tu dis : Je suis riche et je suis
« dans raboudance , et je n'ai besoin de rien ; mais
« tu ne connais pas que tu es malheureux, misé-
« rable, pauvre, aveugle, et nu. Je te conseille
« d'acheter de moi de l'or éprouvé par le feu ,
« afin que tu deviennes riche, et des vêtements
« blancs, afin que tu sois vêtu , et que la honte de
« ta nudité ne paraisse point, et de couvrir tes
« yeux d'un collyre, afin que tu voies ^^. »
La voix qui se fait entendre dans l'Apocalypse
avait trouvé quelques éloges à donner à toutes les
autres églises; dans toutes, il était resté quelque
chose de bon. L'église d'Ephèse avait travaillé,
et »e s'était point lassée, quoiqu'elle eût aban-
•
(29) Apoc. III, 14-18.
'So8 m:s skt»i églises d^asik. r.u. xv.
donné sn priMniire charité; vl lo cliandelicîr h\\
oté de son lion : Ici lui son clialiincnL In petit
nombre d'inddèles souillèrent les éf^lises de Ter- *
i;ame et de Thyatire, parleurs doctrines et par
leur vie, mais le corps était sain, et ces églises
appartenaient à Christ .Môme dans Sardes, quoi-
qu'elle tut morte, quelque peu de personnes n'a-
vaient point souillé leurs vêtements, et devaient
marcher avec le Seigneur en vêtements blancs,
car ils en étaient dignes.
Mais le Saint-Esprit n'adressa pas un seul mot
d'approbation h l'église de Laodicée; elle était
tiède sans exception; elle fut donc vomie de la
bouche du Seigneur. La religion de Jésus était
devenue pour les chrétiens de cette église
comme une chose ordinaire. Ils ne s'en occu-
paient absolument que comme de divers autres
objets pour lesquels ils ne se sentaient ni plus ni
moins de goût. Le sacrifice du Fils de Dieu sur la
croix ne faisait pas plus d'impression sur leur
pensée qu'un présent vulgaire qu'ils eussent
reçu de la main d'un homme . et l'amour de Christ
n'avait pas plus d'empire sur leurs cœurs que
d'autres affections. Ils pouvaient répéter le pre-
mier et le plus grand commandement, et le se-
cond qui lui est semblable, sans que rien en
leur conduite montrât leur respect pour cette loi
d'amour. — Il n'y avait point parmi eux de Dor-
cas pour vêtir les pauvves, point de Philemon à
qui l'on pût écrire : « A l'église qui est dans ta
maison, yy — Il n'y avait point parmi eux de ser-
viteur qui regardât à l'œil de son père céleste,
plus qu'à celui de son maître terrestre; rien n'é-
tait fait plutôt pour obtenir la récompense éter-
nelle que par égard aux récompenses de la terre ;
il n'y avait personne qui cherchât à faire hono-
rer partout la doctrine de son Dieu et Sauveur.
en. XV. LES SEPT ÉGLISES d'asîe. 353
— On n'y foisaitrien comme tout doitèlre fait,
<^ de bon cœnr, comme pour le Seigneur et non
[)our les hommes. »
En effet 5 rien dans leur vie ne semblait mon-^
trer qu'ils eussent appris que ce qui n'est pas
seion la foi est pèche. Leur tiédeur était cent
fois pire qu'une froideur décidée; car elle laissait
bien moins d'espoir d'amélioration. Un homme
de Sardes aurait plutôt senti le frisson de la mort
s'emparer de lui , et appelé un médecin à son se-
cours, qu'un homme de Laodicée, comptant
tranquillement les battements réguliers de son
pouls, n'eût imaginé qne la mort s'approchait de
lui, et qu'il ne pouvait lui échapper. — Le ca-
ractère des chrétiens tièdes, deux mots qui se
contredisent d'eux-mêmes, est le même dans,
tous les temps. — Telle était l'église de Lao-
dicée. Mais quel est aujourd'hui l'état de celte
ville, et combien elle diffère de ce qu'elle a été
jadis !
Laodicée était la métropole delagrande Phry-
gie; au rapport des auteurs païens, c'était une
ville grande et célèbre. Loin d'offrir aucun syni-
ptôme de décadence, vers le commencement de
l'ère chrétienne^ elle s'était élevée a son plus
haut point de prospérité. Ses trois théâtres, son
cirque immense, capable decon tenir plus de trente
mille spectateurs, et dont on voit encore des
restes considérables, ainsi que d'autres ruines
ensevelies sous des ruines, attestent son ancienne
splendeur et sa nombreuse population, preuves
frappantes en même temps que dans cette ville,
dont tous les chrétiens sans exception s'étaient
attiré les censures de l'apôtre , habitait une
multitude d'hommes « qui aimaient les voluptés
plutôt que Dieu. » L'amphithéâtre fut construit
postérieurement à l'Apocalypse, et après que l'Es-
3(50 LES SKPT ÉGLISES D ASIE. Cil. XV.
prit eut averti ré*;lise de Laodicée d'avoir « du
« zèle et de se repeutir. » Mais leurs cœurs ne
s'ouvrirent ni à un renouvellement de zèle pour
le service et pour la gloire de Dieu, ni à un pro-
fond chagrin de leurs péchés, ni k un sincère re-
pentir.
Aussi quel contraste frappant entre le sort de
Laodicée et celui de Philadelphie! On chercherait
en vain aujourd'hui dans les environs de Laodicée
des monuments de la grandeur d'un peuple, et
ces lieux consacrés aux plaisirs et à la séduction
des sens. Peu de mots suffisent pour en exposer
la déplorable catastrophe. Elle était tiède, elle
n'était ni froide ni bouillante, etDieu l'a vomie de
sa bouche. Elle fut aimée inutilement, inutilement
réprimandée et châtiée, et elle a été effacée de
dessus la terre. Elle est maintenant aussi dénuée
d'habitants que les habitants étaient dénués de
toute crainte et de tout amour de Dieu, et que
son église était dépourvue de foi véritable au
Sauveur et de zèle pour son service. ^
Elle est véritablement déserte , dit le docteur
Smith dans ses voyages, elle n'a pour habitants que
des loups, des chacals et des renards. Les seules
créatures humaines qui y apparaissent passagère-
ment sont des Turcomans vagabonds qiii viennent
dresser leurs tentes dans les ruines de son vaste
amphitéâtre. On a pratiqué, dit Arundel, des
fouilles parmi ses ruines et on y a trouvé à une
profondeur considérable les fragments de scul-
pture les plus précieux ^^. Il y a peu d'anciennes
villes , dit le colonel Leake , qui promettent un
plus grand nombre d'antiquités curieuses, si Ton
voulait chercher sous la surface du sol. D'après
son ancienne opulence et les tremblements de
(30) Voyages d' Arundel, p. 35,
Ctt. \t. LES SEPT EGLISES D^ASIÉ. 361
terre aux^quels elle était sujette, il est plus que
probable que les plus précieux ouvrages de Fart
ont souvent été ensevelis sous les débris des
édifices publics et particuliers"*. — Voilà ce qui
explique ces paroles du Saint-Esprit: « Parce-
« que tu es tiède et que tu n'es ni froide ni bouil-
w lante, je te vomirai de ma bouche. »
« Que celui qui a des oreilles écoute ce que
c( l'Esprit dit aux églises. — L'Esprit sonde toutes
« choses 5 mêmes les choses profondes de Dieu"'^. »
Chaque église et chaque membre de ces églises
furent pesés dans les balances du sanctuaire.
Chacun d'eux fut approuvé , censuré ou averti
selon son caractère et suivant ses œuvres. L'église
elle-même était-elle pure, ses membres corrom-
pus devaient seuls être retranchés. L'église était-
elle morte, les noms du petit nombre de membres
encore vivants étaient tous écrits devant Dieu ,
et aucun n'était effacé du livre de vie. Les sept
églises furenttoutes exhortées séparément parle
Saint-Esprit, selon le besoin qu'elles avaient de ses
avertissements. « La foi qui avait été donnée aux
« saints » leur fut prêchée , et toutes , en tant
qu'églises chrétiennes, possédaient les moyens de
salut. Le Fils de Fhomme passa au milieu d'elles,
démêlant ceux qui étaient à lui et ceux qui ne
Fêtaient pas.
Par la prédication de FEvangile et par la parole
écrite, chaque membre de ces églises fut averti,
et tout homme fut enseigné en toute sagesse ,
afin que tout homme fut rendu parfait en Jésus-
Christ; et dans tout ce que FEsprit dit à toutes
ces églises et h chacune d'elles en particulier , il
fait sans restriction et sans réserve, et sous les
plus brillantes images, la promesse d'une félicité
(31) Journal, p. 252. (32) I, Cor., II, 10,
16
\
362 LES SEPT ÉGLISES d'asie. cq, XV.
éternelle à celui qui vaincra. Le langage de Ta-
mour, non moins que celui de la remontrance et
de la censure, fut adressé aux Laodicéens. Et si
des chrétiens de cette église ont péri, ils ne
peuvent l'imputer qu'à leur résistance à l'Esprit,
à leur obstination à préférer tout autre joug à
celui de Jésus; à leur tiédeur, à leur manque
actuel de foi, à l'indifférence avec laquelle ils re-
jetaient une grâce qui leur était librement offerte
et qui avait été si chèrement achetée ; grâce suffi-
sante , s'ils l'avaient cherchée , s'ils avaient voulu
en profiter, pour les faire triompher dans ce com-
bat auquel Jésus a appelé ses disciples , et oîi il
est en son pouvoir, comme consommateur de leur
foi, de rendre le chrétien plus que vainqueur.
Mais si les églises et les chrétiens étaient alors
tels que l'Esprit les dépeint, que dirions-nous des
églises et des chrétiens de nos jours, ou plutôt
nous vous le demanderons h vous-même , lec-
teur, quelle est votre propre espérance en Dieu?
quelles sont les œuvres de votre foi? Si à une
époque oîi le christianisme était encore dans son
premier éclat, lorque les vérités divines avaient
à peine cessé de découler des lèvres des apôtres ,
sur qui l'Esprit-Saint était visiblement descendu,
et sur les tètes desquels il s'était reposé en langue
de feu; si, dis-je, à cette époque même une des
sept églises d'Asie avait abandonné sa première
charité, si deux autres étaient déjà souillées en
partie par des erreurs dans la doctrine et par
des fautes dans la pratique; si une autre n'avait
que quelque peu de personnes qui fussent dignes
des vêtements blancs; si dans une autre il ne
s'en trouvait pas une seule ; si enfin la dernière
et la pire de ces églises se croyait riche et dans
l'abondance, et ne savait pas qu'étant tiède elle
çtait misérable^ pauvre et nue ; avez-vous, lecteur,
CH. XV. LES SEPT ÉGLISES d'aSIE. 363
des oreilles pour entendre et un cœur pour com-
prendre ces faits ? Vous qui vous donnez aussi
pour chrétien, ne voyez-vous rien dans tout ceci
qui puisse vous décider à vous examiner vous-
même et à sonder, en invoquant sur vous le même
Saint-Esprit, votre charité, votre foi, votre pa-
tience?
Quelles sont vos œuvres d'amour? et en quoi
avez-vous travaillé pour la gloire de Celui dont
vous portez le nom? quelles épreuves votre foi
endure-t-elle avec patience? de quelles tentations
sort-elle victorieuse? Christ est-il en vous l'es-
pérance de la gloire? cette sainte espérance puri-
fie-t-elle votre cœur? Vous appartenez à une
église quelconque, mais quel est le royaume
établi au-dedans de vous? Etes-vous dirigé parles
principes qu'enseignaient Christ et ses apôtres ?
Oil sont les fruits de l'Esprit, l'amour, la joie,
la paix, la douceur, la bonté, la tempérance?
Faites-vous des questions sur les préceptes de
l'Evangile, et demandez-vous ce que vous dirait
TEsprit qui parla aux sept églises?
Ce que l'Esprit dit aux églises primitives et
apostoliques auxquelles présidait Jean, l'apôtre
bien-aimé, doit nous prouver que nul de ceux qui
ont abandonné leur première charité, que nul de
ceux qui ont cherché à attirer les autres au péché,
que nul de ceux qui ont le bruit de vivre et qui
sont morts, que nul de ceux qui sont tièdes, n'est
un digne membre d'aucune communion chré-
tienne, et que tant qu'il persistera dans cet état,
aucune communion chrétienne ne peut lui être
profitable. Mais à ceux-là est donné du « temps
« pour se repentir. » A ceux-là s'adressent les
paroles de l'Esprit, en supplications, en encoura-
gements, en exhortations et en avertissements,
afin qu'ils puissent revenir de leurs péchés et
364 LES SEPT ÉGLISES d'aSIË. CH. XV,
letourncr au Seii;ncnr, afin qu'ils puissent vivre
et ne pas mourir. — Mais il y avait dans Sodonie un
seuljuste; il y en avait quelques-uns dans Sardes;
FEternel les connaît et les nomme^ et la mort de
ses saints est précieuse à ses yeux. D\in autre
côté il eu est un grand nombre dont la place est
déjà marquée dans les profondeurs de l'empire
de Satan^ quoique étant h Textérieur en commu-
nion ayec une église aussi pure que Tétait celle
de Tliyatire. Ainsi^ quelle que puisse être votre
profession de foi, cherchez le royaume de Dieu
et sa justice, le royaume qui est la paix et la joie
dans le Saint-Esprit, et cherchez cette justice
qui consiste dans la foi en Jésus-Christ, lequel
s'est sacrifié pour PEglise, afin de la sanctifier et
de la purifier; et, quels que soient les périls qui
TOUS environnent, ne craignez point, croyez seule-
ment; toutes choses sont possibles à celui qui croit.
Ce fut parcequ'elle avait gardé la parole de
l'Eternel^ parcequ'elle était demeurée ferme dans
sa foi , parcequ'elle avait été docile aux avertisse-
ments de l'Esprit, que l'église de Philadelphie a
tenu ferme ce qu'elle avait, et que personne ne
lui a enlevé sa couronne, quoique cette église
fût située entre celle de Laodicée, qui était tiède,
et celle de Sardes qui était morte; et toute morte
qu'elle était, le Seigneur y avait trouvé quel-
ques personnes qui n'avaient point souillé leurs
vêtements, quelqueschretiens qui vivaient comme
vous devez vivre, dans la foi au Seigneur Jésus;
qui étaient morts au péché et vivants pour la
justice, tandisque tous ceux qui les entouraient
étaient morts dans leurs fautes et dans leurs pé-
chés. Eprouvez donc votre foi par ses fruits,
jugez-vous vous-même, afin que vous ne soyez
pas jugé; sondez votre propre cœur, et mettant
à profit le conseil de Dieu, tel que l'Evangile vous
im. XV. LES sï:pt églï^es d'asîe. 365
le révèle, que la règle de cet examen soit ce que
l'Esprit dit aux sept églises.
Si dans la loi de l'Eternel , si dans les juge-
ments de Dieu qui ont épouvanté la terre , des
choses merveillenses vous ont frappé d'étonne-
nient, ah! gardez que le souvenir ne s'en efface
quand vous ne tiendrez plus ce livre. N'agis-
sez pas comme si vous n'aviez fait que lire quel-
ques récits oiseux, ou comme si vous n'étiez pas
destiné vous-même à être témoin et plus que té-
moin d'un plus grand jugement qui vous touchera
de près , et qui vous intéresse persoiiàellement.
Si en parcourant quelques-unes des parties les
plus claires des prophéties, vous avez été conduits
par une voie qui vous était inconnue auparavant,
qu<3 cette voie vous mène h la fontaine d'eau vive
jaillissante en vie éternelle , pour quiconque en a
soif et y boit. Que les paroles de notre Seigneur
et Sauveur Jésus-Christ soient pour vous cette
$ource de vie. Que les paroles de Dieu éclairent
vos yeux, et elles réjouiront aussi votre cœur.
Cherchez aussi les Ecritures, elles ne contiennent
aucun oracle faux et mensonger; elles rendent
témoignage de Jésus, et vous y trouverez la vie
éternelle. — Implorez les lumières et l'aide de
F Esprit- Saint qui les a inspirées. Au-dessus de
toutes les vertus chrétiennes qui peuvent attester
votre foi, mettez la charité, l'amour de Dieu et
l'amour des hommes , cette charité ou cet amour
qui est le fruit de l'Esprit, la fm des commande-
ments , l'accomplissement de la loi ^ le lien de
la perfection , don supérieur à celui des langues ,
à celui d'interprétation et de prophétie, et sans
laquel vous seriez comme si vous n'étiez pas,
quand même vous auriez pénétré tous les mys-
tères et épuisé toutes les sciences. Faute de ce
don , la terre a été couverte de ruines. Qu'il de-
366 LES SEPT ÉGLISES d'aSFE. CH. XV.
vienne votre partage, et quelque pauvre que
soit votre héritage sur la terre, il vous sera plus
utile que tous les royaumes du monde et toute
leur gloire. Quant aux prophéties, elles seront
abolies, et quant aux langues elles cesseront, et
quant à la connaissance, elle sera abolie. La terre
elle-même sera consumée avec tout ce qu'elle
contient; mais la charité ne périt jamais '^^
Si vous avez gardé la parole de TEternel, et si
vous n'avez pas renoncé à son nom, tenez ferme
ce que vous avez, afin que personne ne vous en-
lève votre couronne. — Mais si vous avez été tiède
jusqu'à ce jour, si vous n'avez eu ni la foi ni le
zèle, ni l'espérance, ni l'amour d'un chrétien^
tous les avertissements d'une voix mortelle vous
seraient inutiles; mais écoutez ce que ditl'Esprit,
et n'endurcissez pas votre cœur contre la voix
céleste, et contre les glorieux encouragements
qui vous sont donnés par ce Jésus à qui les pro-
phètes ont rendu témoignage, et à qui le Père a
remis maintenant toutes choses. — « Je te con-
« seille d'acheter de moi de l'or éprouvé par le
« feu , afin que tu deviennes riche , et des vête-
« ments blancs, afin que tu sois vêtu, et que la
« honte de ta nudité ne paraisse point, et d'oîn-
« dre tes yeux de collyre afin que tu voies. Je re-
« prends et je châtie tous ceux que j'aime ; aie du
« zèle et te repents. Voici, je me tiens à la porte
« et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et
« m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, jesouperaî
« avec lui et lui avec moi. Celui qui vaincra , je
« le ferai asseoir avec moi sur mon trône, ainsi
« que j'ai vaincu , et me suis assis avec mon
« père sur son trône. Que celui qui a des oreilles
« écoute ce que l'Esprit dit aux églises '*. »
(33) I. Cor., XIII, 8. — (u) Apoc, lïl, 18-22.
CONCLUSION.
Tout ce qu'on vient de dire est une esquisse ,
bien incomplète à la vérité, mais qui pourtant
résume les prophéties les plus marquantes et les
faits qui en démontrent Taccomplissement : il
serait donc inutile d'y revenir encore. Nous avons
passé sur un grand nombre de prophéties, un peu
obscures peut-être , quoiqu'elles puissent four-
nir des preuves assez éclatantes en faveur de la
religion. Nous avons suivi cette marche pour
éviter l'accusation d^'ambîguité qu'on porte con-
tre toutes les prophéties indistinctement. Mais y
après avoir démontré par une foule d'exemples
que les plus claires des prophéties se sont accom-
plies à la lettre , nous n'hésitons plus à les sou-
mettre au jugement des ennemis du christianisme
ou de ceux dont la foi est mal assurée. Sans exi-
ger d'eux aucune concession , nous leur deman-
derons s^il leur serait facile de détruire par des
preuves contraires les preuves positives de la vé-
rité de la religion de Jésus, que nous avons pui-
sées dans l'étude des prophéties. — Si cette in-
crédulité qui révoque en doute toute « révéla-
tion » les a portés à renier les promesses et les
menaces contenues dans l'Écriture-Sainte , ne
peuvent-ils pas du moins découvrir ici des témoi-
gnages surnaturels de vérités également surna-
turelles? La vue ne suffit-elle pas ici pour con-
3G8 co?fCLUsioiv.
duii e à la « foi » ? Ne seront-ils pas forces d'à-
TOiier que l'espoir du chrétien repose sur des
bases raisonnables? et ne devront-ils pas au
moins se livrer à un examen attentif et impartial^
non-seulement des prophéties, mais de toutes les
preuves en faveur du christianisme ?
On serait mal fondé à dire que les prophéties
dont nous nous sommes occupés ne sont pas des
plus claires ; à prétendre qu'elles tiennent de la
nature des oracles qui sortaient du nuage dont
était ton jours surmonté le temple d'Apollon, ou
bien qu'elles ressemblent à ces prétendues inspi-
rations qui émanaient du caveau d'Héra. On ne
saurait nier que ces prophéties n'aient précédé
de centaines et de milliers d'années les événe-
ments qui en sont les corollaires et l'accomplis-
sement : on ne saurait nier non plus le silence
absolu de tous les autres oracles de l'antiquité.
Les faits historiques et géographiques, objets des
prophéties, ont en général un caractère si ex-
traordinaire, que le langage des prophètes, alors
même qu'il décrit les choses à la lettre, paraît exa-
géré, hyperbolique. On a surtout reproché auxpro-
phéties d'Esaïe d'être « remplies de métaphores
extravagantes * 5 » mais, plus la métaphore pa-
(1) A part rimpiélé dont elles abondent, les remarques que
Paine tait au sujet des prophéties sont vraiment divertissantes pour
toute personne qui a étudié le sujet. l\ dit du livre d'Etaïe que
c'est « une suite de déclamations ampoulées, pleines de métaphores
extravagantes, sans application et vides de sens, » Les prédictions
au sujet de Babylone, de Moab, etc., il les compare « au conte du
Chevalier de la montagne de feu, à Cendrillon » et autres contes de
cette esp(ce. Esaïe, en un mot, était un praphijte menteur et un
imposteur, g Que dirons-nous, ajoute-t-il, de ces prophètes, si ce
n'est qu'ils sont tous des menteurs et des imposteurs ? » Ce langage
n'est pas seulement absurde à force de violence, il a pour utilité
de montrer que si d'un cCté l'histoire, les faits, la raison, le témoi-
gnage involontaire des incrédules eux-mêmes, attestent la vérité des
prophéties, de l'autre, on ne peut les combattre que par des « dé-
clamations ampoulées, pleines de mélaphores c.\lvuvaû:uv.lep, ^^;âu^
1 1
CaNCLUsioN. 369
raît outrée, ou, en d'autres mots, plus le fait
annoncé semble extraordinaire, plus aussi la di-
vine origine des prophéties doit se faire sentir.
On nous saura gré d'intercaler ici en entier
l'exposé suivant de la question, que nous avons
extrait d'un compte rendu de la première édi-
tion de cet ouvrage.
« L'argument géographique, c'est-à-dire l'ac-
complissement de celles des prophéties qui dé-
crivent l'état à venir de certaines nations et l'as-
pect futur des pays qu'elles habitaient, nous a
toujours pai'u être la preuve la plus concluante
en faveur des prophéties chrétiennes en géné-
ral. Il n'y a dans le langage du prophète au-
cune obscurité . et il ne saurait v avoir deux
opinions quant à l'objet qu'il avait en vue. On ne
peut nier que le changement par lui prédit ne se
soit accompli ; on ne peut convaincre de faus-
seté les témoins qui déposent de la vérité des
faits. L'antique gloire de ces pays et de ces
royaumes nous est attestée par la plupart des
écrivains païens qui ignoraient la prédiction de
leur décadence ; l'état actuel de ces mêmes pays
se trouve décrit par des voyageurs modernes, ïa
plupart faisant profession d'incrédulité 5 et souvent
peu au fait des prophéties dont leurs écrits sont
la vérification. Il ne s'agit pas ici d'un événement
application et vicies de sens. » Or, comme îa vérité ne saurait être
(les deux côtés, qui est-ce qui ment ? Est-ce Esaïe le prophète, ou
Paine l'incrédule ? Et « que dirons-nous» de ce vigoureux défenseur
des droits, si ce n'est que le droit qu'il a au surnom d'incrédule ne
lui est pas disputé, et que ses paroles seules, quand on n^en pourrait
citer d'autres, suffiront, dans tous les siècles éclairés, pour entacher
sa mémoire des injures odieuses qu'il a si injustement déversées
sur les autres? Vouloir argumenter avec un tel homme, ce serait
perdre son temps; mais, s'il y a de la prodigalité et de la folie
à jeter des perles aux pourceaux, du moins on peut refouler daRS
leur auge l'ordure qu'ils en ont fait déborder, afin de leur rendre
k eux et à qui leur ressemble ce qui leur appartient.
370 CONCLCSION.
isolé qui a passé san^ laisser de traces après lui ,
il ne s'agit pas de rechercher dans la vaste page
de l'histoire un caractère individuel, avec lequel
d'autres ont tant de points de ressemblance que
l'on ne sait à quoi s'en tenir. Le prophète a
nommé les lieux et les hommes, et l'état actuel
des uns et des autres s'offre aujourd'hui même à
notre observation. L'accomplissement des pro-
phéties se trouve ainsi en quelque sorte gravé
sur un monument public qui se présente aux re-
gards de quiconque peut aller visiter les pays en
question; et les ruines qui servent d'inscription k
ce monument parlent une langue comprise de
tous les hommes. Les scènes prédites par les
prophéties sont une démonstration oculaire qui
nous autorise à faire usage du langage de l'évan-
géliste, et à dire avec orgueil au philosophe in»
crédule : « Viens et vois. » Les nombreux voya-
geurs qui ont depuis peu visité la Terre-Sainte
et les pays environnants , ont fourni des preuves
abondantes et authentiques à l'appui d'un argu-
ment si victorieux. La plupart de ces voya-
geurs n'ont manifesté dans leurs récits aucune
intention de soutenir la cause de la révélation,
tandis que les autres y étaient décidément hos-
tiles. Néanmoins, les uns, sous l'influence de leurs
préjugés, et les autres, dans leur impartialité,
ont constaté les faits les plus confirmatifs de la
vérité des prophéties. Ajoutons que leurs descrip-
tions, qui souvent rappellent le langage inspiré,
portent, quoique évidemment sans intention, sur
les points de la scène qui constituent précisé-
ment le tableau tracé dans les visions du pro-
phète. »
Assurément, le chrétien pourrait bien ici s'en
tenir à la certitude qu'il a « de la fol, jadis trans-
mise aux Saints , » et abandonner l'incrédule à
CONCLUSION. 37 i
ses désolantes théories; mais, en réfutant les rai-
sonnements desincrédules d'une espèce^par les re-
cherches qu'ont faites des incrédules d'une espèce
différente 5 nous parviendrons à donner « aux éyi-
dences des prophéties » toute la force qui leur ap-
partient ; or les uns et les autres nous fournissent
conjointement les faits les plus clairs et les argu-
ments les plus forts ; ils ont mis à notre disposition
des moyens qu'il suffit d'employer, pour terminer
promptement la controverse qui subsiste entre
eux et nous.
La métaphysique de Hume ' , et les démonstra-
tions mathématiques de La Place , qui ont pour
(1) n n'est pas Lors de propos de parler ici de rofficîeuse et cour-
toise exhortation que fait aux écrivains clirétiens ce grand maître
de la philosophie idéale. Avec autant de sagesse que de modestie,
( t pour mettre leurs arguments au niveau des siens, il leur conseille
de rejeter toute espèce de raisonnement, cela étant ce qu'ils ont de
mieux à faire dans Tinlérêt de leur cause. Après avoir cité un pas-
sage de lord Bacon^ qu'il détourne de son sens véritable, il ajoute :
« Cette manière de raisonner (i! s'agit de monstres, de magie»
d'alchimie, etc. ) peut servir à confondre ces dangereux amis, ou
plutôt ces ennemis déguisés de la religion chrétienne, qui se sont
donné la lâche de la défendre par les principes de la raison hu-
maine. » ( Disons, en passant, que lord Bacon et sir Isaac Newton
sont du nombre de ces hommes-là.) Hume ajoute : « Notre très sainte
religion est fondée sur la foi et non pas sur la raison, et c'est un
moyen certain de l'exposer au ridicule que de la soumettre à un
examen qu'elle ne saurait nullement soutenir, b (EssaldeHume, §10,
vol. II, p. 136-137, édit. Edimb., 1800.) Si l'on ne peut rétorquer
cet argument contre la doctrine de l'incrédule, dont on rayerait le
mot « sainte », ou s'il est vrai que M. Hume connaissait mieux les
principes de la religion chrétienne que celui qui en est l'auteur, et
qui en appelait à la raison des hommes, leur reprochant de ne sa-
voir pas juger par eux-mêmes de ce qui était bon ; si , disons-npus,
M. Hume connaissait mieux cette religion que Paul, qui enjoint aux
chrétiens d'essayer toutes choses et de s'en tenir à ce qui est bon,
qui les exhortait à se mettre en état de donner « raison « de l'espé^
rance qui était en eux; s'il en était ainsi, alors l'auteur du présent
livre, n'ayant que la dure alternative d'être ou un dangereux ami
ou un ennemi déguisé de la religion chrétienne, ferait, quoique avec
laplus grande répugnance, choix du premier titre, et déplorerait le
mal qu'il a causé à là religion, ayant eu recours, comme on sait ,
« à une méthode qui ne peut manquer de l'exposer au ridicule j>.
372 CONCLUSIO?(,
but d'attaqiior la crédilnlité des miracles, repo-
sent sur la théorie des probabilités. Après avoir.
j)osé en fait (jue cette théorie peut loj^icpienient
et légiljnienient s'appliquer aux ténu)ii>nages et
aux preuves surnaturelles d'une révélation di-
vine, on conclut que les miracles sont des faits
qui contredisent toute expérience, et que leur
improbabilité est telle qu'elle ôte toute valeur
aux témoignages, quels qu'ils soient, que les
siècles nous ont transmis à leur appui. Et , a tout
prendre, nous pouvons conclure, dit Hume, qu'il
n'est pas de personne raisonnable qui, de nos
jours, puisse, à moins d'un miracle, croire à la re-
ligion chrétienne.
Hume ignorait-il, ou comptait-il pour rien la
preuve que l'on aurait pu lui fournir, qu'il s'o-
père même de nos jours des miracles, et des mi-
racles permanents qui doivent fonder la croyance à
la vérité de la religion chrétienne, chez quiconque
n'est pas asse:^ déraisonnable, assez prévenu
contre toute conviction pour refuser ele croire-
mème à une démonstration miraculeuse? On ne
saurait, du reste, administrer cette preuve d^lne
manière plus convenable qu'en se conformant au
calcul des probabilités, si fort en vogue parmi les
incrédules , calcul au moyen duquel ils se vantent
d'avoir trouvé le côté faible des témoignages pro-
duits en faveur de la vérité des anciens miracles.
Archimède ne demandait qu'un point d'appui
pour soulever le monde. Si la concession la plus
raisonnable n'était pas chose aussi impossible à
obtenir de la part de l'infidèle que la demande
d' Archimède , s'il consentait à admettre ou la vé-^
rite de ses propres principes, ou la force de la
preuve mathémathique; ou bien encore, si ses
préjugés n'étaient pas plus inébranlables qu'un
mondCj l'accomplissement actuel, palpable, d'une
CONCLUSION. 373
foule de prophélies suffirait, certes, pour exci-
ter son attention, et pour le convaincre de la vé-
rité.
La doctrine des chances ou calcul des pro-
babilités est devenue une science d'une utilité
pratique et réelle dans les affaires de la vie. Mais
il est impossible, autant que chose puisse l'ê-
tre, que l'homme, dont la vue est si bornée, ait
pu choisir, d'entre l'infinité d'événements proba-
bles que recelait l'avenir , un seul des faits dont
les prophéties abondent; et d'après le principe
même des probabilités, il y aurait une chance
incalculable contre le succès d'une telle prédic-
tion , même dans un cas isolé. L'accomplissement
de toute prédiction est un miracle. Mais l'avocat
du christianisme peut faire les concessions les
plus grandes, et si de son côté l'incrédule ne
considère pas sa cause comme perdue, il doit
au moins convenir qu'il y avait autant de proba-
bilités négatives que d'affirmatives en faveur de
Taccomplissement de chacune de ces prédictions ;
en d'autres mots, que les chances étaient égales
d'un côté comme de l'autre. Le chrétien ne se
refuse pas à combattre même sur ce terrain , qui
est celui de son adversaire; car, sans compter
tous les détails contenus dans le livre des prophé-
ties sur la vie, le caractère et la mort de Jésus-
Christ, sur la nature et l'étendue du christia-
nisme, etc., sur la destruction de Jérusalem, sur
le sort des Juifs dans tousles siècles et danstou^
les pays ; sans parler de l'état actuel de la Judée ^
d'Ammon , de Moab , d'Edom , de Philistie , de
Babylone, deTyr, d'Egypte, des Arabes, etc.,
sans parler de l'église de Rome et de l'histoire
prophétique qui embrasse un espace de deux
mille trois cents ans; ne peut-on pas clairement
démontrer que plus de cent faits différents se sont
'^"i CONCLUSION.
accomplis selon la prédiction qui s'y raltacliait?
Observons en passant que la moitié de ce nombre
serait plus que suffisante pour nous donner gain
de cause selon la théorie des probabilités, et que
pourtant nous avons cité des preuves incontesta-
bles à l'appui de plus du double de ce nombre de
faits. Or donc, d'après ces données, et selon le
calcul des probabilités, quelle est la chance, en
supposant que cette chance diminue de moitié par
chaque fait accompli, en faveur de l'accomplisse-
ment de tous les faits prédits par les prophètes,
ou, en d'autres mots , qu'est la centième puissance
de deux par rapport à l'unité *? On voit que le
calcul des probabilités ne sert pas ici l'incrédule,
puisque , même d'après cette théorie , on peut dé-
montrer mathématiquement que le nombre de
chances contre lui est plus grande que ne le se-
rait le nombre de gouttes d'eau de la mer, quand
bien même le monde entier ne formerait qu'un
vaste océan. Avant de s'en rapporter à une
chance pareille, il importerait au moins qu'on la
pesât. Mais qui voudrait risquer un atome contre
le gain le plus grand, au jeu oîi les incrédules ex-
posent aveuglément à un péril certain les inté-
rêts de l'éternité?
Mais chaque prédiction rapportée dans l'Ecri-
ture, en tant que miracle de science, est égale à
tout miracle de puissance quelconque , et n'a pu
émaner que de la Divinité. « Toutes les prophéties
sont de véritables miracles, et c'est comme mira-
cles seulement qu'elles peuvent servir de preuves
à la révélation ^ » On peut même les considérer,
(1) Essai philosophique sur les Probabilités, par M. le comte La-
place. — Emerson, sur les Chances, prop. 3. — L'édition des
Malhém. récr. d'Ozanam, par Button, vol. L — Voir les lettres de
Grégoire sur la religion chrétienne, p. 124.
(2) EssaisdeHume, vol. II,p. 137. Si Ton rapproche de la vérité
manifeste des prophéties ce que Hume dit ici , on verra combien il
CONCLUSION. 375
dans ce siècle de sciences et de lumières, comme
les témoins de Jésus; et Ton ne saurait sans injus-
tice les estimer comme inférieurs en importance
ou en autorité à aucun des autres miracles.
On conçoit que le fondateur d'une religion nou-
velle 5 que le messager d'une révélation divine ,
ainsi que ceux d'entre ses disciples qu'il avait
chargés de propager sa doctrine , aient, par des
miracles, donné des preuves claires et éclatantes
que leur mission leur venait d'en haut; mais on
ne saisirait pas si clairement le rapport entre un
miracle opéré dans la suite des siècles et une re-
ligion depuis long-temps établie. Or, même en
supposant que ce rapport fût facile à saisir, néan-
moins, comme tout acte isolé et passager d'un
pouvoir surnaturel est nécessairement circons-
crit par sa nature , et vu seulement par un petit
nombre de témoins, le témoignage de ceux-ci
n'aurait qu'une valeur secondaire et ne pourrait,
du moins chez une nation chrétienne , être cor-
roboré par des preuves aussi complètes que celles
qui furent scellées par le sang des martyrs. Et,
quand bien même la Providence consentirait à
manifester perpétuellement son pouvoir miracu-
leux ( c'est ce que demandent sans raison les
serait facile, au moyen de ses propres aveux, de renverser sa Uiéo-
rie contre la vérité des miracles. Les prophéties étant véritables et
Tuniformité étant également vraie, comme toutes les prophéties
sont de vrais miracles, les miracles ne sont pas contraires à Texpé-
rience'universelle. « Tant d'analogies les rendent si probables » flbid.,
p. 134) que, Ton peut, avec des témoignages suffisants, les prouver,
même d'après les principes de Hume, et cela d'autant plus facile-
ment que rinspiration de ces mêmes Écritures qui contiennent les
miracles dont on dispute, cette inspiration est vérifiée par d'autres
miracles dont l'authenticité est établie et reconnue. C'est ainsi que
l'on peut non-seulement braver, mais rétorquer les dogmes les plus
hardis du scepticisme. Il serait du reste « plus étonnant que le té-
moignage » scellé de sang et rendu croyable par des miracles éga-
lement grands , « fut faux, qu'il ne lé serait que les miracles fussent
vrdis ».
lioiiiMics qui(îherehent à présenter la ccssalion
(les miracles eoinnie l'excuse de leur incrédulité ),
si ce pouvoir se manifestait d'a^^e en a^^^e, au vu et
au su de cliaque individu, on Unirait i)ar n'y voir
qu'un obstacle à l'ordre de la nature; et eu inter-
rompant la régularité et l'uniformité de ses opé-
rations, les miracles cesseraient, k cause mém<3
de leur fréquente répétition , d'etre considérés
comme des événements surnaturels. 11 arriverait
que, toujours sousl'influence du scepticisme, ceux-
là même qui demandent un signe seraient les
premiers à n'y pas ajouter foi. Car la nature et la
raison s'accordent à proclamer que ceux qui
n'ont pas foi à Moïse et aux prophètes ne se lais-
seraient pas persuader quand bien même un mort
ressusciterait.
Les prophéties ont un rapport direct à la reli-
gion, et ce rapport est aussi facile à comprendre
qu'à établir. Le sens en est naturel et évident :
tous les hommes peuvent le lire et l'interpréter.
« Ainsi dit le Seigneur : » voilà leur exorde ; et
le fait même de leur existence est la preuve de
leur réalité. Loin que leur grand nombre les
entache de faiblesse, plus au con traire elles se mul-
tiplient^ plus elles nous révèlent de faits inconnus,
et plus elles nous mettent sur la voix d'événements
non encore accomplis , plus leur authenticité res-
sort de toutes ces circonstances qui nous font
voir en elles les témoins permanents et actuels de
la parole de Dieu. De plus, les témoignages que
chaque époque dépose en faveur des prophéties
sont au-dessus de tonte chicane; ces témoignages
ne sont pas de la nature de ceux « qui nous arri-
«^ vent imparfaits à travers une longue série de
« siècles; » ils nous sont transmis non par des-
miracles, mais par des faits , dans l'ordre ordi-
naire de la nature ^ par des faits géographiques ou
CONCLUSION* 377
historiques attestés par des preuves concluantes^
et la plupart de ces faits subsistent encore et se
prêtent à Tëpreuve de Texamen. Nous n'en cite-
rons que deux : comme ils sont évidents pour
tous, ils peuvent se passer de tout témoignage en
leur faveur : L'un est l'histoire des Juifs expa-
triés, et l'autre la conservation jusqu'à nos jours
de la parole de Dieu, conservation que l'on doit
aux ennemis même du christianisme. Après avoir
admis qu'il serait impossible d'offrir à ce sujet
des preuves plus fortes, plus concluantes, plus
clairement miraculeuses , les disciples de Hume
n'ont besoin, pour passer de la foi « académique »
a la foi chrétienne, qu'à bien appliejuer les pa-
roles de leur maître qui a dit : « Tout homme
sage proportionne sa croyance à la preuve * . »
Peut-être alors trouveront-ils ce que Hume s'é-
tait vainement flatté d'avoir découvert, une éter-
nelle sauve-garde contre l'erreur^ .
Bolingbroke se vantait, en résumant ses tra-
vaux « philosophiques » , d'avoir poussé ses in-
vestigations aussi avant que le permettent les
véritables règles de toute humaine recherche,
c'est-à-dire de ne s'être arrêté que là ou s'arrê-
taient les phénomènes qui lui servaient de guides.
La philosophie chrétienne n'en demande pas
davantage: elle ouvre le livre de l'enquête et
nous présente, dans l'accomplissement des pro-
phéties, des phénomènes plus surprenants que la
nature extérieure n'en a jamais offerts. Pourvu
clone qu'on n'ait d'autre but que d'arriver à la
vérité, et qu'on pousse ses recherches aussi loin
que possible, la candeur et laraison, éclairées par
la lumière de preuves positives et miraculeuses^
(1) Essai sur les Miracles, de Hume, voU II, \\ 117*
(2) Ibîd.,p, 110,
37(i CONCLUSION.
ne pourront manquer d'amener tout homme im-
partial à reconnaître et à avouer l'inspiration de
TEcriture.
L'argument que Volney a basé sur les « ruines
« des Empires » s'évanouit en présence des faits
qu'il a lui-même établis. Ces faits^ loin de militer
contre la religion, établissent directement la
vérité des prophéties, de sorte que l'édifice fragile
qu'il a élevé s'est brisé entre ses propres mains.
Mais le ridicule seul a souvent usurpé la place
de la raison : on en a fait la pierre de touche de
la vérité, et c'est aux prophéties surtout qu'on a
voulu rappliquer. Or, ne pourrait-on pas trouver
une preuve de leur inspiration jusque dans cette
dernière retraite de l'incrédulité ? Les ruines du
monde moral sont aussi visibles aux yeux de Dieu
que les ruines du monde physique, que celles des
royaumes et des empires; sa parole peut pré^
dire les unes comme les autres. Si donc les con-
tempteurs de la religion ne savent découvrir de
preuves de sa réalité, ni dans les faits historiques
ni dans les objets extérieurs, qu'ils reportentleurs
regards au-dedans d'eux-mêmes, et ils y trouve-
ront gravée en caractères fort lisibles la confir-
mation intime de la vérité des prophéties. Et
pendant qu'ils substituent la raillerie auraisonne-
mentet se font forts d'anéantir la religion par leurs
sarcasmes, aux yeux des autres hommes ils sont
des preuves vivantes de sa vérité. « Aux derniers
« jours, il viendra des moqueurs qui se conduiront
« par leurs propres convoitises, et qui diront : Oîi
« est la promesse de son avènement? car depuis
^ que nos pères sont morts, toutes choses sont de-
« meurées dans le même état où elles étaient au
« moment de la création; car ils ignorent volontai-
c( rement ceci : c'est que les cieux furent autrefois
« créés par la parole de Dieu, aussi bien que la
CONCLtSION. 379
« terre qui fut tirée de Teau, et qui subsistait par-
« mi l'eau, et que ce fut par ces choses mêmes que
« le monde d'alors périt étant submergé par les
« eaux. » — « Il y aura au dernier temps des mo*
« queurs * . »
(1) IL Pet., m, 3-6. Jude, 18* . . ^
La religion chrétienne a eu, ainsi qu'il avait élê prédit, à cdttîp*
ter parmi ses ennemis de faux docteurs qui, comme le dit l'E-
criture, c parlent en mal des choses qu'ils ne comprennent pas, qui
méprisent les puissances, qui sont audacieux et attachés à leurs
cens, tenant des discours entlés et pleins de vanité pour amorcer les
autres, et leur promettant la liberté, quoiqu'ils soient eux-mêmes
les esclaves de la corruption » (IL Pierre, II, v» 1, 10, 12, 18, 19)*
Les blasphèmes, les obscénités, les injures, voilà avec quelles armes
ils se plaisent à combattre; ils s'eflorcent de ravaler la religion au
niveau de leur imagination grossière et rampante ; et, parlant de
clioses qu'ils ignorent, ils tiennent des discours fort enflés et pleins
de vanité, comme s'il leur suffisait d'un coup d^œil pour mesurer
les profondeurs des vérités religieuses. Mais leurs raisonnements
sont aussi faibles que leurs principes sont vils» En général , ce que
l'on a de mieux à faire pour combattre la fausseté de leurs prémis^
ses, c'est d'y opposer des démentis aussi absolus que leurs asser-
tions sont positives. Par exemple, dans la liste d'aphorismes que^ la
société des incrédules de Londres vient de mettre en vente, il s'en
trouve un ainsi conçu : « Toutes les autres religions sont fausses ,
donc la religion chrétienne est fausse aussi » ; il suffit ici d'admettre
la prémisse et de dire, attendu que cela sera plus logique : « Toutes les
autres religions sont fausses, donc la religion chrétienne est vraie » .
Cependant, tout en se lamentant sur le sort à venir de ces tristes
philosophes, on pe peut s'emptcher de sourire de pitié aux vaines
attaques, aux coups d'épingles dont ils harcèlent la religion chré-
tienne. Ne dirait-ôn pas (car moins notre comparaison a de dignité
et plus elle convient à ceux à qui elle s'applique), ne dirait-on pas
d'une multitude de petits poissons mordant quelques herbes jetées
par des mains d'homme sur un rocher, et réunissant toutes leurs
petites forces pour l'ébranler.
Mais il y a une autre classe d'incrédules h qui les paroles du texte
ne s'appliquent pas aussi évidemment. Ces hommes savent, quand
ils le veulent, réfuter les arguments les plus subtils du scepticisme,
et ne se font pas faute de condamner les moqueries profanes des
railleurs les plus déhontés. Ce sont eux qui, de nos jours, ont
trouvé un nouvel argument en faveur de l'incrédulité, et qui tend à
nier la crédibilité des miracles, sous prétexte qu'ils détruiraient l'in-
violabilité des lois de la nature. Cet argument ne saurait être exprimé
avec plus de force que l'Apôtre lui-même ne l'a fait, lorsqu'il a pré-
dit ce résultat de la science moderne. Si l'on se fût abstenu de le
produire, la partie des preuves du christianisme qui consiste dîtns
380 CONCLUSION.
Que si les incrédules prétendent jiislcmont art
titre de sages, et font un légitime usage de la rai-
son, alors, plutôt que de placer leur sécurité
dans des spéculations abstraites, et de se jouer
ainsi des immortelles espérances de leurs sem-
raccomnlîssementde cette prophétie nous ferait maintenant défaut,
et nous en serions à attendre que l'incrédulité eût fait valoir celte
dernière ressource, afin d'en tirer une nouvelle preuve de la vérité*
Mais Tapolre ne se contente pas de prédire ce que diront les mo-
queurs aux derniers jours, il fait plus, il les réfute, non par l'auto-
rité de TEcriture qu'ils no reconnaissent pas, mais à l'aide de
principes philosophiques et de faits qu'ils ignorent « volontaire-
ment » , c'est-à-dire au moyen de la création du monde et du déluge,
d'où il résulte que toutes choses ne sont pas demeurées dans le
même état où elles étaient au commencement de la création. Hume^
Bentham et Laplace doivenr céder le pas dans l'académie, aussi
bien que dans le temple, aux humbles pêcheurs de Galilée. Il suflit
de bien appliquer les raisonnements de ces philosojîhes pour en
tirer des conclusions qui militent autant en faveur des miracles et
de la divinité de la doctrine que les faits attestés par Gibbon et
Volney démontrent que les prophéties de l'Ecriture émanent de
l'inspiration de Dieu. Mais si nous nous abstenons ici de tirer tout
le parti que nous pourrions decettemanièred'envisager la question,
rcla prouve que les preuves à Tappui des prophéties ne manquent
pas, puisque nous nous contentons d'en parler ici pour note. Déduire
du principal argument de l'incrédulité une preuve nouvelle et fonda-
mentale de la vérité, c'est ce qui demanderait plus de temps, bien
que cela puisse se faire à l'aide d'un texte et d'un fuit. L'auteur
du présent Essai se propose de traiter ce sujet dans un livre ajant
pour titre : a Aperçu général et relatif des preuves du christia-
nisme )), En attendant, il a cru devoir appeler l'atlentio!! des per-
sonnes pieuses sur une marche qu'il croit bonne à suivre pour
répondre aux raisons des déistes. Cette marche, du reste, n'est pas
d'invention humaine, elle est suggérée par la parole infaillible du
Dieu vivant; elle est indiquée dans les Ecritures qui sont remplies
de tré ors en faveur de ceux qui les consultent, et qui contiennent
les paroles de la vie éternelle.
Il est satisfaisant d*ohserver comment, en toutes choses, les pro-
grès de la science tendent finalement à servir la cause de la vérité.
La philosophie commence à reconnaître sa grande méprise et à
faire amende honorable à la religion. Depuis îa publication de
la sixième édition de cet ouvrage, nous avons pu corroborer la
note qui précède à l'aide de faits aussi importants par les éclair-
cissements qu'ils contiennent à l'appui de la vérité du christian-
CONCLUSION. 381
blables; au lieu de considérer le ridicule comme
la pierre de touche de la vérité religieuse, et de
donner le nom de liberté à la licence du blas-
phème; ne leur importe-t-il pas d'examiner les
preuves positives et miraculeuses de la révé-
lation , afin d'en découvrir la fausseté ou d'eu
avouer la puissance, et d'abandonner enfin leurs
faibles retranchements en voyant que l'étendard
(n° CIV, p. 396), le rédacteur s'exprime ainsi qu'il suit à ce
sujet ; Cela nous semble fatal à une théorie que nous avons
récemment jugée comme contraire à Tuniformité des causes et des
effets, ce qui veut dire, en d'autres mots, que c'est une démons-
tration d'où il résulte que toutes choses ne sont pas restées dans
le même état où elles étaient au commencement de la création.
On a, ajoute le rédacteur^ reconnu que certaines couches de terre
sont contemporaines de la première apparition de l'homme sur la
terre. Nous n'avons rien de mieux à faire qu'à ouvrir l'excellent
ouvrage du docteur Pritchard, intitulé: «Recherches au sujet de
l'histoire physique du genre humain. » Voici le commentaire qu'il
fait au sujet du fait qui nous occupe et les conclusions qu'il en
tire : « Onsait que toutes les couches dont se composent nos conti-
nents ont servi, à des époques plus ou moins éloignées, de lit à
l'océan. Il n'y a pas de terre qui n'ait été formée sous la surface
de la mer ou qui ne se soit élevée du fond des eaux. Le genre hu-
main a eu un commencement, puisque nous pouvons nous reporter
en esprit à la naissance de la terre sur laquelle il se meut. Si main-
tenant nous nous représentons en imagination l'époque où rien
n'existait en ce monde qu'à l'état d'élément informe, si nous re-
connaissons que l'époque suivante vit la première créature hu-
maine commencer à respirer et à se mouvoir dans un certain point
de la terre, nous aurons par cela même admis le miracle le plus
extraordinaire peutrêtre que contienne le volume entier de la sainte
Ecriture », etc. C'est ainsi que dans un esprit meilleur et plus
philosophique, en s'appuyant sur un fait garanti parlac(nfor-
mation de la terre, des hommes, sans avoir la prédiction en vue,
ont enfin découvert l'argument même dont l'apôtre se sert pour
réfuter les raisonnements sceptiques des moqueurs aux derniers
jours, c Les cieux furent autrefois créés, aussi bien que la terre
qui fut tirée de l'eau et qui subsistait parmi l'eau ». Au commen-
cement, la terre était sans forme et vide, et c'est postérieurement
à la création que l'homme a été créé. On ne peut donc arguer
contre la vérité des prophéties chrétiennes d'une expérience inalté-
rable, car nous avons l'expérience de la vérité « du miracle le plus
extraordinaire peut-être que contienne le ^ olume entier des saintes
Ecritures ». Les arguments des moqueurs et leur réfutation mani-
feste confirment également la vérité de la prophétie.
383 CONCLUSION.
de la foi chrétienne flottera bientôt en dépit de
tons leurs efforts sur les plus orj^ueilleux rem-
parts de l'incrédulité? Qu'ils produisent leurs té-
moins, selon l'expression du prophète, afin qu'ils
puissent se justifier, ou qu'ils apprennent que
c'est ici la vérité et qu'ils la proclament.
Mais, pour terminer, on peut raisonnablement
se demander s'il n'y a pas je ne sais quoi qui ré-
pugne aux principes du christianisme, dans l'es-
prit de l'homme qui ne veut pas entendre parler
de Moïse et des prophètes, et don tie cœur est lent
h croire à tout ce qu'ils ont dit, bien que la vérité
de leurs prédictions ressorte des moyens mêmes
que l'on avait d'en découvrir la fausseté ; bien
que ces prédictions fussent autant d'appels à des
événements sans nombre, que des siècles éloignés
devaient produire au grand jour ; bien que l'hisr-
toire ait répondu à ces appels et que la démons-?
tration oculaire les ait confirmés, comme nos en-
nemis mêmes en sont garants; bien qu'enfin il n'ait
jamais existé d'autre vérité 5 quelle qu'elle fût,
qui pût subir une semblable épreuve ? L^homme
dont nous avons parlé ne se laisserait-il pas con^
vaincre d'une doctrine moins morale, ou tant
soit peu éloignée de la sainteté qui est en Dieu ,
par des preuves moins miraculeuses? Ne serions-
nous pas fondés à croire que ces preuves, quoi-
que suffisantes pour percer les nuages de l'in-
telligence, sont inefficaces à soulever le voile du
cœur? Le scepticisme ne saurait être, en aucun
cas , un sujet de vanterie. Quoi de plus facile
que de fermer l'œil à la lumière du jour? Il est
facile aussi de résister, par l'endurcissement du
cœur, aux vérités les plus clair es. Et, quand on con-
sidère d'un autre côté qu'il y a des esprits ( New^-
ton en est un exemple ) sur lesquels les preuves
des prophéties produisent un effet tout différent
CONCLUSION, 383
el qui ne peuvent résister aux rayons concentrés
de cette lumière céleste , on se demande d'oîi
peut venir une divergence d'opinion si grande
sur un sujet identique. Peut-on s'expliquer autre-
ment l'absence de conviction que par la solution
que les Ecritures contiennent de cette difficulté,
par un cœur mauvais et incrédule? « Ils n'ont
« pas voulu venir à la lumière parceque la lu-*
« mière les aurait rendus à la liberté. »
Pendant que l'mcrédule rejette tout moyen de
conviction , et qu'il fonde son espoir sur la possi-
bilité non démontrée de la vérité de ses dogmes ,
ce sont des preuves positives du christianisme qui
témoignent à l'homme impartial , au croyant rai-
sonnable et sincère, qull est impossible que sa foi
soit fausse. Il consulte le livre du Seigneur, et, en
voyant que nulle des prophéties ne manque a
s'accomplir, il les considère toutes , même alors
qu'elles ne sont réalisées que par l'effet de la
colère des hommes, comme des témoins de Dieu ;
il sait en qui il croit ; il voit s'élever et tomber
les potentats de ce monde, et la ruine de leurs
empires lui atteste la présence de Dieu , et con*^
firme la parole de Celui qui gouverne les nations
delà terre. Il demeure convaincu que la plus pré-
cieuse de toutes les vérités, que cet espoir qui ne
périt pas, est corroboré par les plus puissants té-
moignages , et que le ciel lui-même a ratifié la
paix qu'il a proclamée. Il est fermement assuré,
i( que la prophétie n'a point été apportée autrefois
« par la volonté humaine ; mais que les saints
« hommes de Dieu , étant poussés par le Saint-
« Esprit ,» ont parlé * ; et, bien qu'il ignore par
quelles opérations procède le Saint-Esprit, il voit
avec ses yeux la démonstration de sa puissance,
(1) II Pierre, 1,21,
S8i rONCLLSION.
Le \rai croyant puise ainsi dans les ëvëne-
nienls passés la certitude des choses qui sont à
>enir. 11 ne se contente pas de savoir que la >ie
est en Jésus-Christ ; mais ayant obtenu cette foi
précieuse qui contient le germe de l'immortalité,
et qui est comme le gage de la yie éternelle ,
il éprouve déjà en son cœur le pouvoir du monde
à venir et joint la pratique de la religion à la théo-
rie de ses dogmes. Non moins zélé que ceux qui
consument leur force à ce qui est vain et péris-
sable^ et dont le travail est sansfruit^il dirige ses
efforts vers l'acquisition d'un héritage incorrup-
tible, car il sait que son travail ne lui sera pas
inutile, s'il s'y consacre en toute obéissance à
cette parole qui est la charte de son salut , et
qui porte en caractères si éclatants le sceau et le
seing du Roi des Rois.
FIN,
^>L^ — I .■-.-■■<-. ■■> ^- - — ,— i-" ' f
ÎAiPKJMBRIE D^A. RENE
A Sèvres^ près l*ari».