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LATINE -FRANÇAISE
PUBLIÉE
PAR
G. L. F. PANGROUGREU
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PARIS.— 1IIIPR1M£R1E DE C. L. F. PANCKODGKE,
Aue des Poilerj^, n. i4*
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SILIUS ITALICUS.
LES PUNIQUES
TRADUCTIOM NOUVELLE
PAR M. E.-F. CORPET
ET
M. N.-A. DUBOIS
rftOriSSBDK JBV l'aCADBMIK DJB PAfttS.
TOME PREÏIMER.
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}À'v\-V''ï;
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PARIS
C. L. F. PANCKOUCKE
MEMBRE DB L*ORDKB ROYAL DE LA LioiOXI D^BOHirBUfl
ÉDITEUR, RUE DES POITEVINS, N^ l4.
M DCCC XXXVl.
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NOTICE
SUR SILIUS ITALICUS
ET SUR SON POEME.
i^E moins lu, le moins étudié, le moins connu des poètes de
la décadence, est assurément Silius Italiens. Souvent, depuis
dix-huit siècles, les commentateurs, les philologues, les cri-
tiques, se sont occupés de lui, et toujours ils ont perdu leur
peine : on les a laissé faire sans les lirje., D'uq ^utre côté, à
de rares intervalles touteroîs^;^es''4<^J4di(s, hoptttiek -^'autorité ,
fwurris aux lettres, comme €irt]]ipntaigney.s^.sont prononcés
en sa faveur ; leur voix savanlô* et I^rè^,^ '«plaidé sa cause,
mais si bas qu'elle n'a point eu .<5'éplio,^fet *rtîà,pu sauver Si-
lius de l'abandon et de l'oubli, l \ • * - " - ' '* *
Cependant, il ne méritait pas, peut-être» cet injuste mé-
pris : comme poète, malgré ses défauts, il n'est pas inférieur
à plusieurs de ses contemporains; comme Citoyen, s'il n'est
pas sans reproches, il est à coup sûr un des meilleurs et des
plus honorables du mauvais siècle où il a vécu.
Quelques épigrammes de Martial, une lettre de Pline le
Jeune , une ligne de Tacite, sont les seuls documens certains
que l'antiquité nous ait laissés sur Silius : ils suffisent pour
nous montrer en lui un assez beau caractère ; et s'il est vrai
qu'il faille se méfier des éloges intéressés de Martial , qui fut
son ami , on peut du moins adopter sans réserve le témoignage
plus imposant, le jugement plus sain et plus mesuré de Pline
le Jeune.
I. ' ' 1
ij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
On ne sait rien de la naissance ni de la famille de Silius
Italiens. On a essayé, à Taide de ses noms , de lui faire des
ancêtres et une patrie. On a supposé avec quelque raison
qu'il était d'une race antique, humble et plébéienne d'abord ,
mais anoblie depuis par les honneurs et les dignités. Le nom
de Silius paraît pour la première fois dans Tnistoire Tan 346
de Rome, avec un certain éclat et dans une occasion remar-
quable. Blessé contre les patriciens qui lui avaient fermé les
élections tribunitiennes, le peuple voulut prouver son dépit et
se venger aux élections de questeurs : sur quatre candidats, il
ne nomma qu'un seul patricien, et trois plébéiens, Q. Silius ^
P. Elius et P. Pupius , « qu'il préféra, dit Tite-Live , aux fils
des plus illustres familles ; et ce fut là , ajoute l'historien» une
importante victoire pour le peuple ; non que l'honneur de
cette questure fût d'un grand prix à ses yeux , mais c'était
pour les hommes nouveaux un chemin ouvert au consulat et
aux trioaiphes^'. » Il parait que ia famille des Silius fit de ra-
pides et briibos ^rôgrèâ dans*£^t^ route ; car on retrouve un
peu plus tard^.^Qti^ pjusîeul^* a*inres , un P. Silius, préteur
en 694, et propj;i^teurî[cBa*B}thynie et du Pont en 702 ''; un
P. Silius Nei^aVCDnQul«aA81 V, un autre en 818"^; un G. Si*-
lius, consul ên**TS6^-,.iiA*^^tic^, ami de Germanicus et lieu-
tenant de la Germanie supérieure, en 767^; son Qls, G. Si-
lius, consul désigné, en 8007. Ge dernier alla trop loin : le
peuple n'avait songé qu'aux triomphes et au consulat ; G. Si-
lius voulut aspirer à l'empire ; il fit plus : amant de Me^sa-
line, il osa l'épouser, Glaude vivant, et à la face de ses rivaux,
les porte-faix de Rome; il dépassait le but, il fut tué. Le peu-
i. TiTB-IitTs , Ut. it, ch. 64.
a. CiCKKON, Épît. Fam,, tu, 21; ix, 16; xiii, 47.
3. Puirs, Tiii, 40; SoLiir, ch. i5; Ta£its, Ann,, iv, 68.
4. Tacite, Ann,, xv, 48.
5. SviTOirx , Au g, y ch. 10 1.
6. Tacite, Ann,, i, 3i , 72 ; 11 , 6, 7, a5; m, 42 , 45; xy, 18, 19.
7. Tacite, Ann., xi, 5, 12, i3, 26, 27, 32, 35.
/
ET SUR SON POEME. iij
pie simple et naïf de Tan 546 ne se doutait guère , au mi-
lieu de ses luttes républicaines , que cette voie, qu'il frayait
si large et si belle à Fambition de ses partisans , les mène^
i*ait un jour aux Gémonies, en passant par le lit des impé-
ratrices.
Le Surnom d'ItaUcus, qui ne pouvait être qu'un vague in-
dice du lieu de naissance du poète, a donné m^tiè^ à (jes
suppositions sans nombre. On a écrit là-dessus vingt p^ges de
commentaires, où l'érudition s'est mise à Taise , sans produire
up résultat satisfaisant. Deux opinions , aussi peu fondées
Tune que l'autre, ont divisé 1^ biographes en deux camps.
Les uns font naître Silius à Italica, ville de l'Espagne Bétique
et patrie de Trajan. Plusieurs écrivains de cette ^oqpe, Lu-
cain , Ibrtial , les Sénèque , étaient venus d'Espagne : ce qui
donnait quelque vraisemblance à cette première supposition.
B|aâS on a fait observer que les habitaps d'Italica étaient par-
tout, et dans Etienne de Byzance', et (^ans ,ALulu-Gelle% et
dans une inscriptior\ nommés IlMicem o\i Iramonses, et non
pas Italid. Martial d'ailleurs"," qui était Espagnol « et qui se
vçuitait si volontiei-s d*av(Hr SUiûs :po^ ^$ti^ se fût bien au-
trement glorifié ae l'avoir p^ur pcf9gat<iote/«ei il n'a pas dit
an Qiot de bette origine comni^in^, blautt'esônt assigné poui' pa-
trie à Silius Gorfinium , capitale des Péligniehs , qui , d'après
Strabon"^, fut appelée Italica dans la guerre Sociale ; mais Yel-
léius Paterculos dit seulement qu'on eut le projet de donper
à Corfinium ce nom qu'elle ne porta jamais ^. Cés^Ty Cicéron,
Pline, Sénèque, Frontin, Lucain, citent souvenit Gorfipium
I. De Urbibus : "Eo-ti »«< 'It«x<»n 'tomc 'lCspi«c* t« s9?ijeèy, IrAXiicvrioc.
a. Nmts tut,, lÎT. xTi, di. i3.
3. Griiter , page 3S5 , n® x.
4. Liv. V, p. 167 : Ke^^îvioy , tnt ^Sv nfXi^>»y /uaTf o^ox/v , xoiriv
voZ iroxijuou , fxiToyofjLciffBt'ta'Ay ItaX/xiiv.
5. Liv. II, ch. 16 : » Capiit imperii sui 'Corfinium legeranr, qUod ap-
pellarent Italicum, »
l .
jv NOTICE SUR SILITJS ÏTALICUS
sans parler de son nutre nom d'Ilulica, et Sîlius lui-même,
qui fait mention de cette ville, liv. viu, v. 522 ,
Corfini populos magnumque Teate trahebat,
n'a pas songé à rappeler, au moins indirectement, qu'elle
était sa patrie, et qu'il lui devait son nom. Au surplus, dans
l'un et l'autre cas, il faut toujours en revenir au dérivé, à ce
fatal Italicensis ou Ilalicesius, opposé tout-à-l'heure aux par-
tisans de Yltaliea espagnole. « Il est donc à supposer, dit
SchœlP, que le nom d*Itaticus était porté par la famille dont
Silius était issu ; ce nom aura été donné à un de ses ancêtres ,
originaire de llfalie, et qui se sera. établi dans une des pro-
vinces de Tempire, pour y exercer une magistrature ou le
commerce. »
Caius ou PuBLius' Siuus Itàlicus naquit, à ce qu'on croît,
sous le règtie-de Xibève, l'ap.XXS de Rome (25 de J.-C.),
douze ou tfd^erans ayant^.GuTcaiU V(|uinz6 ans avant Martial et
Juvénal, trente-^cfÎTiJ an^'ayaiit-^tace : Sénèque avait environ
vingt ou vingt-deliK-aft9#^me était livrée alors aux rhéteurs
et aux profess^ài^.diéloSîiiépî^ et de déclamation. Le Forum
était l'entrée à* tôul* : le ^^tife -ftomain qui voulait parvenir
devait suivre ces écoles où l'on enseignait à grand bruit Tart
oratoire. Silius étudia l'éloquence : il écouta les leçons de ces
déclamateurs maniaques et furieux dont parle Pétrone^ ; mais
il est à croire qu'il en profita peu : il choisit pour réussir
dans l'art de la parole, alors si ridiculement avili et prostitué,
1. Hist. abrégée de la littéral . romaine, tome ii, page 297.
2. Ce prénom varie avec les éditeurs. Modius et Giandorp veulent Pu-
blius ; Gellarius , qui a fait sur Silius ime excellente notice *, préfère avec
Dausq le prénom Caius, parce que, dit-il, ce prénom a été plus souvent que
Tautre donné aux Silius. Depuis Cellariu;, Caius ^ prévalu.
3. Satyrieon, ch. i.
* A ta tête de son édition tle Si/ius , Lips. , 1695. C'est là que j'ui paisc* la plupart des ren-
seigneiueiis que je douue ici.
ET SUR SOJN POEME. v
un guide meilleur et plus sûr. Il prit Cicéron pour modèle» et
ne le quitta plus; et c'est, sans doute, à l'étude sévère et ap-
profondie qu'il fit de ses préceptes, à l'heureuse application
qu'il leur sut donner , qu'il dut plus tard ses longs et glo-
rieux succès au barreau. C'était déjà, au milieu de cette cor-
ruption des lettres, une preuve singulière de bon sens et de
jugement y que cet hommage rendu à Cicéron, que cette lutte
d'un jeune homme contre le mauvais goût qui dominait dans
Rome : mais on^ ne lui a tenu aucun compte de ces louables
efibils, non plus que du culte reconnaissant qu'il voua par la
suite au grand orateur, ainsi qu'à Virgile, qu'il choisit pouv
seul maître en poésie, quand Sénèque, Lucain, Stace et Ya-
lérius Flaccus s'abandonnaient, comme on l'a justement re-
marqués à l'imitation plus facile d'Ovide.
Mais ce n'était point assez de méditer Cicéron pour arriver
au crédit et à la fortune : le talent ne suffisait pas pour enri-«
chir l'avocat. Juvénal l'a dit :
> • • •
Die igiiur, quid caussidUis' cipilia profstent
Officia y et magno comités Jr^ Jv^cè libùUi?
Ipsi magna sortant, sed tune , 'qulim cre/fîtpr. audit,
Prœcipue; vel si tetigit làtuâ aô'lot iflo *%* ?
Qui venit ad dubium grandi cum codiçe nomen.
Tune immensa cavi spiraht mendaeia folles ,
Conspuiturque sinus. Feram deprendere messem
Si libet, hine centum patrimonia caussidicorum ,
Parte alia solum russati pone Laeernœ
Passons donc au Forum : voyons quelle fortune ,
A ceux que des plaideurs la cohue importune,
Rapportent du barreau les éloquens débats
Et ces sacs de papiers qu'ils traînent sur leurs pas.
Ils font grand bruit, surtout lorsqu'avec défiance
Un client inquiet assiste à l'audience ,
I. M. D. NxSAao, Études sur les poètes latins de la décadence, tome x ,
page %i.
vj IVOTICE SUR SILIUS ITALJCUS
Oa qu'un autre , plaidant sur un titre douteux ,
Armé d*on long journal ^ vient s'asseoir auprès d'eux.
Alors ^ de leurs poumons confiés comme une épooge ,
Ils expriment le fiel , ils soufflent le mensonge ,
Et l'écume à grands flots se répand sur leur sein.
Eh bien ! te plairait-il d'apprécier leur gain ?
Choisis cent avocats y des mieux famés de Rome ,
De leurs biens réunis d'un côté mets la somme,
De l'autre les biens seuls de Thuissier Mâchera :
Sur les cent orateurs l'huissier l'emportera.
Il fallait ^tte riche ou paraître riche avant d'être avocat; il
fallait, pour se mettre en vogue et attirer à soi toutes les caif-
ses y briller aux yeux , les éblouir du somptueux appareil
d'un faste de louage et d'emprunt , au risque d'épuiser son
patrimoine et de compromettre celui des autres à ces folles
dépenses. •
Hiijus enijn^stfit currus aheneus , alti
Quadréfâgèl ^'v^tib\^fi^f aê^â^ ipseferoci
Bellatore sejejii , curyatùm*^Kastûe minatur
Enùnus , et gt^ùia jiteq^amr^prœlia lusca.
Sic Pedo •cçntMfbéit f^Mçiiô déficit; exitus hic est
Tongillî y p^^iffàp £UJft Vhlrtocçrote lavan
Qui soiety et vexât lutulenta balnea turba,
Perque forum juvenes longo premit assere Mœsos,
Empturus pueros y argentum, murrhifia, villas:
Spondet enim Tyrio stlatarèa purpura filo.
Et tamen est illis hoc utile; purpura vendit
Caussidicunif vendunt amethystina ; convenit illis
Et strepitu etfacie majores vivere census.
Sedfinem impensœ non seruat prodiga Roma,
Fidimus eloquio ? Ciceroni nemo ducentos
Nunc dederit nummos , nisi fulserit annulus ingens.
.... Sous son portique un quadrige pompeux
Et sa statue équestre, et ce front belliqueux ,
Et ce dard qu'il dirige au loin d'un œil oblique
Attirent le respect et la faveur publique.
ET SUR SON POEME. vij
^e faste a ses dangers. Il endetta Paulus,
Il ruina Mathon, il perdra Tongillas,
Ce TongiUus nourri dans un luxe sans borne ,
Qui d'un rhinocéros aime à montrer la corne,
Quand d* esclaves crottés qui le suivent au bain
Arrive avec son huile un turbulent essaim.
Voyez-vous au Forum , sous sa masse grossière ,
Suer ses Mœsiens et ployer sa litière ?
On dirait qu'à pleins sacs puisant dans son trésor
Il va tout acheter, esclaves., coupes d'or,
Murrhins , maisons de ville et maisons de campagne.
Au luxe qu'il affecté, au train qui l'accompagne,
On n'exige de lui nulle autre sûreté;
La pourpre et l'améthjste ont leur utilité.
Oui, souvent ces dehors d'une fausse opulence
Au plus mince avocat tiennent lieu de science ;
Mais à Rome aujourd'hui, montrant un front d'airain ,
La prodigalité ne connaît plus de frein.
Peut-être, pour séduire un nombreux auditoire.
Croyons-nous qu'il suffît du talent oratoire?
Préjugé! Cicéron, sans un brillant anneau.
Lui-même au dernier rang languirait au barreau, etc. ^.
Cette nécessité, pour le jeune avocat» d'afâcher le luxe et
l'opulence, dut embaiTasser beaucoup Silius à sou début; et
c'est, je pense, à cette époque de sa vie (de 25 à 50 ans)
qu'il faut rappoiter un fait étrange et honteux révélé par
Pline avec une indulgente réserve, et qui trouve naturelle-
ment ici son explication. < Sa réputation avait reçu quelque
atteinte du temps de Néron ; il fut soupçonné de s'être
rendu volontairement délateur, » credebatur sponte accusasse''.
C'était un sûr moyen de fortune, en effet, que la délation, et
je ne serais pas surpris que Silius, parvenu à cet âge où il
pouvait s'être ruiné déjà, s'il était né riche, ce qu'on ignore,
ou au contraire, et s*il était né pauvre, être vivement pressé
1. JuvBiTAL, sat. TU, V. io5 et suîv. , traduction de M. Raoul.
2. Pliki le Jsuhb, liv. m, leU. 7, à Caninius,
viij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
par ie besoin , n'eût pris conseil que de son ardente ambi-
tion , et n'eût mis pour un temps sa conscience au service
du jeune empereur. Si pareille chose pouvait jamais se jus-
tifier , Silius trouverait son excuse dans les exemples qu'il
avait autour de lui. Sénèque, plus âgé de vingt ans, précep-
teur du prince, et qui , par conséquent, eût pu et dû lui tenir
tète , s'était fait le plus humble de ses courtisans.
Silius fut vite et largement payé de cette infâme industrie.
Il passa successivement par tous les emplois qui condui-
saient au consulat , et fut enfin en 821 (de J.-G. 68),
nommé consul par Néron , qui péril dans la même année. Si-
lius avait alors quarante- trois ans. Crinitus, Juste-Upse et
J. Livinéius pensent qu'il fut trois fois consul : en 821 (de
J.-C. 68) , avec M. Galérius Trachalus Turpilianus ; en 838 (de
J.-C. 85), avec T. Aurélius Fui vins, et en 847 (de J.-C. 94),
avec Sextilius ou Slatilius Latéranus. Ils appuient cette conjec-
ture sur ce passage du Panégyriqiie de Trajan, chap. 58 :
Erat in seiialu ter consul quum tu tertium consulatum recusabas,
« lorsque tu refusais un troisième consulat, nous avions dans
le sénat un consul qui l'était pour la troisième fois. » Livi-
néius admet sans hésiter que ce consul était Silius Italiens : il
renvoie aux Fastes ceux qui pourraient en douter. Mais les
Fastes, de l'aveu même de Juste-Lipse, sont ici obscui*s et
incertains. Si tel eût été d'ailleui's le sens de ce passage du
Panégyrique, Pline n'eût pas manqué, dans sa lettre à Cani-
nius, de rappeler clairement ces trois consulats, il dit seule-
ment que Silius eut deux fds , et qu'à sa mort il en laissa un
consulaire. Martial a chanté le consulat de ce fils aîné de son
ami, et cette épigramme, long-temps mal comprise et mal
interprétée, a bien pu donner lieu à l'assertion peu exacte de
Crinitus.
DE CONSULATtl SILII.
Àugusto pia thura victimasque
Pro nostro date Silio, Camœnœ.
ET SUR SON POEME. jx
Bis senos jubet en redire Jasces
Nota consule, nobilique virga
Vatis Castaliam domum sonare.
Rerum prima salus et una, Cœsar,
Gaudenti superest adhuc quod optet
Félix purpura , teriiusque consul.
Pompeio dederit licet sénat us y
Et Cœsar genero sacros honores.
Quorum pacificus ter ampliaçit
Janus nomina; Silius fréquentes'
Mavult sic numerare consulatiis '. ~
SUR LE CONSULAT DE SILIUS.
Mase , à César l'encens et la victime ,
De Silius hoimtiage légitime;
Car Silius a revu les faisceaax :
Son fils , consul , à ces honneurs nouveaux
Lui donne part, et la noble baguette
Va battre encor Thuis sacré du poète.
Unique appui de l'empire, 6 César;
Un seul désir lui reste : le vieillard.
Voyant la pourpre au second fils qu'il aime.
Heureux deux fois, peut l'être une troisième.
Si du sénat Pompée obtint jadis ,
Ce qu'à son gendre Auguste offrit depuis,
Trois consulats, pacifiques conquêtes
Qu'à ces seuls noms Janus enregistra.
Ce triple honneur, Silius l'obtiendra.
Mais Silius l'aime mieux sur trois têtes.
Gomme ou le voit , Martial parle ici de trois consulats ; mais
sur les trois y un seul, celui de Tannée 68 revient à Silius : le
deuxième, celui de Tépigramme, à son fils aîné sous Domi-
tien, en 847 (94 de J.-G.); quant au troisième, Silius espé-
rait , superest quod oplet, le voir décerner à son second fils ,
Sévérus Silius, qui malheureusement mourut de son vivant,
X. Maatial. , lib. VU! , epigr. 66.
X NOTICK SUR SJLIUS ITALICUS
et sans doute avant de l'avoir obtenu ; car Martial , qui cherche
à consoler son ami de cette perte » n'a pas fait la moindre allu-
sio9k aux fonctions consulaires de Sévénis.
IN ÔBÏTUM SEVERI SÏLÏI.
Festinata sut gemeret quumjata Severi
Silius, Ausonlo non semel ore potens ;
Cum grege Pierio rnœstus Phœboque querebar :
Ipie meum fleviy dixil Apollo^ Linon,
Respexitque suamy quœ stabat proxima fratri ^,
Calliopen^ et ait: Tu quoque vulnus hahes.
^spice Tarpehtm^ PeUlatinutnque Tonantem;
jéusa nefas Lachesis lœsit utrumque Jovem.
Numina quum videas duris obnoxia fatis y
Invidia possis exonerare Deos *^
SUR LA MOKT DE SÉVÉRUS SILIUS.
Silius, puissant génie
D'Ausonie)
D'un double laurier paré,
Pleurait de son fils Sévère,
Pauvre père,
Le destin prématuré.
Sa douleur devint la mienne :
De sa peine
Je me plaignis à Phébus.
Et Phébus : « En vain ta muse
Nous acouse;
Moi, j'ai pleuré mon Linus. »
Puis il détourna la vue,
L'âme émue,
Vers Calliope sa sœur,
Disant : a N'as-tu pas toi-même,
Sœur que j'aime.
Ta blessure dans le cœur ?
I. Ub. IX, epigr. 87.
ET SUR SON POEME. xj
« Vois lé dieu de In colline
Palatine ,
Le dieu Tari>éien : tous deux
Du sort ont subi Foutrage;
Dans sa rage,
Ln Parque a blessé les dieux.
« Et pourtant leur providence ,
En silence,
Endure un destin cruel.
Trêve donc à tes alarmes,
A tes larmes,
Et n'attaque plus le ciel! »
L'ambition 4 la g$ne, l'exemple peut^^tre» avaient égaré Si-
lius, qui n'avait pas, comme Lucain, un oncle à la cour :
le besoin de se faire remarquer de l'empereur et de mettre
à profit ses talens oratoires l'avait fait délateur. Mais il ne
tarda pas à rougir du rôle honteux qu'il avait accepté; il
brisa cette mauvaise arme qui ne pouvait plus que le blesser
sans le servir. Une fois connu et accueilli du maître, il vou-
lut désormais se suffire. S^ parole éloquente, admirée et re-
cherchée, retentissait avec éclat dans toutes les causes : il fut
pendant quinze ans l'avocat, l'orateur à la mode; sa fortune
gi*andit, et s'accrut en outre des faveurs de Gésar : esprit sage,
prudent, modéré, mais probe, Silius sut se maintenir entre
deux excès opposés, là flatterie et les complots.
11 était consul quand Néron mourut. Heureux et opulent ^
en quittant le consulat, il eût voulu renoncer auxafiEaires, et,
dans un loisir studieux et occupé, jouir en paix de ses ri-
chesses. Les règnes si courts et si agités de Galba et d'Othon
le tinrent en haleine , et , en montant sur le trône , Yitellius ,
qui l'avait connu et qui l'aimait , se l'attacha et le garda près
de lui. Pliâe dit ' qu'il se montra homme sage et honnête ; sa-
pienter se et comiter gesserat, dans ce poste incommode.. Avec
un prince comme Vi tell ius, qui voulait copier Néron, il n'était
I. liiv. in,letl. 7. ^
xij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
pas facile de conserver une vie pure et irréprochable sans bles-
ser Tempereur. Silius y parvint cependant, et il paraît niêntie
qu'il entra assez avant dans la confiance et l'amitié du prince ,
car Tacite rapporte ' qu'il fut seul témoin , avec Cluvius Ru-
fus , de ces secrètes et fréquentes entrevues que l'empereur
trahi et presque vaincu implora de Flavius Sabinus , frère de
Vespasien ; et peut-être Yilellius ne dut-il qu'au langage adroit
et conciliateur de Silius le traité qui lui laissa la vie et cent
millions de sesterces*.
On ne sait sous quel empereur Silius fut nommé proconsul
et chargé du gouvernement de la province d'Asie. Ce ne peut
être sous Yitellius ; car il régna huit mois à peine , et le pro-
consulat durait un an. Schœll dit que ce fut sous Vespasien. Il
est assez singulier que Martial , qui semble s'être constitué
l'historiographe de la famille de Silius, n'ait pas dit un mot
de ce fait remarquable de la vie du poète , que Pline a rap-
pelé comme un de ses plus beaux titres. Quoi qu'il en soit ,
Silius remplit ces nouvelles et importantes fonctions avec le
talent et la probité qu'il avait toujours montrés jusqu'alors
dans l'accomplissement de ses devoirs publics. L'empire d'Ai-
talc trouva en lui un administrateur ferme, intègre, habile,
éclairé, et le renvoya couvert de gloire^.
C'est alors, dit Pline, que, par une honorable retraite, il
acheva d'expier la faute de ses premières années. « Tant qu'il
demeura dans Rome, où il tenait rang parmi les premiers ci-
toyens, il n'affecta pas de rechercher la puissance et n'excita
point l'envie. On le visitait , on lui rendait des hommages :
quoiqu'il gardât souvent le lit, toujours entouré d'une cour
qu'il ne devait pas à sa fortune , il passait les jours dans de
savantes conversations. » Ici commence la vie artistique et
I. Hist,f Ht. III, ch. 65 : «Saepe domi congressi (Flavius Sabinus et Vi-
tellius), postremo in aede ApoUinis, ut fama fuit, pepigere. Yerba vocesque
duos testes habebant , Gluvium Rufiiin et Silium Italicum. »
a. ScBTONE, Viteîl.y ch. x5.
3. « Ex proconsulatu Asiœ gloriam i^^portaverat. « (Plut., lib.iii, epist« 7.)
ET SUR SON POEME. xiij
purement littéraire de Sîlius Italicus. « It avait pour les objets
d'art un goût particulier qu'il poussait jusqu'à la manie, »
et qu'il put alors satisfaire à plaisir. « Il achetait en un même
|)ays plusieurs vHtas, et la passion qu'il prenait pour la der-
nière le dégoûtait des autres. Il se plaisait à rassembler dans
chacune grand nombre de livres, de statues, de bustes ^ qu'il
ne se contentait pas d'aimer, mais qu'il honorait d'un culte
religieux, le buste de Virgile surtout'. » Il avait étudié l'élo-
quence dans les écrits de Cicéron, il étudia la poésie dans
Virgile : et telle fut sa prédilection pour ces deux grands
(écrivains, qu'il acheta deux villas qui leur avaient appartenu ,
celle de Cicéron à Tuscutum, celle de Virgile près deNaples,
où le poète avait son tombeau. Martial a constaté le fait à sa
manière, par une flatterie (liv. xi, épigr. 48 ') ;
Sitius hœc magni célébrât monumenta Maronis y
Jugera facundi qui Ciceronis hahet,
I. Pliit., /oc. cit. « Maculam veteris industriae laudabili otio abluerat. Fuit
inler principes civitatis sine potentia , sine invidia. Salutabatur , colebatur ;
multumque in lectulo jaœns , cubiculo seniper , non ex fortuna , frequenti ,
(loctissimis sermoDÎbus dies transigebat Erat Ç/xoxatxec
usquc ad emacitatis reprehensîonem. Plures iisdem in locis villas possidebat,
adiimatisque novis, priores negligebat. Multum ibiqiie librorum, multiim
statuarum, muItiim imaginum, quas non habebat modo , verum etiam vene'
rabatur , Yirgilii ante omnes >•
3. G; J. Yossius fait observer {De Histor, latin., lib. i, cap. 29) qiie Mar-
tial parle seulement du tombeau de Virgile, et non pas de sa "viila, et qu*il faut
entendre que Silius acheta le monument qui renfermait la cendre de Virgile,
et uon son domaine tout entier. Mais il est certain que Silius avait une maison
de ciimpagae près de Naples , puisqu'il y mourut , modo nuntiatus est Silius
Italicus in Neapolitano suo inedia "vitam finisse (Pliit., loc. cit.); pourquoi ne
serait-ce pas celle qui avait appartenu à Virgile.' «Si Ton peut, dit Schoeli,
ajouter foi à la ti*adition qui appelle tombeau de Virgile les ruines d*un
petit monument qu*on voit près de Naples, on peut désigner la place où fut
située la campagne des deux poètes. Ce monument se voit sur le revers de la
cote qui forme une espèce d*ampbitbéAtre autour de Naples ; il esit placé du
côté de la ville , à Tendroit même où commence le &meux chemin creusé
daus le me qui conduit à Puzzuole. »
xiv NOTICE SUR SILÎVS ITALKIUS
Hmredent dominumqiie sui twtuUive Lansve
Non alium mallet, nec Maro, nec Cicero.
 Virgile au tombeau Silîus rend hommage;
Les champs de Cicëron sont les siens aujourd'hui :
Pour gardien de sa tombe ou de son héritage,
Virgile ott Gcéron n'aurait choisi que lui.
il parait qu'à cette époquie le tombeau de Virgile ét^k déjà ce
qu'il esjt ^iijQuriJi'hai , abandonné el )«ègligé de tous. Sitius
mit un soin pieuy à le réparer» à T^mbellir; il le visitait,
dit Plipe» avec le même respect qu'il se fût apprioehë d'un
temple'.
fam prope desertos cineres et sancla Maronis
Nomina qui colerety pauper, et unus erat.
Silius optaiœ succurrere censuit umhrœ ,
SUius et vatem, non minor ipse^ tulit"*.
Un pauvre, un seul, veillait sur la cendre oubliée,
Le saint nom de Virgile en sa tombe enfoui.
Slliùs vint en aide à cette ombre enviée :
Silius A Virgile il fallait pour appui
Un poète aussi grand que lui.
C'est là , dans la Campanie, dans cette retraite près de Na-
ples, où, prenant conseil des années, ita simdenHbus annit ,
il s'était retiré, et d'où rien ne put l'arracher depuis, pas
même l'avènement d'un nouvel empereur', que Silius acheva
son poème sur la seconde guerre Punique , le seul ouvrage
qu'il nous ait laissé , et qui ne méritait ni les éloges exagérés
I, « Monumentiim fjus adii'e , ut templuin , soiebat. »
a. Mart., lib. xi, epigr. 49*
3. Pline dit à ce sujet qu*on doit estimer Trajan de n'avoir point été of-
fensé de cette liberté et le poète d*avoir osé la prendre. « Ab urbe secessit ,
seque in Campania tenuit ; ac ne adventu quidem novi principis înde oom-
motus est. Magna Cssaris lans , sub que boc liberum •fiiit ; magna illnis qui
hac libertate ausus est uti. »
Eï SUR SON POEME. xv
de 6on sidde, ni les censures outrées de la critiqué moderne.
On s'ariéte à plaisir sur œs dernières années du vieux poète
consulaire. Il y a je ne sais quel charme touchant à le voir,
entouré de ses statues, de ses antiquités, de ses mille objets
d'art, de ses ricbes manuscrits de Gioéron et de Virgile ache-
tés à grand prix , composer à l'exemple de oes deux modèles,
lentement, avec soin, avec art (avec plus d*art que de génie,
il est vrai ^), ne feuilleter, ne lire, ne suivre et n'avouer cpi^eiix
pour gOides> pour maîtres, pour di^ux même, les adorer,
les servir, célébrer leur naissance plus religieusement que la
sienne propre^ : noble et g^éreuse superstition qu'il faut louer
et respeotar loin d^en rire; car, à déSsiut d'autres, ep ces
temps^là , le dieu Virgile et le dieu Gicéron valaient bien, je
pense, les horribles dieux Néron et Domitién.
« Il vécut dans cette tranquillité , dit toujours Pline , jus-
qu'à soixante«quinze ans, avec un corps délicat plutôt qu'in-
firme. » Attaqué à cet âge d'un abcès incurable, inte^nabilis
clavus, qui le dégoûta de la vie, il se laissa mourir de faim
avec une inébranlable fermeté, irrevocabili constantia. On croit
que cette mort arriva l'an 853 de Rome ou 100 de J.-C. Pline
ajoute que « Silius fut le dernier consul créé par Néron, et ^
qu'il mourut aussi le dernier de tous ceux que ce^prince avait
I. Un critifiue de beaucoup d'esprit *, après ayoir fort sérieusement mal-
traité Lucain et Stace, a pris plaisir à bafouer Silius. « Il avait, dit-il, la fa-
cilité d*un poète de nos jours , lequel a le bonbeur de fiaire tous les matins ,
avant le déjeuner, de oinqnante à cent cinquante vers , dans les pi'oportions
«niviuites : eiaquante daps les jours ingrats , quand Apollon se fait tirer
Toreille; quatre-vingts ou cent, dans les jours ordinaires, quand toutes les
humeurs sont en équilibre; cent cinquante, dans les Jours de génie évident,
quand le poète n*a rien à envier k Yirgile , ni à Homère , ni à Dieu. Silius
versifiait si facilement , etc. » Tout cela est fort plaisant sans doute ; par mal-
heur, Pline a dit précisément le contraire , scnbebat carmina majore cura .
quam ingenio.
n, PuHs, liv. m, lett. 7 : «'Tirgilii anle omnes, cujus natalem rellgîo-
sins quam suum celebrabat. «
* M. D. NisAftB, Étudei sur Us poètes latins de la décadence, X. ii, p* i74'
xvj NOTICE SUR SILÏUS ITALÏCUS
faits consuls ; enfin » dit-il , il est encore remarquable que lui ,
qui se trouvait consul quand Néron fut tué, ait survécu à tous
les autres qui avaient été élevés au consulat par cet empe^
reur'. »
Ce genre de mort , cette manière expéditive de terminer ,
par l'abstinence et d'un seul coup , sa vie et ses souffrances ,
a été blâmé et sévèrement condamné par les commentateurs
chrétiens de Silius. Dans l'antiquité , c'était chose ordinaire
et réputée bonne et louable. Sans parler du philosophe stoï-
cien Cléanthe, qui s'était tué ainsi à quatre-vingt-dix-neuf ans %
on en retrouve plusieurs exemples plus rapprochés de Silius.
Pomponius Atticus, ami de Cicéron , s'^it ainsi délivré d'une
maladie douloureuse à soixante-dix-sept ans ^ , et Corelh'us
Rufus, ami de Pline, sous Domitien, quelques années avant
notre poète , après avoir lutté pendant la moitié de sa vie
contre la goutte*, aima mieux mourir de faim à soixante-sept
ans, que de se laisser vaincre et emporter par elle^. A cette
époque d'ailleurs, le suicide était à la mode. Sénèque le prê-
che à chaque page de ses livres ; c'était la manie du siècle.
« Le courage de mourir, du temps de Sénèque, dit M.Nisard^,
n'était déjà plus qu'un courage banal. A cette époque de lan-
gueur et de délices, de mollesses monstrueuses, d'appétits
auxquels le monde pouvait à peine suffire, de bains parfu-
més, d'amours faciles et désordonnés , il y avait chaque jour
des hommes de tout rang, de toute fortune, de tout âge, qui
se délivraient de leurs maux par la mort. Gomment voulez-
vous qu'on ne se rue pas dans le suicide, quand on n'a d'au-
I. fc Utque novissimus a Nerone factiis est consul , ita postremus ex omni-
bus, quas Nero consules fecerat, decessit. Illud etiam notabile: ultimus ex
Neronianis consularibus obiit, quo coDsule Nero perîit. »
a. 240 aos avant J.-C. ^ojr. DiOGiirE-LAERcs , Fie de Cle'anthe, Ut. yiii,
segm. 176.
3. An 7«a de R. , 3a ans avant J.-C. Voyez Corn. Nep^, Vie d'Atticiis,
vers la fin; Moittaigite, Essais, liv. 11, ch. i3.
4. PuiTK ui jKuirB, liv. I, lelt. la.
5. Études sur les poètes latins de la décadence, tome i , page 80.
ET SUR SON POEME. xvij
tre consolation que la philosophie subtile de Sénèque et ses
théories sur les délices de Id pauvreté? Ce n'était pas là
l'opinion de Mécène, lui qui disait : « Faites-iiloi boiteux,
« manchot, bossu , édenté ; pourvu que je vive, c'est bien.
«Laissez-moi vivre sur une croix, si j'y peux vivre. » Mais
je conçois bien qu'après un aussi lâche amour de la vie, il
y ait eu une réaction d'amour de la mort, quand même des
raisons plus solides n'en eussent pas fait une mesure de pré-
caution et de régime dans la Rome de Tibère et de Néron. »
Quand Silius fut mort en disciple fidèle au pied du tom-
beau de son maître, sa renommée, qui avait été si haute et
si belle, descendit et s'effaça peu à peu. Il avait été trop ad-
miré , il fut trop vile oublié. De tous ceux qui l'avaient connu ,
aimé ou flatté , Pline est le seul qui lui consacra un souve-
nir. Martial , qui autrefois , en lui tendant d*uae main sa
sportule, et de l'atitre le recueil de ses œuvres, lui svait
adressé cette humble supplique (liv. iv, épigr. 14) :
Sili, Caxtalidum dectts sororum ,
Qui perjuria harbari furorùt
Ingenti premis ore, perfldosque
jistus Annlhalis y levesque Pœaox
Magnis cedere cogis AJricanis :
Paulum seposita severiiatc,
Dum hlanda vagus aléa December
Incertis sonat hinc et hinc fritillis ^
Et ludîtpopa nequiore talo,
Nostris ùtia commoda Camœnls ,
Nec tarifa tege fronte sed remissa
Lascivis madidos jùcis Uhellos,
Sic forsan tener ausus est Catullus
Magno miltere passefem Maràni.
O toi , rhomieur des vierges du Parnasse,
O Silius, dont la poissante voix
FlétFÎt Torgueil, le parjure , l'audace,
Les sourds eomplots du chef cartk apnors ,
ï. 2
xvHi NOTtCE SUR SILIUS ITALICUS
Et d'Annibal déjouant la colère.
Vaincu, l'immole à nos grands Afticains;
Laisse un instant cette étude sévère :
Décembre, au jeu livrant la ville entière.
Roule à grand bruit les cornets incertains,
Les dés fripons du rusé victimaire.
Ma muse, à Taise en ces jours de loisir,
Ose t'offrir ces It^gers badinages :
D'un œil content daigne lire ces pages
Tîèdes encor des larmes du plaisir.
Peut-être ainsi Catulle que j'envie,
'Eût à Virgile, au maître renommé,
Jadis offert son moineau bien-aimé,
Humide encor des baisers de Lesbie;
Marlis^l qui faisait vanité de voir figurer ses vers dans les bi-
bliothàques de Sitius (liv. vi, épîgr. 64) : ,
H{iSi inquam, nugas, quibus aurem advertete totam
Non adspemantur prooeres urbisquejbrique ,
Quas et perpetui dignantur scrinia Sili, etc»
La cité , le Forum , nos meilleurs citoyens
D'une oreille attentive écoutent ces riens ;
Notre immortel ami Silius, avec grâce,
Sur ses riches rayons leur accorde une place, etc.;
et qui > naguère encore , exaltait avec emphase toutes les gloires
de son magnifique patron (liv. vu, épigr. 63) :
Perpetui nunquam tnôritura volumina SiK
Qui legiSy et Latia carmina digna taga;
Pierios tantum vati placuisse recessus
Credisy et Aoniœ Bacckica serta comœ?
Sacra çothumati non attigit an te Maronis,
Impleidt magni quam Ciceronis opus*
Hune mimtur adhuc eentum gravis hasta virontm ,■
Hune ioquiiur grato plurimus are ciiens.
ET SUR SON POEME. xix
Ptistquam bis senis ingentem fascibas annum
Rexerat, asserto qui sacer orbe fuit i
Emeritos Musis et Pkœbo tradi4it annos ;
P roque s'uo célébrât nunc Heîicona foro.
Toi qui lis Silius, et ce livre durable.
Ce chef-d'œuvre immortel , digne du nom rom.iin ,
Tu crois que , le front ceint du lierre impérissable ,
Dn Parnasse toujours il suivit le chemin. .
Non : avant que d'atteindre, ô Virgile, à ta gloire,
11 accomplit d'abord l'œuvre de Cicéron.
Le fer du centumvir révère sa mémoire,
Et le client en foule aime à citer son nom.
Aux saints jours où tombait une tiéte naBdite,
Il tenait les faisceaux : au culte d'Apollon
Il a voué depuis sa vieillesse émérite ,
Et préfère au Forum les sentiers d'Hélicon ;
n'eût saos doute pas négligé roccasion de faire son épitaphc:;
mais il était lui-même loin de Rome ^ mort ou bien près de
mourir.
SîHus n'avait pas s(^ngé à l'avenir de son livre ; les copies
en étaient rares et peu répandues; elles disparurent avec lui'.
Désormais l'auteur et son œuvre restent complètement igno-
rés : un seul grammairien des âges suivans"", et un poète, au
I. Silius avait tous les luoyeus de répandre et de publier son poëme; ses
richesses immenses lui permettaient d'en multiplier les manuscrits s'il l'eût
▼ouln. Il est à présumer, au contraire , qu'il ne le fit pas : ce qui , jusqu'à un
certain point, prouve qu'il aspirait peu à l'immortalité que Martial lui pro-
mettait, et qui ne lui a pas manqué.
3. Le grammairien Gharisiiis. Annaeus' Gornutus, le maître et l'ami de
Perse, avait composé sur Virgile des Commentaires qu'il dédia à Silius,
comme au plus digne. Charisius nous a conservé de cet ouvrage une phrase
à peu près insignifiante. Gornutus disait à Silius : Jamque exemplo tuo etiam
principes cîvitatum et poetœ încipîent sîmiUa fingere, Ge qu'il y a de plus
clair, c'est que c'est un éloge.
'1.
XX NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
cinquième siècle, prononcent au hasard le nom de Silius',
que nul ne répète, et qui s'éteint bientôt avec tous les autres,
dans le fi-acas des armes, et au milieu des clameurs barbares
qui se disputent Rome et l'empire envahi.
Ce nom ne devait point périr; mille ans plus tard il devait
reparaître et revivre : un manuscrit des Puniques^ avait sur-
vécu et triomphé du temps et des Barbais. Depuis de$ siècles,
dit Yossius^ « il luttait misérablement contre les mites et les
teignes, » quand enfin il fut miraculeusement délivré. C'était
en i4i6, à l'époque du concile de Constance. Un homme
d'une vaste érudition, de connaissances étendues et variées,
^rand amateur de livres, d'objets d'art et de monumens cu-
rieux d'antiquité , Poggio Bracciolini , qui avait suivi en
Allemagne,! à ce concile, en qualité de secrétaire intime,
le pape Jean xxiii déposé en i4i&, eut l'idée un jour, pour
reprendre haleine, comme il dit^, et sans doute aussi pour
se distraire de ses chagrins et de la vue hideuse des persé-
X. SiDOiNK Apollinaire, Épù. à Félix, v. a6o :
Non Gactulicus hic tibî legetur,
Non Marsus , Pedo , Silius , Tiballos ;
Non qnod Snlpidas jocns Thaliar
Scripsit blandiloqaam sao Caleno;
Non Persi rigor , aut lepos Properti , etc.
Le nom de Silius ne se trouve évidemment enchâssé là avec ceux de Marsus,
de Pédo AlbinovauuB, de TibuIIe, que pour le besoin de la mesure; c'est
une mauvaise cheville à de mauvais vers.
a. Quelques éditeurs ont intitulé ce poëme De bellû Punico secundo ; il
est intitulé Pimica dans le manuscrit de Venise, dit MS. Dupuy, Càtiex Pu-
teanus , et dans quelques anciennes éditions. Cette leçon a été adoptée par
les derniers éditeurs, et nous l'avons sui%'ie. Lefebvre de Villehnine a préféré
l'autre. On ignore , du reste , quel titre Silius avait donné à sou ouvrage.
3. De Hist. lat,, lib. x, cap. 29. « Cum blaltis tineisque misère con-
flictatus est. » Yossius ajoute que ce manuscrit fut découvert à Tépoque
du concile de Baie , ad tempora concilii BasiUensis ; ce ne peut être qu'une
faute d'imiM'essiou.
4. «Animi laxandi gratia^» Lettre à Guarini de Vérone, datée de G»n-
stance, 16 décembre 14 16. /-
ET SUR SON POEME. Xxy
cutions et des supplices dont il était le témoin, d'aller avec
quelques amis au monastère de Saint -Gall, situé à vingt
milles de Constance, et qui. renfermait , disait -on, une
grande quantité de livides. Ce fut là «c qu'au milieu d'un
énorme tas de volumes, placés non pas dans une biblio-^
tlièque, comme leur dignité l'exigeait, mais dans une noire
et sîile prison, au fond d'une vieille tour, où l'on n'eût
]3as jeté un condamné à mort , » il découvrit un manu-
scrit de Silius. « Par Hercule, dit Pogge , sans l'aide que
nous lui avons portée, il serait mort infailliblement au pre-
mier jour. Je n'en puis douter; non,*cet homme opulent,
ami de la i-echcrcbe , de la propreté , plein de grâce et d'élé-
£>ance, n'aurait pu endurer plus longtemps la saleté, la puan-
teur de son cachot , et la barbarie de ses geôliers. Il était
désolé, et dans le désordre d'un condamné à mort ; il avait la
barbe hideuse et les cheveux souillés de poussière : ses traits
et sa tournure attestaient l'horrible et injuste sentence qu'il
allait subir. On eût dit qu'il tendait les mains, qu'il implo*
rait la foi des Quirites, les suppliant de le défendre contre un
juge inique; indigné, lui qui jadis à plusieurs avait sauvé la
vie par ses bienfaits et son éloquence, de ne [)oint trouver
dans cette foule un seul homme pour plaider sa cause , pour
compatir à ses misères, pour veiller à son salut» pour repous-
ser les bourreaux qui l'entraînaient injustement au supplice ^ »
I. Pogge, Lettre à Guarini. « Erant eiiim non in bibliotlieca libri illi,
iil eorum digiûtas postulabat, sed in teterrimo quodam et obsciiro carcere ,
ftiodo sciliOil imius turris , quo nec capitalis quidem rei damnati detrudereu-
tur Nam, me Hercule ! nlsi nos auxiUam tulissemus, necesse erat
illum propediem interiturum. Nam neque est dubium >iriim splendidum,
iDundum , eleganteni , plénum moribus , plénum facetiis , fœditatem illiiis
carceris, squaiorem loci, custodum sœvkiam diutius perpeti non potuisse.
Mœstus quidem ipse erat ac sordidatus , tanquam mortis rei soiebant : squa-
lentem barbam gerens ac concretos pnlvere crines, ul ipso vnltu atque habita
fateretur ad immerîtam sententiam se vocari. Videbatur manus tendere, implo-
rare Quiritnro fidem , ut se ab iitiquo judice tuerenlur ; postulare et indi^j'iie fts-re
riiiod qui qnondam sua ope, sua eloquentia multorimi salulem conservasse t, nunc
xxij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
Pogge Tarracha de cet horrible lieu» calma ses angoisses ^ et le
rappela à la vie. Aidé de son ami Bartolomeo di Monte-Pui-
ciano, comme lui secrétaire apostolique , et que , par am^our
pour la variante» il nomme de Mante PoUiciano, ovl de Monte
Peliciano, ou encore de Monte PuUdano, Pogge fit du ma--
nuscrit retrouvé une copie , qui fut suivie de plusieurs au-
tres, mais qui resta toujours la plus fidèle et la meilleure.
Quelques années après» la découverte de Timprimme acheva
de donner à Silius une publicité qui lui fut plus funeste
qu'utile » et le livra pour jamais aux mains des commenta^
leurs » des traducteurs et des critiques » qui l'ont cruellement
puni d'avoir échappé aux vefô qui l'allaiient détruire'.
Silius fut un des premiers auteurs que la presse fit connaître.
Deux éditions parurent presque simultanément et à vingt-^ix
jours de distance Tune de l'autre» à Eome» au mois d'avril
neque patronum quempkm inveniï'et, quem m&ereretur fortunarum suarum ,
neque qui su» consuleret saluti, aut ad injustum rapi suppHcium prohi-.
béret. »
Pogge parle ici de Quintilien ; mats les termes de cette lettre peuvent s'ap-
pliquer également à Silius Italiens , retrouvé par lui , ainsi que Lucrèce ».
Manilius, Val. Flaccus, etc., à la même époque et dans le même lieu, comme
il le dit lui-.méme page io3 de V Oraison funèbre de son ami Nicolo Niccoli»
et comme l'attestent ces vers d'un poète du temps» Ugolino Yerino {de iiltts^
tratione Florent lœ, lib. ii) :
Quia etiani sollers Gerinanis eroit aatris >
In Latium altiloqui divitia voliunina Silî;
Integer Orator nobis , Fabiusque relatas , etc. ;.
que je traduirai fidèlement pour ne pas nuire à Silius :.
11 tire habilement des caves Germaniques
Le dirin Silius aux sublimes cantiques ;
Nous rend Quintilien et Cicrron complet, etc.
I. Silius ne pouvait du reste évilei' cette publicité; environ cent ans plus
taitl, ven iS.'^S , Louis Caniou découvrit à Ckilogne un autre manuscrit
iJtrs Piuiiqufis, qu'il crut pouvoir dater du temps de Charlemague. Un troi*
&>è«nc, beaucoup plus récent, fut ensuite tiuuvé à Oxford.
ET SUR SON POEME. xxiij
1471 '. D'autres suivirent rapidement et à peine séparées par
quelques années d'intervalle > d'aucunes assez correctes et im-
primées avec assez de luxe. Mais des difficultés; des lacunes >
des variantes sans nombre arrêtaient le lecteur. Pierre Marsus
donna en 1485, à Venise, une nouvelle édition , trè&-peu fidèle ,
il est vrai , mais accompagnée de commentaires et d'éclaircissef-
mens historiques et géographiques; ce qu'on n'avait point vu
encore, et ce qui fit sou succès. Ce travail savant jeta un grand
jour SMr* une foule de passages obscurs et inûitelligibles ; dé-
gagé de la massiQ de scholies inutiles qui. le surchargeaient, il
a été conservé et reproduit dans les dernières éditions alle-
mandes, et Ruperti le considère comme, un deSi meilleurs qui
aient paru avant celui d'Ërnesti et le sien,^ nemafere et arUe^
ferendusest. Après Maraus, en 1600, Daniel Heinsius , qui
n'avait pas. vingt ans, publia ses Crepundia Siliana. Silius avait
été en eflet comme la poupée de ses premières, années; il l'a-
vait habillé, paré, emmiailloté de lambeaux pris à tort et à
travers dans les écrivains grecs,,. et appuyés de dissertations
mythologiques, philosophiques, gramjn32|,ticales, qui pouvaient
J)ien prouver en faveur de l'érudition du jeune Heinsius, mais
qui embarrassaient Silius et étoufi&ient son texte sans l'éclair-
cir. Ce tour de force philologique de Dan. Heinsius fut rude-
ment attaqué et déprécié en 1615 par Dausq, chanoine de
Tournai, critique brutal et emporté,, qui, par d.épit ou par
^nvie peut-être >
Réglant tout , bronilla tout ,. fit un texte à sa mode.
Après Dausq , Gaspard Barth , puis Gellarius , puis Draken-
borch. Ces derniers éditeur, tout recommandables qu'ils
étaient , laissaient encore beaucoup à désirer. En 1781 ,
un homme instruit, helléniste et orientaliste distingué, Le-
febvre de Villebrune, entreprit, en France, une nouvelle édi-
z. On trouvera l'histoire des éditions successives de Silius Itaiicus esac-*
tement et assez plaisamment racontée dans la préface de la traductiou fran-
çaise de Lefebvre de Villebrune. (Paris , 1 78 1 .)
xxiv NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
4ion de Si|ius. Habitué, comme il le dit lui-mfeme, au tra
^^ te plus opiniàtie-, il fit du texte une longue et sérîeus^r
^iiide, recourut aux anciens monumens, collatîomia les ma-
nuscrits et les premières éditions. Malheureusement il avait ,
comme le chanoine de Tournai , trop de morgue et d'empor-
tement. Il maltraita avec humeur , avec un dédain souvent
injuste , Drakenborch et tous les critiques qui l'avaient pr6^
cédé y et il ne s'aperçut pas qu'il commettait lui-même d'assez
graves erreurs, une entre autres qui, au dire de Ginguené'»
« Ta iXKivert en Italie et en Allemagne d'un ridicule iîieffiiça-
ble, et a compromis l'érudition française aux yeux des savans
étrangers. » Il atuibua à Silius un long passage de Pétrarque ^
Malgré cela, et à part cette inconcevable méprise^, son travail
est un immense sei-vice rendu à SîKus. Il a compulsé tous les
conimentaires, discuté toutes les variantes, rétabli les meil-
leures leçons, et purifié le texte d'une foule de fautes et ^'in-
terpolations grossières ; ce que nul n'avait su faire avant lui.
Les Allemands, qui revMidiquent depuis si long-temps te mo-
nopole de la glose et de Vexcurëus , ne lui pardonnèrent pas -
1. Histoin littéraire d'Italie, U ii, p, 589.
2. Il s*agit d*an voroeau de trente-trois vers, un discours de Magon
mourant, tiré du vie livre de \ Africa de Pétrarque, et qull inséra au
livre XVI, vers 27, des Puniques de Silius, ajoutant qu*il avait découvert ce
passage dans un manuscrit de Paris. Lemaire dit avoir feuilleté tous les ma-
nuscrits de silius à la Bibliothèque du Roi , et il assure que nul ne renferme
le passage en question. U ne l*a vu que dans un petit volume, portant le
n* 8 a 06, et contenant divers extraits d'écrivains latins. Il est évident, dit
Lemaire, que c'est de là et non d'un manuscrit de Silius que Lefebvre a tiré
ce passage; car il a laissé attachée dans ce livre une copie de ces trente-trois
vers écrite et signée de sa main , et où il les attribue à Silius. ( Voyez le Silius
JtaUeus de Lemaire, 1. 11, p. 458 , note. ) Ce qu*il y a de plus plaisant, c'est
que, tÏMit gkirieux de sa découverte, Lefehvre proclama son édition la seule et
la premier^ complète, operis integri editio princeps,
3. On ne peut d'ailleurs lui faire un grand crime de quelques corrections
hasardées, de quelques ohangemens arbitraires, qu'il avait imposés au texte de
sa propre autorité, et qu'il a depuis lui*ménie reconnus inutiles. Il n'est pas
un philologue d'outre Rhiii qui chaque jour ne fasse plus^et pis.
\
ET SUR SON POEME. xxv
de les avoir devancés. Deux éditions nouvelles, accompagnées^
de commentaires fort étendus, parurent presque en môme
temps» l'une vers la fin de 1791 par J. C. T. Ernesti , l'autre
par G. A. Ruperti, au mois de février 1793. Ils s'accordèrent
pour attaquer et décréditer le travail de Lefebvre; mais on
peut voir, en les lisant, Ruperti surtout', qu'ils ne se sont
pas fait faute d'en profiter'.
On a beaucoup vanté, beaucoup décrié Silius. On a pris à
la lettre le vers de Martial qui, pour avoir du pain, élève ce
poète au niveau de Vii^ile , et de cette comparaison sont sor-
tis de ridicules éloges et de plus ridicules critiques ^ On a fait
de Silius un poète épique, cyclique, historique, ce qu'il n'a
jamais été ni touIu être, et de son poème une histoire, une
gazette en ver$^, ce qui serait bien la plus mauvaise et la plus
inexacte des gazettes. Silius n'a voulu faire ni une épopée , ni
une histoire, ni une gazette *, il a voulu faire ce que tout le
monde faisait de son temps ; car Lucain , Sénèque le Tragi-
que, Stace, Valerius Fluccus, n'ont pas fait autre chose, des
lieux ccMnmuns, des déclamations. Son poème est tout sim-
plement un exercice littéraire, un travail d'artiste, une œuvre
de style, le doute même qu'il ait jamais composé au même
titre et dans le môme but que ses contemporains. Il est à re-
X . L'édition de Ruperti a été littéralement réimprimée à Paris par N. E. Le-
maire, en iS^S : cVst le texte de cette réimpression que nous avons suivi,
sans pourtant adopter toujours le sfsus, la ponctuation et les corrections de
Ruperti
a. Je n*ai signalé ici que les éditions les plus estimées; bu ti'ouvera le cata-
logue complet de toutes les éditions de Silius dans celles de Ru[)erti et de
Lemaire.
3. F'otr pour lefi é'oges Bkkkssa , Cavsius , Lkfbbvre de Vilmibauits ;
pour l«s critiques Jules Scaugeh , Poet. , vi , 6 ; Voltaire , Essai sur la
poésie épique , ch, iv ; Cuémeivt , Essais de critique sur la littérature an •
cienne et moderne , t. i, ch. i ; La Harpe, Cours de littérature, i""" part.,
liv. I , ch. 4 , sert, a ; etc., etc.
4. C'est le mot de La Harpe ; il a fait fortune, et je le trouve lépété dans
la plupart des Biographies.
xxvj NOTICE SUR SILIUS ITAUCUS
ina]:<)uer» dans la lettre citée plus haut et qui résume en deux
pages 'k vie de Silius, que Pline Ta considéré plutôt Comme
homme public ^ comme magistrat consulaire, comme gou-
verneur de province , comme citoyen puissant , riche et re^
cherché y que comme écrivain et comme poète. On en pourrait
conclure y et, pour ma part, je suis fort tenté de croire, que
Silius ne fut écrivain proprement dit et poète que par passe-»
temps, qu'il ne composait que pour lui et tout au plus pour
quelques amis. Rien ne prouve en effet qu'il ait jamais pris
enseigne de poète : pour la plupart des écrivains de son épo-
que, pressés par la faim ou l'ambition, la poésie fut un
moyen forcé de s'avancer et de vivre , un métier nécessaire ;
pour lui ce ne fut qu'une noble et. volontaire fantaisie , un
pieux délassement de sa vieillesse. Il n'a point couru, comme
Stace 9 coftime Lucain , comme Valerius Flaccus , comme
presque tous ses contemporains, nommés et attaqués par Ju-
vénal , après l'éclat et les applaudissemens faciles des lectures
publiques. Il n'a subi que rai*ement Tépreuve de ces lectures,
et encore était-ce en petit comité, et plutôt pour prendre con-
seil et s'encourager que par un vain besoin de louange et de
flatterie. Pline le dit expressément : Noununquam judicia ho^
minum redtutiontims experiebatur. Resterait maintenant à savoir
si, parce qu'un homme, avocat, consul, gouverneur de pro-
vince , a voulu se distraire , et se reposer du Forum et des
affaires par quelques travaux littéraires, travaux intimes et
ignores, il s'ensuit que la postérité doive le citer d'office, lui
faire un crime de son peu de génie, le condamner enfin, lui
qui ne l'a point avouée pour arbiti*e, et n'a voulu encourir la
gloire ni de son blâme ni de son éloge.
Amateur riche et instruit, Silius a voulu mettre à profit ses lon-
gues études sur Virgile et Cicéron , et peut-être venger en même
temps ces grands écrivains des mépris de Lucain et de quelques
autres novateurs. Silius était ce que nous nommons un cla»--
sique; il tenait à prouver qu'on pouvait bien faire encore en
s attachant aux traces de Virgile. Il choisit comme Lucain un
KT SUR SON POEME. xxvij
sujet romain. les guerres Puniques, qui, déjà plusieui's fois,
avaient occupé la Muse latine'. Il traita ce sujet à la manière
i, Enniiis, Névius, et un poète du siècle d'Auguste, cité par Ovide (^ex
Ponto, lîb. IV, epist. i6) et dont on ignore le nom ,
Qaiqae actes Libycas Romanaqae praclia dixit,
avaient chanté en vers les guerres Puniques. l)ans un poème intitulé Sci-
pion et* consacré tout entier à la gloire du héros dont il était Tami , Ennius
avait célébré la seconde de ces guerres , racontée déjà dans ses jinnaUs ;
matheureusement il nous reste à peine quelques vers de ces deux ouvrages.
Douze cents ans après Siliiis, un poète, qui, comme lui , avait commencé
par être avocat, comme lui avait voué un culte pieux à Cicéron, qu'il copia
tout entier de sa main, et à Yirgile dont il visita aussi le tombeau et qu'il
'isait et étudiait avec tant dWdeur et d'enthousiasme que le pa|)e* et ses car-
dinaux Faccusèrent de magie, Pétrarque traita le même sujet. Son poëme, en
vers latins et en neuf lirres , est inlitulé y^/r/ca. Malgré le nom de son auteur,
il est resté aussi peu lu et aussi peu connu que celui de Siliiis : et c'est peut-
être là leur seul point de ressemblance. Le poëme de Pétrarque , comme celui
d'Ennius, est plutôt un panégyrique de Scipion T Africain, qu'un récit de la
seconde guerre Punique**. Par le plan , la marche, le style, il diffère entière-
ment de celui de Silius ; ce qui a fait croire, avec assez de raison , que Pétrar-
que ne connaissait pas les Ptiniques quand il composa cet ouvrage ***. Lefebvre
de Tillebrune n'est pas de cet avis. On a vu plus haut, page xxiv, que,
trompé par un mauvais manuscrit , il avait maladroitement cousu aux Puni-
ifue* une trentaine de vers de XJfrica. Furieux de s'être mépris si grossière-
ment, il aima mieux, au lieu d'avouer son erreur, accuser Pétrarque de plagiat.
Il soutint que ce poète avait eu un exemplaire des Puniques , qu'il avait lu
Silius et qu'il lui avait volé ce malheureux fragment. Cette ridicule et absurde
• Innocent vi. F'ojrex Giironxifi, Hist. litt. d'Italie, t. ii, p. 402.
** Le début le prouve :
Ut mihi conspicuam mentis belloqne tremeudum.
Musa , viram réfères , Italis cni fracta snb armis
Nobilis aeternom prius attnlit Africa uomen.
Pétrarque d'ailleurs le dit bien clairement dans son Épare à la postérité, on il raconte corn-
ineitf , dans les montagnes de Vaucluse, lui vint l'idée de son poëme : « Montibus illis vaganti
cogitatio inddit et valida ut de Scipione Africano illo primo ci^'ns nomen mirum unde nûlii a
prima setate carom fait , poeticnm aliquid beroioo carminé scribcrrem. »
*** n ne connaissait qn'Ennius , dont il avait assez mauvaise idée. Il le déclare lui-même, et
je ne crois pas qu'on puisse douter de sa franchise : « Enninm de Scipione multa scripsissc
non est dnbium, rudi et impoli to, ut ait Valerius (Maximus), stylo. Cultior tamen de illius
rébus liber metrieus non apparet. De hoc igitur \itcunque canere institui. » {Lett. famil., liv. s ,
lett. 4f ms. de la Bibl. du Roi.)
xxviij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
de son temps; et voici , j'imagine , comment cela se pratiquait.
Un auteur choisissait un sujet historique ou mythologique, il
en notait à l'avance les faits les plus saillans, puis les développait
de son mieux , les chargeait de couleurs et d'ornemens poéti-
ques , les soumettait successivement aux lectures ; et quand les
faits et les épisodes principaux de son sujet étaient épuisés, il
recueillait tous ces lieux communs, qui étaient, selon la forme
qu'il avait adoptée, ou des scènes, ou des récils, ou des des-
criptions, ou des discours, réunissait tant l^ien que mal ces
différentes pièces par actes, par livres ou par chants, et l'épo-
pée ou la tragédie était faite'.
Les défauts et les vices de ces écrivains sont les défauts et
les vices de leur siècle; ils ne pouvaient procéder autrement.
C'est donc , ou mal comprendre leur époque , ou vouloir à
toute force leur faire un injuste procès , que de les comparer
à Virgile. Virgile ne composait que pour être lu; eux, pour
accusation dirigée contre Pétrarque fit un grand tort à son auteur et le com-
promit gravement. Ou prouva, par un rapprocbement facile, (|ue ces trente-
trois vers n*avaient pu appartenir à Silius, et Lefebvre fut sifflé comme il
méritait de Tèlre, Du reste, cette Africa, trop négligée, est curieuse à lire,
surtout après les Puniques, Ginguené, qui n'eu donne qu'une analyse incom-
plète, ajoute quelques réflexions qui, à certains égards, pourraient s'appliquer
au livre de Silius. « Malgré les défauts qui domiueut dans ce poëme, dit-il, et
qui remportent de beaucoup sur les beautés, il est beureux qu'il se soit con-
servé, non pas pour la réputation du poète , maU pour l'histoire de la poésie.
C'est un monument précieux de cette époque de renaissance, bon à, garder
comme ces tîibleaux et ces statues, productions de l'enfance de l'art, qui n'eu
augmentent ni la gloire ni les jouissances, mais que l'on n'examine pas saus
fruit , quand on en veut étudier Fbistoire. »
t. Ceci, bien entendu , n'est qu'une supposition; mais , sans prétendre quo
cette méthode ait été généralement suivie pai* tous les poètes de répoque , je
croirais volontiers qu'elle l'a été par Silius ; c'est ce qui ressort évidemment,
pour moi du moins, de la lecture attentive et de l'exameu que j'ai dû faire de
son ouvrage. Le titre même que nous avons rejeté , mais que Lefebvre a con-
servé et qui pourrait bien être le titre primitif de rouvjage, de Bello Pnnico
secundo, viendrait à l'appui de cette opinion : car il semblerait indiquer
plutôt un recueil de divers morceaux de poésie sur la seconde guerre pu-
nique, qu'une véritable épopée.
ET SLR SON POEME. xxlx
ôlie entendus : la (Condition n'était plus la même. Le vers
tendre , timide et simple de Virgile, ce moUe alque facetum ,
Mût endormi des auditeurs blasés, ennuyés, à moitié ivres;
il leur fallait des sons muques ,, pénétrans , effrontés ; il fal-
lait longuement et durement mugir à leurs oi^illes, les étour*
dir par Téclat, Ténergie, l'abondance, le luxe de la parole.
Voilà pourquoi , dans la description d'une même chose , ils
différent tant de Virgile, qui ne pariait qu'à l'intelligence;
pourquoi, ainsi qu'on Ta remarqué', l'art chez eux est tout
entier dans les détails, dans la peinture des objets matériels;
pourquoi le sentiment moral en est exclu.
Celte méthode de composition une fois admise, on ne peut
raisonnablement blâmer l'auteur du défaut d'unité, du dé-
cousu , du peu de suite et d'intérêt de son épopée , qui n'en
est pas une. Pour bien juger des Puniqu€$, et de presque tous
les ouvrages du même genre et de la même époque, il faut
les considérer, non pas dans leur ensemble ,» mais par parties
détachées, par épisodes, lieux communs à lieux communs ,
et alors on ne pourra s'empêcher de reconnaître, dans chacun
de ces morceaux séparément , un mérite réel d'exécution.
Silius a tiré le sujet de son poème de la troisième décade
de Tiie-Live. Il suit presque toujours l'historien pas à pas ; il
lui emprunte tout ce qui se prête aux développemens de la
poésie, les marches, les sièges, les batailles, et rejette ou
abrège tout le reste. Il ne s'occupe pas d'enchaîner ses récits ,
de déduire les causes des évènemens, toujours si exactement
expliquées par Tite-Live. Les faits ainsi triés et choisis, il les
habille richement , les pare des trésors de la muse virgilienne ;
mais il s'inquiète peu des motifs , des intérêts qui les ont
amenés : il les décrit et ne les raconte pas. Souvent même il
les amplifie et les arrange à sa guise , les change et les modi-
fie : on a dit qu'il avait suppléé les omissions de Tite-Live;
mais il faut remarquer qu'il invente souvent, et se ^rder de
f . M. KiSARD, Etudes sur les poètes latins fie la décadence, t. ii , p. 145.
XXX NOTICE SUR SJLtUS ITALICUS
prendre une fiction du poète pour un événement historique et
avéré. Aussi y comme Ernesii Ta fort bien dit y loin que cet
ouvrage soit une histoire ou une gazette en vers, il est certain'
que si on n'avait pas Polybe, Appien et Tite-Live, on ne
pourrait se rendre un compte à peu près exact de la seconde
guen-e Punique avec le livre de Silius.
Peut-être serait-on fondé à reprocher à Silius ses fictions
mythologiques, son Jupiter, sa Junon , toutes ces divinités si
vieilles et si usées depuis Homère. Toutefois , il ne faut pas
oublier qu'il avait juré de rester fidèle à Vii'gile ; et c'eût été
faire une indigne concession aux novateurs et une injure grave
à son maître que de rejeter son Olympe. D'ailleurs un ctitique
spirituel , que j'ai d^'à citè^ a fort bien prouvé que Lucain
n'avait guère mieux réussi en employant d'auti'es moyens ,
plus neufs et plus hardis.
On ne doit voir en Silius que l'écrivain, le versificateur
habile et exercé , qui compose selon Sénèque , qui scande
d'après Virgile, et rien de plus. C'est par la forme qu'il faut
le juger, c'est par la forme qu'il brille ainsi que tous ses con-
temporains. Déelajoiateur comme ils Tétaient tous alors, mais
élevé à une meilleure école, et corrigé par l'âge, il a moins
d'audace et de mauvais goût , sans pour cela manquer dé verve
et d'énergie. Il a su mettre, dans la déclamation , cfu bon sens
et de l'art. Sa narration est plus rapide et plus concise ; ses
harangues sont moins longues, moins sententieuses , moins
déplacées; ses héros mieux mis en scène, ses caractères mieux
rendus et mieux conservés. Il excelle à décrire : son poème
est semé de comparaisons , de d^nitions , qui sont autant de
petits tableaux achevés dans leur genre. Mais souvent il abuse
de la paraphrase et de l'analyse ; il ne sait point se borner :
il ne quitte un sujet , une idée , une image , qu'après les
avoir présentés sous plusieurs faces différentes, et quand tous
les synonymes de la langue sont épuisés. Cependant sa poésie
I. M. NiS4Rb, Études sur les poètes latins de la de'cadence, t. ii , p. 1 1 1.
ET SUR SON POEME. xxxj
est toujours si pure que cette surabondance de richesse déplaît
rarement.
Silius appartient par son style àTancienne et à la nouvelle
école : il a certaines beautés de Tune et aussi certains défauts
de l'autre. En garde contre les hardiesses du nouveau langage ,
il ne les admet qu'avec réserve , et seulement quand l'expres-
sion ancienne > commune et rebattue ^ a besoin de reprendre
un peu de vigueur et de vie. Du mélange adroit et sagement
combiné des deux idiomes , il s'est fait un style à lui , tou«-
jours clair % toujours chaste et châtié. Il imite souvent Ho-
mère et Virgile; mais il sait varier et revêtir de formes nou-
velles les idées et les tours qu'il leur emprunte. On l'a accusé
de les piller : c'est là un reproche banal et auquel il est bien
facile de répondre ; ne sait-on pas qu'il n'y avait rien de plus
commun que ces plagiats dans l'antiquité? Virgile a pillé Ho-
mère y Ennius et Lucrèce; Macrobe avait indiqué en quelques
chapitres ces vols et ces emprunts dont on a fait récemment
plusieurs volumes'. Horace a pris, non seulement le plan,
I. Les critiques sont loin de s'entendre à ce sujet. Clément , qui ne lisait
Silius que dans la traduction française de Lefebvre de Villebrune, dit que « son
^yle est généralement obscur, gêné, pénible.'. ... On prétend que sa latinité
est pure; je n*eu crois rien, puisqu'il n'est pas daif. » (Essais de critique,
1. 1 , p. S9.) De nos jours , on avoue que le style de Silius ne manque pas de
clarté; mais, chose singulière! on a trouvé moyen de lui faire un défaut de cettfe
qualité même. « Là où il écrit d'après l'imitation virgilienne, sa poésie n'est que
plate, et d'une clarté dont on ne lui sait pas gré, parce qu'on n'en voit que
mieux la faiblesse de sa pensée. lia pauvreté de ses conceptions n'a pas su s'en-
velopper de formes ambiguës, et c'est un poète dédaigné en raison directe du
peii de besogne qu'il a donnée aux commentatears , lesqiieb mesiu^ut assez
ordinairement le mérite d'un auteur sur la peine qu'il leur a coûtée. » {Études
sur les poètes latins de la décadence , tome 11 , page 389. ) De bon compte ,
une pareiHe chicane est-elle sérieuse , et ne peut-on pas rappeler à l'auteur
ce qu'il a dit dans une autre ciroonstance? «Notre sens critique, si éveillé et
si fin, s'il nous fait apercevoir toutes les mauvaises choses, nous cache quel-
qnefoîs les bonnes. >• (Souvenirs de ^oytiges. — De. Bruxelles à MaUnes,)
a. Satum,, liv. v et vi; Eichopf, Études grecques sur Virgile, 3 vol.
in-80.
xxxlj NOTICE SUR SILIUS ITALICUS
Vidée entière de la plopart des satires de Lucilius , mais il
plein de cenlons de cet auteur : il lui a volé ses daclyles et ses
spondées. Cela n'a jamais nui à leur gloire.
En résumé , et pour clore enfin cette biographie déjà si
longue d'un poète ignoré , je dirai que , comme homme et
comme écrivain, Silius a fait honneur à son siède^ qu'il a
toujours été trop négligé, jugé de trop haut ou de trop loin^
mal compris et mal apprécié , qu'il gagnerait à être m de
près, et j'ajouterai avec Crusius « qu'il serait plus estimé s'il
était plus connu. »
Les Puniques n'ont encore été traduites que trois fois, en
vers anglais par Thomas Ross , bibliothécaire de Charles ii ,
Londres y 1656-1672; en italien par Buzio, Milan, 1765; ei
en français par Lefebvre de Villebnine, Paris, 1781. Le-
febvre de Villebrune , qui a consulté les deux premières tra-
ductions, dit que celle de Ross est assez exacte, mais il fait
|3eu de cas de celle de Buzio , chez qui , ajoute-t-il , les
contre-sens ne sont pas rares : reproche maladroit , et qu'un
traducteur ne doit pas faire lout haut à son confrère. Quant
à lui , il avoue qu'il n'a traduit Silius que pour se délasser
des travaux plus pénibles de son édition latine; « tantôt il
a rendu la lettre de son auteur lorsqu'il l'a cru nécessaire,
tantôt il s'est fixé uniquement sur le sens , présumant que le
lectem* sait assez de grammaire et de latin pour trouver lui-
même la constraction d'une phrase ' ; il a souvent laissé les
épithètcs au poète, etc. » Malgré cela , cette version est assez
fidèle ; mais elle est mal écrite. Lefebvre n'a pas l'air de se
douter qu'il traduit un poète , un poète descriptif snrtoiit , chez
qui la poésie est moins dans la pensée que dans les mots , on
il faut rendre noti seulement le sens et la Tettre de la phrase,
I. C'est à cttJte occasion C[B*il a laissé éclMp|>er «eft« boida^e <fsi ne Sf>rait
pas encore déplacée aujourd'hui : «* Si j'a-vâis ècril pour des AHeuMinds, j'au-
rais tout dit, sans passer le moindre mot, parce qu'en qualité d'Allemand .
j'aurais eu droit de supposer tmis mes lecteurs ignorans. Mais nous afous
plus d'honnêteté eu France. » Le trait a frappé juste.
ET SUR SON POEME. xxxiij
mais la grandeur des images , l'harmonie, le nombre des pé-
riodes , la noblesse et la magnificence des expressions. Ce que
n'a point fait Lefebvre de Yillebrune , nous avons tenté de le
faire ; nous avons essayé de donner une traduction exacte et
littérale de Silius. Ce travail n'était point sans difficultés, et
si, de temps en temps, nous sommes parvenus à les vaincre,
ce n'a pas été sans une lutte assez longue et assez pénible, dé-
couragés parfois en songeant au peu d'estime accordé au poète
et à son livre, mais ranimés et soutenus par l'idée qu'en tra-
duisant Silius , c'était souvent Homère et Virgile qu'il nous
fallait traduire.
E. F. CORPÈT.
Septembre i836.
I.
LES PUNIQUES.
LIVRES I— V
TRADUITS
PAR E. F. CORPET.
SOMMAIRES'.
LIVRE V\
Exposition. — Origine de Carthage, chère à Janon. — Jalouse
de la grandeur de Rome , la déesse anime contre cette ville la
haine naissante d'Annibal. — Portrait d'Annibal. — Jeune en-
core, il est amené par Amilcar, son père, dans le temple de Di-
don, où la prétresse lui révèle ses triomphes futurs, et il jure sur
les autels la guerre aux Romains. — Mort d* Amilcar. — Asdru-
bal, son gendre, lui succède. — Portrait d'Asdrubal. — Mort
I. Nous avions à choisir entre les sommaires. Us n^ont pas plus manqué à
Siliiis qu*à Yirgile et à la plupart des autres poètes épiques. Les plus anciens
sont ceux de Buschius (Hermannus Buschius Pasiphilus*), composés en vers
suivant Tusage du temps, et de quatorze vers chacun. Ils parurent pour la pre-
mière fois dans Tédition de Venise (ou Leîpsik) i5o4, avec cette naïve recom-
mandation placée à la fin du volume : « Habes, candide lector, divinum opus
Silii Italici de secundo bello Punico , noviter et emaculate impressum cura et
impensb Baccalaurii Martini Herbipolensis, cum argumentis Hermanni Buschii
in singulos libros : ex quibus tibi, quid in unoquoque volumîne continetur,
statim apprehendere poteris. *> En i5i5, un éditeur brouillon et jaloux, Am-
broise Nicandre, rejeta les Argumens de Buschius, et en composa de nouveaux ,
mais de deux vers chacun seulement, sous le titre de Catalepses. Ces argu-
mens en vers n'ont été que bien tard reconnus insuffisans. Lefebvre de Yîlle-
brune a conservé et traduit ceux de Buschius. Les derniers commentateivs
allemands , Ernesti et Kuperti , ont mis de côté ces analyses incomplètes , et
les ont remplacées par des sommaires en prose, beaucoup plus développés, et
qui nous ont servi à faire les nôtres.
* Hbrmah V4V DSR BuscHc , né à Dolmen en Westphalie , and d'Érasme. On dte de lui an
trait plus corieux que les sommaires et les scholies dont il a enrichi Silius. Étant à Marporç ,
il passa ^ar une plate où personne ne le salua. Rentré chez Ini, il prend nn habit fort propre,
et repasse par la même place, où tout le monde s'empresse alors de loi faire mille politesses,
ce Quel aveuglement des hommes I s'écrià-t-il de retour au logis : c'est donc mon habit , ce n'est
pas Basche qu'ils saluent! » Il en eut Unt de chagrin, qu'il se retira à Dolmen, où il monrat
quelquv temps après.
SOMMAIRE DU LIVRE II. 37
d'Asdrubal. Il est tué par TesclaYe deTagus, petit souTerain d*une
proYÎnce d'Espagne, qu'il avait fait mettre en croix. — Annibal ,
malgré son jeune âge, est salué général par l'armée entière, com-
posée d'Espagnols et de Carthaginois. — Description de la Libye
et de l'Espagne. — Caractère de leurs habitans. -r- Sûr de l'amour
des soldats, dont il partage les travaux et les fatigues, Annibal saisit
la première' occasion qui se présepte de se mettre en guerre avec
Rome ^ et, au mépris de tous les traités, marche contre Sagonte,
ville de l'Espagne Tarraconaise , et alliée des. Romains. — Ori-
gine et description de Sagonte; son histoire. — Siège de Sagonte.
— Les assiégés résistent quelque temps à l'aide de la falarique.— *
Description de la fabrique. — L'ennemi parvient à faire une
brèche , et pénètre dans la ville. — Murrus tente en vain de re-
pousser les Carthaginois, dont il fait un immense carnage; il est
tué par Annibal. — Annibal, vainqueur, s'arrête pour enlever la
dépouille de Murrus; il est entouré par l'ennemi et blessé. — Ju-
non l'arrache au danger; il se retire du combat, pour panser et
guérir sa blessure. — Cet accident et l'approche de la nuit mettent
fin au combat. — Les assiégés profitent de l'obscurité pour répa-
rer leurs forces, et relever leurs murailles. — Un conseil s'assemble
et décide qu'on enveixa des députés aux Romains. — Les députés
s' embarquent , arrivent à Rome , se présentent au sénat. — Des-
cription du Sénat roniain. — Discours de Sicorîs, député sa-
gontin. Il implore les secours de Rome. — Le sénat délibère.
Cn. Corn. Lentulus veut qu'on exige à l'instant de Carthage la
personne d'Ânnibal, et que, sur son refus, on lui déclare la
guerre. — - Q. Fabius Maximus Cunctator désapprouve ce parti
violent, et propose d'envoyer d'abord à Carthage des députés
pour savoir si Annibal a pris sur lui d'attaquer Sagonte , ou s'il
y a été autorisé par le sénat carthaginois. — Les sénateurs , émus
de douleur et d'indignation, rejettent ces prudentes mesures, et
adoptent par acclamation la proposition de Lentulus.
LIVRE IL
Q. Fabius Maximus et L. Valerius Flaccus , députés du sénat
romain , abordent au port de Sagonte. — Annibal refuse de les
38 SOMaïAUŒ DU LIVRE II.
entendre. — Ils se rembarquent et Tognent vers Cartiinge. —
Discours d'Annibal, il excite ses troupes et recommence l'attaque.
— Asbyté , fille d'Iarbas , roi des Gétnles , dirige contre la ville
assiégée la phalange de femmes guerrières qu'elle commande. —
Mopsus, archer crétois, arrête leur marche, s'élance au devant
d'Asbyté, blesse à mort Harpe, une de ses compagnes; mais, dé-
sespéré de voir ses deux fils , Dorilas et Icare , tomber sous les
coups d* Asbyté , il se précipite du haut des murailles de la ville*
— Théron , prêtre d'Hercule , se présente au combat , renverse
Asbyté de son char, et lui coupe la tête, qu'il promène an haut
d'une pique. — À la vue de ce douloureux trophée , Annibal s'a-
vance pour venger le trépas de l'héroïne : les Sagontins fuient ,
Théron veut en vain les retenir, ils rentrent dans la ville; Anni-
bal poursuit Théron resté seul hors des murailles, l'atteint, le tue
et traîne trois fois son cadavre autour du bûcher d'Asb3rté. — Le
sénat de Carthage s'assemble et délibère sur la réponse qu'il doit
faire aux députés romains. — Discours de Hannon : il pense
qu'Annibal doit être puni et Rome satisfaite. — Discours de Gestar ;
il réfute le discours de Hannon ; il vante l'habileté et la bravoure
d' Annibal ; il conseille et demande la guerre. — Hannon réplique
et insiste pour qu'on livre Annibal. — Le sénat s'y refuse et re-
jette sa proposition* — Fabius alors laisse retomber les plis de sa
toge , déclare la guerre à Carthage et retourne à Rome avec la
députation. — Pendant ce temps , Annibal , qui avait laisse Sa-
gonte pour soumettre quelques peuplades ennemies, recommence
le siège. — Les Espagnols lui font présent d'une armure magni-
fique. — Description de cette armure, qui représente, ciselées avec
art, les origines et les destinées de Carthage. — Misère et détresse
des Sagontins; ne voyant point arriver la flotte qu'ils attendent,
ils perdent tout espoir; pressés par la faim , ils sont réduits à vivre
de Fécorce des arbres et du cuir de leurs boucliers. — Hercule a
pitié de Sagonte, dont il est le fondateur. — Il va implorer en se-
cret le secours de la déesse de la Foi, qui, touchée de ses prières,
relève le courage des Sagontins, qui se décident à tout endurer
plutôt que de se rendre. — > Mais la démarche de cette déesse n'a
pu échapper à Junon, qui se trouvait près de la ville, et qui
évoque aussitôt Tisiphone de& enfers. — Sous les traits de Tî-
hume , veuve de Murrus , la Furie excite les Sagontins à s'entre-
SOMMAIRE DU LIVRE IV. ^9
détruire. — Rage et délire des assiégés. — Ils élèvent iin énorme
bûcher, qu'ils chargent de leurs trésors et de leurs riche;sses,
rallument, et s'y précipitent en s* égorgeant mutuellement. —^ An-
nibal s'empare de la ville. — La Furie retourne aux enfers.
UVRE in.
AiTNiBAL envoie Bostar consulter l'oracle de Jupiter Ammon sur
lu guerre qu'il va entreprendre contre Rome. — Il se rend lui-
même à Gadès et offre des présens â Hercule. — Description des
portes dp temple d'Hercule,- où sont représentés les travaux de
ce dieu. — Description du flux et reflux de la mer. — Annibal
renvoie en Afrique sa fçmnie Imilcé et son fils à la mamelle. —
Songe d'Annibal. Mercure lui apparaît, lui reproche son repos et
lui apprend qu'il est chargé par Jupiter de le conduire en Italie.
— Annibal réunit ses troupes et se met en marche. — Dénombre-
ment de son armée. — Annibal traverse les Pyrénées, le Rhône et
la Durance. — Il combat et disperse les peuples des Gaules qui
s'opposaient à sa marche, et arrive au pied des Alpes. — Passage
des Alpes. — Vénus, voyant les progrès d'Annibal, se plaint à son
père. — Jupiter la rassure , et lui prédit la grandeur future de
Rome , et l'empire glorieux des Flaviens. — Éloge des empereurs
Vespasien, Titus, et Domitien. — Annibal, descendu des Alpes,
s'avance en Italie, et campe au pays des Taurins. — Bostar, re-
venu d'Afrique , lui rapporte la réponse favorable de l'oracle. —
Description du temple de Jupiter Ammon..
LIVRE IV.
Rome apprend avec effroi la marche d'Annibal L'alarme se
répand dans la ville et dans les campagnes. — Le sénat rassure
les citoyens et les prépare à la guerre. — Annibal séduit par des
prcsens les peuples gaulois riverains du Pô, et lève son camp. — ■
Le consul P. Com. Scipion , revenu en toute hâte de Marseille ,
s'avance contre lui. — Ils arrivent tous deux en même temps au
bord du Tésiii. — Discours de Scipion à ses troupes. — Un éper-.
4o SOMMAIRE DU LIVRE V.
vier parait dans les airs , poursuivant des colombes* Un aigle sur-
vient qui les délivre et fait fuir Tépervier. — Les deux armées expli-
quent cet augure à leur avantage, et en tirent un présage favorable.
— L'aruspice carthaginois fiogus lance son javelot à l'ennemi. — Le
combat s'engage. — Les Boïens, sous la conduite de Cryxus, char-
gent les premiers. — Scipion les< repousse et tue Cryxus^qui l'avait
provoque à un combat singulier. — Magon dirige contre Scipion
la cavalerie numide et carthaginoise. — Annibal lui-même se
jette dans la mêlée. — Combat de trois Romains contre trois Car-
thaginois. — Les Romains plient : Scipion les arrête et se précipite
au milieu des ennemis. — Danger de Scipion : il est sauvé par son
jeune fils. — Scipion profite de la nuit, s'éloigne avec son armée
et gagne la Trébie, où le consul T. Sempronius Longus le rejoint.
— Annibal passe le Pô, et vient camper devant eux. — Il les har-
cèle , et finit par décider Sempronius à lui livrer bataille. — Ba-
taille de la Trébie. Défaite des Romains , vainement secourus par
Scipion, qui, malgré sa blessure, immole une multitude d'ennemis
et encombre le fleuve de leurs cadavres. — La Trébie, indignée,
se déborde et veut engloutir le consul. — Vulcain , sur la prière
de Vénus, tire Scipion du danger, répand sur le fleuve la flamme
et l'incendie, et arrête ainsi les progrès de l'inondation. — C. Fla-
minius est crée consul à Rome. — Junon, sous les traits du lac
Trasymcne, apparaît à Annibal et l'engage à poursuivre sa marche.
— Passage de l'Apennin. — Annibal perd un œil, arrive en Étrurie
et campe près du lac Trasymène. — Cependant , à Carthage , le
fils d'Annibal est condamné par le sort à être immolé à Saturne.
— Imilcé supplie le sénat de retarder le supplice et l'engage à
consulter avant tout Annibal. — Le sénat charge Annibal du soin
de satisfaire le sort. — Annibal accueille avec bonté les députés du
sénat ^ refuse de sacrifier son fils et promet d'inunoler k sa place
aux dieux de sa patrie des milliers d'ennemis. — Il divise son ar-
mée en quatre corps et se dispose au combat.
LIVRE V.
Annibal place des embuscades sur les montagne^ et dans les
bois voisins du lac. — Flaminius, au point du jour, s'engage, sans
SOMMAIRE DU LIVRE V. 41
ordre et sans défiance , dans les défilés. — Il méprise les augures
et les avis contraires, et présente le combat. — Discours de Fla-
minius à ses troupes. — Annibal , voyant l'ennemi enfermé par le
lac et les montagnes, donne le signal. — Les Carthaginois s'élan-
cent de toutes parts et investissent l'armée romaine. — Bataille du
lac Trasymène* — Mort de Nérius, de Yolunx , d'Appius , massacré
par Magon , dont il avait tué le gendre , et qu'il blesse avant de
mourir. - — Annibal enlève du combat Magon blessé , et le ramène
au camp y où il le confie aux soins du médecin Synbalus. — Le
consul 9 en leur absence, fait un grand carnage : Bogus, Pagasus,
Othrys, etcu, tombent sous ses coups dans ]a plaine. — Pendant
ce temps Sycbée, sur la montagne, poursuit une cohorte sicilienne,
qui se réfugie au haut de deux grands arbres. Sychée en abat un
qui écrase en tombant les soldats caches dans ses branches; il met
le feu à l'autre, et brûle ainsi dans les flammes le reste de cette
cohorte. — Mort de Sychée, tué par le consul. — Annibal et Ma-
gon guéri reviennent au combat et recommencent le carnage. —
Les soldats rapportent au camp le cadavre de Sychée. — Annibal ,
à cette vue, jure de venger le héros, et provoque Flaminius à un
combat singulier. — Le consul accepte. — Un tremblement de
terre les sépare. — Déroute des Romains. — Le consul les rap-
pelle au combat : il est reconnu et tué par un Boîen , Ducarius.
— Les jeunes chefs de l'armée romaine , n'ayant pas le courage de
survivre à ce désastre, se donnent la mort, et tombent sur le ca-
davre du consul qu'ils couvrent de leurs corps. — Après le com-
bat, Annibal, vainqueur, parcourt avec Magon, son firère , le
champ de bataille, admire long- temps les blessures honorables
et le trépas héroïque des soldats romains , et rentre au camp à
l'approche de la nuif.
„ — tmmm m tm iii mu i
C SILn ITAUCI
PUNICORUM
LIBER PRIMUS.
V^RBiOA arma , quibus cœlo se gloria tollit
/Kaeadum, patitiirque ferox Œnotria jura
Carthago. Da, Musa, decus memorare laborum
AiUiquae Hesperiae, quantosque ad bella crearit,
Kt quot Roma viros , sacri quum perfida pacti
Gens Cadmea super regno certamina movit ;
Qua^situmque dîu , qua tandem poneret arce
Terrarum Fortuna caput. Ter Marie sinistro
Juratumque Jovi fœdus couventaque patrum
Sidonii fregere duces; atque inpius ensis
Ter placilam suasit temerando rumpere pacem.
Sed medio finem bello excidiumqiie vicissim
Molitœ gentes ; propiusque fuere pericio ,
Quîs superare datum. Reseravit Dardanus arces
Ductor Agenoreas : obsessa Palatia vallo
Pœnoruni, ac mûris défendit Roma salutem.
s.
»nMMnniutitM»H0m/t/vvyÊHt90¥UV*nttn/*m0ytiv*mm/¥VV¥¥ytiV9HH0V9MtnnMytt*nMV*itMtMn»miw¥»^^
C. SILIUS ITAIilCUS.
LES PUNIQUES
LIVRE PREMIER.
Je chante ia guerre qui porta au ciel la gloire des
enfans d'Énée, et soumit Taltière Carthage aux lois de
l'ÉnoIrie. Muse, aide-moi à rappeler les labeurs glorieux
de l'antique Hespérie, cl le nombre et le génie des hé-
ros que Rome enfanta pour la guerre, alors qu'infidèle
aux pactes sacrés, la race de Cadmus leva les armes
pour lui disputer l'empire, et que long-temps la Fortune
chercha sur quels remparts asseoir enfin la souveraineté
du monde* Trois fois, malgré Mars contraire, les chefs
sidoniens trahirent ralliance jurée devant Jupiter, et les
traités des ancêtres; trois fois le glaive impie les en-
traîna follement à rompre la paix convenue. Mais, dans
la seconde de ces trois guerres surtout, chaque nation
lutta d'eflforts pour la perte et la ruine de l'autre, et
celle-là fut plus près de sa chute, à qui le sort donna,
la victoire. Le chef dardanien força les remparts d'x^gé-
nor : les Carthaginois campèrent au pied du Palatin , et
Rome assiégée ne dut son salut qu'à la défense de ses
murailles.
44 PUNICORUM LIB. I. (v. 17.)
Tasttarum causas iraniin odiumque perenni
Servatum studio , et mandata nepotibus arma
Fas aperire mihi , superasque recludere mentes.
Jamque adeo magnî repetam primordia motus.
_ »
Ptgmalioneis quondam per caerula terris
Pollutum fugieus fraterno crimine regnum
Fatali Dido Libyes adpellitur orae :
Tum pretio mercata locos, nova mœnia ponit,
Cingere qua secto permissum litora tauro.
Hic Juno, ante Argos (sic credidit alta vetustas),
Ante Aganiemnoniam , gratissima tecta , Mycenen j
Optavit profugis aeternam condere genteni.
Verum ubi magnaniniis Bomam caput urbibus alte
Exserere y ac missas etiam trans aequora classes
Totum signa videt victricia ferre per orbem,
Jam propius metuens^ bellandi corda furore
Phœnicum exstimulat. Sed enim conamine primae
Contuso puguae, fractisque in gurgite cœptis
Sicanio Libycis , iterum instaurata capessens
Arma remolitur. Dux agmina subficit unus
Turbanti terras pontumque movere paranti.
Jamque Deae cunctas sibi belliger induit iras
Hannibal : hune audet solum componere fatis.
Sanguinep tum laeta viro, atque in régna Latini
Turbine mox saevo venientum haud inscia cladum j
«Intulerit Latio^ spreta me, Troius, inquit,
LES PUNIQUES, LIV. I. 45
C'est à moi de dévoiler l'origine de ces longs ressen-
timens, de cette haine vivace, pieusement gardée et
transmise des pères aux fils avec les armes; à moi de ré-
véler les mystères d'en haut. Je remonterai donc à la
source de ces grandes querelles.
Fuyant jadis y à travers les mers, les états de Pygma-
lion et son royaume souillé par le crime d'un frère ,
Didon, guidée par les destins , aborde aux rives de Libye.
Là j elle achète des terres ; elle entoure de murailles
neuves tout l'espace que peut embrasser sur les rivages
le cuir découpé d'un taureau. C'est dans ce lieu, plus
cher à Junon que son Argos ^ plus même (ainsi le crut
la haute antiquité) que le séjour bien-aimé de Mycène
l'Agamemnonienne, c'est dans ce lieu que la déesse voulut
fonder pour toujours une patrie à ces exilés. Mais quand
elle vit Rome dresser hautement sa tête au dessus des
puissantes cités, et ses flottes franchir les mers et porter
par le monde entier ses aigles victorieu$es, elle trembla
d'un péril si proche, elle éveilla dans l'âme des Phéni-
ciens la passion des armes. Ils succombent dans l'épreuve
d'une première bataille, les efforts de la flotte libyenne
échouent dans les mers de Sicile; mais Junon reprend
l'œuvre de guerre, et recommence la lutte. Un chef, un
seul, lui vaut des armées pour remuer l'océan et bou-
leverser le monde.
Déjà le belliqueux Annibal s'est inspiré de toutes les
fureurs de la déesse, et c'est lui seul qu'elle ose opposer
aux destins. Ce héros sanguinaire fait sa joie, car elle
n'ignore pas les désastres qui s'en vont fondre avec la
violence de la tempête sur le royaume de Latinus. «Oui,
en dépit de moi, dit-elle, un Troyen fugitif aura porté
46 PUNICORUM LIB. I. (v. 43)
Exsul Dardaniam , et bis ntimina capta Pénates ,
Sceptraque fundarit victor Lavinîa Teucris ;
Dum Romana tuae , Ticine , cadavera ripae
Non capiant, siniilisque mihi per Celtica rura
Sanguine Pergameo Trebia et stipantibus armis
Corporibusque virum rétro fluat , ac sua largo
Stagna reformidet Trasymenus turbida tabo ;
Dum Cannas tumulum Hesperiae, campumque cruore
Ausonio inersum sublimis lapyga cernam ,
Teque vadi dubium coeuntibus , Aufide , ripis
Per clipeos, galeasque virum, caesosque per artus
Vix iter Hadriaci rumpentem ad litora ponti. »
Haec ait, ac juvenem facta ad Mavortia flammat.
Ingenio motus avidus fideique sinister
Is fuit : exsuperans astu; sed devius aequi.
Armato nullus Divumpudor; inproba virtus,
£t pacis despectus honos; penitusque medullis
Sanguinis huinani flagrat sitis : his super, aevi
Flore virens, avet agates abolere, parentum
Dedecus , ac Siculo demergere fœdera ponto.
Dat mentem Juno, ac laudum spe corda fatigat.
Jamqoe aut nocturno pénétrât Capitolia visu ,
Aut rapidis fertur per summas passibus Alpes.
Saepe etiam famuli turbato ad limina somno
Expavere trucem per vasta silentia vocem ,
Ac largo sudore virum invenere fîituras
LES PUNIQUES, LIV. I. 47
au sein du' I^tium sa Dardanie et ses pénates, ses dieux
deux fois esclaves; il aura vaincu et fondé à ses Teucriens
un empire dans Lavihium : mais tes rives, ô Tésin, ne
pourront contenir tous les cadavres des Romains; mais
la Trébie aussi, dans les plaines celtiques, grossie par
moi de sang troyen , et d'armes et de corps entassés ,
reculera vers sa source; mais le Trasymène, avec effroi,
verra ses eaux troublées au loin des souillures du cai'-
nage; mais Cannes sera le tombeau de rHespérie,et, du
haut du ciel, je contemplerai les campagnes iapygiennes
ruisselantes de sang ausonien, et ton cours égaré. Au*
fide, et tes rives confondues, et tes efforts, au travers
des boucliers, des casques, des membres déchirés, pour
te frayer une voie jusqu'aux bords de l'Adriatique, w
Elle dit , et embrase ce jeune cœur de l'amour des ba-
tailles. , .
C'était un génie avide de mouvement; d'une foi dou-
teuse : génie supérieur pour la ruse , mais déviant de
l'équité. Sous les armes, nul respect des dieux, un cou-
rage indomptable, et le mépris de la paix, même glo*
rieuse : la soif du sang le brûlait au fond des en-
trailles. Dans la sève et la fleur de son jeune âge, il
aspire à réparer l'échec des Égates , l'affront de sa
famille , a noyer les traités dans la mer de Sicile.
Junon l'anime , et le tourmente de l'ambition de la
gloire. Et déjà, dans ses visions nocturnes, il pénètre
au Capitole , ou franchit d'un pas rapide les som-
mets des Alpes. Souvent , au seuil de sa porte , ses
gardes, troublés dans leur sommeil, s'éveillèrent épou-
vantés des éclats de sa voix dans la solitude et le si-
lence, et le trouvèrent, inondé de sueur, soutenant en
'*.
48 PUNICORUM LIB. I. (▼. 69.)
Miscentem pugnas, et inania bella gerentem.
Hang rabiem ia fines Italum Saturniaque arva
Addiderat quondam puero patrius furor : ortus
Sarrana prisci Barcae de gente , vetustos
A Belo numerabat avos : namque orba marito
Quum fugeret Dido famalam Tyron , inpia diri
Belides juvenis vitaverat arma tyranni ,
Et se participem casus sociarat in omnes.
Nobilis hoc ortu, et dextra spectatus Hamilcar,
Ut fari primamque datum distinguere lingua
Hannibali vocem, sollers nutrire furores^
Romanum sévit puerili in pectore bellum.
Urbe fuit média sacrum genetricis Ëlissae
ManibuSy et patria Tyriis formidine cultum,
Quod taxi circum et piceae squalentibus umbris
Abdiderant, cœlique arcebant lumine, templum.
Hoc sese y ut perhibent , curis mortalibus olim
Exuerat Regina loco. Stant marmore mœsto
Effigies j Belusque parens , omnisque nepotum
A Belo séries : stat gloria gentis Âgenôr,
Et qui longa dédit terris cognomina Phœnix.
Ipsa sedet tandem aeternum conjuncta Sychaeo ;
Ante pedes ensis Phrygius jacet : ordine centum
Stant arae cœlique Deis Ereboque potenti.
Hic 9 crine efTuso, atque Hennaeœ numina divae,
Atque Acheronta vocat Stygia cqm veste sacerdos.
s
LES PUNIQUES , LIV. I. /,9
héros les guerres à venir, et livraot des batailles ima-
ginaires.
Cette rage acharnée contre l'Italie et l'empire de Sa-
turne , il l'avait puisée , enfant encore, dans la haine
paternelle. Issu de la race sarranienne du vieux Barca,
il comptait depuis Bélus d'antiques aïeux. Quand Didon,
veuve de Sychée, fuyait Tyr asservie, un jeune prince
du sang de Bélus s'était soustrait au glaive impie du
tyran cruel, et, associé à la fortune de la reine, avait
partagé tous les hasards avec elle. Sorti de cette noble
origine, et célèbre par ses exploits, Amilcar entendit à
peine les premiers mots d'unJaagage distinct s'échapper
des lèvres d'Annibal, que, semant la haine au cœur de
l'enfant, il y fit germer habilement le désir de com-
battre Rome.
Au milieu de la ville, consacré trux mânes d'Elissa
mère de Carthage, et révéré des Tyriens avec une ter-
reur religieuse et héréditaire, un temple s'élevait envi-
ronné d'ifs et de sapins qui le couvraient de leur ombre
lugubre et repoussaient la lumière du ciel. C'était là,
disait-on, que la reine autrefois s'était délivrée de ses
douleurs mortelles. Là sont rangées de sombres statues
de marbre : Bélus , père des Tyriens , et toute la suite
des descendans de Bélus; là siège Agénor, la gloire de
sa nation , et Phénix qui donna long-temps son nom à
son pays. Là siège Didon ellomême, pour toujours enfin
réunie à Sychée; à ses pieds gît un glaive phrygien. Cent
autels sont dressés aux dieux du ciel et aux puissances
de l'Érèbe. C'est là que, les cheveux épars, une prê-
tresse, en tunique stygienne, évoque la déesse d'Henna
et l'Achéron. La terre mugit , d'horribles sifQemens
percent les ténèbres, des feux qu'on n'a point allumés
I. 4
5o PUNICORUM LIB. I. (v. 9^ )
Immugit tellus, rumpitque harrenda per umbras
Sibila ; inadcensi flagrant altaribus ignés.
Tum tnagico volitant cantu per inania mânes
Ëxciti , vultusque in marmore sudat Elissœ»
Hannibal haec patrio jussu ad penetralia fertur,
Ingressique habitus atque ora explorât Hamilcar.
Non ille evantis Massylse paliult iras ,
Non diros templi ritus , adspersaque tabo
Limina^ et audito surgentes carminé flammas.
Olli permulcens genitor caput j oscula libat ,
AdtoUitque animos hortaado j et talibus inplet :
« Gens récidiva Phrygum CadmeaE* stirpis alumnos
Fœderibus non œqiia premit : si fata negarint
Dedecus id patriœ nostra depellere dextra ,
Haec tua sit la us ^ nate , velis ! âge , concipe l^ella
Latura exitium Laurentibus ! horreat ortiis
Jam pubes Tyrrbena tuos ; partusque récusent ,
Te surgente , puer, Latiae producere matres. »
His acuit stimulisy subicitque haud mollla dictu :
ce Romanos terra atque undis , ubi competet «tas ,
Ferro ignique sequar, Rhœteaque fata revolvam.
Non Sùperi mihi , non Martem cohibentia pacta ,
Non ceisse obstiterint Alpes, Tarpeiaque saxa.
Hanc ment^m juro nostri per numina Martis ;
Per mânes, Begiua, tuos. » Tum nigra triformi
Hostia mactatur Divae, raptimque recludit
LES PUNIQUES, LIV. I. 5i
s'euflamment sur les autels. Attirés par le chant ma-
gique, les mânes voltigent dans l'espace, et des traits de
marbre d'Élissa découle la sueur. A la voix de son père,
Annibal marche vers ce sanctuaire; il y entre : Amitcar
observe ses traits et son maintien. Il n'a point pâli de-
vant les fureurs de la Massylienne en délire, devant les
rites cruels du temple, devant ses parvis arrosés d'un
sang noir, devant ces flammes qui surgissent au bruit
des paroles sacrées. Le père , lui caressant le front , lui
donne un doux baiser; puis l'encourage, exalte son au-
dace et le remplit de ses projets :
« La race des Phrygiens s'est ranimée ; elle asser-
vit sous d'injustes traités les enfans de Cadmus : s'il
est dans les décrets du sort que notre main ne puisse
délivrer la patrie de cet opprobre, à toi du moins en
soit la gloire,, ô mon fils! accepte-la! Tu vas vouer ici
guerre et extermination aux Laurentins ! Que la jeu-
nesse tyrrhénienne maudisse ta naissance , et qu'en te
voyant grandir, enfant, les mères du Latium tremblent
d'être fécondes! »
Il le pique ainsi de l'aiguillon, et lui dicte ces dures
paroles :^ « Je poursuivrai les Romains sur la terre et
les mers, par le fer et la flamme, aussitôt que l'âge me
sera venu ; je recommencerai les désastres de Troie.
Rien ne m'arrêtera, ni les dieux, ni les pactes qui dé-
fendent la guerre, ni les cimes des Alpes, ni les roches
Tarpéiennes. Et ce serment, je jure de l'accomplir, par
la divinité de notre Mars , par tes mânes , 6 reine ! »
Alors on immole une victime noire à la triple déesse ;
la prêtresse ouvre à la hâte le cadavre palpitant, in-
4.
5a PUNICORUM LIB. I. (v. 12 1.)
Spirantes artus poscens responsa sacerdos,
Ac fugientein animam properalis consulit extis.
AsT ubi quaesitas artis de more vetustae
Intravit mentes Superum , sic deinde profatur :
c( ^tolos late consterni milite campos ,
Idaeoque lacus flagrantes sanguine cerno.
Quanta procul moles scopulis ad sidéra tendit ^
Cujus in aerio pendent tua vertice castra!
Jamque jugis agmen rapitur ;trepidantia fumant
Mœnia, et Hesperio tellus porrecta sub axe
Sidoniis lucet flammis : fluit ecce cruentus
Eridanus : jacet ore truci super arma virosque y
Tertia qui tulerat sublimis opima Tonanti.
Heu ! quaenam subitis horrescit turbida nimbis
Tempestas, ruptoque polo micat igneus œtlier?
Magna parant Superi : tonat alti regia cœli ;
Bellantemque Jovem cerno.» Venientia fata
Scire ultra veluit Juno , fibraeque repente
Conticuere : latent casus longique labores.
Sic clausum linquens arcano pectore bellum ,
Atque hominum fînem Gades Calpenque secutus ,
Dum fert Herculeis Garamantica signa columnis ,
Occubuit saevo Tyrius certamine ductor.
Interea rerum Hasdrubali traduntur habenae j
Occidui qui solis opes , et vulgus Hiberum ,
Baeticolasque viros furiis agitabat iniquis.
LES PUNIQUES, LIV. I. 55
terroge avidemeut les entrailles et demande une réponse
à Tâme qui s'envole.
Après avoir ainni consulte les dieux suivant les rites
antiques , elle pénètre enfin leurs mystères et s'écrie :
<( Je vois les vastes plaines d'Étolie couvertes de soldats
expirés 9 je vois des lacs tièdes de sang idéen. Quelle
masse de rochers s'élève au loin jusqu'aux nues, et qu'ils
sont hauts les sommets d'où penche ton camp suspendu
dans les airs! Mais l'armée se précipite des montagnes;
les murailles fument ébranlées , et la terre qui se pro-
longe sous le ciel d'Hespérie s'éclaire des feux sidoniens
qui l'embrasent. Yoici l'Eridan qui roule ensanglanté. Sur
des monceaux d'armes et de guerriers tombe , menaçant
encore, celui qui trois fois porta fièrement d'opimes dé-
pouilles au dieu du tonnerre. Hélas! quelles soudaines
ténèbres ! une horrible tempête éclate , le pôle s'en-
tr'ouvre, l'éther brille enflammé. De grandes choses en
haut se préparent : les profondeurs des palais du ciel
tonnent, et je vois Jupiter en armes! » Junon lui dé-
fendit de pénétrer plus avant dans la science de l'ave-
nir : aussitôt les fibres se taisent : elle ignore les longs
travaux et les revers. Alors, laissant sou fils avec ces
pensées de guerre au fond de l'âme, le général tyrien
gagne les confins du monde, Gadès et Calpé, porte les
enseignes garamantiques jusqu'aux Colonnes d'Hercule,.
et meurt cruellement emporté dans une bataille.
Cependant les rênes du pouvoir passent aux mains
d' A sdrubal, maître alors dés opulentes contrées de l'Oc-
cident, violent et injuste oppresseur du peuple ibère
54 PlTNICORUM LIB. I. (v. u: )
Tristîa corda ducis , simul iomedicabilis ira , .
Et fructus regui feritas erat : asper amore
Sanguînis , et metui démens credebat honorem ;
Nec nota docilis pœna satiare furores.
Ore excellentem et spectatum fortibus ausis
Antiqiia de stirpe Tagum , Supenitnque hominumquc
Inmemory erecto subfixum robore mœstis
Ostentabat ovans populis sine funere regem.
Auriferi Tagus adscito cognomine fontis
Perque antra et ripas Nymphis ululatus Hiberîs.
Maeonium non ille vadutn j non Lydia mallet
Stagna sibi , nec qui riguo perfunditur auro
Campum, atque inlatis I^ermi (lavescit arenis.
Primus inire manu, postremus ponere Martem.
Quum rapidum efTusis ageret sublimis hàbenis
Quadrupedeiri , non ense virum , non eminus hasta
Sistere erat : volitabat ovans , aciesque per ambas
Jam Tagus auratis adgnoscebatur in armis.
Quem postquam diro suspensum robore vidit
Déformera leti famulus , clam.conripit ensem
Dilectum domino , pernixque iurumpit in aulam ,
Atque inmite ferit geminato vulnere pectus.
At Pœni succensi ira ^ turbataque luctu
Et saevis gens lœta, ruunt tormentaque portant.
Non ignés candensque chalybs , non verbera passim
Ictibus innumeris lacerum scindentia corpus j
LES PUNIQUES, LIV. I. j^
et de l'habitant des campagnes bétiques. C'était un génie
sombre, implacable en sa haine, et féroce par droit de
puissance : dans son brutal amour du sang, il croyait,
l'insensé, s'honorer par la terreur, et rarement un sup-
plice connu put assouvir sa rage. Un prince d'une an-
tique origine, Tagus, était célèbre et par sa haute élo-
quence et par ses hardis faits d'armes. Au mépris des
dieux et des hommes, Asdrubal l'attache au faîte d'une
croix , et montre en spectacle aux peuples affligés leur
roi sans sépulture. Tagus avait pris le nom d'un fleuv«
qui roule des flots d*or, et, par les antres et les rivages,
les nymphes d'Ibérie le pleurèrent. A son fleuve, il n'eût
préféré ni la source Méonienne, ni les lacs de Lydie, ni
ces plaines que l'Hermus arrose de ses ondes dorées et
qu'il jaunit de sa blonde arène. Il était le premier au
combat , le dernier à poser les armes. S'il poussait en
avant son coursier rapide et lui lâchait les rênes, ni
répée ni la lance n'arrêtait son élan sublime : il volait
superbe, et les deux armées reconnaissaient Tagus res^
plendissant au loin sous l'or de son armure. A la vue
de son cadavre suspendu à l'arbre funeste et défiguré
par la mort , un de ses gardes saisit secrètement l'épée
chérie de son maître, marche au palais, s'élance sur le
tyran et le frappe au cœur d'une double blessure. Les
Carthaginois frémissent de rage : aveuglés par la dou-
leur, et cruels à plaisir, ils se jettent sur l'esclave et
commencent les tortures. Long-temps il endura le feu,
et l'acier brûlant , et les lanières dont les coups redou-
blés lui déchiraient le corps en lambeaux , et les mains
acharnées qui lui versaient un plomb dévorant dans les
veines, et les flammes attachées à ses plaies vives : chose
horrible à voir et à dire, leur ingénieuse cruauté sut lui
56 PIJNICORUM LIB. I. (v. 173.)
Carnificesve nianus , penitusve infusa meduUis
Pestis, et in medio lucentes vulaere flammae
Cessavere : ferutn visu dictuque , per artem
Saevitiae extenti , quantum tormenta jubebant ,
Creverunt artus, atque, omni sanguine rapto,
Ossa liquefactis fumarunt fervida membris.
Mens iutacta manet; superat, ridetque dolores,
Spectanti similis, fessosque labore ministros
Increpitat, dominique crucem clamore reposcit.
Kmc inter spretae niiseranda piacula pœnae,
Ërepto trepidus ductore exercitus, una
Hannibâlem voce atque alacri certamine poscit.
Hinç studia adcendit patriae virtutis imago,
Hinc fama in populos jurati didita belli,
Hinc virides ausis anni fervorque decorus j
Atque armata dolis mens et vis insita fandi.
Primi ductorcm Ijbyes clamore salutant;
Mox et Pyrenes populi , et bellator Hiberus :
Continuoque.ferox orilur fiducia menti,
Cessisse imperio tantum tcrraeque marisque.
^oliis candens austris et lampade Phœbi
^stifero Libye torquetur subdita Cancro,
Aut ingens Asiœ latus, aut pars tertia terris.
Terminus huic roseos amnis Lageus ad ortus
Septeno inpellens tumefactum gurgite pontum :
At qua di versas clementior adspicil Aretos,
LES PUNIQUES, LIV. I. 57
tendre les membres et les grandir encore au gré des
bourreaux; et puis enfin tout son sang se tarit , et de ses
membres calcinés ses os fumèrent embrasés. Son âme
demeure inébranlable; il surmonte et brave en riant les
douleurs ; il semble un témoin de la scène , qui gour-
mande le zèle fatigué de ses pei*sécuteurs ; il réclame à
grands cris le gibet de son maître.
Cependant, au milieu de ces déplorables rigueurs
d'un supplice méprisé, l'armée s'alarme de la perte
de son chef : d'une voix unanime , et par un con-
cours empressé, on demande Annibal. Tout le désigne
à leur amour : et le vivant souvenir de son valeureux
père, et le bruit semé chez les peuples de la guerre
qu'il a jurée, et sa verle et entreprenante jeunesse, et
son ardente ambition de gloire, et son génie dont l'arme
est la ruse, et la verve de sa parole.
Les Libyens, les premiers, à grands cris le saluent
pour chef, et bientôt aussi les peuples des Pyrénées
et le belliqueux Ibère : soudain une orgueilleuse con-
fiance s'élève en son âme à voir une aussi vaste éten-
due de terre et de mer soumise à son empire. Des-
séchée par les vents éoliens et les feux du soleil , la
Libye tourne sous le signe brûlant du Cancer , et
forme, ou une immense portion de l'Asie, ou la troi-
sième partie du monde. Elle est bornée vers les roses
contrées de l'Orient par le fleuve lagéen, qui refoule
et grossit l'océan des torrens de ses sept embouchures.
Mais dans la région plus tempérée d'où elle regarde les
}
58 PUNICORL'M UB. I. (v. igçO
Herculeo dirimente freto, diducta propinquîs
Ëui^opes videt arva jugis : ultra obsidet aequor;
Nec patitur noinen proferri longius Atlas ,
Atlas subducto tracturus vertice cœlum.
Sîdera nubiferum fulcit caput, aethereasque
Erigit aeteriKim com pages ardua cervix :
Canet barba gelu, frontemque inmaaibus umbris
Pinea silva premit; vastant cava tempora veoti,
Nimbosoque ruunt spumaatia flumina rictu.
Tum getninae iaterum cautes maria alta fatigant;
Atque ubi fessus equos Titan infnersit anhelos ,
Flammiferuin condunt fiimanti gurgite currum.
Sed qua se campis squalentibus A(î*ica tendit, ^
Serpentum largo coquitur fecunda veneno.
Félix qua pingues tnitis plaga ten^perat agros ,
Nec Cerere Henoaea, Phario ilec victa colono.
Hic passim exsultant Nomades , gens inscia freni ;
Quis inler geminas per ludum mobilià aures
Quadrupedem flectit non cedens virga lupatis.
Altrix bellorum beilatorumque vtrorum
Tell us 9 nec fîdens uudo sine fraudibus ensi.
Alt£AA complebant Hispanae castra cohortes ,
Auxilia Europa genitoris parta tropaeis.
Martius hinc sonipes campos liinnitibus inplet,
Hiuc juga cornipedes erecti bellica raptant :
Non Eleus eat campo ferventior axis.
LES PUNIQUES, LIV. I. 5g
deux Ourses, elle est coupée par le détroit d'Hercule,
et elle découvre près d'elle les plaines d'Europe , voi-
sines, mais détachées de ses montagnes. Partout ailleurs
l'océan l'enferme, et l'Atlas ne lui permet pas d'étendre
plus loin son nom ; l'Atlas qui ferait crouler le ciel s'il
retirait sa tête. Car sa tête , chargée de nuages , sou-
tient les astres, et ses épaules tendues se raidissent éter-
nellement sous le poids des voûtes éthérées. Sa barbe
blanchit sous les glaçons; une forêt de pins lui presse
le front de ses effroyables ombres; les vents creusent
et ravagent ses tempes, et de sa bouche orageuse rou-
lent des fleuves écumans Les roches de son double flanc
fatiguent les mers profondes, et quand Titan lassé a
plongé dans l'onde ses coursier^ haletans , leurs gouffres
se referment en fumant sur le char enflammé. Au-delà,
l'Afrique prolonge ses plaines hideuses, au sol aride et
brûlé du poison des mille serpens qu'elle enfante. Ailleurs
s'ouvre une plage heureuse qu'un ciel clément féconde ,
et dont les grasses campagnes ne le cèdent ni aux prai-
ries d'Henna, chères à Cérès, ni aux champs de Pharos.
Là bondit le Numide errant, sur un coursier libre du
frein mais docile à la verge mobile qui se joue entre
ses oreilles et le dirige, non moins sûre que le mors.
C'est la patrie de la guerre et des hommes de guerre ,.
mais de ceux qui n'ont pas foi dans l'épée nue et sans
artifice.
Un corps auxiliaire complétait son armée, les cohortes
espagnoles , ralliées à sou père eu Europe par la vic-
toire. Leurs chevaux belliqueux font retentir la plaine
de leurs hennissemens , leurs coursiers superbes em-
portent les chariots de guerre : moins agile est l'axe
brûlant qui effleure les sables d'Elide. Prodigue de ses
6o PUNICORUM LIB. I. (v. aaS.)
Prodiga gens animae, et properare faciliima mortem.
Namque ubi transcendit florentes viribus annos ,
Inpatiens aevi spernit uovisse senectam ,
£t fati modus ia dextra est. Hic omue metallum :
Electri gemino patient de semine venœ,
Atque atros chalybis fétus humus horrida nutrit.
Sed scelerum causas operit Deus. Astur avarus
Visceribus lacerœ telluris mergitur irais,
Et redit infelix effosso concolor auro.
Hinc certant, Pactole, tibi Duriusque^ Tagusque,
Quique super Gravios lucentes volvit arenas,
Infernae populis referens oblivia Lethes.
Nec Cereri terra indocilis, nec inhospita Baccho,
Nullaque Palladia sese màgis arbore tollit.
H^ postquam Tyrio gentes cessere tyranno,
Utque dati reruni freni, nunc arte'paterna
Conciliare viros; armis consulta Senatus
Yertere , uunc donis : prinius suoisisse laborem ,
Primus iter carpsisse pedes; partemque subire,
Si valu festinet opus : nec cetera ségnis ,
Quaecumque ad laudem stimulant : somnumque negabat
Naturae, noctemque vigil ducebat in armis :
Interdum projectus humi , turbaeque Libyssœ
Insignis sagulo duris certare maniplis:
Celsus et in magno praecedens agmine ductor
Imperium perferre suum : tum vertice nudo
LES PUNIQUES, LIV. I. 6i
jours, ce peuple hâte facilement Theure de sa mort. A.
peine il a vu disparaître la fleur et la vigueur de
son jeune âge^ las du fardeau de la vie, il renonce à
vieillir, et de son bras tranche sa destinée. Là, tous
les métaux : et l'électre que pâlit le mélange de sa double
substance, et le fer dont les couches noirâtres hérissent
le sol qui les nourrit. Mais Dieu cache à l'homme ces
sources de tant de crimes. L'avare Asturien déchire la
terre, plonge en ses entrailles profondes, et revient,
malheureux, plus jaune que Tor qu'il en arrache. Là,
non moins riches que toi. Pactole, coulent le Douro,
le Tage, et le Léthé qui roule chez les Graviens sa
luisante arène, et rappelle aux peuples l'enfer et son
fleuve d'oubli. La terre n'est d'ailleurs ni rebelle à Gé-
rés , ni contraire à Bacchus, et nul arbre n'y grandit
plus haut que l'arbre de Pallas. ^
Quand le guerrier tyrien vit ces peuples rangés sous ses
lois, et qu'il eut en main les rênes de l'empire, il mit tout
l'art de son père à se concilier les esprits , à déjouer, ou
par les armes ou par des largesses , les décrets du sénat. Il
est le premier au travail, le premier en marché et à pied;
il subit sa part de fatigue , si l'œuvre presse à la tran-
chée. Jamais .sourd quand la gloire donne l'éveil j il re-
fuse le sommeil à son corps , passe la nuit debout et en
armes : parfois il s'étend sur la terre , ou se montre re-
vêtu de la casaque du soldat, et lutte ainsi de courage
avec le plus dur de ses Libyens. Superbe au contraire ^
s'il marche en avant de sa grande armée, c'est en chef
qu'il porte son commandement. Il reçoit tête nue les
pluies orageuses et les torrens du cieL Les Carthaginois
et l'Âsturien tremblant l'ont vu , quand Jupiter lançait
62 PUNICORUM LIB. I. (v. ï5i.)
Excipere insanos imbres cœlique ruinam.
Spectarunt Pœni , tremuitque exercitus Âstur,
Torquentem quiim tela Jovem, permixtaque nimbis
Fulmina , et excussos ventorum flatibus ignés
Turbato transiret equo : nec pulvere fessiim
Agminis ardenti labefecit Sirius astro.
Flammiferis tellus radiis quum exusta dehiscit,
Candentique globo médius coquit aethera fervor,
Femineum putat inventa jacuisse sub umbra:
Exercetque sitim, et spectato fonte recedit.
Idem conreptis sternacem ad prœlia frenis
Frangere equum , et famam tetalis amare lacerti ;
Ignotique amnis tranare sonantia saxa»
Atque e di versa socios arcessere ripa.
Idem expugnati primus stetit aggere mûri ;
Et quoties campo rapidus fera prœlia miscet ,
Qua sparsit ferrum , latus rul)et aequore limes.
Ergo instat fatis , et , rumpere fœdera certus,
Quo datur, interea Romam comprendere beilo
Gaudet , et extremis puisât Capitolia terris.
y
Prima Saguntinas turbarunt classica portas ,
Bellaque sumta viro belli majoris amore.
Haud procul Herculei tollunt se litore mûri,
Clementer crescente jugo , quîs nobile nomen
Conditus excelso sacravit colle Zacynthos.
Hic comes Alcidae remeabat in agmine Thebas
LES PUNIQUES, LIV. I. 6^
la foudre , courir sur son cheval épouvante à travers la
grêle et les tonnerres, au milieu des éclairs que le soufïl<^
des vents fait jaillir des nuages. Malgré la poussière et
les fatigues de la marche , jamais Sirius et ses rayons
brûlans n'ont pu l'abattre. Quand la terre se déchire
sous les traits ardens de l'astre qui la dévore, et que le
soleil , au milieu de sa course , embrase l'air de son
disque enflammé, il croirait s'efféminer à s'étendre sous
l'ombrage qui se présente; il combat la soif, et, s'il voit
une source, il s'en éloigne. Il aime à briser au frein , à
dompter pour la guerre un cheval fougueux, à prouver
la vigueur fatale de son bras, à franchir à la nage les-
bruyans écueils d'un fleuve inconnu, appelant ensuite ses
troupes de l'autre rive. S'il assiège un rempart, il paraît
le premier sur la brèche; et, s'il livre un combat acharné
dans la plaine, il s'élance, et, partout où frappe son
glaive, une large traînée de sang rougit la terre.
Il presse donc les destins, et, décidé à rompre les trai-
tés , il saisit à plaisir l'occasion d'enlacer Bome d'une
étreinte de guerre , et des extrémités du monde il
ébranle déjà le Capitole. D'abord ses clairons vont por-
ter le trouble aux portes de Sagonte : c'est le pré-
lude des grandes guerres auxquelles il aspire. Kon loin
du rivage, et sur un penchant doucement incliné, s'é-
lèvent ces murs bâtis par Hercule, et que Zacynthe, en-
terré au sommet de la colline, a consacrés de scn noble
nom. Ce compagnon d'Alcide revenait dans Thèbes avec
sa troupe, après la défaite de Géryon , et portait aux
1
64 PUNICORUM LIB. I. (v. ^77.)
Geryone exstincto , cœloque ea facta ferebat.
Très animas namque Id mohstrum , très corpore dextras
Armarat , ternaque caput cervice gerebat.
Haud alium vidit tellus , cui ponere fînem
Non posset mors una viro, durxque Sorores
Tertia bis rupto torquerent stamina filo.
Hinc spolia ostentabat ovans , capti vaque victor
Armenta adJbntes medio fervore vocabat,
Quum lumidas fauces adcensis sole venenis
Calcatus rupit letali vulnere serpens ;
Inachiumque virum terris prostràvit Hiberis.
Mox profugi ducente Noto advertere coloni ,
Insula quos genuit Graro circumflua ponto , •
Atque àuxit quondam Laertia régna Zacynthos.
Firmavit tenues ortus mox Daunia pubes ,
Sedis inops; misit largo quam dives alumno,
Magnanimis regnata viris, nunc Ardea nomen.
T^ibertas populis pacto servata decusque
Majorum , et Pœnis urbi inipéritare negatum.
Admoyet abrupto flagrantia fœdere ductor
Sidonius castra ^ et latos quatit agmine campos.
Ipse caput quassans circumlustravit anhelo
Muros sœvus equo , mensusque paventia tecta ,
Pandere jamdudum portas ac cedere vallo
Imperat, et longo clausis sua fœdera, longe
Aùsoniam fore^ nec veniae spem Marte subactis;
LES PUNIQUES, LIV. I. 65
uues cet exploit. Le monstre, en effet, s'était armé d'une
triple vie, cUnn triple bras pour se défendre, et chacun de
ses trois cous soutenait une tête. Nul autre ne s'est vu sur
teri*e, qu'une seule mort n'ait pu anéantir, et dont les
inflexibles sœurs aient renoué d'un troisième fil la trame
deux fois rompue déjà. Zacynthe marchait triomphant,
paré de ses dépouilles, ^et comme il menait, vainqueur,
au milieu de la chaleur du jour, ses troupeaux captifs
vers une fontaine, il foula du pied un serpent dont la
gorge, gonflée de poisons enflammés par le soleil, se
déchira et lui fit une blessure 'mortelle : et le héros ina-
chien fut couché mort aux terres d'Ibérie. Là, bientôt,
poussés par le Notus , abordèrent des colons fugitifs ,
enfans de l'île Zacynthe, baignée par la mer de Grèce,
et réunie autrefois au royaume de Laërte. Puis, à cette
faible et naissante colonie, vint se joindre un renfort de
jeunes Dauniens, sans asile, et repoussés de leur pa-
trie, trop féconde et trop riche d'habitans, gouvernée
long-temps par de magnanimes guerriers, et qui n'est
plus aujoui:d'hui qu'un nom, Ârdée. Un traité protégeait
la liberté de ces peuples et la gloire de leurs pères, et
faisait défense à Carthage d'étendre sa domination sur
leur ville.
Au mépris de ce traité, le chef sidonien pousse en
avant ses ardentes cohortes , et sous leurs pas remue au
loin la plaine. Il arrive, et, secouant la téte^ il parcourt
sur son coursier haletant l'enceinte des murailles , il
mesure d'un œil farouche la tremblante cité, il com-
mande qu'on ouvre les portes sur l'heure et qu'on aban-
donne le retranchement. Ils sont loin leurs traités, et
loin leur Ausonie : Sagonle est prisonnière ; nul es-
1. 5
66 PUNICORUM LIB. ï. (v. 3o30
Scita Patrum, et leges, et jura, fideirique, Deosque
In dextra nunc esse sua. Verba ocius acer -
Intorto sancit jaculo , figitque per arma
Stantem pro muro et minitantem vana Caicum.
Concidit exacti médius per viscera teli ;
EfTusisque sîraul prseruplo ex aggere membris,
Yiçtori moriens tepefactam retulît hastam.
At multo ducis exemplum clamore secuti
Involvunt atra telorum mœnia nube.
Clara nec in numéro virtus latet : obvia quisque
Ora dud portàns, ceu sokis bella capessit.
Hic crebram fundit Baliari verbere glandem ,
Terque levi ducta circum caput altus habena
Permissum ventis abscondit in aère teli^m.
Hic valido librat stridentia saxa lacerXo:
Huiç inpulsa levi torquétur lancea nodo.
Anteorones ductor, patriis insignis in armis,
Nunc picea jactat fumaiitem lampada flamma,
Nunc sude, nunc jaculo, nunc saxis inpiger instat :
Aut hydro inbutas , bis noxia tela , sagittas
Contendit nervo, atquQ insultai fraude pharetrae:
Dacus ut arn^iferts Getic(e telluris in oris ,
Spicula quss patrio gaudens acuisse veneno
Fundit apud ripas inopina binomiuis Histri.
Cura subit, collem turrita cingere fronie,
Castelloque urbeni circumvallare frequenti.
LES PUNIQUES, LIV. I. 67
poir de pardon pour elle si elle succoinbe dans la lutte :
les décrets du sénat, les lois, les droits, la foi des ser-
inens, les dieux , tout est là dans sa main. Il dit, et sou-
dain, pour sanction de sa parole, il lance vivement son
javelot et perce Parmure de Caïcus, qui , debout sur le
rempart , exhalait de vaines menaces. Il tombe sous le
trait qui lui traverse lès enlratUes, et son corps, rou-
lant du haut de la chaussée, rapporte en mourant le
fer tiède au vainqueur. L'armée imite à grands cris
l'exemple de son chef, et enveloppe la ville d'un épais
nuage de traits. Le courage éclate malgré le nombre,
et n'esit point ignoré : chaque soldat, comme s'il était
seul à combattre, renconU*fe et attire le regard du chef.
L'un, de sa fronde de Baléare, à coups pressés chasse
et fouette la balle; il se dresse, et trois fois autour de
sa tête agitant la courroie légère, livre aux venls le
plomb que son œil ne peut suivre dans l'air. L'autre,
d'un bras nerveux , lance la pierre qui s'échappe en
sifflant : un autre enfin darde la javeline docile à l'élan
du nœud léger qui la guide. A leur tête, et remarquable
sous l'armure de ses pères, Annibal de sa torche fu-
mante épanche une poix enflammée, frappe à coups
d'épieux, de javelots, de pierres, partout et sans relâche,
ou décoche de son arc des flèches abreuvées du venin
des serpens : chaque trait de son carquois donne deux
fois la mort, et il se fait un jeu cruel de cet artifice. Tel,
le Dace, aux plages guerrières du pays gétique, aime à
aiguiser des pbisons de sa patrie ses javelots qui vont
porter une mort imprévue sur les rives de l'Ister aux
deux noms.
Son premier soin est d'envelopper la colline d'une
rnceinte de tours qui la dominent , et d'enfermer la place
5.
68 PUNICORUM LIB. 1. (v. 329.)
Heu priscis iiumen populis, at uornine solo
Iq terris jam nota Fides! Stat dura juventus :
Ereptamque fugam , et claudi videt aggere muros.
Sed dlgnani Ausonia morteiii putat esse Sagunto ,
Servata cecidisse fide. Jamque acrius omues
Intendunt vires; adductis stridula nervis
Phocais efFundit vastos ballista niolares,
Atque eadeni , ingentis rautato pondère teli,
Ferratam exculiens ornuni média agmina rumpit.
Alternas resonat clangor : certamine tanto
Conseruere acies, veluti circumdata vallo
Roma foret; clamatque super, «Tôt millia, gentes
Inter tela satae, jam capto stamus in hoste?
Anne pudet cœpti ? pudét ominis ! en bona virtus y
Primitiaeque ducis ! Taline inplere paramus
Italiam fama ? taies prœmittere pugnas ? »
Adgens>£ exsultant. mentes , haustusque meduUis
Hannibal exagitat, stimulantque seqnentia bella.
Invadunt manibus vallum , caesasque relinquunt
Dejecti mûris dextras. Subit arduus agger,
Inponitque globos pugnantum desuper urbi.
Armavit clausos, ac portis arcuit liostem
Librari multa consueta falarica dextra j
Horrendum visu robur, celsisque nivosae
LES PUNIQUES, LIV. ï. 69
d'une ligne circulaire de forts rapprochés. O divinité des
peuples antiques, ô Foi, tu n'es déjà plus connue que
de nom sur la terre! La jeunesse ennemie demeure et
se résigne : elle voit s'élever devant ses murs cette
chaussée qui les enserre et lui ravit l'espoir de la fuite;
mais , à ses yeux , pour Sagonte l'Ausonienue , c'est
périr dignement que de périr en gardant sa foi. Us re-
doublent d'ardeur et d'efforts. Les câbles de la baliste
crient et se tendent , et la machine phocéenne lance
au loin de vastes quartiers de roches ; puis , gémis-
sant encore sous l'énorme poids d'une charge nou-
velle, elle envoie un frêne armé de fer au oiili'eu des
bataillons qu'elle écrase. Les clameurs éclatent et se ré-
pondent : les deux armées luttent avec autant de furie
que si Rome était là, investie et captive. Il s'écrie :
c< Tant de milliers d'hommes, tant de peuples aguerris,
arrêtés par un ennemi à moitié vaiqçu! Auriez -vous
regret de cette guerre? J'ai regret du présage, moi!
Voilà un beau courage vraiment, un noble début pour
votre chef! Est-ce là le grand bruit que nous espérons
faire en Italie? est-ce par de tels exploits que nous nous
annonçons cbez-elle ? »
Leurs cœurs tressaillent et s'enflamment; Ânnibal tout
entier pénètre et palpite en leurs entrailles, et les ai-
guillonne aux guerres à venir. Leurs bras s'attachent
aux palissades : ils les gravissent et sont renversés , lais-
sant leurs mains coupées sur la mui*aille. La chaussée
s'élève , s'approche » se couvi'e de combattans et com-^
mande la ville. L'arme des assiégés, la falarique, qui
n'obéit qu'aux eflbrts réunis de plusieurs bras, repoussa
long-temps l'ennemi de leurs portes. C'est un énorme
chêne choisi sur les hautes et neigeuses crêtes des Pyré-
70 PUNICORUM LIB. L (v. 353.)
Pyrenes trabs lecta jugis, cui plurima cuspis;
Vix mûris tolcranda lues, sed cetera pingui
tincta pice, alque atro circumlita sulfure fumant.
Fulminis hœc ritu , summis e mœmbus arcis
Incita , sulcatum tremula secat aéra flamma.
Qualis sanguineo praestringit lumina crine,
Ad terram cœlo decurrens ignea lampas.
Haec iclu rapido pugnantum saepe per auras,
Adtonito ductore , tulit fumantia membra.
Hœc vaslae lateri turris ceu turbine fixa ,
Dum penltus pluteis Vulcanura exercet adesis,
Arn)a virosque simul pressit flagrante ruina.
Tandem condensis actas testudlnis armis ,
Subducto Pœni vallo, caecaque latebra ,
Pandunt prolapsam subfossis mœnibus urbem.
ïerribilem in sonilum procumbens aggere victo
Herculeus labor, atque inmania saxa resolvens,
Mugitum ingentem cœlo dédit. Alpibus altis
Aeriae rupes, scopulorum mole révulsa
Haud aliter scindant resonauti fragmine montem.
Surgebat cumulo certatim prorutus agger ,
Obstabatque jacens vallum, ni protenus instent
Hinc atque hinc acies média pugnare ruina.
Emicat ante omnes primaevo flore juventae
Insignis Butulo Murrus de sanguine : at idem
Matre Saguntina Graius, gemtnoque parente
LES PUNIQUES, LIV. I. 71
nées 9 une horrible poutre dont les remparts même pour-
raient à peine supporter le choc, hérissée de lames ai*
gués y enduite d'une épaisse résine, et noire de soufre
et de fumée. Pareille à la foudre , elle se précipite du
faîte des murailles, et fend l'air d'un mouvant sillon
de feu. Ainsi, de sa chevelure sanglante, éblouit les re-
gards le météore enflammé qui descend du ciel vers la
terre. C'est elle qui souvent, d'un élan rapide, vient
fondre sur les conibattans, el disperser, aux yeux, éton-
nés d'Annibal, leurs membres fumans dans les airs; elle
qui , s'attachant comme un tourbillon aux flancs d'une
vaste tour, y enfonce la flamme qui ronge les ais embra-
sés, et broie sous leurs brûlans débris armes et guer-
riers tout ensemble. Cependant, les Carthaginois serrent
leurs rangs , forment la tortue , sapent les retranche-
mens, et , par une galerie souterraine, minent les rem*
parts qui s'écroulent et leur ouvrent la ville. Avec un
fracas terrible tombe vaincue cette muraille , œuvre
d'Hercule; les roches énormes éclatent, roulent et font
mugir au loin l'espace. Ainsi, du haut des Alpes aux
cimes aériennes , se détache une masse de rochers qui
se brise et déchire à grand bruit la montagne. Ces ruines
confuses de murailles et de palissades renversées s'éle-
vaient en monceau : mais, en dépit de cet obstacle, l'une
et l'autre armée se jette en avant, pressée de combattre
au milieu même de ces décombres.
Le premier qui s'élance, c'est Murrus , brillant de
la fleur du premier âge. Noble enfant d'un Rutule, il
avait pour mère une Grecque de Sagontc, et cette double
72 PUNICORUM LIB. I. ' (v. 379.)
Dulichios RaHs miscebat proie nepotes.
Hic magno socios Aradum clamore vocanteni,
Qua corpus loricam înter galeamque patescit ,
Conaiitis motus speculatus , cuspide sistit ,
Prostratumque prcmens telo^ voce insuper urguet :
(c Fallax Pœne j jaces : certe Capitolia primus
Scaudebas victor ! quae tanta licentia voti ?
NuDc Stygiû fer bella Jovi. » Tum fervidus hastain
Adversi torquens defigit in inguine Hiberi ;
Oraque duni calcat jam singultantia lefo :
« Hac iter est, inquit, vobis ad mœnia Komx^
O metuenda manus! sic, quo properatis, eundum. »
Mox înstaurantis pugnam circumsilit arma ,
Et rapto nudum clipeo latus haurit Hiberi.
Dives agri , dives pecoris , famaeque negatus
Bella feris arcu jaculoque agitabat Hiberus.
Félix , heu ! nemorum , et vitœ laudandus opacae ,
Si sua per patrios tenuisset spicula saltus !
Hune miseratus adest infesto vulaere Ladmus.
Cui saevum adrideus : « Narrabis Hamilcaris umbris
Hanc, inquit, dextram, quae jam post funera vulgi
Hannibalem vobis comitem dabit; >* et ferit alte
Insurgens gladio cristatae cassidis œra ,
Perque ipsum tegimen crepitantia dissipât ossa.
Tum frontem Chrêmes iutonsam umbrante capillo
Seplus , et horrentes effiugeus crinc galeros ;
LES PUNIQUES, LIV. I. 7S
origine réunissait en lui, par le sang, Dulicbium et
ritalie. Aradus accourait appelant ses compagnons à
grands cris. Murrus observe ses mouvemens, le frappe
au défaut du casque et de la cuirasse, comprime ses
efforts, du javelot le presse à terre, et Taccablant de
sa raillerie : « Perfide Carthaginois , te voilà mort !
Sans doute, déjà vainqueur, tu montais le premier au
Capitole ? Qui t'a permis l'audace d'un tel vœu ? Va
maintenant, porte la guerre à Jupiter Stygien! » Dans
sa bouillante ardeur, il se retourne, rencontre Hi-
bérus, lui plonge au ventre sa javeline, et pesant du
pied sur cette tête d'où s'exhalent déjà les sanglots de
Tagonie : a C'est là le chemin, dit-il, qui vous mènera
aux remparts de Rome! formidables héros, c'est ainsi
que vous irez où votre cœur aspire. » Hibérus se dé-
bat et lutte encore; Murrus lui arrache vivement ses
armes, le dépouille de son bouclier, et lui perce les
reins. Riche en terres , riche en troupeaux , et peu sou-
cieux de renommée, Hibérus se plaisait à poursuivre de
l'arc et du javelot les bêtes sauvages. O! bien heureux
en ses forêts, bien louable en son état obscur, s'il eût
tenu ses armes au fond des bois, dans le sein de sa patrie!
Ladmus, ému de pitié, accourt pour le venger. Mur-
rus lui crie avec un rire amer : «Tu parleras à l'ombre
d'Amilcar de cette main, qui bientôt, lasse de morts vul-
gaires, va lui envoyer Annibal après vous!» Puis, se
dressant de toute sa hauteur, il frappe du glaive le
casque empanaché du héros, traverse la coiffure d'ai-
rain, et lui brise le crâne en éclats. Bientôt alors, et
Chrêmes au front ombragé de longs cheveux qui enla-
cent et recouvrent sa tête comme les poils hérisses d'une
épaisse fourrure, et Masulus, et ce vieillard, vert encore
74 PUNICORUM LIB. I. (v. 405.)
Toin Masulus , crudaque virens ad bella senecta
Karthalo, non pavidus fêtas mulcere leaeuas;
Flumineaque urna caelatus Bagrada parmam ;
£t vastae Nasamon Syrtis populator Hyempsal ,
Audax in fluctu laceras raptare carinas ;
Una omnes dextraque cadunt iraque peremti.
Nec non serpentem diro exarmare veneno
Doctus Athyr, tactuque graves sopire chelydros ,
Ac dubiam admoto sobolem explorare céraste.
Tu quoqiie fatidicis Garamauticus adcola lucis,
Insignis flexorgaleani per tempora cornu ,
Heu ! frustra reditum sortes tibi saepe locutas
Mentitumque Jovem increpitans, occumbis, larba.
El jam corporibus cumulatus creverat agger,
Perfusœque atra fumabant caede ruinae.
Tum ductorem avido clamore in proelia poscit :
Fulmineus ceu Spartanis latratibus actus^
Quum silvam occursu venantum perdidit, hirto
Horrescit saetis dorso, et postrema capessit
Prœlia , canentem mandens aper ore cruorenpi 9
Jamque gémit geminans contra venabula dentem.
At parte ex alia qua se insperata juventus
Extulerat portis, ceu spicula nulla manusque
Vim ferre exitiumve queant, permixtus utrisque
Hannibal agminibus passiin furit et quatit ensem ,
Caiitato nuper senior quem fecerat igni
LES PUNIQUES, LIV. I. 75
et de force pour la guerre, Karthalo, qui sans crainte
apprivoise les lionnes déjà mères ; et Bagrada , qui porte
l'urne d'un fleuve ciselée sur son bouclier, et le pirate
des rives de la grande Syrte, le Nasamon Hyempsal ,
dont l'audace dispute aux vagues les débris des carènes;
tous tombent sous les coups de ce seul hpmme j immo-
lés à sa colère 9 et avec eux Athyr, savant à désarmer le
serpent de son venin cruel , à endormir au toucher
l'hydre pleine, à reconnaître par la piqûre du céraste
l'origine suspecte d'un enfant. Et toi aussi qui habitais
les fatidiques bois des Garamanfes , toi dont le casque
est paré de cornes recourbées , vainement, hélas! tu ac-
cuses et l'oracle qui souvent te promit le retour, et Ju-
piter menleur; tu succombes, larbas. Déjà sur la brèche
s'élevait un monceau de cadavres, et les flots d'un sang
noir fumaient sur les décombres. Alors, d'une voix im-
patiente , il appelle le chef lui-même au combat. Ainsi ,
chassé du gîte par les hurlemens de la meute de Sparte,
et forcé d'abandonner les bois devant la poursuite des
chasseurs, le sanglier bondit comme la foudre : sur son
dos velu, ses soies se hérissent; de sa mâchoire saignante
et blanchie d'écume, il engage une dernière lutte; il
gémit, il s'épuise à heurter de la dent les épieux.qui la
brisent.
D'un autre coté de la ville où, contre son attente, les
assiégés s'étaient jetés hors des portes , sans songer qu'il
y avait là aussi du fer et des bras pour leur porter des
blessures et la mort , Annibal s'est confondu dans la
mêlée. Il vole, fait rage, agite le glaive que lui forgea
naguère, en sa fouruaise enchantée, un vieillard du ri-
76 PUNICORUM LÏB. I. (v. 43 1.)
Litore ab Hesperidum Teinisus ; qui carminé pollens
Fidebat magica ferrum crudescere liugua :
Quantus Bistoniis late GraHivus in oris
Belligero rapitur curru, teluinque coriiscans ,
Titauum quo puisa cohors, flagranûa bella
Cornipeduin adâatu touat, et stridoribus axis.
Jamque Hostum , Rutulumque Pliolum , ingeoteinque
Metiscum ^
Jam Lygdum, Duriuinque simul, flavumque Galœsum,
£t geiiiinos , Chromin atque Gyan , demiserat umbris ;
Daunum etiam , grata quo non spectatior alter
Voce movere fora, atque orando fiugere mentes,
Nec legum custos sollertior, aspera telis
Dicta admiscentem : « Quœnam te, Pœne , paternae
Hue adigunt Furiae? non haec Sidonia tecta
Feminea fabricata manu , pretiove parata-,
Ëxsulibusve datum dimensis litus arenis;
Fundamenta Deum Romanaque fœdera ceruis. »
Âst ilhnn , toto jactantem talia campo,
Ingenti raptum nisu , medioque virorum
Avulsuni inter tela globo, et post terga revinclum,
Uannibal ad pœuam lentae mandaverat irae ,
Increpitausque suos iuferri signa jubebat;
Perque ipsos casdis cumulos , stragemque Jaceutum
Monstrabat furibundus iter, cunctosque ciebat
Momine, et in praedas stantem dabat inprobus urbem.
LES PUNIQUES, LIV. I. 77
vage des Hespérides, Témisus, dont la voix puissante a
des paroles magiques qui savent durcir la trempe de
l'acier. Ainsi Mars, aux rives de Bistonie, emporté au
loin sur son char belliqueux , brandit l'épée ctince-
lante qui dispersa la cohorte des Titans, tonne et allume
la guerre au souffle de ses coursiers, aux cris aigus de
son essieu. Déjà Hostus, le Rutule Pholus, le superbe
Métiscus ,~ et Lygdus, et Durius aussi, et le blond Ga-
lésus , et les deux frères Chromis et Gyas , sont des-
cendus chez les ombres, et Daunus lui*même, dont nul
ne surpasse la gloire dans l'art de charmer et d'émouvoir
une assemblée, de subjuguer les esprits par la parole, ou
de défendre la loi, Daunus, qui joignait l'outrage aux
coups de sa lance : «Quelle furie de ton père t'amène ici ,
Carthaginois? Ce ne sont pas là des demeures sidonien-
nés bâties d'une main de femme, des sables achetés à
prix d'or et mesurés à des exilés sur un rivage : tu vois
des remparts fondés par les dieux et alliés de Rome. »
Il déclamait ainsi sur le champ de bataille, quand Anni-
bal, d'un élan vigoureux, le saisit au milieu des armes,
l'arrache du sein de sa troupe, et lui liant les mains
derrière le dos , le livre à la mort , après avoir long-
temps prolongé son supplice. Puis il ordonne en gron-
dant aux siens de faire avancer les enseignes; et fu-
rieux, à travers les monceaux de carnage et sur les
cadavres des mourans, leur montre le chemin, les ap-
pelle tous par leur nom , et leur donne en proie cette
ville, debout encore devant sa haine.
7» PUNICORUM LIB. I. (v. 456.)
Sed postquaiti a trepidis adiatuin , fervere partem
Diversam Marte infausto , Murroque secundos
Hune Superos tribuisse diem , ruit ocîus amens
Jj^mphato cursUy atque ingénies deserit actus.
Letiferum autant fulgentes vertice cristae :
Crine ut flammifero terret fera régna comètes,
Sanguineum spargens ignem; vomit atra rubentes
Fax cœlo radios , ac saeva lu ce coruscum
Scintillât sidus , terrisque extrema minatur.
Praecipiti dant tela viam, dant signa, virique;
Atque ambœ trépidant acies : jacit igneus hastae
Dirum lumen apex, ac late fulgurat umbo.
Talis ubi JEgaso surgente ad sidéra ponto
Per longum vasto Cori cum murmure fluctus
Suspensum in terras portât mare, frigida nantis
Corda tremunt : sonat ille procul, flatuque tumescens
Curvatis pavidas transmittit Cycladas undis.
Non cunctà e mûris unum incessentia tela ,
Fumantesque ante ora faces, non saxa per artem
Tormentis excussa tenent : ut tegmina primum
Fulgentis galeœ conspexit , et arma cruento
Inter solem auro rutiiantia , turbidus infit :
a En , qui res Libycas , inceptaque tanta retardet ,
Romani Murrus belli mora ! Fœdera, faxo,
Jam noscas, quid vana queant, et vester Hiberus.
Fer tecum castamque fidem servataque jura :
LES PUNIQUES, LIV. I. 79
Tout à coup on vient lui apprendre en tremblant, que
de l'autre côté de la place Mars trahit l'ardeur de ses
soldats, que les dieux favorisent Murrus et lui laissent
la gloire de cette journée. Il s'élance, il vole, il se rue
en délire, il abandonne les grands travaux de l'attaque.
Sur sa tête se balance l'aigrette éclatante qui annonce
la mort : ainsi, de sa flamboyante chevelure, la comète
épouvante les peuples sauvages : l'astre funeste pro-
jette au ciel une lueur sanglante; 3on foyer rougeâtre
vomit des torrens de feu, et les sinistres et rayonnantes
clartés de l'étoile étincelante menacent le monde de sa
fin. Il se précipile, et les traits, les enseignes, les guer-
riers, tout lui livre passage; les deux armées s'agitent
en désordre : le fer luisant de sa javeline jette un éclat
terrible, et de son bouclier jaillit au loin l'éclair. Ainsi ,
quand la nier Egée se soulève jusqu'aux nues, le flot se
dresse, suspendu sur l'abîme, sous le souffle bruyant du
Corus qui le refoule au rivage : le cœur du matelot se
glace d'effroi: l'océan gronde au loin, l'onde s'enfle, le
vent s'engouffre dans les plis des vagues et les rejette par-
delà les Cyclades tremblantes. Ni les traits qui pleuvent
sur lui seul du haut des remparts, ni l'incendie qui fume
devant ses pas, ni les pierres que dirigent sur sa tête
d'adroites machines, rien ne l'arrête. A peine il a vu le
cimier brillant du casque de Murrus et son armure en-
sanglantée dont l'or resplendit au soleil , il s'écrie en
fureur : « Voilà donc celui qui retarde l'œuvre de la
Libye et nos vastes projets, ce Murrus, notre obstacle
à la conquête de Rome! Tu vas savoir ce que valent vos
vains pactes et votre Ebre. Prends pour toi la sainte
justice et la foi des traités , et laisse-moi les dieux que je
brave. » Murrus lui répond : « Tu arrives à souhait : depuis
8o PUNICORUM LIB. I. (v. 481*.)
Deceptos mihi linque Deos. » Cui talia Murrus :
« Exoptatus ades ! mens olim prœlia poscit ,
Speque lui flagrat capitis : fer débita fraudum
Praemia, et Italiam tellure inquire sub ima.
Longum in Dardanios fines iter, atque nivalem
Pyrenen, Alpesque tibi mea dextera donat. »
H>EC inter cernens sqbeuntem comminus hostem,
Praeruptumque loci fidum sibi , conripit ingens
Aggere convulso saxum, et nitentis in ora
Devolvit, prouoque silex ruit incitus ictu.
Subsedit duro concussus fragmiue mûri.
Tum pudor adcendit mentem, uec conscia fallit
Virtus pressa loco ; frendens luctatur, et aegro
Scandit in adversum per saxa vetantia nisu.
Sed postquam propior vicino lumine fulsit ,
Et tota se mole tulit, velul incita clausum
Agmina Pœnorum cingant y et cuncta paventem
Castra premant, lato Murrus caligat in lioste.
Mille simul dextrae, densus(|ue micare videtur
Ensis, et innumerae nutare in casside cristae.
Conclamant utrimque acies^ ceu tota Saguntos
Igné micet : trahit instanti languentia leto
Membra pavens Murrus, suprèmaque vota capessit :
et Conditor Alcide, cujus vestigia sacra
Ii)colimus, terra; niinitantem averte procellam,
Si tua non segni defenso mœnia dextra. »
LES PUNIQUES, LIV., I. 8i
long-temps inou cœiu* t'appelle au combat, et brûle du
désir de voir tomber ta tête. Reçois le prix dû à tes
parjures, et va chercher l'Italie dans les entrailles de la
terre. Longue est la route qui mène aux. champs de
Dardanie, aux neiges des Pyrénéen et des Alpes : mon
bras t'épargnei*a ce voyage. »
Il dit, et voyant l'ennemi gravir la brèche et venir a
lui, du poste escarpé dont la hauteur le favorise il saisit
un roc énorme qu'il détache des ruines, et le renverse
sur le héros qui monte avec effort. I^ masse roule en-
traînée par le penchant qui précipite sa chute. Ânnibal
s'arrête sous la rude atteinte de ce débris de muraille.
Mais la honte enflamme sou audace, et, malgré le défaut
du lieu, le sentiment de son courage ne l'a point quitté.
Il lutte en frémissant, et se cramponne à grand'peine
aux roches qui le repoussent. Il approche , il brille ,
il éclate, il apparaît dans toute sa grandeur. A cette
vue, et comme si les bataillons furieux des Carthaginois,
comme si leur armée entière venait fondre sur lui et
s'acharner à ses flancs, Murrus frissonne, son œil se
trouble devant l'ennemi géant : il lui semble que mille
bras à la fois, que mille glaives s'agitent, que des pa-
naches sans nombre flottent sur le casque d'Annibal.
L'une et l'autre armée pousse un cri , comme si Sagonte
tout entière était en flammes. Murrus chancelle en pré-
sence du trépas; il traîne en tremblant ses membres
abattus, et fait entendre un dernier vœu : a AJcide, fon-
dateur de ces murs, toi dont nous foulons ici les vestiges
sacrés, éloigne de la patrie l'orage qui la menace, si
ma main ne s'est point lassée à défendre ta ville. »
I.
G
Si PUNICORUM LIB. I. (v. ^«8.)
Ddmque orat eœk>qne adtollit lumina supplex ;
« Cerne, ait^ an nostris longe Tirynthius ausîs
Justlus adfuerit : ni displiqet aemula virtus,
H»ud me dissimilem, Alcide, primoribus annis
Agnosces, invicte, tuis^ : fer nuinen amicun»;
Et, Trojae quondam primis memorate ruinis,
Dcxter ades Phrygiae delenti slirpis alumnos» »
Sic Poenus, pressumque ira simul exigit ensem,
Qua capuli slatuere morœ ; teloque relato
Horrida labentis perfunditur arma cruore.
Ilicet ipgenti casu turbata juventus
Procurrit : nota arma viri corpus(]iie superbo
Victori spoliare i>egaat : coit aucta vicissim
Hortando inanus, et glomerata mole fi;runlur.
Hinc saxis galea, hinc qlipeus sonat aereus bastis;
Ioce$3unt sudibiis , librataque pondéra plumbt
Certatim jaciunt : decis» vertice crtstœ^
Dereptumque decus nutantum in cade jubarum :
Jamque agitur largus per membra fluentia sudor,
Et stant loricae squamis horrentia tela ;
Nec requiesy, tçginienve datur mutare $ub icX«,
Genua labant, fessique hiimeri gestamina laxant.
Tum crebcr, penitusque trahens suspiria, sicco
Fumât ab ore vapor, nisuque elisus anhelo
Auditur gemitus, fractumque in cs^ssi^jie murmur.
Mente adversa domat, gaudetjquc nitescere duris
LES PUNIQUES, LIV. I. S5
Pendanit qti'il prie et qu'il élève au ciel un i^gard
suppliant : a Vois, lui crie Annibal, s'il ne serait pas
plus juste que le Tirynthien secondât nos efforts. Sî
nia gloire rivale ne te déplaîl, Alcide^ tu réconnaîtras,
invincible , que mes jeunes années diffèrent peu dea
tiennes. Que ta divinité me favorise : ton bras s'illustra
jadis à renverser les premiers murs de Troie, viens au-
jourd'hui m'aider à exterminer les restes de la race phry-
gienne. » Il dit j et perce l'ennemi èe son épée que, dans
l'élan de sa rage, ilenfonce jusqu'à la garde; il arrache le
fer de la plaie, le sang jaillit et souille son armure. Ce-
pendant, émiis d'un si grand revers, les Sagontins s'élan-
cent sur les armes connues, sur le corps du guerrier;
ils disputent au vainqueur superbe ces dépouilles : peu
à peu, leur nombre augmente ; ils s'animent, se rallient,
et tous ensen^ble se portent en masse contre lui;. Alora
les pierres , lés coups de lance résonnent sur son
casque, sur l'airain de son bouclier : on l'attaque avec
des massues , on l'accable de balles de plomb chas-
sées de la fronde : son panache tombe détaché ^ et
l'éclat de l'aigi^ette flottante s'eil&ce dans le sang. Déjà
de ses meml>res ruisselans découle une large sueur, et
les écailles de sa cuirasse se hérissent des traits qui s'y
attachent. Mais les coups redoublent et ne lui laissent
ni le loisir ni le moyen de chauger son armure. Ses ge-
noux fléchissent, ses épaules défaillantes s'affaissient sous
le poids des armes : alors,, par ini^waiU, s'échappe de
sa poitrine un pénible soupir; un soufflé épais s'exhale
de son gosier desséché, et, sous la visière qui l'op-
presse, sa bouche haletante pousse en gémissant un
murmure étouffé. Mais son âme dompte l'infortune; H
songe a\ec joie qne les dureS' épreuves doaneDt l'éelat
' 6.
84 PUNICORUM LIB. I. (v. 534)
Virlutem , et decoris pretîb discrimina pensât.
Hic snbitus scisso densa in ter nubila cœlo
Erupit quatiens terram fragor ; et super ipsas
Bis Pater intonuit geminato fulmine pugnas.
Inde inter nubes ventorum turbine csùco
Ultrix iujusti vibra vil lancea belli,
Ac feniine adverso Ubrata cuspide sedit.
Tarpei^ rupes, Superisque habitabile saxum;
El vos y virginea lucentes semper in ara,
Laomedonleœ Trojana altaria flammae ;
Heu ! quantum vobis fallacis imagine teli
Promisere Dei ? propius si pressa furenti
Hasta foret , clausae starent mortalibus Alpes ,
Nec, Trasymene, tuis nunc Allia cederet uudis.
Sed Juno , adspectans Pyrenes vertice celsae
Nava rudimenta, et primos in Marte calores.
Ut videt impressum conjecta cuspide vulnus^
Advolat, obscura circumdata nube, per auras ,
Et validam duris evellit ab ossibus hastam.
Ille legit clipeo fusum per membra cruorem ,
Tardaque paulatim et dubio vestigia nisu
Alternata trahens, aversus ab aggere cedit.
Nox tandem optatis terras pontumque tenebris
Condidit, et pugnas erepta luce diremit.
At durae in vigilant mentes, molemque reponunt,
Noctis opus : clausos acuunt extrema pericli ,
LES PUNIQUES , LIV. I. 85
au courage, et que la gloire vaut les combats qu'elle
coûte.
Tout à coup, du sein d'épais nuages, le ciel s'ouvre
et se déchire avec fracas : la terre s'ébranle ; deux fois
la foudre brille, deux fois Jupiter tonne sur l'une et l'au-
tre armée; et, lancé de la nue au milieu d'un noir tour-
billon de vent, un javelot, vengeur de cette injuste
guerre, atteint la cuisse d'Annibal et s'y fixe en trem-
blant.
Boches Tarpéiennes, colline habitée par les dieux, et
vous, qui brûlez éternellement au foyer de nos vierges
comme jadis aux autels de Troie, flammes de Laomédon,
que le ciel , hélas ! dans le présage trompeur de ce ja-
velot, vous donna d'espérance! Si le fer eût percé plus
haut le forcené , les Alpes resteraient fermées encore
aux mortels, et ton onde, ô Trasymène, n'eût point fait
oublier celle de TAllia.
Mais Junon contemplait, de la cime élevée des Py-
rénées, les rudes commencemens du héros et les belli-
queux essais de son ardeur première. A peine elle a vu
s'enfoncer le trait qui l'a blessé, elle vole, fend les airs,
enveloppée d'un nuage obscur, et arrache de ses os en-
durcis la puissante javeline. Lui, couvrant du bouclier le
sang qui coule sur ses membres, se traîne lentement et
avec effort, recule peu à peu d'un pas incertain et chan-
celant, se retire et disparait de la brèche.
Enfin la nuit désirée plonge dans les ténèbres la terre
et les mers, et met fin aux combats en dérobant le jour.
Mais les durs guerriers veillent, et relèvent leur muraille:
les assiégés passent la nuit à l'œuvre, animés, en ce péril
extrême, de ce dernier courage qui grandit et s'exalte dans
86 PUMCORUH LIB. I. (v. 56o.)
£t fractis rébus violentior ^Itima virtus.
Hinc puer, invalidique seues, hino femina ferre
Certat opem in dubiis miserando uava labori ,.
Saxaque manauti ^ubveclat vulnere miles.
Jiaim Patrifous clarisque ^enum sua munia curds :
Concurrunt, lectosque viros hortantur, el oraut,
Defessis subeant rébus , revoceiitque salutem ,
Et Latia extremis inplore^t casibus ariiia.
ff Ite citi, remis velisque inpellite puppim ,
Saucia dum castris clausa est fera : tempore Martis
Utendum est vapto , et graçsaudum ad clara periclis.
Ite citiy deflete fidem murosque ruenles,
Antiquaqiïe domo meliora arcessite fata.
Mandati summa est : dum stat, remeate, Saguatos. »
Âst illi celeranty qua proximà litora, gressum^
Et fugiunt tumido per spumea caerula vélo.
Pellebat somnos Tithoni roscida conjux ,
Ac rutilus primis sonipes hinnitibus altos
Adflarat montes , roseasque movebat babenas.
Jam celsa e mûris exstructa mole juventus
Clausam nocturnis ostentat turribus urbem.
Rerum omnes pendent actus, et milite mœsto
Làxata obsidio, ac pugnandi substitit ardor/
luque dùcem versai tanto discrimine curae,
Lecteb^ea Rutulis longinqua per aequora veclis
Herculei poiito cœpere exsisterc colles,
LES PUNIQUES, LÏV. I. 87
)a détresse. Des eufaus, de faibles vieîliards, des femmes
même, tous s'empressent eu ce moment funeste, tous
prêtent une aide active à ce labeur pénible; et, malgré
ses plaies saignantes , le soldat roule des pierres. Les sé-
nateurs et les plus illustres vieillards ont à cœur aussi
d'accomplir un dc^voir; ils s'assemblent, choisissent des
députés, les exhortent, les supplient de soutenir la pa«
trie qui succombe , de la sauver et d'allei^ implorer
pour elle, en son malbeur extrême, les armes du La-
tium : (c Volez, hâtez-vous, faites force de rames et de
voiles pendant que le tigre blessé s'enferme dans son camp;
profitons du moment, saisissons-le pour agir et marchons
à la gloire au milieu des dangers. Partez, hatez-vous,
déplorez la ruine de notre alliance et de nos rempai'ts, et
que de cette patrie antique un sort meilleur nous revienne
avec vous. Surtout, et c'est la condition de votre message,
soyez de retour pendant que Sagonte résiste encore. » Ij<^s
députés s'empressent, gagneni le plus prochain' rivage;
la voile s'enfle et les emporte sur la vague écumante.
Déjà, brillante de rosée, l'épouse de Tithon chassait le
sommeil; ses coursiers radieux hennissaient, effleurant
de leur premier souffle la crête des montagnes , et se-
couant leurs rênes de rose. Du haut des murs, la jeu-
nesse assiégée découvre aux yeux ses remparts relevés
dans l'ombre et les nouvelles tours qui referment la
place. Mais tous les travaux du siège ont cessé; le sol-
dat affligé néglige l'attaque, et laisse reposer son ardeur
guerrière : il n'a plus souci que de son chef et du péril
qui le menace.
Cependant, les Rutules, entraînés au loin sur les
mers , commencent à voir surgir d» sein des flots les
88 PUNICORUM LIB. I. (v. 586.)
Etnebulosa }u^îs adtollere saxa Monœci.
Thraciuis hos Boreas scopulos inmitia regaa
Solus habet, semperque rigens nunc litora puisât,
Niinc ipsas alis plaugit strideutibus Alpes ;
Atque ubi se terris glaciali fuudit ab Arcto ,
Haud uUi contra fiducia surgere vento.
Vorticibufi torquet rapidis mare , fractaque anhelant
^quora , et injecto conduatur giirgite montes :
Jamque volans Rheuum Rhodanumque in nubila toliit*
Hune postquam Boreae dirum evasere furorem,
Alternos inœsti casus bellique marisque,
Et dubium rerum eventum sermone volutant.
« O patria ! o Fidei domus inclyta , quo tua nunc sunt
Fata loco? sacraene.maneut in coUibus.arces?
An cinis, heu Superi! tanto de nomine. restât?
Ferte levés auras, flatnsque cielo secundos ,
Si nondum insultât templorum Fœnicus ignis
Culminibus , Latiaeque valent subcurrere classes. »
Talibus inlacrimant noctemque diemque querelis,
Donec Laurentes puppis defertur ad oras^
Qua pater, adceptis Aniunis ditior undis.
In pontuni âavo descendit gurgite Thybris.
Hiicc cousanguiueae subeunt jam mœnia Romae.
Concilium vocat augustum , castaque béates
Paupertate Patres , ac nomina parta triumphis
Consul , et aequantem Superos virtute Senatum.
LES PUNIQUES, LIV. I. 89
coirTnes d'Hercule et les rochers de Monœcus dont les
cimes s'élèveiU dans la nue. Le Thrace Borée domine
seul en roi sur ces côtes inhospitalières, et de son ha-
leine glacée bat sans cesse ces rivages, ou va heurtant
les Alpes de ses ailes sifflantes. Quand ^ des froides ré-
gions de l'Ourse, il fond sur la terre, nul autre vent
n'oserait lutter contre lui : les vagues roulent, tourbil-
lonnent, se tordent , se brisent haletantes, et sous leurs
lames débordées engloutissent les montagnes. Il vole, et
le Rhône et le Bhin jaillissent jusqu'aux nues. Une fois
à l'abri des redoutables fbreurs de Boréé, les Sagontins
s'entretiennent des. dangers renaissans de la guerre et
des flots, et du terme incertain de leurs malheurs, a O pa-
trie , sanctuaire glorieux de la Foi y quel est ton sort
aujourd'hui? tes remparts sacrés sont-ils toujours de-
bout sur la colline, ou d'un si grand nom, hélas! dieux
du ciel, ne reste-t-il qu'un peu de cendre? Détachez
vers nous les brises légères, éveillez les vents favorables,
si les feux carthaginois n'ont point envahi déjà le faite
de nos temples , et si le secours des flottes latines peut
nous servir encore. » Ainsi , le jour, la nuit , ils pleurent
et gémissent. Enfin leur poupe touche aux rives lauren-
tines, près des lieux oïl le Tibre séculaire, enrichi des
eaqx que l' Anio lui verse , précipite ses jaunes torrens
à la mer.
Rome ouvre aux députés ses remparts fraternels. Le
consul convoque l'assemblée auguste, ces patriciens heu-
reux de leur chaste pauvreté , ces grands noms conquis
par la victoire, ce sénat que sa vertu égale aux dieux^
tous ces hommes. illustrés par de hardis faits d'armes,
90 PUNICORUM LIB. I. (v. 612.)
Facta animosm viras, et rectî sacra cupido
Adtollunt , hirtsque togae , neglectaque mensa ,
Dexteraque a curvis capulo iiou segnis aratrîs;
Ëxiguo faciles^ et opum non îndiga corda ,
Ad parvos currii remeabant saspe pénates. '
In foribus sacris, primoque in limttie texnpli
Cnptivi curruSy belti decus, armaque rapta
Pugnantum ducibus, ssevaeque in Marte secures ,
Perfossi clipei^ etservantia tela cruorem,
Claitôtraque portarum pendent : hic Puntca bella ,
£gates cernas , fusaque per aeqtiora classe
Exactam ponto Libyen testantia rostra :
Hic galeae Senonura , pensatique inprobus auri
Arbiter ensis inest , Gallisque ex arce fugatis
Arfioa reverteatis pompa gestata Camilii :
Hic spolia ^acidas, hic Epirotica signa,
Et Liguruni horrentes coni , parmœque rclatae
Hispaaa de génie rudes, Alpinaque gaesa.
Sbd posliqiiaui clades patefecit et liorrida bella
Oranturn squalor, prashens adstare Sagunti
Ante oculos visa est extrema precantis imago.
Tum senior inœsto Sicoris sic incipit ore:
c( SaCfâta gens clara fide , qiiam rite fatentur
Marte satam populi ferro parère subacti ,
Ne crèdc emensos levia ob discrimina ponlum.
Vidîmus obsessam patriam, murosque trementes:
LES PUNIQUES, LIV. I. 91
par leur amour sacvé de In justice, leur rude toge, leur"
table frugale, leur bras toujours à l'œuvré, quittant
pour le glaive la charrue recourbée. Contens de peu,
ils ignoraient le besoin des richesses , et le char du
triomphe les ramena souvent à leurs humbles pénates.
Au seuil du temple et sous les saciës porti(]ues, sout
suspendus de glorieux» trophées : les chars pris à l'en-
nemi, les armes ravies aux généraux d'armée, les ha-
c:hes meurtrières des batailles, les boucliers troués, les
dards teints de sang, les portes ferrées des cités; ici les
débris des guerres Puniques, ces rostres de la flotte
dispersée auK Égales , ces témoignages de la défaite
navale des Libyens chassés de toutes les mers; ailleurs
les casques des Sénons, et ce glaive, arbitre injuste du
poids de l'or, et ces armes dont Camille repoussa les
Gaulois du Capilofe, et qu'il portait dans la marche
solennelle de son retour. Plus loi» , les dépouilles tk
TEacide et les enseignes Epirotiques , les cônes hérissés
des Liguriens, les pannes grossières enlevées aux peu-
ples d'Espagne et les gèses des Alpes.
Quaiid les députés s'avancèrent, à leur abattement
on comprit leurs malheurs et leurs luttes terribles; ou
crut voir paraître l'image éplorée de Sagonte exhalant
sa dernière prière. Le vieillard Sicoris commença ainsi
d'une voix lamentable : «Peuple célèbre par l'inviolable
durée de ta foi , toi qu'à bon droit proclament enfant de
Mars les nations soumises par le fer à ton obéissance ,
ne pense pas que nous ayons traversé les mers pour de
vaines alarmes. Nous avons, vu notre patrie assiégée,
nos murailles croulantes, et celiri qu'ont engendré d'im-
ga PUNICORUM LIB. I. (v. 638.)
Et , quem insana fréta , aut cœtus genuere ferarum ,
Vidiiims Hannibalem : procul bis a mœnibus, oroL,
Arcete , o Superi , nostroque in Marte teaete
Fatiferae juvenem dextrae : qua mole sonantes
Ëxigit ille trabes! et quantus crescit in arniis!
Trans juga Pyrënes, médium indignatus Hiberum,
Ëxcivit Càlpen , et mersos Syrtis arenis
Molitur populos, majoraque mœnia quaerit.
Spumeus.hic, medio qui surgit ab aequore, fluctus.
Si probibere piget , vestras eflringet in urbes.
An tanti pretium motus, ruptique per enses
Fœderisy boc juveni, jurata in bella ruenti,
Creditisy ut statuât superatae jura Sagunto?
Ocius ite, viri, et nascentem exstinguite flammam.
Ne serae redeant post aucta pericula curae.
Quamquam o! si nullus teiTor, non obruta jam nunc
Semiua fumarent belli : vestraene Sagunto
Spernendum consanguineam protendere dextram?
Ornais Hiber, omnis rapidis fera Gallia turmis ,
Omnis ab aestifero sitiens Libys inminet axe.
Per vos culta diu Rutulae primordia gentis,
Laurentemque Larem, et genetricis pignora Trojae,
Conserva te pios, qui permutare coacti
Âcrisioneis Tirynthia cuhnina mûris.
Vos etiam Zanclen Siculi contra arma tyranni
Juvisse egregium ; vos et Campana tueri
LES PUNIQUES , LIV. I. 93
purs rivages ou les repaires des bêtes féroces, Annibal,
nous l'avons Vu! Éloignez , dieux du ciel, je vous en
prie , éloignez de^ces remparts et retenez sur nos têtes sa
fatale colère : avec quelle vigueur son jeune bras agite
et fait siffler la javeline! qu'il apparaît grand sous les
armes! Au delà des Pyrénées et de l'Èbre, cette limite
qui l'indigne, il a soulevé Calpé; il remue les peuples
perdus dans les sables des\Syrtes : il aspire à de plus
puissantes murailles. Ce flot écumant , jailli du milieu des
mers, si vous tardez à l'arrêter, se brisera sur vps cités.
Croyez- vous que, pour prix de tant d'efforts et du traité
que son glaive a rompu, lui si jeune, lui qui marche à
la guerre parce qu'il l'a jurée, il se contente d'imposer
ses lois à Sagonte vaincue? Hâtez-vous, Romains, cou-
rez éteindre cet incendie qui commence, de peur qu'il ne
vous en revienne souci plus tard quand le péril aura
grandi. Et d'ailleurs,. n'eussiez- vous rien ti craindre de
ces semences de guerre qui germent déjà sous nos cen-
dres fumantes, poiirriez-vous dédaigner de tendre à votre
Sagonte une main fraternelle ? L'Ibérie entière vous
menace , et toute la Gaule sauvage avec ses rapides
escadrons, et toute celte Libye altérée sous le ciel qui
la brûle. Au nom de l'origine, long-temps sacrée pour
vous, du peuple rutule, au nom des lares de Laurente
et des pieux restes de Troie notre mère, sauvez un allié
fidèle qui n'a changé qu'à regret les remparts d'Acrisius
pour les murailles Tîryntliiennes. A vous la gloire déjà
d'avoir protégé Zanclé contre les armes du tyran de Si-
cile; à vous, d'avoir défendu les murs de Capoue et re-
poussé l'invasion des Samnites : c'était là , vous le saviez,
une ceuvre digne de vos aïeux sigéens. Vieux colon de
la Daunie, je vous prends à témoin, étangs mystérieux,
t>i PUNICORUM LIB. I. (v. 6Gi.)
Mœnia, depuiso Samnitum robore^ dignoin
Sigeis duxistis avis. Vêtus incola Dauni,
Testor vos^ fontes et stagna arcana Numîci,
Quum felix nimium dimitteret Ardea pubem,
Sacra domumque ferens , et avi pcnetralia Turni ,
Ultra Pyrenen Laurentia nomma duxi.
Ciir^ ut decisa alque avulsa a corpore meuibra,
Despiciar, vesterque luat cur foedera sanguis?»
Taiïokh, ut finitae voces, miserabile visu!
Submissi palnias, lacerato tegniine vestis,
Adfigunt proilî squalentia corpora terrœ.
Inde agitant consulta Patres, curasque fatigant.
Lentulus, ut cernens adcensœ tecta Sagunti,
Poscendum pœnae juvenem, celerique negantis
Exurt belle Cartbaginis arva jubebat.
At Fabius , cauta specuiator mente futuri ,
Nec laetus dubiis, parcusque lacessçre Martem,
I . ' • . *
£t iipelior clauso bellum producere ferro ,
Prima super tantis rébus pensanda : dncisne
Ceperit arma furor, Patres an signa moveri
Censuerint ; mittique viros , qui exacta reportent.
Providus haec, rltu vatis, fundebat ab alto
Pectore praemeditans Fabiirs surgen^tia Lella.
Ut sœpe, e celsa grandaevus puppe magister,
Prospiciens signis ventururn in carbasa Corum y
,Summo jamchidum substriiigit Untea malo.
LES PUNIQUES, LIV. I. 95
source du Numicus! Dites si le jcHir où, ti*op féoonde,
Ardée exila ses enfaas, je n'ai point emporté le culte de
l'ancêtre Tnrnus, les dieux de son foyer et-de ses sanc*
tuaires, et conduit le nom Laurentin au delà des Pyriv
nées. Peut-on, après cela, nous repousser comme des
membres arrachés el séparés du corps , et rotre sang ,
Romains, sera-t-il puni de son alliance?»
A peine il a cessé de parler, que tous (affligeant spec*
tacle!) tendent les mains au ciel, déchirent leurs vête-
mens, et^ dans ce hideux désordre, s'abaissent et se pro-
sternent jusqu'à terre. Le sénat délibère, agité d'inquiètes
pensées. Lentulus, qui voit déjà Sagoute eu flammes,
veut qu'on réclame Annibal pour le punir, et si Car-
thage le refuse, que ses campagnes soient livrées sur
l'heure aux feux de la guerre. Miais Fabius, dont le pru-
dent génie a l'œil sur Tavenir, Fabius, qui n'aime point
les hasards, qui évite de provoquer le combat et cherche
plutôt à prolonger la guerre sans tirer l'épée , pense que,
dans une affaire aussi grave , on doit examiner avant tout
si la seule fureur du chef lui a mis les armés en main,
ou si le sénat 4e Carthage a autorisé ces hostilités; il
faut don'c envoyer des députés, afin d'avoir un fidèle
rapport : avis prévoyant et sage, exprimé comme un
oracle par Fabius, dont la haute pensée devine déjà la
guerre qui s'apprête. Ainsi souvent le vieux pilote, qui,
du haut de sa poupe, a i*econnu les signes précurseurs
du Corus, le prévient et replie sa voile au sommet des
mâts. Mais les larmes, la colère et la douleur tout en-
semble entraînent l'assemblée entière à précipiter Tac-
96 PUNICORtJM LIB. I. (v. 690.)
Sed iacrimae, atque ira mixtus dolor inpulit omnes
Praecipitare latens fatum : lectique Senatii,
Qui ductorem adeant : si perstet surdus in armis
Pactorum , vertant inde ad Carthaginis arces ;
Nec Divum oblitis itidicere bella morentur.
LES PUNIQUES, LIV. I. 97
complisseTnent des destins qu'on ignore : des sénateurs
sont désignés, ils se rendront près d'Annibal; s'il persiste
dans la guerre et le mépris des traités, ils iront droit
aux murs de Cartbage, et, sans attendre, déclareront la
guerre à cette cité qui oublie les dieux.
\
/
r.
mmmmmmmmmm¥mÊmmmmmmmmmmmmtmi90mmmmmmm0mmmmmÊÊmÊmmmmm0mmmmmmmmi¥immiimmmmmmmm»%%%M
C. SILIl ITALICl
PUNICORUM
USER SECUNDUS.
Vjjeruleis provecta vadis jam Dardana puppis
Tristia magDanîmi portabat jussa Senatus,
Primoresque Patrum. Fabius, Tîrynthîa proies.
Ter centum memorabat avos, quos turbine Martis
Abstulit una dîes, quum Fors non aequa labori
Patricio Cremerae maculavît sanguine ripas.
Huic cornes aequalo sociavit inunere curas
Poplicola, ingentis Vôlesi Spartana propago.
Is j cultam referens insîgni uomine plebem ,
Ausonios atavo ducebat consule fastus.
Hos ut depositis portum contiugere veKs
Adlatum Hannibali , consultaque feri*e Senatus ,
Jam medio seram belle poscentia pacem,
Ductorisque simul conceptas fœdere pœnas ;
Ocius armatas passim per litora turmas
Ostentare jubet minitantia signa , recensque
*nttnnMM%i%fvvvvvt/vvyu%ivuvvvvtnfvv*tv^nivtni%t/%>%>y»Mf»n»M%f*mMMt*/*Httiv^
C. SILHJS ITALICUS.
LES PUNIQUES
LIVRE DEUXIEME.
Uéjkj sur la plaine azurée , voguait ia nef dardanienne
qui portait les décrets sévères du magnanime sénat , et
les premiers patriciens de Rome. Fabius, de race tiryn*
thienne, rappelait ses trois cents aïeux enlevés en un
seul jour dans le tourbillon d'une bataille, alors que la
Fortune , trahissant leurs efforts , souilla de sdng patri-
cien les rives du Crémère. Son compagnon , son égal ,
l'asseoie de son pouvoir et de ses travaux, Poplicola
descend du grand Volésus , Spartiate d'origine. Son nom
est un souvenir éclatant de l'amour des siens pour le
peuple , et de son aïeul date le consulat aux fastes d'An-
sonie.
Leur navire touche au port et plie sa voile. Âiinibal ,
apprenant qu'ils apportent les arrêts du sénat, <|u'ils
viennent, au milieu de la guerre, solliciter une paix tar-
dive, et, aux termes solennels du traité, demander son
supplice, ordonne aussitôt à ses escadrons armés, répan-
dus sur le rivage, d'agiter à leurs jeux les enseignes me-
naçantes, les boucliers arrosés d'un sang nouveau, les
y
îoo PUNICORUM LIB. II. (v. i:)
Perfusos clipeos, et tela rubentia CBede.
«Haud dictis nunc esse iocum ; strepere oinnîa, clamât ,
Tyrrhenae claiigore tubae, gemituque cadentum.
Diim detur, relegant pontum, nen se addere clausis
Festitient : notum, quid caede calentibus armis,
Quantum ir» liceat, motusve quid audeat ensis. »
Sic ducis adfatu par infaospita litora puisi ,
Converso Tyrios petierunt rémige Patres.
Hic alto Pœnus fuudentem vêla carinam
Incessens dextra : «Nostrum, pro Jupiter! iuquit,
Nostrum ferre caput parât illa per aequora puppis.
Heu! csecae mentes, tumefaclaque corda secundis!
Ârmatum Hannibalem pœnae petit inpia tellus.
Ne déposée, adero : dabitur tibi copia nostri
Ante exspectatum; portisque focisque timebis,
Quae nunc externos défendis, Boma, Pénates.
Tarpeios ilerum scopulos prœruptaque saxa
Scandatis licet, et celsam migretis in arcem,
Nullo jam capti vitam pensabitis auro. »
Incëitsi dictis animi , et furor additus armis ;
Conditur extemplo telorum nubibus aether.
Et densa résonant saxorum graudine turres.
Ardor agit , provecta queat dum cernere muros ,
Inque oculis profugae Martem exercere carinae.
Ipse autem incensas promissa piacula turmas
Fla^itat, insiguis nudato vulnere^ ductor^
LES PUNIQUES, LIV. II. toi
traits rougis par le carnage. «Ce n'est point ici le lieu
<le s'entendre, s'écrie-t-il ; partout éclatent les sons de
la trompette tyrrhénienne et les sanglots des mourans.
Ils sont libres encore : qu'ils reprennent le chemin des
mers, et ne s'enferment pas à plaisir avec les assièges;
on sait ce que peuvent des armes échauffées par le
carnage, ce qu'oserait la colère, ou le glaive une fois
tiré. » Ainsi repoussés, par les menaces d'Annibal, de ces
rivages défendus , ils s'en retournent et rament vers
Carthage.
Le Carthaginois, poursuivant du doigt la carène qui
pousse au large à pleines voiles : « Notre tête, oui, par
Jupiter, dit-il , c'est notre tête que ce navire espère em-
porter sur les flots avec lui. Esprits aveugles , cœurs
enflés par le succès! la maudite cité veut le supplice
d'Annibal, et d'Annibal armé! Ne me réclame pas; j'irai !
tu me verras, et à loisir, et plus tôt que tu ne souhaites :
tu trembleras pour tes murs et tes foyers, Rome, qui
défends aujourd'hui les pénates des autres. Vous aurez
beau gravir encore vos roches Tarpéiennes , vos cimes
escarpées , et vous loger au faîte d'une citadelle; une fois
^ris, il n'y a pas d'or au monde qui paierait votre vie! »
Ces mots enflamment sou armée et ajoutent la fureur
au courage. A l'instant une nuée de traits obscurcit le
ciel , et les tours retentissent sous les coups répétés
d'une grêle de pierres. Us pressent l'attaque, tandis que
de loin sur mer on voit encore la ville; ils brûlent d'exer-
cer leur rage aux yeux de la nef fugitive. Le chef alors
réclame de ses troupes enflammées la vengeance promise ;
il montre à nu sa blessure, il recommence ses plaintes;
I02 PllNICORUM LIB. IL (v. 43.)
Ac repetens questus furibundo personai ore :
«Poscimur, o socii ! Fabiusque e puppe catenas
Ostentat, dominique vocat nos ira Senatus.
Si taedet cœpti , culpandave movimus arma ,
Ausooiam ponto propere revocate carinam;
Nil moror : evîncta lacerandum tradite dextra.
Nain cur, Eoi deductus origine Beli,
Tôt Libyae populîs, tôt circumfusus Hiberis,
3ervitium perferre negem? Rhœteius imo
Imperet aeternum , et populis seclisque propaget
Régna ferox : nos jussa viruin nutusque tremamus. »
Effundunt gemitus, atque omina tristia vertiint
In stirpem ^neadum, ac stimulant clamoribns iras.
DisdNCTOS inter Libyas populosque bilingues,
Marmaricis audax in bella Œnotria signis
Yeoerat Asbyte, proies Garamantis larbae.
Hammone hic genitus, Phorcynidos antra Medusae,
Cinyphiumque Macen , et iniquo e sole calentes
Battiadas late imperio. sceptrisque regebat ;
Cui patrius Nasamon, œternumque arida Barce,
Gui nemora Autololum , atque infidae litora Syrtis
Parebant , nullaque levis Gsetuius habena.
Atque is fundarat thalamos Tritonide nympha j
Unde genus , proavumque Jovem regina ferebat j
Et sua fatidico repetebat nomina luco.
Haec ignara viri , vacuoque adsueta cubiii ,
LES PUNIQUES, LIV. II. io3
sa furie éclate, il s'écrie : «On veut ma vie, amis : Fa-
bius a montré des chaînes sur sa poupe; le sénat irrité
nous mande en maître à ses pieds. Si vous avez regret
de cette guerre, si c'est un crime à nous d'avoir pris
les armes, hâtez-vous, rappelez le navire ausonien, j'y
consens : livrez->moî, poings liés, aux tortures. De quel
droit , en effet , moi qui descends de Bélus l'Orien-»
tal, moi qu'environne l'amour de tant de peuples de
la Libye et de Tlbérie, refuserais-je de subir l'escla-
vage? jN 'est-ce pas au Rhétéen à commander éternelle-
ment, à étendre sur tous les peuples et par tous le$
siècles sa domination souveraine! ^. nous, de trembler
devant le regard et la volonté de ces hommes! » Ils se
répandent en gémissemens , ils renvoient ces tristes au-
gures à la race des enfans d'Énée, ils réveillent à grands
cris leurs fureurs.
Parmi les Libyens à la robe flottante et les peuples
au double langage, était accourue pour combattre l'Eno-
trie sous les enseignes de Marmarique, l'intrépide As-
byté , fille dlarbas le Garamante. Enfant d'Ammon ,
larbas tenait au loin sous son sceptre et son empire
les antres de Méduse , fille de Phorcus , et le Mace
des bords du Cinyphe, et les Battiades brûlés des feux
d'un soleil ennemi. C'est à lui qu'obéissaient et le Na-
samon son compatriote , et Barcé toujours aride , et
les forêts des Autololes, et les rivages de la Syrte per-
fide, et le Gétule qui bondit sur un coursier sans bride.
Il avait choisi, pour appui de sa maison, une nymphe
Tritonide : issue de cette union, la reine se vantait
d*avoir Jupiter pour ancêtre, et du bois prophétique
tirait l'origine de sa gloire. Ignorante des hommes ,
habituée à sa couche solitaire , la chasse et les forêts
ïo4 PUNICORUM LIB. IL (v. 69.)
Venatu et silvis prîmos defenderat annos :
Non calathis moUita manus, operatave fuso,
Dîctynnam, et saltus, et anhelum inpellere planta
Cornipedem , ac stravisse feras inmitis atnabat.
Quales Threicise Rhodopen Pangaeaque lustrant
Saxosis nemora alta jugis j cursuque fatigant
Hebrum innupta manus : spreti Ciconesque, Getaeque,
Et Rhesi domus^ et lunatis Bistones armis.
Ergo habitu insignis patrio , religata fluentem
Hesperidum dono crinem , dextrumque feroci
]N[iida latus Marti y ac fulgentem tegmine laevam
Thermodontiaca munita in prœlia pelta ,
Fumantem rapidis quatiebat cursibus axem.
Pars comitum bijugo curru j pars cetera dorso
Fertur equi ; nec non Veneris jam fœdera passae
Keginam cingunt : sed virgine densior ala est.
Ipsa autem gregibus per ionga mapaiia lectos
Ante aciem ostentabat equos y tumuloque propinquo ,
Dum sequitur gyris campum, vibrata per auras
Spicula contorquens sunima ponebat in arce.
Hang hasta toties intrantem niœnia Mopsus
Non tulit, et celsis senior Gortynia mûris
Tela sonante fugat uervo j liquidasque per auras
Dirigit aligero letalia vulnera ferro.
Cres erat, aerisonis Curetum advectus ab antris,
Dictaeos agitare puer levîoribus annis
LES PUNIQUES, LIV. II. io5
out protégé ses prenlières années : sa main ne s'est point
énervée aux travaux de la corbeille ou du fuseau : la vierge
sauvage aime Dictynne , et les bois , et le coursier hale-
tant qu'elle presse de l'éperon , et la proie qu'elle ter-
rasse. Telles les filles de Thrace franchissent les crêtes
escarpées et les hautes forêts du Rhodope et du Pangée,
et fatiguent l'Hèbre de leur course : elles refusent l'hy-
men, et méprisent les Ciconiens et les Gètes, et les fils
de Rhésus , et les Bistoniens aux armes en croissant.
Parée à la manière de sa patrie, un nœud, présent
des Hespérides, retient sa flottante chevelure; son flanc
droit est nu, et libre pour la lutte; sa gauche brille
sous l'abri protecteur du bouclier du Thennodon. Son
essieu lancé vole et fume en sa course rapide. Ses com-
pagnes , portées les unes sur un char traîné par deux
chevaux, les autres sur le dos d'un coursier, environnent
leur reine : plusieurs, parmi elles, out subi déjà les lois
de Vénus , mais les vierges sont en plus grand nombre.
L'héroïne, à la tête de l'armée, promène ses coursiers su-
perbes, l'élite des troupeaux de ses haras lointains; elle
suit mille détours dans la plaine, et, d'une érainence
voisine, darde ses flèches qui vibrent dans l'air et vont
atteindre les hauteurs de la citadelle.
Mopsus ne put voir tant de fois ses javelots pénétrer au
' sein de la place : du sommet des remparts , le vieillard
dirige à travers l'espace un trait de Gortyne; la corde
sonne , et chasse le fer ailé dont la blessure est mortelle.
Mopsus était Cretois , et venu des ant|*es où retentit l'ai-
rain des Curetés. Aux jours frivoles de son enfance, il
s'était long-temps exercé dans les forêts de Dicté à dé-
loÇ PUNICORUM LIE. IL (v. gS )
Paniiata saltus adsuetus arundine Mopsus.
Ilie vagam cœlo demisit saepe volucrem ,
Ille procul cainpo linquentem retia cervum
Vulaere sistebat ; rueretque inopioa $ub ictu
Aate fei'a incaulo , quam sibila poneret arcus.
Nec se tum pharetra jactavit justîus ulla,
£ois quamquam certet Gortyna sagittis.
Veruin ul opum levior venatu extendere. vitam
Abnuit , atque arlae res exegere per aequor,
Coujuge ciiin Meroe natisque inglorius hospes
Intrarat miseram fato ducente Saguutam.
Coryti fratrum ex huiuei*is calatnique paterni
Peodebant , voliicerqiie chalybs j Minoia tela.
Hic médias juvenuni Massylae gentis in agmen
Crebra Cydoneo fundebat spicula cornu.
JamGaramum^ audacemqueThyrura,pariterque ruentes
Crii^onem , levenique Bagam ^ indiguumque sagittae ,
Inpubem malas , tam certae obcurrera Lyxum
Fuderat, et plena tractabat bella pharetra.
Tum y vultum intendeus telumque in virginis ora ,
DeseiHqm non grata Jovera per vota vocs^bat.
Namque ut fatiferos converti prospicit arcua,
Obposile procul insidiis Nasamonias Harpe
Corpore prœripuit letum, calamumque volantem,
Dum clamât I patulo excipiens tramisit hiatu ,
Et pr unae ferrum a tergo videre sorores.
LES PUNIQUES, LIV. H 107
cocher les flèches empennées. Souvent il abattit du haut
des airs l'oiseau voyageur : souvent , au loin dans la
plaine, il arrêta, par un coup imprévu, le cerf échappé
des filets , et Tanimal , surpris dans sa fuite , était tombé
sous la blessure, que Tare sifflait encore. Gortyne n'eût
pu justement alors vanter un carquois meilleur que le
sfen , et Gortyoe défiait les archers de l'Orient. Mais il
était pauvre, et la chasse ne pouvait suffire au soutien
de sa vie : dans sa détresse, il passa les mers, et vint, avec
Méroé sa femme et avec ses enfans, s'établir, étranger
et sans gloire, dans les murs malheureux de Sagonte, où
le destin l'avait conduit. Comme leur père, les deux fières
portent suspendus à leurs épaules et l'étui léger , vt les
flèches, et le fer ailé, armes de Crète. Placé entre ses
jeunes fils, Mopsus faisait pleuvoir sur les bataillons
niassyliens les mille dards de sa corne cydonienne. Déjà
il a renversé Garamus, et le hardi Thyrus, et Gisgon,
et l'imberbe Bagas, qui l'attaquaient ensemble, et Lyxus
à la joue sans duvet, victime peu digne d'une flèche aussi
sûre : son carquois plein faisait rude guerre. Il aperçoit
l'héroïne , et soudain , l'œil et le trait dirigés contre
elle , il invoque Jupiter qu'il a délaissé. Son vœu n'est
point entendu : Harpe la Nasamone Ta vu tendre l'arc
ùiial ; elle oppose son corps au fer qui de loin me-
nace la reine , et reçoit la mort h sa place : sa bouche
entr'ouverte allait pousser un cri , mais le roseau vole
et lui perce le gosier; et ses sœurs les premières voient
derrière elle le fer sortir de la blessure. L'iiéroïne frémit
de la chute de sa compagne; elle soulève ses membres
abattus, elle arrose de larmes ses yeux qui s'éteignent et
nagent dans les ténèbres ^ puis, de toutes tes forces de sa
douleur, elle darde sur les remparts un javelot meurtrier;
io8 PUNICORUM LIB. II. (v. m.)
Ai comitis frendens casu labentia virgo
Membra levât, parvaque oculos jam luce natantcs
Inrorat lacrimis , totisque adnisa doloris
Yiribus intorquet letalcm in mœnia cornum.
Illa voians humerum rapide transverberat ictu
Cohantis Dorylae, junctis jam cornibus arcus,
Et ducti spatium nervi complente sagitta,
Excutere in ventes resoluto pollice ferrum.
Tum subitum in vulnus prsceps devolvitur altis
Aggeribus mûri , juxtaque cadentia membra
Effusi versa calami fluxere pharelra.
Exclamât paribus frater vicinus in armis
Icarûs^ ulciscique parât lacrimabile fatum :
Atque illum, raplim promentem in prœlia telum^
Hannibal excussi prœvertit turbine saxi.
Labuntur gelido torpentia frigore membra ,
Deficiensque manus pharetrœ sua tela remisit.
At pater in gemino natorum funere Mopsus
Conreptos arcus ter mœsta niovit ab ira :
Ter cecidit dextra, et notas dolor abstulit artes.
Pœnitet heu! sero, dulces liquisse pénates,
Adreptoque avide, quo concidis, Icare, saxo,
Postquam aevum senior percussaque pectora frustra
Sentit, et, ut tantos compescat morte dolores,
Nil opis in dextra , vastœ se culmine turris
Prœcipitem jacit , et delapsus pondère prono
Membra super nati moribuados explicat artus.
LES PUNIQUES , LIV. IL 109
Le bois vole , et d'un coup rapide frappe et traverse
lepaule de Dorylas : il veuait de courber et de joindre
avec effort les extrémités de son arc ; la corde raidie ,
la flèche droite et tendue au milieu j son doigt se levait
pour chasser le trait dans les airs : soudain le héros
blessé chancelle ^ et roule précipitamment du haut des
murailles; dans sa. chute , ses flèches glissent le long
de ses membres et s'échappent du carquois renversé. A
ses côtés, armé de même, Icare son frère pousse un cri,
et s'apprête à venger sa triste destinée : il s'empresse,
tire une flèche; Annibal le prévient, et lui lance une
pierre dont le choc le terrasse. Il tombe, engourdi et
glacé du froid de la mort, et sa main défaillante laisse
rentrer la flèche au fond de son carquois.
A là vue du trépas de ses deux fils^ leur père, dans
un mouvement de douleur et de rage, saisit trois fois
son arc, et trois fois sa main retombe, oublieuse de son
art et vaincue par la souffrance. Il regrette , trop tard
hélas! les pénates chéris qu'il a quittés; il ramasse avi-
dement la pierre qui te renverse, Icare, et s'en frappe
la poitrine : vains efforts; le vieillard a bientôt compris
que son bras, affaibH par l'âge, est impuissant à soula-
ger par la mort de si vives douleurs : du faîte d'une vaste
tour il se précipite; son poids l'entraîne, il tombe et
couvre de ses membres mourans le cadavre de son fils.
I lo PUNXGORUM UB. II. (^ »4«.)
DuH cadk externo Gortynius advena bdlo,
Jatn nova molilus stitnulato milite Theron,
Alcidae templi custos arœque sacerdos,
Non exspectatiim Tyriis efTuderat agmen ,
Et fera miscebat reserata prœlia porta. ,
Atque illi non hasta manu, non vertice cassis,
Sed (isus latis liumeris et mole juvenlse
Agmina vastabat clava , niliil indigus ensis.
Exuviae capiti inpositae tegimenqne leonîs
Terribilem adtollunt excelso vertice rictum.
Centum angues idem Lernaeaque monstra gerebat
In clipea^^et sectis geminam serpentibus Hydram.
nie Jubam, Thapsumque* patrem , clarumque Micipsam
Nomine avi, Maurumque Saceu, a mœnibus actes
Palantesque fuga pfseceps ad litora cursu
Egeç^t, atque una spumabant aequora dextra.
Nec contentus Idi leto, letoque Cothonis
Marmaridae, nec csede Rothi, nec caede Jugurthaè ,
Asbytes currum et radiantis legmina laenae
Poscebat votis, gemmataque lumina peltae,
Atque in belligera versabat virgine mentem.
Quem ruere ut tejo vidit regina cruento,
Obliquos detorquet equos , laevumque per orbem
Fallaci gyro campum secat, ac, velut aies,
Averso rapitur sinuata per. aequora curru.
Dumque ea se ex oculis aufert , atque ocior Euro,
LES PUNIQUES, LIV. IL m
Tandis que l'émigré de Gdrtyiie succombait ninsv daas
une guerre étrangère, Théron, gardien du temple d'AU
cide et prêtre de ses autels, avait animé le soldat et
improvisé une attaque nouvelle. Contre Tattente dès Ty-
rienS) il avait ouvert une porte de la ville, et, les char-
geant avec sa troupe, leur livrait un combat acharné.
Il n'a ni la haste à la main, ni le casque sur le front :
il a foi en ses jeunes et larges épaules , en sa taille
géante : il dépeuple les bataillons de sa massue, et n'a
que faire du glaive* Couvert de la dépouille et de la
peau d'un lion dont la terrible gueule se dresse béante
au dessus de sa tête , il porte sur son bouclier les cent
vipères du monstre de Lerne, et les serpens hachés de
l'Hydre renaissante. Il repousse du pied des murailles
Juba, le vieux Thapsus, et Micipsa^ glorieux du nom
de son aïeul, et le Maure Sacèa; il les disperse et les
refoule à pas précipités vers les rivages : les vagues
écumeut du seul carnage de son bras. Non content du
trépas dldiis et du trépas de Côthon le Marmaride,
du meurtre de Rothus et du meurtre de Jugurtha ^ il
appelle de ses vœux le char d'Ashyté, la radieuse chla-
niyde qui la couvi*e, son bouclier aux pierres étince-
luntes; seule, la vierge guerrière occupe sa pensée.
La reine te voit fondre sur elle et brandir son arme
sanglante : elle détourne ses coursiers , trace oblique-
ment à gauche un cercle dans la plaine, l'élude par
ce détour, s'échappe comme l'oiseau, entraînée sur son
char qui glisse et serpente à travers la campagne, et
se dérobe à la vue. Plus agiles que TËurus, ses cour-
siers emportés soulèvent dans la plaine un nuage de
poussière ; sa roue bruyante écrase au loin les ba-
taillons qu'elle rencontre : la vierge épouvante et ac-
lia PUNICORUM LtB. IL (v. 174)
Incita pulveream campo trahit ungula nubem j
Adversum late strîdens rota proterit agmen ,
Ingerit et crebras virgo trepidantibus hastas.
Hic cecidere Lyçus, Thamyrisque, et nobile nomen
Eurydamas, clari deductum stirpe parentis,
Qui thalamos ausus quondam sperare superbos,
Heu démens! Itbacique torum, sed enim arte pudica
Fallacis toties revoluto staminé tel»
Deceptus , mersum pelago jactarat Ulixem :
Âst Ithacus vero fie ta pro morte loquacem
Adfecit leto , taedaeque ad funera vers».
Grens extrema viri campis deietur Hiberis
Eurydamas Nomados dextra; superinstrepit ater,
Et seryat cursum perfractis ossibus axis.
Jamque aderat remeans virgo, inter prœlia postquam
Distringi Therona videt , saevamque bipennem
Perlibrans raediae fronti, spolium inde superbum
Herculeasque tibi exuviasy Dictynna, vovebal.
Nec segnis Theron tantae spe laudis in ipsos
Adversus consurgit equos, viilosaque fulvi
Ingerit objectans trepidantibus ora leonis.
Adtoniti terrore novo rictuque minact
Quadrupèdes jactant resupino pondère currum.
Tum saltu Asbyten conantem linquere pugnas
Occupât, incussa gemina inter tempora clava,
Ferventesque rplas turbataque frcna pavore
LES PUNIQUES, LÏV. IL ii3
cable rennemi des coups pressés de sa lance. Elle im-
mole Lycus j Thaniyris , Eurydamas dont le noble nom
rappelle une illustre origine. Son ancêtre avait osé jadis
aspirer à une auguste alliance, l'insensé! à la couche du
roi d'Ithaque. Abusé par la chasie industrie qui recom-
mença tant de fois la trame d'une toile trompeuse, il
avait publié qu'Ulysse était englouti dans les flots : mais
rithacien, pour prix de ce trépas supposé, punit de mort
vraie l'imposteur : ses flambeaux d'hymen éclairèrent ses
funérailles. Le dernier de ses descéndans, Eurydamas
péril aux plaines d^Ibérie de la main de l'Africaine; l'axe
noir de sang roule en criant sur lui , et poursuit sa course
en lui brisant les oà.
La vierge revient sur ses pas, et voyant Théron aux
prises dans la mêlée , elle balance sur lui sa hache
meurtrière, le mesure au milieu du front, et d'avance,
ô Dictynne, elle te vouait déjà la dépouille superbe de
l'ennemi et sa parure herculéenne. Mais Théron , que
n'enflamme pas moins l'espoir d'une si belle gloire ,
se dresse au devant des chevaux , et les heurte en agi-
tant à leurs yeux effrayés la têle fauve et chevelue du
lion. Saisis de terreur à la vue de cet étrange épouvan-
tail , de cette gueule menaçante, les coursiers renversent
le char et culbutent leur guide. Asbyté veut se dégager,
et se dérober au combat : Théron la prévient, s'élance,
lui assène entre les deux tempes un coup de sa massue,
et fait jailhr sur les roues brûlantes, sur les rênes en
L 8
ii4 PUNICORUM LIB. II. (v. 200)
Disjeclo spargit conlisa per ossa cerebro,
Ac rapta propcrans caedem ostentare bipenni.
Amputât e curru revolutae virginis ora.
Necdnm irae positœ : celsa nam figitur hasta
Spectandura caput; id gestent ante agmina Pœnuin
Imperat , et propere cnrrus ad mœnia vertant
Haec caecus fati, divumque abeiinte favore,
Viciiio Theron edebat prœlia leto.
Namcjue aderat toto ore ferens iramqne mihasque
Hannibal , et caesam Asbyten , (ixique tropaeiim
Infandum capîtis furiata mente dolebat.
Ac simul aerati radiavit luminis umbo,
Et concussa procul membrîs velocibus arma
Letiferum intoniiere, fugam perculsa repente
Ad muros trepido convertunt agmina cursu :
Sicut agit levibus per sera crepnscula pennis
E pastu volucres ad nota cubilia Vesper;
Aut, ubi Cecropius formidine nubis aquosae
Sparsa super flores examina tollit Hymettos,
Ad dulces ceras et odori corticis antra
Mellis apes gravidae properaut, densoque volatu
Ranciim connexae glomerant ad limina murmùr.
Praecipitat metus adtonitos, caecique feruntur.
Heu blandum cœli lumen ! tantone cavetur
Mors reditura metu, nascentique addita fata?
Consilium damnant , portaque atque aggere tuto
LES PUNIQUES, LIV. IL ii5
désordre y les os brojes et les éclats de la cervelle. Em-
pressé de montrer à tous ce coup mortel , il prend la hache
de la vierge tombée du char, et lui tranche la tête. Mais
sa fureur n'est point assouvie : il élève cette tête en spec-
tacle au bout d'une pique , il veut qu'on la porte devant
les bataillons carthaginois , et qu'on rentre sans délai
le char dans la ville. Ainsi Théron s'acharnait au car-
nage; aveuglé sur sa destinée, il ne voit pas que la fa-
veur des dieux l'abandonne, et que le trépas va l'attein-
dre. Annibal accourt ; tous ses traits annoncent la colère
et la menace : il pleure avec rage au fond de l'âme la
mort d'Asbyté et celte tête promenée comme un infâme
trophée. A peine a lui l'éclair de son bouclier d'airain;
à peine, secouée au loin sur ses membres agiles, son
armure fatale a tonné, l'ennemi tremblant s'enfuit à la
hâte et regagne à pas précipités ses murailles. Tels,
au crépuscule du soir, s'envolent d'une aile légère ces
oiseaux rassasiés que Vesper rappelle au gite accoutumé:
ou tels encore ces essaims errans sur les fleurs de l'Hy-
mette et que la peur d'une nuée pluvieuse éloigne des
cimes cécropiennes; chargées de miel, ces abeilles s'em-
pressent de retourner à leurs cires chéries , à leurs
cellules d'écorce odorante, et, voltigeant eu foule, se
roulent en pelotons serrés et bourdonnent sourdement
à l'entrée de la ruche. La crainte pousse au hasard le
soldat effrayé et Tenlraîne en désordre. Douce lumière
du ciel! Hélas! pourquoi se garder ainsi de la mort qui
doit revenir, et tant redouter le sort qu'on apporte en
naissant? Ils maudissent leur sortie, ils gémissent d'avoir
ainsi quitté l'abri de leurs portes et de leurs murailles.
Théron a peine à les retenir; du bras, de la voix il les
menace : « Arrêtez, soldats ! c'est mon ennemi , à moi !
8.
ii6 PUNICORIJM LIB. II. (v. ^afi.)
£rupisse gemunt : retinet vix agmina Tlieroti,
Iiiterdumque manu, interdum clamore minisque ,
aSlate, viri : meus ille hostis : mihi gloria magnae,
State, venit puguae! muro tectisque Sagunti
Mac abigam Pœnos dextra : spectacula tautum
Ferle, viri : vel, si cunctos metus acer in urbem.
Heu déforme! rapit, soli mihi claudite portas. »
At Pœnus l'apido praeceps ad mœnia cursu ,
Dum pavitant trepidi rerum fessique salutis,
Tendebat : stat primam urhem murosque patentes
Postposita caede et dilata invadere pugna.
Id postquam Herculeae custos videt inpiger arae,
Emicat, et velox. formidine praevenit hostem.
Gliscit Elissaeo violentior ira tyranno.
« Tu solve interea nobis, boue janitor urbis,
Supplicium, ut pandas, inquit, tua mœnia leto. »
Nec phira efiari sinit ira , rolatqu^^ roruscum
Mucronein : sed coutortum prior impete vasto
Dauniiis huic robur juvenis jacit; arma fragore
Icta gravi raucum gemuere, alteqùe résultant
^re inlisa cavo nodosse pondéra clavae.
At viduus teb , et frustrato proditus ictu,
Pernici velox cursu rapit incita membra,
£t céleri fugiens perlustrat mœnia planta.
Instat atrox terga increpitans fugientia victor.
Conclamant matres, celsoque e culmine mûri
LES PUNIQUES, LIV. II. 117
c'est pour moi , pour ma gloiie que l'heure de cette grande
lutte est venue : arrêtez! De cette main je vais repousser
les Carthaginois des remparts et des maisons de Sagonte.
Soutenez seulement , soldats , la vue de ce spectacle ; ou
si tous une lâche terreur vous rejette dans la ville, à vous
la honte! laissez-moi seul , et fermez vos portes! »
Pendant qu'ils hésitent treniblans et consternés, dé-
sespérant de leur salut, le Carthaginois se précipite
d'un pas rapide vers les remparts r il tient à s'empa*
rer d'abord de la ville dont les portes sont ouvertes,
dût-il un moment différer le combat et suspendre le
carnage. Le gardien des autels d'Hercule le devine, et,
dans cette crainte , il s'élance vivement , et prévient
l'ennemi par sa vitesse. La rage redouble de violence
au cœur du chef élissécM- <k Tu vas nous le payer de
ta tête, beau portier de cette ville, et ta mort, lui dit-il,
nous ouvrira tes remparts, a La colère ne lui permet pas
d'en dire davantage : il agite son épée étincelante; mais
le héros daunien le devance, et d'un élan vigoureux lui
jette son énorme massue : sous cette lourde atteinte,
l'armure d'Ânnibal résonne et mugit sourdement, et le
tronc noueux, et pesant bondit en éclats sur l'airain bombé
qui le brise. Désarmé, trahi parce coup sans portée,
Théron vole, s'échappe et fuit avec rapidité, parcourant
d'un pied agile l'enceinte des murailles. L'ardent vain-
(|ueur s'attache à ses pas et le poursuit de ses railleries.
Les femmes poussent des cris lamentables; au faîte des
remparts, les gémissemens, les clameurs éclatent et se
confondent : on répète son nom si connu, on l'appelle, on
ii8 PUNICORUM LIB. U. (v. aSti.)
Lanientis vox mixta sonat : nunc nomitie noto
Adpellant, seras fesso nunc pandere portas
Posse volunt : quatit hortantum praecordia terror.
Ne simul adcipiant ingenteni mœnibus hostem.
Incutit umbonem fesso , adsultatque ruenti
Pœnusy et ostentans spectantem e mœnibus urbem,
« 1 9 miseram Asbylen leto solare propinquo. »
Haec dicens, jugulo optantis dimittere vitaoi
Infestum condit mucronem , ac regia Isetus
Quadrupèdes spolia abreptos a mœnibus ipsis^
Quîs aditum portae trepidantum sepserat agmen ,
Victor agit, curruque volât per ovantia castra.
At Nomadum furibunda cohors miserabile humandi
Deproperat munus, tumulique adjungit honorem ,
Et rapto cineres ter circum corpore lustrât.
Hinc létale viri robur tegimenque tremendum
In flammas jaciunt« ambustoque ore, genisque,
Déforme aiitibus liquere cadaver Hiberis.
PoENORUM interea quîs rerum summa potestas,
Consultant bello super, et quae dicta ferantur
Ausouiae a populis, oratorumque minaci
Adventu trépidant : movet hinc fœdusque, fidesque,
Et testes Superi, jurataque pacta parentum;
Hinc popularis amor cœptantis magna juventœ;
£t sperare juvat belli meliora : sed olim
Ductorem infestaus odiis gentilibus Hannon,
LES PUNIQUES, LIV. II. 119
voudrait 9 mais trop tard, pouvoir ouvrir les portes au
gueirier fatigué : on l'encourage, mais l'alarme agite
tous les cœurs; on tremble d'introduire avec lui l'ennemi
terrible dans la ville. Le Carthaginois le heurte enfin du
revers de son bouclier, le terrasse, fond sur lui, et lui
montrant la ville entière qui le contemple du haut des
murs : «Va, et que ta mort, que je ne lui fais pas ai-
tendre, console Asbyté dans son malheur! » Il dit, et,
frappant le héros avide de mourir, il lui plonge dans la
gorge son fer meurtrier; puis, joyeux, il ramène du pied
des remparts les coursiers d' Asbyté, ce royal butin que,
dans le désordre de leur fuite, les assiégés ont laissé hors
des portes; il les guide en vainqueur, et, monté sur le
char, il vole en triomphe au milieu de son armée.
La troupe furieuse des Nomades s'empresse d'accom-
plir un triste devoir, et de rendre à la reine les honneurs
de la sépulture et de la tombe. Trois fois elles traînent
solennellement autour de ses cendres le cadavre de Thé-
ron ; puis elles jettent aux flammes la fatale massue et
l'horrible parure du guerrier, lui brûlent la bouche et
les joues, et abandonnent ses restes mutilés aux oiseaux
d'Ibérie.
Cependant les maîtres souverains de Carthage s'as-
semblent pour délibérer sur la guerre : on redoute
le message des peuples d'Ausonie, et l'arrivée de leur
députation menaçante; d'un coté, on songe au traité, à
la foi promise, aux. dieux témoins des sermens, aux pac-
tes jurés par les ancêtres; de l'autre, on cède à cet
amour du peuple pour un jeune héros si grand à son
début, on se flatte de l'espoir d'une guerre plus heureuse.
Mais Hannon, que ses vieilles haines de famille ani-
i?.o PIJNICORUM LIB. 11, (v. a7«)
Sic adeo increpitat studia iiicautumque favorem :
«Cunctaquidem, Patres (iiequeenim cohibere minantum
Irae se valuere), premunt formidiiie vocem,
Haud tamen abstiterim , mortem licet arma propinquent.
Testabor Superos , et cœlo nota relinquain ,
Quaè postrema salus reriini patriaeque reposcit.
Nec nunc obsessa deinum et iumante Sagunto
Haec serus vateii Hannoti caiiit : aiixia rupi
Pectora; ne castris innutriretur et arinis
£xitiale capiil , nioriui, et, dum vità, monebo,
Ingenitum noscens virus, flatusque paternos;
Ut, qui stelligero speculatur sidéra cœlo,
Venturain pelagi rabiem^ Cauriqnc futura
Praedicit miseris haud vanus flamina nautis.
Consedit solio, rerumque invasit habenas.
Ergo armis fœdus, fasque omne abrunipitur armis :
Oppida quassantur, longeque in mœnia nostra
^neadum adrectœ mentes, disjectaque pax est.
Exagitant mânes juvenem furiœque paternae,
Ac funesta sacra, et conversi fœdere rupto
In caput infidum Superi , Massylaque vates.
An nunc ille, novi caecus caiigine regni^
Exteruas arces quatit? haud Tirynthia tecta
(Sic propria luat hoc pœna , nec misceat urbis
Fata suis), nunc hoc, inquam, hoc in tempore muros
Obpugiiat, CarlhagOy tuos, teque obsidet armis.
LES PUNIQUES, LÏV. II. 121
ment contre Autiibal j attaque en ces termes cet enthou-
siasme et cette faveur aveugle : « Bien que tout me
fasse craindre , sénateurs , après ces emportemens et
ces fureurs qui n'ont pu se contraindre, qu'on n'étouffe
ici ma voix, je ne veux point me taire, et je brave ces
armes qui m'annoncent la mort. Je prends les dieux à
témoin, et je laisse au ciel à savoir ce qu'exigent l'inté-
rêt de l'état et ie salut de la patrie. Ce n'est point d'au-
jourd'hui que je parle : Hannon n'a point attendu que
Sagonte assiégée iut en flammes pour vous faire en-
tendre ses oracles tardifs : depuis long-temps , avec an-
goisse, mon âme a gémi de voir nourrir au sein des
camps et des armées ce génie funeste; je Tai dit, et le
dirai tant que j'aurai vie, car je sais qu'il a dans le sang
l'humeur acre et impérieuse de ses pères : j'imite ce pi-
lote dont l'œil observe les astres au ciel étoile, et qui
présage, sans faillir, aux malheureux matelots que la
tempête va venir et que l'orageux Caurus est proche. Il
s'est assis au trône, il a usurpé leâ rênes du pouvoir : ses
armes ont déchiré lés traités , ses armes ont violé toute
justice; les cités sont ébranlées; l'œil sur nos remparts,
le Romain de loin nous surveille, et la paix est détruite.
Sa jeunesse est sans cesse agitée par les mânes et les fu-
ries de son père, par le souvenir d'un sinistre sacrifice,
par le courroux des dieux suspendu depuis la rupture des
traités sur sa tête perfide, par les prédictions de la Mas-
sylienne. Est-ce donc une cité étrangère qu'il menace au-
jourd'hui dans son désir aveugle d'un nouvel empire 1^
Non, ce n'est point Sagonte la Tirynthienne (la peine
en soit à lui seul et que la patrie ne souffre point de son
crime!), c'est ton rempart, c'est toi, Carthage, oui, toi
qu'en ce jour il attaque, toi qu'assiègent ses armes! Nous
122 PUNICORUM LIB. IL (v. 3o4.)
Lavimus Hennaeas animoso sanguine valles,
Et vix conducto produximus arma Lacone.
Nos ratibus laceris Scyllœa replevitnus antra,
Classibus et refluo sp^ctavimus œquore raptis
Gootorta e fundo revomentem transtra Charybdin.
Respice, pro démens! pro pectus inane Deorum!
-ffigates, Libyaeque procul fluitantia membra.
Quo ruis? et patriae exitio tibi nomina quaeris?
Scilicet inmensœ, visis juvenalibus armis,
Subsident Alpes! subsidet mole nivalî
Alpibus aequatum adtollens caput Apenninus !
Sed campos fac, vane, dari; num gentibus istis
Mortales animi? aut ferro flammave fatiscunt?
Haud tibi Nerîtia cernes cum proie laborem.
Pubescit castris miles ^ galeaque teruntur
Nondum siguatae (lava lanugine malae.
Nec requies sévi nota, exsanguesque mereudo
Stant prima inter signa senes, letumque lacessunt.
Ipse ego Romanas perfosso coppore turmas
Tela intorquentes conrepta e vulnere vidi;
Vidi animos mortesque virum, decorisque furoreiii.
Si bello absistis j nec te victoribus obfers ,
Quantum, lieu Carthago! donat tibi sanguinis Hannon! »
GfiSTAR ad hœc : namque inpatiens asperque coquebat
Jamdudum inmites iras, mediamque loquentis
Bis conatus erat turbando abrumpere vocem :
LES PUNIQUES, LIV. IL i23
avons abreuvé d'un sang généreux les vallées d'Henna ,
nous avons acheté Taide du Spartiate et nous avons eu
peine encore à soutenir la guerre. Nous avons comblé des
débris de nos navires les gouffres de Scylla; nous avons
vu nos flottes entraînées par le reflux des ondes, et Cha-
rybde revomir de ses abîmes les bancs fracassés de nos
galères. Songe, insensé, âme où Dieu n'est plus, songe
aux Égates, vois les membres de la Libye au loin flottans
sur l'onde! Où vas-tu? Pourquoi tuer ta patrie en cher-
chant ta gloire? Sans doute, rien qu'à voir tes jeunes
armes, les Alpes immenses inclineront leurs cimes;
l'Apennin t'inclinera ses montagnes de neige, lui qui
dresse hautement sa crête au niveau des Alpes! Oui,
j'admets, ô brave, que tu trouves le champ libre;
mais les peuples de ces contrées? est-ce là des courages
d'un jour, et qui meurent, et que le fer ou le feu puisse
abattre? Tu le verras, ce n'est point à des âmes néri-
tiennes que tu auras affaire. Là , l'enfant naît soldat, gran-
dit au camp, et le casque presse ses joues qu'un blond
duvet n'ombrage point encore. L'âge même ignore le
repos; des vieillards, épuisés par de longs services, mar-
chent aux premiers rangs et affrontent la mort. J'ai vu
des soldats romains arracher de leurs blessures les traits
qui leur perçaient le corps et les lancer à l'ennemi ; j'ai
vu l'ardeur, le trépas de ces héros, leur fureur de gloire.
Si tu renonces à la guerre et ne le livres pas à tes vain-
queurs, que de sang, hélas! Hannon t'épargne, 6 Car-
thage! »
Geslar se lève; dans son implacable haine, dans son
âpre et bouillante colère, Gestar impatient avait tenté
deux fois de troubler l'orateur et de l'interrompre au
124 PUNICORUM UB. II. (v. 3io.)
ff Conciiione, iaquit, Libyae, Tyrioque Senatu,
Pro Superi! Ausoaius miles sedet? armaque tantum
Haud dum suinta viro? nain cetera non latet hostis.
Nunc geminas Alpes, Apenninumque minatur,
Nunc fréta Sicaniae, et Scyllaei litorîs undas;
Nec procul est, quin jam mânes umbrasque pavescat
Dardanias : tanta adcumulat praeconia leto
Vulneribusqiie virum , ac tollit sub sidéra gentem.
Mortalem, mihi crede, licet formidine turpi
Frigida corda tremant, mortalem sumimus hostem.
Yidi ego, quum, geminas artis post terga catenis
Evinctus palmas, vulgo traheretur ovante,
Careeris în tenebras, spes et fiducia gentis
Regulus Hectoreae : vîdi, quum robore pendens,
Hesperiam cruce sublimis spectaret ab alta.
Nec vero terrent puerilia protenus ora
Sub galea et pressée properata casside mal».
Indole non adeo scgni sumus! adspice, turmae
Quot Libycae certant anuos anteire labore.
Et nudis bellanlur equis! ipse, adspice, ductor,
Quum primam tenero vocem proferret ab ore,
Jam bella et lituos, ac flammis urere gentem
Jurabat Phrygiam, atque animo patria arma movebat.
Proinde polo crescant Alpes, astrisque coruscos
Apenninus agat scopulos; per saxa nivësque
(Dicam etenim, ut stimulent atram vel inania mentem).
, LES PUNIQUES, I.IV. IL ia5
milieu de sou discours. Il s'écrie"! «C'est donc uq soldat
de Rome, dieux suprêmes! qui s'est assis là au conseil
de Libj'e, au séuat de Cartbage?Il ue lui manque plus
que de prendre les armes . à cet homme! car c'est bien,
du reste , un ennemi. Il nous menace de ses deux
Alpes, de l'Apennin, des détroits de Sicile, des gouf-
fres et des écueils de Scylla; il a peur des Romains, et
peu s'en faut qu'il n'ait peur aussi de leurs mânes et de
leurs ombres! tant il prodigue l'éloge à vanter leur mort
et leurs blessures, tant il élève haut cette nation! Ils
meurent , tu peux m'en croire, malgré le honteux et ti-
mide effroi qui te glace Tâme, ils meurent comme nous ,
ces ennemis. J'ai vu, moi, les deux mains étroitement en*
chaînées et retenues derrière le dos, au milieu des outra-
ges du peuple, traîner dans les ténèbres d'un cachot
leur Régulus, l'espoir et l'orgueil de cette race d'Hectoi* !
Je l'ai vu pendu au gibet , et assez haut logé sur sa croix
pour jeter un sublime regard à son Hespérie. Je m'ef-
fraie peu vraiment de ces fronts d'enfans sous le casque,
de ces joues écrasées si tôt sous la visière. Mais nous,
sommes-nous donc de si lâche nature! Vois : que de sol-
dats parmi nos Libyens aiment à devancer à l'œuvre
l'âge (les fatigues, à combattre sur nos coursiers nus!
Vois leur chef : ses tendres lèvres exprimaient à peine un
premier langage, qu'jl parlait guerre et clairons; il ju-
rait d'exterminer dans les flammes la nation phry-
gienne, et son âme aspirait aux exploits de son père.
Que les Alpes percent la nue, que l'Apennin pousse aux
astres ses cimes étincelantes; roches et neiges, et ciel
même (je dis cela pour réveiller par l'hyperbole un cœur
désespéré), il est homme à tout franchir : honte à qui
recule devant un chemin qu'Alcide a frayé , à qui trem-
ii6 PUNICORUM LIB. II. (v. 356.)
Per cœluiii est qui paadat iter : pudet Hercule tritas
Desperare vias , laudemque timere secundam.
Sed Libyae clades, et primi iiiceadia belli
Adgeraty atque iterum pro libertate labores
Hannoa ferre vetat : ponat formidinis aestus j
Parietibusque domus inbellts femiiia servet
Singultantem aiiimam : nos^ nos contra ibimus hostem^
Quîs procul a Tyria dominos depellere Byrsa ^
Yel Jove non a^quo, fix:um est : sin fata répugnant ,
Et jam damnata cessit Carthagine Mavors,
Obcumbatn potius; nec te^ patria inclita, dedam
Sternum famuiam ; liberque Acherouta videbo.
Nam quœ, pro Superi! Fabius jubet? ocius arma
Exuite, et capta descendite ab arce Sagunti;
Tum délecta manus scutorum incendat acervos,
Uranturque rates , ac toto absistite ponto.
Dî procul , o ! mérita est numquam si talia plecti
Cartliago, prohibete nefas; nostrique solutas
Ductoris servate manus! » Ut deinde resedit,
FactaqUe censendi, Patrum de more, potestas;
Hic Hannon reddi propere certamine rapta
Instat j et auclorem violati fœderis addit.
ToM vero adtoniti, ceu templo inrumperet hostis,
Exsiluere Patres, Latioque id verteret omen
Oravere Deum. At postquam discordia sentit
Pectora , et infidas ad Martem vergere mentes ;
LES PUNIQUES, LIV. II. 127
ble d'y briller après lui! Hanuon rappelle les défuites de
la Libye, les désastres d'une première guerre; il ne veut
pas qu'on se remette à l'œuvre. pour la liberté : mais
qu'il bannisse donc la terreur qui l'agite; qu'il vive,
pauvre femme, au fond de son logis, qu'il rassure son
âme aux abois : c'est nous, nous qui marcherons à l'en-
nemi, car nous avons à cœur d'éloigner de Byrsa la
Tyrienne et de repousser les tyrans, même en dépit de
Jupiter : si les destins nous trahissent, si Mars condamne
Carthage et se retire, alors je mourrai, mais sans te li-
vrer, ô ma noble patrie, à un esclavage éternel, et j'irai
libre aux rives d'Achéron. Quels ordres, dieux suprêmes !
que ceux de ce Fabius! Vous poserez les armes sur l'heure;
vous avez conquis Sagonte, il en faut descendre; l'élite
de votre armée brûlera ses boucliers en monceau ; vous
mettrez le feu à vos navires, et ferez place sur toutes les
mers. lioin de nous, grands dieux, si jamais Carthage
ne mérita ce châtiment, loin de nous un pareil oppro-
bre; conservez libre le bras de notre chef! » A ces mots
il se rassied. Chacun alors usant du droit consacré dans
le sénat d'émettre son avis, Hannon insiste pour qu'on
rende sans délai le butin pris dans les combats; il exige
en outre qu'on livre l'auteur de la rupture du traité.
Interdits, Comme si l'ennemi eût envahi le temple,
les sénateurs tressaillirent et s'éloignèrent , priant les
dieux de tourner ce présage contre le Latium. Fabius
apprend que les esprits lui sont contraires , et que ces
cœurs perfides penchent pour la guerre. Impatient, et
128 PIJNÏCORUM LIB. IL (v. 382.)
Non ultra patiens Fabius rexisse dolbrem ,
Coucilium exposcit propere, Patribusque vocatis
Bellum se gestare sinu pacemque profatus,
Quod sedeat légère, ambiguis neu fallere dictis
Imperat, ac, saevo neutrum renuente Senatu,
Ceu clausas acies gremioque efTuDderet arma j
<c Adcipite infaustum Libyae , eventuque priori
Par, inquit, bellum : » et laxos efTundit amictus.
Tum patrias repetit pugnandi nuntius arces.
Atque ea dum profugae regnis agitantur Elissae ,
Adcisis velox populis, quîs aegra lababat
Ambi^uo sub Marte fides , praedaque gravatus
Ad muros Pœnus revocaverat arma Sagunti.
EccE autem clipeum , saevo fulgore mieanteni , *
Oceani geute^ ductori dona fçrebant,
Callaicae telluris opus, galeamque coruscis
Subnixam cristis , vibrant cui vertice coni
Albentis, niveae tremulo nutamine pennae;
Ensem unum, ac multis fatalem millibus hastam;
Prœlerea textam nodis, auroque trilicem
Loricam , nulli tegimen penetrabile telo.
Haec, aère et duri chalybis perfecta métallo,
Alque opibus perfusa Tagi , pcr singula laetis
Lustrât ovans oculis, et gaudet origine regni.
CoNDEBAT primae Dido Carthaginis arces,
Instabàtque operi subducta classe juventus.
LES PUNIQUES, LIV. ÎI. ia<)
peu maître de son ressentiment , il demande audience
sur l'heure , et devant le sénat rassemblé il déclare qu'il
porte dans un pli de sa toge la paix et la guerre : il or-
donne qu'on choisisse ce qu'on préCère et qu'on parle
sans ruse et sans détours. Le sénat répond fièrement
qu'il ne refuse ni l'une ni l'autre. Alors, comme s'il
laissait échapper des armes et des légions enfermées dans
son sein : « Prenez donc la guerre , s'écrie-t-il ; mais
qu'elle soit funeste à la Libye, et d'aussi fatale issue
cette fois que la première! » Il ouvre et secoue les plis
de sa toge; puis il s'en retourne annoncer à sa patrie
qu'il faut combattre.
Pendant que ces débats se prolongent au royaume
d'Elissa fugitive, le Carthaginois a surpris et battu quel-
ques peuplades dont la foi chancelait ébranlée, dans l'in-
certitude du succès de la guerre; et, chargé de butin, il
a ramené son armée sous les murs de Sagonte.
Mais voici que les peuples des rives de l'Océan ap-
portent en présent à leur chef un bouclier aux terri-
bles et brillans reflets, chef-d'œuvre du pays de Callécie;
un casque surmonté d'une aigrette éclatante, qui flotte
au haut du blanc cimier où tremblent et se balancent
les plumes de neige; une épée, une lance qui seule sera
fatale à plusieurs milliers d'hommes; puis' une cuirasse .
tissue de triples mailles d'or, vêtement impénétrable à
lous les traits. Ces armes sont formées des plus durs mé-
taux, d'airain et d'acier, et toutes parées des richesses
du Tage. Annibal émerveillé les contemple tour à tour
d'un regard joyeux ; il y retrouve avec orgueil l'origine
de sa patrie.
Didon fonde Carlhage et ses premiers remparts : la
jeunesse a traîné la flotte sur la rive et s'empresse au
ï- 9
rSo PUMCOHUM UB. II. (v. 4o«.)
Molibus hi claudunt portus, his tecta domusqiic
Partiris, justœ Bitia venerande scnebta;.
Ostentant caput efïbssa tellure repertum
Bellatoris equi , atque omen elamore salutant.
Has inter species orbatum classe sUisque
Mnean j pulsutn peiago ^ dex traque precanteiti
Cernere erat : fronte hune avide regina serena
Infelixy ac jam vultu spectabat amico.
Hinc et speluncam, furii vaque fœdera amantum
Callaicae fecere inanus : it clamor ad auras ^
LatratusqUe canum ; subitoque exterritâ nimbo
Occultant alae venantum corpora silvis.
Nec procul ^neadum vacuo jam litore classis,
iEquora nequidquam revocante petebat Ëlissa.
Ipsa pyram super îngentem stans saucia Dido
Mandabat Tyriis ultriciâ bella futuris,
Ardentemque rogum média spectabat ab uada
Dardanus, et magnis paud^bat carbasa fatis.
Parte alia j àcipplex hifernis Hannibal ârïs^
Arcanum Stygia libat cum vate cruorem ,
£t primo bella iEneadum jurabat ab aevo.
At senior Siculis exsultat Hamilcar in arvis;
Spirantem credas certamina anbela movere :
Ardor inest oculis , torvumque minatur imagoi
Neg non et laevum clipei latus aspefa siguis
Inplebat Spartana cobors : hanc ducît ovantem
LES PUNIQUES , LIV. IL 1:^1
travail. Les uns ferment les ports d'une enceinte de pier-
res; à d'autres tu assignes un toit, une demeure, o
vieillard dont la vie est si pleine , vénérable Bitias. Ils
montrent la tête du cheval guerrier qu^ils ont trouvée en
creusant la terre , et saluent de leurs cris ce présage. Au
milieu de ces tableaux, ou voyait Enée séparé de sa Sotte
et de ses compagnons, battu par la tempête et tendant
une main suppliante. La reine , avec un front serein ,
se plaît à l'accueillir , et l'infortunée déjà lui jette un
regard d'amour.- La main callécienne a représenté la
grotte et l'union furtive des amans : des cris mêlés aux
aboiemens des chiens percent les airs ; et soudain l'orage
épouvante les chasseurs dont les corps disparaissent der-
rière les plumes d'oiseaux tendues dans les forêts. Non
loin , la flotte des compagnons d'Énée a quitté le ri-
vage, et gagne le large en dépit d'Ëlissa qui les rappelle.
Blessée et debout sur un bûcher immense, Didon lègue
aux Tyriens à venir le soin de combattre pour la ven-
ger : du milieu des mers, le Dardanien voit le bûcher
qui s'embrase, et il abandonne ses voiles aux grands
destins qui l'entraînent.
Ailleurs, aux pieds des autels infernaux, Annibal,
avec la prêtresse stygienne, fait de mystérieuses liba-
tions de sang, et, dès son premier âge, jure la guerre
aux enfaûs d'Enée. Le vieux Amilcar bondit dans les
plaines de Sicile : on dirait qu'il respire et lutte haletant
au sein de la mêlée; il y a du feu dans son regard, et
une sauvage expression de menace sur tous ses traits.
Au côté gauche du bouclier s'étend la rude et saillante
image d'une cohorte Spartiate : elle marche en triomphe
9-
i32 PUNICORUMLIB.il. (v. 434)
Ledaeis veniens victor Xanthippus Amyclis.
Juxta triste deciis pendet sub imagine pœnae
Regulus, et fidei dat magna exempta Ss^gunto.
Laetîor at circa faciès , agitala ferarum
Agmina venatu , et caelata mapalia fulgent.
Nec procul usta cutem nigri soror horrida Maurî
Âdsuetas patrio mulcet sermone leaenas.
It liber campi pastor, cui fine sine ullo
Invetitum saltus pénétrât pecus : omnia Pœnum
Armenti vigilem patrio de more sequuutur,
Gaesaque , latratorque Cydon , teetumque , focique
In silicis venis, et fistula nota juvencis.
Emiwet exeelso consurgens colle Saguntos ,
Quam circum inmensi populi condensaque cingunt
Agmina certantum, pulsantque tremeutibus hastis.
Extrema clipei stagnabat Hiberus in ora ,
Curvatis claudens ingentem flexibus orbem.
Hannibal, abrupto transgressas fœdere ripas,
Pœnorum populos Romana in bella vocabat.
Tali subliniis dono , nova tegmina latis
Aptat concutiens humeris ^ çelsusque profatur :
(cHeu quantum Ausonio sudabitis, arma, cruore!
Quas, belli judex , pœnas mihi , Curia, pendes! »
Jamque senescebat vallatis mœnibus hostis,
Carpebatque dies urbem , dum signa manusque
Ëxspectant fessi socias : tandem aequore vano
LES PUNIQUES, LIV. IL i33
sous les ordres de Xanthippe victorieux, venu d'Àmyclée
la Lédéenne. Tout près, affligeant trophée, Régulus
peud au gibet : l'image de ce supplice rappelle à Sagonte
un glorieux exemple de fidélité. Mais de plus rians ta-
bleaux se présentent : des troupeaux de bêtes fauves
poursuivies par les chasseurs, des cabanes brillent sur
l'airain ciselé. Non loin , l'horrible sœur du Maure, à la
peau noire et brûlée , apprivoise les lionnes de sa patrie
accoutumées à son langage. Le pâtre va librement dans
la plaine; nulle limite, nulle défense n'arrête son trou*
peau dans les bois : suivant l'usage du pays, le vigilant
berger d'Afrique traîne tout avec lui, ses gèses, son
aboyeur cydonien, son toit, son feu dans les veines du
caillou , et la flûte connue de ses taureaux.
Sagonte domine et s'élève au sommet de sa colline.
Des cohortes innombrables, d'épais bataillons de soldats
l'environnent et la heurtent de leurs lances vibrantes.
L'£bre coule lentement sur les bords du bouclier, dont
ses replis sinueux enferment l'orbe immense. Au mépris
du traité, Annibal a franchi ses rives; il provoque
contre Rome, il appelle à la guerre tous les peuples sou-
mis à Carthage.
Tel est ce présent que son orgueil admire : il endosse
sa nouvelle armure, la secoue sur ses larges épaules, se
redresse et s'écrie : «O que de sang ausonien vous suerez,
mes armes! Que tu me paieras cher, ô sénat, d'avoir
voulu te faire arbitre de la guerre! »
Cependant l'ennemi languissait dans ses murs fortifiés.
Épuisée de jour en jour, la ville dépérissait dans l'attente
des enseignes et des troupes alliées. Enfin ils détourneut
i34 PUNICORUM LIB. II. (v. 460.)
AverUiat oculos^ frustrataque litora ponuat.
Et propius suprema vident : sedet acta medullis
Jamdudum, atque inopes penitus coquit intima pestis.
Est furiim lento misère durantia tabo
Viscera , et exurit siccatas sanguine venas
Per longura celata famés : jam lumina rétro
Ëxesis fugere genis ; jam lurida sola
Tecta cute , et venis maie juncta trementibus ossa
Exstant ^ consumtis visu deformia membris.
Humentis rores noctis terramque madentem
Solamen fecere mali , cassoque labore
E sicco frustra presserunt robore succos.
Nil temerare piget : rabidi jejunia ventris
Insolitis adigunt vesci, resolutaque, nudos
Linqueutes clipeos j armorum tegmina mandunt.
Desdper haec cœlo spectans Tiryuthius alto
Inlacrimat fractae nequidquam casibus urbis.
Namque metus magnique tenent praecepta pareiitis,
Ne saevae tendat contra décréta novercae.
Sic igitur, cœpta occultans. ad limina sanctae
Contendit Fidei, secretaque pectora tentât.
Arcanis Dea lœta, polo tum forte remoto
Cœlicolum magnas voivehat conscia curas,
Quam tali adioquitur Nemese pacator honore :
« Ante Jovem generata, decus Divumque bomiuumque,
Qua sine non tellus pacem j non aequora norunt ,
LES PUNIQUES, LIV. 11. i35
les yeux de ces mers décevantes j et laissent là ce rivage
»oii leur espoir succombe. Mais, plus près, c'est la,nK>rt
qui se montre : un mal intime et acharné s'attache à
leurs os, pénètre et ronge leurs corps appauvris; la faim
qu'ils ont long-temps cachée dévore peu à peu leurs en-
trailles, y consume lentement les misérables restes de vie
qui résistent, et dessèche le sang dans leurs veines brû-
lées ; leurs yeux se creusent et se retirent de leurs joget^
amaigries; leurs os, que recouvre seule une peau li-
vide, tremblent et se disjoignent, et ressortent, hideux
à voir, de leurs membres décharnés. De la fraîche rosée
des nuits, de l'humidité de la terre ils ont fait un sou-
lagement à leurs souffrances : leurs stériles efforts ten-
tent vainement d'exprimer la sève des branches sèches.
Leur rage affamée ii'épargne rien; leur ventre à jeun
se repaît sans dégoût d'alimens inconnus : ils arrachent
les cuirs de leurs boucliers, et mangent ces dépouilles
/de leur armure.
Des hautes régions de l'Olympe, le Tirynthien voit
sa ville désolée , et verse d'impuissantes larmes sur ses
misères. Retenu par la crainte des redoutables comman-
demens de son père, il n'ose agir contre les décrets de
sou impitoyable mar<itre. Cachant donc son dessein, il
se rend an sanctuaire sacré de la Foi ; il veut secrète-
ment toucher son âme. La déesse , amie du mystère , était
alors en un lieu retiré du ciel: confidente des dieiix,
elle, méditait sur leurs graves intérêts. Le pacificateur
de Némée lui adresse ces respectueuses paroles : « Toi
qui naquis avant Jupiter, gloire des dieux et des hommes,
sans qui la terre et les mers ignorent la paix, sœur de la
Justice, muette divinité du cœur, peux-tu contempler
i36 PUNICORUM LIB. II. (v. 486)
Justitiœ consors, tacitumque in pectore nùmen,
Exitiumne tuas dirum spectare Saguiiti ,
Et lot pendentem pro te, Dea, cernere pœnas
Urbem lenta potes? moritur tibi viilgus, et unam
Te matres^ vinceute famé, te mœsta virorum
Ora vocaut, primaque sonant le voce minores.
Fer cœlô auxilium, et fessis da surgere rébus. »
H^c satus Alcmena, contra cui talia virgo :
<c Cerno equidem, uec pro nihilo est niihi fœdera rumpî,
Statque die^, ausis olini tam tristibus ultor.
Sed me pollutas properanteni iinquere terras
Sedibus his, tectisque novis succedere adegit
Fecundum in fraudes hominum genus : inpia Hqui
Et y quantum terrent, tantum metuentia régna ,
Ac furias auri, nec vilia praemia fraudum.
Et super haec ritu horrificos ac more ferarum
Yiventes rapto populos, luxuque solutum
Omne decus, huiltaque obpressum nocte pudorem.
Vis colitur, jurisque locum sibi vindicat ensis;
Et probris cessit virtus ; en, adspice gentes :
Nemo insons; paceni servant jcommercia culpae.
Sed secura tua fuudata ut mœnia dextra
Dignum te servent memorando fine vigorem,
Dedita nec fessi transmittant corpora Pœno
(Quod solum nunc fata sinunt seriesque futuri);
Extendam leti decus y atque in secula mittam ,
Ipsaque laudatas ad mânes prosequar umbras. »
, LES PUNIQUES, LIV. II. i^-j
trauc|uillemeatla déplorable ruine de ta Sagonte, et voir
cette ville si cruellemeat punie, déesse , pour l'amour de
toi ? C'est pour toi que ce peuple expire : vaincus par la
faim , c'est toi seule que les mères , c'est toi que les héros
invoquent d'une voix déchirante; toi que de ses premiers
cris Tenfant implore. Protège-les du haut du ciel , et que
ton aide relève leurs forces abattues ! »
Ainsi parla le fils d'Alcmène. La vierge lui répond :
a Oui, j'ai vu, mais non pas sans douleur, la rup-
ture des traités; et le jour est marqué dans l'avenir,
qui nous vengera de ces tristes prouesses. Mais la race
humaine, féconde en forfaits, m'a forcée de quitter à la
hâte la terre et ses souillures, et de chercher un refuge
en ces nouvelles demeures : j'ai fui ces royaumes impies ^
qui craignent autant qu'ils se font craindre, ces furies
que l'or éveille, ces fraudes si largement payées, et sur-
tout les pratiques effroyables, les mœurs brutes et sau-
vages de ces peuples qui vivent de rapines, dont le luxe
énerve toute morale, dont les infâmes nuits immolent
la pudeur. La force règne, le glaive usurpe les droits de
l'équité, l'opprobre exile la vertu. Vois, jette les yeux
sur cette terre : pas une âme sans tache ; tous sont en
paix, parce que tous sont coupables et complices. Ce-
pendant, afin que la cité que tes mains ont fondée se
rassure et conserve en mourant un courage digne de toi ;
afin que ses héros épuisés n'aillent pas se rendre et se
livrer vivans au Carthaginois (et c'est la seule faveur que
t'accordent les destins et l'ordre des temps futurs); je
veux faire éclat de leur mort, je la publierai par tous les
siècles, et j'accompagnerai leurs ombres, en les glori-
fiant, chez les mânes.»
i38 PUNlCOaUM LIB. II. (v. âi3.)
IiVDE severa levi decut'reas aethere virgo
Luctantem fatis petit inflammata Saguntum ;
Invadit mentes, et pectora nota pererrat,
Ininittitqiie animis numen ; tum fusa medullis
luplicaty atque sui flagrantem inspirât amoreni.
Arma volunt, tentantque aegros ad prœlia nisus.
Insperatus adest vigor, interiusque recursat
Dulcis honos Divœ, et sacrum pro virgine lelum.
It tacitus fessis per ovantia p^tora sensus ,
Vel leto graviora pati, sœvasque ferarum
Adtentarc dapes , et mensis addere crimen.
Sed prohibet culpa pollutam extendere luceni
Casta Fides, paribusque famem compescere membris.
QuAH simili invisae gentis conspaxit in arce
Forte ferens sese Libycis Saturnia castris,
Virgineum increpitat miscentem bella furorem ,
Atque, ira turbata gradum, ciet ocius atram
Tisîphonen , imos agitanlem vcrbere mânes ,
Et paimas tendens : a Hos, inquit, Noclis alunma ,
Hos muros inpelle manu, populumque feroceni
De&tris sterne suis; Juno jubet : ipsa propinqua
Ëfiectus studiumquo tuum de nube videbo.
Uia Deos summumque Jovem turbantia tela ,
Quîs Acheronta moves,flammam inmanesque chelydros
Stridoremque tuum , quo territa comprimit ora
Ccrberus, ac, mixto quse spumant felle, venena,
LES PUNIQUES, LIV. II. iSg
A ces mots , la vierge sévère glisse légèrameDt dans
l'espace , et vole en courroux vers Sagonte qui lutte
contre sa destinée. Elle s'empare des esprits , passe eii
ces cœurs connus, emplit leurs âmes de sa divinité : elle
se répand dans leurs entrailles, en pénètre les replis;
elle leur inspire un amour d'elle-même qui les embrase.
Ils demandent des armes; ils tentent, pour combattre ,
de débiles efforts. Une vigueur inespérée les anime; ils
rappellent h leur pensée la douce gloire de leur déesse,
le devoir sacré de mourir pour cette vierge. Un secret
orgueil exalte ces cœurs abattus : ils sont fiers de subir
de plus dures nécessités que la mort , de recourir à
l'abominable pâture des bêtes féroces, de charger leurs
tables de mets sacrilèges. Mais la chaste Foi leur défend
de prolonger leur vie par le crime et l'infamie , et d'as-
souvir leur faim avec les membres de leurs semblables.
La Saturnienne, qui par hasard revenait du campji-
byen , aperçoit la déesse dans les murs de l'odieuse cité :
elle reproche à la vierge cette fureur qui rallume la
guerre ; troublée de colère , elle vole , et sur l'heure
évoque la noire Tisiphone, qui tourmentait sous terre
les mânes de son fouet. La main tendue vers Sagonte:
« Ces murs, fille de la Nuit, lui crie-t-elle, frappe ces
murs de ton bras! renverse ce peuple altier par ses
propres mains; Junon l'ordonne! Je serai là, sur un
nuage, et je verrai de près ton zèle et tes œuvres. Que
ces armes redoutées des dieux et du grand Jupiter, et
dont tu ébranles l'Acliét^on; ces flammes, ces horribles
couleuvres, ces sifHemeas qui compriment d'effroi les
gueules de Cerbère; ces fiels, ces poisons mêlés d'é-
cume; que tous ces levains de crime, de vengeance et do
rage qui fermentent dans ta féconde poitrine, débordent
i4o PUNICORUM LIB. II. (v. 53ç,.)
Et quidquid scelerum , pœnarum quidquid et irae ,
Pectore fecundo coquitur tibi, congère praeceps
In Rutulos, totamque Erebo demilte Saguntum.
Hac mercede Fides constet delapsa per auras. »
Sic voce instimulans, dexlra Dea concita saevam ,
Eumenida incussit mûris, tremuitque repente
Moas circurn, et gravior sonuit per litora fluctus.
Sibilat insurgens capiti, et turgentia circuni
Multus colla micat squalentî tergore serpens.
Mors graditur, vasto pandens cava guttura rictu,
Casuroque inhiat populo : tune Luctus, et atri
Pectora circunistant Planctus, Mœrorque, Dolorque,
Atque omnes adsunt Pœnae , formaque trifauci
Personat insomnis lacrimosae janitor aulae.
Protinus adslmulat faciem mutabile monstrum
Tiburnae, gressumque simul, sonituinque loquentis.
Haec bello vacuos et saevi turbine Martis
Lugebat thalamos, Murro spollata marito;
Clara genus , Daunique trahens a sanguine nomen.
Cui vultus induta pares disjectaque crinem
Eumenis in medios inrumpit turbida cœtus ,
Et mœstas lacerata gênas : « Quis terminuS', inquit?
Sat Fidei proavisque datum ! Vidi ipsa cruentum ,
Ipsa meum vidi lacerato vulnere nostras
ïerrentem Murrum noctes et dira sonantem :
« Eripe te, conjux , miserandae casibus urbis,
LES PUNIQUES, LIV. II. 141
à la fois et accablent les Rutules : plonge dans l'Érèbe
Sagonte tout entière; et que la Foi reçoive ainsi le prix
de sa descente sur la terre !»
Ces mots éveillent les fureurs de TEuménide ; la
déesse emportée la pousse du bras contre la ville : le
mont tremble à Tentour, et le flot vient mugir plus
terrible au rivage. Sur sa tête sifflent et se dressent,
roulés autour de son col qui se gonfle , mille ser-
pens à la peau hideuse. La Mort s'avance, ouvrant sa
large bouche et les profondeurs de son gosier béant
sur ce peuple qui va périr. A ses côtés marchent le
Deuil y les lugubres Sanglots , la Tristesse , la Dou-
leur, toutes les Peines, et de sa triple gueule glapit
près d'elle le gardien qui veille au royaume des larmes.
Le monstre changeant prend soudain la figure de Ti-
burne. et sa démarche, et le son de sa voix. Tiburne,
que la guerre et les hasards cruels de Mars ont pri-
vée de Murrus , son époux , pleurait le veuvage de sa
couche. Issue d'une illustre race, elle tirait son nom du
sang de Daunus. Empruntant les traits de cette femme,
l'Euménide , les cheveux épars , se précipite en désordre
au milieu de la foule , et déchirant son visage éploré :
a Quel sera le terme à nos maux ? dit<elle. Nous avons
assez fait pour la Foi et les ancêtres. J'ai vu saignant
encore, j'ai revu mon Murrus; il rouvrait sa blessure,
il effrayait mes nuits , me criant d'une voix lamentable :
« Arrache-loi , femme , aux désastres d'une cité malheu-
a reuse ; fuis , et si le Carthaginois vainqueur te refuse
« sur terre un asile, viens près de mes mânes , Tiburne :
ce nos pénates sont tombés; les Butulos succombent : le
i/,2 PUNICORUMLIB.il, {v. 5(i5.)
a Et fuge, si terras adimît Victoria PceTnî,
« Àd tnanes, Tiburna, meos : cecidere Pénates,
ce Occidirous Rutuli, tenet omnia Punicus ensis. »
Mens horret, nec adhuc oculis absistit irnago.
Nullane jam posthac tua tecta, Saguote, videbo?
Félix, Murre, necis, patriaque snperstite felix.
At nos , Sidoniis famulatum matribus actas ,
Post belli casus vastique pericula pontî,
Carthago adspiciet victrix, tandemque supremum
Nocte obita Libyae gremio captiva jacebo.
Sed vos, o juvenes, vetuit quos conscia virtus
Posse càpi, quis telum iugens contra aspera mors est,
Vestris servitio manibus subducite matres.
Ardua virtutem profert via : pergite primi
Nec facilem populis, nec notam iuvadere laudem. »
His ubi turbatas bortatibus inpulit aures ,
Inde petit tumulum , summo quem vertice montis
x^mphitryoniades spectandutn ex œquore nantis
Strtixerat, et grato cineres decorarat honore.
Excitus sede (horrendum) prorumpit ab ima
Caeruleus maculis auro squalentibus anguis.
Igaea sanguiaea radiabant lumina flamma,
Oraque vibranti stridebant sibila linguà :
Isque inter trepidos cœtus mediamque per urbem
Volvitur, et mûris propere delabitur altis,
Ac similis profugo vicina ad litora tendit,
Spumantisque freti praeceps inmei^gitur undis.
LES PUNIQUES, LIV. IL i43
« Carthaginois tient tout sous son glaive. » Je frissonne
d'horreur, et son ima'ge ne s'efface point de mes yeux.
Ne verrai-je donc plus, Sagonte, tes murailles? Heureux
Murrus! heureux d'avoir péri quand la patrie vivait
encore ! Nous, nous irons servir les femmes sidoniennes ;
après les désastres de celte guert*e, après de périlleux
voyages sur le vastç ecéiln , on nous mènera eki spec*^
tacle dans Carthage victorieuse; et quand la nuit su*
prême pour moi sera venue, je reposerai esclave au
sein de la Lihye. Mais vous, jeunes guerriers, le sen-
timent de votre vaillance vous défend d'accepter là ser-
vitude; vous avez contre le malheur une arme invin*
cible, la mort : que vos mains arrachent vos tnères
à la captivité ! Rudes sont les sentiers où 4e courage
éclate : marchez les premiers à la conquête d'une gloire
qui n'est ni à la portée ni à la connaissance des autres
peuples. »
Elle entraine , elle égare les esprits par ces conseils.
Ensuite elle se dirige vers le tombeau que le fils d'Am-
phitryon éleva sur le plus haut sommet de la montagne,
monument admiré des nochers sur mer, et dont sa rc-
conAai^ance honora les cendres d'un ami. Alors (ô pro-
dige!), échappé du fond de oet asile, s'élance un ser-
pent à l'écaillé luisante, tachetée d'or et d'azur. Ses yeux
ardens brillent , rouges de sang et de flamme ; sa bouche
siffle et darde une langue perçante. Il se roule au milieu
des groupes effrayés, traverse la ville, s'ânpresse» glisse
du haut des remparts qu'il semble fuir, gagne le rivage
voisin , se précipite et plonge au ^ein de l'onde écu-
mante.
1 44 PUNICORUM LIB. II. (v. Sga.)
Tdm vero excassœ mentes , ceu prodita tecta
Expulsi fugiant mânes, umbraeque récusent
Captivo jacuisse solo : sperare saluti
Pertaesum, damnantque cibos; agit addita Ërinnys.
Haud gravior duris Divum inclementia rébus,
Quam leti proferre moras : abrumpere vilam *
Ocius adtoniti quaerunt, lucemque gravantur.
Certatim structus subrectae molis ad astra
In média stetit urbe rogus; portantque trahuntque
Longae pacis opes quaesitaque praemia dextris,
Callaico vestes distinctas matribus auro,
Armaque Dulichia proavis portata Zacyntho,
Et prisca advectos Rutulorum ex urbe Pénates.
Hue quidquid superest captis, ciipeosque, simulque
Infaustos jaciunt enses, et condita bello
Efïbdiunt penitus terra, gaudentque superbi
Victoris praedam flammis donare supremis.
QvJE postquam congesta videt feralis Erinnys,
Lampada flammiferis tinctam Phlegethontis in undis
Ouassat, et inferna superos caligiue condit.
Inde opus adgressi, toto quod nobile mundo
iËternum invictis infelix gloria servat.
Princeps Tisiphone, lentura indignata parentem,
Pressit ovans capulum, cunctantemque inpulit ensem.
Et dirum fusonuit Stygio bis terque flagello.
Invitas maculant cognato sanguine dextras ,
LES PUNIQUES, LIV. II. i45
Les Sagoutins consternés s'imaginent que les mânes
s'en vont, exilés de cette cité perdue; que les ombres re-
fusent de reposer encore sur un sol esclave : las d'espé-
rer leur salut, ils rejettent toute nourriture; TErinnys
accroît leur délire. Dans ces dures extrémités, la rigueur
des dieux ne peut rien cotitre eux de plus cruel que de dif-
férer l'heure du trépas. Impatiens du jour qui leur pèse ,
ils cherchent en leur transport à rompre le fil de leur
vie. Construit à la hâte et dressant sa masse immense
dans les airs, un bûcher s'élève au centre de la ville :
ils portent, ils traînent là les richesses d'une longue
paix , les récompenses payées au courage , les vêtemcns
que les mères ont brodés d'or de Callécie , les armes ap-
portées par leurs ancêtres de Zacynthe la Dulichienne ,
et les Pénates amenés de l'antique cité des Rutules. Ils
jettent là tout ce qui reste encore à des vaincus , leurs
boucliers, leurs glaives impuissans : ils arrachent des
profondeurs de la terre les trésors enfouis pendant la
guerre; et c'est avec joie qu'ils dérobent cette proie à
l'insolence du vainqueur, et la livrent aux flammes
suprêmes.
Quand l'implacable Erinnys a vu leurs dépouilles ainsi
amoncelées, elle secoué la torche qu'elle a trempée dans
l'onde enflammée du Phlégéthon , et couvre la terre de
ténèbres infernales. Alors ils accomplissent l'œuvre mé-
morable dont la fatale gloire , conservée par tout l'univers,
rappelle éternellement leur inviolable fidélité. Tisiphone
la première, indignée de la lenteur des. pères, appuie
à plaisir sur la poignée du glaive, pousse le bras qui
hésite , et son fouet slygieu jette trois fois un son lugu-
bre. Ils souillent à regret leurs mains du sang de leurs
enfans; ils s'étonnent du forfait commis dans l'égarement
I. lo
146 PUNICORUM LIB. II. (v. 6iS.)
Miraaturque nefâis aversa mente peractum ,
£t facto sceleri inlacrimant : hic, turbidus ira
Et rabîe cladum perpessaeque ultima vitae,
Obliques versât materna per ubera visus :
Hic 9 raptam librans dîlectae iacoUa securim
Gonjugis, iacrepitat seae, mediuisque furorem
Projecta damnât stupefactus membra bipenni.
Nec tamen evasisse datur : nam verbera Eriunys
Incutity atque atros insibilat ore tumores.
Sic thalami fugit omnis amor, dulcesque marito
Effluxere tori , et subiere oblivia taedœ.
Ille jacit, totis connisus viribus^ aegrum
In flammas corpus, densum qua turbine nigro
Exundat fumum piceus caligine vertex.
At medios in ter cœtus pietàte sinîstra^
Infelix Tymbrene , furis ; Pœnoque parentis
Dum properas auferre necem, reddentia formam
Ora tuam laceras, temerasque simillima membra.
Vos etiam primo gemini cecîdistis in œvo ,
Eurymedon fratrem , et fratrem mentite Lycorma ,
Guncta pares; dulcisque labor sua nomina natis
Reddere, et in vultu genetrici stare suorum.
Jam fîxusjugulo culpa te solverat ensis ,
Eurymedon , inter miseras lamenta senectae :
Dumque malis turbat^ parens , deceptaque visis ,
« Quo ruis? hue ferrum, clamât, converte, Lycorma; »
LES PUNIQUES, LIV. II, ,47
fie leur âme, et, le crime achevé, ils pleurent. L'un,
troublé par la colère et par la rage à l'idée de tant de
désastres et des misères de la vie qu'il endure, perce le
sein de sa mère en détournant les yeux. L'autre saisit
une hache et la balance sur le cou d'une épouse chérie :
au milieu de sa fureur, il reconnaît la victime, il s'accuse,
se condamne, et rejette avec effroi l'arme maudite. Mais
il ne peut échapper à la Furie : elle le frappe de son fouet,
et lui souffle un sombre désespoir. Ainsi du lit nuptial
s'éloignent les amours , l'époux méconnaît les doux liens
de sa couche , et les flambeaux d'hymen s'éteignent dans
Foubli. Un autre , rassemblant toutes les forces de son
corps malade, se lance dans les flammes au sommet du
bûcher où bouillonne Fardente résine dont l'épaisse fu-
mée roule en noirs tourbillons dans les airs.
Au sein de cette foule, malheureux Tymbrénus, s'exerce
ta pieuse et funeste démence : pour dérober au Carthagi-
nois le trépas de ton père, tu t'empresses de mutiler ces
membres qui rappellent les tiens , tu déchires ces traits
qui te ressemblent. Vous aussi , vous tombez à la fleur
de votre âge , Ëurymédon , Lycormas , frères jumeaux ,
trompeuse image l'un de l'autre, en tout les mêmes:
c'était un doux souci pour votre mère que de rendre à
chacun son nom , que d'hésiter long-temps en contem-
plant ses fils. Déjà ton épée t'a percé la gorge et t'épargne
un crime, Ëurymédon, au milieu des lamentations de
ta vieille et malheureuse mère : égarée par la douleur,
abusée par la ressemblance, elle te crie: a Où vas-tu,
Lycormas? Sur moi, tourne sur moi ton glaive!» et
voici qu'à l'instant même Lycormas s'est plongé sou
10.
i4Ô PUNICORUM LIE. IL (r. «44.)
Ecce simul juguluin perfoderat ense Lycormas.
Sed magaOy (cQuinam, Eurymedon, furor iste?» sonabat
Cum planctUy geminaeque nota decepta figurae,
Funera rnutato revocabat nomiae mater;
Donec, transacto tremebunda per ubera ferro,
Tu^ic etiam ambiguos cecidit super inscia natos.
Quis diros urbis casus, laudandaque monstra,
Et fîdei pœnasy et tristia fata piorum^
Imperet , evolvens , lacrimis ? vix Punica fletu
Cessassent castra, ac iniserescere nescius hostis.
Urbs, habitata diu Fidei, cœloaue parentem
Muroriim repetens, ruit inter perfida gentis
Sidoniae tela , atque inmania facta suoruhi y
Injustis neglecta Deis : furit ensis et îgnis;
Quique caret flamma, scelerum est locus! Erigit atro
Tïigrantem fumo rogus alta ad sidéra nubem.
Ârdet in exceiso proceri vertice montis
ArXy intacta prius bellis : hinc Punica castra,
Litoraque, et totam soliti spectare Saguntum :
Ardent tecta Deum; resplendet imagine flammae
iEquor, et in tremulo vibrant incendia ponto.
£cc£ inter medios caedum Tiburna furores,
Fulgenti dextram mucrone armata marlti ,
Et Iseva infelix ardentem lampada quassans,
Squalentemque erecta comam, ac liventia planctu
Pectora nudatis ostendens saeva lacertis.
LES PUNIQUES, LIV. IL 149
ëpée dans la gorge. « Mais , lui dit-elle avec de longs
sanglots , Eurymédon , quelle fureur t'anime ? » Trom-
pée par les traits de ces deux visages , elle rappelait ses
fils expires , en confondant leurs noms. Enfin j toute
tremblante , elle enfonce le fer en sa poitrine, et tombe,
incertaine encore, sur se^enfans qu'elle n'a pu recon-
naître.
Qui pourrait redire les cruelles souffrances, le loua-
ble délire, la foi punie, le déplorable sort de la cité
pieuse, et commander à ses larmes ? A peine si le sol-
dat de Carthage, si un ennemi sans pitié retiendrait ses
pleurs. Celte ville, si long-temps le séjour de la Foi,
et qui retrouvait au ciel le fondateur de ses murailles ,
s'écroule sous les traits perfides de la nation sido-
nienne, sous les atteintes forcenées de son peuple, aban-
donnée des dieux injustes. Le glaive et le feu font rage ;
si quelque part manque la flamme , le meurtre est là !
I^a noire fumée du bûcher élève jusqu'aux astres son
livide nuage. Au sommet escarpé de la haute montagne
brûle la citadelle , vierge encore des outrages de la
guerre, et d'où ils aimaient à contempler les légions
puniques , et les rivages , et Sagonte tout entière ; les
temples des dieux brûlent : l'océan resplendit des reflets
de l'incendie, et les lueurs de la flamme vacillent sur
les vagues mouvantes.
Soudain, au milieu des fureurs du carnage, appa-
raît Tiburne : sa main droite est armée du glaive étin-
celant de son mari; la gauche secoue tristement une
torche allumée; les clieveux hérissés, en désordre, elle
montre ses bras nus et sa poitrine cruellement meurtrie
sous leurs coups : le pied sur les padavres, elle marche
1
i5o PUNICORUM LIB. IL (v. 670.)
Ad tumulum Murri super ipsa cadaverâ fertur.
QualiSy ubi inferni dirum tonat aula parentis,
Iraque turbatos exercet regia mânes,
Alecto , solium ante Dei sedemque tremendam ,
Tartareo est operata Jovi, pœnasque mioistrat.
Arma viri, multo niiper defensa cruore^
Tnponit tumulo inlacrimans; manesque precata
Adciperetil sese, flagrantem lampada subdit.
Tune rapiens letum, a Tibi ego haec^ ait, optime conjux,
Ad mânes , en , ipsa fero. » Sic ense recepto
Arma super ruit. et flammas invadit hiatu.
Semiambusxa jacet nullo discrimine passioi
Infelix obitus, permixto funere, lurba.
Ceu, stimulante famé, quum victor ovilia tandem
Faucibus invasit siccis leo , mandit hianti
Ore fremens inbelle pecus, patuloque reduod^
Gutture ructatus large cruor : incubât atris
«
Semesae stragis cumulis, aut, murmure anhelo
Infrendens, laceros inter spatiatur acervos.
JjSite fusa jacent pecudes , custosque Molossus ,
Pastorumque cohors, stabulique gregisque magister^
Totaque vastatis disjecta mapalia tectts.
Inrumpunt vacuam Pœni tôt cladibus arcem.
Tum demum ad manes^ perfecto munere, Erinnys
Junoni laudata redit , magnamque superba
Exsultat rapiens secum sub Tartara turbam.
LES PUNIQUES, LIV. II. i*»!
au tombeau de Murrus. Teile, quand le maiti'e d*Enfer
tonne en courroux dans sou empire, que sa royale co-*
ière poursuit les mânes épouvantés, debout devant le
trône du dieu, devant son siège terrible, Alecto, mi-
nistre de tortures, seconde à l'œuvre Jupiter Tartaréen.
Les armes du faéros, sauvées naguèi^ au prix de tant
de sang , Tiburne les dépose en pleurant sur le tombeau ;
elle prie les mânes de la recevoir, incline sa torche em-
brasée, et se donnant la mort:, «C'est moi, dit-elle,
époux bien*aimé, c'est moi qui vais te porter ces dé-
pouilles chez les mânes. » Elle se perce du glaive, et,
roulant sur ces armes , d'une bouche béante elle aspire
la flamme.
A demi brûlés çà et là gisent en foule imlistincte-
ment, confondus par le trépas, les cadavres de ces in-
fortunés. Ainsi , pressé par la faim , quand un lion ,
vainqueur enfin et la langue desséchée, envahit la ber-
gerie, d'une gueule avide il dévore en rugissant le trou-
peau sans défense : le sang regorge de son gosier qui
s'ouvre et le revomit à larges flots : il se couche sur de
hideux monceaux de chairs à demi rongées; ou, pan-
tois et grondeur, se promène en grommelant parmi ces
restes déchirés. Au loin gisent épars, et les brebis, et
leur gardien molosse, et la cohorte des pasteurs, et le
maître de l'étable et du troupeau, et tous les débris
dispersés de la bergerie au pillage. Les Carthaginois se
précipitent dans la place dépeuplée par tant de désas-
tres. Alors enfin, sa tâche accomplie et Junon satisfaite,
l'Érinnys retourne ,chez les mânes , superbe et fière
d'entraîner avec elle au Tarlare une si longue foule de
victimes.
i5a PUNICOr6m LIB. II. (v. 696.)
At vos 9 sidereae, quas nuUa aequaverit aetas,
Ite, decus terrarum, animae, venerabile vulgus^
Elysium et castas sedes decorate piorum.
Cui vero non aequa dédit victorîa nomeu
(Audite, o gentes, neu rumpîte fœdera pacis^
Nec regnis postferte fidein!)^ vagus exsul in orbe
Errabit toto, patriis projectus ab oris;
Tergaque vertentem trepidans Carthago videbit.
Sœpe Saguntinis somnos exterritus umbris
Optabit cecidisse manu ; ferroque negato ,
Invictus quondam Stygias bellator ad undas
Deformata feret liventi membra veneiio.
LES PUNIQUES, LIV. II. i53
Allez 9 célestes âmes, sans rivales dans les siècles,
gloire du monde , troupe vénérable, allez embellir l'Ely-
sée et les chastes demeures des justes. Mais celui qu'il*
lustra celte victoire inique (écoutez, nations, et gardez-
vous de rompre les traités de paix et d'immoler à l'am-
bition la foi des sermehs!), celui-là, errant et proscrit,
se traînera par tout l'univers, repoussé des rives de sa
patrie, et Carthage tremblante le verra tourner le dos à
l'ennemi. Souvent, troublé dans son sommeil par les
ombres des Sagontins, il regrettera de n'avoir pu périr
de la main d'un soldat; le glaive lui fera faute, et un
jour l'invincible guerrier ne portera aux flots du Styx
qu'un cadavre livide et défiguré par le poison.
ém/ttvtniyvwM¥mMytiuti w yuv*i¥U9M*t>n/ytMtnMiyyytivtt¥*t * Miv v ytnniuytt¥Vi/y»mnMt^
C, SIUI ITAUa
PUNICORUM
LIBER TERTIUS.
ITostquam rupla 6cles Tyriis, et mœuia castae,
Non aequo Superum genitore, eversa Sagunti;
ËKtemplo positos finiti cardine mundi
Victor adit populos , cogaataque limina Gades.
Nec vatum mentes agitare et praescia corda
Cessatum super imperio : citus aequore Bostar
Vêla dare , et rerum praenoscere fata jubetur.
Prisca fides adytis longo servatur ab aevo ,
Qua sublime sedens, Cirrhaeis aemulus antris,
Inter anhelantes Garamantas corniger Hammou:,
Fatidico pandit venientia secula luco.
Hinc omen cœptis , et casus scire futuros
Ante diem, bellique vices novisse petebat.
ExiN clavigeri veneratus numinis aras
Captivis onerat donis, quae nuper ab arce
Victor fumantis rapuit semiusta Sagunti.
yyv^vmHMt M vvtivvvw/»/vytniv^tH/v9»M%ivtivvvytnitmiyyvtiiM¥»/vtnivv¥vtH M n/yyytM^
C. SILITJS ITALiCTJS.
LES PUNIQUES
LIVRE TROISIEME.
Une fois le traité rompu dans Carthage, et les fidèles
murailles de Sagonte renversées par l'injuste volonté du
père des dieux , le vainqueur pénèti*e chez les peuples
placés aux derniers confins de la: terre, et se retire dans
les remparts fraternels de Gadès. Il ne veut plus tarder à
consulter sur l'empire du monde la science des devins
et leur génie prophétique : il ordonne à Bostar de faire
voile sur l'heure, et d'aller apprendre les décrets du
destin. Une croyance antique et transmise d'âge en âge
a consacré le sanctuaire où, du haut d'un trône sublime,
rival du dieu deCirrha, Ammon porte-cornes, au mi-
lieu des Garamantes haletans , dévoile au fond d'un
bois fatidique les siècles à venir. C'est de là qu'Annibal
veut prendre un augure pour sa conquête, savoir avant
le temps les destinées futures , et s'instruire des chances
de la guerre.
Ensuite il rend hommage au dieu porte-massue , cou-
vre d'offrandes ses autels, les charge des dépouilles^
récentes et à demi brûlées qu'il arracha vainqueur de^
i56 PUNICORUM LIB. III. (v. 17.)
Vulgatum, nec cassa fides, ab origine fani
Inpositas durare trabes , solasque per asvum
Condentum novisse manus : hinc credere gaudent
Consedisse Deum, seniumque repellere templis,
Tum j quîs fas et honos adyti penetralia nosse ,
Femineos prohibent gressus, ac limine curant
Saetigeros arcere sues : nec discolor uUi
Ante aras cultus; velantur corpora lino,
Et Pelusiaco prœfulget staminé verlex.
Discinctis mos tura dare, atque e lege parentum
Sacrificam lato vestem distinguere clavo.
Pes nudus , tonsœque comœ y castumque cubile :
Inrestincta focis servant altaria flammae.
Sed nulla effigies , simulacrave nota Deorum
Majestate locum , et sacro inplevere timoré.
In foribus labor Alcidae Lernaea recisis
Anguibus hydra jacet , nexuque elisa leonis
Ora Cleonaei patulo caelantur hiatu.
Ast Stygius j saevis terrens latratibus umbras ,
Janitor, asterno tum primum tractus ab antro^
Vincla indignatur, metuitque Megaera catenas.
Juxta Thraces equi, pestisque Erymanthia, et altos
^ripedis ramos superantia cornua cervi.
Nec levior vinci Libycae telluris alumnus
Matre super, stratique genus déforme bimembres -
Centauri , frontemque minor nimc amnis Ararnan.
LES PUNIQUES, UV. lU. i57
ruines fumantes de Sagonte. On dit, et ce n'est point un
vain bruit, que les poutres qui soutiennent le temple de-
puis son origine durent encore, et ne connaissent, mal-
gré leur âge, que les mains des premiers fondateilrs :
aussi on pense avec joie que le dieu réside en cet asile
et le préserve des ravages du temps. Ceux à qui seuls
est le droit et Thonneur de pénétrer au sanctuaire, en
défendent l'accès aux femmes, et prennent soin d'éloi-
gner du seuil les pourceaux aux longues soies. Tous
vêtus d'une même couleur devant les autels , leur corps
est voilé de lin, et sur leur front éclate un tissu de Pe*
luse. C'est en robe traînante qu'ils offrent l'encens , et
une loi de leurs pères rehausse du laticlave la robe du
sacrifice. Leur pied est nu, leur tête rase, leur cou-
che vierge. Aux foyers des autels brûle une flamme
inextinguible; mais nulle image conclue, nulle statue
des dieux n'est là pour ajouter à la majesté du lieu, à la
sainte terreur qu'il inspire.
Sur les portes, les travaux d'Alcide : l'hydre de Lerne
et ses serpens hachés gisent sans vie, et le lion de Cléone
est ciselé, la gueule béante, sous l'étreinte du dieu qui
l'étrangle. Le gardien du Styx, qui épouvante les om-
bres de ses horribles. aboiemens, arraché pour la pre-
mière fois de son antre éternel , lutte indigné contre ses
fers , et Mégère redoute des chaînes. Non loin , les che-
vaux de Thrace, et le monstre d'Erymauthe, et le cerf
aux pieds d'airain dont les cornes dépassent la cime des
arbres , et le fils de la terre de Libye non moins diffi-
cile à vaincre tant qu'il touche sa mère, et les Cen-
taures terrassés , engeance difforme au double corps , et
le fleuve d'Acaruanie au front déjà mutilé. Au milieu ,
i58 PUNICORUM LIE. III. (v. ^3.)
iQter quae fulget sacratis ignibus Œte ,
Ingentemque animam rapiunt ad sidéra flammae.
PosTQUAM octttos Varia inplevit virtutis imago ,
Mira dehinc cemit : surgentis mole profuudi
Injectum terris subitum mare, uullaque ctrea
Litora , et infuso stagnantes aequore càmpos.
»
Nam qua casruleis Nereus evolvitur antris,
Atque imo fréta contorquet Neptunia fundo,
Proruptum exundat pelagus , cœcosque relaxans
Oceanus fontes torrent ibus ingruit undis.
Tuin vada , ceu saevo penitus permota tridenti ,
liuctantur terris tumefactum inponere pontum.
Mox remeat gurges, tractoque reiabitur sestu,
Ac ratis erepto campis déserta profundo ,
Et fusi transtris exspectant aequora nautae.
Cymothoes ea régna vagae, pélagique labores
Luna inovet : Luna, inmissis per cœrula bigis,
Fertque referlque fretum , sequiturque reciproca Tethys.
HiEC propere spectata duci : nam multa fatigant.
Curarum prima exercet, subducere bello
Consortem thalami , parvumque sub ubere natum.
Virgineis juveneni taedis, primoque Hymenaeo
Inbuerat conjux, memorique tenebat amore.
At puer, obsessœ generatus in ore Sagunti,
Bissenos lunae nondum compieverat orbes.
Quos , ut seponi stetit et secernere ab armis ^
LES PUNIQUES, LIV. III. 159
TŒta resplendit de feux sacrés, et les flammes enlèvent
aux cieux la grande âme du héros.
A peine il a contemplé à loisir l'image de ces ex-
ploits divers, qu'une autre merveille s'offre h sa vue.
La mer surgit soudain des profondeurs de ses abîmes et
se précipite sur la terre : les rives d'alentour ont dis-
paru, et le flot couvre au loin les plaines inondées. Car
chaque fois que le bleu Nérée s'échappe de seê antres
et chasse du fond des gouffres les vagues é^ Neptune,
Tonde s'enfle, bouillonne et s'élance; l'océan ouvre ses
sources cachées et envahît tout de ^es torrens débordés.
Les eaux , que soulève en tumulte le trident redoutable,
luttent pour engloutir la terre sous leurs lames amonce-
lées. Mais bientôt le flot brisé retombe et se retire; le
vaisseau demeure «ur la plage abandonnée des eaux qui
s'éloignent, et les matelots, couchés sur leurs bancs,
attendent le retour de la mer. C'est la Lune qui agite
ainsi l'empire de l'errante Cymothoé, qui tourmente ainsi
l'océan; la Lune, poussant son char sur la plaine azu-
rée, plie et déplie les vagues , et Téthys obéit au roulis
qui la berce.
Ânnibal regarde à la hâte ce spectacle, car mille
soucis l'inquiètent. Le premier soin qui l'occupe est de
soustraire aux dangers de la guerre la compagne de sa
couche et son fils encore à la mamelle. Jeune, il s'était
épris de l'amoui* d'une vierge et des feux d'un premier
hytnénée : une vive et durable tendresse l'attachait à son
épouse. Son enfant était né sous les yeux de Sagonte
assiégée, et la lune depuis ce temps n'avait pas encore
achevé douze fois son cours. Quand il eut résolu de s'en
1
i6o PUNICORUM LIB. III. (v 69.)
Âdfatur ductor : « Spes o Carthaginis allœ ,
Nate, nec iEneadum levior metus, açiplior, oro,
Sis patrio décore, et factis tibi nomina coadas,
Quis superes bellator avum , jamque œgra titnoris
Roma tuos nunieret lacrimandos matribus annos.
Ni praesaga meos luduat praecordia sensus ,
Ingens bic terris crescit làbor : ora parentis
Agnosco y torvaque oculos sub fronte minaces ,
Yagitumque gravera, atque irarum elementa mearum.
Si quis forte Deum tantos incident actus ,
Ut nostro abrumpat leto primordia rerum ;
Hoc pignus belli, conjux, servare labora!
Quumque datum fari, duc per cunabula nostra;
Tangat Elissaeas palmis puerilibus aras ,
Et cineri juret patrio Laurentia bella.
Inde, ubi flore novo pubescet firoiior aetas,
Ëmicet in Martem , et calcato fœdere victor
In Capitolina tumulum mibi vindicet arce.
Tu vero, tanti felix quam gloria partus
Exspectat , veneranda fide , discede periclis
Incerti Martis, durosque relinque labores :
Nos clausae nivibus rupes, subpostaque cœlo
Saxa manent; nos, Alcidae mirante noverca
Sudatus labor, et, bellis labor acrior, Alpes.
Quod si promissum vertat Fortuna favorem,
Laevaque sit cœptis, te longa stare senecta
LES PUNIQUES, LIV. IIL i6i
séparer et de les éloigner des combats ^ il leur parla
ainsi : « O toi , l'espoir de l'ahière Carthage non moins
que la terreur de Borne ^ grandis en gloire, ô mon 61$,
je l'en conjure, et surpasse ton père : que ton courage
te fonde un nom; que tes exploits t'élè vent au dessus
de ton aïeul; que déjà Kome, malade d*^effroi, compte
à regret tes années qui feront pleui^er les. mères. Si tes
pressentimens de mon amour n'abusent point n^es s^us,
cet enfant croît pour de grandes œuvres : je recon-
nais en lui les traits de son père, et ce regard mena-
çant sous un sourcil froncé, et ce mâle vagissement,
et ces premiers accens de mes colères. Si quelque dieu
s'avisait d'intei*rompre mes' vastes desseins , et d*ar-
rêter par mu mort ma naissante conquête, cethe*
ritier de mes guerres , songe , femme , à le sauver ! £t
quand il saura parler, qu'il subisse les épreuves de mon
berceau , qu'il touche de ses mains enfantines les autels
d'Ëlissa ,' qu'il jure guerre à Laurente sur la cendre de
ses pères! Puis, quand la puberté dans sa fleur aura
fortifié son jeune âge , qu'il vole au combat , qu'il
aille, vainqueur et le pied sur l€s traités, me conquérir
une tombe au sommet du Capitole. Mais toi, qui l'en-
gendras si grand pour ton bonheur et pour ta gloire,
épouse fidèle et révérée, éloigne -toi des périls et des
hasards de la guerre , laissa là de pénibles travaux. A
nous les roches et leur« remparts 4e neige, et leurs
cimes qui portent le ciel; à nous la sueur d'Herx:u]e, et
le labeur admiré de sa marâtre, labeur plus rude que la
guerre, à nous les Alpes! Mais si la fortune détourne
de nous ses faveurs promises et s'oppose à nos projets,
je veux que tu me survives, que la viei^Hesse prolonge
I. II
n
i6'j PUNICORUH UB. III. {r. y s.)
ZBvumquc: exteudisse veiîm : tua justior aetas ,
Ultra me ioproperae ducant cui fila Sorores. »
Sic iite : at contra Cirrhœi sanguis Imilce
Castafîi , cui materno de nomme dicta
Castulo Phœbei servat cognomina vatis,
Atque ex sacrata repetebat stirpe parentes :
Tempore quo Baccfaus populos domitabat Hiberos,
Concutiens thyrso atque armata Ma&nade Calpen,
Lascivo genitus Satyro nyraphaque Myrice ,
Milichus indigenis late regnarat in oris,
Comigeram adtoUens genitoris imagine fronbem.
Hincpatriam clarumque genus referebat Imilce,
Barbarica paulum vitiato nomine lingua.
QvM tune sic lacrimis sensim manantibus infît :
« Mené y oblite tua nostram pendere sainte ,
Abuuis inceptis comitem? sic fœdera nota
Primitiaeque tori, gelidos ut scandere tecum
Deficiam montes conjux tua? Crede vigori
Femineo : castum haud superat labor ullus amorem.
Sin solo adspicimur sexu , fixumque relinqui,
Cedo equidem , nec fata moror : Deus adnuat , oro.
I felix y i numinibus votisque secundis ,
Atque acies inter flagrantiaque arma, relictae
Conjugis et nati curam servare mémento.
Quippe nec Ausonios tantum , nec tela , nec ignés ,
Quantum te, metuo : ruis ipsos acer in enses ,
LES PUNIQUES, LIV. III. i6S
tes anoées; ton âge mérite qu'après moi les Parques
lentement te filent d'heureux jours. »
Imiicé résiste à ses instances. Issue du sang de Cas-
talius de Cirrha , de ce prêtre d'Apollon , qui , fon-
dant Castulo , lui doona le nom de sa mère , nom que
cette ville conserve encore, Imiicé descendait par ses
aïeux d'une tige sacrée. Au temps où Bacchus domp-
tait les peuples d'Ibérie , où le thyrse j où la Mé-
nade en armes ébranlaient Calpé , Milichus était né des
lascives amours d'un Satyre et de la nymphe Myricé :
il avait au loin régné sur ses plages natales, le front
chargé de cornes à l'image de son père. Telles étaient
et la patrie et l'illustre origine d'Imilcé, ainsi appelée
{3ar une altération légère en langue barbare du liom
de Milichus.
Peu à peu ses larmes s'échappent; elle répond : «Tu
refuses de m'associer à tes travaux ! As-tu donc oublié
que mon salut dépend du tien? Est-ce ainsi que tu
comprends ma flamme et mes premiers sermens ? Moi ,
je< n'aurais pas le cœur de gravir avec toi des montagnes
glacées, moi, ton épouse! Juge mieux du courage d'une
femme : il n'est point de périls qu'un chaste amour ne
surmonte. Si tu ne considères que mon sexe, s'il faut que
je démeure, j'y consens et je cède aux destins : Dieu te
soit en aide, et m'entende! Va donc et sois heureux; le
ciel et mes vœux te secondent ; va , mais dans la mêlée ,
dans la chaleur du combat, songe à ta femme absente,
à ton fils, et te conserve à leur amour. Car ce n'est point
l'Ausonien , ni ses traits, ni ses feux, que je redoute pour
toi , c'est toi-même : tu te jettes furieux au devant du
glaive, tu présentes ta tête aux javelots; nul succès ne
II.
i64 PUNICORUM LIB. lïJ. (v. lai.)
Objectdsqué caput telîs^ nec te alla secundo
Eventu satiàt virtus t tibî gloria so)i
Fîd0 caret ^ crediaque viris ignobile letum
Belligerb in pace mori : tremor inpiicat artiis,
Nec quemquam horresco , qui se tibi conférât un us.
Sed %u\ bellorunEt genitor, miserere ^ nefasq-ue
Averte, et serva caput inviolabile Teucris. »
Jamqùe adeô egressi steterant in litore primo ,
Et promota ratis , pendentibus arbore nantis ,
Aptabat sensim pulsanti carbasa vento ;
QuuRi j lenire metus propei^ans , acgramque levare
Adtonitis mentem curis, sic Hannibal orsus :
tf Ominibus parce et lacrimis, fidissima conjux!
Et pace et bello cuhctis stat terminus œvî,
Ëxtremumque diem primus tulit : ire per ora
Nomen in œlernum paucis mens ignea donat,
Quos Pater sHhereis Cœlestum destinât oris.
An Romana juga , et famulas Carthaginis arces
Perpetiar? Stimulant mânes, noctisque per umbras
Increpitans genitor : slant ar^ atque horrida sacra
Ante oculosy brevitasque vetat mutabilîs borae
Pfoktare diem : sedeamne, ut noverit unâ
Me tantum Carthago ? et , qui sim , nesciat omnis
Gens hominum? letique metu décora alla relinquam?
Quantum etenim distant a morte silentia vit» ?
Kec tameo iocautos laudum exhorresce furores :
LES PUNIQUES, LÏV. III. i65
peut suffire à ta valeur : pour toi seul la gloire n'a pas de
bornes , et tu crois indigne d'un héros de mourir au ^n
de la paix. Tout mon corps tremble à cette idée; mais nul
ennemi ne m'effraie s'il se mesure seul avec toi. Pitié,
dieu des batailles! garde sa tête de l'outrage, et préserve-
la des atteintes de Rome ! »
ils sortent et s'arrêtent sur le bord du rivage. Le na-
vire est à flot 9 et le matelot , suspendu au mât, ajuste
sa voile et la livre par degrés au souffle des vents. An*
nibal s'empresse de calmer les frayeurs d'Imilcé, de sou-
lager son âme des soucis et des terreurs qui l'accablent ;
il reprend ainsi : « Laisse ià les pressentimens et les lar-
mes, ô bien fidèle épouse; à tous, en paix domine en
guerre , le terme de la vie est marqué : le premier de
nos jours amène le dernier ; éterniser son nom dans la
bouche des hommes , est un don réservé à ces rares gé-
nies, à ces ânies de feu , que Jupiter destine au sublime
séjour du cieL Puifi-je donc soufifrir encore la domination
de Rome et l'asservissement de Carthage? Les mânes
commandent , dans l'ombre de la nuit mon père m'ac-
cuse; j'ai toujours devant les yeux et l'autel et l'horrible
sacriBce ; la brièveté de cette vie inconstante me défend
de tarder davantage. M'arrêter là I pour n'être jamais
connu que de Carthage seule , pour que le genre humain
tout entier ignore qui je suis! et perdre ainsi, de peur dé
mourir, une belle renommée! mais en quoi diffère de la
mort une vie sans éclat? Toutefois ne crains pas que je
m'abandonne aux transports d'une aveugle ambition. Je
sais faire état de la vie} et si j'aime la gloire , j'aime
tes PUNICORUM LIB. III. (v. 14:)
£t nobis est lucis honos^ gaudetque senecta
Gloria, quum longo titulis celebratur ia xvo.
Te quoque magna maqent suscepti praemia belli :
Dent modo se Superi , Thybris tibi serviet omnis y
Iliacaeque nurus, et dives Dardanus auri. »
DuHQUE ea permixtis inter se fletibus orant ,
Coufisus pelago celsa de puppe magister
Cunctantem ciet : abripitur divulsa marito.
Haerent intenti vultus, e^ litora servant,
Donec, iter liquidum volucri rapiente carina,
Consumsit visas pontus , tellusque recessit.
At Pcenus belli curis avertere amorem
Adparat, et repetit properato mœnia gressu.
Quae dum perlustrat, crebroque obit omnia visu,
Tandem sollicito cessit vis dura labori ,
Belligeramque datur somno componere mentem.
TuM pater omnipotens gentem exercere periclis
Dardaniam, et fama saevorum tollere ad astra
Bellôrum meditans , priscosque referre lâbores ,
Praecipitat consulta viri; segnemque quietem
Terret, et inraissa rumpit formidine somnos.
Jamque per humentem noctis Cyllenius umbram
Aligero lapsu portabat jussa parentis.
Nec mora : mulcentem securo membra sopore
Adgreditur juvenem, ac monitis ineessit amam :
<c Turpe duci totam. somno consumere noctem ,
LES PANIQUES, UV: III. 167
aussi la vieillesse 9. qui en prolonge la sprcinleur et la
durée. Toi-même lu recueilleras d'immenses fruits de
cette guerre : que les dieux laissent faire , et bientôt le
Tibre entier sera sous ta loi, et avec lui les filles d'Ilion ,
et le Dardanien et ses riches trésors, n-
Pendant qu'ils s'entretiennent ainsi et confondent
leurs larmes, le pilote, que le vent favorise, appelle
Imilcé du haut de la poupe; elle, résiste , on l'arrache
des bras de son mari : on les sépare. Immobile et atten-
tif, son œil demeure fixé sur le rivage : mais l'agile, ca-
rène glisse et s'éloigne sur la plaine liquide;, la mer dér
robe bientôt la vue de la. rive, et la terre a disparu.
Le Carthaginois cherche aussitôt dans les soucis de la
guerre l'oubli de son amour, et regagne d'un pas rapide
les remparts de la ville. Il en parcourt l'enceinte, et
promène partout son regard vigilant. Mais tant de soins
et de travaux ont lassé enfin son indomptable vigueur;
et l'âme du guerrier se recueille dans le sommeil.
Alors le père tout-'puissant, qui veut soumettre les
enfans de Dardanus aux plus dures épreuves, et, pour
élever leur nom jusqu'aux nues, l'illustrer dansles. luttes
guerrières , et les ramener aux labeurs de leurs ancê-
tres, presse l'accomplissement dés projets du héros; il
trouble son calme et son loisir et lui jette l'épouvante
pour interrompre son sommeil. Déjà le dieu de Cyllène,
chargé des ordres de son père , a traversé d'un vol. agile
les ténèbres humides de la nuit. Sans attendre il aborde
le jeune guerrier qui reposait tranquille et endormi , et
lui adresse ces reproches amers : «Honte au chef qui
use au sommeil sa nuit entière Maître des Libyens, la
i66 PUNICORUM LIB. 111. (v. i:^.)
O rector Libyae ; vigili staot bella magistro.
Jam maria efFusas cernes turbare carinas ,
Et Latiam toto pubem volitare profundo j
Dum lentus cœpti terra canctaris Hibera.
Scilicet, id satis est decoris, memorandaque virlus^
Quod tanto cecidit molimine Graia Saguntos?
En âge, si quid inest animo par fortibus ausis,
Fer gressus agiles mecum , et comitare vocantem :
Respexisse veto (mooet hoc pater ille Deorum) :
Victorem ante altœ statuant te mœnia Româe. »
JaMque videbatur dextram injectare, graduque
Laetantem trahere in Saturnia régna citato;
Quum subitus circa fragor, et vibrata per auras
Exterrent sœvis a tergo sibila linguis;
lugentique metu Divum praecepta paventi
EfHuxere viro, et turbatus lumina flectit.
Ëcce jugîs rapiens silvas , ac rabora vasto
Contorta amplexu j tractasque per invîa rupes ^
Ater letifera stridebat turbine serpens.
Quantus non aequas perlustrat flexibus Arctos^
Et geminum lapsu sidus circunvlîgat anguis :
Inmani tantus fauces diducit hiatu y
Adtollensque caput nimbosis montibus aequat.
Cougeminat sonitus rupti violentia cœll ,
Imbriferamque biemem permixta grandine torquet.
Hoc trepidus monstro (neque entin sopor tlle^.pec alta?
LES PUNIQUES, LIV. III. 169
gueri-e ne profite qu'au général qui veille. Tu verras
bientôt les nefs ennemies envahir et bouleverser lets
mers, et la jeunesse latine "voler partout sur les ondes;
pendant qu'oublieux d'agir tu dors sur la terre d'Ihérie.
As-tu donc assez de gloire? C'est là en effet une mé-
morable prouesse que la ruine, à l'aide de taiit de bras,
d'une ville grecque, d'une Sagonte? Lève- toi, et si tu
as dans l'âme une volonté égale à ton audace , marche
en hâte sur mes pas, suis-mot où je t'appelle : je te dé-
fends de détourner la vue (tel est l'ordre du père des
dieux) ; je te mènerai vainqueur devant les remparts de
la superbe Rome. »
Déjà Mercure semblait lui saisir le bras et entraîner
d'un pas rapide le héros joyeux vers le royaume de Sa-
turne, quand soudain à l'entour éclate un grand bruit;
derrière eux d'horribles sifHemens percent les airs : Anni-
bal tremble frappé de terreur ; il oublie en son effroi fa
défense des dieux, il se trouble et regarde. Il voit les fo-
rêts arrachées des montagnes, les vastes chênes brisés,
les roches entraînées au fond des abîmes, sous la puissance
et l'étreinte meurtrière d'un serpent hideux qui se roule
en sifflant. Pareil à l'énorme dragon dont les replis em-
brassent les Ourses inégales, et enlacent ce^ deux astres
dans leur cours, sa large gueule s'ouvre béante, et sa tête
se dresse au niveau de la cime orageuse des montagnes.
Au bruit qui redouble se mêle le fracas de la tempête ; le
ciel se déchire et vomit des torrens de grêle et de pluie.
Effrayé de ce prodige (car ce n'était point là un songe
confiis et chargé des lourdes ombres de la nuit : le dieu ,
de sa baguette écartant les ténèbres, avait éclairé le som-
meil du héros) , il demande quel est ce monstre , où va
I70 PUNICORUM LIB. III. (v. 199O
Vis aderat noctis, virgaqué fugante tenebras
Miscnerat lucem somno Deus), ardua quae sit,
Scitatui\ pestîs; terrasque urgentia membra
Quo ferat, et quosnam populos deposcat hiatu.
Cui gelidis almae Cyllenes editus antris :
c( Bella vides optata tibi : te inaxima bellày
Te strages ticmorum, te moto turbida cœlo
Tempestas^ caedesque virum, roagnaeque ruiiiae
Idaei generis, lacrimosaque Fata seqiiuntiir.
Quantus per campos populatis montibus actas
Contôrqiiet silvas squaienti tergore serpens.
Et late humectât terras spumante veneno :
Tantus^ perdomilis dccurrens Alpibus, atro-
Involves belio Italiam , tantoque fragore
Ëruta convulsis prosternes oppida mûris. »
His aegrum stimulis liquere Deusque soporque :
It membris gelidus sndor; laetoque pavore
Promissa evolvit somni , noctemque rétractât.
Jamque Deum régi Martique sub omine fausto
Tnstauratus honos ; niveoque ante omnia tauro
Placatus meritis monitor Cyllenius aris.
Extemplo edicit convellere signa ^ repensque
Castra quatit clamor permixtis dissona I inguis.
Prodite , Calliope , famae , quos horrida cœpla
ËKcierint populos , tulerintque in régna Latini ;.
£t quas indomitis urbes armarit Hibcris,
LES PUNIQUES, LIV. III. 17 1
cette masse gigantesque qui écrase la terre, et quels peu-
ples engloutira sa gueule béante. Alors le dieu que
nourrit Cyllène en ses antres glacés : «Tu vois la guerre
que tu désires : oui , les grandes guerres , et la dévasta-
tion des forêts, et les noires tempêtes qui ébranlent le
ciel, et le carnage des guerriers, et la longue extermi-
nation de la race idéenne, et les larmes, et la mort, vont
marcher à ta suite. Comme ce serpent à l'écaillé hideuse,
qui, déracinant les forêts, lance dans la plaine ces dé-
pouilles des montagnes , et mouille au loin la terre de
sa bave venimeuse; tel, franchissant les Alpes vaincues,
tu envelopperas l'Italie d'une funeste guerre ; tel , à
grand bruit renversant les cités, tu coucheras à terre
leurs murailles démantelées. »
Ainsi tourmenté de l'aiguillon , le dieu et le som-
meil l'abandonnent. Une froide sueur coule de ses mem-
bres ; il tremble de joie à se rappeler les promesses de
cette nuit, à se retracer l'image de ce songe. Aussitôt,
pour prix de cet heureux présage, il offre un sacrifice au
père des dieux et à Mars; mais avant tout , et comme un
juste hommage au Cyllénien qui daigna l'instruire, il
immole un taureau blanc sur ses autels. Puis il ordonne
de lever les enseignes , et le camp retentit soudain dés
accens confus de mille langages divers.
Calliope, dites quels peuples volèrent à cette horrible
conquête , et se précipitèrent sur le royaume de Lati-
Qus; que de villes la Libye arma chez Tibère indompté,
17» PUNICOtlUM LIB. Ilf. (v. aaS.)
Quasque Parastonio glomerarit litore turmas
A usa sibi Libye rerum deposcere frenos.
Et terris mutare jugum : non uUa, nec unquam
ScBvior it trucjbus tempestas acta procellis ;
Nec belluoi raptis tam dirum milie carinis
Acrius infremuît, trepidumque exterruit orbem.
Pringeps signa tulit Tyria Carthagine pubes ,
Membra levis , oelsique decus fraudata superbum
Corports; at docilis fallendi, et nectere tectos
Nunquam tarda dolos : rudis bis tune parma ; brevique
Bellabant ense ; at vestigi;a nuda , sinusque
Cingere inadsuetum ; et rubrae velamine vestis
Ârs erat in pugna fusum occuluisse cruorem.
His rector fulgens ostro super altior omnes
Germanus nitet Hannibalis /gratoque tumultu
Mago quatit currus, et fratrem spirat in armis.
Proxima Sidoniis Utica est effusa maniplis ^
Frisca situ, veterisque ante arces condita Byrs».
Tum, quœ Sicanto prœcinxit lUora œuro,
In dipei speciem curvatis turribus , Aspis.
Sed dux in sese converterat ora Sychaeus,
Hasdrubalis proies, cui vano corda tumore
Maternum inpiebat genus , et resooare superbo
Hannibal haud unquam cessabat avunculus ore.
Adfoct undosa cretus Berenicide* miles ^
Nec tereti dextras in pugna m armata dolouc
LES PUNIQUES, LIV. III. 17I
que de bataillons elle assembla sur les rives paréto-
niennes, alors qu'elle osa réclamer les rênes du monde
et changer les maîtres de la terre : non , jamais plus
atroce ni plus temble tempête ne déchaîna ses furies ;
non, l'effroyable guerre apportée par mille navires ne
put éclater avec plus <le rage, et jeter plus de terreur à
l'univers ë|>ou vanté.
Les premiers qui parurent sous les étendards étaient
les enfans de Carthage la Tyrienne : jeunesse agile , dé- *
nuée de la noblesse du corps et de la majesté d'une haute
taille, mais savante à tromper, et jamais en peine de ten-
dre de secrètes embûches. Ils se battent avec un bouclier
grossier et une épée courte : ils marchent pieds nus,
sans qu'une ceinture retienne les plis de leur robe, et
le rouge tissu de ee vêtement déguise adroitement le
sang qu'ils perdent au combat. I^ur chef, resplendis-
sant de pourpre, domine et brille par-dessus tous : frère
d'Ânnibal, Magon aime à rouler son char avec fracas,
et s'anime sous les armes du génie dé son frère.
A la suite des Sidoniens se déploient les bataillons
d'Utique , vieille cité , construite même avant l'an-
tique citadelle de Byrsa. Après elle, Aspis, qu'un Sici-
lien ferma sur le rivage d'une enceinte de murs et de
tours qui se dessine en forme de bouclier. Leur capitaine
attire à lui tous les regards : c'est Sychée , c'est le sang
d'Asdrubal; le cœur enflé d'un vain orgueil, il ne cesse
de vanter la noblesse de sa mère, et de répéter avec
jactance le nom de son oncle Annibal.
Vient ensuite le soldat de Bérénice, battue par les
ondes ; le bra^ armé du dolon poli , l'aride Barcé , aux
174 PUNÏCORUM LÏB. ÏII. (y. «5. )
Deshtuit Barde sitientibus arida venis.
Nec non Cyrene Pelopei stirpe nepotis
Battiadas pravos fidei stimulavit in arma.
Quos trahit antiquo laudatus Hamilcare quondam ,
Consilio viridis , sed belli serus , Ilertes.
Sabratha tum Tyrium vulgus, Sarranaque Leptis,
OEaque Trinacrios Âfris permixta colonos,
Et Tingin rapido mittebat ab aequore Lixus.
Tum Vaga, et antiquis diiectus regibus Hippo,
Quaeque procul cavit non aequos Buspina ftuctus y
Et Zaroa j et uberior Rutulo nunc sanguine Thapsus.
Ducit tôt populos ingens et corpore et armis ,
Herculeam factis servans ac nomine famam ,
Antaeus, celsumque caput super agmina tollit.
Venere ^thiopes , gens haud incognita Nilo ,
Qui magneta sécant : solis honor ille metalli ,
Intactum chalybem vicino ducere saxo.
His simul, inmitem' testantes corpore solem^ .
Exusti venere Nubae : non aerea cassis,
Nec lorica riget ferro , non tenditur arcus ;
Tempora multiplici mos est defendere lino.
Et lino munire lalus , scelerataque succis
Spicula dlrigere , et ferrum infamare veneno.
Tum primum castris Piiœnicum teudere ritu
Cinyphii didicere Macae : squalentia barba
Ora virisy humerosque tegunt velamine capci
LES PUNIQUES, LIV. III. i-S
veines altérées, ne fait pas faute, non plus qpe Cyréné,
qui doit son origine à un descendant de Pélops : elle
envoie au combat les perfides Battiades. Â cette milice
commande un héros jadis estime du vieux Amilcar,
Ilertès y encore vert au conseil , mais déjà lent à
TcBuvre.
Puis les troupes tyriennes de Sabratha et de Leptis
la Sarrauienne, celles d'Éa, mélange d'Africains et de
colons de Trinacrie, et celles de Tingis, parties des
rives du rapide Lixus : puis celles de Vaga , et d'Hip-
pone, la bien-aimée des anciens rois, et de Ruspina qui
se garde au loin des flots ennemis, celles de Zama^ celles
de Thapsus engraissé depuis du sang des Rutules. Le
chef de tant de peuples , géant de corps et d'armure , et
dont les exploits et le nom rappellent la mémoire d'Her-
cule^ Antée^ élève sa tête altière au dessus des bataillons.
Après viennent les Éthiopiens, nation connue du Nil,
et qui taille l'aimant : à elle seule ce métal , qui fait sa
gloire, et qui, sans toucher le fer dont ou l'approche,
l'attire du rocher. Avec eux marchent les Nubes, dévo-
rés par le soleil, dont leurs membres brûlés attestent
les ravages ; ils ne portent ni le casque d'airain , ni la
rude cuirasse de fer, ni l'arc tendu : plusieurs tissus de
lin^ roulés sur leur front, défendent leurs tempes; une
ceinture de lin protège leurs flancs. Us lancent des j'a-
velots trempés de sucs perfides, des traits déshonorés
par le poison. Alors , et pour la première fois , les
Maces du Cinyphe apprirent au camp des Phéniciens,
l'art de dresser les tentes ; une barbe hideuse hérisse
leur visage y la peau d'un bouc velu recouvre leurs
épaules, et leur bras est armé de la flexible catéte^
176 PUNICORUM LIB. III. (v. a;:.)
Sœtigero; panda manus est armata cateia.
Versicolor contra caetra, et falcatus ab arte
Ensis Adyrmachidis 9 ac laevo tegmina crure.
Sed mensis asper populus, victuque maligno :
Nain calida tristes epulae torrentur arena.
Qtiin et Massyli fulgentia signa tulere ,
Hesperidum veniens lucis domus ultima terrae.
Praefuit intortos demissus vertîce crines
Bocclius atrox , qui sacratas in litore silvas ,
Atque inter frondes revirescere viderai aurum.
Vos quoque desertis in castra mapalibus itis ,
Misceri gregibus Gaetulia sueta fi^rarum ,
ludomitisque loqui, et sedare leonibus iras.
Nulla domus ; plaustris habitant : migrare per arva
Mos, atque errantes circumvectare pénates.'
Hinc mille alipedes turmœ, velocior Euris .
Et doctus virgae sonipes, in castra ruebant.
Ceu pernix quum densa vagis latratibus inplet
Venator dumeta Lacon^ aut exigit Umber
Nare sagax e calle feras , perterrita late
Agmiua praecipitant volucres forniidiue cervi.
Hos agît haud iaeto vultu, uec fronte serena^
Asbytes nuper caesae germanus^ Acherras.
Mahmarid^, medicum vulgus, strepuere catervis;
Ad quorum cantus serpens oblita veneni ,
Ad quorum tactum mites jacuere cerastae.
LES PUNIQUES, LIV. IIL 177
L'Adyrmachide au contraire porte la cètre aux chan-
geantes couleurs 9 Tépée recourbée avec art, une chaus-
sure à la jambe gauche : ce peuple sauvage , content
d'une maigre et grossière nourriture, cuit ses tristes
alimens sous le sable échaufîe. Avec eux, lèvent aussi
leurs brillans étendards, les Massyles, accourus des bois
des Hesperides, des limites du monde. Ces troupes ont
à leur tête le farouche Bocchus, aux cheveux roulés en
longues tresses : il a vu les forêts sacrées croître sur son
rivage, et l'or y verdoyer parmi les feuilles.
Vous aussi, vous avez quitté vos cabanes pour courir
à la guerre, Gétules, habitués à vivre au milieu des bêtes
féroces , à parler aux lions indomptés , à vaincre leurs
colères. Sans demeures fixes, habitant leurs charriots, ils
cheminent à l'aventure dans les campagnes , et promènent
çà et là leurs pénates errans. Leurs mille escadrons aux
pieds ailés, sur leurs coursiers plus rapides que l'Ëurus
et dociles à la verge, volaient dans le camp avec la vitesse
du chien lacon qui se glisse, chasseur agile, à travers
les halliers épais où ses aboiemens retentissent, ou de
l'ombrien dont l'habile narine dépiste le gibier dans son
gîte, ou du cerf léger que la peur entraîne, et qui pré-
cipite au loin sa course fugitive. Le chef de ces guer-
riers n'a point le front serein, le visage riant : c'est le
frère d'Asbyté qui succomba naguère, c'est Acherras.
Les Marmarides, savans à guérir, s'élancent à grand
bruit : à leur voix le serpent oublie son venin; sous leurs
doigts le céraste rampe adouci. Puis les Baniures, rudes
I. la
k
^78 PUNICORUM LIB. Ilï. (v- 3 -î)
Tum, chatybis pauper, BaDJurœ cruda juveotus,
Oontenti parca durasse hastllia flamma,
Miscebaat avîdî Irucibus fera murmura lioguis.
Mec ooD Autololes, levibus geas ignea plaotis,
Cui sonipes cursu, cui cesserit incitus amois;
TaDia fiiga est! certant peanae, campuraque volatu
Quum rapuere, pedum frustra vestigia quaeras.
Spectati castris , quos succo QObilis arbor
Et dulci pascit lotos niinis hospita bacca.
Quique atro rabidas effervescente veneno
Dipsadas inmensis horrent Garamatites areuis.
Fama docet, caessB rapuit quum Gorgonis ora
Per&eus , in Lîbyatn dirum fluxisse cruorem ;
Inde Medusœis terrain exundasse chelydris.
Mitlibus bis ductor spectatus Marte Coaspes,
Nerîtîa Méninge satus, cui tragula semper
Fulmineam armabat, celebratum missile, dextram.
Hiac coit sequoreus Nasamon, invadere fluctu
Audax naufragia, et prœdas avellere ponto :
Hinc, qui stagna colunt Tritonidos alta paludis,
Qtia virgo, ut fama est, bellatrîx édita tympha
Inveato primam Libyen perfiidit olivo.
Nbc non totus adest Vesper, populique reposli.
Cantaber ante omnes, hîemisque aestusque famisque
Invictus, palmamque ex omni ferre labore.
Mirus amor populo, quum pigra incanuît setas,
LES PUNIQUES, LIV. HL 179
soldats, pauvres de fer, et conteos de durcir à petit feu
la pointe de leurs javelines : avides de carnage^ ils mêlent
de sauvages menaces à leur grossier langage. Après
eux, les Autololes, dont le pied l^ger^ plus prompt que
réclair, devance te cheval à la course et le torrent qui
roule, tant leur essor est rapide ! émules de Toiseau, Us
volent, et dans la plaine qu'ils franchissent vous cher-
cheriez vainement la trace de leurs pas. On vit aussi
dans cette année les peuples nourris des sucs vantés du
lotos, arbre hospitaflier dont les fruits ont trop de charme
et de saveur; et les Garamantes, qui redoutent le dipse
errant sur leurs sables immenses et ses noirs poisons
qu'enflamme la rage. Quand Persée emporta la tête
coupée de la Gorgone, on dit que le sang du monstre
cruel coula sur la Libye, et c'est ainsi que les serpens
de Méduse inondèrent cette contrée. A ces mille ba-
taillons commande un soldat illustre, Coaspès, enfant
de l'île Méninx la Néritienne; toujours sa main fou-
droyante brandit la ûragule, son arme renommée. Avec
lui marche le Nasamon marin dont l'audace envahit sur
les flots les débris des naufrages et ravît aux vagues leur
butin; avec lui, ceux qui cultivent les bords du marais
Tritonis, de ces lacs profonds d'où surgit, dit-on, la
vierge guerrière qui la première trouva l'olive et la
sema par toute la Libye.
L'Occident tout entier s'avance, avec ses peuples re-
culés. Avant tous, le Cautabre, que ni le froid, ni les
chaleurs, ni la faim ne peuvent vaincre, et qui triomphe
de toute fatigue. Ce peuple a l'étrange manie, quand
la lente vieillesse commence à le blanchir, de terminer
1:2.
«8o PUNICORUM LiB. m. (v. îag.)
Inbelles jam dudum aiinos praevertere saxo,
Nec vitam sine Marte pati : quippe omnis in armis
TiUcis causa sita, et damnatum vivere paci.
Venit et Aurorae lacrioiis perfusus in orbem
Diversum , patrias fugit quum devius oras ,
Armiger Eoi non felix Memnoms Astyr.
His parvus sonipes^ nec Marti notus : at idem ,
Aut inconcussp glomerat vestigia dorso ,
Aut molli pacata celer rapit esseda collo.
Cydnus agit, juga Pyrenes venatibus acer
Metîri , jaculove extendere prœlia Mauro.
Venere et Celtae sociati nomen Hiberis.
His pugna cecidisse decus , corpusque cremari
Taie, nefas : cœlo credunt Superisque referri,
Inpastus carpat si membra jacentia vultur.
F1BBA.RUM, et pennae, divinarumque sagacem
Flammarum misit dives Callaecia pubem,
Barbara nutic patriis ululantem carmina liuguis ,
Nunc , pedis alterno percussa verbere terra ,
Ad numerum resonas gaudentem plaudere caetras.
Hœc requies ludusque viris, ea sacra voluptas.
Cetera femineus peragit labor : addere sulco
Semina, et inpresso tellurem vertere aratro
Segne viris : quidquid duro sine Marte gerendum ,
Callaici conjux obit inrequieta mariti.
Hos Viriathus agit , Lusitanumque reraotis
LES PUNIQUES, LIV. III. i8i
du haut (l'un rocher des jours désormais inutiles.: la
vie lui répugne sans la guerre : exister, pour lui, c'est
combattre^ et vivre en paix est un opprobre.
Vient ensuite, baigné des larmes de l'Aumre, après
avoir fui pour un autre univers les bords lointains de
sa patrie, l'Asturien, malheureux écuyer de Memnon
l'Oriental. Son coursier , de petite taille , ignore la
guerre; mais il sait, sans secousse, presser le pas sous
l'étrier, ou d'une douce allure emporter avec vitesse un
char pacifique. Cydnus, leur chef, aime à gravir, ardent
chasseur, les cimes des Pyrénées, ou à. lancer de loin
dans la. mêlée le javelot du Maure.
Viennent aussi les Celtes qui ont uni leur nom à celui
des Ibères. Us se font gloire de périr en combattant,
mais brûler après leur cadavre serait un crime : ils
croient monter au ciel, au sein des dieux, si le vautour
affamé dévore leurs membres sans sépulture.
La riche Callécie envoie sa jieunesse, interprète des
fibres des victimes,, du vol des oiseaux, des feux du
ciel : tantôt elle hurle, dans- le langage de sa patrie, des
hymnes barbares; tantôt, d'un pied cadencé frappant la
terre, elle ,se plaît à heurter en mesure les cètres so-
nores. Tels sont les jeux, les délassemens de ces hommes
et leurs plaisirs sacrés. Tout autre soin- est réservé aux
femmes : confier la semence au. sillon, ouvrir et déchi-
rer la terre avec la charrue, serait lâcheté pour des hé-
ros : tout ce qui n'est point dur labeur de guerre est
l'œuvre de l'infatigable épouse du mari callécien. Viria-
thus les conduit , et avec eux le Lusitanien qu'il a tiré
de ses cavernes éloignées; Viriathus encore à la fleur
x8a PUNICORUM LIB. III. (v. 355.)
Extractum lustris; prima Viriathus in aevo,
Noihen Romanis factum mox nobile damnis.
Nec Cerretani , quondam Tirynthia castra ,
Aut Vasco, inâuetus galeae, ferre arma morati.
Non y quae Dardanios post vidit , Ilerda , furores ,
Nec, qui Massageten monstrans feritate parentem^
Cornipedis fusa satiaris , Concane y vena.
Jamque Ebusus Phœnissa movet, movet Ârbacus arma,
Aciyde, vel tenui piignax instare veruto :
Jam cui Tlepolemus sator, et cui Lindus origo,
Funda bella ferens Baliaris et alité plumbo ;
Et quos nunc Gravios violato nomine Graium
OEneae misère domus -Jltolaque Tyde.
Dat Carthago vires, Teucro fundata vetusto,
PhcH^aicae dant Emporiae^ dat Tarraco pubem
Vitifera, et Latio tantum cessura Lyaeo.
Hos in ter clara thoracis luee nitebat
Sedetaua cohors^ quam Sucro rigentibus undis
Atque altrix celsa mittebat Saetabis arce,
Saetabis et telas Arabum sprevisse superba ,
Et Pelusiaco fîlum componere liao.
Mandonius populis, domitorque insignis equorum
Imperitat Cœso, et socio stant castra labore.
At Yettonum alas Balarus profoat aequore aperto.
Hic adeo, quum ver placidum flatusque tepescit,
Concubitus servans tacitos y greji perstat equarum ^
LES PUNIQUES, LIV. III. i8i
de l'âge ^ et dont le nom doit s'illustrer bientôt des dé-
faites de Rome.
Les Cerréfains, jadis soldats de Tîrynthe, le Vasdon,
sans casque selon son usage, n'ont point tardé à prendre
les armes; non plus qu'Uerda, témoin depuis des fureurs
de Home; non plus que toi, Concanien, qui rappelles
la férocité des Massagètes , tes ancêtres^ et t'abreuves à
la veine saignante de ton coursier. Sous les armes ac-
court Ébuse la Phénicienne 9 accourt FArbace qui frappe
l'ennemi de Xacljde ou du vérut effilé ; et l'enfant de
Tlépolème, le Baléare, que Lindus a vu naître, et qui
porte aux combats la fronde et le plomb ailé; et les
Gra viens, qui ont ainsi corrompu leur nom de Grecs,
enfans d'Enéus, sortis des murs de Tydé l'Élolienne.
Suivent les soldats de Carthagène, fondée par l'antique
Teucer, les soldats d'Ëmpories la Phocéenne, les soldats
de Tarracone en vignes si fertile et dont les vins ne le
cèdent qu'à ceux du Latium. Entre tous brille , sous les
reflets éclatans de sa cuirasse, la cohorte Sédétaine,
partie des rives glacées du Sucron , des hautes murailles
de Sétabis, sa patrie, Sétabis qui méprise avec orgueil
la toile d'Arabie , et ne craint pas d'opposer son fil au
lin de Péluse. Ces troupes obéissent à Mandonius et à
Céso, célèbre dompteur de coursiers : les deux chefs
ont associé leurs travaux et leur commandement.
Balarus exerce dans la plaine les escadrons de Vettb-
nie. Là , sitôt que vient le doux printemps et le tiède
zéphyr, fidèles à leurs amours mystérieuses, les cavales
i84 PUNICORUM LIB. III. (v. 3iii.)
£t Yenerem occultam genitali coocipit aura.
Sed non multa dies generi, properatque senectus,
Septimaque his stabulis loagissima ducitur aestas.
At non Sarmaticos adtollens Uxama muros
Tarn levibus persultat equis : hinc venit in arma
Haud œvi fragilis sonipes, crudoque vigore
Asper frena pati, aut jussis parère niagistris.
Rhyndacus his ductor; telum sparus : ore ferarum
Et rictu horrificant galeas ; venatibus œvum
Transigitur, vel, more patrum, vis raptaque pascuut.
Fdlgent prœcipuis. Parnasia Castulo signis ,
Et célèbre Oceano atque alternis aestibus Hispal,
Ac Nebrissa Dianyseis conscia thyrsis ,
Quam Satyri coluere levés, redimitaque sacra
Nebride, et arcano Maenas nocturna Lyaeo.
Arganthoniacos armât Carteia nepotes :
Rex proavis fuit humani ditissimus aevi ,
Ter denos decies emensus belliger annos.
Armât Tartessos, stabulanti conscia Phœbo,
Et Munda, Emalhios Italis paritura labores :
Nec decus auriferae cessavit Corduba terrae.
Hos duxere virôs flaventi vertice Phorcys ,
Spiciferisque gravis bellator Arauricus oris ,
Squales œvi; genuit quos ubere ripa
Palladio Baetis umbratus cornua ramo.
LES PUNIQUES, LIV. III. i85
réunies se présentent au soufHe du vent créateur et re-
cueillent en leurs flancs son haleine féconde. Mais peu
de jours sont accordés à leur race : pour elle, la vieillesse
est précoce, et la vie en ces haras' se prolonge à peine
au delà du septième été.
La ville aux remparts sarmates, Uxama hondit sur
des coursiers moins agiles. Les chevaux qu'elle envoie
au combat ne sont pas de si frêle nature; leur âpre et
sauvage vigueur a peine à subir le frein , les dures
lois de la main qui les guide. Ces peuples ont pour chef
Rhyndacus ^ pour arme le spare ; la tête, la gueule
béante d'une bête féroce est l'horrible parure de leur
casque : ils passent leur vie à chasser, ou, selon l'usage
de leurs pères , se nourrissent de pillage et de rapines.
Par-dessus tous brillent les étendards de Castulo la
Parnassienne; d'Hispal, célèbre par son Océan et le mou-
vement de ses marées; de Nébrissa, complice des orgies
dionysiennes , séjour des légers Satyres , et de la Mé-
nade qui revêt la nébride sacrée et se plaît la nuit aux
mystères de Lyéus. Cartéia arme les descendans d'Ar-
ganthonius, ce roi guerrier des temps antiques, dont
la vie fut si riche de jours qu'il prolongea trois cents ans
sa carrière. Tout s'arme, et Tartessus, qui voit Phébus
dételer ses coursiers, et Mundà, qui doit enfanter à
l'Italie les désastres de Pharsale, et Gorduba^ la gloire
de la patrie de l'or. Ces troupes marchent sous les ordres
de Phorcys à la blonde chevelure, «t d'Arauricus, soldat
redouté de ces plages, en épis fertiles : tous deux du
même âge, ils sont nés tous deux sur les rives fécondes
du Bétis aux cornes ombragées du rameau de Pallas.
i86 PUNICORUM LIB. IIL (v. 4u6.
Taua. Sidonius per campos agmina ductor
Pulvere nigrantes raptat, histransque sub armis,
Qua visu comprendere erat , fuigentia signa ,
Ibat ovans , longaque umbram tellure tr^hebat.
Non aliter, quoties perlabitur aequora curru ,
EKtremamque petit , Pbœbea cubilia , Tethyn
Frenatis Neptunus equis ; fluit omnis ab antris
Nereidum chorus, et sueto certamine uandi
Candida perspicuo connectunt brachia ponte.
At Pyreoaei frondosa cacumina montis
Turbata Pœnus terrarucn pace petebat.
Pyrene celsa nimbosi verticis arce
Divisos Celtis late prospectât Hiberos ,
Atque œterna tenet magnis divortia terris.
Nomen Bebryçia duxere a virgioe colles ,
Hospitis Âlcidae crimen ; qui , sorte laborum
Geryonae peteret quum longa tricorporis arva ,
Possessus Bacchoy saeva Bebrycis in aula
Lugendam formas sine virgiuttate reliqutt
Pyrenen , letique Deus , si credere fas est ,
Causa fuit leti miserae Deus : edidit alvo
Namque ut serpentem , patriasque exhorruit iras ,
Confestim dulces iiquit turbata pénates.
Tum noctem Alcidœ solis plangebat in antris ,
Et promissa viri si i vis narrabat opacis ;
Donec mœrentein ingratos raptoris amores ,
LES PUNIQUES, LIV. III. 187
Telles sont les armées que le héros sidonien entraîne
à travers les campagnes noircies de poussière, et, voyant
sous les armes, aussi loin que son regard peut s'étendre,
tant d'enseignes éclatantes, il s'avance en triomphe, et
sur terre après lui projette une omhré immense. Ainsi,
quand de son char effleurant la surface des mers ,
Neptune guide ses dociles coursiers vers les limites de
l'empire de Téthjs où se couche Phébus, la troupe des
Néréides s'élance de ses antres, et toutes, à l'envi le sui-
vant à la nage^ enlacent leurs blanches mains sous
l'onde transparente.
Cependant le Carthaginois , troublant la paix du
monde, se dirige vers les sommets chevelus des monts
Pyrénéens. Des plateaux escarpés de leur cime ora-
geuse , les Pyrénées contemplent de loin l'Ibère sé-
paré du Celte , et conservent entre deux grandes con-
trées un divorce éternel. Ces montagnes ont reçu le
nom de la fille de Bébryx , par le crime d'Alcide , son
hôte. Dans le cours de ses travaux , il s'acheminait vers
les royaumes lointains du triple Géryon. Captivé par
Bacchus à la cour du cruel Bébryx , il y laissa Py-
réné séduite et bien à plaindre d'avoir été si belle. L'in-
fortunée! le dieu qui causa son malheur, ce dieu, s'il
est permis de le croire, fut aussi cause de sa mort. Elle
mit au monde un serpent: redoutant le courroux de son
père, égarée, elle abandonna sur l'heure ses pénates
chéris. Seule alors, au fond des antres, elle pleura la
nuit passée aux bras d'Alcide, elle raconta aux sombres
forêts les promesses du héros, elle accusa sop ravisseur
et ses ingrates amours : déchirée enfin par les bêtes ^
vainement elle tendit les bras à son bote, et invoqua le
secours de ses armes. De retour et vainqueur, le Tiryri-
i88 PUNICORUM LIB. 111. (v. 432.)
Tendentemque manus , atque hospitis arma vocantem
Dirfpuere ferae : laceros Tirynthius artus ,
Dum remeat victor, lacrimis perfudit , et amens
Palluit învento dilectae virginis ore.
At voce Herculea percussa cacumina montis
Intremuere jugis : mœsto clamore ciebat
Pyrenen ; scopulique omnes ac lustra ferarum
Pyrenen résonant : tumulo tum membra reponit,
Supremum inlacrimans; nec honos intercidit aevo^
Defletumque tenent montes per secula nomen.
Jamque per et colles , et densos abjete lucos
Bebryciae Pœnus fines transcenderat aulae.
Inde ferox quaesitum armis per inhospita rura
Volcarum populatur iter, tumidique minaces.
Adcedit Rhodani festino milite ripas.
Aggeribus caput Alpinis et rupe hivali
Proscrit in Celtas , ingentemque extrahit amnem
Spumanti Rhodanus proscindens gurgite campos ,
Ac propere in pontum lato ruit incitus alveo.
Auget opes stanti similis , tacitoque liquore
Mixtus Arar; quem gurgitibus complexus anhelis
Cunctantem inmergit pelago^ raptumque per arva
Ferre vetat patrium vicina ad litora nomen.
Invadunt alacres inimicum pontibus amnem :
Nunc ceiso capite et cervicibus arma tuentur,
Nunc validis gurges certatim frangitur uluis.
LES PUNIQUES, LIV. III. 189
tliien arrosa de larmes ces membres mutilés; il pâlit
éperdu en retrouvant les traits de sa vierge bien-aimce.
Aux éclats des douleurs d'Hercule , les sommets, de la
montagne tremblèrent ébranlés; ses gémissemens plain-
tifs appelaient Pyréné , et partout les rochers et les re-
paires des bêtes féroces redirent Pyréné. Il déposa enfin
ses restes dans un tombeau et leur dit en pleurant un
dernier adieu. Le temps n'a point détruit la mémoire de
cet hommage, et ces montagnes conserveront dans tous
les siècles ce nom tant déploré.
Franchissant les collines et les épaisses forêts de pins ,
le Carthaginois dépasse les frontières du royaume de
Bébryx, entre chez les Volces, s'ouvre hardiment par
le fer un chemin, ravage leurs campagnes inhospita-
lières j poursuit sa marche et arrive bientôt sur les
rives menaçantes du Rhône impétueux. Du haut des
crêtes Alpines et de leurs roches neigeuses où jaillit
sa source ) le Rhône étend au loin chez les Celtes son
cours immense , creuse les plaines de ses torrens écu-
meux, se précipite, et roule à la mer par une large
embouchure. Enrichi sur son passage des tranquilles
eaux de TArar qui semble immobile, il étreint de ses
vagues haletantes le fleuve endormi , et court l'en-
gloutir dans l'océan, après l'avoir traîné par les cam-
pagnes sans lui permettre de porter son ancien nom
jusqu'à la rive prochaine. Le soldat s'élance au sein de
ce fleuve qui n'endure aucun pont : les uns dressent la
tête et le cou pour protéger leurs armes, les autres s'ef-
forcent de fendre le torrent d'un bras vigoureux. L'aune,
ami du fleuve , transporta les coursiers attachés à des
igo PUNICORUM LIB. lU. (v. 458.)
Fluminea sonipes religatus ducîtur alno,
Beltua nec retioet tardante Libyssa timoré :
TÎTam trabibus vada , et injecta tellure repertuiii
Connexas operire trabes, ac ducere in altum
Paulatim ripae résolu tis aggere vinclis.
At gregis inlapsu fremebundo territus aeris
Expavit moles Rhodauus^ stagnisque refusis
Torslt arenoso minilantia murmura fundo.
Jamque Tricastinis intendit finibus agmen ,
Jam faciles campos, jam rura Vocuntia carpit.
Turbidus hic truncis saxisque Druentia laetum
Ductoris vastavit iter : namque Alpibus ortus ,
Avulsas ornos, et adesi fragmina montis
Cum sonitu volvens, fertur latrantibus undis,
Âc vada translato mutât fallacia cursu,
Non pediti fidus^ patulis non puppibus aequus :
£i tune , imbre reçens fuso , conrepta sub armis
Corpora multa virum spumanti vcrtice torquens,
Inmersit fundo laceris deformia membris.
Sed jam praeteritos ultra meminisse labores
Conspectœ propius demsere paventibus Alpes.
Cuncta gelu canaque aeternum grandine tecta
Atque »vi glaciem cohibent : riget ardua montis
iEtherei faciès, surgentique obvia Phœbo,
Duratas nescit flammis moUire pruinas.
Quantum Tartareus regni pallentis hiatus
LES PUNIQUES, LIV. III. 191
radeaux; et le inonstre des déserts de Libye, malgré
son effroi, ne retarda point le trajet : car on imagina
de lier plusieurs barques ensemble, de les couvrir de
terre et de les glisser sur les eaux en relâchant peu à
peu les câbles qui les retenaient à la rive. A la vue de
ces masses énormes et frémissantes qui pèsent sur ses
flots, le Rhône altier s'alarnie et s'épouvante, et, refou-
lant ses vagues , pousse du fond de ses gouffres sablon-
neux de menaçans murmures.
L'armée s'avance à travers le pays des Tricaslins , et
pénètre par des chemins faciles dans les plaines des Yo-
conces. Mais là, obstruée de rochers et de troncs d'ar-
bres, la Durance jeta le désordre dans la marche d'An-
nibaly jusque-là si heureuse. Descendu des Alpes, ce
fleuve déracine les ormes, arrache des quartiers de mon-
tagnes, et roulant avec fracas ses lames aboyantes, porte
çà et là ses courans trompeurs et changeans, aussi peu
sûrs au pîed de l'homme qu'à la plate carène. Récem-
ment grossi par les pluies, il entraîna dans les tour-
billons de ses ondes écumantes les guerriers avec leurs
armes, et engloutit dans ses abîmes leurs cadavres meur-
tris et défigurés.
Mais ils perdirent bientôt le souvenir de leurs fatigues
passées, à l'approche des Alpes, dont la vue les saisit de
terreur. Partout les glaces , partout la grêle et son éter-
nelle blancheur, partout les neiges séculaires : engourdi
par le froid, le front aérien de la haute montagne,^ té-
moin du lever de Phébus, ne peut dissoudre aux feux
du soleil ses frimas endurcis. Autant le gouffre béant
des pâles royaumes du Tartare se plonge avant chez les
mânes, autant les eaux du noir marécage s'enfoncent au
19» PUNICORUM LIB. IIl. (v. 484)
Ad mânes imos atque atrae stagna paludis
A supera tellure patet : tam longa per auras
Erigitur tellus , et cœlum întercipit unibra.
NuUum ver usquam^ nuUique œstatis honores :
Sola jugis habitat diris , sedesque tuetur
Perpétuas deformis hieins : illa undique nubes
Hue atras agit^ et mixtos cum grandine nimbos.
Jam cuncti flatus vedtique furentia régna
Alpiua posuere domo : caligat in altis
0])tutus saxis, abeuntque in nubila montes.
Mixtus AthosTauro, Bhodopeque adjuncta Mimanti,
Ossaque cum Pelîo, cumque Haemo cesserit Othrys.
Primus inexpertas adiit Tirynthius arces :
Scindentem nubes, frangentemque ardua montis
Spectarunt Superi, longisque ab origine seclis
Intemerata gradu magna vi saxa domantem.
At miles dubio tardât vestigia gressu,
Inpia ceu sacros in fines arma per orbem,
Natura prohibente, feranl, Divisque répugnent.
Contra qua; ductor (non Alpibus ille, nec ullo
Turbatus tcrrore loci; sed langiiida monstris
Corda virum fovet hortando, revocalque vigorem) :
et Non pudet , obsequio Superum fessosque secundis ,
Post belli decus atque acies, dare terga nivosis
Montibusy et segnes submittere rupibus arma?
NunCy o! nunc, socii, dominantis mœnia Bomae
LES PUNIQUES, LIV. III. 193
loin sous la terre , autant se dresse haut dans les airs
cette montagne qui dérobe le ciel de son ombre. Là ,
jamais le printemps , jamais Véié ni ses magnificences ;
' l'hiver seul^ le hideux hiver habite et dëfend ces gorges
. affreuses, sa demeure éternelle : c'est lui qui de partout
amasse là les sombres nuées et les orages chargés de
grêle. Tous les souflQes des vents et des tempêtes ont
placé leur empire sur les plateaux des Alpes : l'œil se
trouble à la vue de ces pics escarpés , de ces sommets
qui s'en vont dans les nues. L'Atbos joint au Taurus, le
Rhodope au Mimas, l'Ossa au Pélion et l'Othrys à l'Hé-
mus, n'en approcheraient pas. LeTirynthien attaqua le
premier ces hauteurs inexpugnables; à la face des dieux,
il s'ouvrit ces nuages , déchira ces âpres granits , et
dompta par grande force ces roches vierges , que , de-
puis l'antique origine du monde, nul pied humain n'avait
foulées.
Le soldat incertain avance lentement : il lui semble
qu'il va porter ses armes impies sur un sol sacré, que
la nature lui défend le passage, qu'il va lutter contre
les dieux. Mais le chef, que n'effraient ni les Alpes ni
la sainte horreur qu'elles inspirent , relève ces cœurs
abattus par des chimères, les encourage et réveille leur
ardeur : « N'avez- vous pas de honte ! étes-vous las du
succès, et des cieux débonnaires? Après tant de rudes
et glorieuses batailles, vous seriez assez lâches pour
tourner le dos à des montagnes de neige, et baisser
les armes devant des rochers ! Ici , camarades , ici ,
songez-y bien , c'est Home et ses orgueilleuses mu-
I. i3
194 PUINICORUM LIB. Uï. (▼• 5ro.)
Crédite vos, summumque Jov'rs conscendere culmen.
Hic labor Ausoniam , dabit hic ia vincula Thybrim. »
Nec mora : commotum promissis ditibu$ agmen
Erigit in coUem , et vestigia linquere nota
Herculis edicit magni , crudisque locorum
Ferre pedem , ac proprio turmas evadere calle.
Rumpit inadcessos aditus, atque ardua primus
Exsuperat , summaque vocat de rupe cohortes.
Tum , qua durati concreto frigore collis
Lubrica frustràtur canenti semita clivo,
Luctantem ferro glaciem premit : haurit hiatu
Nix resoluta viros, altoque e culmine praeceps
Humenti turmas operit delapsa ruina.
Interdunl adverso glomeratas turbine Corus
In média ora nives fuscis agit horridus alis :
Aut rursum iumani stridens avulsa procella
Nudatis rapit arma viris , volvensque per orbem
Contorto rotat in nubes sublimia flatu.
Quoque magis subiere jugo, atque, evadere nisi,
Erexere gradum , crescit labor : ardua supra
Sese aperit fessis , et nascitur altéra moles ,
Unde nec edomitos exsudatosque labores
Respexisse libet; tanta formidine plana
Exterrent repetita oculis , atque una pruinae
Canentis , quacumque datur permittere visus ,
Ingeritur faciès. Médio sic navita ponto,
LES PUNIQUES, LIV. III. 19$
railles , c'est la haute colline de Jupiter que vous allez
franchir. Encore un pas^ et l'Ausonie et le Tibre sont
dans vos fers! 30 Sëduite par ces riches promesses, l'ar-
mëe s'élance sur la montagne ; mais il défend de suivre
les traces faciles du grand Hercule; il veut qu'on s'ouvre
une voie neuve sur un sol inconnu , et que chacun se
fraie sa route pour avancer. Il marche le premier, se fait
jour dans ces gorges inaccessibles, escalade les hauteurs,
et^de leur sommet appelle ses cohortes. Souvent leur
pied glisse sur ces pentes blanchies par les neiges que
le froid a durcies; pour les gravir, ils pressent du fer la
glace qui résiste : mais la neige qui se fond , s'entr'ouvre
et les engloutit, et, routant du haut de la montagne ,
entraine les escadrons dans sa chute et les couvre de ses
torrens humides. Tantôt l'affreux Corus soulève de ses
sombres ailes des tourbillons de neige qu'il pousse au
visage des soldats; tantôt il les enveloppe en sifHant
d'une horrible tempête, les dépouille, arrache aux héros
leurs armes que le souffle de l'ouragan enlève et disperse
en tournoyant dans les airs. Plus ils avancent sur la
montée, plus leur marche pénible s'élève et s'approche du
faîte, et plus le labeur augmente. Au dessus d'eux surgit
encore une autre masse de ces montagnes qui semblent
renaître ^ous leurs pas fatigués : de cette hauteur ils
n'osent regarder en bas le chemin qu'au prix de tant de
sueurs et d'efforts ils ont parcouru, tant les pénètre de
terreur la vue de ces plateaux échelonnés au dessous
d'eux, et l'aspect uniforme de ces frimas dont la blanche
surface se prolonge aussi loin que l'œil peut s'étendre.
Tel, au milieu de l'océan, loin du doux rivage qu'il a
quitté, abandonné des vents qui laissent dormir au mât
sa voile inutile, le matelot coittemple autour de lui l'im-
i3.
196 PUNICORUM LIB, UI. (*• 536)
Quum dulces liquit terras , et inania nuUos
Iiiveniunt ventos securo carbasa malo ,
Inmensas prospectât aquas, ac victa profandis
^quoribus fessus rénovât sua lumina cœlo.
Jamque , super clades atque inportuna iocorum ,
Inluvie rigîdaeque comas squalore perenni
Horrida semiferi promunt e rupibus ora;
Àtque effusa cavis exesi pumicis aatris
Âlpina invadit tnanus, adsuetoque vigore
Per dumos, notasque nives, atque invia pernix
Clausum mon ti vagis infestât cursibus hostem.
Mutatur jam forma locis : hic sanguine multo
Infectas rubuere nives : hic, nescia vinci,
Paulatim glacies sedit tepefacta cruore;
Dumque premit sonipes duro vestigia cornu ,
Unguta perfossis haesit comprensa pruinis.
Nec pestis lapsus simplex. : abscisa relinquunt
Membra gelu, fractosque asper rigor amputât artus.
Bis senos soles, totidem per vulnera saevas
«
Emensi noctes , optato vertice sidunt ,
Castraque praaruptis suspendunt ardua saxis.
At Venus, ancipiti nientem labefacta timoré,
Adfatur genitorem , et rumpit mœsta querelas :
<i Quis pœnae modus, aut pereundi terminus, oro,
^neadis erit? et quando terrasque fretumque
Emensis sedisse dabis? Ciàr pellere nostros
LES PUNIQUES, LIV. III. iy7
inensité des mers; mais sa vue se fatigue à plonger sur
Pabîme, et son œil se repo>e en regardant les cieux.
Soudain, pour ajouter encore à ces désastres et aux
obstacles de la route, apparaissent d'effroyables visages,
sortis des rochers, êtres hideux et à demi sauvages, aux
cheveux hérissés de frimas éternels. Echappes du fond
de leurs antres creusés dans le granit, les montagnards
des Alpes s'élancent, et franchissant avec leur vigueur
accoutumée les broussailles, les précipices et les neiges
qui leur sont connues, ils investissent l'ennemi et le har-
cèlent à tous les détours de la montagne. Bientôt le sol
a changé de couleur : des flots de sang coulent et rou-
gissent la neige; la glace, qui jamais n'avait pu fondre,
s'affaisse peu à peu sous le sang qui l'échauffé. Le cour-
sier bondit, et de sa corne bat durement la terre qui
s'entr'ouvre et le laisse captif entre les glaçons. C'est peu
que le soldat glisse et tombe : dans sa chute , ses mem-
bres fracassés se déchirent, et restent brisés sur ces
glaçons tranchans. Après deux fois six jours et autant
de nuits de luttes et de souffrances, ils prennent pied
enfin au sommet désiré, et suspendent leur camp aux
pics aigus de ces rocs escarpés.
Vénus alors , l'âme accablée de terreur et de soucis ,
s'adresse à son père, et laissant éclater sa douleur et
ses plaintes : «Quel sera, de grâce, le terme aux tor-
tures, à l'extermination des enfans d'Enée? A ceux qui
si long-temps ont eri'é sur la terre et les mers, don-
neras-tu enfin le repos? Pourquoi ce Carthaginois
19» PUNICORUM LIB. III. (v. 562.)
A te coiicessa Pœnus parât urbe nepotes?
Alpibus inposuit Libyen , finemque minatur
Imperio : casus métuit jam Roma Sagunti.
Quo Trojœ e^j^tremos cineres, sacramque ruinam,
Assaracique larem , et Vestae sécréta feramus ,
Da sedem, genitor, tutisque jacere : parumne est,
Exsilia errantes totum quaesîsse per orbem?
Anne iterum capta repetentur Pergama Roma?»
His Venus; et contra genitor sic deinde profatur :
c( Pelle metus , neu te Tyriœ conamina gentis
Turbarint, Cytherea : tenet, longumque tenebit
Tarpeias arces sanguis tuus : hac ego Martis
Mole viros spectare paro, atque expendere bello.
Gens ferri patiens , ac la&ta domare labores ,
Paulatim antiquo patrum desuescit honori;
Atque ille, haud unquam parcus pro laude cruoris.
Et semper famae sitiens , obscura sedendo
Tempora agit , inutum volvens inglorius œvum ,
Sanguine de nostro populus, blandoque veneno
Desidiae virtus paulatim evicta senescit.
Magnae molis opus, multoque labore parandum,
Tôt populos inter, soli sibi poscere régna.
Jamque tibi veniet tempus , quo maxima rerum
Nobilior sit Roma malis. Hinc nomina nostro
ISon indigna polo referet labor : hinc tibi Paulus,
Hinc Fabius, gratusque mihi Marcellus opimis.
LES PUNIQUES, LIV. III. 199
vient-il chasser nos descendans d'une ville qu'ils tiennent
de toi? Il a transporté sa Libye sur les Alpes, il me-
nace de renverser l'empire, et Rome déjà redoute le
destin de Sagonte. Donne au moins aux dernières cen-
dres de Troie, à ses débris sacrés, au lare d'Assaracus,
aux mystères de Vesta, une place, ô mon père, un
abri , un tgmbeau : est-ce peu d'avoir cherché par tout
l'univers de lointains exils? et faut-il que Rome, deux
fois conquise, nous rappelle Pergame?»
Elle dit, son père lui répond : a Bannis ta crainte, et
que les efforts de la nation tyrienne ne t'alarment pas ,
Cythérée. Ta postérité conserve et conservera long-
temps les roches Tarpéiennes : mais ces rudes épreuvesl
de guerre que je leur prépare doivent m'apprendre la juste
valeur et la mesure de ces héros. Ce peuple endurci aux
armes, et qui aimait à vaincre les fatigues, se détache
peu à peu de Fantique discipline de ses pères ; lui qui
n'épargna jamais son sang pour l'honneur, lui tou-
jours altéré de gloire, passe à présent ses jours dans un
obscur loisir^ laissant aller sa vie muette et sans éclat,
un peuple de notre sang ! Le doux poison de l'oisiveté
énerve et use peu à peu sa vertu. C'est une œuvre à
n'accomplir qu'au prix de vastes efforts et de longs tra-
vaux , que de conquérir seul et pour soi l'empire entre
tant de peuples. Tu verras bientôt le temps où la plus
grande des cités, où Rome s'illustrera plus encore par ses
revers. De ces luttes vont sortir des noms qui ne seront
point indignes de notre Olympe; tu connaîtras Paulus, et
Fabius, et Marcellus, dont j^aime les offrandes. Ils tombe-
ront, mais pour créer. au Latium un puissant empire que
ni le luxe ni les vices de Leurs neveux dégénérés ne pour-
îioo PUNI€ORUM LIÉ. III. (v. 585.)
Ui tantum parient Latio per vuloera regnum ,
Quod lu^Uy et multum mutata mente nepotes
Non tamen evertisse queant. Jamque ipse creatus.
Qui Pœnum revocet patriaé , Latioque repuisum
Ante suae muros Carthaginis exuat armis.
Hincy Cytherea, tuis longo regnabitur aevo.
Exin se Curibus virtus cœlestis ad astra
EfTeret, et sacris augebît nomeu lulis
Bellatrix gens baccifero nutrita Sabino.
Hinc pater ignotam dpnabit vincere Thulen ,
Inque Caledonios primus trahet agmina iucos :
Compescet ripis Rhenum, reget inpiger Afros,
Palmiferamque senex bello domitabit Idumen.
Nec Stygis ille lacus, viduataque lumine régna,
Sed Superuin sedes, nostrosque tenebit honores.
Tum juvenis , niagno praeceliens robore mentis ,
Excipiet patriam molem, celsusque feretur,.
£quatum imperio tollens caput : hic fera gentis
Bella Palaestinae primo delebit in aevo.
At tu transcendes, Germanice, facta tuprum,
Jam puer auriconio praeformidate Britauno.
Nec te terruerint Tarpeii culminis ignés :
Sacrilegas inter flammas servabere terris;
Nam te longa manent nostri consortia mundi.
Huic laxos arcus olim Gangetica pubes
Submittet, vacuasque ostendent Bactra pharetras.
LES PimiQUES, LIV. III. aot
ront détruire. II est né déjà celui qui forcera le Carthagi-
nois de retourner dans sa patrie , et, Tarrachant du La-
tium, le dépouillera de ses armes devant les murs de sa
Carlbage. De ce jour, Cythérée, tes enfaus régneront
long-temps sur la terre. Un génie céleste, sorti de Cures,
s'élèvera jusqu'aux astres, et le nom sacré des Iules de«-
vra un nouvel éclat à la race guerrière nourrie sous les
oliviers de la Sabine. Alors un empereur aura le don
de vaincre Thulé, inconnue avant lui; il conduira le
premier ses bataillons dans les bois de la Calédonie, pa-
cifiera les rives du Rhin, gouvernera l'Afrique avec vi-
gueur, et dans sa vieillesse domptera par le fer l'Idumée
fertile en palmiers. Celui-là ne verra pas les lacs du
Styx, les royaumes privés de lumière; il partagera nos
demeures et nos dignités suprêmes. Un jeune prince
après lui, doué d'une âme forte et d'un grand cœur,
prendra en mains le fardeau de l'héritage paternel ,
et, superbe, portera son front sublime au niveau de
l'empire : dès ses premières années , il achèvera les
cruelles guerres de la Palestine. Mais tu surpasseras,
Germanicus, les exploits des tien&: enfant, tu seras ta
terreur déjà du Breton aux cheveux dorés. Ne crains
rien de l'incendie du temple tarpéien : au milieu de ces
flammes sacrilèges, tu seras conservé à l'univers, et dans
un avenir reculé tu viendras parmi nous t'associer à
nos honneurs. Devant lui les soldats du* Gange abaisse-
ront leurs arcs détendus , et Bactres inclinera son car-
quois vide. Des régions arctiques, il ramènera son char
victorieux dans Rome, et Bacchus cédera le pas au nou-
veau triomphateur de l'Orient. Il soumettra l'Ister in-
digné de livrer passage aux aigles romaines, et subju-
guera les Sarmates sur ses rives. Il surpassera par la
2oa PUNICORUM LIE. Uh (v. 614.)
Hic et ab Arctoo currus aget axe per Urbem,
Ducet et Eoos, Baccho cedente^ triumphos.
Idem y indignantem transmittere Dardana signa,
Sarmaticis victor compescet sedibûs Istrum.
Quîn et Romuleos superabît voce dépotes ,
Qnîs erit eloquio partum decus : huic sua Musae
Sacra ferent ; meliorque lyra , cui substitit Hebrus ,
Et venit Rbodope, Phœbo miranda loquetur.
Ille etiam, qua prisca, vides, stat regia nobis,
Aurea Tarpeia ponet Capitolia rupe ,
Et junget nostro templorum culmina cœlo.
Tune, o nate Deum, Divosque dature, beatas
Imperio terras patrio rege. Tarda senectam
Hospitia excipient cœli, solioque Quirinus
Concedet, mediumque parens fraterque locabunt :
Siderei juxta radiabunt tempora nati. »
Ddm pandit seriem venturi Juppiter aevi ,
Ductor Agenoreus , tumulis delatus iniquis ,
Lapsantem dubio de vexa per in via nisu
Pirmabat gressum, atque humentia saxa premebat.
Mon acies, hostisve tenet; sed prona roinaci
Praerupto turbant, et cautibus obvia rupes.
Stant clausi , mœrentque moras et dura viarum ;
Nec refovere datur torpentia membra quiète.
Noctem operi jungunt, et robora ferre coactîs
Adproperant humeris , ac raptas collibus ornos.
LES PUNIQUES, LIV. III. 2o5
parole ceux des en&ns deHomulus dont l'éloquence fera
la gloire : les Muscs porteront à ses pieds leurs divins
hommages; et meilleure que la lyre qui suspendit le
cours de l'Hèbre et attira le Rhodope, sa voix aura des
chants à ravir Apollon. Enfin , sur cette roche Tar-
péienne, où tu vois debout notre antique sanctuaire, il
relèvera le Capitole doré, il joindra le faîte des tem-
ples aux voûtes de notre Olympe. Alors, fils des d.eux,
qui donneras des dieux à l'univers, gouverne-le, pour
sou bonheur, du sceptre de tes pères. Au terme de. ta
longue vieillesse, le ciel recevra son hôte, Quirinus
fera place sur son trône, tu siégeras entre ton père et
tou frère, non loin d&ion fils dont le front rayonnera
couronné d'étoiles. »
Pendant que Jupiter révèle ainsi l'ordre des temps
futurs, le chef agénoréen descend de ses hauteurs im-
praticables, s'efforce d'affermir sur leurs pentes escar-
pées ses pas incertains et chancelans , et s'avance sur
des roches humides. Ce n'est plus une armée ennemie
qui l'arrête, mais un précipice abrupte et menaçant, et
en face un roc droit, coupé à pic. Les soldats demeu-
rent là, captifs, gémissant des obstacles, des« souffrances
de la marche , sans pouvoir reposer ou réchauffer leurs
membres engourdis. Ils passent la nuit à l'œuvre : ran-
gés de front, ils portent sur leurs épaules des chênes et
des ormes arrachés des flancs de la montagne qu ils dé-
îM)4 PUNICORUM LIB. III. (v. 640.)
Jamque ubi nudarunt silva densissima montis ^
Adgessere trabes ; rapidisque adcensus in orbem
Ëxcoquitur flammis scopulus : mox proruta ferro
Dat gemitum putris resoluto pondère moles ,
Atque aperit fessis antiqui régna Latini.
His tandem ignotas transgressas casibus Â.ipes ,
Taurinîs ductor statuit tentoria campis.
IiTTEREA., voces Jovis atqUe oraciila portans,
Emensis aderat'Garamantum laetus arenis
Bostar, et ut viso stimulabat corda Tonante :
« Maxime Belide , patriis qui mœnibus arces
Servitium dextra, Libycas penetravimus aras.
Nos tulit ad Superos perfundens sidéra Syrtis :
Nos paene sequoribus teilus violentior bausit.
Ad finem cœli medio tenduntur ab orbe
Squalentes campi : tumulum natura negavit
Inmensis spatiis, nisi quem cava nubila torquens
Construxit turbo , inpacta glomei*atus arena :
Vel si, perfracto populatus carcere terras
Africus, aut pontum spargens super aéra Corus,
Invasere truces capientem prœlia campum,
Inque vicem ingesto cumularuut pulvere montes.
Has observatis valles enavimus astris :
Namque dies coufundit iter; peditemque profundo
Errantem campo, et semper média arva videntem ,
Sidoniis Cynosura régit fidissima nautis.
LES PUNIQUES, LIV. III. 2o5
pouillent de sa lourde parure : ils dressent ces arbres en
monceau et les embrasent. Les flammes s'étendent , en-
tourent le rocher, le calcinent : il éclate et se dissout
brisé par le fer; son énorme masse s'ébranle, tombe
avec fracas, et ouvre enfin à l'armée épuisée les royaumes
de l'antique Latinus. Après avoir franchi à travers tous
ces périls les Alpes inconnues, Annibal planta ses tentes
dans les plaines taurines.
Cependant , chargé de la réponse et des oracles de
Jupiter, Bostar traverse les sables des Garamautes et
revient au camp , où joyeux , et comme en présence
encore du dieu du tonnerre , il aiguillonne tous les
cœurs. «Puissant fils de Bélus, toi dont le bras dé-
tourne la servitude des murs de ta patrie, nous avons
pénétré jusqu'aux autels de la Libye. Nous avons été
emportés dans les cieux par la Syrte dont l'onde jaillit
aux astres; nous avons été presque engloutis par la terre
plus orageuse que l'océan. Du milieu du globe aux bornes
de l'horizon, s'étendent des déserts arides, d'immenses
surfaces, où la nature n'éleva d'autre éminence que l'ava-
lanche de sable où s'engouffre l'impétueux tourbillon
qui la soulève et la roule dans le vide des airs, alors que
l'Africus, échappé 'de sa prison pour dévaster la terre,
ou le Corus qui fouette les vagues jusqu'aux nues, en-
vahissant avec furie ces plaines ouvertes à leurs luttes
rivales, accumulent et se renvoient tour-à-tour des mon-
tagnes de poussière. Navigateurs perdus dans ces vallées,
nous allions observant les astjes de la nuit; car, le jour,
on ne peut distinguer sa route : le voyageur errant dans
ces vastes déserts, et qui voit toujours la plaine autour
de lui , doit suivre Cynosure , guide assuré du nocher
ako6 PUNICORUM LIB. III. (>. 666.)
Yerum ubi defessi lucos nemorosaque régna
Cornigeri Jovis , et fulgentia tetiipla subiinus ,
Ëxceptos hospes tectis inducit Arisbas.
Stat faao vîcina (novum et memorabile ! ) lyniplia,
Quœ nascente die , quas deBciénte tepesctt ,
Quaeque riget, médius quum sol adcendit Olympum,
Âtque eadem rursum uocturnis fervet in umbris.
Tuni ioca plena Deo , dites sine vomet*e glebas ,
Ostentat senior, laetaque ita mente profatur :
fc Has umbras nemorum , et connexa cacumina cœlo ,
« Calcatosque Jovi lucos prece, Bostar, adora.
*
« Nam oui doua Jovis non divulgata per orbem ,
a In gremio Thebes geminas sedisse coluthbas ?
« Quarum, Chaonias peunis quae contigit oras,
« Inpiet fatidico Dodonida murmure quercum.
« At quae , Carpathium super aequor vecla , per auras
ce In Libyen nigris tranavit concolor alis ,
« Hanc sedem templo Cythereia condidit aies :
tf Hic ubi nunc aram lucosque videtis opacos,
« Ductore electo gregis (admirabile dictu!),
a Lanigeri capitis média inter coruua perstans
« Marmaricis aies populis responsa canebat. ^
« Mox subitum nemus atque annoso robore lucus
a Exsiluit, qualesque premunt nunc sidéra quercus,
« A prima venere die : prisco inde pavore
« Arbor numen habet , coliturque tepentibus aris. »
LES PUNIQUES, LIV. III. 107
sidonien. Enfin ^ épuisés de fatigue, nous entrâmes danS'
les saintes et épaisses forêts où règne Jupiter porte*cornes ,
et nous rendîmes vers ses splendides sanctuaires. Arisbas
nous accueillit, et nous conduisit en son logis hospitalier.
Près du temple (étrange et mémorable merveille!) est
une source qui , tiède au lever du jour et à son décjin ,
puis glacée à l'heure où le soleil au milieu de son cours
embrase l'Olympe, s'échauffe et bout dans l'ombre de la
nuit. Le vieillard nous montra ces lieux pleins de la di-
vinité, ces champs riches sans culture, et dans la joie de
son cœur nous parla ainsi : a Ces ombrages de nos forets,
<c ces arbres sublimes qui s'enlacent dans les cieux , ces
ce bois sacrés foulés par Jupiter, adore-les, Bostar, et
« prie. En effet, qui n'a pas appris dans le monde que
<c deux colombes, présent de Jupiter, descendirent dans
« le sein de Thébé? L'une, portée dans son vol aux
a plaines de Chaonie, remplit de ses chants fatidiques
<c les chênes de Dodone. L'autre, rasant les flots de Car-
ce' pathie, fendit l'air de ses ailes noires, et se posa sur
a la Libye noire comme elle : c'est ici que cet oiseau de
a Cythérée établit le siège de l'oracle. Et là où vous
rc voyez aujourd'hui un autel et de sombres bocages
a (écoutez ce prodige!), perché sur la tête laineuse d'un
« bélier qu'il avait choisi , et debout entre ses deux cornes ,
a l'oiseau annonçait aux peuples de Marmarique les ré-
(c ponses des dieux. Puis surgirent tout à coup des fo-
c< rets, des bois sacrés, des arbres séculaires; et ces
(£ chênes qui touchent les astres aujourd'hui étaient ainsi
ce au premier jour de leur venue : entouré depuis d*une
ce sainte horreur, chaque arbre recèle la divinité et re-
cc çoit un culte sur les tièdes autels. » Nous admirions
ces prodiges : tout à coup , 6 terreur ! les portes crient.
!io8 PUiaCORUM LIB. III. (v. 69^.)
Dumque ea miramur, subito stridôre tremendum
Inpulsae patuere fores , majorque repente
Lux oculos ferit : ante aras stat veste sacerdos
Ëffulgens nivea , et populi concurrere certant.
lude ubi mandatas effudi peetore voces,
Ecce intrat subitus vatem Deus : alta sonoro
Conlisis trabibus volvuntur murmura luco,
Âc major nota jam vox prorumpit in auras :
<r Tenditis in Latium , belloque agitare paratis
a Assaraci prolem , Libyes : cœpta aspera cerno ,
c( Gradivumque trucem currus jam scandere^ et atram
« In latus Hesperium flammam exspirare furentes
(( Cornipedes, multoque fluentia sanguine lora.
« Tu, qui pugnarum eventus^ extremaque fati
a Deposcis y claroque ferox das vêla labori ,
«
« Invade ^toli ductoris lapyga campum :
« Sidbnios augebis avos j nullique relinques
« Altius Ausoniae penetrare in viscera gentis ;
« Donec victa tibi trepidabunt Dardana régna.
« Nec ponet pubes unquam Saturnia curam ,
ce Dum carpet superas in terris Hannibal auras. »
Ta.lia portabat laetis oracula Bostar,
luplebatque viros pugnsae propioris amore.
LES PUNIQUES, L!V. III. aog
s'ébranlent et s'ouvrent : une plus vive lumière frappe
aussitôt nos yeux : le prêtre apparaît devant l'autel , vêtu
d'une robe blanche comme la neige; la foule s'empresse
d'accourir. A peine de ma poitrine s'étaient échappées
les paroles convenues, soudain voici le dieu, il entre en
son prophète : les arbres se heurtent; de longs murmures
roulent dans la forêt' sonore : une voix plus forte que la
voix humaine éclate dans les airs : a Vous marchez au
« LatiumV Libyens; vous préparez une guerre acharnée
c( aux enfans d'Assaracus. Je vois les préludes de ces luttes
« terribles : Mars en courroux s'élance sur son char, ses
c< coursiers furieux soufBent de noires flammes sur les
a flancs de l'Hespérie; des flots de sang ruissellent de
<c leurs rênes. Toi qui veux connaître l'issue future des
<c batailles, les suprêmes décrets du destin, et te lances
« à toutes voiles vers cette noble conquête , envahis les
a champs du roi d'Étolie, les plaines iapygiennes : tu
(c grandiras encore tes aïeux sidoniens; tu ne laisseras à
« personne la gloire de pénétrer. plus avant au cœur de
« l'Ausonie. Vaincu , l'empire de Dardanus tremblera
a devant toi, et la race de Saturne ne poiu*ra poser les
ce armes, tant que sur terre Annibal verra la lumière
« des cieux. »
Bostar, rapportant cet oracle aux soldats, les rem*
plit de joie et du brûlant désir d'avancer l'heure des
batailles.
I. i4
ij»)» <i R i \fi)Wi i </< < Wf t> i<<) w ><i%*J » <MW/**<M<*'v>i^/*<<wfwifviiifiriTiri i VVirinv>r^
C. SILIl ITALia
PUNICORUM
LIBER QUARTUS.
Jla.ma per Ausontœ turbatas spargitur urbes^
Nubiferos montes et saxa minantta cœlo
Âdcepisse jugum, Pœnosque per iûvla vectos;
£mulaque Herculei jactantem facta laboris
Descendisse ducem : diros canit inproba motus ,
Et gUscît gressu , volucrique citatior Euro
Terrificîs quatit adtonitas rumoribus arces.
AbstMit auditisy docilis per inania rerum
Pascere rumorem vulgi , pavor : itur in acres
Bellorum raptim curas ; subitusque per omnem
Âusoniam Mavors strepit, et ciet arma virosque.
Pila novant, ac detersa rubigine sa&vus
Induitur ferro splendor; niveumque repostae
Instaurant galeae çpni decus : hasta juvatur
Amento ; revocantque nova fornace bipennes.
Conseritur tegimen laterum inpenetrabile , multas
' i Tr*"""~""**Vi"""""*^"*^^*^~"Tni^T'"Tr'^^Tr^nnYinnviriviririr>wwir> i V¥irimri rt(vwt»i(i)MOTri^
C. SILIUS ITALICtJS.
LES PUNIQUES
LIVRE QUATRIEME.
Xja Renommée apprend aux villes alarmées de l'Âu-
sonie que les montagnes qui portent les nues , les ro*
chers qui menacent le ciel ont subi lé joug; que les
Carthaginois ont franchi les abîmes; que leur chef, glo-
rieux de cette œuvre qui l'égale à Hercule ^ est descendu
dans la plaine : sinistre piessagère de ces mouvemens
redoutables , elle croît en sa marche , et, plus agile que
Taile de TEurus, elle ébranle de ses effroyables rumeurs
les cités épouvantées.
La peur, qui aime à repaître de vains bruits le vul-
gaire, exagère ces nouvelles : on s'empresse, on s'oc-
cupe sans délai des apprêts de la guerre. Dans toute
l'Âusonie, Mars s'éveille et tonne; il demande des armes
et des soldats. On forge des piques, on enlève la rouille
du glaive qui reprend son éclat terrible; on rend au
casque sou cimier et sa blanche parure; la lance est
munie de sa courfoie; on retrempe les haches aux feux
des fournaises. On resserre les mailles de la cuirasse ,
impénétrable tissu , qui sera long-temps à l'épreuve du
14.
ai 2 PUNiœRUM LIB. IV. (▼. 17)
Passurus dextras atque inrita vulnera, tliorax.
Pars arcu invigîlant ^ domitat pars verbere anhelum
Cornipedem in gyros, saxoque exaspérât ensem.
Nec vero mûris , quibus est luctata vetustas ,
Ferre morantur'opem : subvectant saxa, ca vasque
Retractant turres, edit quas longior aetas.
Hinc tela adcipiunt arces ; ac robora portis 1
Et fidos certant obices arcessere silva :
Circumdant fossas. Haud segnis cuncta magisler
Praecipitat timor, ac vastis trepidatur in arvis.
Deseruere larem : portant cervicibus aegras
Adtoniti matres, ducentesque uitima fila
Grandaevos raptiere senes : tum crine soluto
Ânte agitur conjux; dextra laevaque trahuntnr
Parvi, non aequo comitantes ordine^ nati.
Sic vulgus traduntque inetus^ nec poscitur auctor.
AT Patres 9 quanquam exterrent inmania cœpta,
Inque sinu bellum , atque Â.lpes et pervia saxa
Deccpere, tamen crudam contra aspera mentem
Et magnos toUunt animos : juvat ire periclis
Ad decusy et dextra mémorandum condere nomen,
Quale dédit nunquam rébus Fortuna secundis.
Sed Libyae ductor tuto fovet agmina vallo ,
Fessa gradum, multoque ^elu torpentia nervos;
Solandique genus, laetis ostentat ad Urbem
Per campos superesse viam , Bomamque sub ictu.
LES PUNIQUES , LI V. lY . a 1 3
fer et de ses coups impuissans. Les uns veillent et fa*
çonnent l'arc , les autres domptent sous le fouet le cour-
sier haletant qui tourne dans la carrière; ceux-là aigui-
sent sur la pierre le tranchant de l'épée. Cependant on
ne néglige point de relever les murailles tombées sous
l'efTort des âges; on transport et des. pierres; on répare
les profondes tours usées par les siècles. On garnit
d'armes les citadelles ; on assure la défense des portes,
on les ferme de fortes poutres enlevées aux forets ; on
creuse les fossés autour des remparts. La crainte; ce
maître qui n'attend point, précipite les travaux : partout
dans les campagnes on s'agite en tumulte, ils abandon-
nent leurs foyers, emportent avec effroi sur leurs épaules
les mères défaillantes, emmènent les vieillards parvenus
au terme de l'âge , au dernier fil de la trame de leur
vie; devant, les cheveux en désordre , marche l'épouse •:
à droite, à gauche, se traînent les jeunes enfans, qui
suivent d'un pas inégal. Ainsi, partout on cède aux
récits de la crainte, sans même en rechercher l'auteur.
Le sénat lui-même ne voit qu'avec terreur cette for-
midable invasion , et la guerre au sein de Tltalie , les
Alpes, leurs roches vaincues, et Rome ainsi trahie par
elles. Cependant il oppose une grande âme, un cœur ferme
à l'adversité •: il accepte les périls pour aller à la gloire,
pour conquérir de force un de ces. noms mémorables
que jamais, aux jours heureux., n'accorda la Fortune.
Le chef des Libyens, à l'abri de son camp, repose ses
bataillons que là marche a lassés, ranime leurs muscles
engourdis par la rigueiîr du froid. Il soulage leurs
peines, il les console en leur montrant la route droite
et unie qui les mène à la Ville, et Rome sous l«urs
ai 4 PUNICORUM LIB. IV. (▼. 43.)
At non et rerum curas, consultaqùe belH
Stare probat, solusque nequit perferre quietem.
Armiferae quondam prisca inter tempora gentes
Ausoaium iavasere latus , sedesque beatas ,
Et metuî peperere mana : mox itipîa bella
Tarpeius pater et capti sensere Quirite$.
Hic dum sollicitât donis , et iuania corda
Ac fluxam Quorum gentem fovet , armaque jungit;
Jam consul , volucri pervectus litora classe ,
Scipio Phocaicis sese referebat ab oris;
Ingentesque duces , pelagi terra^ue laboreni
Diversum emeusos, propiora pericula vallo
Jungebant, magnaeque aderant primordia dadis.
Namque ut, conlatis admoto coosule castris,
Sustulerat Fortuna moras , signumque furoris
Adcensae viso poscebant hoste cohortes :
Debellata procul, quaecumque vocantur Hiberis,
Ingenti Tyrius numerosa per agmina ductor
Voce sonat; non Pyrenen, Rhodanumve ferocem
Jussa adsperaatos , Rutulam fumasse Sagimtum ,
Raptum per Celtas iter, et , qua ponere gressum
Amphitryoniadae fuerit labor, isse sub armis
Pœnorum turmas , equitemque per ardua vectum
Insultasse jugo, et fremuisse hinnitibus Alpes.
Coi^TRA pulchra suos vocat ad discrimina consul :
a Hostem, miles, habes fractum ambustumque nivosis
LES PUIfIQUES, LIY. IV. %iS
coups. Pour lui y il ae garde d'oublier le soin de la
guerre et le$ intérêt^ de sa conquête ; lui &eul ne peut
endurer le repos. Autrefois, dans les temps reculés,
de belliqueuses nations avaient envahi une partie de
TAusonie , région heureuse où sous leurs armes naquit
la terreur;. plu& tard, leurs guerres impies n'avaient
épargné ni le dieu Tarpéieo ni les Quirites vainciM* Il
sollicite ces peuples, les séduit à force de présens ,^ flaUe
leur humeur inconstante et légère,, et les rallie à son
armée. Pendant ee temps, le consul Scipion, ramené sur
sa flotte rapide, est revenu de la cité phocéenne; et ces
illustres cbe£» , éprouvés tous deux par des travaux di-
vers 9 l'un sur la terre , l'autre sur les flots , avancent
leurs camps et rapprochent le danger. Déjà commencent
les préludes d'une défaite immense. A peine le consul a
paru et mis les deux, camps en présence , la Fortune ne
souffre plus de retard : à la vue de l'ennemi , les co-
hortes enflammées demandent le signal du carnage. Le
chef tyrien, d'une voix sonore, anime ses nombreux
bataillons : ils ont soumis au loin tout l'empire des
Ibères ; les Pyrénées , le Rhône fongueux , n'ont pu se
jouer de leurs efforts; Sagoote la Rutule est en cendres,
la route conquise chez les Celtes , et partout où le fils
d'Amphitryon ne put faire un pas sans travail, là, char-
gés de leurs armes , les escadrons de Carthage ont passé ;
les cavaliers ont gravi les montagnes et bondi sur leurs
cimes, et les Alpes ont gémi du hennissement des. cour-
siers.
De son côté , le consul appelle ainsi ses troupes à de
brillante$ luttes : « Soldat , tu as à combattre un eu-
a i6 PUNICQRUM LIB, IV. (▼• 69)
Cautibus j atque aegre torpeatia membra trahaiteiD.
En âge, qai sacros montes, rupesque profundas
Trausiluit , discat , quanto stat celsius arce
Herculea vallum; et majus sit, scandere colles,
An vestros rupisse globos : det inaoia famae ,
Dum magna fuso pugna, retroque ruenti ,
Qua ventum est, obstent Alpes : super ardua ductum
Hue egere Dei, Latios ut sanguine 6nes
Inbueret , tellusque hostiUs conderet ossa.
Scire libet, nova nunc nobis atque. altéra bellum
Carthago, anne eadem mittat, quas, mersa sub aequor,
agates înter vasto jacet obruta ponto. »
HiBC ait, atque agmen Ticini.flectit ad undas»
Gaeruleas Tieinus aquas , et stagna vados^o
Perspicuus servat turbari nescia fundo ,
Ac nitidum viridi lente trahit amne liquorem.
Yix credas labi ; ripis tam mitîs opacis
Argutos înter volucrum certamine cantus ,
Somniferam ducit lucenti gurgite lympham.
Jamqub sub extremum uoctis fugientibus umbris
Lux aderat^ Somnusque suas confecerat horas.
Explorare Iogos consul, collisque propinqui
Ingenium , et campis quœ sil natura , parabat.
Par studium Pœno, siuiilesque in pectore cura&.
£rgo aderant, rapidis equitum comitantibus alis.
LES PUNIQUES , LïV. IV. 217
iiemi irutilé par les rochers, brûlé par les glacés, et
traînant à grand' peine ses membres perclus. .Va donc ,
et que celui ^ui franchit les montagnes sacrées et leurs
gorges profondes , apprenne combien s'élèvent nos pa-
lissades au dessus des remparts d'Hercule, et s'il n'est
pas plus facile tl'escalader des collines que d'enfoncer
vos rangs. Laissons-lui sa vaine gloire, pourvu que, dé-
fait dans une grande bataille, il recule vers les lieux
d'où il est venu , et que les Alpes, arrêtent sa fuite.
Les dieux l'ont conduit à travers les rochers ^ ils l'ont
amené là pour abreuver de son sang les plaines du La-
tium, pour enfouir ses os dans un sol ennemi. Je vou-
drais bien savoir si c'est une ^utre, une nouvelle Car-
thage qui nous envoie la guerre, où celle qui, jadis
engloutie sous les vagues, gît encore aux Égates'^ense-
velie dans l'abîme des mers. »
Il dit et dirige son armée sur les bords du Tésin. Tou-
jours pur, le Tésin promène sur l'arène ses flots pai-
sibles dont rien ne trouble l'azur, et roule lentement son
onde verte et transparente. A peine on dirait qu^il coule,
tant s'échappe mollement, sous l'ombrage de ses rives,
parmi les chants harmonieux et variés des oisieaux, ce
fleuve limpide dont le calme invite au sommeil.
La nuit touchait à son déclin, l'ombre faisait place à
la lumière naissante, et le Sommeil avait, rempli se's
heures. Le consul songe alors à éclairer le terrain , à re-
connaître la position d'une éminence voisine et la nature
de la plaine. Le Carthaginois eut même pensée , même
souci, même désir. Ils s'avancent donc, accompagnés
d'une légère escorte de cavaliers.
aiS PUNiCORUM LIB. IV. (y. 94)
Vf HUM ubi comiooto docuerunt pulvere oubes
Hostem ferre gradum ; et propius propiusque sonaro
Quadrupedum cornu tellus gémit; ac simul acer
Yinceatum lituos htaoitus saevit equorum :
« Arma^ Tiri^ rapite «rma, virî! » dux instat utcrque*
Ambobus velox virtus , geminusque cupido
Laudis , et ad pugnas Martemque insania concors.
Hè^vi> mora : jam tantum campi diriiuebut ab icUi,
Quantum inpulsa valet comprendere lancea tkodo ;
Quum subitum liquida, non uUis nùbibus, aethra
Augurium mentes oculosque ad sidéra vertit.
Accipiter, medio tendens a limite solis,
Dilectas Yeneri , notasque ab honore Diones ,
Turbabat violentus aves ; atque unguibus idem ,
Idem uunc rostro , duris nunc ictibus alae ,
Ter quioas dederat saeva inter vulnera leto.
Nec finis satiasve ^ novi $ed sangumia ardor
Gliscere; et urgebat trepidam jam c«de priorum,
Incertamque fugae , pluma labente , columbam ;
Donec Phœbeo veniens Jovis aies ab ortu
In tenues tandem nubes dare terga coegit.
Tum victrix lastos signa ad Romana volatus
Convertit ; prolesque ducis qua parte décora
Scipio quassabat puerilibus arma lacertis ,
Clangorem bis terque dédit , rostroque coruscae
Perstringens conum galeae | se reddidit astris.
LES PDWIQUES , LIV. IV. 119
De chaque côté s'élève une nuée de poussière qui
trahit la marche de Tennenii; le bruit approche , la corne
sonore des coursiers fait gémir la terre, et en même
temps éclatent des hennissemens à couvrir les accens du
clairon, (c Aux armes ! soldats , prenez vos armes ! » crie
à la (ois Tun et l'autre daef. Tous deux ont même fougue ,
même courage 9 même ambition de gloire^ même pas-
sion de guerre et de bataille.
On s'empresse : à peine est-on encore séparé par l'es-
pace que peut comprendre la portée d'une lance au bout
de sa courroie , quand soudain , dans un air pur et Sians
nuages , un présage attire au ciel les yeux et les esprits.
Un épervier^ parti du point que le soleil parcourt à son
midi, poursuivait avec furie uue troupe de ces oiseaux
chers à Vénus et consacrés à Dioné : déjà, de ses serres,
et de son bec et des coups acharnés de son ailé, il en
avait tué quinze après les avoir cruellement déchirés.
Et ce n'est point assez, il n'est point assouvi, une nou-
velle soif de sang le dévore : il presse une autre colombe
toute tremblante du meurtre des premières, et retardée
en sa fuite par la perte de ses plumes. Mais l'oiseau de
Jupiter accourt de l'Orient, repousse Tépervier et le
force à retourner dans les nues. Vainqueur alors, l'aigle
dirige son vol heureux vers les enseignes romaines , du
côté où le fils du général, le jeune Scipion, secouait sur
son épaule enfantine sa brillante armure : là , deux et
trois fois il jette un cri , touche du bec le cimier du
casque étincelant , et remonte dans les cieux.
aao PUNICORUM LIB. IV. (v. «o.)
£xGLAx\f AT Liger (huic Saperas sentire monentes
Ai*s fuit, ac penna monstrare futura magîstra) :
(( Pœoe , bis octonos Italis in fiuibus aiuios ,
Audaci similis volucri , sectabere pubem
Ausoniam, multamque feres cum sanguine pnedam :
Sed compesce minas ; renuit tibi Dauuia régna
Armiger ecce Jovis : nosco te , summe Deorum :
Adsis 0.9 firmesque tuae, Pater, alitis omen.
Nam tibi servantur, ni vano cassa volatu
Mentitur Superos praepes , postrema subàctae
Fata, puer, Libyae, et majus Carthagine nomeu. »
CoiTTBA lœta Bogus Tyrio canit omina régi, .
Et faustum accipitrem , caesasque in nube volucres
£neadis cladem et Veneris portendere genti.
Tùm dictis comitem contorquet prinius in hbstes,
Ceu suadente Deo, et fatorum conscius, hastam.
nia volans patuli longe per inania campi
Ictum perdiderat spatio, ni, fusus habenas,
Dum primœ decus adfectat decerpere pugnae,
Obvia quadrupedis praeceps Catus ora tulisset.
Sic clànguescens , ac jam casura , petitum
luvenit vulnus, csedemque adcepit ab hoste
Cornus , et oblatse stetit inter tempora frontis.
Incurruut acies, magnoque fragore per œquor
Suspendant cuncti frenis sublime reductos
Cornipedes, ultroque ferunt : erectus in auras
LES PUNIQUES, LIV. IV. aai
Liger s'écrie (interprète savant du langage des dieux,
Liger avait appris par le vol des oiseaux à comprendre
l'avenir) : a Carthaginois , pendant seize ans sur le so]
d'Italie, pareil à Taudacieux épervier, tu poursuivras la
jeunesse ausonienne, et tu recueilleras une large part
de sang et de butin : mais fais trêve à tes menaces, ce
messager de Jupiter te refuse l'empire de Daunus. Je
te reconnais ici, souverain des dieux ; sois-nous en aide,
ô père, et confirme l'augure de ton oiseau. Car à toi
seul, enfant, si l'aigle n'a point menti ^ si son vol trom*
peur ne m'abuse , à toi «seul est réservée la conquête ,
la destruction de la Libye, et, sur sa ruine, un nom si
grand que Carthage n'y pourra suffire. »
Éogus d'autre part prédit aii héros tyrien d'heureuses
destinées : l'épervier présage la victoire, et le meurtre
des oiseaux dans la nue l'extermination des enfans
d'Enée, de la race de Vénus. Pour appuyer son dis-
cours, il lance le .premier, comme par inspiration des
dieux et conscience de l'avenir, sa javeline à l'ennemi.
Elle vole et elle allait se perdre au loin sans portée dans
l'espace ouvert entre les armées, si Catus, accourant à
toute bride dans le désir de remporter les premiers hon-
neurs du combat, ne se fût précipité, tête baissée, au
devant du coup. C'est ainsi que ce trait, qui déjà tom-
bait sans force et sans atteinte, trouve sa blessure à
faire, reçoit le but qui se présente, le perce, et s'arrête
au milieu du front ennemi qu'il rencontre. Les armées
s'élancent à grand bruit dans la plaine ; tous ramènent
en arrière les rênes de leurs coursiers qui se dressent ,
s'emportent d'eux-mêmes, s'enlèvent, volent, et dans
leur rapide essor laissent à peine une trace légère sur
222 PUNICORUM LIB. IV. (v. 146.)
It souipes , rapidaqiie volans per aperla procella
Tenuia yix summo vesftgia puivere signât.
Boiopum ante alias , Cryxo duce, mobilis ala
Arietat in primos, obicitque inmania membra.
Ipse, lumens atavis, Brenni se stirpe kvAat
Cryxus, et in titulos Capitolla capta trahebat;
Tarpeioque jugOy démens! et vertice sacro
Pensantes aurum Celtas umbone gerebat.
Colia viri fulvo radiabant lactea torque ,
Auro virgatae vestes, manicaeque rigebant
Ex auro , et simili vibrabat crista métallo.
Stebititur inpulsu vasto percudsa Camertum
Prima phalanx ; spissasque ruunt conferta per arma
Undae Boiorum : sociata examina densent
Infandi Senones; conlisaque quadrupedantum
Pectoribus |oto volvuntur corpora campo.
Arva natant^ altusqUe viruin cruor, al tus equoriun
Lubrica belligerœ sorbet vestigia turmae.
Seminecum letum peragit gravis ungula pulsu,
Et circumvolitans tetros a sanguine rores
Spargit humo, miserisque sjuo lavit arma cruore.
Spicula prima, puer, tumidi, Tyrrbene, Pelori
Purpureo moriens victricia sanguine tingis.
Nam tibi, dum stimulas cornu, atque in prœlia mentes
Adcendis, renovasque'viros ad vulnera cantu,
Haesit barbaricum sub anhelo gutture telum.
LES PUNIQUES, LIV. IV. aaS
la poussière qu'ils effleurent. Avant tous , la troupe agile
deà Boîensy commandée par Cryxus, heurte de ses vastes
et robustes membres les premiers rangs ennemis. Fier
de ses ancêtres, Cryxus faisait remonter son origine à
Brennus, et rappelait dans ses titres la prisé du Gapi*
tôle. L'insensé ! il portait gravés sur son bouclier le roc
Tarpéien et les Celtes pesant Tor sur la sacrée colline. A
son cou blanc comme le lait reluit un collier d or : Tor
brille à ses vêtemens rayés, à ses manches raides d'or;
et des reflets de l'or son aigrette étincelle.
La première phalange, les Gamertes, tombent renver-
sés sous l'énorme choc de ces Boiens dont les torrens
épais roulent dans la mêlée , grossis bientôt des hordes
sauvages des Séuons, leurs alliés. Les poitrails se brisent
contre les poitrails, les coursiers s'abattent dans la plaine.
La terre e^t submergée : a larges flots déborde et le sang
des guerriers et le sang des chevaux; les pieds des com-*
battans glissent noyés dans cette fange. Les blessés péris-
sent achevés sous la corne meurtrière des coursiers, qui
bondissent, font pleuvoir à l'entour une sanglante rosée,
et teignent de sang l'armure des malheureux qui l'ont
versé. Jeune Tyrrhénus , tu meurs sous les premiers coups
de l'orgueilleux Pélorus , et tu rougis de ton sang em-
pourpré ses armes victorieuses. Les éclats de ta trompette
aiguillonnaient les cœurs ; tu réveillais par tes accens
leur vigueur guerrière, tu les enflammais d'une ardeur
nouvelle, quand le trait du barbare s'enfonça dans ta
gorge haletante : la blessure mortelle étouffa tes rauques
aaA PUNICORUM LIB. IV. ' (v. 17»)
Et clausit raucum letaii vulnere murmur.
At sonus, extremo morientis fusus ab pre,
Flexa pererravit mutis jam (^ornua labris.
Cryxus Piceotem Laurumque ^ nec emiaus ambo ;
Sed gladio Laurum; Picenti rasilis hasta,
Ripis lecta Padi, letum tuiit : avia namque
Dum petit; ac laevo medltatur fallere gjro,
Hasta viri femur et pariter per anhela volantis
Ilia sedit equi , et geminam dédit horrida mortem.
Idem 9 sanguinea Yenuli cervice revellens^
Sternit praecipitem tepido te, Farfare, telo;
Et te sub gelido nutritum, Tulle, Velioo,
Ëgregium Ausoniae decus , ac memorabile nomen ,
Si dent fata moras , aut servent fœdera Pœni.
Tum Remulum, atque olim celeberrima nomina bello
Tiburtes Magios, Hispellatemque Metaurum,
Et Clanium, dubia meditatus cuspide vulnus.
Ni:g Iocus est Tyriis belli pugnaeve, sed omnem
Celticus inplevit campum furor : inrita nulli
Spicula torquentur, statque omne in corpore ferrum.
Hic inter trepidos inmane Quirinius audens,
Cui fugere ignotum, atque invicta mente placebat
Rébus in adversis exceptum pectore letum,
Cuspide flammat equum , ac dispergit gaesa lacerto ;
Si reserare viam, atque ad regem rumpere ferro
Detur iter; certusque necis petit omnibus ausis,
J
LES PUNIQUES, LIV. IV. aaS
accords y mais le dernier son qui s'échappa de ta bouche
mourante parcourait encore les cavités de la trompe re-
courbée , que déjà ta lèvre était muette. Cryxus tue Pi-
cens et Laurus , de près l'un et l'autre : Laurus du
glaive; à Picens, une lance polie, choisie sur les rives
du Po, apporte le trépas. Il gagnait le large, et cher-
chait à tromper l'ennemi par un détour vers la gau-
che, quand la lance traversa tout ensemble et la cuisse
du guerrier et le ventre pantelant du coursier fugitif,
et l'arme fatale donna deux fois la mort. Bientôt il ar-
rache du front sanglant de Vénulus un trait qui, tiède
encore, te renverse à ses pieds, Farfarus; et toi aussi,
enfant des bords glacés du Yélino , TuUus , nom mémo-
rable et noble gloire de l'Ausonie, si les destins pouvaient
attendre , ou les Carthaginois respecter les traités. Alors
et Rémulus , et ces noms jadis célèbres dans les ba-
tailles, les Magius de Tibur, Métaurus d'Hispellum et
Clanius, tombent sous les coups de cette arme qui frappe
au hasard entre tant d'ennemis.
LesTyriens n'ont pu encore ni charger ni combattre;
le Celte en sa furie occupe tout le champ de bataille :
pas un trait lancé ne s'égare, pas un fer qui ne trouve
un corps où se prendre. Alors, dans la mêlée, un Ro-
main d'une audace immense , Quirinius , qui ne sait
point fuir, et dont l'âme invincible, au sein des alarmes,
aime la mort reçue en face, pique et enflamme son
coursier, du bras écarte les gèses, et cherche à s'ou-
vrir une route , à se frayer du fer un passage jusqu'au
roi. Sûr de mourir, il brave tout pour courir à la gloire
dont il ne pourra jouir : il renverse, percé au ventre,
I. i5
ii%6 PUNÏCORUM LIB. IV. (j 198 )
Quod nequéat sentire , decus : cadit inguine fosso
Teutalus , et vasto quatitur sub pondère tellus.
Obcumbit Sarmens, flavam qui ponere victor
Caesarîem crinemque tibi, Gradive, vovebat
Auro certantem , et rutilum sub vertice nodum.
Sed Parcae intonsa non exaudita voventera
Ad mânes traxere coma : per candida membra
It fumans cruor, et tellus perfusa rubescit.
At, non tardatus jaculo obcuri^nte, Ligaunus
Inruit, adversumque viro rotat obvius ensem ,
Et ferit insurgens, liumero qua brachia lenti
^dnectunt nervi, decisaque vulnere laeva
' Laxatis paulum moribunda pependit habenis ;
Dumque micans tremulo conatu lora retentat,
Fiectentem adsuetos imitatur nescia frenos.
Demetit aversi Vosegus tum colla, jubaque
Suspensam portans galeam, atque inclusa peremti
Ora viri, patrio Divos clamore salutat.
DuMQDE ea Gallorum populi dant funera campo,
Adcitas propere castris in prœlia consul
Raptabat turmas, primusque ruebat in hostem,
Çandenti .sublimis equo : trahit undique léctum
Dhritis Ausoni» juvenem, Màrsosque, Coraraque,
Laurentumque decus, jaculatoremque Sabellum,
Et Gradivicolam celso de colle Tudertem ,
Indutosque simul gentilia liaa Faliscos; ^
LES PUNIQUES, LIV. IV. ^217
Teutalus dont le vaste poids ébranle la terre. 11 ter^
rasse Sarmens , qui faisait vœu , s'il était vainqueur, de
te consacrer, Gradivus, sa blonde chevelure et ses tresses
dorées que rattache un nœud d or au sommet de sa tête.
Son vœu ne fut point exaucé, et les Parques l'entraî-
nèrent chez les mânes avec ses longs cheveux : sur sa
jDlanche peau fume le sang qui ruisselle , et rougit la
terre inondée. Le Romain lance un javelot à Ligaunus,
qui l'évite et fond droit sur lui, de face, l'épée en avant,
se dresse et le frappe à Fendroit où de flexibles nerfs
retiennent le bras à l'épaule : déchiré par le fer, le bras
gauche se détache peu à peu des rênes où pend une
main mourante, qui tressaille, s'efforce en tremblant de
retenir les brides, et, guide impuissant, imité encore
ses mouvemens accoutumés. Voségus accourt derrière
le Romain blessé, lui ti^anche le cou, suspend à la cri-
nière de son cheval le casque du héros mort et la tête
qu'il renferme , et les emporte en saluant les dieux du
cri de sa patrie.
Pendant que les peuples gaulois sèment ainsi le car-
nage, le consul fait sortir à la hâte ses escadrons du
camp, les appelle au combat, s'élance à leur tête porté
sur un coursier blanc : il entraîne en foule sur ses pas
la jeunesse choisie de la riche Ausonie , et les Marses ,
et l'élite de Cora et de Laurente , et le gabelle adroit
au javelot, et le Tuderte idolâtre de Mars sur sa haute
colline , et le Falisque vêtu du lin de son pays , et les
Catilles des rives de l'Anio, enfans des fertiles vergers
que ce fleuve tranquille arrose sous les remparts d'Her-
i5.
aa8 PUNICORUM LIB. IV. (v. ^24.)
Quosque sub Herculeis taciturno flumine mûris
Poihifera arva créant Ânienicolae CatillI;
Quosque, in praegelidis duratos Hernica rivis
Mittebant saxa, et nebulosi rura Casini.
Ibant in Martem terrae dominantis alumni,
Damnatt Superis, nec jam reditura juventus.
Scipio, qua médius pugnae vorat agmina, vertex^
Infert cornipedem , atque instinctus strage suorum
Inferîas caesis mactat Labarumque Padumque^
Et Caunum , et multo vix fusum vulnere Breucuai ,
Gprgoneoque Larum torquentem lumina vultu.
Occidis et tristi^ pugnax Lepontice, fato;
Nam dum frena ferox objecto corpore prensat,
Atque aequat celsus residentis consulis ora
Ipse pedes, frontem in mediam gravis incidit ensis,
Et divisum humeris jacuit caput : at Batus, amens
Qui luctatur equo, parmaque incursibus obstat,
Ictu quadrupedis fulva porrectus arena
Elisa incussis amisit ealcibus ora.
Perfurit Ausonius turbata per œquora ductor,
Ceu Geticus Boreas , totum quum sustulit imo
Icarium fundo victor mare; navîta vaste*
Jactatur sparsus lacerata classe profundo,
Cunctaque canenti perfunditur aequore Cyclas.
Cbtxus , ut in tenui spes y exiguumque salutis ,
.Armât contemtu mentem necis : horrida barba
LES PUNIQUES , LIV. IV. 2^9
cule; et les soldats, endurcis dans les froides sources des
roches herniques , et ceux des nébuleuses vallées de Ca-
sinuni. Ils marchaient au combat , ces nourrissons de
la grande patrie , mais condamnés par les dieux , et
perdus sans retour. Scipion pousse son coursier au
sein de cette mêlée dévorante où s'engouffrent lés ba*-
taillons; irrité du carnage de ses guerriers , il immole
à leurs mânes et Labarus, et Padus, et Caunus, et Breu-
cus que plusieurs coups achèvent à peine, et Larus
à Tœil louche, à la face de Gorgone. Tu meurs aussi,
tristement massacré, belliqueux Léponticus : pendant
que, superbe, il oppose son grand corps à la marche di|
consul, qu'il saisit les rênes, et, piéton, se dresse à la
hauteur du cavalier, le glaive pesant lui tombe au milieu
du front, et sa tête fendue se partage sur ses épaules.
Batus, insensé! lutte à cheval, et du bouclier repoussç
les assauts du consul : un choc du coursier ennemi le
renverse sur la fauve arène, où, fracassé sous les pieds
qui l'écrasent, il expire défiguré. Le chef ausonien pro-
mène au loin sa fureur dans la plaine agitée, pareil à
Borée le Gétique, alqrs que vaipqueur il soulève du fond
des abîmes la mer Içarienne : les matelots flottent épars
sur les vastes ondes avec les débris de leur navire, et
toutes les Cyclades sont englouties sous les vagues blan-
chissantes.
Cryxus^ conservant peu d^espoir, peu de chances de
salut, arme son âme du mépris de la mort. Sa barbe
î^3<^ PUNICORUM UB. IV. (v. aSo.)
Sanguinea rutilât spuma, rictusque furentis
Âlbet y et adfiiso squalent a pulvere crines.
Invadit Tarium^ vicino cousule puguas
Misci^ntem, saevisque virum circuintonat armis.
Volvitur îlie solo : nam pronum effunait in armos
Fata extrema ferens abies, rapilurque pavore
Tractus equi, vinctis conoexa ad cingula membris*
Longa cruor sparso linquit vestigia c^mpo,
£t tremulos cuspis ductus in pulvere signât.
Laudabat leti juvenem y egregiosque parabat
Ulcisci consul mânes, quum dira per auras
Yox venit, et Cryxum ferri clamoribus audit ,
Haud notum vultu : surgit violentior ira
Comminus , atque oculos optato in corpore Ggit.
Tum, stimulans grato plausae cervicis honore,
Cornipedem adloquitur : « Vulgum Martemque minorem
Mox, Gargane : vocant Su péri ad majora : videsne
Quantus eat Cryxus? jam nunc tibi praeihia pono
Illum, Sidonio fulgentem ardore, tapeta,
Barbaricum decus ; et fulvis donabere frenis. »
Sic fatus, magno Cryxum clamore ciebat
Jn pugnam , ac yacuo poscebat prœlia campo.
Nec detrectantem par ira adcenderat hostem.
Ut jussae cessere rétro, spatiumque dederunt
Hinc atque hinc alœ, et medio stetit aequore pugna :
Quantus Phlegraeis telluris alumnus in arvis
LES PUNIQUES, LIV. IV. aÎF
hideuse est rougie d'une sanglante écume , sa bouche
béante et pâle de rage, ses cheveux souillés d'une épaisse
poussière. Il attaque Tarius, qui combattait auprès du
consul; il fait tonner autour de lui sa redoutable ar-
mure. Tarius roule à lerre : abattu sous le trait fatal qui
lui porte la mort, il tombe sur le côté; son corps s'em-
barrasse dans les courroies qui le retiennent; emporté
par son cheval qui s'eflFraie , il laisse après lui sur l'arène
une longue traînée de sang , et le fer de sa lance trace
sur la poussière un sillon tortueux, l^e consul glorifiait
le trépas du héros et se préparait à venger ses mânes
généreux, quand un nom redouté frappe l'air; il entend
mille voix annoncer Cryxus dont il ignore les traits.
£n le i^yant si proche, un courroux plus violent surgit
en son âme; il attache son regard sur cet ennemi dé-
siré. Alors , caressant de la main la tête de son coursier
que cet honneur flatte et encourage, il lui dit : « Trêve
de victimes vulgaires et sans nom, Garganus; les dieux
nous appellent à de plus nobles luttes : v6is-tu comme ce
Cryxus s'avance fièrement ? Va , et pour récompense je
te promets ici cette housse resplendissante des feux de
la pourpre sidonienne, la parure du barbare; tu rece-
vras de plus un frein d'or. » Il dit, et à grands cris pro-
voque Cryxus au combat, et lui demande bataille en
champ libre. L'ennemi ne refuse point le défi : pareille
fureur l'anime. A leurs ordres, Tune et l'autre armée
recule, se retire, et leur ouvre l'espace : la lutte s'engage
au milieu. Tel apparut Mimas, cet enfant de la terre,
alors qu'il leva l'élendard dans les champs de Phlégra,
et qu'il épouvanta le ciel de ses assauts; tel apparaît
Cryxus arrachent de sa poitrine de sauvages murmures,
exhalant ses colères avec d'effroyables hurlemens. « Il
232 PUNICORUM LIB. IV. (v. 176.)
Movtt signa Mimas, et cœlum exterruit armis;
Tantus scmifero Cryxus sub pectore murmur
Torquety et borrisonis ululatibus erigit iras.
«Nemone incensae captaeque superfuit urbi,
Ut tibi , quas Brenni populus ferremus in arma y
Narraret , dextras ? disce en nunc ! » inquit ; et uiia
Contorquet nodis et obusto robore diram
Vel portas quassare trabem : sonat illa tremendum^
Ac nimio jactu servasse inprovida campi
Distantis spatium , propiorem transvolat hostem.
Cui consul : « Ferre hœc umbris proavoque mémento,
Quam procul occumbas Tarpeia sede , tibîque
Haud licitum sacri Capitolia cernere montis. »
Tum nodo cursuque levi simul adjuvat hastam y
Dignum mole viri nisus : fugit illa per oras
Multiplicis Uni, subtextaque tegmina nervis,
Atque alium tota metitur cuspide pectus.
Procumbit lata porrectus in arva ruina ,
Et percussa gémit tellus ingentibus armis.
Haud aliter, structo Tyrrhena ad litora saxo,
Pugnatura fretis subter caecisque procellis ,
Pila, inmane sonans, inpingitur ardua ponto.
Inmugit Nereus , divisaque caerula pulsu
Tnlisum adcipiuut irata sub aequora monlem.
Ductore amisso pedibus se credcre Celtœ :
XJna spes anima , tantusque pependcrat ardor.
LES PUNIQUES, LIV. IV. a33
n'est donc pas resté une âme dans ta ville conquise et
brûlée, disait-il, pour t'annoncer de quels bras, nous
autres fils de Brennus , nous manions les armes ? Âp-
prends-le ici de moi! » et en même temps il lance une
énorme javeline, noueuse , durcie au feu , et de force à
renverser les portes, des cités. Terrible, elle siffle; mais,
aveuglément chassée avec trop d'élan pour observer la
distance du terrain , elle dépasse l'ennemi plus rappro-
ché d'elle. Le consul alors : « N'oublie pas de dire chez
les ombres à ton aïeul combien tu étais loin en mou-
rant des demeures tarpéiennes, et qu'on ne t'a pas laissé
voir le mont sacré du Capitole. » Puis , mesurant son
effort à la masse du Gaulois, il fait un pas et lance son
javelot dont la courroie aide l'essor : le trait vole ,
perce les bords de la cuirasse aux triples mailles de lin,
l'épais tissu de cuir du bouclier, et le fer tout entier
s'enfonce dans la vaste poitrine de l'ennemi. Il tombe, et
couvre au loin le sol dé sa large ruine; la terre tremble
et gémit sous le poids de sa grande armure. Ainsi , du
ha.ut d'un môle jeté sur la rive tyrrhénienne pour com-
battre sous les eaux les ravages secrets de la houle et
des tempêtes, un énorme roc s'écroule avec un fracas
horrible et s'engloutit sous les flots : Nérée mugit, l'onde
se divise sous cette masse qui la refoule, et les vagues
irritées font place au quartier de montagne. Les Celtes
ont perdu leur chef, ils n'ont plus foi qu'en leurs jambes :
de lui seul, de sa vie, dépendait leur espoir et toute
leur bravoure. Ainsi quand le chasseur bat les forêts
buissonneuses des sommets du Picanus, et propage un
fléau dévorant au sein des halliers et de leurs retraites
impénétrables, pendant que le feu couve et recueille ses
forces et sa flamme, un noir tourbillon de résine peu à
a34 PUNICORUM LIB. IV. (v. 3oa.)
Ac veluti summo venator densa Picano
Quum lustra exagitat, spissisque cubilibus atram
Inmittît passim dumosa pertnvia pestem;
Dum tacitas vires et flammam conligii ignis ,
Nigranti piceus. sensim caligine vertex
Volvitur, et pingui contorquet nubila fumo;
Mox subita in tanto lucent incendia monte.
Fit sonitus ; fugere ferœ , fugere volucres ,
Atque ima longe trépidant in valle juveucae.
At. Mago, ut vertisse globos, primumque laborem.
Qui sol us genti est, cassum videt, arma suorum
Ac pàtrium in pugnas equitem vocat : undique nudi
Adsiliunt frenis , infrenatique manipli.
I^unc Itali in tergum versis referuntur habeuis ;
Nunc rursus Tyrias rétro pavor avehit alas j
Aut illi dextros lunatis flexibus orbes ^
Aut iili laevos sinuant in cornua gyros :
Texunt alterno glomerata volumina cursu,
Atque eadem refuga cedentes arte resolvuut.
Hac pontum vice, ubi exercét discordia ventos, ,
Fert Boreas, Eurusque refert, molemque prôfundi
Nunc hue alterno, nunc iliuc, flamine gestant.
Advolat aurato praefulgens murice ductor
Sidonius, circaque Metus, Terrorque, Furorque.
Isque ubi Callaici radian tem tegminis orbem
Ëxtuiit, et magno percussit lumine campos,
LES PUNIQUES , LIV. IV. a35
peu se déroule et pousse aux nues son épaisse fumée :
puis soudain la montague partout s'éclaire , rincendie
éclate et pétille : les monstres sauvages , les oiseaux,
tout a fui ; et les génisses au loin tremblent en bas dans
la vallée.
Magon j voyant leurs bandes en déroute et le peu de
succès de leur première charge, seul effort qu'ils puissent
faire, appelle aux armes ses escadrons et les cavaliers
de sa patrie. Partout bondissent et s'élancent les cour-
siers sans frein et les coursiers chargés du frein. Tantôt
les Italiens tournent bride et s'enfuient avec vitesse;
tantôt les soldats tyriens reculent, entraînés aussi par
la peur. Les uns tracent vers la droite de sinueux dé-
tours, les autres décrivent vers la gauche de flexibles
circuits : ils s'enlacent, se croisent; tantôt roulent en
pelotons serrés , tantôt , par d'habiles contremarches ,
reviennent et se déroulent. Ainsi sur l'océan, quand les
vents se livrent la guerre, Borée foule les vagues que
refoule l'Ëurus, et tour-à-tour leur souffle emporte ici
et là les flots amoncelés.
Resplendissant d'or et de pourpre, le chef sidoniea
s'avance , et avec lui la Crainte , la Terreur et la Rage.
A peine il a secoué l'orbe éclatant de son bouclier de
Callécie, et frappé la plaine de ses reflets éblouissàns,
l'espoir et le courage succombent, les cœurs épouvantés
a36 PUNICORIÎM LIB. IV. (▼. Sag.)
Spes virtusque cadunt, trepidaque a mente recedit
Vertere terga pudor : nec leti cura decori ,
Sed fiigere infixum est, terraeqiie optanlur hiatus.
Sic y ubi Caucasiis tigris se protulit antris,
Linquuntur campi, et tutas petit omne latebras
Turbatum insano vultu pecus : illa pererrat
Désertas victrix valles , jainque ora reducto
Paulatim nudat rictu , ut praesentia mandens
Corpora , et inmani stragein meditatur hiatu.
Non illum Metabus, non illum celsior Ufens
Evaserè tamen, quamvis hic alite planta,
Hic ope cornipedis totis ferretur habenis.
Nam Metabuni ad mânes demisit cuspide fulgens
Fraxinus ; Ufentem conlapsum poplite cœso
Ensis obity laùdemque pedum cum sanguine ademit.
Jamque dédit leto Sthenium, Laurumque, domoque
Collinum gelida, viridi quem Fucinus antro
Nutrierat, dederatque lacum tramittere nando^
Fit socius leti conjecta Massicus hasta,
Vitiferi sacro generatus vertice montis ,
Et Liris nutritus aquis; qui fonte quieto
Dissimulât cursum, ac, nulio mutabilis imbri,
Perstringit tacitas gemmanti gurgite ripas.
Exoritur rabies caedum, ac vix tela furori
Subficiunt; teritur junctis umbonibus umbo,
Pesque pedem premit, et nutantes casside crista;
Hostilem tremulo puisant conamine frontem.
LES PUNIQUES, LÏV. IV. ^^7
n'ont plus honte de fuir ou souei de mourir avec gloire ;
ils ne songent qu'à la retraite , ils voudraient que la
terre ouvrît ses abîmes. Ainsi y quand le tigre s'élance des
antres du Caucase , tremblans devant son regard forcené,
les troupeaux abandonnent les campagnes et gagnent
un gîte assuré : le monstre parcourt en vainqueur les
vallées désertes; ses lèvres se retirent et découvrent peu
à peu sa mâchoire , il semble en présence de la victime
qu'il va dévorer , et sa large gueule béante se prépare
au carnage. Ni Métabus, ni même Ufens à la haute
stature, n'ont pu éviter Annibal , quoique l'un s'échappât
d'un pied ailé, l'autre à l'aide et de toute la vitesse de
son coursier. Le frêne au fer luisant envoya Métabus
chez les mânes; Ufens tomba, le jarret tranché par le
glaive, et perdit avec la vie l'agilité qui faisait sa gloire.
II frappe de mort et Sthénius, et Laurus, et CoUinus
que le Fucin nourrit sur ses froides rives, au fond de ses
anti^es verts , et qu'il instruisit à traverser son lac à la
nage. Un coup de lance unit à leur sort Massicus , né
au sommet sacré du mont fertile en vignes, et nourri
des eaux du Liris, fleuve paisible, qui dissimule son
cours, et qui , jamais altéré par l'orage , roule mollement
sur ses rives muettes les perles de son onde. Alors éclate
la fureur des batailles ; les traits ne suffisent plus à la rage
des combattans; le bouclier heurte le bouclier, le pied
presse le pied , et l'aigrette qui flotte au haut du casque
bat de son mouvant panache le front de* l'ennemi.
tà3« PUNICORUM LIB. IV. (t. 355.)
TBRcîEMien primam ante aciem fera prœlia fratres
Miscebant , quos Ledaeo Sidonia Barce
Xanthippo felix uteri iuter bella crearat.
Res Graiaa, ductorque parens, ac nobile Amyclae
Nomen, et iajectus Spartank colla catenis
Regulus, inflabant veteri praecordia fama.
Marte probare genus, factisque Lacôna parentem
9
Ardebant; geiidosque dehinc invisere montes
Taygeta, et tandem bellis innare subactis
Eurotan patrium, ritusque videre Lycurgi.
Sed Spartam penetrare Deus, (ratresque negarunt
Ausonii , totidem numéro ; quos miserat altis
Egeriae genitos inmitis Aricia lucis,
£tatis mentisque pares : at non dabat ultra
Clotho dura lacus aramque videre Dianae.
Namque ut in adversos ^ inpacti turbine pugnae ,
Eumachus et Critias , et laetus nomine patris
XanthippuSy junxere gradus; ceu bellà leones .
Inter se furibunda movent, et murmure anhelo
Squalentes campos et longa mapaiia complent :
Omnis in occultas rupes atque avia pernix
Maurus saxa fugit, conjuxque Libyssa profuso,
Vagitum cohibens , suspendit ab ubere natos ;
Illi dira fremunt; perfractaque in ore cruento
Ossa sonant, pugnantque feris sub dentibus artus.
Haud secus Egeriae pubes, hinc Virbius acer,
LES PUNIQUES, UV. IV. ft^9
Au premier rang, trois frères soutenaient une lutte
acharnée. Barcé la Sidonienne, épouse féconde de
Xanthippe le Lédéen , les avait enfantés pendant la
guerre. Les succès de l'armée grecque commandée par
leur père, l'illustre nom d'Amyclée, les chaînes jetées
par des Spartiates au cou dé Régulus, toutes ces vieilles %
gloires enflaient leur orgueil. Ils brûlaient de prouver i
leur naissance par leur bravoure, et de rappeler par
leurs exploits le Spartiate leur père; puis après Hs vou-
laient visiter les cimes glacées duTaygète, et, la guerre
(*nf]n achevée , se plonger au sein de TEurotas , leur
compatriote, et connaître les lois de Lycurgue. Mais
Dieu ne leur permit pas d'entrer dans Sparte , Dieu
et trois soldats ausoniens, frères aussi, et sortis des
m urs de l'impitoyable Aricie et des hautes forêts d'Egérie ,
ayant même âge et même ardeur. La dure Clotho ne
leur laissa non plus revoir le lac et l'autel de Diane.
Car, entraînés contre eux dans le tourbillon de la
bataille, Eumachus, et Critias, et Xanthippe glorieux
du nom de son père, les joignent et les attaquent. Ainsi
les lions se livrent dé'furieux assauts, et de leurs rugis-
semens entrecoupés remplissent les stériles campagnes
et les huttes lointaines : le Maure cherche un prompt
refuge dans les antres cachés, dans les roches inacces-
sibles; la Libyenne, sa compagne, étouffe les cris de
ses enfans qu'elle abreuve suspendus à sa mamelle. Les
lions frémissent de rage; les os craquent et se brisent
dans leur gueule saignante, et les membres luttent en-
core sous la dent qui les déchire. La jeunesse d'Egérie,
l'intrépide Virbius, et Gapys, et Albanus, tous trois
armés dé même, se jettent sur lennemi avec une égale
vigueur. Critias se baisse un peu , et renverse Albanus
a4o PUNICORUM LIB. IV. (v. 38 . .)
Hinc Capys, adsilium, paribusque Albanus in armis.
Subsidens paulum perfossa proruit alvo
Albanum Critias (ast illi cuncta repente
Inplerunt clipeum miserando viscera lapsu);
Eumachus inde Capyn : sed tota mole tenebat
Geu fîxum membris tegimen; tamen inprobus ensis
Adnex^m parmœ decidit vulnere laevam ,
Inque suo pressa est non reddens tegmina nisu
Infelix manus, atque haesit labentibus armis.
Ultima restabat fusis jam palma duobus
Virbius : huic trepidos simulant! ducere gressus
Xanthippus gladio, rigida cadit Eumachus hasta.
Et tandem œquatae geminato funere pugnae.
Inde alterna viris transegit pectora mucro,
Inque vicem erepta posuerunt prœlia vita.
Felices leti, pietas quos addidit umbris!
Optabunt similes venientia secula fratres,
^temumque decus memori celebrabitur aevo ;
Si modo ferre diem , serosque videre nepotes
Carmina hostra valent, nec famam invidit ApoUo.
At consul toto palantes aequore turmas
Voce tenet , dum voce viget : « Quo signa refertis ?
Quis vos y heu! vobis pavor abstulit? horrida primi
Si soi^ visa loci ^ pugnaeque lacessere frontem ;
Post me State ^ viri , et puisa formidine tantum
Adspicite! Has dexlras capti genuere parentes ,
LES PUNIQUES, LIV. IV. aV,i
en lui perçant le ventre ; l'infortuné tombe sur son bou-
clier, qu'il remplit de ses eotrailles déchirées. Eumacbus
pousse à Capys y qui de toute sa force tenait son bouclier
comme attaché à son corps ; mais l'irrésistible épée abat
d'un même coup et l'arme et le bras gauche où elle est
enlacée : et cette main malheureuse y que son propre
effort retient au bouclier qu'elle ne veut point rendre ,
tombe sans lâcher prise encore. Ces deux frères immolés ,
restait une dernière palme ^ Yirbius : il recule de quelques
pas, et, dans cette r«^aite simulée, il atteint Xanthippe
du glaive, Eumacbus de la lance ferrée; ce double trépas
rend enfin les chances égales. Alors les deux héros
s'enfoncent tour-à-tour le fer dans la poitrine, s'arrachent
la vie l'un à l'autre, et terminent ainsi le combat. Heu-
reux en mourant , c'est leur mutuel amour qui les con-
duit chez les ombres. Les siècles à venir souhaiteront
des frères qui leur ressemblent, et leur dévoûment
sera éternellement célèbre dans la mémoire des âges, si
pourtant nos vers peuvent vivre un jour et voir nos
derniers neveux , et si Apollon n'envie point notre
gloire.
Le consul retient de la voix , autant que sa voix a
de force, ses escadrons dispersés dans la plaine. «Où
portez- vous vos enseignes ? Quelle terreur, soldats , voua
arrache à vous - mêmes ? Si le péril au premier rang
vous effraie, si vous n'osez combattre en tête, tenez-
vous derrière moi, n'ayez pas peur et regardez faire.
Ces hommes, nom avons asservi leurs pères; et vous
I. ï6
a42 PUNICORLÎM LIB. IV. (v. 407 )
Quas fugitis! Quae spes viclis? Alpesne petemus?
Ipsam turrigero portanteni vèrtice muros
Crédite subinissas Romain iiunc tendere palmas.
NatQrum passim raplus , caedenique parentum ,
Vestalesque focos exstingui sanguine cerno.
Hoc arcete nefas! » Postquam inler talia crehro
Clamore obtusae crassoque a pulvere fauces,
Hinc Iseva frenos, hinc dextra conripit arma,
Et latum objectât pectus, strictumque minatur
Nunc sibiy nunc trepidis, ni restent, comminus ensem.
Qdas acies alto genitor dum spectat Olynipo,
Consuiis egregii movere pericula nientem.
Gradivum vocat, et patrio sic ore profatur :
« Magnanimî me, nate, viri , ni bella capessis,
Haud dubic extremus terret Jabor : eripe pugnae
Ardentem, oblitumque sui dulcedine caedum.
Sisle ducem Libyae : nam plus petit inprobus uno
Consuiis exitio, tota quam strage cadentum.
Praeterea (cernis) tenerae (jui prœlia dextrae
Jam crédit puer, atque annos Iranscendere factîs
Molitur, longumque putat pubescere bello;
Te duce primitias pugnae, te magna magistro '
Audeat, et primum hoc vincat, servasse parentem. »
HiEC rerum sator : at Mâvors in prœlia currus
Odrysia tellure vocat : tum fulminis atri
Spargenlem flammas clipeum, galeamque Deorum
LES PUNIQUES, LIV. IV. a43
les fuyez! Quel espoir, une fois vaincus? gagnerons-
nous les Alpes? Rome, le front couronné de tours et de
murailles , Rome , croyez-moi , vous tend ici des mains
suppliantes. Je vois déjà les enfans ravis, les parëns
égorgés, le feu des Vestales éteint dans le sang! Em-
pêchez ce désastre. » Et quand sa gorge, chargée d'une
épaisse poussière, s'est enrouée à répéter ces instances^
lu d'une main il saisit les rênes, ici d'une autre les
armes des guerriers, oppose à tous sa vaste poitrine,
et, Tépéc nue, menace les fuyards de les immoler ou de
s'immoler lui-même, s'ils ne demeurent.
Du haut de l'Olympe, Jupiter contemplait les armées :
les dangers du noble consul touchent son âme. Il appelle
Mars , et de sa bouche paternelle lui adresse ces paroles :
€( Ce héros magnanime, ô mon fils, tente là un effort qui
m'alarme et qui sera le dernier sans doute, si tu ne
prends part à l'action : arrache.au combat ce génie ar-
dent qui s'oublie dans la douce ivresse' du carnage. Re-
tiens le chef des Libyens : le forcené se promet plus du
seul trépas du consul que de l'extermination de l'armée
entière. Tu vois en outre cet enfant, dont le bras en-
core tendre s'essaie à la guerre, dont la valeur aspire à
devancer les années, pensant que c'est long-temps tarder
que d'attendre la puberté pour combattre; à toi de gui-
der ce soldat qui commence, de l'instruire à tes leçons;
qu'il ose, par toi, de grandes choses, et que son premier
triomphe soit le salut de son père. »
Ainsi parla l'auteur de l'univers. Mars fait venir des
terres Odrysiennes son char de guerre; il saisit son
bouclier d'où jaillissent les feux lugubres de la foudre,
i6.
a44 PUNICORUM LIB. IV, (v. 433.)
Haud ulUlacilem, multoque labore Cydopum
Sudatum thoraca capit , quassatque per auras
Titanum bello satiatam sanguinis hastam ,
Atque inplet cursu oampcfs : exercîtus una
Iraram, Eumenidesque simul, letique cruenti
lunumerae faciès, frenisque operata regendis
Quadrijugos atro stimulât Bellona flagello.
Fertur ab inmenso tempestas horrida cœlo,
Nigrantesque globos et turbida nubila torquens
Involvit terras : quatitur Saturnia sedes
Ingressu tremefaota Dei , ripasque relinquit ,
Âudito curru, fontique relabitnr amnis.
DucTOREM Ausonium tells Garain^ntica pubes
Ciiixerat , et Tyrio régi uova dona pai*abat ,
Armorum spolium, et rorantia consulis ora.
Stabat Fortunœ qon cedere certus , et acri
Mole retorqiiebat crudescens raedibus hastas.
Jainqu€ 8UO9 jamque hostili perfusà cruore
Miembra madent : cecidere jubae, gyroque per orbem
Artato, Garamas jaculis propioribus instat.
Et librat saeva trajectum cuspide ferrum.
Hic puer ut patrio deôxum corpore telum
Conspexit, inaduere genae, subitoque trementem
Conripuit pallor, gemitumque ad sidéra rupit.
V
Bis conatus erat praecurrere fata pareutis y
Conversa in semet dextra : bis traustulit iras
LES PUNIQUES, LTV. IV. ^45
son casque où nul autre dieu n'aurait le front à Taise ,
sa cuirasse, travail du Cyclope qui sua iong-temps à
Tœuvre; il agite dans l'air sa lance abreuvée du sang des
Titans, et de sa marche emplit les campagnes. Avec lui,
son armée : les Colères, les Euménides, la Mort sous
mille faces sanglantes, et Belloue qui dirige tes rênes
des coursiers que son fouet terrible aiguillonne. De U
voûte immense du ciel fond une horrible, tempête, qui,
chassant devant elle les noirs tourbillons et les nuées
orageuses , enveloppe la terre. L'empire de Saturne
tremble ébranlé sous le dieu qui s^avance; au bruit du
char, le fleuve abandonne ses rives et recule vers sa
source.
Les Garamantes entouraient de leurs piques le chef
ausonien, et préparaient déjà au maître de l'armée
tyrienne l'offrande d'une nouvelle dépouille, l'armure et
la tête saignante du consul, i^ui , ferme en son lieu ,
décidé à ne point céder à la Fortune, et de plus en plus
échauffé par le carnage, repoussait leur assaut avec une
vigueur opiniâtre. Déjà le sang de l'eunenii^ le sien,
coule et baigne ses membres ; son panache est tombé :
les Garamantes se pressent en cercle autour de lui , se
rapprochent, le menacent de leurs javelines, el lui lan-
cent un trait dont le fer l'atteint et le blesse.
L'enfant a vu le trait s'enfoncer dans le corps de son
père : ses joues se mouillent de larmes, il pâlit, il
frissonne, et pousse au ciel un gémissement. Deux fois
il voulut devancer la mort de son père, et tourner son
bras contre lui-même, et deux fois Mars reporta sur les
Carthaginois les efforts de sa rage. 11 vole à travers tes
a46 PUNICORTM LIB, IV. (v. 459.)
la Pœnos Mavors : fertur per tela, per hostes
Intrepidus puer, et Gradivum passibus aequat.
Continue cessere globi, latusque repente
Adparet campo limes : metil agniina tectus
Cœlesti clipeo » et sternit super arma jacentum
Corporaque auctorem teli j multasque paternos
Ante ocuLos animas ^ optata ptacula, mactat.
Tune, rapta propere duris ex ossibus hasta,
Innixum cervice ferens humeroque parentem ^
Emicat : adtonitae tanta ad spectacula turmae
Tela tenent; ceditque loco Libys asper, et ômnis
Late cedit Iber : pietasque insignis et aetas
Belligeris fecit miranda sileatîa campis.
Tum celso e curru Mavors : « Carlhaginis arces
ExscindeSy inquit, Tyriosque ad fœdera coges.
Nulla tamen longo tanta exorietur in aevo
Lux tibi, care puer : niacte, o! niacte indole sacra ^
Vera Jovis proies; et adhuc majora supersunt :
Sed nequeunt meliora dari. » Tum nubila Mavors
iËtheraque, emenso terras jam sole, capessit,,
Et fessas acies castris clausere tenebrae.
CoNPEBAT noctem devexo Cynthia curru ^
Fraternis ad data rôtis, et ab aequore Eoo
Surgebant roseae média inter caerula flammae^.
At consul tristis, campos Pœnisque secundam
Planitiem metuens^ Trebiam collesque petebat*
LES PUNIQUES , LIV. IV. 247
armes et les bataillons, l'intrépide enfant; il suit Mars
à pas égal. Les masses ennemies se refoulent; devant lui
s'ouvre dans la plaine un espace immense : couvert du
bouclier céleste, il moissonne les guerriers, et sur les
armes et les cadavres des mourans il terras^se l'auteur
de la blessure; il égorge aux yeux de son père de nom-
breuses victimes , et le venge à souhait. Puis il arrache
vivement le trait des durs os qui le retiennent , enlève
son père, le charge fièrement sur son épaule, et l'em-
porte : à ce noble spectacle, les troupes interdites sus-
pendent le combat : le farouche Libyen lui fait place,
l'Ibère au loin fait place aussi, et son âge et sa piété
qu'on admire imposent merveilleusement silence à tous
sur ce champ de bataille. Alors, du haut de sou char,
Mars s'écrie : « Tu renverseras les remparts de Car-
tilage; tu forceras les Tyriens à subir la paix. Mais nul
autre jour en ta longue vie ne se lèvera si beau pour toi ,
cher enfant; grandis, ô! grandis encore, génie sacré,
vrai sang àç Jupiter : tu feras plus un jour, mais tu ne
pourras mieux faire ! » Il dit , et à travers les airs remonte
dans la nue. Le soleil avait achevé son cours sur la
terre jL et l'onibrc enferma d?^ns leurs c^mps les armées
fatiguées.
Entraînant la nuit avec elle, Cynthia sur son char
descendait au souffle des coursiers de son frère , et du
sein des mers orientales les flammes roses jaillissaient
parmi les flots d'azur. Triste, et redoutant la plaine si
favorable à l'ennemi, le consul se dirige vers la Trébie
et les collines. .11 avait gagné déjà del^3^ jours de
248 . PUNICORUM J.1B. IV. <v. 485.)
Jamque dtes rapti cursu navoque labore,
£t medio abruptus (luitabat in amne solutis
Pons vinclis, qui Dardanium transvexerat agmen,
Eridani rapidas aderat quum Pœnus ad undas.
Dumque vada et molles aditus, per dévia flexo
Circuitu, petit, et stagui languentia quaerit,
Interdum rapta virjnis saltibus alno
Flumineam texit, qua transvebat agmina, classem.
Ecce aderat, Trebiaeque siinul vicina tenebat
Trinacrio adcitus per caerula longa Peloro ,
Graccborum proies, consul : gens inclita magno
Atqite animosa viro , muliu$<|ue la imagine claris
Prdefulgebat avus titulis bellique domique.
Neg Pœni, positis trans amnem in gramine castris,
Deerant : namque animos stimulabant prospéra rerum,
Increpitansque super ductor : « Quis tertius Urbi
Jam superest consul ? quaenam altéra restât in armis
Sicania? en omnes Latiae, Daunique nepotum
Convenere manus : feriant nunc fœdera mecum
Ductores Italum , ac leges et pacta reposcant.
At tu , donata tela inter Martia luce ,
Infelix animae, sic, sic vivasque, tuoque
Des iterum hanc laudem nato ; nec fine sub aevi
Obpetere in beilo detur, quum fata vocabunt.
Pugnantem cecidisse meum est. » Haec personat ardens :
Inde levi jaculo , Massylumque inpiger alis
Castra sub ipsa datis irritât, et elicit bostem.
-- -/- - —
LES PUNIQUES, LiV. IV. î«49
marche et de travaux actifs; rompu et détaché de la
rive, le poot qui avait livré passage à rarniëe dar-
danienne flottait au milieu du fleuve , quand le Car^
%aginois parut sur les bords de l'Éridan impétueux.
Il cherche des gués, une grève mollement inclinée; il
suit de longs détours pour trouver un courant plus tran*
quille : en attendant, il abat des aunes dans les forét$
voisines , et construit une flotte de radeaux pour trans-
porter ses troupes. Arrivait en même temps et se rap-
prochait aussi de la Trébie , l'autre consul y accouru de
Pélore et de la Trinacrie à travers la plaine azurée. Ce
grand citoyen était du sang des Gracches; illustre et
généreuse famille, où brillaient en foule les splendides
images des ancêtres, toutes parées des titres éclatans
de leur gloire guerrière et domestique.
Les Carthaginois ont passé le fleuve, et, campés sur
la plage, apparaissent animés par l'aiguillon du succès
et les bravades de leur chef. « Quel troisième consul
s'est ménagé la Ville? quelle autre Sicanie lui reste
sous les armes? Voici réunies là toutes les forces du La-
tium et des enfans de Daunus : qu'ils viennent, il en est
temps, Implorer mon alliance, ces maîtres de l'Italie, et
me redemander des lois et des traités. Mais toi, pauvre
âme échappée da carnage, vis, ôl vis h ce prix, et
que ton fils encore te doive cette gloire; vis, et qu'un,
jour, à la fin de ta carrière, tu ne puisses mourir sous
les armes, quand le destin t'appellera. C'est à moi de
tomber en combattant I » Après avoir ainsi fait éclat de
sa violence , sans plus attendre il dirige tout ensemble
un trait léger et le corps de ses Massyles sous le camp
même de l'ennemi , qu'il provoque et attire au combat*
a5o PUNICORUM LIB. IV. (v. 5iîi)
Nec Latins vallo miles debere salutem
Fas putat, aut clausas pulsari cuspide portas.
Erumpunt, cunctisque prior volât aggère apérto
Oegeuer haud Gracchis consul : quatit aura cornantes
Cassidis Auruucas cristas, humeroque refulget .
Sanguinei patrium saguU decus : agmina magnp
Respectans clamore vocat , quaque obvia densos
Artat turba globos , rumpens itei^ aequore fertur.
Ut torrens ceisi praeceps e vertlce Pindi
Cum sonitu ruit in campos, magnoque fragore
Avuisum montis vol vit latus; obvia passim
Armenta^ inmanesque fene, silvaeque trahuntur;
Spumea saxosis clamât convallibus unda.
Non, raibi Maeoniae redeat si gloria linguae,
Centeuasque pater det Phœbus fundere voces ,
Tôt caedes proferre queam, quot dextera magni
Coiisulis, aut contra Tyriae furor edidit irae.
Murranuni ductor Libyœ, ductorque Phalautum
Ausonius, gnaros belli, veteresque laborum.
Aller in alterius fuderuut comminus ore.
Monte procelloso Murranum niiserat Anxur,
Tritortis niveo te sacra, Inhalante, profundo.
Ut primum insigni fulsit velamine consul,
Quanquain orbus partem visus , unoque Cupencus
Lumine subficiens bellis, citât inprobus hastain ^
Et summae figit tremcbundam margine parmae.
I,ES PUNIQUES, LÏV. IV. aSi
Le soldat latin aurait honte de devoir son salut î\ $on<
retranchement , et de laisser fermées ses portes que
heurte la lance. Ils sortent, et avant tous vole hors des
barrières le consul, qui ne dément point les Gracches : le
vent agite l'aigrette chevelue de son casque auronce ,
et sur son épaule brille la saie rpuge comme le sang,
parure de ses pères. Il se retourne, appelle à grands cris
ses cohortes, s'ouvre un passage ii travers les rangs
serrés, les masses épaisses des bataillons ennemis, et se
jette dans la lice. Ainsi, des hauts sommets du Pinde, un
torrent jaillit et se précipite avec fracas dansja plaine,
entraînant à grand bruit les flancs arrachés de la mon-
tagne : tout ce qu'il rencontre, et les troupeaux, et les
bêtes sauvages, et les forêts roulent pêle-mêle : l'onde
écume et mugit sur les roches de la vallée.
Non , si le génie du chantre de Méonie m'était
rendu, si Phébus créateur accordait cent voix à mes
lèvres , je ne pourrais redire tous les coups portés
par le bras puissant du consul , ou par la rage forcenée
du Tyrien. Le chef des Libyens renverse Murranus, le
chef ausonien tué Phalantus , deux soldats éprouvés et
vieillis à l'œuvre : l'un et l'autre les frappe sous les yeux
et à la face de son ennemi. Murranus était venu des
roches d'Anxur battues des tempêtes , et toi , Phalantus ,
des lacs argentés du sacré Tritonis. A peine le consul
s'est fait reconnaître à Téclat de sa parure, Cupençus^
déjà privé d'un œil , mais à qui l'autre suffit pour com-
battre, lui lance avec audace un trait qui se fixe en
tremblant au bord supérieur du bouclier. Le consul,
bouillant de rage : << Perds, audacieux, ce débris qui a
survécu sur ta face sauvage, et qui reluit encore sous
25 1 PUNICORUM LIB. IV. (v. 538.)
Gui coosuly namque ira coqiiit : « Pone, iiiprôbe, quidquid
Restât in ore fero^ et truncata fronte relucet. »
Sic ait, intorquens directo turbine robur,
Et dirum tota trainittit cuspide lumen.
Nec levior dextra générât us Hamilcare saevit :
Huic cadit infelix niveis Yarenus in armis;
Mevanas Varenus, arat cui divitis uber
Campi Fulginia, et patulis Clitumnus in arvis
Candentes gelido perfundit flumine tauros.
Sed tristes Superi, atque ingrata maxima cura
Victima Tarpeio frustra nutrita Tonanti.
Instat Hiber levis ^ et levior discurrere Maurus«
Hinc pila , hinc Libycae certant subte^^ere cornus
Densa nube polum; quantumque interjacet aequi
Ad ripas cauipi, tantum vibrantia coudunt
Tela , nec artatis loçus est in morte cadendi.
ÀLLiuSy Argyripa Daunique profectus ab arvis
Venator, rudibus jaculis et lapyge canipum
Persultabat equo , inediosque invectus in hostes
Appula non vana torquebat spicula dextra.
Huic horret thorax Samuitis peliibus ursse^
Et galea annosi vallatur dentibus apri.
Verum ubi turbantein , solo ceu lustra pererret
In nemore , aut agitet Gargano terga ferarum ,
Hinc Mago, hinc saevus pariter videre Maharbal,
Ut , subigente famé , diversis rupibus ursi
LES PUNIQUES, LIV. IV. aÔ3
tou froiit mutilé. » Il dît, et sur lui dirige avec adresse
une énorme javeline, dont le fer tout entier perce Tœil
ennemi. Le fils d'Âmilcar n'a le bras ni moins terrible
ni moins meurtrier. Il terrasse l'infortuné Varénus à
l'armure de neige; Varénus de Mévauia, pour qui Ful-
ginia labourait ses riches et grasses campagnes, pour qui
le Clitumne baignait de ses ondes glacées les taureaux
blancs épars dans ses vastes prairies. Mais les dieux lui
sont ingrats et contraires , et c'est en vain qu'il a pris
soin de nourrir pour Jupiter Tarpéien de si nobles
victimes. L'Ibère léger, le Maure qui bondit plus léger
encore, chargent à la fois. D'un côté le pilum , de l'autre
le cornouiller de Libye volent, se croisent dans l'air, et
leur épais nuage dérobe le ciel : aussi loin que s'étend
la plaine jusqu'au rivage, les traits vibrent et couvrent
l'espace ; et dans les rangs pressés la place manque aux
mourans qui tombent.
Allius, chasseur venu d'Argyripa et des champs de
Dauous . armé de javelots grossiers , parcourait la plaine
sur son coursier d'Iapygie : emporté dans la mêlée, il
lançait. d'une main sûre ses dards apulieus. Il a pour
cuirasse la peau hérissée d'une ourse samnite, et son
casque est crénelé des dents d'un vieux sanglier. Il jetait
partout le désordre y comme s'il eût battu les repaires
des forêts désertes, bu poursuivi les hôtes sauvages du
Garganus, quand Magon et le cruel Maharbal, tous
deux au même instant, l'aperçurent. Souvent, poussés
par la faim, deux ours s'élancent de roches opposées sur
un taureau tremblant eqtre ces deux rivaux qui l'assail-
254 PUNICORUM LIB. IV. (v. 56/..)
Invadunt trepidum gemina inter prœlia tauruin,
Nec partein praedae patitur furor : haud secus acer
Hinc atque hinc jaculo devolvitur Âllius acto.
It slrideiis per uirumque latus Maurusia taxus :
Obvia tum medio sonuerunt splcula corde ,
Incerlumqué fuit, letum cui cedereC hastae.
£t jain, dispcrsis Romana per agmina signis,
Palantes agit^ ad ripas, miserabile! Pœuus
Inpellens trepidos , fluvioquc inmergere certat.
Tum Trebia infausto nova prœlia gurgite fessis
Inchoat , ac precibus Junonis suscitât undas.
Haurit subsidens fugientum corpora tellus ,
Infidaque soli frustrata voragine sorbet ;
Nec nili, lèâtoque datur couvellere limo
Mersa pedum penitus vesligia ; labe tenaci
Haerent devincti gressus, resolutaque ripa
luplicat^ aut cœca prosteruit fraude paludis.
Jamque alius super arque aliUs per lubrica surgens,
Dum sibi quisque viam per iuex.tricabile litus
Prœripit, et putri luctatur cespite, lapsi
Obcumbuuty seseque sua pressere ruina.
Ilie, celer uandi, jam jàmque adprendere tuta
Dum parât, et celso connisus corpore prensat
Gramina summa manu, liquidisque emergit ab undis,
Contorta ripœ pendens adfîgitur liasta.
Uic hostem, orbatùs lelo^ complectitur ulnis,
LES PUNIQUES, LIV. IV. 255
lent , et dont Tavide fureur n'admet point le partage du
butin : ainsi le valeureux Allius roule à terre sous le
double trait qui le frappe; Tif mauresque le perce eu
sifflant par deux côtés à la fois; les dards se rencontrent
et sonnent au milieu de sa poitrine, et on ignore lequel
des javelots a porté la mort.
Déjà les Romains s'ébranlent ^ leurs aigles se dispersent :
le Carthaginois, ô pitié! les chasse en désordre devant
lui, et les refoule tremblans ver$ la rive : il cherche à
les noyer dans le fleuve. Alors le soldat fatigué commence
une lutte nouvelle contre les flots contraires de la Trébie
qui cède aux prières de Junon et soulève ses ondes. La
terre s'affaisse sous le poids des fuyards, qui foulent un sol
mal assuré et s'enfoncent engloutis dans les ravines. Vai^
nenient ils s'efforcent de se déprendre de la vase épaisse
oïl leurs pieds sont plongés; ils demeurent enchaînés
dans la fange tenace : la rive s'éboule, les enveloppe ou
les submerge dans les gouffres cachés de ce& perfides
marécages. L'un sur l'autre ils se dressent pour gravir
ces pentes glissantes, chacun tente de faire un pas eu
avant sur ces rivages où le pied s'embarrasse , ils luttent
contre les herbes limoneuses, tombent, roulent et s'en*
traînent dans leur chute. L'un, habile nageur, et près
déjà de pi^ndro terre, se hausse avec effort pour saisir
de la main la pointe des herbages; il sort du fleuve,
mais un javelot qui l'atteint l'attache et le pend à la rive.
Un autre, qui n'a plus d'armes, enlace dans ses bras
l'ennemi qui se débat sous l'onde, et l'associe de force à
son trépas. La mort s'offre à la fois sous mille aspects
divers. Ligus est tué dans la plaine; mais, lance au sein
a56 PUNICORUM LIB. IV. (v. 590.)
Luctanteinque vado permixta morte coercet.
Mille siniul leti faciès. Lîgas occidit arvis;
Sed projecta viri lymphis fluvialibus ora
Saoguineum hauserunt longis singultibus amnem.
Enabat tandem medio vix gurgite pulcher
Irpinus, sociumque manus clamore vocabat;
Quum rapidis inlatus acpiis, et vulnere multo
Inpulit asper equus, fessumque $ub aefquora mersit.
Adcumulat clades subito conspecta per imdas
Vis elephantorum turrito concita dorso.
Namque vadis praeceps rapitur, ceu proruta cautes
Avulsi moDtis, Trebiamque insueta timentem
Pr» se pectore agit , spumantique incubât alveo.
Explorant adversa viros, perque aspera duro
l^ititur ad laudem virtus interrita clivo.
Namque iohonoratam Fibrenus perdere mortem
Et iam» nudam inpatiens , a Spectabimilt*, inquit ,
Nec , Fortuna , meum condes sub gurgite letum.
Experiar, sitne in terris, domitare quod ensis
Non queat Ausonius, Tyrrhenave perlneet hasta. »
Tum jacit adsurgens, dextroque in lumine sislit
Spicula saeva ferœ, telumque in vulnére linquit.
Stridore horrisono penetrantem cuspidis ictum
Bellua prosequitur, laceramque cruore profuso
Adtollit frontem , ae lapso dat lerga magistrô.
Tum vero invadunt jacults crebraque sagitta,
LES PUNIQUES, LIV. IV. ^57
du fleuve 9 sa lèvre avec de longs sanglots boit la vague
saignante. Du milieu des eaux, à la nage , . s'ëohappait
enfin le bel Irpinus , appelant de ses cris la troupe de ses
compagnons, quand un cheval fougueux, percé de
plusieurs coups, et «mporté par le courant rapide,
IieUrte et engloutit sous les flots le héros épuisé.
Le désastre s^accroît encore à la vue des éléphans qui
apparaissent chargés dé tours, et se pressent au sein du
fleuve. Entraînés dans l'onde, ils se précipitent, comme le
rocher qui s'écroule détaché des montagnes; et , refoulant
devant eux la Trébie effrayée de leurs masses inconnues,
ils pèsent du poitrail sur la vague écumante. L'adversité
révèle les héros : c'est par une voie rude et escarpée que
l'intrépide vertu marche à la gloire. Fibrénus ne put se
résoudre à perdre son trépas, nu d'éclat et de renom :
« On nous connaîtra , dit-il ; et tu n'enseveliras pas ,
Fortune, ma mort dans ces abîmes. J'éprouverai s'il est
rien sur terre que ne puisse dompter l'épée d'Ausonie,
ou percer la lance tyrrhénienne. y> A ces mots , il se
dresse au devant d'un éléphant, lui plonge dans l'œil
droit un dard meurtrier, et laisse le trait dans la bles-
sure. Le monstre poursuit de ses horribles cris le fer
qui le pénètre, agite en l'air son front déchiré d'où le
sang ruisselle, renverse son guide et s'échappe. Tous
l'attaquent alors et l'accablent de flèches. et de javelots,
ils osent espérer sa mort; et sur ses larges épaules et sur
ses flancs immenses pleuvent les dards et les blessures.
Son dos, sa croupe noirâtre se hérissent de lances,
a68 PUNICORUM LIB. IV. (v. 616.)
Aiisi jam sperare necem, inniensosque per armos
Et laterum extentus veuit atra cuspide vulnus.
Stat multa in tergo et nigranti laucea dorso ,
Ac silvam ingentem concusso corpore vibrât y
Donec, coosumtis loogo certamioe tetis,
Concidit , et clausit magna vada pressa ruina.
EcGE per adversum, quanquam tardata morantur
Vulnere membra virum, subit inplacabilis ainnem
Scipio, et innumeris infestât cœdibus hostem.
Corporibus , clipeisque simul , gaieisque cadentum
Contegitur Trebia, et vix cernere linquitur undas.
Mazaeus jaculo, Gestar prosternitur ense;
Tum Pelopeus avis Cyrenes incola Telgon.
Huic torquet rapido conreptum e gurgite pilum,
Et , quantum longo ferri tenuata rigorc.
Procedit cuspis, per hiantia transigit ora.
Pulsati ligno sonuere in vulnere dentés.
Nec leto quaesita quies : turgentia membr^t
Eridano Trebia, Eridanus dédit aequoris undis.
Tu quoque, Thapse, cadis, tumulo post fa ta negato.
Quid domus Hesperidum, aut luci juvere Dearum
Fui vos aurifère servantes arbore ramos?
Intomuit ïrebia , et stagnis se suslutit imis ;
Jamque ferox totum propellit gurgite fontem,
Atque omnes torquet vires : furit unda sonoris
Vorticibus, sequiturque no vus cum murmure torrens.
LES PUNIQUES, LIV. IV. aSg
forêt mouvante qui tremble à toutes les secousses de sou
énorme corps. £n6n , sous leurs traits que cette longue
lutte a épuisés I il tombe, et de sa vaste ruine barre le
courant embarrassé.
Bientôt , de la rive opposée , Scipion s'élance dans le
fleuve, et, quoique ralenti par sa blessure ^ l'implacable
héros répand le carnage et dévaste les rangs ennemis. La
Trébie se couvre de cadavres , de boucliers et de casques,
qui laissent voir à peine la surface des eaux. Mazéus
meurt sous la javeline, Gestar sons le glaive. Après eux
l'habitant de Cyréné, Telgon, Pélopéen par ses ancêtres :
du milieu des flots rapides, Scipion saisit un pilum, le
lance à Telgon, et, de toute la longueur du fer aigu et
délié , l'enfonce en sa bouche béante. Le bois frappe les
dents qui sonnent sous le Coup. Pour ces guerriers la mort
même n'a point de repos : leurs membres entassés roulent
de la Trébie à rjÉridan , et de l'Éridan à la mer< Toi aussi
tu succombes, ô Thapsus, et tes restes n'auront point
de tombeau ! Que t'ont servi et le séjour desHespérides,
et les bois sacrés de ces déesses, ces bois qui recèlent
l'arbre au blond feuillage et aut fruits d'or?
La Trébie s'enfle , et surgit du fond de ses abîmes.
Chassées de son lit qui regorge, toutes ses eaux débor-
dent; tous ses torrens jaillissent : l'pnde en furie mugit
et tourbillonne, et la vague en grondant amène une autre
vague. A cette vue, enflammé d'une plus vive colère,
17.
>0.
i6o PUNICORUM LIE. IV. (v. «4».)
Sensit, et adcensa ductor violentius ira,
ff Magnas /o Trebia, et méritas mihi, perfide, pœnas
Exsolves, inqiiit : lacërum per Gallica ri vis
Dispergam rura, atque amnis tibi nomitia demain,
Quoque aperis te fonte, premam ; nec tangere ripas,
Inlabique Pado dabitur : quaenam ista repente
Sidoniutn, infelix, rabies te reddidit amnem?»
Tama. jactantem consiirgens agger aquarum
Inpulit, atque humeros cûrvato gurgitè pressit.
Arduus adversa mole incurrentibus undis
Stat ductor, ciipeoque ruentem sustinet amnem.
Nec non a tergo fluctus stridente procella
Spumeus îhrorat summas adspergine cristas.
Ire vadis, stabilemque vetat deBgere grèssum
Subducta tellure Deus ; percussaque longe
Raucum saxa sonant ; undœque ad bella parentis
Excitae pugnant, et ripas perdidit amnis. '
Tum madidos crines, et glaiica fronde revinctum
Adtollit cum voce caput : « Pœnasne superbas
Insuper, et nomen Trebiae delere minaris,
O regnis inimice meis? quot corpora porto
Dextra fusa tua ! clipeis galeisque virorum ,
Quos mactas, artatus iter cursumque reliqui.
Gaede, vides,' stagna alta rubent, retroque feruntur.
Âdde modum dextrae, aut campis iucumbe propinquis. »
UjECf Venere adjuucta, tumulo speclabat ab alto
LES PUNIQUES, UV. IV. a6i
le consul s'ëcrie :. « Terrible est le châtiment que tu- mû-
rîtes , ô Trébie , et lu le recevras de moi, perfide : je di-
viserai ton cours, je le disperserai en ruisseaux dans le,s
plaines gauloises, je t'arracherai ton nom de fleuve; la
source qui t'alimente, je la fermerai; je t'empêcherai
de mordre tes rives et de te précipiter dans le Po. Quelle
rage soudaine a fait de toi, misérable, un fleuve cartha-
ginois?»
Comme il achevait ces menaces , une montagne.hu mide
s'approche, le heurte, se brise sur ses épaules et l'en-
veloppe de ses lames. Debout, le consul oppose sa masse
inébranlable aux assauts des ondes , et repousse du bou-
clier le choc pesant des vagues. Derrière lui, la tempête
siflle, le flot écume et baigne de rosée le sommet de son
aigrette. Le dieu né lui permet plus de marcher dans
les flots, d'y poser un pied ferme; le sol lui manque.: les
roches battues au loin tonnent et retentissent; les ondes
soulevées partagent la lutte de leur père : le fleuve a
perdu ses rives. Alors, les cheveux humides et cou-
ronnés d'un vert feuillage , il élève la tête et la voix :
<c Oseras-tu menacer encore de me punir, et d'effacer
le nom de la Trébie , ennemi de mou empire ? Que
dé cadavres j'emporte immolés de ta main ! Les bou-
cliers, les casques des héros que tu égorges, en res-
serrant mon lit, ont égaré mon cours. Tu le vois, gon-
flées et rougies par le carnage, mes eaux reculent vers
leur source. Suspends tes coups , ou te jette sur les
plaines voisines. »'
Près de Vénus sa compagne, Vulcain, du haut d'une
1
afe FUNI€ORUM LIB. IV. (▼• 668.)
Mulciberi c^scurae tectus caligine nubis.
Ingrtvat ad qolum sublatis Scipio palmis ':
« Dî patrii, quorum auspieiis stat Dardaua Roma,
Talin' me leta tanla inter prœlia auper
Serva^tis? fortine aaimam banc e&seindere dextra
Indignuiu est vîsum? redde o me^ Date, perlclis;
Redde hosti! liceat bellafiti arcessere mortem,
Quam patriae fratrique probem. » Tùm percita dictis
Ingemuit Venus, et rapidas dire&it in amnem
Coujugis iavicti vires : agit uodicpie flammas
Dispersus ripis ignis , multosque per annos
Nutritas fkivio populatur fervidus umbras.
Uriiur omne nemus , luco^que effusus in altos
Inmissis crépitât vietor Vulcanus habenis.
Jamque ambusta comas abies, jam pinus et alni; -
Jam, solo restaos trunco, dimisit ia altum
Populus adsuetas rarnitf habitare volucres.
Flamma vorax imo penitus de gurgite tractos
Âbsorbet latices , sœvoque urgente vapore
Siccus inarescit ripis cruor : horrida laie
»
Scinditur in rimas , et hiatu rupta dehiscît
Tellus y ao stagnis altœ sedere favillae.
MiRATUR pater aetcrnos cessare repente
Eridanus cursus; Nympharumque intima mœstus
Inplevit chorus adtonitis ululatibus antra.
Ter eaput ambustum conantcm adtollere , jacta
LES PUNIQUES, LIV. IV. 263
cminence, coutemplait cette scène, entouré d'un nuage
obscur. Scîpion , levant les mains au ciel , se plaint
amèrement. «Dieux de ma patrie , vous dont les auspices
conservent Rome la Dardauienne, est-ce pour me laisser
mourir ainsi que vous m'avez sauvé naguère en de si
grandes batailles? Suis- je indigue à vos yeux de perdre
la vie de la main d'un brave? Rends-moi les périls , ô
mon fils ! rends-moi l'ennemi ! que je puisse trouver la
mort en combattant, et ne point démériter de la patrie
et de mon frère! » Touchée de ces paroles, Vénus gémit,
et dirige aussitôt contre le fleuve l'invincible puissance
de son époux. Partout la flamme s'étend et se pro-
page sur la rive; le feu dévaste ces ombrages que si
long-temps la fraîcheur des ondes a nourris. Tous les
arbres s'embrasent; Vulcain pétille, envahit les hautes
forets, et vainqueur déchaîne sa furie. Déjà tombe brû-
lée )a chevelure du sapin, de l'aune et du pin; déjà le
tronc seul reste au peuplier que délaisse l'oiseau, hôte
accoutumé de son feuillage. La flamme dévorante attire
de leurs sources profondes les eaux qu'elle absorbe, et
sous l'ardente chaleur qui l'épuisé le sang tarit sur la
rive séchée. I^ terre aride se fend en larges éclats , se
déchire et s'entr'ouvre béante, et sur le lit des maré-
cages s'élèvent des monceaux de cendres.
Le père des fleuves, l'Ëridan, s'étonne que son cours
éternel s'interrompe soudain; effrayées, les nymphes eu
chœur remplissent de leurs lamentables complaintes les
cavernes profondes. Trois fois le dieu essaya de relever
sa tête embrasée, que Vulcain frappait de sa torche et
264 PUNICORUM LIB. IV. (v. 694)
Lampade, Vuicanus mersit fiimantibus undis :
Ter courepta Dei crines nudavit aruudo.
Tum demum admissae voces et vota precantis ,
Orantique datum ripas servare priores;
Ac tandem a Trebîa revocavit Scipio fessas
Munitum in coUem^ Graccho comitante, cohortes.
At Pœnus, multo fluvium veneratus honore ,
Gramineas undis statuit socialibus aras ,
Nescius heu! quanto Superi majora moverent.
Et quos Ausonise tuctus, Trasymene^ parares.
BoiOAOM nuper populos turbaverat arniis
Flaminius, facilisque viro tum gloria belli.
Corde levem atque astus inopem contundere gentem.
Sed labor haud idem Tyrio certasse tyranno.
Hune, laevis Urbi genitum ad falalia damna
Ominibus, parât imperio Saturnla fesso
Ductorem, dignumque virum veniente ruina.
Inde ubi prima dies juris, clavumque regend?^
Invasit palria&, ac sub nutu castra fuere;
Ut pelagi rudîSy et pontum tractare per artem
Nescius, adcepit miserse si jura carinae,
Ventorum tenet ipse vicem, cunctisque procellis
. Dat jaetare ratem : fertur vaga gurgite puppis
Ipsius in scopulos dextra inpeliente magistri.
Ergo agitur raptis prœceps exercitus armis
Lydoriim in populos, sedemque ab origine prisci
LES PUNIQUES, LIV. IV. 265
replongeait dans l'onde fumante; trois fois le feu s'atta-
cha aux roseaux et dépouilla le dieu de sa chevelure.
Enfin on écouta ses vœux et sa voix suppliante; à force
de prières, il obtint de garder ses anciens rivages. Bien-
tôt Scipion, accompagné de Gracchus, quitta la Trébie,
et, ralliant ses cohortes fatiguées, se retrancha sur une
colline. Le Carthaginois, honorant le fleuve de nom-
breux hommages , élève à ses ondes amies des autels de
gazon : il ignore , hélas ! quels plus terribles coups les
dieux ont préparés, et que de larmes, Trasymène, tu
réserves à l'Ausonie!
Flaminius avait combattu naguère et vaincu les Boïens ,
et c'avait été gloire facile à ce consul que de réduire un
peuple si faible de cœur et si pauvre.de ruse; mais
à lutter contre le général tyrien, l'œuvre n'était plus la
même. Et c'est ce Flaminius, né sous de fâcheux aus*
pices, pour la honte et le malheur de Rome, que la fille
de Saturne donnte pour chef à l'empire épuisé , héros
digne d'elle et des désastres qui s'apprêtent. Aussi dès
les premiers jours de sa puissance, à peine il a pris en
main le gouvernail de la patrie et le commandement
des armées, qu'il semble un matelot novice, ignorant
l'art de maîtriser les vagues. Chargé de conduire son
malheureux navire , il fait l'office des vents contraires ,
il le livre en jouet à toutes les tempêtes; la nef errante
s^égare sur l'abîme, et c'est la main même de son pi-
lote qui la jette contre les écueils. L'armée se met en
marche et s'avancç à la hâte vers le pays peuplé par
les Lydiens, vers l'antique cité consacrée à Corythus,
son fondateur, vers le séjour de ces colons de race
^66 PUNICORUM LIB. IV. (v. ^^o.)
S<ict*atain Corythi, junctosque a sanguine avorum
Maeonios Italis permixta stirpe colonos.
Nec regern Afrorum noscenda ad cœpta moratur
Laude super tanta monitor Deus : omnia somni
Condiderant, aegrisque dabant oblivia curis,
Quum Juno , in stagni numen conversa propinqui ,
Et madidae front^s crines circumdata fronde
Populea, stimulât subitis praecordia curis,
Ac rompit ducis haud spernenda voce quietem.
(c O felix famœ , et Latio lacrimabile nomen ,
Hannibal, Ausonia si te Fortuna creasset,
Ad magnos venture Deos! cur fata tenemus?
Pelle moras : brevis est magni Fortuna favoris.
Quantum vovisti, quum Dardana bella parenti
JurareSy fluét Ausonio tibi corpore tantum
Sanguinisy et patrias satiabis caedibus umbras.
Nobis persolves meritos securus honores.
Mamque ego sum, celsis quem cinctum montibus ambit
Tmolo missa manus, stagnis Trasymenus opacis. »
His agitur monitis, et lœtam numiné pubem
Protinus aerii praeceps rapit aggere montis.
Horrebat glacie saxa inter lubrica , sumrno
Piniferum cœlo miscens caput, Apenninus. .
Condiderat nix alta trabes^ et vertice celso
Canus apex structa surgebat ad astra pruina.
Ire jubet : prior exstingui lahique videtur
LES PUNIQUES, LIV. IV. 267
méonienue dont les ancêtres jadis ont mêlé leur sang
au sang italien..
La divinité ne tarde pas à in^struire de ces mouve-
mens le tyran d'Afrique , et, après tant de succès, le se<^
conde encore. Plongés dans le sommeil , tous les êtres
dormaient oublieux de leurs peines cruelles , quand
Junon, sous la forme du dieu du lac voisin, le front
humide , les cheveux couronnés des' feuilles du peu-
plier, se présente, agite de nouveaux soucis le cœur du
héros, et trouble son repos de ces avis qu'il ne peut
mépriser. « O toi , si heureux en gloire , Annibal , nom
maudit du Latium en pleurs, toi qui un jour, si la For-
tune t'eût fait Ausonien, siégerais parmi les grands
dieux, pourquoi suspendre la marche des destins? Plus
de retard : les hautes faveurs de la Fortune sont de brève
durée. Autant tu as voué de sang à ton père, quand
tu lui juras guerre à Rome, autant il en va couler sous
tes coups des veines de l'Ausonie : tu soûleras de car-
nage les mânes paternels. Tu t'acquitteras dignement
envers moi aux heures plus calmes de la victoire. Car
je suis ce lac aux épais ombrages, environné d'une ^en-
ceinte de hautes montagnes^ qu'habitent les peuples
venus du Tmolus; je suis le Trasymène. »
Docile à ces avis, il entraîne aussitôt son armée que
cette voix divine encourage, et, descend à pas préci-
pités du sommet des montagnes aériennes. Hérissé de
glaçons, de rochers glissans, Je front chargé de pins,
au loin dans les cieux se dresse l'Apennin; une neige
épaisse couvre ses forêts, et, du sein des frimas amon-
celés sur sa crête sublime, son pic blanchi surgit vers
les astres. Annibal ordonne d'avancer : à ses yeux , leur.
a68 PUNICORUM LIB. IV. (v. 74^)
Gloria 9 post Alpes si stetur montibuâ ullis.
Scandunt praerupti iiimbosa cacumina saxi^.
Nec superasse jugum finit mulcetve laborem.
Plana natant ^ putrique gelu Hquentibus undis
Invia limosa restagnant arva paludé.
Jamque ducis nudiîs tanta iuter inhospita vertex
Sœvitia quatitur cœli^ manante per ora
Perque gênas oculo : facilis sprevisse medentes,
Optatum bene crédit emi quocumque periclo
Bellandi tempus : non frontis parcit honpri,
Dura ne perdat iter : non cetera merabra raoralur
In pretium belli dare, si victorià poscat;
Satque putat lucis , Capitolia cernere victor
Qua queat, atque Italum feriat qua comminus hostem.
Talia perpessi tandem inter sœva locorum
Optatos venere lacus; ubi deinde per arma
Sumeret amissi numerosa piacula visus.
EccE autem Patres aderant Carthagine missi :
Causa viae non parva viris; nec laeta ferebant.
Mos fuit in populis, quos condidit advena Dido ,
Poscere caede Deos veniam, ac flagrantibus aris
(Infandum dictu!) parvos iuponere natos.
Urna reducebat miserandos annua casus,
Sacra Thoanteae ritusque imilata Dianae.
Oui fato sortique Deum de more petebat
Hannibaiis prolcm discors antiquitus Hannon.
LES PUNIQUES , UV. IV. 269
première gloire s'éteint et s'efface , si , après les Alpes,
une seule montagne les arrête. Ils gravissent les flancs
orageux du roc escarpe; ils en franchissent les cimes,
sans trouver encore un terme , un soulagement à leurs
fatigues. La plaine «st submergée; les glaces fondues et
les eaux débordées inondent le sol fangeux et imprati-
cable des marécages. Le général , tête nue sous un ciel
insalubre, souffre cruellement de l'inclémence des airs;
son œil malade mouille ses joues et son visage : mais
il s'inquiète peu des remèdes; il ne pense pas acheter
trop cher au prix de tous les périls l'heure désirée de la
bataille : il a peu de souci des grâces de son front ,
pourvu que sa marche n'y perde rien ; il n'hésiterait pas
à donner ses autres membres , s'il le fallait, pour payer
les frais de la victoire : c'est assez voir, pour lui, que de
pouvoir contempler, vainqueur, le Gapitole, et distin-
guer, en le frappant de près , le Romain ennemi. Après
avoir enduré tous ces maux , et surmonté tous les obsta-
cles de cette route, il arriva près du lac désiré, où
bientôt ses armes devaient prendre large et nombreuse
expiation de son œil perdu.
Mais voici que des^énateurs , envoyés de Carthage,
se présentent; ce n'est point un frivole sujet qui les
amène : ils n'apportent point un joyeux message. C'était
un usage établi dans l'empire fondé par Didon sur la
rive étrangère , d'implorer par du sang la pitié dès
dieux, et de livrer (horrible sacrifice!) de jeunes enfans
aux feux des autels. L'urne, tous les ans, désignait les
victimes de ces rites déplorables, imités du culte de
Diane aux états de Thoas. Le destin et le sort avaient
prononcé contre le fils d'Annibal, et l'antique ennemi
de cette famille, Hannoii réclamait Faccomplisseinent
a7o PUNICORUM LÎB. IV. (v, 77a)
Sed propior metus armati Juctoris ab ira ,
£t magna anie oculos stabat genitoris imago.
A9PERA.T hase fœdata gênas, lacerataque crines,
Atque urbem complet mœsti clamoris Imilce.
Edonis ut Pangxa super trieteride mota
It juga, et inclusum suspirat pectore Bacchum.
Ergo inter Tyrias, &oibus ceu subdîta, roatres
Clamât, « lo conjux! quocumque in cardine mundi
bella moves , hue signa refer : violentior hic est ,
iHic hostis propior! Tu nunc fortasse sub ipsîs
Urbis Dardaniae mûris vibrantia tela
Ëxcîpis intrepidus clipeo, saevamque coruscans
Lampada, Tarpeiis infers incendia tectis.
Interea tibi prima domus atque unica proies
Heu! gremio in patriae Stygias raptatur ad aras.
I nunc, Ausonios ferro popuiare pénates,
Et vetitas molire vias! I, pacla résigna
Per cunctos jurata Deos! Sic praemia reddit
Carthago, et taies jam nunc tibi solvit honores!
Quas porro haec pietas, delubra adspergere tabo?
Heu primae.scelerum causae mortalibus aegrîs,
Naturam nescire Deum ! justa ite precati
Turepîo, caedumque feros avertite ritus.
Mite et cognatum est homini Deus : hactenus, oro,
Sit satîs aute aras caesos vidisse juvencos ;
Aut si , velle nefas Superos , fixumque sedetqne ,
LES PUNIQUES, LIV. IV. 271
de la loi. Mais on craignait d'attirer à soi le courroux
du chef des armées^ et la grande image du père était là,
devant tous les yeux.
Imilcé ajoute à ces alarmes : les joues meurtries ^ les
cheveux déchirés, elle va remplissant la ville de ses cris
lamentables. Ainsi TÉdonide, dans le délire de l'orgie
triétérique , parcourt les sommets du Pangée , et ne
respire que Bacchus dont sa poitrine est pleine. Au
milieu des mères de Carthage y Imilcé , comme sur des
flammes ardentes , s'écrie : ce lo , cher époux ! en quel-
que lieu du monde que tu fasses la guerre, ramène ici
tes enseignes : c'est ici qu'est l'ennemi , l'ennemi plus
proche et plus acharné! Peut-être, à cette heure, du
haut des murs de la cité dardanienne , les traits vi-
brent sur ton bouclier; tu les reçois sans trembler,
et, secouant une torche terrible, tu attaches l'incen-
die aux demeures tarpéiennes; pendant qu'ici le pre-
mier, l'unique appui de ta maison, on le traîne, hélas!
aux autels infernaux dans le sein même de la patrie!
Va donc à présent, dévaste par le fer les pénates d'Au-
sonie, franchis les routes défendues! Va, déchire les
pactes jurés à la face de tous les dieux ! Voilà comment
Carthage apprécie tes services, comment elle t'honore
et s'acquitte envers toi ! Mais est-ce donc de la piété que
d'arroser les temples de sang? Ah! la première cause de
vos crimes, malheureux mortels, est d'ignorer la nature
des dieux! Allez, pour implorer leur justice, c'est assez
d'un pieux encens : rejetez cette sauvage coutume du
meurtre. Dieu est un être clément el qui touche de
près à l'homme : désormais, je vous en prie, qu'il suf-
fise de voir tomber les taureaux sur les autels ; ou si
vous avez la ferme et opiniâtre croyance que les dieux
î7a PUNICORUM LIB. IV. (v. 798)
Me y me 9 quae genui, vestris absumite votis.
Cur spoliare juvat Libycas hac indole terras?
An flendae magis agates, et mersa prafundo
Punica régna forent , olim si sorte cruenta
Esset tanta mei virtus praerepta mariti ? >/
Hjeg , dubios vario Divumque hominumque timoré ^
Ad cauta inlexere Patres; ipsique relictum/
Abnueret sortem , an Superum paréret honori.
Tum vero trepidare metu vix compos Imilce^
Magnanimi metuens inmitia corda mariti.
Uis avide auditis ductor sic deijide profatur :
a Quid tibi pro taiito non inpar munere solvat
Hannibal sequatus Superis? quae praemia digna
Inveniam , Carthago parens? Noctemque diemque
Arma feram ; templisque tuis hinc plurima faxa
Hostia ab Ausonio veniat generosa Quirino.
At puer armorum et belli servabitur hères.
Spes, o naté, meae, Tyriarumque unicà rerum,
Hesperia minitante, salus, terraque fretoque
Certare ^neadis, dum stabit vita, mémento.
Perge, patent Alpes; nostroque incumbe labori.
Vos quoque, Dî patrii, quorum delubra pîantur
Cœdibus, atque côli gaudent formidine matrum ,
IIuc laetos vultus totasque advertile mentes.
Namque paro sacra, et majores molior aras.
LES PUNIQUES, LIV. IV. 2-3
veulent le crime, moi, sa mère, c'est moi qu'il faut im-
moler pour l'acquit de vos vœux. Pourquoi voulez-vous
dépouiller la Libye de cet enfant, sa naissante espé-
rance? Vous avez pleuré les Égates, et toutes les forces
de Carthage englouties dans les mers; n'auriez- vous pas
a pleurer plus encore si demain un sort fatal vous allait
ravir mon Annibal et son puissant génie? »
Ebranlés par ces paroles, les sénateurs, incertains et
partagés d'abord entre la crainte des hommes et celle
des dieux, jugèrent prudent de laisser au héros lui-même
à décider s'il braverait la volonté du sort , ou s'il ren-
drait aux dieux l'hommage mérité. Imiicé , tremblante
alors , peut à peine contenir sa frayeur : elle redoute
l'inflexible cœur de son époux magnanime.
A ce récit qu'il écoute avidement , le héros s'écrie :
« Comment pourra suffire à s'acquitter ton Ânuibal que
tu égales aux dieux, ô Carthage, ma mère! Comment
reconnaître un si grand bienfait? quel prix trouver digne
de toi ? Nuit et jour je serai debout et sous les armes ,
et je ferai tant que plus d'une victime, du noble sang
de Quirinus l'Ausonien, ira sur tes autels. Mais con-
serve cet enfant , héritier de mes armes et de mes
guerres. Mon fils, toi mon espoir, toi l'unique sauve-
garde de l'empire tyrien menacé par l'Hespérie, songe,
tant que tu vivras, à combattre sur la terre et les flots
cette engeance d'Enée. Marche, les Alpes sont ouvertes :
poursuis nos travaux. Et vous, dieux de la patrie, qui
aimez de sanglans hommages en vos temples, vous dont
le culte est la terreur des mères, tournez vers moi des
yeux contens, des esprits attentifs : car je vous élève
de plus vastes autels, je vous prépare de plus larges
sacrifices. Toi , Magon , va te poster au sommet de
ï. i8
274 PUNICORUM LIB. IV. v^- »^-
Tu , Mago , adversi conside in vertice montis :
Tu laevos propior colles adcede, Choaspe :
Ad claustra et fauces ducat per opaca Sychaeus.
Âst ego te y Trasymene, vago cum milite praeceps
Lustrabo, et Superis quaeram libamina beUi.
Namque haud parva Deus promissis spondet apertis y
Quae spectata, viri^ patriam referatis in urbem. »
LES PUNIQUES , LIV. IV. ^75
la montagne qui nous fait face; toi, Choaspès, g^g"^
à gauche ces collines plus rapprochées, et que Sychée
se dirige , en couvrant sa marche , vers les gorges et les
défilés. Moi, avec une troupe légère, je parcourrai tes
bords, Trasymène, pour les reconnaître et chercher aux
dieux les libations du guerrier. Car ce n'est point un
mince carnage que m'a ouvertement promis et que m'as-
sure la divinité : vous nous verrez agir, sénateurs, et
vous en rendrez compte à la patrie, d
i8.
41*'«inAWVl>W«AnWtMnAmiAAAnWWtM«^MlMAmiM«WM«WlAkWM«M«MW«AMMAMMMI«^
C. SILII ITALICI
PUNICORUM
LIBER QUINTUS.
VJEPERAT Etruscos occulto milite colles
Sidonius diictor^ perque alta silentia noctis
Silvarum anfractus caecis insiderat armis.
Ât parte e laeva, restagnans gurgite vasto,
Effigiem in pelagi lacus humectabat inertis ,
Et late multo fœdabat proxima limo :
Quœ vada, Faunigenae regnata antiquitus Ârno^
Nunc volvente die Trasymeni nomina servant.
Lydius huic genitor, Tmoli decus, aequore longo
Maeoniam quondam in Latias advexerat oras
Tyrrhenus pubem, dederatque vocabula terris;
Isque insueta tubae monstravit murmura primus
Gentibus , et bellis ignava silentia rupit.
Nec modicus voti natum ad majora fovebat.
Verum ardens puero, castumque exuta pudoreni
(Nam fonna certare Deis, Trasymene, valeres),
yt»itnniy»tt^tMni W 0ni^ttyvtMyvvtiv*nHivtivyyvwkn/vyv*ivwt/vyvytnnivtm0yyyvvyvvyyvtniytMvytt^^
C. SILIUS ITALICUS.
LES PUNIQUES
LIVRE CINQUIÈME.
IVIaître des collines étrusques où ses troupes étaient
embusquées,. le chef sidouien occupait encore les défilés
des forêts où, dans le silence profond de la nuit, il
avait caché des armes et des soldats. Vers la gauche le
lac immense, comnje une mer dormante , inondait tout
au loin de ses eaux débordées, et souillait d'un épais
limon les lieux d'alentour. Ce lac, où régna jadis Ar«
nus, fils de Faune, reçut dans le cours des âges le
nom de Trasymène qu'il conserve encore. Trasymène
t»ut pour père un Lydien; l'honneur du Tmolus, Tyr-
rhénus qui, franchissant les mers lointaines, amena un
jour une jeunesse méonienne sur les côtes du Latium,
appela cette contrée de son nom, puis enseigna le pre^
mier aux peuples les accens inconnus de la trom-
pette , et rompit le lâche silence dans les combats.
Sans bornes dans ses désirs , il élevait son fils pour
de plus grandes choses. Mais , éprise de l'enfaiit , et
pour lui dépouillant sa chaste pudeur (car de beauté ,
Trasymène, tu pouvais le disputer aux dieiix)^ AgyJlé
27» PUniCORUM LIB. V. (v. 17.)
Lttore eonreptum stagnis d^nisit Agylle^
Flore capi juveaum primaevo lubrtca menteiii
Nympha, nec Idalia lenta incaluisse sagitt?
Solatae viridi penitus foyere sub antro
Naides, amptexus undosaque r^oa trementem.
Hinc dotale lacus aomen y lateque hymenaeo
Conscia lascivo Trasypienus dicitur uada.
Et jam curriculo nigram nox roscîda metaiu
Strtngebat , nec se thalamis Tithonia conjux
Protulerat , stabatque niteos in limine primo ,
Quum minus abnuerit noctem desisse viator,
Quam cœpisse diem : consul carpebat iniquas,
Praegrediens signa ipsa, vias, omnisque ruebat
Mixtus eques ; nec discretis levia arma maniplis .
Insertique globo pedites j et inutile Marti
Lixarum vulgus, praesago cuncta tumultu
Inplere, ac pugnam fugientum more petebant.
Tum super ipse lacus, densam caligine caeca
Ëxhalans nebulam , late conruperat omnem
Prospectum miseris, atque atrse noctis amictu
Squalebat pressum picea inter nubila cœlum.
Nëg Pœnum liquere doli : sedet ense reposto
Abditus, et nullis properantem obcursibus arcet.
Ire datur ; longeque patet , ceu pace quiets
Incusloditum y mox inremeabile, litus.
Natnque sub angustas arlato limite fauce«
LES PUNIQUES, LIV. V. a^g
le saisit sur le rivage et Tentraina sous les ondes :
nymphe aimajite, et facile à se laisser prendre aux
premiers attraits de la jeunesse en fleur , et prompte à
s'enflammer aux flèches d'Idalie, Au fond d'un antre
vert, les Naïades de leurs caresses consolèrent le pauvre
enfant en peine sous ces houleux empires et tout trem-
blant sous les baisers. Dès-lors, gage et témoin du
lascif hyménée 9 le lac porta depuis le nom deTrasymène.
Déjà la nuit, humide de rosée, rasait de son char la
noire borne de sa carrière; l'épouse de Tithou n'avait
point encore abandonné sa couche , et se tenait brillante
sur le seuil : c'était l'heure où le voyageur dirait plutôt
de la nuit qui s'achève que du jour qui commence. Le
consul s'achemine p^v des voies dangereuses et vole h
la tête de ses enseignes. Toute la cavalerie roule cou*
fusément après lui; rien ne sépare cette arme légère
des rangs de l'infanterie : le piéton pêle-mêle au sein
des escadrons, et la foule inutile des valets d'armée,
répandent partout le tumulte précurseur des défaites;
ils courent au combat dans tout le désordre d'une dé-
route. Outre cela, le lac exhalait une brume épaisse,
un obscur brouillard qui dérobait au loin à ces infor-
tunés la vue de toute chose; et le ciel, enveloppé du
sombre voile des nuits, pâlissait derrière ce nuage de
vapeurs noires.
Le Carthaginois, fidèle à sa ruse, demeure caché,
le glaive au repos: nulle rencontre n'arrête les Romains
dans leur marche; ils s'avancent librement : au loin de-
vant eux s'ouvre sans obstacle, comme au sein de la paix,
ce rivage qui sera bientôt pour eux sans retour. Car le
chemin qui se resserre les mène droit au piège : unj^
i8o PUNICORUM LIB. V. (v- 43.)
In fraudem ducebat iter, geminutnque receptis
£xitium, hinc rupes, hînc uiidae claustra premebant.
Ât cura umbroso servabat vertice montis
Hostilem ingressuin, refugos habitura sub ictu.
Haud secus ac vitreas sollers piscator ad undas,
Qre levetn patulo texens de vimine nassam,
Cautius interiora ligat, mediamque per alvum,
Sensim fastigans, compressa cacumina nectit,
Ac fraude artati remeare foratninis arcct
Introitu factlem ^ quem Iraxit ab aequore , piscèin.
Ocius interea propelli signa jubebat
£xcussus consul fatorum turbine inentem,
Donec flammiferum toi lentes aequore currum
Solis equi sparsere diem : jamque, orbe renato,
Diluerat nebulas Titan , sensimque fluebat
Caligo in terras nitido resoluta sereno.
Tune aies y priscum populis de more Latinis
Auspicium, quum bella parant, nientesque Deorum
Explorant super eventu, ceu praescia luctus^
Damuavit vesci, planctuque alimenta refugit.
Nec rauco taurus cessavit flebile ad aras
lumugire sono, pressamque ad colla bipennem
Incerla cervice ferens, altaria liquit.
Signa etiani adfusa certant dum vellere mole,
Teter humo lacera nilentum ei'upit in ora
Uxsultans cruor, et caedis documenta futurœ
LES PUNIQUES, LIV. V. a8r
fois dans ces gorges étroites , pressés par les rochers ,
enfermés par les eaux , des deux côtés pour eux c'est
la mort. I/ennemi veille dans ses bois , au sommet de
sa montagne; il observe les mouvemens du consul qui
ue peut reculer sans tomber sous ses coups. Tel un
adroit pécheur , près du cristal des ondes j tisse d'osier
la nasse légère à large ouverture : avec soin il la res*
serre et l'étrécit au dedans , en ramenant par degrés
et nouant vers le centre les bouts effilés de Tosier qui
s'allongent en pointe au sein de la nasse : il trompe ainsî
le poisson qu'il a tiré de l'eau, et qui n'a pu repasser par
cette étroite issue , après une entrée si facile.
Cependant le consul ordonne de pousser en avant les
enseignes : le tourbillon de la destinée l'entraîne, et
trouble sa raison. Déjà les coursiers du soleil ont élevé
le char enflammé au dessus des ondes et versent la lu*
mière; déjà le monde s'est ranimé, Titan a chassé les
ténèbres ; les vapeurs se dissipent peu à peu devant ses
sereines clartés et retombent sur la terre. On consulte
l'augure ailé, suivant un antique usage des peuples du
Latium y pour connaître , ayant l'action y la pensée des
dieux sur l'événement de la guerre; mais, comme par
un pressentiment de malheur, il refuse la nourriture et
recule avec un cri plaintif. D'une voix rauque et lamen-
table, le taureau du sacrifice ue cesse de mugir: frappé
d'un coup mal assuré, il emporte à son front la hache qui
l'a blessé, et s'échappe des autels. Les enseignes qu'on
enlève cèdegt à peine aux efforts réunis de plusieurs bras;
du sol qui se déchire un sang noir jaillit au visage des
soldats qui les arrachent, et , dans son flanc qui saigne ,
cette terre maternelle présente aux malheureux un fatal
aSa PUNICORUM LIB. V. (v. 69.)
Ipsa parens miseris gremio dédit atra cruento :
Ac super haec Divum genitor, terrasque fretumque
G>ncutiens tonitru , Cyclopum rapta caminis
Fulmina Tyrrhenas Trasymeai torsit in undas/
Icftu«que aeth^rea per stagna patentia flamma
Futnavit lacus, atque arserunt Quctibus ignés.
Heu va ni monitus, frustraque morantia Parcas
Prodigia! heu fatis Superi certasse minores!
Atque hic, egregius linguae, nomenque superbum
Corvinus, Phœbea sedet oui casside fui va
Ostentans aies proavitae iusiguia pugnae,
Plenus et ipse Deum, et sociura terrente pavore,
Inmiscet precibus monita, atque fais vocibus infit :
a Iliacas per te flammas , Tarpeiaque saxa ,
Per pa trios, consul , muros, suspensaque uostrœ
Ëventu pugnae natorum pignora, cédas
Oramus Superis, tempusque ad prœlia dextrum
Opperiare : dabunt idem camposque diemque
Pugnandi ; tantum ne dedignare secundos
Exspectare Deos : quum fulserit hora, cruentam
Quae stragem Libyae portet, tum signa sequeutur
Nulla vulsa manu, vescique interritus aies
Gaudebit, nullosque vomet pia terra cruores.
An te prœstantem belli fugit, inproba quantum
Hoc possit Fortuna loco? sedet obvius hostis
Adversa fronte ; at circa nemorosa minantur
LES PUNIQUES, LIV. V. 283
présage des désastres qui les menacent. Bien plus, le
père des dieux , ébranlant de son tonnerre la terre et
l'océan , lança sur les flots tyrrhéniens du Trasymène
des foudres ravies aux fourneaux des Cyclopes ; ouvert
et sans défense , le lac fuma sous les atteintes des
flammes célestes , et les feux brûlèrent dans ses ondes.
Yaines leçons, hélas! inutiles prodiges! obstacles sans
force contre les Parques ! lutte impuissante , hélas ! des
dieux contre les destins !
Alors un guerrier d'une haute éloquence et d'un
illustre nom, Corvinus, qui montre l'oiseau de Phébus
perché sur son casque d'airain comme un souvenir
éclatant du combat de son ancêtre, plein des dieux qui
Tinspirent, effrayé de la terreur de ses compagnons,
joint les conseils aux prières , et s'exprime en ces termes :
« Par les feux d'Ilion , par les roches Tarpéiennes , par
les remparts de la patrie , consul , par nos enfans chéris
dont le salut dépend de l'événement de ce combat, nous
t'en conjurons, cède aux volontés d'en haut; attends',
pour livrer bataille, un moment favorable : les dieux te
donneront jour et lieu meilleur pour combattre ; seule-
ment ne dédaigne pas d'attendre qu'ils te secondent.
Quand l'heure aura lui de porter l'extermination et la
mort à la Libye, alors ou verra les enseignes suivre
d'elles-mêmes sans que le bras les arrache, le poulet
rassuré se repaître à loisir , et la terre , en son pieux^
amour, ne vomira plus le sang. Peux -tu, avec ta
science de la guerre, méconnaître à quel point la For-
tune ici peut nous être contraire? Devant nous l'ennemi
se présente de front et en face; sur nos flancs, ces hau-
teurs boisées cachent des embuscades; à gauche, ces
1
a84 PUNICORUM UB. V. (v. 95)
[iisidias juga , iiec laeva stagnantibus undis
EfFugium patet , et teaui stant tramite fauces.
Si certare dolis et bellum ducere cordi est,
Interea rapidis aderit Servilius armis,
Cui par imperium, et vires legionibus aequae.
Beltandum est astu : levior laus in duce dextrae. »
Talia Corvinus , primoresque addere passim
Orantum verba, et divisus quisque timori
Nunc Superos, ne Flaminio, nunc deinde.precari
Flaniinium y ne Cœlicolis contendere perstet.
AcRius hoc adcensa ducis surrexerat ira ,
x\uditoque furens socias non defore vires :
a Sicciue nos, inquit, Boiorum in bella ruentes
Spectastis, quum tanta lues vulgusque tremendum
lugrueret , rupesqué iterum Tarpeia paveret ?
Quas ego tune animas dextra , quae corpora fudi ,
Irata tellure sata, et vix vulnere vitam
Reddentes uno! Jacuere ingentia membra
Per campos, magnisque premunt nunc ossibus arva.
Scillcet bas sera ad laudes Servilius arma
Adjuugat, nisi diviso vicisse triumpho
Ut nequeam, et decoris contentus parte quiescam?
Quippe nionent Superi : similes ne fingite vobis,
Classica qui tremitis , Divos : sat magnus in hosteni
Augur adest ensîs , pulcbrumque et milite diguum
Auspicium Latio, quod in armis dextera praestat.
LES PUNIQUES , LIV. V. 285
eaux dormantes n'offrent point d'issue pour la fuite , et
ces gorges n'ont qu'un étroit sentier. Si tu consens à
lutter d'artifice avec l'ennenii, à différer le combat, Ser^
vilius, pendant ce temps , hâtera sa marche pour nous
joindre : ton égal en puissance, il a d'égales forces en
légions. Pour arme, choisis la ruse : la moindre gloire
du chef est dans l'épée. »
A ce discours de Corvinus, les principaux de l'armée
ajoutaient de suppliantes paroles; chacun^ diversement
agité par la crainte, prie tantôt les dieux de n'être
point contraires à Flaminius, et tantôt Flaminius de ne
point s'obstiner à bravei* le ciel.
Ces instances enflamment plus vivement la rage du
consul. Furieux d'entendre parler du concours et des
forces de son collègue : a Est-ce ainsi, dit -il, qu'on
nous a vu combattre et charger les Boïens, quand cet
horrible fléau , quand ces hordes redoutables vinrent
s'abattre sur l'Italie, et firent trembler encore une fois
la roche Tarpéienne? Que mon bras alors en a tué, de ces
âmes et de ces corps engendrés par la terre en courroux,
et qu'une seule blessure ne pouvait arracher à la vie! Je
les ai couchés dans la plaine , ces énormes cadavres , et
leurs grands ossemens pèsent encore sur les campagnes.
Et c'est après de tels exploits qu'on veut m'adj oindre
Servilius et ses troupes si lentes à venir , afin que je ne
puisse vaincre sans partager mon triomphe : content
d'une moitié de gloire, on veut que j'attende; car les
dieux ont parlé.... les dieux I ne les faites point à votre
image, vous qui tremblez au bruit des clairons! J'ai là
un aiigure assez fort contre l'ennemi , l'épée ; et c'est un
assez bel auspice et digne du soldat latin , que la puissance
a86 PUNICORUM LIE. V. (v. lai.)
An y Corvine, sedet, clausum se consul inerii
Ut teneat vallo? Pœnus nunc occupet altos
Arreti muros, Gorythi nunc diruat arcem?
Hinc Clusina petat? postremo ad mœnia Romae
Inlaesus contendat iter? Déforme sub armis.
Yana superstitio est : Dea sola in pectore Yîrtus
Bellantum viget. Umbrarum me noctibus atris
Agmina circumstant , Trebiae qui gurgite , quique
Ëridani volvuntur aquis, inhumata juventus. »
Nec mora : jam medio cœtu signisqiie sub ipsis
V
Postrema aptabat nuIU exorabilis arma.
.£re alque aequorei tergo flavente juvenci
Cassis erat munita viro ; cui vertice surgeos
Triplex cris ta jubas efïïindit crine Suevo :
Scylla super, fracti contorquens pondéra remi,
Instabat, saevQsque canum pandebat hiatus :
Nobile Gargeni spolium , quod rege superbus
Boiorum caeso capiti inlacerabile victor
Aptarat , pugnasque decus portabat in omnes.
Loricam induitur; tortos huic nexilis hamos
Ferro squama rudi , permixtoque asperat auro.
Tum clipeum capit, adspersum quem caedibus olim
Celticus ornarat cruor, humentique sub antro,
Ceu fetum , lupa permulcens puerilia membra ,
Ingentem Assaraci cœlo nutribat alumnum.
Hinc ensem lateri , dextraeque adcommodât hastaïu.
LES PUNIQUES , LIV. V. ^87
(le ses armes et de son bras. Tu exiges j Corvinus , que
le consul se tienne, sans agir, enfermé dans un camp!
soit, et que le Carthaginois s'empare alors des murs
élevés d'Arrétium , et renverse la citadelle de Corythus ,
et marche ensuite à Clusium, et pousse droit enfin
jusqu'aux remparts de Rome , sans obstacles ! C'est une
honte, sous les armes, que ces vaines superstitions. Un
dieu seul a force au cœur du soldat , c'est le courage.
Autour de moi, durant la nuit obscure, viennent en
foule les ombres de ces héros qui roulent emportés
dans les flots de la Trébie, dans les eaux de l'Éridan ,
sans trouver de sépulture 1 »
Aussitôt, au milieu même de l'assemblée, et sous les
enseignes, l'inflexible chef, pour la dernière fois, revêt
son armure. Son casque d'airain est garni d'une blonde
peau de veau marin : au dessus se dresse une triple ai-
grette d'où s'édiappe en tresses la chevelure d'un Suève;
au sommet , Scylla revomit les lourds débris des rames ,
et ses chiens cruels ouvrent une gueule menaçante.
C'était la noble dépouille de Gargénus , roi des Boïens ,
que le consul avait tué : fier de sa victoire, il avait
chargé son front de ce casque indestructible , et portait
ce glorieux trophée dans toutes les batailles. Il endosse
sa cuirasse , tissue de mailles serrées , hérissée de rudes
écailles de fer doublées d'or. Il saisit son bouclier encore
teint du sang des Celtes dont le carnage autrefois lavait
paré : sous un antre frais , une louve y caressait comme
un des siens un tiendre enfant dont elle léchait les mem-
bres, et nourrissait pour le ciel l'illustre rejeton d'Assa-
racus. Il arme son flanc de l'épée et son bras de la lance.
Son coursier est là, superbe, tourmentant son frein
mouillé d'écume, le dos couvert de la peau rayée d'un
288 PUNICORUM LIB. V. (v. m.)
Stat sonîpes, vcxatque ferox humentia freaa,
Caucasiam instratus virgato corpore tigrîm.
Inde exceptus equo , qua dant angusta viarum ,
Nunc hosy nunc illos adit, atque hortatibus inplet :
«Yestrum opus esfvestrunique decus, subfixa per Urbem
Pœni ferre ducis spectanda parentibus ora.
Unum hoc pro cunctis sat erit caput. Âspera quisque
Hortamenta sibi referai : meus, heu! meus atris
Ticini frater ripis jacet; at meus alta
Metitur stagna Eridani sine funere natus.
Haec sibi quisque : sed est vestrum cui nuila doloris
Privati rabies, îs vero ingentia sumat
£ medio, fodiant quœ magnas pectus in iras;
Perfractas Alpes, passamque infanda Saguntum,
Quosque nefas vetiti transcendere nomen Hiberi,
Tangere jam Thybrim : nam dum vos augur, et extis
Quaesitae fibrae , vanusque moratur haruspex ,
Sofum jam superest, Tarpeio inponere castra. »
TuRBiDUS haec, visoque artis in millibus atras
Bellatore jubas aptante : a Est, Orphite, manus,
Est, ait, hoc certare tuum; quis opima volenti
Dona Jovi portet fereti*o suspensa cruento ?
Nam cur haec alia pariatur gloria dextra? »
Hinc praevectus equo, postquam inter prœlia nptam
Adcepit vocem : a Procul hinc te Martius, inquit,
Murrane, ostendit clamor, videoque furenteni
LES PUNIQUES, LIV. V.
tigre du Caucase. Le consul monte à cheval, et partout
oïl l'étroit défile lui permet d'avancer, s'approche des
uns et des autres , et les remplit de son ardeur : « A vous
kl tâche, à vous la gloire d'emporter au bout d'une
pique la tête du chef carthaginois, pour la donner en
spectacle à la Ville et à vos familles. Cette tête seule
tiendra lieu de toutes. Que chacun s'anime et s'inspire
de ses souvenirs : Mon frère , hélas ! mon frère gît aux.
rives sanglantes du Tésin , et mon fils sans funérailles
mesure de son cadavre les eaux profondes de l'Éridan !
voilà ce que chacun peut se dire. Mais , s'il en est un
parmi vous que nul regret privé n'excite à la vengeance,
que celui-là puise à nos grandes et communes douleurs,
qu'elles blessent ison âme et soulèvent en elle d'impla-
cables colères , qu'il songe que les Alpes sont forcées ,
que Sagonte a péri dans les tortures, que ceux enfin qui
avaient défense de franchir l'Èbre, vont atteindre le
Tibfe; car, pendant qu'on vous .arrête à consulter des
augures, et des fibres d'entrailles, et de vains aruspices,
il ne reste plus à l'ennemi qu'à planter son camp sur le
roc Tarpéien. ))
Au milieu de ces emportetnens, il voit dans les rangs
serrés de ses légions un soldat qui rattache son aigrette
poudreuse : « Bien , Orphitus , bien ! c'est affaire à toi
de combattre î sans cela qui porterait à Jupiter propice
les dépouilles opimes suspendues au sanglant trophée?
et pourquoi laisser à une autre main la conquête de cette
gloire? » Il pousse son cheval en avant, il entend une
voix qu'il a connue dans les batailles : « De loin ce cri
guerrier t'annonce, Murranus; je te vois avide déjà du
sang tyrien : que d'éclat sur toi va jaillir! Mais , crois-moi ,
I. 19
ago PUNICORUM LIB. V. (t. it^.)
Jam Tyria te cacde : venit laus quanta! sed, oro,
Hacc angusta loci ferro patefacta relaxa, d
Tuin Soracte satuni, praestantem corpore et armis,
^quanum nosceiis, patrio cui ritus in arvo,
Qiium pius Arcitenens adcensis gaudet acervis ,
Exta ter innocuos Isetum portare per ignés :
(c Sic in Apollinea semper vestigia pruna
Inviolata teras^ victorque vaporis ad aras
Dona serenato referas solennia Pbœbo;
Concipe, ait, dignum factis, ^quane, furorem
Vulueribusque tuis : socio te cœdis et irae.
Non ego Marmaridum mediam penetrare phalangeni
Cinyphiaeque globos dubitarim inrumpere tiirmae. »
Neg jam ultra monitus et verha inorantia Martem
Ferre valet j longo ^neadis quod flebitur aevo.
Increpuere simul feralia classica signum ,
Ac tuba terrificis fregit stridoribus auras.
Heu dolor, heu lacrimae, nec tôt post secula serae!
Horresco ut pendente malo , ceu ductor ad arma
Exciret Tyrius : latebrosis collibus Astur,
Et Libys, et torta Baliaris saevus habena
Ërumpunt, multusque Maces^Garamasque, Nomasqiie:
Tum , quo non alius venalem in prœlia dextram*
Ocior adtulerit conductaque bella probarit,
>
Cantaber, et galeae contemto tegmine Yasco.
Hinc pariter rupes, lacus hinc, bine arma, simulque
LES PUNIQUES, LIV. V. 9î)t
c est dans ces défilés qu'il faut plonger ton fer, et t'ouvrir
un chemin. » Bientôt il aperçoit Tenfant du Soracte, Equa-
nus, puissant par sa taille et son annure, et qui, dans sa
patrie, aux jours où les bûchers s'allument en l'honneur
du dieu reconnaiissant.qui porte l'arc, aimait à promener
trois fois les entrailles des victimes à travers une flamme
innocente. c< Puisse , lui dit le consul , ton pied toujours
fouler sans péril les brasiers apollinaires , et te reconduire
aux autels pour y vaincre le feu et présenter encore de
solennelles offrandes à Phébus apaisé ! Va donc , et te
livre à toute ta furie; ne démens pas, Équanus , tes
exploits et tes blessures : soutenu de ton bras el de ta
rage, je n'hésilerais pas à pénétrer au sein de la pha-
lange des Marmarides, à enfoncer les rangs de la cava-
lerie cinyphienne. »
Il n'est plus désormais de conseils, plus d'instances
qui puissent retarder cette bataille, qui si longrtemps
sera pleurée des enfans d'Enée. Les accens funèbres du
clairon donnent le sigtial, et de ses éclats terribles la
trompette perce les airs.
O douleur ! ô larmes encore permises après tant dç
siècles! Je frémis à ce récit comme à l'approche du
désastre, comme en présence du chef lyrien et de ses
armées. Des collines qui les recèlent, s'élancent et l'As-
turien y et le Libyen , et le Baléare qui fait tourner sa
lanière cruelle, et des milliers de Maces, de Garamantes
«t de Nomades, et le plus empressé de tous à vendre
son bras pour la guerre, à se louer pour ces combats
qu'il aime, le Cantabre , et le Vascon qui dédaigne l'abri
du casque. Pressés entre le lac et les rochers, les Ro-
mains sont assaillis tout ensemble et par les Tyriens du
«9-
«92 rUNICORUM LTB. V. (v. tgg.)
Consoua vox urget, signum claniore vicissiin
Per colles Tyria circumfundente corona.
AvERTERE Dei vultusy faloque dederunt
Majari non sponte locum : stupet ipse tyranni
Fortunam Libyci Mavors; disjectaque crinem
Inlacrimat Venus; et Delum pervectus Apollo
Tristem mœrenti solatur pectine luctum.
Sola, Apennini resideos in vertice, diras
'Exspiectàt cœdès inmiti pectore Juno.
Primée Picentuni, rupto ceu turbine fusa
Agmina et Hannibaiem ruere ut videre, cohortes
Invadunt ultro, et pœnas pro morte futura,
Turbato victore, petunt adcensa juventus;
Et, velut erepto mètuendi libéra coelo,
Mantbus ipsa suis praesumta piacula mittit.
Funditur unanimo nisu et concordibus ausis
Pilorum in Pœnos nimbus, fixosque repulsi
Submittunt clipeos curvato pondère teli.
Acrius hoc rursum Libys, ut prœsentia saevi
Ëxstimulat ducis, hortantes se quisque vicissim
Incumbunt, pressoque inpellunt pectore pectus.
Ipsa facem quatiens , ac flavam sanguine multo
Sparsa comam, médias acies Bellona pererrat.
Stridit TartaireaB Tiigro sub pectore Divae
Letiferum murmur, feralique horrida cantu
Buccina lymphatas agit in certaniina mentes. > i.
LES PUNIQUES, LIV. V. 29^
^^amp et par ceux des montagnes , dont les cris confus
se répondent y et se renvoient tour-àrtour le signal qui
poule répété de colline en colline..
Les dieux détournent les regards, et cèdent à regret
la place au destin qui Tempoi'te; Mars s'éloune effrayé
de la fortune du héros de Libye; les cheveux épars,
Vénus pleure; et, retiré à Délos, Apollon console ses
peines amères aux sons de sa lyre plaintive. Seule, assise
au sommet de l'Apennin, Junon l'impitoyable attend
froidement l'horrible carDage<
Les premières, a ta vue d'Ànnihal et dé ses bataillbns
qui se précipitent comme un tourbillon de la nue qui se
déchire, les cohortes picentines marchent à l'attaque :
cette ardente jeunesse brûle de venger à l'avance sa
mort prochaine, en troublant le vainqueur; libre de
crainte, et comme si le ciel était déjà perdu pour elle,
elle envoie, à ses proppes mânes des représailles antici-
pées. De partout, et du même élan et du même courage,
ils dirigent une nuée de javelots contre le3 Carthaginois,
qui reculent et plient sous le poids des traits recourbés
qui percent leurs boucliers. Mais bientôt, revenus avec
une nouvelle vigueur , animés par la, présence redoutée
de leur chef, les Libyens s'exhortent tour-à-tour, char«
gent, et heurtent de la poitrine la poitrine ennemie.
Secouant sa torche et baignant de flots de sang sa
rousse chevelure, Bellone se promène au milieu des
armées. Du fond de sa noire poitrine gropcle un mur-
mure de mort, et l'horrible trompette de l'infernale
déesse entraine au combat les ânies enivrées de ses
accens funèbres. D'un côté , la rage- s'accroît de l'excès
394 PUNICORUM LIF. V, (v. ^^î
Hi$ iras ad versa fovent, crudusque ruentc
Fortuna stimulus spem projecisse salutis :
Hos dexter Deus , et laeto Victoria vultu
Adridens acuit^ Martisque favore fruuntur.
Abreptus pulchro cxdum Lateranus amore,
Dura sequitur dextraiti^ iu medios penetraverat hostes.
Quem postquam florens aequali Leululus œvo
Conspexit, nimium pugnae, Diiniumque cruoris,
Infestas inter non aequo Marte catervas
Fata inritanteiïi, nisu se concitat acri;
Iiimitemque Bagain , qui jam vicina serebat '
Vulnera pugnantis tergo, velocior hasta
Occupât, et socium duris se casibus addit.
Tune alacres arma adglomerant, geminaque coruscl
Fronte micant; paribus fulgent capita ardua cristis.
AcTDS in adverses casu (namqiie obvia ferre
Arma quis auderet, nisi quem Deus ima colentum
Damnasset Stygiae nocti?), praefracta gerebat
Syrticus exceiso decurrens robora monte ;
Et quatiens acer uodosi pondéra rami ,
Flagrabat geminae nequidquam caedis amore.
a Non hic iËgates, infidaque litora nantis,
O juvenes, motumque novis sine Marte procellis
Fortunam bello pelagus dabit : aequoris olim
Victores, média sit qualis discite terra
B(*llator Libys , et raeliori cedite regno. »
LES PUNIQUES, LIV. V. 296
du malheur, soutenue, quand la Fortune succombe, de
raiguilion puissant d'un beau désespoir : de l'autre,
l'aide de la divinité, le joyeux sourire de la Victoire
enhardit tous les cœurs; ils jouissent de la faveur dv.
Mars.
Emporté par la noble passion du carnage, Latéranus
avait suivi l'élan de son bras et pénétré au sein des rangs
ennemis. Comme lui à la fleur de son âge, Lentulus^
qui voit ce héros, trop avide de combats, trop avide de
sang, livrer une lutte inégale à des cohortes forcenées ,
et défier les destins , d'un bond rapide s'élance vers lui ,
prévient vivement d'un coup de lance le féroce Bagas
qui s'approchait du guerrier pour le frapper par derrière,
et vient s'associer à ses travaux et à ses périls. Alors,
tous deux à l'œuvre, et réunis pour combattre, ils vont
levant un front superbe, et sur leurs têtes altières
brillent deux cimiers d'un pareil éclat.
Poussé contre eux par le hasard (et qui oserait les
braver en face, s'il n'était condamné d'avance aux ténè-
bres du Styx par le dieu des abîmes?), Syrticus accourait
du haut de la montagne, armé d'une branche de chêne
qu'il avait rompue; et, brandissant avec fureur la noueuse
et pesante ramure, brûlait du vain désir de les immoler
ensemble. « Nous ne sommes point ici aux Egates ,
jeunes Romains, près de ces rives infidèles aux nochers,
sur une mer soulevée par les tempêtes et qui vous don-
nera l'avantage encore sans combattre ; non : vous avez
jadis vaincu sur l'océan , apprenez aujourd'hui quel
guerrier c'est qu'un Libyen dans la plaine , et cédez à un
meilleur élément. » En même temps il menaçait Lstlié^
agS ^ PUNICORUM LÏB. V. (v. 25. )
Ac simul infesto Lateranutn pondère triincae
Ârboris urgebat^ jungens con vicia pugnae.
Lentulus huic frendens ira : « Trasymenus in altos
Adscendet citius colles, quani sanguine roret
Iste pio ramu& » Subaidensque ilia nisu
Conantis suspensa fodit : tum fervidus atro
Pulmoue exundat per hiantia viscera sanguis.
Nec minus adcen$is in mutua fuiiera dextris
Parte alia campi saevit furor. Alt us lertes
Obtruncat Neriuni; Rullo ditissinius arvi
Obcumbis , generose Yplunx ; nec clausa reposlLs
Pondéra thesauris , patrio nec reg^ia quond^ni
Praefulgens ebore, et possessa mapalia soU
Profuerunt. Quid rapta juvant? quid gentibus auri
Nunquam exslincta sitis? modo quem Fortuna fovendo
Congestis opibus donisque refersit opimis,
Nudum Tartarea portabit uavita cymba.
JuxTA bellator juvenilibus Appius ausis
Pandebat campum caede; atque, ubi plurima virtu$>
Nullique adspirare yigor, decus inde petebat.
Obvius huic Atlas , Atlas a litore Hibero ,
Nequidquam extremae longinquus cultor arenae
Inpetit os hasta ; leviterque e corpore sUmmo
Dégustât cuspis generosum extrenia cruorem.
Intonuere minae , violentaque lumina flammis
Exarsere novis : fnrit et difful minât omnero
LES PUNIQUES, LIV. V. 2|;7
ranus du terrible poids de son arbre brisé, et joignait
Foutrage à Tattaque. Lentuliis, frémissant de colère :
a Le Trasymène montera au sommet de ces collines ,
avant que cettç massue ne s'arrose du sang d'un ami. »
Il se baisse et perce le flanc du Libyen qui se dressait
avec effort : un sang noir bouillonne en sa poitrine et
jaillit de ses entrailles déchirées.
Non moins acharnés à leur ruine commune, les com-
battans , de l'autre côté du champ de bataille , n'ont
pas moins d'ardeur et de furie. L'altier lertès massacre
Nérius; sous les coups de Rullus, tu tombes, brave
Volunx, possesseur de si riches campagnes; et ni tes
secrets trésors entassés en monceaux ^ ni l'antique palais
oîi resplendit l'ivoire de ta patrie, ni ces étables dont toi
seul es le maître, rien ne t'aura servi. Pourquoi cet
aiïiour des rapines ? pourquoi , chez les hommes , cette
soif de l'or qui ne s'éteint jamais ? Demain , ce favori de
la Fortune, qui regorge dans l'opulence, surchargé de
ses dons et de ses largesses, descendra nu dans la barque
du nocher du Tartare.
Non loin le belliqueux Appius, devant son jeune cou-
rage , ouvrait les rangs à coups d'épée ; et si* quelque
part la lutte était plus vive, et que nul n'eût le cœur
d'avancer , c'était là qu'il cherchait la gloire. Atlas
vient droit à lui, Atlas né sur les rivages de l'Ibérie,
habitant lointain de ses dernières plages : vainement il
atteint de sa lance Appius au visage; la pointe -du fer
glisse légèrement sur le front du héros et se colore à
peine de son sang généreux. Appius gronde et tonne;
son regard courroucé d'un feu nouveau s'allume ; il
ià98 PUNICORUM UB. V. (v. ^77.)
Obstantum turbam; at clausum sub casside vulnus
Martia commendat mananti sanguine membra.
Tum vero adspiceres pavitantem, et condere semet
Nitentein sociis juvenem; ceu tigride cerva
Hyrcana quum pressa tremit; vel territa pennas
Conligit accipitrem cernens in nube columba;
Aut dumis subit ^ albenti si sensit in aethra
Librantem nisus aquilam^ lepus ote citato.
£nse ferit tum colla viri^ dextramque niicauteni
Demetity ac mutât successu saevior bostem.
Sta-Bat fulgentem portans in bella bipennem
Cinyphius , socérique miser Magonis inire
Optabat pugnam ante oculos, spe laudis, Isalces,
Sidonia tumidus sponsa, vanoque superbus
Fœdere promissae post Dardana prœlia taedae.
Huic inmittit atrox violentas Appius iras,
Conantique gravem fronti librare securim ,
Altior insurgens, galeam super exigit ictum :
At fragilis valido conamine solvitur ensis
i£re in Cinyphio; nec dispar sortis Isalces
Umbonem incerto detersit futilis ictu.
Tum quod humo haud unquam valuisset toUere saxum.
Ni vires trux ira daret, contorquet anbelans
Appius j et lapsu resupino in terga cadentem
Mole premit scopuli, perfractisque ossibus.urguet.
Yidit conjuncto miscens certamina campo
LES PUNIQUES, LIV. V. 299
fait rnge, il foudroie, il disperse tout ce qui s'oppose à
son passage : de sa blessure cachée sous le casque, le
sang ruisselle sur ses membres guerriers qu'il ennoblit
encore. Alors vous eussiez vUvrennemi tremblant cher-
cher un refuge et un appui parmi ses compagnons ;
pareil à la biche craintive que poursuit le tigre d'Hyr-
canie, ou à la colombe effrayée qui replie son aile à
l'aspect d'un épervier dans la nue , ou au lièvre qui d'un
pas agile gagne les buissons s'il voit planer un aigle
dans les champs limpides de l'air. Appius le frappe du
glaive à Tépaule, trancbe le bras qu'il levait sur lui, et
passe, exalté par la victoire, à d'autres ennemis.
Là se tenait, chargé d'une hache luisante, un enfant
du Cinyphe, Isalcès : l'infortuné brûle d'engager un
combat sous les yeux de Magon son beau-père, il aspire
à la renommée, il est fier de sa fiancée sidonienne et
tout glorieux de. l'hymen promis dont le flambeau pour
lui doit luire après la guerre. Appius en courroux
reporte contre lui sa violence et sa rage : à la vue de
cet ennemi qui lui balance avec effort au dessus du
front sa hache pesante, il se dresse, le dépasse et lui
assène sur le casque un coup de son épée; mais, trop
faible pour une si dure épreuve, le glaive se brise sur
l'airain du Cinyphe. Isalcès n'eut pas plus de sijccès :
son coup mal assuré efHeura sans portée le revers du
bouclier. Alors une pierre qu'il n'eût jamais pu soulever
de terre sans la terrible rage qui lui donna des forces,
Appius haletant la lance au Libyen , qui chancelle et
tombe renversé sous la masse du rocher qui l'écrase et
lui rompt les os. Près de là, aux prises dans la mêlée,
Magon a vu tomber son gendre : des larmes roulent
3oo PUNICORUM LIB. V. (v. 3o3.)
Labentem socer; et lacrimae siib casside fusse
Cum gemilu ; rapidusque ruit : data fœdera iiuper
Adcendunt auimos exspeclatique nepotes.
Jamque aderat, clipeumque viri atque inmaiiia metnbra
Lustrabat visu ; propiorque a fronte coruscae
Lux galeae saevas paulum tardaverat iras.
Maud secus, e spécula praeceps delatus opaca, .
Subsidens campo submissos contrahit artus ,
Quum viciua trucis conspexit cornua tauri^
Quanivis longa famés stimulet , leo ; nunc férus alta-
Surgentes cervice toros , nunc torva sub hirta
Lumina miratur fronte; ac jam signa moventem ,
Et sparsa pugnas meditantem spectat arena.
Hic prior intorquens telum sic Âppius infit :
i(Si qua tibi pietas, ictum ne desere fœdus;
Et generum comitare, socer. » Per tegmiaa velox
Tune œrisque moras lœvo stetit hasta lacerto.
Ât contra non dicta Libys, sed fervidus hastain
Perlibrat, magni donum memorabile fràtris,
Caeso quam victor sub mœuibus ille Sagunti
Abstulefat Durio , ac spectatae nobile pugnae
Germano dederat portare in prœlia pignus.
Telum ingenSy perque arma viri, perque ora, doioris
Adjutum nisu, letalem pertulit ictum;
Exsanguesque viri conantis vellere ferrum
lu vulnus cecidere manus. Jacet aequore nonien
LES PUNIQTJFS, LIV. V. 3of
sous sa visière; il gcrail, il s'élance, il vole, enflammé
de fureur au souvenir de Talliance prproisé et des enfans
qu'il avait espérés.
U s'avance, il mesure des yeux le bouclier et les
énormes membres du guerrier; il approche : l'éclat du
casque étincelant suspend un instant l'élan de sa colère.
Ainsi, des forêts élevées d'où il épie sa proie, le lion
descend et se précipite; mais quand il a vu de plus près
les cornes menaçantes du taureau, il s'arrête, malgré la
longue faim qui l'aiguillonne, il se baisse et s'accroupit
dans la plaine, il contemple avec surprise ^t ce cou
superbe sillonné de muscles, et ce farouche regard sous
un front hérissé; il observe l'ennemi qui lève l'étendard
et prélude aux combats en faisant voler la poussière.
Appiusle premier lance son javelot : a Si tu as quelque
pitié dans l'âme , tu ne peux renoncer au pacte qui t'en-
gage : beau-père , accompagne ton gendre. » Le trait
rapide pénètre tous les obstacles , le cuir et l'airain , et
se fixe au bras gauche de Magon. Le bouillant Libyen
envoie pour réponse, non des mots, mais sa lance,
mémorable présent de son illustre frère : \ainqueur sous
les murs de Sagonte, Annibal avait enlevé à Durius
immolé, et donné à son frère, pour le porter dans les
batailles , ce noble gage d'un combat signalé. L'énorme
javeline, que seconde l'élan d'une vive douleur, traverse
l'armure et le visage du héros, et lui porte une atteinte
mortelle. Il s'efforce d'arracher le fer, et ses mains
tombent mourantes sur sa blessure. Ainsi périt, sur le
sol méonien, Appius, nom célèbre, perte immense
entre toutes ces pertes de l'Italie. Le lac tremble, le
^oi PIJNICORUÎVI LIB. V. (V. 3^90
Clarum Maeonio, atque Italœ pars magna ruinaR
Appius : intretiuiere lacus, corpusque refugit
Contractis Trasymenus aquis; telum ore cruento
Exspirans premit, atque admorsœ inmurmurat hast».
Nec fati melior Mamercus corpore toto
Exsolvit pœnas, nulii non sauclus hosti.
Namque per adversos, qua Lusitana ciebat
Puguas dira nianus , raptum cum sanguine caesi
Signiferi magna vexillum mole ferebat ,
Et trépida infelix revocabat signa suorum.
Sed furiata cohors, ausisque adcensa superbis,
Quodcumque ipsa manu gestabat missile, quidquid
Praebebat tellus , sparsis vix pervia telis ,
Injecit pariter; pluresque in corpore hullo
Invenere locum pcrfossis ossibus hastae.
Advolat interea fraterni vulneris ira
Turbatus Libyae ductor, visoque cruore,
Num lateri cuspis, num toto pondère telum
Sedisset, fratremque atnens sociosque rogabat.
Utque metum leti procul, et leviora pavore
Cognovît, proprio teetum gestaminè praeceps
Ex acie rapit, et tutis a turbine pugnae
Constituit castris. Medicas hinc ocius artes j
Et senîoris opem Synhali vocat : unguere vulnus
Herbarum hic succis, ferrumqne e corpore cantu
Exigere, et somnum tacto misisse cholydro ,
LES PUNIQUES, LIV. V. 3o3
Trasymène recule devant ce cadavre et refoule ses
vagues : le héros expirant presse le trait de sa lèvre
saignante, et murmure en mordant la lance qui le tue.
Mamercus n'eut pas un sort meilleur : blessé par tout
le corps, il ne put échapper aux outrages d'un seul
ennemi, et paya cher son audace. Il s'était jeté dans la
mêlée , au sein de la cohorte lusitanienne acharnée au
combat; là, il avait massacré le porte-enseigne , et avec
la vie lui avait enlevé son étendard qu'il emportait d'un
bras vigoureux, rappelant, l'infortuné! ses compagnons
et leurs aigles fugitives. La troupe forcenée, dont sa
noble hardiesse avait enflammé la rage , l'accabla en même
temps et de tous les traits qu'elle tenait à la main, et
de tous ceux qui jonchaient la terre et embarrassaient sa
marche : jamais corps ne fut en butte à plus d'atteintes ,
ni déchiré de plus de coups.
Cependant, inquiet et indigné de la blessure de son
frère, le chef des Libyens, à la vue du sang, demande
si le fer, si le lourd javelot a pénétré tout entier; il in-
terroge avec angoisse et Magon et ceux qui l'entourent.
A peine il a reconnu que la blessure n'est ni mortelle ni
aussi grave qu'il l'avait pu craindre , il couvre Magon de
son propre bouclier, l'entraîne précipitamment hors du
combat, et, loin du tumulte de la mêlée, le dépose en
sûreté d^ns le camp. Là, il invoque et l'art et les remèdes
secourables du vieillard Synhalus; car nul mieux que lui
ne savait exprimer sur une plaie le suc des plantes,
tirer par un chant magique le fer d'une blessure, en-
dormir au toucher les serpens : sans rival, son nom
3o4 PUNICORUM LIE. V. (v. 355.)
Aiiteibat cunctos : nomenque erat inde per urbes
Perque Paraetoniae celebratum litora Syrtis.
Ipse olim antiquo primum Garamanticus Tlammoii
Scire pater dederat Synhalo, morsusque ferarum,
Telorumque graves ictus sedare medendo.
Atque is deinde suo inoricDs cœlestia dona
Monstravit nato y natusque heredis honori
Tramisit patrias artes ; quem deinde secutus
Haud levior fairia Syuhalus , Garamantica soUers
Monstrata augebat studio , multaque vetustum
Hammonis comitem numerabat imagine patrem.
Tum proavita ferens leni medicamina dextra
OciuSy intortos de more adstrictus amictus^
Mulcebat lympha purgatum sanguine vulnus.
At MagOy exuvias secum cœsique volutans
Hostis mente necem, frateruas peçlore curas
Pellebat dictis , et casum laude levabat :
a Parce metu, germane; meis medicamina nulla
Adversis majora feres : jacet Appius hasta
Ad mânes pulsus nostra. Si vita relinquat ,
Sat nobis actuin est; sequar hostem laetus ad umbras. »
Qu;£ dum turbatos avertunt œquore campi
Ductorès, valloque tenent; ex agmine Pœnuui
Cedentem consul tumulo speculatus ab alto,
Atque atrani belii castris se condere nubem,
Turbidus extemplo trépidantes milite mœsto
LES PUNIQUES, LIV. V. 3o5
retentissait avec éclat par toutes les villes et sur tous les
rivages de la Syrte parétonienne. Ammon le Garamante
autrefois avait donne à l'antique Syufaalus les premières
leçons de cette science, et lui avait appris à guérir les
morsures des bétes féroces et les profondes plaies des
javelots. Celui-ci, en mourant, transmit ce don c^éleste à
son fils, et le fils, pour illustrer son héritier, lui légua
les traditions de son père : Synhalus leur succéda et, sans
rien perdre de tant de renommée, sut ajouter encore, par
ses recherches, aux enseignemens du Garamante, prou-
vant , par la longue suite des images de ses aïeux , que
Tantique compagnon d'Ammon était son ancêtre. D'une
main légère il applique aussitôt les remèdes de ses pères;
ses vêtemens serrés autour de lui et repliés suivant
l'usage, il lave d'une onde fraîche le sang de la blessure.
Magon, dont les pensées né^roulent que sur le trépas et
les dépouilles de l'ennemi massacré , rassurait par ces
paroles l'âme inquiète d'Annibal , et balançant le péril
par la gloire : c Bannis tes alarmes, frère ; il n'est pas de
plus puissant remède à ma souffrance : Appius est mort ;
ma lance l'a précipité chez les mânes. Que la vie m'aban-
donne, ce que j'ai fait me suffit, et je suivrai joyeux
Tennemi chez les ombres. »
Pendant que ces tristes soins détournent du champ de
bataille les chefs ennemis retenus sous leurs tentes, le
consul qui, du haut d'une éminence, a vu le Carthaginois
quitter son armée, et ce noir tourbillon de guerre s'en-
fermer dans le camp, s'élance avec furie, charge les
bataillons troublés par la douleur, ouvre les rangs
I. '20
3o6 PUNICORUM LIB. V. (v. 38 1.)
Iiivadit cuneos, subitoque pavore relaxât
Jam rarescentes acies : tum voce feroci
Poscit equum, ac raediae ruit in certamina vallis.
Sic ubi torrentem crepitanti grandine nimbuin
Inlidit terris, molitur Juppiter altas
Fulmine nunc Alpes, nunc mixta Cerâunia cœlo,
Intremuere simiil tellus, et pontus, et œther,
Ipsaque commoto quatiuntur Tartara mundo.
Incidit adtonitis inopino turbine Pœnis
Haud secus inprovisa lues , gelidusque sub ossa
Pervasit miseris conspecti consulis horror.
It médius , ferroque ruens densissima , iatum
Pandit iter : ciamor vario (Hscrimine vocum
Fert belli rabiem ad Superos, et sidéra puisât.
Ceu pater Oceanus quum saeva Tethye Calpen
Herculeam ferit, atque ei^esa in viscera montis
Contortum pelagus latrantibus ingerit àndis«
Dant gemitum scopuli; fraclasque în rupibus unrdas
Audit Tartessos latis distermina terris,
Audit non parvo divisus gurglte Lixus.
Ante omnes jaculo tacitas fallente per auras
Obcumbit Bogu$, infaustum qui primus ad amnem
Ticini raprdam in Rutulos contoi-serat hastàm.
lile sibi longam Clotlio, turbamque nepotum
Crediderat, vanis deceptus in alite siguis.
Sed non augurio Parcarum inpellere metas
LES PUNIQUES, LIV. V. 307
surpris qui se desserrent saisis de crainte : d'une voix
terrible il demande son coursier, et se jette au combat
dans la vallée. Ainsi, quand les torrens impétueux de la
grêle retentissante battent la terre, Jupiter frappe de sa
foudre et les cimes des Alpes et les rocs Cérauhtens qui
touchent le eîel; tout tremble en tnême temps, et le sol,
et la mer, et l'éther; le Tartare même s'ébranle sous les
secousses de l'univers.
Non moins soudaine, d'un choc violent et imprévu
fond la tempête sur les Carthaginois épouvantés : l'aspect
du consul glace les malheureux d'une froide horreur
qui pénètre leurs os. Il vole dans la mêlée, enfonce le
fer dans les masses épaisses et se fraie un large chemin :
mille datueurs diverses , mille voix confuses percent la
nue, et portent jusqu'aux dieux les éclats de là rsge.
x\însi quand l'Océan, père de toutes choses, tourne
contre Calpé le courroux de Téthys, et dans les flancs
creusés du mont herculéen pousse les flots houleux et les
vagues hurlantes , le roc plaintif gémit ; les ondes se >
brisent avec fracas : on les entend au loin dans Tar-
tessus détachée du large continent; on les entend à
Lixus, par-delà le gouffre profond qui la sépare.
Avant tbos, surpris par une flèche qui saiis bruit a
fendu les airs, Bogus succombe : il avait, le premier,
sur les funestes rivages du Tésin, lancé contre les Ru-
tules sa rapide javeline. Il espérait de Clotho longue vie
et nombreuse lignée, abusé par le vain présage des
oiseaux.. Mais nul, en vertu d'un augure, n'eut le don
jamais de recaler les bornes marquées aux Parques : H
' 20.
3o8 PUNICORUM LIB. V. (v. 407.)
Concessum cuiquaiti : ruit intef telâ cruentis
Susptciens oculis cœlum, Superosque reposcit
Tempora promissae média jam morte senectae.
Nec Pagaso exsultare datur, ne inpune reiictum
Consulis ante ooulos vita spoliasse Libonem.
Laurigeris decus îllud avis navaque juventa
j
Florebat : sed Massylus subciderat ensis
Pubescente caput mala , properoque virentes
Delerat leto beliator barbarus annos.
Flaminium inplorasse tamen jam morte suprema
Haud frustra fuit : avulsa est nam protiuus hosti
Ore simul cervix; juvit punire feroci
Victorem exemplo, et monstratum reddere letuin.
Quis Deus, o Musae, paribus tôt fanera verbis
Evolvaty tantisque umbris in carminé digna
Quis lamenta ferat? certantes laude cadendi
Primaevos juvenes, mortisque in limine cruda
Facta virum, et fixis rabiem sub pectore telis?
Sternitur alternus vastis concUrsibus hostis:
Nec spoliare vacat, prœdaeque advertere mentem.
Urget amor caedum, clausis dum detinet hostem.
Fraternum castris vulnQs; funditque ruitque
Nunc jaculis, nunc ense, modo inter millia consul
Beliantum conspectus equo, modo Marte feroci
Ânte aquilas et signa pedes. Fluit inpia rivis
Sanguineis vallis ; tumu)ique et concava saxa
LES PUNIQUES , LIV. V. ^09
roule sur h^s javelot$, at, levant vers le ciel des yeux
ensanglantes, à.demî mort déjà, il redemande aux dieux
les jours de. vieillesse qu'ils lui ont propfiis.
Pagasus n'eut pas lieu de s'applaudir et fut bieutOit
puni d'avoir, sous les yeux du consul, dëppuillé Li- '
bon de la vie. Paré des lauriers de ses ancêtres , Libon
brillait encore par sa vaillance et sa jeunesse en fleur :
mais Tépée du Massyle tpancha cette tête aux joues
adolescentes; p^r uae mort précoce, le soldat barbare
rompit le cours de ces vertes années. A son heure der-
nière, il implora Flaminius, et ce ne fut pas en vain;
car, à l'instant même, tomba détachée la tête de l'en-
nemi : le q.onsul, en punissant ainsi le vainqueur, voulut
suivre son cruel exemple , et lui rendre, le. trépas qu'il ,
avait donné.
Quel dieu. Muses, saurait dignement redire tant de
funérailles? qui pourrait, dans ses vers, pour de si
grandes ombres, avoir assez de larmes? De jeunes
guerriers, des enfans se disputent la gloire de mourir :
soush le coup du trépas, les héros luttent encore , et la
rage vit dans les cœurs sous le fer qui les tue. Avec de
vastes efforts l'un et l'autre ennemi tour-à-tour se heurte
et se renverse : nul n'a le loisir de dépouiller le vaincu
ou de songer au. butin. Entraîné par l'amour du carnage,
pendant que la blessure de M9gon tient son frère en-
fermé dans le camp , le consul terrasse , écrase tout , du
javelot, de l'épée, tantôt à cheval et superbe entre ces.
milliers de combattans, tantôt à pied et livrant rude
guerre en avant des aigles et des enseignes. La vallée
maudite roule des flots de sang , les collines et les roches .
3io PUOTCORUM LIB. V. (v. 433.)
Armorum sonitus, flatusque imitantur equorum.
MiscEBAT caoïpum , membrorum io prœlia portans
Celsius humano robiir, visac^ue paventes
Mole gigantei vertebat cbrporis alas
Othrys Marmarides : la(i super agroen utrumque
Ingeos tollebaat humeri caput; hirtaque torvae
Froôtis csesariesy et crinîbtis aemula barba
Umbrabàt rictus ; squalore hutc hispida dîra^
Et villosa feris horrebant pectora saetis.
Ad^pirare viro propioremque adderé Marlem
Haud ausum Guiquam : Wxo oeu bellua campo^
locessebatur tutk^ ex agmine telis.
Tandem, vesanos palantuin in terga ferentt
Cum fremitu vultus^ tacita per nubila penna
Intravit torvum Gortynra lumen ariindo ,
Ayertîtque virum. Fugientis ad agniina consul
Intorquet tcrgo jaculum, quod tegmine nudas
Inpupit costas , hirtoque a pectore primum
Mucronem ostendit : rapidus convellere tentât
Qua nasci ferrum fulgenti cuspide cerntt ,
Dopec, abundanter defuso sangaine, late
-Procubuit moriens, et telum vulnere pressit :
Spiritus exundans vicinum pulvere moto
Perflavit campum, et nubem dispersit in auras.
Nec minor interea tumulis silvisque fremebat
Diversis Mavors, variaque per ardua pngna
LES PUNIQUES, LIV. V. :îii
sonores répètent le cliquetis des armes et le souffle
bruyant des coursiers.
Bouleversant le champ de bataille, un guerrier d'une
stature et d'une vigueur plus qu'humaine promenait
dans les rangs sa gigantesque masse , et chassait devant
lui les cohortes épouvantées : c'était Othrys le Marma-
ride : ses larges épaules élevaient sa tête au dessus des
deux armées; sur son front menaçant se dressait un
poil rude, et une barbe pareille à sa chevelure ombra-
geait ses lèvres : sa poitrine hideuse et velue était hé-
rissée de soies dui'es et sauvages. Nul n'osait l'aborder,
le joindre pour le combattre : comme une bête farouche
échappée dans la plaine, on l'attaquait de loin et sans
péril du sein de la mêlée. Enfin, comme il dirigeait en
frémissant des regards forcenés contre les Romains en
déroute, d'une aile légère et sans bruit une flèche de
Gortyne glissa dans l'espace, et s'enfonça dans son œil
louche. Le géant recule et s'enfuit : le consul lui lance
dans le dos sa javeline; le fer, pénétrant les côtes nues
et sans défense, sort et reparait au milieu de la poitrine
velue : Othrys essaie aussitôt d'arraclier ce fer aigu qu'il
voit poindre et luire; mais son sang coule en abondance,
son vaste corps s'abat mourant sur la terre, et le trait
plus avant rentre dans la blessure : des bouffées de son
haleine il balaie le sol qui l'entoure, et soulève un nuage
de poussière qui tourbillonne dans les airs.
Cependant sur les collines et dans les forêts la lutte
n'est pas moins vive ; divers combats sont engagés sur
^12 PUNICORUM LIB. V. (v. 459)
£t saxa et dumi rorantes caede nitebant.
Exitium Irepidis, letique et stragis acerbae
Causa Sycbœus erat : Murranum ille emiaus hasta
Perculerat ; quo non alius, quum bella silerent,
Dulcius OËagrîos pulsabat pectine nervos.
Obcubuit silva in magna, patriosque sub ipso
Quaesivit montes leto, ac felicia Baccho
.£quana , et Zephyro Surrentum molle salubri.
Addiderat raisero comitem , pugnaeque ferocis
Gaudebat tristi victoi' no vitale Sychaeus.
Palantes nam dum sequitur, pervaserat altani
In silvam, et priscae reclinJs ab ictibus ulmi
ïerga tuebatur trunco, frustraque relictos
Tauranus comités saprenKi voce ciebat.
Transegit juvenem, ac perfossis incita membris
Haesit in obposito cuspis Sidonia ligna.
QD10 vobis? quœnam ira Deum, vel mente sinisti*a
Quae sedît formido, viri? qui, Marte relicto,
Ramorum quaesistis opem : non œquus in artis
Nimirum rébus suasor metus : argûit asper
Ëx.itus eventu pravi consulta timoris«
Annosa excelsos tendebat in aethera ramos
£sculus, umbrosum magnas super ardua silvas
Nubibus insertans altis caput, instar, aperto
Si staret campo, nemoris, lateque tenebat
Frondosi nigra tetlurem roboris umbra.
LES PUNIQUES, LIV. V. 3i3
les hauteurs , et les roches et les buissons luisent arrosés
de sang. C'est là que Sychée a porté l'ex termina tion et le
désordre, et qu'il cause un massacre, un carnage terrible.
De loin il frappe de sa lance Murraniis; nul, quand le
fracas de la guerre avait cessé, ne touchait plus mollement
du dé les cordes d'Éagrus. Tombé dans la forêt immense,
Murranus chercha d'un œil mourant les monts de sa
patrie, ces coteaux équaniens que Bacchus favorise, et
la tiède Surrente aux zéphyrs salutaires. Un autre a
bientôt partagé le soi*t de cet infortuné , et Sychée
vainqueur s'applaudit de ce second meurtre dont il
aime l'atroce nouveauté. Entraîné à la poursuite des
fuyards, Tauranus s'était avancé dans les profondeurs
de la forêt; le dos appuyé au tronc d'un orme antique,
il s'était mis à l'abri des atteintes, et il appelait, mais
en vain et pour la dernière fois, ses compagnons qu'il
avait abandonnés. La lance du Sidoùien perça le jeune ^
Bomain , lui traversa le corps et le cloua dans l'arbre
où elle s'arrêta.
Qu'avez-vous ? quel courroux des dieux vous égare?
quelle terreur sinistre a pris place en vos âmes , guer-
riers, qui désertez le combat et cherchez un refuge au
sommet des arbres? A l'heure du péril, c'est un funeste
conseiller que ta peur : fatal à son issue, toujours l'évé-
nement condamne les tristes inspirations de la crainte.
Une yeuse séculaire étendait ses hautes branches dans
les airs, et superbe et dominant les forêts immenses,
elle enfonçait sa tête chevelue dans les nuages : en
plaine, elle eut semblé seule un bois; elle couvrait au
loin la terre des noires ombres de son épais feuillage.
Près d'elle, un chêne, son égal , qui depuis de longs
3i4 PUNICORUM LIB. V. (v. 4S5.)
Par jaxia qiiercus, longutn moItU per a&vuin
Yertice canenti proferre sub astra cacûmen y
Diffusas patulo laxabat stipite frondes ^
Umbrabatque opma summi fastîgia iiiootîs.
Hue Hennœa eohors, Triquetrîs quam miserai oris
Rex, Arethusa^ tuus, defendere nescia raorli
DedecuSy et inentem nimio inutata pavore,
Certatim sese tuiit , adsceadensqiie vicissim
Pressit nutantes ineerto poadere ramos.
Mox alius super atque alius coasistere tuto
Dum certauty pat*s excussi (nam fragmioe putri
Ramorum , et senio maie fida fefellerat arbor) ;
Pars trepidi ceiso inter tela cacumine pendent.
TuRB\TOS una properans consumere peste
Conripit œratam jam dudum in beila bipennem ,
Deposito clipeo mutatus tela, Sychaeus.
lucumbunt sociae dextrae, maguoque fragore
Puisa gémit y crebris subcumbens ictibus y ai*bos.
Fluctuât infelix concusso stipite turba;
Ceu Zephyrus quatit antiques ubi flamine lucos.
Fronde super tremuli vix tota cacuminis haerens
Jactatur, nido pariter nutante, volucris.
Procubuit tandem mutta devicta securi
Subfugium infelix miseris et inhospita quercus,
Ëlisitque virum spatiosa membra ruina.
Injde alias claditm faciès : contermina caedis
LES PUNIQUES, LIV. V. 3ir>
siècles s'efforçait d'élever jusqu'aux astres la cime de
son front blanchi, déployait autour de lui les rameaux
épars de sa tige touffue, et ombrageait de sa chevelure
le vaste faîte de la montagne. C'est là que les enfans
d'Henna , que celte cohorte envoyée par ton roi ,
Arëthuse, des rives triquétriennes , sans nul souci de
sauver son trépas de l'opprobre, et l'âme flétrie par
Texcès de la crainte , se jeta en tumulte. Us gravissent
tour-à-tour ces branches qui vacillent sous le poids mal
assuré qui les presse. L'un sur l'autre entassés, ils cher-
chent un lieu ferme où se prendre; mais soudain les uns
tombent avec un rameau pourri qui se brise : la perfide
vieillesse de l'arbre les a trahis; les autres tremblent
suspendus au sommet , en butte à tous les traits.
Sychée profite de leur trouble pour tes exterminer
tous ensemble. Il change d'aribure, dépose son bou-
clier, et saisit sa hache de guerre, doublée d'airain. Ses
compagnons le secondent : leurs bras réunis frappent
l'arbre qui gémit en longs éclats, et succombe sous les
coups redoublés qui le déchirent. La troupe infortunée
chancelle aux secousses de la tige qui s'ébranle. Ainsi ,
quand le souffle de Zépbire agite les antiques forêts, sur
la feuille mouvante qui le soutient à peine, l'oiseau flotte
bercé dans son nid qui vacille. Vaincu enfin par tant
de haches, l'asile funeste de ces malheureux s'écroule,
l'arbre inhospitalier s'abat, et du poids de sa vaste ruine
écrase les membres des guen*iers.
é
Ailleurs autre désasti^ : l'yeuse, voisine de ce carnage,
3i6 PUNICORUM LIB. V. (v. Su.)
Conlucet, rapidoque involvitur aedculus igni»
Jamque inter frondes , arenti robore gliseeos
Verlicibus sœvis, torquet Vuicanus anhelos.
Cum fervore giobos flammarum^ et culmina torret.
Nec tela interea cessant : semiuista gementunL,
Atque amplexa caduat ardentes corpora'ramos.
Hjec inter miseranda. virum certamina consul
Ecce aderaty volvens irara exitiumque Sychaso.
At juvenis dubio tantae discrimine pugnae
Occupât eventum telo tentare priorem; ,
Gui medio leviter clipeo stetit œris in ora
Cuspis, et ohpositas vetita est tramittere cràtes,
Sed non et consul misso concredere telo
Fortunara optatœ caedis parât, ac latus ense
Haurit; nec crudae tardarunt tegmina parmae.
Labitur infelix, atque adpetit ore cruento
Tellurem exspirans : tum, difFundente per artus
Frigore se Stygio , manantem in viscera mortem
Adcipit, et longo componit lumina somno.
Atque ea dum variis permixtus tristia Mavors
Casibus alternat, jam castris Mago relictis,
Jam Libyae ductor properanlia signa citato
Raptabant cursu, et cessata reponere avebant
Tempora cœde virum, ac multo pensare cruore.
It globus intorquens nigranti turbine nubem
Pulveris, et surgit sublatis campus areuis;
LES PUNIQUES, LIV. V. 3 17
s'embrase enveloppée soudain par l'incendie. Vulcain
s'attache au feuillage, au tronc desséché qui alimente
sa rage , touii)illonne j et darde avec furie ses trombes
flamboyantes au sommet de Tarbre qu'il dévore. Les
traits volent en même temps : avec des cris plaintifs,
les corps tombent , à demi brûlés , sur les rameaux
enflammés qu'ils embrassent encore.
Pendant que ses soldats se débattent dans les tortures,
voici que le consul arrive, apportant guerre et mort à Sy-
chëe. Peu confiant aux hasards d'une lutte si redoutable,
le jeune Africain prévient l'ennemi, lui lance un trait^
et le premier ainsi lente l'événement. Le fer pénètre
légèrement la surface du bouclier, et s'arrête sur les
lames d'airain qu'il rencontre et ne peut traverser. Mais
ce n'est point avec un javelot que lé consul pense assurer
le succès du meurtre qu'il désire : il plonge son glaive
au ventre de Sychée^ et le dur rempart du bouclier
n'y put faire obstacle. L'infortuné tombe, et de sa lèvre
saignante il mord la terre en expirant : le froid du Styx
se répand sur tous ses membres , la mort glisse dans ses
entrailles, son œil fermé s'endort du sommeil éternel.
Pendant que Mars confond et varie ainsi tour-à-tour
les tristes chances des batailles, déjà Magon, déjà le
chef de Tannée libyenne, sortis du camp, ramènent à
pas précipités leurs rapides enseignes, avides de réparer
à force de carnage le temps qu'ils ont perdu, et de le
racheter avec des flots de sang. Leur marche impétueuse
soulève de noirs tourbillons de poussière; le sable jaillit
et voie dans la plaine ; partout où le chef se porte et
^i8 PUNICORUM LÏB. V. (v. Sî?)
Quaqu0 ferèns gressum flectit vesligia ductor ,
Uiidanti circum tem pestas acta prôcella
Volvitur, atque altos operit caligine montes.
Obcubuere fémur Fontanus, Buta canorum
Transfixi guttur^ pressoque e Yuliiere cuspis
Prospexit terga : hune tristes laxere Fregellas
Multiplicem proavis, hune mater Anagoia flevit.
Hauo dispar fortuna tibi , Laevine ; sed auso
NoD eadem : neque enim Tyrio coacuft*ere régi
Tentas; sed lectus par ad certamen Itheinon
(Autololum moderator erat), quem poplite cœso
Dum spolias y gravis inmiti cum turbine costas
Fraxinus inrupiti conlapsaque membra stib ictu
Hoate superfuso subita cecidere ruina.
Nec Sidicina cohors défit. Viridasius armât
Mille viros , nuUi victus vel ponere castra ,
Yel junxisse ratem , duroque resolvere muros
Ariete, et in turrtm subitos imnittere pontes.
Quem postquam Libyae ductor virtute feroci
Ëxsultare videt (namque illi vulnere praeceps
Terga dabat levibus diflfîsus Arauricus armis);
Acrius hoc pulchro Mavorte adcensus in iram ,
Et dignum sese ratus in certamina saBVo
Comminus ire viro, referenti e corpore telum
Advolat , et fodiens pectus , « Laudande laborum ,
Quisquis es , haud alia decuit te obcumbere dextra.
LES PUNIQUES, LIV. V. 3 19
dirige sa course, l'ouragan poudreux roule autour de
lui ses tempêtes ondoyantes et couvre de ténèbres le faîte
des montagnes. Fontanus succombe percé à la cuisse,
Buta au cou, et le trait qui s'enfonce en son gosier
sonore, \e déchire d'outre en outre et reparaît derrière :
l'un comptait de nombreux ancêtres, et fut amèrement
regretté de Frégelles : Anagnie pleura l'autre , il était
son enfant.
Tu as même sort, Lévinus , sans avoir eu même
courage. Tu n'as point osé te mesurer avec le roi ty-
rien ; tu as choisi, pour une lutte plus égalé, Ithé-
mon, chef des Autololes, et fu lui as tranché le jarret.
Mais pendant que tu le dépouilles, la lourde javeline,
en son terrible essor, te brise les côtes; ton corps
chancelle sous le coup imprévu qui le renverse : l'ennemi
sur toi retombe et t'écrase,
La cohorte de Sidicinum ne fait point faute. Viridasius
arma ces mille guerriers. Nul n'est son maître en l'art
d'asseoir un eaUip, de joindre les radeaux, d'àbâttrèles
remparts sous le choc du bélier , et de jeter à l'improvîj^te
un pont sur une tour assiégée. Le chef des Libyens le
voit bondir d'orgueil et de joie (Arauricus par lui
blessé fuyait avec vitesse, peu rassuré par sa légère
armure). L'éclat de sa bravoure enflamme plus vivement
la rage d'Annibal; il croit digne de lui de combattre de
près l'intrépide guerrier. Viridasius rapportait le javelol
qu'il venait d'arracher du corps d' Arauricus. Annibal
vole à lui , et , lui perçant le cœur : « Gloire à toi , soldat ;
qui que tu sois, tu ne pouvais noblement périr d'une
autre main. Emporte chez les mânes une mort honorable.
Si tu n'étais de race italienne, je te renverrais en te
320 PUNICORUM LIB. V. (v. 563.)
Ad mânes leti perfer decus : Itala gentis
Ni tibi origo foret , vita donatus abires. »
Hinc Fadum petit y et vetérem bellare Labicum ,
Cui Siculis quondam terris congressus Hamilcar
T
Ciarum spectato dederat certamine nomen.
Inmemor annorum, seniumque oblitus, in arma
Ille quidem cruda mente et viridissimus irae
Ibat; sed vani frigentem in Marte senectam
Prodebant ictus : stipula crepitabat inani
Ignis inersy.cassamque dabat sine robore flammam.
Qu£M postquam adcepit patrio monstrante superbus
Armigero Pœnum ductor, « Certamina primae
Hic lue nunCy inquit, pugnae : te notus Hamilcar
Hac trahit ad mânes dextra. » Tum librat ab aure
lutorquens jaculum , et versantem in vulnere sese
Transigit : extracta fœdavit cuspide sanguis
Canitiem^ ac longos fini vit morte labores.
Nec minus Herminium primis obtruncat in armis,
Adsuetum, Trasyinene^ tuos praedantibus hamis
Exhaurire lacus, patriaeque alimenta senectae
Ducere suspenso per stagna jacentia lino.
Interea. exanimem mœsti super arma Sychaeum
PorEabant Pœni , corpusque in castra ferebant.
Quos ubi conspexit tristi clamore ruentes
Ductor, praesago percussus pectora luctu,
«Quinam, jnquit, dolor^ o socii, quemve ira Deoruni
LES PUNIQUES, LIV. V. 3 5.1
laissant la vie. » Il attaque Fadus, et après lui Labicùs ,
vieilli dans les batailles , et qui jadis, aux terres de Sicile ,
avait lutté contre Aniilcar : combat signalé qui avait
illustre son nom. Sans souci des années, de la vieillesse
qu'il oublie, il porte sous les armes une âme jeune en-
core, une verte audace; mais ses coups impuissans dans
la mêlée trahissent son bras glacé par Tâge : c'est un feu
mourant où pétille une paille légère, et qui ne donne
plus qu'une flamme languissante et sans force.
Le chef superbe des Carthaginois marche à ce vieillard
que lui désigne l'écuyer de son père : « Tu vas expier
ici , lui dit-il, le succès de ta lutte première: puisque tu
connais Amilcar , c'est lui qui par mon bras t'entraîne
chez les mânes. » Il ramène à la hauteur de son oreille et
lance à Labicus un javelot qu'il arrache aussitôt du sein
qu'il a percé : l'ennemi roule sur sa blessure, ses cheveux
blanchisse souillent de sang, et la mort met un terme à
ses longs travaux. Annibal immole ensuite Herminius ,
encore à ses premières armes, et accoutumé jusque-là,
Trasymène, à dépeupler tes étangs de ses hameçons ra-
paces, à suspendre le lin sur ton onde endormie pour
nourrir son vieux père.
Cependant les Carthaginois affligés rapportaient au
camp, étendu sur ses armes, le corps inanimé de Sy-
chée. Les voyant accourir ainsi avec des cris plain-
tifs, Annibal qui les devine, l'âme frappée de tristesse ;
« Pourquoi cette douleur, compagnons? quel guerrier
le courroux des dieux nous a-t-il donc ravi? Est-ce
1. 21
3»a PUNICORUM LIB. V. (v. 58y.)
Ëripuit nobis? num te, diilcedine lauclis
Flagrantem et nimio primi Mavortis amore,
Atra, Sychaee, dies properato funere carpsit?»
Utque, dato geinitu, lacrimae adsensçre ferentum,
Et dictus pariter cœdis tnœrentibus auctor :
« Cerno, ait, adverso piilchrum sub pectore vulnus
Cuspidis Ilïacae : dignus Carthagiue, digaus
Hasdriibale ad mânes ibis; iiec te oplima mater
Dissimilem lugebit avis, Stygiave sub umbra
Degenerem cernens noster vitabit Hamilcar.
At mibi Flaminius, tam mœsti causa doloris,
Morte sua minuet luctus : haec pompa sequetur
Ëxsequias, seroque emtum volet inpia Roma
Non violasse mei corpus mucrone Sychsei. »
Sic memorans torquet fumantem ex ore vaporem ,
Iraque anhelatum proturbat pectore murmur.
Ut multo adcensis fervore exuberat undis,
Clausus ubi exusto Kquor indignatur aheno.
Tum praeceps ruit in medios, solumque fatigat
V
Flaminium incessens. Nec dicto segnius ille
Bella capessebat, propiorque insurgere Mavors
Cœp^-al, et campo jitnctus jam stabat utet'que;
Quum subitud per saxa fragor, motîque repente
(Horrendum) colles , et summa cacumina totis
Intremuere jugis : nutant in vertice silvae
Pinifero, fractaeque ruunt super agmina rupes.
LES PUNIQUES, LIV. V. Saî
toi j Sychée , toi qu'enflammait l'amour de la gloire et
la fougue trop vive d'une première ardeur , est-ce toi
([u'une mort prématurée nous enlève en ce jour fu-
neste?» Les soldats confirment ses presseutimens par
leurs larmes et leurs sanglots, et lui nomment Fau-
teur du trépas qu'ils déplorent, a Je le vois, dit-il^
c'est par devant et sous le cœur, en belle place, que le
fer troyen t'a frappé : lu iras chez les mânes, digne de
Carthage , digne d'Asdrubal; ta tendre mère en pleurant
ne t'accusera pas d'avoir démenti tes aucétres, et notre
Amilcar, en te voyant parmi les ombres du Styx , ne
t'évitera pas comme un héros dégénéré. Mais ce Flami-
nius, seule cause de nos amères douleurs, me va sou-
lager par sa mort de tant de souffrance : voilà quelle
pompe suivra tes funérailles; et Rome la maudite vou-
dra trop tard , bien qu'à tout prix , n'avoir poini ou*
tragé de son glaive le corps de mon Sychée. »
Il dit, et de sa bouche s'exhale une vapeur épaisse; la
rage s'échappe de sa poitrine par sanglots entrecoupés.
Ainsi bouillonne et déborde l'onde échauffée qui lutte
indignée contre l'airain brûlant qui l'efiferme. Il se pré*
cipite dans la mêlée; il n'appelle, ne provoque que Fla-
niinius. Le consul qui l'entend, n'est pas moins prompt
à voler au combat ; ils s'approchent , se joignent pour
la lutte, et s'arrêtent l'un et l'autre en présence dans
la plaine : soudain, avec un fracas horrible, les ro-
chers, les collines s'ébranlent; les hauts sommets des
montagnes tremblent sur leur base; les forêts chan-
cellent sur les cimes où leurs pins ont grandi; les roches
éclatent et s'écroulent sur les armées. La terre mugit et
se soulève au loin dans les profondeurs de ses cavornes.
Z'}\ PUNICORUM Lllî. V. (v. 6i5.)
Inmugît penitus coiivulsis ima cavernis
Dissiliens tellus, nec parvos rumpit hiatus;
Atque umbras late Stygias inmensa vorago
Faucibus ostendit patulis,.inaiiesque profundi
Âoliquum expavere diem. Lacus ater, in altos
Sublatus montes et sede excussus avita,
Lavit Tyrrhenas ignota adspergine silvas.
Jauique eadem populos magnorutuque oppida regum
Tempestas et dira lues stravitque tulitque.
Ac super lisec reflui pngnarunt montibus amnes^
El rétro fluctus torsit mai'e. Monte relicto
Apenuinicol;£ fugere ad litora Fauni.
PuGNABAT tamen (heu belli vecordia!) miles,
Jactatus titubante solo, tremebundaque tela,
Subducta tellure ruens, torquebat in hostem,
Donec puisa vagos cursus ad litora vertit
Mentis inops, slagnisque inlata est Daunia puhes.
Quis consul terga increpitàns (nam turbine motœ
Ablatus lerice inciderat) : «Quid deinde, quid, oro,
Restât, io, profugis? vos en ad mœnia Romœ
Ducitis Hannibalem : vos in Tarpeia Tonantis
Tecta faces ferrumque datis. Sta, miles, et acres
Uisce ex me pugnas : vel , si pugnare uegatum ,
Disce mori! dabit exemplum non vile futuris
Flaminius , ne terga Libys , ne Cantaber unquam
Consulis adspiciat : solus, si tanta libido
LES PDNiQUES , LIV. V. SaS
brise ses voûtes, déchire son sein qui s'entr'ouvre : un
gouffre immense , par sa large bouche béante, découvre
les ombres du Styx, et les mânes de l'abîme s'épou-
vantent de revoir l'antique clarté du jour. Le lac se
trouble, s'arrache de son ht natal, s'élance jusqu'au
faîte des montagnes, et baigne de ses flots inconnue
les bois tyrrhéniens. Les peuples, les puissantes cités
des rois tombent et disparaissent emportés dans les
bouleversemens de la tempête. Les fleuves reculèrent,
violemment rebroussés vers les montagnes, et la mer
refoula ses vagues en airière. Les hôtes de l'Apennin ,
les Faunes, quittant la montagne, s'enfuirent vers les
rivages.
Néanmoins (ô frénésie de la guerre! ) le soldat s'acharne
à combattre sur ce sol mouvant qui le balance; d'un
bras incertain il jette encore ses traits à l'ennemi, quand
!a terre se retire et lui manque. Enfin repoussés, les
eiifans de Daunus tournent, éperdus, leurs pas égarés
vers le lac, et se précipitent dans ses ondes. Le consul
indigné leur reproche leur fuite (les secousses du sol
ébranlé l'avaient séparé d'Annibal et entraîné vers eux) ;
a Quel espoir encore , dites , quel espoir vous reste ,
hélas! si vous fuyez? Vous menez iinnibal sous les
remparts de Rome, vous livrez au fer et à Tincendie les
palais de Jupiter Tarpéien. Arrête , soldat ! apprends
de moi à combattre dignement; ou, si la lutte est
impossible, apprends à mourir! Flaminius ne donnera
pas un exemple de lâcheté aux siècles à venir; jamais
Libyen, jamais Cantabre ne verra reculer le consul.
Seul y si l'envie, si la rage de fuir vous tient au cœur,
3a6 PUNICORUM UB. V. (v. 641)
Est vobis rabiesque fugx, (ela omnia solus
Pectore consumo, et morietis, fugiente per auras
Hac anima, vestras revocabo ad prœlia dextras. »
DuMQUE ea commémorât, densosque obit obvius hostes,
Ad volât ora férus mentemquc Ducarius : acrî
Nomen erat gentile viro, fusisque catervis
Boiofum quondam patriis , antiqua gerebat
Vulnera barbaricae mentis ; nosœnsque superbi
Yictoris vultus, «Tune, inquit, maximus ille
Boiorum terror? libet hoc cognoscere telo,
Corporis an tanti manet de vulnere sanguis.
Nec vos pœniteat, populares, fortibus umbris
Hoc mactare caput : nostros hic curribus egit
Insistens victos aha ad CapitoUa patres.
Ultrix hora vocat. » Pariter tune undique fusis
Obruitur telis, nimboque ruente per auras
Contectus, nulli dextra jactare reliquit
Flaminium cecidisse sua. Nec pugna pererafo
Dlterior ductore fuit : namque agmine denso
Primores juvenum , lœva ob discrimina Martis
Infensi Superis dextrisque, et cernere Pœnum
Victorein plus morte rati, super ocius omnes
Membra ducis stratosque artus certamine magno
Telaque, corporaque, et non fausto Marte cruentas
Injecere manus. Sic deosi caedis acervo, .
,Ceu tumulo, texcre virmii. Tum, strage per undas,
LES PUNIQUES , LIV. V. 3a7
seul j sur cette poitrine , j'épuiserai tous leurs traits : et
mourant y quand mon âme s'échappera dans les airs, je
vous rappellerai encore au combat. »
Comme il parlait ainsi et s'élançait au devant des
rangs serrés de l'ennemi, accourt à sa rencontre un guer-
rier farouche ^ la rage au cœur et sur le front. Ducarius
(c'était le nom que lui donnaient les Boïens, ses frères)
avait été battu jadis dans les armées de sa patrie; et cette
vieille blessure saignait encore dans l'âme du barbare. Il
a reconnu le visage altierde son vainqueur : «Te voilà
donc^ s'écrie-^t-îl , gratide terreur de nos Boiens! Je veux
savoir, et ce javelot va me l'apprendre, si le sang peut
jaillir d'un si noble corps. £t vous, camarades, n'ayez
point regret d'immoler cette tête aux mânes de nos
braves : il a vaincu nos pères, il les a traînés du haut
de son char au sommet du Capitole. Vengeons-les, voici
l'heure!» De partout à la fois pleuvent les javelots,
Flaminius tombe sans vie sous cette nuée qui perce les
airs et l'écrase : nul ne put se vanter d'avoir tué de sa
main le consul. Son trépas mit un terme au combat.
Réunis alors, les jeunes chefs de l'armée romaine,
accusant de leurs revers funestes et le ciel et leurs bras^
pensèrent que la vue du Carthaginois vainqueur serait
pour eux pire que la mort : tous ensemble ,^ avec empres-
sement, s'élancent à Tenvi sur les membres du consul
abattus et gisans, les couvrent de leurs armes, de leurs
corps, et s'égorgent de leurs propres mains, rougies
sans succès dans la bataille. Le lourd monceau de leurs
cadavres s'éleva , comme un tombeau , sur le héros
expiré. Alors, à travers les débris du carnage épars
au loin sur les eaux, dans les forêts, dans la vallée
3a8 PUNICORUM LIB. V. (v. 667)
Per silvas sparsa, perquc altam sanguine valiem ,
In médias fratre invectus comîtaute catervas
Caesorum juvenum Pœnus, « Quae vulnera cernis !
Quas mortes! inquit ; premit omnis dextera ferruni,
Armatusque jacet servans certamina miles.
HoSy en y hos obitus nostrae spectate cohortes!
Fronte minae durant, et stant in vultibus irae.
Et vereor, ne, quœ tanla créât indole tellus
Magnanimos fecunda viros , huic fata dicarint
Imperium , atque ipsis devincat cladibus orbem. »
Sic fatus cessît nocti , finemque dedere
Caedibus infusae subducto sole tenebrae.
LES PUNIQUES, LIV. V. 329
inondée de sang , le Carthaginois , accompagné de son
frère, s'avance au milieu des légions massacrées. «Vois,
disait-il , quelles blessures! quelles morts ! Pas une main
qui ne presse le fer; le soldat est tombé, mais avec ses
armes et posé pour combattre. Voyez-les , guerriers de
nos cohortes, voyez comme ils sont morts! La menace
encore respire sur leur front et la rage vit sur leurs vi-
sages. Je tremble qu'une terre aussi féconde en grands
cœurs, en héros magnanimes, ne soit par les destins
réservée à l'empire , et que ses revers même n'asservis-
sent le mondé. »
Il dit et se retire devant la nuit. Les ténèbres au
loin se répandent, dérobent le soleil, et mettent fin
au carnage.
3=:
NOTES
DU LIVRE PREMIER.
I. Je chaîne ia guerre (vers i). Ordior arma,, on a blàjné ce
début comme peu latin. On retrouve la même expression dans
Gratius Faliscus, Cjrnégéty v. a4 '
Cassesque plagarumque ordiar astum ;
et dans Ausone , Protrept. , v. (ia :
</■
Ab Lepido et Catulo jain res et tempora Komu:
Orsus.
Lefebyre dfi Villebrune répond du reste à cette critique : « Si lins
ne dit pas comme Virgile, cano, parce que son but n*est pas un
poème où tout soit dû à l'imagination. Ordior^ dit-il, parce qu'il
va parler de ces grands évènemens avec certain ordre que l'his-
toire ne lui permet pas d'intervertir; mais les critiques qui ont
blâmé ce début n'avaient pas fait ces réflexions. %Stace a été en-
core plus hardi en disant (^Théb.^ liv. i , v. 8i) :
. et totos in pœnaoi ordire- uepotes.
Quel homme assez léger pour blâmer aujourd'hui ces idiomes ,
sans s'exposer au ridicule, dans un âge si éloigné de ces auteurs?
Oui , sans doute , ces grands écrivains entendaient mieux leur
langue que toutes les universités de l'Europe. » (Defsbykk de
ViLLKBRUKK, Préface de sa traduction ^ p. xxxvj.)
a. Aux lois de CÈnotrie (v. a). L'Enotrie n'était d'abord qu'une
partie de l'Italie , celle où OËnotrus , Arcadien selon Pausanias ,
Sabin selon Varron, avait amené et établi une colonie. Depuis,
NOTES DU LIVRE PREMIER. 33 1
ce nom s'appliqua à toute TltaHe , jusqu'il ce qu*Ita1us , roi des
Siciliens, lui imposât le sien. On a aussi dérivé ce nom du grec
ovvoç, vin, comme celui d'Italie d'IraXcl, bœufs; les vins et les
bœufs dllalie sont célèbres.
3. L'antique Hespérie (v. 4). Autre désignation de rilalie. Les
Grecs appelaient Hespérie les pays qui , comme l'Italie et l'Es-
pagne, étaient pour eux à l'Occident.
4. La race de Cadmus (v. 6). Les Carthaginois ctaient venus
de Tyr, Tyr était en Phénicie et Cadmus était Phénicien. Voilà
pourquoi Silius appelle les Carthaginois Tyriiy Pkœnices, gens
Cadmeoy etc.
5. Les chefs sidoniens (v. 10). Les Carthaginois sont appelés
ici Sidoniens parce que Tyr avait été bâtie par des fugitifs de
Sidon.
Silius Italicus , comme Séncque le Tragique, comme Valerîus
Flaccus, et tous ses contemporains, a souvent abusé de ces dé-
nominations antiques, tirées de si loin et si obscures que les
peuples qu'elles désignent auraient eu peine à s'y reconnaître.
LiCs poètes des âges précédens les employaient isvec plus de ré-
serve.
6. Trois fois le glaii*e impie les entraîna follement à rompre
la peux convenue (v. li). Pétrarque, au commencement de son
jâfrica, a résumé de même en quelques vers les trois guerres
puniques :
Ter gravibus certatnm odiis et sangiiiue miilto. .
At cœplum primo profligalumque secundo
Est bellum, si vera notes; naro tertia nndus
Prœlia finis habet, niodico cpnfecta lahore.
-'^Médium hélium^ la guerre du milieu, c'est la seconde des trois,
le sujet du poëme.
jvEt celle-dà fHt plus près de sa chute, à qui te sort donna la
wctoire (v. «4-15). C'est la phrase de Tite-Live, liv. xxi, ch. i :
« Adert varia belli forhina ancepsque Mars fiiit, ut propins peri-
culnm fuertnt, qui vicerunt. » Florns a dit aussi, liv. ji, ch. 6 :
<i Alternm bellum adeo cladinm atroeitate terribilius, ut si quîs
conférât damna utrinsque popuii , similior victo sit populns qui
vieil, a
33a NOTES
Cette seconde guerre punique avait laissé de cruels souvenii-s
dans rame des Romains. Lucrèce y qui en avait été presque le
contemporain, n*en parle qu'avec un sentiment de douleur et
d'épouvante :
Ad confUgandum venientibus undique Pœms ,
Omnia quom belli Irepido concussa tumullu
Horrida, contremuere siib altis aetheriâ auris;
In dubioque fuere, utrorum ad régna cadundiim
Omnibus humanis esset terraque marîque.
(LocKBT. , lU Rtrum Nat.^ lib. m, t. 845.)
Les vers de M. de Pongerville sont bien faibles auprès de cette
admirable poésie :
Quand des noirs Afincains les fougueux bataillons
Gomme un torrent rapide inondaient nos sillons ,
A la voix de Bellone, aux rumeurs de la guerre.
Un douloureux effroi s'étendit sur la terre ;
Les peuples en suspens attendaient, prosternés.
Par quels maîtres nouveaux ils seraient enchaînés.
a La seconde guerre punique est si fameuse, que tout le monde
la sait. Quand on examine bien cette foule d'obstacles qui se
présentèrent devant Annibal et que cet homme extraordinaire
surmonta tous , on a le plus beau spectacle que nous ait fourni
Tantiquité. » (Montesquieu, Grandeur et déceidence des Ro-
mains, ch. iv.)
<K Ce n'est point sans raison, a dit M. Michelet, que le souvenir
des guerres puniques est resté si populaire et si vif dans la métnoire
des hommes. Cette lutte ne devait pas seulement décider du sort
de deux villes ou de deux empires; il s'agissait de savoir à laquelle
des deux races , indo-germanique ou sémitique , appartiendrait
la domination du monde. Rappelons -nous que la première de
ces deux familles de peuples comprend , outre les Indiens et les
Perses, les Grecs, les Romains et les Germains; dans l'autre, se
placent les Juifs et les Arabes , les Phéniciens et les Carthaginois.
D'un côté , le génie héroïque , celui de l'art et de la législation ;
de l'autre y l'esprit d'industrie, de navigation, de 'commerce. Ces
de'jx races ennemies se sont partout rencontrées , partout atta-
DIT LIVRE PREMIER. 333
quées. Dans la primitive histoire de la Perse et de la Chaldée, les
héros combattent sans cesse leurs industrieux et perfides voisins.
Ceux-ci sont artisans, forgerons, mineurs, enchanteurs.- Ils aiment
l'or, le sang, le plaisir. Ils élèvent des tours d'une ambition tita-
nique , des jardins aériens , des palais magiques , que l'épée des
guerriers dissipe et efface de la terre. La lutte se reproduit sur
toutes les eôtes de la Méditerranée , entre les Hiéniciens et les
Grecs. Partout ceux-ci succèdent aux comptoirs, aux colonies de
leurs rivaux dans TOrient, comme feront les Romains dans l'Oc-
cident. Voyez aussi avec quelle fureur les Phéniciens attaquent la
Grèce à Salamine, sous les auspices de Xerxès, la même année
où les Carthaginois, leurs frères, débarquent en Sicile l'armée pro-
digieuse que Gélon détruisit à Himéra. Et plus tard , les Grecs ,
pour en finir , allèrent à leur tour attaquer chez eux leurs éter-
nels ennemis. Alexandre fit contre Tyr bien plus que Salmanasar
ou Nabuchodonosor. Il ne se contenta point de la détruire; il
prit soin qu'elle ne pût se relever jamais, en lui substituant Alexan-
drie et changeant pour toujours la route du commerce du monde.
Restait la grande Carthage, et son empire bien autrement puis-
sant que la Phénicie ; Rome l'anéantit. Il se vit alors une chose
qu'on ne retrouve nulle part dans l'histoire : une civilisation tout
entière passa d'un coup comme une étoile qui tombe. Le périple
d'Hannon, quelques médailles, une vingtaine de vers dans Plante,
voilà tout ce qui reste du monde carthaginois. II fallut bien des
siècles avant que la lutte des deux races pût recommencer, et
que les Arabes, cette formidable arrière-garde du monde sémi-
tique , s'ébranlassent de leurs déserts. La lutte des races devint
celle de deux religions. Heureusement ces hardis cavaliers ren-
contrèrent vers l'Orient les inexpugnables murailles de Constan-
tinople, vers l'Occident la francisque de Charles-Martel et l'épée
du Cid. Les croisades furent les représailles naturelles de l'inva-
sion arabe, et la dernière époque de cette grande lutte des deux
familles principales du genre humain. » {Hi\t, romaine, liv. ii ,
eh. 3.)
8. Le chef dardanien força les remparts d^Agénor {y. i4-i5).
DuctorDardanus y c'est Scipion. Les Romains descendaient, comme
on sait, des Troyens, et Dardanus avait régné à Troie.
Arces Agenoreas, c'est Carthage, bâtie par les Phéniciens qui
3^4 NOTES
avaient eo' pour roi Âgénor, fils de Bélns et père de Cadmiis.
Virgile , Enéide , liv. i , v. V^g :
PuDÎca régna vides, Tyrios et jégenoris urbem.
9. Didon aborde aux rives de UJbye jw, ai-aS). L'histoire
*de Didon et de Sycfaée est bien connue : elle est plus longuement
riUïontée dans «Virgile , Enéide ^ Hv. i, y. 338, et dans Justin,
èiv. XYiii. Il faut Bayoip grë à Silius de sa concision. Scarron ,
•dans SA traduction burlesque de V Enéide y a singulièremeiit tra-
vesti cette vieille histoire :
C'est ici la terre punique :
Le peuple eu est fort colérique,
Qui de Tyr qu*Agénor fonda ,
En cette contrée aborda,
Avecque Didon, notre reine,
Qiie la tyrannie et la haine
Dfe son frère Pygmalionv
Pire qu'un tygre et qu'un lion.
Contraignit de plier toilette.
Et de déloger sans trompette ,
Un pied mal chaussé, l'autre nu.
En ce rivage peu connu
Les dieux lui donnent un asyle;
Elle y fait bâtir une ville.
Si ce n'est vous importuner,
Et que vous vouliez vous donner
La patience de m'entendre ,
J'aurai pkiair de vous apprendre
Son histoire , dont aisément
On feroit un fort beau roman.
Volontiers , belle Tyrienne ,
Et je vous conterai la mienne ,
Qui , je gage cent carolus ,
Vaut bien la vôtre, et même plus.
' l^ous verrons, répondit la belle.
Didon fut l'épouse fidelle
De rii^rtuné Sychéus ,
A qui, plus traître que Bréui,
Pygmalioo le sanguiaaire ,
Comme il récitoit son bréviaire ,
DU LIVRE PREMIKa. 3^5
D*nn coup d'arquebow i rcMiët,
Action digne du fouet >
Fit un trou dans le mézéntère.
Son épouse s*en désespère ,
En fait faire infonnatiop;
Mais de cette noire action
Elle n'eut aucune nouvelle ,
Tant le inetittrier infidelle
Sut tenir son crime secint.
La pauvrette en meurt de rqgreC ;
De ses treweft lors mal peignées ,
Elle arraohe maintes poignées.
Se prend aux astres innocens;
La rage maîtrise ses sens.
Une nuit qu'elle pleure et crie ,
Et pour le pauvre défunt prie,
Elle le Toit peraé de coups ,
Et tout sanglant , ce pauvre époux ,
Qui âhme vbix ép0uvaiktal>le
Lui conte Facte détestable,
Et que son frère avoit gr A»d. toit
De ravoir ainsi mis à mort,
Pensant, par cette injuste voye,
Avoir son or et sa monnoye.
Didon lui donna le bon-soir.
Parce qu'elle avoit à le voir
Une peur extraordinaire :
EHe dissimula l'affaire,
Et s'&ssurant des mal^ontens ,
Prend un beau jour si bien son tems,
Que tout ce que ce frère injuste
Avoit d'argent, pistole juste,
£t tous ses meubles les plus Joeaux
Chargés en vingt et cinq vaisseaux;
, Abordèrent en ce rivage
Où Didon fait bâtir Carthage.
Le propriétaiie du lieu,
Ayant eu le denier-adieu ,
Crut la tromper et ne lui vendre
Qu'autant de lieu que peut comprendre
La peau d'un boeuf, tant grand fM-il.
Mais Didon, par un tour subtil ,
336 NOTES
Fit ooaper cette peau par bandes »
Et fit les mesures si grandes
Que £a yille, par ce bon tour,
Malgré le vendeur eut grand tour.
On ine pardonnera cette citation bouffonne en favear de la
suivante :
u L*an 883 avant notre ère, Didon, obligée de fuir sa terre na-
tale 9 vint aborder en Africpie. Carthage , fondée par l'épouse de
Sichée, dut ainsi sa naissance à Tune de ces aventures tragiques
qui marquent le berceau des peuples, et qui sont comme le germe
et le présage des maux , fruits plus on moins tardifs de toute so-
ciété humaine. On connoît Theuieux anachronisme de V Enéide.
Tel est le privilège du génie, que les poétiques malheurs de Didon
sont devenus une partie de la gloire de Carthage. A la vue des
ruines de cette cité , on cherche les flammes du bûcher fonèbre ;
on croit entendre les imprécations d'une femme abandonnée; on
admire ces puissants mensonges qui peuvent occuper l'imagina-
tion , dans des lieux remplis des plus grands souvenirs de l'his-
toire. Certes, lorsqu'une reine expirante appelle dans les murs de
Carthage les divinités ennemies de Rome, et les dieux vengeurs
de rhospitalité ; lorsque Vénus, sourde aux prières de l'amour,
exauce les vœux de la haine , qu'elle refuse à Didon un descen-
dant d'Énée, et lui accorde A.nnibal, de telles merveilles, expri-
mées dans un merveilleux langage, ne peuvent pins être passées
sous silence. L'histoire prend alors son rang parmi les Muses , et
la fiction devient aussi grave que la vérité.» (Chateaubriand,
Jtinér. de Paris à Jérusalem ^ vu® partie.)
lo. Junon (v. 26). Celte intervention de Junon a paru ingé-
nieuse à quelques commentateurs. Silins a conservé à la déesse
le caractère jaloux el emporté que lui a fait Virgile. Sa haine contre
les descendans d'Énée est vivante encore après tant de siècles, et
c'est pour la satisfaire qu'elle excite Carthage contre Rome.
On ne peut nier pourtant l'ennuyeuse banalité de ces vieilles
fictions mythologiques. Elles ont été le texte de critiques nom-
breuses et fondées, et la cause principale du discrédit où sont
tombés la plupart des poètes de la décadence.
a Si Lucain , Silius Italiens , Stace , Claudien, dit M. Edgar Qui-
net , marquent une chute si prodigieuse dans l'art , ce n'est pas
DU LIVRE PREMIER. 3'>7
seulement parce qu'ils ont altéré la diction et la langue. Jusqu'au
dernier soupir, les Romains ont excellé à composer ce que l'on
appelle de beaux vers et de belles phrases, sorte d'art mécanique
dans lequel ils sont de beaucoup supérieurs aux Grecs, le moindre
d'entre eux pouvant en remontrer là- dessus au vieil Homère. La
décadence ne vient pas non plus de ce qu'ils ont quitré les prin-
cipes du siècle d'Auguste. Le contraire de cette idée serait plus
exact. Dites que ces poètes sont demeurés stériles parce qu'ils sont
restés asservis à une loi morte , et vous toucherez au vrai. Pour
eux, la vieille société a beau mourir, ils n'en ont cure. La même
expression , la même règle , la même mythologie , ils l'appliquent
à l'Italie d'Évandre et à l'Italie des empereurs. Avant comme
après les Barbares, Rome est toujours pour eux la Rome de Fa-
bricins et de Caton. Que leur fait le bélier qui frappe à la porte?
jusqu'au bout ils continuent le jeu classique des temps de Sa-
turne. C'est toujours , quoi qu'il arrive , même sénat , mêmes
naïades, même triomphe, surtout même imitation. Sous le Goth
Stilicon repar«iit l'âge d'or. Alaric est le commensal d'Énée; le
siècle de Claudien se revêt de la peau du lion homérique. La poé-
tique du siècle d'Auguste régit jusqu'à la fin le siècle d'Augustule.
oc Qui ne voit clairement que si l'art à cette époque n'a aucune
valeur sérieuse , ce perpétuel mensonge en est la cause ? Car ce
n'est pas la poésie en soi qui manquait au spectacle de cette so-
ciété agonisante ; le spectateur seul y manquait. De tant de pro-
phètes officiels, augures, dévins, aruspices, pas un n'a le pressen-
timent de ce qui menace le monde antique. Tranquillement et
stupidement la société romaine s'en va à l'abîme sans qu'il se
trouve, parmi tous ces intrépides disciples du siècle d'Auguste,
un homme qui ait le cœur de se lever et de dire : « Nous péris-
<c sons! » Certes, il ne valait guère la peine d'avoir à son berceau
tant de sibylles pour n'être pas prévenu de sa chute une heure
d'avance. Ni Attila , ni aucun des Barbares , ne peuvent arracher
cette momie impériale à l'imitation de V Enéide, qu'elle balbutie
encore dans son tombeau de Byzance. Veut-on voir quelque chose
de plus? il faut relire Symmaque. Quand tout est fini, et qu'il n'y
a déjà plus de Rome, sous Théodose, il se trouve encore un
homme pour demander, au nom de la société qui n'est plus, le
rétablissement du culte de Janus. Sans doute cet homme-là croyait
I. 22
338 • NOTES
qu'il ne fallait qu'an décret de l'empereur pour ressiisâter le^
dieux ensevelis , depuis trois siècles , sous le grand tumulus àt
rOlympe. » (Edgar Qui net, de V Epopée romaine,^
II. Mais quand elle (funon) vit Rome dresser hautement la
tête au dessus des puissantes cités (v. 29^33)* Pétrarque, malgré
son admiration poiu* Virgile, a vu autre chose que la haine de
Junon dans la rivalité de Carthage et de Rome {Afrique ", liv. i,
V. 71) :
Quœ tantis sit causa malis, qus cladis origo
Quaeritur, nnde animi, quis tôt tolerare coegit
Dura pererrato validas furor œquore gentes;
Buroparaque dédit Libyse , Libyamque rebellem
Europe^, allerno vastandas turbine terras?
At mihi causa quidem studii non indiga lougi
Occurrit , radix cunctorum infecta malorum
Invidia , unde orieps extrema ab origine mors est ,
Atque aliéna videns Irisfi dolor omnia vultu
Prospéra. Non potuit florentem cemere Romam
t
^mula Carthago ; surgenti inviderat urbi :
Sed gravius tuHt inde parem ; mox virilÀis auctam
Yidit, et impcrio dominae parère potentis,
Ac leges audire novas et ferre tributum
Edidicit, tacitis intus sed plena querelis,
Plena minis; frenum funesta superbia tandem
Compnlit excutere et clades geminare receptas.
Angebat dolor atque pudor servilia passos
Multa viros, animisque incesserat aàdita duris
Tristis avaritia ^, et nunquam satiabile votum.
* Ce poëme de Y Afrique, que Pétrarque n*a jamais mis au jour, qu'il arait
voulu jeter au feu et qu*il tint toujours renfermé , est demeuré imparfait. Une
lacune considérable existe dans le récit des évènemens entre le iv* et le t'' livre,
ce qui détourna les amis de l'auteur de le publier après sa mort. On trompe
cet ouvrage imprimé dans l'édition complète des Œuvres de Pétrarque de
Bâle, i554, et dans ijelle de i^St ; niais l'impression en est si négligée, et
le texte chargé de fautes si grossières, qu'on a de la peine souvent à retrourer
le sens.
* ce Les Romains étoient ambitieux par orgueil et les Carthaginois par ava-
rice; les uns vouloient commander, les autres vouloient acquérir; et ces der-
niera, calculant sans cesse la recette et la dépense, firent toujours la guore
sans l'aimer. » (MoHTBSqtrxau, Grandmir tt détadenee des Romains, cL rr/
DU LIVRE PREMIER. 3^9
Permixts spes amborum , optatumque duobus
^ Imperium populis, dignus sibi quisque videri
Omnia cui subsint , totus cui pareat orbis.
Praeterea damnumque recens, injuriaqae atrox
Insola Sardiniae amissa ' et Trinacria rapta,
Atque Hûpaoa nimis populo confinis utriqne,
Oiftnibus exposita insidiis , aptissima pra^dœ
Terra , tôt infandos longum passura labores ;
Haud aliter quam quum aedio deproosa luporum
Pinguis ovis, nunc hue rapitur*, nunc dentibus iilic
Volvitur, inque tremeus partes discerpitur omnes,
Bellantum proprioque madens resupina cruore.
Accessit situs ipse loci : natura locavit
Se procul adverso spectantes litore gentes ;
AdTersosque animos, ad versas moribus urbes',
«Adversosque Deos, odiosaque numina utrinque,
Pacatique nihil ventos, elementaque prorsus
Obvia , et infesto luctantes aequore fluctus.
1 a. Les efforts de la flotte libyenne échouent dans les mers de
Sicile (v. 34-35). Il s'agit de la première guerre panique , ter-
minée en 5i2 de Rome par la victoire navale du consul C. Luta-
tius Catuliis sur Hannon et la flotte carthaginoise près des iles
' « Les Carthaginois rétablis n'étoient plus d'humeur à céder : la Sicile
ravie de leurs mains, la Sardaigne injustement enlevée , et le tribut augmenté,
leur tenoient au cœur. » (Bossuet, Discours sur thist. univers,, i'* part. ,
8* époque.)
<c AfHrès vingt-quatre années de combats , un traité de paix mît fin à la
première guerre punique. Mais les Romains n'étoient déjà plus ce peuple de
laboureurs conduit par un sénat de rois , élevant de» autels à la Modération
et à la Petite Fortune : c*étoient des hommes qui se sentoient faits pour com«
mander, et que Tambition poussoit incessamment à Tinjustice. Sous tin pré-
texte fiivole , ils envahirent la 5»ardaigne , et s*applaudirent d'avoir fait , en
pleine paix , une conquête sur les Carthaginois. Ils ne savoient pas que le ven-
geur de la foi violée étoit déjà aux portes de Sagonte, et. que bientôt il pa-
roîtroit sur les collines de Rome : ici commence la seconde guerre punique. »
(Chateaubriand, Itinér. de Paris à Jérusalem, vn« partie.)
* Le texte des deux éditions porte ici rapidus et au vers précédent lapo-
sttm, ce qui n*a aucun sens.
^ Tair le parallèle de Carthage et de Rome dans Montesquieu , Grandeur
et décadence des Romains, ch. iv.
22.
S4o NOTES
Égales (aujourd'hui Levanzo, Favignana et Maretimo). Celte ba-
taille est souvent rappelée dans le cours du poëme. Ployez Po-
LTBE, liv. I, Ch. 60; AUREL. VlGTOB, cll. XLI ; CoKlTEI.. NkPOS,
jÉmilcar, ch. I, § 3; Florus, liv. 11, ch. a.
i3. Ses dieux deux fois esclaves (v. 43}. Troie avait été prise
une première fois par Hercule , avant de Tétre par les Grecs.
Virgile fait souvent allusion à cette double conquête , bis capù
Phryges (^Enéide y liv. ix , v. 698, 635), et ^ens bis vicUi
(Enéide, liv. xi , v. 40a). Quelques auteurs disent que cette ville
fut prise une troisième fois par les Amazones.
14. Cannes sera le tombeau de VHespérie (v. 5o). Cannas tu-
mulum Hesperiœ, Siiius a pris cette expression dans Tite-Iive
Scipion (liv. xxvi, ch. 41) dit à ses troupes : aTrebia, Trasime-
nus, Cannas, quid aliud sunt, quam monumenta occisorum. exer*
cituum consulumque Romanorum ? » Manilius, Astron, , liv. !▼,
V. 658 :
Fecit et seternam Trebiam Gannasque sepulcris
Obruit
Pline, Hist, Nat,, liv. xv, ch. ao : 't Quod non Trebia, aut Trasi-
menus, non Cannse busto insignes Romani nominis, perficerepo-
tuerunt. »
i5. C était un génie avide de mouvement (v. 56 et suiv.). Silins^
comme Tite-Live (liv. xxi, ch. 4)» comme Cicéron {des I^evoirs,
tiv. I, ch. la et 3o), comme tous les écrivains latins, a fort mal-
traité Annibal. Les modernes lui ont rendu plus de justice.
a Annibal , a dit M. de Chateaubriand , me paroît avoir été le
plus grand capitaine de l'antiquité : si ce n'est pas celui que Ton
aime le mieux, c'est celui qui étonne davantage. Il n'eut ni l'hé-
roïsme d'Alexandre, ni les talents universels de César; mais il les
surpassa l'un et l'autre comme homme de guerre. Ordinairement
l'amour de la patrie ou de la gloire conduit les héros aux pro-
diges : Annibal' seul est guidé par la haine. Livré à ce génie d'une
nouvelle espèce , il part des extrémités de l'Espagne avec une ar-
mée composée de vingt peuples divers. Il franchit les Pyrénées
et les Gaules, dompte les nations ennemies sur son passage, tra-
verse les fleuves , arrive au pied des Alpes. Ces montagnes sam
chemins, défendues par des Barbares, opposent en vain leur bar-
DU LIVRE PREMIER. 34 r
rière à Annibal. Il tombe de leurs sommets glacés sur l'Italie,
écrase la première armée consulaire sur les bords du Tésin , frappe
un second coup à la Trébia, un troisième a Trasîmène, et du
quatrième coup de son épée il semble immoler Rome dans la
plaine de Cannes. Pendant seize années, il fait la guerre sans se-
cours au sein de Fltalie; pendant seize années, il ne lui échappe
qu'une de ces fautes qui décident du sort des empires, et qui pa-
roissent si étrangères à la nature d'un grand homme , qu'on peut
les attribuer raisonnablement à un dessein de la Providence.
« Infatigable dans les périls, inépuisable dans les ressources,
fin , ingénieux, éloquent, savant même, et auteur de plusieurs ou-
vrages , Annibal eut toutes les distinctions qui appartiennent à la
supériorité de l'esprit et à la force du caractère ; mais il manqua
des hautes qualités du cœur : froid , cruel, sans entrailles, né pour
renverser et non pour fonder des empires , il fut , en magnani-
mité, fort inférieur à son rival. » (Itinéraire de Paris à Jérusa-
lem ^ vil* partie.)
a L'armée se nomma un général que Carthage s'empressa de con-
firmer pour retenir une apparence de souveraineté. Ce fut le jeune
Annibal , fils d'Amilcar , âgé de vingt et un ans , qu'Âsdrubal
avait eu bien de la peine à obtenir encore enfant des Carthagi-
nois. Ceux-ci croyaient reconnaître dans cet enfant le génie dan-
gereux de son père. Sorti de Carthage à treize ans, étranger à
cette ville , nourri , élevé dans le camp , formé à cette rude guerre
d'Espagne, au milieu des soldats d'Amilcar, il avait commencé
par être le meilleur fantassin , le meilleur cavalier de l'armée.
Tout ce qu'on savait alors de stratégie , de tactique , de secrets
de vaincre par la force ou la perfidie , il le savait dès son enfance.
Le fils d'Amilcar était né , pour ainsi dire , tout armé \ il avait
grandi dans la guerre et pour la guerre.
« On s'est inquiété de la moralité d'Annibal, de sa religion,
de sa bonne foi. Il ne se peut guère agir de tout cela pour le
chef d'une armée mercenaire. Demandez aux Sforza, aux Wallen-
stein. Quelle pouvait être la religion d'un homme élevé dans une
armée oii se trouvaient tous les cultes , et peut-être pas un ? Le
dieu du condottiere ^ c'est la force aveugle, c'est le hasard; il
prend volontiers dans ses armes les échecs des Pepôli ou les dés
du sire d'Hagenbach. Quant à la foi et l'humanité do Carthage ,
342 NOTES
elles étaient célèbres dans le inonde Il ne faut pas chercher
un homme dans Annibal; sa gloire est d'avoir été la plus formi-
dable machine de guerre dont parle l'antiquité. » (M. Mighelbt,
Hist, romaine, liv. ii , ch. 4*)
Silius, un peu plus loin (même livre , vers 240 et suiv.) , fait un
second portrait d'ÂJinibal, qui complète celui-ci. Ces deux mor-
ceaux ont été jugés avec une rigueur extrême et souvent injuste
par un critique français, par Clément, que Voltaire appelait Vin-
clément, Après avoir opposé à Silius le portrait d'Annibal tracé
par Tite-Live , il ajoute :
« L'histoire admet quelquefois le portrait d'un grand homme,
pourvu qu'il soit peint d'une manière rapide et précise , comme
celui qu'on vient de lire ; mais les portrait<i sont du plus mauvais
goût dans un poëme où le héros doit se peindre en action. Soyez
sûr que tout poète qui vous donnera les portraits de ses person-
nages, ne saura pas les faire agir. Ainsi la Eenriade est remplie
de portraits et vide d'action. Silius s'y est pris à deux fois poor
peindre Annibal ; mais en employant les principales couleurs de
Tite-Live , il les a délayées , et ne pouvant saisir les traits vifs
et précis, il les enfle et les exagère, croyant suppléer à la force
par l'emphase et la déclamation. Il commence par les vices
' d'Annibal :
Ingeoio motus avidiu , fideîque sinister
Isfijit
Voyons le second portrait du héros carthaginois :
Primus sumpsisse laborem ,
Primus iter carpsidse pedes
Ce portrait est un commentaire de celui de l'historien ; mais un
commentaire ampoulé qui sent le déclamateur. Tite-Live peint le
héros ; Silius fait d'Annibal un capitan qui affronte Jupiter laa-
çant ses foudres, qui se jette au milieu des abîmes et des écaeils,
qui s'éloigne d'un ombrage quand il est dévoré du soleil , et
d'une fontaine quand il est brûlé par la soif. Tout ce verbiage
outré ne vaut pas l'énergique simplicité de l'historien. Ses traits
âont marqués et profonds \ ceux du poète sont emphatiques et
DU LIVRE PREMIER. ^4?
Vil gués. » (£ssais de critique jsur la littérature ancienne et mo-
ileme^ t. i, p. /|3.) ^
Clément n'a pas songé que Tite-Live n'écrivait que pour être
lu; Siliusy au contraire, écrivait surtout pour être entendu. La
condition n'était plus la même. Voyez la Notice en tête de ce
volume, p. xxviij et xxix.
i6. La famille sarranienne du vieux Burca (v. 7 a). Sar ou
Sarra e$t un ancien nom de Tyr. {Voyez Aulu-Gellk, Nuits att,,
liv. XIV , ch. 6.) Selon Servius , Sar, en langue tyrienne , était un
poisson fort abondant près àe Tyr : d'où le nom de Sarra donné
à la ville. Barca , en hébreu , signifie tiui lance la foudre,
17. Il comptait y depuis Bélus , d'antiques aïeux (v. 73). Il y a
eu deux Bélus. 11 s'agit ici du Bélus , père de Didon , dont parle
Virgile, Enéide ^ liv. i, v. 6a i :
Genitor tum Belus opimaoi
Yastabat Cyprumi
et que Servius désigne sons le nom de Belus minor ou Methres %
et non du dieu Bélus, Belus priscus , que Virgile a cité aussi,
Enéide, liv. 1 , v. 729-730 :
Quam Belus et omues
A Belo soliti ;
et qu'à son exemple, Silîus rappellera tout-à-l'heure (vers 87.
Voyez plus loin la note ao). Cette généalogie d'Âmilcar est, j'ima-
gine, de l'invention du poète, qui du reste n'est pas ici très-clair.
Il suppose que Didon, fuyant Tyr, après le meurtre de Sychée,
emmena avec elle Barca, son frère ou son neveu, ou peut-être
son fils; car il est désigné plus bas par les mots Belides juvenis ,
« jeune fils ou descendant de Bélus, » lequel était père de Didon;
que ce Barca s'établit à Carthage avec la reine sa parente, et que
* Servius (Enéide, liv. i, v. 642) établit ainsi la généalogie de Didon :
« Haec est generis séries : Jupiter, Epaphus, Belus priscus, Agenor, Phœnix,
Belus minor qui et Methres , Dido et Pygmaliou. » Bachet de Méziriac
(^Commentaire tur la vu" Héroide d* Ovide) reioarque que Servius a omis une
génération : suivant Apollodore, Epaphus était aïeul et non père de Bélus,
et c'est de sa lUle , nommée Libye , que Neptuue engendra Bélus.
344 NOTES
de sa race sortît Âmiicar, qui porta son nom et qui fut le chef
de la faction Barcine. Lefebvre de Villebrune a compris autre-
ment ce passage. Il a traduit Belides juvenis par le jeune Bélide,
et il a fait de ce Bélide un personnage distinct : « Bélide , dit-il ,
avait partagé tous les hasards avec elle (Didon) : c'était de lui
qu'Amilcar descendait. »
i8. Consacré aux mânes d'EUssa, mère de Carihage (v. 8i}.
Elissa était le premier nom de Didon , son nom tyrien \ Justin
ne lai en donne pas d'autre. Velléius Paterculus ( liv. i , ch. 6 ) ,
rappelant la fondation de Carthage , dit : « Ante annos v et £X
quam urbs Romana conderetur, ab Elissa Tyria, quam quidam
Dido auturaant, Carthago conditur. » Selon Servius (^Enéide,
liv. I, V. 540), elle ne fut appelée Didon, c'est-à-dire en lan-
gage punique ï héroïne , que par les Carthaginois et après sa
mort : « Dido vero nomine Elissa /inte dicta est ; sed post interi-
tum a Pœnis Dido appellata, id est virago Punica lingua. » On a
donné d'autres significations à ce nom de Didon, celle Aejugi-
tiv€y ceUe à' homicide par allusion à la mort de son mari dont
elle fut cause, etc.
19. S'élevait un temple (v. 84). Suivant Polybe (liv. m, ch. 12)
et Cornélius Népos {yànnibal, ch. 11), c'est dans le temple de Ju-
piter qu'Annibal , jeune encore , jura la guerre aux Romains. Par
une fiction que tous les commentateurs approuvent , Silius a ùât
du temple de Jupiter un temple de Didon. Après Jnnon, en effet ,
il ne pouvait y avoir de divinité plus acharnée que Didon
contre £née et ses descendans , et Annibal ne pouvait mieux
s'adresser.
ao. £éluf , père des Tyriens (v. 87). Ce Bélus est le Belus
priscus dont nous avons parlé plus haut (note 17), et qu'il faut
bien distinguer de Belus minor, père de Didon, avec lequel on
l'a quelquefois confondu.
Bélus, le même que Baal, Bal, Bel, Belial, Beiis, etc., était la
grande divinité de la Babylonie, de l'Assyrie, de la Chaldée, de
la Syrie et de Sidon , d'où son culte fut transporté à Carthage.
Bel ou Baal, époux d'Astaroth ou Ast^trté, autre divinité cartha-
ginoise , était la personnification punique du soleil, comme As-
lartc l'était de la lune.
a Les Grecs ont cru rccunnaîUc Baal pour leur dieu Mars;
DU LIVRE PREMIER. 345
c'est le sentiment de Jean d'Antioche , de Cédrénus et de Saidas.
Saint Augustin l'identifie à Jupiter, et Hésjchins appelle la grande
divinité des Sidoniens , Jupiter Maritime , Thalassios, Les nom-
breuses attributions de ce dieu expliquent la variété de ces opi-
nions; mais le plus ordinairement Baal se prenait pour le Soleil,
et quelques savans croient même retrouver xlans le nom grec de
cet astre, Hélios^ le mot Hel^ donné comme synonyme de Sa-
turne, Cronos, qui portait aussi le nom de BaaL Dans les langues
phénicienne et carthaginoise, Baal signifie maure, seigneur, ^et
c'est d'après cette signification que saint Augustin a pensé qu'il
était Jupiter, c'est-à-dire le seigneur ou maître des dieux et des
bommes. Le mot Baal est donc un terme générique appliqué par
excellence au souverain des dieux, et en particulier au Soleil, cet
astre roi, l'objet principal du culte des Orientaux. » (N. L'Hote,
JEncyclopédie nouvelle, au mot Beuil.^
Milton a mis Baal , Bélial et Astaroth au nombre des esprits
rebelles déchus avec Satan :
With thèse came they, who, from hordering flood
Of old Euphrates to the brook tbat parts
^gypt irom Syrian ground , had gênerai names*
> Of Baaliin and Ashtaroth ; diose maie ,
Theie féminine : for spirits , when they please ,
Cau either sex assume, or both ; so soft
And uncompounded is their essence pure ; ^
Not tied or manacled with joint or limb ,
Nor fbnnded on the britde strength of bones,
like cumbrous flesh ; but in what shape they choose ,
Dilated or condensed, bright or obscure,
Can exécute their aery purposes ,
And Works of love or enmity iiilfiL
Came Astoreth, whom the Phoenicians call'd
Astarte, queen of heaven , with crescent homs ;
To whose bright image nightly by the moon
Sidonian virgins paid their vows and songs.
Belial came last, than whom a spirit more lewd
Fell not from heaven, or more gross to love
Vice for itself : to him no temple stood
346 NOTES
Or alUu* unoked; fel iffao more oft than he
In lopfles and at altars , when the priest
Xurns AtheUtf as did Eli's sons , who fiU'd
With lust and yioleace the house of God?
In courts and palaces he also reigns.
And in luxurlou% cities , where the noise
Of riot ascends above their loftiest towers ,
And injury, and outrage : and when night
Darkens the streets , tben wauder forth the sous
Of Bdial , flown with insolence and wine.
(Pomfife /o5/^ bookx y 4x9-490.)
<c Avec ces divinités vinrent celles qui , du bord des flots de Tau-
tique Euphrate jusqu'au torrent qui sépare TÉgypte de la terre de
Syrie, portent. les noms généraux de Baal et d'Astaroth, ceux-là
mâles, ceux-ci femelles; car les esprits prennent à leur gré Fun ou
Tantre sexe, ou tous les deux à la fois *, si ténue et si simple est leur
essence pure : elle n*est ni liée ni cadenassée par des jointures et des
membres, ni fondée sur la fragile force des os, comme la lourde
chair, mais dans telle forme qu'ils choisissent , dilatée ou condensée,
brillante ou obscure , ils peuvent exécuter leurs résolutions aériennes
et accomplir les œuvres de l'amour et de la haine
«Avec ces divinités en troupe parut Astoreth, que les Phéniciens
nomment Astarté, reine du ciel, orné d'un croissant ;, à sa brillante
image , nuitamment en présence de la Lune , les vierges de Sidon
paient le tribut de leurs vœux et .de leurs chants
« Bélial parut le dernier ; plus impur esprit , plus grossièrement
épris de Tamour du vice pour le vice même , ne tomba du ciel. Pour
Bélial , aucun temple ne s'élevait , aucun autel ne fuma : qui oepen^
dant est plus souvent que lui dans les temples et sur les autels, quand
' <* Cette confusion des sexes , à Tégard de ia divinité , offre de nombreux
exemples dans la théogonie des anciens. Elle peut s'expliquer dans Astartè
par la multiplicité de ses formes, ses rapports avec la lune, dont le sexe offrait
la même indécision, et aussi par l'objet et les pratiques du culte tout libidi-
neux de la déesse, qui , sans doute, pouvait tout excuser; car les peuples qui
s'y abandonnaient eurent^ on ie sait 4 pour les aberrations de ce genre, dans
la vie réelle, un penchant que l'antiquité classique, comme les mœurs actuelles
de rOrient, ne révèlent que trop.» (N. L'Hôtb, EncydopéMti nouvelle, au
mut Astarlé.)
bu LIVKE PREMIER. 347
le prêtre devient athée, comme les fib ^TÈà tftà remplirent de prosti-
tutions et de violences la maison de Dieu ? Il règne aussi dans les pa-
lais et dans les cours , dans les villes dissolues où le bruit de la dé-
bauche , de rinjure et de Toutrage » monte au dessus des plus hautes
tours : et quand la nuit obscurcit les rues , alors vagabondent les fils
de Bélial , gonflés d'insolence et de vin. » ( £« Paradis perdu, liv. i ,
trad. de M. de Cbateaubrxakd.)
ai. A ses pieds git un glaive phrygien (▼. 91). L'éjîéc qu'Énée
lai avait laissée. Voyez Virgile , Enéide , liv. iv, v. 49^9 S07.
aa. La déesse d*Henna (v. 93). Proserpine, enlevée par Pluton
près d'Henna , en Sicile.
a3. La race des Phrygiens (v. 106). Les Romains, descendans
d«s Troyens.
a4. Les enfans de Cadmus (v. 106). Les Carthaginois. Voyez
plus haut la note 4* •
a5. Sous d'injustes traités (v. 107). Les traités conclus après la
défaite de la flotte carthaginoise aux iles Égates.
a6. Et lui dicte ces dures paroles (v. 11 3). Ruperti rapporte
les mots subicitque à Aniilcar : c'est le sens que j'ai suivi. Plu-
sieurs autres commentateurs les rapportent à Annibal. On ne
conçoit pas facilement comment Annibal, si jeune, eût pu faire
d'inspiration un pareil serment; il est plus naturel de croire que
son père lui en dicta les termes. D'ailleurs , la construction
grammaticale du vers :
His acuit stimulis subicitque haud moliia dictu,
l'indique clairement.
^7. Je recommencerai les désastres de Troie (v. 11 5). Rhœtea-
que fata revolvam, Rhétée était une ville et un promontoire de
la Troade.
a8. La triple déesse (v. 119). Hécate, connue sous trois
formes , la Lune , Diane et Proserpine.
29. Les vastes plaines d* Etoile (v. i25). Les plaines d'Àpulie,
le champ de bataille de Cannes. Dîomède , fils de Tydée , roi
d'Étolie, était Tenu se fixer, après la'*guerre de Troie, dans la
Bannie qui est une partie de TApulie.
30. Tièdes de sang idéen (y. ia6). De sang troyen y à cause du
mont Ida; c'est-à-dire de sang romain.
348 NOTES
3i. Celui qui trois fois porta d'opimes dépouilles au dieu du
tonnerre (v. i33). Marcellas.
3a. Gadès et Calpé {s, i4i)* Cadix et Gibraltar.
33. Les rênes du pouvoir passent aux mains d^ Àsdruhal (v. 1 44)-
Cet Asdrubal était fils de Magon et gendre d'Amilcar : il faut le
distinguer d' Asdrubal , fils d'Amilcar et frère d'Annibal et de
Magon, et d*un troisième Asdrubal, fils de Gisgon, qui fut aussi
général des Carthaginois. Silius peint ici Asdrubal sous de sombres
couleurs. Tite-Live, Polybe, Appien, vantent au contraire la
douceur de son commandement, son humanité, etc. Le trait sai-
vant , rapporté aussi par Tite-Live , semble les démentir.
34. A son fleuve , il n'eût préféré ni la source Méamienne
(v. 157). Ce passage est obscur. Silius joue sur la double signifia
cation du mot Tagusy qui çst en même temps le nom du roi et
celui d'un fleuve. J'ai adopté le sens de Ruperti. — La source
MéoniermCf les lacs de Lydie ^ c'est le Pactole.
35. Elle est bornée par le fleuve lagéen (v. 196). Le Nil.
Ptolémée, roi d'Egypte , était fils de Lagus. Yarron d'Atax, dans
sa Chorographie , dont il nous reste si peu de fragmens, avait dit
de l'Afrique :
Clauditiir Oceano, Libyco mare, flumine Nilo.
36. L'épée nue et sans artifice (v. 219). Silius reviendra plu-
sieurs fois sur cet usage des peuples barbares d'empoisonner leurs
armes. Lncain a dit de même [Phars,, liv. viii , v. 382), Ulàa
tela dolis, et (plus haut , v. 3o3) :
Spicula nec solo spargufU fidentia faro ;
StruUUa sed multo saturantstr tela veneno,
Vidnera parva nocent, fatumque in sanguine summo est.
Mais Fatteinte du fer n'est pas tout leur secours ,
Aux forces du poison leur vengeance a recours ;
D*vn venin déceuant leurs flèches abreuuées
Sont des coups sans ressource , et des morts acheuées ,
Et dans le moindre sans que versent les combats ,
Ce suc pernicieux met le coup du trépas.
( Db B&noBDF. )
37.- Là, tous les métaux [y, aaS). Les richesses de l'Espagne,
DU LIVRE PREMIER. 349
en métaux précieux , étaient célèbres dans l'antiquité. Justin
(liv. xLiv, ch. i), en parlant de ce pays, fait aussi mention de
ses abstrusorum metallorum felices divitiœ.
38. Vélectre (v. ^29). Métal composé d'or et d'argent , d'un
jaune blond tirant sur le verdâtre. « Toute la monnaie d'or, à
partir du troisième siècle de Rome, fut de l'électrum et de l'élec-
trnm au plus bas titre L'électrum était connu dès la haute an-
tiquité. Homère en parle souvent. Electre, dit-on, ne fut ainsi
nommée qu'à cause de la couleur blonde de ses cheveux. L'ambre
jauBc ou succin , sitôt que les Grecs le connurent , reçut d'eux
cette appellation, et probablement l'équivoque du mot qui signi-
fiait à la fois or blond et ambre , fut pour quelque chose dans la
rédaction du mythe qui métamorphosa les Phaéthontides en peu-
pliers aux longs cl^eveux , aux larmes d'ambre. » (M. Ajasson
DIS Grandsagne, Hist, Nat, de Pline y liv. xxxiii, ch. a3, notes.)
39. U avare Asturien revient, malheureux , plus jaune que
for qu'il en arrache (v. a 3 3). Stace , après Silius , a dit à peu
près de même (Silv., liv. iv, 7) :
ubi Dite viso
Pallidus fossor redit, enitoque
Concolor auro.
Lucrèce (liv. vi, v. 8o5) avait décrit déjà avec son énergie ac-
coutumée la triste condition du mineur :
Nonne 'vides etîam terra quoque sulfttr in ipsa
dignier, et tetro concretcere odore bitumen?
Demque, ubi argenti venas aurique sequuntur.
Terrai penitus scrutantes abdita ferro ,
Quales exspiret scaptesula subter odores?
Qiùdve maU fit ut exhalent aurata metalla?
Quas hominum reddunt faciès ? qualesque colores!*
Nonne vides, audisve perire in tempore parvo
Quam soleant, et quant vital copia desit,
Quos opère in tali cohibet vis magna? necesse est
Hos igitur tellus omnes exœstuat œstus,
Exspiratque foras in aperta promptaque cœli.
Le globe enfin nourrit dans ses flancs caverneux
De bitume et de soufre on amas vénéneux.
I ►
35o NOTES
Vois ces mortek, bannis loin du jour salutaire,
S'ensevelir vivans aux antres de la terre ;
Ils vont d'un pas craintif, au bruit des lourds marteaux ,
Des entrailles du monde arracher les métaux ;
Une infecte vapeur souille leur front livide ,
Et de ses tourbillons le venin homicide
De leurs jours malheureux usant le noir flambeau.
Lentement les conduit des douleurs au tombeau ;
Tant la terre aisément exhale de ses veines
Ces vapeurs qui de l'air ont infecté les plaines!
(0« Pojrav&viLLB. )
J.-^!. Rousseau, comparant les trois règnes de la nature, a fait
umt pcintitre sombre mais vraie des mines et de leurs travaux :
« I^ ngiie minéral n'a rien en soi d'aimable et d'attrayant;
ses richesses» enfermées dans le sein de la terre, semblent avoir
été éloignées des regards des hommes pour ne pas tenter leur
cupidité : elles sont là comme en réserve pour servir un jour de
supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée, et
ciont il perd le goût à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il
appelle l'industrie, la peine et le travail, »u secours de ses mi-
sères; il fouille les entrailles de la terre; il va chercher dans son
centre, aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé, des biens
imaginaires à la place des biens réels qu'elle lui offrait d'elle-
même quand il savait en jouir. Il fuît le soleil et le jour, qu'il
n'est plus digne de voir; il s'enterre tout vivant, et fait bien, ne
méritant plus de vivre à la lumière du jour. Là, des carrières,
des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d'enclumes,
de marteaux , de fumée et de feu , succèdent aux douces images
des travaux, chaippétres. Les visages liàves des malheureux qui
languissent dans les infectes vapeurs des mines , de noirs forge-
rons , de hideux cyclopes , sont le spectacle que l'appareil des
mines substitue au sein de la terre, à celui de la verdure et des
fleurs , du ciel azuré , des bergers amoureux , et des labooreors
robustes, sur sa surface. » (Les Rêveries du Promeneur soUtaire,
VII® promenade. )
4o. Et le Léthé qui roule chez les Graviens sa basante arène
(v. a35). Les Graviens , peuple de l'Espagne Tarraconaise, sur les
confins de la Galice et de la province actuelle A*Entre Duero et
DU LIVRE PREMIER. 35 1
Minho. Le Léthé est le fleuve de cette province appelé aujour-
d'hui Lima, Comme le Léthé des Enfers, il portait dans Tanti-
quité le nom de fleuve à* Oubli: « Oblivionis antiquis dictus, dit
Pline (Hist. Nai,y liv. iv, ch. 35)^ multumque fabulosus. » Il prend
sa source dans les montagnes de Gajice et se jette dans l'Océan
Atlantique.
41. Au mSiat des édain çve le •coisd^ ^^ wmùrjkà jaiBir
des nmages (t. aS4). Lc& afrifffw eroraicBt que les éeia» étweat
pvaéoîl» fiar )e choc des nnag;es dans la tempête. Voyez Tiseiut,
Enéide^ liv. lï, v. 648, et liv. vi, ▼. 694 ; Lucain, liv. x, v. i5i;
Claudikn, contre Rufin ^ liv. 11 1 v. 22 a.
4». // presse donc les destins (v. a68). J'ai supposé dans la
Notice, p. XXV, que le poème de Silius n'avait pas été composa»
d'un seul jet, qu'il avait pu être écrit par parties détachées, par
épisodes. Ce qui me confirme dans cette opinion , c'est la rareté ,
la sécheresse , l'absence des transitions. Un fait succède à l'autre
sans être annoncé ni préparé , et le lecteur est bien heureux si
parfois deux ou trois vers obscurs viennent le mettre au courant.
Ce défaut ne pouvait échapper à la critique. Emesti remarque
avec raison que Silius passe ici brusquement au siège de Sagonto
sans parler des évènemens assez importans qui l'avaient précédé,
et qui sont racontés dans Polybe (liv. m , cb. i3) et dans Tite-Live
(liv. XXI , ch. 5). Ceci prouve seulement que Silius ne visait pas
plus à être un poète historien qu'un poète épique. Avant Ernesti,
Clément, qui traitait les Puniques comme une véritable épopée,
et qui y voyait tout autre chose que ce que nous y voyons, a sé-
vèrement reproché à Silius ce vice qui le choquait.
a Le talent du poète épique se reconnaît surtout dans la nar-
ration. Cette partie est si bien liée à la construction du plan, que ,
si celui-ci est défectueux , il est impossible que la narration n'ait
pas les mêmes défauts. Le vice essentiel de la Seconde guerre pu-
nique est la multiplicité des évènemens qui sont étrangers à l'ac-
tion principale , ou plutôt qui empêchent qu'il n'y ait une prin-
cipale action. De ce grand défaut qui détruit l'unité , le nœud et
l'intérêt du sujet , il suit nécessairement que la narration est dé-
cousue, embarrassée, confuse et peu intéressante. Le plus grand
embarras du poète se fait sentir lorsqu'il veut passer d'une ac-
tion à une autre, et unir dans son récit des évènemens qui n'ont
35a NOTES
point ensemble un intime rapport. L'histoire, à cet égard, a de^
privilèges interdits à la poésie. L'historien , d'ailleurs , peut em-
ployer de longues préparations , et remonter aux causes et à b
source des faits, pour trouver entre eux une liaison indirecte ^ e^
par-là ses transitions sont plus ou moins naturelles. Le poète, qui
ne saurait s'engager d^ns toutes ces discussions préliminaires,
dont son art ne peut tirer aucun agrément , est donc obligé de
lier ces faits indépendans par des transitions brusques et inatten-
dues, x[ui fatiguent et rebutent l'attention du lecteur, déjà égarée
et languissante au milieu de tant d'actions dont il n*aperçoit ni
le but ni l'ensemble. De là une sécheresse insupportable dan<i
l'exécution, au milieu d'une vicieuse abondance de matière.
«( Cest ainsi que, pour introduire son héros sur la scène, après
beaucoup de détails inutiles , Silius ne fait pas d'autre façon qne
de vous dire :
Ergo instat fetis, et, rumpere fœdera certus
Prima Saguntinas turbarunt classica portas.
Ici est l'histoire de Zacjnthe, qui avait donné son nom à Sagonte,
et le poète ajoute :
Admovet abrupto flagrantia fœdere ductor
Sidonius castra , et latos quatit agmine campos.
On voit assez que cette manière de narrer est celle d*un abré-
viateur chronologique, et non celle d'un poète. » {Essais de cri-
tique sur la littér, anc. ei mod., t. i, p. 29.)
Si l'on admet le système de composition que, selon toute ap-
parence, Silius a suivi et que je viens de rappeler, il est certain
que ces courtes transitions devaient suffire : seulement il a mis
trop peu d'art à coudre ensemble ces divers épisodes d'une noiéme
histoire.
4!^. C'est le prélude des grandes guerres (v. ^72). Florus ( liv. 11 ,
ch. 6) : « In causam belli Saguntus délecta est. »
44. Après la défaite de Géryon (v. 277). Les Grecs ont attri-
bué à leur Hercule cet exploit de l'Hercule tyrien. Cette tradition
sur Géryon a pris naissance chez les Phéniciens. Du reste les Phé-
niciens et les Grecs sont d'accord sur le lieu de la scène , que les
uns et les autres placent dans les îles Baléares.
k
DU LI\RE PftEMEa. 3S)
45. /> hénu imaekiem (▼. 287). Zm^Um clait Grec» et Iiia-
chus «Tait été roi em Grèce.
46. L*Oe ZaejmÊke (t. ^90). Zante aajonrdliiiL
47. l/n ratfort de jemmts Pomment (▼. 291). Les RuUiles. Ib
avaient eo pour roi Daimos , père de Tumiis. Siliiis Itmlîciis a
empranté à Tite^Lîre cette origine de Sagonle : « Oriandi a Za-
cyntho însola dicnntor (Sagunlini), mixtiqoe etiam ab Ardea Riw
tulonun quidam gcneris. > (Lib. xxi, c 7.)
48. Un traité proiégeaU la Uberté de ces peuples (y, 294)*
Tite-Live ( liv. xxi , du a ) : « Com Asdmbale..,.. iœdus renova->
verat popnlus romanos, ut finis utriusqne imperii esset amnis
Iberus, Saguntinisqoe mediis inter impetia duorum popolorum
libertas senraretnr. »
49. La javeline docile à Félan du nœud léger qui la guide
(v. 3 18). Isidore de SériUe, dans ses Origines (liv. XYiii, eh. 7),
donne, du mot lancea, l'étyroologie suivante, qui peut servir de
commentaire au vers de Silius : « Lancea est hasta ammtum ha-
bens in medio : dicta autem lancea , quia sequa lance , id est
sequali amento, ponderata Tibratar. »
50. Chaque trait de son carquois donne deux Jbis la mort
(v. Sa a). Ovide a dit de même (Pontiques, liv. i , lett, a) :
Qui , mortis sie%o gemiucnt Ht vulnere causas ,
Omnia vipereo spiciila f(^He liounl.
Claudien {Élog. de StiHcon, y. 35 1) :
Sed didicit non JEthioptim geminata venenis
▼ulnera;
et Sidoine Apollinaire (poëm. v, ▼. 407) :
Spiculaque infusiim ferro latura venenum
Que feriant bis, missa seind
Voyez plus baut , la note 36.
5i. L'Ister aux deux noms (v. 3^6). Il s'appelait Danube jot-
qu'au confluent de k Save, et ensuite îster jusqu'à ses embou-
cbnres. On sait qae le Danube est le pins c;rand fleure d'Europe
après le Volga.
I. a 3
354 NOTES
5a. Les câbles de la baliste (v. 335). On peut rapprocher de
ce passag.e cette description de la baliste dans Lucain (Pheirs.j
liv. III, V. 465) :
Sed major Gfaio Romana in corpora ferro
Vis inerat : neque enim solis excusSa lacertis
Lancea, sed tenso ballistœ turbine rapta,
Haud unum contenta latus transire, quîescit;
Sed pandens perque arma mam , perque ossa , reliel'a
Morte fugit : superest telo post vulnera cursus.
Àt saxum quotîes ingenti verberis ictu
Excutitur, qualis rupes , quam vertice mentis
jébscidit impuisu "ventorum adjuta vetustas,
Frangit cuncta ruens : nec tantum corpora pressa
Exanimat ; tôt os cum sanguine dissipât arttts.
Mais la pointe des traits que Marseille décoche
Liure vn assaut plus rude à tout ce cpii l'approche ;
Ayant porté la mort qu'ils laissent après eux ,
Ils vont plus loin encor chercher des malheureux.
Et les impressions des ressorts qtii les poussent ,
Forcent plus d'vn obstacle auant qu'elles s'émoussent.
Toutesfois la baliste , en lançant des cailloux ,
Semble des assiégez mieux seruîr le courroux;
On croiroit qu'yn rocher coupé d'vne montagne,
Vient d'vn air furieux foudre dans la campagne.
Et Ton voit sous le poids d'vn coup si véhément
Le fer, le sang, les os mêlez confiisément.
(De BnKRoeuF. )
F.a baliste était le canon de l'artillerie antique. Les auteurs an -
ciens, et notamment Vitnive , nous ont laissé les élémens de sa
description que de Folard a rassemblés dans ses Commentaires
sur Polj'he. Cette machine n'était qu'une grosse arbalète. Les
traits lancés par elle à une distance prodigieuse pesaient jus-
qu'à soixante livres. 11 y avait de ces balistes qui envoyaient a
plus de cent vingt pas des pierres , vastos molares, de trois cents
livFes pesant.
. « Plus les bras de la baliste sont allongés , dit Végèce ( liv. iv ,
ch. a3), c'est-à-dire plus elle est grande, plus ses traits sont lan-
cés loin. Si elle est réglée suivant les préceptes de l'art , et ma-
DU LIVRE PREMIER. 355
njoeuvrée pardes hommes exercés et connaissant bien sa portée,
elle enfoDcera tout ce qu*elle frappera Quant aux balistes et
aux onagres y ajoute-t-il encore, manœuvres avec activité et par
des gens habiles, ils sont au dessus de tout, li ny a contre leurs
coups ni rerta ni moyen de défense. Semblables à la foudre, ils
brisent ou mettent en poussière tout ce qu'ils frappent. »
On voit des effets surprenans de cette machine dans Josèphe :
<c Les pierres poussées par les machines, dit-il, faisaient sauter les
créneaux et rompaient les angles des tours. Il n'y avait point de
phalange si profonde dont une de ces pierres Ji'emportât toute
une file d'un bout jusqu'à l'autre. Il se passa cette nuit des choses
qui faisaient voir la force prodigieuse de ces machines » Un
homme qui était près de Josèphe reçut un coup de pierre . qui
lui emporta la tète : cette pieiTe était lancée par une machine
distante de trois cent soixante^quinze pas.
«c Les balistes , aussi bien que les catapultes , passèrent des ar-
mées romaines dans les armées du moyen-àge. Quelques-uns des
conqnérans asiatiques en firent aussi usage dans leurs expéditions.
On comprend comment, en présence de ces armes depuis si long-
temps en usage dans les combats, on a pu posséder la poudre
pendant des siècles sans songer à l'appliquer aux besoins de la
guerre. Les balistes étant d'un service bien moins compliqué que
les canons, devaient avoir sur eux nne supériorité réelle dans ces
temps où les armées en campagne ne jouissaient point, pour leurs
approvisionnemens et leurs trnfisports, des mêmes facilités qu'au-
jourd'hui. Rien n'empêchait de construire des balistes sur le lieu
même où le besoin s'en faisait sentir, de les réparer, de les en-
tretenir, de les incendier. Les munitions ne pouvaient manquer;
il n'en fallait pas d'autres que celles que les bras des soldats
étaient, toujours à même de fournir. L'incertitude du tir, soumis
à variation suivant l'état hygrométrique de l'air et la fatigue des
câbles, la longueur du temps nécessaire pour charger chaque
coup, probablement aussi la pesanteur des madriers, étaient des
inconvéniens notables et dont notre artillerie moderne est en
partie débarrassée. Néanmoins on ne peut nier que, dans bien
des circonstances, il pourrait être encore avantageux d'avoir re-
cours aux balistes. Une force de peuple , privée du matériel con-
venable , improviserait aisément et à peu de frais dans l'espace
356 NOTES
d'une journée des balisies redoutables. Le moindre mécanicien
donnerait en quelques lieures le modèle de machines cxnt fois
plus expéditives et plus commodes que celles des anciens ; et il
suffirait de quelques. cbarp^tiers el de quelques coups de hadie
pour mener l'œuvre à sa fin. » (J. Rethaud, Encyclopédie nou-
velle , au mot BaUstè.)
5!^. Et les aigaUlonne omx guerres à venir (y. 346). Andrû
Chénier (élég. ix) :
Pourquoi vers des lauriers aiguillonner mon cœnr?
54* La chaussée (y. 3/|8). Cette chaussée, agger^ était com-
posée de terre , de bois , de daies et de pierres , et dirigée vers
la ville en augmentant successivement de hauteur, jusqu'à égaler,
ou surpasser, comme ici, celle des murailles.
55. L'arme des assiégés , la Jalarique (v. 35o). Siiius n'a fait
qu'embellir ici la description technique que Tite-Live a donnée
de cette arme, a Falariea erat Saguntinis, missile telum hastili
abiegno et cetera tereti, praeterquam ad extremum, onde ferrem
exstabat : id, sicut in pilo, quadratum stoppa circun&ligabant,
liniebantque pice. Ferrum autem très longum habebat pedes , ut
cum armis transfigere corpus posset» Sed id maxime , etiarasi
hiesisset in scuto, nec penetrasset in corpus, pavorem faciebat;
quod, quum médium accensum mitteretur, conceptumque ipso
motu roulto majorem ignem ferret, arma omitti cogebat, nudom-
que militem ad insequentes ictus praebebat. » (Lib« xxi, c 8^)
11 reste sur la falarique un vers d'£nnius, imité et presque co-
pié par Virgile : *
Que valido ▼enit conlorta falariea missu.
Selon Festns , la falarique avait reçu son nom des falœ ou tours
de bois du haut desquelles on la lançait.
Cette arme a été aussi décrite par Yégèce , liv. iv, A. i8 , et
par Isidore de Séville, Origines y liv. xviii, cfa. 7.
56. Qui ri obéit qriaux efforts réunis de plusieurs bras (▼. 35 1).
11 est probable que cette arme énorme était lancée par la baliste.
^oye% la note 5a.
57. Les Carthaginois».,, minent les remparts (v. 366). Draken-
borch ne veut pas entendre parler ici de mine, parce que Tite-
DU LIVRE PREMIER. 357
Live n'en a point £iit mention , et il b)4nie Marsus , Dausq et
Cellarîus , ses devanciers y d» n'avoir pas compris comme loi ce
passage. Malgré Drakenborch, malgré Ernesti et Ruperti, qpi par-
tagent son opinion, j'ai adopté Tautrè sens. Toutes les exprès-
sionsi subducto vallo, cœca latebra y .iubfossis mœnibus, indiquent
clairement l'action de la mine. Subducto valio^ que Ruperti expli-
que par sursum ducto, a plus souvent le sens de subter ductô. Les
mots cœca iatebm pieuvent s'entendre dé la tortue formée par
les boucliers des Carthaginois; mais ils s'entendent mieux encore
de la galerie souterraine , cuniculus y que les mineurs ouvraient
jusqu'à la muraille pour la saper en dessous , subfossis mœnibus.
Drakenborch dit encore que les «: ciens ne creusaient ces galeries
souterraines que dans un cas, lorsqu'ils voulaient faire pénétrer
l'armée ennemie au milieu de la place sans renverser les rem*-
parts , comme fit Camille au siège de Yéies. C'est une erreur : il
y avait une autre espèce de mine qui consistait à creuser un canal
ou boyau souterrain par dessous le fossé jusqu'à la muraille : on
Qtançonnait à mesure qu'on en était la maçonnerie : ce travail
achevé, on mettait le feu aux étançons, et ces appuis venant à
manquer, tout ce qu'ils soutenaient tombait dans le fossé et le
comblait. C'est ainsi qu'Alexandre en usa au siège de Gaza, où il
oitra par une brèche que la mine avait faite à la muraille , et
c'est ainsi que Silius fait entrer ici les Carthaginois dans Sagonte,
Cette manière de miner s'est conservée dans les temps modernes
jusqu'à l'invention de la poudre.
58. Dulichùtm (v. 379). Cette lie de la mer Ionienne, voisine
de l'Ile de Zante , est ici pour toute la Grèce.
59. // se retourne y rencontre Hibërus (v. 387). Uibérus est un
nom propre. Quelques commentateurs, et Lefebvre de Villebrune
après eux , n'ont vu dans le mot Hiberi qu'un synonyme d*His~
pan/y et l'ont traduit par V Ibère ou V Espagnol, désignant tou-
jours Aradus.
60. Chrêmes au front ombragé de longs cheveux (v. 4o3). Cet
arrangement bizarre de la chevelure du soldat barbare rappelle
la grotesque Ci iffure de la coquette de Régnier :
Que son poil , dès le M>ir, îrm dans la boutique ,
Comme un casque au matin sur sa teste s'aplique.
(Su*. IX, V. «H9.)
s 58 NOTES
6 1 • ReconnaÛre par la piqûre du céraste l'origine suspecte d'dii
enfant (v. 4i^)- Pline attribue cet usage aux Psylles, peuples
d'Afrique, détruits depuis par les Nasamons : « Mos vero liberos
genitos protinus objiciendi ssevissiiuis earum (serpentium), coque
gecere pudicitiam conjugum experiendi , non profugientibus
adulterîno sanguine natos serpentibus. M (^Hist. Nat,y lib. vu ,
c. a.)
G. Curier explique ainsi la faculté qu'avaient ces peuples afri-
cains d'endormir les serpens et de guérir leurs morsures.
« Les Ophiogènes , les Psylles et autres jongleurs de cette es-
pèce, existent encore dans tous les pays où il y a des serpens ve-
nimeux. Quelques-uns de ces hommes rendent de vrais services
en suçant les plaies faites par ces reptiles; d'autres promettent
plus qu'ils ne peuvent tenir : tous , pour en faire accroire au
peuple, ont coutume de porter avec eux des serpens auxquels ils
ont arraché les dents, et disent que c'est par un pouvoir occulte
qu'ils n'ont rien à en craindre. £n Egypte surtout , ils ont con-
servé toutes les pratiques mentionnées par les anciens ; par
exemple , celle de craclier dans la bouche des serpens : ils savent
particulièrement rendre le serpent immobile en comprimant sa
nuque. Ils lui donnent ainsi une sorte de paralysie, ils le chan-
gent en bâton; lui rendant ensuite ses mouvemens, ils changent
le bâton en serpent , comme cela est dit dans la Genèse des ma-
giciens de Pharaon. » [Fojez le Pline de notre Collection, t. vi,
p. i65.)
62. Il gémit (v. 4î*5). Ce vers était inlifleliigible dans les
manuscrits. Le meilleur de tous \ le manuscrit de Cologne ,
portait :
Jamque geinet geminiim contra veiiabula deatem.
Les savàns et les commentateurs essayèrent de donner un sens à
ce vers, mais en le changeant presque entièrement : ils s'éloignaient
beaucoup trop de la leçon du manuscrit de Cologne. Lefebvre de
Villebrune voulut s'en rapprocher, et refit ainsi le vers :
Jamque gemeus geminat contra venabula dentem.
Au moyen de ce léger changement, le sens devint clair et facile,
DU LIVRE PREMIER. ^^59
et Ernesli s'empressa d'adopter cette correction. Mais Ruperti ne
voulut rien devoir à un érudit français qui s'amusait souvent du
pédantisme et des pédans de l'Allemagne; il retourna la variante
de Lefebvre et mit :
Jamque gémit gemiuans cootca veuabula denteai ;
ce qui était la même chose, et il le sentit bien; mais il déclara
qu'il n'avait connu que plus tard la correction de Lefebyre. Il
faut remarquer que c'est toujours ainsi qu'il a copié l'éditeur fran-
çais, — avant de le lire. Il a une phrase adoptée pour cela : Hœc
scripseram , quum déindê animadverteretn , etc.
63. Durcir la trempe de V^acier (v. 432). J. M. Gesner, dans
son Trésor de la langue latine , donne un autre sens au mot cru-
descerey qu'il explique ici par crudelius , nocentius fieri.
64. Prends pour toi la sainte justice (v. 481). Au lieu de fer
tecunty les manuscrits portaientyè/i^ equum, ce qui donne une idée
de l'ignorance des copistes.
65. Les collines d* Hercule et les rockers de Monœcus (v.-586).
C'est aujourd'hui Monaco. Hercule avait un temple dans ce
lieu.
66. Le Thrace Borée (v. 587). Cette peinture de Borée est fort
belle : on peut la rapprocher de ce passage de Claudien [Enlève-
ment de Proserpine , liv. i , v. 69) :
Turbine caeco
Quum gravis armatur Boreas, glacieque nivali
Hispidus et Getîca concretus graudine peunas ,
Bella capit, pelagus, silvas, camposque soiioro
Flamine raplurus
et du portrait que Borée fait de lui-même dans Ovide (Métam. ,
liv. VI , V. 690) :
Jpta mihi dis est : 1;* tristia nublla pello;
Fi fréta concutio, nodosaque rohora Derto ,
Induroque nives , et terras grandine pulso.
Idem ego quum fratres cœlo sum nactus apertOy
Nam mihi campus is est, tanto moUmine kietor
36o NOTES
Ut médius nostris concuKsihu inionet sether,
^ ExsiËemtque cavis elisi nubUftu igius.
• Idem ego, quum tubu convexa foramina tarœ,
Supposuique ferox Unis mea régna caverms;
SolUcito mânes totumque tremoribus orhem.
La force est mon partage.
Par elle, devant moi le nuage est chassé ,
L*ooéan est ému , lé châne renversé «
Les cham|i8 battus de grêle , on durcis par Ifi glace.
•Si y mes frères et moi y noua luttons dam fespace,
Le nuage qui crève étincelle d'éclairs ,
Le del tonne , et la foudre éclate dans les airs.
Si dans les. antres creux, soupiraux, de la terre.
Mon souffle impétueux pénètre et se resserre,
Quand mon dos se soulève, indigné de ses fers.
Sa secousse profonde ébranle les enfers.
(D« SAiiTT-Airoi. ) '
67. Au seuil du temple (v. 617). La curie on s'assemblait le
sénat. Dans Cicéfon {Disc, contre ^aLy n. x) et dans Tîte-Iive
(Uv. TUiy cb« i4 et 35) y la tribune aux harangués est. appelée
templum. Les Romains appelaient de ce nom tout lieu consacré
par les augures.
68. Ici 1^8 débris des guerres puniques (▼. 6a i). Emesti pense
avec raison qu'il s*agit plutôt ici de trophées suspendus aux ma-
•railles, que de peintures. J'ai traduit dans ce sens.
69. Les dépouilles de VEàciâe (v. 627). Pyrrhus, roi d'Épire,
descendait d'Achille et d'Eaque.
70. Les cônes hérissés des Liguriens (v. 6^8). C'étaient des
casques de forme conique.
71. Les gèses des Alpes (v. 629). Le gèscy en celtique gessy
était un javelot ou demi-pique. C'était une arme particulière aox
Celtes. (fTy^ez Virgile, Enéide y liv. viii, v. 661.) Ïite-Live
(liy. XXVI , ch. 6 ) en a fait une arme africaine.
7a. Du peuple rutule (v. 658). Souvent Silius désigne les Sa-
gontins sous le nom de Rutules , parce qu'ils descendaient des
Ârdéates , ainsi qu'il l'a dit plus haut en racontant l'origine de
Sagonte, vers 291 et suiv.
73. Les remptuts é^Àcrisius (v. 661). Ardée, suivant une tra-
DU LIVRE PREMIER. 36 1
dition , avait été fondée par Danaé , fille d'Acrisius , roi des Ar-
giens. Virgile , Enéide, liv. vu , v. 409 :
Audacis Rutuli ad muros , quam dicitiir iirbem
AdrisioDcis Danae Aindasse colonis.
74* Les muraUks Tirpahiennes (y. 661}. Sagonte, bâtie par
Hercule , qui avait été élevé à Tirynlhe , près de Mycènes y dans
le Péloponnèse.
75. Zanclé (v. 66a). Aujoord'hûi Messine. Le nom de Zanclé
vient du grec Xjirç^kti , faux. Il fut donné à cette ville , suivant '
Silius (liv. XIV, V. 4^)y parce que, sur remplacement qu*elle
occupe, était tombée la £iux dont Saturne s'était servi pour tran-
cher les parties génitales de Celas , son père ; suivant d'autres ,
parcf} qu'elle a la forme d'ane faux. On a supposé, avec plus de
raison , que ce nom lui avait été appliqué à cause de la fertilité
de son territoire* Voyez Thi7Ctdide, liv. vi; Sthaboh, liv. vi ;
OviDX, Fastes, liv. iv, v. 474; Macrobx, Saturnales, liv. 1,
cb. 8.
76. Contre les armes du tyran de Sicile (v. 66a). Hiéron , roi
de Syracuse. Voyez Poltbb , liv. i , ch. 8.
77. Fos aïeux sigéens (v. 665). Sigée était un promontoire de
la Troade.
78. Vieux colon de la Daunie (v. 665). C'est-à-dire descendant
des Ardéates. Voyez la note 7 a.
79. Source du Numicus ( v. 666 )• Fleuve du Latinm , qui
n'existe plus, et qui était sans doute entre I^urente, le Tibre et
le Marais, au bas des collines; car toujours Virgile, en parlant
du Numicus, parle aussi du Tibre :
Jlœc fontis stagna T^umici ,
Himc Tibrim fluvium
Qui saltns, Tiberine, tuos, sacnimque Numici
Tyrrheniim.ad Tibrim > et fontis vada sacra Numici.
NOTES
DU LIVRE DEUXIEME.
1. La.nef dardanienne qui portaiL.,.. les premiers patriciens
de Rome (y. i-3)« Les députés du sénat , qui étaient, selon Si-
lius,.Q. Fabius et Yalérius Publicola. Mais Silius a confondu
cette première députation composée , selon Cicéron [Philipp, v ,
n. lo) et Tite-Live (liv. xxi, ch. 6), de deux députés seulement,
Publ. Val. Flaccus et Q. Bébius Tamphilus, avec une seconde
menttonnée par Tite-Live (liv. xxi, ch. 18^, et composée celte
fois de cinq ambassadeurs , Q. Fabius, Mi Livius, L. Ëmilius,
C. Licinius et Q. Bébius. C'est un exemple, entre cent auti*es du
peu de respect du poète pour l'histoire , que du reste il ne pou-
vait suivre à la lettre , et un démenti réel de la sotte critique
qu'on a voulu faire de son livre en l'appelant une gazette en vers,
— Voyez, en tête dece volume, la Notice, p. xxv et suiv.
a. Fabius, de race tirynthienne (v. 3). De la race d'Hercule.
Les Fabius- descendaient , disait- on, d'Hercule et d'une filh^
d'Évandre, nommée Vinduna* Voyez Plutarque, Vie de Fabius;
Juv^NAL, sat. vin, V. i4; Ovide, Fastes, liv. 11, v. a37 et 37$,
et Pontiques, liv. m, letl. 3, v. 99; Propeuce, liv. iv, élég. i,
V. 26.
3. Ses trois cents aïeux (v. 4)> H ^ût été difTîcile à Silius de
faire entrer dans ses vers le nombre exact de ces héros : on sait
qu'ils étaient trois cent six. Voyez Tite-Live, liv. 11, ch. 5o.
4. Poplicola descendait du grand Volés us , Spartiate d* origine
(v. 8). Val. Volésus, ou Volusus, père du premier Publicola, était
Sabin, et Oenys d'Halicarnasse et Plutarque racontent que dt-.^
Lacédémoniens , fuyant les lois de Lycurgue, étaient venus s'éla-
NOTES DU LIVRE DEUXIÈME. 363
blir dans la /Sabine : de là cette origine Spartiate attribuée par h:
poète k Yolésus.
5. Son nom est un souvenir,.,., de l'amour des siens pour le
peuple (y. 9). C'était plus que de Tamoar : on sait qu'il fit abais-
ser les faisceaux devant le peuple assemblé, qu'il lui donna le
droit d'appel contre les consuls mêmes, qu'il fit rebâtir sa mai-
son dans la plaine, parce que, sur l'éminence où elle se trou--
vait d'abord, elle avait l'air d'une citadelle, ce qui faisait ombrage
au peuple.
6. De son aïeul date le consulat aux fastes d* Ausonie (v. 10).
Ce passage est assez obscur : je l'ai compris comme Ruperti ,
qui traduit ducebat par incipiebat , c'est-à-dire que Yalérius
Publicola fut un des premiers consuls de la république, ro-
maine : il fut en effet substitué à Tarquin Collatin, collègue de
L. Brutns.
7. La trompette tyrrhénienne (v. 19). C'est l'épithète ordinaire
de la trompette , inventée , dit-on , par les Étrusques , ou p<ir
Tyrrhéniis qui leur donna son nom. Voyez plus loin Silius,
liv. V, V. 12 , et Pline, Hist. Nat., liv. vu, ch. 56.
8. N'est-ce pas au Rhétéen (v. 5i)? Au Romain. Voyez liv. i.,
V. ii5, et note 27.
9. Les peuples au double langage {y, 56). Les Carthaginois,
dont la duplicité était passée en proverbe chez les anciens.
Plante avait dit {Pœnul. , act. v, se. a, v. 74) : Pœnus bisul-
cilingua.
10. Sous les enseignes de Marmarique (v. 57). Grande contrée
située à l'E. de la Libye maritime : c'est aujourd'hui \er£arcak.
11. Les antres de Méduse (v. 59). On n'est pas d'accord sur
le lieu où ces antres étaient situés. Les anciens les placent dans
une ile de la mer Atlantique; les modernes sur le continent afri-
cain, vers la partie occidentale de la Libye.
la. Le Mace des bords du Cinyphe (v. 60). Peuple de Libye,
voisin des Syrtes. Le Cinyphe ou Cinyps est aujourd'hui le Ouadi-
Quaham , dans la régence de Tripoli.
i3. Les Battiades (v. 61). Peuples de la Cyrénaïque (régence
de Tripoli), comme le précédent.
il^. Le Nasamon, son compatriote (v. 6a). Les.Nasaraons.ha'
bitaient les rives de la grande Syrte. Voyez liv. i, v. 408.
364 NOTES
i5. Barcé (t, 6%). Aojoiird'hui Barcalr , dans la 4 régence de
Tripoli.
16. Les forêts des Autolales (v. 63). Peuples de la Mauri-
tanie Tingitane (le Maroc) et de la Gétnlie, au pied du mont
Atlas.
17. Une nymphe Trhonide (v. 65). Une nymphe des bords du
lac Triton ou Tritonis [Bahyre Faraoune) en Afrique, ou dans
File de Crète , selon d'autres.
18. Dictjnne (v. 71). Surnom de Diane , pris du nom d'une
nynftphe , sa compagne.
19* La Txierge* sauvage (t. 7 a). Cet épisode d'Asbyté est une
imitation élégante du bel épisode de Camille dans VÉnéiele. Il
parait que Camille a fait souche et que sa race s'est long-
temps perpétuée en Italie. Pétrarque, dans un petit voyage qu'il
fit aux environs de Naples , rencontra un jour une de ces filles
de trempe forte et virile qui l'étonna beaucoup. Voici ce qu'il
écrivait à ce sujet à un de ses amis {de Reb, famU, episU 4,
lib. v):
FRANCISCUS PETRARCBTA JOANNX GOLUMNiË, S.
. .' . . . . . .Quum*multa sane mirabilia Deus ille fecerit, ^ ui
facit mirabilia magna solus, nihil ta»en homine mirabilîus in
terris fecit. Super omnia ergo, quae vel iste dies mihi ostendit,
vel tibi haec ostendet epistola , Puteolanae mulieris animi ac cor-
poris insigne robur fuerit. Mariam vocant. Singulare illi servata?
virginitatis deeus , jugis inter viros eosque ssepins armatos con-
versatio; nulli unquam tamen (ut constantissima omnium opinio
est) vel joco vel serio rigidae mulieris attentata virginilas, metu
magis , ut meraorant , quam reverentia prohibente. Corpus illi
militare magis quam virgineum; vires corporeae probatis mili-
tibtls optand», rara et insueta dexteritas, virens setas , habitas ac
studiura viri fortis. Non telas illa, sed tela; non acus et spécula,
sed arcus et spicula meditatiir : non illam oscula et protervi dentis
lasciva vestigia , sed vulnera cicatricesque nobilitant. Praecîpua
armorum cura est ; animus ferri morlisque contemptor. Bellum
cnm finitimis hereditarium ^erit , quo multi jam ultro citroque
perierc. Intcrdiira sola , ssepe paucis comitata , manum cnni hosti-
DU LIVRE DEUXIÈME. 365
bus conseruit , ubique ad hune diem , victts. Praeceps in prœliuni
ruere , lenta dîscedere , animose hostem aggredî , caute insidias
texere, famem, sitim, frigus, aestum, somnum, lassitudinem in-
credibili patientia perferre, sub divo pernox et sub armis agere,
hiimi requiescere , herbosum cespitem vel substratum clypeum in
deliciis habere. Inter tam continuos labores , multum brevi teni-
pore mutata est : quantulum est enim quûd me Romam ac Neapo-
lim ad regem Siculum juvenilis studium gloriae attrazit* Profecto
quam tune inermem videram , hodie armata et armatis septa ,
quuni ad me salutandum accessisset, rairatus sum, et velut ignoto
viro salutem reddidi ; donec rlsu ejus et comitum monitu pressius
intnitns, vix tandem sub casside torvam et incultam yirginem re-
cognovi. Mnlta de illa fabulis simîlla narrantur : ego quod vidî
referam. Convenerant et e diversis mundi partîbus viri fortes et
armorum exercitio durati^'quos, alio tendentes, illic fortuna de-
posuerat ; auditaque mulieris fama , experiendi vires cupiditas in-
cesserat. Itaque magno consensu omnium in arcem Puteolanam
ascendimus. Sola erat , et ante templi fores nescio quid cogitans
obambulabat : adventu nostro nihil mota est. Instamus orare ^ ut
virium suarum aliquod nobis experimentum praebeat. Ilia diu
excnsata bracbii valitudine, tandem grave saxum ac ferream tra-
bem jnssit afferri; quam qunm in metlium projecisset, nt tollerent
atqne experirenlur hortata est. Quid multa ? Longa ibi , ut inter
pares, contentio, et magno res acta certamine, spectatrice quidem
illa, et singulorum vires in sllentio extimante. Postremo facili
jactu adeo se superiorem approbavit, ut reliquos stupor ingens,
me etiam pudor invaderet; denique ita inde discessum est, ut
Tix oculis fidem dantes, subesse aliquid praestîgii putar^nus. . •.
Mihi quidem fœmînae hujns
aspectus credibiiiora efficit quaecumque non modo de Amazo-
nibus et famoso illo quodam regno fœmineo, sed etiam quae de
bellatricibus Italis virgînibus traduntur, duce Camilla, cujus in-
ter quum cunctas célèbre nomen est. Quid enim in multis opi-
nari prohibet, quod in una, nisi vidissem, essem forsan ad cre-
dendum segnior? Et illa quidem vêtus non procul hinc Priverni,
scilicet tempore lliacae ruinae, haec recentior Camilla Puteoiis
nostris temporibus orta est , quam tibi intérim litterulis meis
testa lum esse volui. Vale. »
?>GG NOTES
FRANÇOIS PETRARQUE A JEAN COLONNE , SALUT.
Dieu qui a fait tant de merveilles, et qui seul £Eiit les grandes
merveilles, u*a pourtant rien fait sur terre de plus merveilleux que l'homme.
Aussi, ce que j'ai vu en ce jour, et tout ce que tu verras dans cette lettre,
n'est rien auprès de la force extraordinaire d*âme et de corps d'ane femme de
Pouuole , nommée Marie. Elle a la gloire singulière d*avoir conservé sa virgi-
nité, malgré son séjour continuel parmi des hommes, et parmi des hommes
armés pour la plupai't. Toutefois, si jamais (comme c'est Fopinion la plus con-
.stante et la plus répandue) nul n'attenta sérieusement ou par plaisanterie à
l'honneur de cette rude fille, c'est, dit-on, plutôt par crainte. que par pudeur.
Elle a le corps d'un soldat plutôt que d'une vierge, une vigueur de muscles qui
ferait envie à des soldats long-temps exercés , une dextérité rare et peu com-
mune à son sexe, une verte jeunesse, les manières et les penchans d*nn homme
de guerre. Ce n'est point la toile, mais le javelot, point l'aiguille ou le miroir,
mais Parc et les flèches qui l'occupent ; point les baisers , les lascives noorsores
d'une bouche amoureuse qui font sa gloire , mais les blessures et les nobles
cicatrices. Les armes, voilà la première passion de cette âme qui méprise le
fèr et la mort. Elle soutient contre ses voisins une guerre héréditaire, où plu-
sieurs de part et d'autre ont succombé. Quelquefois seule , souvent aussi avec
une faible troupe, elle livre bataille à l'ennemi, et partout , jusqu'à ce jour,
elle l'a vaincu. Elle se précipite avec ardeur au combat , le quitte à regret , at-
taque vaillamment l'ennemi ou lui dresse un piège avec art; la faim , la soif,
le froid , le chaud , la veille , la lassitude , elle supporte tout avec une patience
incroyable ; elle passe la nuit à l'air et sous les armes , repose sur la terre ; un
lit de gazon , la surface d'un bouclier font ses délices. Ces fatigues continuelles
la changèrent beaucoup en peu de temps. En effet , quelques années aupara-
vant, quand le soin de ma jeune gloire m'avait attiré à Rome et à Naples au-
près du roi de Sicile , je l'avais vue , mais sans armes encore ; armée aujour-
d'hui , entourée de gens armés , elle s'avança pour me saluer : étonné , je hii
rendis le salut comme à un homme inconnu ; elle se mit à rire : sur un signe
de mes compagnons , je la regai'dai plus attentivement, et ce ne fut pas sans
peine que je reconnus enfin sous le casque cette vierge farouche et sauvage.
On fait sur elle une foule de récits qui semblent fabuleux; je ne parlerai que
de ce que j'ai vu. Avec nous se trouvaient réunis plusieurs étrangers de divers
pays, forts et endurcis par le métier des armes, et que, dans le cours de leurs
voyages, le hasard avait amenés là. Ils entendirent parler de cette femme , et
Tenvie leur prit de faire avec elle essai de leurs forces. Nous montâmes tons
en foule à la citadelle de Pouzzole. Elle était seule, et se promenait, absorbée
dans je ne sais quelles réflexions , devant les portes de l'église. Elle nous vit
aiTiver sans se troubler. Nous la priâmes avec instances de nous donner un
DU LIVRE DEUXIEME. 367
échantillon de sa force. £Ue is'excusa long-temps sur ce qu'elle avait un bras
malade ; puis enfin elle fit apporter une lourde pierre et une poutre ferrée , et
les jeta devant nous, engageant les visiteurs à tenter de les soulever. Bref, de
longues et nombreuses épreuves eurent lieu entre ces rivaux d'égale force, en
présence de cette fille qui jugeait en silence de la vigueur de chacun : puis elle
prit à son tour ces masses énormes , et les lança loin d'elle avec tant d'aisance
et une si évidente supériorité que nous demeurâmes , eux stupéfaits , moi tout
confus, et nous nous retirâmes, en croyant à peine nos yeux et soupçonnant
quelque prestige Pour moi, la vue de cette fille
m'a rendu plus croyables toutes les traditions répandues non-seulement sur les
Amazones et le fameux royaume des femmes, mais encore sur ces vierges hé-
roïques d'Italie, commandées par Camille, dont le nom est célèbre entre tons.
Pourquoi en effet ne pas croire de plusieurs, ce que, si je ne l'avais vu, je
croirais plus difficilement peut-être d*une seule ? Du reste , l'héroïne antique
naquit non loin d'ici , à Privernum , au temps de la chute d'Ilion , et la mo-
deme Camille naquit à Pouzzole en notre temps ; ce dont j'étais bien-aise de
te donner témoignage par cette lettre. Adieu. »
Dans tous les temps et dans tous les pays, au reste, on a vu de
ces femmes guierrières. Nous avons eu les nôtres : Jeanne d*Aro ,
Jeanne Hachette , et plus récemment les vivandières de notre
Grande- Armée, ont fait autant de bruit que Camille et' les Ama-
zones, et leur gloire est plus vraie et plus méritée. Tout le monde
connaît l'intrépide Catin de Béranger :
J'ai pris pî^rt à tous vos exploits
En vous versant à boû*e ;
Songez combien j'ai fait de fois
Rafraîchir la Victoire.
Ça grossissait son bulletin ,
Tintin, tintin, tintin, r'iia tin tin;
Ça grossissait son bulletin :
Soldats , voilà Catin !
Depuis les Alpes je vous sers ;
^ -^ Je me mis jeune en route.
A quatorze ans, dans les déserts,
Je vous portais la goutte.
Puis j'entrai dans Yienne un matin ,
Tintin , tintin , tintin , r'iin tintin ;
Puis j'entrai dans' Vienne un matin :
Soldats , voilà Catin !
368 NOTES
Seulement on ne peot pas dire de ces héroïnes de TEmpire ce
que Silius disait de celles de l'armée d'Annibal , sed mrgine
detisiùt aia est :
Quand au. nombre il fallut céder
La Victoire infidèle ,
Que n'avais-je pour vous guider
Ce qu'avait la Pncelle !
L'Anglais aurait foi sans butin, etc.
HO. Les Jolies de Thrace (v. 7 3). Les Amazones.
ai. Et fatiguent VHèbre de leur course (v. 74). C'est-à-dire
traversent et parcourent souvent [fatigare^ î. e. fatim agere ,
sœpius tractare) les flots glacés de l'Hèbre : c'est du n^oîo^ l'opi-
nion de Ruperti. Ernesti n'a pas entendu de même ce passage
qu'il rapproche de ces vers de Virgile {Enéide , liv. i, v. 317) t
». Qualis eqnos Threissa fatigat
Harpalycej volucremcjue fiiga prnvertitiir Uebnim.
aa. Les fils de Rhésus (v. 7Ç)* Les peuples de Thrace , ks
Ciconiens, les Gètes, les Bistoniens, etc. Rhésus était un roi de
Thrace.
a3. Un nœud y présent des Hespérides (v. 78). Un nœud
d'or.
a4. Sous r abri protecteur du boueiier du Thermodon (v. 80).
Aujourd'hui le Termeh : c'est le fleuve classique des Ama-
zones.
a 5. Un trait de Gortyne (v. 90). Gortyne était une ville de
Crète (Candie), comme Cydon ou Cydonia (la Ca née) .dont Silius
parle un peu plus bas, au v. 109, et aiUeurs. On retrouve les
ruines de Gortyne près du village de Novi-Castelli,
a6. Jupiter qu'il a délaissé (v. 11 5). Mopsus avait quitté la
Crète, patrie de Jupiter, et c^est sans doute pour cela que son
vœu n'est point exaucé, 7>ota non grata. Barth, Advers.^ liv. vi,
ch; a 5 , dit que Jupiter refusa de rentendi*e , parce que c'était
contre une femme que Mopsus l'implorait , et .que le dieu aimait
trop les femmes pour vouloir leur mort.
a7. // ramasse,,,, la pierre,,,, et s^enfrappe la poitrirœ (v. 14a).
DU LIVRE DEUXIÈME. - iGy
Ërnesti remarque avec raison que c*érait là un bien mauvais- moyen
de se tuer, mais Mbpsus était égaré par la douleur. '
28. Eurydamas (v. 178). Eurydamaâ était en efiet un des
amans de Pénélope ; 'mais Ërnesti fait observer que Silius, dans
ce récit , lui impute plusieurs traits qui lui sont étrangers , et
somble le confondre avec Ëuryttiachus , autre amant de Pénélope.
C'est Eurymachus qui, dans Homère (OûÇp^e'V, liv. ir, v. 182),
répand le bruit mensonger de la mort d*(Jlysse :
Aùnckf "OS'v^O'êÙç
"SXfTo nn)C ùç kaÏ o-xj KArit<^^i<r^cti 0-uy %KtUlt
"G^f Me
29. La chaste industrie qui recommença tant dejois la trame
d'une toile trompeuse (s. 180). Antinoiis, un des amans de Pé-
nélope , dit à Télémaque dans Homère [Odyssée, liv. 11 , v. 85) :
T)fXt/Uflt;t' y'X*>op'», ^évoç ày;|^«Tf , oroîoy ««/'7r#ç , k. t. X.
« Télémaque , harangueur téméraire , jeune audacieux , pourquoi
tenir un discours qui nous outrage? Tu veux donc nous couvrir d*in-
famie.' Cependant ce u*est point à nous qu^il faut attribuer tes mal-
heurs, mais à {a mère dout Tâme est remplie d'artifices. Déjà depuis
trois années, et bientôt la quatrième va s'accomplir, elle cherche à
trom|)er tous les Grecs. Elle flatte notre espoir , et promet sa main à
chacun de nous en lui faisant parvenir des messages ; mais, son esprit
a conçu d'autres pensées. Yoici quelle nouvelle ruse elle avait ima-
ginée : retirée dans son palais , s*occiipant à tisser une toile d'une
grandeur immense et d'une finesse extrême , elle nous a dit : « O vous
« qui prétendez à ma main, puisqu'Ulysse a péri, différez, malgré vos
« désirs , l'instant de mon hyménée. Permettez que j'achève ce voile
« précieux , afin que mes longs travaux ne soient pas iautilés. C'est ie
« vêtement funèbre que je réserve au vieux Laérte quand il subira les
« dures Ipis de la mort. Il n'est aucune femme des Grecs qui ne s'inr
« dignàt contre moi, si celui qui posséda de si grandes richesses repo-
« sait dans le tombeau sans un linceul fait de ma main. » Tels étaient
les discours de Pénélope, et nos cœurs trop généreux se laissèrent per-
suader. Ainsi, pendant le jour, elle travaillait à ce voile magnifique ;
■ mais la nuit , à la lueur des flambeaux , elle détruisait son ouvrage,
'Ainsi, durant trois années, la reine trompa les Grecs par ses artifices. »
(Trad. de-DuGAS-MoHTiitL.)
I. l[\
370 r^OTES
3o. Saisis de terreur,,,» les coursiers renversent le char et cul-
butent leur guide (y. 196). Ces yers rappellent ce beap passage
du récit de Théramène :
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée
Qui les couvre de feu , de sang et de fumée.
La frayeur les emporte ; et , sourds à cette fois ,
Ils ne connoissent plus ni le frein, ni la voix.
En efforts impuissants leur maître se consume.
Ils rougissent le mors d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en ce désordre afreux.
Un dieu , qui d*aiguiIlons pressoit leurs flancs poudreux.
A travers les rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt. L*intrépide Hippoljrte
Yoit YOler en éclats tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé, etc.
3i. La faveur des dieux l'abandonne (y. ao6). Stace a dit à
peu près de même [Théb., liv. 11, v. 589) :
Fuscas intenrolat auras
Hasta, scd audenti Deus et Fortuna recessit.
3a. Pourquoi se garder ainsi de la mort qui doit revenir (v, aa3)?
Siliiis, dans ces vers, semble préparer une espèce d'apologie à
son propre suicide. C'est ainsi que J.-J. Rousseau , qui souffrit
toute sa vie d'une douloureuse maladie , qui fut souvent tenté de
s'en délivrer y comme Silius, par une mort volontaire, et qui finit
du reste par céder à la tentation , revenait souvent dans ses écrits
sur la question du suicide. Dans la belle réponse de .milord
Edouard à l'amant de Julie , qui , ennuyé de la vie ^ aYait cher-
ché à justifier le suicide^, milord Edouard , tout en réfutant avec
force leMirgumens de Saint-Preur, admettait cependant que, dans
certain cas, il était permis de se défaire Yolontairement de la
Yie ' , et cette exception , que Jean- Jacques sembLiit s'être ré-
* ۥ Quoi qu'il en soit, pi^isque la plupart de nos maux phjrsiquea ne font
qu'augmenter sims cesse, de violentes douleurs du corps, quand elles sont
incurables, peuvent autoriser un homme à disposer de lui; car tontes ses £fi-
DU LIVRE DEUXIÈME. 371
servée, il l'Invoquait plus tard, pour lui-même en annonçant à
ses amis sa fin prochaine. Fcgrezi dans so Correspûndance, U lettre
à M. DucloSy datée de Motiers^ i^ août 1763.
33. D'un côté on fonge au t/nké^.,, de l'aaire,,... on se Jiatte
de l'espoir iTune guerre plus heureuse (▼• 273-275). « De deux
factions qui rëgnpient à Cartkage^ l'nne Touloii tonjourt là paix ,
et l'autre toujours la guerre ; de feçon qu'il étoit impossible d'y
jouir de l'une ni d'y bien faire l'autre. » (MoifTESQxnxti) Gran-
deur et décadence des Romains, ch. iv.)
34* Hannon, que ses vieilles haines defamiUe ioumeniéùmtre
Annibal (v. 277). « Le sénat de Carthage > tel que le parlement
d'Angleterre, se trouvoit divisé en deux partis , sans cesse oppo-
sés d'opinions et de principes. Dirigées par les plus grands^^génies
et par les premières familles de l'état, ces factions éclatoient sur-
tout en temps de guerre, et de calamités nationales. Il en ré-
siiltoit pour la nation cet avantage , que les rivaux, se surveiltet
afin de se surprendre, avoient un intérêt personnel à aimer la
vertu y en taot qu'elle leur étoit personnellement utile, et à haïr
le viee dans les autres
tt Cetf àréjpo^|l»e de la seconde guerre punique, que nous trou-
vons la flamme de (a diseorde bràlant de toutes parts dans le sé-
nat de Carthage. Hannon, distkigaé par sa modération , son amour
du bien public et de la justice , brilloit à la tète du parti qui ,
avant la déclaration de la guerre, opinoit aux mesures pacifiques.
11 représentoit les avantages d'une paix durable , ^ur les hasards
d'une entreprise dont les succès incertains coùteroient des sommes
immenses, et finiroient peut-être par la ruine de la patrie.
« Amilcar , surnommé Barca , père d' Annibal , d'une famille
chère au peuple, soutenu de beaucoup de crédit et d'un grand
génie , entratnoit après lui la majorité du sénat. Après sa mort ,
la faction Barcine continua de se prononcer en faveur des
armes. Sans doute elle faisoit valoir l'injustice des Romains qui ,
sans respecter la foi des traités , s'étoîent emparés de la Sar-
daîgne.....
cultes étant aliénées par la douleur, et le mal étant sans remède, il n*a plus
Tusage ni de sa volonté ni de sa raison; SI cesse d*étre honmie avant de mourir,
et ne feit , en s'ôtant la vie, qu*achever de quitter un eorps qui l'embafrasse et
où son âme n*est déjà pim. * {La Now^tte ffélôùe, part, ni , lett. ai.)
24.
37!« NOTES
(I Dtirant le cours des hostilités , la minorité ne cessa.de com-
battre les résolntions adoptées : tantôt elle s*efforçoit de dimi-
nuer les victoires d'Annibni , tantôt d'exagérer ses revers. Elle
jetoit mille entraves dans la marche du gouvernement; et, san^
le génie du général carthaginois , son armée , faute de secours
périssoit totalement en Italie. » ( Chateaubriand , Essai sur les
révolutions, ch. xxxii.)
35. Attaque en ces termes cet enthousiasme (v. 278). Il nVst
pas sans intérêt de l'approcher de ce discours d*Hannon celui que
Tite-Live lui prête, liv. xxi , ch. 10 de son Histoire. — Voyez t. vin,
p. a 5 du Tite-Live de cette Collection.
36. Est-ce donc une cité étrangère qu'il menace aujourdlmi
(v. 299)? Il y a dans Ruperti une page de variantes sur ce vers:
il s*en est prudemment tenu à la leçon du ms. de Cologne , qn^
nous avons suivie.
37. C'est ton rempart, c'est toi, Carthage, oui, toi qu'en ce
jour il attaque (v. 3o2). Uannon dît de même dans Tite-Live
(liv. XXI, ch. 10) : <« Cartliagini nunc Hannibal vineas turresque
iidmovct; Carthaginis mœnîa quatit ariete. Sagunti ruinae (falsiis
ufinam vates sim ! ) nostris capitîbus incident , suscepturaque corn
Saguntinîs bellum, habendum cum Romanis est. »
38. Nous avons abreuvé d'un sang généreux les vallées (THenna
(v. 3o4). Hannon rappelle ici les défaites des Carthaginois en
Sicile, lors de la première guerre punique.
39. Nous avons acheté l'aide du Spartiate (v. 3o5). Xanthippr,
général des Lacédémoniens, qui vint au secours des Cartliagi-
ivnis et battit les armées romaines. Silins le nomme souvent.
Voyez DioD. de Sicile, liv. xxii, ch. la; Florus, liv. 11, ch. 2;
PoLYBK, liv. i , ch. 3a.
4o* Songe aux Égaies [v. 3io). La défaite de la flotte cartha-
ginoise près des iles Egates , dont il a été déjà souvent question,
et qui mit fin à la première guerre punique. Voyez, p. 339 , la
note la du livre i®*".
41. Ce n'est point à des âmes Néritiennes que tu auras affaire
(v. 317). C'est-à-dire à des Sagontins. On a vu liv. i , v. 290,
que Sagonte avait eu parmi ses fondateurs des colons de l'île de
Zantc et de quelques autres îles de Tempire d*Ulysse , et Nérito^
était une île de la mer Ionienne, voisine d*Ithaque.
DU LIVRE DEUXIÈME. 373
42. Gestar se lève (v. 327)." Ce nom né se retrouve pas dans
les historiens : il est probable que c'est un nom forgé , comme
tant d'autres, par lé poète.
43. Il nous menace de ses deux Alpes (v. 333). Les Pyré-
nées et les Alpes'. Sidoine Apollinaire a dit de même (poëme v ,
V. 593 ) :
Tenui, sicut nunc, carminé dicam ,
Te geminas Alpes, te Syrtes, te mare magnum ,
Te fréta, te Libycas pariter domuisse catervas.
Prudence {Hymne sur le martyre de saint Laurent, v. 438)':
Nos Vasco Hiberos dividit ,
Binis remotos Alpibus,
Trans Cottianorum juga ,
Trans et Pyrenas ninguidos.
44. Et son âme aspirait aux exploits de son père (v. 352).
Après ce v«rs, dans quelques anciennes éditions, on lisait celui-ci :
Ultor erit caedis, jam te spectante, propinquae.
ModiuSy ne le retrouvant dans aucun manuscrit, le supprima.
45. Byrsa la Tyrienne (v, 363). Byrsa était ie premier nom
donné à la citadelle de Carthage. L'origine de ce nom, qui signifie
cuir en grec, est bien connue. Virgile, Enéide y liv. 1, v. 367 :
Mercatiqne solum , iacti de nomine Byrsam ,
Taurino quantum possent drcumdare tergo.
46. A ces mots Use rassied (v. 374). Les trois vers qui viennent
après manquent dans le manuscrit de Cologne; mais comme ils
préparent et expliquent ce qui suit, N. Heinsius et les éditeurs
qui se sont succédé après lui n'ont pas osé les supprimer.
47. Fabius (v. 382). Polybe ne nomme pas Fabius : il attribue
le f;iit au plus âgé des députés. Ce trait si connu est raconté tout
autrement dans Aulu-Gelle (liv. x, ch. 27) , qui semble avoir em-
prunté son récit aux anciens annalistes, in litteris veteribus me-
moria exstat. Ce n'est plus comme député , c'est comme général
des Romains que Fabius présente , non en personne , mais par
37/» NOTES
lellre, aux Caiikagiaotfl le choix de la guerre ou de la paix^ Voici |
le passage :
a Q. Fabius imperator Romanus dédit ad Karthaginienses ept-
slolam y ubi sariptum fuit populum RomanBiB misisse ad eos
hastan» et cadnoeuni > signa duo belli aut pacis : ex €pâ& utrum
vellent eligerent; quod elegissent, id unum ut esse missum existi- |
marent Karthaginienses responderunt neutrnm sese elîgere : sed
posse qui attulissent utrum mallent relinquere; quod reliqnis-
sent, id sibi pro lecto fijiturum, ]!$arcii& aulem Vairro noa hastam
ipsam neque ipsuni caduceum missa dicit , sed duas tesserulas :
in quanim altéra eaducêum , in imitera ka$ta6 simulacra fuenuit
incisa. »
Au reste, Tite^Live et Florus diffèrent eux-mêmes sur quelques
points de cette histoire.
48. li s* en retourne annoncera sa patrie qu'il /aut combattre
(v. 390}. Les députés , en quittant Carthage , ne retournèrent pas
droit à Rome; ils durant traverser l'Espagne, qu'ils ayaîekt çrdre
de parcourir pour essayer de la détacher du parti des Carthagi-
nois et de la rallier à celui de Rome. Tite-Live a raconté (liv. xxi,
ch. 19) le peu de succès de leur tentative. Silias passe par- dessus
tous ces détails, et il a raison peut-étre, mais il prouve encore
ici clairement qu'il n'a jamais prétendu écrire une histoire.
Voyez y page 362, la note i de ce livre, et la Notice , page xxv
et suiv.
49. Le Cartha^nois a surpris et battu quelques peuplades donê
la Jbi chancelait (v. 392^). Les Orétans et les Carpétans ipii , ré-
voltés de la rigueur avec laquelle Annibal poursuivait les levées,
avaient arrêté les enrôleurs et pris les armes. Voyez Tite-Lxvz,
Uv. XXI) ch. II.
. C'est du reste encore là une de ces transitions trop brosqon
et trop rapides que Clément a blâmées avec raison.
« Au second livre, dit-il, nous sommes tout surpris d'ap[H%ndre
qu'Annibal avait interrompu et recommencé le siège de Sagonte,
et de »*en pas être informés autrement que par ub récit aussi
sommaire que celui-ci :
Atque ea dum profiigse regnis agitantur Elissae, etc.
On conviendra que celte aération n'est digne ni de l'épopée, ni
DU LIVRE DEUXIÈME. 375
de l'histoire. On me dira peut-être que le poète a voulu glisser
rapidement sur des circonstances inutiles ; mais si elles sont inu-
tiles, il les fallait supprimer tout-à-âiit. Effectivement, pourquoi
Annibal interroinpt-il subitement un siège à peine commencé ? »
(Clament, Essais de critique sur la littérature ancienne et mor
deme, t. i, p. 3i.)
5o. Les peuples dei riPes de f Océan apportent en présent à
leur chef un bouclier {y. 3^5). Ces descriptions de bouclier étaient
un moyen épique déjà bien usé du temps de Silius, mais que
les poètes n'ont jamais négligé^ même après lui. Honïère a décrit
le bouclier d'Acbille, Hésiode celui d'Berèule, Nonnus celui de
Bacehus , Virgile celui d*Énée, Stace celui de Crénée, et Claudiett
celui de Itome. Heyne a reproché à Virgile d'^avôir omis dans sa
description plusieurs faits importans, et d'en avoir admis d*afitres
beaucoup moins célèbres. Ernesti fait le même reproche à Silius.
Mais il est pourtant Un mérite qu'on ne peut leur refuser, >M. Mi-
chaud^ dans ses notes sur V Enéide de DcUUe, ^it observer que
le bouclier d'Achille et celui d'Hercule ne représentent rien qui
se rapporte à ces héros , et qu'ils pourraient appartenir à tout
autre personnage : « Le bouclier d'Ënée, au contraire, est parfai-
tement adapté an stget de VEnéide.^ Le.héros troyen porte à son
bras les destins de sa race , et son bouclier ne peut convenir qu'à
lui seul. 9 On peut en dire autant du bouclier d'Aniiibal.
5i. Chef-d*^œuvre du pays de Callécie (v. 39:7). La Galice ,
province d'Espagne ^ renommée pour ses mines d'or.
Si». Mitias (v. 409). Ce nom carthaginois se rencontre plusieurs
fois dans Y Enéide , d'où Silius l'a pris Sans doute, Uv. 1, v. 73B;
liv. IX, V. 672, 7o3; liv. xi, v, 396.
53. La tête du cheval guerrier qu*iùf ont trouvée en creusant
la terre (v. 4^0). Virgile (^Enéide, liv. i, v. 44') «^ Justia
(liv. xviii, ch. 5) ont aussi rappelé cette découverte de la tête
d'un cheval, dans les fondations de Carthage. Elle présageait ^
selon eux, la gloire guerrière de cette cité. Servius, dans son
commentaire sur V Enéide, k l'endroit cité, raconte cette histoire
avec d'autres détails.
a Didon , fuyant son frère , traversa une ile où Foracle de Ju-
non lui annonça qu'elle trouverait bientôt la place de son nou-
vel enipire. Peu confiante en cette promesse, Didon emmena le
376 NOTES
))iérre de Junon, et elicinmva bientôt, avec lui. sur les rives
4* Afrique. Là, le prctre ayant choisi le lieu où s'élèverait la ville,
on creusa la terre à cette place, et on y trouva une. tête de bœuf:
pe qu*on vit avec déplaisir, le bœuf étant par nature destiné au
joug. On creusa la terre un peu plus loin , et on en retira cette
fois une tète de cheval : cette découverte fut mieux reçue que la
première; car le cheval, quoique destiné au joug, aime la guerre,
les armes, la victoire. On éleva. là un temple à Junpn. Ainsi,
ajoute Serviuâ, la tête de. cheval désigne Carthagc guerrière, et
la tète de l>o&uf. Carthage agricole* »
;. '«Le cheval est à Carthage, dit M. Michelet, ce que le loup,
puis l'aigle, out .été à Rome. Ce symbole équestre semble indi-
quer que l'élément libyen et continental subsistait à côte de
l'élément pbénicien et maritime.» [Histoire romaine^ liv. ii,
çhi /| , note.) . . , ..
. ,54. La main callécienne (v. /117)' L'artiste de Galice.
^5,, Les chasseurs dont les corps dUtparaissent derrière les
plumes d oiseaux tendues dans les forets (v. 419)- Les derniers
çommentateqrs allemands, Ërnesti et Ruperti, ont rapproché ce
passage de ce vers de Virgile [Enéide ^ Hv. tv, v. lai) :
Dum trépidant aise saltusquë indagine cingunt.
Ils ont adopté pour le mot aUc l'explication que Heyne en donne.
Heyne entend par. alœ des cpouvantails faits de plumes d'oi-
seaux, pinnas injbrmidine; j'ai traduit dans ce sens. .M. Ville-
nave, en traduisant Virgile, a donne de ce mot une explication
plus naturelle peut-être, et qui, du moins, se rapproche beau-
coup plus de sa signification ordinaire. Selon lui, il s'agit dans
Virgile, et par conséquent dans ce passage de Silius, qui. n'est
qu'un. souvenir de celui de Virgile, des piqueurs ou cavaliers qui
entouraient les chasseurs : l'infanterie , placée entre deux lignes de
cavalerie, s^e'h trouvait couverte comme les oiseaux le sont de
leurs ailes. Voyez le t. 11, p. 871 , du Virgile de cette Collection.
56. Xanthippe victorieux y venu d'Jmyclée la Lédéenne (y, l^'^t^).
Voyez sur Xanthippe, la note 3g de ce livre,, p. ^7». . ,
Amyclée, ville du Péloponnèse, qui fut le séjour de Léda. Il
ne faut pas la confondre avec une ville italienne du même nom,
bâtie entre Caièle et Terracine par des Laçons, coAipagnon^ de
DU LIVRE DEUXIÈME. 377
Castor et Pollux , et venus en Italie avec Giaucus , fils de
JVIînos.
57. Ses gèses (v. 444)* ^oyez, page 36o, la noie 71 du livre i.
58. Son ahoyeur cydonien (v. 444)* C'est-à-dire, son chien
Cretois. Cydon était une ville de Crète. Voyez ^ p. 368 , la note a5
de ce livre.
59. // se rend, au sanctuaire sacré de la Foi (v. 479)* Dans
Valère-Maxime , la déesse de la Foi intervient aussi et pleure la
triste destinée de Sagonte : « Crediderim tune ipsam Fidem, hu-
inana negotia spécula ntem y mœstum gessisse vultum , perseve-
rantissimum sui cultnm iniquae forttinae judicio tam acerbo exitu
damnatum cernentem. n (Lib. vi , c. 6 , ext. 1.)
60. Qui craignent autant qu'ils se font craindre (v. 499)- Cette
idée se retrouve sous différentes formes dans presque tous les
poètes qui ont précédé ou suivi Silius, dans Ennius, Labérius,
Séncque, Claudien, etc. — Fénelon, qui savait si bien Tantiquité,
a aussi reproduit cette pensée en la développant :
« Les rois qui ne songent qu'à se faire craindre, et qu'à abattre
leurs sujets pour les rendre plus soumis, sont les fléaux du genre
humain. Ils sont craints comme ils le veulent ctre ; mais ils sont
haïs, détestés, et ils ont encore plus à craindre de leurs sujets
que leurs sujets n'ont à craindre d'eux. » {Télémaque y liv. 11.)
61. Jette les yeux sur cette terre; pas une âme sans tache
(v. 5o5). Il faut avouer que la vertueuse déesse abuse ici de la
])atience d'Hercule : ce beau sermon n'est guère à sa place.
Kh ! mon ami , tire-moi de danger ;
Tu feras, après, ta harangue.^
6'i. La Mort s*as>ance, ouvrant sa large bouche (v. 548). Celte
image grotesque de la Mort, dont Kuperti fait grand éloge, est
le portrait exact de notre redoutable Croquemitaine.
63. Un serpent à Vécaille luisante (v. 585). On sait que les
anciens voyaient dans les scrpens les génies des hommes et les
génies des lieux. Le serpent était le symbole de la vie, de la pa-
trie et de rimmorlalité.
64. Eurymédon, Lycornuis {y , O37). La ressemblance d^ ces
deux frères, qui pouvait amener des effets louchans, ne produit
ici que de burlesques équivoques. Tout en voulant imiter Vir-
37S NOTES
gile , Silius OiiMIe son goût pur et sévère pour dé perdre à force
de bel-e^iit et d'affectation sur les traces d'Ovide. Qément a fait
de ce pasaa^ tme crkiq»e fort juste, quoique peu modérée.
« Siliiift ne iût jtmâts mieux yoir son peu de goût et de génie,
^nt lenqal! veut donner une certaine étendue a un trait de na-
ture et de sentiment que Virgile lui a indiqué. On connait ces
▼ers charmans du dixième Ihre de V Enéide .*
Yos etiam gemini Rutulis cecidistis in anris,
Daucia, Lande Thymberque, simillima proies,
Indîscreta suis, gratusque parentibus error :
At nuDc dura dédit Tobis discrimina Pallas, etc.
. « L'imitateur prend d'abord cette idée, et la convertit ensuite
en un petit épisode, qu'on trouve vers la fia de son second livre :
Tos etiam primo gemini cecidistis in aevo,
Eurymedon fratrem, et fratrem mentite Lycorma,
Guncta pares : duldsque labor sua Domina natis
Raddere^ el in wltu genetrid stare suorum.
Silius a cru ajouter à son modèle pai' ce jeu d*esprît que le tra-
ducteur * a rendu plus sensible encore : portrait de Lycorma ,
portrait iT Eurymedon, Virgile s'était contenté d'une expression
plus simple et plus convenable : simillima proies. Ce poète ba-
bile s'est bien gardé d'étendre ce trait délicat , gratusque paren-
tibus error f sacbant très-parfaitement qu'il faut laisser travailler
l'imagination du lecteur, et qu'un sentiment perd tout à être dé-
layé. Silius appuie sur l'embarras de cette mère , lorsqu'elle veut
appeler cbacun de ses fils par son nom ; et cette particularité est
bien moins agréable que l'idée générale et indéterminée du
premier poète , qui a bien senti que cet embarras pouvait avoir
quelque cbose de comique à être détaillé; d'ailleurs, gratus error
a bien plus de délicatesse que dulcis labor, Silius n'aurait été
qu'un faible imitateur, s'il s'était arrêté là; mais il devient ridi-
cule et impertinent , en ajoutant ce qu'on va lire :
Jam ûxus jugulo culpa te solverat ensis, etc.
Qui ne voit que la double méprise de cette mère jette un comique
^ Lefebvre de Villebruiie.
DU LIVRE DEUXIÈME. 379
bien déplacé dans une peinture aussi tragique? » (Essais de cri^
ti^esur kl Uttér, ancùf/me et moderne ^ t. i, p. 61.)
65. Cette -ville,.,,, s'^écroule (y. 655). Appien raconte aatrement
la chate de Sagonte. Selon loi , les Sagontins , dans une dernière
sortie y la nuit, contre les Carthaginois > se firent tous massacrer;
et leurs femmes, restées dans la ville, se pendirent^ ou se jetèrent
du haut des toits , après avoir tué leurs enfiains*
^^, Soudain apparak Tibume (v. 665). Cette îw ce n'est
plus Tisiphone sous les traita de Tibume, c'est Tibume elle-
même qui se présente. Il y a un peu de confosion dans tout
cela.
67. Jllez, célestes âmes (v. 696). Cet adieu du poète aux Sa-
gontins, bien qu*nn peu déclamatoire, a été généralement ap-
prouvé. Clément lui-même n'a pas hésité à en faire Téloge : c'est
presque le seul passage des Puniques que sa censure ait épargné.
« Puisque nous en sommes à remarquer les beautés de Siiîus ,
extrêmement rares en un si long poème , nous dirons à peu près
tout le bien que nous en savons. Ce qui le earaittérise est un
certain goût de philosophie et de morale assea ordinaire aux
écrivains des siècles de décadence , qui aiment mieux penser que
sentir, et réfléchir qu'émouvoir. Une louange que mérite notre
poète , c'est d'avoir usé de ces réflexions morales pkis sobre-
ment que les Lucain et les Scnèque , et de les avoir rarement
tournées et prolongées en déclamations. Le morceau de ce genre
qui nous a fait le plus de plaisir, termine le second livre ; c'est
une apostrophe assez énergique aux malheureux citoyens de Sa-
gonte, victimes de leur fidélité et d« la perfidie d'Ânnibal :
At vos sidereee, quas niilla sequaverit œtas, etc.
a Quoiqu'il soit fort singulier de voir un pe^te fliire lui-même
une imprécation contre le héros de son poème, ce morceau est
d'un beau mouvement et d'une vraie éloquence. » (^Essais ele
critiqué sur la Uttér, ancienne et moderne, t. i , p. 75.)
68. Un jour l'invincible guerrier ne portera aux flots du Styx
qu'un cadavre livide et défiguré par le poison (v. 706). Pé-
trarque, au deuxième livre de VAfrica, prédit de même la chute
et la mort d'Annibal. Scipton endormi voit eft songe Pubhus Sci-
pion , son père, qui, après lui avoir raconté la première guerre
38o NOTES
punique ^ lui révèle , sur sa demande , ses triomphes fulurs et la
fin du chef carthaginois :
Non tulit indignantem animo pater optimus : •• Imo ,
Imo, ait, armato latronem pellere luscum
Finibus Ausoniae dabitur : discedet iniquo
Inde animo , metuetque alienam linquere terram
Sangiiinis ac priedae sitiens ; at mœsta suorum
Plebs metuens, belloque nimis turbata propinquo,
Hune repetet reb*ahetque domum. Postquam effera tangêt
iitora , funesto veritus confUgere campo ,
Congi-essiis volet ante tuos ; tu furta caveto,
Insidiasque viri : doceant le dira tuorum
Funera Barbarico confecta ferociter as tu. |
I tamen , atque hostis crudelem conspice vultum
Rt dictis intende aurem, cautusquc vigilque
Insidiosa senis versuti percipe verba. j
Si renuis retrahisque pedem , nil crede per orbem
Aut tumidus videare aliis aut forte superbus. i
nie quidem varia tentabit flectere mentem
Àrte , dolisque novis, didcem per secula pacém ,
Pacem iterans, pacisque tegens sub nomine firaudem^
Unicus eversor pacis firmissime prœsla,
Propositumqi^e tene; nil de patriœque tuaque
Majestate cadat. Fremet ille et tristia coram
Fata videns, humiles voces submissaque verba
Ore dabit ficto : juvenem semperque secundis
Aâàuetum, casus varios librare monebit
Fortunes , ac multa ancipiti sermone tremenda
Proferet, eventusque ducum ; qiium nulla videbit
Verba altuin movisse animum , tum tristis et ira
Fervidus, arma fremens bellumque in castra redibit.
Pugna erit, ambiguo quam speetant fata fi^vore,.
Cujus ad eventum toto timeatur in orbe.
Sanctior bis prœerit castris, dux impius illis.
Victor eris bello tandem, Victoria nçc te
Efferat : ast illum fortuna evei^sa repente
Prosternet; victus fugict, peregrinaque tanget
Litora , qua' Graiis Asiam regiûnibus œstus
Hellespontiaci dirimit maris : omnia tandem
Tentabit, regiimque pedes indignaque supplex
' DU LIVRE DEUXIÈME. 38 1
Contiuget geniia , atque aliéna precabitiir arma ,
Italicas ardeiis iterum ruilunis in oras,
Si Forluna sinat; nobis sed amicior illa,
Jam longis satiata malis, funesta retrorsum
Consilia evertet. Quid multa? vagabitur exsul
Pessimus/et terras virus disperget in omnes,
Romanos in morte petens. Ceu saxea sœvum
Qaum forte in triviis t empestas obruit anguem ,
nie fiirit, moriensque minas vomît atque venenum ;
Mille ligans caudam sqiiamosaque corpora nodis ,
Horrificus solo aspectu , postrema cruentus
Sibila languentesque oculos altollit, et ipsum
Sœvit in autorem frustra : sic turbidus iste
Mine vias moribundus aget, quo tempore forte
Publlca dum perages mandata , videbls inermiem
Securns , feciemque trueem quœ terruit urbem.
CoUoquio festina dies videatur amico.
Quam subito miris aiiimum volet iUe loquendo
Flectere blanditiis, seu sunt hsec Punlca semper
Pectora, seu laudem virlus vel ab boste meretur
Praecipue, tam rara qnidem; verum illa jocosum
Qualiacumque tibi risum fortasse movebunt.
Nil aliud ; sic ille graves in morte reflexus
Quum dederit , falsaque animum spe paverît amens ,
Tandem Bithynica met impertcmtus aula
Dux atrox, urbique metnm depeUet et orbi. »
(PsTKAKCH., Afiica, lib. ii, v. 3i et sq.)
NOTES
DU LIVRE TROISIEME.
I. Une fois le traité rompu dans Carthage (v. i). Clémenl a
encore blâmé ce début :
(c Après la destruction de Sagonte, à la fin de la première ac-
tion, Tantenr, embarrassé de renouer le fil de son récil, se tire
brusquement d'un si mauvais pas; il ouvre ainsi son troiaîèrae livre :
Postquam rupta fides Tyrife , et mœnia castae ,
Non œquo Supenun genitore, evena Sagunti, etc.
Cc&t faire parcourir en peu de temps bien du cbcm» à «m bé-
ros , et cet artifice pour eUtrer dans Une nouvelle aurii èp e , qni
consiste à interroger un oracle ttir ce que doit lure Annibal ,
n'est-il pas bien puéril, et n'amiottee-t-B pas en même temps
l'égarement du poète , qui ne sait plus quelle route tenir dès le
commencement de sa eonière? » (Essais de critique sur la littéra-
ture ancienne et moderne ^ 1. 1, p. 3a.)
Ernesti relève vivement cette critique. H est certain que Silius,
dans le plan tspt'û. t'était proposé , de traiter les principaux faits
de la seconde guerre punique , ne pouvait oublier le séjour d'An-
nibal à Cadix et sa visite au temple d'Hercule : il eût manqué en
même temps et à Tite-Live , son guide ordinaire , et à sa muse
qui trouvait dans cet épisode matière à de nouveaux développe-
mens poétiques.
a. Les remparts fraternels de Gadês (v. 4)« Cadix. Cette ville
avait eu pour fondateurs, comme Carthage, des Phéniciens, partis
des bords de la mer Rouge : de là Tépithète de cognata que Si-
lius lui a donnée.
3. Du dieu de Cirrha (v. 9). Apollon. Cirrha était une ville de
Phocide, an pied du Parnasse, voisine de Delphes.
NOTES DU LIVRE TROISIÈME. 383
4. // rend hommage au dieu ppn^-meusue (t. 14). Hercule.
5. On dit,.,, que les poutres qui soutiennent le temple depuis
son origine durent encore (v. 17). M^rçns fiât remarquer avec rai-
son ijiie Silius applique ici au temple d'Hercule ce que Plikie rap*
porte du temple d'Apollon à Utique et du temple de Dîanti k
Sagonte {Hist. Nat,^ liv. nyi, ch. 69).
Pline attribue la dorée de ces poutres à leur odeur, et ce n'est
pas sans raison. « Les bois odorans , dit M. Fée , dans une note
sur ce passage de Pline , doivent leur odeur à une huile essen-
tielle ou à une résine qui empécbe les vers de les attaquer, et qui
les défend , en outre » des injures de l'air et de i'action de Thu-
midité. Les bois de pin, de mélèze, de cèdre, de cyprès, etc. ,
sont dans ce cas. Il j a aussi une cause qui prolonge la durée des
bois : o'est leur grande dureté; elle permet difficilement aux iii*
sectes de les attaquer et à Tair de les désorganiser* Les bois qui
sont en outre résineux et dont toutes les parties sont oonone ver-
nissées , ont une durée presque indéfinie. »
6. Ceux à qui seuls est le droit, „é de pénétrer au sanctuaire ,
en défendent l'accès aux femmes (v, a 2). Cette défense existait
aussi dans les temples d'Hercule en Italie. On trouve dans les
auteurs différentes raisons de cet usage. Voici comment Macrobe
en raconte . l'origin e :
«t Unde et mulieres in Italia saero Herculis non licet interesse;
quia Hercnli , quumboves Geryonis per agros Italiae duceret, si-
tien ti respondit roulier, aquam se non.posse praestare, quod fe-
minarum Deae celebraretur dies, nec ex eo apparatu viris gustare
fas esset. Propter quod Hercules, facturus sacrum, detestatus est
praesentîam feminarum , et Potitio ac Pinario sacrorum custodi-
bus jussit, ne mulierem intereçti^e permitterent. » (M4GR09., Sa^
toroa/., libi 1 , 0. 12.)
Cette histoire a fourni à Properce le sujet d'une charmante
élégie (liv. iv, élég. 9).
1^. Prennent soin d'éloigner du seuil lejs, pourceaux aux longues
soies (v. a3). Quant à cet usage, il n'était pas généralement suivi :
dans certains lieux on immolait de« pourceaux à Hercule. Qui
ne se rappelle la fable de Phèdre (liv. v, fable 4 ) ?
Quidam immolaBiet verrem quum sando Herculi ,
Coi pro salute Totum d^ehat sua, et?»
•584 NOTES
8. Le lion île Cléone (v. 3 4). Le lion de Némée, foret yoisinc
de Clëone, ville de TArgolide.
9. Le cerf aux pieds (T airain (v. 39). Le dernier éditeur alle-
mand de Silius , Riiperti se demande sérieusement s'il conserrern
la leçon vnlgaire comàa cervasy ou s'il adoptera celle du manu-
scrit de Cologne , cornua cervi; le cerf ou la biche. Après avoir
cité dix autorités pour cerviy et autant pour cervœ, il se décide
pour le cerf, avec Lefebvre de Villebrune, Aristote ayant for-
mellement déclaré que les biches n'ont pas de cornes.
10. Le fils de la terre de Libye (v. 40). Antée, le géant étouffé
par Hercule dans les sables de la Libye.. ( Voyez LncAiir, Pkars.,
liv. IV, V. 593 et suiv.) Ruperti semble le confondre, à tort peut-
être, avec un autre Antée, roi d'Irase en Libye, près du lac Tri-
tonis, et dont Pindare a parlé (Pyihiques, ode ix, v. i85).
1 1 . Le fleuve d Acamanie au front déjà mutilé (v. 4 a). Le fleuve
Achéloûs, qui sépare TAcarnanie de l'Étolie. Le combat d'Hercule
et d'Achéloûs, qui avait pris la forme d'un taureau, est raconté
par le fleuve lui-même dans Ovide {Métarn., liv. ix, v. 8). Ce vers
était défiguré dans toutes les éditions; il faut savoir gré à Ruperd
de l'avoir rétabli d'après le manuscrit de Cologne.
la. L'QEta resplendit de feux sacrés (v. 43). Les feux allumés
par la foudfe. Hercule , brûlé sur le mont OËta eh Thessalie, fut
enlevé au ciel et rois au rang des dieux. Foyez Sophocjle , Phi-
loctète y v. 1427; ÛiODORE DE Sicile 9 liv. iv, chv 38 et 39; et
Ovide , Métam. , liv. ix , v. a68.
i3. Cymothoé (v. 58). C'est le nom d'une Néréide dans Virgile» :
son empire , c'est la mer.
14. Za Lune plie et déplie les vagues (v. 60). Cette description
du flux et reflux: de la mer est belle, mais elle était assez inu-
tile en cet endroit. C'est un lieu commun que le poète' avait
traité séparément, qu'il ne voulait pas perdre, et qu'il a coasîi la
tant bien que mal.
i5. Le premier soin ^i l'occupe est de soustraire aux dangirs
de la guerre la compagne île sa couche et son fils • encore à la
mamelle (v. 63). Cette séparation d'Annibal et d'Imilcé sa fenune,
toute de l'invention du poète , est ici heureusement amenée. On
aime à retrouver dans Annibal ces doux sentimens de père et
d'époux qu'on n'aurait jamais soupçonnés dans ce génie farouche
/
DU LIVRE TROISIÈME. 385
que le poète a dépeint en comitaençant sous de si sombres cou-
leurs. Il y a dans Lucain {Phars, , liv. t, v. 72a) un épbode à peu
près semblable, les adieux de Pompée et de Comélie^ avant la
bataille de Pharsalew
Il est juste de remarquer aussi que cet épisode repose agréable-
ment le lecteur des scènes hideuses de la ruine de Sagonte.
16. Que ton courage te fonde un nom (v. 71).
Et factis tibi nomina.condas.
Ennius avait dit {^Annal. ^ \ïy . xvi) :
Reges per regum statuasque sepulcli^aqne quâerunt :
. iSdificaiit noroeQ ; summa nituiitur opum vei.
•
17. Issue du sang de Castalius de Cirrha (v. 97). Cette généa-
logie d'Imilcé, mêlée à l!origine et à la fondation de la ville de
Castulo, n*est pas très-clairement expliquée. Silius attribue la fon*
<1ation de Castulo en Espagne , dans la Bétique (aujourd'hui
Cazorla ou Cazlond), à un personnage imaginaire ^ Castajius de
Cirrha ou Cirrhaeus de. Castalie, car on peut également traduire
des deux manières. Ce Castalios , supposé prêtre d'Apollon , sans
doute à cause de Cirrha, sa patrie, donna à la ville qu'il avait
fondée le nom de sa mère , Castulo , et fut le premier dés ancêtres
d^Imilcé, qui tirait son nom de Milichus, ancien roi de Castulo,
et fils d'un Satyre et de la nymphe Myricé. Cet étalage d'érudir-
tîon mythologique , historique et géographique, est bien ridicule,
mais, comme dit Lefebvre de Villebrune, « c'eist un poète qui
s^nmuse. » Ce qu'il y a de vrai dans tout cela, c'est que la femme
d'Annibal était de Castulo : le fait est attesté par Tite-LÎTé
(liv. XXIV, ch. f\i) :
^< Castulo , urbs Hîspaniae valida ac nobilis , et ndeô coDJuncta
societate Pœnis, ut uxor inde Annibalis esset,'ad Romanos de-
fecit. »
*
18. rai toujours devant les yeux et l'autel.^t V horrible sacri'^
flce (v. 140). Annibal justifie ici ce que Hannon a dit de lui dans
le sénat de Carthage (liv. 11, v. 296). .
19. Le Carthaginois, ,i, regagne,... les murailles de la ville
(v. iSy). De queile ville? de Gadès sans doute, d'où il vient de
3S6 NOTES
sortir av^c Imilcé : le texte paraft cluir et ne dît rien de plus. Ce-
pendant quelques commentateurs pensent qae Silius veut dé-
signer Carthagène, où, selon Tite-Live (lîv. xxi, eh. 2t et 22),
Annibal retourna , après avoir sacrifié à Hercule dans Gadès.
Je crois que Silius , qui n'écrivait pas l'histoire , s*est peu occupé
de la ville; il était beaucoup plus pressé d*arriver à la description
du songe d'Ânnibal.
20. L*âme du guerrier se recueille dans le sommeil (v. 162).
Ce songe d'Annibal était une tradition bien ancienne e^ bien cé-
lèbre dans l'antiquité. Cicéron [De la DivinaL , liv. i , ch. %!\) , Tite-
Live (liv. xxi, ch. ^2) et Valère-Maxime (liv. i, cb. 7, étr. i),
Tout raconté , mais chacun à sa manière et avec certaines va-
riantes. De tous ces récits , celui de Silius est le plus banal et le
moins vraisemblable. Il est fâcheux que le poète, entraîné par la
funeste manie de copier Virgile et sa vieille mythologie , ait re-
tiré à ce songe ce qn*il avait de simple et de naturel, et en ait
fait un songe d'Énée ou de Tumns , au lieu d'un songe d' Annibal.
Datis les historiens, c*est un jeune homme d'une taille plus qu'hu-
maine , divina specie juvenem , mortali specie juvenem excelsio-
rvm, qui apparaît au Carthaginois ; datas le poète, c'est Mercure :
heureuse substitution, dit Ruperti, car Mercure est Vordinaire
envoyé de Jupiter et de plus le dieu qui préside aux songes et
au sommeil. Je «rois au contraire qu'il y avait quelque chose de
pliis neuf et d'aussi merveilleux à conserver à cette vision sa
forme vague et inconnue , qti'à la personnifier sons les traits de
Méreare, avec ailes et baguette. Le plus curieux de ces trois
songes est celui que Cieéron a raconté et qu'il a pris dans les
anciens annalistes : il est à regretter que Silius n'en ait pas pro-
fité. Le voici :
« Hue item in Sileni , quem Cœlius sequitur, Gra&ca historia est ;
is ««xtem diligentissime res Hannibalis persecutus est : Hannibn-
lem , quum cepisset Saguntnm , visnm esse in somnis a Jove in
Deorum concilium vocari; quo quum venisset, Jovem imperasse,
ut Itali» bellum inferret , ducemque ei nnum e concilie datum ;
quo illum utèntem, ctim ei:ercitn progredi cœpisse; tum ei dncem
illum praecepisse, ne respiceret; illum autem id diutius facere non
poluisse , elatiiroque cnpiditate respexisse ; tum visam bellunm
vastam et immanem, circnmpHcatam serpentibus, quacumque in-
. DU LIVRE TROISIÈME. 387
ccderety omnia arbusta, virgulta, tecta pervertere; et eum adini-
ratuni quaesisse de Deo , quodnam îlliid esset taie monstrum ; et
Deum respondisse, vastitatem esse Italiae^ prsecepisseque, ut per-
geret protinus ; quid rétro atque a tergo fieret , ne laboraret. 3»
ai. Le dieu de Cjrllene (v. 168). Mercure. Cyllène est la mon-
tagne d'Ârcadie où naquit Mercure.
22. Honte au chef qui use au sommeil sa nuit entière (v. 172).
Ce y ers de SiUus :
Turpe duci totam somno consumere noctem,
est la traduction littérale d'un vers d*Homère [Iliade, liv. 11,
V. 24 et 61) :
•»
que je trouve ainsi traduit dans un vieux poète :
L*homme advisé ne doibt dormir ki nuit entière.
P«irodié par Boileau dans le Lutrin,
Tu dors , prélat , tu dors !
ce passage d'Homère avait été déjà imité par le Tasse. A.u dixième
chant de la Jérusalem délivrée, une voix sévère se fait entendre
la nuit aux oreilles de Soliman et lui crie :
Soliman Solimano, i tuoi si lenti
Riposi a miglior tempo ornai riserva
In q^uesta terra dormi, e non rammenti
Ch* insepoUe de* tuoi l*ossa conserva!
Ove si gran vestigio è del tuo scorno ,
Tu, neghittoso, aspetti il novo giorno!
(Gant. X, st. 8.)
Soliman , Soliman , pour des temps plus heureux
Réserve du sommeil les plaisirs dangereux.
Ne te souvient-il plus du trône de Nicée ?
Ton peuple est dans les fers, ta gloire est éclipsée:
Et tu dors , imprudent ! Sur la poudre étendus ,
Tes .ûdèles amis , que ta cause a perdus ,
388 NOTES
D*im dernier abandon subissent 'r»Bf amie.
On dresse leur bûcher dans la .plaine ennemie.
O forfait ! et tu dors ! Yeux-tu ijue le soleil
Te retrouve plongé dans un lâche sommeil ?
(Baôoa-Loahiaii.)
Ce vers d'Homère rappelle aussi une charmante lettre de Marc-
Aiirèle enfant à Fronton son maitre y qui lui avait* envoyé un
Éloge du sommeil. Le jeune prince répond à cet éloge par une
satire, et il s'appuie de plusieurs passages d'Homère, de celui-ci
entre autres , pour prouver que le sommeil est nuisible et dan-
gereux. Voyez Lettres inédites de Marc- Aurèle et de Fron-
ton, liv. 1, lelt. I (t. i*'^, p. 37 de la traduction de M. Ar-
mand Cassan).
a 3. Calliope, dites quels peuples volèrent à cette horrible con-
quête (v. 222). Virgile a dit de même au pluriel , en parlant à
Calliope sejule [Enéide yViv. ix, v. 5a5) :
Vos ô, Calliope, precor, adspii-ate canenti.
24. Les rives parétoniennes (y, ^^^yparétonium (M- Bareioun)
était une ville et un port de Marmarique.
aS. L'effroyable guerre apportée par mille navires (v. 229). La
guerre de Troie.
26. Les premiers qui parurent sous les étendards étaient les
enfans de Carthage (v. 23 1). Les premiers et sans doute les moins
nombreux. On sait que les Carthaginois se servaient surtout de
troupes étrangères.
V. Carthage étant établie sur le commerce, a dit Saint-Evremont,
et Rome fondée sur les armes, In première employoit des étran-
gers pour ses guerres, et les citoyens pour son trafic; l'autre
se faisoit des citoyens de tout le monde, et de ses citoyens des
soldats. »
M. Michel et : ^
« Les Carthaginois n'étaient rien moins que guerriers de leurs
personnes, quoiqu'ils aient constamment spéculé sur la guerre.
Ils y allaient en petit nombre , protégés par de pesantes et riches
armures. S'ils y paraissaient, c'était sans doute moins pour com-
battre eux-mêmes, que pour surveiller leurs soldats de louage,
€t s'assurer qu'ils gagnaient leur argent. Encore, le petit nombre
DU LIVRE TROISIÈME. 38<)
de troupes carthaginoise» qu& nous voyons dans leurs armées
devait-il être composé en grande partie d- Africains indigènes,
soit Libyens du désert y soit montagnards de T Atlas. C'est ainsi
que Ton a confondu souvent les Arabes conquérans de ces mêmes
contrées a-vec les Maures, leurs sujets. Toutefois^ cette <lualité de
races se^écèle fréquemment dans l'histoire de Carthage; le génie
militaire des Barca. appartient , comme le nom de Barca semble
l'indiquer, aux Nomades belliquieux d;e la Libye, plus qu'aux
commerçans phéniciens. Les vrais Carthaginois sont les Hannon ,
administrateurs avides et généraux incapables.
a La vie d'un marchand industrieux, d'un Carthaginois, avait
trop de prix pour la risquer, lorsqu'il pouvait se substituer- avec
avantage un. Grec indigent ou un Barbare espagnol ou gaulois.
Carthage savait , à une drachme près , à combien revenait la vie
d'un homme de telle nation. Un Grec valait plus qu^un Campa-
nien, celui-ci plus qu'un Gaulois ou un Espagnol. Ce tarif du
sang bien^ connu, Carthage commençait une guerre comme une
spéculation mercantile. Elle entreprenait des conquêtes ,< soit dans
l'espoir de trouver d-e nouvelles mines à exploiter, soit pour ou-
vrir des débouchés à ses marchandises. Elle pouvait dépenser
cinquante miUe mercenaires dans telle entreprise, davantage dans
telle autre. Si les rentrées étaient bonnes, on ne regrettait point
la mise de fonds; on rachetait des hommes et tojit allait bien.
« On peut croire qu'en ce genre de commerce, comme en tout
autre, Carthage choisissait les marchandises avec discernement.
Elle usait peu des Grecs qui avaient trop d'esprit, et ne se lais-
saient pas conduire aisément. Elle préférait les Barbares; l'adresse
du frondeur baléai'e, la furie du cavalier gaulois (/«yi/zw! ^/w/î-
cesé)^ la vélocité du Numide maigre et ardent comme son cour-
sier, l'intrépide sang-froid du fantassin espagnol, si sobre et si
robuste , si ferme au combat avec sa saie rouge et son épée ht deux
tranchans. Ces armées n'étaient pas sans analogie avec celles des
condottieri du moyen-âge. Toutefois les soldats des Carthaginois
ne s'exerçant point à porter des armes gigantesques , comme les
compagnons d'Haw^kood ou de Carmagnola , n'avaient point sur
des troupes nationales uu avantage certain. Une longue guerre
pouvait rendre les milices de Syracuse ou de Rome égales aux
mercenaires de Carthage. Ceux-ci , comme ceux du moyen âgç ,
390 NOTES
pouvaient à chaque instant changer de parti , avec cette différence
que , faisant la guerre à des peuples pauvres , la trahison devait
moins les tenter. Sforza pouvait flotter entre Milan et Venise , et
les trahir tour à tour ; mais qu'aurait gagné l'armée d'Aniiibal à
se réunir aux Romains? Les. troupes au service de Carthage ne
servaient guère dans leur patrie ; on les dépaysait avec soin ; les
difierens. corps d'une même armée étaient isolés entre eux par la
différence ae langue et de religion ; souvent elles dépendaient ,
pour les vivres y des flottes carthaginoises : ajoutez que les géné-
raux , n'étant pas en même temps magistrats comme à Rome ,
avaient moins d'occasions d'opprimer la liberté; enfin le terrible
tribunal des Cent tenait des surveillans auprès d'eux y et , au
moindre soupçon, les faisait mettre en croix. » (^Histoire romaine,
liv. Il, ch. 3.)
117. Aspis (v. 224)' Aujourd'hui Af^lihiuy appelée par les La-
lins Clupea ou Clypea. £lle tirait son nom de sa position sur une
colline qui avait la forme d'un bouclier. Le Sicilien qui l'entoura
de murs , c'est Agathocle.
28. Bérénice (v. si49)> Nommée aussi Hespéris ( aujourd'hui
Bemic), C'était une colonie grecque comme Barcé et Cyréné.
29. Le bras armé du dolon poli (v. aSo). C'était un long' bâtou
armé d'une pointe de fer : quelquefois il était creusé et cachait
une lame aiguë. De là l'étymologie ingénieuse donnée par le
P. La Rue à ce mot qu'il fait venir de doUts, fraude.
30. Cyréné y tpii doit son origine à un descendant de Pélops
(v. 25a). Cette ville (aujourd'hui en ruines sous le nom de Kuren
eut pour ^ndateur Battus,' d'où ses habitans prirent le nom de
Battiades. Battus était né aux environs de Sparte, dans le Pélo-
ponnèse.
3i. Sabratha (v. 256). Ville maritime. Aujourd'hui Sabnri, près
de Tripoli.
32. Leptis (v. 256). La grande Leptis, aujourd'hui LébéiLi, Sa-
bratha et Leptis étaient deux colonies tyriennes.
33. Éa (v. 257). Aujourd'hui Tripoli, Ce sont ces trois der-
nières villes qui, selon Solin (cb. xxvii), ont fait donner à la ré-
gion syrtique le nom de Tripolis,
34. Celles de Tïngis, parties des rives du rapide Lixus (v. 'x^^\
Tingis, aujourd'hui Tanger, Li^us ou Lixos (Larache) était une
DU LIVRE TROISIÈME. ^91
ville d'Afrique sui' un fleuve du roéme nom (aujourd'hui Luccos),
11 est probable qu'il s'agit ici du fleuve : le sens du vers semble
du moins l'indiquer. Ruperti l'a entendu autrement , et croit que
Silius ^ voulu parler de la ville. Lixns , dans cette hypothèse ^
aurait eu Tingis sous son empire. Les mots rapide œquore dé-
signeraient la mer qui arrosait Lixus.
35. ^aga (v. aSg). Aujourd'hui ^eg-jay voisine de Cirla (€oh-
AtantUie),
36. Hippone (v. tàSg). Aujourd'hui Bizerte ou Men-Zeri.. Siàni
Augustin l'a rendue célèbre.
37. Ruspina (v. a6o). Ville maritime, entre Adrumète {Hatna-
mei^ et la petite Leptis [Lemta)^ près de la ville actuelle de J^o-
nastir, régence de Tunis.
38. Zama (v. a6i). En Numidie. Aujourd'hui Zag. .
39. Thapsus (v. a6i). Aujourd'hui Demass, régence de Tunis.
Quelque temps après la bataille de Pharsale , César y défit les
troupes de Scipion, d'Afranius et de Juba, partisans de Poropëe.
/|0. Le chef de tant de peuples,,,, Antée (v. 262). Pline (liv. v^
cb. 1) dit que Tingis avait été bâtie par le géant Alitée , et c'est
à Lixus , ajoQte-l-il , qu'on plaçait son palais et son combat avec
Hercule. Silius s'est rappelé cette tradition en donnant au chef
des soldats de Tingis et de Lixus, la taille , l'armure et le nom
du vieil Antée.
41. Les Nube^ (v. 269). Aujourd'hui le Bournou et la riTubie.
4a. La flexible catéie (v. 277). Petit dard garni de pointes et
retenu par une courroie.
43. V Jdyrmachide,,,, porte la cètre (v. 278). Ce peuple ha-
bitait la basse Libye, sur les confins de l'Egypte. La cètre était
un bouclier de cuir, commun aux Africains et aux Espagnols.
44. Les Massyles (v. 282). Peuples nomades , voisins de la
Mauritanie. Silius les fait venir des jardins des Hespérides, qu'il
place ainsi dans la Mauritanie, d'après Virgile , contrairement à
la plupart des autres poètes qui les ont placés dans la Cyré-
naïque.
45. Vous aussi.,,, Getules (v. 287). « Les anciens appelèrent
Gétules tous les peuples de l'Afrique qui demeurèrent au sud des
Mauritains et des Numides. Leurs habitations s'étendirent du
Biledulgérid dans l'intérieur du désert , et de la mer Atlantique
39« NOTES * j
jusqu'aux pciys situés au sud de la petite Syrte. Là commença le |
pays des Garamantes, situé entre les mêmes parallèles que celui
des Gétules, et qui fut borné au nord-«st par la contrée des Nasa-
monés, à l'est et au sud-est par celle des Blemmyes, habitans du
désert que nous appelons aujourd'hui Bilma , et qui de là pas-
sèrent aux bords du IVil, dans la Nubie et dans le Sennaar, où
Ératosthène les trouve' déj^ établis. » (Let&onne, Mémoire sur
l'inscription de SÎlco, Journal des Savans, 1826.)
46. Les Baniures (y. 3o3). Peuples de l'Afrique Occidentale.
47. Les Autololes (v. 3o6). Us oecapaient la côte occidentale
de l'Afrique qui s'étend du cap Cantin au cap Ger.
48. Les peuples nourris des sucs vantés du lotos , arbre hospi-
talier (v. 3 11). Les Lotophages habitaient l'ile Méninx {^Gerbi)
dont il est parlé plus bas. On croit que le lotos est le jujubier
de Séédra. Les anciens se nourrissaient de sa graine et de sa ra-
cine. -— Lotos nimis hospita. On trouve la même épithète appli-
quée au lotos dans le Moucheron, v. ia8.:
Iippia loto». ....
Hospita dum Dimia tenuit dulcedine captos.
Cette ressemblance, si l'on ne considère que le soin religieux avee^
lequel Silius imitait Virgile , serait une preuve évidente que le
Moucheron est de Virgile.
49. La tragule (v. 3 1 8). C'était un javelot armé d'un fer re-
courbé en forme d'hameçon^ et fort en usage au temps des guerres
puniques, car Plante (Casine, v. 189; Épidique, v. 664) et Lu-
eilius (Fraffm. incert. xliii) en ont parlé.
50. VAsturien y malheureux écuyer de Memnon l'Oriental
(v. 334). 11 faut se rappeler, pour comprendre ce passage, l'his-
toire d'Astur , écuyer de Memnon , fils de Tithon et de TAurore
et chef des Éthiopiens. Après la mort de son maître , tué par
Achille, Astur vint en Espagne, et Silius, jouant sur la ressem-
blance des noms, lui donne pour descendans les Astui'îens.
5i. Les Cer rétains y jadis soldats de Tirynthe (v. 357). Her-
cule, se dirigeant vers les Pyrénées, avait campé au pays des
Cerrétains (la Cerdagne).
52. Le Féucon (v. 358). Les Vascons (les Basques) habitaient
les deux versans des Pyrénées.
DU LIVRE TROISIÈME. 39^
53. Ilenia (v. 359). Lérida. Elle servit de refuge aux Poiii-
pëiens , et César ravagea ses campagnes.
54. Concanie/i (v. 36 1). Aujourd'hui Cangas.
55. Ebuse (v. 36'2). Yviça^ une des îles Pityuses (îles des Pins),
voisine des Baléares.
56. L'Arbace (v. 36a), ou Arévaque, peuple de TEspagne Ci-
térieure ; Numance était sa capitale.
57. Vaclyde (v. 363). Espèce de javelot, comme le vérut,
y oyez V1B.GILE , Enéide, liv. vu , v. 73o.
58. L'enfant de Tlépoleme , le Baléare , que Lindus a vu
neutre (v. 364). Lindus , ville de Tiie de Rhodes, avait eu pour
fondateur Tlépoleme, fils d'Hercule.
59. Les Graviens (v. 366). Voyez y p. 35o, la note 40 du liv. i**".
60. Les soldats d'Emportés la Phocéenne ( v. 369 ). Ampurias
en Catalogne, bâlie, selon Strabon, par des Marseillais.
61. La cohorte sédétaine (v. 372). Les ^édétains ou Ëdétains
avaient pour capitale Salduba, Sarragosse. — Le Sucron, auj. le
Xucar. — Sétabis, auj. Xativa, au royaume de Valence.
62. Les escadrons de Vettonie (v. 378). Province à l'ouest de
la Lusitanie , dont Salamanque paraît avoir été la capitale.
63. Vxama (v. 384). Auj. Osma, dans la Vieille-Castiile.
64. Le spare (v. 388). Petit javelot.
65. Castulo (v. 391). Voyez la note 17 de ce livre, p. 385.
66. Hispal (v. 392). Séville.
67. Nébrissa (v. 393). Lébrixa. Silius fait venir son nom de la
nébridCf ou peau de chevreuil, dont ou se couvrait dans les or-
gies. Tout ce passage a été fort tourmenté par les commen-
tateurs.
68. Cartéia (v. 396). Colonie phénicienne , sur le détroit d'Her-
cule. Arganthonius, roi de Tartessos, que Silius fait vivre trois
cents ans, ne vécut, selon d'autres, que cent trente ou cent
vingt ans.
69. Tartessus,.,, Manda.,., Corduba (v. 399-401). Tartessus était
la capitale d'une ile du même nom (ile Mayor), à Tembouchure
du fiaetis (Guadalquwir), — Manda et Corduba sont encore au-
jourd'hui Monda et Cordoue.
70. Le nom de la fille de Bébryjc (v. t\'ào). Ou d'une fille
des Bébryces. Ce peuple occupait le Roussiilon (les Pyrénées-
394 NOTES
Orlentares). Cette histoire de Pyréné ii*était déjà plus qu'une
fable au temps de Pline (Ut. m, cli. 2 )«
71. Les Voices (v. 44^)* Poissante nation de la Narbonnaise
(le Languedoc).
7a. UArar{y, 45a). La Saône.-
73. Zi<? p^ys des TricastinSf ei les plaines des Voconces
(v. 466). Attj. le département delà Drôme.
74. PartatU les glaces y partout la grêle (v. 479)* Ici, comme
presque partout y Silius est bien inférieur à Tite - Live. Il n*a
pas su rajeunir ce lieu commun. Telle qu'elle est néanmoins,
cette description triviale me semble bien préférable à la préten-
tieuse amplification de Delille, qui a trouvé le secret d*ôtre in^-
nieux et fin en parlant des Alpes :
Là, le Zéphir caresse, ou T Aquilon tourmeote; '
Vous y voyez unis des volcans , des vergers ,
Et récho du tonnerre et récho des bergers , etc.
75. Le soldat incertain avance lentement (v. 5oo). Ceci rap-
pelle la terreur des soldats de Germanicas dispersés par la tem-
pêté dans les mers du Nord , lors de son expédition contre Armi-
nius, en Germanie (Tacite, Ann,, lîv. 11, ch. 23 et a4)< ^^
poète, ami d*Ovide, G. Pédo Albinovanus, dans une épopée où
il célébrait cette expédition, avait exprimé en beaux vers cet ef*
froi religieux des soldats dans des parages inconnus. Ces vers , qui
sont à peu près les seuls qui nons restent de lui, nous ont été
conservés par Sénèque le père ( Suas, , i ) ; les voici :
Jam pndem post terga dUm solemque relictum ,
Jam piidem noth exlorres finUnts orbis;
Per non, concessas audaces ire tenebras
Hesperii metas extremaque lUora mtuidi.
Nunc illum, pîgris immania monstra sub undis
Qui ferai , Oceanum , qui sœvas undique piisies ,
jEquoreosque canes , ratibus consurgere prensis.
Accumulât fragor ipse metus : jam sidère limo
Navigia, et rapido desertam flamine classem,
Seque feris credunt, per inertia fata , marinis
Jam non felici laniandos sorte relinqui.
Atque aliquis prora spectat sublimis ab ait a ,
DU LIVRE TROISIÈME. 3()5
Aéra pugnaci luctatiu rumpere 'visu ;
Ut nihil erepto 'valait dignoscere mundo ,
Obstructo taies effudit pectore 'voces :
« Quo ferimur? Ruit ipse dies, orbemqite relictum
Ultima perpetuis claudit natura tenebris.
Anne alio positas ultra sub cardine gentes ,
Atque alium libris intactum quœrimus orbem?
Di revocant, rerumque 'vétant cognoscere finem
Mortales oculos : aliéna quid œquora remis
Et sacras 'violamus aquas, Divumque quietas
Turbamus sedes? »
Déjà depuis long-temps ils laissaient en arrière
Du soleil et du jour la mourante lumière ;
Loin du monde connu , hardis navigateurs ,
Ils franchissaient des nuits les saintes profondeurs ,
Les derniers océans, les limites perdues
Des plages d'Hespérie à leurs pas défendues.
Et maintenant ces mers, dont les flots fainéans
Roulent de toutes parts tant de monstres géaus,
Et l*espadon vorace et les requins immondes ,
Vont assaillir la nef captive au sein des ondes. ^
La houle qui rugit redouble leur terreur.
Ils tremblent que la vase en sa molle épaisseur
Ne retienne enchaînés leurs vaisseaux immobiles ;
Les vents n*enfleront plus leurs voiles inutiles ,
Et les lâches destins, par un fatal revers,
Les livrent sans défense aux animaux des mers.
Sur la poupe , debout , Tun d*eux , en ces nuits sombres ,
D'un regard obstiné lutte , et combat les ombres ;
Il veut revoir le ciel : le ciel est effacé.
Un cri s'échappe alors de son cœur oppressé :
«Où courons-nous? Le jour fuit ces mondes funèbres
Que les dieux ont fermés d'étemelles ténèbres.
Cherchons-nous sous le pôle un pays égaré,
Un dernier univers des livres ignoré ?
Arrière ! La nature aux regards du vulgaire
Couvre d'un voile épais les bornes de la terre.
Pourquoi tenter encor ces flots mystérfeux ,
Ces abîmes sacrés où re)x>sent les dieux ? »
76. Un génie céleste , sorti de Cures (v. 5 9/1). Vespasien, dési-
/
3y6 NOTES
gné UQ peu plus loin par Tex pression de pMer, premier empe-
reur de la maison Flavia. Il naquit non pas à Cares , prise ici
pour toute la Sabine , mais à Phalacriné , petit l)ourg da même
pays. Voyez Suétone, Vespas,y ch. ii.
77. Un jeune prince après lui (v. 6o3). Titus.
78. Mais tu surpasseras , Germanicus , les exploits des tiens
(v. 607). Cet éloge de Domitien est aussi outré et aussi ridicule
que ceux qu'on retrouve dans Stace, Martial et Quintilieu. Il
faut reconnaître pourtant que Silius a mis dans la flatterie plus
de discrétion que ses contemporains. Il n'a pas affiché ces
louanges insensées en tête de ses livres, comme une dédicace : il
les a cachées au milieu du poème ; et, loin de les adresser direc-
tement à Tempereur, il les a adroitement mises dans la bouche
de Jupiter, qui, depuis long-temps, n'était plus un personnage
sérieux à Rome.
V
79. Enfant, tu seras la terreur déjà du Breton (v. 608). Les
éditeurs allemands , malgré leur coutume , ont préféré ici la leçon
vulgaire Batavo, à la leçon de tous les manuscrits et de toutes
les anciennes éditions, Britanno, Ils ont voulu trouver dans Ba-
tapo une allusion à la guerre que Domitien fit chez les Germains
~ à dix-neuf ans, et dont il rapporta le titre de Germanique ; mais
la leçon Britanno pouvait fort bien rester , surtout après l'ingc-
nieuse explication qu*en donne Drakenborch , qui pourtant a
préféré l'autre. Silius, pour flatter Domitien, rappelle ici la
guerre que Vespasien avait faite aux Bretons, quand Domitien
n'était qu'enfunt, et il fait entendre que , dès cette époque , ces
peuples vaincus par le père redoutaient déjà dans son jeune fil^»
un vainqueur plus terrible encore.
80. En face un roc droit, coupé à pic (v. 635). Silius, qui suit
comme il peut le récit de Tite-Live , n'a pas oublié cette roche
étroite et escarpée, dernier obstacle à la descente d'Annibal, qui
fut quatre jours à la briser et à la dissoudre par le vinaigre. Voyez
TiTE-LivE, liv. XXI, ch. 37.
Il est assez singulier qu'uç obstacle du même genre ait ar-
rêté François 1*^*^ lorsqu'il passa \e.s Alpes en i5i5, pour con-
quérir le Milanais : c'est Gaillard qui rapporte ce fait. Mais il est
à craindre que le savant historien , qui connaissait si bien l'anli-
quité, n'ait été entraîné par ses souvenirs et n'ait cédé un peu trop
DU LIVRE TROISIEME. 397
facilement au plaisir de copier les anciens qu'il s'était proposés
pour modèles. Quoi qu'il en soit, il est curieux de rapprocher
son récit de ceux de Tite-Live et de Silîus. :
<t On part : un détachement reste et se fait voir sur le Mont-Ce-
nis et sur le Mon t-Genè vre , pour inquiéter lés Suisses et leur faire
craindre une attaque : le reste de l'armée passe à gné la Durancc
et s'engage dans les montagnes du côté de Guillestre. Trois mille
pionniers la précèdent; le fer et le feii lui ouvrent une route dif-
ficile et périlleuse à travers des rochers; on remplit des vides im-
menses avec des fascines et de gros arbres ; on l>âtit des ponts de
communication, on traîne à force d'épaules et de bras l'artil-
lerie dans quelques endroits inaccessibles aux bétes de somme :
les soldats aident les pionniers, les of&ciers aident les soldats; tous
indistinctement manient la pioche et la cognée, poussent aux
roues , tirent les cordages ; on gravit sur les montagnes , on fait
des efforts plus qu'humains, on brave la mort qui semble ou-
vrir mille tombeaux dans ces vallées profondes que l'Argenfièrc
arrose, et où des torrens de glaces et de neiges fondues par le
soleil se précipitent avec un fracas épouvantable. On ose à peine
les regarder de la cime des rochers, sur lesquels on marche en
tremblant dans des sentiers étroits, glissans et raboteux, où chaque
faux pas entraîne une chute, et d'où l'on -voit souvent rouler au
fond des abîmes 'et les hommes et les bêtes avec toute leur charge.
Le bruit des torrens, les cris des mourans, les hennissemens des
chevaux fatigués et effrayés, étaient horriblement répétés par tous
les échos des bois et des montagnes, et venaient redoubler la ter-
reur et le tumulte. On arrive enfin à une dernière montagne , où
Ton vit avec douleur tant de travaux et tant d'efforts prêts à
échouer. La sape et la mine avaient renversé tous les rochers qu'on
avait pu aborder et entamer; mais que pouvaient-elles contre une
seule roche vive, escarpée de tous côtés, impénétrable au fer, pres-
que inaccessible aux hommes? Navarre, qui l'avait plusieurs fois
sondée, commençait à désespérer du succès, lorsque des recherches
pins heureuses lui découvrirent une veine assez tendre qu'il suivit
.'ivec la dernière précision : le rocher fut entamé par le milieu,
et l'armée, introduite au bout de huit jours dans le marquisat de
Saluées, admira ce que peuvent l'induslrie, l'audace et la persé-
vérance, .» (Gaillard, Histoire de François i*% liv. i, ch. i.)
3g8 NOTES DU LIVRE TROISIÈME.
8i. Après avoir franchi,., les Alpes inconnues (v. 645). Les
savans sont loin de s'entendre sur l'endroit que choisît Annibal
poar franchie les Alpes. Les nns conduisent le général carthagi^
nois par les Alpes Grecques, Alpes Graiœ, et les antres par les
Alpes Cottiennes , Alpes Cottiœ. Cest en Êiveur de ce dernier
passage que se réunissent les autorités les plus nombreuses et les
plus imposantes. F'oir au surplus, à cet égard, l'excellent on-
rrage de Larauza : Histoire critique du passage des Alpes par
AnnibaL Paris, 1826.
8a. Nous avons pénétré jusqu'atfx autels de la Libye (v. 65 1).
Le temple de Jupiter Ammon était situé au milieu des déserts
sablonneux de la Libye, dans une oasis de deux lieues d'étendue
appelée aujourd'hui Syouah.
'V
NOTES
DU LIVRE QUATRIÈME.
î . Le sénat... oppose une grande âme,., h Vadversité (v. 33-35 ).
« C'est une chose surprenante dans la conduite de Rome d*y voir
le peuple regarder presque toujours le s(^nat avec jalousie , et
néanmoins lui déférer tout dans les grandes occasions, et surtout
dans les grands périls : alors on voyoit tout le peuple tourner les
yeux sur cette sage compagnie , et attendre ses résolutions comme
autant d*oracles. Une longue expérience avoit appris aux Romains
que de là étoient sortis tous les conseils qui avoient sauvé Tétat.
«( C'étoit dans le sénat que se conservoient les anciennes maximes ,
et l'esprit, pour ainsi parler, de la république : c'étoit là que se
formoient les desseins qu'on voyoit se soutenir par leur propre
suite; et ce qu'il y avoit de plus grand dans le sénat est qu'on n'y
prenoit jamais des résolutions plus vigoureuses que dans les plus
grandes extrémités. » (Bosstjet, Discours sur l'Hist. univers,,
iii« partie.)
%. De bélSqueuses nations (v. ^5). Les Gaulois.
3. Pendant ce temps, le consul Scipion (v. 5i ). « Une tran-
sition singulièrement brusque est celle qui amène Scipion au qua-
trième livre. Il ne faut que deux vers à Silius pour préparer l'ar-
rivée de ce général romain qu'il ne s'est pas donné la peine de
faire connaître. Jam consul, etc. « Déjà Scipion avait traversé la
« mer, et arrivait de Marseille, » et aussitôt il le met aux prises
avec Annibal. La Gazette n'est pas plus expéditive dans ses ré-
cits. » (CïiiMïirT, Essais de critique sjtrla litt. anc. et mod.,p. 33.)
4. Soldat, tu as à combattre^ un ennemi mutilé (v. 68). Le
même critique remarque avec raison que Silius est ici bien infé-
rieur à Tite-Live (liv. xxi, ch. 40).
4oo NOTES
5. Le Tésin promène sur T arène ses flots paisibles ( v. 8a ). 1^
description de ce fleave limpide, la paix et les charmes de ses
rives, contrastent habilement avec le tumulte des batailles qui
vont suivre.
6. Un épervier (v. io5). Dans l'histoire (Tite-Livk, liv. xxi,
ch. 46)9 les prodiges ne sont pas les mêmes : c'est un loup qni
entre dans le camp , un essaim d'abeilles qui descend près de la
tente de Scipion. Mats Silius, qui tenait plus à la poésie qu'à
l'histoire, a laissé le loup et les abeilles de Tite-Live pour l'éper-
vier d'Homère [Iliade, liv. xxii, v. iSg , 144) c' de Virgile
[Enéide, liv. xi, v. 721).
7. La troupe agile des, JBorens (v. 14B). Peuples originaires de
l'Helvétie , qui se répandirent dans, la Gaule ( entre l'Allier et la
Loire) et dans Tltalie (duchés de Parme et de Modène).
8. Les Camertes (v. 157). Camerino, dans les États de l'Église.
9. Grossis des hordes sauwiges des Sénons (v. 160). Gaulois
venus de Sens et établis en Ombrie (auj. Légation de Forli, etc.).
10. Le dernier son qui s'échappa de ta bouche mourante (y. 1 7 3).
Ennius avait dit de même (Lactauce, liv. xi) :
(Quomque) caput caderet, (carmen) tuba sola peregit.
Et pereunte viro raucus sonus œre cucurrit.
11. Enfant des bords glacés du Félino (v. i83). Près de Réate
[Rieti).
12. Les Marses (v. 220) habitaient près du lac Fucin dans le
Samnium. — Cora , ville volsque ; auj. Cori,
i3. Le Tuderte [y. aaa). Peuple ombrien; auj. Todi.
14. Casinum (v. 227). Chez les Volsques; auj. San-Gertnano.
i5. Sa barbe hideuse (v. 249)* Vrai portrait de bêle féroce,
dit Ernesti.
16. Trêve de victimes vulgaires (v. 265). Entre ce vers et le
suivant, quelques anciens éditeurs avaient placé celui-ci,
Hactenus , et leto dedimus sine nomine gentem ,
qui donne plus de clarté à la phrase, mais qui n'existe pas dans
les manuscrits. Ruperti Ta supprimé.
17. Les forets,., du Picanus (v. 3o2). Montagne d'Apulie, se-
lon Marsus, qui seul a su Ty découvrir, an dire de CelLirius^
DU LIVRE QUATRIÈME. 4oi
Drakenborck rapprocbe à tort ce vers d'un passage d'Aviénus
( Descnpt, de la ^erre , t. 499 ) :
Nemoroû maxima ceines
Culmina Picani,
f
où Pitkoa avait déjà prouvé quHl fallait lire Piceni, Du reste, il
importe peu de savoir quelle montagne Silius a voulu désigner.
18. Magon,,, appelle aux armes.,, les cavaliers de sa patrie
(v. 3ia). Les cavaliers africains et numides.
a La cavalerie cartbaginoise valoit mieux que la romaine , par
deux raisons : l'iuie , que lesckevaùx numides et espagnols étoient
meilleurs que ceux d'Italie; et l'autre, que la cavalerie romaine
ëtoit mal armée : car ce ne Ait que dans les guerres que les Ro-
mains firent en Grèce qu'ils changèrent de manière , comme nous
rapprenons • de Polybe.
« Dans la première guerre punique , Régulus fut battu dès que
les Carthaginois ckoisirent les plaines pour fkire combattre leur
cavalerie; e^, dans la seconde, Annibal dut à ses Numide^ ses
principales victoires. » ( Montesquieu , Grandeur et décadence
des Romains, ck. iv.)
ig. Le chefsidonien s'avance, et avec lui la Crainte^ la Ter-
reur(r. 325). Les généraux aujourd'hui ne se précipiteraient pas
impunément, comme les généraux anciens, dans la mêlée.
« Les généraux en chef des armées anciennes étaient moins
exposés que ceux des armées modernes; ils paraient les traits
nvec leurs boucliers; les flèches, les frondes et toutes leurs ma-
chines de jet étaient peu meurtrières : il est des boucliers qui ont
paré jusqu'à deux cents flèches. Aujourd'hui le général en chef
est obligé tous les jours d'aller au coup de canon, souvent à
portée de mitraille, et à toutes les batailles à portée de fusil,.
pour pouvoir reconnaître , voir et ordonner : la vue n'a pas as-
sez d'étendue pour que les généraux puissent se tenir hors de la
portée des balles. » {Précis des guerres de fuies César, par Na-
poléon, ch. XV.)
90. Nourri des eaux du Liris (v. 348.) Le Gofigliano.
m. Le pied presse le pied ( v. 353 ). Silius a pris cette expres-
sion à Virgile, qui l'avait prise à Furius d'Antiura :
Pressatiir pede pes, mucro mucrone, viro vir;
I. uG
4oa NOTES
à Ennius :
Pes pede premîtur, armeis terantur arma,
et à Homère.
22. jàu premier rang, trois frères (v. 355). Cest le combat
des Horaces et des Curiaces, avec cette yariante toutefois que les
six héros succombent.
23. Xanthippe (▼. 357). ^ofez plus haut, page 37a y la note 89
du livre 11.
24- Puis après Us voulaient visiter les cimes glacées du Tay-
gète (v. 362). Il y a dans ces vers une idée touchante <|ue Le-
febvre de Vitlebrune a seul sentie, et que les commentateurs
allemands n'ont pas comprise, non plus que Tédîtenr français Le-
maire, qui les a réimprimés sans les lire. Ces trois frères, fils
d*une Carthaginoise et d'un Lacédémonien , et nés pendant la
guerre, n'ont jamais vu Sparte, la patrie de leur père. Leur seul
désir, après s'être montrés dans les combats dignes fils de Xan-
thippe, est de voir cette ville, et non de la /«(^otr, <»mQie l'ont
compris les Allemands, qui- ne trouvent, dans Fënamération des
lieux que ces frères souhaitent connaître, qu'un abus de détails
et un vain luxe de poésie. Silius/au contraire, ajoute à l'intérêt
en appuyant sur ces développemens. On ne conçoit pas d'ailleurs
quel si vif désir (Sîlius dit ^rtlebant) ces frères auraient eu de
revoir leur patrie ! il n'est pas un soldat qui ne sache d*avance
qu'après la guerre il retournera dans ses foyers.
25. V impitoyable Aricie (v. 367). Ville du Latium (auj. La
Riccia, près de Nemi), voisine du bois consacré à Diane (d'où
Tépithète d* impitoyable) , dails lequel était la fontaine Égérie.
26. Cest leur mutuel amour qui les conduit chez les mânes
(v. 396). Le texte dit pietas , et Rnperti l'entend de leur amour
pour la patrie. Je crois qu'il s'agit plutôt ici de la tendresse fra-
ternelle dont les six héros ont fait preuve : de chaque côté, au-
cun lies trois frères n'a voulu survivre aux autres; et le dernier
Romain et le dernier Carthaginois se tuent mutuellement comme
par devoir et par dévoûment fraternel.
27. Nous avons asservi leurs pères; et vous les fuyez (v. l^o6)
Has dextras capti geuiiere parentes,
Qiias fugitis.
DU LIVRE QUATRIÈME. 4o3
J'ai «idopté l»i correction proposée par N. Heifisius, qui donne
iiii discours de Scipion plus de suite, de force, et qui s'éloigne
beaucoup moins de la leçon des manuscrits, Quafugitis , que I.m
leçon adoptée par Ruperti, et suivie par Lemaire :
Has dextras capti genuere parentes.
Quo lugitis?
a8. V empire de Saturne tremble ébranlé sous le dieu qui
s'avance [y. 442)- Ruperti rapproche ces vers d'un beau passage
de Milton.
Dieu envoie son fils, « sur le cbai* de la divinité paternelle »
the chariot of paternal Deity^ achever la défaite de Satan :
Full of wrath bent on bis enemies. ....
and ibe orbs
Of bis fierce cbariot roll*d, as witli tbe Sound
Of torrent floods, or of a nuroerous bost.
He on bis impious fi»es rigbt onward diove,
Gloomy as nigbt; under bis buming wbeels
Tbe stedfast Empyrean sbook ibrougbout,
Ail but tbe throne itself of God.
(^Parùdist hst , book vi , 826.)
« Rempli de colère, il marcbe à ses ennemis. ... et l^s orbes de son
cbar de feu roulèrent avec le fracas du torrent des grandes eaux , ou
d*une nombreuse armée. Lui , sur ses impies adversaires fond droit eu
avant , sombre comme la nuit. Sous ses roues brûlantes , Tiromobile
Empyrée trembla dans tout son entier; tout, excepté le trône même
de Dieu. » (^Paradis perdu, liv. vi, trad. de M. de Chateaubriakd.)
29. // vole à travers les armes... C intrépide enfant (v. 459)«
Ainsi dans Voltaire [Henriatle , ch. viii) Henri sauve le jeune
Biron.
Il court le secourir : ce beau feu qui le guide
Rend sou bras plus puissant et son vol plus rapide. . . .
Sous les coups de Bourbon tout s^écarte, tout plie.
3o. Une flotte de radeaux {^\, 49*)' Flumineam classem^ un
pont de bateaux.
•2 G.
/,o4 NOTES
3f. Ainsi,,, un torrent ( v. fîao). Cette comparaison se retrouve
dans tous les poètes. Voltaire, Henriade, ch. vi :
Comme on Toit un torrent , du haut des Pyrénées ,
Menacer des vallons les nymphes consternées;
Les digues qu'on oppose à ses flots orageux.
Soutiennent quelque temps son choc impétueux :
Mais bientôt , renversant sa barrière impuissante ,
Il porte au loin le bruit , la mort et Téponvante ;
Déracine en passant ces chênes orgueilleux
Qui bravaient les hivers et qui touchaient les cieux ,
Détache les rochen du penchant des montagnes.
Et poursuit les troupeaux fiiyans dans les campagnes :
Tel Bourbon descendait à pas précipités , etc.
.32. Varénus de Mevania (v. 544 )• Aujourd'hui Bévag-na, pa-
trie de Properce, voisine de Fulginîa (FolignoJ,
33. f^enu d'Argjrripa (v. 554), ou Arpi, dans TApulie, au
pied du Garganus (mont Saint-Ange).
34. 1^ soldat fatigué commence une lutte nouvelle ( v. 578 ). Ce
tableau des fuyards qui se noient est beau, quoiqu'un peu trop
développé peut- être. Voltaire a été plus concis, mais un p«u sec,
en parlant des Espagnols de Mayenne dispersés par Henri IV
(^Henriade y ch. viii ) :
D'autres , d'un pas rapide évitant sa poursuite ,
Jusqu'aux rives de l'Eure emportés dans leur fuite ,
Dans les profondes eaux vont se précipiter
Et courent au trépas qu'ils veulent éviter.
35. Perdre son trépas (v. 6o5). Cette expression, qui se re-
trouve dans Lucain (liv. m, v. 7o5), Sénèque {Agojnemn.y
V. 5i8) et Stace [Théb, y liv. ix, v. 58), est passée des Lntins
chez nous. Un poète moderne a dit d'Annibal :
Si le vainqueur de Canne au Styx fût descendu
A l'âge du vainqueur d'Arbelle ,
Oh ! que sa mort eût été belle !
Oh ! quel trépas il a perdu !
36. Péiopéen par ses ancêtres (v. 6 28), Descendant de Bat-
tus le Péloponnësien , fondateur de Cyréné.
DU LIVRE QUATRIÈME. 4o5
37. Lt dieu (v. 656). Le dieu du fleuve.
38. Flaminius [y, 704). Transition brusque, blâmée par les
critiques 9 quoique préparée par Texclamation qui précède.
89. Le pays peuplé par les Lydiens (v. 719). L'Étrurie. Sous
le règne d*Atys, roi des Lydiens on Méoniens, Tyrrhénus, son
£ls, fuyant la famine, vint s'établir dans une contrée de Tltalie,
qu*il nomma" Tyrrhénie , et qui fut plus tard J'Étrurie.
/|0. L antique cité consaaée à Corythus (v. 720). Cortone.
41. jiux états de Thoas (v. 769). La Tauride.
4a. L'Edonide (y. 776). La Bacchante. Les Édoniens étaient
d£s peuples de Th^ace.
43. L'orgie triétérique (v. 777). Orgie en Thonneur de Bacchus,
qui se célébrait, en Thrace , tons les trois ans.
44. Toi, Mû^on (y. 823). Scaliger croyait apercevoir entre
ce vers et le précédent une lacune , nonnulla Xemtiv , comme on
disait alors; mais tout se suit au contraire et s'etichaine parfaite-
ment : Annibal vient de promettre aux dieux un grand carnage ,
et il se met en mesure aussitôt d*accomplir sa promesse : il dis*
po&e sur riieure, et en. présence des envoyés du 'sénat, son armée
de manière à surprendre les Romains et à les exterminer.
NOTES
DU LIVRE CINQUIEME.
1. Vers la gauche, le lac immense {y. 4)* Tous les commeota-
tcurs sont d'accord pour mettre ici I«i droite au lieu de la gauche ,
parce qu*à la fin du lirre précédent (y. 814) oe sont les collines
qui se trouTent à la gnncbe et non le lac : mais c'était la gauche
d'A.nnibal; et il n'est plus question de lui. Silius ne voit mainte-
nant que lès Romains qui entrent et se jettent dana^ces goi^es
fatales : il déerit les lieux comme s'il était au mtli«u des légions ;
et les légions, dans leur marche, avaient le lac à leur gânche :
Corrinus, un peu plus loin (v. 94), le dit positivemetit.
2. Un Lydien (v. 9). Voyez, p. 4o5, la note 39 du liv- iv.
3. Les Naïades,,, consolèrent le pauvre enfant (▼. ao). Ainsi le
jeune Hylas surpris par trois Naïades, qui l'entraînent par la main
En UQ lit de jonc frais et de mousses nouvelles.
Sur leur sein, dans leurs bras, assis au milieu d'elles.
Leur bouche en mots nueUeux, où l'Amour est vanté.
Le rassure et le loue, et flatte sa beauté.
Leurs mains vont caressant sur sa joue enfantine
De la jeunesse en fleur la première étamine,
Ou sèchent, en riant, quelques pleurs gracieux
Dont la frayeur subite avait rempli ses yeux.
( AjrsEi CaiviKa , idyll. xi , HjrUu. )
4. O était V heure oà le voyageur dirait platôt de la nuit qui
s'achève que du jour qui commence (v. %'•]). La Fontaine, liv. x ,
fable i5, les Lapins :
A l'heure de l'affàt, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière.
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour.
NOTES DU LIVRE CINQUIÈME. /,()7
Boïardo, Orlando i'nnamomto, cant. xii, st. 67 :
Non era notte, e non era ancor giorno.
5. Ils s'avancent librement (v. 40). Comme les Maures dans
Corneille (/<? Cid, acte iv, se. 3), an milieu des soldats embus-
qués de Rodrigue.
On les laisse passer : tout leur parak tranquille ;
Point de soliiats au port, point aux murs de la TÎlIe.
Notre profond silence abusant les esprits.
Us n*osent plus douter de nous avoir surpris ;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
6. Par les feux dUion (v. 8a). Les feux de Yesta.
7. Que le Carthaginois s'empare alors des murs.,» d^Arretium.,,
et marche.,, g. Clusium (v. i23-i2/|). Auj. Arezzo et ChùtsL
8. Un dieu seul a force au cœur du soldat, c'est le courage
( V. 126). D*Aumale, prêta combattre Turenne (Henriade, ck x),
dit de même :
^attends toutde mon bras :
C'est de nous que dépend le destin des combats.
En vain Thomme timide implore un dieu suprême :
Tranquille au bant du ciel , il me laisse a moi-même.
Le parti le plus juste est celui du yainqueur.
Et le dieu de la guerre est la seule valeur.
9. La chevelure d'un Suève (y: i34 )• Peuple de Germanie, que
le poète confond avec les Boietis, peuple gaulois, vaincu par Fia-
inînius.
10. Franchir VEbre (v. x6i). Le texte dit transcendere aomen
Hiberi, Erkiesti propose Umen Uiberi, Je ne sais jusqti'à quel point
limen peut s'appliquer à un fleuve; mais il est certain que cette
correction ingénieuse aia*ait plus de sens que nomen Hiberi , qui
ne signifie rien.
11. 71 voit.,, un soldai qui rattache son aigrette ( v. i65). Plu-
sieurs commentateurs ont vu dans cet Orphitus, an lieu d'un sol-
«lat qui arrange son aigrette, un cheval de bataille qui dresse sa
crinière. J'ai rejeté, avec Ernesti , cette interprétation qui m'a
paru forcée et tout-è-*£iit contraire au caractère de Flaminius^
CJ1Û n'a guère plus de foi dans les chevaux que dans les poulets
4o8 NOTES
sacrés, et qui, dans ce moment sartoat, n'est pas d*hiinieur à
laisser là ses soldats pour apostropher leurs montures.
12. Fouler sans péril les brasiers apolUnaires {y. 179). Pline
(liv. VII , ch. a ) : « Haud procal urbe Roma in Faliscornin agro
familiae sunt paucae, quae vocantur Hirpi : hae sacrificio annuo,
quod fît ad montem Soractem ApoUini, super ambustam ligni
struem ambulantes non aduruntur. »
Et G. Cuvier, à propos de ce passage : a C'est sans doute en-
core ici quelque charlatanerie analogue à celle de cet Espagnol
que nous avons vu à Paris, se donnant pour incombustible, et
qui a fini par être dupe de sa propre tromperie. »
i3. Les cohortes picentines (v. aod). Le Picénum compose
aujourd'hui les délégations d'Ancône, de Macerata, de Fermo et
d'Ascoliy dans les Etats de TÉglise, et une partie de l'Abruzze-
Ultérieure au royaume de Naples.
i4> Latéranus avait.,,., pénétré au sein des rangs ennemis
( V. l3o ). Dans tous les historiens anciens, aussi bien que dans les
poètes , on trouve des exemples nombreux de ces heureuses té-
mérités. Napoléon , qui passait le loisir de son exil à étudier Tan-
tiquité , fait à ce sujet les observations suivantes :
« Les armées anciennes se battant à l'arme blanche avaient be-
soin d'être composées d'hommes plus exercés ; c'étaient autant de
combats singuliers. Une armée composée d'hommes d'iine meil-
leure espèce et de plus anciens soldats avait nécessairement tout
l'avantage; c'est ainsi qu'un centurion de la x® légion disait a Sci-
pion en Afrique : « Donne-moi dix de mes camarades qui sont
« prisonniers comme moi , fais -nous battre contre une de tes
« cohortes , et tu verras qui nous sommes. » Ce que ce centurion
avançait était vrai : un soldat moderne qui tiendrait le même
langage ne serait qu'un fanfaron. Les armées anciennes appro-
chaient de la chevalerie. Un chevalier armé de pied en cap
affrontait un bataillon. » [Précis des guerres de Jules ^Césur,
ch. XI.)
i5. 'Cédez à un meilleur élétnent ( v. 25o ). J'ai compris ce ver:»
comme Lefebvré de Yill^brune. Le Carthaginois vient d'accuser
la mer où il a succombé, et il fait l'éloge de la terre ferme où il
se croit plus assuré de la victoire. Emesti explique singulièrement
ce passage; il dit : a Meliori regno, aïroganler dictum a Syrtico,
DU LIVRE CINQUIÈME. 409
pro y nobiliori victoriae CarthaginieDsium cedite. Nam Ronumo-
ruin ad agates victoriam antea ut minus difficilem «levarat. »
Cette interprétation est bien recherchée. Ruperti rejette regno
comme une interpolation ; il propose juncti à la place, et rétablit
ainsi la phrase : Mèliori cedite junctL C'est-à-dire, « Vous êtes
réunis, vous êtes deux, mais seul je vaux mieux que vous, y» Ce
sens est moins forcé que celui d'Ernesti ; mais pourquoi altérer le
texte, qui peut s'entendre sans ce. changement?
16. Avant que cette massue ne s'arrose du sang ai un ami
(v. a54). J'ai adopté encore ici le sens de Lefebvre de Ville-
brnne. Ernesti et Ruperti ont entendu par sanguine pio , le sang
d'un soldat pieux , fidèle aux traités , par opposition aux Car-
thaginois, qui, ayant rompu les traités, étaient inpii. Sans re-
pousser cette explication, qui peut être juste, je préfère celle de
JLefebvre, qui a, selon moi, dans l'espèce, quelque chose de plus
touchant.
17. Tartessus (v. 399), Voyez, p. SgS, la note 69 du liv. m.
18. Lixus (v. 400). Voyez y p. 390, la note 34 du liv. m.
19. Pagasus fut bientât puni ( v. 410). Le texte est un peu
obscur :
Nec Pagaso exsultare dalur, ne inpune refictum
]y. Heinsius, par une correction hardie, que Drakenborch a adop-
tée, avait tâché de le rendre plus clair :
Nec Pagaso exsultare datum , atque inpune relictiim
ao. Les cordes d'Eagrus (v. 463). La lyre. Ëagrus était roi de
Thrace et père d'Orphée.
21. Ces coteaux équaniens,,. et la tiède Surrente (v. 466). Equa
était une petite ville de Campanie , près de Surrente ( Sorrento ).
ai. Les enfans d'Henna, cette cohorte envoyée par ton roi,
Jrethuse, dés rives triquétriennes (v. 4^9)» C'est-à-dire de la Si-
cile, à cause de ses trois angle&, de ses trois promontoires. Henna
( Castro san Giovanni^ et la fontaine A.réthuse sont bien connues.
On sait qu'à l'époque des guerres puniques , la Sicile était partagée
entre deux dominations d'inégale étendue : celle d'Hiéron, roi de
Syracuse, dont il est ici question, et qui possédait la partie orien-
tale , et celle des Carthaginois qui occupaient les deux tiers de
l'île , à l'ouest et au sud. Silius anticipe ici sur les évèpemens.
4io NOTES
Selon Tite - Lîve , Hiéron n'envoya des secours aux Romains
qu'après la défaite du Trasymène.
a^ Ftégelles ( v. 54a ). Ville rolsque ; auj. Ceprano ou Ponte-
Corvo,
a4. Anagnie (y. 543). Ville bernique; auj. Anagni.
a5. L'ennemi sur toi retombe (▼. 55o). Ernesti et Lefebvre de
Villebrune ont compris au contraire que Lévinus mourant tom-
bait sur Tennemi. Ruperti fait remarquer qu'il eut fallu dire alors
hosti superfuso ou hostem super fuso , et non hoste superfuso,
a6. La cohorte de Sidicinum (v. 55 1 ). Teanum Sidicînum
(auj. Tiano)y Tille considérable de la Caropanie.
a 7.. Soudain,,., les rochers ^ les collines s'ébranlent (t. 6ri ). Ce
tremblement de terre n'est pas une fiction du poète. Voyez Ci-
cÉBON, de la Divin, y liv. i, ch. 35 ; Tite-Live, liv. xxii, ch. 5;
Florùs, Uy. II , ch. 6; Pline, liv. ii , ch. 84 > et Plutaeque , Fabius,
a8. Néanmoins,,,, le soldat s'acharne à combattre (v. 6*7). Tite-
Live a dit de même (liv. xxii , ch. 5) : « Tantusque fuit ardor ar-
inorum, adeo intentus pugnae animus, ut enm motum terrse, qui
multarum urbium Italise magnas partes prostravit, avertitque
cursu rapidos amnes, mare fluminibus învexit, montes lapsu in-
genti promit, nemo pugnantium senserit »
29. Les secousses du sol,,., tavàient séparé d'Annibal et en-
traîné vers eux (v. 632 ).
I^am turbine motae
Ablatus (errse inciderat.
Les Allemands, qui d'ordinaire adoptent les leçons du manu-
scrit de Cologne, n'ont pas voulu le suivre ici, sans doute parce
que Lefebvre de Villebrune l'avait suivi. Ils ont conservé le texte
ordinaire ablatif , préféré par Drakenborch , qui le rapporte aux
fuyards. Malgré les doctes plaisanteries de Ruperti, j'ai conserve
la rectification faite par Lefebvre, ne fut-ce que par égard pour
le sens commun, et un peu aussi par esprit national, le seul esprit
qui fasse rarement faute aux savans de l'Allemagne.
30. Nul ne put se vanter d'avoir tué de sa main le cotisul{y. 057).
Tite-Live (liv. xxii, ch. 6) dit positivement au contraire que
ce fut Ducarius qui tua le consul : « Obtruncatoque armigero
consulem lancea transfixit. »
DU LIVRE CINQUIÈME. 4 1 1
3 1 . Réunis alors ^ les jeunes chefs de f armée romaine ( ▼. 659 }.
Ernesti remarque ici avec raison que Siliiis ne s'est pas exprimé
bien clairement. On ne sait d'abord si, pour dérober le corps
de Flaminius aux recherches et aux outrages de l'ennemi, les
• • •
jeunes Romains le couvrent d'armes et de cadavres étrangers, ou
s'ils se tuent pour le couvrir de leurs propres corps^ On ne tarde
pas pourtant à reconnaître que ce dernier sens est le véritable.
32. Je tremble qu'une terre aussi féconde en grands cœurs.»,, ne
soit par les destins réservée à t empire (v. 674). C'est là un de
ces éloges ridicules que les poètes et les historiens romains ai-
ment à mettre dans la bouche de leurs ennemis. Montesquieu dit
à ce sujet :
ce Je m'imagine qu'Annibal disoit très-peu de bons mots, et
qu'il en disoit encore moins en faveur de Fabius et de Marcellus
contre lui-même. J'ai du regret de voir Tite-Lbre jeter se» âeors
sur ces énormes colosses de rantîqiiîté : j«^ youdrois qu'il eût fait
comme Homère , qui. néglige de Iw parer , et qui sait si bien les *
faire mouvoir.
« Encore faudroit-il que les discours qu'on fait tenir à Annibal
fussent sensés. Que «i, en apprenant la défaite de son frère, il
avoua qu'il en prévoyoit la ruine de Cartfaage, je ne sache rien
de plus propre à désespérer des peuples qui s'ét oient donnés à
lui , et à décourager une armée qui attendoit de si grandes ré-
compenses après la guerre. » [Grandeur et décadence des Ro-
mains y ch. v. )
FIN DU TOME PREMIER.
TABLE
DES MATIÈRES DU TOME PREMIER.
Filles.
NoTxci sua Siuirs ir sua son posme .' j
Sommaires des cinq premiers livres des Puniques. . . » • . 36
Les PmrxQUBS. Livre I*' 43
n.
IV.
*
99
m. i55
« . an
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Notes du ]i?re T' 33o
II 36a
in 3ga
IV 399
V 4o6
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