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Full text of "Les puniques"

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LATINE -FRANÇAISE 



PUBLIÉE 



PAR 



G. L. F. PANGROUGREU 



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PARIS.— 1IIIPR1M£R1E DE C. L. F. PANCKODGKE, 
Aue des Poilerj^, n. i4* 



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SILIUS ITALICUS. 



LES PUNIQUES 



TRADUCTIOM NOUVELLE 

PAR M. E.-F. CORPET 



ET 



M. N.-A. DUBOIS 

rftOriSSBDK JBV l'aCADBMIK DJB PAfttS. 






TOME PREÏIMER. 



5Jilii?J^ 



}À'v\-V''ï; 



\-. 



PARIS 

C. L. F. PANCKOUCKE 

MEMBRE DB L*ORDKB ROYAL DE LA LioiOXI D^BOHirBUfl 
ÉDITEUR, RUE DES POITEVINS, N^ l4. 

M DCCC XXXVl. 

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NOTICE 



SUR SILIUS ITALICUS 

ET SUR SON POEME. 



i^E moins lu, le moins étudié, le moins connu des poètes de 
la décadence, est assurément Silius Italiens. Souvent, depuis 
dix-huit siècles, les commentateurs, les philologues, les cri- 
tiques, se sont occupés de lui, et toujours ils ont perdu leur 
peine : on les a laissé faire sans les lirje., D'uq ^utre côté, à 
de rares intervalles touteroîs^;^es''4<^J4di(s, hoptttiek -^'autorité , 
fwurris aux lettres, comme €irt]]ipntaigney.s^.sont prononcés 
en sa faveur ; leur voix savanlô* et I^rè^,^ '«plaidé sa cause, 
mais si bas qu'elle n'a point eu .<5'éplio,^fet *rtîà,pu sauver Si- 
lius de l'abandon et de l'oubli, l \ • * - " - ' '* * 

Cependant, il ne méritait pas, peut-être» cet injuste mé- 
pris : comme poète, malgré ses défauts, il n'est pas inférieur 
à plusieurs de ses contemporains; comme Citoyen, s'il n'est 
pas sans reproches, il est à coup sûr un des meilleurs et des 
plus honorables du mauvais siècle où il a vécu. 

Quelques épigrammes de Martial, une lettre de Pline le 
Jeune , une ligne de Tacite, sont les seuls documens certains 
que l'antiquité nous ait laissés sur Silius : ils suffisent pour 
nous montrer en lui un assez beau caractère ; et s'il est vrai 
qu'il faille se méfier des éloges intéressés de Martial , qui fut 
son ami , on peut du moins adopter sans réserve le témoignage 
plus imposant, le jugement plus sain et plus mesuré de Pline 
le Jeune. 

I. ' ' 1 



ij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

On ne sait rien de la naissance ni de la famille de Silius 
Italiens. On a essayé, à Taide de ses noms , de lui faire des 
ancêtres et une patrie. On a supposé avec quelque raison 
qu'il était d'une race antique, humble et plébéienne d'abord , 
mais anoblie depuis par les honneurs et les dignités. Le nom 
de Silius paraît pour la première fois dans Tnistoire Tan 346 
de Rome, avec un certain éclat et dans une occasion remar- 
quable. Blessé contre les patriciens qui lui avaient fermé les 
élections tribunitiennes, le peuple voulut prouver son dépit et 
se venger aux élections de questeurs : sur quatre candidats, il 
ne nomma qu'un seul patricien, et trois plébéiens, Q. Silius ^ 
P. Elius et P. Pupius , « qu'il préféra, dit Tite-Live , aux fils 
des plus illustres familles ; et ce fut là , ajoute l'historien» une 
importante victoire pour le peuple ; non que l'honneur de 
cette questure fût d'un grand prix à ses yeux , mais c'était 
pour les hommes nouveaux un chemin ouvert au consulat et 
aux trioaiphes^'. » Il parait que ia famille des Silius fit de ra- 
pides et briibos ^rôgrèâ dans*£^t^ route ; car on retrouve un 
peu plus tard^.^Qti^ pjusîeul^* a*inres , un P. Silius, préteur 
en 694, et propj;i^teurî[cBa*B}thynie et du Pont en 702 ''; un 
P. Silius Nei^aVCDnQul«aA81 V, un autre en 818"^; un G. Si*- 
lius, consul ên**TS6^-,.iiA*^^tic^, ami de Germanicus et lieu- 
tenant de la Germanie supérieure, en 767^; son Qls, G. Si- 
lius, consul désigné, en 8007. Ge dernier alla trop loin : le 
peuple n'avait songé qu'aux triomphes et au consulat ; G. Si- 
lius voulut aspirer à l'empire ; il fit plus : amant de Me^sa- 
line, il osa l'épouser, Glaude vivant, et à la face de ses rivaux, 
les porte-faix de Rome; il dépassait le but, il fut tué. Le peu- 

i. TiTB-IitTs , Ut. it, ch. 64. 

a. CiCKKON, Épît. Fam,, tu, 21; ix, 16; xiii, 47. 

3. Puirs, Tiii, 40; SoLiir, ch. i5; Ta£its, Ann,, iv, 68. 

4. Tacite, Ann,, xv, 48. 

5. SviTOirx , Au g, y ch. 10 1. 

6. Tacite, Ann,, i, 3i , 72 ; 11 , 6, 7, a5; m, 42 , 45; xy, 18, 19. 

7. Tacite, Ann., xi, 5, 12, i3, 26, 27, 32, 35. 



/ 



ET SUR SON POEME. iij 

pie simple et naïf de Tan 546 ne se doutait guère , au mi- 
lieu de ses luttes républicaines , que cette voie, qu'il frayait 
si large et si belle à Fambition de ses partisans , les mène^ 
i*ait un jour aux Gémonies, en passant par le lit des impé- 
ratrices. 

Le Surnom d'ItaUcus, qui ne pouvait être qu'un vague in- 
dice du lieu de naissance du poète, a donné m^tiè^ à (jes 
suppositions sans nombre. On a écrit là-dessus vingt p^ges de 
commentaires, où l'érudition s'est mise à Taise , sans produire 
up résultat satisfaisant. Deux opinions , aussi peu fondées 
Tune que l'autre, ont divisé 1^ biographes en deux camps. 
Les uns font naître Silius à Italica, ville de l'Espagne Bétique 
et patrie de Trajan. Plusieurs écrivains de cette ^oqpe, Lu- 
cain , Ibrtial , les Sénèque , étaient venus d'Espagne : ce qui 
donnait quelque vraisemblance à cette première supposition. 
B|aâS on a fait observer que les habitaps d'Italica étaient par- 
tout, et dans Etienne de Byzance', et (^ans ,ALulu-Gelle% et 
dans une inscriptior\ nommés IlMicem o\i Iramonses, et non 
pas Italid. Martial d'ailleurs"," qui était Espagnol « et qui se 
vçuitait si volontiei-s d*av(Hr SUiûs :po^ ^$ti^ se fût bien au- 
trement glorifié ae l'avoir p^ur pcf9gat<iote/«ei il n'a pas dit 
an Qiot de bette origine comni^in^, blautt'esônt assigné poui' pa- 
trie à Silius Gorfinium , capitale des Péligniehs , qui , d'après 
Strabon"^, fut appelée Italica dans la guerre Sociale ; mais Yel- 
léius Paterculos dit seulement qu'on eut le projet de donper 
à Corfinium ce nom qu'elle ne porta jamais ^. Cés^Ty Cicéron, 
Pline, Sénèque, Frontin, Lucain, citent souvenit Gorfipium 

I. De Urbibus : "Eo-ti »«< 'It«x<»n 'tomc 'lCspi«c* t« s9?ijeèy, IrAXiicvrioc. 

a. Nmts tut,, lÎT. xTi, di. i3. 

3. Griiter , page 3S5 , n® x. 

4. Liv. V, p. 167 : Ke^^îvioy , tnt ^Sv nfXi^>»y /uaTf o^ox/v , xoiriv 

voZ iroxijuou , fxiToyofjLciffBt'ta'Ay ItaX/xiiv. 

5. Liv. II, ch. 16 : » Capiit imperii sui 'Corfinium legeranr, qUod ap- 
pellarent Italicum, » 

l . 



jv NOTICE SUR SILITJS ÏTALICUS 

sans parler de son nutre nom d'Ilulica, et Sîlius lui-même, 
qui fait mention de cette ville, liv. viu, v. 522 , 

Corfini populos magnumque Teate trahebat, 

n'a pas songé à rappeler, au moins indirectement, qu'elle 
était sa patrie, et qu'il lui devait son nom. Au surplus, dans 
l'un et l'autre cas, il faut toujours en revenir au dérivé, à ce 
fatal Italicensis ou Ilalicesius, opposé tout-à-l'heure aux par- 
tisans de Yltaliea espagnole. « Il est donc à supposer, dit 
SchœlP, que le nom d*Itaticus était porté par la famille dont 
Silius était issu ; ce nom aura été donné à un de ses ancêtres , 
originaire de llfalie, et qui se sera. établi dans une des pro- 
vinces de Tempire, pour y exercer une magistrature ou le 
commerce. » 

Caius ou PuBLius' Siuus Itàlicus naquit, à ce qu'on croît, 
sous le règtie-de Xibève, l'ap.XXS de Rome (25 de J.-C.), 
douze ou tfd^erans ayant^.GuTcaiU V(|uinz6 ans avant Martial et 
Juvénal, trente-^cfÎTiJ an^'ayaiit-^tace : Sénèque avait environ 
vingt ou vingt-deliK-aft9#^me était livrée alors aux rhéteurs 
et aux profess^ài^.diéloSîiiépî^ et de déclamation. Le Forum 
était l'entrée à* tôul* : le ^^tife -ftomain qui voulait parvenir 
devait suivre ces écoles où l'on enseignait à grand bruit Tart 
oratoire. Silius étudia l'éloquence : il écouta les leçons de ces 
déclamateurs maniaques et furieux dont parle Pétrone^ ; mais 
il est à croire qu'il en profita peu : il choisit pour réussir 
dans l'art de la parole, alors si ridiculement avili et prostitué, 

1. Hist. abrégée de la littéral . romaine, tome ii, page 297. 

2. Ce prénom varie avec les éditeurs. Modius et Giandorp veulent Pu- 
blius ; Gellarius , qui a fait sur Silius ime excellente notice *, préfère avec 
Dausq le prénom Caius, parce que, dit-il, ce prénom a été plus souvent que 
Tautre donné aux Silius. Depuis Cellariu;, Caius ^ prévalu. 

3. Satyrieon, ch. i. 

* A ta tête de son édition tle Si/ius , Lips. , 1695. C'est là que j'ui paisc* la plupart des ren- 
seigneiueiis que je douue ici. 



ET SUR SOJN POEME. v 

un guide meilleur et plus sûr. Il prit Cicéron pour modèle» et 
ne le quitta plus; et c'est, sans doute, à l'étude sévère et ap- 
profondie qu'il fit de ses préceptes, à l'heureuse application 
qu'il leur sut donner , qu'il dut plus tard ses longs et glo- 
rieux succès au barreau. C'était déjà, au milieu de cette cor- 
ruption des lettres, une preuve singulière de bon sens et de 
jugement y que cet hommage rendu à Cicéron, que cette lutte 
d'un jeune homme contre le mauvais goût qui dominait dans 
Rome : mais on^ ne lui a tenu aucun compte de ces louables 
efibils, non plus que du culte reconnaissant qu'il voua par la 
suite au grand orateur, ainsi qu'à Virgile, qu'il choisit pouv 
seul maître en poésie, quand Sénèque, Lucain, Stace et Ya- 
lérius Flaccus s'abandonnaient, comme on l'a justement re- 
marqués à l'imitation plus facile d'Ovide. 

Mais ce n'était point assez de méditer Cicéron pour arriver 
au crédit et à la fortune : le talent ne suffisait pas pour enri-« 
chir l'avocat. Juvénal l'a dit : 



> • • • 



Die igiiur, quid caussidUis' cipilia profstent 
Officia y et magno comités Jr^ Jv^cè libùUi? 
Ipsi magna sortant, sed tune , 'qulim cre/fîtpr. audit, 
Prœcipue; vel si tetigit làtuâ aô'lot iflo *%* ? 
Qui venit ad dubium grandi cum codiçe nomen. 
Tune immensa cavi spiraht mendaeia folles , 
Conspuiturque sinus. Feram deprendere messem 
Si libet, hine centum patrimonia caussidicorum , 
Parte alia solum russati pone Laeernœ 

Passons donc au Forum : voyons quelle fortune , 
A ceux que des plaideurs la cohue importune, 
Rapportent du barreau les éloquens débats 
Et ces sacs de papiers qu'ils traînent sur leurs pas. 
Ils font grand bruit, surtout lorsqu'avec défiance 
Un client inquiet assiste à l'audience , 

I. M. D. NxSAao, Études sur les poètes latins de la décadence, tome x , 
page %i. 



vj IVOTICE SUR SILIUS ITALJCUS 

Oa qu'un autre , plaidant sur un titre douteux , 
Armé d*on long journal ^ vient s'asseoir auprès d'eux. 
Alors ^ de leurs poumons confiés comme une épooge , 
Ils expriment le fiel , ils soufflent le mensonge , 
Et l'écume à grands flots se répand sur leur sein. 
Eh bien ! te plairait-il d'apprécier leur gain ? 
Choisis cent avocats y des mieux famés de Rome , 
De leurs biens réunis d'un côté mets la somme, 
De l'autre les biens seuls de Thuissier Mâchera : 
Sur les cent orateurs l'huissier l'emportera. 

Il fallait ^tte riche ou paraître riche avant d'être avocat; il 
fallait, pour se mettre en vogue et attirer à soi toutes les caif- 
ses y briller aux yeux , les éblouir du somptueux appareil 
d'un faste de louage et d'emprunt , au risque d'épuiser son 
patrimoine et de compromettre celui des autres à ces folles 
dépenses. • 

Hiijus enijn^stfit currus aheneus , alti 

Quadréfâgèl ^'v^tib\^fi^f aê^â^ ipseferoci 

Bellatore sejejii , curyatùm*^Kastûe minatur 

Enùnus , et gt^ùia jiteq^amr^prœlia lusca. 

Sic Pedo •cçntMfbéit f^Mçiiô déficit; exitus hic est 

Tongillî y p^^iffàp £UJft Vhlrtocçrote lavan 

Qui soiety et vexât lutulenta balnea turba, 

Perque forum juvenes longo premit assere Mœsos, 

Empturus pueros y argentum, murrhifia, villas: 

Spondet enim Tyrio stlatarèa purpura filo. 

Et tamen est illis hoc utile; purpura vendit 

Caussidicunif vendunt amethystina ; convenit illis 

Et strepitu etfacie majores vivere census. 

Sedfinem impensœ non seruat prodiga Roma, 

Fidimus eloquio ? Ciceroni nemo ducentos 

Nunc dederit nummos , nisi fulserit annulus ingens. 

.... Sous son portique un quadrige pompeux 
Et sa statue équestre, et ce front belliqueux , 
Et ce dard qu'il dirige au loin d'un œil oblique 
Attirent le respect et la faveur publique. 



ET SUR SON POEME. vij 

^e faste a ses dangers. Il endetta Paulus, 

Il ruina Mathon, il perdra Tongillas, 

Ce TongiUus nourri dans un luxe sans borne , 

Qui d'un rhinocéros aime à montrer la corne, 

Quand d* esclaves crottés qui le suivent au bain 

Arrive avec son huile un turbulent essaim. 

Voyez-vous au Forum , sous sa masse grossière , 

Suer ses Mœsiens et ployer sa litière ? 

On dirait qu'à pleins sacs puisant dans son trésor 

Il va tout acheter, esclaves., coupes d'or, 

Murrhins , maisons de ville et maisons de campagne. 

Au luxe qu'il affecté, au train qui l'accompagne, 

On n'exige de lui nulle autre sûreté; 

La pourpre et l'améthjste ont leur utilité. 

Oui, souvent ces dehors d'une fausse opulence 

Au plus mince avocat tiennent lieu de science ; 

Mais à Rome aujourd'hui, montrant un front d'airain , 

La prodigalité ne connaît plus de frein. 

Peut-être, pour séduire un nombreux auditoire. 

Croyons-nous qu'il suffît du talent oratoire? 

Préjugé! Cicéron, sans un brillant anneau. 

Lui-même au dernier rang languirait au barreau, etc. ^. 

Cette nécessité, pour le jeune avocat» d'afâcher le luxe et 
l'opulence, dut embaiTasser beaucoup Silius à sou début; et 
c'est, je pense, à cette époque de sa vie (de 25 à 50 ans) 
qu'il faut rappoiter un fait étrange et honteux révélé par 
Pline avec une indulgente réserve, et qui trouve naturelle- 
ment ici son explication. < Sa réputation avait reçu quelque 
atteinte du temps de Néron ; il fut soupçonné de s'être 
rendu volontairement délateur, » credebatur sponte accusasse''. 
C'était un sûr moyen de fortune, en effet, que la délation, et 
je ne serais pas surpris que Silius, parvenu à cet âge où il 
pouvait s'être ruiné déjà, s'il était né riche, ce qu'on ignore, 
ou au contraire, et s*il était né pauvre, être vivement pressé 

1. JuvBiTAL, sat. TU, V. io5 et suîv. , traduction de M. Raoul. 

2. Pliki le Jsuhb, liv. m, leU. 7, à Caninius, 



viij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

par ie besoin , n'eût pris conseil que de son ardente ambi- 
tion , et n'eût mis pour un temps sa conscience au service 
du jeune empereur. Si pareille chose pouvait jamais se jus- 
tifier , Silius trouverait son excuse dans les exemples qu'il 
avait autour de lui. Sénèque, plus âgé de vingt ans, précep- 
teur du prince, et qui , par conséquent, eût pu et dû lui tenir 
tète , s'était fait le plus humble de ses courtisans. 

Silius fut vite et largement payé de cette infâme industrie. 
Il passa successivement par tous les emplois qui condui- 
saient au consulat , et fut enfin en 821 (de J.-G. 68), 
nommé consul par Néron , qui péril dans la même année. Si- 
lius avait alors quarante- trois ans. Crinitus, Juste-Upse et 
J. Livinéius pensent qu'il fut trois fois consul : en 821 (de 
J.-C. 68) , avec M. Galérius Trachalus Turpilianus ; en 838 (de 
J.-C. 85), avec T. Aurélius Fui vins, et en 847 (de J.-C. 94), 
avec Sextilius ou Slatilius Latéranus. Ils appuient cette conjec- 
ture sur ce passage du Panégyriqiie de Trajan, chap. 58 : 
Erat in seiialu ter consul quum tu tertium consulatum recusabas, 
« lorsque tu refusais un troisième consulat, nous avions dans 
le sénat un consul qui l'était pour la troisième fois. » Livi- 
néius admet sans hésiter que ce consul était Silius Italiens : il 
renvoie aux Fastes ceux qui pourraient en douter. Mais les 
Fastes, de l'aveu même de Juste-Lipse, sont ici obscui*s et 
incertains. Si tel eût été d'ailleui's le sens de ce passage du 
Panégyrique, Pline n'eût pas manqué, dans sa lettre à Cani- 
nius, de rappeler clairement ces trois consulats, il dit seule- 
ment que Silius eut deux fds , et qu'à sa mort il en laissa un 
consulaire. Martial a chanté le consulat de ce fils aîné de son 
ami, et cette épigramme, long-temps mal comprise et mal 
interprétée, a bien pu donner lieu à l'assertion peu exacte de 
Crinitus. 

DE CONSULATtl SILII. 

Àugusto pia thura victimasque 
Pro nostro date Silio, Camœnœ. 



ET SUR SON POEME. jx 

Bis senos jubet en redire Jasces 
Nota consule, nobilique virga 
Vatis Castaliam domum sonare. 
Rerum prima salus et una, Cœsar, 
Gaudenti superest adhuc quod optet 
Félix purpura , teriiusque consul. 
Pompeio dederit licet sénat us y 
Et Cœsar genero sacros honores. 
Quorum pacificus ter ampliaçit 
Janus nomina; Silius fréquentes' 
Mavult sic numerare consulatiis '. ~ 

SUR LE CONSULAT DE SILIUS. 

Mase , à César l'encens et la victime , 
De Silius hoimtiage légitime; 
Car Silius a revu les faisceaax : 
Son fils , consul , à ces honneurs nouveaux 
Lui donne part, et la noble baguette 
Va battre encor Thuis sacré du poète. 
Unique appui de l'empire, 6 César; 
Un seul désir lui reste : le vieillard. 
Voyant la pourpre au second fils qu'il aime. 
Heureux deux fois, peut l'être une troisième. 
Si du sénat Pompée obtint jadis , 
Ce qu'à son gendre Auguste offrit depuis, 
Trois consulats, pacifiques conquêtes 
Qu'à ces seuls noms Janus enregistra. 
Ce triple honneur, Silius l'obtiendra. 
Mais Silius l'aime mieux sur trois têtes. 

Gomme ou le voit , Martial parle ici de trois consulats ; mais 
sur les trois y un seul, celui de Tannée 68 revient à Silius : le 
deuxième, celui de Tépigramme, à son fils aîné sous Domi- 
tien, en 847 (94 de J.-G.); quant au troisième, Silius espé- 
rait , superest quod oplet, le voir décerner à son second fils , 
Sévérus Silius, qui malheureusement mourut de son vivant, 

X. Maatial. , lib. VU! , epigr. 66. 



X NOTICK SUR SJLIUS ITALICUS 

et sans doute avant de l'avoir obtenu ; car Martial , qui cherche 
à consoler son ami de cette perte » n'a pas fait la moindre allu- 
sio9k aux fonctions consulaires de Sévénis. 

IN ÔBÏTUM SEVERI SÏLÏI. 

Festinata sut gemeret quumjata Severi 

Silius, Ausonlo non semel ore potens ; 
Cum grege Pierio rnœstus Phœboque querebar : 

Ipie meum fleviy dixil Apollo^ Linon, 
Respexitque suamy quœ stabat proxima fratri ^, 

Calliopen^ et ait: Tu quoque vulnus hahes. 
^spice Tarpehtm^ PeUlatinutnque Tonantem; 

jéusa nefas Lachesis lœsit utrumque Jovem. 
Numina quum videas duris obnoxia fatis y 

Invidia possis exonerare Deos *^ 

SUR LA MOKT DE SÉVÉRUS SILIUS. 

Silius, puissant génie 

D'Ausonie) 
D'un double laurier paré, 
Pleurait de son fils Sévère, 

Pauvre père, 
Le destin prématuré. 

Sa douleur devint la mienne : 

De sa peine 
Je me plaignis à Phébus. 
Et Phébus : « En vain ta muse 

Nous acouse; 
Moi, j'ai pleuré mon Linus. » 

Puis il détourna la vue, 

L'âme émue, 
Vers Calliope sa sœur, 
Disant : a N'as-tu pas toi-même, 

Sœur que j'aime. 
Ta blessure dans le cœur ? 

I. Ub. IX, epigr. 87. 



ET SUR SON POEME. xj 

« Vois lé dieu de In colline 

Palatine , 
Le dieu Tari>éien : tous deux 
Du sort ont subi Foutrage; 

Dans sa rage, 
Ln Parque a blessé les dieux. 

« Et pourtant leur providence , 

En silence, 
Endure un destin cruel. 
Trêve donc à tes alarmes, 

A tes larmes, 
Et n'attaque plus le ciel! » 

L'ambition 4 la g$ne, l'exemple peut^^tre» avaient égaré Si- 
lius, qui n'avait pas, comme Lucain, un oncle à la cour : 
le besoin de se faire remarquer de l'empereur et de mettre 
à profit ses talens oratoires l'avait fait délateur. Mais il ne 
tarda pas à rougir du rôle honteux qu'il avait accepté; il 
brisa cette mauvaise arme qui ne pouvait plus que le blesser 
sans le servir. Une fois connu et accueilli du maître, il vou- 
lut désormais se suffire. S^ parole éloquente, admirée et re- 
cherchée, retentissait avec éclat dans toutes les causes : il fut 
pendant quinze ans l'avocat, l'orateur à la mode; sa fortune 
gi*andit, et s'accrut en outre des faveurs de Gésar : esprit sage, 
prudent, modéré, mais probe, Silius sut se maintenir entre 
deux excès opposés, là flatterie et les complots. 

11 était consul quand Néron mourut. Heureux et opulent ^ 
en quittant le consulat, il eût voulu renoncer auxafiEaires, et, 
dans un loisir studieux et occupé, jouir en paix de ses ri- 
chesses. Les règnes si courts et si agités de Galba et d'Othon 
le tinrent en haleine , et , en montant sur le trône , Yitellius , 
qui l'avait connu et qui l'aimait , se l'attacha et le garda près 
de lui. Pliâe dit ' qu'il se montra homme sage et honnête ; sa- 
pienter se et comiter gesserat, dans ce poste incommode.. Avec 
un prince comme Vi tell ius, qui voulait copier Néron, il n'était 

I. liiv. in,letl. 7. ^ 



xij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

pas facile de conserver une vie pure et irréprochable sans bles- 
ser Tempereur. Silius y parvint cependant, et il paraît niêntie 
qu'il entra assez avant dans la confiance et l'amitié du prince , 
car Tacite rapporte ' qu'il fut seul témoin , avec Cluvius Ru- 
fus , de ces secrètes et fréquentes entrevues que l'empereur 
trahi et presque vaincu implora de Flavius Sabinus , frère de 
Vespasien ; et peut-être Yilellius ne dut-il qu'au langage adroit 
et conciliateur de Silius le traité qui lui laissa la vie et cent 
millions de sesterces*. 

On ne sait sous quel empereur Silius fut nommé proconsul 
et chargé du gouvernement de la province d'Asie. Ce ne peut 
être sous Yitellius ; car il régna huit mois à peine , et le pro- 
consulat durait un an. Schœll dit que ce fut sous Vespasien. Il 
est assez singulier que Martial , qui semble s'être constitué 
l'historiographe de la famille de Silius, n'ait pas dit un mot 
de ce fait remarquable de la vie du poète , que Pline a rap- 
pelé comme un de ses plus beaux titres. Quoi qu'il en soit , 
Silius remplit ces nouvelles et importantes fonctions avec le 
talent et la probité qu'il avait toujours montrés jusqu'alors 
dans l'accomplissement de ses devoirs publics. L'empire d'Ai- 
talc trouva en lui un administrateur ferme, intègre, habile, 
éclairé, et le renvoya couvert de gloire^. 

C'est alors, dit Pline, que, par une honorable retraite, il 
acheva d'expier la faute de ses premières années. « Tant qu'il 
demeura dans Rome, où il tenait rang parmi les premiers ci- 
toyens, il n'affecta pas de rechercher la puissance et n'excita 
point l'envie. On le visitait , on lui rendait des hommages : 
quoiqu'il gardât souvent le lit, toujours entouré d'une cour 
qu'il ne devait pas à sa fortune , il passait les jours dans de 
savantes conversations. » Ici commence la vie artistique et 

I. Hist,f Ht. III, ch. 65 : «Saepe domi congressi (Flavius Sabinus et Vi- 
tellius), postremo in aede ApoUinis, ut fama fuit, pepigere. Yerba vocesque 
duos testes habebant , Gluvium Rufiiin et Silium Italicum. » 

a. ScBTONE, Viteîl.y ch. x5. 

3. « Ex proconsulatu Asiœ gloriam i^^portaverat. « (Plut., lib.iii, epist« 7.) 



ET SUR SON POEME. xiij 

purement littéraire de Sîlius Italicus. « It avait pour les objets 
d'art un goût particulier qu'il poussait jusqu'à la manie, » 
et qu'il put alors satisfaire à plaisir. « Il achetait en un même 
|)ays plusieurs vHtas, et la passion qu'il prenait pour la der- 
nière le dégoûtait des autres. Il se plaisait à rassembler dans 
chacune grand nombre de livres, de statues, de bustes ^ qu'il 
ne se contentait pas d'aimer, mais qu'il honorait d'un culte 
religieux, le buste de Virgile surtout'. » Il avait étudié l'élo- 
quence dans les écrits de Cicéron, il étudia la poésie dans 
Virgile : et telle fut sa prédilection pour ces deux grands 
(écrivains, qu'il acheta deux villas qui leur avaient appartenu , 
celle de Cicéron à Tuscutum, celle de Virgile près deNaples, 
où le poète avait son tombeau. Martial a constaté le fait à sa 
manière, par une flatterie (liv. xi, épigr. 48 ') ; 

Sitius hœc magni célébrât monumenta Maronis y 
Jugera facundi qui Ciceronis hahet, 

I. Pliit., /oc. cit. « Maculam veteris industriae laudabili otio abluerat. Fuit 
inler principes civitatis sine potentia , sine invidia. Salutabatur , colebatur ; 
multumque in lectulo jaœns , cubiculo seniper , non ex fortuna , frequenti , 

(loctissimis sermoDÎbus dies transigebat Erat Ç/xoxatxec 

usquc ad emacitatis reprehensîonem. Plures iisdem in locis villas possidebat, 
adiimatisque novis, priores negligebat. Multum ibiqiie librorum, multiim 
statuarum, muItiim imaginum, quas non habebat modo , verum etiam vene' 
rabatur , Yirgilii ante omnes >• 

3. G; J. Yossius fait observer {De Histor, latin., lib. i, cap. 29) qiie Mar- 
tial parle seulement du tombeau de Virgile, et non pas de sa "viila, et qu*il faut 
entendre que Silius acheta le monument qui renfermait la cendre de Virgile, 
et uon son domaine tout entier. Mais il est certain que Silius avait une maison 
de ciimpagae près de Naples , puisqu'il y mourut , modo nuntiatus est Silius 
Italicus in Neapolitano suo inedia "vitam finisse (Pliit., loc. cit.); pourquoi ne 
serait-ce pas celle qui avait appartenu à Virgile.' «Si Ton peut, dit Schoeli, 
ajouter foi à la ti*adition qui appelle tombeau de Virgile les ruines d*un 
petit monument qu*on voit près de Naples, on peut désigner la place où fut 
située la campagne des deux poètes. Ce monument se voit sur le revers de la 
cote qui forme une espèce d*ampbitbéAtre autour de Naples ; il esit placé du 
côté de la ville , à Tendroit même où commence le &meux chemin creusé 
daus le me qui conduit à Puzzuole. » 



xiv NOTICE SUR SILÎVS ITALKIUS 

Hmredent dominumqiie sui twtuUive Lansve 
Non alium mallet, nec Maro, nec Cicero. 

 Virgile au tombeau Silîus rend hommage; 
Les champs de Cicëron sont les siens aujourd'hui : 
Pour gardien de sa tombe ou de son héritage, 
Virgile ott Gcéron n'aurait choisi que lui. 

il parait qu'à cette époquie le tombeau de Virgile ét^k déjà ce 
qu'il esjt ^iijQuriJi'hai , abandonné el )«ègligé de tous. Sitius 
mit un soin pieuy à le réparer» à T^mbellir; il le visitait, 
dit Plipe» avec le même respect qu'il se fût apprioehë d'un 
temple'. 

fam prope desertos cineres et sancla Maronis 
Nomina qui colerety pauper, et unus erat. 

Silius optaiœ succurrere censuit umhrœ , 
SUius et vatem, non minor ipse^ tulit"*. 

Un pauvre, un seul, veillait sur la cendre oubliée, 
Le saint nom de Virgile en sa tombe enfoui. 
Slliùs vint en aide à cette ombre enviée : 

Silius A Virgile il fallait pour appui 

Un poète aussi grand que lui. 

C'est là , dans la Campanie, dans cette retraite près de Na- 
ples, où, prenant conseil des années, ita simdenHbus annit , 
il s'était retiré, et d'où rien ne put l'arracher depuis, pas 
même l'avènement d'un nouvel empereur', que Silius acheva 
son poème sur la seconde guerre Punique , le seul ouvrage 
qu'il nous ait laissé , et qui ne méritait ni les éloges exagérés 

I, « Monumentiim fjus adii'e , ut templuin , soiebat. » 

a. Mart., lib. xi, epigr. 49* 

3. Pline dit à ce sujet qu*on doit estimer Trajan de n'avoir point été of- 
fensé de cette liberté et le poète d*avoir osé la prendre. « Ab urbe secessit , 
seque in Campania tenuit ; ac ne adventu quidem novi principis înde oom- 
motus est. Magna Cssaris lans , sub que boc liberum •fiiit ; magna illnis qui 
hac libertate ausus est uti. » 



Eï SUR SON POEME. xv 

de 6on sidde, ni les censures outrées de la critiqué moderne. 
On s'ariéte à plaisir sur œs dernières années du vieux poète 
consulaire. Il y a je ne sais quel charme touchant à le voir, 
entouré de ses statues, de ses antiquités, de ses mille objets 
d'art, de ses ricbes manuscrits de Gioéron et de Virgile ache- 
tés à grand prix , composer à l'exemple de oes deux modèles, 
lentement, avec soin, avec art (avec plus d*art que de génie, 
il est vrai ^), ne feuilleter, ne lire, ne suivre et n'avouer cpi^eiix 
pour gOides> pour maîtres, pour di^ux même, les adorer, 
les servir, célébrer leur naissance plus religieusement que la 
sienne propre^ : noble et g^éreuse superstition qu'il faut louer 
et respeotar loin d^en rire; car, à déSsiut d'autres, ep ces 
temps^là , le dieu Virgile et le dieu Gicéron valaient bien, je 
pense, les horribles dieux Néron et Domitién. 

« Il vécut dans cette tranquillité , dit toujours Pline , jus- 
qu'à soixante«quinze ans, avec un corps délicat plutôt qu'in- 
firme. » Attaqué à cet âge d'un abcès incurable, inte^nabilis 
clavus, qui le dégoûta de la vie, il se laissa mourir de faim 
avec une inébranlable fermeté, irrevocabili constantia. On croit 
que cette mort arriva l'an 853 de Rome ou 100 de J.-C. Pline 
ajoute que « Silius fut le dernier consul créé par Néron, et ^ 
qu'il mourut aussi le dernier de tous ceux que ce^prince avait 

I. Un critifiue de beaucoup d'esprit *, après ayoir fort sérieusement mal- 
traité Lucain et Stace, a pris plaisir à bafouer Silius. « Il avait, dit-il, la fa- 
cilité d*un poète de nos jours , lequel a le bonbeur de fiaire tous les matins , 
avant le déjeuner, de oinqnante à cent cinquante vers , dans les pi'oportions 
«niviuites : eiaquante daps les jours ingrats , quand Apollon se fait tirer 
Toreille; quatre-vingts ou cent, dans les jours ordinaires, quand toutes les 
humeurs sont en équilibre; cent cinquante, dans les Jours de génie évident, 
quand le poète n*a rien à envier k Yirgile , ni à Homère , ni à Dieu. Silius 
versifiait si facilement , etc. » Tout cela est fort plaisant sans doute ; par mal- 
heur, Pline a dit précisément le contraire , scnbebat carmina majore cura . 
quam ingenio. 

n, PuHs, liv. m, lett. 7 : «'Tirgilii anle omnes, cujus natalem rellgîo- 
sins quam suum celebrabat. « 

* M. D. NisAftB, Étudei sur Us poètes latins de la décadence, X. ii, p* i74' 



xvj NOTICE SUR SILÏUS ITALÏCUS 

faits consuls ; enfin » dit-il , il est encore remarquable que lui , 
qui se trouvait consul quand Néron fut tué, ait survécu à tous 
les autres qui avaient été élevés au consulat par cet empe^ 
reur'. » 

Ce genre de mort , cette manière expéditive de terminer , 
par l'abstinence et d'un seul coup , sa vie et ses souffrances , 
a été blâmé et sévèrement condamné par les commentateurs 
chrétiens de Silius. Dans l'antiquité , c'était chose ordinaire 
et réputée bonne et louable. Sans parler du philosophe stoï- 
cien Cléanthe, qui s'était tué ainsi à quatre-vingt-dix-neuf ans % 
on en retrouve plusieurs exemples plus rapprochés de Silius. 
Pomponius Atticus, ami de Cicéron , s'^it ainsi délivré d'une 
maladie douloureuse à soixante-dix-sept ans ^ , et Corelh'us 
Rufus, ami de Pline, sous Domitien, quelques années avant 
notre poète , après avoir lutté pendant la moitié de sa vie 
contre la goutte*, aima mieux mourir de faim à soixante-sept 
ans, que de se laisser vaincre et emporter par elle^. A cette 
époque d'ailleurs, le suicide était à la mode. Sénèque le prê- 
che à chaque page de ses livres ; c'était la manie du siècle. 
« Le courage de mourir, du temps de Sénèque, dit M.Nisard^, 
n'était déjà plus qu'un courage banal. A cette époque de lan- 
gueur et de délices, de mollesses monstrueuses, d'appétits 
auxquels le monde pouvait à peine suffire, de bains parfu- 
més, d'amours faciles et désordonnés , il y avait chaque jour 
des hommes de tout rang, de toute fortune, de tout âge, qui 
se délivraient de leurs maux par la mort. Gomment voulez- 
vous qu'on ne se rue pas dans le suicide, quand on n'a d'au- 

I. fc Utque novissimus a Nerone factiis est consul , ita postremus ex omni- 
bus, quas Nero consules fecerat, decessit. Illud etiam notabile: ultimus ex 
Neronianis consularibus obiit, quo coDsule Nero perîit. » 

a. 240 aos avant J.-C. ^ojr. DiOGiirE-LAERcs , Fie de Cle'anthe, Ut. yiii, 
segm. 176. 

3. An 7«a de R. , 3a ans avant J.-C. Voyez Corn. Nep^, Vie d'Atticiis, 
vers la fin; Moittaigite, Essais, liv. 11, ch. i3. 

4. PuiTK ui jKuirB, liv. I, lelt. la. 

5. Études sur les poètes latins de la décadence, tome i , page 80. 



ET SUR SON POEME. xvij 

tre consolation que la philosophie subtile de Sénèque et ses 

théories sur les délices de Id pauvreté? Ce n'était pas là 

l'opinion de Mécène, lui qui disait : « Faites-iiloi boiteux, 
« manchot, bossu , édenté ; pourvu que je vive, c'est bien. 
«Laissez-moi vivre sur une croix, si j'y peux vivre. » Mais 
je conçois bien qu'après un aussi lâche amour de la vie, il 
y ait eu une réaction d'amour de la mort, quand même des 
raisons plus solides n'en eussent pas fait une mesure de pré- 
caution et de régime dans la Rome de Tibère et de Néron. » 
Quand Silius fut mort en disciple fidèle au pied du tom- 
beau de son maître, sa renommée, qui avait été si haute et 
si belle, descendit et s'effaça peu à peu. Il avait été trop ad- 
miré , il fut trop vile oublié. De tous ceux qui l'avaient connu , 
aimé ou flatté , Pline est le seul qui lui consacra un souve- 
nir. Martial , qui autrefois , en lui tendant d*uae main sa 
sportule, et de l'atitre le recueil de ses œuvres, lui svait 
adressé cette humble supplique (liv. iv, épigr. 14) : 

Sili, Caxtalidum dectts sororum , 
Qui perjuria harbari furorùt 
Ingenti premis ore, perfldosque 
jistus Annlhalis y levesque Pœaox 
Magnis cedere cogis AJricanis : 
Paulum seposita severiiatc, 
Dum hlanda vagus aléa December 
Incertis sonat hinc et hinc fritillis ^ 
Et ludîtpopa nequiore talo, 
Nostris ùtia commoda Camœnls , 
Nec tarifa tege fronte sed remissa 
Lascivis madidos jùcis Uhellos, 
Sic forsan tener ausus est Catullus 
Magno miltere passefem Maràni. 

O toi , rhomieur des vierges du Parnasse, 
O Silius, dont la poissante voix 
FlétFÎt Torgueil, le parjure , l'audace, 
Les sourds eomplots du chef cartk apnors , 

ï. 2 



xvHi NOTtCE SUR SILIUS ITALICUS 

Et d'Annibal déjouant la colère. 
Vaincu, l'immole à nos grands Afticains; 
Laisse un instant cette étude sévère : 
Décembre, au jeu livrant la ville entière. 
Roule à grand bruit les cornets incertains, 
Les dés fripons du rusé victimaire. 
Ma muse, à Taise en ces jours de loisir, 
Ose t'offrir ces It^gers badinages : 
D'un œil content daigne lire ces pages 
Tîèdes encor des larmes du plaisir. 
Peut-être ainsi Catulle que j'envie, 
'Eût à Virgile, au maître renommé, 
Jadis offert son moineau bien-aimé, 
Humide encor des baisers de Lesbie; 

Marlis^l qui faisait vanité de voir figurer ses vers dans les bi- 
bliothàques de Sitius (liv. vi, épîgr. 64) : , 

H{iSi inquam, nugas, quibus aurem advertete totam 
Non adspemantur prooeres urbisquejbrique , 
Quas et perpetui dignantur scrinia Sili, etc» 

La cité , le Forum , nos meilleurs citoyens 
D'une oreille attentive écoutent ces riens ; 
Notre immortel ami Silius, avec grâce, 
Sur ses riches rayons leur accorde une place, etc.; 

et qui > naguère encore , exaltait avec emphase toutes les gloires 
de son magnifique patron (liv. vu, épigr. 63) : 

Perpetui nunquam tnôritura volumina SiK 

Qui legiSy et Latia carmina digna taga; 
Pierios tantum vati placuisse recessus 

Credisy et Aoniœ Bacckica serta comœ? 
Sacra çothumati non attigit an te Maronis, 

Impleidt magni quam Ciceronis opus* 
Hune mimtur adhuc eentum gravis hasta virontm ,■ 

Hune ioquiiur grato plurimus are ciiens. 



ET SUR SON POEME. xix 

Ptistquam bis senis ingentem fascibas annum 

Rexerat, asserto qui sacer orbe fuit i 
Emeritos Musis et Pkœbo tradi4it annos ; 

P roque s'uo célébrât nunc Heîicona foro. 

Toi qui lis Silius, et ce livre durable. 
Ce chef-d'œuvre immortel , digne du nom rom.iin , 
Tu crois que , le front ceint du lierre impérissable , 
Dn Parnasse toujours il suivit le chemin. . 

Non : avant que d'atteindre, ô Virgile, à ta gloire, 
11 accomplit d'abord l'œuvre de Cicéron. 
Le fer du centumvir révère sa mémoire, 
Et le client en foule aime à citer son nom. 

Aux saints jours où tombait une tiéte naBdite, 
Il tenait les faisceaux : au culte d'Apollon 
Il a voué depuis sa vieillesse émérite , 
Et préfère au Forum les sentiers d'Hélicon ; 

n'eût saos doute pas négligé roccasion de faire son épitaphc:; 
mais il était lui-même loin de Rome ^ mort ou bien près de 
mourir. 

SîHus n'avait pas s(^ngé à l'avenir de son livre ; les copies 
en étaient rares et peu répandues; elles disparurent avec lui'. 
Désormais l'auteur et son œuvre restent complètement igno- 
rés : un seul grammairien des âges suivans"", et un poète, au 

I. Silius avait tous les luoyeus de répandre et de publier son poëme; ses 
richesses immenses lui permettaient d'en multiplier les manuscrits s'il l'eût 
▼ouln. Il est à présumer, au contraire , qu'il ne le fit pas : ce qui , jusqu'à un 
certain point, prouve qu'il aspirait peu à l'immortalité que Martial lui pro- 
mettait, et qui ne lui a pas manqué. 

3. Le grammairien Gharisiiis. Annaeus' Gornutus, le maître et l'ami de 
Perse, avait composé sur Virgile des Commentaires qu'il dédia à Silius, 
comme au plus digne. Charisius nous a conservé de cet ouvrage une phrase 
à peu près insignifiante. Gornutus disait à Silius : Jamque exemplo tuo etiam 
principes cîvitatum et poetœ încipîent sîmiUa fingere, Ge qu'il y a de plus 
clair, c'est que c'est un éloge. 

'1. 



XX NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

cinquième siècle, prononcent au hasard le nom de Silius', 
que nul ne répète, et qui s'éteint bientôt avec tous les autres, 
dans le fi-acas des armes, et au milieu des clameurs barbares 
qui se disputent Rome et l'empire envahi. 

Ce nom ne devait point périr; mille ans plus tard il devait 
reparaître et revivre : un manuscrit des Puniques^ avait sur- 
vécu et triomphé du temps et des Barbais. Depuis de$ siècles, 
dit Yossius^ « il luttait misérablement contre les mites et les 
teignes, » quand enfin il fut miraculeusement délivré. C'était 
en i4i6, à l'époque du concile de Constance. Un homme 
d'une vaste érudition, de connaissances étendues et variées, 
^rand amateur de livres, d'objets d'art et de monumens cu- 
rieux d'antiquité , Poggio Bracciolini , qui avait suivi en 
Allemagne,! à ce concile, en qualité de secrétaire intime, 
le pape Jean xxiii déposé en i4i&, eut l'idée un jour, pour 
reprendre haleine, comme il dit^, et sans doute aussi pour 
se distraire de ses chagrins et de la vue hideuse des persé- 

X. SiDOiNK Apollinaire, Épù. à Félix, v. a6o : 

Non Gactulicus hic tibî legetur, 
Non Marsus , Pedo , Silius , Tiballos ; 
Non qnod Snlpidas jocns Thaliar 
Scripsit blandiloqaam sao Caleno; 
Non Persi rigor , aut lepos Properti , etc. 

Le nom de Silius ne se trouve évidemment enchâssé là avec ceux de Marsus, 
de Pédo AlbinovauuB, de TibuIIe, que pour le besoin de la mesure; c'est 
une mauvaise cheville à de mauvais vers. 

a. Quelques éditeurs ont intitulé ce poëme De bellû Punico secundo ; il 
est intitulé Pimica dans le manuscrit de Venise, dit MS. Dupuy, Càtiex Pu- 
teanus , et dans quelques anciennes éditions. Cette leçon a été adoptée par 
les derniers éditeurs, et nous l'avons sui%'ie. Lefebvre de Villehnine a préféré 
l'autre. On ignore , du reste , quel titre Silius avait donné à sou ouvrage. 

3. De Hist. lat,, lib. x, cap. 29. « Cum blaltis tineisque misère con- 
flictatus est. » Yossius ajoute que ce manuscrit fut découvert à Tépoque 
du concile de Baie , ad tempora concilii BasiUensis ; ce ne peut être qu'une 
faute d'imiM'essiou. 

4. «Animi laxandi gratia^» Lettre à Guarini de Vérone, datée de G»n- 
stance, 16 décembre 14 16. /- 



ET SUR SON POEME. Xxy 

cutions et des supplices dont il était le témoin, d'aller avec 
quelques amis au monastère de Saint -Gall, situé à vingt 
milles de Constance, et qui. renfermait , disait -on, une 
grande quantité de livides. Ce fut là «c qu'au milieu d'un 
énorme tas de volumes, placés non pas dans une biblio-^ 
tlièque, comme leur dignité l'exigeait, mais dans une noire 
et sîile prison, au fond d'une vieille tour, où l'on n'eût 
]3as jeté un condamné à mort , » il découvrit un manu- 
scrit de Silius. « Par Hercule, dit Pogge , sans l'aide que 
nous lui avons portée, il serait mort infailliblement au pre- 
mier jour. Je n'en puis douter; non,*cet homme opulent, 
ami de la i-echcrcbe , de la propreté , plein de grâce et d'élé- 
£>ance, n'aurait pu endurer plus longtemps la saleté, la puan- 
teur de son cachot , et la barbarie de ses geôliers. Il était 
désolé, et dans le désordre d'un condamné à mort ; il avait la 
barbe hideuse et les cheveux souillés de poussière : ses traits 
et sa tournure attestaient l'horrible et injuste sentence qu'il 
allait subir. On eût dit qu'il tendait les mains, qu'il implo* 
rait la foi des Quirites, les suppliant de le défendre contre un 
juge inique; indigné, lui qui jadis à plusieurs avait sauvé la 
vie par ses bienfaits et son éloquence, de ne [)oint trouver 
dans cette foule un seul homme pour plaider sa cause , pour 
compatir à ses misères, pour veiller à son salut» pour repous- 
ser les bourreaux qui l'entraînaient injustement au supplice ^ » 

I. Pogge, Lettre à Guarini. « Erant eiiim non in bibliotlieca libri illi, 
iil eorum digiûtas postulabat, sed in teterrimo quodam et obsciiro carcere , 
ftiodo sciliOil imius turris , quo nec capitalis quidem rei damnati detrudereu- 

tur Nam, me Hercule ! nlsi nos auxiUam tulissemus, necesse erat 

illum propediem interiturum. Nam neque est dubium >iriim splendidum, 
iDundum , eleganteni , plénum moribus , plénum facetiis , fœditatem illiiis 
carceris, squaiorem loci, custodum sœvkiam diutius perpeti non potuisse. 
Mœstus quidem ipse erat ac sordidatus , tanquam mortis rei soiebant : squa- 
lentem barbam gerens ac concretos pnlvere crines, ul ipso vnltu atque habita 
fateretur ad immerîtam sententiam se vocari. Videbatur manus tendere, implo- 
rare Quiritnro fidem , ut se ab iitiquo judice tuerenlur ; postulare et indi^j'iie fts-re 
riiiod qui qnondam sua ope, sua eloquentia multorimi salulem conservasse t, nunc 



xxij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

Pogge Tarracha de cet horrible lieu» calma ses angoisses ^ et le 
rappela à la vie. Aidé de son ami Bartolomeo di Monte-Pui- 
ciano, comme lui secrétaire apostolique , et que , par am^our 
pour la variante» il nomme de Mante PoUiciano, ovl de Monte 
Peliciano, ou encore de Monte PuUdano, Pogge fit du ma-- 
nuscrit retrouvé une copie , qui fut suivie de plusieurs au- 
tres, mais qui resta toujours la plus fidèle et la meilleure. 
Quelques années après» la découverte de Timprimme acheva 
de donner à Silius une publicité qui lui fut plus funeste 
qu'utile » et le livra pour jamais aux mains des commenta^ 
leurs » des traducteurs et des critiques » qui l'ont cruellement 
puni d'avoir échappé aux vefô qui l'allaiient détruire'. 

Silius fut un des premiers auteurs que la presse fit connaître. 
Deux éditions parurent presque simultanément et à vingt-^ix 
jours de distance Tune de l'autre» à Eome» au mois d'avril 

neque patronum quempkm inveniï'et, quem m&ereretur fortunarum suarum , 
neque qui su» consuleret saluti, aut ad injustum rapi suppHcium prohi-. 
béret. » 

Pogge parle ici de Quintilien ; mats les termes de cette lettre peuvent s'ap- 
pliquer également à Silius Italiens , retrouvé par lui , ainsi que Lucrèce ». 
Manilius, Val. Flaccus, etc., à la même époque et dans le même lieu, comme 
il le dit lui-.méme page io3 de V Oraison funèbre de son ami Nicolo Niccoli» 
et comme l'attestent ces vers d'un poète du temps» Ugolino Yerino {de iiltts^ 
tratione Florent lœ, lib. ii) : 

Quia etiani sollers Gerinanis eroit aatris > 

In Latium altiloqui divitia voliunina Silî; 
Integer Orator nobis , Fabiusque relatas , etc. ;. 

que je traduirai fidèlement pour ne pas nuire à Silius :. 

11 tire habilement des caves Germaniques 
Le dirin Silius aux sublimes cantiques ; 
Nous rend Quintilien et Cicrron complet, etc. 

I. Silius ne pouvait du reste évilei' cette publicité; environ cent ans plus 
taitl, ven iS.'^S , Louis Caniou découvrit à Ckilogne un autre manuscrit 
iJtrs Piuiiqufis, qu'il crut pouvoir dater du temps de Charlemague. Un troi* 
&>è«nc, beaucoup plus récent, fut ensuite tiuuvé à Oxford. 



ET SUR SON POEME. xxiij 

1471 '. D'autres suivirent rapidement et à peine séparées par 
quelques années d'intervalle > d'aucunes assez correctes et im- 
primées avec assez de luxe. Mais des difficultés; des lacunes > 
des variantes sans nombre arrêtaient le lecteur. Pierre Marsus 
donna en 1485, à Venise, une nouvelle édition , trè&-peu fidèle , 
il est vrai , mais accompagnée de commentaires et d'éclaircissef- 
mens historiques et géographiques; ce qu'on n'avait point vu 
encore, et ce qui fit sou succès. Ce travail savant jeta un grand 
jour SMr* une foule de passages obscurs et inûitelligibles ; dé- 
gagé de la massiQ de scholies inutiles qui. le surchargeaient, il 
a été conservé et reproduit dans les dernières éditions alle- 
mandes, et Ruperti le considère comme, un deSi meilleurs qui 
aient paru avant celui d'Ërnesti et le sien,^ nemafere et arUe^ 
ferendusest. Après Maraus, en 1600, Daniel Heinsius , qui 
n'avait pas. vingt ans, publia ses Crepundia Siliana. Silius avait 
été en eflet comme la poupée de ses premières, années; il l'a- 
vait habillé, paré, emmiailloté de lambeaux pris à tort et à 
travers dans les écrivains grecs,,. et appuyés de dissertations 
mythologiques, philosophiques, gramjn32|,ticales, qui pouvaient 
J)ien prouver en faveur de l'érudition du jeune Heinsius, mais 
qui embarrassaient Silius et étoufi&ient son texte sans l'éclair- 
cir. Ce tour de force philologique de Dan. Heinsius fut rude- 
ment attaqué et déprécié en 1615 par Dausq, chanoine de 
Tournai, critique brutal et emporté,, qui, par d.épit ou par 
^nvie peut-être > 

Réglant tout , bronilla tout ,. fit un texte à sa mode. 

Après Dausq , Gaspard Barth , puis Gellarius , puis Draken- 
borch. Ces derniers éditeur, tout recommandables qu'ils 
étaient , laissaient encore beaucoup à désirer. En 1781 , 
un homme instruit, helléniste et orientaliste distingué, Le- 
febvre de Villebrune, entreprit, en France, une nouvelle édi- 

z. On trouvera l'histoire des éditions successives de Silius Itaiicus esac-* 
tement et assez plaisamment racontée dans la préface de la traductiou fran- 
çaise de Lefebvre de Villebrune. (Paris , 1 78 1 .) 



xxiv NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

4ion de Si|ius. Habitué, comme il le dit lui-mfeme, au tra 
^^ te plus opiniàtie-, il fit du texte une longue et sérîeus^r 
^iiide, recourut aux anciens monumens, collatîomia les ma- 
nuscrits et les premières éditions. Malheureusement il avait , 
comme le chanoine de Tournai , trop de morgue et d'empor- 
tement. Il maltraita avec humeur , avec un dédain souvent 
injuste , Drakenborch et tous les critiques qui l'avaient pr6^ 
cédé y et il ne s'aperçut pas qu'il commettait lui-même d'assez 
graves erreurs, une entre autres qui, au dire de Ginguené'» 
« Ta iXKivert en Italie et en Allemagne d'un ridicule iîieffiiça- 
ble, et a compromis l'érudition française aux yeux des savans 
étrangers. » Il atuibua à Silius un long passage de Pétrarque ^ 
Malgré cela, et à part cette inconcevable méprise^, son travail 
est un immense sei-vice rendu à SîKus. Il a compulsé tous les 
conimentaires, discuté toutes les variantes, rétabli les meil- 
leures leçons, et purifié le texte d'une foule de fautes et ^'in- 
terpolations grossières ; ce que nul n'avait su faire avant lui. 
Les Allemands, qui revMidiquent depuis si long-temps te mo- 
nopole de la glose et de Vexcurëus , ne lui pardonnèrent pas - 

1. Histoin littéraire d'Italie, U ii, p, 589. 

2. Il s*agit d*an voroeau de trente-trois vers, un discours de Magon 
mourant, tiré du vie livre de \ Africa de Pétrarque, et qull inséra au 
livre XVI, vers 27, des Puniques de Silius, ajoutant qu*il avait découvert ce 
passage dans un manuscrit de Paris. Lemaire dit avoir feuilleté tous les ma- 
nuscrits de silius à la Bibliothèque du Roi , et il assure que nul ne renferme 
le passage en question. U ne l*a vu que dans un petit volume, portant le 
n* 8 a 06, et contenant divers extraits d'écrivains latins. Il est évident, dit 
Lemaire, que c'est de là et non d'un manuscrit de Silius que Lefebvre a tiré 
ce passage; car il a laissé attachée dans ce livre une copie de ces trente-trois 
vers écrite et signée de sa main , et où il les attribue à Silius. ( Voyez le Silius 
JtaUeus de Lemaire, 1. 11, p. 458 , note. ) Ce qu*il y a de plus plaisant, c'est 
que, tÏMit gkirieux de sa découverte, Lefehvre proclama son édition la seule et 
la premier^ complète, operis integri editio princeps, 

3. On ne peut d'ailleurs lui faire un grand crime de quelques corrections 
hasardées, de quelques ohangemens arbitraires, qu'il avait imposés au texte de 
sa propre autorité, et qu'il a depuis lui*ménie reconnus inutiles. Il n'est pas 
un philologue d'outre Rhiii qui chaque jour ne fasse plus^et pis. 



\ 



ET SUR SON POEME. xxv 

de les avoir devancés. Deux éditions nouvelles, accompagnées^ 
de commentaires fort étendus, parurent presque en môme 
temps» l'une vers la fin de 1791 par J. C. T. Ernesti , l'autre 
par G. A. Ruperti, au mois de février 1793. Ils s'accordèrent 
pour attaquer et décréditer le travail de Lefebvre; mais on 
peut voir, en les lisant, Ruperti surtout', qu'ils ne se sont 
pas fait faute d'en profiter'. 

On a beaucoup vanté, beaucoup décrié Silius. On a pris à 
la lettre le vers de Martial qui, pour avoir du pain, élève ce 
poète au niveau de Vii^ile , et de cette comparaison sont sor- 
tis de ridicules éloges et de plus ridicules critiques ^ On a fait 
de Silius un poète épique, cyclique, historique, ce qu'il n'a 
jamais été ni touIu être, et de son poème une histoire, une 
gazette en ver$^, ce qui serait bien la plus mauvaise et la plus 
inexacte des gazettes. Silius n'a voulu faire ni une épopée , ni 
une histoire, ni une gazette *, il a voulu faire ce que tout le 
monde faisait de son temps ; car Lucain , Sénèque le Tragi- 
que, Stace, Valerius Fluccus, n'ont pas fait autre chose, des 
lieux ccMnmuns, des déclamations. Son poème est tout sim- 
plement un exercice littéraire, un travail d'artiste, une œuvre 
de style, le doute même qu'il ait jamais composé au même 
titre et dans le môme but que ses contemporains. Il est à re- 

X . L'édition de Ruperti a été littéralement réimprimée à Paris par N. E. Le- 
maire, en iS^S : cVst le texte de cette réimpression que nous avons suivi, 
sans pourtant adopter toujours le sfsus, la ponctuation et les corrections de 
Ruperti 

a. Je n*ai signalé ici que les éditions les plus estimées; bu ti'ouvera le cata- 
logue complet de toutes les éditions de Silius dans celles de Ru[)erti et de 
Lemaire. 

3. F'otr pour lefi é'oges Bkkkssa , Cavsius , Lkfbbvre de Vilmibauits ; 
pour l«s critiques Jules Scaugeh , Poet. , vi , 6 ; Voltaire , Essai sur la 
poésie épique , ch, iv ; Cuémeivt , Essais de critique sur la littérature an • 
cienne et moderne , t. i, ch. i ; La Harpe, Cours de littérature, i""" part., 
liv. I , ch. 4 , sert, a ; etc., etc. 

4. C'est le mot de La Harpe ; il a fait fortune, et je le trouve lépété dans 
la plupart des Biographies. 



xxvj NOTICE SUR SILIUS ITAUCUS 

ina]:<)uer» dans la lettre citée plus haut et qui résume en deux 
pages 'k vie de Silius, que Pline Ta considéré plutôt Comme 
homme public ^ comme magistrat consulaire, comme gou- 
verneur de province , comme citoyen puissant , riche et re^ 
cherché y que comme écrivain et comme poète. On en pourrait 
conclure y et, pour ma part, je suis fort tenté de croire, que 
Silius ne fut écrivain proprement dit et poète que par passe-» 
temps, qu'il ne composait que pour lui et tout au plus pour 
quelques amis. Rien ne prouve en effet qu'il ait jamais pris 
enseigne de poète : pour la plupart des écrivains de son épo- 
que, pressés par la faim ou l'ambition, la poésie fut un 
moyen forcé de s'avancer et de vivre , un métier nécessaire ; 
pour lui ce ne fut qu'une noble et. volontaire fantaisie , un 
pieux délassement de sa vieillesse. Il n'a point couru, comme 
Stace 9 coftime Lucain , comme Valerius Flaccus , comme 
presque tous ses contemporains, nommés et attaqués par Ju- 
vénal , après l'éclat et les applaudissemens faciles des lectures 
publiques. Il n'a subi que rai*ement Tépreuve de ces lectures, 
et encore était-ce en petit comité, et plutôt pour prendre con- 
seil et s'encourager que par un vain besoin de louange et de 
flatterie. Pline le dit expressément : Noununquam judicia ho^ 
minum redtutiontims experiebatur. Resterait maintenant à savoir 
si, parce qu'un homme, avocat, consul, gouverneur de pro- 
vince , a voulu se distraire , et se reposer du Forum et des 
affaires par quelques travaux littéraires, travaux intimes et 
ignores, il s'ensuit que la postérité doive le citer d'office, lui 
faire un crime de son peu de génie, le condamner enfin, lui 
qui ne l'a point avouée pour arbiti*e, et n'a voulu encourir la 
gloire ni de son blâme ni de son éloge. 

Amateur riche et instruit, Silius a voulu mettre à profit ses lon- 
gues études sur Virgile et Cicéron , et peut-être venger en même 
temps ces grands écrivains des mépris de Lucain et de quelques 
autres novateurs. Silius était ce que nous nommons un cla»-- 
sique; il tenait à prouver qu'on pouvait bien faire encore en 
s attachant aux traces de Virgile. Il choisit comme Lucain un 



KT SUR SON POEME. xxvij 

sujet romain. les guerres Puniques, qui, déjà plusieui's fois, 
avaient occupé la Muse latine'. Il traita ce sujet à la manière 

i, Enniiis, Névius, et un poète du siècle d'Auguste, cité par Ovide (^ex 
Ponto, lîb. IV, epist. i6) et dont on ignore le nom , 

Qaiqae actes Libycas Romanaqae praclia dixit, 

avaient chanté en vers les guerres Puniques. l)ans un poème intitulé Sci- 
pion et* consacré tout entier à la gloire du héros dont il était Tami , Ennius 
avait célébré la seconde de ces guerres , racontée déjà dans ses jinnaUs ; 
matheureusement il nous reste à peine quelques vers de ces deux ouvrages. 
Douze cents ans après Siliiis, un poète, qui, comme lui , avait commencé 
par être avocat, comme lui avait voué un culte pieux à Cicéron, qu'il copia 
tout entier de sa main, et à Yirgile dont il visita aussi le tombeau et qu'il 
'isait et étudiait avec tant dWdeur et d'enthousiasme que le pa|)e* et ses car- 
dinaux Faccusèrent de magie, Pétrarque traita le même sujet. Son poëme, en 
vers latins et en neuf lirres , est inlitulé y^/r/ca. Malgré le nom de son auteur, 
il est resté aussi peu lu et aussi peu connu que celui de Siliiis : et c'est peut- 
être là leur seul point de ressemblance. Le poëme de Pétrarque , comme celui 
d'Ennius, est plutôt un panégyrique de Scipion T Africain, qu'un récit de la 
seconde guerre Punique**. Par le plan , la marche, le style, il diffère entière- 
ment de celui de Silius ; ce qui a fait croire, avec assez de raison , que Pétrar- 
que ne connaissait pas les Ptiniques quand il composa cet ouvrage ***. Lefebvre 
de Tillebrune n'est pas de cet avis. On a vu plus haut, page xxiv, que, 
trompé par un mauvais manuscrit , il avait maladroitement cousu aux Puni- 
ifue* une trentaine de vers de XJfrica. Furieux de s'être mépris si grossière- 
ment, il aima mieux, au lieu d'avouer son erreur, accuser Pétrarque de plagiat. 
Il soutint que ce poète avait eu un exemplaire des Puniques , qu'il avait lu 
Silius et qu'il lui avait volé ce malheureux fragment. Cette ridicule et absurde 

• Innocent vi. F'ojrex Giironxifi, Hist. litt. d'Italie, t. ii, p. 402. 
** Le début le prouve : 

Ut mihi conspicuam mentis belloqne tremeudum. 
Musa , viram réfères , Italis cni fracta snb armis 
Nobilis aeternom prius attnlit Africa uomen. 

Pétrarque d'ailleurs le dit bien clairement dans son Épare à la postérité, on il raconte corn- 
ineitf , dans les montagnes de Vaucluse, lui vint l'idée de son poëme : « Montibus illis vaganti 
cogitatio inddit et valida ut de Scipione Africano illo primo ci^'ns nomen mirum unde nûlii a 
prima setate carom fait , poeticnm aliquid beroioo carminé scribcrrem. » 

*** n ne connaissait qn'Ennius , dont il avait assez mauvaise idée. Il le déclare lui-même, et 
je ne crois pas qu'on puisse douter de sa franchise : « Enninm de Scipione multa scripsissc 
non est dnbium, rudi et impoli to, ut ait Valerius (Maximus), stylo. Cultior tamen de illius 
rébus liber metrieus non apparet. De hoc igitur \itcunque canere institui. » {Lett. famil., liv. s , 
lett. 4f ms. de la Bibl. du Roi.) 



xxviij NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

de son temps; et voici , j'imagine , comment cela se pratiquait. 
Un auteur choisissait un sujet historique ou mythologique, il 
en notait à l'avance les faits les plus saillans, puis les développait 
de son mieux , les chargeait de couleurs et d'ornemens poéti- 
ques , les soumettait successivement aux lectures ; et quand les 
faits et les épisodes principaux de son sujet étaient épuisés, il 
recueillait tous ces lieux communs, qui étaient, selon la forme 
qu'il avait adoptée, ou des scènes, ou des récils, ou des des- 
criptions, ou des discours, réunissait tant l^ien que mal ces 
différentes pièces par actes, par livres ou par chants, et l'épo- 
pée ou la tragédie était faite'. 

Les défauts et les vices de ces écrivains sont les défauts et 
les vices de leur siècle; ils ne pouvaient procéder autrement. 
C'est donc , ou mal comprendre leur époque , ou vouloir à 
toute force leur faire un injuste procès , que de les comparer 
à Virgile. Virgile ne composait que pour être lu; eux, pour 

accusation dirigée contre Pétrarque fit un grand tort à son auteur et le com- 
promit gravement. Ou prouva, par un rapprocbement facile, (|ue ces trente- 
trois vers n*avaient pu appartenir à Silius, et Lefebvre fut sifflé comme il 
méritait de Tèlre, Du reste, cette Africa, trop négligée, est curieuse à lire, 
surtout après les Puniques, Ginguené, qui n'eu donne qu'une analyse incom- 
plète, ajoute quelques réflexions qui, à certains égards, pourraient s'appliquer 
au livre de Silius. « Malgré les défauts qui domiueut dans ce poëme, dit-il, et 
qui remportent de beaucoup sur les beautés, il est beureux qu'il se soit con- 
servé, non pas pour la réputation du poète , maU pour l'histoire de la poésie. 
C'est un monument précieux de cette époque de renaissance, bon à, garder 
comme ces tîibleaux et ces statues, productions de l'enfance de l'art, qui n'eu 
augmentent ni la gloire ni les jouissances, mais que l'on n'examine pas saus 
fruit , quand on en veut étudier Fbistoire. » 

t. Ceci, bien entendu , n'est qu'une supposition; mais , sans prétendre quo 
cette méthode ait été généralement suivie pai* tous les poètes de répoque , je 
croirais volontiers qu'elle l'a été par Silius ; c'est ce qui ressort évidemment, 
pour moi du moins, de la lecture attentive et de l'exameu que j'ai dû faire de 
son ouvrage. Le titre même que nous avons rejeté , mais que Lefebvre a con- 
servé et qui pourrait bien être le titre primitif de rouvjage, de Bello Pnnico 
secundo, viendrait à l'appui de cette opinion : car il semblerait indiquer 
plutôt un recueil de divers morceaux de poésie sur la seconde guerre pu- 
nique, qu'une véritable épopée. 



ET SLR SON POEME. xxlx 

ôlie entendus : la (Condition n'était plus la même. Le vers 
tendre , timide et simple de Virgile, ce moUe alque facetum , 
Mût endormi des auditeurs blasés, ennuyés, à moitié ivres; 
il leur fallait des sons muques ,, pénétrans , effrontés ; il fal- 
lait longuement et durement mugir à leurs oi^illes, les étour* 
dir par Téclat, Ténergie, l'abondance, le luxe de la parole. 
Voilà pourquoi , dans la description d'une même chose , ils 
différent tant de Virgile, qui ne pariait qu'à l'intelligence; 
pourquoi, ainsi qu'on Ta remarqué', l'art chez eux est tout 
entier dans les détails, dans la peinture des objets matériels; 
pourquoi le sentiment moral en est exclu. 

Celte méthode de composition une fois admise, on ne peut 
raisonnablement blâmer l'auteur du défaut d'unité, du dé- 
cousu , du peu de suite et d'intérêt de son épopée , qui n'en 
est pas une. Pour bien juger des Puniqu€$, et de presque tous 
les ouvrages du même genre et de la même époque, il faut 
les considérer, non pas dans leur ensemble ,» mais par parties 
détachées, par épisodes, lieux communs à lieux communs , 
et alors on ne pourra s'empêcher de reconnaître, dans chacun 
de ces morceaux séparément , un mérite réel d'exécution. 

Silius a tiré le sujet de son poème de la troisième décade 
de Tiie-Live. Il suit presque toujours l'historien pas à pas ; il 
lui emprunte tout ce qui se prête aux développemens de la 
poésie, les marches, les sièges, les batailles, et rejette ou 
abrège tout le reste. Il ne s'occupe pas d'enchaîner ses récits , 
de déduire les causes des évènemens, toujours si exactement 
expliquées par Tite-Live. Les faits ainsi triés et choisis, il les 
habille richement , les pare des trésors de la muse virgilienne ; 
mais il s'inquiète peu des motifs , des intérêts qui les ont 
amenés : il les décrit et ne les raconte pas. Souvent même il 
les amplifie et les arrange à sa guise , les change et les modi- 
fie : on a dit qu'il avait suppléé les omissions de Tite-Live; 
mais il faut remarquer qu'il invente souvent, et se ^rder de 

f . M. KiSARD, Etudes sur les poètes latins fie la décadence, t. ii , p. 145. 



XXX NOTICE SUR SJLtUS ITALICUS 

prendre une fiction du poète pour un événement historique et 
avéré. Aussi y comme Ernesii Ta fort bien dit y loin que cet 
ouvrage soit une histoire ou une gazette en vers, il est certain' 
que si on n'avait pas Polybe, Appien et Tite-Live, on ne 
pourrait se rendre un compte à peu près exact de la seconde 
guen-e Punique avec le livre de Silius. 

Peut-être serait-on fondé à reprocher à Silius ses fictions 
mythologiques, son Jupiter, sa Junon , toutes ces divinités si 
vieilles et si usées depuis Homère. Toutefois , il ne faut pas 
oublier qu'il avait juré de rester fidèle à Vii'gile ; et c'eût été 
faire une indigne concession aux novateurs et une injure grave 
à son maître que de rejeter son Olympe. D'ailleurs un ctitique 
spirituel , que j'ai d^'à citè^ a fort bien prouvé que Lucain 
n'avait guère mieux réussi en employant d'auti'es moyens , 
plus neufs et plus hardis. 

On ne doit voir en Silius que l'écrivain, le versificateur 
habile et exercé , qui compose selon Sénèque , qui scande 
d'après Virgile, et rien de plus. C'est par la forme qu'il faut 
le juger, c'est par la forme qu'il brille ainsi que tous ses con- 
temporains. Déelajoiateur comme ils Tétaient tous alors, mais 
élevé à une meilleure école, et corrigé par l'âge, il a moins 
d'audace et de mauvais goût , sans pour cela manquer dé verve 
et d'énergie. Il a su mettre, dans la déclamation , cfu bon sens 
et de l'art. Sa narration est plus rapide et plus concise ; ses 
harangues sont moins longues, moins sententieuses , moins 
déplacées; ses héros mieux mis en scène, ses caractères mieux 
rendus et mieux conservés. Il excelle à décrire : son poème 
est semé de comparaisons , de d^nitions , qui sont autant de 
petits tableaux achevés dans leur genre. Mais souvent il abuse 
de la paraphrase et de l'analyse ; il ne sait point se borner : 
il ne quitte un sujet , une idée , une image , qu'après les 
avoir présentés sous plusieurs faces différentes, et quand tous 
les synonymes de la langue sont épuisés. Cependant sa poésie 

I. M. NiS4Rb, Études sur les poètes latins de la de'cadence, t. ii , p. 1 1 1. 



ET SUR SON POEME. xxxj 

est toujours si pure que cette surabondance de richesse déplaît 
rarement. 

Silius appartient par son style àTancienne et à la nouvelle 
école : il a certaines beautés de Tune et aussi certains défauts 
de l'autre. En garde contre les hardiesses du nouveau langage , 
il ne les admet qu'avec réserve , et seulement quand l'expres- 
sion ancienne > commune et rebattue ^ a besoin de reprendre 
un peu de vigueur et de vie. Du mélange adroit et sagement 
combiné des deux idiomes , il s'est fait un style à lui , tou«- 
jours clair % toujours chaste et châtié. Il imite souvent Ho- 
mère et Virgile; mais il sait varier et revêtir de formes nou- 
velles les idées et les tours qu'il leur emprunte. On l'a accusé 
de les piller : c'est là un reproche banal et auquel il est bien 
facile de répondre ; ne sait-on pas qu'il n'y avait rien de plus 
commun que ces plagiats dans l'antiquité? Virgile a pillé Ho- 
mère y Ennius et Lucrèce; Macrobe avait indiqué en quelques 
chapitres ces vols et ces emprunts dont on a fait récemment 
plusieurs volumes'. Horace a pris, non seulement le plan, 

I. Les critiques sont loin de s'entendre à ce sujet. Clément , qui ne lisait 
Silius que dans la traduction française de Lefebvre de Villebrune, dit que « son 
^yle est généralement obscur, gêné, pénible.'. ... On prétend que sa latinité 
est pure; je n*eu crois rien, puisqu'il n'est pas daif. » (Essais de critique, 
1. 1 , p. S9.) De nos jours , on avoue que le style de Silius ne manque pas de 
clarté; mais, chose singulière! on a trouvé moyen de lui faire un défaut de cettfe 
qualité même. « Là où il écrit d'après l'imitation virgilienne, sa poésie n'est que 
plate, et d'une clarté dont on ne lui sait pas gré, parce qu'on n'en voit que 
mieux la faiblesse de sa pensée. lia pauvreté de ses conceptions n'a pas su s'en- 
velopper de formes ambiguës, et c'est un poète dédaigné en raison directe du 
peii de besogne qu'il a donnée aux commentatears , lesqiieb mesiu^ut assez 
ordinairement le mérite d'un auteur sur la peine qu'il leur a coûtée. » {Études 
sur les poètes latins de la décadence , tome 11 , page 389. ) De bon compte , 
une pareiHe chicane est-elle sérieuse , et ne peut-on pas rappeler à l'auteur 
ce qu'il a dit dans une autre ciroonstance? «Notre sens critique, si éveillé et 
si fin, s'il nous fait apercevoir toutes les mauvaises choses, nous cache quel- 
qnefoîs les bonnes. >• (Souvenirs de ^oytiges. — De. Bruxelles à MaUnes,) 

a. Satum,, liv. v et vi; Eichopf, Études grecques sur Virgile, 3 vol. 
in-80. 



xxxlj NOTICE SUR SILIUS ITALICUS 

Vidée entière de la plopart des satires de Lucilius , mais il 
plein de cenlons de cet auteur : il lui a volé ses daclyles et ses 
spondées. Cela n'a jamais nui à leur gloire. 

En résumé , et pour clore enfin cette biographie déjà si 
longue d'un poète ignoré , je dirai que , comme homme et 
comme écrivain, Silius a fait honneur à son siède^ qu'il a 
toujours été trop négligé, jugé de trop haut ou de trop loin^ 
mal compris et mal apprécié , qu'il gagnerait à être m de 
près, et j'ajouterai avec Crusius « qu'il serait plus estimé s'il 
était plus connu. » 

Les Puniques n'ont encore été traduites que trois fois, en 
vers anglais par Thomas Ross , bibliothécaire de Charles ii , 
Londres y 1656-1672; en italien par Buzio, Milan, 1765; ei 
en français par Lefebvre de Villebnine, Paris, 1781. Le- 
febvre de Villebrune , qui a consulté les deux premières tra- 
ductions, dit que celle de Ross est assez exacte, mais il fait 
|3eu de cas de celle de Buzio , chez qui , ajoute-t-il , les 
contre-sens ne sont pas rares : reproche maladroit , et qu'un 
traducteur ne doit pas faire lout haut à son confrère. Quant 
à lui , il avoue qu'il n'a traduit Silius que pour se délasser 
des travaux plus pénibles de son édition latine; « tantôt il 
a rendu la lettre de son auteur lorsqu'il l'a cru nécessaire, 
tantôt il s'est fixé uniquement sur le sens , présumant que le 
lectem* sait assez de grammaire et de latin pour trouver lui- 
même la constraction d'une phrase ' ; il a souvent laissé les 
épithètcs au poète, etc. » Malgré cela , cette version est assez 
fidèle ; mais elle est mal écrite. Lefebvre n'a pas l'air de se 
douter qu'il traduit un poète , un poète descriptif snrtoiit , chez 
qui la poésie est moins dans la pensée que dans les mots , on 
il faut rendre noti seulement le sens et la Tettre de la phrase, 

I. C'est à cttJte occasion C[B*il a laissé éclMp|>er «eft« boida^e <fsi ne Sf>rait 
pas encore déplacée aujourd'hui : «* Si j'a-vâis ècril pour des AHeuMinds, j'au- 
rais tout dit, sans passer le moindre mot, parce qu'en qualité d'Allemand . 
j'aurais eu droit de supposer tmis mes lecteurs ignorans. Mais nous afous 
plus d'honnêteté eu France. » Le trait a frappé juste. 



ET SUR SON POEME. xxxiij 

mais la grandeur des images , l'harmonie, le nombre des pé- 
riodes , la noblesse et la magnificence des expressions. Ce que 
n'a point fait Lefebvre de Yillebrune , nous avons tenté de le 
faire ; nous avons essayé de donner une traduction exacte et 
littérale de Silius. Ce travail n'était point sans difficultés, et 
si, de temps en temps, nous sommes parvenus à les vaincre, 
ce n'a pas été sans une lutte assez longue et assez pénible, dé- 
couragés parfois en songeant au peu d'estime accordé au poète 
et à son livre, mais ranimés et soutenus par l'idée qu'en tra- 
duisant Silius , c'était souvent Homère et Virgile qu'il nous 
fallait traduire. 

E. F. CORPÈT. 
Septembre i836. 



I. 



LES PUNIQUES. 

LIVRES I— V 

TRADUITS 

PAR E. F. CORPET. 



SOMMAIRES'. 



LIVRE V\ 

Exposition. — Origine de Carthage, chère à Janon. — Jalouse 
de la grandeur de Rome , la déesse anime contre cette ville la 
haine naissante d'Annibal. — Portrait d'Annibal. — Jeune en- 
core, il est amené par Amilcar, son père, dans le temple de Di- 
don, où la prétresse lui révèle ses triomphes futurs, et il jure sur 
les autels la guerre aux Romains. — Mort d* Amilcar. — Asdru- 
bal, son gendre, lui succède. — Portrait d'Asdrubal. — Mort 

I. Nous avions à choisir entre les sommaires. Us n^ont pas plus manqué à 
Siliiis qu*à Yirgile et à la plupart des autres poètes épiques. Les plus anciens 
sont ceux de Buschius (Hermannus Buschius Pasiphilus*), composés en vers 
suivant Tusage du temps, et de quatorze vers chacun. Ils parurent pour la pre- 
mière fois dans Tédition de Venise (ou Leîpsik) i5o4, avec cette naïve recom- 
mandation placée à la fin du volume : « Habes, candide lector, divinum opus 
Silii Italici de secundo bello Punico , noviter et emaculate impressum cura et 
impensb Baccalaurii Martini Herbipolensis, cum argumentis Hermanni Buschii 
in singulos libros : ex quibus tibi, quid in unoquoque volumîne continetur, 
statim apprehendere poteris. *> En i5i5, un éditeur brouillon et jaloux, Am- 
broise Nicandre, rejeta les Argumens de Buschius, et en composa de nouveaux , 
mais de deux vers chacun seulement, sous le titre de Catalepses. Ces argu- 
mens en vers n'ont été que bien tard reconnus insuffisans. Lefebvre de Yîlle- 
brune a conservé et traduit ceux de Buschius. Les derniers commentateivs 
allemands , Ernesti et Kuperti , ont mis de côté ces analyses incomplètes , et 
les ont remplacées par des sommaires en prose, beaucoup plus développés, et 
qui nous ont servi à faire les nôtres. 

* Hbrmah V4V DSR BuscHc , né à Dolmen en Westphalie , and d'Érasme. On dte de lui an 
trait plus corieux que les sommaires et les scholies dont il a enrichi Silius. Étant à Marporç , 
il passa ^ar une plate où personne ne le salua. Rentré chez Ini, il prend nn habit fort propre, 
et repasse par la même place, où tout le monde s'empresse alors de loi faire mille politesses, 
ce Quel aveuglement des hommes I s'écrià-t-il de retour au logis : c'est donc mon habit , ce n'est 
pas Basche qu'ils saluent! » Il en eut Unt de chagrin, qu'il se retira à Dolmen, où il monrat 
quelquv temps après. 



SOMMAIRE DU LIVRE II. 37 

d'Asdrubal. Il est tué par TesclaYe deTagus, petit souTerain d*une 
proYÎnce d'Espagne, qu'il avait fait mettre en croix. — Annibal , 
malgré son jeune âge, est salué général par l'armée entière, com- 
posée d'Espagnols et de Carthaginois. — Description de la Libye 
et de l'Espagne. — Caractère de leurs habitans. -r- Sûr de l'amour 
des soldats, dont il partage les travaux et les fatigues, Annibal saisit 
la première' occasion qui se présepte de se mettre en guerre avec 
Rome ^ et, au mépris de tous les traités, marche contre Sagonte, 
ville de l'Espagne Tarraconaise , et alliée des. Romains. — Ori- 
gine et description de Sagonte; son histoire. — Siège de Sagonte. 
— Les assiégés résistent quelque temps à l'aide de la falarique.— * 
Description de la fabrique. — L'ennemi parvient à faire une 
brèche , et pénètre dans la ville. — Murrus tente en vain de re- 
pousser les Carthaginois, dont il fait un immense carnage; il est 
tué par Annibal. — Annibal, vainqueur, s'arrête pour enlever la 
dépouille de Murrus; il est entouré par l'ennemi et blessé. — Ju- 
non l'arrache au danger; il se retire du combat, pour panser et 
guérir sa blessure. — Cet accident et l'approche de la nuit mettent 
fin au combat. — Les assiégés profitent de l'obscurité pour répa- 
rer leurs forces, et relever leurs murailles. — Un conseil s'assemble 
et décide qu'on enveixa des députés aux Romains. — Les députés 
s' embarquent , arrivent à Rome , se présentent au sénat. — Des- 
cription du Sénat roniain. — Discours de Sicorîs, député sa- 
gontin. Il implore les secours de Rome. — Le sénat délibère. 
Cn. Corn. Lentulus veut qu'on exige à l'instant de Carthage la 
personne d'Ânnibal, et que, sur son refus, on lui déclare la 
guerre. — - Q. Fabius Maximus Cunctator désapprouve ce parti 
violent, et propose d'envoyer d'abord à Carthage des députés 
pour savoir si Annibal a pris sur lui d'attaquer Sagonte , ou s'il 
y a été autorisé par le sénat carthaginois. — Les sénateurs , émus 
de douleur et d'indignation, rejettent ces prudentes mesures, et 
adoptent par acclamation la proposition de Lentulus. 



LIVRE IL 

Q. Fabius Maximus et L. Valerius Flaccus , députés du sénat 
romain , abordent au port de Sagonte. — Annibal refuse de les 



38 SOMaïAUŒ DU LIVRE II. 

entendre. — Ils se rembarquent et Tognent vers Cartiinge. — 
Discours d'Annibal, il excite ses troupes et recommence l'attaque. 

— Asbyté , fille d'Iarbas , roi des Gétnles , dirige contre la ville 
assiégée la phalange de femmes guerrières qu'elle commande. — 
Mopsus, archer crétois, arrête leur marche, s'élance au devant 
d'Asbyté, blesse à mort Harpe, une de ses compagnes; mais, dé- 
sespéré de voir ses deux fils , Dorilas et Icare , tomber sous les 
coups d* Asbyté , il se précipite du haut des murailles de la ville* 

— Théron , prêtre d'Hercule , se présente au combat , renverse 
Asbyté de son char, et lui coupe la tête, qu'il promène an haut 
d'une pique. — À la vue de ce douloureux trophée , Annibal s'a- 
vance pour venger le trépas de l'héroïne : les Sagontins fuient , 
Théron veut en vain les retenir, ils rentrent dans la ville; Anni- 
bal poursuit Théron resté seul hors des murailles, l'atteint, le tue 
et traîne trois fois son cadavre autour du bûcher d'Asb3rté. — Le 
sénat de Carthage s'assemble et délibère sur la réponse qu'il doit 
faire aux députés romains. — Discours de Hannon : il pense 
qu'Annibal doit être puni et Rome satisfaite. — Discours de Gestar ; 
il réfute le discours de Hannon ; il vante l'habileté et la bravoure 
d' Annibal ; il conseille et demande la guerre. — Hannon réplique 
et insiste pour qu'on livre Annibal. — Le sénat s'y refuse et re- 
jette sa proposition* — Fabius alors laisse retomber les plis de sa 
toge , déclare la guerre à Carthage et retourne à Rome avec la 
députation. — Pendant ce temps , Annibal , qui avait laisse Sa- 
gonte pour soumettre quelques peuplades ennemies, recommence 
le siège. — Les Espagnols lui font présent d'une armure magni- 
fique. — Description de cette armure, qui représente, ciselées avec 
art, les origines et les destinées de Carthage. — Misère et détresse 
des Sagontins; ne voyant point arriver la flotte qu'ils attendent, 
ils perdent tout espoir; pressés par la faim , ils sont réduits à vivre 
de Fécorce des arbres et du cuir de leurs boucliers. — Hercule a 
pitié de Sagonte, dont il est le fondateur. — Il va implorer en se- 
cret le secours de la déesse de la Foi, qui, touchée de ses prières, 
relève le courage des Sagontins, qui se décident à tout endurer 
plutôt que de se rendre. — > Mais la démarche de cette déesse n'a 
pu échapper à Junon, qui se trouvait près de la ville, et qui 
évoque aussitôt Tisiphone de& enfers. — Sous les traits de Tî- 
hume , veuve de Murrus , la Furie excite les Sagontins à s'entre- 



SOMMAIRE DU LIVRE IV. ^9 

détruire. — Rage et délire des assiégés. — Ils élèvent iin énorme 
bûcher, qu'ils chargent de leurs trésors et de leurs riche;sses, 
rallument, et s'y précipitent en s* égorgeant mutuellement. —^ An- 
nibal s'empare de la ville. — La Furie retourne aux enfers. 



UVRE in. 

AiTNiBAL envoie Bostar consulter l'oracle de Jupiter Ammon sur 
lu guerre qu'il va entreprendre contre Rome. — Il se rend lui- 
même à Gadès et offre des présens â Hercule. — Description des 
portes dp temple d'Hercule,- où sont représentés les travaux de 
ce dieu. — Description du flux et reflux de la mer. — Annibal 
renvoie en Afrique sa fçmnie Imilcé et son fils à la mamelle. — 
Songe d'Annibal. Mercure lui apparaît, lui reproche son repos et 
lui apprend qu'il est chargé par Jupiter de le conduire en Italie. 
— Annibal réunit ses troupes et se met en marche. — Dénombre- 
ment de son armée. — Annibal traverse les Pyrénées, le Rhône et 
la Durance. — Il combat et disperse les peuples des Gaules qui 
s'opposaient à sa marche, et arrive au pied des Alpes. — Passage 
des Alpes. — Vénus, voyant les progrès d'Annibal, se plaint à son 
père. — Jupiter la rassure , et lui prédit la grandeur future de 
Rome , et l'empire glorieux des Flaviens. — Éloge des empereurs 
Vespasien, Titus, et Domitien. — Annibal, descendu des Alpes, 
s'avance en Italie, et campe au pays des Taurins. — Bostar, re- 
venu d'Afrique , lui rapporte la réponse favorable de l'oracle. — 
Description du temple de Jupiter Ammon.. 



LIVRE IV. 

Rome apprend avec effroi la marche d'Annibal L'alarme se 

répand dans la ville et dans les campagnes. — Le sénat rassure 
les citoyens et les prépare à la guerre. — Annibal séduit par des 
prcsens les peuples gaulois riverains du Pô, et lève son camp. — ■ 
Le consul P. Com. Scipion , revenu en toute hâte de Marseille , 
s'avance contre lui. — Ils arrivent tous deux en même temps au 
bord du Tésiii. — Discours de Scipion à ses troupes. — Un éper-. 



4o SOMMAIRE DU LIVRE V. 

vier parait dans les airs , poursuivant des colombes* Un aigle sur- 
vient qui les délivre et fait fuir Tépervier. — Les deux armées expli- 
quent cet augure à leur avantage, et en tirent un présage favorable. 
— L'aruspice carthaginois fiogus lance son javelot à l'ennemi. — Le 
combat s'engage. — Les Boïens, sous la conduite de Cryxus, char- 
gent les premiers. — Scipion les< repousse et tue Cryxus^qui l'avait 
provoque à un combat singulier. — Magon dirige contre Scipion 
la cavalerie numide et carthaginoise. — Annibal lui-même se 
jette dans la mêlée. — Combat de trois Romains contre trois Car- 
thaginois. — Les Romains plient : Scipion les arrête et se précipite 
au milieu des ennemis. — Danger de Scipion : il est sauvé par son 
jeune fils. — Scipion profite de la nuit, s'éloigne avec son armée 
et gagne la Trébie, où le consul T. Sempronius Longus le rejoint. 

— Annibal passe le Pô, et vient camper devant eux. — Il les har- 
cèle , et finit par décider Sempronius à lui livrer bataille. — Ba- 
taille de la Trébie. Défaite des Romains , vainement secourus par 
Scipion, qui, malgré sa blessure, immole une multitude d'ennemis 
et encombre le fleuve de leurs cadavres. — La Trébie, indignée, 
se déborde et veut engloutir le consul. — Vulcain , sur la prière 
de Vénus, tire Scipion du danger, répand sur le fleuve la flamme 
et l'incendie, et arrête ainsi les progrès de l'inondation. — C. Fla- 
minius est crée consul à Rome. — Junon, sous les traits du lac 
Trasymcne, apparaît à Annibal et l'engage à poursuivre sa marche. 

— Passage de l'Apennin. — Annibal perd un œil, arrive en Étrurie 
et campe près du lac Trasymène. — Cependant , à Carthage , le 
fils d'Annibal est condamné par le sort à être immolé à Saturne. 

— Imilcé supplie le sénat de retarder le supplice et l'engage à 
consulter avant tout Annibal. — Le sénat charge Annibal du soin 
de satisfaire le sort. — Annibal accueille avec bonté les députés du 
sénat ^ refuse de sacrifier son fils et promet d'inunoler k sa place 
aux dieux de sa patrie des milliers d'ennemis. — Il divise son ar- 
mée en quatre corps et se dispose au combat. 



LIVRE V. 



Annibal place des embuscades sur les montagne^ et dans les 
bois voisins du lac. — Flaminius, au point du jour, s'engage, sans 



SOMMAIRE DU LIVRE V. 41 

ordre et sans défiance , dans les défilés. — Il méprise les augures 
et les avis contraires, et présente le combat. — Discours de Fla- 
minius à ses troupes. — Annibal , voyant l'ennemi enfermé par le 
lac et les montagnes, donne le signal. — Les Carthaginois s'élan- 
cent de toutes parts et investissent l'armée romaine. — Bataille du 
lac Trasymène* — Mort de Nérius, de Yolunx , d'Appius , massacré 
par Magon , dont il avait tué le gendre , et qu'il blesse avant de 
mourir. - — Annibal enlève du combat Magon blessé , et le ramène 
au camp y où il le confie aux soins du médecin Synbalus. — Le 
consul 9 en leur absence, fait un grand carnage : Bogus, Pagasus, 
Othrys, etcu, tombent sous ses coups dans ]a plaine. — Pendant 
ce temps Sycbée, sur la montagne, poursuit une cohorte sicilienne, 
qui se réfugie au haut de deux grands arbres. Sychée en abat un 
qui écrase en tombant les soldats caches dans ses branches; il met 
le feu à l'autre, et brûle ainsi dans les flammes le reste de cette 
cohorte. — Mort de Sychée, tué par le consul. — Annibal et Ma- 
gon guéri reviennent au combat et recommencent le carnage. — 
Les soldats rapportent au camp le cadavre de Sychée. — Annibal , 
à cette vue, jure de venger le héros, et provoque Flaminius à un 
combat singulier. — Le consul accepte. — Un tremblement de 
terre les sépare. — Déroute des Romains. — Le consul les rap- 
pelle au combat : il est reconnu et tué par un Boîen , Ducarius. 
— Les jeunes chefs de l'armée romaine , n'ayant pas le courage de 
survivre à ce désastre, se donnent la mort, et tombent sur le ca- 
davre du consul qu'ils couvrent de leurs corps. — Après le com- 
bat, Annibal, vainqueur, parcourt avec Magon, son firère , le 
champ de bataille, admire long- temps les blessures honorables 
et le trépas héroïque des soldats romains , et rentre au camp à 
l'approche de la nuif. 



„ — tmmm m tm iii mu i 



C SILn ITAUCI 



PUNICORUM 



LIBER PRIMUS. 



V^RBiOA arma , quibus cœlo se gloria tollit 
/Kaeadum, patitiirque ferox Œnotria jura 
Carthago. Da, Musa, decus memorare laborum 
AiUiquae Hesperiae, quantosque ad bella crearit, 
Kt quot Roma viros , sacri quum perfida pacti 
Gens Cadmea super regno certamina movit ; 
Qua^situmque dîu , qua tandem poneret arce 
Terrarum Fortuna caput. Ter Marie sinistro 
Juratumque Jovi fœdus couventaque patrum 
Sidonii fregere duces; atque inpius ensis 
Ter placilam suasit temerando rumpere pacem. 
Sed medio finem bello excidiumqiie vicissim 
Molitœ gentes ; propiusque fuere pericio , 
Quîs superare datum. Reseravit Dardanus arces 
Ductor Agenoreas : obsessa Palatia vallo 
Pœnoruni, ac mûris défendit Roma salutem. 



s. 



»nMMnniutitM»H0m/t/vvyÊHt90¥UV*nttn/*m0ytiv*mm/¥VV¥¥ytiV9HH0V9MtnnMytt*nMV*itMtMn»miw¥»^^ 



C. SILIUS ITAIilCUS. 



LES PUNIQUES 



LIVRE PREMIER. 



Je chante ia guerre qui porta au ciel la gloire des 
enfans d'Énée, et soumit Taltière Carthage aux lois de 
l'ÉnoIrie. Muse, aide-moi à rappeler les labeurs glorieux 
de l'antique Hespérie, cl le nombre et le génie des hé- 
ros que Rome enfanta pour la guerre, alors qu'infidèle 
aux pactes sacrés, la race de Cadmus leva les armes 
pour lui disputer l'empire, et que long-temps la Fortune 
chercha sur quels remparts asseoir enfin la souveraineté 
du monde* Trois fois, malgré Mars contraire, les chefs 
sidoniens trahirent ralliance jurée devant Jupiter, et les 
traités des ancêtres; trois fois le glaive impie les en- 
traîna follement à rompre la paix convenue. Mais, dans 
la seconde de ces trois guerres surtout, chaque nation 
lutta d'eflforts pour la perte et la ruine de l'autre, et 
celle-là fut plus près de sa chute, à qui le sort donna, 
la victoire. Le chef dardanien força les remparts d'x^gé- 
nor : les Carthaginois campèrent au pied du Palatin , et 
Rome assiégée ne dut son salut qu'à la défense de ses 
murailles. 



44 PUNICORUM LIB. I. (v. 17.) 

Tasttarum causas iraniin odiumque perenni 
Servatum studio , et mandata nepotibus arma 
Fas aperire mihi , superasque recludere mentes. 
Jamque adeo magnî repetam primordia motus. 

_ » 

Ptgmalioneis quondam per caerula terris 
Pollutum fugieus fraterno crimine regnum 
Fatali Dido Libyes adpellitur orae : 
Tum pretio mercata locos, nova mœnia ponit, 
Cingere qua secto permissum litora tauro. 
Hic Juno, ante Argos (sic credidit alta vetustas), 
Ante Aganiemnoniam , gratissima tecta , Mycenen j 
Optavit profugis aeternam condere genteni. 
Verum ubi magnaniniis Bomam caput urbibus alte 
Exserere y ac missas etiam trans aequora classes 
Totum signa videt victricia ferre per orbem, 
Jam propius metuens^ bellandi corda furore 
Phœnicum exstimulat. Sed enim conamine primae 
Contuso puguae, fractisque in gurgite cœptis 
Sicanio Libycis , iterum instaurata capessens 
Arma remolitur. Dux agmina subficit unus 
Turbanti terras pontumque movere paranti. 
Jamque Deae cunctas sibi belliger induit iras 
Hannibal : hune audet solum componere fatis. 
Sanguinep tum laeta viro, atque in régna Latini 
Turbine mox saevo venientum haud inscia cladum j 
«Intulerit Latio^ spreta me, Troius, inquit, 



LES PUNIQUES, LIV. I. 45 

C'est à moi de dévoiler l'origine de ces longs ressen- 
timens, de cette haine vivace, pieusement gardée et 
transmise des pères aux fils avec les armes; à moi de ré- 
véler les mystères d'en haut. Je remonterai donc à la 
source de ces grandes querelles. 

Fuyant jadis y à travers les mers, les états de Pygma- 
lion et son royaume souillé par le crime d'un frère , 
Didon, guidée par les destins , aborde aux rives de Libye. 
Là j elle achète des terres ; elle entoure de murailles 
neuves tout l'espace que peut embrasser sur les rivages 
le cuir découpé d'un taureau. C'est dans ce lieu, plus 
cher à Junon que son Argos ^ plus même (ainsi le crut 
la haute antiquité) que le séjour bien-aimé de Mycène 
l'Agamemnonienne, c'est dans ce lieu que la déesse voulut 
fonder pour toujours une patrie à ces exilés. Mais quand 
elle vit Rome dresser hautement sa tête au dessus des 
puissantes cités, et ses flottes franchir les mers et porter 
par le monde entier ses aigles victorieu$es, elle trembla 
d'un péril si proche, elle éveilla dans l'âme des Phéni- 
ciens la passion des armes. Ils succombent dans l'épreuve 
d'une première bataille, les efforts de la flotte libyenne 
échouent dans les mers de Sicile; mais Junon reprend 
l'œuvre de guerre, et recommence la lutte. Un chef, un 
seul, lui vaut des armées pour remuer l'océan et bou- 
leverser le monde. 

Déjà le belliqueux Annibal s'est inspiré de toutes les 
fureurs de la déesse, et c'est lui seul qu'elle ose opposer 
aux destins. Ce héros sanguinaire fait sa joie, car elle 
n'ignore pas les désastres qui s'en vont fondre avec la 
violence de la tempête sur le royaume de Latinus. «Oui, 
en dépit de moi, dit-elle, un Troyen fugitif aura porté 



46 PUNICORUM LIB. I. (v. 43) 

Exsul Dardaniam , et bis ntimina capta Pénates , 
Sceptraque fundarit victor Lavinîa Teucris ; 
Dum Romana tuae , Ticine , cadavera ripae 
Non capiant, siniilisque mihi per Celtica rura 
Sanguine Pergameo Trebia et stipantibus armis 
Corporibusque virum rétro fluat , ac sua largo 
Stagna reformidet Trasymenus turbida tabo ; 
Dum Cannas tumulum Hesperiae, campumque cruore 
Ausonio inersum sublimis lapyga cernam , 
Teque vadi dubium coeuntibus , Aufide , ripis 
Per clipeos, galeasque virum, caesosque per artus 
Vix iter Hadriaci rumpentem ad litora ponti. » 
Haec ait, ac juvenem facta ad Mavortia flammat. 
Ingenio motus avidus fideique sinister 
Is fuit : exsuperans astu; sed devius aequi. 
Armato nullus Divumpudor; inproba virtus, 
£t pacis despectus honos; penitusque medullis 
Sanguinis huinani flagrat sitis : his super, aevi 
Flore virens, avet agates abolere, parentum 
Dedecus , ac Siculo demergere fœdera ponto. 
Dat mentem Juno, ac laudum spe corda fatigat. 
Jamqoe aut nocturno pénétrât Capitolia visu , 
Aut rapidis fertur per summas passibus Alpes. 
Saepe etiam famuli turbato ad limina somno 
Expavere trucem per vasta silentia vocem , 
Ac largo sudore virum invenere fîituras 



LES PUNIQUES, LIV. I. 47 

au sein du' I^tium sa Dardanie et ses pénates, ses dieux 
deux fois esclaves; il aura vaincu et fondé à ses Teucriens 
un empire dans Lavihium : mais tes rives, ô Tésin, ne 
pourront contenir tous les cadavres des Romains; mais 
la Trébie aussi, dans les plaines celtiques, grossie par 
moi de sang troyen , et d'armes et de corps entassés , 
reculera vers sa source; mais le Trasymène, avec effroi, 
verra ses eaux troublées au loin des souillures du cai'- 
nage; mais Cannes sera le tombeau de rHespérie,et, du 
haut du ciel, je contemplerai les campagnes iapygiennes 
ruisselantes de sang ausonien, et ton cours égaré. Au* 
fide, et tes rives confondues, et tes efforts, au travers 
des boucliers, des casques, des membres déchirés, pour 
te frayer une voie jusqu'aux bords de l'Adriatique, w 
Elle dit , et embrase ce jeune cœur de l'amour des ba- 
tailles. , . 

C'était un génie avide de mouvement; d'une foi dou- 
teuse : génie supérieur pour la ruse , mais déviant de 
l'équité. Sous les armes, nul respect des dieux, un cou- 
rage indomptable, et le mépris de la paix, même glo* 
rieuse : la soif du sang le brûlait au fond des en- 
trailles. Dans la sève et la fleur de son jeune âge, il 
aspire à réparer l'échec des Égates , l'affront de sa 
famille , a noyer les traités dans la mer de Sicile. 
Junon l'anime , et le tourmente de l'ambition de la 
gloire. Et déjà, dans ses visions nocturnes, il pénètre 
au Capitole , ou franchit d'un pas rapide les som- 
mets des Alpes. Souvent , au seuil de sa porte , ses 
gardes, troublés dans leur sommeil, s'éveillèrent épou- 
vantés des éclats de sa voix dans la solitude et le si- 
lence, et le trouvèrent, inondé de sueur, soutenant en 



'*. 



48 PUNICORUM LIB. I. (▼. 69.) 

Miscentem pugnas, et inania bella gerentem. 

Hang rabiem ia fines Italum Saturniaque arva 
Addiderat quondam puero patrius furor : ortus 
Sarrana prisci Barcae de gente , vetustos 
A Belo numerabat avos : namque orba marito 
Quum fugeret Dido famalam Tyron , inpia diri 
Belides juvenis vitaverat arma tyranni , 
Et se participem casus sociarat in omnes. 
Nobilis hoc ortu, et dextra spectatus Hamilcar, 
Ut fari primamque datum distinguere lingua 
Hannibali vocem, sollers nutrire furores^ 
Romanum sévit puerili in pectore bellum. 
Urbe fuit média sacrum genetricis Ëlissae 
ManibuSy et patria Tyriis formidine cultum, 
Quod taxi circum et piceae squalentibus umbris 
Abdiderant, cœlique arcebant lumine, templum. 
Hoc sese y ut perhibent , curis mortalibus olim 
Exuerat Regina loco. Stant marmore mœsto 
Effigies j Belusque parens , omnisque nepotum 
A Belo séries : stat gloria gentis Âgenôr, 
Et qui longa dédit terris cognomina Phœnix. 
Ipsa sedet tandem aeternum conjuncta Sychaeo ; 
Ante pedes ensis Phrygius jacet : ordine centum 
Stant arae cœlique Deis Ereboque potenti. 
Hic 9 crine efTuso, atque Hennaeœ numina divae, 
Atque Acheronta vocat Stygia cqm veste sacerdos. 



s 



LES PUNIQUES , LIV. I. /,9 

héros les guerres à venir, et livraot des batailles ima- 
ginaires. 

Cette rage acharnée contre l'Italie et l'empire de Sa- 
turne , il l'avait puisée , enfant encore, dans la haine 
paternelle. Issu de la race sarranienne du vieux Barca, 
il comptait depuis Bélus d'antiques aïeux. Quand Didon, 
veuve de Sychée, fuyait Tyr asservie, un jeune prince 
du sang de Bélus s'était soustrait au glaive impie du 
tyran cruel, et, associé à la fortune de la reine, avait 
partagé tous les hasards avec elle. Sorti de cette noble 
origine, et célèbre par ses exploits, Amilcar entendit à 
peine les premiers mots d'unJaagage distinct s'échapper 
des lèvres d'Annibal, que, semant la haine au cœur de 
l'enfant, il y fit germer habilement le désir de com- 
battre Rome. 

Au milieu de la ville, consacré trux mânes d'Elissa 
mère de Carthage, et révéré des Tyriens avec une ter- 
reur religieuse et héréditaire, un temple s'élevait envi- 
ronné d'ifs et de sapins qui le couvraient de leur ombre 
lugubre et repoussaient la lumière du ciel. C'était là, 
disait-on, que la reine autrefois s'était délivrée de ses 
douleurs mortelles. Là sont rangées de sombres statues 
de marbre : Bélus , père des Tyriens , et toute la suite 
des descendans de Bélus; là siège Agénor, la gloire de 
sa nation , et Phénix qui donna long-temps son nom à 
son pays. Là siège Didon ellomême, pour toujours enfin 
réunie à Sychée; à ses pieds gît un glaive phrygien. Cent 
autels sont dressés aux dieux du ciel et aux puissances 
de l'Érèbe. C'est là que, les cheveux épars, une prê- 
tresse, en tunique stygienne, évoque la déesse d'Henna 
et l'Achéron. La terre mugit , d'horribles sifQemens 
percent les ténèbres, des feux qu'on n'a point allumés 

I. 4 



5o PUNICORUM LIB. I. (v. 9^ ) 

Immugit tellus, rumpitque harrenda per umbras 
Sibila ; inadcensi flagrant altaribus ignés. 
Tum tnagico volitant cantu per inania mânes 
Ëxciti , vultusque in marmore sudat Elissœ» 
Hannibal haec patrio jussu ad penetralia fertur, 
Ingressique habitus atque ora explorât Hamilcar. 
Non ille evantis Massylse paliult iras , 
Non diros templi ritus , adspersaque tabo 
Limina^ et audito surgentes carminé flammas. 
Olli permulcens genitor caput j oscula libat , 
AdtoUitque animos hortaado j et talibus inplet : 
« Gens récidiva Phrygum CadmeaE* stirpis alumnos 
Fœderibus non œqiia premit : si fata negarint 
Dedecus id patriœ nostra depellere dextra , 
Haec tua sit la us ^ nate , velis ! âge , concipe l^ella 
Latura exitium Laurentibus ! horreat ortiis 
Jam pubes Tyrrbena tuos ; partusque récusent , 
Te surgente , puer, Latiae producere matres. » 
His acuit stimulisy subicitque haud mollla dictu : 
ce Romanos terra atque undis , ubi competet «tas , 
Ferro ignique sequar, Rhœteaque fata revolvam. 
Non Sùperi mihi , non Martem cohibentia pacta , 
Non ceisse obstiterint Alpes, Tarpeiaque saxa. 
Hanc ment^m juro nostri per numina Martis ; 
Per mânes, Begiua, tuos. » Tum nigra triformi 
Hostia mactatur Divae, raptimque recludit 



LES PUNIQUES, LIV. I. 5i 

s'euflamment sur les autels. Attirés par le chant ma- 
gique, les mânes voltigent dans l'espace, et des traits de 
marbre d'Élissa découle la sueur. A la voix de son père, 
Annibal marche vers ce sanctuaire; il y entre : Amitcar 
observe ses traits et son maintien. Il n'a point pâli de- 
vant les fureurs de la Massylienne en délire, devant les 
rites cruels du temple, devant ses parvis arrosés d'un 
sang noir, devant ces flammes qui surgissent au bruit 
des paroles sacrées. Le père , lui caressant le front , lui 
donne un doux baiser; puis l'encourage, exalte son au- 
dace et le remplit de ses projets : 



« La race des Phrygiens s'est ranimée ; elle asser- 
vit sous d'injustes traités les enfans de Cadmus : s'il 
est dans les décrets du sort que notre main ne puisse 
délivrer la patrie de cet opprobre, à toi du moins en 
soit la gloire,, ô mon fils! accepte-la! Tu vas vouer ici 
guerre et extermination aux Laurentins ! Que la jeu- 
nesse tyrrhénienne maudisse ta naissance , et qu'en te 
voyant grandir, enfant, les mères du Latium tremblent 
d'être fécondes! » 

Il le pique ainsi de l'aiguillon, et lui dicte ces dures 
paroles :^ « Je poursuivrai les Romains sur la terre et 
les mers, par le fer et la flamme, aussitôt que l'âge me 
sera venu ; je recommencerai les désastres de Troie. 
Rien ne m'arrêtera, ni les dieux, ni les pactes qui dé- 
fendent la guerre, ni les cimes des Alpes, ni les roches 
Tarpéiennes. Et ce serment, je jure de l'accomplir, par 
la divinité de notre Mars , par tes mânes , 6 reine ! » 
Alors on immole une victime noire à la triple déesse ; 
la prêtresse ouvre à la hâte le cadavre palpitant, in- 

4. 



5a PUNICORUM LIB. I. (v. 12 1.) 

Spirantes artus poscens responsa sacerdos, 
Ac fugientein animam properalis consulit extis. 
AsT ubi quaesitas artis de more vetustae 
Intravit mentes Superum , sic deinde profatur : 
c( ^tolos late consterni milite campos , 
Idaeoque lacus flagrantes sanguine cerno. 
Quanta procul moles scopulis ad sidéra tendit ^ 
Cujus in aerio pendent tua vertice castra! 
Jamque jugis agmen rapitur ;trepidantia fumant 
Mœnia, et Hesperio tellus porrecta sub axe 
Sidoniis lucet flammis : fluit ecce cruentus 
Eridanus : jacet ore truci super arma virosque y 
Tertia qui tulerat sublimis opima Tonanti. 
Heu ! quaenam subitis horrescit turbida nimbis 
Tempestas, ruptoque polo micat igneus œtlier? 
Magna parant Superi : tonat alti regia cœli ; 
Bellantemque Jovem cerno.» Venientia fata 
Scire ultra veluit Juno , fibraeque repente 
Conticuere : latent casus longique labores. 
Sic clausum linquens arcano pectore bellum , 
Atque hominum fînem Gades Calpenque secutus , 
Dum fert Herculeis Garamantica signa columnis , 
Occubuit saevo Tyrius certamine ductor. 
Interea rerum Hasdrubali traduntur habenae j 
Occidui qui solis opes , et vulgus Hiberum , 
Baeticolasque viros furiis agitabat iniquis. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 55 

terroge avidemeut les entrailles et demande une réponse 
à Tâme qui s'envole. 

Après avoir ainni consulte les dieux suivant les rites 
antiques , elle pénètre enfin leurs mystères et s'écrie : 
<( Je vois les vastes plaines d'Étolie couvertes de soldats 
expirés 9 je vois des lacs tièdes de sang idéen. Quelle 
masse de rochers s'élève au loin jusqu'aux nues, et qu'ils 
sont hauts les sommets d'où penche ton camp suspendu 
dans les airs! Mais l'armée se précipite des montagnes; 
les murailles fument ébranlées , et la terre qui se pro- 
longe sous le ciel d'Hespérie s'éclaire des feux sidoniens 
qui l'embrasent. Yoici l'Eridan qui roule ensanglanté. Sur 
des monceaux d'armes et de guerriers tombe , menaçant 
encore, celui qui trois fois porta fièrement d'opimes dé- 
pouilles au dieu du tonnerre. Hélas! quelles soudaines 
ténèbres ! une horrible tempête éclate , le pôle s'en- 
tr'ouvre, l'éther brille enflammé. De grandes choses en 
haut se préparent : les profondeurs des palais du ciel 
tonnent, et je vois Jupiter en armes! » Junon lui dé- 
fendit de pénétrer plus avant dans la science de l'ave- 
nir : aussitôt les fibres se taisent : elle ignore les longs 
travaux et les revers. Alors, laissant sou fils avec ces 
pensées de guerre au fond de l'âme, le général tyrien 
gagne les confins du monde, Gadès et Calpé, porte les 
enseignes garamantiques jusqu'aux Colonnes d'Hercule,. 
et meurt cruellement emporté dans une bataille. 



Cependant les rênes du pouvoir passent aux mains 
d' A sdrubal, maître alors dés opulentes contrées de l'Oc- 
cident, violent et injuste oppresseur du peuple ibère 



54 PlTNICORUM LIB. I. (v. u: ) 

Tristîa corda ducis , simul iomedicabilis ira , . 
Et fructus regui feritas erat : asper amore 
Sanguînis , et metui démens credebat honorem ; 
Nec nota docilis pœna satiare furores. 
Ore excellentem et spectatum fortibus ausis 
Antiqiia de stirpe Tagum , Supenitnque hominumquc 
Inmemory erecto subfixum robore mœstis 
Ostentabat ovans populis sine funere regem. 
Auriferi Tagus adscito cognomine fontis 
Perque antra et ripas Nymphis ululatus Hiberîs. 
Maeonium non ille vadutn j non Lydia mallet 
Stagna sibi , nec qui riguo perfunditur auro 
Campum, atque inlatis I^ermi (lavescit arenis. 
Primus inire manu, postremus ponere Martem. 
Quum rapidum efTusis ageret sublimis hàbenis 
Quadrupedeiri , non ense virum , non eminus hasta 
Sistere erat : volitabat ovans , aciesque per ambas 
Jam Tagus auratis adgnoscebatur in armis. 
Quem postquam diro suspensum robore vidit 
Déformera leti famulus , clam.conripit ensem 
Dilectum domino , pernixque iurumpit in aulam , 
Atque inmite ferit geminato vulnere pectus. 
At Pœni succensi ira ^ turbataque luctu 
Et saevis gens lœta, ruunt tormentaque portant. 
Non ignés candensque chalybs , non verbera passim 
Ictibus innumeris lacerum scindentia corpus j 



LES PUNIQUES, LIV. I. j^ 

et de l'habitant des campagnes bétiques. C'était un génie 
sombre, implacable en sa haine, et féroce par droit de 
puissance : dans son brutal amour du sang, il croyait, 
l'insensé, s'honorer par la terreur, et rarement un sup- 
plice connu put assouvir sa rage. Un prince d'une an- 
tique origine, Tagus, était célèbre et par sa haute élo- 
quence et par ses hardis faits d'armes. Au mépris des 
dieux et des hommes, Asdrubal l'attache au faîte d'une 
croix , et montre en spectacle aux peuples affligés leur 
roi sans sépulture. Tagus avait pris le nom d'un fleuv« 
qui roule des flots d*or, et, par les antres et les rivages, 
les nymphes d'Ibérie le pleurèrent. A son fleuve, il n'eût 
préféré ni la source Méonienne, ni les lacs de Lydie, ni 
ces plaines que l'Hermus arrose de ses ondes dorées et 
qu'il jaunit de sa blonde arène. Il était le premier au 
combat , le dernier à poser les armes. S'il poussait en 
avant son coursier rapide et lui lâchait les rênes, ni 
répée ni la lance n'arrêtait son élan sublime : il volait 
superbe, et les deux armées reconnaissaient Tagus res^ 
plendissant au loin sous l'or de son armure. A la vue 
de son cadavre suspendu à l'arbre funeste et défiguré 
par la mort , un de ses gardes saisit secrètement l'épée 
chérie de son maître, marche au palais, s'élance sur le 
tyran et le frappe au cœur d'une double blessure. Les 
Carthaginois frémissent de rage : aveuglés par la dou- 
leur, et cruels à plaisir, ils se jettent sur l'esclave et 
commencent les tortures. Long-temps il endura le feu, 
et l'acier brûlant , et les lanières dont les coups redou- 
blés lui déchiraient le corps en lambeaux , et les mains 
acharnées qui lui versaient un plomb dévorant dans les 
veines, et les flammes attachées à ses plaies vives : chose 
horrible à voir et à dire, leur ingénieuse cruauté sut lui 



56 PIJNICORUM LIB. I. (v. 173.) 

Carnificesve nianus , penitusve infusa meduUis 
Pestis, et in medio lucentes vulaere flammae 
Cessavere : ferutn visu dictuque , per artem 
Saevitiae extenti , quantum tormenta jubebant , 
Creverunt artus, atque, omni sanguine rapto, 
Ossa liquefactis fumarunt fervida membris. 
Mens iutacta manet; superat, ridetque dolores, 
Spectanti similis, fessosque labore ministros 
Increpitat, dominique crucem clamore reposcit. 
Kmc inter spretae niiseranda piacula pœnae, 
Ërepto trepidus ductore exercitus, una 
Hannibâlem voce atque alacri certamine poscit. 
Hinç studia adcendit patriae virtutis imago, 
Hinc fama in populos jurati didita belli, 
Hinc virides ausis anni fervorque decorus j 
Atque armata dolis mens et vis insita fandi. 

Primi ductorcm Ijbyes clamore salutant; 
Mox et Pyrenes populi , et bellator Hiberus : 
Continuoque.ferox orilur fiducia menti, 
Cessisse imperio tantum tcrraeque marisque. 
^oliis candens austris et lampade Phœbi 
^stifero Libye torquetur subdita Cancro, 
Aut ingens Asiœ latus, aut pars tertia terris. 
Terminus huic roseos amnis Lageus ad ortus 
Septeno inpellens tumefactum gurgite pontum : 
At qua di versas clementior adspicil Aretos, 



LES PUNIQUES, LIV. I. 57 

tendre les membres et les grandir encore au gré des 
bourreaux; et puis enfin tout son sang se tarit , et de ses 
membres calcinés ses os fumèrent embrasés. Son âme 
demeure inébranlable; il surmonte et brave en riant les 
douleurs ; il semble un témoin de la scène , qui gour- 
mande le zèle fatigué de ses pei*sécuteurs ; il réclame à 
grands cris le gibet de son maître. 



Cependant, au milieu de ces déplorables rigueurs 
d'un supplice méprisé, l'armée s'alarme de la perte 
de son chef : d'une voix unanime , et par un con- 
cours empressé, on demande Annibal. Tout le désigne 
à leur amour : et le vivant souvenir de son valeureux 
père, et le bruit semé chez les peuples de la guerre 
qu'il a jurée, et sa verle et entreprenante jeunesse, et 
son ardente ambition de gloire, et son génie dont l'arme 
est la ruse, et la verve de sa parole. 

Les Libyens, les premiers, à grands cris le saluent 
pour chef, et bientôt aussi les peuples des Pyrénées 
et le belliqueux Ibère : soudain une orgueilleuse con- 
fiance s'élève en son âme à voir une aussi vaste éten- 
due de terre et de mer soumise à son empire. Des- 
séchée par les vents éoliens et les feux du soleil , la 
Libye tourne sous le signe brûlant du Cancer , et 
forme, ou une immense portion de l'Asie, ou la troi- 
sième partie du monde. Elle est bornée vers les roses 
contrées de l'Orient par le fleuve lagéen, qui refoule 
et grossit l'océan des torrens de ses sept embouchures. 
Mais dans la région plus tempérée d'où elle regarde les 



} 



58 PUNICORL'M UB. I. (v. igçO 

Herculeo dirimente freto, diducta propinquîs 
Ëui^opes videt arva jugis : ultra obsidet aequor; 
Nec patitur noinen proferri longius Atlas , 
Atlas subducto tracturus vertice cœlum. 
Sîdera nubiferum fulcit caput, aethereasque 
Erigit aeteriKim com pages ardua cervix : 
Canet barba gelu, frontemque inmaaibus umbris 
Pinea silva premit; vastant cava tempora veoti, 
Nimbosoque ruunt spumaatia flumina rictu. 
Tum getninae iaterum cautes maria alta fatigant; 
Atque ubi fessus equos Titan infnersit anhelos , 
Flammiferuin condunt fiimanti gurgite currum. 
Sed qua se campis squalentibus A(î*ica tendit, ^ 

Serpentum largo coquitur fecunda veneno. 
Félix qua pingues tnitis plaga ten^perat agros , 
Nec Cerere Henoaea, Phario ilec victa colono. 
Hic passim exsultant Nomades , gens inscia freni ; 
Quis inler geminas per ludum mobilià aures 
Quadrupedem flectit non cedens virga lupatis. 
Altrix bellorum beilatorumque vtrorum 
Tell us 9 nec fîdens uudo sine fraudibus ensi. 

Alt£AA complebant Hispanae castra cohortes , 
Auxilia Europa genitoris parta tropaeis. 
Martius hinc sonipes campos liinnitibus inplet, 
Hiuc juga cornipedes erecti bellica raptant : 
Non Eleus eat campo ferventior axis. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 5g 

deux Ourses, elle est coupée par le détroit d'Hercule, 
et elle découvre près d'elle les plaines d'Europe , voi- 
sines, mais détachées de ses montagnes. Partout ailleurs 
l'océan l'enferme, et l'Atlas ne lui permet pas d'étendre 
plus loin son nom ; l'Atlas qui ferait crouler le ciel s'il 
retirait sa tête. Car sa tête , chargée de nuages , sou- 
tient les astres, et ses épaules tendues se raidissent éter- 
nellement sous le poids des voûtes éthérées. Sa barbe 
blanchit sous les glaçons; une forêt de pins lui presse 
le front de ses effroyables ombres; les vents creusent 
et ravagent ses tempes, et de sa bouche orageuse rou- 
lent des fleuves écumans Les roches de son double flanc 
fatiguent les mers profondes, et quand Titan lassé a 
plongé dans l'onde ses coursier^ haletans , leurs gouffres 
se referment en fumant sur le char enflammé. Au-delà, 
l'Afrique prolonge ses plaines hideuses, au sol aride et 
brûlé du poison des mille serpens qu'elle enfante. Ailleurs 
s'ouvre une plage heureuse qu'un ciel clément féconde , 
et dont les grasses campagnes ne le cèdent ni aux prai- 
ries d'Henna, chères à Cérès, ni aux champs de Pharos. 
Là bondit le Numide errant, sur un coursier libre du 
frein mais docile à la verge mobile qui se joue entre 
ses oreilles et le dirige, non moins sûre que le mors. 
C'est la patrie de la guerre et des hommes de guerre ,. 
mais de ceux qui n'ont pas foi dans l'épée nue et sans 
artifice. 

Un corps auxiliaire complétait son armée, les cohortes 
espagnoles , ralliées à sou père eu Europe par la vic- 
toire. Leurs chevaux belliqueux font retentir la plaine 
de leurs hennissemens , leurs coursiers superbes em- 
portent les chariots de guerre : moins agile est l'axe 
brûlant qui effleure les sables d'Elide. Prodigue de ses 



6o PUNICORUM LIB. I. (v. aaS.) 

Prodiga gens animae, et properare faciliima mortem. 

Namque ubi transcendit florentes viribus annos , 

Inpatiens aevi spernit uovisse senectam , 

£t fati modus ia dextra est. Hic omue metallum : 

Electri gemino patient de semine venœ, 

Atque atros chalybis fétus humus horrida nutrit. 

Sed scelerum causas operit Deus. Astur avarus 

Visceribus lacerœ telluris mergitur irais, 

Et redit infelix effosso concolor auro. 

Hinc certant, Pactole, tibi Duriusque^ Tagusque, 

Quique super Gravios lucentes volvit arenas, 

Infernae populis referens oblivia Lethes. 

Nec Cereri terra indocilis, nec inhospita Baccho, 

Nullaque Palladia sese màgis arbore tollit. 

H^ postquam Tyrio gentes cessere tyranno, 

Utque dati reruni freni, nunc arte'paterna 

Conciliare viros; armis consulta Senatus 

Yertere , uunc donis : prinius suoisisse laborem , 

Primus iter carpsisse pedes; partemque subire, 

Si valu festinet opus : nec cetera ségnis , 

Quaecumque ad laudem stimulant : somnumque negabat 

Naturae, noctemque vigil ducebat in armis : 

Interdum projectus humi , turbaeque Libyssœ 

Insignis sagulo duris certare maniplis: 

Celsus et in magno praecedens agmine ductor 

Imperium perferre suum : tum vertice nudo 



LES PUNIQUES, LIV. I. 6i 

jours, ce peuple hâte facilement Theure de sa mort. A. 
peine il a vu disparaître la fleur et la vigueur de 
son jeune âge^ las du fardeau de la vie, il renonce à 
vieillir, et de son bras tranche sa destinée. Là, tous 
les métaux : et l'électre que pâlit le mélange de sa double 
substance, et le fer dont les couches noirâtres hérissent 
le sol qui les nourrit. Mais Dieu cache à l'homme ces 
sources de tant de crimes. L'avare Asturien déchire la 
terre, plonge en ses entrailles profondes, et revient, 
malheureux, plus jaune que Tor qu'il en arrache. Là, 
non moins riches que toi. Pactole, coulent le Douro, 
le Tage, et le Léthé qui roule chez les Graviens sa 
luisante arène, et rappelle aux peuples l'enfer et son 
fleuve d'oubli. La terre n'est d'ailleurs ni rebelle à Gé- 
rés , ni contraire à Bacchus, et nul arbre n'y grandit 
plus haut que l'arbre de Pallas. ^ 

Quand le guerrier tyrien vit ces peuples rangés sous ses 
lois, et qu'il eut en main les rênes de l'empire, il mit tout 
l'art de son père à se concilier les esprits , à déjouer, ou 
par les armes ou par des largesses , les décrets du sénat. Il 
est le premier au travail, le premier en marché et à pied; 
il subit sa part de fatigue , si l'œuvre presse à la tran- 
chée. Jamais .sourd quand la gloire donne l'éveil j il re- 
fuse le sommeil à son corps , passe la nuit debout et en 
armes : parfois il s'étend sur la terre , ou se montre re- 
vêtu de la casaque du soldat, et lutte ainsi de courage 
avec le plus dur de ses Libyens. Superbe au contraire ^ 
s'il marche en avant de sa grande armée, c'est en chef 
qu'il porte son commandement. Il reçoit tête nue les 
pluies orageuses et les torrens du cieL Les Carthaginois 
et l'Âsturien tremblant l'ont vu , quand Jupiter lançait 



62 PUNICORUM LIB. I. (v. ï5i.) 

Excipere insanos imbres cœlique ruinam. 
Spectarunt Pœni , tremuitque exercitus Âstur, 
Torquentem quiim tela Jovem, permixtaque nimbis 
Fulmina , et excussos ventorum flatibus ignés 
Turbato transiret equo : nec pulvere fessiim 
Agminis ardenti labefecit Sirius astro. 
Flammiferis tellus radiis quum exusta dehiscit, 
Candentique globo médius coquit aethera fervor, 
Femineum putat inventa jacuisse sub umbra: 
Exercetque sitim, et spectato fonte recedit. 
Idem conreptis sternacem ad prœlia frenis 
Frangere equum , et famam tetalis amare lacerti ; 
Ignotique amnis tranare sonantia saxa» 
Atque e di versa socios arcessere ripa. 
Idem expugnati primus stetit aggere mûri ; 
Et quoties campo rapidus fera prœlia miscet , 
Qua sparsit ferrum , latus rul)et aequore limes. 
Ergo instat fatis , et , rumpere fœdera certus, 
Quo datur, interea Romam comprendere beilo 
Gaudet , et extremis puisât Capitolia terris. 

y 

Prima Saguntinas turbarunt classica portas , 
Bellaque sumta viro belli majoris amore. 
Haud procul Herculei tollunt se litore mûri, 
Clementer crescente jugo , quîs nobile nomen 
Conditus excelso sacravit colle Zacynthos. 
Hic comes Alcidae remeabat in agmine Thebas 



LES PUNIQUES, LIV. I. 6^ 

la foudre , courir sur son cheval épouvante à travers la 
grêle et les tonnerres, au milieu des éclairs que le soufïl<^ 
des vents fait jaillir des nuages. Malgré la poussière et 
les fatigues de la marche , jamais Sirius et ses rayons 
brûlans n'ont pu l'abattre. Quand la terre se déchire 
sous les traits ardens de l'astre qui la dévore, et que le 
soleil , au milieu de sa course , embrase l'air de son 
disque enflammé, il croirait s'efféminer à s'étendre sous 
l'ombrage qui se présente; il combat la soif, et, s'il voit 
une source, il s'en éloigne. Il aime à briser au frein , à 
dompter pour la guerre un cheval fougueux, à prouver 
la vigueur fatale de son bras, à franchir à la nage les- 
bruyans écueils d'un fleuve inconnu, appelant ensuite ses 
troupes de l'autre rive. S'il assiège un rempart, il paraît 
le premier sur la brèche; et, s'il livre un combat acharné 
dans la plaine, il s'élance, et, partout où frappe son 
glaive, une large traînée de sang rougit la terre. 



Il presse donc les destins, et, décidé à rompre les trai- 
tés , il saisit à plaisir l'occasion d'enlacer Bome d'une 
étreinte de guerre , et des extrémités du monde il 
ébranle déjà le Capitole. D'abord ses clairons vont por- 
ter le trouble aux portes de Sagonte : c'est le pré- 
lude des grandes guerres auxquelles il aspire. Kon loin 
du rivage, et sur un penchant doucement incliné, s'é- 
lèvent ces murs bâtis par Hercule, et que Zacynthe, en- 
terré au sommet de la colline, a consacrés de scn noble 
nom. Ce compagnon d'Alcide revenait dans Thèbes avec 
sa troupe, après la défaite de Géryon , et portait aux 



1 



64 PUNICORUM LIB. I. (v. ^77.) 

Geryone exstincto , cœloque ea facta ferebat. 

Très animas namque Id mohstrum , très corpore dextras 

Armarat , ternaque caput cervice gerebat. 

Haud alium vidit tellus , cui ponere fînem 

Non posset mors una viro, durxque Sorores 

Tertia bis rupto torquerent stamina filo. 

Hinc spolia ostentabat ovans , capti vaque victor 

Armenta adJbntes medio fervore vocabat, 

Quum lumidas fauces adcensis sole venenis 

Calcatus rupit letali vulnere serpens ; 

Inachiumque virum terris prostràvit Hiberis. 

Mox profugi ducente Noto advertere coloni , 

Insula quos genuit Graro circumflua ponto , • 

Atque àuxit quondam Laertia régna Zacynthos. 

Firmavit tenues ortus mox Daunia pubes , 

Sedis inops; misit largo quam dives alumno, 

Magnanimis regnata viris, nunc Ardea nomen. 

T^ibertas populis pacto servata decusque 

Majorum , et Pœnis urbi inipéritare negatum. 

Admoyet abrupto flagrantia fœdere ductor 

Sidonius castra ^ et latos quatit agmine campos. 

Ipse caput quassans circumlustravit anhelo 

Muros sœvus equo , mensusque paventia tecta , 

Pandere jamdudum portas ac cedere vallo 

Imperat, et longo clausis sua fœdera, longe 

Aùsoniam fore^ nec veniae spem Marte subactis; 



LES PUNIQUES, LIV. I. 65 

uues cet exploit. Le monstre, en effet, s'était armé d'une 
triple vie, cUnn triple bras pour se défendre, et chacun de 
ses trois cous soutenait une tête. Nul autre ne s'est vu sur 
teri*e, qu'une seule mort n'ait pu anéantir, et dont les 
inflexibles sœurs aient renoué d'un troisième fil la trame 
deux fois rompue déjà. Zacynthe marchait triomphant, 
paré de ses dépouilles, ^et comme il menait, vainqueur, 
au milieu de la chaleur du jour, ses troupeaux captifs 
vers une fontaine, il foula du pied un serpent dont la 
gorge, gonflée de poisons enflammés par le soleil, se 
déchira et lui fit une blessure 'mortelle : et le héros ina- 
chien fut couché mort aux terres d'Ibérie. Là, bientôt, 
poussés par le Notus , abordèrent des colons fugitifs , 
enfans de l'île Zacynthe, baignée par la mer de Grèce, 
et réunie autrefois au royaume de Laërte. Puis, à cette 
faible et naissante colonie, vint se joindre un renfort de 
jeunes Dauniens, sans asile, et repoussés de leur pa- 
trie, trop féconde et trop riche d'habitans, gouvernée 
long-temps par de magnanimes guerriers, et qui n'est 
plus aujoui:d'hui qu'un nom, Ârdée. Un traité protégeait 
la liberté de ces peuples et la gloire de leurs pères, et 
faisait défense à Carthage d'étendre sa domination sur 
leur ville. 

Au mépris de ce traité, le chef sidonien pousse en 
avant ses ardentes cohortes , et sous leurs pas remue au 
loin la plaine. Il arrive, et, secouant la téte^ il parcourt 
sur son coursier haletant l'enceinte des murailles , il 
mesure d'un œil farouche la tremblante cité, il com- 
mande qu'on ouvre les portes sur l'heure et qu'on aban- 
donne le retranchement. Ils sont loin leurs traités, et 
loin leur Ausonie : Sagonle est prisonnière ; nul es- 

1. 5 



66 PUNICORUM LIB. ï. (v. 3o30 

Scita Patrum, et leges, et jura, fideirique, Deosque 

In dextra nunc esse sua. Verba ocius acer - 

Intorto sancit jaculo , figitque per arma 

Stantem pro muro et minitantem vana Caicum. 

Concidit exacti médius per viscera teli ; 

EfTusisque sîraul prseruplo ex aggere membris, 

Yiçtori moriens tepefactam retulît hastam. 

At multo ducis exemplum clamore secuti 

Involvunt atra telorum mœnia nube. 

Clara nec in numéro virtus latet : obvia quisque 

Ora dud portàns, ceu sokis bella capessit. 

Hic crebram fundit Baliari verbere glandem , 

Terque levi ducta circum caput altus habena 

Permissum ventis abscondit in aère teli^m. 

Hic valido librat stridentia saxa lacerXo: 

Huiç inpulsa levi torquétur lancea nodo. 

Anteorones ductor, patriis insignis in armis, 

Nunc picea jactat fumaiitem lampada flamma, 

Nunc sude, nunc jaculo, nunc saxis inpiger instat : 

Aut hydro inbutas , bis noxia tela , sagittas 

Contendit nervo, atquQ insultai fraude pharetrae: 

Dacus ut arn^iferts Getic(e telluris in oris , 

Spicula quss patrio gaudens acuisse veneno 

Fundit apud ripas inopina binomiuis Histri. 

Cura subit, collem turrita cingere fronie, 
Castelloque urbeni circumvallare frequenti. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 67 

poir de pardon pour elle si elle succoinbe dans la lutte : 
les décrets du sénat, les lois, les droits, la foi des ser- 
inens, les dieux , tout est là dans sa main. Il dit, et sou- 
dain, pour sanction de sa parole, il lance vivement son 
javelot et perce Parmure de Caïcus, qui , debout sur le 
rempart , exhalait de vaines menaces. Il tombe sous le 
trait qui lui traverse lès enlratUes, et son corps, rou- 
lant du haut de la chaussée, rapporte en mourant le 
fer tiède au vainqueur. L'armée imite à grands cris 
l'exemple de son chef, et enveloppe la ville d'un épais 
nuage de traits. Le courage éclate malgré le nombre, 
et n'esit point ignoré : chaque soldat, comme s'il était 
seul à combattre, renconU*fe et attire le regard du chef. 
L'un, de sa fronde de Baléare, à coups pressés chasse 
et fouette la balle; il se dresse, et trois fois autour de 
sa tête agitant la courroie légère, livre aux venls le 
plomb que son œil ne peut suivre dans l'air. L'autre, 
d'un bras nerveux , lance la pierre qui s'échappe en 
sifflant : un autre enfin darde la javeline docile à l'élan 
du nœud léger qui la guide. A leur tête, et remarquable 
sous l'armure de ses pères, Annibal de sa torche fu- 
mante épanche une poix enflammée, frappe à coups 
d'épieux, de javelots, de pierres, partout et sans relâche, 
ou décoche de son arc des flèches abreuvées du venin 
des serpens : chaque trait de son carquois donne deux 
fois la mort, et il se fait un jeu cruel de cet artifice. Tel, 
le Dace, aux plages guerrières du pays gétique, aime à 
aiguiser des pbisons de sa patrie ses javelots qui vont 
porter une mort imprévue sur les rives de l'Ister aux 
deux noms. 

Son premier soin est d'envelopper la colline d'une 
rnceinte de tours qui la dominent , et d'enfermer la place 



5. 



68 PUNICORUM LIB. 1. (v. 329.) 

Heu priscis iiumen populis, at uornine solo 
Iq terris jam nota Fides! Stat dura juventus : 
Ereptamque fugam , et claudi videt aggere muros. 
Sed dlgnani Ausonia morteiii putat esse Sagunto , 
Servata cecidisse fide. Jamque acrius omues 
Intendunt vires; adductis stridula nervis 
Phocais efFundit vastos ballista niolares, 
Atque eadeni , ingentis rautato pondère teli, 
Ferratam exculiens ornuni média agmina rumpit. 
Alternas resonat clangor : certamine tanto 
Conseruere acies, veluti circumdata vallo 
Roma foret; clamatque super, «Tôt millia, gentes 
Inter tela satae, jam capto stamus in hoste? 
Anne pudet cœpti ? pudét ominis ! en bona virtus y 
Primitiaeque ducis ! Taline inplere paramus 
Italiam fama ? taies prœmittere pugnas ? » 



Adgens>£ exsultant. mentes , haustusque meduUis 
Hannibal exagitat, stimulantque seqnentia bella. 
Invadunt manibus vallum , caesasque relinquunt 
Dejecti mûris dextras. Subit arduus agger, 
Inponitque globos pugnantum desuper urbi. 
Armavit clausos, ac portis arcuit liostem 
Librari multa consueta falarica dextra j 
Horrendum visu robur, celsisque nivosae 



LES PUNIQUES, LIV. ï. 69 

d'une ligne circulaire de forts rapprochés. O divinité des 
peuples antiques, ô Foi, tu n'es déjà plus connue que 
de nom sur la terre! La jeunesse ennemie demeure et 
se résigne : elle voit s'élever devant ses murs cette 
chaussée qui les enserre et lui ravit l'espoir de la fuite; 
mais , à ses yeux , pour Sagonte l'Ausonienue , c'est 
périr dignement que de périr en gardant sa foi. Us re- 
doublent d'ardeur et d'efforts. Les câbles de la baliste 
crient et se tendent , et la machine phocéenne lance 
au loin de vastes quartiers de roches ; puis , gémis- 
sant encore sous l'énorme poids d'une charge nou- 
velle, elle envoie un frêne armé de fer au oiili'eu des 
bataillons qu'elle écrase. Les clameurs éclatent et se ré- 
pondent : les deux armées luttent avec autant de furie 
que si Rome était là, investie et captive. Il s'écrie : 
c< Tant de milliers d'hommes, tant de peuples aguerris, 
arrêtés par un ennemi à moitié vaiqçu! Auriez -vous 
regret de cette guerre? J'ai regret du présage, moi! 
Voilà un beau courage vraiment, un noble début pour 
votre chef! Est-ce là le grand bruit que nous espérons 
faire en Italie? est-ce par de tels exploits que nous nous 
annonçons cbez-elle ? » 

Leurs cœurs tressaillent et s'enflamment; Ânnibal tout 
entier pénètre et palpite en leurs entrailles, et les ai- 
guillonne aux guerres à venir. Leurs bras s'attachent 
aux palissades : ils les gravissent et sont renversés , lais- 
sant leurs mains coupées sur la mui*aille. La chaussée 
s'élève , s'approche » se couvi'e de combattans et com-^ 
mande la ville. L'arme des assiégés, la falarique, qui 
n'obéit qu'aux eflbrts réunis de plusieurs bras, repoussa 
long-temps l'ennemi de leurs portes. C'est un énorme 
chêne choisi sur les hautes et neigeuses crêtes des Pyré- 



70 PUNICORUM LIB. L (v. 353.) 

Pyrenes trabs lecta jugis, cui plurima cuspis; 
Vix mûris tolcranda lues, sed cetera pingui 
tincta pice, alque atro circumlita sulfure fumant. 
Fulminis hœc ritu , summis e mœmbus arcis 
Incita , sulcatum tremula secat aéra flamma. 
Qualis sanguineo praestringit lumina crine, 
Ad terram cœlo decurrens ignea lampas. 
Haec iclu rapido pugnantum saepe per auras, 
Adtonito ductore , tulit fumantia membra. 
Hœc vaslae lateri turris ceu turbine fixa , 
Dum penltus pluteis Vulcanura exercet adesis, 
Arn)a virosque simul pressit flagrante ruina. 
Tandem condensis actas testudlnis armis , 
Subducto Pœni vallo, caecaque latebra , 
Pandunt prolapsam subfossis mœnibus urbem. 
ïerribilem in sonilum procumbens aggere victo 
Herculeus labor, atque inmania saxa resolvens, 
Mugitum ingentem cœlo dédit. Alpibus altis 
Aeriae rupes, scopulorum mole révulsa 
Haud aliter scindant resonauti fragmine montem. 
Surgebat cumulo certatim prorutus agger , 
Obstabatque jacens vallum, ni protenus instent 
Hinc atque hinc acies média pugnare ruina. 
Emicat ante omnes primaevo flore juventae 
Insignis Butulo Murrus de sanguine : at idem 
Matre Saguntina Graius, gemtnoque parente 



LES PUNIQUES, LIV. I. 71 

nées 9 une horrible poutre dont les remparts même pour- 
raient à peine supporter le choc, hérissée de lames ai* 
gués y enduite d'une épaisse résine, et noire de soufre 
et de fumée. Pareille à la foudre , elle se précipite du 
faîte des murailles, et fend l'air d'un mouvant sillon 
de feu. Ainsi, de sa chevelure sanglante, éblouit les re- 
gards le météore enflammé qui descend du ciel vers la 
terre. C'est elle qui souvent, d'un élan rapide, vient 
fondre sur les conibattans, el disperser, aux yeux, éton- 
nés d'Annibal, leurs membres fumans dans les airs; elle 
qui , s'attachant comme un tourbillon aux flancs d'une 
vaste tour, y enfonce la flamme qui ronge les ais embra- 
sés, et broie sous leurs brûlans débris armes et guer- 
riers tout ensemble. Cependant, les Carthaginois serrent 
leurs rangs , forment la tortue , sapent les retranche- 
mens, et , par une galerie souterraine, minent les rem* 
parts qui s'écroulent et leur ouvrent la ville. Avec un 
fracas terrible tombe vaincue cette muraille , œuvre 
d'Hercule; les roches énormes éclatent, roulent et font 
mugir au loin l'espace. Ainsi, du haut des Alpes aux 
cimes aériennes , se détache une masse de rochers qui 
se brise et déchire à grand bruit la montagne. Ces ruines 
confuses de murailles et de palissades renversées s'éle- 
vaient en monceau : mais, en dépit de cet obstacle, l'une 
et l'autre armée se jette en avant, pressée de combattre 
au milieu même de ces décombres. 



Le premier qui s'élance, c'est Murrus , brillant de 
la fleur du premier âge. Noble enfant d'un Rutule, il 
avait pour mère une Grecque de Sagontc, et cette double 



72 PUNICORUM LIB. I. ' (v. 379.) 

Dulichios RaHs miscebat proie nepotes. 

Hic magno socios Aradum clamore vocanteni, 

Qua corpus loricam înter galeamque patescit , 

Conaiitis motus speculatus , cuspide sistit , 

Prostratumque prcmens telo^ voce insuper urguet : 

(c Fallax Pœne j jaces : certe Capitolia primus 

Scaudebas victor ! quae tanta licentia voti ? 

NuDc Stygiû fer bella Jovi. » Tum fervidus hastain 

Adversi torquens defigit in inguine Hiberi ; 

Oraque duni calcat jam singultantia lefo : 

« Hac iter est, inquit, vobis ad mœnia Komx^ 

O metuenda manus! sic, quo properatis, eundum. » 

Mox înstaurantis pugnam circumsilit arma , 

Et rapto nudum clipeo latus haurit Hiberi. 

Dives agri , dives pecoris , famaeque negatus 

Bella feris arcu jaculoque agitabat Hiberus. 

Félix , heu ! nemorum , et vitœ laudandus opacae , 

Si sua per patrios tenuisset spicula saltus ! 

Hune miseratus adest infesto vulaere Ladmus. 

Cui saevum adrideus : « Narrabis Hamilcaris umbris 

Hanc, inquit, dextram, quae jam post funera vulgi 

Hannibalem vobis comitem dabit; >* et ferit alte 

Insurgens gladio cristatae cassidis œra , 

Perque ipsum tegimen crepitantia dissipât ossa. 

Tum frontem Chrêmes iutonsam umbrante capillo 

Seplus , et horrentes effiugeus crinc galeros ; 



LES PUNIQUES, LIV. I. 7S 

origine réunissait en lui, par le sang, Dulicbium et 
ritalie. Aradus accourait appelant ses compagnons à 
grands cris. Murrus observe ses mouvemens, le frappe 
au défaut du casque et de la cuirasse, comprime ses 
efforts, du javelot le presse à terre, et Taccablant de 
sa raillerie : « Perfide Carthaginois , te voilà mort ! 
Sans doute, déjà vainqueur, tu montais le premier au 
Capitole ? Qui t'a permis l'audace d'un tel vœu ? Va 
maintenant, porte la guerre à Jupiter Stygien! » Dans 
sa bouillante ardeur, il se retourne, rencontre Hi- 
bérus, lui plonge au ventre sa javeline, et pesant du 
pied sur cette tête d'où s'exhalent déjà les sanglots de 
Tagonie : a C'est là le chemin, dit-il, qui vous mènera 
aux remparts de Rome! formidables héros, c'est ainsi 
que vous irez où votre cœur aspire. » Hibérus se dé- 
bat et lutte encore; Murrus lui arrache vivement ses 
armes, le dépouille de son bouclier, et lui perce les 
reins. Riche en terres , riche en troupeaux , et peu sou- 
cieux de renommée, Hibérus se plaisait à poursuivre de 
l'arc et du javelot les bêtes sauvages. O! bien heureux 
en ses forêts, bien louable en son état obscur, s'il eût 
tenu ses armes au fond des bois, dans le sein de sa patrie! 
Ladmus, ému de pitié, accourt pour le venger. Mur- 
rus lui crie avec un rire amer : «Tu parleras à l'ombre 
d'Amilcar de cette main, qui bientôt, lasse de morts vul- 
gaires, va lui envoyer Annibal après vous!» Puis, se 
dressant de toute sa hauteur, il frappe du glaive le 
casque empanaché du héros, traverse la coiffure d'ai- 
rain, et lui brise le crâne en éclats. Bientôt alors, et 
Chrêmes au front ombragé de longs cheveux qui enla- 
cent et recouvrent sa tête comme les poils hérisses d'une 
épaisse fourrure, et Masulus, et ce vieillard, vert encore 



74 PUNICORUM LIB. I. (v. 405.) 

Toin Masulus , crudaque virens ad bella senecta 
Karthalo, non pavidus fêtas mulcere leaeuas; 
Flumineaque urna caelatus Bagrada parmam ; 
£t vastae Nasamon Syrtis populator Hyempsal , 
Audax in fluctu laceras raptare carinas ; 
Una omnes dextraque cadunt iraque peremti. 
Nec non serpentem diro exarmare veneno 
Doctus Athyr, tactuque graves sopire chelydros , 
Ac dubiam admoto sobolem explorare céraste. 
Tu quoqiie fatidicis Garamauticus adcola lucis, 
Insignis flexorgaleani per tempora cornu , 
Heu ! frustra reditum sortes tibi saepe locutas 
Mentitumque Jovem increpitans, occumbis, larba. 
El jam corporibus cumulatus creverat agger, 
Perfusœque atra fumabant caede ruinae. 
Tum ductorem avido clamore in proelia poscit : 
Fulmineus ceu Spartanis latratibus actus^ 
Quum silvam occursu venantum perdidit, hirto 
Horrescit saetis dorso, et postrema capessit 
Prœlia , canentem mandens aper ore cruorenpi 9 
Jamque gémit geminans contra venabula dentem. 
At parte ex alia qua se insperata juventus 
Extulerat portis, ceu spicula nulla manusque 
Vim ferre exitiumve queant, permixtus utrisque 
Hannibal agminibus passiin furit et quatit ensem , 
Caiitato nuper senior quem fecerat igni 



LES PUNIQUES, LIV. I. 75 

et de force pour la guerre, Karthalo, qui sans crainte 
apprivoise les lionnes déjà mères ; et Bagrada , qui porte 
l'urne d'un fleuve ciselée sur son bouclier, et le pirate 
des rives de la grande Syrte, le Nasamon Hyempsal , 
dont l'audace dispute aux vagues les débris des carènes; 
tous tombent sous les coups de ce seul hpmme j immo- 
lés à sa colère 9 et avec eux Athyr, savant à désarmer le 
serpent de son venin cruel , à endormir au toucher 
l'hydre pleine, à reconnaître par la piqûre du céraste 
l'origine suspecte d'un enfant. Et toi aussi qui habitais 
les fatidiques bois des Garamanfes , toi dont le casque 
est paré de cornes recourbées , vainement, hélas! tu ac- 
cuses et l'oracle qui souvent te promit le retour, et Ju- 
piter menleur; tu succombes, larbas. Déjà sur la brèche 
s'élevait un monceau de cadavres, et les flots d'un sang 
noir fumaient sur les décombres. Alors, d'une voix im- 
patiente , il appelle le chef lui-même au combat. Ainsi , 
chassé du gîte par les hurlemens de la meute de Sparte, 
et forcé d'abandonner les bois devant la poursuite des 
chasseurs, le sanglier bondit comme la foudre : sur son 
dos velu, ses soies se hérissent; de sa mâchoire saignante 
et blanchie d'écume, il engage une dernière lutte; il 
gémit, il s'épuise à heurter de la dent les épieux.qui la 
brisent. 



D'un autre coté de la ville où, contre son attente, les 
assiégés s'étaient jetés hors des portes , sans songer qu'il 
y avait là aussi du fer et des bras pour leur porter des 
blessures et la mort , Annibal s'est confondu dans la 
mêlée. Il vole, fait rage, agite le glaive que lui forgea 
naguère, en sa fouruaise enchantée, un vieillard du ri- 



76 PUNICORUM LÏB. I. (v. 43 1.) 

Litore ab Hesperidum Teinisus ; qui carminé pollens 
Fidebat magica ferrum crudescere liugua : 
Quantus Bistoniis late GraHivus in oris 
Belligero rapitur curru, teluinque coriiscans , 
Titauum quo puisa cohors, flagranûa bella 
Cornipeduin adâatu touat, et stridoribus axis. 
Jamque Hostum , Rutulumque Pliolum , ingeoteinque 

Metiscum ^ 
Jam Lygdum, Duriuinque simul, flavumque Galœsum, 
£t geiiiinos , Chromin atque Gyan , demiserat umbris ; 
Daunum etiam , grata quo non spectatior alter 
Voce movere fora, atque orando fiugere mentes, 
Nec legum custos sollertior, aspera telis 
Dicta admiscentem : « Quœnam te, Pœne , paternae 
Hue adigunt Furiae? non haec Sidonia tecta 
Feminea fabricata manu , pretiove parata-, 
Ëxsulibusve datum dimensis litus arenis; 
Fundamenta Deum Romanaque fœdera ceruis. » 
Âst ilhnn , toto jactantem talia campo, 
Ingenti raptum nisu , medioque virorum 
Avulsuni inter tela globo, et post terga revinclum, 
Uannibal ad pœuam lentae mandaverat irae , 
Increpitausque suos iuferri signa jubebat; 
Perque ipsos casdis cumulos , stragemque Jaceutum 
Monstrabat furibundus iter, cunctosque ciebat 
Momine, et in praedas stantem dabat inprobus urbem. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 77 

vage des Hespérides, Témisus, dont la voix puissante a 
des paroles magiques qui savent durcir la trempe de 
l'acier. Ainsi Mars, aux rives de Bistonie, emporté au 
loin sur son char belliqueux , brandit l'épée ctince- 
lante qui dispersa la cohorte des Titans, tonne et allume 
la guerre au souffle de ses coursiers, aux cris aigus de 
son essieu. Déjà Hostus, le Rutule Pholus, le superbe 
Métiscus ,~ et Lygdus, et Durius aussi, et le blond Ga- 
lésus , et les deux frères Chromis et Gyas , sont des- 
cendus chez les ombres, et Daunus lui*même, dont nul 
ne surpasse la gloire dans l'art de charmer et d'émouvoir 
une assemblée, de subjuguer les esprits par la parole, ou 
de défendre la loi, Daunus, qui joignait l'outrage aux 
coups de sa lance : «Quelle furie de ton père t'amène ici , 
Carthaginois? Ce ne sont pas là des demeures sidonien- 
nés bâties d'une main de femme, des sables achetés à 
prix d'or et mesurés à des exilés sur un rivage : tu vois 
des remparts fondés par les dieux et alliés de Rome. » 
Il déclamait ainsi sur le champ de bataille, quand Anni- 
bal, d'un élan vigoureux, le saisit au milieu des armes, 
l'arrache du sein de sa troupe, et lui liant les mains 
derrière le dos , le livre à la mort , après avoir long- 
temps prolongé son supplice. Puis il ordonne en gron- 
dant aux siens de faire avancer les enseignes; et fu- 
rieux, à travers les monceaux de carnage et sur les 
cadavres des mourans, leur montre le chemin, les ap- 
pelle tous par leur nom , et leur donne en proie cette 
ville, debout encore devant sa haine. 



7» PUNICORUM LIB. I. (v. 456.) 

Sed postquaiti a trepidis adiatuin , fervere partem 
Diversam Marte infausto , Murroque secundos 
Hune Superos tribuisse diem , ruit ocîus amens 
Jj^mphato cursUy atque ingénies deserit actus. 
Letiferum autant fulgentes vertice cristae : 
Crine ut flammifero terret fera régna comètes, 
Sanguineum spargens ignem; vomit atra rubentes 
Fax cœlo radios , ac saeva lu ce coruscum 
Scintillât sidus , terrisque extrema minatur. 
Praecipiti dant tela viam, dant signa, virique; 
Atque ambœ trépidant acies : jacit igneus hastae 
Dirum lumen apex, ac late fulgurat umbo. 
Talis ubi JEgaso surgente ad sidéra ponto 
Per longum vasto Cori cum murmure fluctus 
Suspensum in terras portât mare, frigida nantis 
Corda tremunt : sonat ille procul, flatuque tumescens 
Curvatis pavidas transmittit Cycladas undis. 
Non cunctà e mûris unum incessentia tela , 
Fumantesque ante ora faces, non saxa per artem 
Tormentis excussa tenent : ut tegmina primum 
Fulgentis galeœ conspexit , et arma cruento 
Inter solem auro rutiiantia , turbidus infit : 
a En , qui res Libycas , inceptaque tanta retardet , 
Romani Murrus belli mora ! Fœdera, faxo, 
Jam noscas, quid vana queant, et vester Hiberus. 
Fer tecum castamque fidem servataque jura : 



LES PUNIQUES, LIV. I. 79 

Tout à coup on vient lui apprendre en tremblant, que 
de l'autre côté de la place Mars trahit l'ardeur de ses 
soldats, que les dieux favorisent Murrus et lui laissent 
la gloire de cette journée. Il s'élance, il vole, il se rue 
en délire, il abandonne les grands travaux de l'attaque. 
Sur sa tête se balance l'aigrette éclatante qui annonce 
la mort : ainsi, de sa flamboyante chevelure, la comète 
épouvante les peuples sauvages : l'astre funeste pro- 
jette au ciel une lueur sanglante; 3on foyer rougeâtre 
vomit des torrens de feu, et les sinistres et rayonnantes 
clartés de l'étoile étincelante menacent le monde de sa 
fin. Il se précipile, et les traits, les enseignes, les guer- 
riers, tout lui livre passage; les deux armées s'agitent 
en désordre : le fer luisant de sa javeline jette un éclat 
terrible, et de son bouclier jaillit au loin l'éclair. Ainsi , 
quand la nier Egée se soulève jusqu'aux nues, le flot se 
dresse, suspendu sur l'abîme, sous le souffle bruyant du 
Corus qui le refoule au rivage : le cœur du matelot se 
glace d'effroi: l'océan gronde au loin, l'onde s'enfle, le 
vent s'engouffre dans les plis des vagues et les rejette par- 
delà les Cyclades tremblantes. Ni les traits qui pleuvent 
sur lui seul du haut des remparts, ni l'incendie qui fume 
devant ses pas, ni les pierres que dirigent sur sa tête 
d'adroites machines, rien ne l'arrête. A peine il a vu le 
cimier brillant du casque de Murrus et son armure en- 
sanglantée dont l'or resplendit au soleil , il s'écrie en 
fureur : « Voilà donc celui qui retarde l'œuvre de la 
Libye et nos vastes projets, ce Murrus, notre obstacle 
à la conquête de Rome! Tu vas savoir ce que valent vos 
vains pactes et votre Ebre. Prends pour toi la sainte 
justice et la foi des traités , et laisse-moi les dieux que je 
brave. » Murrus lui répond : « Tu arrives à souhait : depuis 



8o PUNICORUM LIB. I. (v. 481*.) 

Deceptos mihi linque Deos. » Cui talia Murrus : 

« Exoptatus ades ! mens olim prœlia poscit , 

Speque lui flagrat capitis : fer débita fraudum 

Praemia, et Italiam tellure inquire sub ima. 

Longum in Dardanios fines iter, atque nivalem 

Pyrenen, Alpesque tibi mea dextera donat. » 

H>EC inter cernens sqbeuntem comminus hostem, 

Praeruptumque loci fidum sibi , conripit ingens 

Aggere convulso saxum, et nitentis in ora 

Devolvit, prouoque silex ruit incitus ictu. 

Subsedit duro concussus fragmiue mûri. 

Tum pudor adcendit mentem, uec conscia fallit 

Virtus pressa loco ; frendens luctatur, et aegro 

Scandit in adversum per saxa vetantia nisu. 

Sed postquam propior vicino lumine fulsit , 

Et tota se mole tulit, velul incita clausum 

Agmina Pœnorum cingant y et cuncta paventem 

Castra premant, lato Murrus caligat in lioste. 

Mille simul dextrae, densus(|ue micare videtur 

Ensis, et innumerae nutare in casside cristae. 

Conclamant utrimque acies^ ceu tota Saguntos 

Igné micet : trahit instanti languentia leto 

Membra pavens Murrus, suprèmaque vota capessit : 

et Conditor Alcide, cujus vestigia sacra 

Ii)colimus, terra; niinitantem averte procellam, 

Si tua non segni defenso mœnia dextra. » 



LES PUNIQUES, LIV., I. 8i 

long-temps inou cœiu* t'appelle au combat, et brûle du 
désir de voir tomber ta tête. Reçois le prix dû à tes 
parjures, et va chercher l'Italie dans les entrailles de la 
terre. Longue est la route qui mène aux. champs de 
Dardanie, aux neiges des Pyrénéen et des Alpes : mon 
bras t'épargnei*a ce voyage. » 

Il dit, et voyant l'ennemi gravir la brèche et venir a 
lui, du poste escarpé dont la hauteur le favorise il saisit 
un roc énorme qu'il détache des ruines, et le renverse 
sur le héros qui monte avec effort. I^ masse roule en- 
traînée par le penchant qui précipite sa chute. Ânnibal 
s'arrête sous la rude atteinte de ce débris de muraille. 
Mais la honte enflamme sou audace, et, malgré le défaut 
du lieu, le sentiment de son courage ne l'a point quitté. 
Il lutte en frémissant, et se cramponne à grand'peine 
aux roches qui le repoussent. Il approche , il brille , 
il éclate, il apparaît dans toute sa grandeur. A cette 
vue, et comme si les bataillons furieux des Carthaginois, 
comme si leur armée entière venait fondre sur lui et 
s'acharner à ses flancs, Murrus frissonne, son œil se 
trouble devant l'ennemi géant : il lui semble que mille 
bras à la fois, que mille glaives s'agitent, que des pa- 
naches sans nombre flottent sur le casque d'Annibal. 
L'une et l'autre armée pousse un cri , comme si Sagonte 
tout entière était en flammes. Murrus chancelle en pré- 
sence du trépas; il traîne en tremblant ses membres 
abattus, et fait entendre un dernier vœu : a AJcide, fon- 
dateur de ces murs, toi dont nous foulons ici les vestiges 
sacrés, éloigne de la patrie l'orage qui la menace, si 
ma main ne s'est point lassée à défendre ta ville. » 



I. 



G 



Si PUNICORUM LIB. I. (v. ^«8.) 

Ddmque orat eœk>qne adtollit lumina supplex ; 
« Cerne, ait^ an nostris longe Tirynthius ausîs 
Justlus adfuerit : ni displiqet aemula virtus, 
H»ud me dissimilem, Alcide, primoribus annis 
Agnosces, invicte, tuis^ : fer nuinen amicun»; 
Et, Trojae quondam primis memorate ruinis, 
Dcxter ades Phrygiae delenti slirpis alumnos» » 
Sic Poenus, pressumque ira simul exigit ensem, 
Qua capuli slatuere morœ ; teloque relato 
Horrida labentis perfunditur arma cruore. 
Ilicet ipgenti casu turbata juventus 
Procurrit : nota arma viri corpus(]iie superbo 
Victori spoliare i>egaat : coit aucta vicissim 
Hortando inanus, et glomerata mole fi;runlur. 
Hinc saxis galea, hinc qlipeus sonat aereus bastis; 
Ioce$3unt sudibiis , librataque pondéra plumbt 
Certatim jaciunt : decis» vertice crtstœ^ 
Dereptumque decus nutantum in cade jubarum : 
Jamque agitur largus per membra fluentia sudor, 
Et stant loricae squamis horrentia tela ; 
Nec requiesy, tçginienve datur mutare $ub icX«, 
Genua labant, fessique hiimeri gestamina laxant. 
Tum crebcr, penitusque trahens suspiria, sicco 
Fumât ab ore vapor, nisuque elisus anhelo 
Auditur gemitus, fractumque in cs^ssi^jie murmur. 
Mente adversa domat, gaudetjquc nitescere duris 



LES PUNIQUES, LIV. I. S5 

Pendanit qti'il prie et qu'il élève au ciel un i^gard 
suppliant : a Vois, lui crie Annibal, s'il ne serait pas 
plus juste que le Tirynthien secondât nos efforts. Sî 
nia gloire rivale ne te déplaîl, Alcide^ tu réconnaîtras, 
invincible , que mes jeunes années diffèrent peu dea 
tiennes. Que ta divinité me favorise : ton bras s'illustra 
jadis à renverser les premiers murs de Troie, viens au- 
jourd'hui m'aider à exterminer les restes de la race phry- 
gienne. » Il dit j et perce l'ennemi èe son épée que, dans 
l'élan de sa rage, ilenfonce jusqu'à la garde; il arrache le 
fer de la plaie, le sang jaillit et souille son armure. Ce- 
pendant, émiis d'un si grand revers, les Sagontins s'élan- 
cent sur les armes connues, sur le corps du guerrier; 
ils disputent au vainqueur superbe ces dépouilles : peu 
à peu, leur nombre augmente ; ils s'animent, se rallient, 
et tous ensen^ble se portent en masse contre lui;. Alora 
les pierres , lés coups de lance résonnent sur son 
casque, sur l'airain de son bouclier : on l'attaque avec 
des massues , on l'accable de balles de plomb chas- 
sées de la fronde : son panache tombe détaché ^ et 
l'éclat de l'aigi^ette flottante s'eil&ce dans le sang. Déjà 
de ses meml>res ruisselans découle une large sueur, et 
les écailles de sa cuirasse se hérissent des traits qui s'y 
attachent. Mais les coups redoublent et ne lui laissent 
ni le loisir ni le moyen de chauger son armure. Ses ge- 
noux fléchissent, ses épaules défaillantes s'affaissient sous 
le poids des armes : alors,, par ini^waiU, s'échappe de 
sa poitrine un pénible soupir; un soufflé épais s'exhale 
de son gosier desséché, et, sous la visière qui l'op- 
presse, sa bouche haletante pousse en gémissant un 
murmure étouffé. Mais son âme dompte l'infortune; H 
songe a\ec joie qne les dureS' épreuves doaneDt l'éelat 

' 6. 



84 PUNICORUM LIB. I. (v. 534) 

Virlutem , et decoris pretîb discrimina pensât. 

Hic snbitus scisso densa in ter nubila cœlo 
Erupit quatiens terram fragor ; et super ipsas 
Bis Pater intonuit geminato fulmine pugnas. 
Inde inter nubes ventorum turbine csùco 
Ultrix iujusti vibra vil lancea belli, 
Ac feniine adverso Ubrata cuspide sedit. 
Tarpei^ rupes, Superisque habitabile saxum; 
El vos y virginea lucentes semper in ara, 
Laomedonleœ Trojana altaria flammae ; 
Heu ! quantum vobis fallacis imagine teli 
Promisere Dei ? propius si pressa furenti 
Hasta foret , clausae starent mortalibus Alpes , 
Nec, Trasymene, tuis nunc Allia cederet uudis. 
Sed Juno , adspectans Pyrenes vertice celsae 
Nava rudimenta, et primos in Marte calores. 
Ut videt impressum conjecta cuspide vulnus^ 
Advolat, obscura circumdata nube, per auras , 
Et validam duris evellit ab ossibus hastam. 
Ille legit clipeo fusum per membra cruorem , 
Tardaque paulatim et dubio vestigia nisu 
Alternata trahens, aversus ab aggere cedit. 
Nox tandem optatis terras pontumque tenebris 
Condidit, et pugnas erepta luce diremit. 
At durae in vigilant mentes, molemque reponunt, 
Noctis opus : clausos acuunt extrema pericli , 



LES PUNIQUES , LIV. I. 85 

au courage, et que la gloire vaut les combats qu'elle 



coûte. 



Tout à coup, du sein d'épais nuages, le ciel s'ouvre 
et se déchire avec fracas : la terre s'ébranle ; deux fois 
la foudre brille, deux fois Jupiter tonne sur l'une et l'au- 
tre armée; et, lancé de la nue au milieu d'un noir tour- 
billon de vent, un javelot, vengeur de cette injuste 
guerre, atteint la cuisse d'Annibal et s'y fixe en trem- 
blant. 

Boches Tarpéiennes, colline habitée par les dieux, et 
vous, qui brûlez éternellement au foyer de nos vierges 
comme jadis aux autels de Troie, flammes de Laomédon, 
que le ciel , hélas ! dans le présage trompeur de ce ja- 
velot, vous donna d'espérance! Si le fer eût percé plus 
haut le forcené , les Alpes resteraient fermées encore 
aux mortels, et ton onde, ô Trasymène, n'eût point fait 
oublier celle de TAllia. 

Mais Junon contemplait, de la cime élevée des Py- 
rénées, les rudes commencemens du héros et les belli- 
queux essais de son ardeur première. A peine elle a vu 
s'enfoncer le trait qui l'a blessé, elle vole, fend les airs, 
enveloppée d'un nuage obscur, et arrache de ses os en- 
durcis la puissante javeline. Lui, couvrant du bouclier le 
sang qui coule sur ses membres, se traîne lentement et 
avec effort, recule peu à peu d'un pas incertain et chan- 
celant, se retire et disparait de la brèche. 

Enfin la nuit désirée plonge dans les ténèbres la terre 
et les mers, et met fin aux combats en dérobant le jour. 
Mais les durs guerriers veillent, et relèvent leur muraille: 
les assiégés passent la nuit à l'œuvre, animés, en ce péril 
extrême, de ce dernier courage qui grandit et s'exalte dans 



86 PUMCORUH LIB. I. (v. 56o.) 

£t fractis rébus violentior ^Itima virtus. 

Hinc puer, invalidique seues, hino femina ferre 

Certat opem in dubiis miserando uava labori ,. 

Saxaque manauti ^ubveclat vulnere miles. 

Jiaim Patrifous clarisque ^enum sua munia curds : 

Concurrunt, lectosque viros hortantur, el oraut, 

Defessis subeant rébus , revoceiitque salutem , 

Et Latia extremis inplore^t casibus ariiia. 

ff Ite citi, remis velisque inpellite puppim , 

Saucia dum castris clausa est fera : tempore Martis 

Utendum est vapto , et graçsaudum ad clara periclis. 

Ite citiy deflete fidem murosque ruenles, 

Antiquaqiïe domo meliora arcessite fata. 

Mandati summa est : dum stat, remeate, Saguatos. » 

Âst illi celeranty qua proximà litora, gressum^ 

Et fugiunt tumido per spumea caerula vélo. 

Pellebat somnos Tithoni roscida conjux , 

Ac rutilus primis sonipes hinnitibus altos 

Adflarat montes , roseasque movebat babenas. 

Jam celsa e mûris exstructa mole juventus 

Clausam nocturnis ostentat turribus urbem. 

Rerum omnes pendent actus, et milite mœsto 

Làxata obsidio, ac pugnandi substitit ardor/ 

luque dùcem versai tanto discrimine curae, 

Lecteb^ea Rutulis longinqua per aequora veclis 

Herculei poiito cœpere exsisterc colles, 



LES PUNIQUES, LÏV. I. 87 

)a détresse. Des eufaus, de faibles vieîliards, des femmes 
même, tous s'empressent eu ce moment funeste, tous 
prêtent une aide active à ce labeur pénible; et, malgré 
ses plaies saignantes , le soldat roule des pierres. Les sé- 
nateurs et les plus illustres vieillards ont à cœur aussi 
d'accomplir un dc^voir; ils s'assemblent, choisissent des 
députés, les exhortent, les supplient de soutenir la pa« 
trie qui succombe , de la sauver et d'allei^ implorer 
pour elle, en son malbeur extrême, les armes du La- 
tium : (c Volez, hâtez-vous, faites force de rames et de 
voiles pendant que le tigre blessé s'enferme dans son camp; 
profitons du moment, saisissons-le pour agir et marchons 
à la gloire au milieu des dangers. Partez, hatez-vous, 
déplorez la ruine de notre alliance et de nos rempai'ts, et 
que de cette patrie antique un sort meilleur nous revienne 
avec vous. Surtout, et c'est la condition de votre message, 
soyez de retour pendant que Sagonte résiste encore. » Ij<^s 
députés s'empressent, gagneni le plus prochain' rivage; 
la voile s'enfle et les emporte sur la vague écumante. 
Déjà, brillante de rosée, l'épouse de Tithon chassait le 
sommeil; ses coursiers radieux hennissaient, effleurant 
de leur premier souffle la crête des montagnes , et se- 
couant leurs rênes de rose. Du haut des murs, la jeu- 
nesse assiégée découvre aux yeux ses remparts relevés 
dans l'ombre et les nouvelles tours qui referment la 
place. Mais tous les travaux du siège ont cessé; le sol- 
dat affligé néglige l'attaque, et laisse reposer son ardeur 
guerrière : il n'a plus souci que de son chef et du péril 
qui le menace. 

Cependant, les Rutules, entraînés au loin sur les 
mers , commencent à voir surgir d» sein des flots les 



88 PUNICORUM LIB. I. (v. 586.) 

Etnebulosa }u^îs adtollere saxa Monœci. 

Thraciuis hos Boreas scopulos inmitia regaa 

Solus habet, semperque rigens nunc litora puisât, 

Niinc ipsas alis plaugit strideutibus Alpes ; 

Atque ubi se terris glaciali fuudit ab Arcto , 

Haud uUi contra fiducia surgere vento. 

Vorticibufi torquet rapidis mare , fractaque anhelant 

^quora , et injecto conduatur giirgite montes : 

Jamque volans Rheuum Rhodanumque in nubila toliit* 

Hune postquam Boreae dirum evasere furorem, 

Alternos inœsti casus bellique marisque, 

Et dubium rerum eventum sermone volutant. 

« O patria ! o Fidei domus inclyta , quo tua nunc sunt 

Fata loco? sacraene.maneut in coUibus.arces? 

An cinis, heu Superi! tanto de nomine. restât? 

Ferte levés auras, flatnsque cielo secundos , 

Si nondum insultât templorum Fœnicus ignis 

Culminibus , Latiaeque valent subcurrere classes. » 

Talibus inlacrimant noctemque diemque querelis, 

Donec Laurentes puppis defertur ad oras^ 

Qua pater, adceptis Aniunis ditior undis. 

In pontuni âavo descendit gurgite Thybris. 

Hiicc cousanguiueae subeunt jam mœnia Romae. 

Concilium vocat augustum , castaque béates 

Paupertate Patres , ac nomina parta triumphis 

Consul , et aequantem Superos virtute Senatum. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 89 

coirTnes d'Hercule et les rochers de Monœcus dont les 
cimes s'élèveiU dans la nue. Le Thrace Borée domine 
seul en roi sur ces côtes inhospitalières, et de son ha- 
leine glacée bat sans cesse ces rivages, ou va heurtant 
les Alpes de ses ailes sifflantes. Quand ^ des froides ré- 
gions de l'Ourse, il fond sur la terre, nul autre vent 
n'oserait lutter contre lui : les vagues roulent, tourbil- 
lonnent, se tordent , se brisent haletantes, et sous leurs 
lames débordées engloutissent les montagnes. Il vole, et 
le Rhône et le Bhin jaillissent jusqu'aux nues. Une fois 
à l'abri des redoutables fbreurs de Boréé, les Sagontins 
s'entretiennent des. dangers renaissans de la guerre et 
des flots, et du terme incertain de leurs malheurs, a O pa- 
trie , sanctuaire glorieux de la Foi y quel est ton sort 
aujourd'hui? tes remparts sacrés sont-ils toujours de- 
bout sur la colline, ou d'un si grand nom, hélas! dieux 
du ciel, ne reste-t-il qu'un peu de cendre? Détachez 
vers nous les brises légères, éveillez les vents favorables, 
si les feux carthaginois n'ont point envahi déjà le faite 
de nos temples , et si le secours des flottes latines peut 
nous servir encore. » Ainsi , le jour, la nuit , ils pleurent 
et gémissent. Enfin leur poupe touche aux rives lauren- 
tines, près des lieux oïl le Tibre séculaire, enrichi des 
eaqx que l' Anio lui verse , précipite ses jaunes torrens 
à la mer. 



Rome ouvre aux députés ses remparts fraternels. Le 
consul convoque l'assemblée auguste, ces patriciens heu- 
reux de leur chaste pauvreté , ces grands noms conquis 
par la victoire, ce sénat que sa vertu égale aux dieux^ 
tous ces hommes. illustrés par de hardis faits d'armes, 



90 PUNICORUM LIB. I. (v. 612.) 

Facta animosm viras, et rectî sacra cupido 

Adtollunt , hirtsque togae , neglectaque mensa , 

Dexteraque a curvis capulo iiou segnis aratrîs; 

Ëxiguo faciles^ et opum non îndiga corda , 

Ad parvos currii remeabant saspe pénates. ' 

In foribus sacris, primoque in limttie texnpli 

Cnptivi curruSy belti decus, armaque rapta 

Pugnantum ducibus, ssevaeque in Marte secures , 

Perfossi clipei^ etservantia tela cruorem, 

Claitôtraque portarum pendent : hic Puntca bella , 

£gates cernas , fusaque per aeqtiora classe 

Exactam ponto Libyen testantia rostra : 

Hic galeae Senonura , pensatique inprobus auri 

Arbiter ensis inest , Gallisque ex arce fugatis 

Arfioa reverteatis pompa gestata Camilii : 

Hic spolia ^acidas, hic Epirotica signa, 

Et Liguruni horrentes coni , parmœque rclatae 

Hispaaa de génie rudes, Alpinaque gaesa. 

Sbd posliqiiaui clades patefecit et liorrida bella 

Oranturn squalor, prashens adstare Sagunti 

Ante oculos visa est extrema precantis imago. 

Tum senior inœsto Sicoris sic incipit ore: 

c( SaCfâta gens clara fide , qiiam rite fatentur 

Marte satam populi ferro parère subacti , 

Ne crèdc emensos levia ob discrimina ponlum. 

Vidîmus obsessam patriam, murosque trementes: 



LES PUNIQUES, LIV. I. 91 

par leur amour sacvé de In justice, leur rude toge, leur" 
table frugale, leur bras toujours à l'œuvré, quittant 
pour le glaive la charrue recourbée. Contens de peu, 
ils ignoraient le besoin des richesses , et le char du 
triomphe les ramena souvent à leurs humbles pénates. 

Au seuil du temple et sous les saciës porti(]ues, sout 
suspendus de glorieux» trophées : les chars pris à l'en- 
nemi, les armes ravies aux généraux d'armée, les ha- 
c:hes meurtrières des batailles, les boucliers troués, les 
dards teints de sang, les portes ferrées des cités; ici les 
débris des guerres Puniques, ces rostres de la flotte 
dispersée auK Égales , ces témoignages de la défaite 
navale des Libyens chassés de toutes les mers; ailleurs 
les casques des Sénons, et ce glaive, arbitre injuste du 
poids de l'or, et ces armes dont Camille repoussa les 
Gaulois du Capilofe, et qu'il portait dans la marche 
solennelle de son retour. Plus loi» , les dépouilles tk 
TEacide et les enseignes Epirotiques , les cônes hérissés 
des Liguriens, les pannes grossières enlevées aux peu- 
ples d'Espagne et les gèses des Alpes. 

Quaiid les députés s'avancèrent, à leur abattement 
on comprit leurs malheurs et leurs luttes terribles; ou 
crut voir paraître l'image éplorée de Sagonte exhalant 
sa dernière prière. Le vieillard Sicoris commença ainsi 
d'une voix lamentable : «Peuple célèbre par l'inviolable 
durée de ta foi , toi qu'à bon droit proclament enfant de 
Mars les nations soumises par le fer à ton obéissance , 
ne pense pas que nous ayons traversé les mers pour de 
vaines alarmes. Nous avons, vu notre patrie assiégée, 
nos murailles croulantes, et celiri qu'ont engendré d'im- 



ga PUNICORUM LIB. I. (v. 638.) 

Et , quem insana fréta , aut cœtus genuere ferarum , 
Vidiiims Hannibalem : procul bis a mœnibus, oroL, 
Arcete , o Superi , nostroque in Marte teaete 
Fatiferae juvenem dextrae : qua mole sonantes 
Ëxigit ille trabes! et quantus crescit in arniis! 
Trans juga Pyrënes, médium indignatus Hiberum, 
Ëxcivit Càlpen , et mersos Syrtis arenis 
Molitur populos, majoraque mœnia quaerit. 
Spumeus.hic, medio qui surgit ab aequore, fluctus. 
Si probibere piget , vestras eflringet in urbes. 
An tanti pretium motus, ruptique per enses 
Fœderisy boc juveni, jurata in bella ruenti, 
Creditisy ut statuât superatae jura Sagunto? 
Ocius ite, viri, et nascentem exstinguite flammam. 
Ne serae redeant post aucta pericula curae. 
Quamquam o! si nullus teiTor, non obruta jam nunc 
Semiua fumarent belli : vestraene Sagunto 
Spernendum consanguineam protendere dextram? 
Ornais Hiber, omnis rapidis fera Gallia turmis , 
Omnis ab aestifero sitiens Libys inminet axe. 
Per vos culta diu Rutulae primordia gentis, 
Laurentemque Larem, et genetricis pignora Trojae, 
Conserva te pios, qui permutare coacti 
Âcrisioneis Tirynthia cuhnina mûris. 
Vos etiam Zanclen Siculi contra arma tyranni 
Juvisse egregium ; vos et Campana tueri 



LES PUNIQUES , LIV. I. 93 

purs rivages ou les repaires des bêtes féroces, Annibal, 
nous l'avons Vu! Éloignez , dieux du ciel, je vous en 
prie , éloignez de^ces remparts et retenez sur nos têtes sa 
fatale colère : avec quelle vigueur son jeune bras agite 
et fait siffler la javeline! qu'il apparaît grand sous les 
armes! Au delà des Pyrénées et de l'Èbre, cette limite 
qui l'indigne, il a soulevé Calpé; il remue les peuples 
perdus dans les sables des\Syrtes : il aspire à de plus 
puissantes murailles. Ce flot écumant , jailli du milieu des 
mers, si vous tardez à l'arrêter, se brisera sur vps cités. 
Croyez- vous que, pour prix de tant d'efforts et du traité 
que son glaive a rompu, lui si jeune, lui qui marche à 
la guerre parce qu'il l'a jurée, il se contente d'imposer 
ses lois à Sagonte vaincue? Hâtez-vous, Romains, cou- 
rez éteindre cet incendie qui commence, de peur qu'il ne 
vous en revienne souci plus tard quand le péril aura 
grandi. Et d'ailleurs,. n'eussiez- vous rien ti craindre de 
ces semences de guerre qui germent déjà sous nos cen- 
dres fumantes, poiirriez-vous dédaigner de tendre à votre 
Sagonte une main fraternelle ? L'Ibérie entière vous 
menace , et toute la Gaule sauvage avec ses rapides 
escadrons, et toute celte Libye altérée sous le ciel qui 
la brûle. Au nom de l'origine, long-temps sacrée pour 
vous, du peuple rutule, au nom des lares de Laurente 
et des pieux restes de Troie notre mère, sauvez un allié 
fidèle qui n'a changé qu'à regret les remparts d'Acrisius 
pour les murailles Tîryntliiennes. A vous la gloire déjà 
d'avoir protégé Zanclé contre les armes du tyran de Si- 
cile; à vous, d'avoir défendu les murs de Capoue et re- 
poussé l'invasion des Samnites : c'était là , vous le saviez, 
une ceuvre digne de vos aïeux sigéens. Vieux colon de 
la Daunie, je vous prends à témoin, étangs mystérieux, 



t>i PUNICORUM LIB. I. (v. 6Gi.) 

Mœnia, depuiso Samnitum robore^ dignoin 

Sigeis duxistis avis. Vêtus incola Dauni, 

Testor vos^ fontes et stagna arcana Numîci, 

Quum felix nimium dimitteret Ardea pubem, 

Sacra domumque ferens , et avi pcnetralia Turni , 

Ultra Pyrenen Laurentia nomma duxi. 

Ciir^ ut decisa alque avulsa a corpore meuibra, 

Despiciar, vesterque luat cur foedera sanguis?» 

Taiïokh, ut finitae voces, miserabile visu! 

Submissi palnias, lacerato tegniine vestis, 

Adfigunt proilî squalentia corpora terrœ. 

Inde agitant consulta Patres, curasque fatigant. 

Lentulus, ut cernens adcensœ tecta Sagunti, 

Poscendum pœnae juvenem, celerique negantis 

Exurt belle Cartbaginis arva jubebat. 

At Fabius , cauta specuiator mente futuri , 

Nec laetus dubiis, parcusque lacessçre Martem, 

I . ' • . * 

£t iipelior clauso bellum producere ferro , 
Prima super tantis rébus pensanda : dncisne 
Ceperit arma furor, Patres an signa moveri 
Censuerint ; mittique viros , qui exacta reportent. 
Providus haec, rltu vatis, fundebat ab alto 
Pectore praemeditans Fabiirs surgen^tia Lella. 
Ut sœpe, e celsa grandaevus puppe magister, 
Prospiciens signis ventururn in carbasa Corum y 
,Summo jamchidum substriiigit Untea malo. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 95 

source du Numicus! Dites si le jcHir où, ti*op féoonde, 
Ardée exila ses enfaas, je n'ai point emporté le culte de 
l'ancêtre Tnrnus, les dieux de son foyer et-de ses sanc* 
tuaires, et conduit le nom Laurentin au delà des Pyriv 
nées. Peut-on, après cela, nous repousser comme des 
membres arrachés el séparés du corps , et rotre sang , 
Romains, sera-t-il puni de son alliance?» 



A peine il a cessé de parler, que tous (affligeant spec* 
tacle!) tendent les mains au ciel, déchirent leurs vête- 
mens, et^ dans ce hideux désordre, s'abaissent et se pro- 
sternent jusqu'à terre. Le sénat délibère, agité d'inquiètes 
pensées. Lentulus, qui voit déjà Sagoute eu flammes, 
veut qu'on réclame Annibal pour le punir, et si Car- 
thage le refuse, que ses campagnes soient livrées sur 
l'heure aux feux de la guerre. Miais Fabius, dont le pru- 
dent génie a l'œil sur Tavenir, Fabius, qui n'aime point 
les hasards, qui évite de provoquer le combat et cherche 
plutôt à prolonger la guerre sans tirer l'épée , pense que, 
dans une affaire aussi grave , on doit examiner avant tout 
si la seule fureur du chef lui a mis les armés en main, 
ou si le sénat 4e Carthage a autorisé ces hostilités; il 
faut don'c envoyer des députés, afin d'avoir un fidèle 
rapport : avis prévoyant et sage, exprimé comme un 
oracle par Fabius, dont la haute pensée devine déjà la 
guerre qui s'apprête. Ainsi souvent le vieux pilote, qui, 
du haut de sa poupe, a i*econnu les signes précurseurs 
du Corus, le prévient et replie sa voile au sommet des 
mâts. Mais les larmes, la colère et la douleur tout en- 
semble entraînent l'assemblée entière à précipiter Tac- 



96 PUNICORtJM LIB. I. (v. 690.) 

Sed iacrimae, atque ira mixtus dolor inpulit omnes 

Praecipitare latens fatum : lectique Senatii, 

Qui ductorem adeant : si perstet surdus in armis 

Pactorum , vertant inde ad Carthaginis arces ; 

Nec Divum oblitis itidicere bella morentur. 



LES PUNIQUES, LIV. I. 97 

complisseTnent des destins qu'on ignore : des sénateurs 
sont désignés, ils se rendront près d'Annibal; s'il persiste 
dans la guerre et le mépris des traités, ils iront droit 
aux murs de Cartbage, et, sans attendre, déclareront la 
guerre à cette cité qui oublie les dieux. 



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C. SILIl ITALICl 



PUNICORUM 



USER SECUNDUS. 



Vjjeruleis provecta vadis jam Dardana puppis 
Tristia magDanîmi portabat jussa Senatus, 
Primoresque Patrum. Fabius, Tîrynthîa proies. 
Ter centum memorabat avos, quos turbine Martis 
Abstulit una dîes, quum Fors non aequa labori 
Patricio Cremerae maculavît sanguine ripas. 
Huic cornes aequalo sociavit inunere curas 
Poplicola, ingentis Vôlesi Spartana propago. 
Is j cultam referens insîgni uomine plebem , 
Ausonios atavo ducebat consule fastus. 
Hos ut depositis portum contiugere veKs 
Adlatum Hannibali , consultaque feri*e Senatus , 
Jam medio seram belle poscentia pacem, 
Ductorisque simul conceptas fœdere pœnas ; 
Ocius armatas passim per litora turmas 
Ostentare jubet minitantia signa , recensque 



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C. SILHJS ITALICUS. 



LES PUNIQUES 



LIVRE DEUXIEME. 



Uéjkj sur la plaine azurée , voguait ia nef dardanienne 
qui portait les décrets sévères du magnanime sénat , et 
les premiers patriciens de Rome. Fabius, de race tiryn* 
thienne, rappelait ses trois cents aïeux enlevés en un 
seul jour dans le tourbillon d'une bataille, alors que la 
Fortune , trahissant leurs efforts , souilla de sdng patri- 
cien les rives du Crémère. Son compagnon , son égal , 
l'asseoie de son pouvoir et de ses travaux, Poplicola 
descend du grand Volésus , Spartiate d'origine. Son nom 
est un souvenir éclatant de l'amour des siens pour le 
peuple , et de son aïeul date le consulat aux fastes d'An- 
sonie. 

Leur navire touche au port et plie sa voile. Âiinibal , 
apprenant qu'ils apportent les arrêts du sénat, <|u'ils 
viennent, au milieu de la guerre, solliciter une paix tar- 
dive, et, aux termes solennels du traité, demander son 
supplice, ordonne aussitôt à ses escadrons armés, répan- 
dus sur le rivage, d'agiter à leurs jeux les enseignes me- 
naçantes, les boucliers arrosés d'un sang nouveau, les 

y 



îoo PUNICORUM LIB. II. (v. i:) 

Perfusos clipeos, et tela rubentia CBede. 
«Haud dictis nunc esse iocum ; strepere oinnîa, clamât , 
Tyrrhenae claiigore tubae, gemituque cadentum. 
Diim detur, relegant pontum, nen se addere clausis 
Festitient : notum, quid caede calentibus armis, 
Quantum ir» liceat, motusve quid audeat ensis. » 
Sic ducis adfatu par infaospita litora puisi , 
Converso Tyrios petierunt rémige Patres. 
Hic alto Pœnus fuudentem vêla carinam 
Incessens dextra : «Nostrum, pro Jupiter! iuquit, 
Nostrum ferre caput parât illa per aequora puppis. 
Heu! csecae mentes, tumefaclaque corda secundis! 
Ârmatum Hannibalem pœnae petit inpia tellus. 
Ne déposée, adero : dabitur tibi copia nostri 
Ante exspectatum; portisque focisque timebis, 
Quae nunc externos défendis, Boma, Pénates. 
Tarpeios ilerum scopulos prœruptaque saxa 
Scandatis licet, et celsam migretis in arcem, 
Nullo jam capti vitam pensabitis auro. » 
Incëitsi dictis animi , et furor additus armis ; 
Conditur extemplo telorum nubibus aether. 
Et densa résonant saxorum graudine turres. 
Ardor agit , provecta queat dum cernere muros , 
Inque oculis profugae Martem exercere carinae. 
Ipse autem incensas promissa piacula turmas 
Fla^itat, insiguis nudato vulnere^ ductor^ 



LES PUNIQUES, LIV. II. toi 

traits rougis par le carnage. «Ce n'est point ici le lieu 
<le s'entendre, s'écrie-t-il ; partout éclatent les sons de 
la trompette tyrrhénienne et les sanglots des mourans. 
Ils sont libres encore : qu'ils reprennent le chemin des 
mers, et ne s'enferment pas à plaisir avec les assièges; 
on sait ce que peuvent des armes échauffées par le 
carnage, ce qu'oserait la colère, ou le glaive une fois 
tiré. » Ainsi repoussés, par les menaces d'Annibal, de ces 
rivages défendus , ils s'en retournent et rament vers 
Carthage. 

Le Carthaginois, poursuivant du doigt la carène qui 
pousse au large à pleines voiles : « Notre tête, oui, par 
Jupiter, dit-il , c'est notre tête que ce navire espère em- 
porter sur les flots avec lui. Esprits aveugles , cœurs 
enflés par le succès! la maudite cité veut le supplice 
d'Annibal, et d'Annibal armé! Ne me réclame pas; j'irai ! 
tu me verras, et à loisir, et plus tôt que tu ne souhaites : 
tu trembleras pour tes murs et tes foyers, Rome, qui 
défends aujourd'hui les pénates des autres. Vous aurez 
beau gravir encore vos roches Tarpéiennes , vos cimes 
escarpées , et vous loger au faîte d'une citadelle; une fois 
^ris, il n'y a pas d'or au monde qui paierait votre vie! » 



Ces mots enflamment sou armée et ajoutent la fureur 
au courage. A l'instant une nuée de traits obscurcit le 
ciel , et les tours retentissent sous les coups répétés 
d'une grêle de pierres. Us pressent l'attaque, tandis que 
de loin sur mer on voit encore la ville; ils brûlent d'exer- 
cer leur rage aux yeux de la nef fugitive. Le chef alors 
réclame de ses troupes enflammées la vengeance promise ; 
il montre à nu sa blessure, il recommence ses plaintes; 



I02 PllNICORUM LIB. IL (v. 43.) 

Ac repetens questus furibundo personai ore : 
«Poscimur, o socii ! Fabiusque e puppe catenas 
Ostentat, dominique vocat nos ira Senatus. 
Si taedet cœpti , culpandave movimus arma , 
Ausooiam ponto propere revocate carinam; 
Nil moror : evîncta lacerandum tradite dextra. 
Nain cur, Eoi deductus origine Beli, 
Tôt Libyae populîs, tôt circumfusus Hiberis, 
3ervitium perferre negem? Rhœteius imo 
Imperet aeternum , et populis seclisque propaget 
Régna ferox : nos jussa viruin nutusque tremamus. » 
Effundunt gemitus, atque omina tristia vertiint 
In stirpem ^neadum, ac stimulant clamoribns iras. 

DisdNCTOS inter Libyas populosque bilingues, 
Marmaricis audax in bella Œnotria signis 
Yeoerat Asbyte, proies Garamantis larbae. 
Hammone hic genitus, Phorcynidos antra Medusae, 
Cinyphiumque Macen , et iniquo e sole calentes 
Battiadas late imperio. sceptrisque regebat ; 
Cui patrius Nasamon, œternumque arida Barce, 
Gui nemora Autololum , atque infidae litora Syrtis 
Parebant , nullaque levis Gsetuius habena. 
Atque is fundarat thalamos Tritonide nympha j 
Unde genus , proavumque Jovem regina ferebat j 
Et sua fatidico repetebat nomina luco. 
Haec ignara viri , vacuoque adsueta cubiii , 



LES PUNIQUES, LIV. II. io3 

sa furie éclate, il s'écrie : «On veut ma vie, amis : Fa- 
bius a montré des chaînes sur sa poupe; le sénat irrité 
nous mande en maître à ses pieds. Si vous avez regret 
de cette guerre, si c'est un crime à nous d'avoir pris 
les armes, hâtez-vous, rappelez le navire ausonien, j'y 
consens : livrez->moî, poings liés, aux tortures. De quel 
droit , en effet , moi qui descends de Bélus l'Orien-» 
tal, moi qu'environne l'amour de tant de peuples de 
la Libye et de Tlbérie, refuserais-je de subir l'escla- 
vage? jN 'est-ce pas au Rhétéen à commander éternelle- 
ment, à étendre sur tous les peuples et par tous le$ 
siècles sa domination souveraine! ^. nous, de trembler 
devant le regard et la volonté de ces hommes! » Ils se 
répandent en gémissemens , ils renvoient ces tristes au- 
gures à la race des enfans d'Énée, ils réveillent à grands 
cris leurs fureurs. 

Parmi les Libyens à la robe flottante et les peuples 
au double langage, était accourue pour combattre l'Eno- 
trie sous les enseignes de Marmarique, l'intrépide As- 
byté , fille dlarbas le Garamante. Enfant d'Ammon , 
larbas tenait au loin sous son sceptre et son empire 
les antres de Méduse , fille de Phorcus , et le Mace 
des bords du Cinyphe, et les Battiades brûlés des feux 
d'un soleil ennemi. C'est à lui qu'obéissaient et le Na- 
samon son compatriote , et Barcé toujours aride , et 
les forêts des Autololes, et les rivages de la Syrte per- 
fide, et le Gétule qui bondit sur un coursier sans bride. 
Il avait choisi, pour appui de sa maison, une nymphe 
Tritonide : issue de cette union, la reine se vantait 
d*avoir Jupiter pour ancêtre, et du bois prophétique 
tirait l'origine de sa gloire. Ignorante des hommes , 
habituée à sa couche solitaire , la chasse et les forêts 



ïo4 PUNICORUM LIB. IL (v. 69.) 

Venatu et silvis prîmos defenderat annos : 

Non calathis moUita manus, operatave fuso, 

Dîctynnam, et saltus, et anhelum inpellere planta 

Cornipedem , ac stravisse feras inmitis atnabat. 

Quales Threicise Rhodopen Pangaeaque lustrant 

Saxosis nemora alta jugis j cursuque fatigant 

Hebrum innupta manus : spreti Ciconesque, Getaeque, 

Et Rhesi domus^ et lunatis Bistones armis. 

Ergo habitu insignis patrio , religata fluentem 

Hesperidum dono crinem , dextrumque feroci 

]N[iida latus Marti y ac fulgentem tegmine laevam 

Thermodontiaca munita in prœlia pelta , 

Fumantem rapidis quatiebat cursibus axem. 

Pars comitum bijugo curru j pars cetera dorso 

Fertur equi ; nec non Veneris jam fœdera passae 

Keginam cingunt : sed virgine densior ala est. 

Ipsa autem gregibus per ionga mapaiia lectos 

Ante aciem ostentabat equos y tumuloque propinquo , 

Dum sequitur gyris campum, vibrata per auras 

Spicula contorquens sunima ponebat in arce. 

Hang hasta toties intrantem niœnia Mopsus 

Non tulit, et celsis senior Gortynia mûris 

Tela sonante fugat uervo j liquidasque per auras 

Dirigit aligero letalia vulnera ferro. 

Cres erat, aerisonis Curetum advectus ab antris, 

Dictaeos agitare puer levîoribus annis 



LES PUNIQUES, LIV. II. io5 

out protégé ses prenlières années : sa main ne s'est point 
énervée aux travaux de la corbeille ou du fuseau : la vierge 
sauvage aime Dictynne , et les bois , et le coursier hale- 
tant qu'elle presse de l'éperon , et la proie qu'elle ter- 
rasse. Telles les filles de Thrace franchissent les crêtes 
escarpées et les hautes forêts du Rhodope et du Pangée, 
et fatiguent l'Hèbre de leur course : elles refusent l'hy- 
men, et méprisent les Ciconiens et les Gètes, et les fils 
de Rhésus , et les Bistoniens aux armes en croissant. 

Parée à la manière de sa patrie, un nœud, présent 
des Hespérides, retient sa flottante chevelure; son flanc 
droit est nu, et libre pour la lutte; sa gauche brille 
sous l'abri protecteur du bouclier du Thennodon. Son 
essieu lancé vole et fume en sa course rapide. Ses com- 
pagnes , portées les unes sur un char traîné par deux 
chevaux, les autres sur le dos d'un coursier, environnent 
leur reine : plusieurs, parmi elles, out subi déjà les lois 
de Vénus , mais les vierges sont en plus grand nombre. 
L'héroïne, à la tête de l'armée, promène ses coursiers su- 
perbes, l'élite des troupeaux de ses haras lointains; elle 
suit mille détours dans la plaine, et, d'une érainence 
voisine, darde ses flèches qui vibrent dans l'air et vont 
atteindre les hauteurs de la citadelle. 

Mopsus ne put voir tant de fois ses javelots pénétrer au 
' sein de la place : du sommet des remparts , le vieillard 
dirige à travers l'espace un trait de Gortyne; la corde 
sonne , et chasse le fer ailé dont la blessure est mortelle. 
Mopsus était Cretois , et venu des ant|*es où retentit l'ai- 
rain des Curetés. Aux jours frivoles de son enfance, il 
s'était long-temps exercé dans les forêts de Dicté à dé- 



loÇ PUNICORUM LIE. IL (v. gS ) 

Paniiata saltus adsuetus arundine Mopsus. 
Ilie vagam cœlo demisit saepe volucrem , 
Ille procul cainpo linquentem retia cervum 
Vulaere sistebat ; rueretque inopioa $ub ictu 
Aate fei'a incaulo , quam sibila poneret arcus. 
Nec se tum pharetra jactavit justîus ulla, 
£ois quamquam certet Gortyna sagittis. 
Veruin ul opum levior venatu extendere. vitam 
Abnuit , atque arlae res exegere per aequor, 
Coujuge ciiin Meroe natisque inglorius hospes 
Intrarat miseram fato ducente Saguutam. 
Coryti fratrum ex huiuei*is calatnique paterni 
Peodebant , voliicerqiie chalybs j Minoia tela. 
Hic médias juvenuni Massylae gentis in agmen 
Crebra Cydoneo fundebat spicula cornu. 
JamGaramum^ audacemqueThyrura,pariterque ruentes 
Crii^onem , levenique Bagam ^ indiguumque sagittae , 
Inpubem malas , tam certae obcurrera Lyxum 
Fuderat, et plena tractabat bella pharetra. 
Tum y vultum intendeus telumque in virginis ora , 
DeseiHqm non grata Jovera per vota vocs^bat. 
Namque ut fatiferos converti prospicit arcua, 
Obposile procul insidiis Nasamonias Harpe 
Corpore prœripuit letum, calamumque volantem, 
Dum clamât I patulo excipiens tramisit hiatu , 
Et pr unae ferrum a tergo videre sorores. 



LES PUNIQUES, LIV. H 107 

cocher les flèches empennées. Souvent il abattit du haut 
des airs l'oiseau voyageur : souvent , au loin dans la 
plaine, il arrêta, par un coup imprévu, le cerf échappé 
des filets , et Tanimal , surpris dans sa fuite , était tombé 
sous la blessure, que Tare sifflait encore. Gortyne n'eût 
pu justement alors vanter un carquois meilleur que le 
sfen , et Gortyoe défiait les archers de l'Orient. Mais il 
était pauvre, et la chasse ne pouvait suffire au soutien 
de sa vie : dans sa détresse, il passa les mers, et vint, avec 
Méroé sa femme et avec ses enfans, s'établir, étranger 
et sans gloire, dans les murs malheureux de Sagonte, où 
le destin l'avait conduit. Comme leur père, les deux fières 
portent suspendus à leurs épaules et l'étui léger , vt les 
flèches, et le fer ailé, armes de Crète. Placé entre ses 
jeunes fils, Mopsus faisait pleuvoir sur les bataillons 
niassyliens les mille dards de sa corne cydonienne. Déjà 
il a renversé Garamus, et le hardi Thyrus, et Gisgon, 
et l'imberbe Bagas, qui l'attaquaient ensemble, et Lyxus 
à la joue sans duvet, victime peu digne d'une flèche aussi 
sûre : son carquois plein faisait rude guerre. Il aperçoit 
l'héroïne , et soudain , l'œil et le trait dirigés contre 
elle , il invoque Jupiter qu'il a délaissé. Son vœu n'est 
point entendu : Harpe la Nasamone Ta vu tendre l'arc 
ùiial ; elle oppose son corps au fer qui de loin me- 
nace la reine , et reçoit la mort h sa place : sa bouche 
entr'ouverte allait pousser un cri , mais le roseau vole 
et lui perce le gosier; et ses sœurs les premières voient 
derrière elle le fer sortir de la blessure. L'iiéroïne frémit 
de la chute de sa compagne; elle soulève ses membres 
abattus, elle arrose de larmes ses yeux qui s'éteignent et 
nagent dans les ténèbres ^ puis, de toutes tes forces de sa 
douleur, elle darde sur les remparts un javelot meurtrier; 



io8 PUNICORUM LIB. II. (v. m.) 

Ai comitis frendens casu labentia virgo 

Membra levât, parvaque oculos jam luce natantcs 

Inrorat lacrimis , totisque adnisa doloris 

Yiribus intorquet letalcm in mœnia cornum. 

Illa voians humerum rapide transverberat ictu 

Cohantis Dorylae, junctis jam cornibus arcus, 

Et ducti spatium nervi complente sagitta, 

Excutere in ventes resoluto pollice ferrum. 

Tum subitum in vulnus prsceps devolvitur altis 

Aggeribus mûri , juxtaque cadentia membra 

Effusi versa calami fluxere pharelra. 

Exclamât paribus frater vicinus in armis 

Icarûs^ ulciscique parât lacrimabile fatum : 

Atque illum, raplim promentem in prœlia telum^ 

Hannibal excussi prœvertit turbine saxi. 

Labuntur gelido torpentia frigore membra , 

Deficiensque manus pharetrœ sua tela remisit. 

At pater in gemino natorum funere Mopsus 

Conreptos arcus ter mœsta niovit ab ira : 

Ter cecidit dextra, et notas dolor abstulit artes. 

Pœnitet heu! sero, dulces liquisse pénates, 

Adreptoque avide, quo concidis, Icare, saxo, 

Postquam aevum senior percussaque pectora frustra 

Sentit, et, ut tantos compescat morte dolores, 

Nil opis in dextra , vastœ se culmine turris 

Prœcipitem jacit , et delapsus pondère prono 

Membra super nati moribuados explicat artus. 



LES PUNIQUES , LIV. IL 109 

Le bois vole , et d'un coup rapide frappe et traverse 
lepaule de Dorylas : il veuait de courber et de joindre 
avec effort les extrémités de son arc ; la corde raidie , 
la flèche droite et tendue au milieu j son doigt se levait 
pour chasser le trait dans les airs : soudain le héros 
blessé chancelle ^ et roule précipitamment du haut des 
murailles; dans sa. chute , ses flèches glissent le long 
de ses membres et s'échappent du carquois renversé. A 
ses côtés, armé de même, Icare son frère pousse un cri, 
et s'apprête à venger sa triste destinée : il s'empresse, 
tire une flèche; Annibal le prévient, et lui lance une 
pierre dont le choc le terrasse. Il tombe, engourdi et 
glacé du froid de la mort, et sa main défaillante laisse 
rentrer la flèche au fond de son carquois. 



A là vue du trépas de ses deux fils^ leur père, dans 
un mouvement de douleur et de rage, saisit trois fois 
son arc, et trois fois sa main retombe, oublieuse de son 
art et vaincue par la souffrance. Il regrette , trop tard 
hélas! les pénates chéris qu'il a quittés; il ramasse avi- 
dement la pierre qui te renverse, Icare, et s'en frappe 
la poitrine : vains efforts; le vieillard a bientôt compris 
que son bras, affaibH par l'âge, est impuissant à soula- 
ger par la mort de si vives douleurs : du faîte d'une vaste 
tour il se précipite; son poids l'entraîne, il tombe et 
couvre de ses membres mourans le cadavre de son fils. 



I lo PUNXGORUM UB. II. (^ »4«.) 

DuH cadk externo Gortynius advena bdlo, 

Jatn nova molilus stitnulato milite Theron, 

Alcidae templi custos arœque sacerdos, 

Non exspectatiim Tyriis efTuderat agmen , 

Et fera miscebat reserata prœlia porta. , 

Atque illi non hasta manu, non vertice cassis, 

Sed (isus latis liumeris et mole juvenlse 

Agmina vastabat clava , niliil indigus ensis. 

Exuviae capiti inpositae tegimenqne leonîs 

Terribilem adtollunt excelso vertice rictum. 

Centum angues idem Lernaeaque monstra gerebat 

In clipea^^et sectis geminam serpentibus Hydram. 

nie Jubam, Thapsumque* patrem , clarumque Micipsam 

Nomine avi, Maurumque Saceu, a mœnibus actes 

Palantesque fuga pfseceps ad litora cursu 

Egeç^t, atque una spumabant aequora dextra. 

Nec contentus Idi leto, letoque Cothonis 

Marmaridae, nec csede Rothi, nec caede Jugurthaè , 

Asbytes currum et radiantis legmina laenae 

Poscebat votis, gemmataque lumina peltae, 

Atque in belligera versabat virgine mentem. 

Quem ruere ut tejo vidit regina cruento, 

Obliquos detorquet equos , laevumque per orbem 

Fallaci gyro campum secat, ac, velut aies, 

Averso rapitur sinuata per. aequora curru. 

Dumque ea se ex oculis aufert , atque ocior Euro, 



LES PUNIQUES, LIV. IL m 

Tandis que l'émigré de Gdrtyiie succombait ninsv daas 
une guerre étrangère, Théron, gardien du temple d'AU 
cide et prêtre de ses autels, avait animé le soldat et 
improvisé une attaque nouvelle. Contre Tattente dès Ty- 
rienS) il avait ouvert une porte de la ville, et, les char- 
geant avec sa troupe, leur livrait un combat acharné. 
Il n'a ni la haste à la main, ni le casque sur le front : 
il a foi en ses jeunes et larges épaules , en sa taille 
géante : il dépeuple les bataillons de sa massue, et n'a 
que faire du glaive* Couvert de la dépouille et de la 
peau d'un lion dont la terrible gueule se dresse béante 
au dessus de sa tête , il porte sur son bouclier les cent 
vipères du monstre de Lerne, et les serpens hachés de 
l'Hydre renaissante. Il repousse du pied des murailles 
Juba, le vieux Thapsus, et Micipsa^ glorieux du nom 
de son aïeul, et le Maure Sacèa; il les disperse et les 
refoule à pas précipités vers les rivages : les vagues 
écumeut du seul carnage de son bras. Non content du 
trépas dldiis et du trépas de Côthon le Marmaride, 
du meurtre de Rothus et du meurtre de Jugurtha ^ il 
appelle de ses vœux le char d'Ashyté, la radieuse chla- 
niyde qui la couvi*e, son bouclier aux pierres étince- 
luntes; seule, la vierge guerrière occupe sa pensée. 
La reine te voit fondre sur elle et brandir son arme 
sanglante : elle détourne ses coursiers , trace oblique- 
ment à gauche un cercle dans la plaine, l'élude par 
ce détour, s'échappe comme l'oiseau, entraînée sur son 
char qui glisse et serpente à travers la campagne, et 
se dérobe à la vue. Plus agiles que TËurus, ses cour- 
siers emportés soulèvent dans la plaine un nuage de 
poussière ; sa roue bruyante écrase au loin les ba- 
taillons qu'elle rencontre : la vierge épouvante et ac- 



lia PUNICORUM LtB. IL (v. 174) 

Incita pulveream campo trahit ungula nubem j 

Adversum late strîdens rota proterit agmen , 

Ingerit et crebras virgo trepidantibus hastas. 

Hic cecidere Lyçus, Thamyrisque, et nobile nomen 

Eurydamas, clari deductum stirpe parentis, 

Qui thalamos ausus quondam sperare superbos, 

Heu démens! Itbacique torum, sed enim arte pudica 

Fallacis toties revoluto staminé tel» 

Deceptus , mersum pelago jactarat Ulixem : 

Âst Ithacus vero fie ta pro morte loquacem 

Adfecit leto , taedaeque ad funera vers». 

Grens extrema viri campis deietur Hiberis 

Eurydamas Nomados dextra; superinstrepit ater, 

Et seryat cursum perfractis ossibus axis. 

Jamque aderat remeans virgo, inter prœlia postquam 

Distringi Therona videt , saevamque bipennem 

Perlibrans raediae fronti, spolium inde superbum 

Herculeasque tibi exuviasy Dictynna, vovebal. 

Nec segnis Theron tantae spe laudis in ipsos 

Adversus consurgit equos, viilosaque fulvi 

Ingerit objectans trepidantibus ora leonis. 

Adtoniti terrore novo rictuque minact 

Quadrupèdes jactant resupino pondère currum. 

Tum saltu Asbyten conantem linquere pugnas 

Occupât, incussa gemina inter tempora clava, 

Ferventesque rplas turbataque frcna pavore 



LES PUNIQUES, LÏV. IL ii3 

cable rennemi des coups pressés de sa lance. Elle im- 
mole Lycus j Thaniyris , Eurydamas dont le noble nom 
rappelle une illustre origine. Son ancêtre avait osé jadis 
aspirer à une auguste alliance, l'insensé! à la couche du 
roi d'Ithaque. Abusé par la chasie industrie qui recom- 
mença tant de fois la trame d'une toile trompeuse, il 
avait publié qu'Ulysse était englouti dans les flots : mais 
rithacien, pour prix de ce trépas supposé, punit de mort 
vraie l'imposteur : ses flambeaux d'hymen éclairèrent ses 
funérailles. Le dernier de ses descéndans, Eurydamas 
péril aux plaines d^Ibérie de la main de l'Africaine; l'axe 
noir de sang roule en criant sur lui , et poursuit sa course 
en lui brisant les oà. 



La vierge revient sur ses pas, et voyant Théron aux 
prises dans la mêlée , elle balance sur lui sa hache 
meurtrière, le mesure au milieu du front, et d'avance, 
ô Dictynne, elle te vouait déjà la dépouille superbe de 
l'ennemi et sa parure herculéenne. Mais Théron , que 
n'enflamme pas moins l'espoir d'une si belle gloire , 
se dresse au devant des chevaux , et les heurte en agi- 
tant à leurs yeux effrayés la têle fauve et chevelue du 
lion. Saisis de terreur à la vue de cet étrange épouvan- 
tail , de cette gueule menaçante, les coursiers renversent 
le char et culbutent leur guide. Asbyté veut se dégager, 
et se dérober au combat : Théron la prévient, s'élance, 
lui assène entre les deux tempes un coup de sa massue, 
et fait jailhr sur les roues brûlantes, sur les rênes en 
L 8 



ii4 PUNICORUM LIB. II. (v. 200) 

Disjeclo spargit conlisa per ossa cerebro, 

Ac rapta propcrans caedem ostentare bipenni. 

Amputât e curru revolutae virginis ora. 

Necdnm irae positœ : celsa nam figitur hasta 

Spectandura caput; id gestent ante agmina Pœnuin 

Imperat , et propere cnrrus ad mœnia vertant 

Haec caecus fati, divumque abeiinte favore, 

Viciiio Theron edebat prœlia leto. 

Namcjue aderat toto ore ferens iramqne mihasque 

Hannibal , et caesam Asbyten , (ixique tropaeiim 

Infandum capîtis furiata mente dolebat. 

Ac simul aerati radiavit luminis umbo, 

Et concussa procul membrîs velocibus arma 

Letiferum intoniiere, fugam perculsa repente 

Ad muros trepido convertunt agmina cursu : 

Sicut agit levibus per sera crepnscula pennis 

E pastu volucres ad nota cubilia Vesper; 

Aut, ubi Cecropius formidine nubis aquosae 

Sparsa super flores examina tollit Hymettos, 

Ad dulces ceras et odori corticis antra 

Mellis apes gravidae properaut, densoque volatu 

Ranciim connexae glomerant ad limina murmùr. 

Praecipitat metus adtonitos, caecique feruntur. 

Heu blandum cœli lumen ! tantone cavetur 

Mors reditura metu, nascentique addita fata? 

Consilium damnant , portaque atque aggere tuto 



LES PUNIQUES, LIV. IL ii5 

désordre y les os brojes et les éclats de la cervelle. Em- 
pressé de montrer à tous ce coup mortel , il prend la hache 
de la vierge tombée du char, et lui tranche la tête. Mais 
sa fureur n'est point assouvie : il élève cette tête en spec- 
tacle au bout d'une pique , il veut qu'on la porte devant 
les bataillons carthaginois , et qu'on rentre sans délai 
le char dans la ville. Ainsi Théron s'acharnait au car- 
nage; aveuglé sur sa destinée, il ne voit pas que la fa- 
veur des dieux l'abandonne, et que le trépas va l'attein- 
dre. Annibal accourt ; tous ses traits annoncent la colère 
et la menace : il pleure avec rage au fond de l'âme la 
mort d'Asbyté et celte tête promenée comme un infâme 
trophée. A peine a lui l'éclair de son bouclier d'airain; 
à peine, secouée au loin sur ses membres agiles, son 
armure fatale a tonné, l'ennemi tremblant s'enfuit à la 
hâte et regagne à pas précipités ses murailles. Tels, 
au crépuscule du soir, s'envolent d'une aile légère ces 
oiseaux rassasiés que Vesper rappelle au gite accoutumé: 
ou tels encore ces essaims errans sur les fleurs de l'Hy- 
mette et que la peur d'une nuée pluvieuse éloigne des 
cimes cécropiennes; chargées de miel, ces abeilles s'em- 
pressent de retourner à leurs cires chéries , à leurs 
cellules d'écorce odorante, et, voltigeant eu foule, se 
roulent en pelotons serrés et bourdonnent sourdement 
à l'entrée de la ruche. La crainte pousse au hasard le 
soldat effrayé et Tenlraîne en désordre. Douce lumière 
du ciel! Hélas! pourquoi se garder ainsi de la mort qui 
doit revenir, et tant redouter le sort qu'on apporte en 
naissant? Ils maudissent leur sortie, ils gémissent d'avoir 
ainsi quitté l'abri de leurs portes et de leurs murailles. 
Théron a peine à les retenir; du bras, de la voix il les 
menace : « Arrêtez, soldats ! c'est mon ennemi , à moi ! 

8. 



ii6 PUNICORIJM LIB. II. (v. ^afi.) 

£rupisse gemunt : retinet vix agmina Tlieroti, 

Iiiterdumque manu, interdum clamore minisque , 

aSlate, viri : meus ille hostis : mihi gloria magnae, 

State, venit puguae! muro tectisque Sagunti 

Mac abigam Pœnos dextra : spectacula tautum 

Ferle, viri : vel, si cunctos metus acer in urbem. 

Heu déforme! rapit, soli mihi claudite portas. » 

At Pœnus l'apido praeceps ad mœnia cursu , 

Dum pavitant trepidi rerum fessique salutis, 

Tendebat : stat primam urhem murosque patentes 

Postposita caede et dilata invadere pugna. 

Id postquam Herculeae custos videt inpiger arae, 

Emicat, et velox. formidine praevenit hostem. 

Gliscit Elissaeo violentior ira tyranno. 

« Tu solve interea nobis, boue janitor urbis, 

Supplicium, ut pandas, inquit, tua mœnia leto. » 

Nec phira efiari sinit ira , rolatqu^^ roruscum 

Mucronein : sed coutortum prior impete vasto 

Dauniiis huic robur juvenis jacit; arma fragore 

Icta gravi raucum gemuere, alteqùe résultant 

^re inlisa cavo nodosse pondéra clavae. 

At viduus teb , et frustrato proditus ictu, 

Pernici velox cursu rapit incita membra, 

£t céleri fugiens perlustrat mœnia planta. 

Instat atrox terga increpitans fugientia victor. 

Conclamant matres, celsoque e culmine mûri 



LES PUNIQUES, LIV. II. 117 

c'est pour moi , pour ma gloiie que l'heure de cette grande 
lutte est venue : arrêtez! De cette main je vais repousser 
les Carthaginois des remparts et des maisons de Sagonte. 
Soutenez seulement , soldats , la vue de ce spectacle ; ou 
si tous une lâche terreur vous rejette dans la ville, à vous 
la honte! laissez-moi seul , et fermez vos portes! » 



Pendant qu'ils hésitent treniblans et consternés, dé- 
sespérant de leur salut, le Carthaginois se précipite 
d'un pas rapide vers les remparts r il tient à s'empa* 
rer d'abord de la ville dont les portes sont ouvertes, 
dût-il un moment différer le combat et suspendre le 
carnage. Le gardien des autels d'Hercule le devine, et, 
dans cette crainte , il s'élance vivement , et prévient 
l'ennemi par sa vitesse. La rage redouble de violence 
au cœur du chef élissécM- <k Tu vas nous le payer de 
ta tête, beau portier de cette ville, et ta mort, lui dit-il, 
nous ouvrira tes remparts, a La colère ne lui permet pas 
d'en dire davantage : il agite son épée étincelante; mais 
le héros daunien le devance, et d'un élan vigoureux lui 
jette son énorme massue : sous cette lourde atteinte, 
l'armure d'Ânnibal résonne et mugit sourdement, et le 
tronc noueux, et pesant bondit en éclats sur l'airain bombé 
qui le brise. Désarmé, trahi parce coup sans portée, 
Théron vole, s'échappe et fuit avec rapidité, parcourant 
d'un pied agile l'enceinte des murailles. L'ardent vain- 
(|ueur s'attache à ses pas et le poursuit de ses railleries. 
Les femmes poussent des cris lamentables; au faîte des 
remparts, les gémissemens, les clameurs éclatent et se 
confondent : on répète son nom si connu, on l'appelle, on 



ii8 PUNICORUM LIB. U. (v. aSti.) 

Lanientis vox mixta sonat : nunc nomitie noto 
Adpellant, seras fesso nunc pandere portas 
Posse volunt : quatit hortantum praecordia terror. 
Ne simul adcipiant ingenteni mœnibus hostem. 
Incutit umbonem fesso , adsultatque ruenti 
Pœnusy et ostentans spectantem e mœnibus urbem, 
« 1 9 miseram Asbylen leto solare propinquo. » 
Haec dicens, jugulo optantis dimittere vitaoi 
Infestum condit mucronem , ac regia Isetus 
Quadrupèdes spolia abreptos a mœnibus ipsis^ 
Quîs aditum portae trepidantum sepserat agmen , 
Victor agit, curruque volât per ovantia castra. 
At Nomadum furibunda cohors miserabile humandi 
Deproperat munus, tumulique adjungit honorem , 
Et rapto cineres ter circum corpore lustrât. 
Hinc létale viri robur tegimenque tremendum 
In flammas jaciunt« ambustoque ore, genisque, 
Déforme aiitibus liquere cadaver Hiberis. 

PoENORUM interea quîs rerum summa potestas, 
Consultant bello super, et quae dicta ferantur 
Ausouiae a populis, oratorumque minaci 
Adventu trépidant : movet hinc fœdusque, fidesque, 
Et testes Superi, jurataque pacta parentum; 
Hinc popularis amor cœptantis magna juventœ; 
£t sperare juvat belli meliora : sed olim 
Ductorem infestaus odiis gentilibus Hannon, 



LES PUNIQUES, LIV. II. 119 

voudrait 9 mais trop tard, pouvoir ouvrir les portes au 
gueirier fatigué : on l'encourage, mais l'alarme agite 
tous les cœurs; on tremble d'introduire avec lui l'ennemi 
terrible dans la ville. Le Carthaginois le heurte enfin du 
revers de son bouclier, le terrasse, fond sur lui, et lui 
montrant la ville entière qui le contemple du haut des 
murs : «Va, et que ta mort, que je ne lui fais pas ai- 
tendre, console Asbyté dans son malheur! » Il dit, et, 
frappant le héros avide de mourir, il lui plonge dans la 
gorge son fer meurtrier; puis, joyeux, il ramène du pied 
des remparts les coursiers d' Asbyté, ce royal butin que, 
dans le désordre de leur fuite, les assiégés ont laissé hors 
des portes; il les guide en vainqueur, et, monté sur le 
char, il vole en triomphe au milieu de son armée. 

La troupe furieuse des Nomades s'empresse d'accom- 
plir un triste devoir, et de rendre à la reine les honneurs 
de la sépulture et de la tombe. Trois fois elles traînent 
solennellement autour de ses cendres le cadavre de Thé- 
ron ; puis elles jettent aux flammes la fatale massue et 
l'horrible parure du guerrier, lui brûlent la bouche et 
les joues, et abandonnent ses restes mutilés aux oiseaux 
d'Ibérie. 

Cependant les maîtres souverains de Carthage s'as- 
semblent pour délibérer sur la guerre : on redoute 
le message des peuples d'Ausonie, et l'arrivée de leur 
députation menaçante; d'un coté, on songe au traité, à 
la foi promise, aux. dieux témoins des sermens, aux pac- 
tes jurés par les ancêtres; de l'autre, on cède à cet 
amour du peuple pour un jeune héros si grand à son 
début, on se flatte de l'espoir d'une guerre plus heureuse. 
Mais Hannon, que ses vieilles haines de famille ani- 



i?.o PIJNICORUM LIB. 11, (v. a7«) 

Sic adeo increpitat studia iiicautumque favorem : 

«Cunctaquidem, Patres (iiequeenim cohibere minantum 

Irae se valuere), premunt formidiiie vocem, 

Haud tamen abstiterim , mortem licet arma propinquent. 

Testabor Superos , et cœlo nota relinquain , 

Quaè postrema salus reriini patriaeque reposcit. 

Nec nunc obsessa deinum et iumante Sagunto 

Haec serus vateii Hannoti caiiit : aiixia rupi 

Pectora; ne castris innutriretur et arinis 

£xitiale capiil , nioriui, et, dum vità, monebo, 

Ingenitum noscens virus, flatusque paternos; 

Ut, qui stelligero speculatur sidéra cœlo, 

Venturain pelagi rabiem^ Cauriqnc futura 

Praedicit miseris haud vanus flamina nautis. 

Consedit solio, rerumque invasit habenas. 

Ergo armis fœdus, fasque omne abrunipitur armis : 

Oppida quassantur, longeque in mœnia nostra 

^neadum adrectœ mentes, disjectaque pax est. 

Exagitant mânes juvenem furiœque paternae, 

Ac funesta sacra, et conversi fœdere rupto 

In caput infidum Superi , Massylaque vates. 

An nunc ille, novi caecus caiigine regni^ 

Exteruas arces quatit? haud Tirynthia tecta 

(Sic propria luat hoc pœna , nec misceat urbis 

Fata suis), nunc hoc, inquam, hoc in tempore muros 

Obpugiiat, CarlhagOy tuos, teque obsidet armis. 



LES PUNIQUES, LÏV. II. 121 

ment contre Autiibal j attaque en ces termes cet enthou- 
siasme et cette faveur aveugle : « Bien que tout me 
fasse craindre , sénateurs , après ces emportemens et 
ces fureurs qui n'ont pu se contraindre, qu'on n'étouffe 
ici ma voix, je ne veux point me taire, et je brave ces 
armes qui m'annoncent la mort. Je prends les dieux à 
témoin, et je laisse au ciel à savoir ce qu'exigent l'inté- 
rêt de l'état et ie salut de la patrie. Ce n'est point d'au- 
jourd'hui que je parle : Hannon n'a point attendu que 
Sagonte assiégée iut en flammes pour vous faire en- 
tendre ses oracles tardifs : depuis long-temps , avec an- 
goisse, mon âme a gémi de voir nourrir au sein des 
camps et des armées ce génie funeste; je Tai dit, et le 
dirai tant que j'aurai vie, car je sais qu'il a dans le sang 
l'humeur acre et impérieuse de ses pères : j'imite ce pi- 
lote dont l'œil observe les astres au ciel étoile, et qui 
présage, sans faillir, aux malheureux matelots que la 
tempête va venir et que l'orageux Caurus est proche. Il 
s'est assis au trône, il a usurpé leâ rênes du pouvoir : ses 
armes ont déchiré lés traités , ses armes ont violé toute 
justice; les cités sont ébranlées; l'œil sur nos remparts, 
le Romain de loin nous surveille, et la paix est détruite. 
Sa jeunesse est sans cesse agitée par les mânes et les fu- 
ries de son père, par le souvenir d'un sinistre sacrifice, 
par le courroux des dieux suspendu depuis la rupture des 
traités sur sa tête perfide, par les prédictions de la Mas- 
sylienne. Est-ce donc une cité étrangère qu'il menace au- 
jourd'hui dans son désir aveugle d'un nouvel empire 1^ 
Non, ce n'est point Sagonte la Tirynthienne (la peine 
en soit à lui seul et que la patrie ne souffre point de son 
crime!), c'est ton rempart, c'est toi, Carthage, oui, toi 
qu'en ce jour il attaque, toi qu'assiègent ses armes! Nous 



122 PUNICORUM LIB. IL (v. 3o4.) 

Lavimus Hennaeas animoso sanguine valles, 

Et vix conducto produximus arma Lacone. 

Nos ratibus laceris Scyllœa replevitnus antra, 

Classibus et refluo sp^ctavimus œquore raptis 

Gootorta e fundo revomentem transtra Charybdin. 

Respice, pro démens! pro pectus inane Deorum! 

-ffigates, Libyaeque procul fluitantia membra. 

Quo ruis? et patriae exitio tibi nomina quaeris? 

Scilicet inmensœ, visis juvenalibus armis, 

Subsident Alpes! subsidet mole nivalî 

Alpibus aequatum adtollens caput Apenninus ! 

Sed campos fac, vane, dari; num gentibus istis 

Mortales animi? aut ferro flammave fatiscunt? 

Haud tibi Nerîtia cernes cum proie laborem. 

Pubescit castris miles ^ galeaque teruntur 

Nondum siguatae (lava lanugine malae. 

Nec requies sévi nota, exsanguesque mereudo 

Stant prima inter signa senes, letumque lacessunt. 

Ipse ego Romanas perfosso coppore turmas 

Tela intorquentes conrepta e vulnere vidi; 

Vidi animos mortesque virum, decorisque furoreiii. 

Si bello absistis j nec te victoribus obfers , 

Quantum, lieu Carthago! donat tibi sanguinis Hannon! » 

GfiSTAR ad hœc : namque inpatiens asperque coquebat 

Jamdudum inmites iras, mediamque loquentis 

Bis conatus erat turbando abrumpere vocem : 



LES PUNIQUES, LIV. IL i23 

avons abreuvé d'un sang généreux les vallées d'Henna , 
nous avons acheté Taide du Spartiate et nous avons eu 
peine encore à soutenir la guerre. Nous avons comblé des 
débris de nos navires les gouffres de Scylla; nous avons 
vu nos flottes entraînées par le reflux des ondes, et Cha- 
rybde revomir de ses abîmes les bancs fracassés de nos 
galères. Songe, insensé, âme où Dieu n'est plus, songe 
aux Égates, vois les membres de la Libye au loin flottans 
sur l'onde! Où vas-tu? Pourquoi tuer ta patrie en cher- 
chant ta gloire? Sans doute, rien qu'à voir tes jeunes 
armes, les Alpes immenses inclineront leurs cimes; 
l'Apennin t'inclinera ses montagnes de neige, lui qui 
dresse hautement sa crête au niveau des Alpes! Oui, 
j'admets, ô brave, que tu trouves le champ libre; 
mais les peuples de ces contrées? est-ce là des courages 
d'un jour, et qui meurent, et que le fer ou le feu puisse 
abattre? Tu le verras, ce n'est point à des âmes néri- 
tiennes que tu auras affaire. Là , l'enfant naît soldat, gran- 
dit au camp, et le casque presse ses joues qu'un blond 
duvet n'ombrage point encore. L'âge même ignore le 
repos; des vieillards, épuisés par de longs services, mar- 
chent aux premiers rangs et affrontent la mort. J'ai vu 
des soldats romains arracher de leurs blessures les traits 
qui leur perçaient le corps et les lancer à l'ennemi ; j'ai 
vu l'ardeur, le trépas de ces héros, leur fureur de gloire. 
Si tu renonces à la guerre et ne le livres pas à tes vain- 
queurs, que de sang, hélas! Hannon t'épargne, 6 Car- 
thage! » 

Geslar se lève; dans son implacable haine, dans son 
âpre et bouillante colère, Gestar impatient avait tenté 
deux fois de troubler l'orateur et de l'interrompre au 



124 PUNICORUM UB. II. (v. 3io.) 

ff Conciiione, iaquit, Libyae, Tyrioque Senatu, 

Pro Superi! Ausoaius miles sedet? armaque tantum 

Haud dum suinta viro? nain cetera non latet hostis. 

Nunc geminas Alpes, Apenninumque minatur, 

Nunc fréta Sicaniae, et Scyllaei litorîs undas; 

Nec procul est, quin jam mânes umbrasque pavescat 

Dardanias : tanta adcumulat praeconia leto 

Vulneribusqiie virum , ac tollit sub sidéra gentem. 

Mortalem, mihi crede, licet formidine turpi 

Frigida corda tremant, mortalem sumimus hostem. 

Yidi ego, quum, geminas artis post terga catenis 

Evinctus palmas, vulgo traheretur ovante, 

Careeris în tenebras, spes et fiducia gentis 

Regulus Hectoreae : vîdi, quum robore pendens, 

Hesperiam cruce sublimis spectaret ab alta. 

Nec vero terrent puerilia protenus ora 

Sub galea et pressée properata casside mal». 

Indole non adeo scgni sumus! adspice, turmae 

Quot Libycae certant anuos anteire labore. 

Et nudis bellanlur equis! ipse, adspice, ductor, 

Quum primam tenero vocem proferret ab ore, 

Jam bella et lituos, ac flammis urere gentem 

Jurabat Phrygiam, atque animo patria arma movebat. 

Proinde polo crescant Alpes, astrisque coruscos 

Apenninus agat scopulos; per saxa nivësque 

(Dicam etenim, ut stimulent atram vel inania mentem). 



, LES PUNIQUES, I.IV. IL ia5 

milieu de sou discours. Il s'écrie"! «C'est donc uq soldat 
de Rome, dieux suprêmes! qui s'est assis là au conseil 
de Libj'e, au séuat de Cartbage?Il ue lui manque plus 
que de prendre les armes . à cet homme! car c'est bien, 
du reste , un ennemi. Il nous menace de ses deux 
Alpes, de l'Apennin, des détroits de Sicile, des gouf- 
fres et des écueils de Scylla; il a peur des Romains, et 
peu s'en faut qu'il n'ait peur aussi de leurs mânes et de 
leurs ombres! tant il prodigue l'éloge à vanter leur mort 
et leurs blessures, tant il élève haut cette nation! Ils 
meurent , tu peux m'en croire, malgré le honteux et ti- 
mide effroi qui te glace Tâme, ils meurent comme nous , 
ces ennemis. J'ai vu, moi, les deux mains étroitement en* 
chaînées et retenues derrière le dos, au milieu des outra- 
ges du peuple, traîner dans les ténèbres d'un cachot 
leur Régulus, l'espoir et l'orgueil de cette race d'Hectoi* ! 
Je l'ai vu pendu au gibet , et assez haut logé sur sa croix 
pour jeter un sublime regard à son Hespérie. Je m'ef- 
fraie peu vraiment de ces fronts d'enfans sous le casque, 
de ces joues écrasées si tôt sous la visière. Mais nous, 
sommes-nous donc de si lâche nature! Vois : que de sol- 
dats parmi nos Libyens aiment à devancer à l'œuvre 
l'âge (les fatigues, à combattre sur nos coursiers nus! 
Vois leur chef : ses tendres lèvres exprimaient à peine un 
premier langage, qu'jl parlait guerre et clairons; il ju- 
rait d'exterminer dans les flammes la nation phry- 
gienne, et son âme aspirait aux exploits de son père. 
Que les Alpes percent la nue, que l'Apennin pousse aux 
astres ses cimes étincelantes; roches et neiges, et ciel 
même (je dis cela pour réveiller par l'hyperbole un cœur 
désespéré), il est homme à tout franchir : honte à qui 
recule devant un chemin qu'Alcide a frayé , à qui trem- 



ii6 PUNICORUM LIB. II. (v. 356.) 

Per cœluiii est qui paadat iter : pudet Hercule tritas 

Desperare vias , laudemque timere secundam. 

Sed Libyae clades, et primi iiiceadia belli 

Adgeraty atque iterum pro libertate labores 

Hannoa ferre vetat : ponat formidinis aestus j 

Parietibusque domus inbellts femiiia servet 

Singultantem aiiimam : nos^ nos contra ibimus hostem^ 

Quîs procul a Tyria dominos depellere Byrsa ^ 

Yel Jove non a^quo, fix:um est : sin fata répugnant , 

Et jam damnata cessit Carthagine Mavors, 

Obcumbatn potius; nec te^ patria inclita, dedam 

Sternum famuiam ; liberque Acherouta videbo. 

Nam quœ, pro Superi! Fabius jubet? ocius arma 

Exuite, et capta descendite ab arce Sagunti; 

Tum délecta manus scutorum incendat acervos, 

Uranturque rates , ac toto absistite ponto. 

Dî procul , o ! mérita est numquam si talia plecti 

Cartliago, prohibete nefas; nostrique solutas 

Ductoris servate manus! » Ut deinde resedit, 

FactaqUe censendi, Patrum de more, potestas; 

Hic Hannon reddi propere certamine rapta 

Instat j et auclorem violati fœderis addit. 

ToM vero adtoniti, ceu templo inrumperet hostis, 

Exsiluere Patres, Latioque id verteret omen 

Oravere Deum. At postquam discordia sentit 

Pectora , et infidas ad Martem vergere mentes ; 



LES PUNIQUES, LIV. II. 127 

ble d'y briller après lui! Hanuon rappelle les défuites de 
la Libye, les désastres d'une première guerre; il ne veut 
pas qu'on se remette à l'œuvre. pour la liberté : mais 
qu'il bannisse donc la terreur qui l'agite; qu'il vive, 
pauvre femme, au fond de son logis, qu'il rassure son 
âme aux abois : c'est nous, nous qui marcherons à l'en- 
nemi, car nous avons à cœur d'éloigner de Byrsa la 
Tyrienne et de repousser les tyrans, même en dépit de 
Jupiter : si les destins nous trahissent, si Mars condamne 
Carthage et se retire, alors je mourrai, mais sans te li- 
vrer, ô ma noble patrie, à un esclavage éternel, et j'irai 
libre aux rives d'Achéron. Quels ordres, dieux suprêmes ! 
que ceux de ce Fabius! Vous poserez les armes sur l'heure; 
vous avez conquis Sagonte, il en faut descendre; l'élite 
de votre armée brûlera ses boucliers en monceau ; vous 
mettrez le feu à vos navires, et ferez place sur toutes les 
mers. lioin de nous, grands dieux, si jamais Carthage 
ne mérita ce châtiment, loin de nous un pareil oppro- 
bre; conservez libre le bras de notre chef! » A ces mots 
il se rassied. Chacun alors usant du droit consacré dans 
le sénat d'émettre son avis, Hannon insiste pour qu'on 
rende sans délai le butin pris dans les combats; il exige 
en outre qu'on livre l'auteur de la rupture du traité. 



Interdits, Comme si l'ennemi eût envahi le temple, 
les sénateurs tressaillirent et s'éloignèrent , priant les 
dieux de tourner ce présage contre le Latium. Fabius 
apprend que les esprits lui sont contraires , et que ces 
cœurs perfides penchent pour la guerre. Impatient, et 



128 PIJNÏCORUM LIB. IL (v. 382.) 

Non ultra patiens Fabius rexisse dolbrem , 
Coucilium exposcit propere, Patribusque vocatis 
Bellum se gestare sinu pacemque profatus, 
Quod sedeat légère, ambiguis neu fallere dictis 
Imperat, ac, saevo neutrum renuente Senatu, 
Ceu clausas acies gremioque efTuDderet arma j 
<c Adcipite infaustum Libyae , eventuque priori 
Par, inquit, bellum : » et laxos efTundit amictus. 
Tum patrias repetit pugnandi nuntius arces. 
Atque ea dum profugae regnis agitantur Elissae , 
Adcisis velox populis, quîs aegra lababat 
Ambi^uo sub Marte fides , praedaque gravatus 
Ad muros Pœnus revocaverat arma Sagunti. 
EccE autem clipeum , saevo fulgore mieanteni , * 
Oceani geute^ ductori dona fçrebant, 
Callaicae telluris opus, galeamque coruscis 
Subnixam cristis , vibrant cui vertice coni 
Albentis, niveae tremulo nutamine pennae; 
Ensem unum, ac multis fatalem millibus hastam; 
Prœlerea textam nodis, auroque trilicem 
Loricam , nulli tegimen penetrabile telo. 
Haec, aère et duri chalybis perfecta métallo, 
Alque opibus perfusa Tagi , pcr singula laetis 
Lustrât ovans oculis, et gaudet origine regni. 
CoNDEBAT primae Dido Carthaginis arces, 
Instabàtque operi subducta classe juventus. 



LES PUNIQUES, LIV. ÎI. ia<) 

peu maître de son ressentiment , il demande audience 
sur l'heure , et devant le sénat rassemblé il déclare qu'il 
porte dans un pli de sa toge la paix et la guerre : il or- 
donne qu'on choisisse ce qu'on préCère et qu'on parle 
sans ruse et sans détours. Le sénat répond fièrement 
qu'il ne refuse ni l'une ni l'autre. Alors, comme s'il 
laissait échapper des armes et des légions enfermées dans 
son sein : « Prenez donc la guerre , s'écrie-t-il ; mais 
qu'elle soit funeste à la Libye, et d'aussi fatale issue 
cette fois que la première! » Il ouvre et secoue les plis 
de sa toge; puis il s'en retourne annoncer à sa patrie 
qu'il faut combattre. 

Pendant que ces débats se prolongent au royaume 
d'Elissa fugitive, le Carthaginois a surpris et battu quel- 
ques peuplades dont la foi chancelait ébranlée, dans l'in- 
certitude du succès de la guerre; et, chargé de butin, il 
a ramené son armée sous les murs de Sagonte. 

Mais voici que les peuples des rives de l'Océan ap- 
portent en présent à leur chef un bouclier aux terri- 
bles et brillans reflets, chef-d'œuvre du pays de Callécie; 
un casque surmonté d'une aigrette éclatante, qui flotte 
au haut du blanc cimier où tremblent et se balancent 
les plumes de neige; une épée, une lance qui seule sera 
fatale à plusieurs milliers d'hommes; puis' une cuirasse . 
tissue de triples mailles d'or, vêtement impénétrable à 
lous les traits. Ces armes sont formées des plus durs mé- 
taux, d'airain et d'acier, et toutes parées des richesses 
du Tage. Annibal émerveillé les contemple tour à tour 
d'un regard joyeux ; il y retrouve avec orgueil l'origine 
de sa patrie. 

Didon fonde Carlhage et ses premiers remparts : la 
jeunesse a traîné la flotte sur la rive et s'empresse au 

ï- 9 



rSo PUMCOHUM UB. II. (v. 4o«.) 

Molibus hi claudunt portus, his tecta domusqiic 

Partiris, justœ Bitia venerande scnebta;. 

Ostentant caput efïbssa tellure repertum 

Bellatoris equi , atque omen elamore salutant. 

Has inter species orbatum classe sUisque 

Mnean j pulsutn peiago ^ dex traque precanteiti 

Cernere erat : fronte hune avide regina serena 

Infelixy ac jam vultu spectabat amico. 

Hinc et speluncam, furii vaque fœdera amantum 

Callaicae fecere inanus : it clamor ad auras ^ 

LatratusqUe canum ; subitoque exterritâ nimbo 

Occultant alae venantum corpora silvis. 

Nec procul ^neadum vacuo jam litore classis, 

iEquora nequidquam revocante petebat Ëlissa. 

Ipsa pyram super îngentem stans saucia Dido 

Mandabat Tyriis ultriciâ bella futuris, 

Ardentemque rogum média spectabat ab uada 

Dardanus, et magnis paud^bat carbasa fatis. 

Parte alia j àcipplex hifernis Hannibal ârïs^ 

Arcanum Stygia libat cum vate cruorem , 

£t primo bella iEneadum jurabat ab aevo. 

At senior Siculis exsultat Hamilcar in arvis; 

Spirantem credas certamina anbela movere : 

Ardor inest oculis , torvumque minatur imagoi 

Neg non et laevum clipei latus aspefa siguis 

Inplebat Spartana cobors : hanc ducît ovantem 



LES PUNIQUES , LIV. IL 1:^1 

travail. Les uns ferment les ports d'une enceinte de pier- 
res; à d'autres tu assignes un toit, une demeure, o 
vieillard dont la vie est si pleine , vénérable Bitias. Ils 
montrent la tête du cheval guerrier qu^ils ont trouvée en 
creusant la terre , et saluent de leurs cris ce présage. Au 
milieu de ces tableaux, ou voyait Enée séparé de sa Sotte 
et de ses compagnons, battu par la tempête et tendant 
une main suppliante. La reine , avec un front serein , 
se plaît à l'accueillir , et l'infortunée déjà lui jette un 
regard d'amour.- La main callécienne a représenté la 
grotte et l'union furtive des amans : des cris mêlés aux 
aboiemens des chiens percent les airs ; et soudain l'orage 
épouvante les chasseurs dont les corps disparaissent der- 
rière les plumes d'oiseaux tendues dans les forêts. Non 
loin , la flotte des compagnons d'Énée a quitté le ri- 
vage, et gagne le large en dépit d'Ëlissa qui les rappelle. 
Blessée et debout sur un bûcher immense, Didon lègue 
aux Tyriens à venir le soin de combattre pour la ven- 
ger : du milieu des mers, le Dardanien voit le bûcher 
qui s'embrase, et il abandonne ses voiles aux grands 
destins qui l'entraînent. 

Ailleurs, aux pieds des autels infernaux, Annibal, 
avec la prêtresse stygienne, fait de mystérieuses liba- 
tions de sang, et, dès son premier âge, jure la guerre 
aux enfaûs d'Enée. Le vieux Amilcar bondit dans les 
plaines de Sicile : on dirait qu'il respire et lutte haletant 
au sein de la mêlée; il y a du feu dans son regard, et 
une sauvage expression de menace sur tous ses traits. 

Au côté gauche du bouclier s'étend la rude et saillante 
image d'une cohorte Spartiate : elle marche en triomphe 

9- 



i32 PUNICORUMLIB.il. (v. 434) 

Ledaeis veniens victor Xanthippus Amyclis. 
Juxta triste deciis pendet sub imagine pœnae 
Regulus, et fidei dat magna exempta Ss^gunto. 
Laetîor at circa faciès , agitala ferarum 
Agmina venatu , et caelata mapalia fulgent. 
Nec procul usta cutem nigri soror horrida Maurî 
Âdsuetas patrio mulcet sermone leaenas. 
It liber campi pastor, cui fine sine ullo 
Invetitum saltus pénétrât pecus : omnia Pœnum 
Armenti vigilem patrio de more sequuutur, 
Gaesaque , latratorque Cydon , teetumque , focique 
In silicis venis, et fistula nota juvencis. 
Emiwet exeelso consurgens colle Saguntos , 
Quam circum inmensi populi condensaque cingunt 
Agmina certantum, pulsantque tremeutibus hastis. 
Extrema clipei stagnabat Hiberus in ora , 
Curvatis claudens ingentem flexibus orbem. 
Hannibal, abrupto transgressas fœdere ripas, 
Pœnorum populos Romana in bella vocabat. 
Tali subliniis dono , nova tegmina latis 
Aptat concutiens humeris ^ çelsusque profatur : 
(cHeu quantum Ausonio sudabitis, arma, cruore! 
Quas, belli judex , pœnas mihi , Curia, pendes! » 
Jamque senescebat vallatis mœnibus hostis, 
Carpebatque dies urbem , dum signa manusque 
Ëxspectant fessi socias : tandem aequore vano 



LES PUNIQUES, LIV. IL i33 

sous les ordres de Xanthippe victorieux, venu d'Àmyclée 
la Lédéenne. Tout près, affligeant trophée, Régulus 
peud au gibet : l'image de ce supplice rappelle à Sagonte 
un glorieux exemple de fidélité. Mais de plus rians ta- 
bleaux se présentent : des troupeaux de bêtes fauves 
poursuivies par les chasseurs, des cabanes brillent sur 
l'airain ciselé. Non loin , l'horrible sœur du Maure, à la 
peau noire et brûlée , apprivoise les lionnes de sa patrie 
accoutumées à son langage. Le pâtre va librement dans 
la plaine; nulle limite, nulle défense n'arrête son trou* 
peau dans les bois : suivant l'usage du pays, le vigilant 
berger d'Afrique traîne tout avec lui, ses gèses, son 
aboyeur cydonien, son toit, son feu dans les veines du 
caillou , et la flûte connue de ses taureaux. 

Sagonte domine et s'élève au sommet de sa colline. 
Des cohortes innombrables, d'épais bataillons de soldats 
l'environnent et la heurtent de leurs lances vibrantes. 
L'£bre coule lentement sur les bords du bouclier, dont 
ses replis sinueux enferment l'orbe immense. Au mépris 
du traité, Annibal a franchi ses rives; il provoque 
contre Rome, il appelle à la guerre tous les peuples sou- 
mis à Carthage. 

Tel est ce présent que son orgueil admire : il endosse 
sa nouvelle armure, la secoue sur ses larges épaules, se 
redresse et s'écrie : «O que de sang ausonien vous suerez, 
mes armes! Que tu me paieras cher, ô sénat, d'avoir 
voulu te faire arbitre de la guerre! » 

Cependant l'ennemi languissait dans ses murs fortifiés. 
Épuisée de jour en jour, la ville dépérissait dans l'attente 
des enseignes et des troupes alliées. Enfin ils détourneut 



i34 PUNICORUM LIB. II. (v. 460.) 

AverUiat oculos^ frustrataque litora ponuat. 

Et propius suprema vident : sedet acta medullis 

Jamdudum, atque inopes penitus coquit intima pestis. 

Est furiim lento misère durantia tabo 

Viscera , et exurit siccatas sanguine venas 

Per longura celata famés : jam lumina rétro 

Ëxesis fugere genis ; jam lurida sola 

Tecta cute , et venis maie juncta trementibus ossa 

Exstant ^ consumtis visu deformia membris. 

Humentis rores noctis terramque madentem 

Solamen fecere mali , cassoque labore 

E sicco frustra presserunt robore succos. 

Nil temerare piget : rabidi jejunia ventris 

Insolitis adigunt vesci, resolutaque, nudos 

Linqueutes clipeos j armorum tegmina mandunt. 

Desdper haec cœlo spectans Tiryuthius alto 

Inlacrimat fractae nequidquam casibus urbis. 

Namque metus magnique tenent praecepta pareiitis, 

Ne saevae tendat contra décréta novercae. 

Sic igitur, cœpta occultans. ad limina sanctae 

Contendit Fidei, secretaque pectora tentât. 

Arcanis Dea lœta, polo tum forte remoto 

Cœlicolum magnas voivehat conscia curas, 

Quam tali adioquitur Nemese pacator honore : 

« Ante Jovem generata, decus Divumque bomiuumque, 

Qua sine non tellus pacem j non aequora norunt , 



LES PUNIQUES, LIV. 11. i35 

les yeux de ces mers décevantes j et laissent là ce rivage 
»oii leur espoir succombe. Mais, plus près, c'est la,nK>rt 
qui se montre : un mal intime et acharné s'attache à 
leurs os, pénètre et ronge leurs corps appauvris; la faim 
qu'ils ont long-temps cachée dévore peu à peu leurs en- 
trailles, y consume lentement les misérables restes de vie 
qui résistent, et dessèche le sang dans leurs veines brû- 
lées ; leurs yeux se creusent et se retirent de leurs joget^ 
amaigries; leurs os, que recouvre seule une peau li- 
vide, tremblent et se disjoignent, et ressortent, hideux 
à voir, de leurs membres décharnés. De la fraîche rosée 
des nuits, de l'humidité de la terre ils ont fait un sou- 
lagement à leurs souffrances : leurs stériles efforts ten- 
tent vainement d'exprimer la sève des branches sèches. 
Leur rage affamée ii'épargne rien; leur ventre à jeun 
se repaît sans dégoût d'alimens inconnus : ils arrachent 
les cuirs de leurs boucliers, et mangent ces dépouilles 
/de leur armure. 

Des hautes régions de l'Olympe, le Tirynthien voit 
sa ville désolée , et verse d'impuissantes larmes sur ses 
misères. Retenu par la crainte des redoutables comman- 
demens de son père, il n'ose agir contre les décrets de 
sou impitoyable mar<itre. Cachant donc son dessein, il 
se rend an sanctuaire sacré de la Foi ; il veut secrète- 
ment toucher son âme. La déesse , amie du mystère , était 
alors en un lieu retiré du ciel: confidente des dieiix, 
elle, méditait sur leurs graves intérêts. Le pacificateur 
de Némée lui adresse ces respectueuses paroles : « Toi 
qui naquis avant Jupiter, gloire des dieux et des hommes, 
sans qui la terre et les mers ignorent la paix, sœur de la 
Justice, muette divinité du cœur, peux-tu contempler 



i36 PUNICORUM LIB. II. (v. 486) 

Justitiœ consors, tacitumque in pectore nùmen, 

Exitiumne tuas dirum spectare Saguiiti , 

Et lot pendentem pro te, Dea, cernere pœnas 

Urbem lenta potes? moritur tibi viilgus, et unam 

Te matres^ vinceute famé, te mœsta virorum 

Ora vocaut, primaque sonant le voce minores. 

Fer cœlô auxilium, et fessis da surgere rébus. » 

H^c satus Alcmena, contra cui talia virgo : 

<c Cerno equidem, uec pro nihilo est niihi fœdera rumpî, 

Statque die^, ausis olini tam tristibus ultor. 

Sed me pollutas properanteni iinquere terras 

Sedibus his, tectisque novis succedere adegit 

Fecundum in fraudes hominum genus : inpia Hqui 

Et y quantum terrent, tantum metuentia régna , 

Ac furias auri, nec vilia praemia fraudum. 

Et super haec ritu horrificos ac more ferarum 

Yiventes rapto populos, luxuque solutum 

Omne decus, huiltaque obpressum nocte pudorem. 

Vis colitur, jurisque locum sibi vindicat ensis; 

Et probris cessit virtus ; en, adspice gentes : 

Nemo insons; paceni servant jcommercia culpae. 

Sed secura tua fuudata ut mœnia dextra 

Dignum te servent memorando fine vigorem, 

Dedita nec fessi transmittant corpora Pœno 

(Quod solum nunc fata sinunt seriesque futuri); 

Extendam leti decus y atque in secula mittam , 

Ipsaque laudatas ad mânes prosequar umbras. » 



, LES PUNIQUES, LIV. II. i^-j 

trauc|uillemeatla déplorable ruine de ta Sagonte, et voir 
cette ville si cruellemeat punie, déesse , pour l'amour de 
toi ? C'est pour toi que ce peuple expire : vaincus par la 
faim , c'est toi seule que les mères , c'est toi que les héros 
invoquent d'une voix déchirante; toi que de ses premiers 
cris Tenfant implore. Protège-les du haut du ciel , et que 
ton aide relève leurs forces abattues ! » 

Ainsi parla le fils d'Alcmène. La vierge lui répond : 
a Oui, j'ai vu, mais non pas sans douleur, la rup- 
ture des traités; et le jour est marqué dans l'avenir, 
qui nous vengera de ces tristes prouesses. Mais la race 
humaine, féconde en forfaits, m'a forcée de quitter à la 
hâte la terre et ses souillures, et de chercher un refuge 
en ces nouvelles demeures : j'ai fui ces royaumes impies ^ 
qui craignent autant qu'ils se font craindre, ces furies 
que l'or éveille, ces fraudes si largement payées, et sur- 
tout les pratiques effroyables, les mœurs brutes et sau- 
vages de ces peuples qui vivent de rapines, dont le luxe 
énerve toute morale, dont les infâmes nuits immolent 
la pudeur. La force règne, le glaive usurpe les droits de 
l'équité, l'opprobre exile la vertu. Vois, jette les yeux 
sur cette terre : pas une âme sans tache ; tous sont en 
paix, parce que tous sont coupables et complices. Ce- 
pendant, afin que la cité que tes mains ont fondée se 
rassure et conserve en mourant un courage digne de toi ; 
afin que ses héros épuisés n'aillent pas se rendre et se 
livrer vivans au Carthaginois (et c'est la seule faveur que 
t'accordent les destins et l'ordre des temps futurs); je 
veux faire éclat de leur mort, je la publierai par tous les 
siècles, et j'accompagnerai leurs ombres, en les glori- 
fiant, chez les mânes.» 



i38 PUNlCOaUM LIB. II. (v. âi3.) 

IiVDE severa levi decut'reas aethere virgo 

Luctantem fatis petit inflammata Saguntum ; 

Invadit mentes, et pectora nota pererrat, 

Ininittitqiie animis numen ; tum fusa medullis 

luplicaty atque sui flagrantem inspirât amoreni. 

Arma volunt, tentantque aegros ad prœlia nisus. 

Insperatus adest vigor, interiusque recursat 

Dulcis honos Divœ, et sacrum pro virgine lelum. 

It tacitus fessis per ovantia p^tora sensus , 

Vel leto graviora pati, sœvasque ferarum 

Adtentarc dapes , et mensis addere crimen. 

Sed prohibet culpa pollutam extendere luceni 

Casta Fides, paribusque famem compescere membris. 

QuAH simili invisae gentis conspaxit in arce 

Forte ferens sese Libycis Saturnia castris, 

Virgineum increpitat miscentem bella furorem , 

Atque, ira turbata gradum, ciet ocius atram 

Tisîphonen , imos agitanlem vcrbere mânes , 

Et paimas tendens : a Hos, inquit, Noclis alunma , 

Hos muros inpelle manu, populumque feroceni 

De&tris sterne suis; Juno jubet : ipsa propinqua 

Ëfiectus studiumquo tuum de nube videbo. 

Uia Deos summumque Jovem turbantia tela , 

Quîs Acheronta moves,flammam inmanesque chelydros 

Stridoremque tuum , quo territa comprimit ora 

Ccrberus, ac, mixto quse spumant felle, venena, 



LES PUNIQUES, LIV. II. iSg 

A ces mots , la vierge sévère glisse légèrameDt dans 
l'espace , et vole en courroux vers Sagonte qui lutte 
contre sa destinée. Elle s'empare des esprits , passe eii 
ces cœurs connus, emplit leurs âmes de sa divinité : elle 
se répand dans leurs entrailles, en pénètre les replis; 
elle leur inspire un amour d'elle-même qui les embrase. 
Ils demandent des armes; ils tentent, pour combattre , 
de débiles efforts. Une vigueur inespérée les anime; ils 
rappellent h leur pensée la douce gloire de leur déesse, 
le devoir sacré de mourir pour cette vierge. Un secret 
orgueil exalte ces cœurs abattus : ils sont fiers de subir 
de plus dures nécessités que la mort , de recourir à 
l'abominable pâture des bêtes féroces, de charger leurs 
tables de mets sacrilèges. Mais la chaste Foi leur défend 
de prolonger leur vie par le crime et l'infamie , et d'as- 
souvir leur faim avec les membres de leurs semblables. 

La Saturnienne, qui par hasard revenait du campji- 
byen , aperçoit la déesse dans les murs de l'odieuse cité : 
elle reproche à la vierge cette fureur qui rallume la 
guerre ; troublée de colère , elle vole , et sur l'heure 
évoque la noire Tisiphone, qui tourmentait sous terre 
les mânes de son fouet. La main tendue vers Sagonte: 
« Ces murs, fille de la Nuit, lui crie-t-elle, frappe ces 
murs de ton bras! renverse ce peuple altier par ses 
propres mains; Junon l'ordonne! Je serai là, sur un 
nuage, et je verrai de près ton zèle et tes œuvres. Que 
ces armes redoutées des dieux et du grand Jupiter, et 
dont tu ébranles l'Acliét^on; ces flammes, ces horribles 
couleuvres, ces sifHemeas qui compriment d'effroi les 
gueules de Cerbère; ces fiels, ces poisons mêlés d'é- 
cume; que tous ces levains de crime, de vengeance et do 
rage qui fermentent dans ta féconde poitrine, débordent 



i4o PUNICORUM LIB. II. (v. 53ç,.) 

Et quidquid scelerum , pœnarum quidquid et irae , 

Pectore fecundo coquitur tibi, congère praeceps 

In Rutulos, totamque Erebo demilte Saguntum. 

Hac mercede Fides constet delapsa per auras. » 

Sic voce instimulans, dexlra Dea concita saevam , 

Eumenida incussit mûris, tremuitque repente 

Moas circurn, et gravior sonuit per litora fluctus. 

Sibilat insurgens capiti, et turgentia circuni 

Multus colla micat squalentî tergore serpens. 

Mors graditur, vasto pandens cava guttura rictu, 

Casuroque inhiat populo : tune Luctus, et atri 

Pectora circunistant Planctus, Mœrorque, Dolorque, 

Atque omnes adsunt Pœnae , formaque trifauci 

Personat insomnis lacrimosae janitor aulae. 

Protinus adslmulat faciem mutabile monstrum 

Tiburnae, gressumque simul, sonituinque loquentis. 

Haec bello vacuos et saevi turbine Martis 

Lugebat thalamos, Murro spollata marito; 

Clara genus , Daunique trahens a sanguine nomen. 

Cui vultus induta pares disjectaque crinem 

Eumenis in medios inrumpit turbida cœtus , 

Et mœstas lacerata gênas : « Quis terminuS', inquit? 

Sat Fidei proavisque datum ! Vidi ipsa cruentum , 

Ipsa meum vidi lacerato vulnere nostras 

ïerrentem Murrum noctes et dira sonantem : 

« Eripe te, conjux , miserandae casibus urbis, 



LES PUNIQUES, LIV. II. 141 

à la fois et accablent les Rutules : plonge dans l'Érèbe 
Sagonte tout entière; et que la Foi reçoive ainsi le prix 
de sa descente sur la terre !» 



Ces mots éveillent les fureurs de TEuménide ; la 
déesse emportée la pousse du bras contre la ville : le 
mont tremble à Tentour, et le flot vient mugir plus 
terrible au rivage. Sur sa tête sifflent et se dressent, 
roulés autour de son col qui se gonfle , mille ser- 
pens à la peau hideuse. La Mort s'avance, ouvrant sa 
large bouche et les profondeurs de son gosier béant 
sur ce peuple qui va périr. A ses côtés marchent le 
Deuil y les lugubres Sanglots , la Tristesse , la Dou- 
leur, toutes les Peines, et de sa triple gueule glapit 
près d'elle le gardien qui veille au royaume des larmes. 
Le monstre changeant prend soudain la figure de Ti- 
burne. et sa démarche, et le son de sa voix. Tiburne, 
que la guerre et les hasards cruels de Mars ont pri- 
vée de Murrus , son époux , pleurait le veuvage de sa 
couche. Issue d'une illustre race, elle tirait son nom du 
sang de Daunus. Empruntant les traits de cette femme, 
l'Euménide , les cheveux épars , se précipite en désordre 
au milieu de la foule , et déchirant son visage éploré : 
a Quel sera le terme à nos maux ? dit<elle. Nous avons 
assez fait pour la Foi et les ancêtres. J'ai vu saignant 
encore, j'ai revu mon Murrus; il rouvrait sa blessure, 
il effrayait mes nuits , me criant d'une voix lamentable : 
« Arrache-loi , femme , aux désastres d'une cité malheu- 
a reuse ; fuis , et si le Carthaginois vainqueur te refuse 
« sur terre un asile, viens près de mes mânes , Tiburne : 
ce nos pénates sont tombés; les Butulos succombent : le 



i/,2 PUNICORUMLIB.il, {v. 5(i5.) 

a Et fuge, si terras adimît Victoria PceTnî, 

« Àd tnanes, Tiburna, meos : cecidere Pénates, 

ce Occidirous Rutuli, tenet omnia Punicus ensis. » 

Mens horret, nec adhuc oculis absistit irnago. 

Nullane jam posthac tua tecta, Saguote, videbo? 

Félix, Murre, necis, patriaque snperstite felix. 

At nos , Sidoniis famulatum matribus actas , 

Post belli casus vastique pericula pontî, 

Carthago adspiciet victrix, tandemque supremum 

Nocte obita Libyae gremio captiva jacebo. 

Sed vos, o juvenes, vetuit quos conscia virtus 

Posse càpi, quis telum iugens contra aspera mors est, 

Vestris servitio manibus subducite matres. 

Ardua virtutem profert via : pergite primi 

Nec facilem populis, nec notam iuvadere laudem. » 

His ubi turbatas bortatibus inpulit aures , 

Inde petit tumulum , summo quem vertice montis 

x^mphitryoniades spectandutn ex œquore nantis 

Strtixerat, et grato cineres decorarat honore. 

Excitus sede (horrendum) prorumpit ab ima 

Caeruleus maculis auro squalentibus anguis. 

Igaea sanguiaea radiabant lumina flamma, 

Oraque vibranti stridebant sibila linguà : 

Isque inter trepidos cœtus mediamque per urbem 

Volvitur, et mûris propere delabitur altis, 

Ac similis profugo vicina ad litora tendit, 

Spumantisque freti praeceps inmei^gitur undis. 



LES PUNIQUES, LIV. IL i43 

« Carthaginois tient tout sous son glaive. » Je frissonne 
d'horreur, et son ima'ge ne s'efface point de mes yeux. 
Ne verrai-je donc plus, Sagonte, tes murailles? Heureux 
Murrus! heureux d'avoir péri quand la patrie vivait 
encore ! Nous, nous irons servir les femmes sidoniennes ; 
après les désastres de celte guert*e, après de périlleux 
voyages sur le vastç ecéiln , on nous mènera eki spec*^ 
tacle dans Carthage victorieuse; et quand la nuit su* 
prême pour moi sera venue, je reposerai esclave au 
sein de la Lihye. Mais vous, jeunes guerriers, le sen- 
timent de votre vaillance vous défend d'accepter là ser- 
vitude; vous avez contre le malheur une arme invin* 
cible, la mort : que vos mains arrachent vos tnères 
à la captivité ! Rudes sont les sentiers où 4e courage 
éclate : marchez les premiers à la conquête d'une gloire 
qui n'est ni à la portée ni à la connaissance des autres 
peuples. » 

Elle entraine , elle égare les esprits par ces conseils. 
Ensuite elle se dirige vers le tombeau que le fils d'Am- 
phitryon éleva sur le plus haut sommet de la montagne, 
monument admiré des nochers sur mer, et dont sa rc- 
conAai^ance honora les cendres d'un ami. Alors (ô pro- 
dige!), échappé du fond de oet asile, s'élance un ser- 
pent à l'écaillé luisante, tachetée d'or et d'azur. Ses yeux 
ardens brillent , rouges de sang et de flamme ; sa bouche 
siffle et darde une langue perçante. Il se roule au milieu 
des groupes effrayés, traverse la ville, s'ânpresse» glisse 
du haut des remparts qu'il semble fuir, gagne le rivage 
voisin , se précipite et plonge au ^ein de l'onde écu- 
mante. 



1 44 PUNICORUM LIB. II. (v. Sga.) 

Tdm vero excassœ mentes , ceu prodita tecta 

Expulsi fugiant mânes, umbraeque récusent 

Captivo jacuisse solo : sperare saluti 

Pertaesum, damnantque cibos; agit addita Ërinnys. 

Haud gravior duris Divum inclementia rébus, 

Quam leti proferre moras : abrumpere vilam * 

Ocius adtoniti quaerunt, lucemque gravantur. 

Certatim structus subrectae molis ad astra 

In média stetit urbe rogus; portantque trahuntque 

Longae pacis opes quaesitaque praemia dextris, 

Callaico vestes distinctas matribus auro, 

Armaque Dulichia proavis portata Zacyntho, 

Et prisca advectos Rutulorum ex urbe Pénates. 

Hue quidquid superest captis, ciipeosque, simulque 

Infaustos jaciunt enses, et condita bello 

Efïbdiunt penitus terra, gaudentque superbi 

Victoris praedam flammis donare supremis. 

QvJE postquam congesta videt feralis Erinnys, 

Lampada flammiferis tinctam Phlegethontis in undis 

Ouassat, et inferna superos caligiue condit. 

Inde opus adgressi, toto quod nobile mundo 

iËternum invictis infelix gloria servat. 

Princeps Tisiphone, lentura indignata parentem, 

Pressit ovans capulum, cunctantemque inpulit ensem. 

Et dirum fusonuit Stygio bis terque flagello. 

Invitas maculant cognato sanguine dextras , 



LES PUNIQUES, LIV. II. i45 

Les Sagoutins consternés s'imaginent que les mânes 
s'en vont, exilés de cette cité perdue; que les ombres re- 
fusent de reposer encore sur un sol esclave : las d'espé- 
rer leur salut, ils rejettent toute nourriture; TErinnys 
accroît leur délire. Dans ces dures extrémités, la rigueur 
des dieux ne peut rien cotitre eux de plus cruel que de dif- 
férer l'heure du trépas. Impatiens du jour qui leur pèse , 
ils cherchent en leur transport à rompre le fil de leur 
vie. Construit à la hâte et dressant sa masse immense 
dans les airs, un bûcher s'élève au centre de la ville : 
ils portent, ils traînent là les richesses d'une longue 
paix , les récompenses payées au courage , les vêtemcns 
que les mères ont brodés d'or de Callécie , les armes ap- 
portées par leurs ancêtres de Zacynthe la Dulichienne , 
et les Pénates amenés de l'antique cité des Rutules. Ils 
jettent là tout ce qui reste encore à des vaincus , leurs 
boucliers, leurs glaives impuissans : ils arrachent des 
profondeurs de la terre les trésors enfouis pendant la 
guerre; et c'est avec joie qu'ils dérobent cette proie à 
l'insolence du vainqueur, et la livrent aux flammes 
suprêmes. 

Quand l'implacable Erinnys a vu leurs dépouilles ainsi 
amoncelées, elle secoué la torche qu'elle a trempée dans 
l'onde enflammée du Phlégéthon , et couvre la terre de 
ténèbres infernales. Alors ils accomplissent l'œuvre mé- 
morable dont la fatale gloire , conservée par tout l'univers, 
rappelle éternellement leur inviolable fidélité. Tisiphone 
la première, indignée de la lenteur des. pères, appuie 
à plaisir sur la poignée du glaive, pousse le bras qui 
hésite , et son fouet slygieu jette trois fois un son lugu- 
bre. Ils souillent à regret leurs mains du sang de leurs 
enfans; ils s'étonnent du forfait commis dans l'égarement 
I. lo 



146 PUNICORUM LIB. II. (v. 6iS.) 

Miraaturque nefâis aversa mente peractum , 

£t facto sceleri inlacrimant : hic, turbidus ira 

Et rabîe cladum perpessaeque ultima vitae, 

Obliques versât materna per ubera visus : 

Hic 9 raptam librans dîlectae iacoUa securim 

Gonjugis, iacrepitat seae, mediuisque furorem 

Projecta damnât stupefactus membra bipenni. 

Nec tamen evasisse datur : nam verbera Eriunys 

Incutity atque atros insibilat ore tumores. 

Sic thalami fugit omnis amor, dulcesque marito 

Effluxere tori , et subiere oblivia taedœ. 

Ille jacit, totis connisus viribus^ aegrum 

In flammas corpus, densum qua turbine nigro 

Exundat fumum piceus caligine vertex. 

At medios in ter cœtus pietàte sinîstra^ 

Infelix Tymbrene , furis ; Pœnoque parentis 

Dum properas auferre necem, reddentia formam 

Ora tuam laceras, temerasque simillima membra. 

Vos etiam primo gemini cecîdistis in œvo , 

Eurymedon fratrem , et fratrem mentite Lycorma , 

Guncta pares; dulcisque labor sua nomina natis 

Reddere, et in vultu genetrici stare suorum. 

Jam fîxusjugulo culpa te solverat ensis , 

Eurymedon , inter miseras lamenta senectae : 

Dumque malis turbat^ parens , deceptaque visis , 

« Quo ruis? hue ferrum, clamât, converte, Lycorma; » 



LES PUNIQUES, LIV. II, ,47 

fie leur âme, et, le crime achevé, ils pleurent. L'un, 
troublé par la colère et par la rage à l'idée de tant de 
désastres et des misères de la vie qu'il endure, perce le 
sein de sa mère en détournant les yeux. L'autre saisit 
une hache et la balance sur le cou d'une épouse chérie : 
au milieu de sa fureur, il reconnaît la victime, il s'accuse, 
se condamne, et rejette avec effroi l'arme maudite. Mais 
il ne peut échapper à la Furie : elle le frappe de son fouet, 
et lui souffle un sombre désespoir. Ainsi du lit nuptial 
s'éloignent les amours , l'époux méconnaît les doux liens 
de sa couche , et les flambeaux d'hymen s'éteignent dans 
Foubli. Un autre , rassemblant toutes les forces de son 
corps malade, se lance dans les flammes au sommet du 
bûcher où bouillonne Fardente résine dont l'épaisse fu- 
mée roule en noirs tourbillons dans les airs. 



Au sein de cette foule, malheureux Tymbrénus, s'exerce 
ta pieuse et funeste démence : pour dérober au Carthagi- 
nois le trépas de ton père, tu t'empresses de mutiler ces 
membres qui rappellent les tiens , tu déchires ces traits 
qui te ressemblent. Vous aussi , vous tombez à la fleur 
de votre âge , Ëurymédon , Lycormas , frères jumeaux , 
trompeuse image l'un de l'autre, en tout les mêmes: 
c'était un doux souci pour votre mère que de rendre à 
chacun son nom , que d'hésiter long-temps en contem- 
plant ses fils. Déjà ton épée t'a percé la gorge et t'épargne 
un crime, Ëurymédon, au milieu des lamentations de 
ta vieille et malheureuse mère : égarée par la douleur, 
abusée par la ressemblance, elle te crie: a Où vas-tu, 
Lycormas? Sur moi, tourne sur moi ton glaive!» et 
voici qu'à l'instant même Lycormas s'est plongé sou 

10. 



i4Ô PUNICORUM LIE. IL (r. «44.) 

Ecce simul juguluin perfoderat ense Lycormas. 

Sed magaOy (cQuinam, Eurymedon, furor iste?» sonabat 

Cum planctUy geminaeque nota decepta figurae, 

Funera rnutato revocabat nomiae mater; 

Donec, transacto tremebunda per ubera ferro, 

Tu^ic etiam ambiguos cecidit super inscia natos. 

Quis diros urbis casus, laudandaque monstra, 

Et fîdei pœnasy et tristia fata piorum^ 

Imperet , evolvens , lacrimis ? vix Punica fletu 

Cessassent castra, ac iniserescere nescius hostis. 

Urbs, habitata diu Fidei, cœloaue parentem 

Muroriim repetens, ruit inter perfida gentis 

Sidoniae tela , atque inmania facta suoruhi y 

Injustis neglecta Deis : furit ensis et îgnis; 

Quique caret flamma, scelerum est locus! Erigit atro 

Tïigrantem fumo rogus alta ad sidéra nubem. 

Ârdet in exceiso proceri vertice montis 

ArXy intacta prius bellis : hinc Punica castra, 

Litoraque, et totam soliti spectare Saguntum : 

Ardent tecta Deum; resplendet imagine flammae 

iEquor, et in tremulo vibrant incendia ponto. 

£cc£ inter medios caedum Tiburna furores, 

Fulgenti dextram mucrone armata marlti , 

Et Iseva infelix ardentem lampada quassans, 

Squalentemque erecta comam, ac liventia planctu 

Pectora nudatis ostendens saeva lacertis. 



LES PUNIQUES, LIV. IL 149 

ëpée dans la gorge. « Mais , lui dit-elle avec de longs 
sanglots , Eurymédon , quelle fureur t'anime ? » Trom- 
pée par les traits de ces deux visages , elle rappelait ses 
fils expires , en confondant leurs noms. Enfin j toute 
tremblante , elle enfonce le fer en sa poitrine, et tombe, 
incertaine encore, sur se^enfans qu'elle n'a pu recon- 
naître. 

Qui pourrait redire les cruelles souffrances, le loua- 
ble délire, la foi punie, le déplorable sort de la cité 
pieuse, et commander à ses larmes ? A peine si le sol- 
dat de Carthage, si un ennemi sans pitié retiendrait ses 
pleurs. Celte ville, si long-temps le séjour de la Foi, 
et qui retrouvait au ciel le fondateur de ses murailles , 
s'écroule sous les traits perfides de la nation sido- 
nienne, sous les atteintes forcenées de son peuple, aban- 
donnée des dieux injustes. Le glaive et le feu font rage ; 
si quelque part manque la flamme , le meurtre est là ! 
I^a noire fumée du bûcher élève jusqu'aux astres son 
livide nuage. Au sommet escarpé de la haute montagne 
brûle la citadelle , vierge encore des outrages de la 
guerre, et d'où ils aimaient à contempler les légions 
puniques , et les rivages , et Sagonte tout entière ; les 
temples des dieux brûlent : l'océan resplendit des reflets 
de l'incendie, et les lueurs de la flamme vacillent sur 
les vagues mouvantes. 

Soudain, au milieu des fureurs du carnage, appa- 
raît Tiburne : sa main droite est armée du glaive étin- 
celant de son mari; la gauche secoue tristement une 
torche allumée; les clieveux hérissés, en désordre, elle 
montre ses bras nus et sa poitrine cruellement meurtrie 
sous leurs coups : le pied sur les padavres, elle marche 



1 



i5o PUNICORUM LIB. IL (v. 670.) 

Ad tumulum Murri super ipsa cadaverâ fertur. 

QualiSy ubi inferni dirum tonat aula parentis, 

Iraque turbatos exercet regia mânes, 

Alecto , solium ante Dei sedemque tremendam , 

Tartareo est operata Jovi, pœnasque mioistrat. 

Arma viri, multo niiper defensa cruore^ 

Tnponit tumulo inlacrimans; manesque precata 

Adciperetil sese, flagrantem lampada subdit. 

Tune rapiens letum, a Tibi ego haec^ ait, optime conjux, 

Ad mânes , en , ipsa fero. » Sic ense recepto 

Arma super ruit. et flammas invadit hiatu. 

Semiambusxa jacet nullo discrimine passioi 

Infelix obitus, permixto funere, lurba. 

Ceu, stimulante famé, quum victor ovilia tandem 

Faucibus invasit siccis leo , mandit hianti 

Ore fremens inbelle pecus, patuloque reduod^ 

Gutture ructatus large cruor : incubât atris 

« 

Semesae stragis cumulis, aut, murmure anhelo 
Infrendens, laceros inter spatiatur acervos. 
JjSite fusa jacent pecudes , custosque Molossus , 
Pastorumque cohors, stabulique gregisque magister^ 
Totaque vastatis disjecta mapalia tectts. 
Inrumpunt vacuam Pœni tôt cladibus arcem. 
Tum demum ad manes^ perfecto munere, Erinnys 
Junoni laudata redit , magnamque superba 
Exsultat rapiens secum sub Tartara turbam. 



LES PUNIQUES, LIV. II. i*»! 

au tombeau de Murrus. Teile, quand le maiti'e d*Enfer 
tonne en courroux dans sou empire, que sa royale co-* 
ière poursuit les mânes épouvantés, debout devant le 
trône du dieu, devant son siège terrible, Alecto, mi- 
nistre de tortures, seconde à l'œuvre Jupiter Tartaréen. 
Les armes du faéros, sauvées naguèi^ au prix de tant 
de sang , Tiburne les dépose en pleurant sur le tombeau ; 
elle prie les mânes de la recevoir, incline sa torche em- 
brasée, et se donnant la mort:, «C'est moi, dit-elle, 
époux bien*aimé, c'est moi qui vais te porter ces dé- 
pouilles chez les mânes. » Elle se perce du glaive, et, 
roulant sur ces armes , d'une bouche béante elle aspire 
la flamme. 

A demi brûlés çà et là gisent en foule imlistincte- 
ment, confondus par le trépas, les cadavres de ces in- 
fortunés. Ainsi , pressé par la faim , quand un lion , 
vainqueur enfin et la langue desséchée, envahit la ber- 
gerie, d'une gueule avide il dévore en rugissant le trou- 
peau sans défense : le sang regorge de son gosier qui 
s'ouvre et le revomit à larges flots : il se couche sur de 
hideux monceaux de chairs à demi rongées; ou, pan- 
tois et grondeur, se promène en grommelant parmi ces 
restes déchirés. Au loin gisent épars, et les brebis, et 
leur gardien molosse, et la cohorte des pasteurs, et le 
maître de l'étable et du troupeau, et tous les débris 
dispersés de la bergerie au pillage. Les Carthaginois se 
précipitent dans la place dépeuplée par tant de désas- 
tres. Alors enfin, sa tâche accomplie et Junon satisfaite, 
l'Érinnys retourne ,chez les mânes , superbe et fière 
d'entraîner avec elle au Tarlare une si longue foule de 
victimes. 



i5a PUNICOr6m LIB. II. (v. 696.) 

At vos 9 sidereae, quas nuUa aequaverit aetas, 
Ite, decus terrarum, animae, venerabile vulgus^ 
Elysium et castas sedes decorate piorum. 
Cui vero non aequa dédit victorîa nomeu 
(Audite, o gentes, neu rumpîte fœdera pacis^ 
Nec regnis postferte fidein!)^ vagus exsul in orbe 
Errabit toto, patriis projectus ab oris; 
Tergaque vertentem trepidans Carthago videbit. 
Sœpe Saguntinis somnos exterritus umbris 
Optabit cecidisse manu ; ferroque negato , 
Invictus quondam Stygias bellator ad undas 
Deformata feret liventi membra veneiio. 



LES PUNIQUES, LIV. II. i53 

Allez 9 célestes âmes, sans rivales dans les siècles, 
gloire du monde , troupe vénérable, allez embellir l'Ely- 
sée et les chastes demeures des justes. Mais celui qu'il* 
lustra celte victoire inique (écoutez, nations, et gardez- 
vous de rompre les traités de paix et d'immoler à l'am- 
bition la foi des sermehs!), celui-là, errant et proscrit, 
se traînera par tout l'univers, repoussé des rives de sa 
patrie, et Carthage tremblante le verra tourner le dos à 
l'ennemi. Souvent, troublé dans son sommeil par les 
ombres des Sagontins, il regrettera de n'avoir pu périr 
de la main d'un soldat; le glaive lui fera faute, et un 
jour l'invincible guerrier ne portera aux flots du Styx 
qu'un cadavre livide et défiguré par le poison. 



ém/ttvtniyvwM¥mMytiuti w yuv*i¥U9M*t>n/ytMtnMiyyytivtt¥*t * Miv v ytnniuytt¥Vi/y»mnMt^ 



C, SIUI ITAUa 



PUNICORUM 



LIBER TERTIUS. 



ITostquam rupla 6cles Tyriis, et mœuia castae, 
Non aequo Superum genitore, eversa Sagunti; 
ËKtemplo positos finiti cardine mundi 
Victor adit populos , cogaataque limina Gades. 
Nec vatum mentes agitare et praescia corda 
Cessatum super imperio : citus aequore Bostar 
Vêla dare , et rerum praenoscere fata jubetur. 
Prisca fides adytis longo servatur ab aevo , 
Qua sublime sedens, Cirrhaeis aemulus antris, 
Inter anhelantes Garamantas corniger Hammou:, 
Fatidico pandit venientia secula luco. 
Hinc omen cœptis , et casus scire futuros 
Ante diem, bellique vices novisse petebat. 
ExiN clavigeri veneratus numinis aras 
Captivis onerat donis, quae nuper ab arce 
Victor fumantis rapuit semiusta Sagunti. 



yyv^vmHMt M vvtivvvw/»/vytniv^tH/v9»M%ivtivvvytnitmiyyvtiiM¥»/vtnivv¥vtH M n/yyytM^ 



C. SILITJS ITALiCTJS. 



LES PUNIQUES 



LIVRE TROISIEME. 



Une fois le traité rompu dans Carthage, et les fidèles 
murailles de Sagonte renversées par l'injuste volonté du 
père des dieux , le vainqueur pénèti*e chez les peuples 
placés aux derniers confins de la: terre, et se retire dans 
les remparts fraternels de Gadès. Il ne veut plus tarder à 
consulter sur l'empire du monde la science des devins 
et leur génie prophétique : il ordonne à Bostar de faire 
voile sur l'heure, et d'aller apprendre les décrets du 
destin. Une croyance antique et transmise d'âge en âge 
a consacré le sanctuaire où, du haut d'un trône sublime, 
rival du dieu deCirrha, Ammon porte-cornes, au mi- 
lieu des Garamantes haletans , dévoile au fond d'un 
bois fatidique les siècles à venir. C'est de là qu'Annibal 
veut prendre un augure pour sa conquête, savoir avant 
le temps les destinées futures , et s'instruire des chances 
de la guerre. 

Ensuite il rend hommage au dieu porte-massue , cou- 
vre d'offrandes ses autels, les charge des dépouilles^ 
récentes et à demi brûlées qu'il arracha vainqueur de^ 



i56 PUNICORUM LIB. III. (v. 17.) 

Vulgatum, nec cassa fides, ab origine fani 

Inpositas durare trabes , solasque per asvum 

Condentum novisse manus : hinc credere gaudent 

Consedisse Deum, seniumque repellere templis, 

Tum j quîs fas et honos adyti penetralia nosse , 

Femineos prohibent gressus, ac limine curant 

Saetigeros arcere sues : nec discolor uUi 

Ante aras cultus; velantur corpora lino, 

Et Pelusiaco prœfulget staminé verlex. 

Discinctis mos tura dare, atque e lege parentum 

Sacrificam lato vestem distinguere clavo. 

Pes nudus , tonsœque comœ y castumque cubile : 

Inrestincta focis servant altaria flammae. 

Sed nulla effigies , simulacrave nota Deorum 

Majestate locum , et sacro inplevere timoré. 

In foribus labor Alcidae Lernaea recisis 

Anguibus hydra jacet , nexuque elisa leonis 

Ora Cleonaei patulo caelantur hiatu. 

Ast Stygius j saevis terrens latratibus umbras , 

Janitor, asterno tum primum tractus ab antro^ 

Vincla indignatur, metuitque Megaera catenas. 

Juxta Thraces equi, pestisque Erymanthia, et altos 

^ripedis ramos superantia cornua cervi. 

Nec levior vinci Libycae telluris alumnus 

Matre super, stratique genus déforme bimembres - 

Centauri , frontemque minor nimc amnis Ararnan. 



LES PUNIQUES, UV. lU. i57 

ruines fumantes de Sagonte. On dit, et ce n'est point un 
vain bruit, que les poutres qui soutiennent le temple de- 
puis son origine durent encore, et ne connaissent, mal- 
gré leur âge, que les mains des premiers fondateilrs : 
aussi on pense avec joie que le dieu réside en cet asile 
et le préserve des ravages du temps. Ceux à qui seuls 
est le droit et Thonneur de pénétrer au sanctuaire, en 
défendent l'accès aux femmes, et prennent soin d'éloi- 
gner du seuil les pourceaux aux longues soies. Tous 
vêtus d'une même couleur devant les autels , leur corps 
est voilé de lin, et sur leur front éclate un tissu de Pe* 
luse. C'est en robe traînante qu'ils offrent l'encens , et 
une loi de leurs pères rehausse du laticlave la robe du 
sacrifice. Leur pied est nu, leur tête rase, leur cou- 
che vierge. Aux foyers des autels brûle une flamme 
inextinguible; mais nulle image conclue, nulle statue 
des dieux n'est là pour ajouter à la majesté du lieu, à la 
sainte terreur qu'il inspire. 

Sur les portes, les travaux d'Alcide : l'hydre de Lerne 
et ses serpens hachés gisent sans vie, et le lion de Cléone 
est ciselé, la gueule béante, sous l'étreinte du dieu qui 
l'étrangle. Le gardien du Styx, qui épouvante les om- 
bres de ses horribles. aboiemens, arraché pour la pre- 
mière fois de son antre éternel , lutte indigné contre ses 
fers , et Mégère redoute des chaînes. Non loin , les che- 
vaux de Thrace, et le monstre d'Erymauthe, et le cerf 
aux pieds d'airain dont les cornes dépassent la cime des 
arbres , et le fils de la terre de Libye non moins diffi- 
cile à vaincre tant qu'il touche sa mère, et les Cen- 
taures terrassés , engeance difforme au double corps , et 
le fleuve d'Acaruanie au front déjà mutilé. Au milieu , 



i58 PUNICORUM LIE. III. (v. ^3.) 

iQter quae fulget sacratis ignibus Œte , 

Ingentemque animam rapiunt ad sidéra flammae. 

PosTQUAM octttos Varia inplevit virtutis imago , 

Mira dehinc cemit : surgentis mole profuudi 

Injectum terris subitum mare, uullaque ctrea 

Litora , et infuso stagnantes aequore càmpos. 

» 

Nam qua casruleis Nereus evolvitur antris, 
Atque imo fréta contorquet Neptunia fundo, 
Proruptum exundat pelagus , cœcosque relaxans 
Oceanus fontes torrent ibus ingruit undis. 
Tuin vada , ceu saevo penitus permota tridenti , 
liuctantur terris tumefactum inponere pontum. 
Mox remeat gurges, tractoque reiabitur sestu, 
Ac ratis erepto campis déserta profundo , 
Et fusi transtris exspectant aequora nautae. 
Cymothoes ea régna vagae, pélagique labores 
Luna inovet : Luna, inmissis per cœrula bigis, 
Fertque referlque fretum , sequiturque reciproca Tethys. 
HiEC propere spectata duci : nam multa fatigant. 
Curarum prima exercet, subducere bello 
Consortem thalami , parvumque sub ubere natum. 
Virgineis juveneni taedis, primoque Hymenaeo 
Inbuerat conjux, memorique tenebat amore. 
At puer, obsessœ generatus in ore Sagunti, 
Bissenos lunae nondum compieverat orbes. 
Quos , ut seponi stetit et secernere ab armis ^ 



LES PUNIQUES, LIV. III. 159 

TŒta resplendit de feux sacrés, et les flammes enlèvent 
aux cieux la grande âme du héros. 

A peine il a contemplé à loisir l'image de ces ex- 
ploits divers, qu'une autre merveille s'offre h sa vue. 
La mer surgit soudain des profondeurs de ses abîmes et 
se précipite sur la terre : les rives d'alentour ont dis- 
paru, et le flot couvre au loin les plaines inondées. Car 
chaque fois que le bleu Nérée s'échappe de seê antres 
et chasse du fond des gouffres les vagues é^ Neptune, 
Tonde s'enfle, bouillonne et s'élance; l'océan ouvre ses 
sources cachées et envahît tout de ^es torrens débordés. 
Les eaux , que soulève en tumulte le trident redoutable, 
luttent pour engloutir la terre sous leurs lames amonce- 
lées. Mais bientôt le flot brisé retombe et se retire; le 
vaisseau demeure «ur la plage abandonnée des eaux qui 
s'éloignent, et les matelots, couchés sur leurs bancs, 
attendent le retour de la mer. C'est la Lune qui agite 
ainsi l'empire de l'errante Cymothoé, qui tourmente ainsi 
l'océan; la Lune, poussant son char sur la plaine azu- 
rée, plie et déplie les vagues , et Téthys obéit au roulis 
qui la berce. 

Ânnibal regarde à la hâte ce spectacle, car mille 
soucis l'inquiètent. Le premier soin qui l'occupe est de 
soustraire aux dangers de la guerre la compagne de sa 
couche et son fils encore à la mamelle. Jeune, il s'était 
épris de l'amoui* d'une vierge et des feux d'un premier 
hytnénée : une vive et durable tendresse l'attachait à son 
épouse. Son enfant était né sous les yeux de Sagonte 
assiégée, et la lune depuis ce temps n'avait pas encore 
achevé douze fois son cours. Quand il eut résolu de s'en 



1 



i6o PUNICORUM LIB. III. (v 69.) 

Âdfatur ductor : « Spes o Carthaginis allœ , 

Nate, nec iEneadum levior metus, açiplior, oro, 

Sis patrio décore, et factis tibi nomina coadas, 

Quis superes bellator avum , jamque œgra titnoris 

Roma tuos nunieret lacrimandos matribus annos. 

Ni praesaga meos luduat praecordia sensus , 

Ingens bic terris crescit làbor : ora parentis 

Agnosco y torvaque oculos sub fronte minaces , 

Yagitumque gravera, atque irarum elementa mearum. 

Si quis forte Deum tantos incident actus , 

Ut nostro abrumpat leto primordia rerum ; 

Hoc pignus belli, conjux, servare labora! 

Quumque datum fari, duc per cunabula nostra; 

Tangat Elissaeas palmis puerilibus aras , 

Et cineri juret patrio Laurentia bella. 

Inde, ubi flore novo pubescet firoiior aetas, 

Ëmicet in Martem , et calcato fœdere victor 

In Capitolina tumulum mibi vindicet arce. 

Tu vero, tanti felix quam gloria partus 

Exspectat , veneranda fide , discede periclis 

Incerti Martis, durosque relinque labores : 

Nos clausae nivibus rupes, subpostaque cœlo 

Saxa manent; nos, Alcidae mirante noverca 

Sudatus labor, et, bellis labor acrior, Alpes. 

Quod si promissum vertat Fortuna favorem, 

Laevaque sit cœptis, te longa stare senecta 



LES PUNIQUES, LIV. IIL i6i 

séparer et de les éloigner des combats ^ il leur parla 
ainsi : « O toi , l'espoir de l'ahière Carthage non moins 
que la terreur de Borne ^ grandis en gloire, ô mon 61$, 
je l'en conjure, et surpasse ton père : que ton courage 
te fonde un nom; que tes exploits t'élè vent au dessus 
de ton aïeul; que déjà Kome, malade d*^effroi, compte 
à regret tes années qui feront pleui^er les. mères. Si tes 
pressentimens de mon amour n'abusent point n^es s^us, 
cet enfant croît pour de grandes œuvres : je recon- 
nais en lui les traits de son père, et ce regard mena- 
çant sous un sourcil froncé, et ce mâle vagissement, 
et ces premiers accens de mes colères. Si quelque dieu 
s'avisait d'intei*rompre mes' vastes desseins , et d*ar- 
rêter par mu mort ma naissante conquête, cethe* 
ritier de mes guerres , songe , femme , à le sauver ! £t 
quand il saura parler, qu'il subisse les épreuves de mon 
berceau , qu'il touche de ses mains enfantines les autels 
d'Ëlissa ,' qu'il jure guerre à Laurente sur la cendre de 
ses pères! Puis, quand la puberté dans sa fleur aura 
fortifié son jeune âge , qu'il vole au combat , qu'il 
aille, vainqueur et le pied sur l€s traités, me conquérir 
une tombe au sommet du Capitole. Mais toi, qui l'en- 
gendras si grand pour ton bonheur et pour ta gloire, 
épouse fidèle et révérée, éloigne -toi des périls et des 
hasards de la guerre , laissa là de pénibles travaux. A 
nous les roches et leur« remparts 4e neige, et leurs 
cimes qui portent le ciel; à nous la sueur d'Herx:u]e, et 
le labeur admiré de sa marâtre, labeur plus rude que la 
guerre, à nous les Alpes! Mais si la fortune détourne 
de nous ses faveurs promises et s'oppose à nos projets, 
je veux que tu me survives, que la viei^Hesse prolonge 
I. II 



n 



i6'j PUNICORUH UB. III. {r. y s.) 

ZBvumquc: exteudisse veiîm : tua justior aetas , 
Ultra me ioproperae ducant cui fila Sorores. » 
Sic iite : at contra Cirrhœi sanguis Imilce 
Castafîi , cui materno de nomme dicta 
Castulo Phœbei servat cognomina vatis, 
Atque ex sacrata repetebat stirpe parentes : 
Tempore quo Baccfaus populos domitabat Hiberos, 
Concutiens thyrso atque armata Ma&nade Calpen, 
Lascivo genitus Satyro nyraphaque Myrice , 
Milichus indigenis late regnarat in oris, 
Comigeram adtoUens genitoris imagine fronbem. 
Hincpatriam clarumque genus referebat Imilce, 
Barbarica paulum vitiato nomine lingua. 
QvM tune sic lacrimis sensim manantibus infît : 
« Mené y oblite tua nostram pendere sainte , 
Abuuis inceptis comitem? sic fœdera nota 
Primitiaeque tori, gelidos ut scandere tecum 
Deficiam montes conjux tua? Crede vigori 
Femineo : castum haud superat labor ullus amorem. 
Sin solo adspicimur sexu , fixumque relinqui, 
Cedo equidem , nec fata moror : Deus adnuat , oro. 
I felix y i numinibus votisque secundis , 
Atque acies inter flagrantiaque arma, relictae 
Conjugis et nati curam servare mémento. 
Quippe nec Ausonios tantum , nec tela , nec ignés , 
Quantum te, metuo : ruis ipsos acer in enses , 



LES PUNIQUES, LIV. III. i6S 

tes anoées; ton âge mérite qu'après moi les Parques 
lentement te filent d'heureux jours. » 

Imiicé résiste à ses instances. Issue du sang de Cas- 
talius de Cirrha , de ce prêtre d'Apollon , qui , fon- 
dant Castulo , lui doona le nom de sa mère , nom que 
cette ville conserve encore, Imiicé descendait par ses 
aïeux d'une tige sacrée. Au temps où Bacchus domp- 
tait les peuples d'Ibérie , où le thyrse j où la Mé- 
nade en armes ébranlaient Calpé , Milichus était né des 
lascives amours d'un Satyre et de la nymphe Myricé : 
il avait au loin régné sur ses plages natales, le front 
chargé de cornes à l'image de son père. Telles étaient 
et la patrie et l'illustre origine d'Imilcé, ainsi appelée 
{3ar une altération légère en langue barbare du liom 
de Milichus. 

Peu à peu ses larmes s'échappent; elle répond : «Tu 
refuses de m'associer à tes travaux ! As-tu donc oublié 
que mon salut dépend du tien? Est-ce ainsi que tu 
comprends ma flamme et mes premiers sermens ? Moi , 
je< n'aurais pas le cœur de gravir avec toi des montagnes 
glacées, moi, ton épouse! Juge mieux du courage d'une 
femme : il n'est point de périls qu'un chaste amour ne 
surmonte. Si tu ne considères que mon sexe, s'il faut que 
je démeure, j'y consens et je cède aux destins : Dieu te 
soit en aide, et m'entende! Va donc et sois heureux; le 
ciel et mes vœux te secondent ; va , mais dans la mêlée , 
dans la chaleur du combat, songe à ta femme absente, 
à ton fils, et te conserve à leur amour. Car ce n'est point 
l'Ausonien , ni ses traits, ni ses feux, que je redoute pour 
toi , c'est toi-même : tu te jettes furieux au devant du 
glaive, tu présentes ta tête aux javelots; nul succès ne 

II. 



i64 PUNICORUM LIB. lïJ. (v. lai.) 

Objectdsqué caput telîs^ nec te alla secundo 

Eventu satiàt virtus t tibî gloria so)i 

Fîd0 caret ^ crediaque viris ignobile letum 

Belligerb in pace mori : tremor inpiicat artiis, 

Nec quemquam horresco , qui se tibi conférât un us. 

Sed %u\ bellorunEt genitor, miserere ^ nefasq-ue 

Averte, et serva caput inviolabile Teucris. » 

Jamqùe adeô egressi steterant in litore primo , 

Et promota ratis , pendentibus arbore nantis , 

Aptabat sensim pulsanti carbasa vento ; 

QuuRi j lenire metus propei^ans , acgramque levare 

Adtonitis mentem curis, sic Hannibal orsus : 

tf Ominibus parce et lacrimis, fidissima conjux! 

Et pace et bello cuhctis stat terminus œvî, 

Ëxtremumque diem primus tulit : ire per ora 

Nomen in œlernum paucis mens ignea donat, 

Quos Pater sHhereis Cœlestum destinât oris. 

An Romana juga , et famulas Carthaginis arces 

Perpetiar? Stimulant mânes, noctisque per umbras 

Increpitans genitor : slant ar^ atque horrida sacra 

Ante oculosy brevitasque vetat mutabilîs borae 

Pfoktare diem : sedeamne, ut noverit unâ 

Me tantum Carthago ? et , qui sim , nesciat omnis 

Gens hominum? letique metu décora alla relinquam? 

Quantum etenim distant a morte silentia vit» ? 

Kec tameo iocautos laudum exhorresce furores : 



LES PUNIQUES, LÏV. III. i65 

peut suffire à ta valeur : pour toi seul la gloire n'a pas de 
bornes , et tu crois indigne d'un héros de mourir au ^n 
de la paix. Tout mon corps tremble à cette idée; mais nul 
ennemi ne m'effraie s'il se mesure seul avec toi. Pitié, 
dieu des batailles! garde sa tête de l'outrage, et préserve- 
la des atteintes de Rome ! » 



ils sortent et s'arrêtent sur le bord du rivage. Le na- 
vire est à flot 9 et le matelot , suspendu au mât, ajuste 
sa voile et la livre par degrés au souffle des vents. An* 
nibal s'empresse de calmer les frayeurs d'Imilcé, de sou- 
lager son âme des soucis et des terreurs qui l'accablent ; 
il reprend ainsi : « Laisse ià les pressentimens et les lar- 
mes, ô bien fidèle épouse; à tous, en paix domine en 
guerre , le terme de la vie est marqué : le premier de 
nos jours amène le dernier ; éterniser son nom dans la 
bouche des hommes , est un don réservé à ces rares gé- 
nies, à ces ânies de feu , que Jupiter destine au sublime 
séjour du cieL Puifi-je donc soufifrir encore la domination 
de Rome et l'asservissement de Carthage? Les mânes 
commandent , dans l'ombre de la nuit mon père m'ac- 
cuse; j'ai toujours devant les yeux et l'autel et l'horrible 
sacriBce ; la brièveté de cette vie inconstante me défend 
de tarder davantage. M'arrêter là I pour n'être jamais 
connu que de Carthage seule , pour que le genre humain 
tout entier ignore qui je suis! et perdre ainsi, de peur dé 
mourir, une belle renommée! mais en quoi diffère de la 
mort une vie sans éclat? Toutefois ne crains pas que je 
m'abandonne aux transports d'une aveugle ambition. Je 
sais faire état de la vie} et si j'aime la gloire , j'aime 



tes PUNICORUM LIB. III. (v. 14:) 

£t nobis est lucis honos^ gaudetque senecta 
Gloria, quum longo titulis celebratur ia xvo. 
Te quoque magna maqent suscepti praemia belli : 
Dent modo se Superi , Thybris tibi serviet omnis y 
Iliacaeque nurus, et dives Dardanus auri. » 
DuHQUE ea permixtis inter se fletibus orant , 
Coufisus pelago celsa de puppe magister 
Cunctantem ciet : abripitur divulsa marito. 
Haerent intenti vultus, e^ litora servant, 
Donec, iter liquidum volucri rapiente carina, 
Consumsit visas pontus , tellusque recessit. 
At Pcenus belli curis avertere amorem 
Adparat, et repetit properato mœnia gressu. 
Quae dum perlustrat, crebroque obit omnia visu, 
Tandem sollicito cessit vis dura labori , 
Belligeramque datur somno componere mentem. 
TuM pater omnipotens gentem exercere periclis 
Dardaniam, et fama saevorum tollere ad astra 
Bellôrum meditans , priscosque referre lâbores , 
Praecipitat consulta viri; segnemque quietem 
Terret, et inraissa rumpit formidine somnos. 
Jamque per humentem noctis Cyllenius umbram 
Aligero lapsu portabat jussa parentis. 
Nec mora : mulcentem securo membra sopore 
Adgreditur juvenem, ac monitis ineessit amam : 
<c Turpe duci totam. somno consumere noctem , 



LES PANIQUES, UV: III. 167 

aussi la vieillesse 9. qui en prolonge la sprcinleur et la 
durée. Toi-même lu recueilleras d'immenses fruits de 
cette guerre : que les dieux laissent faire , et bientôt le 
Tibre entier sera sous ta loi, et avec lui les filles d'Ilion , 
et le Dardanien et ses riches trésors, n- 

Pendant qu'ils s'entretiennent ainsi et confondent 
leurs larmes, le pilote, que le vent favorise, appelle 
Imilcé du haut de la poupe; elle, résiste , on l'arrache 
des bras de son mari : on les sépare. Immobile et atten- 
tif, son œil demeure fixé sur le rivage : mais l'agile, ca- 
rène glisse et s'éloigne sur la plaine liquide;, la mer dér 
robe bientôt la vue de la. rive, et la terre a disparu. 

Le Carthaginois cherche aussitôt dans les soucis de la 
guerre l'oubli de son amour, et regagne d'un pas rapide 
les remparts de la ville. Il en parcourt l'enceinte, et 
promène partout son regard vigilant. Mais tant de soins 
et de travaux ont lassé enfin son indomptable vigueur; 
et l'âme du guerrier se recueille dans le sommeil. 

Alors le père tout-'puissant, qui veut soumettre les 
enfans de Dardanus aux plus dures épreuves, et, pour 
élever leur nom jusqu'aux nues, l'illustrer dansles. luttes 
guerrières , et les ramener aux labeurs de leurs ancê- 
tres, presse l'accomplissement dés projets du héros; il 
trouble son calme et son loisir et lui jette l'épouvante 
pour interrompre son sommeil. Déjà le dieu de Cyllène, 
chargé des ordres de son père , a traversé d'un vol. agile 
les ténèbres humides de la nuit. Sans attendre il aborde 
le jeune guerrier qui reposait tranquille et endormi , et 
lui adresse ces reproches amers : «Honte au chef qui 
use au sommeil sa nuit entière Maître des Libyens, la 



i66 PUNICORUM LIB. 111. (v. i:^.) 

O rector Libyae ; vigili staot bella magistro. 

Jam maria efFusas cernes turbare carinas , 

Et Latiam toto pubem volitare profundo j 

Dum lentus cœpti terra canctaris Hibera. 

Scilicet, id satis est decoris, memorandaque virlus^ 

Quod tanto cecidit molimine Graia Saguntos? 

En âge, si quid inest animo par fortibus ausis, 

Fer gressus agiles mecum , et comitare vocantem : 

Respexisse veto (mooet hoc pater ille Deorum) : 

Victorem ante altœ statuant te mœnia Româe. » 

JaMque videbatur dextram injectare, graduque 

Laetantem trahere in Saturnia régna citato; 

Quum subitus circa fragor, et vibrata per auras 

Exterrent sœvis a tergo sibila linguis; 

lugentique metu Divum praecepta paventi 

EfHuxere viro, et turbatus lumina flectit. 

Ëcce jugîs rapiens silvas , ac rabora vasto 

Contorta amplexu j tractasque per invîa rupes ^ 

Ater letifera stridebat turbine serpens. 

Quantus non aequas perlustrat flexibus Arctos^ 

Et geminum lapsu sidus circunvlîgat anguis : 

Inmani tantus fauces diducit hiatu y 

Adtollensque caput nimbosis montibus aequat. 

Cougeminat sonitus rupti violentia cœll , 

Imbriferamque biemem permixta grandine torquet. 

Hoc trepidus monstro (neque entin sopor tlle^.pec alta? 



LES PUNIQUES, LIV. III. 169 

gueri-e ne profite qu'au général qui veille. Tu verras 
bientôt les nefs ennemies envahir et bouleverser lets 
mers, et la jeunesse latine "voler partout sur les ondes; 
pendant qu'oublieux d'agir tu dors sur la terre d'Ihérie. 
As-tu donc assez de gloire? C'est là en effet une mé- 
morable prouesse que la ruine, à l'aide de taiit de bras, 
d'une ville grecque, d'une Sagonte? Lève- toi, et si tu 
as dans l'âme une volonté égale à ton audace , marche 
en hâte sur mes pas, suis-mot où je t'appelle : je te dé- 
fends de détourner la vue (tel est l'ordre du père des 
dieux) ; je te mènerai vainqueur devant les remparts de 
la superbe Rome. » 

Déjà Mercure semblait lui saisir le bras et entraîner 
d'un pas rapide le héros joyeux vers le royaume de Sa- 
turne, quand soudain à l'entour éclate un grand bruit; 
derrière eux d'horribles sifHemens percent les airs : Anni- 
bal tremble frappé de terreur ; il oublie en son effroi fa 
défense des dieux, il se trouble et regarde. Il voit les fo- 
rêts arrachées des montagnes, les vastes chênes brisés, 
les roches entraînées au fond des abîmes, sous la puissance 
et l'étreinte meurtrière d'un serpent hideux qui se roule 
en sifflant. Pareil à l'énorme dragon dont les replis em- 
brassent les Ourses inégales, et enlacent ce^ deux astres 
dans leur cours, sa large gueule s'ouvre béante, et sa tête 
se dresse au niveau de la cime orageuse des montagnes. 
Au bruit qui redouble se mêle le fracas de la tempête ; le 
ciel se déchire et vomit des torrens de grêle et de pluie. 
Effrayé de ce prodige (car ce n'était point là un songe 
confiis et chargé des lourdes ombres de la nuit : le dieu , 
de sa baguette écartant les ténèbres, avait éclairé le som- 
meil du héros) , il demande quel est ce monstre , où va 



I70 PUNICORUM LIB. III. (v. 199O 

Vis aderat noctis, virgaqué fugante tenebras 
Miscnerat lucem somno Deus), ardua quae sit, 
Scitatui\ pestîs; terrasque urgentia membra 
Quo ferat, et quosnam populos deposcat hiatu. 
Cui gelidis almae Cyllenes editus antris : 
c( Bella vides optata tibi : te inaxima bellày 
Te strages ticmorum, te moto turbida cœlo 
Tempestas^ caedesque virum, roagnaeque ruiiiae 
Idaei generis, lacrimosaque Fata seqiiuntiir. 
Quantus per campos populatis montibus actas 
Contôrqiiet silvas squaienti tergore serpens. 
Et late humectât terras spumante veneno : 
Tantus^ perdomilis dccurrens Alpibus, atro- 
Involves belio Italiam , tantoque fragore 
Ëruta convulsis prosternes oppida mûris. » 
His aegrum stimulis liquere Deusque soporque : 
It membris gelidus sndor; laetoque pavore 
Promissa evolvit somni , noctemque rétractât. 
Jamque Deum régi Martique sub omine fausto 
Tnstauratus honos ; niveoque ante omnia tauro 
Placatus meritis monitor Cyllenius aris. 
Extemplo edicit convellere signa ^ repensque 
Castra quatit clamor permixtis dissona I inguis. 
Prodite , Calliope , famae , quos horrida cœpla 
ËKcierint populos , tulerintque in régna Latini ;. 
£t quas indomitis urbes armarit Hibcris, 



LES PUNIQUES, LIV. III. 17 1 

cette masse gigantesque qui écrase la terre, et quels peu- 
ples engloutira sa gueule béante. Alors le dieu que 
nourrit Cyllène en ses antres glacés : «Tu vois la guerre 
que tu désires : oui , les grandes guerres , et la dévasta- 
tion des forêts, et les noires tempêtes qui ébranlent le 
ciel, et le carnage des guerriers, et la longue extermi- 
nation de la race idéenne, et les larmes, et la mort, vont 
marcher à ta suite. Comme ce serpent à l'écaillé hideuse, 
qui, déracinant les forêts, lance dans la plaine ces dé- 
pouilles des montagnes , et mouille au loin la terre de 
sa bave venimeuse; tel, franchissant les Alpes vaincues, 
tu envelopperas l'Italie d'une funeste guerre ; tel , à 
grand bruit renversant les cités, tu coucheras à terre 
leurs murailles démantelées. » 



Ainsi tourmenté de l'aiguillon , le dieu et le som- 
meil l'abandonnent. Une froide sueur coule de ses mem- 
bres ; il tremble de joie à se rappeler les promesses de 
cette nuit, à se retracer l'image de ce songe. Aussitôt, 
pour prix de cet heureux présage, il offre un sacrifice au 
père des dieux et à Mars; mais avant tout , et comme un 
juste hommage au Cyllénien qui daigna l'instruire, il 
immole un taureau blanc sur ses autels. Puis il ordonne 
de lever les enseignes , et le camp retentit soudain dés 
accens confus de mille langages divers. 

Calliope, dites quels peuples volèrent à cette horrible 
conquête , et se précipitèrent sur le royaume de Lati- 
Qus; que de villes la Libye arma chez Tibère indompté, 



17» PUNICOtlUM LIB. Ilf. (v. aaS.) 

Quasque Parastonio glomerarit litore turmas 
A usa sibi Libye rerum deposcere frenos. 
Et terris mutare jugum : non uUa, nec unquam 
ScBvior it trucjbus tempestas acta procellis ; 
Nec belluoi raptis tam dirum milie carinis 
Acrius infremuît, trepidumque exterruit orbem. 
Pringeps signa tulit Tyria Carthagine pubes , 
Membra levis , oelsique decus fraudata superbum 
Corports; at docilis fallendi, et nectere tectos 
Nunquam tarda dolos : rudis bis tune parma ; brevique 
Bellabant ense ; at vestigi;a nuda , sinusque 
Cingere inadsuetum ; et rubrae velamine vestis 
Ârs erat in pugna fusum occuluisse cruorem. 
His rector fulgens ostro super altior omnes 
Germanus nitet Hannibalis /gratoque tumultu 
Mago quatit currus, et fratrem spirat in armis. 
Proxima Sidoniis Utica est effusa maniplis ^ 
Frisca situ, veterisque ante arces condita Byrs». 
Tum, quœ Sicanto prœcinxit lUora œuro, 
In dipei speciem curvatis turribus , Aspis. 
Sed dux in sese converterat ora Sychaeus, 
Hasdrubalis proies, cui vano corda tumore 
Maternum inpiebat genus , et resooare superbo 
Hannibal haud unquam cessabat avunculus ore. 
Adfoct undosa cretus Berenicide* miles ^ 
Nec tereti dextras in pugna m armata dolouc 



LES PUNIQUES, LIV. III. 17I 

que de bataillons elle assembla sur les rives paréto- 
niennes, alors qu'elle osa réclamer les rênes du monde 
et changer les maîtres de la terre : non , jamais plus 
atroce ni plus temble tempête ne déchaîna ses furies ; 
non, l'effroyable guerre apportée par mille navires ne 
put éclater avec plus <le rage, et jeter plus de terreur à 
l'univers ë|>ou vanté. 

Les premiers qui parurent sous les étendards étaient 
les enfans de Carthage la Tyrienne : jeunesse agile , dé- * 
nuée de la noblesse du corps et de la majesté d'une haute 
taille, mais savante à tromper, et jamais en peine de ten- 
dre de secrètes embûches. Ils se battent avec un bouclier 
grossier et une épée courte : ils marchent pieds nus, 
sans qu'une ceinture retienne les plis de leur robe, et 
le rouge tissu de ee vêtement déguise adroitement le 
sang qu'ils perdent au combat. I^ur chef, resplendis- 
sant de pourpre, domine et brille par-dessus tous : frère 
d'Ânnibal, Magon aime à rouler son char avec fracas, 
et s'anime sous les armes du génie dé son frère. 

A la suite des Sidoniens se déploient les bataillons 
d'Utique , vieille cité , construite même avant l'an- 
tique citadelle de Byrsa. Après elle, Aspis, qu'un Sici- 
lien ferma sur le rivage d'une enceinte de murs et de 
tours qui se dessine en forme de bouclier. Leur capitaine 
attire à lui tous les regards : c'est Sychée , c'est le sang 
d'Asdrubal; le cœur enflé d'un vain orgueil, il ne cesse 
de vanter la noblesse de sa mère, et de répéter avec 
jactance le nom de son oncle Annibal. 

Vient ensuite le soldat de Bérénice, battue par les 
ondes ; le bra^ armé du dolon poli , l'aride Barcé , aux 



174 PUNÏCORUM LÏB. ÏII. (y. «5. ) 

Deshtuit Barde sitientibus arida venis. 

Nec non Cyrene Pelopei stirpe nepotis 

Battiadas pravos fidei stimulavit in arma. 

Quos trahit antiquo laudatus Hamilcare quondam , 

Consilio viridis , sed belli serus , Ilertes. 

Sabratha tum Tyrium vulgus, Sarranaque Leptis, 

OEaque Trinacrios Âfris permixta colonos, 

Et Tingin rapido mittebat ab aequore Lixus. 

Tum Vaga, et antiquis diiectus regibus Hippo, 
Quaeque procul cavit non aequos Buspina ftuctus y 
Et Zaroa j et uberior Rutulo nunc sanguine Thapsus. 
Ducit tôt populos ingens et corpore et armis , 
Herculeam factis servans ac nomine famam , 
Antaeus, celsumque caput super agmina tollit. 
Venere ^thiopes , gens haud incognita Nilo , 
Qui magneta sécant : solis honor ille metalli , 
Intactum chalybem vicino ducere saxo. 
His simul, inmitem' testantes corpore solem^ . 
Exusti venere Nubae : non aerea cassis, 
Nec lorica riget ferro , non tenditur arcus ; 
Tempora multiplici mos est defendere lino. 
Et lino munire lalus , scelerataque succis 
Spicula dlrigere , et ferrum infamare veneno. 
Tum primum castris Piiœnicum teudere ritu 
Cinyphii didicere Macae : squalentia barba 
Ora virisy humerosque tegunt velamine capci 



LES PUNIQUES, LIV. III. i-S 

veines altérées, ne fait pas faute, non plus qpe Cyréné, 
qui doit son origine à un descendant de Pélops : elle 
envoie au combat les perfides Battiades. Â cette milice 
commande un héros jadis estime du vieux Amilcar, 
Ilertès y encore vert au conseil , mais déjà lent à 
TcBuvre. 

Puis les troupes tyriennes de Sabratha et de Leptis 
la Sarrauienne, celles d'Éa, mélange d'Africains et de 
colons de Trinacrie, et celles de Tingis, parties des 
rives du rapide Lixus : puis celles de Vaga , et d'Hip- 
pone, la bien-aimée des anciens rois, et de Ruspina qui 
se garde au loin des flots ennemis, celles de Zama^ celles 
de Thapsus engraissé depuis du sang des Rutules. Le 
chef de tant de peuples , géant de corps et d'armure , et 
dont les exploits et le nom rappellent la mémoire d'Her- 
cule^ Antée^ élève sa tête altière au dessus des bataillons. 

Après viennent les Éthiopiens, nation connue du Nil, 
et qui taille l'aimant : à elle seule ce métal , qui fait sa 
gloire, et qui, sans toucher le fer dont ou l'approche, 
l'attire du rocher. Avec eux marchent les Nubes, dévo- 
rés par le soleil, dont leurs membres brûlés attestent 
les ravages ; ils ne portent ni le casque d'airain , ni la 
rude cuirasse de fer, ni l'arc tendu : plusieurs tissus de 
lin^ roulés sur leur front, défendent leurs tempes; une 
ceinture de lin protège leurs flancs. Us lancent des j'a- 
velots trempés de sucs perfides, des traits déshonorés 
par le poison. Alors , et pour la première fois , les 
Maces du Cinyphe apprirent au camp des Phéniciens, 
l'art de dresser les tentes ; une barbe hideuse hérisse 
leur visage y la peau d'un bouc velu recouvre leurs 
épaules, et leur bras est armé de la flexible catéte^ 



176 PUNICORUM LIB. III. (v. a;:.) 

Sœtigero; panda manus est armata cateia. 

Versicolor contra caetra, et falcatus ab arte 

Ensis Adyrmachidis 9 ac laevo tegmina crure. 

Sed mensis asper populus, victuque maligno : 

Nain calida tristes epulae torrentur arena. 

Qtiin et Massyli fulgentia signa tulere , 

Hesperidum veniens lucis domus ultima terrae. 

Praefuit intortos demissus vertîce crines 

Bocclius atrox , qui sacratas in litore silvas , 

Atque inter frondes revirescere viderai aurum. 

Vos quoque desertis in castra mapalibus itis , 

Misceri gregibus Gaetulia sueta fi^rarum , 

ludomitisque loqui, et sedare leonibus iras. 

Nulla domus ; plaustris habitant : migrare per arva 

Mos, atque errantes circumvectare pénates.' 

Hinc mille alipedes turmœ, velocior Euris . 

Et doctus virgae sonipes, in castra ruebant. 

Ceu pernix quum densa vagis latratibus inplet 

Venator dumeta Lacon^ aut exigit Umber 

Nare sagax e calle feras , perterrita late 

Agmiua praecipitant volucres forniidiue cervi. 

Hos agît haud iaeto vultu, uec fronte serena^ 

Asbytes nuper caesae germanus^ Acherras. 

Mahmarid^, medicum vulgus, strepuere catervis; 

Ad quorum cantus serpens oblita veneni , 

Ad quorum tactum mites jacuere cerastae. 



LES PUNIQUES, LIV. IIL 177 

L'Adyrmachide au contraire porte la cètre aux chan- 
geantes couleurs 9 Tépée recourbée avec art, une chaus- 
sure à la jambe gauche : ce peuple sauvage , content 
d'une maigre et grossière nourriture, cuit ses tristes 
alimens sous le sable échaufîe. Avec eux, lèvent aussi 
leurs brillans étendards, les Massyles, accourus des bois 
des Hesperides, des limites du monde. Ces troupes ont 
à leur tête le farouche Bocchus, aux cheveux roulés en 
longues tresses : il a vu les forêts sacrées croître sur son 
rivage, et l'or y verdoyer parmi les feuilles. 



Vous aussi, vous avez quitté vos cabanes pour courir 
à la guerre, Gétules, habitués à vivre au milieu des bêtes 
féroces , à parler aux lions indomptés , à vaincre leurs 
colères. Sans demeures fixes, habitant leurs charriots, ils 
cheminent à l'aventure dans les campagnes , et promènent 
çà et là leurs pénates errans. Leurs mille escadrons aux 
pieds ailés, sur leurs coursiers plus rapides que l'Ëurus 
et dociles à la verge, volaient dans le camp avec la vitesse 
du chien lacon qui se glisse, chasseur agile, à travers 
les halliers épais où ses aboiemens retentissent, ou de 
l'ombrien dont l'habile narine dépiste le gibier dans son 
gîte, ou du cerf léger que la peur entraîne, et qui pré- 
cipite au loin sa course fugitive. Le chef de ces guer- 
riers n'a point le front serein, le visage riant : c'est le 
frère d'Asbyté qui succomba naguère, c'est Acherras. 

Les Marmarides, savans à guérir, s'élancent à grand 
bruit : à leur voix le serpent oublie son venin; sous leurs 
doigts le céraste rampe adouci. Puis les Baniures, rudes 

I. la 



k 



^78 PUNICORUM LIB. Ilï. (v- 3 -î) 

Tum, chatybis pauper, BaDJurœ cruda juveotus, 
Oontenti parca durasse hastllia flamma, 
Miscebaat avîdî Irucibus fera murmura lioguis. 
Mec ooD Autololes, levibus geas ignea plaotis, 
Cui sonipes cursu, cui cesserit incitus amois; 
TaDia fiiga est! certant peanae, campuraque volatu 
Quum rapuere, pedum frustra vestigia quaeras. 
Spectati castris , quos succo QObilis arbor 
Et dulci pascit lotos niinis hospita bacca. 
Quique atro rabidas effervescente veneno 
Dipsadas inmensis horrent Garamatites areuis. 
Fama docet, caessB rapuit quum Gorgonis ora 
Per&eus , in Lîbyatn dirum fluxisse cruorem ; 
Inde Medusœis terrain exundasse chelydris. 
Mitlibus bis ductor spectatus Marte Coaspes, 
Nerîtîa Méninge satus, cui tragula semper 
Fulmineam armabat, celebratum missile, dextram. 
Hiac coit sequoreus Nasamon, invadere fluctu 
Audax naufragia, et prœdas avellere ponto : 
Hinc, qui stagna colunt Tritonidos alta paludis, 
Qtia virgo, ut fama est, bellatrîx édita tympha 
Inveato primam Libyen perfiidit olivo. 
Nbc non totus adest Vesper, populique reposli. 
Cantaber ante omnes, hîemisque aestusque famisque 
Invictus, palmamque ex omni ferre labore. 
Mirus amor populo, quum pigra incanuît setas, 



LES PUNIQUES, LIV. HL 179 

soldats, pauvres de fer, et conteos de durcir à petit feu 
la pointe de leurs javelines : avides de carnage^ ils mêlent 
de sauvages menaces à leur grossier langage. Après 
eux, les Autololes, dont le pied l^ger^ plus prompt que 
réclair, devance te cheval à la course et le torrent qui 
roule, tant leur essor est rapide ! émules de Toiseau, Us 
volent, et dans la plaine qu'ils franchissent vous cher- 
cheriez vainement la trace de leurs pas. On vit aussi 
dans cette année les peuples nourris des sucs vantés du 
lotos, arbre hospitaflier dont les fruits ont trop de charme 
et de saveur; et les Garamantes, qui redoutent le dipse 
errant sur leurs sables immenses et ses noirs poisons 
qu'enflamme la rage. Quand Persée emporta la tête 
coupée de la Gorgone, on dit que le sang du monstre 
cruel coula sur la Libye, et c'est ainsi que les serpens 
de Méduse inondèrent cette contrée. A ces mille ba- 
taillons commande un soldat illustre, Coaspès, enfant 
de l'île Méninx la Néritienne; toujours sa main fou- 
droyante brandit la ûragule, son arme renommée. Avec 
lui marche le Nasamon marin dont l'audace envahit sur 
les flots les débris des naufrages et ravît aux vagues leur 
butin; avec lui, ceux qui cultivent les bords du marais 
Tritonis, de ces lacs profonds d'où surgit, dit-on, la 
vierge guerrière qui la première trouva l'olive et la 
sema par toute la Libye. 



L'Occident tout entier s'avance, avec ses peuples re- 
culés. Avant tous, le Cautabre, que ni le froid, ni les 
chaleurs, ni la faim ne peuvent vaincre, et qui triomphe 
de toute fatigue. Ce peuple a l'étrange manie, quand 
la lente vieillesse commence à le blanchir, de terminer 

1:2. 



«8o PUNICORUM LiB. m. (v. îag.) 

Inbelles jam dudum aiinos praevertere saxo, 

Nec vitam sine Marte pati : quippe omnis in armis 

TiUcis causa sita, et damnatum vivere paci. 

Venit et Aurorae lacrioiis perfusus in orbem 

Diversum , patrias fugit quum devius oras , 

Armiger Eoi non felix Memnoms Astyr. 

His parvus sonipes^ nec Marti notus : at idem , 

Aut inconcussp glomerat vestigia dorso , 

Aut molli pacata celer rapit esseda collo. 

Cydnus agit, juga Pyrenes venatibus acer 

Metîri , jaculove extendere prœlia Mauro. 

Venere et Celtae sociati nomen Hiberis. 

His pugna cecidisse decus , corpusque cremari 

Taie, nefas : cœlo credunt Superisque referri, 

Inpastus carpat si membra jacentia vultur. 

F1BBA.RUM, et pennae, divinarumque sagacem 

Flammarum misit dives Callaecia pubem, 

Barbara nutic patriis ululantem carmina liuguis , 

Nunc , pedis alterno percussa verbere terra , 

Ad numerum resonas gaudentem plaudere caetras. 

Hœc requies ludusque viris, ea sacra voluptas. 

Cetera femineus peragit labor : addere sulco 

Semina, et inpresso tellurem vertere aratro 

Segne viris : quidquid duro sine Marte gerendum , 

Callaici conjux obit inrequieta mariti. 

Hos Viriathus agit , Lusitanumque reraotis 



LES PUNIQUES, LIV. III. i8i 

du haut (l'un rocher des jours désormais inutiles.: la 
vie lui répugne sans la guerre : exister, pour lui, c'est 
combattre^ et vivre en paix est un opprobre. 

Vient ensuite, baigné des larmes de l'Aumre, après 
avoir fui pour un autre univers les bords lointains de 
sa patrie, l'Asturien, malheureux écuyer de Memnon 
l'Oriental. Son coursier , de petite taille , ignore la 
guerre; mais il sait, sans secousse, presser le pas sous 
l'étrier, ou d'une douce allure emporter avec vitesse un 
char pacifique. Cydnus, leur chef, aime à gravir, ardent 
chasseur, les cimes des Pyrénées, ou à. lancer de loin 
dans la. mêlée le javelot du Maure. 

Viennent aussi les Celtes qui ont uni leur nom à celui 
des Ibères. Us se font gloire de périr en combattant, 
mais brûler après leur cadavre serait un crime : ils 
croient monter au ciel, au sein des dieux, si le vautour 
affamé dévore leurs membres sans sépulture. 

La riche Callécie envoie sa jieunesse, interprète des 
fibres des victimes,, du vol des oiseaux, des feux du 
ciel : tantôt elle hurle, dans- le langage de sa patrie, des 
hymnes barbares; tantôt, d'un pied cadencé frappant la 
terre, elle ,se plaît à heurter en mesure les cètres so- 
nores. Tels sont les jeux, les délassemens de ces hommes 
et leurs plaisirs sacrés. Tout autre soin- est réservé aux 
femmes : confier la semence au. sillon, ouvrir et déchi- 
rer la terre avec la charrue, serait lâcheté pour des hé- 
ros : tout ce qui n'est point dur labeur de guerre est 
l'œuvre de l'infatigable épouse du mari callécien. Viria- 
thus les conduit , et avec eux le Lusitanien qu'il a tiré 
de ses cavernes éloignées; Viriathus encore à la fleur 



x8a PUNICORUM LIB. III. (v. 355.) 

Extractum lustris; prima Viriathus in aevo, 

Noihen Romanis factum mox nobile damnis. 

Nec Cerretani , quondam Tirynthia castra , 

Aut Vasco, inâuetus galeae, ferre arma morati. 

Non y quae Dardanios post vidit , Ilerda , furores , 

Nec, qui Massageten monstrans feritate parentem^ 

Cornipedis fusa satiaris , Concane y vena. 

Jamque Ebusus Phœnissa movet, movet Ârbacus arma, 

Aciyde, vel tenui piignax instare veruto : 

Jam cui Tlepolemus sator, et cui Lindus origo, 

Funda bella ferens Baliaris et alité plumbo ; 

Et quos nunc Gravios violato nomine Graium 

OEneae misère domus -Jltolaque Tyde. 

Dat Carthago vires, Teucro fundata vetusto, 

PhcH^aicae dant Emporiae^ dat Tarraco pubem 

Vitifera, et Latio tantum cessura Lyaeo. 

Hos in ter clara thoracis luee nitebat 

Sedetaua cohors^ quam Sucro rigentibus undis 

Atque altrix celsa mittebat Saetabis arce, 

Saetabis et telas Arabum sprevisse superba , 

Et Pelusiaco fîlum componere liao. 

Mandonius populis, domitorque insignis equorum 

Imperitat Cœso, et socio stant castra labore. 

At Yettonum alas Balarus profoat aequore aperto. 

Hic adeo, quum ver placidum flatusque tepescit, 

Concubitus servans tacitos y greji perstat equarum ^ 



LES PUNIQUES, LIV. III. i8i 

de l'âge ^ et dont le nom doit s'illustrer bientôt des dé- 
faites de Rome. 

Les Cerréfains, jadis soldats de Tîrynthe, le Vasdon, 
sans casque selon son usage, n'ont point tardé à prendre 
les armes; non plus qu'Uerda, témoin depuis des fureurs 
de Home; non plus que toi, Concanien, qui rappelles 
la férocité des Massagètes , tes ancêtres^ et t'abreuves à 
la veine saignante de ton coursier. Sous les armes ac- 
court Ébuse la Phénicienne 9 accourt FArbace qui frappe 
l'ennemi de Xacljde ou du vérut effilé ; et l'enfant de 
Tlépolème, le Baléare, que Lindus a vu naître, et qui 
porte aux combats la fronde et le plomb ailé; et les 
Gra viens, qui ont ainsi corrompu leur nom de Grecs, 
enfans d'Enéus, sortis des murs de Tydé l'Élolienne. 
Suivent les soldats de Carthagène, fondée par l'antique 
Teucer, les soldats d'Ëmpories la Phocéenne, les soldats 
de Tarracone en vignes si fertile et dont les vins ne le 
cèdent qu'à ceux du Latium. Entre tous brille , sous les 
reflets éclatans de sa cuirasse, la cohorte Sédétaine, 
partie des rives glacées du Sucron , des hautes murailles 
de Sétabis, sa patrie, Sétabis qui méprise avec orgueil 
la toile d'Arabie , et ne craint pas d'opposer son fil au 
lin de Péluse. Ces troupes obéissent à Mandonius et à 
Céso, célèbre dompteur de coursiers : les deux chefs 
ont associé leurs travaux et leur commandement. 



Balarus exerce dans la plaine les escadrons de Vettb- 
nie. Là , sitôt que vient le doux printemps et le tiède 
zéphyr, fidèles à leurs amours mystérieuses, les cavales 



i84 PUNICORUM LIB. III. (v. 3iii.) 

£t Yenerem occultam genitali coocipit aura. 
Sed non multa dies generi, properatque senectus, 
Septimaque his stabulis loagissima ducitur aestas. 

At non Sarmaticos adtollens Uxama muros 
Tarn levibus persultat equis : hinc venit in arma 
Haud œvi fragilis sonipes, crudoque vigore 
Asper frena pati, aut jussis parère niagistris. 
Rhyndacus his ductor; telum sparus : ore ferarum 
Et rictu horrificant galeas ; venatibus œvum 
Transigitur, vel, more patrum, vis raptaque pascuut. 

Fdlgent prœcipuis. Parnasia Castulo signis , 
Et célèbre Oceano atque alternis aestibus Hispal, 
Ac Nebrissa Dianyseis conscia thyrsis , 
Quam Satyri coluere levés, redimitaque sacra 
Nebride, et arcano Maenas nocturna Lyaeo. 
Arganthoniacos armât Carteia nepotes : 
Rex proavis fuit humani ditissimus aevi , 
Ter denos decies emensus belliger annos. 
Armât Tartessos, stabulanti conscia Phœbo, 
Et Munda, Emalhios Italis paritura labores : 
Nec decus auriferae cessavit Corduba terrae. 
Hos duxere virôs flaventi vertice Phorcys , 
Spiciferisque gravis bellator Arauricus oris , 
Squales œvi; genuit quos ubere ripa 
Palladio Baetis umbratus cornua ramo. 



LES PUNIQUES, LIV. III. i85 

réunies se présentent au soufHe du vent créateur et re- 
cueillent en leurs flancs son haleine féconde. Mais peu 
de jours sont accordés à leur race : pour elle, la vieillesse 
est précoce, et la vie en ces haras' se prolonge à peine 
au delà du septième été. 

La ville aux remparts sarmates, Uxama hondit sur 
des coursiers moins agiles. Les chevaux qu'elle envoie 
au combat ne sont pas de si frêle nature; leur âpre et 
sauvage vigueur a peine à subir le frein , les dures 
lois de la main qui les guide. Ces peuples ont pour chef 
Rhyndacus ^ pour arme le spare ; la tête, la gueule 
béante d'une bête féroce est l'horrible parure de leur 
casque : ils passent leur vie à chasser, ou, selon l'usage 
de leurs pères , se nourrissent de pillage et de rapines. 

Par-dessus tous brillent les étendards de Castulo la 
Parnassienne; d'Hispal, célèbre par son Océan et le mou- 
vement de ses marées; de Nébrissa, complice des orgies 
dionysiennes , séjour des légers Satyres , et de la Mé- 
nade qui revêt la nébride sacrée et se plaît la nuit aux 
mystères de Lyéus. Cartéia arme les descendans d'Ar- 
ganthonius, ce roi guerrier des temps antiques, dont 
la vie fut si riche de jours qu'il prolongea trois cents ans 
sa carrière. Tout s'arme, et Tartessus, qui voit Phébus 
dételer ses coursiers, et Mundà, qui doit enfanter à 
l'Italie les désastres de Pharsale, et Gorduba^ la gloire 
de la patrie de l'or. Ces troupes marchent sous les ordres 
de Phorcys à la blonde chevelure, «t d'Arauricus, soldat 
redouté de ces plages, en épis fertiles : tous deux du 
même âge, ils sont nés tous deux sur les rives fécondes 
du Bétis aux cornes ombragées du rameau de Pallas. 



i86 PUNICORUM LIB. IIL (v. 4u6. 

Taua. Sidonius per campos agmina ductor 

Pulvere nigrantes raptat, histransque sub armis, 

Qua visu comprendere erat , fuigentia signa , 

Ibat ovans , longaque umbram tellure tr^hebat. 

Non aliter, quoties perlabitur aequora curru , 

EKtremamque petit , Pbœbea cubilia , Tethyn 

Frenatis Neptunus equis ; fluit omnis ab antris 

Nereidum chorus, et sueto certamine uandi 

Candida perspicuo connectunt brachia ponte. 

At Pyreoaei frondosa cacumina montis 

Turbata Pœnus terrarucn pace petebat. 

Pyrene celsa nimbosi verticis arce 

Divisos Celtis late prospectât Hiberos , 

Atque œterna tenet magnis divortia terris. 

Nomen Bebryçia duxere a virgioe colles , 

Hospitis Âlcidae crimen ; qui , sorte laborum 

Geryonae peteret quum longa tricorporis arva , 

Possessus Bacchoy saeva Bebrycis in aula 

Lugendam formas sine virgiuttate reliqutt 

Pyrenen , letique Deus , si credere fas est , 

Causa fuit leti miserae Deus : edidit alvo 

Namque ut serpentem , patriasque exhorruit iras , 

Confestim dulces iiquit turbata pénates. 

Tum noctem Alcidœ solis plangebat in antris , 

Et promissa viri si i vis narrabat opacis ; 

Donec mœrentein ingratos raptoris amores , 



LES PUNIQUES, LIV. III. 187 

Telles sont les armées que le héros sidonien entraîne 
à travers les campagnes noircies de poussière, et, voyant 
sous les armes, aussi loin que son regard peut s'étendre, 
tant d'enseignes éclatantes, il s'avance en triomphe, et 
sur terre après lui projette une omhré immense. Ainsi, 
quand de son char effleurant la surface des mers , 
Neptune guide ses dociles coursiers vers les limites de 
l'empire de Téthjs où se couche Phébus, la troupe des 
Néréides s'élance de ses antres, et toutes, à l'envi le sui- 
vant à la nage^ enlacent leurs blanches mains sous 
l'onde transparente. 

Cependant le Carthaginois , troublant la paix du 
monde, se dirige vers les sommets chevelus des monts 
Pyrénéens. Des plateaux escarpés de leur cime ora- 
geuse , les Pyrénées contemplent de loin l'Ibère sé- 
paré du Celte , et conservent entre deux grandes con- 
trées un divorce éternel. Ces montagnes ont reçu le 
nom de la fille de Bébryx , par le crime d'Alcide , son 
hôte. Dans le cours de ses travaux , il s'acheminait vers 
les royaumes lointains du triple Géryon. Captivé par 
Bacchus à la cour du cruel Bébryx , il y laissa Py- 
réné séduite et bien à plaindre d'avoir été si belle. L'in- 
fortunée! le dieu qui causa son malheur, ce dieu, s'il 
est permis de le croire, fut aussi cause de sa mort. Elle 
mit au monde un serpent: redoutant le courroux de son 
père, égarée, elle abandonna sur l'heure ses pénates 
chéris. Seule alors, au fond des antres, elle pleura la 
nuit passée aux bras d'Alcide, elle raconta aux sombres 
forêts les promesses du héros, elle accusa sop ravisseur 
et ses ingrates amours : déchirée enfin par les bêtes ^ 
vainement elle tendit les bras à son bote, et invoqua le 
secours de ses armes. De retour et vainqueur, le Tiryri- 



i88 PUNICORUM LIB. 111. (v. 432.) 

Tendentemque manus , atque hospitis arma vocantem 
Dirfpuere ferae : laceros Tirynthius artus , 
Dum remeat victor, lacrimis perfudit , et amens 
Palluit învento dilectae virginis ore. 
At voce Herculea percussa cacumina montis 
Intremuere jugis : mœsto clamore ciebat 
Pyrenen ; scopulique omnes ac lustra ferarum 
Pyrenen résonant : tumulo tum membra reponit, 
Supremum inlacrimans; nec honos intercidit aevo^ 
Defletumque tenent montes per secula nomen. 
Jamque per et colles , et densos abjete lucos 
Bebryciae Pœnus fines transcenderat aulae. 
Inde ferox quaesitum armis per inhospita rura 
Volcarum populatur iter, tumidique minaces. 
Adcedit Rhodani festino milite ripas. 
Aggeribus caput Alpinis et rupe hivali 
Proscrit in Celtas , ingentemque extrahit amnem 
Spumanti Rhodanus proscindens gurgite campos , 
Ac propere in pontum lato ruit incitus alveo. 
Auget opes stanti similis , tacitoque liquore 
Mixtus Arar; quem gurgitibus complexus anhelis 
Cunctantem inmergit pelago^ raptumque per arva 
Ferre vetat patrium vicina ad litora nomen. 
Invadunt alacres inimicum pontibus amnem : 
Nunc ceiso capite et cervicibus arma tuentur, 
Nunc validis gurges certatim frangitur uluis. 



LES PUNIQUES, LIV. III. 189 

tliien arrosa de larmes ces membres mutilés; il pâlit 
éperdu en retrouvant les traits de sa vierge bien-aimce. 
Aux éclats des douleurs d'Hercule , les sommets, de la 
montagne tremblèrent ébranlés; ses gémissemens plain- 
tifs appelaient Pyréné , et partout les rochers et les re- 
paires des bêtes féroces redirent Pyréné. Il déposa enfin 
ses restes dans un tombeau et leur dit en pleurant un 
dernier adieu. Le temps n'a point détruit la mémoire de 
cet hommage, et ces montagnes conserveront dans tous 
les siècles ce nom tant déploré. 



Franchissant les collines et les épaisses forêts de pins , 
le Carthaginois dépasse les frontières du royaume de 
Bébryx, entre chez les Volces, s'ouvre hardiment par 
le fer un chemin, ravage leurs campagnes inhospita- 
lières j poursuit sa marche et arrive bientôt sur les 
rives menaçantes du Rhône impétueux. Du haut des 
crêtes Alpines et de leurs roches neigeuses où jaillit 
sa source ) le Rhône étend au loin chez les Celtes son 
cours immense , creuse les plaines de ses torrens écu- 
meux, se précipite, et roule à la mer par une large 
embouchure. Enrichi sur son passage des tranquilles 
eaux de TArar qui semble immobile, il étreint de ses 
vagues haletantes le fleuve endormi , et court l'en- 
gloutir dans l'océan, après l'avoir traîné par les cam- 
pagnes sans lui permettre de porter son ancien nom 
jusqu'à la rive prochaine. Le soldat s'élance au sein de 
ce fleuve qui n'endure aucun pont : les uns dressent la 
tête et le cou pour protéger leurs armes, les autres s'ef- 
forcent de fendre le torrent d'un bras vigoureux. L'aune, 
ami du fleuve , transporta les coursiers attachés à des 



igo PUNICORUM LIB. lU. (v. 458.) 

Fluminea sonipes religatus ducîtur alno, 

Beltua nec retioet tardante Libyssa timoré : 

TÎTam trabibus vada , et injecta tellure repertuiii 

Connexas operire trabes, ac ducere in altum 

Paulatim ripae résolu tis aggere vinclis. 

At gregis inlapsu fremebundo territus aeris 

Expavit moles Rhodauus^ stagnisque refusis 

Torslt arenoso minilantia murmura fundo. 

Jamque Tricastinis intendit finibus agmen , 

Jam faciles campos, jam rura Vocuntia carpit. 

Turbidus hic truncis saxisque Druentia laetum 

Ductoris vastavit iter : namque Alpibus ortus , 

Avulsas ornos, et adesi fragmina montis 

Cum sonitu volvens, fertur latrantibus undis, 

Âc vada translato mutât fallacia cursu, 

Non pediti fidus^ patulis non puppibus aequus : 

£i tune , imbre reçens fuso , conrepta sub armis 

Corpora multa virum spumanti vcrtice torquens, 

Inmersit fundo laceris deformia membris. 

Sed jam praeteritos ultra meminisse labores 

Conspectœ propius demsere paventibus Alpes. 

Cuncta gelu canaque aeternum grandine tecta 

Atque »vi glaciem cohibent : riget ardua montis 

iEtherei faciès, surgentique obvia Phœbo, 

Duratas nescit flammis moUire pruinas. 

Quantum Tartareus regni pallentis hiatus 



LES PUNIQUES, LIV. III. 191 

radeaux; et le inonstre des déserts de Libye, malgré 
son effroi, ne retarda point le trajet : car on imagina 
de lier plusieurs barques ensemble, de les couvrir de 
terre et de les glisser sur les eaux en relâchant peu à 
peu les câbles qui les retenaient à la rive. A la vue de 
ces masses énormes et frémissantes qui pèsent sur ses 
flots, le Rhône altier s'alarnie et s'épouvante, et, refou- 
lant ses vagues , pousse du fond de ses gouffres sablon- 
neux de menaçans murmures. 

L'armée s'avance à travers le pays des Tricaslins , et 
pénètre par des chemins faciles dans les plaines des Yo- 
conces. Mais là, obstruée de rochers et de troncs d'ar- 
bres, la Durance jeta le désordre dans la marche d'An- 
nibaly jusque-là si heureuse. Descendu des Alpes, ce 
fleuve déracine les ormes, arrache des quartiers de mon- 
tagnes, et roulant avec fracas ses lames aboyantes, porte 
çà et là ses courans trompeurs et changeans, aussi peu 
sûrs au pîed de l'homme qu'à la plate carène. Récem- 
ment grossi par les pluies, il entraîna dans les tour- 
billons de ses ondes écumantes les guerriers avec leurs 
armes, et engloutit dans ses abîmes leurs cadavres meur- 
tris et défigurés. 

Mais ils perdirent bientôt le souvenir de leurs fatigues 
passées, à l'approche des Alpes, dont la vue les saisit de 
terreur. Partout les glaces , partout la grêle et son éter- 
nelle blancheur, partout les neiges séculaires : engourdi 
par le froid, le front aérien de la haute montagne,^ té- 
moin du lever de Phébus, ne peut dissoudre aux feux 
du soleil ses frimas endurcis. Autant le gouffre béant 
des pâles royaumes du Tartare se plonge avant chez les 
mânes, autant les eaux du noir marécage s'enfoncent au 



19» PUNICORUM LIB. IIl. (v. 484) 

Ad mânes imos atque atrae stagna paludis 
A supera tellure patet : tam longa per auras 
Erigitur tellus , et cœlum întercipit unibra. 
NuUum ver usquam^ nuUique œstatis honores : 
Sola jugis habitat diris , sedesque tuetur 
Perpétuas deformis hieins : illa undique nubes 
Hue atras agit^ et mixtos cum grandine nimbos. 
Jam cuncti flatus vedtique furentia régna 
Alpiua posuere domo : caligat in altis 
0])tutus saxis, abeuntque in nubila montes. 
Mixtus AthosTauro, Bhodopeque adjuncta Mimanti, 
Ossaque cum Pelîo, cumque Haemo cesserit Othrys. 
Primus inexpertas adiit Tirynthius arces : 
Scindentem nubes, frangentemque ardua montis 
Spectarunt Superi, longisque ab origine seclis 
Intemerata gradu magna vi saxa domantem. 
At miles dubio tardât vestigia gressu, 
Inpia ceu sacros in fines arma per orbem, 
Natura prohibente, feranl, Divisque répugnent. 
Contra qua; ductor (non Alpibus ille, nec ullo 
Turbatus tcrrore loci; sed langiiida monstris 
Corda virum fovet hortando, revocalque vigorem) : 
et Non pudet , obsequio Superum fessosque secundis , 
Post belli decus atque acies, dare terga nivosis 
Montibusy et segnes submittere rupibus arma? 
NunCy o! nunc, socii, dominantis mœnia Bomae 



LES PUNIQUES, LIV. III. 193 

loin sous la terre , autant se dresse haut dans les airs 
cette montagne qui dérobe le ciel de son ombre. Là , 
jamais le printemps , jamais Véié ni ses magnificences ; 
' l'hiver seul^ le hideux hiver habite et dëfend ces gorges 
. affreuses, sa demeure éternelle : c'est lui qui de partout 
amasse là les sombres nuées et les orages chargés de 
grêle. Tous les souflQes des vents et des tempêtes ont 
placé leur empire sur les plateaux des Alpes : l'œil se 
trouble à la vue de ces pics escarpés , de ces sommets 
qui s'en vont dans les nues. L'Atbos joint au Taurus, le 
Rhodope au Mimas, l'Ossa au Pélion et l'Othrys à l'Hé- 
mus, n'en approcheraient pas. LeTirynthien attaqua le 
premier ces hauteurs inexpugnables; à la face des dieux, 
il s'ouvrit ces nuages , déchira ces âpres granits , et 
dompta par grande force ces roches vierges , que , de- 
puis l'antique origine du monde, nul pied humain n'avait 
foulées. 



Le soldat incertain avance lentement : il lui semble 
qu'il va porter ses armes impies sur un sol sacré, que 
la nature lui défend le passage, qu'il va lutter contre 
les dieux. Mais le chef, que n'effraient ni les Alpes ni 
la sainte horreur qu'elles inspirent , relève ces cœurs 
abattus par des chimères, les encourage et réveille leur 
ardeur : « N'avez- vous pas de honte ! étes-vous las du 
succès, et des cieux débonnaires? Après tant de rudes 
et glorieuses batailles, vous seriez assez lâches pour 
tourner le dos à des montagnes de neige, et baisser 
les armes devant des rochers ! Ici , camarades , ici , 
songez-y bien , c'est Home et ses orgueilleuses mu- 
I. i3 



194 PUINICORUM LIB. Uï. (▼• 5ro.) 

Crédite vos, summumque Jov'rs conscendere culmen. 

Hic labor Ausoniam , dabit hic ia vincula Thybrim. » 

Nec mora : commotum promissis ditibu$ agmen 

Erigit in coUem , et vestigia linquere nota 

Herculis edicit magni , crudisque locorum 

Ferre pedem , ac proprio turmas evadere calle. 

Rumpit inadcessos aditus, atque ardua primus 

Exsuperat , summaque vocat de rupe cohortes. 

Tum , qua durati concreto frigore collis 

Lubrica frustràtur canenti semita clivo, 

Luctantem ferro glaciem premit : haurit hiatu 

Nix resoluta viros, altoque e culmine praeceps 

Humenti turmas operit delapsa ruina. 

Interdunl adverso glomeratas turbine Corus 

In média ora nives fuscis agit horridus alis : 

Aut rursum iumani stridens avulsa procella 

Nudatis rapit arma viris , volvensque per orbem 

Contorto rotat in nubes sublimia flatu. 

Quoque magis subiere jugo, atque, evadere nisi, 

Erexere gradum , crescit labor : ardua supra 

Sese aperit fessis , et nascitur altéra moles , 

Unde nec edomitos exsudatosque labores 

Respexisse libet; tanta formidine plana 

Exterrent repetita oculis , atque una pruinae 

Canentis , quacumque datur permittere visus , 

Ingeritur faciès. Médio sic navita ponto, 



LES PUNIQUES, LIV. III. 19$ 

railles , c'est la haute colline de Jupiter que vous allez 
franchir. Encore un pas^ et l'Ausonie et le Tibre sont 
dans vos fers! 30 Sëduite par ces riches promesses, l'ar- 
mëe s'élance sur la montagne ; mais il défend de suivre 
les traces faciles du grand Hercule; il veut qu'on s'ouvre 
une voie neuve sur un sol inconnu , et que chacun se 
fraie sa route pour avancer. Il marche le premier, se fait 
jour dans ces gorges inaccessibles, escalade les hauteurs, 
et^de leur sommet appelle ses cohortes. Souvent leur 
pied glisse sur ces pentes blanchies par les neiges que 
le froid a durcies; pour les gravir, ils pressent du fer la 
glace qui résiste : mais la neige qui se fond , s'entr'ouvre 
et les engloutit, et, routant du haut de la montagne , 
entraine les escadrons dans sa chute et les couvre de ses 
torrens humides. Tantôt l'affreux Corus soulève de ses 
sombres ailes des tourbillons de neige qu'il pousse au 
visage des soldats; tantôt il les enveloppe en sifHant 
d'une horrible tempête, les dépouille, arrache aux héros 
leurs armes que le souffle de l'ouragan enlève et disperse 
en tournoyant dans les airs. Plus ils avancent sur la 
montée, plus leur marche pénible s'élève et s'approche du 
faîte, et plus le labeur augmente. Au dessus d'eux surgit 
encore une autre masse de ces montagnes qui semblent 
renaître ^ous leurs pas fatigués : de cette hauteur ils 
n'osent regarder en bas le chemin qu'au prix de tant de 
sueurs et d'efforts ils ont parcouru, tant les pénètre de 
terreur la vue de ces plateaux échelonnés au dessous 
d'eux, et l'aspect uniforme de ces frimas dont la blanche 
surface se prolonge aussi loin que l'œil peut s'étendre. 
Tel, au milieu de l'océan, loin du doux rivage qu'il a 
quitté, abandonné des vents qui laissent dormir au mât 
sa voile inutile, le matelot coittemple autour de lui l'im- 

i3. 



196 PUNICORUM LIB, UI. (*• 536) 

Quum dulces liquit terras , et inania nuUos 

Iiiveniunt ventos securo carbasa malo , 

Inmensas prospectât aquas, ac victa profandis 

^quoribus fessus rénovât sua lumina cœlo. 

Jamque , super clades atque inportuna iocorum , 

Inluvie rigîdaeque comas squalore perenni 

Horrida semiferi promunt e rupibus ora; 

Àtque effusa cavis exesi pumicis aatris 

Âlpina invadit tnanus, adsuetoque vigore 

Per dumos, notasque nives, atque invia pernix 

Clausum mon ti vagis infestât cursibus hostem. 

Mutatur jam forma locis : hic sanguine multo 

Infectas rubuere nives : hic, nescia vinci, 

Paulatim glacies sedit tepefacta cruore; 

Dumque premit sonipes duro vestigia cornu , 

Unguta perfossis haesit comprensa pruinis. 

Nec pestis lapsus simplex. : abscisa relinquunt 

Membra gelu, fractosque asper rigor amputât artus. 

Bis senos soles, totidem per vulnera saevas 

« 

Emensi noctes , optato vertice sidunt , 
Castraque praaruptis suspendunt ardua saxis. 
At Venus, ancipiti nientem labefacta timoré, 
Adfatur genitorem , et rumpit mœsta querelas : 
<i Quis pœnae modus, aut pereundi terminus, oro, 
^neadis erit? et quando terrasque fretumque 
Emensis sedisse dabis? Ciàr pellere nostros 



LES PUNIQUES, LIV. III. iy7 

inensité des mers; mais sa vue se fatigue à plonger sur 
Pabîme, et son œil se repo>e en regardant les cieux. 



Soudain, pour ajouter encore à ces désastres et aux 
obstacles de la route, apparaissent d'effroyables visages, 
sortis des rochers, êtres hideux et à demi sauvages, aux 
cheveux hérissés de frimas éternels. Echappes du fond 
de leurs antres creusés dans le granit, les montagnards 
des Alpes s'élancent, et franchissant avec leur vigueur 
accoutumée les broussailles, les précipices et les neiges 
qui leur sont connues, ils investissent l'ennemi et le har- 
cèlent à tous les détours de la montagne. Bientôt le sol 
a changé de couleur : des flots de sang coulent et rou- 
gissent la neige; la glace, qui jamais n'avait pu fondre, 
s'affaisse peu à peu sous le sang qui l'échauffé. Le cour- 
sier bondit, et de sa corne bat durement la terre qui 
s'entr'ouvre et le laisse captif entre les glaçons. C'est peu 
que le soldat glisse et tombe : dans sa chute , ses mem- 
bres fracassés se déchirent, et restent brisés sur ces 
glaçons tranchans. Après deux fois six jours et autant 
de nuits de luttes et de souffrances, ils prennent pied 
enfin au sommet désiré, et suspendent leur camp aux 
pics aigus de ces rocs escarpés. 

Vénus alors , l'âme accablée de terreur et de soucis , 
s'adresse à son père, et laissant éclater sa douleur et 
ses plaintes : «Quel sera, de grâce, le terme aux tor- 
tures, à l'extermination des enfans d'Enée? A ceux qui 
si long-temps ont eri'é sur la terre et les mers, don- 
neras-tu enfin le repos? Pourquoi ce Carthaginois 



19» PUNICORUM LIB. III. (v. 562.) 

A te coiicessa Pœnus parât urbe nepotes? 

Alpibus inposuit Libyen , finemque minatur 

Imperio : casus métuit jam Roma Sagunti. 

Quo Trojœ e^j^tremos cineres, sacramque ruinam, 

Assaracique larem , et Vestae sécréta feramus , 

Da sedem, genitor, tutisque jacere : parumne est, 

Exsilia errantes totum quaesîsse per orbem? 

Anne iterum capta repetentur Pergama Roma?» 

His Venus; et contra genitor sic deinde profatur : 

c( Pelle metus , neu te Tyriœ conamina gentis 

Turbarint, Cytherea : tenet, longumque tenebit 

Tarpeias arces sanguis tuus : hac ego Martis 

Mole viros spectare paro, atque expendere bello. 

Gens ferri patiens , ac la&ta domare labores , 

Paulatim antiquo patrum desuescit honori; 

Atque ille, haud unquam parcus pro laude cruoris. 

Et semper famae sitiens , obscura sedendo 

Tempora agit , inutum volvens inglorius œvum , 

Sanguine de nostro populus, blandoque veneno 

Desidiae virtus paulatim evicta senescit. 

Magnae molis opus, multoque labore parandum, 

Tôt populos inter, soli sibi poscere régna. 

Jamque tibi veniet tempus , quo maxima rerum 

Nobilior sit Roma malis. Hinc nomina nostro 

ISon indigna polo referet labor : hinc tibi Paulus, 

Hinc Fabius, gratusque mihi Marcellus opimis. 



LES PUNIQUES, LIV. III. 199 

vient-il chasser nos descendans d'une ville qu'ils tiennent 
de toi? Il a transporté sa Libye sur les Alpes, il me- 
nace de renverser l'empire, et Rome déjà redoute le 
destin de Sagonte. Donne au moins aux dernières cen- 
dres de Troie, à ses débris sacrés, au lare d'Assaracus, 
aux mystères de Vesta, une place, ô mon père, un 
abri , un tgmbeau : est-ce peu d'avoir cherché par tout 
l'univers de lointains exils? et faut-il que Rome, deux 
fois conquise, nous rappelle Pergame?» 

Elle dit, son père lui répond : a Bannis ta crainte, et 
que les efforts de la nation tyrienne ne t'alarment pas , 
Cythérée. Ta postérité conserve et conservera long- 
temps les roches Tarpéiennes : mais ces rudes épreuvesl 
de guerre que je leur prépare doivent m'apprendre la juste 
valeur et la mesure de ces héros. Ce peuple endurci aux 
armes, et qui aimait à vaincre les fatigues, se détache 
peu à peu de Fantique discipline de ses pères ; lui qui 
n'épargna jamais son sang pour l'honneur, lui tou- 
jours altéré de gloire, passe à présent ses jours dans un 
obscur loisir^ laissant aller sa vie muette et sans éclat, 
un peuple de notre sang ! Le doux poison de l'oisiveté 
énerve et use peu à peu sa vertu. C'est une œuvre à 
n'accomplir qu'au prix de vastes efforts et de longs tra- 
vaux , que de conquérir seul et pour soi l'empire entre 
tant de peuples. Tu verras bientôt le temps où la plus 
grande des cités, où Rome s'illustrera plus encore par ses 
revers. De ces luttes vont sortir des noms qui ne seront 
point indignes de notre Olympe; tu connaîtras Paulus, et 
Fabius, et Marcellus, dont j^aime les offrandes. Ils tombe- 
ront, mais pour créer. au Latium un puissant empire que 
ni le luxe ni les vices de Leurs neveux dégénérés ne pour- 



îioo PUNI€ORUM LIÉ. III. (v. 585.) 

Ui tantum parient Latio per vuloera regnum , 

Quod lu^Uy et multum mutata mente nepotes 

Non tamen evertisse queant. Jamque ipse creatus. 

Qui Pœnum revocet patriaé , Latioque repuisum 

Ante suae muros Carthaginis exuat armis. 

Hincy Cytherea, tuis longo regnabitur aevo. 

Exin se Curibus virtus cœlestis ad astra 

EfTeret, et sacris augebît nomeu lulis 

Bellatrix gens baccifero nutrita Sabino. 

Hinc pater ignotam dpnabit vincere Thulen , 

Inque Caledonios primus trahet agmina iucos : 

Compescet ripis Rhenum, reget inpiger Afros, 

Palmiferamque senex bello domitabit Idumen. 

Nec Stygis ille lacus, viduataque lumine régna, 

Sed Superuin sedes, nostrosque tenebit honores. 

Tum juvenis , niagno praeceliens robore mentis , 

Excipiet patriam molem, celsusque feretur,. 

£quatum imperio tollens caput : hic fera gentis 

Bella Palaestinae primo delebit in aevo. 

At tu transcendes, Germanice, facta tuprum, 

Jam puer auriconio praeformidate Britauno. 

Nec te terruerint Tarpeii culminis ignés : 

Sacrilegas inter flammas servabere terris; 

Nam te longa manent nostri consortia mundi. 

Huic laxos arcus olim Gangetica pubes 

Submittet, vacuasque ostendent Bactra pharetras. 



LES PimiQUES, LIV. III. aot 

ront détruire. II est né déjà celui qui forcera le Carthagi- 
nois de retourner dans sa patrie , et, Tarrachant du La- 
tium, le dépouillera de ses armes devant les murs de sa 
Carlbage. De ce jour, Cythérée, tes enfaus régneront 
long-temps sur la terre. Un génie céleste, sorti de Cures, 
s'élèvera jusqu'aux astres, et le nom sacré des Iules de«- 
vra un nouvel éclat à la race guerrière nourrie sous les 
oliviers de la Sabine. Alors un empereur aura le don 
de vaincre Thulé, inconnue avant lui; il conduira le 
premier ses bataillons dans les bois de la Calédonie, pa- 
cifiera les rives du Rhin, gouvernera l'Afrique avec vi- 
gueur, et dans sa vieillesse domptera par le fer l'Idumée 
fertile en palmiers. Celui-là ne verra pas les lacs du 
Styx, les royaumes privés de lumière; il partagera nos 
demeures et nos dignités suprêmes. Un jeune prince 
après lui, doué d'une âme forte et d'un grand cœur, 
prendra en mains le fardeau de l'héritage paternel , 
et, superbe, portera son front sublime au niveau de 
l'empire : dès ses premières années , il achèvera les 
cruelles guerres de la Palestine. Mais tu surpasseras, 
Germanicus, les exploits des tien&: enfant, tu seras ta 
terreur déjà du Breton aux cheveux dorés. Ne crains 
rien de l'incendie du temple tarpéien : au milieu de ces 
flammes sacrilèges, tu seras conservé à l'univers, et dans 
un avenir reculé tu viendras parmi nous t'associer à 
nos honneurs. Devant lui les soldats du* Gange abaisse- 
ront leurs arcs détendus , et Bactres inclinera son car- 
quois vide. Des régions arctiques, il ramènera son char 
victorieux dans Rome, et Bacchus cédera le pas au nou- 
veau triomphateur de l'Orient. Il soumettra l'Ister in- 
digné de livrer passage aux aigles romaines, et subju- 
guera les Sarmates sur ses rives. Il surpassera par la 



2oa PUNICORUM LIE. Uh (v. 614.) 

Hic et ab Arctoo currus aget axe per Urbem, 
Ducet et Eoos, Baccho cedente^ triumphos. 
Idem y indignantem transmittere Dardana signa, 
Sarmaticis victor compescet sedibûs Istrum. 
Quîn et Romuleos superabît voce dépotes , 
Qnîs erit eloquio partum decus : huic sua Musae 
Sacra ferent ; meliorque lyra , cui substitit Hebrus , 
Et venit Rbodope, Phœbo miranda loquetur. 
Ille etiam, qua prisca, vides, stat regia nobis, 
Aurea Tarpeia ponet Capitolia rupe , 
Et junget nostro templorum culmina cœlo. 

Tune, o nate Deum, Divosque dature, beatas 
Imperio terras patrio rege. Tarda senectam 
Hospitia excipient cœli, solioque Quirinus 
Concedet, mediumque parens fraterque locabunt : 
Siderei juxta radiabunt tempora nati. » 
Ddm pandit seriem venturi Juppiter aevi , 
Ductor Agenoreus , tumulis delatus iniquis , 
Lapsantem dubio de vexa per in via nisu 
Pirmabat gressum, atque humentia saxa premebat. 
Mon acies, hostisve tenet; sed prona roinaci 
Praerupto turbant, et cautibus obvia rupes. 
Stant clausi , mœrentque moras et dura viarum ; 
Nec refovere datur torpentia membra quiète. 
Noctem operi jungunt, et robora ferre coactîs 
Adproperant humeris , ac raptas collibus ornos. 



LES PUNIQUES, LIV. III. 2o5 

parole ceux des en&ns deHomulus dont l'éloquence fera 
la gloire : les Muscs porteront à ses pieds leurs divins 
hommages; et meilleure que la lyre qui suspendit le 
cours de l'Hèbre et attira le Rhodope, sa voix aura des 
chants à ravir Apollon. Enfin , sur cette roche Tar- 
péienne, où tu vois debout notre antique sanctuaire, il 
relèvera le Capitole doré, il joindra le faîte des tem- 
ples aux voûtes de notre Olympe. Alors, fils des d.eux, 
qui donneras des dieux à l'univers, gouverne-le, pour 
sou bonheur, du sceptre de tes pères. Au terme de. ta 
longue vieillesse, le ciel recevra son hôte, Quirinus 
fera place sur son trône, tu siégeras entre ton père et 
tou frère, non loin d&ion fils dont le front rayonnera 
couronné d'étoiles. » 



Pendant que Jupiter révèle ainsi l'ordre des temps 
futurs, le chef agénoréen descend de ses hauteurs im- 
praticables, s'efforce d'affermir sur leurs pentes escar- 
pées ses pas incertains et chancelans , et s'avance sur 
des roches humides. Ce n'est plus une armée ennemie 
qui l'arrête, mais un précipice abrupte et menaçant, et 
en face un roc droit, coupé à pic. Les soldats demeu- 
rent là, captifs, gémissant des obstacles, des« souffrances 
de la marche , sans pouvoir reposer ou réchauffer leurs 
membres engourdis. Ils passent la nuit à l'œuvre : ran- 
gés de front, ils portent sur leurs épaules des chênes et 
des ormes arrachés des flancs de la montagne qu ils dé- 



îM)4 PUNICORUM LIB. III. (v. 640.) 

Jamque ubi nudarunt silva densissima montis ^ 

Adgessere trabes ; rapidisque adcensus in orbem 

Ëxcoquitur flammis scopulus : mox proruta ferro 

Dat gemitum putris resoluto pondère moles , 

Atque aperit fessis antiqui régna Latini. 

His tandem ignotas transgressas casibus Â.ipes , 

Taurinîs ductor statuit tentoria campis. 

IiTTEREA., voces Jovis atqUe oraciila portans, 

Emensis aderat'Garamantum laetus arenis 

Bostar, et ut viso stimulabat corda Tonante : 

« Maxime Belide , patriis qui mœnibus arces 

Servitium dextra, Libycas penetravimus aras. 

Nos tulit ad Superos perfundens sidéra Syrtis : 

Nos paene sequoribus teilus violentior bausit. 

Ad finem cœli medio tenduntur ab orbe 

Squalentes campi : tumulum natura negavit 

Inmensis spatiis, nisi quem cava nubila torquens 

Construxit turbo , inpacta glomei*atus arena : 

Vel si, perfracto populatus carcere terras 

Africus, aut pontum spargens super aéra Corus, 

Invasere truces capientem prœlia campum, 

Inque vicem ingesto cumularuut pulvere montes. 

Has observatis valles enavimus astris : 

Namque dies coufundit iter; peditemque profundo 

Errantem campo, et semper média arva videntem , 

Sidoniis Cynosura régit fidissima nautis. 



LES PUNIQUES, LIV. III. 2o5 

pouillent de sa lourde parure : ils dressent ces arbres en 
monceau et les embrasent. Les flammes s'étendent , en- 
tourent le rocher, le calcinent : il éclate et se dissout 
brisé par le fer; son énorme masse s'ébranle, tombe 
avec fracas, et ouvre enfin à l'armée épuisée les royaumes 
de l'antique Latinus. Après avoir franchi à travers tous 
ces périls les Alpes inconnues, Annibal planta ses tentes 
dans les plaines taurines. 

Cependant , chargé de la réponse et des oracles de 
Jupiter, Bostar traverse les sables des Garamautes et 
revient au camp , où joyeux , et comme en présence 
encore du dieu du tonnerre , il aiguillonne tous les 
cœurs. «Puissant fils de Bélus, toi dont le bras dé- 
tourne la servitude des murs de ta patrie, nous avons 
pénétré jusqu'aux autels de la Libye. Nous avons été 
emportés dans les cieux par la Syrte dont l'onde jaillit 
aux astres; nous avons été presque engloutis par la terre 
plus orageuse que l'océan. Du milieu du globe aux bornes 
de l'horizon, s'étendent des déserts arides, d'immenses 
surfaces, où la nature n'éleva d'autre éminence que l'ava- 
lanche de sable où s'engouffre l'impétueux tourbillon 
qui la soulève et la roule dans le vide des airs, alors que 
l'Africus, échappé 'de sa prison pour dévaster la terre, 
ou le Corus qui fouette les vagues jusqu'aux nues, en- 
vahissant avec furie ces plaines ouvertes à leurs luttes 
rivales, accumulent et se renvoient tour-à-tour des mon- 
tagnes de poussière. Navigateurs perdus dans ces vallées, 
nous allions observant les astjes de la nuit; car, le jour, 
on ne peut distinguer sa route : le voyageur errant dans 
ces vastes déserts, et qui voit toujours la plaine autour 
de lui , doit suivre Cynosure , guide assuré du nocher 



ako6 PUNICORUM LIB. III. (>. 666.) 

Yerum ubi defessi lucos nemorosaque régna 

Cornigeri Jovis , et fulgentia tetiipla subiinus , 

Ëxceptos hospes tectis inducit Arisbas. 

Stat faao vîcina (novum et memorabile ! ) lyniplia, 

Quœ nascente die , quas deBciénte tepesctt , 

Quaeque riget, médius quum sol adcendit Olympum, 

Âtque eadem rursum uocturnis fervet in umbris. 

Tuni ioca plena Deo , dites sine vomet*e glebas , 

Ostentat senior, laetaque ita mente profatur : 

fc Has umbras nemorum , et connexa cacumina cœlo , 

« Calcatosque Jovi lucos prece, Bostar, adora. 

* 

« Nam oui doua Jovis non divulgata per orbem , 

a In gremio Thebes geminas sedisse coluthbas ? 

« Quarum, Chaonias peunis quae contigit oras, 

« Inpiet fatidico Dodonida murmure quercum. 

« At quae , Carpathium super aequor vecla , per auras 

ce In Libyen nigris tranavit concolor alis , 

« Hanc sedem templo Cythereia condidit aies : 

tf Hic ubi nunc aram lucosque videtis opacos, 

« Ductore electo gregis (admirabile dictu!), 

a Lanigeri capitis média inter coruua perstans 

« Marmaricis aies populis responsa canebat. ^ 

« Mox subitum nemus atque annoso robore lucus 

a Exsiluit, qualesque premunt nunc sidéra quercus, 

« A prima venere die : prisco inde pavore 

« Arbor numen habet , coliturque tepentibus aris. » 



LES PUNIQUES, LIV. III. 107 

sidonien. Enfin ^ épuisés de fatigue, nous entrâmes danS' 
les saintes et épaisses forêts où règne Jupiter porte*cornes , 
et nous rendîmes vers ses splendides sanctuaires. Arisbas 
nous accueillit, et nous conduisit en son logis hospitalier. 
Près du temple (étrange et mémorable merveille!) est 
une source qui , tiède au lever du jour et à son décjin , 
puis glacée à l'heure où le soleil au milieu de son cours 
embrase l'Olympe, s'échauffe et bout dans l'ombre de la 
nuit. Le vieillard nous montra ces lieux pleins de la di- 
vinité, ces champs riches sans culture, et dans la joie de 
son cœur nous parla ainsi : a Ces ombrages de nos forets, 
<c ces arbres sublimes qui s'enlacent dans les cieux , ces 
ce bois sacrés foulés par Jupiter, adore-les, Bostar, et 
« prie. En effet, qui n'a pas appris dans le monde que 
<c deux colombes, présent de Jupiter, descendirent dans 
« le sein de Thébé? L'une, portée dans son vol aux 
a plaines de Chaonie, remplit de ses chants fatidiques 
<c les chênes de Dodone. L'autre, rasant les flots de Car- 
ce' pathie, fendit l'air de ses ailes noires, et se posa sur 
a la Libye noire comme elle : c'est ici que cet oiseau de 
a Cythérée établit le siège de l'oracle. Et là où vous 
rc voyez aujourd'hui un autel et de sombres bocages 
a (écoutez ce prodige!), perché sur la tête laineuse d'un 
« bélier qu'il avait choisi , et debout entre ses deux cornes , 
a l'oiseau annonçait aux peuples de Marmarique les ré- 
(c ponses des dieux. Puis surgirent tout à coup des fo- 
c< rets, des bois sacrés, des arbres séculaires; et ces 
(£ chênes qui touchent les astres aujourd'hui étaient ainsi 
ce au premier jour de leur venue : entouré depuis d*une 
ce sainte horreur, chaque arbre recèle la divinité et re- 
cc çoit un culte sur les tièdes autels. » Nous admirions 
ces prodiges : tout à coup , 6 terreur ! les portes crient. 



!io8 PUiaCORUM LIB. III. (v. 69^.) 

Dumque ea miramur, subito stridôre tremendum 

Inpulsae patuere fores , majorque repente 

Lux oculos ferit : ante aras stat veste sacerdos 

Ëffulgens nivea , et populi concurrere certant. 

lude ubi mandatas effudi peetore voces, 

Ecce intrat subitus vatem Deus : alta sonoro 

Conlisis trabibus volvuntur murmura luco, 

Âc major nota jam vox prorumpit in auras : 

<r Tenditis in Latium , belloque agitare paratis 

a Assaraci prolem , Libyes : cœpta aspera cerno , 

c( Gradivumque trucem currus jam scandere^ et atram 

« In latus Hesperium flammam exspirare furentes 

(( Cornipedes, multoque fluentia sanguine lora. 

« Tu, qui pugnarum eventus^ extremaque fati 

a Deposcis y claroque ferox das vêla labori , 

« 

« Invade ^toli ductoris lapyga campum : 
« Sidbnios augebis avos j nullique relinques 
« Altius Ausoniae penetrare in viscera gentis ; 
« Donec victa tibi trepidabunt Dardana régna. 
« Nec ponet pubes unquam Saturnia curam , 
ce Dum carpet superas in terris Hannibal auras. » 
Ta.lia portabat laetis oracula Bostar, 
luplebatque viros pugnsae propioris amore. 



LES PUNIQUES, L!V. III. aog 

s'ébranlent et s'ouvrent : une plus vive lumière frappe 
aussitôt nos yeux : le prêtre apparaît devant l'autel , vêtu 
d'une robe blanche comme la neige; la foule s'empresse 
d'accourir. A peine de ma poitrine s'étaient échappées 
les paroles convenues, soudain voici le dieu, il entre en 
son prophète : les arbres se heurtent; de longs murmures 
roulent dans la forêt' sonore : une voix plus forte que la 
voix humaine éclate dans les airs : a Vous marchez au 
« LatiumV Libyens; vous préparez une guerre acharnée 
c( aux enfans d'Assaracus. Je vois les préludes de ces luttes 
« terribles : Mars en courroux s'élance sur son char, ses 
c< coursiers furieux soufBent de noires flammes sur les 
a flancs de l'Hespérie; des flots de sang ruissellent de 
<c leurs rênes. Toi qui veux connaître l'issue future des 
<c batailles, les suprêmes décrets du destin, et te lances 
« à toutes voiles vers cette noble conquête , envahis les 
a champs du roi d'Étolie, les plaines iapygiennes : tu 
(c grandiras encore tes aïeux sidoniens; tu ne laisseras à 
« personne la gloire de pénétrer. plus avant au cœur de 
« l'Ausonie. Vaincu , l'empire de Dardanus tremblera 
a devant toi, et la race de Saturne ne poiu*ra poser les 
ce armes, tant que sur terre Annibal verra la lumière 
« des cieux. » 



Bostar, rapportant cet oracle aux soldats, les rem* 
plit de joie et du brûlant désir d'avancer l'heure des 
batailles. 



I. i4 



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C. SILIl ITALia 



PUNICORUM 



LIBER QUARTUS. 



Jla.ma per Ausontœ turbatas spargitur urbes^ 
Nubiferos montes et saxa minantta cœlo 
Âdcepisse jugum, Pœnosque per iûvla vectos; 
£mulaque Herculei jactantem facta laboris 
Descendisse ducem : diros canit inproba motus , 
Et gUscît gressu , volucrique citatior Euro 
Terrificîs quatit adtonitas rumoribus arces. 
AbstMit auditisy docilis per inania rerum 
Pascere rumorem vulgi , pavor : itur in acres 
Bellorum raptim curas ; subitusque per omnem 
Âusoniam Mavors strepit, et ciet arma virosque. 
Pila novant, ac detersa rubigine sa&vus 
Induitur ferro splendor; niveumque repostae 
Instaurant galeae çpni decus : hasta juvatur 
Amento ; revocantque nova fornace bipennes. 
Conseritur tegimen laterum inpenetrabile , multas 



' i Tr*"""~""**Vi"""""*^"*^^*^~"Tni^T'"Tr'^^Tr^nnYinnviriviririr>wwir> i V¥irimri rt(vwt»i(i)MOTri^ 



C. SILIUS ITALICtJS. 



LES PUNIQUES 



LIVRE QUATRIEME. 



Xja Renommée apprend aux villes alarmées de l'Âu- 
sonie que les montagnes qui portent les nues , les ro* 
chers qui menacent le ciel ont subi lé joug; que les 
Carthaginois ont franchi les abîmes; que leur chef, glo- 
rieux de cette œuvre qui l'égale à Hercule ^ est descendu 
dans la plaine : sinistre piessagère de ces mouvemens 
redoutables , elle croît en sa marche , et, plus agile que 
Taile de TEurus, elle ébranle de ses effroyables rumeurs 
les cités épouvantées. 

La peur, qui aime à repaître de vains bruits le vul- 
gaire, exagère ces nouvelles : on s'empresse, on s'oc- 
cupe sans délai des apprêts de la guerre. Dans toute 
l'Âusonie, Mars s'éveille et tonne; il demande des armes 
et des soldats. On forge des piques, on enlève la rouille 
du glaive qui reprend son éclat terrible; on rend au 
casque sou cimier et sa blanche parure; la lance est 
munie de sa courfoie; on retrempe les haches aux feux 
des fournaises. On resserre les mailles de la cuirasse , 
impénétrable tissu , qui sera long-temps à l'épreuve du 

14. 



ai 2 PUNiœRUM LIB. IV. (▼. 17) 

Passurus dextras atque inrita vulnera, tliorax. 

Pars arcu invigîlant ^ domitat pars verbere anhelum 

Cornipedem in gyros, saxoque exaspérât ensem. 

Nec vero mûris , quibus est luctata vetustas , 

Ferre morantur'opem : subvectant saxa, ca vasque 

Retractant turres, edit quas longior aetas. 

Hinc tela adcipiunt arces ; ac robora portis 1 

Et fidos certant obices arcessere silva : 

Circumdant fossas. Haud segnis cuncta magisler 

Praecipitat timor, ac vastis trepidatur in arvis. 

Deseruere larem : portant cervicibus aegras 

Adtoniti matres, ducentesque uitima fila 

Grandaevos raptiere senes : tum crine soluto 

Ânte agitur conjux; dextra laevaque trahuntnr 

Parvi, non aequo comitantes ordine^ nati. 

Sic vulgus traduntque inetus^ nec poscitur auctor. 

AT Patres 9 quanquam exterrent inmania cœpta, 

Inque sinu bellum , atque Â.lpes et pervia saxa 

Deccpere, tamen crudam contra aspera mentem 

Et magnos toUunt animos : juvat ire periclis 

Ad decusy et dextra mémorandum condere nomen, 

Quale dédit nunquam rébus Fortuna secundis. 

Sed Libyae ductor tuto fovet agmina vallo , 

Fessa gradum, multoque ^elu torpentia nervos; 

Solandique genus, laetis ostentat ad Urbem 

Per campos superesse viam , Bomamque sub ictu. 



LES PUNIQUES , LI V. lY . a 1 3 

fer et de ses coups impuissans. Les uns veillent et fa* 
çonnent l'arc , les autres domptent sous le fouet le cour- 
sier haletant qui tourne dans la carrière; ceux-là aigui- 
sent sur la pierre le tranchant de l'épée. Cependant on 
ne néglige point de relever les murailles tombées sous 
l'efTort des âges; on transport et des. pierres; on répare 
les profondes tours usées par les siècles. On garnit 
d'armes les citadelles ; on assure la défense des portes, 
on les ferme de fortes poutres enlevées aux forets ; on 
creuse les fossés autour des remparts. La crainte; ce 
maître qui n'attend point, précipite les travaux : partout 
dans les campagnes on s'agite en tumulte, ils abandon- 
nent leurs foyers, emportent avec effroi sur leurs épaules 
les mères défaillantes, emmènent les vieillards parvenus 
au terme de l'âge , au dernier fil de la trame de leur 
vie; devant, les cheveux en désordre , marche l'épouse •: 
à droite, à gauche, se traînent les jeunes enfans, qui 
suivent d'un pas inégal. Ainsi, partout on cède aux 
récits de la crainte, sans même en rechercher l'auteur. 

Le sénat lui-même ne voit qu'avec terreur cette for- 
midable invasion , et la guerre au sein de Tltalie , les 
Alpes, leurs roches vaincues, et Rome ainsi trahie par 
elles. Cependant il oppose une grande âme, un cœur ferme 
à l'adversité •: il accepte les périls pour aller à la gloire, 
pour conquérir de force un de ces. noms mémorables 
que jamais, aux jours heureux., n'accorda la Fortune. 

Le chef des Libyens, à l'abri de son camp, repose ses 
bataillons que là marche a lassés, ranime leurs muscles 
engourdis par la rigueiîr du froid. Il soulage leurs 
peines, il les console en leur montrant la route droite 
et unie qui les mène à la Ville, et Rome sous l«urs 



ai 4 PUNICORUM LIB. IV. (▼. 43.) 

At non et rerum curas, consultaqùe belH 
Stare probat, solusque nequit perferre quietem. 
Armiferae quondam prisca inter tempora gentes 
Ausoaium iavasere latus , sedesque beatas , 
Et metuî peperere mana : mox itipîa bella 
Tarpeius pater et capti sensere Quirite$. 
Hic dum sollicitât donis , et iuania corda 
Ac fluxam Quorum gentem fovet , armaque jungit; 
Jam consul , volucri pervectus litora classe , 
Scipio Phocaicis sese referebat ab oris; 
Ingentesque duces , pelagi terra^ue laboreni 
Diversum emeusos, propiora pericula vallo 
Jungebant, magnaeque aderant primordia dadis. 
Namque ut, conlatis admoto coosule castris, 
Sustulerat Fortuna moras , signumque furoris 
Adcensae viso poscebant hoste cohortes : 
Debellata procul, quaecumque vocantur Hiberis, 
Ingenti Tyrius numerosa per agmina ductor 
Voce sonat; non Pyrenen, Rhodanumve ferocem 
Jussa adsperaatos , Rutulam fumasse Sagimtum , 
Raptum per Celtas iter, et , qua ponere gressum 
Amphitryoniadae fuerit labor, isse sub armis 
Pœnorum turmas , equitemque per ardua vectum 
Insultasse jugo, et fremuisse hinnitibus Alpes. 
Coi^TRA pulchra suos vocat ad discrimina consul : 
a Hostem, miles, habes fractum ambustumque nivosis 



LES PUIfIQUES, LIY. IV. %iS 

coups. Pour lui y il ae garde d'oublier le soin de la 
guerre et le$ intérêt^ de sa conquête ; lui &eul ne peut 
endurer le repos. Autrefois, dans les temps reculés, 
de belliqueuses nations avaient envahi une partie de 
TAusonie , région heureuse où sous leurs armes naquit 
la terreur;. plu& tard, leurs guerres impies n'avaient 
épargné ni le dieu Tarpéieo ni les Quirites vainciM* Il 
sollicite ces peuples, les séduit à force de présens ,^ flaUe 
leur humeur inconstante et légère,, et les rallie à son 
armée. Pendant ee temps, le consul Scipion, ramené sur 
sa flotte rapide, est revenu de la cité phocéenne; et ces 
illustres cbe£» , éprouvés tous deux par des travaux di- 
vers 9 l'un sur la terre , l'autre sur les flots , avancent 
leurs camps et rapprochent le danger. Déjà commencent 
les préludes d'une défaite immense. A peine le consul a 
paru et mis les deux, camps en présence , la Fortune ne 
souffre plus de retard : à la vue de l'ennemi , les co- 
hortes enflammées demandent le signal du carnage. Le 
chef tyrien, d'une voix sonore, anime ses nombreux 
bataillons : ils ont soumis au loin tout l'empire des 
Ibères ; les Pyrénées , le Rhône fongueux , n'ont pu se 
jouer de leurs efforts; Sagoote la Rutule est en cendres, 
la route conquise chez les Celtes , et partout où le fils 
d'Amphitryon ne put faire un pas sans travail, là, char- 
gés de leurs armes , les escadrons de Carthage ont passé ; 
les cavaliers ont gravi les montagnes et bondi sur leurs 
cimes, et les Alpes ont gémi du hennissement des. cour- 
siers. 



De son côté , le consul appelle ainsi ses troupes à de 
brillante$ luttes : « Soldat , tu as à combattre un eu- 



a i6 PUNICQRUM LIB, IV. (▼• 69) 

Cautibus j atque aegre torpeatia membra trahaiteiD. 
En âge, qai sacros montes, rupesque profundas 
Trausiluit , discat , quanto stat celsius arce 
Herculea vallum; et majus sit, scandere colles, 
An vestros rupisse globos : det inaoia famae , 
Dum magna fuso pugna, retroque ruenti , 
Qua ventum est, obstent Alpes : super ardua ductum 
Hue egere Dei, Latios ut sanguine 6nes 
Inbueret , tellusque hostiUs conderet ossa. 
Scire libet, nova nunc nobis atque. altéra bellum 
Carthago, anne eadem mittat, quas, mersa sub aequor, 
agates înter vasto jacet obruta ponto. » 

HiBC ait, atque agmen Ticini.flectit ad undas» 
Gaeruleas Tieinus aquas , et stagna vados^o 
Perspicuus servat turbari nescia fundo , 
Ac nitidum viridi lente trahit amne liquorem. 
Yix credas labi ; ripis tam mitîs opacis 
Argutos înter volucrum certamine cantus , 
Somniferam ducit lucenti gurgite lympham. 
Jamqub sub extremum uoctis fugientibus umbris 
Lux aderat^ Somnusque suas confecerat horas. 
Explorare Iogos consul, collisque propinqui 
Ingenium , et campis quœ sil natura , parabat. 
Par studium Pœno, siuiilesque in pectore cura&. 
£rgo aderant, rapidis equitum comitantibus alis. 



LES PUNIQUES , LïV. IV. 217 

iiemi irutilé par les rochers, brûlé par les glacés, et 
traînant à grand' peine ses membres perclus. .Va donc , 
et que celui ^ui franchit les montagnes sacrées et leurs 
gorges profondes , apprenne combien s'élèvent nos pa- 
lissades au dessus des remparts d'Hercule, et s'il n'est 
pas plus facile tl'escalader des collines que d'enfoncer 
vos rangs. Laissons-lui sa vaine gloire, pourvu que, dé- 
fait dans une grande bataille, il recule vers les lieux 
d'où il est venu , et que les Alpes, arrêtent sa fuite. 
Les dieux l'ont conduit à travers les rochers ^ ils l'ont 
amené là pour abreuver de son sang les plaines du La- 
tium, pour enfouir ses os dans un sol ennemi. Je vou- 
drais bien savoir si c'est une ^utre, une nouvelle Car- 
thage qui nous envoie la guerre, où celle qui, jadis 
engloutie sous les vagues, gît encore aux Égates'^ense- 
velie dans l'abîme des mers. » 

Il dit et dirige son armée sur les bords du Tésin. Tou- 
jours pur, le Tésin promène sur l'arène ses flots pai- 
sibles dont rien ne trouble l'azur, et roule lentement son 
onde verte et transparente. A peine on dirait qu^il coule, 
tant s'échappe mollement, sous l'ombrage de ses rives, 
parmi les chants harmonieux et variés des oisieaux, ce 
fleuve limpide dont le calme invite au sommeil. 



La nuit touchait à son déclin, l'ombre faisait place à 
la lumière naissante, et le Sommeil avait, rempli se's 
heures. Le consul songe alors à éclairer le terrain , à re- 
connaître la position d'une éminence voisine et la nature 
de la plaine. Le Carthaginois eut même pensée , même 
souci, même désir. Ils s'avancent donc, accompagnés 
d'une légère escorte de cavaliers. 



aiS PUNiCORUM LIB. IV. (y. 94) 

Vf HUM ubi comiooto docuerunt pulvere oubes 
Hostem ferre gradum ; et propius propiusque sonaro 
Quadrupedum cornu tellus gémit; ac simul acer 
Yinceatum lituos htaoitus saevit equorum : 
« Arma^ Tiri^ rapite «rma, virî! » dux instat utcrque* 
Ambobus velox virtus , geminusque cupido 
Laudis , et ad pugnas Martemque insania concors. 

Hè^vi> mora : jam tantum campi diriiuebut ab icUi, 
Quantum inpulsa valet comprendere lancea tkodo ; 
Quum subitum liquida, non uUis nùbibus, aethra 
Augurium mentes oculosque ad sidéra vertit. 
Accipiter, medio tendens a limite solis, 
Dilectas Yeneri , notasque ab honore Diones , 
Turbabat violentus aves ; atque unguibus idem , 
Idem uunc rostro , duris nunc ictibus alae , 
Ter quioas dederat saeva inter vulnera leto. 
Nec finis satiasve ^ novi $ed sangumia ardor 
Gliscere; et urgebat trepidam jam c«de priorum, 
Incertamque fugae , pluma labente , columbam ; 
Donec Phœbeo veniens Jovis aies ab ortu 
In tenues tandem nubes dare terga coegit. 
Tum victrix lastos signa ad Romana volatus 
Convertit ; prolesque ducis qua parte décora 
Scipio quassabat puerilibus arma lacertis , 
Clangorem bis terque dédit , rostroque coruscae 
Perstringens conum galeae | se reddidit astris. 



LES PDWIQUES , LIV. IV. 119 

De chaque côté s'élève une nuée de poussière qui 
trahit la marche de Tennenii; le bruit approche , la corne 
sonore des coursiers fait gémir la terre, et en même 
temps éclatent des hennissemens à couvrir les accens du 
clairon, (c Aux armes ! soldats , prenez vos armes ! » crie 
à la (ois Tun et l'autre daef. Tous deux ont même fougue , 
même courage 9 même ambition de gloire^ même pas- 
sion de guerre et de bataille. 

On s'empresse : à peine est-on encore séparé par l'es- 
pace que peut comprendre la portée d'une lance au bout 
de sa courroie , quand soudain , dans un air pur et Sians 
nuages , un présage attire au ciel les yeux et les esprits. 
Un épervier^ parti du point que le soleil parcourt à son 
midi, poursuivait avec furie uue troupe de ces oiseaux 
chers à Vénus et consacrés à Dioné : déjà, de ses serres, 
et de son bec et des coups acharnés de son ailé, il en 
avait tué quinze après les avoir cruellement déchirés. 
Et ce n'est point assez, il n'est point assouvi, une nou- 
velle soif de sang le dévore : il presse une autre colombe 
toute tremblante du meurtre des premières, et retardée 
en sa fuite par la perte de ses plumes. Mais l'oiseau de 
Jupiter accourt de l'Orient, repousse Tépervier et le 
force à retourner dans les nues. Vainqueur alors, l'aigle 
dirige son vol heureux vers les enseignes romaines , du 
côté où le fils du général, le jeune Scipion, secouait sur 
son épaule enfantine sa brillante armure : là , deux et 
trois fois il jette un cri , touche du bec le cimier du 
casque étincelant , et remonte dans les cieux. 



aao PUNICORUM LIB. IV. (v. «o.) 

£xGLAx\f AT Liger (huic Saperas sentire monentes 

Ai*s fuit, ac penna monstrare futura magîstra) : 

(( Pœoe , bis octonos Italis in fiuibus aiuios , 

Audaci similis volucri , sectabere pubem 

Ausoniam, multamque feres cum sanguine pnedam : 

Sed compesce minas ; renuit tibi Dauuia régna 

Armiger ecce Jovis : nosco te , summe Deorum : 

Adsis 0.9 firmesque tuae, Pater, alitis omen. 

Nam tibi servantur, ni vano cassa volatu 

Mentitur Superos praepes , postrema subàctae 

Fata, puer, Libyae, et majus Carthagine nomeu. » 

CoiTTBA lœta Bogus Tyrio canit omina régi, . 

Et faustum accipitrem , caesasque in nube volucres 

£neadis cladem et Veneris portendere genti. 

Tùm dictis comitem contorquet prinius in hbstes, 

Ceu suadente Deo, et fatorum conscius, hastam. 

nia volans patuli longe per inania campi 

Ictum perdiderat spatio, ni, fusus habenas, 

Dum primœ decus adfectat decerpere pugnae, 

Obvia quadrupedis praeceps Catus ora tulisset. 

Sic clànguescens , ac jam casura , petitum 

luvenit vulnus, csedemque adcepit ab hoste 

Cornus , et oblatse stetit inter tempora frontis. 

Incurruut acies, magnoque fragore per œquor 

Suspendant cuncti frenis sublime reductos 

Cornipedes, ultroque ferunt : erectus in auras 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aai 

Liger s'écrie (interprète savant du langage des dieux, 
Liger avait appris par le vol des oiseaux à comprendre 
l'avenir) : a Carthaginois , pendant seize ans sur le so] 
d'Italie, pareil à Taudacieux épervier, tu poursuivras la 
jeunesse ausonienne, et tu recueilleras une large part 
de sang et de butin : mais fais trêve à tes menaces, ce 
messager de Jupiter te refuse l'empire de Daunus. Je 
te reconnais ici, souverain des dieux ; sois-nous en aide, 
ô père, et confirme l'augure de ton oiseau. Car à toi 
seul, enfant, si l'aigle n'a point menti ^ si son vol trom* 
peur ne m'abuse , à toi «seul est réservée la conquête , 
la destruction de la Libye, et, sur sa ruine, un nom si 
grand que Carthage n'y pourra suffire. » 

Éogus d'autre part prédit aii héros tyrien d'heureuses 
destinées : l'épervier présage la victoire, et le meurtre 
des oiseaux dans la nue l'extermination des enfans 
d'Enée, de la race de Vénus. Pour appuyer son dis- 
cours, il lance le .premier, comme par inspiration des 
dieux et conscience de l'avenir, sa javeline à l'ennemi. 
Elle vole et elle allait se perdre au loin sans portée dans 
l'espace ouvert entre les armées, si Catus, accourant à 
toute bride dans le désir de remporter les premiers hon- 
neurs du combat, ne se fût précipité, tête baissée, au 
devant du coup. C'est ainsi que ce trait, qui déjà tom- 
bait sans force et sans atteinte, trouve sa blessure à 
faire, reçoit le but qui se présente, le perce, et s'arrête 
au milieu du front ennemi qu'il rencontre. Les armées 
s'élancent à grand bruit dans la plaine ; tous ramènent 
en arrière les rênes de leurs coursiers qui se dressent , 
s'emportent d'eux-mêmes, s'enlèvent, volent, et dans 
leur rapide essor laissent à peine une trace légère sur 



222 PUNICORUM LIB. IV. (v. 146.) 

It souipes , rapidaqiie volans per aperla procella 
Tenuia yix summo vesftgia puivere signât. 
Boiopum ante alias , Cryxo duce, mobilis ala 
Arietat in primos, obicitque inmania membra. 
Ipse, lumens atavis, Brenni se stirpe kvAat 
Cryxus, et in titulos Capitolla capta trahebat; 
Tarpeioque jugOy démens! et vertice sacro 
Pensantes aurum Celtas umbone gerebat. 
Colia viri fulvo radiabant lactea torque , 
Auro virgatae vestes, manicaeque rigebant 
Ex auro , et simili vibrabat crista métallo. 
Stebititur inpulsu vasto percudsa Camertum 
Prima phalanx ; spissasque ruunt conferta per arma 
Undae Boiorum : sociata examina densent 
Infandi Senones; conlisaque quadrupedantum 
Pectoribus |oto volvuntur corpora campo. 
Arva natant^ altusqUe viruin cruor, al tus equoriun 
Lubrica belligerœ sorbet vestigia turmae. 
Seminecum letum peragit gravis ungula pulsu, 
Et circumvolitans tetros a sanguine rores 
Spargit humo, miserisque sjuo lavit arma cruore. 
Spicula prima, puer, tumidi, Tyrrbene, Pelori 
Purpureo moriens victricia sanguine tingis. 
Nam tibi, dum stimulas cornu, atque in prœlia mentes 
Adcendis, renovasque'viros ad vulnera cantu, 
Haesit barbaricum sub anhelo gutture telum. 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aaS 

la poussière qu'ils effleurent. Avant tous , la troupe agile 
deà Boîensy commandée par Cryxus, heurte de ses vastes 
et robustes membres les premiers rangs ennemis. Fier 
de ses ancêtres, Cryxus faisait remonter son origine à 
Brennus, et rappelait dans ses titres la prisé du Gapi* 
tôle. L'insensé ! il portait gravés sur son bouclier le roc 
Tarpéien et les Celtes pesant Tor sur la sacrée colline. A 
son cou blanc comme le lait reluit un collier d or : Tor 
brille à ses vêtemens rayés, à ses manches raides d'or; 
et des reflets de l'or son aigrette étincelle. 



La première phalange, les Gamertes, tombent renver- 
sés sous l'énorme choc de ces Boiens dont les torrens 
épais roulent dans la mêlée , grossis bientôt des hordes 
sauvages des Séuons, leurs alliés. Les poitrails se brisent 
contre les poitrails, les coursiers s'abattent dans la plaine. 
La terre e^t submergée : a larges flots déborde et le sang 
des guerriers et le sang des chevaux; les pieds des com-* 
battans glissent noyés dans cette fange. Les blessés péris- 
sent achevés sous la corne meurtrière des coursiers, qui 
bondissent, font pleuvoir à l'entour une sanglante rosée, 
et teignent de sang l'armure des malheureux qui l'ont 
versé. Jeune Tyrrhénus , tu meurs sous les premiers coups 
de l'orgueilleux Pélorus , et tu rougis de ton sang em- 
pourpré ses armes victorieuses. Les éclats de ta trompette 
aiguillonnaient les cœurs ; tu réveillais par tes accens 
leur vigueur guerrière, tu les enflammais d'une ardeur 
nouvelle, quand le trait du barbare s'enfonça dans ta 
gorge haletante : la blessure mortelle étouffa tes rauques 



aaA PUNICORUM LIB. IV. ' (v. 17») 

Et clausit raucum letaii vulnere murmur. 

At sonus, extremo morientis fusus ab pre, 

Flexa pererravit mutis jam (^ornua labris. 

Cryxus Piceotem Laurumque ^ nec emiaus ambo ; 

Sed gladio Laurum; Picenti rasilis hasta, 

Ripis lecta Padi, letum tuiit : avia namque 

Dum petit; ac laevo medltatur fallere gjro, 

Hasta viri femur et pariter per anhela volantis 

Ilia sedit equi , et geminam dédit horrida mortem. 

Idem 9 sanguinea Yenuli cervice revellens^ 

Sternit praecipitem tepido te, Farfare, telo; 

Et te sub gelido nutritum, Tulle, Velioo, 

Ëgregium Ausoniae decus , ac memorabile nomen , 

Si dent fata moras , aut servent fœdera Pœni. 

Tum Remulum, atque olim celeberrima nomina bello 

Tiburtes Magios, Hispellatemque Metaurum, 

Et Clanium, dubia meditatus cuspide vulnus. 

Ni:g Iocus est Tyriis belli pugnaeve, sed omnem 

Celticus inplevit campum furor : inrita nulli 

Spicula torquentur, statque omne in corpore ferrum. 

Hic inter trepidos inmane Quirinius audens, 

Cui fugere ignotum, atque invicta mente placebat 

Rébus in adversis exceptum pectore letum, 

Cuspide flammat equum , ac dispergit gaesa lacerto ; 

Si reserare viam, atque ad regem rumpere ferro 

Detur iter; certusque necis petit omnibus ausis, 



J 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aaS 

accords y mais le dernier son qui s'échappa de ta bouche 
mourante parcourait encore les cavités de la trompe re- 
courbée , que déjà ta lèvre était muette. Cryxus tue Pi- 
cens et Laurus , de près l'un et l'autre : Laurus du 
glaive; à Picens, une lance polie, choisie sur les rives 
du Po, apporte le trépas. Il gagnait le large, et cher- 
chait à tromper l'ennemi par un détour vers la gau- 
che, quand la lance traversa tout ensemble et la cuisse 
du guerrier et le ventre pantelant du coursier fugitif, 
et l'arme fatale donna deux fois la mort. Bientôt il ar- 
rache du front sanglant de Vénulus un trait qui, tiède 
encore, te renverse à ses pieds, Farfarus; et toi aussi, 
enfant des bords glacés du Yélino , TuUus , nom mémo- 
rable et noble gloire de l'Ausonie, si les destins pouvaient 
attendre , ou les Carthaginois respecter les traités. Alors 
et Rémulus , et ces noms jadis célèbres dans les ba- 
tailles, les Magius de Tibur, Métaurus d'Hispellum et 
Clanius, tombent sous les coups de cette arme qui frappe 
au hasard entre tant d'ennemis. 



LesTyriens n'ont pu encore ni charger ni combattre; 
le Celte en sa furie occupe tout le champ de bataille : 
pas un trait lancé ne s'égare, pas un fer qui ne trouve 
un corps où se prendre. Alors, dans la mêlée, un Ro- 
main d'une audace immense , Quirinius , qui ne sait 
point fuir, et dont l'âme invincible, au sein des alarmes, 
aime la mort reçue en face, pique et enflamme son 
coursier, du bras écarte les gèses, et cherche à s'ou- 
vrir une route , à se frayer du fer un passage jusqu'au 
roi. Sûr de mourir, il brave tout pour courir à la gloire 
dont il ne pourra jouir : il renverse, percé au ventre, 
I. i5 



ii%6 PUNÏCORUM LIB. IV. (j 198 ) 

Quod nequéat sentire , decus : cadit inguine fosso 
Teutalus , et vasto quatitur sub pondère tellus. 
Obcumbit Sarmens, flavam qui ponere victor 
Caesarîem crinemque tibi, Gradive, vovebat 
Auro certantem , et rutilum sub vertice nodum. 
Sed Parcae intonsa non exaudita voventera 
Ad mânes traxere coma : per candida membra 
It fumans cruor, et tellus perfusa rubescit. 
At, non tardatus jaculo obcuri^nte, Ligaunus 
Inruit, adversumque viro rotat obvius ensem , 
Et ferit insurgens, liumero qua brachia lenti 
^dnectunt nervi, decisaque vulnere laeva 
' Laxatis paulum moribunda pependit habenis ; 
Dumque micans tremulo conatu lora retentat, 
Fiectentem adsuetos imitatur nescia frenos. 
Demetit aversi Vosegus tum colla, jubaque 
Suspensam portans galeam, atque inclusa peremti 
Ora viri, patrio Divos clamore salutat. 
DuMQDE ea Gallorum populi dant funera campo, 
Adcitas propere castris in prœlia consul 
Raptabat turmas, primusque ruebat in hostem, 
Çandenti .sublimis equo : trahit undique léctum 
Dhritis Ausoni» juvenem, Màrsosque, Coraraque, 
Laurentumque decus, jaculatoremque Sabellum, 
Et Gradivicolam celso de colle Tudertem , 
Indutosque simul gentilia liaa Faliscos; ^ 



LES PUNIQUES, LIV. IV. ^217 

Teutalus dont le vaste poids ébranle la terre. 11 ter^ 
rasse Sarmens , qui faisait vœu , s'il était vainqueur, de 
te consacrer, Gradivus, sa blonde chevelure et ses tresses 
dorées que rattache un nœud d or au sommet de sa tête. 
Son vœu ne fut point exaucé, et les Parques l'entraî- 
nèrent chez les mânes avec ses longs cheveux : sur sa 
jDlanche peau fume le sang qui ruisselle , et rougit la 
terre inondée. Le Romain lance un javelot à Ligaunus, 
qui l'évite et fond droit sur lui, de face, l'épée en avant, 
se dresse et le frappe à Fendroit où de flexibles nerfs 
retiennent le bras à l'épaule : déchiré par le fer, le bras 
gauche se détache peu à peu des rênes où pend une 
main mourante, qui tressaille, s'efforce en tremblant de 
retenir les brides, et, guide impuissant, imité encore 
ses mouvemens accoutumés. Voségus accourt derrière 
le Romain blessé, lui ti^anche le cou, suspend à la cri- 
nière de son cheval le casque du héros mort et la tête 
qu'il renferme , et les emporte en saluant les dieux du 
cri de sa patrie. 



Pendant que les peuples gaulois sèment ainsi le car- 
nage, le consul fait sortir à la hâte ses escadrons du 
camp, les appelle au combat, s'élance à leur tête porté 
sur un coursier blanc : il entraîne en foule sur ses pas 
la jeunesse choisie de la riche Ausonie , et les Marses , 
et l'élite de Cora et de Laurente , et le gabelle adroit 
au javelot, et le Tuderte idolâtre de Mars sur sa haute 
colline , et le Falisque vêtu du lin de son pays , et les 
Catilles des rives de l'Anio, enfans des fertiles vergers 
que ce fleuve tranquille arrose sous les remparts d'Her- 

i5. 



aa8 PUNICORUM LIB. IV. (v. ^24.) 

Quosque sub Herculeis taciturno flumine mûris 

Poihifera arva créant Ânienicolae CatillI; 

Quosque, in praegelidis duratos Hernica rivis 

Mittebant saxa, et nebulosi rura Casini. 

Ibant in Martem terrae dominantis alumni, 

Damnatt Superis, nec jam reditura juventus. 

Scipio, qua médius pugnae vorat agmina, vertex^ 

Infert cornipedem , atque instinctus strage suorum 

Inferîas caesis mactat Labarumque Padumque^ 

Et Caunum , et multo vix fusum vulnere Breucuai , 

Gprgoneoque Larum torquentem lumina vultu. 

Occidis et tristi^ pugnax Lepontice, fato; 

Nam dum frena ferox objecto corpore prensat, 

Atque aequat celsus residentis consulis ora 

Ipse pedes, frontem in mediam gravis incidit ensis, 

Et divisum humeris jacuit caput : at Batus, amens 

Qui luctatur equo, parmaque incursibus obstat, 

Ictu quadrupedis fulva porrectus arena 

Elisa incussis amisit ealcibus ora. 

Perfurit Ausonius turbata per œquora ductor, 

Ceu Geticus Boreas , totum quum sustulit imo 

Icarium fundo victor mare; navîta vaste* 

Jactatur sparsus lacerata classe profundo, 

Cunctaque canenti perfunditur aequore Cyclas. 

Cbtxus , ut in tenui spes y exiguumque salutis , 

.Armât contemtu mentem necis : horrida barba 



LES PUNIQUES , LIV. IV. 2^9 

cule; et les soldats, endurcis dans les froides sources des 
roches herniques , et ceux des nébuleuses vallées de Ca- 
sinuni. Ils marchaient au combat , ces nourrissons de 
la grande patrie , mais condamnés par les dieux , et 
perdus sans retour. Scipion pousse son coursier au 
sein de cette mêlée dévorante où s'engouffrent lés ba*- 
taillons; irrité du carnage de ses guerriers , il immole 
à leurs mânes et Labarus, et Padus, et Caunus, et Breu- 
cus que plusieurs coups achèvent à peine, et Larus 
à Tœil louche, à la face de Gorgone. Tu meurs aussi, 
tristement massacré, belliqueux Léponticus : pendant 
que, superbe, il oppose son grand corps à la marche di| 
consul, qu'il saisit les rênes, et, piéton, se dresse à la 
hauteur du cavalier, le glaive pesant lui tombe au milieu 
du front, et sa tête fendue se partage sur ses épaules. 
Batus, insensé! lutte à cheval, et du bouclier repoussç 
les assauts du consul : un choc du coursier ennemi le 
renverse sur la fauve arène, où, fracassé sous les pieds 
qui l'écrasent, il expire défiguré. Le chef ausonien pro- 
mène au loin sa fureur dans la plaine agitée, pareil à 
Borée le Gétique, alqrs que vaipqueur il soulève du fond 
des abîmes la mer Içarienne : les matelots flottent épars 
sur les vastes ondes avec les débris de leur navire, et 
toutes les Cyclades sont englouties sous les vagues blan- 
chissantes. 



Cryxus^ conservant peu d^espoir, peu de chances de 
salut, arme son âme du mépris de la mort. Sa barbe 



î^3<^ PUNICORUM UB. IV. (v. aSo.) 

Sanguinea rutilât spuma, rictusque furentis 

Âlbet y et adfiiso squalent a pulvere crines. 

Invadit Tarium^ vicino cousule puguas 

Misci^ntem, saevisque virum circuintonat armis. 

Volvitur îlie solo : nam pronum effunait in armos 

Fata extrema ferens abies, rapilurque pavore 

Tractus equi, vinctis conoexa ad cingula membris* 

Longa cruor sparso linquit vestigia c^mpo, 

£t tremulos cuspis ductus in pulvere signât. 

Laudabat leti juvenem y egregiosque parabat 

Ulcisci consul mânes, quum dira per auras 

Yox venit, et Cryxum ferri clamoribus audit , 

Haud notum vultu : surgit violentior ira 

Comminus , atque oculos optato in corpore Ggit. 

Tum, stimulans grato plausae cervicis honore, 

Cornipedem adloquitur : « Vulgum Martemque minorem 

Mox, Gargane : vocant Su péri ad majora : videsne 

Quantus eat Cryxus? jam nunc tibi praeihia pono 

Illum, Sidonio fulgentem ardore, tapeta, 

Barbaricum decus ; et fulvis donabere frenis. » 

Sic fatus, magno Cryxum clamore ciebat 

Jn pugnam , ac yacuo poscebat prœlia campo. 

Nec detrectantem par ira adcenderat hostem. 

Ut jussae cessere rétro, spatiumque dederunt 

Hinc atque hinc alœ, et medio stetit aequore pugna : 

Quantus Phlegraeis telluris alumnus in arvis 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aÎF 

hideuse est rougie d'une sanglante écume , sa bouche 
béante et pâle de rage, ses cheveux souillés d'une épaisse 
poussière. Il attaque Tarius, qui combattait auprès du 
consul; il fait tonner autour de lui sa redoutable ar- 
mure. Tarius roule à lerre : abattu sous le trait fatal qui 
lui porte la mort, il tombe sur le côté; son corps s'em- 
barrasse dans les courroies qui le retiennent; emporté 
par son cheval qui s'eflFraie , il laisse après lui sur l'arène 
une longue traînée de sang , et le fer de sa lance trace 
sur la poussière un sillon tortueux, l^e consul glorifiait 
le trépas du héros et se préparait à venger ses mânes 
généreux, quand un nom redouté frappe l'air; il entend 
mille voix annoncer Cryxus dont il ignore les traits. 
£n le i^yant si proche, un courroux plus violent surgit 
en son âme; il attache son regard sur cet ennemi dé- 
siré. Alors , caressant de la main la tête de son coursier 
que cet honneur flatte et encourage, il lui dit : « Trêve 
de victimes vulgaires et sans nom, Garganus; les dieux 
nous appellent à de plus nobles luttes : v6is-tu comme ce 
Cryxus s'avance fièrement ? Va , et pour récompense je 
te promets ici cette housse resplendissante des feux de 
la pourpre sidonienne, la parure du barbare; tu rece- 
vras de plus un frein d'or. » Il dit, et à grands cris pro- 
voque Cryxus au combat, et lui demande bataille en 
champ libre. L'ennemi ne refuse point le défi : pareille 
fureur l'anime. A leurs ordres, Tune et l'autre armée 
recule, se retire, et leur ouvre l'espace : la lutte s'engage 
au milieu. Tel apparut Mimas, cet enfant de la terre, 
alors qu'il leva l'élendard dans les champs de Phlégra, 
et qu'il épouvanta le ciel de ses assauts; tel apparaît 
Cryxus arrachent de sa poitrine de sauvages murmures, 
exhalant ses colères avec d'effroyables hurlemens. « Il 



232 PUNICORUM LIB. IV. (v. 176.) 

Movtt signa Mimas, et cœlum exterruit armis; 

Tantus scmifero Cryxus sub pectore murmur 

Torquety et borrisonis ululatibus erigit iras. 

«Nemone incensae captaeque superfuit urbi, 

Ut tibi , quas Brenni populus ferremus in arma y 

Narraret , dextras ? disce en nunc ! » inquit ; et uiia 

Contorquet nodis et obusto robore diram 

Vel portas quassare trabem : sonat illa tremendum^ 

Ac nimio jactu servasse inprovida campi 

Distantis spatium , propiorem transvolat hostem. 

Cui consul : « Ferre hœc umbris proavoque mémento, 

Quam procul occumbas Tarpeia sede , tibîque 

Haud licitum sacri Capitolia cernere montis. » 

Tum nodo cursuque levi simul adjuvat hastam y 

Dignum mole viri nisus : fugit illa per oras 

Multiplicis Uni, subtextaque tegmina nervis, 

Atque alium tota metitur cuspide pectus. 

Procumbit lata porrectus in arva ruina , 

Et percussa gémit tellus ingentibus armis. 

Haud aliter, structo Tyrrhena ad litora saxo, 

Pugnatura fretis subter caecisque procellis , 

Pila, inmane sonans, inpingitur ardua ponto. 

Inmugit Nereus , divisaque caerula pulsu 

Tnlisum adcipiuut irata sub aequora monlem. 

Ductore amisso pedibus se credcre Celtœ : 

XJna spes anima , tantusque pependcrat ardor. 



LES PUNIQUES, LIV. IV. a33 

n'est donc pas resté une âme dans ta ville conquise et 
brûlée, disait-il, pour t'annoncer de quels bras, nous 
autres fils de Brennus , nous manions les armes ? Âp- 
prends-le ici de moi! » et en même temps il lance une 
énorme javeline, noueuse , durcie au feu , et de force à 
renverser les portes, des cités. Terrible, elle siffle; mais, 
aveuglément chassée avec trop d'élan pour observer la 
distance du terrain , elle dépasse l'ennemi plus rappro- 
ché d'elle. Le consul alors : « N'oublie pas de dire chez 
les ombres à ton aïeul combien tu étais loin en mou- 
rant des demeures tarpéiennes, et qu'on ne t'a pas laissé 
voir le mont sacré du Capitole. » Puis , mesurant son 
effort à la masse du Gaulois, il fait un pas et lance son 
javelot dont la courroie aide l'essor : le trait vole , 
perce les bords de la cuirasse aux triples mailles de lin, 
l'épais tissu de cuir du bouclier, et le fer tout entier 
s'enfonce dans la vaste poitrine de l'ennemi. Il tombe, et 
couvre au loin le sol dé sa large ruine; la terre tremble 
et gémit sous le poids de sa grande armure. Ainsi , du 
ha.ut d'un môle jeté sur la rive tyrrhénienne pour com- 
battre sous les eaux les ravages secrets de la houle et 
des tempêtes, un énorme roc s'écroule avec un fracas 
horrible et s'engloutit sous les flots : Nérée mugit, l'onde 
se divise sous cette masse qui la refoule, et les vagues 
irritées font place au quartier de montagne. Les Celtes 
ont perdu leur chef, ils n'ont plus foi qu'en leurs jambes : 
de lui seul, de sa vie, dépendait leur espoir et toute 
leur bravoure. Ainsi quand le chasseur bat les forêts 
buissonneuses des sommets du Picanus, et propage un 
fléau dévorant au sein des halliers et de leurs retraites 
impénétrables, pendant que le feu couve et recueille ses 
forces et sa flamme, un noir tourbillon de résine peu à 



a34 PUNICORUM LIB. IV. (v. 3oa.) 

Ac veluti summo venator densa Picano 

Quum lustra exagitat, spissisque cubilibus atram 

Inmittît passim dumosa pertnvia pestem; 

Dum tacitas vires et flammam conligii ignis , 

Nigranti piceus. sensim caligine vertex 

Volvitur, et pingui contorquet nubila fumo; 

Mox subita in tanto lucent incendia monte. 

Fit sonitus ; fugere ferœ , fugere volucres , 

Atque ima longe trépidant in valle juveucae. 

At. Mago, ut vertisse globos, primumque laborem. 

Qui sol us genti est, cassum videt, arma suorum 

Ac pàtrium in pugnas equitem vocat : undique nudi 

Adsiliunt frenis , infrenatique manipli. 

I^unc Itali in tergum versis referuntur habeuis ; 

Nunc rursus Tyrias rétro pavor avehit alas j 

Aut illi dextros lunatis flexibus orbes ^ 

Aut iili laevos sinuant in cornua gyros : 

Texunt alterno glomerata volumina cursu, 

Atque eadem refuga cedentes arte resolvuut. 

Hac pontum vice, ubi exercét discordia ventos, , 

Fert Boreas, Eurusque refert, molemque prôfundi 

Nunc hue alterno, nunc iliuc, flamine gestant. 

Advolat aurato praefulgens murice ductor 

Sidonius, circaque Metus, Terrorque, Furorque. 

Isque ubi Callaici radian tem tegminis orbem 

Ëxtuiit, et magno percussit lumine campos, 



LES PUNIQUES , LIV. IV. a35 

peu se déroule et pousse aux nues son épaisse fumée : 
puis soudain la montague partout s'éclaire , rincendie 
éclate et pétille : les monstres sauvages , les oiseaux, 
tout a fui ; et les génisses au loin tremblent en bas dans 
la vallée. 



Magon j voyant leurs bandes en déroute et le peu de 
succès de leur première charge, seul effort qu'ils puissent 
faire, appelle aux armes ses escadrons et les cavaliers 
de sa patrie. Partout bondissent et s'élancent les cour- 
siers sans frein et les coursiers chargés du frein. Tantôt 
les Italiens tournent bride et s'enfuient avec vitesse; 
tantôt les soldats tyriens reculent, entraînés aussi par 
la peur. Les uns tracent vers la droite de sinueux dé- 
tours, les autres décrivent vers la gauche de flexibles 
circuits : ils s'enlacent, se croisent; tantôt roulent en 
pelotons serrés , tantôt , par d'habiles contremarches , 
reviennent et se déroulent. Ainsi sur l'océan, quand les 
vents se livrent la guerre, Borée foule les vagues que 
refoule l'Ëurus, et tour-à-tour leur souffle emporte ici 
et là les flots amoncelés. 

Resplendissant d'or et de pourpre, le chef sidoniea 
s'avance , et avec lui la Crainte , la Terreur et la Rage. 
A peine il a secoué l'orbe éclatant de son bouclier de 
Callécie, et frappé la plaine de ses reflets éblouissàns, 
l'espoir et le courage succombent, les cœurs épouvantés 



a36 PUNICORIÎM LIB. IV. (▼. Sag.) 

Spes virtusque cadunt, trepidaque a mente recedit 
Vertere terga pudor : nec leti cura decori , 
Sed fiigere infixum est, terraeqiie optanlur hiatus. 
Sic y ubi Caucasiis tigris se protulit antris, 
Linquuntur campi, et tutas petit omne latebras 
Turbatum insano vultu pecus : illa pererrat 
Désertas victrix valles , jainque ora reducto 
Paulatim nudat rictu , ut praesentia mandens 
Corpora , et inmani stragein meditatur hiatu. 
Non illum Metabus, non illum celsior Ufens 
Evaserè tamen, quamvis hic alite planta, 
Hic ope cornipedis totis ferretur habenis. 
Nam Metabuni ad mânes demisit cuspide fulgens 
Fraxinus ; Ufentem conlapsum poplite cœso 
Ensis obity laùdemque pedum cum sanguine ademit. 
Jamque dédit leto Sthenium, Laurumque, domoque 
Collinum gelida, viridi quem Fucinus antro 
Nutrierat, dederatque lacum tramittere nando^ 
Fit socius leti conjecta Massicus hasta, 
Vitiferi sacro generatus vertice montis , 
Et Liris nutritus aquis; qui fonte quieto 
Dissimulât cursum, ac, nulio mutabilis imbri, 
Perstringit tacitas gemmanti gurgite ripas. 
Exoritur rabies caedum, ac vix tela furori 
Subficiunt; teritur junctis umbonibus umbo, 
Pesque pedem premit, et nutantes casside crista; 
Hostilem tremulo puisant conamine frontem. 



LES PUNIQUES, LÏV. IV. ^^7 

n'ont plus honte de fuir ou souei de mourir avec gloire ; 
ils ne songent qu'à la retraite , ils voudraient que la 
terre ouvrît ses abîmes. Ainsi y quand le tigre s'élance des 
antres du Caucase , tremblans devant son regard forcené, 
les troupeaux abandonnent les campagnes et gagnent 
un gîte assuré : le monstre parcourt en vainqueur les 
vallées désertes; ses lèvres se retirent et découvrent peu 
à peu sa mâchoire , il semble en présence de la victime 
qu'il va dévorer , et sa large gueule béante se prépare 
au carnage. Ni Métabus, ni même Ufens à la haute 
stature, n'ont pu éviter Annibal , quoique l'un s'échappât 
d'un pied ailé, l'autre à l'aide et de toute la vitesse de 
son coursier. Le frêne au fer luisant envoya Métabus 
chez les mânes; Ufens tomba, le jarret tranché par le 
glaive, et perdit avec la vie l'agilité qui faisait sa gloire. 
II frappe de mort et Sthénius, et Laurus, et CoUinus 
que le Fucin nourrit sur ses froides rives, au fond de ses 
anti^es verts , et qu'il instruisit à traverser son lac à la 
nage. Un coup de lance unit à leur sort Massicus , né 
au sommet sacré du mont fertile en vignes, et nourri 
des eaux du Liris, fleuve paisible, qui dissimule son 
cours, et qui , jamais altéré par l'orage , roule mollement 
sur ses rives muettes les perles de son onde. Alors éclate 
la fureur des batailles ; les traits ne suffisent plus à la rage 
des combattans; le bouclier heurte le bouclier, le pied 
presse le pied , et l'aigrette qui flotte au haut du casque 
bat de son mouvant panache le front de* l'ennemi. 



tà3« PUNICORUM LIB. IV. (t. 355.) 

TBRcîEMien primam ante aciem fera prœlia fratres 

Miscebant , quos Ledaeo Sidonia Barce 

Xanthippo felix uteri iuter bella crearat. 

Res Graiaa, ductorque parens, ac nobile Amyclae 

Nomen, et iajectus Spartank colla catenis 

Regulus, inflabant veteri praecordia fama. 

Marte probare genus, factisque Lacôna parentem 

9 

Ardebant; geiidosque dehinc invisere montes 
Taygeta, et tandem bellis innare subactis 
Eurotan patrium, ritusque videre Lycurgi. 
Sed Spartam penetrare Deus, (ratresque negarunt 
Ausonii , totidem numéro ; quos miserat altis 
Egeriae genitos inmitis Aricia lucis, 
£tatis mentisque pares : at non dabat ultra 
Clotho dura lacus aramque videre Dianae. 
Namque ut in adversos ^ inpacti turbine pugnae , 
Eumachus et Critias , et laetus nomine patris 
XanthippuSy junxere gradus; ceu bellà leones . 
Inter se furibunda movent, et murmure anhelo 
Squalentes campos et longa mapaiia complent : 
Omnis in occultas rupes atque avia pernix 
Maurus saxa fugit, conjuxque Libyssa profuso, 
Vagitum cohibens , suspendit ab ubere natos ; 
Illi dira fremunt; perfractaque in ore cruento 
Ossa sonant, pugnantque feris sub dentibus artus. 
Haud secus Egeriae pubes, hinc Virbius acer, 



LES PUNIQUES, UV. IV. ft^9 

Au premier rang, trois frères soutenaient une lutte 
acharnée. Barcé la Sidonienne, épouse féconde de 
Xanthippe le Lédéen , les avait enfantés pendant la 
guerre. Les succès de l'armée grecque commandée par 
leur père, l'illustre nom d'Amyclée, les chaînes jetées 
par des Spartiates au cou dé Régulus, toutes ces vieilles % 

gloires enflaient leur orgueil. Ils brûlaient de prouver i 

leur naissance par leur bravoure, et de rappeler par 
leurs exploits le Spartiate leur père; puis après Hs vou- 
laient visiter les cimes glacées duTaygète, et, la guerre 
(*nf]n achevée , se plonger au sein de TEurotas , leur 
compatriote, et connaître les lois de Lycurgue. Mais 
Dieu ne leur permit pas d'entrer dans Sparte , Dieu 
et trois soldats ausoniens, frères aussi, et sortis des 
m urs de l'impitoyable Aricie et des hautes forêts d'Egérie , 
ayant même âge et même ardeur. La dure Clotho ne 
leur laissa non plus revoir le lac et l'autel de Diane. 
Car, entraînés contre eux dans le tourbillon de la 
bataille, Eumachus, et Critias, et Xanthippe glorieux 
du nom de son père, les joignent et les attaquent. Ainsi 
les lions se livrent dé'furieux assauts, et de leurs rugis- 
semens entrecoupés remplissent les stériles campagnes 
et les huttes lointaines : le Maure cherche un prompt 
refuge dans les antres cachés, dans les roches inacces- 
sibles; la Libyenne, sa compagne, étouffe les cris de 
ses enfans qu'elle abreuve suspendus à sa mamelle. Les 
lions frémissent de rage; les os craquent et se brisent 
dans leur gueule saignante, et les membres luttent en- 
core sous la dent qui les déchire. La jeunesse d'Egérie, 
l'intrépide Virbius, et Gapys, et Albanus, tous trois 
armés dé même, se jettent sur lennemi avec une égale 
vigueur. Critias se baisse un peu , et renverse Albanus 



a4o PUNICORUM LIB. IV. (v. 38 . .) 

Hinc Capys, adsilium, paribusque Albanus in armis. 
Subsidens paulum perfossa proruit alvo 
Albanum Critias (ast illi cuncta repente 
Inplerunt clipeum miserando viscera lapsu); 
Eumachus inde Capyn : sed tota mole tenebat 
Geu fîxum membris tegimen; tamen inprobus ensis 
Adnex^m parmœ decidit vulnere laevam , 
Inque suo pressa est non reddens tegmina nisu 
Infelix manus, atque haesit labentibus armis. 
Ultima restabat fusis jam palma duobus 
Virbius : huic trepidos simulant! ducere gressus 
Xanthippus gladio, rigida cadit Eumachus hasta. 
Et tandem œquatae geminato funere pugnae. 
Inde alterna viris transegit pectora mucro, 
Inque vicem erepta posuerunt prœlia vita. 
Felices leti, pietas quos addidit umbris! 
Optabunt similes venientia secula fratres, 
^temumque decus memori celebrabitur aevo ; 
Si modo ferre diem , serosque videre nepotes 
Carmina hostra valent, nec famam invidit ApoUo. 
At consul toto palantes aequore turmas 
Voce tenet , dum voce viget : « Quo signa refertis ? 
Quis vos y heu! vobis pavor abstulit? horrida primi 
Si soi^ visa loci ^ pugnaeque lacessere frontem ; 
Post me State ^ viri , et puisa formidine tantum 
Adspicite! Has dexlras capti genuere parentes , 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aV,i 

en lui perçant le ventre ; l'infortuné tombe sur son bou- 
clier, qu'il remplit de ses eotrailles déchirées. Eumacbus 
pousse à Capys y qui de toute sa force tenait son bouclier 
comme attaché à son corps ; mais l'irrésistible épée abat 
d'un même coup et l'arme et le bras gauche où elle est 
enlacée : et cette main malheureuse y que son propre 
effort retient au bouclier qu'elle ne veut point rendre , 
tombe sans lâcher prise encore. Ces deux frères immolés , 
restait une dernière palme ^ Yirbius : il recule de quelques 
pas, et, dans cette r«^aite simulée, il atteint Xanthippe 
du glaive, Eumacbus de la lance ferrée; ce double trépas 
rend enfin les chances égales. Alors les deux héros 
s'enfoncent tour-à-tour le fer dans la poitrine, s'arrachent 
la vie l'un à l'autre, et terminent ainsi le combat. Heu- 
reux en mourant , c'est leur mutuel amour qui les con- 
duit chez les ombres. Les siècles à venir souhaiteront 
des frères qui leur ressemblent, et leur dévoûment 
sera éternellement célèbre dans la mémoire des âges, si 
pourtant nos vers peuvent vivre un jour et voir nos 
derniers neveux , et si Apollon n'envie point notre 
gloire. 



Le consul retient de la voix , autant que sa voix a 
de force, ses escadrons dispersés dans la plaine. «Où 
portez- vous vos enseignes ? Quelle terreur, soldats , voua 
arrache à vous - mêmes ? Si le péril au premier rang 
vous effraie, si vous n'osez combattre en tête, tenez- 
vous derrière moi, n'ayez pas peur et regardez faire. 
Ces hommes, nom avons asservi leurs pères; et vous 
I. ï6 



a42 PUNICORLÎM LIB. IV. (v. 407 ) 

Quas fugitis! Quae spes viclis? Alpesne petemus? 
Ipsam turrigero portanteni vèrtice muros 
Crédite subinissas Romain iiunc tendere palmas. 
NatQrum passim raplus , caedenique parentum , 
Vestalesque focos exstingui sanguine cerno. 
Hoc arcete nefas! » Postquam inler talia crehro 
Clamore obtusae crassoque a pulvere fauces, 
Hinc Iseva frenos, hinc dextra conripit arma, 
Et latum objectât pectus, strictumque minatur 
Nunc sibiy nunc trepidis, ni restent, comminus ensem. 
Qdas acies alto genitor dum spectat Olynipo, 
Consuiis egregii movere pericula nientem. 
Gradivum vocat, et patrio sic ore profatur : 
« Magnanimî me, nate, viri , ni bella capessis, 
Haud dubic extremus terret Jabor : eripe pugnae 
Ardentem, oblitumque sui dulcedine caedum. 
Sisle ducem Libyae : nam plus petit inprobus uno 
Consuiis exitio, tota quam strage cadentum. 
Praeterea (cernis) tenerae (jui prœlia dextrae 
Jam crédit puer, atque annos Iranscendere factîs 
Molitur, longumque putat pubescere bello; 
Te duce primitias pugnae, te magna magistro ' 
Audeat, et primum hoc vincat, servasse parentem. » 
HiEC rerum sator : at Mâvors in prœlia currus 
Odrysia tellure vocat : tum fulminis atri 
Spargenlem flammas clipeum, galeamque Deorum 



LES PUNIQUES, LIV. IV. a43 

les fuyez! Quel espoir, une fois vaincus? gagnerons- 
nous les Alpes? Rome, le front couronné de tours et de 
murailles , Rome , croyez-moi , vous tend ici des mains 
suppliantes. Je vois déjà les enfans ravis, les parëns 
égorgés, le feu des Vestales éteint dans le sang! Em- 
pêchez ce désastre. » Et quand sa gorge, chargée d'une 
épaisse poussière, s'est enrouée à répéter ces instances^ 
lu d'une main il saisit les rênes, ici d'une autre les 
armes des guerriers, oppose à tous sa vaste poitrine, 
et, Tépéc nue, menace les fuyards de les immoler ou de 
s'immoler lui-même, s'ils ne demeurent. 

Du haut de l'Olympe, Jupiter contemplait les armées : 
les dangers du noble consul touchent son âme. Il appelle 
Mars , et de sa bouche paternelle lui adresse ces paroles : 
€( Ce héros magnanime, ô mon fils, tente là un effort qui 
m'alarme et qui sera le dernier sans doute, si tu ne 
prends part à l'action : arrache.au combat ce génie ar- 
dent qui s'oublie dans la douce ivresse' du carnage. Re- 
tiens le chef des Libyens : le forcené se promet plus du 
seul trépas du consul que de l'extermination de l'armée 
entière. Tu vois en outre cet enfant, dont le bras en- 
core tendre s'essaie à la guerre, dont la valeur aspire à 
devancer les années, pensant que c'est long-temps tarder 
que d'attendre la puberté pour combattre; à toi de gui- 
der ce soldat qui commence, de l'instruire à tes leçons; 
qu'il ose, par toi, de grandes choses, et que son premier 
triomphe soit le salut de son père. » 

Ainsi parla l'auteur de l'univers. Mars fait venir des 
terres Odrysiennes son char de guerre; il saisit son 
bouclier d'où jaillissent les feux lugubres de la foudre, 

i6. 



a44 PUNICORUM LIB. IV, (v. 433.) 

Haud ulUlacilem, multoque labore Cydopum 
Sudatum thoraca capit , quassatque per auras 
Titanum bello satiatam sanguinis hastam , 
Atque inplet cursu oampcfs : exercîtus una 
Iraram, Eumenidesque simul, letique cruenti 
lunumerae faciès, frenisque operata regendis 
Quadrijugos atro stimulât Bellona flagello. 
Fertur ab inmenso tempestas horrida cœlo, 
Nigrantesque globos et turbida nubila torquens 
Involvit terras : quatitur Saturnia sedes 
Ingressu tremefaota Dei , ripasque relinquit , 
Âudito curru, fontique relabitnr amnis. 
DucTOREM Ausonium tells Garain^ntica pubes 
Ciiixerat , et Tyrio régi uova dona pai*abat , 
Armorum spolium, et rorantia consulis ora. 
Stabat Fortunœ qon cedere certus , et acri 
Mole retorqiiebat crudescens raedibus hastas. 
Jainqu€ 8UO9 jamque hostili perfusà cruore 
Miembra madent : cecidere jubae, gyroque per orbem 
Artato, Garamas jaculis propioribus instat. 
Et librat saeva trajectum cuspide ferrum. 
Hic puer ut patrio deôxum corpore telum 
Conspexit, inaduere genae, subitoque trementem 
Conripuit pallor, gemitumque ad sidéra rupit. 

V 

Bis conatus erat praecurrere fata pareutis y 
Conversa in semet dextra : bis traustulit iras 



LES PUNIQUES, LTV. IV. ^45 

son casque où nul autre dieu n'aurait le front à Taise , 
sa cuirasse, travail du Cyclope qui sua iong-temps à 
Tœuvre; il agite dans l'air sa lance abreuvée du sang des 
Titans, et de sa marche emplit les campagnes. Avec lui, 
son armée : les Colères, les Euménides, la Mort sous 
mille faces sanglantes, et Belloue qui dirige tes rênes 
des coursiers que son fouet terrible aiguillonne. De U 
voûte immense du ciel fond une horrible, tempête, qui, 
chassant devant elle les noirs tourbillons et les nuées 
orageuses , enveloppe la terre. L'empire de Saturne 
tremble ébranlé sous le dieu qui s^avance; au bruit du 
char, le fleuve abandonne ses rives et recule vers sa 
source. 



Les Garamantes entouraient de leurs piques le chef 
ausonien, et préparaient déjà au maître de l'armée 
tyrienne l'offrande d'une nouvelle dépouille, l'armure et 
la tête saignante du consul, i^ui , ferme en son lieu , 
décidé à ne point céder à la Fortune, et de plus en plus 
échauffé par le carnage, repoussait leur assaut avec une 
vigueur opiniâtre. Déjà le sang de l'eunenii^ le sien, 
coule et baigne ses membres ; son panache est tombé : 
les Garamantes se pressent en cercle autour de lui , se 
rapprochent, le menacent de leurs javelines, el lui lan- 
cent un trait dont le fer l'atteint et le blesse. 

L'enfant a vu le trait s'enfoncer dans le corps de son 
père : ses joues se mouillent de larmes, il pâlit, il 
frissonne, et pousse au ciel un gémissement. Deux fois 
il voulut devancer la mort de son père, et tourner son 
bras contre lui-même, et deux fois Mars reporta sur les 
Carthaginois les efforts de sa rage. 11 vole à travers tes 



a46 PUNICORTM LIB, IV. (v. 459.) 

la Pœnos Mavors : fertur per tela, per hostes 
Intrepidus puer, et Gradivum passibus aequat. 
Continue cessere globi, latusque repente 
Adparet campo limes : metil agniina tectus 
Cœlesti clipeo » et sternit super arma jacentum 
Corporaque auctorem teli j multasque paternos 
Ante ocuLos animas ^ optata ptacula, mactat. 
Tune, rapta propere duris ex ossibus hasta, 
Innixum cervice ferens humeroque parentem ^ 
Emicat : adtonitae tanta ad spectacula turmae 
Tela tenent; ceditque loco Libys asper, et ômnis 
Late cedit Iber : pietasque insignis et aetas 
Belligeris fecit miranda sileatîa campis. 
Tum celso e curru Mavors : « Carlhaginis arces 
ExscindeSy inquit, Tyriosque ad fœdera coges. 
Nulla tamen longo tanta exorietur in aevo 
Lux tibi, care puer : niacte, o! niacte indole sacra ^ 
Vera Jovis proies; et adhuc majora supersunt : 
Sed nequeunt meliora dari. » Tum nubila Mavors 
iËtheraque, emenso terras jam sole, capessit,, 
Et fessas acies castris clausere tenebrae. 
CoNPEBAT noctem devexo Cynthia curru ^ 
Fraternis ad data rôtis, et ab aequore Eoo 
Surgebant roseae média inter caerula flammae^. 
At consul tristis, campos Pœnisque secundam 
Planitiem metuens^ Trebiam collesque petebat* 



LES PUNIQUES , LIV. IV. 247 

armes et les bataillons, l'intrépide enfant; il suit Mars 
à pas égal. Les masses ennemies se refoulent; devant lui 
s'ouvre dans la plaine un espace immense : couvert du 
bouclier céleste, il moissonne les guerriers, et sur les 
armes et les cadavres des mourans il terras^se l'auteur 
de la blessure; il égorge aux yeux de son père de nom- 
breuses victimes , et le venge à souhait. Puis il arrache 
vivement le trait des durs os qui le retiennent , enlève 
son père, le charge fièrement sur son épaule, et l'em- 
porte : à ce noble spectacle, les troupes interdites sus- 
pendent le combat : le farouche Libyen lui fait place, 
l'Ibère au loin fait place aussi, et son âge et sa piété 
qu'on admire imposent merveilleusement silence à tous 
sur ce champ de bataille. Alors, du haut de sou char, 
Mars s'écrie : « Tu renverseras les remparts de Car- 
tilage; tu forceras les Tyriens à subir la paix. Mais nul 
autre jour en ta longue vie ne se lèvera si beau pour toi , 
cher enfant; grandis, ô! grandis encore, génie sacré, 
vrai sang àç Jupiter : tu feras plus un jour, mais tu ne 
pourras mieux faire ! » Il dit , et à travers les airs remonte 
dans la nue. Le soleil avait achevé son cours sur la 
terre jL et l'onibrc enferma d?^ns leurs c^mps les armées 
fatiguées. 



Entraînant la nuit avec elle, Cynthia sur son char 
descendait au souffle des coursiers de son frère , et du 
sein des mers orientales les flammes roses jaillissaient 
parmi les flots d'azur. Triste, et redoutant la plaine si 
favorable à l'ennemi, le consul se dirige vers la Trébie 
et les collines. .11 avait gagné déjà del^3^ jours de 



248 . PUNICORUM J.1B. IV. <v. 485.) 

Jamque dtes rapti cursu navoque labore, 

£t medio abruptus (luitabat in amne solutis 

Pons vinclis, qui Dardanium transvexerat agmen, 

Eridani rapidas aderat quum Pœnus ad undas. 

Dumque vada et molles aditus, per dévia flexo 

Circuitu, petit, et stagui languentia quaerit, 

Interdum rapta virjnis saltibus alno 

Flumineam texit, qua transvebat agmina, classem. 

Ecce aderat, Trebiaeque siinul vicina tenebat 

Trinacrio adcitus per caerula longa Peloro , 

Graccborum proies, consul : gens inclita magno 

Atqite animosa viro , muliu$<|ue la imagine claris 

Prdefulgebat avus titulis bellique domique. 

Neg Pœni, positis trans amnem in gramine castris, 

Deerant : namque animos stimulabant prospéra rerum, 

Increpitansque super ductor : « Quis tertius Urbi 

Jam superest consul ? quaenam altéra restât in armis 

Sicania? en omnes Latiae, Daunique nepotum 

Convenere manus : feriant nunc fœdera mecum 

Ductores Italum , ac leges et pacta reposcant. 

At tu , donata tela inter Martia luce , 

Infelix animae, sic, sic vivasque, tuoque 

Des iterum hanc laudem nato ; nec fine sub aevi 

Obpetere in beilo detur, quum fata vocabunt. 

Pugnantem cecidisse meum est. » Haec personat ardens : 

Inde levi jaculo , Massylumque inpiger alis 

Castra sub ipsa datis irritât, et elicit bostem. 



-- -/- - — 



LES PUNIQUES, LiV. IV. î«49 

marche et de travaux actifs; rompu et détaché de la 
rive, le poot qui avait livré passage à rarniëe dar- 
danienne flottait au milieu du fleuve , quand le Car^ 
%aginois parut sur les bords de l'Éridan impétueux. 
Il cherche des gués, une grève mollement inclinée; il 
suit de longs détours pour trouver un courant plus tran* 
quille : en attendant, il abat des aunes dans les forét$ 
voisines , et construit une flotte de radeaux pour trans- 
porter ses troupes. Arrivait en même temps et se rap- 
prochait aussi de la Trébie , l'autre consul y accouru de 
Pélore et de la Trinacrie à travers la plaine azurée. Ce 
grand citoyen était du sang des Gracches; illustre et 
généreuse famille, où brillaient en foule les splendides 
images des ancêtres, toutes parées des titres éclatans 
de leur gloire guerrière et domestique. 

Les Carthaginois ont passé le fleuve, et, campés sur 
la plage, apparaissent animés par l'aiguillon du succès 
et les bravades de leur chef. « Quel troisième consul 
s'est ménagé la Ville? quelle autre Sicanie lui reste 
sous les armes? Voici réunies là toutes les forces du La- 
tium et des enfans de Daunus : qu'ils viennent, il en est 
temps, Implorer mon alliance, ces maîtres de l'Italie, et 
me redemander des lois et des traités. Mais toi, pauvre 
âme échappée da carnage, vis, ôl vis h ce prix, et 
que ton fils encore te doive cette gloire; vis, et qu'un, 
jour, à la fin de ta carrière, tu ne puisses mourir sous 
les armes, quand le destin t'appellera. C'est à moi de 
tomber en combattant I » Après avoir ainsi fait éclat de 
sa violence , sans plus attendre il dirige tout ensemble 
un trait léger et le corps de ses Massyles sous le camp 
même de l'ennemi , qu'il provoque et attire au combat* 



a5o PUNICORUM LIB. IV. (v. 5iîi) 

Nec Latins vallo miles debere salutem 
Fas putat, aut clausas pulsari cuspide portas. 
Erumpunt, cunctisque prior volât aggère apérto 
Oegeuer haud Gracchis consul : quatit aura cornantes 
Cassidis Auruucas cristas, humeroque refulget . 
Sanguinei patrium saguU decus : agmina magnp 
Respectans clamore vocat , quaque obvia densos 
Artat turba globos , rumpens itei^ aequore fertur. 
Ut torrens ceisi praeceps e vertlce Pindi 
Cum sonitu ruit in campos, magnoque fragore 
Avuisum montis vol vit latus; obvia passim 
Armenta^ inmanesque fene, silvaeque trahuntur; 
Spumea saxosis clamât convallibus unda. 
Non, raibi Maeoniae redeat si gloria linguae, 
Centeuasque pater det Phœbus fundere voces , 
Tôt caedes proferre queam, quot dextera magni 
Coiisulis, aut contra Tyriae furor edidit irae. 

Murranuni ductor Libyœ, ductorque Phalautum 
Ausonius, gnaros belli, veteresque laborum. 
Aller in alterius fuderuut comminus ore. 
Monte procelloso Murranum niiserat Anxur, 
Tritortis niveo te sacra, Inhalante, profundo. 
Ut primum insigni fulsit velamine consul, 
Quanquain orbus partem visus , unoque Cupencus 
Lumine subficiens bellis, citât inprobus hastain ^ 
Et summae figit tremcbundam margine parmae. 



I,ES PUNIQUES, LÏV. IV. aSi 

Le soldat latin aurait honte de devoir son salut î\ $on< 
retranchement , et de laisser fermées ses portes que 
heurte la lance. Ils sortent, et avant tous vole hors des 
barrières le consul, qui ne dément point les Gracches : le 
vent agite l'aigrette chevelue de son casque auronce , 
et sur son épaule brille la saie rpuge comme le sang, 
parure de ses pères. Il se retourne, appelle à grands cris 
ses cohortes, s'ouvre un passage ii travers les rangs 
serrés, les masses épaisses des bataillons ennemis, et se 
jette dans la lice. Ainsi, des hauts sommets du Pinde, un 
torrent jaillit et se précipite avec fracas dansja plaine, 
entraînant à grand bruit les flancs arrachés de la mon- 
tagne : tout ce qu'il rencontre, et les troupeaux, et les 
bêtes sauvages, et les forêts roulent pêle-mêle : l'onde 
écume et mugit sur les roches de la vallée. 

Non , si le génie du chantre de Méonie m'était 
rendu, si Phébus créateur accordait cent voix à mes 
lèvres , je ne pourrais redire tous les coups portés 
par le bras puissant du consul , ou par la rage forcenée 
du Tyrien. Le chef des Libyens renverse Murranus, le 
chef ausonien tué Phalantus , deux soldats éprouvés et 
vieillis à l'œuvre : l'un et l'autre les frappe sous les yeux 
et à la face de son ennemi. Murranus était venu des 
roches d'Anxur battues des tempêtes , et toi , Phalantus , 
des lacs argentés du sacré Tritonis. A peine le consul 
s'est fait reconnaître à Téclat de sa parure, Cupençus^ 
déjà privé d'un œil , mais à qui l'autre suffit pour com- 
battre, lui lance avec audace un trait qui se fixe en 
tremblant au bord supérieur du bouclier. Le consul, 
bouillant de rage : << Perds, audacieux, ce débris qui a 
survécu sur ta face sauvage, et qui reluit encore sous 



25 1 PUNICORUM LIB. IV. (v. 538.) 

Gui coosuly namque ira coqiiit : « Pone, iiiprôbe, quidquid 

Restât in ore fero^ et truncata fronte relucet. » 

Sic ait, intorquens directo turbine robur, 

Et dirum tota trainittit cuspide lumen. 

Nec levior dextra générât us Hamilcare saevit : 

Huic cadit infelix niveis Yarenus in armis; 

Mevanas Varenus, arat cui divitis uber 

Campi Fulginia, et patulis Clitumnus in arvis 

Candentes gelido perfundit flumine tauros. 

Sed tristes Superi, atque ingrata maxima cura 

Victima Tarpeio frustra nutrita Tonanti. 

Instat Hiber levis ^ et levior discurrere Maurus« 

Hinc pila , hinc Libycae certant subte^^ere cornus 

Densa nube polum; quantumque interjacet aequi 

Ad ripas cauipi, tantum vibrantia coudunt 

Tela , nec artatis loçus est in morte cadendi. 

ÀLLiuSy Argyripa Daunique profectus ab arvis 

Venator, rudibus jaculis et lapyge canipum 

Persultabat equo , inediosque invectus in hostes 

Appula non vana torquebat spicula dextra. 

Huic horret thorax Samuitis peliibus ursse^ 

Et galea annosi vallatur dentibus apri. 

Verum ubi turbantein , solo ceu lustra pererret 

In nemore , aut agitet Gargano terga ferarum , 

Hinc Mago, hinc saevus pariter videre Maharbal, 

Ut , subigente famé , diversis rupibus ursi 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aÔ3 

tou froiit mutilé. » Il dît, et sur lui dirige avec adresse 
une énorme javeline, dont le fer tout entier perce Tœil 
ennemi. Le fils d'Âmilcar n'a le bras ni moins terrible 
ni moins meurtrier. Il terrasse l'infortuné Varénus à 
l'armure de neige; Varénus de Mévauia, pour qui Ful- 
ginia labourait ses riches et grasses campagnes, pour qui 
le Clitumne baignait de ses ondes glacées les taureaux 
blancs épars dans ses vastes prairies. Mais les dieux lui 
sont ingrats et contraires , et c'est en vain qu'il a pris 
soin de nourrir pour Jupiter Tarpéien de si nobles 
victimes. L'Ibère léger, le Maure qui bondit plus léger 
encore, chargent à la fois. D'un côté le pilum , de l'autre 
le cornouiller de Libye volent, se croisent dans l'air, et 
leur épais nuage dérobe le ciel : aussi loin que s'étend 
la plaine jusqu'au rivage, les traits vibrent et couvrent 
l'espace ; et dans les rangs pressés la place manque aux 
mourans qui tombent. 



Allius, chasseur venu d'Argyripa et des champs de 
Dauous . armé de javelots grossiers , parcourait la plaine 
sur son coursier d'Iapygie : emporté dans la mêlée, il 
lançait. d'une main sûre ses dards apulieus. Il a pour 
cuirasse la peau hérissée d'une ourse samnite, et son 
casque est crénelé des dents d'un vieux sanglier. Il jetait 
partout le désordre y comme s'il eût battu les repaires 
des forêts désertes, bu poursuivi les hôtes sauvages du 
Garganus, quand Magon et le cruel Maharbal, tous 
deux au même instant, l'aperçurent. Souvent, poussés 
par la faim, deux ours s'élancent de roches opposées sur 
un taureau tremblant eqtre ces deux rivaux qui l'assail- 



254 PUNICORUM LIB. IV. (v. 56/..) 

Invadunt trepidum gemina inter prœlia tauruin, 
Nec partein praedae patitur furor : haud secus acer 
Hinc atque hinc jaculo devolvitur Âllius acto. 
It slrideiis per uirumque latus Maurusia taxus : 
Obvia tum medio sonuerunt splcula corde , 
Incerlumqué fuit, letum cui cedereC hastae. 
£t jain, dispcrsis Romana per agmina signis, 
Palantes agit^ ad ripas, miserabile! Pœuus 
Inpellens trepidos , fluvioquc inmergere certat. 
Tum Trebia infausto nova prœlia gurgite fessis 
Inchoat , ac precibus Junonis suscitât undas. 
Haurit subsidens fugientum corpora tellus , 
Infidaque soli frustrata voragine sorbet ; 
Nec nili, lèâtoque datur couvellere limo 
Mersa pedum penitus vesligia ; labe tenaci 
Haerent devincti gressus, resolutaque ripa 
luplicat^ aut cœca prosteruit fraude paludis. 
Jamque alius super arque aliUs per lubrica surgens, 
Dum sibi quisque viam per iuex.tricabile litus 
Prœripit, et putri luctatur cespite, lapsi 
Obcumbuuty seseque sua pressere ruina. 
Ilie, celer uandi, jam jàmque adprendere tuta 
Dum parât, et celso connisus corpore prensat 
Gramina summa manu, liquidisque emergit ab undis, 
Contorta ripœ pendens adfîgitur liasta. 
Uic hostem, orbatùs lelo^ complectitur ulnis, 



LES PUNIQUES, LIV. IV. 255 

lent , et dont Tavide fureur n'admet point le partage du 
butin : ainsi le valeureux Allius roule à terre sous le 
double trait qui le frappe; Tif mauresque le perce eu 
sifflant par deux côtés à la fois; les dards se rencontrent 
et sonnent au milieu de sa poitrine, et on ignore lequel 
des javelots a porté la mort. 



Déjà les Romains s'ébranlent ^ leurs aigles se dispersent : 
le Carthaginois, ô pitié! les chasse en désordre devant 
lui, et les refoule tremblans ver$ la rive : il cherche à 
les noyer dans le fleuve. Alors le soldat fatigué commence 
une lutte nouvelle contre les flots contraires de la Trébie 
qui cède aux prières de Junon et soulève ses ondes. La 
terre s'affaisse sous le poids des fuyards, qui foulent un sol 
mal assuré et s'enfoncent engloutis dans les ravines. Vai^ 
nenient ils s'efforcent de se déprendre de la vase épaisse 
oïl leurs pieds sont plongés; ils demeurent enchaînés 
dans la fange tenace : la rive s'éboule, les enveloppe ou 
les submerge dans les gouffres cachés de ce& perfides 
marécages. L'un sur l'autre ils se dressent pour gravir 
ces pentes glissantes, chacun tente de faire un pas eu 
avant sur ces rivages où le pied s'embarrasse , ils luttent 
contre les herbes limoneuses, tombent, roulent et s'en* 
traînent dans leur chute. L'un, habile nageur, et près 
déjà de pi^ndro terre, se hausse avec effort pour saisir 
de la main la pointe des herbages; il sort du fleuve, 
mais un javelot qui l'atteint l'attache et le pend à la rive. 
Un autre, qui n'a plus d'armes, enlace dans ses bras 
l'ennemi qui se débat sous l'onde, et l'associe de force à 
son trépas. La mort s'offre à la fois sous mille aspects 
divers. Ligus est tué dans la plaine; mais, lance au sein 



a56 PUNICORUM LIB. IV. (v. 590.) 

Luctanteinque vado permixta morte coercet. 
Mille siniul leti faciès. Lîgas occidit arvis; 
Sed projecta viri lymphis fluvialibus ora 
Saoguineum hauserunt longis singultibus amnem. 
Enabat tandem medio vix gurgite pulcher 
Irpinus, sociumque manus clamore vocabat; 
Quum rapidis inlatus acpiis, et vulnere multo 
Inpulit asper equus, fessumque $ub aefquora mersit. 
Adcumulat clades subito conspecta per imdas 
Vis elephantorum turrito concita dorso. 
Namque vadis praeceps rapitur, ceu proruta cautes 
Avulsi moDtis, Trebiamque insueta timentem 
Pr» se pectore agit , spumantique incubât alveo. 
Explorant adversa viros, perque aspera duro 
l^ititur ad laudem virtus interrita clivo. 
Namque iohonoratam Fibrenus perdere mortem 
Et iam» nudam inpatiens , a Spectabimilt*, inquit , 
Nec , Fortuna , meum condes sub gurgite letum. 
Experiar, sitne in terris, domitare quod ensis 
Non queat Ausonius, Tyrrhenave perlneet hasta. » 
Tum jacit adsurgens, dextroque in lumine sislit 
Spicula saeva ferœ, telumque in vulnére linquit. 
Stridore horrisono penetrantem cuspidis ictum 
Bellua prosequitur, laceramque cruore profuso 
Adtollit frontem , ae lapso dat lerga magistrô. 
Tum vero invadunt jacults crebraque sagitta, 



LES PUNIQUES, LIV. IV. ^57 

du fleuve 9 sa lèvre avec de longs sanglots boit la vague 
saignante. Du milieu des eaux, à la nage , . s'ëohappait 
enfin le bel Irpinus , appelant de ses cris la troupe de ses 
compagnons, quand un cheval fougueux, percé de 
plusieurs coups, et «mporté par le courant rapide, 
IieUrte et engloutit sous les flots le héros épuisé. 



Le désastre s^accroît encore à la vue des éléphans qui 
apparaissent chargés dé tours, et se pressent au sein du 
fleuve. Entraînés dans l'onde, ils se précipitent, comme le 
rocher qui s'écroule détaché des montagnes; et , refoulant 
devant eux la Trébie effrayée de leurs masses inconnues, 
ils pèsent du poitrail sur la vague écumante. L'adversité 
révèle les héros : c'est par une voie rude et escarpée que 
l'intrépide vertu marche à la gloire. Fibrénus ne put se 
résoudre à perdre son trépas, nu d'éclat et de renom : 
« On nous connaîtra , dit-il ; et tu n'enseveliras pas , 
Fortune, ma mort dans ces abîmes. J'éprouverai s'il est 
rien sur terre que ne puisse dompter l'épée d'Ausonie, 
ou percer la lance tyrrhénienne. y> A ces mots , il se 
dresse au devant d'un éléphant, lui plonge dans l'œil 
droit un dard meurtrier, et laisse le trait dans la bles- 
sure. Le monstre poursuit de ses horribles cris le fer 
qui le pénètre, agite en l'air son front déchiré d'où le 
sang ruisselle, renverse son guide et s'échappe. Tous 
l'attaquent alors et l'accablent de flèches. et de javelots, 
ils osent espérer sa mort; et sur ses larges épaules et sur 
ses flancs immenses pleuvent les dards et les blessures. 
Son dos, sa croupe noirâtre se hérissent de lances, 



a68 PUNICORUM LIB. IV. (v. 616.) 

Aiisi jam sperare necem, inniensosque per armos 

Et laterum extentus veuit atra cuspide vulnus. 

Stat multa in tergo et nigranti laucea dorso , 

Ac silvam ingentem concusso corpore vibrât y 

Donec, coosumtis loogo certamioe tetis, 

Concidit , et clausit magna vada pressa ruina. 

EcGE per adversum, quanquam tardata morantur 

Vulnere membra virum, subit inplacabilis ainnem 

Scipio, et innumeris infestât cœdibus hostem. 

Corporibus , clipeisque simul , gaieisque cadentum 

Contegitur Trebia, et vix cernere linquitur undas. 

Mazaeus jaculo, Gestar prosternitur ense; 

Tum Pelopeus avis Cyrenes incola Telgon. 

Huic torquet rapido conreptum e gurgite pilum, 

Et , quantum longo ferri tenuata rigorc. 

Procedit cuspis, per hiantia transigit ora. 

Pulsati ligno sonuere in vulnere dentés. 

Nec leto quaesita quies : turgentia membr^t 

Eridano Trebia, Eridanus dédit aequoris undis. 

Tu quoque, Thapse, cadis, tumulo post fa ta negato. 

Quid domus Hesperidum, aut luci juvere Dearum 

Fui vos aurifère servantes arbore ramos? 

Intomuit ïrebia , et stagnis se suslutit imis ; 

Jamque ferox totum propellit gurgite fontem, 

Atque omnes torquet vires : furit unda sonoris 

Vorticibus, sequiturque no vus cum murmure torrens. 



LES PUNIQUES, LIV. IV. aSg 

forêt mouvante qui tremble à toutes les secousses de sou 
énorme corps. £n6n , sous leurs traits que cette longue 
lutte a épuisés I il tombe, et de sa vaste ruine barre le 
courant embarrassé. 



Bientôt , de la rive opposée , Scipion s'élance dans le 
fleuve, et, quoique ralenti par sa blessure ^ l'implacable 
héros répand le carnage et dévaste les rangs ennemis. La 
Trébie se couvre de cadavres , de boucliers et de casques, 
qui laissent voir à peine la surface des eaux. Mazéus 
meurt sous la javeline, Gestar sons le glaive. Après eux 
l'habitant de Cyréné, Telgon, Pélopéen par ses ancêtres : 
du milieu des flots rapides, Scipion saisit un pilum, le 
lance à Telgon, et, de toute la longueur du fer aigu et 
délié , l'enfonce en sa bouche béante. Le bois frappe les 
dents qui sonnent sous le Coup. Pour ces guerriers la mort 
même n'a point de repos : leurs membres entassés roulent 
de la Trébie à rjÉridan , et de l'Éridan à la mer< Toi aussi 
tu succombes, ô Thapsus, et tes restes n'auront point 
de tombeau ! Que t'ont servi et le séjour desHespérides, 
et les bois sacrés de ces déesses, ces bois qui recèlent 
l'arbre au blond feuillage et aut fruits d'or? 



La Trébie s'enfle , et surgit du fond de ses abîmes. 
Chassées de son lit qui regorge, toutes ses eaux débor- 
dent; tous ses torrens jaillissent : l'pnde en furie mugit 
et tourbillonne, et la vague en grondant amène une autre 
vague. A cette vue, enflammé d'une plus vive colère, 

17. 



>0. 



i6o PUNICORUM LIE. IV. (v. «4».) 

Sensit, et adcensa ductor violentius ira, 

ff Magnas /o Trebia, et méritas mihi, perfide, pœnas 

Exsolves, inqiiit : lacërum per Gallica ri vis 

Dispergam rura, atque amnis tibi nomitia demain, 

Quoque aperis te fonte, premam ; nec tangere ripas, 

Inlabique Pado dabitur : quaenam ista repente 

Sidoniutn, infelix, rabies te reddidit amnem?» 

Tama. jactantem consiirgens agger aquarum 

Inpulit, atque humeros cûrvato gurgitè pressit. 

Arduus adversa mole incurrentibus undis 

Stat ductor, ciipeoque ruentem sustinet amnem. 

Nec non a tergo fluctus stridente procella 

Spumeus îhrorat summas adspergine cristas. 

Ire vadis, stabilemque vetat deBgere grèssum 

Subducta tellure Deus ; percussaque longe 

Raucum saxa sonant ; undœque ad bella parentis 

Excitae pugnant, et ripas perdidit amnis. ' 

Tum madidos crines, et glaiica fronde revinctum 

Adtollit cum voce caput : « Pœnasne superbas 

Insuper, et nomen Trebiae delere minaris, 

O regnis inimice meis? quot corpora porto 

Dextra fusa tua ! clipeis galeisque virorum , 

Quos mactas, artatus iter cursumque reliqui. 

Gaede, vides,' stagna alta rubent, retroque feruntur. 

Âdde modum dextrae, aut campis iucumbe propinquis. » 

UjECf Venere adjuucta, tumulo speclabat ab alto 



LES PUNIQUES, UV. IV. a6i 

le consul s'ëcrie :. « Terrible est le châtiment que tu- mû- 
rîtes , ô Trébie , et lu le recevras de moi, perfide : je di- 
viserai ton cours, je le disperserai en ruisseaux dans le,s 
plaines gauloises, je t'arracherai ton nom de fleuve; la 
source qui t'alimente, je la fermerai; je t'empêcherai 
de mordre tes rives et de te précipiter dans le Po. Quelle 
rage soudaine a fait de toi, misérable, un fleuve cartha- 
ginois?» 

Comme il achevait ces menaces , une montagne.hu mide 
s'approche, le heurte, se brise sur ses épaules et l'en- 
veloppe de ses lames. Debout, le consul oppose sa masse 
inébranlable aux assauts des ondes , et repousse du bou- 
clier le choc pesant des vagues. Derrière lui, la tempête 
siflle, le flot écume et baigne de rosée le sommet de son 
aigrette. Le dieu né lui permet plus de marcher dans 
les flots, d'y poser un pied ferme; le sol lui manque.: les 
roches battues au loin tonnent et retentissent; les ondes 
soulevées partagent la lutte de leur père : le fleuve a 
perdu ses rives. Alors, les cheveux humides et cou- 
ronnés d'un vert feuillage , il élève la tête et la voix : 
<c Oseras-tu menacer encore de me punir, et d'effacer 
le nom de la Trébie , ennemi de mou empire ? Que 
dé cadavres j'emporte immolés de ta main ! Les bou- 
cliers, les casques des héros que tu égorges, en res- 
serrant mon lit, ont égaré mon cours. Tu le vois, gon- 
flées et rougies par le carnage, mes eaux reculent vers 
leur source. Suspends tes coups , ou te jette sur les 
plaines voisines. »' 



Près de Vénus sa compagne, Vulcain, du haut d'une 



1 



afe FUNI€ORUM LIB. IV. (▼• 668.) 

Mulciberi c^scurae tectus caligine nubis. 
Ingrtvat ad qolum sublatis Scipio palmis ': 
« Dî patrii, quorum auspieiis stat Dardaua Roma, 
Talin' me leta tanla inter prœlia auper 
Serva^tis? fortine aaimam banc e&seindere dextra 
Indignuiu est vîsum? redde o me^ Date, perlclis; 
Redde hosti! liceat bellafiti arcessere mortem, 
Quam patriae fratrique probem. » Tùm percita dictis 
Ingemuit Venus, et rapidas dire&it in amnem 
Coujugis iavicti vires : agit uodicpie flammas 
Dispersus ripis ignis , multosque per annos 
Nutritas fkivio populatur fervidus umbras. 
Uriiur omne nemus , luco^que effusus in altos 
Inmissis crépitât vietor Vulcanus habenis. 
Jamque ambusta comas abies, jam pinus et alni; - 
Jam, solo restaos trunco, dimisit ia altum 
Populus adsuetas rarnitf habitare volucres. 
Flamma vorax imo penitus de gurgite tractos 
Âbsorbet latices , sœvoque urgente vapore 

Siccus inarescit ripis cruor : horrida laie 

» 
Scinditur in rimas , et hiatu rupta dehiscît 

Tellus y ao stagnis altœ sedere favillae. 

MiRATUR pater aetcrnos cessare repente 

Eridanus cursus; Nympharumque intima mœstus 

Inplevit chorus adtonitis ululatibus antra. 

Ter eaput ambustum conantcm adtollere , jacta 



LES PUNIQUES, LIV. IV. 263 

cminence, coutemplait cette scène, entouré d'un nuage 
obscur. Scîpion , levant les mains au ciel , se plaint 
amèrement. «Dieux de ma patrie , vous dont les auspices 
conservent Rome la Dardauienne, est-ce pour me laisser 
mourir ainsi que vous m'avez sauvé naguère en de si 
grandes batailles? Suis- je indigue à vos yeux de perdre 
la vie de la main d'un brave? Rends-moi les périls , ô 
mon fils ! rends-moi l'ennemi ! que je puisse trouver la 
mort en combattant, et ne point démériter de la patrie 
et de mon frère! » Touchée de ces paroles, Vénus gémit, 
et dirige aussitôt contre le fleuve l'invincible puissance 
de son époux. Partout la flamme s'étend et se pro- 
page sur la rive; le feu dévaste ces ombrages que si 
long-temps la fraîcheur des ondes a nourris. Tous les 
arbres s'embrasent; Vulcain pétille, envahit les hautes 
forets, et vainqueur déchaîne sa furie. Déjà tombe brû- 
lée )a chevelure du sapin, de l'aune et du pin; déjà le 
tronc seul reste au peuplier que délaisse l'oiseau, hôte 
accoutumé de son feuillage. La flamme dévorante attire 
de leurs sources profondes les eaux qu'elle absorbe, et 
sous l'ardente chaleur qui l'épuisé le sang tarit sur la 
rive séchée. I^ terre aride se fend en larges éclats , se 
déchire et s'entr'ouvre béante, et sur le lit des maré- 
cages s'élèvent des monceaux de cendres. 



Le père des fleuves, l'Ëridan, s'étonne que son cours 
éternel s'interrompe soudain; effrayées, les nymphes eu 
chœur remplissent de leurs lamentables complaintes les 
cavernes profondes. Trois fois le dieu essaya de relever 
sa tête embrasée, que Vulcain frappait de sa torche et 



264 PUNICORUM LIB. IV. (v. 694) 

Lampade, Vuicanus mersit fiimantibus undis : 
Ter courepta Dei crines nudavit aruudo. 
Tum demum admissae voces et vota precantis , 
Orantique datum ripas servare priores; 
Ac tandem a Trebîa revocavit Scipio fessas 
Munitum in coUem^ Graccho comitante, cohortes. 
At Pœnus, multo fluvium veneratus honore , 
Gramineas undis statuit socialibus aras , 
Nescius heu! quanto Superi majora moverent. 
Et quos Ausonise tuctus, Trasymene^ parares. 
BoiOAOM nuper populos turbaverat arniis 
Flaminius, facilisque viro tum gloria belli. 
Corde levem atque astus inopem contundere gentem. 
Sed labor haud idem Tyrio certasse tyranno. 
Hune, laevis Urbi genitum ad falalia damna 
Ominibus, parât imperio Saturnla fesso 
Ductorem, dignumque virum veniente ruina. 
Inde ubi prima dies juris, clavumque regend?^ 
Invasit palria&, ac sub nutu castra fuere; 
Ut pelagi rudîSy et pontum tractare per artem 
Nescius, adcepit miserse si jura carinae, 
Ventorum tenet ipse vicem, cunctisque procellis 
. Dat jaetare ratem : fertur vaga gurgite puppis 
Ipsius in scopulos dextra inpeliente magistri. 
Ergo agitur raptis prœceps exercitus armis 
Lydoriim in populos, sedemque ab origine prisci 



LES PUNIQUES, LIV. IV. 265 

replongeait dans l'onde fumante; trois fois le feu s'atta- 
cha aux roseaux et dépouilla le dieu de sa chevelure. 
Enfin on écouta ses vœux et sa voix suppliante; à force 
de prières, il obtint de garder ses anciens rivages. Bien- 
tôt Scipion, accompagné de Gracchus, quitta la Trébie, 
et, ralliant ses cohortes fatiguées, se retrancha sur une 
colline. Le Carthaginois, honorant le fleuve de nom- 
breux hommages , élève à ses ondes amies des autels de 
gazon : il ignore , hélas ! quels plus terribles coups les 
dieux ont préparés, et que de larmes, Trasymène, tu 
réserves à l'Ausonie! 



Flaminius avait combattu naguère et vaincu les Boïens , 
et c'avait été gloire facile à ce consul que de réduire un 
peuple si faible de cœur et si pauvre.de ruse; mais 
à lutter contre le général tyrien, l'œuvre n'était plus la 
même. Et c'est ce Flaminius, né sous de fâcheux aus* 
pices, pour la honte et le malheur de Rome, que la fille 
de Saturne donnte pour chef à l'empire épuisé , héros 
digne d'elle et des désastres qui s'apprêtent. Aussi dès 
les premiers jours de sa puissance, à peine il a pris en 
main le gouvernail de la patrie et le commandement 
des armées, qu'il semble un matelot novice, ignorant 
l'art de maîtriser les vagues. Chargé de conduire son 
malheureux navire , il fait l'office des vents contraires , 
il le livre en jouet à toutes les tempêtes; la nef errante 
s^égare sur l'abîme, et c'est la main même de son pi- 
lote qui la jette contre les écueils. L'armée se met en 
marche et s'avancç à la hâte vers le pays peuplé par 
les Lydiens, vers l'antique cité consacrée à Corythus, 
son fondateur, vers le séjour de ces colons de race 



^66 PUNICORUM LIB. IV. (v. ^^o.) 

S<ict*atain Corythi, junctosque a sanguine avorum 

Maeonios Italis permixta stirpe colonos. 

Nec regern Afrorum noscenda ad cœpta moratur 

Laude super tanta monitor Deus : omnia somni 

Condiderant, aegrisque dabant oblivia curis, 

Quum Juno , in stagni numen conversa propinqui , 

Et madidae front^s crines circumdata fronde 

Populea, stimulât subitis praecordia curis, 

Ac rompit ducis haud spernenda voce quietem. 

(c O felix famœ , et Latio lacrimabile nomen , 

Hannibal, Ausonia si te Fortuna creasset, 

Ad magnos venture Deos! cur fata tenemus? 

Pelle moras : brevis est magni Fortuna favoris. 

Quantum vovisti, quum Dardana bella parenti 

JurareSy fluét Ausonio tibi corpore tantum 

Sanguinisy et patrias satiabis caedibus umbras. 

Nobis persolves meritos securus honores. 

Mamque ego sum, celsis quem cinctum montibus ambit 

Tmolo missa manus, stagnis Trasymenus opacis. » 

His agitur monitis, et lœtam numiné pubem 

Protinus aerii praeceps rapit aggere montis. 

Horrebat glacie saxa inter lubrica , sumrno 

Piniferum cœlo miscens caput, Apenninus. . 

Condiderat nix alta trabes^ et vertice celso 

Canus apex structa surgebat ad astra pruina. 

Ire jubet : prior exstingui lahique videtur 



LES PUNIQUES, LIV. IV. 267 

méonienue dont les ancêtres jadis ont mêlé leur sang 
au sang italien.. 

La divinité ne tarde pas à in^struire de ces mouve- 
mens le tyran d'Afrique , et, après tant de succès, le se<^ 
conde encore. Plongés dans le sommeil , tous les êtres 
dormaient oublieux de leurs peines cruelles , quand 
Junon, sous la forme du dieu du lac voisin, le front 
humide , les cheveux couronnés des' feuilles du peu- 
plier, se présente, agite de nouveaux soucis le cœur du 
héros, et trouble son repos de ces avis qu'il ne peut 
mépriser. « O toi , si heureux en gloire , Annibal , nom 
maudit du Latium en pleurs, toi qui un jour, si la For- 
tune t'eût fait Ausonien, siégerais parmi les grands 
dieux, pourquoi suspendre la marche des destins? Plus 
de retard : les hautes faveurs de la Fortune sont de brève 
durée. Autant tu as voué de sang à ton père, quand 
tu lui juras guerre à Rome, autant il en va couler sous 
tes coups des veines de l'Ausonie : tu soûleras de car- 
nage les mânes paternels. Tu t'acquitteras dignement 
envers moi aux heures plus calmes de la victoire. Car 
je suis ce lac aux épais ombrages, environné d'une ^en- 
ceinte de hautes montagnes^ qu'habitent les peuples 
venus du Tmolus; je suis le Trasymène. » 

Docile à ces avis, il entraîne aussitôt son armée que 
cette voix divine encourage, et, descend à pas préci- 
pités du sommet des montagnes aériennes. Hérissé de 
glaçons, de rochers glissans, Je front chargé de pins, 
au loin dans les cieux se dresse l'Apennin; une neige 
épaisse couvre ses forêts, et, du sein des frimas amon- 
celés sur sa crête sublime, son pic blanchi surgit vers 
les astres. Annibal ordonne d'avancer : à ses yeux , leur. 



a68 PUNICORUM LIB. IV. (v. 74^) 

Gloria 9 post Alpes si stetur montibuâ ullis. 

Scandunt praerupti iiimbosa cacumina saxi^. 

Nec superasse jugum finit mulcetve laborem. 

Plana natant ^ putrique gelu Hquentibus undis 

Invia limosa restagnant arva paludé. 

Jamque ducis nudiîs tanta iuter inhospita vertex 

Sœvitia quatitur cœli^ manante per ora 

Perque gênas oculo : facilis sprevisse medentes, 

Optatum bene crédit emi quocumque periclo 

Bellandi tempus : non frontis parcit honpri, 

Dura ne perdat iter : non cetera merabra raoralur 

In pretium belli dare, si victorià poscat; 

Satque putat lucis , Capitolia cernere victor 

Qua queat, atque Italum feriat qua comminus hostem. 

Talia perpessi tandem inter sœva locorum 

Optatos venere lacus; ubi deinde per arma 

Sumeret amissi numerosa piacula visus. 

EccE autem Patres aderant Carthagine missi : 

Causa viae non parva viris; nec laeta ferebant. 

Mos fuit in populis, quos condidit advena Dido , 

Poscere caede Deos veniam, ac flagrantibus aris 

(Infandum dictu!) parvos iuponere natos. 

Urna reducebat miserandos annua casus, 

Sacra Thoanteae ritusque imilata Dianae. 

Oui fato sortique Deum de more petebat 

Hannibaiis prolcm discors antiquitus Hannon. 



LES PUNIQUES , UV. IV. 269 

première gloire s'éteint et s'efface , si , après les Alpes, 
une seule montagne les arrête. Ils gravissent les flancs 
orageux du roc escarpe; ils en franchissent les cimes, 
sans trouver encore un terme , un soulagement à leurs 
fatigues. La plaine «st submergée; les glaces fondues et 
les eaux débordées inondent le sol fangeux et imprati- 
cable des marécages. Le général , tête nue sous un ciel 
insalubre, souffre cruellement de l'inclémence des airs; 
son œil malade mouille ses joues et son visage : mais 
il s'inquiète peu des remèdes; il ne pense pas acheter 
trop cher au prix de tous les périls l'heure désirée de la 
bataille : il a peu de souci des grâces de son front , 
pourvu que sa marche n'y perde rien ; il n'hésiterait pas 
à donner ses autres membres , s'il le fallait, pour payer 
les frais de la victoire : c'est assez voir, pour lui, que de 
pouvoir contempler, vainqueur, le Gapitole, et distin- 
guer, en le frappant de près , le Romain ennemi. Après 
avoir enduré tous ces maux , et surmonté tous les obsta- 
cles de cette route, il arriva près du lac désiré, où 
bientôt ses armes devaient prendre large et nombreuse 
expiation de son œil perdu. 

Mais voici que des^énateurs , envoyés de Carthage, 
se présentent; ce n'est point un frivole sujet qui les 
amène : ils n'apportent point un joyeux message. C'était 
un usage établi dans l'empire fondé par Didon sur la 
rive étrangère , d'implorer par du sang la pitié dès 
dieux, et de livrer (horrible sacrifice!) de jeunes enfans 
aux feux des autels. L'urne, tous les ans, désignait les 
victimes de ces rites déplorables, imités du culte de 
Diane aux états de Thoas. Le destin et le sort avaient 
prononcé contre le fils d'Annibal, et l'antique ennemi 
de cette famille, Hannoii réclamait Faccomplisseinent 



a7o PUNICORUM LÎB. IV. (v, 77a) 

Sed propior metus armati Juctoris ab ira , 
£t magna anie oculos stabat genitoris imago. 

A9PERA.T hase fœdata gênas, lacerataque crines, 

Atque urbem complet mœsti clamoris Imilce. 

Edonis ut Pangxa super trieteride mota 

It juga, et inclusum suspirat pectore Bacchum. 

Ergo inter Tyrias, &oibus ceu subdîta, roatres 

Clamât, « lo conjux! quocumque in cardine mundi 

bella moves , hue signa refer : violentior hic est , 

iHic hostis propior! Tu nunc fortasse sub ipsîs 

Urbis Dardaniae mûris vibrantia tela 

Ëxcîpis intrepidus clipeo, saevamque coruscans 

Lampada, Tarpeiis infers incendia tectis. 

Interea tibi prima domus atque unica proies 

Heu! gremio in patriae Stygias raptatur ad aras. 

I nunc, Ausonios ferro popuiare pénates, 

Et vetitas molire vias! I, pacla résigna 

Per cunctos jurata Deos! Sic praemia reddit 

Carthago, et taies jam nunc tibi solvit honores! 

Quas porro haec pietas, delubra adspergere tabo? 

Heu primae.scelerum causae mortalibus aegrîs, 

Naturam nescire Deum ! justa ite precati 

Turepîo, caedumque feros avertite ritus. 

Mite et cognatum est homini Deus : hactenus, oro, 

Sit satîs aute aras caesos vidisse juvencos ; 

Aut si , velle nefas Superos , fixumque sedetqne , 



LES PUNIQUES, LIV. IV. 271 

de la loi. Mais on craignait d'attirer à soi le courroux 
du chef des armées^ et la grande image du père était là, 
devant tous les yeux. 

Imilcé ajoute à ces alarmes : les joues meurtries ^ les 
cheveux déchirés, elle va remplissant la ville de ses cris 
lamentables. Ainsi TÉdonide, dans le délire de l'orgie 
triétérique , parcourt les sommets du Pangée , et ne 
respire que Bacchus dont sa poitrine est pleine. Au 
milieu des mères de Carthage y Imilcé , comme sur des 
flammes ardentes , s'écrie : ce lo , cher époux ! en quel- 
que lieu du monde que tu fasses la guerre, ramène ici 
tes enseignes : c'est ici qu'est l'ennemi , l'ennemi plus 
proche et plus acharné! Peut-être, à cette heure, du 
haut des murs de la cité dardanienne , les traits vi- 
brent sur ton bouclier; tu les reçois sans trembler, 
et, secouant une torche terrible, tu attaches l'incen- 
die aux demeures tarpéiennes; pendant qu'ici le pre- 
mier, l'unique appui de ta maison, on le traîne, hélas! 
aux autels infernaux dans le sein même de la patrie! 
Va donc à présent, dévaste par le fer les pénates d'Au- 
sonie, franchis les routes défendues! Va, déchire les 
pactes jurés à la face de tous les dieux ! Voilà comment 
Carthage apprécie tes services, comment elle t'honore 
et s'acquitte envers toi ! Mais est-ce donc de la piété que 
d'arroser les temples de sang? Ah! la première cause de 
vos crimes, malheureux mortels, est d'ignorer la nature 
des dieux! Allez, pour implorer leur justice, c'est assez 
d'un pieux encens : rejetez cette sauvage coutume du 
meurtre. Dieu est un être clément el qui touche de 
près à l'homme : désormais, je vous en prie, qu'il suf- 
fise de voir tomber les taureaux sur les autels ; ou si 
vous avez la ferme et opiniâtre croyance que les dieux 



î7a PUNICORUM LIB. IV. (v. 798) 

Me y me 9 quae genui, vestris absumite votis. 
Cur spoliare juvat Libycas hac indole terras? 
An flendae magis agates, et mersa prafundo 
Punica régna forent , olim si sorte cruenta 
Esset tanta mei virtus praerepta mariti ? >/ 

Hjeg , dubios vario Divumque hominumque timoré ^ 
Ad cauta inlexere Patres; ipsique relictum/ 
Abnueret sortem , an Superum paréret honori. 
Tum vero trepidare metu vix compos Imilce^ 
Magnanimi metuens inmitia corda mariti. 

Uis avide auditis ductor sic deijide profatur : 
a Quid tibi pro taiito non inpar munere solvat 
Hannibal sequatus Superis? quae praemia digna 
Inveniam , Carthago parens? Noctemque diemque 
Arma feram ; templisque tuis hinc plurima faxa 
Hostia ab Ausonio veniat generosa Quirino. 
At puer armorum et belli servabitur hères. 
Spes, o naté, meae, Tyriarumque unicà rerum, 
Hesperia minitante, salus, terraque fretoque 
Certare ^neadis, dum stabit vita, mémento. 
Perge, patent Alpes; nostroque incumbe labori. 
Vos quoque, Dî patrii, quorum delubra pîantur 
Cœdibus, atque côli gaudent formidine matrum , 
IIuc laetos vultus totasque advertile mentes. 
Namque paro sacra, et majores molior aras. 



LES PUNIQUES, LIV. IV. 2-3 

veulent le crime, moi, sa mère, c'est moi qu'il faut im- 
moler pour l'acquit de vos vœux. Pourquoi voulez-vous 
dépouiller la Libye de cet enfant, sa naissante espé- 
rance? Vous avez pleuré les Égates, et toutes les forces 
de Carthage englouties dans les mers; n'auriez- vous pas 
a pleurer plus encore si demain un sort fatal vous allait 
ravir mon Annibal et son puissant génie? » 

Ebranlés par ces paroles, les sénateurs, incertains et 
partagés d'abord entre la crainte des hommes et celle 
des dieux, jugèrent prudent de laisser au héros lui-même 
à décider s'il braverait la volonté du sort , ou s'il ren- 
drait aux dieux l'hommage mérité. Imiicé , tremblante 
alors , peut à peine contenir sa frayeur : elle redoute 
l'inflexible cœur de son époux magnanime. 

A ce récit qu'il écoute avidement , le héros s'écrie : 
« Comment pourra suffire à s'acquitter ton Ânuibal que 
tu égales aux dieux, ô Carthage, ma mère! Comment 
reconnaître un si grand bienfait? quel prix trouver digne 
de toi ? Nuit et jour je serai debout et sous les armes , 
et je ferai tant que plus d'une victime, du noble sang 
de Quirinus l'Ausonien, ira sur tes autels. Mais con- 
serve cet enfant , héritier de mes armes et de mes 
guerres. Mon fils, toi mon espoir, toi l'unique sauve- 
garde de l'empire tyrien menacé par l'Hespérie, songe, 
tant que tu vivras, à combattre sur la terre et les flots 
cette engeance d'Enée. Marche, les Alpes sont ouvertes : 
poursuis nos travaux. Et vous, dieux de la patrie, qui 
aimez de sanglans hommages en vos temples, vous dont 
le culte est la terreur des mères, tournez vers moi des 
yeux contens, des esprits attentifs : car je vous élève 
de plus vastes autels, je vous prépare de plus larges 
sacrifices. Toi , Magon , va te poster au sommet de 
ï. i8 



274 PUNICORUM LIB. IV. v^- »^- 

Tu , Mago , adversi conside in vertice montis : 
Tu laevos propior colles adcede, Choaspe : 
Ad claustra et fauces ducat per opaca Sychaeus. 
Âst ego te y Trasymene, vago cum milite praeceps 
Lustrabo, et Superis quaeram libamina beUi. 
Namque haud parva Deus promissis spondet apertis y 
Quae spectata, viri^ patriam referatis in urbem. » 



LES PUNIQUES , LIV. IV. ^75 

la montagne qui nous fait face; toi, Choaspès, g^g"^ 
à gauche ces collines plus rapprochées, et que Sychée 
se dirige , en couvrant sa marche , vers les gorges et les 
défilés. Moi, avec une troupe légère, je parcourrai tes 
bords, Trasymène, pour les reconnaître et chercher aux 
dieux les libations du guerrier. Car ce n'est point un 
mince carnage que m'a ouvertement promis et que m'as- 
sure la divinité : vous nous verrez agir, sénateurs, et 
vous en rendrez compte à la patrie, d 



i8. 



41*'«inAWVl>W«AnWtMnAmiAAAnWWtM«^MlMAmiM«WM«WlAkWM«M«MW«AMMAMMMI«^ 



C. SILII ITALICI 



PUNICORUM 



LIBER QUINTUS. 



VJEPERAT Etruscos occulto milite colles 
Sidonius diictor^ perque alta silentia noctis 
Silvarum anfractus caecis insiderat armis. 
Ât parte e laeva, restagnans gurgite vasto, 
Effigiem in pelagi lacus humectabat inertis , 
Et late multo fœdabat proxima limo : 
Quœ vada, Faunigenae regnata antiquitus Ârno^ 
Nunc volvente die Trasymeni nomina servant. 
Lydius huic genitor, Tmoli decus, aequore longo 
Maeoniam quondam in Latias advexerat oras 
Tyrrhenus pubem, dederatque vocabula terris; 
Isque insueta tubae monstravit murmura primus 
Gentibus , et bellis ignava silentia rupit. 
Nec modicus voti natum ad majora fovebat. 
Verum ardens puero, castumque exuta pudoreni 
(Nam fonna certare Deis, Trasymene, valeres), 



yt»itnniy»tt^tMni W 0ni^ttyvtMyvvtiv*nHivtivyyvwkn/vyv*ivwt/vyvytnnivtm0yyyvvyvvyyvtniytMvytt^^ 



C. SILIUS ITALICUS. 



LES PUNIQUES 



LIVRE CINQUIÈME. 



IVIaître des collines étrusques où ses troupes étaient 
embusquées,. le chef sidouien occupait encore les défilés 
des forêts où, dans le silence profond de la nuit, il 
avait caché des armes et des soldats. Vers la gauche le 
lac immense, comnje une mer dormante , inondait tout 
au loin de ses eaux débordées, et souillait d'un épais 
limon les lieux d'alentour. Ce lac, où régna jadis Ar« 
nus, fils de Faune, reçut dans le cours des âges le 
nom de Trasymène qu'il conserve encore. Trasymène 
t»ut pour père un Lydien; l'honneur du Tmolus, Tyr- 
rhénus qui, franchissant les mers lointaines, amena un 
jour une jeunesse méonienne sur les côtes du Latium, 
appela cette contrée de son nom, puis enseigna le pre^ 
mier aux peuples les accens inconnus de la trom- 
pette , et rompit le lâche silence dans les combats. 
Sans bornes dans ses désirs , il élevait son fils pour 
de plus grandes choses. Mais , éprise de l'enfaiit , et 
pour lui dépouillant sa chaste pudeur (car de beauté , 
Trasymène, tu pouvais le disputer aux dieiix)^ AgyJlé 



27» PUniCORUM LIB. V. (v. 17.) 

Lttore eonreptum stagnis d^nisit Agylle^ 
Flore capi juveaum primaevo lubrtca menteiii 
Nympha, nec Idalia lenta incaluisse sagitt? 
Solatae viridi penitus foyere sub antro 
Naides, amptexus undosaque r^oa trementem. 
Hinc dotale lacus aomen y lateque hymenaeo 
Conscia lascivo Trasypienus dicitur uada. 
Et jam curriculo nigram nox roscîda metaiu 
Strtngebat , nec se thalamis Tithonia conjux 
Protulerat , stabatque niteos in limine primo , 
Quum minus abnuerit noctem desisse viator, 
Quam cœpisse diem : consul carpebat iniquas, 
Praegrediens signa ipsa, vias, omnisque ruebat 
Mixtus eques ; nec discretis levia arma maniplis . 
Insertique globo pedites j et inutile Marti 
Lixarum vulgus, praesago cuncta tumultu 
Inplere, ac pugnam fugientum more petebant. 
Tum super ipse lacus, densam caligine caeca 
Ëxhalans nebulam , late conruperat omnem 
Prospectum miseris, atque atrse noctis amictu 
Squalebat pressum picea inter nubila cœlum. 
Nëg Pœnum liquere doli : sedet ense reposto 
Abditus, et nullis properantem obcursibus arcet. 
Ire datur ; longeque patet , ceu pace quiets 
Incusloditum y mox inremeabile, litus. 
Natnque sub angustas arlato limite fauce« 



LES PUNIQUES, LIV. V. a^g 

le saisit sur le rivage et Tentraina sous les ondes : 
nymphe aimajite, et facile à se laisser prendre aux 
premiers attraits de la jeunesse en fleur , et prompte à 
s'enflammer aux flèches d'Idalie, Au fond d'un antre 
vert, les Naïades de leurs caresses consolèrent le pauvre 
enfant en peine sous ces houleux empires et tout trem- 
blant sous les baisers. Dès-lors, gage et témoin du 
lascif hyménée 9 le lac porta depuis le nom deTrasymène. 

Déjà la nuit, humide de rosée, rasait de son char la 
noire borne de sa carrière; l'épouse de Tithou n'avait 
point encore abandonné sa couche , et se tenait brillante 
sur le seuil : c'était l'heure où le voyageur dirait plutôt 
de la nuit qui s'achève que du jour qui commence. Le 
consul s'achemine p^v des voies dangereuses et vole h 
la tête de ses enseignes. Toute la cavalerie roule cou* 
fusément après lui; rien ne sépare cette arme légère 
des rangs de l'infanterie : le piéton pêle-mêle au sein 
des escadrons, et la foule inutile des valets d'armée, 
répandent partout le tumulte précurseur des défaites; 
ils courent au combat dans tout le désordre d'une dé- 
route. Outre cela, le lac exhalait une brume épaisse, 
un obscur brouillard qui dérobait au loin à ces infor- 
tunés la vue de toute chose; et le ciel, enveloppé du 
sombre voile des nuits, pâlissait derrière ce nuage de 
vapeurs noires. 

Le Carthaginois, fidèle à sa ruse, demeure caché, 
le glaive au repos: nulle rencontre n'arrête les Romains 
dans leur marche; ils s'avancent librement : au loin de- 
vant eux s'ouvre sans obstacle, comme au sein de la paix, 
ce rivage qui sera bientôt pour eux sans retour. Car le 
chemin qui se resserre les mène droit au piège : unj^ 



i8o PUNICORUM LIB. V. (v- 43.) 

In fraudem ducebat iter, geminutnque receptis 

£xitium, hinc rupes, hînc uiidae claustra premebant. 

Ât cura umbroso servabat vertice montis 

Hostilem ingressuin, refugos habitura sub ictu. 

Haud secus ac vitreas sollers piscator ad undas, 

Qre levetn patulo texens de vimine nassam, 

Cautius interiora ligat, mediamque per alvum, 

Sensim fastigans, compressa cacumina nectit, 

Ac fraude artati remeare foratninis arcct 

Introitu factlem ^ quem Iraxit ab aequore , piscèin. 

Ocius interea propelli signa jubebat 

£xcussus consul fatorum turbine inentem, 

Donec flammiferum toi lentes aequore currum 

Solis equi sparsere diem : jamque, orbe renato, 

Diluerat nebulas Titan , sensimque fluebat 

Caligo in terras nitido resoluta sereno. 

Tune aies y priscum populis de more Latinis 

Auspicium, quum bella parant, nientesque Deorum 

Explorant super eventu, ceu praescia luctus^ 

Damuavit vesci, planctuque alimenta refugit. 

Nec rauco taurus cessavit flebile ad aras 

lumugire sono, pressamque ad colla bipennem 

Incerla cervice ferens, altaria liquit. 

Signa etiani adfusa certant dum vellere mole, 

Teter humo lacera nilentum ei'upit in ora 

Uxsultans cruor, et caedis documenta futurœ 



LES PUNIQUES, LIV. V. a8r 

fois dans ces gorges étroites , pressés par les rochers , 
enfermés par les eaux , des deux côtés pour eux c'est 
la mort. I/ennemi veille dans ses bois , au sommet de 
sa montagne; il observe les mouvemens du consul qui 
ue peut reculer sans tomber sous ses coups. Tel un 
adroit pécheur , près du cristal des ondes j tisse d'osier 
la nasse légère à large ouverture : avec soin il la res* 
serre et l'étrécit au dedans , en ramenant par degrés 
et nouant vers le centre les bouts effilés de Tosier qui 
s'allongent en pointe au sein de la nasse : il trompe ainsî 
le poisson qu'il a tiré de l'eau, et qui n'a pu repasser par 
cette étroite issue , après une entrée si facile. 

Cependant le consul ordonne de pousser en avant les 
enseignes : le tourbillon de la destinée l'entraîne, et 
trouble sa raison. Déjà les coursiers du soleil ont élevé 
le char enflammé au dessus des ondes et versent la lu* 
mière; déjà le monde s'est ranimé, Titan a chassé les 
ténèbres ; les vapeurs se dissipent peu à peu devant ses 
sereines clartés et retombent sur la terre. On consulte 
l'augure ailé, suivant un antique usage des peuples du 
Latium y pour connaître , ayant l'action y la pensée des 
dieux sur l'événement de la guerre; mais, comme par 
un pressentiment de malheur, il refuse la nourriture et 
recule avec un cri plaintif. D'une voix rauque et lamen- 
table, le taureau du sacrifice ue cesse de mugir: frappé 
d'un coup mal assuré, il emporte à son front la hache qui 
l'a blessé, et s'échappe des autels. Les enseignes qu'on 
enlève cèdegt à peine aux efforts réunis de plusieurs bras; 
du sol qui se déchire un sang noir jaillit au visage des 
soldats qui les arrachent, et , dans son flanc qui saigne , 
cette terre maternelle présente aux malheureux un fatal 



aSa PUNICORUM LIB. V. (v. 69.) 

Ipsa parens miseris gremio dédit atra cruento : 
Ac super haec Divum genitor, terrasque fretumque 
G>ncutiens tonitru , Cyclopum rapta caminis 
Fulmina Tyrrhenas Trasymeai torsit in undas/ 
Icftu«que aeth^rea per stagna patentia flamma 
Futnavit lacus, atque arserunt Quctibus ignés. 
Heu va ni monitus, frustraque morantia Parcas 
Prodigia! heu fatis Superi certasse minores! 
Atque hic, egregius linguae, nomenque superbum 
Corvinus, Phœbea sedet oui casside fui va 
Ostentans aies proavitae iusiguia pugnae, 
Plenus et ipse Deum, et sociura terrente pavore, 
Inmiscet precibus monita, atque fais vocibus infit : 
a Iliacas per te flammas , Tarpeiaque saxa , 
Per pa trios, consul , muros, suspensaque uostrœ 
Ëventu pugnae natorum pignora, cédas 
Oramus Superis, tempusque ad prœlia dextrum 
Opperiare : dabunt idem camposque diemque 
Pugnandi ; tantum ne dedignare secundos 
Exspectare Deos : quum fulserit hora, cruentam 
Quae stragem Libyae portet, tum signa sequeutur 
Nulla vulsa manu, vescique interritus aies 
Gaudebit, nullosque vomet pia terra cruores. 
An te prœstantem belli fugit, inproba quantum 
Hoc possit Fortuna loco? sedet obvius hostis 
Adversa fronte ; at circa nemorosa minantur 



LES PUNIQUES, LIV. V. 283 

présage des désastres qui les menacent. Bien plus, le 
père des dieux , ébranlant de son tonnerre la terre et 
l'océan , lança sur les flots tyrrhéniens du Trasymène 
des foudres ravies aux fourneaux des Cyclopes ; ouvert 
et sans défense , le lac fuma sous les atteintes des 
flammes célestes , et les feux brûlèrent dans ses ondes. 
Yaines leçons, hélas! inutiles prodiges! obstacles sans 
force contre les Parques ! lutte impuissante , hélas ! des 
dieux contre les destins ! 

Alors un guerrier d'une haute éloquence et d'un 
illustre nom, Corvinus, qui montre l'oiseau de Phébus 
perché sur son casque d'airain comme un souvenir 
éclatant du combat de son ancêtre, plein des dieux qui 
Tinspirent, effrayé de la terreur de ses compagnons, 
joint les conseils aux prières , et s'exprime en ces termes : 
« Par les feux d'Ilion , par les roches Tarpéiennes , par 
les remparts de la patrie , consul , par nos enfans chéris 
dont le salut dépend de l'événement de ce combat, nous 
t'en conjurons, cède aux volontés d'en haut; attends', 
pour livrer bataille, un moment favorable : les dieux te 
donneront jour et lieu meilleur pour combattre ; seule- 
ment ne dédaigne pas d'attendre qu'ils te secondent. 
Quand l'heure aura lui de porter l'extermination et la 
mort à la Libye, alors ou verra les enseignes suivre 
d'elles-mêmes sans que le bras les arrache, le poulet 
rassuré se repaître à loisir , et la terre , en son pieux^ 
amour, ne vomira plus le sang. Peux -tu, avec ta 
science de la guerre, méconnaître à quel point la For- 
tune ici peut nous être contraire? Devant nous l'ennemi 
se présente de front et en face; sur nos flancs, ces hau- 
teurs boisées cachent des embuscades; à gauche, ces 



1 



a84 PUNICORUM UB. V. (v. 95) 

[iisidias juga , iiec laeva stagnantibus undis 

EfFugium patet , et teaui stant tramite fauces. 

Si certare dolis et bellum ducere cordi est, 

Interea rapidis aderit Servilius armis, 

Cui par imperium, et vires legionibus aequae. 

Beltandum est astu : levior laus in duce dextrae. » 

Talia Corvinus , primoresque addere passim 

Orantum verba, et divisus quisque timori 

Nunc Superos, ne Flaminio, nunc deinde.precari 

Flaniinium y ne Cœlicolis contendere perstet. 

AcRius hoc adcensa ducis surrexerat ira , 

x\uditoque furens socias non defore vires : 

a Sicciue nos, inquit, Boiorum in bella ruentes 

Spectastis, quum tanta lues vulgusque tremendum 

lugrueret , rupesqué iterum Tarpeia paveret ? 

Quas ego tune animas dextra , quae corpora fudi , 

Irata tellure sata, et vix vulnere vitam 

Reddentes uno! Jacuere ingentia membra 

Per campos, magnisque premunt nunc ossibus arva. 

Scillcet bas sera ad laudes Servilius arma 

Adjuugat, nisi diviso vicisse triumpho 

Ut nequeam, et decoris contentus parte quiescam? 

Quippe nionent Superi : similes ne fingite vobis, 

Classica qui tremitis , Divos : sat magnus in hosteni 

Augur adest ensîs , pulcbrumque et milite diguum 

Auspicium Latio, quod in armis dextera praestat. 



LES PUNIQUES , LIV. V. 285 

eaux dormantes n'offrent point d'issue pour la fuite , et 
ces gorges n'ont qu'un étroit sentier. Si tu consens à 
lutter d'artifice avec l'ennenii, à différer le combat, Ser^ 
vilius, pendant ce temps , hâtera sa marche pour nous 
joindre : ton égal en puissance, il a d'égales forces en 
légions. Pour arme, choisis la ruse : la moindre gloire 
du chef est dans l'épée. » 

A ce discours de Corvinus, les principaux de l'armée 
ajoutaient de suppliantes paroles; chacun^ diversement 
agité par la crainte, prie tantôt les dieux de n'être 
point contraires à Flaminius, et tantôt Flaminius de ne 
point s'obstiner à bravei* le ciel. 

Ces instances enflamment plus vivement la rage du 
consul. Furieux d'entendre parler du concours et des 
forces de son collègue : a Est-ce ainsi, dit -il, qu'on 
nous a vu combattre et charger les Boïens, quand cet 
horrible fléau , quand ces hordes redoutables vinrent 
s'abattre sur l'Italie, et firent trembler encore une fois 
la roche Tarpéienne? Que mon bras alors en a tué, de ces 
âmes et de ces corps engendrés par la terre en courroux, 
et qu'une seule blessure ne pouvait arracher à la vie! Je 
les ai couchés dans la plaine , ces énormes cadavres , et 
leurs grands ossemens pèsent encore sur les campagnes. 
Et c'est après de tels exploits qu'on veut m'adj oindre 
Servilius et ses troupes si lentes à venir , afin que je ne 
puisse vaincre sans partager mon triomphe : content 
d'une moitié de gloire, on veut que j'attende; car les 
dieux ont parlé.... les dieux I ne les faites point à votre 
image, vous qui tremblez au bruit des clairons! J'ai là 
un aiigure assez fort contre l'ennemi , l'épée ; et c'est un 
assez bel auspice et digne du soldat latin , que la puissance 



a86 PUNICORUM LIE. V. (v. lai.) 

An y Corvine, sedet, clausum se consul inerii 
Ut teneat vallo? Pœnus nunc occupet altos 
Arreti muros, Gorythi nunc diruat arcem? 
Hinc Clusina petat? postremo ad mœnia Romae 
Inlaesus contendat iter? Déforme sub armis. 
Yana superstitio est : Dea sola in pectore Yîrtus 
Bellantum viget. Umbrarum me noctibus atris 
Agmina circumstant , Trebiae qui gurgite , quique 
Ëridani volvuntur aquis, inhumata juventus. » 

Nec mora : jam medio cœtu signisqiie sub ipsis 

V 

Postrema aptabat nuIU exorabilis arma. 
.£re alque aequorei tergo flavente juvenci 
Cassis erat munita viro ; cui vertice surgeos 
Triplex cris ta jubas efïïindit crine Suevo : 
Scylla super, fracti contorquens pondéra remi, 
Instabat, saevQsque canum pandebat hiatus : 
Nobile Gargeni spolium , quod rege superbus 
Boiorum caeso capiti inlacerabile victor 
Aptarat , pugnasque decus portabat in omnes. 
Loricam induitur; tortos huic nexilis hamos 
Ferro squama rudi , permixtoque asperat auro. 
Tum clipeum capit, adspersum quem caedibus olim 
Celticus ornarat cruor, humentique sub antro, 
Ceu fetum , lupa permulcens puerilia membra , 
Ingentem Assaraci cœlo nutribat alumnum. 
Hinc ensem lateri , dextraeque adcommodât hastaïu. 



LES PUNIQUES , LIV. V. ^87 

(le ses armes et de son bras. Tu exiges j Corvinus , que 
le consul se tienne, sans agir, enfermé dans un camp! 
soit, et que le Carthaginois s'empare alors des murs 
élevés d'Arrétium , et renverse la citadelle de Corythus , 
et marche ensuite à Clusium, et pousse droit enfin 
jusqu'aux remparts de Rome , sans obstacles ! C'est une 
honte, sous les armes, que ces vaines superstitions. Un 
dieu seul a force au cœur du soldat , c'est le courage. 
Autour de moi, durant la nuit obscure, viennent en 
foule les ombres de ces héros qui roulent emportés 
dans les flots de la Trébie, dans les eaux de l'Éridan , 
sans trouver de sépulture 1 » 

Aussitôt, au milieu même de l'assemblée, et sous les 
enseignes, l'inflexible chef, pour la dernière fois, revêt 
son armure. Son casque d'airain est garni d'une blonde 
peau de veau marin : au dessus se dresse une triple ai- 
grette d'où s'édiappe en tresses la chevelure d'un Suève; 
au sommet , Scylla revomit les lourds débris des rames , 
et ses chiens cruels ouvrent une gueule menaçante. 
C'était la noble dépouille de Gargénus , roi des Boïens , 
que le consul avait tué : fier de sa victoire, il avait 
chargé son front de ce casque indestructible , et portait 
ce glorieux trophée dans toutes les batailles. Il endosse 
sa cuirasse , tissue de mailles serrées , hérissée de rudes 
écailles de fer doublées d'or. Il saisit son bouclier encore 
teint du sang des Celtes dont le carnage autrefois lavait 
paré : sous un antre frais , une louve y caressait comme 
un des siens un tiendre enfant dont elle léchait les mem- 
bres, et nourrissait pour le ciel l'illustre rejeton d'Assa- 
racus. Il arme son flanc de l'épée et son bras de la lance. 
Son coursier est là, superbe, tourmentant son frein 
mouillé d'écume, le dos couvert de la peau rayée d'un 



288 PUNICORUM LIB. V. (v. m.) 

Stat sonîpes, vcxatque ferox humentia freaa, 

Caucasiam instratus virgato corpore tigrîm. 

Inde exceptus equo , qua dant angusta viarum , 

Nunc hosy nunc illos adit, atque hortatibus inplet : 

«Yestrum opus esfvestrunique decus, subfixa per Urbem 

Pœni ferre ducis spectanda parentibus ora. 

Unum hoc pro cunctis sat erit caput. Âspera quisque 

Hortamenta sibi referai : meus, heu! meus atris 

Ticini frater ripis jacet; at meus alta 

Metitur stagna Eridani sine funere natus. 

Haec sibi quisque : sed est vestrum cui nuila doloris 

Privati rabies, îs vero ingentia sumat 

£ medio, fodiant quœ magnas pectus in iras; 

Perfractas Alpes, passamque infanda Saguntum, 

Quosque nefas vetiti transcendere nomen Hiberi, 

Tangere jam Thybrim : nam dum vos augur, et extis 

Quaesitae fibrae , vanusque moratur haruspex , 

Sofum jam superest, Tarpeio inponere castra. » 

TuRBiDUS haec, visoque artis in millibus atras 

Bellatore jubas aptante : a Est, Orphite, manus, 

Est, ait, hoc certare tuum; quis opima volenti 

Dona Jovi portet fereti*o suspensa cruento ? 

Nam cur haec alia pariatur gloria dextra? » 

Hinc praevectus equo, postquam inter prœlia nptam 

Adcepit vocem : a Procul hinc te Martius, inquit, 

Murrane, ostendit clamor, videoque furenteni 



LES PUNIQUES, LIV. V. 

tigre du Caucase. Le consul monte à cheval, et partout 
oïl l'étroit défile lui permet d'avancer, s'approche des 
uns et des autres , et les remplit de son ardeur : « A vous 
kl tâche, à vous la gloire d'emporter au bout d'une 
pique la tête du chef carthaginois, pour la donner en 
spectacle à la Ville et à vos familles. Cette tête seule 
tiendra lieu de toutes. Que chacun s'anime et s'inspire 
de ses souvenirs : Mon frère , hélas ! mon frère gît aux. 
rives sanglantes du Tésin , et mon fils sans funérailles 
mesure de son cadavre les eaux profondes de l'Éridan ! 
voilà ce que chacun peut se dire. Mais , s'il en est un 
parmi vous que nul regret privé n'excite à la vengeance, 
que celui-là puise à nos grandes et communes douleurs, 
qu'elles blessent ison âme et soulèvent en elle d'impla- 
cables colères , qu'il songe que les Alpes sont forcées , 
que Sagonte a péri dans les tortures, que ceux enfin qui 
avaient défense de franchir l'Èbre, vont atteindre le 
Tibfe; car, pendant qu'on vous .arrête à consulter des 
augures, et des fibres d'entrailles, et de vains aruspices, 
il ne reste plus à l'ennemi qu'à planter son camp sur le 
roc Tarpéien. )) 

Au milieu de ces emportetnens, il voit dans les rangs 
serrés de ses légions un soldat qui rattache son aigrette 
poudreuse : « Bien , Orphitus , bien ! c'est affaire à toi 
de combattre î sans cela qui porterait à Jupiter propice 
les dépouilles opimes suspendues au sanglant trophée? 
et pourquoi laisser à une autre main la conquête de cette 
gloire? » Il pousse son cheval en avant, il entend une 
voix qu'il a connue dans les batailles : « De loin ce cri 
guerrier t'annonce, Murranus; je te vois avide déjà du 
sang tyrien : que d'éclat sur toi va jaillir! Mais , crois-moi , 
I. 19 



ago PUNICORUM LIB. V. (t. it^.) 

Jam Tyria te cacde : venit laus quanta! sed, oro, 

Hacc angusta loci ferro patefacta relaxa, d 

Tuin Soracte satuni, praestantem corpore et armis, 

^quanum nosceiis, patrio cui ritus in arvo, 

Qiium pius Arcitenens adcensis gaudet acervis , 

Exta ter innocuos Isetum portare per ignés : 

(c Sic in Apollinea semper vestigia pruna 

Inviolata teras^ victorque vaporis ad aras 

Dona serenato referas solennia Pbœbo; 

Concipe, ait, dignum factis, ^quane, furorem 

Vulueribusque tuis : socio te cœdis et irae. 

Non ego Marmaridum mediam penetrare phalangeni 

Cinyphiaeque globos dubitarim inrumpere tiirmae. » 

Neg jam ultra monitus et verha inorantia Martem 

Ferre valet j longo ^neadis quod flebitur aevo. 

Increpuere simul feralia classica signum , 

Ac tuba terrificis fregit stridoribus auras. 

Heu dolor, heu lacrimae, nec tôt post secula serae! 

Horresco ut pendente malo , ceu ductor ad arma 

Exciret Tyrius : latebrosis collibus Astur, 

Et Libys, et torta Baliaris saevus habena 

Ërumpunt, multusque Maces^Garamasque, Nomasqiie: 

Tum , quo non alius venalem in prœlia dextram* 

Ocior adtulerit conductaque bella probarit, 

> 

Cantaber, et galeae contemto tegmine Yasco. 

Hinc pariter rupes, lacus hinc, bine arma, simulque 



LES PUNIQUES, LIV. V. 9î)t 

c est dans ces défilés qu'il faut plonger ton fer, et t'ouvrir 
un chemin. » Bientôt il aperçoit Tenfant du Soracte, Equa- 
nus, puissant par sa taille et son annure, et qui, dans sa 
patrie, aux jours où les bûchers s'allument en l'honneur 
du dieu reconnaiissant.qui porte l'arc, aimait à promener 
trois fois les entrailles des victimes à travers une flamme 
innocente. c< Puisse , lui dit le consul , ton pied toujours 
fouler sans péril les brasiers apollinaires , et te reconduire 
aux autels pour y vaincre le feu et présenter encore de 
solennelles offrandes à Phébus apaisé ! Va donc , et te 
livre à toute ta furie; ne démens pas, Équanus , tes 
exploits et tes blessures : soutenu de ton bras el de ta 
rage, je n'hésilerais pas à pénétrer au sein de la pha- 
lange des Marmarides, à enfoncer les rangs de la cava- 
lerie cinyphienne. » 

Il n'est plus désormais de conseils, plus d'instances 
qui puissent retarder cette bataille, qui si longrtemps 
sera pleurée des enfans d'Enée. Les accens funèbres du 
clairon donnent le sigtial, et de ses éclats terribles la 
trompette perce les airs. 

O douleur ! ô larmes encore permises après tant dç 
siècles! Je frémis à ce récit comme à l'approche du 
désastre, comme en présence du chef lyrien et de ses 
armées. Des collines qui les recèlent, s'élancent et l'As- 
turien y et le Libyen , et le Baléare qui fait tourner sa 
lanière cruelle, et des milliers de Maces, de Garamantes 
«t de Nomades, et le plus empressé de tous à vendre 
son bras pour la guerre, à se louer pour ces combats 
qu'il aime, le Cantabre , et le Vascon qui dédaigne l'abri 
du casque. Pressés entre le lac et les rochers, les Ro- 
mains sont assaillis tout ensemble et par les Tyriens du 

«9- 



«92 rUNICORUM LTB. V. (v. tgg.) 

Consoua vox urget, signum claniore vicissiin 
Per colles Tyria circumfundente corona. 

AvERTERE Dei vultusy faloque dederunt 
Majari non sponte locum : stupet ipse tyranni 
Fortunam Libyci Mavors; disjectaque crinem 
Inlacrimat Venus; et Delum pervectus Apollo 
Tristem mœrenti solatur pectine luctum. 
Sola, Apennini resideos in vertice, diras 
'Exspiectàt cœdès inmiti pectore Juno. 
Primée Picentuni, rupto ceu turbine fusa 
Agmina et Hannibaiem ruere ut videre, cohortes 
Invadunt ultro, et pœnas pro morte futura, 
Turbato victore, petunt adcensa juventus; 
Et, velut erepto mètuendi libéra coelo, 
Mantbus ipsa suis praesumta piacula mittit. 
Funditur unanimo nisu et concordibus ausis 
Pilorum in Pœnos nimbus, fixosque repulsi 
Submittunt clipeos curvato pondère teli. 
Acrius hoc rursum Libys, ut prœsentia saevi 
Ëxstimulat ducis, hortantes se quisque vicissim 
Incumbunt, pressoque inpellunt pectore pectus. 
Ipsa facem quatiens , ac flavam sanguine multo 
Sparsa comam, médias acies Bellona pererrat. 
Stridit TartaireaB Tiigro sub pectore Divae 
Letiferum murmur, feralique horrida cantu 
Buccina lymphatas agit in certaniina mentes. > i. 



LES PUNIQUES, LIV. V. 29^ 

^^amp et par ceux des montagnes , dont les cris confus 
se répondent y et se renvoient tour-àrtour le signal qui 
poule répété de colline en colline.. 

Les dieux détournent les regards, et cèdent à regret 
la place au destin qui Tempoi'te; Mars s'éloune effrayé 
de la fortune du héros de Libye; les cheveux épars, 
Vénus pleure; et, retiré à Délos, Apollon console ses 
peines amères aux sons de sa lyre plaintive. Seule, assise 
au sommet de l'Apennin, Junon l'impitoyable attend 
froidement l'horrible carDage< 

Les premières, a ta vue d'Ànnihal et dé ses bataillbns 
qui se précipitent comme un tourbillon de la nue qui se 
déchire, les cohortes picentines marchent à l'attaque : 
cette ardente jeunesse brûle de venger à l'avance sa 
mort prochaine, en troublant le vainqueur; libre de 
crainte, et comme si le ciel était déjà perdu pour elle, 
elle envoie, à ses proppes mânes des représailles antici- 
pées. De partout, et du même élan et du même courage, 
ils dirigent une nuée de javelots contre le3 Carthaginois, 
qui reculent et plient sous le poids des traits recourbés 
qui percent leurs boucliers. Mais bientôt, revenus avec 
une nouvelle vigueur , animés par la, présence redoutée 
de leur chef, les Libyens s'exhortent tour-à-tour, char« 
gent, et heurtent de la poitrine la poitrine ennemie. 

Secouant sa torche et baignant de flots de sang sa 
rousse chevelure, Bellone se promène au milieu des 
armées. Du fond de sa noire poitrine gropcle un mur- 
mure de mort, et l'horrible trompette de l'infernale 
déesse entraine au combat les ânies enivrées de ses 
accens funèbres. D'un côté , la rage- s'accroît de l'excès 



394 PUNICORUM LIF. V, (v. ^^î 

Hi$ iras ad versa fovent, crudusque ruentc 

Fortuna stimulus spem projecisse salutis : 

Hos dexter Deus , et laeto Victoria vultu 

Adridens acuit^ Martisque favore fruuntur. 

Abreptus pulchro cxdum Lateranus amore, 

Dura sequitur dextraiti^ iu medios penetraverat hostes. 

Quem postquam florens aequali Leululus œvo 

Conspexit, nimium pugnae, Diiniumque cruoris, 

Infestas inter non aequo Marte catervas 

Fata inritanteiïi, nisu se concitat acri; 

Iiimitemque Bagain , qui jam vicina serebat ' 

Vulnera pugnantis tergo, velocior hasta 

Occupât, et socium duris se casibus addit. 

Tune alacres arma adglomerant, geminaque coruscl 

Fronte micant; paribus fulgent capita ardua cristis. 

AcTDS in adverses casu (namqiie obvia ferre 

Arma quis auderet, nisi quem Deus ima colentum 

Damnasset Stygiae nocti?), praefracta gerebat 

Syrticus exceiso decurrens robora monte ; 

Et quatiens acer uodosi pondéra rami , 

Flagrabat geminae nequidquam caedis amore. 

a Non hic iËgates, infidaque litora nantis, 

O juvenes, motumque novis sine Marte procellis 

Fortunam bello pelagus dabit : aequoris olim 

Victores, média sit qualis discite terra 

B(*llator Libys , et raeliori cedite regno. » 



LES PUNIQUES, LIV. V. 296 

du malheur, soutenue, quand la Fortune succombe, de 
raiguilion puissant d'un beau désespoir : de l'autre, 
l'aide de la divinité, le joyeux sourire de la Victoire 
enhardit tous les cœurs; ils jouissent de la faveur dv. 
Mars. 

Emporté par la noble passion du carnage, Latéranus 
avait suivi l'élan de son bras et pénétré au sein des rangs 
ennemis. Comme lui à la fleur de son âge, Lentulus^ 
qui voit ce héros, trop avide de combats, trop avide de 
sang, livrer une lutte inégale à des cohortes forcenées , 
et défier les destins , d'un bond rapide s'élance vers lui , 
prévient vivement d'un coup de lance le féroce Bagas 
qui s'approchait du guerrier pour le frapper par derrière, 
et vient s'associer à ses travaux et à ses périls. Alors, 
tous deux à l'œuvre, et réunis pour combattre, ils vont 
levant un front superbe, et sur leurs têtes altières 
brillent deux cimiers d'un pareil éclat. 



Poussé contre eux par le hasard (et qui oserait les 
braver en face, s'il n'était condamné d'avance aux ténè- 
bres du Styx par le dieu des abîmes?), Syrticus accourait 
du haut de la montagne, armé d'une branche de chêne 
qu'il avait rompue; et, brandissant avec fureur la noueuse 
et pesante ramure, brûlait du vain désir de les immoler 
ensemble. « Nous ne sommes point ici aux Egates , 
jeunes Romains, près de ces rives infidèles aux nochers, 
sur une mer soulevée par les tempêtes et qui vous don- 
nera l'avantage encore sans combattre ; non : vous avez 
jadis vaincu sur l'océan , apprenez aujourd'hui quel 
guerrier c'est qu'un Libyen dans la plaine , et cédez à un 
meilleur élément. » En même temps il menaçait Lstlié^ 



agS ^ PUNICORUM LÏB. V. (v. 25. ) 

Ac simul infesto Lateranutn pondère triincae 
Ârboris urgebat^ jungens con vicia pugnae. 
Lentulus huic frendens ira : « Trasymenus in altos 
Adscendet citius colles, quani sanguine roret 
Iste pio ramu& » Subaidensque ilia nisu 
Conantis suspensa fodit : tum fervidus atro 
Pulmoue exundat per hiantia viscera sanguis. 
Nec minus adcen$is in mutua fuiiera dextris 
Parte alia campi saevit furor. Alt us lertes 
Obtruncat Neriuni; Rullo ditissinius arvi 
Obcumbis , generose Yplunx ; nec clausa reposlLs 
Pondéra thesauris , patrio nec reg^ia quond^ni 
Praefulgens ebore, et possessa mapalia soU 
Profuerunt. Quid rapta juvant? quid gentibus auri 
Nunquam exslincta sitis? modo quem Fortuna fovendo 
Congestis opibus donisque refersit opimis, 
Nudum Tartarea portabit uavita cymba. 

JuxTA bellator juvenilibus Appius ausis 
Pandebat campum caede; atque, ubi plurima virtu$> 
Nullique adspirare yigor, decus inde petebat. 
Obvius huic Atlas , Atlas a litore Hibero , 
Nequidquam extremae longinquus cultor arenae 
Inpetit os hasta ; leviterque e corpore sUmmo 
Dégustât cuspis generosum extrenia cruorem. 
Intonuere minae , violentaque lumina flammis 
Exarsere novis : fnrit et difful minât omnero 



LES PUNIQUES, LIV. V. 2|;7 

ranus du terrible poids de son arbre brisé, et joignait 
Foutrage à Tattaque. Lentuliis, frémissant de colère : 
a Le Trasymène montera au sommet de ces collines , 
avant que cettç massue ne s'arrose du sang d'un ami. » 
Il se baisse et perce le flanc du Libyen qui se dressait 
avec effort : un sang noir bouillonne en sa poitrine et 
jaillit de ses entrailles déchirées. 

Non moins acharnés à leur ruine commune, les com- 
battans , de l'autre côté du champ de bataille , n'ont 
pas moins d'ardeur et de furie. L'altier lertès massacre 
Nérius; sous les coups de Rullus, tu tombes, brave 
Volunx, possesseur de si riches campagnes; et ni tes 
secrets trésors entassés en monceaux ^ ni l'antique palais 
oîi resplendit l'ivoire de ta patrie, ni ces étables dont toi 
seul es le maître, rien ne t'aura servi. Pourquoi cet 
aiïiour des rapines ? pourquoi , chez les hommes , cette 
soif de l'or qui ne s'éteint jamais ? Demain , ce favori de 
la Fortune, qui regorge dans l'opulence, surchargé de 
ses dons et de ses largesses, descendra nu dans la barque 
du nocher du Tartare. 

Non loin le belliqueux Appius, devant son jeune cou- 
rage , ouvrait les rangs à coups d'épée ; et si* quelque 
part la lutte était plus vive, et que nul n'eût le cœur 
d'avancer , c'était là qu'il cherchait la gloire. Atlas 
vient droit à lui, Atlas né sur les rivages de l'Ibérie, 
habitant lointain de ses dernières plages : vainement il 
atteint de sa lance Appius au visage; la pointe -du fer 
glisse légèrement sur le front du héros et se colore à 
peine de son sang généreux. Appius gronde et tonne; 
son regard courroucé d'un feu nouveau s'allume ; il 



ià98 PUNICORUM UB. V. (v. ^77.) 

Obstantum turbam; at clausum sub casside vulnus 

Martia commendat mananti sanguine membra. 

Tum vero adspiceres pavitantem, et condere semet 

Nitentein sociis juvenem; ceu tigride cerva 

Hyrcana quum pressa tremit; vel territa pennas 

Conligit accipitrem cernens in nube columba; 

Aut dumis subit ^ albenti si sensit in aethra 

Librantem nisus aquilam^ lepus ote citato. 

£nse ferit tum colla viri^ dextramque niicauteni 

Demetity ac mutât successu saevior bostem. 

Sta-Bat fulgentem portans in bella bipennem 

Cinyphius , socérique miser Magonis inire 

Optabat pugnam ante oculos, spe laudis, Isalces, 

Sidonia tumidus sponsa, vanoque superbus 

Fœdere promissae post Dardana prœlia taedae. 

Huic inmittit atrox violentas Appius iras, 

Conantique gravem fronti librare securim , 

Altior insurgens, galeam super exigit ictum : 

At fragilis valido conamine solvitur ensis 

i£re in Cinyphio; nec dispar sortis Isalces 

Umbonem incerto detersit futilis ictu. 

Tum quod humo haud unquam valuisset toUere saxum. 

Ni vires trux ira daret, contorquet anbelans 

Appius j et lapsu resupino in terga cadentem 

Mole premit scopuli, perfractisque ossibus.urguet. 

Yidit conjuncto miscens certamina campo 



LES PUNIQUES, LIV. V. 299 

fait rnge, il foudroie, il disperse tout ce qui s'oppose à 
son passage : de sa blessure cachée sous le casque, le 
sang ruisselle sur ses membres guerriers qu'il ennoblit 
encore. Alors vous eussiez vUvrennemi tremblant cher- 
cher un refuge et un appui parmi ses compagnons ; 
pareil à la biche craintive que poursuit le tigre d'Hyr- 
canie, ou à la colombe effrayée qui replie son aile à 
l'aspect d'un épervier dans la nue , ou au lièvre qui d'un 
pas agile gagne les buissons s'il voit planer un aigle 
dans les champs limpides de l'air. Appius le frappe du 
glaive à Tépaule, trancbe le bras qu'il levait sur lui, et 
passe, exalté par la victoire, à d'autres ennemis. 

Là se tenait, chargé d'une hache luisante, un enfant 
du Cinyphe, Isalcès : l'infortuné brûle d'engager un 
combat sous les yeux de Magon son beau-père, il aspire 
à la renommée, il est fier de sa fiancée sidonienne et 
tout glorieux de. l'hymen promis dont le flambeau pour 
lui doit luire après la guerre. Appius en courroux 
reporte contre lui sa violence et sa rage : à la vue de 
cet ennemi qui lui balance avec effort au dessus du 
front sa hache pesante, il se dresse, le dépasse et lui 
assène sur le casque un coup de son épée; mais, trop 
faible pour une si dure épreuve, le glaive se brise sur 
l'airain du Cinyphe. Isalcès n'eut pas plus de sijccès : 
son coup mal assuré efHeura sans portée le revers du 
bouclier. Alors une pierre qu'il n'eût jamais pu soulever 
de terre sans la terrible rage qui lui donna des forces, 
Appius haletant la lance au Libyen , qui chancelle et 
tombe renversé sous la masse du rocher qui l'écrase et 
lui rompt les os. Près de là, aux prises dans la mêlée, 
Magon a vu tomber son gendre : des larmes roulent 



3oo PUNICORUM LIB. V. (v. 3o3.) 

Labentem socer; et lacrimae siib casside fusse 

Cum gemilu ; rapidusque ruit : data fœdera iiuper 

Adcendunt auimos exspeclatique nepotes. 

Jamque aderat, clipeumque viri atque inmaiiia metnbra 

Lustrabat visu ; propiorque a fronte coruscae 

Lux galeae saevas paulum tardaverat iras. 

Maud secus, e spécula praeceps delatus opaca, . 

Subsidens campo submissos contrahit artus , 

Quum viciua trucis conspexit cornua tauri^ 

Quanivis longa famés stimulet , leo ; nunc férus alta- 

Surgentes cervice toros , nunc torva sub hirta 

Lumina miratur fronte; ac jam signa moventem , 

Et sparsa pugnas meditantem spectat arena. 

Hic prior intorquens telum sic Âppius infit : 

i(Si qua tibi pietas, ictum ne desere fœdus; 



Et generum comitare, socer. » Per tegmiaa velox 

Tune œrisque moras lœvo stetit hasta lacerto. 

Ât contra non dicta Libys, sed fervidus hastain 

Perlibrat, magni donum memorabile fràtris, 

Caeso quam victor sub mœuibus ille Sagunti 

Abstulefat Durio , ac spectatae nobile pugnae 

Germano dederat portare in prœlia pignus. 

Telum ingenSy perque arma viri, perque ora, doioris 

Adjutum nisu, letalem pertulit ictum; 

Exsanguesque viri conantis vellere ferrum 

lu vulnus cecidere manus. Jacet aequore nonien 



LES PUNIQTJFS, LIV. V. 3of 

sous sa visière; il gcrail, il s'élance, il vole, enflammé 
de fureur au souvenir de Talliance prproisé et des enfans 
qu'il avait espérés. 

U s'avance, il mesure des yeux le bouclier et les 
énormes membres du guerrier; il approche : l'éclat du 
casque étincelant suspend un instant l'élan de sa colère. 
Ainsi, des forêts élevées d'où il épie sa proie, le lion 
descend et se précipite; mais quand il a vu de plus près 
les cornes menaçantes du taureau, il s'arrête, malgré la 
longue faim qui l'aiguillonne, il se baisse et s'accroupit 
dans la plaine, il contemple avec surprise ^t ce cou 
superbe sillonné de muscles, et ce farouche regard sous 
un front hérissé; il observe l'ennemi qui lève l'étendard 
et prélude aux combats en faisant voler la poussière. 

Appiusle premier lance son javelot : a Si tu as quelque 
pitié dans l'âme , tu ne peux renoncer au pacte qui t'en- 
gage : beau-père , accompagne ton gendre. » Le trait 
rapide pénètre tous les obstacles , le cuir et l'airain , et 
se fixe au bras gauche de Magon. Le bouillant Libyen 
envoie pour réponse, non des mots, mais sa lance, 
mémorable présent de son illustre frère : \ainqueur sous 
les murs de Sagonte, Annibal avait enlevé à Durius 
immolé, et donné à son frère, pour le porter dans les 
batailles , ce noble gage d'un combat signalé. L'énorme 
javeline, que seconde l'élan d'une vive douleur, traverse 
l'armure et le visage du héros, et lui porte une atteinte 
mortelle. Il s'efforce d'arracher le fer, et ses mains 
tombent mourantes sur sa blessure. Ainsi périt, sur le 
sol méonien, Appius, nom célèbre, perte immense 
entre toutes ces pertes de l'Italie. Le lac tremble, le 



^oi PIJNICORUÎVI LIB. V. (V. 3^90 

Clarum Maeonio, atque Italœ pars magna ruinaR 
Appius : intretiuiere lacus, corpusque refugit 
Contractis Trasymenus aquis; telum ore cruento 
Exspirans premit, atque admorsœ inmurmurat hast». 
Nec fati melior Mamercus corpore toto 
Exsolvit pœnas, nulii non sauclus hosti. 
Namque per adversos, qua Lusitana ciebat 
Puguas dira nianus , raptum cum sanguine caesi 
Signiferi magna vexillum mole ferebat , 
Et trépida infelix revocabat signa suorum. 
Sed furiata cohors, ausisque adcensa superbis, 
Quodcumque ipsa manu gestabat missile, quidquid 
Praebebat tellus , sparsis vix pervia telis , 
Injecit pariter; pluresque in corpore hullo 
Invenere locum pcrfossis ossibus hastae. 
Advolat interea fraterni vulneris ira 
Turbatus Libyae ductor, visoque cruore, 
Num lateri cuspis, num toto pondère telum 
Sedisset, fratremque atnens sociosque rogabat. 
Utque metum leti procul, et leviora pavore 
Cognovît, proprio teetum gestaminè praeceps 
Ex acie rapit, et tutis a turbine pugnae 
Constituit castris. Medicas hinc ocius artes j 
Et senîoris opem Synhali vocat : unguere vulnus 
Herbarum hic succis, ferrumqne e corpore cantu 
Exigere, et somnum tacto misisse cholydro , 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3o3 

Trasymène recule devant ce cadavre et refoule ses 
vagues : le héros expirant presse le trait de sa lèvre 
saignante, et murmure en mordant la lance qui le tue. 



Mamercus n'eut pas un sort meilleur : blessé par tout 
le corps, il ne put échapper aux outrages d'un seul 
ennemi, et paya cher son audace. Il s'était jeté dans la 
mêlée , au sein de la cohorte lusitanienne acharnée au 
combat; là, il avait massacré le porte-enseigne , et avec 
la vie lui avait enlevé son étendard qu'il emportait d'un 
bras vigoureux, rappelant, l'infortuné! ses compagnons 
et leurs aigles fugitives. La troupe forcenée, dont sa 
noble hardiesse avait enflammé la rage , l'accabla en même 
temps et de tous les traits qu'elle tenait à la main, et 
de tous ceux qui jonchaient la terre et embarrassaient sa 
marche : jamais corps ne fut en butte à plus d'atteintes , 
ni déchiré de plus de coups. 

Cependant, inquiet et indigné de la blessure de son 
frère, le chef des Libyens, à la vue du sang, demande 
si le fer, si le lourd javelot a pénétré tout entier; il in- 
terroge avec angoisse et Magon et ceux qui l'entourent. 
A peine il a reconnu que la blessure n'est ni mortelle ni 
aussi grave qu'il l'avait pu craindre , il couvre Magon de 
son propre bouclier, l'entraîne précipitamment hors du 
combat, et, loin du tumulte de la mêlée, le dépose en 
sûreté d^ns le camp. Là, il invoque et l'art et les remèdes 
secourables du vieillard Synhalus; car nul mieux que lui 
ne savait exprimer sur une plaie le suc des plantes, 
tirer par un chant magique le fer d'une blessure, en- 
dormir au toucher les serpens : sans rival, son nom 



3o4 PUNICORUM LIE. V. (v. 355.) 

Aiiteibat cunctos : nomenque erat inde per urbes 

Perque Paraetoniae celebratum litora Syrtis. 

Ipse olim antiquo primum Garamanticus Tlammoii 

Scire pater dederat Synhalo, morsusque ferarum, 

Telorumque graves ictus sedare medendo. 

Atque is deinde suo inoricDs cœlestia dona 

Monstravit nato y natusque heredis honori 

Tramisit patrias artes ; quem deinde secutus 

Haud levior fairia Syuhalus , Garamantica soUers 

Monstrata augebat studio , multaque vetustum 

Hammonis comitem numerabat imagine patrem. 

Tum proavita ferens leni medicamina dextra 

OciuSy intortos de more adstrictus amictus^ 

Mulcebat lympha purgatum sanguine vulnus. 

At MagOy exuvias secum cœsique volutans 

Hostis mente necem, frateruas peçlore curas 

Pellebat dictis , et casum laude levabat : 

a Parce metu, germane; meis medicamina nulla 

Adversis majora feres : jacet Appius hasta 

Ad mânes pulsus nostra. Si vita relinquat , 

Sat nobis actuin est; sequar hostem laetus ad umbras. » 

Qu;£ dum turbatos avertunt œquore campi 

Ductorès, valloque tenent; ex agmine Pœnuui 

Cedentem consul tumulo speculatus ab alto, 

Atque atrani belii castris se condere nubem, 

Turbidus extemplo trépidantes milite mœsto 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3o5 

retentissait avec éclat par toutes les villes et sur tous les 
rivages de la Syrte parétonienne. Ammon le Garamante 
autrefois avait donne à l'antique Syufaalus les premières 
leçons de cette science, et lui avait appris à guérir les 
morsures des bétes féroces et les profondes plaies des 
javelots. Celui-ci, en mourant, transmit ce don c^éleste à 
son fils, et le fils, pour illustrer son héritier, lui légua 
les traditions de son père : Synhalus leur succéda et, sans 
rien perdre de tant de renommée, sut ajouter encore, par 
ses recherches, aux enseignemens du Garamante, prou- 
vant , par la longue suite des images de ses aïeux , que 
Tantique compagnon d'Ammon était son ancêtre. D'une 
main légère il applique aussitôt les remèdes de ses pères; 
ses vêtemens serrés autour de lui et repliés suivant 
l'usage, il lave d'une onde fraîche le sang de la blessure. 
Magon, dont les pensées né^roulent que sur le trépas et 
les dépouilles de l'ennemi massacré , rassurait par ces 
paroles l'âme inquiète d'Annibal , et balançant le péril 
par la gloire : c Bannis tes alarmes, frère ; il n'est pas de 
plus puissant remède à ma souffrance : Appius est mort ; 
ma lance l'a précipité chez les mânes. Que la vie m'aban- 
donne, ce que j'ai fait me suffit, et je suivrai joyeux 
Tennemi chez les ombres. » 



Pendant que ces tristes soins détournent du champ de 
bataille les chefs ennemis retenus sous leurs tentes, le 
consul qui, du haut d'une éminence, a vu le Carthaginois 
quitter son armée, et ce noir tourbillon de guerre s'en- 
fermer dans le camp, s'élance avec furie, charge les 
bataillons troublés par la douleur, ouvre les rangs 

I. '20 



3o6 PUNICORUM LIB. V. (v. 38 1.) 

Iiivadit cuneos, subitoque pavore relaxât 

Jam rarescentes acies : tum voce feroci 

Poscit equum, ac raediae ruit in certamina vallis. 

Sic ubi torrentem crepitanti grandine nimbuin 

Inlidit terris, molitur Juppiter altas 

Fulmine nunc Alpes, nunc mixta Cerâunia cœlo, 

Intremuere simiil tellus, et pontus, et œther, 

Ipsaque commoto quatiuntur Tartara mundo. 

Incidit adtonitis inopino turbine Pœnis 

Haud secus inprovisa lues , gelidusque sub ossa 

Pervasit miseris conspecti consulis horror. 

It médius , ferroque ruens densissima , iatum 

Pandit iter : ciamor vario (Hscrimine vocum 

Fert belli rabiem ad Superos, et sidéra puisât. 

Ceu pater Oceanus quum saeva Tethye Calpen 

Herculeam ferit, atque ei^esa in viscera montis 

Contortum pelagus latrantibus ingerit àndis« 

Dant gemitum scopuli; fraclasque în rupibus unrdas 

Audit Tartessos latis distermina terris, 

Audit non parvo divisus gurglte Lixus. 

Ante omnes jaculo tacitas fallente per auras 

Obcumbit Bogu$, infaustum qui primus ad amnem 

Ticini raprdam in Rutulos contoi-serat hastàm. 

lile sibi longam Clotlio, turbamque nepotum 

Crediderat, vanis deceptus in alite siguis. 

Sed non augurio Parcarum inpellere metas 



LES PUNIQUES, LIV. V. 307 

surpris qui se desserrent saisis de crainte : d'une voix 
terrible il demande son coursier, et se jette au combat 
dans la vallée. Ainsi, quand les torrens impétueux de la 
grêle retentissante battent la terre, Jupiter frappe de sa 
foudre et les cimes des Alpes et les rocs Cérauhtens qui 
touchent le eîel; tout tremble en tnême temps, et le sol, 
et la mer, et l'éther; le Tartare même s'ébranle sous les 
secousses de l'univers. 



Non moins soudaine, d'un choc violent et imprévu 
fond la tempête sur les Carthaginois épouvantés : l'aspect 
du consul glace les malheureux d'une froide horreur 
qui pénètre leurs os. Il vole dans la mêlée, enfonce le 
fer dans les masses épaisses et se fraie un large chemin : 
mille datueurs diverses , mille voix confuses percent la 
nue, et portent jusqu'aux dieux les éclats de là rsge. 
x\însi quand l'Océan, père de toutes choses, tourne 
contre Calpé le courroux de Téthys, et dans les flancs 
creusés du mont herculéen pousse les flots houleux et les 
vagues hurlantes , le roc plaintif gémit ; les ondes se > 
brisent avec fracas : on les entend au loin dans Tar- 
tessus détachée du large continent; on les entend à 
Lixus, par-delà le gouffre profond qui la sépare. 

Avant tbos, surpris par une flèche qui saiis bruit a 
fendu les airs, Bogus succombe : il avait, le premier, 
sur les funestes rivages du Tésin, lancé contre les Ru- 
tules sa rapide javeline. Il espérait de Clotho longue vie 
et nombreuse lignée, abusé par le vain présage des 
oiseaux.. Mais nul, en vertu d'un augure, n'eut le don 
jamais de recaler les bornes marquées aux Parques : H 

' 20. 



3o8 PUNICORUM LIB. V. (v. 407.) 

Concessum cuiquaiti : ruit intef telâ cruentis 
Susptciens oculis cœlum, Superosque reposcit 
Tempora promissae média jam morte senectae. 
Nec Pagaso exsultare datur, ne inpune reiictum 
Consulis ante ooulos vita spoliasse Libonem. 
Laurigeris decus îllud avis navaque juventa 

j 

Florebat : sed Massylus subciderat ensis 
Pubescente caput mala , properoque virentes 
Delerat leto beliator barbarus annos. 
Flaminium inplorasse tamen jam morte suprema 
Haud frustra fuit : avulsa est nam protiuus hosti 
Ore simul cervix; juvit punire feroci 
Victorem exemplo, et monstratum reddere letuin. 
Quis Deus, o Musae, paribus tôt fanera verbis 
Evolvaty tantisque umbris in carminé digna 
Quis lamenta ferat? certantes laude cadendi 
Primaevos juvenes, mortisque in limine cruda 
Facta virum, et fixis rabiem sub pectore telis? 
Sternitur alternus vastis concUrsibus hostis: 
Nec spoliare vacat, prœdaeque advertere mentem. 
Urget amor caedum, clausis dum detinet hostem. 
Fraternum castris vulnQs; funditque ruitque 
Nunc jaculis, nunc ense, modo inter millia consul 
Beliantum conspectus equo, modo Marte feroci 
Ânte aquilas et signa pedes. Fluit inpia rivis 
Sanguineis vallis ; tumu)ique et concava saxa 



LES PUNIQUES , LIV. V. ^09 

roule sur h^s javelot$, at, levant vers le ciel des yeux 
ensanglantes, à.demî mort déjà, il redemande aux dieux 
les jours de. vieillesse qu'ils lui ont propfiis. 

Pagasus n'eut pas lieu de s'applaudir et fut bieutOit 
puni d'avoir, sous les yeux du consul, dëppuillé Li- ' 
bon de la vie. Paré des lauriers de ses ancêtres , Libon 
brillait encore par sa vaillance et sa jeunesse en fleur : 
mais Tépée du Massyle tpancha cette tête aux joues 
adolescentes; p^r uae mort précoce, le soldat barbare 
rompit le cours de ces vertes années. A son heure der- 
nière, il implora Flaminius, et ce ne fut pas en vain; 
car, à l'instant même, tomba détachée la tête de l'en- 
nemi : le q.onsul, en punissant ainsi le vainqueur, voulut 
suivre son cruel exemple , et lui rendre, le. trépas qu'il , 
avait donné. 

Quel dieu. Muses, saurait dignement redire tant de 
funérailles? qui pourrait, dans ses vers, pour de si 
grandes ombres, avoir assez de larmes? De jeunes 
guerriers, des enfans se disputent la gloire de mourir : 
soush le coup du trépas, les héros luttent encore , et la 
rage vit dans les cœurs sous le fer qui les tue. Avec de 
vastes efforts l'un et l'autre ennemi tour-à-tour se heurte 
et se renverse : nul n'a le loisir de dépouiller le vaincu 
ou de songer au. butin. Entraîné par l'amour du carnage, 
pendant que la blessure de M9gon tient son frère en- 
fermé dans le camp , le consul terrasse , écrase tout , du 
javelot, de l'épée, tantôt à cheval et superbe entre ces. 
milliers de combattans, tantôt à pied et livrant rude 
guerre en avant des aigles et des enseignes. La vallée 
maudite roule des flots de sang , les collines et les roches . 



3io PUOTCORUM LIB. V. (v. 433.) 

Armorum sonitus, flatusque imitantur equorum. 

MiscEBAT caoïpum , membrorum io prœlia portans 
Celsius humano robiir, visac^ue paventes 
Mole gigantei vertebat cbrporis alas 
Othrys Marmarides : la(i super agroen utrumque 
Ingeos tollebaat humeri caput; hirtaque torvae 
Froôtis csesariesy et crinîbtis aemula barba 
Umbrabàt rictus ; squalore hutc hispida dîra^ 
Et villosa feris horrebant pectora saetis. 
Ad^pirare viro propioremque adderé Marlem 
Haud ausum Guiquam : Wxo oeu bellua campo^ 
locessebatur tutk^ ex agmine telis. 
Tandem, vesanos palantuin in terga ferentt 
Cum fremitu vultus^ tacita per nubila penna 
Intravit torvum Gortynra lumen ariindo , 
Ayertîtque virum. Fugientis ad agniina consul 
Intorquet tcrgo jaculum, quod tegmine nudas 
Inpupit costas , hirtoque a pectore primum 
Mucronem ostendit : rapidus convellere tentât 
Qua nasci ferrum fulgenti cuspide cerntt , 
Dopec, abundanter defuso sangaine, late 
-Procubuit moriens, et telum vulnere pressit : 
Spiritus exundans vicinum pulvere moto 
Perflavit campum, et nubem dispersit in auras. 
Nec minor interea tumulis silvisque fremebat 
Diversis Mavors, variaque per ardua pngna 



LES PUNIQUES, LIV. V. :îii 

sonores répètent le cliquetis des armes et le souffle 
bruyant des coursiers. 

Bouleversant le champ de bataille, un guerrier d'une 
stature et d'une vigueur plus qu'humaine promenait 
dans les rangs sa gigantesque masse , et chassait devant 
lui les cohortes épouvantées : c'était Othrys le Marma- 
ride : ses larges épaules élevaient sa tête au dessus des 
deux armées; sur son front menaçant se dressait un 
poil rude, et une barbe pareille à sa chevelure ombra- 
geait ses lèvres : sa poitrine hideuse et velue était hé- 
rissée de soies dui'es et sauvages. Nul n'osait l'aborder, 
le joindre pour le combattre : comme une bête farouche 
échappée dans la plaine, on l'attaquait de loin et sans 
péril du sein de la mêlée. Enfin, comme il dirigeait en 
frémissant des regards forcenés contre les Romains en 
déroute, d'une aile légère et sans bruit une flèche de 
Gortyne glissa dans l'espace, et s'enfonça dans son œil 
louche. Le géant recule et s'enfuit : le consul lui lance 
dans le dos sa javeline; le fer, pénétrant les côtes nues 
et sans défense, sort et reparait au milieu de la poitrine 
velue : Othrys essaie aussitôt d'arraclier ce fer aigu qu'il 
voit poindre et luire; mais son sang coule en abondance, 
son vaste corps s'abat mourant sur la terre, et le trait 
plus avant rentre dans la blessure : des bouffées de son 
haleine il balaie le sol qui l'entoure, et soulève un nuage 
de poussière qui tourbillonne dans les airs. 



Cependant sur les collines et dans les forêts la lutte 
n'est pas moins vive ; divers combats sont engagés sur 



^12 PUNICORUM LIB. V. (v. 459) 

£t saxa et dumi rorantes caede nitebant. 
Exitium Irepidis, letique et stragis acerbae 
Causa Sycbœus erat : Murranum ille emiaus hasta 
Perculerat ; quo non alius, quum bella silerent, 
Dulcius OËagrîos pulsabat pectine nervos. 
Obcubuit silva in magna, patriosque sub ipso 
Quaesivit montes leto, ac felicia Baccho 
.£quana , et Zephyro Surrentum molle salubri. 
Addiderat raisero comitem , pugnaeque ferocis 
Gaudebat tristi victoi' no vitale Sychaeus. 
Palantes nam dum sequitur, pervaserat altani 
In silvam, et priscae reclinJs ab ictibus ulmi 
ïerga tuebatur trunco, frustraque relictos 
Tauranus comités saprenKi voce ciebat. 
Transegit juvenem, ac perfossis incita membris 
Haesit in obposito cuspis Sidonia ligna. 
QD10 vobis? quœnam ira Deum, vel mente sinisti*a 
Quae sedît formido, viri? qui, Marte relicto, 
Ramorum quaesistis opem : non œquus in artis 
Nimirum rébus suasor metus : argûit asper 
Ëx.itus eventu pravi consulta timoris« 
Annosa excelsos tendebat in aethera ramos 
£sculus, umbrosum magnas super ardua silvas 
Nubibus insertans altis caput, instar, aperto 
Si staret campo, nemoris, lateque tenebat 
Frondosi nigra tetlurem roboris umbra. 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3i3 

les hauteurs , et les roches et les buissons luisent arrosés 
de sang. C'est là que Sychée a porté l'ex termina tion et le 
désordre, et qu'il cause un massacre, un carnage terrible. 
De loin il frappe de sa lance Murraniis; nul, quand le 
fracas de la guerre avait cessé, ne touchait plus mollement 
du dé les cordes d'Éagrus. Tombé dans la forêt immense, 
Murranus chercha d'un œil mourant les monts de sa 
patrie, ces coteaux équaniens que Bacchus favorise, et 
la tiède Surrente aux zéphyrs salutaires. Un autre a 
bientôt partagé le soi*t de cet infortuné , et Sychée 
vainqueur s'applaudit de ce second meurtre dont il 
aime l'atroce nouveauté. Entraîné à la poursuite des 
fuyards, Tauranus s'était avancé dans les profondeurs 
de la forêt; le dos appuyé au tronc d'un orme antique, 
il s'était mis à l'abri des atteintes, et il appelait, mais 
en vain et pour la dernière fois, ses compagnons qu'il 
avait abandonnés. La lance du Sidoùien perça le jeune ^ 
Bomain , lui traversa le corps et le cloua dans l'arbre 
où elle s'arrêta. 

Qu'avez-vous ? quel courroux des dieux vous égare? 
quelle terreur sinistre a pris place en vos âmes , guer- 
riers, qui désertez le combat et cherchez un refuge au 
sommet des arbres? A l'heure du péril, c'est un funeste 
conseiller que ta peur : fatal à son issue, toujours l'évé- 
nement condamne les tristes inspirations de la crainte. 
Une yeuse séculaire étendait ses hautes branches dans 
les airs, et superbe et dominant les forêts immenses, 
elle enfonçait sa tête chevelue dans les nuages : en 
plaine, elle eut semblé seule un bois; elle couvrait au 
loin la terre des noires ombres de son épais feuillage. 
Près d'elle, un chêne, son égal , qui depuis de longs 



3i4 PUNICORUM LIB. V. (v. 4S5.) 

Par jaxia qiiercus, longutn moItU per a&vuin 

Yertice canenti proferre sub astra cacûmen y 

Diffusas patulo laxabat stipite frondes ^ 

Umbrabatque opma summi fastîgia iiiootîs. 

Hue Hennœa eohors, Triquetrîs quam miserai oris 

Rex, Arethusa^ tuus, defendere nescia raorli 

DedecuSy et inentem nimio inutata pavore, 

Certatim sese tuiit , adsceadensqiie vicissim 

Pressit nutantes ineerto poadere ramos. 

Mox alius super atque alius coasistere tuto 

Dum certauty pat*s excussi (nam fragmioe putri 

Ramorum , et senio maie fida fefellerat arbor) ; 

Pars trepidi ceiso inter tela cacumine pendent. 

TuRB\TOS una properans consumere peste 

Conripit œratam jam dudum in beila bipennem , 

Deposito clipeo mutatus tela, Sychaeus. 

lucumbunt sociae dextrae, maguoque fragore 

Puisa gémit y crebris subcumbens ictibus y ai*bos. 

Fluctuât infelix concusso stipite turba; 

Ceu Zephyrus quatit antiques ubi flamine lucos. 

Fronde super tremuli vix tota cacuminis haerens 

Jactatur, nido pariter nutante, volucris. 

Procubuit tandem mutta devicta securi 

Subfugium infelix miseris et inhospita quercus, 

Ëlisitque virum spatiosa membra ruina. 

Injde alias claditm faciès : contermina caedis 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3ir> 

siècles s'efforçait d'élever jusqu'aux astres la cime de 
son front blanchi, déployait autour de lui les rameaux 
épars de sa tige touffue, et ombrageait de sa chevelure 
le vaste faîte de la montagne. C'est là que les enfans 
d'Henna , que celte cohorte envoyée par ton roi , 
Arëthuse, des rives triquétriennes , sans nul souci de 
sauver son trépas de l'opprobre, et l'âme flétrie par 
Texcès de la crainte , se jeta en tumulte. Us gravissent 
tour-à-tour ces branches qui vacillent sous le poids mal 
assuré qui les presse. L'un sur l'autre entassés, ils cher- 
chent un lieu ferme où se prendre; mais soudain les uns 
tombent avec un rameau pourri qui se brise : la perfide 
vieillesse de l'arbre les a trahis; les autres tremblent 
suspendus au sommet , en butte à tous les traits. 



Sychée profite de leur trouble pour tes exterminer 
tous ensemble. Il change d'aribure, dépose son bou- 
clier, et saisit sa hache de guerre, doublée d'airain. Ses 
compagnons le secondent : leurs bras réunis frappent 
l'arbre qui gémit en longs éclats, et succombe sous les 
coups redoublés qui le déchirent. La troupe infortunée 
chancelle aux secousses de la tige qui s'ébranle. Ainsi , 
quand le souffle de Zépbire agite les antiques forêts, sur 
la feuille mouvante qui le soutient à peine, l'oiseau flotte 
bercé dans son nid qui vacille. Vaincu enfin par tant 
de haches, l'asile funeste de ces malheureux s'écroule, 
l'arbre inhospitalier s'abat, et du poids de sa vaste ruine 
écrase les membres des guen*iers. 

é 

Ailleurs autre désasti^ : l'yeuse, voisine de ce carnage, 



3i6 PUNICORUM LIB. V. (v. Su.) 

Conlucet, rapidoque involvitur aedculus igni» 

Jamque inter frondes , arenti robore gliseeos 

Verlicibus sœvis, torquet Vuicanus anhelos. 

Cum fervore giobos flammarum^ et culmina torret. 

Nec tela interea cessant : semiuista gementunL, 

Atque amplexa caduat ardentes corpora'ramos. 

Hjec inter miseranda. virum certamina consul 

Ecce aderaty volvens irara exitiumque Sychaso. 

At juvenis dubio tantae discrimine pugnae 

Occupât eventum telo tentare priorem; , 

Gui medio leviter clipeo stetit œris in ora 

Cuspis, et ohpositas vetita est tramittere cràtes, 

Sed non et consul misso concredere telo 

Fortunara optatœ caedis parât, ac latus ense 

Haurit; nec crudae tardarunt tegmina parmae. 

Labitur infelix, atque adpetit ore cruento 

Tellurem exspirans : tum, difFundente per artus 

Frigore se Stygio , manantem in viscera mortem 

Adcipit, et longo componit lumina somno. 

Atque ea dum variis permixtus tristia Mavors 

Casibus alternat, jam castris Mago relictis, 

Jam Libyae ductor properanlia signa citato 

Raptabant cursu, et cessata reponere avebant 

Tempora cœde virum, ac multo pensare cruore. 

It globus intorquens nigranti turbine nubem 

Pulveris, et surgit sublatis campus areuis; 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3 17 

s'embrase enveloppée soudain par l'incendie. Vulcain 
s'attache au feuillage, au tronc desséché qui alimente 
sa rage , touii)illonne j et darde avec furie ses trombes 
flamboyantes au sommet de Tarbre qu'il dévore. Les 
traits volent en même temps : avec des cris plaintifs, 
les corps tombent , à demi brûlés , sur les rameaux 
enflammés qu'ils embrassent encore. 

Pendant que ses soldats se débattent dans les tortures, 
voici que le consul arrive, apportant guerre et mort à Sy- 
chëe. Peu confiant aux hasards d'une lutte si redoutable, 
le jeune Africain prévient l'ennemi, lui lance un trait^ 
et le premier ainsi lente l'événement. Le fer pénètre 
légèrement la surface du bouclier, et s'arrête sur les 
lames d'airain qu'il rencontre et ne peut traverser. Mais 
ce n'est point avec un javelot que lé consul pense assurer 
le succès du meurtre qu'il désire : il plonge son glaive 
au ventre de Sychée^ et le dur rempart du bouclier 
n'y put faire obstacle. L'infortuné tombe, et de sa lèvre 
saignante il mord la terre en expirant : le froid du Styx 
se répand sur tous ses membres , la mort glisse dans ses 
entrailles, son œil fermé s'endort du sommeil éternel. 



Pendant que Mars confond et varie ainsi tour-à-tour 
les tristes chances des batailles, déjà Magon, déjà le 
chef de Tannée libyenne, sortis du camp, ramènent à 
pas précipités leurs rapides enseignes, avides de réparer 
à force de carnage le temps qu'ils ont perdu, et de le 
racheter avec des flots de sang. Leur marche impétueuse 
soulève de noirs tourbillons de poussière; le sable jaillit 
et voie dans la plaine ; partout où le chef se porte et 



^i8 PUNICORUM LÏB. V. (v. Sî?) 

Quaqu0 ferèns gressum flectit vesligia ductor , 
Uiidanti circum tem pestas acta prôcella 
Volvitur, atque altos operit caligine montes. 
Obcubuere fémur Fontanus, Buta canorum 
Transfixi guttur^ pressoque e Yuliiere cuspis 
Prospexit terga : hune tristes laxere Fregellas 
Multiplicem proavis, hune mater Anagoia flevit. 
Hauo dispar fortuna tibi , Laevine ; sed auso 
NoD eadem : neque enim Tyrio coacuft*ere régi 
Tentas; sed lectus par ad certamen Itheinon 
(Autololum moderator erat), quem poplite cœso 
Dum spolias y gravis inmiti cum turbine costas 
Fraxinus inrupiti conlapsaque membra stib ictu 
Hoate superfuso subita cecidere ruina. 
Nec Sidicina cohors défit. Viridasius armât 
Mille viros , nuUi victus vel ponere castra , 
Yel junxisse ratem , duroque resolvere muros 
Ariete, et in turrtm subitos imnittere pontes. 
Quem postquam Libyae ductor virtute feroci 
Ëxsultare videt (namque illi vulnere praeceps 
Terga dabat levibus diflfîsus Arauricus armis); 
Acrius hoc pulchro Mavorte adcensus in iram , 
Et dignum sese ratus in certamina saBVo 
Comminus ire viro, referenti e corpore telum 
Advolat , et fodiens pectus , « Laudande laborum , 
Quisquis es , haud alia decuit te obcumbere dextra. 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3 19 

dirige sa course, l'ouragan poudreux roule autour de 
lui ses tempêtes ondoyantes et couvre de ténèbres le faîte 
des montagnes. Fontanus succombe percé à la cuisse, 
Buta au cou, et le trait qui s'enfonce en son gosier 
sonore, \e déchire d'outre en outre et reparaît derrière : 
l'un comptait de nombreux ancêtres, et fut amèrement 
regretté de Frégelles : Anagnie pleura l'autre , il était 
son enfant. 

Tu as même sort, Lévinus , sans avoir eu même 
courage. Tu n'as point osé te mesurer avec le roi ty- 
rien ; tu as choisi, pour une lutte plus égalé, Ithé- 
mon, chef des Autololes, et fu lui as tranché le jarret. 
Mais pendant que tu le dépouilles, la lourde javeline, 
en son terrible essor, te brise les côtes; ton corps 
chancelle sous le coup imprévu qui le renverse : l'ennemi 
sur toi retombe et t'écrase, 

La cohorte de Sidicinum ne fait point faute. Viridasius 
arma ces mille guerriers. Nul n'est son maître en l'art 
d'asseoir un eaUip, de joindre les radeaux, d'àbâttrèles 
remparts sous le choc du bélier , et de jeter à l'improvîj^te 
un pont sur une tour assiégée. Le chef des Libyens le 
voit bondir d'orgueil et de joie (Arauricus par lui 
blessé fuyait avec vitesse, peu rassuré par sa légère 
armure). L'éclat de sa bravoure enflamme plus vivement 
la rage d'Annibal; il croit digne de lui de combattre de 
près l'intrépide guerrier. Viridasius rapportait le javelol 
qu'il venait d'arracher du corps d' Arauricus. Annibal 
vole à lui , et , lui perçant le cœur : « Gloire à toi , soldat ; 
qui que tu sois, tu ne pouvais noblement périr d'une 
autre main. Emporte chez les mânes une mort honorable. 
Si tu n'étais de race italienne, je te renverrais en te 



320 PUNICORUM LIB. V. (v. 563.) 

Ad mânes leti perfer decus : Itala gentis 
Ni tibi origo foret , vita donatus abires. » 
Hinc Fadum petit y et vetérem bellare Labicum , 
Cui Siculis quondam terris congressus Hamilcar 

T 

Ciarum spectato dederat certamine nomen. 
Inmemor annorum, seniumque oblitus, in arma 
Ille quidem cruda mente et viridissimus irae 
Ibat; sed vani frigentem in Marte senectam 
Prodebant ictus : stipula crepitabat inani 
Ignis inersy.cassamque dabat sine robore flammam. 
Qu£M postquam adcepit patrio monstrante superbus 
Armigero Pœnum ductor, « Certamina primae 
Hic lue nunCy inquit, pugnae : te notus Hamilcar 
Hac trahit ad mânes dextra. » Tum librat ab aure 
lutorquens jaculum , et versantem in vulnere sese 
Transigit : extracta fœdavit cuspide sanguis 
Canitiem^ ac longos fini vit morte labores. 
Nec minus Herminium primis obtruncat in armis, 
Adsuetum, Trasyinene^ tuos praedantibus hamis 
Exhaurire lacus, patriaeque alimenta senectae 
Ducere suspenso per stagna jacentia lino. 
Interea. exanimem mœsti super arma Sychaeum 
PorEabant Pœni , corpusque in castra ferebant. 
Quos ubi conspexit tristi clamore ruentes 
Ductor, praesago percussus pectora luctu, 
«Quinam, jnquit, dolor^ o socii, quemve ira Deoruni 



LES PUNIQUES, LIV. V. 3 5.1 

laissant la vie. » Il attaque Fadus, et après lui Labicùs , 
vieilli dans les batailles , et qui jadis, aux terres de Sicile , 
avait lutté contre Aniilcar : combat signalé qui avait 
illustre son nom. Sans souci des années, de la vieillesse 
qu'il oublie, il porte sous les armes une âme jeune en- 
core, une verte audace; mais ses coups impuissans dans 
la mêlée trahissent son bras glacé par Tâge : c'est un feu 
mourant où pétille une paille légère, et qui ne donne 
plus qu'une flamme languissante et sans force. 



Le chef superbe des Carthaginois marche à ce vieillard 
que lui désigne l'écuyer de son père : « Tu vas expier 
ici , lui dit-il, le succès de ta lutte première: puisque tu 
connais Amilcar , c'est lui qui par mon bras t'entraîne 
chez les mânes. » Il ramène à la hauteur de son oreille et 
lance à Labicus un javelot qu'il arrache aussitôt du sein 
qu'il a percé : l'ennemi roule sur sa blessure, ses cheveux 
blanchisse souillent de sang, et la mort met un terme à 
ses longs travaux. Annibal immole ensuite Herminius , 
encore à ses premières armes, et accoutumé jusque-là, 
Trasymène, à dépeupler tes étangs de ses hameçons ra- 
paces, à suspendre le lin sur ton onde endormie pour 
nourrir son vieux père. 

Cependant les Carthaginois affligés rapportaient au 
camp, étendu sur ses armes, le corps inanimé de Sy- 
chée. Les voyant accourir ainsi avec des cris plain- 
tifs, Annibal qui les devine, l'âme frappée de tristesse ; 
« Pourquoi cette douleur, compagnons? quel guerrier 
le courroux des dieux nous a-t-il donc ravi? Est-ce 
1. 21 



3»a PUNICORUM LIB. V. (v. 58y.) 

Ëripuit nobis? num te, diilcedine lauclis 
Flagrantem et nimio primi Mavortis amore, 
Atra, Sychaee, dies properato funere carpsit?» 
Utque, dato geinitu, lacrimae adsensçre ferentum, 
Et dictus pariter cœdis tnœrentibus auctor : 
« Cerno, ait, adverso piilchrum sub pectore vulnus 
Cuspidis Ilïacae : dignus Carthagiue, digaus 
Hasdriibale ad mânes ibis; iiec te oplima mater 
Dissimilem lugebit avis, Stygiave sub umbra 
Degenerem cernens noster vitabit Hamilcar. 

At mibi Flaminius, tam mœsti causa doloris, 
Morte sua minuet luctus : haec pompa sequetur 
Ëxsequias, seroque emtum volet inpia Roma 
Non violasse mei corpus mucrone Sychsei. » 
Sic memorans torquet fumantem ex ore vaporem , 
Iraque anhelatum proturbat pectore murmur. 
Ut multo adcensis fervore exuberat undis, 
Clausus ubi exusto Kquor indignatur aheno. 
Tum praeceps ruit in medios, solumque fatigat 

V 

Flaminium incessens. Nec dicto segnius ille 
Bella capessebat, propiorque insurgere Mavors 
Cœp^-al, et campo jitnctus jam stabat utet'que; 
Quum subitud per saxa fragor, motîque repente 
(Horrendum) colles , et summa cacumina totis 
Intremuere jugis : nutant in vertice silvae 
Pinifero, fractaeque ruunt super agmina rupes. 



LES PUNIQUES, LIV. V. Saî 

toi j Sychée , toi qu'enflammait l'amour de la gloire et 
la fougue trop vive d'une première ardeur , est-ce toi 
([u'une mort prématurée nous enlève en ce jour fu- 
neste?» Les soldats confirment ses presseutimens par 
leurs larmes et leurs sanglots, et lui nomment Fau- 
teur du trépas qu'ils déplorent, a Je le vois, dit-il^ 
c'est par devant et sous le cœur, en belle place, que le 
fer troyen t'a frappé : lu iras chez les mânes, digne de 
Carthage , digne d'Asdrubal; ta tendre mère en pleurant 
ne t'accusera pas d'avoir démenti tes aucétres, et notre 
Amilcar, en te voyant parmi les ombres du Styx , ne 
t'évitera pas comme un héros dégénéré. Mais ce Flami- 
nius, seule cause de nos amères douleurs, me va sou- 
lager par sa mort de tant de souffrance : voilà quelle 
pompe suivra tes funérailles; et Rome la maudite vou- 
dra trop tard , bien qu'à tout prix , n'avoir poini ou* 
tragé de son glaive le corps de mon Sychée. » 

Il dit, et de sa bouche s'exhale une vapeur épaisse; la 
rage s'échappe de sa poitrine par sanglots entrecoupés. 
Ainsi bouillonne et déborde l'onde échauffée qui lutte 
indignée contre l'airain brûlant qui l'efiferme. Il se pré* 
cipite dans la mêlée; il n'appelle, ne provoque que Fla- 
niinius. Le consul qui l'entend, n'est pas moins prompt 
à voler au combat ; ils s'approchent , se joignent pour 
la lutte, et s'arrêtent l'un et l'autre en présence dans 
la plaine : soudain, avec un fracas horrible, les ro- 
chers, les collines s'ébranlent; les hauts sommets des 
montagnes tremblent sur leur base; les forêts chan- 
cellent sur les cimes où leurs pins ont grandi; les roches 
éclatent et s'écroulent sur les armées. La terre mugit et 
se soulève au loin dans les profondeurs de ses cavornes. 



Z'}\ PUNICORUM Lllî. V. (v. 6i5.) 

Inmugît penitus coiivulsis ima cavernis 
Dissiliens tellus, nec parvos rumpit hiatus; 
Atque umbras late Stygias inmensa vorago 
Faucibus ostendit patulis,.inaiiesque profundi 
Âoliquum expavere diem. Lacus ater, in altos 
Sublatus montes et sede excussus avita, 
Lavit Tyrrhenas ignota adspergine silvas. 
Jauique eadem populos magnorutuque oppida regum 
Tempestas et dira lues stravitque tulitque. 
Ac super lisec reflui pngnarunt montibus amnes^ 
El rétro fluctus torsit mai'e. Monte relicto 
Apenuinicol;£ fugere ad litora Fauni. 
PuGNABAT tamen (heu belli vecordia!) miles, 
Jactatus titubante solo, tremebundaque tela, 
Subducta tellure ruens, torquebat in hostem, 
Donec puisa vagos cursus ad litora vertit 
Mentis inops, slagnisque inlata est Daunia puhes. 
Quis consul terga increpitàns (nam turbine motœ 
Ablatus lerice inciderat) : «Quid deinde, quid, oro, 
Restât, io, profugis? vos en ad mœnia Romœ 
Ducitis Hannibalem : vos in Tarpeia Tonantis 
Tecta faces ferrumque datis. Sta, miles, et acres 
Uisce ex me pugnas : vel , si pugnare uegatum , 
Disce mori! dabit exemplum non vile futuris 
Flaminius , ne terga Libys , ne Cantaber unquam 
Consulis adspiciat : solus, si tanta libido 



LES PDNiQUES , LIV. V. SaS 

brise ses voûtes, déchire son sein qui s'entr'ouvre : un 
gouffre immense , par sa large bouche béante, découvre 
les ombres du Styx, et les mânes de l'abîme s'épou- 
vantent de revoir l'antique clarté du jour. Le lac se 
trouble, s'arrache de son ht natal, s'élance jusqu'au 
faîte des montagnes, et baigne de ses flots inconnue 
les bois tyrrhéniens. Les peuples, les puissantes cités 
des rois tombent et disparaissent emportés dans les 
bouleversemens de la tempête. Les fleuves reculèrent, 
violemment rebroussés vers les montagnes, et la mer 
refoula ses vagues en airière. Les hôtes de l'Apennin , 
les Faunes, quittant la montagne, s'enfuirent vers les 
rivages. 



Néanmoins (ô frénésie de la guerre! ) le soldat s'acharne 
à combattre sur ce sol mouvant qui le balance; d'un 
bras incertain il jette encore ses traits à l'ennemi, quand 
!a terre se retire et lui manque. Enfin repoussés, les 
eiifans de Daunus tournent, éperdus, leurs pas égarés 
vers le lac, et se précipitent dans ses ondes. Le consul 
indigné leur reproche leur fuite (les secousses du sol 
ébranlé l'avaient séparé d'Annibal et entraîné vers eux) ; 
a Quel espoir encore , dites , quel espoir vous reste , 
hélas! si vous fuyez? Vous menez iinnibal sous les 
remparts de Rome, vous livrez au fer et à Tincendie les 
palais de Jupiter Tarpéien. Arrête , soldat ! apprends 
de moi à combattre dignement; ou, si la lutte est 
impossible, apprends à mourir! Flaminius ne donnera 
pas un exemple de lâcheté aux siècles à venir; jamais 
Libyen, jamais Cantabre ne verra reculer le consul. 
Seul y si l'envie, si la rage de fuir vous tient au cœur, 



3a6 PUNICORUM UB. V. (v. 641) 

Est vobis rabiesque fugx, (ela omnia solus 
Pectore consumo, et morietis, fugiente per auras 
Hac anima, vestras revocabo ad prœlia dextras. » 
DuMQUE ea commémorât, densosque obit obvius hostes, 
Ad volât ora férus mentemquc Ducarius : acrî 
Nomen erat gentile viro, fusisque catervis 
Boiofum quondam patriis , antiqua gerebat 
Vulnera barbaricae mentis ; nosœnsque superbi 
Yictoris vultus, «Tune, inquit, maximus ille 
Boiorum terror? libet hoc cognoscere telo, 
Corporis an tanti manet de vulnere sanguis. 
Nec vos pœniteat, populares, fortibus umbris 
Hoc mactare caput : nostros hic curribus egit 
Insistens victos aha ad CapitoUa patres. 
Ultrix hora vocat. » Pariter tune undique fusis 
Obruitur telis, nimboque ruente per auras 
Contectus, nulli dextra jactare reliquit 
Flaminium cecidisse sua. Nec pugna pererafo 
Dlterior ductore fuit : namque agmine denso 
Primores juvenum , lœva ob discrimina Martis 
Infensi Superis dextrisque, et cernere Pœnum 
Victorein plus morte rati, super ocius omnes 
Membra ducis stratosque artus certamine magno 
Telaque, corporaque, et non fausto Marte cruentas 
Injecere manus. Sic deosi caedis acervo, . 
,Ceu tumulo, texcre virmii. Tum, strage per undas, 



LES PUNIQUES , LIV. V. 3a7 

seul j sur cette poitrine , j'épuiserai tous leurs traits : et 
mourant y quand mon âme s'échappera dans les airs, je 
vous rappellerai encore au combat. » 

Comme il parlait ainsi et s'élançait au devant des 
rangs serrés de l'ennemi, accourt à sa rencontre un guer- 
rier farouche ^ la rage au cœur et sur le front. Ducarius 
(c'était le nom que lui donnaient les Boïens, ses frères) 
avait été battu jadis dans les armées de sa patrie; et cette 
vieille blessure saignait encore dans l'âme du barbare. Il 
a reconnu le visage altierde son vainqueur : «Te voilà 
donc^ s'écrie-^t-îl , gratide terreur de nos Boiens! Je veux 
savoir, et ce javelot va me l'apprendre, si le sang peut 
jaillir d'un si noble corps. £t vous, camarades, n'ayez 
point regret d'immoler cette tête aux mânes de nos 
braves : il a vaincu nos pères, il les a traînés du haut 
de son char au sommet du Capitole. Vengeons-les, voici 
l'heure!» De partout à la fois pleuvent les javelots, 
Flaminius tombe sans vie sous cette nuée qui perce les 
airs et l'écrase : nul ne put se vanter d'avoir tué de sa 
main le consul. Son trépas mit un terme au combat. 
Réunis alors, les jeunes chefs de l'armée romaine, 
accusant de leurs revers funestes et le ciel et leurs bras^ 
pensèrent que la vue du Carthaginois vainqueur serait 
pour eux pire que la mort : tous ensemble ,^ avec empres- 
sement, s'élancent à Tenvi sur les membres du consul 
abattus et gisans, les couvrent de leurs armes, de leurs 
corps, et s'égorgent de leurs propres mains, rougies 
sans succès dans la bataille. Le lourd monceau de leurs 
cadavres s'éleva , comme un tombeau , sur le héros 
expiré. Alors, à travers les débris du carnage épars 
au loin sur les eaux, dans les forêts, dans la vallée 



3a8 PUNICORUM LIB. V. (v. 667) 

Per silvas sparsa, perquc altam sanguine valiem , 
In médias fratre invectus comîtaute catervas 
Caesorum juvenum Pœnus, « Quae vulnera cernis ! 
Quas mortes! inquit ; premit omnis dextera ferruni, 
Armatusque jacet servans certamina miles. 
HoSy en y hos obitus nostrae spectate cohortes! 
Fronte minae durant, et stant in vultibus irae. 
Et vereor, ne, quœ tanla créât indole tellus 
Magnanimos fecunda viros , huic fata dicarint 
Imperium , atque ipsis devincat cladibus orbem. » 
Sic fatus cessît nocti , finemque dedere 
Caedibus infusae subducto sole tenebrae. 



LES PUNIQUES, LIV. V. 329 

inondée de sang , le Carthaginois , accompagné de son 
frère, s'avance au milieu des légions massacrées. «Vois, 
disait-il , quelles blessures! quelles morts ! Pas une main 
qui ne presse le fer; le soldat est tombé, mais avec ses 
armes et posé pour combattre. Voyez-les , guerriers de 
nos cohortes, voyez comme ils sont morts! La menace 
encore respire sur leur front et la rage vit sur leurs vi- 
sages. Je tremble qu'une terre aussi féconde en grands 
cœurs, en héros magnanimes, ne soit par les destins 
réservée à l'empire , et que ses revers même n'asservis- 
sent le mondé. » 

Il dit et se retire devant la nuit. Les ténèbres au 
loin se répandent, dérobent le soleil, et mettent fin 
au carnage. 



3=: 



NOTES 



DU LIVRE PREMIER. 



I. Je chaîne ia guerre (vers i). Ordior arma,, on a blàjné ce 
début comme peu latin. On retrouve la même expression dans 
Gratius Faliscus, Cjrnégéty v. a4 ' 

Cassesque plagarumque ordiar astum ; 

et dans Ausone , Protrept. , v. (ia : 

</■ 

Ab Lepido et Catulo jain res et tempora Komu: 
Orsus. 

Lefebyre dfi Villebrune répond du reste à cette critique : « Si lins 
ne dit pas comme Virgile, cano, parce que son but n*est pas un 
poème où tout soit dû à l'imagination. Ordior^ dit-il, parce qu'il 
va parler de ces grands évènemens avec certain ordre que l'his- 
toire ne lui permet pas d'intervertir; mais les critiques qui ont 
blâmé ce début n'avaient pas fait ces réflexions. %Stace a été en- 
core plus hardi en disant (^Théb.^ liv. i , v. 8i) : 



. et totos in pœnaoi ordire- uepotes. 



Quel homme assez léger pour blâmer aujourd'hui ces idiomes , 
sans s'exposer au ridicule, dans un âge si éloigné de ces auteurs? 
Oui , sans doute , ces grands écrivains entendaient mieux leur 
langue que toutes les universités de l'Europe. » (Defsbykk de 
ViLLKBRUKK, Préface de sa traduction ^ p. xxxvj.) 

a. Aux lois de CÈnotrie (v. a). L'Enotrie n'était d'abord qu'une 
partie de l'Italie , celle où OËnotrus , Arcadien selon Pausanias , 
Sabin selon Varron, avait amené et établi une colonie. Depuis, 



NOTES DU LIVRE PREMIER. 33 1 

ce nom s'appliqua à toute TltaHe , jusqu'il ce qu*Ita1us , roi des 
Siciliens, lui imposât le sien. On a aussi dérivé ce nom du grec 
ovvoç, vin, comme celui d'Italie d'IraXcl, bœufs; les vins et les 
bœufs dllalie sont célèbres. 

3. L'antique Hespérie (v. 4). Autre désignation de rilalie. Les 
Grecs appelaient Hespérie les pays qui , comme l'Italie et l'Es- 
pagne, étaient pour eux à l'Occident. 

4. La race de Cadmus (v. 6). Les Carthaginois ctaient venus 
de Tyr, Tyr était en Phénicie et Cadmus était Phénicien. Voilà 
pourquoi Silius appelle les Carthaginois Tyriiy Pkœnices, gens 
Cadmeoy etc. 

5. Les chefs sidoniens (v. 10). Les Carthaginois sont appelés 
ici Sidoniens parce que Tyr avait été bâtie par des fugitifs de 
Sidon. 

Silius Italicus , comme Séncque le Tragique, comme Valerîus 
Flaccus, et tous ses contemporains, a souvent abusé de ces dé- 
nominations antiques, tirées de si loin et si obscures que les 
peuples qu'elles désignent auraient eu peine à s'y reconnaître. 
LiCs poètes des âges précédens les employaient isvec plus de ré- 
serve. 

6. Trois fois le glaii*e impie les entraîna follement à rompre 
la peux convenue (v. li). Pétrarque, au commencement de son 
jâfrica, a résumé de même en quelques vers les trois guerres 
puniques : 

Ter gravibus certatnm odiis et sangiiiue miilto. . 
At cœplum primo profligalumque secundo 
Est bellum, si vera notes; naro tertia nndus 
Prœlia finis habet, niodico cpnfecta lahore. 

-'^Médium hélium^ la guerre du milieu, c'est la seconde des trois, 
le sujet du poëme. 

jvEt celle-dà fHt plus près de sa chute, à qui te sort donna la 
wctoire (v. «4-15). C'est la phrase de Tite-Live, liv. xxi, ch. i : 
« Adert varia belli forhina ancepsque Mars fiiit, ut propins peri- 
culnm fuertnt, qui vicerunt. » Florns a dit aussi, liv. ji, ch. 6 : 

<i Alternm bellum adeo cladinm atroeitate terribilius, ut si quîs 

conférât damna utrinsque popuii , similior victo sit populns qui 
vieil, a 



33a NOTES 

Cette seconde guerre punique avait laissé de cruels souvenii-s 
dans rame des Romains. Lucrèce y qui en avait été presque le 
contemporain, n*en parle qu'avec un sentiment de douleur et 
d'épouvante : 

Ad confUgandum venientibus undique Pœms , 
Omnia quom belli Irepido concussa tumullu 
Horrida, contremuere siib altis aetheriâ auris; 
In dubioque fuere, utrorum ad régna cadundiim 
Omnibus humanis esset terraque marîque. 

(LocKBT. , lU Rtrum Nat.^ lib. m, t. 845.) 

Les vers de M. de Pongerville sont bien faibles auprès de cette 
admirable poésie : 

Quand des noirs Afincains les fougueux bataillons 
Gomme un torrent rapide inondaient nos sillons , 
A la voix de Bellone, aux rumeurs de la guerre. 
Un douloureux effroi s'étendit sur la terre ; 
Les peuples en suspens attendaient, prosternés. 
Par quels maîtres nouveaux ils seraient enchaînés. 

a La seconde guerre punique est si fameuse, que tout le monde 
la sait. Quand on examine bien cette foule d'obstacles qui se 
présentèrent devant Annibal et que cet homme extraordinaire 
surmonta tous , on a le plus beau spectacle que nous ait fourni 
Tantiquité. » (Montesquieu, Grandeur et déceidence des Ro- 
mains, ch. iv.) 

<K Ce n'est point sans raison, a dit M. Michelet, que le souvenir 
des guerres puniques est resté si populaire et si vif dans la métnoire 
des hommes. Cette lutte ne devait pas seulement décider du sort 
de deux villes ou de deux empires; il s'agissait de savoir à laquelle 
des deux races , indo-germanique ou sémitique , appartiendrait 
la domination du monde. Rappelons -nous que la première de 
ces deux familles de peuples comprend , outre les Indiens et les 
Perses, les Grecs, les Romains et les Germains; dans l'autre, se 
placent les Juifs et les Arabes , les Phéniciens et les Carthaginois. 
D'un côté , le génie héroïque , celui de l'art et de la législation ; 
de l'autre y l'esprit d'industrie, de navigation, de 'commerce. Ces 
de'jx races ennemies se sont partout rencontrées , partout atta- 



DIT LIVRE PREMIER. 333 

quées. Dans la primitive histoire de la Perse et de la Chaldée, les 
héros combattent sans cesse leurs industrieux et perfides voisins. 
Ceux-ci sont artisans, forgerons, mineurs, enchanteurs.- Ils aiment 
l'or, le sang, le plaisir. Ils élèvent des tours d'une ambition tita- 
nique , des jardins aériens , des palais magiques , que l'épée des 
guerriers dissipe et efface de la terre. La lutte se reproduit sur 
toutes les eôtes de la Méditerranée , entre les Hiéniciens et les 
Grecs. Partout ceux-ci succèdent aux comptoirs, aux colonies de 
leurs rivaux dans TOrient, comme feront les Romains dans l'Oc- 
cident. Voyez aussi avec quelle fureur les Phéniciens attaquent la 
Grèce à Salamine, sous les auspices de Xerxès, la même année 
où les Carthaginois, leurs frères, débarquent en Sicile l'armée pro- 
digieuse que Gélon détruisit à Himéra. Et plus tard , les Grecs , 
pour en finir , allèrent à leur tour attaquer chez eux leurs éter- 
nels ennemis. Alexandre fit contre Tyr bien plus que Salmanasar 
ou Nabuchodonosor. Il ne se contenta point de la détruire; il 
prit soin qu'elle ne pût se relever jamais, en lui substituant Alexan- 
drie et changeant pour toujours la route du commerce du monde. 
Restait la grande Carthage, et son empire bien autrement puis- 
sant que la Phénicie ; Rome l'anéantit. Il se vit alors une chose 
qu'on ne retrouve nulle part dans l'histoire : une civilisation tout 
entière passa d'un coup comme une étoile qui tombe. Le périple 
d'Hannon, quelques médailles, une vingtaine de vers dans Plante, 
voilà tout ce qui reste du monde carthaginois. II fallut bien des 
siècles avant que la lutte des deux races pût recommencer, et 
que les Arabes, cette formidable arrière-garde du monde sémi- 
tique , s'ébranlassent de leurs déserts. La lutte des races devint 
celle de deux religions. Heureusement ces hardis cavaliers ren- 
contrèrent vers l'Orient les inexpugnables murailles de Constan- 
tinople, vers l'Occident la francisque de Charles-Martel et l'épée 
du Cid. Les croisades furent les représailles naturelles de l'inva- 
sion arabe, et la dernière époque de cette grande lutte des deux 
familles principales du genre humain. » {Hi\t, romaine, liv. ii , 

eh. 3.) 

8. Le chef dardanien força les remparts d^Agénor {y. i4-i5). 

DuctorDardanus y c'est Scipion. Les Romains descendaient, comme 

on sait, des Troyens, et Dardanus avait régné à Troie. 

Arces Agenoreas, c'est Carthage, bâtie par les Phéniciens qui 



3^4 NOTES 

avaient eo' pour roi Âgénor, fils de Bélns et père de Cadmiis. 

Virgile , Enéide , liv. i , v. V^g : 

PuDÎca régna vides, Tyrios et jégenoris urbem. 

9. Didon aborde aux rives de UJbye jw, ai-aS). L'histoire 

*de Didon et de Sycfaée est bien connue : elle est plus longuement 
riUïontée dans «Virgile , Enéide ^ Hv. i, y. 338, et dans Justin, 
èiv. XYiii. Il faut Bayoip grë à Silius de sa concision. Scarron , 
•dans SA traduction burlesque de V Enéide y a singulièremeiit tra- 
vesti cette vieille histoire : 

C'est ici la terre punique : 
Le peuple eu est fort colérique, 
Qui de Tyr qu*Agénor fonda , 
En cette contrée aborda, 
Avecque Didon, notre reine, 
Qiie la tyrannie et la haine 
Dfe son frère Pygmalionv 
Pire qu'un tygre et qu'un lion. 
Contraignit de plier toilette. 
Et de déloger sans trompette , 
Un pied mal chaussé, l'autre nu. 
En ce rivage peu connu 
Les dieux lui donnent un asyle; 
Elle y fait bâtir une ville. 
Si ce n'est vous importuner, 
Et que vous vouliez vous donner 
La patience de m'entendre , 
J'aurai pkiair de vous apprendre 
Son histoire , dont aisément 
On feroit un fort beau roman. 
Volontiers , belle Tyrienne , 
Et je vous conterai la mienne , 
Qui , je gage cent carolus , 
Vaut bien la vôtre, et même plus. 
' l^ous verrons, répondit la belle. 

Didon fut l'épouse fidelle 
De rii^rtuné Sychéus , 
A qui, plus traître que Bréui, 
Pygmalioo le sanguiaaire , 
Comme il récitoit son bréviaire , 



DU LIVRE PREMIKa. 3^5 

D*nn coup d'arquebow i rcMiët, 
Action digne du fouet > 
Fit un trou dans le mézéntère. 
Son épouse s*en désespère , 
En fait faire infonnatiop; 
Mais de cette noire action 
Elle n'eut aucune nouvelle , 
Tant le inetittrier infidelle 
Sut tenir son crime secint. 
La pauvrette en meurt de rqgreC ; 
De ses treweft lors mal peignées , 
Elle arraohe maintes poignées. 
Se prend aux astres innocens; 
La rage maîtrise ses sens. 
Une nuit qu'elle pleure et crie , 
Et pour le pauvre défunt prie, 
Elle le Toit peraé de coups , 
Et tout sanglant , ce pauvre époux , 
Qui âhme vbix ép0uvaiktal>le 
Lui conte Facte détestable, 
Et que son frère avoit gr A»d. toit 
De ravoir ainsi mis à mort, 
Pensant, par cette injuste voye, 
Avoir son or et sa monnoye. 
Didon lui donna le bon-soir. 
Parce qu'elle avoit à le voir 
Une peur extraordinaire : 
EHe dissimula l'affaire, 
Et s'&ssurant des mal^ontens , 
Prend un beau jour si bien son tems, 
Que tout ce que ce frère injuste 
Avoit d'argent, pistole juste, 
£t tous ses meubles les plus Joeaux 
Chargés en vingt et cinq vaisseaux; 
, Abordèrent en ce rivage 
Où Didon fait bâtir Carthage. 
Le propriétaiie du lieu, 
Ayant eu le denier-adieu , 
Crut la tromper et ne lui vendre 
Qu'autant de lieu que peut comprendre 
La peau d'un boeuf, tant grand fM-il. 
Mais Didon, par un tour subtil , 



336 NOTES 

Fit ooaper cette peau par bandes » 
Et fit les mesures si grandes 
Que £a yille, par ce bon tour, 
Malgré le vendeur eut grand tour. 

On ine pardonnera cette citation bouffonne en favear de la 
suivante : 

u L*an 883 avant notre ère, Didon, obligée de fuir sa terre na- 
tale 9 vint aborder en Africpie. Carthage , fondée par l'épouse de 
Sichée, dut ainsi sa naissance à Tune de ces aventures tragiques 
qui marquent le berceau des peuples, et qui sont comme le germe 
et le présage des maux , fruits plus on moins tardifs de toute so- 
ciété humaine. On connoît Theuieux anachronisme de V Enéide. 
Tel est le privilège du génie, que les poétiques malheurs de Didon 
sont devenus une partie de la gloire de Carthage. A la vue des 
ruines de cette cité , on cherche les flammes du bûcher fonèbre ; 
on croit entendre les imprécations d'une femme abandonnée; on 
admire ces puissants mensonges qui peuvent occuper l'imagina- 
tion , dans des lieux remplis des plus grands souvenirs de l'his- 
toire. Certes, lorsqu'une reine expirante appelle dans les murs de 
Carthage les divinités ennemies de Rome, et les dieux vengeurs 
de rhospitalité ; lorsque Vénus, sourde aux prières de l'amour, 
exauce les vœux de la haine , qu'elle refuse à Didon un descen- 
dant d'Énée, et lui accorde A.nnibal, de telles merveilles, expri- 
mées dans un merveilleux langage, ne peuvent pins être passées 
sous silence. L'histoire prend alors son rang parmi les Muses , et 
la fiction devient aussi grave que la vérité.» (Chateaubriand, 
Jtinér. de Paris à Jérusalem ^ vu® partie.) 

lo. Junon (v. 26). Celte intervention de Junon a paru ingé- 
nieuse à quelques commentateurs. Silins a conservé à la déesse 
le caractère jaloux el emporté que lui a fait Virgile. Sa haine contre 
les descendans d'Énée est vivante encore après tant de siècles, et 
c'est pour la satisfaire qu'elle excite Carthage contre Rome. 

On ne peut nier pourtant l'ennuyeuse banalité de ces vieilles 
fictions mythologiques. Elles ont été le texte de critiques nom- 
breuses et fondées, et la cause principale du discrédit où sont 
tombés la plupart des poètes de la décadence. 

a Si Lucain , Silius Italiens , Stace , Claudien, dit M. Edgar Qui- 
net , marquent une chute si prodigieuse dans l'art , ce n'est pas 



DU LIVRE PREMIER. 3'>7 

seulement parce qu'ils ont altéré la diction et la langue. Jusqu'au 
dernier soupir, les Romains ont excellé à composer ce que l'on 
appelle de beaux vers et de belles phrases, sorte d'art mécanique 
dans lequel ils sont de beaucoup supérieurs aux Grecs, le moindre 
d'entre eux pouvant en remontrer là- dessus au vieil Homère. La 
décadence ne vient pas non plus de ce qu'ils ont quitré les prin- 
cipes du siècle d'Auguste. Le contraire de cette idée serait plus 
exact. Dites que ces poètes sont demeurés stériles parce qu'ils sont 
restés asservis à une loi morte , et vous toucherez au vrai. Pour 
eux, la vieille société a beau mourir, ils n'en ont cure. La même 
expression , la même règle , la même mythologie , ils l'appliquent 
à l'Italie d'Évandre et à l'Italie des empereurs. Avant comme 
après les Barbares, Rome est toujours pour eux la Rome de Fa- 
bricins et de Caton. Que leur fait le bélier qui frappe à la porte? 
jusqu'au bout ils continuent le jeu classique des temps de Sa- 
turne. C'est toujours , quoi qu'il arrive , même sénat , mêmes 
naïades, même triomphe, surtout même imitation. Sous le Goth 
Stilicon repar«iit l'âge d'or. Alaric est le commensal d'Énée; le 
siècle de Claudien se revêt de la peau du lion homérique. La poé- 
tique du siècle d'Auguste régit jusqu'à la fin le siècle d'Augustule. 
oc Qui ne voit clairement que si l'art à cette époque n'a aucune 
valeur sérieuse , ce perpétuel mensonge en est la cause ? Car ce 
n'est pas la poésie en soi qui manquait au spectacle de cette so- 
ciété agonisante ; le spectateur seul y manquait. De tant de pro- 
phètes officiels, augures, dévins, aruspices, pas un n'a le pressen- 
timent de ce qui menace le monde antique. Tranquillement et 
stupidement la société romaine s'en va à l'abîme sans qu'il se 
trouve, parmi tous ces intrépides disciples du siècle d'Auguste, 
un homme qui ait le cœur de se lever et de dire : « Nous péris- 
<c sons! » Certes, il ne valait guère la peine d'avoir à son berceau 
tant de sibylles pour n'être pas prévenu de sa chute une heure 
d'avance. Ni Attila , ni aucun des Barbares , ne peuvent arracher 
cette momie impériale à l'imitation de V Enéide, qu'elle balbutie 
encore dans son tombeau de Byzance. Veut-on voir quelque chose 
de plus? il faut relire Symmaque. Quand tout est fini, et qu'il n'y 
a déjà plus de Rome, sous Théodose, il se trouve encore un 
homme pour demander, au nom de la société qui n'est plus, le 
rétablissement du culte de Janus. Sans doute cet homme-là croyait 

I. 22 



338 • NOTES 

qu'il ne fallait qu'an décret de l'empereur pour ressiisâter le^ 
dieux ensevelis , depuis trois siècles , sous le grand tumulus àt 
rOlympe. » (Edgar Qui net, de V Epopée romaine,^ 

II. Mais quand elle (funon) vit Rome dresser hautement la 
tête au dessus des puissantes cités (v. 29^33)* Pétrarque, malgré 
son admiration poiu* Virgile, a vu autre chose que la haine de 
Junon dans la rivalité de Carthage et de Rome {Afrique ", liv. i, 
V. 71) : 

Quœ tantis sit causa malis, qus cladis origo 
Quaeritur, nnde animi, quis tôt tolerare coegit 
Dura pererrato validas furor œquore gentes; 
Buroparaque dédit Libyse , Libyamque rebellem 
Europe^, allerno vastandas turbine terras? 
At mihi causa quidem studii non indiga lougi 
Occurrit , radix cunctorum infecta malorum 
Invidia , unde orieps extrema ab origine mors est , 
Atque aliéna videns Irisfi dolor omnia vultu 
Prospéra. Non potuit florentem cemere Romam 

t 

^mula Carthago ; surgenti inviderat urbi : 
Sed gravius tuHt inde parem ; mox virilÀis auctam 
Yidit, et impcrio dominae parère potentis, 
Ac leges audire novas et ferre tributum 
Edidicit, tacitis intus sed plena querelis, 
Plena minis; frenum funesta superbia tandem 
Compnlit excutere et clades geminare receptas. 
Angebat dolor atque pudor servilia passos 
Multa viros, animisque incesserat aàdita duris 
Tristis avaritia ^, et nunquam satiabile votum. 

* Ce poëme de Y Afrique, que Pétrarque n*a jamais mis au jour, qu'il arait 
voulu jeter au feu et qu*il tint toujours renfermé , est demeuré imparfait. Une 
lacune considérable existe dans le récit des évènemens entre le iv* et le t'' livre, 
ce qui détourna les amis de l'auteur de le publier après sa mort. On trompe 
cet ouvrage imprimé dans l'édition complète des Œuvres de Pétrarque de 
Bâle, i554, et dans ijelle de i^St ; niais l'impression en est si négligée, et 
le texte chargé de fautes si grossières, qu'on a de la peine souvent à retrourer 
le sens. 

* ce Les Romains étoient ambitieux par orgueil et les Carthaginois par ava- 
rice; les uns vouloient commander, les autres vouloient acquérir; et ces der- 
niera, calculant sans cesse la recette et la dépense, firent toujours la guore 
sans l'aimer. » (MoHTBSqtrxau, Grandmir tt détadenee des Romains, cL rr/ 



DU LIVRE PREMIER. 3^9 

Permixts spes amborum , optatumque duobus 
^ Imperium populis, dignus sibi quisque videri 
Omnia cui subsint , totus cui pareat orbis. 
Praeterea damnumque recens, injuriaqae atrox 
Insola Sardiniae amissa ' et Trinacria rapta, 
Atque Hûpaoa nimis populo confinis utriqne, 
Oiftnibus exposita insidiis , aptissima pra^dœ 
Terra , tôt infandos longum passura labores ; 
Haud aliter quam quum aedio deproosa luporum 
Pinguis ovis, nunc hue rapitur*, nunc dentibus iilic 
Volvitur, inque tremeus partes discerpitur omnes, 
Bellantum proprioque madens resupina cruore. 
Accessit situs ipse loci : natura locavit 
Se procul adverso spectantes litore gentes ; 
AdTersosque animos, ad versas moribus urbes', 
«Adversosque Deos, odiosaque numina utrinque, 
Pacatique nihil ventos, elementaque prorsus 
Obvia , et infesto luctantes aequore fluctus. 

1 a. Les efforts de la flotte libyenne échouent dans les mers de 
Sicile (v. 34-35). Il s'agit de la première guerre panique , ter- 
minée en 5i2 de Rome par la victoire navale du consul C. Luta- 
tius Catuliis sur Hannon et la flotte carthaginoise près des iles 

' « Les Carthaginois rétablis n'étoient plus d'humeur à céder : la Sicile 
ravie de leurs mains, la Sardaigne injustement enlevée , et le tribut augmenté, 
leur tenoient au cœur. » (Bossuet, Discours sur thist. univers,, i'* part. , 
8* époque.) 

<c AfHrès vingt-quatre années de combats , un traité de paix mît fin à la 
première guerre punique. Mais les Romains n'étoient déjà plus ce peuple de 
laboureurs conduit par un sénat de rois , élevant de» autels à la Modération 
et à la Petite Fortune : c*étoient des hommes qui se sentoient faits pour com« 
mander, et que Tambition poussoit incessamment à Tinjustice. Sous tin pré- 
texte fiivole , ils envahirent la 5»ardaigne , et s*applaudirent d'avoir fait , en 
pleine paix , une conquête sur les Carthaginois. Ils ne savoient pas que le ven- 
geur de la foi violée étoit déjà aux portes de Sagonte, et. que bientôt il pa- 
roîtroit sur les collines de Rome : ici commence la seconde guerre punique. » 
(Chateaubriand, Itinér. de Paris à Jérusalem, vn« partie.) 

* Le texte des deux éditions porte ici rapidus et au vers précédent lapo- 
sttm, ce qui n*a aucun sens. 

^ Tair le parallèle de Carthage et de Rome dans Montesquieu , Grandeur 
et décadence des Romains, ch. iv. 

22. 



S4o NOTES 

Égales (aujourd'hui Levanzo, Favignana et Maretimo). Celte ba- 
taille est souvent rappelée dans le cours du poëme. Ployez Po- 

LTBE, liv. I, Ch. 60; AUREL. VlGTOB, cll. XLI ; CoKlTEI.. NkPOS, 

jÉmilcar, ch. I, § 3; Florus, liv. 11, ch. a. 

i3. Ses dieux deux fois esclaves (v. 43}. Troie avait été prise 
une première fois par Hercule , avant de Tétre par les Grecs. 
Virgile fait souvent allusion à cette double conquête , bis capù 
Phryges (^Enéide y liv. ix , v. 698, 635), et ^ens bis vicUi 
(Enéide, liv. xi , v. 40a). Quelques auteurs disent que cette ville 
fut prise une troisième fois par les Amazones. 

14. Cannes sera le tombeau de VHespérie (v. 5o). Cannas tu- 
mulum Hesperiœ, Siiius a pris cette expression dans Tite-Iive 
Scipion (liv. xxvi, ch. 41) dit à ses troupes : aTrebia, Trasime- 
nus, Cannas, quid aliud sunt, quam monumenta occisorum. exer* 
cituum consulumque Romanorum ? » Manilius, Astron, , liv. !▼, 
V. 658 : 

Fecit et seternam Trebiam Gannasque sepulcris 
Obruit 

Pline, Hist, Nat,, liv. xv, ch. ao : 't Quod non Trebia, aut Trasi- 
menus, non Cannse busto insignes Romani nominis, perficerepo- 
tuerunt. » 

i5. C était un génie avide de mouvement (v. 56 et suiv.). Silins^ 
comme Tite-Live (liv. xxi, ch. 4)» comme Cicéron {des I^evoirs, 
tiv. I, ch. la et 3o), comme tous les écrivains latins, a fort mal- 
traité Annibal. Les modernes lui ont rendu plus de justice. 

a Annibal , a dit M. de Chateaubriand , me paroît avoir été le 
plus grand capitaine de l'antiquité : si ce n'est pas celui que Ton 
aime le mieux, c'est celui qui étonne davantage. Il n'eut ni l'hé- 
roïsme d'Alexandre, ni les talents universels de César; mais il les 
surpassa l'un et l'autre comme homme de guerre. Ordinairement 
l'amour de la patrie ou de la gloire conduit les héros aux pro- 
diges : Annibal' seul est guidé par la haine. Livré à ce génie d'une 
nouvelle espèce , il part des extrémités de l'Espagne avec une ar- 
mée composée de vingt peuples divers. Il franchit les Pyrénées 
et les Gaules, dompte les nations ennemies sur son passage, tra- 
verse les fleuves , arrive au pied des Alpes. Ces montagnes sam 
chemins, défendues par des Barbares, opposent en vain leur bar- 



DU LIVRE PREMIER. 34 r 

rière à Annibal. Il tombe de leurs sommets glacés sur l'Italie, 
écrase la première armée consulaire sur les bords du Tésin , frappe 
un second coup à la Trébia, un troisième a Trasîmène, et du 
quatrième coup de son épée il semble immoler Rome dans la 
plaine de Cannes. Pendant seize années, il fait la guerre sans se- 
cours au sein de Fltalie; pendant seize années, il ne lui échappe 
qu'une de ces fautes qui décident du sort des empires, et qui pa- 
roissent si étrangères à la nature d'un grand homme , qu'on peut 
les attribuer raisonnablement à un dessein de la Providence. 

« Infatigable dans les périls, inépuisable dans les ressources, 
fin , ingénieux, éloquent, savant même, et auteur de plusieurs ou- 
vrages , Annibal eut toutes les distinctions qui appartiennent à la 
supériorité de l'esprit et à la force du caractère ; mais il manqua 
des hautes qualités du cœur : froid , cruel, sans entrailles, né pour 
renverser et non pour fonder des empires , il fut , en magnani- 
mité, fort inférieur à son rival. » (Itinéraire de Paris à Jérusa- 
lem ^ vil* partie.) 

a L'armée se nomma un général que Carthage s'empressa de con- 
firmer pour retenir une apparence de souveraineté. Ce fut le jeune 
Annibal , fils d'Amilcar , âgé de vingt et un ans , qu'Âsdrubal 
avait eu bien de la peine à obtenir encore enfant des Carthagi- 
nois. Ceux-ci croyaient reconnaître dans cet enfant le génie dan- 
gereux de son père. Sorti de Carthage à treize ans, étranger à 
cette ville , nourri , élevé dans le camp , formé à cette rude guerre 
d'Espagne, au milieu des soldats d'Amilcar, il avait commencé 
par être le meilleur fantassin , le meilleur cavalier de l'armée. 
Tout ce qu'on savait alors de stratégie , de tactique , de secrets 
de vaincre par la force ou la perfidie , il le savait dès son enfance. 
Le fils d'Amilcar était né , pour ainsi dire , tout armé \ il avait 
grandi dans la guerre et pour la guerre. 

« On s'est inquiété de la moralité d'Annibal, de sa religion, 
de sa bonne foi. Il ne se peut guère agir de tout cela pour le 
chef d'une armée mercenaire. Demandez aux Sforza, aux Wallen- 
stein. Quelle pouvait être la religion d'un homme élevé dans une 
armée oii se trouvaient tous les cultes , et peut-être pas un ? Le 
dieu du condottiere ^ c'est la force aveugle, c'est le hasard; il 
prend volontiers dans ses armes les échecs des Pepôli ou les dés 
du sire d'Hagenbach. Quant à la foi et l'humanité do Carthage , 



342 NOTES 

elles étaient célèbres dans le inonde Il ne faut pas chercher 

un homme dans Annibal; sa gloire est d'avoir été la plus formi- 
dable machine de guerre dont parle l'antiquité. » (M. Mighelbt, 
Hist, romaine, liv. ii , ch. 4*) 

Silius, un peu plus loin (même livre , vers 240 et suiv.) , fait un 
second portrait d'ÂJinibal, qui complète celui-ci. Ces deux mor- 
ceaux ont été jugés avec une rigueur extrême et souvent injuste 
par un critique français, par Clément, que Voltaire appelait Vin- 
clément, Après avoir opposé à Silius le portrait d'Annibal tracé 
par Tite-Live , il ajoute : 

« L'histoire admet quelquefois le portrait d'un grand homme, 
pourvu qu'il soit peint d'une manière rapide et précise , comme 
celui qu'on vient de lire ; mais les portrait<i sont du plus mauvais 
goût dans un poëme où le héros doit se peindre en action. Soyez 
sûr que tout poète qui vous donnera les portraits de ses person- 
nages, ne saura pas les faire agir. Ainsi la Eenriade est remplie 
de portraits et vide d'action. Silius s'y est pris à deux fois poor 
peindre Annibal ; mais en employant les principales couleurs de 
Tite-Live , il les a délayées , et ne pouvant saisir les traits vifs 
et précis, il les enfle et les exagère, croyant suppléer à la force 
par l'emphase et la déclamation. Il commence par les vices 
' d'Annibal : 

Ingeoio motus avidiu , fideîque sinister 
Isfijit 

Voyons le second portrait du héros carthaginois : 

Primus sumpsisse laborem , 

Primus iter carpsidse pedes 

Ce portrait est un commentaire de celui de l'historien ; mais un 
commentaire ampoulé qui sent le déclamateur. Tite-Live peint le 
héros ; Silius fait d'Annibal un capitan qui affronte Jupiter laa- 
çant ses foudres, qui se jette au milieu des abîmes et des écaeils, 
qui s'éloigne d'un ombrage quand il est dévoré du soleil , et 
d'une fontaine quand il est brûlé par la soif. Tout ce verbiage 
outré ne vaut pas l'énergique simplicité de l'historien. Ses traits 
âont marqués et profonds \ ceux du poète sont emphatiques et 



DU LIVRE PREMIER. ^4? 

Vil gués. » (£ssais de critique jsur la littérature ancienne et mo- 
ileme^ t. i, p. /|3.) ^ 

Clément n'a pas songé que Tite-Live n'écrivait que pour être 
lu; Siliusy au contraire, écrivait surtout pour être entendu. La 
condition n'était plus la même. Voyez la Notice en tête de ce 
volume, p. xxviij et xxix. 

i6. La famille sarranienne du vieux Burca (v. 7 a). Sar ou 
Sarra e$t un ancien nom de Tyr. {Voyez Aulu-Gellk, Nuits att,, 
liv. XIV , ch. 6.) Selon Servius , Sar, en langue tyrienne , était un 
poisson fort abondant près àe Tyr : d'où le nom de Sarra donné 
à la ville. Barca , en hébreu , signifie tiui lance la foudre, 

17. Il comptait y depuis Bélus , d'antiques aïeux (v. 73). Il y a 
eu deux Bélus. 11 s'agit ici du Bélus , père de Didon , dont parle 
Virgile, Enéide ^ liv. i, v. 6a i : 

Genitor tum Belus opimaoi 

Yastabat Cyprumi 

et que Servius désigne sons le nom de Belus minor ou Methres % 
et non du dieu Bélus, Belus priscus , que Virgile a cité aussi, 
Enéide, liv. 1 , v. 729-730 : 

Quam Belus et omues 

A Belo soliti ; 

et qu'à son exemple, Silîus rappellera tout-à-l'heure (vers 87. 
Voyez plus loin la note ao). Cette généalogie d'Âmilcar est, j'ima- 
gine, de l'invention du poète, qui du reste n'est pas ici très-clair. 
Il suppose que Didon, fuyant Tyr, après le meurtre de Sychée, 
emmena avec elle Barca, son frère ou son neveu, ou peut-être 
son fils; car il est désigné plus bas par les mots Belides juvenis , 
« jeune fils ou descendant de Bélus, » lequel était père de Didon; 
que ce Barca s'établit à Carthage avec la reine sa parente, et que 

* Servius (Enéide, liv. i, v. 642) établit ainsi la généalogie de Didon : 
« Haec est generis séries : Jupiter, Epaphus, Belus priscus, Agenor, Phœnix, 
Belus minor qui et Methres , Dido et Pygmaliou. » Bachet de Méziriac 
(^Commentaire tur la vu" Héroide d* Ovide) reioarque que Servius a omis une 
génération : suivant Apollodore, Epaphus était aïeul et non père de Bélus, 
et c'est de sa lUle , nommée Libye , que Neptuue engendra Bélus. 



344 NOTES 

de sa race sortît Âmiicar, qui porta son nom et qui fut le chef 
de la faction Barcine. Lefebvre de Villebrune a compris autre- 
ment ce passage. Il a traduit Belides juvenis par le jeune Bélide, 
et il a fait de ce Bélide un personnage distinct : « Bélide , dit-il , 
avait partagé tous les hasards avec elle (Didon) : c'était de lui 
qu'Amilcar descendait. » 

i8. Consacré aux mânes d'EUssa, mère de Carihage (v. 8i}. 
Elissa était le premier nom de Didon , son nom tyrien \ Justin 
ne lai en donne pas d'autre. Velléius Paterculus ( liv. i , ch. 6 ) , 
rappelant la fondation de Carthage , dit : « Ante annos v et £X 
quam urbs Romana conderetur, ab Elissa Tyria, quam quidam 
Dido auturaant, Carthago conditur. » Selon Servius (^Enéide, 
liv. I, V. 540), elle ne fut appelée Didon, c'est-à-dire en lan- 
gage punique ï héroïne , que par les Carthaginois et après sa 
mort : « Dido vero nomine Elissa /inte dicta est ; sed post interi- 
tum a Pœnis Dido appellata, id est virago Punica lingua. » On a 
donné d'autres significations à ce nom de Didon, celle Aejugi- 
tiv€y ceUe à' homicide par allusion à la mort de son mari dont 
elle fut cause, etc. 

19. S'élevait un temple (v. 84). Suivant Polybe (liv. m, ch. 12) 
et Cornélius Népos {yànnibal, ch. 11), c'est dans le temple de Ju- 
piter qu'Annibal , jeune encore , jura la guerre aux Romains. Par 
une fiction que tous les commentateurs approuvent , Silius a ùât 
du temple de Jupiter un temple de Didon. Après Jnnon, en effet , 
il ne pouvait y avoir de divinité plus acharnée que Didon 
contre £née et ses descendans , et Annibal ne pouvait mieux 
s'adresser. 

ao. £éluf , père des Tyriens (v. 87). Ce Bélus est le Belus 
priscus dont nous avons parlé plus haut (note 17), et qu'il faut 
bien distinguer de Belus minor, père de Didon, avec lequel on 
l'a quelquefois confondu. 

Bélus, le même que Baal, Bal, Bel, Belial, Beiis, etc., était la 
grande divinité de la Babylonie, de l'Assyrie, de la Chaldée, de 
la Syrie et de Sidon , d'où son culte fut transporté à Carthage. 
Bel ou Baal, époux d'Astaroth ou Ast^trté, autre divinité cartha- 
ginoise , était la personnification punique du soleil, comme As- 
lartc l'était de la lune. 

a Les Grecs ont cru rccunnaîUc Baal pour leur dieu Mars; 



DU LIVRE PREMIER. 345 

c'est le sentiment de Jean d'Antioche , de Cédrénus et de Saidas. 
Saint Augustin l'identifie à Jupiter, et Hésjchins appelle la grande 
divinité des Sidoniens , Jupiter Maritime , Thalassios, Les nom- 
breuses attributions de ce dieu expliquent la variété de ces opi- 
nions; mais le plus ordinairement Baal se prenait pour le Soleil, 
et quelques savans croient même retrouver xlans le nom grec de 
cet astre, Hélios^ le mot Hel^ donné comme synonyme de Sa- 
turne, Cronos, qui portait aussi le nom de BaaL Dans les langues 
phénicienne et carthaginoise, Baal signifie maure, seigneur, ^et 
c'est d'après cette signification que saint Augustin a pensé qu'il 
était Jupiter, c'est-à-dire le seigneur ou maître des dieux et des 
bommes. Le mot Baal est donc un terme générique appliqué par 
excellence au souverain des dieux, et en particulier au Soleil, cet 
astre roi, l'objet principal du culte des Orientaux. » (N. L'Hote, 
JEncyclopédie nouvelle, au mot Beuil.^ 

Milton a mis Baal , Bélial et Astaroth au nombre des esprits 
rebelles déchus avec Satan : 

With thèse came they, who, from hordering flood 
Of old Euphrates to the brook tbat parts 
^gypt irom Syrian ground , had gênerai names* 
> Of Baaliin and Ashtaroth ; diose maie , 
Theie féminine : for spirits , when they please , 
Cau either sex assume, or both ; so soft 
And uncompounded is their essence pure ; ^ 

Not tied or manacled with joint or limb , 
Nor fbnnded on the britde strength of bones, 
like cumbrous flesh ; but in what shape they choose , 
Dilated or condensed, bright or obscure, 
Can exécute their aery purposes , 
And Works of love or enmity iiilfiL 



Came Astoreth, whom the Phoenicians call'd 
Astarte, queen of heaven , with crescent homs ; 
To whose bright image nightly by the moon 
Sidonian virgins paid their vows and songs. 

Belial came last, than whom a spirit more lewd 
Fell not from heaven, or more gross to love 
Vice for itself : to him no temple stood 



346 NOTES 

Or alUu* unoked; fel iffao more oft than he 
In lopfles and at altars , when the priest 
Xurns AtheUtf as did Eli's sons , who fiU'd 
With lust and yioleace the house of God? 
In courts and palaces he also reigns. 
And in luxurlou% cities , where the noise 
Of riot ascends above their loftiest towers , 
And injury, and outrage : and when night 
Darkens the streets , tben wauder forth the sous 
Of Bdial , flown with insolence and wine. 

(Pomfife /o5/^ bookx y 4x9-490.) 

<c Avec ces divinités vinrent celles qui , du bord des flots de Tau- 
tique Euphrate jusqu'au torrent qui sépare TÉgypte de la terre de 
Syrie, portent. les noms généraux de Baal et d'Astaroth, ceux-là 
mâles, ceux-ci femelles; car les esprits prennent à leur gré Fun ou 
Tantre sexe, ou tous les deux à la fois *, si ténue et si simple est leur 
essence pure : elle n*est ni liée ni cadenassée par des jointures et des 
membres, ni fondée sur la fragile force des os, comme la lourde 
chair, mais dans telle forme qu'ils choisissent , dilatée ou condensée, 
brillante ou obscure , ils peuvent exécuter leurs résolutions aériennes 
et accomplir les œuvres de l'amour et de la haine 

«Avec ces divinités en troupe parut Astoreth, que les Phéniciens 
nomment Astarté, reine du ciel, orné d'un croissant ;, à sa brillante 
image , nuitamment en présence de la Lune , les vierges de Sidon 
paient le tribut de leurs vœux et .de leurs chants 

« Bélial parut le dernier ; plus impur esprit , plus grossièrement 
épris de Tamour du vice pour le vice même , ne tomba du ciel. Pour 
Bélial , aucun temple ne s'élevait , aucun autel ne fuma : qui oepen^ 
dant est plus souvent que lui dans les temples et sur les autels, quand 

' <* Cette confusion des sexes , à Tégard de ia divinité , offre de nombreux 
exemples dans la théogonie des anciens. Elle peut s'expliquer dans Astartè 
par la multiplicité de ses formes, ses rapports avec la lune, dont le sexe offrait 
la même indécision, et aussi par l'objet et les pratiques du culte tout libidi- 
neux de la déesse, qui , sans doute, pouvait tout excuser; car les peuples qui 
s'y abandonnaient eurent^ on ie sait 4 pour les aberrations de ce genre, dans 
la vie réelle, un penchant que l'antiquité classique, comme les mœurs actuelles 
de rOrient, ne révèlent que trop.» (N. L'Hôtb, EncydopéMti nouvelle, au 
mut Astarlé.) 



bu LIVKE PREMIER. 347 

le prêtre devient athée, comme les fib ^TÈà tftà remplirent de prosti- 
tutions et de violences la maison de Dieu ? Il règne aussi dans les pa- 
lais et dans les cours , dans les villes dissolues où le bruit de la dé- 
bauche , de rinjure et de Toutrage » monte au dessus des plus hautes 
tours : et quand la nuit obscurcit les rues , alors vagabondent les fils 
de Bélial , gonflés d'insolence et de vin. » ( £« Paradis perdu, liv. i , 
trad. de M. de Cbateaubrxakd.) 

ai. A ses pieds git un glaive phrygien (▼. 91). L'éjîéc qu'Énée 
lai avait laissée. Voyez Virgile , Enéide , liv. iv, v. 49^9 S07. 

aa. La déesse d*Henna (v. 93). Proserpine, enlevée par Pluton 
près d'Henna , en Sicile. 

a3. La race des Phrygiens (v. 106). Les Romains, descendans 
d«s Troyens. 

a4. Les enfans de Cadmus (v. 106). Les Carthaginois. Voyez 
plus haut la note 4* • 

a5. Sous d'injustes traités (v. 107). Les traités conclus après la 
défaite de la flotte carthaginoise aux iles Égates. 

a6. Et lui dicte ces dures paroles (v. 11 3). Ruperti rapporte 
les mots subicitque à Aniilcar : c'est le sens que j'ai suivi. Plu- 
sieurs autres commentateurs les rapportent à Annibal. On ne 
conçoit pas facilement comment Annibal, si jeune, eût pu faire 
d'inspiration un pareil serment; il est plus naturel de croire que 
son père lui en dicta les termes. D'ailleurs , la construction 
grammaticale du vers : 

His acuit stimulis subicitque haud moliia dictu, 

l'indique clairement. 

^7. Je recommencerai les désastres de Troie (v. 11 5). Rhœtea- 
que fata revolvam, Rhétée était une ville et un promontoire de 
la Troade. 

a8. La triple déesse (v. 119). Hécate, connue sous trois 
formes , la Lune , Diane et Proserpine. 

29. Les vastes plaines d* Etoile (v. i25). Les plaines d'Àpulie, 
le champ de bataille de Cannes. Dîomède , fils de Tydée , roi 
d'Étolie, était Tenu se fixer, après la'*guerre de Troie, dans la 
Bannie qui est une partie de TApulie. 

30. Tièdes de sang idéen (y. ia6). De sang troyen y à cause du 
mont Ida; c'est-à-dire de sang romain. 



348 NOTES 

3i. Celui qui trois fois porta d'opimes dépouilles au dieu du 
tonnerre (v. i33). Marcellas. 

3a. Gadès et Calpé {s, i4i)* Cadix et Gibraltar. 

33. Les rênes du pouvoir passent aux mains d^ Àsdruhal (v. 1 44)- 
Cet Asdrubal était fils de Magon et gendre d'Amilcar : il faut le 
distinguer d' Asdrubal , fils d'Amilcar et frère d'Annibal et de 
Magon, et d*un troisième Asdrubal, fils de Gisgon, qui fut aussi 
général des Carthaginois. Silius peint ici Asdrubal sous de sombres 
couleurs. Tite-Live, Polybe, Appien, vantent au contraire la 
douceur de son commandement, son humanité, etc. Le trait sai- 
vant , rapporté aussi par Tite-Live , semble les démentir. 

34. A son fleuve , il n'eût préféré ni la source Méamienne 
(v. 157). Ce passage est obscur. Silius joue sur la double signifia 
cation du mot Tagusy qui çst en même temps le nom du roi et 
celui d'un fleuve. J'ai adopté le sens de Ruperti. — La source 
MéoniermCf les lacs de Lydie ^ c'est le Pactole. 

35. Elle est bornée par le fleuve lagéen (v. 196). Le Nil. 

Ptolémée, roi d'Egypte , était fils de Lagus. Yarron d'Atax, dans 
sa Chorographie , dont il nous reste si peu de fragmens, avait dit 
de l'Afrique : 

Clauditiir Oceano, Libyco mare, flumine Nilo. 

36. L'épée nue et sans artifice (v. 219). Silius reviendra plu- 
sieurs fois sur cet usage des peuples barbares d'empoisonner leurs 
armes. Lncain a dit de même [Phars,, liv. viii , v. 382), Ulàa 
tela dolis, et (plus haut , v. 3o3) : 

Spicula nec solo spargufU fidentia faro ; 

StruUUa sed multo saturantstr tela veneno, 

Vidnera parva nocent, fatumque in sanguine summo est. 

Mais Fatteinte du fer n'est pas tout leur secours , 
Aux forces du poison leur vengeance a recours ; 
D*vn venin déceuant leurs flèches abreuuées 
Sont des coups sans ressource , et des morts acheuées , 
Et dans le moindre sans que versent les combats , 
Ce suc pernicieux met le coup du trépas. 

( Db B&noBDF. ) 

37.- Là, tous les métaux [y, aaS). Les richesses de l'Espagne, 



DU LIVRE PREMIER. 349 

en métaux précieux , étaient célèbres dans l'antiquité. Justin 
(liv. xLiv, ch. i), en parlant de ce pays, fait aussi mention de 
ses abstrusorum metallorum felices divitiœ. 

38. Vélectre (v. ^29). Métal composé d'or et d'argent , d'un 
jaune blond tirant sur le verdâtre. « Toute la monnaie d'or, à 
partir du troisième siècle de Rome, fut de l'électrum et de l'élec- 
trnm au plus bas titre L'électrum était connu dès la haute an- 
tiquité. Homère en parle souvent. Electre, dit-on, ne fut ainsi 
nommée qu'à cause de la couleur blonde de ses cheveux. L'ambre 
jauBc ou succin , sitôt que les Grecs le connurent , reçut d'eux 
cette appellation, et probablement l'équivoque du mot qui signi- 
fiait à la fois or blond et ambre , fut pour quelque chose dans la 
rédaction du mythe qui métamorphosa les Phaéthontides en peu- 
pliers aux longs cl^eveux , aux larmes d'ambre. » (M. Ajasson 
DIS Grandsagne, Hist, Nat, de Pline y liv. xxxiii, ch. a3, notes.) 

39. U avare Asturien revient, malheureux , plus jaune que 

for qu'il en arrache (v. a 3 3). Stace , après Silius , a dit à peu 
près de même (Silv., liv. iv, 7) : 

ubi Dite viso 

Pallidus fossor redit, enitoque 
Concolor auro. 

Lucrèce (liv. vi, v. 8o5) avait décrit déjà avec son énergie ac- 
coutumée la triste condition du mineur : 

Nonne 'vides etîam terra quoque sulfttr in ipsa 
dignier, et tetro concretcere odore bitumen? 
Demque, ubi argenti venas aurique sequuntur. 
Terrai penitus scrutantes abdita ferro , 
Quales exspiret scaptesula subter odores? 
Qiùdve maU fit ut exhalent aurata metalla? 
Quas hominum reddunt faciès ? qualesque colores!* 
Nonne vides, audisve perire in tempore parvo 
Quam soleant, et quant vital copia desit, 
Quos opère in tali cohibet vis magna? necesse est 
Hos igitur tellus omnes exœstuat œstus, 
Exspiratque foras in aperta promptaque cœli. 

Le globe enfin nourrit dans ses flancs caverneux 
De bitume et de soufre on amas vénéneux. 



I ► 



35o NOTES 

Vois ces mortek, bannis loin du jour salutaire, 

S'ensevelir vivans aux antres de la terre ; 

Ils vont d'un pas craintif, au bruit des lourds marteaux , 

Des entrailles du monde arracher les métaux ; 

Une infecte vapeur souille leur front livide , 

Et de ses tourbillons le venin homicide 

De leurs jours malheureux usant le noir flambeau. 

Lentement les conduit des douleurs au tombeau ; 

Tant la terre aisément exhale de ses veines 

Ces vapeurs qui de l'air ont infecté les plaines! 

(0« Pojrav&viLLB. ) 

J.-^!. Rousseau, comparant les trois règnes de la nature, a fait 
umt pcintitre sombre mais vraie des mines et de leurs travaux : 
« I^ ngiie minéral n'a rien en soi d'aimable et d'attrayant; 
ses richesses» enfermées dans le sein de la terre, semblent avoir 
été éloignées des regards des hommes pour ne pas tenter leur 
cupidité : elles sont là comme en réserve pour servir un jour de 
supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée, et 
ciont il perd le goût à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il 
appelle l'industrie, la peine et le travail, »u secours de ses mi- 
sères; il fouille les entrailles de la terre; il va chercher dans son 
centre, aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé, des biens 
imaginaires à la place des biens réels qu'elle lui offrait d'elle- 
même quand il savait en jouir. Il fuît le soleil et le jour, qu'il 
n'est plus digne de voir; il s'enterre tout vivant, et fait bien, ne 
méritant plus de vivre à la lumière du jour. Là, des carrières, 
des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d'enclumes, 
de marteaux , de fumée et de feu , succèdent aux douces images 
des travaux, chaippétres. Les visages liàves des malheureux qui 
languissent dans les infectes vapeurs des mines , de noirs forge- 
rons , de hideux cyclopes , sont le spectacle que l'appareil des 
mines substitue au sein de la terre, à celui de la verdure et des 
fleurs , du ciel azuré , des bergers amoureux , et des labooreors 
robustes, sur sa surface. » (Les Rêveries du Promeneur soUtaire, 
VII® promenade. ) 

4o. Et le Léthé qui roule chez les Graviens sa basante arène 
(v. a35). Les Graviens , peuple de l'Espagne Tarraconaise, sur les 
confins de la Galice et de la province actuelle A*Entre Duero et 



DU LIVRE PREMIER. 35 1 

Minho. Le Léthé est le fleuve de cette province appelé aujour- 
d'hui Lima, Comme le Léthé des Enfers, il portait dans Tanti- 
quité le nom de fleuve à* Oubli: « Oblivionis antiquis dictus, dit 
Pline (Hist. Nai,y liv. iv, ch. 35)^ multumque fabulosus. » Il prend 
sa source dans les montagnes de Gajice et se jette dans l'Océan 
Atlantique. 

41. Au mSiat des édain çve le •coisd^ ^^ wmùrjkà jaiBir 
des nmages (t. aS4). Lc& afrifffw eroraicBt que les éeia» étweat 
pvaéoîl» fiar )e choc des nnag;es dans la tempête. Voyez Tiseiut, 
Enéide^ liv. lï, v. 648, et liv. vi, ▼. 694 ; Lucain, liv. x, v. i5i; 
Claudikn, contre Rufin ^ liv. 11 1 v. 22 a. 

4». // presse donc les destins (v. a68). J'ai supposé dans la 
Notice, p. XXV, que le poème de Silius n'avait pas été composa» 
d'un seul jet, qu'il avait pu être écrit par parties détachées, par 
épisodes. Ce qui me confirme dans cette opinion , c'est la rareté , 
la sécheresse , l'absence des transitions. Un fait succède à l'autre 
sans être annoncé ni préparé , et le lecteur est bien heureux si 
parfois deux ou trois vers obscurs viennent le mettre au courant. 
Ce défaut ne pouvait échapper à la critique. Emesti remarque 
avec raison que Silius passe ici brusquement au siège de Sagonto 
sans parler des évènemens assez importans qui l'avaient précédé, 
et qui sont racontés dans Polybe (liv. m , cb. i3) et dans Tite-Live 
(liv. XXI , ch. 5). Ceci prouve seulement que Silius ne visait pas 
plus à être un poète historien qu'un poète épique. Avant Ernesti, 
Clément, qui traitait les Puniques comme une véritable épopée, 
et qui y voyait tout autre chose que ce que nous y voyons, a sé- 
vèrement reproché à Silius ce vice qui le choquait. 

a Le talent du poète épique se reconnaît surtout dans la nar- 
ration. Cette partie est si bien liée à la construction du plan, que , 
si celui-ci est défectueux , il est impossible que la narration n'ait 
pas les mêmes défauts. Le vice essentiel de la Seconde guerre pu- 
nique est la multiplicité des évènemens qui sont étrangers à l'ac- 
tion principale , ou plutôt qui empêchent qu'il n'y ait une prin- 
cipale action. De ce grand défaut qui détruit l'unité , le nœud et 
l'intérêt du sujet , il suit nécessairement que la narration est dé- 
cousue, embarrassée, confuse et peu intéressante. Le plus grand 
embarras du poète se fait sentir lorsqu'il veut passer d'une ac- 
tion à une autre, et unir dans son récit des évènemens qui n'ont 



35a NOTES 

point ensemble un intime rapport. L'histoire, à cet égard, a de^ 
privilèges interdits à la poésie. L'historien , d'ailleurs , peut em- 
ployer de longues préparations , et remonter aux causes et à b 
source des faits, pour trouver entre eux une liaison indirecte ^ e^ 
par-là ses transitions sont plus ou moins naturelles. Le poète, qui 
ne saurait s'engager d^ns toutes ces discussions préliminaires, 
dont son art ne peut tirer aucun agrément , est donc obligé de 
lier ces faits indépendans par des transitions brusques et inatten- 
dues, x[ui fatiguent et rebutent l'attention du lecteur, déjà égarée 
et languissante au milieu de tant d'actions dont il n*aperçoit ni 
le but ni l'ensemble. De là une sécheresse insupportable dan<i 
l'exécution, au milieu d'une vicieuse abondance de matière. 

«( Cest ainsi que, pour introduire son héros sur la scène, après 
beaucoup de détails inutiles , Silius ne fait pas d'autre façon qne 
de vous dire : 



Ergo instat fetis, et, rumpere fœdera certus 

Prima Saguntinas turbarunt classica portas. 

Ici est l'histoire de Zacjnthe, qui avait donné son nom à Sagonte, 
et le poète ajoute : 

Admovet abrupto flagrantia fœdere ductor 
Sidonius castra , et latos quatit agmine campos. 

On voit assez que cette manière de narrer est celle d*un abré- 
viateur chronologique, et non celle d'un poète. » {Essais de cri- 
tique sur la littér, anc. ei mod., t. i, p. 29.) 

Si l'on admet le système de composition que, selon toute ap- 
parence, Silius a suivi et que je viens de rappeler, il est certain 
que ces courtes transitions devaient suffire : seulement il a mis 
trop peu d'art à coudre ensemble ces divers épisodes d'une noiéme 
histoire. 

4!^. C'est le prélude des grandes guerres (v. ^72). Florus ( liv. 11 , 
ch. 6) : « In causam belli Saguntus délecta est. » 

44. Après la défaite de Géryon (v. 277). Les Grecs ont attri- 
bué à leur Hercule cet exploit de l'Hercule tyrien. Cette tradition 
sur Géryon a pris naissance chez les Phéniciens. Du reste les Phé- 
niciens et les Grecs sont d'accord sur le lieu de la scène , que les 
uns et les autres placent dans les îles Baléares. 



k 



DU LI\RE PftEMEa. 3S) 

45. /> hénu imaekiem (▼. 287). Zm^Um clait Grec» et Iiia- 
chus «Tait été roi em Grèce. 

46. L*Oe ZaejmÊke (t. ^90). Zante aajonrdliiiL 

47. l/n ratfort de jemmts Pomment (▼. 291). Les RuUiles. Ib 
avaient eo pour roi Daimos , père de Tumiis. Siliiis Itmlîciis a 
empranté à Tite^Lîre cette origine de Sagonle : « Oriandi a Za- 
cyntho însola dicnntor (Sagunlini), mixtiqoe etiam ab Ardea Riw 
tulonun quidam gcneris. > (Lib. xxi, c 7.) 

48. Un traité proiégeaU la Uberté de ces peuples (y, 294)* 
Tite-Live ( liv. xxi , du a ) : « Com Asdmbale..,.. iœdus renova-> 
verat popnlus romanos, ut finis utriusqne imperii esset amnis 
Iberus, Saguntinisqoe mediis inter impetia duorum popolorum 
libertas senraretnr. » 

49. La javeline docile à Félan du nœud léger qui la guide 
(v. 3 18). Isidore de SériUe, dans ses Origines (liv. XYiii, eh. 7), 
donne, du mot lancea, l'étyroologie suivante, qui peut servir de 
commentaire au vers de Silius : « Lancea est hasta ammtum ha- 
bens in medio : dicta autem lancea , quia sequa lance , id est 
sequali amento, ponderata Tibratar. » 

50. Chaque trait de son carquois donne deux Jbis la mort 
(v. Sa a). Ovide a dit de même (Pontiques, liv. i , lett, a) : 

Qui , mortis sie%o gemiucnt Ht vulnere causas , 
Omnia vipereo spiciila f(^He liounl. 

Claudien {Élog. de StiHcon, y. 35 1) : 

Sed didicit non JEthioptim geminata venenis 
▼ulnera; 

et Sidoine Apollinaire (poëm. v, ▼. 407) : 

Spiculaque infusiim ferro latura venenum 
Que feriant bis, missa seind 

Voyez plus baut , la note 36. 

5i. L'Ister aux deux noms (v. 3^6). Il s'appelait Danube jot- 
qu'au confluent de k Save, et ensuite îster jusqu'à ses embou- 
cbnres. On sait qae le Danube est le pins c;rand fleure d'Europe 
après le Volga. 

I. a 3 



354 NOTES 

5a. Les câbles de la baliste (v. 335). On peut rapprocher de 
ce passag.e cette description de la baliste dans Lucain (Pheirs.j 
liv. III, V. 465) : 

Sed major Gfaio Romana in corpora ferro 

Vis inerat : neque enim solis excusSa lacertis 

Lancea, sed tenso ballistœ turbine rapta, 

Haud unum contenta latus transire, quîescit; 

Sed pandens perque arma mam , perque ossa , reliel'a 

Morte fugit : superest telo post vulnera cursus. 

Àt saxum quotîes ingenti verberis ictu 

Excutitur, qualis rupes , quam vertice mentis 

jébscidit impuisu "ventorum adjuta vetustas, 

Frangit cuncta ruens : nec tantum corpora pressa 

Exanimat ; tôt os cum sanguine dissipât arttts. 

Mais la pointe des traits que Marseille décoche 
Liure vn assaut plus rude à tout ce cpii l'approche ; 
Ayant porté la mort qu'ils laissent après eux , 
Ils vont plus loin encor chercher des malheureux. 
Et les impressions des ressorts qtii les poussent , 
Forcent plus d'vn obstacle auant qu'elles s'émoussent. 
Toutesfois la baliste , en lançant des cailloux , 
Semble des assiégez mieux seruîr le courroux; 
On croiroit qu'yn rocher coupé d'vne montagne, 
Vient d'vn air furieux foudre dans la campagne. 
Et Ton voit sous le poids d'vn coup si véhément 
Le fer, le sang, les os mêlez confiisément. 

(De BnKRoeuF. ) 

F.a baliste était le canon de l'artillerie antique. Les auteurs an - 
ciens, et notamment Vitnive , nous ont laissé les élémens de sa 
description que de Folard a rassemblés dans ses Commentaires 
sur Polj'he. Cette machine n'était qu'une grosse arbalète. Les 
traits lancés par elle à une distance prodigieuse pesaient jus- 
qu'à soixante livres. 11 y avait de ces balistes qui envoyaient a 
plus de cent vingt pas des pierres , vastos molares, de trois cents 
livFes pesant. 

. « Plus les bras de la baliste sont allongés , dit Végèce ( liv. iv , 
ch. a3), c'est-à-dire plus elle est grande, plus ses traits sont lan- 
cés loin. Si elle est réglée suivant les préceptes de l'art , et ma- 



DU LIVRE PREMIER. 355 

njoeuvrée pardes hommes exercés et connaissant bien sa portée, 

elle enfoDcera tout ce qu*elle frappera Quant aux balistes et 

aux onagres y ajoute-t-il encore, manœuvres avec activité et par 
des gens habiles, ils sont au dessus de tout, li ny a contre leurs 
coups ni rerta ni moyen de défense. Semblables à la foudre, ils 
brisent ou mettent en poussière tout ce qu'ils frappent. » 

On voit des effets surprenans de cette machine dans Josèphe : 
<c Les pierres poussées par les machines, dit-il, faisaient sauter les 
créneaux et rompaient les angles des tours. Il n'y avait point de 
phalange si profonde dont une de ces pierres Ji'emportât toute 
une file d'un bout jusqu'à l'autre. Il se passa cette nuit des choses 

qui faisaient voir la force prodigieuse de ces machines » Un 

homme qui était près de Josèphe reçut un coup de pierre . qui 
lui emporta la tète : cette pieiTe était lancée par une machine 
distante de trois cent soixante^quinze pas. 

«c Les balistes , aussi bien que les catapultes , passèrent des ar- 
mées romaines dans les armées du moyen-àge. Quelques-uns des 
conqnérans asiatiques en firent aussi usage dans leurs expéditions. 
On comprend comment, en présence de ces armes depuis si long- 
temps en usage dans les combats, on a pu posséder la poudre 
pendant des siècles sans songer à l'appliquer aux besoins de la 
guerre. Les balistes étant d'un service bien moins compliqué que 
les canons, devaient avoir sur eux nne supériorité réelle dans ces 
temps où les armées en campagne ne jouissaient point, pour leurs 
approvisionnemens et leurs trnfisports, des mêmes facilités qu'au- 
jourd'hui. Rien n'empêchait de construire des balistes sur le lieu 
même où le besoin s'en faisait sentir, de les réparer, de les en- 
tretenir, de les incendier. Les munitions ne pouvaient manquer; 
il n'en fallait pas d'autres que celles que les bras des soldats 
étaient, toujours à même de fournir. L'incertitude du tir, soumis 
à variation suivant l'état hygrométrique de l'air et la fatigue des 
câbles, la longueur du temps nécessaire pour charger chaque 
coup, probablement aussi la pesanteur des madriers, étaient des 
inconvéniens notables et dont notre artillerie moderne est en 
partie débarrassée. Néanmoins on ne peut nier que, dans bien 
des circonstances, il pourrait être encore avantageux d'avoir re- 
cours aux balistes. Une force de peuple , privée du matériel con- 
venable , improviserait aisément et à peu de frais dans l'espace 



356 NOTES 

d'une journée des balisies redoutables. Le moindre mécanicien 
donnerait en quelques lieures le modèle de machines cxnt fois 
plus expéditives et plus commodes que celles des anciens ; et il 
suffirait de quelques. cbarp^tiers el de quelques coups de hadie 
pour mener l'œuvre à sa fin. » (J. Rethaud, Encyclopédie nou- 
velle , au mot BaUstè.) 

5!^. Et les aigaUlonne omx guerres à venir (y. 346). Andrû 
Chénier (élég. ix) : 

Pourquoi vers des lauriers aiguillonner mon cœnr? 

54* La chaussée (y. 3/|8). Cette chaussée, agger^ était com- 
posée de terre , de bois , de daies et de pierres , et dirigée vers 
la ville en augmentant successivement de hauteur, jusqu'à égaler, 
ou surpasser, comme ici, celle des murailles. 

55. L'arme des assiégés , la Jalarique (v. 35o). Siiius n'a fait 
qu'embellir ici la description technique que Tite-Live a donnée 
de cette arme, a Falariea erat Saguntinis, missile telum hastili 
abiegno et cetera tereti, praeterquam ad extremum, onde ferrem 
exstabat : id, sicut in pilo, quadratum stoppa circun&ligabant, 
liniebantque pice. Ferrum autem très longum habebat pedes , ut 
cum armis transfigere corpus posset» Sed id maxime , etiarasi 
hiesisset in scuto, nec penetrasset in corpus, pavorem faciebat; 
quod, quum médium accensum mitteretur, conceptumque ipso 
motu roulto majorem ignem ferret, arma omitti cogebat, nudom- 
que militem ad insequentes ictus praebebat. » (Lib« xxi, c 8^) 

11 reste sur la falarique un vers d'£nnius, imité et presque co- 
pié par Virgile : * 

Que valido ▼enit conlorta falariea missu. 

Selon Festns , la falarique avait reçu son nom des falœ ou tours 
de bois du haut desquelles on la lançait. 

Cette arme a été aussi décrite par Yégèce , liv. iv, A. i8 , et 
par Isidore de Séville, Origines y liv. xviii, cfa. 7. 

56. Qui ri obéit qriaux efforts réunis de plusieurs bras (▼. 35 1). 
11 est probable que cette arme énorme était lancée par la baliste. 
^oye% la note 5a. 

57. Les Carthaginois».,, minent les remparts (v. 366). Draken- 
borch ne veut pas entendre parler ici de mine, parce que Tite- 



DU LIVRE PREMIER. 357 

Live n'en a point £iit mention , et il b)4nie Marsus , Dausq et 
Cellarîus , ses devanciers y d» n'avoir pas compris comme loi ce 
passage. Malgré Drakenborch, malgré Ernesti et Ruperti, qpi par- 
tagent son opinion, j'ai adopté Tautrè sens. Toutes les exprès- 
sionsi subducto vallo, cœca latebra y .iubfossis mœnibus, indiquent 
clairement l'action de la mine. Subducto valio^ que Ruperti expli- 
que par sursum ducto, a plus souvent le sens de subter ductô. Les 
mots cœca iatebm pieuvent s'entendre dé la tortue formée par 
les boucliers des Carthaginois; mais ils s'entendent mieux encore 
de la galerie souterraine , cuniculus y que les mineurs ouvraient 
jusqu'à la muraille pour la saper en dessous , subfossis mœnibus. 
Drakenborch dit encore que les «: ciens ne creusaient ces galeries 
souterraines que dans un cas, lorsqu'ils voulaient faire pénétrer 
l'armée ennemie au milieu de la place sans renverser les rem*- 
parts , comme fit Camille au siège de Yéies. C'est une erreur : il 
y avait une autre espèce de mine qui consistait à creuser un canal 
ou boyau souterrain par dessous le fossé jusqu'à la muraille : on 
Qtançonnait à mesure qu'on en était la maçonnerie : ce travail 
achevé, on mettait le feu aux étançons, et ces appuis venant à 
manquer, tout ce qu'ils soutenaient tombait dans le fossé et le 
comblait. C'est ainsi qu'Alexandre en usa au siège de Gaza, où il 
oitra par une brèche que la mine avait faite à la muraille , et 
c'est ainsi que Silius fait entrer ici les Carthaginois dans Sagonte, 
Cette manière de miner s'est conservée dans les temps modernes 
jusqu'à l'invention de la poudre. 

58. Dulichùtm (v. 379). Cette lie de la mer Ionienne, voisine 
de l'Ile de Zante , est ici pour toute la Grèce. 

59. // se retourne y rencontre Hibërus (v. 387). Uibérus est un 
nom propre. Quelques commentateurs, et Lefebvre de Villebrune 
après eux , n'ont vu dans le mot Hiberi qu'un synonyme d*His~ 
pan/y et l'ont traduit par V Ibère ou V Espagnol, désignant tou- 
jours Aradus. 

60. Chrêmes au front ombragé de longs cheveux (v. 4o3). Cet 
arrangement bizarre de la chevelure du soldat barbare rappelle 
la grotesque Ci iffure de la coquette de Régnier : 

Que son poil , dès le M>ir, îrm dans la boutique , 
Comme un casque au matin sur sa teste s'aplique. 

(Su*. IX, V. «H9.) 



s 58 NOTES 

6 1 • ReconnaÛre par la piqûre du céraste l'origine suspecte d'dii 
enfant (v. 4i^)- Pline attribue cet usage aux Psylles, peuples 
d'Afrique, détruits depuis par les Nasamons : « Mos vero liberos 
genitos protinus objiciendi ssevissiiuis earum (serpentium), coque 
gecere pudicitiam conjugum experiendi , non profugientibus 
adulterîno sanguine natos serpentibus. M (^Hist. Nat,y lib. vu , 
c. a.) 

G. Curier explique ainsi la faculté qu'avaient ces peuples afri- 
cains d'endormir les serpens et de guérir leurs morsures. 

« Les Ophiogènes , les Psylles et autres jongleurs de cette es- 
pèce, existent encore dans tous les pays où il y a des serpens ve- 
nimeux. Quelques-uns de ces hommes rendent de vrais services 
en suçant les plaies faites par ces reptiles; d'autres promettent 
plus qu'ils ne peuvent tenir : tous , pour en faire accroire au 
peuple, ont coutume de porter avec eux des serpens auxquels ils 
ont arraché les dents, et disent que c'est par un pouvoir occulte 
qu'ils n'ont rien à en craindre. £n Egypte surtout , ils ont con- 
servé toutes les pratiques mentionnées par les anciens ; par 
exemple , celle de craclier dans la bouche des serpens : ils savent 
particulièrement rendre le serpent immobile en comprimant sa 
nuque. Ils lui donnent ainsi une sorte de paralysie, ils le chan- 
gent en bâton; lui rendant ensuite ses mouvemens, ils changent 
le bâton en serpent , comme cela est dit dans la Genèse des ma- 
giciens de Pharaon. » [Fojez le Pline de notre Collection, t. vi, 
p. i65.) 

62. Il gémit (v. 4î*5). Ce vers était inlifleliigible dans les 
manuscrits. Le meilleur de tous \ le manuscrit de Cologne , 
portait : 

Jamque geinet geminiim contra veiiabula deatem. 

Les savàns et les commentateurs essayèrent de donner un sens à 
ce vers, mais en le changeant presque entièrement : ils s'éloignaient 
beaucoup trop de la leçon du manuscrit de Cologne. Lefebvre de 
Villebrune voulut s'en rapprocher, et refit ainsi le vers : 

Jamque gemeus geminat contra venabula dentem. 

Au moyen de ce léger changement, le sens devint clair et facile, 



DU LIVRE PREMIER. ^^59 

et Ernesli s'empressa d'adopter cette correction. Mais Ruperti ne 
voulut rien devoir à un érudit français qui s'amusait souvent du 
pédantisme et des pédans de l'Allemagne; il retourna la variante 
de Lefebvre et mit : 

Jamque gémit gemiuans cootca veuabula denteai ; 

ce qui était la même chose, et il le sentit bien; mais il déclara 
qu'il n'avait connu que plus tard la correction de Lefebyre. Il 
faut remarquer que c'est toujours ainsi qu'il a copié l'éditeur fran- 
çais, — avant de le lire. Il a une phrase adoptée pour cela : Hœc 
scripseram , quum déindê animadverteretn , etc. 

63. Durcir la trempe de V^acier (v. 432). J. M. Gesner, dans 
son Trésor de la langue latine , donne un autre sens au mot cru- 
descerey qu'il explique ici par crudelius , nocentius fieri. 

64. Prends pour toi la sainte justice (v. 481). Au lieu de fer 
tecunty les manuscrits portaientyè/i^ equum, ce qui donne une idée 
de l'ignorance des copistes. 

65. Les collines d* Hercule et les rockers de Monœcus (v.-586). 
C'est aujourd'hui Monaco. Hercule avait un temple dans ce 
lieu. 

66. Le Thrace Borée (v. 587). Cette peinture de Borée est fort 
belle : on peut la rapprocher de ce passage de Claudien [Enlève- 
ment de Proserpine , liv. i , v. 69) : 

Turbine caeco 

Quum gravis armatur Boreas, glacieque nivali 
Hispidus et Getîca concretus graudine peunas , 
Bella capit, pelagus, silvas, camposque soiioro 
Flamine raplurus 

et du portrait que Borée fait de lui-même dans Ovide (Métam. , 
liv. VI , V. 690) : 

Jpta mihi dis est : 1;* tristia nublla pello; 
Fi fréta concutio, nodosaque rohora Derto , 
Induroque nives , et terras grandine pulso. 
Idem ego quum fratres cœlo sum nactus apertOy 
Nam mihi campus is est, tanto moUmine kietor 



36o NOTES 

Ut médius nostris concuKsihu inionet sether, 
^ ExsiËemtque cavis elisi nubUftu igius. 
• Idem ego, quum tubu convexa foramina tarœ, 
Supposuique ferox Unis mea régna caverms; 
SolUcito mânes totumque tremoribus orhem. 

La force est mon partage. 

Par elle, devant moi le nuage est chassé , 

L*ooéan est ému , lé châne renversé « 

Les cham|i8 battus de grêle , on durcis par Ifi glace. 

•Si y mes frères et moi y noua luttons dam fespace, 

Le nuage qui crève étincelle d'éclairs , 

Le del tonne , et la foudre éclate dans les airs. 

Si dans les. antres creux, soupiraux, de la terre. 

Mon souffle impétueux pénètre et se resserre, 

Quand mon dos se soulève, indigné de ses fers. 

Sa secousse profonde ébranle les enfers. 

(D« SAiiTT-Airoi. ) ' 

67. Au seuil du temple (v. 617). La curie on s'assemblait le 
sénat. Dans Cicéfon {Disc, contre ^aLy n. x) et dans Tîte-Iive 
(Uv. TUiy cb« i4 et 35) y la tribune aux harangués est. appelée 
templum. Les Romains appelaient de ce nom tout lieu consacré 
par les augures. 

68. Ici 1^8 débris des guerres puniques (▼. 6a i). Emesti pense 
avec raison qu'il s*agit plutôt ici de trophées suspendus aux ma- 
•railles, que de peintures. J'ai traduit dans ce sens. 

69. Les dépouilles de VEàciâe (v. 627). Pyrrhus, roi d'Épire, 
descendait d'Achille et d'Eaque. 

70. Les cônes hérissés des Liguriens (v. 6^8). C'étaient des 
casques de forme conique. 

71. Les gèses des Alpes (v. 629). Le gèscy en celtique gessy 
était un javelot ou demi-pique. C'était une arme particulière aox 
Celtes. (fTy^ez Virgile, Enéide y liv. viii, v. 661.) Ïite-Live 
(liy. XXVI , ch. 6 ) en a fait une arme africaine. 

7a. Du peuple rutule (v. 658). Souvent Silius désigne les Sa- 
gontins sous le nom de Rutules , parce qu'ils descendaient des 
Ârdéates , ainsi qu'il l'a dit plus haut en racontant l'origine de 
Sagonte, vers 291 et suiv. 

73. Les remptuts é^Àcrisius (v. 661). Ardée, suivant une tra- 



DU LIVRE PREMIER. 36 1 

dition , avait été fondée par Danaé , fille d'Acrisius , roi des Ar- 
giens. Virgile , Enéide, liv. vu , v. 409 : 

Audacis Rutuli ad muros , quam dicitiir iirbem 
AdrisioDcis Danae Aindasse colonis. 

74* Les muraUks Tirpahiennes (y. 661}. Sagonte, bâtie par 
Hercule , qui avait été élevé à Tirynlhe , près de Mycènes y dans 
le Péloponnèse. 

75. Zanclé (v. 66a). Aujoord'hûi Messine. Le nom de Zanclé 
vient du grec Xjirç^kti , faux. Il fut donné à cette ville , suivant ' 
Silius (liv. XIV, V. 4^)y parce que, sur remplacement qu*elle 
occupe, était tombée la £iux dont Saturne s'était servi pour tran- 
cher les parties génitales de Celas , son père ; suivant d'autres , 
parcf} qu'elle a la forme d'ane faux. On a supposé, avec plus de 
raison , que ce nom lui avait été appliqué à cause de la fertilité 
de son territoire* Voyez Thi7Ctdide, liv. vi; Sthaboh, liv. vi ; 
OviDX, Fastes, liv. iv, v. 474; Macrobx, Saturnales, liv. 1, 
cb. 8. 

76. Contre les armes du tyran de Sicile (v. 66a). Hiéron , roi 
de Syracuse. Voyez Poltbb , liv. i , ch. 8. 

77. Fos aïeux sigéens (v. 665). Sigée était un promontoire de 
la Troade. 

78. Vieux colon de la Daunie (v. 665). C'est-à-dire descendant 
des Ardéates. Voyez la note 7 a. 

79. Source du Numicus ( v. 666 )• Fleuve du Latinm , qui 
n'existe plus, et qui était sans doute entre I^urente, le Tibre et 
le Marais, au bas des collines; car toujours Virgile, en parlant 
du Numicus, parle aussi du Tibre : 

Jlœc fontis stagna T^umici , 

Himc Tibrim fluvium 

Qui saltns, Tiberine, tuos, sacnimque Numici 

Tyrrheniim.ad Tibrim > et fontis vada sacra Numici. 



NOTES 



DU LIVRE DEUXIEME. 



1. La.nef dardanienne qui portaiL.,.. les premiers patriciens 
de Rome (y. i-3)« Les députés du sénat , qui étaient, selon Si- 
lius,.Q. Fabius et Yalérius Publicola. Mais Silius a confondu 
cette première députation composée , selon Cicéron [Philipp, v , 
n. lo) et Tite-Live (liv. xxi, ch. 6), de deux députés seulement, 
Publ. Val. Flaccus et Q. Bébius Tamphilus, avec une seconde 
menttonnée par Tite-Live (liv. xxi, ch. 18^, et composée celte 
fois de cinq ambassadeurs , Q. Fabius, Mi Livius, L. Ëmilius, 
C. Licinius et Q. Bébius. C'est un exemple, entre cent auti*es du 
peu de respect du poète pour l'histoire , que du reste il ne pou- 
vait suivre à la lettre , et un démenti réel de la sotte critique 
qu'on a voulu faire de son livre en l'appelant une gazette en vers, 
— Voyez, en tête dece volume, la Notice, p. xxv et suiv. 

a. Fabius, de race tirynthienne (v. 3). De la race d'Hercule. 
Les Fabius- descendaient , disait- on, d'Hercule et d'une filh^ 
d'Évandre, nommée Vinduna* Voyez Plutarque, Vie de Fabius; 
Juv^NAL, sat. vin, V. i4; Ovide, Fastes, liv. 11, v. a37 et 37$, 
et Pontiques, liv. m, letl. 3, v. 99; Propeuce, liv. iv, élég. i, 
V. 26. 

3. Ses trois cents aïeux (v. 4)> H ^ût été difTîcile à Silius de 
faire entrer dans ses vers le nombre exact de ces héros : on sait 
qu'ils étaient trois cent six. Voyez Tite-Live, liv. 11, ch. 5o. 

4. Poplicola descendait du grand Volés us , Spartiate d* origine 
(v. 8). Val. Volésus, ou Volusus, père du premier Publicola, était 
Sabin, et Oenys d'Halicarnasse et Plutarque racontent que dt-.^ 
Lacédémoniens , fuyant les lois de Lycurgue, étaient venus s'éla- 



NOTES DU LIVRE DEUXIÈME. 363 

blir dans la /Sabine : de là cette origine Spartiate attribuée par h: 
poète k Yolésus. 

5. Son nom est un souvenir,.,., de l'amour des siens pour le 
peuple (y. 9). C'était plus que de Tamoar : on sait qu'il fit abais- 
ser les faisceaux devant le peuple assemblé, qu'il lui donna le 
droit d'appel contre les consuls mêmes, qu'il fit rebâtir sa mai- 
son dans la plaine, parce que, sur l'éminence où elle se trou-- 
vait d'abord, elle avait l'air d'une citadelle, ce qui faisait ombrage 
au peuple. 

6. De son aïeul date le consulat aux fastes d* Ausonie (v. 10). 
Ce passage est assez obscur : je l'ai compris comme Ruperti , 
qui traduit ducebat par incipiebat , c'est-à-dire que Yalérius 
Publicola fut un des premiers consuls de la république, ro- 
maine : il fut en effet substitué à Tarquin Collatin, collègue de 
L. Brutns. 

7. La trompette tyrrhénienne (v. 19). C'est l'épithète ordinaire 
de la trompette , inventée , dit-on , par les Étrusques , ou p<ir 
Tyrrhéniis qui leur donna son nom. Voyez plus loin Silius, 
liv. V, V. 12 , et Pline, Hist. Nat., liv. vu, ch. 56. 

8. N'est-ce pas au Rhétéen (v. 5i)? Au Romain. Voyez liv. i., 
V. ii5, et note 27. 

9. Les peuples au double langage {y, 56). Les Carthaginois, 
dont la duplicité était passée en proverbe chez les anciens. 
Plante avait dit {Pœnul. , act. v, se. a, v. 74) : Pœnus bisul- 
cilingua. 

10. Sous les enseignes de Marmarique (v. 57). Grande contrée 
située à l'E. de la Libye maritime : c'est aujourd'hui \er£arcak. 

11. Les antres de Méduse (v. 59). On n'est pas d'accord sur 
le lieu où ces antres étaient situés. Les anciens les placent dans 
une ile de la mer Atlantique; les modernes sur le continent afri- 
cain, vers la partie occidentale de la Libye. 

la. Le Mace des bords du Cinyphe (v. 60). Peuple de Libye, 
voisin des Syrtes. Le Cinyphe ou Cinyps est aujourd'hui le Ouadi- 
Quaham , dans la régence de Tripoli. 

i3. Les Battiades (v. 61). Peuples de la Cyrénaïque (régence 
de Tripoli), comme le précédent. 

il^. Le Nasamon, son compatriote (v. 6a). Les.Nasaraons.ha' 
bitaient les rives de la grande Syrte. Voyez liv. i, v. 408. 



364 NOTES 

i5. Barcé (t, 6%). Aojoiird'hui Barcalr , dans la 4 régence de 
Tripoli. 

16. Les forêts des Autolales (v. 63). Peuples de la Mauri- 
tanie Tingitane (le Maroc) et de la Gétnlie, au pied du mont 
Atlas. 

17. Une nymphe Trhonide (v. 65). Une nymphe des bords du 
lac Triton ou Tritonis [Bahyre Faraoune) en Afrique, ou dans 
File de Crète , selon d'autres. 

18. Dictjnne (v. 71). Surnom de Diane , pris du nom d'une 
nynftphe , sa compagne. 

19* La Txierge* sauvage (t. 7 a). Cet épisode d'Asbyté est une 
imitation élégante du bel épisode de Camille dans VÉnéiele. Il 
parait que Camille a fait souche et que sa race s'est long- 
temps perpétuée en Italie. Pétrarque, dans un petit voyage qu'il 
fit aux environs de Naples , rencontra un jour une de ces filles 
de trempe forte et virile qui l'étonna beaucoup. Voici ce qu'il 
écrivait à ce sujet à un de ses amis {de Reb, famU, episU 4, 
lib. v): 

FRANCISCUS PETRARCBTA JOANNX GOLUMNiË, S. 



. .' . . . . . .Quum*multa sane mirabilia Deus ille fecerit, ^ ui 

facit mirabilia magna solus, nihil ta»en homine mirabilîus in 
terris fecit. Super omnia ergo, quae vel iste dies mihi ostendit, 
vel tibi haec ostendet epistola , Puteolanae mulieris animi ac cor- 
poris insigne robur fuerit. Mariam vocant. Singulare illi servata? 
virginitatis deeus , jugis inter viros eosque ssepins armatos con- 
versatio; nulli unquam tamen (ut constantissima omnium opinio 
est) vel joco vel serio rigidae mulieris attentata virginilas, metu 
magis , ut meraorant , quam reverentia prohibente. Corpus illi 
militare magis quam virgineum; vires corporeae probatis mili- 
tibtls optand», rara et insueta dexteritas, virens setas , habitas ac 
studiura viri fortis. Non telas illa, sed tela; non acus et spécula, 
sed arcus et spicula meditatiir : non illam oscula et protervi dentis 
lasciva vestigia , sed vulnera cicatricesque nobilitant. Praecîpua 
armorum cura est ; animus ferri morlisque contemptor. Bellum 
cnm finitimis hereditarium ^erit , quo multi jam ultro citroque 
perierc. Intcrdiira sola , ssepe paucis comitata , manum cnni hosti- 



DU LIVRE DEUXIÈME. 365 

bus conseruit , ubique ad hune diem , victts. Praeceps in prœliuni 
ruere , lenta dîscedere , animose hostem aggredî , caute insidias 
texere, famem, sitim, frigus, aestum, somnum, lassitudinem in- 
credibili patientia perferre, sub divo pernox et sub armis agere, 
hiimi requiescere , herbosum cespitem vel substratum clypeum in 
deliciis habere. Inter tam continuos labores , multum brevi teni- 
pore mutata est : quantulum est enim quûd me Romam ac Neapo- 
lim ad regem Siculum juvenilis studium gloriae attrazit* Profecto 
quam tune inermem videram , hodie armata et armatis septa , 
quuni ad me salutandum accessisset, rairatus sum, et velut ignoto 
viro salutem reddidi ; donec rlsu ejus et comitum monitu pressius 
intnitns, vix tandem sub casside torvam et incultam yirginem re- 
cognovi. Mnlta de illa fabulis simîlla narrantur : ego quod vidî 
referam. Convenerant et e diversis mundi partîbus viri fortes et 
armorum exercitio durati^'quos, alio tendentes, illic fortuna de- 
posuerat ; auditaque mulieris fama , experiendi vires cupiditas in- 
cesserat. Itaque magno consensu omnium in arcem Puteolanam 
ascendimus. Sola erat , et ante templi fores nescio quid cogitans 
obambulabat : adventu nostro nihil mota est. Instamus orare ^ ut 
virium suarum aliquod nobis experimentum praebeat. Ilia diu 
excnsata bracbii valitudine, tandem grave saxum ac ferream tra- 
bem jnssit afferri; quam qunm in metlium projecisset, nt tollerent 
atqne experirenlur hortata est. Quid multa ? Longa ibi , ut inter 
pares, contentio, et magno res acta certamine, spectatrice quidem 
illa, et singulorum vires in sllentio extimante. Postremo facili 
jactu adeo se superiorem approbavit, ut reliquos stupor ingens, 
me etiam pudor invaderet; denique ita inde discessum est, ut 
Tix oculis fidem dantes, subesse aliquid praestîgii putar^nus. . •. 

Mihi quidem fœmînae hujns 

aspectus credibiiiora efficit quaecumque non modo de Amazo- 
nibus et famoso illo quodam regno fœmineo, sed etiam quae de 
bellatricibus Italis virgînibus traduntur, duce Camilla, cujus in- 
ter quum cunctas célèbre nomen est. Quid enim in multis opi- 
nari prohibet, quod in una, nisi vidissem, essem forsan ad cre- 
dendum segnior? Et illa quidem vêtus non procul hinc Priverni, 
scilicet tempore lliacae ruinae, haec recentior Camilla Puteoiis 
nostris temporibus orta est , quam tibi intérim litterulis meis 
testa lum esse volui. Vale. » 



?>GG NOTES 

FRANÇOIS PETRARQUE A JEAN COLONNE , SALUT. 

Dieu qui a fait tant de merveilles, et qui seul £Eiit les grandes 

merveilles, u*a pourtant rien fait sur terre de plus merveilleux que l'homme. 
Aussi, ce que j'ai vu en ce jour, et tout ce que tu verras dans cette lettre, 
n'est rien auprès de la force extraordinaire d*âme et de corps d'ane femme de 
Pouuole , nommée Marie. Elle a la gloire singulière d*avoir conservé sa virgi- 
nité, malgré son séjour continuel parmi des hommes, et parmi des hommes 
armés pour la plupai't. Toutefois, si jamais (comme c'est Fopinion la plus con- 
.stante et la plus répandue) nul n'attenta sérieusement ou par plaisanterie à 
l'honneur de cette rude fille, c'est, dit-on, plutôt par crainte. que par pudeur. 
Elle a le corps d'un soldat plutôt que d'une vierge, une vigueur de muscles qui 
ferait envie à des soldats long-temps exercés , une dextérité rare et peu com- 
mune à son sexe, une verte jeunesse, les manières et les penchans d*nn homme 
de guerre. Ce n'est point la toile, mais le javelot, point l'aiguille ou le miroir, 
mais Parc et les flèches qui l'occupent ; point les baisers , les lascives noorsores 
d'une bouche amoureuse qui font sa gloire , mais les blessures et les nobles 
cicatrices. Les armes, voilà la première passion de cette âme qui méprise le 
fèr et la mort. Elle soutient contre ses voisins une guerre héréditaire, où plu- 
sieurs de part et d'autre ont succombé. Quelquefois seule , souvent aussi avec 
une faible troupe, elle livre bataille à l'ennemi, et partout , jusqu'à ce jour, 
elle l'a vaincu. Elle se précipite avec ardeur au combat , le quitte à regret , at- 
taque vaillamment l'ennemi ou lui dresse un piège avec art; la faim , la soif, 
le froid , le chaud , la veille , la lassitude , elle supporte tout avec une patience 
incroyable ; elle passe la nuit à l'air et sous les armes , repose sur la terre ; un 
lit de gazon , la surface d'un bouclier font ses délices. Ces fatigues continuelles 
la changèrent beaucoup en peu de temps. En effet , quelques années aupara- 
vant, quand le soin de ma jeune gloire m'avait attiré à Rome et à Naples au- 
près du roi de Sicile , je l'avais vue , mais sans armes encore ; armée aujour- 
d'hui , entourée de gens armés , elle s'avança pour me saluer : étonné , je hii 
rendis le salut comme à un homme inconnu ; elle se mit à rire : sur un signe 
de mes compagnons , je la regai'dai plus attentivement, et ce ne fut pas sans 
peine que je reconnus enfin sous le casque cette vierge farouche et sauvage. 
On fait sur elle une foule de récits qui semblent fabuleux; je ne parlerai que 
de ce que j'ai vu. Avec nous se trouvaient réunis plusieurs étrangers de divers 
pays, forts et endurcis par le métier des armes, et que, dans le cours de leurs 
voyages, le hasard avait amenés là. Ils entendirent parler de cette femme , et 
Tenvie leur prit de faire avec elle essai de leurs forces. Nous montâmes tons 
en foule à la citadelle de Pouzzole. Elle était seule, et se promenait, absorbée 
dans je ne sais quelles réflexions , devant les portes de l'église. Elle nous vit 
aiTiver sans se troubler. Nous la priâmes avec instances de nous donner un 



DU LIVRE DEUXIEME. 367 

échantillon de sa force. £Ue is'excusa long-temps sur ce qu'elle avait un bras 
malade ; puis enfin elle fit apporter une lourde pierre et une poutre ferrée , et 
les jeta devant nous, engageant les visiteurs à tenter de les soulever. Bref, de 
longues et nombreuses épreuves eurent lieu entre ces rivaux d'égale force, en 
présence de cette fille qui jugeait en silence de la vigueur de chacun : puis elle 
prit à son tour ces masses énormes , et les lança loin d'elle avec tant d'aisance 
et une si évidente supériorité que nous demeurâmes , eux stupéfaits , moi tout 
confus, et nous nous retirâmes, en croyant à peine nos yeux et soupçonnant 

quelque prestige Pour moi, la vue de cette fille 

m'a rendu plus croyables toutes les traditions répandues non-seulement sur les 
Amazones et le fameux royaume des femmes, mais encore sur ces vierges hé- 
roïques d'Italie, commandées par Camille, dont le nom est célèbre entre tons. 
Pourquoi en effet ne pas croire de plusieurs, ce que, si je ne l'avais vu, je 
croirais plus difficilement peut-être d*une seule ? Du reste , l'héroïne antique 
naquit non loin d'ici , à Privernum , au temps de la chute d'Ilion , et la mo- 
deme Camille naquit à Pouzzole en notre temps ; ce dont j'étais bien-aise de 
te donner témoignage par cette lettre. Adieu. » 

Dans tous les temps et dans tous les pays, au reste, on a vu de 
ces femmes guierrières. Nous avons eu les nôtres : Jeanne d*Aro , 
Jeanne Hachette , et plus récemment les vivandières de notre 
Grande- Armée, ont fait autant de bruit que Camille et' les Ama- 
zones, et leur gloire est plus vraie et plus méritée. Tout le monde 
connaît l'intrépide Catin de Béranger : 

J'ai pris pî^rt à tous vos exploits 

En vous versant à boû*e ; 
Songez combien j'ai fait de fois 

Rafraîchir la Victoire. 
Ça grossissait son bulletin , 
Tintin, tintin, tintin, r'iia tin tin; 
Ça grossissait son bulletin : 

Soldats , voilà Catin ! 

Depuis les Alpes je vous sers ; 
^ -^ Je me mis jeune en route. 

A quatorze ans, dans les déserts, 

Je vous portais la goutte. 
Puis j'entrai dans Yienne un matin , 
Tintin , tintin , tintin , r'iin tintin ; 
Puis j'entrai dans' Vienne un matin : 
Soldats , voilà Catin ! 



368 NOTES 

Seulement on ne peot pas dire de ces héroïnes de TEmpire ce 
que Silius disait de celles de l'armée d'Annibal , sed mrgine 
detisiùt aia est : 

Quand au. nombre il fallut céder 

La Victoire infidèle , 
Que n'avais-je pour vous guider 

Ce qu'avait la Pncelle ! 
L'Anglais aurait foi sans butin, etc. 

HO. Les Jolies de Thrace (v. 7 3). Les Amazones. 

ai. Et fatiguent VHèbre de leur course (v. 74). C'est-à-dire 
traversent et parcourent souvent [fatigare^ î. e. fatim agere , 
sœpius tractare) les flots glacés de l'Hèbre : c'est du n^oîo^ l'opi- 
nion de Ruperti. Ernesti n'a pas entendu de même ce passage 
qu'il rapproche de ces vers de Virgile {Enéide , liv. i, v. 317) t 

». Qualis eqnos Threissa fatigat 

Harpalycej volucremcjue fiiga prnvertitiir Uebnim. 

aa. Les fils de Rhésus (v. 7Ç)* Les peuples de Thrace , ks 
Ciconiens, les Gètes, les Bistoniens, etc. Rhésus était un roi de 
Thrace. 

a3. Un nœud y présent des Hespérides (v. 78). Un nœud 
d'or. 

a4. Sous r abri protecteur du boueiier du Thermodon (v. 80). 
Aujourd'hui le Termeh : c'est le fleuve classique des Ama- 
zones. 

a 5. Un trait de Gortyne (v. 90). Gortyne était une ville de 
Crète (Candie), comme Cydon ou Cydonia (la Ca née) .dont Silius 
parle un peu plus bas, au v. 109, et aiUeurs. On retrouve les 
ruines de Gortyne près du village de Novi-Castelli, 

a6. Jupiter qu'il a délaissé (v. 11 5). Mopsus avait quitté la 
Crète, patrie de Jupiter, et c^est sans doute pour cela que son 
vœu n'est point exaucé, 7>ota non grata. Barth, Advers.^ liv. vi, 
ch; a 5 , dit que Jupiter refusa de rentendi*e , parce que c'était 
contre une femme que Mopsus l'implorait , et .que le dieu aimait 
trop les femmes pour vouloir leur mort. 

a7. // ramasse,,,, la pierre,,,, et s^enfrappe la poitrirœ (v. 14a). 



DU LIVRE DEUXIÈME. - iGy 

Ërnesti remarque avec raison que c*érait là un bien mauvais- moyen 
de se tuer, mais Mbpsus était égaré par la douleur. ' 

28. Eurydamas (v. 178). Eurydamaâ était en efiet un des 
amans de Pénélope ; 'mais Ërnesti fait observer que Silius, dans 
ce récit , lui impute plusieurs traits qui lui sont étrangers , et 
somble le confondre avec Ëuryttiachus , autre amant de Pénélope. 
C'est Eurymachus qui, dans Homère (OûÇp^e'V, liv. ir, v. 182), 
répand le bruit mensonger de la mort d*(Jlysse : 

Aùnckf "OS'v^O'êÙç 

"SXfTo nn)C ùç kaÏ o-xj KArit<^^i<r^cti 0-uy %KtUlt 
"G^f Me 

29. La chaste industrie qui recommença tant dejois la trame 
d'une toile trompeuse (s. 180). Antinoiis, un des amans de Pé- 
nélope , dit à Télémaque dans Homère [Odyssée, liv. 11 , v. 85) : 

T)fXt/Uflt;t' y'X*>op'», ^évoç ày;|^«Tf , oroîoy ««/'7r#ç , k. t. X. 

« Télémaque , harangueur téméraire , jeune audacieux , pourquoi 
tenir un discours qui nous outrage? Tu veux donc nous couvrir d*in- 
famie.' Cependant ce u*est point à nous qu^il faut attribuer tes mal- 
heurs, mais à {a mère dout Tâme est remplie d'artifices. Déjà depuis 
trois années, et bientôt la quatrième va s'accomplir, elle cherche à 
trom|)er tous les Grecs. Elle flatte notre espoir , et promet sa main à 
chacun de nous en lui faisant parvenir des messages ; mais, son esprit 
a conçu d'autres pensées. Yoici quelle nouvelle ruse elle avait ima- 
ginée : retirée dans son palais , s*occiipant à tisser une toile d'une 
grandeur immense et d'une finesse extrême , elle nous a dit : « O vous 
« qui prétendez à ma main, puisqu'Ulysse a péri, différez, malgré vos 
« désirs , l'instant de mon hyménée. Permettez que j'achève ce voile 
« précieux , afin que mes longs travaux ne soient pas iautilés. C'est ie 
« vêtement funèbre que je réserve au vieux Laérte quand il subira les 
« dures Ipis de la mort. Il n'est aucune femme des Grecs qui ne s'inr 
« dignàt contre moi, si celui qui posséda de si grandes richesses repo- 
« sait dans le tombeau sans un linceul fait de ma main. » Tels étaient 
les discours de Pénélope, et nos cœurs trop généreux se laissèrent per- 
suader. Ainsi, pendant le jour, elle travaillait à ce voile magnifique ; 
■ mais la nuit , à la lueur des flambeaux , elle détruisait son ouvrage, 
'Ainsi, durant trois années, la reine trompa les Grecs par ses artifices. » 
(Trad. de-DuGAS-MoHTiitL.) 

I. l[\ 



370 r^OTES 

3o. Saisis de terreur,,,» les coursiers renversent le char et cul- 
butent leur guide (y. 196). Ces yers rappellent ce beap passage 
du récit de Théramène : 

De rage et de douleur le monstre bondissant 

Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, 

Se roule, et leur présente une gueule enflammée 

Qui les couvre de feu , de sang et de fumée. 

La frayeur les emporte ; et , sourds à cette fois , 

Ils ne connoissent plus ni le frein, ni la voix. 

En efforts impuissants leur maître se consume. 

Ils rougissent le mors d'une sanglante écume. 

On dit qu'on a vu même, en ce désordre afreux. 

Un dieu , qui d*aiguiIlons pressoit leurs flancs poudreux. 

A travers les rochers la peur les précipite. 

L'essieu crie et se rompt. L*intrépide Hippoljrte 

Yoit YOler en éclats tout son char fracassé. 

Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé, etc. 

3i. La faveur des dieux l'abandonne (y. ao6). Stace a dit à 
peu près de même [Théb., liv. 11, v. 589) : 

Fuscas intenrolat auras 

Hasta, scd audenti Deus et Fortuna recessit. 

3a. Pourquoi se garder ainsi de la mort qui doit revenir (v, aa3)? 
Siliiis, dans ces vers, semble préparer une espèce d'apologie à 
son propre suicide. C'est ainsi que J.-J. Rousseau , qui souffrit 
toute sa vie d'une douloureuse maladie , qui fut souvent tenté de 
s'en délivrer y comme Silius, par une mort volontaire, et qui finit 
du reste par céder à la tentation , revenait souvent dans ses écrits 
sur la question du suicide. Dans la belle réponse de .milord 
Edouard à l'amant de Julie , qui , ennuyé de la vie ^ aYait cher- 
ché à justifier le suicide^, milord Edouard , tout en réfutant avec 
force leMirgumens de Saint-Preur, admettait cependant que, dans 
certain cas, il était permis de se défaire Yolontairement de la 
Yie ' , et cette exception , que Jean- Jacques sembLiit s'être ré- 

* ۥ Quoi qu'il en soit, pi^isque la plupart de nos maux phjrsiquea ne font 
qu'augmenter sims cesse, de violentes douleurs du corps, quand elles sont 
incurables, peuvent autoriser un homme à disposer de lui; car tontes ses £fi- 



DU LIVRE DEUXIÈME. 371 

servée, il l'Invoquait plus tard, pour lui-même en annonçant à 
ses amis sa fin prochaine. Fcgrezi dans so Correspûndance, U lettre 
à M. DucloSy datée de Motiers^ i^ août 1763. 

33. D'un côté on fonge au t/nké^.,, de l'aaire,,... on se Jiatte 
de l'espoir iTune guerre plus heureuse (▼• 273-275). « De deux 
factions qui rëgnpient à Cartkage^ l'nne Touloii tonjourt là paix , 
et l'autre toujours la guerre ; de feçon qu'il étoit impossible d'y 
jouir de l'une ni d'y bien faire l'autre. » (MoifTESQxnxti) Gran- 
deur et décadence des Romains, ch. iv.) 

34* Hannon, que ses vieilles haines defamiUe ioumeniéùmtre 
Annibal (v. 277). « Le sénat de Carthage > tel que le parlement 
d'Angleterre, se trouvoit divisé en deux partis , sans cesse oppo- 
sés d'opinions et de principes. Dirigées par les plus grands^^génies 
et par les premières familles de l'état, ces factions éclatoient sur- 
tout en temps de guerre, et de calamités nationales. Il en ré- 
siiltoit pour la nation cet avantage , que les rivaux, se surveiltet 
afin de se surprendre, avoient un intérêt personnel à aimer la 
vertu y en taot qu'elle leur étoit personnellement utile, et à haïr 

le viee dans les autres 

tt Cetf àréjpo^|l»e de la seconde guerre punique, que nous trou- 
vons la flamme de (a diseorde bràlant de toutes parts dans le sé- 
nat de Carthage. Hannon, distkigaé par sa modération , son amour 
du bien public et de la justice , brilloit à la tète du parti qui , 
avant la déclaration de la guerre, opinoit aux mesures pacifiques. 
11 représentoit les avantages d'une paix durable , ^ur les hasards 
d'une entreprise dont les succès incertains coùteroient des sommes 
immenses, et finiroient peut-être par la ruine de la patrie. 

« Amilcar , surnommé Barca , père d' Annibal , d'une famille 
chère au peuple, soutenu de beaucoup de crédit et d'un grand 
génie , entratnoit après lui la majorité du sénat. Après sa mort , 
la faction Barcine continua de se prononcer en faveur des 
armes. Sans doute elle faisoit valoir l'injustice des Romains qui , 
sans respecter la foi des traités , s'étoîent emparés de la Sar- 
daîgne..... 

cultes étant aliénées par la douleur, et le mal étant sans remède, il n*a plus 
Tusage ni de sa volonté ni de sa raison; SI cesse d*étre honmie avant de mourir, 
et ne feit , en s'ôtant la vie, qu*achever de quitter un eorps qui l'embafrasse et 
où son âme n*est déjà pim. * {La Now^tte ffélôùe, part, ni , lett. ai.) 

24. 



37!« NOTES 

(I Dtirant le cours des hostilités , la minorité ne cessa.de com- 
battre les résolntions adoptées : tantôt elle s*efforçoit de dimi- 
nuer les victoires d'Annibni , tantôt d'exagérer ses revers. Elle 
jetoit mille entraves dans la marche du gouvernement; et, san^ 
le génie du général carthaginois , son armée , faute de secours 
périssoit totalement en Italie. » ( Chateaubriand , Essai sur les 
révolutions, ch. xxxii.) 

35. Attaque en ces termes cet enthousiasme (v. 278). Il nVst 
pas sans intérêt de l'approcher de ce discours d*Hannon celui que 
Tite-Live lui prête, liv. xxi , ch. 10 de son Histoire. — Voyez t. vin, 
p. a 5 du Tite-Live de cette Collection. 

36. Est-ce donc une cité étrangère qu'il menace aujourdlmi 
(v. 299)? Il y a dans Ruperti une page de variantes sur ce vers: 
il s*en est prudemment tenu à la leçon du ms. de Cologne , qn^ 
nous avons suivie. 

37. C'est ton rempart, c'est toi, Carthage, oui, toi qu'en ce 
jour il attaque (v. 3o2). Uannon dît de même dans Tite-Live 
(liv. XXI, ch. 10) : <« Cartliagini nunc Hannibal vineas turresque 
iidmovct; Carthaginis mœnîa quatit ariete. Sagunti ruinae (falsiis 
ufinam vates sim ! ) nostris capitîbus incident , suscepturaque corn 
Saguntinîs bellum, habendum cum Romanis est. » 

38. Nous avons abreuvé d'un sang généreux les vallées (THenna 
(v. 3o4). Hannon rappelle ici les défaites des Carthaginois en 
Sicile, lors de la première guerre punique. 

39. Nous avons acheté l'aide du Spartiate (v. 3o5). Xanthippr, 
général des Lacédémoniens, qui vint au secours des Cartliagi- 
ivnis et battit les armées romaines. Silins le nomme souvent. 
Voyez DioD. de Sicile, liv. xxii, ch. la; Florus, liv. 11, ch. 2; 
PoLYBK, liv. i , ch. 3a. 

4o* Songe aux Égaies [v. 3io). La défaite de la flotte cartha- 
ginoise près des iles Egates , dont il a été déjà souvent question, 
et qui mit fin à la première guerre punique. Voyez, p. 339 , la 
note la du livre i®*". 

41. Ce n'est point à des âmes Néritiennes que tu auras affaire 
(v. 317). C'est-à-dire à des Sagontins. On a vu liv. i , v. 290, 
que Sagonte avait eu parmi ses fondateurs des colons de l'île de 
Zantc et de quelques autres îles de Tempire d*Ulysse , et Nérito^ 
était une île de la mer Ionienne, voisine d*Ithaque. 



DU LIVRE DEUXIÈME. 373 

42. Gestar se lève (v. 327)." Ce nom né se retrouve pas dans 
les historiens : il est probable que c'est un nom forgé , comme 
tant d'autres, par lé poète. 

43. Il nous menace de ses deux Alpes (v. 333). Les Pyré- 
nées et les Alpes'. Sidoine Apollinaire a dit de même (poëme v , 
V. 593 ) : 

Tenui, sicut nunc, carminé dicam , 

Te geminas Alpes, te Syrtes, te mare magnum , 
Te fréta, te Libycas pariter domuisse catervas. 

Prudence {Hymne sur le martyre de saint Laurent, v. 438)': 

Nos Vasco Hiberos dividit , 
Binis remotos Alpibus, 
Trans Cottianorum juga , 
Trans et Pyrenas ninguidos. 

44. Et son âme aspirait aux exploits de son père (v. 352). 
Après ce v«rs, dans quelques anciennes éditions, on lisait celui-ci : 

Ultor erit caedis, jam te spectante, propinquae. 

ModiuSy ne le retrouvant dans aucun manuscrit, le supprima. 

45. Byrsa la Tyrienne (v, 363). Byrsa était ie premier nom 
donné à la citadelle de Carthage. L'origine de ce nom, qui signifie 
cuir en grec, est bien connue. Virgile, Enéide y liv. 1, v. 367 : 

Mercatiqne solum , iacti de nomine Byrsam , 
Taurino quantum possent drcumdare tergo. 

46. A ces mots Use rassied (v. 374). Les trois vers qui viennent 
après manquent dans le manuscrit de Cologne; mais comme ils 
préparent et expliquent ce qui suit, N. Heinsius et les éditeurs 
qui se sont succédé après lui n'ont pas osé les supprimer. 

47. Fabius (v. 382). Polybe ne nomme pas Fabius : il attribue 
le f;iit au plus âgé des députés. Ce trait si connu est raconté tout 
autrement dans Aulu-Gelle (liv. x, ch. 27) , qui semble avoir em- 
prunté son récit aux anciens annalistes, in litteris veteribus me- 
moria exstat. Ce n'est plus comme député , c'est comme général 
des Romains que Fabius présente , non en personne , mais par 



37/» NOTES 

lellre, aux Caiikagiaotfl le choix de la guerre ou de la paix^ Voici | 

le passage : 

a Q. Fabius imperator Romanus dédit ad Karthaginienses ept- 
slolam y ubi sariptum fuit populum RomanBiB misisse ad eos 
hastan» et cadnoeuni > signa duo belli aut pacis : ex €pâ& utrum 
vellent eligerent; quod elegissent, id unum ut esse missum existi- | 
marent Karthaginienses responderunt neutrnm sese elîgere : sed 
posse qui attulissent utrum mallent relinquere; quod reliqnis- 
sent, id sibi pro lecto fijiturum, ]!$arcii& aulem Vairro noa hastam 
ipsam neque ipsuni caduceum missa dicit , sed duas tesserulas : 
in quanim altéra eaducêum , in imitera ka$ta6 simulacra fuenuit 
incisa. » 

Au reste, Tite^Live et Florus diffèrent eux-mêmes sur quelques 
points de cette histoire. 

48. li s* en retourne annoncera sa patrie qu'il /aut combattre 
(v. 390}. Les députés , en quittant Carthage , ne retournèrent pas 
droit à Rome; ils durant traverser l'Espagne, qu'ils ayaîekt çrdre 
de parcourir pour essayer de la détacher du parti des Carthagi- 
nois et de la rallier à celui de Rome. Tite-Live a raconté (liv. xxi, 
ch. 19) le peu de succès de leur tentative. Silias passe par- dessus 
tous ces détails, et il a raison peut-étre, mais il prouve encore 
ici clairement qu'il n'a jamais prétendu écrire une histoire. 
Voyez y page 362, la note i de ce livre, et la Notice , page xxv 
et suiv. 

49. Le Cartha^nois a surpris et battu quelques peuplades donê 
la Jbi chancelait (v. 392^). Les Orétans et les Carpétans ipii , ré- 
voltés de la rigueur avec laquelle Annibal poursuivait les levées, 
avaient arrêté les enrôleurs et pris les armes. Voyez Tite-Lxvz, 
Uv. XXI) ch. II. 

. C'est du reste encore là une de ces transitions trop brosqon 
et trop rapides que Clément a blâmées avec raison. 

« Au second livre, dit-il, nous sommes tout surpris d'ap[H%ndre 
qu'Annibal avait interrompu et recommencé le siège de Sagonte, 
et de »*en pas être informés autrement que par ub récit aussi 
sommaire que celui-ci : 

Atque ea dum profiigse regnis agitantur Elissae, etc. 
On conviendra que celte aération n'est digne ni de l'épopée, ni 



DU LIVRE DEUXIÈME. 375 

de l'histoire. On me dira peut-être que le poète a voulu glisser 
rapidement sur des circonstances inutiles ; mais si elles sont inu- 
tiles, il les fallait supprimer tout-à-âiit. Effectivement, pourquoi 
Annibal interroinpt-il subitement un siège à peine commencé ? » 
(Clament, Essais de critique sur la littérature ancienne et mor 
deme, t. i, p. 3i.) 

5o. Les peuples dei riPes de f Océan apportent en présent à 
leur chef un bouclier {y. 3^5). Ces descriptions de bouclier étaient 
un moyen épique déjà bien usé du temps de Silius, mais que 
les poètes n'ont jamais négligé^ même après lui. Honïère a décrit 
le bouclier d'Acbille, Hésiode celui d'Berèule, Nonnus celui de 
Bacehus , Virgile celui d*Énée, Stace celui de Crénée, et Claudiett 
celui de Itome. Heyne a reproché à Virgile d'^avôir omis dans sa 
description plusieurs faits importans, et d'en avoir admis d*afitres 
beaucoup moins célèbres. Ernesti fait le même reproche à Silius. 
Mais il est pourtant Un mérite qu'on ne peut leur refuser, >M. Mi- 
chaud^ dans ses notes sur V Enéide de DcUUe, ^it observer que 
le bouclier d'Achille et celui d'Hercule ne représentent rien qui 
se rapporte à ces héros , et qu'ils pourraient appartenir à tout 
autre personnage : « Le bouclier d'Ënée, au contraire, est parfai- 
tement adapté an stget de VEnéide.^ Le.héros troyen porte à son 
bras les destins de sa race , et son bouclier ne peut convenir qu'à 
lui seul. 9 On peut en dire autant du bouclier d'Aniiibal. 

5i. Chef-d*^œuvre du pays de Callécie (v. 39:7). La Galice , 
province d'Espagne ^ renommée pour ses mines d'or. 

Si». Mitias (v. 409). Ce nom carthaginois se rencontre plusieurs 
fois dans Y Enéide , d'où Silius l'a pris Sans doute, Uv. 1, v. 73B; 
liv. IX, V. 672, 7o3; liv. xi, v, 396. 

53. La tête du cheval guerrier qu*iùf ont trouvée en creusant 
la terre (v. 4^0). Virgile (^Enéide, liv. i, v. 44') «^ Justia 
(liv. xviii, ch. 5) ont aussi rappelé cette découverte de la tête 
d'un cheval, dans les fondations de Carthage. Elle présageait ^ 
selon eux, la gloire guerrière de cette cité. Servius, dans son 
commentaire sur V Enéide, k l'endroit cité, raconte cette histoire 
avec d'autres détails. 

a Didon , fuyant son frère , traversa une ile où Foracle de Ju- 
non lui annonça qu'elle trouverait bientôt la place de son nou- 
vel enipire. Peu confiante en cette promesse, Didon emmena le 



376 NOTES 

))iérre de Junon, et elicinmva bientôt, avec lui. sur les rives 
4* Afrique. Là, le prctre ayant choisi le lieu où s'élèverait la ville, 
on creusa la terre à cette place, et on y trouva une. tête de bœuf: 
pe qu*on vit avec déplaisir, le bœuf étant par nature destiné au 
joug. On creusa la terre un peu plus loin , et on en retira cette 
fois une tète de cheval : cette découverte fut mieux reçue que la 
première; car le cheval, quoique destiné au joug, aime la guerre, 
les armes, la victoire. On éleva. là un temple à Junpn. Ainsi, 
ajoute Serviuâ, la tête de. cheval désigne Carthagc guerrière, et 
la tète de l>o&uf. Carthage agricole* » 

;. '«Le cheval est à Carthage, dit M. Michelet, ce que le loup, 
puis l'aigle, out .été à Rome. Ce symbole équestre semble indi- 
quer que l'élément libyen et continental subsistait à côte de 
l'élément pbénicien et maritime.» [Histoire romaine^ liv. ii, 
çhi /| , note.) . . , .. 

. ,54. La main callécienne (v. /117)' L'artiste de Galice. 

^5,, Les chasseurs dont les corps dUtparaissent derrière les 
plumes d oiseaux tendues dans les forets (v. 419)- Les derniers 
çommentateqrs allemands, Ërnesti et Ruperti, ont rapproché ce 
passage de ce vers de Virgile [Enéide ^ Hv. tv, v. lai) : 

Dum trépidant aise saltusquë indagine cingunt. 

Ils ont adopté pour le mot aUc l'explication que Heyne en donne. 
Heyne entend par. alœ des cpouvantails faits de plumes d'oi- 
seaux, pinnas injbrmidine; j'ai traduit dans ce sens. .M. Ville- 
nave, en traduisant Virgile, a donne de ce mot une explication 
plus naturelle peut-être, et qui, du moins, se rapproche beau- 
coup plus de sa signification ordinaire. Selon lui, il s'agit dans 
Virgile, et par conséquent dans ce passage de Silius, qui. n'est 
qu'un. souvenir de celui de Virgile, des piqueurs ou cavaliers qui 
entouraient les chasseurs : l'infanterie , placée entre deux lignes de 
cavalerie, s^e'h trouvait couverte comme les oiseaux le sont de 
leurs ailes. Voyez le t. 11, p. 871 , du Virgile de cette Collection. 

56. Xanthippe victorieux y venu d'Jmyclée la Lédéenne (y, l^'^t^). 
Voyez sur Xanthippe, la note 3g de ce livre,, p. ^7». . , 

Amyclée, ville du Péloponnèse, qui fut le séjour de Léda. Il 
ne faut pas la confondre avec une ville italienne du même nom, 
bâtie entre Caièle et Terracine par des Laçons, coAipagnon^ de 



DU LIVRE DEUXIÈME. 377 

Castor et Pollux , et venus en Italie avec Giaucus , fils de 
JVIînos. 

57. Ses gèses (v. 444)* ^oyez, page 36o, la noie 71 du livre i. 

58. Son ahoyeur cydonien (v. 444)* C'est-à-dire, son chien 
Cretois. Cydon était une ville de Crète. Voyez ^ p. 368 , la note a5 
de ce livre. 

59. // se rend, au sanctuaire sacré de la Foi (v. 479)* Dans 
Valère-Maxime , la déesse de la Foi intervient aussi et pleure la 
triste destinée de Sagonte : « Crediderim tune ipsam Fidem, hu- 
inana negotia spécula ntem y mœstum gessisse vultum , perseve- 
rantissimum sui cultnm iniquae forttinae judicio tam acerbo exitu 
damnatum cernentem. n (Lib. vi , c. 6 , ext. 1.) 

60. Qui craignent autant qu'ils se font craindre (v. 499)- Cette 
idée se retrouve sous différentes formes dans presque tous les 
poètes qui ont précédé ou suivi Silius, dans Ennius, Labérius, 
Séncque, Claudien, etc. — Fénelon, qui savait si bien Tantiquité, 
a aussi reproduit cette pensée en la développant : 

« Les rois qui ne songent qu'à se faire craindre, et qu'à abattre 
leurs sujets pour les rendre plus soumis, sont les fléaux du genre 
humain. Ils sont craints comme ils le veulent ctre ; mais ils sont 
haïs, détestés, et ils ont encore plus à craindre de leurs sujets 
que leurs sujets n'ont à craindre d'eux. » {Télémaque y liv. 11.) 

61. Jette les yeux sur cette terre; pas une âme sans tache 
(v. 5o5). Il faut avouer que la vertueuse déesse abuse ici de la 
])atience d'Hercule : ce beau sermon n'est guère à sa place. 

Kh ! mon ami , tire-moi de danger ; 
Tu feras, après, ta harangue.^ 

6'i. La Mort s*as>ance, ouvrant sa large bouche (v. 548). Celte 
image grotesque de la Mort, dont Kuperti fait grand éloge, est 
le portrait exact de notre redoutable Croquemitaine. 

63. Un serpent à Vécaille luisante (v. 585). On sait que les 
anciens voyaient dans les scrpens les génies des hommes et les 
génies des lieux. Le serpent était le symbole de la vie, de la pa- 
trie et de rimmorlalité. 

64. Eurymédon, Lycornuis {y , O37). La ressemblance d^ ces 
deux frères, qui pouvait amener des effets louchans, ne produit 
ici que de burlesques équivoques. Tout en voulant imiter Vir- 



37S NOTES 

gile , Silius OiiMIe son goût pur et sévère pour dé perdre à force 
de bel-e^iit et d'affectation sur les traces d'Ovide. Qément a fait 
de ce pasaa^ tme crkiq»e fort juste, quoique peu modérée. 

« Siliiift ne iût jtmâts mieux yoir son peu de goût et de génie, 
^nt lenqal! veut donner une certaine étendue a un trait de na- 
ture et de sentiment que Virgile lui a indiqué. On connait ces 
▼ers charmans du dixième Ihre de V Enéide .* 

Yos etiam gemini Rutulis cecidistis in anris, 
Daucia, Lande Thymberque, simillima proies, 
Indîscreta suis, gratusque parentibus error : 
At nuDc dura dédit Tobis discrimina Pallas, etc. 

. « L'imitateur prend d'abord cette idée, et la convertit ensuite 
en un petit épisode, qu'on trouve vers la fia de son second livre : 

Tos etiam primo gemini cecidistis in aevo, 
Eurymedon fratrem, et fratrem mentite Lycorma, 
Guncta pares : duldsque labor sua Domina natis 
Raddere^ el in wltu genetrid stare suorum. 

Silius a cru ajouter à son modèle pai' ce jeu d*esprît que le tra- 
ducteur * a rendu plus sensible encore : portrait de Lycorma , 
portrait iT Eurymedon, Virgile s'était contenté d'une expression 
plus simple et plus convenable : simillima proies. Ce poète ba- 
bile s'est bien gardé d'étendre ce trait délicat , gratusque paren- 
tibus error f sacbant très-parfaitement qu'il faut laisser travailler 
l'imagination du lecteur, et qu'un sentiment perd tout à être dé- 
layé. Silius appuie sur l'embarras de cette mère , lorsqu'elle veut 
appeler cbacun de ses fils par son nom ; et cette particularité est 
bien moins agréable que l'idée générale et indéterminée du 
premier poète , qui a bien senti que cet embarras pouvait avoir 
quelque cbose de comique à être détaillé; d'ailleurs, gratus error 
a bien plus de délicatesse que dulcis labor, Silius n'aurait été 
qu'un faible imitateur, s'il s'était arrêté là; mais il devient ridi- 
cule et impertinent , en ajoutant ce qu'on va lire : 

Jam ûxus jugulo culpa te solverat ensis, etc. 
Qui ne voit que la double méprise de cette mère jette un comique 

^ Lefebvre de Villebruiie. 



DU LIVRE DEUXIÈME. 379 

bien déplacé dans une peinture aussi tragique? » (Essais de cri^ 
ti^esur kl Uttér, ancùf/me et moderne ^ t. i, p. 61.) 

65. Cette -ville,.,,, s'^écroule (y. 655). Appien raconte aatrement 
la chate de Sagonte. Selon loi , les Sagontins , dans une dernière 
sortie y la nuit, contre les Carthaginois > se firent tous massacrer; 
et leurs femmes, restées dans la ville, se pendirent^ ou se jetèrent 
du haut des toits , après avoir tué leurs enfiains* 

^^, Soudain apparak Tibume (v. 665). Cette îw ce n'est 

plus Tisiphone sous les traita de Tibume, c'est Tibume elle- 
même qui se présente. Il y a un peu de confosion dans tout 
cela. 

67. Jllez, célestes âmes (v. 696). Cet adieu du poète aux Sa- 
gontins, bien qu*nn peu déclamatoire, a été généralement ap- 
prouvé. Clément lui-même n'a pas hésité à en faire Téloge : c'est 
presque le seul passage des Puniques que sa censure ait épargné. 

« Puisque nous en sommes à remarquer les beautés de Siiîus , 
extrêmement rares en un si long poème , nous dirons à peu près 
tout le bien que nous en savons. Ce qui le earaittérise est un 
certain goût de philosophie et de morale assea ordinaire aux 
écrivains des siècles de décadence , qui aiment mieux penser que 
sentir, et réfléchir qu'émouvoir. Une louange que mérite notre 
poète , c'est d'avoir usé de ces réflexions morales pkis sobre- 
ment que les Lucain et les Scnèque , et de les avoir rarement 
tournées et prolongées en déclamations. Le morceau de ce genre 
qui nous a fait le plus de plaisir, termine le second livre ; c'est 
une apostrophe assez énergique aux malheureux citoyens de Sa- 
gonte, victimes de leur fidélité et d« la perfidie d'Ânnibal : 

At vos sidereee, quas niilla sequaverit œtas, etc. 

a Quoiqu'il soit fort singulier de voir un pe^te fliire lui-même 
une imprécation contre le héros de son poème, ce morceau est 
d'un beau mouvement et d'une vraie éloquence. » (^Essais ele 
critiqué sur la Uttér, ancienne et moderne, t. i , p. 75.) 

68. Un jour l'invincible guerrier ne portera aux flots du Styx 
qu'un cadavre livide et défiguré par le poison (v. 706). Pé- 
trarque, au deuxième livre de VAfrica, prédit de même la chute 
et la mort d'Annibal. Scipton endormi voit eft songe Pubhus Sci- 
pion , son père, qui, après lui avoir raconté la première guerre 



38o NOTES 

punique ^ lui révèle , sur sa demande , ses triomphes fulurs et la 
fin du chef carthaginois : 

Non tulit indignantem animo pater optimus : •• Imo , 

Imo, ait, armato latronem pellere luscum 

Finibus Ausoniae dabitur : discedet iniquo 

Inde animo , metuetque alienam linquere terram 

Sangiiinis ac priedae sitiens ; at mœsta suorum 

Plebs metuens, belloque nimis turbata propinquo, 

Hune repetet reb*ahetque domum. Postquam effera tangêt 

iitora , funesto veritus confUgere campo , 

Congi-essiis volet ante tuos ; tu furta caveto, 

Insidiasque viri : doceant le dira tuorum 

Funera Barbarico confecta ferociter as tu. | 

I tamen , atque hostis crudelem conspice vultum 

Rt dictis intende aurem, cautusquc vigilque 

Insidiosa senis versuti percipe verba. j 

Si renuis retrahisque pedem , nil crede per orbem 

Aut tumidus videare aliis aut forte superbus. i 

nie quidem varia tentabit flectere mentem 

Àrte , dolisque novis, didcem per secula pacém , 

Pacem iterans, pacisque tegens sub nomine firaudem^ 

Unicus eversor pacis firmissime prœsla, 

Propositumqi^e tene; nil de patriœque tuaque 

Majestate cadat. Fremet ille et tristia coram 

Fata videns, humiles voces submissaque verba 

Ore dabit ficto : juvenem semperque secundis 

Aâàuetum, casus varios librare monebit 

Fortunes , ac multa ancipiti sermone tremenda 

Proferet, eventusque ducum ; qiium nulla videbit 

Verba altuin movisse animum , tum tristis et ira 

Fervidus, arma fremens bellumque in castra redibit. 

Pugna erit, ambiguo quam speetant fata fi^vore,. 

Cujus ad eventum toto timeatur in orbe. 

Sanctior bis prœerit castris, dux impius illis. 



Victor eris bello tandem, Victoria nçc te 
Efferat : ast illum fortuna evei^sa repente 
Prosternet; victus fugict, peregrinaque tanget 
Litora , qua' Graiis Asiam regiûnibus œstus 
Hellespontiaci dirimit maris : omnia tandem 
Tentabit, regiimque pedes indignaque supplex 



' DU LIVRE DEUXIÈME. 38 1 

Contiuget geniia , atque aliéna precabitiir arma , 
Italicas ardeiis iterum ruilunis in oras, 
Si Forluna sinat; nobis sed amicior illa, 
Jam longis satiata malis, funesta retrorsum 
Consilia evertet. Quid multa? vagabitur exsul 
Pessimus/et terras virus disperget in omnes, 
Romanos in morte petens. Ceu saxea sœvum 
Qaum forte in triviis t empestas obruit anguem , 
nie fiirit, moriensque minas vomît atque venenum ; 
Mille ligans caudam sqiiamosaque corpora nodis , 
Horrificus solo aspectu , postrema cruentus 
Sibila languentesque oculos altollit, et ipsum 
Sœvit in autorem frustra : sic turbidus iste 
Mine vias moribundus aget, quo tempore forte 
Publlca dum perages mandata , videbls inermiem 
Securns , feciemque trueem quœ terruit urbem. 
CoUoquio festina dies videatur amico. 



Quam subito miris aiiimum volet iUe loquendo 
Flectere blanditiis, seu sunt hsec Punlca semper 
Pectora, seu laudem virlus vel ab boste meretur 
Praecipue, tam rara qnidem; verum illa jocosum 
Qualiacumque tibi risum fortasse movebunt. 
Nil aliud ; sic ille graves in morte reflexus 
Quum dederit , falsaque animum spe paverît amens , 
Tandem Bithynica met impertcmtus aula 
Dux atrox, urbique metnm depeUet et orbi. » 

(PsTKAKCH., Afiica, lib. ii, v. 3i et sq.) 



NOTES 



DU LIVRE TROISIEME. 



I. Une fois le traité rompu dans Carthage (v. i). Clémenl a 
encore blâmé ce début : 

(c Après la destruction de Sagonte, à la fin de la première ac- 
tion, Tantenr, embarrassé de renouer le fil de son récil, se tire 
brusquement d'un si mauvais pas; il ouvre ainsi son troiaîèrae livre : 

Postquam rupta fides Tyrife , et mœnia castae , 
Non œquo Supenun genitore, evena Sagunti, etc. 

Cc&t faire parcourir en peu de temps bien du cbcm» à «m bé- 
ros , et cet artifice pour eUtrer dans Une nouvelle aurii èp e , qni 
consiste à interroger un oracle ttir ce que doit lure Annibal , 
n'est-il pas bien puéril, et n'amiottee-t-B pas en même temps 
l'égarement du poète , qui ne sait plus quelle route tenir dès le 
commencement de sa eonière? » (Essais de critique sur la littéra- 
ture ancienne et moderne ^ 1. 1, p. 3a.) 

Ernesti relève vivement cette critique. H est certain que Silius, 
dans le plan tspt'û. t'était proposé , de traiter les principaux faits 
de la seconde guerre punique , ne pouvait oublier le séjour d'An- 
nibal à Cadix et sa visite au temple d'Hercule : il eût manqué en 
même temps et à Tite-Live , son guide ordinaire , et à sa muse 
qui trouvait dans cet épisode matière à de nouveaux développe- 
mens poétiques. 

a. Les remparts fraternels de Gadês (v. 4)« Cadix. Cette ville 
avait eu pour fondateurs, comme Carthage, des Phéniciens, partis 
des bords de la mer Rouge : de là Tépithète de cognata que Si- 
lius lui a donnée. 

3. Du dieu de Cirrha (v. 9). Apollon. Cirrha était une ville de 
Phocide, an pied du Parnasse, voisine de Delphes. 



NOTES DU LIVRE TROISIÈME. 383 

4. // rend hommage au dieu ppn^-meusue (t. 14). Hercule. 

5. On dit,.,, que les poutres qui soutiennent le temple depuis 
son origine durent encore (v. 17). M^rçns fiât remarquer avec rai- 
son ijiie Silius applique ici au temple d'Hercule ce que Plikie rap* 
porte du temple d'Apollon à Utique et du temple de Dîanti k 
Sagonte {Hist. Nat,^ liv. nyi, ch. 69). 

Pline attribue la dorée de ces poutres à leur odeur, et ce n'est 
pas sans raison. « Les bois odorans , dit M. Fée , dans une note 
sur ce passage de Pline , doivent leur odeur à une huile essen- 
tielle ou à une résine qui empécbe les vers de les attaquer, et qui 
les défend , en outre » des injures de l'air et de i'action de Thu- 
midité. Les bois de pin, de mélèze, de cèdre, de cyprès, etc. , 
sont dans ce cas. Il j a aussi une cause qui prolonge la durée des 
bois : o'est leur grande dureté; elle permet difficilement aux iii* 
sectes de les attaquer et à Tair de les désorganiser* Les bois qui 
sont en outre résineux et dont toutes les parties sont oonone ver- 
nissées , ont une durée presque indéfinie. » 

6. Ceux à qui seuls est le droit, „é de pénétrer au sanctuaire , 
en défendent l'accès aux femmes (v, a 2). Cette défense existait 
aussi dans les temples d'Hercule en Italie. On trouve dans les 
auteurs différentes raisons de cet usage. Voici comment Macrobe 
en raconte . l'origin e : 

«t Unde et mulieres in Italia saero Herculis non licet interesse; 
quia Hercnli , quumboves Geryonis per agros Italiae duceret, si- 
tien ti respondit roulier, aquam se non.posse praestare, quod fe- 
minarum Deae celebraretur dies, nec ex eo apparatu viris gustare 
fas esset. Propter quod Hercules, facturus sacrum, detestatus est 
praesentîam feminarum , et Potitio ac Pinario sacrorum custodi- 
bus jussit, ne mulierem intereçti^e permitterent. » (M4GR09., Sa^ 
toroa/., libi 1 , 0. 12.) 

Cette histoire a fourni à Properce le sujet d'une charmante 
élégie (liv. iv, élég. 9). 

1^. Prennent soin d'éloigner du seuil lejs, pourceaux aux longues 
soies (v. a3). Quant à cet usage, il n'était pas généralement suivi : 
dans certains lieux on immolait de« pourceaux à Hercule. Qui 
ne se rappelle la fable de Phèdre (liv. v, fable 4 ) ? 

Quidam immolaBiet verrem quum sando Herculi , 
Coi pro salute Totum d^ehat sua, et?» 



•584 NOTES 

8. Le lion île Cléone (v. 3 4). Le lion de Némée, foret yoisinc 
de Clëone, ville de TArgolide. 

9. Le cerf aux pieds (T airain (v. 39). Le dernier éditeur alle- 
mand de Silius , Riiperti se demande sérieusement s'il conserrern 
la leçon vnlgaire comàa cervasy ou s'il adoptera celle du manu- 
scrit de Cologne , cornua cervi; le cerf ou la biche. Après avoir 
cité dix autorités pour cerviy et autant pour cervœ, il se décide 
pour le cerf, avec Lefebvre de Villebrune, Aristote ayant for- 
mellement déclaré que les biches n'ont pas de cornes. 

10. Le fils de la terre de Libye (v. 40). Antée, le géant étouffé 
par Hercule dans les sables de la Libye.. ( Voyez LncAiir, Pkars., 
liv. IV, V. 593 et suiv.) Ruperti semble le confondre, à tort peut- 
être, avec un autre Antée, roi d'Irase en Libye, près du lac Tri- 
tonis, et dont Pindare a parlé (Pyihiques, ode ix, v. i85). 

1 1 . Le fleuve d Acamanie au front déjà mutilé (v. 4 a). Le fleuve 
Achéloûs, qui sépare TAcarnanie de l'Étolie. Le combat d'Hercule 
et d'Achéloûs, qui avait pris la forme d'un taureau, est raconté 
par le fleuve lui-même dans Ovide {Métarn., liv. ix, v. 8). Ce vers 
était défiguré dans toutes les éditions; il faut savoir gré à Ruperd 
de l'avoir rétabli d'après le manuscrit de Cologne. 

la. L'QEta resplendit de feux sacrés (v. 43). Les feux allumés 
par la foudfe. Hercule , brûlé sur le mont OËta eh Thessalie, fut 
enlevé au ciel et rois au rang des dieux. Foyez Sophocjle , Phi- 
loctète y v. 1427; ÛiODORE DE Sicile 9 liv. iv, chv 38 et 39; et 
Ovide , Métam. , liv. ix , v. a68. 

i3. Cymothoé (v. 58). C'est le nom d'une Néréide dans Virgile» : 
son empire , c'est la mer. 

14. Za Lune plie et déplie les vagues (v. 60). Cette description 
du flux et reflux: de la mer est belle, mais elle était assez inu- 
tile en cet endroit. C'est un lieu commun que le poète' avait 
traité séparément, qu'il ne voulait pas perdre, et qu'il a coasîi la 
tant bien que mal. 

i5. Le premier soin ^i l'occupe est de soustraire aux dangirs 
de la guerre la compagne île sa couche et son fils • encore à la 
mamelle (v. 63). Cette séparation d'Annibal et d'Imilcé sa fenune, 
toute de l'invention du poète , est ici heureusement amenée. On 
aime à retrouver dans Annibal ces doux sentimens de père et 
d'époux qu'on n'aurait jamais soupçonnés dans ce génie farouche 



/ 
DU LIVRE TROISIÈME. 385 

que le poète a dépeint en comitaençant sous de si sombres cou- 
leurs. Il y a dans Lucain {Phars, , liv. t, v. 72a) un épbode à peu 
près semblable, les adieux de Pompée et de Comélie^ avant la 
bataille de Pharsalew 

Il est juste de remarquer aussi que cet épisode repose agréable- 
ment le lecteur des scènes hideuses de la ruine de Sagonte. 

16. Que ton courage te fonde un nom (v. 71). 

Et factis tibi nomina.condas. 

Ennius avait dit {^Annal. ^ \ïy . xvi) : 

Reges per regum statuasque sepulcli^aqne quâerunt : 
. iSdificaiit noroeQ ; summa nituiitur opum vei. 

• 

17. Issue du sang de Castalius de Cirrha (v. 97). Cette généa- 
logie d'Imilcé, mêlée à l!origine et à la fondation de la ville de 
Castulo, n*est pas très-clairement expliquée. Silius attribue la fon* 
<1ation de Castulo en Espagne , dans la Bétique (aujourd'hui 
Cazorla ou Cazlond), à un personnage imaginaire ^ Castajius de 
Cirrha ou Cirrhaeus de. Castalie, car on peut également traduire 
des deux manières. Ce Castalios , supposé prêtre d'Apollon , sans 
doute à cause de Cirrha, sa patrie, donna à la ville qu'il avait 
fondée le nom de sa mère , Castulo , et fut le premier dés ancêtres 
d^Imilcé, qui tirait son nom de Milichus, ancien roi de Castulo, 
et fils d'un Satyre et de la nymphe Myricé. Cet étalage d'érudir- 
tîon mythologique , historique et géographique, est bien ridicule, 
mais, comme dit Lefebvre de Villebrune, « c'eist un poète qui 
s^nmuse. » Ce qu'il y a de vrai dans tout cela, c'est que la femme 
d'Annibal était de Castulo : le fait est attesté par Tite-LÎTé 
(liv. XXIV, ch. f\i) : 

^< Castulo , urbs Hîspaniae valida ac nobilis , et ndeô coDJuncta 
societate Pœnis, ut uxor inde Annibalis esset,'ad Romanos de- 

fecit. » 

* 

18. rai toujours devant les yeux et l'autel.^t V horrible sacri'^ 
flce (v. 140). Annibal justifie ici ce que Hannon a dit de lui dans 
le sénat de Carthage (liv. 11, v. 296). . 

19. Le Carthaginois, ,i, regagne,... les murailles de la ville 
(v. iSy). De queile ville? de Gadès sans doute, d'où il vient de 



3S6 NOTES 

sortir av^c Imilcé : le texte paraft cluir et ne dît rien de plus. Ce- 
pendant quelques commentateurs pensent qae Silius veut dé- 
signer Carthagène, où, selon Tite-Live (lîv. xxi, eh. 2t et 22), 
Annibal retourna , après avoir sacrifié à Hercule dans Gadès. 
Je crois que Silius , qui n'écrivait pas l'histoire , s*est peu occupé 
de la ville; il était beaucoup plus pressé d*arriver à la description 
du songe d'Ânnibal. 

20. L*âme du guerrier se recueille dans le sommeil (v. 162). 
Ce songe d'Annibal était une tradition bien ancienne e^ bien cé- 
lèbre dans l'antiquité. Cicéron [De la DivinaL , liv. i , ch. %!\) , Tite- 
Live (liv. xxi, ch. ^2) et Valère-Maxime (liv. i, cb. 7, étr. i), 
Tout raconté , mais chacun à sa manière et avec certaines va- 
riantes. De tous ces récits , celui de Silius est le plus banal et le 
moins vraisemblable. Il est fâcheux que le poète, entraîné par la 
funeste manie de copier Virgile et sa vieille mythologie , ait re- 
tiré à ce songe ce qn*il avait de simple et de naturel, et en ait 
fait un songe d'Énée ou de Tumns , au lieu d'un songe d' Annibal. 
Datis les historiens, c*est un jeune homme d'une taille plus qu'hu- 
maine , divina specie juvenem , mortali specie juvenem excelsio- 
rvm, qui apparaît au Carthaginois ; datas le poète, c'est Mercure : 
heureuse substitution, dit Ruperti, car Mercure est Vordinaire 
envoyé de Jupiter et de plus le dieu qui préside aux songes et 
au sommeil. Je «rois au contraire qu'il y avait quelque chose de 
pliis neuf et d'aussi merveilleux à conserver à cette vision sa 
forme vague et inconnue , qti'à la personnifier sons les traits de 
Méreare, avec ailes et baguette. Le plus curieux de ces trois 
songes est celui que Cieéron a raconté et qu'il a pris dans les 
anciens annalistes : il est à regretter que Silius n'en ait pas pro- 
fité. Le voici : 

« Hue item in Sileni , quem Cœlius sequitur, Gra&ca historia est ; 
is ««xtem diligentissime res Hannibalis persecutus est : Hannibn- 
lem , quum cepisset Saguntnm , visnm esse in somnis a Jove in 
Deorum concilium vocari; quo quum venisset, Jovem imperasse, 
ut Itali» bellum inferret , ducemque ei nnum e concilie datum ; 
quo illum utèntem, ctim ei:ercitn progredi cœpisse; tum ei dncem 
illum praecepisse, ne respiceret; illum autem id diutius facere non 
poluisse , elatiiroque cnpiditate respexisse ; tum visam bellunm 
vastam et immanem, circnmpHcatam serpentibus, quacumque in- 



. DU LIVRE TROISIÈME. 387 

ccderety omnia arbusta, virgulta, tecta pervertere; et eum adini- 
ratuni quaesisse de Deo , quodnam îlliid esset taie monstrum ; et 
Deum respondisse, vastitatem esse Italiae^ prsecepisseque, ut per- 
geret protinus ; quid rétro atque a tergo fieret , ne laboraret. 3» 

ai. Le dieu de Cjrllene (v. 168). Mercure. Cyllène est la mon- 
tagne d'Ârcadie où naquit Mercure. 

22. Honte au chef qui use au sommeil sa nuit entière (v. 172). 
Ce y ers de SiUus : 

Turpe duci totam somno consumere noctem, 

est la traduction littérale d'un vers d*Homère [Iliade, liv. 11, 
V. 24 et 61) : 

•» 
que je trouve ainsi traduit dans un vieux poète : 

L*homme advisé ne doibt dormir ki nuit entière. 

P«irodié par Boileau dans le Lutrin, 
Tu dors , prélat , tu dors ! 

ce passage d'Homère avait été déjà imité par le Tasse. A.u dixième 
chant de la Jérusalem délivrée, une voix sévère se fait entendre 
la nuit aux oreilles de Soliman et lui crie : 

Soliman Solimano, i tuoi si lenti 

Riposi a miglior tempo ornai riserva 

In q^uesta terra dormi, e non rammenti 
Ch* insepoUe de* tuoi l*ossa conserva! 
Ove si gran vestigio è del tuo scorno , 
Tu, neghittoso, aspetti il novo giorno! 

(Gant. X, st. 8.) 

Soliman , Soliman , pour des temps plus heureux 

Réserve du sommeil les plaisirs dangereux. 

Ne te souvient-il plus du trône de Nicée ? 

Ton peuple est dans les fers, ta gloire est éclipsée: 

Et tu dors , imprudent ! Sur la poudre étendus , 

Tes .ûdèles amis , que ta cause a perdus , 



388 NOTES 

D*im dernier abandon subissent 'r»Bf amie. 
On dresse leur bûcher dans la .plaine ennemie. 
O forfait ! et tu dors ! Yeux-tu ijue le soleil 
Te retrouve plongé dans un lâche sommeil ? 

(Baôoa-Loahiaii.) 

Ce vers d'Homère rappelle aussi une charmante lettre de Marc- 
Aiirèle enfant à Fronton son maitre y qui lui avait* envoyé un 
Éloge du sommeil. Le jeune prince répond à cet éloge par une 
satire, et il s'appuie de plusieurs passages d'Homère, de celui-ci 
entre autres , pour prouver que le sommeil est nuisible et dan- 
gereux. Voyez Lettres inédites de Marc- Aurèle et de Fron- 
ton, liv. 1, lelt. I (t. i*'^, p. 37 de la traduction de M. Ar- 
mand Cassan). 

a 3. Calliope, dites quels peuples volèrent à cette horrible con- 
quête (v. 222). Virgile a dit de même au pluriel , en parlant à 
Calliope sejule [Enéide yViv. ix, v. 5a5) : 

Vos ô, Calliope, precor, adspii-ate canenti. 

24. Les rives parétoniennes (y, ^^^yparétonium (M- Bareioun) 
était une ville et un port de Marmarique. 

aS. L'effroyable guerre apportée par mille navires (v. 229). La 
guerre de Troie. 

26. Les premiers qui parurent sous les étendards étaient les 
enfans de Carthage (v. 23 1). Les premiers et sans doute les moins 
nombreux. On sait que les Carthaginois se servaient surtout de 
troupes étrangères. 



V. Carthage étant établie sur le commerce, a dit Saint-Evremont, 
et Rome fondée sur les armes, In première employoit des étran- 
gers pour ses guerres, et les citoyens pour son trafic; l'autre 
se faisoit des citoyens de tout le monde, et de ses citoyens des 
soldats. » 

M. Michel et : ^ 

« Les Carthaginois n'étaient rien moins que guerriers de leurs 
personnes, quoiqu'ils aient constamment spéculé sur la guerre. 
Ils y allaient en petit nombre , protégés par de pesantes et riches 
armures. S'ils y paraissaient, c'était sans doute moins pour com- 
battre eux-mêmes, que pour surveiller leurs soldats de louage, 
€t s'assurer qu'ils gagnaient leur argent. Encore, le petit nombre 



DU LIVRE TROISIÈME. 38<) 

de troupes carthaginoise» qu& nous voyons dans leurs armées 
devait-il être composé en grande partie d- Africains indigènes, 
soit Libyens du désert y soit montagnards de T Atlas. C'est ainsi 
que Ton a confondu souvent les Arabes conquérans de ces mêmes 
contrées a-vec les Maures, leurs sujets. Toutefois^ cette <lualité de 
races se^écèle fréquemment dans l'histoire de Carthage; le génie 
militaire des Barca. appartient , comme le nom de Barca semble 
l'indiquer, aux Nomades belliquieux d;e la Libye, plus qu'aux 
commerçans phéniciens. Les vrais Carthaginois sont les Hannon , 
administrateurs avides et généraux incapables. 

a La vie d'un marchand industrieux, d'un Carthaginois, avait 
trop de prix pour la risquer, lorsqu'il pouvait se substituer- avec 
avantage un. Grec indigent ou un Barbare espagnol ou gaulois. 
Carthage savait , à une drachme près , à combien revenait la vie 
d'un homme de telle nation. Un Grec valait plus qu^un Campa- 
nien, celui-ci plus qu'un Gaulois ou un Espagnol. Ce tarif du 
sang bien^ connu, Carthage commençait une guerre comme une 
spéculation mercantile. Elle entreprenait des conquêtes ,< soit dans 
l'espoir de trouver d-e nouvelles mines à exploiter, soit pour ou- 
vrir des débouchés à ses marchandises. Elle pouvait dépenser 
cinquante miUe mercenaires dans telle entreprise, davantage dans 
telle autre. Si les rentrées étaient bonnes, on ne regrettait point 
la mise de fonds; on rachetait des hommes et tojit allait bien. 

« On peut croire qu'en ce genre de commerce, comme en tout 
autre, Carthage choisissait les marchandises avec discernement. 
Elle usait peu des Grecs qui avaient trop d'esprit, et ne se lais- 
saient pas conduire aisément. Elle préférait les Barbares; l'adresse 
du frondeur baléai'e, la furie du cavalier gaulois (/«yi/zw! ^/w/î- 
cesé)^ la vélocité du Numide maigre et ardent comme son cour- 
sier, l'intrépide sang-froid du fantassin espagnol, si sobre et si 
robuste , si ferme au combat avec sa saie rouge et son épée ht deux 
tranchans. Ces armées n'étaient pas sans analogie avec celles des 
condottieri du moyen-âge. Toutefois les soldats des Carthaginois 
ne s'exerçant point à porter des armes gigantesques , comme les 
compagnons d'Haw^kood ou de Carmagnola , n'avaient point sur 
des troupes nationales uu avantage certain. Une longue guerre 
pouvait rendre les milices de Syracuse ou de Rome égales aux 
mercenaires de Carthage. Ceux-ci , comme ceux du moyen âgç , 



390 NOTES 

pouvaient à chaque instant changer de parti , avec cette différence 
que , faisant la guerre à des peuples pauvres , la trahison devait 
moins les tenter. Sforza pouvait flotter entre Milan et Venise , et 
les trahir tour à tour ; mais qu'aurait gagné l'armée d'Aniiibal à 
se réunir aux Romains? Les. troupes au service de Carthage ne 
servaient guère dans leur patrie ; on les dépaysait avec soin ; les 
difierens. corps d'une même armée étaient isolés entre eux par la 
différence ae langue et de religion ; souvent elles dépendaient , 
pour les vivres y des flottes carthaginoises : ajoutez que les géné- 
raux , n'étant pas en même temps magistrats comme à Rome , 
avaient moins d'occasions d'opprimer la liberté; enfin le terrible 
tribunal des Cent tenait des surveillans auprès d'eux y et , au 
moindre soupçon, les faisait mettre en croix. » (^Histoire romaine, 
liv. Il, ch. 3.) 

117. Aspis (v. 224)' Aujourd'hui Af^lihiuy appelée par les La- 
lins Clupea ou Clypea. £lle tirait son nom de sa position sur une 
colline qui avait la forme d'un bouclier. Le Sicilien qui l'entoura 
de murs , c'est Agathocle. 

28. Bérénice (v. si49)> Nommée aussi Hespéris ( aujourd'hui 
Bemic), C'était une colonie grecque comme Barcé et Cyréné. 

29. Le bras armé du dolon poli (v. aSo). C'était un long' bâtou 
armé d'une pointe de fer : quelquefois il était creusé et cachait 
une lame aiguë. De là l'étymologie ingénieuse donnée par le 
P. La Rue à ce mot qu'il fait venir de doUts, fraude. 

30. Cyréné y tpii doit son origine à un descendant de Pélops 
(v. 25a). Cette ville (aujourd'hui en ruines sous le nom de Kuren 
eut pour ^ndateur Battus,' d'où ses habitans prirent le nom de 
Battiades. Battus était né aux environs de Sparte, dans le Pélo- 
ponnèse. 

3i. Sabratha (v. 256). Ville maritime. Aujourd'hui Sabnri, près 
de Tripoli. 

32. Leptis (v. 256). La grande Leptis, aujourd'hui LébéiLi, Sa- 
bratha et Leptis étaient deux colonies tyriennes. 

33. Éa (v. 257). Aujourd'hui Tripoli, Ce sont ces trois der- 
nières villes qui, selon Solin (cb. xxvii), ont fait donner à la ré- 
gion syrtique le nom de Tripolis, 

34. Celles de Tïngis, parties des rives du rapide Lixus (v. 'x^^\ 
Tingis, aujourd'hui Tanger, Li^us ou Lixos (Larache) était une 



DU LIVRE TROISIÈME. ^91 

ville d'Afrique sui' un fleuve du roéme nom (aujourd'hui Luccos), 
11 est probable qu'il s'agit ici du fleuve : le sens du vers semble 
du moins l'indiquer. Ruperti l'a entendu autrement , et croit que 
Silius ^ voulu parler de la ville. Lixns , dans cette hypothèse ^ 
aurait eu Tingis sous son empire. Les mots rapide œquore dé- 
signeraient la mer qui arrosait Lixus. 

35. ^aga (v. aSg). Aujourd'hui ^eg-jay voisine de Cirla (€oh- 
AtantUie), 

36. Hippone (v. tàSg). Aujourd'hui Bizerte ou Men-Zeri.. Siàni 
Augustin l'a rendue célèbre. 

37. Ruspina (v. a6o). Ville maritime, entre Adrumète {Hatna- 
mei^ et la petite Leptis [Lemta)^ près de la ville actuelle de J^o- 
nastir, régence de Tunis. 

38. Zama (v. a6i). En Numidie. Aujourd'hui Zag. . 

39. Thapsus (v. a6i). Aujourd'hui Demass, régence de Tunis. 
Quelque temps après la bataille de Pharsale , César y défit les 
troupes de Scipion, d'Afranius et de Juba, partisans de Poropëe. 

/|0. Le chef de tant de peuples,,,, Antée (v. 262). Pline (liv. v^ 
cb. 1) dit que Tingis avait été bâtie par le géant Alitée , et c'est 
à Lixus , ajoQte-l-il , qu'on plaçait son palais et son combat avec 
Hercule. Silius s'est rappelé cette tradition en donnant au chef 
des soldats de Tingis et de Lixus, la taille , l'armure et le nom 
du vieil Antée. 

41. Les Nube^ (v. 269). Aujourd'hui le Bournou et la riTubie. 

4a. La flexible catéie (v. 277). Petit dard garni de pointes et 
retenu par une courroie. 

43. V Jdyrmachide,,,, porte la cètre (v. 278). Ce peuple ha- 
bitait la basse Libye, sur les confins de l'Egypte. La cètre était 
un bouclier de cuir, commun aux Africains et aux Espagnols. 

44. Les Massyles (v. 282). Peuples nomades , voisins de la 
Mauritanie. Silius les fait venir des jardins des Hespérides, qu'il 
place ainsi dans la Mauritanie, d'après Virgile , contrairement à 
la plupart des autres poètes qui les ont placés dans la Cyré- 
naïque. 

45. Vous aussi.,,, Getules (v. 287). « Les anciens appelèrent 
Gétules tous les peuples de l'Afrique qui demeurèrent au sud des 
Mauritains et des Numides. Leurs habitations s'étendirent du 
Biledulgérid dans l'intérieur du désert , et de la mer Atlantique 



39« NOTES * j 

jusqu'aux pciys situés au sud de la petite Syrte. Là commença le | 
pays des Garamantes, situé entre les mêmes parallèles que celui 
des Gétules, et qui fut borné au nord-«st par la contrée des Nasa- 
monés, à l'est et au sud-est par celle des Blemmyes, habitans du 
désert que nous appelons aujourd'hui Bilma , et qui de là pas- 
sèrent aux bords du IVil, dans la Nubie et dans le Sennaar, où 
Ératosthène les trouve' déj^ établis. » (Let&onne, Mémoire sur 
l'inscription de SÎlco, Journal des Savans, 1826.) 

46. Les Baniures (y. 3o3). Peuples de l'Afrique Occidentale. 

47. Les Autololes (v. 3o6). Us oecapaient la côte occidentale 
de l'Afrique qui s'étend du cap Cantin au cap Ger. 

48. Les peuples nourris des sucs vantés du lotos , arbre hospi- 
talier (v. 3 11). Les Lotophages habitaient l'ile Méninx {^Gerbi) 
dont il est parlé plus bas. On croit que le lotos est le jujubier 
de Séédra. Les anciens se nourrissaient de sa graine et de sa ra- 
cine. -— Lotos nimis hospita. On trouve la même épithète appli- 
quée au lotos dans le Moucheron, v. ia8.: 

Iippia loto». .... 

Hospita dum Dimia tenuit dulcedine captos. 

Cette ressemblance, si l'on ne considère que le soin religieux avee^ 
lequel Silius imitait Virgile , serait une preuve évidente que le 
Moucheron est de Virgile. 

49. La tragule (v. 3 1 8). C'était un javelot armé d'un fer re- 
courbé en forme d'hameçon^ et fort en usage au temps des guerres 
puniques, car Plante (Casine, v. 189; Épidique, v. 664) et Lu- 
eilius (Fraffm. incert. xliii) en ont parlé. 

50. VAsturien y malheureux écuyer de Memnon l'Oriental 
(v. 334). 11 faut se rappeler, pour comprendre ce passage, l'his- 
toire d'Astur , écuyer de Memnon , fils de Tithon et de TAurore 
et chef des Éthiopiens. Après la mort de son maître , tué par 
Achille, Astur vint en Espagne, et Silius, jouant sur la ressem- 
blance des noms, lui donne pour descendans les Astui'îens. 

5i. Les Cer rétains y jadis soldats de Tirynthe (v. 357). Her- 
cule, se dirigeant vers les Pyrénées, avait campé au pays des 
Cerrétains (la Cerdagne). 

52. Le Féucon (v. 358). Les Vascons (les Basques) habitaient 
les deux versans des Pyrénées. 



DU LIVRE TROISIÈME. 39^ 

53. Ilenia (v. 359). Lérida. Elle servit de refuge aux Poiii- 
pëiens , et César ravagea ses campagnes. 

54. Concanie/i (v. 36 1). Aujourd'hui Cangas. 

55. Ebuse (v. 36'2). Yviça^ une des îles Pityuses (îles des Pins), 
voisine des Baléares. 

56. L'Arbace (v. 36a), ou Arévaque, peuple de TEspagne Ci- 
térieure ; Numance était sa capitale. 

57. Vaclyde (v. 363). Espèce de javelot, comme le vérut, 
y oyez V1B.GILE , Enéide, liv. vu , v. 73o. 

58. L'enfant de Tlépoleme , le Baléare , que Lindus a vu 
neutre (v. 364). Lindus , ville de Tiie de Rhodes, avait eu pour 
fondateur Tlépoleme, fils d'Hercule. 

59. Les Graviens (v. 366). Voyez y p. 35o, la note 40 du liv. i**". 

60. Les soldats d'Emportés la Phocéenne ( v. 369 ). Ampurias 
en Catalogne, bâlie, selon Strabon, par des Marseillais. 

61. La cohorte sédétaine (v. 372). Les ^édétains ou Ëdétains 
avaient pour capitale Salduba, Sarragosse. — Le Sucron, auj. le 
Xucar. — Sétabis, auj. Xativa, au royaume de Valence. 

62. Les escadrons de Vettonie (v. 378). Province à l'ouest de 
la Lusitanie , dont Salamanque paraît avoir été la capitale. 

63. Vxama (v. 384). Auj. Osma, dans la Vieille-Castiile. 

64. Le spare (v. 388). Petit javelot. 

65. Castulo (v. 391). Voyez la note 17 de ce livre, p. 385. 

66. Hispal (v. 392). Séville. 

67. Nébrissa (v. 393). Lébrixa. Silius fait venir son nom de la 
nébridCf ou peau de chevreuil, dont ou se couvrait dans les or- 
gies. Tout ce passage a été fort tourmenté par les commen- 
tateurs. 

68. Cartéia (v. 396). Colonie phénicienne , sur le détroit d'Her- 
cule. Arganthonius, roi de Tartessos, que Silius fait vivre trois 
cents ans, ne vécut, selon d'autres, que cent trente ou cent 
vingt ans. 

69. Tartessus,.,, Manda.,., Corduba (v. 399-401). Tartessus était 
la capitale d'une ile du même nom (ile Mayor), à Tembouchure 
du fiaetis (Guadalquwir), — Manda et Corduba sont encore au- 
jourd'hui Monda et Cordoue. 

70. Le nom de la fille de Bébryjc (v. t\'ào). Ou d'une fille 
des Bébryces. Ce peuple occupait le Roussiilon (les Pyrénées- 



394 NOTES 

Orlentares). Cette histoire de Pyréné ii*était déjà plus qu'une 

fable au temps de Pline (Ut. m, cli. 2 )« 

71. Les Voices (v. 44^)* Poissante nation de la Narbonnaise 
(le Languedoc). 

7a. UArar{y, 45a). La Saône.- 

73. Zi<? p^ys des TricastinSf ei les plaines des Voconces 

(v. 466). Attj. le département delà Drôme. 

74. PartatU les glaces y partout la grêle (v. 479)* Ici, comme 
presque partout y Silius est bien inférieur à Tite - Live. Il n*a 
pas su rajeunir ce lieu commun. Telle qu'elle est néanmoins, 
cette description triviale me semble bien préférable à la préten- 
tieuse amplification de Delille, qui a trouvé le secret d*ôtre in^- 
nieux et fin en parlant des Alpes : 

Là, le Zéphir caresse, ou T Aquilon tourmeote; ' 
Vous y voyez unis des volcans , des vergers , 
Et récho du tonnerre et récho des bergers , etc. 

75. Le soldat incertain avance lentement (v. 5oo). Ceci rap- 
pelle la terreur des soldats de Germanicas dispersés par la tem- 
pêté dans les mers du Nord , lors de son expédition contre Armi- 
nius, en Germanie (Tacite, Ann,, lîv. 11, ch. 23 et a4)< ^^ 
poète, ami d*Ovide, G. Pédo Albinovanus, dans une épopée où 
il célébrait cette expédition, avait exprimé en beaux vers cet ef* 
froi religieux des soldats dans des parages inconnus. Ces vers , qui 
sont à peu près les seuls qui nons restent de lui, nous ont été 
conservés par Sénèque le père ( Suas, , i ) ; les voici : 

Jam pndem post terga dUm solemque relictum , 
Jam piidem noth exlorres finUnts orbis; 
Per non, concessas audaces ire tenebras 
Hesperii metas extremaque lUora mtuidi. 
Nunc illum, pîgris immania monstra sub undis 
Qui ferai , Oceanum , qui sœvas undique piisies , 
jEquoreosque canes , ratibus consurgere prensis. 
Accumulât fragor ipse metus : jam sidère limo 
Navigia, et rapido desertam flamine classem, 
Seque feris credunt, per inertia fata , marinis 
Jam non felici laniandos sorte relinqui. 
Atque aliquis prora spectat sublimis ab ait a , 



DU LIVRE TROISIÈME. 3()5 

Aéra pugnaci luctatiu rumpere 'visu ; 
Ut nihil erepto 'valait dignoscere mundo , 
Obstructo taies effudit pectore 'voces : 
« Quo ferimur? Ruit ipse dies, orbemqite relictum 
Ultima perpetuis claudit natura tenebris. 
Anne alio positas ultra sub cardine gentes , 
Atque alium libris intactum quœrimus orbem? 
Di revocant, rerumque 'vétant cognoscere finem 
Mortales oculos : aliéna quid œquora remis 
Et sacras 'violamus aquas, Divumque quietas 
Turbamus sedes? » 

Déjà depuis long-temps ils laissaient en arrière 
Du soleil et du jour la mourante lumière ; 
Loin du monde connu , hardis navigateurs , 
Ils franchissaient des nuits les saintes profondeurs , 
Les derniers océans, les limites perdues 
Des plages d'Hespérie à leurs pas défendues. 
Et maintenant ces mers, dont les flots fainéans 
Roulent de toutes parts tant de monstres géaus, 
Et l*espadon vorace et les requins immondes , 
Vont assaillir la nef captive au sein des ondes. ^ 
La houle qui rugit redouble leur terreur. 
Ils tremblent que la vase en sa molle épaisseur 
Ne retienne enchaînés leurs vaisseaux immobiles ; 
Les vents n*enfleront plus leurs voiles inutiles , 
Et les lâches destins, par un fatal revers, 
Les livrent sans défense aux animaux des mers. 
Sur la poupe , debout , Tun d*eux , en ces nuits sombres , 
D'un regard obstiné lutte , et combat les ombres ; 
Il veut revoir le ciel : le ciel est effacé. 
Un cri s'échappe alors de son cœur oppressé : 
«Où courons-nous? Le jour fuit ces mondes funèbres 
Que les dieux ont fermés d'étemelles ténèbres. 
Cherchons-nous sous le pôle un pays égaré, 
Un dernier univers des livres ignoré ? 
Arrière ! La nature aux regards du vulgaire 
Couvre d'un voile épais les bornes de la terre. 
Pourquoi tenter encor ces flots mystérfeux , 
Ces abîmes sacrés où re)x>sent les dieux ? » 

76. Un génie céleste , sorti de Cures (v. 5 9/1). Vespasien, dési- 



/ 



3y6 NOTES 

gné UQ peu plus loin par Tex pression de pMer, premier empe- 
reur de la maison Flavia. Il naquit non pas à Cares , prise ici 
pour toute la Sabine , mais à Phalacriné , petit l)ourg da même 
pays. Voyez Suétone, Vespas,y ch. ii. 

77. Un jeune prince après lui (v. 6o3). Titus. 

78. Mais tu surpasseras , Germanicus , les exploits des tiens 
(v. 607). Cet éloge de Domitien est aussi outré et aussi ridicule 
que ceux qu'on retrouve dans Stace, Martial et Quintilieu. Il 
faut reconnaître pourtant que Silius a mis dans la flatterie plus 
de discrétion que ses contemporains. Il n'a pas affiché ces 
louanges insensées en tête de ses livres, comme une dédicace : il 
les a cachées au milieu du poème ; et, loin de les adresser direc- 
tement à Tempereur, il les a adroitement mises dans la bouche 
de Jupiter, qui, depuis long-temps, n'était plus un personnage 
sérieux à Rome. 

V 

79. Enfant, tu seras la terreur déjà du Breton (v. 608). Les 
éditeurs allemands , malgré leur coutume , ont préféré ici la leçon 
vulgaire Batavo, à la leçon de tous les manuscrits et de toutes 
les anciennes éditions, Britanno, Ils ont voulu trouver dans Ba- 
tapo une allusion à la guerre que Domitien fit chez les Germains 

~ à dix-neuf ans, et dont il rapporta le titre de Germanique ; mais 
la leçon Britanno pouvait fort bien rester , surtout après l'ingc- 
nieuse explication qu*en donne Drakenborch , qui pourtant a 
préféré l'autre. Silius, pour flatter Domitien, rappelle ici la 
guerre que Vespasien avait faite aux Bretons, quand Domitien 
n'était qu'enfunt, et il fait entendre que , dès cette époque , ces 
peuples vaincus par le père redoutaient déjà dans son jeune fil^» 
un vainqueur plus terrible encore. 

80. En face un roc droit, coupé à pic (v. 635). Silius, qui suit 
comme il peut le récit de Tite-Live , n'a pas oublié cette roche 
étroite et escarpée, dernier obstacle à la descente d'Annibal, qui 
fut quatre jours à la briser et à la dissoudre par le vinaigre. Voyez 
TiTE-LivE, liv. XXI, ch. 37. 

Il est assez singulier qu'uç obstacle du même genre ait ar- 
rêté François 1*^*^ lorsqu'il passa \e.s Alpes en i5i5, pour con- 
quérir le Milanais : c'est Gaillard qui rapporte ce fait. Mais il est 
à craindre que le savant historien , qui connaissait si bien l'anli- 
quité, n'ait été entraîné par ses souvenirs et n'ait cédé un peu trop 



DU LIVRE TROISIEME. 397 

facilement au plaisir de copier les anciens qu'il s'était proposés 
pour modèles. Quoi qu'il en soit, il est curieux de rapprocher 
son récit de ceux de Tite-Live et de Silîus. : 

<t On part : un détachement reste et se fait voir sur le Mont-Ce- 
nis et sur le Mon t-Genè vre , pour inquiéter lés Suisses et leur faire 
craindre une attaque : le reste de l'armée passe à gné la Durancc 
et s'engage dans les montagnes du côté de Guillestre. Trois mille 
pionniers la précèdent; le fer et le feii lui ouvrent une route dif- 
ficile et périlleuse à travers des rochers; on remplit des vides im- 
menses avec des fascines et de gros arbres ; on l>âtit des ponts de 
communication, on traîne à force d'épaules et de bras l'artil- 
lerie dans quelques endroits inaccessibles aux bétes de somme : 
les soldats aident les pionniers, les of&ciers aident les soldats; tous 
indistinctement manient la pioche et la cognée, poussent aux 
roues , tirent les cordages ; on gravit sur les montagnes , on fait 
des efforts plus qu'humains, on brave la mort qui semble ou- 
vrir mille tombeaux dans ces vallées profondes que l'Argenfièrc 
arrose, et où des torrens de glaces et de neiges fondues par le 
soleil se précipitent avec un fracas épouvantable. On ose à peine 
les regarder de la cime des rochers, sur lesquels on marche en 
tremblant dans des sentiers étroits, glissans et raboteux, où chaque 
faux pas entraîne une chute, et d'où l'on -voit souvent rouler au 
fond des abîmes 'et les hommes et les bêtes avec toute leur charge. 
Le bruit des torrens, les cris des mourans, les hennissemens des 
chevaux fatigués et effrayés, étaient horriblement répétés par tous 
les échos des bois et des montagnes, et venaient redoubler la ter- 
reur et le tumulte. On arrive enfin à une dernière montagne , où 
Ton vit avec douleur tant de travaux et tant d'efforts prêts à 
échouer. La sape et la mine avaient renversé tous les rochers qu'on 
avait pu aborder et entamer; mais que pouvaient-elles contre une 
seule roche vive, escarpée de tous côtés, impénétrable au fer, pres- 
que inaccessible aux hommes? Navarre, qui l'avait plusieurs fois 
sondée, commençait à désespérer du succès, lorsque des recherches 
pins heureuses lui découvrirent une veine assez tendre qu'il suivit 
.'ivec la dernière précision : le rocher fut entamé par le milieu, 
et l'armée, introduite au bout de huit jours dans le marquisat de 
Saluées, admira ce que peuvent l'induslrie, l'audace et la persé- 
vérance, .» (Gaillard, Histoire de François i*% liv. i, ch. i.) 



3g8 NOTES DU LIVRE TROISIÈME. 

8i. Après avoir franchi,., les Alpes inconnues (v. 645). Les 
savans sont loin de s'entendre sur l'endroit que choisît Annibal 
poar franchie les Alpes. Les nns conduisent le général carthagi^ 
nois par les Alpes Grecques, Alpes Graiœ, et les antres par les 
Alpes Cottiennes , Alpes Cottiœ. Cest en Êiveur de ce dernier 
passage que se réunissent les autorités les plus nombreuses et les 
plus imposantes. F'oir au surplus, à cet égard, l'excellent on- 
rrage de Larauza : Histoire critique du passage des Alpes par 
AnnibaL Paris, 1826. 

8a. Nous avons pénétré jusqu'atfx autels de la Libye (v. 65 1). 
Le temple de Jupiter Ammon était situé au milieu des déserts 
sablonneux de la Libye, dans une oasis de deux lieues d'étendue 
appelée aujourd'hui Syouah. 



'V 



NOTES 



DU LIVRE QUATRIÈME. 



î . Le sénat... oppose une grande âme,., h Vadversité (v. 33-35 ). 
« C'est une chose surprenante dans la conduite de Rome d*y voir 
le peuple regarder presque toujours le s(^nat avec jalousie , et 
néanmoins lui déférer tout dans les grandes occasions, et surtout 
dans les grands périls : alors on voyoit tout le peuple tourner les 
yeux sur cette sage compagnie , et attendre ses résolutions comme 
autant d*oracles. Une longue expérience avoit appris aux Romains 
que de là étoient sortis tous les conseils qui avoient sauvé Tétat. 

«( C'étoit dans le sénat que se conservoient les anciennes maximes , 
et l'esprit, pour ainsi parler, de la république : c'étoit là que se 
formoient les desseins qu'on voyoit se soutenir par leur propre 
suite; et ce qu'il y avoit de plus grand dans le sénat est qu'on n'y 
prenoit jamais des résolutions plus vigoureuses que dans les plus 
grandes extrémités. » (Bosstjet, Discours sur l'Hist. univers,, 
iii« partie.) 

%. De bélSqueuses nations (v. ^5). Les Gaulois. 

3. Pendant ce temps, le consul Scipion (v. 5i ). « Une tran- 
sition singulièrement brusque est celle qui amène Scipion au qua- 
trième livre. Il ne faut que deux vers à Silius pour préparer l'ar- 
rivée de ce général romain qu'il ne s'est pas donné la peine de 
faire connaître. Jam consul, etc. « Déjà Scipion avait traversé la 
« mer, et arrivait de Marseille, » et aussitôt il le met aux prises 
avec Annibal. La Gazette n'est pas plus expéditive dans ses ré- 
cits. » (CïiiMïirT, Essais de critique sjtrla litt. anc. et mod.,p. 33.) 

4. Soldat, tu as à combattre^ un ennemi mutilé (v. 68). Le 
même critique remarque avec raison que Silius est ici bien infé- 
rieur à Tite-Live (liv. xxi, ch. 40). 



4oo NOTES 

5. Le Tésin promène sur T arène ses flots paisibles ( v. 8a ). 1^ 
description de ce fleave limpide, la paix et les charmes de ses 
rives, contrastent habilement avec le tumulte des batailles qui 
vont suivre. 

6. Un épervier (v. io5). Dans l'histoire (Tite-Livk, liv. xxi, 
ch. 46)9 les prodiges ne sont pas les mêmes : c'est un loup qni 
entre dans le camp , un essaim d'abeilles qui descend près de la 
tente de Scipion. Mats Silius, qui tenait plus à la poésie qu'à 
l'histoire, a laissé le loup et les abeilles de Tite-Live pour l'éper- 
vier d'Homère [Iliade, liv. xxii, v. iSg , 144) c' de Virgile 
[Enéide, liv. xi, v. 721). 

7. La troupe agile des, JBorens (v. 14B). Peuples originaires de 
l'Helvétie , qui se répandirent dans, la Gaule ( entre l'Allier et la 
Loire) et dans Tltalie (duchés de Parme et de Modène). 

8. Les Camertes (v. 157). Camerino, dans les États de l'Église. 

9. Grossis des hordes sauwiges des Sénons (v. 160). Gaulois 
venus de Sens et établis en Ombrie (auj. Légation de Forli, etc.). 

10. Le dernier son qui s'échappa de ta bouche mourante (y. 1 7 3). 
Ennius avait dit de même (Lactauce, liv. xi) : 

(Quomque) caput caderet, (carmen) tuba sola peregit. 
Et pereunte viro raucus sonus œre cucurrit. 

11. Enfant des bords glacés du Félino (v. i83). Près de Réate 
[Rieti). 

12. Les Marses (v. 220) habitaient près du lac Fucin dans le 
Samnium. — Cora , ville volsque ; auj. Cori, 

i3. Le Tuderte [y. aaa). Peuple ombrien; auj. Todi. 
14. Casinum (v. 227). Chez les Volsques; auj. San-Gertnano. 
i5. Sa barbe hideuse (v. 249)* Vrai portrait de bêle féroce, 
dit Ernesti. 

16. Trêve de victimes vulgaires (v. 265). Entre ce vers et le 
suivant, quelques anciens éditeurs avaient placé celui-ci, 

Hactenus , et leto dedimus sine nomine gentem , 

qui donne plus de clarté à la phrase, mais qui n'existe pas dans 
les manuscrits. Ruperti Ta supprimé. 

17. Les forets,., du Picanus (v. 3o2). Montagne d'Apulie, se- 
lon Marsus, qui seul a su Ty découvrir, an dire de CelLirius^ 



DU LIVRE QUATRIÈME. 4oi 

Drakenborck rapprocbe à tort ce vers d'un passage d'Aviénus 
( Descnpt, de la ^erre , t. 499 ) : 

Nemoroû maxima ceines 

Culmina Picani, 

f 

où Pitkoa avait déjà prouvé quHl fallait lire Piceni, Du reste, il 
importe peu de savoir quelle montagne Silius a voulu désigner. 

18. Magon,,, appelle aux armes.,, les cavaliers de sa patrie 
(v. 3ia). Les cavaliers africains et numides. 

a La cavalerie cartbaginoise valoit mieux que la romaine , par 
deux raisons : l'iuie , que lesckevaùx numides et espagnols étoient 
meilleurs que ceux d'Italie; et l'autre, que la cavalerie romaine 
ëtoit mal armée : car ce ne Ait que dans les guerres que les Ro- 
mains firent en Grèce qu'ils changèrent de manière , comme nous 
rapprenons • de Polybe. 

« Dans la première guerre punique , Régulus fut battu dès que 
les Carthaginois ckoisirent les plaines pour fkire combattre leur 
cavalerie; e^, dans la seconde, Annibal dut à ses Numide^ ses 
principales victoires. » ( Montesquieu , Grandeur et décadence 
des Romains, ck. iv.) 

ig. Le chefsidonien s'avance, et avec lui la Crainte^ la Ter- 
reur(r. 325). Les généraux aujourd'hui ne se précipiteraient pas 
impunément, comme les généraux anciens, dans la mêlée. 

« Les généraux en chef des armées anciennes étaient moins 
exposés que ceux des armées modernes; ils paraient les traits 
nvec leurs boucliers; les flèches, les frondes et toutes leurs ma- 
chines de jet étaient peu meurtrières : il est des boucliers qui ont 
paré jusqu'à deux cents flèches. Aujourd'hui le général en chef 
est obligé tous les jours d'aller au coup de canon, souvent à 
portée de mitraille, et à toutes les batailles à portée de fusil,. 
pour pouvoir reconnaître , voir et ordonner : la vue n'a pas as- 
sez d'étendue pour que les généraux puissent se tenir hors de la 
portée des balles. » {Précis des guerres de fuies César, par Na- 
poléon, ch. XV.) 

90. Nourri des eaux du Liris (v. 348.) Le Gofigliano. 
m. Le pied presse le pied ( v. 353 ). Silius a pris cette expres- 
sion à Virgile, qui l'avait prise à Furius d'Antiura : 
Pressatiir pede pes, mucro mucrone, viro vir; 

I. uG 



4oa NOTES 

à Ennius : 

Pes pede premîtur, armeis terantur arma, 

et à Homère. 

22. jàu premier rang, trois frères (v. 355). Cest le combat 
des Horaces et des Curiaces, avec cette yariante toutefois que les 
six héros succombent. 

23. Xanthippe (▼. 357). ^ofez plus haut, page 37a y la note 89 
du livre 11. 

24- Puis après Us voulaient visiter les cimes glacées du Tay- 
gète (v. 362). Il y a dans ces vers une idée touchante <|ue Le- 
febvre de Vitlebrune a seul sentie, et que les commentateurs 
allemands n'ont pas comprise, non plus que Tédîtenr français Le- 
maire, qui les a réimprimés sans les lire. Ces trois frères, fils 
d*une Carthaginoise et d'un Lacédémonien , et nés pendant la 
guerre, n'ont jamais vu Sparte, la patrie de leur père. Leur seul 
désir, après s'être montrés dans les combats dignes fils de Xan- 
thippe, est de voir cette ville, et non de la /«(^otr, <»mQie l'ont 
compris les Allemands, qui- ne trouvent, dans Fënamération des 
lieux que ces frères souhaitent connaître, qu'un abus de détails 
et un vain luxe de poésie. Silius/au contraire, ajoute à l'intérêt 
en appuyant sur ces développemens. On ne conçoit pas d'ailleurs 
quel si vif désir (Sîlius dit ^rtlebant) ces frères auraient eu de 
revoir leur patrie ! il n'est pas un soldat qui ne sache d*avance 
qu'après la guerre il retournera dans ses foyers. 

25. V impitoyable Aricie (v. 367). Ville du Latium (auj. La 
Riccia, près de Nemi), voisine du bois consacré à Diane (d'où 
Tépithète d* impitoyable) , dails lequel était la fontaine Égérie. 

26. Cest leur mutuel amour qui les conduit chez les mânes 
(v. 396). Le texte dit pietas , et Rnperti l'entend de leur amour 
pour la patrie. Je crois qu'il s'agit plutôt ici de la tendresse fra- 
ternelle dont les six héros ont fait preuve : de chaque côté, au- 
cun lies trois frères n'a voulu survivre aux autres; et le dernier 
Romain et le dernier Carthaginois se tuent mutuellement comme 
par devoir et par dévoûment fraternel. 

27. Nous avons asservi leurs pères; et vous les fuyez (v. l^o6) 

Has dextras capti geuiiere parentes, 

Qiias fugitis. 



DU LIVRE QUATRIÈME. 4o3 

J'ai «idopté l»i correction proposée par N. Heifisius, qui donne 
iiii discours de Scipion plus de suite, de force, et qui s'éloigne 
beaucoup moins de la leçon des manuscrits, Quafugitis , que I.m 
leçon adoptée par Ruperti, et suivie par Lemaire : 

Has dextras capti genuere parentes. 

Quo lugitis? 

a8. V empire de Saturne tremble ébranlé sous le dieu qui 
s'avance [y. 442)- Ruperti rapproche ces vers d'un beau passage 
de Milton. 

Dieu envoie son fils, « sur le cbai* de la divinité paternelle » 
the chariot of paternal Deity^ achever la défaite de Satan : 

Full of wrath bent on bis enemies. .... 

and ibe orbs 

Of bis fierce cbariot roll*d, as witli tbe Sound 
Of torrent floods, or of a nuroerous bost. 
He on bis impious fi»es rigbt onward diove, 
Gloomy as nigbt; under bis buming wbeels 
Tbe stedfast Empyrean sbook ibrougbout, 
Ail but tbe throne itself of God. 

(^Parùdist hst , book vi , 826.) 

« Rempli de colère, il marcbe à ses ennemis. ... et l^s orbes de son 
cbar de feu roulèrent avec le fracas du torrent des grandes eaux , ou 
d*une nombreuse armée. Lui , sur ses impies adversaires fond droit eu 
avant , sombre comme la nuit. Sous ses roues brûlantes , Tiromobile 
Empyrée trembla dans tout son entier; tout, excepté le trône même 
de Dieu. » (^Paradis perdu, liv. vi, trad. de M. de Chateaubriakd.) 

29. // vole à travers les armes... C intrépide enfant (v. 459)« 
Ainsi dans Voltaire [Henriatle , ch. viii) Henri sauve le jeune 
Biron. 

Il court le secourir : ce beau feu qui le guide 

Rend sou bras plus puissant et son vol plus rapide. . . . 



Sous les coups de Bourbon tout s^écarte, tout plie. 

3o. Une flotte de radeaux {^\, 49*)' Flumineam classem^ un 
pont de bateaux. 

•2 G. 



/,o4 NOTES 

3f. Ainsi,,, un torrent ( v. fîao). Cette comparaison se retrouve 
dans tous les poètes. Voltaire, Henriade, ch. vi : 

Comme on Toit un torrent , du haut des Pyrénées , 
Menacer des vallons les nymphes consternées; 
Les digues qu'on oppose à ses flots orageux. 
Soutiennent quelque temps son choc impétueux : 
Mais bientôt , renversant sa barrière impuissante , 
Il porte au loin le bruit , la mort et Téponvante ; 
Déracine en passant ces chênes orgueilleux 
Qui bravaient les hivers et qui touchaient les cieux , 
Détache les rochen du penchant des montagnes. 
Et poursuit les troupeaux fiiyans dans les campagnes : 
Tel Bourbon descendait à pas précipités , etc. 

.32. Varénus de Mevania (v. 544 )• Aujourd'hui Bévag-na, pa- 
trie de Properce, voisine de Fulginîa (FolignoJ, 

33. f^enu d'Argjrripa (v. 554), ou Arpi, dans TApulie, au 
pied du Garganus (mont Saint-Ange). 

34. 1^ soldat fatigué commence une lutte nouvelle ( v. 578 ). Ce 
tableau des fuyards qui se noient est beau, quoiqu'un peu trop 
développé peut- être. Voltaire a été plus concis, mais un p«u sec, 
en parlant des Espagnols de Mayenne dispersés par Henri IV 
(^Henriade y ch. viii ) : 

D'autres , d'un pas rapide évitant sa poursuite , 
Jusqu'aux rives de l'Eure emportés dans leur fuite , 
Dans les profondes eaux vont se précipiter 
Et courent au trépas qu'ils veulent éviter. 

35. Perdre son trépas (v. 6o5). Cette expression, qui se re- 
trouve dans Lucain (liv. m, v. 7o5), Sénèque {Agojnemn.y 
V. 5i8) et Stace [Théb, y liv. ix, v. 58), est passée des Lntins 
chez nous. Un poète moderne a dit d'Annibal : 

Si le vainqueur de Canne au Styx fût descendu 
A l'âge du vainqueur d'Arbelle , 
Oh ! que sa mort eût été belle ! 
Oh ! quel trépas il a perdu ! 

36. Péiopéen par ses ancêtres (v. 6 28), Descendant de Bat- 
tus le Péloponnësien , fondateur de Cyréné. 



DU LIVRE QUATRIÈME. 4o5 

37. Lt dieu (v. 656). Le dieu du fleuve. 

38. Flaminius [y, 704). Transition brusque, blâmée par les 
critiques 9 quoique préparée par Texclamation qui précède. 

89. Le pays peuplé par les Lydiens (v. 719). L'Étrurie. Sous 
le règne d*Atys, roi des Lydiens on Méoniens, Tyrrhénus, son 
£ls, fuyant la famine, vint s'établir dans une contrée de Tltalie, 
qu*il nomma" Tyrrhénie , et qui fut plus tard J'Étrurie. 

/|0. L antique cité consaaée à Corythus (v. 720). Cortone. 

41. jiux états de Thoas (v. 769). La Tauride. 

4a. L'Edonide (y. 776). La Bacchante. Les Édoniens étaient 
d£s peuples de Th^ace. 

43. L'orgie triétérique (v. 777). Orgie en Thonneur de Bacchus, 
qui se célébrait, en Thrace , tons les trois ans. 

44. Toi, Mû^on (y. 823). Scaliger croyait apercevoir entre 
ce vers et le précédent une lacune , nonnulla Xemtiv , comme on 
disait alors; mais tout se suit au contraire et s'etichaine parfaite- 
ment : Annibal vient de promettre aux dieux un grand carnage , 
et il se met en mesure aussitôt d*accomplir sa promesse : il dis* 
po&e sur riieure, et en. présence des envoyés du 'sénat, son armée 
de manière à surprendre les Romains et à les exterminer. 



NOTES 



DU LIVRE CINQUIEME. 



1. Vers la gauche, le lac immense {y. 4)* Tous les commeota- 
tcurs sont d'accord pour mettre ici I«i droite au lieu de la gauche , 
parce qu*à la fin du lirre précédent (y. 814) oe sont les collines 
qui se trouTent à la gnncbe et non le lac : mais c'était la gauche 
d'A.nnibal; et il n'est plus question de lui. Silius ne voit mainte- 
nant que lès Romains qui entrent et se jettent dana^ces goi^es 
fatales : il déerit les lieux comme s'il était au mtli«u des légions ; 
et les légions, dans leur marche, avaient le lac à leur gânche : 
Corrinus, un peu plus loin (v. 94), le dit positivemetit. 

2. Un Lydien (v. 9). Voyez, p. 4o5, la note 39 du liv- iv. 

3. Les Naïades,,, consolèrent le pauvre enfant (▼. ao). Ainsi le 
jeune Hylas surpris par trois Naïades, qui l'entraînent par la main 

En UQ lit de jonc frais et de mousses nouvelles. 
Sur leur sein, dans leurs bras, assis au milieu d'elles. 
Leur bouche en mots nueUeux, où l'Amour est vanté. 
Le rassure et le loue, et flatte sa beauté. 
Leurs mains vont caressant sur sa joue enfantine 
De la jeunesse en fleur la première étamine, 
Ou sèchent, en riant, quelques pleurs gracieux 
Dont la frayeur subite avait rempli ses yeux. 

( AjrsEi CaiviKa , idyll. xi , HjrUu. ) 

4. O était V heure oà le voyageur dirait platôt de la nuit qui 
s'achève que du jour qui commence (v. %'•]). La Fontaine, liv. x , 
fable i5, les Lapins : 

A l'heure de l'affàt, soit lorsque la lumière 
Précipite ses traits dans l'humide séjour, 
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière. 
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour. 



NOTES DU LIVRE CINQUIÈME. /,()7 

Boïardo, Orlando i'nnamomto, cant. xii, st. 67 : 
Non era notte, e non era ancor giorno. 

5. Ils s'avancent librement (v. 40). Comme les Maures dans 
Corneille (/<? Cid, acte iv, se. 3), an milieu des soldats embus- 
qués de Rodrigue. 

On les laisse passer : tout leur parak tranquille ; 
Point de soliiats au port, point aux murs de la TÎlIe. 
Notre profond silence abusant les esprits. 
Us n*osent plus douter de nous avoir surpris ; 
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent, 
Et courent se livrer aux mains qui les attendent. 

6. Par les feux dUion (v. 8a). Les feux de Yesta. 

7. Que le Carthaginois s'empare alors des murs.,» d^Arretium.,, 
et marche.,, g. Clusium (v. i23-i2/|). Auj. Arezzo et ChùtsL 

8. Un dieu seul a force au cœur du soldat, c'est le courage 
( V. 126). D*Aumale, prêta combattre Turenne (Henriade, ck x), 
dit de même : 

^attends toutde mon bras : 

C'est de nous que dépend le destin des combats. 
En vain Thomme timide implore un dieu suprême : 
Tranquille au bant du ciel , il me laisse a moi-même. 
Le parti le plus juste est celui du yainqueur. 
Et le dieu de la guerre est la seule valeur. 

9. La chevelure d'un Suève (y: i34 )• Peuple de Germanie, que 
le poète confond avec les Boietis, peuple gaulois, vaincu par Fia- 

inînius. 

10. Franchir VEbre (v. x6i). Le texte dit transcendere aomen 
Hiberi, Erkiesti propose Umen Uiberi, Je ne sais jusqti'à quel point 
limen peut s'appliquer à un fleuve; mais il est certain que cette 
correction ingénieuse aia*ait plus de sens que nomen Hiberi , qui 
ne signifie rien. 

11. 71 voit.,, un soldai qui rattache son aigrette ( v. i65). Plu- 
sieurs commentateurs ont vu dans cet Orphitus, an lieu d'un sol- 
«lat qui arrange son aigrette, un cheval de bataille qui dresse sa 
crinière. J'ai rejeté, avec Ernesti , cette interprétation qui m'a 
paru forcée et tout-è-*£iit contraire au caractère de Flaminius^ 
CJ1Û n'a guère plus de foi dans les chevaux que dans les poulets 



4o8 NOTES 

sacrés, et qui, dans ce moment sartoat, n'est pas d*hiinieur à 
laisser là ses soldats pour apostropher leurs montures. 

12. Fouler sans péril les brasiers apolUnaires {y. 179). Pline 
(liv. VII , ch. a ) : « Haud procal urbe Roma in Faliscornin agro 
familiae sunt paucae, quae vocantur Hirpi : hae sacrificio annuo, 
quod fît ad montem Soractem ApoUini, super ambustam ligni 
struem ambulantes non aduruntur. » 

Et G. Cuvier, à propos de ce passage : a C'est sans doute en- 
core ici quelque charlatanerie analogue à celle de cet Espagnol 
que nous avons vu à Paris, se donnant pour incombustible, et 
qui a fini par être dupe de sa propre tromperie. » 

i3. Les cohortes picentines (v. aod). Le Picénum compose 
aujourd'hui les délégations d'Ancône, de Macerata, de Fermo et 
d'Ascoliy dans les Etats de TÉglise, et une partie de l'Abruzze- 

Ultérieure au royaume de Naples. 

i4> Latéranus avait.,,., pénétré au sein des rangs ennemis 

( V. l3o ). Dans tous les historiens anciens, aussi bien que dans les 
poètes , on trouve des exemples nombreux de ces heureuses té- 
mérités. Napoléon , qui passait le loisir de son exil à étudier Tan- 
tiquité , fait à ce sujet les observations suivantes : 

« Les armées anciennes se battant à l'arme blanche avaient be- 
soin d'être composées d'hommes plus exercés ; c'étaient autant de 
combats singuliers. Une armée composée d'hommes d'iine meil- 
leure espèce et de plus anciens soldats avait nécessairement tout 
l'avantage; c'est ainsi qu'un centurion de la x® légion disait a Sci- 
pion en Afrique : « Donne-moi dix de mes camarades qui sont 
« prisonniers comme moi , fais -nous battre contre une de tes 
« cohortes , et tu verras qui nous sommes. » Ce que ce centurion 
avançait était vrai : un soldat moderne qui tiendrait le même 
langage ne serait qu'un fanfaron. Les armées anciennes appro- 
chaient de la chevalerie. Un chevalier armé de pied en cap 
affrontait un bataillon. » [Précis des guerres de Jules ^Césur, 
ch. XI.) 

i5. 'Cédez à un meilleur élétnent ( v. 25o ). J'ai compris ce ver:» 
comme Lefebvré de Yill^brune. Le Carthaginois vient d'accuser 
la mer où il a succombé, et il fait l'éloge de la terre ferme où il 
se croit plus assuré de la victoire. Emesti explique singulièrement 
ce passage; il dit : a Meliori regno, aïroganler dictum a Syrtico, 



DU LIVRE CINQUIÈME. 409 

pro y nobiliori victoriae CarthaginieDsium cedite. Nam Ronumo- 
ruin ad agates victoriam antea ut minus difficilem «levarat. » 
Cette interprétation est bien recherchée. Ruperti rejette regno 
comme une interpolation ; il propose juncti à la place, et rétablit 
ainsi la phrase : Mèliori cedite junctL C'est-à-dire, « Vous êtes 
réunis, vous êtes deux, mais seul je vaux mieux que vous, y» Ce 
sens est moins forcé que celui d'Ernesti ; mais pourquoi altérer le 
texte, qui peut s'entendre sans ce. changement? 

16. Avant que cette massue ne s'arrose du sang ai un ami 
(v. a54). J'ai adopté encore ici le sens de Lefebvre de Ville- 
brnne. Ernesti et Ruperti ont entendu par sanguine pio , le sang 
d'un soldat pieux , fidèle aux traités , par opposition aux Car- 
thaginois, qui, ayant rompu les traités, étaient inpii. Sans re- 
pousser cette explication, qui peut être juste, je préfère celle de 
JLefebvre, qui a, selon moi, dans l'espèce, quelque chose de plus 
touchant. 

17. Tartessus (v. 399), Voyez, p. SgS, la note 69 du liv. m. 

18. Lixus (v. 400). Voyez y p. 390, la note 34 du liv. m. 

19. Pagasus fut bientât puni ( v. 410). Le texte est un peu 

obscur : 

Nec Pagaso exsultare dalur, ne inpune refictum 

]y. Heinsius, par une correction hardie, que Drakenborch a adop- 
tée, avait tâché de le rendre plus clair : 

Nec Pagaso exsultare datum , atque inpune relictiim 

ao. Les cordes d'Eagrus (v. 463). La lyre. Ëagrus était roi de 
Thrace et père d'Orphée. 

21. Ces coteaux équaniens,,. et la tiède Surrente (v. 466). Equa 
était une petite ville de Campanie , près de Surrente ( Sorrento ). 

ai. Les enfans d'Henna, cette cohorte envoyée par ton roi, 
Jrethuse, dés rives triquétriennes (v. 4^9)» C'est-à-dire de la Si- 
cile, à cause de ses trois angle&, de ses trois promontoires. Henna 
( Castro san Giovanni^ et la fontaine A.réthuse sont bien connues. 
On sait qu'à l'époque des guerres puniques , la Sicile était partagée 
entre deux dominations d'inégale étendue : celle d'Hiéron, roi de 
Syracuse, dont il est ici question, et qui possédait la partie orien- 
tale , et celle des Carthaginois qui occupaient les deux tiers de 
l'île , à l'ouest et au sud. Silius anticipe ici sur les évèpemens. 



4io NOTES 

Selon Tite - Lîve , Hiéron n'envoya des secours aux Romains 
qu'après la défaite du Trasymène. 

a^ Ftégelles ( v. 54a ). Ville rolsque ; auj. Ceprano ou Ponte- 
Corvo, 

a4. Anagnie (y. 543). Ville bernique; auj. Anagni. 

a5. L'ennemi sur toi retombe (▼. 55o). Ernesti et Lefebvre de 
Villebrune ont compris au contraire que Lévinus mourant tom- 
bait sur Tennemi. Ruperti fait remarquer qu'il eut fallu dire alors 
hosti superfuso ou hostem super fuso , et non hoste superfuso, 

a6. La cohorte de Sidicinum (v. 55 1 ). Teanum Sidicînum 
(auj. Tiano)y Tille considérable de la Caropanie. 

a 7.. Soudain,,., les rochers ^ les collines s'ébranlent (t. 6ri ). Ce 
tremblement de terre n'est pas une fiction du poète. Voyez Ci- 
cÉBON, de la Divin, y liv. i, ch. 35 ; Tite-Live, liv. xxii, ch. 5; 
Florùs, Uy. II , ch. 6; Pline, liv. ii , ch. 84 > et Plutaeque , Fabius, 

a8. Néanmoins,,,, le soldat s'acharne à combattre (v. 6*7). Tite- 
Live a dit de même (liv. xxii , ch. 5) : « Tantusque fuit ardor ar- 
inorum, adeo intentus pugnae animus, ut enm motum terrse, qui 
multarum urbium Italise magnas partes prostravit, avertitque 
cursu rapidos amnes, mare fluminibus învexit, montes lapsu in- 
genti promit, nemo pugnantium senserit » 

29. Les secousses du sol,,., tavàient séparé d'Annibal et en- 
traîné vers eux (v. 632 ). 

I^am turbine motae 

Ablatus (errse inciderat. 

Les Allemands, qui d'ordinaire adoptent les leçons du manu- 
scrit de Cologne, n'ont pas voulu le suivre ici, sans doute parce 
que Lefebvre de Villebrune l'avait suivi. Ils ont conservé le texte 
ordinaire ablatif , préféré par Drakenborch , qui le rapporte aux 
fuyards. Malgré les doctes plaisanteries de Ruperti, j'ai conserve 
la rectification faite par Lefebvre, ne fut-ce que par égard pour 
le sens commun, et un peu aussi par esprit national, le seul esprit 
qui fasse rarement faute aux savans de l'Allemagne. 

30. Nul ne put se vanter d'avoir tué de sa main le cotisul{y. 057). 
Tite-Live (liv. xxii, ch. 6) dit positivement au contraire que 

ce fut Ducarius qui tua le consul : « Obtruncatoque armigero 

consulem lancea transfixit. » 



DU LIVRE CINQUIÈME. 4 1 1 

3 1 . Réunis alors ^ les jeunes chefs de f armée romaine ( ▼. 659 }. 
Ernesti remarque ici avec raison que Siliiis ne s'est pas exprimé 
bien clairement. On ne sait d'abord si, pour dérober le corps 

de Flaminius aux recherches et aux outrages de l'ennemi, les 

• • • 

jeunes Romains le couvrent d'armes et de cadavres étrangers, ou 
s'ils se tuent pour le couvrir de leurs propres corps^ On ne tarde 
pas pourtant à reconnaître que ce dernier sens est le véritable. 

32. Je tremble qu'une terre aussi féconde en grands cœurs.»,, ne 
soit par les destins réservée à t empire (v. 674). C'est là un de 
ces éloges ridicules que les poètes et les historiens romains ai- 
ment à mettre dans la bouche de leurs ennemis. Montesquieu dit 
à ce sujet : 

ce Je m'imagine qu'Annibal disoit très-peu de bons mots, et 
qu'il en disoit encore moins en faveur de Fabius et de Marcellus 
contre lui-même. J'ai du regret de voir Tite-Lbre jeter se» âeors 
sur ces énormes colosses de rantîqiiîté : j«^ youdrois qu'il eût fait 
comme Homère , qui. néglige de Iw parer , et qui sait si bien les * 
faire mouvoir. 

« Encore faudroit-il que les discours qu'on fait tenir à Annibal 
fussent sensés. Que «i, en apprenant la défaite de son frère, il 
avoua qu'il en prévoyoit la ruine de Cartfaage, je ne sache rien 
de plus propre à désespérer des peuples qui s'ét oient donnés à 
lui , et à décourager une armée qui attendoit de si grandes ré- 
compenses après la guerre. » [Grandeur et décadence des Ro- 
mains y ch. v. ) 



FIN DU TOME PREMIER. 



TABLE 



DES MATIÈRES DU TOME PREMIER. 



Filles. 

NoTxci sua Siuirs ir sua son posme .' j 

Sommaires des cinq premiers livres des Puniques. . . » • . 36 

Les PmrxQUBS. Livre I*' 43 



n. 



IV. 



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99 



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a77 



Notes du ]i?re T' 33o 

II 36a 

in 3ga 

IV 399 

V 4o6 



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