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Full text of "Les rivages indo-chinois, étude économique et maritime"

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Les Rivages 



Indo-Chinois 



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Les Rivages 



Ii^do-Cl^ipois 



ÉTUDE ÉCONOMIQUE ET MARITIME 




BERGER-LEVRAULT & C'% ÉDITEURS 



PARIS 

5, RUE DES BEAUX-ARTS, 5 



NANCY 

18, RUE DES GLACIS, 18 



1904 



CM 



llù^'^S0''23i 



Monsieur MAURICE SARRAUT 



A l'auteur du livre révélateur : Le Problème de la Marine marchande. 



AVANT-PROPOS 



L'élude d'une contrée possédant comme l'Indo- 
Chine 2 5oo kilomètres de côtes, et par suite tant de 
points de contact avec le domaine des mers de l'Ex- 
trême-Orient, est inséparable de celle des questions 
maritimes, qui se posent dans notre grande colonie 
comme dans la plupart des États qui ont sur mer des 
intérêts sérieux et sans cesse grandissants. Sur cette 
immense zone côtière, où la navigation est facile, les 
abris sûrs et nombreux, le fret abondant et rémunéra- 
teur^ un grand mouvement maritime devait naître et 
se développer. Le rôle que la mer a joué dans la vie 
des empires qui nous ont précédés sur ce sol fécond, 
la suite des relations que ceux-ci ont eues avec les 
royaumes voisins, apparaissent avec tant de clarté 
dans l'histoire des siècles, qu'il est impossible de ne 
pas rendre à l'Océan la part qui lui revient dans l'exis- 
tence et la genèse de l'Indo-Chine. C'est ce que nous 
avons essayé de faire dans ces quelques notes, trop 
brèves et trop sommaires à notre gré, fort incomplètes 
en résumé. 

Les circonstances économiques, plus encore que les 
hasards géographiques, ont fortement contribué au 



vin AVANT-PROPOS. 

développement maritime du pays. Comment ne pas 
tenir compte de ce que ses ports sont l'aboutissement 
de tout un arrière-pays agricole et éleveur aujourd'hui, 
minier demain, producteur par le sol depuis des 
années, par le sous-sol bientôt ? Les riz s'écoulent par 
Saigon, le poivre par lia tien, les produits du Tonkin 
et les thés par Haïphong et Tourane, créant un fret et 
aUmentant un trafic marin qui deviendront énormes, 
si les tarifs douaniers n'en paralysent pas l'essor. Et 
il ne s'agit pas, pour les marchandises exportées, de 
longues traversées, incertaines et pénibles. Non, les 
débouchés sont à deux pas. Ils sont à Singapour, à 
Java surpeuplée qui n'arrive pas à nourrir ses habi- 
tants; ils existent à Hong-Kong, cet entrepôt de l'Ex- 
trênie-Orient, et sur l'immense marché de la Chine 
entière. Le Japon lui-même commence à recevoir nos 
produits indo-chinois, et les Philippines, avec l'ère de 
paix qui s'ouvre devant elles, reprendront les vieilles 
traditions d'antan. 

Par ailleurs, par une répercussion toute naturelle, 
les contrées voisines importent en Indo-Chine partout 
où le fret est suffisamment assuré. Bien que protégées 
par des mesures fiscales, les marchandises de la métro- 
pole y rencontrent à chaque instant celles des terres 
d'Asie. Le Japon envoie ses charbons, la Chine ses 
travailleurs, les chantiers étrangers leurs navires neufs 
et leurs machines. Et l'agent de ce trafic considérable 
est la mer, la mer de Chine, sur laquelle notre posses- 
sion ouvre toutes ses baies, avance tous ses caps, dé- 
veloppe toutes ses îles, comme pour mieux prendre sa 
part du mouvement général. 



AVANT-PROPOS. IX 

Ainsi, le voisinage de pays producteurs ou acheteurs, 
le fait d'être lui-même un exportateur, ont été les 
agents économiques du développement de notre éta- 
blissement. Mais il serait injuste, même dans un aussi 
court aperçu, de passer sous silence les conditions 
géographiques, que nous n'avons fait que mentionner 
plus haut. L'observateur qui considère une carte indo- 
chinoise est saisi, dès l'abord, par l'orientation des 
vallées, que suivent de grands fleuves s'ouvrant sur 
la mer en estuaires béants, aux bouches multiples, 
comme pour mieux aller au-devant des flots marins. 
Le Mékong descend, charriant les produits du Laos, 
du Cambodge et de la Basse-Cochinchine ; le Donnai* 
assure les communications maritimes de Saïgon et de 
Bien-Hôa avec la mer, et le Song-Coï dessert les villes 
populeuses du delta tonkinois, les reliant entre elles et 
à Haïphong, la métropole maritime, l'aboutissement 
prochain du commerce du Yunnan. Il paraît difficile 
de ne pas voir de suite, rien qu'à ce simple examen, 
de quelle manière puissante s'ouvre la colonie sur la 
mer, pour apporter à ses ports le trafic intérieur et y 
enlever les marchandises qu'y déposent les navires 
métropolitains et étrangers. 

Il n'est pas jusqu'au climat de l'Asie orientale qui 
n'ait contribué à la prospérité maritime de l'Indo- 
Chine. A l'âge de la jonque et du vent, quand la navi- 
gation à voiles était l'unique facteur des transactions 
par mer, déjà les moussons périodiques de sud-ouest 
et de nord-est, établies régulièrement, poussaient les 
marins à de lointains voyages, à de longs exils, cer- 
tains de la mousson contraire pour revenir. Comme 



AVANT-PROPOS. 



les alizés ont de bonne heure facilité les échanges 
avec l'Amérique, comme les moussons de l'Océan 
Indien ont amené le va-et-vient des barques entre 
l'Inde et la côte de Mozambique, les moussons de 
l'Extrême-Orient ont poussé dans les mers de Chine, 
de Singapour au Japon, les praos malaises, les jonques 
chinoises et japonaises. Cette antique navigation à la 
voile, qui est encore un des facteurs importants du 
mouvement maritime, a créé des courants commerciaux, 
des habitudes de voisinage économique que nous ne 
faisons que suivre, en les amplifiant toutefois. C'est 
aiiisi que l'Indo-Chine s'est trouvée être le carrefour, 
le lieu de rendez-vous des Malais, des Siamois et des 
Chinois, admirablement placée qu'elle était au point 
de croisement des grandes routes maritimes des pays 
jaunes. 

Les ports indo-chinois ont également bénéficié du 
fait d'être situés aux points de jonction de la naviga- 
tion maritime et de la navigation fluviale. On considère 
maintenant la prospérité d'un port placé dans de telles 
conditions comme un axiome économique , et les 
exemples sont là, nombreux et vivants, pour en affir- 
mer la véracité. Dunkerque doit son développement 
commercial à ce qu'elle est le point terminus du réseau 
navigable du Nord; de même Anvers. Et chez nous 
encore, le fameux projet de la Loire navigable a-t^il 
un autre but que celui d'augmenter le mouvement 
commercial de Nantes et de Saint-Nazaire en leur 
fournissant l'appoint de la navigation fluviale ? L'union 
de la péniche et du cargo-boat, vers laquelle tendent 
tous les efforts des États soucieux de leurs intérêts 



AVANT-PROPOS. XI 

marchands, représente l'idéal moderne du progrès 
commercial. 

A ce point de vue, l'Indo-Ghine est particulièrement 
dotée. Les grands- fleuves dont nous parlions plus 
haut sont navigables, leurs affluents le sont aussi, de 
même que les multiples canaux et arroyos qui les 
relient. Le pays tout entier se trouve enserré dans un 
réseau navigable qui s'étend à l'infini, le drainant et 
le pénétrant comme les artères d'un corps, jusqu'aux 
villages les plus reculés. Le cultivateur indigène, le 
planteur européen, ont au bout de leur champ l'arroyo 
qui transportera leurs marchandises au grand port, 
sur des sampans pesamment chargés, halés à la perche 
le long des rives. A Saigon, à Haïphong, la grosse 
jonque accostera directement le vapeur, les frais de 
manutention seront réduits à néant, et, le fret fluvial 
étant dérisoire, l'économie maximum sera réalisée. 
Pense-t-on, avec les nouveaux chemins de fer, changer 
au profit de la voie ferrée ces sages habitudes des 
chargeurs? Il est permis d'en douter, et l'état de choses 
actuel, en ce qui concerne les transports économiques, 
est encore le plus propre à donner à l'Indo-Chine 
maritime son plus grand développement. 

Nous assistons depuis vingt ans à la transformation 
de ce commerce marin. Les temps héroïques de la 
vieille jonque arrivant avec la mousson, poussée par 
l'antique moteur, le vent, sont finis ou s'éteignent. 
Nous avons amené avec nous les engins nouveaux : 
les navires à vapeur, les phares, le pilotage, l'organisa- 
tion moderne des ports, transformant la vie maritime 
comme nous avons transformé la vie politique. Certes, 



XII AVANT-PROPOS. 



celte modification est souhaitable, et elle est bien faite 
pour tirer du pays, à cet égard, le plus grand rende- 
ment possible. Sagement entreprise, en consultant les 
divers intérêts en jeu, en étudiant sérieusement le côté 
économique du nouveau système, elle ne peut avoir 
que d'heureux résultats. Conçue à la légère, hâtive- 
ment exécutée, elle peut être désastreuse. Il est, en un 
mot, nécessaire de se rappeler, avant d'entreprendre 
un tel changement, que l'existence d'un port est la 
résultante de conditions géographiques et maritimes 
que l'homme ne peut guère modifier, de conditions 
économiques déterminées par les courants commerciaux, 
et enfin de conditions JîscaleSy sur lesquelles la volonté 
du dirigeant peut touj. Nous serons donc amenés, au 
cours de cette étude, à voir si les nouveaux travaux 
entrepris pour améliorer la navigation et l'accès des 
ports indo-chinois répondent bien aux nécessités de * 
l'heure présente et aux desiderata légitimes des inté- 
ressés. Nous devrons aussi nous préoccuper de savoir 
si le tarif douanier actuel et les mesures fiscales prises 
récemment sont de nature à provoquer un réel progrès 
du mouvement maritime. Bien qu'il faille, pour mener 
à bien cet examen, pénétrer dans les domaines des 
Travaux PubUcs et des Douanes, se permettre de juger 
et d'apprécier des décisions et des actes inaccessibles 
aux profanes, nous irons au fond des choses avec la 
plus grande impartialité. Nous regrettons seulement de 
ne pouvoir réaUser une étude d'ensemble de ces deux 
facteurs importants, et d'être obUgé de la morceler 
pour l'adapter à la division de ces notes. 

A l'heure où les questions de marine marchande 



AVANT-PROPOS. XIII 

commencent à intéresser vivement le public français, 
où la courageuse campagne menée par ^quelques hom- 
mes compétents a abouti à là loi de 1902, nous ne 
saurions passer sous silence la situation navrante faite 
à notre pavillon dans les mers.de l'Extrême-Orient 
par la négligence générale, jointe aux efforts actifs 
et vigoureux de nos rivaux. Nous insisterons donc 
longuement sur ce point, sur la nécessité de relever 
et de ressusciter sur ces flots lointains le pavillon 
métropolitain et le pavillon colonial, qui portent les 
mêmes trois couleurs de France, j Nous déciderons, 
chiffres en main, la direction que doivent prendre les 
entreprises nouvelles pour éviter des déconvenues 
regrettables^ et nous saurons ce qu'il faut penser de 
leurs premiers essais. La marine coloniale, si longtemps 
négligée, aura une part dans nos préoccupations. Il 
est temps que l'énergie de nos nationaux établis en 
Indo-Chine se dirige vers la mer, pour y continuer et 
y seconder les efforts de colonisation que tentent les 
autres dans les plaines fertiles de la colonie, dans les 
mines récemment découvertes. Nous verrons que les 
vieilles traditions du sol indo-chinois y portent suffisam- 
ment, et qu'une bonne partie de la population indigène 
n'a pas attendu notre arrivée pour tourner ses regards 
vers les côtes de l'empire d'Annam, et y affronter 
vagues et tempêtes. 

Enfin, on peut facilement prévoir, dans les idées 
émises sur un pays neuf, qui se transforme chaque 
jour, des divergences et des incompatibilités. Il se 
peut qu'à l'occasion des différents sujets que nous 
traiterons, notre opinion ne soit pas partagée par le 



XIV AVANT-PIiOPOS. 

lecteur mieux instruit que nous des questions indo- 
chinoises. Qu'il nous pardonne alors, en songeant à la 
diversité des appréciations répandues par le monde, 
en se disant que de la libre exposition des théories 
les plus variées peut. résulter une moyenne voisine de 
la vérité. Et puis, attirer de quelque manière que ce 
soit l'attention de l'opinion publique vers notre empire 
d'Asie, n'est-ce pas contribuer à son crédit et à sa 
renommée, à l'achèvement de notre œuvre dans ces 
régions lointaines? 

C'est le sentiment qui a dicté ces modestes pages. 



Les Rivages 

Indo-Chinois 



CHAPITRE !•' 
LE GOLFE DE SIAM — HATIEN ET KAMPOT 



S^il est une région de Tlndo-Chine peu connue et qui 
mériterait à juste titre de l'être davantage, c'est bien l'im- 
mense golfe qui se creuse, au delà de Rach-Gia, depuis le 
cap de la Table jusqu'à la baie de Kompong-Som, sur les 
côtes cochinchirioises et cambodgiennes. Sa situation à 
l'écart des grandes routes maritimes, l'état précaire (au 
moins à notre époque contemporaine) des provinces rive- 
raines, en sont les causes naturelles. La route directe de 
Saigon à Singapour passe au large de Poulo-Condor, celle 
de Saigon à Bangkok contourne la pointe Camau, bien 
au sud du golfe d'Hatien, celle de Singapour à Bangkok 
n'effleure même pas les rivages cochinchinois. Et pourtant, 
ôe littoral oublié, cette côte reléguée dans l'esprit de nos 
Coloniaux au dernier rang des provinces indo-chinoises, 
sont une partie importante du front de mer du jeune 
empire. Ils permettent à ce dernier de jouer un rôle dans 

RIVAGES UYDO-CHI.NOIS. I 



LES RIVAGES INDO-CHINOIS, 



le golfe de Siam, de conquérir peu à peu ce bassin à noire 
influence, en disposant d'une base d'opérations moins loin- 
taine et mieux placée que Saïgon. Tandis que la capitale 
est comblée, par l'administration, de faveurs que l'on 
refuse souvent aux autres villes, la région d'Hatien, par 
trop sacrifiée, voit chaque jour sa richesse, son avenir poli- 
tique et commercial demeurer stationnaires, sinon dimi- 
nuer. Tournons donc nos regards vers ce coin de terre 
française si longtemps dédaigné. 

Il en vaut bien la peine, ne seraitHje qu'au point de vue 
pittoresque, ne serait-ce que pour le spectacle merveilleux 
qui s'offre aux regards du navigateur assez heureux pour 
pouvoir parcourir ces parages. Ce littoral élevé, bordé de 
hautes collines qui courent depuis le cap de la Table jusqu'à 
la pointe Kep, pour venir mourir ensuite sur la plaine de 
Kampot ; l'énorme chaîne de l'Éléphant, qui n'est autre 
que l'aboutissement méridional des grandes chaînes du 
Cambodge, servent de cadre imposant au golfe profond; 
L'immense île de Phu-Quoc, reliée à la terre par l'île du 
Milieu et l'île à l'Eau, borne la vue du côté du large, tandis, 
que les îles des Pirates, verdoyantes, meublent la nappe 
limpide et bleue. Un nom bizarre, que celui de ces îles Pi- 
rates ! Il fait sourire à notre époque, quand on aperçoit cet 
archipel totalement inhabité, couvert de forêts vierges, où. 
l'on ne voit çà et là que la jonque d'un inofTensif pécheur. 
Et pourtant il évoque dans l'âme du voyageur l'époque 
troublée des exploits et des rapines de ces bandits de la 
mer, des hordes du Chinois Trieu-Chan, quand ce dernier,, 
établi à l'île du Milieu, terrorisait le pays et poussait même 
l'audace jusqu'à venir attaquer Hatien. En 1768, il fut atta- 
qué à son tour, poursuivi et tué à la suite de sanglants com- 
bats. C'est cette longue tragédie que rappelle le nom des îles» 
Mais à l'heure qu'il est, ces récits sont si éloignés, qu'ils nous 



LÉ GOLFE DE SIAM, HATIEN ET KAMPOT. 3 

paraissent rentrer dans la légende fabuleuse, et il n'est pas 
de région plus sûre ni plus calme, je dirai même plus vide, 
et de laquelle le mouvement maritime soit plus absent. 

L'étude attentive des fonds sous-marins fait naître des 
craintes sur la situation des ports de la côte, au moins pour 
un avenir très éloigné. Des travaux hydrographiques faits 
en 1902, comparés aux résultats des travaux antérieurs, ont 
mis en évidence une surélévation constante du fond, d'ail- 
leurs peu considérable, mais qui finira à la lon^e par ren- 
dre la navigation difficile. Le littoral du continent ainsi 
que les îles Pirates, paraissent doués d'un mouvement lent 
d'exhaussement, et les constatations de tous les observa- 
teurs le prouvent surabondamment. Au cap de la Table, on 
trouve à 5o mètres de hauteur des rochers anciennement 
troués et percés par la mer, de même que l'on rencontre au 
sommet des îles Pirates des bancs entiers de coquillages. 
Les fouilles pratiquées dans le sol de la côte d'Hatien n'ont 
jamais fait apparaître au jour de fossiles terrestres, mais 
bien des organismes aquatiques et des plantes marines. Ce 
soulèvement paraît donc indéniable. 

On remarque que, dans cette poussée verticale du sous- 
sol, la côte d'Hatien et l'archipel des Pirates paraissent 
solidaires. Ils le sont en effet, géologiquement parlant. Le 
grand plateau de pierres siliceuses qui occupe la première, 
parsemé d'îlots calcaires qui remontent jusqu'au Laos, se 
continue, après la pointe Kep, par les îles Pirates, du nord 
au sud. A côté de cet axe géologique nous trouvons celui, 
tout différent, de la chaîne de l'Éléphant, constitué par des 
terrains primitifs, des grès en grande majorité. Il se prolonge 
en mer par l'île de Phu-Quoc, identiquement composée, 
séparée du continent par une secousse volcanique brusque, 
ainsi que l'atteste la présence des îles du Milieu et de l'Eau, 
fragments restants de la jonction ancienne. Et puis, à con- 



% LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

swiércr de Test ou de Touesl les pentes opposées et symé-- 
tîTques des niontagnes de Phu-Quoc et de TEléphant, 
comment ne pa« être frappé, ne pas voir, matérialisée eu 
quelque sorte, l'antique cassure volcanique? Mais là, au 
morâs, le soulèvement graduel est infiniment moins consi- 
dérable. 

Ce eoimatage lent, dû à une poussée plutonienne, n'a 
dWIleurs rien à voir avec l'apport des alluvions, avec lequel 
il ne faut pas le confondre. Cette dernière action a pourtant 
le ntême effet : la diminution des profondeurs. La rivière de 
Kampot, po^KMPant sans «esse plus avant ses alluvions, a fait 
avB«cer la plaîfie jusqu'aux mamelles élevées du cap Bumbi, 
qui ne sont qu'une ancienne île. La petite île des Pêcheurs, 
île en 1870, commence maintenant à se rattacher à la terre 
ferme. L'alliavion gagne, gagne sans cesse, et dans quelques 
siècles, la plaine de Kampot s'avancera jusqu'aux îles Pira- 
tes. En tons les cas, dès maintenant, l'accès du cap Bumbi 
est interdit aux navires dans un rayon de deux milles, et la 
barre de l'entrée de la rivière de Kampot est très difficile- 
ment praticable. J'en dirais tout autant de eelles de Kom- 
pong-Trach et d'Hatien. 

Nous pouvons constater dès maintenant les résultats des 
deux causes que nous venons de mentionner. Les trois ports 
d'Hatien, de Kompong-Trach et de Kampot ne possèdent 
pas de communications faciles avec la mer, excepté pour les 
jonques et les bâtiments de très faible tonnage ; la ligne des 
fonds de 5 mètres s'arrête aux îles Pirates, laissant derrière 
elle une large bande de mer peu profonde ; enfin la ligne 
des fonds de 10 mètres reste très au large. Cette dernière 
forme deux grandes fosses, l'une sur la côte Est de Phu- 
Quoc, s'avançant en pointe vers le nord, l'autre dans le 
détroit qui sépare Phu-Quoc de la terre. Rien d'étonnant 
d'ailleurs à ce que, pour cette dernière, les grandes profon- 



LE GOL,FE DE SIAM. HATIEN ET KAMPOT. 5 

deurs se soient maintenues à l'endroit de la cassure volca- 
nique. 

Gomme nous le disions plus haut, Tétùde des foniâs so<}»»- 
marins ne laisse que peu d'espoir au sujet de ki situation 
future des ports précédemment cités. II faudrait au moinâ 
quelques travaux pour leur conserver leur importance^ et 
pour permettre au marin de lutter contre renvahiasenijent 
de la terre. Ceci est d'autant plus regrettable pour l'avenir 
du golfe d'Hatien, que la navigation y est facile ei très sure, 
au moins sur les grandes routes qui le traversent. En mous- 
son de N.-E., les eaux sont calmes comme celles d'un lac> et 
si, en mousson de S.-O., la houle entre dans cette baie lar- 
gement ouverte, les mouillages ne manquent pas pour s'en 
préserver, chaque île constituant un abri pour les petit» 
bâtiments. Les cyclones, les terribles typhons de la ©ôte 
d'Ahnam et du Tonkin y sont d'ailleurs totaleBaeat incon- 
nus ; il n*y a que quelques orages au changement de mous- 
son. Peu de dangers, peu d'écueils et de récifs^ si ce n'est 
sur la côte de Phu-Quoc et sur celle de l'Éléphant. Là de 
nombreux blocs de grès, détachés de l'arête primitive, ont 
dévalé jusque dans la mer, où ils demeurent, énoraies^ aux 
formes étranges. Parmi ces blocs, les coraux ont fait leur 
apparition, et les madrépores exhaussent sans cesse leur 
œuvre séculaire, du moins dans les petits fonds qui avoi- 
sinent la grande île. Partout ailleurs, les routes soai sûres, 
et la navigation commode pour de petits navires. 

Si nous en doutions un seul instant, l'histoire des relations 
maritimes de ces provinces serait là pour nous donner un 
éclatant démenti. A toutes les époques, les jonques chinoi- 
ses d'Haïnan et de Canton ont fréquenté les parages d'Ha- 
tien. Les Malais ont poussé de nombreuses incursioas sur 
le continent Khmer, et ils ont laissé à chaque instant^ dans 
les dénominations géographiques, des traces de leari 



6 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

sage, comme les Kompong (berge), les Poulo (île). Les Sia- 
mois ont aussi paru dans le golfe d'Hatien, autant comme 
envahisseurs militaires que comme commerçants. Les Espa- 
gnols et les Portugais eux-mêmes, aux siècles des grandes 
découvertes, du pays des épiceSy se sont aventurés dans le 
golfe de Siam. La légende raconte l'anecdote d'une flotte 
espagnole qui fit naufrage au cap de la Table, et prétend 
même qiie les équipages séjournèrent quelque t«mps dans 
les cavernes du rivage, où ils auraient laissé des trésors. 
« Le hasard nous a permis de surprendre en pleine nuit, dit 
M. Krug, à proximité de la grotte, un Malais qui portait un 
«ac rempli de pièces espagnoles en argent, aux millésimes 

de i6o4, 1607 et 1609 Le secret de la cachette serait 

transmis de père en fils, depuis quatre siècles, dans une 
famille malaise qui habitait encore Kampoten 1901. » 

Bien que cette histoire rappelle un peu celle des galions 
de Vigo, et qu'il faille faire la part de l'imagination popu- 
laire, elle n'est pas invraisemblable, et elle tendrait à prou- 
ver l'existence d'anciennes relations maritimes, aux temps 
heureux de la prospérité d'Hatien. D'ailleurs, le rappro- 
chement de la situation actuelle avec le mouvement mari- 
time des époques passées suffirait à lui seul à nous montrer 
la voie à suivre et les progrès à accomplir. 

Si nous envisageons maintenant les conditions économi- 
ques de cette région, tout ce que l'on pourrait tirer du pays 
par une exploitation bien entendue, nous serons convaincus 
de la possibilité d'y créer un fret rémunérateur et d'y déve- 
lopper le mouvement maritime dans de larges proportions. 

Le golfe d'Hatien abrite une population, maritime fort 
intéressante. Si le Cambodgien, retenu par une secrète 
répugnance, ne se sent pas assez hardi pour s'aventurer sur 
mer et dans les îles, l'Annamite, au contraire, se tourne 



LE GOLFE DE SIASl. HATIEN ET KAMPOT. 7 

assez volontiers vers le large et, poussé par la nécessité de 
la pêche, devient plus marin que dans les autres parties de 
rindo-Chine. D'ailleurs, pour ces petits êtres, en général 
craintifs et casaniers, quoi de plus encourageant que la vue 
de ce chapelet d'îles, de cette terre qui ne les abandonne 
pas, leur offrant un horizon borné, n'ayant que peu de rap- 
ports avec la vue poignante de l'immensité ? C'est en effet 
<;e qui arrive dans la pratique. Les barques de pêche ne 
s'éloignent pas beaucoup de leur centre d'opérations, res- 
tant à proximité des nombreux mouillages de l'archipel, 
plutôt par crainte de la grande navigation que par celle du 
mauvais temps, bien rare, comme nous l'avons vu dans 
l'exposé des conditions climatériques de la région. Une 
autre considération limite d'ailleurs le rayon d'action de ces 
embarcations. La plupart gardent dans leur cale leur pro- 
vision de poisson, qu'elles reviennent vendre àHatien assez 
vite, de peur qu'elle ne se gâte en route. Cette sujétion est 
le résultat du manque de prévoyance des pêcheurs anna- 
mites, auxquels les moyens ordinaires de conserver le pro- 
duit de leur pêche, pourtant bien connus des Chinois, font 
totalement défaut. La solidité des mâtures et des coques de 
ces esquifs est aussi par trop précaire pour leur permettre 
d'affronter les houles et les vents du large. Pour toutes ces 
raisons, on peut considérer la ligne allant du sud de Phu- 
Quoc à l'archipel des Baluas comme l'extrême limite du 
champ d'action des pêcheurs annamites. 

Ces pêcheurs, là comme partout, peuvent se diviser en 
deux catégories : ceux qui ne voient dans la pêche que leur 
nourriture quotidienne, et ceux qui la considèrent comme un 
article d'échange. Sur le littoral d'Hatien, qu'il s'agisse de 
la pêche maritime ou de la pêche fluviale (celle du Rach- 
Gia-Tân), les Annamites qui s'y livrent appartiennent tous 
à la première catégorie, et on ne saurait évidemment assi- 



8 LES RIVAGES INOO-GHINOIS. 

miler ce métier à un facteur économique susceptible de 
développement, puisque le produit est ccttisommé surplace. 
Il en est tout autrement des pêcheurs des îles, de Phu-Quoc 
en particulier, qui n'agissent que dans ua seul but : Texporr 
tation. Phu-Quoc est devenu peu à peu un grand marché 
de pêche, en même temps qu'un centre important pour la 
préparation des divers produit» qui s'y rattachent. Le nuoc- 
mârriy cette sorte de saumure, cette liqueur jaune à l'odeur 
si forte, se fabrique sur une grande échelle à Duong-Doag, 
la capitale de l'île, et l'Annamite en raffole tellement que 
sa renommée est maintenant bien établie parmi les popula- 
tions indigènes. A Hué, l'empereur et les mandarins ne 
veulent que du nuoc-mâm de Phu-Quoc et cette clientèle 
royale a consacré les dictons populaires. C^est aussi à Phu- 
Quoc que se fait le mâm-nuoc, conserve obtenue en pilant 
des chevrettes et du sel, et dont on exporte chaque année 
de grandes quantités au Siam. La pêche de la tortue de mer 
est très lucrative, et alimente à Duong-Dong et à Hatien 
l'industrie des artisans d'écaillé. En résumé, quelque pro- 
duit que nous envisagions, nous constatons, du fait des 
pêches, tous les éléments d'un fret important pour les 
navires qui viendraient naviguer dans le golfe. 

Voilà un fait économique à encourager et à développer, 
pour assurer un regain de prospérité aux provinces d'Hatien 
et de Kampot. Malheureusement, il existe dans les règle- 
ments de douanes actuellement en vigueur des dispositions 
plutôt nuisibles. Je n'insisterai pas sur l'impôt du sel, pour 
lequel l'administration a eu recours à un intermédiaire ; 
nous aurons l'occasion de nous étendre plus longuement 
sur ce sujet, si important pour l'industrie des saumures et 
des poissons salés. Mais, sans traiter x^ette question, nous 
pouvons dire un mot des taxes de navigation. Ces taxes 
atteignent les embarcations de pêche de i6o tonneaux au 



LE GOLFE DE SUM. HATIEN ET KAMPOT. 9 

maximum, celles, par conséquent, qui ne sont point passi- 
bles des' droits de phare et d'ancrage. L'administration des 
Douanes a saisi l'occasion d'imposer les barques de pêche, 
donnant pour raison la contrebande active faite par ces 
dernières, et la nécessité d'établir une surveillance sur elles, 
plutôt « dans un but financiei^ que fiscal » . (Ce sont les propres 
paroles de M. Frézouls, directeur général des Douanes.) De 
cette façon, aucune barque, fût-elle de tonnage très réduit, 
n'échappe aux droits réglementés par l'arrêté du 1 1 octobre 
1899, ni à la lourde main de la Douane. Cette dernière ne 
pouvait, en vérité, dédaigner cette source inattendue et 
ingénieuse de revenus. « Le produit est faible, dit-elle », 
mais les résultats excellents au point de vue de la police 
des eaux territoriales ('). Sont-ils aussi excellents comme 
encouragement à la pêche, et n'est-on pas plutôt tenté de 
voir en eux quelque chose comme une prime de navigation 
à rebours? N'oublions pas non plus qu'il existe une taxe 
pour les barques de rivière, et qu'il est arrivé à Hatien 
qu'une pauvre embarcation d'arroyo, qui s'était aventurée 
dans le domaine maritime, s'est vue réduite à payer les deux 
droits. Nous ne doutons pas que de hautes raisons d'État 
aient amené les Douanes à établir ce nouvel impôt, et nous 
ne nous permettons pas de le discuter, mais il est permis 
au pêcheur, à celui qui se trouve tout au bas de l'échelle, 
de souhaiter un régime meilleur. 

Malgré cet état de choses, malgré des engins de pêche 
primitifs qui ne permettent pas l'exploitation intensive que 
l'on devrait rechercher, l'industrie subsiste passablement. 
En 1898, la contrée a exporté dans les pays de l'Union 
indo-chinoise 835 kilogr. de poissons et i3i 778 à l'étran- 
ger, par cabotage international. Ces chiffres sont vraisem- 



(1) Rapport de M. Frézouls. 



lO LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

blablemenl inférieurs à la réalité, car il sort de Phu-Quoc, 
en raison de la faible surveillance exercée sur la grande île, 
une assez grande quantité de produits d'exportation non 
déclarés. 

La mer entre donc pour une part assez large dans les 
éléments de prospérité du golfe d'Hatien, en permettant, 
par ses produits, de déterminer un grand mouvement 
maritiiàe. La terre participe aussi au fret par ses poivres et 
ses cafés, et elle pourrait encore y participer bien davantage, 
comme le prouve Thistoire. Cette province d'Hatien, jadis 
si prospère sous le gouvernement des aventuriers chinois 
qui l'avaient conquise, de Mac-Cun et de son fils Mac-Ton 
(1760}, puis sous le règne bienfaisant de l'empereur Gia- 
Long (1820), oflfrait alors l'aspect d'une contrée peuplée, 
richement cultivée, chargeant dans son port d'Hatien les 
innombrables jonques qui s'y donnaient rendez-vous. Au- 
jourd'hui, la population a émigré dans les vastes plaines de 
Rach-Gia et de Camau, pour des raisons que nous indique- 
rons plus tard. La zone cultivée a diminué, envahie par la 
forêt et le marais : l'exportation s'est trouvée bien réduite, 
comme le mouvement maritime. Il reste encore, fort heureu- 
sement, les magnifiques poivrières que l'art patient des cul- 
tivateurs a fait surgir du sol. De Kampot à Hatien, la forêt 
descend en pente jusqu'à la mer ; et cependant, dans les 
moindres criques de la côte, on aperçoit souvent des jonques 
mouillées sans cause visible. En s'approchant, on reconnaît 
un petit sentier partant de la plage pour aboutir à une poi- 
vrière ménagée dans une clairière du bois. Ces petits centres 
poivriers de Kampot, de Kep, de Kompong-Trach et d'Ha- 
tien, déterminant ainsi des mouillages commerciaux, longent 
la cote pour aboutir aux magnifiques plantations de M. Blan- 
chy à Hon-Thuong, près du cap de la Table, qui font face aux 
caféiers de M. Blanc, installés dans la petite île d'Hon-Héo. 



LE GOLFE DE SIAM, HATIEN ET KAMPOT. II 

La culture des poivrières, qui peut être considérée comme 
un placement à 33 p. loo (i d'achat pour le pied, 1/2 d'en- 
tretien, I /2 de rapport), a pris une grande extension pendant 
ces dernières années. L'exportation a naturellement suivi le 
mouvement, comme le prouvent les chiffres suivants : 

Ed 1898 I 498 tonnes. 

1895 I 578 — 

1897 i324 — 

1899 2017 — 

1901 2647 — 

Elle a donc augmenté d'un cinquième, et elle approche 
maintenant de la consommation de la métropole (2 85o ton- 
nes en moyenne). La marge se resserre, et il faudra songer 
peut-être, dans leur intérêt, à modérer l'ardeur des poivriers. 
Les voilà engagés dans la vente d'une denrée dont la con- 
sommation mondiale est à peu près fixe et non susceptible 
d'augmentation, tandis que leurs cultures s'étendent de jour 
en jour. Il ne faut pas non plus perdre de vue la concurrence 
des autres pays producteurs de poivre, parmi lesquels notre 
Indo-Chine n'occupe que le quatrième rang ('). Cette con- 
currence est d'ailleurs rendue difficile par le fait que les 
tarifs douaniers français accordent au poivre d'Hatien une 
détaxe de faveur de 5o p. 100. Dès lors, sûrs d'écouler 
leurs produits en France, les poivriers haussent leurs prix, 
et la mercuriale de Cholon est plus élevée que celle de Sin- 



(i) Voici la répartition des pays producteurs de poivre : 

Péninsule malaise (1899) 17025 tonnes. 

Inde (1898-1899) 5528 — 

Indes Néerlandaises (1898) 8980 — 

Cochinchine et Cambodge (190 1) .... 2647 — 

Boméo (1899) 1 i33 — 

Siam (1898) 907 — 

3i 170 tonnes. 



13 LES RIVAGES INDO-GHINOIS. 

gapour ('). Ce sont de mauvaises conditions pour que notre 
poivre d'Hatien puisse lutter sur un marché autre que le 
marché français, quand ce dernier sera bouché. Ces réserves 
faites, le poivre constituera toujours un fret de premier ordre 
pour le navire venant sur cette côte. 

Tout ceci ne concerne que le littoral continental. On ne 
saurait, sans injustice, passer sous silence les richesses inex- 
ploitées du sol et du sous-sol de Phu-Quoc. Phu-Quoc, aux 
forêts immenses et vierges, aux repaires sauvages, habités 
seulement par les tigres et les buffles, est une mine inconnue 
dont il est impossible de prévoir Tessor, le jour où Ton aura 
cessé de l'ignorer. A l'heure actuelle, dans cette île grande 
comme la Martinique, il y a à peine 5 ooo habitants, vivant 
seulement de pêche, tandis que les forêts dont l'île est cou- 
verte contiennent les essences les plus variées et les plus 
rares, depuis le rotin et le trammôt(*)jusqu'aurau-phach(5) 
et au « cay-tram », ce bois d'ébénisterie universellement em- 
ployé dans tout l'Extrême-Orient. L'étude du sous-sol a 
également révélé des traces de fer, de cuivre, d'oxyde de 
manganèse. Enfin, plus de trente-sept gisements de lignite, 
jadis exploités par les Annamites, ont été retrouvés aban- 
donnés, leurs anciens possesseurs ayant cessé toute exploi- 
tation à la suite du manque d'argent et de la crainte de 
nouveaux tarifs douaniers, ce^qui a entraîné l'arrêt à Phu- 
Quoc de l'industrie du jais, jadis prospère. Il n'est pas jus- 
qu'à l'argile et au grès qui ne seraient d'une mise en valeur 
lucrative. 

Mais ces considérations ont surtout l'avenir pour but, et, 



(i) Ea 1900, le picul de poivre indo-chinois valait à Singapour 28 fr. 5o à 
3i fr., tandis, qu'il valait à Gholon 46 fr. 5o à 52 fr. pour une unité légèrement 
supérieure. (M. Brenier.) 

(2) Parfum annamite. 

(3) Plante médicinale annamite et chinoise. 



LE GOLFE DE SIAM. HATIEN ET KAMPOT. !*> 

si les années futures voient nos souhaits réalisés, il est dès 
à présent des desiderata plus pressants qui demandent satis- 
faction, des travaux plus urgents à faire : ce sont ceux dont 
nous allons plaider la cause. 

Nous avons vu combien les communications des divers 
centres de la région avec la mer étaient difficiles. Des trois 
embouchures de la rivière de Kampot, la branche occiden- 
tale est seule digne d'intérêt et pourrait être très avantageu- 
sement modifiée pour le trafic extérieur de Kampot et de sa 
fertile vallée, si toutefois la diminution des fonds marins, 
devant le cap Bumbi, n'y mettait un obstacle. Un état de 
choses identique subsiste à Kompong-Trach, gros bourg 
chinois du nord d'Hatien, et ce n'est qu'avec peine que les 
grandes jonques arrivent à se frayer un passage à travers la 
barre qui obstrue l'entrée de la rivière, au grand détriment 
du développement commercial de cette vallée. 

Hatien lui-même n'échappe pas à la loi commune. Cette 
magnifique baie, qui s'ouvre sur la mer en un demi-cercle 
imposant, n'a que de très faibles profondeurs, et l'on n'ac- 
cède à la ville qu'après avoir suivi un chenal assez exacte- 
ment balisé, de chaque côté duquel s'étendent deux bancs 
de vase qui s'avancent peu à peu. C'est avant de s'engager 
dans ce chenal que l'on traverse la barre, située au large des 
balises extrêmes, limitant le tirant d'eau des navires à 2 mè- 
tres environ à basse mer. Le chenal est entretenu par l'action 
du courant, et la barre paraît, probablement due à la ren- 
contre de ce courant avec la houle résultant de la mousson 
du sud-ouest, à laquelle la forme de la baie n'apporte aucun 
obstacle. Les alluvions et les matières en suspension se dé- 
posent à la limite des deux efforts, phénomène qui se*produit 
également à l'embouchure des rivières de la côte d'Annam, 
battues normalement par la mousson du nord-est. Le fait est 



l4 LES RIVAGES INDO-GHIXOIS. 

d'autant plus regrettable que Ton trouve, aussitôt après avoir 
dépassé la pointe de Pliao-Day (entrée d'Hatien), des fonds 
atteignant 5 à 6 mètres, en un lieu abrité des mauvais temps, 
constituant un excellent mouillage pour des navires de 
moyen tonnage. Quelques travaux de draguage sur la barre 
et dans le chenal paraissent donc tout indiqués. Il ne s'agit 
pas, bien entendu, de rendre Hatien accessible aux gros 
cargos, ce qui nécessiterait des dépenses trop considérables 
pour un but trop aléatoire, mais, plus modestement, aux 
petits vapeurs et aux jonques de charge. Ces humbles es*- 
pèces de navires ont en Extrême-Orient une place fort im- 
portante dans le cabotage et on ne saurait les dédaigner, 
même en face des grandes entreprises maritimes qui sillon- 
nent les mers de Chine de leurs puissants steamers. 

L'objection des contradicteurs de ce projet est logique et 
toute naturelle. Pourquoi, disent-ils, dépenser des sommes 
importantes pour assurer les communications d'Hatien avec 
la mer, alors que cette ville n'est l'objet que d'un faible 
trafic, que sa population diminue, que la région avoisinante 
s'étiole ? Rien de plus exact : Hatien, isolé de la mer, est 
isolé de l'intérieur. Derrière la ville, se creuse un immense 
étang à moitié envasé, à travers lequel le Rach-Gia-Tàn 
s'ouvre un passage sinueux, en forme d'S, donnant accès 
dans l'arrière-pays, dans une région dont l'activité est certes 
bien endormie. Mais que prévoir de son réveil, qu'augurer 
de sa renaissance, le jour où entrera en jeu un élément nou- 
veau, que tous ceux qui connaissent cette contrée appellent 
de tous leurs vœux? Ceci nous amène à dire un mot du 
canal d'Hatien. 

L'importance de cette voie de communication, au double 
point de vue stratégique et commercial, s'impose même aux 
esprits les plus prévenus, avec une force indiscutable. — 
Cette voie nav^'gable qui unit Hatien à Chaudoc, le Mékong 



LE GOLFE DE SIAM. HATIEN ET KAMPOT. }ï> 

* 

au golfe de Siam, est la dérîvatîon naturelle que doit prendre 
le commerce à destination de Touest, évitant ainsi aux pe- 
tits navires la traversée longue et pénible, souvent dange- 
reuse pour eux, qui consiste à doubler la pointe Camau, à 
3oo kilomètres dans le sud. Si ce canal était véritablement 
praticable, il ne viendrait à l'idée d'aucun commerçant de 
Ghaudoc ou du Cambodge d'expédier par Saigon des mar- 
chandises à destination de Bangkok, et on pourrait amener 
à Hatien un important mouvement de riz. L'économie résul- 
tant de cette nouvelle voie, sur la longueur et la rigueur de 
la traversée par mer, drainerait vers elle une assez grande 
partie du trafic cochinchinois. Cette solution nous donnerait 
aussi, en pas d'événements graves dans le golfe de Siam 
(événements dont il faut plus que jamais envisager l'éven- 
tualité), l'appoint d'une base de ravitaillement sérieux, com- 
muniquant avec Saigon, par une voie sûre et commode ^ 
que pourraient à la rigueur emprunter nos torpilleurs, en 
toute saison et par tous les temps. Notons en passant que 
ces idées ont eu leur valeur dans tous les siècles, surtout 
aux époques de prospérité de l'empire d'Annam, sans cesse 
en guerre avec de puissants voisins. Le canal d'Hatien a été 
commencé en janvier et terminé en avril 1820, sous le règne 
de Gia-Long, et ce travail de 75 kilomètres de long, consi- 
dérable pour les moyens du temps, a été mené à bien, grâce 
à une main-d'œuvre colossale, comprenant io5oo Anna- 
mites et 5 000 Cambodgiens. 

Nous avons, malgré nos procédés modernes et notre civi- 
lisation, laissé s'accomplir l'œuvre néfaste des années, et ce 
grandiose travail annamite est maintenant dans un état 
bien précaire, pour peu de temps encore, espérons-le. Déjà 
en i895('), on constatait de nombreux défauts dans cette 

(i) Les renseignements qui suivent ont été empruntés à un document officiel. 
{Instructions nautiques de la Dasse-Cochinchine.) 



ib LES RIVAGES INDO-CfflNOIS. 

artère fluviale, et on concevait de ce fait de justes appré- 
hensions pour l'avenir, escomptant le moment où Touvrage 
de Gia-Long ne serait plus qu'un arroyo inutile et dérisoire. 
De Chaudoc à Vinh-Té, dans la partie droite du canal, il ne 
restait que i",4o aux basses eaux, et de Caï à Tin-bien, les 
berges s'eflbndraient déjà. Après Vinh-Loc, la largeur se 
réduisait à 9 mètres, un torpilleur ou une chaloupe à va- 
peur pouvaient à peine passer, par des fonds de o",8 aux 
basses eaux. De Vinh-Dieu au Rach-Gia-Tân, on trouvait 
trois seuils presque impossibles à franchir. Le Rach-Gia- 
Tân était ce qu'il est resté depuis : une artère large et pro- 
fonde, quoique sinueuse, ne présentant qu'un seuil diffi- 
cile, celui de Vam-Hang, sur lequel il ne restait et il ne 
reste encore que i",5o à marée basse. 

En 1902, pendant une traversée du canal que nous avons 
faite en canot à vapeur, il nous a été donné de vérifier en 
tous points l'exactitude de ces assertions, aggravées, hélas 1 
en de nombreux endroits. Le Rach-Gia-Tân n'avait pas 
subi de modifications alarmantes, mais le canal était dans 
un état de délabrement vraiment piteux. Les seuils s'étaient 
multipliés; les anciens s'étaient accrus et de nouveaux 
avaient surgi devant la moindre agglomération de cases 
annamites. J'attribue, sans nul doute, ce résultat aux dé- 
tritus que les habitants du pays jettent dans le canal, comme 
à ceux des jonques ordinairement mouillées devant ces vil- 
lages. D'autres observateurs soutiennent que l'inverse s'est 
produit, que les villages se sont formés postérieurement 
aux seuils, pour profiter, commercialement parlant, de 
l'arrêt forcé que les sampans subissent devant ces obstacles 
naturels. Qui a tort ? Qui a raison ? Ce n'est là qu'une ques- 
tion bien infime en vérité, car la réalité, le mauvais état du 
canal, n'en est atténuée en rien. Il faut trouver le remède, 
la solution radicale, qui n'est autre que le draguage métho- 



LE GOLFE DE SUM. HATIEN ET KAMPOT. I7 

dique du canal, entrepris le plus tôt possible. D'ailleurs, si 
certains esprits étaient restés îndifiérents ou réfractaire^ 
"aux considérations commerciales et stratégiques que nous 
développions plus haut, l'exemple du canal de Rach-Gia 
serait là pour les convaincre. Depuis l'amélioration de cette 
voie, qui unit Long-Xuyen (sur le Mékong) à Rach-Gia, ce 
dernier centre a décuplé d'importance : il s'y tient mainte- 
nant un colossal marché de riz, et la population atteint le 
chiffre de looooo habitants, justifiant les prévisions les plus 
optimistes. 

Ce que l'on a fait pour Rach-Gia, on peut le faire pour 
Hatien, et ce n'est pas trop demander que d'implorer ce 
simple régime d'égalité Q. 

.Le gouvernement de l'Indo-Chine s'est ému d'un pareil 
état de choses, et il a consacré, dans son programme de 
grands travaux publics, une part au canal d'Hatien, comme 
le commandait la prévoyance économique la plus élémen- 
taire. Un contrat, passé avec la société Montvenoux, assure 
l'exécution complète du canal en octobre 1904, sur une lon- 
gueur de 66 kilomètres. La largeur sera de 10 mètres et la 
profondeur variera de i™,5o à 2"',6o aux basses eaux : la 
dépense autorisée est de 1 5oo 000 fr. Telles étaient, du 
moins, les conditions primitives du marché. Dès le com- 
mencement de 1902, la société, après avoir dragué 7 kilo- 
mètres de canal à partir de Chaudoc, s'est trouvée tout à 
coup en présence de hauts- fonds d'argile dure, nécessitant 
d'après elle l'emploi de dragues à excavateurs d'un modèle 
spécial. Les travaux se sont trouvés soudain arrêtés, malgré 
les clauses formelles du cahier des charges, et le contrat a 
failli être résilié. La société, habituée à l'enlèvement facile 



(i) Lire dans le Bulletin de la Chambre de commerce de Saiffon une piainie 
très intéressante de M. Pemichot, chaufournier à Pnom-Caulang, au sujet du 
mauvais état du canal d'Hatien. 



RIVAGES INDO-CHINOIS. 



l8 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

de la vase, a paru se rebuter pour bien peu de chose, et 
elle semble autoriser, par cette attitude, des racontars mal- 
veillants insinuant Tespérance d'une forte indemnité. L'arrêt 
des travaux n'a pas été sans provoquer les clairvoyantes ré- 
clamations des administrateurs de Chaudoc et d'Hatien, 
mais, à Saigon, Hatien est si loin, les préoccupations quo-r 
tidiennes tellement immédiates, que l'on paraît n'attacher à 
tout cela qu'une importance secondaire ! Saigon, très favo- 
risé, ne témoigne aux entreprises qui sont en dehors de son 
cercle d'action qu'une froideur quelquefois bien voisine de 
l'hostilité, et, par la voix autorisée de sa chambre de com- 
merce, fait souvent entendre de singulières prétentions à la 
souveraineté commerciale. Cependant, en l'espèce, la ques- 
tion du canal d'Hatien à Chaudoc paraît enfin à la veille 
d'être tranchée, provoquant ainsi le réveil économique et 
maritime de la région et du port d'Hatien. 

Le port d'Hon-Thuong, près du cap de la Table, ne peut 
que bénéficier des projets actuels, si leur réalisation voit le 
jour. Ce centre important, où se fait une forte exportation 
de poivre et une importation assez grande de test de cre- 
vettes et de côtes de tabac ('), se développe de plus en plus. 
Les relations des immigrés Chinois qui travaillent aux poi- 
vrières avec Haïnan, leur pays d'origine, se sont remarqua- 
blement accrues. Des navires allemands avaient même es- 
sayé de faire d'Hon-Thuong une de leurs escales, mais deux 
d'entre eux, le Jacob-Didenstein et XAppenradey se sont 
vu refuser purement et simplement l'accès du port par la 
douane, et cette interdiction n'a été levée par ordre supé- 
rieur que par « mesure exceptionnelle ». Cet incident, tout 
in\Taisemblable qu'il paraisse, montre combien des règle- 
ments de douanes bizarrement appliqués peuvent nuire au 



(i) 387 tonnes en 1900. 



CaSTEX _ Rivages Indo ■ Chinois 




La Région d'Hatien et de Kampot 



LE GOLFE DE SIAM. HATIEN ET KAMPOT. I9 

développement d'un port. Qu'un pays se défende par des 
tarifs, qu'il élève entre ses voisins et lui des barrières fis- 
cales, quitte à en subir les représailles, c'est son droil strict 
et rien n'est plus naturel. Mais il est inadmissible qu'il mé- 
nage aux navires étrangers qui fréquentent ses côtes des 
avanies de ce genre et de tels refus de communiquer avec 
eux, quand rien d'anormal n'existe dans leur trafic. Il est à 
souhaiter que la Cochinchine ne devienne pas, du fait des 
mesures douanières, un pays fermé comme la Chine de i83o, 
un pays dans lequel Saïgon et Baria(!) sont les deux seuls 
ports officiellement ouverts. Faisons tout au moins des 
vœux pour que le pavillon français, si favorisé, profite de 
ces mesures et se développe ! 

D'ailleurs, dans le cas présent, la cargaison des navires 
allemands n'était nullement prohibitive. Elle se composait 
uniquement d'immigrants chinois de Canton et d'Haïnan, 
tant désirés dans un pays où la main-d'œuvre agricole, du 
fait de la dépopulation d'Hatien, se fait de jour en jour plus 
rare. Cette immigration chinoise diminue cependant gra- 
duellement, comme l'indique la statistique suivante : 

En 1894 I 988 Chinois inscrits. 

1895 1918 — 

1896 I 762 — 

1897 I 272 — 

1898 1249 — 

L'immigration se porte actuellement vers le Cambodge, 
où la taxe de capitation est inférieure de 6p,5o à celle de 
Cochinchine, et où les formalités d'inscription sont plus fa- 
ciles. Les planteurs d'Hon-Thuong se plaignent du manque 
de main-d'œuvre, et les faits sont là pour leur donner raison. 
Un peu plus de latitude commerciale, de tolérance mari- 
time, un peu moins de vexations fiscales : telles doivent 
être les règles de l'avenir. 



CHAPITRE II 

LE NOUVEAU PORT DE SAÏGON — RIZERIES 
ATELIERS ET CHANTIERS 



Loin dans Tintérieur des terres, gisant sous les sombres 
frondaisons, au bord de la rivière vaseuse et sale, la capitale 
indo-chinoise s^élève au centre de la plaine de Cochinçhine, 
de rétendue uniformément plate et monotone des rizières, 
de la mer de verdure qui se développe à Tinfini. La chaîne 
annamitique, qui s'épanouit et s'étale dans le Lang-Bian, 
vient mourir à Test de Bien-Hoa, et les premières assises 
des monts de l'ouest commencent seulement à Chaudoc et 
à Tay-Ninh, abandonnant l'intérieur de ce triangle aux allu- 
vions du Mékong et des rivières, qui ont gagné l'ancienne 
île du cap Saint-Jacques et progressent sans cesse plus 
avant. Saigon, le Gia-Dinh des Annamites, a vu le jour et a 
grandi sur ces couches de vase et d'argile accumulées au 
cours des siècles, sur la fertile terre rouge du bas pays, où 
le riz, ce pain nourricier des Jaunes, croît infatigablement. 
Les courants primitifs qui ont présidé à la formation du sol, 
en délimitant les premiers bancs alluvionnaires, subsistent 
maintenant sous la forme d'une infinité de rivières, dont le 
niveau s'est graduellement exhaussé, et qui sont les grandes 
artères fluviales que réunissent les petits arroyos, vaisseaux 
du grand corps. L'influence de ce réseau navigable sur la 
situation économique de la Cochinçhine a été considérable, 
Saigon lui doit sa prospérité. Partant du grand entrepôt de 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 2Ï 

Temporium indo-chinois, le Donnai remonte vers Bien-Hoa 
et les terres Mois, tandis que la rivière de Saigon, desser- 
vant Thudaumot, va pénétrer les premières assises laotiennes 
du Nord. Se jetant dans le large Soirap, le grand Vaïco 
apporte à Saigon les bois des forêts de Tay-Ninh, pendant 
que le petit Vaïco draine au nord la plaine des Joncs et la 
région de Tan-an. Le Mékong lui-même communique avec 
Saïgon par Tarroyo de la Poste et les multiples canaux de 
Chogao et de Can-Guioc, envoyant à la capitale les riz des 
basses plaines, qui partiront vers la mer par les nombreuses 
embouchures du cap Saint-Jacques. EnBn, Cholon, la métro- 
pole industrielle, la fourmilière chinoise, déverse à Saïgon 
même, par la voie colossale de Tarroyo chinois, le trop-plein 
de ses usines et de ses ateliers. Tout afflue vers les rives où 
nous avons placé le grand port de la colonie, comme le 
sang afflue au cœur. 

Saïgon communique donc assez facilement avec le Mé- 
kong, et pourtant sa situation excentrique par rapport au 
grand fleuve frappe au premier abord, à la simple inspec- 
tion de la carte. C'est d'ailleurs un des avantages les plus 
appréciables de ce port, car le fait d'être placé sur la voie 
principale de pénétration française en Indo-Chine serait 
chèrement acheté par la difficulté des communications avec 
la mer. S'il en était ainsi, Saïgon s'ouvrirait sur le golfe de 
Cochinchine par une barre comme celles des embouchures 
du Mékong, pénible en temps ordinaire, impraticable par 
grosse mer, et peu commode à reconnaître pour un navire 
venant du large pour entrer dans les passes. A l'inverse de 
ce qui existerait dans ce cas, les bâtiments qui vont à Saïgon 
se dirigent de bonne heure vers la masse des terres du cap 
Sain^Jacques et trouvent, dès leur arrivée sur la côte, une 
entrée profonde, satis la moindre barre, protégée de la 
mousson de nord-est par le cap lui-même, et dont les feux 



22 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

permettent l'accès de nuit comme de jour. Plus près de 
l'embouchure du Mékong, le Soirap offre, malgré son voi- 
sinage des alluvions du fleuve, des profondeurs de 7 et 
8 mètres que l'on n'utilise presque jamais, malgré la largeur 
relativement grande de ce second estuaire. Le Soirap et la 
rivière de Saigon communiquent d'ailleurs par de nombreux 
arroyos sinueux et contournés, dans lesquels il n'est pas rare 
de trouver des sondes de 10 mètres. Les petits navires, les 
jonques, emploient ces voies latérales pour éviter le gros 
temps au large, mais le commerce à destination de Saigon 
suit la voie toute naturelle de la rivière, qui commence au 
cap Saint-Jacques et contourne les plages de Caugio. 

Une fois entré, le navire n'a plus qu'à remonter entre 
deux rives basses et vaseuses, où aucun danger sérieux 
n'existe. Quelques coudes un peu brusques nécessitent une 
manœuvre rapide de la birre, surtout dans la partie infé- 
rieure de la rivière. Le banc de corail, dragué à 7 mètres, 
s'évite facilement par l'emploi de deux alignements. La 
grande largeur du Nga-bé permet de doubler sans crainte 
l'épave de l'ancienne Ville-de-Paris et de prendre quelque 
répit, et enfin la rivière de Saigon proprement dite, quoi- 
que très sinueuse, ne présente plus de difficultés. Le Sto- 
zenfeh, navire allemand qui coula en 1886 en aval du port 
de commerce, y gênait jusqu'à ces dernières années la 
navigation, mais on a reconnu récemment, à l'aide de nom- 
breux sondages, que l'épave avait disparu, sans doute en- 
lisée dans la vase. Les bâtiments arrivent ainsi au port assez 
commodément, et d'ailleurs fort bien pilotés. Malgré les 
forts courants de la rivière, les manœuvres de port sont 
faciles, à condition d'opérer avec l'évitage convenable dans 
les mouillages et les accostages aux appontements, et de 
choisir judicieusement son heure pour l'appareillage. Les 
inconvénients que l'on reproche à la plupart des ports de 



LE NOUVEAU PORT DE SAÏGON. 23 

rivières n'existent donc pas pour Saigon, et le danger des 
échouages est fort atténué par la consistance molle des 
berges. La navigation commerciale, entraînée chaque jour à 
des opérations autrement compliquées, ne saurait se rebuter 
devant des difficultés aussi minimes. 

C'est ce qui est en effet arrivé, et Saigon, de par sa situa- 
tion géographique sur la grande route maritime de TExtrême- 
Orient, comme à cause des exportations et des importations 
dont il est le siège, a vu rapidement croître le mouvement 
de la navigation de son port. Le tonnage subit une ascen- 
sion régulière, qui semble démentir ceux qui se désolent de 
l'abandon de cette escale par les steamers qui la fréquen- 
taient auparavant. Les statistiques établies au cours des der- 
nières années en sont la démonstration. Voici les tableaux 
généraux, pour l'entrée. 



1893 . 


. . ,. 675 829 tonneaux. 


1898 . . , 


, . 685 347 tonneaux, 


1894 . 


. . . 658987 — 


1899 . . . 


, . 753272 — 


1895 . 


. . . 621388 — 


1900 . . . 


. . 763452 — 


1896 . 


. . . 593 856 — 


1901 . . . 


. . 801232 — 


1897 . 


. . . 669485 — 







Ces chiffres, par leur grandeur même, sont à prendre en 
considération, bien qu'ils paraissent peu de chose à côté de 
ceux relatifs aux grandes métropoles de l'Extrême-Orient, à 
Hong-Kong et à Shang-HaïQ. Ainsi, il est entré à Hong- 
Kong, en 1900, 23 2o5 navires jaugeant 8626614 tonnes, et 
à Shang-Haï 3 667 navires et 4 58o 489 tonnes; mais il faut 



(i) Pour le voyageur arrivant d'Europe, la transition est assez triste de Sin- 
gapour à Saigon. Il compare l'état actuel de notre premier port indo-chinois avec 
ce qu'il a vu dans la capitale des Détroits, dans ce port où l'année dernière pas- 
saient encore io4o6 navires, où tous les moyens de manutention des marchan- 
dises étaient accumulés, centralisés par la puissante compagnie « Tanjong Pagar 
Dock », avec ses 3 kilomètres de quais, son stock de 325 ooo tonnes de charbon, 
ses cinq grands bassins de radoub! 

On peut compter à Singapour, en 1900, un tonnage total de près de 1 5 millions 
de tonnes, qui lui donne le cinquième rang parmi les ports du pnondle, immédia- 
tement après Liverpool, Londres, Hambourg et New-York. 



24 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

tenir compte de la situation exceptionnelle de ces villes, qui 
sont les entrepôts d'une bonne moitié de la Chine, et dans 
lesquelles se fait un commerce de transit d'une importance 
incalculable. Saigon n'en est pas encore là, et le développe- 
ment industriel de l'arrière -pays commence à peine: il fait 
ses débuts, comme Hong-Kong il y a trente ans, et si l'on 
envisage ce fait, le mouvement de son port peut paraître 
d'un très bon augure. 

La part des divers pavillons est assez variable. Le nôtre a 
monté sensiblement depuis iSgS, mais nous savons ce qu'il 
faut penser d'une circulation presque entièrement due à des 
lignes subventionnées, à de grands navires dont le tonnage 
n'a souvent aucun rapport avec l'utilité commerciale. Les 
paquebots des Messageries Maritimes, bâtiments postaux et 
à passagers, figurent dans les totaux pour près du tiers, 
alors que leur cargaison a une importance quelquefois nulle. 
Il ne faut pas s'abuser non plus sur la présence des affrétés 
de l'État, comme les vapeurs de la Compagnie nationale. 
Quoi qu'il en soit, le pavillon apportant partout un peu de 
l'influence morale du pays dont il montre les couleurs, c'est 
avec satisfaction qu'il faut enregistrer la progression du 
nôtre, devant les fluctuations marquées des pavillons étran- 
gers. Ainsi, nous verrons par le tableau ci-dessous que les 
navires anglais, après unç augmentation sensible depuis 
1896, ont clôturé la période décennale, en 1900, par une 
diminution de 24 35o tonnes sur 1899. ^^^ Allemands, qui 
font partout en Asie des eflbrts soutenus pour assurer leur 
suprématie commerciale, se sont fortement relevés en igoo. 
Voici ce tableau. 



ANNÉES. 


FRANÇAIS 


ANGLAIS 


ALLEMANDS 


— 


Tonneaux. 


Tonneaux. 


Tonneaux. 


1893 , . . . 


207 o5o 


202 444 


206419 


1894 . . . • 


228202 


178550 


153921 


1895 .... 


239 256 


177730 


168021 



FRANÇAIS 


ANGLAIS 


ALLEMAND 


Tonneaux. 


Tonneaux. 


Tonneaux. 


245399 


155 366 


160 194 


24865!S' 


185768 


174910 


288695 


199078 


i44665 


319279 


199327 


129239 


347 735 


169 W7 


177 191 


345012 







LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 2D 

ANNÉES. 

1896 . 

1897 . 

1898 . 

Ï899 . 

1900 . 

1901 . 

Si Ton veut maintenant se rendre compte du partage du 
tonnage français de Saigon entre les navires subventionnés 
et les navires libres, on trouve pour Tannée 1900 : 

Tonnes. 
71 grands paquebots des Messageries Maritimes jaugeant . . i5i 929 

84 vapeurs annexes des — — . . 94 936 

26 vapeurs de la Compagnie nationale jaugeant 6o3i3 

307 178 

contre : 

4i vapeurs français jaugeant 38 m 

2 voiliers — 2 445 

4o55G 

Soit moins de 1/7® du total. des navires subventionnés, 
ce qui vient à l'appui de ce que nous avancions plus 
haut. 11 y a là une marge suffisante pour tenter les en- 
treprises maritimes françaises, métropolitaines ou indo-chi- 
noises. Nous en reparlerons à l'occasion de notre marine 
marchande. 

Quant au tonnage des jonques chinoises et des barques 

de mer, il subit à chaque instant des gains et des pertes; 

mais il constitue une fraction du mouvement du port qui 

est loin d'être négligeable. 

En 1897, il était de 39 182 tonnes. 

1898^ — 21393 — 

1899, - 48768 — 

1900, — 45o54 — 

Nous avons tenu à citer quelques données de manière à 
fixer les idées sur Saigon, à bien déterminer son importance 
comme centre maritime. Comme dans tous les autres ports, 



126 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

le mouvement dont nous venons de parler est régi par des 
phénomènes économiques, des courants commerciaux aux- 
quels la vie des compagnies de navigation est intimement 
liée. Si les navires disposent dans un port d'un fret assuré 
et à peu près constant, il s'établira une circulation de bâti- 
ments très régulière, qui suivra, en plus ou en moins, les 
variations des chargements, à très peu près. Si les besoins 
d'importation et les facultés d'exportation sont factices et 
instables, les déboires des armateurs peuvent être suffisants 
pour les amener à renoncer à l'exploitation du marché, s'ils 
ne trouvent que des bénéfices aléatoires. Saigon n'est heu- 
reusement pas dans ce cas. A côté d'une importation qui a 
subi et qui subit encore une hausse anormale en raison de 
nombreux travaux publics et sur laquelle on ne saurait 
tabler, il dispose d'un fret d'exportation d'une importance 
exceptionnelle : le riz. La Cochinchine reste pour le monde 
asiatique, la grande terre à riz, assimilable à l'Egypte et à 
la Tunisie antiques, dans laquelle les pays voisins, moins 
favorisés, viennent puiser largement. Cette exportation 
n'est presque pas influencée par la réussite douteuse des 
récoltes, qui sont placées dans des conditions trop belles 
pour donner lieu à des mécomptes, et qui produisent deux 
fois par an. Les exportations de la Cochinchine entière se 
maintiennent à un total sensiblement uniforme, augmenté 
dans ces dernières années par des défrichements nombreux; 
elles sont respectivement de 

668945 tonnes en 1898 716 3i8 tonnes en 1898 

686777 — 1894 798 79I — 1899 

63o2i4 — 1895 789508 — 1930 

545680 — 1896 758589 — 1901(0 
687570 — 1897 



(i) Les statistiques accusent une exportation de 664843 tonnes pour le pre- 
mier semestre de 1902, contre 489075 pour la. période correspondante de 1901. 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 27 

Là est le gage de la prospérité de Saigon, rélément fixe 
;t inaltérable des frets. De Vinh-Kong, de Travinh, de Soo 
IVang, de Go-Cong et de Baixau, les riz vont par pleins 
hargements, dans les sampans bourrés à couler bas, sui- 
mt le dédale des canaux du Chogao et du Ben-Luc, vers 
ville qui draine les richesses pour les envoyer au delà des 
îrs. Avant 1881 et 1886, les paddys étaient exportés 
Time le riz décortiqué, allant ainsi alimenter les décorti- 
eurs de Hong-Kong. Des droits de sortie ont réformé cet 
t de choses et les paddys, travaillés sur place, s'arrêtent 
)assage dans les belles rizeries du groupe Cholon-Saïgon, 
débitent chaque jour 800 tonnes environ de riz cargo et 
tonnes de riz blanc. Sortant de ces usines, hélas ! chi- 
ses ou allemandes, les riz repartent le long de l'arroyo chi- 
s qui grouille de vie et de mouvement, poussés par leurs 
ients haleurs, vers les vapeurs qui attendent en rivière 
Saigon, pour s'en jouffrer dans leurs cales béantes. Cet 
exode va progressant, et il est parti de Saigon, comme l'in- 
diquent les statistiques de la Chambre de commerce. 



1894. 


. 557 6o4 tonnes. 


En 1898 . 


. 606 696 tonnes. 


1895. 


. 567 370 — 


1899. 


. 696 55o — 


1896. 


. 5o3oo5 — 


1900 . 


. 625461 — 


1897. 


. 583 660 — 







L'exportation vers la France a également augmenté ; elle 
atteint, pour 1900, le chifire 1 15 o43 tonnes pour le riz cargo 
et le riz blanc totalisés, ce qui représente un gain de 
34681 tonnes sur 1899 ('). Elle est favorisée, on le sait, par 
une détaxe douanière de 5o p. 100 en faveur des produits 
coloniaux, et les chiffres établis par la douane de France 



(i) Le chiffre de 1898 (117290 tonnes) est anormal et s'explique par la mau- 
vaise récolte de blé en France au cours de cette année. Pourtant, le chiffre de 
1900 cité plus haut, presque égal à celui de 1898, a été atteint malgré une bonne 
récolte de céréales métropolitaines. 



28 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

sont même plus considérables que ceux que nous citons, à 
cause des nombreux navires à ordre qui reçoivent, à leur 
passage à Port-Saïd, l'avis d'aller débarquer à Marseille, 
alors que leur cargaison n'a pu être comptée dans les sta- 
tistiques saïgonnaises. Les riz de Cochincliine, du fait des 
tarifs douaniers, ont l'avantage en France sur les riz étran- 
gers, dont l'introduction est en baisse sensible. Les Pays- 
Bas, ritalie, le Japon, importent chez nous de 2 000 à 
4 000 tonnes par an. C'est peu, comparé aux arrivages de 
la colonie. Cependant, le rapport de M.-Doumer, de 1902, 
faisait ressortir la concurrence aclive que les maïs des Etats- 
Unis commençaient à faire aux riz d'Asie, tant à cause de 
leurs prix moins élevés (4 à 5 fr. de moins par 100 kilogr.) 
que de l'utilisation meilleure des sous-produits du maïs par 
rapport à ceux du riz. C'est un point noir dans l'avenir de 
la denrée cochinchinoise (*). 

Le fret que les navires peuvent ainsi trouver à Saïgon 
pour l'Europe, du fait du riz, est minime en regard des en- 
vois faits périodiquement par la colonie aux pays voisins de 
l'Extrême-Orient. A côté d'elle, la Chine présente des agglo- 
mérations humaines que leur sol n'arrive pas à nourrir et 
où les disettes sont fréquentes. C'est un débouché constant, 
qui a pris jusqu'à 5o4ooo tonnes en 1899 ^^ fl^*^ ^'^ baissé 
à 9 391 tonnes en 1901 qu'à cause des quarantaines et du 
mauvais état sanitaire des ports de la Chine méridionale. 
On n'a pas oublié la récente famine de Fou-Tchéou, où, 
grâce à notre consul, la Cochinchine obtint une commande 
suffisante pour sauver de la mort des millions d'individus. 



(i) L'alcool de riz reçoit dans Tindustrie nombre d'utilisations importantes, 
surtout en parfumerie. La découverte d'un procédé pratique de dénaturation de 
cet alcool amènerait une révolution dans l'avenir de la Cochinchine, en dévelop- 
pant hors de toute mesure l'exportation du riz et la richesse terrienne. 

Les applications du riz en brasserie laissent encore une marge considérable aux 
expéditicns vers l'Europe. 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 29 

Il n'y a plus guère lieu de compter sur le Japon comme 
acheteur, car il s'attache à développer ses cultures de façon 
à pouvoir alimenter la consommation locale. Les Philip- 
pines nous restent encore, ainsi que Java, où la population 
(210 hab. par kil. carré) s'écrase sur un trop faible espace. 
Les îles de la Sonde, où, dans certains districts, la pro- 
duction du riz atteint 6 ooo kilogr. à l'hectare, restent des 
clients sûrs. Ainsi, pour les trois premiers trimestres de 
1901, les Philippines avaient pris 114788 tonnes et les 
Indes Néerlandaises i3i 800, chiffres dignes de remarque. 

Saigon a réussi à dépasser notablement Bangkok, dont 
les exportations baissent, alors que celles de notre port aug- 
mentent. Il est sorti de Bangkok : 

En 1897 557786 tonnes. 

1898 519800 — 

1899 428661 — 

C'est un concurrent qui s'eiface peu à peu, mais qui reste 
encore très important. Nous avons affaire à plus forte partie 
à Singapour, qui se fournit presque exclusivement à Ran- 
goon, avec lequel les relations sont facilitées par la commu- 
nauté d'administration et par le lien anglais. Pour Rangoon, 
nous trouvons des chiffres d'exportation qui laissent très 
loin derrière eux ceux que nous avons cités pour Saigon. 
Rangoon a expédié : 

En 1888-1884 849 702 tonnes. 

1897-1898 1880000 — 

1898-1899 1815948 — 

1900 1 400000 — 

1901 i55oooo — 

D'où il résulte une augmentation continue et qui se pour- 
suit encore. Cette concurrence possède d'ailleurs des élé- 
ments sérieux de prospérité. Les deltas de l'Irraouaddy et 



3o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

de la Saiouen sont dotés d'un système d'irrigation admirable 
et les voies de communication^ tant fluviales que terrestres, 
ne manquent pas pour amener le riz à Rangoon aux prix les 
plus faibles. Notre riz de Cochinchine est aussi inférieur (') 
au Nhgasein birman, et les cours d'Europe le cotent à un 
taux plus bas (l'écart est même allé jusqu'à 20 p. 100). A 
Rangoon, on prend également les précautions les plus mi- 
nutieuses pour l'arrimage et la ventilation des cargaisons, de 
même que pour l'emballage en sacs. Si nous remarquons, 
enfin, que le gouvernement de l'Inde est prêt à modifier son 
tarif de sortie au moindre indice du changement des nôtres, 
nous pouvons nous rendre compte de l'organisation puis- 
sante de la concurrence birmane, et de la nécessité de la 
surveiller de près pour conserver le fret sauveur qui est 
destiné à faire de Saïgon un grand port. 

Si nous jetons un coup d'œil sur l'organisation présente, 
nous verrons que des travaux à peine suffisants ont été faits 
pour transformer en port acceptable la rivière aux berges 
vaseuses et incommodes. L'établissement des Messageries 
Maritimes, à elles concédé par l'empereur Napoléon III à 
l'époque où elles n'étaient encore que les Messageries Impé- 
riales, est de tous le plus important. Il consiste en un enclos 
où se trouvent la maison de l'agent, le dépôt des marchan- 
dises, le stock de charbon et le bureau des douanes : cet 
enclos est d'ailleurs muni de trois appontements à double 
entrée où s'amarrent les grands courriers et les annexes. En 
amont de l'arroyo chinois se trouvent les appontements 
Charner et Canton, le premier réservé en principe aux va- 



(i) Le riz cargo de Saigon, provenant de rizières non irriguées, valait au 
Havre, pendant le premier trimestre 1900, 18 fr. 5o les 100 kilogr. ; le riz de • 
Birmanie valait 24 fr. ; celui de Java 21 fr. (Gap. F. Bernard, L' Indo-Chine, 
p. 282.) 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 3r 

peurs de la Compagnie nationale et des Chargeurs-RéuniSy 
le second à la flottille des chaloupes à vapeur. On travaille 
actuellement à augmenter de ï8 mètres la longueur de 
Tappontement Charner pour faciliter les déchargements. 
Plus en amont encore, en face des bureaux de la Compa- 
gnie, sont situés les trois appontements des Messageries 
fluviales de Cochinchine, réunis par une voie ferrée. Là se 
bornent les installations spéciales du port, avec l'organisa- 
tion ancienne, encore en vigueur actuellement. Les vapeurs 
ordinaires se placent sur deux lignes, la première contre la 
rive droite, la deuxième au milieu du fleuve. Les bâtiments 
de la rive droite mouillent une ancre^ s'amarrant à une 
bouée par l'arrière et à la berge par le travers. Ceux du 
milieu s'afi'ourchent en filant trente brasses sur chaque 
chaîne ; ils doivent d'ailleurs n'avoir que 80 mètres de long. 
En aval du port de commerce est ménagé un emplacement 
pour le mouillage des jonques chinoises et des barques de 
mer, au nombre d'une trentaine environ. Dans ces condi- 
tions, on conçoit que les moyens de chargement et de dé- 
chargement des vapeurs, en même temps que de ravitaille- 
ment en charbon et en eau douce, soient restés rudimentaires 
et peu en rapport avec les caractéristiques d'un port moderne. 
Les opérations commerciales se font au moyen de jonques 
louées par le chargeur et les destinataires, qui viennent le 
long du bord au hasard des renverses de courant, éprouvant 
de ce fait de nombreux retards. Il y a peut-être. avantage 
au point de vue du fret fluvial et de la manutention des 
marchandises, mais tout se solde par une perte de temps. 

Les différents services du port ont été assurés du premier 
coup d'une façon assez satisfaisante. La police, aux termes 
de l'arrêté du 21 juin 1887, est faite, en ce qui concerne la 
surveillance générale, par un capitaine de port, assisté d'un 
lieutenant et de quatre maîtres de port. D'après ce décret,. 



32 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

« des arrêtés pris par les gouverneurs règlent, d'après les 
principes en vigueur dans la métropole, les fonctions des 
officiers et maîtres de port ». L'arrêté du 4 juin 1896, 
modifié en 1900, place en droit les officiers de port sous les 
ordres des Travaux publics (service de la navigation), con- 
sacrant le système de France et donnant moins d'influence 
au capitaine de port. La ville collabore également à la 
surveillance des quais en raison des droits de séjour et de 
dépôt qu'elle perçoit sur eux. Le service du port est centra- 
lisé à l'annexe du port de commerce, qui communique par 
téléphone avec le sémaphore du Nga-bé, qui annonce les 
navires en vue et échange avec eux les signaux de mouillage. 
Ce service possède comme matériel deux chaloupes à vapeur 
et un ponton servant à visiter les corps-morts. 

Les mesures fiscales appliquées aux navires qui fréquen- 
tent le port, indépendamment des tarifs douaniers qui frap- 
pent leur cargaison, se limitent aux droits de phare et 
d'ancrage, réglementés jusqu'en 1901 par les arrêtés de 
1897, approuvés par décret de 1898. En 1901, une nouvelle 
réglementation, entrée en vigueur le i" janvier 1902, rem- 
place l'ancienne avec un léger allégement de taxe. Nous ne 
pouvons, dans ce chapitre déjà très chargé, traiter en quel- 
ques lignes une question aussi importante, et qui a sa réper- 
cussion immédiate sur la vie du port et sur celle des 
compagnies commerciales qui existent déjà ou qui peuvent 
se fonder. Nous l'examinerons attentivement comme un des 
aspects du problème de la marine marchande coloniale. 

Le pilotage est réglé depuis quelques années par la direc- 
tion du port de guerre, qui l'a enlevé au capitaine du port 
de commerce, au grand avantage de la régularité du ser- 
vice. Les 21 pilotes, d'ailleurs assez grassement rétribués, 
organisent entre eux un tour pour monter et descendre les 
bâtiments en rivière, à l'exception des paquebots des Mes- 



LE NOUVEAU PORT IXE SAIGON. 33 

^ageries Maritimes qui ont leur pilote spécial. Quelques 
capitaines reprochent bien aux pilotes de ne plus se porter 
au-devant des navires et de les attendre tranquillement à 
Cangio, à l'abri du cap Saint-Jacqueâ, mais d'une façon- 
générale, on s'accorde à penser que ce service fonctionne 
suffisamment bien('). 

Voilà donc où nous en sommes en 1902. La place dispo- 
nible pour les navires est très limitée. On peut compter 23 à 
.24 posteSj en les évaluant de la manière suivante. La ligne 
de rive droite peut offrir 10 postes, de l'usine Denis frères 
au fort du Sud, avec, en plus, les deux emplacements à l'ap- 
. pontement Charner et à l'appontement Canton. On ne saurait 
y comprendre le poste situé devant le fort du Sud, qui a été 
longtemps le dépôt de pétrole et où se rassemble actuelle- 
ment la flottille des chaloupes des douanes. La ligne du 
milieu de la rivière est de 12 postes, en comptant celui qui 
se trouye devant le port de commerce, le plus en amont. 
Nous obtenons ainsi, dans le cas le plus favorable, 24 postes 
disponibles. Or, il vient jusqu'à 3o navires dans la saison 
des gros chargements de riz, et, en 1901 en particulier, on 
a été obligé de refuser, faute de place, 3 vapeurs. Voilà qui 
est fait pour consolider la réputation d'un port ! Quelles 
peuvent être alors les réflexions de ceux auxquels on en 
refuse l'accès ? D'ailleurs, même dans les circonstances 
ordinaires, la ligne milieu est fort gênante. Au moment des 
changements de marée de morte-eau, qui sont très longs, 
les navires évitent autour de leurs ancres, restant en travers 
et barrant la rivière, où la circulation devient très difficile. 
De plus, la ligne de la rive droite, mouiUée à une distance 
notable de la berge, utilise pour son amarrage des aussières 



(i) Il fonctionnerait encore mieux si Ton remplaçait le système des tours de 
service par celui de . la concurrence libre. La question a trop de dessous pour 
être exposée avec les développements qu'elle comporle. 



RITAGES mDO-CHINOIS. 



34 ' LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

en fil d'acier que le port fournil gratuitement, d'où une 
usure et une dépense considérables. 

Il s'agit donc de remédier à cet état de choses en créant 
un quai sur la rive droite, en supprimant la ligne de mouil- 
lage milieu et en opérant de manière à trouver le nombre 
de postes nécessaire. La question est plus complexe qu'elle 
ne le paraît, car, à ceux qui proposaient purement et sim- 
plement de prolonger le port en aval, solution qui semble 
évidente, on a fait très justement remarquer que le prix des* 
transports par jonques doublait quand le navire passait des 
Messageries au fort du Sud, et augmentait encore au delà. 
Les salaires des coolies suivent la même progression. Il faut 
donc faire les travaux sur la position actuelle du port, en 
évitant surtout de l'allonger. C'est ce qui augmente sensible- 
ment les frais de l'entreprise. Mais, quels que soient ces 
frais, nous est-il permis d'hésiter, lorsque les différentes 
nations possédant des ports en Extrême-Orient font les plus 
grands eiforts pour les mettre à la hauteur du mouvement 
maritime moderne ? 

Non, certainement. D'autant plus que nous pouvons faci- 
lement trouver des points de comparaison dans les ports 
récemment acquis par les puissances, les ports neufs, qui 
se trouvent, au point de vue des travaux à entreprendre, 
dans le même cas que Saigon. Les Philippines sont à peine 
sorties d'une ère de bouleversement, et Manille en posses- 
sion des Américains, que ceux-ci projettent un remaniement 
complet de la situation existante. Les plans ont été mis en 
adjudication en avril 1901. Ils comprennent l'allongement 
des jetées, le dragage du fond de la rade et de la rivière 
Pasig, la construction de quais et d'appontements; le total 
des frais se monte à 1 5 millions, sacrifiés sans lésiner. De 
son côté, la Russie fait tout au monde pour perfectionner 
l'état du port de Dalny (l'ancien Talien-Wan), qui doit 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 35 

servir de débouché oriental à son Transsibérien. 2 000 hom- 
mes travaillent à la construction de cinq grands piers, pro- 
tégés par un long brise-lames, où les navires trouvent toutea 
facilités pour l'embarquement et le débarquement des mar- 
chandises. Les plus grandes dépenses ont été consenties; 
trente millions suffiront à peine à acheter le matériel, et 
soixante autres paieront la construction du port et de la 
nouvelle ville. Le gouvernement du tzar a voulu ainsi l'ac- 
complissement de son plan asiatique. L'Allemagne, à Kiao- 
Tchéou, ne se montre pas moins active. La rade intérieure 
est divisée en deux parties, dont l'une, le « Grand-Port », a 
été draguée à 1 1 mètres pour les navires de guerre, et l'autre, 
le « Petit-Port », réservée aux steamers de taille moyenne, 
draguée à 6 mètres. Les quais, briise-lames, moyens de 
déchargement, sont largement prévus et l'ensemble des 
travaux atteint le total fort respectable de i8 5ooooo fr. ; 
^achèvement complet aura lieu en 1908, et les installations 
spéciales de l'arsenal seront terminées en 1900. Voilà 
l'exemple que nous donnent nos concurrents, qui débutent 
comme nous dans la vie commerciale de l'Extrême-Orient, 
et qui veulent s'imposer au monde maritime de l'Asie. 

L'état présent du port de Saigon (*) n'a pas été sans ins- 
pirer à plusieurs esprits sérieux des réflexions pessimistes 
et des propositions diverses d'entreprises. En fin 1899, on 
étudie, sur le papier tout au moins, le creusement du « Rach- 
Boudou », arroyo de rive droite de la rivière chinoise, et on 
semble marcher, un peu à tâtons il est vrai, dans la voie du 
nouveau port. Puis, M. Rolland, lé distingué agent principal 
de la Compagnie des Messageries Maritimes, demande au 
gouvernement la permission de construire pour sa compa- 



(i) Pour celte partie historique du port de Saigon, nous avons eu recours aux 
souyenirs, si précis et si compétents, de M. le capitaine de vaisseau en retraite 
Cavalié, qui fut longtemps à la tétc du port de commerce. 



36 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

gnie deux appontements nouveaux en aval de ceux déjà 
existants. Par la même occasion, la Chambre de commerce, 
dont M. Rolland était le président, sollicitait une autorisa- 
tion d'emprunt qui lui permît la construction d'un certain 
nombre d'appontements sur la rive droite, sur une longueur 
de I 200 mètres environ. Ce projet prévoyait tous les 
moyens possibles de manutention des marchandises, mais, 
avec ces deux appontements, la question des 3o postes à trou- 
ver n'était avancée en rien. La conclusion de cette intelli- 
gente agitation a été l'obtention pour les Messageries Mari- 
times de leurs deux appontements, tandis que des retards 
légaux étaient apportés à l'emprunt de la Chambre de com- 
merce. Mais, somme toute, on parlait enfin du nouveau 
port, on perdait l'habitude de considérer ce travail comme 
une aimable utopie. L'impulsion donnée, une commission 
se réunissait quelques mois après pour examiner les divers 
projets, et si elle enfanta ses conclusions avec une lenteur 
digne de l'administration coloniale, on put cependant bien 
augurer de son existence. Malgré cela, il était facile d'ores 
et déjà de prévoir que le projet primitif serait profondément 
remanié, et qu'on en supprimerait l'idée d'une dérivation 
ménagée entre l'arroyo chinois et la rivière de Saigon, par 
le Rach-Boudou agrandi et approfondi. Le projet définiti- 
vement adopté a été celui que nous allons examiner. 

Le quai rive droite était admis en principe, ainsi que l'éta- 
blissement sur la rive gauche d'une ligne de bouées permet- 
tant de reporter à cet endroit la ligne du milieu de la rivière. 
Le quai devait être réuni au chemin de fer Saïgon-Mytho 
par une voie ferrée franchissant l'arroyo chinois, et au petit 
tramway à vapeur par un embranchement de celui-ci, tra- 
versant l'arroyo sur un pont tournant, en face de la rue 
d'Adran. Ce pont tournant devait d'ailleurs servir à la cir- 
culation des piétons et des voitures. A elle seule, l'installa- 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 3^ 

lion du quai est une opération difficile, dans ce sol vaseux et 
peu consistant de la Cochinchine, où les forages faits par les 
Travaux publics ont révélé la composition suivante des ter- 
rains de la rive droite : 

/-f- i°*,86, vase avec détritus. 
+ o ,86, vase. 

- 2 ,i4 ) 
à |vase liquide. 

— 7 M, ) 



Le niveau 

des plus basses-mers ( ' . 
^ — 7 ,i4 

à Wase. 



étant pris pour zéro. 

-i4 

— i4 yii, sable, argile, galets et détritus. 

— i4 ,64, argile dure. 

On voit donc que les forages doivent aller à i5 mètres 
pour trouver une base suffisamment résistante. Cette diffi- 
culté ne rebuta pas les constructeurs qui vinrent soumission- 
ner pour le quai et les accessoires. La commission nommée 
pour examiner l'adjudication a, dans sa séance du i*^ août 
igoi, recueilli les offres suivantes: 

De MM. Daydé et Pillé 4794666 fr. 

6610221 
6261 087 

De la Société de constructions de Levallois-Perret j 6794870 
(6 projets). J 5 606 52o 

5415427 
5206897 

i 6300 000 

De M. Henty Portai (3 projets) | 6600000 

( 6260000 

6794967 
6706388 

De MM. Hersent et fils (6 projets) l îf^^t'l 

^ ^ '' ^ ^ 6897266 

6 823 460 
6 135644 

Le premier projet de la société de Levallois-Perret a été 



38 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

adopté par la commission dans la séance du 20 août igoi, 
décision confirmée par Tarrêté du 26 août. M. Reich, ingé- 
nieur des Arts et Manufactures, représentant à Saigon de la 
société, a conclu l'adjudication. 

Le quai, pour lequel on a été obligé de descendre les 
massifs de fondation à la cote i5°*,59, aura i 660 mètres de 
long, et s'étendra entre la rizerie Kien-fat-Seng et le fort du 
Sud, sur 12 mètres de large. Il sera muni de bornes d'amar- 
rage, d'échelles métalliques et de plusieurs voies ferrées, 
embranchements du chemin de fer Saïgori-Mytho. La ligue 
d'amarrage de la rive droite (20 bouées rendues disponi- 
bles) sera reportée sur la rive gauche pour amarrer les na- 
vires qui mouillaient sur l'ancienne ligne du milieu. Comme 
nous l'avons dit, le tramway à vapeur de Cholon poussera 
vers les quais un embranchement passant sur le nouveau 
pont tournant, et le chemin de fer Saïgon-Mytho franchira 
l'arroyo chinois par un pont à trois travées métalliques de 

Diverses modifications secondaires ont été résolues ; l'ar- 
royo chinois aura un port fluvial de 900 mètres de long, 
ménagé à l'entrée. On a pensé à faire un bassin aux bois de 
94o mètres de long sur 4o de large, pratiqué sur la rive 
droite de l'arroyo chinois, pour dégager ce dernier et y 
rendre la navigation plus facile. L'appontement Charner, 
dégagé par les Chargeurs-Réunis, qui auront une place à 
part sur le nouveau quai, redeviendra libre. L'appontement 
Canton sera réservé aux petits navires à vapeur. Enfin, on 
songe à établir pour la flottille des Travaux publics et des 
Douanes un parc dont le devis se monte à 67 000 piastres, 
et qui sera muni de tout ce qui est nécessaire aux petits 
bâtiments. 

L'ensemble du plan du nouveau port de Saigon, pécu- 
niairement parlant,, se décompose ainsi: , .1 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 89 

Quai. 6268168 fr. 

Docks . 1425355 

Voies ferrées ....... i 842 687 

Postes de mouillage .... 472 200 

Pont tournant 44o 280 

. Port fluvial 445 420 

Total 10894100 fr. 

. Voilà le projet des Travaux publics, résumé dans ses 
grandes lignes. Nous allons maintenant pouvoir le discuter 
et l'apprécier en détail. 



Tout le monde a déjà plus ou moins fait cet examen, et, 
dans ce genre de questions, il n'est pas rare de voir surgir 
des critiques passionnées, des exagérations manifestes dans 
un sens ou dans l'autre. Ainsi, je me souviens d'un article du 
journal U Opinion, de Saïgon, critiquant en termes virulents 
le plan des nouveaux travaux et en démontrant la parfaite 
inutilité. Cet article fut alors reproduit dans un certain nombre 
de Revues, sans commentaires ni atténuations, comme ré- 
sumant l'avis général, peut-être en raison des quelques idées 
justes qu'il contenait. Je dois reconnaître qu'à côté d'erreurs 
évidentes, comme lorsqu'il déplorait l'absence de docks, 
pourtant prévus au projet pour i 426 000 fr., il y avait à y 
noter quelques propos judicieux. Ainsi, nous pouvons avec 
lui, avant d'approfondir plus complètement la question, re- 
procher au service compétent de n'avoir pas songé à un bas- 
sin de radoub pour les navires de commerce, dont l'utilité 
est manifeste. Le port de commerce est, à cet égard, tribu- 
taire du port de' guerre et la réparation des vapeurs passe 
après celle des bâtiments de l'État, ce qui est légitime d'ail- 
leurs. II en résulte que de nonibreux steamers ayant besoin 
d'un carénage préfèrent aller à Singapour ou à Hong-Kong, 
où ils trouveront toutes les installations nécessaires,' privant 



4o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

ainsi Saïgon du gain inévitable qu'apporte dans une ville la 
présence d'un vapeur étranger. Nos ateliers et chantiers y 
perdent aussi. On parle fort de la construction, à côté du 
bassin de radoub actuellement en service dans l'arsenal, 
d'une forme de 200 métrés de long. Ce sera une chance de 
plus de réparer des navires, mais ceux de FÉtat auront tou- 
jours la priorité sur ceux du commerce. Et pourtant, ce bas- 
sin de radoub ne compléteradt-il pas fort avantageusement le 
futur quai (')? 

Un frrand parc à charbon serait aussi nécessaire. La 
Chambre de commerce, dans une de ses récentes séances, en 
a longuement parlé en projetant, suivant le rapport de sa 
commission d'enquête, de l'installer sur la rive gauche de la 
rivière, au nord du Rach-So-Thang. Souhaitons une heureuse 
réussite à ce projet, qui paraît un peu s'endormir dans les 
limbes de l'oubli. 

Entrons maintenant dans le détail du plan. Cholon, bien 
plus que Saïgon, est le grand entrepôt des denrées d'ex- 
portation. C'est de là que partent, pour venir au port de 



(i) Voici, extraits d'une délibération de la Chambre de commerce (août 1903), 
les propres paroles du président : 

« J'ai appris, il y a quelques jours, Messieurs, par un avis du commandant de 
la marine, que sur des ordres de réparations venus du ministère de la marine^ 
l'arsenal allait fermer son .bassin de radoub. 

« La période de réparations est évaluée à 6 ou 7 mois, mais il est possible qu'elle 
se prolonge au delà. Vous savez tous, Messieurs, que nous ne possédons à- Saï- 
gon qu'un bassin de radoub ; nous en sommes donc privés complètement pour 
- un temps relativement long. Qu'une avarie survienne, qu'une collision se produise 
en rade, comme cela a eu lieu dernièrement, les navires endommagés se verront 
contraints d'aller faire leurs réparations à Singapour ou à Hong-Kong, si toute- 
fois ils peuvent s'y rendre, La situation peut donc devenir grave. S'il n'y a pas. 
de remède à la situation présente, nous pourrions, à mon avis, nous prémunir 
contre l'avenir en demandant la construction d'un bassin de radoub pour le com- 
merce, lequel compléterait heureusement l'outillage de notre port et nous mellrait 
à l'abri de semblable éventualité. » 

La Chambre, considérant la situation actuelle comme dangereuse et préjudi- 
ciable aux intérêts généraux du port de Saïgon aussi bien qu'à l'industrie locale, 
émet à l'unanimité le vœu que le gouvernement fasse étudier et entreprendre 
aussi promptemcnt que possible la construction d'un bassin de carénage pour 
les bàiiments de commerce. 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 4^ 

commerce, les nombreuses jonques chargées, dont quel- 
ques-unes portent jusqu'à 75 tonnes de riz. L'arroyo chinois 
est, de ce fait, le siège d'une circulation intense, dirigée vers 
l'aval avec le courant de jusant, vers Gholon avec le courant 
de flot. C'est le grand point à ne pas perdre de vue. On s'en 
est peu préoccupé, et, au contraire, l'idére du pont tournant a 
été la directrice du projet nouveau. Nous avons vu que ce 
pont tournant devait servir au passage des piétons, des voi- 
tures et du tramway à vapeur. Or, les piétons et les voitures 
passaient jusqu'à présent par le pont voisin de Khanh-Hoï, un 
peu plus difficile, il est vrai, mais très acceptable, et le tram- 
way à vapeur ne nécessitait pas à lui seul une dépense de 
44o 000 fr. pour un pont à niveau. Malgré cela, le pont tour- 
nant a été maintenu, un peu comme le « clou » de la nou- 
velle entreprise, et pourtant, il est plutôt un impedimentum 
qu'autre chose. 

Ce pont sera ouvert six heures par jour, savoir: une heure 
au milieu des deux courants de flot et de jusant, et une 
demi-heure à la fin de ces mêmes courants, pour les jonques 
retardataires. La fermeture du pont est indiquée par un si- 
gnal suffisamment net et visible de loin, pour que les jonques 
qui ne peuvent passer aient le temps de s'amarrer aux berges. 
Comme le projet comporte un embranchement du chemin 
de fer allant desservir les usines de Cholon, on compte que 
presque tout le transit des rizeries passera par cette voie,' et 
qu'une très faible partie seulement passera encore par l'ar- 
royo chinois. Cela sera vrai pour les navires amarrés au quai, 
mais pour ceux de la rive gauche, on ne peut songer à dé- 
barquer le riz des wagons pour le recharger dans des sam- 
pans, à cause du prix d'une semblable combinaison. Cette 
part de l'exportation de Cholon (la moitié environ du trafic 
total) prendra le chemin ordinaire de l'arroyo chinois. 
Comme, avec l'ancien système, on comptait une sortie de 



42 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

7 000 tonnes par jour de Farroyo, on peut évaluer à 3 5oo 
tonnes la circulation fluviale qui subsistera. Se fait-on une 
idée de ce que ce chiffre représente de grosses jonques char- 
gées, lourdes et peu manœuvrières ? Que l'une d'elles vienne 
à s'engager au passage, qu'une avarie du pont empêche de 
l'ouvrir, voilà tout le trafic de Saigon paralysé et les navires 
en souffrance dans le port ! Un Chinois, dont une des jon- 
ques avait été coulée en venant heurter les fondations en 
cours du pont tournant, a déjà réclamé à l'administration par 
la voie judiciaire. Se figure-t-on le toile qui se produira 
parmi les directeurs des rizeries de Cholon, les armateurs 
des navires, le jour où un gros accident viendra arrêter la 
circulation? II fera peut-être réfléchir ceux qui subordon- 
nent la vie d'un port à la satisfaction d'avoir réalisé un bel 
ouvrage d'art. 

L'établissement de la ligne d'amarrage de la rive gauche 
est sujette à de nombreuses réserves. On compte pouvoir y 
placer vingt navires, mais il y aura deux postes à retrancher 
de ce total. Le premier, qui est en face de l'entrée de l'arroyo 
chinois, parce qu'il occupe le point de rassemblement des 
jonques cambodgiennes qui retournent vers le Mékong, et 
le second parce qu'il gênerait la manœuvre des grands cour- 
riers tournant en rivière pour s'amarrer aux appontements 
des Messageries Maritimes. Et puis, cette rive gauche ne 
paraît guère apte à fournir une bonne ligne d'amarrage. Les 
terres sont basses, presque noyées aux grandes marées, et 
insuffisamment solides pour offrir des points de fixation iné- 
branlables aux aussières. De plus, à cet endroit, le fleuve 
forme une courbe dont la convexité est tournée vers la rive 
droite. Suivant un principe connu, le courant le plus fort, et 
par conséquent les affouillements et les plus grandes pro- 
fondeurs, se trouvent sur la rive droite, peu à peu rongée 
par la rivière, au point quQ l'on a dû reculer plusieurs fois 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 43 

les bornes d'amarrages de cette rive. La rive gauche n'a que 
les dépôts, et la ligne des fonds de 7 à 8 mètres est à 76 mè- 
tres de la berge. « En tenant compte du jeu des bouées sur 
« leurs chaînes, il faudra les mettre à 100 mètres de la berge. 
« La manœuvre des amarres, déjà pénible à la rive droite, 
« de laquelle les navires ne sont distants que de l\o et 5o 
« mètres, deviendra ici presque impossible ('). » 

Les inconvénients d'un tel système n'ont pas été sans 
frapper de nombreuses personnes, qui ont voulu y remédier 
par un autre, d'allure assez radicale. Il ne s'agissait de rien 
moins que de creuser sur la rive droite, à la hauteur du fort 
du Sud, un grand bassin à flot pouvant contenir une vingtaine 
de navires, muni d'un bassin de radoub et communiquant 
avec l'arroyo chinois et la rivière par un canal de dérivation. 
Le total des frais était tellement élevé, qu'il effraya tous ceux 
qui l'envisagèrent de sang-froid et qui ne purent en bonne 
logique que le considérer comme une possibilité, lointaine, 
dépendant surtout des ressources de la colonie. N'oublions 
pas, en effet, que toute dépense exagérée a une répercussion 
directe sur les droits de quai à établir dans le nouveau port, 
qui peuvent s'élever par trop et éloigner bien des navires. 

Il a été également question d'un projet présenté par un 
agent des Travaux publics, un de ceux qui furent chargés 
de l'étude des terrains en vue des travaux à entreprendre. 
A la place du pont tournant, on installait un pont de niveau, 
interceptant par conséquent la circulation de l'arroyo chi- 
nois. Ce dernier s'échappait en partie par des ouvertures 
ménagées sous le pont à niveau et en partie par un canal de 
dérivation allant aboutir au milieu du port de commerce 
après avoir suivi pendant 800 mètres un cours parallèle à 
celui de la rivière. Dans la pensée de l'auteur, les jonques 



(1) Extrait d'une note de M. le capilaiae de vaisseau Cavalié. 



44 I^ES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

devant suivre cette dérivation avec le courant de jusant, les 
navires en chargement devaient être amarrés en aval du dé- 
bouché en rivière, et ceux venant d'Europe en amont. Un 
bassin à flot devait être creusé. Enfin, les docks et entre- 
pôts auraient été construits dans la portion de terrain placée 
entre la dérivation et la rivière. Ce projet a été très discuté et 
l'indépendance extra-hiérarchique qu'il révélait a même paru 
un peu osée. On alléguait qu'il se produirait dans cette dé- 
rivation un courant extraordinairement violent et que le 
coude de i5o mètres de rayon à la sortie de l'arroyo chinois 
était impraticable pour les jonques, en raison de sa forte 
courbure. Ce sont des raisons spécieuses, étant donné que 
les ouvertures ménagées sous le pont à niveau diminueront 
de beaucoup le courant ordinaire, et que les jonques des- 
cendant avec le jusant, tournent très facilement dans un 
petit rayon. Là n'est pas la difficulté. Mais, si l'on a cons- 
taté que ce projet donnait une économie de 5o p. loo sur le 
projet actuel complet (avec bassin à flot), il n'en est pas 
moins vrai qu'il est beaucoup plus onéreux que le projet 
adopté (quai et accessoires), ce qui le fait repousser avec 
juste raison. Dès lors, si l'on est encore obligé d'amarrer les 
navires à la rive droite, la question est déplacée sans être 
résolue, puisque les jonques auront à remonter le courant 
de jusant pour aller aux vapeurs amarrés entre les Messa- 
geries Maritimes et le débouché de la dérivation. Ce seront 
des navires en déchargement d'Europe, dit-on, mais il 
faudra nécessairement prévoir le moment où ils auront à 
charger. 

Il est dommage, répétons-le, que le désir étrange du pont 
tournant soit venu compliquer le projet du port lui-même. 
La tâche qui en est résultée est trop ardue pour être menée 
à bien en satisfaisant à tous les desiderata mis en jeu. Féli- 
citons-nous, cependant, de voir entrer la question du nou- 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 



45 



veau port de Saigon dans une phase décisive, tout pas en 
avant étant préférable à la stagnation indéfinie dans le même 
état de choses. 

Tournons maintenant notre attentionvers un problème de 
la dernière heure, qui intéresse au plus haut point l'avenir 
de la Gochinchine et du Cambodge, peut-être aux dépens 
de Saïgon lui-même. En parlant de la situation géographique 
de ce dernier, nous avons considéré comme un heureux 
hasard sa position à l'écart du Mékong, qui le préservait 
d'un apport de sables et de vases gênant la communication 
avec la mer. Nous avons ensuite montré de quelle manière 
Saïgon, seul port ouvert du pays à l'exportation et à l'impor- 
tation de l'étranger, au mouvement maritime international, 
centralisait les produits du pays pour les expédier à desti- 
nation^ au moyen des nombreux steamers qui viennent 
mouiller dans sa rivière. Cette habitude d'une grande ré- 
gion, ouverte par ailleurs plus directement sur le golfe de 
Gochinchine, utilisant comme intermédiaire un port situé 
hors de sa voie naturelle, en dehors de sa sphère d'action, 
ne paraît-elle pas curieuse ? On ne peut s'expliquer sa sur- 
vivance que par le peu d'importance des villes placées sur 
le Mékong, nullement visitées par les navires de mer, et 
obligées, par conséquent, de recourir à l'assistance du grand 
port de la colonie. Saïgon a vécu et vivra peut-être encore 
longtemps de cette routine des choses : il a, dans tous les 
cas, intérêt à la maintenir, malgré toutes les réclamations. 
Mais, au fur et à mesure que le pays se développe, que les 
centres du Mékong s'agrandissent, une réaction inévitable 
doit se produire contre les prétentions autocratiques d'une 
ville qui veut attirer à elle la puissance de production d'un 
pays muni d'autres voies d'expansion extérieure. 

Celle des six bouches du Mékong qui présente les plus 



46 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

grandes facilités d'accès est le Cua-Tieu, Tembouchure du 
nord. Elle se trouve à portée du grand phare d'atterrissage 
du cap Saint-Jacques, des feux du Soirap et du Mékong, 
qui portent tous les deux à i5 milles, et elle ménage, dès 
rentrée entre les berges, un chenal sûr et profond. Il y a, 
il est vrai, un banc qui s'étend assez loin au large, sur une 
longueur de 9 milles (distance qui sépare les deux fonds de 
4 mètres extrêmes), mais le plus petit fond que l'on rencontre 
est de â", 20, un peu avant la bouée rouge de tribord. Comme, 
d'autre part, lé régime des marées est le même aux embou- 
chures du Mékong qu'à Caugio, qu'il révèle un marnage de 
3™, 7 en vive-eau d'équinoxe et de 3 mètres en vive-eau 
moyenne, on peut garantir le passage, au flot, de navires 
calant au moins 4 mètres, ce qui implique déjà un certain 
tonnage. De plus, il ne serait pas très difficile de baliser 
sérieusement la barre, el de créer le service de pilotage 
indigène nécessaire pour conduire les navires pendant la 
pleine mer de jour('). 

Phis loin, à 23 milles de la mer, se trouve Mytho, qui 
prend de jour en jour plus d'importance, et dont le port, 
chaque année, voit passer une grande partie du commerce 
de la Cochinchine, dont près des trois quarts du riz d'expor- 
tation. Les jonques de mer y viennent directement, mais il 
ne reste qu'un point de transit entre le Cambodge et Saigon, 
comme l'endroit le plus voisin du débouché des canaux qui 
conduisent vers Saïgon les denrées à destination de l'étran- 
ger. Ce n'est guère pour nous qu'un centre occupé par des 
fonctionnaires, d'où des voix autorisées, nombreuses et fran- 
çaises, ne s'élèvent jamais pour réclamer l'affranchissement 
de la servitude commerciale. 



(i) Enfin, nous n'avons raisonné sur le banc du Cua-Tieu que d'après les cartes 
actuelles. Il est évident que les alluvions du grand fleuve entraînent d'incessantes 
modifications qui nécessiteraient une reconnaissance hydrographique sérieuse. 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 4? 

Touf autre est la situation de la capitale du Cambodge, 
Pnom-Penh, qui voit sa prospérité augmenter rapidement. 
C'est un centre de premier ordre au point de vue de la straté- 
gie économique, à 1 78 milles seulement de la mer. Partant du 
nœud hydrographique des provinces hautes, de ces magni- 
fiques Quatre-Bras qui forment devant la vieille cité khmer 
une nappe d'eau grandiose, le Mékong remonte à travers le 
Laos vers les rapides de Kong et les biefs supérieurs, comme 
le Tonlé-Sap vers les Grands Lacs et les provinces de Bat- 
tambang et d'Ang-Kor. Le Bassac met Pnom-Penh en com- 
munication avec Chaudoc et Long-Xuyen, et le fleuve an- 
térieur, atteignant le Cua-Tieu, est la gigantesque dérivation 
vers la mer. De par cette position privilégiée, Pnom-Penh 
voit partir de ses quais toute l'exportation du Cambodge, le 
riz, le poivre, le poisson des Grands Lacs, le coton, les car- 
dsfmomes, le tabac, l'ivoire, les nattes cambodgiennes. On a 
calculé qu'il passait annuellement à Pnom-Penh 7 5oo tonnes, 
pour le poisson seulement. Quel fret pour les navires ! Quel 
moyen de développer encore cette ville qui compte déjà 
5oooo habitants (')! 

La Chambre de commerce de Pnom-Penh l'a compris, et 
appuyée par le résident supérieur du Cambodge, elle a pris 
l'initiative de l'agitation en faveur du Mékong maritime. 
Rien n'est plus instructif à cet égard que de feuilleter les 
procès-verbaux des 1 3*, 1 4* et 1 7^ réunions de cette chambre, 
où l'on voit résumées les grandes lignes de la question. Les 
exportateurs de Pnom-Penh se plaignent de ce que les for- 



(1) Les statistiques officielles constatent malheureusement pour Pnom-Penh 
une diminution de ïa. quantité de coton exporté du Cambodge. 

1897 .... 4935 tonnes. 1900 866 tonnes. 

1898 .... 2654 — 1901 .... 1601 — 

1899 .... 1728 — 

Le coton du Cambodge est dé meilleure qualité que le coton des Indes, il vaut, 
à Hong-Kong, 2 piastres de plus le picul. 



48 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

malités douanières soient obligatoirement accomplies à 
Saigon, ce qui les force à faire le voyage ou à entretenir un 
a jent dans la capitale de F Union indo-chinoise. Les impor- 
tateurs de tissus indiens font entendre les mêmes doléances, 
faisant ressortir que cette manutention des colis à Saïgon ne 
va pas sans pertes ni détériorations, et que l'assurancequi les 
couvre se trouve rompue du fait. Us mettent en avant les dif- 
ficultés qu'éprouvent les maisons de commerce de s'installer 
à Pnom-Penh, à moins de n'être que des succursales de celles 
de Saïgon. 

. La question maritime qui résulte de ces désirs est égale- 
ment prévue. Les commerçants posent d'abord en principe 
que des navires de 4 mètres de tirant d'eau leur sont large- 
ment suffisants pour des voyages à Batavia, à Singapour et 
à Hong-Kong, et qu'en supprimant les frais de manutention 
des colis à Saïgon, on pourrait consentir pour ces navire* à 
un fret très rémunérateur, en même temps que des droits de 
phare et d'ancrage spéciaux au Cambodge, moins élevés 
qu'à Saïgon, pourraient les attirer. La chambre n'hésite pas 
non plus à s'imposer le coût d'une école de pilotage au Cua- 
Tieu, autrement utile que celle de Sanbor, qu'on lui a im- 
posée. Au besoin, on draguerait le banc de Pnom-Penh. 
Enfin, de tous côtés, on allègue la création de nombreuses 
usines, cotonnières ou rizeries, qui se fonderaient sur place 
pour travailler une matière directement exportée, et le dé- 
veloppement de l'industrie locale résultant de la présence 
d'un port terminus. On parle aussi de l'apport, par les 
navires, d'une nombreuse main-d'œuvre chinoise, capable 
de mettre le pays en valeur. 

Mais les obstacles se dressent, nombreux et tenaces, devant 
cette œuvre si légitime. L'administration des douanes s'y 
oppose, par terreur de la contrebande, de crainte que Ton 
ne débarque pendant la traversée de la Cochinchine des car- 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 49 

gaisons à destination de Pnom-Penh, bien qu'il semble que 
le panneau de cale plombé et la surveillance d'un ageni 
soient suffisants pour maîtriser cet accroc à la tyrannie 
douanière. Et Saigon, que dit-il de cette velléité d'indépen- 
dance de Pnom-Penh? Les correspondances échangées à 
cette occasion entre les deux chambres de commerce sont 
suggestives. Celle de Saigon accuse celle de Pnom-Penh de 
vouloir un port « franc », alors qu'il n'a jamais élé question 
que d'un port « libre », et elle attribue au terme « marchan- 
dises en droiture » la signification d'exemption de droits. 
C'est un peu jouer sur les mots, et là semble percer l'irri- 
tation qu'éprouve Saigon de voir une obscure servante éco- 
nomique se développer et tendre à l'autonomie. On croit 
retrouver le même sentiment que celui qui a mis la capitale 
de si mauvaise humeur lorsque l'on a commencé au cap 
Saint-Jacques des travaux élémentaires de jetées et d'appon- 
tements(') ne menaçant en rien la suprématie saïgonnaise. 
Est-ce cette jalousie ombrageuse qui a inspiré l'étrange lé- 
gislation des ports ouverts en Cochinchine ? 

Quelles que puissent être les idées de chacun sur ce sujet, 
nous n'avons pas cru pouvoir passer sous silence ce fait cu- 
rieux et nouveau : la réaction commerciale et maritime du 
Mékong contre le courant habituel des importations cam- 
bodgiennes et cochinchinoises. 

Nous ne saurions non plus omettre, après avoir examiné 
les conditions présentes de notre premier port indo-chinois, 
l'étude du centre industriel qui est né et s'est développé sur 
ces rivages de Cochinchine. Il augmente encore l'importance 
de Saigon, en favorisant l'importation des matières ouvra- 
bles, en entretenant une nombreuse population ouvrière et 



(i) Dragage de la passe de Binh-Dinh pour y donner 2'",5o de profondeur à 
marée basse. Déplacement probable de l'appontement. 



BIVAGES INDO-CHINOIS. 



50 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

en créant une activité jamais éteinte. A la réflexion, il est 
facile de se rendre compte de l'enchaînement logique des 
faits qui ont causé la situation actuelle. Saigon est le lieu 
d'escale de nombreux navires, le point où un énorme maté- 
riel flottant, sujet à usure et à avaries, vient prendre contact 
avec la terre pour y subir des réparations et des refontes : le 
mouvement maritime suivi engendre forcément la présence, 
d'abord embryonnaire, puis plus importante, d'établisse- 
ments destinés à subvenir à ses besoins. Ce n'est ici qu'une 
partie de la question, puisque Saigon est le terminus, le 
centre de rayonnement d'une navigation fluviale très étendue, 
qui relie la capitale aux villes réparties sur toute l'étendue 
du réseau de rivières qui pénètre la Gochînchine et le Cam- 
bodge. Autant de gagné pour des ateliers de réparations, de 
construction même, la mise en chantier de chaloupes flu- 
viales étant plus à portée d'ateliers encore peu développés. 
Mais, d'autre part, le riz, qui arrive des divers points de cette 
immense contrée pour s'embarquer à Saigon, a besoin d'être 
décortiqué, de subir des manipulations le combinant en di- 
verses qualités : il lui faut des usines, des rizeries, qui s'éta- 
bliront tout naturellement au lieu de convergence de la ma- 
tière agricole. Puisque, comme nous le disions il y a un 
instant, Saïgon a conservé le monopole presque exclusif des 
embarquements, ces usines ont un travail éternellement 
assuré, vu le manque de décortiqueries dans tout l'arrière- 
pays. Mais ces rizeries elles-mêmes sont faites de machines 
compliquées, d'engrenages délicats, qu'un usage continuel 
éprouve de temps à autre : il faut réparer, il faut qu'il y ait 
à la porte du moulin un atelier capable de fabriquer de 
grosses pièces. Les grands travaux publics de Cochinchine 
(nouveau port de Saïgon, chemin de fer de Bien-Hoa, etc.) 
ont un eflet identique, en surexcitant la production des 
établissements industriels, qui livrent directement les pro- 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 5l 

dûils travaillés. Dans tout le pays, les villes s'embellissent, 
les provinces prélèvent sur leurs budgets locaux d'impor- 
tantes soiïimes pour une série de constructions indispen- 
sables (ponts, égouts, canalisations, etc.). Les chantiers 
naissants, évitant avec sagesse de se spécialiser dans Tune 
quelconque des branches que nous venbns d'énumérer, ont 
tiré parti de ce concours de circonstances qui devait amener 
leur naissance et leur prospérité, résultats établis par la 
progression des métaux importés, qui est de 600 p. 100 de 
1893 à 1901, laps de temps pendant lequel les importations 
françaises décuplent : 

Importation de quelques articles en 1901, 



Machines motrices à vapeur. 
Mécanique générale .... 
Chaudières à vapeur .... 



DE FRANCS 


DE l'Étranger 


KUogr. 
288809 
I 981 866 


Kitogr. 
048289 . 
I20 500 


118205 


255 842 



Remarquons aussi que ces trois causes : le riz, les navi- 
res, les usines, sojit immuables et suffiraient, en l'absence 
d'une construction neuve intensive, à permettre aux ateliers 
d'attendre facilement des temps meilleurs. La stabilité des 
bases industrielles de Saïgon paraît ainsi évidente. 

Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas s'attendre à trouver 
dans la capitale indo-chinoise une agglomération comparable 
à celles que présentent les grandes villes de l'Extrême-Orient, 
qui se sont développées d'une manière tout à fait inattendue 
dans l'espace de ces dix dernières années. A Shang-Haï, les 
navires trouvent le nécessaire et même le superflu. En 1902, 
la compagnie des Docks Famiiam a fusionné avec la com- 
pagnie Boyd, sous la raison sociale « Farnham Boyd and 
Qy Farnham », avec un capital de 5 700 000 taè'ls, et la nou- 
velle organisation dispose de moyens puissants pour la 
construction et la réparation des bâtiments. C'est un véri- 



LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 



table arsenal. Cette entreprise, notons-le, avait déjà englobé, 
en 1899, ^' *^ Oriental Dock », dirigé par une compagnie 
allemande. La méiiie concurrence germanique essaie d'ins- 
taller en ce moment un dock pour le compte de hiHambourg^ 
Amerika; on fait grand chez nos voisins de Chine. L'évolu- 
tion industrielle dû Japon dans l'art de la construction 
navale ne doit pas passer inaperçue, révélée qu'elle est par 
l'importance croissante des chantiers de Nagasaki, d'Osaka 
et d'Uraga. A Nagasaki, les établissements Mitsou-Bichi se 
sont étendus prodigieusement, gagnant sans cesse sur la 
montagne qui limite le fond de la baie, en de nouveaux 
ateliers et de nouveaux bassins de radoub. Les machines- 
outils et une bonne partie des matières premières (10 000 
tonnes de fer d'Angleterre en 1899) viennent de l'étranger, 
mais les travaux et leur direction sont en entier dans des 
mains japonaises. On y construit maintenant des na\Tres de 
6 000 tonnes. L'année 1899 a été décisive dans l'histoire du 
génie maritime japonais. C'est de cette époque que datent 
les premiers lancements de croiseurs à Yokoska, et l'entrée 
dans la vie industrielle des ateliers d'Osaka, réservés aux 
navires de tonnage moyen. Tout récemment encore, une 
société s'est crééeàTokio, la Uraga Dock company Limited, 
pour établir à Uraga, dans le golfe de Yokohama, à deux 
pas de Yokoska, des chantiers de navires et de machines à 
vapeur. On a construit sur les rives encaissées du nouveau 
port deux cales sèches de 160 mètres de long sur 3o de 
large. Une profondeur d'eau à peu près uniforme de 10 mè- 
tres, sur tout le fond de la baie et en face des cales, rend 
les mouvements des navires très faciles. La compagnie d'U- 
raga a obtenu du gouvernement américain la commande de 
cinq petits navires de guerre pour les îles Philippines ; ce 
fait a pris une grosse signification aux yeux de ceux qui con- 
naissent bien le protectionnisme américain. 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON, 53 

Dans rExtrême-Orient du Sud, nous trouverons même 
des centres industriels importants. C'est d'abord Tarsenal 
de Fou-Tchéou, actuellement sous la direction exclusive- 
ment française de nos ingénieurs. Puis, à Hong-Kong, la 
grande compagnie Hong-Kong and Whampoa Dock règne 
sur toute l'île, et c'est d'elle que dépend l'arsenal de la ma- 
rine de guerre, le Admiralty Dock. Ses ateliers s'étendent 
jusque sur l'enclave continentale de Kaolung, et jusqu'à 
Aberdeen, au sud de Hong-Kong, où elle possède de* chan- 
tiers et deux bassins de radoub. C'est en quelque sorte une 
installation presque officielle, parachevée, par des établisse- 
ments privés qui ont acquis une réputation méritée, comme 
la maison Carmichaël. Plus au sud encore, la Tanjong Pagar 
a créé à Singapour une série d'ateliers et de cales sèches 
dont usent largement les navires qui passent à cette bifur- 
cation des routes maritimes. Bangkok môme commence à 
construire des navires d'un certain tonnage, des machines 
surtout. De quelque côté que nous tournions nos regards, 
nous apercevons dans les divers ports d'Extrême-Orient des 
concurrents sérieux pour les industriels de Saigon, mieux 
outillés que ceux de la capitale indo-chinoise, plus anciens 
aussi, héritiers d'une longue habitude et d'une vieille clien- 
tèle. La revue que nous allons passer des ateliers saigonnais 
nous révélera des organisations, modestes il est vrai, sor- 
tant à peine de leur période- de formation, mais dignes mal- 
gré tout de l'attention du touriste économique et du statisti- 
cien. Jl n'est pas permis de les négliger, car elles contiennent 
peut-être le germe de créations grandioses. 

Le moment est venu de dire un mot d'une artère qui joue 
dans l'existence maritime et industrielle de la dualité Saïgon- 
Cholon un rôle capital: l'arroyo chinois. Au point de vue 
maritime, l^arroyo est la dépendance du port de commerce. 



54 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

son complément tout désigné, le vestibule par lequel arri- 
vent les chargements de riz, et par lequel se fait la jonction 
de la navigation de haute mer et de la navigation fluviale. 
Qui n'a pas vu Tarroyo chinois n^emporte qu'une idée im- 
parfaite du port de Saïgon. Industriellement, nous sommes 
dans un pays où les voies modernes de communication font 
à peu près défaut. Les chemins de fer n'existent pas ; les 
routes sont très peu nombreuses, à chaque instant coupées 
par des arroyos, qu'elles franchissent sur de mauvais ponts, 
prenant appui sur le sol spongieux et inconsistant des riziè- 
res, n'offrant aux volumineux transports, aux lourds char- 
rois métalliques, qu'une résistance insuffisante. Pour toutes 
ces raisons, la voie d'eau, commode et pratique, utilisée 
depuis un temps immémorial par les indigènes, s'impose. 
Les ateliers et chantiers, les usines et les entrepôts com- 
merciaux se sont donc établis le long de ce « chemin qui 
marche », pour communiquer plus facilement avec les na- 
vires et les outils de réparations. L'arroyo chinois, par la 
force même des choses, est devenu l'axe industriel du grou- 
pement, comme il en était l'artère commerciale. Sur ses 
rives sont venues naître les agglomérations ouvrières, pour 
s'éloigner le moins possible de la circulation générale. 

L'arroyo chinois commence dans la rivière de Saïgon, à 
la hauteur des Messageries Maritimes. Les berges sont 
d'abord le siège d'une animation extraordinaire; celle du 
nord est l'entrepôt des douanes et sert de mouillage habi- 
tuel à toute une série de chaloupes à vapeur. Elle est cou- 
verte de marchandises, de caisses, de tonneaux, un peu 
comme un quai de Bercy en miniature. La création du port 
fluvial mettra bon ordre à tout cela, en faisant reculer jus- 
qu'à l'alignement prescrit les innombrables cases qui ga- 
gnent sans cesse vers la rivière, construites sur pilotis dans 
là vase et la fange, pour abriter une population surabondante. 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 55 

.Plus loin, au sud, c'est Khanh-Hoï, le mouillage des barques 
* de mer et de rivière, dont lès mâts se pressent hauts et ser- 
rés, pendant i kilomètre environ. Puis, à cette animation, 
à ce mouvement perpétuel des êtres et des choses, succèdent 
le silence, le calme champêtre : l'arroyo quitte les centres 
pour s'enfoncer dans la campagne, pour serpenter paresseu- 
sement entre les rizières, dans lesquelles des affluents et des 
canaux minuscules déversent ses eaux fécondantes. On se 
croirait bien loin du foyer d'activité dont on entend pour- 
tant le grondement, au travers des frais bocages, des sous- 
bois verdoyants des palmîfers et des bananiers, dans les 
échappées furtives sur la plaine d'émeraude, sur le damier 
uniforme du pays de Cochinchine... 

Mais ce n'est qu'un répit de courte durée. Bientôt les 
villages reparaissent : c'estCauon-Glanh, Caucko, Ghoquan, 
la suite de? groupements populeux qui réunissent Saigon à 
Cholon, en attendant le jour où ils seront englobés dans la 
soudure fatale, la juxtaposition évidente des deux grandes 
cités. On côtoie les industries diverses du pays. Les bois de 
l'intérieur, bois de construction et de chauffage, s'entassent 
sur la terre ferme en piles soigneusement arrimées, les gros 
madriers noyés dans les fosses d'immersion. Plus en amont 
sont les chantiers de construction et de réparation pour les 
sampans ; une grande jonque, tirée au sec, exhibe sa car- 
casse que des calfats chinois radoubent à neuf. A deux pas 
sont des hangars de débitage des bois, où le bruit monotone 
et alternatif des grandes scies à main remplit les journées 
•et les nuits. Des jonques déchargent, à grand renfort de 
coolies et de manœuvres, de la chaux, des briques, des 
tuiles, qui s'alignent en monceaux énormes, en pyramides 
gigantesques. Puis, l'industrie des poteries étale au soleil 
des rangées interminables de jarres aux grosses panses 
brunes de terre émaillée, des fourneaux aux formes bizarres. 



56 . LES mVAGES INDO-CHINOIS. 

Enfin, à un dernier -détour de Tarroyo, Cholon apparaît,, 
avec ses multitudes de Chinois, ses quais fiévreux et re« 
.muants, sa fourmilière humaine. Nous voici en pleine 
Chine, à Canton ou sur le fleuve Bleu, bien que Cholon 
n'ait pas une antiquité comparable à celle des vieilles mé- 
tropoles du Céleste-Empîre. Elle fut fondée en 1778, par 
une corporation de Cantonnais qui prit rapidement de l'in- 
fluence sur les autorités annamites, au point de les amener 
à faire en 1820 les travaux nécessaires à relier la ville à My-- 
tho. Depuis, le^ nombre des Chinois a sans cesse augmenté. 
Ils étaient 24227 en 1901, répartis en congrégations de 
Canton, de Fo-Kien, d'Acca, de Trieu-Chau et d'Haïnan. 
Toute la vie chinoise, avec ses usines et ses boutiques, ses. 
pagodes et ses théâtres, donne à Cholon une physionomie 
étrange, qui n'est plus celle de Saigon, de la ville aux silen- 
cieuses avenues et aux torpeur» lourdes... 

L'arroyo chinois présente devant Cholon sa partie la plus^ 
animée et la plus pittoresque. Les chaloupes arrivent et 
repartent à chaque instant, faisant retentir* l'air de leurs- 
sifflets, accostant les appontements flottants, se mouvant 
avec peine au milieu de cette rivière naturellement étroite 
et rétrécie encore par les jonques qui s'amarrent sans ver- 
gogne perpendiculairement au chenal. Quelque* travaux 
d'élargissement, quelques règlements d'amarrage deviennent 
de plus en, plus urgents. Les grosses jonques de charge,, 
lourdes et peu manœuvrières, ne naviguent qu'avec le cou- 
rant pour elles ; les cinq ou six godilleurs de l'avant, les^ 
deux ou trois perches des côtés, sont insuffisants à commu- 
niquer au bâtiment une vitesse appréciable. Les gouvernails, 
sont sans action. A certains moments, l'encombrement est 
extrême ; abordages, cris, vociférations, querelles de tous 
ces torses jaunes luisants dé sueur, rien n'y manque. Le 
Xîontraste existe pourtant à côté de cette cohue, dans le ca- 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 67 

nal de dérivation qui traverse Gholon en arc de cercle, cariai 
calme et immobile comme ceux de Bruges-la-Morte. Là, 
sur une eau verdâtre et bourbeuse, jamais renouvelée par 
les courants, à Tombre des grands arbres, d'autres jonques 
vides et silencieuses attendent la forte saison du riz, amar- 
rées tout contre les berges, en un repos morne. 

L'arroyo, avons-nous dit, est l'axe industriel de Saïgpn- 
Cholon. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'énumérer tous 
les établissements qui sont construits près de lui. En quit- 
tant la rivière de Saigon, nous trouvons sur la rive sud les 
ateliers Charléty, les chantiers Dupont et Bron, les ateliers 
Graf Jacques et C'"=. Les entrepôts de la maison Bonade 
viennent ensuite, prolongés dans la direction de Gholon par 
la distillerie Mazet et la nouvelle scierie Denis frères; la 
distillerie Fontaine et les rizeries de Gholon terminent la 
série. Ces rizeries développent sur les deux berges leurs 
hautes constructions et leurs vastes dépendances. On re- 
marque sur la rive nord les usines de Nam-Long, de Ben- 
Soun-An et de Ban-Té-Guan suivant leur répartition en 
allant vers Saigon ; sur la rive sud, les rizeries Ly-Cheong, 
les rizeries « Orient » et de 1' « Union » (appartenant à 
Speidel et G»-), celles de Kian-Kong-Seng et de Ban-Té- 
Guan. Un bourdonnement d'enfer remplit ces huit usines, 
et sur les quais où l'on décharge et charge les paddys et les 
riz, où les coolies bousculent le passant, tombe une pous- 
sière rousse échappée des baies grandes ouvertes des étages 
supérieurs, obscurcissant l'air, envahissant les yeux et la 
gorge. Au-dessus se dressent les hautes cheminées de tôle 
et de pierres, les tours rigides que l'on aperçoit au loin, de- 
puis Saigon, toujours empanachées de ces traînées noires et 
floconneuses qui salissent l'or pourpre des couchants tropi- 
cçiux. 

Riz de Baïxau, riz de Go-Gong, riz de Vinh-Long, tout 



58 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

vient s'engouffrer dans ces ruches qui n'arrêtent ni le jour 
ni la nuit. A voir ainsi ces rizeries en mouvement, en pré- 
sence de l'avenir brillant qui semble s'ouvrir devant elles, 
il faut réellement un effort de volonté pour se reporter à 
leurs débuts pénibles, aux premiers jours de leur histoire. 
Nous n'avons pu, à propos du port de Saigon, que donner 
un.aperçu rapide de cette lamentable exportation des pad- 
dys, résultat de la législation fiscale de 1878. La sortie de 
cette denrée vers Hong-Kong, où s'étaient établis à la hâte 
les décortiqueurs chinois, ne fit que croître, malgré de nou- 
veaux droits en 1881, jusqu'au tarif douanier de 1896, enle- 
vant à nos usines le travail et à nos ouvriers le pain quoti- 
dien. Voici ces chiffres : 

Exportation des paddys vers la Chine (tonnes). 

1878. ... 1768 1886 . . . 2i384o 1897. . . . 18797 

1880. . . . i5 5o4 1892 . . . 107816 1898. . . . 21696 

1882. . . . 74460 1895 . . . i63ooo 1899. . . . 58io5 

1884. . . . 83 3oo 1896 . . . 72626 1900. . . . 28775 

Aussi faut-il entendre, dès 1881, les plaintes de nos 
usiniers, de ceux qui avaient engagé hardiment des capitaux 
dans ces entreprises, et qui rêvaient de doter Saigon d'un 
centre industriel prospère. Avec quelle éloquence ne pro- 
testent-ils pas ! 

« La transformation de chaque picul de paddy en riz 
laisse environ i5 cents qui se distribuent entre les coolies, 
le fabricant de sacs, l'industriel, tous ceux enfin qui con- 
courent à la création et au fonctionnement des décortique- 
ries. C'est l'aliment d'un commerce considérable, très 
détaillé, très ramifié. C'est en quelque sorte la circulation 
du sang de la Cochinchine. Avec l'exportation actuelle, 
8 millions de piculs de riz, c'est un gain annuel d'un million 
et quart de piastres. Or, que ce gain nous manque, que 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 69 

feront tous ceux qui en vivent? L'opium, l'alcool, le luxe de 
l'indigène n'en seront-ils pas fortement diminués, le Trésor 
n'en soufTrira-t-il pas, l'ordre public aussi ? Laissera-t-on ce 
gain passer aux gens de Chine ?... Le paddy sort du champ, 
il traverse le pays, il n'y laisse rien et s'en va chez le voisin. 
Si au contraire on le décortique, il laisse plus d'un million 
de piastres. N'est-ce rien dans la fortune de ce pays pauvre, 
n'est-ce rien pour la tranquillité, pour les impôts, pour la 
dépense tle tous, pour le bénéfice de tous par conséquent ? 
Cet argent gardé ici sert à la vie générale, au cultivateur 
d'abord qui fournit la base de la nourriture du travailleur, 
à l'industriel, à la régie, à l'importation. » 

L'administration des douanes a fini par réformer ses an- 
ciens errements, et la crise que l'on redoutait ne s'est pas 
produite. La vie industrielle bat son plein dans les usines, 
et le simple curieux qui visite l'une d'elles, la rizerie 
« Orient » par exemple, en sort ébloui et assourdi par l'ac- 
tivité qui y règne. Tout l'ensemble des mécanismes de cet 
immense moulin est actionné par une machine compound, 
à deux cylindres, de 800 chevaux, qui communique le mou- 
vement, au moyen de câbles en fil d'acier, à deux grands 
arbres longitudinaux traversant le rez-de-chaussée de bout 
en bout. Un autre moteur de 700 chevaux, inutilisé en 
temps ordinaire, est prêt à remplacer le premier en cas 
d'avarie. La vapeur est fournie par des générateurs chauf- 
fant à la balle de paddy, cette paille qui est le résidu na- 
turel et gratuit du traitement de la matière première ('). Les 
machines sont à condensation, et c'est là le point faible d'un 
système qui, à marée basse, amène de fréquents désamor- 
çages des pompes de circulation, en raison de la hauteur 
d'aspiration. 



(i) La cendre des chaudières est d'ailleurs vendue comme engrais. 



6o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Arintérieur, sur les trois étages de l'usine, c'est un fouillis 
de transmissions mécaniques, fonctionnant à toute allure, 
^ne agglomération de tamis, de meules, de norias^ de trans* 
porteurs à rubans, de courroies de cuir fouettant l'air. Un 
tapage jamais arrêté, une poussière blanchâtre et impalpa- 
ble accompagnent le tout. Le paddy, amené des docks où 
il était resté emmagasiné depuis son déchargement, est versé 
au rez-de-chaussée dans une cuve en maçonnerie où des 
élévateurs à godets viennent le prendre pour l'élever au 
troisième étage. La suite des opérations commence alors. 
C'est d'abord un tamisage qui enlève les pierres et les corps 
étrangers, puis le passage aux meules, où le premier décor- 
ticage a lieu, d'autres tamisages accomplis sous l'action 
de ventilateurs qui amènent le produit, après l'enlèvement 
des brisures, à n'avoir plus que lo p. loo de paille. Encore 
Une traversée de tamis et de meules et le paddy n'a plus 
qu'une teneur de o,5 p. lOO. C'est l'instant choisi pour l'en- 
voyer aux blanchisseries, où il passe entre un cylindre frotté 
à l'émeri et une toile métallique, laissant échapper sa farine 
au dehors. C'est la fin. Comme le paddy passe d'une station 
à l'autre, en tombant par son propre poids d'étage en étage, 
on doit à plusieurs reprises l'élever jusqu'au plancher supé- 
rieur, pour pouvoir continuer les manipulations : c'est le 
rôle des norias à godets. On peut d'ailleurs, en interrom- 
pant les opérations à un moment quelconque, obtenir du 
riz cargo à la teneur voulue, de o,5 p. loo à 20 p. 100. Les 
faibles teneurs sont réservées aux distilleries, et les fortes 
aux blanchisseries d'Europe. 

La production d'une telle usine est, par 24 heures, de 
700 à 900 tonnes de riz cargo et 4oo à 600 de riz blanc. La 
rémunération des capitaux ne laisse rien à désirer, car, pour 
la rizerie Kien-fat-seng établie à Saigon, elle fut achetée 
200000 piastres et en rapporte chaque année 120000, soit 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. Ol 

un placement de 60 p. toa. Et pourtant, il est à noter que 
cette usine est une des plus mal disposées au point de vue 
des transports. L'emmagasinement des paddys de l'inté- 
rieur se faisant à Cholon, les moulins de cette ville ont le 
paddy sur place, et n'ont plus que le gabarage du riz blanc 
jusqu'aux navires. Les usines de Saïgon doivent faire venir 
leur paddy de Cholon, et le fait d'être sur les quais de char- 
gement des vapeurs ne compense pas cet inconvénient, car il 
faut à peu près deux jonques de paddy pour une de riz blanc, 
ce qui double les prix de transport. Si donc de nouvelles 
usines s'établissent, il est plus que probable qu'elles iront 
encore renforcer le nombre de celles déjà créées à Cholon. 
Presque toutes ces rizeries possèdent un petit atelier mû 
par un moteur indépendant, actionné lui-même par une 
chaudière spéciale, pour pouvoir travailler malgré l'arrêt 
de l'usine. Cet atelier fait les menues réparations. A la rizerie 
Kien-fat-seng, il possède jusqu'à deux forges, un é tau-limeur 
et deux tours. Pour les réparations de quelque importance, 
pour les grosses pièces, les usiniers sont obligés de s'adres- 
ser aux établissements industriels de Saïgon. Nous allons 
donc parler de ces derniers. 

Nous commencerons par V arsenal de la marine. Bien que 
cette étude paraisse avoir plutôt sa place au chapitre de la 
marine de guerre, elle se rattache par de nombreux points 
à la monographie des ateliers saïgonnais, dont l'arsenal est 
le plus important. Ce dernier a en effet une telle influence 
sur le centre de Saïgon, tant pour le recrutement de la main- 
d'œuvre que pour les marchés de matière première et les 
adjudications, qu'il se présente en somme comme un grand 
chantier privé, qui ne se différencie de ses voisins que par 
la destination de ses travaux, réservés à la marine nationale. 
Nous le présenterons donc ici. 



62 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Compris entre le boulevard de la citadelle, le Jardin bo- 
tanique, Tarroyo de TAvalanche et la rivière de Saigon, Tar- 
senal étend, dans ce vaste quadrilatère, la suite indéfinie de 
ses petits pavillons carrés, coupée d'allées rectangulaires 
aux arbres verts, qui donnent à cet ensemble une allure co- 
loniale, celle de bâtiments spécialement outillés en vue de 
la chaleur. Ces constructions s'étendent jusqu'au bassin de 
radoub; elles sont prolongées de l'autre côté par un grand 
terrain vague, confinant à la partie de la rivière où sont 
mouillés les navires en réserve. C'est ce terrain qui doit re- 
cevoir prochainement le nouveau parc à charbon. 

Dès l'entrée, nous pénétrons dans le hangar des forges, 
installées sur des données assez pratiques. Le grand venti- 
lateur du fond, à moteur indépendant, refoule l'air dans les 
trente feux dont les flammes éclairent le hall d'une lueur de 
brasier. Trois marteaux-pilons de 2 000, i 200 et i5o kilogr. 
retombent en cadence sur des masses de métal rouge. Les 
forges sont munies de tous les accessoires nécessaires. On 
y trouve un four à réchauffer, un laminoir pour barres de 
fer et deux grues de 6000 kilogr., précieuse pour la ma- 
nœuvre des gros poids. Cette usine a même pu forger une 
manivelle pour le Bugeaud. 

La fonderie, qui a fait un gouvernail de 4 tonnes pour le 
Kersainty ainsi que des corps-morts de 2 à 5 tonnes pour le 
port de commerce, est contiguë aux forges. Quatre cubi- 
lots de 6 000 kilogr., 3 000 kilogr., i 000 kilogr. et 100 ki- 
logr., dotés de monte-charges pour le coke et la fonte, sont 
complétés par une étuve à quatre fourneaux, deux batteries 
de creusets et un four-réverbère de i 200 kilogr. Les pièces, 
une fois coulées et refroidies, sont enlevées par deux grues 
de i5 tonnes. 

L'ajustage s'étend parallèlement à la rivière, dans un ate- 
lier qui donne d'un côté sur les forges et de l'autre sur la 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 63 

chaudronnerie et le petit bassin. Les arbres longitudinaux, 
actionnés par un moteur de 60 chevaux à condensation, 
communiquent, au moyen de courroies, le mouvement aux 
machines-outils réparties aux différents points de la salle. 
Toutes ces machines ont été commandées de Paris, exa- 
minées par la commission du grand outillage et expédiées 
ensuite à Saigon. Quant aux matières premières (fers), elles 
sont fournies par le port de Toulon, ou bien achetées sur le 
marché de Saigon, aux commerçants en gros, à la maison 
Descours-Cabaud, par exemple. On ne compte pas moins, 
dans le hangar de Toutillage, de trente-cinq tours, auxquels 
sont adjoints les types ordinaires des principaux outils, une 
fraiseuse, une tailleuse d'engrenages, deux taraudeuses, 
deux raboteuses, cinq étaux-limeurs, une tailleuse de frai- 
ses, une affûteuse, trois perceuses radiales, trois perceuses 
sur colonnes et cinq tours-revolvers. Quelle que soit Tim- 
portance de cet atelier, elle n'est pas encore suffisante pour 
les besoins de l'arsenal ; on projette une extension très pro- 
chaine. L'ajustage va gagner une salle entière sur la grosse 
chaudronnerie, et cette dernière sera repoussée dans la di- 
rection du petit bassin. Les commandes des machines-outils 
sont déjà faites, et une partie de la grosse chaudronnerie 
déjà placée dans un hangar neuf, installé à faux frais sur le 
bord du bassin. 

. A la grosse chaudronnerie est annexé un vase clos en 
maçonnerie servant aux essais de chaudières, avec tirage 
forcé. Les chaudières principales, qui fournissent la vapeur 
à toute l'installation mécanique, sont au nombre de trois. 

Au nord et au nord-ouest de l'arsenal se trouvent les ma- 
gasins divers et les ateliers de moindre importance. On y 
remarque deux magasins de machines, l'atelier de menui- 
serie et voilerie, la salle des recettes, la scierie, le charpen- 
tage, les ateliers des embarcations et des bâtiments en fer, 



64 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

le hangar à bois et enfin les ateliers des mouvements géné- 
raux. Ces ateliers, quoique secondaires, fournissent néan- 
moins un travail considérable» 

L'arsenal tout entier est éclairé à l'électricité. Deux sta- 
tions se relaient pour alimenter les circuits et les différents 
moteurs. La première est placée près de l'atelier d'ajustage 
et comprend deux dynamos de 76 volts et i5o ampères, que 
l'on peut même coupler en tension pour les grandes dis- 
lances : elle est chargée de l'éclairage des navires amarrés à 
l'appontement du charbon. La deuxième station est située 
près du grand bassin de radoub ; elle est identique à la pre- 
mière et utilise deux anciennes dynamos provenant du 
Bayard et du Duguay-Trouin. A la première station sont 
annexés l'atelier d'électricité, qui fabrique les induits et les 
inducteurs, ainsi que l'atelier de polissage, de nickelage et 
de cuivrage, auquel une petite dynamo indépendante fournit 
le courant nécessaire. 

Outre les réparations, l'arsenal de Saigon fait aussi de la 
construction neuve. De la petite cale installée près de l'enti'ée 
du grand bassin sont déjà sortis trois torpilleurs destinés à 
la défense mobile du port de guerre, qui ont pris rang sous 
les dénominations de 6. S, 7. S et 8, S, Il y aurait tout inté- 
rêt pour notre marine à faire quelques sacrifices pour déve- 
lopper et activer cette partie des travaux : en quelques an- 
nées, l'arsenal pourrait sans doute fournir de ces petits, 
bâtiments les points d'appui que l'on se propose d'installer 
sur la côte d'Indo-Chine. Malheureusement, cet établisse- 
ment est trop occupé par les réparations continuelles des 
navires qui passent à Saigon : la construction des torpilleurs 
devient une sorte de volant, qui n'utilise que les ouvriers 
rendus disponibles par l'arrêt d'autres chantiers. 

Le problème s'est posé de bonne heure de munir notre 
port indo-chinois de moyens de radoubage suffisants pour 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 65 

les grands navires. Les trois petites cales de halagé de l'ar- 
senal ne suffisant pas, on fit venir de France un dock flot- 
tant, construit par le Creusot, long de i3o mètres et large 
de 3o mètres. Un hasard malheureux voulut qu'il coulât peu 
de temps après son arrivée, près de l'entrée de l'arroyo de 
l'Avalanche, où une bouée indique encore son emplacement 
aux bâtiments qui remontent la rivière pour aller tourner au 
point A. Comme il était impossible de le renflouer, on s'est 
borné à en cisailler les flasques, que l'on a utilisées pour 
faire de petits appontements, et à en extraire différents mo- 
teurs qui ont servi ensuite dans l'arsenal. Un de ces moteurs 
assure maintenant le vidage du petit bassin; il a séjourné 
dix-sept ans dans l'eau, ainsi que sa chaudière! Ce petit 
bassin est réservé aux navires de guerre de faible tonnage, 
ainsi qu'aux bâtiments des Messageries fluviales : les autres 
passent au grand bassin. L'absence funeste de moyens de 
carénage au port de commerce, dont nous avons déjà parlé, 
amène à l'arsenal de nombreux vapeurs. Ils paient pour 
l'enlrée et pour la sortie, plus une somme variable, fixée par 
jour et par tonne de jauge ; ils font par leurs propres moyens 
le nettoyage de leur carène. 

Le grand bassin, que l'on va bientôt doubler par un autre, 
est le seul qui réponde vraiment aux exigences modernes. Il 
a été inauguré le 8 janvier 1888. La construction a été faite, 
d'après le système Hersent, par M. Pavillier, ingénieur des 
ponts et chaussées, au moyen de deux caissons métalliques 
fondus par l'air comprimé: elle a duré de i884 à 1888. 
Toute une organisation accessoire dispose de moyens puis- 
sants pour assurer le vidage. Dans un puits en maçonnerie 
contigu à la forme, foncé également au moyen d'un caisson 
métallique, se trouvent deux moteurs de 120 chevaux qui 
actionnent deux turbines de 600 mètres cubes et deux thi- 
rions de 80 tonnes : la vapeur nécessaire est fournie par six 

RIVAGES INDO-CHmOIS. 5 



66 ' LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

chaudières. Le grand bassin a i6o mètres de long, ce qui 
peut ne pas paraître suffisant (le nouveau en aura 200) ; on 
vient récemment d'augmenter d'un mètre sa largeur. 

Disons, pour terminer cette brève description, que l'arsenal 
de Saigon possède comme matériel flottant une drague et 
deux pontons-mâture, l'un de 5o tonnes, l'autre de 16 tonnes. 

Les^ ateliers des Messageries fluviales viennent immédia- 
tement après l'arsenal par ordre d'importance. L'existence 
d'un très nombreux matériel naviguant, l'ancienneté des 
chantiers, le.s réparations continuelles et les constructions 
neuves qui s'y poursuivent chaque jour, les ont amenés a un 
degré de prospérité remarquable. A défaut de commandes 
du dehors, ils auraient un aliment d'activité déjà presque 
suffisant avec l'entretien de cette belle flottille qui couvre les 
rivières de la Cochinchine et du Cambodge. 

C'est sous la très aimable direction de M. Tamain, ingé- 
nieur de la Compagnie, que nous eflectuons cette intéres- 
sante visite. 

Tout l'outillage principal des chantiers se trouve placé sur 
la rive droite de la rivière de Saigon, à côté des bureaux du 
directeur et des principaux employés. On y remarque la fon- 
derie qui possède deux cubilots de 3 à 5 tonnes, un four à 
réchauff'er de 100 kilogr. et un autre four à couler le bronze. 
L'outillage est tout près, mû par une machine de 60 chevaux 
avec chaudière chauflant au bois. Plus loin sont les forges, 
TateUer de modelage sur bois, où travaillent des Chinois, et 
enfin les bureaux de dessins, où des dessinateurs indigènes 
agrandissent ou recopient les plans faits sous la direction 
des ingénieurs. De nombreux travaux s'exécutaient dans ces 
divers ateliers. L'outillage était occupé au montage d'une 
machine pour chaloupe à vapeur de 80 tonneaux, construite 
pour le compte de l'administration, en même temps qu'on 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 67 

réparait l'arbre de couche et Thélice d'un vapeur de com- 
merce. Le grand tour de 8 mètres permet en efîet de tra- 
vailler les hélices des navires de la taille des petits-courriers 
du Tonkin. Mais, rien qu'à voir ce chantier, à considérer 
l'entassement des ouvriers et des machines sur ce petit es- 
pace, on devine qu'il serait urgent de prévoir une extension 
prochaine. Pourtant, cette extension paraît difficile à réali- 
ser, car l'établissement des Fluviales est déjà de date an- 
cienne, et les maisons environnantes, construites depuis 
longtemps, entourent les ateliers d'un réseau de murailles 
impossible à franchir maintenant. La compagnie a donc 
cherché son développement sur un autre terrain. 

Elle a d'abord créé sur le quai, près des appontements où 
viennent s'amarrer les petits vapeurs de rivière, une scierie 
qui sert en même temps d*atelier de charpentage. Les bois 
de différentes essences, le teck, arrivent du Laos ou de 
Bangkok par chargements entiers, pour être débités par les 
trois grandes scies qui fonctionnent sans interruption. Toute 
Fébénisterie est installée à côté de la scierie et c'est de là 
que sort l'ameublement des vapeurs de la compagnie. 

Embarquement dans une petite vedette : deux minutes 
de traversée, et nous voici sur la rive gauche de la rivière. 
Nous accostons un appontement réservé aux Fluviales, muni 
•^d'une grue de deux tonnes et d'une voie ferrée; il dessert 
tout le second groupe des chantiers, celui qu'il a été impos- 
sible de placer sur la rive droite, pour les raisons citées plus 
haut. Les Messageries ont accumulé là, dans de vastes ma- 
(jasins, les approvisionnements de matières premières néces- 
saires pour effectuer, même à l'improviste, les travaux les 
plus variés; il s'y trouve un assortiment complet de fers 
achetés à l'avance, de préférence en France. 

La rive gauche renferme les réserves de combustible. Les 
vapeurs des Fluviales chauffent tous au bois, à part celui de 



68 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

la ligne Saigon-Bangkok, qui chauffe au charbon. Il existe 
donc un dépôt de bois et un dépôt de charbon, ce dernier 
entièrement constitué avec des briquettes de Cardiff. La 
compagnie a même voulu s'outiller pour fabriquer les bri- 
quettes elle-même, au moyen d'un mélange de poussière 
de Cardiff et 2 p. 100 de brai. Elle s'est heurtée, malgré 
une machine perfectionnée, à de fortes difficultés à cause 
de la haute température de Cochinchine, qui liquéfie le brai 
à l'air libre : le besoin d'un réfrigérant se fait sentir. 

L'ateHer de la grosse chaudronnerie est doublé d'un 
autre, muni de quelques outils de première nécessité, qui 
est chargé de faite le montage des pièces qui arrivent du 
chantier de la rive droite, sur la première cale de construc- 
tion. Lors de notre visite, on y travaillait à une chaloupe 
de 25 mètres dotée d'une machine de 80 chevaux. Paral- 
lèlement à cette cale s'en trouve une autre, avec berceau à 
galets, destinée au carénage des navires de 4o mètres, car il 
est à noter que la compagnie n'use des bassins de l'arsenal 
qu'en cas d'absolue nécessité. Ce berceau à galets sert aussi 
au lancement des chaloupes construites sur les deux cales 
voisines. 

Les Messageries fluviales construisent des chaloupes en 
série, seulement pour le compte de l'administration. En ce 
qui concerne leur propre matériel, elles ne dépassent jamais 
la longueur de 4o mètres, exception faite toutefois de 1'^/- 
talo (60 mètres) sorti des chantiers de Saigon. Plusieurs 
vapeurs, comme le Haïnam (5o mètres), construit à Nantes, 
sont venus de France, renforcés au moyen de pavois volants 
reliant le bastingage inférieur au spardeck. Les Fluviales ont 
fait également des réparations importantes, comme celle du 
Mezly, voilier construit sous le régime de l'ancienne loi de 
1893, hâtivement et mal, arrivé à Saigon avec i"',4o d'eau 
dans la cale. On dut refaire tout son ciment et placer de 



LE NOUVEAU PORT DE SAIGON. 69 

nouveau 4o obo rivets : ce travail, malgré son importance, 
ne dura que trois mois; 

Tout un autre groupe industriel a pris naissance sur les 
bords de Tarrojo chinois. Il se compose de chantiers d'une im- 
portance individuelle moindre que celle des établissements 
que nous venons de passer en revue, mais qui constituent, par 
leur juxtaposition, un centre qui est loin d'être négligeable. 

Le^ ateliers de Khanh-Hoï sont situés sur la rive sud de 
Tarroyo chinois, à côté du pont du même nom, près du 
port des barques. Fondés en i885, ils sont actuellement 
sous la direction de M. Charléty. Ils construisent de nom- 
breuses chaloupes à vapeur pour Tadminislration, les doua- 
nes, le port de commerce. Par l'adoption de la construction 
en série, ils ont fait baisser le prix de l'unité de 16000 à 
12000 piastres. Outre la construction neuve, M. Charléty 
fait aussi de nombreuses réparations aux vapeurs de com- 
merce, surtout pour le compte des Chargeurs-Réunis et de la 
Compagnie nationale ; il faut encore ajouter à ces travaux la 
construction des charpentes en tôlerie pour le gouvernement, 
et l'entretien continuel des mécanismes des rizeries, à portée 
de l'atelier par la voie de l'arroyo chinois. Les ateliers Char- 
léty ont même été chargés par le gouvernement de l'instal- 
lation d'une scierie à vapeur au Lang-Biang, et ils ont cons- 
truit à cet effet un. camion à vapeur de i5 chevaux destiné 
au transport du matériel entre Phan-Rang et le Lang-Biang. 

Ces chantierSy qui se fournissent sur place de matières 
premières, ont une disposition parfaitement bien comprise. 
On voit, rien qu'à l'aspect des hangars qui abritent les ma- 
chines, que les directeurs ont été guidés par le souci très 
pratique de réduire le plus possible les frais généraux et les 
dépenses inutiles. La fonderie est commodément installée 
et peut fondre des pièces de i 5oo à i 800 kilogr., elle pos- 



70 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

sède deux cubilots et coulait, lors de notre visite, un tour à 
métaux, des poulies, une roue à engrenages, etc. L'outillage 
est mû par une machine de 35 chevaux, que Ton se propose 
de bientôt remplacer par une autre plus forte, de 76 à 
80 chevaux. La chaudière qui fournit la vapeur nécessaire 
au moteur chauffe, détail à noter, avec de la bàle de paddy, 
dont les cendres, tout comme dans les rizeries, sont reven- 
dues comiïie engrais. De l'avis du directeur lui-même, les 
ateliers actuels seraient insuffisants, et il faudrait procéder 
à une extension inévitable; un nouveau hangar abritera les 
forges et la chaudronnerie, et la fonderie sera transformée. 
Les chantiers Dupont et Bron se sont fixés près de l'em- 
bouchure de l'arroyo chinois, sur la rive sud, immédiate- 
ment à côté de l'agence des Messageries Maritimes. Les 
directeurs sont d'anciens contremaîtres de M. Charléty, qui 
ont quitté leur premier patron pour s'élabliràleur compte ; 
il est juste d'ajouter que les ateliers qu'i's dirigent se sont 
attiré une nombreuse clientèle, autant par leur complai- 
sance que par la célérité et le fini des travaux. Ceux-ci sont 
à peu près les mômes qu'à Khanh-Hoï, et la construction des 
canots à vapeur y est très active. De plus, la période des 
grands travaux publics que l'on vient d'inaugurer en Indo- 
Chine a eu une répercussion immédiate sur les différents 
chantiers et en particulier sur ceux-ci. La plus grande 
partie du gros matériel de chemin de fer, rails, traverses, 
matériel roulant, vient directement de France, mais^ pour 
une foule de constructions accessoires, telles que ponts, char- 
pentes de gares, etc., dont on perçoit l'utilité en dernier 
lieu, force est pour l'entreprise de s'adresser aux établis- 
sements locaux. Celui de MM. Dupont et Bron a amplement 
profité de ces commandes, qui ont coïncidé avec des répa- 
rations très fréquentes des navires de commerce. Le travail 
augmentant dans de forles proportions, les directeurs se 



ATELIERS ET CHANTIERS. 7I 

sont résolus à accroître leur outillage, mais ils sont encore 
retenus par la crainte et l'incertitude de Tavenir. Gonti- 
nuera-t-on ces grands travaux publics, dont beaucoup reflè- 
tent plutôt les idées particulières des dirigeants que des 
nécessités économiques bien sérieuses? Un nouveau gou- 
verneur général ne changera -t-il pas le plan de son prédé- 
cesseur? Autant de questions auxquelles la prospérité de 
nos chantiers serait intimement liée. Vils se mettaient par 
trop à la remorque des décisions gouvernementales. 

Dans Tétat actuel des choses, l'outillage des ateliers Du- 
pont et Bron est pourtant assez développé. Mû par une 
machine de 35 chevaux, il comprend la série ordinaire des 
machines-outils : raboteuses, poinçonneuses, cisailleuses, 
tours usuels, tours à plateaux, rien n'y manque. Les forges 
sont composées de six feux, soufflés par un ventilateur ac- 
tionné par l'ancienne machine de l'outillage, du type loco- 
mobile, et les pièces sont battues par un marteau-pilon de 
I 5oo kilogr. La fonderie coule jusqu'à 2 000 kilogr., pos- 
sède un cubilot, un fourneau à couler le bronze et un pont 
roulant pour le transport des poids lourds. En février 1902, 
les ateliers faisaient à la fois les conduites d'eau de Pnom- 
Penh, des écubiers, un arbre de butée pour la Tamise 
(M. M.), les réparations du Vesper et diverses chaudières 
pour des navires de rivière ; ils traversaient une période 
d'activité remarquable. 

Les ateliers Graf^ Jacques et O^ sont aussi sur l'arroyo 
chinois, un peu plus loin que ceux de Khanh-Hoï, en allant 
vers Cholon. C'était anciennement l'établissement Graf, de 
Layhacar et G**, mais M. de Layhacar s'est retiré, il y a 
environ deux ans, et, depuis ce moment, le chantier fonc- 
tionne sous la nouvelle raison sociale. 

Quoique peu important relativement à ceux que nous 
venons de citer, il trouve encore des commandes suffisantes 



72 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

pour les rizeries, et surtout pour la construction neuve de 
chaloupes à vapeur de 20 à 22 mètres. Celles-ci, au fur et à 
mesure de leur sortie des ateliers, sont montées dans un 
vaste hangar orienté perpendiculairemeut à Tarroyo et doté 
d'apparaux de levage : on les transporte ensuite sur le bord 
de l'eau pour effectuer le lancement. Un autre hall, de 
dimensions plus modestes, est installé de l'autre côté de la 
route, et sert aussi à la construction des canots à vapeur, 
qu'il est alors très facile de mettre à flot. Les ateliers ont 
ainsi construit des petits bâtiments pour le compte de l'ad- 
ministration, ou pour les services assurés par les Chinois 
entre Saigon et Pnom-Penh. 

La fonderie, bien située, possède un cubilot de 2 5ookilogr. 
Elle a obtenu l'adjudication des crapauds de mouillage pour 
le nouveau port de commerce, pièces ne pesant pas moins 
de 5 000 kilogr. Une ancienne machine marine de 4o che- 
vaux, fonctionnant à 4 kilogr., actionne les outils de la salle 
principale. C'est de là que sortent les charpentes en fer que 
l'on monte ensuite dans la cour de l'usine. L'administration 
du chantier désire vivement un agrandissement, que l'on 
obtiendrait en plaçant l'atelier de mécanique dans le nou- 
veau hangar et en abandonnant l'atelier actuel comme dépôt 
de vieille ferraille. La transformation est proche. 



Nous n'avons pas encore parlé de la main-d'œuvre em- 
ployée sur ces divers chantiers. Cette question a en effet 
une importance telle qu'il est absolument nécessaire de la 
traiter à part, pour réunir dans une seule étude des éléments 
dont la dispersion nuirait à la mise en relief du problème. 
La solution de ce dernier nous donnera en même temps 
une idée de ce qu'il est possible de faire en Indo-Chine, dans 
la voie du développement industriel et agricole, où le proie- 



ATELIERS ET CHANTIERS. 78 

tariat indigène jouera un rôle direct. Nous verrons ainsi le 
fond qu'il est possible de faire sur les populations autoch- 
r tones, l'aide qu'elles sont capables de nous apporter, par 

leurs bras et leur cerveau, dans la réalisation des hautes 
conceptions faites par les économistes et les gouvernements. 
Et puis, Saigon est un des centres d'Extrême-Orient où 
nous pourrons étudier de près cette fameuse main-d'œuvre 
asiatique, aussi bien chinoise qu'annamite, qui reste pour les 
Européens mystérieuse et énigmatique, et appelée, d'après 
les sophismes courants, à des destinées prodigieuses. C'est 
elle qui doit envahir le monde, le peupler de nouveaux 
venus aux salaires dérisoires, en amenant les plus graves 
perturbations économiques. Il est donc urgent de voir si ces 
pronostics ne sont pas quelque peu exagérés, et cela au 
moyen d'une enquête directe, personnelle et impartiale. 

L'agglomération industrielle de Saigon présente des effec- 
tifs assez considérables : gB ouvriers aux ateliers de Khanh- 
Hoï, 160 aux chantiers Dupont et Bron, une centaine à la 
maison Graf, 800 aux Messageries fluviales, i 800 à l'arse- 
nal, forment un total respectable de 3 000 environ. — Celte 
armée ouvrière est assez solidement encadrée de gradés in- 
digènes, dits caï, sorte de contremaîtres ou chefs d'ateliers. 
Les contremaîtres européens sont en très petit nombre : on 
en compte un chez Graf, trois aux Fluviales, vingt à l'arse- 
nal, soit une trentaine en tout. Une plus forte proportion de 
ces Européens serait souhaitable ; malheureusement, peu de 
nos compatriotes consentent à s'expatrier, à venir travailler 
sous ce climat ingrat de la Cochinchine. Ils ne le font, en 
tous cas, qu'à des conditions un peu draconiennes, aux- 
quelles les directeurs d'entreprise ne peuvent pas toujours 
souscrire. D'ailleurs, comme une forte partie de la clientèle 
de ces derniers est constituée par les navires anglais et alle- 
mands qui viennent se faire réparer à Saigon, il est souvent 



74 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

nécessaire que les contremaîtres parlent au moins Tune de 
ces deux langues si utiles. Combien y a-t-il de postulants 
remplissant cette condition ? 

Deux mots des salaires, au sujet desquels s'engagent 
toutes les discussions et les polémiques. Ils varient naturel- 
lement avec remploi de l'ouvrier, suivant qu'il s'agit d'un 
ouvrier d'art (ajusteur, tourneur, chaudronnier), ou d'un 
simple manœuvre. Les premiers ont sensiblement la même 
paye, quelle que soit leur spécialité. Voici donc ces payes, 
réduites en francs au taux de la piastre, en février igoS 
(i piastre = 2 fr.) : à l'arsenal, les ouvriers d'art touchent 
çle I fr. go à 2 fr. 80; aux Messageries fluviales, de 4 à 5 fr., 
et les manœuvres, de 2 fr.à 2 fr. 20. Les chantiers Dupont 
et Bron paient 4 fr. les ouvriers d'art et i fr. 20 à i fr. 4o 
les coolies. La maison Charléty est la seule qui établisse une 
difl*érence sensible dans le personnel de la première catégo- 
rie. Les fondeurs touchent de 2 fr. 4o à 2 fr. 80, les ajusteurs 
et tourneurs, de 3 fr. 60 à 4 fr- Quant aux cooUes, leur solde 
est de i fr. 60. Le salaire des cal est légèrement relevé par 
rapport à celui des simples ouvriers : il atteint 3 fr. 60 aux 
ateliers Charléty et jusqu'à 5 fr. à l'arsenal. 11 est juste d'a- 
jouter que, dans ce dernier cas, il s'agit d'individus ayant 
près de trente ans de services à l'État, ce dont il est impos- 
sible de ne pas tenir compte. D'une manière générale, on 
peut dire que cette organisation des caï n'est pas aussi utile 
qu'elle le paraît au premier abord. Les résultats de cette 
direction indigène n'ont jamais été bien brillants, mais on 
s'est heurté là à une vieille tradition des races jaunes, qui 
veut que tout groupement, toute collectivité, si petits qu'ils 
soient, manœuvrent et opèrent sous la direction d'un chef 
choisi parmi eux. La journée de travail, élément très impor- 
tant de comparaison, varie suivant les établissements. L'ar- 
senal a adopté la journée de huit heures, les autres charniers 



ATELIERS ET CHANTIERS. 76 

celle de neuf heures, à Texception des Messageries fluviales, 
qui raainlieiment leur longue journée de dix heures : c'est 
sans doute la cause des salaires élevés que nous avons re- 
marqués pour les ouvriers de cette compagnie. 

La valeur professionnelle de ces ouvriers indigènes, chi- 
nois ou annamites, est incontestable. Il serait d'ailleurs 
étrange que ces peuples, dont on a fait si vite d'excellents 
mécaniciens et chauffeurs, à terre et à bord des navires, que 
l'on a même initiés au maniement des moteurs à pétrole, 
qui ont avant tout le génie et la curiosité des mécanismes, 
ne devinssent pas des ouvriers de premier ordre. Et de fait, 
les directeurs et contremaîtres européens sont unanimes à 
rendre justice à l'habileté manuelle de leurs ouvriers, dont 
les progrès rapides et surprenants les ont souvent étonnés. 
Les travaux ne vont peut-être pas très vite, mais ils sont 
caractérisés par une minutie, un fini, un souci des petits 
détails qui sont le reflet direct des qualités passives des races 
d'Extrême-Orient, de leur patience et de leur calme inalté- 
rable. Oii trouve parmi les Annamites de très bons tourneurs ; 
c'est la spécialité pour laquelle ils semblent avoir des préfé- 
rences. Les ajusteurs ont aussi donné satisfaction : on me 
citait, aux ateliers Charléty, l'exemple d'un caï-ajusteur en 
lequel les directeurs avaient une confiance absolue, le consi- 
dérant comme équivalant à un excellent ouvrier européen. 
A l'arsenal, on a même employé les indigènes aux travaux 
délicats et précis, comme au montage des machines élec- 
triques, à la confection des inducteurs et des induits, à l'ate- 
lier de cuivrage et nickelage, à l'horlogerie, sans le moindre 
mécompte. L'ouvrier chinois trouve plutôt sa place au char^ 
pentage, à la grosse chaudronnerie, aurivetage et au matage 
des tôles ; là encore, il fait merveille. 

Cette question de la main-d'œuvre ne peut pas être en- 
tièrement résolue avec les deux éléments que nous venons 



76 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

de mentionner: salaires et habileté professionnelle. Ce sont 
évidemment les plus importants, mais à côté d'eux inter- 
viennent d'autres, moraux pour la plupart, ayant trait au 
caractère de la race, à ses mœurs, aux relations plus ou 
moins faciles des ouvriers et des patrons, aux dispositions 
d'esprit particulières à des peuples si différents de ceux de 
rOccident. Ce sont ces données d'un ordre tout spécial, 
abstrait pour ainsi dire, impossibles à chiffrer comme un sa- 
laire ou une valeur technique, qui viennent sérieusement 
modifier les conclusions auxquelles pourraient amener les 
quelques aperçus précédents. 

D'abord, l'ouvrier indigène excelle dans le travail qu'on 
lui confie lorsqu'il Ta vu déjà faire plus d'une fois, lorsqu'il 
Ta fait lui-même, lorsqu'il a une pièce semblable ou analogue 
sous les yeux. C'est un bon copiste, pas assez sûr de lui pour 
s'aventurer en dehors des sentiers battus, pour inventer une 
simpUfication, pour chercher un perfectionnement à ses mé- 
thodes : il reste à la place où on l'a laissé, agissant d'après 
une impulsion première invariable. C'est un routinier, un 
homme que les circonstances ont amené à un certain niveau 
d'éducation industrielle, et qui s'y maintient sans descendre, 
mais sans monter non plus. D'une patience angélique, d'une 
passivité sans exemple, le temps n'a pas de valeur pour 
lui, et il ne saisira pas la nécessité d'abréger la durée 
d'un travail, pas plus que celle d'améliorer le rendement 
industriel d'une organisation quelconque. Son cerveau ne 
connaît pas l'effervescence intellectuelle d'où naît une inven- 
tion, et le souci que nous avons de ces choses lui paraît 
bizarre, étrange, déplacé même. Le nhaquê laboure son 
champ comme au temps de Gia-Long ; l'ouvrier, si on le 
laissait dans son ornière, tournerait dans deux mille ans une 
pièce comme il le fait aujourd'hui. 

L'ouvrier indigène est également très spécialisé. Nous ne 



ATELIERS ET CHANTIERS. 77 

voulons pas dire par là qu'il est impossible d'envoyer un 
tourneur à la fonderie, ou un fondeur à Toutillage ; c'est 
évident, et il ne faudrait pas y songer même avec un ouvrier 
européen. Mais, dans chaque branche du métier, les ou- 
vriers sont partagés entre des besognes particulières à cha- 
cun, et qui n'empiètent pas les unes sur les autres. On 
obtiendrait un résultat très médiocre le jour où, dans un cas 
pressé, on voudrait donner à l'un l'occupation ordinaire 
de l'autre. Les « moi pas connaître » pleuvraient dru. 
C'est encore là un des inconvénients majeurs de la race 
annamite. A terre, l'existence des innombrables domesti- 
cités des maisons européennes n'a pas d'autre cause ; le bep 
(cuisinier) refusera obstinément de donner un coup de balai 
dans la salle à manger, tandis que le 5af (cocher) se croira 
déshonoré si on l'oblige à arroser le jardin. Nos indigènes, 
qu'ils soient ouvriers, boys ou coolies, ignorent totalement 
ce que nous appelons le « débrouillage », cette faculté tout 
occidentale de s'adapter à des travaux divers, avec une 
bonne volonté consciente des nécessités du moment. Pour 
conserver le bon fonctionnement d'un atelier, il est indis- 
pensable de ne pas aller à l'encontre de cette spécialisation 
à outrance, de ne pas sortir du train-train journalier où 
chaque cerveau aperçoit sa tâche toute tracée, le chemin 
qu'il doit suivre semblable à celui qu'il a parcouru la veille. 
Dans ces conditions, en raison du manque complet d'ini- 
tiative de cette main-d'œuvre indigène, on conçoit toute la 
nécessité qu'il y a à lui assurer l'appui et la direction de 
nombreux contremaîtres européens, chargés de la guider 
lors d'une tâche nouvelle, inaccoutumée, et en même temps 
de lui faciliter la lecture des plans et devis, comme de veiller 
à leur reproduction fidèle. Mais, pour échanger des idées il 
faut se comprendre. Or, il est bien rare de voir des ouvriers 
annamites parler le français, et, d'autre part, bien peu de 



^8 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

contremaîtres parlent Tannamite. Notons en passant que 
la langue de nos populations indo-chinoises n'est pas de 
celles que Ton peut apprendre au moyen d'un court séjour 
dans la colonie ; elle est fort difficile, avec ses consonances 
infiniment variées, à peine différentes, qu'un gosier du cru 
peut seul arriver à proférer convenablement et qui donnent 
au même mot, suivant le cas, les significations les plus 
diverses. Il y si longtemps que dans les rizeries, entre méca- 
niciens européens et directeurs et ouvriers chinois, on a eu 
recours au malais, assez facile, qui est l'intermécliaire obligé 
des relations commerciales de l'Extrême-Orient du Sud. 
Mais les Annamites l'ignorent. Les dialogues entre contre- 
maîtres et ingénieurs français d'une part, ouvriers anna- 
mites de l'autre, se passcn souvent en mimiques expres- 
sives, en pantomimes mouvementées, qu'accompagne un 
baroque sabir, mélange incohérent de mots français et indi- 
gènes, où surnagent les termes techniques du métier. Ces 
termes, d'ailleurs, sont ceux que les ouvriers comprennent 
le mieux. Cela paraît bizarre au premier abord, mais on 
peut très bien admettre qu'ils se soient, en raison de leur 
nouveauté, implantés intégralement dans la langue anna- 
mite, en néologismes hardis ayant immédiatement conquis 
droit de cité. Le langage courant, les phrases environnantes, 
accaparent toute là difficulté, difficulté grosse d'inconvé- 
nients pratiques. 

Un autre trait du caractère indigène est l'inconstance la 
plus changeante en matière de résidence et de présence au 
travail. Il n'est pas rare de voir des ouvriers manquer plu- 
sieurs jours de suite à l'atelier, prétextant une maladie, un 
deuil de famille, à faire croire qu'une épidémie invraisem- 
blable sévit sur le monde annamite. Quand ils reviennent, 
passe encore, mais il arrive souvent que d'excellents spécia- 
listes, formés depuis de longues années par les soins vigi- 



ATELIERS ET CHANTIERS. 7^ 

lants de leur patron, viennent le trouver un beau jour pour 
lui annoncer leur intention irrévocable de partir. Ils allèguent 
des raisons vagues, impossibles à vérifier, et ne se laissent 
attendrir ni par les réclamations des contremaîtres et des 
directeurs, ni par les offres alléchantes d'augmentation et 
de bons traitements. On peut se faire une idée de l'état 
d'esprit du malheureux ingénieur victime d'un pareil lâ- 
chage au moment d'une commande pressée, quand il aurait 
besoin de tout son monde, de tous les gens dont il connaît 
les capacités éprouvées. On peut très souvent avoir la clef 
de ces incidents fâcheux en faisant intervenir la passion des 
Annamites pour le jeu. Ces interminables parties de bakouan, 
qui durent des jours et des nuits, rassemblant de malheu- 
reux indigènes assoiffés de gain, des ouvriers qui vont y 
risquer un salaire péniblement amassé, sont la plaie de 
rindo-Chine et la perdition de nos sujets. Le prolétaire qui 
a laissé ses économies dans de pareils coupe- bourses en 
est quitte pour travailler él thésauriser de nouveau ; sa paye 
est une garantie qui lui permettra d'emprunter momentané- 
ment et de se refaire un peu. Les prêteurs ne lui manque- 
ront pas, et aux taux les plus usuraires. Mais qu'il soit repris 
par son vice, qu'il perde de nouveau tous ses fonds d'em- 
prunt, qu'arrivera- t-il? Bientôt, son crédit disparaissant, 
ses créanciers l'assiégeront de demandes, et il viendra un 
moment où il lui faudra fuir, abandonner une ville où il se 
sait « brûlé ». Il part pour ces raisons, qu'il tait toujours, et 
rien ne peut le retenir. 

Le Chinois ne lâche pas aussi facilement que l'Annamite. 
C'est au moins l'explication que me donnait un ingénieur 
des Messageries fluviales de la prédominance de cette race 
sur les chantiers de la compagnie (700 Chinois sur 800 ou- 
vriers). Peut-être intervient-il un souci plus grand des enga- 
gements pris? Pourtant, aux ateliers Dupont et Bron, on 



8o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

me citait le cas de cinquante chinois embauchés à Sin- 
gapour, auxquels on avait payé le voyage et la première 
taxe de capitation frappée sur eux en Indo-Chine. Huit jours 
après, ils partaient sans prévenir, sans rembourser un cen- 
time des sommes avancées. Quels moyens a-t-on de les 
ressaisir dans ces agglomérations populeuses qui entourent 
la capitale, où ils fondent sans laisser de traces, pour repa- 
raître plus tard sous un autre nom aussi exotique que l'an- 
cien ? Quel recours légal peut-on avoir contre des gens qui 
ne sont liés par aucun contrat de travail écrit et librement 
consenti, procédé encore peu répandu en Extrême-Orient ? 
La procédure serait, en tous cas, fort longue. On a bien fait 
un essai peu fructueux de livrets ouvriers, qui n'a jamais 
donné les résultats que Ton en attendait. Cet essai s'est 
d'ailleurs présenté à un très mauvais moment. Les années 
1901 et 1902 ont été caractérisées, nous l'avons vu, par une 
impulsion énergique donnée aux travaux publics, qui s'est 
répercutée sur les établissements industriels de Saigon. Les 
chantiers ont dû, pour faire face à leurs nouvelles affaires, 
s'étendre et appeler à eux une nouvelle main-d'œuvre. Or, 
celle-ci, à la même époque, se raréfiait de plus en plus, et 
le recrutement devenait très difficile. Il faut entendre les 
récriminations de la Chambre de commerce au sujet de l'en- 
voi de 3oo ouvriers annamites en Nouvelle-Calédonie, par 
le voilier le Hautôt^ de la Compagnie Rouennaise, criant à 
la dépopulation ouvrière de l'Indo-Chine ! Elle n'avait pas 
tort, et dans l'iembauchage fail à la hâte, coûte que coûte, 
en conséquence delà nouvelle situation, pas mal de non-va- 
leurs ont pu se glisser dans les ateliers. Le choix patronal 
ne s'exerçait plus avec assez d'efficacité, vu le besoin urgent 
d'ouvriers : la quantité nuisait à la qualité. Dans ces condi- 
tions, on peut bien penser que les livrets des intéressés, s'ils 
en possédaient de mauvais, n'avaient qu'un poids bien mi- 



ATELIERS ET CHANTIERS. 8^' 

nime. L'organisation elle-même s'est trouvée atteinte. Le 
problème d'un « état civil ouvrier » est encore repoussé sans 
être résolu. 

La présence sur le marché de la main-d'œuvre d'établis- 
sements de l'État, comme l'arsenal de la marine et la direc- 
tion d'artillerie, n'est pas sans effets sur la pénurie dont 
souffrent les chantiers privés. Il est de fait que les ouvriers 
se portent de préférence vers les premiers. Cependant, il 
semble que tes directeurs des derniers attribuent à tort aux 
salaires étevés de l'État l'inclination dont ils souffrent. Nous 
avons pu voir, en comparant les payes de l'arsenal à celles 
des autres ateliers, qu'elles leur sont notablement inférieures. 
Il faut néanmoins dire qu'elles sont faites d'après un taux 
fixe en francs y alors que les autres sont faites en piastres. 
La baisse de cette dernière unité monétaire, que rien n'ar- 
rête, diminue de plus en plus l'écart des deux journées de 
travail. Ensuite, à l'arsenal, la surveillance est beaucoup 
plus relâchée que dans un atelier privé. La concurrence 
industrielle ne vient pas exciter les patrons et les ouvriers : 
la nécessité d'aller le plus vite possible pour satisfaire la 
clientèle ne se fait guère sentir. Les contremaîtres euro- 
péens agiraient pourtant dans ce sens, s'ils n'étaient perdus 
dans le souci d'une comptabilité tracassière et tyrannique, 
plus occupés d'aligner des chiffres, de noircir des états, des 
inventaires et des bordereaux, que de surveiller les travaux 
en cours. L'ouvrier annamite, à l'abri de l'ingérence du 
supérieur, vit tranquille, se presse le moins possible et se 
déclare parfaitement heureux. L'arsenal a aussi adopté la 
journée de huit heures, au lieu de neuf et dix heures des 
autres chantiers. Enfin, l'arsenal est un bon père nourricier, 
à l'abri des chômages et de la ruine, toujours soutenu par 
les finances de TÉtat. L'Annamite est suffisamment intelli- 
gent pour peser ces arguments, et il est beaucoup plus sage, 

RIYAGES i:iDO-GHIIfOIS. 6 



82 LES RIVAGES INDCM^HINOIS . 

je crois, d'attribuer à ces causes secondaires sa préférence 
pour les établissements de l'Etat. 

Le rapide coup d'œil que nous venons de jeter sur la 
main-d'œuvre indigène nous la montre sous son vrai jour, 
qui est loin d'être aussi brillant qu'un examen superficiel 
pourrait le faire croire. Pour demeurer sôus une impression 
exacte, il faut tenir compte, non seulement des salaires et 
de l'habileté professionnelle, mais encore de la tournure 
d'esprit de l'ouvrier et de ses tares morales : l'ensemble 
donnera une résultante voisine de la vérité. En faisant la 
part de la stricte spécialisation, de la surveillance continuelle 
et nécessaire, de l'inconstance, du jeu, on en vient à conclure 
que la main-d'oeuvre européenne est franchement supérieure 
à la main-d'œuvre indigène, avec un écart que ne compense 
pas l'inégalité des salaires. C'est l'avis de tous les ingénieurs 
et surveillants européens, le nôtre également, et il est loin 
des prévisions pessimistes de ceux qui prédisent à la seconde 
un développement, une diffusion extraordinaires. C'est seu- 
lement parce que les soldes des ouvriers européens devien- 
draient exorbitantes en Indo-Chine que l'ouvrier indigène 
est invincible sur son propre terrain. Le rendement d'un 
atelier d'Europe, placé dans les conditions des chantiers 
saïgonnais, est sensiblement plus grand que celui de ces 
derniers. 






Nous venons de voir en présence, aux chantiers de Saigon, 
les Annamites et les Chinois. Le même fait se reproduit dans 
les ateliers de l'Indo-Chine tout entière, avec une légère 
différence de spécialités. En Cochinchine^ on emploie les Chi- 
nois surtout comme charpentiers, et les Annamites plutôt 
comme ouvriers sur métaux ; au Tonkin, les ouvriers d'art 



ATELIERS ET CHANTIERS. 83 

sont, pour la plupart, Chinois, et les Annamites coolies ou 
maçons. La cause est sans cloute la présence, à Saïgon, des 
établissements de la- marine et de la guerre, qui datent des 
premiers temps de la conquête, qui ont utilisé une main- 
d'œuvre en grande partie annamite, et ont facilité l'instruc- 
tion technique de ces derniers, à l'heure où les autres 
peuples d'Extrême-Orient s'ouvraient à peine à l'industrie. 
Cette coexistence de deux races voisines aura toujours lieu, 
et elle est le point de départ d'appréciations très diverses 
sur leurs valeurs respectives. Les avis que nous avons pu 
recueillir auprès des directeurs d'ateliers sont variés^ et ils 
se partagent à peu près également en faveur des Chinois et 
des Annamites. Aux Messageries fluviales, on n'a d'éloges 
que pour les Chinois, que l'on considère comme incompa- 
rablement supérieurs aux Annamites, ceiix-ci jugés à peine 
dignes de servir de coolies. Ailleurs, le Chinois a trop mau- 
vaise tête, sa valeur personnelle est exagérée, et en tous cas 
trop faible pour consentir à s'embarrasser d'un personnel 
remuant, qui ne sert presque toujours que d'intermédiaire 
entre le directeur européen et des sous-ordres annamites. 
Entre ces deux avis opposés prend place toute une gamme 
d'opinions nuancées. 

Le Chinois a évidemment un caractère très spécial. Il 
manque de souplesse, est assez difficile à conduire, et a une 
idée très haute de sa personnalité. Il occupe, au physique 
comme au moral, un degré plus élevé que l'Annamite dans 
l'échelle des races ; il donne enfin l'impression d'un homme, 
doué d'une énergie et d'une volonté indéniables, qui ressort 
par contraste au milieu des populations indigènes de l'Indor- 
Chine, enfantines, délicates et mièvres. En raison de son 
«sprit peu malléable, le Chinois exige vis-à-vis de lui des 
procédés d'une stricte justice, d'une équité insoupçonnable, 
et il faut, pour le tenir, l'intéresser aux affaires où il ne joue. 



8$ LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

•en apparence, qu'un rôle secondaire. L/Annamite ne de- 
mande rien de cela ; il est habitué, depuis des siècles, à la 
servitude, et trop intimidé devant l'Européen pour émettre 
des prétentions. Certains directeurs d'usines préfèrent 
donc l'employer, car les qualités du Chinois, son endurance, 
sa force physique, sa puissance de travail, n'apparaissent 
pas avec évidence dans de menues occupations d'atelier, 
dans un montage ou un ajustage, par exemple. Mais, si l'on 
envisage la question à un point de vue tout à fait général, il 
faut bien se dire qu'à côté des établissements industriels 
existent d'autres métiers qui bénéficieraient largement des 
avantages qu'offre le Chinois. On peut en faire un solide 
manœuvre, un excellent débardeur, dans toutes les occa- 
sions, enfin, où un coup de force est nécessaire. Voilà posé 
le problème de l'immigration chinoise en Indoi-Chine. Il le 
serait déjà par ce que nous avons vu du monde industriel, 
rien que par la présence d'une minorité de Célestes en de 
nombreux ateliers. 

Les Chinois ne cessent d'arriver dans la colonie. Pour 
donner une idée de cet afflux d'étrangers^ rappelons qu'il 
est venu plus de 7 000 Chinois dans la période janvier-février 
1903, par fournées considérables. Le Telemachus en ame- 
nait I o38, le Nhanshan i i63, le Hohtein i 137, le De- 
cima I o34, le Quarta 5oo et le Salamanca 3o5 ; on voit 
quelle est l'intensité des arrivages. Au recensement de 1899, 
on constatait la présence de 95 000 Chinois en Cochinchine, 
de ï 00 000 au Cambodge, de 12000 à i5ooo au Tonkin, 
de 4 000 à 5 000 en Annam et de 2000 au Laos. Soit au 
total 2i5ooo Chinois dans toute l'Indo-Chine. Cette immi- 
<jratîon, bien faible si on la compare à celles des établisse- 
ments du Détroit et de laMalaisie, n'est-elle pas dangereuse ? 
Ne va-t-elle pas tourner à l'invasion ? On a déjà remarqué, 
lors des événements de Chine, en 1900, une certaine effer- 



^ ATELIERS ET CHANTIERS* 85 

vescence à Cholon. En dehors d'un danger, économique, 
allons-nous avoir à faire face à un danger politique ? Ces 
questions ont déjà préoccupé d'autres gouvernements. A 
Hong-Kong, où de nombreux débarquements de coolies se 
produisent de temps à aulre, le China Mail disait dernière^ 
ment : , ^ 

« On prétend que la mauvaise récolte de riz et le manque 
d'argent et de travail qui en sont la conséquence ont amené 
à Hong-Kong une immigration considérable de coolies en 
quête de quelque gagne-pain. Nous croyons qu'en effet il y 
a eu une affluence inaccoutumée et nos enquêtes confirment 
la chose. Cela n'est pas sans intérêt pour nous en général et 
mérite toute l'attention des autorités en particulier. Inutile 
de supposer que le prix de la main-d'œuvre va baisser de- 
vant cette affluence : l'expérience nous permet d'affirmer 
que, quoi qu'il arrive, cela ne sera pas. En revanche, il va 
en résulter une soudaii^e augmentation de la population, et 
probablement une augmentation permanente, car le Cl^inois 
qui a trouvé du travail ici ne retourne pas de si tôtà Sfi 
charrue, et il y a un tel développement industriel en ce mo- 
ment, que tous sont assurés de trouver à se caser. Il va donc 
y avoir surpopulation, et il est à peu près impossible de 
l'éviter. » 

A Saigon, on n'a pas à compter avec ces soucis d'entasse- 
ment et de surpopulation. Aussi les commerçants et les 
industriels appellent-ils de tous leurs vœux la main-d'œuvre 
chinoise. La Chambre de commerce, qui est l'organe naturel 
de leurs revendications, proteste contre une élévation pos- 
sible des taxes de capilation, dans les termes suivants : 

«Le Tonkin et une grande partie de l'Annam ne possè- 
dent sur leur' territoire qu'une très faible quantité de Chi- 
nois. Le commerce y est entre des mains françaises et la 
main-d'œuvre y est exclusivement annamite. De plus, la 



86 *LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

population y est dense et l'industrie n'a pas à souffrir comme 
nous du manque de bras. En Cochinchine, au contraire, 
^élément chinois est nombreux et nous ne comptons guère 
que sur lui pour le développement de notre activité indus- 
trielle. 

« Chaque fois qu'elle en a eu l'occasion, notre Chambre 
s'est élevée contre toute mesure tendant à diminuer l'immi- 
gration chinoise, et ce serait, nous semble-f-il, nous déjuger 
que d'accepter sans protestation des relèvements de taxe qui 
rendraient la vie impossible aux travailleurs. Déjà, nous 
avons w dans ces dernières années le prix de la main-d'œuvre 
s'élever dans des proportions considérables. Sans vouloir 
discuter l'opportunité des mesures qui ont amené ce résultat, 
il est de notre devoir de protester contre toute autre mesure 
qui aggraverait la situation. 

j<ï En outre, l'adoption de ces nouvelles taxes aurait une 
répercussion fâcheuse sur les tarifs de transit et nous de- 
mandons respectueusement à M. le directeur des douanes s'il 
ne craint pas, en cherchant une augmentation immédiatedes 
recettes, de tuer la poule aux œufs d'or. » 

C'est clair et catégorique. Cet extrait des délibérations de 
la Chambre de commerce ne vise que la question de la main- 
d'œuvre, et il en est une foule d'autres, comme la concur- 
rence que fait au commerce européen le négoce chinois, sur 
lesquelles il serait précieux d'avoir l'opinion de cette assem- 
blée. Ne sont-elles pas, elles aussi, des conséquences de 
l'immigration? En l'absence de documents écrits, nous 
n'avons pas cru mieux faire que de demander l'avis de 
M. Schnéegans, président de la Chambre, qui nous a très 
obligeamment renseigné. « Je comprends, nous dit 
M. Schnéegans, que l'on soit méfiant à l'égard des Chinois, 
au Tonkin : la main-d'œuvre y est abondante, le sol n'arrive 
pas à nourrir ses habitants, qui recherchent l'embauchage 



' ATELIERS ET CHANTIERS. 87 

et le salaire. Rien de pareil en Gochinehînej où la population 
est clairsemée et presque entièrement occupée aux travaux 
agricoles. A Saigon, nous avons absolument besoin de main- 
d'œuvre chinoise. Si, pour les ouvrages nécessitant de l'a- 
dresse et de la patience, l'Annamite peut égaler le Chinois, 
il n'en est plus de même lorsqu'il faut de la force. Alors 
l'Annamite devient complètement insuffisant, et ce n'est pas 
dans cette population que nous trouverions ces vigoureux 
coolies qui vont au pas de course, un sac de loo kilogr. de 
riz sur l'épaule, chargeant et déchargeant des jonques. Nous 
avons fait tout ce que nous pouvions pour accrohre cette 
intéressante catégorie de travailleurs. Nous avons pu obtenir 
pour elle l'exemption des taxes de capitation pendant la 
première année de séjour ; l'obtention plus facile des passe- 
ports serait encore souhaitable. On a dit que le commerce 
européen et le commerce chinois se nuisaient mutuellement. 
C'est une erreur. Ils voisinent parfaitement, et cela en raison 
même de leurs compréhensions différentes des affaires. A 
l'inverse du commerce européen, qui veut des contrats au 
comptant, fermes et bien déterminés, le commerce chinois 
se plaît dans la spéculation et les affaires à terme ; les pro- 
cédés et les champs d'action n'ont rien de commun. Quant 
à l'éventualité d'un péril politique, je crois que l'on peut se 
rassurer. La population chinoise est tranquille. Elle n'a qu'un 
but : commercer le mieux possible à l'abri de cette tranquil- 
lité, thésauriser et retourner vivre en Chine. Une agitation 
n'est pas à craindre. » 

Ces* quelques mots résument la situation. Cette tendance 
des commerçants chinois à considérer le négoce comme un 
agiotage, un placement aux chances aléatoires, un bakouan 
interminable qui dure toute la vie, a été remarquée de tous 
temps par les observateurs. Aussi nous paraît-il intéressant 
de rapprocher des paroles de M. Schnéegans, ce que M. Bard 



-88 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

dit du négociant du Céleste Empire, dans son ouvrage si 
documenté Les Chinois chez eux ; « On dit communément 
que le Chinois est marchand. II a en effet de grandes apti- 
tudes commerciales, mais il entend les affaires d'une façon 
toute particulière, encore en usage parmi beaucoup de mar- 
chands européens, nous devons le reconnaître. Le marchand 
chinois est avant tout joueur. Petit ou grand, il n'est pas de 
spéculation à sa portée qu'il ne tente avec empressement, et 
si on veut voir le capital oisif, ce n'est pas en Chine qu'il 
faut venir. Les facilités de crédit, la circulation fiduciaire 
implantée en Chine bien des siècles avant que l'Europe en 
eût l'idée, ont habitué les Chinois aune audace dans l'entre- 
prise qui leur donne bien souvent l'avantage sur leurs com- 
.pétiteurs européens ; il n'est pas de Chinois dans les affaires 
qui ne soit engagé pour des sommes bien supérieures à celles 
qu'un Européen oserait engager à capital égal.... Mais une 
fois lié, le Chinois s'exécute, et nous n'avons vu nul peuple 
supporter ses pertes, quand il en a, d'un cœur plus léger et 
avec un front plus serein. Comme faire des affaires, pour 
lui, c'est jouer, il s'est fait un tempérament de joueur, et 
il est beau joueur, au rebours de son confrère japonais, 
aussi joueur que lui, mais joueur de la plus entière mauvaise 
foi. » 

Malgré cette différence de conception et de procédés, le 
commerce chinois de Cochinchine n'est pas sans inquiéter 
nombre de nos nationaux. Ceux-ci proposent alors d'admet- 
tre le Chinois uniquement comme coolie, pour renforcer la 
main-d'œuvre autochtone insuffisante, mais de lui assigner 
des occupations déterminées, réservant certaines branches 
de commerce aux colons et industriels français. Le projet est 
discutable. Il est impossible, en effet, de ne pas être frappé 
par certaines façons de faire des Chinois. Usuriers dans 
l'àme, il? sont à redouter pour les cultivateurs annamites, 



ATELIERS ET CHAJVTIERS. 89 

qui leur empruntent généralement sur récolte, quittes à per- 
dre quelques jours après cette avance dans les mains d'autres 
Célestes, compères des premiers, qui exploitent scandaleu- 
sement la passion des nhaquès pour le jeu, afin de rentrer 
dans leurs déboursés. Nous réagissons comme nous pouvons 
contre ces habitudes dangereuses, avec l'aide des Annamites 
intelligents et lettrés, mais avec un succès douteux. Dans 
l'ordre industriel, l'accaparement presque exclusif du décor- 
tiquage du riz par les Chinois est un fait certain. Une partie 
des capitaux des usines [Speidel est entre leurs mains. La 
rizerie Kin-fat-Seng avait d'abord été montée par MM. Denis 
frères, et cette maison ne possède plus maintenant que le 
quart des actions. Dès qu'une affaire est bonne, les Chinois 
font tout ce qu'ils peuvent pour l'enlever aux Européens, 
en boycottant l'entreprise pour amener sa vente à vil prix. 
La colonnière de Pnom-Penh, dirigée par la maison H. Blum, 
a été l'objet d'une pareille manœuvre. Un beau jour, le coton 
disparaît et l'usine est obligée de s'arrêter. Les directeurs 
sont dans le marasme, quand un syndicat chinois se présente 
pour acheter l'établissement; ils le vendent, enchantés d'en 
tirer un prix relativement élevé. Quelques jours après, le 
coton revient comme par enchantement, et l'usine fonctionne 
aux mains des Chinois ! 

De pareilles éventualités sont certainement redoutables. 
Il faut y voir l'eQet de la force économique que donne aux 
Célestes la rigoureuse discipline des syndicats et des con- 
grégations. Un mot d'ordre lancé à propos, suivi impertur- 
bablement, met en échec les meilleures combinaisons euro- 
péennes. En Chine, l'organisation fonctionne pareillement : 
« En 1890, une nouvelle taxe fut décrétée à Swatow sur 
certains articles. Le syndicat des marchands s'arrangea de 
façon que les percepteurs de la nouvelle taxe non seulement 
fussent incapables de la recouvrer, mais même de louer une 



go LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

maison pour y établir leur bureau. Ce même syndicat de 
Swatow est arrivé à se faire payer, par les compagnies de 
vapeurs, les avaries sur les marchandises non assurées. Les 
compagnies qui s'y refusaient tout d'abord étaient boycottées 
et leurs vapeurs partaient à vide('). » C'est l'histoire des 
accaparements successifs des Chinois en Cochinchine. II 
faut en parler, pour se représenter cette question comme un 
corollaire imprévu et gênant de l'appel fait à l'immigration 
chinoise, comme une conséquence qui assombrit certains 
côtés de l'avenir de la colonie. Elle doit être l'une des préoc- 
cupations premières du gouvernement de l'Indo-Chine. 



« 



Nous côtoyons depuis un instant le problème du « péril 
jaune », de ce spectre si souvent agité. Nous avons montré, 
d'après une enquête faite à Saïgon, quelles étaient les carac- 
téristiques exactes de la main-d'œuvre asiatique et affirmé 
que l'ouvrier européen n'avait rien à en craindre. Mais le 
danger de l'Extrême-Orient, danger extérieur à l'Indo-Chine, 
peut se présenter de plusieurs manières. Ce peut être d'abord 
sous la forme d'une concurrence économique, d'une produc- 
tion à outrance (encore bien lointaine) inondant l'Europe de 
produits d'un bon marché incroyable, tuant ainsi nos indus- 
tries occidentales. Ce peut être aussi par l'effet d'une diffusion 
extraordinaire de travailleurs chinois, bouleversant les con- 
ditions du prolétariat universel par l'apport d'un élément 
nouveau, se contentant de rien. La première forme, pour 
être effective, nécessiterait chez les Célestes une éducation 
industrielle autrement avancée que celle qu'ils possèdent 
aujourd'hui, un progrès intellectuel qui ne se dessine guère. 



(i) E. Bard, Les Chinois chez eux. 



ATELIERS ET CHANTIERS. 9I 

II faudrait aussi des capitaux, chose rare dans la pauvre 
Chine, des capitaux pouvant balancer les colossales fortunes 
d'Europe ou d'Amérique. Il faudrait enfin, desideratum 
sérieux, que le Chinois se décidât à acquérir ces fçicultés 
d'organisation et de direction qui lui manquent, et qui sont 
plus que jamais nécessaires dans la conduite d'une entre- 
prise. Les quelques essais d'industrie locale faits en Chine 
ont souvent abouti à des krachs complets, à des fiascos 
lamentables. Les hauts fourneaux de Hanyang, pourtant 
soutenus par le vice-roi de Outchang, sont là pour servir 
d'exemple. 

Maiis on évoque alors le cas d'industries se créant en 
Chine avec une direction et des capitaux européens, remé- 
diant ainsi aux défauts ou inaptitudes inhérents à la race* 
jaune. Ces industri^es s'établissant ainsi loin de l'Europe 
n'auraient d'autre but que de profiter de l'extrême bon mar- 
ché de la main-d'œuvre chinoise. Les deux formes du pro- 
blème considéré se réunissent donc en une seule, et l'ouvrier 
asiatique sert d'appui à tout le système. Nous avons vu ce 
qu'il fallait en penser à Saïgon. Est-ce que par hasard 1 am- 
biance saïgonnaise aurait un efTet funeste sur le salarié chi- 
nois? Le même individu, placé enChine, và-t-il donner des 
résultats surprennts? Laissons la parole à des hommes 
expérimentés, qui ont vécu au milieu de ce monde tout 
particulier, et dont l'avis est précieux à recueillir. 

M. Bard nous dit : « D'abord, la main-d'œuvre chinoise 
est de qualité très inférieure ; toute besogne demandant un 
effort musculaire exige au moins trois Chinois pour faire la 
besogne d'un Européen. Nous citerons un seul exemple. 
Nous avons suivi de près des travaux de terrassement : un 
homme, armé d'une petite bêche de 1 5 centimètres de large 
sur 25 de long, coupait une petite motte de terre ; devant 
lui, un aide attendait avec un petit panier où un troisième 



92 LÇS RIVAGES INDO-CHI.NOIS . 

déposait la motte. Un terrassier européen, avec sa latge 
bêche, eût envoyé d'un seul coup, dans un wagonnet, la 
charge de deux paniers, soit le travail de six hommes. Nous 
n'exagérons pas en disatit que le chantier de douze cents 
fourmis que nous avions sous les yeux ne faisait pas le tra- 
vail de trois cents Européens robustes. Nous nous sommes 
livré à ce sujet à un petit calcul. Ces hommes recevaient 
260 sapèques par jour. Pour ne rien exagérer, disons que 
trois d'entre eux faisaient le travail d'un Européen. Ils coû- 
taient donc à eux trois 780 sapèques, soit 2 fr. i5 de notre 
monnaie. Que l'on compare ce chiffre avec la. paye d'un 
terrassier italien... Il faut tenir compte aussi que dès qu'il 
y a demande de main-d'œuvre pour l'industrie, les salaires 
de 4o et 5o sapèques .connus au fond des campagnes se 
transforment en 3oo ou 4oo. Les ouvrières dés filatures de 
soie sont payées maintenant 35 à 36 cents (l'équivalent de 
75 à 80 centimes de notre monnaie). On sait qu'en Italie, et 
même en France, le salaire des femmes employées dans les 
filatures ne dépasse guère ce taux, et on a une main-d'œuvre 
d'une qualité bien supérieure à la main-d'œuvre chinoise. » 

M. Blancheville appuie encore, en la corroborant, l'argu- 
mentation de M. Bard : « Le Chinois, a-t-on dit, est un bon 
ouvrier, et il s'assimile très facilement les qualités des autres; 
il serait plus exact de dire que le Chinois reproduit et copie 
servilement ce qu'il voit, mais qu'il n'inventera jamais rien. 
Le Chinois peut être rusé, mais, au fond, il n'est pas intel- 
ligent, il manque complètement d'initiative, et ne sortira 
jamais des voies battues ; ce ne sera pas lui qui jamais inau- 
gurera un procédé nouveau ou une machine. Il est l'homme 
de la routine et rien de plus 

« 11 est une considération qui frappe beaucoup les person- 
nes qui voient dans la Chine un ennemi redoutable : c'est 
le prix dérisoire de la main-d'œuvre et le taux excessivement 



ATELIERS ET CHANTIERS. gS 

bas des salaires. Dans cette situation, ditron, il ne sera pas 
possible de lutter contre le bon marché auquel nous arrive- 
ront les produits chinois. Cet argument a plus d'apparence 
que de réalité ; l'ouvrier chinois travaille à bas prix, il est 
vrai, mais il en fait, comme on dit, pour son argent. II ne 
faut pas lui demander une quantité de travail qui serait 
contraire à ses habitudes... En outre, il est un exemple qu'il 
ne faut pas perdre de vue et, dans la circonstance, il a son 
importance : c'est celui du Japon. Il y a vingt ou trente ans, 
l'ouvrier japonais travaillait aussi pour quelques sous par 
jour; aujourd'hui, il s'est élevé à la hauteur des ouvriers 
européens ou américains, et c'est par yen qu'il compte. Il 
en sera de même de l'ouvrier chinois ('), qui ne tarderait 
pas à réclamer un tael pour un travail qu'il accomplissait pour 
une mesure de riz. Il paraît, en outre, que le Chinois s'en- 
tend parfaitement à organiser une grève, et qu'à cet égard 
il n'a rien à envier aux ouvriers européens, sans distinction 
de nationalité. » 

La dernière grève des pousse-pousse de Singapour, que 
l'on ne put faire cesser qu'en menaçant directement les chefs 
des congrégations chinoises, est un exemple frappant de ces 
revendications ouvrières. Celles-ci prennent une importance 
capitale en raison de la puissante organisation syndicale 
dont nous avons déjà parlé. En résumé, nous pouvons dire 
que les qualités de la main-d'œuvre 'chinoise ont été sensi- 



(i) « Ce serait une erreur de croire que la Chine est destinée à rester toujours 
un pays de très bas salaires. Sans doute, il se passera longtemps avant que la 
généralité de ceux-ci atteigne les taux auxquels ils s'élèvent en Europe, mais ils 
hausseront rapidement partout où se produira une importante demande de travail. 
Les Célestes sauront fort bien s'organiser et se coaliser au besoin poui* obtenir 
ce résultat. NVt^on pas déjà vu, l'hiver de 1898, à Shang-Haï, une grève des 
traineiu^ de grandes brouettes, insurgés contre un arrêté municipal, à la suite de 
laquelle il fallut composer avec eux? Ceci semble bien prouver qu'il y a une part 
de fantasmagorie dans le fameux péril jaune dont s'inquiètent beaucoup de per- 
sonnes. » (M. P. Lerot-Beaulieu, La Rénovation de tAsie:) 



94 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

blement exagérées, et qu'elles constituent maintenant un 
de ces lieux communs dont vivent des générations entières* 
Ces observations, qui viennent de Chine et d'origines di* 
versés, appuyées par celles que nous avons faites plus haut 
sur les chantiers de Saïgon, ramènent à de plus justes pro- 
portions l'image agrandie d'un péril jaune. Nul ne peut pré* 
dire l'avenir, mais il est certain que la réalisation de ce 
danger demanderait des bouleversements moraux considé- 
rables, ainsi que la transformation radicale de la mentalité 
d'une portion colossale de l'humanité ('). 



(i) Le danger ne viendrait d'ailleurs pas exclusivement de la Chine, mais bien 
aussi de son jeune et remuant voisin, le Japon. L'émigration japonaise a pris des 
proportions telles au Canada depuis iSgS, concurrençant activement la main^ 
d'œuvre locale, que le gouvernement du Dominion a fait voter, en 1900, un droit 
de 5o à 100 dollars sur' les inmiigrants asiatiques , étendant ainsi aux Japonais la 
mesure prise contre les Chinois. Le Mikado réclama vivement pour ses sujets, 
surtout auprès du Colonial office de Londres, qui s'esquiva en alléguant l'auto- 
nomie du Canada, qui n'a en effet signé aucun traité de commerce avec le Japon. 
Moyen commode de ne pas pâtir de l'envahissement d'un allié inquiétant» Les 
immigrants de l'Ouest devenaient en effet gênants pour l'ouvrier canadien, a La 
grève des pécheurs de saumon de Steveslon, à l'embouchure du Fraser, dont ils 
ont provoqué l'échec en acceptant les offres des patrons des usines où l'on em- 
boîte les poissons conservés, a mis en plein reUef les raisons de l'antagonisme 
des blancs contre eux. » ("Villetard de la Guérie.) 

Le même problème s'est posé en Australie, où des règlements sévères mettent 
obstacle à l'infiltration des ouvriers d'Asie. 



CaSTEX _ Rivages Indo - Chinois. 



PI. II 




Prq/eés actu^els 
Echelle 



20 000 



Port de Commerce de Saigon 



CHAPITRE III 
LA CÔTE D'AHHAM — HHA-TRAHG ET aUIH-HHOH 



Avec la côte d'Annam, avec le développement de ce long 
front de mer qui regarde l'Océan de Chine, nous entrons^ 
dans une région complètement différente de celles qui la 
terminent au nord et au sud, des deltas plats et uniformes 
de la Cochinchine et du Tonkin. La côte qui s'étend entre 
le çap Saint-Jacques et le cap Padaran est en quelque sorte 
une zone de transition, aV'ec ses montagnes encore peu éle- 
vées, éloignées du rivage, ce dernier entièrement constitué 
par des dunes sablonneuses, stériles et monotones, poussant 
vers le large les proéminences peu accusées du cap Baké, 
des pointes Kéga, Vinay, Guio et Lagan. Les baies de Phan- 
tiet et de Phan-Ry sont larges, en forme d'arc de cercle, 
très ouvertes au mauvais temps et nullement pittoresques. 
Au cap Padaran, comme à un tournant brusque, tout change. 
La chaîne annamitique se rapproche du littoral, les amon- 
cellements rocheux et les falaises abruptes apparaissent, la 
montagne et la mer viennent en contact, en lutte, pour for- 
mer des baies grandioses, de ravissants havres capricieuse- 
ment découpés. 

De Padaran, la côte court vers le nord pendant des milles 
et des milles, présentant les mêmes caractéristiques, fort 
accidentée dans sa partie méridionale, jusqu'à Quin-Nhon • 
environ, monotone ensuite. Les baies et les caps escarpés 
sont variés d'immenses plages sablonneuses, de dunes blan- 



96 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

ches, jaunes ou rouges, que les vents exhaussent et démo- 
lissent sans cesse ; plusieurs d'entre elles, comme la grande 
plage de Dngaï au sud de Nha-Trang, les dunes de Vung- 
Trich près de Xuan-Day, sont même d'excellents amers 
pour le caboteur qui navigue dans ces parages. Sur toute sa 
longueur, la côte est soumise aux mêmes agents de transfor- 
mation : à la poussée volcanique qui a fait surgir les roches, 
aux alluvions des rivières, au vent violent et au ressac furieux 
de la mousson de nord-est. Il s'ensuit que le rivage repro- 
duit périodiquement des dispositions similaires, qui frappent 
l^observateur attentif. Les baies de Vung-Cang et de Vung- 
Rô, qui se creusent sous le faux et le vrai cap Varella, sont 
presque identiques. Les lagunes de Nuoc-Not et de Quin-> 
nhon sont pareilles, de même que le déroulement montueux 
des presqu'îles de Camraigne et de Port-Dayot donne l'idée 
d'un rapprochement immédiat. Des groupements entiers 
de pointes et de golfes ont l'air d'avoir été calqués sur le 
même modèle ; je n'en veux pour exemple que la région 
a rivière de Quang-Ngaï, cap Batangan, baie de Kikuik ))j 
qui ressemble étrangement à la région « rivière de Faï-Foo. 
Cap Tourane-Baie de Tourane ». Les faits sont là. 

Le touriste doit parcourir cette côte en mousson de sud- 
ouest. Pendant toute l'autre saison, celle de la mousson de 
nord-est, une brise fraîche, venant de Formose et du pôle 
glacé de la Chine du Nord, balaie le littoral, amenant des 
pluies diluviennes, des brumes intenses, des nuages bas - 
qui s*arrêtent sur les crêtes et les sommets, masquant les 
contours dans un très faible rayon. La mer se fait pareille, 
et une houle dangereuse vient briser sur les bancs, rebondir 
au pied des falaises, déferler sur les plages. La mousson de 
sud-ouest ménage des aspects plus riants. La mer est douce, 
unie, à peine troublée de quelques rides, délicieusement 
bleue, miroir fidèle d'un ciel d'azur dans lequel se poursui- 



LA CÔTE d'aNNAM. 97 

vent de légers nuages, blancs et floconneux. L'eau est d^une 
transparence extraordinaire. Par calme plat, on distingue 
le fond jusqu'à vingt mètres, avec les menus détails du sol, 
les madrépores, les coraux blancs et jaunes, les poissons 
étranges et bariolés, les méduses violettes, comme des jar- 
dins parés d'une végétation de rêve, des paysages sous- 
marins où s'agite la vie inférieure et enchanteresse des 
eaux clémentes et chaudes. Dans le domaine de l'homme, 
les sables, les grands rochers, les grottes, alternent tour à 
tour auprès des flots, enveloppant des baies fermées et igno- 
rées ; au premier plan, la végétation de brousse qui couvre 
la terre présente des verdeurs sombres, contrastant étran- 
gement avec les grands sommets des monts lointains, qui 
apparaissent aux beaux jours comme noyés dans les teintes 
délicates, aériennes pour ainsi dire, d'une couleur vaporeuse, 

A l'aurore, quand le soleil émerg[e de la m^ r, la muraille 
rocheuse présente un spectacle féerique, aux détails les plus 
variés, les plus divers, se composant et s'alliant sans dis-» 
cordance ; c'est le règne de la lumière. Le soir, quand l'as- 
tre s'enfonce dans l'inconnu des terres Mois, au delà de la 
chaîne annamitique, dans un embrasement de l'ouest, c'est 
le règne de l'ombre, d.u soir qui descend dans les vallées, 
sur la mer faiblement agitée 

Aspect enchanteur pour les yeux, faible intérêt général 
et économique ; tel peut être le résumé d'une appréciation 
impartiale sur la côte d'Annam. Il ne faut pas s'attendre à 
y trouver une activité commerciale ou agricole comparable 
à celle de la Cochinchine ou du Tonkin, ni des ports d'ave- 
nir, assurant l'écoulement d'un fret important. Ces deltas 
sont des plaines sans divisions, sillonnées de routes, de 
rivières et de canaux, facilitant les transports des denrées 
au grand port qui centralise les exportations et les impor- 
tations. En Annam, le pays économique se limite à une zone 

RIVAGES IlfDO-CHINOIS. 7 



98 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

bordière de peu de largeur, comprise entre la mer* et les 
montagnes et fractionnée dans le sens de la longueur, par des 
éperons issus de la grande chaîne, en une infinité de cases, 
de compartiments différents. 11 y a donc peu de mouvement 
général, mais au contraire un cabotage actif reliant les ports 
médiocres de Nha-Trang, de Phan-Rang, de Quin-Nhon, et 
les moindres criques où Ton peut prendre ou déposer des 
marchandises. Aucun de ces bassins ne mérite d'ailleurs une 
mention spéciale. La race annamite, indolente, ne cultive 
tjue pour ses besoins immédiats ; l'exportation est faible^ 
limitée au sel, aux crépons de Quin-Nhon, au bétail du 
Phu-Yen, au sucre du Quang-Ngaï. Les circonstances cli- 
matériques ne sont pas non plus très favorables. Les pluies 
sont irrégulières, les sécheresses fréquentes, l'irrigation 
rudimentaire et peu développée; de plus, dans la partie 
nord au moins, il est rare que les typhons ne viennent pas 
se mettre de la partie, à l'automne, saccageant les récoltes, 
bouleversant les canaux, décourageant les populations. Cet 
^tat de choses, ce peu de valeur économique pourrait être 
modifié par des exploitations minières, mats elles n'existent 
encore qu'à l'état de projet. La côte d'Annam reste donc une 
région peu favorisée au point de vue commercial maritime. 



* « 



Le cap Padaran marque, comme nous l'avons dit, un 
tournant dans l'orientation de la côte d'Annam, en même 
temps qu'un changement géologique, la fin des dunes et le 
commencement des roches. 11 est constitué par un gros 
morne de 600 mètres de hauteur, s'avançant vers l'est, sé- 
paré des montagnes de l'intérieur par une dépression qui 
iaboutit au sud au petit port de Cana, bien abrité contre la 
hier du nord-est et recommandé eu cas de mauvais temps. 



LA CÔTE d'àNNAM. 99 

Le pied du cap, battu constamment par les houles de toutes 
les directions, est fait de grandes coulées rocheuses, sortes 
de basaltes ou de schistes refroidis, polies par les pluies et 
les érosions marines, étincelant au soleil comme des masses 
de métal. C'est le promontoire que tous les navires de TEx- 
trême-Orient viennent reconnaître, avant d'aller vers le nord, 
vers Hong-Kong ou Shang-Haï, ou vers le sud, vers Saïgon 
et Singapour ; il est le point de croisement dés grandes 
Foutçs maritimes des mers de Chine, celui que Ton peut cô- 
toyer à faible distance, avant de faire route sur les hauts 
fonds du sud, au milieu des bancs de l'Athea, de l'Amazon 
et du Duchaffault. 

' La baie de Phan-Rang s'ouvre au nord du cap, en un 
grand angle droit dont le côté nord-sud est le plus long. Au 
fond débouchent les rivières de Phan-Rang et de Na-Vian, 
issues de lagunes ensablées, coupées par des barres que les 
jonques peuvent seules franchir. Il est dommage que Phan- 
Rang, si bien disposé sur le passage des navires qui contour- 
nent Padaran, offre si peu de facilités maritimes. La partie 
nord de la rade est remplie de rochers, de coraux, de hauts 
fonds qui s'exhaussent ; le fond de la baie est à peu près 
sain et les bateaux de tonnage moyen peuvent mouiller as- 
sez près d'une berge de sable accore. Malheureusement, il 
est assez peu protégé, contre les deux moussons, et la houle 
s'y fait toujours sentir; aussi a-t-on songé dernièrement à 
établir, à partir de la pointe des Cocotiers, une digue suffi- 
samment solide pour résister à la mer et protéger le fond 
de la rade. Le projet n'a pas eu de suites, comme beaucoup 
d'autres éclos récemment. ^ 

Phan-Rang a traversé l'année dernière une période de 
prospérité factice, en raison du voisinage du Lang-Bia»g, 
où le gouvernement de l'Indo-Chine avait l'intention d'éta- 
blir un sanatorium. Phan-Rang aurait été le point tout dé- 



100 LES RIVAGES INDO-*GHINOIS . 

isigné pour l'accès de cette contrée sauvage et Ton devait 
construire un appontement pour le débarquement du maté- 
riel de chemin de fer ; les Messageries Maritimes décidèrent 
d'y faire escale. Les événements ne semblent pas justifier 
les prévisions, et toute cette agitation n'a eu jusqu'ici pour 
effet qu'un fort renchérissement des denrées dans la région. 

Un élément d'activité plus réel est pourtant né. Un colon 
français, M. Pérignon, continuant les traditions de M. Vuil- 
laume, a créé un réseau de canaux d'irrigation qui lui per- 
met de cultiver de riches rizières. La superficie de la zone 
défrichée a augmenté sensiblement, passant de loooo à 
20 000 hectares, donnant un revenu de 26 p. 100. Phan- 
Rang va pouvoir exporter du riz. Malheureusement, les na- 
vires éprouvent de grandes difficultés à venir charger par 
le mauvais temps ; en raison du manque d'abri de la rade, 
les grosses jonques ont beaucoup de peine à sortir de la 
lagune pour venir accoster les vapeurs. 

Phan-Rang est enfin un grand centre de pêche. Le fond 
de la baie, la lagune de la rivière, celle de Navian, servent 
de mouillages ordinaires à une foule de barques de pèche 
qui opèrent au large de la rade, leurs grands filets traînant 
derrière elles en marche, et au vent quand elles dérivent. 
Le produit de la pêche, centralisé au village, est traité sui- 
vant les méthodes annamites et chinoises, pour la fabrication 
des saumures et du « Nuoc-mâm », de la fameuse espèce dite 
de « Man-Thiet », fort réputée parmi les Annamites de Co- 
chinchine, et que les jonques chinoises et les barques de 
Baria viennent chercher. Le sel, base de toute cette prépa- 
ration, est en effet abondant à Phan-Rang ; l'administration 
des douanes a établi un dépôt d'achat et de vente sur les 
bords de la lagune de Navian. On l'avait, avant l'organisa- 
tion de cette régie, à bien meilleur marché et en plus grande 
quantité, et Phan-Rang est un des points où l'établissement 



LA CÔTE d'aNNAM. 10 1 

du nouvel impôt a eu la répercussion la plus fâcheuse. Nous 
en profiterons pour dire un mot de cette question, à laquelle 
est lié Tavenir d'une branche importante de l'exportation 
indo-chinoise. 

- Elle a été discutée avec acharnement par les détracteurs 
et les partisans. Les premiers, s'inspirant de l'intérêt écono- 
mique, ont un peu exagéré leurs critiques ; les seconds, 
s'inspirant au contraire de la raison d'État, des affres bud- 
gétaires, ont trouvé des raisons d'approbation inattendues. 
Remarquons d'abord, avec M. le capitaine Bernard, que 
cette régie a été particulièrement sensible à l'Annam, où le 
sel avait été de tout temps à très bas prix, à cause de la 
proximité de la mer; la taxe, si légère qu'elle fût, devait 
paraître énorme à ces populations pauvres, en regard du 
prix d'achat. La Cochinchine, plus riche, était moins éprou- 
vée en raison des frais de transport, de tous temps très 
élevés. On a donc mis, du jour au lendemain, des agglomé- 
rations humaines dans l'obligation d'acheter une denrée 
majorée d'une taxe égale à deux ou trois fois sa valeur ('). Ce 
sel, que chaque individu pouvait auparavant fabriquer et 
►vendre à sa fantaisie, est maintenant l'apanage d'un petit 
nombre de privilégiés, qui n'exercent ce monopole que 
moyennant finances, pour l'obtention d'un livret. Les déten- 
teurs de livrets, les sauniers, ne bénéficient pas non plus 
d'une situation brillante, en raison des bas prix d'achat 
exigés par l'administration et maintenus par une pression 
tacite et savante. L'écart, en 1900, entre le prix d'achat et 
celui de venté, était de 78 cents — j cents = 71 cents. Soit 
plus des neuf dixièmes. Aussi les sauniers manquent-ils d'en- 



(i) Le picul de sel valait 9 centimes au Quang-tri et au Binh-Thuan, 12 cen- 
.times à Hué, i5 à 18 dans les provinces du Nord. La taxe fut fixée d'abord a 
3o centimes. Après la ferme, on payait le picul 180 cents à Thuan-An, dans les- 
magasins de l'Etat. (Capitaine Bernard.) 



102 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

thousiasme pour un métier aîiisi déprécié, et le nombre des 
livrets, à Phan-Rang même, passe de i56 en 1899 à 56 en 
1900. L'exportation du sel, celle des saumures, subordonnée 
à la récolte de la matière première, baissent de plus en plua, 
à partir de Tannée 1898, qui marque l'introduction en Indo- 
Chine du nouveau système. 

Voilà la première version. Exploitons-nous réellement 
nos colonies à l'espagnole, en y introduisant des charges 
fiscales hors de mise? Entendons les témoins à décharge. 
La parole est à M. Frézouls, directeur des douanes, dans le 
rapport qu'il adresse au gouvernement général de nos pos- 
sessions (1902). Ce rapport contient moins la justification 
du nouvel impôt, l'infirmation des attaques dirigées contre 
lui, que l'historique de la question et la récapitulation sa^ 
tisfaite des recettes budgétaires. En Annam et au Tonkin, 
on songea avant 1897 à établir une taxe de consommation 
sur le sel, qui ne réussit guère, en même temps qu'un droit 
sur les sels transportés par mer. Enfin, l'année 1897 (i" juin) 
voit consacrer le principe de l'achat, par l'État seul, et du 
monopole de vente, avec la restriction de l'intermédiaire de 
la société J.-B. Malon et CK L'essai fut malheureux, se tra- 
duisit par un renchérissement considérable du sel et par des 
abus qui amenèrent, le 19 mai 1898, la résiliation du contrat 
primitif et l'installation de la régie directe. Les recettes aug- 
mentent, comme la douane nous le montre complaisamment 
par le tableau suivant : 



En 1896 . 


4449^ piastres. 


En 1899. . 


I 077019 piastres- 


1897 . 


. 84573 — 


1900. . 


1296889 — 


1898 . 


. 692 36o — 


1901. . 


I 4oo 000 — 



La régie traite en 1 900 avec un intermédiaire, M. Debeaux, 
pour assurer la vente du sel dans l'intérieur du Tonkin, de- 
venue pénible en raison d'une demande plus active, et des 



LA CÔTE d'aNNAM. Io3 

pluies qui avaient gâté une bonne partie de la récolte. On 
dut cette année faire venir 23 ooo tonnes des autres pays 
de Tunion indo-chinoise et de la Chine. — Depuis, l'admi- 
nistration a pris ses mesures pour faire en toute saison, 
quelle que soit la récolte, le ravitaillement des dépôts les 
plus éloignés. — Fort bien I Mais jusqu'ici, nous ne voyons 
dans le rapport de M. Frézouls que la consécration définitive 
du système de la carte forcée, nullement justifié par des 
arguments. N'aura-t^il pas d'effets désastreux sur deux 
branches de notre commerce, sur l'exportation des pêches 
et sur celle des saumures ? 

On nous annonce que l'on ne songe pas à mettre des droits 
à l'exportation.. C'est fort heureux, surtout dans un ordre 
d'idées où la fringale des recettes n'est enrayée par rien. 
L'exportation du sel, la plus importante, suit la marche ci- 
dessous, en tonnes : 



1893. . . 


. 21621 


1898. . . 


. 3i 343 


1894. . . 


. I93I4 


1899. . . 


. 21 658 


1895. . . 


. 18 172 


1900. . . 


. 22268 


1896. . . 


. 34401 


I90I, . . 


. 25 926 


1897. . . 


. 42 926 







On a soin de nous faire remarquer que les moyennes des 
deux colonnes sont à peu près les mêmes. Nous remarque- 
rons, nous, une chute de 20000 tonnes de 1897 à 1899, 
après l'établissement de l'impôt, et, en fait de moyenne, 
nous comparerons celle de la période triennale 1 896-1 897- 
1898 à celle de 1 899-1 900-1 901, comme il est logique de le 
faire, avant et après la taxe. Le rapprochement est édifiant» 

Singapour, dit toujours la douane, importe 3o 000 tonnes 
en 1898, 20800 en 1899 et 3iooo en 1900. Or, d'autres 
statistiques, faites dans les Établissements des Détroits, 
donnent pour 1900 une importation de sel indo-chinois de 
20 520 tonnes Incompatibilité mystérieuse ! Passons. 



I04 LES BIVAGES INDO-CHlNOIS. 

Que deviennent, avec le nouveau système, les pêches et 
les saumures ? Les pêcheurs du golfe du Tonkin, pour leur 
part, ont fort mal accueilli la taxe et ont vivement protesté. 
En 1902, on constatait à la Cac-Ba un retard d'un mois et 
demi dans Tarrivée des jonques venant de Chine pOur pê- 
cher, retard étrange et explicable seulement par la mauvaise 
volonté qu'éprouvaient les Chinois à se soumettre à nos 
formalités. Les exportations des pêcheries cochinchinoises 
et cambodgiennes ont subi, elles aussi, une forte baisse en 
1898, après Tannée de Timpôt. 

Exportation en tonnes (chifC^es de l'Administration). 



1895. . . 


. 21 535 


1899. . . 


. 21075 


1896. . . 


. 20 6o5 


1900. . . 


. 22 088 


1897. . . 


. 28 160 


1901. . . 


• 23 i5o 


1898. . . 


. 18998 







On constate, ici encore, un écart de 10 000 tonnes de 1897 
à 1898. La douane cherche à le rejeter sur la faute du pois- 
son, qui aurait, paraît-il, soudain manqué en 1898 et pen- 
dant les années suivantes. Cette disparition instantanée est 
tant soit peu étrange, et elle remplit d'étonnement ceux qui 
ont quelque habitude de la question. Finalement, M. Fré- 
zouls nous exprime la crainte qu'il a de voir la production 
demeurer inférieure aux besoins de la consommation. L'im- 
pôt du sel est-il de nature à remédier à cet état de choses ? 

Ainsi, avec la meilleure volonté du monde, on ne peut 
s'empêcher de trouver que les charges alléguées contre la 
nouvelle taxe sont graves et fondées, à peine détruites par 
quelques excuses détournées. On en est réduit à plaider les 
circonstances atténuantes, en admettant que l'impôt est dé- 
fendable, et qu'il a plus agi, sur l'esprit des populations, 
par le dérangement d'habitudes séculaires que par sa quo- 
tité absolue. Faible plaidoirie en vérité I 



LA CÔTE d'aNNAM. Io5 






Le faux cap Varella est l'accident le plus remarquable de 
la côte, immédiatement au nord de Phah-Rang. Son nom 
dérive de la vague ressemblance qu'il a, vu du large, avec 
son similaire ; il ne peut pourtant pas être confondu avec 
lui, à cause de l'absence du rocher Da-Bia. La petite baie 
du Ving-Cang, étroite et bien abritée, se creuse sous le cap. 
-Elle a été, avant notre occupation, un repaire avéré de pi- 
rates. Ceux-ci ont maintenant disparu, remplacés par des 
commerçants plus pratiques, honnêtes contrebandiers. On a 
dû, àla suite de ces faits, imposer une surveillance rigoureuse 
aux jonques chinoises fréquentant les baies de la côte, ce 
qui a quelque peu restreint leur navigation. 

Après le faux cap vient l'enfoncement de Camraigue, sé- 
paré en deux mouillages, extérieur et intérieur, par le dé- 
troit qui précède l'immense lagune de Ba-Ngaï. Le port 
extérieur, à l'abri de l'Ile Tague, est sûr et parfaitement 
abrité; le port intérieur, protégé par les dunes, est tout 
aussi excellent, et il a servi plusieurs fois de refuge contre 
les typhons aux bâtiments de guerre. Jusqu'ici, l'importance 
de Camraigue avait pourtant paru médiocre aux yeux des 
commerçants. Tout vient de changer. Séduits par la proxi- 
mité des routes maritimes, deux colons français, MM. de 
Barthélémy et de Pourlalès, ont décidé de créer une ville 
•dans ce port, récemment ouvert à grand renfort de réclama- 
tions contre des règlements surannés. Ils ont obtenu une 
concession très étendue, malheureusement peu favorisée 
sous le rapport de la fertilité. Ils projettent surtout l'exploi- 
tation intensive des pêches et du chalutage à vapeur, avec 
traitement sur place du produit et des déchets de poisson. 
Tout comporterait donc la création d'un centre industriel 
•important, parachevé par l'établissement d'une zone franche 



I06 LES RIVAGES IXDO-CHINOIS. 

et d'un embranchement du trans-indp-chinois aboutissant à 
Gamraigue ; la partie sud-est du port intérieur est en effet 
très favorable à l'installation d'appontements et de wharfs 
^n eau profonde. M. de Barthélémy a en outre créé sur 
la côte d'Ânnam, au moyen du vapeur Melitta, un service 
de cabotage très suivi, qui aurait tout intérêt à être plus 
régulier et doublé de prolongements sur Hong-Kong et Sin- 
gapour. 

La baie de Gamraigue est séparée de la mer par une lon- 
gue presqu'île, faite de sables, de dunes et de collines, qui 
forme la grande plage de Ngaï ; la baie se termine vers le 
nord par de faibles profondeurs et une rivière insignifiante. 

Les îles des Pêcheurs, hautes, escarpées, divisées en deux 
groupes, Honnaï et Hon-Ngoaï, sont les premières, au sud, 
d'un chapelet ininterrompu qui s'étend jusqu'au cap Varella. 
La grande Hon-Tré lui fait suite, élevée, aussi accidentée 
verticalement que découpée sur ses rivages. Les baies sont 
nombreuses, offrant des abris sûrs contre les deux moussons, 
au nord comme au sud, au sud surtout, où un petit bâti- 
ment peut facilement se réfugier dans des boyaux sinueux 
et encaissés. Hon-Tré, avec son grand sommet de 5oo mè- 
tres, ses prairies vertes, son cortège d'îles satellites qui la 
relie à la côte malgré des chenaux courts et profonds, limite 
au sud la grande rade de Nha-Trang, un des plus beaux 
paysages maritimes de l'Annam méridional. 

Il commence au nord, au cap Vert, qui marque l'extré- 
mité de la majestueuse presqu'île de Bing-Cang, aux mon- 
tagnes serrées, venant finir sur la mer par une chute abrupte. 
L'île Tré barre la vue du côté du sud ; la Pyramide et Hon- 
Cau du côté du large, émersîons de rochers à pic que peu- 
plent des nids d'hirondelles. L'île Shala, Tîle Sèche, la Tor- 
tue, le Rocher blanc, l'île Brierre parsèment çà et là l'étendue 
immense du golfe. Du côté de l'ouest, la petite ville de Nha- 



LA CÔTE d'aNNAM. IO7 

Trang, les quelques habitations qu'elle renferme, se mon- 
trent sur la plage blanche, appuyées à des monticules 
insignifiants. Plus loin, c'est la vallée de la rivière de Nha- 
•Trang qui court vers la citadelle de Khan-Hoa, entre le 
chaînon transversal qui part du Tondu et celui qui naît à la 
pointe Mui-Kega, à peine coupé par le col des Barricades. 
Une délicieuse brise marine, une pureté d'air incomparable, 
sont les caractéristiques de Nha-Trang, dont les conditions 
sanitaires sont les meilleures de tout l'Annam. 

L'importance économique de la région n'est pas digne 
d'attention. La vallée de Khan-Hoa est assurément fertile, 
mais les indigènes, ayant peu de besoins, ne recherchent 
pas la vente et l'exportation. Les rizières ordinaires s'éten- 
dent de chaque côté de la rivière, irriguées par des procédés 
trop primitifs, sans aucun désir de progrès. Dès le pied des 
collines, la brousse commence, la haute brousse d'Annam, 
épineuse et serrée. La rivière serait d'ailleurs d'un faible 
secours comme voie de communication et de transport, et 
la rade de Nha-Trang n'offre pas une sécurité suffisante pour 
assurer un embarquement par tous les temps, surtout quand 
la houle du nord-est vient briser sur la plage et la barre, 
rendant délicat le passage près du banc du Bourayne. Les 
paquebots vont alors mouiller dans l'estuaire du Cua-Bé en 
un point avec lequel les communications sont fort incom- 
modes. Les nids d'hirondelles forment un certain élément 
d'exportation, de même que le bétail, inférieur pourtant à 
celui de Phu-Yen, et facilement perfectible. Les opérations 
commerciales se bornent donc à fort peu de chose. 

La baie de Bing-Cang se creuse au nord, allant rejoindre 
le centre chinois de Ninh-Hoa, qui s'est créé assez loin, de 
Nha-Trang, apportant, par l'aide de son commerce, une cer- 
taine activité dans le bassin de Khan-Hoa. Malheureuse- 
ment, outre la distance, Ninh-Hoa a encore comme inconvé- 



I08 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

nient celui d'être situé sur un petit arroyo presque à sec en 
été, qui se jette au fond du havre de Binh-Cang, barré d'îles, 
•aux profondeurs décroissant rapidement. Actuellement, les 
navires qui pénètrent dans cette superbe baie doivent mouil- 
ler près de l'entrée, à la limite des fonds de 7 mètres.. Les 
jonques qui vont vers Ninh-Hoa n'ont plus à leur disposition 
qu'un chenal étroit, dont les fonds varient de o",20 à 2 mè- 
tres à marée basse, au milieu de la vase et des palétuviers. 
Les Chinois attendent la marée haute pour le transfert des 
marchandises à destination de leurs correspondants d'Haïnan 
et de Singapour. Voilà toute l'utilité commerciale de ce 
golfe aux vertes côtes, aux paysages variés comme ceux du 
•Japon, que domine, très loin dans le nord, le sommet bi- 
zarre de « la Mère et l'Enfant ». 

La presqu'île de Binh-Cang ferme au sud le golfe profond 
de Van-Phong, sorte de vestibule extérieur de la grande 
baie de Binh-Koï. Cette baie, dont l'entrée est dirigée vers 
le sud-est, est barrée par une série d'îles qui en varient l'as- 
pect, tout en laissant entre elles des passages où les fonds 
ne sont pas inférieurs à 20 mètres : ce sont l'île Bac, l'île du 
Milieu, l'île Longue, et, plus au large, le petit rocher plat 
du Bouton. En allant vers l'intérieur, les profondeurs d'eau 
sont encore suffisantes pour permettre le passage des grands 
-navires, et les quelques bancs que Ton y rencontre s'évitent 
facilement au moyen d'alignements. Le petit port de Hone- 
Cohe, placé au sud, au débouché d'une rivière, à l'abri d'une 
presqu'île peu élevée, est un centre important de salines. 
Malheureusement, les jonques seulement peuvent le fré- 
quenter avec profit, car les alluvions de la rivière ont fait 
coasidérablemenl diminuer les fonds devant l'entrée, et, à 
l'heure actuelle, les navires calant 5 mètres et plus sont 
-obligés de mouillera un mille et demi des dépôts de sel. 
'Toute la partie nord-ouest de la baie de Binh-Koï est occu- 



LA CÔTE d'aNNAM* IO9 

pée par une ligne d'îlots orientée parallèlement au rivage 
continental, en un axe d'émersion bien caractérisé, com- 
prenant rile Nord, le Chignon, les deux Mamelles, l'île du 
Sud-Ouest et le Bonnet. Ces îles varient agréablement la 
monotonie de l'immense lagon. 

Mais l'accident géologique et topographique le plus re- 
marquable est assurément celui que l'on remarque au nord. 
Une presqu'île, variée par des sommets de 5oo à 600 mètres, 
tenant à la terre par une langue de sable minuscule, court 
du nord-ouest au sud-est, avec des côtes rocheuses et décou- 
pées, aboutissant à l'îlot de Doï-Moï (la Guérite), point le 
plus oriental de toute la côte d'Annam, et aux rochers dan- 
gereux des Trois-Rois. Une île énorme, l'île Kua, flanquée 
d'autres plus petites, est juxtaposée à cette presqu'île de 
Hone-Gome, laissant entre elle et cette dernière un bassin 
fermé, communiquant avec la mer et avec la baie de Binh- 
Koï, connu sous le nom de Port-Dayot. L'eau y est calme 
comme celle d'un lac, même lorsque la mousson de nord- 
est bouleverse la mer au large; les berges, très accores, 
sont dépourvues de tout danger, et les profondeurs à peu 
près uniformes sont de 20 à 25 mètres, sauf dans le Goulet 
d'entrée, où elles atteignent et dépassent 3o mètres. Ce 
point avait déjà été remarqué par les officiers français qui, 
avant la Révolution, posèrent les premières bases de notre 
domination en Annam ; les noms donnés aux divers points 
(île Chaigneau, île d'Adran, baie Ollivier, mont Dayot, etc.) 
le prouvent suffisamment. De nos jours encore, le gouver- 
nement de l'Indo-Chine, séduit par les conditions exception- 
nelles du lieu, fait étudier les moyens d'y créer un point 
d'appui de la flotte. 

Encore une autre baie avant d'arriver au cap Varella. 
Mais celle-ci, très ouverte, ne présente aucun caractère, et 
c'est une dépression insignifiante de la côte, à peine variée 



IIO LES RTTAGES INDO-GHDÎOIS. 

par la petite lie de Hon-Rô. La chaîne des montagnes de 
rîntérieur, démasquant tour à tour ses grands sommets de 
la Mère et TEnCant, du Diadème, du Salacco, élevés de 
2 ooo mètres en moyenne, se rapproche de plus en plus du 
littoral ; la plaine agricole diminue graduellement. Cet épe- 
ron montagneux finit par le sommet étrange de Varella, 
pour tomber brusquement dans la mer au cap du même 
nom, dont les trois bosses rocheuses s'avancent vers le 
large. C'est, avec le cap Padaran, le point le plus intéres- 
sant pour la navigation de l'Annam méridional ; on y projette 
un phare qui sera le bienvenu, car les na\îres venant de 
Hong-Kong, prenant la côte très oMiquement, sont fréquem- 
ment dépalés par les courants et reconnaissent alors Varella 
au lieu de Padaran. La méprise peut être grave. 

Le charmant petit havre de Vung-Rô, au sud du cap, 
complètement à Tabri de la houle et du vent, dominé par le 
grand rocher Da-Bia, perché comme un donjon des Bur- 
graves sur le sommet de Varella, est le mouillage fréquent 
des jonques et des vapeurs qui pratiquent ces parages, sur- 
tout dans la mauvaise saison. Ce fut aussi, jadis, un re- 
paire de pirates, et de contrebandiers aujourd'hui. En outre, 
il a eu de tout temps une importance politique incontes- 
table. La présence de la barrière montagneuse dont nous 
venons de parler enlève à la route mandarine, grande voie 
de communication du nord au sud de l'Annam, la possibi- 
lité d'utiliser les dépressions généralement situées en arrière 
des massifs côtiers. Après avoir suivi la plage pendant une 
vingtaine de kilomètres, elle escalade la montagne et la 
franchit au col du Deo-Ca, pour redescendre ensuite vers le 
Phu-Yen. Il s'ensuit que le mouillage de Vung-Rô, placé au 
débouché de ce col, et, plus encore, celui de Khan-Hoa-Gia, 
situé à I kilomètre de la route, commandent entièrement 
le passage. Le chaînon montagneux du Varella dans l'An- 



LA CÔTE d'aNNAM^ III 

nam sud, comme celui du cap Boung-Quioua dans TAnnam 
nord, sont les passages stratégiques de la côte. On s'ex- 
plique donc que M. Harmand, à propos du traité de i883, 
ait demandé de prolonger notre domination cochinchinoise 
jusqu'à Deo-Ga, nos possessions tonkinoises jusqu'à Boung- 
Quioua, en n'abandonnant au protectorat de l'Annam que 
les provinces centrales. On ne fit droit à cette idée que pour 
le Ninh-Binh, qui fut rattaché au Tonkin. 

* * 

Au cap Varella commence la province de Phu-Yen, une 
de celles en lesquelles on peut avoir confiance pour le déve- 
loppement économique de la côte d'Annam. La vue de la 
côte, dès l'arrivée, séduit et enchante. La culture indigène 
ne se limite pas aux plaines, aux vallées et aux bas-fonds, 
elle monte sur les pentes, découpées en carrés très réguliers, 
de couleurs diverses, qui revêtent les moindres collines de 
la province d'un damier riche en promesses agricoles. La 
brousse recule devant les défrichements, devant les rizières 
nouvelles, les plantations de maïs, de canne à sucre, de co- 
cotiers; les landes inoccupées, les maquis incultes sont 
réservés au bétail, qui patt en troupeaux nombreux autour 
des villages qui parsèment la côte comme autant de taches 
brunes. On se croirait sur le littoral de Bretagne, devant 
les coteaux du ciel de France. C'est là le malheureux Phu- 
Yen, heureusement relevé de ses ruines de i885, époque où 
plus de 3 ooo chrétiens furent massacrés par les partisans 
d'Ham-Nghi, bientôt punis par la farouche répression exer- 
cée en notre nom par la terrible Tong-doc-Loc. Vieux sou- 
venirs, déjà effacés par les effets du labeur et de la tranquil- 
lité des populations. 

Au nord du cap Varella commence une interminable 



112 LES RIVAGES JNDO-GHINOIS. 

plage de sable, précédée au large par de nombreux bancs 
et des têtes de granit, dont la plus importante, trouée de 
part en part, porte le nom de « roche percée ». C'est sur 
cette plage que deux vapeurs français, le Binh-Thuan et 
V Hélène, le second venu au secours du premier, se sont 
échoués en février igoS, en pleine mousson de nord-est. A 
rintérieur, le monticule de la Pagode, avec son temple 
bouddhique, le sommet conique de TÉpervier, dominent la 
côte près de l'estuaire du Cua-da-Rang. Ce fleuve, malheu- 
reusement obstrué par une barre et par des apports conti- 
nuels de sable, est un des plus importants de la côte d'An- 
nam. Il est pourtant peu navigable, surtout pendant la saison 
sèche, oii les jonques ne peuvent pas dépasser le monticule 
de la Pagode et le port de Tuy-Hoa, mais sa vallée, large et 
longue, est une excellente voie de pénétration dans Tarrière- 
pays, chez ces sauvages peuplades Mois où l'élevage estin- 
tensif et prospère. Gomme une bonne part de l'exportation 
du Phu-Yen, sur Saigon et Singapour, consiste en bestiaux, 
il y aurait tout intérêt à drainer davantage vers la côte cet 
élément de fret. On pense le faire au moyen d'un canal 
latéral au Cua-da-Rang, navigable en tous temps pour les 
jonques, et servant également à l'irrigation des terres, 
moyennant redevance. On s'occupe de réunir les capitaux 
nécessaires, et en même temps de faire à l'estuaire du fleuve 
quelques travaux de dragages qui permettront aux jonques 
chinoises d'Haïnan de venir en grand nombre. 

Les petites îles Ma-Lieng, au nord du Cua-da-Rang, don- 
neraient des mouillages assez bien abrités si les madrépores 
n'obstruaient à la longue les différents chenaux. A l'heure 
actuelle, toute la partie sud est remplie de coraux, et un 
navire ne peut s'engager qu'avec la plus grande circonspec- 
tion au milieu des brisants. 

Nous arrivons ainsi à la partie de la côte qui est plus 



LA CÔTE d'aNNAM. Ii5 

exactement le port et le débouché du Phu-Yen : la grande 
baie de Xuan-Day, ouverte au commerce en i884. Celle-ci 
a son entrée tournée largement à Test ; elle présente des 
profondeurs utilisables par les vapeurs de tonnage moyen, 
et ses rivages, assez longuement développés, se creusent en 
baies rocheuses qui abritent des centres commerciaux dis- 
tincts les uns des autres. Quelques grandes îles, comme 
nie des Nids et l'île Rocheuse, complètent Terisemble. L'en- 
trée est commode, et les dangers de l'Illyssus, de la « roche 
Bouée » et de la roche Volga ne sont pas suffisants pour ar- 
rêter les caboteurs qui viennent assidûment à Xuan-Day. 
Le petit port de Xuan-Day est celui qui se présente immé- 
diatement à gauche de l'entrée : il a donné son nom à la 
baie tout entière. Une petite rivière, bordée de quais em- 
pierrés, communiquant avec la lagune d',01ang, présente à 
haute mer des fonds de i^'jBo à 2 mètres, et sert de lieu de 
rassemblement pour les barques de pêche; le mouvement 
commercial est nul. Au contraire, le fond de la rade de 
Vung-Lam est un centre très actif, où les négociants chinois 
sont venus de bonne heure s'installer, et où la douane a 
placé son bureau de surveillance ; presque tout le commerce 
du Phu-Yen passe par Vung-Lam, et le Cua-da-Rang seul 
pourrait lui enlever cette supériorité économique. Nous 
n'avons presque rien à dire de Song-Cau, qui n'est que le 
port administratif et officiel, au point le plus mal partagé 
de la rade de Xuan-Day, Toute la baie assèche à marée 
basse, et les communications sont fort difficiles avec les 
vapeurs, qui mouillent très loin. On paraît avoir avant tout 
recherché pour Song-Cau la proximité de la route manda- 
rine, avec des préoccupations politiques qui nuisent consi- 
dérablement aux desiderata maritimes et commerciaux. 

Les gros mornes rocheux de la pointe Gain-Ba servent 
d'amers pour reconnaître de loin la côte nord de l'entrée de 

RIVAGES mDO-CHmOIS. 8 



U4 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Xuan-Day ; ils arrêtent au sud Tamas rougeâtre des dunei» 
de Vung-Trîch, qui est une des taches sablonneuses les plus 
caractéristiques de la côte, un point que Ton relève avec 
autant de certitude qu'un sommet ou une roche. Puis vient 
la baie de Cu-Mong, toute difîérente de celle de Xuan-Day, 
dont elle est Topposé, l'antithèse évidente, Xuan-Day est à 
peu près carrée, Cu-Mong a la forme d'un étroit boyau 
orienté vers le sud-est, de trois à quatre mètres de profon- 
deur, resserré par des étranglements qui s'épanouissent 
ensuite pour former des barrières intérieures. Tandis que 
l'entrée de Xuan-Day est large et commode, celle de Cu- 
Mong a i5o mètres à peine, et le chenal coude presque à 
angle droit pour suivre l'axe de la baie, gêné par une île et 
des hauts-fonds. Cu-Mong est néanmoins un bon abri, et un 
centre actif qui a connu la prospérité grâce aux salines ex- 
ploitées sous l'ancien régime. Celle-ci eût été plus grande 
encore sans les règlements de la cour d'Annam qui se refu- 
saient à ouvrir le port de Cu-Mong. Il fallait alors charger 
le sel sur des sampans pour l'envoyer à Quin-Nhon, d'où un 
supplément de manutention fort gênant pour l'exportation. 
Celle-ci se limitait donc aux envois faits aux provinces voi- 
sines, au Binh-Dinh, au Quang-Nam et au Khan-Hoa, à 
raison de 16000 piculs par an. De nos jours, Cu-Mong, port 
ouvert, est fréquenté par des vapeurs de Singapour qui vien- 
nent charger jusqu'à i ooo^tonnes de sel ; des voiliers y font 
quelques apparitions. 

Au large, Poulo-Gambir est la dernière île de quelque 
importance que l'on rencontre sur la côte d'Annam, car on 
ne saurait donner ce nom aux quelques rochers qui se mon- 
trent dans le Binh-Dinh sud. Elle est composée de deux 
arêtes montagneuses séparées par une dépression comprise 
entre les deux baies sud et nord, plantée de cocotiers et 
peuplée de villages de pêcheurs. Des roches la débordent. 



LA CÔTE d'aNNAM, I i5 

dominées par les Mamelles, empêchant de contourner l'île à 
faible distance. C'est en venant mouiller dans la baie du sud 
•que le Saigon, vapeur-annexe des Messageries Maritimes, 
a donné sur l'un de ces rochers, se faisant des avaries suffi- 
samment graves pour amener sa perte totale. Le passage 
entre Poulo-Gambir et la terre, pour les navires qui se ren- 
dent à Quin-Nhon, est assez délicat; le banc de Pâques, sur 
lequel il ne reste que 4 mètres d'eau à marée basse, l'obstrue 
en partie, à mi-distance de l'île et du littoral. , 

Quin-Nhon, le port de Bihh-Dinh, ouvert au commerce en 
,1874, est le seul point important de cette partie de la côte. 
Primitivement, c'était un golfe profond, creusé au nord, 
séparé de la mer par la presqu'île accidentée qui finit au cap 
S^ho, offrant contre la mousson du nord-ést, un excellent 
abri. Mais dans ce golfe débouchaient de multiples rivières, 
drainant toutes les eaux du sud de la province, charriant 
avec elles les alluvions et les dépôts. Une pointe de sable 
s'est formée peu à peu, se détachant de la terre ferme, s'a- 
vançant vers l'est, tendant à rétrécir le passage réservé aux 
navires venant mouiller dans le golfe. Cette langue de terre 
porte maintenant les établissements français et le grand vil- 
lage annamite de Thi-Naï. L'entrée actuelle existe sous la 
forme d'un chenal très étroit, coudant brusquement à angle 
droit, et dans lequel les courants de marée sont très violents. 
Le golfe est devenu une lagune, insignifiante sur les trois 
quarts de sa superficie, se comblant petit à petit sous l'action 
des rivières. Le chenal s'y termine par une fosse centrale 
de 10 mètres de profondeur, allongée sensiblement du nord 
au sud, et trlSs peu large ; dès que l'on sort de cette fosse, la 
sonde n'accuse plus que des fonds de 2 à 3 mètres, puis d'im- 
menses étendues qui découvrent à marée basse. Comme si ce 
n'était pas assez pour compromettre gravement l'existence 
commerciale de Quin-Nhon, le chenal aboutit du côté de la 



TIO LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

mer à une barre sur laquelle il ne reste que 4 mètres à marée 
basse, qui tend à se relier à la terre ferme par trois autires 
barres concentriques, issues de la langue de sable, et pro- 
gressant graduellement vers le large. Quelques vapeurs se 
décident à rentrer dans la lagune à mer haute, mais la plu- 
pari mouillent à Pextérieur, en dehors de la barre, exposés 
à tous les vents. Les annexes des Messageries Maritimes 
s'en tiennent à ce dernier procédé depuis Téchouage de 
VHaïphong. . 

Quin-Nhon est le débouché du Binh-Dinh, de cette riche 
province de TAnnam central. Le littoral fournit le sel, qui 
s'entasse dans Tentrepôt de la douane, et que de nombreux 
navires viennent chercher. Le thé est très cultivé dans le 
sud de la province, et la maison Lombard, de Tourane, y 
possède un représentant. Mais la soie est encore l'article 
d'exportation le plus remarquable, bien que son importance 
ait diminué au cours de ces dernières années. C'est avec elle 
que l'on fait les fameux crépons de Quin-Nhon, fort réputés 
dans toute l'Indo-Ghine. Les procédés des indigènes étant 
par trop primitifs et ayant besoin d'être modifiés, un colon 
•français, M. Paris, vient de créer un centre de soie à Phu- 
Phong ; il achète la matière première, qui sera bientôt traitée 
par une filature. La réputation des soies de l'Annam ne 
pourra qu'y gagner. Les noix d'arec, les peaux, les bœufs, 
les cornes, les tourteaux, les arachides, les bois fournissent 
aussi un fort appoint à l'exportation. Voici les chiffres du 
commerce de Quin-Nhon, du i^janvier au 3i octobre 1901: 



TONNES. 


. VALEUR. 


— 


m^m 




Francs. 


8730 


4024000 


A 707 


2840600 



Exportation .... 
Importation .... 

• Une fabrique d'albumine fonctionne à Quin-Nhon. Mais, 
si l'industrie est ainsi réservée aux Européens, le commerce 



LA CÔTE d'aNNAM* I I ^ 

est centralisé aux mains des Chinois, réunis en âne puissante 
agglomération. Ce sont eux qui achètent la soie grège et 
qui l'exportent à Singapour. Ils parlent Tannamite et le fran- 
çais, sont consignataires des navires, ont des succursales 
à Hong-Kong, Haïnan et Singapour, et des relations dans 
tous les autres ports du littoral. Aussi les navires qui fré- 
quentent Quin-Nhon ont-ils des relations très suivies avec' 
ces maisons, et sont souvent loués à bail par elles, suivant 
un système très répandu en Extrême-Orient. 

Les Messageries Maritimes avaient auparavant le mono- 
pole presque absolu des transports delà côte d'Annam. Elles 
ont eu, depuis quelques années, à faire face à de nombreux 
concurrents, français et étrangers. Les Chargeurs-Réunis ne 
daignent pas encore s'arrêter à Quin-Nhon, à cause d'un^ 
fret trop faible, mais les petits caboteurs de Saigon, comme 
V Hélène et la Melitta, entrent en compétition, surtout pour 
le transport du bétail, à des prix que la grande compagnie 
ne peut pas supporter. Les vapeurs étrangers viennent aussi 
à Quin-Nhon charger du seL La maison Clewet, de Singa- 
pour, envoie VOslo, et notre consul en cette dernière ville, 
M. Jouflroy d'Abbans, le Baïkal, dont il est propriétaire. 
Chacun de ces navires prend de i 200 à i 5oo tonnes de 
sel. Une maison de Hong-Kong expédie tous les dix-huit 
jours les bâtiments norvégiens Progress et Argo; il vient 
même un vapeur autrichien, le Tricar, ainsi que quelques 
voiliers. 

Cet important mouvement maritime exige comme com- 
plément de sérieux travaux de port, pouvant placer les na- 
vires dans des conditions plus avantageuses que celles qui 
sont faites en ce moment. Les marchandises que Ton doit 
charger sur les vapeurs sont embarquées «sur des jonques 
au village chinois.; elles ont deux kilomètres à faire pour 
atteindre les navires mouillés à Tintérieur et quatre lorsqu'il 



Il8 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

s'agit de navires rie rentrant pas dans la lagune I Les navi- 
gateui*s réclament donc : • " 

I** La construction d'un pylône en fer destiné à remplacer 
les cocotiers donnant le premier alignement (ce bouquet de 
cocotiers diminue tous les ans d'une manière inquiétante) ; 

2° Le transfert des magasins de la douane à Textrépiité 
de la langue de sable ; 

3° La construction d'un ^ppontement dans la passe, pour 
remplacer l'ancien, détruit par un raz de marée en 1897 ; 
. 4° La mise en place d'un balisage sérieux du chenal ; 

5** L'allumage d'un feu de port sur la pointe de droite de 
l'entrée. Celui que l'aimable agent des Messageries Mariti- 
mes allume par dévouement sur sa maison, lors de l'arrivée 
des courriers, est en effet insuffisant et aléatoire. 

En 1891, ces travaux faillirent recevoir un commence- 
ment d'exécution. Il n'en fut plus question. De nos jours, 
les Travaux Publics viennent de reprendre ce plan, en le mo- 
difiant quelque peu. L'appontement sera construit dans la 
lagune, par des fonds de 6™,5o à marée basse. On doit aussi 
draguer la barre, et, à ce sujet, une certaine hésitation s'est 
manifestée sur la position de la partie à draguer. En dra* 
guant à l'est, on coupe la barre dans sa partie la plus 
étroit^, et oii réalisé un gain considérable sur le cube à ex- 
traire. Le coude du chenal n'est pas une difficulté invin- 
cible, mais il subsiste celle d'une rencontre de navires dans 
le chenal, la pointe du fortin masquant à chacun d'eux la 
vue de l'autre. Un signal de convention placé sur cette 
pointe permet de résoudre le problème. Le nouveau chenal 
sera balisé par huit bouées, et le feu de Thuan-An, que 
Ton a renoncé à installer, sera construit sur la pointe de 
droite. 






119 

La côte d'Annam continue après Quîn-Nhon sans res- 
sembler à ce qu'elle était dans le Khan-Hoa et le Phu-Yen, 
sans le pittoresque qui en faisait le charme. Quin-Nhon 
marque la fin des grandes baies, des caps avancés et con- 
tournés, des îles capricieusement serrées. Le littoral du 
Binh-Dinh remonte droit au nord jusqu'au cap Batangan, 
avec quelques dépressions comme celles de Degi, de Nuoc- 
Ngot, de Tamquan, quelques vagues proéminences comme 
la pointe An-Yo, les caps Sahoï et Mia, oscillant très peu 
autour d'une direction rectiligne qui court vers le cap Ba- 
tangan. Les îles ne se montrent plus. Il ne subsiste des 
groupes insulaires du sud que quelques rochers à pi<î 
comme les deux Coni, l'île Juan Prieto, l'île Buffle, ou un 
tas de cailloux émergeant à peine, comme l'île Tortue. 

Il existe néanmoins sur cette côte plusieurs petits ports 
qui font un commerce assez actif de cabotage entre eux et 
avec les villes du sud. Degi se montre presque immédiate- 
ment après Quin-Nhon, à l'entrée d'une lagune analogue à 
celle de ce dernier port, dans laquelle il est presque impos- 
sible de pénétrer. C'est le sort qui attend Quin-Nhon si l'on 
n'exécute promptement les travaux dont nous avons parlé. 
Degi est un grand centre salinier, fréquenté par des voiliers, 
des jonques chinoises d'Haïnan et des barques de mer an- 
namites. Il exporte beaucoup de coprah et des cordages 
en fibres de coco. C'est le troisième port de la province du 
Binh-Dinh. 

Kimbon, un peu plus haut, à l'entrée de la rivière de 
Tamquan, est le deuxième. Les grands navires ne peuvent 
franchir la barre, et restent mouillés au large, mais les jon- 
ques remontent jusqu'à Tamquan, où sont établis de nom- 
breux Chinois en relations avec les maisons de Quin-Nhon, 
«de Hong-Kong et de Swatow^. Tout le commerce est entre 
leurs mains. Il consiste, à l'importation, en « nuoc-mâm » 



120 LES RH AGES INDO-CHINOIS. 

et produits annamites ; la noix de coco est la seule denrée 
d'exportation el il en existe des plantations considérables 
près de Tembouchure du fleuve. 

Nous voici arrivés au Quâng-Ngaï. La côte devient sensi- 
blement plus accidentée. Elle pousse une pointe vers Test 
avec le cap Batangan, sorte de table plate et allongée, se 
retire vers l'ouest jusqu'aux deux mamelons caractéristi- 
ques du cap Bantam, et se creuse profondément pour former 
la baie de Kikuik, accident topographique à cheval sur la 
limite des littoraux du Quang-Ngaï et du Quang-Nam. Le 
Quang-Ngaï, bien que peu ouvert à la pénétration française, 
et peu imbu d'idées de progrès, n'en est pas moins une 
région d'une importance commerciale appréciable. La côte, 
aux environs du cap Batangan, est l'abri et le refuge d'une 
population maritime nombreuse et intéressante, qui a créé 
à l'embouchure de la rivière de Quang-Ngaï des pêcheries 
renommées. La province exporte les arachides, la soie, le 
coton, l'indigo, la cannelle et surtout le sucre. Cette expor- 
tation se divise naturellement en deux parties, se dirigeant 
vers l'entrée de la rivière ou vers le nord, dans la baie de 
Kikuik. Dans le premier cas, les denrées sont centralisées 
au bourg chinois de Tan-An, qui a accaparé le transit des 
marchandises, et qui les expédie par de rares vapeurs, plus 
, souvent par des jonques, vers Haïnan et Singapour. Kikuik 
offre l'avantage de posséder un mouillage supérieur à celui 
du cap Batangan, mais qui est encore insuffisant lorsque 
les terribles typhons de la mer de Chine se déchaînent sur 
cette côte. La pointe intérieure n'abrite même pas la rade 
en mousson de nord-est. Quelques pauvres villages de 
pêcheurs, comme celui de Baï-dan, se sont fixés sur les 
rivages de la baie. 

Au large des caps Batangan et Bantam, avec ses cratères 
bizarres et déchiquetés, sa ceinture de dangereux coraux. 



CaSTEX _ Rivages In do - Chinois. 



105? 



Le Littoral du Tonkin 





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La Côte dAnnam 

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iC.Batangan La CÔTE D'AnNAM 

Partie Sud 



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^.C.Padaran Echelle: 



2 50OOOO 



LA CÔTE d'aNNAM. 121 

émerge la grande île de Culao-Ray, battue par les houles et 
les vents, sentinelle avancée de TAnnam central. C'est, avec 
le cap Padaran, le point le plus important du cabotage de 
rindo-Chine, celui auprès duquel les navires allant au Ton- 
kin changent de route ; c'est un sommet, enfin, du polygone 
circonscrit à la côte que suit le navigateur. Il fut longtemps 
redouté par ce dernier, considéré à tort comme entouré de 
hauts-fonds douteux, et doublé à distance respectueuse. Vé- 
rification faite, on a pu constater que les fonds de i5 mètres 
à 36 mètres marqués au nord-est sur les anciennes cartes 
n'existaient pas, et qu'aucun danger n'était à craindre à part 
le banc du Volta, qui présente au nord de Culao-Ray ses 
deux têtes rocheuses. Le passage entre Culao-Ray et Batan- 
gan, en particulier, a cessé d'être un épouvantail, et les an- 
nexes des Messageries Maritimes le pratiquent journelle- 
ment, de nuit même, avec la seule aide du grand phare de 
l'tle. 



CHAPITRE IV 

LE QUANG-NAM — LE PORT DE TOURANE 

LA CÔTE DE FER 

LES HOUILLÈRES D'ANNAM 



Au cap Bantam finit le littoral monotone et rectiligne du 
Binh-Dinh et du Quang-Ngaï, et commence une région ma- 
Titiirie notablement plus intéressante. Jusqu'au cap Chou- 
may, la côte devient plus accidentée, se creusant d'abord 
avec la baie de Kikuik, faisant saillie avec le cap Hapoix et 
la presqu'île de Tien-Cha, ménageant l'abri profond qui est 
la rade de Tourane. Les montagnes de l'intérieur, plus nettes, 
plus voisines de la mer, se déroulent en une ligne pittoresque 
de sommets majestueux qui vont de la grande montagne de 
Kikuik à la chaîne du col des Nuages, laissant vide, à côté 
de la dent du Quang-Nam, la faille profonde au fond de la- 
quelle coule le Song-Thu-Bon, et qui marque le chemin de 
pénétration aux terres moi. La vue du large même est moins 
monotone, interrompue qu'elle est par un chapelet continu 
d'îles, depuis Culao-Ray jusqu'à l'archipel des Culao-Cham, 
en passant par la déserte et sauvage Hon-Ong. 

La navigation dans ces parages, quelquefois délicate en 
mousson de nord-est, alors que les terres sont embrumées et 
que des grains fréquents viennent masquer l'horizon, est gé- 
néralement facile. Point de récifs ; des côtes accores, près 
desquelles les grands fonds subsistent. Les bâtiments de fort 
tonnage peuvent sans peine contourner les îles situées au 



LE QUANG-NAM. 12$ 

large de l'entrée, du Gua-Daï, et dans Tintérieur de Tarchî- 
pel de Culao-Cham, il n'est pas rare de trouver des profon- 
deurs de 4o à 5o mètres, au pied des falaises abruptes, qui 
sortent presque verticalement de la mer. Ce fait vient même 
à l'appui de l'opinion de ceux qui voient dans la présence 
de cet archipel l'indice d'un soulèvement plutqnien dont la 
marche et les caractères sont encore mal définis. Je sais 
que les montagnes et le littoral d'Annam ont laissé, aux 
géologues qui les ont parcourus, l'impression d'un chaos 
pour lequel lès règles ordinaires de répartition des terrains 
paraissent souvent en défaut. En ce qui concerne la partie 
maritime, je crois pourtant qu'on ne peut pas ne pas être 
frappé de l'existence de cet axe volcanique très caractérisé 
qui, partant des cratères de Culao-Ray, se continue par le 
sommet bizarre de Hon-Ong, le cône parfaitement régulier 
de Culao-Cham et la montagne identique de la presqu'île de 
Tien-Gha. Les terrains qui les constituent sont plutôt anciens, 
en dépit du voisinage, nullement étonnant dans un pays si 
gèologiquement bizarre, del'émersion calcaire des montagnes 
de marbre. 

Ces fameuses montagnes devaient être, à une époque pri- 
mitive, également des îles, de même que la presqu'île de 
Tien-Cha. Le Song-Thu-Bon, avec ses alluvioris, s'est chargé 
de corriger au cours des siècles l'œuvre de soulèvement inté- 
rieur, en poussant sans cesse plus avant ses sables, atteignant 
d'abord les rochers de marbre, continuant ensuite jusqu'à 
Tien-Cha, se divisant en deux parties dont l'une file au nord 
dans la baie de Toùrahe, tandis que l'autre continue à l'est 
jusqu'au Cua-Daï. Autrement, comment expliquer la pré- 
sence soudaine et injustifiée, dans cette grande plaine de 
sable qu'est le nord du Quang-Nam,.de sonlméts à pic, dif- 
férant du tout au tout de ces alluvions quaternaires? Ce 
n'est pas d'ailleurs pour le plaisir de faire une remarque his- 



ia4 ^^^ R^^AOKa I^DO-GHINOIS. 

tôriqu0, <ïui n'a d'iptjérêt que pour la géologie, que' iioùs rap- 
pelons cette action du Song-Thu-Bôn, c'est parce que l'effet 
produit se continue de nos jours, amenant la diminution des 
fonds devant Testuaiire de Cua-Daï et l'ensablement de la 
rade de Tourané. Daùs un instant, en étudiant l'installation 
future d*uil port en ce dernier endroit, noué verrons quel 
poids ce phénomène lent peut avoir sui* les décisions à pren- 
dre, et dans quelle mesure il engage l'avenir. 

En attendant patiemment le siècle lointain qui doit la re- 
lier à la terre ferme, la grande lie de Culâo-Cham reste de 
nos jours fort pittoresque et très intéressante. Elle est encore 
un des grands centres de récolte des nids d'hirondelles. Elle 
s'est fait de ce chef une réputation considérable, bien que 
ces nids soient récoltés dans la plupart des lies de la côte 
d'Annam, qui présentent presque toutes des chutes de ro- 
chers à pic, condition indispensable à l'établissement des 
nids. Ici seulement, la récolte a donné lieu à une véritable 
entreprise, organisée régulièrement depuis le début du siècle 
dernier. C'est en effet sous le règne de Gia-Long qu'après la 
découverte de ces nids une famille annamite en obtint le mo- 
nopole moyennant une redevance annuelle au trésor royal. 
M. Baille, dans ses Sôuoenirs cTAnnam, raconte même 
qu'une société chinoise à failli enlever aux premiers occu-, 
pants la jouissance de leur privilège, à l'occasion duquel une 
lutte d'influence et de corruption s'est engagée à la cour de 
Hué. Il est utile de dire, d'ailleurs, que la possession de ce 
droit entraîne avec lui d'importants bénéfices, en raison du 
prix exorbitant qu'atteint ce produit de luxe sur les marchés 
chinois. La qualité la plus recherchée, dite Yen-hayet, se 
vend jusqu'à i fr. lo c. et i fr. 5o c. les 3o grammes, et la 
qualité inférieure, ou Yen-sao^ o fr. 80 c. à i fr. la même 
unité. Les Chinois de Faï-Foo font l'achat et l'exportation de 
ce produit à destination des maisons de commerce de la 



• LE QUANG-NAM. ' 125 

mère patrie. Le prix, naturellement, croît en proportion du 
nombre d'intermédiaires. . . 

Indépendamment de cet attrait, la grande Culao-Cham a 
aussi celui du pittoresque, d'un agréable mouillage, à l'ouvert 
d'une petite baie tranquille, où l'eau calme reflète les arêtes 
courbe^ des pagodes de porcelaine. Cette baie, où l'on n'est 
en sûreté que par beau temps, renferme plusieurs sources 
auxquelles les jonques viennent s'approvisionner d'eaù 
douce, en même temps qu'elles embarquent, il faut bien le 
dire, de nombreux articles de contrebande. Les îles, que 
l'on recommande en cas de guerre comme base d'opérations 
d'un blocus, servent ici, plus pratiquement, de magasins 
généraux où l'on accumule les objets soumis aux droits pour 
les écouler ensuite par petits paquets sur divers points de la 
côte. Il y a des cachettes dans la montagne, auxquelles con- 
duisent de petits sentiers aboutissant aux anfractuosités du 
rivage, où mouillent les jonques de transport. D'autre part 
les receleurs ne paraissent pas non plus avoir la conscience 
bien tranquille, à en juger par la fuite précipitée qu'ils 
prennent à travers la brousse, dès que la coque d'un navire 
de guerre paraît dans la baie. Je m'étonne, et avec moi 
-tous ceux qui connaissent tant soit peu l'Indo-Chine, de 
ce que l'administration des douanes, dont la surveillance 
rigoureuse et tracassière est bien connue, n'ait pas désigné 
un douanier pour ce poste de Culao-Cham, tout aussi désa- 
gréable que tant d'autres, mais au moins utile. Jusque-là, 
les contrebandiers passeront toujours par les mailles du 
terrible réseau. 

La côte, basse, sablonneuse et insigniflante depuis le cap 
Hapoix, à peine variée par l'embouchure du Gua-Daï, 
devient un peu plus accidentée à la presqu'île de Tien-Cha, 
avec la baie du Lutin, les deux anses sud et nord de l'isthme, 
là grande falaise de loo mètres de hauteur du cap Tourane. 



126 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Derrière cet énorme musoir, cet épi gigantesque, se creuse 
Fimmense rade de Tourane. 



C'est le port superbe, la rade grandiose,, la plus grande 
anfractuosité, la plus magistrale découpure de cette partie 
de la côte d'Annam. Par les beaux jours, quand les eaux 
calmes et bleues de la mer de Chine, parsemées de voiles 
blanches, viennent lécher d'une houle paisible les rochers 
noirs, quand tous les nuçiges ont fui le ciel, l'aspect du ma- 
gnifique vestibule est saisissant. Au nord, partant de la 
grosse Culao-Han, la fine dentelure de la chaîne des Portes 
profile sur le ciel bleu ses arêtes violettes, dominant la 
trouée du col des Nuages, faisant pendant aux pentes ver- 
doyantes de la presqu'île de Tien-Cha et de son sommet 
pointu. A l'ouest, derrière la grande montagne ronde, c'est 
un chaos de crêtes et de plateaux, de croupes et de pics, 
qui s'en vont rejoindre la chaîne annamitique et ses gorges 
mystérieuses. Au sud, une langue basse de sable blanc, par- 
semée çà et là de touffes sombres et de maisons éparses, 
dominée par les Rochers de Marbre, qu'on jurerait équarris^ 
par la hache puissante d'un architecte titanique. Enfin, bien 
loin derrière, l'enfoncement sauvage de la vallée du Song- 
Thu-Bon, la route vers les houillères, le chemin des riches- 
ses inconnues, de l'Eldorado de demain... 

Quelque profonde que soit l'impression faite sur l'âme 
des touristes et des voyageurs par ce panorama si beau, il 
est bien évident qu'il ne faut pas rechercher en elle la raison 
majeure qui a dirigé vers Tourane l'attention générale. Des 
causes politiques ont d'abord déterminé ce courant d'idées. 
Dès les premières années de notre établissement en Indo- 
Chine, dès nos premiers démêlés avec la cour d'Annam, 



. LE PORT DE TOURANE. I27 

Touràne a servi de mouillage à nos vaisseaux de guerre et 
à nos transports de troupe, à tout ce qui était, en un mot^ 
nécessaire pour exercer sur le souverain de Hué la pression 
morale inhérente à la présence d'une force importante. Une 
flotte peut bien faire une démonstration devant TKuan-An, 
mais elle doit s'interdire d'y mouiller, sous peine de rester 
exposée à l'action de la houle du large, aucun abri n'existant 
pour l'en prémunir, Touraiïe reste le seul refuge possible, 
duquel elle peut se porter à volonté vers les divers points 
où sa présence est nécessaire. Des troupes y furent donc dé- 
barquées, puis maintenues en permanence ; des colons vin-' 
rent à la suite, et un embryon de ville se fonda. Puis, les 
relations commerciales se développant, la navigation inter- 
nationale s'emparant de ce point, le mouillage politique 
devient un centre économique important, auquel on assigne 
une place capitale dans l'avenir de l'Annam. 

Des exagérations, bien excusables parce qu'elles ont leur 
origine dans un enthousiasme patriotique, ont même été 
commises, et il en est résulte des pronostics ultra-optimistes, 
qui dépassent certainement, les, résultats possibles. «La 
moitié des navires allant d'Europe en Chine feront leur char- 
bon à Tourane », écrit M. Lemire ('). « Tourane, port d'im- 
portation, puis de répartition par cabotage dans toute 
l'Indo-Chine », écrit M. Gouin(*). La conclusion de M. Le- 
mire est un peu hâtive, et celle de M. Gouin oublie que ce 
serait doubler la manutention des colis, au lieu d'alléger les 
frais par un cabotage direct. D'ailleurs, dans l'étude des 
grandes données d'un port, il y a, comme dans les questions 
d'ordre militaire, ce que j'appellerai un côté stratégique et 
un côté tactique. Le côté stratégique vise la situation de ce 



(i) Les cinq pays de V Indochine française. 

(2) Tourane et le centre de VAnnani. {Société de géographie, Paris, 1891.^ 



128 LE^ RIVAGES INDO-CHINOÏS, 

port par rapport aux autres centres de mouvement maritime, 
aux grandes routes de navigation du large, aux points 
d'écoulement des marchandises qu'il produit; le côté tac- 
tique vise la production locale, les facultés d'exportation, 
les besoins d'importation, les commodités de mouillage, 
tout ce qui, en un mot, est du ressort du port considéré. 
Tourane paraît fort bien situé au premier point de vue. Sa 
rade regarde le centre de la mer de Chine, en face de l'ar- 
chipel des Paracels, que les navires viennent tous traver- 
ser; les communications avec Hong-Kong, l'entrepôt des 
affaires sino-européennes, se font par la voie de la haute 
mer, alors que Haïphong est obligé d'emprunter le che- 
min pénible du détroit d'Haïnan. La route de Saigon à 
Haïphong passe à Tourane ; celle de Padaran à Hong-Kong 
en passe à 170 milles, celle de Padaran à Shang-Haï à 210 
milles Q). Les distances de Tourane aux principaux ports de 
l'Extrême-Orient sont les suivantes : 

Tourane à Shang-Haï. 2 33o milles. 

— à Singapour 2 o5o — 

— à Bangkok 1 890 — 

— à Saigon 970 — 

— à Hong-Kong 720 — 

' — à Haïphong 58o — 

La situation centrale de Tourane saute aux yeux dès la 
lecture de ces distances. Rien ne s'oppose donc à ce qu'il 
devienne un port fréquenté ; l'éloignement et les dangers de 
la navigation ne seront jamais des raisons à invoquer. 

La situation commerciale du port est également bonne, 
mais il n'y aura pas de si tôt les éléments d'un trafic colossal, 
celui qu'escomptent les partisans d'un port à construire. 
L'exportation consiste surtout en soie grège, thé, sucre, can- 



(i) Ces distances représentent, en somme, la flèche de l'écart à faire pour 
passer à Tourane. 



LE PORT DE TOURANE. I29 

nelle et charbon des mines de Tintérieur. L'activité de nos 
colons a créé de superbes plantations autour de Tourane ; 
les habitants de la campagne, travailleurs patients^ n'ont 
pas laissé un pouce de terrain inutilisé; enfin, la présence 
des Chinois de Faï-Foo a donné aux échanges un regain 
d'activité. Il y a donc là des éléments sérieux pour un mou- 
vement maritime ; mais il ne faut cependant pas perdre de 
vue que Tourane aura toujours sur Saigon et Haïphong 
rinfériorité de n'être que le port de Quang-Nam, d'un com- 
partiment unique de cet échiquier d'Annam, alors que les 
deux ports cochinchinois et tonkinois sont l'aboutissement 
de deux arrière-pays d'une étendue considérable. Cette re- 
marque, qui permet de faire certaines réserves, doit inter- 
venir dans l'examen du trafic de Tourane. 

Trafic de Tourane ('). 

EXPORTATION IMPORTATION 

Tonnes. Tonnes. 

1896 14567 l3839 

1898» 17804 199^0 

1899 15428 16480 

1900 19 217 17253 

1901 21740 19 112 

!«' semestre 1902 î 16012 i4633 

Mouvement du port (jonques et chaloupes comprises). 

ENTRÉES SORTIES 

Nombre. Tonnage. Nombre. Tonnage. 

1898 1212 2i5 72i« 1227 212786** 

1899 846 212080 771 212 85i 

1900 764 183473 659 181289 

1901 I o5i 212473 750 207269 

i«' semestre 1902. . 683 116 665 4^6 m 653 

(i) ff L'industrie du thé se développé ea Annam avec une extraordinaire ra- 
pidité. La préparation du thé pour l'exportation ^ c'est-à-dire suivant le goût 
européen, date de cinq années à peine. La douane signale pour la première 

RIVAGES INDO-CHINOIS. . 9 



l3o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Depuis 1896, les chiffres ci-dessus ont donc augmenté 
d'une manière continue, mais lentement, et les besoins du 
commerce maritime ne sont pas tout à coup devenus tels que 
la construction d'un port moderne soit une question de vie 
ou de mort pour Tourane. Un développement soudain et co- 
lossal se manifesterait sûrement si Ton se décidait à faire à 
Tourane un port franc, question bien souvent agitée, qui 
ferait la fortune de toute une région. Mais, en Tétat actuel 
des choses, avec les tendances protectionnistes nettement ca- 
ractérisées de la période que nous venons de traverser, ce 
vœu ne risque-t-il pas de rester pour toujours une utopie 
platonique ? 

Le- chemin de fer Tourane-Hué-Quang-Tri, actuellement 
en construction, aurait peut-être une influence heureuse sur 
le développement du trafic de Tourane. Les travaux ont été 
entrepris sur 8 à 10 points différents et on peut espérer que 
cette voie, longue de igB kilomètres, évitant le pénible tra- 
jet de la route, sera achevée dans trois ou quatre ans, sans 
dépasser le crédit de 24 millions à elle affecté. Nous avons, 
pour la construire, les plus sérieuses raisons politiques et 
militaires, tant pour mieux tenir la cour de Hué que pour 
coopérer à la défense de la région en cas^de guerre; mais, en 
ce qui concerne la question commerciale, on se heurte à un 
léger scepticisme de la part de ceux qui connaissent bien la 
région. « Vous n'enlèverez jamais les marchandises, disent- 
ils, aux chaloupes à vapeur qui les transportent de Tou- 
rane à Hué, à des conditions bien moins onéreuses, et, 



fois, en 1897, l'exportation des thés de l'Indo-Ghine, et cette exportation a 
suivi la marche ascendante que voici : 

1897 looookilogr. 

1898 , 32 000 — 

1899 *. . . . 137000 — 

1900 180000 — • 

(M. Brenier.) 



LE PORT DE TOURANE. l3l 

sauf pendant les mois de mousson de nord-est, pendant 
lesquels la barre de.Thuan-An est dangereuse, le chemin 
de fer risque de ne transporter que des voyageurs. » 
Comme ils ajoutent, par ailleurs, que ces mois d'hiver cor- 
respondent à une exportation presque nulle, on est porté à 
considérer comme peu de chose l'apport d'activité commer- 
ciale de ce chemin de fer côtier, aux prises, par conséquent, 
avec la concurrence du petit cabotage. Cette opinion est 
peut-être erronée. Peut-être le chemin de fer va-t-il, comme 
dans beaucoup de pays neufs, provoquer lui-même les 
entreprises d'exploitation le long de son trajet? En tous 
cas, j'ai tenu à citer la façon de voir d'hommes expérimentés 
et ayant l'habitude d'un long séjour dans la province du 
Quab-Nang. 

Il ne paraît donc pas qu'on doive attendre beaucoup, au 
moins dans un avenir rapproché, de cette récente entreprise. 
D'ici longtemps, la rade de Tourane, avec l'abri qu'elle offre 
actuellement, pourra suffire aux opérations commerciales 
dont elle est le siège ; c'est l'avis général des Touranais, et 
nous ne pouvons que nous y rallier. Les choses en seraient 
donc restées là pendant un délai impossible à prévoir, si 
M. Doumer, alors gouverneur général de l'Indo-Chine, 
n'avait désiré fermement la construction d'un port moderne, 
en prévenant la ville qu'un crédit de 5 millions était dispo- 
nible pour sa réalisation. Les commerçants et colons auraient 
eu mauvaise grâce à refuser un pareil don, offert aussi gé- 
néreusement et ne paraissant pas gêner, dans les prévisions 
budgétaires, des travaux à faire ailleurs, peut-être plus ur- 
gents. Le port a donc été décidé. Mais, ce premier point ac- 
quis, la question de l'emplacement de ce port devait provo- 
quer bien des divergences de vues , chacun tenant à faire 
adopter ses idées personnelles. On ne peut maintenant dé- 
barquer à Tourane sans être entretenu de ce procès en cours, 



l32 LES RIVAGES INDO-CHINÔIS. 

sans qu'il faille prendre parti pour une solution ou pour 
l'autre. Et l'on peut avoir l'embarras du choix 1 

Il y en a six en tout. On a d'abord parlé de faire le port 
dans la baie du Lutin, mais, outre que cette baie est très 
éloignée de la ville, elle est fort exposée au vent et à la houle 
de sud-est, les grands fonds rendant difficile l'établissement 
de jetées. L'abri du vent du nord ne compense pas de tels 
inconvénients. Il a été aussi question défaire les quais et les 
magasins au nord de la rade, près du fort Isabelle, en ce 
point où la côte est accore ; les fonds trop grands, et la 
houle de nord-est très violente. On ne s'y est pas arrêté 
longtemps. On a paru un instant fort entiché d'un port en 
rivière, que les Travaux publics ont beaucoup prôné. On 
leur a fait remarquer très justement qu'il y avait la barre à 
franchir, ce qui limitait les heures d'entrée et de sortie, qu'il 
fallait draguer à fond la rivière, et qu'enfin les manœuvres 
des navires seraient très difficiles avec fort courant. D'ail- 
leurs, les frais considérables de premier établissement eus- 
sent été doublés de frais d'entretien élevés, qu'il eût fallu 
récupérer par des droits de quai dont l'effet infaillible eût 
été d'écarter les navires au lieu de les attirer. On a voulu 
également s'en tenir aux constructions et magasins de l'îlot 
de l'Observatoire , appartenant à la Société lyonnaise ; et 
enfin, les Travaux publics ont fait paraître tout récemment 
deux projets, l'un, dit projet A, à l'abri de la presqu'île de 
Tien-Cha, l'autre, le projet B, situé sur la rive gauche de 
l'entrée de la rivière de Tourane. 

J'ai cité les six projets pour n'en omettre aucun. Il est 
évident que les trois premiers ne sauraient être pris en con- 
sidération sérieuse, et que le quatrième, celui de la Société 
lyonnaise, n'est pas tout à fait suffisant. Le choix est donc 
limité aux projets A et B des Travaux publics, sur lesquels 
se partagent en ce moment les voix des habitants de Tou- 



LE PQRT DE TOURANE. l33 

rane, quoique tombant d'accord sur la non-urgence immé- 
diate de ces travaux. N'ayant pas d'intérêts particuliers en- 
gagés, n'ayant en vue que l'intérêt général, nous pouvons 
répondre de notre impartialité dans l'examen de cette grave 
question. 






Tout d'abord, on ne saurait argumenter en faisant abstrac- 
tion de la rivière de Tourane, qui, par ses apports, constitue 
un facteur de perturbation dont les effets sont impossibles à 
prévoir. Les alluvions, suffisamment puissantes pour avoir 
réuni la presqu'île de Tien-Cha à la terre, continuent leur 
œuvre de colmatage d'une façon qui déroute un peu. Il 
semble à première vue que cetterivière, comme toutes celles 
de la côte d'Annam, aurait dû maintenir le chenal de la 
barre dans son orientation, qui est nord-sud, en laissant à 
droite et à gauche deux bancs de sable alluvionnaire. Un 
' phénomène autre s'est produit, peut-être dû aux boulever- 
sements des typhons. Tous les sables se sont d'abord accu- 
mulés dans la direction de la presqu'île, comme si la rivière 
les y avait chassés, et ils y forment un barrage orienté est- 
ouest, dont l'effet a été de protéger jusqu'à présent le mouil- 
lage de l'îlot de l'Observatoire de l'ensablement, et d'incur- 
ver le grand chenal vers l'ouest (voir le plan). Les alluvions 
de rive gauche sont bien moins considérables. 

Naturellement, ce barrage rendant difficiles les commu- 
nications commerciales avec les navires mouillant habituel- 
lement à la presqu'île, on a tenté d'y creuser un chenal plus 
commode. L'opération a été rapidement faite, mais, au bout 
de quelque temps, on constata à l'extrémité nord de ce che- 
nal un atterrissement tel qu'on pouvait, quelques mois plus 
tard, y installer un feu monté sur pilotis, abrité d'une pail- 



l34 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

lotte, qu'un typhon enleva peu de temps après. Ce fait, 
d'ailleurs très explicable en raison de l'orientation de la ri- 
vière, tendait à prouver que toute sorte de dragage entrepris 
dans le dépôt alluvionnaire de la rive droite n'a d'autre effet 
que de précipiter encore plus violemment les sables vers la 
presqu'île de Tien-Cha. Comme nous le disions il y a un ins- 
tant, c'est cette marche que les dépôts ont dû suivre avant 
l'établissement de ce barrage est-ouest, comme le prouve la 
comparaison des fonds sous-marins à la presqu'île et à l'em- 
placement du projet B. Nous pouvons voir sur le plan que 
la ligne des fonds de 5 mètres, par exemple, est beaucoup 
plus éloignée de terre à la presqu'île qu'au dernier point. 
Ne parlons donc plus de draguer la barre pour améliorer le 
mouillage de la presqu'île ; ce serait aller à l'encontre du 
résultat visé. 

Mais, d'autre part, ce débouché de la rivière à l'ouest 
n'aura-t-il pas une fâcheuse influence sur un port établi à 
l'emplacement B? On ne paraît pas le croire, les fonds 
n'ayant pas diminué d'une manière sensible à cet endroit. 
Les Travaux publics ont repris tout récemment les sondages 
entrepris par M. Gauthier, ingénieur hydrographe, et ils 
n'ont trouvé que des différences insignifiantes, ce qui peut 
paraître rassurant pour l'avenir. La courbe de la rivière ten- 
drait, d'ailleurs, à précipiter encore les sables vers la rive 
droite. 

Sur une côte comme celle d'Annam, exposée pendant une 
grande partie de l'année à la mousson de nord-est et aux 
terribles typhons de la mer de Chine, l'abri que la configu- 
ration des terres peut donner aux navires est de première 
importance. A ce point de vue, l'emplacement du projet A, 
sous la presqu'île, paraît au premier abord supérieur à celui 
du projet B, Si on se contente de regarder la configuration 
de la côte, on est tenté de croire qu'il existe un vaste mouil- 



LA CÔTE DE FER. l35 

lage jouissant de cet abri, que protègent la masse des hautes 
terres de Tien-Cha et la proéminence du fort du Nord. Ce- 
pendant, à tien considérer les lignes des fonds, on s'aperçoit 
qu'un nayire calant 6 mètres, par exemple, ne peut profiter 
que d'une part fort restreinte de cet abri et doit mouiller du 
côté le plus exposé. Il faudrait donc des dragages très coû- 
teux pour augmenter la zone protégée. Cette zone ne jouirait 
pas^ d'ailleurs, d'une immunité complète, à en juger par le 
typhon d'octobre 1900, qui fut si violent à Tourane, et qui 
détruisit complètement les magasins de l'Ilot de l'Observa- 
toire('). Malgré cela, par calme plat, on voit souvent des pa- 
quebots annexes des Messageries Maritimes mouiller près de 
l'îlot de l'Observatoire, en dehors de tout abri, alors qu'ils 
se rapprocheraient fort avantageusement du point B pour 
leurs opérations commerciales. La suggestion du voisinage 
de la presqu'île est assez forte pour les empêcher de changer 
de place. 

Pour ce qui est de l'emplacement B, il "résulterait des 
déclarations de nombreuses personnes autorisées que la 
houle de nord-est, dont le plus gros effet se fait sentir vers 
le fort Isabelle, n'y arrive que fort atténuée, en partie brisée 
par la chaussée naturelle formée par la barre de la rivière. 
Il ne subsiste donc qu'un clapotis ordinaire, réellement 
gênant un mois par an seulement. Comme, d'autre part, il . 
ne s'agit pas d'offrir au commerce maritime l'emplacement 
B complètement nu, et qu'on doit y faire une jetée protec- 
trice, c'est plus qu'il n'en faut pour ramener ce clapotis à 
la tranquillité d'un bassin fermé. 



(i) Peuton d'ailleurs sérieusement invoquer l'abri du mauvais temps en faveur 
du mouillage de la presqu'île, lorsqu'on a vu la mer qu'y déchaînait le typhon 
du a5 septembre 1902, mer tellement forte que le Bengali, le mieux protégé des 
navires présents, eut son you-you enlevé sur ses bossoirs ? Une digue à l'empla- 
cement B ne vaudrait-elle pas tout autant ? 



l36 LES RIVAGES INDO-CHINOIS, 

J'arrive maintenant à un point capital pour le nouveau 
port, bien plus commercial que maritime. Les négociants 
européens ou chinois ayant tous leurs bureaux* leurs ma- 
gasins, leur centre d'afiaires en ville, généralement sur la 
rivière, et paraissant peu disposés à déménager, on est bien 
obligé de se préoccuper de la proximité de la ville pour le 
port à créer. Pour aller au port de la presqu'île, il faut une 
demi-heure à trois quarts d'heure de chaloupe à vapeur, 
car on doit sortir par le chenal orienté à l'ouest. Si l'on 
tente de franchir de suite la barre, ce sont des échouages 
sans fin, même pour les petites embarcations à vapeur. On 
peut à la rigueur la passer en sampan, à condition d'y 
mettre une bonne heure. La voie de terre est tout aussi in- 
commode ; il faut franchir la rivière en bac et faire six kilo- 
mètres en voiture. On ne pourra pallier à ces inconvénients 
que par la construction d'un pont sur la rivière et d'un 
tramway à vapeur, toutes choses fort onéreuses. A l'empla- 
cement B, rien dé pareil n'existerait ; le commerçant pren- 
drait un pousse-pousse et serait sur le quai cinq minutes 
après, traitant dix fois plus d'affaires dans le même temps. 
Avec les conditions actuelles du mouillage à la presqu'île, 
on comprend que de rares passagers descendent à terre, 
peu soucieux de faire un aller et rétour interminable dans 
un. mauvais sampan, alors qu'ils descendraient en masse 
dans le cas d'un port au point B. A ceux qui pourraient 
nous reprocher de faire entrer en ligne de compte l'agrément 
des passagers, je répondrais que tout navire qui fréquente 
un port laisse de l'argent dans ce port, et qu'il est de bonne 
guerre pour la ville d'obtenir de lui le rendement maximum. 

Enfin, la ville de Tourane a pris l'ouest comme sens de 
son développement, dans cette immense plaine sablonneuse 
qui va jusqu'aux premières collines, où rien ne saurait l'ar- 
rêter. II est un peu tard maintenant pour la transporter sur 



LA CÔTE DE FER. iSj 

la rive droite de la rivière- et lui donner une orientation in- 
verse : le mouvement actuel est acquis, il se porte vers le 
nouveau port, vers remplacement du projet B. On ne peut 
même pas prétendre, comme on Ta fait plusieurs fois, que 
les jonques de chargement auront à faire un long détour 
pour doubler la nouvelle jetée du port, puisqu'un embran- 
chement du chemin de fer Tourane-Hué, partant de la gare, 
desservira toute la périphérie des quais. La presqu'île aura 
donc le dessous à ce point de vue. 

D'ailleurs, comme on l'a fait remarquer avec beaucoup 
d'à-propos, à Colombo, une simple digue ne protège-t^^lle 
pas suffisamment les navires contre la terrible houle de 
sud-ouest, qui vient se briser contre elle, en rejaillissant à 
20 mètres de hauteur ? Une digue beaucoup plus faible 
suffirait à calmer le clapotis du point B. Et à Marseille, 
lorsqu'il s'est agi de construire un port, est-on allé chercher 
l'abri du mouillage de Saint-Henri contre le mistral, et n'a- 
tr-on pas préféré le constituer de toutes pièces au moyen' 
d'un dispositif de jetées judicieusement conçu (')? Il est en 
effet à croire que les négociants et armateurs de Marseille, 
comme ceux du monde entier, se soucient peu d'avoir à 
faire des kilomètres pour leurs afTaires, et qu'ils préfèrent, 
coûte que coûte, avoir les navires aux portes de leurs bu- 
reaux. 

L'opinion générale, à l'égard de la comparaison des pro- 
jets A et B, s'est sensiblement modifiée depuis ces dernières 
années. Le 27 décembre 1896, à la tribune de la Chambre, 
M. Krantz, député, soutenait hautement le projet de port à 
la presqu'île (projet A), et, à l'heure qu'il est, les divers 
avis que j'ai pu recueillir prônent le projet B. Je suis heu- 



(i) Note de M. Bertrand, agent des Messageries Maritimes à Tourane, aux 
directeurs de la compagnie. 



I 



l38 LES KIVAGES INDO-CHINOIS. 

reux de pouvoir produire ici deux documents dont Tintérêt 
n'échappera à personne. 

C'est d'abord une note de M. Rolland, qui a occupé pen- 
dant de longues années le posté d'agent principal des Mes- 
sageries Maritimes à Saigon, et qui s'est beaucoup occupé 
des questions maritimes indo-chinoises. M. Rolland examine 
successivement le projet de la Société lyonnaise (à l'îlot de 
l'Observatoire), le projet A et le projet B. En ce qui con- 
cerne le premier, M. Rolland dit : « Il y a lieu toutefois de 
faire observer que les communications entre ce port et la 
ville de Tourane, soit par terre, soit par mer, seront tou- 
jours très difficiles, à moins de travaux très coûteux Par 

mer, il me parait presque impossible de maintenir une cir- 
culation continue de jonques ou chalands à cause du peu 
de profondeur des passes, des atterrissements inévitables et 
de l'état de la mer, très fréquemment dangereux pour des 
embarcations de rivière. » Le projet A (port à la presqu'île) 
est ainsi jugé : « Il me paraît qu'il y aurait à gagner sur la 
plage une étendue considérable de terrain pour obtenir la 
profondeur d'eau suffisante, et que par suite la construction 
de ce port exigerait des dépenses considérables. » Enfin, le 
projet B (port de la ville) paraît être celui auquel M. Rolland 
donne la préférence : « Ce port, étant situé sur le rivage 
même où se produira le développement de la ville de Tou- 
rane, est aussi bien placé que possible pour établir des 
communications par terre, soit avec la ville, soit avec la 

rivière, soit avec le chemin de fer Tourane-Hué Il faut 

ajouter que les vents violents du nord ne régnent à Tourane 
que pendant un petit nombre de jours, une vingtaine envi- 
ron, comme le confirme l'expérience d'un grand nombre 
d'années. » 

Voilà une opinion à retenir, en raison même de la haute 
expérience de celui qui l'émit. 



I,A CÔTE DE FER. iSq 

Voici maintenant, in extenso en raison de son impor- 
tance, la délibération de la commission réunie par ordre de 
M. Doumer pour choisir entre le projet A et le projet B : 

« La commission nommée par l'arrêté de M. le Gouver- 
neur général de Tlndo-Chine, en date du 29 octobre 1900, 
s'est réunie à Tourane, le 5 novembre, à TelTet d'examiner 
le projet d'un port à Tourane. 

« Les membres de la susdite commission ayant pris con- 
naissance des deux avant-projets proposés par le service 
des Travaux publics, l'avis unanime a été que celui de 
r embouchure de la rivière était préférable à celai de ttlot 
de l'Observatoire. Cet avis est motivé par les considérations 
suivantes : 

« Proximité de la ville de Tourane. Facilité pour le dé- 
barquement et l'embarquement des passagers qui se trou- 
veront immédiatement rendus à destination. Facilités pour 
les bâtiments de venir prendre leur poste le long des quais. 
Mouillage présentant toute sécurité et utilisable dès que la 
digue sera arrivée à l'état de brise-lames. Facilité de se 
procurer de l'eau douce en quantité suffisante pour les 
chaudières des bâtiments. Surveillance plus facile de tous 
les hangars, magasins et ateliers, qui seront construits dans 
le voisinage du port, tandis qu'à l'îlot de l'observatoire cette 
surveillance nécessiterait un personnel supplémentaire que 
l'on serait amené à recruter parmi les indigènes, par suite 
du peu de salubrité de la presqu'île de Tien-Cha. 

« Les bâtiments en quarantaine, les pétroliers et les char- 
bonniers pourront toujours être mouillés à l'îlot de l'Obser- 
vatoire, et ce mouillage se trouvera suffisant dans l'état où 
il est actuellement (') 



(i) Idée excellente à adopter intégralement. On aura ainsi un poste analogue 
au Nga-bé à Saigon, au Frioul à Marseille, abrité du mauvais temps et suffisam- 
ment éloigné de la ville. 



l4o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

<x Les membres de la commission, tout en reconnaissant 
que l'amélioration des voies de communication intérieure 
ne doit pas être perdue de vue (*), estiment que la création 
d'un port est cependant de toute nécessité. » 

Signé : 
Martel, capitaine de frégate, commandant le Kersaint. 
Hauser, résident-maire de Tourane. 
Derobert, négociant à Faï-Foo. 
De Pougerville, colon. 
Bertrand, agent des Messageries Maritimes. 
AiLLAUD, commandant aux Messageries Maritimes. 
Malaval, commandant aux Messageries Maritimes. 

Le projet du port au point B fut donc adopté à la suite 
de ces délibérations. Ces travaux, dans leur ensemble com- 
plet, comprennent : 

Une jetée de 2 800 mètres de long ; 

Un quai en maçonnerie de i 000 mètres. 

De plus, Tavant-port et le port seront curés à la cote 8, 
au droit du mur de quai, et les trois darses donneront pour 
les quais un développement total de 6 kilomètres. On a 
prévu aussi des magasins desservis par des grues roulantes, 
et des voies ferrées de service se reliant à la gare du chemin 
de fer Tourane-Hué. Les études ont été faites en 1901, et, 
le 26 septembre de la même année, on présenta le projet de 
la partie du programme immédiatement réalisable pour 
permettre aux navires le mouillage en B. Ce projet de pre- 
mière urgence comprend les deux parties de la jetée, dont 
la première est bâtie sur le banc de sable de la rive gauche, 
et la seconde va jusqu'aux grands fonds, et le curage à la 
cote 8 de la partie du port située à l'abri de la jetée. Un 



(i) Proposition de M. Derobert. 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. i4i 

chenal sera également percé dans la barre. D'après le rap- 
port de M. Guillemoto, directeur des Travaux publics, on 
peut répartir les dépenses de la façon suivante : 

Travaux à Tetitreprise 4 o48 626 fr. 

Dragages en régie 420000 

Somme à valoir 53 1 176 

5 000 000 fr. 

Ces conclusions et grandes lignes adoptées, M. Doumer, 
d'autre part, mettant ces 5 millions immédiatement à la 
disposition de la ville de Tourane, rien n'aurait dû retarder 
l'adjudication, qui devait suivre immédiatement. On l'a 
pourtant différée de manière à permettre, a-t-on dit, aux 
entrepreneurs de France de venir soumissionner. En sep- 
tembre 1902, il n'était encore question de rien, et le com- 
mencement des travaux semblait remis aux calendes grec- 
ques. Ce ne sont pas cependant les deux feux de port et 
l'appontement construit par les Travaux publics qui peuvent 
passer pour un début sérieux. 



« 



Y aurait-il des circonstances accessoires qui auraient 
retardé l'adjudication et l'aboutissement définitif du projet? 
Ceci nous amène à dire un mot des vues de la Société lyon- 
naise, qui a acquis la propriété de l'Ilot de l'Observatoire. 
Bien que la question soit assez délicate, et qu'il faille se 
prononcer hardiment pour l'intérêt général aux dépens de 
certains intérêts particuliers fort respectables en eux-mêmes, 
on ne peut pas ne pas être tenté de la résoudre une fois 
poiu* toutes, afin de supprimer, au moins en droit, l'impe- 
dimentum qui en résulte pour les nouveaux travaux à entre- 
prendre. Un mot d'historique ne serait même pas déplacé. 



l42 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

En 1898, au moment de la reconstitution de la Société 
des houillères de Nong-Son, M. Doumer, par contrat du 
29 janvier, a concédé à MM. Pila et J. B. Malon Tllot de 
l'Observatoire, sous réserve d'y élever un certain nombre de 
constructions qui sont longuement énumérées dans l'article 
du contrat de location que nous citerons dans un instant. 
L'État gardait naturellement le droit de mettre fin alloca- 
tion, quitte à payer à la société la valeur estimée du maté- 
riel et des installations faites. La société paye à l'État une 
redevance annuelle de 100 piastres. Les constructions qu'elle 
projette à l'îlot de l'Observatoire ont été estimées à un total 
de 5oo 000 fr. par M. l'ingénieur Rousselin, qui en a fait les 
plans. La décision de M. Doumer autorisait également 
MM. Pila et Maloli à faire l'apport de ce contrat avantageux 
à la nouvelle société des houillères de Tourane, ayant dé- 
sormais pour objectif l'exploitation des mines de Nong-Son, 
et aussi une situation privilégiée dans l'établissement du 
nouveau port. 

La nouvelle société devait construire, à l'Ilot de l'Obser- 
vatoire, de quoi permettre le mouillage et le séjour des 
navires au port de la presqu'île ainsi que les plus grandes 
facilités pour les manutentions des marchandises et leur 
magasinage. Voici, d'après l'article 5 du contrat de loca- 
tion de l'îlot, quels étaient les travaux à entreprendre : 

1° Construction d'un appontement de 1 15 mètres de long, 
ayant à son pied, sur une longueur de 100 mètres, un tirant 
d'eau allant de 6 mètres à l'amont à 8 mètres à l'aval ; 

2° Construction d'un quai en maçonnerie de 3oo mètres, 
offrant à son pied 2 mètres de tirant d'eau à basse mer, 
établi à 2'"^5o au-dessus des hautes mers ; 

3° Construction sur les terre-pleins de magasins clos 
couverts, d'une superficie minima de i 000 mètres, de bu- 
reaux pour l'exploitation et de toutes les installations, bu- 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. i43 

reaux, logements, qui seraient reconnues nécessaires pour le 
service des douanes ; 

4° Établissement de grues roulantes, voies ferrées, wagons 
genre Decauville, et, d'une façon générale, de tout l'outil- 
lage nécessaire pour le débarquement, l'embarquement et 
la manutention des marchandises ; cet outillage devra per- 
mettre l'embarquement de 4o tonnes de houille à l'heure;... 

5** Éclairage, balisage et bouées de touage nécessaires à 
l'utilisation des ouvrages précédents. 

Ce projet, comme on le voit, est beaucoup plus fait en 
vue de l'exploitation des mines de Nong-Son, ce dont on ne 
saurait le blâmer, qu'en vue de la création d'un port com- 
plet. On a eu tort de chercher à accumuler le plus grand 
nombre possible de constructions sur un petit espace, sans 
terrains disponibles pour l'agrandissement. L'idée des 
magasins généraux était de trop, car les commerçants de 
Tourane, qui peuvent faire débarquer leurs marchandises 
des navires dans des sampans ad hoCy pour les amener en 
ville, refuseront toujours de payer une première fois les 
frais de débarquement à l'îlot, et une seconde fois le prix du 
transport à Tourane, sans compter le coût du magasinage à 
l'îlot. Il faudrait également, pour le gardiennage aux maga- 
sins généraux, accomplir de nombreuses formalités dont 
l'eflFet serait de déranger fortement la clientèle commerciale 
de Tourane. Cette dernière, rappelons-le une fois de plus, 
habite la ville et non l'îlot. 

La société pourrait, rééditant le procédé des docks de 
Haïphong, se faire concéder par le gouvernement le mono- 
pole de ces magasins. Cela durerait peut-être quelques mois, 
mais on serait obligé, devant les vives réclamations du pu- 
blic, de rapporter cette mesure imprudente ('). 

(i) Rapport de M. Bertrand, agent des Messageries Maritimes, aux directeurs 
de sa compagnie. 



l44 LES RIVAGES INDO-CIIINOIS. 

Les magasins généraux, les logements des douaniers et 
leurs bureaux, le bureau des Messageries Maritimes, figu- 
rent pourtant dans le devis de M. l'ingénieur Rousselin, 
que j'ai vu tout dernièrement dans la brochure des mines 
de Nong-Son, que la société a fait imprimer. On persistait 
donc dans l'idée première, avec d'autant plus de facilité 
qu'on parlait fort d'un projet de port à la presqu'île, qui 
n'était autre que le projet A des Travaux publics, et dans 
lequel les installations de l'îlot de l'Observatoire auraient 
pu jouer un rôle assez important, en raison même de leur 
voisinage. On vivait donc dans l'expectative de ce projet 
lorsque arriva le terrible typhon d'octobre 1900, qui démo- 
lit une partie des constructions de l'îlot, et, avant qu'on eût 
pu donner un nouvel essor aux travaux, le projet de port en 
B était préconisé parla commission le 5 novembre 1900, 
et complètement approuvé par le gouverneur général le 
27 septembre 1901. C'était une surprise fort désagréable 
pour la société, dont les beaux projets de suprématie et de 
prééminence dans le port de Tourane s'écroulaient soudai- 
nement. Les travaux furent interrompus à l'îlot, qui re#ta 
dans l'état où on le voit maintenant, avec son grand hangar, 
son magasin de pétrole, ses logements divers et ses deux 
stocks de charbon. 

La société se jugeait lésée, et estimait ses intérêts en péril. 
Pourtant les grands travaux de l'îlot n'ayant pas encore été 
faits, elle pouvait faire rapidement volte-face. L'îlot restait 
très utilisable et parfaitement suffisant pour les charbonniers 
et les pétroliers, qui doivent en bonne logique mouiller à la 
presqu'île, et il est certain que l'État, appréciant très lar- 
gement la situation, eût donné comme compensation à la 
société une concession près du port B. 

La société a préféré se remuer, s'agiter, proclamant la sé- 
rieuse atteinte faite à ses intérêts. Le gouvernement, devant 



.LES HOUILLÈKES d'aNNAM, i45 

qui elle a porté le débat, lui a répondu en lui citant l'article 6 
d'un certain contrat de location signé par elle, et qui éclairait 
ja situation d'une lumière visible pour les plus aveugles. 
Voici cet article 6, sur lequel je crois difficile d'équivoquer : 

« Article 6. — Les installations dont il est parlé à l'article 
précédent (art. 5 déjà cité) devront être mises à 1^ disposition 
du public et de l'administration par MM. Pila et Malon, mais 
l'usage de ces installations sera toujours facultatif. Le pro^ 
lectorat se réserve (T autoriser ou défaire toutes installations 
qu'il lui plaira dans la baie de Tourane, sans que MM. Pila 
et Malon puissent élever aucune réclamation. » 

Le texte paraît assez clair. Le gouvernement a même fait 
montre d'une certaine bonne volonté en accordant à la So- 
ciété lyonnaise la remise des constructions qu'elle devait 
faire à l'îlot pour assurer le service d'un port, et en les pre- 
nant à sa charge. Mais, soit qu'il estime que ces installations 
deviennent inutiles avec le projet de port en B, soit qu'il né- 
glige l'îlot, rien n'a été encore fait dans ce sens. En ce qui 
concerne le port proprement dit, la société, voyant sa récla- 
mation repoassée par M. Doumer, a porté ses doléances plus 
haut, et le premier effet de l'agitation faite par elle autour 
de cette question a été le retard illimité apporté à l'adjudi- 
cation, qui devait primitivement avoir lieu le i5 février 1902. 
Une pièce officielle déclare que cette mesure a pour but de 
permettre aux entrepreneurs de France devenir soumission- 
ner à Toiu'ane, et cependant, depuis six mois que nous atten- 
dons, aucun d'eux n'est encore venu, tous sentant la néces- 
sité d'une situation nette. Ces terribles « droits acquis », qui 
n'en sont pas dans le cas présent, ont fait plus de tort à la 
question du port de Tourane que l'habituelle insouciance 
administrative» 

* * 

RIVAGES mDO-CHIKOlS. 10 



l46 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Tourane a sur les autres ports de la côte d'Annam l'avan- 
tage d'avoir près de lui un gros centre chinois, Faï-Foo, qui 
donne au mouvement commercial un appoint considérable. 
Faï-Foo, par l'intermédiaire des Célestes établis dans la ville, 
centralise tous les produits de la région pour l'exportation, 
et sçrt en même temps de grand entrepôt dans lequel les 
marchandises d'importation viennent s'accumuler pour être 
ensuite écoulées au moyen de jonques sur les villages de 
la côte, et par voie d'échanges vers les tribus Mois de l'inté- 
rieur. C'est un gros centre de transit pour le sucre, la soie 
grège, la cannelle, les thés; les riches régions de Tramy et 
de Tam-Ky lui envoient tous leurs produits, et la vallée du 
Song-Thu-Bon, naturellement orientée vers lui, l'a comme 
débouché. Plusieurs commerçants français, parmi lesquels 
M. Derobert, se sont installés à Faï-Foo et y ont fondé des 
maisons de commerce dont la réussite est certaine. L'indus- 
trie en est encore à ses débuts. La faible production de la 
région en riz est presque entièrement utilisée par la con- 
sommation locale, et elle est encore insuffisante pour alimen- 
ter des décortiqueries comme celles de Cochinchine. On 
trouve cependant à Faï-Foo quelques fabriques de poteries, 
de chaux ; on y fait des alcools de riz et on trouve à Kien- 
bong des artisans assez habiles pour les travaux sur bois et 
sur métaux. Mais, en résumé, l'industrie ne dépasse guère 
la forme du petit patronat. 

On a dit souvent que Faï-Foo était le Cholon de Tourane. 
Il faudrait toutefois y ajouter ce correctif que Cholon est à 
une très faible distance de Saïgon, qu'elle communique avec 
la capitale par un arroyo court et profond, dans lequel la 
navigation fluviale ne rencontre aucune difficulté. L'arroyo 
chinois est, en effet, une artère vitale pour la prospérité fu- 
ture de la dualité Saïgon-Cholon. Dans le cas qui nous oc- 
cupe, Faï-Foo est au contraire fort loin de Tourane, et si, à 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. 147 

riiispection de la carte, il paraît bien doté sous le rapport 
des voies fluviales, avec la rivière de Tourane, la lagune de 
Hiep-Hoa et Tembouchure du Cua-Daï, il s'en faut que la 
réalité des faits corresponde au tracé topographique. On 
peut se rendre de Faï-Foo à Tourane par mer, en franchis- 
sant le Cua-Daï, dont les fonds sont assez tourmentés, mais 
qui est fort praticable pour les jonques. On peut y aller par 
l'intérieur en remontant le Song-Thu-Bon, et en empruntant 
le canal de Quang-Nam pour arriver dans la rivière de Tou- 
rane, que Ton. descend jusqu'à la ville. Cette voie fluviale, 
étant données les alluvions du Song-Thu-Bon, est sujette à des 
variations fréquentes et à de nombreux atterrissements, pré- 
cisément dans la région du canal de Quang-Nam, et les deux 
courants de marée venant, l'un de Tourane, l'autre de Faï* 
Foo, se rencontrent et se mêlent en déposant tout ce qu'ils 
charrient. Les étales de courants qui se produisent en ce 
point sont néfastes aux fonds du canal du Quang-Nam. 

Le grand travail entrepris par OUivier sous le règne de 
Gia-Long s'est rapidement comblé, et de nos jours, les pre- 
miers Français qui ont habité le pays ont senti la nécessité de 
créer un nouveau canal remplaçant l'ancien. Ce nouveau ca- 
nal a été inauguré en août 1897 à l'occasion de l'exploitation 
des mines de Nong-Son, par MM. Cotton et Saladin ; il avait 
I 200 mètres de long, une largeur de 3o mètres au plafond, 
et une profondeur de i™,5o aux plus basses mers. Il était 
donc plus que suffisant pour les besoins de la navigation, et 
l'œuvre aurait eu sa véritable portée si l'on avait songé à 
l'entretenir. Mais comme on a cru, bénévolement, que la 
cause qui avait comblé le canal OUivier avait disparu avec le 
temps, les choses sont rapidement revenues à l'état primitif, 
portant le plus grave préjudice aux communications entre 
Faï-Foo et Tourane. A l'heure actuelle, ce n'est plus seule- 
ment le canal du Quang-Nam qui est en mauvais état, mais 



l48 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

toute la rivière de Touraiie, dont certains points sont devenus 
difficilement praticables. 

Ces questions de navigation fluviale, de travaux à faire 
pour modifier dans tel ou tel sens le régime et les apports 
d'une rivière, sont tellement délicates qu'elles nécessitent, 
pour être résolues, la présence et les conseils d'hommes 
compétents, du métier, en ayant une longue habitude. Quels 
qu'aient été le bon vouloir et le dévouement des membres 
Je la dernière commission qui s'est occupée de la rivière, je 
n'hésiterais pas, dans l'intérêt général, comme dans l'intérêt 
budgétaire, à préférer à ses avis ceux d'une commission 
d'ingénieurs spécialistes en matière fluviale. L'administra- 
tion n'aurait plus à intervenir qu'en affectant, d'une manière 
fixe et permanente, un crédit suffisant pour les travaux cou- 
rants d'entretien. De timides essais de dragage ont été ten- 
tés. On a fait venir, pour l'approfondissement des passes de 
la barre de Tourane, une drague de Gochinchine. D'abord, 
comme elle était de la spécialité dite des « suceuses », faite 
pour la vase molle, elle ne pouvait en aucune façon conve- 
nir aux fonds de la rivière, de sable et de gravier, pour les- 
quels l'emploi de dragues à excavateurs semblait indiqué. 
On a commis une deuxième faute en envoyant cette drague 
sur la barre, un jour de mauvais temps, alors que l'engin 
n'avait que la navigation de rivière comme objectif. La 
drague a failli être coulée par les volutes qui déferlaient sur 
les bancs, en même temps que la non-flexibilifé des tuyaux 
de refoulement était la cause d'avaries diverses. On n'eut 
pas plus de chance avec deux dragues à main, préconisées 
par les Travaux publics, dont une partie coula pendant la 
traversée de Hué à Tourane. Depuis, les choses en sont res- 
tées là, au grand désespoir des négociants et des colons. 

On comprend que devant une pareille situation, certaines 
personnes aient songé à relier Faï-Foo à Tourane d'une 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. I^Q' 

autre manière. M. Derobert, qui, dans la commission du port, 
avait déjà appelé Taltention des membres sur la question 
des voies de navigation intérieure, a voulu un instant lancer 
le projet d'un tramway à vapeur Faï-Foo-Tourane, qui aurait 
abrégé les lenteurs et les ennuis de la rivière. La Société 
lyonnaise des mines de Nong-Son a repris le projet pour 
son compte personnel, se proposant de le faire aboutir à la 
presqu'île de Tîen-Cha, pour rendre à Tîlot de l'Observatoire 
un peu de son ancien intérêt. Elle le ferait sans doute cons- 
truire à ses frais, quitte à solliciter du gouvernement une 
garantie d'intérêt. Je doute que l'État accède à cette demande, 
étant donnée la réussite douteuse de ce projet. On peut en 
effet se demander, lorsque l'on connaît bien les Chinois et 
les Annamites, si pour eux la voie ferrée détrônera jt^mais la 
voie fluviale ou la voie maritime, avec ses transports à bon 
marché. Ils auront beau être obligés de transborder à cha- 
que échouage, de se remettre péniblementà flot, d'augmenter 
considérablement la durée du trajet, rien n'y fera. Le courant 
est établi depuis des milliers d'années, ils chargeront tou- 
jours leurs colis sur les sampans, et le tramway à vapeur 
aura bien de la peine à transporter autre chose que des 
voyageurs, malgré ses bonnes intentions. 

La meilleure façon de relier Faï-Foo à Tourane, de faire 
bénéficier le port naissant de la présence du centre actif qui 
vit à ses côtés, c'est de songer sérieusement à l'entretien de 
la rivière de Tourane et des canaux du Quang-Nam. 

♦ 

Après Tourane, la côte change totalement de caractère. 
Le littoral de l'Annam central est accidenté, quoique droit, ' 
il n'en est plus de même de celui de l'Annam du Nord, rec- 
tiligne et sablonneux, formé de dunes basses qui s'allongent 
jusqu'au delta du Tonkin, sans une anfractuosité, sans un 



l50 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

abri. Les montagnes s'enfoncent dans rintérieur, et, pour le 
navigateur qui vient du large, le rivage se présente sous la 
forme d'une uniforme raie blanche, dépourvue de points de 
reconnaissance, battue par la houle de nord-est et les cyclo- 
nes de Chine. C'est la terrible « côte de fer », redoutée des 
pêcheurs annamites, dangereuse pendant six mois de l'année. 
Les deux éperons du cap Choumay, celui de l'ouest et 
celui de l'est, comprenant entre eux la petite baie de Tua- 
Moi, sont les dernières saillies rocheuses, et, après eux, 
la côte se continue par la langue de terre basse qui sépare la 
lagune de Hué de la haute mer. Cette lagune, où vient abou- 
tir la rivière de la capitale, délicieuse, fraîche et contournée, 
est à peine utilisable pour des navires d'un tirant d'eau 
moyen. Au sud, c'est un immense marais, la lagune de Truoï, 
profonde de i mètre à i^'jBo; après elle, en allant vers le 
nord, vient une fosse centrale de 2 mètres à 3 mètres, et 
même 4 mètres en certains endroits, allongée dans le sens 
de l'axe. Puis vient un seuil, et enfin, après Thuan-Àn, une 
autre fosse de faible superficie, où les profondeurs sont su- 
périeures à 5 mètres ; le nord de la lagune de Hué n'offre que 
des fonds insignifiants. Ce port naturel est d'autre part inu- 
tilisable, car il ne communique avec la mer que par l'em- 
bouchure très étroite de Tu-Hien, au sud, par celle de 
Thuan-An au milieu, et enfin, au nord, par une troisième 
brèche creusée dans la lagune de sable par les typhons et 
les inondations. Celle de Thuan-An est la plus praticable, au 
moins pour les navires ne calant pas plus de 3 mètres ; la 
barre qui la précède est très tourmentée, et fréquemment 
bouleversée par les typhons et la mousson d'hiver. On avait 
eu un instant l'intention de la baliser, mais on y a renoncé 
en raison de ces changements ; les bouées sont restées à 
Tourane dans le parc des Travaux publics. Les courants vio- 
lents de la passe minant les berges et affouillant les sables, 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. iSi 

on n'a pas pu donner suite au projet d'établir un feu de port 
à Thuan-An; le matériel étant déjà acheté, on le destinera 
au petit feu de Quin-Nhon. 

Au delà de Thuan-An, la côte n'est variée que par les 
embouchures de plusieurs rivières, de faible parcours et peu 
importantes. Le Song-Viet, qui arrose la province de Quang- 
Tri, est du nombre. Son estuaire est à peu près dépourvu 
de bancs, et le chenal, assez tortueux, pourrait être cepen- 
dant déterminé par deux alignements faciles à établir. Les 
chaloupes à vapeur pourraient desservir cette rivière, qui 
remonte jusqu'à Quang-Tri, et transporter, par cabotage, 
les marchandises jusqu'à Tourane; elles n'y ont pas encore 
songé, même pendant la belle saison. D'ailleurs, cette voie 
du Gua-Viet n'a jamais été très fréquentée, et on cite le cas 
d'une famine qui désola le Quang-Tri, et pour laquelle on 
expédia des secours en riz qui ne purent débarquer au cap 
Lay. On choisit alors pour eux le chemin fort long de Thuan- 
An, ce qui causa un retard préjudiciable à leur efficacité. 
Sous le cap Lay, on ne trouve en effet que l'embouchure du 
Gua-Tung, fort pittoresque, mais peu praticable. Au nord 
de cette rivière s'élèvent les collines qui se groupent et se 
juxtaposent pour former un grand plateau de 3o à 4o mè- 
tres, finissant à l'est au cap Lay, couvert de végétation. La 
saillie du cap est médiocre, et le pied des falaises est bordé 
de roches dangereuses. Au loin, on distingue le sommet de 
l'île Tigre, qui émerge dans la solitude du large, sans com- 
pagnon. L'île Tigre est aussi environnée de récifs répartis 
très irrégulièrement; au nord, on a signalé l'existence du 
banc de la a Rolla », non vérifiée encore. Les navires pra- 
tiquent couramment le chenal séparant l'île de la terre, qui 
n'offre aucune difficulté. 

Au cap Lay commence la province du Quang-Binh, pleine 
de ressources inexploitées et où le commerce, insignifiant 



i52 LES Rrv'ÂGEs indo-chinois; 

maintenant, pourrait se développer considérablement. C'est 
la région où Tex-roi Ham-Nghi s'était réfugié après l'affaire 
du 5 juillet, pour tenter de la soulever coîitre nous ; il avait 
pour lui l'appoint de lettrés, très nombreux dans la province. 
Depuis la fin de ces troubles, le Quang-Binh est redevenu 
prospère. Sur la côte, la population est tranquille et labo- 
rieuse ; elle s'occupe de la construction des jonques, du ca- 
botage, de la pêche, de la préparation du poisson salé que 
consomment les Annamites de l'intérieur. Une société fran- 
çaise exploite les forêts, très riches en essences rares ; on a 
découvert récemment des. gisements de galène argentifère et 
de fer. Dans les vallées, on cultive la canne à sucre, le riz, 
le tabac et la ramie. 

Malheureusement, le Quang-Binh manque de port et de 
débouché sûr la mer. Son chef-lieu, Dong-Hoï, possède une 
rivière dont l'embouchure, orientée obliquement au rivage, 
est gênée par une barre fort dangereuse dès qu'il y a la 
moindre houle, et d'autant plus malencontreuse qu'il y a 
dans le ileuve, de suite après la barre, des profondeurs su- 
périeures à 5 mètres. Cette rivière de Dong-Hoï a une im- 
portance particulière, car elle fait partie du réseau d'çirroyos 
qui s'étend à l'intérieur parallèlement à la côte, de la lagune 
de Hué au Quang-Binh, et qui est très fréquenté en mousson 
de nord-est lorsque le niauvais temps rend la navigation 
dangereuse en mer. Le Song-Giang, rivière qui traverse tout 
le nord de la province, prenant sa source dans des monts de 
marbre, est mieux partagé. Il arrose une contrée très riche, 
dessert plusieurs marchés importants, comme ceux de Cho- 
don et de Minh-Cam, et, après avoir été navigable pendant, 
la plus grande partie de son parcours, se jette dans la mer 
par un estuaire large, sans barre dangereuse. Les petits ca- 
boteurs pourraient fréquenter avec profit le Cua-Giang, 
comme Dong-Hoï d'ailleurs, pour essayer de relier au reste 



LES HOUILLERES d'aNNAM. i53- 

de rindo-Chine la côte désKéritée qui s'étend de Thuan-An à 
Vinh. 

Le Cua-Rôn, qui traverse rexlrême nord du Quang-Binh^ 
est peu important, et son embouchure est dangereuse. 
D'ailleurs, en ce point de la côte, les fonds marins sont ca* 
ractérisés par un relèvement tourmenté, sans direction gé- 
nérale, faisant alterner les coraux et les bancs de sable. Les 
îles qui se pressent autour du cap Boung-Quioua, venues du 
même soulèvement, entourent, entre le cap et elles, un abri 
relativement bon, connu sous le nom de port de Vung-Chua; 
la barrière insulaire y arrête un peu la houle. L'île de la 
South- Watcher, au large, est un roc isolé et accore. 

Nous arrivons ici, avec le cap Boung-Quioua, au deuxième 
point stratégique de la côte. Le chaînon transversal de la 
chaîne annamitique, qui aboutit au cap, est une barrière 
unie, sans cols, que la route mandarine franchit par un gi- 
gantesque escalier, du sommet duquel descendent neuf cents 
marches vers le Quang-Binh et neuf cetif quatre-vingts vers 
le Ha-Tinh. C'est la porte d'Annam, la route des invasions 
thaïs, les « thermopyles du Tonkin ». 

* 
* * 

Tourane est à la veille d'acquérir un surcroît d'importance 
maritime comme débouché des nouvelles houillères d'An- 
nam, comme port d'exportation du charbon, avec la facilité 
résultant de sa situation centrale, à portée des routes de l'Ex- 
trême-Orient. C4ette situation lui permettra en effet de ravi- 
tailler les. navires de passage, et de tabler, de Vladivostok 
à Singapour, sur des taux de fret raisonnables. L'avenir de 
notre port d'Annam dépendant en grande partie dé la réali- 
sation de telles promesses, nous avons cru nécessaire d'exa- 
miner spécialement les conditions présentes. 



l5^4 LES RIVAGES INDO-CHIiNOIS. 

L'Indo-Chine, par la constitution de son sol et la réparti- 
tion de ses terrains, présente deux lignes houillères, deux 
axes carbonifères qu'un heureux hasard a fortement rappro- 
chés de la mer. Issus tous les deux du plateau du Yunnan, 
des bords du fleuve Rouge, le Song-Coï les divise dès leur 
naissance, rejetant le premier au nord, le second au sud. 
L'un passe à Tuyen-Quan, à Dong-Trieu, à Quang-Yen, à 
Hongay et à Kébao, l'autre descend la côte d'Annam. On le 
trouve à Phuly au Tonkin, aux environs de Vinh dans le 
Nghé-An, à Dien-Chau dans le Hatinh, à Len-Bac dans le 
Quang-Binh, et près de Tourane. 

Enfui quelques affleurements ont été découverts jusqu'à 
la hauteur de Quin-Nhon. Ces points permettent de déter- 
miner avec une certaine approximation la direction de l'axe 
d'Annam, mais celui-ci ne se limite pas à une ligne idéale. 
II s'étend vers l'intérieur, en largeur variable, compris entre 
les terrains dévoniens de l'ouest et ceux de l'est, dans un 
plissement que la poussée granitique du centre de la chaîne 
a incliné vers la côte. M. Fuchs, qui a prospecté avec son 
talent ordinaire les mines de Nong-Son, nous dit : « Le ter- 
rain qui renferme la houille, en Indo-Chine, repose en stra- 
tification discordante sur le terrain carbonifère, et il est sur- 
monté d'une puissante formation de grès, de poudingues et 
d'argilolithes, présentant les plus grandes analogies litholo- 
giques avec le terrain permien et le trias inférieur d'Europe. 
Il est formé lui-même presque uniquement de grès feldspa- 
thiques et" micacés Entre les assises de grès sont quel- 
quefois intercalés des bancs schisteux dans lesquels reposent 
ordinairement les couches de combustible. » M. Saladin 
ajoute : « Les échantillons de Nong-Son appartiennent à la 
flore rhétienne. Nong-Son est donc au même niveau géolo- 
gique que Dong-Trieu, mais ce niveau est beaucoup plus 
ancien que celui de Yen-Bay, qui est tertiaire. » Ces lignes, 



LE$r HOUILLÈRES d'aNNAM. i55 

écrites en iSgi, ont ét^ confirmées depuis par les constata- 
tions pratiques. 

Les mines d'Annam ont commencé à produire depuis 
1896, dans des proportions fort modestes il est vrai, mais 
augmentant constamment. L'importation s'accroît, mais de 
quantités infimes, en raison du petit nombre des industries 
locales. Toute la production passe à l'exportation. Voici les 
chiffres en tonnes : 

ANNÉES. EXPORTATION. IMPORTATION. 

1897 ï44o 197 

1898 2 255 161 

1899 2 092 280 

1900. . 2295 247 

1901 435i » 

L'exportation est entièrement l'œuvre des mines de Nong- 
Son, dont l'exploitation est seule entrée dans une phase pra- 
tique sérieuse. 

. Le Quang-Nam a d'ailleurs été très favorisé sous le rap- 
port de la houille. Faut-il voir là l'effet de la présence de 
nombreux Européens, dont l'activité était tournée vers les 
recherches minières ? Les indigènes connaissaient cependant 
depuis longtemps l'existence de ces gisements houillers, 
mais leurs moyens, par trop primitifs, les ont toujours em- 
pêchés d'arriver à un bon résultat. La cour d'Annam, de 
son côté, s'empressait d'étouffer cette industrie, naissante 
par des impôts accablants. Les Français, n'ayant pas à 
compter avec de pareils empêchements, se sont mis en cam- 
pagne, et, pour le Quang-Nam seulement, l'administration 
n'a pas reçu moins de quatre-vingt-dix demandes de con- 
cessions, ce qui ne doit pas faire présager un nombre égal 
de mines en activité. Il s'agit seulement de points où l'on 
a pu constater l'existence du combustible, sans procéder à 
une recherche approfondie. La répartition de ces points sur 



l56 LES RIVAGES INDOCHINOIS. 

la carte est intéressante en ce qu'elle détermine fort nette- 
ment la direction de Taxe carbonifère, du col des Nuages au 
parallèle de la baie de Kikuik, en passant par les affleure- 
ments de Nam-Co, de Vinh-Phuoc et de Nong-Son. 

Le gisement de Vinh-Phuoc a été découvert en 1887 par 
M. Rouzaud, agent des Messageries Maritimes à Tourane. 
Des premières recherches en périmètres réservés furent 
faites en 1889, et le terrain fut prospecté par M. Fauquier, 
mais la création de la société de Nong-Son fit échec au pre- 
mier essai de M. Rouzaud. A la mise en liquidation de cette 
société rivale, le propriétaire fit prpcéder ^ de nouvelles 
recherches, bientôt suivies de la reconstitution des houillères 
de Tourane. Sur ces entrefaites M. Rouzaud mourut, et ses 
droits furent vendus à M. Beneyton, officier de cavalerie en 
congé. Il est dommage que Texploitation de Vinh-Phuoc 
n'entre pas dans une phase définitive. La mine est bien 
située, sur les bords du Song-Vu-Gia, affluent de gauche de 
la rivière de Tourane. Le transport du combustible à Tou- 
rane peut se faire par terre, par la route de Tuy-Loan, ou 
par eau, par le canal Hauser et la rivière de Cam-Lé. La 
nouvelle ligne du chemin de fer ne passera pas trop loin de 
Vinh-Phuoc. 

Mais les mines de Nong-Son occupent à plus juste titre 
l'attention, car elles ont commencé à justifier les espérances 
que leurs promoteurs avaient mises en elles. 

Nong-Son est sur le bord de Song-Thu-Bon, à 65 kilo- 
mètres de Tourane, sur les premières pentes des montagnes. 
Le terrain était connu depuis longtemps, et dès 1881, le 
Chinois Leong-Van-Phong en demanda la concession au 
gouvernement annamite, pour en vendre le produit aux 
verreries et fonderies de Canton, et alimenter en même 
temps la consommation ménagère de Shang-Haï. Après la 
prospection faite en 1882 par M. l'ingénieur Fuchs, Leong- 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. 167 

Van-Phong cédait ses droits à la Société française des 
houillères de Tourane, constituée au capital de 4 millions 
de francs, dont 2 millions en espèces (1889). Cette première 
société n'obtint pas de brillants résultats, et, à bout de res- 
sources, elle dut se mettre en liquidation en 1894. Elle ne 
put se reconstituer qu'en 1898, lors du krach de Kébao, à 
un moment bien mal choisi pour demander aux capitalistes 
de France de l'argent pour les mines indo-chinoises. 

On trouva donc une combinaison consistant à créer une 
nouvelle société ayant en vue non seulement l'exploitation 
du charbon, mais bien aussi celle du nouveau port de Tou- 
rane, par l'entremise d'un monopole de docks. A l'examen 
de ce deuxième élément de succès, les fonds n'hésitèrent 
plus. Par contrat du 20 janvier 1898, entre les liquidateurs 
de l'ancienne société et MM. Pila et Malon, ceux-ci entraient 
en possession de la concession et du matériel moyennant le 
prix de Booooo francs payable en actions de la nouvelle 
société. C'est celle-ci qui dirige avec assez de bonheur l'ex- 
ploitation du gisement houiller. Nous lui rendons cette jus- 
tice avec d'autant plus de plaisir que la stricte impartialité 
nous a obligé à lui donner tort au sujet du port de Tou- 
rane. 

• Le charbon que l'on trouve à Nong-Son est de la nature 
des anthracites, comme tous les combustibles indo-chinois, 
c'est-à-dire sec et dur, brûlant assez difficilement sans l'in- 
tervention d'un fort tirage, mais dégageant beaucoup de 
chaleur et faisant peu de fumée. Les ingénieurs qui se sont 
occupés des recherchés et de l'exploitation de la mine sont 
unanimes à convenir de ces caractéristiques. 
. « Le charbon est maigre et anthraciteux, et convient très 
bien pour le chauffage des chaudières marines. Sur la cha- 
loupe FaUFoo, appartenant à la société, qui fait le service 
entre Nong-Son et Tburane, et où le tirage est loin d'être 



l58 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

aussi actif que sur les grands paquebots, les résultats obte- 
nus ont été excellents. Malgré certaines conditions défec- 
tueuses, j'ai vu la pression se maintenir facilement entre 65 
et 75 livres, et cela en remontant le Song-Thu-Bon pendant 
trois heures ('). » — « Le charbon retiré du sondage, où sa 
dureté au battage a paru variable, est brillant et pur.Il semble 
provenir d'une région bien régulière; à l'analyse, il a donné 
une teneur en cendres de 8 p. 100, ce qui est tout à fait 
satisfaisant. Les cahiers des charges de fourniture de houille 
de Newcastle (Australie), pour la marine du Tonkin, admet- 
tent jusqu'à i5 p. 100 de cendres (*). » L'analyse qui a 
donné ces chiffres, pour un échantillon de Nong-Son et un 
autre d'anthracite européen, se résume en effet par le tableau 
suivant : 





CHARBON DE NONG-SON. 


ANTHRAOTE EUROPÉEN. 


Perte en gaz. . . 


9 p. 100 


7 à 10 p. 100 


Cendres 


11,7 — 


8 à 12 — 


Carbone 


79,3 — 


78 à 85 — 



« Ce charbon ne donne aucune flamme. Il brûle sans 
décrépiter et reste très solide au feu, comme les anthracites 
américains de Pensylvanie. Cette qualité l'a fait apprécier 
en Indo-Chine, car la conduite des feux est plus facile qu'a- 
vec certains charbons de Hongay ou de Kébao, qui se déli- 
tent au feu et bourrent trop les grilles. L'anthracite de Nong- 
Son a l'avantage de brûler sans fumée, comme les charbons 
de Hongay et de Kébao. Il est, comme eux, difficile à allumer 
et nécessite une surface de grille supérieure à celle dont s'ac- 
commodent les charbons gazeux (J). » — « Avec ses qualités 
de dureté, il conviendrait bien pour le chauffage domestique, 



(i) M. ringënieur Vincent (février 1891). 

(2) M. Beauverie, ingénieur en chef (mai 189a). 

(3) M. l'ingénieur Saladin (2 janvier 1894). 



LES HOUILLERES d'aNNAM. iSq 

et on peut le voir conquérir de ce chef une clientèle sérieuse 
à Hong-Kong et surtout à Shang-Haï, où il y a un hiver 
rigoureux et où Ton consomme déjà une petite quantité 
d'anthracite des États-Unis ('). » 

Les chiffres concernant la contenance du gisement sont 
par ailleurs fort rassurants. On estime pour la mine une 
capacité de 200 000 tonnes par hectare, ce qui, pour 160 hec- 
tares, ferait 82 millions de tonnes. La durée de la mine dé- 
pendrait évidemment de l'extraction annuelle, mais, avec un 
pareil total, elle serait certainement considérable. 

Les conditions de main-d'œuvre sont assez bonnes. Le 
salaire des ouvriers annamites, piqueurs et rouleurs, est de 
o fr. 70 en moyenne, variant de o fr. 4o à i fr. 20. Les ou- 
vriers spéciaux, contremaîtres ou caïs, sont rares et se font 
payer cher. Leur rendement est à peu près égal au quart de 
celui de l'ouvrier européen. On se propose, à Nong-Son, 
d'introduire le plus de machines possible, pour suppléer au 
manque de force physique des Annamites au moyen de leur 
habilelé de mécaniciens. On a dû s'occuper de créer pour 
eux des villages autour de la mine. 

Le prix de revient du charbon de Nong-Son lui permet-il 
de lutter sur les différents marchés d'Extrême-Orient avec 
les combustibles d'autres provenances ? L'énorme consom- 
mation de la côte de l'Asie orientale, qui n'est pas moindre 
de I 5oo 000 tonnes, est alimentée par les mines de l'Aus- 
tralie et de la Colombie britannique, dont les produits arri- 
vent grevés de frais de transport élevés ; par les mines de 
l'Inde anglaise, placées dans le même cas, avec une produc- 
tion suffisant à peine à alimenter le marché local ; par les 
mines du Japon, qui ne fournissent qu'un combustible détes- 
table ; enfin, par celles de la Malaisie et de Tlndo-Chine 



(i) M. l'ingénieur Keller. 



l6o LES RrV^AGES INDO-CHINOIS. 

• 

française. Ces dernières ne jouent pas le rôle auquel elles 
pourraient prétendre. En effet, en 1894, le charbon japonais 
se vendait 5 à 6 piastres la tonne à Hong-Koïig, le gros char* 
bon de Tourane 6 piastres 5o à 7 piastres, et le menu de 
4 piastres 5o à 5 piastres. Or, M. Keller établit de la façon 
suivante le prix de revient de la tonne de Tourane rendue à 
Hong-Kong. 100 tonnes de charbon brut coûtent i4o pias* 
4.res et ne donnent que 65 tonnes de charbon marchand ; 
•chacune de ces 65 tonnes vaut donc, à la mine, 2 piastres i5. 
On a alors, pour une tonne : 

Goût à la mine 2,1 5 piastres. 

Transport de la mine à Tourane . . . . o,5o — 

Frais d'embarquement o,25 — 

Fret sur Hong-Kong 1,00 — 

Prix de la tonne rendue à Hong-Kong. 3^go piastres. 

M. Fauquier, moins optimiste, fixait en 1889, en l'absence 
de sanction pratique, ce total à 4 piastres 5o, et M. Saladin 
à 4 piastres 4o ; adoptons une moyenne de 4 piastres 25. 
Si nous tenons compte de l'augmentation du prix du char- 
bon en Extrême-Orient, nous voyons qu'il reste sur le mar- 
ché de Hong-Kong un bénéfice appréciable pour l'exploita- 
tion de Nong-Son. Celle-ci s'accroîtrait encore en fabriquant 
-des briquettes avec 20 p. 100 de japonais. Ce dernier com- 
bustible revient, rendu à Tourane, à 11 piastres 5o la 
4onne; son emploi coûterait donc, par tonne de briquettes, 

20 
II, 5o X = 2 piastres 3o, dépense largement compensée 

par la vente assurée des menus à un prix élevé. 

Ces débouchés sont dès à présent assurés sur la côte de 
Chine. Il est à noter que le charbon maigre, qui nécessite 
un fort tirage, ainsi que des dispositions spéciales de grille, 
reprend ses droits lorsqu'il s'agit d'usines ou de chauffage 
domestique, pour lesquels l'anthracite est très demandé. Or, 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. i6ï 

à Shang-Haï, Thiver est rigoureux, en raison du climat ex- 
trême de la Chine du Nord, et, chaque année, la grande cité 
commerciale demande aux États-Unis des anthracites pour 
lesquels Tourane pourrait souscrire à des conditions bien 
meilleures pour Tacheteur. La maison Jardine-Matheson 
envoie fréquemment ses navires sur la côte d'Annam pour en 
prendre des chargements entiers. On pourrait craindre, à cet 
égard, la mise en exploitation des mines d'anthracite récem- 
ment découvertes dans la région d'Hankéou, et pour lesquel- 
les le Yang-Tsé-Kiang constituerait une voie de transport très 
économique, mais fort heureusement, ces mines sont situées 
dans l'intérieur des terres, éloignées des fleuves, auxquels 
elles ne sont reliées que par des arroyos insignifiants, à sec 
en hiver, précisément au moment où les charbons sont très 
demandés à Shang-Haï. A Hong-Kong, l'anthracite se vend 
aussi bien, mais, l'hiver étant moins dur, le chauffage domes- 
tique ne prend qu'une faible partie de l'importation. Tout 
le reste est acheté par des Chinois de Canton, et destiné 
aux verreries, aux poteries, aux briqueteries et aux fours à 
chaux. 

Les paquebots annexes des Messageries maritimes, lors- 
qu'ils font escale à Tourane^ ne prennent pas de charbon de 
Nong-Son. Quand ils descendent la côte d'Annam, le faible 
fret de Haïphong les oblige à faire au départ le plein complet 
de leurs soutes, pour s'assurer une bonne tenue à la mer. Il 
leur arrive même d'embarquer un lot de pierres, qu'ils 
revendent à Saïgon comme matériaux de construction. Ce 
sont de mauvais clients pour Nong-Soii, au moins pour les 
achats faits en passant. 

La direction des mines a fait son possible pour mettre à 
profit la voie économique que le Song-Thu-Bon lui offrait 
pour descendre à bas prix ses produits à Tourane. Elle s'est 
attachée de nombreux bateliers indigènes, à son service 

RIVAGES INDO-CHINOIS. II 



102 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

depuis longtemps. Elle a fait construire des sampans d'un 
modèle spécial, au nombre de quatre-vingts, pouvant porter 
chacun dix tonnes de charbon. Ils coûtent environ cent trente 
piastres Fun, et sont construits sous la direction du sampa- 
hier qui rembourse peu à peu, par des prélèvements sur son 
salaire, cette avance que lui fait la société. Celle-ci fait aussi 
construire des chalands d'un modèle spécial, de quinze 
mètres de long sur trois de large et de faible tirant d'eau 
(o™,6o à o",7o). 

Ce faible tirant d'eau est plus que jamais nécessaire, au 
moment où le mauvais état de la rivière, dont nous avons 
parlé à propos de Faï-Foo, vient mettre en question l'exis- 
tence des mines de Nong-Son. Nous avons vu que la nature 
même des choses faisait du canal de Quangnam, à cause de» 
rencontres des courants, un point d'atterrissement inévitable; 
pour assurer la bonne navigabilité de la rivière, il est donc 
nécessaire de l'entretenir constamment. Avec l'ancien sys- 
tème, les maires des communes indigènes étaient responsa- 
bles de la portion située sur le territoire de leur village. On 
a remplacé cette responsabilité par le paiement d'une indem- 
nité, en général affectée à un tout autre but. La rivière s'est 
ensablée, et n'a même pas gardé des profondeurs d'un mètre, 
parfaitement suffisantes pour des sampans. On ne met pluis 
dans ceux-ci que cinq à six tonnes, au lieu des dix qu'ils 
doivent porter. A. chaque échouage, il faut recharger pour 
décharger ensuite, et ces manutentions accroissent la pro- 
portion de menu de 3o à 5o p. loo! Aux basses eaux, 
il devient impossible d'envoyer le charbon à Tourane, et, 
d'autre part, on ne peut accumuler à l'îlot de l'Observatoire, 
aux hautes eaux, le stock d'une année. En août 1902, après 
une période de sécheresse extraordinaire, on avait amassé 
1 2 000 tonnes de charbon à la mine, et on avait dû cesser 
l'extraction pour ne pas exposer le combustible aux intem- 



CaSTEX _ Rivages Indo - Chinois. 



/ ? Culao Han 



PL.IV 




HANCT.LITK. BEIlOBR-t.EVRAULI ft (fif 



TOURANE 



LES HOUILLÈRES d'aNNAM. i63 

péries. Avec un bon entretien de la rivière, on pourrait pour- 
tant descendre de 3 5oo à 4 ooo tonnes par mois ! 

La société a lutté bravement contre ce triste état de choses. 
Elle a même sollicité de l'administration l'autorisation d'en- 
tretenir le Song-Thu-Bon à ses frais, par ses propres moyens, 
avec les ouvriers qu'elle ne pouvait utiliser à la mine : elle 
n'a pas encore reçu de réponse. En haut lieu, on lui a con- 
seillé de remédier à la situation en construisant des tronçons 
de Decauville sur les berges, aux endroits envasés, ou bien 
en chargeant sur les sampans, à destination de Faï-Foo, des 
wagonnets pleins de combustible, qui auraient ensuite gagné 
l'îlot de l'Observatoire sur rails. Ces moyens, en somme peu 
pratiques et peu économiques, paraissent avoir été dictés 
par le vif désir d'en finir avec une société qui n'avait que 
le tort de vouloir vivre. Pendant ce temps, le mauvais état 
de la rivière est la cause d'à-coups dans l'exportation, de 
retards dans les livraisons. Ces résultats produisent sur 
l'esprit des acheteurs un effet déplorable, très nuisible à la 
bonne réputation de Nong-Son, qui doit conquérir une clien- 
tèle, une place sur le marché. Il est arrivé que des comman- 
des n'ont pu être livrées faute de stock disponible à Tourane. 
Les industriels, qui ont en général modifié leurs installations 
pour pouvoir brûler ce charbon d'une nature très spéciale, 
sont particulièrement éprouvés de ce chef. 

L'avenir de notre belle exploitation de Nong-Son se pré- 
sentera donc sous de sombres couleurs, si le protectorat, 
renonçant à ses traditions, ne s'occupe sérieusement de l'in- 
téressante artère qu'est le Song-Thu-Bon. 



CHAPITRE V 
LE PORT DE HAÏPHONG 



La faille resserrée du fleuve Rouge et de ses affluents, 
étranglée dans les gorges dés hauts plateaux, dans les cou- 
pures des monts du Yunnati, s'élargit à la hauteur de Hanoï 
pour venir s'épanouir sur la mer en un delta qui s'étend de 
Thanh-Hoa àQuang-Yen. Les bras duSong-Coï et du Thaï- 
Binh, son voisin, se subdivisent en une infinité d'autres, 
dont les embouchures sont réparties aux divers points de ce 
vaste secteur. Chacun d'eux, semble-t-il, doit offrir une voie 
de pénétration équivalente aux autres, et les Dupuis, les 
Francis Garnier, tous ceux qui ont voulu s'assurer la posses- 
sion de ce territoire de transit qui cachait les trésors du 
Yunnan, n'ont eu que l'embarras du choix. 
^ Il n'en est rien cependant, et les estuaires du sud, le Cua- 
Daï, le Cua-Ba-Lat, le Cua-Tra-Ly, le Cua-Thaï-Binh, le 
Cua-Lach-Tray, ne sont que de pauvres routes fluviales, 
débouchant sur un littoral bas, émergeant à peine de la mer, 
le long duquel les profondeurs n'augmentent qu'avec une 
lenteur désespérante, semées de bancs et de hauts-fonds. 
Au nord, au contraire, lés accidents du terrain réapparais- 
sent avec la presqu'île de Do-Son, l'île de Hondnau, celle 
de la Cac-Ba ; le relief sous-marin est plus tourmenté, mé- 
nageant des chenaux aux navires, dans les parages de Cua- 
Cam, du Cua-Nam-Trieu et du Lach-Huyen. C'est donc 
cette voie que les missions commerciales et les expéditions 



LE PORT DE HAÏPHONG. 105 

militaires choisirent pour pénétrer au cœur du Tonkin 
inconnu. C'est cette vallée, cette dépression qui borde au 
sud le massif des monts Bao-Day, qui a guidé l'invasion 
française, par Quang-Yen et Dong-Trieu. Haïphong s'est 
trouvé dès le début sur ce passage, la tactique militaire en 
a fait un dépôt, une base de ravitaillement, que les circons- 
tances ont transformé en un grand port, devenu le débouché 
du Tonkin. 

Le débouché. — Que produit donc le Tonkin? Du riz, un 
peu de cette denrée que la monoculture indo-chinoise a ré- 
partie partout, sans grande libéralité pour le Tonkin. Il ne 
faudrait pas s'attendre, en effet, à retrouver dans le delta 
qui s'étend au nord du long pays d'Ànnam, le pendant des 
riches plaines cochinchinoises. Les saisons sont moins régu- 
lières, l'irrigation est rudimentaire et la population est très 
dense. De plus, les sécheresses et les inondations sont fré- 
quentes, et suffiraient à introduire l'aléa dans les prévisions 
agricoles, en l'absence même des typhons qui s'abattent à 
chaque automne sur le malheureux Tonkin. L'exportation 
du riz, uniquement destinée à Hong-Kong et à Canton, su- 
bit des à-coups appréciables, avec une valeur absolue qui 
est loin d'égaler celle des sorties de Saigon. 

Exportation des riz du Tonkin. 

ANNÉKS. TONNES. ANNAeS. TONNES. 

1897 186692 1900 168622 

1898 88620 1901 i5o8i8 

1899 9^296 

Ces chiffres comprennent le riz sous toutes ses formes, 
sous forme de paddy principalement, car il n'existe pas de 
décortiqueries au Tonkin comme à Cholon. Cet élément d'ac- 
tivité échappe à notre possession du nord. A part le riz, on 
ne relève à l'actif du port de Haïphong que quelques résul- 



l66 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

tats satisfaisants au sujet du commerce de la badiane, dont 
Pakhoi était, il y a quelques années, l'unique expéditeur. 
L'exportation tonkinoise tient donc en quelques lignes, celle 
qui sort de HaTphong au moins, la seule qui nous inté* 
resse ('). 

L'importation lui est de beaucoup supérieure, du fait de 
l'existence d'une nombreuse population indigène et d'une 
importante colonie européenne, aux besoins desquelles il 
faut subvenir.. Voici les valeurs, en francs, de la période 
1898-1902 : 

ANltÉES. IMPORTATION. RXPORTATIOlf. 

1898 49227660 22082800 

1899 58952068 27228916 

1900 78614154 58881279 

1901 64874298 87700068 

1902 88816814 3o864ioo 

Les chiffres relatifs à 1901 et 1902 ne sont que ceux des 
trois premiers trimestres de ces années. On sait maintenant 
que l'augmentation colossale de l'importation depuis 1900 
est due en grande partie à des phénomènes passagers, 
n'ayant aucun rapport avec la richesse du pays, comme 
l'exposition de Hanoï ou la construction des chemins de fer 
tonkinois. Le calcul des plus-values et des moins-values re- 
latives aux derniers chiffres de 1901 et 1902 (trois premiers 
trimestres) montre que, sur uns augmentation totale de 
18442 5i 6 fr., les métaux et les boissons ont à eux seuls 
gagné i5 017 009 fr., pendant que les tissus et les filés per- 
daient 2 954 955 fr. Il ne s'agit vraisemblablement que d'une 
importation passagère, dont la baisse est à prévoir. Veut-on 
avoir une idée des quantités ? Prenons les statistiques an- 



(1) Nous ne comptons pas, en effet, rexporlation des houillères d'Halong. 



LE PORT DE HAÏPHONG. 167 

nuelles des docks de Haïphong, avec et sans matériel de 
chemin de fer : 

Tonnage importé (tonnes). 

ANNÉES. AVEC MATÉRIEL. SANS MATÉRIEL. 



1898, 

«899. 
1900. 

190". 
1902, 



38600 


38000 


42 700 


42000 


58500 


52 000 


100 000 


75000 


128600 


90000 



L'écart entre ces deux colonnes montre à quel point les 
totaux généraux d'importation peuvent donner une idée 
fausse de la richesse du pays. Néanmoins, le nombre des 
navires fréquentant Haïphong a augmenté, en fonction di- 
recte du tonnage transporté, en même temps que leur jauge 
croissait, et que Haïphong était moins dédaigné des grandes 
lignes commerciales. La progression suivante, extraite des 
comptes de pilotage, donnerait une idée plus exacte de ce 
développement si l'on pouvait retrancher de ces chiffres ceux 
des transports de l'État, fort nombreux aux premières années 
de la conquête. 

Mouvement du port de Haïphong (entrées et sorties). 

1887 4i8 1898 . 6i3 

1895 346 1899 847 

1896 392 1900 907 

«897 600 

La jauge totale passe de 4^9008 tonneaux en 1898 à 
787 787 en 1900, soit une augmentation de 99 p. 100. 

L'achèvement du réseau ferré tonkinois, pour lequel nous 
avons transporté et débarqué à Haïphong un fret considé- 
rable, va-t-il ouvrir des débouchés nouveaux, faire naître 
une exportation inaccoutumée, dont le port subira l'effet ? 
C'est une question complexe, au sujet de laquelle les opinions 



l68 LES RIVAGES INDO-CHiNOIS. 

se divisent. Les uns attendent merveille de ce Yunnan fabu* 
leux, de TEldorado minier qui se cache sous les ondulations 
stériles des hauts plateaux, comme du prolongement vers 
Long-Tchéou et Nan-Ning-Fou de la voie qui aboutit à Lang- 
Son. Les autres voient un but plus immédiat et plus utile 
dans la mise en valeur de rindo-Chîrie ell'e-lmême, de cette 
zone maritime que nous traversons les yeux fermés pour 
aller droit à ce que nous croyons caché derrière elle. C'est 
l'esprit qui nous a conduits à Qaang-Tchéou-Wan, sans 
cesse plus avant, animés du désir de prendre plus que nous 
ne pouvions assimiler. Nous sommes déjà quelque peu reve- 
nus de la ligne de Long-Tchéou, qui n'aboutirait qu'à un 
centre dépourvu de toute importance commerciale. Haïphong 
n'en bénéficierait nullement — doit-il plus attendre de la 
voie du Yunnan ? 

De l'avis des ingénieurs qui la construisent, comme des 
quelques voyageurs qui ont pu explorer cette province, on 
ne compte que sur un trafic médiocre. Le Yunnan se com- 
pose de plaines fertiles dans la proportion d'un cinquième, 
et de plateaux arides pour le reste. Le premier projet délais- 
sait d'ailleurs les plaines, et la pratique des lieux le fit heu- 
reusement modifier. Mais il s'agit là surtout d'une œuvre de 
pénétration politique, au sujet de laquelle une loi a été vo- 
tée par le Parlement et des engagements pris avec les auto- 
rités chinoises, ce qui nécessite notre action. Au point de 
vue commercial, l'existence de la voie ferrée n'empêchera 
pas les tarifs de transport élevés, atteignant une moyenne de 
3o centimes par tonne kilométrique, et les frets de 5o à 60 fr. 
du Yunnan à Haïphong. Une marchandise chère pourrait sup- 
porter ces tarifs, mais non celles qui doivent assurer l'essor 
du Yunnan, les minerais. Pour que l'on ait intérêt à amener 
à la côte le charbon du Yunnan, il faudrait à ce dernier des 
qualités opposées à celles des charbons japonais ou indo- 



LE PORT DÉ HAIPHONG, '• 169 

chinois. Il en sera peut-être ainsi, car le combustible de 
Fintérieur est gras et fournit d'excellent coke ; pour lui, l'é- 
lévation des frais sera sans doute secondaire. D'ailleurs, le 
transit du Yunnan n'est pas considérable au point de néces- 
siter une organisation nouvelle. On peut en juger par son 
tonnage : 

Tonnage de transit (tonnes). 

HONG-KONG YUNNAN 

ANiTÉEs. au à 

TUNNAN. HONG-KONG. 

1898. 5760 3 i4o 

1899 9120 3 810 

1900 6870 3960 

1901. 8660 3 83o 

1902 9240 4980 

Rien d'extraordinaire, on le voit. Les articles importants 
sont, à l'importation, les tabacs, les tissus et les filés ; à 
l'exportation, le thé, l'arsenic et Tétain, qui sont loin de 
donner des totaux considérables. Si l'on veut comparer les 
chiffres relatifs aux trois premiers trimestres de 1901 et 
1902, on aura, en millions de francs : 

EXPORTATION. IMPORTATION. 

1901 igoa 1901 igo:^ 

Thé ...... 0,35 0,22 Tabacs 2,08 i,38 

Étain 6,02 6,95 Tissus . . . . ^ 2,48 1,21 

Arsenic 0,48 0,009 Filés i2,63 8,65 

La production d'étain, sur laquelle on base beaucoup 
d'espérances, paraît peu de chose à côté de celle de Poulo- 
Brani, exportée par Singapour, qui atteignait 25 868 tonnes 
en 1899 et 27 020 en 1900. Le surcroît de prospérité que le 
port de Haïphong pourrait retirer d'un contact plus rapide 
avec le Yunnan reste donc problématique, à moins d'ad- 
mettre que les capitaux européens ne révolutionnent du jour 
au lendemain le sous-sol de Mong-Tsé et de Tali-Fou. 



170 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Dans son état actuel, le port de commerce du Tonkin 
semble pourtant en pleine voie d'activité maritime. Il s'étend 
sur la rive sud du Cua-Cam, avec ses dépendances du canal 
d'Haly, du Song-Tam-Bac et du canal Bonnal qui enserre 
la ville d'un fossé bourbeux et inutile. Le canal d'Haly a été 
dragué à la cote 5 et réunit le Gua-Cam au Lach-Tray, pour 
servir de passage aux vapeurs des Messageries fluviales qui 
relient Haïphong aux diverses villes de l'intérieur. Il traverse 
le faubourg industriel de la ville, celui dans lequel se sont 
créées la grande cimenterie, les tanneries et les briqueteries. 
Après avoir passé sous le pont du chemin de fer, il rejoint 
le Lach-Tray, un des estuaires du Thaï-Binh, complètement 
dédaigné de la navigation hauturière. Le Sông-Tam-Bac, 
auquel se ramifie le canal d'Haly, donne une tout autre im- 
pression de vie commerciale. Près de son confluent avec le 
canal, sont situés les chantiers de construction des grandes 
jonques, avec ceux des chaloupes à vapeur, pour lesquelles 
les Cîhinois ont installé de nombreux bassins de radoub dans 
ia vase des berges, doublés de slips de carénage qui servent 
aux réparations courantes. Le commerce des bois est cen- 
tralisé en ce point, près des magasins des sujets du Céleste- 
Empire, dont la présence fait un peu songer à Cholon. C'est 
là que viennent charger, pour se rendre à bord des vapeurs, 
la plupart des marchandises d'exportation ; les grosses jon- 
ques s'amarrent le long des rives, sur deux rangs, réduisant 
notablement la largeur du Song-Tam-Bac, malgré les sévères 
règlements du port. Les maisons européennes occupent la 
partie aval de l'arroyo. On y voit la cité Marty (bureaux de 
la ligne de Hong-Kong), la maison Roque (cabotage Haï- 
phong- Vinh), la maison Guioneaud (importation de vins 
français), la maison Leauthier (industrie des céramiques), 
et la maison de MM. Denis frères, agents de la Compagnie 
nationale. Près du confluent du Song-Tam-Bac et du Gua- 



LE PORT DE HAÏPHONG. 17! 

Cam sont quelques chantiers officiels, dépendant des admi- 
nistrations du protectorat. 

Le Song-Tam-Bac n'est qu'une annexe du port de Haï- 
phong ; le Gua-Cam en est l'artère principale. C'est sur ses 
bords que se pressent les divers établissements commerciaux, 
ceux de la Société lyonnaise, de la maison Descours-Cabaud 
et de M. Debeaux, négociant à Hanoï. On a installé sur la rive 
gauche le dépôt de dynamite, les fosses à bois de la société 
Speidel et le lazaret sanitaire. Les Messageries fluviales du 
Tonkin ont là leur point terminus, muni de pontons d'accos- 
lage, de parcs à charbon, de magasins de marchandises, 
de tout ce qui est nécessaire à leurs vapeurs de rivière. 

Le Cua-Cam est doté de quelques piers de petite taille, 
qui ne servent qu'aux jonques el aux embarcations. Les na- 
vires doivent mouiller au milieu de la rivière, et un petit 
nombre d'entre eux, les privilégiés, peuvent accoster les 
appontements des docks, situés en aval du débouché du 
canal Bonnal. Tout le commerce du Tonkin vient aboutir à 
ces appontements, pour passer, de là, dans les docks qui 
les bordent, et desquels nous allons donner une brève des- 
cription. 

Le port de Haïphong n'eut pas toujours à sa disposition 
un pareil outillage commercial. Longtemps ou se contenta 
de simples pontons mouillés, reliés à la terre ferme par des 
passerelles reposant à mi-distance sur des flotteurs. On eut 
enfin, en 1896, l'idée de ces appontements sur pieds à vis, 
qui ont donné d'excellents résultats, et auxquels on ne re- 
proche que leur faible longueur et leur incommodité pour 
la navigation fluviale. Leur bordure utilisable est toute acca- 
parée par deux navires seulement, et il devient absolument 
nécessaire de les prolonger vers l'aval ou l'amont ; on a même 
parlé de creuser l'entrée du canal Bonnal à la cote 7, pour 
donner un poste d'amarrage supplémentaire. L'entretien 



172 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

courant laisse aussi à désirer, et les dépôts ont formé, en 
aval, un haut-fond de 5 mètres assez gênant. Dernièrement, 
comme la mer baissait, le Vcisconiaj amarré à Tappontement, 
a cassé ses aussières en glissant sur ce seuil, et, partant en 
dérivé, a failli aborder les navires d'aval. La Chambre de 
commerce a vivement protesté dans sa séance du 12 septem^ 
bre 1902, mais ses plaintes n'ont pas encore trouvé d'écho. 

Les docks dé Haïphong, construits sur un terre-plein pri- 
mitivement marécageux et gagné patiemment sur la rivière, 
ont été établis et exploités aux premiers jours de l'occupa- 
tion française, par la société Ulysse Pila, puis rachetés par 
le protectorat et placés sous le contrôlé de la douane. Dès 
1893, le nouveau système a fonctionné, les diverses opéra- 
tions de warrantage des marchandises étant confiées à un 
entrepreneur, qui est actuellement M. Briflaud. Les maga- 
sins qui servent au dépôt des colis sont placés au sud, per- 
pendiculairement à la berge du fleuve, et répartis par lettres 
alphabétiques. Ils sont reliés aux appontements par quatre 
ponts munis de voies Decauville, et peuvent contenir chacun 
de 3 000 à 3 5oo mètres cubes, soit le volume d'un cargo des 
Chargeurs Réunis. Les marchandises y restent dix-huit jours 
en franchise ; passé ce délai, elles retombent sous le régime 
de la douane. 

Diverses autres administrations ont aussi leurs dépôts aux 
docks. Les Messageries Maritimes y possèdent des pavillons 
à part, à peu près de la même taille que ceux du commerce 
général. Les services administratifs, depuis 1886, y ont ins- 
tallé leurs magasins centraux, en remplacement des hangars 
d'une ancienne compagnie chinoise; ils paieftt au protecto- 
rat une location de i 5oo fr. par mois. 

Le dépôt de pétrole est en retrait et fort bien construit, 
avec des fosses pour l'écoulement du liquide. On craint mal- 
heureusement que sa situation trop voisine de la ville ne 



LE PORT DE HAÏPHONG. 178 

soit la cause d'un accident fâcheux. Vers 1890, on agita un 
-instant l'idée d'un transfert sur la rive gauche, qui n'eut pas 
de suites. 

Les opérations de gabarage, pour les navires en rade, sont 
assurées par une flottille de trente-cinq chalands de 100 ton- 
nes, appartenant à l'entrepreneur, remorqués par cinq cha- 
loupes à vapeui*. Les services administratifs ne disposent que 
de dix chalands. Il est question de mettre en service des cha- 
lands de 200 tonnes, actuellement en construction. Les ap- 
paraux de levage ne manquent pas aux docks. En sus de la 
grande grue de 10 tonnes destinée au déchargement des 
chalands, ceux-ci sont munis de grues de 5 tonnes, et les 
wagonnets de crics de 2 tonnes. Sur les appontements, huit 
grues viennent en aide aux mâts de charge des vapeurs. 

Une armée de fourmis s'agite dans ces docks, pour désar- 
rimer les marchandises des cales, les charger sur les wagon- 
nets, les rouler jusqu'aux hangars et les décharger ensuite. 
C'est l'occupation journalière de 200 côngaïes (femmes an- 
namites) et de 4oo coolies ou manœuvres, en nombre double 
lorsqu'il s'agit des gros cargos. Les désarrimeurs. Chinois 
de Moncay ou d'Haïnan, sont à peu près une centaine,' soit 
dix par cale. Les surveillants, européens et indigènes, sont 
répartis aux magasins, aux terre-pleins, aux appontements, 
au pointage à bord des navires et enfin aux livraisons. 

Telle est l'organisation commerciale et maritime du port 
actuel de Haïphong, 



* 



Ici comme à Saigon, le mouvement maritime et fluvial a 
nécessité la création d'importants établissements industriels, 
que la période de grands travaux publics que traverse l'Indo- 
Chine a considérablement développés. 



174 I^ES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Les chantiers Marty et (tAbbadie se sont établis de bonne 
heure pour subvenir aux réparations de la flottille des Mes- 
sageries fluviales et des navires de la compagnie Marty, qui 
font le cabotage Hong-Kong-Haïphong. Ces réparations les 
absorbent presque entièrement, au point de leur laisser des 
disponibilités très limitées de main-d'œuvre pour les cons- 
tructions neuves. Les divers ateliers, et en particulier l'ajus- 
tage, complètement outillé avec des machines venant d'An- 
gleterre ou de France, sont installés de façon très pratique. 
Cet ajustage, mû par un appareil de 65 chevaux, remplacé 
par un deuxième en cas d'avarie, comprend la suite ordi- 
naire des machines-outils. Deux des tours, que l'on peut 
juxtaposer sur un même axe, permettent de tourner des ar- 
bres de 8, 10 et 12 mètres de long. La société a également 
donné un grand développement à la chaudronnerie, car 
toutes les chaudières qui arment ses navires sont construites 
par elle ; elle y perd comme prix, mais elle y gagne comme 
solidité et sûreté de fabrication. Lors de mon passage, on 
venait d'y terminer une grande cheminée pour le vapeur 
Hong-Kong et deux chaudières principales dont une pour 
le Faï'-Tsi-Long . Un local spécial est réservé à la petite 
chaudronnerie, où les coppersmïths (chaudronniers sur 
cuivre) sont en grande majorité chinois. 

La fonderie est en voie de transformation. L'ancienne 
installation ne permettait de fondre que des pièces de 
4 tonnes, et un des plus gros travaux avait été une cuve 
en fonte, construite pour la Société des Ciments, de 2",45 
de diamètre. Les cubilots n'avaient que 3 tonnes et une 
tonne et demie de puissance. La nouvelle fonderie pourra 
fondre huit tonnes et ses trois cubilots posséderont un 
soufflage de vapeur spécial, que l'on vient d'expérimenter 
avec l'ancien fonctionnement. Si cette fonderie est dotée 
d'engins nombreux, tels qu'étuves et fours à bronze, ^lle est 



LE PORT DE HAIPHONG. lyS 

en revanche dépourvue d'apparaux de levage, grues et ponts 
roulants. 

Les forges sont voisines de la fonderie et des magasins 
où sont placées les réserves de matières. L'approvisionne- 
ment existant permet de se passer des achats sur place, sauf 
pour les tôles et cornières, et pour les tubes de chaudières, 
qui viennent de Hong-Kong. 

La direction a particulièrement soigné les installations 
maritimes. La situation des chantiers, sur la rive gauche du 
Cua-Cam, à portée des grandes profondeurs à toute marée, 
la favorisait déjà. Elle y a donc placé son slip à vapeur, où 
les navires, déposés sur un berceau à galets, sont hissés au 
moyen d'un câble en fil d'acier. Le treuil n'est autre qu'une 
ancienne machine de canonnière, suffisamment forte (200 
chevaux) pour monter des navires comme le Vinh et VAn-- 
nam (38o tonneaux) et lebaliseur des Travaux publics (3 18 
tonneaux). Les cales de construction sont au nombre de 
trois, et on a récemment remblayé le terrain pour le conso- 
lider et augmenter la longueur des cales. C'est là que les 
vapeurs Vînà, Viétnj et Pho-Lu ont été construits, ainsi que 
diverses dragues. Le lancement se fait normalement au Cua- 
Cam, mais la largeur de la rivière est assez grande pour ces 
bâtiments de faible tonnage. Le bassin de radoub, d'une 
longueur de 5o mètres, est insuffisant, car l'absence de 
portes oblige à n'y travailler qu'à marée basse. 

Les chantiers Marty et d'Abbadie emploient 4oo ouvriers^ 
dont 25o Chinois. Ils se déclarent enchantés de ces derniers, 
parmi lesquels ils ont recruté tous leurs contremaîtres. Les 
Annamites, paratt^il, leur donnent au contraire de fréquents 
mécomptes, tant par leurs abandons soudains que par leur 
irascibilité et leur arrogance. Il ne faut pas perdre de vue 
que nous sommes au Tonkin, dans la partie de l'Indo-Chine 
où l'Annamite s'est montré le plus irréductible, où son ca- 



176 LES RIVAGES INDO-CHlNOlS. 

ractère a le mieux conservé l'empreinte de son vigoureux 
A'oisin, le Chinois. 

Les ateliers Porche t ont au contraire donné la priorité à 
l'élément annamite. Nos sujets y sont au nombre de 260 
contre 200 Chinois seulement. Ici, on trouve le Chinois trop 
difficile à mener, et seulement capable de servir d'intermé- 
diaire entre le directeur européen et les manœuvres anna- 
mites. Ces ateliers n'auraient eu volontiers recours qu'à la 
main-d'œuvre locale si, en 1 901, il n'y avait eu pénurie 
complète à la suite des premiers grands travaux publics ; 
ils firent appel pour la première fois aux Chinois de Hong- 
Kong. La direction avoue d'ailleurs qu'en raison de la len- 
teur trop grande des ouvriers des deux races elle trouve la 
main-d'œuvre plus chère qu'en France. Au point de vue des 
communications générales, les ateliers Porchet paraissent 
assez mal partagés ; ils sont situés à côté des docks, sur le 
canal Bonnal, sur ce fossé où ne coule à marée basse qu'un 
filet d'eau imperceptible. 11 faut attendre la marée haute 
pour venir jusqu'aux ateliers sans danger d'échouage. On y 
trouve un appontement muni d'une grue de 20 tonnes, ainsi 
qu'un bassin de radoub situé de l'autre côté de la route, qui 
franchit le radier au moyen d'un pont amovible. 

Les ateliers comprennent une succession de halls paral- 
lèles au canal Bonual. L'ajustage vient le premier, bien ou- 
tillé, conduit par une corliss de 35 chevaux, à laquelle la 
vapeur est fournie par deux chaudières, qui actionnent aussi 
le ventilateur des douze brasiers qui constituent la forge. 
Quant à la fonderie, qui va bientôt être agrandie, elle com- 
prend deux cubilots de cinq tonnes et d'une tonne et demie, 
mais ne possède pas d'apparaux de levage. La grande scie- 
rie a une machine spéciale. Elle est chargée de la confection 
des charpentes et des embarcations. La chaudronnerie a fait 
des chaudières marines, comme celle du Tuyen^Quang, 



CaSTEX _ Rivages Indo - Chin 



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N? 1 _ Ch€fialGumem4}^ Sj 
N?2_ Chetvaldestra&oAu^ I 

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Iles Norwa/s 



NANCT.LITH.BEROaR-LEVRAULT & C'.« 



LE PORT DE HAÏPHONG. I77 

mais elle, s'est à peu près spécialisée dans la réparation des 
chaudières de locomotives, ce qui n'est pas une sinécure 
depuis Tétablisseinent du réseau ferré tonkinois. 

Les ateliers Porchet, bien dirigés, traversent en ce mo- 
ment une période d'activité qui fait bien augurer de leur 
avenir. Du grand hangar de montage sont sortis les ponts 
du chemin de fer, les plaques tournantes, les réservoirs des 
gares; ce sont les ouvriers de cet établissement qui ont 
monté les appontements des docks, dont ils avaient confec- 
tionné le platelage. Du reste, M. Porchet ne se spécialise 
pas strictement dans les travaux métalliques ou dans les 
constructions maritimes. Si, en 1902, il dirigeait la cons- 
truction de grands chalands de 100 tonnes et de nombreuses 
chaloupes à vapeur, il s'occupait en même temps du ballas- 
tage de nouvelles voies ferrées, du mur de quai de Hongay 
et du matériel fixe du chemin de fer. C'est la conséquence 
du développement particulier de la colonie, qui ne donne- 
rait pas de bénéfices suffisants à un établissement indus- 
triel réservé à une seule espèce de production. 

Les chantiers de la marine font petite figure à côté de 
leurs voisins. Ils se sont consacrés à peu près exclusivement 
aux mêmes travaux, aux réparations des petites canonnières 
de rivière et à l'entretien de celles qui restent en réserve à 
Haïphong. Ils disposent pour cela d'un bassin de radoub 
de 43 mètres, et de trois plans de carénage sur lesquels le 
Berthe^de-Villers, le Casse^Tête et V Arquebuse traînent pé- 
niblement leurs pauvres coques fatiguées par vingt ans de 
loyaux services. Le nouveau slip à vapeur, actionné par deux 
machines de i5o chevaux, permettra de hisser des navires 
de la taille du Kersaint. 

Malgré ce perfectionnement, il n'est pas téméraire d'affir- 
mer que l'atelier de la marine ne répond plus aux nécessités 
actuelles. La vraie marine, c'est-à-dire les navires de haute 

RIVAGES UrDO-CHINOIS. 13 



178 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

mer, ne peut en tirer aucun parti, car nos grands bâtiments 
calent trop pour remonter à Haïphong. Nos canonnières de 
rivière sont assurément très intéressantes, mais il est malgré 
tout permis de souhaiter le transfert à Hongay de notre 
chantier de Haïphong, qui constituera ainsi l'embryon d'un 
point d'appui plus complet. Les petites canonnières ne per- 
dront rien au change, car on sait que Hongay est relié au 
delta tonkinois par des chenaux intérieurs parfaitement pro- 
tégés, où l'eau calme permet par tous les temps la navigation 
de ces unités de faible tonnage. 

Malgré leur peu d'importance, les chantiers de la marine 
se distinguent par un ordre méticuleux et une direction en- 
tendue qui permettent de tirer le meilleur parti possible des 
faibles ressources qui leur sont attribuées. La chaudronne- 
rie, avec de vieux matériaux du port, a construit des chau- 
dières pour les ppstes de torpilleurs de Hongay et de Poulo- 
Condore, et fait divers travaux pour le protectorat, les 
travaux publics et les douanes. La fonderie, conduite par un 
fondeur annamite et quelques aides, est très bien aménagée 
malgré ses petites dimensions, et, avec ses trois cubilots de 
deux tonnes, a réussi à fondre des pièces de confection déli- 
cate. Le charpentage, la scierie, les ateliers des embarcations, 
occupent le front ouest des chantiers, à proximité de la berge 
du Cua-Cam, où une drague de 5 mètres, appartenant 
aux Travaux publics, entretient les profondeurs que les ap- 
ports du Song-Tam-Bac tendent à diminuer. Une drague à 
main, maniée par deux coolies, creuse toute l'année de- 
vant la grande grue de 18 tonnes. 

Les magasins, entretenus dans un ordre parfait, sont si- 
tués près du bassin de radoub. L'ajustage, mû par une an- 
cienne machine de canonnière, à deux arbres (120 chevaux), 
est le plus grand des ateliers ; on n'y compte pas moins de 
douze tours et de dix forges. Le personnel spécial manque 



LE PORT DE HAIPHONG. IJQ 

un peu, et il y a surtout pénurie de tourneurs, pour lesquels 
les chantiers ont dû s'adresser à Saigon. Les ouvriers sont 
annamites pour la plupart, les Chinois ayant donné de mau- 
vais résultats au point de vue disciplinaire. L'arsenal a ob- 
tenu d'excellents ouvriers annamites en les entourant d'une 
sollicitude que le peu d'étendue du chantier et sa facile sur- 
veillance lui permettent. Le travail est payé à la tâche, com- 
biné avec un système approprié de gratifications et d'amen- 
des. Enfin, on a constitué un noyau de jeunes apprentis 
âgés de quatorze et quinze ans, modestement rétribués 
(o fr. 20 par jour), auxquels on apprend un métier en 
même temps que le français et les noms techniques. L'ar- 
senal prépare ainsi un très bon recrutement futur pour com- 
bler les vides qui se produisent de temps à autre parmi sa 
main-d'œuvre. 



* 
* * 



Le peu que nous venons de dire des installations actuelles 
de Haïphong suffit à faire comprendre l'intérêt qui s'attache 
pour le Tonkin à ce que ce grand centre soit en communi- 
cation facile avec la mer. Et notons bien qu'avec les projets 
du gouvernement, ce n'est pas seulement l'avenir écono- 
mique du Tonkin qui est lié à ce problème, mais bien aussi 
celui du Yunnan et du Kwang-Si, dont Haïphong deviendra 
le débouché naturel. Comme nous allons le voir, Haïphong 
est loin de posséder les avantages de Saigon et de Tourane 
et de pouvoir admettre à son entrée, à toute heure de marée, 
les navires de fort tonnage. Le fleuve Rouge et le Thaï-Binh 
vont laisser sur les rivages du golfe du Tonkin les parcelles 
solides arrachées aux montagnes par des érosions journa- 
lières, et la bande maritime s'exhausse peu à peu, gagnant 
vers le large, de la marche inévitable et sûre des deltasJ On 



l80 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

retrouve dans les plaines, au milieu des rizières, des rochers 
rappelant à s'y méprendre les Ilots de la baie d'Halong. La 
presqu'île accidentée de Do-Son est déjà reliée à la terre, et 
xe sera demain le tour de l'île Hondau. Au septième siècle, 
Hanoï était un port, maintenant perdu à cent kilomètres 
dans l'intérieur dès terres ; au dix-septième siècle, les flots 
s'avançaient jusqu'à Hung-Yen, à présent à soixante kilo- 
mètres de la mer ! 

Comment, dans ces conditions, devant cet ensemble de 
faits peu engageant pour l'avenir, a-t-on pu consentir à 
fonder à Haïphong une grande ville maritime, destinée à re- 
cueillir le commerce d'un arrière-pays dont les limites recu- 
laient de jour en jour ? C'est l'histoire dé presque tous nos 
établissements fluviaux. Le port indigène est une agglomé- 
ration qui date de longtemps, et la faible profondeur de ses 
passes n'a jamais eu d'importance pour les jonques et les 
sampans, esquifs de faible tirant d'eau. Le premier soin de 
la conquête militaire est de s'emparer de ce centre, d'en faire 
une base de ravitaillement. Des négociants viennent, des 
Chinois d'abord, des Européens ensuite. La ville augmente 
peu à peu d'importance, mais sans changer de place. Un 
beau jour, lorsque les navires modernes veulent venir, on 
s'aperçoit que le fleuve n'a pas la profondeur suffisante. Il 
est trop tard pour revenir en arrière, pour transporter une 
ville qui a déjà pris ses habitudes, et en faveur de laquelle 
on a consenti à de fortes dépenses. Le Haïphong de Jean 
Dupuis, ouvert en 1875, a suivi cette filière inéluctable. 

Le port communiquait avec la mer par le Cua-Cam, qui 
aboutissait à Do-Son. Après la création de l'arsenal (1888), 
on décida de baliser et d'éclairer cette artère pour permettre 
aux navires la navigation de nuit (1889). C'était déjà un 
premier point. Mais l'importance de Haïphong augmentait de 
jour en jour, et, dès 1890, les chantiers privés s'y installaient. 



> LE PORT DE HAIPHONG. l8l 

Le Cua-Cam, doté généreusement par la nature de deux 
barres, Tune (la barre intérieure) de vase molle, l'autre de 
sable dur, n'olTrait aux plus basses mers qu'une profondeur 
de 2", 80, soit 4 mètres en morte-eau, à l'entrée. Aussi les 
négociants de Haïphong réclament-ils de nouveaux travaux. 
M. Vezin, qui était alors président de la Chambre de com- 
merce (en 1894), fit paraître une brochure dans laquelle il 
préconisait une solution faisant de Haïphong un port de 
guerre et de commerce. Il s'agissait de donner accès au port 
par le Cua-nam-Trieu, au lieu et place du Cua-Cam, pour 
bénéficier de l'augmentation de profondeur de la barre 
(0^,70 à o",8o). Mais comme, une fois entré dans le Cua- 
nam-Trieu, on ne peut passer dans le Cua-Cam qu'en fran- 
chissant le Vang-chan, artère tortueuse et peu propre à la 
navigation, M. Vezin proposait de creuser dans l'île de 
Dinh-Vu une coupure rectiligne, au point le plus étroit, 
pour réunir les deux rivières. Des dragages de la barre du 
Cua-nam-Trieu devaient augmenter encore la profondeur à 
l'entrée. Ce projet avait été, d'ailleurs, soutenu par laCham* 
bre de commerce dans sa séance du i5 février 1888 ! 

On se rallia à ces idées en 1896, au moment des premiers 
grands travaux de Haïphong. On construisit les apponte- 
ments, le phare de Hondau, et enfin la coupure de Dinh-Vu, 
celle qui existe actuellement ('). On a fait cette dernière 
obliquement aux berges voisines du Cua-Cam et du Cua- 
nàm-Trieu, de manière à ce que les courants de flot et de 
jui^ant s'y engagent en changeant le moins posiible de di- 
rection. Cet objectif ne paraît pas avoir été entièrement réa- 
lisé ; il subsiste à l'entrée et à la sortie de la coupure des 



(i) Les travaux faiti jusqu'à ce jour se montent à un total de 1 4 334477 ^^' ^^^ 
ont été accomplis en partie sur les emprunts ,de i8g6 et 1898 (4 millions sur 
celui de 1896). Il restait en fin 190a une disponibilité de iSSoooo fr.; en tenant 
compte de la grande drague de 55oooo fr. que l'on venait d'acheter. 



l8:^ LE3 RIVAGES INDQ-CHINOIS. 

courants traversiers fort gênants pour les navires qui ma- 
nœuvrent. Ce canal n'est pas assez large, et il faut une at- 
tention très soutenue à la barre pour qu'une embardée mal- 
heureuse ne précipite pas le bâtiment sur Tune des berges, 
comme cela est arrivé le 4 novembre 1902 à VAmiral-Du" 
perréy des Chargeurs Réunis. Dans ce cas, comme il est inu- 
tile de compter sur l'outillage du port, qui n'existe pas, on 
doit se déséchouer par ses propres moyens, sans aucun 
point fixe, canon ou ancre enterrée, auquel on puisse fixer 
une amarre. Il y a donc beaucoup à faire pour améliorer la 
coupure de Dinh-Vu. 

A-t-on réellement fait un grand progrès en donnant accès 
à Haïphong par le Cua-nam-Trieu ? Il reste actuellement 
S^jGo d'eau sur la barre, aux plus basses mers, par le tra- 
vers de la deuxième bouée en venant du large. Or, la mer 
pnarne de 3 mètres en vive-eau de sizygies et de 2°,5o 
en vive-eau moyenne. Dans le premier cas, on a donc sur la 
barre, à la haute mer, 6™,6o,et 6™, 10 dans le second. Mais 
les pleines mers ordinaires sont moindres, et il faut compter, 
à chaque lunaison, sur plusieurs jours de morte-eau, à ni- 
veau moyen, soit 3™, 60 + -| = S^'yio. En tenant compte de 
la quantité d'eau qui doit rester sous la quille d'un navire en 
marche, on peut dire que la barre du Cua-nam-Trieu ne 
permet le passage, à toute marée, quaux navires ne calant 
pas plus de 5 mètres. 

Le régime bizarre de la marée vient encore compliquer le 
problème. Dans le golfe du Tonkin, il n'y a qu'une pleine 
«1er par vingt-quatre heures, au lieu de deux comme sur les 
côtes de France. Les navires qui manquent la marée doivent 
donc attendre un jour plein avant de pouvoir entrer. 11 n'est 
pas non plus inutile de faire remarquer que les conditions dont 
nous parlions plus haut sont toutes théoriques. La barre du 
Cua-nam-Trieu est située en pleine mer, nullement abritée, 



LE PORT DE HAÏPHONG. l83 

ni par l'île de la Cac-Ba, ni par la presqu'île de Do-Son. 
Lors de la mousson de nord-est, lors des brises fraîches 
de sud-ouest, une forte houle se fait sentir sur les hauts- 
fonds, et, plus simplement encore, lorsque le vent souffle 
contre le courant de jusant des hautes eaux, il n'est pas rare 
de voir la mer se creuser dans le chenal. La levée, le creux de 
la houle, diminuent la hauteur d'eau utilisable et retiennent 
bien des bâtiments au large. Voilà un élément qu'il faut 
faire intervenir dans les calculs précis des hauteurs de 
marée. 

Il faut un remède. On parle fort de draguer cette barre 
du Cua-nam-Trieu, jusque dans les projets officiels, où 
un chenal à la cote — -5 est prévu. Ce chenal se maintiendra 
très difficilement, car les alluvions continueront leur action 
séculaire, qui pousse la barre vers le large de 35 à 4o mètres 
par an('). Il faudra donc l'entretenir, et les dragues, qui 
devront être d'un modèle spécial, ne pourront fonctionner 
que trois ou quatre mois par an, à la belle saison, en raison 
du peu d'abri de la barre. Les quatre bouées de celle-ci, qui 
marquaient primitivement l'axe de dragage, n'indiquent 
plus aujourd'hui que la direction du chenal. Et puis, à cause 
de l'agitation de l'eau dans les couches de faible profon- 
deur, tout ce travail serait à recommencer après une pé- 
riode de mauvais temps, après la mousson du sud-ouest, 
après un typhon. Le sable serait brassé, précipité des talus 
dans la fosse creusée, et on ne serait guère plus avancé 
qu'en commençant. 

« Bouchez le Lach-Tray ! » disent les uns. Il est certain 
que cet affluent a beaucoup fait pour l'envasement du Cua- 
Cam, et que, cet endiguement une fois* accompli, on pour- 



(i) Cela résulte des comparaisoos des lignes de fond de 1874 et 1896. (M. l'in- 
génieur hydrographe Renaud.) 



l84 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

rait creuser le Cua-Cam, mieux à Tabri que le Cua-nam- 
Trieu, derrière la presqu'île de Do-Son. Mais la barre liquide 
du Gua-Cam esl insaisissable. — « Donnez accès par le Lach- 
Huyen ! » disent les autres. Mais le gain faible que Ton réa- 
liserait de ce chef aboutirait encore à une barre exposée à 
tous les vents et à toutes les houles. Il faut chercher ailleurs. 



* • 

Par un contraste étrange, à côté de ces embouchures du 
delta, si difficilement praticables, nous trouvons la côte 
de la baie d'Haloug, faite de rochers accores, autour des- 
quels les bâtiments naviguent sans danger, sans avoir à 
craindre de hauts-fonds dus à des apports alluvionnaires. 
Aucune rivière importante ne débouche sur cette partie de 
la côte. Les entrées de l'archipel, comme la passe Henriette 
et la passe Profonde, sont toujours reconnaissables pour les 
navires venant du large et ayant atterri aux Norways. Elles 
sont accessibles par tous les temps, et leurs profondeurs sont 
telles que la marée n'a pas à intervenir pour permettre ou 
non le passage. Une fois entrés, les bâtiments sont dans le 
dédale chaotique d'Halong, où les nombreux îlots abritent 
de la houle en la divisant à l'infini, où les hautes murailles 
calcaires arrêtent le vent furieux des typhons, qui n'arrive 
pas à agiter cette succession de bassins fermés. La baie 
d'Halong, qui est l'aboutissement et le carrefour de tous les 
chenaux, pourrait donc être un port de commerce merveil- 
leux, à la condition d'y faire quelques travaux. Mais va-t-on 
de la sorte porter atteinte à Haïphong, en lui créant une 
rivale ? Si l'on ne veut faire à Hongay qu'un avant-port, il 
devient nécessaire de le relier à Haïphong par une voie ferrée 
coûteuse. N'y aurait^il pas une solution plus pratique ? 

Fort heureusement, la grande île de la Cac-Ba n'inter-f 



LE PORT DE HAIPHONG. l85 

rompt pas d'une manière absolue les communications entre 
la baie d'Halong et le delta tonkinois. Il existe entre elle et 
la terre une vaste étendue d'eau et de vase, où des îles her- 
beuses se forment petit à petit, où les grands fonds sont 
rares, ainsi que les chenaux commodes. Les jonques, les 
petits vapeurs fluviaux qui veulent aller de Haïphong à 
Hongay en évitant la mer du large traversent ce grand ma- 
récage, qui s'étend de l'embouchure du Lach-Huyen à la 
grande Brèche. C'est par lui que nous allons relier Haïphong 
à la mer sans avoir à compter avec des barres gênantes, en 
contournant l'Ile de la Cac-Ba par le nord. 

Certes, dans ce marais d'abord, dans la baie d'Halong 
ensuite, nous ne trouverons pas un chenal tout fait : il 
faudra draguer. Mais il s'agit de parties maritimes dans les- 
quelles l'eau reste toujours calme, ce qui permet aux dra- 
gues de travailler toute l'année avec sécurité et rapidité. 
La vase qu'elles enlèveront, qui comble avec une lenteur 
infinie les passes de l'archipel, est la même partout, faite 
uniquement de l'usure progressive des rochers calcaires par 
la mer. Toutes les fois que les dragues la rejettent, elles 
obtiennent un gain fixe et permanent^ les circonstances 
naturelles n'agissant pas avec la rapidité des alluvions de 
rivière. Celles-ci ont, d'ailleurs, nous l'avons dit, un rôle 
infime dans le colmatage de la baie d'Halong. Enfin, on n'est 
pas exposé, après une période de mauvais temps, à voir 
détruit le résultat de plusieurs mois de travail, puisque l'eau, 
au moins dans les couches profondes, demeure éternelle- 
ment immobile, malgré les houles et les typhons du large - 
Les échouages seront toujours peu dangereux dans cette 
vase molle, et la passe qui conduira les navires au mouil* 
lage possédera de chaque côté des enfoncements, des anses, 
excellents mouillages d'urgence. 

Cette idée d'une voie de pénétration par la baie d'Halong 



]86 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

n'est pas nouvelle : elle a été soutenue par plusieurs auteurs, 
et en particulier par M. Renaud, ingénieur hydrographe, 
qui a fait de nombreux levés au Tonkin. L'itinéraire que 
M. Renaud choisissait commençait à la baie de Lan-Ha, au 
débouché de la passe Profonde. De là, par cette dernière, il 
atteignait la rade du Crapaud, puis la passe du Volta, et 
enfin contournait Tlle de la Cac-Ba par le chenal du Lion. 
Ce dernier chenal, aboutissant au Lach-Huyen, dans lequel 
on retrouve les grandes profondeurs, constituait la partie la 
plus longue et la plus intéressante du projet. Son auteur 
faisait remarquer à son avantage l'atterrissage commode de 
l'entrée, la sûreté de la belle rade du Crapaud, et l'épa- 
nouissement facile de la lame de sillage des navires dans les 
espaces liquides remplaçant les berges absentes. Mais, pour 
passer du Lach-Huyen au Gua-nam-Trieu, il devenait néces- 
saire de pratiquer dans l'île d'Hanam une coupure identique 
à celle de Dinh-Vu : M. Renaud nous indique ses caracté- 
ristiques générales. Bien que l'économie des distances sem- 
ble indiquer une direction normale aux berges, il vaut 
mieux, tant pour l'entretien du canal que pour la manœuvre 
des navires, l'incliner très obliquement aux rives, ce qui ne 
. donnerait qu'une longueur de 5 5oo mètres. Il en résulterait 
de puissantes chasses d'eau, excellentes pour l'entretien de 
la coupure d'Hanam : la manœuvre d'entrée et de sortie en 
sera aussi facilitée. 

M. Renaud estimait, pour creuser tout le chenal à la 
cote '■ — 6, avoir à enlever un volume de 3 2000 oo mètres 
cubes, en comptant sur l'effet naturel de déblayage produit 
par les courants ('). Le prix, à i fr. le mètre cube, augmenté 
de 5oo 000 fr. de somme à valoir, eût été de 3 700 000 fr. 
Il fallait y ajouter le coût d'un éclairage et d'un balisage 

(i) M. Renaud comprenait dans ce total le volume de la coupure de Dinh- 
Vu, faite seulement en 1898. 



LE PORT DE HAÏPHONG. 187 

nécessairement sommaires en raison des conditions de la 
baie d'Halong; l'éclairage eût nécessité iSoooo fr. pour 
rétablissement. On prévoyait également looooo fr. d'entre- 
tien annuel. Avec quatre dragues fonctionnant trois cents 
jours par an, M. Renaud assignait au travail une durée (Tan 
an et demi. 

Lé chenal du Lion constituait la partie la plus délicate de 
ce projet, aussi l'examinerons-nous attentivement. Il com- 
mence à l'île Plate, dans la passe Profonde^ pour ne finir 
qu'au Lach-Huyen. Il se compose de deux alignements rec- 
tilignes se coupant près de l'îlot du Lion, auxquels fait suite 
un coude très prononcé à côté de l'îlot A (voir le plan des 
chenaux). Les fonds du chenal ne nécessitent pas de dra- 
gages considérables, mais les nombreux étranglements du 
parcours le rendent pénible à suivre aux navires de fort ton- 
nage. On est toujours tenté d'oublier que ces passages ont 
été découverts et prônés par des unités de petite taille, le 
Lion dans le cas présent, plus manœuvrantes que les grands 
bâtiments de commerce. Lors d'une embardée, ceux-ci 
iraient donner, non contre une berge de vase, mais contre 
une muraille rocheuse où ils s'écraseraient infailliblement. 
Il faut donc ne pas être à la merci d'un faux coup de barre, 
et avoir à droite et à gauche une marge disponible. Ce n'est 
pas précisément le cas du chenal du Lion, qui présente, en 
venant de la mer, un premier rétrécissement avec une dan- 
gereuse roche noyée, un second avec la brèche du Lion 
(Sg mètres de large), un troisième avec le récif du même 
nom, un quatrième avec l'îlot sud-ouest du Dôme et un cin- 
quième avant d'arriver au coude de l'îlot A. Si l'on veut 
venir à bout de ces obstacles variés, on doit procéder à des 
déblaiements rocheux, longs et coûteux, pour un gain en 
somme faible. 

On s'est ingénié à trouver un autre passage, un autre 



l88 L^S RIVAGES INDO-CHINOIS. 

moyen de traverser le grand marais qui va du Lach-Huyen 
à la baie d'Halong. M. Guillemoto, directeur des travaux 
publics, avait proposé un chetial (chenal i) quittant celui du 
Volta, allant au nord franchir la Grande Brèche et la Petite 
Brèche, et rejoignant le Lach-Huyen. Mais ce passage, qui 
présentait l'avantage de grandes directions rectilignes, avait 
aussi l'inconvénient de ne traverser que des fonds de 2",5o 
à 3 mètres à marée basse, et de nécessiter un cube de dra- 
gages considérable et des frais exorbitants. On a donc ima- 
giné une solution intermédiaire, empruntant les meilleurs 
éléments des deux premières. Ce nouveau chenal (chenal 2) 
doit passer par la Grande Brèche seulement, et, au lieu de 
se rapprocher ensuite de la côte et des petits fonds,, il rat- 
trape le chenal du Lion à la hauteur de l'îlot A, pour le 
suivre jusqu'au Lach-Huyen. 

Ainsi, ces trois chenaux, chenal du Lion, chenal Guille- 
moto et chenal des Travaux publics, offraient à la naviga- 
tion des avantages et des inconvénients se balançant en ap- 
parence. Il devenait urgent d'avoir l'avis d'une réunion de 
spécialistes appelés à se prononcer sur leur valeur respec- 
tive. Une commission de pilotage, dans laquelle nous re- 
marquons les noms de MM. Nény, capitaine de vaisseau ; 
Corrard et Martel, capitaines de frégate ; Faivre, lieutenant 
de vaisseau ; Biard et Henansal, pilotes, se réunit le 4 fé- 
vrier 1902 pour examiner les diverses passes en projet. La 
commission « a arrêté son choix sur celle de la Brèche (che- 
nal 2), plus sûre pour la navigation commerciale et offrant 
moins d'aléas que celle du Lion, reconnue cependant très 
praticable » (*). 

Pour le chenal adopté (chenal 2), la commission faisait 
remarquer qu'il y avait lieu « d'élever sensiblement plus 



(1) Extrait du procfcs-verbal de la réunion. 



LE PORT DE HAÏPHONG. 189 

nord ia courbe, qui est au sortir de la Brèche du côté de 
Haïphong... C'est en effet le seul point délicat du passage ». 
Le chenal des Travaux publics ralliait donc Tunanimité 
des suffrages, en même temps que la coupure de Tlle d'Ha- 
nam. 






La commission avait été sensible à l'argument des travaux 
de défense du Gua-nam-Trieu, nécessaires dans le cas où 
l'on eût voulu draguer la barre. Quant au chenal adopté, le 
cube des terres à enlever se répartit ainsi : 

Des Marionnettes à l'îlot A. . . i 243 666 mètres cubes. 
De rilot A au Lach-Huyen ... 1 644^42 — 

Coupure d'Hanam 3528689 — 

Du Cua-nam-Trieu à Haïphong . 407 ^99 — 

6824087 mètres cubes. 

pour la cote — 7 sur tout le parcours. Ce chenal aura 60 
mètres de largeur au plafond partout où les berges ne sont 
pas nettement indiquées, et 35 mètres dans les terrains 
insubmersibles, avec quelques courbes de i 000 à i 100 mè- 
tres. L'éclairage et le balisage interviendront naturellement 
pour une somme importante, en raison des sinuosités nom- 
breuses. Pourtant, on s'est efforcé de la réduire en adop- 
tant le système des bouées lumineuses pour indiquer les 
tournants, réservant les feux fixes pour la pointe Edma 
et la coupure d'Hanam, soit au total quatre feux fixes et 
trente-deux bouées lumineuses. ^ ^ 

Le perfectionnement de l'outillage de Haïphong sera con- 
duit concurremment avec le creusement du chenal. On a re- 
connu, d'après les moyennes des autres ports (un mètre de 
quai pour cinq cents tonnes de trafic), la nécessité pour 
Haïphong de 700 mètres de quais, soit 55o mètres supplé- 
mentaires, qui 'seront établis par des fonds de 6 mètres 



igO LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

à marée basse. Ils seront munis de trois voies ferrées sur 
leur bord, et de trois autres en arrière, reliées au réseau 
général. Le terre-plein, large de 120 mètres, permettra la 
construction de quatre vastes magasins, et l'installation de 
grues en nombre suffisant. 

On a également songé à un bassin de radoub^ que l'on 
placera sur la rive gauche du Cua-Cam, à côté de l'entrée 
du Vang-chau. Il aura 200 mètres de long sur 25 de large, 
et 6°*,5o sur le radier aux plus basses mers, ce qui est suffi- 
sant étant donné que les navires entrent lèges au bassin. 

Plusieurs personnes autorisées ont vivement reproché à 
ce projet de comporter des quais en maçonnerie. Il est cer- 
tain qu'en raison du peu de solidité du terrain, de pareils 
poids sont appelés à s'effondrer, et les murailles à se lézar- 
der, comme cela est arrivé aux culées du pont du chemin 
de fer de Haïphong. Le puits de forage fait sur la rive sud 
du Cua-Cam a montré que l'on traversait une couche d'argile 
bleue, molle, avant d'arriver à l'argile blanchâtre, la seule 
dure, située à 3o mètres. Des appontements sur pieds à vis, 
comme ceux 'des docks actuels, seraient très suffisants et 
éviteraient des fonçages à cette profondeur, mais il faut 
prévoir le transport de ce matériel de France en Indo-Chine, 
au prix de 45 fr. la tonne. 

En résumé, le devis du projet des Travaux publics s'éta- 
blit de la façon suivante : 

Chenal 8 36o 000 fr. 

Quais 4000000 

Docks 38oooo 

Voies ferrées 1 35 000 

Bassin 7140000 

Eclairage et palissage . . . 987 000 

2 1 002 000 fr. 

Cette dépense doit se répartir sur six exercices. Pendant 



. LE PORT DE HAÏPIIONG. IQI 

les trois premières années, on fera le chenal à la cote — 5 et 
le quai ; pendant les trois dernières, on fera le bassin de ra- 
doub, et on approfondira le chenal aux cotes — 6 et — 7. 



* 



Mais ce projet, si définitif qu'il paraisse, n'était pas im- 
pératif, et l'administration avait songé à en établir deux 
autres, l'un pour Hongay et l'autre pour Quang-Yen, les 
deux points où nombre d'auteurs auraient voulu voir les 
grands ports du Tonkin. Pour satisfaire ceux qui auraient 
pu partager ces idées, on prépara des plans analogues à 
ceux de Haïphong. A Hongay, à cause du coude brusque 
du chenal de VHamelin^ à côté du rocher de la Toque, on 
perçait une passe directe à travers la baie d'Halong. En 
même temps, la nécessité de relier Hongay au restant du 
réseau tonkinois introduisait la dépense d'un embranche- 
ment de la grande ligne, partant de Phu-taï et aboutissant 
à la baie d'Halong. Le devis de Hongay se montait à 
23 070 000 fr. A Quang-Yen, on voulait créer le port au con- 
fluent du Song-Gia et du Cua-nam-Trieu. La consistance 
moins molle des berges rendait assez facile la construction 
des quais, mais la situation excentrique de Quang-Yen né- 
cessitait encore un embranchement de la voie ferrée; ce 
projet devait coûter 20 570 000 fr. 

L'intérêt général, par la voix de ses représentants, devait 
résoudre la question du choix entre Haïphong, Hongay et 
Quang-Yen. Une commission consultative se réunit le 16 fé- 
vrier 1902 à la résidence de Haïphong, présidée par le gou- 
verneur général. La marine de guerre, les Chambres de com- 
merce de Hanoï et de Haïphong, la ville de Haïphong, les 
grandes compagnies de navigation, les chantiers, les usines, 
le commerce et les douanes y étaient représentés. 



192 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

On s'occupa d'abord du choix entre les trois projets. Il 
y eut une longue énumération des avantages et des incon- 
vénients des trois ports, au cours de laquelle Hongay fut 
abandonné. Puis on fit intervenir, dans la comparaison de 
flaiphong et de Quang-Yen, Texistence môme de Haïphong 
et les dépenses faites à maintes reprises pour lui. Finalement 
la commission: adopta à une forte majorité le projet des 
Travaux publics que nous venons d'exposer. Il devait forcé- 
ment en être ainsi, et ces préliminaires paraissent enfantins, 
la plupart des membres de la comipission ayant des intérêts 
à Haïphong. Il fallait faire le port pour la ville existante, et 
non transporter cette dernière en un point plus favorable. 

Cette grave question tranchée d'une manière aussi logique 
qu'inévitable, on modifia certains points de détail du plan 
primitif. On proposait trois emplacements pour les quais, 
dont un en aval des docks et un autre entre le Song-Tam- 
Bac et le canal Bonnal : ce dernier obtint la majorité des 
voix, malgré l'opposition des Messageries Maritimes, qui 
protestaient pour leurs magasins des docks. MM. d'Abbadie 
et Porchet demandèrent de mettre le bassin de radoub sur 
la rive sud du Cua-Cam, à cause de la population ouvrière 
et de la facilité des communications. Cette motion adoptée, 
on décida de le placer entre les docks actuels et le fort anna- 
mite. Le rapport du directeur général des Travaux publics 
au conseil supérieur d'Indo-Chine, résumant les conclusions 
de la commission et adoptant la répartition sur six exerci- 
ces, demanda et obtint la déclaration d'utilité publique pour 
le projet ainsi modifié (21 février 1902). 

Tels sont, autant que nous avons pu les résumer en ces 
quelques lignes, l'historique et l'état actuel de la question 
du nouveau port de Haïphong. Tout est résolu, sur le pa- 
pier tout au moins. Nous attendons la réalisation de l'œuvre. 



CHAPITRE VI 

LA BAIE D'HALONG ET LES FAÏ-TSI-LONG 
HONGAY ET KËBAO 



Halong (la « bouche du dragon ») et les Faï-Tsi-Long (leà 
« griffes du dragon ») font suite au delta du fleuve Rouge. 
Le corps de l'animal fantastique occupe la côte septentrio- 
nale du Tonkin, sa gueule regardant les Norways, les replis 
de son corps se déroulant en multiples anneaux rocheux, 
les dernières écailles de la queue battant les rivages de 
Moncay. Le navire qui vient du large n'aperçoit qu'une 
muraille grisâtre et ininterrompue, commençant aux som- 
mets de la Cac-Ba, se continuant par les Ilots ternes de l'ar- 
chipel intermédiaire et aboutissant aux crêtes estompées 
dans le lointain des Faï-Tsi-Long. Il se croit devant une* 
falaise maussade, sans brèches pour y pénétrer, et il marche' 
vers elle d'après la carte^ vers des orifices qui ne se démas- 
queront qu'au dernier moment. Pourtant, ce rivage à 
l'aspect continu n'est qu'un grand archipel s'étendant sur 
quarante milles de longueur et sur une largeur qui atteint 
dix milles en certains points. Les Norways, la Quille, les 
Deux-Oreilles^ les Ilots M. et N en sont les fragments déta- 
chés, les sentinelles avancées vers le large, celles qui, avec 
le mont de la Cac-Ba et celui de Laï-Tao, aident à se recon- 
naître devant cette côte rébarbative. 

Plus près de terrcî, on voit enfin le rivage se fragmenter, 
les rochers les plus rapproché^ jouer sur les arrière -plans,' 

RIVAGES IlfDO-GHINOIS. l3 



194 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

se détacher peu à peu des autres, qui abandonnent à leur 
tour la masse de leurs voisins ; le bâtiment se trouve dan» 
un archipel morcelé à l'infini, fait de berges accores et 
sans plages. — Pas de lignes générales dans cet éparpille- 
ment; aucune autre loi que celle du hasard. On dirait la 
dispersion fantasque d'un cataclysme effroyable. Pourtant, 
leâ courants de marée ont exercé une certaine action sur 
cette répartition ; l'effet du flot et du reflux, se portant et se 
retirant alternativement devant le rivage, ont agencé les 
Ilots d'une manière particulière, en y ménageant des che- 
naux qui subsistent aujourd'hui. De la mer vers l'intérieur, 
nous trouvons la passe Henriette, la passe Profonde, la 
passe de la Mouche et celle du Casque ; ce sont celles où la 
marée précipite les plus grandes masses d'eau et où les plus 
fortes profondeurs se maintiennent. Us aboutiraient à des 
coins isolés de l'archipel, si d'autres passages, parallèles à 
la côte, ne les faisaient communiquer entre eux, permettant 
aux bâtiments emprisonnés dans ce dédale d'en sortir par 
la voie qu'ils choisissent. 

Au fur et à mesure que l'on s'avance entre les îles, on les 
voit s'ouvrir et se séparer, pour se rejoindre derrière le na- 
vire, se fondant toutes dans la même couleur grise. On a 
peine à se croire entré dans ce carrefour mystérieux, où 
aucune issue ne reste apparente, où l'on s'expose à tourner 
pendant des heures entières autour du même point. La 
carte est seule capable de guider le marin peu coutumier de 
ces passages ; grâce à elle, il suivra sans danger ces chenaux 
bizarres, dans lesquels il va comme entre des murs noirâtres, 
abrupts, sombres, tandis que se montre, en haut, un pan de 
ciel bleu. Aucun danger n'est à craindre, aucun récif à 
redouter ; sous l'eau, le roc se continue par une chute'à pic, 
avec des fonds praticables pour les grands bâtiments. 
La navigation dans ces parages rappelle un peu celle des 



LA BAIE d'hALONG ET LES FAÏ-TSI-LONG. IqS 

vaisseaux qui font le cabotage de Norvège, et Ton croit 
retrouver dans ces îlots, pourtant d'une taille moyenne, 
comme une réduction de la splendeur grandiose et de Tim- 
mobilité lointaine des fjords neigeux. Les géologues nous 
apprennent gravement que nous avons là un soulèvement 
de calcaire marmoréen, dont nous n'apercevons que les 
sommets, soulèvement qui affecte toute la zone maritime 
tonkinoise, en donnant aux assises géologiques une pente 

accusée vers le nord Contentons-nous, avec moins de 

science et plus d'esthétique, de goûter amoureusement ce 

coin perdu des côtes d'Asie 

Les mouillages qui s'étendent entre les îles, soit vastes 
comme la baie d'Halong, la baie des Faï-Tsi-Long ou la 
rade du Crapaud, soit petits comme les innombrables anses 
que l'on trouve de part et d'autre des chenaux, sont sûrs; en 
toute saison. L'eau est calme comme celle d'un lac ; la 
houle y est inconnue, et, les jours de grand vent, on y voit 
tout au plus un léger clapotis, ou quelques rides insen- 
sibles. Le vent, qui passe sur la région entière en fortes 
bourrasques, s'arrête au niveau des crêtes rocheuses des 
îles ; et il n'arrive dans les bas-fonds que des bouffées irré- 
gulières, des rafales de montagne, trop courtes pour avoir 
de dangereux effets. Cette assertion est le résultat de 
longues périodes d'observations, faites non seulement en 
mousson de nord-est, mais aussi au cours des typhons qui 
éprouvent chaque année le golfe du Tonkin. Les navires 
ne chassent presque jamais, étant donnée la tenue parfaite 
des ancres dans la vase consistante du fond. Toutes ces 
raisons ont fait de la bande de mer placée à l'abri de l'ar- 
chipel d'Halong et des Faï-Tsi-Long une zone très favorable 
au petit cabotage, permettant aux bâtiments de faible ton- 
nage, qui ne saur-aient affronter la haute mer, de se porter 
jusqu'à Tien-Yen et Moncay. C'est en somme le prolonge- 



igè LES RIVAGES INDO-€HINOIS. 

ment extérieur de la navigation fluviale, qui assure en tous 
temps les communications entre Hongay, Cam-pha et Tien- 
Yen, retardant le plus possible le moment où les vapeurs de 
rivière doivent cesser leur service. 

Mais les iles de la baie d'Halong ne sont pas des blocs 
compacts, sans anfractuosités ni fissures. Beaucoup d'entre 
elles sont creusées de baies sûres et cachées, où les jonques 
viennent se réfugier et passer la nuit. Pour d'autres en- 
core, cette baie n'est pas Textrême limite ; derrière elle en 
est une autre, puis une autre encore, avec une longue suc- 
cession d'élargissements et d'étranglements, ménageant des 
ports intérieurs allongés et interminables, comme le port 
de Parseval et le port Bayard. Jamais on ne voit la fin de 
ces anses taillées à l'emporte-pièce ; partout il y aune porte, 
une passe gui ménaçje un horizon nouveau, une échappée 
vers des architectures de rocaille, vers des cachettes insoup- 
çonnées. Vient un moment où Ton se heurte à la muraille 
elle-même, sans prolongement possible. Pas un bruit ne 
trouble alors cette ultime retraite, ni le vol d'un insecte, ni 
le chant d'un oiseau ; les calcaires élancés se mirent dans 
l'eau immobile, au milieu d'un silence majestueux, d'une 
mort apparente, d'un cadre fait pour ravir un méditateur 
ascétique. Les grottes abondent, hérissées de stalactites, 
remplies par la mer d'un sourd grondement, d'une plainte 
lointaine. Quelques-unes, praticables seulement à basse mer, 
vont aboutir à des cirques intérieurs, bassins fermés et pro- 
fonds, forés en entonnoir au centre des masses marmo- 
réennes. 

Les rochers ont eux-mêmes des apparences étranges et 
rudes, avec leurs sommets dentelés, creusés par les pluies, 
noircis par les intempéries, striés de crevasses et de lézardes. 
La pierre s'est usée peu à peu, ne montrant plus que de 
fines aiguilles, auxquelles le toiu'iste se déchire les mains et 



LA BAIE D HALONG ET LES FAÏ-TSI-LONG. I97 

les membres. Sous ses pieds, les pierres se détachent et 
roulent, rebondissant sur leurs voisines en sonorités métal- 
liques, pour retomber enfin dans Teau avec une détonation 
violente que répercutent les échos indéfinis. La terre végé- 
tale est partie, emportée et ravinée. Le peu qu'il en reste 
s'est logé dans des anfractuosités mieux protégées, des- 
quelles s'élancent des orchidées, des fougères et des plantes 
grasses ; des singes s'agrippent au feuillage et restent sus- 
pendus, grimaçants, au-dessus de l'abtme et de l'eau verte. 
L'homme ne peut subsister dans ces îles déshéritées ; il ne 
trouverait pas un coin pour édifier une cabane ni un fruit 
pour se nourrir. Seuls, de pauvres pêcheurs, coupeurs de 
bois à leurs heures, errent dans leurs sampans le long des 
parois verticales ; passant la nuit dans des grottes, vivant de 
poissons ou de coquillages, récoltant les huîtres que la mer 
laisse à découvert à la base des émersions rocheuses. Les 
pirates que nous avons chassés de la baie d'Halong y avaient 
sciemment fixé leur résidence ; ils avaient, dans ces fouillis 
d'îlots et de passes, le plus admirable repaire qu'il soit pos- 
sible de rêver ; avec un décor bien fait pour susciter des 
gestes de tragédie. 

Les Faï-Tsi-Long offrent des apparences moins sauvages, 
moins inhumaines. Déjà, dès la passe du Casque, commence 
une zone de transition, dans laquelle les rochers ordinaires 
n'émergent plus de la terre meuble que par intervalles ; la 
chute des sommets dans la mer est moins abrupte, et se fait 
par gradins étages. Puis, avec l'île Rousse et l'île des Biches 
se montrent pour la première fois les croupes boisées, les 
pentes douces couvertes de pâturages et de boqueteaux 
entremêlés de quelques champs de maïs et de patates. Le 
pic de la Table et celui de Pak-ha-moun dominent de leurs 
forêts sombres et embrumées de nuages les détroits et les 
bras de mer qui s'entre-croisent à leur pied ; on se croirait 



198 LES RIVAGES INDO-CHINOIS, 

dans quelque vallée fraîche des Pyrénées ou des Alpes.' 
Géologiquement, les Faï-Tsi-Long diffèrent essemliellement 
des lies d'Halong. Tandis que ces dernières sont calcaires, 
les autres doivent leur existence à un soulèvement chaotique 
de grès et de schistes ; les grès se retrouvent sur les coU 
lines, et les schistes sur les grèves, en de grands amas feuil- 
letés comme la base d'une gigantesque ardoisière que la 
mer vient entamer et découper. Cette action des vagues met 
à nu Tossature lithologique des Faï-Tsi-Long, partout 
ailleurs recouverte de terre végétale et de hautes futaies. 

Tandis que l'archipel d'Halong est morcelé sans directrice 
générale, celui des Faï-Tsi-Long présente des aspects révé- 
lant une action puissante et régulière. Les crêtes des îles 
décrivent une courbe parallèle à celle du littoral continental, 
se soulevant en bourrelets épais, séparés par des fossés dans 
lesquels le flot se propage vers le nord, et le jusant vers le 
sud. Le mouvement de la mer a percé et entretenu depuis 
des siècles de longues passes comme celles de la Surprise, 
du Jaguar, du Roc-aux-Aigles, ou des havres allongés dans 
la direction commune, comme le ravissant port des Sylphes. 
Au fond, les Faï-Tsi-Long ne sont formées que par la juxta- 
position très nette de plusieurs axes insulaires, dont la pré- 
sence paraît évidente à la simple inspection de la carte. 

Le premier axe déroge, par sa direction, à l'orientation 
générale ; il est formé des îles Tam-Tiao, Fong-Wong, Daï- 
La-Tiao et Dao-Trao. Mais les autres axes rentrent dans la 
règle commune. L'un d'eux est le plus extérieur; il s'allonge 
du sud au nord, protégeant l'archipel d'un solide rempart, 
avec Laï-Tao, Song-Laï-Tao, Minh-Taô, Pak-ha-moun, l'île 
aux Sangliers et l'île aux Singes. Un autre, central et volu- 
mineux, se compose des îles de la Table, de la Madeleine, 
des Bambous et des Bruyères. Un dernier, embryonnaire, 
comprend l'île Rousse et l'île Longue. La grande rangée du 



LA BAIE d'hALONG ET LES FAI-TSI-LONG. ig^ 

Tiord, dirigée vers Test avec Tlle. du Ghâteaurenault et Tîle 
Tieng-Mui-Tao, de Tien- Yen à Moncay, fait aussi exception 
au parallélisme des îles du centre. Pour celles-ci, nous re- 
trouvons une formation jurassique, dans laquelle les combes 
sont les fossés longitudinaux, les passes du DuchafTault, 
du Lynx, de la Surprise, du Lutin et du Jaguar. Mais, pour 
passer de Tune à l'autre, il faut des cluses^ des brèches nor- 
inales à la direction des vallées, qui donnent accès de la 
mer dans Tintérieur des archipels, et qui permettent aux 
navires de prendre le large. Ces coupures, ces trouées, sont 
les passes courtes et transversales de Pak-ha-moun, de 
Tsieng-moun, de Chin-moun, d'Holaï-moun et de Kokàï- 
moun, dont le même suffixe chinois indique assez la desti- 
nation commune. 

C'est à ces cluses que finissent Tàrchipel des Faï-Tsi-Long, 
ainsi que le calme de la mer dans Tintérieur des chenaux. 
Ces passes franchies, on pénètre dans fa partie septen- 
trionale du golfe du Tonkin, battue par la mousson de nord- 
est, semée d'îles éparseç, hérissée de dangers et de récifs, 
comme les Coto bu les Lo-shu-san. Ces îles, à l'écart des 
routes maritimes, sont peu fréquentées; les populations sont 
exclusivement chinoises, vivant de pêche et d'agriculture. 
Déjà, plus près du Tonkin, dans les Faï-Tsi-Long orien- 
tales, l'élément annamite perd peu à peu de son importance 
«n face de l'élément chinois ; les Minh-Huongs, métis de 
Célestes et de Tonkinois, abondent- Plus près de la Chine, 
dans les îles Coto et dans celles de Moncay, la disparition 
de l'Annamite est complète. La mer, terrain neutre où se 
croisent toutes les races, est ici sillonnée de jonques chi- 
noises de Pak-Hoï, tandis que l'on n'y voit pas une seule 
barque annamite. Pour l'Indo-Chine, les îles situées à Test 
de Kébao constituent une contrée de transition avec les 
rivages chinois qui commencentau cap Pak-Long, une sorte 



200 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

de « Marche » maritime qui termine au nord nos eaux, ter- 
ritoriales. 






C'est derrière cet amas d'îlots et de rocs, sur le littoral 
du continent, que nous allons trouver un spectacle bien fait 
pour réjouir des Français et leur donner confiance en l'ave- 
nir de la colonie. Les mines de Hongay, en pleine exploita- 
tion, couvrant de leurs produits les marchés d'Indo-Ghîne 
et d'Extrême-Orient, ont enfin mis à profit les ressources 
-houillères prodigieuses du sous-sol du Tonkin; elles nous 
-libèrent des achats à l'étranger, nous mettant à même de 
subvenir aux besoins de l'industrie naissante, des chemins 
de fer nouveaux, de nos marines de guerre et de commerce. 

Le faisceau houiller dont nous parlions à propos des 
mines de Nong-Son, suit au Tonkin, avec sa branche nord, 
un parcours orienté ouest-est. Commençant aux environs de 
Yer-Baï et de Tuyen-Quang, il se continue en bordant au 
iiord le Thaï-Binh et le fleuve Rouge, par Bac-Ninh, Dong- 
Trieu, Quang-Yen, Hongay et Kébao. Il se prolonge même 
jusqu'en Chine. Dans l'intérieur du pays, l'exploitation du 
filon carbonifère serait grevée de frais de transport sensi- 
bles, qui influeraient sur le prix de vente ; elle a cependant 
lieu à Dong-Trieu, mais pour la consommation locale. 
Dong— Trieu n'exporte pas. A Hongay et à Kébao, au con- 
traire, le filon se rapproche de la mer, et il devient facile 
d'y puiser pour remplir les navires. Hongay, en particulier, 
était un point d'attaque excellent. La concession actuelle, 
de 20 000 hectares, s'étend entre la rivière de Hongay 
et celle de Can-pha ; le charbon y avait été remarqué 
de longtemps par les Annamites. D'après les dernières 
reconnaissances de la compagnie concessionnaire, les cou- 



HONGAY ET KÉBAO. 201 

xîhes formçnt un faisceau houiller de grande puissance, 
d'une épaisseur de loo mètres; le combustible s'y montre 
par collines. et par montagnes entières, au mamelon 65 
jet aux découverts d'Hatou. Le calcaire qui le supporte 
ondule par places, porté au jour par un soulèvement 
assez irrégulier, dont on retrouve les traces dans les mon- 
tagnes de marbre du nord de la concession et les filons 
porphyriques non métallifères des environs de Hongay. 
D'ailleurs, des deux mines de Hongay, Hatou et Nagotna, 
Nagotna seule paraît se relier au faisceau carbonifère ; Ha- 
tou, au dire des spécialistes, serait un gisement isolé, dont 
la présence a heureusement contribué à la prospérité des 
.mines. 

C'est un de nos compatriotes, M. Bavier-Ghauffour, qui 
.eut de bonne heure l'idée de tirer parti des richesses que 
.quelques recherches lui avaient révélées à Hongay. Après 
une première exploration, il traitait en août i884 avec la cour 
de Hué pour obtenir la concession du fonds et tréfonds. 
Le marché conclu, le gouvernement créa en septembre i884 
la commission indo- chinoise des mines, et décida que les 
terrains miniers seraient dorénavant donnés à l'adjudication. 
Le traité de M. Bavier-Ghauffour était déclaré nul et non 
av:enu I On obtenait en même temps de la cour d'Annam 
l'assurance de ne négocier avec personne directement 
(mars i885). Sous l'administration de M. Paul Bert, mort 
prématurément, puis sous celle de M. Bihourd, nos te- 
naces colons revinrent à la charge, arrachant au gouver- 
nement une promesse de concession provisoire moyennant 
l'abandon des premiers traités avec la cour d'Annam ; elle 
fut établie définitivement en août 1887. L'acte final de con- 
cession ne fut signé que le 27 avril 1888, soit quatre ans 
après les premières démarches I La compagnie d'exploita- 
tion. Société française des charbonnages du Tonkin^ se 



202 LES RIVAGES INDO-GHINOIS. 

constitua aussitôt et les travaux commencèrent. Les résul- 
tats furent d'abord brillants, et l'extraction en progression 
continue, puis, en 1894, les mauvais jours revinrent, la 
faillite proche. Il ne restait en caisse qu'une somme insuffi- 
sante pour payer le personnel. On acheta du riz pour les 
ouvriers en vendant à un Chinois un vieux stock de 
10 000 tonnes de menu, aux prix de i piastre à i p. 5o la 
tonne ! Les actions étaient à un taux dérisoire. Grâce à son 
énergie, la Société a surmonté toutes les difficultés. A l'heure 
actuelle, le dividende est de 12 p. 100, et les actions oscillent 
de I 200 à 1 3oo fr. L'avenir apparaît sans nuages. 

Le port de Hongay est relié par voies ferrées aux deux 
gisements, à celui de Hatou et à celui de Nagotna; Le che- 
min de fer suit d'abord la côte pendant plusieurs kilomètres, 
puis s'enfonce dans l'intérieur. La mine de Nagotna est pa- 
reille aux mines ordinaires ; on l'exploite par travaux sou- 
terrains, au moyen d'un puits de 120 mètres (faisceau de 
Sainte-Roche). Celle de Hatou est au contraire à ciel ouvert, 
sous la forme d'une gigantesque carrière, qui entoure et 
ronge une montagne de charbon. Les deux découverts sont 
exploités en terrasses, par gradins. Chaque gradin est muni 
d'une voie Decauville sur laquelle on fait courir des wagon- 
nets, que l'on remplit à l'aplomb de la muraille noire. Un 
plan incliné permet de faire descendre les wagonnets en bas, 
où leur contenu est déversé dans les wagons qui partent 
vers Hongay. La voie ferrée traverse les découverts, passant 
de l'un à l'autre par un tunnel de 120 mètres de longueur. 

Le charbon ainsi extrait est de la nature des anthracites, 
comme tous les autres charbons indo-chinois. Il est entière- 
ment dépourvu de fossiles, et les schistes qu'il renferme 
sont à empreintes végétales : feuilles de latanier, fougères 
arborescentes, chênes, bambous, etc La dureté du com- 
bustible varie suivant les couches, mais sa friabilité est 



HONGAY ET KEBAO. 203 

grande, au point qu'il est difficile d'obtenir du « gros », 
tant à cause des manutentions diverses que du peu de résis- 
tance de la matière. A Hatou, où là surveillance est facile, 
on arrive aune moyenne de lo p. loo de lo mill. à 5o miH. et 
80 p. 100 de menus pour briquettes. Nagotna, mine souter- 
raine, ne donne presque que des menus. Le charbon ne 
renferme que 2 p. 100 de pierres. A l'analyse chimique, on 
a obtenu de 4 à 7 p. 100 de cendres et 9 p. 100 de matières 
volatiles. Le charbon de Hongay nécessite un fort tirage, 
étant de la famille des houilles maigres, mais il dégage en 
brûlant une grande quantité de chaleur. Pour les chaudières 
marines, les expériences faites en 1895- 1896 avec les bri- 
quettes de Hongay à bord du croiseur VIsly ont été très 
satisfaisantes. Elles ont montré que le charbon, avec un bon 
tirage, brûlait d'une flamme courte, sans s'agglutiner sur les 
grilles, avec très peu de mâchefer, en ne donnant qu'un ré- 
sidu de matières terreuses grisâtres. Le décrassage était 
totalement supprimé, ainsi que les rentrées d'air qui l'ac- 
compagnent, chose toujours avantageuse pour la bonne 
conservation des chaudières. Sur VIsly ^ à 75 tours, les con- 
sommations par mille parcouru étaient de : 

Briquettes de Hongay ..... iSô^^gjgSy 
Cardiff en roches '. i37'*g,748 

ce qui n'a rien d'étonnant, le cardiff d'Extrême-Orient étant 
souvent de mauvaise qualité. Mais, comme le hongay a 
précisément pour objet les marchés d'Extrême-Orient, le 
résultat est de bonne augure. Les fours de la cimenterie 
de Haïphong, au tirage artificiel, se sont bien trouvés dû 
Hongay. 

C'est à Hongay même que se trouvent les installations 
industrielles chargées de trier les produits non classés qui 
arrivent des mines, et de les transformer en combustibles 



5o4 LES .RIVAGES INDO-CHINOIS. 

vendables. Les* voies ferrées, escaladant une plate-forme à 
pente douce, conduisent le charbon au criblage^ où il tombe 
d'une hauteur de lo mètres, divisé en menu, en criblé et 
en déchet. A la partie supérieure, un « culbuteur » enlève les 
moitiés de wagons et déverse leur contenu dans un «aton- 
noir. Cet entonnoir l'envoie sur un tamis où il se divise en 
deux parties. Le menu tombe immédiatement dans les wa- 
gons inférieurs, tandis que le criblé est conduit sur des 
rubans transporteurs, défilant entre deux rangées de 
femmes et d'enfants qui le dépouillent des schistes et de 5 
cailloux. Il passe au criblage 120 wagons en dix heures. Le 
vieux criblage est réservé au charbon de Nagotna, trop sale 
pour être traité à la grande vitesse du criblage neuf. Quelle 
que soit l'importance de cette installation, elle est encore 
insuffisante pour l'extraction actuelle, et on projette un 
agrandissement de cette partie de l'outillage. En sortant du 
criblage, le charbon se rend soit au stock du quai, pour 
l'embarquement direct, soit à celui de la briquetterie, s'il 
doit servir à la confection des briquettes. 

La briquetterie est située non loin de la mer, près des 
fossés où l'on amasse le brai venant d'Angleterre et de Nor- 
vège, à portée des tas de japonais aux reflets fauves, ré- 
cemment débarqués des navires. Les deux sortes de char- 
bon passent aux lavoirs, et on les mélange ensuite dans la 
proportion de 20 p. 100 de japonais et 80 p. loo de hongay 
et de brai. Le mélange est précipité dans des fosses, d'où 
des norias l'extraient pour l'envoyer dans les doseurs^ puis 
dans le broyeur et enfin dans le malaxeur^ où le mélange 
intime s'effectue sous l'action de la vapeur et des ventila- 
teurs. La presse martèle à chacun de ses coups une bri- 
quette, qui tombe toute chaude aux mains des ouvriers 
indigènes. Il existe en tout quatre appareils de ce genre, 
entraînés par des rampes hélicoïdales ou des adents ; tous 



HONGAY ET KÉBAO. 2o5 

lés quatre fonctionnent le jour, et deux seulement la nuit. 
La vapeur leur est fournie par quatre grandes chaudières 
chauflanl à lo kilogr., munies d'épurateurs en raison de la 
mauvaise qualité de Teau d'alimentation. Ces appareils font 
90 tonnes environ par dix heures, soit 160 à 180 tonnes par 
jour, ou i4ooo briquettes. La production annuelle est de. 
80000 tonnes, et, en igoS, on espère arrivera 100 000 ton- 
nes, dès que l'agrandissement de la brique tterie sera réalisé. 
La briquette « marine » est utilisée par les diverses marines 
de commerce et les chemins de fer du Tonkin ; là briquette 
de guerre est spécialement réservée aux navires de la ma- 
rine nationale. Elle résulte de charbons traités avec le plus, 
grand soin ; on va en constituer un stock de 20 000 tonnes. 
Tout ce matériel sans cesse en service, matériel roulant 
de chemin de fer, installations de lamine, tuyautages, chau- 
dières, chaloupes, nécessite des réparations fréquentes. La 
société a installé sur le terre-plein du quai un dépôt de lo- 
comotives, où Ton fait les menus travaux et les montages, 
et près duquel on a placé, divers magasins de rechanges. Un 
autre atelier, beaucoup plus grand, est situé à mi-côte, 
parmi les villas blanches et les jardins à l'anglaise des ingé- 
nieurs et des contremaîtres, au-dessus de l'infernale pous- 
sière noire qui flotte dans les bas-fonds. Ce n'est pas le 
moins intéressant des établissements de Hongay. Il est doté 
d'une installation assez rudimentaire, se composant d'une 
petite fonderie, de six forges et d'un ajustage comprenant 
en tout une dizaine de machines-outils, mues par un moteur 
de 1 2 chevaux. Il existe même un petit atelier de charpentage 
et de menuiserie. Cette usine, créée depuis deux ans et demi, 
est complètement insuffisante, étant données les répara- 
tions continuelles qu'elle doit faire. De l'aveu des directeurs, 
il y faudrait un personnel double. L'extension est projetée 
et de nouvelles machines commandées en France ; on ne les 



2o6 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

a pas attendues, et quelques tours ont même été fabriqués 
par Tatelier actuel. 

Hongay, pour rembarquement commode du charbon, a 
dû faire de toutes pièces des installations maritimes appro- 
priées. Les voies ferrées qui amènent le combustible aboutis^ 
sent à un appontement de 80 mètres de long, où les wagons 
sont enlevés par deux grues hydrauliques de 6 tonnes et 
culbutés dans les cales des navires. On construit actuelle- 
ment un nouveau quai en maçonnerie, commencé en mai 
1901 et qui sera achevé prochainement. On y placera deux 
grues à vapeur, pour ne pas être à la merci d'une avarie 
survenant dans Taccumulateur hydraulique, comme cela est 
arrivé plusieurs fois à l'ancien appontement. Une jetée de 
bois, à l'autre extrémité du quai, permet le déchargement 
du brai. Un chenal de 5o mètres de long donne au conden- 
seur général une eau de circulation exempte de sables en 
suspension. 

La société voit d'un œil très indifférent les beaux projets 
élaborés pour la création d'un port de commerce à Hongay. 
Les navires qui viennent charger du charbon sont des car- 
gos de taille moyenne, de 4 000 tonneaux de jauge eu 
moyenne, 5 000 quelquefois. Le chenal actuel est souvent 
insuffisant ; le dos d'âne que l'on a enlevé s'est reporté plus 
loin, du côté de l'île Longue, et il arrive fréquemment qu'en 
morte-eau, on ne peut charger complètement les grands na- 
vires à cause de leur tirant d'eau, qui les obligerait à atten- 
dre plusieurs jours pour sortir. 

Avec le fonctionnement que nous venons de décrire, les 
mines de Hongay arrivent à vendre leur charbon menu à 7 fr. 
la tonne, et leur criblé à 16 fr. ; on peut admettre une 
moyenne de 10 fr. pour les charbons crus. Les briquettes, 
dont il s'est vendu 28 4oo tonnes en 1900 et 87 800 tonnes 
en 1901, atteignent 34 fr. la tonne. Quant à la production 



HONGAY ET KÉBAO. 



207 



totale, elle a suivi, depuis le début, une progression qu'il 
peut être intéressant de rappeler. 



Débit de la mine depuis 1890 (tonnes). 

1890 * 2212 1897 . 

1891 . 7044 1898 . 

1892 . 18772 1899 . 

1893 , . . . . . . 112240 1900 . 

1894 III 262 1901 . 

1895 68282 1902 . 

1896 io3 5i9 



127718 
2o4 024 
276 175 
260 000 
260 000 
3oo 000 



Les Chinois des provinces méridionales de la Chine, les mai- 
sons européennes de Hong-Kong, les maisons Jardine-Ma- 
theson, Butterfield andSwire, de Shang-Haï, sont les grands 
acheteurs du charbon de Hongay. Les menus et les criblés 
se vendent indifféremment. Le marché local indo-chinois 
s'adresse aussi à la société, et des stocks de briquettes ont 
été constitués à Haïphong, à Saigon, et dans les grandes 
villes d'Extrême-Orient. Il arrive même que les clients des 
mines apportent certains retards à l'enlèvement des com- 
mandes, ce qui cause quelque encombrement sur le quai du 
port. En décembre 1902, on n'y voyait pas moins de 6000 
tonnes. La grande sécheresse du Kouang-Toung ayant em- 
pêché l'usage ordinaire des engrais à la chaux, la fabrication 
de celle-ci s'est trouvée enrayée, et le Chinois qui dirigeait 
cette industrie laissait à Hongay 26 000 tonnes déjà achetées, 
occupant sur le quai une place précieuse. La société a éga- 
lement un contrat avec l'État, que celui-ci lui renouvelle à 
époques fixes pour le ravitaillement des navires de guerre. 
^ Le grand pourvoyeur des marchés d'Extrême-Orient est 
le Japon, dont les mines ont pris au cours de ces dernières 
années un développement prodigieux. La guerre des Philip- 
pines, les affaires de Chine, en amenant en Extrême-Orient 
de nombreux navires charbonnant à Nagasaki, ont forte- 



208 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

ment contribué à la diffusion du combustible nippon. En 
1895, l'exportation atteignait 5 5ooooo fr., 1 3 760000 fr. 
en 1900 et 17600000 fr. en 1901 ! En 1901, Moji, sur le 
détroit de Simonosaki, a exporté 3 606 906 tonnes, dont 
686913 pour Honig-Kong et 448 816 àShàng-Haï. L'expor- 
tation de Simonosaki, ja même année, a atteint une. valeur 
de I i4i 726 livres 1 Cependant, on a constaté, au cours de 
1902, un certain fléchissement dans les envois japonais à 
destination de Tlnde. Bombay, qui en avait importé 60000 
tonnes en 1901, présente pour le premier trimestre 1902 
une moins-value de 10078 tonnes sur le premier trimestre 
1901. Les périodes correspondantes, pour Colombo, accu- 
sent une moins-value de 6 3oo tonnes (importation nulle 
pendant les trois premiers mois de 1902). D'ailleurs, le char- 
bon japonais n'a dû son succès qu'à sa présence sur les 
lieux et à son très bon marché ; ses qualités sont assez dou- 
teuses. Il brûle trop facilement, sans dégager beaucoup de 
chaleur, en faisant une fumée noire et abondante qui en- 
crasse les grilles et les conduits des cheminées. Cette com- 
bustion trop vive a pour effet une consommation très forte. 
On conçoit qu'il ne saurait exister de concurrence, au sens 
propre du mot, entre les charbons de Hongay et ceux du 
Japon, chacun d'eux possédant des qualités et des défauts 
diamétralement opposés; le hongay est un anthracite, le 
japonais un charbon gras. Employés seuls, ils donnent des 
mécomptes, et c'est de leur mélange qu'il faut attendre une 
solution satisfaisante. Le succès de la briquette de Hongay, 
à 80 p. lOQ de hongay et 20 p. 100 de japonais, est venu 
donner raison à cette idée, que la simple logique pouvait 
faire prévoir. S'il fallait cependant choisir entre les deu3^ 
combustibles, purs et séparés, la pratique serait là pour faire 
pencher la balance en faveur du hongay — il n'y aurait^ 
pour l'utiliser, qu!à résoudre quelques difficultés de tirage.* 



HONGAY ET KEBAO. 2O9 

L'importation du charbon étranger en Indo-Chine a at- 
teint 16 i47 tonnes en 1901. Il ne faut pas voir là du dan- 
ger pour Hongay, car cette importation, qui n'est que le 
quatorzième de la production, a été faite uniquement pour 
le compte de l'État et de la Compagnie des Messageries 
Maritimes, qui continuent à entretenir des stocks d'anzin et 
de cardiffpour leurs navires. Dans cette même année 1901, 
Hongay a exporté à Singapour 7812 tonnes, d'une valeur 
de 5o 676 dollars, en augmentation de 2 000 tonnes sur 1900. 
De plus, comme pour les mines de Nong-Son, Hongay trouve 
un excellent débouché, à cause de son combustible anthra- 
citeux, dans la consommation ménagère de Shang-Haï et les 
industries de Canton. La grande ville du sud de la Chine a 
importé en 1900 4i 4i5 tonnes, dont 8924 de japonais et 
34 82 1 de hongay. Ce débouché augmentera sans doute, car 
les filatures à vapeur ont dû renoncer à l'emploi du japonais, 
dont la fumée intense laissait sur les feuilles de mûrier des 
alentours des dépôts qui les rendent impropres à la nourri- 
ture des vers à soie. Il y a Jà un intéressant essai de hongay 
à faire, son peu de fumée devant donner de bons résultats. 
Les filatures, au lieu de brûler du bois, qui est fort cher au 
Kouang-Toung, ne se serviraient plus que de nos charbons 
tonkinois. 

Une compagnie minière sino-japonaise vient de se fonder 
en Chine pour exploiter les charbonnages de Hsuan-Cheng, 
près Wuhu, dans le bas Yang-Tsé ; elle pourrait menacer 
le débouché de Shang-Haï. C'est un point noir pour la clien- 
tèle chinoise de Hongay, le seul sérieux aujourd'hui. L'ex- 
ploitation des mines du Yunnan, la reprise possible de Kébao, 
sont des éventualités problématiques et peu à craindre. 






RIVAGES INDO-CHINOIS. l4 



2IO LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Porl-Wallut, compris entre Ttle Zabiaca et celle de Kébao, 
est raboutissement maritime, le port de chargement des 
mînes de la grande île. C'est là que finit le chemin de fer 
venant de Kébao- Ville et traversant par des tranchées et des 
ponts, les ravins boisés et les brousses épaisses de Caï-Daï, 
de Remaury et de Ben-Luoc. Port-Wallut est dans un site 
alpestre, dominé par les forêts des grands sommets de Tîle de 
Kébao, dominant à son tour Pestuaire de Tien-Yen, entre des 
pentes vertes et sombres. La croupe qui porte le village est 
resserrée entre deux baies remplies de ruisseaux et de casca- 
des, sur les bords desquelles se pressent les agglomérations 
brunes des cases annamites et chinoises. Le mamelon euro- 
péen montre à travers ses arbres et ses bosquets les taches 
blanches des villas et des cottages, séparées par des jardins^ 
reliées par de délicieux chemins creux qui serpentent au 
flanc de la colline. Tout donne l'impression d'une charmante 
retraite, d'un Éden oublié dont les êtres vivent heureux, 
loin du monde et de ses misères On approche. On dé- 
barque Tout n'est que mort et solitude, tristesse et dé- 
solation. Les villas blanches ne sont que de pauvres masures 
vides, aux portes enfoncées, aux plafonds et aux toits éven- 
très, qui n'abritent aucun habitant. Pas un bruit dans cette 
nécropole. On la traverse comme on le ferait d'une ville 
incendiée, dévastée par la guerre, abandonnée par la popu- 
lation. Seule, la maison du directeur actuel des mines est 
habitée. 

De l'autre côté du mamelon, des ruines plus grandioses 
encore attendent le voyageur. C'est le treuil hydraulique hors 
d'usage, le plan incliné de la voie ferrée à moitié démoli, 
des files de vieux wagons laissés dans les hautes herbes.. 
Les ateliers de triage et de criblage, à moitié recouverts par 
un éboulement, montrent leurs murs lézardés, leurs char- 
pentes tordues, leurs machines rouillées ; la briquetterie est 



HONGAY ET KEBAO. 211 



dans le même étal. Les générateurs de vapeur semblent at- 
tendre des chauffeurs absents, environnés de bennes rongées 
par le temps, d'anciennes fosses à brai où Teau des pluies 
s'amasse et croupit. L'atelier des machines a gardé son ou- 
tillage, figé dans la position du dernier arrêt, comme un 
grand organisme mort. Près du port, on retrouve seulement 
une apparence de vie. Un petit magasin conserve les épaves 
du désastre. Un stock de charbon attend rembarquement 
sous une grue en bon état, au bord d'un quai de. 60 mètres 
de long, bien construit, commode pour l'amarrage des na- 
vires, offrant des profondeurs de 6 mètres à marée basse. 
. Si nous nous dirigeons maintenant vers Kébao et les mi- 
nes,* nous le ferons par une voie ferrée de i5 kilomètres, aux 
traverses pourries qui s'enflamment au contact des escar- 
billes, aux ponts branlants, aux rampes et pentes trop nom- 
breuses pour permettre la circulation des trains lourds. A 
Caï-Daï, à Kébao, à Remaury, à la Traînée-Verte, nous trou- 
verons des bowettes, des galeries de mine, des descenderies 
abandonnées, remplies d'eau, déhouillées en partie. A Ké- 
bao, nous verrons le puits noyé, ses 4 kilomètres de galeries 
éboulés, l'ensemble à peu près démoli à l'exception de l'ou- 
tillage que l'on a pu sauver à temps. Des attaques partielles, 
des travers-bancs, de 10 à 20 mètres à peine, subsistent 
et fournissent le combustible nécessaire aux deux loco- 
motives de la voie et aux rares acheteurs des environs. Tels 
sont les restes imposants de la grande entreprise de Kébao, 
qui crut un moment au succès certain. Le triste historique 
de ce malheureux essai est généralement peu connu, à 
tort, d'ailleurs, car il est fécond en enseignements sur la 
matière. 

Le Ministre de la marine avait confié, en novembre 1881, 
une mission en Indo-Chine à M. Fuchs, ingénieur en chef 
des mines, pour les reconnaissances géologiques de notre 



212 LES RIVAGES INDO-CIIINOIS. 



possession. Celte mission se rendit compte de la présence de 
la houille en plusieurs places, mais sans déterminer d'une 
façon précise Torientation des axes carbonifères et la largeur 
des filons. Ce fut l'objet d'une seconde mission, faite en i885 
et 1886 par M. l'ingénieur Sarran, aussitôt après la création 
de la commission des mines ; elle fit plus particulièrement 
l'étude de la question houillère, qui parut en 1888. On peut 
enfin se faire une idée exacte de la façon dont se présentait 
la « bande noire » du Tonkin, de Tuyen-Quang à Kébao, à 
la suite du soulèvement qui avait donné naissance à la région 
si capricieusement tourmentée de la baie d'Halong et des 
Faï-Tsi-Long. C'est sur ces entrefaites, en 1886, que la con- 
cession de Kébao, comprenant toute l'tle, fut instituée au 
profit de M. Dupuis, auquel on devait cette réparation pour 
les vicissitudes que la première occupation française au 
Tonkin lui avait ménagées. 

La société anonyme de Kébao se constitua aussitôt, au 
capital de 2600 000 fr., définitivement établie en janvier 
1889. Comme les opinions les plus diverses se manifestaient 
parmi les membres de la société, on résolut d'en finir avec 
ces hésitations en envoyant à Kébao M. Sarran, nommé in- 
génieur en chef du domaine, pour prospecter les terrains. 
Quelques travaux préliminaires furent faits, le faisceau géo- 
logique déterminé, et le cubage du combustible évalué à 
un milliard de tonnes. En même temps, on procédait â des 
essais du charbon, d'abord sur le bateau le Paul^ puis à l'ar- 
senal de Haïphong, puis sur VAréthuse^ paquebot des Mes- 
sageries Maritimes, pendant une traversée de Haïphong à 
Hong-Kong. Le rapport de M. l'ingénieur Schwartz, résu- 
mant ces divers essais, était favorable au charbon de la con- 
cession. Un sondage fait jusqu'à 86 mètres, un percement 
de galeries occupant 276 ouvriers, avaient fourni un com- 
bustible donnant une forte proportion de criblés. L'exploi- 



HONGAY ET KEBAO. 2l3 

talion commença donc en 1890, après ces premiers travaux 
de la mission Sarran. Dès 1896, une première liquidation de 
la société, à la suite d'insuccès répétés, mettait un terme 
aux expériences des promoteurs de l'entreprise. Au moyen 
d'un nouvel appel de fonds, la compagnie se reconstitua, 
pour être de nouveau déclarée en faillite en juillet 1899. Les 
sociétés diverses avaient, en dix ans, de 1889 à 1899, en- 
glouti près de 1 1 millions de francs ! C'est alors qu'une nou- 
velle association, dite Société civile du domaine de Kébao, 
a acheté l'île (26 000 hect.) avec le matériel, les immeubles, 
le fonds et le tréfonds pour la somme dérisoire de 200 000 fr. ! 
Cette compagnie a envoyé, d'octobre 1901 à avril 1902, 
M. l'ingénieur Charpentier en mission, pour voir ce qu'il 
était encore possible de faire à Kébao. 

Le charbon aurait-il donné des mécomptes ? Serait-il in- 
férieur à celui que l'on trouve à Hongay ? Pas le moins du 
monde. L'analyse chimique adonné la répartition suivante : 

Humidité 8,91 à 5, 10 p. 100. 

Matières volatiles . . 4^57 à 6,87 — 

Carbone fixe .... 8i,o4 à 89,62 — 

Cendres 1,01 à 9,94 — 

Soufre 0,55 à 2,99 — 

Le tout-venant offrait une proportion de criblés de 10 à 
20 p. 100 et de 20 p. 100 de grenus. Le charbon de Kébao 
dégageait de 7 000 à 7 85o calories, vaporisant 4 à 5 litres 
dans les chaudières cylindriques, 6 à 7 litres dans les chau- 
dières tubulaires et 7,5 litres dans les chaudières tubulaires 
à ventilateurs. A l'arsenal de Saigon, les briquettes lavées 
de Kébao vaporisaient 7,86 et celles d'Anzin7,5i seulement. 
Ces briquettes avaient été appréciées à Toulon. Par ailleurs, 
toute une série d'expériences furent très brillantes pour le 
charbon de Kébao. Citons celles de la chaloupe le Man en 
1891, de la direction d'artillerie de Saigon en mars 1898, 



2l4 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

du chemin de fer de Lang-Son et du torpilleur 3y en iSgS, 
Celles du croiseur l'isly en juin 1896 et de la fabrique d'al- 
lumettes de Hanoï avaient été aussi favorables. Partout on 
avait reconnu la nécessité d'un fort tirage artificiel, carac- 
téristique commune, facile à admettre, à tous les charbons 
indo-chinois. 

Si donc l'insuccès n'est pas dû au charbon, il faut en 
rechercher la cause dans un défaut d'exploitation, dans 
des erreurs de pratique. Le rapport de M. l'ingénieur 
Charpentier, d'ailleurs corroboré par les opinions que nous 
avons pu recueillir sur place, les met admirablement en . 
évidence. 

Tout d'abord, en considérant les ruines actuelles de Ké- 
bao et de Port-Wallut, on ne peut se défendre d'une impres- 
sion d'étonnement. On se demande comment la société, avec 
le peu de capitaux dont elle disposait, pouvait conduire 
l'exploitation courante et supporter en même temps les frais 
de premier établissement qu'ont créés les ateliers, le chemin 
de fer et le port. Il eût fallu, pour en venir à bout, une 
extraction considérable et on a vendu en tout 200000 tonnes 
en dix ans ! Le manque de recherches suffisantes, de direc- 
tion judicieuse, peut être facilement constaté. Le chemin de 
fer de Port-Wallut avait été décidé à la suite de l'existence, 
non contrôlée, d'un important filon dans le nord de l'île, et 
de grosses sommes ont été englouties pour profiter d'une 
chance de succès encore mystérieuse. Le puits de Kébao a 
été construit après un examen superficiel. Les ateliers de 
triage et de criblage ont été faits à Port-Wallut et non à la 
mine : le chemin de fer transportait donc un poids mort de 
5o p. 100 de pierres. Les retards fréquents dans les extrac- 
tions amenaient ceux des livraisons ; certains navires res* 
taient à Port-Wallut huit jours au lieu de deux. Pour en finir, 
on livrait des charbons de mauvaise qualité, remplis de 



HONGAY ET KËBAO. :Xl5 

schistes, faisant à Kébao une détestable réputation. En 
même temps, les prix de vente étaient très élevés, conditions 
peu favorables à une denrée qui débute — le conseil d'admi- 
nistration le reconnaissait lui-même en décembre 1895. Pour 
couronner le tout, la main-d'œuvre, irrégulièrement payée, 
se dérobait, son rebut seul restant accessible ; une mauvaise 
surveillance empêchait d'en tirer le rendement désirable. 

Ainsi, les causes d'insuccès attribuées par l'opinion pu- 
blique à Kébao, telles que mauvaise qualité de filon, con- 
currence de Hongay ou exploitation souterraine, se réduisent 
plus simplement à une conduite peu entendue de Texploita- 
tion minière. Ce filon est bon, la concurrence de Hongay 
laissait une marge fort large et, dans cette dernière, l'ex- 
ploitation souterraine de Nagotna n'a pas entravé la réus- 
site. 

La situation actuelle du domaine de Kébao est celle d'une 
concession ordinaire, La société l'exploite de diverses ma- 
nières, soit par la coupe des bois, soit par l'élevage, de façon 
à rémunérer son faible capital de 200 000 fr. ; on projette 
même l'installation d'une fabrique de briques et de tuiles. 
Le charbon ne forme plus que l'accessoire. On en extrait 
quelques tonnes en utilisant le matériel restant, et un petit 
noyau d'ouvriers, placé sous la direction de deux Européens, 
résidant l'un à Kébao et l'autre à Port-Wallut. La produc- 
tion, en 1902, passe de 80 tonnes en avril à 4oo tonnes en 
octobre, augmentant petit à petit, comme doit le faire celle 
d'une entreprise prudente. Des Chinois des environs l'achè- 
tent volontiers, au prix de 16 fr. la tonne ; la société a même 
à Haïphong un représentant pour la vente. Que deviendra 
Kébao dans l'avenir? M. Charpentier a étudié la possibilité 
d'une reprise de l'exploitation. II conclut à un capital néces- 
saire de 6 millions, donnant au bout de six ans un revenu 
de 600 000 fr., avec un gain par tonne de 6 fr. sur les criblés 



aiG LES RIYAGES INDO-CHINOIS. 

et les grenus. L'épargne française se lancera-l-elle de nou- 
veau vers les champs noirs de Tlle? On doit le souhaiter, les 
recherches des spécialistes n'ayant montré aucun vice rédhi- 
bitoire pour nos charbons d'Indo-Chine, et l'exemple de 
Hongay étant là pour convaincre les incrédules. 



CHAPITRE VII 

LE RECRUTEMENT MARITIME 

PHARES ET SEMAPHORES — OBSERVATOIRES 

CANAUX 



En ce qui concerne la défense mifitaire, les corps indi- 
gènes, depuis les tirailleurs annamites jusqu'aux modestes 
milices, ont donné satisfaction entière, au moins pour nos 
exercices du temps de paix. Pouvons-nous compter sur les 
habitants pour assurer, d'une manière constante et satisfai- 
sante, un recrutement maritime sérieux ? Question intéres- 
sante entre toutes, que nous allons examiner sous ses divers 
aspects. 

Il est de fait que le peuple annamite a de nombreux points 
de contact avec la mer. En Cochinchine et au Tonkin, les 
agglomérations populaires sont nombreuses le long des 
côtes, et des centres importants se sont créés et développés 
au bord de la mer; mais, malgré tout, la masse de la nation 
s'est répandue à l'intérieur, les nha-^uês sont devenus agri- 
culteurs et pasteurs, essentiellement terriens. Le mouvement 
maritime résultant n'a donc rien de comparable avec celui 
que l'on observe en Annam, pays dans lequel la race anna- 
mite est comprimée, enserrée dans une étroite bande de 
littoral, comprise entre la chaîne montagneuse des terres 
Moï et la mer de Chine, un peu comme les Phéniciens anti- 
ques. Une bonne partie de la population s'est tournée vers 
la mer, à laquelle elle demande sa nourriture journalière et 
ses gains commerciaux. Le long de la côte, il n'est pas une 
baie, une crique, une langue de sable qui ne possède un ou 



2l8 LES RIVAGES INDO-CHINOIS, 

plusieurs villages de pécheurs, des canghas plantés au ha- 
sard, çàet là, devant les grands filets qui sèchent sur les 
goémons et les varechs. Par ailleurs, ce littoral d'Anna'm, si 
long, est la limite maritime des provinces que les contreforts 
de la chaîne centrale divisent en autant de compartiments 
séparés, n'ayant par la voie terrestre que des communica- 
tions pénibles et difficiles, vu le petit nombre de routes 
praticables et Tabsence de chemins de fer. Comme conclu- 
sion, le commerce par cabotage se développe et prend des 
proportions que l'on aurait peine à soupçonner d'une con- 
trée si tardivement ouverte au commerce général. 

Cette conséquence commerciale de la disposition orogra- 
phique est facile à constater par les statistiques que la douane 
élabore chaque année sur le transit des vapeurs et des jon- 
ques. Comme les postes de douanes sont relativement peu 
nombreux, et que les jonques fréquentent des parages où 
l'ingérence du fisc ne peut pas se manifester avec le contrôle 
suffisant, il est à prévoir que les chiffres déduits sont au- 
dessous de la vérité. Malgré tout, ces chiffres accusent une 
augmentation sensible du cabotage indo-chinois, comme 
l'indique le tableau ci-dessous établi en milliers de francs : 

En 1893 53 854 

1895. 3666i 

1897 40457 

1899- 87834 

1901 i38 543 

Comme nous venons de le faire voir, le cabotage de l'An- 
nam occupe dans ce chiffre global la part prépondérante. Il 
était (toujours en milliers de francs) : 

En 1897 22 3ii 

1898. 31927 

1899 40674 

1900- 57997 

1901 7463o 



LE RECRUTEMENT MARITIME, 219 

Soit une augmentation générale de 52 5oo ooo fr. en cinq 
ans. Cet important mouvement de cabotage est un agent 
très actif d'échange entre TAnnam d'une part, la Cochin- 
chine et le Tonkin de l'autre. L'Annam envoie des saumures, 
des poissons secs, des bestiaux, du sucre, et reçoit en retour 
du riz de Cochinchine ou des charbons de Hongay, Ce ca- 
botage extérieur à l'Annam, qui vient se relier à Saigon et 
à Haïphong à la navigation de long cours, se double d'un 
transit très suivi entre les différents ports de l'Annam lui- 
même. Ce mouvement de port à port a également subi une 
ascension très marquée dans la période de cinq ans qui va 
de 1897 à 1902. 

En 1897 il était de . . . . 1 1 988 ooo tonnes. 

1898 — .... i4 838 000 — 

^899 — .... 19106000 — 

1900 — .... 25082000 — 

La navigation à vapeur est encore assez peu dévelop-» 
pée sur cette côte d'Annam. A part les paquebots annexes 
des Messageries maritimes, les vapeurs Hélène et Mélitta, 
qui appartiennent respectivement à M. Berthet et à M. de 
Barthélémy, et quelques navires étrangers, on y voit très 
rarement des steamers. Comme, au surplus, il existe des 
centres commerciaux très importants qui ne sont pas encore 
desservis par les entreprises que nous venons de citer, il 
s'ensuit qu'une part notable du commerce se fait au moyen 
des jonques indigènes, annamites ou chinoises. Les chiffres 
que nous avons énumérés ci-dessus permettent de se faire 
une idée de l'importance du mouvement maritime engendré 
par le commerce de cabotage et par conséquent du nombre 
d'individus qui y participent, vivant de la mer et de la navi- 
gation côtière. Aucun recensement n'ayant été encore fait, 
aucune institution analogue à notre inscription maritime 



220 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

n'existant en Indo-Chine, il faut, pour mettre ce fait en 
évidence, avoir recours à de tels arguments indirects. 

On en trouverait d'aussi probants dans l'étude des pêches. 
Bien que les Grands Lacs donnent un appoint sérieux à 
l'exportation des poissons salés de la Cochinchine et du 
Cambodge, la zone côtière indo-chinoise y contribue dans 
de grandes proportions. Nous devons compter, comme 
centres actifs de pèche et d'exportation du poisson l'île de 
Phu-Quoc, le delta du Mékong, les baies du Binh-Thuan, 
le développement ininterrompu de la côte d'Annam. Dans 
le Quang-ngaï, vers le cap Batangan, c'est par milliers que 
l'on rencontre les barques de pêche, réunies en masses 
compactes tachant de points blancs l'immensité bleuâtre, 
comme aux sorties de Concarneau et de Douarnenez. Plus 
au nord encore, au Tonkin, les multiples rochers de la baie 
d'Halong et des Faï-Tsi-Long servent d'abris à une popula- 
tion maritime rude et sauvage, pirate hier, inoffensive au- 
jourd'hui, demandant à la pêche ses moyens de subsistance. 

L'exportation du poisson et des saumures se fait princi- 
palement à destination de Singapour et de Hong-Kong, qui 
sont, pour les établissements des Détroits et la Chine, les 
deux centres de diffusion, les deux entrepôts du commerce 
indo-chinois. Cette exportation, quoique considérable en 
elle-même, a subi des à-coups sensibles, atteignant son 
maximum en 1897, baissant ensuite à cause des impôts sur 
le sel, se relevant pour rester staiionnaire depuis quelques 
années. Pour la Cochinchine et le Cambodge, les chiffres 
sont les suivants : 

1893 16067 tonnes. 1898 16729 tonnes. 

1894. 23 465 — 1899 18294 — 

1895 21392 — 1900. 20073 — 

1896 23127 — 1901. 20945 — 

1897 27 153 — 



LE RECRUTEMENT BfARITIME. 221 

Et ces chiffres d'exportation ne donnent qu'une faible 
idée du produit des pêches, puisqu'une bonne partie est 
consommée sur place ou expédiée dans l'intérieur. A part 
quelques navires étrangers qui viennent charger en Annam 
(i68 tonnes de poisson en 1901), l'exportation annamite 
prend, à l'aide du cabotage local, le chemin de Saigon et 
d'Haïphong, et les chiffres résultants viennent se fondre dans 
les totaux des exportations de ces deu^ ports, expliquant 
ainsi cette faible exportation directe. Les pêcheries du 
Tonkin ne paraissent pas brillantes ; leur production passe 
de 5 764 tonnes en 1898 à i 853 tonnes en 1901. Partout on 
réclame l'introduction des procédés européens (chalutage à 
vapeur, traitement des déchets de poisson), au moyen de 
compagnies françaises ou chinoises, disposant de capitaux 1 

suffisants pour tenter l'exploitation en grand, avec un ren- 
dement supérieur à celui des moyens routiniers des indi- 
gènes. Quelques novateurs se proposent de faire un essai 
sérieux du nouveau système, comme M. de Barthélémy 
dans la baie de Gamraigne, mais, jusqu'ici, le vieux pro- 
cédé prévaut, et tout cet important commerce de pêche est 
le résultat du travail d'une très nombreuse population ma- 
ritime, dont nous avions déjà prévu l'existence à l'occasion 
du cabotage local. Sur cette zone côtière de 2 5oo kilomè- 
tres, des flottilles innombrables de barques partent chaque 
jour pour le large, restant longtemps à la mer, péchant 
même la nuit à la lueur des torches. La moindre barque 
emmène toute une famille, avec le riz et l'eau nécessaires à 
sa nourriture et les paniers pour emmagasiner le poisson ; 
elle pêche en route, et s'en va jeter, amarrés à de grands 
bambous qui jalonnent les profondeurs de 10 à 20 mètres, 
les filets et les nasses qui lui appartiennent. Après une 
campagne d'une semaine, la barque rallie son centre d'af- 
faires pour y vendre son poisson et se ravitailler. Chaque 



222 LES RIVAGES INDO-CHINOIS* 

soir, pour passer la nuit tranquille, elle, va mouiller dans 
une petite baie déserte, se construisant à la hâte, avec du 
bambou et quelques claies, un abri pour elle et des séchoirs 
pour les filets. Telle est l'origine de ces agglomérations 
minuscules que Ton rencontre à chaque instant le long de 
la cAte d'Annam, sur les plages de sable, au bord des 
grandes dunes rousses. Lorsqu'on peut vivre au milieu de 
ces gens, aux mœurs douces et simples, disputant chaque 
jour à la nature leur vie matérielle, dans des conditions 
pénibles, avec des moyens archaïques, on emporte d'eux un 
souvenir sympathique, en même temps que la satisfaction 
d'avoir jugé ce type à peine connu : le pêcheur annamite. 

Mais cette constatation, facile à faire, de l'existence d'une 
très nombreuse population maritime en Indo-Chine n'a pas 
en elle-même une valeur considérable, puisque, l'inscription 
maritime n'existant pas, nos auxiliaires nous sont fournis 
par la voie des engagements volontaires, qui n'apporte le 
plus souvent que des éléments venus de l'intérieur. Il n'y a 
donc pas lieu de se demander si cette vie maritime a pour 
conséquence une meilleure formation technique de nos ma- 
telots annamites, puisqu'elle y reste totalement étrangère. 
On peut seulement conclure des quelques considérations 
qui précèdent que l'Annamite n'est pas complètement ré- 
frac taire à la vie ni au métier de la mer, puisqu'une part 
notable de la population se tourne si volontiers de ce côté. 

L'État a consenti du premier coup, à l'égard des auxi- 
liaires indigènes de notre marine, à des avantages pécu- 
niaires suffisants pour les déterminer à contracter des enga- 
gements volontaires. Les soldes sont les mêmes que pour 
les marins français. Les matelots de i'*" classe touchent 
I fr. 20 par jour, ceux de 2® classe i fr., de 3* o fr. 80 et 
les apprentis marins o fr. 60. La durée de l'engagement est 



LE RECRUTEMENT MARITIME* 22^ 

de deux ans, avec possibilité de rengagements successifs, 
d'un an chacun. Le réadmis touche, pendant la première 
année de réadmission, une prime de o fr. lo par jour en sus 
de la solde ordinaire, jusqu'à concurrence de o fr* 5o (au 
bout de cinq ans). Il est prévu également un supplément 
de o fr. 4o par jour pour les chauffeurs indigènes, ainsi 
qu'un supplément de français de o fr. 5o pour ceux des 
matelots annamites qui parlent notre langue. Les conditions 
de solde sont donc fort belles, et, si nous prenons le cas, 
exceptionnel d'ailleurs, d'un chauffeur annamite de première 
classe, rengagé de cinq ans et parlant le français, il touche 
par jour : 

Comme matelot de r* classe .... 1^20 

u V — chauffeur o 4o 

— rengagé de 5 ans. . . . , . o 5o 

— parlant le français o 5o 

2^60 

soit 78 fr. par mois. En outre, les questions d'habillement 
sont réglées, comme pour les matelots français, par une 
retenue de o fr. 20 pendant la première année et de o fr. 10 
pendant les années suivantes. Pour ce qui concerne les vi- 
vres, les engagés volontaires de Cochinchine touchent pen- 
dant leur séjour à Saigon o fr. 45 par jour, en espèces, à 
charge de se nourrir eux-mêmes, et dans un autre port que 
Saigon, la ration de riz augmentée d'une indemnité journa- 
lière de o fr. i5. 

Des dispositions un peu différentes régissent le recrute- 
ment maritime des indigènes de l'Annam et du Tonkin. Les 
conditions pécuniaires sont moins douces, l'indigène tou- 
chant la paye de la classe immédiatement inférieure à celle 
qu'il possède. La comptabilité des vivres est réglée pour 
eux de la même façon que pour les Français : ils ont droit 
à la ration européenne, à l'exception du vin du souper et 



224 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

des spiritueux. Ils ne touchent pas de riz. Leur tenue est la 
même que celle des marins français. Il est également prévu, 
pour les Annamites de TAnnam et du Tonkin, des supplé- 
ments pour les brevets de mécanicien, de chauflFeur et de 
boulanger-coq. Ces diflFérences, peu sensibles en somme, 
sont les causes d'un peu de manque d'homogénéité dans 
notre recrutement indo-chinois, et on en viendra sans doute 
. à les supprimer pour assurer l'unité du système. En outre, 
l'habitude qui consiste à changer totalement l'effectif indi- 
gène d'un navire, lorsque le bâtiment passe, même provi- 
soirement, de la Cochinchine au Tonkin ou vice versa, doit 
être absolument rejetée, car elle est eh pratique la source 
de multiples inconvénients. Après avoir assuré, par une 
sollicitude de tous les instants, l'entraînement au service 
journalier d'un bon noyau d'Annamites, il est décevant de 
se les voir enlever, et d'être obligé de recommencer avec 
d'autres la même progression de l'instruction. Il y aurait 
tout avantage à avoir des marins indo-chinois y avec la simple 
distinction d'un port d'attache qu'ils rallieraient entre deux 
embarquements. 

Peu d'Annamites nous viennent de la côte d'Annam, qui 
est pourtant la grande région maritime de l'Indo-Ghine : la 
plupart se recrutent au Tonkin et à Saigon, déjà loin dans 
l'intérieur des terres. Rien que ce simple fait peut déjà faire 
craindre au sujet de la valeur des nouveaux engagés. Saïgo^ 
est un peu, pour le monde annamite, une Babel curieuse 
dans laquelle se rencontrent à chaque pas des déclassés de 
toute sorte. Boys ou domestiques en quête d'une place, 
ouvriers ayant quitté leurs ateliers, nha-quês (paysans), 
ruinés par les Chinois et dépossédés de leurs terres, se cou- 
doient dans les rues, cherchant une situation meilleure et 
un moyen de gagner quelque argent. Ils peuvent, sans au- 
cun doute, apporter au service la meilleure volonté possible, 



LE RECRUTEMENT MARITIME. 225 

mais il leur est difficile de suppléer de la sorte au manque 
complet d'initiation au métier qui est leur caractéristique. 
Ce défaut de préparation ne doit pas seulement s'entendre 
(Te la science nautique, du plus ou moins d'habileté à exé- 
cuter une manœuvre, mais aussi des dispositions morales, 
de ce je ne sais quoi qui fait l'âme du marin, de ce goût 
des choses de la mer qui est l'héritage latent que les popu- 
lations côtières se sont légué de génération en génération, 
alors que le* plus marin des indigènes de Saigon n'a jamais 
conduit qu'un sampan sur une rivière vaseuse. 

On se demande pourquoi on trouve tant d'indigènes de 
l'intérieur demandant à contracter des engagements dans les 
équipages de la flotte, puisque leur mentalité est si diffé- 
rente de celle du milieu dans lequel ils vont se trouver, et 
qu'ils ont vécu jusque-là dans des conditions ne les prépa- 
rant guère au métier qu'ils embrassent. Les conditions 
pécuniaires y sont bien pour un peu, ainsi que le désir 
d'échapper à la misère, mais il faut démêler dans leurs 
sentiments une autre cause. La marine, à Saigon, est orga- 
nisée d'une façon un peu spéciale. Parmi la division navale 
de Cochinchine, quelques bateaux seulement prennent la 
mer de temps à autre, pour des randonnées de peu de du- 
rée, ne les éloignant guère des rivages saigonnais. Les 
autres, bâtiments en réserve ou en effectif spécial^ pontons, 
défense mobile, bougent rarement de la rivière, amarrés 
soigneusement à quatre ou évitant autour de leurs corps- 
morts. Le nouvel engagé, pour des raisons morales très 
importantes que nous développerons dans un instant, y voit 
la possibilité d'entrer dans la marine, de promener dans les 
rues de Saigon un uniforme gracieux, sans bouger de la 
capitale, sans quitter sa famille, caressé par le secret espoir 
de rester ce qu'il a été jusque-là : un « marin d'eau douce ». 
D'autres raisons moins intellectuelles conduisent au même 

RIVAGES INDO-CHINOIS. l5 



226 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

résultat. Nous avons vu que le marin annamite touche par 
jour, à Saigon, une indemnité de vivres de o fr. 45> à 
charge de se nourrir lui-même, ce qu'il fait bien mieux que 
rÉtat, puisqu'il est du pays, qu'il en parle la langue et qu'il 
en connaît toutes les ressources. Il arrive à nourrir sa 
femme, ses enfants, ses parents et à faire par-dessus le 
marché quelques économies. Hors de Saigon, rien de pareil 
n'existe. Les économies baissent, la famille n'est plus 
nourrie, la ration de l'État vient remplacer l'indemnité en 
espèces, ou à peu près. Naturellement, l'Annamite préfère 
servir à Saïgon, séjourner sur les bâtiments qui y restent 
en permanence, et ne voir la mer que de loin en loin. 

Cet état d'esprit ne présente pas d'inconvénients pendant 
le séjour des Annamites à Saïgon. Le service qu'on leur 
demande n'a rien d'exagéré, et ils sont toujours à la hau- 
teur de leur faible tâche. Mais, dès qu'ils prennent la mer 
pour la première fois et pour une assez longue durée, ils 
deviennent franchement inférieurs, ignorant les plus petits 
détails du métier, dépaysés, désorientés, se trouvant tout à 
coup en face d'une situation nouvelle, avec laquelle ils met- 
tent longtemps à se familiariser. Un bâtiment qui appareille 
de Saïgon avec un contingent de ces auxiliaires passe quel- 
ques mois fort désagréables à les dresser et à les amender. 
Comme on ne peut leur demander aucun effort sérieux pen- 
dant ce temps, tout le service incombe aux Européens, en 
sus du dressage ci-dessus. Les indigènes sont utilisés pour 
tous les travaux où le besoin des bras se fait sentir, mais il 
ne faut pas songer à leur confier des postes nécessitant une 
connaissancCj même légère, du métier. Leur défaut de force 
physique, dans uii service où il faut des hommes solides et 
vigoureux, est asissi la cause de bien des mécomptes, car 
leur habitude du pays, leur résistance au climat, sont des 
avantages passifs que l'on apprécie peu à peu, mais qui ne 



LE RECRUTEMENT MARITIME. 227 

sont d'aucun secours au moment d'un coup de collier im- 
médiat. 

Ces inconvénients s'atténuent à la rigueur avec le temps. 
L'Annamite n'est pas inintelligent; s'il se donne la peine 
de regarder autour de lui, de comprendre les manœuvres 
qu'il exécute chaque jour, il finit par s'y familiariser et se 
dégrossir rapidement. Au bout de six mois, l'engagé volon- 
taire est rompu au service du bord et apte aux fonctions 
ordinaires du simple matelot. Il a encore besoin de surveil- 
lance et d'excitation, mais il ne rappelle plus que de très 
loin, le mauvais naï du début, impropre à toute besogne. 
Ce sont les inconvénients d'ordre moral, qui sont de beau- 
coup les plus sérieux. L'Annamite est, par essence, un être 
dont les traditions, la mentalité, la façon de vivre, sont 
radicalement opposées au métier de marin. Lui si casanier, 
qui ne voit rien au delà de sa famille et de ses enfants, au 
delà de la petite cangha perdue dans les arbres, n'est guère 
fait pour aller courir les aventures au delà des mers et 
abandonner, même pour peu d'années, le terroir natal. Il 
lui faudra toujours une vie matérielle douce et paisible^ 
dans laquelle personne ne le brusque, où il puisse se livrer 
au farniente ou à ses lentes occupations. Ce caractère est 
fort bien peint dans cette phrase du phu Nghiem de Tra- 
vinh, à l'inauguration de la statue de l'évêque d'Adran. Il 
s'extasie sur les grands voyages de l'évêque et dit : « Aban- 
donnant sa famille, sa patrie, les tombes de ses parents, 

voyageant à travers des milliers de lieues et de mers » 

L'esprit annamite, dont cette phrase n'est qu'une des mille 
manifestations, restera toujours incompatible avec les voya- 
ges et les longues absences. On retrouve, à un degré 
moindre, les mêmes sentiments chez les Tonkinois, qui 
offrent cependant un recrutement bien supérieur ; il ne faut 
pas trop les éloigner de leur pays d'origine. 



22S LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

- Naturellement, cette haine du changement de ciel, qui 
n'est guère faite pour se concilier avec la vie mouvementée 
du marin, ne se borne pas à une résignation passive, et se 
traduit par des faits précis. Les désertions sont nombreuses, 
même avant l'échéance des soldes, qui ne suffit pas à rete- 
nir les délinquants, pourtant si avides d'argent. Impossibles 
à retrouver, ils disparaissent sans laisser de traces. D'autre 
part, leur engagemement de deux ans débute par une pé- 
riode de trois mois d'essai, à la fin de laquelle ils peuvent 
demander à se faire congédier, par une mesure de faveur 
bizarre, dont la majorité profite avec un entrain inquiétant. 
Quand l'Annamite exilé ne peut ni se faire congédier, ni 
déserter, il supporte sans rien dire sa nostalgie, sans pren- 
dre son métier en grande affection. Cette nostalgie n'atteint 
pas seulement les matelots, mais aussi les domestiques, les 
boys des différents carrés du bord. A Takou, après quinze 
jours d'une existence assez monotone, ils demandaient tous 
à retourner en Indo-Chine par la prochaine occasion. En 
Indo-Chine même, l'Annamite de Saigon n'a de trêve qu'il 
n'ait rallié la Cochinchine, pendant que le Tonkinois sou- 
pire après Haïphong. 

En résumé, je crois que l'on peut attendre de bons résul- 
tats de nos marins annamites, malgré leur manque d'initia- 
tion première. On peut en faire des matelots de pont pas- 
sables, mais surtout d'excellents mécaniciens et chauQeurs, 
situations qu'ils ne peuvent atteindre qu'en passant un 
examen et en justifiant de leurs capacités. On pourra, par 
l'organisation de dépôts et de réserves, constiuer l'apport 
numérique indispensable en cas de mobilisation. Une 
seule condition essentielle : ne faire naviguer les indigènes 
que dans un faible rayon autour de l'Indo-Chine. 

Il est véritablement étrange de constater chez le peuple 



LE RECRUTEMENT MARITIME. 229 

annamite aussi peu de dispositions pour les voyages et la 
navigation au long cours, alors qu'il existe à côté de lui 
-d'autres races présentant au plus haut degré l'état d'esprit 
contraire. Sans parler des Malais, pour lesquels on objectera 
une origine différente, nous pouvons dire un mot des Chi- 
nois, qui, s'ils n'ont pas le même sang, ont au moins la même 
civilisation, les mêmes usages, les mêmes traditions- Encou- 
ragés par les moussons périodiques j les Chinois ont de bonne 
heure pris contact avec la mer, allant trafiquer avec les pays 
voisins, avec le Japon, la Malaisie, le Siam et Tlndo-Chine. 
Dès que les Européens ont pu connaître le Chinois et l'élu- 
dier à fond, il s'est révélé absolument différent de l'Annamite. 
Au physique, grand, solide, présentant des qualités d'endu- 
rance rares, il était celui des Jaunes qui pouvait le mieux 
s^accommoder du métier de la mer. S'il est vrai, et on serait 
tenté de le croire, que le physique possède une certaine 
influence sur le moral, on peut dire que celte vigueur natu- 
relle l'a conduit à une confiance en lui, à un sentiment de sa 
force, propres à lui faire entreprendre les projets les plus 
aventureux, les expéditions lointaines et les voyages d'outre- 
mer. Ses dispositions commerciales, son entente des affaires, 
ont achevé d'orienter ses vues dans cette direction, en lui 
faisant comprendre la difficulté de la lutte pour la vie dans 
son propre pays surpeuplé, et la possibilité d'un sort meil- 
leur dans des contrées où la concurrence locale est moins 
à craindre. Il devient donc marin, émigrant, bravant auda- 
cieusement les tempêtes, abandonnant la terre des ancêtres 
pour aller s'installer ailleurs, sans autre espoir de retour que 
pour ses cendres, qui reviendront sur les côtes de la patrie 
. dans une lugubre cargaison de cadavres. Peu à peu il déborde 
sur le Japon, la Corée, s'installe en Indo-Chine, à Bangkok, 
se fait une place prépondérante à Manille, à Batavia, à Sin- 
gapour, à Penang-Puis; le cercle des relations commerciales 



230 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

s'agrandissant, Tancien cadre lui paraît trop étroit, et il 
passe jusqu'en Amérique, en Australie, en Océanie et à 
Madagascar. Les anciennes agglomérations subsistent cepen- 
dant et se développent. En 1891, il y avait 227 000 Chinois 
dans les établissements des Détroits et 5oo 000 environ dans 
les Indes néerlandaises; en 1886, 2 millions au Siam. Enfin, 
le recensement de 1899 a donné pour les cinq pays de 
rindo-Chine française 217000 Chinois. Ces groupements si 
denses conservent des relations avec la Chine, qui se font 
chaque année par de nombreuses jonques, et maintenant, 
par des compagnies de navigation chinoises qui détiennent 
une notable partie du fret de TExlrême-Orient. Malgré les 
divers gouvernements sous lesquels il vit, le Chinois, par son 
influence et sa forte organisation, a su prendre un empire 
indiscutable sur le pouvoir et sur les populations locales. En 
Indo-Chine, l'Annamite le déteste, mais il reste, petit être 
chétif de corps et d'esprit, subjugué par cette vitalité, .cette 
solidité, cette énergie et cette force morale. Le Chinois est 
toujours pour l'Annamite, chez lequel il a pris pied aux épo- 
ques passées militairement et à présent commercialement, 
le Ca-tiou, le « père du Nord », celui devant lequell'empire 
d'Annam s'est incliné pendant de longs siècles dans un hom- 
mage de sujétion et de vassalité. 

Ces dispositions aventureuses, si supérieures à celles des 
Annamites, se manifestent curieusement dans la construc- 
tion navale chinoise comparée à celle de l'Annamite. Tandis 
que celui-ci n'envisage que de faibles parcours pour sa pêche 
ou son cabotage, le Chinois doit prévoir les longues traver- 
sées, les tempêtes et les fureurs de la mer. Une barque 
annamite est très rarement pontée, la coque est grossière- 
ment constituée, un peu au-dessus du plat-bord, d'une 
rangée de bordages en préceintes ; les fond, bordé et vai- 
grage sont faits en osier, comme un vulgaire panier, et on 



LE RECRUTEMENT MARITIME. 23 1 

vient couler entre les deux une couche de brai gras qui se 
solidifie. en séchant, et qui assure l'étanchéité d'une manière 
assez imparfaite. A l'intérieur, quelques baux ou couples 
consolident l'ensemble, et la mâture prend appui sur eux 
pour supporter ces voiles de mauvaises nattes qui se déchi- 
quettent au bout de quelques mois d'usage. Le tout présente 
une solidité précaire ; il se délie aisément, et peut à peine 
supporter quelques heures de mauvais temps avant de ga- 
gner un abri. Il est arrive fréquemment que des coups de 
vents moyens aient amené de véritables désastres dans les 
flottilles de la côte d'Annam. 

La jonque chinoise, au contraire, est faite en vue de 
résister à la grosse mer. L'avant est bas, d'une solidité à 
toute épreuve, dégagé afin de permettre l'évacuation rapide 
de l'eau. Comme le pont pourrait être intenable à la mer et 
rapidement envahi, le navire se termine à l'arrière par un 
grand château, surélevé comme celui des trois-ponts du 
xvi^ siècle. La coque est construite d'après les principes 
classiques, et plusieurs rangées de préceintes assurent une 
rigidité longitudinale suffisante. La mâture, solidement 
tenue par les emplantures, les étambrais et le gréement, 
porte ces voiles curieuses, au contour polygonal bizarre, 
faites de bandes séparées par des bambous possédant chacun 
une écoute aboutissant à une patte d'oie qui la réunit à ses 
voisines. En cas de mauvais temps, on hisse plus ou moins 
la voile, et les ris se trouvent pris, de la sorte, au degré 
voulu. Ces jonques possèdent des qualités remarquables de 
tenue à la mer ; elles aflrontent la forte mousson du nord-est 
du détroit de Fokien, et on en cite plusieurs qui ont étalé 
de terribles typhons (*). 



(i) Parmi les jonques chinoises qui ont fréquenté en 1901 le port de Saigon, 
nous relevons les provenances de Camau, Phan-Tiet, Nha-Trang, Bangkok, Sa- 
rawak, Singapour, etc.... 



232 LES RIVAGES INDO-CHmOISi 

Je me suis permis cette digression pour mettre en lumière 
un fait qui a certainement sa valeur au point de yue de la 
comparaison des deux races, en ce qui concerne leurs apti- 
tudes marines. D'ailleurs, comme les diverses remarques 
qui précèdent peuvent le faire prévoir, on trouve un nombre 
dérisoire d'Annamites naviguant dans les mers d'Extrême- 
Orient, à bord des vapeurs ou des voiliers, tandis que les 
compagnies de navigation européennes ou locales emploient 
sur leurs navires une quantité considérable de Chinois, qui 
fréquentent ainsi jusqu'aux ports d'Europe. Fallait-il cette 
question maritime pour montrer une qualité de plus chez 
cette race étrange, vieille comme le monde, comme là pous- 
sière que les siècles ont accumulée sur l'antique terre d'Asie ? 

Le grave problème des phares a attiré enfin l'attention du 
gouvernement de l'Indo-Chine, depuis que les côtes de la 
colonie sont devenues le lieu de passage de nombreux navi- 
res marchands. Nous étions, il faut l'avouer, pauvrement 
partagés sous ce rapport jusqu'en 1900. Les rivages de notre 
possession, la côte d'Annam en particulier, donnaient l'il- 
lusion d'un littoral désolé, sauvage, habité par des popula- 
tions arriérées vivant du produit des naufrages. La compa- 
raison de notre possession et des pays fréquentés d'Extrême- 
Orient, comme le détroit de Formose ou la mer intérieure 
du Japon, n'était guère à notre avantage. En Chine, le 
service des douanes, dirigé par des Européens, a éclairé le 
littoral méridional, qui ne laisse rien à désirer pour la navi- 
gation. De Hong-Kong à Shang-Haï, on trouve d'abord» 
devant Swatow, les feux de Good-Hope et des îles Lamock, 
dont le dernier porte à 22 milles. Plus loin, près d'Amoy,. 
ce sont ceux des îles Chapel (22 milles) et de l'île Dodd 



PHARES ET SEMAPHORES. 233 

(i8 milles). Celui des îles Oksen (24 milles) et celui dé Tur- 
nabout (23 milles) sont Ir s points avancés qui gardent les 
navires des récifs de la côte. Enfin le phare des White-Dogs 
(23 milles) et celui des îles Hiesham (26 milles) aux appro- 
ches de la rivière Min et des îles Chousan, terminent le 
chemin lumineux qui conduit le navigateur à travers le dan- 
gereux détroit de Formose. Devant Shang-Haï et les bancs 
étendus du Yang-Tsé-Kiang, les îles Parker (22 milles), l'île 
Gutzlafr(24 milles), les îles Saddle (24 milles) et l'île Sha- 
weishan(22 milles) percent les brumes et dirigent l'arrivant 
dans les chenaux du grand fleuve. 

II n'est pas non plus besoin de parler de l'éclairage mer- 
veilleux des côtes japonaises. L'empire du Soleil-Levant a 
fait pour lui tous les sacrifices nécessaires. Dans ses récen- 
tes possessions, il a installé aux Pescadores et au cap sud 
de Formose deux feux d'atterrissage importants. Chez lui, 
ce côté particulier du perfectionnement moderne ne le cède 
pas aux autres. 

En Indo-Chine, la progression suivie a été plus lente. Elle 
révèle très fidèlement la marche de notre occupation et les 
besoins en résultant. Dès i883, on allume les feux du cap 
Saint-Jacques et de Cangio pour faciliter l'entrée de la ri- 
vière de Saigon, puis, en 1887, celui de Poulo-Condor pour 
l'atterrissage du Mékong. Hon-Dau, au Tonkin, entre en 
service l'année suivante. En 1887, c'est le tour du phare du 
cap Padaran, dont l'importance pour la navigation interna- 
tionale s'accusait de plus en plus. On éclaire les Norways, 
le Poulo-Condor du Tonkin, en 1896, et Tien-Cha, à l'en- 
trée de Tourane, en 1899. Puis, en 1900, on inaugure les 
phares de Culao-Ray, de la pointe Kega et d'IIatien. Ces 
résultats ne doivent pourtant pas faire illusion, si. l'on tient 
compte de l'immense étendue des côtes indo-chinoises 
(2 5oo kilomètres) ; il reste beaucoup à faire pour le3 rendre 



234 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

aussi praticables de nuit que de jour. D'immenses régions, 
comme le vaste golfe de Siam et le long littoral d'Annam, 
demeurent obscures et sombres, dangereuses pour les na- 
vires. 

Dajis le golfe de Siam, on vient de procéder à la construc- 
tion du phare de Poulo-Obi, sur l'île qui garde la pointe 
Camau, vaseuse et basse, terminus sud du littoral indo-chi- 
nois. On y allume un feu de troisième ordre, à éclats blancs. 
Les travaux, comprenant tout un ensemble de bâtiments, 
ont été faits sur un crédit de 82 000 piastres, et menés à 
bonne fin malgré l'altitude du sommet et l'insalubrité de 
l'ile. Co-Samit, à deux groupes de deux éclats blancs, et 
Rong-Sam-Lem, feu-éclair de quatrième ordre, termineront 
à l'ouvert de la baie de Kompong-Som, près de la frontière 
de Siam, la série des phares de l'Indo-Chine. 

Le problème de la côte d'Annam reste à résoudre. Il a 
son importance, non seulement pour les caboteurs qui se 
rendent de la Cochinchine au Tonkin, mais aussi pour les 
navires qui font route de Hong-Kong sur Padaran. CeuX-ci 
prennent la côte très obliquement, et de fréquents courants 
traversiers les font dévier de leur direction ; ils atterrissent 
alors au nord, près du cap Varella, sans phares pour les 
guider, par les nuits noires et embrumées de la mousson 
du nord-est. Le récent exemple du Binh^Thuan, échoué au 
Phu-Yen, en est la preuve. La construction du feu de Va- 
rella s'imposait donc. Les habitations des gardiens et des 
guetteurs vont être terminées. L'appareil optique sera du 
troisième ordre, à deux éclats blancs, d'une portée lumineuse 
de 34 milles par temps moyen et de 54 par temps clair ; 
il marche au pétrole pulvérisé, avec rotation sur bain de 
mercure. Les ateliers Henry Lepaute l'ont fourni pour 
67000 fr. Le secteur du feu (i85**) garde suffisamment de 
la côte. 



PHARES ET SEMAPHORES. 235 

Hon-Tré, sur l'île du même nom, comble le vide qui s'é- 
tend de Padaran au cap Varella, avec sa portée de 24 milles. 
Son seul inconvénient est d'avoir un secteur obscur dirigé 
vers Nha-Trang ; on y remédiera par un feu de port. 

Poulo-Gambir éclaire les atterrages de Quin-Nhon, par 
quatre éclats blancs visibles de vingt-trois milles. Sa cons- 
truction sur le sommet Est de l'île laisse vers la terre un 
secteur obscur de 3o degrés, dirigé sur le banc de Pâques. 
Mais, outre que ce banc est facile à parer avec les seuls 
relèvements du grand feu, on en sera encore plus aisément 
gardé par le feu du port de Quin-Nhon (l'ancien de Thuan- 
an). A l'entrée de Tourane^ Tien-Cha sera visible à 20 
milles. 

Ainsi, la partie méridionale de la côte d'Annam sera gar- 
nie de quatre grands feux, dont les secteurs, par temps clair, 
se coupent suffisamment pour qu'un navire passe de l'un 
dans l'autre sans traverser de zone obscure. ^Certains de ces 
phares seront même munis de trompettes de brume, proba- 
"blement placées à Varella, à Culao-Ray et à Tien-Cha. Il est 
en effet à craindre que, vu leur altitude trop élevée, plusieurs 
d'entre eux soient couverts et masqués par les nuages de la 
mousson du nord-ost. 

Il faudrait enfin s'occuper de munir toutes ces stations 
lumineuses de postes sémaphoriques, leur permettant de 
communiquer avec les navires en vue, d'en recevoir des 
télégrammes et surtout de leur adresser des renseignements 
météorologiques, précieux sur ce littoral tant éprouvé par 
les typhons. On se propose cet objectif, mais pour les phares 
terrestres seulement, reculant devant la dépense d'un câble 
sous-marin pour les îles, pour Hon-Tré, Poulo-Gambir et 
Culao-Ray. La solution est incomplète à notre avis. 



236 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Ces renseignements météorologiques appellent nôtre 
attention sur l'organisation chargée de les recueillir et de 
les centraliser, pour les transmettre ensuite. En dehors des 
résultats qu'elle peut fournir, à la demande, sur l'état atmos— 
phérique d'un lieu à l'instant considéré, elle doit être en 
mesure de prévoir et de déterminer à l'avance la marche des 
cyclones d'Asie, de ces météores qui naissent dans les para- 
ges du grand archipel, pour envelopper dans leur courbe 
parabolique TAnnam, le Tonkin et la Chine du Sud. Des 
observatoires anciens et admirablement outillés comme 
ceux de Manille et de Zi-Ka-Weï près Shang-Haï, comme 
celui plus récent de Hong-Kong, jouant le rôle de positions 
avancées, signalent au passage les dépressions en marche, 
se dirigeant vers le centre de la mer de Chine. Il n'est pas 
moins intéressant d'avoir les constatations faites sur la côte 
d'Indo-Chine, plus en arrière. De leurs relations avec les 
autres, même dans le cas où les typhons n'arrivent pas en 
Annam, découle un ensemble de lois que la pratique des 
choses met au jour. Le littoral, de Padaran à Moncay, se 
comporte en somme comme une plaque sensible, impres^ 
sionnée à distance par les accidents qui troublent l'équilibre 
aérien des régions orientales. 

On s'est vite rendu compte de cette vérité. Dès 1897, 
d'accord avec M. Mascart, le gouvernement général de 
rindo-Chine procédait à la création d'un certain nombre 
de stations météorologiques en Indo-Chine, divisées en sta- 
tions principales et stations secondaires. Les observations 
commencèrent en juin 1898 et furent enregistrées dans le 
Bulletin économique de l'Indo-Chine. Dans le courant de 
l'année 1899, on complétait même le réseau de la colonie 
par des stations établies à Pak-Hoï, Hoî-How, Singapour 
et Bangkok sous la direction des consuls, ainsi qu'à Quang- 
Tchéou et à Chanlaboun. Le service météorologique com- 



OBSERVATOIRES. 287 

mence à fonctionner, adressant des avis quotidiens aux 
administrations autorisées, aux navigateurs et au public. 
Mais, pour tirer de ces essais le parti que Ton était en droit 
d'en attendre, il devenait nécessaire de fonder un observa- 
toire capable de centraliser et d'étudier ces résultats bruts, 
doté d'instruments dé précision, dirigé par des spécialistes 
ayant cette unique étude pour but. La création d'un obser- 
vatoire fut décidée en principe par la commission nommée 
par l'arrêté du 8 octobre 1897. Celui du 8 avril 1898 char- 
geait le directeur de l'observatoire de Zi-Ka-Weï d'une mis- 
sion en Indo-Chine pour rechercher le point le plus favorable 
à l'installation d'un établissement de ce genre. Après une 
enquête approfondie, le choix de la mission se porta sur le 
mamelon de Phu-Lien, situé à 9 kilomètres de Haïphong, 
qui lui parut réunir les meilleures conditions. Ses conclu- 
sions furent adoptées par le conseil supérieur en 1899, au 
moment où d'autres nations s'efforçaient également de com- 
bler cette lacune Q), 

C'est sur cette croupe dénudée, dominant les rizières et 
les arroyos du delta, apercevant la mer et les Norways, que 
l'observatoire est édifié. Malgré les difficultés très grandes 
rencontrées dans le transport des matériaux, le travail était 
achevé presque complètement à la fin de 1902, à l'exception 
des pavillons de la lunette méridienne et du magnétisme. 
L'ensemble du bâtiment est flanqué, à l'un de ses angles, 
d'une tour carrée portant à son sommet les appareils destinés 
à mesurer la vitesse du vent, pour éviter les constatations 



(i) L'Allemagne va installer un observatoire à Tsing-Tau, près de Kiao- 
Tchéou. Il coûtera un million de francs environ et sera placé sous la direction 
de M. Braun, de l'Université d'Heidelberg, précédenmient chargé de missions 
scientifiques en Extrême-Orient. 

Le personnel comprendra quinze agents, exclusivement européens. L'emploi 
des agents indigènes, qui a donné lieu à de multiples erreurs dans la rédaction 
des documents» ne sera pas renouvelé. 



238 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

erronées résultant de l'obliquité des pentes déboisées. Cette 
tour de quatre étages est d'ailleurs la partie la plus intéres- 
sante de rétablissement. Elle devait contenir la lunette 
méridienne, mais une erreur de 3*56' dans la direction des 
fenêtres de visée la rend impropre à cet usage, et le premier 
étage sera réservé aux observations sismographiques. Les 
archives seront au-dessus, et le laboratoire optique, avec les 
instruments de mesure de la vitesse des nuages et de la lumi- 
nosité du ciel, occupera le troisième étage. L'électromètre 
Mascart est placé au quatrième, et la comparaison de ses 
résultais avec ceux obtenus à la surface du sol permettra 
d'apprécier les différences de potentiel des couches d'air. 
Les "dépendances de l'observatoire comprennent les habita*- 
tîons du directeur et de ses aides, un bureau télégraphique, 
une salle de rédaction des documents, etc.... 

L'entrée en service de l'observatoire a subi quelques re- 
tards. Son fonctionnement complet n^aura lieu que dans deux 
ans. Les nécessités financières de l'Indo-Chine ont amené la 
réduction de son budget, primitivement fixé à 90 000 pias- 
tres, ramené d'abord a 66000, puis à 4oooo. Ces mesures 
ont eu pour effet d'entraver la réalisation immédiate d'une 
organisation attendue et étudiée depuis longtemps, pour 
laquelle des engagements avaient été pris avec les observa- 
toires étrangers, avec les fabricants d'instruments, avec les 
navigateurs et le public. 

Cette réduction est fâcheuse, car elle affecte aussi le réseau 
des stations météorologiques, pour la centralisation des- 
quelles l'observatoire a été créé. Ces stations, les principales 
tout au moins, nécessitent un outillage important et coûteux, 
source de dépenses nouvelles ; il faut aussi songer à aug- 
menter le nombre de celles de l'intérieur de la colonie, qui, 
permettent d'achever avec exactitude les courbes isobares 
amorcées dans l'Extrême-Orient. Les crédits réser\^és aux 



OBSERVATOIRES. sSq 

questions météorologiques devraient donc être largement 
prévus. 

L'observatoire résume les avis qui lui parviennent des 
stations d'Indo-Chine et des établissements similaires de 
Chine et des Philippines, pour les adresser quotidiennement 
à qui de droit. L'impression du bulletin journalier est donc 
subordonnée à Fétat plus ou moins bon de la ligne télégra- 
phique, qui laisse souvent à désirer en Annam, où les 
éléphants et les coups de vent se chargent d'amener des 
interruptions. Ces éventualités se produisent au moment des 
typhons, précisément lorsqu'il serait nécessaire d'avoir des 
indications précises et continuelles. Dans ce cas, comme 
Haïphong ne possède pas de câble direct sur Hong-Kong et 
Tourane, et que sa ligne sous-marine aboutit à Saïgon, les 
dépêches météorologiques font, en cas d'avarie de la ligne 
terrestre, les détours les plus invraisemblables. Lors du 
typhon de juillet 1902, les avis de Tourane, coupé du nord 
et du sud, parvinrent à Haïphong par la voie Amoy-Hong- 
Kong-Saïgon-Haïphong, et on put heureusement les com- 
pléter par d'autres venus d'Amoy et de Hong-Kong par la 
voie terrestre chinoise ! Dans cet ordre d'idées, il est curieux 
de mentionner l'intérêt qui s'attache aux communications 
du Tonkin avec Irkoustk. D'après les récentes constatations, 
dès qu'une période de hautes pressions prend fin en cette 
région de la Sibérie, il en résulte des vents froids du nord 
dans l'Extrême-Orient, amenant des condensations, des pluies 
et la formation fréquente de dépressions. Aussi, dès cette 
année, on s'occupera des observations d'Irkoustk, à Zi-Ka- 
Weï et à Haïphong, comme de celles des stations de Chine 
et du Japon. 

L'établissement de Phu-Lien doit aussi donner l'heure 
exacte aux navigateurs faisant escale à Haïphong ; un signal 
d'heure est prévu pour la somme de 8000 piastres. On a 



24o LES lUVÀGES INDO-CHINOIS. 

annoncé la transmission du temps au dixième de seconde, 
mais cette précision est illusoire et même inutile en pratique. 
Il faudrait d'ailleurs, pour qu'une pareille indication pût 
servir pour les chronomètres, que la longitude de l'observa- 
toire fût connue exactement, ce qui n'est pas. On parle d'y 
remédier en faisant faire par le service géographique, entre 
Hanoï et Haïphong, une triangulation de raccordement. 

On parle de l'installation prochaine d'un observatoire 
astronomique au cap Saint-Jacques, créé spécialement en 
vue de compléter la carte du ciel, aucun établissement ana- 
logue n'existant sous les basses latitudes. La dépense, en 
partie couverte par des dons privés, serait de 700 000 piastres. 



* * 



Il nous reste, au sujet des travaux publics entrepris ac- 
tuellement en Indo-Chine, à dire un mot des canaux de 
Cochinchine et de l'état présent de cette question. Nous 
remarquerons d'abord qu'elle intéresse au plus haut point 
Saïgon, qui rassemble, par ces voies sûres et peu onéreuses, 
toute l'exportation agricole de la Cochinchine. Comme nous 
le faisions remarquer en examinant le port de la Capitale, 
Saïgon est au centre d'un admirable réseau fluvial, qui pénè- 
tre le pays jusqu'aux coins les plus reculés, et qui réalise les 
desiderata demandés pour des communications vraiment 
pratiques. Mais la plupart des canaux qui le composent sont 
<lus à la main de l'homme, et d'autres artères seraient restées 
de modestes arroyos si l'on n'avait pensé à les approfondir. Il 
faut donc, pour tirer parti de cet outillage, un entretien con- 
tinuel, paralysant l'eflet destructeur des alluvions. Remar- 
quons aussi que Saïgon est le seul port de Cochinchine où 
les grands navires, les seuls qui puissent consentir à de bas 



CANAUX. 24 1 

frets, font escale. Les expéditions à grande distance et à bon 
marché doivent donc prendre le chemin de cet entrepôt, par 
un dispositif approprié de canaux. 

Aussi pèut-on se demander si, dans cette Cochinchine 
très favorisée à ce point de vue, les chemins de fer futurs 
concurrenceront sérieusement la voie fluviale. Jusqu'ici, 
pour les marchî^ndises au moins, l'avantage est resté à. cette 
dernière. Nous en avons un exemple avec la voie ferrée de 
Saïgon-Mytho. En 1896, son budget se chifl'rait par une 
recette de 80 000 fr. et une dépense de 3i5 776 fr. En 1899, 
la recette kilométrique brute était de 6100 fr., donnant un 
bénéfice de 900 fr., et un déficit de 5 800 fr. en faisant 
intervenir les frais d'exploitation et d'entretien, ainsi que 
l'amortissement de l'intérêt du capital. En cette année 1899, 
le bénéfice brut dû aux marchandises n'atteignait que le 
sixième dû aux voyageurs. On semble mieux attendre du 
prolongement de gS kilomètres Mytho-Cantho, d'un coût de 
10 millions, à cause des frets fluviaux élevés (5 à 6 centimes 
la tonne kilométrique) de la saison des riz. On paraît oublier 
que cet avantage n'atteindra que les localités desservies par 
le chemin de fer ; les autres continueront leurs expéditions 
par la voie des canaux. L'exposé des motifs du projet Mytho- 
Cantho reconnaît d'ailleurs cette vérité et n'espère pas un 
rendement supérieur à celui du tronçon Saïgon-Mytho. 

Il faut donc s'occuper des canaux. La domination anna- 
mite ne nous avait laissé dans un bon état relatif que les 
canaux d'Hatien et de Rach-Gia; aussi dès les premiers 
temps de l'occupation, en 1866 d'abord, en 1871 ensuite, 
on commença quelques dragages. Mais le seul effort sérieux 
que nous fîmes en ce sens, n'eut lieu qu'en 1875, tant pour 
l'amélioration de la voie Saïgon-Cholon-Mytho que pour la 
réunion de Saigon aux provinces de l'Ouest par des voies 
normales à la direction générale du Mékong. Ces voies, au 

RIVAGES INDO-CHINOIS. l6 



242 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

nombre de deux, passant, Tune par le Caï-Vom, l'autre par 
le Rach-Traon, furent soumises à Texamen d'une commis- 
sion qui choisit la seconde, préférable au point de vue stra- 
tégique, dans un pays non encore pacifié. Le canal de Traon 
fut rapidement achevé ; il a été conçu dans les meilleures 
conditions, approfondi sans cesse par les courants. Au mois 
de novânbre 1876, on mit à l'étude une autre partie de la 
grande artère dans la province de Go-Cong, où l'on voulait 
avoir accès en tous temps à cause des insurrections dont elle 
avait été le théâtre quelques années auparavant. Ce fut le 
canal de Cho-Gao, large de 3o mètres et profond de 4> 
s'envasant malheureusement aux points de rencontre des 
courants de marée; en 1896, on dut encore le draguer. La 
commission de 1876 avait élaboré une série de projets des« 
tinés à créer une voie fluviale Saïgon-Soc-Trang, dans la 
région maritime du Mékong, mais la guerre du Tonkin, en 
dirigeant l'attention et les efforts dans une autre direction, 
vint entraver leur réalisation. On se borna à des travaux 
d'entretien courant dans l'arroyo de la Poste et le canal de 
Cho-Gao. 

11 faut attendre l'année 1896 pour trouver un nouvel essai 
de dragage. Mais à partir de cette année, les travaux ont été 
faits à l'entreprise, par l'intermédiaire de la société Mont- 
venoux, actuellement encore seule concessionnaire. Pendant 
cinq ans^ cette société a réalisé d'importantes améliorations 
dans le réseau fluvial cochinchinois à Choquan et à Cholon 
et au canal de Cho-Gao, ainsi que le percement du grand 
canal de Long-Xuyen à Rach-Gia, et la reprise de celui de 
Phu-tuc. Le marché passé avec la société obligeait cette 
dernière à enlever chaque année un cubage correspondant 
à une dépense de 900 000 piastres : le budget de Cochin- 
chine s'engageait à payer par an cette somme. Cette der- 
nière clause ne put être remplie jusqu'en 1898, les sommes 



CANAUX. 243 

payées n'atteignant que 4oo 000 piastres en moyenne. Aussi 
en 1898, le gouvernement décida que les dépenses des dra- 
gages seraient dorénavant supportées par le budget général 
de rindo-Chine. En décembre 1899, P^'' ^^ autre contrat, 
la société Montvenoux renonçait aux intérêts des sommes 
dues. C'est dans ces nouvelles conditions que fonctionne 
l'organisation présente. ** 

En septembre 1900, un programme d'ensemble a été 
étudié par les Travaux publics, comprenant de grands tra- 
vaux répartis par ordre d'urgence. Citons d'abord le canal 
d'Halien à Chaudoc, dont nous avons parlé et que l'on songe 
enfin à améliorer. La création d'une ligne de Saïgon à Pnom- 
Penh par Tan-An et le petit Vaico viendra ensuite. On pro- 
cédera enfin au creusement des canaux destinés à drainer le 
riz de la presqu'île de Camau, canaux partant de Cantho 
pour aboutir au Caï-Lon (près Rach-Gia), continuant par 
Camden et Camau, revenant au Mékong par Bac-Lieu et 
Soctrang. Le premier tronçon (Cantho-Caïlon) est long de 
36 kilomètres et profond de 2 mètres aux plus basses eaux ; 
on l'a commencé aux deux extrémités et on compte l'ache- 
ver en 1905. D'autres travaux suivront, intéressant tous la 
zone maritime. 



CHAPITRE VIII 

LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE 
EN EXTRÊME-ORIENT 



Nous abordons sous ce titre un sujet des plus pénibles 
pour notre amour-propre national. Les auteurs éminents qui 
ont exposé récemment la décadence de notre marine mar- 
chande, MM. Maurice Sarraut, Charles Roux, nous ont pré- 
senté le problème à grands traits, mais l'esquisse magistrale 
qu'ils en ont faite était par sa nature même trop vaste pour 
entrer dans les moindres détails de la question :.le spectacle 
principal des mers d'Europe retenait à juste titre la plus 
grande partie de leurs efforts. 

Nous voudrions montrer aujourd'hui quelle est notre si- 
tuation dans l'Extrême-Orient tout entier. En France, tandis 
que l'agitation de l'opinion publique et des spécialistes ame- 
nait les pouvoirs à abroger la loi de 1898 sur la marine mar- 
chande, pour la remplacer par celle d'avril 1902, plus 
rationnelle et plus équitable, la part plus grande prise 
par les navires français au mouvement général pouvait 
donner un reste d'illusion et faire croire encore au maintien 
de notre rang. Dans l'Asie orientale, rien de pareil ne nous 
était réservé, et nous avons dû assister à l'effacement indé- 
niable de notre prestige. En rechercher les causes, en indi- 
quer les remèdes, sont peut-être choses utiles pour l'avenir. 
Nous savons des personnes autorisées qui considèrent 
cette façon de tout ramener au pavillon, dans ce qui touche 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 245 

à Texpansion extérieure, comme la marque d'une conception 
fausse du sens à donner à nos efforts ; il s'en est même 
trouvé qui ont soutenu cette thèse brillamment, le jour où 
Ton commençait à dénoncer la loi de 1898. Pour elles, peu 
importe le fret payé aux navires étrangers, peu importe l'in- 
terdit qu'ils peuvent imposer à notre exportation par une 
entente, l'essentiel est que nos marchandises aillent à l'étran- 
ger, de quelque manière que ce soit. Que l'on nous pardonne 
d'avoir l'opinion contraire. Nous estimons que le pavillon 
qui flotte à l'arrière de nos vapeurs sert autant l'influence 
de la France que nos navires de guerre. Où qu'il se présente, 
il reste une émanation de la personne morale du pays, une 
réclame vivante et ambulante que le navire porte dans tous 
les ports, jusqu'aux contrées les plus reculées. Même s'il ne 
couvre que des marchandises étrangères, même si les 
hommes qui montent le navire sont de pays variés, le pas- 
sant, le commerçant, ne voient que cette marque imposante, 
qui symbolise à leurs yeux tout une race, tout un esprit par- 
ticulier, toute une action sociale. Dans une contrée comme 
la Chine, où les diverses puissances se partagent jalouse- 
ment la suprématie, cherchant chaque jour à étendre leur 
influence, existe-t-il un moyen plus puissant de propagande 
politique? Ce que nous avançons est à ce point vrai, que les 
derniers rapports de notre consul à Rangoon déploraient 
l'absence du pavillon français qui permettait aux navires 
anglais de présenter nos marchandises comme venant du 
Royaume-Uni. Les Allemands ont également bénéficié de 
cette équivoque pour leurs importations de l'Amérique du 
Sud. Ce serait donc folie que de négliger un semblable 
levier mondial. 

Par ailleurs, le spectacle que présente en ce moment 
l'Extrême-Orient économique est bien fait pour exciter notre 
intérêt et pour stimuler nos énergies. Depuis vingt ans, les 



246 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

transformations les plus complètes s'y sont réalisées, et, 
dans ce pays étrange, celles de Tavenir peuvent encore ré- 
server bien des surprises. Nous sommes, sur ce théâtre de 
luttes et de convoitises, sur le chemin d'une évolution assez 
régulière, mais âpre et sans pitié, dans laquelle les collec- 
tivités malingres et sans volonté disparaissent par sélection 
naturelle, devant des ambitieux plus tenaces et moins scru- 
puleux. L'ouverture graduelle de la Chine au commerce a 
été l'événement le plus marquant du début de ce siècle. 
Partout où le Céleste n'est pas heurté trop violemment dans 
ses mœurs et ses idées par un prosélytisme intempestif, il 
accueille assez volontiers l'Européen et, l'instinct du com- 
merce aidant, entre en relations d'affaires avec lui. La liste 
des ports ouverts s'allonge de plus en plus; le chemin de fer 
du Petchili est achevé, le Grand Central est entamé sur la 
moitié de sa longueur, celui de Canton à Hankéou est en 
voie d'exécution. A côté de la Chine, le Japon donne un 
spectacle d'un développement industriel fébrile, d'une ex- 
pansion née d'hier que sert à merveille un égoïsme national 
férocement développé; sa flotte gagne tous les jours du ter- 
rain. L'Allemagne suit la même voie, cherchant partout des 
débouchés à ses produits, s'implantant sur tous les marchés, 
rêvant de l'exploitation merveilleuse du Chan-Toung, pour 
laquelle elle crééa Kiao-Tchéou. Les Américains ont chassé 
des Philippines l'indolence espagnole, pour la remplacer par 
l'activité yankee, destinée à modifier profondément l'équi- 
libre économique du passé : l'oncle Sam veut aussi lutter. 
La Russie intervient avec la mise en valeur de la Mand- 
chourie, l'achèvement du Transsibérien, le développement 
des ports du nord de la Chine ; l'idée de ses tzars, la politi- 
que traditionnelle des Romanoff, arrive enfin à son but si 
cher. Plus au sud, ce sont les colonies hollandaises, parve- 
nues à une prospérité merveilleuse, qui restent le pays des 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 247 

riches exportations. L'expédition de Chine elle-même, de 
guerrières et d'humanitaires causes, a eu aussi pour consé- 
quences, chez beaucoup de nos rivaux, de nouveaux essais 
commerciaux. Quelle sera la résultante future de ces forces 
puissantes et diverses? Comment s'établira l'allure de ré- 
gime du monde de là-bas? Graves problèmes, dans lesquels 
la marine marchande jouera un rôle immense. 

Les progrès sensibles réalisés par notre Indo-Chine pen- 
dant la dernière période décennale ne sont pas non plus un 
facteur négligeable, car elles ont pour corollaire obligé 
l'accroissement de l'activité des échanges entre notre colonie 
et les pays voisins. Cet accroissement, comme nous le ver- 
rons dans un instant, est facilité par la situation géogra- 
phique exceptionnelle de l'empire d'Annam, placé au point 
de croisement des grandes routes commerciales, à égale 
distance de la Malaisie et des côtes de Chine, des centres 
anciens et nouveaux. Dans les entreprises diverses que nous 
pourrions tenter en Extrême-Orient, nous avons la chance 
de posséder près de nous un pays français, base d'opération 
économique toute trouvée, disposée à soutenir de ses moyens 
puissants les audaces de nos nationaux, en même temps 
qu'elle fournit un aliment à des facultés commerciales qui 
ne sont pas définitivement mortes dans l'esprit français. Cet 
avantage nous est acquis sur la plupart des autres nations, 
qui s'arrachent les concessions toujours plus rares, et qui se 
trouvent très éloignées de l'Europe, n'ayant à portée aucune 
agglomération nationale comparable comme centre et point 
d'appui. Nous sommes donc les mieux placés pour agir avec 
puissance et effet, et cette situation doit forcément rejaillir 
sur le mouvement de notre pavillon tant avec l'Europe 
qu'avec les pays d'Asie. La réalité des faits correspond-elle 
à ces aperçus d'un optimisme logique ? 

Aux portes d'Europe, le premier moyen de contrôle que 



248 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

nous possédons est le relevé des statistiques du canal de 
*Suez, véritable compteur des pavillons et des tonnages. Je 
sais bien qu'en ce qui nous concerne, ces chiffres ne cor- 
respondent pas exactement au sujet qui nous occupe, puis- 
que les navires à destination de Madagascar, des Indes ou 
de FAuiStralie viennent augmenter les divers totaux et faus- 
ser par conséquent les déductions que l'on peut tirer de la 
■comparaison des divers tonnages. En dépit de cette objec- 
tion, ces documents sont fort utiles à consulter. Pour le 
premier semestre de l'année 1900, la répartition s'exécute 
ainsi : 





NOMBRE. 


TOZnCAGB. 


avires anglais . . . 


1 000 


2 843 127 tonneaux. 


— allemands. . 


202 


630III — 


— français. . . 


118 


3i4588 — 


— japonais. . . 


32 


119 098 — 



Nous n'arrivons donc qu'en troisième ligne, largement 
distancés par les Anglais et les Allemands. Les Japonais 
nous suivent d'assez près, avec un tonnage dépassant celui 
des Russes, des Italiens et des Espagnols. Cette découverte 
n'est pas brillante, et, malheureusement pour nous, elle ne 
constitue pas un fait isolé, mais au contraire le premier de 
toute une série d'autres. Il faut avoir le courage de les énu- 
mérer un à un, quelque blessants qu'ils soient pour notre 
chauvinisme. Bien connaître ses faiblesses, n'est-ce pas le 
moyen d'y remédier efficacement ? 

Le soin de montrer notre pavillon dans les mers de l'Ex- 
trême-Orient incombait jusqu'à l'année dernière aux lignes 
subventionnées des Messageries Maritimes, et aux vapeurs 
affrétés de la Compagnie nationale. Ces derniers, entièrement 
accaparés par leurs transports de troupes et de matériel de 
l'État, n'avaient à jouer sur cette importante scène com- 
merciale qu'un rôle fort effacé, dont ils ne se sont pas dé- 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 249 

partis d'ailleurs. Les Messageries Maritimes restaient donc 
•seules à assurer les divers services, et figuraient en Asie par 
leur grande ligne bimensuelle du Japon, leurs annexes de 
la côte d'Annam, de Singapour-Batavia et de Singapour- 
Saigon. Si les i3 5ooooo fr. de subvention de l'Etat suf- 
fisaient à la soutenir et à pourvoir aux voyages réguliers, il 
s'en fallait que l'exploitation commerciale correspondît à 
des avantages sérieux pour le pavillon français. La dernière 
assemblée générale des actionnaires a révélé un état de 
choses peu encourageant pour les bailleurs de fonds; M. le 
comte de Sémallé, commissaire des comptes, a fait un rap- 
port très pessimiste à l'assemblée, rapport dans lequel il 
énumérait les causes nombreuses du déficit et les moyens de 
les pallier. Les actions, émises à 5oo fr., oscillaient dans les 
environs de 3oo fr. à 4oo fr. Les esprits impartiaux aperce- 
vaient nettement les réformes à faire. 

La dernière classe de paquebots rapides du type Laos 
était d'un rendement commercial fort inférieur à celui des 
navires des types précédents, avec leur consommation de 
i8o tonnes de charbon par jour. La dépense élevée d'une 
première installation luxueuse se doublait pour eux de frais 
d'entretien considérables, pendant que leur tirant d'eau leur 
interdissait l'entrée à Shang-Haï, et les obligeait à une ma- 
nutention de marchandises coûteuse. A partir de Saïgon, 
les grands courriers dépensaient plus qu'ils ne rapportaient ; 
passagers et marchandises, ravis par la concurrence étran- 
gère, se raréfiaient de plus en plus pour un très fort chiffre 
de milles parcourus. En quittant Yokohama, ils emportaient 
jadis 6 000 à 8 ooo balles de soie, et seulement i 5oo balles 
aujourd'hui ! Les escales de Hong-Kong, Shang-Haï et Na- 
gasaki n'étaient plus assez rémunératrices. Les cargos de 
4a compagnie devaient bien doubler les grands paquebots, 
mais leur tonnage (4 ooo tonneaux) était insuffisant pour 



250 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

consentir à un abaissement sensible du prix du fret : il y avait 
cependant longtemps que le petit cargo était banni du pro- 
grès moderne, surtout sur des distances aussi considérables. 
A côté des fautes commerciales venaient les fautes adminis- 
tratives. L'organisation défectueuse et le gaspillage mala- 
droit des chantiers de la Ciotat élevaient les frais généraux, 
pendant que certaines agences, grassement alimentées par 
l'argent de la Compagnie, révélaient une tendance fâcheuse 
à l'engourdissement ; l'œuvre d'Armand Béhic s'étiolait dans 
la négation de l'esprit de négoce. 

Le peu de souci que la Compagnie semblait prendre des 
intérêts commerciaux de la nation était encore plus grave. 
Les négociants français du Yang-Tsé réclamèrent longtemps, 
mais en vain, pour obtenir la création d'une petite annexe 
des Messageries Maritimes, lui garantissant un trafic très ré- 
munérateur entre Shang-Haï et Hankéou. Leurs doléances 
ne furent point écoutées. Après de nombreuses plaintes sur 
le même sujet, un véritable toile éclata à l'occasion de l'Ex- 
position de 1900, où se posa la question de l'exportation 
française à destination des colonies. M. Cachet, rapporteur 
du jury de la classe 1 15, exposa les griefs des commerçants 
contre la compagnie des Messageries Maritimes, notamment 
à l'occasion du taux élevé des frets, des paiements à l'avance 
et des clauses des connaissements. Sa conclusion se trouve 
insérée au budget des colonies de 1 901, en ces termes: 
« Cénéralement, lorsqu'un État subventionne largement une 
compagnie, c'est pour qu'elle lui rende des services... La 
plus élémentaire logique voulait que les transports, les frets, 
fussent également discutés, et que ces compagnies, qui re- 
cevaient de très gros subsides, donnassent des avantages à 
notre commerce en faveur de nos colonies. » Le différend 
^tait donc parvenu à l'état aigu, et même pour la seule com- 
pagnie qui pouvait maintenir en Extrême-Orient l'honneur 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 25 1 

de noire marine marchande, l'avenir se présentait sous les 
couleurs les moins favorables. 

La mesure de l'effacement du pavillon français nous sera 
donnée par l'examen de notre situation dans les divers ports 
des mers de Chine. Les statistiques officielles élaborées par 
le gouvernement de FIndo-Chine pour les ports de Saigon 
et de Haïphong, quelque exultantes qu'elles soient, ne sont 
pas de nature à changer nos conclusions, et il serait erroné 
de partir de cette base pour raisonner sur les autres ports. 
Ces statistiques enregistrent avec satisfaction une augmen- 
tation de 76 p. 100 à Saigon, dans la période 1898-1900, en 
faveur du pavillon français. Mais, outre que les ports indo- 
chinois sont forcément ceux où nos navires prédominent du 
fait des relations avec la métropole, nous avons vu, à propos 
de ce même port de Saigon, ce qu'il faut penser de cette 
part du pavillon français. En 1900, sur 768 4^2 tonneaux à 
l'entrée, nous trouvons pour le tonnage national 847 786 
tonneaux, dont le huitième seulement (4o556 tonneaux) 
est dû à des navires libres. Le reste, soit 807 178 tonneaux, 
est la part des lignes subventionnées. A Haïphong, la pro- 
portion serait peut-être plus forte en notre faveur, le Tonkin 
étant moins fréquenté par les vaisseaux étrangers, mais ces 
chiffres tirés de cas particuliers ne prouveraient rien pour 
une étude d'ensemble. 

Et cependant, ne nous plaignons pas trop à présent, puis- 
que de nouvelles compagnies françaises viennent de créer 
des lignes pour l'exploitation de Tlndo-Chine. 11 y a une 
dizaine d'années, notre position était moins brillante encore. 
« Saigon, écrit M,Schayé('), afourni en 1891 un fretde sortie 
de 800000 tonnes. Les navires qui l'ont chargé se répartis- 
sent ainsi : 142 anglais, loi allemands, 21 espagnols, 20 hol- 



(i) M. SCHAYÉ, VÉtat et la marine marchande française. 



202 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

landais, 2 américains, i italien, i danois; français : néant f 
Tout l'avenir de Tlndo-Chine s'en trouve compromis. Les af- 
frètements déjà, au lieu de se faire à Saigon, passent à Hong- 
Kong et à Singapour. Comme les armateurs sont en même 
temps négociants importateurs, il leur suffit d'élever le taux 
du fret de quelques cents sur une marchandise de très bas 
prix pour amener une baisse égale et supprimer ainsi le bé- 
néfice du cultivateur. » Cette conséquence grave ne s'est 
pas encore produite, mais rien ne garantit l'avenir. M. Le 
Myre de Vilers, comme rapporteur du budget des colonies 
de 1901, ajoute: « Les exportations de la Cochinchine à 
destination de la Chine, du Japon, des Philippines et de 
Java se font presque exclusivement par des navires étran- 
gers : les Messageries ne dépassent pas Shang-Haï, de sorte 
que tout l'espace au nord du port chinois, le golfe du Pel- 
chili jusqu'à Vladivoskok, reste en dehors de la navigation 
française et est desservi uniquement par des navires battant 
pavillon étranger. » Le Bulletin économique de l'Indo-Chine 
en date du i^' octobre 1899 estime à 56oooo tonneaux le 
tonnage nécessaire aux communications entre Saïgon et 
l'Extrême-Orient, et fait remarquer que le tonnage total 
français, représenté par les Messageries Maritimes, atteint 
tout juste 298 000 tonnes. Est-ce là l'importance à laquelle 
notre suprématie en Indo-Chine nous donne droit ? 

Si nous quittons un instant notre colonie pour continuer 
notre enquête dans les ports étrangers, nos découvertes se- 
ront pires encore. Aux Indes anglaises, où nous n'avons 
que des intérêts de faible importance, notre abstention rela- 
tive s'expliquerait en partie. Ainsi, à Calcutta, dans l'exer- 
cice 1 900-1 901, nous ne figurons à l'entrée, sur une valeur 
•de I 188169 tonneaux, que pour 8489 tonneaux (le Z>tt- 
pleix [M. M.] non compris). Mais il en est tout autrement à 
Rangoon, où notre consul, M. Vossion, n'a cessé de nous 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 253 

indiquer la part que nous pourrions prendre à la navigation 
de la Birmanie pour les importations françaises et l'expor- 
tation du riz. En dépit de ces patriotiques avertissements ('), 
Tannée commerciale 1 900-1 901 se clôture par 4 navires et 
4 770 tonneaux à l'entrée, sur un total de 71 1 o38 tonneaux, 
malgré des échanges possibles et faciles entre la France et 
la Basse-Birmanie! Bangkok, dès 1897, ne présente guère 
un spectacle plus réconfortant et pourtant nous y avions une 
ligne régulière des Messageries Fluviales de Cochinchine, 
doublée d'un commerce notable qui atteignait 690 867 pias- 
tres aux importations saïgonnaises. Le mouvement.de la 
navigation, en 1897, était à l'entrée de 535 navires, avec 
456 546 tonneaux, parmi lesquels nous prenions 29 navires 
et I2ii3 tonneaux, le service des Messageries Fluviales 
donnant à lui seul 24 navires. Malgré la proximité de l'Indo- 
Chine, la valeur des cargaisons n'atteignait que i 880 000 fr. 
sur un commerce extérieur de 88 4i2 000 (*). 

C'est au cœur de la Chine qu'il faut aller pour chercher 
d'autres points de comparaison. On sait que le fait politique 
et économique le plus digne de remarque depuis l'expédition 
de Chine a été la victoire de la pénétration européenne dans 
le riche bassin du Yang-Tsé-Kiang. Dans cette vallée qui 
apparaissait comme un Eldorado fabuleux et difficilement 
accessible, que l'Angleterre voulait se réserver, les diverses 
nations rivalisent d'activité et d^énergie. Hankéou, au centre 
du bassin, au point où le Grand Central franchira cette ligne 
de démarcation entre les Chines du Nord et du Sud, s'est 



(i) « Faut-il donc encore le répéter? Nous ne comptons, dans ce trafic ma- 
ritime, que pour un mouvement de quatre navires, ce qui nous met au neuvième 
rang. Quand donc cette situation déplorable prendra-t-elle fin? C'est à nos 
ehambrcs de commerce et à nos armateurs de répondre. De leur initiative 
dépend l'avenir de notre commerce. » (Rapport commercial du consul de 
Rangoon.) 

(a) Chiffres cités par M. Lemire, Les cinq pays de Vlndo-Ckine Jrançaise, 
p. i46.) 



254 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

créé peu à peu par rétablissement des concessions occiden- 
tales et l'exploitation industrielle des pays environnants. 
Une bonne part de ce développement est due à la France, 
qui n'a pas hésité à mettre en avant ses capitaux et ses na- 
tionaux; elle possède à Hankéou six maisons de commerce, 
dont cinq succursales des maisons de Shang-Haï : OUivier, 
Racine Ackermann, Mondon, Sennet frères et Laglaize. 
L'enquête faite récemment sur la fortune française en Chine 
évalue à 2 5oo 000 fr. la valeur des capitaux français à Han- 
kéou, et, en fixant à 2 millions l'estimation de nos propriétés 
foncières, on arrive à un total de 5 millions et demi engagé 
par la France. Ce centre conserve des relations fréquentes 
avec Shang-Haï, qui sont l'occasion d'un trafic actif sur le 
Yang-Tsé, auquel nos commerçants contribuent pour une 
part notable. Croirî\it-on que sur un tonnage global de 
27 260 tonneaux pour les vapeurs faisant la navigation du 
grand fleuve, nous ne figurons que pour un « état néant », 
ce qui provoque les légitimes réclamations de nos nationaux? 
Je me trompe cependant, car j'oublie cette spirituelle bou- 
tade de M. l'enseigne de vaisseau Sauerwein : « Un seul 
vapeur, appartenant à une maison industrielle suisse, navi- 
gue sous pavillon français, portant sur sa cheminée la croix 
helvétique (') I » L'appoint de cette hypothétique marine 
n'est donc pas à dédaigner dans d'aussi tristes circonstances. 
Nous n'en sommes pas encore là pour nos relations avec 
les ports de la Chine, mais, en raison même de la hausse 
des chiffres étrangers, nous disparaissons, là encore, déplus 
en plus. A Hong-Kong, par exemple, où se coudoient les 
bateaux de toutes les nations, où il entre ou sort une centaine 
de navires par jour, nous trouvons le moyen, en un an, de 



(1) La Vallée du Yang-Tsé-Kiang, par M. Sauerwein, parue dans la Revae 
Maritime. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 255 

1897 à 1898, d'augmenter de 24 unités le chiffre de notre 
mouvement. Le cinquième rang nous y revenait à peine, 
après les Anglais, après les Allemands. 

Mouvement dû port de Hong-Kong (1898). 

PAVILLONS. NAVIRES. TONNAGE. 

Anglais 8892 4 i33 i5i tonneaux. 

Allemands 681 818 655 — 

Français 128 170782 — 

Nous ne pouvions même pas nous rattraper sur la totalisa- 
tion afférente à tous les ports de Chine en cette même année 
1898. Ici, les Japonais eux-mêmes nous dépassent : 

Entrées et sorties en 1898 (ports de Chine). 

PAVILLONS. NAVIRES. TONNAGE. POURCENTAGE. 

Anglais 6918 2i265966<* 62,1 p. 100 

Allemands .... 950 1 685 098 4>9 -^ 

Japonais 868 1 569 184 4>6 — 

Français 388 420078 1,28 — 

Il est bien évident que, dans cette récapitulation, nous 
n'intervenons que par les ports de la Chine méridionale, 
Hong-Kong et Shang-Haï ; on ne saurait parler de la partie 
nord de Tempire, complètement délaissée par notre pavillon. 
Il y a figuré au moment de l'expédition de Chine, porté par 
quelques transports ou vapeurs affrétés, par la Manche, le 
TanaïSy VÉridan, annexes des Messageries Maritimes, char- 
gés du service postal entre Nagasaki et Takou. Tout a dis- 
paru avec l'évacuation et le retrait de nos troupes, tout est 
revenu dans l'état lamentable que signalait déjà en 1900 
M. du Chaylard, notre consul à Tien-Tsin, quelques mois 
avant les premiers troubles boxers. 



256 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Mouvement de la navigation à Tien-Tsin en 1900. 

PAVILLONS. NAVIRES. TOITNAGB. 

Anglais 62 67680»* 

Allemands 62 5i 582 

Japonais. ...... 34 ^ 

Français o » 

Tels sont les faits qui s'imposent à tout examen attentif, 
avec la brutalité ordinaire des chiffres, qui n'apporte même 
pas avec elle quelques phrases réconfortantes ou consola- 
trices; notre bilan se solde par un recul considérable, tan- 
dis qu'à côté de nous d'autres ont sans cesse progressé. Sans 
parler des grandes puissances maritimes, nous pouvons en 
mentionner de moindres. Rien n'est plus stupéfiant comme 
de constater l'essor grandissant des pavillons suédois, nor- 
végien, danois, emblèmes de nations qui n'ont pas d'inté- 
rêts territoriaux ou commerciaux notables, et qui ont su 
néanmoins se faire les « rouliers » des mers de l'Extrême- 
Orient, en accaparant une grande part du trafic. Beaucoup 
de ces navires, loués ou pris à charge par des syndicats 
chinois ou européens, n'ont de leur pays d'origine que le 
nom, mais ils portent les couleurs des Scandinaves, seule 
chose qu'enregistrent les statistiques et que constatent le 
voyageur ou le commerçant. La théorie du pavillon, que 
nous exposions en débutant, reçoit ici sa plus éclatante con- 
firmation. 

Dans l'évaluation totalisée des ports de la Chine en 1898, 
les Scandinaves nous dépassent : 

Scandinaves. , . . 585 o45 tonneaux. 1,71 p. 100 
Français 420078 — 1,28 — 

Naturellement ces pavillons profitent de l'exploitation des 
points d'où part une exportation continue et sûre : la Bir- 
manie et la Gochînchine, Rangoon et Saigon, sont dans ce 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 2b'] 

cas. L'exercice 1 900-1 901 de Rangoon, auquel nous avons 
fait plusieurs fois de larges emprunts, affecte aux Norwé- 
giens et aux Suédois un total de 21 navires et 25 835 ton- 
neaux, qui chargent surtout du riz. A Saigon, nous avons 
eu la possibilité de nous procurer le rapprochement des an- 
nées 1893 et 1900, qui est assez probant. 
Nous trouvons pour les tonnages : 

1893. 1900. 

Norwégiens . .... 17291 tonneaux. 28 884 tonneaux. 

Suédois » — 5 187 -ï- 

Danois » — 4 7^8 — 

17291 tonneaux. 33 789 tonneaux. 

Le tonnage Scandinave, dans notre colonie même, a dou- 
blé en sept ans. Tout près de nous encore, à Bangkok, les 
compagnies anglaises et allemandes doivent le céder comme 
importance à la puissante Ost-Asiatisk Kompagni de Copen- 
hague, reliant la Baltique à la Sibérie, qui les concurrence 
aussi activement pour le fret que pour les passagers, avec 
l'avantage d'éviter les transbordements. Ces grands navires 
à fond plat, de 6 000 et 7 5oo tonneaux (registered tonnages) 
peuvent franchir la barre de la Ménam. Au canal de Suez, 
on décompte ainsi le passage de ses cargos : 

1897 I navire. 

1898 8 navires. 

1899 i5 — 

C'est une constatation qui s'ajoute aux autres; c'est un 
nouveau glas qui sonne pour notre marine marchande. Si 
nous pouvions borner là nos signes de décadence ! Mais la 
première partie seule est passée en revue : il nous reste 
maintenant à dévoiler la marche en avant des grandes na- 
tions maritimes. 

RIVAGES XNDO-CHmOIS. I7 



258 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 






Incontestablement, nous avons beaucoup perdu, mais 
pour d'autres, Fère des succès semble finir et celle des 
revers commencer. Ainsi l'Angleterre, qui a précédé toutes 
les nations sur le sol chinois, qui a fondé les grandes villes 
commerciales de l'Extrême-Orient, qui a forcé le bloc Cé- 
leste à s'ouvrir devant la poussée britannique précédant 
l'opium mortel, voit ses progrès atteindre hier leur maxi- 
mum, pour commencer à décroître aujourd'hui. A Shang- 
Haï, dans cette ville où la concession anglaise étale avec 
tant d'orgueil ses palais et ses banques, sur ce Seulement 
créé de toutes pièces par la ténacité des fils d'Albion, au 
milieu d'un sol vaseux et marécageux, les bruits les plus 
fâcheux couraient en octobre 1900, au moment de l'expédi- 
tion de Chine. Le commerce anglais perdait tous les jours 
du terrain, disait-on, devant l'arrivée récente des entre- 
prises allemandes : des négociants avaient dû se résigner à 
la faillite, submergés par la camelote d'outre-Rhin et le 

Made in Germany Les échos de Yang-Tsé apportaient 

de pareilles rumeurs. Bien qu'il soit téméraire de fonder 
une opinion sur des affirmations aussi vagues et aussi flot- 
tantes, nous pouvons aujourd'hui en attester la véracité, 
maintenant que nous sommes en possession de documents 
certains. Les gros articles du commerce anglais en Chine 
subissent, de 1898 à 1900, une baisse sensible, tant à l'im- 
portation qu'à l'exportation. 

1898. 1900. 

Importation ( Filés i i846o5 8491/12 

(en livres sterling). 1 Colonnades ....".. 6 690 020 7 835 688 
Exportation. ( Thé chinois 27077000 21862000 

(en LIVRES sterling). ( Soic 832 000 63oooo 

Totaux GÉNÉRAUX 35683625 3 1 1668^0 



LA MARIEE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 269 

soit, en deux ans, une moins-value de 4^17000 livres ou 
de 1 13 925 000 fr. Le tonnage anglais, s'il reste au premier 
rang en valeur absolue, avec un pourcentage énorme de 
60 p. 100 et une avance colossale, n'en est pas moins atteint 
par cette baisse du commerce extérieur avec la Chine. L'an- 
née 1901 marque Tapogée et le début de la pente décrois- 
sante. D'ailleurs, quelques exemples pris en des points 
particuliers nous le feront comprendre encore mieux. A 
Bangkok, la comparaison entre les années 1899 et 1900 
sera d'autant plus frappante que le tonnage total du port 
avait à peine changé en un an, et qu'on ne saurait arguer 
d'une diminution du trafic du Siam. 



NOMBRE N AV I R E S POURCENTAGE 



POURCENTAGE 



. , , , . j ^ des marchandises 

ANNEES. total. anglais. du tonnage. importées. 

1899. ..... 442 298 70 p. 100. 69 p. 100. 

1900 •. 440 168 38,5 — 34,5 — 

' Et s'il est un point que l'Angleterre entoure de toute sa 
sollicitude, tant au point de vue commercial que politique, 
c'est bien Bangkok ! Néanmoins, elle doit consentir à une 
moins-value de 34,5 p. 100 en un an. Nous parlions plus 
haut de Hankéou, où le tonnage français fait si piteuse 
figure, sans mentionner le pavillon anglais. Il a reçu, lui 
aussi, une atteinte sérieuse, à en juger par cette apprécia- 
tion, extraite du beau travail de M, Sauerwein('). « J'ai dit 
tout à l'heure que les 2/3 des marchandises exportées ou 
importées naviguaient sur le Yang-Tsé sous pavillon bri- 
tannique. C'était vrai autrefois, ce n'est plus vrai aujour- 
d'hui Le tonnage global des vapeurs faisant le service 

de Shang-Haï à Hankéou est de 27 260 tonnes, dans les- 
quelles l'Angleterre entre pour i2 0o3 tonnes La pro- 



(i) M. Sauerwein, enseigne de vaisseau, La Vallée da Yang-Tsé-Kiang, 
loco cit. 



260 LES RIVAGES INDO^CHINOIS. 

portion, qui était jadis de deux tiers pour TAngleterre est 
de beaucoup inférieure à la moitié aujourd'hui. Sur la ligne 
de Hankéou à I-Tchang, la proportion est plus faible en- 
core, puisqu'elle se réduit à un tiers (i loo tonnes contre 
un tonnage global de 3 3oo). » 

Là comme ailleurs, la diminution du pavillon des Anglais 
est la conséquence de celle de leurs affaires, qui luttent 
avec désavantage contre le commerce russe, lequel accapare 
presque tout le trafic du thé, et contre l'importation ma- 
nufacturée allemande. A l'heure actuelle, ce tonnage de 
1 3 000 tonnes est fourni par le total des navires des compa- 
gnies Jardine, Matheson et G'*, Butterfield et Swire et 
Greaves, de Shang-Haï. 

Ainsi, la domination incontestée que l'Angleterre rêvait 
d'acquérir sur le marché commercial de l'empire du Milieu, 
la suprématie qu'elle voulait donner à sa marine marchande, 
sont loin d'être réalisées et sont même plus que jamais re- 
mises en question. G'est que des rivaux ont surgi d'un peu 
partout, appétits nouveaux qui comptent se satisfaire en 
profilant de la reculade des intérêts britanniques, en pre- 
nant pour eux le sceptre britannique que Birmingham et 
Manchester ne sont plus à même de conserver. « Place aux 
jeunes ! » semblent s'écrier les récents arrivés, mus par la 
même âpreté au gain. Quelques-unes de leurs entreprises 
méritent d'être prises en considération, malgré leur peu 
d'envergure relative. La compagnie des chemins de fer 
russes de l'Est chinois, par exemple, vient de créer une 
ligne maritime desservant les divers ports de la Ghine, 
pour apporter du fret à Port- Arthur et au Transsibérien. 
Elle a mis en service, entre Port-Arthur et Shang-Haï, cinq 
vapeurs rapides, dotés de tout le confortable nécessaire aux 
passagers, en même temps qu'elle acquérait à Shang-Haï, 
sur la rive droite du Whang-poo, un terrain propice à la 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 26 1 

construction de docks et d'appontements. D'un autre côté, 
ne nous annonce-t-on pas que les agents du trust Morgan 
intrigueraient à Yokohama-Shang-Haï, et Hong-Kong pour 
former une vaste organisation collective des transports en 
Extrême-Orient et dans l'Océan Pacifique? Avant la réalisa- 
tion effective de ce plan, il se passera peut-être de longues 
années, quoiqu'il soit permis à juste titre de se défier de 
Fingérence américaine ('). Mais, quelle que soit leur signifi- 
cation, ces essais sont encore du domaine de l'avenir, tandis 
qu'il existe des ambitions ayant déjà reçu une sanction pra- 
tique : je veux parler des progrès étonnants des pavillons 
allemand et japonais, que nous allons rapidement énu- 
mérer. 






Les Allemands ont de bonne heure vu le parti qu'ils 
pouvaient tirer de l'exploitation de l'Asie orientale. Le Nau- 
ticus de 1901 disait catégoriquement : « C'est en Extrême- 
Orient, et particulièrement en Chine, que se trouvera à«. 
l'avenir le centre de gravité des intérêts économiques 
d'outre-mer de l'Allemagne. » Et le Kaiser ajoute : « Notre 
avenir est sur mer. » Confiants en cette double prédiction, 
ils mettent toute leur énergie à la réaliser, et c'est pleins 
d'orgueil qu'ils constatent à présent l'ampleur des résultats 
acquis. Le commerce marche avec le pavillon allemand ; il 
est avec la Chine et le Japon de i84 millions en 1900, de 
208 millions en 1901. Cette augmentation 'de 24 millions 
en 1901 avait été précédée, en 1900, dans cet annus mira- 
bilis d'outre-Rhin, par une autre plus forte, de 77 millions 
environ. 



(i) Une grande compagnie hollandaise vient de se fonder pour assurer les 
services reliant Java à la Chine et au Japon. Le gouvernement la subventionne. 



a62 LES RIVAGES INDO-€HINOIS. 

Le trafic avec les colonies hollandaises des lies de la 
Sonde s'élève à i54 millions en 1901, plus fort aux achats 
qu'aux ventes. Les capitaux privés, pas plus que le budget 
de l'empire, ne boudent devant les entreprises coloniales : à 
Kiao-Tchéou, les premiers y ont engagé 1 10 millions, et les 
finances d'Allemagne y participent pour un entretien an- 
nuel de i5 millions. Naturellement, il fallait à ces nationaux 
expatriés et à ces entreprises d'outre-mer l'appui des ser- 
vices de navigation réguliers les reliant à la métropole et 
aux ports de l'Extrême-Orient : le développement de la 
marine marchande devait être la conséquence de cet essor 
commercial. La grande compagnie à\x Nord-Deutscher Lloyd 
assura définitivement la malle allemande d'Extrême-Orient, 
avec escales d'Europe à Anvers, Southampton, Gênes et 
Naples. Ses paquebots, d'abord délaissés par suite de leurs 
installations insuffisantes, se perfectionnent peu à peu, et à 
présent, dotés d'un confort extraordinaire (fumoirs, biblio- 
thèques, concerts...), ils ravissent la clientèle de laPe/im- 
sular and Oriental et des Messageries Maritimes, qui déte-. 
naient auparavant le transport des nobles lords et des riches 
commerçants. La compagnie, à l'inverse de ses concur- 
rentes, ne perd pas le souci du fret, car elle est doublée 
par une ligne de cargos qui partent de Hambourg tous les 
dix jours. Mais les trois grands centres maritimes de Sin- 
cjapour, Hong-Kong et Shang-Haï ont encore vu les créa- 
tions les plus intéressantes et les plus fructueuses. 

A Singapour, la grande compagnie achète les deux 
entreprises anglaises de la Holt Line et de la Scotish 
Oriental Line. Avec cette flotte nouvelle, soit !\o vapeurs 
environ, elle lance les services partant de Singapour comme 
terminus et rayonnant à Bornéo, à Penang, à Delhi, à Àsa- 
kan, à Bangkok, à Manille, à Pontianak, et de ce fait la 
répartition des pavillons au sud de l'Extrême-Orient est 



LA MARIPÎE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 263 

profondément modifiée. A Hong-Kong, le Nord-Deutscher 
Lloyd créait deux annnexes allant à Sandakan et à Bang- 
kok, pendant que la compagnie JaluiUGesellschafi établis- 
sait un service postal sur Sydney avec escales dans les 
colonies insulaires allemandes, et que les petits armateurs 
intéressés au cabotage du sud de la Chine présentaient un 
total de 52 vapeurs et de 55 25o tonnes ('). A Shang-Haï, 
le service postal est prolongé depuis igoi par une ligne de 
grand cabotage sur Kiao-Tchéou, Tchefou et Takou et par 
une autre sur Yokohama et Vladivostok, et le Lloyd a pris 
l'initiative d'une ligne transpacifique sur San-Francisco 
(tous les mois). La navigation du haut Yamgké, qui n'allait 
d'abord que jusqu'à Hankéou, vient d'être poussée jusqu'à 
I-Tchang et Ghong-King, au milieu des rapides, par deux 
lignes allemandes créées primitivement par les maisons 
Rickmers, de Brème, et Melhers, de Hambourg, et rache- 
tées ensuite par le Lloyd et la Hambourg Amerika. Le pa- 
villon allemand étend avec une ténacité toute teutonne son 
influence sur le monde jaune. 

' Ce rapide coup d'oeil d'ensemble peut nous faire présager 
des confirmations encore plus éclatantes dans le domaine 
du détail. A Rangoon, les Allemands ont atteint dans 
l'année douanière 1 900-1 901 un total de 28 navires et 
49767 tonneaux, et un pourcentage de 3,52 p. 100, alors 
qu'ils n'avaient eu l'année précédente que 16 navires. La 
compagnie Hansa de Brème, la troisième de l'empire 
allemand, y conquiert presque entièrement l'importation 
du sel, supplantant le sel anglais jadis si demandé, pendant 
qu'elle relie les États-Unis aux Indes anglaises par une 
gigantesque ligne allant de Nev^-York à Calcutta avec 



(i) La part de l'Angleterre dans le cabotage, à la même époque (1900) n'at- 
teignait plus que 64 vapeurs et 74000 tonneaux. 



264 le:s ritages indo-chinois. 

escales au Gap et dans toute l'Afrique du Sud ! Mais à Bang- 
kok les chiffres sont encore plus éloquents ; nous les avons 
cités en ce qui concerne la marine marchande anglaise, que 
nous allons rapprocher ici de sa jeune concurrente. 

Vapeurs anglais. 

ANNÉES. NOMBRE. POURCEITTAGE. IMPORTATION. 

1899 298 70 p. 100 69 p. 100. 

1900 168 38 1/2 — 34 1/2 — 

Vapeurs allemands. 

ANNÉES. NOMBRE. POURCENTAGE. IMPORTATION. 

1899 74 18 p. 100. » p. 100. 

1900 ii4 55 — 56 — 

Le premier semestre de 1901 accusait un progrès plus 
grand encore. Et en 1897^ ^^ pourcentage allemand n'était 
que de 6 p. 100 I II a subi la même ascension que dans les 
ports de la Chine, où il était de i p. 100 en 1892 et de 
8 p. 100 en 1900, augmentant de i p. 100 par an. Le pa- 
villon germanique s'est implanté à Haïphong à la suite des 
difficultés survenues avec la Chine, dans lesquelles notre 
compagnie Marty obtint 200000 taêls d'indemnité; ils y 
font les efforts les plus soutenus pour maintenir leur rang 
et ne pas trop pâtir de la concurrence adverse. Les compa- 
gnies Diedrichsen et Jebsen, de Hambourg, exploitent les 
lignes de cabotage Haïphong- Haïnan, Hong-Kong, dans 
un domaine dont nous devrions être les souverains maîtres. 

Des personnalités compétentes, fort au courant des ques- 
tions commerciales de l'Extrême-Orient, nous prédisent un 
krach prochain du négoce et du pavillon allemands en Asie. 
Nous ne demandons qu'à croire à ces pronostics, auxquels 
les récents désastres financiers de la métropole semblent 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 205 

donner quelque corps, mais il faut avouer que la situation 
actuelle nous fait un peu douter de leur infaillibilité. 

Gomme si ce n'était assez pour nous de ce danger venu 
d'Europe, voici qu'un autre paraît à l'horizon économique, 
émanant de l'extrémité du vieux continent, de ce Japon 
modernisé à force de lois et de volonté, sous l'action | d'un 
esprit national qui ne s'inspire que de la haine des Occiden- 
taux. Sur des mers où ils n'étaient auparavant que des 
inconnus, les « marus » portant à leur poupe le globe san- 
glant qui symbolise l'empire du Soleil-Levant, se lancent 
avec audace, fiers de montrer leur pavillon inventé depuis 
trente ans à peine. Cette flotte d'hier voit son tonnage pro- 
gresser par bonds fantastiques, dont les chiffres ci-dessous 
peuvent donner une idée : 

Flotte marchande japonaise. 

ANNÉES. NAVIRES. T0NNA6B. 

1877 258 62 760 tonneaux. 

1896 735 390000 — 

1898 1981 6i3ooo — 

1901 4358 872000 — 

et, en valeur relative, elle est la neuvième du monde entier. 
La Nippon^Yusen^Kaisha^ la grande compagnie, dont les 
Japonais parlent avec orgueil, est arrivée à être la septième 
et, loin de s'arrêter à desservir les escales ordinaires d'Ex- 
trême-Orient, elle a créé une ligne régulière sur l'Europe, 
pour concurrencer les entreprises d'Occident. Ceci nous 
est révélé par les chiffres du canal de Suez, que cite 
M. Léotard pour ce point où le pavillon japonais n'avait 
pas figuré avant 1896. Son tonnage y atteint : 

En 1896 42 694 tonneaux. 

1898 261600 — 

1901 35i 854 — 

et nous avons vu qu'en 1900, le tonnage japonais dépassait 



2 66 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

déjà les tonnages russe, norvégien, danois, italien, espa- 
gnol. A mesure que l'éducation maritime du peuple com- 
mence à se faire au Japon, que le recrutement des officiers 
du pont et de la machine devient plus facile, les Nippons 
mettent tout en œuvre pour éliminer de leurs navires l'élé- 
ment étranger, suivant en cela la marche employée à l'égard 
des pilotes européens de la mer intérieure. C'est le dernier 
fait à sensation; car il est bon de rappeler qu'en 1900, les 
compagnies d'assurances japonaises refusaient d'assurer 
ceux des navires nationaux qui ne possédaient pas de com- 
mandant européen. Des événements retentissants, comme 
le naufrage du transport Caravane^ par exemple, semblent 
donner raison au peu de confiance que l'on peut avoir 
dans les facultés manœuvrières d'un Japonais ('). Je crains 
que l'on n'ait à déplorer d'ici à quelques années des dé- 
sastres analogues, mais on voit que rien n'a pu arrêter la 
volonté et la haine de ce peuple pour qui toute présence 
européenne est une gêne et un supplice. Ils ont supprimé 
les officiers étrangers comme ils interdisent aux Européens 
la gestion des entreprises industrielles, tout en faisant par 
ailleurs appel aux capitaux de ces mêmes Européens, né- 
cessaires pour mener à bonne fin l'œuvre nationale dans un 
pays où l'argent est si rare. 

En dépit de cette situation financière peu enviable, au 
cours de laquelle M. Yamamoto, directeur de la Banque du 
Japon, avouait en août 1901 qu'il lui fallait 175 millions de 
francs à tout prix, la loi des primes à la navigation de 1899 
était exécutée sans murmures. Le pays se saignait aux 
quatre veines pour assurer, malgré l'augmentation de la 



(i) Extrait des Questions diplomatiques et coloniales, à propos de récentes 
manœuvres navales" japonaises : 

« Je crois pouvoir avancer que les évolutions sont loin d'égaler les nôtres en 
hardiesse et en-pré:;isîon, et que les commandants de navires ne sont pas bien 
«ùrs de leur personnel mécanicien. » 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 267 

dette publique, Tessor de son pavillon et permettre à ses 
nouvelles compagnies de naviguer sans trop de pertes en 
attendant un fret hypothétique. C'est à cette disposition 
législative qu'il faut attribuer les splendides résultats que 
nous constations plus haut. 

L'augmentation soudaine et explicable du commerce 
japonais a valu à la nation de tels succès pour son pavillon. 
Le commerce extérieur suit la progression suivante : 

1877 3oo millions. 

1897 980 — 

1900. , I 25o -r 

La première guerre victorieuse avec la Chine, la conquête 
des archipels du Sud et de.F.ormoçe, la récente expédition 
de Pékin, ont été les accélérateurs de ce mouvement sans 
précédent en Asie. Le commerce japonais, à Formose par 
exemple, arrive à évincer progressivement le commerce 
étranger et à conquérir le tiers du marché de la grande île. 
Voici ce commerce en yens : 

ANNÉES. ÉTRANGER, JAPON. 

1896. ..,..., 200.33228 1986976 

1898. 29706379 8744034 

1900 , . 2414I946 12687588 

1901 . 18697685 Inconnu. 

Le total général restant presque stationnaire, on en 
conclut que le Japon prend peu à peu la place de l'étranger, 
grâce à des tarifs draconiens d'ailleurs consentis par les 
intéressés. Il faut en effet trouver des débouchés aux pro- 
duits manufacturés japonais, à ce colossal développement 
industriel qui diffuse l'influence de l'empire du Soleil-Levant 
sur les contrées avoisinantes, masquant en bien des villes 
des misères et des ruines, en même temps que le paupé- 
risme grandissant des classes ouvrières. Le président de la 



268 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

chambre de commerce de Tokio, le baron Shibusawa, a fait 
dernièrement un voyage en Europe pour voir s'il n'était pas 
possible d'avoir avec les nations occidentales des relations 
plus suivies. Peu chanceux à Berlin, où les financiers alle- 
mands refusèrent d'engager de nouveaux fonds, le noble 
baron parcourt les capitales pour assurer l'expansion japo- 
naise. Pour la développer, d'autres facteurs interviennent, 
dont l'émigration des sujets du Mikado n'est pas le moindre. 
On compte actuellement 3 267 Japonais en Russie d'Asie, 
6 368 en Angleterre et dans les colonies anglaises, l\3 787 
aux États-Unis. Le nombre des émigrants est : 

En 1896 54342 

1897 58785 

1898 70801 

Ces groupements d'outre-mer conservent des relations 
avec la métropole, attirent les entreprises de navigation et 
donnent du fret aux navires. Ils viennent de créer une 
banque sino-japonaise, en même temps que des bazars 
d'importation nipponne dans la plupart des grandes villes 
de la Chine. Les vaisseaux marchands en subissent un re- 
gain d'activité. Les entrées dans les ports de Formose, en 
1901, atteignent pour le Japon 826 navires et 53217 ton- 
neaux, à peu près à égalité avec l'Angleterre, qui n'a que 
57 vapeurs et 62 692 tonneaux: c'est la conséquence directe 
du développement du commerce avec Formose, dont nous 
venons de parler. Mais en même temps, le trésor japonais 
subventionne de i4o 000 yens par an deux nouvelles lignes 
que l'on vient d'établir sur Vladivostok et la Corée, cette 
Corée tant désirée et convoitée parles espérances nipponnes. 
La première part de Moji, la seconde d'Otaru, avec escales 
diverses au Japon et sur les littoraux sibérien et coréen ; un 
bateau de i 600 tonnes est affecté à chaque ligne. On an- 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 269 

nonce d'autre part que M. Kondo, président de la Nippon 
Yiisen Kaisha^ intrigue avec persévérance pour obtenir de 
la China S team Navigation Company la vente de sa flotte, 
sans grand succès pour le moment, mais avec des possibi- 
lités pour l'avenir. Ces tentatives sont intéressantes à noter, 
mais elles le cèdent comme importance à celle imaginée par 
les Japonais sur le Yang-Tsé. Jusqu'ici, le pavillon du Mi- 
kado n'était représenté de Shang-Haï à Hankéou que par 
une annexe de la Compagnie des bateaux à vapeur d'Osaka. 
Les capitalistes de Tokio, Osaka et Yokohama se proposent 
de la prolonger au cœur de la Chine, dans la province de 
Honan. Cette nouvelle compagnie, la Honan- Steamer C^j 
desservirait les bords du grand lac Tong-Ting, les nouveaux 
ports de Chang-Té et Chang-Sha, que les Chinois vont ou- 
vrir d'ici peu, et aurait Hankéou comme port d'attache. Le 
capital comporterait une première mise de fonds de 
I 5ooooo yens, et on assure que le gouvernement japonais 
accorderait une garantie d'intérêt de 6 p. loo; ce qui n'au- 
rait rien d'étonnant. 

Nous ne pouvons mieux mettre en relief les progrès ac- 
complis récemment par la marine marchande japonaise 
qu'en comparant son efi'ectif à celui de la flotte française. 
Voici les chiffres, extraits du Lloyd Register de 1899 : 



VAPEURS. VOILIERS. TOTAUX. 



Français 689 543 i 182 

Japonais 4?? 364 84 1 

Que penser de ce rapprochement, qui n'acquiert toute sa 
valeur qu'en ajoutant que la flotte japonaise est vieille de 
vingt ans à peine, et que la nôtre date des temps immémo- 
riaux ? Ainsi, nous pouvons constater que cette jeune ma- 
rine, devenue maintenant presque victorieuse, est aussi 
puissamment outillée pour la lutte que ses sœurs plus 



270 I^ES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Agées, et qu'elle reste pour nous une rivale redoutable et 
envahissante. Qu'il s'agisse de TAngleterre, de TAlIemagne^ 
du Japon, nous trouvons partout des adversaires qui ont 
réussi à profiter de nos hésitations et de notre apathie pour 
nous reléguer au dernier rang en Extrême-Orient. Où sera 
donc le chemin du relèvement ? 



* 



Il semble nous être indiqué par les faits maritimes qui 
viennent de se passer dans l'histoire de l'Indo-Chine. Le 
développement économique de notre colonie, faisant naître 
dans l'esprit de quelques armateurs français l'espoir d'entre- 
prises fructueuses, a singulièrement aidé aux modifications 
que nous voyons surgir sur ces rivages. L'impulsion donnée 
aux travaux publics destinés à transformer l'outillage du 
pays, indépendamment d'un mouvement commercial réel, 
a nécessité un transport de matériel qui est un précieux ap- 
point pour une marine qui veut faire résolument quelques 
pas en avant et qui a besoin de se sentir encouragée par des 
éléments de fret initial. La mise à exécution du programme 
des chemins de fer tonkinois rentre dans ce dernier cas, et 
a eu pour effet immédiat de créer un trafic notable entre 
Haïphong et la métropole, que rien ne pouvait faire espérer 
auparavant. Puis, les idées nationales se sont sensiblement 
amendées à l'égard de nos possessions d'outre-mer, et de 
l'Indo-Chine en particulier. L'ancienne réputation de celle- 
ci, celle d'une terre mortelle où nous avions englouti incon- 
sidérément des vies humaines et des millions, a disparu 
pour faire place à l'idée plus juste d'une mise en valeur pos- 
sible, qui n'attend que des bras et des capitaux intelligents 
pour être réalisée. Cette évolution insensible, aidée par une 
propagande coloniale digne de grands éloges, n'a pas ex- 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 27 I 

cepté nos compagnies de navigation, qui ont voulu chercher 
en Extrême-Orient l'occasion de profits nouveaux. L'an- 
née 1902 marque dans les annales du pavillon français dans 
ces parages un tournant intéressant, une période de trans- 
formation que nous nous empressons de noter. 

L'Indo-Chine, jusqu'en 1901, n'était reliée à la France 
que par le service des Messageries Maritimes et de la Com- 
pagnie nationale; en 1901, nous voyons apparaître pour la 
première fois les couleurs des Chargeurs-Réunis, à quatre 
voyages différents. La puissante compagnie, précédée par 
l'universelle réputation commerciale acquise sous la direc- 
tion de son éminent et regretté directeur, M. Duprat, 
se décide à lancer sur la ligne d'Indo-Chine les fameuses 
cheminées aux étoiles rouges, sous l'action d'une décision, 
d'une marche vers le progrès que rien ne peut arrêter. Ses 
premiers débuts dans notre colonie sont incertains, em- 
preints des tâtonnements inévitables à l'édification de toute 
œuvre nouvelle. Un projet d'entente avec les Messageries 
Maritimes, pour l'exploitation du trafic existant, échoue 
après quelques débats, peut-être en raison du mauvais 
souvenir qu*avaient laissé des négociations pareilles dans 
l'Amérique du. Sud. La compagnie hésite quelque temps à 
traiter ses affaires elle-même, et c'est la maison Denis frères 
qui la représente pendant la période d'installation et d'étude. 
Puis, le succès semblant répondre à l'initiative nouvelle, elle 
crée des agences personnelles à Saigon et à Haïphong, diri- 
gées par des intelligences commerciales éprouvées, prenant 
pied sur le marché qu'elles modifient peu à peu. L'affaire 
est engagée. 

La réalisation de ce projet rentre dans l'ordre économique, 
et nous aurons dans un instant l'occasion d'en parler; mais 
elle a pour corollaire dans le domaine de la technique nau- 
tique des effets qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier hau- 



272 > LES RIVAGES INDOCHINOIS. 

lement. L'évolution vers les gros tonnages est du nombre. 
On peut s'apercevoir que les Chargeurs, après s'être long- 
temps tenus à la classe Caravellas, Rio^Negro, Paraguay, 
de 3 000 à 3 5oo tonneaux, ont inauguré la classe Amiral 
par des déplacements de 4 5oo tonneaux environ, qui sont 
ceux de V Amiral-Courbet et de V Amiral" Aube. Lorsqu'il s'est 
agi de la ligne de l'Exlrême-Orient, les distances parcourues 
devenant grandes, les taux des frets d'Europe en Inde bais- 
sant d'une manière sensible, l'exploitation rêvée ne pouvait 
devenir fructueuse qu'à la condition de prendre une quantité 
de marchandises considérable. Ce principe de l'augmenta- 
tion des déplacements, qui veut que le rendement d'un 
grand navire soit supérieur à celui de son fractionnement 
en deux autres plus petits, a imposé la façon de faire des 
Chargeurs, qui réalisent l'idée nouvelle à temps pour qu'elle 
porte ses fruits. Évidemment, les frais de premier établisse- 
ment augmentant, la compagnie a été amenée à augmenter 
son capital, ce qu'elle a fait en émettant 10 millions d'obli- 
gations pour la création de la ligne de Tlndo-Chine : en 
1900, 6250000 fr. étaient déjà émis. Les offres de capi- 
taux allaient facilement à une entreprise que ses procédés 
commerciaux (l'amortissement rapide des navires en parti- 
culier) recommandaient de longue date à l'attention du 
monde maritime. 

La construction des nouveaux navires, d'un tonnage brut 
de 5427 tonneaux, d'une portée en lourd de 5 600 tonnes, 
put dès lors être rapidement terminée. \J AmiraUDuperré 
et Y Amiral'Exelmans entraient en service en 1901, et les 
quatre derniers, V Amiral -Fourichon, Y Amiral ^Guey don, 
Y Amiral'Hamelin et Y Amiral-Jauréguiberry , étaient ache- 
vés en 1902. Ce sont ces six navires qui sont destinés à la 
ligne d'Indo-Chine. Leur aspect, leurs lignes d'eau, la dipos- 
sition de leurs superstructures, les rangent en dehors de la 



LA MARINE 3LUIGHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. i']3 

catégorie des cargos ordinaires ; Timpression qui se dégage 
de leur visite est celle d'une capacité utilisable énorme, à 
laquelle les autres desiderata n'ont pas été sacrifiés. Les 
cales sont au nombre de cinq, aux panneaux larges et com- 
modes, desservies chacune par deux mâts de charge, avec 
la possibilité de débarquer de grosses pièces, jusqu'à 12 ton- 
nes environ, au moyen d'une bigue facile à agréer. Le déve- 
loppement considérable des ballasts est aussi à noter : la 
capacité en résultant peut être employée de diverses ma- 
nières, soit pour assurer ou modifier les conditions nautiques 
du bâtiment, soit pour constituer une réserve d'eau précieuse 
sur ces navires, où l'usage des bouilleurs est réservé pour des 
cas très rares. La' machine, dans laquelle se trouve le servo- 
moteur à vapeur, est vaste et très dégagée ; le panneau d'aé- 
ration porte à sa partie supérieure, à une hauteur suffisante, 
une traverse permettant le démontage et la mise en placé 
facile des organes lourds. Les soutes à charbon sont situées 
de part et d'autre de la chaufferie, qui communique aussi 
avec la cale placée immédiatement à l'avant. On embarque 
généralement du charbon dans cette dernière, car, détail 
curieux, les navires des Ghargeurs-Réunis emportent à leur 
départ de France la quantité de combustible nécessaire à 
l'aller et au retour, ce qui est aussi avantageux pour la qua- 
lité du charbon que pour la rapidité .des opérations com- 
•merciales. La conception de ces navires a, par ailleurs, 
laissé une assez large part à la possibilité d'embarquer quel- 
ques passagers ; pour des troupes, en particulier, il serait 
commode de loger convenablement des officiers supérieurs 
dans les chambres du spardeck, et des officiers subalternes 
dans celle de la dunette. 

Telles sont les caractéristiques du matériel qui fait de 
brillants débuts sur la ligne de l'Indo-Chine. La compagnie 
a décidé en outre l'excellente mesure de placer le point ter- 

lilVAGES INDO-CHINOIS. l8 



a 74 LES RIVAGES INDO-€HIN0IS. 

minus à Dunkerque, avec escales au Havre, à Bordeaux et à 
Marseille ; c'était une innovation heureuse en raison du déve- 
loppement de notre grand port du Nord, et de rimportance 
qu'il y avait à relier les autres centres industriels de cette 
région à l'Indo-Chine d'une façon plus rapide. Le transport 
des provenances métallurgiques à destination du Tonkin est 
venu donner raison à cette manière de voir, que la compa- 
gnie a très justement complété en donnant des connaisse- 
ments directs sur Hanoi et Pnom-Penh. Cependant, si, au 
voyage d'aller, le gros appoint du fret est fourni dès le dé- 
part, il n'en est pas de même au retour, en raison de la 
faible exportation du Tonkin à destination de la métropole. 
Les nouveaux cargos descendent la côte d'Annam vides, ou 
à peu près, pour aller charger à Saigon, qui reste le grand 
port des affrètements, avec les riz sans cesse demandés par 
rindustrie européenne. Il arrive même quelquefois, pendant 
les deux ou trois mois de la morte-saison cochinchinoise, que 
la rareté du fret à Saigon force les Chargeurs-Réunis à faire 
à leur retour un crochet sur la Birmanie ou les Indes an- 
glaises, vers Rangoun ou Calcutta. Ce calcul n'est mauvais 
pour personne, ni pour le pavillon français qui gagne à être 
montré, ni pour la compagnie qui accroît ses bénéfices par 
Taugmentation des primes, conséquence de celle du nombre 
de milles parcourus. 

On conçoit que cette entreprise, aussi intelligemment di- 
rigée, peut avoir un brillant avenir. Dès lors, n'est-il pas 
permis de regretter qu'elle se limite ainsi à l'Indo-Chine^ 
alors qu'un prolongement de la ligne sur la Chine serait dé^ 
sirable à tous les points de vue ? Nous avons voulu obtenir 
quelques éclaircissements sur cette intéressante question. Il 
résulte des renseignements puisés à diverses sources que la 
situation actuelle des Chargeurs-Réunis en Extrême-Orient, 
tout arrêtée définitivement qu'elle paraisse, sera probable- 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 275 

ment remaniée plus d'une fois. Tout d'abord, au cours de ce 
premier essai, on paraît avoir reconnu que le tonnage actuel 
des steamers de la classe Amiral ne se prêtait pas à l'exploi- 
tation d'une ligne dépassant la colonie. Déjà, dans celle-ci 
même, les affrètements ont été nombreux au point d'a<;- 
caparer le tonnage total des nouveaux cargos et de laisser 
très' peu de disponibilités pour des destinations différentes. 
Il faudrait donc, pour atteindre ce but, présenter une capa- 
cité globale plus considérable et introduire dans le service 
courant des navires de dimensions plus grandes. Cette future 
classe, née de nécessités nouvelles comme la classe Amiral 
est née des écoles faites dans l'Amérique du Sud, entrera en 
fonction en juillet 1904 et modifiera sensiblement les vues 
actuelles de la compagnie. Dans quel sens ? Très probable* 
ment dans celui d'une extension vers Hong-Kong, Shang* 
Haï et le Japon; on parle d'un port du Pacifique, qui serait 
sans doute San-Francisco. Ces quelques aperçus suffisent 
à montrer le parti que les Chargeurs comptent tirer de l'a- 
doption de ce type de navire d'une portée en lourd de 
7 5oo tonnes. Un jalon vient déjà d'être posé avec VAmiral-- 
Exelmans, qui, en dehors d'un voyage régulier, a fait une 
tournée de Haïphong aux mines du Boléo, pour revenir par 
le cap Horn prendre à Buenos-Ayres 4 000 tonnes de laine 
à destination de Dunkerque. Il y a aussi lieu de prévoir des 
transports de troupes éventuels, puisque le bureau militaire 
de Saigon a demandé à la compagnie le prix de ses passa- 
ges, et que V Amiral" Exelmans, dont nous parlons, a été 
chargé du rapatriement au Tonkin du bataillon détaché à 
Shang-Haï. La possibilité qu'ont les navires de cette classe 
de transporter i 200 hommes d'infanterie (ou 4 batteries 
d'artillerie) avec 3 000 tonnes de munitions, peut avoir un 
grand poids en vue d'une utilisation ultérieure. Tout, dans 
ce que nous venons de dire laisse donc une marge assez 



276 LES RITAGES INDO-CHINOIS. 

large aux décisions de la compagnie des Chai'geurs-Réunîs 
en ce qui touche à ses lignes d'Extrême-Orient et nous pou- 
vons considérer le fonctionnement régulier comme loin 
d'être définitivement réglé. L'avenir fixera de nombreux 
points de détail encore très vagues. 

L'année 1902 a vu aussi l'apparition d'une nouvelle en- 
treprise, également très intéressante : l'Est-Asiatique fran- 
çais. Réalisée par divers armateurs de Marseille, elle pré- 
sente sans sa conception l'idée d'une combinaison entre des 
éléments assez disparates, que la volonté des fondateurs a 
réunis en une seule compagnie. Elle a été créée pour l'ex- 
ploitation, au moins provisoire, de la ligne d'Indo-Ghine, 
avec modifications très prochaines dans le domaine de l'Ex- 
trême-Orient, par la fusion de la compagnie des Vapeurs 
de charge français, qui a son siège à Marseille, et de l'an- 
cienne compagnie franco-danoise qui assurait primitivement 
les parcours réguliers de Copenhague à Vladivostok. Là 
compagnie des Messageries Maritimes est même intéressée 
directement dans cet amalgame par l'intermédiaire d'un ap- 
port financier, et de l'appui qu'elle prête à l'Est-Asiatique 
français au moyen de ses agents à l'étranger, en attendant 
la création probable des succursales autonomes. Ceci suffit 
à faire comprendre la diversité des attaches de cette sorte 
de syndicat maritime, diversité, qui lui assure dans une cer- 
taine mesure le concours effectif de personnalités réparties 
un peu partout, en Danemark, eu Russie, en Siam, en 
France. Là princesse Marie de Waldemar et certains mem- 
bres de la famille royale de Danemark la couvrent de leur 
bienveillante protection; dans le conseil d'administration, 
nous relevons des noms comme ceux de MM. Estier et Vi- 
moiït, bien connus du monde maritime marseillais, qui lui 
donnent la certitude d'une direction commerciale expéri- 
mentée. La flotte que cette nouvelle initiative a groupée sous 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTREME-ORIENT. 277: 

une même direction est faite de la réunion des navires ap- 
partenant, en premier lieu, aux raisons sociales citées plus 
haut. La compagnie des Vapeurs de charge y concourt avec 
les vapeurs Véga (4 800 tonneaux), Sirius, Vesper et Cam^ 
bodge. (5 600 toiineaux); l'ancienne compagnie franco- 
danoise avec le superbe cargo-boat VAnnam, de 6 5oo ton- 
neaux. Trois autres navires du type de YAnnam sont en 
construction, et Tun deux, la Princesse-^Marie^ va bientôt 
entrer en service. Il est malheureusement à noter que ces 
derniers navires, construits à l'étranger, ne bénéficieront, 
d'après la nouvelle loi d'avril 1902, que de la compensation 
d'armeirient, ce qui peut avoir des inconvénients dans une 
entreprise nouvelle. Si cette compensation n'est pas trop 
désavantageuse pour une ligne déjà créée, ayant une clien- 
tèle commerciale assurée, il n'en est pas de même pour celle 
qui débute. Le manque de fret peut en effet l'obliger à des 
parcours à vide, à des crochets onéreux que ne vient pas 
alléger une prime dépendant du chemin effectué, au lieu 
d'une subvention immuable qui ne varie pas avec la dis- 
tance parcourue. Les armateurs ont sans doute préféré le 
gain résultant d'une construction plus rapide et moins chère. 
Les navires de l'Est-Asiatique ont également leur tête de 
ligne à Dunkerque, avec escales au Havre, à Marseille, ser- 
Tices sur Rouen et Paris et connaissements directs pour les 
villes de l'intérieur. Au voyage d'aller, ils ne font escale qu'à 
'Suez, Singapour, Saigon et Haïphong, la ligne étant ainsi 
commandée par les transports de France en Indo-Chine. 
Les retours se font au hasard des frets. Si les vapeurs ne 
trouvent rien à Saigon, ils poussent jusqu'à Bangkok et à 
Rangoon prendre des denrées à destination de ports quel- 
conques de l'Europe, Liverpool ou Brème par exemple. La 
direction n'entend pas imposer à ses services l'obligation de 
parcours réguliers, et se borne à une exploitation appropriée 



378 l'Es RIVAGES INDO-CHINOIS. 

à ses intérêts commerciaux. Il serait fortement question 
pour elle de prolonger la ligne d'Indo-Chine jusqu'à Vla- 
divostoky en prenant les vues de l'ancienne compagnie da- 
noise ; un transport de matériel de chemin de fer destiné à 
la Sibérie orientale aiderait à cette modification (*). Nous 
n'avons d'ailleurs indiqué Suez et Singapour comme escales 
certaines à l'aller qu'en raison des intéressants essais faits 
en ce moment par la compagnie pour la chauffe au pétrole 
de ses navires : les deux ports mentionnés présentent en 
effet des commodités particulières pour le ravitaillement en 
combustible liquide. L'Est-Asiatique, appliquant en cela des 
principes déjà consacrés à l'étranger par des expériences de 
la Hansa de Brème, de la compagnie Rickmers et de la 
Shell Line, se décide à munir ses nouveaux vapeurs de dis- 
positifs appropriés. Au surplus, une visite au Cambodge 
nous renseignera encore mieux. 

Le Cambodge y d'une portée en lourd de 5 600 tonneaux, 
est l'ancien Mira, construit sous ce nom à Port-de-Bouc, 
aux chantiers de Provence, et débaptisé ensuite. Son appa- 
reil évaporatoire est composé de deux chaudières cylindri- 
ques à flamme en retour et à trois foyers ; une canalisation 
amène l'huile de trois citernes, d'une contenance totale de 
712 mètres cubes, aux brûleurs, qui sont au nombre de 
deux par foyer. La mise en pression ne demande que deux 
heures, et on maintient ensuite la tension à 11 kilogr. ; ces 
conditions assurent une vitesse de 10 nœuds en route libre, 
légèrement dépassée aux essais (12 nœuds). Les soutes à 
pétrole sont munies de panneaux hermétiquement bouchés 
et de tuyaux de dégagement des gaz. Malgré ces précau- 
tions, on leur reproche, surtout pour la soute axiale, de ne 



( I ) Probablement suivie de la destination à la Méditerranée exclusivement des 
vapeurs Sirius, Vesper et Véffa, au fur et à mesure que les grands cargos du 
type Annam commenceront à naviguer. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 279 

pas avoir de double cloison les isolant de la chaufferie eh 
prévision d'une rupture de la paroi. Le Cambodge pos- 
sède aussi une réserve de 60 tonnes de charbon qui permet- 
trait en cas d'avarie de revenir à la chauffe ordinaire; au 
mouillage, une chaudière auxiliaire, placée sûr le pont, 
fournit la pression nécessaire aux treuils et à l'éclairage élec- 
trique. Ce vapeur présente par ailleurs des dispositions ori- 
ginales, notamment celle de sa drosse en partie acatène, 
celle de ses treuils inclinés à 45° sur Taxe longitudinal. Il 
paraît, d'autre part, évident que l'armateur a exigé un déve- 
loppement extraordinaire des capacités commerciales dis- 
ponibles pour accroître d'autant la prime à la navigation ; 
les logements divers n'occupent plus qu'une place infime. 

Les résultats de cette tentative de chauffe au pétrole né 
seront probablement connus que lorsqu'une longue expé- 
rience les aura affirmés ; mais, dès maintenant, on peut dire 
que ce procédé permet de limiter à deux hommes la compo- 
sition d'un quart dans la chaufferie du Cambodge, et qu'il 
est la cause d'une réduction notable de personnel. C'est ce 
qui nous a amené à parler de ce navire, qui a fait quelque 
bruit à son apparition, et de la nouvelle entreprise à laquelle 
il appartient. 

L'ancien régime dés transports, jusqu^ici monopolisé par 
la compagnie des Messageries Maritimes, va donc être com- 
plètement remanié pour faire place à une situation tout 
autre, à une concurrence assez vive. La puissante compa- 
gnie postale voit se dresser contre elle ses terribles rivaux 
du Havre, les Chargeurs-Réunis. Elle les avait quittés dans 
l'Amérique du Sud, elle les retrouve en Indo-Chine, toujours 
plus actifs et plus entreprenants. Elle comprend enfin que 
les beaux temps du dédain commercial vont disparaître, et 
que l'heure est venue de s'organiser pour la lutte. Elle le 
fait d'abord en engageant des capitaux assez considérables 



28o LES RIVAGES INDO-CHINOIS. *' 

dans rEst-Asiatique français, destiné à arrêter dans une 
certaine mesure la marche envahissante des intrus, puis en . 
intervenant directement par un remaniement de ses services. 
On nous annonce un changement radical dans les vues de la 
haute administration, et Ton prête au nouveau président de 
son conseil, M. Lebon, des idées très arrêtées et très rénova- 
trices ('), en même temps que le vif désir d'envisager la 
question commerciale tout autrement que les vieux erre- 
ments ne le comportaient. On parle de supprimer les trans- 
bordements de Colombo, de créer deux paquebots par quin- 
zaine pour TExtrême-Orient, dont l'un se limiterait à 
rindo-Chine et au transport des fonctionnaires; on parle 
de supprimer l'escale de Bombay. Pour ce qui nous occupe, 
le service des marchandises entre la France et l'Indo-Chine 
était fait jusqu'ici par les cargos Sînaï, Charente, Dordo^ 
ffne, Adour et Douro; leur tonnage oscille de 2 742 tonneaux 
(Doaro) à 4856 (Sinai). En prévision de l'activité des 
échanges et d'une exploitation plus fructueuse, on vient de 
décider d'augmenter ce faible tonnage, en mettant sur cette 
ligne les vapeurs Médoc, Matapan, Cordouan, qui navi- 
guaient jusqu'ici entre la France et l'Amérique du Sud, et 
qui jaugent 3 700 tonnes environ. Le roulement résultant 
de cet arrangement sera établi entre les navires suivants : 

Sinai 4856 tonneaux, 

Médoc . ; 368i — 

Matapan ....... 3 683 — 

Cordouan 3 680 -r- 

Charente ....... 3835 — 

(i) Voir, pour plus ample information, le compte rendu de la demièTC assem* 
bléc générale des actionnaires, présidée par l'ancien ministre des colonies, 
M. Lebon. Ce dernier y déyeloppe tout au long la supériorité de la navigation 
libre, avec la prime de 190a, sur la navigation postale subventionnée, ainsi que 
l'obligation impérieuse de développer les seiTices de cargo-boats uniquement 
réservés aux marchandises. Le conseil d'administration a émis pour eux i5 mil- 
lions d'obligations. On ne peut qu'applaudir à ce changement d'orientation dc& 
vues directrices de notre grande compagnie. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 28 1 

On remarquera que, malgré Texpédient ainsi adopté pour 
remédier à la trop petite taille de ces steamers, nous n'arri- 
vons qu'à un tonnage moyen de 3 947 tonneaux, ce qui est 
bien peu et ce qui est loin des idées qui ont cours mainte- 
nant sur les déplacements. Tôt ou tard, les Messageries 
Maritimes devaient payer l'entêtement qu'elles ont montré à 
construire des cargos trop petits, restant attachées à leurs 
vieux procédés, alors que les autres armateurs prévoyaient 
l'avenir. D'ailleurs, à part le Sinaï qui a quatre ans, les 
autres cargos sont âgés de douze à treize ans, et le renfort qui 
vient de l'Atlantique a près dé dix-huit ans ! Or ce n'est pas 
avec du vieux matériel que l'on peut arriver à un rendenaent 
commercial Suffisant sur la ligne de l'Indô-Chine, alors que la 
forte consommation de chafbon de ces navires, les transbor- 
dements à Marseille, sont déjà dès causes évidentes d'infé- 
riorité. La compagnie va se mettre [enfin à la construction de 
gros cargosj V Himalaya est le premier de ceux-ci. Elle les 
attend encore, prise entre des cargos insuffisants et ses pa- 
quebots postaux. Pour toutes ces raisons, on comprendra la 
cause de sa participation financière à l'Est- Asiatique français, 
doté dès à présent d'outils dé concurrence mieux compris. 

Nous n'avons presque rien à dire de la Compagnie Natio- 
nale .de navigation. Cette entreprise s'est bornée depuis très 
longtemps au transport des troupes, des fonctionnaires et 
du matériel de l'État. Le fret purement commercial n'est 
pour elle qu'un très faible appoint^ étant donnés ses affrète- 
ments d'une part, et, de l'autre, ses chargements de retour 
en riz assurés à Saigon. La plupart de ses actionnaires possè- 
dent en effet les principales blanchisseries de Marseille, 
dont la Rizerie Nationale. La compagnie eut des débuts 
pénibles, et aurait probablement disparu du mouvement 
maritime, si l'État, avec une bienveillance que l'on ne sau- 
j:'ait blâmer, ne l'avait secourue au moyen des affrètements. 



28î LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Malheureusement, le contrat a expiré en 1898. On se rap- 
pelle qu'à l'occasion de sa cessation, on songea un instant à 
assurer l'aller et le retour du personnel militaire au moyen 
des transports de la marine en réserve à Toulon : le projet 
n'eut pas de suites, et l'organisation ancienne fut de nou- 
veau adoptée, mais tacitement et sans renouvellement de 
contrat. Cette situation peut devenir dangereuse à cause de 
la présence des Chargeurs-Réunis, outillés, eux aussi, pour 
transpDrter de? troupe?. La Compagnie Nationale envi- 
sage pourtant les événements avec tranquillité, rendue con- 
fiante par l'extrême bon marché de ses passages (196 fr, par 
homme) et par le bon souvenir que l'État doit avoir conservé 
de ses loyaux services. Au reste, il est juste d'ajouter que 
l'appui de hauts personnages influents préserverait sans 
doute la Compagnie Nationale d'un changement dans les 
intentions du Gouvernement, que rien ne fait d'ailleurs pré- 
usager. Nous sommes ici en présence d'une entreprise mo- 
deste, faisant honorablement ses aflaires, mais qui ne jouera 
pas sur la scène commerciale un rôle à sensation. Il n'est 
pas question d'un prolongement vers la Chine ; la ligne ac- 
tuelle continuera à être exploitée comme auparavant par le 
Colombo, le Cachar, le Cholon, le Chodoc et prochainement 
par le Cao^Bang^ de dimensions plus considérables. Du 
côté de la Compagnie Nationale, il n'y a à attendre aucune 
surprise devant modifier beaucoup les conditions du passé. 
Nous voilà loin de l'Indo-Chine de 1900, dont les rela- 
tions avec la métropole n'étaient établies que par les Messa- 
geries Maritimes et la Compagnie Nationale ! Aux trans- 
ports ordinaires, effectués depuis un temps immémorial par 
ces intermédiaires obligés, vont succéder des arrivages sou- 
dains et imprévus de matériel destiné aux travaux publics 
indo-chinois, qui amènent dans les ports de la colonie ces 
marques diverses. Chacune de ces dernières voudra con- 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 283 

server la situation acquise au moyen de ce concours acci- 
dentel de faits, en évinçant les couleurs adverses. La physio- 
nomie de rindo-Chine maritime change; le monopole a dis- 
paru et la concurrence est née. II peut être permis de regretter 
que cette lutte ait pour partenaires des compagnies fran- 
çaises, ce qui lui donne une certaine tournure fratricide. Il 
ne faut voir en cela que l'effet de la louable décision du Gou- 
vernement, qui a voulu que tout le matériel de chemin de 
fer fût transporté sous pavillon français. Après tout, Tétude 
de ce tournoi peut nous apporter des enseignements inté- 
ressants, et mieux vaut voir le pavillon fi*ançais divisé par 
quelques dissentiments que de déplorer son absence. 

Nous avons à Singapour, aux portes de Saigon, un exemple 
d'une telle concurrence, mitigée par une entente, un ring^ 
sorte de syndicat des armateurs anglais. Par ce mode d'ar- 
rangement tout moderne, les compagnies britanniques assu- 
rent à leurs chargeurs des ristournes de lo p. loo sur un fret 
qu'elles maintiennent fort élevé (62 shellings pour l'Europe, 
au lieu de 4o auparavant). Tout se ramène donc à imposer au 
destinataire un prix de revient considérable, et à partager le 
bénéfice entre le chargeur et l'armateur. La méthode a été 
couronnée de succès, parce que les chargeurs craignent de 
perdre leurs ristournes en allant à un concurrent, mais elle a 
eu pour brillant résultat de paralyser presque l'exportation 
du coprah, du sagou, du tapioca, qui ne peuvent supporter 
des frets aussi déraisonnables. « La prospérité de Singapour 
en souffre », écrit notre consul. C'est bien évident, et nous 
sommes loin de prêcher cet exemple aux compagnies qui ont 
en vue l'exploitation de notre colonie, à cause de l'intérêt 
général qui veut l'augmentation de nos débouchés (*). 



(i) Espérons que le syndicat des armateurs français, de récente formation, 
n'aura pas de ces inconvénients pour la colonie. 



284 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Nous nous sommes tenus aux vieux procédés des avan- 
tages faits aux chargeurs par des tarifs modérés, par là 
complaisance et la diligence des services, par un redouble- 
ment de conditions avantageuses. Le tranquille Saigon est 
devenu un marché de frets qui influence celui de Londres, 
jusqu'ici souverain régulateur des contrats. Londres a de- 
mandé dernièrement à la direction des Ghargeurs-Réunis 
d'entrer en relations avec Tagence de Saigon pour connaître 
le taux de ses frets et s'en servir comme d'une base d'ap- 
préciation. La capitale indo-chinoise, concourt donc depuis 
l'année dernière à la loi de l'offre et de la demande, qui 
tend à réunir sous une même dépendance des faits écono- 
miques quotidiens. A cette occasion, on s'est ému de cer- 
tains frets très bas, qui n'ont constitué à vrai dire que des 
jexceptions. Ainsi, il est arrivé aux Ghargeurs-Réunis de 
prendre un chargement de 4 ooo tonnes de riz à 12 fr. la 
tonne pour Dunkerque, et on ne peut cependant pas voir là 
des conditions courantes, puisque aussitôt après les frets des 
Chargeurs montent à 18 fr., que leur moyenne annuelle pour 
1902 est de 20 à 22 fr., et que leurs affrètements, déjà con- 
sentis pour 1903, oscillent autour de 25 fr. On a vu aussi 
les Messageries Maritimes prendre des chargements à 16 fr. 
pour Bordeaux via Marseille, malgré un transbordement 
^ui leur a fait perdre 5- fr. par tonne. On conçoit que ces 
événements isolés aient jeté au début quelque trouble dans 
les habitudes acquises. Mais il faut se forcer à raisonner 
sur des moyennes et non sur des chiffres qui ne se repro- 
duisent pas. 

Les différences de taux, assez peu sensibles sur l'unité 
adoptée, s'établiront cependant à la longue. Entre ces di- 
verses compagnies, qui disposent d'un tonnage global con- 
sidérable, on verra se reproduire la suite ordinaire de pa- 
reilles compétitions : la baisse des frets, les pertes d'argent 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. ^85 

du début, le désastre du premier qui sera conduit à aban- 
donner la lutte. Puis, celui qui restera maître du trafic vou- 
dra récupérer les. vides résultant de cette bataille de tarifs, 
et il élèvera peu à peu ses prix jusqu'au jour où appiaraîtra 
une allure de régime normale. Les Chârgeurs-Réunîs, avec 
leur ténacité bien connue, paraissent acharnés à ce petit 
jeu dont l'avenir nous dira les effets. En attendant, en voyant 
tant d'armateurs qui cherchent à s'implanter coûte que 
coûte en Indo-Chine, avec le dessein bien arrêté de tirer 
parti des relations que notre colonie entretient avec la mé- 
tropole, il vient naturellement à l'esprit du spectateur de 
ce combat une question brûlante. On peut objecter qu'elle 
eût mieux trouvé sa place avant ce déploiement de navires 
qu'après, mais les compagnies jugent toujours avec opti- 
misme. Il n'est, d'ailleurs, jamais trop tard pour la résoudre. 
La voici: Le commerce actuel de Flndo^Chine avec la 
France permet ^il à ces quatre grandes compagnies une 
exploitation possible et rémunératrice ? 

L'étude du commerce extérieur de la colonie va nous 
fournir une réponse suffisamment documentée. 



* 



Cette question a naturellement préoccupé plusieurs au- 
teurs. Voici ce que dit, dans les Entretiens économiques et 
financiers^ M. P. Bachmann au sujet de la compagnie des 
Messageries Maritimes et de l'Indo-Chine : « Pendant long- 
temps la compagnie a été seule à desservir ces contrées ; 
puis une deuxième, et tout récemment une troisième com- 
pagnie française se sont mises sur les rangs pour faire le 
même service, tout comme à Madagascar. Ce mouvement 
en faveur du trafic de nos colonies correspond-il au déve- 
loppement économique de ces pays ? Ou bien nos compa- 



286 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

gnies se sont- elles senties encouragées par les primes à 
la navigation, en même temps que nos tarifs douaniers les 
garantissaient contre la concurrence étrangère? Nous n'en 
savons rien. L'avenir nous l'apprendra. » Il y a là au moins 
un doute, mais il est juste d'ajouter que le même M. Bach- 
mann semble avoir l'opinion contraire à propos des Char- 
geurs-Réunis. « Le développement économique de notre 
empire indo-chinois, dit-il, vient justifier entièrement la 
création de cette ligne ; depuis longtemps Dunkerque rece- 
vait par bateaux étrangers des marchandises de Saigon et 
du Tonkin; le pavillon national devra l'emporter désor- 
mais. » Rien donc n'est à retenir de ces quelques mots, la 
contradiction engendrant l'indécision. Bienheureux lors- 
qu'un éloge systématique et dithyrambique de l'Indo-Chine 
moderne ne vient pas fausser un raisonnement impartial. 
C'est ainsi qu'un article de M. Depincé, paru dans Idi Reoue 
IndO'Chinoise, déborde de satisfaction en voyant tant de 
compagnies de navigation françaises en Indo-Chine et semble 
déduire de ce fait que le commerce avec la métropole est 
florissant. Cette conséquence est assez inattendue, car, 
habituellement, c'est l'inverse qui se produit, c'est le com- 
merce qui appelle le pavillon. On doit donc examiner cette 
question au point de vue directement opposé. 

Les commerçants de la colonie raisonnent d'une façon 
plus simple et plus exacte. Ils sont les premiers à se déclarer 
fort heureux de l'existence d'entreprises de navigation 
nouvelles, qui leur donnent toutes facilités pour leurs rela- 
tions avec la métropole, en faisant aussi présager une 
baisse probable dans le prix des transports, du fait de la 
concurrence qui s'établit. Ils n'éprouvent que des bénéfices 
pour leurs frets, et pourtant, lorsqu'on leur pose la question 
qui nous occupe, ils paraissent plutôt incrédules. Eux, qui 
ont vu de longue date le développement patient de la colo- 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 287 

nie, qui ont une idée exacte de son fonctionnement normal, 
semblent un peu étonnés du mouvement d'échanges qu'ont 
soudainement déchaîné les travaux publics, les chemins de 
fer et .l'Exposition de Hanoï. Us se rendent parfaitement 
compte que ce fret factice a encouragé les compagnies à la 
création de lignes sur Saïgon et Haïphong, mais qu'il peut 
au maximum durer de trois à quatre ans, d'ici l'achèvement 
des travaux, jusqu'au moment où le dernier rail aura atteint 
le sol indo-chinois. Une brusque dépression succédera à la 
période des vaches grasses, car, en aucun pays du monde, 
la construction de quelques voies ferrées n'a été l'indice 
d'un redoublement prochain de l'activité du voisinage éco- 
nomique. Les commerçants indo-chinois paraissent avoir 
un optimisme moindre que celui des armateurs, en ce qui 
concerne la réussite collective de ces derniers. Un agent 
d'une de ces compagnies, qui apprécie mieux les choses, 
nous dit pittoresquement : « Pensez-vous que lorsque nous 
serons de nouveau réduits au transport des caisses d'ab- 
sinthe ou du calicot ordinaire, il y aura encore pour toutes 
ces entreprises d'armement les éléments d'un trafic notable ? » 
Mais personne ne veut voir le problème, espérant évincer 
le voisin. Quant à l'opinion des commerçants, quelque va- 
leur qu'elle emprunte à sa généralité, elle a besoin d'être 
étayée par des chiffres, ce qu'on aurait dû faire dès le 
début. . 

Nous nous servirons pour cela des statistiques officielles 
du gouvernement général de l'Indo-Chine. Nous reconnais- 
sons que ces documents ont été souvent élaborés avec une 
tournure d'esprit toute spéciale, un souci de certains côtés, 
qui frappent. On paraît avoir désiré mettre avant tout en 
évidence le développement de la colonie et quêter des 
éloges. Les totaux figurent toujours en francs, ce qui fait 
image aux yeux du public, mais jamais en quantité (tonnes) , 



288 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

ce qui fail moins d'effet et a pourtant une grande impor- 
tance pour la marine marchande. Le « pour-cent d'augmen- 
tation » est devenu l'objet d'un culte ardent, qui paraît un 
peu enfantin lorsque la valeur absolue de la denrée est déri- 
soire ; un article passant de i tonne à 2 tonnes soulèverait, 
par son progrès de 100 p. 100, un vif enthousiasme* Enfin, 
il est fait, dans les préoccupations oflicielles, une très grande 
part au mouvement avec la métropole, ce qui est assuré- 
ment patriotique, mais ne reproduit pas assez fidèlement la 
situation de l'Jndo-Chine dans le monde. Ces réserves faites, 
nous allons pouvoir examiner quelques chiffres. 

Le commerce dé l'Indo-Chine se développe. On a bien 
essayé de mettre ce développement sur le compte de l'aug- 
mentation des postes de douane. « Le personnel des douanes 
a triplé depuis cinq ans », nous dit l'auteur d'un livre fa- 
meux ('), qui en déduit que les augmentations constatées 
n'ont rien de réel. Il serait dangereux d'admettre une pa- 
reille explication, quand les statiistiques donnent, pour le 
commerce extérieur, en francs : 

EXPORTATION IMPORTATION 

totale. sur France. totale. de France. 

1899 187937288 23 566 583 116424494 55206693 

1900. ..... 155557800 34767810 i8585o566 74082446 

1901 169789000 39640000 202296000 10Q067000 

Ainsi le développement est évident, mais, pour en inférer 
une opinion dans le cas présent (compagnies métropoli- 
taines), il faut présenter la question sous son véritable jour, 
en ramenant le commerce de la colonie avec la France à 
ses proportions exactes. Déjà le tableau précédent permet 



, (i) M. Je capitaine Bernard, dans V Indo-Chine. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 289 

de constater que ses divers totaux, bien qu'en progression, 
sont notablement inférieurs au commerce étranger, sauf 
peut-être à l'importation, où des tarifs de faveur endiguent 
l'afflux des marchandises autres que les denrées françaises. 
Dans ce dernier cas, nous avons une balance à peu près 
égale (loo à 102 millions), mais, à l'exportation, celle des- 
tinée à la France n'est que le quart du total général ! Le 
Tonkin, dont la richesse croissante est devenue un article de 
foi, nous apporte de pareils résultats. Veut^n voir le résumé 
des trois premiers trimestres de 1902, décomposés en com- 
merce français et commerce étranger ? Nous obtenons pour 
les trois premiers trimestres de 1902 : 



IMPORTATION. EXPORTATION. 



France et colonies 48829467 1689 898 

Étranger 19780481 2oo4i84o 

Ici, le matériel de chemin de fer crée à l'importation une 
supériorité à l'avantage de la France, chèrement compensée 
à l'exportation. De plus, nous remarquerons, plus encore 
que dans les chiffres relatifs à l'Indo-Chine, une énorme 
disproportion entre les deux totaux français, ce qui hérisse 
de difficultés le problème des frets de retour. L'équilibre 
normal des totaux de l'étranger (19 et 20 millions) est l'in- 
dice d'échanges sûrs et réguliers, à peu près égaux des deux 
côtés, rendant possible un mouvement suivi (»). 

Ce résultat est-il fait pour surprendre ? La simple logique 
ne devait-elle pas le faire prévoir depuis longtemps? On 
conçoit pourtant que la situation géographique de l'Indo- 
Chine, à proximité des autres contrées de l'Asie, devait l'in- 
citera entrer en relations très étroites avec elles. Les pro- 



(i) Voir au chapitre du p3rt de Haïphong l'importance, en tonnes, de Tim* 
portation du matériel de chemin de fer (Statistiques des docks). 

RIVAGES INDO-CHINOIS. IQ 



290 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

ductîons de son sol (riz, noix d'arec, etc.) dérivaient na- 
turellement vers des peuples que l'habitat et les coutumes 
faisaient des clients et des vendeurs de l'empire d'Annam* 
Les affinités ethniques, enfin, les ressemblances de mœurs 
et de religion devaient énergiquement contribuer à amener 
cet état de choscfs inéluctable. 

Une personne officielle et autorisée, M. Brenier, l'a pour- 
tant fait exactement ressortir en ces termes : a Cependant, 
il ne faut pas perdre de vue que l'immense marché chinois, 
voisin de notre colonie, et, à un moindre degré, les autres 
pays de l'Extrême-Orient, du Japon à l'Inde, en passant par 
les Philippines, les Indes néerlandaises et la Péninsule ma- 
laise, demeurent le marché principal des produits del'Indo- 

Ghine Il y a là un phénomène naturel contre lequel rien 

ne peut prévaloir, et que traduit si bien ce nom symbolique : 
rindo-Chine Q). » 

Rien n'est plus exact, et j'aurais voulu voir les compa- 
gnies de navigation tenir ce raisonnement dès le début, au 
lieu de se précipiter sur la plus faible part du mouvement 
indo-chinois, et d'essayer de la partager en quatre mor- 
ceaux, insuffisants pour satisfaire les appétits respectifs des 
novateurs. Ceux-ci comptent-ils au moins sur une augmen- 
tation future du transit avec la France ? 

II serait ici assez difficile de se bercer d'illusions. L'ex- 



(1) Nous trouvons dans le budget des colonies pour 1901 : «En ce qui con- 
cerne les exportations, on est frappé de ce fait que les exportations à destina- 
tion de l'étranger sont plus de trois fois supérieures à celles à destination de la 
France. En particulier au Tonkin, l'étranger prend 25 fois plus de marchan- 
dises que la métropole Gela s'explique d'ailleurs en grande partie par ce fait 

que, notamment pour le riz, qui représente 67 p. 100 de la valeur totale des 
exportations, Hong-Kong et Smgapour sont les deux centres d'attraction des 
produits indo-chinois. 

« Si l'on examine les produits pour l'importation desquels la métropole pourrait 
se substituer à ses concurrents étrangers, on ne trouve qu'un total de 5 millions 
à peine^ et encore la charge laissée à nos conmierçants et industriels ne saurait 
être remplie que progressivement. > ... 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 29 1 

portation à destination de la métropole ne subit pas de 
progression notable : les gros articles sont le riz, le sucre, 
lepoivre et les peaux dont le mouvement ne varie guère. A 
l'importation, nous trouvons les tissus, les denrées à l'usage 
des Européens, et enfin les métaux, ces fameux métaux dont 
l'introduction soudaine par doses inattendues a amené dans 
le marché des transports la perturbation présente. Cette ru- 
brique réunit tous les matériaux nécessités par les travaux 
publics et les chemins de fer et, pour les matières ouvrables, 
il y a de quoi rester stupéfait devant la comparaison de 1898 
et de 1901. 

Matières ouvrables importées (tonnes). 

1898. 1901. 

Fers d'angle et à T. . . . 2 9^7 6 794 

Tôles de fer et d'acier . . 886 i i84 

Rails i3io 15439(0 

Acier en barre 1 694 628 

Fil de fer 891 481 

Totaux. . , . . . 7128 24471 

Totalisons maintenant les ouvrages en métaux et les mé- 
taux proprement dits, nous obtenons, toujours en tonnes : 

1898. igoi. 

Ouvrages en métaux. . . 7^47 26948 

Métaux 4790 24471 

Totaux ^^9^7 5i4i4 

On conçoit maintenant le contre-coup qu'a eu sur la ma- 
rine marchande cette iinportation quintuplant brusquement. 
Des localités comme Haïphong, jusqu'ici sièges d'un trafic 
faible, ont vu soudain affluer les navires et les tonnes de 
matériel. Nous avons eu la curiosité de comparer, pour le 
Tonkin, les trois premiers trimestres de 1902 à la période 



29a I^ES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

analogue de 1901, et de voir comment se répartissaient les 
plus-values et les moins-values des articles importants. 
Nous avons trouvé, à l'importation, une augmentation totale 
de 18442^16 fr., dans laquelle les métaux entrent pour 
I2 4i4428fr. et les boissons pour 2602581 fr., donnant 
réunis 16017009 fr., aoit les 5/6 de la plus-value totale. 
Pendant ce temps, les tissus, base d'un commerce stable et 
fixe à cause de la clientèle indigène, diminuent au Tonkin 
de 2 954 955 fr. Les statistiques officielles enregistrent ces 
faits avec joie, ne se rendant sans doute pas compte, pas 
plus que les armateurs, que ce mouvement va disparaître 
avec sa cause et que nous allons revenir pour le tonnage en 
métaux aux chiffres de 1898. M. le capitaine Bernard, envi- 
sageant la question au point de vue financier, dit : « Ces 
dépenses, faites sur des fonds d'emprunt, ne peuvent passer 
pour des preuves de prospérité financière. » Nous ajouterons 
que le fret qui en résulte est forcément passager et factice, 
et que le bluff du fret est une des formes de ce bluff écono- 
mique. Qu'il nous soit permis de rappeler qu'avant cette 
période de dehors brillants, la comparaison des années 
1898 et 1899 accusait, pour le commerce avec la France, 
une augmentation plus normale de 3 081 343 fr., et pour le 
commerce avec l'étranger, une autre de i5 i55 84i fr. ('). 
Nous étions loin alors du bouleversement de igoi-igoS. 

Quel que soit le rôle de ces matériaux, de cette « ferraille » , 
il existe un moyen bien simple de voir si nos quatre com- 
pagnies de navigation peuvent subsister en se partageant le 
fret de ou pour l'Indo-Chine. Il suffit pour cela de totaliser 
les ports en lourd de tous les navires aux différents voyages, 
et d'ajouter les chiffres des diverses compagnies. Nous ob- 
tiendrons ainsi un total qu'il suffira de comparer à la somme 



(i) Rapport du budget des colonies, aajée 1901. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. ^q3 

(en tonnes) de rexportation de France et de Timportatiori 
en France. 11 est même étrange que ce calcul n'ait pas déjà 
été fait et publié. Par ailleurs, nous pouvons raisonner avec 
assez d'exactitude sur le port en lourd, caries marchandises 
transportées entre la colonie et la métropole sont en géné- 
ral lourdes sous un volume normal, ce qui ne permet pas 
aux navires d'alléguer de plusieurs voyages pour en trans- 
porter un poids égal à leur port en lourd. Au reste, notre 
calcul ne sera qu'approché, parce qu'il est difficile d'ob- 
tenir avec précision ces ports en lourd, qui comprennent 
presque toujours tacitement le poids jde charbon, qui n'a 
rien à faire dans la question,. Il sera approché, parce que 
les totaux des douanes sont toujours en francs et non en 
tonnes, et qu'il faut reprendre le calcul soi-même. Quoi qu'il 
en soit, nous trouvons que les Chargeurs-Réunis présentent 
un port en lourd moyen de 5 5oo tonnes, l'Est-Asiatique de 
.5 000 tonnes, la Compagnie Nationale.de 3 5oo tonnes et les 
cargos des Messageries de 38oo tonnes. Chacune de ces 
compagnies faisant un voyage par mois, elles transportent, 
au total, dans l'année : 

(5 5oo 4- 5 000 + 3 5oo -f- 3 8oo) X 12 • 
ou : 17800 X 12 = 2i3 6oo tonnes. 

Doublons ce chiffre, à cause de l'aller et du retour, et 
nous obtenons pour ces diverses compagnies une possibilité 
de trafic de 427200 tonnes par an. D'autre part, en 190 1, 
les chiffres des douanes nous donnent environ, pour le com- 
merce avec la France : 

Exportations de la colonie en France. . 186000 tonnes. 
Importations de France en Indo-Chine , i3oooo — 

Total. 3io 000 tonnes. 

en calculant largement pour satisfaire l'optimisme des con- 
tradicteurs. Il n'en reste pas moins un déchet de 117 200 



^94 I^ES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

tonnes. Pour tenir compte des erreurs dont nous parlions 
au début, réduisons-le à loo ooo tonnes. Les ports en lourd 
réunis de nos compagnies dépassent donc de looooo tonnes 
le trafic actuellement existant entre la France et FIndch- 
Chine. Voilà la réponse à la question que nous nous posions 
au début. 

Ainsi, faible part de la France, augmentation probléma- 
tique, impossibilité actuelle: tout concourt à compliquer le 
problème que nous avons envisagé. Remarquons aveccela 
que l'évolution vers les gros tonnages, la nouvelle classe 
des Chargeurs-Réunis, la mise en service des cargos du 
type Princesse-Marie, le lancement du Cao-Bang, viennent 
encore embrouiller les choses en augmentant la dispropor- 
tion énorme évaluée plus haut. Mettant hors de cause les 
Messageries Maritimes et la Compagnie Nationale, que leurs 
affrètements à TÉtat et leurs subventions maintiendront 
toujours, il est évident que la lutte se circonscrira aux Char^ 
geurs-Réunis et à l'Est-Asiatique, dont le bon sens commer- 
cial est assez connu pour que Ton puisse prévoir une modifi- 
cation aux errements primitifs. Il est probable que ces deux 
compagnies chercheront dés appoints à Textérieur, par des 
escales entre rindo-Chine et la France, ou par une exten- 
sion de leurs lignes vers la Chine, toutes choses souhaitables 
pour le pavillon français. Tel est le remède à ce faux départ 
sur 1-Indo-Chine exclusive, à cette situation sans issue, que 
l'entêtement des adversaires ne ferait qu'aggraver. 

On comprendrait à la rigueur la détermination première 
des armateurs si les relations de l'Indo-Chine avec le reste de 
l'Asie étaient peu importantes. Mais nous avons vu, par les 
totaux généraux, quelle était leur valeur globale. Nous pou- 
vons, pour fixer plus exactement les idées, entrer dans le 
détail des statistiques. Elles nous montrent que Hcwig-Kong, 
par exemple, a fait en 1900 avec l'Indo-Chine un commercé 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. *2q5 

de 67 o34 000 fr. Quant à celui de Singapour, voici sa pro- 
gression en piastres : . 

Commerce total de Singapour avec rindo-Chine. 

1896 - . . 8941757 piastres. 

1897. i3 801 022 — 

1898. 9498688 — 

1899 8434387 — 

1900 10151709 — 

Le total a quelques oscillations, mais sa valeur absolue 
«st toujours importante. Pour nous rendre compte du fret 
auquel correspond ce total en piastres, décomposons l'im- 
portation indo-chinoise dans les Détroits en 1900. Nous 
trouvons, en tonnes : 

Poissons secs 1 4 4^0 tonnes. 

Riz 4i 320 — 

Soie brute 108 -■ — 

Sel ....'. 20620 — 

Peaux 324 — 

Légumes secs 900 — 

Houille du Tonkin 7312 — 

Total 83884 tonnes. 

Et notons qu'il faut encore ajouter à ce total 18 oSg têtes . 
de bétail. On peut immédiatement en déduire approximative- 
ment le nombre de navires nécessaire pour faire face à un 
pareil trafic. Que ne sont^ils français ! 

Saigon, pour ises exportations de riz, nous montre encore 
mieux la disproportion existant entre la part de la métro- 
pole et celle de la Chine, malgré des à-coups irréguliers des 
deux côtés. On a toujours, en tonnes : 

POUR CBINE. POUR FRANCE. 

1896 345 874 tonnes. 38349 tonnes. 

1897. i33i94 — ^ 63 204 — 

'898 37744Q. — . 117 290 — 

1899 340328 — 8o362 — 

1900 124691 — ii5o43 — 



296 LES RIVAGES INDO-CHIfiOIS. 

Et ce sont des Anglais, des Allemands, des Japonais, des 
Scandinaves qui viennent à Saigon charger ce fret à desti- 
nation des divers ports de l'Asie ! On ne saurait raisonnable- 
ment incriminer de ce fait les compagnies métropolitaines, 
qui ne sont pas responsables de ce qui se passe en dehors de 
leur champ d'action, de ce qu'elles n'ont pas prévu dans 
leurs projets d'exploitation. La tâche de relier l'Extrême- 
Orient à l'Europe par une navigation au long cours suffit à 
motiver et à occuper leur activité. Au contraire, les services 
reliant l'Indo-Chîne à ses voisines immédiates d'Asie de- 
vraient être assurés par des navires ayant leur port d'atta- 
che dans la colonie, rayonnant autour d'elle par cabotage, 
et profitant, en un mot, d'une base d'opérations, d'un point 
d'appui, par notre occupation de l'Indo-Chine. Notre colo- 
nie est maintenant assez développée, assez puissante, pour 
remplacer la France dans ces parages. 

Que faut-il donc faire pour créer et pour encourager la 
marine locale indo-chinoise? 






On pense bien que ces considérations ont été comprises 
depuis longtemps par ceux de nos nationaux établis en 
Indo-Chine, et que le spectacle de l'activité économique de 
notre établissement, autant que celui de l'initiative montrée 
par le pavillon étranger, aurait pu inciter à engager des ca- 
pitaux dans des entreprises d'armement. Mais ces bonnes 
volontés, du fait d'une série de dispositions législatives 
bizarrement combinée^, se trouvaient en quelque sorte pla- 
cées hors la loi. Nous allons le faire ressortir en quelques 
mots, en rappelant les desiderata si brillamment exposés, 
-devant la commission du budget des colonies de 1901, par 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 297 

M. Le Myre de Vilers, député et rapporteur, qui n'a cessé 
d'être un des plus ardents promoteurs de notre marine mar- 
chande coloniale. On pourrait objecter que les aperçus his- 
toriques qui vont suivre n'ont qu'un intérêt lointain, mais 
il n'en faudra pas plus pour mettre en évidence que les pro- 
grès faits par nos rivaux ne sont pas exclusivement dus à la 
torpeur nationale. 

Reportons-nous de deux ans en arrière, sous le régime 
de 1893. Celui-ci établit, pour la marine marchande en gé- 
néral, une prime à la navigation de i fr. lo c. par tonneau 
de jauge et par i ooo milles parcourus, pour les vapeurs de 
construction française. Ce dernier point entraînait déjà une 
difficulté pour nos armateurs coloniaux faisant généralement 
usage de vapeurs de i ooo tonneaux à i 5oo tonneaux, pour 
lesquels Hong-Kong et Shang-Haï leur pflfraient des facilités 
d'achat sur place, en deux grands marchés de navires. Cet 
ennui aurait pu facilement être surmonté, si le décret du 
23 juillet 1893, rendu pour application de la loi, ne spéci- 
fiait qu'un navire naviguant hors de France ne pouvait tou- 
cher que les 4/5 de sa prime avant sa rentrée en France, et 
que cette prime était annulée au bout d'une absence excé- 
dant cinq ans. Si nous prenons le cas d'un petit vapeur 
français faisant, par exemple, un service régulier entre 
Saigon et Hong-Kong, on pourra comprendre qu'un voyage 
en France est pour lui hors de mise, tant à cause de sa pré- 
sence nécessaire en Extrême-Orient que de son faible ton- 
nage, qui lui interdit presque une aussi longue traversée. 
Force lui est donc de renoncer à sa prime. D'ailleurs, à dé- 
faut de la précédente, une autre clause prohibitive tout 
aussi bien imaginée intervenait : pour toucher la prime, la 
francisation était nécessaire, et, aux termes de la loi de 
1893, cette francisation n'était possible que dans la métro- 
pole. Le même voyage était encore exigé. 



agS LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Mais* le grief le plus grave visait surtout les dispositions 
touchant le recrutement du personnel. La loi de 1898 lais- 
sait subsister l'antique article 2 de la loi de 1798 obligeant 
les armateurs, quels qu'ils fussent, à former leurs équipa- 
ges en attribuant à Télément français une part des trois 
quarts. Voit-on un armateur colonial recrutant ses matelots 
de cette manière en Extrême-Orient, alors qu'autour de lui 
les Allemands et les Anglais font exclusivement appel aux 
Chinois, aux Malais et aux Japonais, et que leurs navires ne 
^ont souvent même pas commandés par leurs nationaux ? 
Conçoit-on une concurrence possible contre des adversaires 
naviguant dans des conditions aussi exceptionnelles de bon 
marché ? Eût-ôn malgré tout voulu, à prix d'argent, enrôler 
nos inscrits maritimes, on n'eût trouvé personne. Avec cela, 
les conditions techniques imposées à ce personnel ne sim- 
plifiaient pas cette impossibilité. Les capitaines devaient 
être munis de leur brevet de long cours en règle, et il fallait 
un mécanicien de i"^* classe pour toute machine dont la puis- 
sance dépassait 3oo chevaux (»). Naturellement, les rares 
brevetés qui consentaient à venir dans la colonie imposaient 
à leurs compagnies des conditions draconiennes et capri- 
cieuses que rien ne pouvait endiguer, alors qu'il eût été si 
simple de recourir aux services des libérés de la marine de 
guerre désireux de s'établir en Indo-Chine. Mais, pour cela, 
il était nécessaire de consentir au fonctionnement de com- 
missions d'examens siégeant à Saïgon et à Haïphong, que 
la chambre de commerce de Haïphong réclamait déjà dans 
sa séance du 22 mars 1900. 

Ainsi, tout devait se faire en France : primes, francisation, 
examens, de même que les régies du personnel restaient va- 
lables aussi bien aux colonies que dans la métropole. On 



(1) Décret du i«' février 1898. 



LA MARIxNE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 299 

trouve dams cette centralisation à outrance le travers bien 
connu de l'esprit français, qui rêve d'appliquer aux antipodes, 
dans un milieu tout différent, les us et coutumes ayant cours 
à Paris. On se demande pourtant comment cette loi a pu 
durer aussi longtemps, malgré les réclamations très vives 
dont elle a été l'objet. Émus de cette situation paralysant les 
efforts dé nos nationaux, MM. Charles Roux, Maurice Sar- 
raut, Le Myrë de Vilers demandent instamment des modi- 
fications. Déjà, lors de la discussion de la loi de 1898, 
M. Le Myre dé Vilers avait déposé l'amendement suivant: 
<( Les dispositions de l'article 2 de l'acte de navigation 
du 21 septembre 1793 en ce qui concerne la composition des 
équipages ne sont pas applicables aux bâtiments français 
naviguant exclusivementdans les mers tropicales. Ils auront 
droit à la prime, si le capitaine et un quart de l'équipage 
sont français, et le reste de l'équipage composé de sujets 
français, y) Mais les « sujets français » dont nous disposons 
en Extrême-Orient ne sont autres que les Annamites, qui ont 
horreur de la navigation au long cours et qui ne veulent pas 
perdre de vue les côtes de leur patrie. Cet amendement illu- 
soire ne fut pas voté et il faut attendre le rapport du budget 
des colonies dé 1901, rédigé également par M. Le Myre de 
Vilers, pour voir apparaître un projet de loi qui a réussi à 
entrer dans la nouvelle législation potu* dévenir l'article i5 
ayant trait à la composition du personijel. Dorénavant, avec 
la loi de. 1902, on n'exigera à bord des bâtiments coloniaux 
comme Français que : 

I** Tous les officiers (capitaine, second, chef mécanicien, 
lieutenant); 

2® Le maître d'équipage ; 

3® Un minimum de deux marins inscrits maritimes, dont 
l'un pour la manœuvre et l'autre pour la machine. Des to- 
lérances encore plus libérales sont admises pour les équi- 



3oO LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

pages des navires dont le tonnage est inférieur à i ooo ton- 
neaux. La francisation des navires et le paiement des primes 
dans les colonies sont admis en principe et établis par le 
règlement d'administration publique qui suit la. loi du 
7 avril 1902. Enfin on reconnaît l'existence de primes pré- 
levées sur les budgets locaux des colonies et non cumula- 
bles avec les primes métropolitaines ; à cette occasion, on a 
adopté un amendement de M. Bérard à l'article i5, amen- 
dement spécifiant que les navires armés d'après les nouvelles 
facultés n'auraient droit qu'à la prime coloniale. L'organisa- 
tion de commissions d'examens dans nos possessions d'outre- 
mer suivit de près cette réglementation mieux inspirée des 
idées du temps. 

Telle est la nouvelle loi de 1902^ Elle constitue dans son 
ensemble un progrès, bien que la composition des équipages 
ait été consentie d'une manière insuffisante. Certains arma- 
teurs prétendent même qu'à cet égard, la loi de iSgS avait 
l'avantage de laisser dans l'ombre un point de droit facile à 
esquiver, tandis que celle de 1902 insiste d'une manière 
formelle sur des conditions encore trop dures. Nous allons 
en juger. 

Avant l'apparition de cette loi métropolitaine, nous avions 
eu un exemple, en Indo-Chine même, du bon vouloir qui 
animait les pouvoirs à l'égard de notre marine locale. Le 
i4 novembre 1901, le gouvernement général, désireux de 
venir en aide à nos armateurs futurs, institua par un arrêté 
des primes à la navigation française en Extrême-Orient. 
Cet arrêté est intéressant en ce qu'il consacre les quelques 
desiderata déjà exprimés, et cela malgré une législation 
métropolitaine entièrement opposée à ces modifications 
(c'était encore celle de 1898). 11 institue une prime de 
I fr. 10 c. pour les vapeurs de plus de 100 tonneaux et 
âgés de moins de vingt ans, naviguant à l'intérieur de la 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 3o I 

zone d'Extrême-Orient comprise entre les méridiens et les 
parallèles : 

L = 70,1 5' Sud. G = 980 Est. 

L' = 58o Nord. G' = i^o^ Est. 

L'arrêté comprend pour l'obtention de la prime le par- 
cours effectué dans les eaux maritimes des fleuves, pourvu 
que le parcours en mer ne soit pas inférieur à 10 milles ; la 
durée de son application est fixée à quinze ans. Les Fran- 
çais exigés à bord des navires pour l'obtention de la prime 
sont: 



/ au-dessus de 1 000 tonneaux. 

Pour un navire < , c « ^ * 

de 000 a i 000 tonneaux . . 



le capitaine, 

un officier, 

un maître d'équipage ; 

le capitaine, 

un officier; 

de 100 à 5oo tonneaux ... le capitaine. 



Enfin, l'article i3 de l'arrêté limite à i million la dépense 
annuelle qui doit être consacrée aux primes, avec possibilité 
de l'augmenter au fur et à mesure des disponibilités budgé-^ 
taires. Nous remarquons aussi que cet arrêté admettait en 
ligne la construction étrangère proscrite alors en France 
(loi de 1898), qu'il instituait le paiement des primes et la 
francisation dans la colonie, non encore acceptés dans la 
métropole (loi de iSgS), et enfin qu'il ne mentionnait pas 
les voiliers, alors dotés en France de primes exorbitantes. 
Cet arrêté, pour la composition des équipages, ajoutait au 
tableau ci-dessus l'élastique mention: sauf cas de force ma- 
jeure, qui autorisait tacitement d'obligatoires exceptions ; il 
répondait ainsi à des nécessités pressantes. On ne lui a vive- 
ment reproché que sa limitation de crédits, qui semble créer 
une incertitude pour l'avenir; il est juste d'ajouter que les 
navires francisés avant le 3 1 décembre 19 16 auront encore 
droit à la prime pendant quinze ans. Dans son ensemble, 



3oa LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

l'arrêté du i4 novembre 1901 est une innovation législative 
très heureuse. 

Il n'est pas de bonne loi qui ne gagne à être exécutée. Or, 
l'arrêté du i4 novembre 1901 n'est pas encore entré en vi- 
gueur. On a d'abord objecté à sa mise en service des dif- 
ficultés budgétaires à régler, en même temps que l'on atten- 
dait d'un moment à l'autre le vote de la loi métropolitaine 
de 1902, que l'on supposait moins systématiquement opposée 
à l'arrêté colonial que l'archaïque loi de 1898. Voilà que le 
contraire se produit et que les conditions faites pour la com- 
position des équipages sont plus dures 'dans la nouvelle loi 
de 1902 que dans l'arrêté de 1901 ! Vif émoi dans le monde 
maritime indo-chinois. On fait valoir que la loi métropoli- 
taine n'est pas encore promulguée en Indo-Chine. Cet argu- 
ment n'en est pas un, car la promulgation ne saurait tarder. 
Sur ces entrefaites, le gouvernement général a entrepris de 
rassembler à Hanoï en décembre 1902 une commission con- 
sultative de quelques notables commerçants, présidée par 
M. d'Abbadie, le directeur des Messageries Fluviales du 
Tonkin, pour étudier cette grave question et lui soumettre 
un rapport. Il faut aviser à sortir au plus vite de cette 
impasse législative, qui pourrait nous faire perdre le fruit 
de nos efforts et de notre patriotique agitation de l'opinion 
publique. 

Il pourrait sembler que les facilités édictées dans la loi 
métropolitaine de 1902, à elles seules, soient sufGsantes 
pour donner satisfaction à nos armateurs. La réalité est 
tout autre et l'engagement d'un seul officier de commerce 
français, même d'un capitaine, représente un tour de force 
assez rare. Les capitaines français ne veulent naviguer que 
dans les mers d'Europe, et ils ne consentent à s'expatrier 
que munis de contrats inadmissibles pour les armateurs, 
qui, en cas de résiliation ou de maladie, ont toujours les 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTOÊME-ORIENT. 3o3 

frais de rapatriement à leur charge. On pourrait peut-être 
venir à bout de cette difficulté en prenant de très jeunes ca- 
pitaines, parmi ces récents diplômés, si nombreux en France» 
qui languissent dans des postes en sous-ordre et désirent 
tant commander! L'essai serait intéressant à faire. Un autre 
procédé curieux, qui sera sans doute appliqué sur les na- 
vires de la nouvelle Compagnie française de cabotage des 
mers de Chine ^ consisterait à permettre aux capitaines d'avoir 
leur famille à bord, ce qui a lieu sur un très grand nombre 
de bâtiments anglais qui ne naviguent pas plus mal pour 
cela. Serait-ce possible avec nos habitudes françaises? On 
ne sait qu'imaginer pour attirer vers l'Indo-Chine du per- 
sonnel national. Il faudrait aussi exiger, pour le bien du 
servicç, la connaissance courante de la langue anglaise, si 
usitée en Extrême-Orient et sans laquelle il est impossible 
de traiter la moindre question commerciale. 

*Dans l'état actuel des choses, il nous a paru intéressant 
de connaître à cet égard l'opinion de quelques personnes 
expérimentées. Voici en substance l'avis de l'obligeant di- 
recteur de la maison Monty à Haïphong, M. Rousé : « Ce 
qu'il nous faudrait, nous dit-il, c'est la plus absolue liberté, 
la plus grande initiative. L'arrêté de novembre 1901, mal- 
gré son excellente clause restrictive du « cas de force ma- 
jeure », ne donne pas une faveur suffisante à l'armement 
colonial. Les officiers ou les matelots français ne restent 
presque jamais. Ils ont le spleen, se déclarent malades, de- 
mandent à être rapatriés avec indemnités, ce que la loi ré- 
gissant l'inscription maritime leur accorde, par une de ces 
nombreuses obligations qui pèsent si lourdement sur nous. 
On peut se déclarer bien heureux, d'ailleurs, lorsque le peu 
de valeur des gens que l'on réussit à engager ne vient pas 
encore rendre le recrutement plus difficile. Nous avons fait 
un essai loyal sur les vapeurs Hanoï et Hong-Kong. L'état- 



3o4 LES RIVAGES INDO-CHINOIS, 

major est reparti sur sa demande, et je pourrais vous citer 
comme exceptionnel le cas d'un Français resté six ans dans 
la colonie. A l'heure présente, nous ne comptons sur nos 
rôles que cinq Français, le reste est composé de sujets 
danois. Ceux-ci sont habitués au pays, et nous les recrutons 
très facilement dans les Sailors'Homes des colonies anglaises, 
à Hong-Kong en particulier. De plus, ils parlent tous cou- 
ramment l'anglais, ce qui est un précieux avantage pour nos 
relations commerciales et pour les ordres à donner à bord 
aux inférieurs chinois. » 

Cette opinion présente la question sous son véritable et 
triste jour. 

L'existence de notre marine coloniale dépend en partie de 
la manière dont sont établis les droits de phare et d'ancrage. 
A ce sujet, il n'est pas inutile de faire remarquer que l'Indo- 
Chine, comme la métropole, se trouve sur les grandes routes 
maritimes du monde. Les lignes étrangères reliant l'Europe 
à l'Extrême-Orient partent de points précédant la France dans 
l'ordre des escales, pour aboutir en des ports plus éloignés 
que ceux de la colonie ; les possibilités d'escale de ces na- 
vires, sur nos côtes au départ, sur celles de l'Indo-Chine à 
l'arrivée, en sont considérablement accrues. En France, on 
s'est vite rendu compte de cette situation, qui permet aux 
vapeurs étrangers ayant un chargement presque terminé, de 
venir prendre du fret dans nos ports, à un bon marché sans 
inconvénient pour eux, puisqu'il ne s'agit que de compléter 
leur cargaison. On ne s'est pas assez préoccupé de ce grave 
problème en Indo-Chine, malgré les quelques idées assez 
justes qui servent de base aux règlements en usage. 

« L'aventure qui consiste à attirer par toutes sortes de 
faveurs les navires étrangers à venir nous disputer le fret 
serait périlleuse et condamnable », disait M. Raynal lors de 
la discussion de la loi de 1897 au Sénat, Pour créer, en 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 3o5 

vertu de ce principe, un régime de faveur à notre marine 
coloniale, on ne peut raisonnablement pas revenir aux sur- 
taxes de pavillon, qui provoqueraient aussitôt les réclama- 
tions des puissances intéressées, suivies sans doute de 
représailles. Le titre même des droits de phare indique 
assez clairement qu'il s'agit d'un péage devant rétribuer 
une organisation rendant indifféremment service aux natio- 
naux et aux étrangers; la plus élémentaire justice, à défaut 
de l'intérêt bien entendu, interdit le procédé des surtaxes. 
Il faut donc revenir aux péages consacrés par la nouvelle 
loi métropolitaine de 1902, qui autorise les droits par ton- 
neau de jauge ou par tonne de marchandise manipulée. 
Puisqu'il s'agit de préserver l'Indo-Chine d'escales étran- 
<jères trop nombreuses, le moment est venu, de remarquer 
qu'il y a entre lés deux modes de taxation une différence 
radicale. Un exemple le fera mieux comprendre. Prenons 
un navire de 3 060 tonneaux allant à Singapour, à Hong- 
Kong, avec une escale à Saïgon, où il embarque 5o tonnes 
de marchandises. Si le droit est fixé au tonneau de jauge, 
il paiera pour 3 000 tonneaux ; s'il l'est à la quantité de 
matière embarquée, il paiera pour 5o tonnes. Nous avons 
donc tout intérêt à établir nos droits de phare et d'ancrage 
au tonneau. Pour notre marine coloniale, faisant des 
voyages réguliers entre l'Indo-Chine et les ports voisins 
d'Asie, aucun des deux procédés ne présente d'avantage 
marqué sur l'autre, car ses navires arrivent dans les ports 
de notre possession ou les quittent avec des chargements 
complets, qui donnent un poids de marchandises presque 
égal à la jauge nette. Nous en ayons une preuve assez claire 
dans la métropole. Le règlement des droits de quai du 
3 février 1872, taxant au tonnage, contribua, avec la loi de 
1881, au relèvement de notre marine marchande; celui du 
9 juillet 1897, taxant à la marchandise embarquée, se conir 

AIVAGES INDO-CHINOIS. 20 



3o6 LES RIVAGES INDCMIHINOIS. 

binant avec la loi de 1893, eut des efTets tout opposés. Les 
transatlantiques allemands qui font escale à Cherbourg en 
savent quelque chose, et depuis la promulgation de la loi 
de 1902, qui vise au développement de notre marine de 
commerce, nous sommes encore sous le régime du règle- 
ment de 1897, qui encourage les escales étrangères. Pour 
ne pas reproduire en Indo-Chine un antagonisme aussi 
bizarre, nous devons logiquement taxer au tonnage, pour 
appuyer énergiquement l'arrêté des primes de 1901 ('). 

Jusqu'au i" janvier 1902, notre législation indo-chinoise 
manquait d'unité, et les droits de phare et d'ancrage étaient 
appliqués différemment en Cochinchine et en Annam-Ton- 
kin, par des décrets datant respectivement de 1896 et de 
1897. Puis, cette organisation ayant donné lieu à des diffi- 
cultés pratiques, on l'a refondue et unifiée par l'arrêté du 
12 novembre 1901, qui régit les péages dans l'Indo-Chinc 
tout entière. L'administration dit avoir réalisé un « allége- 
ment sensible aux taxes des navires », dans un but d'ex- 
pansion commerciale, mais le résultat obtenu ne paraît pas 
aussi évident. L'ancien système avait sans hésitation ap- 
pliqué en Annam-Tonkin le procédé des surtaxes de pa- 
villon en décuplant le droit pour les navires étrangers. Nous 
trouvons dans le tableau promulgué en 1895 une taxe de 
o fr. o5 par tonneau pour nos navires et de o fr. 5o pour 
les vapeurs des autres pays ; ceux-ci, il est vrai, pouvaient 
par un abonnement, réduire leurs frais à 2 fr. par trimestre, 
ce qui n'en constituait pas moins un traitement rigoureux 
qui a motivé les réclamations des puissances*(*). Le même 



(i) On a soutenu quelquefois la nécessité de la venue des navires étrangers 
dans nos ports pour y attirer le fret national et créer un courant commercial 
dont nos navires auraient bénéficié ensuite. Cette théorie de M. Gaillain ne peut 
s'appliquer à l'indo-Chine, dont les produits afQuent naturellement à Saigon et 
à Haïpnong, sans autre voie plus économique. 

(2) Il eût fallu qu'ils Gssent 4o voyages par trimestre pour ne payer que le 
tarif national. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 3oj> 

ancien système, en Cochinchine, fixait à 3o cent. (ofr. 3<î)) 
par tonneau les droits de phare et d'ancrage, les faisasit 
ainsi dépendre du taux de la piastre. Les fluctuation» de 
ce dernier influaient sur le total des recettes de la coloniîe'i 
En Cochinchine également, de nombreux cas exceptiomurib 
étaient prévus, comme l'exemption complète des droits pour 
les navires faisant des voyages réguliers entre l'Indo-Chiiue 
et l'Europe, et la demi-exemption pour ceux venant d'Asi« 
et allant en Europe, ou vice versa. L'arrêté entré en vigmearo 
le I*' janvier 1902 (le régime actuel par conséquent) renif- 
place ces tarifs particuliers par un droit général de ojr:. 3» 
par tonneau j à percevoir dans toute la colonie ; c'est dba» 
celui qu'il convient d'analyser et de commenter. 

On peut l'envisager successivement au point de vue; ée% 
diverses entreprises qui ont des intérêts eh Indo-Chinfi-» 
Nos compagnies métropolitaines, avec leurs forts tonnagies^ 
fourniraient au total annuel des douanes et régies ua a^ 
point important, si de nombreuses clauses d'exemjMCifâiî 
n'étaient spécifiées. Les paquebots postaux des Messag^eariies 
Maritimes, par exemple, ne paijent pas de droits. Les autces 
compagnies rentrent dans le cas de l'article 5 (§ 8) qui dit 
que les navires faisant un service régulier entre Fuw des 
ports de tlndo-Chine, considéré comme escale ou tête de 
ligne y et les ports de tous autres pays, sauf ceux enviscegés 
à t article 11 (*), sont libérés des péages. Il faut s'empresse» 
de dire que la condition est pour cela que les vapeùra fa»» 
sent au moins trois voyages par an, et les voiliers deux. 
Comme les conditions d'exenàption sont personnelles- aïox 
navires, diverses compagnies et notamment les Chargiewrs- 



(i) Ces ports de l'article ii sont ceux situés dans la zone dont nous avions 
déjà parlé pour l'arrêté des primes, et dont les limites sont : 

L = 7«,i5' Sud. G = 980 Est. 

L' == 58« » Nord- G' = i4o» Est. 



3o8 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

R(^unis, ont réclamé contre ces délais trop étroitement 
consentis. Les Chargeurs-Réunis font ressortir qu'il n'est 
possible d'y satisfaire qu'en se bornant à Marseille comme 
escale de France, ce qui sacrifierait les régions du Nord et 
de nombreux intérêts français. Le voyage d'un vapeur des 
Chargeurs comporte en effet un départ de Dunkerque les 
25 et de Marseille les ii de chaque mois, soit i6 jours 
employés à la navigation sur les côtes de France, ou 32 sur 
un voyage complet. Nous devons ajouter à ces 32 jours les 
deux mois des traversées, le séjour en Indo-Chine et le 
séjour en France pour arriver à un total supérieur à quatre 
mois, en y mentionnant les réparations et les passages au 
bassin. Il est donc clairement prouvé qu'il est presque im- 
possible à nos navires de remplir les conditions exigées 
pour l'exemption. Pour les voiliers, l'obligation du voyage 
par semestre est encore plus dure. La réalité des faits nous 
montre que beaucoup de nos navires sont loin d'avoir un 
traitement de faveur, et qu'ils paient intégralement les 
droits de phare et d'ancrage, en même temps que des taxes 
de pilotage par trop élevées. 

Comment, avec cette nouvelle réglementation, devra 
payer notre marine coloniale naissante ? Les armateurs 
rentrent dans le cas de l'article 7 : 

« Les navires effectuant des voyages entre l'un des ports 
de l'Indo-Chine, comme tête de ligne ou escale, et les ports 
de l'article 1 1 , et ayant accompli six voyages dans le cou- 
rant d'une année, ne sont assujettis, à partir' du septième 
voyage, qu'au paiement du cinquième de la taxe ('). » 

En réalité, la mention contenue dans cet alinéa ne 
constitue une mesure de faveur pour nos navires que lors- 



(i) Les navires français ne bénéficient du paiement du cinquième des droits, 
pour tous leurs voyages, qu'à partir du seizième parcours. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. Sog 

qu'ils ont dépassé leur seizième voyage. A tonnage égal, 
entre le sixième et le seizième voyage, le navire étranger 
jouit déjà de sa réduction du cinquième, alors que le navire 
français est soumis au droit commun. L'égalité n'a lieu quç 
du premier au sixième voyage. Doit-on prendre cette res- 
triction comme une manière détournée d'engager nos na- 
vires coloniaux à faire plus de seize voyages par an, ou 
comme un moyen d'éviter les réclamations étrangères à 
l'occasion de leurs avantages ? Toujours est-il que ces droits 
ainsi conçus n'ont pas été favorablement accueillis au To;i- 
kin, où la maison Marty s'est faite l'écho principal des 
plaintes. Dans une réclamation récemment adressée au 
Gouvernement, elle a mis en évidence les points faibles de 
l'arrêté. Il ne pouvait en être autrement au Tonkin qui vi- 
vait jusqu'ici sous l'ancien système des surtaxes de pavillon, 
maintenant abandonné. La quotité du droit, d'ailleurs, est 
encore un argument. Fixée primitivement au Tonkin à o fr. o5 
pour les navires français et à o fr. 5o pour les étrangers, on 
l'unifie à o fr. 4o: allégement de o fr. lo pour les étrangers, 
alourdissement de o fr. 35 pour les Français. « Nous sup- 
porterions cette taxe assez facilement, nous dit encore 
M. Rousé, si elle n'était illogique et si elle n'avait l'air de 
faire adroitement rentrer dans la caisse de la colonie l'ar- 
gent qui en sortira avec l'arrêté des primes. » Cette bou- 
tade a pourtant un côté sérieux qui fait désirer un remanie- 
ment de la situation créée par le règlement du 12 novembre 
1901. 



* * 



Le moment est donc venu de reprendre courage et de 
travailler au relèvement de notre pavillon en Extrême- 
Orient. Déjà certains faits récents nous montrent une 



3iO . LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 



tance meilleure et une initiative qui ne demandent qu'à 
se flfianifester. Dans l'étude des entreprises actuellement 
existantes ou en formation, nous ne saurions passer sous 
fliience l'énergie et la persévérance de ceux des nôtres qui 
Q0t lutté pendant les mauvais jours, sans défaillance, sans 
primes, malgré une législation qui leur imposait des obli- 
gations sans leur donner en retour le moindre avantage. 
Qwe Ton nous permette de rendre à ces hardis Français, à 
ftti l'on doit de n'avoir pas vu notre pavillon entièrement 
disparaître, l'hommage de notre reconnaissance et de notre 
adiiniration ! 

C'est surtout à la compagnie Marty que nous devons le 
maintien de nos positions et l'arrêt dans une déroute que 
lien ne semblait limiter. Cette compagnie s'est formée en 
1^9 1 pour relier le Tonkin à Hong-Kong, en s'arrêtant aux 
escales intermédiaires et en desservant l'île d'Haïnan, sur 
les côtes de laquelle les Messageries Maritimes n'avaient 
&it l'année précédente qu.'une éphémère apparition. Grâce 
à ia compagnie Marty, notre participation au mouvement 
àa port de Hong-Kong s'est maintenue sans recul. Celui 
d'jHaTnan accusait en 1896 une circulation annuelle de 
432 bâtiments de la compagnie, avec 282 474 [tonneaux, 
lo^ntré 200 navires d'autres pavillons, jaugeant seulement 
4.56 4o6 tonneaux. A Hoï-Hao, port du nord de l'île, la 
pr<o)portion du nombre des entrées françaises est de i5o à 
££2 en 1895. Ces chiffres sont honorables, brillants même, 
si l'on tient compte de ce que notre compagnie était réduite 
à ses seules forces, et de ce qu'elle devait lutter contre la 
concurrence allemande, toujours plus audacieuse, qui était 
venue s'installer à Haïphong par les compagnies Diedrichsen 
4Rt Jebsen, de Hambourg. Et le fret entre le Tonkin et 
Ifeng-Kong, à quelques mois près, n'est guère en rapport 
avftc le tonnage global des compagnies qui se le partagent 1 



LA M.VRINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 3l I 

Les Célestes eux-mêmes voulurent se mettre de la partie et 
disputer aux compagnies déjà existantes la suprématie sur 
la ligne exploitée ; ils constituèrent une société de naviga- 
tion à laquelle un tiers prêta sa raison sociale. Les Euro- 
péens oublièrent leurs vieilles rancunes pour faire face à 
rennemi commun : Français et Allemands se syndiquèrent 
et, par une entente, firent baisser le prix du fret jusqu'à 
o fr. 3o et o fr. lo par sac de riz. La guerre se poursuivit à 
outrance. Elle se termina par l'écrasement de l'entreprise 
chinoise, qui manquait de capitaux, mais, du côté dés vain- 
queurs, les pertes étaient grandes. Elles se montaient à 
3oo 000 piastres pour la maison Marty, qui avait soutenu 
rhonne,ur du pavillon français et qui n'allait plus avoir do- 
rénavant qu'à combattre les navires allemands. 

La compagnie a sa maison principale à Hong-Kong et sa 
succursale à Haïphong. Sa flotte, sans réunir un tonnage 
considérable, est cependant largement suffisante pour les 
lignes qu'elle dessert. Nous y trouvons le Hanoï et le Hong^ 
Kong, deux vapeurs de 63o tonneaux, et le Hué, à deux 
hélices, de 765 tonneaux; ces trois navires ont un port 
en lourd de i 200 à i 3oo tonnes. Deux autres plus pe- 
tits, le Hoî^Hao (609 tonneaux) et le Haïnan (249 tonneaux), 
«ont réservés à la navigation de l'île d'Haïnan et ne vien- 
nent à Haïphong que lorsque l'importance du trafic justifie 
leur présence. Dans ce cas, pendant la forte exportation du 
Tonkin, il arrive même à la compagnie Marty d'affréter des 
navires étrangers et de les faire naviguer sous pavillon 
français. Pour se fournir de ses propres bâtiments, elle a 
laissé libre cours à son choix; ainsi le Hanoï et le Hong- 
Kong ont été construits à Sunderland, le Hué et le Hoï- 
Hao achetas au gouvernement de Formose. On voit l'utilité 
qu'il y a à autoriser nos futurs armateurs à faire sur place 
des achats, ou des commandes de navires. 



3l2 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

Depuis noire établissement à Quang-Tchéou-Wan, le» 
vapeurs Marly desservent cette enclave, et reçoivent de la 
colonie pour le parcours Haïphong-Quang-Tchéou-Wan une 
subvention calculée par mille effectué; la ligne continue 
ensuite sans subvention sur Hong-Kong. La compagnie se 
déclare fort peu satisfaite de ce contrat, qui l'oblige à or- 
donner des départs fixes, sans considération des questions 
commerciales, pour un mouvement de passagers et de mar- 
chandises insignifiant et une redevance assez faible. Lors- 
qu'il s'agit d'un vapeur comme le Huéj par exemple, qui 
consomme beaucoup de charbon, le gain de ce voyage bi- 
mensuel devient problématique. 

Telles sont les grandes lignes de l'exploitation actuelle. 
Le dernier mot des directeurs n'est pas dit, et nous pour- 
rions voir d'ici peu une ligne créée sur le Yang-Tsé pour 
relier Shang-Haï à Hankéou, ligne dont nous avons déploré 
l'absence et qu'une maison de Shang-Haï, Racine Acker- 
mann et C^^, est venue demander instamment au gouverne- 
ment général, en l'incitant à accorder au début une légère 
subvention. Nous avons même été sur le point de réaliser 
une entreprise plus grandiose. L'idée du gouvernement 
ayant été d'assurer d'une manière permanente les relations 
de notre ministre à Pékin avec le gouverneur de l'Indo- 
Chine, des pourparlers furent engagés avec la maison Marty 
pour la pressentir au sujet d'une ligne de navigation allant 
du Tonkin au golfe du Petchili. D'un commun accord, on 
s'accorda à fixer le point terminus à Haïphong, en adop- 
tant les escales de Pak-Hoï, Hoï-Hao, Quang-Tchéou^ 
Hong-Kong[, Takou, New-Chang, Dâlny, Chemoulpo, 
Shang-Haï et retour. Comme on le voit, il ne s'agissait de 
rien moins que d'organiser un vaste service de cabotage de 
la Chine, subventionné par Tlndo-Chine, mettant en ligne 
des capitaux et des navires en rapport avec l'objectif à 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 3l3 

atteindre. Hélas ! tout est retombé dans l'oubli, et ce 
louable plaii ne figure plus qu'à titre documentaire dans 
les cartons de la compagnie Marty ! 

L'île d'Haïnan, dont la compagnie Marty ne dessert 
qu'une partie, verra d'ici peu le pavillon français d'une 
manière plus continue. En février 1901, on nous annonçait 
d'Hoï-Hao qu'un de nos compatriotes, M. Laune, venait de 
s'associer à un Chinois élevé à la française pour organiser 
un service de cabotage autour de l'île, avec un grand 
nombre de chaloupes à vapeur de 60 tonneaux environ. Ce 
tonnage a l'avantage de permettre à ces petits bâtiments 
l'accès des divers mouillages du littoral, mais il n'ejst pas 
suffisant pour supporter sans avaries les typhons ou seule- 
ment la houle ordinaire de la mousson du nord-est. A Hong- 
Kong, nos nationaux s'agitent. MM. P. Lemaire et C**, suc- 
cesseurs de M. Sculfort, établissent une succursale à 
Quang-Tchéou et relient notre possession à Canton par un 
service régulier. Un Lyonnais, M. Prévoux, crée une ligne 
de chaloupes dans le delta du Sikiang et affecte le vapeur 
français le Rhône à la ligne Ganton-Hong-Kong. Cette 
expansion maritime doit logiquement suivre les efforts que 
nous avons faits dans l'estuaire de la Chine méridionale, et 
dont la création d'une poste et d'un hôpital français à Canton 
ont été de suffisantes manifestations. |Par ailleurs, on se 
rappelle l'influence que nous a donnée dans les parages 
de la rivière des Perles la présence continue, lors des évé- 
nements de 1900, de nos canonnières Styx, Comète, Argus 
et Vigilante. Le pavillon français flottait partout. Nous de- 
vons conserver précieusement nos avantages dans cette 
région maritime, et tirer parti de notre position commerciale 
de Quang-Tchéou- Wan. 

En Chine encore, nous allons inaugurer un service fran- 
çais de cabotage entre Shang-Haï et Ning-po, destiné à 



3l4 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

compléter la ligne maritime russe créée pour relier Dalny, 
Taboutissement du Transsibérien, à Shang-Haï. Les vapeurs 
qui vont y être consacrés sont en construction à Tarsenal 
(le Fou-Tchéou ; on s'est arrêté pour eux au type ferry-boat, 
pour des raisons d'exploitation commerciale. 

A côté de ces initiatives louables, Tlndo-Cliine elle-même 
semble pauvrement partagée. Nous nous refusons à faire 
intervenir à l'actif du pavillon français les nombreuses 
chaloupes françaises ou chinoises qui parcourent les deltas 
des grands fleuves, du Mékong et du fleuve Rouge. 

Pourtant, cette navigation fluviale acquiert à Saigon une 
importance considérable, étant données l'étendue du réseau 
à desservir, la profondeur des rivières et la distance des 
points extrêmes des parcours. Toute concurrence étrangère 
est ici écartée, car les pavillons des autres pays n'ont le 
droit de paraître que dans la partie du Donnai comprise 
entre la capitale et la mer. De nombreuses chaloupes à 
vapeur portant les trois couleurs appartiennent cependant 
à des sujets étrangers, Chinois pour la plupart. Ainsi, l'ar- 
mateur Yeng-Seng possède 26 chaloupes doublant toutes 
les lignes des Messageries Fluviales, auxquelles il a enlevé 
une grande partie de la clientèle annamite, en raison de ses 
facilités de paiement et de ses moindres vexations. Avant 
cette flotte vient celle des Messageries Fluviales de Cochin- 
chine, composée de 20 navires de petite taille et de i3 cha- 
loupes, assurant tous les services postaux vers l'intérieur et 
les remorquages éventuels (*). A côté de ces importantes 
compagnies figurent des chaloupes à vapeur iniscrites sous 
des rubriques diverses (Compagnie des dragages, maison 
Bourguignat, maison Berthet ). D'une façon générale. 



(i) Celte entreprise est dirigée par M. Simon, lieutenant de vaisseau hors 
cadres, depuis la oiort de M. Blanchet. 



LA MARINE MARCHANDE FR.VNÇAISE EN EXTREME-ORIENT. 3l5 

ces différentes unités ne peuvent naviguer qu'à la condition 
d'avoir une autorisation du lieutenant-gouverneur, autori- 
sation qui n'est accordée qu'après l'examen d\me commis- 
sion de surveillance des Travaux publics, qui formule un 
avis sur les aptitudes nautiques du navire intéressé. 

Le compte des navires français ayant leur port d'attache 
à Saïgon est très rapidement dressé. La plupart de ces bâti- 
ments ont d'ailleurs un état civil assez douteux aux termes 
des règlements métropolitains, mais on ferme les yeux 
volontiers^ pour éviter d'étouffer dès l'origine les tentatives 
intéressantes d'armement. La Compagnie Nantaise se lança 
jadis sur ce terrain, dirigée par la maison Denis^, avec deux 
ou trois voiliers et quelques vapeurs de construction 
ancienne. Ce grand cabotage, précurseur immédiat des 
essais actuels, a disparu depuis longtemps. De nos jours 
YHélène (240 tonneaux), appartenant à M. Berthet, de 
Saïgon, s'est essayée au cabotage de la côte d'Annam, avec 
escales à Phan-Tiet, Phan-Rang, Nha-Trâng, Song-Cau et 
Qui-nhon, en poussant rarement jusqu'à Tourane. Malheu- 
reusement, V Hélène a été achetée à Singapour à un prix 
beaucoup trop élevé, et le cabotage, assez faible, ne la paie 
pas de ses frais. Le transit qui s'effectue entre les différents 
ports de la côte Est est pour une bonne moitié acquis aux 
jonques, en résultat de longues traditions contre lesquelles 
les méthodes modernes n'ont aucun effet. Dans ces condi- 
tions, les armateurs ne songent pas à étendre leur ligne sur 
Singapour; ils le feraient d'autant moins facilement qu'ils 
sont négociants exportateurs, cherchant avant tout à attirer 
le fret à Saïgon pour le réexpédier ensuite. La seule modi- 
fication à prévoir serait peut-être l'établissement d'une 
ligne directe de Vinh à Hong-Kong. En tous les cas, la fu- 
ture prime serait d'un grand sçcours pour cette entreprise 
qui végète un peu. 



3l6 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

La Melita, appartenant à MM. de Barthélémy et de Pour- 
lalès, résidant à Camraigne, fait aussi la côte d'Annam 
d'une façon intermittente : le fret guide ses voyages. Ici 
encore, bénéfices capricieux. Les armateurs ont heureuse- 
ment pour eux l'appui d'une forte réserve de capitaux, qui 
rassure pour leurs tentatives ultérieures. Un nouvel appel 
de fonds vient d'être fait. 

M. Joutîroy d'Abbans, consul de France à Singapour, a 
armé sous pavillon français un vapeur de yiS tonneaux, le 
BalkaL Ce bâtiment n'a le bénéfice de sa nationalité que 
sur un permis de navigation délivré par son proprié- 
taire ; à part cela, le capitaine est anglais, • Tétat-major 
étranger, et aucune des obligations requises pour la fran- 
cisation n'est remplie. Cette situation bizarre, qui a pro- 
voqué de vives réclamations lors d'un récent passage du 
Baïkal à Saigon, paraît avoir été voulue pour lui réserver 
sur la côte d'Annam le traitement de faveur accordé aux 
navires nationaux. Elle reste donc plus que jamais sujette à 
enquête. 

Yeng-Seng, l'armateur chinois dont nous avons parlé, pos- 
sède la Numidiey achetée par un courtier français et conduite 
à Saïgon, depuis francisée sous le nom de Kampot, Pour 
obtenir cette francisation qu'exige la nationalité du proprié- 
taire, Yeng-Seng s'est mit de compte à demi avec un certain 
Totong, Chinois naturalisé Français, propriétaire de l'usine 
Nam-Luong. La francisation de la Numidie, pourtant par- 
faitement régulière, a causé une très vive effervescence, assez 
peu fondée, dont l'effet a été d'éveiller l'attention des pou- 
voirs sur la situation incertaine des navires français fréquen- 
tant Saïgon. Un registre d'immatriculation a été ouvert 
dans la capitale, et le Kampot y a été le premier inscrit. 

Le Z)o/i/iar (876 tonneaux), des Messageries Fluviales, fait 
un service postal régulier et subventionné entre Saïgon et 



LA MARLNE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. Siy 

Bangkok, avec escales à Poulo-Condore, Hatien et Chanta- 
boun. 

La compagnie française d'Extrême-Orient, à laquelle ap- 
partiennent la iWar///a et IdiLiliaj a connu quelque activité à 
la suite de l'importation du matériel de chemin de fer. Elle 
fait en Indo-Chine des voyages irréguliers, à peu près tous 
les trois mois. 

L'insuffisance actuelle de nos navires est telle, qu'elle a 
donné à plusieurs capitalistes l'idée de constituer une so- 
ciété, la Compagnie française de cabotage des mers de 
Chine, pour remédier en plusieurs points à l'absence de nos 
vapeurs de commerce. Très bien accueillie par les négo- 
ciants chinois de Bangkok et de Singapour, demandée avec 
instance par tous les Français d'Extrême-Orient, elle a dé- 
buté en faisant plusieurs voyages de riz entre Saigon et Ba- 
tavia, et poussera incessamment vers le nord, vers Hong- 
Kong et Shang-Haï. Ses vapeurs sont d'un type tout spécial ; 
le Qaang-Nam (694 tonneaux), le Binh-Thuan (984 ton- 
neaux) que nous avons eu la bonne fortune de visiter, fu- 
rent les deux premiers. Depuis la récente décision du con- 
seil d'administration, on porte leur nombre à six par une 
augmentation du capital. Le Phu-Yen vient d'être lancé à 
Thornaby-on-Tees, aux chantiers Craig-Taylor et C*% pourvu 
d'aménagements du dernier confortable pour passagers, et 
doté des machines perfectionnées de V Engineering Company 
Limited de Sunderland. Il viendra sous peu se joindre à 
ceux qui entament dès aujourd'hui la lutte pour la renais- 
sance de nos intérêts et de notre influence ('). 

Cette entreprise, comme les autres, aura sans doute des 
débuts pénibles, car il s'agira pour elle de troubler des ha- 
bitudes acquises, de sHmmiscer dans un marché occupé 



(1) La compagnie a pour agents à Saigon MM. Weill Wbrmser et Ascoli. 



3l8 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

jusqu'ici par d'autres. On connaît la façon de faire de nom- 
bre de négociants chinois ou même européens. Pour le trans- 
port de leurs marchandises, ils pass^ent un contrat avec une 
société quelconque de navigation, contrat de location à la 
suite duquel un ou plusieurs navires sont attachés en per- 
manence au service de ces maisons de commerce, avec un 
bénéfice de 3 ooo à 4 ooo piastres par mois. Il y a certains 
navires à bord desquels les chargeurs locataires entretien- 
nent un compradorey sorte de gérant de la cargaison, uni- 
quement occupé des questions commerciales, ne laissant au 
capitaine que le soin purement nautique de conduire le na- 
vire. Dans quelques ports, un vapeur libre risquerait de ne 
pas trouver de fret s'il n'était à l'avance affilié à ces maisons 
de commerce ou loué par elles. N'y aurait-il pas d'inconvé- 
nient pour notre pavillon à essayer de ce système? Aucun, 
répondent les personnes compétentes, et ce serait même là 
un moyen excellent de débuter sans grand effort en évin- 
çant nos concurrents. Les Chinois eux-mêmes n'auraient 
aucune répugnance à engager nos navires, car la question 
du taux du fret est la seule qui soit d'un poids quelconque 
en la circonstance. A Hongay en particulier, les vapeurs qui 
viennent charger du charbon au nom des maisons chinoises 
sont indifféremment dés anglais, des allemands, des danois, 
des norwégiens, sans règle fixe et avec de nombreux chan- 
gements. Nos armateurs n'ont jamais voulu se lancer dans 
une telle opération, un peu à cause d'une législation arrié- 
rée : la Compagnie Nantaise avait bien essayé avec la Z/p/re- 
Inférieure et la Sarthe en iSgS, mais l'esSai n'a pas eu de 
suite. Il serait pourtant si intéressant de le renouveler ! 

Voilà donc l'exposé fidèle de notre situation en Extrême- 
Orient. Nous y relevons des entreprises nouvelles qui ne de- 
mandent qu'à prospérer, des audaces intelligentes, des fon- 
dations d'hier, toute une suite de symptômes qui paraissent 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. SlQ 

marquer la fin de la longue période de décadence que nous 
venons de traverser. Ces prodromes ne doivent pas être 
considérés comme l'ultime but du mouvement actuel, mais 
comme un encouragement, un appel aux énergies que nous 
devons prodiguer. Le gouvernement de Tlndo-Chine, pour 
sa part, doit voir en eux l'indication d'une série de mesures 
qui lui restent à prendre pour nous faciliter la tâche, cette 
tâche grandiose et sainte du relèvement national. 



* 



Les réformes nécessaires, les facteurs de prospérité que 
nous venons d'analyser sont évidemment importants, mais, 
avant eux et plus haut qu'eux se placent des remèdes géné- 
raux, un traitement d'ensemble, dont l'effet sera aussi ra- 
pide que celui de ces expédients qui ne guérissent que la 
plaie locale. Et d'abord, ne semble-t-il pas que le meilleur 
moyen d'encourager une marine en formation soit de lui 
donner de la matière de transport, du fret? Partout, en Ex- 
trême-Orient, les compagnies se plaignent de la concurrence 
des adversaires, pour la raison bien simple que le tonnage 
global mis en jeu dépasse la quantité de marchandises à 
charger ('). Nous n'avons aucun moyen de changer un tel 
état de choses en Chine et aux Philippines, par exemple, 
mais nous pouvons le faire dans cette Indo-Chine dont nous 
régissons les destinées suivant notre bon vouloir. Notre ex- 



(i) Le cabotage d'Exlrème-Orient traverse actuellement une crise pénible, 

tant à cause de la concurrence acharnée des diverses compagnies entre elles 

que de l'avilissement des frets. Celui de Hong-Kong à Saigon, de 1901 à 1902, 

baisse de moitié (de 37 cents à i3 cents); celui de Hong-Kong à New-Chang 

' (Petchili) passe de 70 cents à a5 cents I 

Les actions de la compagnie Douglas, émises à 5o dollars, sont tombées à 43; 
celles de la China Manila C^, émises à 5o dollars, en valent aujourd'hui 3a ; 
celles de la compagnie Jardine-Mabheson ont perdu le tiers de leur valeur pre- 
mière. La situation est donc assez grave. 



320 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

])ansion extérieure est limitée du fait que notre colonie n'est 
(|u'un pays de monoculture, qui n'exporte que du riz, où 
tout se règle d'après la bonne ou la mauvaise récolte de cette 
denrée, la prospérité générale comme la balance budgétaire. 
En igoi, la Cochînchine exporte 768639 tonnes de riz, et 
le Tonkin i5o8i8 seulement, soit au total 909367 tonnes; 
les autres exportations paraissent dérisoires à côté de ce 
chiffre, de sorte que presque tout le fret que nous fournis- 
sons dépend d'un seul facteur, qu'un concours de circons- 
tances malheureuses peut compromettre. En 1899, sur- une 
exportation totale de i35 millions de francs, le riz donnait 
à lui seul 98 millions, les saumures et les denrées coloniales 
ne venant après qu'avec 8 et 7 millions 1 On conçoit toute 
l'urgence qu'il y a d'abord à assurer le progrès de notre 
sortie de riz, et ensuite à amener à côté de cette base pri- 
mordiale l'apparition sur le marché des transports d'autres 
marchandises. Il faut, en un mot, encourager les cultures 
ou les industries nouvelles, tout ce qui peut* avoir une heu- 
reuse répercussion sur nos compagnies d'armements. Nous 
arrivons aiûsi, en suivant le développement de notre idée 
première, à prôner les dépenses faites en vue de l'améliora- 
tion agricole, au lieu et place de celles consacrées à certains 
chemins de fer dont l'utilité reste problématique. Un chemin 
de fer, partant d'un port et traversant une région où il n'y a 
rien, n'amènera rien à ce port, qu'auraient aussi bien ali- 
menté les voies fluviales venant d'un arrière-pays riche. Par 
des irrigations nous pouvons, en dépensant 3oo millions, 
mettre 2* millions d'hectares en valeur (') au grand bénéfice 
de notre exportation. Des défrichements s'imposent, comme 
dans le Yen-Thé, dont M. Brenier parle en ces termes : 
« Plus de la moitié des terres abandonnées au moment de la 



(i) Chiffres empruntés au livre de M. le capitaine Bernard. 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 321 

« piraterie aura été remise en valeur, d'après Testimation 
« du résident de la province, dans l'espace de cinq à six 
« ans, par une immigration d'anciens habitants revenant du 
« Delta. Toute cette activité a commencé à avoir sa répercus- 
« sion sur le commerce du riz. » C'est un exemple à suivre 
partout, mais, en l'absence complète de compétence person- 
nelle, nous laisserons aux spécialistes le choix dés voies et 
moyens, nous contentant de juger d'après les résultats en 
tonnes, toujours au point de vue supérieur de notre marine 
marchande. 

Quelles sont les denrées importantes que Tlndo-Chine ex- 
porte, le riz mis à part ? Le total en sera vite fait d'après un 
document semi-officiel ('). 

Le thé. — Le Tonkin en a exporté 4 tonnes en 1899 et 
4 tonnes et demie en 1900, tandis que la part de TAnnam 
est de 180 tonnes en 1900 et de i49 tonnes en 190 1 ; l'Indo- 
Chine, notons-le, importe chaque année environ i 000 ton- 
nes de thé clfînois ! Le sucre de l'Annam est d'une impor- 
tance légèrement supérieure. La progression de l'exportation 
est la suivante : 

1897 8029 tonnes. 

1898 5796 — 

1899 6691 — 

1900 8798 — 

Sans excédent sensible de 1900 sur 1897, le café ne 
donne presque rien. En 1899, ^^ ^^ exportait lo tonnes de 
la Cochinchine et 2 du Tonkin; en 1900, 600 kilogr. seule- 
ment pour toute l'Indo-Chine. Et la France achète annuel- 
lement 6 000 à 7 000 tonnes de cafés indiens. Le tabac n'est 
l'objet d'aucune constatation aux statistiques, alors qu'il 



(1) Ze Développement économique de l'Indo-Chine , par M. Brcnier, sous- 
directeur du commerce, auquel nous empruntons ces quelques chiffres en tonnes, 
divisant par looo des totaux éblouissants en kilogrammes. 



RIVAGES TNDO-CHINOIS. 



322 LES RIVAGES INDÛ-CHINOIS. 

vient à merveille sur ce sol indo-chinois, et qu'un nouveau 
tarif douanier a motivé l'arrachement des plants, dans la 
région de Tay-Ninh, par les paysans furieux. 

Il n'y aurait rien d'impossible à ce que notre colonie de- 
vînt un riche marché de soie, qui remplacerait pour nos 
navires celui du Japon, que nous avons laissé se fermer à 
notre marine. Cependant, l'exportation des soies grèges, 
pour toute l'Indo-Chîne, accuse : 

En 1897 193 tonnes 

1898 190 — 

1899 i85 -^ 

1900 i58 — 

190' ^h — 

ou une diminution très régulière que l'administration ex- 
plique en invoquaut l'achat toujours plus grand de la soie 
par les indigènes dont la fortune s'accroît (?). Le commen- 
taire est ingénieux, mais il ne change rien à une situation 
qui est d'autant plus regrettable qu'il s'agit ià d'une mar- 
chandise chère qui pourrait supporter de gros frets. 

Les peaux brutes sont également en décroissance. On 
trouve : 

1897 2 0i3 tonnes. 

1898 2274 — 

1899 2608 — 

1900 1 358 — 

1901 1 020 — 

Le coton, comme nous l'avons vu à propos de Pnom- 
Penh, a sensiblement baissé. Le coprah, dont la France 
achète annuellement 7 000 tonnes aux Philippines^tà Java, 
n'est plus à présent que l'objet d'un simple trafic. 

Exportation du coprah. 

1897 4^12 toïïïïcs. 1900. 3 Si I tonnes. 

1898 3 084 — 1901 i456 -^ 

1899. 4224 — . - 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. $23 

Nous ne parlerons que pour mémoire du caoutchpucr, 
dont l'exportation était en 1901 de 166 tonnes seulement, 
et avait périclité à la suite de circonstances malheureuses. 

En sus du riz, nous trouvons donc un fret agricole de 
12 000 tonnes environ à l'exportation indo-chinoise. En re- 
gard, que voyons-nous aux Indes néerlandaises ? Le rap- 
port commercial de M. de Coutouly, consul général de 
France à Batavia, nous donne, pour 1900, une exportation 
considérable : 

Tabacs 48996 tonnes 

Café 5 1 034. — 

Gutta-percha 643o — 

Caoutchouc 219 — 

Résine et baume. .... 11 706 — 

Poivre blanc et noir ... 11 897 — 

Thé de Java . 7 634 — 

Total 137675 tonnes, 

total auquel il faut ajouter une exportation de sucre variant de 
600 000 à 80&000 tonnes. On peut donc admettre pour 1' « In- 
sulinde », pour les produits agricoles que nous venons de 
citer, une sortie annuelle de 83 000 tonnes en moyenne, qui 
doit servir de modèle aux créations que nous entreprendrons 
en Indo-Chine. Rappelons-nous également que le dévelop- 
pement de nos exportations entraîne tout naturellement 
l'augmentation de la richesse des populations indigènes, et 
par conséquent celle des importations de l'industrie métro- 
politaine, des tissus notamment. C'est tellement vrai qu'en 
1901, sur 5 800 tonnes de tissus importés, la Cochinchine 
et le Cambodge en achetaient 6017, malgré un chiffre de 
.population très inférieur à celui du Tonkin, à cause de la 
colossale exportation du riz qui entraîne une prospérité 
malheureusement toute locale ('). Un commerçant importa- 

(i) Pendant le premier semestre 1902, sur 2 5o5 tonnes de tissus de coton 
importés en Indo-Chine, la Ck)chinchine en prend à elle seule 2 118I 



324 l'Es RIVAGES INDOCHINOIS. 

leur, à qui l'on demandait la raison de la disproportion de 
ses connaissements de tissus entre Saigon et Haîphong, 
répondait : « J'importe davantage à Saigon parce qu'à 
« Saigon il y a du. riz. » Il y a du riz ! Expression sugges- 
tive qui doit être la règle symbolique de la bonne volonté 
future du dirigeant ! 

Le régime douanier actuel de Tlndo-Chine n'est pas non 
plus exempt de critiques. Nous n'entreprendrons pas l'étude 
détaillée de cette vaste organisation qui laisse passer sans 
minutieux contrôle bien peu d'articles d'échange, et dont 
le commerce de la colonie est unanime à déplorer l'ingé- 
rence continuelle dans des transactions que l'on a tout inté- 
rêt à simplifier. Il nous faudrait pour cela une digression 
qui n'aurait qu'un lointain rapport avec le sujet que nous 
traitons. Nous voudrions rappeler simplement ses tendances 
générales, son désir apparent de constituer avec la métro- 
pole le Zollverein colonial. si cher aux impérialistes d'outre- 
Manche, désir fort patriotique, mais qui va à l'encontre de 
la situation relative de l'Indo-Chine dans le monde. Cette 
situation, comme nous l'avons vu, est caractérisée par des 
relations étroites et forcées avec l'Extrême-Orient, plus 
lointaines avec le monde européen, et, en vertu du principe 
adopté, les premières constituent l'appoint le plus remar- 
quable au total des revenus des douanes, qui passe de 
I2 000 000 de piastres en 1892 à 23 358 000 piastres en 
1902 (*). 

L'eflet de ces taxes diverses n'est pas des plus heureux 
sur le commerce de la colonie avec l'Asie. La régie de l'al- 
cool a presque entièrement tué l'industrie de l'élevage des 
porcs, source d'échanges actifs avec la Chine ; celle du sel 
a porté un coup sensible à l'exportation de cette denrée, en 



(i) Sur les 2^ lAaooo piastres du budget géaéral ! 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 325 

même temps qu'à celle des saumures. Citerons-nous le trafic 
naissant de la badiane, qui a vu son existence à la merci 
d'un tarif dicté souvent par des considérations étrangères 
au bien général, par le vide de la caisse du protectorat ? 
Tout dernièrement encore, il parvint à la chambre de com- 
merce de Saigon une réclamation de' la Société forestière 
d'importation (i8 août 1902) au sujet du droit de sortie 
frappé sur les bois de luxe, qui développe l'exportation du 
Siam au détriment de la nôtre, sans grand avantage pour 
rindo-Chine. Il est bon de faire remarquer que ces droits, 
consciencieusement complétés par un tarif de flottage sur 
les bois du Tonkin, nous prive d'une exportation annuelle 
de 20 000 tonnes, fret qui demanderait encore de nouveaux 
navires. Dans ces conditions, on peut comprendre qu'un au- 
teur se soit écrié : « Comment, dans une situation aussi ins- 
« table, aussi menaçante, tenter quelque entreprise ? Dans 
« un pays de monoculture où toutes les plantations nouvelles 
« devraient être encouragées, comment se livrer à quelque 
« essai dont le résultat le plus clair sera une taxe aussi vexa- 
« toîre que les autres Q) ? » 

Par ailleurs, la barrière opposée à l'immigration chinoise, 
par des taxes de capîtation dont les chambres de commerce 
ont demandé la revision, nuit au développement agricole et 
industriel du pays, en même temps qu'elle prive notre ma- 
rine marchande du fret résultant des relations que ces grou- 
pements étrangers conservent avec leur pays d'origine, 
avec Haïnan, Canton ou le Fokîen. En 1899, l'Indo-Chine 
a importé pour 3 5o5ooo fr. de produits chinois sur 
17 819 000 fr. d'articles de provenance asiatique, sur les- 
quels était frappée la majeure partie des droits. 

Il ne saurait être évidemment question d'alléger ces droits 



(i) Gapilainc F* Beritàrd, Vlndo-Chine, p. xa4« 



326 LES RIVAGES INDO-CHINOIS. 

en les reportant sur les articles français. Telle n'est pas 
notre pensée. Nous croyons plutôt que Ton serait amené, 
par la baisse des ressources douanières résultant d'un allé- 
gement des taxes réservées au mouvement asiatique, à com- 
penser cette moins-value par des économies sérieuses sur 
le budget de F Indo-Chine, en supprimant impitoyablement 
tout ce que ce dernier comporte d'inutilités et de gaspil- 
lages. Ce serait un encouragement indirect à des entreprises 
d'armement nécessitées par un trafic plus considérable avec 
l'Extrême-Orient. 

Cette conclusion assez inattendue nous montre quelle est 
la complexité du problème du pavillon français, et combien 
sont profondes les racines du mal. Les mesures immédiates, 
comme les prîmes ou la réforme des droits de phare et d'an- 
crage, se doublent de l'étude des questions agricoles et 
douanières, des remèdes aux finances indo-chinoises, à tout 
ce qui, en un mot, est destiné à assurer la prospérité de 
notre œuvre. L'espace ouvert devant nos efforts s'élargit 
soudain, et nous en venons à nous apercevoir qu'en cher- 
chant le développement de notre marine marchande, nous 
avons abouti logiquement à vouloir celui de l' Indo-Chine, 
du pays tout entier. N'est-ce pas la consécration d'un prin- 
cipe généralement admis, et qui donne raison à ceux gui 
n'ont rien de plus cher que la vue du pavillon national flot- 
tant à l'arrière d'un navire, fût-il le plus inférieur cargo ? 

En venant prendre possession du poste de Tlndo-Chine, 
le gouverneur général disait devant le conseil supérieur de 
la colonie : 

« Le premier point consiste à développer les travaux 
« d'assèchement et d'irrigation permettant la mise en va- 
« leur de terres nouvelles. » 

Et plus loin : 

« De tout mon pouvoir, je faciliterai les entreprises de 



LA MARINE MARCHANDE FRANÇAISE EN EXTRÊME-ORIENT. 827 

« navigation dans les pays d'Extrême-Orient, et, dans le 
« même ordre d'idées, je voudrais simplifier le plus possible 
« toutes les formalités douanières qui peuvent entraver 
« l'essor du commerce. La question des ports francs, si né- 
« cessaires dans le pays de transit qu'est l'Indo-Chine, mé- 
« rite également d'être étudiée. » 

Allons-nous inaugurer une ère heureuse ? 

Souhaitons-le. 



% 



Casti 




20* 



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i 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages. 

Avant-propos v 

Chapitre I«r. — Le golfe de Siam. — Hatien et Kampot ... i 

— 11. — Le nouveau port de Saigon. — Rizeries. — 

Ateliers et chantiers 20 

— ni. — La côte d'Annam. — Nha-Trang et Quin-Nhon. 95 

— IV. — Le Quang-Nam. — Le port de Tourane. — La 

Côte de fer. — Les houillères d'Annam. . . 122 

— V. — Le port de Haïphong. i64 

— VI. — La baie d'Halong et les Faï-Tsi-Long. — Hon- 

gay et Kébao 198 

— VII. — Le j-ecrutement maritime. — Phares et séma- 

phores. — Observatoires. — Canaux ... 217 

— VIII. — La marine marchande française en Extrême- 

Orient 244 



CROQUIS 



Pages. 

Planche I. — La région d'Hatîen et de Kampot 19 

— IL — Le port de Saigon 96 

— III. — La côte d'Annam et le littoral du Tonkin. ... 121 

— IV. — Le port de Tourane i63 

— V. — Le port de Haï-Phong 198 

— VI. — La côte dTndo-Chine 829 



\ 



Nancy, impr. Berger-Lcvraull et C"