Skip to main content

Full text of "Les rues de Paris; biographies, portraits, récits et légendes"

See other formats


LES 


RUES  DE  PARIS 


TOME     TKOISIEME. 


UCVRAGES  DU  MÊME  AUTEUR. 


La  France  héroïque,  vies  et  récits  dramatiques  d'après  les  chroni- 
ques et  les  documents  originaux,  3^  éd.   4  vol.   iû-12.  10  fr.  »» 
Les  Marins  Français,  suite  et  complément  de  la  France 

héroïque,  2  fort  vol.  in-î2 G  fr.  »» 

Les  Combats  de  la  vie,  2«  édit.  4  vol 8  fr.  w» 

A  l'Ombre  du  Drapeau,  3^^  édit.  4  vol.  in-12  ....  2  fr.  »» 

Le  Soldat,  chants  et  récits,  3'^  édit.  1vol.  in-18.     ...  o  fr.  60 

La  filleule  d'Alfred,  2'-- édit.  1vol.  in-1 2 2  fr.  »» 

La  Caverne  de  Vaugirard,  1  vol 2  fr.  w» 

Quand  les  Pommiers  sont  en  fleurs,  1  vol.    .    .    .  2  fr.  »» 

La  joie  du  Foyer,  {^'  édit.)  1  vol.  in-18 1  fr.  30 

Les  soirées   du  dimanche,  (2'  éd.)  1  Vol,    ....  1  fr.  50 
La  Femme,  ses  vertus  et  ses  défauts,  (Tiré  des  écrits  du 

P.  Caussin),  1  fort  vol.  in-l2 3  fr.  50 

Je  Politique,  (Récits  et  portraits).  1  vol  in-12.      ...  3  fr.  50 


CAMBRAI.   —  IMP.   DE   RÉGKIER-FAREZ,  PLACE-AU-BOIS,  28. 


LES 


RUES  DE  PARIS 


BIOGRAPHIES, 


PORTRAITS,      RÉCITS     ET     LÉGENDES, 


PAIt 


M.  BATHILD   BOUNIOL 


TOME  TROISIEME 


PARIS 

BRAY  ET  RETAUX,  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

82,   RUE   BONAPARTE,    82. 
1872 

(Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés). 


De 

t3 


LES 

RUES   DE  PARIS 


L'ABBÉ  DE  LA  SALLE 


I 


Jean-Baptiste  de  la  Salle,  ué  à  Reims  en  1651,  était 
tils  d'un  conseiller  au  présidial  de  cette  ville  et  de 
mademoiselle  Moit  de  Brouillet.  Il  reçut  au  baptême  le 
nom  de  Jean-Baptiste.  «  On  aura  lieu  déjuger  dans  la 
suite,  dit  le  père  Carreau  qui  écrit  d'après  des  mé- 
moires originaux  et  authentiques,  qu'il  méritait  bien 
de  porter  ce  nom  puisqu'on  le  verra  joindre  la  vie  la 
plus  pénitente  à  une  innocence  qui  ne  s'est  jamais 
démentie.  » 

Après  avoir  fait  ses  humanités  au  collège  de  [Reims, 
il  déclara  à  ses  parents  qu'il  se  croyait  appelé  à  l'état 
ecclésiastique,  et  reçut,  à  l'âge  de  dix- sept  ans,  la 
tonsure  des  mains  de  son  archevêque.  Puis,  quoique 
pourvu  immédiatement  selon  l'usage  du  temps  d'un 
cauonicat  dans  l'église  métropolitaine,  il  se  rendit  à 
Paris  pour  y  faire  ses  études  tliéologiques  au  séminaire 
de  St-Sulpice.  C'était  le  désir  de  ses  parents,désir  auquel  il 

TOME  III.  1 


2  LES   RUES   DE    PARIS. 

était  heureux  de  se  conformer.  Moins  de  deux  années 
après,  une  double  et  douloureuse  catastrophe  vint  l'ar- 
racher à  sa  studieuse  retraite.  Il  perdit,  à  quelques 
mois  de  distance,  son  père  et  sa  mère  qu'il  aimait  ten- 
drement, et,  quoique  âgé  de  vingt  et  un  ans  à  peine, 
devenu  chef  de  famille  comme  l'ainé  de  tous,  il  dut 
revenir  à  Reims  pour  veiller  sur  ses  frères  et  sœurs  plus 
jeunes.  «  Il  se  mit  au  fait  des  affaires  domestiques  et 
pourvut  à  tout  par  sa  prudence.  Les  conseils  qu'il  sut 
demander  suppléèrent  à  sou  peu  d'expérience,  de  sorte 
qu'on  n'eut  point  de  fautes  à  lui  reprocher.  »  Du  reste, 
il  restait  fidèle  à  sa  vocation  ;  mais,  sa  profonde  humi- 
lité, dit  son  historien,  lui  fit  prolonger  beaucoup  le 
temps  des  interstices  prescrits  par  l'Église.  Ordonné 
diacre  en  1676,  il  ne  reçut  la  prêtrise  que  deux  années 
après,  la  veille  de  Pâques. 

Un  de  ses  amis,  l'abbé  Roland,  chanoine  et  théologal 
de  l'église  de  Reims,  lui  avait,  en  mourant,  recom- 
mandé la  communauté  des  Filles  ou  sœurs  de  l'Enfant 
Jésus,  établie  par  ses  soins  dans  cette  ville  et  à  laquelle 
se  montraient  peu  favorables  le  maire  et  les  éche- 
vins.  Cependant  on  avait  peine  à  s'expliquer  ces  pré- 
ventions, car  les  pieuses  filles  «  s'acquittaient  avec 
toute  la  fidélité  possible  des  fonctions  de  zèle  propres  à 
leur  institut.  Depuis  qu'elles  instruisaient  les  orphe- 
lines et  les  autres  enfants  de  leur  sexe,  on  remarquait 
le  changement  le  plus  consolant  dans  cette  jeunesse  qui 
donnait  auparavant  de  justes  craintes  pour  l'avenir.  » 

L'abbé  de  la  Salle,  avec  un  grand  zèle,  s'employa 
pour  les  sœurs  et,  grâce  à  ses  efforts,  la  communauté 
fut  approuvée  définitivement  par  l'ordinaire  et  confîr- 


LABBE    DE    LA    SALLE.  3 

mée  par  lettres  patentes  du  roi.  11  s'applaudissait  de  cet 
lieureux  résultat  lorsque,  par  une  suite  de  circonstances 
dans  lesquelles  pour  lui  se  montrait  le  doigt  de  la  Pro- 
\idence,  il  fut  amené  à  s'occuper  d'une  œuvre  l)ien 
autrement  importante,  la  fondation  de  l'Institut,  dit 
des  Frères  de  la  Doctrine  chrétienne.  Un  certain  Adrien 
Niel,  natif  de  Laon,  était  venu  à  Keims  pour  y  fonder 
une  école  dont  une  pieuse  dame,  du  nom  de  Maillefer, 
s'offrait  à  faire  les  frais.  L'école  s'ouvrit  en  effet  sur  la 
paroisse  Saint-Maurice  et  le  résultat  fut  tel  qu'une  autre 
dame,  appelée  de  Croyères,  «  veuve  sans  enfants  et 
fort  riche  »  piquée  d'une  sainte  émulation,  voulut 
qu'une  école  semblable  fut  établie  sur  la  paroisse  Saint- 
Jacques.  Dans  ce  but,  elle  donna  une  première  somme 
de  500  livres,  et,  tombée  gravement  malade,  elle  légua 
par  son  testament,  à  la  même  intention,  une  somme  de 
10,000  livres.  L'abbé  de  la  Salle,  ayant  servi  d'inter- 
médiaire pour  ces  diverses  bonnes  œuvres,  devint  tout 
naturellement  le  protecteur  des  nouvelles  écoles  et  dut 
s'occuper  aussi  de  la  direction  et  surveillance  des  maî- 
tres ;  car  M.  Niel  «  plein  de  piété  dans  le  fond,  dit  le 
P.  Carreau,  ne  savait  ce  que  c'était  que  se  tenir  dans  les 
bornes  d'une  juste  modération  ;  il  roulait  dans  sa  tète 
mille  projets  d'établissements.  Il  ne  vit  pas  plutôt 
l'école  Saint- Jacques  ouverte  qu'il  pensa  aux  moyens 
d'en  faire  ouvrir  plusieurs  autres,  et  pour  cela  il  se 
donna  des  mouvements  infinis.  Ce  n'était  que  visites 
continuelles  qu'il  se  croyait  obligé  de  rendre  ;  par  con- 
séquent point  d'assiduité  à  ses  devoirs  ;  nulle  attention 
à  veiller  sur  la  conduite  des  maîtres  à  l'égard  de  leurs 
écoliers;  chacun  faisait  à  sa  guise....  Non-seulement 


4  LES   RUES   DE    PARIS. 

il  n'y  avait  point  d'ordre  dans  les  classes,  mais  les  maî- 
tres n'étaient  encore  assujettis  à  aucune  discipline 
extérieure.  » 

L'abbé  de  la  Salle  tâcha  de  remédier  à  ce  désordre 
en  les  réunissant  dans  le  même  local  et  les  soumettant 
de  leur  propre  consentement  à  un  règlement  dont  pro- 
fitèrent les  élèves  comme  les  maîtres.  L'épreuve  ayant 
paru  suffisante  au  bout  de  quelques  mois,  M.  de  la 
Salle  loua  pour  la  petite  communauté  une  maison  plus 
grande  qu'il  vint  lui-même  habiter  accompagné  d'un 
de  ses  frères.  Mais  dès  lors  pour  lui  commencèrent  les 
tribulations  par  lesquelles  Dieu  a  coutume  d'éprouver 
les  siens.  D'abord  la  famille  de  l'abbé  de  la  Salle  blâma 
vivement  ce  genre  de  vie  qu'on  trouvait,  pour  un 
homme  de  sa  condition,  extraordinaire  et  sauvage.  Puis 
M.  Niel,  avec  l'inconstance  de  son  caractère,  voulut  se 
rendre  à  Rouen  pour  y  fonder  de  nouvelles  écoles. 
L'abbé  de  la  Salle,  ayant  vainement  insisté  pour  le 
retenir  à  Reims,  se  vit  dans  le  plus  grand  embarras  ; 
((  car  n'ayant  jamais  prétendu  que  favoriser  de  son 
pouvoir  l'établissement  des  écoles,  il  se  trouvait  réduit 
à  en  soutenir  tout  le  poids  s'il  ne  voulait  pas  les  voir 
tomber  entièrement....  Après  bien  des  réflexions,  sans 
se  proposer  de  devenir  fondateur  d'ordre,  il  se  déter- 
mina à  ajouter  les  soins  fatigants  de  la  conduite  des 
écoles  aux  peines  incroyables  qu'il  prenait  à  former  des 
maîtres.  » 

La  tâche  en  efiet  était  laborieuse  <(  et  dit  son  histo- 
rien, on  ne  peut  exprimer  les  dégoûts  qu'il  eut  d'abord 
à  essuyer  en  vivant  avec  des  hommes  si  peu  disposés 
par  l'éducation  qu'ils  avaient  reçue  pour  la  plupart  à 


LABBÉ    DE    LA    SALLE.  5 

la  perfection  du  christianisme.  Des  inquiétudes  sur 
l'avenir  agitèrent  ces  liommes  attachés  encore  à  la 
terre,  u  A  quoi  nous  servira  la  vie  dure  que  nous 
»  menons,  se  dirent-ils,  les  uns  aux  autres?  Il  n'y  a 
»  rien  de  solide  dans  l'état  que  nous  avons  pris.  Nous 
»  perdons  notre  jeunesse  dans  cette  maison.  Ne  ferions- 
))  nous  pas  mieux  d'apprendre  des  métiers  qui  fourni- 
))  raient  sûrement  à  notre  subsistance  ?  Que  devien- 
))  drons-nous  si  notre  père  nous  abandonne  ou  si  la 
))  mort  nous  l'enlève  ?  » 

Ces  réflexions,  on  les  luisait  même  devant  M.  de  la 
Salle  qui  reprit  vivement  ses  disciples  en  leur  repro- 
chant leur  manque  de  confiance  en  la  Providence.  «  Il 
»  vous  est  bien  facile  de  parler  ainsi,  lui  fut-il  répondu, 
))  vous  qui,  en  outre  de  votre  canonicat,  possédez  un 
»  riche  patrimoine  dont  les  revenus,  quoi  qu'il  arrive, 
»  vous  mettent  à  l'abri  du  besoin.  »  M.  de  la  Salle  ne 
put  se  défendre  de  quelque  sensibilité  en  entendant  cette 
objection  plus  spécieuse  cependant  que  réelle,  car  tous 
ses  revenus  passaient  eu  bonnes  œuvres.  Toutefois,  il 
comprenait  que,  pour  parler  à  ses  disciples  avec  toute 
l'autorité  nécessaire,  il  devait  prêcher  d'exemple  et, 
après  avoir  pris  conseil  d'hommes  éclairés  et  pieux,  il 
se  démit  de  son  canonicat  en  faveur  d'un  autre  ecclé- 
siastique. Il  fît  plus,  il  se  dépouilla  de  tous  ses  biens  et 
par  une  conduite  qui  semble  extraordinaire  selon  la 
prudence  humaine,  mais  qui  lui  était  dictée  par  une 
inspiration  supérieure,  ((  il  se  sentit  in\dnciblement 
porté  à  ne  rien  domier  même  à  ses  disciples  et  à  ne  rien 
réserver  pour  lui-même.  Il  trouva  un  goût  infini  à 
penser  au  bonheur  de  ceux  qui  se  confient  uniquement 


6  LES   RUES   DE   PARIS. 

dans  les  soins  de  la  Providence.  L'idée  de  tout  tenir 
chaque  jour  de  sa  pure  libéralité  le  ravit  et  il  se  déter- 
mina à  faire  aux  pauvres  la  distribution  de  tout  ce  qu'il 
possédait.  » 

On  était  alors  dans  l'année  1684,  où  sévissait,  en 
Champagne  comme  par  toute  la  France,  une  cruelle 
disette.  M.  de  la  Salle  par  son  généreux  abandon  put 
venir  eu  aide  à  un  grand  nombre  de  malheureux  et 
donner  du  pain  à  beaucoup  de  ceux  qui  en  manquaient. 
Aussi  sa  famille  qu'avait  vivement  mécontentée  la 
cession  du  canonicat  en  faveur  d'un  étranger,  n'osa 
blâmer  l'emploi  qu'il  faisait  de  ses  biens.  Il  n'en  fut  pas 
de  même  de  ses  disciples  qui  murmurèrent  vivement  de 
n'avoir  point  été  compris  dans  la  répartition  et  disaient 
bien  haut  qu'une  partie  de  ces  richesses  aurait  pu  être 
utilisée  pour  la  fondation  des  écoles.  Mais  par  réflexion 
ils  se  calmèrent  et  le  sentiment  égoïste  fit  place  à  l'ad- 
miration, à  la  vénération  pour  celui  que  dès  lors  ils  se 
plurent  à  nommer  leur  père  et  qui  devint  tout  naturel- 
lement leur  supérieur  quand  la  communauté,  sous  son 
influence,  avisa  à  se  constituer  eu  congrégation. 

II 

Dans  cette  grave  circonstance,  M.  de  la  Salle  ne  vou- 
lut pas  s'en  rapporter  à  lui  seul  ;  douze  des  maîtres 
les  plus  vertueux  furent  par  lui  appelés  à  Reims  et, 
après  une  retraite  faite  en  commun  avec  la  plus  grande 
ferveur,  les  principaux  règlements  relatifs  à  la  nouvelle 
congrégation  furent  proposés  et  adoptés.  Le  choix  de 
l'habillement    fut  laissé   à  M.  de  la  Salle  qui,  après 


LABBE    DE    LA    SALLE.  7 

avoir  longtemps  réfléchi,  so  décida  pour  coliii  (pie  les 
frères  portent  anjourd'lmi  encore  et  dans  lequel  le 
fondateur  avait  eu  en  vue  surtout  la  simplicité  jointe  à 
la  solidité.  Mais  cette  simplicité  parut  dr  la  rusticité  et 
de  la  bizarrerie  à  de  certains  esprits  chaj^rins  (|ui 
surent  faire  partager  leurs  pn'îventions  à  beaucoup 
d'autres.  «  On  ne  saurait  croire  combien  cette  sorte  de 
vêtement,  dit  le  P.  Carreau,  attira  d'outrages  à  M.  de 
la  Salle  et  à  ses  enfants.  Dès  que  les  frères  parurent 
avec  leur  nouvel  habit,  la  populace  s'attroupa  autour 
d'eux.  On  les  hua,  on  en  vint  jusqu'à  leur  jeter  de  la 
boue  au  visage,  sans  que  personne  s'avisât  de  prendre 
leur  défense.  Les  magistrats,  qui  auraient  dû  arrêter 
ce  désordre,  se  tinrent  tranquilles  et  virent  de  sang- 
froid  les  insultes  qu'on  faisait  à  tout  moment  à  des  hom- 
mes que  leurs  services  devaient  rendre  précieux  à  la  ville .  » 
M.  de  la  Salle  eut  sa  large  part  des  affronts.  Comme 
il  se  rendait,  couvert  de  la  soutane  de  bure  et  de  la  ca- 
pote, à  l'école  Saint-Jacques  pour  faire  la  classe,  en 
remplacement  d'un  maître  malade,  il  ne  put  é\iter  de 
passer  devant  la  demeure  de  quelques-uns  de  ses  plus 
proches  parents  :  a  Ceux-ci,  animés  plus  que  jamais 
contre  lui  plus  parce  qu'ils  le  regardaient  comme  un 
homme  qui  les  déshonorait  absolument  et  qui  ne  gardait 
plus  aucune  mesure,  témoignèrent  ouvertement  le  mé- 
pris qu'ils  faisaient  de  sa  personne.  La  populace,  n'étant 
plus  retenue  par  aucune  considération,  se  laissa  aller  à 
tout  ce  que  lui  inspira  sa  grossièreté  ordinaire.  On  osa 
lui  donner  des  soufflets  dans  les  rues  ;  et  l'humble  dis- 
ciple d'un  Dieu  outragé  par  les  hommes  montra  toujours 
une  patience  inaltérable.  » 


8  LES   RUES  DE   PARIS. 

Qui  peut  comprendre  ces  entraînements  irréfléchis  des 
multitudes  si  promptes  à  l'ingratitude  contre  leurs 
plus  zélés  bienfaiteurs  ?  Car  que  voulaient  M.  de  la 
Salle  et  ses  généreux  disciples  en  se  condamnant  eux- 
mêmes  à  toute  une  vie  de  privations  et  de  fatigues, 
sinon  arracher  les  enfants  du  peuple  à  la  grossière  igno- 
rance, au  vagabondage  source  de  tous  les  vices,  et  leur 
assurer  gratuitement,  avec  l'instruction  élémentaire 
suffisante,  une  solide  éducation  chrétienne  ? 

Au  mois  de  février  1688,  M.  de  la  Salle  se  rendit, 
avec  deux  frères  à  Paris,  où  l'appelait  le  curé  de  la  pa- 
roisse Saint-Sulpice,  M.  de  la  Barmondière,  pour  lui 
confier  la  direction  d'une  partie  des  écoles.  Il  trouva 
celles-ci  dans  un  afireux  désordre  auquel  il  se  hâta  de 
remédier  et,  dès  la  première  visite  que  le  curé  rendit  à 
Técole,  frappé  du  changement  en  ce  qui  concernait  les 
enfants  placés  sous  la  direction  des  frères,  il  en  témoi- 
gna vivement  sa  satisfaction  à  M.  de  la  Salle.  Cet  éloge 
irrita,  comme  un  blâme  indirect,  le  maître  qui  s'occupait 
des  autres  enfants  ;  il  s'en  vengea  par  des  calomnies 
qui  un  moment  firent  impression  sur  le  curé  même  tout 
prêt  à  retirer  l'école  aux  Frères  et  à  les  renvoyer  à 
Reims.  Mais  prompt  à  reconnaître  son  erreur,  il  se  plut 
à  leur  faire  réparation.  M.  G***  ayant  échoué  de  ce  côté 
eut  recours  à  une  autre  machination  dans  le  but  de 
ruiner  le  nouvel  Institut.  Il  ameuta  contre  les  Frères  la 
corporation  des  maîtres  d'école  de  Paris  qui  se  crurent 
menacés  par  la  concurrence  des  écoles  chrétiennes  et 
gratuites.  Ils  intentèrent  procès  à  M.  de  la  Salle  parde- 
vant  le  grand  chantre  de  l'église  de  Paris.  Celui-ci  ren- 
dit une  sentence  que  supprimait  les  écoles  chrétiennes  gra- 


L ABBE    DE    LA    SALLE.  9 

tuites  comme  contraires  aux  privilèges  des  uiaitres  d'école. 

Malgré  son  horreur  des  procès ,  l'abbé  de  la  Salle, 
estimant  avec  raison  la  décision  inique,  en  appela  au 
juge  mieux  informé.  Après  une  journée  passée  avec  ses 
frères  dans  le  jeune  et  la  prière  «  plein  d'une  sainte 
confiance,  le  lendemain,  il  alla  plaider  pour  les  pauvres. 
Il  parla  avec  tant  d'onction  et  de  force  tout  ensemble 
qu'il  fit  changer  l'arrêt  prononcé  contre  lui.  Les  maîtres 
de  Paris  perdirent  à  leur  tour  et  le  père  des  pauvres  fut 
maintenu  dans  ses  fonctions  de  charité.  » 

C'est  ainsi  que  la  consolation  succédait  à  l'épreuve  et 
il  en  devait  être  de  même  jusqu'à  la  fin.  Alors  que  M. 
de  la  Salle  avait  la  joie  de  voir  sa  pensée  tous  les  jours 
mieux  comprise  et  des  écoles  chrétiennes  et  gratuites 
s'ouvrir  sur  tous  les  points  de  la  France,  à  Calais,  à 
Troyes,  à  Avignon,  (etc.),  il  lui  fallait  lutter  contre 
des  obstacles,  des  contradictions  de  la  part  de  ceux-là 
même  qui  semblaient  désignés  comme  les  protecteurs 
naturels  de  son  œuvre  I  Des  bommes  excellents,  zélés 
et  pieux  ,  des  supérieurs  ecclésiastiques ,  tout  en 
applaudissant  au  bien  qui  se  faisait  et  heureux  qu'il  se 
fît,  auraient  voulu  qu'il  s'accomplit  chacun  suivant  ses 
vues  particulières.  Plusieurs,  et  des  plus  haut  placés,  se 
laissaient  ainsi  prévenir  contre  le  fondateur  que  sa  pro- 
fonde humilité  ne  sauvait  pas  toujours  du  reproche 
d'obstination  dans  son  propre  sens.  Parfois  la  tribula- 
tion  se  changea  en  véritable  persécution  comme  il  advint 
à  propos  de  l'achat  de  la  maison  de  Saint-Denis,  où  par 
la  mauvaise  foi  des  intermédiaires,  M.  de  la  Salle,  non- 
seulement  perdit  une  somme  de  6,000  livres,  mais  se  vit 
exposé  à  des  accusations  injustes  autant  qu'odieuses. 
TOME  m.  i^ 


10  LES   RUES  DE   PARIS. 

Dans  ime  autre  circonstance,  la  sévérité  outrée  du 
maître  des  novices  de  Vaugirard  et  celle  du  directeur 
des  écoles  de  Saint-Sulpice  excitèrent  des  plaintes  dont 
l'écho  retentit  jusqu'à  l'archevêché  ;  l'on  rendit,  des 
torts  des  deux  frères,  responsable  leur  supérieur,  non 
point  sans  quelque  apparence  de  raison,  car,  disait-on, 
il  n'avait  pu  les  ignorer,  ce  qui  était  vrai.  Mais  l'abbé  de 
la  Salle  avait  jugé  ces  plaintes  exagérées;  u  il  croyait 
aussi  que  le  bon  gouvernement  demandait  qull  ne  parût 
jamais  donner  gain  de  cause  aux  inférieurs  de  peur 
d'affaiblir  l'autorité.  Ainsi,  d'un  côté,  il  exhortait  à 
l'obéissance,  à  l'humilité,  à  la  patience,  à  l'observation 
des  règles  ;  de  Tautre,  il  avertissait  le  frère  directeur 
d'avoir  plus  de  douceur  et  de  condescendance,  de  dissi- 
muler à  propos  ;  il  lui  faisait  voir  les  inconvénients  fu- 
nestes d'une  sévérité  qui  ne  connaît  point  d'égards,  qui 
s'en  tient  toujours  rigoureusement  à  la  lettre.  Ces  aver- 
tissements avaient  leur  effet  ;  mais  il  n'était  pas  de 
longue  durée.  » 

Dans  cette  «circonstance,  M.  de  la  Salle  reçut  une 
grande  consolation  de  l'affection  toute  filiale  que  lui 
témoignèrent  ses  disciples  inébranlables  dans  leur  réso- 
lution de  le  conserver  comme  supérieur  général 
quoique  lui-même  insistât  pour  se  démettre  de  ses  fonc- 
tions. Ce  ne  fut  que  plusieurs  années  après,  dans  les 
derniers  temps  de  sa  vie  que,  se  sentant  trop  âgé  et  in- 
firme, l'abbé  de  la  Salle  obtint  de  se  voir  remplacé  par 
un  des  frères  du  nom  de  Barthélémy. 

Dès  lors,  avec  cette  humilité  singulière  qui  lui  était 
comme  naturelle,  «  l'abbé  de  la  Salle,  dans  Tétat  d'in- 
férieur, n'était  occupé  qu'à  donner  tous  les  jours  de 


L  ARBK    DE    LA    SALLE.  H 

nouveaux  exemples  de  vertu  ;  il  était  surtout  un  modiHe 
d'obéissance  ;  il  ne  faisait  rien  sans  permission  encore 
que  le  Frère  supérieur,  à  qui  une  si  grande  exactitude 
était  à  charge  autant  qu'elle  l'édifiait,  voulût  lui  donner 
des  dispenses  générales  en  lui  disant  qu'il  trouv(>rait 
toujours  ]ii(Mi  fait  ce  qu'il  aurait  fait.  » 

Ce  fut  dans  l'exercice  de  ces  vertus  et  la  [^raliiiuc  des 
austérités  dont  il  faisait  ses  délices,  (|ue  l'abbé  de  la  Salle 
se  vit  atteint  de  la  maladie  à  laquelle  il  succoml)a.  Lors- 
qu'on lui  apporta  le  saint  Viatique,  «  confus  d'être  assis 
devant  son  créateur  et  son  juge,  il  se  laissa  emporter 
])ar  un  mouvement  impétueux  de  ferveur,  sans  faire 
attention  à  l'état  d'épuisement  où  il  était  :  il  se  jeta  à 
genoux  pour  l'adorer  et  s'anéantir  devant  sa  souveraine 
majesté.  U  n'y  eut  que  l'ardeur  de  sa  charité  qui  le 
soutint;  aussi  son  visage  parut  tout  enflammé  en  ce 
moment  :  on  eût  cru,  à  le  voir,  qu'il  jouissait  d'une 
parfaite  santé  ;  et  quelques-uns  des  assistants  marquè- 
rent leur  étonuemcnt  qu'on  eût  communié  en  Viatique 
un  homme  qui  semblait  si  bien  se  porter.  » 

Le  surlendemain,  dans  la  nuit  (7  avril  1710),  il  expirait 
à  l'âge  de  soixante-dix-  huit  ans.  «  J'espère,  dit  le  P. 
Carreau,  que,  sur  le  récit  lidèle  que  je  viens  de  faire  des 
principales  actions  de  sa  vie,  tout  lecteur  judicieux  et 
non  prévenu  s'en  formera  l'idée  qu'on  doit  en  avoir. 

u  II  conviendra  que  ce  fut  une  àme  vraiment  géné- 
reuse, qui  fit  les  sacrifices  les  plus  héroïques  ;  qu'il  fut 
d'une  humilité  profonde  qui  le  rendit  comme  insensible 
aux  outrages  et  aux  affronts  les  plus  sanglants  ;  d'une 
mortiticatioii  continuelle  dont  on  ne  trouve  d'exemples 
que  dans  les  plus  grands  saints  ;  d'une  confiance  en  Dieu 


12  LES   RUES   DE   PARIS. 

sans  bornes,  d'un  abandon  total  à  la  Providence. 
«  Il  jugera  que  les  défauts  qu'on  a  prétendu  trouver 
en  lui  n'étaient  rien  moins  que  des  défauts,  mais  des 
qualités  excellentes  ;  que  l'entêtement  et  l'imprudence, 
dont  on  l'a  accusé  témérairement,  n'étaient  qu'une  fer- 
meté digne  de  tous  les  éloges  parce  qu'elle  ne  savait 
point  trahir  la  cause  de  Dieu,  et  une  participation  de 
cette  sagesse  toute  céleste  qui  confond  les  vues  de  la 
prudence  humaine.  En  un  mot,  il  connctitra  que  M.  de 
la  Salle  fut  un  modèle  des  plus  sublimes  vertus,  un 
homme  précieux  à  l'Église  par  ses  travaux  et  par  ceux 
d'un  nouvel  Institut  dont  il  l'a  enrichi  ;  et  que,  semblant 
se  reproduire  dans  ses  enfants,  il  acquiert  chaque  jour 
de  nouveaux  droits  à  la  reconnaissance  publique.  » 

Six  ans  après  la  mort  du  fondateur  des  Frères  des 
Écoles  chrétiennes,  son  ordre  fut  approuvé  par  le  Saint- 
Siège.  Plus  tard,  lui-même  était  déclaré  vénérable  par 
un  illustre  pontife,  heureux  de  rendre  ce  solennel  hom- 
mage à  la  vertu  du  grand  serviteur  de  Dieu,  dont  un 
contemporain  nous  a  laissé  ce  portrait  quant  à  l'exté- 
rieur :  a  II  avait  le  front  large,  le  nez  bien  tiré,  des 
yeux  grands  et  beaux,  presque  bleus  ;  les  traits  du  visage 
doux  et  agréables,  la  voix  forte,  l'extérieur  gai,  serein, 
modeste  ;  le  teint  un  peu  basané  à  cause  de  ses  fréquents 
voyages,  et  animé  pour  l'ordinaire  par  un  peu  de  feu  et 
de  vermeil.  Ses  cheveux  crépus  et  châtains  dans  sa  jeu- 
nesse, devenus  blancs  avec  les  années,  le  rendaient  vé- 
nérable. Ses  manières  étaient  gracieuses  et  honnêtes 
sans  affectation  ;  enfin,  tout  paraissait  aimable  dans  sa 
personne  et  inspirait  la  piété.  » 


EUSTACHE  LESUEUR 

OU  Le  Sueur. 


I 


(i  Soyez  sûr  qu'un  peintre  se  montre  dans  son  ouvrage 
autant  et  plus  qu'un  littérateur  clans  le  sien  »  disait  à 
ses  élèves  David,  qui  ne  faisait  que  répéter  ce  qu'avait 
écrit  Diderot.  C'est  là  une  vérité  (quoiqu'on  puisse  et 
doive  admettre  des  exceptions)  qui  ne  saurait  mieux 
s'appliquer  qu'à  notre  Lesueur  par  ce  que  nous  savons 
de  sa  vie,  encore  que  sur  celle-ci  on  souhaiterait  plus 
de  détails,  de  ces  détails  intimes  qui  révèlent  l'homme 
et  que,  pour  les  obtenir,  nous  n'ayons  cependant  plaint 
aucune  fatigue,  négligé  nulle  recherche.  Il  s'en  faut 
peu  que  nous  ayons  lu  tout  ce  qui  a  été  écrit  et  publié 
depuis  deux  siècles  sur  Lesueur  et  qui  formerait  Inen 
des  volumes,  mais  sans  pouvoir  connaître  autrement 
que  dans  ses  grandes  lignes  la  vie  du  grand  artiste, 
((  cette  vie  si  courte  et  si  remplie,  dit  un  écrivain  con- 
temporain, et  qui  est  presque  un  mystère.  » 

Eustache  Lesueur  était  né  à  Paris,  rue  de  la  Grande- 
Truauderie,  le  18  ou  19  novembre  1616,  1617  et  même 
1619  suivant  d'autres.  Il  eut  pour  père  Cathelin  Le- 


14  LES   RUES    DE   PARIS. 

sueur,  d'une  famille  plébéienne,  originaire  de  Montdi- 
dier,  pour  mère  Elisabeth  Torroude.  Quoique  simple 
tourneur  en  bois  et  non  sculpteur,  comme  l'ont  dit  des 
biographes,  Cathelin  Lesueur,  appréciant  de  bonne 
lieure  les  dispositions  remarquables  de  son  fils  pour  le 
dessin,  le  fit  entrer  dans  l'atelier  de  Simon  Vouet,  pre- 
mier peintre  du  roi,  où  il  se  rencontra  avec  Ch.  Lebrun, 
son  futur  rival,  a  II  commença  à  peindre  sous  M.  Vouet, 
(dit  Guillet  de  Saint-Georges,  le  premier  en  da|;e  comme 
biographe  et  dont  le  témoignage  est  d'autant  plus  pré- 
cieux) et  en  retint  quelque  temps  la  manière,  mais 
ensuite  il  la  changea  avantageusement,  et  étant  se- 
couru de  nouvelles  études,  de  la  force  de  son  génie  et 
de  ses  dispositions  naturelles,  il  peignit  enfin  d'une 
correction  et  d'une  grâce  qui  l'ont  fait  entièrement 
admirer  \  » 

Mais  ce  qui  fut  plus  précieux  à  Lesueur  que  les  con- 
seils de  Youet,  ce  furent  ceux  du  Poussin  à  qui  il  avait 
été  présenté  ou  se  présenta,  lors  du  séjour  en  France  de 
l'illustre  artiste  ;  et,  dit-on,  celui-ci  garda  si  bon  souve- 
nir du  jeune  homme  que,  retourné  en  Italie,  il  prenait 
la  peine  de  dessiner  à  son  intention  les  plus  belles  sta- 
tues antiques  et  lui  envoyait  ces  études,  trésor  inappré- 
ciable aujourd'hui  supposé  qu'on  put  le  retrouver.  Le 
procédé  d'ailleurs  n'a  rien  qui  puisse  surprendre  de  la 
part  de  Poussin  ;  et  il  faut  louer  M.  Yitet  d'avoir  main- 
tenu, contre  M.  Dussieux^  dans  sa  nouvelle  édition  de 

*  Notice  sur  Lesueur,  lue  à  l'Académie^  le  6  avril  1690,  l'aonée 
de  la  mort  de  Lebrun. 
^  Archives  de  l'Art  français,  t.  III. 


EUSTACUE   LESUEUR.  Ift 

V étude  sur  jA'swjur\  CL'ttc  tradition  ancir'iinc  (i(îs  rela- 
tions (le  maitro  à  disciple  (Mitre  Ponssin  et  Lfsuour,  car, 
à  défant  d«3  preuves  matérielles,  elle  a  pour  elle  non 
pas  seulement  la  vraisemblance,  mais  une  sorte  «le  cer- 
titude morale.  Lesuenr,  en  outre,  s'aidait  de  tous  les 
renseignements  (pii  p« vivaient  servir  à  l'éclairer  et  le 
mettre  dans  la  voie  la  meilleure,  au  point  de  vue  de 
l'art  :  «  Son  goût,  écrit  Ch.  Perrault,  lui  avait  fait 
prendre,  dans  l'étude  des  ligures  et  des  bas-reliefs  anti- 
cpies,  ce  qu'ils  ont  de  grand,  de  noble  et  de  majestueux, 
sans  en  imiter  ce  qu'ils  peuvent  avoir  de  sec,  de  «lur  et 
d'immobib;,  et  lui  faisait  tirer  des  ouvrages  modernes 
ce  qu'ils  ont  de  gracieux,  de  naturel,  d'aisé,  sans  tomber 
dans  le  faible  et  le  mesquin.  » 

D'après  un  biographe,  une  circonstance  particulière 
acheva  de  lui  ouvrir  les  yeux  et  lui  fut  comme  une  sorte 
d'illumination  :  «  La  Couronne  possédait  quelques-uns 
de  ces  tableaux-diamants  d'où  jaillit  le  feu  créateur, 
trésors  trop  cachés  alors,  peut-être  aujo'urd'hui  trop 
montrés  aux  regards  ;  Raphaël  apparaît  enlin  à  Le- 
siieur.  La  poésie  du  peintre  d'Urbin  lit  sur  ses  organes 
délicats  la  même  impression  que  l'harmonie  de  Mal- 
herbe sur  ceux  de  la  Fontaine  :  l'artiste  s'éveilla  com- 
plètement. Il  comprit  que  l'imitation  des  formes  et  des 
couleurs  doit  avoir  pour  but  celle  du  mouvement  et  du 
sentiment;  la  peinture  ne  lui  sembla  un  art  que  lors- 
qu'elle est  l'image  poétique  et  l'expression  accentuée 
de  la  vie.  De  ce  moment,  il  fut  peintre  de  l'âme  plus  ({ue 
de  la  matière,  c'est-à-dire  que  la  représentation  maté- 

'  Etudes  sur  l'Art,  t.  III. 


16  LES   RUES   DE   PAIS. 


lielle  ne  fut  pour  lui  qu'uu  moyeu  de  peindre  les  pas- 


sions ^  » 


Combien  Lesueur  n'enviait-il  pas  l'heureux  sort  de 
son  camarade  Lebrun  qui,  grâce  à  la  générosité  du 
chancelier  Seguier,  prodigue  pour  lui  de  ses  bienfaits 
et  lui  ouvrant  si  largement  sa  bourse,  avait  pu  suivre 
Poussin  en  Italie.  Pourtant  ce  fut  peut-être  pour  notre 
artiste  un  bonheur  de  n'avoir  pu  réaliser  ce  rêve  et 
quitter  la  France.  Qui  sait  s'il  ne  dut  pas  à  ce  contre- 
temps, cause  pour  lui  de  si  vifs  regrets,  de  rester  lui- 
même  et  de  ne  pas  exposer  son  talent  à  perdre  quelque 
chose  de  sa  sincérité,  de  sa  candeur,  de  son  originalité? 
M.  Vitet  est  de  cet  avis  et  il  le  dit  en  meilleurs  termes 
que  nous  :  ((  Il  ne  savait  pas  que  c'était  sa  bonne  étoile 
qui  le  retenait  loin  de  cette  Italie  si  belle  et  si  dange- 
reuse. Sans  doute  il  perdit  l'occasion  de  fortes  et  savan- 
tes études  ;  mais  que  de  pièges,  que  de  contagieux 
exemples  n'évita-t-il  pas  !  Aurait-il  su,  comme  le  Pous- 
sin en  fut  capable,  résister  aux  séductions  du  présent 
pour  ne  lier  commerce  qu'avec  l'austère  pureté  du 
passé  ?  Son  âme  tendre  était-elle  trempée  pour  cette 
lutte  persévérante,  pour  cet  effort  solitaire  ?  N'aurait-il 
pas  cédé?  Et  alors  que  seraient  devenues  cette  candeur, 
cette  virginité  de  talent,  qui  font  sa  gloire  et  la  nôtre, 
et  qui,  par  un  privilège  unique,  lui  ont  fait  retrouver 
dans  un  âge  de  décadence  quelques-unes  de  ces  inspira- 
tions simples  et  naïves  qui  n'appartiennent  qu'aux  plus 
beaux  temps  de  l'art.  » 

Doué  d'une  âme  tendre,  porté  même  à  la  mélancolie, 

*  Miel.  Encyclopédie  des  gens  du  monde. 


EUSTACIIE    LESUEUR.  17 

d'ailleurs  profomlément  chrétien  et  liomiète,  Lesueur, 
presque  à  ses  débuts  encore  comme  artiste  et  nullement 
connu,  se  prit  d'aUcction  pour  la  sœur  d'un  camarade 
d'atelier,  ou  comme  dit  un  écrivain  du  temps  :  «  Quel- 
(pi'un  qui  faisait  de  la  peinture  chez  Lesueur.  )>  Gene- 
viève Gousse  était  fille  d'un  marchand  épicier-cirier  de 
la  place  Maubert,  un  notable  bourgeois,  mais,  à  cause 
de  son  fds  sans  doute,  n'ayant  nulle  prévention  contre 
les  artistes.  11  donna  sans  difficulté  à  Lesueur  la  main 
de  la  jeune  personne  (1644)  ;  la  dot  dut  être  assez 
mince,  car  nous  voyons  que  les  embarras  de  sa  position 
et  les  exigences  du  ménage  entravèrent  momentané- 
ment l'essor  du  peintre  par  la  nécessité  de's'occuper  de 
travaux  d'un  produit  immédiat  et  certain.  C'est  ainsi 
qu'il  dessina  et  grava  des  frontispices  pour  des  thèses 
de  théologie,  qu'il  peignit  des  médaillons  pour  des  reli- 
gieuses, des  portraits  de  saints,  etc.  Heureusement, 
Voifet,  alors  surchargé  de  commandes,  eut  besoin  de 
son  aide  et  lui  confia  des  travaux  plus  sérieux,  notam- 
ment une  Assomption  pour  une  communauté.  Vers  la 
même  époque,  Lesueur  peignit  pour  le  cardinal  de 
Richelieu^  dans  l'hôtel  Bouillon,  rue  Platrière,  huit  su- 
jets tirés  du  poème  bizarre  du  Songe  de  Polip/iile  ;  la. 
manière  dont  il  exécuta  ces  taldeaux,  destinés  à  servir 
de  modèles  de  tapisseries,  commença  à  le  faire  connaî- 
tre, mais  bien  plus  encore  le  Saint  Paul  guérissant  les 
malades  par  l'imposition  des  mains ,  une  toile  remarqua- 
ble et  qui  ne  trahissait  plus  en  rien  l'élève  de  Vouet. 

Il  fit  ensuite  divers  autres  tableaux  et  enfin  s'occupa 
de  la  décoration  du  Cloître  des  Chartreux  qui  lui  avait 
été  commandée  par  le  prieur  et  suivant  d'autres  par 


18  LES    RUES   DE    PARIS. 

Anne  d'Autriche  «  la  séréuyssime  reyne  qui  était  si 
légitimement  prévenue  du  mérite  de  M.  Lesueur,  »  dit 
Guillet  de  Saint- Georges.  Il  n'y  a  donc  rien  de  fondé 
dans  cette  imagination,  chère  même  à  des  biographes 
sérieux,  et  dont  la  Nouvelle  Biographie  de  Didot,  par 
exemple,  se  faisait  tout  récemment  l'écho  après  Y  Ency- 
clopédie des  gens  du  inonde,  qui  l'avait  empruntée  à  la 
Galerie  Française  :  «  Au  dix-septième  siècle,  on  récom- 
pensait les  savants  et  les  artistes  par  des  emplois; 
Lesueur  fut  nommé  inspecteur  des  recettes  à  la  barrière 
de  rOurcine.  Dans  l'exercice  de  cet  emploi,  il  eut  une 
discussion  avec  un  gentilhomme  qui  ne  voulait  pas  se 
soumettre  aux  exigences  légales.  Un  duel  s'ensuivit  et 
fut  vidé  sous  les  murs  des  Chartreux  du  Luxembourg. 
Lesueur,  ayant  tué  sou  adversaire,  se  réfugia  dans  le 
couvent  et  attendit  que  sa  famille  calmât  celle  de  la 
victime.  Ce  fut  là  que,  pour  occuper  ses  loisirs  e 
récompenser  l'hospitalité  des  frères,  il  peignit  cette 
belle  série  de  tableaux  de  la  Vie  de  saint  Bruno.  )) 

M.  Vitet  répond  péremptoirement  à  M.  Miel  qui,  le 
premier  ^,  avait  raconté  cette  anecdote  :  «  C'est  là  un 
fait  dont  avant  lui  personne  n'avait  dit  un  mot,  et 
comme  il  n'indique  aucune  preuve  à  l'appui  de  son 
allégation,  comme  nous  savons  au  contraire  par  d'in- 
faillibles indices  que  Lesueur,  à  l'époque  où  il  le  gratifie 
de  cet  emploi  de  commis,  était  entièrement  absorbé  par 
l'étude  de  son  art,  ou  doit  tenir  pour  aussi  peu  sérieux 
l'emploi  d'inspecteur  des  octrois  que  le  fait  d'armes  de 
la  barrière  de  l'Ourcine.  Qu'on  fasse  bon  marché  de 

'  Galerie  française,  1821. 


EUSTACDE   LESUEUR.  19 

semblables  sornettes,  qu'on  en  démontre  le  ridicule, 
rien  de  mieux.  Il  ne  faut  pour  cela  ni  documents  nou- 
veaux, ni  preuves  inédites  :  le  simple  l)on  sens  suOit  ; 
et  c'est  sans  aucun  secours,  sans  autorité  que  nous- 
mème,  il  y  a  plus  de  vingt  ans,  nous  en  avons  fait 
justice.  »  Et  en  etlct,  quoi  de  plus  ridiculement  inventé 
que  ce  duel  fantastique  qui  nous  montre  le  sage  (;t  reli- 
gieux Lesueur  transformé  en  ferrailleur  émérite  et  cou- 
chant, du  premier  coup,  sur  le  pré  son  adversaire  ? 

D'ailleurs,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  les  tableaux  de 
la  Vie  de  saint  Bruno,  ayant  été  tout  pro])ablement 
commandés  par  la  reine,  il  n'y  a  pas  plus  de  vérité, 
quoique  plus  de  vraiseml)lance,  dans  l'autre  version  qui 
assigne  pour  cause  à  la  retraite  de  Lesueur  chez  les 
Chartreux  le  chagrin  profond  qu'il  ressentit  de  la  mort 
de  sa  femme.  Or,  quand  il  commença  son  travail  (1645), 
marié  depuis  une  année  à  peine,  il  venait  d'être  père  de 
son  premier  enfant  qui  ne  devait  pas  être  le  dernier.  La 
Galerie  des  chartreux,  exécutée  en  trois  ans,  fut  terminée 
en  1G48  ou  1640  ;  mais  Lesueur,  pour  répondre  à  l'im- 
patience des  bous  pères,  pressés  de  jouir  de  leur  cloitre, 
avait  dû  se  faire  aider  par  son  beau-frère,  Thomas 
Gousse,  et  par  ses  frères,  Pierre,  Philippe  et  Antoine, 
qui  peignirent,  d'après  ses  dessins  et  compositions,  plu 
sieurs  panneaux  ou  parties  de  panneaux.  Cette  collabo- 
ration, forcée  en  quelque  sorte,  explique  l'infériorité  de 
certains  morceaux,  et  elle  eut  aussi  l'inconvénient  d'en- 
lever à  l'artiste  une  partie  du  prix  convenu,  qui  fut  plus 
que  modeste  ;  on  le  comprend,  même  alors  que  la  reine 
en  eût  fait  les  frais,  l'état  des  finances  ne  lui  permettant 
guère  d'être  généreuse.  Pour  les  vingt-deux  tableaux,  à 


2Ô  LES   RUES   DE   PARIS. 

ce  qu'on  assure,  l'artiste  ne  reçut  pas  plus  que  tel 
peintre  médiocre  d'Italie  pour  un  seul  tableau  com- 
mandé par  des  religieux  de  Bologne. 

A  cette  époque  (1649),  fut  créée  l'Académie  royale  de 
peinture  dont  Lesueur  fut  un  des  douze  premiers  mem- 
bres. Cette  même  année,  chargé  par  la  Confrérie  des 
orfèvres  de  Paris  de  peindre  le  tableau  de  Mai  à  Notre- 
Dame,  il  fit  le  Saint  Paul  prêchant  à  Ephhse,  une  œuvre 
magistrale,  remarquable  par  la  composition,  l'anima- 
tion des  figures  et  la  richesse  du  coloris.  Ce  chef-d'œuvre 
lui  fut  payé  400  livres,  je  dis,  400  livres. 

L'artiste  exécuta,  en  1650  et  1651,  pour  le  monastère 
de  Marmoutiers  et  d'autres  communautés,  divers  ta- 
bleaux dont  ceux  qui  nous  restent  sont  empreints,  en 
outre  du  mérite  artistique,  de  ce  caractère  profondé- 
ment religieux,  qui,  par  la  sublimité  de  l'expression,  ne 
laisse  rien  à  envier  aux  vieux  maîtres  de  l'Ombrie.  C'est 
que  comme  eux  Lesueur  n'était  pas  seulement  un 
peintre,  mais  un  chrétien  fervent,  et  qu'il  ne  faisait  que 
traduire  sur  la  toile  les  sentiments  dont  son  cœur  était 
rempli.  <(  Pour  faire  pareille  peinture  il  ne  faut  pas  être 
sceptique  »,  a  dit  M.  Ch.  Blanc  qui  n'est  pas  suspect. 
Quoi  de  plus  admirable,  de  plus  émouvant,  par  exemple, 
que  le  beau  tableau  des  Martyrs  saint  Gervais  et  saint 
Protais,  entraînés  pour  sacrifier  aux  idoles,  et  peint  pour 
l'église  Saint- Gervais  ? 


EUSTACUE    LESUEUR.  21 


II 


Avec  le  caractère  réservé  de  Lcsueur,  avec  sa  piété 
sincère,  on  aurait  peine  à  comprendre  qu'il  eut  accepté 
de  peindre  à  l'iiùtel  Lambert,  appartenant  au  président 
de  Tliorigny  «  les  sujets  les  moins  graves  de  la  mytho- 
logie, les  amours,  les  nymphes  et  les  muses  »,  dit  M.  de 
Gence,  si  l'on  ne  se  rappelait  la  toute-puissance  du  pré- 
jugé régnant  alors  en  faveur  de  l'antiquité,  cpii  faisait 


dire  si  étrangement  à  Boilcau 


De  la  foi  d'un  chrétien  les  mystères  terribles 
D'ornements  égayés  ne  sont  point  susceptibles,  etc. 

Bien  plus,  un  évèque,  l'un  des  plus  illustres  comme 
des  plus  pieux  de  l'époque,  Fénelon,  c'est  tout  dire, 
n'écrivait-il  pas,  à  l'usage  de  son  royal  élève,  le  7V//?- 
maque,  en  déguisant,  ou  parant,  comme  on  disait  alors, 
des  riantes  fictions  de  la  Fable  ses  utiles  et  précieuses 
leçons,  qui  auraient  gagné  l)eaucoup  à  être  présentées, 
sans  tous  ces  enjolivements  d'emprunt,  sous  une  forme 
attrayante,  sans  doute,  mais  franchement  chrétienne. 
Avec  ce  préjugé  dominant,  souverain  alors,  il  est  facile 
de  comprendre  que  Lesueur  n'ait  pas  eu  l'ombre  d'une 
hésitation  à  la  lecture  de  ce  programme,  quoique  assez 
nouveau  pour  lui,  et  qu'il  ne  se  soit  pas  eftarouché.  du 
choix  de  pareils  sujets  qu'il  avait  vu  traiter  maintes  fois 
par  ses  contemporains,  voire  par  le  plus  illustre  d'entre 
eux,  le  Poussin.  Mais  il  est  juste  de  dire  qu'aucun  d'eux, 
y  compris  le  dernier  même,  ne  fit  preuve  de  plus  de  ré- 
serve «  en  peignant  avec  autant  d'amabilité  que  de 


22  LES    RUES   DE   PARIS. 

décence  »  ces  sujets  m}i;liologiques.  11  fallait  que,  chez 
le  noble  artiste  ce  sentiment  de  l'honnête  fût  bien  pro- 
fond pour  que,  dans  des  peintures  où  le  nu  tient  une  si 
large  place,  son  pinceau  ne  se  permît  aucun  écart,  et,  con- 
duitpar  une  main  discrète  obéissant  au  cœur  le  plus  droit, 
demeurât  d'habitude  tellement  chaste,  que  ces  toiles, 
dont  l'idée  est  toute  païenne,  ne  choquent  pas  même  vis-à- 
vis  des  grandes  et  saintes  pages  de  la  Vie  de  saint  Bruno, 
Lesueur  d'ailleurs  eût  préféré  traiter  toujours  des 
sujets  plus  en  harmonie  avec  son  caractère  ;  mais 
apprécié  surtout,  ou  plutôt  uniquement,  par  des  ama- 
teurs d'élite,  il  n'avait  pas,  tant  s'en  faut,  le  choix  des 
commandes,  et  ne  jouissait  pas  pour  les  contemporains 
de  la  renommée  et  de  la  considération  de  Ch.  Lebrun, 
quoique  la  postérité  ait  élevé  sur  un  bien  autre  piédestal 
celui  qu'elle  a  surnommé  le  Raphaël  français.  Ainsi, 
dans  cet  hôtel  Lambert  même,  Lebrun  avait  obtenu  la 
commande  des  travaux  les  plus  importants  en  laissant  à 
son  émule  la  décoration  des  pièces  moindres,  cabinets, 
salle  de  bains  etc.  Pourtant,  même  alors,  les  connais- 
seurs ne  se  trompaient  pas  sur  leur  mérite  relatif.  On 
raconte  que,  certain  jour,  le  Nonce  vint  à  l'hôtel  Lam- 
bert pour  \isiter  les  peintures  nouvelles  dont  il  était  fort 
parlé  dans  le  monde,  celles  de  Lebrun  bien  entendu,  et 
en  particulier  la  galerie  de  l'Apothéose  d'Hercule.  Après 
une  longue  station  devant  ce  tableau,  on  passa  dans  le 
salon  voisin,  où  se  trouvaient,  peints  au  plafond, 
V Apollon  et  le  Phaéton  de  Lesueur.  Comme  Lebrun  dou- 
blait le  pas,  le  prélat  moins  pressé  le  retint  en  disant  : 
a  Doucement,  arrêtons-nous,  monsieur  I  car  voilà  de 
bien  belles  peintures  !  » 


EUSTACllE    LESUELU.  23 

Suivant  des  auteurs  mémos,  le  Nonce  aurait  «'xprimé 
son  admiration  m  t»>iines  hien  autrement  «hiergifiues, 
mais  très-peu  llatteurs  pour  Lebrun  :  «  A  la  Imhhic 
heure,  voici  des  tableaux  dignes  d'un  niaitre  italien,  1»' 
reste  est  una  cogliuneria  (sottise,  niaiserie).  » 

Cette  seconde  version  n'est  peut-être  pas  très- vrai- 
semblable ;  mais  la  première,  qui  parait  plus  fondée, 
suftit  pour  expliipier  ces  sentiments  de  rivalit»',  d'ardente 
émulation,  sinon  de  jalousie,  (pi'cjn  attribue  à  Lebrun, 
artiste  trop  éminent  lui-même  pour  ne  pas  reconnaître, 
dans  son  i'nr  intérieur,  la  supériorité  «le  son  ancien  ca- 
marade et  peut-être  s'en  in<iuiéter.  «Ne  se  croyait-il 
pas,  sans  ce  rival,  assur»'  de  la  faveur  du  ]»ublic  comme 
de  celle  du  roi  prodiij^ue  pour  lui  <le  ses  récompenses, 
dont  pas  une,  ou  a  regret  à  le  dire,  n'alla  cliercher  Le- 
sueur  ?  »  Ainsi  s'expriment  à  tour  de  rôle  et  assez  étour- 
diment  les  biographes  ({ui  oublient  que  Louis  XIV  avait 
ilix-scpt  ans  à  peine  quand  mourut  Lesueur.  LaUiofjra- 
Ijliie  universelle j  après  d'autres,  n'en  fait  pas  moins  d'un 
air  contrit  écho  à  ces  doléances  :  «  Lebrun  cherchait  à 
s'attirer  exclusivement  par  l'allégorie  de  ses  louanges 
les  bienfaits  de  Louis  XIV,  auxquels  on  sait  qu'en  ell'et 
Lesueur  comme  le  bon  la  Fontaine  n'eut  point  de  part.» 

D'ailleurs,  il  faut  reconnaître  que  notre  artiste  igno- 
rait l'art  de  se  produire  a  modeste,  inoflensif,  incapable 
d'adulation  »,  il  disait  en  parlant  de  ses  rivaux  :  u  J'ai 
toujours  tout  fait  et  toujours  je  ferai  tout  pour  être  aimé 
d'eux.  »  Il  ajoutait  :  «  Est-ce  donc  un  crime  d'être  stu- 
dieux, de  chérir  son  art  et  de  faire  tous  ses  eûbrts  pour 
y  réussir  ?  »  Ce  langage,  conforme  à  son  caractère  comme 
à  ses  principes,  nous  ferait  un  peu  douter  de  l'idée  que 


24  LES    RUES   DE   PARIS. 

lui  ont  prêtée  sans  doute  certains  biographes .  D'après  eux, 
il  se  serait  peint,  dans  une  allégorie,  pas  précisément 
modeste,  triomphant  comme  le  Poussin  de  tous  ses  ri- 
vaux. 

Nous  avons  dit  plus  haut  ce  qu'il  fallait  penser  de  la 
retraite  de  Lesueur  chez  les  Chartreux  et  de  la  sotte  in- 
vention du  duel  dont  le  sieur  Miel  est  seul  coupable.  Les 
biographes,  presque  jusqu'à  ces  derniers  temps,  ne 
semblent  pas  avoir  été  mieux  renseignés  sur  d'autres 
circonstances  et  des  plus  importantes  de  la  vie  du 
Maître.  M.  Gh.  Blanc,  d'ordinaire  plus  exact,  nous  dit 
rondement  :  «  Il  ne  fut  point  marié  et  n'a  laissé  que  des 
neveux.  )>  Or,  on  a  la  date  non-seulement  de  son  ma- 
riage, mais  celle  aussi  de  la  naissance  de  ses  six  enfants 
dont  quatre  lui  survécurent  :  Eustache  Lesueur,  11  juil- 
let 1645  —  Geneviève  Marguerite,  9  novembre  1648 
—  Louise,  23  février  1651  —  Michelle  1655  —  et 
deux  autres  dont  A.  Jal  donne  les  noms.  Voilà  qui  est  dé- 
cisif. 

L'Encyclopédie  des  gens  du  monde  n'est  pas  mieux  in- 
formée quand  elle  écrit  :  a  La  perte  de  sa  femme  qu'il 
aimait  tendrement  l'ayant  plongé  dans  un  chagrin  pro- 
fond, il  tomba  dans  une  maladie  de  langueur  et  se 
retira  chez  les  Ghartreux,  dont  le  prieur  reçut  son  der- 
nier soupir.  »  La  nouvelle  édition  de  la  Biographie  de 
Michaud,  dit  également  :  «  Persécuté,  resté  veuf  et  seul, 
une  maladie  de  langueur  détermina  sa  retraite  chez  les 
Ghartreux,  où  la  reconnaissance  l'avait  souvent  ac- 
cueilli. ))  ((  Plus  tard,  répète  la  Nouvelle  Biographie  de 
Didot  qui  fait  si  volontiers  écho  à  l'autre,  lorsque  Le- 
sueur eut  perdu  sa  femme  et  que,  découragé,  il  lui 


EUSTACUE    LESl'EUn.  23 

sembla  que  sa  vie  était  accomplie,  il  vint  mourir  aux 
Chartreux  î  » 

Autant  d'erreurs  que  de  mots,  si  incroya])le  que  cela 
paraisse  !  Autant  d'erreurs  grossières  et  que  n'autorisiî 
aucunement  le  langage  des  premiers  biographes  quoi- 
que «  d'un  laconisme  extrême,  ainsi  que  le  fait  observer 
iM.  Yitet,  en  ce  qui  concerne  la  personne  et  la  vit;  de 
l'artiste  et  ne  s'occupant  ({uc  de  ses  tableaux.  -)  Guillet, 
l'académicien,  qui  parlait  devant  des  confrères  dont 
[dusieurs  avaient  connu  Lesueur,  se  borne  à  dire  :  «  Il 
était  naturellement  officieux,  sociable,  d'une  humeur 
gaie  et  d'une  sage  conduite.  Il  se  maria  et  laissa  deux 
enfants  '  (pii  sont  pourvus  à  leur  avantage.  » 

Donc,  malgré  le  cùté  poétique  de  cette  légende  éta- 
blie, qui  sait  comment?  et  passée  si  généralement  à 
l'état  de  tradition  historicjue,  il  ne  faut  pas  hésiter  à 
reconnaître,  à  déclarer  que  ce  n'était  qu'une  légende 
((pi'on  le  regrette  ou  non).  Cela  résulte  jusqu'à  l'évi- 
dence de  l'examen  des  documents  et  eu  particulier  des 
pièces  publiées  dans  les  tomes  III  et  Y  des  A/c/ùves  de 
l'Art  Français. 

Lesueur,  dont  la  femme  relevait  de  couches  depuis 
quelques  semaines  seulement,  étant  tombée  malade, 
sans  doute  par  suite  d'un  excès  de  travail,  fut  forcé  de 
s'aliter,  et  au  bout  de  quelques  jours,  il  expirait  dans 
les  bras  de  Geneviève  Gousse.  Hélas  !  le  grand  artiste, 
peu  de  temps  avant,  à  ce  qu'on  raconte,  ne  se  croyant 
pas  si  gravement  atteint  :  «  se  flattait  encore  de  vivre  de 
»  longs  jours  dans  l'espoir  d'exécuter  plus  de  vingt  ta- 

'  Erreur, comme  on  l'a  vu. 
TOME  in.  2 


26:  LES   RUES   DE   PARIS. 

i)  bleaux  déjà  conçus,  qui  effaceraient  ce  qu'il  avait  déjà 
»  fait  et  lui  procureraient  peut-être  la  réputation  à  la- 
»  quelle  il  aspirait.  »  Tant,  dans  sa  modeste  opinion  de 
lui-même,  il  se  croyait  encore  loin  du  but  que  pour  la 
postérité  il  a,  non  pas  atteint,  mais  presque  dépassé. 

Lebrun  lui-même  en  jugeait  ainsi,  s'il  est  vrai  qu'é- 
tant venu  voir  son  confrère  mourant,  après  lui  avoir 
fermé  les  yeux,  il  n'ait  pu  s'empêcher  de  murmurer  en 
sortant  :  «  que  la  mort  lui  tirait  une  grosse  épine  du  pied  )>  ^ 
Le  mot  a  été  rapporté  par  un  chartreux  même,  Bona- 
venture  d'Argonne,  qu'on  en  peut  croire,  malgré  la 
contradiction  d'A.  Jal  qui  s'appuie,  pour  innocenter 
Lebrun,  a  cet  ennemi  prétendu  de  Lesueur»  de  cette 
circonstance  qu'en  1649,  celui-ci  «fut  choisi  par  M'"''  Le- 
brun, pour  être  son  compère  au  baptême  de  Suzanne 
Lebrun,  fille  de  Nicolas  Lebrun,  le  paysagiste.  »  Il  ne 
semble  pas  qu'il  y  ait  là  un  motif  suffisant  pour  invalider 
le  témoignage  du  bon  chartreux,  alors  qu'au  contraire 
la  ^dsite  de  Lebrun  au  malade  prouve  ces  relations 
d'intimité  et  de  camaraderie  qui  n'avaient  cessé  d'exister 
entre  eux  et  n'empêchaient  pas,  fût-ce  à  son  insu  et 
comme  malgré  lui,  chez  Lebrun,  les  appréhensions  que 
l'on  sait. 

Landon  %  avant  Jal,  avait  contesté  l'exactitude  de 
l'assertion  de  Bonaventure  d'Argonne,  mais  par  un 
autre  motif  et  en  s'appuyant  aussi  de  faits  qui  tendraient 
plutôt  à  la  confirmer  :    «  De  pareils  sentiments  et  un 


*  Mélanges  de  littérature  et  d'histoire,  publiés  sous  le  pseudonyme 
de  Vigneul  de  Marville^  t.  1",  p.  184. 
'  Galerie  des  artistes  célèbres,  iii-4, 1807-1809. 


EUSTACnr    LESUFA'R.  '21 

pareil  langage  ne  s'accorderaient  point  avec  le  caractère 
bien  connu  d'un  homme  t«'l  «jne  Lohrun,  ot  sont  encore 
démentis  i)ar  l»;  tr-nioi^naj^;»'  «l'un  artiste  diirn*'  df  foi. 
Sinionneau,  grav(»ur,  raconte  ijue,  su  trouvant  un  jour 
dans  le  cloitre  des  Chartreux,  il  vit  arriver  Lebrun  ;  et 
que  s'étant  rais  à  l'écart  pour  entendre  ce  que  dirait  ce 
rival  de  Lesueur,  Lebrun,  qui  se  croyait  seul  y  s'écriait  à 
cluKiue  tableau  : 

((  Que  cela  est  beau  !  que  cela  est  bien  peint  !  que  cela 
»  est  admirable  !  » 

11  n'eu  faut  pas  savoir  moins  gré  à  feu  A.  Jal  des  ren- 
seignements précieux  et  précis  qu'il  nous  a  donnés 
d'après  examen  des  pièces  officielles  (actes  de  naissance, 
de  décès,  etc.),  et  desquels  il  résulte  que  Geneviève 
Gousse  survécut  de  longues  années  encore  à  son  mari 
puisqu'elle  mourut  seulement  a  le  24  décembre  16(59, 
place  Maubert,  au  coin  de  la  rue  de  Bièvre,  au  logis 
même  où  elle  était  née...  Par  prudence,  par  amour  pour 
le  métier  de  son  père,  peut- être  par  respect  pour  la 
mémoire  de  son  mari,  au  lieu  d'élever  Eustache  II,  son 
fils,  pour  la  peinture,  où  il  aurait  pu  compromettre  un 
beau  nom,  elle  lui  lit  prendre  le  tablier  de  l'épicier. 
Ainsi,  le  grand  Lesueur,  allié  à  l'épicerie  par  sa  femme, 
eut  un  fils  épicier  ;  et  comme  si  ce  n'était  point  assez,  il 
eut  une  fille  épicière...  car  sa  veuve  avait  marié,  treize 
mois  avant  sa  mort  (9  octobre  I6G8),  Marie-Geneviève, 
sa  fille,  à  François  Yiolaine,  épicier- cirier  qui  demeurait 
aussi  sur  la  place  Maubert  \  )> 

Ces  détails,  tels  étranges  qu'ils  nous  paraissent,  mi 

•  A.  Jal.  Noiicc  sur  Lesueur.  —  Archives  de  l'Art  français. 


28  LES   RUES    DE   PARIS. 

permetteut  pas  le  doute;  ils  tendent  à  confirmer  ce 
qu'on  soupçonnait  par  la  tradition,  à  savoir  la  position 
modeste  et  peut-être  même  gênée  dans  laquelle  a  vécu 
trop  longtemps  l'illustre  artiste,  aussi  bien  que  l'injus- 
tice ou  plutôt  rincroyable  indifférence  de  ses  contempo- 
rains qui  semblent  avoir  eu  si  peu  conscience  de  la 
sublimité  de  son  génie.  «  Il  mourut  lionoré,  regretté, 
comme  homme  de  bien,  dit  avec  trop  de  vérité  M.  Yitet, 
estimé  comme  artiste,  mais  à  peu  près  au  même  titre 
que  ses  onze  confrères  de  l'Académie  et  le  jour  où  son 
génie  fut  enlevé  aux  arts  personne,  dans  tout  le  royaume, 
ne  mesura  la  perte  que  venait  de  faire  la  France.  » 

Aussi  combien  douloureuse,  combien  désolante,  cette 
mort  prématurée  pour  le  grand  artiste  si,  comme  tant 
d'autres,  il  n'eût  travaillé  que  dans  un  but  humain  et 
en  vue  de  ce  qu'on  appelle  la  gloire  I  Quoi  !  au  moment 
peut-être  d'atteindre  au  but  rêvé,  quand  tout  lui  souriait 
dans  la  vie,  entouré  des  chers  objets  de  ces  affections 
qui  la  rendent  plus  douce  et  plus  aimable,  une  tendre 
épouse,  des  enfants  adorés,  des  frères,  des  parents, 
des  amis  dévoués,  jouissant  enfin  de  l'aisance  acquise 
au  prix  de  tant  d'efforts,  voilà  qu'il  faut  entendre 
prononcer  l'arrêt  de  la  suprême  séparation ,  dire  à 
tout  ce  qu'on  aimait  l'éternel  adieu  !  Avec  quelles  an- 
goisses, avec  quel  déchirement  !  si  Lesueur  n'avait  pas 
été  fortement  chrétien,  s'il  n'eût  pas  trouvé  le  courage 
de  la  résignation  dans  la  pensée  que  la  providence  de 
Dieu  le  voulait  ainsi  pour  le  plus  grand  bien  de  tous  et 
qu'il  était  sûr  de  trouver  ailleurs  la  récompense  de  ses 
vertus  comme  celle  de  ses  talents  dont  il  avait  su  faire 
un  si  noble  usage. 


EUSTACUE   LESUEUR.  29 

Disons,  pour  terminer,  que  Lesiieur,  habitant,  lors  de 
sa  mort,  sur  la  parcjisse  Saint-Luuis  en  l'I/c,  fut  porté 
cepcuilant,  pour  y  être  inhumé,  à  l'église  Saint-l-^tieune 
du  Mont  ainsi  «pie  le  constate  le  rej^istre  du  cotte 
paroisse  :  «  Le  samedi,  l*''  mai  K)."),'),  lut  inhume  dans 
»  l'église  défunt  M.  Lesueur,  vivant  peintre  sculpteur 
»  (sic)  ordinaire  du  Hoy,  apporté  lians  un  carrosse  de  la 
»  paroisse  Saint-Louis  en  l'Ile.  » 

«  Mais  pounpioi,  dit  A.  Jal,  Lesueur  désira-t-il  être 
enterré  dans  cette  église  ?  Maintenant  «jue  vous  savez 
que  c'est  là  cpi'il  se  maria  ne  dininez-vous  pas  (jue  ce  fut 
un  dernier  témoignage  de  tendresse  qu'il  voulut  donner 
à  sa  chère  et  bien- aimée  Geneviève  ?  » 

L'épitaphe  de  Lesueur  gravée  sur  la  pierre  tumulaire 
a  Saint-Étienne  du  Mont  s'est  efl'acée  par  le  laps  de 
temps  ou  par  d'autres  causes.  On  se  demande  comment 
elle  n'a  pas  été  rétablie  ainsi  (ju'on  a  fait  pour  celles  de 
Racine  et  Pascal. 


III 


Un  critique  à  qui  l'on  peut  faire  des  reproches  sérieux 
au  point  de  vue  historique  et  biographique,  parce  que, 
sans  les  appuyer  des  preuves  décisives  qui  seules  pour- 
raient les  faire  accepter,  il  a  raconté  sur  Lesueur  des 
faits  nouveaux,  singuliers,  contraires  à  toute  vraisem- 
l)lance,  le  rédacteur  de  Y  Encyclopédie  des  gens  du  inonde 
et  de  la  Galerie  française  y  Miel  enfln,  ne  semble  point 
avoir  fait  ainsi  fausse  route  quand  il  s'est  agi  déjuger 
l'artiste.  Bien  au  contraire,  son  appréciation  syrapathicpie 

TOME  III.  2* 


30  LES   RUES   DE   PARIS. 

et  motivée  prouve  qu'il  ne  parlait  poiut  au  hasard  ni  de 
ce  qu'il  connaissait  mal  ou  peu,  mais  en  Aristarque 
éclairé,  consciencieux  et  d'autant  de  sens  que  de  goût. 
On  sent  qu'il  s'était  recueilli  de  longues  heures  devant 
les  chefs-d'œuvre  du  maître  illustre  qu'il  a  su  com- 
prendre et  louer  dignement  comme  peintre  si,  par  une 
regrettable  méprise  ou  le  désir  exagéré  d'ajouter  un 
élément  nouveau  d'intérêt  à  cette  vie  trop  courte,  il  a 
su  moins  heureusement  nous  parler  de  l'homme.  Aussi, 
pour  que  le  lecteur  n'incline  point  à  le  juger  trop  sé- 
vèrement, semble-t-il  juste  de  citer  cette  excellente  page 
entre  autres  dans  laquelle  l'œuvre  de  Lesueur  nous 
paraît  dans  l'ensemble  excellemment  apprécié  : 

«  Lesueur  n'éblouit  pas,  mais  il  attache,  sa  peinture 
est  douce,  persuasive,  pénétrante  ;  elle  tient  le  specta- 
teur sous  le  charme  et  ce  charme  est  celui  de  la  vertu. 
Rien  de  théâtral,  ni  de  recherché,  ni  d'ambitieux  dans 
son  talent  ;  point  d'accessoires  parasites  ni  de  mensonges 
pompeux  dans  ses  œuvres  ;  partout  la  mesure  unie  à 
l'enthousiasme  et  cette  sagesse  de  jugement  qui,  con- 
duisant au  beau  par  le  vrai,  s'arrête  là  où  il  convient  au 
sujet  plutôt  que  là  où  il  pourrait  convenir  au  peintre  ; 
partout  cette  fécondité  d'imagination  qui  produit  facile- 
ment, abondamment  comme  la  nature  même,  et  ce 
pouvoir  d'exécution  qui  ne  demeure  jamais  au-dessous 
de  ce  que  l'esprit  conçoit  et  de  ce  que  l'àme  sent...  Quelle 
variété,  quelle  aptitude  à  prendre  tous  les  tons  !  Quelle 
puissance  de  talent  !  Qu'on  ne  s'y  trompe  point,  c'est  à 
la  rigidité  même  de  ses  principes  modifiée  par  une  àme 
tendre,  une  imagination  vive,  et  un  génie  original  que 
le  peintre  doit  la  flexibilité  de  son  style.  » 


EUSTACHE    LESUEUR.  31 

Tout  cela  est  aussi  lâen  pensé  que  bien  dit.  Un  autre 
l)iocrrap]io  ant»''rieur  à  Miel  et  à  qui  l'on  peut,  sous  le 
rapport  liistoricpie,  faire  également  quelques  r»'proclies 
mais  moins  i^raves,  Landon,  a  su  aussi  en  (luelijues 
lignes  admirablement  caractériser  Lesueur  :  «  L'in- 
fluence de  Youet  est  sensible  dans  les  premiers  ouvrages 
de  son  élève  et  lui  nuisit  beaucoup  sous  le  rapport  du 
coloris  et  du  clair-obscur  ;  toutefois  il  ne  laissa  pas  d'y 
faire  des  progrès  dans  la  suite  et  ses  dernières  produc- 
tions laissent  sous  ce  rapport  beaucoup  moins  à  désirer. 
Mais  par  quelles  l)eautés  éminentes  ce  grand  peintre  ne 
racliète-t-il  pas  ce  qui  peut  lui  manciuer  dans  les  parties 
les  plus  essentielles  de  l'art  !  Vu  génie  élevé,  la  sagesse 
dans  la  composition  et  dans  l'ordonnance,  l'élégance  du 
dessin,  le  naturel  et  la  simplicité  dans  les  attitudes  et 
dans  les  airs  de  tète,  un  goût  parfait  dans  l'ajustement 
des  draperies,  la  noblesse,  la  grâce  et  la  douceur  de 
l'expression  ;  enfin  la  franchise  et  la  liberté  de  la  touche 
dans  ses  peintures  exécutées  au  premier  coup  ;  telles 
sont  les  qualités  qui  distinguent  le  talent  de  Lesueur  et 
l'ont  fait  nommer  à  juste  titre  le  liaphaH  de  la  France.  » 


MICHEL-ANGE  ET  TITIEN 


((  Oui,  Monsieur,  que  l'ignorance  rabaisse  tant  qu'elle 
voudra  l'éloquence  et  la  poésie,  et  traite  les  habiles  écri- 
vains de  gens  inutiles  dans  les  états  :  nous  ne  craindrons 
point  de  le  dire  à  l'avantage  des  lettres,  du  moment  que 
des  esprits  sublimes,  passant  de  bien  loin  les  bornes 
communes,  se  distinguent,  s'immortalisent  par  des  chefs- 
d'œuvre,  comme  ceux  de  Monsieur  votre  frère  (Pierre 
Corneille),  quelque  étrange  inégalité  que,  durant  leur 
vie,  la  fortune  mette  entre  eux  et  les  plus  grands  héros, 
après  leur  mort  cette  différence  cesse.  La  postérité  qui 
se  plaît,  qui  s'instruit  dans  les  ouvrages  qu'ils  lui  ont 
laissés,  ne  fait  point  difficulté  de  les  égaler  à  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  considérable  parmi  les  hommes,  fait 
marcher  de  pair  l'excellent  poète  et  le  grand  capitaine. 
Le  même  siècle  qui  se  glorifie  aujourd'hui  d'avoir  pro- 
duit Auguste,  ne  se  glorifie  guère  moins  d'avoir  produit 
Horace  et  Virgile.  Ainsi  lorsque,  dans  les  âges  suivants, 
on  parlera  avec  étonnement  des  victoires  prodigieuses 
et  de  toutes  les  grandes  choses  qui  rendront  notre  siècle 


MICIlEL-ANliC    ET   TITIEN.  33 

r.iiliniratioii  de  tous  los  siècles  à  venir,  Corneille  pren- 
dra sa  place  parmi  toutes  merveilles  '.  )> 

Ce  que  Haeine  disait  des  poètes  à  projios  de  Corneille, 
ne  peut-on  pas,  ne  doit-on  pas  le  dire,  des  grands 
artistes,  de  ceux-là  surtout  qu'on  nomme  des  maîtres  et 
dont  les  cliefs-d'(euvre, sujet  d'éternelle  admiration  pour 
la  postérité,  nous  ravissent  non  i>as  seulement  par  les 
merveilles  de  l'exécution,  mais  par  la  grandeur  de  la 
conception,  la  majesté  du  sujet,  la  noblesse  et  la  subli- 
mité des  pensées  !  Michel-Ange  et  Titien,  pour  le  plus 
grand  nombre  de  leurs  œuvres,  et,  sauf  quelques  ré- 
serves (lue  nous  indiquerons  avec  sincérité,  méritent 
entre  tous  cette  louange  et  sont  au  rang  des  plus  il- 
lustres. 

La  vie  du  Titien  (Tiziano-Vecelli)  né  à  Cador,  dans  le 
Frioul,  en  1477,  offre  peu  d'événements  ;  elle  est  surtout 
dans  ses  œuvres.  On  raconte  que,  tout  enfant  encore,  sa 
vocation  se  révéla  par  une  figure  de  la  Yierge  qu'il  pei- 
gnit sur  une  muraille,  avec  du  jus  d'herbes,  à  défaut  de 
couleurs.  Son  père  le  surprit  au  milieu  de  ce  travail 
dont  l'exécution  l'étonna  et  dit  à  l'enfant  : 

—  Voudrais-tu  donc  être  peintre  par  hasard  ?  11  n'est 
pas  besoin  de  dire  la  réponse  du  bambin,  envoyé,  dès 
l'âge  de  dix  ans,  à  Venise  où  demeurait  un  de  ses  oncles 
({ui  le  plaça  d'abord  chez  Gentil  Bellin,  et  ensuite  chez 
Jean  Bellin,  plus  célèbre  que  son  frère.  Titien  étudia 
assez  longtemps  dans  l'atelier  de  ce  maître.  Mais  un 
jour,  ayant  vu  certains  tableaux  de  Giorgione  remar- 

'  Jean  Racine. —  Discours  proJioncc  à  l'Académie  française  pour 
la  réception  de  MM.  Thomas  Corneille  et  Bergeret. 


34  LES   RUES   DE   PARIS. 

qiiables  par  la  liberté  de  la  touche  et  surtout  la  magie 
du  coloris,  il  voulut  connaître  cet  artiste  et  se  mit  sous 
sa  direction.  Dès  l'âge  de  dix-huit  ans,  Titien  était  de- 
venu si  habile  que  le  Giorgione,  craignant  en  lui  un 
rival,  par  suite  des  préférences  marquées  d'un  amateur, 
prit  de  l'ombrage,  et  ils  durent  se  séparer. 

Un  Jugement  de  Salomon,  peint  à  Yicence,  et  plusieurs 
tableaux  exécutés  pour  l'église  de  Padoue,  commencèrent 
à  faire  connaître  Titien  ;  aussi  le  Sénat,  lors  de  son  retour 
à  Venise,  n'hésita  pas  à  lui  confier  l'achèvement,  dans 
la  grande  salle  du  conseil,  du  travail  commencé  par 
Jean  Bellin  qui  venait  de  mourir.  Titien  s'acquitta  de 
cette  tâche  difficile  avec  un  tel  succès  que  le  Sénat, 
outre  le  prix  convenu,  «  lui  donna,  dit  d'Argenville,  un 
office  de  trois  cents  écus  de  revenu.  » 

Bientôt  après,  il  fut  appelé  à  Ferrare  par  le  duc  pour 
y  terminer  également  les  peintures  commencées  par 
Jean  Bellin  dans  le  palais,  et  le  prince,  prompt  à  appré- 
cier son  talent,  lui  fit  faire,  en  outre,  son  portrait,  celui 
de  la  duchesse  sa  femme,  et  d'autres  tableaux.  A  la  cour 
de  Ferrare,  Titien  connut  plusieurs  personnages  cé- 
lèbres de  l'Italie,  entre  autres  l'Arioste,  qui  composa, 
à  la  louange  du  jeune  peintre,  des  vers  répétés  bientôt 
par  tous  les  échos  de  la  Péninsule  et  dont  Titien  voulut 
le  remercier  en  faisant  son  portrait. 

Être  peint  par  cette  main  déjà  merveilleusement  ha- 
bile, c'était  un  honneur  et  un  bonheur  dont  les  souve- 
rains mêmes  se  montraient  jaloux  ;  successivement 
Titien  fit  les  portraits  du  pape  Paul  III,  pendant  son 
séjour  à  Ferrare,  du  duc  et  de  la  duchesse  d'Urbin,  de 
François  1",  à  son  retour  en  France,  de  Soliman  II 


MICHEL-ANGE    ET   TITIEN.  35 

cmporour  «les  Turcs;  plus  tard,  ceux  «le  l'empereur 
Charles  Ouiut,  eu  l.'iJO,  et  «le  beaucoup  «le  princes, 
cardinaux,  seigneurs.  Le  portrait  ne  lui  faisait  pas  né- 
gliger la  partie  la  plus  élevée  de  l'art.  Il  exécuta  alors, 
entre  autres  grandes  compositions,  son  fameux  tableaux 
de  saint  Pierre  martyr^  pour  l'église  Saint-Jean  Saint- 
Paul  des  Dominicains.  Après  la  mort  du  Giorgione,  sou 
ancien  ami,  il  fut  chargé  de  terminer  plusieurs  de  ses 
tableaux,  et  l'on  n'eut  pas  à  le  regretter  :  «  Le  Titien, 
dit  d'Argeuville,  avait  plus  de  linesse  que  ce  peintre,  et 
une  plus  grande  recherche  dans  tous  les  accompagne- 
ments de  ses  ouvrages.  Ses  portraits  sont  inimitables.... 
(  )n  pouvait  regarder  ses  tableaux  de  près  comme  de  loin. 
Son  grand  travail  était  caché  par  quelijues  touches  liar- 
(lies  qu'il  répandait  partout  ce  qui  trompe  ceux  cpii 
veulent  copier  ses  tableaux.  Enfin,  il  ne  travaillait  que 
pour  dissimuler  les  efforts  du  travail.  » 

Titien  avait  dans  le  caractère  de  la  grandeur  et  de  la 
générosité.  11  se  trouvait  non  loin  de  Parme,  lorsqu'il 
apprit  qu'il  était  question,  pour  je  ne  sais  quels  projets 
imaginés  par  certains  architectes  d'accord  avec  d'autres 
ignorants,  de  détruire  la  coupole  peinte  à  l'intérieur  par 
le  Corrége.  A  cette  nouvelle,  plein  d'indignation,  il 
accourt,  et  par  l'autorité  de  son  talent  et  de  sa  position, 
empêche  cet  acte  inouï  de  vandalisme  en  conservant  à  la 
postérité  ce  chef-d'o>uvre  que  le  temps  par  malheur  n'a 
pas  assez  respecté. 

Lors  du  séjour  de  Titien  à  Home  en  loi3,  Paul  III, 
dont  il  fit  de  nouveau  le  portrait,  voulut  qu'il  logeât  au 
Belvédère  ;  le  pape  fut  très-satisfait  de  ce  portrait,  mais 
bien  plus  encore  d'un  Ecce  Homo,  et  ne  pouvant  se 


36  LES    RUES   DE    PARIS. 

lasser  de  le  contempler,  il  le  fit  placer  dans  la  chambre 
où  il  se  tenait  habituellement.  Dans  son  admiration 
pour  l'artiste,  l'illustre  Mécène  eut  la  pensée  d'élever 
son  fils  Pomponio  à  quelque  haute  dignité  ecclésias- 
tique, mais  Titien  s'y  refusa  : 

«  Non,  très  Saint-Père,  je  ne  crois  pas  que  telle  soit  la 
vocation  de  mon  fils  ;  et  sa  vertu  ne  serait  point  à  la 
liauteur  de  ces  graves  fonctions.  )) 

L'artiste  refusa  pareillement  pour  lui-même  d'autres 
faveurs,  préférant  retourner  à  Venise  au  milieu  de  ses 
amis.  A  quelque  temps  de  là,  il  reçut,  dans  son  atelier, 
la  visite  de  Henri  III,  nommé  roi  de  Pologne,  qui  lui  de- 
manda le  prix  de  tableaux  qu'il  avait  fort  admirés. 

—  Sire,  ils  sont  à  vous  !  dit  l'artiste,  veuillez  les 
accepter  comme  un  petit  présent  du  peintre. 

Le  roi  remercia  et  fit  emporter  les  toiles,  mais,  comme 
on  le  pense  bien,  sut  dédommager  l'artiste. 

Titien,  auquel  son  talent  avait  donné  tout  à  la  fois  la 
gloire  et  la  fortune,  ne  cessa  de  travailler  même  lorsque 
Tàge  semblait  lui  conseiller  le  repos.  On  rapporte  que, 
soit  que  sa  vue  ou  son  intelligence  eut  faibli,  à  cette 
époque,  il  eut  la  malheureuse  idée  de  retoucher  plu- 
sieurs tableaux  de  son  meilleur  temps  et  qu'il  jugeait, 
bien  à  tort,  peu  dignes  de  son  génie.  Quelques-uns  en 
souffrirent  ;  par  bonheur,  ses  élèves ,  avertis  par  cette 
expérience,  mêlèrent  aux  couleurs  de  l'huile  d'olive 
qui  ne  sèche  point.  Puis, le  maitre  sorti,  ils  effaçaient 
avec  une  éponge  toute  trace  du  nouveau  et  malencon- 
treux travail. 

Titien,  qui  pendant  de  longues  années  avait  eu  ce 
rare  bonheur  d'une  santé  presque  parfaite,  avait  atteint 


MICUEL-ANGE   ET   TITIEN.  37 

rà^o  (lo  9!)  ans  lorsque  la  peste  éclata  à  Venise,  et 
il  lut  une  des  viitiines.  (Juoijjue,  à  cause  du  lléau 
(|ui  sévissait  cruellement,  on  eût  inti'idit  lijutes  les 
cérémonies  funèbres,  le  Sénat  ordonna  uu'il  serait 
fait  une  exception  pour  l'illustre  artiste,  honoré 
de  magnifiques  funérailles  dans  Téglisc  Dci  Frari 
(157,-,). 

«  Le  Titien  n'a  été  étranger  à   aucun  genre  :   son 
talent  varié  les  embrassa  tous,  et  il  brilla  tour  à  tour 
dans  les  sujets  sacrés,  profanes,  mythologiques  et  cham- 
pêtres. Sévère  dans  le  choix  des  ligures,  il  ne  le  fut  pas 
moins  pour  les  détails  ;  dans  ses  compositions  rien  n'est 
inutile  et  tout  parait  nécessaire.  On  n'oserait  supprimer 
les  moindres  accessoires  sans  craindre  de  détruire  l'har- 
monie de  l'ensemble.  Peintre  inimitable  d(;  la  nature, 
il  a  excellé  surtout  à  exprimer  les  nuances  les  plus  déli- 
cates, les  sentiments  les  plus  opposés.  C'est  le  même 
pinceau  qui  a  imprimé  l'horreur  de  la  mort  sur  le  vi- 
sage de  saint  Pierre  martyr,  la  résignation  sur  le  front 
du  Sauveur,  la  pudeur  dans  la  Vierge,  la  honte  dans 
Caliste,  l'innocence  dans  les  anges,  la  volupté  dans 
Venus,  la  douleur  dans  Marie,  l'ivresse  dans  les  baccha- 
nales. Il  ne  se  bornait  pas  à  bien  saisir  le  caractère 
d'une   passion  ;  il  la  nuançait   de  plusieurs   manières 
en  marquant,  pour  ainsi  dire,  les  degrés  de  souftrance 
de  chacun  des  principaux  acteurs.  Dans  la  Déposition  du 
Christ  au  tombeau,   par   exemple,   tout  le  monde   est 
frappé  de  douleur  ;  mais  l'on  voit  la  Vierge  souffrir 
plus  que  la  Madeleine  et  saint  Jean,  qui  sont  à  leur 
tour  plus  accablés  que  Joseph  et  Nicodème.  » 
Ce  jugement,  porté  sur  le  Titien   par   un  critique 
To»E  m.  3 


38  LES   RUES   DE   PARIS. 

distÎDgué  *  qui  n'est  qtie  l'écho  de  beaucoup  d'autres, 
ne  saurait  être  adopté  sans  restriction,  et  malgré  notre 
admiration  enthousiaste  pour  le  génie  du  grand  artiste, 
au  premier  rang  dans  l'École  Yénitienne,  nous  oserons 
dire  qu'il  y  a  peut-être  ici  exagération  dans  la  louange. 
Le  talent  du  Titien  n'est  point  aussi  complet  et  surtout 
aussi  constamment  égal  que  l'affirme  le  critique.  La 
composition  cliez  lui  parfois  se  sent  de  la  hâte  du  tra- 
vail, et  n'en  déplaise  au  panégyriste,  on  pourrait  ajou- 
ter ou  retrancher  sans  inconvénient.  Si  les  expressions 
parfois  sont  heureuses,  sont  admirables,  d'autres  fois 
aussi  elles  semblent  banales,  et  certains  personnages, 
venus  au  hasard  du  pinceau,  ne  sont  guère  que  des 
comparses  et  n'ont  point  été  assurément  étudiés  d'après 
nature.  Le  relief  laisse  peu  à  désirer  de  même  que  le 
modelé  pour  lequel  Titien,  si  merveilleux  dans  la  fonte 
des  couleurs  et  le  maniement  du  pinceau,  se  montre 
souvent  incomparable.  Le  dessin  parfois  pourrait  être 
plus  sévère  encore  qu'on  doive  trouver  exorlûtante 
cette  parole  prêtée  peut-être  à  Michel-Ange  à  la  vue  de 
la  Do.naé  : 

—  Quel  dommage  qu'à  Venise  on  n'apprenne  pas  à 
bien  dessiner  !  Si  le  Titien  était  secondé  par  l'art 
comme  il  a  été  favorisé  par  la  nature,  personne  au 
monde  ne  ferait  si  vite  ni  mieux. 

Ce  jugement  excessif  est  d'un  homme  de  parti  pris 
qui  ne  voyait  l'art  qu'à  un  point  de  vue  restreint  sinon 
personnel.  Le  fait  est  que  Titien,  auquel  on  peut  repro- 
cher des  négligences,  des  lacunes,  par  suite  de  la  rapi- 
dité du  travail,  n'est  pas,  tant  s'en  faut,  un  médiocre 

'  Taillasson.  Observations  sur  quelques  grands  peintres.  1807. 


MICHEL-ANGE   ET  TITIEN.  30 

dessinateur.  Il  a,  quand  son  pinceau  se  surveille,  la 
suprême  élégance  des  formes,  la  pureté  de  la  ligne,  la 
grâce  et  la  vérité  des  attitudes,  la  morbidesse  des  chairs, 
la  finesse  et  la  délicatesse  extrême  du  modelé  unies  à 
une  fermeté  de  contours  et  à  une  franchise  de  tons 
qu'on  trouverait  difficilement  ailleurs,  11  jette  magnifi- 
quement ses  draperies  témoin  sa  descente  au  Tombeau^ 
pour  moi  son  chef-d'œuvre  parmi  les  tableaux  du  maî- 
tre que  nous  possédons  au  Louvre.  La  composition  est 
superbe,  unissant  grandeur  et  simplicité.  Quelle  noblesse 
dans  les  personnages,  le  saint  Jean,  la  Madeleine,  le 
saint  Pierre,  dont  les  figures  pathétiques  nous  remuent 
si  profondément,  nous  saisissent  si  fortement  que  l'émo- 
tion ne  permet  pas  de  s'apercevoir  que  la  tète  du  Christ, 
perdue  dans  l'ombre,  est  la  moins  belle  de  toutes  et  ne 
rayonne  point  de  ce  grand  et  divin  caractère  qui 
devrait  la  transfigurer.  Ce  n'est  pas  impunément,  quoi- 
qu'on ait  dit,  que,  par  une  erreur  qui  fut  trop  celle  de 
son  temps  et  d'autres  temps,  Titien  traita,  tour  à 
tour  et  souvent  à  la  fois,  des  sujets  divers  et  opposés, 
sacrés  et  profanes. 

Il  ne  me  parait  pas  du  tout  prouvé  d'ailleurs  qu'en 
général  l'artiste  réussît  aussi  bien  les  sujets  tirés  des 
Evangiles  ou  de  l'Ancien  Testament  que  ceux  (emprun- 
tés à  la  mythologie,  j'entends  au  point  de  vue  des 
expressions  et  de  l'impression  produite  par  le  tableau. 
Que  l'on  compare  par  exemple,  au  Louvre,  sa  sainte 
Famille  avec  la  Nymphe  et  le  Satyre,  et  l'on  verra  com- 
bien celui-ci  l'emporte  sous  le  rapport  de  l'art,  j'en- 
tends d'un  art  qui  brille  surtout  par  la  perfection  exté- 
rieure. Mais  où  peut-être  Titien  est  supérieur  encore, 


iO  LES   RUES  DE   PARIS. 

du  moins  pour  les  toiles  que  nous  possédons  au  Louvre, 
c'est  dans  ses  portraits  qui  le  disputent  aux  plus  admi- 
rables toiles  de  Yan  Dyck  même,  par  la  noblesse,  la 
fierté  des  attitudes,  le  relief  puissant,  le  modelé  mer- 
veilleux, et  surpassent  peut-être  le  peintre  de  Charles  I" 
pour  la  solidité  des  tons.  Aussi  je  suis  tout  à  fait  de 
l'avis  de  M.  des  Angelis  quand  il  dit  :  a  C'est  beaucoup 
sans  doute  de  retracer  fidèlement  la  pliysionomie  d'un 
homme  ;  mais  c'est  bien  un  autre  mérite  de  laisser  sur 
ses  traits  l'empreinte  ineffaçable  de  ses  vertus  et  de  ses 
vices.  A  toutes  ces  qualités  plus  que  suffisantes  pour 
constituer  le  grand  peintre,  Titien  réunit  celle  d'être  le 
premier  coloriste  de  l'Italie.  C'est  en  vain  qu'on  a 
examiné,  qu'on  a  sacrifié  même  quelques-uns  de  ses 
tableaux  pour  surprendre  son  secret  ;  il  demeure  caché 
sous  l'éclat  des  couleurs  et  l'œil  le  plus  exercé  se  flatte- 
rait en  vain  de  suivre  les  traces  d'un  pinceau  dont  on 
ne  peut  assez  admirer  les  prodiges.  » 

On  comprend,  en  contemplant  tel  de  ces  cliefs-d'œu- 
^Te,  l'admiration  des  contemporains  et  en  particulier  de 
l'empereur  Charles-Quint  pour  le  grand  artiste.  En 
vérité  je  me  sens  de  l'estime  et  presque  de  la  sympathie 
pour  cet  illustre  ambitieux,  l'opiniâtre  ennemi  de  la 
France,  mais  qui,  glorieux  Mécène,  savait  si  magnifi- 
quement honorer,  récompenser  le  génie.  On  sait  que, 
non  content  de  prodiguer  au  Titien  l'or  et  les  pensions, 
en  public,  à  la  promenade,  à  cheval,  il  lui  cédait  tou- 
jours la  droite,  et  comme  certains  courtisans  parais- 
saient s'en  étonner,  il  leur  dit  : 

—  Je  puis  bien  créer  un  duc;  mais  où  trouverai-je  un 
second  Titien  ? 


MICI1EL-AN(..L    LT    TITIKN.  41 

Et  un  autre  jour,  l'artiste,  grimpé  sur  sou  érhelle, 
ayaut  laissé  échapi)er  sou  piuceau,  le  priuce  le  ramassa 
et  le  lui  remUt  eu  disant  : 

—  Titien  m«''rite  d'être  servi  iiar  un  Empereur. 

D'Argenville,  selon  sou  liabitudL',  «laus  sou  étude  sur 
Titieu  mêle  à  sa  prose  quelipies  rimes,  je  n'ose  dire,  de 
la  poésie  eu  l'honneur  du  maître.  Ur,  la  pièce  se  ter- 
mine par  ces  deux  vers  : 

Heureux  si  son  pinceau  pl'is  sage 

N'eût  blessé  la  pudeur  pir  trop  de  liberté. 

Et  ce  reproche  «jui  fait  honneur  à  la  sincérité  de 
d'Argeuville,  Titien  l'a  mérité.  Pendant  son  séjour  à  la 
cour  de  Ferrare,  l'artiste,  connut,  avec  l'Arioste,  le 
trop  fameux  Arétin  dont  le  nom  seul  est  une  injure,  et 
pour  lequel  déjà,  Jules  Romain,  entraîné  à  illustrer,  je 
ue  sais  quel  poème  immoude,  avait  souillé  ses  crayons. 
Sa  liaison,  quoique  passagère  avec  ce  détestable  génie, 
fut-elle  aussi  fatale  au  Yéuitien,  en  poussant  son  pin- 
ceau à  de  fâcheux  écarts  ?  Ou  Titien,  par  une  illusiou, 
qui  alors  comme  aujourd'hui  trompa  trop  d'artistes, 
crut-il,  par  l'habitude  de  vivre  dans  un  certuiu  milieu, 
<j[ue  les  témérités  du  pinceau  s'cmportant  juscpi'à  la 
licence,  n'étaient  que  l'exercice  légitime  de  la  liberté  de 
l'art  ?  Je  ne  saurais  le  dire,  mais  ce  qui  n'est  pas  dou- 
teux, c'est  que  dans  son  œuvre,  à  cùté  de  tant  de  pages 
de  l'ordre  le  plus  élevé,  s'en  trouvent  d'autres  d'une 
inspiration  bien  différente,  toute  païenne,  et  qu'un 
peintre  d'Athènes  ou  de  Corinthe,  au  temps  où  fleuris- 
sait le  culte  de  Tenus  d'Amathoute,  n'eut  pas  désa- 
vouées !  Fussent-elles  de  cette  époque  de  la  vie  de  l'ar- 


42  LES    RUES    DE    PARIS. 

tiste  qu'un  moraliste  a  appelées  «  la  fièvre  de  la  raison», 
il  ne  faut  pas  songer  à  les  excuser,  et  lui-même  sans 
doute,  dans  le  recueillement  des  dernières  années,  les 
aura  regrettées. 


II 


Mais  voici  qui  semble  plus   extraordinaire  et  qui 
prouve  que  les  princes  de  l'art,  ces  autres  demi-dieux 
de  la  terre,  auxquels  la  toute  puissance  du  génie  con- 
quiert une  royauté  plus  enviable  sans  doute  que  l'autre, 
eux  aussi  sont  exposés  à  de  formidables  tentations  dans 
cette  atmosphère  enivrante  où  ils  vivent,  fatigués  d'hom- 
mages, de  louanges,  d'adulations  incessantes.  Ce   re- 
proche, que  l'honnête  d'Argenville  ne  peut  s'empêcher 
d'adresser  au  Titien,  son  illustre  contemporain,  Michel- 
Ange  pouvait  en  prendre  sa  part,  Michel-Ange  qui 
cependant,  par  la  gravité  de  son  caractère  et  la  sévérité 
de  ses  mœurs,  semblait  devoir  rester  étranger  toujours 
à  ces  écarts.  D'après  le  témoignage  de  Milizia,  critique 
peu  sympathique  au  grand  Florentin  :  «  Michel-Ange 
n'était  pas  seulement    désintéressé,  dédaigneux   des 
vains  honneurs  comme  de  l'argent,  mais  aussi  frugal, 
austère,  dur  à  lui-même  comme  aux  autres  et,  s'il  eût 
vécu  dans  les  temps  antiques,  on  l'eût  glorifié  comme 
un  stoïcien  modèle....  Il  vivait  solitaire,  fuyant  la  so- 
ciété des  grands  d'autant  plus  empressés  aie  rechercher, 
comme  celle  des  artistes.  » 

Tous  les  contemporains,  biographes  et  autres,  rendent 
hommage,  et  en  termes  bien  plus  accentués,  au  carac- 


MICIIKL-ANGK    ET   TITIKN.  U 

tt'n;  sérieux  do  Micliol-Aiigc  quo  l'art  srul  [m'occupait 
dès  la  promiôro  jcuupsso  et  ijui  r<''poii(lait  plus  tîinl  à  un 
ami  s'étonnant  (pi'il  ne  se  iVit  pas  marié  :  «J'ai  une 
femme  de  trop  cjui  m'a  toujours  pr'rs«'Mtit«',  c'est  mon  art 
et  mes  ouvrages  sont  mes  enfants,  n 

«  J'ai  souvent  entendu  Michel-Ange  raisonner  et  dis- 
courir sur  l'amour,  dit  ('ondivi  '  et  j'ai  appris  des  per- 
sonnes présentes  (pi'il  n'en  parlait  pas  autrement  que 
d'après  ce  ([u'on  en  lit  dans  Platon.  Je  ne  sais  pas  ce 
qu'on  dit  Platon  (ignorant  le  grec),  maisje  sais  hien  que 
j'ai  beaucoup  connn  Michel-Ange  et  je  n'ai  jamais  en- 
tendu sortir  de  sii  houche  ({ucdes  paroles  très-honnêtes 
et  capables  de  contenir  les  désirs  déréglés  qui  naissent 
chez  les  jeunes  gens.  »  Michel-Ange,  ce  qui  est  certain, 
n'oublia  jamais  l'éducation  forte  et  saine  de  sa  jeunesse 
et  les  principes  que,  dès  le  berceau,  lui  avait  inculqués 
une  famille  chrétienne. 

Né  le  0  mars  1  i75,  près  d'Arezzo,  dans  le  Valentino, 
il  eut  pour  père  Léonardo  Buonarroti  Simoni,  alors 
podestat  de  Castello  di  Chiusi  et  Caprese.  Bieinliflérent 
du  père  de  Vecelli,  Léonardo,  destinant  son  lils  aux 
sciences  et  aux  lettres,  l'envoya  tout  enfant  à  l'école  de 
grammaire  que  tenait  à  Florence  Francisco  de  Urbino, 
et  il  ne  voyait  pas  sans  un  profond  déplaisir  le  peu  de 
progrès  que  faisait  dans  cette  étude  Michel-Ange  moins 
paresseux  pour  le  dessin  ;  car,  toujours  armé  d'un 
crayon,  il  employait  tout  le  temps  des  récréations  à 
illustrer  ses  livres  ou  les  murs  de  la  maison  paternelle. 
((  Ses  premiers  essais,  dit  M.  Ch.  Clément,  existaient 

1  Vita  (le  Michel-Angelo Buonarroti. 


44  LES   RUES   DE   PARIS. 

encore  an  milieu  du  XYIIP  siècle,  et  Gori  raconte  que  le 
cavalier  Buouarroti,  descendant  de  l'oncle  de  Michel- 
Ange,  lui  montra  une  de  ces  esquisses  entre  autres,  des- 
sinée au  crayon  noir  sur  le  mur  d'un  escalier  de  la  Villa 
de  Seltignano,  représentant  un  homme,  le  bras  droit 
élevé,  la  tète  renversée,  d'un  dessin  ferme  et  vivant, 
qui  dénotait  toute  la  précocité  du  génie  de  l'enfant  ^  » 

Le  père  ne  s'obstinait  pas  moins  à  contrarier  cette 
vocation  et  pour  cela  ne  s'abstenait  ni  des  remontrances, 
ni  des  reproches,  ni  même  des  coups  :  a  Plus  d'une  fois, 
dit  Condivi,  à  cette  époque  il  fut  grondé  et  terriblem(înt 
battu.  »  Mais  l'enfant  avait  déjà  ce  vouloir  indomptable, 
et  cette  ténacité  dont  plus  tard  l'homme  fait  donnera 
tant  d'exemples,  et  le  père,  vaincu  par  sa  persévérance, 
se  résigna.  Il  plaça  Michel- Ange  dans  l'atelier  de  Ghir- 
landajo,  chargé  de  la  décoration  de  Santa-Maria  No- 
vella,  et  les  progrès  de  l'élève  furent  si  rapides  qu'ado- 
lescent encore,  il  exécuta  deux  tableaux,  l'un  original 
et  l'autre  copie,  qui  attirèrent  l'attention  de  Laurent  de 
Médicis,  dit  le  Magnifique.Celui-ci,par  la  protection  gé- 
néreuse et  intelligente  qu'il  accordait  aux  arts,  aux 
lettres  et  aux  sciences,  par  sa  libéralité,  ses  bienfaits  en 
tout  genre,  faisait  oublier  aux  Florentins  que  la  répu- 
blique n'existait  plus  que  de  nom.  Devinant,  avec  son 
goût  passionné  pour  les  arts,  le  génie  de  Michel- Ange,  il 
l'admit  à  sa  table  et  le  donna  pour  compagnon  à  ses  fils 
en  lui  laissant  d'ailleurs  toute  facilité  pour  le  travail. 
Michel- Ange  en  profita,  car  dès  lors,  prenant  goût  à  la 
sculpure,  il  exécuta  le  bas-relief  des  Centaures  et  la  Ma- 

'  Ch.  Clément  :  Michel-Ange j  Léonard  de  Yinci  et  Raphaël. 


MICUEL-ANGE    ET  TITIEN.  45 


dunr  i\\\\m  voit  à  Florence.  Dans  h?  même  temps,  il 
copiait  les  fresques  de  Masaccio,  ilans  l'église  drl  Car- 
mine,  et  étudiait  avec  passion  l'anatcimie  dans  l'Iinpital 
de  Santo-Spiritu  dont  le  prieur  lui  avait  ouvert  l'entrée. 
Par  c(.'s  c(jntinuels  ellbrts,  ses  progrés  furent  tels  qu'ils 
excitèrent  la  jalousie  de  ses  camarades,  et  l'un  il'eux,  le 
brutal  Torrigiano,  dans  une  discussion,  lui  asséna  sur 
la  ligure  un  coup  de  poing  dont  Michel-Ange  eut  le  nez 
presque  écrasé  et  garda  la  manpie  toute  sa  vie. 

La  protection  de  Laurent  d<i  Médicis  n'en  fut  «jih' 
plus  empressée  pour  le  jeune  artiste  ;  par  malheur,  au 
bout  de  trois  années,  une  brusque  mort  priva  de  son 
Mécène  Buonarroti  attaché  sincèrement,  profondément 
au  prince  «  et  qui  resta  plusieurs  jours  sans  pouvoir 
travailler  tant  il  était  aftligé  »,  dit  Gondivi.  Pour  faire 
diversion  à  sou  chagrin,  Michel-Ange  alla  passer  quel- 
ques mois  dans  sa  famille,  d'où  il  se  rendit  à  Venise  et 
à  Boulogne  et  dans  ces  deux  villes  il  séjourna  un  certain 
temps  aussi.  Il  revint  au  bout  d'une  année  à  Florence 
gouvernée  par  Pierre  François  de  Médicis,  lils  aine  de 
Laurent,  qui  lui  lit  le  meilleur  accueil.  C'est  alors  que 
l'artiste  exécuta  le  Cupidon  dormant  qui  lit  tant  de  bruit 
et  dont  l'histoire  singulière  a  été  bleu  des  fois  racontée. 
Laurent,  fils  de  Pierre-François  de  Médicis,  ayant  vu 
cette  statue,  la  trouva  si  parfaite  qu'il  donna  le  conseil 
à  Michel-Ange  de  l'envoyer  à  Home  et  de  la  faire  en- 
terrer dans  une  vigne  qu'on  devait  fouiller,  et  où,  la 
découvrant,  on  la  prendrait  certainement  pour  un 
antique,  ce  qui  lui  donnerait  une  tout  autre  valeur.  La 
chose  arriva  comme  il  l'avait  prévu  ;  la  statue,  après 
quelques  mois,  fut  déterrée  ;  les  connaisseurs  avertis 
TOME  ni.  ^*. 


46  LES  RUES  DE   PARIS. 

s'empressèrent  d'accourir  et  proclamèrent  àTenvi,  dans 
leur  admiration,  ce  morceau,  une  œuvre  des  plus  remar- 
quables, un  chef-d'œuvre  de  Phidias  peut-être.  Le  car- 
dinal de  saint  Georges,  un  des  plus  animés,  l'acheta  au 
prix  de  deux  cents  écus  romains. 

On  doutait  d'autant  moins  de  l'origine  ancienne  de 
la  statue  qu'il  lui  manquait  un  bras,  cassé  adroitement 
naguère  par  Michel-Ange.  Celui-ci,  instruit  de  ce  qui  se 
passait  à  Rome,  s'y  rendit  et  se  fit  reconnaître  pour  le  véri- 
table auteur  de  Cupidon  donnant  au  moyen  du  bras  qu'il 
apportait  et  qui  s'adaptait  parfaitement  à  la  fracture. 
Cette  aventure  accrut  beaucoup  sa  réputation  et  le  car- 
dinal de  Saint-Georges  lui-même,  loin  de  lui  garder 
rancune,  voulut  lui  donner  l'hospitalité  dans  son  palais 
où  Michel- Ange  demeura  toute  une  année.  Il  resta 
quatre  autres  années  (de  1496  à  1501)  dans  la  ville  pour 
l'exécution  de  diverses  commandes.  On  cite  de  lui  à 
cette  époque  le  Bacckus ,  l'Amour  du  musée  de 
Kemington,  V Adonis  des  Offices  de  Florence  et  surtout 
la  fameuse  Pietà  aujourd'hui  dans  l'église  Saint-Pierre. 

Après  cette  longue  absence,  Michel- Ange  revint  à 
Florence,  où  il  ne  retrouva  plus  les  Médicis  qu'une  révo- 
lution en  avait  chassés.  L'artiste  n'en  était  pas  moins  sur 
d'un  favorable  accueil  de  la  part  de  ses  concitoyens  ; 
car  il  venait,  d'après  l'invitation  de  quelques-uns  des 
plus  notables  d'entre  eux,  pour  l'exécution  du  colossal 
David  qu'on  voit  sur  une  des  places  de  Florence.  Le 
gonfalonier  Soderini,  un  bourgeois  gonflé  de  son  im- 
portance, ((  étant  venu  le  voir  travailler  pendant  qu'il 
faisait  quelques  retouches,  et  s'étant  avisé  de  critiquer 
le  nez  du  David  qu'il  trouvait  trop  gros,  l'artiste  se  permit 


MICHEL-ANGE    ET   TITIK.N.  'i7 

(lo  [o  raillor  cniolloment.  Il  monta  sur  son  ôrhafaud, 
apirs  avoir  ramassé  un  pj'U  de  poussu-ro  «1»'  rnarlirr, 
([u'il  laissa  tomber  sur  son  cTili<iue  piMulant  nu'il  faisait 
semblant  do  corrij^cr  le  nez  avec  son  ciseau  ;  puis  se 
tournant  vers  le  gonfalonier,  il  lui  dit  : 

((  Eh  bien  ?  ({u'cn  pensez-vous  maintenant  ? 

(( —  Admirable  !  n'pondit  Soderini,  vous  lui  avez 
donné  bi  vie. 

«  Michel-Ange  descendit  de  l'échafaud  en  riant  de  ce 
magistrat  »  semblable  à  tant  d'autres  doctes  connais- 
»)  seurs  qui  parlent  sans  savoir  ce  qu'ils  disent  '.  d 

A  cette  même  époipie,  il  exécuta,  dans  la  salle  ilu 
Ci rand-Conseil,  en  concurrence  avec  Léonanl  de  Vinci, 
lo  grand  carton  de  la  Guerre  de  Piae,  admiré  de  tous  les 
amateurs  et  artistes  et  en  particulier  de  Hai)liat'l. 

Bientôt  après,  Jules  II,  iHu  pape  en  loO.'J,  hi  lit  venir 
à  Home  pour  l'exécution  <le  grands  travaux,  son  tom- 
beau d'abord,  qui  ne  devait  pas  se  composer,  d'après  le 
dessin  oriL,^inal  de  Michel- Ange,  de  moins  de  «piarante 
figures.  Mais  l'artiste  dut  interrompre  l'exécution  de  ce 
monument,  d'abord  à  cause  d'une  absence,  puis  pour 
s'occuper  des  peintures  de  la  chapelle  Sixtine  pour 
lesquelles  Jules  II  montrait  une  singulière  impatience. 
((  Michel-Ange,  dit  d'Argenville  -  remplit  dignement 
cette  grande  carrière,  en  vingt  mois  de  temps.  Neuf 
sujets  de  l'Ancien  Testament  parurent  dans  la  partie 
plate  du  plafond  ;  et,  dans  ce  qui  est  voûté,  les  Prophètes 
et  les  SiOf/lles  dans  des  attitudes  savantes  et  hardies.  » 


'  Ch.  Clément,  d'apn  s  Coiidivi. 
'  Vies  des  Peintres  Italiens. 


48  LES   RUES   DE   PARIS. 

Ce  ne  fut  que  plusieurs  années  après,  sous  le  pontifi- 
cat de  Paul  III,  que  Michel- Ange  compléta  les  peintures 
de  la  Chapelle  par  l'exécution  de  son  fameux  Jugement 
deimier  j  qui  éveilla  tant  d'admiration,  mais  auquel 
n'ont  pas  manqué  les  critiques.  D'Argenville,  plus  enclin 
à  la  louange  qu'au  hlàme,  dit  cependant  :  «  Un  nombre 
infini  de  figures,  dans  des  attitudes  très-extraordinaires, 
mais  peu  convenable  à  la  sainteté  du  lieu,  forment  une 
composition  aussi  grande  que  terrible....  Sa  peinture 
est  fière  et  terrible  ;  comme  il  a  cherché  le  difficile  et  le 
surprenant,  elle  étonne  plus  qu'elle  ne  plaît.  Son  goût 
austère  fait  souvent  fuir  les  Grâces  ;  ses  tètes  sont  trop 
fières  et  dénuées  d'expression  ;  ses  couleurs  sont  tran- 
chantes et  tirent  un  peu  sur  la  brique.  Grand  anato- 
miste,  il  afi'ectait  de  charger  trop  les  muscles  de  ses 
figures  et  d'en  outrer  les  attitudes.  S'il  n'a  pas  été  le 
premier  peintre  de  l'univers,  il  a  été  du  moins  le  plus 
grand  dessinateur,  et  le  premier  artiste  qui  ait  fait  pa- 
raître ce  qu'il  y  avait  de  plus  grand  dans  cet  art.  » 

Mariette,  le  célèbre  amateur  du  XVIIP  siècle,  est  plus 
sévère.  On  lit  dans  les  Observations  sur  la  vie  de  Michel- 
Ange  :  «  Quant  au  premier  reproche,  il  est  plus  difficile 
d'excuser  Michel-Ange.  En  tous  pays,  en  tous  temps, 
pour  quelque  motif  que  ce  soit,  il  ri  est  pas  permis  de  rien 
foire  qui  puisse  nuire  aux  mœurs,  ni  qui  soit  contraire  à  la 
religion.  Par  conséquent,  Michel-Ange  est  fort  répréhen- 
sible  d'avoir  exposé  tant  de  nudités  à  découvert,  et  sur- 
tout dans  un  lieu  destiné  au  culte  divin.  Il  voulait  mon- 
trer son  savoir,  mais  à  quelles  conditions  ?  Aussi 
délibéra-t-on  dans  la  suite  de  faire  efî'acer  la  peinture 
sous  le  pontificat  de  Paul  IV  ;  si  on  la  laissa  subsister, 


MICHEL-ANGE    ET   TITIEN.  VJ 

ce  ne  fut  qu'au  moyen  de  tjuelcjues  «Iraperiesdont  on  fit 
coiivnr  {/i a fj Hier,  dit  un  \)o\i  ironi<iurnK'nt  M.  (!li.  VAô- 
raeiit)  les  ligures  qui  semblaient  les  moins  convriialtlrs, 
par  un  peintre  du  tem[)S.  » 

Dominé  soit  j>ar  l'orgueil  comme  le  prétend  Mili/ia, 
soit  par  l'esprit  de  système  au  point  de  vue  de  l'art,  ce 
qui  parait  plus  probable,  Micbel-Angc  jugeait  que 
c'étaient  là  de  vains  scrupules.  Car  quelqu'un  lui  par- 
lant (lu  mécontentement  du  pontife  au  suj»,'t  de  ces 
peintures,  il  répondit  :  (t  Dites  au  pape  qu'il  ne  s'in- 
quiète point  de  cette  misère,  mais  un  peu  plus  de  réfor- 
mer les  hommes  ce  qui  est  beaucoup  m(jins  facile  que  de 
corriger  des  peintures.  » 

On  aurait  peine  à  comprendre  ce  langage  si  l'on  ne 
savait,  bêlas  !  quelle  est  cliez  les  artistes  la  force  de  cer- 
tains préjugés  qui,  par  l'habitude,  arrivent  à  fausser  la 
conscience  la  plus  droite  et  nous  expliquent  cette  graude 
énigme  des  plus  prodigieuses  contradictions.  M.  Ch. 
Clément  Ini-mème,  si  paitial  pour  Michel-Ange,  est 
contraint  d'avouer  que  dans  cette  œuvre  qu'il  exalte 
(i  comme  un  de  ces  actes  inouis  de  l'esprit  humain  ([ui, 
malgré  toutes  les  critiques  qu'on  en  peut  faire,  épou- 
vantent et  subjugent,  jamais  Michel-Ange  n'est  autant 
tombé  du  côté  où  il  penchait  ;  jamais  il  ne  s'est  moins 
soucié  de  plaire  et  de  séduire  ;  jamais  il  n'a  entassé 
plus  de  difficultés,  de  poses  violentes,  de  pantomimes, 
ni  autant  abusé  de  ces  formes,  de  ces  mouvements,  de 
ces  postures,  sorte  de  rhétorique  de  son  art  qui  devait 
précipiter  ses  élèves  dans  de  si  monstrueux  excès.  » 

Les  éloges  les  plus  passionnés  font  difficilement  con- 
trepoids à  de  pareils  aveux. 


50  LES   RUES   DE   PARIS. 


III 


Michel-Ange  au  reste  était  plus  sculpteur  que  peintre 
et  les  immortelles  figures  de  Moi/se,  de  la  Ntiit,  du 
Pensiero  ne  laissent  pas  de  doute  à  cet  égard.  Ce  qui 
ne  parait  pas  moins  certain,  malgré  les  écarts  signalés 
plus  haut,  c'est  qu'il  avait  sur  l'art  en  général,  sur  son 
but,  sa  mission,  les  idées  les  plus  sublimes.  Un  docu- 
ment d'une  haute  importance  puisqu'il  émane  d'un 
témoin  oculaire,  document  découvert  récemment,  con- 
firme de  la  façon  la  plus  explicite  cette  opinion  qui 
résulte  pour  tout  judicieux  critique  de  l'œuvre  de 
Buonarroti  pris  dans  son  ensemble.  Un  contemporain 
de  Michel-Ange,  maître  François  de  Hollande,  archi- 
tecte et  enlumineur,  avait  été  envoyé  en  Italie  par  le 
gouvernement  portugais  pour  y  étudier  l'état  des  arts. 
A  son  retour,  il  écrivit  la  relation  de  son  voyage  ayant 
pour  titre  :  Dialogue  de  la  Peinture  dons  la  ville  de  Rome. 
Cet  ouvrage  dont  l'authenticité  ne  parait  point  dou- 
teuse, quoiqu'il  soit  resté  manuscrit  jusqu'à  ces  der- 
niers temps*,  fut  écrit  vers  1549.  Il  renferme,  dans  sa 
narration  un  peu  diffuse,  quelques  pages  relatives  à 
Michel-Ange  d'un  intérêt  singulier  et  qui  donnent  un 
caractère  tout  nouveau,  admirable  et  puissamment 
sympathique  à  cette  étonnante  figure  qui  nous  appa- 
raissait, dans  son  lointain,  non  pas  seulement  austère, 

'  Retrouvé  par  le  comte  Razynski  dans  la  bibliothèque  du  Jésus  à 
Lisbonne,  il  a  été  publié  par  ce  savant  amateur  dans  son  livre  : 
Les  arts  en  Portugal.  1846. 


MICUEL-ANt.l,    Kl    TITIFN.  51 

mais  rébarbative  et  farouche.  La  narration  si  naive- 
vemcnt  sincère  do  maitni  Franrois  de  Hollande  nous  la 
montre  sous  un  jour  tout  tlillërent. 

((  Dans  le  nombre  de  jours  que  je  passai  ainsi  dans 
cette  capitale,  il  y  en  eut  un,  ce  fut  un  dimanclie,  où 
j'allai  voir,  selon  mon  babitude,  messire  Lactance  To- 
lomée  qui  m'avait  procuré  l'amitié  «le  Micbel-Ange  par 
l'entremise  de  messire  Blosio,  secrétaire  (hi  pape.  Ce 
messire  Lactance  était  un  grave  personnaj^e,  respecta- 
ble autant  par  la  noblesse  de  ses  sentiments  et  de  sa 
naissance  que  par  son  âge  et  par  ses  mœurs.  On  me  dit 
cbez  lui  qu'il  avait  laissé  commission  de  me  faire  savoir 
«lu'il  se  trouvait  à  Monte-Cavallo,  dans  ITiglise  Saint- 
Silvestre,  avec  madame  la  marquise  de  Pescara,  pour 
entendre  une  lecture  des  épitrcs  de  saint  Paul  ;  je  me 
transportai  donc  à  Monte-Cavallo.  Or,  madame  Yittoria 
Colonna,  marquise  de  Pescara,  sœur  du   Seigneur  As- 
canio  Colonna,    est  une  des  plus  illustres  et  des  plus 
célèbres  dames  qu'il  y  ait  en  Italie  et  en  Europe,  c'est- 
à-dire  dans  le  monde.  Chaste   et  l)elle,   instruite  en 
latinité  et  spirituelle,  elle  possède  toutes  les  qualités 
qu'on  peut  louer  chez  une  femme.  Depuis  la  mort  de 
son  illustre  mari*,  elle  mène  une  vie  modeste  et  retirée; 
rassasiée  de  l'éclat  et  de  la  grandeur  de  son  passé,  elle 
ne  chérit  maintenant  que  Jésus-Christ  et  les  bonnes 
études,  faisant  beaucoup  de  bien  à  des  femmes  pauvres 
et  donnant  l'exemple  d'une  véritable  piété. 

'  Le  marquis  de  Pescara,  qui  commandait  l'armée  espagnole  à 
Pavie,  et  mourut  par  suite  des  blessures  qu'il  avait  reçues  daus 
la  bataille. 


52  LES   RUES   DE   PARIS. 

((  ....  M'ayaut  fait  asseoir,  et  la  lecture  se  trouvant 
terminée,  elle  se  tourna  vers  moi  et  dit  :  «  11  faut  savoir 
donner  à  qui  sait  être  reconnaissant,  d'autant  plus  que 
j'aurai  une  part  aussi  grande  après  avoir  donné  que 
François  de  Hollande  après  avoir  reçu.  Holà  I  un  Tel, 
va  chez  Michel-Ange,  dis-lui  que  messire  Lactance  et 
moi  nous  sommes  dans  cette  salle  hien  fraîche,  qui  est 
fermée  et  agréable,  demande-lui  s'il  veut  bien  venir 
perdre  une  partie  de  la  journée  avec  nous,  pour  que 
nous  ayons  l'avantage  de  la  gagner  avec  lui.  » 

Quelques  instants  après,  on  frappait  à  la  porte  qui 
fut  ouverte,  et  Michel-Ange,  que  le  serviteur  par  for- 
tune avait  rencontré  à  peu  de  distance,  entra.  La  mar- 
quise se  leva  pour  le  recevoir,  puis  le  fit  asseoir  entre 
elle  et  messire  Lactance.  a  Après  un  court  silence,  la 
marquise,  suivant  sa  coutume  d'ennoblir  toujours  ceux 
à  qui  elle  parlait  ainsi  que  les  lieux  où  elle  se  trouvait, 
commença  avec  un  art  que  je  ne  pourrais  imiter  ni 
décrire,  et  parla  de  choses  et  d'autres  avec  beaucoup 
d'esprit  et  de  grâce  sans  jamais  toucher  le  sujet  de  la 
peinture,  pour  mieux  s'assurer  du  grand  artiste.  On 
voyait  la  marquise  se  conduire  comme  celui  qui  veut 
s'emparer  d'une  place  inexpugnable  par  ruse  et  par 
tactique,  et  le  peintre  se  tenir  sur  ses  gardes,  vigilant 
comme  s'il  eût  été  l'assiégé. 

«  Vous  avez,  dit-elle  entre  autres  choses  à  Michel-Ange, 
vous  avez  le  mérite  de  vous  montrer  libéral  avec  sagesse, 
et  non  pas  prodigue  avec  ignorance  ;  c'est  pourquoi  vos 
amis  placent  votre  caractère  au-dessus  de  vos  ouvrages, 
et  les  personnes  qui  ne  vous  connaissent  pas  estiment 
de  vous  ce  qu'il  y  a  de  moins  parfait,  c'est-à-dire  les 


MICHEL-ANGE    ET   TITIEN.  53 

ouvrages  de  vos  mains.  Pour  moi  certes,  je  ne  vous 
considère  pas  comme  moins  digne  d'éloges  pour  la 
manière  dont  vous  savez  vous  isoler,  fuir  nos  inutiles 
conversations,  et  refuser  <le  peindre  pour  tous  les  princes 
([ui  vous  le  dt'maiidi^nt. 

((  —  Madame,  dit  Miiliel-Ang«%  pcut-ètn'  m'a<'Cord«3z- 
vous  plus  «[ue  je  ne  mérite...  mais  les  oisifs  ont  tort 
d'exiger  qu'un  artiste,  absorlx"  par  ses  travaux,  se 
mette  en  frais  de  compliments  junir  Itur  être  agréable, 
car  bien  peu  de  gens  s'occupent  île  leur  métier  en  cons- 
cience, et  certes  ceux-là  ne  font  pas  leur  devoir  «jui 
accusent  riionnète  liomme  désireux  de  remplir  soigneu- 
sement le  sien...  Jf  puis  assurer  à  A'otre  Excellence 
quo  même  Sa  Sainteté  m(î  cause  quelquefois  ennui  et 
chagrin  en  me  d(îmandant  pourcjuGi  je  ne  me  laisse  pas 
voir  plus  souvent....  Alors  je  réponds  à  Sa  Sainteté  que 
j'aime  mieux  travailler  pour  elle  à  ma  façon  que  de 
rester  un  jour  eutier  en  sa  présence,  comme  tant  d'au- 
tres. 

<(  —  Heureux  Michel-Ange  !  m'écriai-je  à  ces  mots, 
parmi  tous  les  princes  il  n'y  a  que  les  papes  qui  sachent 
pardonner  un  tel  péché.  » 

La  conversation  continua  très  intéressante  sur  ce 
sujet,  mais  la  rapporter  nous  entraînerait  trop  loin.  La 
marquise  cependant  ne  perdait  point  de  vue  son  but 
qui  était  d'amener  la  peintre  à  parler  de  son  art  : 
((  Demanderai-je  à  Michel-Ange,  dit-elle  enfin  à  Lac- 
tance,  qu'il  éclaircisse  mes  doutes  sur  la  peinture  ? 

»  —  Que  Votre  Excellence,  répondit  Michel-Ange, 
me  demande  quelque  chose  qui  soit  digne  de  lui  être 
offert,  elle  sera  obéie . 


54  LES   RUES   DE   PARIS. 

))  —  Je  désire  beaucoup  savoir,  reprit  en  souriant  la 
marquise,  ce  que  vous  pensez  de  la  peinture  de  Flan- 
dre ? 

))  — Cette  peinture,  reprit  Michel-Ange,  semblera  belle 
surtout  à  ceux  qui  sont  sourds  à  la  véritable  harmonie. 
En  Flandre,  on  peint  de  préférence,  pour  tromper  la  vue 
extérieure,  soit  des  objets  qui  vous  charment,  soit  des 
objets  dont  vous  ne  puissiez  dire  du  mal.  tels  que  des 
saints  et  des  prophètes.  D'ordinaire,  ce  sont  des  chif- 
fons, des  masures,  des  champs  très  verts  ombragés 
d'arbres,  des  rivières  et  des  ponts,  ce  que  l'on  appelle 
paysages  et  beaucoup  de  figures  par-ci  par-là  ;  quoique 
cela  fasse  bon  effet  à  certains  yeux,  en  vérité,  il  n'y  a  là 
ni  raison  ni  art,  point  de  symétrie,  point  de  propor- 
tions, nul  soin  dans  le  choix,  nulle  grandeur;  enfin 
cette  peinture  est  sans  corps  et  sans  vigueur,  et  pour- 
tant on  peint  plus  mal  ailleurs  qu'en  Flandre.  Si  je  dis 
tant  de  mal  de  la  peinture  flamande  (celle  de  l'époque) 
ce  n'est  pas  qu'elle  soit  entièrement  mauvaise,  mais  elle 
veut  rendre  avec  perfection  tant  de  choses,  dont  une 
seule  suffirait  par  son  importance,  qu'elle  n'en  fait 
aucune  d'une  manière  satisfaisante.  C'est  seulement 
aux  ouvrages  qui  se  font  en  Italie  que  l'on  peut  donner 
le  nom  de  vraie  peinture.  Et  c'est  pour  cela  que  la 
bonne  peinture  est  appelée  italienne.  La  bonne  pein- 
ture est  noble  et  dévote  par  elle-même,  car  chez  les 
sages  rien  n'élève  plus  l'àme  et  ne  la  porte  davantage 
à  la  dévotion  que  la  difficulté  de  la  perfection  qui  s'ap- 
proche de  Dieu  et  qui  s'unit  à  lui  :  Or,  la  bonne  peinture 
n'est  quune  copie  de  ses  perfections,  une  ombre  de  son  pin- 
ceau, enfin  une  musique,  une  mélodie,  et  il  n'y  a  qu'une 


MICHEL-ANGE  ET   TITIEN.  55 

intelligence  très  vive  qui  en  puisse  sentir  la  grande 
difficulté  ;  c'est  pourquoi  elle  est  si  rare  que  peu  de 
gens  y  peuvent  atteindre  et  savent  le  produire.  » 

A  ces  paroles  si  vraies,  les  dernières  surtout,  de 
Michel-Ange,  on  ne  peut  qu'applaudir,  comme  firent 
ses  auditeurs,  maître  François  de  Hollande  et  le  docte 
Lactance  qui  dit  entre  autres  choses  :  ((  Sachez,  maître 
François,  que  celui  qui  ne  comprend  et  qui  n'estime  pas 
la  très  noble  peinture,  agit  ainsi  par  son  propre  défaut: 
la  faute  n'en  est  pas  à  l'art  si  illustre  et  si  grand.  II 
agit  ainsi  parce  qu'il  est  barbare  et  privé  du  jugement 
de  la  plus  noble  partie  de  l'intelligence  humaine.  » 

((  —  Quel  homme  vertueux  et  sage  en  efî'et,  ajouta  la 
marquise,  n'accordera  toute  sa  vénération  aux  contem- 
plations spirituelles  et  dévotes  de  la  sainte  peinture  ? 
Le  temps  manquerait,  je  crois,  plutôt  que  la  matière 
pour  les  louanges  de  cette  vertu.  Elle  rappelle  la  gaîté 
chez  le  mélancolique,  la  connaissance  de  la  misère  hu- 
maine chez  le  dissipé  et  l'exalté  ;  elle  réveille  la  com- 
ponction chez  l'obstiné,  guide  le  mondain  à  la  péni- 
tence, le  contemplatif  à  la  méditation,  à  la  crainte  et 
au  repentir.  Elle  nous  représente  les  tourments  et  les 
dangers  de  l'enfer,  et  autant  qu'il  est  possible,  la  gloire 
et  la  paix  des  bienheureux  et  l'incompréhensible  image 
du  Seigneur  Dieu.  Elle  nous  fait  voir  bien  mieux  que 
de  toute  autre  manière  la  modestie  des  saints,  la  cons- 
tance des  martyrs,  la  pureté  des  vierges,  la  beauté  des 
anges  et  l'amour  de  charité  dont  brûlent  les  séraphins. 
Elle  élève  et  transporte  notre  esprit  et  notre  âme  au- 
delà  des  étoiles  et  nous  fait  contempler  l'éternel  em- 
pire. Elle  nous  rend  présents  les  hommes  célèbres  qui 


56  LES   RUES   DE    PARIS. 

depuis  longtemps  n'existent  plus  et  dont  les  ossements 
même  ont  disparu  de  la  face  de  la  terre.  Elle  nous 
invite  à  les  imiter  dans  leurs  hauts  faits  en  même 
temps  qu'elle  offre  à  la  vue  leurs  pensées,  leurs  plaisirs 
et  leurs  dangers  dans  les  batailles,  ainsi  que  leur  piété, 
leurs  mœurs  et  leurs  grandes  actions....  La  peinture  ne 
s'arrête  point  là  :  si  nous  désirons  voir  et  connaître 
l'homme  que  ses  actions  ont  rendu  célèbre,  elle  nous  en 
montre  l'image.  Elle  nous  présente  celle  de  la  beauté 
dont  un  grand  nombre  de  lieues  nous  séparent,  chose 
que  Pline  tient  pour  très- grande.  La  veuve  affligée 
retrouve  des  consolations  dans  la  vue  journalière  de 
l'image  de  sou  mari  ;  les  jeunes  orphelins  sont  satisfaits, 
une  fois  devenus  hommes,  de  connaître  les  traits  d'un 
père  chéri  et  son  image  leur  inspire  le  respect  et  les 
bons  sentiments.  )> 

La  marquise  se  tut  alors  émue  jusqu'aux  larmes,  et 
Michel-Ange  s'inclina  en  signe  d'assentiment,  car  ce 
langage  d'une  femme  pour  laquelle  sa  vénération  était 
profonde,  exprimait  admirablement  sa  propre  pensée. 
Dans  le  troisième  entretien,  Michel-Auge  dit  entre 
autres  choses  :  «  La  gravité  et  la  décence  sont  d'une 
grande  importance  dans  la  peinture.  Bien  peu  de  pein- 
tres s'efforcent  de  s'approprier  ces  qualités;  aussi  parmi 
eux  y  en  a-t-il  beaucoup  qui  n'ont  d'artiste  que  le  nom. 
Ceux  qui  estiment  ces  qualités  sont  seuls  vraiment 
grands.  » 

Parlant  ensuite  des  sujets  religieux,  il  dit  :  «  Cette 
entreprise  est  si  grande  qu'il  ne  suffît  pas  pour  imiter 
en  quelque  partie  l'image  vénérable  de  Notre-Seigneur 
qu'un  maître  soit  grand  et  habile,  je  soutiens  qu'il  lui 


MICHEL-ANGE   ET   TITIEN.  57 

est  nécessaire  d'avoir  de  bonnes  mœurs  ou  même,  s'il 
était  possible,  d'être  saint  afin  que  le  Saint-Esprit  puisse 
inspirer  son  entendement....  Si  Dieu  voulut  que  l'ar- 
che de  la  sainte  loi  fût  bien  décorée  et  bien  peinte, 
avec  combien  plus  de  réflexion  et  d'étude  doit-on  cher- 
cher à  imiter  sa  divine  figure  et  celle  de  son  fils  Notre- 
Seigneur,  ou  la  résignation,  la  chasteté,  la  beauté  de 
la  glorieuse  Vierge-Marie  retracée  par  saint  Luc  l'Évan- 
géliste...  Souvent  les  images  mal  peintes  causent  de  la 
distraction  et  font  perdre  la  dévotion.  Celles  au  con- 
traire qui  sont  peintes  parfaitement  excitent  à  la  con- 
templation et  aux  larmes  jusqu'aux  moins  dévots  en 
leur  inspirant  la  vénération  et  la  crainte  par  la  gravité 
de  leur  aspect.  )> 


IV 


Après  avoir  lu  ces  admirables  pages,  on  s'étonnera 
davantage  sans  doute  des  étrangetés  du  jugement  der- 
nier, mais  bien  plus  encore  que  Michel-Ange  ait  pu 
peindre  cette  Léda,  destinée  d'abord  au  duc  de  Ferrare, 
mais  qui,  donnée  par  l'artiste  à  son  élève  Memmi,  passa 
en  France  et  fut  achetée  par  François  Y\  ((  Elle  fut 
transportée  à  Fontainebleau  sous  Louis  XIII,  dit  d'Ar- 
genville  ;  M.  du  Noyer,  ministre  d'état,  fit  brûler  dans 
la  suite  cette  peinture  à  cause  de  son  caractère  trop 
libre.  Un  cardinal  en  a  fait  autant  en  jetant  au  feu  des 
peintures  un  peu  lascives  :  ((  Pereant  tabulée,  dit-il,  ne 
pereant  animm  I  Périssent  les  tableaux  plutôt  que  les 
^mes.  »  D'une  note  de  Mariette  il  résulterait  que  cette 


58  LES   RUES   DE    PARIS. 

œuvre  n'avait  point  été  détruite,  mais  qu'elle  subit  des 
retranchements. 

Quoique  d 'ailleurs prétendent  messieurs  les  biographes 
et  les  critiques,  prompts  à  railler  M.  du  Noyer  de  ses 
scrupules,  il  est  impossible  qu'avec  un  tel  sujet  Michel- 
Ange  put  faire  un  tableau  exempt  de  tout  blâme  au 
point  de  vue  de  la  morale,  et  dont  plus  tard  l'artiste, 
éclairé  par  la  réflexion,  n'ait  pas  ressenti  quelques  re- 
mords. Quand  plusieurs  années  après  l'époque  dont 
nous  parlions  plus  haut  (celle  des  entretiens  avec  Maitre 
François  de  Hollande),  il  fut  éprouvé  par  de  si  cruelles 
douleurs,  ne  dut-il  pas  voir  là  une  expiation? 

Yittoria  Colonna,  «  si  belle  et  honnête  dame,  dit 
Brantôme  dans  la  vie  du  marquis  de  Pescara,  qu'elle  fut 
de  son  temps  estimée  une  perle  en  toutes  vertus  et 
beautés  »,  n'était  pas  moins  remarquable  par  la  distinc- 
tion de  son  esprit  dont  témoignent  ses  poésies.  Michel- 
Ange,  quoiqu'il  l'eût  connue  tardivement,  l'aima  d'une 
affection  profonde,  qui  s'exaltait  par  le  respect  même 
et  la  vénération. 

L'illustre  artiste,  comme  on  l'a  vu,  avait  toujours 
vécu  «  seul  comme  le  bourreau  »,  disait  un  peu  dure- 
ment Raphaël.  Dé}à  presque  sexagénaire,  célèbre  entre 
tous  et  rassasié  de  gloire  pour  ainsi  dire,  il  n'était  plus 
autant  tourmenté  de  cette  fièvre  de  produire  qui  le  dé- 
vorait autrefois.  Il  semble  même  qu'à  cette  époque  il 
ait  jeté  un  regard  mélancolique  sur  la  carrière  parcou- 
rue, et  que  la  solitude  pour  lui  perdit  de  son  attrait. 
Peut-être  souffrit-il  un  peu  tardivement  de  ce  regret  si 
fatal  de  nos  jours  à  l'infortuné  Léopold  Robert  ?  Peut- 
être,  par  cette  illusion  ordinaire  qui  abuse  les  plus  expér 


MICnEL-ANGE    ET   TITIEN.  59 

rimentés  dans  la  science  de  la  vie,  en  leur  faisant  croire 
que  le  bonheur,  en  ce  monde,  se  trouve  précisément  dans 
ce  qui  leur  manque,  peut-être  Michel-Ange,  un  beau 
jour,  se  dit  que  l'homme  ne  vit  pas  seulement  par  l'in- 
telligence et  qu'à  son  cœur  aussi  il  faut  un  aliment  ? 
Qui  sait  si,  dupe  de  ce  mirage,  il  ne  rêva  pas  ou  mieux 
ne  regretta  pas  la  douceur  du  foyer  domestique  dont  il 
ne  voyait  que  les  côtés  riants,  n'ayant  pu  connaître  ses 
épreuves  ou  ses  chagrios,  et  ne  sentit  pas  son  àme  se 
remplir  d'une  morne  tristesse  et  des  larmes  monter  à  ses 
yeux  par  la  pensée  qu'il  avait  sacrifié  toutes  ces  joies  à 
la  jalouse  Muse  qui  maintenant,  dans  sa  vieillesse,  le 
délaissait  ? 

C'est  alors  qu'il  se  rencontra  avec  la  marquise  de 
Pescara,  cette  autre  Béatrice,  qui  réalisait  merveilleuse- 
ment son  idéal  et  u  dont  l'esprit  divin  l'avait  séduit  )) 
selon  l'expression  de  Gondivi.  Michel-Ange  eut  tout-à- 
coup,  dans  sa  vie,  un  intérêt  nouveau,  puissant,  d'autant 
plus  que  l'illustre  veuve  témoignait  pour  lui  de  la  plus 
haute  estime  et  d'une  amitié  sincère.  D'après  certains 
sonnets  de  Michel-Ange  (car  l'artiste  était  poète  aussi), 
on  peut  croire  qu'il  espéra  davantage  et  que  la  mar- 
quise, libre  d'elle-même,  ne  refuserait  pas  sa  main  à 
celui  qui  l'aimait  d'une  affection  si  sérieuse  et  dont  le 
front,  s'il  s'ombrageait  de  cheveux  gris,  rayonnait  pour 
tous  de  cette  magnifique  auréole  du  génie  et  de  la  gloire. 

S'il  se  berça  de  cet  espoir  (chose  probable),  Michel- 
Ange  se  vit  cruellement  déçu  ;  la  marquise  voulut  res- 
ter fidèle  à  la  mémoire  de  son  premier  mari,  à  cette 
chère  ombre  qui  semblait  l'appeler  de  loin,  et  qu'elle  ne 
devait  pas  tarder,  malgré  les  nobles  amitiés  qui  vou- 


60  LES    RUES   DE    PARIS. 

laient  la  retenir  sur  la  terre,  à  rejoindre  dans  la  tombe. 
Buonarroti  connaissait,  admirait,  vénérait  cette  illustre 
amie  depuis  quatre  années  à  peine  quand  il  eut  la  dou- 
leur de  la  perdre. 

Yittoria  Colonna,  dont  la  santé  avait  toujours  été 
délicate,  au  commencement  de  l'année  1547,  tomba  ma 
lade.  Se  sentant  gravement  atteinte,  elle  se  fit  trans- 
porter dans  la  maison  de  sa  parente,  Guilia  Colonna,  qui 
lui  était  tendrement  dévouée  et  se  montra  pour  elle 
garde-malade  des  plus  zélées. 

Micbel-Ange,  prévenu,  accourut  au  chevet  de  la  ma- 
lade qu'il  ne  quitta  pas  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  rendu  le 
dernier  soupir.  Quand  Vittoria  Colonna  ne  fut  plus  qu'un 
cadavre,  il  prit  dans  ses  mains  tremblantes  sa  main  déjà 
glacée  qu'il  approcha  respectueusement  de  ses  lèvres, 
puis  il  s'éloigna  et  «  sa  douleur  fut  si  violente,  Condivi 
nous  l'atteste,  qu'elle  le  rendait  comme  privé  de  sens.» 

On  n'en  doute  pas  quand  on  lit  ces  vers  où  le  regret 
de  l'artiste  se  trahit  si  poignant  :  <(  0  sort  fatal  à  mes 
désirs,  ô  esprit  pur,  où  es -tu  maintenant  ?  La  terre 
couvre  ton  corps  et  le  ciel  a  reçu  ton  âme  divine. 

«  ...Je  reste  glacé  comme  un  corps  défaillant  qu'un 
reste  de  vie  abandonne. 

((  Ah  !  mort  cruelle  !  combien  tes  coups  auraient  été 
doux  si,  quand  tu  as  frappé  l'un  de  nous  deux,  l'autre 
eût  été  atteint  de  la  même  blessure. 

((  Je  ne  traînerais  point  maintenant  ma  vie  dans  les 
larmes  et,  libre  de  la  douleur  qui  me  tourmente,  je  ne 
remplirais  pas  l'air  de  tant  de  soupirs  ' .  » 

'Traduction  de  M.  Lanneau-Rolland. 


MICHEL-ANGE    ET    TITIEN.  61 

On  ne  peut  douter,  d'après  tous  ces  témoignages,  que 
Michel-Ange  éprouva  de  cette  mort  un  grand  vide  et  que 
le  travail,  pour  lequel  il  n'avait  plus  d'autre  aiguillon 
que  le  devoir,  ne  suffit  pas  toujours  à  le  combler.  Dans 
les  seize  années  qu'il  vécut  encore,  il  eut  des  jours 
d'amère  tristesse,  alors  surtout  qu'un  nouveau  deuil  fût 
venu  attrister  son  logis  déjà  si  solitaire.  Vers  1556,  il 
perdit  Urbino,  son  fidèle  serviteur,  qu'après  tant  d'an- 
nées de  vie  commune  et  de  dévouement,  il  regardait  plus 
comme  un  ami  que  comme  un  domestique,  et  qui  jeune 
encore  semblait,  selon  le  cours  de  la  nature,  devoir  lui 
fermer  les  yeux.  Une  anecdote  racontée  par  Condivi 
prouve,  avec  la  générosité  de  l'artiste,  sa  vive  affection 
pour  Urbino. 

((  Si  je  venais  à  mourir,  que  ferais-tu  ?  dit  un  jour 
Michel-Ange  à  son  serviteur. 

—  Je  serais  obligé  de  servir  un  autre  maître. 

—  Oh  !  mon  pauvre  Urbino,  je  ne  veux  pas  que  tu 
sois  malheureux  après  moi  !  et  il  lui  donna  à  l'instant 
2,000  écus. 

Durant  toute  la  maladie  d'Urbino,  il  ne  le  quitta  pas, 
le  soigna  comme  il  eut  fait  d'un  parent  et  le  pleura 
comme  un  frère.  Mais  si  douloureuse  qui  lui  fût  cette 
mort,  on  est  heureux  de  voir  que,  par  une  grâce  spé- 
ciale de  la  Providence,  il  y  vit  un  motif  pour  raviver  sa 
foi  plutôt  que  pour  se  décourager,  témoin  cette  lettre  en 
réponse  à  Yasari  qui  lui  avait  écrit  pour  le  consoler  : 

«  Messer  Giorgio,  mon  cher  ami,  j'écrirai  mal;  ce- 
»  pendant  il  faut  que  je  vous  dise  quelque  chose  en 
))  réponse  à  votre  lettre.  Vous  savez  comment  Urbino 
»  est  mort  ;  ça  été  pour  moi  une  très-grande  faveur  de 

TOME  III.  4 


6à  LES    RUES   DE   TARIS. 

»  Dieu  et  un  chagrin  bien  cruel.  Je  dis  que  ce  fut  une 
))  faveur  de  Dieu,  parce  que  Urbino,  après  avoir  été  le 
»  soutien  de  ma  vie,  m'a  appris  non-seulement  à  mourir 
»  sans  regret,  mais  même  à  désirer  la  mort.  Je  l'ai 
»  gardé  vingt-six  ans  avec  moi  et  je  l'ai  toujours  trouvé 
»  parfait  et  fidèle.  Je  l'avais  enrichi,  je  le  regardais 
))  comme  le  bâton,  et  l'appui  de  ma  vieillesse,  et  il  m'é- 
))  chappe  en  ne  me  laissant  que  l'espérance  de  le  revoir 
»  en  paradis.  J'ai  un  gage  de  son  bonheur  dans  la  ma- 
»  nière  dont  il  est  mort.  Il  ne  regrettait  pas  la  vie,  il 
))  s'affligeait  seulement  en  pensant  qu'il  me  laissait 
»  accablé  de  maux,  au  milieu  de  ce  monde  trompeur 
»  et  méchant.  Il  est  vrai  que  la  majeure  partie  de  moi- 
»  même  l'a  suivi  et  tout  ce  qui  me  reste  n'est  plus  que 
»  misères  et  que  peines.  Je  me  recommande  à  vous.  » 

Je  ne  sais  rien  de  plus  admirablement  touchant  que 
cette  lettre  qui  atteste  tout  à  la  fois  une  sensibilité  si 
vraie  et  une  résignation  si  courageuse.  Michel- Ange 
survécut  six  années  à  Urbino.  Pendant  l'année  1362,  à 
plusieurs  reprises,  il  souffrit  de  graves  indispositions. 
Puis,  au  commencement  de  l'année  1563,  sa  santé  s'altéra 
de  plus  en  plus  ;  la  fièvre  le  força  de  s'aliter  et,  le  17 
février,  il  expira,  à  l'âge  de  89  ans,  après  avoir  dicté  ce 
testament  où  l'homme  tout  entier  se  retrouve  :  «  Je 
»  laisse  mon  âme  à  Dieu,  mon  corps  à  la  terre,  et  mes 
»  biens  à  mes  plus  proches  parents.  » 

Le  poète,  d'ailleurs  si  vraiment  poète  dY/  Pianto, 
a-t-il  donc  tout  à  fait  raison  quand  il  dit,  dans  son  son- 
net sur  Michel-Ange  ? 


MICHEL- ANGE   ET  TITIEN.  63 

Hélas  !  d'un  lait  trop  fort  la  Muse  t'a  nourri, 
L'art  fut  ton  seul  amour  et  prit  ta  vie  entière; 
Soixante  ans  tu  courus  une  triple  carrière, 
Sans  reposer  ton  cœur  sur  un  cœur  attendri. 

Pauvre  Buonarroti  !  ton  seul  bonheur  tu  monde 
Fut  d'imprimer  au  marbre  une  grandeur  profonde^ 
Et,  puissant  comme  Dieu,  d'effrayer  comme  lui. 

Aussi^  quand  tu  parvins  à  ta  saison  dernière, 

Vieux  lion  fatigué,  sous  ta  blanche  crinière, 

Tu  mourus  longuement  plein  de  gloire  et  d'ennui. 

Dieu  ne  veut  effrayer  que  les  méchants  et  même  pour 
eux,  dès  qu'ils  se  repentent,  il  a  dans  sa  miséricorde  des 
trésors  de  bonté.  Michel- Ange  mourut  plei7i  de  gloire 
sans  doute,  mais  non  pas  plein  d'ennui,  témoin  cet 
admirable  sonnet  qu'il  écrivait  trois  ans  avant  sa  mort, 
et  qu'on  lit  avec  plusieurs  autres  dans  une  lettre 
adressée  à  Vasari  ; 

{(  Porté  sur  une  barque  fragile,  au  milieu  d'une  mer 
orageuse,  j'arrive  au  port  commun  où  tout  homme  vient 
rendre  compte  du  bien  et  du  mal  qu'il  a  faits. 

((  Maintenant  je  reconnais  combien  mon  âme  fut  su- 
jette à  l'erreur  en  faisant  de  l'art  son  idole  et  son  sou- 
verain maître. 

((  Pensers  amoureux,  imaginations  vaines  et  douces, 
que  deviendrez-vous  maintenant  que  j'approche  de 
deux  morts,  l'une  certaine,  l'autre  menaçante? 

«  Ni  la  peinture  ni  la  sculpture  ne  peuvent  suffire 
pour  calmer  une  âme  qui  s'est  tournée  vers  toi,  ô  mon 
Dieu,  qui  as  ouvert  pour  nous  tes  bras  sur  la  croix.  » 

Ne  sent-on  pas  ici  le  calme  d'une  grande  âme  battue 


64  LES    RUES    DE    PARIS. 

naguère  par  les  orages,  mais  pour  laquelle  la  lumière 
s'est  faite  de  plus  en  plus,  et  qui,  clans  la  sérénité  de  *sa 
foi,  dans  la  certitude  de  son  espérance,  n'aspire  qu'à  dire 
à  la  terre  son  dernier  adieu  attirée  qu'elle  est  vers  la  cé- 
leste patrie  ? 

Michel- Auge  étant  mort  à  Rome,  par  l'ordre  du  pape, 
son  corps  fut  déposé  dans  l'église  de  Sayito-Apostolo,  en  at- 
tendantle  tombeau  qu'on  devait  lui  élever  à  Saint-Pierre. 
Mais  Léonardo,  le  neveu  de  Buonarroti,  instruit,  par  des 
amis  présents  à  ses  derniers  moments,  que  son  oncle 
avait  témoigné  de  son  désir  d'être  enterré  à  Florence, 
fit,  pendant  la  nuit,  en  grand  secret,  par  crainte  de  la 
jalousie  des  Romains,  enlever  le  corps  transporté 
rapidement  à  Florence.  Dans  cette  ville,  dès  que  la  nou- 
velle s'en  répandit,  il  y  eut  une  émotion  profonde  mêlée 
de  joie  et  de  tristesse  qui  mit  toute  la  population  en 
rumeur.  Après  des  funérailles  magnifiques,  dont  les 
préparatifs  avaient  duré  plusieurs  mois,  le  corps  fut 
déposé  dans  l'église  de  Santa-Croce,  où  se  voit  encore 
aujourd'hui  le  tombeau  de  Michel- Ange.  Il  fut  exécuté 
par  Lorenzo  d'après  les  dessins  de  Yasari  empressé  de 
donner  ce  dernier  témoignage  d'affection  à  son  maître, 
((  le  plus  grand  artiste  qui  eût  jamais  été  »,  suivant  ses 
expressions  excessives  sans  doute,  mais  qui  dans  sa 
bouche  ne  peuvent  étonner. 


TOUSTAIN 


Il  y  eut  en  France  deux  personnages  de  ce  nom  tous 
deux  distingués  dans  des  carrières  fort  différentes 
encore  que  leur  mérite  ne  fût  point  tel  qu'il  pût  donner 
à  leur  nom  la  grande  célébrité.  Le  premier  de  ces  deux 
hommes  éminents,  bénédictin  de  la  congrégation  de 
saint  Maur  (Toustain,  dom  Charles  François),  était  né  au 
Repos, diocèse  de  Séez,  le  13  octobre  17..  d'une  ancienne 
famille  du  pays  de  Caux.  Ses  études  terminées  au  col- 
lège de  l'abbaye  de  Jumièges,  il  fit  profession  dans 
cette  même  abbaye.  Avec  la  vocation  religieuse,  il  avait 
celle  de  la  science.  Sachant  le  grec  et  l'hébreu,  il 
voulut  avoir  aussi  des  notions  sur  les  langues  orien- 
tales, et  en  même  temps,  il  étudiait  les  langues  moder- 
nes, l'italien,  l'anglais,  l'allemand  et  le  hollandais. 
Mais  sa  passion  pour  la  science  et  son  amour  de  l'étude 
ne  refroidirent  jamais  sa  piété.  Ordonné  prêtre  en  1729, 
il  ne  disait  jamais  la  messe  sans  un  tremblement  causé 
par  le  respect  et  l'amour,  et  son  action  de  grâces,  d'après 
ce  «iu'on  raconte,  était  souvent  accompagnée  de  larmes 
abondantes.  En  1747,  le  général  de  son  ordre  l'appela 
dans  le  couvent  de  St-Germain  d'où  il  passa  dans  celui 
des  Blancs-Manteaux.  Les  austérités  du  régime  en 
même  temps  que  les  excès  de  travail  avaient  fort 
TOME  m.  4* 


66  LES   RUES   DE   PARIS. 

aftaibli  sa  santé  ;  pourtant  il  ne  pouvait  se  résigner  à 
quitter  ses  livres  et  ses  pieuses  pratiques.  Ce  ne  fut  que 
dans  l'année  1754  que,  par  obéissance,  il  consentit  à  se 
rendre  à  St-Denis  pour  y  prendre  le  laitage.  11  mourut 
dans  cette  résidence,  la  même  année,  laissant  plusieurs 
savants  ouvrages  imprimés  ou  manuscrits.  Le  plus 
important  a  pour  titre  La  youvelle  Diplomatique. 

Dans  le  18*  siècle  également,  vécut  un  personnage  du 
même  nom  et  de  la  même  famille.  Toustain  (Gaspard 
François)  né  à  Richebourg,  le  23  février  1716,  ayant 
embrassé  l'état  militaire,  s'éleva  jusqu'au  grade  de 
lieutenant  des  maréchaux.  Il  avait  fait  avec  distinction 
les  campagnes  de  1733,  1741,  1736,  blessé  deux  fois  à 
la  bataille  de  Dettingeu  en  1743.  La  Révolution,  en 
dépit  de  ses  loyaux  services,  lui  supprima  (1792)  la  pen- 
sion de  retraite  dont  il  jouissait  depuis  une  année  à 
peine.  Bien  plus,  emprisonné  comme  suspect  sous  la 
Terreur,  et  menacé  de  perdre  la  vie,  le  vétéran  ne 
recouvra  sa  liberté  qu'après  le  9  thermidor.  Il  mourut 
en  avril  1799.  Cet  homme  de  guerre  était  aussi  un 
homme  d'étude  :  il  cultivait  les  lettres  avec  zèle  ;  on  a 
de  lui  plusieurs  dissertations  qui  prouvent  de  l'érudi- 
tion, entre  autres  deux  Mémoires  sur  Jeanne  (F Arc. 


LA  TREMOUILLE  OU  LA  TREMOILLE 

(louis,  sire  de) 


Louis  XI  qui,  d'après  Commines,  était  doué  d'uue 
sagacité  si  rare  pour  juger  des  hommes  dès  leurs  pre- 
mières années,  avait  deviné  ce  que  serait  un  jour  le 
jeime  La  Trémouille,  venu  à  la  cour  pour  être  l'un  de 
ses  pages. 

«  Ce  jeune  Louis,  dit  Bouchet,  historien  contempo- 
rain, fut  amiablement  reçu  par  le  roi  (à  qui  son  père 
n'avait  pas  osé  le  refuser,  quoiqu'il  en  eût  bonne  envie), 
et  mis  au  nombre  des  enfants  d'honneur.  Et  si  les  sur- 
monta bientôt  tous  en  hardiesse,  finesse,  cautelles  et 
ruses,  comme  à  lutter,  chasser,  lancer  la  barre,  che- 
vaucher et  tous  autres  jeux  honnêtes  et  laborieux,  en 
sorte  qu'on  ne  parlait  en  cour  que  du  petit  Trémoille  : 
dont  le  roi  fut  fort  joyeux.  Et  lui  voyant  parfois  faire 
ces  bons  tours,  disait  aux  princes  et  seigneurs  de  sa 
compagnie  : 

(c  —  Ce  petit  Trémoille  sera  quelquefois  le  soutène- 
))  ment  (soutien)  et  la  défense  de  mon  royaume  :  je  le 
))  veux  garder  pour  un  fort  écu  (bouclier)  contre  Bour- 


))  ffosme^  n 


*  Vie  de  la  Irémouilie. 


68  LES   RUES   DE   PARIS. 

Un  autre  jour,  montrant  le  jeune  page  ((  qui  avait  si 
bonne  grâce,  beau  comme  un  semi-dieu,  son  corps 
étant  de  moyenne  stature,  ni  trop  grand  ni  trop  petit, 
bien  organisé  de  tous  ses  membres,  la  tète  élevée,  le 
front  haut  et  clair,  les  yeux  pers,  le  nez  moyen  et  un 
peu  aquilin,  petite  bouche,  son  teint  net  et  brun,  plus 
tirant  sur  vermeille  blancheur  que  sur  le  noir,  et  les 
cheveux  crêpelés  et  reluisant  comme  fin  or,  »  Louis  XI 
dit  aux  ambassadeurs  du  duc  de  Bourgogne  : 

«  La  maison  de  Bourgogne  a  nourri  et  entretenu 
))  longtemps  ceux  de  la  Trémoille,  dont  j'ai  retiré  ce 
»  rejeton,  espérant  qu'il  tiendra  barbe  aux  Bourgui- 
))  gnons.  )) 

LaTrémouille  ne  trompa  point  ces  espérances,  ar- 
rivé promptement  aux  premiers  grades  de  l'armée, 
surtout  après  la  mort  de  Louis  XI,  dont  Jean  de  Troyes, 
dans  sa  chronique,  dit  admirablement  :  ce  Ce  prince  fut 
si  craint  et  redouté  qu'il  n'y  avait  si  grand  en  son 
royaume  et  mèmement  ceux  de  son  sang  qui  dormît  ni 
reposât  sûrement  en  sa  maison. . .  Et  avant  son  dit  trépas, 
fut  moult  (beaucoup)  molesté  de  plusieurs  maladies 
pour  la  guérison  desquelles  furent  faites  par  les  méde- 
cins qui  avaient  la  cure  de  sa  personne  de  terribles  et 
merveilleuses  médecines,  o 

La  régente  Anne  de  Beaujeu,  sœur  et  tutrice  du 
jeune  roi  Charles  Vlll,  connaissait  dès  longtemps  La 
Trémouille,  et  confiante  en  sa  loyauté  comme  en  ses 
talents,  elle  lui  donna  le  commandement  des  troupes 
royales  qui  défirent  à  Saint-Aubin-du-Cormier  (Ile-et- 
Vilaine)  l'armée  des  grands  seigneurs  et  des  princes 
révoltés,  dont  le  duc  d'Orléans,  depuis  Louis  XII,  était 


LA    TRÉMOUILLE    OU    LA    TnÉMOILLE.  HO 

le  chef.  Celui-ci  se   trouvait  au  nombre   des   prison- 
niers. 

Lors  (le  l'expéditinn  d'Italie  par  Charles  \1II,  La 
Trémouille  avait  également  sous  le  roi  le  commande- 
ment en  chef,  et  toujours  il  se  montra  à  la  hauteur  de 
sa  position,  tour  à  tour  capitaine  et  soldat,  et  payant 
au  besoin  de  sa  personne  comme  au  passage  de  l'A- 
pennin. 

((  Lui-même,  dit  Jean  Bouchet,  ses  vêtements  laissés, 
fors  chausses  et  pourpoints,  se  mit  à  pousser  aux  char- 
rois et  porter  gros  boulets  de  fer,  en  si  grand  labeur  et 
diligence  qu'à  sou  exemple  la  plupart  de  ceux  de  l'ar- 
mée, mèmcment  les  Allemands,  de  son  grand  et  bon 
vouloir  ébahis,  se  rangèrent  à  cette  œuvre,  et  par  ce 
moyen  fut  toute  l'artillerie  passée  par  monts  et  vallées 
avec  les  munitions. 

M  ...  Et  l'onivre  mise  à  louable  fin,  le  seigneur  de  La 
Trémoille,  noir  comme  un  Maure,  pour  l'exténuante 
chaleur  qu'il  avait  supportée,  en  fit  rapport  au  roi  qui 
lui  dit  : 

((  —  Par  le  jourd'hui,  mon  cousin,  vous  avez  fait 
))  plus  que  purent  faire  oncques  Annibal  de  Carthage, 
»  ni  Jules  César,  au  danger  de  votre  personne  que  ne 
))  voulûtes  oncques  épargner,  dont  vous  sais  à  toujours 
»  gré.  » 

La  victoire  de  Fornoue  (1495),  le  seul  fait  éclatant  de 
cette  campagne,  fut  due  aux  habiles  dispositions  de  La 
Trémouille  au  moins  autant  qu'au  vaillant  exemple 
donné  parle  monarque.  Il  en  fut  de  même  de  la  bataille 
d'Agnadel  (1509),  livrée  et  gagnée  plus  tard  par  Louis 
XII  dans  les  mêmes  conditions.  C'est  à  propos  de  La 


70  LFS   RUES   DE    PARIS. 

Trcmouillc  que  ce  prince,  en  montant  sur  le  trône,  dit 
cette  mémorable  parole  que  l'histoire  s'est  plu  à  enre- 
gistrer : 

«  Le  roi  de  France  ne  venge  pas  les  querelles  du  duc 
»  d'Orléans.  Si  La  Trémoille  a  bien  servi  son  maître 
»  contre  moi,  il  me  servira  de  même  contre  ceux  qui 
))  seraient  tentés  de  troubler  l'État.  )> 

Le  Chevalier  sans  Reproche,  comme  l'appelle  Jeau 
Bouchet,  ne  trompa  point  ces  espérances.  Chargé  de 
nouveau  par  Louis  XII  (en  1500)  du  commandement 
en  chef  de  l'armée  d'Italie,  il  conquit  rapidement  le 
Milanais  en  faisant  prisonniers  Louis  Sforce  et  sou 
frère.  En  1509,  repassant  les  monts  avec  le  roi,  il  prit, 
comme  nous  l'avons  dit,  une  part  glorieuse  à  la  victoire 
d'Agnadel.  Marignan,  la  Journée  des  Géants,  fut  pour  lui 
encore  une  illustre  journée,  mais  aussi  douloureuse,  car 
son  fils  unique,  le  prince  de  Talmont,  s'étant  lancé 
trop  avant,  «  fut  retiré  de  la  presse,  navré  de  soixante - 
deux  blessures,  »  dont  plusieurs  mortelles,  et  le  lende- 
main il  succomba.  Le  duc,  malgré  son  chagrin  profond, 
sut  ne  point  se  laisser  abattre  ;  mais  la  mère  du  jeune 
homme,  Gabrielle  de  Bourbon,  fut  inconsolable  :  «  dont 
en  son  cœur  s'engendra  une  mortelle  aposthume  non 
curable  aux  remèdes...  Une  fièvre  lente  accompagnée 
de  langueur,  en  décevant  les  médecins,  la  conduisit 
jusqu'au  tombeau...  Je  n'oublierai,  ajoute  Jean  Bou- 
chet, sa  très-louable  mort,  portant  témoignage  de  sa 
sainte  vie...  Quant  au  bon  seigneur  de  La  Trémoille, 
fut  son  deuil  si  grand  qu'il  ne  prenait  repos  assuré  ni 
consolation  pour  laquelle  il  pût  l'excès  de  ses  soupirs 
modérer.  » 


LA    TRÉMOUILLE    OU    LA    TRÉMOILLE.  71 

Néanmoins,  trois  ans  après,  il  épousa  «  par  honneur,» 
c'est-à-dire  dans  l'espoir  de  laisser  un  héritier,  la  fille 
du  duc  de  Valentinois  dont  le  chroniqueur  ne  parle  pas 
avec  moins  de  complaisance  que  de  la  première  épouse. 
((  La  jeune  demoiselle  était  humble  sans  rusticité, 
grave  sans  orgueil,  bénigne  sans  sottise,  affable  sans 
trop  grande  familiarité,  dévote  sans  hypocrisie,  joyeuse 
sans  folie  et  bien  parlante  sans  fard  de  langage,  libérale 
sans  prodigalité  et  prudente  sans  présomption.  »  Une 
merveille  pour  tout  dire,  et  la  perfection  incarnée  si  le 
portrait  n'est  point  flatté. 

Pourtant  le  vieux  guerrier  n'hésita  point  à  la  quitter 
pour  suivre  le  roi  François  I"  en  Italie.  Il  se  trouvait 
près  du  prince  à  la  bataille  de  Pavie  (lo2o)  et  «  là  fut 
abattu  mort  d'un  coup  d'arquebuse.  »   «  Et  en  la  ba- 
taille de  Pavie,  dit  à  son  tour  Brantôme,  après  avoir 
combattu  vaillamment  et  plus  que  son  vieil  âge  ne  lui 
concédait,  il  mourut  au  champ  de  bataille  et  lit  d'hon- 
neur, montrant  par  sa  mort  au  monde  que  si  quelque- 
fois les  grands  capitaines  sont  défavorisés  de  la  fortune 
en  quelques  exploits,   pourtant  il  ne  les  en  faut  blâ- 
mer ni  eux  ni  leurs  courages,  ni  leurs  valeurs,  mais 
que  la  fortune  qui  tient  toutes  choses  mondaines  en  sa 
main  et  se  plait  en  faveur,  en  disgrâce,  en  gloire  et 
déshonneur,  les  donne  en  abondance  et  en  épargne, 
ainsi  que  porte  sa  volonté,  aux  uns  et  aux  autres.  » 

Or,  le  fidèle  Bouchet  (qui  sans  doute  se  mêlait  de 
rimer)  fit  à  La  Trémouille  cette  épitaphe  : 

Au  lit  d'honneur  il  a  perdu  la  vie, 
Le  bon  Louis  Trémoille  ci-gisant. 


72  LES   RUES   DE    PARIS. 

Au  dur  conflit  qui  fut  devant  Pavie, 

Entre  Espagnols  et  Français  par  en\ie  ; 

Dont  son  renom  en  tous  lieux  est  luisant. 

Il  n'eut  voulu  mourir  en  languissant 

En  sa  maison^  ni  sous  obscure  roche. 

De  lâcheté,  comme  il  allait  disant  ; 

Pour  ce  est  nommé  :  Chevalier  sans  Reproche. 

Molière  dirait  : 

La  rime  n'est  pas  riche  et  le  style  en  est  vieux. 

Mais,  au  point  de  vue  de  l'histoire,  ce  documeut 
contemporain  est  précieux,  et  Clio  s'accommode  volon- 
tiers de  ce  qui  ne  suffirait  pas  à  sa  sœur. 


VAUGANSON 


Il  est  des  vocations  innfîes,  des  natures  heureuses, 
privilégiées  chez  lesquelles  les  aptitudes  se  trahissent 
par  une  facilité  merveilleuse  pour  le  genre  de  travail 
qui  éveille  leur  génie.  Aussi  l'effort  ne  leur  coûte  point 
et  l'obstacle  est  pour  eux  un  aiguillon.  Ils  produisent  des 
chefs-d'œuvre  comme  l'arbre  tout  naturellement  porte 
des  fleurs  et  des  fruits,  comme  l'abeille  dans  ses  courses 
matinales,  fait  le  miel  en  pompant  le  suc  des  fleurs.  Tel 
un  Giotto  dessinant  sur  le  sable  les  chèvres  de  son  trou- 
peau, avant  de  savoir  môme  ce  que  c'est  que  le  dessin  ; 
tel  Pascal  inventant,  en  quelque  sorte,  les  mathémati- 
ques ;  tel  enfin,  Yaucanson  devinant  l'art  de  la  méca- 
nique, témoin  ce  trait  de  sa  première  enfance^  qu'à 
l'envi  nous  racontent  les  biographes. 

Né  à  Grenoble,  24  février  1690,  d'une  famille  d'arti- 
sans, ou  mieux  de  petits  bourgeois,  il  eut  pour  père 
Jacques  Vocanson  (car,  d'après  l'acte  de  baptême  relevé 
sur  les  registres  de  la  ville  par  M.  Pilot,  telle  serait  la 
vraie  orthographe  du  nom),  pour  mère  Dorothée  La- 
croix. Celle-ci,  a  femme  d'une  piété  sévère,  dit  la  Bio- 
graphie  universelle,  ne  permettait  à  l'enfant  d'autre  dis- 
traction que  celle  de  venir  avec  elle  le  dimanche  chez 
des  dames  d'une  dévotion  égale  à  la  sienne.  Pendant 

TOME  III,  5 


7i  LES    RUES   DE    PARIS. 

leurs  pieuses  conversations,  le  jeune  Yaucanson  s'amu- 
sait à  examiner,  à  travers  les  fentes  d'une  cloison,  une 
Iiorloge  placée  dans  la  chambre  voisine.  Il  en  étudiait 
le  mouvement,  s'occupait  à  en  dessiner  la  structure  et  à 
découvrir  le  jeu  des  pièces  dont  il  ne  voyait  qu'une  par- 
tie. Cette  idée  le  poursuivait  partout.  ICnfin,  il  saisit 
tout  d'un  coup  le  mécanisme  de  l'échappement  qu'il 
cherchait  depuis  plusieurs  mois.  Dès  ce  moment,  toutes 
ses  idées  se  tournèrent  vers  la  mécanique.  11  lit  en  bois, 
et  avec  des  instruments  grossiers,  une  horloge  qui  mar- 
quait les  heures  assez  exactement.  Il  composa  pour  une 
chapelle  d'enfant  des  petits  anges  qui  agitaient  leurs 
ailes,  des  prêtres  automates  qui  imitaient  quelques 
fonctions  ecclésiastiques.  » 

Ces  premiers  et  étonnants  résultats  étaient  faits  pour 
l'encourager  ;  mais  il  dut,  pour  un  temps,  interrompre 
ses  travaux  pour  d'autres  études,  placé  par  ses  parents 
dans  le  collège  des  Jésuites,  où  se  fit  son  éducation.  On 
ne  peut  douter,  d'ailleurs,  que,  pendant  ses  heures  de 
loisir,  il  ne  continuât  ses  travaux  de  prédilection.  11 
était  au  collège  encore  peut-être,  ou  l'avait  quitté 
récemment,  lorsqu'il  entendit  parler  d'une  machine 
hydraulique  projetée  par  la  ville  de  Lyon.  Sa  tète  aussi- 
tôt s'enflamme  ;  pendant  plusieurs  jours  il  s'absorbe 
dans  une  préoccupation  profonde,  il  réfléchit,  il  com- 
bine et,  enfln,  il  exécute  un  modèle  de  machine,  qu'il 
n'osa  présenter  crainte  d'être  accusé  de  présomption  et 
de  vanité.  Mais  venu  à  Paris  quelque  temps  après, 
quelle  ne  fut  pas  sa  joie  quand  il  constata  que  la 
fameuse  Samaritaine^  aujourd'hui  détruite  et  que  long- 
temps les  Parisiens  virent  fonctionner  sur  le  Pont-Neuf, 


VAUCANSON.  75 

était  précisément  la  macliinc  qu'il  avait  imaginée  et 
que,  dans  son  mécanisme  simple  et  ingénieux,  elle  ame- 
nait l'eau  par  les  mêmes  moyens. 

Le  jeune  homme  ne  put  se  défendre  d'un  mouvement 
de  vive  satisfaction,  mais  exempt  d'orgueil  ;  comprenant 
que  ses  connaissances  en  anatomie,  en  mécanique,  etc., 
ne  pouvaient  lui  suffire  et  qu'il  avait  lieaucoup  à 
apprendre  encore,  «  car  savoir  sert  beaucoup  pour  in- 
venter )),  ainsi  que  l'a  dit  M'"''  Staël  ;  il  se  mit  de  nou- 
veau et  courageusement  aux  études  spéciales.  Il  n'eut 
pas  à  le  regretter  ;  car  son  horizon  s'agrandit  et  une 
connaissance  plus  sérieuse,  plus  complète  de  l'organisme 
humain,  comme  des  diverses  sciences  se  rattachant  de 
près  ou  de  loin  à  la  mécanique,  donnèrent  une  singu- 
lière lucidité  à  son  esprit  d'investigation  comme  d'imi- 
tation ;  en  voici  la  preuve  ! 

Un  jour  qu'il  se  promenait  dans  le  jardin  des  Tuile- 
ries, s'étant  arrêté  devant  le  FUdeur,  l'idée  lui  vint 
d'exécuter  une  statue  qui  jouerait  des  airs  et,  à  l'aide 
d'un  mécanisme  intérieur,  ferait  ce  que  fait  un  musi- 
cien vivant.  Tout  plein  de  ce  projet,  en  rentrant  à  la 
maison,  chez  un  oncle  qui  lui  donnait  l'hospitalité,  il  en 
parla  avec  un  enthousiasme  qui,  par  malheur,  trouva 
peu  d'échos.  L'oncle,  en  homme  positif,  lui  dit  : 

—  Tu  es  fou,  mon  neveu,  de  rêver  de  telles  chi- 
mères I  Si  c'est  là  tout  le  fruit  de  tes  lectures  et  de  tes 
expériences,  en  vérité,  je  ne  t'en  fais  point  compliment, 
et  je  ne  puis  m'empêcher  de  dire  qu'il  est  fâcheux  de  te 
voir  ainsi  perdre  un  temps  que  tu  pourrais  mieux  em- 
ployer. En  ce  qui  me  concerne,  je  m'opposerai  très-fer- 
mement à  la  mise  à  exécution  de  ce  projet  extravagant. 


70  LES    RUES   DE    TARIS. 

qui  ne  pourrait  qu'eiitrainer  inutilement  des  sacri- 
fices considérables.  Tu  n'as  donc  pas  à  compter  sur 
moi,  au  contraire. 

Tout  confus  de  ces  reproches  assez  rudement  formu- 
lés, Yaucanson,  quoique  à  regret,  n'insista  point  ;  mais, 
toutefois,  il  n'abandonna  pas  son  idée,  et  trois  ans 
après,  pendant  une  maladie  qui  le  retint  de  longs  jours, 
soit  au  lit,  soit  dans  sa  chambre,  il  revint  à  son  projet, 
qu'il  réalisa.  Telle  était  la  netteté  de  sa  conception  et  la 
lucidité  de  sa  pensée,  que  la  machine  put  être  exécutée 
sur  ses  dessins  par  divers  ouvriers  qui  ne  se  connais- 
saient point  entre  eux,  et  dont  chacun  exécuta  telle  ou 
telle  partie  du  mécanisme.  Or,  toutes  ces  parties  réu- 
nies s'emboîtèrent,  se  soudèrent  si  parfaitement,  après 
avoir  été  mises  chacune  en  sa  place,  qu'au  premier 
ordre  de  l'inventeur,  elles  fonctionnèrent  avec  une  mer- 
veilleuse régularité.  On  vit  les  mains  et  les  doigts  du 
Flijteur  remuer  en  cadence  comme  ceux  d'un  musicien 
ordinaire  et  la  flûte  fit  entendre  des  sons  harmonieux  et 
non  différents  de  ceux  d'une  flûte  réelle.  Le  domestique 
de  Vaucanson,  seul  présent  à  cette  première  expé- 
rience, et  que  la  curiosité  avait  porté  à  se  cacher  dans 
l'appartement  derrière  un  rideau  délit,  saisi  d'une  sorte 
de  terreur  semblable  à  celle  qui  pétrifia  Sganarelle 
quand  il  vit  la  statue  du  commandeur  incliner  la  tète, 
ne  put  retenir  un  cri  et  vint  éperdu  se  jeter  aux  pieds 
de  son  maître,  qu'il  jugeait  un  vrai  sorcier.  Vaucanson, 
tout  à  la  joie  de  sa  découverte,  et  avec  des  larmes  dans 
les  yeux,  l'embrassa  en  murmurant  comme  Archimède: 
Eurêka!  Eurêka  !  Je  l'ai  trouvé  !  je  l'ai  trouvé  ! 

Après  cette  machine,  l'inventeur  fit  un  automate  qui 


VAUCAiNSON.  i  / 

jouait  à  la  fois  du  tamljouriii  et  du  galoubet  ;  puis  deux 
canards  si  parfaitement  imités  qu'on  les  voyait  agiter 
les  ailes,  la  queue,  les  pattes,  en  un  mot  barboter  dans 
la  mare,  prendre  ensuite  dans  l'auge  le  grain  et,  en  re- 
muant le  col,  l'avaler.  Ce  grain  subissait  dans  leur 
estomac  une  espèce  de  trituration  et  passait  ensuite 
dans  les  intestins,  suivant  ainsi  tous  les  degrés  delà  di- 
gestion animale. 

Ces  curieuses  inventions  iirent  connaître  au  loin  le 
nom  de  l'habile  mécanicien,  et  le  roi  de  Prusse,  Frédé- 
ric II,  qui  cherchait  à  attirer  dans  ses  états  les  hommes 
célèbres  en  tout  genre,  lui  fit  faire,  en  1740,  des  offres 
magnifiques  que  Vaucanson,  par  l'inspiration  d'un  pa- 
triotisme que  tous  n'imitèrent  pas,  déclina  noblement  ;  il 
refusa  de  quitter  la  France.  Il  en  fut  récompensé;  car, 
peu  de  temps  après,  le  cardinal  de  Fleury,  qui  sans 
doute  avait  été  instruit  de  ce  généreux  refus,  nomma 
Vaucanson  inspecteur  en  chef  des  manufactures  de  soie. 
Cette  position  permit  au  savant  d'appliquer  son  génie 
d'invention  à  des  résultats  utiles,  pratiques,  (i  II  ima- 
gma,  d'après  ce  qu'on  nous  apprend,  des  machines 
propres  à  donner  à  volonté  de  l'apprêt  aux  diverses 
espèces  de  soie,  à  rendre  cet  apprêt  égal  pour  toutes  les 
bobines  ou  tous  les  éche veaux  d'un  même  travail,et  pour 
toute  la  longueur  du  fil  qui  formait  chaque  bobine  ou 
chaque  écheveau.  Il  imagina  de  plus  les  instruments 
nécessaires  pour  exécuter  avec  régularité  et  d'une 
manière  uniforme  les  différentes  parties  de  ces  ma- 
chines. Ainsi  une  chaîne  sans  fin  donnait  le  mouve- 
ment à  son  moulin  à  organsiner  ;  il  inventa  une  ma- 
chine  pour    fermer   la    chaîne    de    mailles   toujours 


78  LES    RUES   DE    PARIS. 

égales  :  elle  est  regardée  comme  un  chef-d'œuvre.  » 
Mais  des  intérêts  menacés,  ou  du  moins  qui  croyaient 
l'être  par  ces  inventions,  s'inquiétèrent,  s'irritèrent  et 
peu  s'en  fallut  qu'il  n'en  coûtât  cher  à  l'inventeur.  Yau- 
canson  étant  venu  à  Lyon  pour  les  besoins  de  son  ins- 
pection, les  ouvriers  en  soie  furent  prévenus  de  son  arri- 
vée. Aussitôt  la  fermentation  commence  dans  les  ateliers 
que  bientôt  on  déserte. 

—  Cet  homme,  murmurent  les  meneurs,  ou  plutôt  ce 
diable,  par  ses  inventions  maudites  qui  tendent  à 
rendre  les  métiers  inutiles,  veut  nous  ôter  notre  pain  et 
nous  réduire  à  l'aumône,  le  souffrirons-nous,  le  souôri- 
rons-nous  ? 

—  Non,  non,  vengeance,  vengeance  ! 

Sur  ces  entrefaites,  Vaucanson  arrive  au  milieu  des 
groupes,  soit  par  un  effet  du  hasard,  soit  par  un  dessein 
prémédité,  afin  de  les  éclairer  et  de  démontrer  aux  ou- 
vriers que  leurs  alarmes  n'étaient  nullement  fondées  et 
qu'ils  se  méprenaient  sur  la  nature  de  ses  inventions.  Il 
se  voit  accueilli  par  des  injures  et  des  huées,  puis  les 
pierres  commencent  à  pleuvoir.  Contraint  à  la  retraite 
par  cette  grêle  de  projectiles  dont  plus  d'un  l'atteint,  il 
lance  en  fuyant,  comme  le  Parthe,  sa  flèche,  c'est-à-dire 
cette  menace  aux  assaillants  : 

—  Vous  prétendez  que  vous  seuls  êtes  capables  d'exé- 
cuter un  dessin  ;  eh  bien  !  je  prouverai  le  contraire,  car 
j'en  chargerai  un  âne. 

En  effet,  bientôt  après,  il  fît  construire  une  machine 
avec  laquelle  un  âne  exécutait  un  dessin  à  fleurs  et  par 
là  coupa  court  aux  intrigues  dont  le  gouvernement  se 
voyait  assiégé  et  qui  avaient  pour  but  d'obtenir  de  nou- 


VAlCANSOiN.  7Î> 

veaux  privilèges  pour  les  fal)ri(iuos,  dont  les  ouvriers, 
(lisait-oii,  pour  exécuter  leurs  travaux,  devaient  être 
(lou<>s  d'une  iutellij^enec  peu  commune. 

Vaucauson  s'occupa  ensuite  d'un  automate  des  plus 
curieux  et  dans  l'intérieur  duquel  on  devait  voir  s'opé- 
rer tous  les  phénomènes  de  la  circulation  du  sang,  cette 
récente  et  admirable  découverte  d'IIarvey.  Le  roi  Louis 
XV  avait  fort  encouragé  l'artiste  (on  peut  certes  lui 
donner  ce  nom),  dans  l'exécution  de  ce  travail  cpii  ins- 
[)irait  à  Voltaire  ces  vers  qui  ne  sont  point  des  pires 
(ju'il  ait  faits  : 

Le  hardi  Vaucanson,  rival  <le  rromt'tln''e. 
Semblait,  de  la  nature  imitant  les  ressort?, 
Prendre  le  feu  des  cieux  pour  animer  les  corps. 

Comme  poésie  c'est  pauvre  sans  doute,  mais  il  y  a  du 
vrai  dans  la  pensée.  Vaucanson  cependant  n'acheva  pas 
cette  machine,  dégoûté,  dit-on,  par  les  lenteurs  qu'é- 
prouvaient les  ordres  du  roi  :  c'est-à-dire  qu'il  ne  tou- 
chait pas  l'argent  qui  lui  avait  été  promis.  Cette  bureau- 
cratie est  toujours  et  en  tout  temps  la  môme. 

Attaqué  par  une  cruelle  maladie,  dont  il  souffrit  pen- 
dant plusieurs  années,  Vaucauson,  presque  jusqu'au 
dernier  jour,  s'occupa  de  ses  travaux  et  en  particulier 
de  l'exécution  d'une  machine  inventée  pour  composer 
la  chaîne  sans  fin.  De  sou  lit  de  douleur,  où  il  languit 
pendant  dix-huit  mois ,  il  surveillait  le  travail  des 
ouvriers,  répétant  incessamment  :  —  liàtez-vous,  hàtez- 
vous  !  pas  de  temps  à  perdre  ;  je  ne  vivrai  pas  assez 
peut-être  pour  expliquer  toute  mon  idée. 

Enfin  son  état  s'aggravant  de  plus  en  plus,  il  prêta 


80  LES    RUES    DE    PARIS. 

l'oreille  aux  exhortations  de  parents  chrétiens  qui,  avec 
le  courage  et  la  sincérité  de  la  vraie  affection,  lui  rappe- 
laient ces  croyances  et  ces  devoirs  qu'il  avait  un  peu 
trop  négligés,  soit  par  l'entraînement  de  la  science,  soit 
par  l'influence  de  certaines  et  fatales  amitiés.  Docile  à 
leurs  conseils,  il  accueillit  avec  reconnaissance  la  visite 
du  prêtre  auquel  il  se  confessa  et  mérita  que  sur  sa 
tombe,  placée  dans  l'église  Sainte-Marguerite,  on  ins- 
crivit cette  épitaphe  : 

Bonis  omnibus,  pietate,  caritafe,  verecundiâ,  flebilis. 

Vaucanson,  par  son  testament  avait  légué  son  cabi- 
net à  la  reine  Marie- Antoinette.  Par  suite  de  regret- 
tables malentendus,  le  legs  n'ayant  point  été  accepté, 
le  cabinet  fut  dispersé  et  les  merveilles  qui  le  compo- 
saient se  trouvent  aujourd'hui  dans  les  divers  musées  de 
l'Europe. 

Une  joli(;  anecdote  pour  terminer.  Vaucanson,  à  la 
demande  de  Marmontel,  avait  fait  pour  la  Cléopâtre  de 
celui-ci,  tragédie  plus  que  médiocre,  un  aspic  qui  sifflait 
en  mordant  le  sein  de  la  reine. 

—  Que  pensez-vous  de  cette  pièce?  demanda  un  spec- 
tateur à  son  voisin. 

—  Moi,  je  suis  de  l'avis  de  l'aspic  I  fut-il  répondu. 
Ce  mot  inspira-t-il  à  Lebrun  son  épigramme? 

Au  beau  drame  de  Cléopâtre 

Où  fut  l'aspic  de  Vaucanson, 
Tant  fut  siftlé  qu'à  l'unisson 
Sifflaient  et  parterre  et  théâtre  ; 
Et  le  souffleur,  oyant  cela, 
Croyant  encor  souffler,  siffla. 


SAINT    VICTOR 


Peu  après  le  massacre  de  la  légion  théhaine,  le  césar 
Maximicii  vint  à  Marseille  où,  comme  la  bète  féroce 
plus  terrible  quand  elle  a  goûté  du  sang,  il  déclara 
avec  une  fureur  nouvelle  la  guerre  aux  chrétiens,  aux 
Christocoles,  comme  il  les  appelait  par  dérision.  Dès  le 
lendemain  de  son  arrivée,  il  fait  annoncer  que  tous 
ceux  qui  refuseront  de  sacrifier  aux  idoles  périront  par 
les  plus  cruels  supplices.  Au  milieu  de  la  consternation 
que  ces  menaces  répandent  dans  la  ville,  Victor,  soldat 
chrétien  que  la  foi  rend  intrépide,  court  de  maison  en 
maison,  pour  raftermir  et  consoler  ses  frères.  Arrêté 
dans  ce  pieux  office,  il  est  traîné  devant  le  tribunal 
militaire  où  d'un  visage  assuré,  d'une  voix  ferme,  il  se 
déclare  hautement,  hardiment  chrétien.  Alors  du  mi- 
lieu de  la  multitude  païenne  qui  se  pressait  autour  du 
tribunal,  s'élèvent  des  cris  et  des  murmures  qui  bientôt 
sont  des  malédictions  et  des  outrages.  Le  préfet  mili- 
taire ordonne  que  la  cause,  la  première  sans  doute 
depuis  l'entrée  du  César,  soit  renvoyée  à  celui-ci.  Vic- 
tor en  effet  comparait  devant  Maximien  qui,  tour  à 
tour  employant  les  promesses  et  les  menaces,  le  presse 
de  sacrifier  aux  idoles  ;  mais  le  martyr  ne  répond  à  ces 
sollicitations  que  par  une  généreuse  profession  de  foi  : 
TOME  ni.  5* 


82  LES    RUES    DE    TARIS. 

—  Je  suis  le  soldat  du  Christ,  dit-il,  de  Jésus,  Sei- 
gueur  et  Sauveur,  qui  par  amour  pour  nous  s'est  fait 
liomme  !  Mort  parce  que  lui-même  l'a  voulu  de  la  main 
des  impies,  et  ressuscité  le  troisième  jour  par  la  toute 
puissance  de  sa  vertu  divine,  il  est  remonté  au  ciel  où 
il  règne  et  régnera  éternellement.  Lui  seul  est  Dieu,  lui 
seul  mérite  nos  adorations  et  nos  hommages  ! 

Maximien,  plein  de  colère,  ordonne  que  le  brave 
soldat  S(jit  à  l'instant  dépouillé  de  ses  vêtements  et 
qu'on  lui  ôte  ses  armes.  Après  cette  espèce  de  dégrada- 
tion, le  légionnaire,  les  mains  liées  derrière  le  dos, 
devra  être  promené  par  toute  la  ville  pour  y  être  livré 
aux  risées  et  aux  insultes  de  la  populace.  Mais  Victor, 
le  front  serein,  souriait  aux  insulteurs  dont  plusieurs 
aux  outrages  joignaient  les  coups,  et  s'applaudissait  de 
souffrir  pour  Jésus-Christ. 

Après  qu'il  eût  été  ainsi  quelque  temps  le  jouet  de 
cette  sauvage  multitude,  le  Martyr,  souillé  de  boue  et 
de  crachats,  tout  déchiré  et  tout  sanglant,  est  ramené 
au  tribunal  du  préfet  militaire.  Là  de  nouveau  on  le 
presse  de  sacrifier  aux  idoles  : 

«  Après  avoir  appris  par  une  première  expérience, 
lui  dit  le  président,  ce  qu'il  en  coûte  de  désobéir  en 
oubliant  ce  que  tu  dois  à  César  et  à  la  République, 
oseras-tu  bien  t'obstiner  encore  ?  Seras-tu  assez  aveu- 
gle pour  dédaigner  la  faveur  des  Dieux  et  celle  de  notre 
invincible  prince,  assez  insensé  pour  sacrifier  toutes  les 
joies  du  monde,  la  gloire,  l'honneur  et  la  vie  même  qui 
est  d'un  si  grand  prix,  à  je  ne  sais  quel  Jésus,  obscur 
malfaiteur  que  les  Juifs  eux-mêmes,  ses  compatriotes, 
ont  crucifié  ?  Voudras-tu  de  gaité  de  cœur  attirer  sur  toi 


SAIM  vicroii.  H'A 

la  colère  des  Dioiix  et  des  hommos  ;  et,  cii  désespérant 

tous  ceux  qui  te  sont  cliers,  te  condamner  toi-même  à 

la  plus  cruelle  des  morts?  Va,  crois-moi  plutôt,  renonce 

à  cette  chimère   d'un  Dieu  (pie  tu  n'as  jamais  vu,  qui 

toujours  il'ailleurs  a  vécu  pauvre  et  misérable,  et  par  sa 

triste  lin  a  prouvé  combien  faible  était  sa  puissance.  Si 

tu  obéis,  non-seulement  par   cet   acte  de  sagesse    tu 

évites  l'horreur  des  supplices,  mais   tu    t'acquiers  la 

bienveillance  de  César  et  tu  peux  espérer  de  te  voir  un 

jour  porté  aux  plus  hauts  honneurs.  Que  si  follement 

au  contraire   tu  t'obstines,  malheur  à  toi,  malheur  ! 

Pour  cette  gloire  chimérique  que  tu  rêves,  il  faut  t'at- 

tondre  au  sort  du   Crucilié  et  même   à  une  destinée 

pire. 

Victor  inébranlable,  et  le  conir  plein  d»;  l'esprit 
ilivin  qui  se  reflète  sur  son  visage  intrépide,  répond  : 

((  Pourquoi  cps  injustes  reproches  au  sujet  de  César 
cl  de  la  Républiipie  ;  jamais  je  n'oubliai,  le  ciel  m'en 
est  témoin,  ce  que  je  dois  à  l'une  et  l'autre.  Cliaquc 
jour,  je  prie,  matin  et  soir,  pour  le  salut  de  notre 
prince  et  la  conservation  de  tout  l'empire;  chaque  jour, 
devant  Dieu  j'immole  ces  hosties  spirituelles  pour  la 
prospérité  de  l'état.  » 

Après  avoir  montré  ce  qu'étaient  les  faux  dieux,  tous 
abominables  et  infâmes  non  moins  qu'impuissants,  le 
Martyr  repousse  éloquemment  les  attaques  dirigées 
contre  Jésus-Christ  qu'il  glorifie  en  ces  termes  : 

((  Oui,  ce  doux  Sauveur  s'est  fait  homme,  mais,  en  se 
revêtant  de  notre  chair  mortelle,  il  n'a  rien  perdu  de  sa 
divinité  ;  car,  dans  les  merveilles  de  sa  vie,  il  nous  a 
laissé  un  modèle  accompli  de  toutes  les  vertus,  un  im- 


84  LES   RUES   DE    PARTS. 

mortel  exemple  à  imiter.  S'il  a  voulu  être  ici  bas  le 
plus  pauvre  de  tous,  lui  si  riche,  c'est  afin  crenricliir  les 
indigents.  Par  sa  mort  glorieuse  et  toute  volontaire,  il 
a  acquitté  pour  toujours  notre  dette  envers  son  père. 
Oh  !  qu'elle  est  riche  cette  pauvreté  qui,  quand  il  lui  a 
plu,  snt  nourrir  tout  un  peuple  avec  quelques  poissons! 
Qu'elle  est  forte  cette  faiblesse  qui  a  guéri  tant  de  lan- 
gueurs et  tant  d'infirmités  !  Qu'elle  est  vivante  cette 
mort  qui  nous  ressuscite,  noi>s  tous  qui  croyons  I 

))  Et,  pour  que  vous  ne  puissiez  douter  de  la  vérité 
de  toutes  ces  choses,  elles  ont  été  prédites  dès  le  com- 
mencement et  appuyées  par  un  grand  nombre  de  mira- 
cles. Puis,  si  vous  savez  en  bien  juger,  combien  il  est 
grand  celui  à  qui  tout  l'univers  obéit  !  celui  dans  lequel 
il  n'y  a  ni  ombre  ni  défaut,  dont  la  charité  accueille 
tous  ceux  qui  le  veulent  et  dont  nul  ne  peut  tromper 
l'infaillible  justice. 

»  Lequel  de  vos  dieux  lui  est  semblable  ?  Lequel 
peut  lui  être  comparé  ?  Lui  qui  a  fait  les  cieux  et  la 
terre  et  tout  ce  qu'ils  renferment  selon  la  parole  du 
prophète.  Les  dieux  des  nations  au  contraire  ne  sont 
«|ue  des  démons  et  ils  brûlent  et  brûleront  éternelle- 
ment dans  les  flammes  inextinguibles  avec  leurs  adora- 
teurs. 

»  C'est  pourquoi,  vous  tous,  hommes  prudents,  hom- 
mes doctes,  dans  la  plénitude  de  votre  raison  et  le 
calme  de  votre  esprit  (afin  de  ne  pas  vous  perdre  à 
jamais),  examinez  la  vérité  de  ce  que  je  vous  déclare  et 
dont  vous  serez  bientôt,  Dieu  aidant,  convaincus.  Et 
alors  obéissez  à  votre  très  saint,  très  clément,  très  juste 
Créateur  et  Sauveur,  dont  l'humilité^  si  vous  adhérez 


SAINT   VICTOR.  85 

de  cœur  à  sa  loi,  vous  élèvera,  dont  la  pauvreté  vous 
enrichira,  dont  la  mort  vous  fera  vivre  de  la  vraie  vie 
en  attendant  la  gloire  de  la  bienheureuse  immortalité.  » 

Ce  discours  du  nouvel  Etienne  ne  fît  qu'irriter  davan- 
tage les  juges  et  l'auditoire.  Astérius,  le  juge  princi- 
pal, ordonne  que  Yictor  soit  mis  à  la  torture.  Pendant 
que  les  bourreaux  déchiraient  ses  membres  sanglants, 
le  saint  Martyr,  les  yeux  levés  au  ciel,  remerciait  Jésus 
de  l'éprouver  par  ces  souffrances  qu'il  bénissait  comme 
une  grâce.  Alors  le  divin  Sauveur,  attendri  par  ce  zèle 
sublime,  apparut  à  son  vaillant  athlète,  et,  lui  mon- 
trant le  signe  de  la  victoire,  la  croix  qui  rayonnait  entre 
ses  mains  divines,  il  dit  : 

—  Paix  à  toi,  Yictor,  je  suis  Jésus  qui  souffre  dans 
mes  saints  les  tourments  et  les  injures.  Continue  et  sois 
ferme  ;  moi  qui  suis  ta  force  dans  le  combat,  je  serai  ta 
récompense  après  la  victoire. 

A  la  voix  du  Sauveur,  les  souffrances  du  Martyr 
cessèrent  soudain.  Son  cœur  fut  inondé  d'une  joie  cé- 
leste qui  faisait  resplendir  son  visage  et  s'exhalait  eu 
actions  de  grâces  pour  son  divin  Visiteur. 

Les  licteurs,  épuisés  de  fatigue  autant  qu'étonnés 
de  voir  la  merveilleuse  constance  du  Martyr,  durent 
s'arrêter.  Yictor  fut  conduit  à  la  prison  et  jeté  dans 
un  cachot,  lieu  horrible  où  le  jour  n'arrivait  pas,  où 
l'air  manquait.  Mais  là  encore,  il  se  vit  fortifié  par  les 
consolations  divines;  des  anges, envoyés  par  le  Sauveur, 
vinrent  le  visiter,  et,  au  milieu  de  la  nuit  la  plus  pro- 
fonde, la  prison  s'illumina  soudain  d'une  clarté  céleste. 
Trois  soldats  préposés  à  la  garde  de  Yictor,  éblouis  de 
cette  lumière  miraculeuse,  tombent  aux  pieds  du  mar- 


86  LES    RUES    DE    PARIS. 

t\T,  et  se  frappant  à  l'eiivi  la  poitrine,  en  confessant 
Jésus  crucifié ,  ils  demandent  le  baptême.  Victor , 
délivré  déjà  de  ses  chaînes,  après  avoir  instruit  en 
quelques  mots,  comme  les  circonstances  le  permettaient, 
les  nouveaux  convertis,  les  conduit  à  une  fontaine  voi- 
sine et  répand  tour  à  tour  sur  leurs  tètes,  pieusement 
inclinées,  l'eau  qui,  par  la  vertu  dos  paroles  saintes, 
fait  les  païens  enfants  de  l'Église  ;  puis  tous  revien- 
nent à  la  prison.  Le  matin  venu,  la  nouvelle  de  cette 
prodigieuse  conversion  se  répandit  dans  toute  la  ville. 
Maximien,  l'un  des  premiers,  en  est  instruit  ;  trans- 
porté d'une  rage  nouvelle,  forcené  de  colère,  surtout 
contre  Victor  qu'il  accuse  de  ce  qu'il  appelle  la  trahison 
des  autres,  il  fait  venir  le  Martyr  et  les  soldats  convertis 
en  sa  présence  et  leur  ordonne  de  sacrifier  immédiate- 
ment, montrant  tout  prêts  les  bourreaux  armés  du 
glaive  en  cas  de  refus. 

—  Nous  sommes  chrétiens,  répondent  avec  Victor  les 
nouveaux  convertis,  Alexandre,  Félicien,  Longin;  nous 
ne  manquerons  pas  aux  promesses  de  notre  récent 
baptême  !  Nous  ne  pouvons  offrir  l'encens  aux  idoles. 

Les  trois  soldats  à  l'instant  sont  égorgés  ;  mais  Victor 
est  réservé  à  de  plus  cruelles  épreuves.  On  le  livre  aux 
licteurs  qui,  armés  de  nerfs  de  bœufs  et  de  bâtons,  le 
frappent  furieusement  et  sans  relâche.  Mais  le  sang 
coule  en  vain,  les  instruments  du  supplice  tombent  par 
la  fatigue  des  mains  des  bourreaux  sans  qu'ils  aient  pu 
triompher  de  la  constance  du  Martyr.  On  le  reconduit 
dans  sa  prison.  Trois  jours  après,  Maximien  le  fait 
amener  de  nouveau  devant  lui,  puis  il  ordonne  qu'un 
autel  de  Jupiter  soit  apporté.  Alors  s'adressant  à  Victor. 


SAINT    VICTOR.  87 

—  OlTie  l'encens  au  grand  Jupiter,  et,  par  ciît  hon- 
neur rendu  au  Souverain  des  Dieux,  rachète  ton  crime 
et  rentre  en  grâce  auprès  de  nous. 

Victor  garde  le  silence,  mais  tout  bouillant  au 
dedans  d'une  généreuse  colère,  il  s'avance  comme  pour 
obéir  vers  l'autel  que  portait  le  prêtre  et  d'un  coup  do 
pied  il  le  jette  à  quelques  pas.  Maximien,  par  la  vio- 
lence de  sa  colère,  reste  quelques  instants  muet  et 
comme  interdit,  puis  avec  un  geste  terrible,  il  crie  aux 
licteurs  : 

—  Qu'on  coupe  le  pied  du  sacrilège  ! 

L'ordre  est  exécuté.  Pendant  la  cruelle  opération,  le 
Martyr,  joignant  les  mains,  le  visage  radieux,  s'applau- 
dit de  pouvoir  offrir  au  Seigneur  Jésus  ce  sanglant 
débris  comme  les  prémices  de  son  corps. 

Le  César  cependant  regardait  d'un  œil  farouche  le 
Martyr,  et  paraissait  hésiter,  sans  doute  incertain  sur  le 
choix  du  supplice  qui  pourrait  rendre  la  mort  plus  dou- 
loureuse. Enfin,  comme  fixé,  il  sourit  d'une  façun  sinis- 
tre et  dit  aux  licteurs  : 

—  A  la  Boulangerie  publique  cet  impie  et  qu'il  soit 
broyé  sous  les  meules.  Allez  ! 

Les  licteurs  s'éloignent  entraînant  ou  plutôt  portant 
Victor,  toujours  calme  et  souriant,  et  qu'on  peut  suivre 
à  la  trace  du  sang  qui  coule  à  flots  de  l'horrible  bles- 
sure. Le  Martyr  n'a  pas  l'air  de  s'en  apercevoir.  On 
arrive  à  la  Boulangerie  publique  où  de  lourdes  meules, 
mises  en  mouvement  par  une  machine  et  par  des- escla- 
ves, servaient  à  broyer  le  grain  qu'on  versait  par  mon- 
ceaux sur  l'arène.  A  la  place  du  grain,  c'est  Victor 
qu'on  étend  sur  la  dalle  où  la  meule  passe  et  repasse  ; 


88  LES   RUES   DE    PARIS. 

bientôt  ou  entend  crier  les  os  du  Martyr  et  son  sang 
jaillit  de  tous  les  membres  et  du  tronc,  comme  le  jus 
sort  des  raisins  mûrs  quand  on  les  foule.  Et  le  Martyr, 
les  mains  jointes,  autant  qu'il  le  peut,  continue  à  prier. 
Mais  soudain  ou  entend  un  affreux  craquement  ;  les 
meules  s'arrêtent  et  les  esclaves  font  de  vains  efforts 
pour  les  ébranler.  Ils  y  renoncent  bientôt  en  reconnais- 
sant que  la  machine,  par  un  miracle  à  ce  que  crurent 
les  chrétiens,  s'était  brisée  soudainement.  Cependant  le 
Martyr  respirait  encore  et  ses  regards  toujours  aussi 
sereins  disaient  assez  que  dans  ce  corps,  qui  n'était  plus 
que  tronçons  et  débris,  l'àme,  comme  dans  une  forte- 
resse ruinée  la  sentinelle  héroïque,  l'àme  restait  in- 
vaincue. Le  Martyr  n'eut  pas  besoin  de  ranimer  son 
courage  pour  le  dernier  combat  que  devait  couronner 
la  victoire.  Un  licteur  s'étant  approché  : 

—  Par  Jupiter,  s'écria-t-il,  il  vit  encore  ;  mais  ses 
membres  sont  donc  d'airain  ou  de  fer  !  Nous  allons  voir 
pourtant. 

Et  d'un  coup  de  haclie,  il  sépara  la  tète  du  saint  de 
son  corps,  si  l'on  pouvait  appeler  encore  de  ce  nom 
cette  masse  informe  et  sanglante  aplatie  par  la  meule. 
Au  même  instant,  on  entendit  une  voix  céleste  qui 
disait  :  • 

—  Heureux  Victor,  tu  as  vaincu,  tu  as  vaincu  1 
Maximien  cependant  n'était  point  satisfait  encore  ; 

car  il  lui  fallait  bien  confesser  sa  défaite.  Espérant  au 
moins  triompher  des  morts  puisqu'il  n'avait  pu  vaincre 
les  vivants,  il  ne  permit  pas  qu'on  ensevelit  les  corps 
des  Martyrs. 

—  Non,  dit-il,  on  sait  la  folie  des  Christocoles  qui  eu 


SAINT    VICTOR.  89 

feraient  des  reliques  et  «les  dieux  à  leur  mode.  Que  les 
corps  des  rebelles  soient  jetés  à  la  mer  pour  être  la  pâ- 
ture des  poissons,  digne  sépulture  de  ces  impies. 

L'ordre  fut  exécuté  ;  mais  les  anges  du  Seigneur 
veillaient  sur  les  saintes  dépouilles  et,  protégées  par 
eux,  elles  furent  portées  rapidement  vers  le  rivage 
opposé  où  de  pieux  chrétiens  s'empressèrent  de  les 
recueillir.  On  les  déposa  avec  les  cérémonies  accoutu- 
mées au  fond  d'une  crypte  creusée  dans  le  rocher;  et  là 
Dieu  glorifia  ses  héros  par  de  nombreux  miracles  dus  à 
leur  intercession  K 

'  Àcta  Sanctorum. 


VILLE-HARDOUIN 


La  famille  de  Ville-Hardoiiin,  uae  des  plus  illustres  de 
la  Champagne,  habitait  le  château  de  ce  nom,  à  une 
demi-lieue  de  l'Aube,  entre  Arcis  et  Bar.  C'est  là  que 
naquit  Geoffroy  vers  1164,  d'autres  disent  1167.  Lorsque 
Foulques,  curé  de  Neuilly,  prêcha  la  quatrième  croisade, 
Geoffroy,  chef  de  la  famille,  remplissait  les  fonctions  de 
maréchal  de  Champagne  et  son  noble  caractère  lui  avait 
conquis  l'estime  universelle.  L'un  des  premiers,  il  prit 
la  croix  à  l'exemple  du  jeune  et  brillant  Thibaut,  comte 
de  Champagne,  son  suzerain  et  chef  désigné  de  la  croi- 
sade. Mais  Thibaut  ne  devait  pas  voir  la  Terre  Sainte. 
Pendant  qu'il  faisait  ses  préparatifs  de  départ,  tombé 
malade,  il  se  mit  au  lit  et,  peu  de  temps  après,  il  serrait 
pour  la  dernière  fois  la  main  au  maréchal  de  Cham- 
pagne qui  nous  a  raconté  cette  mort  prématurée  en 
quelques  lignes  émues. 

La  croisade  perdait  ainsi  son  chef  et  plusieurs  sem- 
blaient découragés  ;  mais  Yille-Hardouin,  non  moins 
éloquent  et  insinuant  que  brave,  diplomate  autant  que 
guerrier,  sut  réunir  en  faisceau  toutes  les  volontés  déjà 
détournées  de  leur  but.  Envoyé  en  ambassade  à  Venise, 
il  se  concilia  la  sympathie  du  doge  et  des  sénateurs,  et 
obtint,  avec  les  navires  de  transport  nécessaires  aux 


VILLE- HARDOUIN.  91 

croisés,  des  secours  considérables  en  hommes  et  che- 
vaux. Le  doge  Dandolo  hii-mème,  vieillard  presque 
octogénaire,  voulut  commander  les  troupes  de  la  Répu- 
blique, et  prit  en  grande  affection  le  maréchal  ce  «pii 
aplanit  bien  des  difficultés.  On  sait  que,  par  un  concours 
inattendu  de  circonstances  et  certaines  ambitions  ai- 
dant, la  croisade,  détournée  de  son  premier  but,  abou- 
tit à  la  prise  de  Constantinople  et  à  la  fondation  d'un 
empire  latin  dans  cette  ville  en  faveur  de  Baudouin, 
comte  de  Flandre.  Après  un  règne  fort  court,  celui-ci 
eut  pour  successeur  son  frère  Henri,  gendre  du  marquis 
de  Montferrat,  Boniface,  qui  avait  été  le  chef  de  la  croi- 
sade en  remplacement  de  Thibaut,  et  au  lendemain  de 
la  victoire,  avait  obtenu  pour  sa  part  la  royauté  ou 
principauté  de  Thessalonique.  Il  tenait  Yille-Hardouin 
en  très  haute  estime,  et  l'appelant  dans  son  royaume,  il 
lui  fit  don  de  plusieurs  cités  formant  ensemble  un  do- 
maine considérable  où  le  maréchal  de  Champagne  mou- 
rut en  1213. 

u  Ce  serait  ici  le  lieu,  dit  excellemment  Du  Gange 
dans  son  Eloge  de  Ville- Hardouin  ^,  d'étaler  les  belles 
qualités  qui  le  firent  admirer  et  le  rendirent  recomman- 
dable  même  parmi  les  étrangers  :  sa  piété  envers  Dieu, 
sa  prudence  et  sa  dextérité  dans  les  affaires  qui  le  firent 
réputer,  en  plusieurs  occasions  où  il  porta  la  parole, 
comme  le  mieux  disant,  le  plus  éloquent  et  le  plus  judi- 
cieux de  son  temps,  son  courage  et  son  adresse  dans  la 
conduite  des  armées,  sa  fidélité  inviolable  envers  ses 
princes,  et  tant  d'autres  vertus  qui  éclatent  dans  toute 

'  En  tête  de  son  édition  de  la  Chronique  de  Ville-Hardouin. 


U2  LES    RUES  DE    PARIS. 

la  suite  de  Y  Histoire  qu'il  a  dressée  non  tant  de  cette 
fameuse  conquête,  comme  de  ses  belles  actious,  les- 
quelles toutefois  il  a  décrites  avec  tant  de  retenue  et  de 
candeur  qu'il  est  aisé  de  juger  qu'il  en  a  plus  passé  sous 
silence  qu'il  n'en  a  mis  au  jour.  Mais  il  suffit  que  lui- 
même  ait  dressé  matière  à  ses  louanges  et  qu'à  l'exemple 
de  ces  grands  capitaines  des  siècles  passés  qui  ont  mieux 
aimé  rédiger  eux-mêmes  les  principales  actions  de  leur 
vie  que  d'en  laisser  la  charge  à  des  écrivains  ignorants, 
il  ait  laissé  à  la  postérité  de  quoi  relever  sa  mémoire  par 
ce  monument  qui  durera  plus  que  le  marbre  et  le 
bronze.  » 

Citons,  comme  un  spécimen  du  langage  de  Yille-Har- 
douin,  ce  passage  relatif  à  la  prise  de  Gonstantinople. 
11  suffira  de  modifier  non  le  style,  mais  l'orthographe, 
pour  qu'il  soit  intelligible  à  la  plupart  des  lecteurs. 
a  ....  Et  les  autres  gens,  qui  furent  espandus  parmi  la 
ville,  gagnèrent.  Et  fut  si  grand  le  gain  fait  que  nul  ne 
vous  en  saurait  dire  la  fin,  et  d'or  et  d'argent,  et  vaissele- 
mente,et  de  pierres  précieuses,  et  de  corps  saints  (reli- 
ques), et  de  draps  de  soie,  et  de  robes  vaires  (multicolores), 
grises  et  hermines,  et  tous  les  chers  avoirs  qui  oncques  fu- 
rent trouvés  enterre.  Et  bien  témoigne  Geoffroy  de  Ville- 
Hardouin,  le  maréchal  de  Champagne,  à  son  escient  et 
pour  vérité,  que,  puis  que  le  monde  fut  estoré  (créé),  ne 
fut  tant  gagné  en  une  ville.  Chacun  prit  hôtel  tant 
comme  lui  plut,  car  il  y  en  avait  assez. 

((  Ainsi  se  hébergèrent  les  pèlerins  (croisés)  et  les 
Vénitiens.  Et  fut  grande  la  joie  de  l'honneur  et  de  la 
victoire  que  Dieu  leur  avait  donnée.  Et  bien  en  durent 
Notre-Seigneur  louer,  car  ils  n'avaient  pas  plus  de 


VILLE-UARDOUIN.  93 

vingt  mille  liommos  d'armes,  et  par  l'aitle  de  Dieu,  en 
avaient  pris  plus  de  trois  cent  mille,  et  en  la  plus  forte 
ville  du  monde  qui  grande  ville  fut  et  la  mieux  fermée. 
«  Lors  fut  crié  par  tout  l'ost,  de  par  le  marquis  de 
Montferrat,  qui  sire  (chef)  était  de  l'armée  et  des  au- 
tres barons  :  que  tous  les  avoirs  qu'ils  avaient  gagnés 
fussent  apportés  ensemble,  si  comme  ils  l'avaient  assuré 
et  juré  et  fait  sous  peine  d'escommuniement.  Et  furent 
nommés  le  lieu  en  trois  églises  ;  et  le  mit-on  en  la  garde 
des  Français  et  des  Yénitiens  et  des  plus  loyaux  qu'on 
put  trouver.  Lors  commencèrent  à  apporter  le  gain  et 
mettre  ensemble.  Les  uns  apportèrent  bien,  les  autres 
mauvaisement  ;  car  convoitise,  qui  est  racine  de  tous 
maux,  ne  leur  laissa  (permit).  Ainsi  commencèrent  d'ici 
en  avant  les  convoiteux  à  retenir  des  choses  et  Notre 
Sire  les  commença  moins  à  aimer  qu'il  n'avait  devant 
fait.  Ha  !  comme  ils  s'étaient  loyalement  maintenus 
jusqu'à  ce  point  !  Et  Notre  Sire  leur  avait  bien  montré, 
car  de  toutes  leurs  affaires  les  avait  Dieu  exaucés  et 
honorés  sur  toutes  les  autres  gens.  Et  maintes  fois  ont 
mal  les  bons  pour  les  mauvais,  » 
^  Au  fond,  ce  qui  ressort  le  plus  clairement  de  ce  récit, 
c'est  que  la  grande  cité  prise  par  les  croisés  fut  entière- 
ment pillée.  C'était  le  droit  de  la  guerre  à  cette  époque. 
Il  faut  se  féliciter  que  le  progrès  des  mœurs  condamne 
de  plus  en  plus  aujourd'hui  ces  façons  d'agir,  et  que  les 
nations  civilisées  soient  unanimes  à  considérer  le  pillage 
d'une  ville,  d'une  capitale  en  particulier,  comme  un 
procédé  sauvage,   un  abus  odieux   de  la  victoire   qui 
ferait  honte  à  Attila  lui-même.  Revenons  au  Chroni- 
queur. 


04  LES    RVES    DE    PARIS. 

Voici,  pour  terminer,  le  dramatique  récit  de  la  mort 
du  marquis  du  Montferrat,  tué  malheureusement  dans 
une  rencontre  :  «  Et  quand  le  marquis  fut  à  Messinople 
(Mosynopolis)  ne  tarda  plus  que  six  jours  qu'il  fit  une 
chevauchée  par  le  conseil  des  Grecs  de  la  terre,  en  la 
montagne  de  Messinople,  plus  d'une  grande  journée 
loin.  Et  comme  il  eut  été  en  la  terre  et  vint  au  partir, 
les  Bougres  (Bulgares)  se  furent  assemblés  de  la  terre  ; 
et  virent  que  le  marquis  était  avec  peu  de  gens;  et 
vinrent  de  toutes  parts  et  l'assaillirent  à  l'arrière-garde. 
Et  quand  le  marquis  ouït  le  cri,  si  sali  (sauta)  en  un  che. 
val  tout  désarmé  une  glave  ^  en  sa  main.  Et  quand  il 
vint  là  où  ils  étaient  assemblés,  à  l'arrière-garde,  si  leur 
courut  sus  et  les  cacha  (rejeta)  une  grande  pièce  arrière. 
Là  fut  féru  d'une  sagette  {flèche)  parmi  le  gros  du  bras 
et  s(»us  l'épaule  mortellement,  si  qu'il  commença  moult 
à  répandre  de  sang.  Et  quand  sa  gent  virent  ce  si  se 
commencèrent  fort  à  esmayer  (effrayer)  et  à  déconfire  et 
mauvaisement  maintenir.  Et  cil  (ceux)  qui  furent  entour 
le  marquis  le  soutinrent.  Et  il  perdit  moult  de  sang.  Si 
commença  à  pâmer.  Et  quand  ses  gens  virent  qu'ils  n'a- 
vaient nulle  aide  de  lui  si  se  commencèrent  à  déconfîre 
(débander)  et  à  lui  laisser.  Ainsi  furent  déconfits  par 
cette  mésaventure  et  cils  qui  restèrent  avec  lui  furent 
morts.  Et  le  marquis  eut  la  tète  coupée  ;  et  la  gent  du 
pays  envoyèrent  à  Johannis  (roi  des  Bulgares)  la  tête  et 
ce  fut  une  des  plus]  grandes  joies  qu'il  eut  oncques. 
Hélas  !  quel  dommage  en  eut  l'Empereur  et  tous  les  la- 
tins de  la  terre  de  Roumanie,   de   tel  homme    perdre 

•  Espèce  d'épieu  à  bout  ferré. 


VILLI--IIARDOUIN.  95 

par  telle  mésavenluro,  un  dus  meilleurs  chevaliers  ctdes 
plus  vaillants  et  des  plus  larges  (généreux)  qui  fut  au 
romanant  (reste)  du  monde.  Et  cette  mésaventure  si 
advint  en  l'an  de  l'Incarnation  mil  di.'ux  cent  sept.  » 

Ce  récit  termine  Y  Histoire  de  la  Conquête  de  Constanti- 
nople,  par  Yille-Hardouin.  La  premi«';re  édition  impri- 
mée parut  à  Venise  en  1573  ;  la  seconde,  faite  d'après 
celle-ci  sans  doute,  fut  publiée  à  Paris  m  1585. 


SAINT  YIXCENT  DE  PArL 


I 


Cet  homme  de  Dieu  qu'on  pourrait  appeler,  si  l'ex- 
pression ne  semblait  hasardée,  un  saint  surtout  mo- 
derne, naquit,  le  24  avril  io76,  à  Ranquine,  petit 
hameau  du  canton  de  Pouy,  près  de  Dax  (Landes).  Son 
père  se  nommait  Guillaume  de  Paul  et  sa  mère  Ber- 
trande  de  Moras.  «Ses  premières  années,  dit  Godescard, 
se  passèrent  à  garder  le  troupeau  de  son  père  qui,  aper- 
cevant en  cet  enfant  de  bénédiction  les  dispositions  les 
plus  rares,  se  détermina  à  le  faire  étudier  et  le  mit  en 
pension  chez  les  cordeliers  d'Acqs.  »  Abelly,  le  bon  évè- 
que,  de  Rodez,  contemporain  et  ami  de  Vincent  de  Paul, 
et  auteur  d'une  vie  du  Saint  qui  passe  pour  un  des  chefs- 
d'œuvre  du  genre,  Abelly  dit  mieux  encore  :  a  Quoique 
les  perles  naissent  dans  une  nacre  mal  polie  et  souvent 
toute  fangeuse,  elles  ne  laissent  pas  que  de  faire  éclater 
leur  vive  blancheur  au  milieu  de  cette  bourbe  qui  ne 
sert  qu'à  en  relever  le  lustre  et  faire  mieux  connaître 
leur  valeur.  La  vivacité  d'esprit  dont  Dieu  avait  doué 
notre  jeune  Vincent,  commençant  à  paraître  parmi  ces 
bas  emplois  où  il  était  occupé,  elle  en  fut  d'autant  plus 
remarquée  ;  et  son  père  reconnut  bien  que  cet  enfant 


SAINT    VINCENT   DE    PAUL.  07 

pouvait  faire  quelque  cliose  «le  meilleur  (jue  de  mener 
paître  les  bestiaux  I  » 

Ses  progrès  furent  tels  qu'au  bout  de  quatre  années, 
il  entrait  comme  précepteur  chez  M.  de  Commet,  avocat 
de  la  ville.  Son  séjour  dans  cette  maison  fut  assez  court 
malgré  la  grande  estime  qu'on  lui  témoignait  ;  il  en 
sortit  à  l'âge  de  vingt  ans  pour  se  rendre  à  Toulouse  où 
il  fit  son  cours  de  théologie.  Sous-diacre  et  diacre  en 
1598,  il  fut  ordonné  prêtre  deux  ans  après. 

En  1605,  il  dut  faire  un  voyage  à  Marseille  pour  y 
recevoir  une  somme  de  1500  livres  qu'un  ami  lui  avait 
léguée.  Or,  voici  ce  qui  au  retour  lui  arriva  et  ce  qu'il 
nous  a  raconté  lui-même  avec  une  singulière  vivacité 
de  style  et  un  rare  bonheur  d'expressions  : 

(c  Je  m'embarquai,  dit-il,  pour  Narbonne,  pour  y 
être  plutôt  et  pour  épargner,  ou  pour  mieux  dire,  pour 
n'y  jamais  être  et  pour  tout  perdre.  Le  vent  nous  fut 
autant  favorable  qu'il  fallait  pour  nous  rendre  ce  jour- 
là  à  Narbonne,  qui  était  faire  cinquante  lieues,  si  Dieu 
ïiaiii  permis  que  trois  brigantins  turcs,  qui  côtoyaient 
le  golfe  de  Lyon  pour  attraper  les  barques  qui  venaient 
de  Beaucaire,  ne  nous  eussent  donné  la  chasse  et  atta- 
qués si  vivement  que,  deux  ou  trois  des  nôtres  étant 
tués  et  le  reste  blessé,  et  même  moi  qui  eus  un  coup  de 
flèche  qui  me  servira  d'horloge  tout  le  reste  de  ma  vie, 
n'eussions  été  contraints  de  nous  rendre  à  ces  félons. 
Les  premiers  éclats  de  leur  rage  furent  de  hacher  notre 
pilote  en  mille  pièces,  pour  avoir  perdu  un  des  princi- 
paux des  leurs,  outre  quatre  ou  cinq  forçats  que  les 
nôtres  tuèrent  ;  cela  fait,  ils  nous  enchaînèrent,  et  après 
nous  avoir  grossièrement  pansés,  ils  poursuivirent  leur 

TOME  III,  6 


i)8  LES    RUES    DE    PARIS. 

pointe  faisant  mille  volerics,  donnant  néanmoins  liberté 
à  ceux  qui  se  rendaient  sans  combattre,  après  les  avoir 
volés  ;  et  enfin  chargés  de  marchandises,  au  bout  de 
sept  ou  huit  jours,  ils  prirent  la  route  de  Barbarie, 
tanière  et  spélonque  de  voleurs  sans  aveu  du  Grand- 
Turc,  où  étant  arrivés  il  nous  exposèrent  en  vente  avec 
un  procès-verbal  de  notre  capture,  qu'ils  disaient  avoir 
été  faite  dans  un  navire  espagnol,  parce  que  sans  ce 
mensonge  nous  aurions  été  délivrés  par  le  consul  que  le 
roi  tient  dans  ce  lieu  là,  pour  rendre  libre  le  commerce 
aux  Français....  Les  marchands    nous  vinrent,  sur  la 
place,  visiter  tout  de  même  qu'on  fait  à  l'achat  d'un 
cheval  ou  d'un  bœuf,  nous  faisant  ouvrir  la  bouche 
pour  voir  nos  dents,  palpant  nos  cotes,  sondant  nos 
plaies,  et  nous  faisant  cheminer  le  pas,  trotter  et  courir, 
puis  lever  des  fardeaux,  et  puis  lutter  pour  voir  la  force 
d'un  chacun  et  mille  autres  sortes  de  brutalités. 

((  Je  fus  vendu  à  un  pêcheur  qui  fut  contraint  de  se 
défaire  bientôt  de  moi,  pour  n'avoir  rien  de  si  contraire 
que  la  mer  ;  et  depuis,  par  le  pêcheur  à  un  vieillard, 
médecin  spagirique,  souverain  tireur  de  quintessences, 
homme  fort  humain  et  traitable  lequel,  à  ce  qu'il  me 
disait,  avait  travaillé  l'espace  de  cinquante  ans  à  la 
pierre  philosophale.  Il  m'aimait  fort  et  se  plaisait  à  me 
discourir  de  l'alchimie,  et  puis  de  sa  loi,  à  laquelle  il 
faisait  tous  ses  efforts  pour  m'attirer,  me  promettant 
force  richesses  et  tout  son  savoir.  Dieu  opéra  toujours 
en  moi  une  croyance  de  délivrance  par  les  assidues 
prières  que  je  lui  faisais,  et  à  la  Yierge-Marie,  par  la 
seule  intercession  de  laquelle  je  crois  fermement  avoir 
été  délivré.  L'espérance  donc  et  la  ferme  croyance  que 


SAINT    VINCKNT    lUC    l'AUL.  99 

j'avais  de  vous  revoir,  Monsieur,  me  lit  être  plus  atten- 
tif à  m'instruire  du  moyen  de  guérir  lu  gravelle,  en 
quoi  je  lui  voyais  journellement  faire  des  merveilles  ; 
ce  qu'il  m'enseigna  et  même  me  lit  préparer  et  admi- 
nistrer les  ingrédiens. 

((  Je  fus  donc  avec  ce  vieillard  depuis  le  mois  de  sep- 
tembre 1605  jusqu'au  mois  d'août  160G,  qu'il  fut  pris  et 
mené  au  Grand -Sultan,  pour  travailler  pour  lui,  mais 
en  vain  ;  car  il  mourut  de  regret  par  les  chemins.  Il  me 
laissa  à  un  sien  neveu,  vrai  antliropomorpbite,  qui  me 
revendit  bientôt  après  la  mort  de  son  oncle...  Un  rené- 
gat de  Nice,  en  Savoie,  ennemi  de  nature,  m'acheta  et 
m'emmena  en  son  temar  (lisez  timar),  ainsi  s'appelle  le 
bien  que  l'on  tient  comme  métayer  du  Grand- Seigneur, 
car  là  le  peuple  n'a  rien,  tout  est  au  Sultan  :  le  temar 
de  celui-ci  était  dans  la  montagne,  où  le  pays  est  extrê- 
mement chaud  et  désert.  L'une  des  trois  femmes  qu'il 
avait  était  Grecque  chrétienne,  mais  scliismatique  ;  une 
autre  était  Turque,  qui  servit  d'instrument  à  l'immense 
miséricorde  de  Uieu  pour  retirer  son  mari  de  Taposta- 
sie,  et  le  remettre  au  giron  de  l'Église,  et  me  délivrer 
de  mon  esclavage.  Curieuse  qu'elle  était  de  savoir  notre 
façon  de  vivre,  elle  me  venait  voir  tous  les  jours  aux 
champs,  où  je  fossoyais  ;  et  un  jour  elle  me  commanda 
de  chanter  les  louanges  de  mon  Dieu.  Le  ressouvenir 
du  Quomodo  cantabimus  in  terra  aliéna  des  enfants  d'Is- 
raël, captifs  en  Babylone,  me  fit  commencer, la  larme  à 
rc>?il,  le  psaume  Super  flumina  Babylonis,  et  puis,  le 
Salve  Regina  et  plusieurs  autres  choses,en  quoi  elle  pre- 
nait tant  de  plaisir  que  c'était  merveille.  Elle  ne  manqua 
pas  de  dire  à  son  mari,  le  soir,  qu'il  avait  eu  tort  de 


100  LES    RUES    DE    PARIS. 

quitter  sa  religion,  qu'elle  estimait  extrêmement  bonne, 
pour  un  récit  que  je  lui  avais  fait  de  notre  Dieu,  et 
quelques  louanges  que  j'avais  chantées  en  sa  présence: 
eu  quoi  elle  disait  avoir  ressenti  un  tel  plaisir  qu'elle  ne 
croyait  point  que  le  paradis  de  ses  pères  et  celui  qu'elle 
espérait  fût  si  glorieux,  ni  accompagné  de  tant  de  joie, 
que  le  contentement  qu'elle  avait  ressenti  pendant  que 
je  louais  mon  Dieu  ;  concluant  qu'il  y  avait  en  cela 
quelque  merveille.  Cette  femme,  comme  un  autre 
Caïphe,  ou  comme  l'ànesse  de  Balaam,  fit  tant  par  ses 
discours  que  son  mari  me  dit  dès  le  lendemain  qu'il  ne 
tenait  qu'à  une  commodité  que  nous  nous  sauvassions, 
en  France  ;  mais  qu'il  y  donnerait  tel  remède  que  dans 
peu  de  jours  Dieu  en  serait  loué.  Ce  peu  de  jours  dura 
dix  mois  qu'il  m'entretint  en  cette  espérance,  au  bout 
desquels  nous  nous  sauvâmes  avec  un  petit  esquif,  et 
nous  rendîmes,  le  28  juin  1607,  à  Aigues-Mortes,  et  tôt 
après  en  Avignon,  où  M.  le  vice-légat  reçut  publique- 
ment le  renégat,  avec  la  larme  à  l'œil  et  le  sanglot  au 
cœur,  dans  l'église  de  St-Pierre,  à  l'honneur  de  Dieu  et 
édification  des  assistants  *.  » 

Cette  narration  est  parfaite  à  tous  égards.  Nous  y 
regrettons  cependant  une  lacune,  relative  à  la  bonne 
créature  qui  fut  l'instrument  de  la  délivrance  de  saint 
Vincent  de  Paul.  On  aimerait  à  savoir  ce  qu'elle  devint, 
heureux  d'apprendre  qu'elle  ne  demeura  point  sur  la 
terre  infidèle  et  fut  récompensée  de  sa  charité  par  la 
grâce  de  la  conversion. 

Vincent,  après  un  voyage  fait  à  Home,  sa  dévotion 
satisfaite,  revint  en  France.  Arrivé  à  Paris,  il  se  logea 

'  Lettre  écrite  à  M,  de  Commet  (24  juillet  1607). 


SAINT    VINCIC.NT    VE    TAL'L.  KM 

dans  le  faiihourj^  St-Germain,iioii  loin  do  riiùpital  Aa  la 
Charité  dont  il  allait  souvent  servir  et  consoler  les  ma- 
lades. Dans  le  même  hôtel,  habitait  un  juge  du  villag^i 
de  Sore,  dans  le  district  de  Bordeaux.  Certain  jour  c^ue 
ce  juge  était  sorti,  une  somme  de  -iOOécus  lui  fut  déro- 
bée. On  ne  découvrit  l'auteur  du  vol  que  cinq  ou  six 
années  après^  parce  qu'arrêté  pour  un  autre  méfait,  il 
avoua  son  premier  crime,  en  proclamant  l'innocence  de 
Vincent  de  Paul  trop  injustement  accusé.  En  effet,  le 
juge,  exaspéré  de  sa  perte,  n'avait  pas  craint  d'accuser 
le  saint  prêtre  qu'il  décriait,  par  cette  calomnie,  auprès 
de  toutes  ses  connaissances  et  amis,  u  Le  Saint,  dit 
l'hagiographe,  se  contenta  de  nier  le  fait,  en  ajoutant  : 
((Dieu  sait  bien  la  vérité.»  Mais,  d'ailleurs,  il  ne  lui 
échappa  aucune  plainte  contre  son  accusateur. 

Après  avoir  été  quelque  temps  curé  de  Clicliy,  Vin- 
cent quitta  cette  paroisse  pour  se  charger  de  l'éducation 
des  enfants  de  M.  de  Gondi,  comte  de  Joigny,  général 
des  galères  de  France.  Il  était  depuis  peu  dans  cette 
maison  quand  il  fut  averti  que  ce  seigneur  devait  pro- 
voquer en  duel  un  de  ses  ennemis.  Suivant  l'usage  des 
temps  chevaleresques,  M.  de  Gondi  voulut  entendre  la 
messe  avant  d'aller  se  battre.  Vincent,  ayant  quitté 
l'autel,  aborde  le  comte  à  la  sortie  de  la  chapelle,  et  lui 
dit  :  «  Souffrez,  monsieur,  souffrez  que  je  vous  dise  un 
))  mot  en  toute  humilité.  Je  sais  de  boune  part  que  vous 
))  avez  dessein  d'aller  vous  battre  en  duel.  Mais  je  vous 
))  dis,  de  la  part  de  mon  Sauveur,  que  je  vous  ai  montré 
»  maintenant  et  que  vous  venez  d'adorer,  que  si  vous 
»  ne  ([uittez  ce  mauvais  dessein,  il  exercera  sa  justice 
»  sur  vous  et  sur  votre  postérité.  » 

TOME  111.  6* 


102  LES    RUES    DE    TARIS. 

Etonné  d'abord  de  ce  langage  qui  ménageait  si  peu 
son  orgueil,  le  comte,  qui  dans  le  fond  du  cœur  était 
chrétien,  se  sentit  touché,  et  en  remerciant  l'homme  de 
Dieu,  déclara  renoncer  à  son  coupable  projet.  Quelque 
temps  après,  Vincent  donna  la  mission  à  FoUeville,  sur 
les  terres  de  la  famille  de  Gondi,  dans  le  diocèse  d'A- 
miens, et  les  résultats  furent  admirables.  Cette  même 
année,  de  l'aveu  de  son  guide,  Bérulle,  il  quitta  la 
maison  du  comte  de  Joigny  pour  aller  desservir  la  cure 
de  Chàtillon-les-Dombes,  dans  la  "Bresse.  «  On  ne  sau- 
rait croire  tout  le  bien  que  fît  cet  homme  apostolique 
pendant  le  court  espace  de  temps  (cinq  mois)  qu'il  resta 
chargé  de  cette  paroisse  où,  dans  l'intérêt  des  pauvres 
et  des  infirmes,  il  institua  ime  confrérie  de  charité  devenue 
le  modèle  de  toutes  celles  qui  s'établirent  par  la  suite 
en  France.  »  Cédant  aux  instances  de  la  comtesse  de 
Joigny,  Vincent  de  Paul  revint  dans  cette  maison  vers 
la  fin  de  1617  ;  mais  à  la  condition  que,  chargé  seule- 
ment de  la  haute  surveillance  de  l'éducation  des  enfants, 
il  aurait  toute  liberté  de  se  livrer  à  son  goût  pour  les 
missions,  ce  qu'il  fit  dans  les  diocèses  de  Sens,  Soissons, 
Beauvais.  Pendant  les  loisirs  que  lui  laissait  l'inter- 
valle entre  les  missions,  il  eut  la  pensée  de  visiter  les 
prisons  où  les  forçats  étaient  détenus  avant  de  partir 
pour  les  ports  de  mer  et  fut  grandement  centriste  de  ce 
qu'il  trouva  :  «  Il  vit,  dit  un  biographe,  des  mallieu- 
reux  renfermés  dans  d'obscures  et  profondes  cavernes, 
mangés  de  vermine,  atténués  de  langueur  et  de  pau- 
vreté et  entièrement  négligés  pour  le  corps  et  pour 
Tàme.  » 

Vincent  s'occupa  avec  zèle  de  l'une  et  de  l'autre.  Par 


SALNT   VINCENT    DE    PAUL.  103 

los  aumùiiesciu'il  recueillit,  il  améliora  fort  la  situation 
matérielle  des  pauvres  prisonniers,  et,  par  ses  instruc- 
tions pleines  de  simplicité  et  d'onction,  il  n'aida  pas 
moins  au  soulagement  de  leurs  maux  spirituels.  Le 
changement  qui  s'opéra  chez  ces  mallienreux  fut  tel 
qu'il  frappa  tous  les  yeux  ;  le  comte  de  Joigny  en  entre- 
tint le  roi  Louis  XIII  qui  voulut  que  Vincent  de  Paul 
fût  établi  aumônier  général  des  galères  (8  février  1619). 
Deux  années  après,  Vincent  partit  incognito  pour  Mar- 
seille atin  de  s'assuier  par  lui-même  de  l'état  des  forçats 
sur  les  galères,  et  se  dérober  en  même  temps  aux 
honneurs  qu'on  ne  pouvait  manquer  de  rendre  à  sa  di- 
gnité. 


II 


En  1623,  à  la  suite  d'une  mission,  il  établit  à  Màcon 
deux  Confréries  de  Charité  pour  l'assistance  des  pauvres 
et  des  malades,  mais  non  sans  grande  difficulté  d'abord 
comme  on  voit  par  une  lettre  écrite  à  mademoiselle  Le- 
gras  qui  fut  sa  principale  et  zélée  auxiliaire  dans  ses 
œuvres  :  ((  Quand  j'établis  la  Charité  à  Màcon,  dit-il, 
))  chacun  se  moquait  de  moi  ;  on  me  montrait  au  doigt 
»  par  les  rues,  croyant  que  je  n'en  pourrais  jamais  ve- 
»  nir  à  bout  ;  et  quand  la  chose  fut  faite,  chacun  fondait 
))  en  larmes  de  joie  ;  et  les  échevins  de  la  ville  me  fai- 
»  saient  tant  d'honneur  au  départ  que,  ne  le  pouvant 
»  porter,  je  fus  contraint  de  partir  en  cachette,  pour 
))  éviter  cet  applaudissement  ;  et  c'est  là  une  des  chari- 
))  tés  les  mieux  établies.  » 


104  LES    KL'ES   DE    TARIS. 

L'aunée  suivante,  il  fonda  la  congrégation  des  Prêtres 
de  la  Mission.  «  L'on  peut  dire  avec  vérité  que  cette  Con- 
grégation a  été  en  son  commencement  comme  le  petit 
grain  de  sénevé  de  l'Evangile,  qui,  étant  la  moindre 
entre  toutes  les  semences,  devient  un  arbre  sur  les 
branches  duquel  les  oiseaux  peuvent  se  poser.  »  Ces 
prêtres  furent  aussi  appelés  Lazaristes  par  suite  du  don 
que  fit  à  la  compagnie  naissante  le  prieur  de  Saint-La- 
zare, Adrien  Lebon,  de  sa  maison  et  de  tous  ses  biens 
pour  concourir  à  l'instruction  et  au  soulagement,  sui- 
vant le  but  de  l'institution,  des  peuples  de  la  campagne. 
A  la  première  ouverture  que  Lebon  lui  lit.  à  ce  sujet, 
Vincent  n'en  pouvait  croire  ses  oreilles.  «  J'avais,  dit-il, 
(!  dans  une  de  ses  lettres,  les  sens  interdits  comme  un 
))  homme  surpris  du  bruit  d'un  canon,  lorsqu'on  le  tire 
»  proche  de  lui  sans  qu'il  y  pense  ;  il  reste  comme 
))  étourdi  de  ce  coup  imprévu  et  moi,  je  demeurai  sans 
»  parole,  si  étonné  d'une  telle  proposition  que  lui-même 
»  s'en  apercevant  me  dit  :  Quoi  !  vous  tremblez  ?  » 

En  effet,  dans  sa  modestie,  Vincent  était  comme  épou- 
vanté de  la  proposition  «  si  fort  au-dessus,  dit-il,  de  lui 
))  et  des  prêtres  de  sa  compagnie,  qu'il  se  ferait  scrupule 
»  d'y  penser.  »  Il  fallut  deux  années  au  prieur  de  Saint- 
Lazare  pour  triompher  des  scrupules  de  Vincent  et  ce 
ne  fut  qu'au  mois  de  janvier  1G32  que  le  vénérable  bien- 
faiteur eut  la  joie  de  mettre  les  Prêtres  de  la  Mission  en 
possession  de  ses  biens.  De  Lestocq,  curé  de  saint  Lau- 
rent, écrivait  à  ce  sujet  :  «  Dans  les  visites  que  nous 
»  avons  rendues  plus  de  trente  fois,  l'espace  de  plus 
»  d'un  an,  à  M.  Vincent,  nous  avons  eu  mille  peines  à 
»  rébranler  et  à  le  disposer  à  accepter  Saint-Lazare.  » 


SAJ.NT    VLNCE.NT    DE    l'ALL.  105 

ViiRi'iit  de  Paul  avait  coulumc  de  répomlre  à  ceux  qui 
le  pressaient  de  profiter  de  son  crédit  dans  l'Intérêt  de  sa 
Congrégation  :  «  Pour  tous  les  biens  de  la  terre  je  ne 
))  ferai  jamais  rien  contre  Dieu  ni  contre  ma  cons- 
»  cicncc.  La  compagnie  ne  périra  pas  par  la  pauvreté  ; 
))  je  crains  plutôt  que,  si  la  pauvreté  lui  manque,  elle  uc 
»  vienne  à  périr.  «  Aussi  vit- on,  certain  jour,  Vincent 
de  Paul  refuser  une  somme  de  600,000  mille  francs  qu'on 
lui  oflrait  pour  construire  une  nouvelle  église.  Il  répoji- 
dit  ((  que  les  pauvres  étaient  trop  nombreux  en  ce  mo- 
ment et  que  les  premiers  temples  que  demande 
Jésus-Christ  sont  ceux  de  la  charité  et  de  la  miséri- 
corde. » 

Dès  l'année  1634,  il  avait  établi  la  Congrégation^ des 
Filles  de  Charité^  dites  aussi  sœurs  de  saint  Vincent  de 
Paul.  ((  Ces  filles,  disait  admirablement  le  saint,  n'ont 
»  ordinairement  pour  monastères  que  les  maisons  des 
))  malades,  pour  cellule  qu'une  chambre  de  louage,  pour 
»  chapelle  que  l'église  de  leur  paroisse,  pour  cloitre  que 
»  les  rues  de  la  ville  ou  les  salles  des  hôpitaux,  pour 
»  clôture  que  l'obéissance,  pour  grille  que  la  crainte  de 
»  Dieu,  et  pour  voile  qu'une  sainte  et  exacte  modestie.» 
«  Et  cependant,  comme  dit  très-bicui  la  Biographie  de 
Michaud.  elles  se  préservent  de  la  contagion  du  vice,  et 
font  germer  partout  sous  leurs  pas  la  vertu.  »  Mêlées  au 
monde^  elles  sont  demeurées  les  fidèles  servantes  de 
Dieu  et  n'ont  point  jusqu'ici  dégénéré  de  la  ferveur  de 
leur  première  et  sainte  institution. 

Une  des  dernières  fondations  de  saint  Vincent  de  Paul, 
et  qui  n'est  pas  la  moins  touchante,  fut  celle  relative 
aux  Enfants- Trouvés  dont  Abelly  nous  dit  :  «  On  a  re- 


lUG  LliS    KUKS    DE    l'ARlS. 

marqué  qu'il  ne  se  passe  aucune  année  qu'il  ne  se  trouve 
au  moins  trois  ou  quatre  cents  enfants  exposés  tant  en 
la  ville  qu'aux  faubourgs;  et,  selon  l'ordre  de  la  police, 
il  appartenait  à  l'office  des  commissaires  du  Ghateletde 
lever  ces  enfants...  Ils  les  faisaient  porter  ci-devant  en 
une  maison  qu'on  appelait  la  Couche,  en  la  rue  Saint- 
Landry,  où  ils  étaient  reçus  par  une  certaine  veuve  qui 
qui  y  demeurait  avec  une  ou  deux  servantes,  et  se 
chargeait  du  soin  de  leur  nourriture  ;  mais  ne  pouvant 
suffire  pour  un  si  grand  nombre,  ni  entretenir  des  nour- 
rices pour  les  allaiter  ni  nourrir  et  élever  ceux  qui 
étaient  sevrés,  faute  d'un  revenu  suffisant,  la  plupart 
de  ces  pauvres  enfants  mouraient  de  langueur  en  cette 
maison,  ou  même  les  servantes,  pour  se  délivrer  de 
l'importunité  de  leurs  cris,  leur  faisaient  prendre  une 
drogue  pour  les  endormir,  qui  causait  la  mort  à  plu- 
sieurs. Ceux  qui  échappaient  à  ce  danger  étaient  ou 
donnés  à  qui  les  venait  demander,  ou  vendus  à  si  vil 
prix,  qu'il  y  en  a  eu  pour  lesquels  on  n'a  payé  que 
vingt  sous. ...  Et  on  a  su  qu'on  en  avait  acheté  pour  servir 
aux  mauvais  desseins  de  personnes  qui  supposaient  des 
enfants  dans  les  familles  ou  (ce  qui  fait  horreur)  pour 
servir  à  des  opérations  magiques  et  diaboliques.  » 
Saint  Vincent,  touché  de  si  grandes  misères,  dans  sa 
tendre  compassion,  avait  recueilli  un  grand  nombre  de 
ces  malheureuses  victimes  du  vice  et  de  la  misère,  pla- 
cées par  lui  dans  diverses  maisons.  Tout  à  coup  il 
apprend  que,  par  des  motifs  trop  longs  à  développer  ici, 
on  voulait  abandonner  les  orphelins.  L'homme  de  Dieu, 
sous  le  coup  de  son  émotion,  convoque  une  assemblée 
générale  des  <lamcs  qui   l'aidaient    dans  ses   bonnes 


SAINT    VINCENT    DE    l'Alf..  107 

•  luivies  et,  après  avoir  exposé  iieLtemeiit  la  situation,  il 
conclut  en  ces  termes  : 

{(Or,  sus,  Mesdames,  la  charité  et  la  compassion  vous 
»  ont  fait  adopter  ces  petites  créatures  pour  vos  enfants; 
»  vous  avez  été  leurs  mères  selon  la  grâce,  depuis  que 
»  leurs  mères  selon  la  nature  les  ont  abandonnées  : 
»  voyez  maintenant  si  vous  voulez  aussi  les  abandon- 
»  nez.  Cessez  d'être  leurs  mères  pour  devenir  à  présent 
»  leurs  juges  :  leur  vie  et  leur  mort  sont  entre  vos 
))  mains  :  je  m'en  vais  prendre  les  voix  et  les  sutlrages  ; 
))  il  est  temps  de  prononcer  leur  arrêt  et  de  savoir  si 
»  vous  ne  voulez  plus  avoir  de  miséricorde  pour  eux.  Ils 
»  vivront  si  vous  continuez  d'en  prendre  un  charitable 
»  soin  ;  et  au  contraire,  ils  mourront  et  périront  infail- 
»  liblement  si  vous  les  abandonnez  :  l'expérience  ne 
»  permet  pas  d'en  douter.  )> 

A  ces  mots  sortis  du  plus  profond  des  entrailles  et 
prononcés  avec  un  accent  qu'on  ne  peut  rendre,  un  fré- 
missement parcourt  l'assemblée,  les  sanglots  éclatent, 
des  larmes  coulent  de  tous  les  yeux  et  il  est  résolu  à 
l'unanimité  que  la  bonne  œuvre  sera  continuée.  Les 
orphelins  étaient  sauvés  ! . . . 

Quelques  années  après,  eut  lieu  la  création  du  vaste 
hospice  de  la  Salpètrière  pour  lequel  la  reine,  Anne 
d'Autriche,  avait  donné  l'enclos  et  la  maison  de  ce  nom 
où  plus  de  cinq  mille  mendiants  furent  admis  et  pour- 
vus de  toutes  les  choses  nécessaires  à  la  vie.  Combien 
d'autres  et  excellentes  œuvres  dues  à  l'initiative  de  cet 
homme  apostolique  qui  savait  si  bien  concilier  le  zèle 
avec  la  tolérance,  ou  mieux  la  charité  ! 

Franchement  opposé  à  la  secte  janséniste,  ((il  sut,  dit 


108  I.ES    RURS    DE   TARIS. 

un  de  ses  historiens,  sans  jamais  franchir  les  bornes 
d'une  juste  modération,  s'arranger  si  bien  qu'il  écarta 
l'erreur  de  tous  les  lieux  dont  la  garde  était  commise  à 
ses  soins.  » 

Saint  Vincent  de  Paul  parlait  avec  une  merveilleuse 
onction,  et  l'on  a  vu,  par  nos  citations,  comment  il  écri- 
vait. Collet  nous  apprend  que,  de  son  temps  il  existait 
encore  plus  de  sept  mille  lettres  du  saint  dont  il  a  écrit 
la  vie.  Yincent  de  Paul  fut  lié  avec  tous  les  personnages 
illustres  et  vénérables  de  son  temps,  saint  François  de 
Sales,  Olier,  le  cardinal  de  Bérulle,  Bossuet^  etc.,  Anne 
d'Autriche  qui,  veuve  de  Louis  XIII  et  devenue  régente, 
nomma  Vincent  président  du  tril)unal  de  conscience.  On 
sait  que  l'homme  de  Dieu  avait  assisté  le  roi  à  soii  lit 
de  mort  (1643). 

Saint  Vincent  de  Paul  fut  longuement  éprouvé  par 
la  maladie,  ainsi  que  nous  l'apprend  l'évèquede  Ilodez  : 
((  Pour  ne  pas  ennuyer  le  lecteur  par  le  récit  de  toutes 
les  autres  maladies  que  Dieu  a  envoyées  de  temps  en 
temps  à  M.  Vincent  pour  exercer  sa  vertu,  il  suffira  de 
«lire  qu'il  y  a  peu  d'infirmités  et  d'incommodités  corpo- 
relles qu'il  n'ait  éprouvées.  Dieu  l'ayant  ainsi  voulu 
afin  qu'il  fût  capable  de  compatira  celles  du  prochain.... 
Mais  pour  venir  à  la  plus  grande  et  à  la  plus  fâcheuse 
de  toutes  les  incommodités  de  M.  Vincent,  que  l'on  peut 
appeler  une  espèce  de  martyre,  qui  a  enfln  terminé  sa 
vie...  il  faut  savoir  qu'il  a  porté  l'incommodité  de  l'en- 
flure de  ses  jambes  et  de  ses  pieds  l'espace  de  quaranle- 
cinq  ans  ;  et  elle  était  quelquefois  si  forte,  qu'il  avait 
grand  peine  de  se  soutenir  ou  de  marcher,  et  d'autres 
fois,  si  enflammée  et  si  douloureuse,  qu'il  était  contraint 


SAINT   VINCENT    DC    PALL.  lOî» 

de  se  tenir  au  lit...  sur  la  lia  de  l'année  1651),  il  fut 
obligé  (à  cause  de  son  inlirmité),  de  célébrer  eu  la  cJia- 
pelle  de  l'inlirmeric  ;  mais  les  jambes  lui  ayant  enfin 
manqué  tout  à  fait  en  l'année  1G60,  qui  fut  sa  dernière, 
il  ne  put  plus  dire  la  sainte  messe,  mais  il  continua  de 
l'entendre  jusqu'au  jour  de  son  décès  quoiqu'il  souffrit 
une  peine  incroyable  pour  aller  de  sa  cbaml)rc  à  la  cba- 
pelle,  étant  contraint  de  se  servir  de  potences  (béquilles) 
pour  marcher.  »  Pendant  les  quatre  dernières  années 
de  sa  \ie,  par  suite  «le  ses  infirmités  et  de  l'àye^  il  ne 
pouvait  plus  du  tout  sortir.  Après  de  cruelles  souf- 
frances, supportées  avec  une  admirajjle  résignation,  il 
expira  dans  la  maison  de  Saint-Lazare,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-cinq  ans,  (27  septembre  1660).  «  11  est 
mort  sans  fièvre  et  sans  accident  extraordinaire,  ayant 
cessé  de  vivre  par  une  pure  défaillance  de  la  nature, 
comme  une  lampe  qui  s'éteint  insensiblement  quand 
l'huile  vient  à  lui  manquer...  Ayant  rendu  le  dernier 
soupir,  sou  visage  ne  changea  point,  il  demeura  dans 
sa  douceur  et  sérénité  ordinaire,  étant  dans  sa  chaise 
en  la  même  posture  qu'il  eût  sommeillé.  »  (abelly).  Les 
grands  et  le  peuple,  la  cour  et  la  ville,  disent  les  bio- 
graphes, les  magistrats  et  les  religieux  versèrent  des 
larmes  à  la  nouvelle  de  sa  mort.  Jamais  on  n'avait 
entendu  un  concert  si  unanime  de  louanges.  Et  ce  con- 
cert il  s'est  continué  jusqu'à  nos  jours  ;  ce  grand  homme 
de  bien  est  vénéré,  malgré  sa  qualité  de  saint  \  même 
des  incroyants,  de  ceux  tout  au  moins  qui,  victimes  de 


1  II  fut  canonisé,  en  1737,  par  Clément  XIII  qui  fixa  sa  fête  au  19 
juillet. 

TOME  îlî,  7 


ilO  LES    RUES    DE    PARIS. 

Terreur,  auraient  lioute  de  l'injustice  et  de  la  grossière 
impiété. 

Une  anecdote  encore  avant  de  terminer.  Ce  ne  fut 
point  sans  effort  que  notre  Saint  arriva  à  ce  haut  degré 
de  vertu,  témoin  ce  qu'il  racontait  lui-même  :  «  Je  m'a- 
perçus, dit-il,  en  m'examinant,  d'une  certaine  rudesse 
et  brusquerie  de  manières  surtout  avec  les  grands  du 
monde  et  je  sentis  qu'il  y  avait  nécessité  d'y  apporter 
remède.  Je  m'adressai  alors  à  Notre-Seigneur  et  je  le 
priai  instamment  de  me  changer  cette  humeur  sèche  et 
rebutante  et  de  me  donner  un  esprit  doux  et  bénin.  » 

Le  Saint  fut  exaucé  et  sut  dès  lors  si  bien  veiller  sur 
lui-même  que  sa  douceur  et  son  affabilité  passèrent  en 
commun  proverbe  ^ 

Saint  Vincent  de  Paul,  au  reste,  ne  recommandait 
rien  tant  que  la  douceur  «  étant,  dit  Abelly,  comme  la 
fleur  de  cette  divine  vertu  de  charité,  qui  relève  d'au- 
tant plus  par  son  excellence  qu'il  y  a  plus  de  difficulté  à 
réprimer  les  saillies  de  la  nature  qui  se  couvre  souvent 
du  manteau  du  zèle  pour  se  laisser  aller  plus  librement 
aux  emportements  de  ses  passions. 

((  Il  tenait  encore  pour  une  antre  maxime  de  cette 
vertu,  de  ne  contester  jamais  contre  personne,  non  pas 
même  contre  ceux  qu'on  était  obligé  de  reprendre  ;  mais 
il  voulait  qu'on  se  servît  toujours  de  paroles  douces  et 
affables,  selon  que  la  prudence  et  la  charité  le  requé- 
raient. Par  ce  même  principe,  il  défendait  aux  siens 


'  11  existe  plusieurs  Vies  de  saint  Vincent  de  Paul.  La  dernière  et 
la  plus  complète,  dit-on,  est  celle  de  M.  l'abbé  Meynard  en  A  vo- 
lumes. (Bray  et  Retaux  éditeurs). 


SAINT   VINCENT   DE    PAUL.  I  I  I 

d'entrer  en  des  altercations  on  aigreurs  ([uand  il  était 
question  de  conférer  avec  les  hérétiques,  parce  qu'on  les 
gai^ne  bien  plutôt  par  une  douce  et  amialde  remon- 
trance :  ((  Quand  on  dispute,  disait-il,  contre  (juel(|u'un, 
»  la  contestation  dont  on  use  en  son  endroit  lui  fait 
»  bienvoirqu'on  veut  emporter  le  dessus;  c'est  pourquoi 
»  il  se  prépare  à  la  résistance  plutôt  qu'à  la  reconnais- 
))  sance  de  la  vérité  :  de  sorte  que,  par  ce  débat,  au  lieu 
))  de  faire  queLpie  ouverture  à  son  esprit,  on  ferme 
))  ordinairement  la  porte  de  son  ca^ur  ;  comme  au  coii- 
))  traire  la  douceur  et  l'afiabilité  le  lui  ouvrent.  Nous 
»  avons  sur  cela  un  bel  exemple  eu  la  personne  du  bien- 
»  heureux  François  de  Sales,  lequel,  quoiqu'il  fût  très- 
))  savant  dans  les  controverses,  convertissait  néanmoins 
))  les  hérétiques  plutôt  par  sa  douceur  que  par  sa  doc- 
))  trine.  » 

((....  Il  faisait  néanmoins  une  grande  différence  entre 
la  véritable  vertu  de  douceur  et  celle  qui  n'en  a  que 
l'apparence  ;  cor  la  fausse  douceur  est  molle,  lâche,  in- 
dulgente ;  mais  la  véritable  douceur  n'est  point  opposée 
à  la  fermeté  dans  le  bien,  à  laquelle  même  elle  est  plu- 
tôt toujours  conjointe  par  cette  connexion  qui  se  trouve 
entre  les  vraies  vertus  ;  et  à  ce  sujet,  il  disait  :  «  Qu'il 
»  n'y  avait  point  de  personnes  plus  constantes  et  plus 
))  fermes  dans  le  bien  que  ceux  qui  sont  doux  et  débon- 
»  naires  ;  comme  au  contraire  ceux  qui  se  laissent  em- 
»  porter  à  la  colère  et  aux  passions  de  l'appétit  irascible 
))  sont  ordinairement  fort  inconstants  parce  qu'ils  n'a- 
»  gissent  que  par  boutades  et  par  emportements  ;  ce 
))  sont  comme  des  torrents  qui  n'ont  de  la  force  et  de 
))  l'impétuosité  que  dans  leurs  débordements^  lesquels 


1  12  LES   RUES   DE    PARIS. 

»  tarissent  aussitôt  qu'ils  sont  écoulés  ;  au  lieu  que  les 
))  rivières,  qui  représentent  les  personnes  débonnaires, 
»  vont  sans  bruit,  avec  tranquillité,  et  ne  tarissent  ja- 
))  mais.  » 

L'église  de  saint  Vincent  de  Paul,  élevée,  il  y  a  peu 
d'années,  rue  La  Fayette,  comme  monument,  ne  manque 
pas  de  grandeur.  Elle  est  ornée  à  l'intérieur  de  fresques 
en  harmonie  avec  l'architecture,  et  qui  sont  dignes  du 
pinceau  de  cet  illustre  maître,  HippolyteFlandrin.  Dans 
l'église  ou  chapelle  des  Lazaristes  (rue  de  Sèvres,  93), 
dédiée  pareillement  à  saint  Vincent  de  Paul,  se  voit, 
dans  une  chasse  vitrée,  le  corps  tout  entier  du  Saint, 
précieuse  relique,  exposée  plus  particulièrement,  cer- 
tains jours,  à  la  vénération  des  fidèles  dont  le  concours 
est  merveilleux. 


LES     VIEILLES    RUES 

ET  LES  AUTRES. 


LE  VIEUX  PARIS 


Beaucoup  de  rues  nouvelles,  bâties  si  vite,  s'impro- 
visent en  quelque  sorte,  ce  qui  fait  qu'on  les  désigne 
d'une  façon  assez  arbitraire,  et  le  plus  souvent  comme 
le  plus  facilement,  par  un  nom  propre.  Il  n'en  était 
point  ainsi  autrefois  alors  que,  dans  la  ville  ou  les  fau- 
bourgs, les  maisons,  s'élevant  successivement  et  lente- 
ment, finissaient,  comme  au  village,  par  former  une 
rue  après  un  laps  de  temps  plus  ou  moins  long.  Lu 
dénomination  sortait  de  la  nature  même  des  choses,  et 
presque  toujours  originale  et  pittoresque,  tellement  que 
d'habitude  le  nom  adopté  par  le  populaire  se-conservait 
par  la  tradition  seule  de  longues  années,  des  siècles  ; 
car  ce  n'est  qu'en  1728,  qu'on  a  commencé  à  placer  des 
inscriptions  à  l'entrée  des  rues  pour  rappeler  leur  nom. 
Les  origines  de  nos  anciennes  voies  sont  donc  pour  la 
plupart  curieuses  et  singulières  ;  «  elles  proviennent, 
dit  très  bien  Saint  Yictor,  ou  du  nom  de  quelque  per- 
sonnage distingué  qui  y  possédait  une  maison  remar- 
quable, ou  de  quelque  enseigne  singulière  qui  avait 
frappé  les  yeux  du  peuple,  ou  de  quelque  événement 


114  LES    RUES    DE    l'AHlS. 

extraordinaire  qui  y  était  arrivé.  Plusieurs  devaient 
leur  titre  à  leur  malpropreté  habituelle,  d'autres  aux 
vols  et  assassinats  qui  s'y  commettaient  ;  quelques-unes 
enlin  ont  des  noms  dont  l'origine  et  le  sens  sont  entiè- 
rement inconnus.  *  »  Afin  d'ajouter  à  l'intérêt  de  ces 
récits  historiques,  nous  nous  proposons  de  faire  con- 
naître les  dites  origines  aussi  bien  que  les  souvenirs 
qui  s'y  rattachent.  Grâce  à  tant  d'épisodes,  d'anecdotes, 
de  détails  variés,  et  souvent  presque  inédits,  cette 
Seconde  Partie  de  notre  travail  n'offrira  pas  moins 
d'attrait,  nous  osons  l'espérer,  que  la  Première  compo- 
sée de  biographies  développées. 

Mais  avant  de  commencer,  afin  que  rien  ne  soit 
perdu  pour  le  lecteur,  il  nous  semble  utile  de  résumer 
en  quelques  pages  les  récits  des  historiens  -,  formant 
souvent  d'énormes  volumes,  et  relatifs  aux  origines  du 
vieux  Paris  lui-même. 

Les  origines  de  cette  ville,  pour  nous  servir  d'une 
expression  banale  mais  forcée,  se  perdent  dans  la  nuit  des 
temps.  Yers  l'an  54  avant  Jésus- Christ,  on  voit  ses  habi- 
tants, membres  de  la  tribu  gauloise  des  Parisii,  com- 
battre courageusement  les  Romains  qui  voulaient  les 
soumettre  ;  mais  après  avoir  repoussé  Labiénus,  lieute- 
nant de  César,  ils  furent  vaincus  par  celui-ci  qui  s'em- 
para de  l'ile  où  s'élevait  Lutèce  {Lutetia)  ;  car  tel  était 
le  nom  que  portait  alors  la  cité  ;  a  nom  que  les  uns 
dérivent  de  lutum,  boue,  argile,  parce  que  le  territoire 

'  Saint-Victor  :  Tableau  historique  et  pittoresque  de  Paris  ; 
3  vol.  in  4°  ou  8  vol.  in-8%  2e  édit.  1822. 

2  Corrozet,  Sauvai,  Félibien  et  Lobineau,  l'abbé  Lebœuf,  Jaillot, 
Ste-Foiï,  St-Victor,  Piganiol  de  la  Force,  etc. 


LE    VIEUX    PARIS.  1  lo 

de  cette  ville  était  marécageux,  dit  M.  Luiivet,  et 
auquel  d'autres  trouvent  une  origine  celtique,  en  sorte 
(ju'il  signilierait  ville  entourée  d'eau,  ou  encore  île 
du  Corbeau,  n 

Quoiqu'il  eu  soit,  César,  pour  s'assurer  de  sa  con- 
quête, la  Ht  entourer  de  murailles  et  deux  tours  ou 
forteresses  s'élevèrent  à  la  tète  des  ponts  de  bois  jetés 
siu"  le  fleuve  à  l'endroit  où  se  trouvent  aujourd'hui  le 
Petit-Pont  et  le  Pont-au-Change.  Dès  lors,  Lutèce  devint 
la  résidence  des  gouverneurs  romains  dans  les  Gaules. 
On  sait  qu'elle  était  particulièrement  chère  à  Julien, 
qui  y  reçut  le  titre  d'auguste.  Vers  l'an  2io  \  saint 
Denis  vint  y  prêcher  l'Évangile  avec  ses  compagnons 
et  leur  martyre  prépara  le  triomple  de  la  foi. 

Chilpéric  I",  roi  des  Francs,  eut  la  gloire  de  chasser 
les  Romains  de  Paris  qui  devint  sous  Clovis,  son  fils  et 
son  successeur,  la  capitale  du  royaume.  Probablement 
c'est  alors  que  la  cité  échangea  son  nom  ancien  de 
Lutèce  contre  celui  de  Paris,  Parisius,  dit  saint  Grégoire 
de  Tours.  Ce  nom  lui  vient  selon  toute  apparence  de 
ses  premiers  habitants  les  Parisii,  cette  origine  parait 
beaucoup  plus  vraisemblable  que  l'opinion,  chère  à  nos 
vieux  auteurs  pourtant,  qui,  par  une  tradition  fal)uleuse 
sans  nul  doute,  fait  descendre  la  famille  royale  des 
Francs  et  les  fondateurs  de  Paris  des  Troyens  et  du  fils 
de  Priam. 

Les  princes  mérovingiens  témoignèrent  tous  d'une 
grande  prédilection  pour  Paris,  leur  capitale  ;  il  n'en 

'  D'après  une  ancieuae  traditiou,  dès  le  premier  siècle  de  l'ère 
chrétienne,  et  au  temps  des  apùtres  mêmes. 


IIG  LES   laES    DE    PARIS, 

fut  pas  de  même  dos  Garloviugiens  qui  n'y  résidèrent 
que  par  intervalles.  Sous  les  descendants  dégénérés  de 
Gharlemagne,  on  sait  que  la  ville  fut  plus  d'une  fois 
exposée  aux  ravages  des  barbares  du  Nord,  dits  Nor- 
mands, et  le  siège  qu'elle  soutint  contre  eux,  au  temps 
d'Eudcsetde  l'évêque  Gozlin,  est  célèbre.  Hugues  Gapet, 
le  fondateur  de  la  3*^  dynastie,  s'établit  de  nouveau  à 
Paris  qui  n'a  plus  cessé  d'être  la  capitale  du  royaume. 
Déjà  la  ville  commençait  à  s'étendre  sur  les  deux  côtés 
du  fleuve,  aussi  Philippe  Auguste  ordonna  la  construc- 
tion d'un  nouveau  mur  d'enceinte  qui,  partant  du  Lou- 
vre, s'arrêtait  au  quai  des  Ormes  et  des  Gélestins,  en 
passant  par  la  rue  St- Honoré,  la  pointe  Ste-Eustache, 
la  place  Baudoyer,  etc. 

Une  quatrième  enceinte  s'éleva  au  temps  où  Marcel 
était  prévôt  des  marchands  (1356).  La  ville  s'agrandit 
encore  ce  qu'elle  ne  cessa  de  faire,  au  point  qu'il  fallait 
constamment  reculer  les  fortifications,  tantôt  d'un  côté 
tantôt  d'un  autre,  tantôt  au  nord,  tantôt  au  midi.  Gar 
Paris,  si  rudement  éprouvé  pendant  les  guerres  reli- 
gieuses du  16^  siècle,  resta  ville  de  guerre  jusqu'au 
règne  de  Louis  XIV  qui  fit  abattre  les  murailles,  com- 
bler et  planter  d'arbres  les  fossés  changés  en  boulevards 
pour  la  promenade  *.  La  ville  alors  put  s'étendre  en 
toute  liberté.  La  Révolution  fut  un  temps  d'arrêt  pour 
ce  mouvement  d'expansion,  les  travaux  s'étant  ralentis 
ou  même  arrêtés  alors  que,  sous  ce  régime  abominable 
autant  qu'inepte  de  la  Terreur,  la  richesse,  l'apparence 


'  Est-il  besoin  de  rappeler  qu'en  18  40,  grâce  à  M.  Thiers,  les  for- 
tifications ont  été  relevées  et  plus  formidables? 


LE    VIEUX    PARIS.  117 

même  de  la  fortune  devenait  un  crime.  Le  calme  réta- 
bli, Napoléon,  consul  et  surtout  empereur,  se  préoccupa 
constamment  de  l'agrandissement  et  de  l'embellisse- 
ment de  Paris  qui  lui  dut  de  nombreux  monuments,  la 
Bourse,  la  colonne  de  la  Place  Yeudùmc,  les  ponts 
d'Austerlitz,  d'Iéna,  des  Arts,  etc. 

Sous  la  Restauration  comme  pendant  le  rèj^nie  de 
Louis  Philippe,  d'importants  travaux  s'exécutèrent  à 
Paris  qui  cependant  gardait  toujours  un  peu,  dans  cer- 
tains quartiers  surtout,  la  Cité,  la  rue  St-Jacques,  le 
faubourg  St-Germain,  etc.,  sa  vieille  physionomie  qu'il 
perd  tous  les  jours  davantage  depuis  les  dernières  et 
colossales  entreprises  qui  f.)nt  de  la  ville  entière  un 
vaste  chantier  de  démolition  et  de  construction.  On  ne 
saurait  nier  assurément  que  la  ville  y  gagne  au  point  de 
vue  de  l'hygiène  et  que  beaucoup  de  ces  grands  travaux 
n'aient  leur  utilité,  ne  fussent  même  d'une  absolue 
nécessité  ;  il  est  permis  toutefois  de  regretter  qu'on  ait 
voulu  tout  faire  à  la  fois  et  en  outre  que  les  plans  géné- 
ralement adoptés  semblent  avoir  pour  résultat  de  don- 
ner à  la  grande  capitale,  remarquable  naguère  par  ses 
aspects  variés  et  pittoresques,  un  caractère  monotone 
d'uniformité.  Qu'y  a-t-il  pour  le  rêve  et  la  poésie 
dans  l'interminable  rue  Lafayette,  aux  maisons  en- 
nuyeusement  pareilles,  ou  dans  l'éternel  boulevard 
Haussmann  '  ? 

Faut- il  répéter,  après  bien  d'autres,  que  dans  toutes 
ces  habitations  nouvelles,  luxueuses  en  dépit  de  l'archi- 
tecture banale,  il  n'y  a  place  que  pour  les  riches  et 

'  Nous  écrivions  cette  introduction  avant  les  derniers  événements. 
TOME  m.  7* 


118  LES    RUES    DE    l'ARIS. 

même  richissimes  et  que,  nous  ne  dirons  pas  les  pauvres 
gens,  mais  les  gens  modestes,  lettrés,  artistes  et  autres, 
ue  trouvent  plus  à  se  loger.  A  cela  on  répond  que  les 
dites  demeures  royales  et  princières  ne  sont  mie  faites 
pour  eux,  pas  plus  que  les  cages  dorées,  enluminées, 
sculptées  pour  les  vulgaires  pierrots.  Fort  bien  alors, 
mais  c'est  les  forcer  à  percher  sur  les  arbres  et  pignons, 
ce  qui  n'est  guère  commode  et  récréatif  en  hiver,  outre 
que  dame  Police  ne  le  tolère  point. 

Un  mot  encore  avant  de  terminer.  Voici  des  Pari- 
siens et  Parisiennes  un  assez  joli  portrait  que  Sauvai 
traçait, il  y  a  longtemps  déjà',  et  qui  aujourd'hui  encore 
ne  manque  ni  de  vérité,  ni  d'actualité  :  «  Les  Parisiens 
))  sont  bons,  dociles,  fort  civils,  aiment  les  plaisirs,  la 
»  bonne  chère,  le  changement  de  modes,  d'habits,  d'af- 
»  faires....  Les  gens  riches  et  qualifiés  se  traitent  et 
»  s'habillent  aussi  magnifiquement  qu'ils  se  logent... 
»  Les  dames  de  qualité  et  les  riches  n'y  font  rien  que 
»  j(>uer,  se  promener,  faire  des  visites,  aller  au  bal  et  à 
»  la  comédie;  elles  sont  si  superbement  vêtues  qu'elles 
»  dépensent  en  gants,  en  passementeries  et  autres  ga- 
»  lanteries  plus  que  des  princesses  étrangères  en  toute 
»  leur  maison.  Les  Grands  en  un  mot  (les  Riches), 
»  hommes  et  femmes,  font  tant  d'excès  que  leur  revenu, 
»  quelque  prodigieux  qu'il  soit,  n'y  pouvant  suffire,  ils 
)}  dissipent  en  peu  d'années  ce  que  leurs  pères,  durant 
»  toute  leur  vie,  ont  eu  bien  de  la  peine  à  amasser.  » 

'  Sauvai  est  mort  en  1670.  Son  livre,  en  3  volumes  in-P*,  a  pour 
titre  :  Recherches  des  Antiquités  de  lu  ville  de  Paris. 


AlTiÈS  LES  DEUX  SIÈGES  (1870-J871) 


Le  chapitre  qu'un  vient  délire  était  écrit,  ou  le  com- 
prend, depuis  assez  longtemps  déjà,  car  notre  livre  allait 
être  mis  sous  presse  quand  éclata  la  guerre  (juillet 
1870).  Au  lendemain  de  l'armistice,  nous  écrivions  : 

Ce  paragraplie,  qui  nous  avait  paru  si  curieux  à 
reproduire  naguère,  a  singulièrement  perdu  de  son 
actualité  et  de  son  piquant  aujourd'hui.  Dans  Paris 
assiégé,  dans  Paris  ville  de  guerre,  plus  de  bourgeois 
passionnés  du  luxe  et  du  bien-être,  plus  de  négociants  et 
de  banquiers  ne  songeant  qu'à  la  Bourse  et  aux  affaires, 
mais  des  milliers  et  des  milliers  de  braves  soldats,  ardents 
àl'exerciceet  soucieux  seulement  de  bonnes  armes,  afin 
de  pouvoir  faire  hardiment  face  à  l'ennemi.  Les  Pari- 
siennes, elles  aussi,  ne  se  préoccupent  plus,  oh  !  plus  du 
tout,  de  la  toilette,  mais  des  graves  devoirs  de  la  mère 
de  famille  et  des  soins  de  la  ménagère,  et  simplement 
vêtues,  courent  dès  le  matin  au  marclié  à  moins  qu'elles 
ne  s'empressent  pour  aider  ou  suppléer  au  besoin  la 
sœur  de  charité  dans  les  ambulances. 

C'est  donc  en  toute  vérité  qu'un  éminent  académicien 
auquel  cette  fois  on  ne  peut  qu'applaudir,  disait  récem- 


\20  LES    RUFS    DE    PARIS. 

mont  dans  une  conférencii  au  profit  des  blessés  :  «  Je  ne 
vous  dirai  pas,  comme  ou  le  répète  trop,  que  vous  êtes 
sublimes,  que  vous  emportez  l'admiration  du  monde  ; 
nuu  î  Je  vous  dirai  simplement,  ce  qui  est  bien  plus 
fort,  selon  moi,  que  vous  êtes  redevenus  honnêtes! 
Avec  l'honnêteté  a  reparu  un  mot  que  je  n'ai  pas  en- 
tendu vingt  fois  en  vingt  ans  sur  les  boulevards,  et  que 
je  trouve  maintenant  sur  toutes  les  bouches  ;  c'est  le  mot 
devoir.  Tous  rencontrez  un  ami  qui  revient  du  rem- 
part, fatigué,  blêmi  ;  vous  le  plaignez  :  «  Que  voulez- 
vous,  »  mon  cher,  vous  répond-il,  il  faut  faire  sou 
devoir.  » 

((  ....  Brave  et  cher  Paris  !  je  m'étonne  toujours  d'en- 
tendre dire  qu'il  est  triste  d'aspect  !  Paris  triste  !  Je  ne 
l'ai  jamais  trouvé  si  beau  !  Oui,  ce  Paris  cerné,  bloqué, 
bastionné,  sans  chemins  de  fer,  sans  spectacles,  sans 
gaz,  et  se  découronnant  par  ses  propres  mains  des  forêts 
qui  l'environnent  comme  une  veuve  <{ui  coupe  sa  cheve- 
lure en  signe  de  deuil,  ce  Paris  me  semble  mille  fois  plus 
brillant  que  dans  ses  beaux  jours  de  fête!...  Que  dis-je  ? 
plus  brillant  même  que  dans  ces  incomparables  mois  de 
l'Exposition  universelle,  où  il  donnait  une  hospitalité 
si  loyale  et  si  cordiale  à  ceux  qui  l'égorgent  aujourd'hui. 
Car  Paris  alors  n'exposait  que  son  génie  ;  aujourd'hui, 
il  expose  aux  yeux  du  monde  quelque  chose  qui  vaut 
mille  fois  plus  que  toutes  les  merveilles  de  l'industrie, 
delà  science  et  de  l'art  :  son  àme.  » 

Un  confrère  deM.E.  Legouvé,  M.  Vitet,  auquel  nous 
devons  tant  de  beaux  travaux  sur  l'art,  faisant  trêve  à 
ses  chères  études,  a  écrit  aussi  sur  Paris  assiégé  des  pages 
éloquentes  dont  nous  détachons  avec  bonheur  ce  frag- 


APRÈS    LES    DEUX    SIÈGES  121 

ment:  «  ...En  attcudanlot  tiuoi  (|u'uii  lasse,  je  (Iciiiamlc 
à  Paris  île  reprendre  an  pins  vite  cette  màlc  attitnde  (pii 
[H'iidaiit  six  semaines  Ini  a  fait  tant  d'honnenr....  Lais- 
sons-là  ces  idées  d'atermoiements,  de  snspension  de 
siège,  d'armistice  et  d'accommodement  ;  pensons  à  la 
défense  et  ne  pensons  qu'à  elle. 

«  Ne  rêvez  plus  théâtres  rouverts  ,  promenades, 
voyai^es,  libres  correspondances  ;  ne  laissez  pas  votre 
imagination  savourer  ces  fruits  défendus  ;  parcourez  le 
rempart,  et,  du  dehors  surtout,  regardez  cette  ville  à 
l'aspect  si  nouveau,  si  désolé,  si  nu,  si  grandiose  et  si 
fier.  Regardez  cet  immense  espace  qui  vous  sépare  des 
hastions,  puis,  en  levant  la  tète,  ces  longues  files  hori- 
zoîitales  qui  vous  transportent  en  idée  au  fond  des 
grandes  landes  ou  devant  les  dunes  de  la  mer. 

«  Il  y  a  des  gens  à  qui  ce  spectacle,  ces  audacieux  tra- 
vaux et  ces  canons  montrant  leur  gueule  aux  échan- 
crures  des  tertres  de  gazon,  causent  une  sorte  de  serre- 
ment de  cœur  ;  qui  en  détournent  les  yeux,  ne  pensant 
({u'aux  douleurs  et  aux  larmes  dont  ils  ont  devant  eux 
le  triste  avertissement.  Sans  me  croire  insensible,  je 
confesse  que  chez  moi  le  premier  mouvement  devant  ce 
Paiis  transfiguré  est  une  sorte  de  satisfaction  intérieure 
que  tout  cela  soit  comme  sorti  de  terre,  sipromptement, 
si  noblement,  sous  les  yeux  et  avec  le  concours  de  cette 
population  frivole  et  généreuse.  Tout  n'est  donc  pas 
perdu,  puisque  de  tels  élans  paitent  encore  de  nous! 
Aussi,  quand  il  m'arrive  de  penser  que  peut-être  nos 
maux  auront  un  terme,  et  qu'on  pourrait  encore  s'occu- 
per quelque  jour  des  embellissements  de  Paris,  le  pre- 
mier que  je  rêve  est  de  lui   maintenir   sa  couronne 


1--  LI£S    KUES    DE    PARIS. 

guerrière,  ses  poiits-levis,  ses  cavaliers  et  sjîs  glacis  im- 
menses qui  l'isolent  et  lui  forment  un  si  beau  piédestal. 
Cette  parure  lui  sied,  je  veux  qu'il  la  conserve.  » 

Nous  sommes  pleinement  de  l'avis  de  M.  Yitet. 

Ce  qui  rend  mémorable  à  toujours  cet  efîfort  prodi- 
gieux du  patriotisme,  même  non  couronné  par  la  vic- 
toire suprême,  ce  sont  les  épreuves  que  Paris,  le  Paris 
des  fêtes  et  des  plaisirs  et  des  jouissances  (trop,  bêlas  ! 
mais  noblement  expiées)  a  dû  subir  et  qui,  cbose  singu- 
lière !  semblent  avoir  écbappé  aux  prévisions  des  écri- 
vains cités  par  nous.  Faut-il  parler  de  ces  citadins  liabi- 
tués,  routines,  si  l'on  me  permet  le  mot,  aux  délices  de 
Capoue  et,  du  jour  au  lendemain,  condamnés  aux  plus 
rudes  exercices  de  la  vie  militaire,  aux  veilles  de  nuit 
sur  le  rempart  par  la  pluie^  le  vent,  la  neige,  le  froid  (et 
quel  froid  î),  et  plus  tard  à  l'entrée  en  campagne  par  la 
saison  la  plus  rigoureuse,  quand  le  gel  fait  que  le  fusil 
vous  brûle  presque  les  mains  !  Dirons-nous  les  privations 
en  tout  genre  et  pour  beaucoup  si  pénibles  !  Plus  de 
lait,  plus  d'œufs,  plus  de  légumes  frais  quand  les  autres 
vont  s'épuisant  tous  les  jours  comme  la  viande  de  che- 
val, d'ànon,  de  mulet  ;  quand  la  volaille  devient  un 
mythe,  les  gourmets  ayant  peine  même  à  prix  d'or  ^  à 
se  procurer  un  chat  maigre  ou  quelque  rat  d'égoût.  Pou- 
vons-nous oublier  les  pauvres  femmes,  souvent  si  déli- 

'  Quelques  chiffres  seulement.  Un  poulet  ordinaire  ?e  vendait  de  3  0 
à  40  francs,  un  lapin  idem  ;  une  oie  ou  une  dinde  90  et  100  francs,  la 
livre  de  beurre  36  francs,  un  œuf  2  fr.  50  et  3  francs  (etc.).  Quand 
tant  d'autres  faisaient  preuve  d'un  si  généreux  patriotisme,  il  faut  bien 
reconnaître  que  Messieurs  les  marchands  de  comestibles  songeaient 
.surtout  à  faire  leurs  affaires  en  spéculant  sur  notre  détresse  ! 


APRÈS    LES    DEUX-    SIÈGES  123 

cates,  et  dans  l'intérêt  du  ménage  ,  par  le  temps  le  plus 
rude,  pour  obtenir  un  morceau  de  viande,  ou  leur  part 
de  pommes  de  terre,  se  résignant  à  faire  queue  de 
longues  heures,  des  nuits  entières  parfois  !  Faction  qui 
valait  celle  du  rempart  et,  s'il  faut  le  dire  même,  tout 
autrement  pénible  souvent  ! 

Aussi  M.  Gocliin  n'avait  pas  tort  d'écrire  dans  le 
Français  (i3  décembre  1870)  :  «  C'est  encore  un  beau 
spectacle,  un  bon  résultat,  qui  fait  honneur  aux  femmes 
plus  qu'aux  hommes,  car  ce  mot  que  me  disait  un  jour 
un  pauvre  enfant  est  toujours  vrai  : 

«  Que  fait  ta  maman  ? 

((  —  Elle  fait  la  soupe. 

((  —  Et  ton  papa  ? 

((  —  11  la  mange. 

((  Celles  qui  font  la  soupe  ont  en  ce  moment  une  ad- 
mirable vertu.  »  Assurément.  Toutes  ces  cruelles  misères 
d'ailleurs^  dont  les  écrivains  en  question  ne  semblaient 
point  s'être  douté,  elles  ont  été  supportées  bravement, 
courageusement,  gaîment  même,  non  pas  quelques  se- 
maines, mais  des  mois  et  de  longs  mois. 


11 


Voilà  donc  ce  que  nous  écrivions  au  lendemain  du 
siège  de  Paris  dont,  sans  faire  précisément  l'histoire, 
nous  racontions  quelques  épisodes  glorieux  en  les  fai- 
sant suivre  de  considérations  ou  restrictions.  Celles-ci 
étaient  relatives  au  caractère  trop  humain  des  vertus 
mêmes  que  nous  avions  eu  plaisir  à  louer  ;  après  M.;^Vi- 


124  LES    RUES    DE    PARIS. 

tet,  nous  regrettions  que  l'immense  majorité,  dans  cette 
grande  et  no])le  ville,  au  milieu  de  circonstances  si 
graves,  continuât  de  témoigner  de  sa  profonde  insou- 
ciance au  point  de  vue  religieux,  et,  dans  ce  péril  su- 
prême, au  lieu  d'invoquer  l'intervention  de  Celui  qui 
peut  tout,  parût  s'étonner,  s'indigner  qu'on  essayât  de 
la  rappeler  à  son  devoir  en  l'invitant  à  lever  ses  mains 
vers  le  ciel.  Nous  déplorions  la  tolérance  coupable  du 
gouvernement  comme  de  la  population  en  face  de  scan- 
dales d'impiété  qui  auraient  dii  soulever  l'indignation 
générale  ;  nous  étions  comme  forcé  d'attribuer  le 
malheur  de  la  défaite  à  cette  demi-complicité  comme  à 
l'orgueil  insensé  qui  avait  fait  qu'en  s'exaltant  dans  la 
confiance  exagérée  de  sa  force,  on  n'avait  jamais  paru 
compter  (au  moins  le  grand  nombre)  que  sur  soi-même 
et  sur  son  courage  aidé  de  bonnes  armes,  cliassepots  et 
canons.  Dans  cette  capitulation  nouvelle  et  dernière, 
hélas  î  qui  avait  été  pour  nous  comme  pour  tout  bon 
Français  une  humiliation  profonde  et  une  si  poignante 
douleur,  il  nous  était  difficile  de  ne  pas  voir  un  châti- 
ment, châtiment  pour  la  France  comme  pour  Paris. 

Mais  combien  nous  étions  loin  de  prévoir  que,  pour 
celle-ci,  pour  la  cité  reine,  ce  n'était  qu'un  avant-goût, 
et  comme  un  léger  essai,  une  sorte  d'avertissement  des 
justices  d'en  haut,  avertissement  qui,  dédaigné  bien 
loin  d'être  compris,  (témoin  les  élections  attestant,  bien- 
tôt après,  une  aberration  si  prodigieuse  et  de  si  furieux 
instincts  de  désordre,)  allait  attirer  sur  nous,  par  l'insur- 
rection du  18  mars,  un^cl  déluge  de  calamités!  On  sait 
le  reste  et  la  folie  furieuse  de  cette  tyrannie  jacobine, 
socialiste,  athée  qui,  pendant  deux  mois,  a  tenu  la 


Al'RÈS    LES    DEUX    SIÈGES  125 

France  eu  échec  et  Paris  dans  un  si  rude  esclavage  eu 
]»illant  les  caisses  pu])liques,  emprisonnant  les  prêtres 
et  les  notables,  profanant  rt  <lévastant  les  églises,  for- 
çant, sous  peine  de  mort,  les  citoyens  à  combattre  pour 
une  cause  à  leurs  yeux  exécrable  et  maudite.  Puis, 
quand  enfin  cette  abominable  cause  semble  définitive- 
ment perdue,  ces  scélérats,  les  pires  de  tous,  se  vengent 
par  des  crimes  sans  nom,  par  l'assassinat  de  sang-froid 
d'un  archevêque,  de  prêtres  vénérables,  de  courageux 
magistrats,  de  pauvres  soldats  désarmés  !  Ils  se  vengent, 
les  infâmes,  avec  le  concours  des  galériens  et  autres, 
par  l'incendie  allumé  sur  tous  les  points  de  la  capitale  et 
par  des  moyens,  comme  avec  un  ensemble  qui  annonce 
une  satanique  préméditation.  Les  paroles  manquent 
pour  qualifier  de  tels  forfaits  qui  rendront  infâmes  à 
jamais  ces  noms  de  Commune,  Communeux,  Interna- 
tionale, et,  il  faut  bien  le  dire,  font  maudire  par  la 
France,  par  l'Europe  entière,  ceux  qui  servent  d'instru- 
ments toujours  dociles  aux  sectaires  et  révolutionnaires, 
j'entends  les  Parisi'ns  f  ^lais  nous  Parisien,  et  vraiment 
natif  de  la  grande  cité,  chose  assez  rare  parmi  ceux  qui 
l'habitent,  nous  croyons  qu'à  cela,  il  y  a  manque  de 
réflexion  comme  de  justice  et  nous  sommes  heureux  de 
voir  que  nous  ne  sommes  pas  seul  de  notre  avis  et  que 
d'autres  aussi  protestent.  Nous  ne  pouvons  qu'applaudir 
du  cœur  et  des  mains  au  langage  de  M.  Victor  Cochi- 
nat,  quand  il  dit  dans  la  Petite  Presse  (juin  1871)  : 

«  Parmi  les  soixante  mille  insurgés  qui  ont  été  tués 
ou  faits  prisonniers  il  n'y  a  pas  six  mille  Parisiens 
réels.  La  plus  grande  partie  de  ces  routiers  sont  venus 
de  l'étranger  ou  sont  nés,  hélas  I  dans  nos  départements. 


126  LES    RUES    DE    TARIS. 

((  Ce  fait  nous  a  été  affirmé  à  Versailles,  par  un  mili- 
taire de  grande  compétence,  sous  les  yeux  duquel 
passent  presque  tous  les  fédérés  qu'on  dirige  vers  nos 
ports. 

))  Oui,  tous  ces  révoltés  de  l'ordre  social  sont  en  majo- 
rité de  nationalité  étrangère,  et  —  chose  ennuyeuse  à 
dire  —  c'est  parmi  les  irréguliers  nés  dans  les  départe- 
ments que  le  Comité  central  a  recruté  la  partie  la  plus 
énergique  de  sa  triste  armée. 

»  Ce  renseignement  nous  a  soulagé,  car  enfin  il  était 
pénible  de  penser  que  la  ville  aux  mœurs  si  douces, 
cette  patrie  de  l'élégance  et  de  la  politesse  fût  le  nid  de 
tant  de  voleurs  et  de  pétroleurs  ! 

»  Aussi,  comme  à  l'avenir  le  gouvernement  devra 
veiller  sur  tous  ces  aventuriers,  ces  bohèmes  et  ces 
vagabonds  qui  viennent  à  Paris  de  tous  les  coins  de 
l'horizon  ! 

»  Ce  sont  eux  qui  forment  les  légions  des  guerres 
civiles,  et  qui  se  montrent  les  exécuteurs  les  plus  dociles 
et  en  même  temps  les  plus  farouches  des  ordres  de 
leurs  exécrables  chefs  ! 

»  Ils  se  soucient  bien  de  Paris,  de  sa  beauté,  de  ses 
richesses  et  de  ces  monuments  qui  font  sa  grandeur  I 
Ils  sont  étrangers  !  Pour  gagner  le  salaire  avilissant 
que  les  chefs  de  V Internationale  leur  envoient  sous 
forme  d'assistance,  ils  seront  toujours  prêts  à  porter  le 
fer  et  le  feu  dans  la  cité  où  ils  se  sont  abattus. 

))  Singulière  injustice  ! 

»  Nous  entendons  toujours  les  étrangers  et  les  pro- 


APRÈS    LES    DEUX    SIÈGES  427 

viiK'iaux  murmurer  et  crier  contre  les  Parisiens.  Ce 
sont  les  Parisiens  qui  font  tout  le  mal  ;  ce  sont  eux  qui 
troublent   le  repos   public   en  France  et  en  Europe  ! 

»  Maudits  Parisiens  î  Sans  eux  tout  serait  tran(iuille, 
et  les  campagnards  vendraient  leurs  denrées  à  des  prix 
fabuleux...  Or,  quels  sont  ceux  qui  font  les  révolutions 
à  Paris?  quels  sont  les  émeutiers  de  profession?  Ce  sont 
les  étrangers,  ou  bien  des  gens  nés  hors  Paris. 

»  11  faut  être  juste  aussi  et  ne  pas  toujours  mettre 
sur  le  compte  des  Parisiens  les  mauvaises  actions  des 
aventuriers  du  monde  ! 

))  M.  Thiers  a  fort  bien  expliqué  la  cause  de  cette 
injustice  dans  le  discours  qu'il  fit  à  Bordeaux  à  propos 
de  l'installation  de  l'Assemblée  à  Versailles. 

»  —  Paris  ne  fait  pas  les  révolutions,  a  dit  l'habile 
orateur,  il  est  le  lieu  où  on  vient  les  faire.  )> 

.\près  ces  réflexions  et  observations  qu'il  nous  a 
paru  préférable  de  ne  point  renvoyer  aux  F«/7V/,  venons 
à  l'historique  des  rues  vieilles  et  nouvelles. 


Abattoir  (rue  de  1')  :  Elle  porte  ce  nom  parce  qu'elle 
se  dirige  vers  l'abattoir  Montmartre. 

Abbaye  {rue  de):  Ce  nom  vient  de  l'ancienne  abbaye  de 
S t- Germain  des  Prés  dont  l'église  actuelle  n'était 
qu'une  dépendance. 

Acacias  (rue  des)  :  A  Neuilly  se  trouvent  non-seule- 
ment une  rue  mais  un  passage  et  une  impasse  qui  por- 
tent ce  nom.  Aussi,  nulle  part  ailleurs  aux  environs  de 
Paris,  ces  beaux  arbres,  importés  d'Afrique,  ne  se 
voient  en  plus  grand  nombre.  A  l'époque  de  la  florai- 
son, tout  chargés  et  constellés  de  ces  longues  grappes 
blanches  qui  répandent  dans  l'air  un  parfum  délicieuxj 
ils  offrent  à  l'œil  un  ravissant  spectacle.  Aux  premiers 
rayons  du  soleil  et  par  une  belle  matinée,  se  promener 
dans  les  allées  des  Sablons  est  un  plaisir  que,  je  ne  dis 
pas  le  citadin,  mais  l'habitant  des  villas  d'alentour 
n'apprécie  pas  autant  qu'il  le  devrait. 

Il  y  a  une  rue  des  Acacias  à  Montmartre  et  un  pas- 
sage de  ce  nom  à  Vaugirard. 

A</am,  (rue)  :  Adam  Billaut,  dit  maître  Adam,  le  poète 
menuisier  de  Nevers,  mort  en  1662.  «  Maître  Adam, 
dit  Feller,  était  contemporain  de  Malherbe  ;  mais  loin 
de  vivre  comme  lui  dans  le  monde  lettré  ou  au  milieu 
de  la  cour,  un  travail  pénible  et  grossier  prenait  tous 
ses  instants.  Néanmoins  dans  ses  beaux  morceaux,  dans 


A.  129 

ceux  où  il  est  poète  par  le  cœur.  Maître  Adam  est  peut- 
être  plus  correct  que  Mallior])e  et  l'inspiration  lui  révèle 
tout  à  coup  des  secrets  d'harmonie  qu'une  étude  labo- 
rieuse apprenait  lentement  au  rival  de  Ronsard.  » 

La  première  édition  des  poésies  d'Adam  Billaut  parut 
en  lG4i  :  En  tète  du  volume  se  lisait  un  sonnet  à  la 
louange  du  poète  menuisier  et  signé  de  ce  grand  nom  : 
Pierre  Corneille.  Citons  seulement  les  deux  tercets  : 

Nous  savons,  dirent-ils  ',  le  pouvoir  d'un  métier  ; 

Il  sera  fameux  poète  et  fameux  menuisier, 

Afin  qu'un  peu  de  bien  suive  beaucoup  d'estime. 

A  ce  nouveau  parti  l'ùme  les  prit  au  mot, 
Et,  s'assurant  bien  plus  au  rabot  qu'à  la  rime. 
Elle  entra  dans  le  corps  de  maître  Adam  Billaut 

Affre  (rue):  Un  monument,  dans  l'église  Notre-Dame, 
a  été  élevé  à  la  mémoire  de  ce  prélat  dont  l'histoire 
comme  la  poésie  se  sont  plu  à  glorifier  l'héroïque 
dévouement,  lors  des  journées  de  juin  1848.  Est-il 
besoin  de  rappeler  que,  victime  ou  plutôt  martyr  de 
son  zèle,  il  tomba  mortellement  atteint  d'une  balle  en 
franchissant  une  barricade,  alors  que,  pour  mettre  fin  à 
la  guerre  civile,  il  portait  des  paroles  de  paix  aux 
insurgés  du  faubourg  St-Antoine?  Le  bon  Pasteur  donne 
sa  vie  pour  ses  brebis  !  Cette  sainte  parole  du  divin 
Maître  s'applique  admirablement  au  disciple,  Denis 
Auguste  Afïre. 
■    Aguesseau  (rue  d')  :  François  d'Aguesseau,  chancelier 

'  Apollon  et  Orphée. 


130  LES    RUES    DE    PARIS. 

de  France,  né  à  Limoges  en  1668,  mort  en  1751.  Cet 
ilUistre  magistrat  se  distinguait  par  la  fermeté  du  carac- 
tère, la  gravité  des  mœurs,  la  haute  intelligence  unie  à 
une  science  profonde.  Sa  vertu  toutefois  n'était  pas 
exempte  de  quelque  alliage,  et  d'après  son  dernier 
historien,  M.  Marc  Monnier,  ce  chrétien  des  anciens 
jours  ne  savait  pas  assez  se  défendre  des  préjugés  de 
son  Ordre  et  de  certaines  tendances  gallicanes,  jansé- 
nistes (etc). 

Aiguillerie  (rue  de  1')  :  Ce  nom  lui  vient  des  marchands 
d'aiguilles  qui  y  demeuraient.  Lebœuf  et  Robert  ont 
cru  reconnaître  dans  cette  rue  celle  que  Guillot  appelle  : 
Rue  à  petits  souliers  de  Bazenne. 

Alembert  (rue  d')  :  ....  a  M.  d'Alembert,  écrivait 
»  Ducis,  qui  a  vécu  si  agité  et  si  tourmenté,  repose 
))  maintenant  peut-être  à  côté  de  quelque  porteur  d'eau 
»  qui  a  supporté  sa  condition  avec  patience  et  par  carac- 
))  tère  était  cent  fois  plus  philosophe  que  ui.  )) 

On  connaît  les  vers  de  Gilbert  : 

Et  ce  froid  d'Alembert,  chancelier  du  Parnasse, 
Qui  se  croît  un  grand  homme  et  fit  une  préface. 

Alain  Chartier  (rue)  :  Le  poète  Alain  Chartier,  né  en 
1386,  mourut  en  1458  ;  il  ne  faut  pas  le  confondre  avec 
Jean  Chartier  auteur  d'une  Histoire  de  Charles  Vil, 
écrite  im  peu  trop  sans  doute  sur  le  ton  du  panégyrique, 
mais  qui  d'ailleurs  offre  des  détails  intéressants.  Le  dé- 
faut de  critique  est  compensé,  dans  une  certaine  mesure, 
par  le  charme  de  la  narration,  les  agréments  du  style 
et  des  portraits  bien  touchés. 


A.  431 

Aligre  (ruo  d')  :  Etienne  d'Alij^^re  (ISGO-lGSo)  fut 
chancelier  de  France  aussi  bien  que  son  fils  né  en  1502 
et  mort  en  1G77.  Le  dernier  descendant  de  cette  famille, 
le  marquis  d'Aligre,  né  en  1770,  mort  en  1847,  en  lais- 
sant une  immense  fortune,  dut  aux  millions  qu'il  avait 
su  acquérir,  dans  ce  siècle  positif,  une  sorte  de  célébrité. 
Mais  qui  maintenant  songe  à  ce  défunt  Crésus,  non  pas 
même  peut-être  ceux  qui  jouissent  de  ses  trésors? 

Ambroise  Paré  (rue)  :  Né  en  1517,  mort  en  1590,  ce  cé- 
lèbre praticien,  dont  le  zèle  égalait  la  science,  et  qui  fut 
cher  au  roi  Henri  II  comme  à  ses  trois  fds,  doit  être 
regardé  comme  le  Père  de  la  chirurgie  on  France.  Il  a 
laissé  de  nombreux  écrits  qui  prouvent  que  chez  lui  la 
théorie  savante  se  déduisait  de  l'expérimentation  et  de 
la  pratique. 

Amélie  (rue)  :  Cette  rue  n'est  point  très  ancienne. 
Elle  s'appelait  autrefois  Rue  Projetée,  nom  qu'en  1824, 
par  suite  d'une  décision  du  ministre  de  l'intérieur,  elle 
échangea  contre  celui  qu'elle  porte  actuellement  en 
souvenir  de  iVr"'  Amélie,  fille  de  M.  Pihan  de  laForest, 
l'un  des  principaux  propriétaires  riverains.  Cette  jeune 
personne,  morte  à  l'âge  de  15  ans,  avait  été,  dans  sa 
courte  existence,  un  modèle  accompli  des  plus  touchantes 
vertus. 

Et  rose,  elle  a  vécu  ce  que  vivent  les  roses  î 

Mais  n'était-ce  pas  plutôt  un  lys,  et  le  plus  beau  de 
tous,  que  cette  céleste  enfant,  cette  sœur  des  anges^  à 
qui  sa  robe  d'innocence  servit  de  linceul  et  qui  laissait 
après  elle  un  tel  parfum  de  piété  et  de  sainteté  ? 


132  LES    RUES    DE    PARIS. 

Amelot  (rue)  :  Amelot,  ministre  du  roi  Louis  XVI, 
est  mort  dans  la  prison  du  Luxembourg  en  1794.  Est-ce 
lui  qui  a  donné  son  nom  à  la  rue  et  non  pas  plutôt  cet 
Amelot  dont  La  Bruyère  nous  a  laissé  le  portrait  et  qui 
demeurait  rue  Vieille  du  Temple  :  «  Un  bourgeois 
(Amelot)  aime  les  bâtiments  ;  il  se  fait  bâtir  un  hôtel  si 
beau,  si  riche  et  si  orné  qu'il  est  inhabitable  :  le  maître 
honteux  de  s'y  loger,  ne  pouvant  peut-être  se  résoudre 
à  le  louer  à  un  prince  ou  à  un  homme  d'affaires,  se 
retire  au  galetas  où  il  achève  sa  vie  pendant  que  l'en- 
filade et  les  planchers  de  rapport  sont  en  proie  aux 
Anglais  et  aux  Allemands  qui  voyagent  et  qui  viennent 
là  du  Palais- Royal,  du  palais  Lesdiguières  et  du  Luxem- 
bourg. On  heurte  sans  fin  à  cette  belle  porte  :  tous  de- 
mandent à  voir  la  maison  et  personne  à  voir  Monsieur.» 

Anglais  (rue  des)  : 

Et  parmi  la  rue  aux  Anglais 

Vins  à  grand  feste  et  à  grand  glais  (bruit)  '. 

> 

Ce  nom  lui  vient,  selon  toute  apparence,  du  long  sé- 
jour que  les  Anglais  firent  en  France,  au  temps  de 
Charles VI  etde  Charles  VII  (1415  àl4o0).  Delà,  suivant 
les  vieux  auteurs,  le  proverbe  :  «  7/  y  a  des  Anglais  dans 
cette  rue,  pour  dire  :  je  dois  de  l'argent  à  quelqu'un  de 
ceux  qui  y  demeurent,  je  n'y  veux  pas  passer.  »  «  Car 
enfin,  ajoute  Sauvai,  l'église  de  Notre-Dame,  ni  la  Bas- 
tille et  quelques  autres  édifices  semblables  ne  sont  point 
d'eux  ;  ils  n'ont  rien  fait  ici  ni  par  toute  la  France, 

>  Le  dit.  des  Rues  de  Paris, 


A.  J33 

qu'entasser  ruines  sur  ruines.  J'en  excepte  le  duc  de 
Bedfort,  car  celui-là  prenait  plaisir  à  agrandir  ses  palais 
et  à  les  rendre  plus  logeables;  pour  les  autres,  ils  n'ont 
eu  autre  soin  que  de  s'enrichir  de  la  dépouille  des  Pari- 
siens. )) 

L'opinion  de  Sauvai,  quant  à  l'origine  de  cette  rue, 
adontée  par  le  plus  grand  nombre  des  auteurs  et  qui  a 
pour  elle  la  vraisemblance,  est  néanmoins  contredite 
par  le  savant  Jaillot  :  «  Cette  opinion,  dit-il,  ne  me 
parait  pas  admissible,  la  rue  des  Anglais  étant  ainsi  nom- 
mée plus  de  deux  siècles  avant  le  règne  de  Charles  YI. 
N'est-il  pas  plus  vraisemblable  d'en  attribuer  l'origine 
aux  Anglais  que  la  célébrité  de  notre  Université  enga- 
gea de  venir  s'instruire  à  Paris,  et  dont  le  nombre  était 
si  grand  dès  les  commencements  qu'ils  formèrent  une 
des  quatre  Nations  qui  composaient  ce  corps,  à  laquelle 
on  a  depuis  donné  le  nom  de  Nation  d'Allemagne,  au 
lieu  de  celui  d'Angleterre  qu'elle  portait  auparavant  et 
qu'elle  n'a  gardé  que  jusque  en  1436,  époque  à  laquelle 
on  ne  la  retrouve  plus  sur  les  registres  de  l'Univer- 
sité '.  » 

Quoiqu'en  dise  Jaillot,  la  première  opinion  me  parait 
préférable. 

Anglade  (rue  de  1')  :  Nom  d'un  propriétaire  de  l'un 
des  terrains  sur  lequel  s'ouvrit  la  rue. 

Sainte-Anne  (rue).  (Quartier  du  Palais-Royal):  Ce  nom 
lui  fut  donné  en  l'honneur  d'Anne  d'Autriche,  femme  de 
Louis  XIIT  «  qui,  dit  un  contemporain  ^  n'aima  point  la 

*  Jaillot.  —  Recherches  sur  Paris,  1772. 
'  Madame  de  Motteville. 
TOME  ni.  8 


13i  LES    RUES    DE    PARIS. 

reine  autant  qu'elle  le  méritait  ;  car  il  courut  toute  sa 
vie  après  des  bètes  ou  se  laissa  gouverner  par  des  favo- 
ris. )) 

Quel  séduisant  portrait  cependant  l'historien,  qui 
peint  d'après  nature,  nous  fait  de  la  princesse  !  «Grande 
et  bien  faite,  elle  a  une  mine  douce  qui  ne  manque 
jamais  d'inspirer  l'amour  et  le  respect...  Ses  yeux  sont 
parfaitement  beaux,  le  doux  et  le  grave  s'y  mêlent 
agréablement....  Sa  bouche  est  petite  et  vermeille,  et  la 
nature  lui  a  été  libérale  de  toutes  les  grâces  dont  elle 
avait  besoin.  Par  un  de  ses  sourires  elle  peut  acquérir 
mille  cœurs.  Ses  cheveux  sont  beaux  et  leur  couleur 
châtain- clair  ;  elle  en  a  beaucoup.  Ses  mains  qui  ont 
reçu  des  louanges  de  toute  l'Europe,  qui  sont  faites  pour 
le  plaisir  des  yeux,  pour  porter  un  sceptre  et  pour  être 
admirées,  joignent  l'adresse  avec  une  extrême  blan- 
cheur... Elle  n'est  pas  esclave  de  la  mode,  mais  elle  s'ha 
bille  bien. 

«  La  nature  lui  a  donné  de  belles  inclinations  ;  ses 
sentiments  sont  tous  nobles  :  elle  a  l'âme  pleine  de  dou- 
ceur et  de  fermeté.  Dans  sa  plus  grande  jeunesse,  elle  a 
donné  des  marques  de  dévotion  et  de  charité...  Les 
vertus  avec  les  années  se  sont  fortifiées  en  elle,  et  nous 
la  voyons  sans  relâche  prier  et  donner...  La  vertu  de  la 
reine  est  solide  et  sans  façon  ;  elle  est  modeste  sans  être 
choquée  de  l'innocente  gaîté  et  son  exemplaire  pureté 
pourrait  servir  d'exemple  à  toutes  les  femmes.  Elle  croit 
facilement  le  bien  et  n'écoute  pas  volontiers  le  mal. . .  Elle 
est  douce,  afifable,  familière  avec  tous  ceux  qui  l'appro- 
chent et  ont  l'honneur  de  la  servir.  Elle  a  beaucoup  d'es- 
prit et  ce  qu'elle  ena  est  tout  à  faitnatujel...  Il  semble 


A.  35 

(|ut;  la  reine  était  née  pour  reinire  par  sou  amitié  le  feu 
roi  le  plus  heureux  mari  du  monde  ;  et  certainement  // 
l'aurait  été  s'il  avait  vouhi  l'être.  » 

Tant  il  est  vrai,  comme  dit  le  Saint  Livre  quon  est 
toujours  puni  par  oh  l'on  pèche. 

Antin  (chaussée  d')  :  Cette  rue  est  relativement  ré- 
cente; car,  au  commencement  du  IT'^  siècle,  ce  n'était 
qu'un  chemin  tortueux  qui,  de  la  porte  Gaillon,  se  diri- 
i^eait  vers  les  Porclierons  (l)arrière  des  Martyrs).  On 
l'appelait  indifteremment  chemin  de  l'Egovt  Gaillon,  des 
Porcherons,  de  la  Chaussée  d' Antin.  Le  pré  des  Porche- 
rons  était  pour  les  roués  de  la  Régence  ce  que  le  Préaux 
Clercs  avait  été  naguère  pour  ceux  du  moyen- âge.  Par 
un  arrêt  du  Conseil  du  ÎU  juillet  J720,  le  chemin  fut 
rectifié  et  élargi  ;  des  maisons  s'élevèrent  régulièrement 
de  chaque  côté,  la  nouvelle  voie  prit  le  nom  de  rue  de 
V Hôtel  Dieu,  parce  qu'elle  conduisait  à  une  ferme  de  cet 
hôpital  :  puis  ce  nom  fut  cJiangé  en  celui  de  Chaussée 
d' Antin  parce  que  la  rue  commençait  au  rempart  en  face 
duquel  avait  été  bâti  l'hôtel  d'Antin. 

En  1791,  nouveau  changement.  Mirabeau,  le  grand 
orateur  de  la  Révolution,  étant  mort  dans  cette  rue,  à 
l'hôtel  qui  porte  aujourd'hui  le  n°  42,  l'Assemblée  Na- 
tionale, sur  la  proposition  de  Bailly,  décida  que  la  rue 
s'appellerait  désormais  rue  de  Mirabeau.  Au-dessus  de 
la  porte  de  l'hôtel  où  le  célèbre  tribun  avait  rendu  le 
dernier  soupir,  on  plaça  une  plaque  de  marbre  noir  sur 
laquelle  se  lisaient  ces  vers  en  lettres  dorées  : 

L'âme  de  Mirabeau  s'exhala  dans  ces  lieux. 
Hommes  libres,  pleurez,  tyrans,  baissez  les  yeux. 


13(5  LES    RUES    DE    PARIS. 

La  mémoire  de  Mirabeau  devenue  impopulaire,  Tinscrip- 
tion  fut  enlevée  et  la  rue  se  nomma  du  Mont-Blanc,  en 
souvenir  de  la  réunion  de  ce  département  à  la  France. 

En  1816,  elle  reprit  son  appellation  monarchique  de 
Chaussée  d'Antin  qui,  cette  fois,  paraît  devoir  lui  rester. 

A  propos  des  constructions  nouvelles  et  luxueuses  qui 
s'élevaient  dans  la  Chaussée  d'Antin  au  commencement 
du  XYIP  siècle,  je  trouve  dans  un  auteur  contemporain 
(1725)  une  page  des  plus  curieuses  et  qu'on  me  saura 
gré  de  transcrire  :  «  Tout  ce  quartier,  dit  Germain  Brice  *, 
»  ainsi  que  bien  d'autres  de  la  ville  autrefois  négligés  et 
»  absolument  inhabités,  se  remplissent  de  nos  jours 
»  d'une  quantité  extrême  de  maisons  pour  lesquelles  on 
»  fait  des  dépenses  prodigieuses  par  le  secours  des  nou- 
))  velles  fortunes  ;  si  ces  entreprises  continuent  de  la 
»  sorte,  la  ville  de  Paris,  sans  bornes,  comme  elle  a  été 
»  jusqu'à  présent,  s'étendra  à  l'infini  et  pourra,  dans  la 
))  suite  des  temps,  tomber  dans  le  triste  inconvénient  de 
»  ces  fameuses  et  superbes  villes  dont  l'histoire  fait 
))  mention,  qui  se  sont  détruites  par  le  luxe  immodéré, 
))  et  par  leur  grandeur  même,  telles  que  Thèbes,  Mem- 
))  pliis,  Palmyre,  Babylone,  Héliopolis,  Persépolis,  Leptis 
»  et  Rome  môme,  qui  n'est  plus  à  présent  qu'un  sque- 
»  lette  décharné  de  ce  qu'elle  était  dans  sa  splendeur, 
»  sans  parler  de  beaucoup  d'autres  villes  fameuses  dont 
»  l'histoire  fait  mention.  Si  l'on  consulte  la  bonne  poli- 
»  tique,  on  ne  doit  pas  souffrir  qu'il  se  trouve  une  ville 
))  dans  un  état  qui  surpasse  autant  les  autres  par  sa 
))  grandeur,  et  par  conséquent  par  sa  puissance  et  par 
»  le  nombre  de  ses  habitants.  » 
'  Description  de  la  Ville  de  Paris  —  4  vol.  iQ-l2  —  1725. 


A.  137 

Ne  dirait-un  pas  ce  paragraphe  écrit  d'hier  ?  L'auteur 
cepeiuîant  tenait  la  plume  il  y  a  quehjue  cent  (juarante 
ans.  Que  dirait-il  aujourd'hui  ? 

Sainf-Anfoine  (rue)  ;  Formait  autrefois  plusieurs 
voies  portant  des  noms  diiiërents  :  rue  de  la  Porte  Bau- 
doyer,  de  YAûjle,  et  du  Pont  Pern'n.  Sou  nom  uniijue 
lui  vient  d'une  abbaye  à  laquelle  le  chemin  conduisait. 
Dans  cette  rue,  près  de  la  première  porte  ou  bastille 
Saint-Antoine,  fut  massacré  Etienne  Marcel,  le  trop  fa- 
meux prévôt  des  marchands,  qui  voulait  livrer  Paris  au 
roi  de  Navarre,  Charles-le-Mauvais  (1358). 

Dans  cette  rue  encore  eut  lieu  le  dernier  tournoi  où 
Henri  II  tomba  frappé  à  mort  par  le  tronçon  de  lance  du 
comte  de  Montgommery,  meurtrier  involontaire  d'ail- 
leurs (1559). 

A  l'extrémité  de  cette  voie  enfin,  sur  la  place  qui 
porte  ce  nom,  s'élevait  la  forteresse  dite  de  la  Bastille, 
bâtie  par  Hugues  Aubriot,  prévôt  de  Paris,  sous 
le  règne  de  Charles  Y  (1369),  et  qui,  défendue  seulement 
par  quelques  soldats  invalides,  fut  prise  par  le  peuple,  le 
1  i  juillet  1789,  puis  démolie. 

A  l'entrée  de  la  rue,  on  voyait  autrefois  aussi  une 
Porte  triomphale,  construite  par  l'architecte  Blomlcl, 
qui  donna  les  dessins  des  portes  Saint-Denis  et  Saint- 
Martin.  Elle  fut  démolie  en  1777  parce  qu'elle  gênait  la 
cii'culation. 

Arbalète  (rue  de)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Arago{Tuë):  François  Arago, notre  contemporain, célè- 
breastronome,  né  en  1786,mort  à  Paris  en  1853, secrétaire 
perpétuel  de  l'académie  des  sciences,  directeur  de  l'Ob- 
servatoire. Doué  d'une  rare  facilité  d'élocution,  d'une 
TOME  m.  8* 


138  LES    RUES    DE    PARIS. 

parole  singulièrement  lucide,  il  avait  au  plus  haut  degré 
le  talent,  en  vulgarisateur  émérite,  de  mettre  la  science 
à  la  portée  des  ignorants.  Il  a  laissé  de  nombreux  ou- 
vrages et  en  particulier  trois  volumes  de  Notices  écrites 
avec  élégance  et  avec  l'accent  de  la  sincérité.  Celle  de 
Gay-Lussac  en  particulier  nous  a  frappé. 

Arbre-Sec  (rue  de  1')  :  A  pris  son  nom  d'une  ensei- 
gne. Suivant  quelques  auteurs,  c'est  à  l'extrémité  de 
cette  rue,  à  l'endroit  où  elle  fait  angle  avec  la  rue  saint 
Honoré  et  là  même  où  s'élève  la  Fontaine,  qu'eut  lieu 
l'exécution  de  la  reine  Bruneliilde  ou  Brunehaut,  traînée 
à  la  queue  d'une  cavale  indomptée  par  l'ordre  de  Clo- 
taire  II.  «Lors  commanda  le  roi  qu'elle  fût  liée,  par  les 
hras  et  par  les  cheveux,  à  la  queue  d'un  jeune  cheval 
qui  oncques  (jamais)  n'eût  étiî  dompté,  et  traînée  par  tout 
l'ost  (armée).  Ainsi  comme  le  roi  commanda  fut  fait  ;  au 
premier  coup  que  celui  qui  était  sur  le  cheval  férit  des 
éperons,  il  le  lança  si  raidement  qu'il  fit  la  cervelle  voler 
des  deux  pieds  de  derrière.  Le  corps  fut  traîné  parmi  les 
buissons,  par  épines,  par  monts  et  vallées,  tant  qu'elle 
(Brunehaut)  fut  toute  dérompue  des  membres  *.  » 

Jeanne d' Arc  {yuQeX\)\^iie):  Dans  les  notes  du  chant 
XP  de  la  traduction  de  VEnéide  par  Barthélémy,  je 
trouve  sur  notre  Héroïne  une  page  remarquable  et  qui 
emprunte  un  intérêt  particulier  au  nom  de  l'auteur.  Il 
est  admirable  de  voir  le  satirique  passionné  de  la  Villé- 
liade,  de  la  Xé)nésis,  des  Journées  de  la  Révolution,  etc., 
tenir  ce  langage  que  nous  avons  plaisir  à  reproduire  : 
«  La  seule  grande  ligure  de  femme  qui  surpasserait  et 

'  Chroniques  de  Saint-Denis,  T.  l". 


A.  139 

CloriiKh;  et  Camille  et  toutes  les  j^aierrièrcs  et  amazones 
(hîs  temps  falmleux  ou  modernes,  la  seule  digne  encore 
(tujourdliui  de  nuinter  sur  le  /)icklesfal  (.'jn'que,  et  de  donner 
à  notre  litt»''rature  une  illustration  (|ui  lui  manque,  c'est 
notre  Jeanne  d'Orléans  si  guerrière,  si  sainte,  si  inspi- 
rée, si  chevaleresque,  si  digne  du  respect  de  toutes  les 
générations  et  si  lâchement  assassinée  par  les  Anglais,  par 
Chapelain  et  par  Voltaire.  » 

Ces  lignes  sont  de  celles  qui  honorent  la  mémoire  de 
llarthélemy  mort  récemment  et  presque  oublié  après 
avoir  fait  tant  de  bruit  naguère. 

Argenson  (rue  d')  :  Trois  personnages  de  ce  nom 
furent  ministres,  sous  la  régence  et  sous  Louis  XV. 

Argenteuil  (rue  d')  :  S'appela  ainsi  parce  qu'elle 
fut  bâtie  sur  l'ancien  chemin  ([ui  conduisait  au  village 
d'Argenteuil.  Le  1"  septembre  1G84,  au  n"  18,  mourut 
l'auteur  de  Poli/eucte,  de  Cinna,  des  Horaces,  etc.,  le 
grand  Corneille,  réduit  à  une  telle  détresse  que  Boileau 
devait  solliciter  pour  lui  un  secours  du  roi.  Peu  de 
temps  avant  qu'il  s'alitât,  d'après  ce  qu'on  raconte,  le 
poète  auquel  on  devait  plus  tard  élever  des  statues, 
descendait  péniblement  sa  rue  et  s'arrêtait  devant 
l'échoppe  d'un  savetier  pour  faire  raccommoder  sa 
chaussure,  sans  doute  faute  d'une  seconde  paire  qui  lui 
permit  de  changer.  Pourtant  M.  Th.  Gautier  a  eu  tort, 
dans  sa  ]\\îii:^,y Anniversaire  de  Corneille,  où  se  trouvent 
d'excellents  vers,  de  dire  en  terminant  : 

Louis,  ce  \il  détail,  que  le  bon  goût  dédaigne. 
Ce  soulier  recousu  me  gâte  tout  ton  règne. 

Car  le  roi,  dès  qu'il  fut  instruit  par  Boileau  de  la  posi- 


140  LES    RUES    DE    l'ARIS. 

tion  de  Corneille,  lui  envoya  deux  cents  louis  d'or  qui 
furent  portés  au  malade  par  BesseL  de  la  Chapelle,  ins- 
pecteur des  Beaux-Arts. 

Beaux 'Arts  (École  des)  :  Cette  École  a  été  élevée  sur 
l'emplacement  qu'occupait  l'ancien  couvent  des  Petits- 
Augustins,  devenu  après  la  Révolution  le  Musée  des 
P(3tits-Augustins.  Ce  Musée  supprimé  a  fait  place  à 
l'École  par  suite  d'un  décret  du  24  avril  181G.  En  outre 
des  constructions  nouvelles  élevées  du  côté  du  quai, 
comme  dans  les  cours  intérieures,  le  Palais  s'est  enrichi 
de  précieux  déhris  provenant  de  l'ancien  château  de 
Gaillon.  Dans  le  grand  Amphithéâtre,  dit  Hémicycle  y  se 
voient  les  remarquables  peintures  qui  sont  le  plus  beau 
titre  de  gloire  de  Paul  Delaroche. 

Saint-André-des-Arts  (rue)  :  «  La  rue  St-Andrc-des- 
ArtSy  qui  commence  au  pont  Saint-Michel  et  finit  à  la 
porte  de  Bussy,  dit  Sauvai,  est  une  des  plus  anciennes 
de  l'Université  et  bien  que  les  vieilles  chartes  lui  don- 
nent quantité  de  noms,  rarement  pourtant  y  lit- on 
celui  qu'elle  devrait  porter  et  qu'elle  portait  originaire- 
ment. Tantôt  c'est  la  rue  St-Germain  des  Prés^  parce 
qu'elle  conduit  au  faubourg  St-Germain  et  à  l'abbaye 
de  ce  nom  ;  tantôt  c'est  la  grande  rue  St-André  à  cause 
qu'elle  passe  devant  l'église  St-André  (aujourd'hui 
démolie),  tantôt  c'est  la  rue  St- André-des- Arts  comme 
étant  placée  tout  à  l'entrée  de  l'Université  ',  où  s'en- 
seignent les  arts  et  les  sciences.  Il  y  a  même  des  gens 
qui  l'appellent  Saint-Andrc-des-Arcs  parce  qu'ils  pré- 

>  On  appelait  l'Université  cette  partie  méridionale  de  la  ville  où  se 
trouvaient  alors  à  peu  près  exclusivement  les  collèges  et  les  écoles. 


A.  l'il 

tendent  ({u'elle  était  habitée  i»ai'  les  faiseurs  d'ares  avant 
qu'on  eût  trouvé  la  poudre  à  canon,  et  «{u'à  la  guerre, 
au  lieu  de  mousquets,  on  se  servait  d'arcs,  de  flèches  et 
d'arbalètes  ;  et  ce  qui  les  rend  doublement  opiniâtres  là 
dessus  est  le  nom  de  quelques  rues  voisines  qui  aide  à 
les  tromper  comme  celui  de  la  Bouderie  où  ils  s'imagi- 
uent  qu'on  faisait  les  boucliers,  et  tout  de  même  l'autre 
de  la  rue  des  Sachettes,  mot  corrompu,  à  ce  qu'ils 
disent,  des  S  âge  t  tes,  à  raison  que  là  s'achetaient  les  flè- 
ches. 

«  Le  véritable  nom  cependant  de  la  rue  Saint- André- 
deb-ArtSj  est  la  rue  St-André-de-Haas,  nom  que  même 
on  a  donné  longtemps  à  la  rue  de  la  Huchette  qui  conti- 
nuait la  rue  St-André  jusqu'au  Petit  Chàtelet:et  c'était 
celui  tant  du  territoire  où  sont  situées  ces  deux  rues 
que  des  vignes  mêmes  qui  le  couvrirent  jusqu'en  11 70  ; 
car  ce  fut  en  ce  temps  là  que  Hughues,  abbé  de  Saint- 
Germain  des  Prés,  donna  ce  vignoble  à  bâtir.  » 

Mais  dom  Félibien  et  dom  Lobineau,  les  savants 
bénédictins,  contredisent  formellement  Sauvai  et  non 
sans  quelque  vivacité.  «  Des  gens  qui  croient  deviner 
plus  juste  que  les  autres  prétendent  que  c'est  du  nom 
de  Laas  que  s'est  formé  le  surnom  de  Saint-André-des- 
Arcs,  qu'il  faudrait  plutôt  appeler  selon  eux,  Saint- 
bidré-de-Laas  ou  de  Leus.  Mais  ils  se  trompent  dans 
leur  conjecture.  Saint  Louis^  dans  une  charte  de  l'an 
1261,  l'appelle  parocliia  soncti  Andreœ  de  Arsiciis  (pa- 
roisse de  Saint-Audré-des-Arsis).  Ainsi,  le  vrai  nom  de 
cette  rue  doit  être  des  Ars  par  abrégé  des  Arsis^  » .  Mais 

'  Histoire  de  Paris,  T.  ^^ 


1  42  LES    RUES    DE    PARIS. 

sur  le  sens  de  ce  dernier  mot  on  n'est  pas  d'accord  et 
Jaillot  à  son  tour  combat  cette  affirmation,  d'où  forcé- 
ment il  faut  conclure  que,  si  l'origine  de  cette  dénomi- 
nation quant  à  la  première  partie  {Saint- André)  n'est 
point  douteuse,  on  ne  peut  avoir  aucune  certitude  sur 
l'origine  du  mot  :  Arts  on  Arcs. 

Naguère,  à  l'extrémité  de  cette  rue,  on  voyait  encore 
a  quelques  maisons  sur  pied,  reste  des  siècles  passés,  dit 
Germain  B  rice,  entre  lesquelles  on  en  distingue  une,  où  sur 
la  porte,  on  remarque  un  éléphant  en  sculpture  chargé 
de  sa  tour.  »  C'est  là  que  demeurait  le  médecin  de 
Louis  XI,  le  fameux  Goyetier  «  lequel,  dit  Gommines, 
lui  était  si  très  rude  qu'on  ne  dirait  pas  à  un  valet  les 
outrageantes  et  dures  paroles  qu'il  lui  disait  et  si  (orj 
le  craignait  tant  le  dit  seigneur  qu'il  ne  l'eût  osé  en- 
voyer hors  d'avec  lui  parce  (j[ue  le  dit  médecin  lui  disait 
audacieusement  ces  mots  : 

((  —  Je  sais  ]jien  qu'un  matin  vous  m'envoyerez 
))  comme  vous  avez  fait  d'autres,  mais  (par  un  grand 
»  serment  qu'il  lui  jurait)  vous  ne  vivrez  pas  huit  jours 
après  » .  Ge  mot  épouvantait  si  fort  le  roi  qu'il  ne  ces- 
sait de  le  flatter  et  de  lui  donner,  ce  qui  lui  était  un 
grand  purgatoire  en  ce  monde.  » 

Goyetier,  riehe  des  présents  de  Louis  XI,  s'était  fait 
bâtir  l'hôtel  en  question.  Il  avait  pris  pour  devise  ou 
pour  symbole  «  selon  l'usage  grossier  de  ce  temps-là,  » 
un  abricotier  dans  un  écusson  penché  qu'il  avait  fait 
sculpter  au-dessus  de  la  porte  d'entrée  a  parce  que,  dit 
Germain  Brice,  le  mot  était  composé  de  son  nom 
(Goyetier)  et  d'abri^  pour  faire  entendre  que  Goyetier 
était  à  l'abri  et  en   sûreté  dans  ce  lieu  de  retraite 


A.  14.3 

éloigné  tic  la  cour.  >)  Il  y  vécut  et  mourut  en  ellL-t  Ir.in- 
quillemont. 

Ai'ras  (rue  d')  :  Ce  nom  vient  du  collège  qui  très 
anciennement  se  voyait  dans  la  rue. 

Arsenal  (rue  de  1')  :  Les  bâtiments  qu'occupe  aujour- 
d'hui la  bibliothèque  sont  ceux  de  l'aucien  arsenal. 

Aubnj-le-JiuucIicr  (rue)  :  On  l'appelait  ainsi  dès  le 
\\\V  siècle.  Ce  nom  lui  vient  parait-il,  d'un  boucher 
nommé  Aubry  qui  y  demeurait  ;  car,  outre  qu'elle  était 
voisine  de  la  Grande-Boucherie,  on  la  désigne  ainsi 
dans  les  plus  anciens  titres.  A  une  certaine  époque,  le 
peuple,  par  corruption  ou  pour  abréger,  prononçait  : 
Briboucher. 

Aubifjné  {vwQ.  d')  :  Agrippa  d'Aubigné,  né  en  looO, 
mort  en  1630,  a  laissé  des  Mémoires  sur  les  guerres  de 
religion  auxquelles  il  prit  une  part  active.  11  était 
graud'père  de  M™''  de  Maintenon. 

Audran  {mo)  :  Gérard  Audran,  né  à  Lyon  en  10 40, 
mort  à  Paris  en  1703,  a  laissé  un  grand  nombre  de 
gravures  qui  sont  des  chefs-d'œuvre;.  Maniant  avec  une 
rare  habileté  la  pointe  et  le  burin,  ayant  au  plus  haut 
degré  l'intelligence  du  dessin,  il  savait  au  besoin  faire 
disparaître  les  incorrections  et  les  négligences  des  ori- 
ginaux qu'il  reproduisait  d'ailleurs  avec  une  rare  fidé- 
lité. On  cite  entre  ses  planches  les  plus  remarquables 
VEnée,  la  Sainte- Agnès ,  d'après  le  Dominiquin,  la 
Femme  adultère,  —  le  Temps  —  Pyrrhus,  d'après  Pous- 
sin ;  les  Batailles  d'Alexandre,  d'après  Lebrun,  etc.  Au- 
dran sut  mélanger  parfois  heureusement  Teau  forte  et 
le  burin.  Milézia  va  jusqu'à  dire  de  cet  éminent  artiste  : 
«  Il  n'a  point  eu  d'imitateurs  et  ne  pouvait  en  avoir  ; 


144  LES   RUES   DE   TARIS. 

pour  graver  comme  Audran,  il  faudrait  être  ce  maître 
lui-même.  » 

Augustins  (rue  des  vieux)  :  Elle  s'appela  ainsi  parce 
(pie  ce  fut  en  cet  endroit  que  les  religieux  Augustins 
eurent  leur  premier  établissement. 

Austerlitz  (quai  et  pont  d')  :  On  leur  donna  ce  nom  en 
mémoire  de  la  bataille  gagnée,  le  2  décembre  1805,  par 
les  Français  sur  les  Austro- Russes. 

Ave  Maria  (rue  de)  :  Ce  nom  fut  donné  par  le  roi 
Louis  XI  à  un  couvent  de  religieuses  de  la  Tierce-Ordre 
pénitente  et  observante  de  St- François.  Ce  couvent  sert 
aujourd'hui  de  caserne. 

Parmi  les  écrits  que  nous  aurons  l'occasion  de  citer 
dans  notre  travail  sur  les  vieilles  rues,  il  s'en  trouve  de 
singuliers,  et  les  plus  anciens  de  tous  peut-être  :  ce  sont 
des  poèmes  descriptifs,  si  l'on  peut  appeler  du  nom  de 
poèmes  ces  litanies  peu  harmonieuses  de  vers  sur  des 
sujets  qu'on  ne  s'aviserait  guère  aujourd'hui  de  mettre 
en  rimes,  comme  le  dit  le  judicieux  abbé  Lebœuf.  Mais 
les  trouvères  du  XIP  et  du  XIIP  siècle,  dont  la  langue 
rimée  était  la  langue  habituelle,  trouvaient  plaisir  à 
certaines  difticultés.  Il  faut  convenir  cependant  qu'ils 
ne  réussissaient  pas  toujours  à  les  surmonter,  (ît  la  sèche 
nomenclature  des  Moustiers  de  Paris,  de  Rutebœuf,  par 
exemple,  n'a  pas  la  grâce  de  quelques-uns  de  ses  autres 
poèmes.  Plus  curieux,  pour  le  fond  comme  pour  la 
forme,  me  parait  le  poème  de  Guillaume  de  la  Ville- 
neuve, les  Crieries  de  Paris,  que  j'aurai  plus  d'une  fois^ 
l'occasion  de  citer  et  qui  commence  ainsi  : 


A.  fif» 

Or  vous  dirai  en  quelle  guise 

Et  en  quelle  manière  vont 

Cil  (ceux)  qui  denrées  à  vendre  ont 

Et  qui  pensent  de  leur  preu  (profit)  faire, 

Qui  jà  ne  finiront  de  braire  (crier). 

Parmi  Paris  jusqu'à  la  nuit 

Ne  cuidiez-vous  (pensez-vous)  qu'il  leur  (anuit)  ennuie 

Que  jà  ne  seront  à  séjour  : 

Oiez  qu'on  crie  au  point  du  jour  : 


Oisons,  pigeons  et  chair  salée, 

Chair  fraîche  moult  (beaucoup)  bien  conraée  (parée), 

Et  de  l'allie  (sauce  à  l'ail)  à  grand  planté  (abondance), 

Et  puis  après,  pois  chauds  piles. 

Et  fèves  chaudes  par  delez  (auprès). 

Aulx  et  oignons  à  longue  haleine. 

Puis  après,  cresson  de  fontaine, 

Cerfeuil,  pourpier  tout  de  venue  (tout  de  même). 

Puis  après,  porète  (poirée)  menue. 

J'ai  bon  fromage  de  Champagne, 
Or  y  a  fromage  de  Brie. 

Li  (les)  autres  dit  autres  nouvelles  : 

Qui  vend  vieux  pots  et  vieilles  pelles  !  etc. 


Il  se  trouve  aussi  parfois  des  vers  bien  frappés  dans 
Le  Dit  des  Rues  de  Paris,  de  Guillot,  publié  pour  la  pre- 
mière fois  par  l'abbé  Lebœuf  (T.  II  de  son  livre),  et 
dont  voici  le  début  : 

Maint  dit  a  fait  de  Rois,  de  Comte, 
Guillot  de  Paris  en  son  conte  ; 
Les  rues  de  Paris  brièmeut 
A  mis  en  rime,  oyez  comment. 
TOME  III.  9 


146  LES    RUES   DE    PARIS. 

La  pièce  se  termine  par  ces  vers  témoignant  des  bons 
sentiments  de  l'auteur  encore  que  tels  autres  passages 
soient  moins  édifiants  : 

Le  doux  Seigneur  du  firmament 
Et  sa  très  douce  chère  Mère 
Nous  défende  de  mort  amère. 

Quoique  assez  heureux,  ces  vers  pourtant  ne  valent 
pas,  pour  l'originalité  de  l'idée  et  même  pour  la  forme, 
le  début  d'un  autre  poème  du  même  genre,  par  un 
anonyme,  et  publié  sous  ce  titre  :  Les  Rues  de  Paris  en 
vers,  dans  le  savant  ouvrage  de  M.  Giraud  :  Paris  sous 
le  règne  de  Philippe -le -Bel. 

Aucunes  gens  m'ont  demandé 

Pourquoi  me  suis  si  empiré. 

Ne  me  vient  pas  de  maladie, 

Il  me  vient  de  mélancolie. 

L'autre  jour  à  Paris  aie  (allai), 

Oncques  mais  (jamais)  n'y  avais  été. 

Âvecque  moi  menai  ma  femme. 

Emprès  (prè?)  rue  Neuve-Notre-Dame, 

La  perdis  en  un  carrefour  ; 

On  n'y  voit  non  plus  qu'en  un  four  : 

D'un  côté  alla  et  moi  d'autre  ; 

Oncques  puis  ne  vîmes  l'un  l'aulre. 

Or  ai-je  bien  fait  mon  devoir. 

Vous  saurez  bien  si  je  dis  voir  (vrai), 

Quand  vous  saurez  où  je  l'ai  quise  (cherchée), 

En  quel    quelle)  manière  et  en  quel  (quelle)  guise. 

En  effet,  il  n'est  aucune  rue  ni  ruellctte  de  la  ville 
que  l'époux  dolent  ne  visite  et  ne  nomme  ;  mais  à  la 


B.  147 

parfin,  la  chose  faite  eu  couscicncc  et  la  dame  ne  se 
retrouvant  point,  non  plus  que  la  Greiise  d'Euée,  notre 
homme  en  prend  son  parti  assez  vite,  ce  semhle,  et 
sur  un  ton  qui  ne  témoigne  pas  d'un  cha.çrin  hien  pro- 
fond : 

Tant  l'ai  quisc  que  j'en  suis  las  : 

Or,  la  quièrc  qui  voudra. 

Jamais  mon  corps  ne  la  querra. 

Ce  mari-là  n'est  pas  difficile  à  consoler  du  veuvage. 
J'aime  à  croire  qu'il  n'en  était  pas  beaucoup  alors  sur 
ce  patron. 

Maintenant  revenons  à  l'historique  des  rues. 


B 


Babille  (rue)  :  Laurent  Jean  Babille  fut  échevin  de  la 
ville  de  Paris  en  1762  et  1763.  Quels  services  a-t-il 
rendus  qui  lui  méritèrent  un  souvenir  spécial,  on  ne 
nous  le  dit  pas.  Peut-être  seulement  demeurait-il  dans 
cette  rue. 

Babylone  (rue)  :  Elle  doit  son  nom  à  Bernard  de  Sainte- 
Thérèse,  évèque  de  Babylone,  qui  possédait  plusieurs 
maisons  et  jardins  sur  l'emplacement  desquels  fut  cons- 
truit le  séminaire  des  Missions  Etrangères. 

Bailleul  (rue)  :  C'était  le  nom  d'un  président  qui  y  de- 
meurait. 

Baillif  (rue)  :  Pour  Bailli fre,  nom  du  surintendant  de  la 
musique  de  Henri  IV,  qui  lui  donna  des  terrains  bordant 
cette  voie  pour  y  bâtir. 

Balzac  (rue  de)  :  De  Jean  Louis  de  Balzac  (1586-1 655) 


148  LES    RUES    DE    PARIS. 

on  a  «lit  qu'il  fut  l'uii  (les  écrivains  qui  ont  le  plus  con- 
tribué à  former  la  langue  quoique  aujourd'hui  on  ne 
lise  plus  guère  ou  même  pas  du  tout  ses  ouvrages.  Ce 
n'est  pas  lui  d'ailleurs  qui  a  donné  son  nom  à  la  rue, 
mais  notre  contemporain,  Honoré  de  Balzac,  qui  y  est 
mort  en  1850,  à  l'âge  de  31  ans,  au  milieu  de  sa  plus 
grande  vogue  comme  romancier.  On  ne  peut  lui  refuser, 
en  dépit  de  sa  fécondité,  un  talent  peu  ordinaire.  La 
Comédie  humaine  atteste  une  puissance  singulière  de 
conception  et  d'observation;  mais  cette  dernière  et  pré- 
cieuse qualité  trop  souvent  se  gâte  par  l'exagération  ; 
comme  l'a  dit  fort  bien  M.  de  Pontmartin,  Balzac  pres- 
que toujours  vers  la  fin  «  se  grise  avec  son  sujet  »,  et  il 
ne  voit  plus  ses  personnages  qu'à  travers  une  lentille 
qui  grossit  démesurément  leurs  traits  défectueux  sur- 
tout. Puis  le  sens  moral  trop  fréquemment  lui  fait  dé- 
faut, et  il  est  peu  d'ouvrages  de  lui  qu'on  puisse  lire 
sans  inconvénient.  Rien  qui  repose,  rien  qui  rassérène 
dans  ces  pages  si  souvent  désolantes  par  l'implacable 
dissection  de  l'àme  humaine.  Cet  étrange  moraliste  (car 
il  avait  cette  prétention)  calomnie  la  nature  humaine 
même  viciée,  et  à  Dieu  ne  plaise  que  notre  société,  en- 
core que  malade,  soit  telle  qu'il  nous  la  représente 
d'habitude.  Le  monde  aristocratique  en  particulier, 
qu'il  faisait  vanité  de  bien  connaître,  lui  paraît  surtout 
étranger  d'après  les  types  qu'il  nous  en  a  laissés,  et 
qu'on  n'y  rencontre,  assurément,  que  par  une  très-rare 
exception. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire,  faut-il  s'étonner 
(jue  rCEuvre  entier  de  Balzac  ait  été  condamné  par  la 
congrégation  de  l'Index  ? 


A.  149 

Barbette  (rue)  :  Elle  s'appela  ainsi  parce  qu'elle  passait 
devaut  un  hôtel  «le  ce  nom  célèbre  dans  l'histoire  de 
Charles  VI  et  construit  par  Etienne  Barbette,  prévôt  des 
marchands  sous  Philippe-le-Bel.  Le  duc  d'Orléans,  frère 
du  roi  (Charles  VI),  sortant  de  l'hôtel  dit  le  petit  Sé- 
jour de  la  Reine  qu'habitait  Isabeau  de  Bavière,  fut 
assassiné  à  la  porte  Barbette  par  Jean-sans-Peur  et  ses 
mauvais  garçons. 

Ban'lkne  (rue  de  la)  :  Vis-à-vis  le  Palais.  Elle  porte 
déjà  ce  nom  dans  un  concordat  passé  en  1280  entre 
Philippe-le-IIardi  et  les  couvents  de  Saint-Maur  et  de 
Saint-Eloi.  Mais  Ilobertus  Cenalis,  dans  sa  Hiérarchie 
française, Vaji^eWe  la  rue  de  la  Babillerie,  via  locutuleia, 
à  cause  sans  doute  du  parlement  voisin  où  pour  plaider 
il  faut  parler  «  ce  qui  se  fait  de  vive  voix  »  dit  assez 
naïvement  Sauvai. 

Barouillère  (rue)  :  Elle  s'appela  tour  à  tour  des 
Vieilles  Tuileries,  Saint-Michel,  et  enfin  de  la  Barouillère. 
«  Je  ne  sais,  dit  Jaillot,  quand  on  lui  donna  ce  nom, 
mais  il  est  certain  qu'elle  le  doit  à  Nicolas  Richard,  sieur 
de  la  Barouillère,  à  qui  l'abbé  de  Saint-Germain  céda,  le 
8  octobre  1644,  huit  arpents  à  la  charge  d'y  bâtir,  et 
sous  la  condition  que,  si  l'on  perçait  des  rues  sur  ce  ter- 
rain, on  leur  donnerait  le  nom  d'un  saint  indiqué,  qu'on 
en  ferait  mettre  la  statue  au  coin  de  la  rue  et  au  dessous 
les  armes  de  l'abbaye.  » 

Barrés  (rue  des)  :  Cette  rue  doit  son  nom  aux 
Carmes  qu'on  désignait  sous  le  nom  de  Barrés,  en  rai- 
son de  leurs  manteaux  peints  de  différentes  couleurs  et 
formant  des  barres. 

Beaubourg  (rue)  :  Au  commencement  du  XP  siècle, 


150  LES   RUES   DE    PARIS. 

de  pauvres  paysans  élevèrent  en  cet  endroit  quelques 
chaumières.  L'agrément  du  site  en  attira  d'autres  qui 
s'y  établirent  également  et  le  hameau,  qui  devint  un 
village,  s'appela  Beau-Bourg. 

Voilà  ce  que  racontent  plusieurs  historiens  d'après 
une  tradition  contestée  par  Sauvai.  Suivant  lui,  cette 
rue  doit  son  nom  à  Jean  Beaubourg  natif  de  Beau-Bourg, 
village  ou  bourg  et  paroisse  de  Brie,  duquel  descendait  le 
président  Beaubourg,  conseiller  d'état  souvent  chargé 
par  le  roi  Louis  XIII  de  missions  importantes. 

Batignolles  (rue,  place,  boulevard  des)  :  Ce  nom 
vient  de  l'ancien  village  des  Batignolles  qui,  aussi  bien 
que  celui  de  Monceaux  auquel  il  fut  réuni  en  1830,  ne 
se  composait  que  de  quelques  chaumières  ou  pauvres 
maisons.  «  Mais  dans  le  mouvement  de  translation  ra- 
pide qu'éprouve  la  population  de  Paris  du  sud-est  au 
nord-ouest,  l'humble  hameau  des  Batignolles  a  acquis 
une  grande  importance....  C'est  aujourd'hui  une  ville 
plus  étendue,  plus  riche,  plus  peuplée  que  beaucoup  de 
préfectures.  » 

Ainsi  s'exprimait,  en  1861,  un  des  rédacteurs  du  Dic- 
tionnaire de  la  Conversation  et  de  la  Lecture.  Depuis  lors, 
les  Batignolles  n'ont  fait  que  s'accroitre  et  ce  quartier 
est  à  présent  Tun  des  plus  populeux  de  la  capitale  dont 
par  suite  de  l'annexion  il  fait  partie. 

Battoir  {rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Beaujolais  (rue)  :  Ouverte  en  1784,  elle  fut  nommée 
ainsi  en  l'honneur  du  comte  de  Beaujolais,  fils  du  duc 
d'Orléans. 

Beaumarchais  (boulevard)  :  Caron  de  Beaumarchais 
(1732-1799)  doit  surtout  sa  célébrité  à  sa  comédie  :  Le 


R.  151 

Mariage  de  Figaro,  im«^  uîuvre  qu'on  pourrait  qualifier 
(lial)oli(jue  au  j)oint  de  vue  du  talent  comme  de  la  mo- 
rale, et  si  malheureusement  autorisée  par  la  royauté,  si 
follemt-nt  applaudie  par  l'aristocratie  dont  ell<î  préparait 
la  chute.  Dans  cette  pièce  profondément  immorale, 
mais  avec  tous  les  raffinements  de  l'art  le  plus  savant, 
rien  qui  soit  respecté,  et  j'admire  que  des  femmes,  des 
jeunes  filles  même,  fût-ce  en  s'abritant  derrière  l'éven- 
tail pour  cacher  leur  rougeur,  osent  assister  jusqu'au 
bout  à  ce  spectacle  qui  n'est  qu'un  long  scandale. 
Qu'importe  le  talent  quand  on  en  fait  cet  indigue  usage! 
Qu'importe  la  verve,  qu'importe  l'esprit  quand  ce  rire 
qui  provoque  le  nôtre  n'est  que  le  rire  du  démon  ! 

Bcaurepaire  (rue  de)  :  S'appelait  ainsi  dès  le  commen- 
cement du  XIV^  siècle  (13 13).  Ce  mot,  dans  le  vieux  lan- 
gage, signifie  belle  demeure,  belle  retraite,  ôeflw  repaire. 

Beautreillis  (rue  de)  :  Autrefois  rue  Girard  Becquet. 
On  l'appela  rue  Beautreillis  à  cause  d'une  belle  treille 
((  ou,  pour  parler  à  la  façon  du  temps  passé,  d'un  beau 
treillis  qui  faisait  une  des  principales  beautés  du  jardin 
de  l'hôtel  royal  de  Saint-Paul....  Je  dirai  encore  que  les 
treilles  ont  fait  longtemps  un  des  principaux  ornements 
des  jardins  de  nos  rois  et  que,  pendant  plusieurs  siècles, 
les  mûriers,  les  ormes  et  les  chênes  n'ont  passé  que 
pour  des  arbres  champêtres  et  sauvages  qui  ne  devaient 
paraître  et  faire  ombre  que  dans  les  forêts.  »  (Sauvai). 

Belle-Chasse  (rue  de)  :  Elle  doit  son  nom  au  clos  de 
Belle-Chasse  sur  lequel  fut  bâti  le  couvent  des  religieuses 
du  Saint-Sépulcre,  vulgairement  appelées  Religieuses 
de  Belle-Chasse. 

La  communauté  se  composait  de  vingt  religieuses 


lo2  LES    RUES   DE    TARIS. 

seulement  qui  suivaient  la  règle  de  saint  Augustin.  On 
les  avait  nommées  d'abord  les  Filles  à  Barbier  à  cause 
d'un  fameux  traitant  (.financier)  qui  leur  avait  donné 
une  partie  du  vaste  espace  qu'elles  occupaient. 

Belle  fond  (rue  de)  :  Elle  dut  sou  nom  à  M™^  de  Belle- 
fond,  abbesse  de  Montmartre. 

Saint-Benoit  (rue)  :  Se  nomma  ainsi  parce  qu'elle 
s'étendait  le  long  du  jardin  des  religieux  de  Saint-Ger- 
main des  Prés  qui  suivaient  la  règle  de  saint  Benoit.  «  Il 
n'y  a  pas  plus  de  vingt  ans,  dit  Sauvai,  qu'elle  s'appelait 
la  rue  des  E goûts,  parce  que,  jusqu'à  ce  temps-là,  elle 
a  été  coupée  en  deux  et  empuantie  par  un  égout  dé- 
couvert qui  maintenant  passe  sous  le  pavé,  ce  qui  est 
cause  qu'on  la  nomme  quelquefois  la  rue  de  l'Egout 
couvert.  » 

Bergère  (rue)  :  Dans  la  table  des  rues  de  Yalleyre, 
elle  est  appelée  du  Berger  dont  on  a  fait  rue  Bergère. 

Berryer  (cité)  :  Antoine  Pierre  Berryer,  né  en  1788, 
mort  en  1860,  comptait  au  premier  rang  de  nos  orateurs 
politiques.  Un  discours  de  Berryer  à  la  Chambre  s'an- 
nonçait comme  un  événement  et  les  huissiers  se  trou- 
vaient fort  empêchés  à  l'ouverture  des  portes  par  l'em- 
pressement des  amateurs,  curieux  et  curieuses.  Mais  les 
triomphes  de  Berryer  au  Palais-Bourbon  s'alternaient 
(chose  rare  et  qui  semble  l'exception)  avec  ses  succès  au 
barreau.  Dans  les  dramatiques  procès  de  cours  d'assises 
surtout,  il  avait  peu  d'égaux  parmi  ses  confrères  qu'il  a 
fait  pleurer  plus  d'une  fois,  et  aussi  les  jurés  et  les  juges, 
sans  compter  les  bons  gendarmes.  On  comprend  dès 
lors  l'infUience  toute  puissante  de  cette  parole  émue, 
passionnée,  ardente,  de  ce   geste  pathétique,  sur  la 


B.  i:i3 

])artic  t'émiiiiiK^  dn  l'aïKlitoirtj  Mciitut  tout  cutiur  iiuyé 
dans  les  larmes. 

Dans  notre  volume  :  Je  Politique,  se  trouve  une 
Étude  (]évG\op\)éc  sur  Bern/er  que  nous  avons  eu  maintes 
fois,  comme  journaliste,  l'occasion  d'entendre  dans  nos 
assemblées  politiques.  Du  reste,  il  fallait  l'entendre 
plutôt  que  le  lire,  car  l'originalité  de  la  forme  mancjuait 
un  peu  à  sa  phrase  trop  facilement  faite,  alors  qu'elle 
n'était  plus  soutenue  par  l'accent  iiévreux  de  la  voix  et 
la  fougue  du  geste. 

Berlin  Porée  (rue)  :  Elle  portait  ce  nom  dès  l'année 
1240,  et  le  tenait  d'un  bourgeois  qui  y  demeurait. 

Bétizy  (rue  de)  :  a  pris  ce  nom  de  Jacques  Bétizy, 
avocat  au  Parlement.  Ce  fut  dans  la  deuxième  maison 
à  gauche,  en  entrant  par  la  rue  de  la  Monnaie,  que 
l'amiral  de  Goligny  fut  assassiné,  dans  la  nuit  de  la 
Saint-Barthélémy,  (1572),  par  les  séides  du  duc  de  Guise, 
dit  le  Balafré.  Deux  des  meurtriers,  Le  Besme  et  Pé- 
trucci,  après  avoir  percé  de  coups  l'amiral,  jetèrent  le 
cadavre  dans  la  cour  où  le  duc  de  Guise,  pour  le  re- 
connaître, essuya  avec  sou  mouchoir  le  sang  qui 
couvrait  le  visage,  et  sur  <]ue  sa  victime  n'avait  pu 
lui  échapper,  il  dit  :  ((  C'est  bien  commencé,  allons 
continuer.  » 

Faut-il  croire  au  fait  suivant  rapporté  par  Pierre  Ma- 
thieu? ((  Il  affirme  avoir  entendu  raconter  plusieurs  fois 
à  Henri  IV  que,  le  soir  du  26  août,  peu  d'heures  avant 
le  massacre,  jouant  aux  dés  avec  le  duc  de  Guise,  il  parut 
des  gouttes  de  sang  sur  la  table,  et  que  les  ayant  fait 
essuyer,  elles  reparurent  encore,  ce  qui  le  frappa  au 
point  qu'il  quitta  le  jeu.  » 

TOME  m.  9* 


154  LES   RUES   DE   PARIS. 

Il  existait  très  anciennement  une  rue  de  ce  nom,  té- 
moin ce  distique  du  Dit  des  Rues  de  Paris  : 

En  la  rue  de  Béthisi 

Entré,  ne  fus  pas  éthisi  (malade  d'éthisie). 

Bibliothèque  Nationale.  Ce  fut  en  1721  seulement  que 
les  bâtiments  de  la  rue  Richelieu  furent  affectés  au  ser- 
vice de  la  Bibliothèque  Royale.  Les  livres  se  trouvaient 
en  dernier  lieu  placés  dans  deux  maisons  ayant  appar- 
tenu à  Colbert  et  voisines  de  son  hôtel,  rue  Yivienne. 
Mais  leur  nombre  allant  toujours  en  s'augmentant,  sur 
la  proposition  de  l'abbé  Bignon,  conservateur,  le  duc 
d'Orléans  donna  l'ordre  de  transporter  toutes  ces  ri- 
chesses dans  le  local  qu'elles  occupent  aujourd'hui.  Ces 
vastes  bâtiments  étaient  un  démembrement  de  l'hôtel 
Mazarin  divisé  en  deux  parties  par  les  héritiers. 

On  sait  que  Charles  V  doit  être  regardé  comme  le 
fondateur  de  la  Bibliothèque  Royale.  La  collection 
d'ouvrages  recueillis  par  lui  et  placés  dans  une  tour  du 
Louvre,  dite  Tour  de  la  Librairie,  occupait  trois  étages 
et  comptait  910  volumes,  nomljre  considérable  pour  le 
temps.  La  collection  formée  par  Charles  Y  fut  dispersée 
sous  le  règne  désastreux  de  Charles  VI  ;  ce  fut  plus  tard 
Louis  XI  qui  recueillit  les  livres  épars  dans  les  diverses 
maisons  royales  et  dont  le  nombre  s'augmenta  vite 
grâce  à  la  découverte  récente  de  l'Imprimerie.  Cette 
Bibliothèque,  d'abord  installée  à  Blois,  puis  à  Fontai- 
nebleau et  constamment  augmentée,  ne  fut  transportée 
à  Paris  qu'en  juin  1505  par  l'ordre  de  Henri  IV.  Placée 
d'abord  dans  le  collège  de  Glermont,  puis  dans  une 


B.  155 

maison  delà  rue  île  la  Harpe, olle comptait,  à  la  mort  de 
Louis  XIV  (1715),  environ  70,000  volumes  transférés, 
comme  on  l'a  dit,  dès  l'année  1006,  rue  Vivienne,  dans 
les  deux  grandes  maisons  appartenant  à  Colbort. 

Bicètre  (hospice  de)  :  Bicètre  était  un  chàttîau  appar- 
tenant à  la  reine  Aune  d'Autriche.  Destiné  d'aljord 
aux  Enfants-Trouvés,  il  est  devenu  un  vaste  hospice 
pour  la  vieillesse  en  même  temps  (pi'un  lii>pital  pour 
les  aliénés  pauvres  qu'on  y  soigne  avec  sollicitude,  et 
<pii,bien  entendu,  occupent  un  bâtiment  séparé. 

Bienfaisance  (rue  de  la)  :  Elle  a  pris  ce  nom  en  souve- 
nir du  docteur  Goetz,  qui  demeurait  au  n°  13  et  était 
devenu  par  son  zèle  et  son  dévouement  la  Providence  du 
quartier.  Il  mourut  en  1813. 

Bievre  frue  de)  :  Ainsi  appelée  de  la  rivière  voisine. 

Billaut  (rue)  :  Ci-devant  de  YOraêoire  du  Boule,  main- 
tenant rue  Jules  Favre. 

Blancs-Manteaux  (rue  des)  : 

En  la  rue  des  Blancs-Mantiaux 
Entrai,  où  je  vis  maintes  piaux 
Mettre  en  conroi  '  et  blanche  et  noire, 

lisons- nous  dans  le  Dit  des  Bues  de  Paris,  ce  poème  très 
peu  poétique  mais  si  curieux  de  Guillot  publié  par 
l'abbé  Lebœuf-.  Cette  rue  se  nommait  au  XIIP  siècle 
(vers  1268)  de  la  Petite  Parcheminerie,  quand  les  reli- 
gieux de  l'ordre  des  Serviteurs  de  la  Yierge  Marie, 
mère  de  Jésus,  vinrent  s'y  établir  et  y  bâtirent  leur  cou- 

'  Pour  être  corroyées. 

'  Histoire  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Paris,  T.  If. 


156  LES    RUES    DE    TARIS. 

vent  :  u  que  nous  voyons  encore  à  l'un  de  ses  bouts,  dit 
un  auteur  ancien  ;  mais  le  peuple  qui,  aime  la  brièveté 
quand  il  s'agit  de  nommer  une  chose,  voyant  l'habit 
blanc  de  ces  r.  ligieux,  laissa  là  bien  vite  cette  longue 
traînée  de  mots  dont  était  composé  leur  nom  et  les 
appela  simplement  Blancs- Manteaux,  et  tout  de  même 
leur  rue  des  Blancs-Manteaux,  »  nom  qui  se  trouve 
dans  les  actes  de  l'année  1289. 

Blé  (Halle  au)  :  Cet  édifice,  bâti  sur  l'emplace- 
ment de  l'ancien  hôtel  de  Soissons,  fut  commencé  eu 
1763  et  terminé  en  1767,  d'après  les  dessins  de  Camus 
de  Mézières.  La  coupole,  construite  en  1783  par  MM. 
Legrand  et  Molina,  mais  dont  la  charpente  était  en 
bois,  fut  détruite  par  un  incendie  dans  l'année  1802. 
Aussi  la  remplaça-t-ou  par  une  armature  en  fer  et 
fonte  de  fer,  couverte  de  planches  de  cuivre  étamé,  sous 
laquelle  la  marchandise  en  toute  saison  se  trouve  à 
l'abri.  Nulle  crainte  d'incendie  maintenant. 

Bo'ieldieu,  (rue)  :  François-Adrien  Boïeldieu,  compo- 
siteur célèbre,  auteur  de  la  Dame  Blanche,  la  Tante 
Aurore,  le  Calife  de  Bagdad,  le  Pré  aux  Clercs,  etc.  Né  à 
Rouen  le  15  décembre  1775,  il  est  mort  à  Paris,  le  8  oc- 
tobre 1834.  Boïeldieu  joignait  au  génie  de  l'artiste,  les 
plus  nobles  qualités  du  cœur  et  de  l'esprit.  En  lisant 
certains  traits  de  sa  vie,  on  serait  tenté  de  croire  que 
c'est  à  lui  que  pensait  M™'^  de  Bawr  quand  elle  écrivait 
àSiU^i  sas  Souvenirs  :  (f  Une  remarque  que  j'ai  toujours 
eu  lieu  de  faire  c'est  que  les  personnes  que  l'on  pleure 
le  plus  longtemps,  quand  la  mort  les  a  frappées,  sont 
celles  qui  étaient  bonnes.  Depuis  que  j'existe  j'ai  vu  mou- 
rir bien  des  gens  distingués  ;  la  douleur  de  leur  famille, 


B.  157 

(le  leurs  amis  était  vive  ;  mais  le  temps  produisait  sur 
elle  son  effet  accoutumt^.,  même  lors(pie  ceux  diuit  je 
parle  laissaient  après  eux  une  grande  célébritc".  Iji  un 
mot  j'ai  reconnu  ([ue  l'on  peut  oublier  assez  prum[)te- 
ment  riiomme  d'esprit  ou  l'homme  de  talent  avec  lequel 
on  a  vécu,  mais  (|u'on  n'oublie  jamais  celui  dont  mille 
circonstances  de  la  vie  viennent  sans  cesse  nous  rappe- 
ler la  bonté.  » 

Boissjj  d'Anglas  (rue)  :  Le  comte  de  Boissy  d'Anglas 
(1756-1826),  député  à  la  Convention  Nationale  qu'il 
présidait  dans  la  fameuse  journée  <lu  ["prairial  an  III 
(26  mai  1795)  et  par  la  fermeté  héroïque  de  son  attitude 
sauva  de  l'envahissement  des  factieux  jacobins.  Il  a 
suffi  de  celte  noble  page  dans  sa  vie  pour  rendre  son 
nom  cà  jamais  célèbre. 

Boulai  (rue  du)  :  En  1359,  elle  est  désignée  sous  le 
nom  de  rue  aux  Bouliers,  dite  la  Cowr  Basile.  Au 
XY*'  siècle,  c'était  la  rue  Baizile.Au  XVP,on  la  nomme 
rue  des  Bouliers,  dite  la  cour  Basile.  Elle  prend  ensuite 
le  nom  de  rue  du  Bouloi,  mot  dont  l'origine  est  incon- 
nue. 

Bourgogne  (rue  de)  :  Louis  XIV  ordonna,  par  un 
arrêt  de  son  conseil  du  23  août  1707,  que  la  rue  pren- 
drait ce  nom  en  l'honneur  de  son  petit-fils,  le  duc  de 
Bourgogne,  dont  la  naissance  fut  accueillie  avec  de  tels 
transports,  a  Chacun,  dit  Choisy,  se  donnait  la  liberté 
d'embrasser  le  roi.  La  foule  le  porta  depuis  la  surinten- 
dance où  madame  la  Dauphine  accoucha  jusqu'à  ses 
appartements;  il  se  laissait  embrasser  à  qui  voulait.  Le 
bas  peuple  paraissait  hors  de  sens  ;  on  faisait  des  feux 
de  joie,  et  tous  les  porteurs  de  chaises  brûlaient  fami- 


158  LES    RUES    DE    PARIS. 

lièrementla  chaise  dorée  de  leur  maîtresse.  Ils  firent  un 
grand  feu  dans  la  c»ur  de  la  galerie  des  Princes,  et  y 
jetèrent  une  partie  des  lambris  et  des  parquets  destinés 
pour  la  grande  galerie.  Bontemps,  en  colère,  le  vint 
dire  au  roi  qui  se  mit  à  rire  et  dit  :  <(  Qu'on  les  laisse 
»  faire,  nous  aurons  d'autres  parquets.  »  La  joie  parut 
aussi  vive  à  Paris  et  parut  de  bien  plus  longue  durée  ; 
les  boutiques  furent  fermées  trois  jours  durant;  toutes 
les  rues  étaient  pleines  de  tables  où  les  passants  étaient 
conviés  et  forcés  de  boire  sans  payer  ;  et  tel  artisan 
mangea  centécus,  dans  ces  trois  jours,  qu'il  ne  gagnait 
pas  dans  une  année.  » 

Yoici  de  ce  jeune  prince,  dont  la  mort  prématurée  et 
presque  tragique  devait  tromper  tant  d'espérances,  un 
remarquable  portrait  :«  Ce  prince,  dit  St-Simon,  naquit 
terrible  et  sa  première  jeunesse  fît  trembler  :  dur  et 
colère  jusqu'aux  derniers  emportements,  et  jusque  con- 
tre les  choses  inanimées  ;  impétueux  avec  fureur  ;  inca- 
pable de  souffrir  la  moindre  résistance,  même  des  heu- 
res et  des  éléments,  sans  entrer  en  des  fougues  à  faire 
craindre  que  tout  se  rompit  dans  son  corps  ;  opiniâtre 
à  l'excès,  passionné  pour  toute  espèce  de  volupté.  Il 
n'aimait  pas  moins  le  vin,  la  bonne  chère,  la  chasse 
avec  fureur,  la  musique  avec  une  sorte  de  ravissement, 
et  le  jeu  encore  où  il  ne  pouvait  supporter  d'être  vaincu, 
et  où  le  danger  avec  lui  était  extrême  ;  enfin,  livré  à 
toutes  les  passions  et  emporté  à  tous  les  plaisirs,  sou- 
vent farouche,  naturellement  porté  à  la  cruauté,  bar- 
bare en  railleries  et  à  produire  les  ridicules  avec  une 
justesse  qui  assommait.  De  la  hauteur  des  cieux,  il  ne 
regardait  les  hommes  que  comme  des  atomes  avec  qui 


B.  159 

il  n'avait  aucune  ressemblance  quels  qu'ils  fussent.  A 
peine  messieurs  ses  frères  lui  paraissaient-ils  tles  inter- 
médiaires entre  lui  et  le  genre  humain,  quoi(iu'on  eut 
toujours  allecté  de  les  élever  tous  trois  ensemble  dans 
une  parfaite  égalité.  » 

Il  fallait  un  miracle  pour  lutter  contre  un  pareil  tem- 
pérament, arriver  à  le  modifier,  à  le  transformer.  Le 
miracle  eut  lieu  grâce  à  l'inlluence  religieuse  et  à  des 
précepteurs  tels  que  Fénelon,  Fleury  et  le  duc  de  Beau- 
villiers.  «  De  cet  abime  sortit  un  prince  affable,  doux, 
humain,  modéré,  patient,  modeste,  pénitent  et  autant 
et  quelquefois  au  delà  de  ce  que  son  état  pouvait  com- 
porter, humble  et  austère  pour  soi.  » 

Le  caractère  du  jeune  prince  alors  peut  se  résumer 
dans  ces  paroles  mémorables  qu'il  prononçait  un  jour 
devant  Louis  XIV  à  Marly  : 

((  Un  roi  est  fait  pour  ses  sujets  et  non  les  sujets  pour 
le  roi.  » 

La  mort  si  cruelle,  si  soudaine,  qui  le  frappait  à  la 
fleur  de  ses  années  et  le  ravissait  à  l'espoir  de  la  plus 
belle  couronne  de  la  terre,  selon  l'expression  d'un  grand 
pape,  le  trouva  résigné,  courageux,  admirable.  Que  de 
larmes  fit  couler  cette  catastrophe  dont  les  plus  indiÛé- 
rents  furent  navrés  et  consternés  !  Fénelon  lui  ne  put 
jamais  s'en  consoler  et  depuis  lors  il  ne  fit  plus  que  lan- 
guir. 

Bons  Enfants  (rue  des)  :  En  1208,  alors  que  s'ache- 
vait l'église  St-Honoré,  un  bourgeois  de  Paris,  nommé 
Ada,  et  sa  femme  résolurent  de  fonder  un  collège 
auprès  de  la  nouvelle  église.  En  conséquence,  ils  firent 
construire  un  bâtiment  assez  grand  pour  recevoir  treize 


160  LES    RUES    DE   PARIS. 

étudiants  de  Paris,  mis  sous  la  direction  d'un  chanoine 
de  St-Honoré.  Le  collège  s'appela  d'abord  Hôpital  des 
Pauvres  Ecoliers,  pauvres  en  effet  puisque  logés  seule- 
ment, chaque  jour,  ils  devaient  aller  quêter  leur  nour- 
riture dans  les  rues  de  la  capitale  comme  nous  l'appren- 
nent les  vers  du  vieux  poète  : 

Les  Bons  Enfants  orrez  crier 
Du  pain  nés  veuil  pas  oublier. 

Mais,  grâce  à  des  donations  successives  importantes, 
le  collège  put  s'agrandir  en  même  temps  que  s'amélio- 
rait la  position  des  pensionnaires  dont  le  nom  de  :  les 
pauvres  écoliers  fut  changé  en  celui  des  Bons  Enfants, 
ou  ne  dit  pas  précisément  à  quelle  occasion. 

Bourdonnais ,{n\G  des)  :  A  pris  son  nom  des  sires  Adam 
et  Guillaume  Bourdon. 

Bourg  l'Adbé {rue  de): 

Si  na'en  allai  au  Bourg  l'abbé, 
Où  l'on  parlait  bien  d'un  abbé. 

Le  Bourg  l'Abbé,  ainsi  appelé  parce  qu'il  dépendait 
de  l'abbé  de  St-Martiu,  existait  déjà  sous  les  rois  de  la 
seconde  race.  Il  fut  enfermé  dans  Paris  sous  le  règne  de 
Philippe-Auguste,  lors  de  la  construction  de  la  nouvelle 
enceinte,  et  le  principal  chemin  du  Bourg  prit,  en  1210, 
le  nom  de  Bourg  l'Abbé.  Les  habitants  de  l'endroit  pas- 
saient pour  peu  spirituels  quoique  d'humeur  folâtre,  et 
l'on  disait  d'eux  en  façon  de  proverbe  :  ((  Ce  sont  gens 
de  Bourg  l'Abbé,  ils  ne  demandent  qu'amour  et  sim- 
plesse.  » 


B.  IHl 

Bourse  (palais  de  la)  :  Un  décret  impérial  du  10  mars 
180S  ordonna  la  construction  de  l'édilice  druit  la  pre- 
mière pierre  fut  posée  le  24  du  même  mois.  L'architecte 
IJrogniart  dirigea  les  travaux  jusqu'à  sa  mort  arrivée  en 
1813.  Il  eut  pour  successeur  M.  Labarre;  mais  par  suite 
du  ralentissement  des  travaux,  après  les  désastres  de 
1815,  le  monument  no  put  être  achevé  et  inauguré  (juc 
dans  l'année  1827. 

Boucheries  (rue  des)  :  Vis-à-vis  du  grand  Chàtelct, 
avait  pris  son  nom  de  la  Grande-Boucherie  qui  s'y  trou- 
vait, la  plus  ancienne  et  longtemps  même  la  seule  de 
la  ville  ;  elle  avait  été  établie  en  1153.  «  Autrefois,  dit 
Germain  Brice,  elle  appartenait  à  une  communauté  de 
bourgeois  qui  faisaient  comme  une  espèce  de  petite 
république  entre  eux  dont  le  crédit  était  si  grand,  sous 
le  règne  de  Charles  YI,  qu'il  arrivait  souvent  de  grands 
désordres  lorsqu'ils  étaient  mécontents.  » 

Boutebrie  (rue)  :  S'appelait  vers  la  fin  du  XIIP  siècle 
Erembourg  de  Brie,  nom  d'un  propriétaire  riverain. 
D'Frembourg  de  Brie  on  a  fait  Boutebrie. 

Billettes,  (rue  des)  :  Elle  devait  ce  nom  aux  reli- 
gieux hospitaliers  de  Notre-Dame  qui  portaient  sur 
leurs  habits  de  petits  scapulaires,  dits  billettes.  Dans 
certains  actes  on  l'appelle  aussi  la  rwe  oh  Dieu  fut  bouilli, 
la  rue  du  Dieu  bouilli,  voici  pour  quel  motif.  La  maison, 
qui  fut  depuis  le  couvent,  appartenait  à  un  juif  riche 
sans  doute.  «  Ce  juif,  d'après  une  tradition  ancienne, 
dit  G.  Brice,  par  une  impiété  exécrable,  perça  de  plu- 
sieurs coups  de  couteau  une  hostie  consacrée  et  voulut 
ensuite  la  brûler  ;  mais  miraculeusement  elle  lui  échappa 
en  s'élevant  dans  la  pièce  et  fut  recueillie  par  une  vieille 


162  LES   RUES   DE   PARIS. 

femme  qui  entra  inopinément  chez  cet  impie  et  porta 
l'hostie  au  curé  de  St-Jean  où  depuis  elle  a  été  conser- 
vée avec  benucoup  de  vénération.  Ce  malheureux  juif 
fut  brillé  et  sa  maison  confisquée.  » 

Brantôme  (rue)  :  P.  de  Bourdeillcs,  seigneur  de  Bran- 
tôme (1527-1614),  gentilhomme  gascon,  est  auteur  de 
nombreux  écrits  qui  se  distinguent  par  le  style  origi- 
nal et  verveux,  mais  où  trop  souvent  le  lecteur  honnête 
regrette  le  choix  du  sujet,  les  épisodes  et  les  détails 
scabreux  de  mœurs  contemporaines  que  la  liberté  ou 
mieux  la  crudité  du  langage  gaulois  ne  met  que  trop 
en  relief.  Ce  reproche  s'adresse  beaucoup  moins  aux 
Vies  des  grands  capitaines  français  et  étrangers  qu'à  tel 
des  autres  ouvrages  de  l'auteur  dont  la  lecture  vaut 
celle  des  pires  romans.  L'histoire  écrite  de  cette  façon 
n'est  qu'un  pamphlet  ordurier.  Il  semble  pourtant  que 
le  Seigneur  de  Bourdeilles  n'en  avait  pas  conscience,  et 
qu'il  écrivit  ce  qu'il  voyait  ou  entendait  en  toute  sûreté 
de  conscience  et  en  s'estimant  un  parfait  chrétien. 

Breda  (rue  de)  :  Ouverte  en  1830  sur  les  terrains  ap- 
partenant à  M.  Breda. 

Bridaine  {r\ie)  :  Jacques  Bridaine  (1701-1767),  prédi- 
cateur populaire  célèbre,  dont  l'apostolat  eut  des  résul- 
tats prodigieux.  Ses  sermons  n'ont  pu  être  recueillis 
soit  parce  qu'il  prêchait  d'abondance  et  en  vrai  mission- 
siounaire,  soit  à  cause  de  son  humilité  qui  prenait  peu 
Souci  de  conserver  à  la  postérité  ces  pieux  discours. 
Tout  le  monde  cependant  a  lu  l'exorde  de  l'un  d'eux 
publié  pour  la  première  fois,  je  crois,  par  Maury  et  qui 
suffirait  à  la  gloire  de  Bridaine. 

Brise-Miche  (rue)  :  La  distribution  des  pains  ou  mi- 


B.  163 

ches  qu'on  faisait,  suivant  l'usage,  aux  chanoines  de  la 
collégiale  St-Merry  avait  lieu  dans  cette  rue,  d'où  la 
dénomination  brise- miche. 

Bout  du  monde  (rue  du)  :  S'appela  ainsi,  disent  les 
vieux  auteurs,  à  cause  d'un  méchant  réhus  de  Picardie 
qui  s'y  voyait  dans  une  enseigne  où  l'on  avait  repré- 
senté un  os,  un  bouc,  un  duc  (oiseau),  et  un  monde 
(glohe),  avec  cette  inscription  au  has  :  Au  bouc  du 
monde. 

Ce  qui  prouve  qu'on  cultivait  le  calemhourg  bien 
avant  la  venue  du  fameux  M.  de  Bièvre,  et  qu'on  le 
faisait  alors  tout  aussi  bon  ou  tout  aussi  mauvais  que 
lui  et  ses  successeurs. 

Braque  (rue  de)  :  Elle  doit  son  nom  à  Arnould  de 
Braque  qui,  en  1348,  y  fit  élever,  à  ses  frais,  une  cha- 
pelle et  un  hôpital . 

Brosse  (rue  Guy  de  la)  :  Médecin  de  Louis  XIII, 
Guy  de  la  Brosse,  savant  botaniste,  donna  au  roi  le  ter- 
rain où  fut  tracé  le  jardin  des  Plantes,  aujourd'hui  si 
célèbre.  Il  obtint  de  Bichelieu  son  patronage  bienveil- 
lant pour  le  nouvel  établissement  dont  un  édit  spécial, 
du  mois  de  janvier  1626,  autorisa  la  création.  Guy  de 
la  Brosse,  nommé  intendant  (directeur),  ne  s'occupa 
plus  que  de  développer  l'établissement  pour  lequel  une 
maison  d'habitation  fut  construite  en  même  temps  que 
le  jardin  s'enrichissait  des  plantes  les  plus  rares.  Guy 
de  la  Brosse  mourut  dans  un  âge  très  avancé  et  fut 
enterré  dans  la  cliapelle  de  la  maison. 

Broussais  (rue)  :  Ce  célèbre  médecin,  né  en  1772,  mort 
à  Paris  en  1838,  avait  le  tort  d'être  trop  systématique, 
et  ce  qui  est  pire,  matérialiste. 


164  LES    RUES    DE    PARIS. 

Bucherie  (rue  de  la)  :  Ainsi  nommée  à  cause  du 
voisinage  du/)07"/  aux  bûches.  L'École  de  Médecine,  s'é- 
levait autrefois  dans  cette  rue  où  elle  fut  construite  vers 
1472.  A  cette  époque  les  professeurs  de  la  faculté 
étaient  clercs  et  s'engageaient  à  garder  le  célibat. 

Buci  (rue  de)  :  Elle  doit  son  nom  à  Simon  de  Buci 
qui  acheta  en  1350  le  terrain  et  la  porte  St-Germain  à 
laquelle  il  donna  également  son  nom.  Cette  porte, 
reconstruite  sans  doute,  s'élevait  autrefois  à  l'extrémité 
de  la  rue  St-André-des-Arts  aboutissant  au  carrefour. 
C'est  par  là  qu'où  entrait  dans  le  faubourg  St-Germain. 
En  1673,  par  suite  d'un  arrêt  spécial,  la  porte  de  Buci 
fut  démolie  parce  qu'elle  gênait  la  circulation. 

Buffon  (rue  de)  :  Georges-Louis  Leclerc,  comte  de 
Buffon,  le  célèbre  naturaliste,  né  en  1707,  mourut  en 
1788,  à  la  veille  de  la  Révolution.  ((  Quand  on  a  lu  M. 
de  Buffon,  on  se  croit  savant.  On  se  croit  vertueux, 
quand  on  a  lu  Rousseau.  On  n'est  cependant  pour  cela 
ni  l'un  ni  l'autre.  »  Malgré  ce  jugement  sévère  de  Jou- 
bert,  Buffon  n'est  pas  le  premier  venu  et  l'on  ne  peut 
dire  qu'il  ait  escamoté  sa  réputation.  Il  sait  peindre, 
par  malheur  pour  lui  plus  que  pour  son  modèle,  regar- 
dant la  nature  à  distance  et  du  fond  de  son  cabinet,  il 
semble  peu  soucieux  de  se  déranger  pour  elle.  Celle-ci 
se  venge,  et  ne  se  montrant  à  ce  cérémonieux  qu'en 
grande  parure,  eUe  lui  dérobe  ses  secrets  les  plus  inti- 
mes et  sa  mystérieuse  poésie.  On  dit  que  l'illustre  aca- 
démicien, au  lieu  de  courir  les  bois  et  les  prairies, 
comme  Bernardin  de  St-Pierre,  sans  nul  souci  de  son 
costume  et  des  accrocs,  ne  quittait  guère  son  fauteuil 
et  qu'il  écrivait  toujours  en  grande  toilette,  avec  jabot 


c.  165 

et  manchettes  de  dentelles  et  l'épée  au  côté.  On  s'en 
aperçoit  à  sa  phrase  trop  faite,  mais  qui  pourtant  a  du 
nombre  et  de  l'ampleur.  C'est  un  écrivain  assurément 
et  aussi  un  savant  que  Buffon,  mais  ou  le  voudrait  plus 
homme  et  surtout  plus  chrétien,  ce  qui  lui  donnerait  la 
clé  de  bien  des  énigmes.  Son  génie  manque  d'entrailles; 
ce  lumineux  foyer  lance  des  rayons,  mais  sans  donner 
de  chaleur.  On  souhaiterait  qu'une  si  belle  intelligence 
prit  davantage  conseil  du  cœur.  L'auteur  du  Génie  du 
Christianisme  est  donc  fondé  à  dire  :  «  Il  ne  manquerait 
rien  à  BuÔbn  s'il  avait  autant  de  sensil»iUté  que  d'élo- 
quence. Remarque  étrange,  que  nous  avons  lieu  de 
faire  à  tous  moments,  que  nous  répétons  jusqu'à  satiété, 
et  dont  nous  ne  saurions  trop  convaincre  le  siècle  :  sans 
rehgion,  point  de  sensibilité.  Buffon  surprend  par  son 
style,  mais  rarement  il  attendrit.  Lisez  l'admirable  ar- 
ticle du  chien  :  tous  les  chiens  y  sont  :  le  chien  chas- 
seur, le  chien  berger,  le  chien  sauvage,  le  chien  de 
grand  seigneur,  le  cliien  petit-maître,  etc.  Qu'y  man- 
que-t-il  enfin?  Le  chien  de  l'aveugle.  Et  c'est  celui-là 
dont  se  fût  d'abord  souvenu  un  chrétien.  » 


C 


Cadran  (rue  du)  :  Ainsi  nommée  à  cause  d'un  grand 

cadran  qui  ornait  l'une  des  maisons. 

Caire  :  La  rue.  la  place  et  le  passage  du  Caire  ne 
remontent  pas  au-delà  de  ce  siècle.  Ils  fm-ent  construits 
sur  remplacement  du  couvent  des  Filles-Dieu,  fondation 
en  faveur  des  vieilles  femme?  pauvres  et  réduites  à  la 


166  LES   RUES   DE    PARIS. 

mendicité.  Eu  1790,  le  couvent,  dont  les  religieuses 
avaient  été  chassées,  fut  déclaré  propriété  nationale,  et 
plus  tard  démoli. 

Caille  (rue  de  la)  :  La  Caille,  astronome  célèbre, 
né  en  H 13,  mort  en  1762. 

Canettes  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Capucines  (boulevard  des)  :  Ce  nom  vient  de  l'ancien 
couvent  des  Capucines  qui  se  trouvait  dans  ce  quartier. 

Cassette  (rue)  :  Altération  du  mot  Cassel,  nom  donné 
à  un  hôtel  qui  s'élevait  dans  cette  rue. 

Cassini  (rue)  :  Cassini  (Jean-Dominique),  célèbre 
astronome,  était  né  à  Perinaldo,  dans  le  comté  de  Nice 
(8  juin  1625).  Il  mourut  à  Paris  en  1712. 

Caumartin  (rue)  :  Ouverte  en  1780.  Messire  An- 
toine Louis  Lefebvre  de  Caumartin,  chevalier,  marquis 
de  Saint-Ange,  comte  de  Moret,  seigneur  de  Caumartin, 
fut  prévôt  des  marchands  de  1778  à  1784. 

Calandre  {me  de  la)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne  qui 
représentait  certaine  machine  avec  laquelle  on  tabisait, 
polissait  ou  calandi^ait  les  étoffes  de  soie.  «  Vers  le  mi- 
lieu de  la  rue  en  effet,  dit  Sauvai,  pend  une  enseigne  à 
demi-rompue,  où  cette  grande  machine  est  peinte  et,  pas 
plus  que  dans  les  autres  enseignes,  il  n'y  a  ni  grive  ni 
patte  peine  ni  alouette.  »  Car  certains  auteurs  voulaient 
que  la  calandre  fût  le  charançon  qui  ronge  le  froment, 
d'autres  qu'elle  désignât  la  grive,  d'autres  encore  une 
grosse  alouette,  a  Tous  ces  gens-là  se  sont  tourmentés 
l'esprit  bien  mal  à  propos  pour  vouloir  trouver  dans  leur 
fantaisie  une  chose  qui  se  voit  et  qu'ils  pouvaient  trou- 
ver dans  cette  rue  même.  » 

Petit-Carreau  (rue  du).  On  disait  autrefois  des  Petits^ 


C.  167 

Carreaux.  «  Il  court,  dit  un  ancien  auteur,  un  proverbe 
des  habitants  de  la  rue  des  Petits-Carreaux  dont  je  ne 
sais  point  l'origine  : 

Les  enfants  des  Petits-Carreaux 
Se  font  pendre  comme  des  veaux. 

S'il  n'y  a  de  la  raison,  du  moins  y  a-t-il  de  la  rime  ; 
mais  pour  moi  je  pense  qu'il  a  plus  de  rime  que  de  rai- 
son. » 

Canivet  (rue  de)  :  En  vieux  langage  canif  ou  petit 
couteau. 

Capucines  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  d'un  couvent 
qui  existait  autrefois  en  cet  endroit.  Les  religieuses 
s'appelaient  aussi  les  Pauvres  Dames  ou  Filles  de  la  Pas- 
sion. 

Carmes  (rue  des)  :  Elle  doit  son  nom  aux  religieux  Car- 
mes qui  vinrent  s'y  établir,  en  1318. 

Carnot  (rue)  :  Carnot  (L.  N.  M.),  né  en  1753,  mort  en 
1823,  l'un  des  hommes  célèbres  de  la  Révolution  et  qui, 
par  l'énergique  impulsion  donnée  à  la  défense  nationale, 
comme  à  tous  les  services  militaires,  mérita  qu'on  dit 
de  lui  qu'il  avait  su  organiser  la  victoire.  Le  mot  semble 
devenu  banal  à  force  d'avoir  été  répété,  qu'importe  s'il 
est  vrai  ! 

Carrousel  (place  du)  :  C'était  autrefois  un  terrain 
vague  qui  s'étendait  entre  les  anciens  mursdePariset  le 
palais  des  Tuileries.  On  y  traça,  en  1600,  un  jardin  qui 
plus  tard  s'appela  Jardin  de  Mademoiselle  parce  que  Ma- 
demoiselle de  Montpensier  habitait  le  palais  des  Tuileries 
et  possédait   ce   jardin  détruit   en   1655.   Louis  XIV 


168  LES   RUES   DE   PARIS. 

choisit  cet  emplacement  pom^  les  grandes  fêtes  qu'il 
voulut  donner  les  5  et  6  juin  1662,  et  qui  se  composèrent 
surtout  de  courses  et  du  fameux  carrousel  où  figuraient 
le  roi,  les  princes  et  tous  les  grands  seigneurs  de  la  cour. 
Depuis  lors,  l'endroit  s'appela  place  du  Carrousel. 

Cerisaie  (rue  de  la)  :  Au  commencement  du  XVP 
siècle,  s'élevait,  à  la  place  des  maisons  qui  forment  cette 
rue,  une  superbe  allée  de  cerisiers,  ravissante  à  voir 
dans  la  saison  des  fleurs  comme  dans  celle  des  fruits. 
Mais  un  beau  jour,  à  la  grande  désolation  des  écoliers 
et  des  moineaux,  les  cerisiers  furent  abattus  et  rempla- 
cés par  des  maisons,  quelques-unes  grandes  et  belles; 
car  c'est  dans  cette  rue  que  se  trouve  l'hôtel  de  Philibert 
Delorme,  le  célèbre  architecte,  et  construit  par  lui-même. 
Avant  la  Révolution,  on  y  voyait  aussi  l'hôtel  de  Lesdi- 
guières,  bâti  pour  le  financier  Zamet. 

((  En  1742,  dit  M.  Lazare,  ses  magnifiques  jardins  ne 
contenaient  plus  qu'un  seul  monument,  c'était  le  tom- 
beau d'une  chatte  qui  avait  appartenu  à  Françoise 
Marguerite  de  Gondy,  veuve  d'Emmanuel  de  Lesdi- 
guières,  duc  de  Créquy.  On  y  lisait  une  épitaphe  dont  le 
tour  élégant  révèle  un  égoïsme  bien  naif  : 

Ci-gtt  nne  chatte  jolie, 
Sa  maîtresse,  qui  n'aima  rien. 
L'aima  jusqu'à  la  folie. 
Pourquoi  le  dire  ?  On  le  voit  bien, 

Champ-de-Mars.  Jusqu'en  1770,  ce  terrain  fut  occupé 
par  les  cultures  des  maraîchers.  A  cette  époque,  toutes 
les  plantations  furent  enlevées,  et,  à  leur  place,  on  traça 
un  immense  parallélogramme  de  1 ,000  mètres  environ 


c.  460 

sur  500  de  largeur  qui  s'appela  le  Champ-de-Mars  parce 
qu'il  servait  aux  exercices  de  l'Ecole  militaire. 

Champs-Elysées.  Au  commencemeut  du  XVIP  siècle, 
des  horticulteurs  et  des  maraîchers  occupaieut  ce  quar- 
tier maiuteuant  l'un  des  plus  magnifiques,  on  pourrait 
dire  le  plus  magnifique  de  Paris  par  ses  jardins  vérita- 
blement dignes  de  leur  nom,  et  ses  monuments,  ou  plu- 
tôt ses  maisons  moins  recommandables  au  point  de  vue 
de  l'architecture,  hélas  !  que  pour  leur  air  d'aisance  et 
de  richesse  :  le  luxe  à  défaut  d'art.  En  1610,  Marie  de  Mé- 
dicis  fit  planter  la  promenade  dite  le  Cours  la  Reine,  fer- 
mée aux  deux  extrémités  par  une  grille  et  bordée  au 
nord  et  au  midi  par  des  fossés. 

Vers  1670,  en  même  temps  qu'avaient  lieu  de  nou- 
velles plantations  ou  traçait  la  grande  avenue  des 
Cbamps-Elysées,  dans  l'axe  du  palais  des  Tuileries.  Puis 
deux  autres  avenues,  où  s'élevaient  de  grands  et  beaux 
hôtels,  furent  également  ouvertes,  partant  du  faubourg 
Saint-Honoré  pour  aboutir  aux  Champs-Elysées  qui  de- 
vinrent de  plus  en  plus  la  promenade  favorite  des  Pari- 
siens et  qui  le  seront  longtemps  encore  en  dépit  des 
craintes  ou  des  prévisions  manifestées  par  M.  Louis  La- 
zare. La  transformation  récente  des  Champs-Elysées, 
naguère  arides  et  poudreux  ,  en  un  véritable  Eden, 
peut  rassurer  sur  l'avenir  et  l'on  n'a  plus  à  redouter  que 
les  rues  et  les  maisons  envahissent  les  terrains  où 
s'épanouissent  ces  magnifiques  corbeilles  de  fleurs,  où 
verdoient  tant  de  beaux  gazons,  et  qu'ornent  tant 
d'arbustes  aux  espèces  variées.  Nous  espérons  même 
quelque  chose  de  plus,  c'est  que  nos  édile&^,  si  prompts 
aux  démolitions,  comprendront  la  nécessité  de  mettre  le 

TOME   III. 


170  LES    RUES    DE    PARIS. 

marteau  dans  cet  énorme  tas  de  moellons  qui  s'appelle 
le  Palais  de  l'Industrie,  une  lourde  bâtisse,  aussi  déplai- 
sante avoir  que  peu  utile  et  qui  pourrait  être  avanta- 
geusement remplacée  par  des  eaux  jaillissantes,  des 
statues,  des  arbres  et  des  parterres.  On  trouverait  sans 
peine  un  local  plus  favorable  pour  les  expositions  de 
peinture  et  de  sculpture  ;  car  dans  celui-ci  au  moindre 
froid  on  gèle  ;  et  dans  la  belle  saison  au  contraire,  par 
le  manque  de  ventilation,  sous  la  toiture  en  verre,  la 
chaleur  devient  vite  intolérable  et  fait  d'une  visite  au 
Salon  un  supplice  plutôt  qu'un  plaisir. 

Champollion  (rue)  :  J.  F.  Champollion,  né  à  Figeac 
(1791)  mort  à  Paris  en  1831,  est  devenu  célèbre  par  ses 
travaux  sur  l'Egypte  ancienne  et  en  particulier  sur  la 
langue  des  hiéroglyphes  qu'il  parait  avoir  déchiffrée. 

Championnet  (rue)  :  Jean  Etienne  Championnet  (1762- 
1800)  commandant  en  chef  de  l'armée  d'Italie  lit,  en 
1798,  la  conquête  du  royaume  de  Naples. 

Charonne  (rue  de)  :  Nom  d'un  village  auquel  la  voie 
conduisait. 

Chàteaudun,  (rue)  :  Ce  nom  a  remplacé  la  désignation 
précédente  :  rue  du  Cardinal  Fesch.  Il  n'est  pas  besoin 
de  rappeler  la  résistance  héroïque  de  cette  toute  petite 
ville  lors  delà  grande  invasion  prussienne  (8  octobre  1 870). 

Croix  des  petits  Champs  (rue)  :  La  construction  d'une 
partie  de  cette  voie  publique  remonte  au  règne  de  Phi- 
lippe-Auguste. Elle  fut  ouverte  sur  un  terrain  qui  con- 
sistait en  jardins,  ou  petits  champs  dont  elle  a  tiré  une 
partie  de  son  nom.  Une  croix  y  placée  à  côté  de  la 
seconde  maison  après  la  rue  du  Pélican,  a  complété  la 
dénomination. 


c.  171 

Chanoinesse  (rue)  :  A  pris  son  nom  des  chanoines  qui 
l'habitaient.  On  l'appelait  aussi  CloHre-Notre-fJamc. 

Sainte- Chapelle.  Ce  monument  auquel  une  restaura» 
tion  intelligente  a  rendu  toute  sa  beauté,  fut  élevé  par 
les  ordres  de  saint  Louis  qui  le  destinait  à  renfermer  les 
précieuses  Reliques  acquises  par  lui  des  Vénitiens  et  de 
l'empereur  de  Constantinople.  «  Un  célèbre  architecte 
de  ce  temps,  nommé  Eudes  de  Montreuil,  fut  chargé  de 
la  construction  de  la  nouvelle  chapelle.  Il  y  fit  preuve 
d'une  grande  habileté,  et  y  déploya  tout  le  luxe  d'orne- 
ments, toute  la  légèreté  de  construction  que  l'architec- 
ture gothique  avait  empruntée  des  Arabes  et  qui  en 
faisait  alors  le  caractère.  Ce  monument  est  travaillé 
avec  toute  la  délicatesse  d'une  chasse  en  orfèvrerie  ;  et 
après  six  cents  ans,  c'est  encore  un  des  édifices  les  plus 
curieux  et  les  plus  élégants  de  Paris. 

((  ....  Les  vitraux  qui  existent  encore  sont  un  monu- 
ment précieux  de  ce  qu'était  la  peinture  sur  verre  au 
XIIP  siècle....  Dès  le  sixième  d'ailleurs,  il  est  question 
de  vitres  peintes  dans  les  chroniques.  Celles  de  la 
Sainte-Chapelle  sont  remarquables  parleur  hauteur,  la 
variété  et  la  vivacité  de  leurs  teintes.  L'ordonnance  des 
tableaux  qu'elles  représentent  est  bizarre,  leur  fabrica- 
tion plate  et  sans  effet  ;  le  dessin  des  figures,  tracé  sur 
un  fond  uni,  est  accompagné  seulement  de  quelques 
hachures  afin  de  donner  un  peu  de  relief  au  sujet  et  ce 
dessin  est  tout  à  fait  barbare  ;  mais  cette  vivacité  éblouis- 
sante de  couleurs,  que  tant  de  siècles  n'ont  pu  altérer, 
fait  encore  l'étonnement  et  l'admiration  des  connais- 
seurs. ))  (Sai^'t-Victor). 

Le  zèle  religieux  de  saint  Louis  n'éclata  pas  seule- 


172  LES    RUES   DE    PARIS. 

ment  dans  l'érection  de  ce  beau  monument,  tous  les  ans, 
le  jour  du  Vendredi-Saint,  il  se  rendait  en  grand  appa- 
reil à  la  sainte  Chapelle  ;  et  là,  revêtu  de  ses  habits 
royaux,  il  exposait  lui-même  les  monuments  de  la  Pas- 
sion à  la  vénération  du  peuple,  exemple  suivi  par  plu- 
sieurs de  ses  successeurs,  a  II  semble,  dit  Saint-Victor, 
que  le  président  HénauU  n'ait  point  assez  senti  tout  ce 
qu'il  y  avait  d'admirable  dans  ce  pieux  et  grand  roi.  Il 
l'admire  sans  doute  lorsqu'il  le  voit  réduisant  les 
rebelles,  combattant  les  ennemis  de  son  royaume,  ren- 
dant à  ses  peuples  une  justice  exacte  et  vigilante,  etc.  ; 
mais  cet  historien,  abusant  d'un  mot  employé  par  le  père 
Daniel,  le  trouve  singulier  lorsqu'il  le  voit  dans  son  inté- 
rieur donnant  à  la  prière  le  temps  qu'il  pouvait  dérober 
aux  affaires,  témoignant  une  entière  déférence  à  sa 
mère,  une  douceur  paternelle  à  ses  domestiques.  Peu 
s'en  faut  qu'il  ne  le  présente  alors  comme  tombé  dans  un 
état  d'imbécillité.  «  Dans  ces  moments,  dit-il,  ses  domes- 
))  tiques  devenaient  ses  maîtres,  sa  mère  lui  comman- 
))  dait,  et  les  pratiques  de  la  dévotion  la  plus  simple 
))  remplissaient  ses  journées.  »  Ce  qui  semble  petit  au 
président  Hénault  à  nos  yeux  est  sublime  ;  et  comme 
d'après  son  propre  aveu,  les  vertus  solides  et  la  noble 
fermeté  qui  composaient  le  caractère  de  saint  Louis  ne 
se  sont  jamais  démenties,  ce  mélange  touchant  de  gran- 
deur et  d'humilité  nous  offre  un  être  presque  au-dessus 
de  l'humanité,  un  héros  tel  que  le  paganisme  n'en  pou- 
vait produire,  le  véritable  héros  chrétien.  » 

Chardonnet  ou  Chardonneret  (rue  St-Nicolas  du)  : 
S'appelle  ainsi  à  cause  de  l'église  St-Nicolas  bâtie  à 
l'une  de  ses  extrémités  ;  ((  puis  d'un  certain  terroir  en 


C.  173 

friche,  dit  Sauvai,  voisin  île  l'église  et  tout  rempli  de 
chardons  qui  couvraient  un  grand  espace  de  ce  quartier 
là.  Si  le  peuple  dit  la  rue  du  Chardonneret  et  non  du 
Chardonnet,  c'est  que  le  petit  oiseau  qui  porte  ce  nom 
lui  est  plus  connu  que  celui  de  chardonnet.  «  Dans  le 
Dit  des  Rues  de  Paris,  on  lit  ces  deux  vers  : 

Eli  la  rue  de  Saint-Nicolas 
Du  Chardonnet  ne  fus  pas  las. 

Chariot  (rue)  :  C'est  le  nom  d'un  riche  financier  qui, 
vers  le  milieu  du  XVIP  siècle,  y  possédait  plusieurs 
belles  maisons.  Chariot,  pauvre  paysan  du  Languedoc, 
venu  à  Paris  en  veste  et  sabot,  put,  au  bout  de  quelques 
années,  se  rendre  adjudicataire  des  gabelles  et  de  cinq 
grosses  fermes  et  fit  une  grosse  fortune. 

Chatelet  (place  du)  :  «  La  justice  ordinaire  de  la  ville 
de  Paris,  dit  un  auteur  ancien,  est  le  Chatelet.  Elle 
s'exerce  sous  le  nom  du  Prévôt  de  Paris.  Tous  les  juge- 
ments qui  se  rendent  au  Chatelet  et  tous  les  actes  des 
notaires  sont  intitulés  en  son  nom.  » 

Chat  qui  pêche  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une  ensei- 
gne. 

Chauchat  (rue)  :  Cliauchat  (Jac(jues)  avocat  au  parle- 
ment, conseiller  d'Etat,  fut  élu  écheviu  le  17  août  1778. 

Chénier  (rue)  :  André  Chénier  bien  plus  que  son  frère 
Marie-Joseph  a  donné  son  nom  à  cette  rue. 

Sur  des  pensers  nouveaux  faisons  des  vers  antiques, 

a  dit  ce  poète  dont  quelques  pièces,  Y  Aveugle ,  la  Liberté, 

le  Jeune  Malade,  etc.,  sont  d'admirables  chefs-d'œuvre 

TOME  m.  10* 


174  LES    RUES   DE    PARIS. 

qu'on  ne  peut  trop  louer  pour  l'exquise  pureté  de  la 
forme.  Ou  regrette  que,  dans  les  Idylles,  et  surtout  les 
Elég l'es,  caiie  belle  langue  devienne  le  plus  souvent  celle 
de  la  passion,  et  d'une  passion  qui  parle  aux  sens  bien 
plus  qu'à  l'àme.  Le  poète  semble  traduire  Catulle  et 
Properce  plus  encore  que  Théocrite  et  Yirgile. 

On  sait  qu'André  Chénier,  né  à  Constantinople  (1762), 
périt  à  Paris  sur  l'échafaud  l'avant-veille  du  9  thermi- 
dor, et  qu'il  fut  l'une  des  dernières  et  illustres  victimes 
de  la  Terreur  dont  il  avait  flétri  les  coryphées,  «  ces 
bourreaux  barbouilleurs  de  lois  »,  dans  des  iambes 
immortels. 

Cherche-Midi  (rue  du)  :  Autrefois  des  Vieilles  Tuileries, 
puis  chasse-midi  et  enfin  cherche-midi  «  qui  était  le  nom 
d'une  enseigne  que  je  pense  y  avoir  vue,  dit  Sauvai, 
où  se  voyait  peint  un  cadran  et  des  gens  qui  cherchaient 
midi  à  quatorze  heures.  Ce  nom,  tout  corrompu  et  faux 
qu'il  est,  plaît  si  fort  à  ceux  du  faubourg  S t- Germain, 
où  cette  rue  est  située,  qu'ils  l'ont  transporté  aux  filles 
de  la  congrégation  de  Notre-Dauie  qui  y  ont  un  monas- 
tère.... L'enseigne  après  a  semblé  si  belle  qu'elle  a  été 
gravée  et  mise  à  des  almanachs  tant  de  fois  qu'on  ne 
voyait  autre  chose  :  et  môme  on  en  a  fait  un  proverbe  : 
//  cherche  midi  à  quatorze  heures  ;  c'est  un  chercheur  de 
midi  à  quatorze  heures,  dit-on  en  parlant  de  gens  qui 
cherchent  à  reprendre  quelque  chose  mal  à  propos  où 
il  n'y  a  rien  à  reprendre,  ou  qui  s'embarrassent  pour 
des  choses  qu'ils  ne  sauraient  avoir.  » 

ChcTuôini  (rue)  :  Chérubini,  compositeur  de  musique 
célèbre  surtout  par  sa  belle  Messe  et  son  grand  Be- 
quiem  (1760-1842). 


c.  175 

Chevalier  du  Guet,  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une 
maison  que  le  roi  avait  acquise  pour  loger  le  clievalier 
ou  commandant  du  guet  (garde  de  Paris  alors).  La  com- 
pagnie du  chevalier  du  guet  se  composait  d'un  capi- 
taine, quatre  lieutenants,  un  guidon,  huit  exempts, 
cinquante  archers  à  cheval,  un  enseigne,  huit  sergents 
de  commandement  et  cent  hommes  de  pied,  ayant  tous 
des  provisions  du  roi  à  la  nomination  du  capitaine, 
deux  greffiers  contrôleurs,  un  payeur  de  solde. 

Ces  archers  étaient  hahillés  de  bleu  avec  des  bandou- 
lières semées  d'étoiles  d'argent  et  de  fleurs  de  lys  d'or, 
bordées  d'un  galon  or  et  argent. 

Les  huit  sergents  portaient  des  justes- au -corps 
galonnés  d'argent  et  les  ceinturons  de  même  sans  ban- 
doulières. 

Cité  {rue  de  la)  :  En  1834,  on  confondit  sous  cette 
seule  dénomination  les  trois  rues  de  la  Lanterne,  (nom 
qui  vient  d'une  enseigne);  de  la  Juiverie,  ainsi  nommée 
parce  qu'au  XIP  siècle  elle  était  habitée  par  les  juifs  ; 
du  Marché-Palu  ;  ce  nom  venait  d'un  marché  qui  s'y 
tenait  de  temps  immémorial  et  que  le  sol  boueux  et 
marécageux,  qui  ne  fut  que  tardivement  pavé,  avait 
fait  surnommer  2^alu  de  palus,  marais. 

Cléry  (rue  de)  :  Ce  nom  vient  de  l'hôtel  Cléry  qui  s'y 
trouvait  situé  et  qui  aboutissait  sur  les  fossés  de  la 
ville.  Pour  moi  ce  nom  rappelle  celui  du  pieux  serviteur 
de  Louis  XYI,  et  rayonne  comme  le  symbole  du  dévoue- 
ment et  de  l'héroïque  fidélité . 

Vieux -Colombier  (rue  du)  :  Elle  doit  son  nom  à  un  co- 
lombier que  les  religieux  de  St-Germaiu  des  Près  y 
avaient  fait  bâtir  au  XY^  siècle.  La  caserne  des  Pom- 


176  LES    RUES   DE    TARIS. 

piers,  qui  se  voit  aujourd'hui  vers  le  milieu  de  la  rue, 
formait  avant  la  Révolution  le  couvent  ou  asile  des 
Orphelins  de  St-Sulpice  ou  de  la  Mère  de  Dieu,  fondé 
par  le  vénérable  Olier,  en  1648,  pour  les  enfants, 
filles  et  garçons,  de  la  paroisse  qui  restaient  sans  pa- 
rents. 

Cocatrix  (rue)  : 

En  la  l'ue  Cocatrix  vins, 

Où  l'on  boit  souvent  de  bons  vins, 

Dont  maint  homme  souvent  se  varie  (s'enivre). 


Cocatrix  était  le  nom  d'une  famille  bien  connue  au 
XIIP  siècle  et  du  fief  qui  lui  appartenait,  situé  entre  la 
rue  St-Pierre-aux-Bœufs  et  celle  des  Deux-Ermites. 

Colomb  Christophe  (rue)  :  Cet  illustre  Génois  à  qui  la 
découverte  de  l'Amérique  valut  tant  de  gloire  et  que 
l'Espagne,  dotée  par  lui  d'un  immense  empire,  récom- 
pensa par  l'ingratitude,  joignait  au  grand  caractère,  à 
l'intelligence  supérieure,  les  vertus  d'un  saint.  Des  his- 
toriens vont  jusqu'à  lui  attribuer  le  don  des  miracles  ; 
l'auteur  d'une  consciencieuse  et  intéressante  Histoire  de 
Christophe  Colomb  en  deux  volumes,  de  date  assez  récente, 
M.  Roselly  de  Lorgnes  est  de  ceux-là  et  réclame,  pour 
son  héros  et  le  nôtre,  les  honneurs  de  la  canonisation. 

Salle  au  Comte  (rue)  :  A  la  fin  du  XIIP  siècle,  dans 
cette  rue  s'élevait  un  hôtel  appartenant  au  comte  de 
Dammartin  et  qu'on  appelait  la  Salle  du  Comte  ou  au 
comte. 

Concorde  (place  de  la)  :  S'appelait  Place  Louis  X\\ 
parce  qu'elle  fut  tracée  sous  le  règne  de  ce  prince  dont 


c.  177 

la  statue  équestre  s'élevait  au  milieu  de  la  place  qui 
s'appela  de  la  Révolution  à  cette  époque  si  triste  de  nos 
anuales  où  se  dressait  en  permanence,  en  face  du  jardin 
des  Tuileries,  l'échafaud  sur  lequel  montèrent  tour  à 
tour  Louis  XYI,  Marie- Antoinette,  M™*"  Elisabetji, 
Malesherbes,  Beauharnais,  Chénier,  Barnave,  et  tant 
d'autres  illustres  victimes  auxquelles  bientôt  d'ailleurs, 
par  un  juste  jugement  de  Dieu,  succédèrent  les  bour- 
reaux. 

Par  suite  d'un  décret  du  2G  octobre  1795,  la  place  se 
nomma  de  la  Concorde,  désignation  qui  parait  devoir 
lui  rester  définitivement  et  qu'elle  reprit  après  1830  ; 
car,  pendant  la  Restauration,  elle  s'appela  de  nouveau 
place  Louis  XV. 

Au  milieu  de  la  place  s'élève  le  grand  obélisque  rap- 
porté d'Egypte  en  1833  et  qui  s'encadre  entre  deux  fon- 
taines en  bronze  d'un  assez  bel  aspect.  Des  autres 
embellissements  de  ce  vaste  pourtour  nous  n'avons  rien 
à  dire  ;  ils  nous  semblent  d'un  goût  fort  contestable,  en 
particulier  les  maisonnettes  servant  de  piédestaux  aux 
statues,  et  les  ennuyeux  dallages  en  bitume  qui  ne  ser- 
vent guère  qu'aux  exercices  des  amateurs  du  patin  à 
roulettes.  Assurément  de  frais  gazons  et  des  corbeilles 
de  fleurs  récréeraient  bien  mieux  la  vue. 

Condé  (rue  de)  :  Elle  a  pris  ce  nom  lorsque  Henri  de 
Bourbon,  prince  de  Condé,  vint  loger  à  l'hôtel  de  Gon- 
dy.  On  connaît  les  beaux  vers  de  Boileau  sur  Condé. 


Un  bruit  s'épand  qu'Enghien  et  Coudé  sont  passés  ; 
Condé,  dont  le  seul  nom  fait  tomber  les  murailles, 
Force  les  escadrons  et  gagne  les  batailles  ; 


178  LES   RUES   DE   PARIS. 

Enghien^  de  son  hymen  le  seul  et  digne  fruit, 
Par  lui  dès  son  enfance  à  la  victoire  instruit. 

Epitre  IV.  —  Au  Roi. 

Coq-Héron  (rue  du)  :  L'impasse  de  ce  nom  (origine 
inconnue)  devint  une  rue  en  1543,  sous  le  règne  de 
François  I"  qui  ordonna  de  démolir  riiôtel  de  Flandre 
pour  vendre  le  terrain  à  des  particuliers  avec  la  faculté 
de  bâtir. 

Dans  cette  rue  se  voient,  d'un  côté,  les  bâtiments  de 
la  Caisse  d'Epargne,  et  de  l'autre,  des  dépendances  de 
l'Hôtel-des-Postes  dont  la  principale  entrée  se  trouve 
rue  Jean-Jacques  Rousseau. 

CoquilUère  (rue)  :  Elle  aurait  dû  d'abord  son  nom  à 
Pierre  Gocquettier,  bourgeois  de  Paris,  qui,  eu  1292,  y 
possédait  une  belle  maison  qu'il  vendit  à  Guy  de  Dam- 
pierre,  comte  de  Flandre.  Le  peuple  changea  ce  nom 
en  celui  de  Coquetière ,  à  cause  des  coquetiers  ou 
marchands  d'œufs  qui  passaient  par  cette  voie  pour  se 
rendre  aux  halles  ou  qui  peut-être  y  tenaient  leurs  bou- 
tiques. Au  temps  de  Clément  Marot,  elle  prit  le  nom  de 
rue  CoquUlart  d'un  certain  gentilhomme  qui  avait  trois 
coquilles  d'or  dans  ses  armes.  Le  poète  lui  fit,  après  sa 
mort,  cette  épitaphe  : 

La  mort  est  jeu  pire  qu'aux  quilles, 
Ni  qu'aux  échecs,  ni  qu'au  gaillard, 
A  ce  Hiéchant  jeu  Coquillart 
Perdit  sa  vie  et  ses  coquilles. 

On  ne  dit  point  à  quelle  époque  la  rue  prit  son  nom 
définitif  de  :  CoquilUère. 


C.  470 

Corbeau  {rue  du)  :  Ouverte  en  182G  sur  un  terrain 
appartenant  à  M.  Corbeau. 

Corbineau  (rue)  :  Corbineau  (Clamle-Louis-Constant- 
Esprit-Juvenal-Gabriel),  né  à  Laval  le  7  mars  1772, 
s'engagea,  dès  l'âge  de  seize  ans,  dans  la  compagnie 
des  gendarmes  de  la  reine.  Il  était  général  lorsqu'il  fut 
tué  à  Eylau  par  nn  boulet.  On  cite  de  lui  dans  cette 
bataille  un  trait  non  moins  curieux  qu'admirable. 

Il  sabrait  vigoureusement  un  corps  de  Russes  lorsque 
tout  à  coup  l'arme  échappe  de  ses  mains. 

<r  Ramasse-moi  mon  sabre,  et  rends-le  moi!»  cria-t-il 
au  Russe  qui  se  trouvait  le  plus  près  de  lui. 

Stupéfait,  le  soldat  ennemi,  qui  peut-être  ne  compre- 
nait pas  notre  langue  mais  cédait  à  l'éloquence  du 
geste  et  à  la  fascination  du  regard,  se  baisse,  ramasse 
le  sabre  et  le  remet  à  Corbineau  et  celui-ci  continue  à 
charger. 

L'Empereur,  en  apprenant  la  mort  de  Corbineau,  fut 
vivement  impressionné  et  il  murmura  :  «  Quoi  !  réduit 
à  rien  par  un  boulet  !  » 

Cordonnerie  (rue  de  la)  :  Son  nom  lui  vint  des  vendeurs 
de  cuirs  et  cordonniers  qui  l'habitaient.  Ce  n'est  que  par 
syncope  que  ceux  qui  font  et  vendent  des  souliers  sont 
nommés  cordonniers,  car  originairement  on  les  appelait 
cordouanniers,i^ixrce  que  le  premier  cuir  dont  les  Français 
se  servirent,  venant  de  Cordoue,  était  appelé  Cordouan. 

Cossonnerie  {vMQ  de  la)  :  Est  fort  ancienne.  Au  XII*^ 
siècle,  on  l'appelait  via  cochoneria  ou  de  la  cochonnerie. 
t\  Il  semblerait,  dit  un  vieil  auteur,  qu'autrefois  on  y 
ait  tenu  le  marché  aux  cochons  et  celui  de  la  volaille, 
ou  qu'elle  ait  été  longtemps  habitée  par  des  charcutiers 


180  LES   RUES   DE   PARIS. 

et  des  poulaillers,  car  anciennement  cossonniers  et  cos- 
sonnerie  voulaient  dire  la  même  chose  que  poulaillers  et 
^ow/«///me;  j'apprends  même  de  quelques  vieillards  qu'à 
certains  jours  de  la  semaine  on  y  tenait  un  marché  de 
cochons  et  de  volailles.  » 

Cours.  Le  nombre  des  rues  et  places  qui  portaient  au- 
trefois ce  nom  était  considérable.  La  plupart  étaient  des 
maisons  accompagnées  d'une  cour  comme  la  cour  des 
Miracles,  la  cour  des  Fontaines,  etc. 

Coupe-Gorge  ai  Coupe- Gueule  (rues)  :  Toutes  deux  dans 
le  quartier  de  la  Sorbonne  ;  «  elles  prirent  des  noms  si 
étranges,  dit  Sauvai^,  à  cause  des  brigandages  et  mas- 
sacres qui  s'y  faisaient  toutes  les  nuits  » ,  et  par  ce  motif 
furent  fermées  de  portes  et  de  fait  supprimées.  Ces  dé- 
nominations sinistres,  très-multipliées  dans  le  vieux 
Paris,  sont,  pour  le  dire  en  passant,  la  meilleure  preuve 
qu'il  ne  faisait  pas  si  bon  à  vivre  à  cette  époque  que  le 
croient  et  le  disent  des  écrivains  érudits  et  bien  inten- 
tionnés d'ailleurs,  mais  aux  opinions  systématiques  et 
qui  volontiers  nous  représentent  ces  temps  comme  un 
autre  âge  d'or.  Ce  n'est  point  ainsi  qu'en  jugeaient  les 
contemporains,  chroniqueurs  et  poètes,  qui,  regardant 
autour  d'eux,  ne  trouvaient  guère  qu'à  blâmer,  mais 
par  une  autre  exagération,  et  par  suite  de  cet  effet 
d'optique  singulier  qui  fait  que,  pour  bien  voir  un  ta- 
bleau, il  ne  faut  être  placé  ni  trop  près  ni  trop  loin.  Je 
ne  parle  point  ici  des  auteurs  de  fabliaux  et  contes,  illi- 
sibles pour  la  plupart  par  tant  de  passages  licencieux 
qui  nous  donnent  des  mœurs  du  temps  une  idée  assez 
fâcheuse.  Mais  des  auteurs  plus  sérieux,  des  hommes 
graves,  dans  leurs  histoires  et  chroniques,  semblent  trop 


c.  181 

confirmer  par  ce  qu'ils  racontent  les  dits  scandaleux  des 
trouvères.  Les  poètes  satiriques  parlent  de  leur  siècle 
comme  parleront  du  leur  plus  tard  Matluirin,  Régnier, 
Boileau,  Gilbert  et  de  nos  jours  tel  moraliste  qui,  dans 
ses  plus  violentes  sorties,  ne  saurait  guère  aller  plus 
loin  que  l'iionnète  Guyot,  le  poète  du  XIIP  siècle  (1204). 

Du  siècle  puant  et  horrible 

M'estuet  (m'émeut)  commencer  une  bible  (livre) 

Pour  poindre  et  pour  aiguiilonDer 

Et  pour  grand  exemple  donner. 

Suit  une  longue  description  des  travers  et  des  vices  du 
temps  dans  laquelle  abondent  les  portraits  qui  ne  sont 
pas  flattés,  aussi  bien  que  les  tableaux  fort  peu  couleur 
de  rose.  Citons  quelques  passages  comme  pièces  à  l'ap- 
pui. 

Le  monde  nos  (nous)  ont  encombré 

D'ort  siècle  de  désespéré  ; 

Trop  est  notre  loi  au-dessous, 

Qui  bien  nos  (nous)  voudroit  juger  tous. 

Si,  comme  je  sais  et  comme  je  crois, 

Jà  (déjà)  n'en  eschaperoient  trois 

Qu'ils  ne  fussent  damnés  sans  fin. 

Où  sont  li  (les)  bon,  où  sont  li  fin  (vrai), 

Où  sont  li  (les)  sage,  où  sont  li  prou  (braves)  ? 

S'il  estoient  tuit  (tous)  en  un  fou  (feu)^ 

Jà  des  Princes,  si  comme  je  cuit  (pense), 

N'y  auroit  un  brûlé  ni  cuit. 

Un  poète  à  qui  sa  haute  position  permettait  de  mieux 
juger  encore  et  qui,  dans  ses  voyages,  avait  acquis  une 
longue  expérience  par  la  comparaison  des  divers  pays, 

TOME  ni.  11 


182  LES   RUES   DE    TARIS. 

le  Seigneur  de  Berze  (dans  la  Bible  au  Seigneur  de  Berze), 
n'est  pas  moins  sévère  que  Guyot  : 

Li  (les)  uns  usent  lor  (leur)  tempi  en  guerre, 

Et  as  (aux)  autres  taut-on  (enlève)  leur  terre; 

Li  (les)  unslanguist  d'infirmité, 

Tii  autres  choit  en  pauvreté. 

L'autre  est  blasmé  et  en  vergogne 

Et  cil  (celui)  qui  mieux  a  sa  besogne. 

C'est  cil  qui  convoite  encor  plus  : 

Nul  rien  de  bien  je  n'y  truis  (trouve). 

11  soloit  (avait  coutume)  estre  un  temps  jadis 

Que  li  siècles  estoient  jolis 

Et  pleins  d'aucune  vaine  joie  : 

Or,  n'est  solaz  (plasir)  que  je  y  voie 

Ea  quoi  li  (les)  hora  (hommes)  se  delitoit  (délectait), 

En  faire  ce  que  il  cuidoit  (pensait) 

Qui  venist  à  l'autre  à  plaisir  : 

Or  (à  présent)  se  délitent  en  trahir, 

Et  li  uns  de  l'autre  engeingnier  (tromper)  ; 

Cil  qui  mieux  sait  deschevauchier  (renverser) 

Son  compagnon,  cil  vaut  ores  (à  présent)  miex  (mieux). 

Convoitise,  angoisse  et  orgueix  (orgueil) 

Ont  si  (ainsi)  toute  joie  périe 

Qu'elle  est  par  tout  le  mont  (monde)  faillie. 


Le  pauvre  brait  toujours  et  crie 
Qu'il  ait  avoir  et  mananlie  (richesse), 
Et  le  riche  meurt  de  paor  (peur) 
Qu'il  ne  la  perde  chacun  jor  fjour). 

Li  (le)  mariage  dont  Dieu  dist 
A  quoi  le  siècle  se  tenist  (tint) 
Pour  garder  ailleurs  de  péchés 
Sont  tuit  (tout)  corrompu  et  l)risû, 
Et  la  foi  et  la  loyauté 
Sont  changés  en  fausseté  ; 


C.  483 

Et  li  (les)  chevaliers,  qui  dévoient 

Défendre  de  cil  (ceux)  qui  roboient 

Les  menues  gens  et  garder, 

Sont  or  (à  présent)  plus  engrant  (ardents)  de  rober  (voler) 

Que  li  autres  et  plus  angoisseus  : 

Tout  tourne  et  à  gas  et  àgeus  (risée  et  jeu) 

Quanques  (tout  ce  que)  Dieu  avait  establi. 

Des  laboureurs  je  vous  di  (dis) 

Que  li  un  conquiert  (prend)  volontiers 

Sur  son  compagnon  deux  quartiers 

De  terre,  s'il  peut,  en  emblant  (volant). 

Et  boute  adez  (ensuite)  la  borne  avant. 

En  plusieurs  manières  sont  faux 

Et  tricheors  (tricheurs)  li  plusieurs  d'aux  (d'eux)  ; 

Et  liProvoire  (prêtre)  et  li  Clergé 

Sont  plus  désirant  de  péché 

Que  li  autre  ne  sont  assez. 

Tout  est  le  siècle  bestornez  (renversé) 

D'ensi  (depuis)  comme  il  fut  establiz, 

Tuit  (tous)  s'atornent  (s'adonnent)  mes  aux  deliz  (délits). 

Molt  (beaucoup)  eussions  fait  bel  exploit 

Si  les  Ordres  (religieux)  fussent  tenues  ; 

Mais  elles  sont  si  corrompues. 

Que  petit  (peu)  en  tient  nului  (aucun)  ores  (à  présent) 

Ce  qui  leur  fut  commandé  lores  (autrefois). 

Ainsi  chacune  se  discorde 

De  Dieu  servir  d'aucune  rien  (façon). 

Et  Nonnains  a-t-il  molt  de  bien 

S'elles  tenissent  (tinssent)  chastée  (chasteté) 

Si  comme  elle  estoit  ordenée  (ordonnée)  ; 

Mais  elles  ont  maisons  plusors  (plusieurs) 

Où  l'on  pense  à  de  vainz  ators  (atours). 

Plus  qu'on  ne  fait  de  Dieu  servir  ; 

Toute  voie  (toutefois)  et  (est)  à  souffrir; 

Car  s'aucune  méprend  (agit  mal)  de  rien, 

II  y  a  d'autres  qui  font  bien. 


IS1  LES    RUES    DE    PARIS. 

Supposé  que  de  notre  temps  les  geus  du  monde  mé- 
ritassent les  mêmes  reproches  et  un  blâme  aussi  énergi- 
que, assurément  si  l'on  parlait  de  notre  Clergé,  des 
prêtres  réguliers  et  séculiers,  comme  le  font  Guyot  et 
le  Seigneur  de  Berze,  on  crierait  à  la  calomnie,  et  l'on 
aurait  raison.  Mais  quoi,  à  toutes  les  époques,  nous 
voyons  moralistes,  satiriques,  prédicateurs,  même  ceux 
de  l'esprit  le  plus  large  et  le  plus  élevé,  faire  la  leçon 
aux  contemporains,  blâmés  comme  les  pires  de  tous. 
N'est-ce  pas  Bossuet  qui,  en  plein  XYIP  siècle,  dans  ce 
grand  XYIP  siècle,  illustré  par  tant  de  gloires  et  l'hon- 
neur de  notre  histoire,  s'écriait  avec  un  accent,  d'amère 
douleur  :  ((  Eh  !  quel  siècle  fut  plus  débordé  que  le  nôtre  /» 

Croissant  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Croix-Bouge  (carrefour  de  la)  :  Il  s'appelait  au  XV^ 
siècle  Carrefour  de  la  Maladrerie  à  cause  de  plusieurs 
Jjâtimeats  ou  granges  dans  lesquelles  on  logeait  les 
pauvres  malades.  Ce  nom  fut  remplacé  par  la  désigna- 
tion actuelle  qui  vient  d'une  croix  peinte  en  rouge  qu'on 
voyait  au  milieu  de  la  place,  laquelle^  sous  la  Révolu- 
tion, s'appela  du  Bonnet  rouge. 

Cujas  (rue)  :  Cujas  (Jacques),  célèbre  jurisconsulte  né 
à  Toulouse  en  1320  et  mort  en  1590,  se  recommandait 
par  la  vertu  autant  que  par  la  science.  Ses  Commen- 
taires sur  le  Droit  romain  font  encore  autorité. 

Culture  S  te- Catherine  (rue)  :  On  prononçait  coulture. 
Cette  rue  et  phisieurs  autres  avec  elle  s'appelèrent  de  ce 
nom  qui  signifie  un  endroit  propre  à  être  cultivé.  Il  y 
avait  jadis  à  Paris  un  grand  nombre  de  ces  terrains 
appartenant  à  des  églises,  à  des  abbayes,  la  culture  Saint- 
Eloi,  la  culture  Saint-Gervais,  Saint-Lazare,  etc. 


c.  ISo 

Au  coin  de  cette  rue  Culture  Ste-Catherinr,  clans  la 
nuit  du  13  au  \A  juin  1391,  Pierre  de  Craon  tenta  par 
vengeance  d'assassiner  le  connétable  de  Clisson.  Il  le 
laissa  pour  mort  sur  la  place,  mais  le  connétable  n'était 
que  blessé  et  guérit  assez  promptement.  Les  biens  de 
Pierre  de  Craon  furent  confisqués,  son  bôtel  démoli  et 
l'emplacement  où  il  s'élevait  servit  dès  lors  de  cimetière 
à  la  paroisse  Saint-Jean. 

Ciœier  {rue)  :  Georges  Cuvier,  né  en  1769  mourut  en 
1832.  L'illustre  naturaliste,  qui  fut  un  éminent  écri- 
vain, a  jeté  les  bases  de  cette  brancbe  nouvelle  de  la 
science  qu'on  appelle  la  Paléontologie,  dont  les  progrès 
ont  été  si  rapides.  Un  des  résultats  les  plus  considérables 
des  récentes  découvertes  géologiques,  fruit  de  patientes 
investigations,  a  été  de  prouver  le  merveilleux  accord 
de  la  cosmosgonie  de  Moïse  avec  les  faits  mis  en  lumière 
par  la  science.  «  Chose  admirable,  dit  Cuvier,  les  dépôts 
et  les  débris  fossiles  suivent  absolument,  dans  les  degrés 
de  leur  enfoncement  dans  le  sein  de  la  terre,  l'ordre  des 
jours  où  les  substances  auxquelles  elles  ont  rapport 
furent  créées  d'après  le  récit  de  Moïse...  Elevé  dans 
toute  la  science  des  Egyptiens,  Moïse  nous  a  laissé  une 
Cosmogonie  dont  l'exactitude  se  vérifie  chaque  jour.  Les 
observations  géologiques  s'accordent  parfaitement  avec 
la  Genèse  sur  l'ordre  dans  lequel  ont  été  successivement 
créés  tous  les  êtres  organisés  ^  » 

•  Cuvier  :  —  Recherches  sur  les  ossements  des  quadrupèdes  fos- 
siles. 


186  LES   RUES   DE   PARIS. 


D 


Daguerre  (rue)  :  L.  Jacques  Daguerre  (1788-1851) 
inventeur  du  Diorama^  eu  1822,  l'est  aussi  du  Daguer- 
réotype (1839)  réservé  à  une  bien  autre  fortune  grâce 
aux  perfectionnements  de  la  découverte.  Le  procédé, 
qui  consistait  d'abord  à  fixer  les  images  sur  la  plaque 
métallique  par  la  seule  action  de  la  lumière,  est  devenu 
surtout  populaire  par  la  Photographie  qui,  à  l'aide  du 
verre  dépoli,  reproduit  l'empreinte  sur  le  papier  et  tire 
autant  d'épreuves  que  l'on  désire. 

L'engouement  pour  les  cartes-portraits  et  les  albums 
parait  cependant  très- refroidi. 

C'est  une  question  de  savoir  si  le  peintre  Daguerre, 
avec  sa  découverte  qui  donne  trop  aux  procédés  maté- 
riels, n'a  pas  nui  à  l'art  plus  qu'il  ne  l'a  servi.  Toppffer 
assez  compétent  est  pour  l'affirmative.  J'inclinais,  moi- 
même  à  cette  opinion  lorsque  j'ai  lu,  d'un  écrivain  émi- 
nent,  une  page  éloquente  qui  m'a  fait  réfléchir  et  m'a 
converti,  peu  s'en  faut,  à  la  photographie. 

(c  Voici  que,  depuis  peu  de  jours,  dit  le  père  Gratry 
dans  les  Sources  (2°  partie),  l'art  de  fixer  l'image  de  la 
figure  humaine  devient  si  populaire  et  si  facile,  que  les 
peintres,  aidés  du  soleil,  parcourent  dans  toute  l'Europe 
jusqu'aux  moindres  villages,  et  font  si  bien  que  fort 
souvent  ils  ne  laissent  pas  dans  la  contrée  une  seule 
figure  humaine  sans  la  saisir.  Eh  bien  !  voilà  les  por- 
traits des  ancêtres.  Ce  qui  n'était  possible,  il  y  a  plu- 
sieurs siècles,  qu'aux  rois  et  aux  seigneurs,  sera  bientôt 


D.  187 

réalisé  pour  tous  ;  l'usage  de  ces  collections  s'éteudra  ; 
on  mettra  les  noms  et  les  dates,  puis  quelques  faits  sail- 
lants :  fonctions,  honneurs,  services,  actes  de  dévoue- 
ment. Les  maires  et  les  curés  signeront  les  portraits, 
constateront  les  souvenirs.  Yoilà  les  parchemins,  voilà 
les  titres  de  noblesse  I  0  mon  frère  qui  que  vous  soyez, 
devenez  fondateur  ou  bien  régénérateur  d'une  race 
noble  !  Portez  avec  vigueur  à  son  grand  but,  qui  est  la 
multiplication  des  justes  et  des  enfants  de  Dieu,  celles 
des  lignées  humaines,  dont  vous  êtes  un  anneau  :  en 
cela  seul,  vous  aurez  été  un  bienfaiteur  de  la  patrie  et 
de  l'humanité.  » 

Nous  voilà  bien  loin  de  Daguerre  et  de  sa  plaque  ! 

Davoust  (rue)  :  Davoust  (Louis-Nicolas)  maréchal  de 
France  et  prince  d'Eckmiihl,  joignait  à  de  grands  talents 
militaires,  prouvés  surtout  par  la  victoire  d'Auesterdait, 
une  honorable  indépendance  de  caractère.  Né  en  1770,  il 
est  mort  en  1823. 

Dauphin  (rue  du)  :  Relativement  récente,  car  elle  ne 
date  que  du  XVIP  siècle.  Elle  s'appelait  d'abord  St- 
Vincent  ;  mais  vers  17 M,  le  Dauphin  (père  de  Louis 
XVI)  prit  l'habitude  de  suivre  cette  rue  pour  aller 
entendre  la  messe  à  St-Roch.  Un  matin,  pendant  qu'il 
i^riait,  le  peuple,  à  qui  ce  prince  était  cher  par  ses  ver- 
tus, enleva  l'ancienne  inscription  pour  la  remplacer  par 
une  nouvelle,  celle  de  7'ue  du  Dauphin. 

Dauphine  (rue)  :  Ce  nom  lui  fut  donné  en  l'honneur 
du  Dauphin,  depuis  Louis  XIII  (1606). 

Dauphine  (place)  :  Fut  faite  sous  le  règne  de  Henri  IV, 
et  à  cette  époque  Paris  ne  comptait  comme  places  pu- 
bliques que  la  Grève,  les  Halles,  le  parvis  Notre-Dame, 


188  LES   RUES   DE   PARIS. 

la  place  Mau])ort,  celle  du  Clicvalicr-du-Guct;,  de  Sainte- 
Opportune  et  de  la  Croix-du-Tiroir. 

((  Lorsque  le  projet  de  bâtir  le  Pont-Neuf  avait  été 
conçu,  dit  Saint-Yictor,  on  avait  coupé  l'île  de  la  Gour- 
daine  du  côté  du  grand  cours  de  l'eau,  le  moulin  de 
la  Monnaie  avait  été  détruit,  et  sur  les  deux  côtés  du 
triangle  qui  forme  ce  terrain  avaient  été  construits  les 
deux  quais  que  nous  voyons  aujourd'hui.  Commencés 
en  1580,  puis  interrompus,  ils  furent  repris  vers  le 
temps  où  l'on  finissait  le  pont  et  achevés  en  16H.  Tout 
l'espace  qui  s'étendait  depuis  l'Eperon  jusqu'au  jardin 
du  Palais  était  encore  en  prairies  :  «  c'était,  dit  Sauvai, 
»  une  solitude  stérile,  déserte  et  abandonnée  qui,  tous 
»  les  ans,  était  noyée  et  cachée  sous  l'eau.  »  Henri  IV 
en  fit  don,  en  1G07,  au  premier  président  de  Harlay,  à 
la  charge  d'y  bâtir,  suivant  les  plans  et  devis  qui  lui 
seraient  donnés  par  le  grand  voyer  et  sous  la  condition 
de  quelques  redevances.  Ce  magistrat  fit  construire 
d'abord,  le  long  des  murs  du  jardin,  une  rue  de  mai- 
sons uniformes  qui  aboutit  aux  deux  cjuais  du  grand  et 
du  petit  cours  d'eau  et  qui  fut  nommée  rue  du  Harlay. 
Sur  le  plateau  triangulaire  qui  formait  le  reste  de  l'Ile, 
on  ouvrit  une  place  qui  fut  environnée  de  maisons  à 
double  corps  de  logis  dont  l'un  a  vue  sur  la  place  et 
l'autre  sur  les  quais.  Le  plan  en  fut  donné  par  le  roi 
qui  la  nomma  place  Dauphine,  en  mémoire  de  la  nais- 
sance de  son  fils  Louis  XIII. 

Sous  la  Révolution,  la  place  s'appela  Place  de  Thion- 
ville,  et  garda  ce  nom  jusqu'à  la  Restauration.  C'est  au 
milieu  de  cette  place,  à  l'endroit  à  peu  près  où  se  voit 
le  monument  de  Desaix,  que  furent  brûlés,  sous  Phi- 


D.  189 

V\[)[H\  IV  (lit  le  Bel,  Jacques  Molay,  grand  mailre  des 
Templiers  et  le  maitre  de  Normandie.  L'Ile  dite  de  la 
Gonrdaine  appartenait  alors  à  ral)])ayc  de  St- Germain 
des  Prés  et  le  roi  crut  devoir  écrire  aux  religieux  de 
l'abbaye  que  par  cette  exécution  il  n'avait  aucunement 
prétendu  porter  atteinte  à  leurs  droits  de  propriété.  Le 
fait  est  assez  curieux  pour  ne  pas  l'oublier. 

David  (rue)  :  Louis  David,  né  en  1748,  mort  on  1825. 
Très  vraie  nous  parait  cette  réflexion  de  Raczynski  à 
propos  de  ce  maître  :  «  Dans  les  Sahines  de  David  par 
exemple,  il  y  a  de  très  grandes  beautés.  Les  enfants 
dans  ce  tableau  sont  dignes  du  Dominiquin....  Si  au 
lieu  de  briller  de  l'encens  sur  les  autels  du  paganisme 
et  de  la  Révolution,  il  avait  élevé  son  àme  aux  inspira- 
tions chrétiennes,  s'il  avait  été  donné  à  ce  cœur  de  con- 
naitre  la  charité,  la  piété  et  le  calme  religieux,  il  eut 
sans  doute  atteint  le  sublime  de  l'art.  » 

Dans  la  bouche  du  critique,  ces  observations  ont  plus 
de  portée  encore. 

Delaroche  (rue)  :  Paul  Delaroche,  né  en  1707,  mort  en 
1856.  Lenormant  a  dit  de  cet  illustre  peintre  :  a  Tous 
les  moyens  employés  par  l'artiste  sont  pour  ainsi  dire 
sa  création,  et  par  un  bonheur  sans  égal  il  trouve  le 
secret  de  s'adresser  à  tout  le  monde  ;  tandis  que  le  peu- 
ple, dans  le  sens  véritable  et  étendu  du  mot,  est  séduit 
et  captivé  par  une  réalité  saisissante,  l'homme  de  l'art 
reconnaît  un  talent  original,  des  ressources  étonnantes, 
et  son  suffrage,  arraché  peut-être,  n'en  est  que  plus  sin- 
cère et  plus  profond.  » 

((  ...  Après  ce  que  j'ai  dit,  j'ai  peu  de  chose  à  ajouter 
sur  son  caractère  pour  faire  juger  l'homme  en  même 

TOME  m.  Il'* 


190  LES   RUES   DE    PARIS. 

temps  que  le  peintre.  Ou  s'arrange  mieux  aujourd'hui 
d'épines  dorsales  plus  souples  que  la  sienne  :  mais  il 
s'inquiétait  peu  qu'on  le  trouvât  raide  pourvu  que  sa 
conscience  lui  dit  qu'il  était  bon.  Il  était  par-dessus 
tout  l'homme  du  devoir  et  du  travail  ;  il  avait  à  un 
degré  supérieur  le  sentiment  de  la  dignité  de  l'artiste  : 
et  ceux  qui  dépendaient  de  lui,  enfants,  élèves  et  domes- 
tiques, savaient  seuls  qu'il  n'y  avait  pas  de  bornes  à  la 
douceur  intime  de  son  caractère....  Il  laisse  de  beaux 
exemples  et  n'a  donné  que  de  bonnes  leçons.  /) 

Casimir  Delcwigne  (rue)  :  Né  en  1793,  mort  en  1843, 
Casimir  Delavigne  a  prouvé,  (comme  Racine  avec^Ma- 
lie)y  par  sa  tragédie  des  Enfants  d'Edouard  que,  sans 
une  intrigue  amoureuse,  un  drame  pouvait  offrir  l'inté- 
rêt le  plus  soutenu,  le  plus  profond,  tenir  jusqu'à  la 
fin  le  spectateur  haletant  sous  le  coup  de  son  émotion 
croissant  de  scène  en  scène,  et  le  conduire  le  cœur 
serré  par  l'angoisse,  les  yeux  pleins  de  larmes,  au 
dénouement  des  plus  pathétiques.  La  plupart  des  autres 
pièces  de  l'auteur,  les  Vêpres  siciliennes,  le  Paria,  Marino 
Faliero,  etc,  ont  vieilli,  pour  la  forme  comme  pour  le 
fond  ;  la  tragédie  des  Enfants  d'Edouard,  de  beaucoup 
supérieure,  vraiment  remarquable  même,  a  gardé  tout 
son  attrait  restée  à  bon  droit  au  théâtre.  Beaucoup  de 
vers  sont  devenus  proverbe,  celui-ci  par  exemple  : 

Quand  ils  ont  tant  d'esprit  les  enfants  vivent  peu. 

On  y  regrette  seulement  quelques  hémistiches  malveil- 
lants à  l'adresse  du  clergé.  Delavigne  par  malheur 
était  imbu  de  préjugés  rétrogrades  et  voltairiens,  qui, 


D.  191 

dans  le  Don  Juan  cC Autriche,  s'accentuent  jiiS(iu'à  l'inep- 
tie et  au  ridicule.  Le  caractère  Iionorable  du  poète,  qui 
n'était  point  un  bohème  comme  tels  autres  de  nos  con- 
temporains, rend  plus  extraordinaire  le  penchant  à  ces 
sottises  peu  dignes  d'un  esprit  aussi  élevé,  penchant 
qui  doit  tenir  à  une  première  et  fausse  éducation.  Mais 
il  dépendait  de  Casimir  Delavigne  de  s'éclairer  par 
l'expérience,  par  l'étude,  la  réflexion  aidées  de  la  cons- 
cience; et  précisément  parce  qu'il  eut  plus  de  lumières, 
il  semble  moins  excusable  d'avoir  persévéré  dans  ces 
vulgaires  errements. 

Les  Messéniennes,  poésies  lyriques,  qui  eurent  naguère 
tant  de  retentissement  et  commencèrent  la  réputation 
de  l'auteur,  ne  se  lisent  plus  guère. 

Saint-Denis  (rue)  :  Est  l'une  des  plus  anciennes  do 
Paris.  Elle  existait  comme  rue  avant  la  lin  du  XP  siè- 
cle, et  avait  pris  tout  naturellement  son  nom  du  chemin 
qui  conduisait  au  village  de  St-Denis  (ancienne  Catalo- 
cum),  où  l'on  vénérait  le  tombeau  du  saint  martyr,  et 
de  ses  compagnons.  C'était  et  ce  fut  longtemps  un  pèle- 
nage  des  plus  célèbres. 

La  rue  à  l'abbé  de  Saint-Denis 
Sied  assez  près  de  Saint-Denis  '. 

((  A  deux  lieues  est  l'abbaye  laquelle  est  d'excellent 
édifice,  dit  un  vieil  auteur^  :  là  sont  les  corps  de  St- 
Denis  et  ses  compagnons  St-Ruth  et  St-Eleuthère,  en 
grandes  riches  fiertés  (châsses).  Si  y  est  une  maisoncelle 


*  Le  Dit  des  Rues. 

'  Guillebert  de  Metz. 


192  LES   RUES    DE    PARIS. 

(petite  maison)  dessus  appelée  tégurion^  toute  d'argent, 
à  riches  pierres,  laquelle  fit  saint  Eloi.  Si  fut  d'abord 
la  couverture  de  l'église  d'argent  ;  mais  puis,  pour  une 
grande  guerre,  fut  découverte  et  fut  pour  ce  baillé  à 
l'église  un  des  saints  Clous,  une  partie  de  la  sainte  Cou- 
ronne, une  partie  de  la  Lance,  une  partie  de  la  sainte 
Croix,  le  Suaire  de  Notre-Scigneur,  la  destre  de  saint 
Siméon,  une  chemise  de  Notre-Dame  et  autres  notables 
reliques.  Illec  (là)  sont  moult  de  riches  sépultures  de 
rois  et  de  princes  ;  là  prend  le  roi  l'oriflamme  quand  il 
va  en  guerre  ;  c'est  un  gonfauon  dont  la  hampe  est 
dorée  et  la  bannière  vermeille  à  cinq  franges  où  l'on 
met  houppes  de  vert.  » 

C'était  par  la  rue  St-Denis  que  les  rois  et  les  reines 
de  France  faisaient  leur  entrée  solennelle  dans  Paris. 
Toutes  les  rues  sur  leur  passage  étaient  tendues  d'étoffes 
magnifiques  de  soie  et  de  drap.  Yoici  ce  que  Froissard 
nous  raconte  à  propos  de  l'entrée  dans  Paris  de  la  trop 
fameuse  Isabeau,  femme  de  Charles  VI  :  «  A  la  Porte 
))  aux  Peintres,  rue  St-Denis,  on  voyait  un  ciel  nué  et 
»  étoile  très  richement,  et  Dieu  par  figure  séant  en  sa 
y>  majesté,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ;  et  dans  ce 
»  ciel  petits  enfants  de  chœur  chantaient  moult  douce- 
»  ment  en  forme  d'anges  ;  et  lorsque  la  reine  passa 
»  dans  sa  litière  découverte  sous  la  porte  de  ce  paradis, 
»  deux  anges  descendirent  d'en  haut  tenant  en  leur 
))  main  une  très  riche  couronne  d'or,  garnie  de  pierres 
»  précieuses  et  la  mirent  moult  doucement  sur  le  chef 
))  de  la  reine,  chantant  en  vers  : 

Dame  enclose  entre  fleurs  de  lys^ 
Reine  êtes-vous  de  paradis. 


D. 


9:s 


De  France  et  de  tout  pays. 
Nous  remontons  au  paradis. 

On  sait  que  saint  Denis^  apôtre  des  Gaules,  qui  fut  le 
premier  évèque  de  Paris,  souffrit  le  martyre  dans  cette 
ville  avec  ses  compagnons,  Rustique,  prêtre,  et  Eleu- 
thère,  diacre,  et  que  tous  trois  eurent  la  tète  tranchée. 
Les  Actes  nous  apprennent  de  plus  qu'après  l'exécution, 
les  corps  des  saints  furent  jetés  dans  la  Seine  par  les 
bourreaux  ;  mais  une  pieuse  chrétienne  du  nom  de 
GatuUa,  à  la  faveur  des  ténèbres  et  aidée  de  quelques 
serviteurs  sans  doute,  put  les  retirer  et  les  enterrer 
honorablement  non  loin  du  lieu  où  les  confesseurs 
avaient  été  décapités.  Sur  cette  tombe  vénérée,  les  fidè- 
les élevèrent  une  chapelle,  comme  on  l'a  dit  plus  haut, 
remplacée  au  cinquième  siècle  par  une  église.  Puis, 
lorsque  le  roi  Dagobert  fonda  la  célèbre  abbaye  de 
■  St-Denis,  il  y  fit  transporter  les  précieuses  reliques. 

Mais  à  quelle  date  faut-il  placer  le  martyre  de  saint 
Denis?  «  L'opinion  lapins  probable,  dit  Godescard,  est 
qu'il  souffrit  durant  la  persécution  de  Yalérien,  en  272.  » 
Mais  une  tradition  fort  ancienne  et  respectable  autant 
que  vraisemblable,  d'après  des  hagiographes  conscien- 
cieux, veut  que  saint  Denis,  premier  évèque  de  Lutècc, 
fût  celui-là  même  que  saint  Paul  convertit  à  Athènes 
et  qui  est  connu  sous  le  nom  de  VAréopugite.  Dès  le 
temps  des  apôtres,  et  envoyé  par  eux,  il  avait  porté 
l'Évangile  dans  le?  Gaules  ;  son  martyre  remonterait 
donc  au  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne.  Il  ne  nous 
appartient  pas,  à  nous  trop  peu  versé  dans  ces  matiè- 
res, de  décider  à  ce  sujet;  il  nous  semble  toutefois,  en 


194  LES   RUES    DE    PARIS. 

ne  consultant  que  les  simples  lumières  du  bon  sens,  que 
le  triomphe  définitif  de  cette  opinion,  s'appuyant  de 
preuves  sérieuses,  ne  pourrait  qu'ajouter  à  la  gloire  de 
l'église  gallicane  puisque  l'évèché  de  Paris  remonterait 
ainsi  à  la  plus  haute  antiquité. 

Si-Denis  (porte)  :  En  i671,  le  prévôt  des  marchands 
et  les  échevins  décidèrent  qu'on  érigerait  un  arc  de 
triomphe  en  mémoire  des  glorieux  exploits  de  Louis  XIV 
dans  la  Flandre  et  la  Franche- Comté.  La  ville  de  Paris 
fît  les  frais  de  cette  construction.  Ils  s'élevèrent  à 
500,122  f.  Les  sculptures,  commencées  par  Girardon 
d'après  les  dessins  donnés  par  François  Blondel,  furent 
achevées  par  Michel  Anguier, L'arc  de  triomphe  fut  res- 
tauré en  1807  par  M.  Cellerier. 

Descartes  Crue)  :  René  Descartes,  mathématicien  et 
métaphysicien  célèbre,  né  en  1596,  mourut  en  1630.  Il 
a  fait  dire  de  lui  :  «  Tout  est  tellement  plein  dans  le 
système  de  Descartes  que  la  pensée  ne  peut  s'y  faire 
jour  et  y  trouver  place.  On  est  toujours  tenté  de  crier 
comme  au  parterre  :  «  De  l'air  !  de  l'air  I  On  étouffe,  ou 
est  moulu  !  »  J'en  crois  plus  volontiers  ici  Joubert  que 
le  poète  quand  il  dit  : 

Descartes,  ce  mortel  dont  on  eût  fait  un  Dieu  ! 

Deshe  (rue)  :  Romain  ou  Raymond,  comte  Desèze, 
né  à  Bordeaux  en  1750,  mort  en  1828,  l'un  des  défen- 
seurs de  Louis  XVI. 

Diamants  (rue  des  cinq)  :  Ce  nom  vient  d'une  en- 
seigne. 

S t- Dominique  S t- Germain  (rue)  :  S'appelle  ainsi  depuis 


E.  195 

l'an  1613,  que  les  Jacobins  obtinrent  la  permission  de 
lui  donner  ce  nom  au  lieu  de  celui  de  Rue  aux  Vaches, 
Chemin  aux  Vaches^  qu'elle  portait  parce  que  les  vaches 
du  faubourg  St-Germain  passaient  par  ce  sentier  pour 
aller  paitre  au  Pré  aux  Clercs.  (IL  y  a  longtemps  de 
cela). 

Dragon  (rue  et  cour  du)  :  Ce  nom  vient  d'un  dragon 
sculpté  au-dessus  de  Tuoe  des  portes  de  la  Cour. 

Draperie  (rue  de  la  Vieille]  :  Après  l'expulsion  des 
Juifs,  en  1183,  Philippe-Auguste  établit  dans  cette  rue 
des  drapiers  auxquels  il  donna  24  maisons  moyennant 
100  livres  de  rentes.  De  là  le  nom  de  la  draperie  qui 
devint,  en  1313,  la  Viez  Draperie. 

Du  Sommerard  (rue)  :  Du  SommerarJ  est  le  savant 
antiquaire  à  qui  l'on  doit  la  création  du  Musée  de 
Cluny,  par  suite  du  don  qu'il  lit  à  la  ville  de  Paris  de  sa 
précieuse  collection.  Né  en  1771),  il  mourut  en  1842. 


E 


Eblè  (rue)  :  Engagé  volontaire  dès  l'âge  de  9  ans 
comme  fils  d'un  officier,  Eblé  (Jean-Baptiste)  était  capi- 
taine au  moment  de  la  Révolution  qui  lui  ouvrit  une 
plus  large  carrière.  Général  de  brigade  en  septembre 
1793,  on  lui  dut  une  nouvelle  et  meilleure  organisation 
de  l'artillerie.  Après  avoir  fait  la  plupart  de  nos  grandes 
campagnes,  il  fut,  lors  de  la  guerre  de  Ptussie,  nommé 
commandant  en  chef  des  équipages  et  rendit,  en  cette 
qualité,  des  services  inappréciables. 

Quand  vinrent  les  désastres  de  la  retraite,  Eblé  diri- 


196  LES    RUES   DE    TARIS. 

gea  la  coustructioa  des  ponts  qui  permirent  aux  débris 
de  l'armée  de  franchir  la  Bérésina  et  sauvèrent  la  vie  à 
tant  d'infortunés.  Le  brave  général,  pour  hâter  l'exécu- 
tion du  travail,  et  réparer,  au  besoin,  les  accidents,  resta 
trois  jours  et  trois  nuits  sur  la  rive  du  fleuve  les  pieds 
dans  l'eau  et  dans  la  glace.  Victime  ou  plutôt  martyr  de 
son  dévouement,  par  suite  de  la  fatigue  et  du  froid,  il 
s'éloigna  malade.  Quelques  jours  après,  il  expirait  à 
Koenisberg  au  moment  où  l'Empereur  le  nommait  ins- 
pecteur-général et  commandant  en  chef  de  l'artillerie 
de  l'armée. 

£  chaude  {rue  de  1')  :  On  appelle  échaudé  un  îlot  de  mai- 
sons en  forme  triangulaire  qui  donne  sur  trois  rues. 

Echelle  (rue  de  F)  :  On  nommait  échelles  autrefois 
certains  lieux  d'exécution  à  cause  d'une  espèce  d'échelle 
sur  laquelle  on  attachait  les  coupables. 

Ecole,  (rue  de  1')  :  Voici  ce  que  nous  en  apprend  Le 
Dît  des  Rues  de  Paris  : 

En  après  est,  rue  de  l'Ecole, 
La  demeure  à  dame  Nicole; 
En  cette  rue,  ce  me  semble, 
Vend-on  foin  et  fouarre  (paille). 

Le  vieux  poète  Rutebœuf  nous  a  laissé  de  l'écolier 
d'alors  un  portrait  pris  sur  le  vif  et  curieux  aujourd'hui 
encore  à  reproduire  : 

Quand  il  est  à  Paris  venuz 
Por  faire  à  quoi  il  est  tenuz 
Et  por  (pour)  mener  honeste  vie. 
Si  bestorne  (renverse)  la  prophétie. 


E.  l'J7 

Gaiug  de  soc  et  d'are  nue  (labourage) 

Nos  convertit  en  arméiire  (armure)  ; 

Por  chacune  rue  regarde 

Où  voie  la  belle  musarde; 

Partout  regarde,  partout  muse  ; 

Ses  argenz  faut  'gaspille)  et  sa  robe  uze  : 

Or  est  tout  au  recoumaucier  (recommencer). 

Ne  fait  or  bien  ce  semancier 

En  carême  que  l'on  doit  faire. 

Chose  qui  à  Dieu  doive  plaire. 

En  lieu  de  haircs  haubers  vestent. 

Et  boivent  tant  qu'ils  s'entêtent. 

École  Polytechnique  :  Getto  Ecole  célèbre,  fondée,  en 
1794,  sous  le  titre  de  :  École  centrale  des  Ti^avaux  publics, 
parce  qu'elle  était  destinée  surtout  à  former  des  ingé- 
nieurs, prit  le  nom  d'École  Polytechnique  que  lui  donna 
la  loi  du  1"  septembre  1795,  modifiant  son  organisation. 
Les  savants  les  plus  illustres  de  l'époque,  Lagrange,  La- 
place,  Bertbollet,  Fourcroy,  Monge,  etc.,  tinrent  à  hon- 
neur d'y  professer.  Les  élèves  se  réunissaient  dans  les 
amphitéàtres  du  Palais-Bourbon  ;  mais,  après  le  décret 
du  16  juillet  1804,  qui  déclara  qu'à  l'avenir  ils  seraient 
casernes,  l'Ecole  fut  transférée  sur  la  montagne  Sainte- 
Geneviève,  dans  le  local  qu'elle  occupe  aujourd'hui. 

L'admission  a  toujours  lieu  par  voie  de  concours,  et 
des  examinateurs  spéciaux  en  décident.  La  durée  des 
cours  est  de  deux  ans,  suivis  de  nouveaux  et  rigoureux 
examens.  Les  élèves  s'ils  n'ont  pas  échoué,  en  sortant 
fruits- secs j  ont  le  droit  de  choisir,  d'après  le  rang  qu'ils 
occupent  sur  la  liste  dressée  par  le  jury,  le  service  public 
(ponts-et- chaussées,  mines,  artillerie,  état-major,  et«i.) 
dans  lequel  ils  veulent  entrer.  Aux  derniers  nécessaire- 


198  LES    RUES   DE   PARIS. 

ment  les  moins  bonnes  places  :  tarde  venientibus  ossa. 

Deux-Écus  (rue  des)  :  Guillot,  en  1300,  la  nomme  des 
Ecus  seulement.  C'est  là  que  naquit,  il  y  a  pas  mal  d'an- 
nées déjà,  certain  auteur  assez  de  nos  amis,  et  qui,  nous 
l'espérons,  n'est  point  tout  à  fait  indilïérent  au  lecteur. 
Pas  n'est  besoin  de  dire  son  nom.  Avoir  son  berceau 
rue  des  Deux-Écus,  pour  un  poète  ou  un  littérateur, 
cela  ne  vous  semble- t-il  pas  un  présage  et  un  indice 
assuré  de  la  vocation  ? 

Elzevir  (rue)  :  Ce  nom  fut  rendu  célèbre  par  plusieurs 
imprimeurs  du  XVP  et  du  XVIP  siècle  établis  à  Ams- 
terdam et  à  Leyde,  et  dont  les  bibliophiles  recherchent 
curieusement  aujourd'hui  encore  les  belles  éditions 
comme  d'autres  amateurs  font  des  tableaux,  dessins, 
sculptures  etc. 

Enfants-Roufjes  (rue  des)  :  Ce  nom  lui  vient  d'un  hôpi- 
tal qui  se  trouvait  rue  Portefoin  et  s'appelait  ainsi  au 
XVP  siècle.  Par  lettres  patentes  du  mois  de  janvier 
Jo36,  François  P""  se  déclare  fondateur  de  cet  hospice 
spécialement  destiné  à  recevoir  les  enfants  orphelins 
natifs  de  Paris.  Il  est  ordonné  parles  mêmes  lettres  que 
ces  enfants  seront  perpétuellement  appelés  Enfants- 
Dieu  et  qu'on  les  vêtira  d'étoffe  rouge,  a  pour  marquer 
que  c'est  la  charité  qui  les  fait  subsister.  »  C'est  ce  qui 
leur  fit  donner  par  le  peuple,  en  dépit  de  l'ordonnance 
royale,  le  nom  d'Enfants- Bouges. 

Enfer  (rue  d')  :  Ce  n'était  au  XIIP  siècle  qu'un  che- 
min nommé  de  A^anves  et  d'Issy  parce  qu'il  conduisait  à 
ces  deux  villages.  On  le  désigna  ensuite  sous  la  dénomi- 
nation de  Vauvert,  parce  qu'il  se  dirigeait  vers  le  châ- 
teau de  ce  nom  que  remplaça  plus  tard  le  couvent  des 


E.  199 

Chartreux.  Cette  voie  publique  prit  successivement  le 
nom  de  Porte-Giùard,  de  rue  Saint-Michel,  et  faubourg 
Saint-Michel. Enûn  on  l'appela  rue  iï Enfer  parce  qu'elle 
devint,  dit  M.  L.  Lazare,  «  un  lieu  de  débauches  et  de 
voleries,  un  enfer  pour  les  pauvres  bourgeois  qui  se 
hasardaient  le  soir  dans  ce  quartier  perdu.  » 

D'après  Sainte-Foix,  le  château  de  Yauvert,  bâti  par 
le  roi  Robert,  fut  aliandonué  par  ses  successeurs.  «  Le 
hasard  voulut  que  des  esprits  ou  revenants  s'avisèrent 
de  s'emparer  de  ce  vieux  château.  On  y  entendait  des 
hurlements  affreux.  On  y  voyait  des  spectres  traînant 
des  chaînes,  et  entre  autres  un  monstre  vert,  avec  une 
grande  barbe  blanche,  moitié  homme  et  moitié  serpent, 
armé  d'une  grosse  massue  et  qui  semblait  toujours  prêt 
à  s'élancer  sur  les  passants.  Que  faire  d'un  pareil  châ- 
teau ?  Les  Chartreux  le  demandèrent  à  saint  Louis  ;  il 
le  leur  donna  avec  toutes  les  appartenances  et  dépen- 
dances. Les  revenants  n'y  i^evinrent  plus  ;  le  \iom.à' Enfer 
resta  seulement  à  la  rue,  en  mémoire  de  tout  le  tapage 
que  les  diables  y  avaient  fait.  » 

Dans  la  rue  d'Enfer,  au  n°  74,  se  trouve,  comme  on 
sait,  l'hospice  des  Enfants-Trouvés,  dit  aujourd'hui  des 
Enfants-Assistés. 

Épée  de  Bois  (rue  de  F)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Deux-Ermites  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  également 
d'une  enseigne. 

Vieille-Estrapade  (rue  de  la)  :  Autrefois  rue  des  Fossés 
Saint-Marcel,  nom  qu'elle  échangea  contre  celui  de 
l'Estrapade  parce  que  c'était  l'endroit  où  s'infligeait  ce 
supplice  alors  en  usage  dans  l'armée.  Yoici  en  quoi  il 
consistait  :  On  soulevait  au  moyen  d'une  poulie  le  con- 


200  LES    RUES   DE    PARIS. 

damné  jusqu'à  une  certaine  hauteur  d'où  on  le  laissait 
retomber  violemment  à  terre,  ce  qui  lui  disloquait  les 
bras  d'habitude  liés  sur  la  poitrine.  Ce  supplice  barbare, 
a  disparu  depuis  longtemps  du  code  militaire  ;  n'eut-il 
pas  mieux  valu  n'en  point  perpétuer  le  souvenir  par  le 
nom  donné  à  cette  rue  ? 

Etienne  du  Mont  (église  Saint)  :  Il  existait  une  cha- 
pelle de  ce  nom  dès  les  premières  années  du  XIIP  siècle 
(1221).  Elle  fit  place  plus  tard  à  la  basilique  actuelle, 
commencée  sous  François  1"  (1517),  mais  terminée  bien 
des  années  après,  et  remarquable  par  son  jubé,  le  seul 
qui  se  voie  à  Paris.  Le  tombeau  de  sainte  Geneviève, 
resté  dans  cette  église  bien  que  les  reliques  aient  été 
transportées  au  Panthéon  (Sainte- Geneviève),  attire  tous 
les  ans  un  grand  concours  de  pèlerins. 

Sur  les  murailles  des  inscriptions  rappellent  que 
dans  cette  paroisse  reposaient  les  corps  de  plusieurs 
hommes  illustres  dans  les  lettres,  les  sciences  et  les 
arts  :  Eustache  Lesueur,  B.  Pascal,  Racine  et  Tourne- 
fort.  Des  vitraux  remarquables  qui  datent  du  XVP 
siècle,  et  plusieurs  beaux  tableaux  dont  un  signé  Largil- 
lière,  ornent  l'église. 

Étoile  (rue  et  place  de  1')  :  Ce  nom  vient  de  la  dispo- 
sition de  la  place  où  les  rues  viennent  aboutir  comme 
autant  de  rayons.  Au  milieu  du  périmètre  s'élève  VArc 
de  Triomphe  de  Y  Étoile.  Un  décret  du  18  juillet  1806 
ordonna  la  construction  de  ce  monument  gigantesque  à 
la  gloire  des  armées  françaises.  Le  premier  architecte 
fut  M.  Chalgrin  auquel  succédèrent  MM.  Goust  et 
Blouet  ;  le  monument,  par  suite  des  vicissitudes  poli- 
tiques, n'ayant  pu  être  terminé  qu'après    bien    des 


E.  :>()| 

aimées,  fut  inauguré  le  29  juillet  1836.  D'un  aspect  vrai- 
mont  imposant,  YArc  de  Triomphe  a  inspiré  à  Victor 
Hugo  plusieurs  odes  qui  sont  assurément  de  ses  meil- 
leures. 

Vieilles- Étuves  (rue  des)  :  Une  rue  des  plus  anciennes 
et  autrefois  des  plus  curieuses  du  vieux  Paris.  ((  En  sor- 
tant de  la  rue  du  Chastiau-fêtu,  (nom  que  portait  la 
partie  de  la  rue  Saint-Honoré  située  entre  la  rue  Tire- 
chape  et  celle  del'Arbre-Sec),  on  entrait,  dit  M.  L.  La- 
zare, en  tournant  à  droite,  dans  la  rue  des  Yieilles- 
Etuves.  Le  matin,  une  heure  après  l'ouverture  des  bou- 
tiques, on  entendait  le  barbier  étuviste  qui  vous  criait  : 

Seignor,  quar  vous  allez  baingner  ; 

Et  estuver  sans  dilayer  (tarder)  ; 

Li  bains  sont  chaut,  c'est  sans  mentir  '.  » 

u  En  ce  moment,  de  joyeux  étudiants,  couverts  de 
capes  ou  de  mantes  déchirées,  entraient  dans  ces  étuves 
en  fredonnant  l'acrostiche  suivant  composé  sous  le 
règne  de  Louis  XII  pour  le  blason  de  la  ville  de  Paris  : 

isaisible  domaine, 
^►moureux  vergier, 
ssepos  sans  dangier, 
►-•ustice  certaine 
ai'est  Paris  entier. 

((  D'autres  clercs  s'arrêtaient  devant  un  homme  por- 
tant un  broc  d'une  main  et  tenant  de  l'autre  un  panier 
rempli  de  cornes  semblables  à  celles  des  moissonneurs. 
Cet  homme  chantait  à  tue-tète  : 

1  Les  Crier ies  de  Paris. 


202  LÉS   RUES   DE   PARIS. 

Bon  vin  à  bouche  bien  espicé. 

((  Puis  des  femmes  de  la  Halle,  aux  larges  épaules, 
aux  manches  retroussées,  criaient  de  toute  ]a  forc(i  de 
leurs  poumons  : 

J'ai  chastaignes  de  Lombardie  ! 
J'ai  raisin  d'outre  mer  —  raisin  ! 
J'ai  porcés  et  j'ai  naviaux  (navets), 
J'ai  pois  en  coîse  tout  noviaux  ! 

((  Plus  loin,  on  voyait  une  grosse  et  joyeuse  commère 
qui  portait  sur  le  ventre  tout  l'attirail  d'un  restaurateur. 
Elle  arrêtait  les  passants  en  leur  débitant  cette  petite 
chanson  : 

Chaudes  oublies  renforcies, 
Galettes  chaudes,  échaudés, 
Roinsolles  (sortes  de  gaufres),  çà  denrée  aux  dez. 

((  Parfois  de  jeunes  et  jolies  filles  de  la  campagne 
venaient  offrir  les  plus  belles  fleurs  et  les  meilleurs  fruits 
de  la  saison,  en  murmurant  d'une  voix  douce  : 

...  Aiglantier, 
Verjux  de  grain  à  faire  allie  ! 
Mies  y  a  d'alisier. 

(i  Souvent  on  voyait  quelques^ripiers  de  la  rue  Tire- 
chape  qui  arrêtaient  les  clercs  aux  mantes  râpées  en 
leur  disant  : 

Cotte  et  surcotje  rafetorie  (raccomracde). 


E.  203 

«  Et  comme  ces  écoliers  avaient  plus  de  trons  aux 
genoux  et  aux  coudes  que  de  blancs  d'angelots  et  de  sous 
pansis  dans  leurs  surcots,  ils  s'esquivaient  tout  honteux 
pour  se  soustraire  à  l'importunité  de  ces  chevaliers  de 
Taiguille. 

((  Telle  était,  aux  XIV^  et  XV*^  siècles,  la  physionomie 
de  la  rue  des  Vieilles- Etuv es.  )) 

Les  bains  auxquels  elle  devait  son  nom  étaient  en 
grand  renom  dans  la  ville  où,  ce  dont  nous  ne  nous 
doutons  guère  aujourd'hui,  a  les  étuves,  Sauvai  l'af- 
firme, étaient  si  communes  qu'on  ne  pouvait  faire  un 
pas  sans  en  trouver.  » 

((  L'usage  des  étuves,  dit  uq  plus  ancien  auteur,  était 
aussi  commun  en  France,  même  parmi  le  peuple,  qu'il 
l'est  et  l'a  toujours  été  dans  la  Grèce  et  l'Asie.  On  y  allait 
presque  tous  les  jours  :  saint  Rigobert  fit  bâtir  des  bains 
pour  ses  chanoines  et  leur  fournissait  le  bois  pour 
chauffer  leur  eau.  11  parait  que  les  personnes  qu'on 
priait  à  dîner  ou  souper  étaient  en  même  temps  invi- 
tées à  se  baigner,  témoin  ce  passage  de  la  Chronique  de 
Louis  XI  :  ((  Le  mois  suivant,  le  roi  soupa  à  l'hôtel  du 
))  sire  Denis  Hasselin,  son  panetier,  où  il  fit  grande 
»  chère,  et  y  trouva  trois  beaux  bains  richement  tendus 
»  pour  y  prendre  son  plaisir  de  se  baigner  ce  qu'il  ne  fit 
»  pas  parce  qu'il  était  enrhumé.  » 

Par  malheur  ce  n'était  pas  peut-être  l'amour  seul  de 
la  propreté  chez  nos  aïeux  qui  avait  fait  se  multiplier 
ainsi  les  bains;  car  ces  établissements  n'étaient  pas  des 
mieux  famés  dans  la  cité.  Le  chapitre  LXXXIII  àw  Livre 
des  Métiers^  d'Etienne  Boileau,  contient  relativement 
aux  Etuveurs  des  règlements  fort  sévères,  celui-ci  entre 


204  LES    RUES   DE   PARIS. 

autres  :  ((  Que  nuls  ne  crient,  ne  fassent  crier  leurs 
))  étuves  jusques  à  temps  qu'il  soit  jour.  » 

Un  fait  curieux  et  plus  ignoré  encore,  c'est  que  le 
monopole  des  bains  appartenait  à  la  communauté  des 
maîtres  barbiers  perruquiers.  Aussi  sur  leur  enseigne  on 
lisait  :  «  Céans,  on  fait  le  poil  proprement  et  l'on  tient 
bains  ei  estuves.  » 

Eugène  (Boulevard  du  Prince)  :  Eugène  Beauharnais, 
fils  de  l'Impératrice  Joséphine,  nommé  vice- roi  d'Italie 
en  1805  par  Napoléon  qui  même  l'avait  désigné  pour 
s,on  successeur  (et  certes  il  pouvait  plus  mal  choisir), 
fit  preuve  de  talents  militaires  autant  que  d'hon- 
nêteté et  de  patriotisme  à  l'heure  des  suprêmes 
périls.  On  ne  saurait  donc  que  blâmer  la  décision  ré- 
cente, prise  par  un  pouvoir  intérimaire,  n'ayant  aucune 
autorité  pour  cela,  et  qui  d'un  trait  de  plume  a  substi- 
tué, pour  le  boulevard,  au  nom  du  Prince  Eugène  celui 
de  Voltaire.  On  a  fait  plus  sinon  pis,  et  la  statue,  une  laide 
effigie  de  l'insulteur  de  la  Pucelle,  a  remplacé  sur  son 
propre  socle,  déshonoré  et  usurpé  presque  clandestine- 
ment, celle  du  brave  soldat,  français  si  loyal.  Voilà 
certes  de  la  réaction  et  puérile  et  misérable.  N'était-ce 
pas  d'ailleurs  assez  et  trop  qu'à  Paris  une  grande  voie 
portât  le  nom  de  cet  Arouet  naturalisé  Prussien  par 
l'abjection  de  ses  flatteries  envers  Frédéric,  etpourtout 
homme  de  cœur  ne  reste-t-il  point  à  jamais  infâme  par  le 
cynisme  de  son  impiété  comme  par  l'absence  de  tout  pa- 
triotisme? Ces  vérités  nous  les  avons  dites  ailleurs,  mais 
on  ne  saurait  trop  les  répéter  quand  se  reproduisent,  avec 
obstination,  les  mêmes  scandales  qui  prouvent  une 
aberration  si  inconcevable. 


t.  iOf, 


F 


Fagon  (rue)  :  Fagon,  médecin  de  Louis  XIV,  (1G38- 
1718)  n'était  point  un  médecin  à  la  Molière,  d'après  le 
témoignage  de  Boileau. 

Ferronnerie  (rue  de  la)  :  Elle  s'appelait  ainsi  depuis 
que  le  roi  saint  Louis  avait  permis  à  de  pauvres  ferons 
d'occuper  les  places  régnant  le  long  des  cliarniers. 
Aussi,  devenue  par  là  trop  étroite,  cette  rue  se  trouvait 
constamment  obstruée  ;  Henri  II,  pour  l'élargir  et  ren- 
dre la  circulation  plus  facile,  donna  l'ordre  d'enlever  les 
échoppes  des  Ferronniers ,ovàvQ  qui  ne  fut  point  exécuté, 
soit  par  crainte  du  mécontentement  populaire,  soit  à 
cause  de  la  mort  du  roi. 

En  1648  seulement,  ces  chétives  boutiques  disparu- 
rent ;  elles  devaient  être  remplacées,  d'après  un  nou- 
veau plan,  par  des  maisons  qui  auraient  davantage 
encore  rétréci  la  voie.  Mais  lorsqu'on  commençait  à 
creuser  les  fondations,  au  risque  de  mettre  à  découvert 
les  ossements  remplissant  les  cliarniers  du  cimetière, 
une  émeute  violente  éclata  qui  ne  s'apaisa  que  par  la 
cessation  des  iravaux.  Sauvai  dit  avec  raison  que  «  si 
en  1554,  les  échoppes  eussent  été  ruinées,  notre  Henri- 
le- Grand  n'eût  pas  été  là  malheureusement  assassiné 
comme  il  fut  en  1610.  d 

Avant  la  Révolution,  on  voyait,  vis-à-vis  de  la  place 
où  fut  commis  le  crime,  un  buste  de  Henri  IV  avec  cette 
inscription  : 

TOME  III.  12 


206  LES   RUES   DE   PARIS. 

Henrici  Magni  recréât  praesentia  cives, 
Quos  illi  œtfcrno  fœdere  junxit  amor. 


Je  trouve,  dans  Germain  Brice,  à  propos  du  procès 
de  Ravaillac  ce  passage  qui  me  parait  curieux  à  repro- 
duire :  ((  Son  procès  lui  fut  fait  avec  toute  l'attention 
requise  dans  une  si  importante  affaire  ;  et  à  la  question 
qui  lui  fut  donnée  avec  toute  rigueur,  il  avoua  des 
choses  si  étranges  que  les  juges,  surpris  et  effrayés, 
jurèrent  entre  eux  sur  les  Saints  Evangiles  de  n'en 
jamais  rien  découvrir  à  cause  des  suites  horribles  qui  en 
pourraient  arriver  ;  ils  brûlèrent  même  les  dépositions 
et  tout  le  procès-verbal  au  milieu  de  la  Chambre  et  il 
n'en  est  resté  que  quelques  légers  soupçons  sur  lesquels 
on  n'a  pu  fonder  jusqu'ici  aucun  véritable  jugement.  » 

La  narration  de  Germain  Brice,  suivant  Sainte-Foix, 
manque  d'exactitude,  a  Ravaillac  soutint  toujours  à  la 
question  qu'il  n'avait  point  de  complices,  et  s'il  avoua 
des  choses  étranges,  ce  ne  fut  que  lorsqu'il  eut  demandé, 
à  la  première  tirade  des  chevaux,  à  être  relâché....  Il 
dicta  alors  un  testament  de  mort  que  le  greffier  affecta 
d'écrire  si  mal  que  les  experts  en  écriture  n'ont  jamais 
pu  y  rien  découvrir.  » 

Férou  (rue)  :  Ce  nom  vient  d'une  famille  notable  de 
la  bourgeoisie,  à  qui  appartenait  très  anciennement  le 
terrain  ou  clos  sur  lequel  la  rue  fut  ouverte  au  commen- 
cement du  XVP  siècle. 

Femme  sans  tête  (rue  de  la)  :  A  pris  son  nom  d'une 
enseigne  représentant  une  femme  qui  n'avait  point  de 
tête  et  qui  tenait  un  verre  à  la  main.  Au-dessous  se 
lisait  cette  légende  :  Tout  en  est  bon. 


F.  207 

Feuillantines  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  des  religieuses 
Feuillantines  dont  le  couvent  se  trouvait  dans  l'impasse. 
Elles  étaient  venues  s'établir  à  Paris,  en  1622,  à  la 
sollicitation  de  Anne  Gobelin,  veuve  du  sieur  d'Estour- 
mel  de  Plainville,  capitaine  des  gardes  du  roi.  Pour  la 
construction  des  bâtiments  et  de  la  chapelle  cette  dame 
fit  don  d'une  somme  de  vingt- sept  mille  livres.  Elle 
dota  également  la  communauté  d'une  rente  annuelle 
de  2,000  livres. 

Feydau  (rue)  :  Ce  nom  était  celui  d'une  famille  autre- 
fois très-connue  dans  la  magistrature. 

Fidélité  (rue  de  la)  :  Ouverte  sur  les  terrains  et  bâti- 
ments occupés  jadis  par  la  communauté  des  Filles  de  la 
charité.  En  1793,  on  chassa  les  religieuses  et  les  jardins 
et  bâtiments,  déclarés  propriété  nationale,  furent  ven- 
dus sauf  réserve  d'une  portion  de  terrain  nécessaire 
pour  la  rue  projetée.  Son  nom  lui  vint  du  voisinage  de 
l'église  St-Laurent  appelée  sous  la  Révolution  :  Temple 
de  V Hymen  et  de  la  Fidélité. 

Figuier  (rue  du)  :  Dès  l'année  1300  cette  rue  était 
tout  entière  bâtie.  Elle  prit  le  nom  de  rue  du  Figuier 
parce  qu'on  voyait  très  anciennement,  au  carrefour 
formé  par  les  rues  du  Fauconnier,  de  la  Mortellerie  et 
des  Barrés  ,  un  magnifique  figuier  qui  fut  toujours 
renouvelé  jusqu'en  1655  ;  à  cette  époque,  les  besoins  de 
la  circulation  le  firent  abattre. 

Filles-dieu  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  du  couvent  des 
religieuses  dites  Filles-Dieu  qui  s'élevait  dans  le  voisi- 
nage. 

Filles  St-Thomas  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  d'un  cou- 
vent de  religieuses  de  l'ordre  de  St-Dominique  qui  se 


208  LES   RUES   DE   TARIS. 

trouvait  prés  du  Temple  et  dans  lequel  les  sœurs  s'ins- 
tallèrent en  1632. 

Fléchier  (rue)  :  Fléchier  (Esprit),  prédicateur  célèbre 
sous  Louis  Xiy,  mourut  évêque  de  Nîmes  en  1710. 

Florentin  (rue  St)  :  Cette  rue  s'appela  ainsi  à  cause 
de  l'hôtel  qu'y  fît  construire,  vers  1678,  le  ministre  Plié- 
lippeaux,  duc  de  la  Vrillière  et  comte  de  St-Florentin. 

Florian  (rue)  :  J.  P.  Claris  de  Florian,  né  en  17oo, 
mort  en  1794,  a  eu  la  gloire,  et  seul,  de  laisser,  après 
La  Fontaine,  un  recueil  de  fables  populaire  et  avec 
toute  justice.  Si  Florian  reste  au  second  rang  et,  dans 
sa  forme  agréable,  choisie,  délicate  pourtant,  n'atteint 
pas  à  l'art  merveilleux  de  celui  qu'on  a  nommé  par  ex- 
cellence le  Fabuliste,  il  a  d'autres  mérites  qui  le  rendent 
préférable  à  mettre  aux  mains  des  enfants.  Sa  morale, 
davantage  à  leur  portée,  d'habitude  est  très  saine  et 
l'on  admire,  chez  l'officier  de  dragons  devenu  poète, 
cette  parfaite  honnêteté  de  sentiments,  cette  bonté, 
cette  tendresse,  cet  accent  ému  et  sincère  où  l'on  sent 
à  chaque  instant  vibrer  le  cœur.  Est-il  besoin  de  citer 
Le  Lopin  et  la  Sarcelle,  l'Enfant  et  les  Sarigues,  etc. 

Florian  avait  écrit  aussi  plusieurs  romans,  Estelle  et 
^^emorin,  Gonzalve  de  Cordoue,  etc.,  dans  le  genre  pas- 
toral et  sentimental  et,  chose  singulière  I  ils  reçurent  le 
meilleur  accueil  de  la  société  corrompue  du  XVIIP  siè- 
cle. Aussi  faux  de  ton  que  certaines  peintures  de  Bou- 
cher ou  Lancret,  mais  non  point  malhonnêtes  comme 
les  toiles  de  ces  messieurs,  ils  firent  larmoyer  nos  bis- 
aïeules promptes  au  sourire  comme  aux  larmes.  On  ne 
lit  plus  aujourd'hui  ces  récils  démodés  qui  tous  ensem- 
ble ne  valent  pas  une  des  fables  du  poète. 


F.  209 

For  rEvèqiœ  (rue  du)  :  G'est-à-dirc  le  Siège  de  la 
jui'idictien  temporelle  de  l'Evèque. 

Fouarre  (rue  de)  :  Fut  ainsi  nommée  à  cause  de  la 
paille  ou  fouarre  qw' on  y  vendait  et  dont  les  écoliers  se 
servaient,  aux  jours  de  leurs  assemblées  et  actions  publi- 
ques, pour  joncher  les  écoles  et  s'asseoir  tandis  que  les 
régents  et  docteurs  se  tenaient  dans  des  chaires  ou  sur 
des  sièges  élevés. 

Four  St-Germain  (rue  du)  :  Elle  fut  ainsi  appelée  à  cause 
du  four  banal  de  l'abbaye  St-Germain  des  Prés  cons- 
truit au  coin  de  la  rue  Neuve-Guillemin.  Des  fours 
semblables  existaient  dans  les  divers  quartiers  de  Paris, 
et  les  habitants  étaient  obligés,  sous  peine  d'amende  et 
de  confiscation,  d'y  faire  cuire  leur  pain,  ce  qui  produi- 
sait un  revenu  assuré  et  considérable  au  propriétaire 
laïque  ou  ecclésiastique.  Mais  de  ce  monopole  il  résul- 
tait des  abus  qui  le  rendirent  oppressif  et  gênant  pour 
les  habitants.  Des  plaintes  s'élevèrent  et  si  vives,  si  per- 
sistantes qu'enfin  Philippe-Auguste,  par  une  ordon- 
nance de  l'année  1200,  supprima  les  privilèges  en  auto- 
risant les  boulangers  à  faire  construire  des  fours  dans 
leurs  maisons,  moyennant  une  redevance  annuelle  par 
chacun  d'eux  de  neufs  sols  trois  deniers  une  obole. 

Plus  tard,  le  mot  four,  eut,  parait-il,  une  autre  signi- 
fication. On  lit  dans  le  journal  de  la  cour  de  Louis  XIY, 
du  10  janvier  1695  :  «  Il  y  avait  plusieurs  soldats  et 
même  des  gardes  du  corps  qui,  dans  Paris  et  sur  les 
chemins  voisins,  prenaient  par  force  des  gens  qu'ils 
croyaient  en  état  de  servir  et  les  menaient  dans  des 
maisons  qu'ils  avaient  pour  cela  dans  Paris,  où  ils  les 
enfermaient  et  ensuite  les  vendaient  malgré  eux  aux 

TOME  III.  12* 


210  LES   RUES   DE    PARIS. 

officiers  qui  faisaient  ces  recrues  ;  ces  maisons  s'appe- 
laient fours.  )) 

Le  roi,  informé  de  ces  faits  odieux,  ordonna  de  saisir 
à  la  fois  tous  ces  racoleurs  interlopeS;^  et  d'instruire 
immédiatement  leur  procès.  Huit  des  plus  coupables 
furent  pendus.  De  leurs  interrogatoires  et  de  leurs  aveux 
il  résulta  que  Paris  ne  comptait  pas  moins  de  vingt-huit 
de  ces  fours  ou  prisons  anonymes  dans  lesquelles,  en 
outre  des  conscrits,  on  entraînait  par  force  ou  par  ruse 
des  femmes  et  des  enfants  qu'on  vendait  pour  servir  à 
peupler  les  colonies  d'Amérique.  De  pareils  crimes,  non 
moins  odieux  qu'audacieux,  pouvaient- ils  être  trop 
sévèrement  châtiés  ? 

Francs- Bourgeois ^  au  marais,  (rue  des)  :  Yers  le  milieu 
du  XIIP  siècle,  cette  rue  déjà  construite  s'appelait  des 
Viez  Poulies  d'un  jeu  alors  fort  en  vogue  et  dont  les 
exercices  avaient  lieu  dans  une  des  maisons  de  la  rue. 
Yers  le  milieu  du  siècle  suivant  (13o0),  Jean  Roussel  et 
Alix  sa  femme  firent  construire  un  grand  hôtel  destiné 
à  servir  d'asile  à  vingt-quatre  pauvres.  En  1315,  la  fille 
de  Jean  Roussel,  mariée  à  Pierre  le  Mazurier,  du  con- 
sentement de  celui-ci,  donna  cet  hôpital  au  grand 
prieur  de  France  avec  70  livres  de  rente,  à  condition 
de  loger  deux  pauvres  dans  chaque  chambre.  La  rue 
s'appela  dès  lors  des  Francs- Bourgeois  parce  que  les 
pauvres  de  l'asile  étaient  ^ra?zc5,  c'est-à-dire  exempts  de 
toutes  taxes  et  impôts. 

François- Miron  (rue)  :  Ce  fut  par  les  soins  de  ce  pré- 
vôt des  marchands  justement  célèbre  que  V Hôtel  de 
Ville  put  s'achever  en  J606.  François  Miron  ne  se  borna 
pas  à  faire  preuve  de  zèle  en  stimulant  l'architecte  et 


p.  211 

les  ouvriers;  il  n'hésita  pas  devant  des  sacrifices  person- 
nels considérables  pour  diminuer  les  dépenses  à  la 
charge  de  l'état,  et  donna  900  livres  de  son  propre  ar- 
gent et  plus  de  vingt-deux  mille  livres  qui  lui  revenaient 
par  les  droits  de  sa  charge.  On  lui  doit  les  ornements 
de  la  façade,  le  grand  perron,  les  escaliers,  le  portique 
et  la  statue  équestre  de  Henri  lY  placée  au-dessus  de  la 
porte  d'entrée. 

François  P^  (rue)  :  Nous  avons  été  sévère  peut-être, 
dans  la  France  héroïque,  pour  François  1"  homme 
d'état  el  souverain.  Yoici  sur  le  Restaurateur  des  lettres 
une  belle  page  qu'il  nous  paraît  juste  de  reproduire  : 
«  Mais  depuis,  dit  le  seigneur  de  la  Planche,  la  bonté  de 
Dieu  s'est  déployée  sur  nous  et  sur  toute  la  France,  par 
la  main  de  ce  grand  roi,  François  P"^  de  nom,  qui  nous 
a  tirés  comme  d'un  tombeau  les  sciences,  les  arts,  les 
lettres  et  bonnes  disciplines  ensevelies  en  une  fondrière 
d'ignorance  ;  et  à  l'aide  d'un  Amyot,  d'un  Jacques 
Colin  et  de  tant  d'autres  excellents  ouvriers,  nous  a 
rendu  les  outils  de  sagesse  tranchants  en  notre  langue 
maternelle  ;  tellement  qu'ils  n'y  a  artisan  qui  ne  puisse 
s'il  veut,  de  lui-même,  et  sans  rien  dérober  à  sa  beso- 
gne, se  rendre  savant.  » 

Citons  un  autre  passage  non  moins  curieux  de  Bran- 
tôme :  «  De  plus,  ce  roi  a  été  très  bon  catholique,  sans 
jamais  s'être  dérogé  de  la  sainte  foi  et  religion  catholi- 
que pour  entrer  le  moins  du  monde  en  l'hérésie  de 
Luther  qui  commença  à  venir  de  son  temps  :  comme  fit 
le  roi  Henri  d'x\ngleterre,  son  bon  frère  et  son  contem- 
porain, encore  que  toutes  choses  nouvelles  plaisent  ; 
mais  telle  nouveauté  ne  lui  plut  point,  et  ne  l'approuva 


21:2  LES    RUES   DE    TARIS. 

jamais,  disant  «ju'ellc  tendait  du  tout  à  la  subversion 
de  la  monarchie  divine  et  humaine.  Il  aima  et  embrassa 
fort  l'Église  catholique,  apostolique  et  romaine,  la  ser- 
vant fort  révéremment  sans  aucune  bigoterie  et  hypo- 
crisie. » 

Franklin  (rue)  :  Benjamin  Franklin,  né  à  Boston,  en 
1706,  simple  ouvrier  d'abord,  puis  prote,  et  enfin  maî- 
tre imprimeur  et  devenu  l'un  des  personnages  considé- 
rables de  la  colonie,  fut,  lors  de  la  guerre  avec  la  mé- 
tropole, envoyé  en  France  pour  proposer  un  traité 
d'alliance  qu'il  sut  faire  accepter  j^ar  le  roi  Louis  XVI. 
Il  eut  également  l'honneur  de  négocier  et  signer  le 
traité  de  paix  qui  assura  l'indépendance  des  Etats-Unis. 
On  lui  doit,  comme  savant,  l'invention  du  paraton- 
nerre. 

Frochot  (rue)  :  Nicolas-Thcrèse-Benoist  Frochot  (17(30- 
1828),  fut  préfet  de  la  Seine  de  1800  à  1812,  et  Paris 
eut  beaucoup  à  se  louer  de  cet  administrateur  éminent. 

Frondeurs  (rue  des)  :  Les  troubles  de  la  Fronde,  pen- 
dant la  minorité  de  Louis  XIY  sont  célèbres  dans  notre 
histoire.  Cet  endroit  sans  doute  fut  un  de  ceux  où  se 
réunissaient  les  Frondeurs. 


li 


Golonde,  (rue)  :  Ce  nom  est  visiblement  une  altération 
de  celui  de  Garlande  que  portait  une  famille  bien  con- 
nue au  XP  siècle  : 


i..  213 

La  rue  de  Gallande 

Oïl  il  n'a  foret  ni  lande. 

{Le  dit  des  Rues). 

(ja(l/uit(vini)  :  A  pris  ce  nom  (Vuu  liolelqiii  s'appelait 
ainsi  et  sur  l'emplacement  duquel  s'éleva  l'église  Saint- 
lloeh. 

Galvani  (rue)  :  Médecin  et  physicien  italien,  né  à  Bo- 
logne le  9  septembre  1737,  Galvani  mourut  dans  cette 
même  ville  le  4  novem])re  17U8.  Sa  découverte  la  plus 
importante  est  celle  de  V électricité  animale,  comme  il 
l'appelait  et  que  les  savants,  d'un  accord  unanime,  ont 
appelée  Galvanisme  du  nom  de  sou  auteur. 

Mauvais  Garçons  (rue  des)  :  Cette  rue  s'appela  d'a- 
bord rue  de  Graon,  parce  que  les  seigneurs  de  Craon  y 
avaient  bâti  leur  hôtel  ;  mais  depuis  le  règne  de  Charles 
YI,  (;  comme  ce  fut,  dit  Sauvai,  dans  ce  logis-là  que 
Pierre  de  Craon  se  cacha  avec  d'autres  déterminés  pour 
assassiner  le  connétable  de  Clisson,  cela  fut  cause  que  la 
rue  changea  de  nom  et  fut  appelée  la  rue  des  Mauvais- 
Garçons.  )) 

Il  y  avait  une  rue  du  même  nom  donnant  d'un  bout 
dans  la  rue  des  Boucheries  Saint-Germain  ;  son  nom, 
parait-il,  lui  venait  d'une  enseigne. 

Geindre  (rue)  :  Jaillot  fait  venir  ce  mot  àa  junior  em- 
ployé dans  les  anciens  titres  pour  désigner  un  compa- 
gnon, un  aide,  un  commis. 

Geoffroy  Saint-Hilaire  (ruej  :  Etienne  Geofifroy  Saint- 
Hilaire  (1772-1844),  célèbre  naturaliste  français,  créa 
l'enseignement  delà  Zoologie  et  par  suite  les  collections 
et  la  ménagerie  du  Jardin  des  Plantes.  Le  nom  de  cet 
homme  illustre  est  à  bon  droit  populaire,  car,  cher  aux 


214  LES   RUES   DE    PARIS. 

savants,  il  ne  doit  pas  être  moins  cher  aux  familles 
d'artisans  comme  aux  écoliers  de  tout  âge  auxquels, 
pour  les  jeudis  et  dimanches,  il  a  ménagé  un  lieu  de 
promenade  qui  offre  tant  d'attrait  à  la  curiosité  et  où 
le  plaisir  s'unit  à  l'instruction. 

Germain- Pilon  (rue)  :  Ce  célèbre  sculpteur  (15 15-1 590), 
l'émule  de  Jean  Goujon,  mérite  une  place  à  part  dans 
riiistoire  de  l'art,  par  son  talent  original  qui  n'est 
point  gâté  par  l'affectation  du  savoir  et  la  fausse  imita- 
tion qu'on  pourrait  qualifier  la  parodie  de  l'antique. 

Saint- Germain  des  Prés  (église  de)  :  ((  L'abbaye  de 
Saint-Germain  des  Prés,  dit  Sainte-Foix, proche  et  hors 
des  murs  de  Paris,  ressemblait  à  une  citadelle  ;  ses  mu- 
railles étaient  flanquées  de  tours  et  environnées  de 
fossés.  Un  canal,  large  de  treize  à  quatorze  toises,  qui 
commençait  à  la  rivière  et  qu'on  appelait  la  petite  Seine, 
coulait  le  long  du  terrain  où  est  à  présent  la  rue  des 
Petits-Augustins  (Bonaparte)  et  allait  tomber  dans  ces 
fossés.  La  prairie,  que  ce  canal  partageait  en  deux,  fut 
nommée  le  g?'and  et  le  petit  prés  aux  Clercs,  parce  que 
les  écoliers,  que  l'on  appelait  autrefois  clercs ,  allaient 
s'y  promener  les  jours  de  fête.  Le  petit  pré  était  le  plus 
proche  de  la  ville.  » 

En  1 460,  les  fossés  furent  comblés  et  sur  le  terrain 
qu'ils  occupaient  on  bâtit  un  des  côtés  des  rues  Saint- 
Benoit,  Sainte-Marguerite  et  du  Colombier. 

Gouvion  Saint-Cyr  (rue):  Le  maréchal  Gouvion  Saint- 
Cyr  (Laurent)  (1764-1830),  après  avoir  pris  une  part  glo- 
rieuse aux  guerres  de  la  République  et  de  l'Empire, 
devint,  sous  la  Restauration,  de  1815  à  1821,  ministre 
de  la  guerre.  On  lui  dut  la  réorganisation  de  l'armée  et 


G.  215 

sur  des  hases  qui  ont  mérité  les  éloges  des  juges  les  plus 
compétents.  «  Les  lois  sur  le  recrutement,  dit  rpielquc 
part  Gouvion  Saint-Cyr,  sont  des  institution?.  )) 

Grenelle  (rue  de)  :  Elle  s'appelait  autrefois  cltcmin  de 
Grenelle  parce  qu'il  conduisait  à  ce  village. 

Guilleinin,  (rue  Neuve)  :  S'appelait  d'abord  rue  de  la 
Conw,  nom  qui  lui  fut  donné  ((  à  cause  de  quelque  tête  de 
cerf  (que  le  peuple  appelle  corné)  scellée  dans  les  murs 
de  la  maison  qui  en  fait  le  coin  vers  la  rue  du  Vieux 
Colombier.  »  Ce  nom  fut  ensuite  changé  en  celui  de 
Guillemin  parce  que  sur  le  terrain  que  couvre  la  rue  se 
trouvait  auparavant  un  jardin  appartenant  à  une 
famille  de  ce  nom.  «  Et  parce  que  ce  mot  de  Guillemin 
est  un  peu  proverbial,  le  peuple,  qui  se  plaît  à  tourner 
tout  en  raillerie,  non  content  d'avoir  ajouté  au  nom  de 
Guillemin,  propriétaire  du  jardin,  l'épithètc  de  Croque-^ 
sol,  le  donna  encore  à  la  rue  de  sorte  qu'il  l'appelle  plus 
souvent  la  n\c  Guillemin  O'oque- sol  que  la  rue  Guille- 
min. » 

Saint-Germain  l'Avxerrois.  Cette  église  est  une  des 
plus  anciennes  et  des  plus  remarqualjles  de  Paris,  et  il 
n'en  est  aucune  pourtant  dont  l'origine  présente  plus 
d'obscurité.  Il  est  certain  qu'elle  existait  au  YIP  siècle, 
puisque  saint  Landri,  évèque  de  Paris,  mort  vers  l'an 
655  ou  656,  y  fut  inhumé.  L'église  subsista,  telle  qu'elle 
avait  été  bâtie  d'abord,  jusqu'au  siège  de  Paris  parles 
Normands.  Ces  barbares  l'épargnèrent  tant  qu'elle  leur 
parut  utile  à  leur  défense  ;  ils  la  fortifièrent  à  cet  effet 
d'un  fossé  dont  on  retrouve  encore  la  trace  aujourd'hui 
dans  la  rue  qui  en  porte  le  nom  ;  mais  lorsqu'ils  furent 
forcés  de  battre  en  retraite,  ils  la  détruisirent  de  fond 


2i6>  LES    RUES    DE    PARIS. 

en  comble.  Helgaud,  moine  de  Fleury,  nous  apprend 
qne  le  roi  Robert  la  fit  rebâtir.  A  ditterentes  reprises, 
elle  fut  reconstruite  ou  réparée  par  l'ordre  de  nos  rois 
qui  la  considéraient  comme  leur  [uiroisse  quand  ils 
eurent  fait  du  Louvre  leur  demeure  habituelle.  Ce  qu'on 
voit  de  plus  ancien  dans  l'éditice  est  le  grand  portail  qui 
parait  être  du  siècle  de  Pbilippe-le-Bel  ;  le  vestibule  ou 
portique  qui  le  précède  ne  fut  construit  que  sous  le 
règne  de  Charles  VII. 

Gesvres  (quai  de)  :  «  11  faut  se  figurer,  dit  Jaillot, 
qu'au  commencement  du  siècle  passé,  le  terrain,  qui  est 
entre  le  Pont-au-Change  et  le  pont  Notre-Dame,  allait 
en  pente  jusqu'à  la  rivière,  et  qu'il  n'était  couvert  que 
par  quelques  vilaines  maisons  qui  formaient  la  Tuerie  et 
VEcorcherie.  En  1641,  le  marquis  de  Gesvres  demanda 
ce  terrain  au  Roi  et,  sur  l'avis  des  trésoriers  de  France, 
il  obtint  des  lettres-patentes,  au  mois  de  février  1642, 
lettres  qui,  malgré  l'opposition  des  boucliers  et  des  pro- 
priétaires de  forges  du  Pont-au-Change,  furent  enre- 
gistrées le  30  août  de  la  même  année  :  En  voici  la  te- 
neur : 

((  Louis  (etc.)  savoir  faisons  que  Nous,  ayant  pris  en 
))  considération  les  signalés  recommandables  services 
»  que  le  marquis  de  Gesvres  nous  a  rendus  dès  sa  tendre 
»  jeunesse,  tant  en  nos  armées  qui  ont  tenu  la  campagne 
»  qu'es  sièges  les  plus  importants  dans  l'Allemagne,  la 
»  Flandre  et  l'Espagne  où,  en  divers  combats  et  entre- 
»  prises,  il  a  donné  telle  preuve  de  son  courage  et  de  sa 
))  valeur,  qu'au  prix  de  son  sang  et  de  plusieurs  bles- 
))  sures  et  d'une  prison  de  neuf  mois,  il  a  mérité  de 
))  Nous  et  du  public  l'estime  et  les  gratifications  qui  sont 


G.  217 

»  dues  à  ceux  (|iii  nous  servent  avec  tant  de  cœur  et  de 
»  lidélité.  A  quoi  ayant  égard  comme  aux  grandes  et 
»  excessives  dépenses  qu'il  a  faites  jusques  à  présent 
»  dans  nos  armées  et  qu'il  est  encore  obligé  de  continuer 
))  à  l'avenir  à  icelui  avons....  accordé,  donné,  octroyé, 
»  cédé,  quitté,  transporté  et  délaissé  du  tout  à  toujours 
»  les  places  qui  sont  entre  les  ponts  Notre-Dame  et  aux 
»  Changeurs,  du  coté  de  l'Ecorclierie,  sur  la  largeur 
»  qui  se  rencontrera  depuis  la  culée  du  pont  Notre-Dame 
»  jusqu'à  la  première  pile  d'icelui,  pour  en  quelle  place 
»  y  faire  construire,  à  ses  frais  et  dépens,  un  quai  porté 
»  sur  arcades  et  piliers  posés  d'alignement,  depuis  le 
))  point  de  la  dite  première  pile  du  dit  pont  Notre-Dame 
»  jusques  à  celles  du  Pont-aux-Changeurs  de  présent 
»  construit  de  neuf  :  et  quatre  rues,  l'une  de  vingt  pieds 
»  de  large  avec  maisons,  qui  prendra  sou  embouchure 
»  sur  le  pont  Notre-Dame,  etc.,  etc.  » 

Git-le-Cœur  (rue)  :  11  y  a  contestation  sur  l'origine  de 
cette  dénomination.  Piganiol  prétend  qu'elle  vient 
d'un  descendant  de  Jacques  Cœur,  propriétaire  d'une 
des  maisons.  Cette  opinion  parait  peu  fondée  ;  la  plus 
vraisemblable  et  la  plus  suivie  veut  que  le  mot  GU-le- 
Cœur  soii  une  corruption  de  Gilles  queux  ou  Gui  le  queux j 
Gilles  le  cuisinier  dans  le  vieux  langage. 

Au  coin  de  cette  rue,  François  F'"  avait  fait  bâtir  un 
petit  palais  communiquant  par  un  escalier  avec  l'hôtel 
habité  par  la  duchesse  d'Etampes.  Vers  le  commence- 
ment du  siècle,  Sainte-Foix  voulut  visiter  cette  rési- 
dence jadis  fameuse  et  voici  ce  qu'il  raconte  :  «Le 
cabinet  de  la  duchesse  d'Etampes  sert  à  présent  d'écurie 
à  une  auberge  qui  a  retenu  le  nom  de  la  Salamandre. 
TOME  m.  13 


218  LES   RUES   DE    PARIS. 

Un  cliapelicr  fait  sa  cuisine  dans  la  chambre  du  lever 
de  François  I",  et  la  femme  d'un  libraire  était  en 
couches  dans  le  petit  salon  de  délices  lorsque  j'allai 
pour  examiner,  les  restes  du  palais.  » 

Sic  transit  gloria  mimdi. 

Glatigny  (rue  de)  :  Des  titres  anciens  disent  qu'on 
voyait  en  cet  endroit  une  maison  de  Glatigny,  qui,  en 
1241,  appartenait  à  Robert  et  Guillaume  de  Glatigny. 
Au  XIV°  siècle,  cette  rue  fort  mal  habitée  s'appela  le 
Val  d'Amour. 

Gluck  (rue)  :  Gluck  (Christophe  Willibald),  célèbre 
compositeur  de  musique,  (1714  1787),  auteur  à'Alceste, 
Iphigénie  en  Aulide,  etc. 

Gobelins  (rue  et  manufacture  des)  :  L'établissement 
des  Gobelins,  dont  la  réputation  est  européenne,  doit 
son  nom  à  une  famille  qu'on  croit  originaire  de  Reims 
et  dont  le  chef  «  Jehan  Gobelin,  teinturier  en  escarlate  )) 
fonda  en  1430  une  fabrique  bientôt  des  plus  prospères, 
et  qui  resta  la  propriété  de  l'un  des  membres  de  la 
famille  jusqu'au  commencement  du  XYIP  siècle.  A 
cette  époque,  dans  une  des  maisons  qu'il  avait  acquises 
de  la  famille  Gobelin,  Henri  lY  fonda  rétal)lissement 
que  la  perfection  de  ses  produits  a  rendu  si  fameux. 

Godot  de  Mauroy  (rue)  :  Ouverte  en  1818  seulement  et 
qui  doit  son  nom  aux  frères  Godot  de  Mauroy,  proprié- 
taires du  terrain. 

Goujon  (rue  Jean)  :  Jean-Goujon,  sculpteur  d'un  talent 
délicat  autant  qu'original,  périt  malheureusement  dans 
la  fatale  journée  de  la  Saint-Barthébîmy  (1572).  11  fut 


G.  219 

tué;,  disent  les  biographes,  d'un  coup  d'arquebuse  tiré 
sur  lui  pendant  qu'il  travaillait  aux  sculptures  du 
Louvre.  Possible  qu'il  se  trouvât  sur  son  échafaud,  mais 
je  doute  qu'en  un  pareil  moment,  il  songeât  à  tenir 
l'ébauclioir  ou  le  ciseau.  Maudite  d'ailleurs  la  balle  et 
maudit  l'assassin,  quel  qu'il  fût,  qui  nous  ont  privés  de 
tant  de  chefs-d'œuvre  qu'on  pouvait  attendre  encore  de 
l'artiste  dans  toute  la  vigueur  de  l'âge  et  le  plein  épa- 
nouissement de  son  génie  ! 

Gracieuse  (rue)  :  Ce  nom  vient  de  Jean  Gracieuse  qui 
habitait  dans  cette  rue,  vers  1243,  une  maison  à  lui 
appartenant. 

Grande-Truanderie  (rue  de  la)  :  Deux  étymologies  :  les 
uns  font  venir  ce  nom  du  vieux  mot  truand  qui  signi- 
fiait un  gueux,  un  vagabond,  un  diseur  de  bonne  aven- 
ture, espèce  de  gens  qu'on  suppose  avoir  occupé  cette 
rue  autrefois.  D'autres,  et  c'est  le  plus  grand  nombre, 
font  dériver  ce  nom  du  vieux  mot  tru,  truage  qui  signifie 
tribut,  impôt,  subside;  Jaillot  incline  à  cette  opinion. 

Grange  aux  Belles  (rue)  ;  Désignation  pittoresque  dont 
l'origine  est  inconnue. 

Grange-Batelière  (rue)  :  Origine  douteuse  :  tout  ce 
qu'on  sait  de  plus  précis,  c'est  que,  dans  une  déclaration 
faite  en  1522,  les  religieuses  de  l'abbaye  Saint- Antoine 
reconnaissent  que,  le  12  avril  1204,  on  leur  donna  un 
muids  de  grains  à  prendre  sur  la  Grange-Batelière. 
L'abbé  Lebœuf  pense  que  cette  dénomination  de  Gran- 
chia  Batelier ia  provient  des  joutes  ou  exercices  mili- 
taires qui  se  faisaient  en  cet  endroit. 

Gravilliers  (rue  des)  :  En  1250,  elle  s'appelait  Gavelier, 
nom  d'un  bourgeois  notable  qui  l'habitait.  Par  corrup- 


220  LES   RUES   DE    PARIS. 

tion,  ce  nom  s'est  changé  en  celui  des  GravilUers,  qui 
sait  comment  ? 

Grenétat  (rue)  :  On  comprend  plus  difficilement  toute- 
fois que  ce  nom  de  Grenétat  vienne  de  à'Arnetal,  trans- 
formé eu  Garnetal  et  enfin  Grenétat. 

Grégoire  de  Tours  (rue  Saint)  :  Saint  Grégoire  de 
Tours,  né  à  Tours  en  539,  mourut  en  393,  dans  cette 
même  ville  dont  il  était  évèque.  Son  grand  ouvrage, 
ayant  pour  titre  Histoire  ecclésiastique  des  Francs,  est 
admirable  par  la  candeur  et  la  sincérité  de  la  narration, 
quoiqu'il  laisse  à  désirer  au  point  de  vue  de  la  critique 
historique.  Sans  ce  trésor,  ou  cet  ensemble  inappréciable 
de  faits  recueillis  par  le  bon  évèque  avec  une  sollicitude 
si  persévérante,  que  saurions-nous  des  premiers  temps 
de  nos  annales  ? 

Grès  (rue  des)  :  Autrefois  le  passage  des  Jacobins  ;  dès 
l'année  1220,  les  Frères  Prêcheurs  ou  Dominicains 
eurent,  dans  la  rue  Saint-Jacques,  avec  un  couvent,  une 
église  dédiée  à  saint  Jacques  le  Majeur,  leur  patron. 
C'est  de  là  que  leur  vint  le  nom  de  Jacobins,  sous  lequel 
furent  généralement  connus  dès  lors  les  Dominicains 
de  Paris.  Ce  nom  de  Jacobins,  étrangement  détourné  de 
sa  signification  primitive,  sert  aujourd'hui  à  désigner  la 
pire  espèce  des  révolutionnaires,  parce  que  les  séances 
d'un  club  trop  fameux  sous  la  révolution,  et  dont  Robes- 
pierre était  l'idole,  se  tenaient  dans  un  ancien  couvent 
des  Jacobins  (Dominicains). 

Guénégaud  (rue)  :  Ce  nom  vient  d'un  hôtel  apparte- 
nant à  Henri  de  Guénégaud,  ministre  et  secrétaire 
d'Etat  en  1641. 

Guisarde  (rue)  :  On  lui  donna  ce  nom  en  souvenir  de 


H.  221 

l'hôtel  du  Petit-Bourbon  qui,  du  temps  de  la  Ligue,  était 
habité  par  la  fameuse  duchesse  de  Montpensier  et  ser- 
vait de  quartier-général  à  la  faction  des  Guises. 


H 


Halles  (les)  :  Avant  Philippe-Auguste,  le  terrain  occupé 
depuis  par  les  Halles,  n'était  qu'un  grand  espace  vague 
appelé  Cha.mpeaux.  «  Les  malades  de  la  prieuré  de  St- 
Ladre,  dit  Gorrozet,  avaient  dans  ce  temps  et  d'ancien- 
neté acquis  le  droit  de  marché  et  foire  publique  pour 
distribuer  toutes  marchandises,  lequel  marché  se  tenait 
près  de  leur  maison.  Mais  le  roi  Pliilippe-Auguste, 
ayant  fait  fermer  sa  ville  de  Paris,  acheta  le  droit  d'iceux 
et  ordonna  qu'il  serait  tenu  dedans  une  grande  place 
vague  nommée  les  Champeaux  (petits-champs),  auquel 
lieu  furent  édifiés  maisons,  habitations,  ouvroirs,  bouti- 
ques et  places  publiques,  pour  y  vendre  toutes  sortes  de 
marchandises  et  les  tenir  et  serrer  en  sûreté  et  fut  ap- 
pelé ce  marché  les  Halles,  ou  ailes  de  Paris,  pour  ce  que 
chacun  y  allait.  » 

«  C'est  un  endroit  qu'il  faut  éviter,  suivant  G.  Brice, 
à  cause  des  embarras  continuels  qui  s'y  trouvent.  )) 
Cette  remarque  porterait  à  faux  maintenant  que  les 
règlements  de  police  y  ont  mis  bon  ordre  en  facilitant 
la  circulation  et  empêchant  l'encombrement  par  des 
heures  fixées  pour  l'arrivée  et  le  départ  des  voitures  qui 
apportent  les  comestibles. 


222  LES   RUES   DE    PARIS. 

La  Harpe  (rue  de)  : 

Vins  en  la  rue  de  la  Harpe, 
Je  n'avais  hareng  ni  carpe. 

lisons-nous  dans  Le  Dit  des  Rues,  Cette  voie  fort  au- 
cienne  fat  ainsi  nommée  à  cause  d'une  enseigne.  Du 
Breuil  assure  qu'elle  s'appelait  auparavant  Ste-Côme 
sans  dire  d'où  lui  vient  ce  renseignement. 

»  Au  fond  d'une  assez  vilaine  maison,  dit  de  son  côté 
Ste-Foix,  qui  a  pour  enseigne  la  Croix  de  fer,  on  voit 
une  salle  très  vaste  voûtée  et  haute  d'environ  quarante 
pieds.  C'est  un  reste  de  l'ancien  palais  des  Thermes,  et 
un  précieux  monument  de  la  façon  dont  bâtissaient  les 
Romains...  Ce  fut  la  demeure  ordinaire  de  nos  rois  de 
la  première  race,  a  Childebert,  écrit  Fortunat,  allait  de 
))  son  palais  par  ses  jardins,  jusqu'aux  environs  de 
))  l'église  St-Vincent.  »  Les  princesses  Gisla  et  Rotrude, 
filles  de  Charlemagne,  y  furent  reléguées  après  sa  mort. 
Ce  grand  homme  avait  un  peu  trop  fermé  les  yeux  sur 
leur  conduite,  apparemment  par  cette  même  tendresse 
qui  l'avait  empêché,  dit  le  P.  Daniel,  de  les  marier. 

Beaucoup  de  gens  se  trompent  donc  qui  croient  que 
cette  rue  s'appelle  ainsi  en  souvenir  de  La  Harpe,  l'au- 
teur du  Cows  de  Littérature  ancienne  et  moderne. 

Haussmann  (boulevard)  :  Notre  introduction,  ainsi 
qu'on  l'a  vu,  contenait  une  appréciation  en  quelques 
lignes  de  l'œuvre  de  M.  Haussmann,  le  Paris  transformé, 
comme  disaient  les  courtisans.  Nous  revenions  ici  sur 
ce  sujet  plus  longuement  et  plus  sévèrement,  mais  dans 
les  circonstances  actuelles,  il  nous  parait  convenable  de 


H.  223 

retrancher  de  cet  article  tout  ce  qui  concernait  M.  Hauss- 
mami  puisque  nous  aurions  plus  à  blâmer  qu'à  louer  ; 
car  clans  cette  gigantesque  entreprise,  poursuivie  avec 
une  hâte  et  une  activité  fiévreuses,  et  l'on  sait  au  prix 
de  quels  sacrifices,  ou  plutôt  de  quelles  ruines,  si  l'on 
voit  d'excellentes  choses,  des  choses  urgentes,  indis- 
pensables, habilement  exécutées,  combien  qui  ne  sont 
que  pour  l'ostentation  et  font  de  Paris  une  ville  impos- 
sible I 

Haxo  (rue)  :  Il  y  eut  deux  généraux  de  ce  nom,  le 
premier,  Nicolas  Haxo,  qui  périt  au  combat  de  la 
Roche-sur-Yon  (Vendée)  en  1794  ;  le  second,  François- 
Nicolas,  baron  de  Haxo,  neveu  du  précédent,  général 
de  division  du  génie,  mort  en  1838,  à  l'âge  de  soixante- 
quatre  ans. 

Cette  rue  Haxo  est  devenue  célèbre  par  un  récent  et 
trop  tragique  événement  !  C'est  là,  dans  une  sorte 
d'enclos  qui  s'y  trouve,  qu'ont  été  fusillés  ou  plutôt 
assassinés^  pêle-mêle  et  Dieu  sait  avec  quelles  horribles 
circonstances  !  (le  26  mai  1871),  comme  otages  de  la 
Commune  et  martyrs  du  devoir,  onze  prêtres  ou  reli- 
gieux et  trente-neuf  gendarmes  ou  gardiens  de  la  paix. 
Parmi  les  ecclésiastiques,  nous  citerons,  l'abbé  Plan- 
chat,  aumônier  du  patronage  Ste-Anne,  le  séminariste 
Seigneuret,  et  les  jésuites  Olivain,  Caubert,  de  Bengy, 
dont  les  tombes  se  voient  maintenant,  dans  l'église  du 
Jésù,  avec  celles  de  leurs  deux  confrères,  morts  comme 
eux  pour  la  foi,  à  la  Roquette. 

Hautefeuille  (rue)  :  D'après  Jaillot,  elle  a  pris  ce  nom 
à  cause  des  arbres  hauts  et  touffus  qui  bordaient  jadis 
la  voie,   u  II  appuie  son  opinion,  dit  Lazare,  sur  un 


224  LES    RUES   DE    PARIS. 

article  des  premiers  statuts  faits  pour  les  Cordeliers, 
d'après  lequel  le  jeu  de  paume  est  interdit  aux  religieux 
sous  la  Huute-feuillée.  » 

Haudriettes  (rue  des  Vieilles)  :  Ce  nom  vient  du  cou- 
vent des  religieuses  dites  Haudriettes,  qui  avaient  pour 
fondateur  Etienne  Haudri. 

Heaumerie  (rue  de  la)  :  Elle  doit  son  nom  à  une 
enseigne  représentant  un  heaume  (casque) .  La  plupart 
des  maisons  d'ailleurs  étaient  occupées  par  des  Heau- 
miers  (armuriers.) 

Honoré  (rue  St)  :  On  ne  sait  pas  quel  nom  elle  portait 
avant  de  prendre  celui  qu'elle  porte  actuellement,  et 
qui  n'est  pas  fort  ancien  ;  car  il  ne  lui  fut  donné  parait- 
il,  qu'après  la  construction  de  Téglise  St-Honoré. 
((  C'est  une  des  rues  les  plus  marchandes  de  Paris,  dit 
Sauvai,  surtout,  depuis  le  cimetière  St-Innocent  jusqu'à 
St-Honoré,  non  pas  toujours  des  deux  côtés  à  la  fois, 
mais  alternativement  et  avec  interruption  tantôt  d'un 
côté  tantôt  de  l'autre.  Et  de  fait,  depuis  la  rue  des 
Déchargeurs  jusqu'à  la  rue  Tirechape,  les  maisons  sont 
habitées  par  de  riches  drapiers  qui  les  louent  bien  chè- 
rement et  dont  les  boutiques  et  les  magasins  sont  pleins 
de  marchandises  et  de  draps  de  toute  sorte.  De  l'autre 
côté  vis-à-vis,  elle  n'est  occupée  que  par  des  fripiers 
mal  fournis  et  autres  semblables  artisans  qui  ne  font 
pas  grand  trafic  et  qui  louent  peu  leurs  logis....  De 
savoir  maintenant  la  raison  de  cette  alternative  de  tra- 
fic si  bizarre  dans  une  même  rue,  c'est  une  chose  diffi- 
cile autant  que  de  dire  pourquoi  les  drapiers  sont  sortis 
de  la  rue  de  la  Vieille  Draperie,  les  Passementiers  de  la 
rue  de  la  Vieille  Monnaie,  etc.  )> 


u.  225 

Honoré-Chevalier  (rue)   :  Nom   d'un  des  principaux 
propriétaires  rivcraius  au  XVP  siècle. 
Huchette  (rue  de  la)  : 

La  rue  de  la  Huchette  à  Paris 
Première  dont  pas  n'a  mépris, 

doit  sou  nom  à  une  enseigne.  Au  commencement  du 
XVIP  siècle,  on  l'appelait  aussi  des  Rôtisseurs  à  cause 
du  grand  nombre  d'industriels  en  ce  genre  qu'on  y 
voyait  et  dont  les  établissements  par  leur  grandeur  et 
la  multitude  des  fourneaux,  causèrent,  disent  les  auteurs 
du  temps,  un  tel  étonnement  au  père  Bonaventure  Ca- 
talagirone,  l'un  des  négociateurs  de  la  paix  de  Yervins, 
qu'à  son  retour  en  Italie,  il  ne  parlait  de  cette  rue  pan- 
tagruélique qu'avec  stupeur  :  «  Veramente  queste  rôtis- 
serie sono  causa  stupenda.  )) 

({  A  toute  heure  du  jour,  dit  l'auteur  du  Tableau  de 
Paris ^  on  y  trouve  des  volailles  cuites  ;  les  broches  ne 
désemparent  point  le  foyer  le  plus  ardent  ;  un  tourne- 
broche  éternel,  qui  ressemble  à  la  roue  d'Ixion,  entre- 
tient la  torréfaction.  La  fournaise  des  cheminées  ne 
s'éteint  que  pendant  le  carême  ;  et  si  le  feu  prenait  dans 
cette  rue  dangereuse  par  la  construction  de  ses  anti- 
ques maisons,  l'incendie  serait  inextinguible.  » 

Hurleur  (rue  du  Grand]  :  Origine  douteuse.  L'opinion 
la  plus  probable  est  celle  qui  fait  venir  cette  dénomina- 
tion du  nom  propre  Heu-leu,  Hugues  le  Loup,  par  cor- 
ruption Hurleur. 


TOME  III. 


13" 


226  LES    RUES   DE   PARIS. 


I 


Imprimerie  Nationale  :  François  I",  par  lettres  pa- 
tentes du  17  janvier  1538,  nomma  Conrad  Néobard,  son 
imprimeur,  l'imprimeur  du  roi  et  jouissant  de  privilèges 
très-étendus.  Mais  l'Imprimerie  royale,  proprement  dite, 
ne  fut  créée  que  beaucoup  plus  tard,  sous  Louis  XIII  ; 
elle  doit  sa  fondation  à  Richelieu,  en  1640,  et  dès  l'ori- 
-gine,  elle  se  distingua  par  la  perfection  de  ses  produits. 
Des  types  choisis,  une  mise  en  page  intelligente,  un 
beau  et  bon  papier,  le  tirage  très  net,  recommandent  le 
premier  livre  imprimé  dans  l'établissement.  C'était  un 
in-folio  :  de  Imitatione  Christ i,  que  suivit  ou  précéda  un 
Novum  Testamentum  dans  le  même  format. 

Les  ateliers  étaient  établis  dans  une  des  ailes  du 
Louvre,  où  ils  restèrent  jusqu'à  l'année  1808.  Alors, 
par  un  décret  en  date  du  6  mars,  l'Imprimerie  Impé- 
riale fut  transférée  rue  Vieille-du-Temple,  dans  l'ancien 
Palais-Cardinal,  approprié  à  cet  effet,  et  elle  s'y  trouve 
encore.  Les  ateliers,  vastes  et  bien  aérés,  non  moins 
bien  éclairés,  se  divisent  en  ateliers  de  fonderie,  compo- 
sition, impression,  séchage,  brochage,  reliure,  etc.  Le 
nombre  des  ouvriers  et  ouvrières,  en  temps  ordinaire, 
s'élève  à  1,000  environ,  d'après  M.  L.  Lazare,  et  cbacun 
d'eux,  après  trente  années  de  service,  a  droit  à  une  pen- 
sion de  retraite. 

Une  anecdote  en  terminant.  Lors  de  la  visite  que  le 
pape  Pie  YII,  venu  à  Paris  pour  sacrer  l'Empereur,  fit  à 
l'Imprimerie  Impériale,  quand  il  entra  dans  les  ate- 


I.  227 

liers,  les  ouvriers,  compositeurs,  imprimeurs,  etc.,  se 
découvrirent  soudaiu  respectueusement,  un  seul  excepté 
qui  d'un  air  rogue,  malgré  les  observations  et  les  mur- 
mures de  ses  camarades,  s'obstinait  à  garder  sa  cas- 
quette. 

((  Mon  ami,  dit  le  pape  avec  douceur  en  s'approchant 
de  lui,  découvrez-vous,  la  bénédiction  d'un  vieillard  porte 
toujours  bonheur.  » 

A  ces  mots  non-seulement  l'ouvrier  fut  prompt  à 
retirer  sa  casquette,  mais,  tremblant  d'émotion  et  les 
yeux  pleins  de  larmes,  il  voulut  s'agenouiller  pour 
recevoir  la  bénédiction  du  souverain  pontife. 

Innocents  [Marché  des)  :  Etabli  sur  l'emplacement  du 
cimetière  et  de  l'église  des  Saints-Innocents,  construite 
au  temps  de  Louis  YII,  dit  le  Jeune.  Ce  ne  fut  que  long- 
temps après  (1786)  qu'on  démolit  avec  l'église  les  fameux 
cliarniers,  contigus  au  cimetière.  Ils  consistaient  enujie 
grande  galerie  voûtée  dans  laquelle  se  faisaient  enterrer 
les  privilégiés  de  la  fortune.  Cette  galerie  pavée  de  tom- 
beaux, tapissée  de  monuments  funèbres,  servait  néan- 
moins de  passage  aux  piétons,  et  pour  ce  motif  était 
encombrée  de  boutiques  de  mercerie,  lingerie,  modes 
(étrange  rapprochement  !)  et  de  bureaux  d'écrivains 
publics.  Elle  occupait  une  partie  de  la  largeur  actuelle 
de  la  rue  de  la  Ferronnerie.  «  C'est  au  milieu  des  dé- 
bris vermoulus  de  trente  générations  qui  n'offrent  plus 
que  des  os  en  poudre,  dit  Mercier^  c'est  au  milieu  de 
l'odeur  fétide  et  cadavéreuse  qui  vient  offenser  l'odorat, 
qu'on  voit  celles-ci  acheter  des  modes  et  celles-là  dicter 
des  lettres  amoureuses.  » 

Lors  de  la  démolition  de  l'église,  en  1786,  fut  cons- 


228  LES    RUES    DE    PARIS. 

truite  la  fontaine  dite  des  Innocents  dont  les  matériaux, 
pour  la  plus  grande  partie,  provenaient  d'un  monument 
adossé  à  l'église  et  formant  l'angle  des  rues  aux  Fers  et 
Saint-Denis.  L'idée  et  l'exécution  font  honneur  à  l'in- 
génieur nommé  Six.  Cinq  des  figures  de  Naïades  sont 
de  Jean  Goujon,  et  ajoutent  beaucoup,  par  leur  admi- 
rable exécution,  à  la  valeur  du  monument. 

Institut.  Ancien  collège  des  Quatre-Nations  fondé  par 
Mazarin  et  pour  lequel  il  avait  légué  une  somme  de 
deux  millions  en  argent,  plus  45,000  livres  de  rentes 
sur  l'Hôtel-de-Ville  de  Paris.  Le  collège  s'appelait  des 
Quatre-Nations,  pour  indiquer  les  pays  appelés  à  jouir 
des  bénéfices  de  cette  fondation.  Là,  devaient  être 
élevés  les  enfants  des  gentilshommes  ou  principaux 
bourgeois  de  Pignerol  et  son  territoire,  de  l'Alsace  et 
pays  d'Allemagne,  de  l'Etat  ecclésiastique,  de  Flandre 
et  de  Roussillon.  Le  collège  a  subsisté  jusqu'à  la  Révo- 
lution française. 

Invalides,  (Hôtel  des)  :  Commencé  sous  Louis  XIII  par 
les  ordres  de  Richelieu  qui  confia  la  direction  des  tra- 
vaux à  Libéral  Bruant,  il  fut  complété  et  achevé  sous 
Louis  XIV.  La  partie  de  l'édifice  exécutée  sur  les  plans 
de  L.  Bruant  se  compose  de  la  cour  d'honneur  entourée 
d'arcades,  des  bâtiments  qui  l'environnent  et  de  l'église. 
Le  reste  est  l'œuvre  de  Mansart. 

((  Plus  les  âges  qui  ont  élevé  nos  monuments  ont  eu 
de  piété  et  de  foi,  dit  un  éloquent  écrivain  ',  plus  ces  mo- 
numents ont  été  frappants  par  la  grandeur  et  par  le 
caractère.  On  en  voit  un  exemple  remare^uable  dans 

'  Chateaubriand.  Génie  du  Christianisme. 


I.  229 

rilùtel  des  Iiivalules  et  dans  l'Ecole  militaire  ;  un  dirait 
que  le  premier  a  fait  monter  ses  voûtes  dans  le  ciel  à  la 
voix  du  siècle  religieux,  et  que  le  second  s'est  abaissé 
vers  la  terre  à  la  parole  du  siècle  athée.  , 

((  Trois  corps  de  logis,  formant  avec  l'église  un  carré 
long,  composent  l'édifice  des  Invalides.  Mais  quel  goût 
dans  cette  simplicité  !  quelle  beauté  dans  cette  cour  qui 
n'est  pourtant  qu'un  cloitre  militaire  où  l'art  a  mêlé  les 
idées  guerrières  aux  idées  religieuses,  et  marié  l'image 
d'un  camp  de  vieux  soldats  aux  souvenirs  attendrissants 
d'un  hospice  !  C'est  à  la  fois  le  monument  du  Dieu  des 
Armées  et  du  Dieu  de  l'Evangile.  La  rouille  des  siècles 
qui  commence  à  le  couvrir  lui  donne  de  nobles  rapports 
avec  ces  vétérans,  ruines  animées,  qui  se  promènent 
sous  ces  vieux  portiques.  Dans  les  avant- cours,  tout 
retrace  l'idée  des  combats  :  fossés,  glacis,  remparts, 
canons,  tentes,  sentinelles.  Pénétrez-vous  plus  avant,  le 
bruit  s'affaiblit  par  degrés,  et  va  se  perdre  à  l'église,  où 
règne  un  profond  silence.  Ce  bâtiment  religieux  est 
placé  derrière  les  bâtiments  militaires,  comme  l'image 
du  repos  et  de  l'espérance,  au  fond  d'une  vie  pleine  de 
troubles  et  de  périls. 

((  Le  siècle  de  Louis  XIV  est  peut-être  le  seul  qui  ait 
bien  connu  ces  convenances  morales,  et  qui  ait  toujours 
fait  dans  les  arts  ce  qu'il  fallait  faire,  rien  de  moins, 
rien  de  plus.  L'or  du  commerce  a  élevé  les  fastueuses 
colonnades  de  l'hôpital  de  Greenwich  en  Angleterre  ; 
mais  il  y  a  quelque  chose  de  plus  fier  et  de  plus  impo- 
sant dans  la  masse  des  Invalides.  On  sent  qu'une  nation 
qui  bâtit  de  tels  palais  pour  la  vieillesse  de  ses  armées  a 
reçu  la  puissance  du  glaive  ainsi  que  le  sceptre  des  arts.  » 


i>30  LES    RUES    DE    PARIS. 

Ou  sait  qu'aux  voûtes  de  l'église  se  voieut  suspendus 
les  drapeaux  de  toutes  couleurs,  glorieux  trophées  con- 
quis sur  l'ennemi. 

Est-il  permis  de  ne  pas  dire,  quoique  personne  ne 
l'ignore,  que,  dans  la  crypte  de  l'église,  se  trouve  le 
tombeau  de  Napoléon  P%  dont  le  corps,  jusqu'en  1840, 
reposa  sous  le  saule  de  Sainte-Hélène  et  qui  fut  alors, 
après  vingt-cinq  ans,  rapporté  de  la  terre  d'exil. 

Il  est  là,  sous  (rois  pas  un  enfant  le  mesure. 

(Lamartine). 


Jacob  (rue)  :  Doit  son  nom  à  la  reine  JMarguerite  de 
Valois  qui  avait  fait  vœu  de  bâtir  un  autel  et  fit  cons- 
truire le  couvent  et  l'église  des  Petits-Augustins  où 
s'éleva  l'autel  Jacob. 

Saint- Jacques  de  la  Boucherie  (Tour)  :  Lors  de  la  démo- 
lition de  l'église,  vendue,  en  1797,  comme  propriété 
nationale,  cette  Tour  avait  été  conservée.  La  ville  de 
Paris  l'ayant  achetée  des  héritiers  Dubois  pour  la 
somme  de  250,000,  elle  fut  classée  parmi  les  monuments 
historiques,  ce  qui  la  mettait  pour  toujours  à  l'abri  de 
la  pioche  des  démoUsseurs.  La  tour,  ha])ilement  restau- 
rée par  l'architecte  Th.  Ballu,  s'élève  maintenant  au 
milieu  des  frais  ombrages  d'un  square  bien  connu  des 
mères  de  famille  du  quartier  et  de  leurs  gentils  bam- 
bins. 


j.  231 

Voyez  se  dresser,  veuve  et  seule. 

Du  sein  des  arbustes  fleuris, 

La  tour  Saint-Jacque,  une  autre  aïeule 

Des  édifices  de  Paris. 

Longtemps  son  destin  fut  précaire  ; 

Mais,  comme  un  riche  reliquaire 

Que  quelque  amoureux  antiquaire 

Conserve  précieusement, 

Qu'il  tonne,  qu'il  vente  ou  qu'il  pleuve, 

Elle  est  désormais  à  l'épreuve 

Et,  sur  sa  base,  au  bord  du  fleuve. 

Assise  inébraolablement. 

a  dit  un  poète  contemporain  ^  Au  premier  étage  se  voit 
une  statue  de  Pascal,  et  une  inscription  placée  sur  l'une 
des  parois  rappelle  que  ce  fut  dans  la  Tour  St-Jacques 
que  Biaise  fit  ses  premières  expériences  relatives  à  la 
pesanteur  de  l'air. 

St-Jacques  (rue)  :  A  longtemps  été  divisée  en  plu- 
sieurs tronçons  appelés  de  noms  divers  :  Grande  rue  du 
Petit-Pont,  Grande  rue  St-Benoit,  Grande  rue  St-E tienne 
des  Grès.  Son  nom  actuel,  qu'elle  porte  dans  toute  sa 
longueur,  vient  originairement  de  la  chapelle  St-Jacques 
qui  s'y  trouvait  et  que  desservaient,  depuis  l'année 
1218,  les  religieux  dominicains. 

Jajji/  iruei  :  Elle  doit  son  nom  à  une  famille  d'horlo- 
gers célèbres,  dont  le  chef,  Frédéric  Japy,  était  fils  d'un 
maréclial  ferrant  de  Beaucourt,  arrondissement  de 
Béfort  iHaut-Rhin  .  Après  avoir  fait  son  apprentissage 
en  Suisse,  chez  un  horloger  distingué  du  pays,  nommé 
Perrelet,  il  vint  à  Paris  en  1789  «  ayant  pour  toute  mise 

*  Amédée  Pommier. 


232  LES   RUES   DE   PARIS. 

de  fonds,  dit  M.  Lazare,  ses  bras  et  son  cœur.  »  Trente 
ans  après,  il  cédait  à  ses  trois  fils  son  établissement  très- 
prospère  et  l'un  des  plus  considérables  de  France  et 
même  d'Europe. 

Jardinet  (rue  du)  :  A  pris  ce  nom  du  jardin  du  collège 
de  l'hôtel  Vendôme  situé  entre  cette  rue  et  celle  du 
Battoir. 

Jean  de  l'Epine  (rue)  :  C'était  le  nom  du  greffier  cri- 
minel du  Parlement  qui  habitait  cette  rue  en  1426  et 
probablement  fit  remplacer  par  son  nom  propre  celui  de 
la  Tonnellerie  qu'elle  portait.  De  même  la  rue  Jean-Pain- 
Mollet,  voisine,  cessa  de  s'appeler  du  Croc,  en  1263,  à 
cause  d'un  notable  bourgeois  qui  y  possédait  une  fort 
belle  maison  et  s'appelait  Jean-Pain-Mollet. 

Jeûneurs  (rue  des)  :  Altération  du  mot  Jeux-JSeufs, 
nom  que  portait  la  rue  vers  1643,  parce  qu'elle  avait  été 
construite  sur  l'emplacement  des  jeux  de  boules. 

Joubert  (rue)  :  L'éminent  écrivain  auquel,  dans  nos 
Biographies,  nous  avons  consacré  toute  une  étude,  eu 
réalité  cependant  n'est  point  celui  qui,  dans  la  pensée 
de  nos  édiles,  a  donné  son  nom  à  la  rue  ;  mais,  comme 
on  l'a  dit,  Joubert  (Barthélémy-Catherine)  né  à  Pont-de- 
yeauxenl769  et  qui  se  distingua  plus  avec  l'épée  qu'avec 
la  plume.  Engagé  volontaire  en  1791,  il  s'éleva  promp- 
tement  aux  premiers  grades,  général  en  chef  des  Armées 
de  Hollande,  Mayence,  Italie.  Lorsqu'il  fut  tué  à  la  ba- 
taille de  Novi,  il  comptait  trente  ans  à  peine. 

Juifs  (rue  des)  :  Aujourd'hui  supprimée.  «  Les  Juifs, 
dit  Sauvai,  ont  logé  à  Paris  dans  plusieurs  rues  outre  la 
rue  des  Juifs;  on  croit  qu'ils  avaient  encore  la  rue  des 
Rosiers j  la  rue  de  la  Juivrerie,  la  rue  Violette j  la  rue  de 


j.  233 

la  Tixerandene,  la  rue  St-Bon,  de  la  Halle  au  Blé,  de  la 
Grande  et  petite  Friperie,  et  même  qu'ils  étaient  proprié- 
taires de  toutes  les  maisons  composant  ces  rues.  » 

Joquelet  (rue)  :  Nom  d'un  bourgeois  de  Paris,  proprié- 
taire d'une  des  maisons  de  cette  rue. 

Jour  (rue  du)  :  Appelée  au  XIIP  siècle  rue  Raoul- 
Roissolky  témoin  ce  vers  de  Guillot  : 

Parla  rue  de  la  Croix-Neuve 
ViDg  eu  la  rue  Raoul-Roissolle. 

nom  d'un  des  propriétaires  riverains.  En  1350,  Charles 
V  fit  construire,  entre  les  rues  Montmartre  et  Coquil- 
lière,  un  manège  dit  Séjour  du  roi,  et  la  rue  bientôt 
s'appela  du  Séjour,  que  le  populaire  abrégea  et  dont  il 
fit  la  rue  du  Jour. 

Jouy  (rue  de)  :  Ainsi  nommée  d'un  hôtel  qui  s'y  trou- 
vait et  qui  appartenait  à  l'abbé  de  Jouy  (XIIP  siècle). 

Juillet  (rue  du  29)  :  Ouverte  en  1826,  elle  s'appelait 
rue  du  Duc  de  Bordeaux,  nom  qui  fut  changé  en  celui  du 
29  Juillet  par  une  ordonnance  ministérielle  du  19  août 
1830,  signée  Guizot. 

Julienne  (rue  de)  :  Julienne  est  le  nom  d'un  artiste  et 
amateur  célèbre  au  temps  de  Louis  XV. 

Jussiemie  (rue  de  la)  :  Altération  un  peu  bien  forte  du 
nom  de  sainte  Marie  l'Égyptienne  dont  une  chapelle 
s'élevait  jadis  dans  cette  rue. 

Jussieu  (rue  de)  :  Les  de  Jussieu  forment  une  famille 
dont  tous  les  membres  ont  bien  mérité  de  la  science. 
(1606-1758).  Au  botaniste  Antoine  de  Jussieu,  on  dut 
une  méthode   de  classification  qui  remplaça  celle   de 


234  LES   RUES  DE   PARIS. 

Linnée;  —  Son  frère,  Bertrand  (4699-1777),  est  auteur 
des  familles  naturelles.  Joseph,  autre  frère,  (1704-1779), 
voyagea  dans  l'Amérique  méridionale,  d'où  il  rapporta 
d'intéressants  matériaux.  Laurent  de  Jussieu,  neveu  du 
précédent  (1746-1836)  publia  le  Gênera  plantarmn  et 
laissa  un  fils  du  nom  d'Adrien  (1797-1853)  qui  fut  aussi 
botaniste  distingué. 

Justice  {])^\ais  de):  Existait  déjà  comme  édifice  public 
au  temps  de  la  domination  romaine.  Réparé  et  agrandi 
par  les  maires  du  palais,  il  devint  la  demeure  des  rois 
sous  le  règne  de  Hugues  Capet  et  plusieurs  de  ses  suc- 
cesseurs l'habitèrent  ;  Louis-le-Gros  entre  autres  y  mou- 
rut. De  nouvelles  constructions  s'élevèrent  successive- 
ment ;  puis  l'édifice  presque  en  entier  fut  rebâti  par 
Philippe-le-Bel  qui  y  installa  son  parlement. 

Les  voûtes  de  la  Grande  salle,  dite  aujourd'hui  des 
Pas  Perdus,  étaient  alors  en  bois  et  soutenues  par  des 
piliers  de  même  matière,  enrichis  de  dorures  sur  un 
fond  couleur  d'azur.  Dans  les  espaces  qui  les  séparaient, 
s'élevaient  les  statues  de  nos  rois  depuis  Pharamond.  Le 
7  mai  de  l'an  1618,  un  incendie  dont  la  cause  est  restée 
inconnue  détruisit  cette  salle  antique  et  magnifique  et 
.  une  grande  partie  des  bâtiments  voisins.  La  salle  alors 
fut  reconstruite,  mais  en  pierres  de  taille  et  moellons, 
par  Desbrosses,  l'architecte  du  palais  du  Luxembourg. 
Les  travaux,  poussés  avec  une  grande  activité,  étaient 
complètement  terminés  en  1622. 


E.  235 


K 


Kléher  (rue)  :  Jean-Baptiste  Kléber,  lils  d'uu  terras- 
sier de  la  maison  de  Rohan,  né  à  Strasbourg  en  1734  ; 
d'abord  officier  au  service  de  l'Autriche,  il  rentra  eu 
France  après  avoir  donné  sa  démission  et  devint  inspec- 
teur des  bâtiments  publics.  Engagé  volontaire  en  1792, 
il  s'éleva  promptement  aux  premiers  grades  et  s'illustra 
dans  les  armées  du  Nord  et  de  Sambre  et  Meuse.  Il 
périt,  comme  on  sait,  en  Egypte,  assassiné  par  un  fana- 
tique du  nom  de  Soleiman  (14  juin  1800.)  «  Kléber, 
c'était  le  dieu  Mars  en  uniforme,  a  dit  de  lui  Napoléon 
dans  ses  Mémoires;  courage, conception,  il  avait  tout.  » 

Si  l'on  eu  croit  Ro^dgo,  l'aide-de-camp  de  Desaix,  le 
caractère  chez  Kléber  n'était  point  à  la  hauteur  des 
talents  militaires  :  «  C'était  un  homme  de  bien  et  incon- 
testablement un  général  brave  et  habile,  mais  d'une 
bonté  et  d'une  faiblesse  de  caractère  qui  contrastaient 
singulièrement  avec  sa  haute  stature  qui  avait  quelque 
chose  d'imposant....  Son  caractère  naturel  était  fron- 
deur et  il  disait  lui-même  qu'il  n'aimait  la  subordina- 
tion qu'en  sous- ordre.  Son  esprit,  quoique  agréable, 
n'était  pas  d'une  portée  très-étendue...  A  tous  ces  incon- 
vénients se  joignait  celui  d'une  ignorance  totale  dans  la 
conduite  des  affaires  de  cabinet,  en  sorte  qu'il  ne  pou- 
vait manquer  d'être  à  la  merci  de  tout  le  monde  et 
particulièrement  de  ceux  qui  voulaient  faire  de  lui  un 
moyen  de  rentrer  en  France.  )) 

Encore  que  politiquement  Kléber  en  Egypte  ait  fait 


236  LES   RUES   DE    TARIS. 

des  fautes  glorieusement  et  complètement  rachetées  par 
l'homme  de  guerre,  ce  jugement  paraît  trop  sévère  et 
la  position  particulière  de  Savary,  auprès  de  l'Empe- 
reur, nous  le  rend[su?pect.  (Voir  la  France  héroïque ^  arti- 
cle Marceau) . 


La  Feuillade  (rue  de)  :  La  Feuillade,  de  la  maison 
d'Aubusson,  gouverneur  du  Dauphiué,  et  colonel  du 
régiment  des  Gardes-Françaises,  qui  a  érigé  la  statue 
de  Louis  XIV  à  la  place  des  Victoires,  a  fait  sa  fortune 
par  mille  quolibets  qu'il  disait  au  roi.  ^  a  II  y  a  des  gens 
qui  gagnent  à  être  extraordinaires  :  ils  voguent,  ils 
cinglent  dans  une  mer  où  les  autres  échouent  et  se  bri- 
sent, dit  La  Bruyère  ;  ils  parviennent  en  blessant  toutes 
les  règles  de  parvenir  ;  ils  tirent  de  leur  irrégularité  et 
de  leur  folie  tous  les  fruits  d'une  sagesse  la  plus  con- 
sommée ;  ....  ils  s'attirent  à  force  d'être  plaisants  des 
emplois  graves,  et  s'élèvent  par  un  continuel  enjoue- 
ment jusqu'au  sérieux  des  dignités;...  ce  qui  reste  d'eux 
sur  la  terre,  c'est  l'exemple  de  leur  fortune,  fatal  à  ceux 
qui  voudraient  le  suivre.  » 

Laffîte  (rue)  :  On  sait  la  part  considérable  que  ce  célè- 
bre banquier  prit  à  la  révolution  de  1830  et  dont  pour 
sa  fortune  il  n'eut  pas  à  se  féliciter.  Il  est  mort  en  1844. 

Lancry  (rue  de)  :  Ouverte  en  1776  sur  un  terrain 
appartenant  aux  sieurs  Lancry  et  Lollot. 

'  La  Feuillade  d'ailleurs,  brave  jusqu'à  la  témérité^  avait  des  talents 
militaires. 


L.  237 

Lard  (rue  au)  :  Ainsi  nommée  parce  qu'on  y  vendait 
force  lard  et  charcuterie. 

La  Retjnie  (rue)  :  La  Reynie  (Gabriel-Nicolas)  fut  le 
premier  lieutenant  (préfet  de  polic(;)  de  Paris  et  il  ren- 
dit dans  ce  poste  de  grands  services  dont  Louis  XIV  le 
récompensa  par  le  titre  de  conseiller  d'Etat.  Il  mourut 
en  1709. 

La  Roche foucauld  {ywq  de)  :  On  ne  peut  refuser  à  l'au- 
teur des  Maximes  le  mérite  d'un  style  net,  incisif  et  qui 
met  fortement  en  relief  une  pensée  rarement  banale  ; 
mais  le  moraliste  chez  lui  ne  vaut  pas  l'écrivain,  car  il 
exagère  en  calomniant  la  nature  humaine  qu'il  semble 
avoir  pris  à  tâche  de  nous  montrer  par  ses  côtés  les 
plus  défectueux.  De  la  médaille  il  ne  veut  voir  et  décou- 
vrir que  le  revers.  A  Dieu  ne  plaise  que  l'égoïsme,  que 
l'amour-propre  soient  les  mobiles  uniques  de  nos  actions 
même  les  meilleures  en  apparence  !  Il  est  (et  non  par 
exception)  d'humbles  vertus,  d'héroïques  dévouements, 
de  sublimes  sacrifices  d'autant  plus  admirables  que  le 
motif  qui  les  inspire  vient  de  plus  haut,  entièrement 
généreux  et  désintéressé. 

Las  Cases  (rue  de)  :  Ouverte  en  1828,  elle  a  pris  en 
1830  le  nom  de  Las  Cases,  auteur  du  Mémorial  de 
Sainte- Hélène.  Las  Cases  est  mort  en  1842. 

Lavoisier  (rue)  :  Lavoisier  (Antoine-Laurent),  célèbre 
chimiste  qui,  à  l'âge  de  23  ans  (il  était  né  en  1743), 
avait  remporté  le  prix  proposé  par  l'Académie  des 
Sciences  pour  le  meilleur  mode  d'éclairage  de  la  ville 
de  Paris.  Il  fut  l'une  des  victimes  de  la  Terreur.  (8  mai 
(1794). 

Lazare  (prison  de  Saint)  :  Ce  monument  remonte  à 


238  LES   RUES   DE    PARIS. 

la  plus  haute  antiquité  puisqu'il  est  mentionné  dans  un 
titre  de  l'année  HIO  ;  c'était  alors  une  maladrerie. 
Plusieurs  siècles  après,  en  1632,  cette  maison  devint  la 
propriété  des  Prêtres  de  la  Mission,  institués  par  Saint- 
Yincent  de  Paul,  qui  s'y  installèrent  en  l'agrandissant 
par  de  nouvelles  constructions»;  ils  l'habitèrent  jusqu'au 
mois  de  juillet  1789  où  l'émeute  les  en  chassa.  En  1793, 
l'établissement  devint  une  prison  trop  célèbre  sous  la 
Révolution.  André  Chénier,  qui  la  quitta  pour  marcher 
à  l'échafaud  en  compagnie  de  Roucher,  l'auteur  des 
Mois  (7  thermidor  1794),  y  composa  ses  magnifiques 
iambes  : 

Quand  au  mouton  bêlant  la  sombre  bergerie 
Ouvre  ses  cavernes  de  mort. 

Et  le  reste. 

Légion- d'JIonneii?'  (palais  de  la)  :  Construit  en  1786 
par  le  prince  de  Salm,  cet  édifice,  devenu  propriété 
nationale,  fut  affecté  par  Napoléon  1"  à  la  demeure  du 
grand  chancelier  de  la  Légion- d'Honneur  et  au  service 
des  bureaux. 

Le  Graverend  (rue)  :  Jurisconsulte  éminent,  le  Gra- 
verend,  né  à  Rennes  en  1776,  y  mourut  le  5  novembre 
1827. 

Cardinal  Lemoine  (rue  du)  :  Jean  Lemoine,  cardinal, 
fonda,  en  1302,  un  collège  longtemps  célèbre  à  l'inten- 
tion des  pauvres  maîtres  et  écoliers  de  la  rue  du  Chardon- 
net,  ainsi  qu'il  les  appelait.  Cet  élabhssement  fut,  comme 
tant  d'autres,  supprimé  par  la  Révolution  et  devint  pro- 
priété nationale. 

Lions  Si-Paul  (rue  des)  :  Cette  rue  prit  son  nom  du 


L.  239 

bâtiment  et  des  cours  où  étaient  renfermés  les  grands 
et  les  petits  lions  du  roi.  a  Un  jour  que  François  P"" 
s'amusait  à  regarder  un  combat  de  ses  lions,  une  dame, 
ayant  laissé  tomber  son  gant,  dit  à  de  Lorges  :  «  Si 
»  vous  voulez  que  je  croie  que  vous  m'aimez  autant  que 
»  vous  me  le  jurez  tous  les  jours,  allez  ramasser  mon 
»  gant.))  De  Lorges  descend,  ramasse  le  gant  au  milieu 
de  ces  terribles  animaux,  remonte,  le  jette  au  nez  de  la 
dame,  et  depuis,  malgré  toutes  les  avances  et  les  aga- 
ceries qu'elle  lui  faisait,  il  ne  voulut  jamais  la  voir.  » 
(Sainte-Foix.) 
Excellente  leçon  donnée  à  la  coquetterie  I 
Licorne  (rue  de  la)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne 
qu'on  y  voyait  en  1297,  et  qui  représentait  un  unicoime, 
comme  ou  disait  alors,  et  la  rue  s'appelait  de  l'^'n^conze. 
((  Cependant  j'ai  ouï  dire  que  bien  des  gens  prétendaient 
que  ce  nom  ne  lui  avait  été  donné  qu'à  l'occasion  d'une 
licorne  qu'on  y  montrait  autrefois  pour  de  l'argent  ; 
pour  quoi  je  serais  de  leur  opinion  volontiers  s'ils  pou- 
vaient nous  faire  voir  une  licorne  en  vie  ;  mais  qu'ils 
ne  se  mettent  point  en  peine  d'en  chercher,  car  il  n'y 
en  a  jamais  eu  au  monde,  si  ce  n'est  eu  peinture.  » 
[Sauvai.) 

Lobau  (rue)  :  Georges  Mouton,  comte  de  Lobau,  na- 
quit le  21  février  j770  à  Phalsbourg.  Engagé  volon- 
taire en  1792,  sa  bravoure  à  l'armée  du  Rhin  hii  valut 
l'épaulette  d'officier.  Aide-de-camp  de  Joubert  à  Novi, 
il  reçut  dans  ses  bras  le  général  frappé  mortellement  et 
qui  bientôt  expira.  Colonel  en  1800,  général  de  brigade 
en  1803,  Mouton  mérita  à  la  bataille  d'Essling  (1809) 
d'être  nommé  comte  de  Lobau,  ((  pour  avoir  sept  fois, 


240  LES    RUES  DE    PARIS. 

aux  termes  du  décret,  repoussé  rennemi  et  par  là  assuré 
la  gloire  de  nos  armes,  n 

Quelques  temps  après,  l'Empereur  voyant  à  la  Cour 
arriver  la  comtesse  Lobau,  s'approcha  d'elle  et  lui  dit  : 
((  Votre  mari  est  brave  comme  son  épée  et  lui  aussi 
méritait  d'être  prince  d'Essling.  » 

Après  1830,  Lobau  fut  fait  commandant  en  chef  des 
gardes  nationales  de  France.  Tout  le  monde  se  rappelle 
le  moyen  original  autant  qu'efficace  employé  par  lui 
pour  dissiper,  place  Vendôme,  une  émeute  sans  effusion 
de  sang.  Les  pompes  remplacèrent,  et  avec  un  plein 
succès,  les  canons.  Les  Parisiens  mis  en  gaîté  par  l'ex- 
pédient ne  purent  garder  beaucoup  rancune  au  vieux 
brave,  mais  néanmoins  se  vengèrent  par  d'intermina- 
bles plaisanteries,  dont  le  maréchal  ^  riait  tout  le  pre- 
mier sous  sa  moustache  grise.  Lobau  mourut  en  1838 
(27  novembre.) 

Lombards  (rue  des)  :  Elle  a  pris  son  nom  de  certains 
usuriers  et  créanciers  si  impatients  que  par  ironie  on 
disait  autrefois  à  Paris  la  Patience  des  Lombards. 

Louis-le- Grand  (rue)  :  Il  est  assez  curieux  de  voir  le 
jugement  porté  sur  Louis  XIV  par  Napoléon  et  les  mo- 
tifs pour  lesquels  il  l'exalte  ou  le  blâme  :  «  Louis  XIV 
fut  un  grand  roi  :  c'est  lui  qui  a  élevé  la  France  au 
premier  rang  des  nations  de  l'Europe  ;  c'est  lui  qui  le 
premier  a  eu  400,000  hommes  sur  pied  Qi  100  vaisseaux 
en  mer  ;  il  a  accru  la  France  de  la  Franche- Comté,  du 
Roussillon,  de  la  Flandre,  etc; ....  Mais  les  200  millions 
de  dettes,  mais  Versailles,  mais  Marly,  ce  favori  sans 

'  Il  avait  été  nommé  en  1831 . 


môritc,  mais  mademoiselle  de  MainteiioD,  Yilleroi,  Tal- 
lard,  Marsin,  etc  !  Eh  !  le  soleil  n'a- 1- il  pas  ses  taches  ? 
Depuis  Charlemagne,  quel  est  le  souverain,  roi  de 
France,  qu'on  puisse  comparer  à  Louis  XIY  sur  toutes 
ses  faces  ^  ?  » 

Louis- Philippe  (passage)  :  Autrefois  rue  de  Lappe, 
nom  d'un  jardinier  qui  l'habitait  eu  1G35. 

Lourcine  rue  de)  :  Cette  rue  dépendait  au  XIP  siècle 
du  fief  de  Lourcine  [Laorcinis)  appartenant  à  la  com- 
manderie  de  St-Jeau  de  Latran.  Elle  porte  dans  certains 
actes  le  nom  de  rue  Franchise  à  cause  du  privilège  dont 
les  artisans  jouissaient  sur  son  territoire. 

Louvre  (palais  du)  :  La  véritalde  origine  de  ce  châ- 
teau est  ignorée  et  l'étymologie  de  son  nom  n'est  pas 
mieux  connue;  la  plus  vraisemblable  est  celle  qu'on  tire 
du  mot  saxon  louer  qui  en  français  signifie  château. 
Presque  tous  nos  historiens  font  honneur  de  sa  fonda- 
tion à  Pliilippe-Auguste  ;  mais  il  n'est  pas  difficile  de 
prouver  que  ce  prince  n'a  fait  que  le  réparer  et  l'aug- 
menter. Le  Louvre,  habité  par  nos  rois,  fut  par  eux 
continuellement  agrandi  et  embelli.  François  P""  com- 
mença, en  1528,  un  nouveau  bâtiment  qui  ne  fut 
achevé  que  vingt  ans  après,  sous  le  règne  de  Henri  IL 
Louis  XIII  le  fit  augmenter  aussi  et  posa  la  première 
pierre  des  nouvelles  constructions  au  mois  de  juillet 
4624.  Sous  Louis  XIV,  les  augmentations  furent  plus 
considérables  encore;  c'est  alors  que  s'éleva  la  magnifi- 
que colonnade  exécutée  d'après  les  dessins  de  Perrault 

'  Gourgaud  et  Montholon  :  Mémoires  dictés  à  Sainte-Hélène. 
T.  VII. 

TOME  in.  1^ 


242  LES   RUES   DE    PARIS. 

qui  de  médecin  devint  architecte.  Napoléon  P""  donna 
une  impulsion  nouvelle  aux  travaux  que  la  Révolution 
avait  interrompus,  et,  de  notre  temps,  nous  avons  vu 
se  réaliser  le  projet  longtemps  ajourné  de  la  réunion  du 
Louvre  aux  Tuileries,  projet  dont  le  premier,  dit-on, 
Henri  IV  eut  la  pensée. 

Dans  les  Mémoires  de  Tavannes,  on  lit  un  passage  sin- 
gulièrement curieux  pour  l'époque  et  relatif  à  l'achève- 
ment du  Louvre  :  «...  Mais  à  la  vérité,  pour  faire  de 
tels  bâtiments,  dit  le  contemporain  de  François  P"",  il 
faudrait  que  le  roi  de  France  fût  au  moins  seigneur  de 
tous  les  Pays-Bas,  en  bornant  son  état  de  la  rivière  du 
Rhin,  en  occupant  les  comtés  de  Ferre tte,  de  Bourgo- 
gne, Franche-Comté  et  Savoie  qui  seraient  les  limites 
devers  les  montagnes  d'Italie,  et  d'autre  part  le  comté 
de  Roussillon  et  ce  qui  va  jusqu'au  proche  des  Pyré- 
nées. )) 

La  galerie  des  tableaux,  ou  Musée  du  Louvre,  est  une 
des  plus  riches  de  l'Europe.  Toutes  les  grandes  écoles 
Italienne,  Flamande,  Espagnole,  Française  y  sont  re- 
présentées par  d'admirables  chefs-d'œuvre,  peinture  et 
dessins. 

Dans  le  Louvre  se  voient  également  le  Musée  des 
Souverains,  le  Musée  de  la  Marine,  la  galerie  Sauva- 
geot,  etc. 

Lune  (rue  de  la)  :  Ce  nom  \âent  d'une  enseigne. 

Luxembourg  (palais  et  jardin  du)  : 

J'airne  du  Luxembourg  la  pose  solennelle  : 
Aux  quatre  points  du  ciel  il  élargit  une  aile  ; 
Sous  une  Médicis,  le  ciseau  florentin 
Voulut  donner  ce  Louvre  au  yieux  quartier  Utin  ; 


L.  243 

Le  temps,  qui  ronge  tout  de  ses  dents  incisives 
N'a  pas  encor  mordu  sur  ces  pierres  massives  ; 
Vierge  d'impur  ciment,  fort  de  son  unité. 
Ce  compacte  château  vit  pour  l'éternité. 
11  étale  au  dehors  de  ses  murs  granitiques 
La  colonne  toscane  aux  bracelets  antiques. 
Et  semble  dédaigner  dans  son  style  grossier 
Ces  frêles  ornements  que  cartonne  Percier, 
Ces  colonnes  d'un  jour  qui,  pour  être  immortelles, 
Coiffent  leurs  chapiteaux  de  bonnets  de  dentelles, 
Ces  feuillets  de  sculpture  où,  par  quatrains  égaux. 
L'architecte  galant  écrit  ses  madrigaux. 
J'aime  surtout  ses  bois,  terrestres  élysées  ; 
Ses  pelouses  de  fleurs  par  des  talus  brisées  ; 
La  mousse  en  relief  sur  les  murs  décrépits  ; 
L'allée  où  le  gramen  déroule  ses  tapis  ; 
Ses  autels  où  la  fable  a  sculpté  ses  idoles  ; 
Les  cygnes  du  bassin,  gracieuses  gondoles  ; 
Et  les  lacs  de  gazon  qu'un  balustre  épineux 
Borde,  en  faisant  courir  ses  losanges  de  nœuds. 
Là^  toujours  indocile  au  goût  systématique. 
Quelque  plan  imprévu  rompt  les  lignes  d'optique  ; 
Là,  rien  n'attriste  l'œil,  car  un  heureux  dédain 
Au  compas  de  Lenôtre  enleva  ce  jardin. 

Ces  vers  du  poète  de  la  Némésis,  écrits  en  1831,  et  si 
remarquables  au  point  de  vue  historique  et  descriptif, 
étaient  plus  vrais  alors  qu'aujourd'hui,  surtout  en  ce 
qui  concerne  le  jardin  si  malheureusement  mutilé  et 
diminué  en  dépit  des  réclamations  les  plus  instantes.  La 
suppression  de  la  Pépinière  en  particulier,  en  vue  de 
mesquins  calculs  financiers,  a  été  un  acte  véritable  de 
vandalisme  qui  ôte  beaucoup  au  jardin  de  son  caractère 
pittoresque.  Espérons  maintenant  que  les  terrains,  dis- 
traits par  un  plan  malencontreux  du  Luxembourg,  lui 


244  LES   RUES    DE    PARIS. 

seront  rendus,  plantés  à  nouveau  d'arbres  et  d'arbustes 
pour  l'agrément  des  promeneurs  et  de  la  nombreuse 
population  enfantine  du  quartier  à  laquelle  c'est  un 
devoir  comme  un  bonheur  de  penser. 


M 


Macdonald  (rue)  :  Macdonald  (Etienne),  duc  de  Tarente, 
né  en  1765, mort  en  1840.  «  Il  était  de  ceux  dont  les  de- 
hors heureux  sont,  d'une  àmepure  et  généreuse,  la  digne 
et  fidèle  image.  Rien  en  lui  ne  dissimulait.  Son  âme 
ressortait  dans  tous  les  traits  de  sa  noble  figure.  »  Ainsi 
s'exprime  M.  de  Ségur  qui  n'est  point  démenti  par  les 
faits.  Deux  épisodes  seulement  : 

A  Wagram,  avec  deux  divisions,  Macdonald  enfonce  le 
centre  de  l'armée  autrichienne  couvert  par  plus  de  200 
pièces  de  canon. 

((  C'est  à  présent  entre  nous  à  la  vie,  à  la  mort  !  »  lui 
dit,  en  le  nommant  maréchal  de  France  sur  le  champ  de 
bataille,  l'Empereur  qui  avait  conçu  contre  le  brave 
général  des  préventions  mal  fondées. 

Après  cette  même  bataille,  Macdonald  fut  laissé  à 
Gratz  avec  un  corps  d'armée.  L'ordre  et  la  discipline 
qu'il  maintint  parmi  ses  troupes  furent  tels  que  le  pays 
s'aperçut  à  peine  de  leur  présence.  Aussi,  les  Etats 
reconnaissants  vinrent  offrir  au  maréchal,  lors  de  sou 
départ,  un  présent  de  200,000  florins.  Il  les  refusa  ainsi 
qu'un  magnifique  écrin,  en  disant  : 

»  Si  vous  croyez  me  devoir  quelque  chose,  je  vous 


M.  245 

laisse  un  moyen  de  vous  acquitter  i);ir  les  soins  que 
vous  prendrez  des  300  malades  laissés  par  nous  dans 
votre  ville.  » 

Lamartine  n'est  que  juste  quand  il  dit  dans  le  Chant 
du  Sacre  : 

Macdonald,  des  héros  le  juge  et  le  modèle. 
Sous  un  nom  étranger  il  porte  un  cœur  fidèle; 
Dans  nos  sanglants  revers  moderne  Xénophon, 
La  France  et  l'avenir  ont  adopté  son  nom, 
Et  son  bras,  dans  les  champs  d'Arcole  et  d'ibérie, 
En  sauvant  les  Français  a  conquis  sa  patrie. 

Madame  (rue  de)  :  Ouverte  en  1790  sur  un  terrain 
appartenant  à  S.  A.  R.  Monsieur  (depuis  Louis  XYlIl) 
qui  lui  donna  ce  nom  en  l'honneur  de  la  princesse  de 
Sardaigne,  Marie  Louise  Joséphine,  sa  femme. 

Madeleine,  (église  de  la)  :  Louis  XV  posa  la  première 
pierre  de  cette  église  le  3  avril  1764.  L'architecte,  chargé 
de  la  construction,  était  Contant  dlvry  auquel  succéda, 
après  sa  mort  arrivée  en  J777,  Couture  qui  modiha 
heureusement  le  plan  un  peu  mesquin  de  son  prédéces- 
seur. Mais  le  monument  sortait  de  terre  à  peine  lorsque 
éclata  la  révolution  qui  fit  suspendre  les  travaux.  Ils  ne 
furent  repris  qu'en  1806  par  suite  d'un  décret  de  Napo- 
léon, daté  de  Posen.  Mais  l'église  devenait  d'après  le 
décret  :  u  un  monument  dédié  à  la  Grande  Armée,  por- 
))  tant  sur  le  fronton  :  U  Empereur  Napoléon  aux  soldats 
))  de  la  Grande  Armée.  ))  Ce  Temple  de  la  Gloire,  comme 
on  l'appelait,  et  dont  Claude  Yignon  avait  tracé  le  plan, 
était  plus  d'à  moitié  construit,  quand  les  événements  de 
1814  et  1815,  arrivèrent.  Par  suite  d'une  ordonnance 

TOME  111.  i'i* 


246  LES    RUES    DE    TARIS. 

royale  du  14  février  1816,  l'édifice  fut  rendu  à  sadesti- 
uation  primitive  et  redevint  l'église  de  la  Madeleine. 
Claude  Yignon  néanmoins  conserva  la  direction  des 
travaux  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1828.  Il  eut  pour 
successeur  M.  Huré  qui  put  enfin  terminer  l'édifice  con- 
sacré au  culte  le  4  mai  1842. 

((  L'extérieur  de  ce  monument,  dit  M.  L.  Lazare,  a 
toute  la  noblesse  des  temples  antiques.  »  Eloge  mérité 
sans  doute  mais  qui  pour  une  église  équivaut  presque  à 
une  critique  d'autant  plus  que  l'édifice  assez  magnifique 
au  dehors  a  entouré  qu'il  est  de  colonnes  d'ordres  corin- 
thiens, surmontées  de  chapiteaux  d'une  richesse  remar- 
quable ))  laisse  beaucoup  à  désirer  pour  l'intérieur,  qu'il 
s'agisse  de  la  prédication  ou  des  cérémonies  du  culte. 
Faute  de  bas-côtés  la  circulation  est  difficile,  et  il  n'y  a 
point  à  proprement  parler  de  chapelles  particulières. 

Malebro.nche  (rue)  :  Né  à  Paris  en  1638,  mort  en  1715, 
cet  illustre  métaphysien  fut  aussi  un  éminent  écrivain. 
La  nature  de  nos  travaux  ne  nous  a  pas  permis  d'étu- 
dier assez  longuement  les  questions  philosophiques  et 
les  œuvres  de  Malebranche  en  particulier  pour  oser 
formuler  une  opinion  sur  celui-ci.  Aussi  nous  en  réfé- 
rons-nous à  ce  qu'en  a  dit  un  Aristarque  plus  expéri- 
menté à  qui  nous  laissons,  d'ailleurs,  toute  la  responsa- 
bilité de  son  jugement,  ce  semble,  un  peu  sévère  : 

((  Malebranche  a  fait  une  méthode  pour  ne  pas  se 
tromper  et  il  se  trompe  sans  cesse.  On  peut  dire  de  lui, 
en  parlant  son  langage,  que  son  entendement  avait 
blessé  son  imagination....  Ce  Malebranche  est  bien 
hardi  à  se  moquer  des  hardiesses.  Les  siennes  ont  plus 
d'excès  que  toutes  celles  qu'il  reprend.  Il  y  a  pourtant 


M.  247 

L'ii  lui  tles  choses  admirables  ;  mais  ce  n'est  pas  ce  qu'on 
a  cité...  Son  indépendance  des  opinions  de  Descartes  est 
toute  cartésienne.  Il  est  rebelle  par  fidélité. 

((  Malebranche  me  semble  avoir  mieux  connu  le  cer- 
veau que  l'esprit  humain.  »  (Joubert). 

Mail  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'un  grand  nioil  ou  jeu 
de  paume,  qui  se  trouvait  dans  cette  rue  et  disparut  en 
1633,  lorsque  la  ville  commença  à  s'étendre  de  ce  côté. 

Malaquais,  (quai)  :  Le  bord  de  la  Seine  en  cet  endroit, 
s'appelait  anciennement  port  Malaquest. 

Voici  une  jolie  anecdote  racontée  dans  les  mémoires 
du  temps.  Après  la  paix  de  Yervins,  Henri  IV,  au  retour 
d'une  chasse, vètn  fort  simplement,et  accompagné  de  trois 
ou  quatre  gentilshommes,  vint  passer  la  rivière  au  port 
de  Malaquest,  vis-à-vis  la  grande  galerie  du  Louvre. 
Assuré  que  le  batelier  ne  le  connaissait  pas,  il  prit 
plaisir  à  le  questionner  et  lui  demanda  en  particulier  ce 
que  l'on  pensait  de  la  paix.  L'autre  lui  répondit  : 

«  Pour  moi  je  ne  sais  pas  de  quelle  paix  vous  parlez  ; 
mais  on  a  plus  de  mal  que  devant  et  nous  payons  plus 
d'impôts  que  pendant  la  guerre.  Tenez,  il  n'y  a  pas 
jusqu'à  ce  méchant  bachot  qui  ne  paie  impôt  et  pourtant 
j'ai  assez  de  peine  à  vivre  sans  cela. 

—  Et  que  dit  le  roi  là  dessus  ?  reprit  Henri  IV,  ne 
parle-t-il  point  d'y  donner  ordre  ? 

—  Le  roi  est  assez  bon  homme,  et  je  crois,  entre  nous, 
que  cela  ne  vient  pas  de  lui  ;  mais  par  malheur  il  a  pour 
amie  une  certaine  dame,  comtesse  ou  duchesse,  qui 
nous  ruine  tous  ;  car,  sous  ombre  de  belles  robes  et  affi- 
quets  qu'elle  se  fait  donner  tous  les  jours,  le  pauvre 
peuple  pàtit;  vu  que  c'est  lui  qui  paie  tout,  et  pour 


248  LES    RUES   DE    l'ARIS. 

sur,  ce  n'est  pas  un  bon  emploi  de  l'argent  ijui  coûte  si 
cher. 

—  Vous  trouvez,  mon  brave  homme  ?  et  de  vrai,  vous 
n'avez  pas  trop  tort,  dit  le  roi  en  riant  et  sautant  du 
bateau  qui  venait  d'aborder.  Mais  il  avait  oublié  (avec 
intention  sans  doute)  de  payer  le  pauvre  batelier  dés- 
appointé qui  se  mit  à  crier,  donnant  les  passagers  à 
tous  les  diables. 

—  Retirons-nous,  Messieurs,  dit  le  prince  à  ses  com- 
pagnons, et  riant  plus  fort,  nous  avons  cette  fois  notre 
charge. 

Le  lendemain,  il  fait  venir  au  Louvre  l'honnête  bate- 
lier et  lui  commande  de  répéter,  devant  la  duchesse  de 
Beaufort,  tout  ce  qu'il  avait  dit  la  veille.  Notre  homme, 
sans  s'intimider,  obéit  et  répéta  sa  tirade  en  n'omettant 
rien  des  dures  épithètes  et  des  vérités  rudes  pour 
l'oreille  de  la  duchesse.  Aussi  la  dame  furieuse  le  vou- 
lait faire  pendre. 

—  Eh  !  doucement,  doucement,  dit  le  roi  qu'amusait 
fort  la  colère  de  la  dame  ;  je  prends  sous  ma  protection 
ce  brave  homme,  qui  y  va  tout  de  la  bonne  foi  et  ne  ré- 
pète que  ce  qu'il  a  ouï  dire  ;  c'est  à  nous  d'en  profiter. 
Non-seulement  il  ne  lui  sera  rien  fait,  mais  je  veux  qu'à 
l'avenir  il  ne  paie  plus  d'impôt  pour  son  bateau,  car 
c'est  de  là  qu'est  venu  tout  le  tapage. 

—  Vive  le  roi,  notre  bon  roi  !  s'écria  le  batelier  tout 
joyeux.  Sire,  grand  merci,  n'oubliez  pas  que  mon  bateau 
est  à  votre  service  et  gratis  toutes  les  fois  qu'il  vous  fera 
plaisir  de  passer. 

Marais-St- Germain  (rue  des)  :  Ouverte  en  1540  sur 
une  partie  de  l'emplacement  dit  le  Pré  aux  Clercs.  Sa 


M.  2\*J 

iléuomiiiatioii  vieut  des  terrains  marécajj^eiix  (jui  l'eiivi- 
ronuaioiit.  Au  XYP  siècle,  elle  était  presque  tout  entière 
lKil)itée  par  les  protestants  et  pour  ce  motif  on  l'appelait 
petite  Genève.  Racine  demeurait  au  n"  21  et  il  y  mou- 
rut en  1G99. 

Marif/nij  (avenue  de)  :  Doit  son  nom  au  marquis 
de  Marigny,  directeur  général  des  bâtiments  et  jar- 
dins du  roi  Louis  XV,  grâce  à  Madame  de  Pompa- 
dour,  la  trop  célèbre  favorite,  dont  il  était  frère.  Triste 
parenté  I 

Saint-Marcel  ou  Marceau  (rue)  :  «  On  rapporte  au 
temps  des  empereurs  Gratien  et  Théodore  le  pontificat 
de  saint  Marcel,  le  plus  illustre  et  le  plus  connu  des 
évèques  de  Paris  depuis  saint  Denis.  Il  prit  naissance 
dans  Paris  même,  d'une  famille  dont  il  devint  le  prin- 
cipal ornement.  Instruit  de  bonne  heure  dans  les  devoirs 
de  la  religion  chrétienne,  il  passa  sa  jeunesse  dans  les 
exercices  de  la  piété  la  plus  exacte  ;  humble,  modeste, 
chaste,  mortifié,  et  d'une  maturité  au  dessus  de  sou  âge. 
Une  conduite  si  réglée  porta  son  évèque  nommé  Pru- 
dence, successeur  de  Paul,  aussi  évèque  de  Paris,  à  lui 
donner  rang  dans  le  clergé.  Il  le  fit  d'abord  lecteur,  puis 
sous-diacre,  et  ensuite  prêtre.  Il  exerça  les  fonctions  de 
ces  différents  ordres  avec  tant  d'édification  du  clergé  et 
du  peuple,  que  nul  ne  parut  plus  digne  que  lui  de  rem- 
plir le  siège  épiscopal  après  la  morl  de  l'évèque  Pru- 
dence. Quelque  répugnance  qu'il  eût  à  se  charger  d'un 
si  grand  fardeau,  il  soumit  sa  volonté  à  celle  de  Dieu 
qui  se  déclarait  trop  ouvertement  par  la  voix  des 
hommes.  On  sait  peu  de  chose  du  reste  du  pontificat  de 
saint  Marcel.  Son  historien,  Fortunat,  s'est  bien  moins 


250  LES   RUES   DE   PARIS. 

étendu  sur  ses  actions  que  sur  ses  miracles  selon  le  génie 
de  son  siècle  *.  )> 

Marie  (pont)  :  A  pris  son  nom  de  Christophe  Marie, 
associé  avec  Poulthier  et  François  le  Regrattier,  tréso- 
riers des  Cents-Suisses,  qui  le  construisirent  à  leurs  frais 
(1613  à  1635)  «  à  condition  que,  pour  se  dédommager 
des  dépenses  excessives  qu'ils  étaient  obligés  de  faire, 
dit  Germain  Bricc,  on  leur  donnerait  des  places  dans 
l'île  Notre-Dame  et  sur  les  bords  de  la  rivière,  qui  leur 
appartiendraient  en  propre,  ce  qui  leur  fut  accordé.  » 

Trois-Maries  (place  des)  :  Ce  nom  vient  d'une  en- 
seigne. 

Marivaux  (rue  de)  :  Marivaux  (1688-1763)  est  connu 
surtout  par  son  théâtre.  Le  dialogue  a  de  la  finesse  et 
de  la  grâce,  mais  avec  trop  de  recherche.  Aussi  la  cri- 
tique, en  exagérant  peut-être,  pour  qualifier  la  manière 
de  l'auteur,  inventa  le  mot  :  marivaudage* 

Marmousets  (rue  des)  : 

Ea  la  rue  du  Marmouset 
Trouvai  homme  qui  m'eut  fait 
Une  muse  corne  bellourde  ^. 

«  C'est  de  temps  immémorial,  dit  le  vieux  du  Breuil  ^, 
que  le  bruit  a  couru  qu'il  y  avait  en  la  cité  de  Paris,  rue 
des  Marmousets,  un  pâtissier -meurtrier,  lequel  avait 
occis  en  sa  maison  un  homme,  aidé  à  ce  par  un  sien  voi- 
sin barbier,  feignant  raser  la  barbe,  de  la  chair  d'icclui  j 

'  Félibien  et  Lobineau  :  —  Histoire  de  Paris. 

2  Homme  qui  me  fait  une  cornemuse. 

^  Théâtre  des  Antiquités  de  la  Ville  de  Paris. 


M.  25! 

faisait  des  pâtés  qui  se  trouvaient  meilleurs  que  les 
autres  d'autant  que  la  chair  de  l'homme  est  plus  délicate, 
à  cause  de  la  nourriture,  que  celle  des  autres  animaux. 
Et  que  cela  ayant  été  découvert,  la  Cour  du  Parlement 
ordonna  qu'outre  la  punition  du  pâtissier,  sa  maison 
serait  rasée,  et  outre  ce,  une  pyramide  ou  colonne, 
érigée  au  dit  lieu,  en  mémoire  ignominieuse  de  ce  dé- 
testahle  fait,  de  laquelle  reste  encore  part  et  portion  en 
la  dite  rue  des  Marmousets.  » 

Une  maison,  dite  des  Marmousets,  existait  dans  cette 
rue  en  120G  et  lui  donna  son  nom.  Était-ce  la  maison 
dont  «  la  démolition  avait  été  faite  pour  grand  crime 
commis  en  icelle  »  ainsi  qu'il  est  déclaré,  sans  autre- 
ment spécifier,  dans  les  lettres  patentes  octroyées  par 
François  I"  à  Pierre  Belut,  conseiller  au  Parlement, 
pour  rebâtir  la  place  étant  demeurée  vague  pendant 
plus  de  cent  ans.  » 

Bien  qu'on  ne  trouve  nulle  part  ni  procédure  ni  arrêts 
relatifs  à  ce  crime  horrible,  il  ne  s'ensuivrait  point  for- 
cément qu'il  ne  fut  pas  commis  et  que  des  écrivains 
soient  fondés  à  le  déclarer  purement  légendaire,  un 
conte  à  la  façon  de  ceux  de  Borbe-Bleue  ou  Croqiœmi- 
taine.  «  On  sait  que,  dans  les  crimes  atroces  et  extraor- 
dinaires, il  a  toujours  été  d'usage,  et  même  dans  les 
derniers  temps  de  la  monarchie,  dit  Saint- Victor,  de 
jeter  au  feu  les  informations  et  la  procédure  pour  ne 
pas  la  rendre  croyable.  )) 

Quoique  ce  système  soit  condamné  par  la  pratique 
actuelle,  on  se  demande  si  la  manière  de  nos  pères 
n'était  point  préférable,  et  si  le  silence,  en  certains  cas, 
n'avait  pas  moins  d'inconvénient  que  cette  publicité 


252  LES   RUES   DE    TARIS. 

bruyante,  excitant  fatal  pour  les  imaginations  malades 
et  cause  peut-être  de  nouveaux  crimes. 

A  propos  de  cette  même  rue,  voici  une  anecdote 
assez  curieuse  que  nous  aurions  regret  d'oublier. 
Bien  que  sous  Pbilippe-Auguste  on  eût  pavé  la  plupart 
des  grandes  voies  de  Paris,  ce  bienfait  ne  s'étendit 
point  immédiatement  à  tout  le  reste  de  la  ville,  et  même 
par  le  malheur  des  temps,  sous  les  successeurs  du  vain- 
queur de  Bouvines,  après  saint  Louis  surtout,  soit  l'en- 
tretien, soit  l'exécution  des  travaux,  fut  souvent  né- 
gligé. Il  n'y  eut  enfin  pour  la  voirie  de  police  régulière 
que  sous  le  règne  de  Louis  XIY.  a  Or,  dit  à  ce  sujet,  un 
contemporain;  le  commissaire  Delamarre,  ceux  d'entre 
nous  qui  ont  vu  le  commencement  du  règne  de  Sa 
Majesté,  se  souviennent  encore  que  les  rues  de  Paris 
étaient  si  remplies  de  fange  que  la  nécessité  avait 
introduit  l'usage  de  ne  sortir  qu'en  bottes  ;  et  quant  à 
l'infection  que  cela  causait  dans  l'air,  le  sieur  Courtois, 
médecin,  qui  demeurait  alors  rue  des  Marmousets,  a  fait 
cette  petite  expérience  par  laquelle  on  jugera  du  reste. 
Il  avait,  dans  sa  salle  sur  la  rue,  de  gros  chenets  à 
pomme  de  cuivre  et  il  a  dit  plusieurs  fois  aux  magistrats 
et  à  ses  amis  que,  tous  les  matins,  il  les  trouvait  cou- 
verts d'une  teinture  épaisse  de  vert  de  gris,  qu'il  faisait 
nettoyer  pour  faire  l'expérience  du  jour  suivant  ;  et 
que,  depuis  l'an  1GG3,  que  la  police  du  nettoiement  des 
rues  a  été  rétaldie,  ces  taches  n'avaient  pas  reparu.  » 

Depuis  cette  époque  pareillement  «  on  n'a  plus  vu  à 
Paris  de  contagions  et  beaucoup  moins  de  ces  maladies 
populaires  dont  la  ville  était  si  souvent  effrayée  dans 
les  temps  que  le  nettoiement  des  rues  était  négligé.  » 


M.  253 

Une  anecdote  encore  :  Louis,  fils  du  roi  Philippe  I", 
avait  fait  abattre,  de  son  autorité,  partie  d'une  maison 
de  cette  rue  des  Marmousets  près  de  la  porte  du  cloitro 
qui  appartenait  au  chanoine  Duranci  :  elle  saillait  trop 
à  son  gré  et  rendait  peut-être  le  passage  incommode. 
Le  chapitre  de  Notre-Dame  réclama  en  invoquant  ses 
privilèges  et  immunités.  Louis  reconnut  son  tort,  pro- 
mit de  ne  plus  rien  attenter  de  semblable  et  consentit  à 
payer  l'amende  qui  fut  fixée  d'un  commun  accord. 

Ainsi  le  souverain,  dans  ce  temps  qu'on  nous  repré- 
sente parfois  sous  d'aussi  étranges  couleurs,  donnait  le 
premier  l'exemple  en  témoignant  de  son  respect  pour 
le  droit. 

Marsollier  (rue)  :  Compositeur  de  musique,  né  à  Pa- 
ris en  1750,  Marsollier  est  mort  à  Versailles,  le  22  avril 
1817. 

Martignac  (rue  de)  :  Jean-Baptiste-Sylvère  Gave, 
vicomte  de  Martignac,  né  à  Bordeaux  (20  juin  1770), 
est  mort  à  Paris,  le  3  avril  1832.  On  voit  au  père  La 
Chaise  la  tombe  de  cet  homme  d'Etat,  l'un  des  mi- 
nistres de  la  Restauration.  Orateur  éloquent,  par  la  no- 
blesse de  son  caractère  et  ses  qualités  privées,  il  avait 
su  se  concilier  de  nombreuses  sympathies. 

Saint-Martin  (porte)  :  Elle  fut  élevée  en  1674,  d'après 
les  dessins  de  Pierre  Bullet,  élève  de  Blondel,  et  en 
l'honneur  de  Louis  XIV  victorieux,  comme  la  porte 
Saint-Denis. 

Saint-Martin  (rue)  : 

Et  en  la  rue  St-Martia 

Là  ouïs  chanter  en  latin 

De  Notre-Dame  moult  de  chantsi 

TOME  m.  15 


234  LES   RUES  DE   PARIS. 

La  rue  St-Martin  a  pris  son  nom  de  la  grande  abbaye 
à  laquelle  elle  conduisait  et  du  Saint  qui  est  une  des 
grandes  gloires  de  l'église  de  France. 

Martî/rs  (rue  des)  :  Elle  doit  son  nom  à  une  chapelle 
érigée  à  l'endroit  où  l'on  croit  que  saint  Denis  et  ses 
compagnons  furent  décapités. 

Mosséna  (rue)  :  Masséna,  prince  d'Essling,  et  maré- 
chal de  France^,  s'illustra  pendant  les  guerres  de  la 
République  et  de  l'Empire.  On  sait  que  le  constant  bon- 
heur, qui  l'accompagna  sur  tant  de  champs  de  bataille, 
lui  avait  fait  donner  par  ses  soldats  le  surnom  envié  de  : 
l'Enfant  chéri  de  la  Yictoire. 

Massillon  (rue)  :  Ce  prédicateur  célèbre,  né  à  Hyères 
en  Provence  (1663),  mourut  à  Paris  en  1742.  Son  Petit 
Carême  est  dans  toutes  les  mains.  On  lui  reproche  d'être 
plus  enclin  à  la  sévérité  qu'à  l'indulgence  malgré  les 
fleurs  dont  il  émaille  volontiers  son  style.  On  cite  de 
lui  ce  mot  fameux,  début  de  V Oraison  funèbre  de  Louis 
Xiy  :  Dieu  seul  est  grand,  mes  frères.  Mais  il  s'élève  à 
une  bien  autre  éloquence  dans  cette  page  sublime  à 
l'adresse  des  conquérants,  exhumée  récemment  avec 
tant  de  bonheur  et  d'à-propos  par  M.  de  Beauchesne^  et 
que  Bossuet  aurait  signée  des  deux  mains.  Il  faut  ici  se 
taire  et  admirer  : 

((  Sire,  si  le  poison  de  l'ambition  gagne  et  infecte  le 
»  cœur  du  prince  ;  si  le  souverain,  oubliant  qu'il  est  le 
»  protecteur  de  la  tranquillité  publique,  préfère  sa  pro- 


'  L'historien  de  Louis  XVII  adressait,  le  4  novembre  1870^  ce  frag- 
ment au  roi  Guillaume,  avec  une  lettre  d'envoi  remarquable  et  qui 
conciliait  tout  à  la  fois  le  respect  et  la  fermeté. 


M.  255 

))  pre  gloire  à  Tamour  et  au  salut  de  ses  peuples;  s'il 
))  aime  mieux  conquérir  des  provinces  que  régner  sur 
))  les  cœurs  ;  s'il  lui  parait  plus  glorieux  d'être  le  des- 
»  tructeur  de  ses  voisins  que  le  père  de  son  peuple  ;  si  le 
î)  deuil  et  la  désolation  de  ses  sujets  est  le  seul  chant  de 
))  joie  qui  accompagne  ses  victoires;  s'il  fait  servir  à  lui 
))  seul  une  puissance  qui  ne  lui  est  donnée  que  pour 
))  Tendre  heureux  ceux  qu'il  gouverne  ;  en  un  mot,  s'il 
y)  n'est  roi  que  pour  le  malheur  des  hommes,  et  que, 
1)  comme  le  roi  de  Babylone,  il  ne  veuille  élever  la 
w  statue  impie,  l'idole  de  sa  grandeur,  que  sur  les  larmes 
5)  et  les  débris  des  peuples  et  des  nations,  grand  Dieu  I 
«  quel  fléau  pour  la  terre  !  quel  présent  faites-vous  aux 
)^  hommes  dans  votre  colère,  en  leur  donnant  un  tel 
)ï  maître  l  Sa  gloire,  Sire,  sera  toujours  souillée  de 
)>  sang.  Quelque  insensé  chantera  peut-être  ses  victoi- 
»  Tes  ;  mais  les  provinces,  les  villes,  les  campagnes  en 
»  pleureront.  On  lui  dressera  des  monuments  superbes 
»  pour  immortaliser  ses  conquêtes  ;  mais  les  cendres 
»  €ncore  fumantes  de  tant  de  villes  autrefois  florissan- 
»  tes  ;  mais  la  désolation  de  tant  de  campagnes  dépouil- 
»  lées  de  leur  beauté  ;  mais  les  ruines  de  tant  de  murs 
»  sous  lesquels  les  citoyens  paisibles  ont  été  ensevelis  ; 
»  mais  tant  de  calamités  qui  subsisteront  après  lui, 
»  seront  des  monuments  lugubres  qui  immortaliseront 
»  sa  folie  et  sa  vanité.  Il  aura  passé  comme  un  torrent 
))  pour  ravager,  et  non  comme  un  fleuve  majestueux 
a  pour  y  porter  la  joie  et  l'abondance;  son  nom  sera 
n  écrit  dans  les  annales  de  la  postérité  parmi  les  con- 
»  quérants  ;  mais  il  ne  le  sera  pas  parmi  les  bons  rois  ; 
»  on  ne  se  rappellera  l'histoire  de  son  règne  que  pour 


256  LES   RUES   DE   PARIS. 

))  rappeler  le  souvenir  des  maux  qu'il  a  faits  aux  hom- 
))  mes...  Et  tout  cet  amas  de  gloire  ne  sera  plus  à  la  fm 
»  qu'un  monceau  de  boue,  qui  ne  laissera  après  elle  que 
»  l'infection  et  l'opprobre  *  » . 

Mathurim  (rue  des)  :  Son  nom  lui  vient  d'une  cha- 
pelle dédiée  à  St-Mathurin.  Les  religieux  de  la  Trinité, 
dont  les  fondateurs  furent  Jean  de  Matlia  et  Félix  de 
Valois,  et  qui  se  dévouaient  au  rachat  et  à  la  rédemp- 
tion des  captifs,  étant  venus  s'établir  dans  l'aumônerie 
dont  la  chapelle  dépendait,  ajoutèrent  à  leur  nom  celui 
de  Mathurim.  Rutebœuf,  si  malveillant  dans  son  poème 
des  Ordres  de  Paris,  épargne  cependant  ces  moines 
humbles  autant  que  dévoués  : 

Ci  gît  le  léal  Mathurin, 
Sans  reproche  bon  ser\iteur, 
Qui  céans  garda  pain  et  vin. 
Et  fut  des  portes  gouverneur. 
Paniers  ou  bottes^  par  honneur. 
Au  marché  volontiers  portoit  ; 
Fort  diligent  et  bon  sonneur  ; 
Dieu  pardon  à  l'âme  lui  soit. 

Matignon  (rue)  :  Doit  son  nom  à  Jacques  de  Matignon, 
maréchal  de  France,  qui  l'habitait.  «  Mais  je  prévois, 
dit  Sauvai,  qu'elle  s'appellera  bientôt  la  rue  Maquignon, 
parce  que  le  peuple  commence  déjà  à  prendre  ce  nom 
là  pour  l'autre  comme  lui  étant  plus  connu,  ce  qui  lui 
est  ordinaire.  » 

Maubert  (place)  :  Altération  du  mot  Aubert,  C'était  le 

'  (Massillon.  Mémoires  de  la  minorité  de  Louis  XV,  page  9.) 


M.  257 

nom  du  second  abbé  de  Ste- Geneviève  qui,  au  XII°  siè- 
cle, avait  permis  de  construire  des  étaux  de  boucherie 
sur  ce  terrain   compris  dans  la   censive  de  l'abbaye. 

M  au  buée  (nie)  :  Existait  dès  le  XIII''  siècle.  La  déno- 
mination n'est  pas  à  son  honneur,  car  Maubué  en  vieux 
langage  signifie  mal  propre. 

Mauconseil  (rue)  :  Ce  nom  lui  vient,  d'après  Cenalis, 
du  mauvais  conseil  qu'on  tint,  en  1407,  dans  l'hôtel  de 
Bourgogne,  qui  s'y  trouvait,  conseil  où  fut  résolu  l'as- 
sassinat du  duc  d'Orléans.  D'autres  auteurs  pensent 
que  ce  nom  vient  plutôt  de  quelque  seigneur  de  Mau- 
conseil qui  aurait  demeuré  dans  cette  rue.  Mauconseil 
était  un  château  en  Picardie  dont  il  est  fort  parlé  dans 
les  Chroniques  de  Froissart. 

Dans  Le  Dit  des  Rues  de  Paris  se  lisent  ces  vers  : 

....  Et  puis  en  la  rue  Mauconseil^ 
Une  dame  vis  sur  un  seil  (seuil), 
Qui  moult  se  portait  noblement. 
Je  la  saluai  simplement. 
Et  elle,  moi,  par  saint  Louis. 

Maures  (rue  des  Ti^ois)  :  11  existait  dans  cette  rue,  au 
XYP  siècle,  une  auberge  très  achalandée  et  qui  avait 
pour  enseigne  aux  Trois  Maures. 

Maza.rine  (rue)  :  Doit  son  nom  à  l'ancien  collège  Ma- 
zarin  aujourd'hui  palais  de  l'Institut  dont  les  dépen- 
dances bordent  une  partie  de  cette  voie.  On  sait  le 
rôle  considérable  qu'a  joué  dans  notre  histoire  le  célè- 
bre cardinal,  successeur  au  ministère  de  Richelieu. 

Mazagran  (rue)  :  Elle  doit  son  nom  à  l'un  des  épisodes 
les  plus  glorieux  de  nos  guerres  d'Afrique  :  «  123  bra- 


258  LES   RUES   DE    PARIS. 

ves  de  la  10°  compagnie  du  1"  bataillon  d'infanterie 
légère  d'Afrique,  à  peine  couverts  par  une  faible  mu- 
raille en  pierres  sèches  ébréchée  par  le  canon  ont  re- 
poussé pendant  quatre  jours  les  assauts  de  plusieurs 
milliers  d'Arabes.... Le  capitaine  Lelièvre,  commandant 
cette  garnison,  a  été  promu  chef  de  bataillon...  La  10° 
compagnie  est  autorisée  à  conserver  dans  ses  rangs  le 
drapeau  criblé  de  balles  qui  flottait  sur  le  réduit  de 
Mazagran  dans  les  journées  des  3,  4,  o  et  6  février 
1840,  et  à  chaque  anniversaire  de  cette  dernière  jour- 
née, le  présent  Ordre  du  jour  sera  lu  devant  le  front  du 
bataillon.  » 

Mazas  (rue,  boulevart,  place)  :  Ce  nom  fut  donné  au 
boulevart,  en  souvenir  du  colonel  Mazas,  qui  comman- 
dait le  41*^  de  ligne  et  fut  tué  à  Austerlitz. 

Méchain  :  Astronome  célèbre,  né  à  Laon  en  1744, 
mort  en  1805. 

Médecine  (Ecole  de)  :  Construite  sur  l'emplacement  de 
l'ancien  collège  de  Bourgogne  et  de  ((  quatre  maisons  y 
contiguës  »  d'après  un  arrêt  du  conseil  du  7  décembre 
1768.  L'exécution  du  monument,  confiée  à  l'architecte 
Gondouin,  marcha  rapidement  et  la  nouvelle  Ecole 
s'ouvrit  aux  élèves  et  professeurs.  Le  grand  amphitéàtre 
peut  contenir  au  moins  1,200  auditeurs.  Dans  la  cour 
on  voit  la  statue  de  Bichat,  mort  si  jeune,  au  commen- 
cement du  siècle,  et  cependant  déjà  illustre. 

Mégisserie  (quai  de  la)  :  Doit  son  nom  aux  mégissiers 
qui  s'y  étaient  établis  anciennement  et  l'habitèrent  jus- 
qu'en 1673,  où  l'on  parvint  à  les  reléguer  dans  un 
quartier  moins  central.  C'est  sur  ce  quai,  comme  sur  le 
quai  voisin  dit  de  la  Ferraille,  que  se  tenaient,  avant  la 


M.  259 

Révolution,  les  trop  fameux  racoleurs.  Quelques-uns 
d'entre  eux  ne  se  bornaient  pas  à  pérorer  sur  une  chaise 
ou  sur  une  table.  Installés  en  permanence,  ils  avaient 
des  boutiques  à  la  façon  des  baraques  en  toile  et  en 
bois  de  la  foire.  Au-dessus  de  la  porte  flottait  un  dra- 
peau semé  de  fleurs  de  lis.  Mercier,  dans  son  livre  sur 
Paris,  affirme  avoir  lu  sur  une  de  ces  boutiques  le  vers 
célèbre  de  Voltaire  : 

Le  premier  qui  fut  roi  fut  un  soldat  heureui  ! 

C'était  là  assurément  le  pire  mode  de  recrutement  pour 
l'armée  et  l'on  comprend  que,  dans  notre  langue,  ce  mot 
de  racoleur  soit  marqué  d'une  flétrissure  et  se  prononce 
comme  une  injure.  Combien  de  malheureux  autrefois, 
dupes  d'impudents  mensonges  et  conscrits  par  surprise, 
furent  les  victimes  de  cet  odieux  négoce,  qui  pouvait 
aller  de  pair  avec  la  Traite  des  Nègres  ! 

Merri  ou  Méderic  (église  saint)  :  Il  existait  de  toute 
ancienneté  en  cet  endroit  une  chapelle  dédiée  à  saint 
Pierre.  Vers  697,  Merry  ou  Méderic  vint  habiter,  avec 
Frodulfe,  son  disciple,  une  cellule  bâtie  près  de  la  cha- 
pelle, et  il  y  mourut  trois  années  après  en  odeur  de 
sainteté.  Vers  936,  l'édifice  fut  reconstruit  aux  frais 
d'un  certain  Odon  le  fauconnier,  Odo  Falconarius,  qui  y 
reçut  la  sépulture.  L'église  actuelle,  construite  sur  de 
plus  vastes  plans,  et  commencée  sous  le  règne  de  Fran- 
çois I",  fut  achevée  seulement  en  1612. 

Mesnil-Montant  (rue)  :  Autrefois  Mesnil-Maudan.  An- 
ciennement on  appelait  Mesnil  une  maison  de  campagne 
et  l'on  se  servait  aussi  de  ce  mot  pour  désigner  un  vil- 


260  LES  RUES   DE   PARIS. 

lage  ou  un  hameau.  Si  l'on  a  corrompu  le  nom  primitif 
de  Mesnil-Maudan,  en  celui  de  montant,  la  position 
l'explique  et  le  justifie. 

Mignon  (rue)  :  A  pris  son  nom  du  collège  Mignon, 
créé  en  1343,  par  Jean  Mignon,  archidiacre  de  Blois,  et 
maître  des  comptes  à  Paris. 

Militaire  [Ecole)  :  Dans  le  préambule  de  l'édit  du  roi 
du  mois  de  janvier  1751,  pour  la  création  de  cette  École? 
on  lit  entre  autres  choses  :  «  Nous  avons  résolu  de  fon- 
»  der  une  Ecole  militaire  et  dV  faire  élever  sous  nos 
))  yeux  cinq  cents  gentilshommes,  nés  sans  biens,  dans 
»  le  choix  desquels  nous  préférerons  ceux  qui,  en  per- 
))  dant  leurs  pères  à  la  guerre,  sont  devenus  les  enfants 
»  de  l'Etat.  Nous  espérons  même  que  le  plan  qui  sera 
))  suivi  dans  l'éducation  des  cinq  cents  gentilshommes 
»  que  nous  adoptons  servira  de  modèle  aux  pères  qui 
»  sont  en  état  de  le  procurer  à  leurs  enfants  ;  en  sorte 
»  que  l'ancien  préjuge,  qui  a  fait  croire  que  la  valeur 
))  seule  fait  l'homme  de  guerre,  cède  insensiblement  au 
))  goût  des  études  militaires  que  nous  aurons  introduit, 
»  etc.,  etc.  )) 

Yoilà  un  langage  vraiment  royal.  La  construction  de 
l'édifice  commença,  dès  l'année  suivante,  sous  la  direc- 
tion de  Gabriel,  architecte  du  roi.  L'École  Militaire  au- 
jourd'hui sert  de  caserne  à  plusieurs  régiments  de  la 
garnison  de  Paris,  infanterie  et  cavalerie. 

Miroménil  (rue  de)  :  Elle  a  pris  son  nom  de  Armand 
Thomas  Hue  de  Miroménil,  nommé  garde  des  sceaux 
en  août  1774,  deux  années  avant  l'ouverture  de  la  rue. 

Minimes  (rue  des)  :  Cette  rue  tire  son  nom  de  l'ancien 
couvent  des  Minimes  qui  s'y  trouvait.  Ces  religieux, 


M.  261 

établis  en  France,  en  1609,  avaient  pour  fondateur 
François  de  Paule,  le  saint  ermite  de  la  Calahre.  Il 
avait  voulu  que  ses  religieux  s'appelassent  Minimes, 
c'est-à-dire  les  plus  petits,  les  plus  humbles  de  tous. 

Supprimé  en  1790,  l'établissement  devint  propriété 
nationale  et  sert  aujourd'hui  de  caserne. 

Molay  (rue)  :  Fut  nommée  ainsi  en  l'an  IX,  à  cause 
de  la  proximité  du  Temple  et  en  souvenir  de  Jacques 
Molay,  dernier  grand  maître  dont  nul  n'ignore  la  fin 
tragique. 

Monnaies  (hôtel  des)  :  La  première  pierre  du  monu- 
ment fut  posée,  le  30  avril  1777,  par  l'abbé  Terray  au 
nom  et  comme  ministre  du  roi  Louis  XY.  Ce  vaste  éta- 
blissement, tant  pour  ses  aménagements  intérieurs  que 
pour  son  organisation  et  l'excellence  de  son  outillage, 
est  regardé  comme  le  premier  de  son  genre  en  Europe. 

Monsieur  (rue  de)  :  Ouverte  en  1779  sur  un  terrain 
appartenant  à  Monsieur,  depuis  roi  sous  le  nom  de 
Louis  XVIII. 

Monsieur  le  Prince  (rue)  :  Ce  nom  lui  vient  du  prince 
de  Condé  dont  l'hôtel  s'étendait  par  les  jardins  jusqu'à 
cette  voie  publique. 

Monsigny  (rue)  :  Célèbre  compositeur  de  musique, 
Monsigny,  né  en  1729,  est  mort  en  1817. 

Montaigne  (rue)  :  Montaigne  (Michel  de)  naquit  au 
château  de  Saint-Michel  de  Montaigne,  le  29  février 
1533  et  il  y  mourut  en  1592.  Douze  années  auparavant, 
avait  paru  à  Bordeaux  la  première  édition  du  livre  des 
Essais.  Si  Montaigne  s'y  montre  écrivain  des  plus  re- 
marquables, joignant  la  vigueur  de  la  pensée  à  l'origi- 
nalité de  l'expression,  il  laisse  fort  à  désirer  sous  d'au- 

TOME  III.  15* 


2^2  LES   RUES   DE    PARIS. 

très  rapports.  On  regrette,  dans  son  ouvrage^  plus 
encore  peut-être  que  la  tendance  au  scepticisme,  une 
liberté  de  langage  que  lui-même  il  confesse,  ce  qui  ne 
l'en  rend  que  plus  blâmable  :  <(  Moi  qui  ai  la  bouche  si 
effrontée  I  n  dit-il  en  propres  termes  au  livre  III  des 
Essais.  Ailleurs,  il  parle  du  suicide  comme  un  païen  et 
un  stoïcien.  Et  pourtant  on  trouverait  dans  son  livre 
plus  d'un  passage  par  lequel  il  se  réfute  éloquemment 
lui-même  et  témoigne  d'une  àme  naturellement  chré- 
tienne, selon  l'expression  de  Tertullien.  Sa  mort  non 
plus  ne  fut  pas  celle  d'un  impie  d'après  le  récit  d'un 
témoin  oculaire,  Etienne  Pasquier. 

Montfaucon  (rue  de)  :  Bernard  de  Montfaucon,  reli- 
gieux célèbre  de  la  congrégation  de  St-Maur,  né  en  1655, 
mourut  en  1741,  à  l'abbaye  St-Germain  des  Prés.  Il  est 
auteur  de  savants  ouvrages,  entre  autres  les  Antiquités 
expliquées,  et  une  Collection  des  Pères. 

La  rue  ne  doit  donc  pas  son  nom,  comme  on  pourrait 
le  croire,  au  fameux  gibet  de  Montfaucon,  sur  lequel 
on  nous  saura  gré  d'ailleurs  de  donner  quelques  détails. 
Il  fut  construit  ou  plutôt  reconstruit  par  Enguerrand  de 
Marigny,  suivant  les  uns,  suivant  d'autres,  par  Pierre 
Rémy,  seigneur  de  Montigny.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'il  devint  fatal  à  tous  deux  et  qu'ils  y  furent  pendus. 

((  Montfaucon,  dit  Sauvai,  est  une  éminence  douce, 
insensible,  élevée  entre  le  faubourg  St-Martin  et  celui 
du  Temple,  daus  un  endroit  que  l'on  découvre  de  plu- 
sieurs lieues  à  la  ronde.  Sur  le  haut,  est  une  masse 
accompagnée  de  seize  piliers  où  conduit  une  rampe  de 
pierre  assez  large,  qui  se  fermait  autrefois  avec  une 
bonne  porte.  Les  piliers,  gros,  carrés,  hauts  chacun  de 


M.  263 

trente-deux  à  trente-trois  pieds,  et  faits  de  trente- deux 
ou  trente-trois  grosses  pierres  refondues  ou  rustiques, 
posées  sur  des  assises  faites  de  gros  quartiers  de  pierres 
bien  liées  et  cimentées,  étaient  rangés  en  deux  jQles  sur 
la  largeur  et  en  une  sur  la  longueur.  Pour  les  joindre 
ensemble,  et  pour  y  attaclier  les  criminels,  on  avait 
enclavé  dans  leurs  cbaperons  deux  gros  liens  de  bois 
qui  traversaient  de  l'un  à  l'autre,  avec  des  chaînes  de 
fer,  d'espace  en  espace.  Au  milieu  était  une  cave  où  se 
jetaient  apparemment  les  corps  des  criminels  quand  il 
n'en  restait  plus  que  les  carcasses,  ou  que  toutes  les 
chaînes  et  les  places  étaient  remplies.  Présentement 
cette  cave  est  comblée,  la  porte  de  la  rampe  rompue, 
ses  marches  brisées  ;  des  piliers  à  peine  en  reste-t-il  sur 
pied  trois  ou  quatre...  En  un  mot,  de  ce  lieu  patibulaire 
Si  solidement  bâti,  à  peine  la  masse  est-elle  encore 
debout....  Maintenant,  la  Grève,  la  Croix  du  Tiroir,  la 
Porte  de  Paris  et  l'Estrapade  sont  les  lieux  d'exécution 
les  plus  ordinaires  de  la  ville.  » 

Entre  les  personnages  célèbres  pendus  au  gibet  de 
Montfaucon,  mais  cette  fois  avec  toute  justice,  il  faut 
citer  le  fameux  Olivier  le  Dain,  dit  le  Diable,  barbier 
et  ministre  de  Louis  XL  «  Après  la  mort  du  roi,  comme 
il  était  chargé  de  grands  méfaits  et  que  d'ailleurs  les 
princes  lui  en  voulaient  à  cause  de  son  insolence,  il  fut 
livré  à  la  justice  et  pendu  au  gibet  de  Montfaucon.» 

On  y  pendit  aussi  le  corps  de  l'amiral  de  Coligny 
assassiné,  dans  la  nuit  de  la  Saint-Barthélémy,  par  les 
ordres  du  duc  de  Guise,  dit  le  Balafré. 

Montesquieu  (rue)  :  Doit  son  nom  à  Charles  de  Secon  • 
dat,  baron  de  Bréda  et  de  Montesquieu  (1689-1755), 


264  LES   RUES   DE   PARIS, 

Tauteur  célèbre  du  livre  de  Y  Esprit  des  Lois,  qu'un  ma- 
licieux critique  qualifiait  :  De  l'Esprit  sur  les  lois.  «.  La 
tête  de  Montesquieu,  dit  Joubert,  est  un  instrument 
dont  toutes  les  cordes  sont  d'accord,  mais  qui  est  trop 
monté  et  rend  des  sons  trop  aigus.  Quoiqu'il  n'exécute 
rien  contre  les  règles,  il  a,  dans  ses  vibrations  trop  con- 
tenues et  trop  précipitées,  quelque  chose  d'au-delà  de 
toutes  les  clefs  d'une  belle  et  sage  musique. 

((  Montesquieu  fut  une  belle  tète  sans  prudence.  » 

il/o?î/^o//?er(rue):  Montgolfier  (Joseph-Michel)  fut,  avec 
son  frère  Etienne,  non  pas  précisément  l'inventeur 
mais  le  propagateur  en  France  de  la  navigation  aérienne 
au  moyen  des  aérostats,  vulgairement  ballons,  que  Jo- 
seph de  Maistre  se  plaint  de  ne  pas  entendre  appeler 
Montgolfières.  Le  problème  si  important  de  la  direction 
des  ballons  est  encore  à  trouver.  Le  sera-t-il  jamais  ? 
Et  pourtant  que  d't'ssais  restés  infructueux  en  dépit  de 
la  réclame  !  Montgolfier,  né  à  Vidalon-lez-Aunay,  mou- 
rut en  1810. 

Montholon  (rue)  :  De  Montholou,  qui  a  donné  son  nom 
à  cette  rue,  était  conseiller  d'état  avant  la  Révolution. 
De  lui  descendait  le  général  comte  de  Montholon, 
exécuteur  testamentaire  de  Napoléon  et  qui,  après 
l'avoir  soigné  avec  un  absolu  dévouement,  pendant  de 
longs  jours  et  de  plus  longues  nuits,  lui  ferma  les  yeux. 

Montmartre  (rue)  :  Son  nom  lui  vient  de  la  montagne 
à  laquelle  elle  conduit;  mais  celle-ci  doit-elle  son  nom 
à  un  temple  de  Mars  ou  de  Mercure,  qui  s'y  élevait  ou 
bien  au  martyre  de  saint  Denis  et  de  ses  compagnons  ? 
Sur  ces  opinions  longtemps  et  vivement  controversées, 
J  aille  t  hésite  d'abord  à  se  prononcer  ;  il  adopte  cepen- 


M.  265 

dant  la  première  ou  plutôt  l'une  et  l'autre  ;  car  il  croit 
que  saint  Denis  et  ses  compagnons  furent  décapités  sur  le 
mont  que  dominait  le  temple  de  Mars. 

Mont-de-Piété  (hôtel  du  grand)  :  Le  grand  Mont- de- 
Piété  fut  établi  ou  autorisé  par  lettres  patentes  du  9 
décembre  1777,  signées  du  roi.  On  peut  douter  que  les 
résultats  actuels,  par  le  taux  élevé  de  l'intérêt,  répondent 
pleinement  aux  intentions  bienveillantes  du  monarque 
qui  disait  d'une  façon  si  admirable  :  a  Ce  moyeu  nous 
»  a  paru  le  plus  capable  de  faire  cesser  les  désordres  que 
»  l'usure  a  introduits,  et  qui  n'ont  que  trop  fréquem- 
))  ment  entraîné  la  perte  de  plusieurs  familles....  Nous 
))  avons  cru  devoir  rejeter  tous  les  projets  qui  n'offraient 
»  que  des  spéculations  de  finances  pour  nous  arrêter  à 
»  un  plan  formé  uniquement  par  des  vues  de  bienfai- 
))  sance  et  digne  de  fixer  l'attention  publique,  puisqu'i  1 
»  assure  des  secours  d'argent  peu  onéreux  aux  emprun- 
»  teurs  dénués  d'autres  ressources.  » 

Montorgiœil  {rue)  :  Très-anciennement  il  y  avait  en  cet 
endroit  un  chemin  appelé  :  Viens  superbiœ,  le  chemin 
de  l'Orgueil.  Pourquoi  ?  nul  ne  le  dit.  Dans  certains 
actes  on  lit  :  Vicus  7nontis  superbi  :  Le  chemin  du  mont 
orgueilleux. 

Mont-P ornasse  (rue)  :  Sur  un  monticule  voisin  de  l'an- 
cienne barrière,  les  étudiants  de  l'Université  avaient 
coutume  autrefois  de  se  réunir  pour  discuter  sur  la 
poésie  ou  l'éloquence  et  lire  sur  ces  divers  sujets  leurs 
élucubationscVoùcettebuttepritlenomdeJ/o/^^Pfl/v^fl55e. 

Maintenant  on  ne  voit  plus  là  de  joyeux  ébats  d'étu- 
diants, mais  tout  au  contraire  les  corbillards  se  rendant 
au  cimetière  du  même  nom. 


266  LES    RUES    DE    PARIS. 

Morgue  (la)  :  Autrefois  placée  sur  le  quai  dit  du  Mar- 
ché-Neuf, la  Morgue  se  cache  en  quelque  sorte  mainte- 
nant derrière  le  square  Notre-Dame,  et,  ce  dont  il  faut  se 
féliciter,  les  curieux,  loin  de  la  trouver  sur  leur  passage, 
doivent  l'aller  chercher.  «  S'il  faut  en  croire  Vaugelas, 
dit  M.  Lazare,  Morgue  serait  un  vieux  mot  français  qui 
signifie  visage .  A  l'entrée  des  prisons ,  on  trouvait 
autrefois  un  endroit  portant  le  nom  de  Morgue  où  l'on 
retenait  quelques  instants  les  prisonniers  au  moment  où 
on  les  écrouait  pour  que  les  gardiens  pussent  bien  voir 
leur  morgue  ou  visage  afin  de  les  reconnaître  en  cas 
d'évasion.  Plus  tard,  on  exposa  dans  les  morgues  les 
cadavres  que  la  Justice  voulait  faire  reconnaître.  » 
L'exposition  s'étendit  ensuite  à  toutes  les  victimes 
(n'importe  la  cause  de  l'accident)  dont  les  corps  étaient 
relevés  sur  la  voie  pul3lique  ou  retirés  de  la  rivière.  Les 
filets  de  Saint-Cloud  à  ce  sujet  sont  célèbres.  Un  poète 
a  dit  : 

Et  la  Morgue  au  teint  vert  qui  jette  chaque  nuit 
Son  hameçon  dans  la  rivière. 

La  Mothe-Picquet  (rue  de)  :  La  Mothe-Picquet,  marin 
célèbre  pendant  la  guerre  d'Amérique,  mourut  lieute- 
nant-général à  Brest  en  1791 .  Il  était  né  en  1720. 

Mouffetard  (rue)  :  Altération  du  mot  Montcétard,  nom 
qu'on  donnait  à  cette  voie  dans  le  XIIP  siècle. 

Moulins  (rue  des)  :  Elle  doit  son  nom  à  deux  Moulins 
situés  sur  la  butte  Saint-Roch  et  qui  furent  détruits  lors- 
qu'après  avoir  aplani  la  butte,  on  couvrit  de  maisons 
l'espace  qu'elle  occupait. 


M.  267 

Mozart  (rue)  :  Un  critique  distingué  de  notre  temps  a 
caractérisé  admirablement  en  peu  de  lignes,  le  talent 
de  ce  maitre  illustre  :  (c  Mozart  est  aussi  grand  musicien 
que  poète  sublime.  Il  chante  la  grâce  et  les  sentiments 
exquis  des  natures  supérieures,  les  douleurs  mysté- 
rieuses de  l'àme  qui  entrevoit  des  horizons  infinis,  les 
tristesses  et  les  voluptés  d'une  civilisation  avancée.  Il  a 
l'élégance,  la  profondeur  et  la  personnalité  des  patri- 
ciens. Son  génie  dédaigne  les  appétits  grossiers  de  la 
foule  ;  jamais  il  n'emploie  de  formules  banales  pour 
capter  l'approbation  du  vulgaire.  Il  dit  ce  qu'il  veut 
dire  sans  se  préoccuper  du  public  qui  l'écoute,  et  ses 
cadences  s'arrêtent  où  s'arrête  sa  pensée.  Il  est  le  musi- 
cien des  nuances,  mais  des  nuances  qui  réfléchissent  la 
délicatesse  de  l'àme,  et  non  pas  de  celles  qui  expriment 
les  raffinements  de  l'esprit.  Il  a  la  piété  d'un  enfant,  la 
tendresse  et  la  pudeur  d'une  femme  ;  et  son  langage 
passionné,  mais  chaste  et  religieux,  ne  s'adresse  qu'à 
ces  natures   d'élite  qui  sont  toujours  en  minorité  sur  la 

terre a  Ah  !  disait-il  un  jour  à  un  protestant  de  ses 

»  amis,  vous  avez  votre  religion  dans  la  tête  et  non  dans 
))  le  cœur  ;  vous  ne  sentez  pas  comme  nous  ce  que 
))  veulent  dire  ces  mots  :  ((  Agnus  Dei  qui  tolUs  peccata 
»  mundi,  dona  nobis  paceni  )>  ;  mais  lorsqu'on  a  été  comme 
))  moi  introduit  dès  sa  plus  tendre  enfance  dans  le  sanc- 
))  tuaire,  que,  l'àme  agitée  de  vagues  désirs,  on  a 
»  assisté  au  service  divin  où  la  musique  traduisait  ces 
))  saintes  paroles  :  Benedictus  qui  venit  in  nomine  Domini  ! 
))  oh  !  alors,  c'est  bien  différent.  Plus  tard,  lorsqu'on 
»  s'agite  dans  le  vide  d'une  existence  vulgaire,  ces  im- 
»  pressions  premières,  restées  ineôaçables  au  fond  du 


268  LES   RUES   DE   PARIS. 

»  cœur,  se  ravivent  et  montent  à  l'esprit  comme  un  sou- 
»  pir  qui  se  dilate.  » 

((  On  voit  que  Mozart  avait  le  secret  de  son  génie  *.  » 

Murillo  (rue  de):  Bartholomé-Esteban  Murillo  (1608- 
1682),  l'un  des  maîtres  les  plus  célèbres  de  l'École  Espa- 
gnole. Son  talent  sans  doute  est  grand,  mais  ne  saurait 
justifier  l'engouement  prodigieux  qui,  depuis  un  temps, 
donne  à  ses  tableaux  une  plus  value  exagérée.  Peintre 
naturaliste ,  admirable  dans  le  Petit  Mendiant  par 
exemple,  Murillo,  malgré  la  facilité  de  sa  touche  et  la 
magie  du  coloris,  nous  parait,  dans  les  sujets  élevés, 
chrétiens^,  surtout,  le  plus  souvent  au-dessous  de  sa 
tâche.  Ses  types  manquent  de  grandeur  bien  loin  de 
réaliser  notre  idéal,  témoin  cette  Immaculée  Conception 
du  Louvre,  acquise  à  la  folle  enchère  (oh  !  vraiment 
folle  !)  et  payée  dix  fois  sa  valeur.  Que  de  chefs-d'œuvre 
de  maîtres  divers  et  qui  nous  manquent  on  aurait  eus 
pour  les  six  cents  et  quelques  mille  francs  si  légèrement 
donnés  ! 

Nous  avons  vu  de  Murillo,  l'élève  de  Yelasquez,  des 
portraits  splendides,  le  sien  en  particulier. 

Musée  de  Cluny  :  Grâce  à  l'acquisition  faite  par  l'Etat 
de  l'ancien  hôtel  de  Cluny  et  à  la  cession  par  la  ville  de 
Paris  du  vieux  Palais  des  Thermes,  ce  Musée,  avec  ses 
jardins  et  ses  bâtiments  d'une  architecture  aussi  variée 
que  curieuse,  offre  aux  visiteurs  tous  les  genres  d'attrait. 
La  collection,  donnée  par  M.  du  Sommerard,  fut  le 
noyau  de  cet  important  Musée  archéologique,  dont  les 
richesses  se  sont  accrues  successivement  soit  par  des 
dons  soit  par  des  acquisitions  intelligentes. 

L'hôtel  de  Cluny,  tel  que  nous  le  voyons  aujourd'hui. 


M.  269 

fut  construit  ou  reconstruit  par  Jacques  d'Amboise, 
l'un  des  neuf  frères  du  célèbre  ministre  de  Louis  XII. 
Cet  hôtel  servait  d'habitation  aux  abbés  de  l'Ordre. 

Petit- Musc  (rue  du)  :  Corrozet  la  nomme  de  la  Petite 
Puce.  ((  En  1358,  dit  Sauvai,  elle  s'appelait  la  rue  du 
Petit-Muce,  la  rue  du  Pute-y-Muce  et  la  rue  du  Put-y- 
Muce  à  raison  peut-être  que  c'était  alors  une  voirie  et 
un  lieu  où  chacun  faisait  son  ordure.  »  D'après  Germain 
Brice,  elle  aurait  dû  s'appeler  la  rue  Petimus  (nous  de- 
mandons) parce  que,  dans  l'espace  que  cette  rue  occupe 
à  présent,  se  trouvait  autrefois  l'hôtel  des  quatre  maîtres 
des  requêtes  que  l'on  nommait  l'hôtel  Petimus,  sur  ce 
que  les  requêtes  que  l'on  présentait  alors  en  langue  latine 
ainsi  que  tous  les  actes  judiciaires  commençaient  tou- 
jours parle  terme  Petimus.  » 

Piganiol  a  relevé  cette  erreur  en  prouvant  que  l'hô- 
tel des  maîtres  des  requêtes  s'élevait  dans  la  rue  Saint- 
Paul. 

Musset  (rue  Alfred  de)  :  Poète  et  auteur  dramatique, 
Alfred  de  Musset,  né  en  1810,  est  mort  en  1857.  Quel 
dommage  de  voir  un  pareil  talent  se  dévoyer  aussi 
misérablement  !  Musset  semble  se  complaire  dans  ce 
scepticisme  absolu  qui  cependant  le  torturait  et  le  faisait 
s'écrier  dans  une  heure  de  désespoir  : 


L'Infini  me  tourmente. 


Au  point  de  vue  moral,  il  n'est  pas  moins  dangereux 
pour  les  jeunes  gens  parce  que  sa  corruption  raffinée  ôte 
au  vice  la  laideur  qui  repousse  et  pare  la  débauche  de 
toutes  les   élégances   de  la  poésie.     L'absinthe    avec 


270  LES   RUES    DE    PARIS. 

laquelle^  dit-on,  Musset  s'empoisonna  n'était  rien  auprès 
des  philtres  mortels  qu'il  composait  trop  bien  et  nous 
offrait  dans  des  vases  ciselés  avec  un  art  des  plus  savants, 
merveilleux  parfois. 


N 


Napoléon  :  Quai  de  ce  nom,  impasse  à  Montrouge, 
square  à  Belleville.  fVoir  la  France  héroïque). 

Necker  {rue)  :  Jacques  Necker,  ministre  de  Louis  XVI, 
esprit  plus  spéculatif  que  pratique.  Né  à  Genève  en 
1732^  il  mourut  dans  cette  ville  en  1804.  u  Les  Necker 
et  leur  école.  Jusqu'à  eux  on  avait  dit  quelquefois  la  vé- 
rité en  riant  ;  ils  la  disent,  toujours  en  pleurant,  ou  du 
moins  avec  des  soupirs  et  des  gémissements.  A  les  en- 
tendre, toutes  les  vérités  sont  mélancoliques.  Aussi  M. 
de  Pange  m'écrivait-il  :  u  Triste  comme  la  vérité.  )) 
Aucune  lumière  ne  les  réjouit;  aucune  beauté  ne  les 
épanouit  ;  tout  les  concentre.  Leur  poétique  est  liéracli- 
tienne.  »  (Joubert). 

Necker  (hôpital)  :  S'appelle  ainsi  en  souvenir  de 
Madame  Necker  qui  fonda  l'établissement  à  l'aide  d'une 
somme  annuelle  de  42,000  livres  accordée  par  le  roi 
Louis  XVI,  en  1779,  pour  la  création  de  120  lits.  Ma- 
dame Necker,  frappée  autant  qu'attristée  des  abus  qui 
s'étaient  introduits  ailleurs,  voulut  inaugurer  un  nou- 
veau système  et  décida  que  chaque  malade  aurait  un  lit 
à  lui  seul. 

Sous  la  RévolutioUj  l'hôpital  s'appela  :   Hospice  de 


N.  271 

l'Ouest;  mais  plus  tard  il  reprit  le  nom  de  la  charitable 
fondatrice,  ce  qui  n'était  que  justice. 

Neuve-du-Luxembourg  (rue)  :  Elle  doit  son  nom  à  un 
hôtel  que  le  maréchal  de  Luxembourg  avait  fait  cons- 
truire sur  une  partie  de  l'ancien  emplacement  des  Ca- 
pucines. 

Nicolet  (rue)  :  Nicolet  fut  un  joueur  de  marionnettes 
célèbre  dans  la  seconde  moitié  du  XVIIP  siècle.  Entre 
les  amateurs  empressés  à  ses  représentations  se  trouvait 
souvent  Joseph  Vernet,  avec  son  fils  Carie  ou  Chariot 
encore  enfant.  «  Joseph  Yernet,  dit  Léon  Lagrange,  ne 
prenait  pas  moins  de  plaisir  que  le  graveur  Yille  à  voir 
les  huit  sauteurs  catalans  dont  un  fait  le  paillasse  et  est 
supérieur  aux  autres,  quoique  tous  fassent  des  prodiges 
en  divers  jeux  et  des  sauts  étonnants  et  neufs  ^  » 

Nicole  (rue)  :  Pierre  Nicole,  né  en  d62o,  est  mort  en 
1695  ;  moraliste  et  théologien  dont  on  a  dit  qu'il  était, 
après  Pascal ,  l'écrivain  le  plus  distingué  de  Port- 
Royal.  On  ne  peut  que  regretter  davantage  qu'un 
homme  de  ce  mérite  n'ait  pas  su  s'affranchir  des  entête- 
ments de  parti  et  des  préjugés  de  secte.  On  lit  encore 
ses  Pensées  et  son  traité  de  V  Unité  de  V Eglise. 

Notre- Dame- de-Lorette  (église.)  :  <(  Un  de  ces  édifices 
religieux  qui  rappellent  les  églises  d'Italie.  C'est  en 
quelque  sorte,  dit  M.  L.  Lazare,  un  spécimen  curieux, 
ayant  sa  raison  d'être  dans  une  ville  comme  Paris,  dont 
le  magnifique  panorama  plaît  surtout  par  la  diversité,  les 
contrastes  que  présentent  les  œuvres  des  artistes.  » 

Parmi  les  nombreuses  peintures  qui  décorent  ce  mo- 

'  L.  Lagrange  :  Joseph  Vernet  et  la  Peinture  au  XVIIP  siècle. 


272  LES    RUFS    DE    PARIS. 

miment  de  construction  récente,  il  faut  citer  tout  d'abord 
celles  de  la  Chapelle  du  Mariage  par  Orsel,  et  de  la  Cha- 
pelle de  la  Communion,  par  M.  Perrin,  deux  artistes 
vraiment  et  profondément  chrétiens  comme  leur  œu'STe 
l'atteste. 

Nonnains  d'Hyères,  (rue  des)  :  En  1182,  Eve,  abbesse 
d'Hyères,  acheta  en  cet  endroit  une  maison,  dite  de  la 
Pie,  à  Richard  Villain,  moyennant  25  livres  de  cens 
annuel.  Cette  rue  prit  alors  le  nom  des  religieuses. 

Et  parmi  la  rue  aux  Nonnains 
D'Ière,  vis  chevaucher  deux  nains 
Qui  moult  estoient  esjoï  (réjouis), 
(Le  Dit  des  Rues). 


0 


Observatoire  (1')  :  Construit  par  l'ordre  de  Louis  XIV, 
de  1667  à  1672.  Perrault,  dont  Colbert  avait  fait  choix 
comme  architecte,  dessina  les  plans  et  dirigea  les  tra- 
vaux. Mais  les  développements  que  prit  plus  tard  l'éta- 
blissement, rendirent  nécessaires  de  nouvelles  construc- 
tions, faites  à  différentes  époques.  En  1834  notamment 
quatre  ailes  furent  ajoutées. 

Cet  établissement,  que  domine  une  tour  élevée  par  les 
conseils  de  Cassini,  est  destiné,  on  le  sait,  aux  observa- 
tions astronomiques.  Il  compte  un  assez  nombreux  per- 
sonnel, composé  du  directeur,  des  astronomes-adjoints 
et  d'autres  employés. 

Odéon  (Théâtre  de  1')  :  Ce  monument  qui  a  donné  son 


0.  273 

nom  à  la  place  et  à  la  rue  voisine,  fut  terminé  en  J782, 
et  s'appela  Théâtre-Français,  conformément  à  sa  destina- 
tion. En  1790,  on  le  nomma  Théâtre  de  la  Nation,  puis, 
(1798)  Odéon,  [odeion)  ;  les  Grecs  appelaient  ainsi  le  lieu 
où  les  poètes  et  les  musiciens  se  faisaient  entendre.  En 
1799,  rOdéon  ayant  brûlé,  les  Comédiens  Français 
s'installèrent  au  Palais-Royal  dans  la  salle,  où  ils  sont 
encore  et  qu'on  avait  appropriée  et  restaurée  à  leur 
intention.  L'Odéon  fut  reconstruit  en  1807  seulement  et 
prit  le  nom  de  :  Théâtre  de  V Impératrice  qui  fut  changé, 
lors  de  la  Restauration,  en  celui  de  Second  Théâtre- 
Français.  Quoique  longtemps  seul  sur  la  rive  gauche,  ce 
théâtre,  par  un  singulier  phénomène,  rarement  attira 
la  foule  même  avec  de  bonnes  pièces,  aussi  bonnes  du 
moins  qu'ailleurs  où  chaque  soir  la  salle  était  comble. 
Plus  d'une  fois,  en  entrant  à  l'orchestre  ou  au  parterre, 
le  spectateur  dut  se  rappeler  ces  vers  de  la  Némésis 
écrits  en  1831  : 

La  tombe  où  gît  Bossange  '  et  le  triste  Odéon 
Qui,  ravivant  sans  fruit  la  tragi-comédie. 
Ne  peut  se  réchauffer  que  par  un  incendie. 

Il  est  vrai  que  le  Satirique  ne  traitait  guère  mieux  le 
premier  Théâtre  Français  : 

Tantôt,  sacrifiant  une  heure  solitaire, 
J'entrerai  dans  le  vide  habité  par  Voltaire. 

Oiseaux  (rue  des)  :  Ce  nom  lui  fut  donné  à  cause  d'un 
marché  aux  oiseaux  qui  s'y  tenait. 

'  Directeur  du  Théâtre  des  Nouveautés. 


274  LES  RUES   DE    PARIS. 

Olier  (rue)  :  L'abbé  Olier,  né  à  Paris  le  20  septembre 
1608,  et  mort  le  lundi  de  Pâques,  de  l'année  1657  entre 
les  bras  de  saint  Vincent  de  Paul,  était  curé  de  Saint- 
Sulpice.  A  peine  ordonné  prêtre  (21  mars  1633),  il  se 
montra  préoccupé  de  l'œuvre  importante  à  laquelle  il  se 
sentait  appelé,  l'établissement  en  France  des  grands 
séminaires.  Mais  avec  la  prudence  du  zèle  éclairé,  il  sut 
ne  rien  précipiter  et  ce  ne  fut  qu'en  1642,  que  la  pre- 
mière de  ces  saintes  maisons  fut  fondée  à  Vaugirard  ; 
trois  ans  après,  s'ouvrit  celle  de  Saint-Sulpice,  puis 
successivement  furent  établis  les  séminaires  de  Nantes, 
de  Viviers,  du  Puy,  de  Clermont,  de  Québec,  au  Ca- 
nada, etc. 

Le  curé  de  Saint-Sulpice  ne  s'occupait  pas  avec  moins 
de  sollicitude  de  sa  paroisse  où  sa  charité,  dans  les 
temps  les  plus  calamiteux  (l'année  1649  par  exemple), 
trouvait  moyen  de  venir  au  secours  de  toutes  les  mi- 
sères. ((  Frère  Jean  m'a  assuré^  écrit  à  ce  sujet  un  con- 
temporain, que  si,  dans  les  autres  temps,  M.  Olier  était 
libéral,  pendant  cet  hiver,  qui  fut  très-rigoureux,  on 
pouvait  en  quelque  sorte  lui  reprocher  d'être  prodigue.» 
Une  personne,  chargée  de  la  distribution  de  ses  au- 
mônes, étant  venue  le  prévenir  d'un  air  d'inquiétude 
qu'elle  n'avait  plus  d'argent  :  «  Vous  n'avez  point  de 
foi,  répondit  M.  Olier  ;  Dieu  peut-il  nous  manquer?  » 

Orfèvres  (quai  des)  :  Ce  nom  lui  vient  du  grand 
nombre  d'orfèvres  qui  jadis  y  avaient  leurs  boutiques* 
Dans  la  rue  conduisant  au  quai,  s'élevait  naguère  une 
maison  appelée  V Hôtel  des  Trois  Degrés.  Cette  maison 
fut  achetée  par  la  corporation  des  Orfèvres  qui  succes- 
sivement acquit  huit  autres  maisons  voisines;  et  ces 


0.  275 

divers  bâtiments,  réparés  ou  reconstruits,  devinrent  un 
vaste  hôpital  ou  hospice  destiné  à  recevoir  les  confrères 
malheureux  aussi  bien  que  leurs  veuves  laissées  sans 
ressources.  «Les  orfèvres  pauvres  et  infirmes,  dit  Jaillot, 
ont  retrouvé  dans  la  générosité  de  leurs  confrères  les 
secours  dont  ils  avaient  besoin  (pour  le  corps  et  pour 
rame)...  Il  y  en  a  parmi  eux  qui  ont  employé  une  partie 
considérable  de  leur  fortune  pour  procurer,  dans  l'hô- 
pital des  Incurables,  tous  les  secours  nécessaires  à  leurs 
confrères  assez  malheureux  pour  n'avoir  pas  même  la 
seule  consolation  que  laisse  l'espérance.  » 

Cette  dernière  phrase,  j'en  demande  pardon  à  l'hon- 
uète  Jaillot,  ressemble  fort  à  un  galimatias,  mais  le 
reste  est  assez  clair  et  met  en  relief  un  exemple  bon  à 
imiter  et  qui  prouve  en  faveur  des  corporations,  suppri- 
mées brutalement  quand  il  n'eut  fallu  que  modifier  les 
statuts. 

Ormes  (quai  des)  :  Ce  nom  lui  vient  d'une  allée  d'ar- 
bres qu'avait  fait  planter  Charles  Y  et  qui  conduisait  à 
l'hôtel  St-Paul.  Ce  chemin  s'appela  d'abord  des  Orme- 
taux,  puis  des  ormes  quand  les  jeunes  plants  furent  de- 
venus de  grands  arbres. 

Orsay  (quai  d')  :  La  première  pierre  de  ce  quai  fut 
posée  le  6  juin  1705.  Ce  nom  lui  fut  donné  en  l'honneur 
de  Charles  Bouclier,  seigneur  d'Orsay,  alors  prévôt  des 
marchands  et  qui  remplit  ces  fonctions  de  1700  à  1708. 

Orties  (rue  des)  :  Ce  nom  lui  vient  très-anciennement 
des  orchidées  qui  foisonnaient  en  cet  endroit  avant  que 
la  rue  fût  bâtie,  et  quand  elle  n'était  qu'un  sentier  ou 
chemin. 

Oudinot  (rue)  :  Oudiuot,  duc  de  Reggio  et  maréchal 


276  LES    RUES    DE    PARIS. 

de  France,  né  en  1767,  mort  en  1847,  gouverneur  des 
Invalides.  Ce  volontaire  de  la  République,  qui  avait 
gagné  tous  ses  grades  à  la  pointe  de  l'épée,  joignait,  à 
de  grands  talents  militaires,  à  une  bravoure  héroïque, 
la  probité,  le  désintéressement  et  le  sentiment  de  l'hon- 
neur au  plus  haut  degré.  Aussi  les  contemporains  ont- 
ils  applaudi  à  ces  beaux  vers  du  Chant  du  Sacre  qui  ré- 
sument admirablement  cette  vie  glorieuse  : 

.....  Reggio  !  Ce  nom,  à  son  aurore, 

Du  saint  vernis  du  temps  n'est  pas  couvert  encore; 

Mais  ses  titres  d'honneur  sont  partout  déroulés  : 

Regarde  avec  respect  ses  membres  mutilés  ! 

Ce  nom,  comme  les  noms  des  Dunois,  des  Xainlrailles, 

A  germé  tout  à  coup  sur  vingt  champs  de  batailles  : 

J'aime  mieux,  pour  orner  le  bandeau  qui  me  ceint. 

Un  grand  nom  qui  surgit  qu'un  vieux  nom  qui  s'éteint. 

La  postérité,  en  ce  qui  concerne  Oudinot,  a  déjà  con- 
firmé le  jugement  de  Lamartine. 

Ours  frue  aux)  :  Elle  s'appelait,  au  XIP  siècle,  rue 
aux  Oies,  rue  où  l'on  cuit  les  oies;  mais,  vers  1552,  le 
peuple,  on  ne  sait  comment,  ni  pourquoi,  lui  donna  le 
nom  de  7'ue  aux  Ours  «  qui  est  bien  un  autre  oiseau»,  dit 
plaisamment  Sauvai.  Il  ajoute  :  «  Le  peuple,  qui  veut 
à  toute  force  que  ce  soit  son  véritable  nom,  et  qu'elle 
n'en  doit  point  avoir  d'autre,  allègue  qu'anciennement 
on  y  gardait  et  vendait  des  ours  et  pour  preuve  montre 
là  un  logis  à  porte  cochère  où,  au-dessus  de  la  porte,  à 
la  clé  de  l'arcade,  on  voit  un  ours  sculpté.  »  ...  Mais  eu 
cela  il  se  trompe  et  cette  preuve  manque  de  solidité.  Le 
vrai  nom  de  la  rue  <(  est  celui  de  rue  aux  Oues  (oies) 


i».  277 

parce  que  de  tout  temps  c'était  une  rôtisserie  publique: 
et  comme  alors  on  n'était  pas  si  friand  quaujourdliui  les 
oisons  du  voisinage  chargeaient  plus  de  broches  que  les 
chapons  du  Mans  ni  les  autres  viandes  délicates  qu'on 
apporte  de  loin.  Et  de  fait,  dans  toutes  les  anciennes 
chartes,  elle  est  appelée  :  la  rue  ou  ron  cuit  les  oies.  Ce 
changement  de  nom  vient  de  ce  que  nos  anciens  pro- 
nonçaient la  lettre  0  comme  nous  prononçons  Ou,  et 
ainsi  appelaient  oue  ce  que  nous  appelons  oie  si  bien 
qu'il  faudrait  dire  la  rue  aux  Oies  et  non  pas  la  rwe  aux 
Ours.  )) 

A  l'appui  de  cette  opinion  de  Sauvai  on  peut  citer 
ces  deux  vers  du  Dit  des  Bues  de  Paris  : 

Et  si  fus  en  la  rue  aux  Oues 
Où  Ton  me  fit  force  moues. 

Pagevia  (rue)  :  Ce  nom  lui  vient  de  Jean  Pagevin, 
huissier  au  parlement,  qui  y  demeurait. 

Paix  (rue  de  la)  :  Ouverte  en  i  806  sur  l'emplacement 
de  l'ancien  couvent  des  Capucines,  elle  s'appela  rue 
Napoléon,  nom  qui  fut  changé  en  1814.  La  rue  prit 
alors  celui  qu'elle  porte  aujourd'hui. 

Paon- Blanc  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Palais- Boy  al  :  Ce  monument,  bâti  par  le  cardinal 
de  Richelieu,  n'était  d'abord  qu'une  modeste  habita- 
tion connue  sous  le  nom  d'hôtel  Richelieu.  Mais,  par 
suite  d'agrandissements  nombreux,  il  devint  un  vaste 
et  magnifique  palais,  tel  même  que  le  cardinal  jugea 
qu'il  ne  pouvait  plus  être  habité  que  par  des  Majestés 
ou  des  Altesses.  Dans  l'année  1639,  il  en  fit  donation 

TOME  m.  16 


278  LES   RUES   DE   PARIS. 

entre  vifs  au  roi  Louis  XIII,  donation  confirmée  par  son 
testament  (1642).  Cette  même  année,  la  reine  régente, 
Anne  d'Autriche,  étant  venue  habiter  le  palais  avec  la 
famille  royale,  l'inscription  de  :  Palais- Cardinal  fut 
remplacée  parcelle  de  Palais- Royal,  Des  constructions 
et  des  modifications  successives  donnèrent  une  meilleure 
apparence  à  l'édifice  de  forme  assez  irrégulière  d'abord. 
Le  jardin  fut  dessiné  et  planté  par  l'ordre  du  duc  d'Or- 
léans, régent.  Auparavant  ce  n'était  qu'un  terrain  à 
moitié  inculte,  renfermant  un  mail,  un  manège  et  deux 
bassins,  le  tout  disposé  sans  ordre  et  sans  symétrie.  Les 
Galeries  furent  construites,  les  trois  premières  par  Phi- 
lippe Égalité,  et  la  quatrième,  dite  d'Orléans,  par  le  roi 
Louis-Philippe.  Elle  remplaça  cette  double  rangée  de 
baraques  en  bois,  qu'on  y  voyait  il  n'y  a  pas  bien  des 
années  encore,  et  qui,  par  la  foule  des  promeneurs  et 
des  curieux,  faisait  que  l'endroit  ressemblait  à  une 
grande  foire  de  village. 

Panoramas  (passage  des)  :  Construit  en  180O,  il  dut 
son  nom  aux  panoramas  qui  y  furent  établis  et  disparu- 
rent vers  1831. 

Papillon  (rue)  :  Ouverte  en  1781,  elle  dut  son  nom  à 
M .  Papillon  de  la  Ferté,  contrôleur  général  de  l'argen- 
terie, menus  plaisirs  et  affaires  de  la  chambre  du  roi, 
qui  périt  sur  l'échafaud  en  1794  (7  juillet). 

Papin  (rue)  :  Denis  Papin,  célèbre  physicien  français, 
naquit  à  Blois,  le  22  août  1 647,  et  mourut  à  Marbourg, 
vers  1714.  «  Papin,  dit  F.  Arago,  a  imaginé  la  première 
machine  à  vapeur  à  piston  ;  il  a  vu  le  premier  que 
la  vapeur  aqueuse  fournit  un  moyen  simple  de  faire 
rapidement  le  vide  dans  la  capacité  du  corps  de  pompe  ; 


p.  279 

il  est  le  premier  qui  ait  songé  à  combiner  dans  une 
même  machine  à  feu  l'action  de  la  force  élastique  de  la 
vapeur  avec  lapropriété  dont  cette  vapeur  jouit,  et  qu'il 
a  signalée,  de  se  condenser  par  ce  refroidissement.  » 

Nous  ajouterons  que  Papin  a  inventé  aussi  la  soupape 
de  sûreté  ;  car  elle  forme  la  partie  essentielle  de  son 
digesteur,  ou  marmite  de  Papin,  employée  à  extraire, 
par  la  vapeur  à  haute  pression,  la  partie  gélatineuse 
des  os.  Papin,  le  premier  encore,  démontra,  en  1678, 
que  les  liquides,  par  exemple  l'eau  et  l'alcool,  entrent 
en  ébullition  à  une  très  faible  chaleur  dans  le  vide. 

Paradis  (rue)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Parcheminerie  (rue  de  la)  :  Ainsi  nommée  en  1287. 
C'était  auparavant  la  rue  des  Ecrivains. 

Paul  (rue  Saint)  :  Dans  cette  rue  se  trouvait  l'hôtel 
St-Paul,  résidence  de  plusieurs  de  nos  rois,  Charles  V 
et  Charles  YI,  entre  autres.  L'hôtel  St-Paul  était  ma- 
gnifiquement décoré  comme  l'affirment  plusieurs  au- 
teurs anciens.  D'après  Germain  Brice,  un  historien  du 
temps  dit  «  que  l'appartement  du  roi  consistait  en  une 
grande  antichambre,  une  chambre  de  parade  appelée 
la  chambre  à  parer ^  la  chambre  au  gîte  du  Moi,  deux 
cabinets,  une  garde  robe,  la  chambre  des  napes  (lin- 
gerie), celle  de  l'étude,  celle  des^bainsei  des  Tourterelles; 
la  chambre  du  conseil  ;  avec  cela  deux  chapelles,  des 
étuves  que  l'on  nommait  chauffe-doux  ;  une  volière,  un 
jeu  de  paume,  une  ménagerie  pour  les  grands  lions,  une 
autre  pour  les  petits  ;  la  chambre  de  Charlemagne  qui 
avait  quinze  toises  de  long  sur  six  de  large.  Les  mêmes 
Mémoires  ajoutent  que  les  poutres  des  chambres  les 
mieux  ornées  étaient  enrichies  de  fleurs  de  lis  d'étain 


280  LES    RUES    DE    TARIS. 

doré;  que  les  lits  étaient  de  drap  d'or  et  que  les  chenets 
de  fer  pesaient  cent  quatre-vingts  livres.  » 

Pas  (le  la  Mule  (rue  du)  :  Aucune  dénomination,  dit 
M.  Lazare,  n'ayant  été  affectée  à  ce  prolongement  d'une 
autre  rue,  le  peuple  voulut  y  suppléer  en  baptisant 
la  rue  à  sa  manière.  Son  nom  à  lui  c'était  un  conseil  ; 
son  nom  semblait  dire  aux  pauvres  piétons  :  «  Si  vous 
»  tenez  à  ne  pas  vous  casser  le  cou,  imitez  la  patience 
))  et  le  pas  de  la  mule  en  gravissant  cette  pente  escarpée 
))  et  glissante.  » 

[Vastourelle)  :  Ce  nom  vient  de  Roger  Pastourelle  qui 
habitait  la  rue  en  1331. 

Pavée  (rue)  : 


En  la  rue  Pavée  aie  (allai) 
Où  a  maint  visage  hâlé. 


dit  Guillot.Dans  cette  rue  Pavée  alors  que  beaucoup 
d'autres  étaient  privées  de  cet  avantage,  logeaient  sans 
doute  des  vignerons  et  des  voituriers  au  teint  hàlé.  On 
disait  aussi,  suivant  Lebœuf,  la  rue  Pavée  crAndouilles. 
Etait-ce  parce  qu'il  s'y  trouvait  force  charcutiers  ? 

Trois  Pavillons  (rue  des)  :  Elle  fut  ainsi  nommée  d'une 
maison  située  à  l'angle  de  cette  rue  et  de  celle  des 
Francs-Bourgeois  et  qui  se  faisait  remarquer  par  ses 
Trois  Pavillons.  Le  peuple,  de  sa  propre  autorité,  rem- 
plaça par  ce  nom  celui  de  Diane  qui  venait  de  la  du- 
chesse de  Yalentinois,  trop  célèbre  sous  le  règne  de 
Henri  II. 

Vai/enne{T\iQ,]  :  S'appelait  anciennement  Pat/elle,  nom 
d'un  propriétaire  riverain. 


p.  281 

Pépinière  (rue  delà)  :  Tracée  vers  1782,  sur  les  ter- 
rains faisant  partie  de  la  pépinière  dite  du  roi.  Ouel 
besoin  de  changer  ce  nom  en  celui  de  Ahaltucci  ? 

Pc/'/e  (rue  de  la)  :  Ce  nom  lui  vient  «  d'un  tripot  cai-ré 
qui  a  passé  longtemps  pour  le  mieux  entendu  de  Paris», 
dit  Sauvai. 

Pélagie  {Sainte)  :  Cette  prison  était,  avant  la  Révolu- 
tion, une  communauté  de  femmes  fondée  en  1665,  par 
madame  Beauharnais  de  Miramion.  Dans  cette  maison 
on  recevait  ou  renfermait  les  filles  ou  femmes  tombées 
dans  le  désordre  et  qu'on  espérait  ramener  à  une  vie 
meilleure.  Une  partie  de  l'établissement  s'appeJait  :  Le 
Refuge  ;  Y -diitra,  Sain fe-Péla g ie .  Cette  sainte,  comédienne 
célèbre  d'Antioclie  au  Y*^  siècle,  s'étant  convertie,  fit 
oublier  par  une  héroïque  pénitence  les  scandales  de  sa 
vie  antérieure. 

Lors  de  la  Révolution,  le  couvent  fut  supprimé,  les 
religieuses  se  virent  dépossédées  et  de  leur  paisible 
demeure  on  fit  une  prison. 

On  sait  que,  dans  un  corps  de  bâtiment  séparé,  sont 
renfermés,  depuis  1828,  les  détenus  politiques  et  en 
particulier  les  condamnés  pour  délits  de  presse. 

Pélican  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne.  Je  lis 
dans  Bernardin  de  St-Pierre.  {Etudes  de  la  Nature)  un 
curieux  passage  sur  le  pélican  :  a  Le  pélican  ou  grand- 
gosier  est  un  oiseau  blanc  et  brun,  qui  a  un  large  sac 
au-dessus  de  son  bec  qui  est  très-long.  11  va  tous  les 
matins  remplir  son  sac  de  poisson  ;  et  quand  sa  pèche 
est  faite,  il  se  perche  sur  quelque  pointe  de  rocher  à 
fleur  d'eau,  u  où  il  se  tient  immobile  jusqu'au  soir,  dit 
))  le  père  Dutertre,  comme  tout  triste,  la  tète  penchée 

TOME  III.  16* 


282  LES   RUES    DE   PARIS. 

))  par  le  poids  de  son  long  bec,  et  les  yeux  fixés  sur  la 
))  mer  agitée,  sans  bouger  non  plus  que  s'il  était  de 
))  marl)re.  » 

Ferrée  (rue)  :  C'est  le  nom  d'un  intrépide  marin  qui, 
en  1800^  soutint  avec  un  seul  vaisseau,  le  Généî^eux,  un 
combat  acharné  contre  quatre  vaisseaux  anglais,  Tun 
d'eux,  le  Foudroyant,  commandé  par  Nelson.  Le  Géné- 
reux n'abaissa  point  son  pavillon  et  si  l'ennemi  put  s'en 
emparer,  c'est  qu'il  ne  restait  personne  pour  le  défen- 
dre. Quand  les  Anglais  arrivèrent  sur  le  pont,  ils  n'y 
trouvèrent  plus  que  des  mourants  et  des  morts  et,  entre 
ceux-ci,  le  capitaine  Perrée,  tombé  sur  son  banc  de 
quart  qu'il  n'avait  pas  voulu  quitter  quoique  blessé 
grièvem(;nt. 

Penthièvre  (rue  de)  :  Doit  son  nom  au  vertueux  duc  de 
Penthièvre  si  célèbre  dans  le  siècle  dernier  par  sa  bien- 
faisance. «  La  physionomie  de  M.  le  duc  de  Penthièvre 
annonce  de  l'esprit,  de  la  douceur  et  même  un  peu  de 
coquetterie  ;  on  dirait  qu'il  vous  oblige  en  vous  regar- 
dant et,  lorsqu'il  vous  a  parlé,  vous  vous  sentez  attiré  à 
l'aimer  autant  qu'à  le  respecter. 

((  Yoilà  ce  que  j'ai  éprouvé  au  premier  aspect,  mais 
lorsque  ses  bontés  m'ont  donné  des  rapports  plus  parti- 
culiers avec  lui,  j'ai  trouvé  que  son  àme  était  au-dessus 
de  tout  le  reste,  qu'il  était  mille  fois  supérieur  à  tout  ce 
que  sa  figure  annonçait,  à  tout  ce  que  ses  manières 
laissaient  entrevoir.  Cette  àme  est  d'une  trempe  si  peu 
commune  que  je  ne  trouverai  point  l'expression  qu'il 
faudrait  pour  ce  que  je  vois  et  encore  plus  pour  ce  que 
je  sens  ;  toutes  les  vertus  y  sont  dans  un  é([uilibre  par- 
fait parce  que  la  sagesse  les  conduit  toutes  dans  les  bor- 


p.  283 

nus  qu'elles  ne  peuvent  franchir  sans  devenir  vice  ou 
défaut.  Généreux  sans  prodigalité,  pieux  sans  minutie, 
tendre  sans  faiblesse,  modeste  avec  dignité,  cliez  lui 
actions,  paroles,  maintien,  regards,  tout  est  à  sa  place; 
il  semble  que  rien  ne  pourrait  être  autrement. 

«  Ce  prince  m'a  paru  un  être  si  différent  des  autres 
hommes  que,  pendant  deux  années,  j'ai  plus  d'une  fois, 
je  l'avoue,  épié  ses  défauts  pour  essayer  de  consoler 
mon  amour-propre  :  recherche  vaine  ;  mes  observations 
n'ont  servi  qu'à  me  faire  mieux  sentir  sa  supériorité,  et 
je  me  suis  dit  que  je  ne  devais  point  aspirer  à  une  per- 
fection fondée  par  la  nature  dans  un  de  ses  plus  heureux 
moments.  » 

Ce  portrait,  si  remarquable  par  la  finesse  de  la  tou- 
che et  qu'on  sait  d'une  parfaite  ressemblance,  emprunte 
un  intérêt  particulier  au  nom  de  celui  qui  l'a  tracé.  Il  a 
pour  auteur  cet  autre  homme  de  bien,  M.  de  Montyon. 

Pères  (rue  des  Saints)  :  Son  vrai  nom  est  Saint- 
Pieiu-e,  provenant  de  la  chapelle  Saint-Pierre  qui  s'y 
trouvait.  Ce  nom  fut  changé  d'abord  en  celui  de  Saint- 
Père,  puis  Saints- Pères. 

Pétrelle  (rue)  :  C'était  le  nom  d'un  propriétaire  riverain . 

Pigalle {rue) :Le  sculpteur  Pigalle,né  à  Paris  en  1714, 
y  mourut  en  1785.  «  Pigalle  avait  reçu  de  la  nature  un 
œil  savant  qui,  dans  chaque  trait,  découvrait  mille 
traits,  et  dans  chaque  partie,  une  infinité  de  parties.  Il 
aimait  à  peindre  ce  qu'il  savait  voir.  Aucun  artiste  n'a- 
vait représenté  avant  lui  cette  multitude  de  détails  que 
l'art  aime  à  considérer  nus,  parce  qu'il  peut  avoir  be- 
soin de  les  reproduire,  mais  que  le  bon  goût  se  plait  à 
couvrir  de  vpiles.  Jamais  il  ne  pouvait  exprimer  assez  à 


284  •  LES    RUES   DE    PARIS. 

son  gré  tous  les  reliefs  du  corps  humain,  comme  les 
anciens  ne  pouvaient  jamais  assez  les  ramener  au  con- 
tour. Il  semblait  s'être  fait  une  loi  rigoureuse  de  n'imi- 
ter que  la  vérité,  telle  non  seulement  que  les  yeux  peu- 
vent la  voir,  mais  telle  que  les  mains  pourraient  la 
toucher...  On  voit  presque  toujours,  dans  ses  ouvrages, 
les  deux  extrêmes  de  la  vie  humaine,  celui  où  la  nature, 
animant  le  corps  avec  vigueur,  en  fait  saillir  toutes  les 
parties,  et  celui  où,  l'abandonnant,  elle  les  découvre  et 
les  désunit.  Sans  doute  il  a  peint  quelquefois  la  beauté, 
mais  non  cette  ravissante  beauté  d'un  corps  «  hôte  d'une 
belle  âme  » ,  pour  employer  avec  le  poète  une  expres- 
sion qui  semble  née  au  pied  de  quelque  statue  antique.  » 
{Joubert.) 

Picpus  (rue)  :  Vers  1775,  c'était  un  chemin  qui  traver- 
sait le  territoire,  dit  de  Pique-puce  dont  on  a  fait  par 
corruption  picpus.  L'origine  de  cette  dénomination  est 
assez  singulière,  si  l'on  en  croit  M.  L.  Lazare,  qui  ne  la 
donne^  d'après  d'anciens  auteurs,  que  sous  réserves.  Un 
mal  épidémique  se  manifesta  dans  les  environs  «le  Paris 
vers  le  milieu  du  XVP  siècle.  On  voyait  sur  les  bras  des 
femmes  et  des  enfants  de  petites  tumeurs  rouges  qui 
ressemblaient  à  plusieurs  piqûres  faites  par  un  insecte  qui 
s'attachait  de  préférence  aux  mains  blanches  et  délicates 
des  personnes  jeunes. 

Un  religieux  du  couvent  de  Franconville  près  Beau- 
mont,  diocèse  de  Beauvais,  venu  pour  fonder  une  mai- 
son dans  les  environs  de  Paris,  à  l'aide  d'une  certaine 
liqueur,  guérit  nombre  de  malades.  On  le  retint  par 
reconnaissance  dans  le  village  et  le  couvent  qu'il  y 
fonda  s'appela  Picjms. 


p.  285 

Dans  cette  même  rue,  se  trouve  le  cimetière  où  furent 
enterrées  les  victimes  de  la  Révolution  qui  périrent  sur 
l'écliafaud  dressé  près  la  porte  Saint-Antoine.  On  en 
compta  d3o0,  dans  l'espacée  de  quarante  jours  seule- 
ment. 

Poissonnière  (rue  et  faubourg)  :  Elle  s'appelle  ainsi  à 
cause  que  c'était  par  cette  voie  qu'arrivaient  les  mar- 
chands de  marée. 

PiejTe  Sarrazin  (rue)  :  A  pris  son  nom  d*un  bourgeois 
nommé  Pierre  Sarrazin  qui  demeurait  en  cet  endroit  et 
y  mourut  vers  12oo. 

La  rue  Pierre  Sarrazin 

Où  l'on  essaie  maint  roncin  (cheval) 

Chacun  an,  comment  on  le  happe= 

Pinel  (rue)  :  Pinel,  médecin  aliéniste  célèbre,  né  à 
Saint-Paul,  près  Castres,  en  1745,  mourut  à  Paris,  le 
25  octobre  1826.  L'humanité  doit  une  éternelle  recon- 
naissance au  docteur  Pinel  par  le  changement  radical 
qu'il  apporta,  en  dépit  des  oppositions  venant  de  la 
routine,  dans  le  traitement  des  infortunés  privés  de  la 
raison  par  une  cause  ou  par  une  autre.  Sa  conviction, 
que  par  ses  écrits  et  son  langage,  il  sut  faire  partager  à 
beaucoup  de  ses  confrères  comme  aux  chefs  de  l'admi- 
nistration, c'était  que  les  fous  sont  des  malades  qu'il  faut 
traiter  avec  ménagement,  justice  et  douceur,  mais,  une 
douceur  où  l'on  sent  au  besoin  la  fermeté.  Nommé 
en  1793,  médecin  en  chef  de  l'hospice  de  Bicêtre,  il  y 
introduisit  peu  à  peu,  d'après  ces  principes,  d'utiles  et 
humaines  réformes  qui  s'étendirent  par  la  suite  à  toutes 
les  maisons  d'aliénés.  Honneur  à  Pinel  ! 


286  LES   RUES   DE   TARIS. 

Planche  (rue  de  la)  :  Ce  nom  lui  vient  du  sieur  Ra- 
phaël de  la  Planche,  trésorier  général  des  bâtiments  de 
Henri  lY,  lequel  avait  donné  au  dit  seigneur  des  lettres 
de  privilège  pour  l'établissement  d'une  manufacture  de 
tapisseries  de  haute-lice. 

Pont- au- Change  :  Ce  pont,  qui  aboutit  d'un  côté  au 
quai  de  l'Horloge,  de  l'autre  au  quai  de  la  Mégisserie  et 
qui  fut  pendant  longtemps  le  seul  moyen  de  communi- 
cation de  la  cité  avec  la  rive  septentrionale,  s'appela 
d'abord  le  Grand-Pont.  Construit  en  bois,  il  fut  à  diverses 
reprises  soit  emporté  par  les  inondations  soit  détruit  par 
l'incendie  comme  en  1621,  et  rebâti  mais  non  pas  tou- 
jours exactement  au  même  endroit.  D'après  un  usage 
qui  a  persisté  presque  jusqu'à  la  moitié  du  siècle  actuel, 
des  maisons  avec  boutiques  s'élevaient  de  chaque  côté 
du  pont  dans  toute  sa  longueur.  En  1141,  Louis  VIT, 
dit  le  Jeune,  ordonna  que  le  Change  se  ferait  sur  ce  pont 
à  l'exclusion  de  tous  autres  endroits,  d'où  il  prit  son  nom 
de  Pont- au- Change. 

Pont-Neuf.  La  construction  de  ce  pont  fut  commencée 
sous  le  règne  de  Henri  III  qui,  accompagné  de  sa  mère, 
Catherine  de  Médicis,  de  Louise  de  Lorraine,  son  épouse, 
et  entouré  des  plus  illustres  personnages  de  la  cour,  en 
posa  la  première  pierre  avec  grand  appareil  le  30  mai 
1578.  Les  travaux  furent  poursuivis  d'abord  avec  une 
grande  activité,  et  les  quatre  piles,  du  côté  de  la  rue 
Dauphine,  s'élevèrent  à  fleur  d'eau  dès  la  première 
année  ;  mais  l'ouvrage  ensuite  demeura  suspendu  sans 
doute  par  le  manque  d'argent.  Pourtant,  afin  de  four- 
nir aux  dépenses  considérables  de  l'entreprises,  on  avait 
établi  un  impôt  spécial  ou  dime  sur  le  peuple  et  a  le 


p.  287 

produit,  dit  Germain  Brice,  aurait  fourni  quatre  fois 
plus  qu'il  n'était  nécessaire,  si  cet  argent,  selon  le  terme 
des  auteurs,  n'avait  pas  été  englouti  par  lesfavoris  qui  ne 
se  mettent  guère  en  peine  du  bien  de  la  patrie,parce  qu'ils 
ne  songent  qu'à  leur  fortune  et  à  leur  agrandissement.  » 

La  paix  rétablie  partout  après  les  guerres  de  la  Ligue, 
((  Henri  IV,  qui  aimait  la  ville  de  Paris  parce  que  le 
peuple  l'aimait  infiniment  »  fit  reprendre  les  travaux 
et,  dès  l'année  1604,  le  pont  était  complètement  achevé. 
((  Personne  ne  peut  disconvenir  que  ce  pont  ne  soit  un 
des  plus  beaux  et  des  mieux  ordonnés  de  toute  l'Eu- 
rope. y>  Guillaume  Marchand,  dans  cette  seconde  période, 
dirigeait,  comme  architecte,  les  travaux.  Le  pont  avait 
été  commencé  d'après  les  dessins  et  sous  la  direction  du 
célèbre  Du  Cerceau  à  qui  l'on  doit  le  dessin  de  la  galerie 
du  Louvre. 

La  statue  de  Henri  IV, 

Le  seul  roi  dont  le  peuple  ait  gardé  la  mémoire, 

qui  s'élève  sur  le  terre-plein  du  Pont- Neuf,  due  au  sculp^ 
teur  Lemot,  fut  érigée  dans  les  premières  années  de  la 
Restauration  en  remplacement  de  celle  que  la  Révolution 
avait  eu  le  tort  de  renverser. 

((  Ce  monument,  dit  le  judicieux  Saint- Victor,  est  une 
preuve  des  plus  frappantes  de  l'inconstance  de  la  multi- 
tude et  du  mépris  que  méritent  également  sa  haine  et 
son  amour.  Pendant  près  de  deux  siècles,  le  souvenir 
de  Henri  IV  fut  cher  au  peuple  de  Paris  et  sa  statue  était 
pour  ce  peuple  l'objet  d'une  sorte  de  culte.  Dans  les  pre- 
miers jours  de  la  Révolution,  on  l'avait  vu  forcer  les 
passants  à  s'agenouiller  devant  l'image  de  ce  bon  roi  : 


288  LES   RUES  DE  PARIS. 

environ  deux  ans  après^  il  l'abattit  avec  des  cris  de 
rage  comme  celle  du  plus  afFreux  tyran.  » 

Ce  n'était  pas  le  vrai  peuple  qui  agissait  ainsi,  mais 
cette  triste  plèbe,  sédiment  impur  de  toute  société  que 
les  Révolutions  font  remonter  à  la  surface,  et  dont  les 
passions  aveugles,  fruit  de  l'ignorance,  s'exaltent  encore 
par  les  prédications  des  meneurs  et  les  diatribes  et  ca- 
lomnies de  bas  folliculaires. 

De  la  statue  nouvelle,  celle  de  Lemot,  Saint- Victor 
nous  dit  :  a  C'est  un  monument  d'un  grand  stjde,  d'un 
dessin  correct  et  savant  :  l'artiste  a  su  allier  la  beauté 
des  formes  à  la  vérité  de  l'attitude  ;  la  noblesse  et  la 
ressemblance  parfaite  des  traits  avec  la  franchise  et  la 
naïveté  de  l'expression.  Il  s'est  montré  d'une  exactitude 
scrupuleuse  dans  les  détails  de  costume  et  jusque  dans 
les  moindres  accessoires,  sans  jamais  descendre  à  l'imi- 
tation servile  d'un  copiste  ;  le  mouvement  du  cheval  est 
neuf  et  vraiment  admirable  ;  toutes  les  parties  en  sont 
étudiées  avec  le  plus  grand  soin  et  traitées  dans  la  plus 
grande  manière  ;  enfin,  à  la  place  d'une  statue  médiocre  \ 
s'est  élevée  une  statue  digne  d'un  de  nos  plus  grands 
rois.  )) 

Poissonnerie  (rue  de  la)  :  Jadis  le  chemin  dit  de  la 
Vallée  aux  voleurs^  puis  des  Poissonniers,  parce  que  les 
marchands  de  marée  suivaient  cette  voie  pour  se  rendre 
aux  halles. 

Popincourt  (rue  de)  :  Elle  doit  son  nom  à  Jean  de  Po- 
pincourt,  premier  président  du  parlement  de  Paris  sous 
Charles  YI,  qui  possédait  en  cet  endroit  une  maison  de 
campagne. 

'  La  Première,  do  Jean  de  Bologne. 


p.  2S0 

Postes  {lloiéi  des)  :  Appartenait  au  comte  de  Morvillc, 
ministre  et  secrétaire  d'état  des  affaires  étrangères, 
lorsque  le  roi  en  ordonna  l'ac-piisition  en  1757,  pour 
l'affecter  au  service  des  Postes. 

Poulies  (rue  des)  :  D'après  Sauvai,  ce  nom  lui  vient 
des  Poulies  de  l'hôtel  d'Alençon  et  ces  Poulies  étaient  un 
jeu  ou  exercice  encore  en  usage  en  1543.  Jaillot  croit 
que  cette  dénomination  provient  d'Edmond  de  Poulie 
qui  possédait  dans  cette  rue  une  grande  maison  et  un 
jardin  qu'il  vendit  à  Alphonse,  comte  de  Poitiers,  frère 
de  saint  Louis. 

Prouv aires,  (rue  des)  : 

M'en  ving  en  la  rue  à  Prouvaires, 

Où  il  a  maintes  pennes  vaires  (étoffes  de  couleurs  variée?). 

Dans  cette  rue  s'élevait  l'hôtel  de  maitre  Jacques  Du- 
cliié,  dont  Guillebert  de  Metz,  dans  son  livre  original 
(1435),  nous  a  laissé  cette  très-curieuse  description  : 

((  La  porte  duquel  est  entaillée  de  art  merveilleux  ; 
en  la  court  estoient  paons  et  divers  oiseaux  à  plaisance. 
La  première  salle  est  embellie  de  divers  tableaux  et 
écritures  d'enseignements  attachés  et  pendus  aux  parois. 
Une  autre  salle  remplie  de  toutes  manières  d'instru- 
ments, harpes,  orgues,  vielles,  guiternes  (guitares), 
psaltérions  et  autres  desquels  le  dit  maitre  Jacques  sa- 
vait jouer  de  tous.  Une  autre  salle  était  garnie  de  jeux 
d'échecs,  de  tables  et  d'autres  diverses  manières  de  jeux, 
à  grand  nombre.  Item,  une  belle  chapelle  où  il  y  avait 
des  pupitres  à  mettre  livres  dessus,  de  merveilleux  art, 
lesquels  on  faisait  venir  à  divers  sièges  loin  et  près,  à 
dextre  et  à  senestre.  Item  une  étude  où  les  parois  étaient 
couvertes  de  pierres  précieuses  et  d'épices  de  souefve 

TOME  III.  17 


290  LES    RUES   DE    TARIS. 

(suave)  odeur.  Item^  une  chambre  où  étaient  fourrures 
de  plusieurs  manières.  Item,  plusieurs  autres  chambres 
richement  adoubées  (ornées)  de  lits,  de  tables  engi- 
gneusement  (ingénieusement)  entaillées  et  parées  de 
riches  draps  et  tapis  à  or  frais.  Item,  en  une  autre 
chambre  haute,  étaient  grand  nombre  d'arbalètes  dont 
les  aucunes  étaient  pointes  à  belles  figures.  Là  étaient 
étendarts,  bannières,  pennons,  arcs  à  main,  piques, 
faussarts,  planchons,  haches,  guisarmes,  mailles  de  fer 
et  plomb,  pavois,  targes,  écus,  canons  et  autres  engins, 
avec  planté  (quantité)  d'armures  ;  et  brièvement  il  y 
avait  aussi  comme  toutes  manières  d'appareils  de 
guerre.  Item,  là  était  une  fenêtre  faite  de  merveillable 
artifice  par  laquelle  on  mettait  hors  une  tète  de  plaques 
de  fer  creuse,  parmi  laquelle  on  regardait  et  parlait  à 
ceux  du  dehors,  si  besoin  était,  sans  douter  (craindre)  le 
trait.  Item,  par  dessus  tout  l'hôtel,  était  une  chambre 
carrée,  où  étaient  fenêtres  de  tous  côtés  pour  regarder 
par  dessus  la  ville.  Et  quand  on  y  mangeait,  on  montait 
^  avalait  (descendait)  vins  et  viandes  à  une  poulie, 
pour  ce  que  trop  haut  eût  été  à  porter.  Et  par  dessus  le 
pinacle  de  l'hôtel  étaient  belles  images  dorées.  Cestui 
maître  Jacques  Duchié  était  bel  homme,  de  honnête 
babil  (langage)  et  moult  notable  ;  si  tenait  serviteurs 
bien  morigénés  et  instruits ,  d'avenante  contenance, 
entre  lesquels  était  un  maître  cliarpentier  qui  conti- 
nuellement ouvrait  (travaillait)  à  l'hôtel.  Grand  foison 
^e  riches  bourgeois  avait  et  d'officiers  qu'on  appelait 
petits  royeteaux  de  grandeur  \  )) 

'  Guillebert  de  Melz.  Description  de  Paris  ;  édition  de  Leroux  de 
Lincy;  in-8»  1855. 


C  291 

PrucVhon  (rue)  :  Pierre-Paul  Prud'hon  né  à  Dijon  en 
1760,  mort  à  Paris  eu  1822.  «  Ce  peintre,  dit  Quatre- 
mère  de  Quincy,  mettait  aux  moindres  idées  un  tel 
agrément  ;  ce  qu'il  touchait  recevait  de  lui  Fempreinte 
d'une  si  aimable  naïveté,  d'une  vérité  si  ingénue  ;  son 
maniement  de  crayon  avait  une  suavité  si  particulière 
que  le  peintre  habile  s'y  trahissait  de  toute  part.... 
C'est  que  tout  ce  que  le  souffle  du  sentiment  anime  a  la 
propriété  de  faire  apercevoir  plus  qu'il  ne  montre.  » 

On  peut  regretter  souvent  chez  l'artiste  le  choix  des 
sujets  empruntés  à  la  Fable,  mais  qu'à  force  de  talent, 
et  en  dépit  de  la  nudité,  il  élevait  jusqu'à  l'idéal.  Sous  le 
pinceau  délicat  de  Prud'hon,  la  volupté,  s'il  était  possi- 
ble, deviendrait  chaste. 

Puits  qui  parle,  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'un  puits  qui 
faisait  écho  et  qu'on  voit  encore  au  coin  de  la  rue  des 
Poules. 


Q 


Quatre-Fils  (rue  des)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne. 

Quatre-  Vents  (rue  des)  :  Une  enseigne  aussi  lui  donna 
ce  nom. 

Quinault  (rue)  :  Auteur  dramatique  né  en  1635  et 
mort  en  1688.  Malgré  la  vogue  de  quelques-unes  de  ses 
pièces,  il  ne  fut  pas  ménagé  par  Boileau  : 

Les  héros  chez  Quinault  parlent  bien  autrement^ 

Et  jusqu'à  :  Je  vous  hais,  tout  s'y  dit  tendrement. 

On  dit  qu'on  l'a  drapé  dans  certaine  satire  ; 

Qu'un  jeune  homme. ..  —  Ah  !  je  sais  ce  que  vous  voulez  dire. 


292  LES   RUES   DE   PARIS. 

A  répondu  notre  hôte  :  «  Un  auteur  sans  défaut, 
«  La  raison  dit  Virgile  et  la  rime  Quinault.  » 
—  Justement,  à  mon  gré  la  pièce  est  assez  plate. 
Et  puis  blâmer  Quinault  !...  Avez-vous  lu  VAstrate  ? 
C'est  là  ce  qu'on  appelle  un  ouvrage  achevé. 

Satire  III 
Puisque  vous  le  voulez,  je  vais  changer  de  style. 
Je  le  déclare  donc  .-  Quinault  est  un  Virgile. 

Satire  IX. 

Quincampoix  (rue)  :  Elle  fut  ainsi  appelée,  dit-on,  à 
cause  du  seigneur  de  Quincampoix  qui,  vers  l'an  1300, 
fit  construire  la  première  maison.  Suivant  d'autres  au- 
teurs, ce  nom  lui  venait  de  sa  situation,  parce  qu'elle 
était  de  cinq  paroisses  différentes  :  quinque  companis. 

((  Dans  les  années  1719  et  1720,  cette  rue  dit  Germain 
Brice,  a  rendu  son  nom  fameux  par  le  concours  prodi- 
gieux des  agioteurs  d'actions  de  la  nouvelle  Banque 
Royale  (création  de  Law),  entre  lesquels  quantité  ont 
fait  des  fortunes  immenses  et  bien  au-delà  de  ce  qu'on 
peut  imaginer.  Le  commerce  de  papier  que  l'on  y  a  \a^i, 
pendant  ces  deux  années,  de  plusieurs  centaines  de  mil- 
liards, y  avait  attiré  tous  les  juifs  les  plus  ardents  de 
divers  endroits  de  l'Europe  et  tous  les  plus  actifs  usu- 
riers. » 

Quinze-Vingts  (Hospice  des)  :  La  fondation  de  cet 
établissement  remonte  à  saint  Louis.  On  choisit  pour 
élever  les  bâtiments  un  terrain  nommé  le  Champourri, 
situé  à  peu  de  distance  du  Louvre.  D'après  la  tradition, 
l'hospice,  dont  le  célèbre  Eudes  de  Montreuil  avait 
donné  les  plans,  était  destiné  à  servir  d'asile  à  trois 
cents  chevaliers  pauvres  et  revenus  aveugles  de  la 
croisade. 


R.  293 

Dans  l'année  1701,  l'établissement  des  Quinze-Vingts 
(ou  des  trois  cents)  ayant  été  transféré  rue  de  Chareuton, 
le  roi  autorisa  la  vente  des  anciens  bâtiments  et  des 
terrains  qui  en  dépendaient,  et  c'est  alors  que  s'ouvri- 
rent les  rues  de  Beaujolais,  de  Chartres,  Rolian,  Mont- 
pensier,  etc. 


R 


Rambuteau  (rue)  :  Elle  a  pris  ce  nom  en  l'honneur  de 
M.  Claude-Philibert  Berthelot,  comte  de  Rambuteau, 
préfet  de  la  Seine,  lorsque  cette  voie  fut  ouverte  en 
1838. 

Rameau  (rue)  :  Rameau,  compositeur  de  musique,  né 
en  1683  mourut  à  Paris  en  1764.  Il  est  auteur  de  plu- 
sieurs ouvrages  sur  la  musique. 

Ramponneau  (rue  de)  :  Elle  doit  son  nom  à  un  certain 
Ramponneau,  cabaretier  et  comédien  à  la  façon  de  Gau- 
tier Garguille,  et  qui,  vers  1760,  attirait  la  foule  dans 
son  établissement  par  des  joyeusetés  et  des  facéties. 

Rats  (rue  des)  :  Cette  rue  fut  bâtie  sous  la  prévôté  de 
Hugues  Aubriot,  au  temps  de  Charles  VI.  Guillot  nous 
dit  : 

rue  d'Aras 

Où  l'on  rencontre  maints  gros  rats. 

Regard  (rue  du)  :  Elle  aboutissait,  du  côté  de  la  rue 
de  Vaugirard,  vis-à-vis  d'un  regard  de  la  fontaine  au- 
jourd'hui supprimée,  d'où  lui  vint  son  nom. 

Reuilly  (rue  de)  :  Ce  nom  est  dû  à  un  territoire  remar- 


294  LES   RUES   DE   PARIS. 

quable  par  son  antiquité  où  se  voyait  naguère  un 
ancien  palais  de  nos  rois  de  la  première  race.  Ce  fut 
dans  ce  palais  que  Dagobert  P'"  répudia  sa  lemme  Go- 
matrude  pour  épouser  Nanthilde. 

Richelieu  (rue)  :  Dans  notre  étude  sur  le  célèbre  car- 
dinal (France  héroïque,  III)  se  trouve  un  portrait  de 
Richelieu  par  Labruyère,  portrait  tiré  des  Caractères. 
Mais  il  en  est  un  second  par  le  même  et  illustre  écrivain 
qui  nous  a  paru  curieux  à  reproduire.  Nous  laissons 
d'ailleurs  au  moraliste,  devenu  si  ardent  panégyriste, 
la  responsabilité  de  ses  jugements  : 

((  Génie  fort  supérieur,  il  a  su  tout  le  fond  et  tout  le 
mystère  du  gouvernement  ;  il  a  connu  le  beau  et  le 
sublime  du  ministère  ;  il  a  respecté  l'étranger,  ménagé 
les  couronnes,  connu  le  poids  de  leur  alliance  ;  il  a  op- 
posé des  alliés  à  des  ennemis  ;  il  a  veillé  aux  intérêts 
du  dehors,  à  ceux  du  dedans;  il  n'a  oublié  que  les  siens: 
une  vie  laborieuse  et  languissante,  souvent  exposée,  a 
été  le  prix  d'une  si  haute  vertu. 

((  Comparez-vous,  si  vous  l'osez,  au  grand  Richelieu, 
hommes  dévoués  à  la  fortune,  qui,  par  le  succès  de  vos 
affaires  particulières,  vous  jugez  dignes  que  l'on  vous 
confie  les  affaires  publiques  ;  qui  vous  donnez  pour  des 
génies  heureux  et  de  bonnes  têtes  ;  qui  dites  que  vous 
ne  savez  rien,  que  vous  n'avez  jamais  lu,  que  vous  ne 
lirez  point,  ou  pour  marquer  l'inutilité  des  sciences,  ou 
pour  paraître  ne  devoir  rien  aux  autres,  mais  puiser 
tout  de  votre  fonds. 

»  Il  savait  quelle  est  la  force  et  l'utilité  de  l'éloquence, 
la  puissance  de  la  parole  qui  aide  la  raison  et  la  fait 
valoir,  qui  insinue  aux  hommes  la  justice  et  la  probité, 


R.  295 

qui  porte  dans  le  coBur  du  soldat  l'intrépidité  et  l'au- 
dace, qui  calme  les  émotions  pupulaires^  qui  excite  à 
leurs  devoirs  les  compagnies  entières  ou  la  multitude  : 
il  n'ignorait  pas  quels  sont  les  fruits  de  l'histoire  et  de 
la  poésie,  quelle  est  la  nécessité  de  la  grammaire,  la 
base  et  le  fondement  des  autres  sciences  ;  et  que,  pour 
conduire  ces  choses  à  un  degré  de  perfection  qui  les 
rendit  avantageuses  à  la  république,  il  fallait  dresser  le 
plan  d'une  compagnie  où  la  vertu  seule  fût  admise,  le 
mérite  placé,  l'esprit  et  le  savoir  rassemblés  par  des 
suûrages.  » 

Bichepance  {rue)  :  Le  général  Richepance,  né  en  1770, 
mourut  à  la  Guadeloupe  eu  180:2. 

Bock  (église  Saint)  :  Construite  dans  les  dépendances 
et  sur  l'emplacement  de  l'hôtel  Gaillon,  cette  église  eut 
pour  architecte  Lemercier,  arcliitecte  du  roi  Lo^iis  XIV 
qui  posa  la  première  pierre  en  1653. 

Plusieurs  des  hommes  illustres  du  XYIP  siècle  y  furent 
enterrés  :  Pierre  Corneille,  Le  Nôtre,  Mignard,  le  duc 
de  Créquy,  etc. 

Rivoli  (rue  de)  :  Ainsi  nommée  en  souvenir  de  la  ba- 
taille gagnée  par  les  Français  sur  les  Autrichiens  en 
Italie,  le  l'^'"  janvier  1797. 

Roch  (rue  de  St)  :  S'appelait  d'abord  rue  Michaut 
Riégncmt,  et  Michaud  Régnant  en  1521.  Elle  prit  plus 
tard  le  nom  de  rue  St-Roch  parce  que  la  principale 
entrée  de  rancienn(i  église  se  trouvait  dans  cette  rue. 

Aux  n°^  10  et  12,  dit  M.  Lazare,  était  la  communauté 
de  Sainte- Anne.  Nicolas  Formont,  grand  audiencier  de 
France,  résolut  de  fonder  un  établissement  dans  lequel 
on  apprendrait  aux  pauvres  fdles  de  la  paroisse  Saint- 


296  LES   RUES   DE    PARIS. 

Roch  à  gagner  honorablement  leur  vie,  en  multipliant 
ainsi  en  leur  faveur  les  instructions  religieuses  dans 
le  but  de  les  préserver  des  séductions  si  nombreuses 
dans  les  grandes  villes.  Cette  création,  empreinte  d'un 
si  noble  et  si  touchant  caractère,  date  du  4  mai  1683,  et 
les  lettres  patentes  d'autorisation  accordées  par  le  roi 
sont  du  mois  de  mars  1686.  Cette  œuvre  toute  de  charité 
ne  devait-elle  pas  être  épargnée  par  la  Révolution  qui 
la  supprima  cependant  en  1790;  et  la  maison  de  Sainte- 
Anne  fut  vendue  comme  propriété  nationale. 

Roi- Doré  (rue)  :  Fut  ainsi  appelée  à  cause  d'un  buste 
du  roi  Louis  XIII  qui  se  voyait  à  l'une  des  extrémités  de 
la  rue. 

Rollin  (rue)  :  Charles  Rollin,  né  le  30  janvier  1661,  à 
Paris,  mourut  dans  cette  ville  le  14  septembre  1741.  Fils 
d'un  coutelier,  il  obtint  une  bourse  au  collège  des  Dix-huit 
dont  il  fut  l'un  des  plus  brillants  élèves.  A  peine  âgé  de 
22  ans,  il  remplaçait  Hersan  dans  la  chaire  de  seconde, 
puis  dans  celle  de  rhétorique  et  enfin  dans  la  chaire 
d'éloquence  du  Collège  royal.  Après  dix  années  de  pro- 
fessorat, il  quitta  l'enseignement  pour  se  livrer  tout  en- 
tier à  l'étude.  Le  succès  de  son  Histoire  ancienne,  parue, 
de  1730  à  1738,  dépassa  de  beaucoup  les  espérances  ou 
les  prévisions  de  l'auteur.  Cet  ouvrage  avait  été  précédé 
par  le  Traité  des  Etudes,  publié  en  1736,  et  dont  un  cri- 
tique éminent,  M.  Yillemain,  n'hésitait  pas  à  dire  : 
«  Monument  de  raison  et  de  goût,  livre  l'un  des  mieux 
écrits  dans  notre  langue  après  les  livres  de  génie.  » 

VEistoire  Romaine  de  Rollin,  restée  inachevée,  fut 
terminée  par  Grevier. 

Roquette  (rue  de  la)  :  La  Roquette  est  une  plante  cru- 


R.  297 

cifère  à  tleiirs  jaiiiics  «j[ui  croît  abondamment  dans  les 
lieux  incultes. 

La  prison  de  la  Roquette,  où  furent  enfermés  les 
otages  de  la  Commune,  reste  à  jamais  célèbre  parle 
martyre  de  six  des  plus  illustres  ou  des  plus  vénérables 
d'entre  eux.  Monseigneur  Darboy,  archevêque  de  Paris, 
le  président  Bonjean,  l'abbé  Deguerry,  curé  de  la  Made- 
leine, les  pères  Clerc  et  Ducoudray,  jésuites,  l'abbé 
AUard,  missionnaire. 

Nous  connaissons  par  divers  récits,  comme  par  le 
procès  des  assassins,  les  détails  de  cette  horrible  tra- 
gédie, et  l'on  ne  sait  ce  qu'il  faut  admirer  le  plus,  ou  la 
magnanime  attitude  des  victimes  ou  la  froide  et  imbé- 
cile férocité  des  bourreaux.  Les  Iroquois  et  les  Hurons 
n'auraient  rien  appris  aux  Peaux-Rouges  de  la  Com- 
mune. 

Rossmi{Tue)  :  De  cet  illustre  maestro  dont  la  mort 
récente  a  causé  tant  de  regrets,  Scudo,  critique  si  com- 
pétent mais  sévère  parfois  pour  les  contemporains, 
disait,  il  y  a  quelques  vingt  ans  :  a  C'est  au  milieu  de 
ces  idées  et  de  ces  formes  musicales  sonores,  tendues  et 
un  peu  creuses,  qui  ne  sont  pas  sans  analogie  avec  ce 
que  nous  appelons  en  France  la  littérature  de  l'Empire, 
que  s'éleva  Rossini,  plein  de  jeunesse  et  d'audace,  pre- 
nant son  bien  partout  où  il  le  trouvait  parce  qu'il  savait 
s'approprier  tout  ce  qu'il  dérobait.  Son  œuvre,  aussi 
considérable  que  varié,  se  fait  remarquer  par  l'éclat  de 
l'imagination,  par  l'abondance  et  la  fraîcheur  des  mo- 
tifs, par  la  puissance  des  accompagnements  et  la  nou- 
veauté des  harmonies,  par  la  véhémence^  la  splendeur 
et  la  limpidité  qu'il  donne  au  langage  de  la  passion. 

TOME  III.  17* 


298  LES   RUES   DE   PARIS. 

Géuie  éminemment  italien,  tout  empreint  de  l'esprit 
bruyant  et  sensuel  de  son  époque^  Rossini  rompt  vio- 
lemment avec  les  maîtres  qui  Font  précédé.  Il  débouche 
du  huitième  siècle  comme  d'une  vallée  ombreuse  et 
paisible,  et  s'avance  vers  l'avenir  en  dominateur.  » 

Ailleurs  le  critique  dit  encore,  comparant  l'auteur  de 
Guillaume  Tell  avec  Mozart  :  ((  Homme  de  son  temps  et 
de  son  pays,  pressé  de  vivre  et  de  jouir  des  progrès 
accomplis,  Rossini  flatte  la  foule,  il  marie  l'instrumen- 
tation allemande  à  la  mélodie  italienne  dont  il  déve- 
loppe les  proportions  et  retrempe  la  vigueur.  Il  excelle 
à  peindre  le  choc  des  passions,  l'irradiation  de  la  gaîté 
et  de  la  jeunesse,  les  agitations  infinies  de  la  vie,  mais 
d'une  vie  qui  ne  doit  pas  avoir  de  lendemain.  Jamais  le 
rayon  de  l'invisible  ne  descend  sur  cette  musique  pleine 
de  sang  et  de  lumière  qui  respire  la  volupté.  Le  règne 
de  Rossini  est  de  ce  monde,  tandis  que  Mozart  chante 
l'amour  (]ui^  faute  de  la  terre,  aura  le  ciel  pour  récom- 
pense ^  » 

Roule  (faubourg  du)  :  A  pris  son  nom  de  l'ancien  vil- 
lage de  Roule  que  Paris,  en  s'étend ant,  a  complètement 
absorbé.  Ce  village,  d'après  l'opinion  de  plusieurs 
savants,  aurait  été  le  Criolum  dont  il  est  parlé  dans  la 
vie  de  St-Eloi.  Des  actes  du  XIIP  siècle  nomment  ce 
hameau  Rolas,  Rotulus,  dont  on  fit  Rolle  et  enfin  Roule. 

Roule  (rue  du)  :  Ce  nom  lui  vient  de  l'ancien  fief  du 
Roule  dont  le  chef-lieu  était  situé  à  l'angle  des  rues  du 
Roule  et  des  Fossés  Saint-Germain  l'Auxerrois. 

Rousseau,  (rue  J.  Jacques)  :  Elle  s'appelait  d'abord 

^  Critique  et  littérature  musicales,  par  Scudû. 


R.  299 

rue  Platrière,  à  cause  d'une  fabrique  de  plâtre  qu'on  y 
voyait  au  XÎIP  siècle.  A  une  certaine  époque  de  sa  vie, 
l'auteur  de  la  Nouvelle  Uélohe,  de  VEmile,  et  autres 
livres  fort  goûtés  duXAlIP  siècle,  liabita  un  petit  appar- 
tement au  4*^  étage  de  la  maison  n''  2.  La  municipalité, 
de  Paris,  en  souvenir  de  cette  circonstance,  sur  la  mo- 
tion d'un  de  ses  membres  plus  ou  moins  lettré,  vota 
d'entliousiasme  le  changement  de  nom,  et  la  rue  Plâ- 
trière  s'appela  rue  /.  Jacques  Rousseau  au  lendemain  de 
cette  glorieuse  séance.  (4  mai  1791). 

Rien  n'est  nouveau  sous  le  soleil.  Au  n°  20  de  cette 
même  rue,  était  établie  la  communauté  de  Ste-Agnès, 
fondée,  en  1681,  par  Léonard  de  Lamet,  curé  de  Saint- 
Eustache,  et  qui  avait  pour  but  de  procurer  aux  jeunes 
filles  pauvres  du  quartier  des  moyens  d'existence  en  leur 
apprenant  un  état,  couture,  broderie,  tapisserie,  etc. 
C'était,  à  bien  dire,  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  une 
Ecole  professionnelle,  pour  laquelle  les  dames  de  la 
paroisse  vinrent  à  l'envi  en  aide  au  bon  curé.  Aussi 
moins  de  quatre  années  après,  la  maison  qui,  au  début, 
se  composait  de  trois  sœurs  seulement,  comptait  quinze 
sous-maîtresses  et  plus  de  deux  cents  élèves  ou  appren- 
ties. Confirmé  et  consolidé  par  des  lettres  patentes  du 
roi  Louis  XIV  et  doté  par  Colbert,  sur  sa  fortune  parti- 
culière, d'une  rente  de  oOO  livres,  cet  établissement,  de 
plus  en  p]us  prospère,  rendit  d'immenses  services  à  la 
classe  indigente.  Il  n'en  fut  pas  moins  supprimé  en 
1790,  par  de  prétendus  amis  du  peuple,  et  tous  les  bâti- 
ments se  trouvèrent  confisqués. 

Pour  en  revenir  à  Rousseau,  voici  le  jugement  porté 
sur  lui  par  Joubert  :  «  Une  piété  irreligieuse,  une  sévé- 


300  LES    RUES    DE    PARIS. 

rite  corruptrice,  un  dogmatisme  qui  détruit  toute  auto- 
rité ;  voilà  le  caractère  de  la  philosophie  de  Rousseau. 
Donner  de  l'importance,  du  sérieux,  de  la  hauteur  et 
de  la  dignité  aux  passions,  voilà  ce  que  J.  J.  Rousseau 
a  tenté.  Lisez  ses  livres  :  la  basse  envie  y  parle  avec 
orgueil  ;  l'orgueil  s'y  donne  hardiment  pour  une  vertu  ; 
la  paresse  y  prend  l'attitude  d'une  occupation  philoso- 
phique et  la  grossière  gourmandise  y  est  fière  de  ses 
appétits.  Il  n'y  a  point  d'écrivain  plus  propre  à  rendre 
le  pauvre  superbe.  On  apprend  avec  lui  à  être  mécontent 
de  tout,  hors  de  soi-même.  Il  était  son  Pygmalion.  » 

Rousselet  (rue)  :  S'appelait  au  XVP  siècles  chemin  des 
Vaches,  nom  qui  fut  changé,  vers  1721,  en  celui  de 
Rousselet,  l'un  des  propriétaires  riverains. 

Royer-Coîlard{vi\Q)  :  Pierre-Paul Pioyer-Collard,  homme 
d'état  célèbre  sous  la  restauration,  membre  de  l'Aca- 
démie Française,  était  né  en  1673,  à  Sompuis,  près 
Vitry-le-Français:  il  mourut  à  Paris  le  2  septembre  ISiot 

Rubens  (rue)  :  Pierre-Paul  Rubens,  né  en  1577,  est 
mort  en  1640.  Un  maître  et  un  grand  maître  que  ce  Fla- 
mand, pour  les  jeunes  gens  plus  à  admirer  qu'à 
imiter  et  dont  il  faut  un  peu  se  défier,  mais  pas  au  point 
que  voulait  feu  Ingres  qui  rondement  l'excomunie  en  le 
déclarant  hérétique.  D'ailleurs  quelle  palette  plus  riche 
pour  l'éclat  et  la  fraîcheur  des  tons,  encore  que  la  cou- 
leur de  Pierre  Paul  n'ait  pas  la  solidité  de  celle  du  Titien! 
On  peut  regretter  sans  doute,  dans  ces  pages  étonnantes 
par  l'ampleur  de  la  composition  et  la  vigoureuse  exécu- 
tion, l'abus  de  certaines  formes  qui  pèchent,  même  et 
surtout  chez  les  femmes,  au  point  de  vue  de  l'élégance. 
Mais  pourtant  les  tètes  de  ces  corpulentes  viragos  sont 


I 


s.  301 

rarement  vulgaires  ;  ou  dirait  autant  de  reines.  Puis 
({uelle  vie  dans  ces  personnages  !  Comme  tout  chez  eux 
semble  d'accord,  l'expression  ainsi  que  le  geste  encore 
que  l'un  et  l'autre  se  sentent  de  l'art  décoratif  !  Il  faut 
l'avouer,  malgré  notre  admiration  pour  ce  maître, 
Rubens  est  le  peintre  des  corps  bien  plus  que  des  âmes, 
et  si  la  lumière  ruisselle  à  flots  sur  ses  toiles  étincelantes 
et  met  admirablement  en  relief  les  personnages,  rare- 
ment elle  les  transfis:ure  en  faisant  ravonner  l'àme  à 
travers  la  splendide  enveloppe. 


s 


La  Sablière  (rue  de  la)  :  Madame  de  La  Sablière  fut  la 
généreuse  protectrice  de  La  Fontaine  (1636-1693)  qui 
l'immortalisa  dans  ses  vers  dont  nous  citerons  quelques- 
uns  seulement  : 

Iris,  je  vous  louerais;  il  n'est  que  trop  aisé  : 
Mais  vous  avez  cent  fois  notre  encens  refusé 
En  cela  peu  semblable  au  reste  des  mortelles 
Qui  veulent  tous  les  jours  des  louanges  nouvelles. 

Ce  breuvage  vanté  par  le  peuple  riraeur. 
Le  nectar,  que  l'on  sert  au  maître  du  tonnerre, 
Et  dont  nous  enivrons  tous  les  dieux  de  la  terre, 
C'est  la  louange.  Iris,  vous  ne  la  goûtez  point; 
D'autres  propos  chez  vous  récompensent  ce  point  : 

Propos,  agréables  commerces. 
Oij  le  hasard  fournit  cent  matières  diverses; 

Jusque  là  qu'en  votre  entretien 
La  bagatelle  a  part  :  le  monde  n'en  croit  rien  ^etc.)  '. 

Fables,  livre  X*  :  Discours  à  Madame  de  la  Sablière. 


302  LES    RUES    DE    PARIS. 

Sabot,  (rue  du)  :  Ce  nom  vient  d'une  enseigne.  Dans 
le  terrier  de  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés,  de 
1523,  on  lit  :  «  Maison  rue  du  Four,  faisant  le  coin  de 
la  rue  Copieuse  où  pend  le  Sabot.  »  Le  mot  Sabot  rem- 
plaça celui  de  Copieuse  qui  sait  par  quel  caprice  populaire  ? 
Sablon  (rue  du)  :  Au  temps  de  Sauvai  servait  d'égout: 
«  Elle  est  toute  puante  des  immondices  qu'on  y  jette  de 
la  salle  de  l'Hôtel-Dieu  et  des  maisons  de  la  rue  Neuve- 
Notre-Dame.  Deux  portes  de  bois  treillissées  et  armées 
de  fichons  de  fer  la  ferment  par  les  deux  bouts.  On  les 
fit,  en  i  511,  pour  empêcher  que  la  rue  du  Sablon  ne  ser- 
vit de  retraite  aux  vagabonds  et  aux  voleurs.  » 

A  la  bonne  heure  !  mais  par  l'entassement  des  immon- 
dices qui  y  séjournaient  indéfiniment,  l'impasse  deve- 
nait un  foyer  permanent  d'infection,  ce  qui  ne  valait 
certes  pas  mieux. 

Sandrié  (passage)  :  Ce  nom  lui  vient  d'un  certain 
François- Jérôme  Sandrié,  à  qui  le  terrain  sur  lequel  fut 
ouvert  plus  tard  le  passage,  avait  été  loué  à  bail  emphy- 
téotique par  les  religieux  Mathurins.  La  Révolution 
cassa  le  bail  en  dépossédant  les  propriétaires. 

Santé  (rue  et  boulevard  de  la)  :  Cette  rue  s'appelait 
primitivement  chemin  de  Chantilly.  Ce  nom  fut  changé 
en  celui  de  la  Santé  parce  que  la  voie  conduisait  à  la 
maison  de  Santé  ou  hôpital  fondé  par  la  reine  Anne 
d'Autriche. 

S artine  {rue)  :  Antoine-Raymond-Jean-Guilbert-Ga- 
briel  de  Sartiue  fut  lieutenant-criminel  de  police  à  Paris 
en  1774,  puis  ministre.  Forcé  au  moment  de  la  Révolu- 
tion de  quitter  la  France,  il  mourut  dans  l'exil  à  Tarra- 
gone  (7  septembre  1801). 


s.  303 

Saussaies  (rue  des)  :  S'appelait  d'abord  des  Carriers, 
puis  de  la  Couldraie  des  Saussaies,  en  raison  des  Cou- 
driers^ des  saules  qu'on  voyait  en  grand  nombre  près 
de  cet  emplacement. 

Sauvai  (Tue)  :  Sauvai  (Henri),  reçu  avocat  au  parle- 
ment de  Paris,  abandonna  l'exercice  de  sa  profession  pour 
se  consacrer  aux  études  historiques.  Quoiqu'il  eût  em- 
ployé plus  de  vingt  années  à  ses  recherches  comme  à  la 
rédaction  de  son  grand  ouvrage  :  Histoire  et  Recherches 
des  Antiquités  de  Paris,  3  vol.  in-f°,  ce  livre,  à  sa  mort, 
n'était  pas  entièrement  terminé.  Il  ne  put  être  publié 
qu'en  1724,  par  l'ami  de  Sauvai,  le  conseiller  Rousseau 
qui  avait  pris  soin  de  combler  les  lacunes.  On  regrette 
çà  et  là  quelques  détails  de  mœurs  sur  lesquels  mieux  eût 
valu  glisser,  parfois  aussi  de  la  prolixité  et  des  répéti- 
tions ;  l'auteur  d'ailleurs  fait  preuve  d'érudition  et  de 
sens  critique  ;  assez  souvent  même  il  se  montre  écrivain. 
Scipion  (rue)  :  Ce  nom  lui  fut  donné,  non  pas,  comme 
on  pourrait  le  croire,  en  l'honneur  de  l'illustre  Romain, 
vainqueur  d'Annibal,  mais  à  cause  d'un  certain  Scipion 
Saldini,  gentilhomme  italien,  qui  y  fit  construire  un 
hôtel,  sous  le  règne  de  Henri  HI. 

Scribe  (rue)  :  Eugène  Scribe  (1791-1861),  auteur  dra- 
matique contemporain  des  plus  féconds,  mais  d'ailleurs 
aidé  par  de  nombreux  collaborateurs.  Il  dut  à  des  mé- 
rites réels  quoique  d'un  ordre  inférieur,  une  vogue  pro- 
digieuse; aujourd'hui  son  nom  a  presque  disparu  des 
affiches.  On  peut  critiquer  dans  son  œuvre  souvent  le 
manque  de  style,  le  terre  à  terre  des  idées  et  la  senti- 
mentalité bourgeoise  qui  n'a  pas  peu  contribué,  ce 
semble,  à  l'énervement  des  caractères. 


304  LES    RUES    DE    PARIS. 

Saint- Séveriïij  église  fort  ancienne  dans  la  rue  de  ce 
nom.  ((  Quant  à  Saint-Séverin  dont  saint  Cloud  fut  le 
disciple,  comme  on  n'a  aucune  histoire  de  ce- saint,  tout 
ce  qu'on  sait,  c'est  qu'il  s'enferma  dans  une  cellule  ou 
monastère  dans  les  faubourgs  de  Paris  ;  qu'il  y  vécut 
reclus  pendant  plusieurs  années,  tout  occupé  des  exer- 
cices de  la  contemplation  et  que  sa  haute  piété,  qui 
porta  saint  Cloud  à  se  ranger  sous  sa  discipline,  lui 
mérita  aussi  la  vénération  des  peuples  pendant  sa  vie  et 
après  sa  mort  \  » 

Le  patron  de  l'église  cependant  ne  paraît  point  avoir 
été  le  saint  solitaire,  mais  un  autre  Séverin  qui  fut  abbé 
d'Ayanne  et  dont  la  fête  se  célèbre  le  24  novembre,  jour 
de  sa  mort. 

C'est  dans  le  cimetière  de  cette  église  qu'eut  lieu  la 
première  opération  de  la  pierre,  a  Au  mois  de  jan\der, 
dit  Sainte-Foix,  les  médecins  et  chirurgiens  de  Paris 
représentèrent  à  Louis  XI  que  a  plusieurs  personnes  de 
»  considération  étaient  travaillées  de  la  pierre,  colique, 
»  passion  et  mal  de  côté  ;  qu'il  serait  très-utile  d'exami- 
))  ner  l'endroit  où  s'engendraient  ces  maladies  ;  qu'on  ne 
))  pouvait  mieux  s'éclairer  qu'en  opérant  sur  un  homme 
»  vivant  et  qu'ainsi  ils  demandaient  qu'on  leur  délivrât 
))  un  Franc-A?xher  qui  venait  d'être  condamné  à  être 
))  pendu  pour  vol  et  qui  avait  été  souvent  fort  molesté 
»  des  dits  maux.  )> 

((  On  leur  accorda  leur  demande  et  cette  opération 
qui  est,  je  crois,  la  première  qu'on  ait  faite  pour  la 
pierre,   eut  lieu  publiquement  dans  le  cimetière  de 

'  Félibien  et  Lobineau. 


s.  305 

réglisc  Saiut-Séverin.  «  Après  qu'on  eut  examiné  et 
))  travaillé,  ajoute  la  Chronique,  on  remit  les  entrailles 
»  dans  le  corps  du  dit  Franc- Archer  qui  fut  recousu  et  par 
))  l'ordonnance  du  roi  très-bieu  pansé  ;  et  tellement  qu'en 
))  quinze  jours  il  fut  guéri  et  eut  rémission  de  ses  crimes 
))  sans  dépens  et  il  lui  fut  même  donné  de  l'argent.  » 

Sévigné  {T\ie)  :  C'est  à  madame  de  Sévigné  que  La 
Bruyère,  quoiqu'il  ne  la  nomme  pas,  pensait  sans  doute 
lorsqu'il  écrivait  dans  son  chapitre  des  Ouvrages  de 
l'Esprit  :  «  Je  ne  sais  si  l'on  pourra  jamais  mettre  dans 
des  lettres  plus  d'esprit,  plus  de  tour,  plus  d'agrément, 
et  plus  de  style  que  l'on  en  voit  dans  celles  de  Balzac  et 
Voiture.  Elles  sont  vides  de  sentiments,  qui  n'ont  régné 
que  depuis  leur  temps,  et  qui  doivent  aux  femmes  leur 
naissance.  Ce  sexe  va  plus  loin  que  le  nôtre  dans  ce 
genre  d'écrire.  Elles  trouvent  sous  leur  plume  des  tours 
et  des  expressions  qui  souvent  en  nous  ne  sont  que  l'effet 
d'un  long  travail  et  d'une  pénible  recherche  :  elles  sont 
heureuses  dans  le  choix  des  termes  qu'elles  placent  si 
juste,  que,  tout  connus  qu'ils  sont,  ils  ont  le  charme 
de  la  nouveauté,  et  semblent  être  faits  pour  l'usage  où 
elles  les  mettent.  Il  n'appartient  qu'à  elles  de  faire  lire 
dans  un  seul  mot  tout  un  sentiment,  et  de  rendre  déli- 
catement une  pensée  qui  est  délicate.  Elles  ont  un  en- 
chaînement de  discours  inimitable,  qui  se  suit  naturel- 
lement et  qui  n'est  lié  que  par  le  sens.  Si  les  femmes 
étaient  toujours  correctes,  j'oserais  dire  que  les  lettres 
de  quelques-unes  d'entre  elles  seraient  peut- être  ce  que 
nous  avons  dans  notre  langue  de  mieux  écrit.  » 

Sainte- Avoie  (rue)  :  Reçut  son  nom  d'un  couvent  de 
religieuses  fondé,  sous  ce  titre,  par  saint  Louis  pour  les 


306  LES    RUES   DE    PARIS. 

femmes  infirmes.  «  Ou  nommait  auparavant  ces  reli- 
gieuses Béguines  dit  G.  Brice  parce  qu'elles  suivaient 
quelques  constitutions  données  par  sainte  Bègue  dont  la 
règle  est  fort  connue  dans  les  Pays-Bas.  » 

Sèvres  (rue  de)  :  Ce  nom  vient  du  village  auquel  la 
rue  conduit. 

Sorbonne  (rue  de  la)  :  Elle  doit  son  nom  à  Robert 
dit  de  Sorbon,  d'un  village  près  de  Rhétel  qui  fut  le  lieu 
de  sa  naissance.  Robert  fut  le  fondateur  du  collège  si 
célèbre  depuis  :  ce  Le  benoît  Roi,  dit  le  confesseur  de  la 
»  Reine  Marguerite,  fit  acheter  maisons  qui  sont  en 
))  deux  rues  assises  à  Paris,  devant  le  palais  des  Ther- 
))  mes,  èsquelles  il  fit  faire  maisons  bonnes  et  grandes 
))  pour  ce  que  les  écoliers,  étudiant  à  Paris,  demeuras- 
»  sent  là  toujours.  » 

Richelieu  fit  rebâtir  le  collège  et  l'on  voit  son  tom- 
beau dans  l'église. 

Suger  (rue)  :  Cette  rue  existait  dès  la  seconde  moitié 
du  XIP  siècle  (1179)  et  s'appelait  alors  rue  aux  Sachet- 
tes,  parce  qu'il  s'y  trouvait  une  maison  des  dites  sœurs, 
ainsi  nommées  à  cause  de  leur  costume  composé  d'une 
robe  en  forme  de  sac.  Ces  religieuses  vivaient  d'aumônes 
et  tous  les  matins  elles  se  répandaient  à  cet  effet  dans 
les  rues  de  Paris  : 


Ça  d'j  pain  por  Dieu  aux  Sachesses  ! 
Par  ces  rues  sont  granz  les  presses. 


lit-on  dans  les  Crieries  de  Paris.  Cette  congrégation  sup- 
primée vers  1350,  la  rue  s'appela  des  Deux  Portes,  puis 
du  Cimetière  St-Andrc  des  Arts.  Ce  n'est  que  récem- 


s.  307 

ment,  par  une  ordonnance  du  5  août  18i4,  qu'olle  a 
pris  le  nom  de  Suger,  le  sage  ministre  de  Louis  YI  et 
Louis  YIL 

Sullij  (rue)  :  Maximien  de  Bcthunc,  duc  de  Sully,  le 
lidèle  ministre  et  ami  de  Henri  lY,  naquit  à  llosny 
en  13G0,  et  mourut  à  Yillebon  en  1041.  (Yoir  la  France 
héroïque.) 

Sulpice  (église  Saint)  :  Elle  existait  comme  paroisse 
des  le  commencement  du  XIIP  siècle.  L'église  actuelle 
ne  date  que  du  XYIP  siècle.  Anne  d'Autriche  en  posa 
la  première  pierre  en  16i6,  mais  les  circonstances  con- 
traires llrent  plus  d'une  fois  interrompre  les  travaux,  et 
plusieurs  architectes ,  Christophe  Gamard ,  Louis  le 
Veau,  Daniel  Gittard  et  Gille-Marie  Oppenord  concou- 
rurent à  sa  construction.  Le  portail  tout  entier  est  de 
Servandoni,  qui  l'avait  presque  terminé  en  1745,  lors 
de  la  consécration  solennelle  de  l'église. 

En  1793,  l'église  St-Sulpice  devenait  le  Temple  de  la 
Victoire  ;  et,  sous  le  Directoire,  elle  se  vit  profanée  par 
les  parades  des  Théophilanthropes  dont  la  Reveillère- 
Lépaux  s'était  constitué  le  grand  pontife.  Le  ridicule 
suffit  d'ailleurs  pour  faire  justice  de  ces  sottises. 

Devant  l'église  se  trouve  la  place  St-Sulpice,  ornée 
d'une  fontaine  monumentale  d'un  bel  effet.  A  gauche 
s'élève  le  séminaire  de  St-Sulpice  ^,  qui  a  donné  et 
donne  encore  à  l'église  de  France  tant  de  prêtres  ins- 
truits, zélés,  vertueux  et  saints.  Des  noms  par  centaines 
se  pressent  sous  ma  plume,  je  n'en  citerai  qu'un  seul 

'  11  eut  pour  fondateur  le  vénérable  M.  011er,  curé  de  St-Sulpice, 
dont  il  est  parlé  plus  haut. 


308  LES    RUES   DE    PARIS. 

resté  entre  tous  populaire^,  celui  du  prêtre  intrépide  qui, 
prisonnier  lui-même,  fut  eu  quelque  sorte  l'aumônier 
des  prisons  pendant  la  Terreur,  l'abbé  Emery  dont 
Feller  nous  fait  ce  portrait  admirable  autant  que  fidèle  : 
((  Il  savait  combiner  l'attacbement  aux  règles  avec  les 
tempéraments  que  nécessitaient  les  circonstances.  II 
n'était  point  ami  des  mesures  extrêmes,  et  se  défiait  de 
l'exagération  eu  toutes  choses  ;  quelques-uns  lui  ont 
même  reproché  d'avoir  poussé  trop  loin  la  condescen- 
dance et  la  modération  ;  mais  dans  tout  le  cours  de  la 
Révolution,  il  marcha  constamment  sur  la  même  ligne. 
Il  ne  fut  point  ardent  dans  un  temps,  et  modéré  dans 
un  autre  ;  il  n'allait  pas  chercher  l'orage,  il  l'attendait 
sans  crainte  ;  il  ne  bravait  pas  l'injustice  des  hommes, 
mais  il  ne  s'en  laissait  pas  intimider;  l'intérêt  de  la  reli- 
gion le  guidait  toujours.  Ceux  qui  ne  jugent  que  d'après 
l'impulsion  du  moment  lui  trouvèrent  trop  de  fermeté, 
quand  ils  en  manquaient  eux-mêmes,  ou  trop  de  mol- 
lesse quand  ils  étaient  exaltés  ;  mais  c'étaient  eux  qui 
changeaient.  Pour  lui,  il  fut  toujours  le  même,  sage, 
égal,  mesuré  ;  sachant  céder  lorsqu'il  le  croyait  utile  : 
sachant  aussi  résister  quand  il  le  jugeait  nécessaire  *  » . 


Tombe-hoire ou Isouord{v\\Q à(i\d):  Ce  nom  vient  d'une 
maison  ainsi  appelée  et  située  près  de  l'ancienne  bar- 
rière St- Jacques,  au-dessus  des  carrières  Montrouge. 

'  Feller.  —  Dictionnaire  historique. 


p.  300 

((  Un  puits  fut  creusé  dans  le  petit  enclos  attenant  à 
cette  maison,  et  les  ossements,  enlevés  des  charniers 
des  Halles,  y  furentdescendus  et  déposés  sur  deux  lignes 
parallèles  et  à  six  pieds  de  hauteur.  Des  prêtres  en  sur- 
plis et  chantant  l'office  des  morts  suivaient  les  chariots. 
Lorsque  le  transport  fut  entièrement  achevé,  on  éleva 
un  mur  en  maçonnerie  qui  sépara  ces  nouvelles  cata- 
combes des  autres  parties  des  carrières,  et  l'archevêque 
lui-même  y  descendit  pour  les  bénir.  »  (St-Yictor). 

Turgot  (rue)  :  Turgot,  économiste  distingué  et  minis- 
tre du  roi  Louis  XYI,  né  en  1727,  mourut  en  1781.  «  Il 
n'y  a  que  vous  et  moi  qui  aimions  le  peuple  »  écrivait 
Louis  XYI  à  son  ministre.  Cependant,  peu  longtemps 
après,  cédant  à  de  fatales  influences,  il  remplaçait  Tur- 
got par  le  genevois  Necker  dont  la  fausse  popularité  lui 
faisait  illusion. 

Tait  haut  (rue)  :  M.  Taitbout,  était  greffier  de  la  ville 
à  l'époque  où  la  rue  fut  ouverte  (1775). 

Talma  (rue)  :  Talma,  le  dernier  grand  tragédien  et 
qui  n'a  point  été  remplacé  (17GG-1826). 

Taranne  (rue)  :  Appelée  indifféremment  au  XIY'^  siè- 
cle rue  aux  Vaches,  rue  de  la  Courtille,  rue  Forestier, 
elle  prit  en  1418  le  nom  de  rue  Tarrennes  en  l'honneur 
de  Simon  de  Tarrennes,  échevin  en  1-417.  Taranne  n'est 
qu'une  altération. 

Temple  (rue  du)  :  Elle  doit  son  nom  au  manoir  des 
Templiers  qui  déjà  s'y  voyait  à  la  fin  du  Xir  siècle. 
Dans  ses  vastes  dépendances,  le  manoir  enfermait  tout 
l'espace  compris  entre  le  faubourg  du  Temple  et  la  rue 
de  la  Yerrerie,  en  englobant  partie  du  marais  qu'on 
appelait  la  Culture  du  Temple.  Entouré  de  hautes  et 


310  LES    RUES   DE   PARIS. 

solides  murailles  et  de  fossés  profonds,  le  Temple  était 
une  véritable  forteresse  où  l'Ordre  renfermait  ses  tré- 
sors et  qu'une  milice  nombreuse  et  aguerrie  semblait 
pouvoir  défendre  avec  succès  môme  contre  l'autorité 
royale.  De  là  sans  doute,  la  cupidité  aidant,  les  ombra- 
ges de  Philippe  le  Bel. 

Maintenant  quelques  mots  sur  l'ordre  des  Templiers. 
Guignes  ou  Hugues  des  Païens^  Geoffroi  de  St- Orner  et 
sept  autres  chevaliers  français  le  fondèrent,  en  1 118,  dans 
le  but  de  secourir,  de  soigner  et  de  protéger  les  pèlerins 
sur  les  routes  de  la  Palestine,  devoir  auquel  s'ajouta 
plus  tard  celui  de  défendre  la  religion  chrétienne  et  le 
saint  Sépulcre  contre  les  Sarrazins.  Baudouin  II,  roi  de 
Jérusalem,  donna  aux  chevaliers,  pour  leur  servir 
d'habitation,  un  palais  attenant  à  l'emplacement  de 
l'ancien  Temple,  et  c'est  de  là  que  vint  leur  nom. 
Forcés,  en  1291,  d'abandonner  la  Terre-Sainte  avec 
ses  derniers  défenseurs,  ils  revinrent  en  Europe  et  éta- 
blirent dansl'ile  de  Chypre  le  siège  de  l'Ordre  placé  jus- 
qu'alors à  Jérusalem.  La  même  année,  1291,  fut  élu  le 
dernier  grand  maître  Jacques-Bernard  de  Molai,  qui, 
avec  Guy,  grand  prieur  de  Normandie,  âgé  de  plus  de 
80  ans,  fut  brûlé  vif  (18  mars  1314)  par  l'ordre  de  Phi- 
lippe le  Bel  qu'on  ne  saurait  guère,  dans  toute  cette 
grave  affaire  du  procès  des  Templiers,  excuser  de  pas- 
sion et  de  cruauté.  D'ailleurs,  «  ces  moines  étaient-ils 
innocents  ou  coupables  ?  Cette  question,  sur  laquelle 
aucun  historien  raisonnable  n'a  jamais  osé  rien  affir- 
mer, est  sans  contredit  la  plus  difficile,  la  plus  obscure 
de  toute  l'histoire  moderne,  et  les  ténèbres  qui  la  cou- 
vrent ne  seront  probablement  jamais  éclaircies.  Gepen- 


p.  :mi 

dant  Saintc-Foix,  avoc  son  aiulace  et  sa  légèreté  ordi- 
naires, ne  mancjue  point,  à  l'occasion  du  supplice  de  ces 
deux  personnages,  de  renouveler  en  leur  faveur  ces 
déclamations  si  multipliées  dans  le  siècle  dernier  ;  décla- 
mations dont  le  but  était  moins  de  prouver  l'innocence 
des  Templiers  que  d'insulter,  avec  quelr|ue  apparence 
de  raison,  l'autorité  politique  et  religieuse. 

((....  Ceux  qui  défendent  les  Templiers  ont  souvent 
allégué  en  leur  faveur  l'invraisemblance  des  crimes 
qu'on  leur  reproche  :  «  Est-il  probable,  s'écrient-ils,  que 
»  tant  d'illustres  guerriers,  tant  d'hommes  d'une  si 
))  haute  qualité  fussent  coupables  de  crimes  aussi  atro- 
»  ces,  d'aussi  honteuses  turpitudes?  »  «  Est -il  vraisem- 
»  blable,  pourrait-on  leur  répondre  avec  un  auteur  con- 
»  temporain  (lîaluze),  que  ces  personnages  si  nobles 
»  eussent  jamais  avoué  dételles  infamies  si  l'accusation 
»  n'eut  été  vraie  ?  » 

«  Si  les  apologistes  répliquaient  que  la  torture  leur  ar- 
racha beaucoup  d'aveux,  il  serait  facile  de  donner  la 
preuve  que  la  plupart  d'entre  eux  firent  des  aveux  sans 
qu'on  les  eût  torturés,  de  manière  que  les  deux  opinions, 
offrant  un  égal  degré  de  vraisemblance,  la  question 
n'en  deviendrait  que  plus  embrouillée  et  plus  indécise 
pour  les  esprits  sages  et  non  prévenus.  »  {Si-  Victor.) 

L'ancien  couvent  du  Temple  servit,  comme  on  sait, 
de  prison  au  roi  Louis  XYI  et  à  sa  famille.  C'est  de  la 
que  l'infortuné  monarque  partit  pour  se  rendre  à  la 
place  de  la  Révolution.  Nous  avons  raconté  ailleurs 
{France  héroïque)  la  mort  admirable  du  îloi-martyr. 

Théâtre  (rue  du)  :  A  Grenelle,  Montmartre,  etc.  Quel- 
ques mots  à  ce  sujet  sur  les  origines  de  théâtre  en 


312  LES    RUES    DE    PARIS. 

France  ou  mieux  à  Paris.  Par  lettres  patentes  du 
4  décembre  1402,  Charles  YI  autorisa  les  Confrères  de  la 
Passion  à  ouvrir,  dans  l'hôpital  de  la  Trinité,  un  théâtre 
où  l'on  jouait  des  mystères  et  des  farces  appelées  sotties. 
De  ce  mélange  du  sacré  et  du  profane  résultèrent  des 
abus  qui  firent  fermer  le  théâtre.  Mais  les  confrères  obtin- 
rent, en  1548,  de  le  rouvrir  et  s'installèrent,  rue  Fran- 
çoise, dans  l'hôtel  dit  de  Bourgogne,  parce  qu'il  avait 
appartenu  à  Jean-sans-Peur.  Plus  tard,  ils  cédèrent 
leur  privilège  à  une  troupe  nommée  des  Enfants  sans 
souci  qui  devinrent  les  comédiens  de  l'hôtel  de  Bour- 
gogne. 

En  1659,  deux  nouvelles  troupes  leur  firent  concur- 
rence, celle  de  Molière  qui  était  venue  se  fixer  à  Paris, 
et  celle  du  Marais,  installée  rue  de  la  Poterie,  à  l'hôtel 
d'Argent.  Mais  par  l'ordre  de  Louis  XIV,  quelques 
années  après,  les  trois  troupes  durent  se  réunir  et  ne 
formèrent  qu'une  société  qui  devint  le  Théâtre  Fran- 
çais. L'Opéra,  lui,  fut  constitué  en  1G72,  par  lettres 
patentes  accordées  au  musicien  Lully.  On  connaît  les 
vers  de  Boileau,  un  peu  sévères  peut-être,  à  l'adresse 
du  musicien  : 

Et  touiî  ces  lieux  communs  de  morale  lubrique 
Que  Lully  réchauffa  des  sons  de  sa  musique. 

La  Bruyère  dit  de  son  côté,  à  propos  de  ce  genre  de 
spectacle  alors  tout  nouveau  :  (c  L'on  voit  bien  que 
l'Opéra  est  l'ébauche  d'un  grand  spectacle,  il  en  donne 
l'idée. 

«  Je  ne  sais  pas  comment  l'opéra,  avec  une  musique 


r.  'M'.] 

si  parfaite,  et  une  dépense  toute  royale,  a  pu  réussir  à 
m'ennuyer.  ^^ 

Cet  homme  assurément  n'aime  pas  la  musique. 

aurait  dit  Sosie. 

Pour  la  première  fois  cette  année  (1870),  on  a  vu  tous 
les  théâtres  fermés  à  cause  du  siège  et  la  plupart  même 
se  sont  convertis  eu  amluilances.  Puissent-ils  avoir  ainsi 
racheté  au  moins  en  partie  les  scandales  donnés  par 
certains  d'entre  eux  depuis  quelques  années  surtout  ! 

On  a  remarqué  que,  pendant  la  Terreur  même  et 
sous  la  première  invasion,  les  théâtres  étaient  restés 
ouverts.  Grâce  à  Dieu,  cette  fois,  Paris  en  face  du  dan- 
ger, s'est  montré  digne  et  sérieux,  en  se  préparant  à 
devenir  héroïque. 

Thomas  d'Aquin  (église  St)  :  Elle  fut  construite  par 
les  religieux  de  l'ordre  des  Jacobins  (Dominicains),  éta- 
blis à  Paris  vers  1632.  Les  travaux,  dirigés  par  l'archi- 
tecte Pierre  BuUet,  commencèrent  dès  l'année  1G82, 
mais,  par  le  manque  d'argent,  le  monument  ne  put  être 
terminé  qu'en  1740. 

Le  Musée  et  le  Comité  d'Artillerie  occupent  aujour- 
d'hui les  bâtiments  de  l'ancien  couvent. 

Tiquetonne  (rue)  :  Ce  nom  vient  par  altération  de 
Roger  de  Quiquetonne,  un  riche  boulanger  qui  demeu- 
rait dans  cette  rue  vers  1339. 

Tirechape  (rue)  :  Etait  tout  entière  bâtie  dès  le  com- 
mencement du  XIIP  siècle.  Des  fripiers  surtout,  juifs 
pour  la  plupart,  occupaient  les  petites  boutiques  du  rer 
de-chaussée  et  y  exerçaient  leur  industrie.  Ils  ne  se  con- 

TOME  III.  18 


314  LES   RUES   DE    TARIS. 

tentaient  pas  d'inviter  les  passants  à  entrer  chez  eux, 
mais,  joignant  le  geste  à  la  parole,  ils  les  tiraient  par 
leurs  chapes,  espèces  de  robes,  pour  les  décider.  De  là 
le  nom  de  rue  TirecJiape  donné  à  la  rue  par  nos  ancê- 
tres si  prompts  à  saisir  le  côté  pittoresque  des  choses. 

Croix  du  Tiroir  (rue  de  la)  :  Elle  n'existe  plus,  grâce 
à  l'infatigable  marteau  des  démolisseurs;  il  nous  semble 
utile  néanmoins,  tant  de  gens  ayant  connu  cette  rue 
dont  le  nom  paraît  étrange,  de  lui  consacrer  quelques 
lignes.  Au  milieu  de  la  rue  de  V Arbre-Sec  et  près  de  la 
fontaine  construite  par  l'ordre  de  François  P*",  on  voyait 
anciennement  une  croix  appelée  du  Tiroir,  Trailhoner, 
Traihoir,  Tirauer,  Tyroiier,  Tiroi,  car  l'orthographe  a 
constamment  varié.  On  comprend  ainsi  l'incertitude 
relative  à  l'origine  de  cette  dénomination  sur  laquelle 
les  historiens  ont  des  opinions  différentes  et  assez  va- 
gues. 

Ce  qui  paraît  certain,  c>st  que,  dans  l'année  1636, 
la  Croix,  qui  gênait  la  circulation,  fut  placée  à  l'angle 
du  réservoir  des  eaux  d'Arcueil,  que  le  prévôt  des  mar- 
chands avait  fait  construire  à  l'extrémité  de  la  rue  de 
VArbre-Sec,  du  côté  de  la  rue  St-Honoré.  Cette  place 
était  un  lieu  patibulaire  ou  place  d'exécution  et  ((  Sau- 
vai, dit  St- Victor,  en  a  tiré  cette  conjecture  fort  raison- 
nable que  la  croix  y  avait  été  placée  pour  offrir  une 
dernière  consolation  et  montrer  dans  ces  tristes  mo- 
ments le  signe  du  salut  aux  malheureux  qu'on  y  faisait 
mourir.  » 

Tixeranderie  (rue  de  la)  :  Ce  nom  lui  vient  d'une 
grande  maison  qui  s'y  trouvait  et  des  nombreux  tisse- 
rands qui  autrefois  l'habitaient. 


T.  315 

Tournelles  (rue  des)  :  Elle  fut  ainsi  appelée  de  l'hôtel 
de  ce  nom  qu'avait  fait  bâtir,  sous  le  règne  de  Jean  II 
dit  le  Bon,  Pierre  d'Orgemont,  chancelier  de  France  et 
de  Dauphiné.  Il  appartint,  après  sa  mort,  à  son  fils  qui 
le  vendit  au  duc  de  Berry,  lequel  le  céda  au  duc  d'Or- 
léans. Henri  II  y  étant  mort,  par  l'accident  que  l'on  sait, 
Charles  IX,  à  l'instigation  de  sa  mère  Catherine,  en 
ordonna  la  démolition  et  sur  le  terrain  déblayé  s'ouvrit 
la  Place- Roy  aie,  aujourd'hui  Place  des  Vosges. 

Toiirnon  (rue  de)  :  François  de  Tournon,  archevêque 
et  cardinal,  fut  l'un  des  principaux  conseillers  de  Fran- 
çois I".  Tour  à  tour  ambassadeur  en  Italie,  en  Espagne, 
en  Angleterre,  il  mourut  à  Paris  en  1562. 

Tronchet  (vue)  :  François-Denis  Tronchet  (1726-1806), 
avocat  au  parlement,  s'honora  comme  l'un  des  défen- 
seurs de  Louis  XYI.  Après  le  18  brumaire,  cet  émiuent 
jurisconsulte  prit  une  part  active  à  la  rédaction  du 
Code  Civil. 

Trône  (place  du)  :  Doit  son  nom  à  un  trône  élevé  aux 
frais  de  la  ville  de  Paris  et  sur  lequel  Louis  XIV  et 
Marie-Thérèse  d'Autriche  se  placèrent,  le  26  août  1660, 
pour  recevoir  le  serment  de  fidélité  de  leurs  sujets. 

Les  Tuileries.  A^ers  le  milieu  du  XIV°  siècle,  sur  le 
terrain  dit  de  la  Sahlonnière,  s'élevaient  trois  grandes 
maisons  où  se  fabriquait  la  tuile.  Pendant  le  XV  et  le 
XYP  siècle,  ces  bâtiments  furent  remplacés  par  deux 
hôtels,  appelés  tous  deux  hôtels  des  Tuileries.  Ce  fut  aussi 
le  nom  que  Catherine  de  Médicis  donna  au  palais  qu'elle 
fit  construire  sur  ce  même  terrain  acheté  par  elle.  Les 
architectes  Philibert  Delorme  et  Jean  Brillant  dirigeaient 
les  travaux  interrompus  par  un  caprice  de  Catherine  et 


316  LES   RUES   DE    PARIS. 

repris  plus  tard  par  l'ordre  de  Henri  IV,  mais  sans  doute 
avec  lenteur  ;  car  le  monument  ne  s'acheva  que  sous 
Louis  XIV,  d'après  les  dessins  de  Ducerceau  qui  modifia 
pour  une  bonne  partie  les  plans  de  ses  prédécesseurs.  On 
s'explique  ainsi  la  diversité  d'ornements  et  d'ordon- 
nances dont  se  trouve  composée,  tant  sur  la  façade  du 
jardin  que  sur  celle  du  Carrousel,  la  masse  totale  de 
l'édifice.  De  nouveaux  travaux,  ayant  pour  but  d'atté- 
nuer les  disparates  qui  choquaient  dans  les  construc- 
tions et  de  mettre  plus  d'ensemble  dans  les  parties, 
s'exécutèrent  par  l'ordre  de  Louis  XIV,  sous  la  direction 
des  architectes  Lerau  et  d'Orsay.  Le  palais  fut  dès  lors, 
à  quelques  changements  près,  ce  que  nous  le  voyons 
aujourd'hui.  Le  pavillon  et  la  galerie,  du  côté  de  la  ri- 
vière, viennent,  comme  on  sait,  d'être  reconstruits. 

Le  jardin,  créé  par  un  nommé  Renard,  en  1G30,  sur 
un  terrain  défriché  exprès,  fut  agrandi  considérable- 
ment plus  tard  et  planté  tout  de  nouveau  d'après  les  des- 
sins du  cél ''bre  Le  Nôtre. 

Pas  n'est  besoin  de  dire  que  le  jardin  anglais,  tracé 
devant  le  château,  n'est  pas  de  celui-ci  ;  car  il  y  a  peu 
d'années,  il  n'existait  pas  non  plus  que  les  fossés  pro- 
fonds qui  lui  servent  de  clôture. 

Qui  nous  eût  dit,  quand  nous  écrivions  ces  lignes,  que 
ce  glorieux  monument,  bientôt  ne  serait  plus  qu'une 
lamentabli,'  ruine,  après  être  devenu  la  proie  des  flam- 
mes allumées  par  des  misérables  qui  n'avaient  assuré- 
ment de  Français  que  le  nom  î 

Comme  les  Tuileries  n'ont-ils  pas  incendié  le  palais  du 
quai  d'Orsay,  la  Légion-d'Ilonneur,  l'Hôtel-de -Ville,  le 
Ministère  des  Finances,  le  Palais  de  Justice,  le  Grenier 


T.  317 

irAJ)uii<lauce,  ut  combien  d'autres  édifices,  Torgueil  de 
Paris  comme  de  la  France  ?  Et  assurément,  si  le  temps 
ne  leur  eût  manqué  à  ces  infâmes,  et  que  leur  plan  dans 
son  ensem])le  eût  réussi,  ils  auraient  pareillement  brûlé 
la  Sainte-Chapelle,  Notre-Dame,  le  Louvre,  tontes  nos 
églises,  tous  nos  monuments,  aussi  bien  les  maisons  et 
habitations  du  panvre  que  celles  du  riche.  Ce  Paris  en 
un  mot,  dont  ils  avaient  fait  leur  conquête,  on  sait  com- 
ment, plutôt  que  de  le  rendre,  dans  leur  furieux  déses- 
poir de  se  voir  arracher  ce  magnifique  l)utin,  ils  vou- 
laient tout  entier  le  détruire  !... 

Paris  à  cette  heure,  sans  l'héroïsme  et  l'indomptable 
élan  de  l'armée,  ne  serait  plus  qu'un  immense  monceau 
de  cendres,  une  vaste  nécropole  avec  des  milliers  et  des 
milliers  de  cadavres  enfouis  sous  les  décombres. 

Turenne  (rue)  :  Quel  plus  bel  éloge  et  plus  complet  que 
celui  qui  est  contenu  dans  cette  courte  page  de  Madame 
de  Se  vigne  écrite  à  propos  de  la  mort  du  grand  homme: 

('  Ne  croyez  point,  ma  fille,  que  son  souvenir  soit  déjà 
fini  dans  ce  pays- ci  ;  ce  fleuve  qui  entraîne  tout  n'en- 
traîne pas  sitôt  une  telle  mémoire,  elle  est  consacrée  à 
l'immortalité. 

((  ....  Tous  ne  sauriez  croire  comme  la  douleur  de  sa 
perte  est  profondément  gravée  dans  les  cœurs  :  vous 
n'avez  rien  par  dessus  nous  que  le  soulagement  de  sou- 
pirer tout  haut  et  d'écrire  son  panégynique.  Nous 
remarquions  une  chose,  c'est  que  ce  n'est  pas  depuis  sa 
mort  que  l'on  admire  la  grandeur  de  son  cœur,  l'étendue 
de  ses  lumières  et  l'élévation  de  son  âme  ;  tout  le  monde 
en  était  plein  pendant  sa  vie,  et  vous  pouvez  penser  ce 
que  fait  sa  perte  par  dessus  ce  qu'on  était  déjà  ;  enfin, 

TOME  III.  18* 


318  LES    RUES   DE    PARIS. 

ne  croyez  point  que  cette  mort  soit  ici  comme  celle  des 
autres.  Vous  pouvez  eu  parler  tant  qu'il  vous  plaira  sans 
croire  que  la  dose  de  votre  douleur  l'emporte  sur  la 
nôtre.  Pour  son  àme,  c'est  encore  un  miracle  qui  vient 
de  l'estime  parfaite  qu'on  avait  pour  lui;  il  n'eut 
toml)6  dans  la  tète  d'aucun  dévot  qu'elle  ne  fût  pas  en 
bon  état  :  on  ne  saurait  comprendre  que  le  mal  et  le 
péché  pussent  être  dans  son  cœur  ;  sa  conversion  si 
sincère  nous  a  paru  comme  un  baptême  ;  chacun  conte 
l'innocence  de  ses  mœurs,  la  pureté  de  ses  intentions, 
son  humilité  éloignée  de  toute  sorte  d'affectation,  la 
solide  gloire  dont  il  était  plein,  sans  faste  et  saus  osten- 
tation, aimant  la  vertu  pour  elle-même,  sans  se  soucier 
de  l'approbation  des  hommes,  sa  charité  généreuse  et 
chrétienne.  Yousai-je  dit  comme  il  rhabilla  ce  régiment 
anglais  ?  il  lui  en  coûta  quatorze  mille  francs  et  il  resta 
sans  argent.  Les  Anglais  ont  dit  à  M.  de  Lorges  qu'ils 
achèveraient  de  servir  cette  campagne  pour  venger  la 
mort  de  M.  de  Turenne  ;  mais  qu'après  cela  ils  se  reti- 
reraient, ne  pouvant  obéir  à  d'autres  qu'à  lui.  Il  y  avait 
de  jeunes  soldats  qui  s'impatientaient  un  peu  dans  les 
marais,  où  ils  étaient  dans  l'eau  jusqu'aux  genoux  ;  et 
les  vieux  soldats  leur  disaient  : 

((  Quoi  !  vous  vous  plaignez  ?  on  voit  bien  que  vous  ne 
»  connaissez  pas  M.  de  Turenne  ;  il  est  plus  fàclié  que 
»  nous  quand  nous  sommes  mal  ;  il  ne  songe,  à  l'heure 
»  qu'il  est,  qu'à  nous  tirer  d'ici  ;  il  veille  quand  nous  dor- 
»  mons  ;  c'est  notre  père  :  on  voit  bien  que  vous  êtes 
»  jeunes  »  et  ils  les  rassuraient  ainsi. 

({  Tout  ce  que  je  vous  mande  est  vrai  ;  je  ne  me 
charge  point  des  fadaises  dont  on  croit  faire  plaisir  aux 


u.  :m9 

gens  éloignés  ;  c'est  abuser  d'eux,  et  je  choisis  l>ieu  plus 
ce  que  je  vous  écris,  que  ce  que  je  vous  dirais  si  vous 
étiez  ici.  Je  reviens  à  son  âme  ;  c'est  donc  une  chose  à 
remarquer  que  nul  dévot  ne  s'est  avisé  de  douter  que 
Dieu  ne  l'eût  reçue  à  bras  ouverts,  comme  une  des  plus 
belles  et  des  meilleures  qui  soient  jamais  sorties  de  ses 
mains;  méditez  sur  cette  conliance  générale  de  son 
salut,  et  vous  trouverez  que  c'est  une  espèce  de  miracle 
qui  n'est  que  pour  lui.  Vous  verrez  dans  les  nouvelles 
les  effets  de  cette  grande  perte.  »  (Sévi gué). 

((  La  vie  deTurenne,  a  dit  quelque  part  Montesquieu, 
est  un  hymne  à  la  louange  de  l'humanité.  »  (Voir  pour 
les  détails  la  {Fronce  héroïque). 


u 


i  Iricli  :  Avenue,  ci-devant,  de  V Impératrice.  Le  nom  du 
général  Ulrich  sera  désormais  légendaire.  Il  mérite 
d'être  inscrit  en  lettres  d'or  dans  nos  annales  le  nom  du 
vaillant  soldat  qui  commandait  à  cette  population 
héroïque,  ne  se  résignant  qu'à  regret,  et  faute  de  muni- 
tions et  de  vivres,  à  capituler,  alors  qu'elle  eut  préféré 
s'ensevelir  sous  les  ruines  de  la  cité  glorieuse  et  si 
opiniâtrement  défendue.  Le  siège  de  Strasbourg  est  à 
jamais  mémorable,  et  qui  n'eut  pas  applaudi,  avec  tout 
Paris  ou  mieux  toute  la  France,  à  ci;t  effort  du  patrio- 
tisme qui,  dans  la  défaite  même,  apparait  sublime  et 
nous  offre  un  si  magnifique  exemple  ! 

Université  (rue  de  1')  :  En  1639,  l'Université,  ayant 
aliéné  le  terrain  dit  le  Pré  aux  Clercs,  des  constructions 


3:20  LES   RUES   DE   PARIS. 

s'élevèrent  le  long  de  l'ancien  chemin  des  Treilles,  qui 
prit  le  nom  de  rue  de  V  Université. 

Ursins  (rue  des)  :  Elle  doit  son  nom  à  Jean  Juvénal 
des  Ursins,  le  célèbre  prévôt  des  marchands  sous 
Charles  VI. 

Ursulines  (rue  des)  :  Nom  qui  vient  des  religieuses  de 
cette  observance  établies  autrefois  dans  le  faubourg 
Saint-Jacques,  et  dont  la  fondation  offre  d'intéressants 
détails.  En  1608,  Françoise  de  Bermont  et  Lucrèce  de 
Monte,  appartenant  à  la  congrégation  des  Ursulines 
d'Aix,  vinrent  à  Paris.  D'abord  logées  à  l'hôtel  Saint- 
Jacques,  et  assez  à  l'étroit,  elles  s'occupaient  de  l'édu- 
cation des  jeunes  filles.  Une  dame  de  la  paroisse,  Made- 
leine Leullier,  veuve  du  président  Sainte-Beuve,  per- 
sonne d'une  grande  piété  et  dont  l'intelligence  égalait 
le  cœur,  les  ayant  connues,  fut  touchée  de  leur  zèle  et 
songea  aux  moyens  de  leur  assurer  un  établissement 
stable.  Elle  acheta  un  terrain  près  de  l'hôtel  Saint-André, 
et  fit  bâtir  une  maison  vaste  et  commode  qu'elle  donna 
aux  Ursulines  «  à  la  condition,  disent  les  historiens, 
que  ces  filles,  qui,  jusque-là  étaient  séculières  et  sans 
clôture,  fussent  désormais  religieuses  et  cloîtrées,  et 
qu'outre  les  trois  vœux  ordinaires  de  religion,  elles  en 
fissent  un  quatrième  particulier  de  vaquer  à  l'instruc- 
tion des  jeunes  filles.  »  Elle  passa,  en  outre,  un  contrat 
de  2,000  livres  de  rente  perpétuelle  pour  l'entretien  de 
douze  religieuses. 

La  chapelle  attenant  au  couvent  par  la  suite  devint 
trop  petite  et  la  présidente  Sainte-Beuve  fit  construire 
une  nouvelle  église  terminée  en  1627.  Elle  y  fut  enter- 
rée l'année  suivante  et  jusqu'à  la  Révolution  qui  détrui- 


V.  321 

sit  l'église,  on  y  vit  son  tombeau,  objet  de  vénération 
pour  les  Ursuliues  reconnaissantes  comme  pour  leurs 
élèves. 


V 


]  al- de -Grâce  (église  du)  :  Cette  église  fut  construite 
ou  reconstruite  par  les  ordres  d'Anne  d'Autricbe  qui 
avait  fait  vœu,  si  Dieu  mettait  un  terme  à  sa  longue 
stérilité,  de  lui  bâtir  un  temple  magnifique.  Après 
vingt-deux  ans  d'attente,  la  reine  eut  un  fils  qui  fut 
Louis  XIV.  L'église,  commencée  en  1645,  ne  put,  à 
cause  des  troubles  de  la  Fronde,  être  terminée  qu'en 
1G65.  Les  architectes  du  monument  furent  François 
Mansard,  Jacques  Lemercier,  Pierre  Lemrut  et  Gabriel 
Leduc.  Les  peintures  de  la  coupole  sont  dues  à  Mignard. 

La  communauté  des  religieuses  du  Val-de-Grâce  de 
Notre-Dame  de  la  Crèche,  qui  avait  donné  son  nom  à 
Féglise,  fut  supprimée  en  1790.  Les  bâtiments,  que  les 
sœurs  occupaient,  près  de  l'église,  d'abord  transformés 
en  vastes  magasins,  devinrent,  sous  l'Empire,  l'hôpital 
spécial  des  malades  de  la  garnison. 

Vcdkubert  (place)  :  Le  général  Valhubert,  dont  le  nom 
est  inscrit  sur  l'Arc-de-Triomphe  de  l'Étoile,  fut  tué  à 
Austerlitz.  Ayant  eu  la  jambe  emportée  par  un  boulet, 
il  tomba  de  cheval.  Des  soldats  aussitôt  s'empressent 
pour  le  relever  et  le  porter  à  l'ambulance. 

((  Laissez,  mes  amis,  laissez,  leur  dit  ce  martyr  de  la 
))  discipline  ;  souvenez-vous  de  l'ordre   du   jour    qui 


322  LES   RUES   DE   TARIS. 

»  défend  de  quitter  les  rangs  quoi  qu'il  arrive.  Si  vous 
»  êtes  vainqueurs,  vous  m'enlèverez  du  champ  de  ba- 
))  taille  ;  si  vous  êtes  vaincus,  que  m'importe  un  reste 
»  d'existence  !  »  Puis  il  ajoute  après  quelques  ins- 
))  tants  :  a  Que  n'ai-je  perdu  plutôt  un  bras,  je  pourrais 
»  combattre  encore  avec  vous  et  mourir  pour  mon 
))  pays.  » 

Valhubert  succomba  le  lendemain  à  ses  blessures. 
L'empereur,  par  un  décret,  ordonna  qu'une  des  rues 
nouvelles  de  Paris  porterait  son  nom. 

Vœineau  (rue)  :  Ainsi  nommée,  en  souvenir  de  l'élève 
de  l'École  Polytechnique,  tué  à  l'attaque  de  la  caserne 
de  Babylone  (29  juillet). 

Vaugward  (rue  de)  :  Signifie  vallée  de  Girard.  Girard 
de  Moret,  abbé  de  St- Germain  des  Prés,  avait  fait  bâtir 
dans  cette  rue  une  maison  de  convalescence  pour  les 
malades. 

Vendôme  (place)  :  Ouverte,  par  suite  d'un  arrêt  du 
conseil  de  l'année  1686  et  de  lettres  patentes  du  roi 
(1699),  sur  l'emplacement  'qu'occupait  l'hôtel  Ven- 
dôme démoli  à  cet  effet.  Mansart,  le  célèbre  architecte, 
fut  chargé  des  nouvelles  constructions.  Au  milieu  de  la 
place  s'élevait,  dès  l'année  1799,  une  statue  équestre 
en  bronze  de  Louis  XIV,  qui  fut  renversée  en  1792. 
Elle  se  voyait  à  l'endroit  où  maintenant  se  dresse  la 
Colonne  en  l'honneur  de  la  Grande  Armée. 

Ventadour{v\\ç)  :  Nom  d'une  famille  qui  y  avait  im 
hôtel. 

Verdelet  (rue)  :  Cette  rue  se  nommait  autrefois  rue 
Merderiau,  Merderai  ou  Merderet,  expressions  tant  soit 
peu  rabelaisiennes,  mais  que  nos  pères  eux-mêmes  trou- 


V.  323 

vaient  assez  mal  sonnantes.  Le  mot  fut  a<lonci  par  le 
changement  de  denx  lettres  et,  dès  le  commencement 
du  XYII''  siècle,  la  rue  s'appelait  comme  aujourd'hui  : 
Verdelet. 

\erthois  (rue)  :  Comme  cet  endroit  était,  au  XYP  siè- 
cle, tout  en  marais  et  en  jardins,  il  est  assez  vraisem- 
hle  que  le  nom  de  Verthois  lui  vient  des  arbres  qui 
environnaient  de  ce  côté  l'enclos  du  prieuré  St-Martin 
avant  qu'on  eût  percé  la  rue. 

Verrerie  (rue  de  la)  :  Primitivement  (1386)  de  la  Voi- 
sie,  puis  de  la  Verrerie  sans  doute  à  cause  de  plusieurs 
verreries  qui  s'y  trouvaient. 

Verneidl  {vwQ  de)  :  Doit  son  nom  à  Henri  de  BourJjon, 
duc  de  Verneuil,  abbé  de  Saint- Germain  des  Prés,  qui  la 
fit  ouvrir  en  1640. 

Vertus  (rue  des)  :  Ce  nom  lui  fut  donné  par  antiphrase 
à  cause  de  certaines  dames  ou  demoiselles  qui  l'habi- 
taient et  dont  la  conduite  ne  faisait  point  honneur  au 
sexe. 

Vero-Dodat  (passage)  :  L'un  des  premiers  construits  à 
Paris,  ce  passage  doit  son  nom  au  propriétaire  qui  avait 
fait  une  grande  fortune  dans  la  boutique  de  cliarcuterie 
établie  à  l'angle  de  la  rue  Croix-des-Petits-Champs  et 
de  la  rue  Montesquieu. 

Victoires  (place  des)  :  Elle  fut  construite  par  François, 
vicomte  d'Aubusson,  de  la  Feuillade,  maréchal  de 
France,  qui  fit,  dans  ce  but,  abattre,  en  1684,  une  partie 
de  l'hôtel  de  la  Ferté  qu'il  avait  acheté.  «  Ayant  reçu 
de  la  cour  des  bienfaits  extraordinaires,  il  a  voulu  lais- 
ser à  la  postérité  une  marque  éclatante  de  sa  reconnais- 
sance ))  dit  G.  Brice. 


324  LES    RUES   DE    TARIS. 

Pour  ce  motif,  il  fit  ériger  au  miliou  de  la  place  une 
statue  de  Louis  XIV,  renversée  pendant  la  Révolution 
et  dont  voici  la  description  faite  par  un  contemporain  : 

((  La  statue  est  élevée  sur  un  grand  piédestal  de 
marbre  Idanc  veiné,  de  vingt-deux  pieds  de  hauteur  en 
y  comprenant  un  soubassement  de  marbre  bleuâtre, 
avec  des  corps  avancés  du  même  profil.  Sur  ce  piédestal, 
le  Roi  est  représenté  dans  les  habits  dont  on  se  sert  aux 
cérémonies  du  sacre  à  Reims,  et  que  l'on  conserve  dans 
le  trésor  de  Saint-Denis.  Il  a  un  Cerbère  à  ses  pieds,  et 
la  Victoire  derrière  lui,  montée  sur  un  globe,  qui 
semble  d'une  main  lui  mettre  une  couronne  de  laurier 
sur  la  tète,  et  de  l'autre,  elle  tient  un  faisceau  de  palmes 
et  de  branches  d'olivier  dans  une  attitude  noble  et 
hardie.  Toutes  ces  choses  ensemble  font  un  groupe  de 
treize  pieds  de  hauteur,  d'un  seul  jet,  où  l'on  a  em- 
ployé près  de  trente  milliers  de  métal.  Et  ce  qui  rend 
encore  ce  monument  d'une  apparence  plus  magnifique, 
quoique  bien  des  gens  de  bon  goût  n'en  soient  pas  con- 
tents, c'est  qu'on  l'a  doré  entièrement  pour  le  faire 
paraitre  et  briller  plus  loin.  » 

Sur  le  piédestal  de  la  statue  on  lisait  cette  ins- 
cription : 

VIRO    IMMORTALI. 

Notre- Dame- des-Victoires y  {vmq)  :  Elle  s'appelait  an- 
ciennement le  chemin  Herbu  «  mais,  depuis  qu'une 
enseigne  haute  en  couleur  eût  été  pendue  à  l'une  de  ses 
maisons,  enseigne  où,  sous  le  nom  de  Notre-Dame-des 
Victoires,  la  Vierge  est  représentée,  aussitôt  elle  quitta 
son  premier  nom  pour  celui-ci  »,  dit  un  historien.  On  la 
nomme  aussi  des  Petits  Pères  ou  des  Petits  Augustins  à 


V.  325 

cause  des  Augustiiis  déchaussés  qui  y  avaient  un  cou- 
vent. 

On  sait  que,  depuis  vingt  ou  vingt-cinq  ans,  ce  sanc- 
tuaire est  devenu  un  lieu  de  pèlerinage  des  plus  cé- 
lèbres. Qui  de  nous  n'y  va  pas  de  temps  en  temps  prier? 

]'ictoire  {me  de  la)  :  S'appelait  d'abord  Chantereine, 
nom  qu'elle  échangea  contre  celui  de  la  Victoire  quand 
le  général  Bonaparte,  au  retour  de  la  première  cam- 
pagne d'Italie,  vint  l'habiter. 

Vierge j  (rue  de  la)  :  Ce  nom  vient  d'une  statue  de  la 
sainte  Vierge  qui  se  voyait  à  l'une  des  extrémités  de  la 
rue. 

Vignes  (impasse  des)  :  Ce  nom  lui  fut  donné  parce 
que  les  maisons  s'élevèrent  dans  un  grand  clos  de  vignes 
appartenant  aux  religieuses  de  Sainte- Geneviève. 

Hôtel-de-Ville  (y)  :  En  1357,  le  Prévôt  des  marchands 
et  les  Échevins  de  la  Ville  de  Paris  achetèrent,  au  prix 
de  2,880  livres,  la  Maison  de  Grève,  autrement  la  i/taison 
aux  piliers,  parce  qu'elle  était  soutenue  par  devant  sur 
des  piliers.  Elle  avait  appartenu  aux  deux  derniers  dau- 
phins du  Viennois  ;  Charles  V,  n'étant  que  dauphin,  y 
avait  demeuré,  et  l'avait  donnée  à  Jean  d'Auxerre, 
receveur  des  gabelles,  en  considération  des  ser\'ices  que 
le  dit  Jean  lui  avait  rendus.  Ce  fut  sur  l'emplacement 
de  cette  maison  et  de  plusieurs  autres  qui  l'environ- 
naient que  l'on  commença  à  bâtir  l'Hôtel-de-Ville  en 
1553  ;  il  ne  put  être  achevé  qu'en  1605.  Dans  ces  der- 
niers temps ,  il  a  été  fort  augmenté  et  en  partie  recons- 
truit. 

Pourquoi  maintenant  nous  faut-il  ajouter  :  ce  mo- 
nument si  superbe,  ce  palais  splendide,  il  y  a  si  peu  de 

TOME  ni.  19 


326  LES   RUES   DE    PARIS. 

mois  encore,  iuceudié  comme  tant  d'autres  par  les  sec- 
taires de  la  Commune  ct.lcs  séides  de  l'Internationale, 
n'est  plus  qu'une  ruine,  ruine  imposante  d'ailleurs  et 
que  nous  serions  assez  d'avis  (comme  on  l'a  proposé)  de 
laisser  dans  cet  état  pour  l'enseignement  des  généra- 
tions à  venir.  Mais  de  cet  enseignement,  de  ces  leçons  si 
formidables,  profiteront-elles  quand  sur  les  contempo- 
rains il  semble  que  l'impression  en  ait  été  trop  fugitive  ? 
Quel  miracle  de  la  Providence  faudrait-il  pour  guérir  ce 
malbeureux  peuple  de  la  cécité  comme  de  la  surdité  ? 

Ville-rEvèque  (rue  de  la)  :  Son  nom  lui  vient  du  ter- 
ritoire sur  lequel  elle  est  située  et  qui  appartenait  à 
l'Évèque  et  au  chapitre. 

Léonard  de  Vinci  (rue)  :  Peintre,  poète,  écrivain,  cet 
illustre  Italien  (1459-1519)  est  connu  de  nous  surtout 
par  ses  tableaux  et  ses  dessins  et  aussi  par  une  précieuse 
et  ancienne  copie  de  la  Cène,  cette  fresque  célèbre, 
hélas  !  aujourd'hui  presque  entièrement  effacée.  Le 
portrait  de  la  Joconde  (Monna  Lisa)  une  des  merveilles 
de  l'art,  suffirait,  seul,  à  la  gloire,  du  maître.  Dans 
cette  figure  étrange  on  ne  sait  ce  qu'il  faut  admirer 
davantage  ou  la  finesse  prodigieuse  et  l'intensité  de 
l'expression,  ou  la  touche  si  savamment  dissimulée  et  le 
modelé  qui  tient  du  miracle.  Quel  étonnant  visage  !  et 
la  main  donc,  la  main  ! 

Vivienne  (rue)  :  Elle  a  pris  ce  nom  d'une  famille 
connue  au  XVP  siècle  et  qui  fit  bâtir  les  premières  mai- 
sons de  la  rue.  Louis  Yivien,  seigneur  de  Saint-Marc, 
était  échevin  de  la  ville  de  Paris  en  1599,  sous  la  prévôté 
de  Jacques  Danès. 

7rois-  Visages  (rue  des)  :  «  Le  nom  qu'elle  a  mainte- 


V.  327 

liant,  dit  Sauvai,  vient  de  iroii^  tète^  ou  troiii  visages  de 
pierre  et  tous  trois  de  relief  que  j'ai  vus  autrefois  à 
l'une  de  ses  maisons.  Présentement  il  en  reste  encore 
une.  )) 

Volta  (ruo)  :  Yolta,  physicien  célèbre  par  la  découverte 
de  l'électro-moteur,  naquit  à  Come  en  1745.  Appelé  à 
Paris  en  1801  par  Bonaparte  qui  l'avait  connu  en  Italie, 
il  répéta  devant  l'Académie  des  Sciences  ses  curieuses 
expériences  sur  l'électricité.  Comblé  d'honneur  par  Na- 
poléon I",  fait  sénateur  et  comte,  Yolta  jouit  paisible- 
ment de  sa  gloire  à  laquelle,  dès  lors,  il  parut  peu  sou- 
cieux d'ajouter.  Il  mourut,  octogénaire,  le  6  mars  18:2G. 

Voltaire  (rue  et  quai)  :  Joubert,  dont  feu  Ste-Beuve 
faisait  si  grand  cas  et  qu'il  a  loué  pour  son  goût  exquis 
comme  pour  sa  modération,  n'hésite  pas  à  dire  de  Vol- 
taire :  «  Voltaire  avait  le  jugement  droit,  l'imagination 
riche,  l'esprit  agile,  le  goût  viî  et  le  sens  moral  détruit. 
....  Voltaire  est  l'esprit  le  plus  débauché,  et  ce  qu'il  y  a 
de  pire,  c'est  qu'on  se  débauche  avec  lui.  La  sagesse, 
en  contraignant  son  humeur,  lui  aurait  incontestable- 
ment ùté  la  moitié  de  son  esprit.  Sa  verve  avait  besoin 
de  licence  pour  circuler  en  liberté.  Et  cependant  jamais 
homme  n'eut  l'àme  moins  indépendante.  Triste  condi- 
tion, alternative  déplorable,  de  n'être,  en  observant  les 
bienséances,  qu'un  écrivain  élégant  et  utile,  ou  d'être, 
en  ne  respectant  rien,  un  auteur  charmant  et  funeste. 
Ceux  qui  le  lisent  tous  les  jours  s'imposent  à  eux-mêmes, 
et  d'une  imincible  manière,  la  nécessité  de  l'aimer. 
Mais  ceux  qui,  ne  le  lisant  plus,  observent  de  haut  les 
influences  que  son  esprit  a  répandues,  se  font  un  acte 
d'équité,  une  obligation  rigoureuse  et  un  devoir  de  le  haïr. 


328  LES   RUES   DE    PARIS. 

....  Voltaire  a,  comme  le  singe,  les  mouvements  char- 
mants et  les  traits  hideux.  On  voit  toujours  en  lui,  au 
hout  d'une  hahile  main,  un  laid  visage.  » 

Quand  le  sage  critique  parle  ainsi,  faut-il  s'étonner 
d'entendre  le  poète  satirique  qu'on  vit  : 

Fouetter  d'un  vers  sanglant  les  grands  hommes  du  jour, 
faire  tonner,  lui  victime  infortunée  de  la  secte,  contre 
l'Idole  sou  alexandrin  énergique  ? 

Sous  peine  d'être  un  sot,  nul  plaisant  téméraire 

Ne  rit  de  nos  amis  et  surtout  de  Voltaire. 

On  aurait  beau  montrer  ses  vers  tournés  sans  art, 

D'une  moitié  de  rime  habillés  au  hasard, 

Seuls  et  jetés  par  ligne  exactement  pareille; 

De  leur  chute  uniforme  importunant  l'oreille, 

Ou,  bouffis  de  grands  mots  qui  se  choquent  entre  eux. 

L'un  sur  l'autre  appuyés,  se  traînant  deux  à  deux; 

Et  sa  prose  frivole,  en  pointes  aiguisée, 

Pour  braver  l'harmonie  incessamment  brisée; 

Sa  prose,  sans  mentir^  et  ses  vers  sont  parfaits  ; 

Le  Mercure,  trente  ans,  l'a  juré  par  extraits; 

Qui  pourrait  en  douter  ?  Moi,  cependant  j'avoue 

Que  d'un  rare  savoir  à  bon  droit  on  le  loue  ; 

Que  ses  chefs-d'œuvre  faux,  trompeuses  nouveautés. 

Etonnent  quelquefois  par  d'antiques  beautés  ; 

Que  par  ses  défauts  même  il  peut  encore  séduire. 

Talent  que  peut  absoudre  un  siècle  qui  l'admire  '.  » 

A  propos  du  vers  souligné  par  nous,  on  peut  rappeler 
ce  passage  de  Téminent  critique  déjà  cité  :  a  Mépriser 
et  décrier,  comme  Voltaire,  les  temps  dont  on  parle, 
c'est  ôter  tout  intérêt  à  l'histoire  qu'on  écrit.  )) 

'  Gilbert  :  Mon  Apologie. 


V.  3^20 

}'osges  (place  dos)  :  Autrefois  Place  Roijab',  commen- 
cée en  1604  par  l'ordre  de  Henri  IV,  et  terminée  en 
1612.  Au  milieu  de  la  place  ou  plutôt  du  jardin,  se  voit 
une  statue  équestre  de  Louis  XIII  qui  rappelle  en  partie 
celle  que  le  cardinal  de  Richelieu  fit  ériger,  le  27  sep- 
tembre 1639,  en  l'honneur  du  roi.  «  Elle  était  élevée 
sur  un  piédestal  de  marbre  Ijlanc,  dit  Saint- Victor.  Le 
prince  y  était  représenté  le  casque  en  tète,  vêtu  à  la  ro- 
maine, retenant  d'une  main  la  bride  de  son  cheval  et 
étendant  l'autre  en  signe  de  commandement.  » 

Sur  les  diverses  faces  du  piédestal  ou  lisait  de  longues 
inscriptions  en  français  et  en  latin,  et  entre  autres  un 
curieux  sonnet  de  Desmarets  de  Saint-Sorlin  qui  n'y  fut 
gravé,  il  est  juste  de  le  dire,  qu'après  la  mort  du  roi  et 
de  son  ministre. 

Que  ne  peut  la  vertu  ?  Que  ne  peut  le  courage  ? 
J'ai  dompté  pour  jamais  l'hérésie  et  son  fort  ; 
Du  Tage  impérieux  j'ai  fait  trembler  le  bord. 
Et  du  Rhin  jusqu'à  l'Ebre  accru  son  héritage. 

J'ai  sauvé  par  mon  bras  l'Europe  d'Esclavage  ; 
Et  si  tant  de  travaux  n'eussent  hâté  mon  sort. 
J'eusse  attaqué  l'Asie,  et  d'un  pieux  effort 
J'eusse  du  saint  Tombeau  vengé  le  long  servage. 

Armand,  le  grand  Armand,  l'âme  de  mes  exploits, 
Porta  de  toutes  parts  mes  armes  et  mes  lois, 
Et  donna  tout  l'éclat  aux  rayons  de  ma  gloire. 

Enfin  il  m'éleva  ce  pompeux  monument 

Où,  pour  rendre  à  son  nom  mémoire  pour  mémoire. 

Je  veux  qu'avec  le  mien  il  vive  incessamment. 


330  LES   RUES   DE   PARIS. 

La  grille  qui  entoure  la  place  ne  fut  placée  qu'en 
1685.  On  la  dut  à  la  libéralité  des  propriétaires  des  35 
pavillons  qui  composent  ce  quadrilatère  et  qui  souscri- 
virent chacun  pour  une  somme  de  1,000  livres.  Au  com- 
mencement de  XIX*^  siècle,  Saint-Victor  écrivait  :  ((  Ces 
maisons,  regardées  naguère  comme  les  plus  grandes  et 
les  plus  superbes  de  Paris,  servaient  autrefois  de  de- 
meure à  ce  qu'il  y  avait  de  plus  illustre  à  la  cour  et  à  la 
ville,  elles  sont  aujourd'hui  presque  abandonnées  ainsi 
qu'une  partie  de  celles  qui  les  environnent,  ou  du  moins 
elles  sont  devenues  l'asile  de  la  médiocrité  ou  même  de 
l'indigence.  » 

11  n'en  est  plus  ainsi  maintenant,  et  il  ne  faut  pas  être 
pauvre  pour  habiter  même  l'étage  le  plus  élevé  de  l'un 
de  ces  pavillons. 


w 


Watt  (rue  de)  :  James  de  Watt,  né  à  Greenock  en 
Ecosse,  le  19  juin  1736,  mourut  le  25  août  1819.  «  On 
l'a  surnommé,  dit  un  biographe,  le  Christophe  Colomb 
de  la  mécanique.  » 

Watteau,  (rue)  :  Antoine  Watteau,  né  à  Valenciennes, 
en  1684,  mourut  à  Paris  en  1721.  Le  fameux  connais- 
seur Mariette  a  dit  de  ce  maître  :  «  Quoique  la  vie  de 
Watteau  ait  été  fort  courte,  le  grand  nombre  de  ses  ou- 
vrages pouvait  faire  croire  qu'elle  aurait  été  très-longue, 
au  lieu  qu'il  montre  seulement  qu'il  était  très-laborieux. 
En  effet,  ses  heures  même  de  récréation  et  de  prome- 
nade ne  se  passaient  point  sans  qu'ils  étudiât  la  nature 


z.  331 

et  qu'il  la  dessinât  dans  les  situations  où  elle  lui  parais- 
sait plus  admirable.  » 

La  nature  cependant  qu'il  nous  montre  d'habitude  est 
une  nature  toute  de  convention  ;  Taillasson  a  donc  eu 
raison  de  dire  :  «  Il  a  surtout  bien  saisi  l'esprit  des 
hommes  qui  portaient  ces  costumes,  leur  gaîté  de  comé- 
die, leur  finesse  recherchée,  leur  sensibilité  de  masque  ; 
se  revêtant  d'habits  de  bal,  ils  prenaient  aussi  une  âme 
de  bal;  c'est  cette  âme  que  Watteau  a  parfaitement 
sentie,  n 

Waterloo  (passage)  :  Je  comprends  qu'à  Londres,  une 
rue,  un  passage,  un  pont,  porte  ce  nom  si  pénible  à  des 
oreilles  françaises,  je  ne  le  comprends  pas  à  Paris. 


X 


Xaintroilles  (rue)  :  Bien  placée  entre  la  rue  de  Dominé- 
my  et  la  place  Jeanne  d'Arc, 


z 


Zacharie  (rue)  :  S'appelait  autrefois  sac-à-lie. 
Zouaves  (sentier  des)  :  Conduit  à  Yanves  et ...  à  la 
gloire. 


VARIA 


HOSPICE  DES  ENFANTS  TROUVES 


Nous  voyons  dans  les  historiens  que,  de  toute  ancien- 
neté ((  on  avait  senti  la  nécessité  de  créer  un  asile  poiH* 
ces  pauvres  et  innocentes  victimes.  Ce  fut  encore  l'É- 
glise qui  en  donna  les  premiers  exemples  :  l'Évèque  et 
le  chapitre  de  Notre-Dame  destinèrent  à  cet  usage  une 
maison  située  au  Ijas  du  port  l'Évèque,  et  l'on  mit  dans 
l'église  une  espèce  de  berceau  où  l'on  plaçait  ces  enfants 
pour  exciter  la  pitié  et  la  libéralité  des  fidèles,  coutume 
qui  s'est  conservée  jusqu'aux  temps  qui  ont  précédé  la 
Révolution....  Par  un  arrêt  du  13  août  1552,  le  Parle- 
ment ordonna  que  les  enfants  seraient  mis  à  l'hôpital 
de  la  Trinité,  et  que  les  seigneurs  de  Paris  contribue- 
raient d'une  somme  de  960  livres  par  an,  répartie  entre 
eux  à  proportion  de  l'étendue  de  leur  justice.  »  {Saint- 
Victor.) 

Malgré  ce  sage  règlement,  trop  peu  observé  sans 
doute,  par  suite  de  nouveaux  abus,  la  position  des 
enfants  redevint  des  plus  fâcheuses.  Le  chapitre  de 
Notre-Dame  s'en  émut  et  offrit  derechef  pour  les  rece- 
voir deux  maisons  situées  au  port  St-Landry  et  dans 

TOME  III.  19* 


334  LES    RUES   DE   PARIS. 

lesquelles  ils  furent  transférés  en  1530.  Mais  cet  asile 
même  devint  bientôt  insuffisant,  et  le  nombre  des 
enfants  abandonnés,  s'augmentant  sans  cesse,  beaucoup 
se  trouvaient  dans  un  état  qui  fait  frémir  l'humanité  ; 
«  et  le  détail  qu'en  donne  l'auteur  de  la  Vie  de  S t- Vin- 
cent de  Paul  est  si  horrible  qu'on  serait  tenté  de  le  soup- 
çonner d'exagération.  » 

Ce  qu'on  ne  peut  révoquer  en  doute,  c'est  le  zèle 
admirable  que  déploya  cet  homme  apostolique  pour 
remédier  aux  abus  et  assurer,  par  un  établissement  fixe 
et  durable,  l'avenir  des  pauvres  orphelins.  On  ne  peut 
se  rappeler,  sans  un  attendrissement  profond  les  paroles 
si  naïvement  éloquentes  qu'il  adressait  aux  dames  dont 
il  sollicitait  le  zèle  et  la  charité  en  faveur  de  ces  pauvres 
petits  malheureux. 

((  Or  sus.  Mesdames,  s'écria-t-il,  voyez  si  vous  voulez 
»  délaisser  à  votre  tour  ces  petits  innocents,  dont  vous 
))  êtes  devenues  les  mères  suivant  la  grâce,  après  qu'ils 
»  ont  été  abandonnés  par  leurs  mères  suivant  la  na- 
»  ture.  » 

((  Les  nobles  et  pieuses  Françaises,  dit  St- Victor,  ne 
répondirent  à  ce  discours  que  par  des  sanglots  ;  et  le 
même  jour,  dans  la  même  église,  au  même  instant, 
l'hôpital  des  Enfants-Trouvés  fut  fondé  et  doté.  » 

L'asile  fut  d'abord  établi  dans  une  maison  voisine  de 
la  porte  St- Victor,  puis  dans  le  château  de  Bicêtre  cédé 
à  cet  effet  par  la  reine  Anne  d'Autriche.  Mais  Tair  trop 
vif  qu'on  respirait  dans  une  situation  d'ailleurs  assez 
éloignée  de  la  ville,  parut  nuisible  aux  enfants  ramenés 
dans  l'intérieur,  près  de  St-Lazare.  Puis,  leur  nombre 
augmentant  toujours,  on  fit  choix,    au  faubourg   St- 


HOSPICE   DES   ENFANTS   TROUVÉS.  335 

Antoine,  d'un  local  plus  vaste  avec  ses  dépendances  et 
qui  devint  l'hôpital  définitif.  Une  succursale  avec  cha- 
pelle fut  en  outre  établie,  vers  1672,  vis-à-vis  de  FHôtel- 
Dieu. 

Pour  suffire  aux  dépenses  de  toute  nature,  la  charité 
privée  vint  en  aide  ;  puis  l'hospice  eut  des  revenus  fixes 
provenant  d'une  donation  de  4,000  livres  de  rente  an- 
nuelle faite  par  le  roi  Louis  XIII  et  d'une  autre  dona- 
tion de  8,000  livres  due  à  Louis  XIV.  En  outre,  par  un 
arrêt  du  parlement,  la  taxe  à  payer  par  les  seigneurs 
haut-justiciers  de  Paris  pour  l'entretien  des  enfants 
recueillis  dans  leur  ressort  fut  convertie  en  une  rente 
annuelle  de  15,000  livres  réparties  en  proportion  de 
l'étendue  de  fiefs.  Dans  l'hospice  comme  dans  la  succur- 
sale, les  enfants  étaient  reçus  en  tout  temps,  à  toutes 
les  heures  du  jour  et  de  la  nuit,  sans  questions  et  sans 
formalité,  a  Ces  pauvres  orphelins,  dit  l'historien  déjà 
cité,  confiés  aux  sœurs  de  la  charité,  étaient  élevés  avec 
un  soin  paternel  dans  l'amour  du  travail  et  dans  la 
piété;  et  on  les  y  gardait  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  en 
âge  de  faire  leur  première  communion  et  d'gpprendre 
un  métier.  » 

Cet  état  de  choses  subsista  jusqu'à  la  Révolution.  On 
sait  que  maintenant  l'hospice  des  Enfants-Trouvés, 
c'est-à-dire  assistés,  comme  on  l'appelle  aujourd'hui,  est 
établi  rue  d'Enfer,  74.  Les  bâtiments,  occupés  jadis 
par  la  succursale  place  du  parvia  Notre-Dame,  servent 
de  pharmacie  centrale  pour  tous  les  hospices  de  Paris. 
Dans  une  autre  aile  sont  installés  les  bureaux  de  l'admi- 
nistration de  l'Assistance  publique. 

Lors  des   terribles   événements,   dont  Paris   fut  le 


336  LES   RUES   DE    PARTS. 

théâtre,  dans  les  derniers  jours  de  mai  dernier  (1871), 
riiospice  des  Enfants-Trouvés  de  la  rue  d'Enfer  faillit 
lui  aussi  être  la  proie  des  flammes.  Ici  se  place  tout  na- 
turellement un  admirable  épisode  : 

Les  insurgés  s'étaient  établis  à  l'hospice  des  Enfants- 
Trouvés  de  la  rue  d'Enfer.  Voyant  les  troupes  de  Ver- 
sailles dans  Montrouge,  les  fédérés  allaient  incendier 
l'hospice,  qui  renferme  ordinairement  cinq  cents  en- 
fants, et  qui  contenait  en  plus  une  division  des  Jeunes 
Aveugles  qu'on  y  avait  transportés.  Le  directeur  de 
l'établissement,  M.  Morisot,  avait  dû  se  dérober  par  la 
fuite  aux  menaces  de  mort  des  envahisseurs.  Sa  noble 
femme,  ayant  entendu  l'ordre  de  mettre  le  feu  à  l'hos- 
pice, se  jeta  courageusement  au-devant  du  capitaine 
qui  donnait  cet  ordre  aux  ambulancières  de  la  Com- 
mune ;  elle  le  supplia  avec  larmes  de  ne  pas  commettre 
une  telle  barbarie  et  d'épargner  d'innocentes  victimes 
qui  n'offraient  aucune  résistance  et  n'avaient  ni  armes 
ni  défenseurs.  «  Ce  sont  vos  enfants,  s'écria-t-elle,  les 
enfants  du  peuple  que  vous  vouez  sans  raison  à  la  mort 
la  plus  cruelle  !  »  Ces  généreuses  paroles  émurent  le 
capitaine,  qui  retira  l'ordre  d'incendie. 

Mais  bientôt  il  paya  de  sa  vie  cet  acte  d'humanité  : 
]\jme  jyiorisot  le  vit  fusiller  sur  la  barricade  voisine. 
Effrayée  de  cet  horrible  spectacle  et  voyant  d'ailleurs 
que  la  flamme  qui  consumait  un  couvent  placé  tout 
auprès  menaçait  de  les  envahir,  elle  rassembla  à  la  hâte 
les  sœurs  et  les  employés  de  l'établissement  :  tous  se 
décidèrent  à  fuir.  Une  petite  porte  du  jardin  donnait 
sur  le  boulevard,  encore  au  pouvoir  des  troupes  de  la 
Commune,  et,  pour  le  traverser,  il  fallait  affronter  une; 


HOSPICE    DES    ENFANTS  TROUVÉS.  337 

pluie  de  balles  !  N'importe,  l'armée  française  était  de 
l'autre  côté.  Toute  la  colonie  se  mit  en  marche  pour 
tenter  ce  dangereux  passage.  M"""^  Morisot  marchait  en 
tète,  tenant  de  chaque  main  un  de  ses  propres  enfants  ; 
trois  autres  de  la  maison  se  cramponnaient  par  derrière 
aux  plis  de  sa  robe  ;  les  bonnes  sœurs  portaient  les  in- 
firmes et  les  malades  dont  plusieurs  étaient  atteints  de 
la  petite  vérole.  Venaient  ensuite  les  nourrices  avec 
leurs  nourrissons  suspendus  au  sein  ;  il  y  avait  même 
un  enfant  d'un  jour,  déposé  la  veille  dans  cet  asile  créé 
parla  charité  de  saint  Vincent  de  Paul.  La  colonne  fugi- 
tive, composée  de  huit  cents  personnes,  traversa  lente- 
ment le  boulevard  ;  toutefois  aucune  ne  fut  atteinte  par 
les  projectiles. 

Les  héroïques  soldats  de  l'ordre  pleuraient  attendris 
en  recevant  ces  orphelins,  ces  aveugles,  ces  malades  et 
ces  religieuses  dévouées,  qui  venaient  chercher  un  re- 
fuge dans  leurs  rangs  libérateurs. 


BASTILLE  (PLACE  DE  LA) 


Ce  nom  lui  vient  de  la  forteresse  qui  s'y  élevait  et 
dont  Hugues  Aubriot,  prévôt  de  Paris,  posa  la  pre- 
mière pierre,  le  22  avril  1370.  Elle  servit  pendant 
plusieurs  siècles  de  prison  d'Etat  où  furent  enfermés 
beaucoup  de  personnages  considérables  et  aussi  nombre 
d'inconnus,  des  écrivains  célèbres  comme  des  gazetiers 
anonymes. 

Peu  d'années  avant  la  Révolution,  l'avocat  Linguet 
fut  envoyé  à  la  Bastille  où,  pour  occuper  ses  loisirs,  il 
se  mit  à  rédiger  ses  Mémoires.  Un  matin  qu'il  était  dans 
le  feu  de  la  composition,  la  porte  de  la  chambre  s'ouvre 
et  donne  passage  à  un  personnage  dont  la  figure  lon- 
gue, maigre,  pâLo,  n'était  rien  moins  que  gaie  avec  un 
costume  à  l'avenant. 

—  Qui  êtes-vous  ?  Que  voulez-vous  ?  Pourquoi  venir 
me  déranger  ?  demande  l'avocat  brusquement  et  avec 
un  accent  marqué  de  mauvaise  humeur. 

—  Pardon,  monsieur,  répond  le  nouveau  venu  du 
ton  le  plus  poli,  je  regrette  de  venir  si  mal  à  propos  et 
d'interrompre  votre  travail.  Je  ne  voulais  que  vous  être 
agréable  et  utile  en  me  mettant  à  votre  disposition  ;  je 
suis  le  barbier  de  la  Bastille. 

—  Alors,  c'est  différent,  reprend  Linguet  d'un  air 


BASTILLE   (place    DE    LA).  339 

moins  rogue,  mon  cher,  puisque  vous  êtes  le  barbier  de 
la  Bastille,  faites-moi  le  plaisir  de  la  imser. 

Lors  de  la  démolition  de  la  forteresse^,  qui  eut  lieu  à 
la  suite  du  14  juillet  1789,  la  plus  grande  partie  des 
matériaux  servit  à  la  construction  du  pont  de  la  Con- 
corde, et  ne  pouvait  recevoir  un  plus  utile  emploi. 

On  a  vu,  pendant  de  longues  années,  au  sud-est  de  la 
j^lace,  le  modèle  en  plâtre  d'un  éléphant  colossal,  des- 
tiné à  orner  la  fontaine  projetée  pour  la  place  et  qui 
devait  être  coulé  en  bronze  avec  les  canons  pris  dans  la 
campagne  de  Friedland.  Ce  monument  n'a  point  été 
exécuté,  et  l'on  a  fmi  par  démolir  l'éléphant  où  toute 
une  colonie  de  rats  avait  élu  domicile.  La  place  a  pour 
seul  ornement  aujourd'hui  la  colonne  en  bronze,  érigée 
en  souvenir  des  victimes  de  juillet  1830.  Une  statue  en 
bronze  doré,  de  feu  Dumont,  surmonte  cette  colonne  ; 
elle  représente  le  Génie  de  la  Liberté  tenant  un  flambeau 
d'une  main,  des  fers  brisés  de  l'autre  et  agitant  ses 
ailes. 

Cette  statue  dansante  est  d'un  effet  médiocre  et  l'allé- 
gorie de  tout  point  fausse  et  menteuse  ;  car  l'histoire 
impartiale  aujourd'hui  sait  reconnaître  que  la  Restau- 
ration fut  une  ère  de  vraie  liberté  au  dedans  comme  de 
glorieuse  indépendance  au  dehors.  Nul  n'ignore^  par 
exemple,  la  fière  attitude  de  notre  diplomatie  vis-à-vis 
de  l'Angleterre,  lors  de  l'expédition  d'Alger. 


L'EGLISE  DES  CARMES 


CE   QUI   SE   PASSAIT   AUX    CARMES   LE    2    SEPTEMBRE    1792. 

Le  lendemain  du  10  août  1792,  commencèrent  les 
arrestations  des  prêtres  qui  avaient  refusé  le  serment. 
Dès  le  a,  cinquante  étaient  arrêtés  et  amenés  au  co- 
mité de  la  section  du  Luxembourg  ;  de  là,  ils  furent 
transférés,  vers  dix  heures  du  soir,  dans  le  couvent  des 
Carmes- Déchaux  d'où  les  religieux  avaient  été  chassés. 

Les  jours  suivants,  après  des  perquisitions  faites  dans 
les  rues  de  Yaugirard,  Cassette  et  des  Fossoyeurs  (Ser- 
vandoni),  principalement  habitées  par  des  ecclésiasti- 
ques, beaucoup  de  prêtres  encore  furent  arrêtés  et  con- 
duits aux  Carmes.  Entre  eux  se  trouvait  Monseigneur 
Dulau,  archevêque  d'Arles.  Des  visites  eurent  lieu 
ensuite  dans  la  banlieue,  notamment  dans  les  séminai- 
res d'Issy  et  de  Yaugirard,  et  d'autres  prisonniers  vin- 
rent rejoindre  les  premiers.  Par  suite  de  ces  arrestations 
successives,  au  bout  d'une  semaine,  le  nombre  des  prê- 
tres incarcérés  s'élevait  à  plus  de  cent  cinquante. 

Les  premiers  jours,  ils  eurent  beaucoup  à  souffrir, 
manquant  des  choses  les  plus  nécessaires,  n'ayant  pour 


l'église  des  carmes.  341 

lit  qu'une  chaise  ou  même  le  pavé  mi  de  l'église,  «  jus- 
qu'à ce  qu'enfin,  dit  l'abbé  Barruel,  les  fidèles  eurent  la 
permission  de  leur  porter  les  objets  de  première  néces- 
sité... Aussitôt  on  les  vit  apporter  à  l'envi  dans  l'église 
des  Carmes  des  lits  et  du  linge  et  une  abondante  nour- 
riture. 

«...  Dès  lors,  on  eût  pris  le  lieu  qui  renfermait  les 
prisonniers  pour  une  véritable  catacombe  des  anciens 
jours.  Qu'on  se  représente  une  église  d'une  grandeur 
très-médiocre  et,  dans  tout  son  contour,  sur  le  pavé  de 
la  nef,  même  sur  celui  des  chapelles,  jusque  sur  le  mar- 
chepied des  autels,  des  matelas  serrés  les  uns  contre  les 
autres.  C'était  là  qu'ils  dormaient  plus  tranquillement 
que  leurs  persécuteurs  ne  le  firent  jamais  sur  le  duvet. 
Quand  l'aurore  venait  leur  annoncer  un  nouveau  jour, 
le  cœur  élevé  vers  le  ciel,  ils  fléchissaient  ensemble  les 
genoux  I  ils  adoraient  ce  Dieu  qui  les  avait  choisis  pour 
lui  rendre  témoignage  ;  ils  le  remerciaient  de  la  force 
céleste  dont  il  les  animait  ;  la  seule  grâce  qu'ils  deman- 
daient encore  était  de  le  confesser  jusqu'à  la  fîn^..  » 

Et  cependant  voici,  d'après  le  récit  d'un  prisonnier, 
ce  qu'était  cette  prison  :  ((  L'air  était  entièrement  cor- 
rompu... Pendant  notre  courte  absence,  on  brûlait  des 
herbes  fortes  et  des  liqueurs  spiritueuses  qui  rendaient 
l'air  moins  contagieux,  mais  non  moins  désagréable. 
Quel  moyen  de  purifier  parfaitement  un  air  méphitisé 
par  la  respiration  de  cent  vingt  personnes,  dont  une 
grande  partie  étaient  des  vieillards  infirmes  et  couverts 
de  plaies,  et  qui  n'avaient  pas  même  d'endroits  assez 

*  Barruel  :  Histoire  du  Clergé  pendant  la  Révolution. 


342  LES   RUES   DE    PARIS. 

séparés  pour  les  plus  pressants  besoins.  Cette  contagion 
devint  insupportable  dans  les  derniers  jours,  où  notre 
nombre  monta  jusqu'à  cent  soixante  et  un.  Il  n'y  avait 
plus  d'espace  suffisant  pour  que  chacun  pût  se  placer. 
Une  partie  étaient  obligés  de  rester  sur  les  lits  des  an- 
ciens qui  restaient  toujours  tendus  autour  de  la  prison. 
Les  jeunes  ne  plaçaient  les  leurs  que  le  soir  après  le 
dernier  rappel.  La  prison  était  tellement  garnie  de  ma- 
telas qu'il  restait  à  peine  une  voie  étroite  pour  que  les 
sentinelles  pussent  se  promener  parmi  nous  et  remplir 
leur  consigne  ^  » 

Les  prisonniers  avaient  aussi  beaucoup  à  soufifrir 
parfois  de  leurs  gardes,  soldatesque  brutale  et  fanati- 
quement révolutionnaire.  Monseigneur  l'archevêque 
d'Arles  en  particulier  était  l'objet  de  leurs  dérisions  et 
de  leurs  insultes,  à  ce  point  qu'un  jour  l'un  de  ces  mi- 
sérables ^int  s'asseoir  auprès  du  vénérable  prélat,  et, 
après  l'avoir  outragé  par  les  plus  grossières  invectives, 
furieux  de  lui  voir  toujours  la  même  et  radieuse  séré- 
nité, il  lui  lança  en  plein  visage  la  fumée  de  sa  pipe. 
Le  prélat  se  contenta  de  détourner  doucement  la  tête, 
et  sur  son  visage  on  ne  vit  pas  d'autre  expression  que 
celle  de  la  résignation  touchante  mêlée  de  commiséra- 
tion. 

Messeigneurs  les  évêques  de  Beauvais  et  de  Saintes 
se  trouvaient  aussi  parmi  les  prisonniers.  «  Lorsqu'ils 
arrivèrent,  dit  un  témoin  oculaire,  un  grand  nombre  de 
nous  se  levèrent  pour  les  recevoir  au  milieu  de  la  nuit... 

•  Extrait  d'une  lettre  intéressante  de  l'abbé  Frontault,  l'un  des 
prêtres  échappés  au  massacre,  et  publiée  tout  récemment  dans  les 
Études  religieuses^  historiques  et  littéraires  (Décembre  1867). 


l'église  des  carmes.  343 

Il  y  eut  un  combat  entre  notre  dévouement  à  leurs 
Grandeurs  et  leur  zèle  à  refuser  toute  distinction.  Ils 
voulaient  être  parmi  nous  comme  nos  frères  et  nos 
égaux,  nous  voulûmes  les  honorer  comme  nos  pères  et 
nos  modèles  I  » 

Cependant  au  dehors  l'agitation  allait  grandissant  et 
prenait  pour  les  prisonniers  un  caractère  de  plus  en 
plus  menaçant.  On  savait  que  les  Prussiens  avaient  in- 
vesti Verdun  et  des  rumeurs  sinistres  commençaient  à 
circuler  à  cette  occasion  dans  le  peuple,  ou  mieux  la 
populace  abusée  par  d'odieux  calculs,  fanatisée  par  de 
détestables  menées  la  surexcitant  dans  le  sens  de  ses 
mauvaises  passions.  Le  1"  septembre,  au  comité  de 
défense  générale,  on  entendait  Danton  s'écrier  :  <(  Mon 
))  avis  est  que,  pour  déconcerter  les  mesures  de  nos  ad- 
))  versaires  et  arrêter  l'ennemi,  il  faut  faire  'peur  aux 
»  royalistes  (ou  alliés).  Oui,  vous  dis-je,  leur  faire  peur.  )> 

Il  tint  le  même  langage  à  la  Commune,,  et  ce  fut 
comme  le  mot  d'ordre  auquel  d'autres  firent  éclio,  et 
qui  fut  répété  partout  ailleurs,  avec  ou  sans  commen- 
taires. Mamtenant,  laissons  la  parole  à  l'historien  le 
plus  récent  et  le  mieux  informé,  à  ce  qu'il  semble,  de 
cette  terrible  époque.  Nous  nous  réservons  d'ailleurs  de 
compléter  par  quelques  épisodes  le  récit  dramatique  et 
rapide  de  M.  Mortimer-Ternsmx,  forcé  d'être  court  et 
de  résumer. 

((  ...  A  peine  le  massacre  des  prêtres  amenés  de  la 
mairie  est-il  achevé  qu'une  voix  se  fait  entendre  :  — 
Il  n'y  a  plus  rien  à  faire  ici,  allons  aux  Carmes  !  C'était 
là  qu'étaient  enfermés  les  principaux  ecclésiastiques 
mis  en  arrestation  par  le  comité  de  surveillance. 


344  LES    RUES   DE    PARIS. 

»  Le  matin,  le  démagogue  Joachim  Ceyrat,  depuis  le 
10  août,  juge  de  paix  et  président  de  la  section  du 
Luxembourg,  était  venu  faire  l'appel  nominal  des  pri- 
sonniers, renfermés  au  nombre  de  150  environ  aux 
Carmes  de  la  rue  de  Vaugirard.  Après  cet  appel,  ils 
avaient  été  tous  réunis  dans  le  jardin  de  l'ancien  cou- 
vent. C'est  là  que  les  trouvent  les  assassins. 

((  Le  premier  qu'ils  rencontrent  est  l'abbé  Girault,  si 
profondément  occupé  à  lire  qu'il  ne  les  a  pas  entendus 
entrer.  Ils  l'écharpent  à  coups  de  sabre.  Puis,  frappant 
de  droite  et  de  gauche  tous  ceux  qui  se  trouvent  à  leur 
portée,  ils  se  précipitent  vers  l'oratoire  placé  au  fond  du 
jardin,  demandant  à  grands  cris  l'archevêque  d'Arles. 
Celui-ci  s'avance  à  leur  rencontre,  écartant  ceux  de  ses 
compagnons  qui  veulent  le  retenir. 

((  —  Laissez-moi  passer,  leur  dit-il  ;  puisse  mon  sang 
les  apaiser  I 

({  —  C'est  donc  toi,  vieux  coquin,  qui  es  Tarchevêque 
d'Arles  ?  dit  l'un  des  chefs  des  assassins. 

«  —  Oui,  messieurs,  c'est  moi,  répond  le  prélat. 

«  —  C'est  toi  qui  as  fait  verser  le  sang  de  tant  de  pa- 
triotes à  Arles  ? 

((  —  Je  n'ai  jamais  fait  de  mal  à  qui  que  ce  soit. 

«  —  Eh  bien  !  moi,  je  vais  t'en  faire,  réplique  le  mi- 
sérable ;  et  il  assène  un  coup  de  sabre  sur  le  front  de 
l'archevêque.  L'infortuné  en  reçoit  un  second  sur  le  vi- 
sage, puis  un  troisième  et  un  quatrième.  Étendu  sur  le 
sol,  il  est  achevé  d'un  coup  de  pique. 

((  Des  coups  de  fusil,  tirés  à  bout  portant  sur  les 
groupes  voisins,  abattent  un  grand  nombre  de  prêtres. 
Une  poursuite  furieuse  commence  dans  le  jardin,  d'ar- 


l'église  des  carmes.  345 

bre  eu  arbre,  de  buisson  eu  buissou.  Traqués  comme  des 
bètes  fauves,  un  grand  nombre  d'ecclésiastiques  tombent 
sous  les  balles  des  assassins.  Quelques-uns  cependant 
parviennent  à  s'écbapper  en  escaladant  les  murs,  et 
trouvent  un  refuge  dans  les  cours  et  maisons  du  voisi- 
nage. 

((  Mais  bientôt  les  assassins  voient  que  cette  chasse  au 
prêtre  n'est  pas  le  meilleur  moyen  d'avancer  la  besogne 
dont  ils  sont  chargés.  Les  chefs  donnent  l'ordre  de  ras- 
sembler tous  les  prisonniers  dans  l'église  ;  on  y  apporte 
jusqu'aux  blessés.  Un  commissaire  de  la  section  du 
Luxembourg,  porteur  de  la  liste  dressée  quelques  heures 
auparavant  par  Ceyrat,  procède  à  l'appel  nominal.  On 
force  chaque  prêtre  dont  le  nom  est  prononcé,  à  des- 
cendre l'escalier  qui  conduit  au  jardin  :  sur  les  dernières 
marches,  les  assassins  les  attendent  et  les  tuent. 

((  Après  l'archevêque  d'Arles,  les  principaux  ecclésias- 
tiques renfermées  aux  Carmes  étaient  deux  frères  du 
nom  de  Larochefoucauld,  l'un  évêque  de  Saintes,  l'autre 
évêque  de  Beauvais.  Ce  dernier  avait  eu  la  cuisse  cassée 
par  une  balle  à  la  première  décharge  faite  dans  le  jardin 
et  avait  été  transporté  dans  l'église  où  il  gisait  sur  un 
mauvais  matelas.  L'évêque  de  Saintes  n'avait  pas  quitté 
son  frère  ;  on  l'appelle,  il  donne  un  dernier  baiser  au 
blessé  et  va  courageusement  à  une  mort  qui  rachètera, 
il  l'espère  du  moins,  la  vie  de  celui  qu'il  laisse  mourant. 

((  Mais  à  peine  l'évêque  de  Saintes  a-t-il  succombé 
sous  le  fer  des  assassins  qu'on  appelle  l'évêque  de  Beau- 
vais. Le  malheureux  prélat  se  soulève  sur  sou  lit  de  dou- 
leur et  dit  aux  sicaires  qui  l'entourent  : 

((  —  Je  ne  refuse  pas  d'aller  mourir  comme  les 


346  LES   RUES    DE    PARIS. 

autres,  mais,  vous  voyez,  je  ne  puis  marcher;  ayez,  je 
vous  prie,  la  charité  de  me  soutenir  et  d'aider  vous- 
mêmes  à  me  porter  où  vous  voulez  que  j'aille. 

«  On  satisfait  à  son  désir,  on  le  porte  à  la  place  même 
où  vient  d'être  assassiné  l'évêque  de  Saintes  ;  on  le  jette 
tout  sanglant  sur  le  cadavre  de  son  frère  qu'il  étreinteu 
expirant. 

((  A  quelques  pas  de  là,  dans  l'église  de  Saint-Sulpice, 
siégeait  l'assemblée  de  la  section  du  Luxembourg,  sous 
la  présidence  de  Joachim  Ceyrat.  L'égorgement  durait 
encore,  quand  plusieurs  citoyens  viennent  demander 
aide  et  assistance  pour  les  victimes  et  s'offrent  à  arrêter 
l'eifasion  du  sang. 

({  Mais  Geyrat  répond  :  —  Nous  avons  bien  d'autres 
clioses  à  penser,  il  faut  laisser  faire  ;  d'ailleurs,  tous  ceux 
qui  sont  aux  Carmes  sont  coupables.  (Coupables  I  et  de 
quoi  !)  Un  des  commandants  de  la  force  armée  de  la 
section  *  ne  se  paie  cependant  pas  de  cette  réponse,  ras- 
semble une  centaine  de  gardes  nationaux  et  se  dirige 
avec  eux  vers  la  rue  de  Vaugirard.  Mais  il  était  trop 
tard  ;  quand  ils  arrivèrent  tout  était  consommé  ^.  » 

Maintenant,  quelques  épisodes.  Dans  l'oratoire,  où 
plusieurs  de  ses  confrères  s'étaient  réfugiés,  un  prêtre  se 
précipite  en  criant  : 

—  Voici  les  Marseillais  I 

—  Messieurs,  dit  alors  l'abbé  Després,  nous  ne  pou- 
vons être  mieux  qu'au  pied  de  la  croix  pour  faire  à  Dieu 
le  sacrifice  de  notre  vie. 


*  il  se  nommait  Tanche. 

^  Mortimer-Ternaux.  —  Histoire  de  la  Terreur,  t.  III. 


l'église  des  carmes.  347 

A  ces  mots  tous  se  mettent  à  genoux  et  se  donnent 
mutuellement  l'absolution.  «  Ce  fut  dans  cette  position 
que  les  assassins  les  trouvèrent,  dit  M.  Sorel.  Que  se 
passa-t-il  alors  ?  Dieu  seul  le  sait  !  Mais  le  nombre  des 
cadavres  qui  jonchèrent  le  sol,  le  sang  qui  ruissela  par- 
tout  le  long  des  murs,  prouvèrent  suffisamment  avec 
quelle  rage  ces  malheureux  sans  défense  avaient  été 
assaillis  ^  » 

....  Quand  vint  le  tour  de  l'abbé  Galais  (lors  du  mas- 
sacre dans  l'église),  celui  qui,  depuis  deux  jours,  s'était 
fait  l'économe  des  autres  détenus  et  n'avait  pas  eu  le 
temps  de  régler  ses  comptes,  il  prit  sou  portefeuille  et 
s'adressant  au  commissaire  Violette  : 

—  Monsieur,  lui  dit-il,  je  n'ai  pu  voir  le  traiteur  pour 
lui  solder  notre  dépense.  Je  ne  crois  pas  pouvoir  dépo- 
ser en  des  mains  plus  sûres  ce  que  nous  lui  devons.  Je 
vous  prie  donc  de  lui  remettre  ces  325  livres  '. 

Puis  il  ajouta  :  — Je  suis  trop  éloigné  de  ma  famille, 
et  d'ailleurs  elle  n'a  pas  besoin  de  moi.  Voici  mon  por- 
tefeuille et  ma  montre,  veuillez  en  consacrer  la  valeur 
au  soulagement  des  pauvres. 

Le  seul  laïque,  avait-on  écrit,  qui  se  trouvât  parmi  les 
prêtres,  était  M.  Régis  de  Valfons,  arrêté  avec  l'abbé 
Guillaume,  prêtre  de  St-Roch,  son  confesseur  et  son 
ami.  On  l'engageait  à  décliner  ses  qualités  qui  pou- 
vaient le  sauver  peut-être  ;  il  s'y  refusa,  répondant  aux 
bourreaux  qu'il  n'avait  d'autre  profession  que  celle  de 

'  Sorel.  —  Le  Couvent  des  Carmes  et  l'ancien  séminaire  de  St- 
Sidpice. 

^  Le  sieur  Violette,  parait-il,  peu  digne  de  cette  confiance,  ne  remit 
rien  au  pauvre  traiteur. 


348  LES   RUES   DE   PARIS. 

catholique  romain,  et  demandant  pour  toute  grâce  de 
mourir  à  côté  du  saint  prêtre  auquel  il  devait  les  senti- 
ments dont  il  était  pénétré. 

Mais  M.  de  Valfons  n'était  pas  le  seullaique  mêlé  aux 
prisonniers.  Le  document  dont  nous  avons  déjà  parlé 
nous  en  fait  connaître  un  autre  plus  intéressant  encore 
peut-être,  le  jeune  Dereste.  a  Furieux  que  le  père,  écri- 
vain royaliste,  leur  eût  échappé,  les  factieux  firent  tom- 
ber sur  le  fils,  âgé  de  quinze  ans,  les  coups  qu'ils  vou- 
laient lui  porter.  Mais  le  fils  se  montra  digne  du  père... 
En  proscrivant  la  vertu^  les  impies  en  firent  paraître 
une  nouvelle.  —  Je  suis  bien  aise  d'être  ici,  répétait  le 
généreux  enfant,  puisque  j'y  suis  dans  la  place  de  mon 
papa.  )) 

La  mort  de  l'évêque  de  Beauvais  mit  fin  au  massacre 
général,  après  lequel  la  plupart  des  meurtriers,  Maillard 
à  leur  tête,  retournèrent  à  l'Abbaye,  en  chantant  on 
plutôt  hurlant  des  refrains  révolutionnaires.  Les  autres 
assassins  restèrent  dans  l'église  ou  dans  les  salles  à 
boire,  avec  les  individus  du  poste,  le  vin  que  le  traiteur 
voisin  avait  été  forcé  de  livrer  pendant  le  massacre,  et 
qui  probablement  ne  lui  fut  jamais  payé. 

Vers  neuf  heures,  ceux  qui  se  trouvaient  dans  l'église 
entendirent  un  léger  bruit  venant  d'une  chapelle  laté- 
rale. Aussitôt,  comme  les  bêtes  de  proie  quand  elles 
flairent  une  piste,  ils  dressent  l'oreille,  et,  armés  de 
flambeaux,  se  hâtent  d'accourir.  Là,  ils  aperçoivent  le 
pauvre  abbé  Dubray  qui,  caché  jusqu'alors  entre  deux 
matelas,  mais  près  de  sufloquer,  s'était  vu  forcé  de  faire 
un  mouvement  pour  respirer.  Des  hurlements  de  joie 
saluent  cette  découverte.  On  arrache  l'infortuné  prêtre 


l'église  des  carmes.  3i9 

(le  son  asile  et  on  le  traîne  au  milieu  du  sanctuaire  où 
un  coup  de  sabre  lui  fend  le  crâne.  Ce  fut  la  dernière 
victime. 

Le  nombre  total  des  prêtres,  massacrés  aux  Carmes 
seulement,  est  évalué  à  113  ou  120.  Il  n'a  pu  être  abso- 
lument fixé,  parce  qu'un  certain  nombre  de  prison- 
niers écbappèrent,  les  uns ,  grâce  à  l'intervention 
d'amis  puissants,  qui  les  avaient  fait  sortir  à  l'avance  ; 
d'autres  moins  nombreux  se  sauvèrent  en  escaladant  les 
murs  du  jardin.  De  ces  derniers  fut  l'abbé  Frontault, 
comme  lui-même  le  raconte  :  «  Les  tambours  qui  bat- 
taient la  générale,  le  son  du  tocsin,  le  bruit  du  canon 
d'alarme,  nous  annoncèrent  bientôt  que  le  peuple  était 
en  fureur,  qu'il  demandait  des  victimes,  et  que  nous 
étions  celles  qu'on  lui  destinait.  La  tranquillité  de  la 
prison  n'en  fut  pas  troublée  un  moment.  Chacun  rentra 
dans  son  cœur,  rappela  sa  foi,  demanda  la  grâce  de  Dieu, 
lui  offrit  sa  vie  et  continua  en  paix  ses  exercices.  La 
récréation  après  le  repas  ne  se  ressentit  pas  de  la  froi- 
deur de  la  mort  qui  s'avançait.  La  même  gaieté  et  la 
même  sérénité  régnèrent  dans  la  conversation. 

((  ....  Vers  quatre  heures  du  soir,  un  bruit  épouvan- 
table, des  hurlements  furieux,  tels  que  les  pousseraient 
des  tigres  affamés,  pénétrèrent  tout  à  coup  dans  notre 
enceinte.  La  nature  parla  un  moment  :  des  cris  de  : 
nous  allons  périr  !  se  font  entendre.  Mais  la  grâce 
triomphe  bientôt  :  le  plus  morne  silence  annonce  que 
chacun  se  prépare  et  se  dépouille  pour  aller  au  bûcher 
ou  monter  à  l'échafaud.  Je  me  réunis  à  plusieurs  qui, 
les  yeux  fixés  sur  une  image  de  la  sainte  Vierge,  atten- 
daient de  son  intercession  la  force  et  le  courage  de  ver- 

TOME  III.  20 


350  LES   RUES   DE   PARIS. 

ser  leur  saDg  en  esprit  de  foi  et  de  religion.  Au  même 
instant,  nous  jugeons  par  les  cris  redoublés  des  canni- 
bales que  la  garde  est  forcée.  Leurs  blasphèmes  affreux 
nous  rappellent  que  c'est  en  haine  de  Dieu  et  de  sa  reli- 
gion que  nous  allons  être  immolés.  Je  cours  au  devant 
des  bourreaux  ;  je  les  vois,  la  rage  les  transporte  ;  la 
soif  du  sang  les  précipite  sur  nous  ;  un  d'eux  me  touche 
déjà  de  son  arme  tranchante;  j'allais  périr;  mais  le 
mouvement  qu'il  fait  pour  frapper  son  coup  plus  vigou- 
reusement m'en  laisse  faire  un  autre,  qui  met  entre  lui 
et  moi  un  mur  de  séparation.  Il  lui  importait  peu  quelle 
victime  frapper.  11  m'abandonne  et  je  franchis  précipi- 
tamment le  jardin  où  j'étais  tombé.  » 

Quelques-unes  des  victimes  durent  la  vie  aux  sep- 
tembriseurs eux-mêmes,  pris  tout  à  coup  d'un  senti- 
ment d'humanité  qui  ressemblait  à  un  remords.  Une 
dizaine  de  prêtres  à  peine  restaient  à  égorger  ;  parmi 
eux  un  ecclésiastique  tout  jeune  encore,  à  la  figure  no- 
ble et  sympathique. 

Un  des  assassins  s'approche  : 

—  Tiens-tu  beaucoup  à  la  vie  ?  lui  dit-il. 

—  Sans  craindre  la  mort,  s'il  dépendait  de  moi,  je 
l'éviterais  volontiers,  pourvu. ... 

—  C'est  bien,  suis-moi  I 

Et  l'égorgeur,  subitement  attendri,  l'entraîne  dans 
un  endroit  connu  de  lui  seul,  où  il  le  fait  cacher  et  où 
déjà  se  trouvaient  deux  autres  pauvres  prêtres,  épar- 
gnés par  lui.  Le  soir,  il  revint  avec  des  habits  de  gardes 
nationaux  qui  permirent  à  tous  d'échapper. 

Mais  ces  traits  d'humanité  si  inattendus  furent  rares, 
et  les  monstres  ne  faisaient  pas  grâce  aisément.  Au 


l'église  des  carmes.  351 

reste,  il  faut  dire  que  les  affidés  de  Maillard,  quoique 
d'atïreux  scélérats,  n'étaient  que  des  meurtriers  en  sous- 
ordre,  payés  pour  le  crime,  de  misérables  instruments. 
Les  vrais  coupables,  dit  M.  Mortimer-Ternaux,  ce  furent 
Marat,  Danton,  Robespierre,  Manuel,  Hébert,  Billaud- 
Yarennes,  Panis,  Sergent,  Fabre  d'Églantine,  Camille 
Desmoulins  et  une  douzaine  d'autres  individus  plus 
obscurs,  mem])res  du  Comité  de  surveillance  ou  seule- 
ment du  Conseil  général  de  la  Commune.  Quant  aux 
mobiles  qui  les  poussèrent  à  ces  borribles  attentats, 
pour  les  uns,  ce  fut  le  désir  de  se  perpétuer  dans  la 
dictature,  pour  les  autres,  un  moyen  de  ne  pas  rendre 
certains  comptes,  en  imposant  à  tous  silence  par  la  ter- 
reur. 

L'heure  des  justices  d'ailleurs  ne  se  fît  pas  attendre  ; 
l'année  n'était  pas  écoulée,  que  tous  ou  presque  tous, 
ils  avaient  été  rendre  compte  au  Juge  infaillible,  guil- 
lotinés les  uns  par  les  autres,  comme  a  dit  un  vigou- 
reux poète,  dans  sa  langue  originale  : 

Qui  donc  nierait  l'Etre  qui  venge 

Le  droit  et  punit  le  méchant^ 

En  voyant  tous  ces  cœurs  de  fange 

S'entr'accusant ,  s'entr'égorgeant. 

Jusqu'au  jour  fatal  et  suprême. 

Où  tombe  enCn,  frappé  lui-même. 

Cet  homme  à  l'œil  terne,  au  teint  blême. 

Qui,  trônant  en  roi  dans  ce  lieu, 

Comme  un  joueur  qui  longtemps  gagne. 

Avec  la  terreur  pour  compagne, 

Légiférait  sur  la  Montagne, 

Sinaï  digne  d'un  tel  dieu  ? 


332  LES   RUES   DE   PARIS. 

Il 

LA  CHAPELLE  DES  MARTYRS. 

L'oratoire,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  fermé  pea- 
dant  la  Révolution  ou  peut-être  converti  en  orangerie, 
devint  plus  tard,  grâce  à  une  pieuse  initiative,  un 
sanctuaire  qui  prit  le  nom  de  :  Chapelle  des  Martyrs. 
Le  22  août  1807,  madame  de  Soyecourt,  s'étant  rendue 
acquéreur  du  terrain  où  s'élevait  le  petit  édifice,  songea 
tout  d'abord  à  restituer  à  celui-ci  son  caractère  sacré. 
Elle  ordonna  les  réparations  nécessaires,  tout  en  veil- 
lant avec  sollicitude  à  ce  qu'on  conservât  religieuse- 
ment les  traces  sanglantes  visibles  encore  sur  les  murs 
et  même  les  bancs.  Puis,  au  mois  de  mai  1813,  la  cha- 
pelle fut  bénite,  sous  l'invocation  de  saint  Maurice  et 
ses  compagnons,  par  M.  l'abbé  d'Astros,  grand  vicaire 
de  Paris,  depuis  archevêque  de  Toulouse. 

En  1831,  les  R.  PP.  Dominicains  étant  venus  occuper 
les  bâtiments  de  l'ancien  couvent  des  Carmes,  l'église 
leur  fut  réservée  exclusivement.  M.  Cruise,  directeur  de 
l'École  des  hautes  Études,  fit  alors  célébrer  l'office  divin 
dans  la  chapelle  des  Martyrs  ;  mais,  pour  la  rendre  plus 
accessible  aux  fidèles  du  dehors  comme  aux  élèves,  on 
construisit  un  bâtiment  d'environ  13  mètres  de  profon- 
deur qui  se  relia  à  la  chapelle  et  dont  l'entrée  fut  ména- 
gée du  côté  de  l'allée  d'acacias  où  l'archevêque  d'Arles 
avait  été  massacré.  Par  suite  d'un  testament  de  la 
pieuse  madame  de  Soyecourt,  le  terrain  avec  ses  dépen- 
dances était  devenu  propriété  diocésaine. 


l'église  des  carmes.  353 

Tel  était  l'état  des  choses,  lorsque,  quelques  années 
après,  tout  à  coup  on  apprit  que,  par  suite  du  tracé 
adopté  pour  la  continuation  de  la  rue  de  Rennes,  la 
chapelle  des  Martyrs  et  tout  l'entourage  devaient  dispa- 
raître. Grande  émotion  parmi  les  fidèles  et  tous  ceux 
qui  ont  à  cœur  le  culte  des  souvenirs  !  Des  protestations 
et  des  réclamations  s'élevèrent,  et  le  premier  pasteur 
du  diocèse,  en  particulier,  se  faisant  l'écho  de  ces  géné- 
reux sentiments  qu'il  partageait,  fut  prompt  à  élever  la 
voix  et  insista  avec  force  pour  que,  le  sanctuaire  des 
Martyrs  épargné,  le  tracé  se  modifiât.  Après  de  nou- 
velles études,  les  ingénieurs,  à  tort  ou  à  raison,  décla- 
rèrent la  chose  impossible.  Il  fallut  se  résigner,  quelque 
regret  qu'on  en  eût  ;  du  moins.  Monseigneur  l'Arche- 
vêque voulut  que  tout  ce  qui  pouvait  être  sauvé  fût 
sauvé,  et,  après  avoir  consulté  les  hommes  compétents, 
il  décida  qu'une  chapelle  souterraine  serait  édifiée  dans 
les  caveaux  de  l'église  des  Carmes  et  que  là  seraient 
recueillis  et  réunis,  avec  les  dalles  tachées  de  sang, 
tous  les  débris,  toutes  les  reliques  ayant  appartenu  aux 
Martyrs.  Or,  ce  pieux  trésor  des  reliques,  il  allait  sin- 
gulièrement s'enrichir  par  suite  d'une  découverte  des 
plus  inattendues  dont  les  travaux  furent  l'occasion. 

M.  Sorel  et  d'autres,  après  comme  avant  lui,  avaient 
déclaré,  en  s'appuyant  de  documents  officiels,  que  les 
corps  des  victimes  entassés  sur  trois  grands  chariots,  dès 
le  lendemain  ou  le  surlendemain  du  crime,  avaient  été 
conduits  dans  l'ancien  cimetière  de  Yaugirard  et  enter- 
rés dans  une  fosse  profonde  creusée  à  l'avance  en  face 
de  la  petite  porte.  Cependant  il  existait  une  tradition 
d'après  laquelle  un  puits  voisin  de  l'enclos,  dans  la  di- 
TOME  m,  20* 


354  LES   RUES   DE   PARIS. 

rection  de  la  rue  d'Assas,  avait  servi  de  sépulture  au 
plus  grand  nombre  des  morts  dont  les  chariots  en  ques- 
tion ne  pouvaient  contenir  que  la  moindre  partie.  Pour 
en  finir  plus  vite  et  crainte  aussi  peut-être  d'attirer 
trop  l'attention  par  un  second  et  un  troisième  voyage, 
les  individus,  chargés  de  la  triste  besogne,  n'avaient 
trouvé  rien  de  mieux  que  de  combler  le  puits  voisin 
très-profond  avec  les  cadavres,  en  fermant  l'orifice 
avec  des  pierres,  des  tessons,  de  la  terre.  Malgré  les 
doutes  exprimés  à  ce  sujet  par  M.  Sorel,  la  tradition 
persistait. 

Les  architectes,  choisis  par  Monseigneur  l'Archevê- 
que de  Paris,  qui  n'eut  qu'à  s'en  applaudir,  MM.  Douil- 
lard  frères,  convaincus  que  cette  tradition  persévérante 
ne  pouvait  être  sans  quelque  fondement,  firent  des  re- 
cherches en  ce  sens  bientôt  couronnées  d'un  plein  suc- 
cès. Le  puits  en  question  fut  retrouvé,  et  l'on  reconnut 
qu'en  effet  l'orifice  était  fermé  avec  de  la  terre,  des 
pierres,  des  fragments  de  bouteille,  mais  seulement  à 
la  surface.  Ces  débris  enlevés  non  sans  une  certaine  an- 
xiété, on  aperçut  serrés,  entassés,  des  crânes,  des  osse- 
ments retirés  successivement,  et,  le  puits  vidé  entière- 
ment, on  compta,  nous  a-t-on  dit,  près  de  quatre-vingts 
squelettes  ou  tronçons  de  squelettes.  On  ne  pouvait 
douter  qu'ils  ne  fussent,  au  moins  pour  la  plupart,  les 
restes  des  victimes  du  2  septembre,  puisque  beaucoup 
des  crânes  et  des  os  portaient  encore  la  marque  des 
entailles  faites  par  le  sabre  ou  des  trous  résultant  des 
balles.  Aussi  ces  restes  vénérables  pour  lesquels,  par  ce 
motif,  le  doute  n'était  pas  possible,  furent  mis  à  part  ; 
ce  sont  ceux  qu'on  voit  exposés  sous  les  deux  grandes 


l'église  des  carmes.  355 

vitrines,  à  droite  et  à  gauclie,  dans  la  seconde  pièce  de 
la  crypte  qui  forme  à  proprement  parler  le  sanctuaire, 
puisque  dans  le  fond  s'élève  l'autel  dont  la  simplicité 
étonnerait,  choquerait  môme  le  visiteur,  s'il  n'était 
prévenu  que  c'est  l'autel  même  de  l'ancienne  chapelle 
qu'on  a  tenu  avec  raison  à  conserver.  Au-dessus  des  vi- 
trines, on  voit,  pour  achever  la  décoration  générale, 
une  ornementation  symbolique  surmontée  d'une  large 
croix  soutenue  par  deux  enfants,  ou  mieux  des  anges 
dus  au  ciseau  intelligent  de  M.  E.  Cabuchet,  l'auteur 
de  cette  remarquable  statue  du  Curé  d'Ars  qui  fit  tant 
de  sensation  au  salon  de  1867.  Ces  figures  savamment 
composées  et  modelées  ne  sont  pas  un  des  moindres 
ornements  du  sanctuaire.  Sur  les  parois  de  la  mu- 
raille, de  tous  les  côtés,  et  sur  des  plaques  de  marbre 
noir,  se  lisent  diverses  inscriptions  et  les  noms  des  mar- 
tyrs. 

Aux  quatre  angles  se  voient  de  grandes  urnes  funé- 
raires, voilées  en  partie,  et  au  milieu  de  la  chapelle, 
suspendu  à  la  voûte,  un  superbe  luminaire,  d'un  style 
sévère  et  composé  de  sept  grandes  lampes  se  retenant 
Tune  à  l'autre  par  des  chaînettes. 

A  gauche,  dans  une  espèce  de  caveau  fermé  par  une 
grille,  mais  éclairé  pareillement  par  la  lumière  des 
lampes,  se  trouvent  les  débris  d'ossements  qui  n'ont  pas 
pris  place  dans  les  vitrines,  comme  aussi  les  débris 
ayant  servi  à  combler  le  puits  et  qu'on  regarde  comme 
sanctifiés  par  le  contact  et  le  sang  des  victimes. 

A  droite,  un  escalier  de  quelques  marches  conduit 
dans  une  pièce  carrée,  d'une  décoration  noble  et  sévère 
et  dont  les  murs  sont  recouverts  avec  les  dalles  enlevées 


356  LES  RUES  DE   PARIS. 

à  l'ancienne  chapelle  et  qu'avait  tachées  le  sang  des 
martyrs  égorgés  dans  l'oratoire. 

On  revient  par  un  autre  escalier  dans  le  sanctuaire, 
en  face  de  l'autel  derrière  lequel  s'ouvre  une  porte  qui 
conduit  dans  une  salle  plus  grande,  jusqu'ici  à  peu  près 
vide,  où  du  moins  se  trouvent  seulement,  dressées  con- 
tre la  muraille,  les  pierres  tumulaires  renfermées  anté- 
rieurement dans  les  caveaux.  Dans  les  inscriptions  un 
nom  surtout  nous  a  frappé,  celui  de  madame  de  Soye- 
court. 

On  descend  dans  la  crypte,  ce  que  nous  aurions  dû 
dire  d'abord,  par  un  grand  et  bel  escalier  creusé  dans 
l'église  même,  non  loin  de  la  porte  d'entrée,  et  qui 
aboutit  à  une  première  salle  précédant  le  sanctuaire. 
Dans  cette  pièce,  les  yeux  tout  d'abord  sont  attirés  par 
une  reproduction  ou  mieux  une  réduction  de  l'ancienne 
chapelle,  éclairée  à  l'intérieur,  ce  qui  permet  d'en  sai- 
sir du  premier  coup  d'œil  l'ensemble  et  les  détails,  et 
dispose  aux  impressions  solennelles  qui  vous  attendent 
dans  le  sanctuaire  à  la  vue  des  vénérables  reliques,  et 
au  souvenir  de  la  tragique  scène,  a  digne,  comme  l'a 
V)  dit  un  grand  écrivain,  des  plus  beaux  siècles  de  l'É- 

))  glise.  » 

Nous  ne  serons  que  juste  en  disant  que  l'exécution  de 
cet  important  travail  fait  le  plus  grand  honneur  aux 
architectes,  MM.  Douillard  frères,  qui,  dans  la  construc- 
tions de  la  crypte,  comme  dans  l'arrangement  et  l'orne- 
mentation, ont  prouvé  non  moins  d'intelligence  et  de 
goût  que  de  piété.  Ils  ont  répondu  pleinement  à  la  mis- 
sion de  confiance  dont  les  avait  honorés  Monseigneur 
Darboy,  et  l'impression  est  telle,  qu'après  une  visite  à 


l'église  des  carmes.  357 

la  nouvelle  chapelle,  ceux-là  mêmes  que  le  changement 
proposé  ou  plutôt  obligé  avait  le  plus  désolés  d'abord, 
sentent  diminuer  leur  regret.  Disons  mieux,  ils  sont 
heureux  de  s'avouer  qu'on  n'a  maintenant  qu'à  s'en 
applaudir  et  que  le  nouveau  sanctuaire,  si  riche  des  ré- 
centes découvertes,  témoigne  d'autant  d'admiration  que 
de  respect  pour  la  gloire  des  MartjTS.  Nul  doute  qu'on 
y  verra  le  même  concours  empressé  des  fidèles.  Plus 
d'un  lecteur,  plus  d'une  lectrice  peut-être,  après  avoir 
lu  notre  article,  voudra  juger  par  ses  yeux  et  n'attendra 
pas  sans  quelque  impatience  le  matin  ou  l'après-midi 
du  vendredi,  car  la  crypte  n'est  ouverte  que  ce  jour-là, 
sans  doute  par  la  nécessité  de  la  surveillance,  comme 
aussi  à  cause  de  la  dépense  occasionnée  par  le  lumi- 
naire. 


LES  CATACOMBES 


Les  Catacombes  sont  d'anciennes  carrières  dans  les- 
quelles sont  déposés  les  ossements  extraits  des  cime- 
tières supprimés  successivement  à  Paris.  M.  Guillaumot, 
premier  inspecteur  général,  fit  exécuter,  au  commence- 
ment de  l'année  1786,  les  travaux  nécessaires  pour  la 
consolidation  des  galeries  et  la  disposition  des  lieux 
destinés  à  recevoir  les  ossements  exhumés  du  cimetière 
des  Innocents,  le  premier  supprimé.  Les  travaux  conti- 
nués constamment  depuis  firent  des  Catacombes  ce 
qu'elles  sont  aujourd'hui.  On  y  descend  par  trois  esca- 
liers, le  premier  creusé  rue  d'Enfer,  le  second  situé  à  la 
Tombe  Isoard,  le  troisième  dans  la  plaine  Mont-Souris. 

Avant  les  travaux  dont  nous  parlons  plus  haut,  beau- 
coup de  monuments,  l'Observatoire  le  Luxembourg, 
rOdéon,  le  Yal-de- Grâce,  le  Panthéon,  l'église  Saint- 
Sulpice,  etc.,  se  trouvaient  comme  suspendus  dans  le 
vide  au-dessus  de  vastes  abîmes  où  d'un  instant  à 
l'autre,  ils  pouvaient  s'engloutir  :  «  Dans  nos  recherches 
et  nos  travaux,  dit  M.  Héricart  de  Thury,  nous  nous 
sommes  particulièrement  attachés  à  établir  le  rapport 
le  plus  rigoureux,  ou  si  l'on  veut  me  permettre  l'emploi 
de  ce  mot,  la  corrélation  la  plus  intime  et  la  plus  réci- 
proque des  détails  de  la  surface  et  de  l'état  des  vides. 


LES    CATACOMBES.  3o0 

C'est  en  suivant  ce  plan  d'une  manière  uniforme  que 
nous  avons  tracé,  ouvert  et  conservé  au-dessous  et  à 
l'aplomb  de  chaque  rue,  une  ou  deux  galeries  suivant  la 
largeur  de  la  voie,  de  manière  à  diviser  respectivement 
les  quartiers,  à  isoler  les  massifs,  à  préparer  la  recon- 
naissance des  propriétés,  à  déterminer  leur  étendue,  à 
fixer  leurs  limites  au-dessous  de  celles  de  la  surface,  à 
tracer,  à  plus  de  quatre-vingts  pieds  de  profondeur,  le 
milieu  des  murs  mitoyens  sous  le  milieu  même  de  leur 
épaisseur,  à  rappeler  le  numéro  de  chaque  maison 
exactement  au-dessous  de  celui  de  la  propriété  ;  enfin, 
je  le  répète,  à  établir  un  tel  rapport  entre  le  dessus  et  le 
dessous  qu'on  peut  en  voir  et  en  vérifier  la  rigoureuse 
correspondance  sur  les  plans  de  l'inspection.  » 

On  doit  à  M.  Frochot,  préfet  de  la  Seine  sous  le  pre- 
mier Empire,  d'importantes  améliorations  dans  la  dis- 
position et  l'arrangement  des  galeries  et  ossuaires  qui 
ajoutent  beaucoup  à  l'intérêt  pour  le  visiteur.  Nous 
citerons,  après  la  chapelle,  une  curieuse  collection 
pathologique  où  sont  classés  avec  méthode  toutes  les 
espèces  d'ossements  déformés  par  quelque  maladie.  Une 
autre  collection,  dite  minéraloglque,  nous  offre  la  série 
complète  des  bancs  de  terre  et  de  pierre  qui  constituent 
le  sol  et  les  parois  des  Catacombes. 

On  évalue  à  peut-être  sept  ou  huit  fois  le  nombre  des 
vivants  de  la  grande  cité  le  total  des  individus  dont  les 
ossements  reposent  dans  la  ville  souterraine.  Le  cime- 
tière des  Innocents,  à  lui  seul,  d'après  ce  qu'on  calcule, 
dans  une  période  de  sept  siècles,  aura  dû  dévorer  tout  au 
moins  douze  cent  mille  cadavres.  En  1780,  un  rapport 
constatait  que  a  le  nombre  des  corps  déposés  dans  une 


360  LES   RUES   DE   PARIS. 

fosse  commune  voisine  de  la  rue  de  la  Lingerie,  excédant 
toute  mesure  et  ne  pouvant  se  calculer,  en  avait 
exhaussé  le  sol  de  plus  de  huit  pieds  au-dessous  des  rues 
et  habitations  voisines.  » 

La  nécessité  de  supprimer  le  cimetière  parut  donc 
évidente  à  M.  Lenoir  lieutenant-général  de  police,  a  qui 
est  due  la  première  idée  des  Catacombes,  réalisée  en 
1786  seulement.  Tous  les  ossements  recueillis  dans  les 
chapelles  sépulcrales  ou  cimetières  détruits  depuis  cette 
époque,  ont  trouvé  place  dans  cette  immense  Nécropole 
où  pareillement  ont  été  déposés  les  restes  d'un  grand 
nombre  des  victimes  de  la  Terreur. 


1 


CIMETIERE  DU  PERE  LA  CHAISE 


Ce  cimetière,  le  plus  vaste  de  Paris,  a  été  formé  dans 
l'enclos  de  la  maison  du  Mont-Louis  \  dite  du  Père  La 
Chaise  ;  puis  successivement  il  s'est  agrandi  de  tous  les 
terrains  environnants.  Dans  cette  immense  nécropole, 
qui  ne  remonte  guère  qu'aux  premières  années  du 
siècle,  se  voient  les  tombeaux  de  presque  tous  les  con- 
temporains illustres  et  aussi  d'innombrables  inconnus. 
On  ne  peut  nier  qu'il  n'y  ait  du  vrai  dans  ces  réflexions 
mélancoliques  de  Saint- Victor  qui  disait,  en  1822,  dans 
le  tome  quatrième  de  la  2°  édition  de  son  grand  ouvrage: 

«  C'est  à  notre  avis  le  spectacle  le  plus  curieux  et  en 
même  temps  le  plus  déplorable  que  présente  cette 
grande  ville  et  nulle  description  n'en  pourrait  donner 
une  juste  idée....  Au  milieu  du  silence  des  tombeaux, 
les  pierres  élèvent  la  voix  et  retracent  toutes  les  pas- 
sions qui  fermentent  dans  la  société  et  ce  désordre 
effrayant  des  esprits  qui,  pour  la  première  fois  depuis 
l'existence  du  monde,  la  menace  d'une  entière  dissolu- 
tion. Là  s'élève  comme  une  ville  composée  de  monu- 
ments funèbres  où  les  rangs  sont  confondus,  non  pas 
seulement  dans  la  même  poussière,  mais  dans  le  même 
orgueil  ;  le  dernier  artisan  y  a  les  honneurs  de  l'épi- 
taphe  ;  des  marchands  y  bâtissent  des  mausolées  qui  le 

'  Maison  de  campagne  des  Père»  Jésuites. 

TOME  III.  ^  21 


362  LES   RUES   DE   PARIS. 

disputent  à  ceux  des  ducs  et  des  princes  ;  les  familles 
des  banquiers  s'y  font  faire  des  caveaux  comme  faisaient 
autrefois  les  Chàtillon  et  les  Montmorency  ;  à  côté  du 
médaillon  d'un  magistrat  s'élève  la  statue  d'une  courti- 
sane ou  d'un  histrion  dont  le  marbre  raconte  les  talents 
et  les  vertus.  Dans  ce  nombre  infini  d'inscriptions  funé- 
raires, dont  cette  enceinte  est  comme  pavée,  reparais- 
sent les  attachements  terrestres  dans  toute  leur  misère, 
c'est-k-dire  sans  espérance  et  sans  résignation;  elles  pré- 
sentent quelquefois  des  diffamations  et  des  confidences 
scandaleuses  ;  de  toutes  parts  des  éloges  qui  ressemblent 
à  des  apothéoses.  Ces  inscriptions  nous  apprennent  que 
là  sont  confondues  toutes  les  religions  ;  souvent  même 
elles  expriment  l'indifférence  religieuse  dans  ce  qu'elle 
a  de  plus  révoltant,  et  en  cherchant  bien,  on  y  trouve- 
rait jusqu'à  la  profession  de  foi  du  matérialiste  et  de 
l'athée  ^  On  rencontre  presque  à  chaque  pas  de  ces 
pierres  sépulcrales  couvertes  de  fleurs  sans  cesse  renou- 
velées, sans  que  cette  offrande  puérile,  faite  à  de  froids 
débris,  soit  accompagnée  de  la  prière  que  demandent 
les  âmes  des  trépassés  :  ainsi  faisaient  les  païens,  il  n'y 
manque  plus  que  leurs  libations... 

((  Enfin,  d'espace  en  espace,  la  croix  y  distingue  les 
tombes  des  chrétiens  qui  y  ont  fait  bénir  les  places 
qu'ils  occupent  ;  et  bientôt  sans  doute  il  n'y  en  aura  plus 
pour  eux  parce  qu'il  ne  restera  pas  un  seul  coin  de  cette 
terre  qui  n'ait  été  profané.  » 

Le  sceptique  Docteur  Noir,  dans  le  Stello  de  Tigny, 

'  Le  scandale  de  ces  inscriptions  a  été  porté  si  loin  que,  depuis 
quelque  temps,  dit-on,  il  a  été  nommé  des  inspecteurs  chargés 
d'cïaminer,  d'admettre  ou  de  rejeter  les  épilaphes.  (St-V.) 


CIMETIÈRE   DU   PÈRE   LACHAISE.  363 

dira,  bien  des  années  après^  avec  plus  d'exagération  et 
l'accent  de  la  raillerie  amère  :  «  Quand  la  foi  est  morte 
au  cœur  d'une  nation  vieillie,  ses  cimetières  (et  ceci  en 
était  un)  ont  l'aspect  d'une  décoration  païenne.  Tel  est 
votre  Père  La  Chaise.  Amenez-y  un  Indou  de  Calcutta, 
et  demandez -lui  : 

«  —  Quel  est  ce  peuple  dont  les  morts  ont  sur  leur 
poussière  des  petits  jardins  remplis  de  petites  urnes,  de 
colonnes  d'ordre  dorique  ou  corinthien ,  de  petites 
arcades  de  fantaisie  à  mettre  sur  sa  cheminée  comme 
pendules  curieuses  ;  le  tout  bien  badigeonné,  marbré, 
enjolivé,  vernissé  ;  avec  des  grillages  tout  autour,  pareils 
aux  cages  des  serins  et  des  perroquets  ;  et  sur  la  pierre 
des  phrases  semi-françaises  de  sensiblerie  i?/cooôonze????e, 
tirées  des  romans  qui  font  sangloter  les  portières  et 
dépérir  toutes  les  brodeuses  ?  » 

((  L'Iudou  sera  embarrassé  ;  il  ne  verra  ni  pagode  de 
Brahma,  ni  statues  de  Wichnou  aux  trois  têtes,  aux 
jambes  croisées  et  aux  sept  bras  ;  il  cherchera  le  turban 
de  Mahomet  et  ne  le  trouvera  pas  ;  il  cherchera  la  Junon 
des  morts  et  ne  la  trouvera  pas  ;  il  cherchera  la  croix 
et  ne  la  trouvera  pas,  ou  la  démêlant  avec  peine,  à  quel- 
ques détours  d'allée,  enfouie  dans  des  bosquets  et  hon- 
teuse comme  une  violette,  il  comprendra  bien  que  les 
chrétiens  font  exception  dans  ce  grand  peuple  ;  il  se 
grattera  la  tête  en  la  balançant  et  jouant  avec  ses 
boucles  d'oreilles  en  les  faisant  tourner  rapidement 
comme  un  jongleur.  Et  voyant  des  noces  bourgeoises 
Courir,  en  riant,  dans  les  chemins  sablés  et  danser  sous 
les  fleurs  et  sur  des  fleurs  des  morts  ;  remarquant  l'urne 
qui  domine  les  tombeaux  ;  n'ayant  vu  que  rarement  : 


364  LES  RUES   DE   PARIS. 

Priez  pour  lui,  priez  pour  son  âme.  Il  vous  répondra  : 
((  Très-certainement  ce  peuple  brûle  ses  morts  et  enferme 
leurs  cendres  dans  ces  urnes.  Ce  peuple  croit  qu'après 
la  mort  du  corps  tout  est  dit  pour  l'homme.  Ce  peuple 
a  coutume  de  se  réjouir  de  la  mort  de  ses  pères,  et  de 
rire  sur  leurs  cadavres  parce  qu'il  hérite  enfin  de  leurs 
biens  ou  parce  qu'il  les  félicite  d'être  délivrés  du  travail 
et  de  la  souffrance. 

((  Puisse  Siwa  aux  boules  dorées  et  au  col  d'azur, 
adoré  de  tous  les  lecteurs  du  Yéda,  me  préserver  de  vivre 
parmi  ce  peuple  qui,  pareil  à  la  fleur  dou-roui/j  a,  comme 
elle,  deux  faces  trompeuses  !  )> 

Comme  nous  l'avons  dit  d'abord,  il  y  a  du  vrai  dans 
ces  réflexions  d'ailleurs  trop  chagrines  ;  mais  pourtant, 
tout  en  regrettant  que  le  tendre  ressouvenir  des  défunts 
s'exalte  ainsi  jusqu'au  culte  presque  idolàtrique,  qu'on 
sacrifie  de  nouveau  en  quelque  sorte  aux  dieux  Mânes  ; 
d'antre  part,  ne  faut-il  se  féliciter  que  dans  l'ébranle- 
ment de  tous  les  pouvoirs,  dans  notre  société  secouée 
par  de  continuels  bouleversements,  malgré  notre  ten- 
dance à  tout  railler  comme  à  tout  détruire,  quelque 
chose  surnage,  un  sentiment  persiste,  énergique  au 
point  de  s'exagérer,  le  respect  pour  les  morts,  la  véné- 
ration pour  les  tombeaux  dont  la  vue  rappelle,  ne  fut-ce 
qu'un  instant,  aux  sérieuses  pensées  les  plus  distraits, 
les  plus  enivrés  des  vanités  de  la  terre  et  des  folles  illu- 
sions. Puis  dans  ce  culte  excessif  de  la  tombe,  qui  semble 
aux  deux  écrivains  cités  la  preuve  d'une  complète  indif- 
férence religieuse,  nous  serions  porté  tout  au  contraire 
à  reconnaître,  à  saluer  le  témoignage  consolant  de  la 
croyance  instinctive  à  l'immortalité. 


SAINTE  GENEVIÈVE  (ÉGLISE) 


L'église  Sainte- Geneviève  est,  comme  on  sait,  une 
basilique  dont  la  construction,  au  moins  quant  à  l'a- 
chèvement, est  moderne.  L'édifice,  après  avoir,  suivant 
les  vicissitudes  des  temps,  changé  plusieurs  fois  de 
destination,  fut  enfin,  par  un  décret  du  Prince-Prési- 
dent, depuis  l'Empereur  Napoléon  III,  consacré  sous 
l'invocation  de  sainte  Genevière ,  la  glorieuse  pa- 
tronne de  Paris,  à  laquelle  dans  cet  ouvrage  nous  ne 
saurions  refuser  quelques  pages.  Mais  les  travaux  d'ha- 
giographie n'ont  guère  été  qu'occasionnellement  le  but 
de  nos  études  ;  aussi  nous  sommes  heureux  de  trouver, 
dans  le  savant  ouvrage  de  Félibien  et  Lobineau,  une 
Notice  sur  la  Sainte  écrite  avec  un  singulier  charme  et 
qui,  par  ce  qu'un  écrivain  illustre  appelait  «  la  candeur 
de  la  narration,  »  nous  a  ravi.  Il  nous  sera  permis  d'en 
détacher  quelques  feuillets. 

((  Il  y  avait  pour  lors  (451),  à  Paris^  une  sainte  vierge 
nommée  Geneviève,  dont  le  père  s'appelait  Sévère  et  la 
mère  Géronce.  Sa  sainteté  avait  été  prédite  dès  son 
enfance  par  saint  Germain,  évèque  d'Auxerre,  lors- 
qu'allant  combattre  l'hérésie  des  Pélagiens  dans  l'île  de 
Bretagne,  il  passa  par  Nanterre,  village  à  deux  lieues 
de  Paris.  Un  témoignage  d'un  tel  poids,  joint  au  genre 


366  LES  RUES  DE   PARIS. 

de  vie  que  cette  sainte  fille  pratiquait  depuis  plusieurs 
années,  l'avait  mise  en  grande  réputation  dans  le  pu- 
blic. Elle  ne  voulut  toutefois  user  de  son  crédit  que 
pour  le  bien  des  autres.  Voyant  toute  la  ville  en  émeute 
sur  la  nouvelle  des  ravages  d'Attila,  elle  essaya  de  cal- 
mer les  esprits  de  ses  concitoyens.  Elle  les  exhorta  à 
mettre  leur  confiance  en  Dieu,  à  fléchir  sa  miséricorde 
par  la  prière  et  par  le  jeûne,  à  ne  point  quitter  la  ville, 
en  les  assurant  qu'ils  n'auraient  rien  à  craindre  et  que 
Paris  ne  recevrait  aucun  mal.  Plusieurs  déférèrent  aux 
paroles  de  la  Sainte,  mais  il  y  en  eut  d'autres  qui  pri- 
rent occasion  de  sa  prophétie  pour  conspirer  contre  elle 
et  la  faire  passer  pour  une  magicienne  tandis  que  l'en- 
nemi était  prêt  à  fondre  sur  eux.  La  rage  et  l'animosité 
allèrent  jusqu'à  délibérer  de  quel  genre  de  mort  ils  la 
feraient  périr  :  si  elle  serait  lapidée  ou  jetée  à  la  rivière; 
lorsque  l'archidiacre  d'Auxerre  arriva  à  Paris  et  dissipa 
ce  complot.  ((  Gardez-vous  bien,  dit-il^  d'exécuter  un 
»  dessein  si  criminel  ;  j'ai  souvent  ouï  le  saint  évèque 
»  Germain  louer  la  vertu  de  cette  fille  devant  tout  le 
»  monde.  » 

«  La  suite  justifia  la  prédiction  de  la  Sainte  ;  Attila 
changea  sa  marche  et  n'approcha  pas  de  Paris.  »  Cette 
ville,  quelques  années  après,  fut  assiégée  par  les  Francs 
que  commandait  Chilpéric.  Bientôt  les  vivres  manquè- 
rent et  la  famine  se  faisait  vivement  sentir  lorsque 
sainte  Geneviève,  s'étant  rendue  à  Arcis- sur- Aube  et  à 
Troyes,  en  ramena  plusieurs  grands  bateaux  chargés 
de  blé  qu'elle  fit  entrer  dans  la  ville  à  la  vue  des  ennemis 
qui  vainement  tentèrent  de  s'y  opposer.  Chilpéric  néan- 
moins s'empara  de  Paris  dont  il  fît  sa  capitale  et,  quoi- 


SAINTE   GENEVIÈVE.  367 

que  païen,  ce  prince  témoigna  pour  la  Sainte  d'une 
vénération  singulière  au  point  de  ne  jamais  rien  lui 
refuser.  Certain  jour  cependant  a  résolu  à  employer  la 
dernière  sévérité  contre  des  criminels  condamnés  à 
mort,  il  sortit  de  la  ville  dont  il  fit  fermer  les  portes, 
pour  se  mettre  à  couvert  des  sollicitations  de  la  Sainte.» 
Mais  celle-ci,  parvenue  à  s'échapper  de  la  ville  dont  les 
portes  s'ouvrirent  d'elles-mêmes  pour  lui  donner  pas- 
sage, arriva  jusqu'au  roi  qui  ne  put  lui  refuser  la  grâce 
des  condamnés. 

C'est  au  zèle  de  sainte  Geneviève  qu'on  dut,  sous  le 
règne  du  même  Chilpéric,  la  construction  d'une  église  ; 
((  la  première  que  l'on  sache  avoir  été  élevée  sur  la 
sépulture  de  saint  Denis  et  de  ses  compagnons.»  D'après 
d'autres  historiens  cependant^  une  chapelle  existait  en 
cet  endroit  avant  l'invasion  des  Francs. 

«  Sainte  Geneviève,  quoique  très  âgée  et  usée  d'aus- 
térités, vécut  encore  plusieurs  années  pendant  lesquelles 
elle  eut  la  joie  de  voir  le  grand  Clovis,  fils  de  Chilpéric, 
renoncer  au  culte  des  idoles  pour  embrasser  la  religion 
chrétienne....  Enfin,  comblée  d'années  et  de  mérites, 
elle  mourut  à  Paris  le  3  janvier  de  l'an  509.  »  Clovis, 
qui  avait  eu  toujours  pour  la  Sainte  une  profonde  véné- 
ration, voulut  qu'une  grande  église  ou  basilique  s'éle- 
vât sur  le  lieu  même  de  sa  sépulture  où  déjà  les  fidèles 
s'étaient  empressés  d'ériger  un  petit  oratoire}  en  bois. 
Cette  église  fut  dédiée  sous  l'invocation  des  apôtres  St- 
Pierre  et  St-Paul. 

L'église  de  Sainte- Geneviève,  qui  la  remplace,  com- 
mencée en  1757,  d'après  les  dessins  de  Soufflot,  ne  fut 
terminée  que  vers  1789  ou  1790,  et,  l'année  suivante. 


368  LES   RUES   DE    PARIS. 

un  décret  de  la  Convention  décida  qu'elle  servirait, 
sous  le  nom  de  Panthéon,  à  la  sépulture  des  grands 
hommes.  En  1806,  un  décret  de  Napoléon  I"  rendit 
l'édifice  au  culte  catholique,  et  pendant  la  Restauration, 
des  travaux  considérables  furent  exécutés  à  l'intérieur 
pour  la  décoration  de  l'église  qui  n'en  fut  pas  moins, 
après  les  événements  de  1830,  de  nouveau  transformée 
en  Panthéon,  Ce  scandale  heureusement  a  cessé. 

Dans  la  basilique,  au-dessus  d'un  autel  à  droite,  se 
voit  la  châsse  renfermant  les  reliques  de  la  Sainte. 
((  Cette  châsse,  dit  le  chanoine  Godescard,  se  portait  en 
procession  dans  les  calamités  publiques,  et  on  a  plu- 
sieurs fois  éprouvé  les  effets  sensibles  de  la  puissante 
protection  de  la  servante  de  Dieu  auprès  du  Seigneur. 
On  bii  dut  surtout  la  cessation  de  la  cruelle  maladie, 
connue  sous  le  nom  de  Mal  des  Ardents,  parce  qu'elle 
consumait  ceux  qui  en  étaient  attaqués  par  un  feu  secret 
et  meurtrier.  )> 

Le  village  de  Nanterre  où  la  Sainte  naquit,  vers 
Tan  422,  reste  le  lieu  d'un  pèlerinage  célèbre  qui, 
chaque  année,  à  l'époque  de  la  fête,  attire  un  grand 
concours  de  fidèles  comme  plus  tard  de  curieux  pour  le 
couronnement  de  la  Rosière.  Près  de  l'église  on  montre 
encore  le  puits  témoin  d'un  miracle  que  racontent  tous 
les  hagiographes.  Geneviève  qui,  âgée  de  sept  ans  à 
peine,  déclarait  à  saint  Germain  ne  vouloir  pas  d'autre 
époux  que  Jésus-Christ,  ne  s'estimait  jamais  plus  heu- 
reuse que  quand  elle  pouvait  aller  à  l'église.  Sa  mère 
un  jour  refusant  de  l'y  conduire,  elle  ne  put  retenir  ses 
larmes,  et  la  supplia  de  la  façon  la  plus  pressante  de  ne 
pas  lui  refuser  cette  grâce.  La  mère,  obstinée  à  dire  non, 


SAINTE   GENEVIÈVE.  369 

voyant  que  Tenfant  insistait,  perdit  patience,  et  empor- 
tée par  la  colère,  elle  donna  à  Geneviève  un  soufflet. 
La  punition  fut  prompte,  car  à  peine  le  coup  était  porté, 
que  Géronce  sentit  un  voile  s'étendre  sur  ses  yeux  ;  la 
clarté  du  jour  devint  pour  elle  comme  les  plus  profon- 
des ténèbres  de  la  nuit  ;  et  maintenant  c'était  elle  qui 
devait  emprunter  la  main  de  l'enfant  pour  la  conduire 
non  pas  seulement  à  l'église  ou  au  village,  mais  même 
au  jardin.  «  Ce  ne  fut  que  près  de  deux  ans  après,  dit 
Godescard^  qu'elle  recouvra  la  vue  en  se  frottant  les 
yeux  avec  de  l'eau  que  sa  fille  avait  tirée  du  puits  et 
sur  laquelle  elle  avait  fait  le  signe  de  la  croix*  ». 

'  Vies  des  Saints,  T.  l«^ 


TOME  III.  SI'' 


S^-GERMÀIN-DES-PRÉS  (ÉGLISE  DE) 


Cette  église  est  sans  contredit  une  des  plus  anciennes 
de  Paris,  puisqu'elle  fut  construite  par  le  roi  Childebert 
au  retour  de  son  expédition  en  Espagne.  Quoique  pas 
très-heureux  dans  cette  campagne,  le  roi  des  Francs  en 
avait  rapporté  de  grands  trésors  enlevés  aux  Yisigoths 
de  l'Ebre,  et,  ce  qu'il  regardait  comme  plus  précieux, 
la  tunique  de  saint  Vincent,  à  lui  donnée  par  les  habi- 
tants de  Sarragosse.  L'église,  destinée  à  recevoir  la 
sainte  relique,  fut  élevée,  vers  la  fin  de  son  règne,  par 
Childebert,  et  consacrée  sous  la  vocable  du  saint. 
((  L'édifice  était  magnifique,  dit  un  docte  écrivain  mo- 
derne ;  il  avait  la  forme  d'une  croix  latine  ;  il  était 
soutenu  par  de  grandes  colonnes  de  marbre,  percé  de 
nombreuses  fenêtres,  et  couvert  d'un  lamMs  doré.  Des 
peintures  à  fond  d'or  embellissaient  les  murs  ;  une  riche 
mosaïque  formait  le  pavé,  et  des  lames  de  cuivre  doré, 
qui  formaient  la  toiture,  jetaient  un  si  vif  éclat  que  le 
peuple  ne  tarda  pas  à  surnommer  cette  basilique  Saint- 
Germain  le  Doré  ^  » 

Le  nom  de  Germain  lui  était  donné,  concurremment 
avec  celui  de  Yincent,  à  cause  de  Germain,  le  saint 

'  Gabourg  :  Histoire  de  PariSj  t.  1". 


SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.  371 

évêque  de  Paris,  enterré  dans  cette  église  près  de 
laquelle  s'éleva  un  monastère  qui,  par  diverses  dona- 
tions des  rois  et  des  particuliers,  devint  une  des  abbayes 
les  plus  considérables  de  France.  Les  religieux  qui  l'ha- 
bitaient et  que  saint  Germain  avait  fait  venir  d'Autun, 
suivaient  d'abord  la  règle  de  saint  Antoine  et  de  saint 
Basile,  à  laquelle  fut  substituée  celle  de  saint  Benoit  le 
grand  réformateur  de  la  vie  monastique  en  Occident. 

Dans  cette  église  fut  enterré  Ghildebert  et  jusqu'à  la 
fondation  de  l'abbaj^e  de  Saint-Denis  au  septième  siècle, 
elle  servit  de  sépulture  aux  rois  et  reines  de  la  dynastie 
mérovingienne. 

Lors  des  grandes  invasions  des  pirates  normands, 
l'église  de  Saint-Germain  et  Saint-Yincent  fut,  en  853, 
le  jour  même  de  Pâques,  pillée  par  les  barbares  qui,  de 
plus,  avant  de  s'éloigner,  y  mirent  le  feu  ;  mais  il  put 
être  éteint  par  les  religieux  cachés  dans  les  environs,  et 
qui  promptement  accoururent.  En  886,  l'église  fut  de 
nouveau  envahie  et  pillée  par  les  Normands,  «  et,  dit  un 
vieil  historien,  mise  quasi  rès  pied  rès  terre.  ))  Elle  se 
releva  cependant  grâce  au  zèle  et  à  la  piété  des  reli- 
gieux, aidés  par  le  roi  de  France,  mais  s'appela  dès  lors 
du  nom  de  saint  Germain  seul  «  Saint-Germain-des- 
Prés,  à  cause  qu'elle  est  située  proche  des  prés  que  l'on 
nommait  des  Prés-aux-Clercs.  » 

Au  neuvième  siècle,  d'après  un  inventaire  laissé  par 
Irmion,  abbé  de  Saint-Germain-des-Prés,  l'abbaye 
comptait  dans  ses  domaines  ou  manses  plus  de  10,000 
personnes  qui  relevaient  d'elle,  hommes  libres,  colons, 
lides  (demi-serfs),  serfs  et  esclaves,  ces  derniers  au 
nombre  de  six  cents  seulement.  Les  sujets  de  l'abbaye 


372  LES   RUES   DE    PARIS. 

n'avaient  pas  à  se  plaindre  de  leur  condition,  relative- 
ment très-heureuse,  car  comme  le  dit  très-bien  l'écrivain 
déjà  cité  :  ((  Alors  que  l'Église  exerçait  sur  le  pauvre 
une  autorité  pleine  de  mansuétude  et  disputait  le  terrain 
aux  envahissements  de  la  force  brutale  et  du  sabre, 
cette  grande  puissance  territoriale  attestait,  quoiqu'on 
puisse  dire,  un  incontestable  progrès  social.  L'Église, 
en  effet,  assurait  seule  aux  masses  un  peu  de  sécurité  et 
de  paix;  elle  stipulait  pour  le  faible  et  pour  l'opprimé, 
et  ne  cessait  de  transformer  l'esclavage  en  servage,  le 
servage  en  colonat.  » 

L'église  Saint-Germain-des-Prés,  restaurée  assez  ré- 
cemment à  l'intérieur,  est  ornée  de  remarquables  pein- 
tures d'Hippolyte  Flandrin  à  qui,  par  reconnaissance,  un 
petit  monument  commémoratif,  orné  du  buste  de  l'ar- 
tiste, a  été  érigé  dans  une  travée  latérale  (celle  de  gauche). 

Disons  un  mot,  avant  de  terminer,  du  fameux  Pre- 
aux-Clercs,  doniil  est  fort  parlé  dans  les  vieilles  his- 
toire et  qui  a  donné  son  nom  à  l'une  de  nos  rues.  Le 
Pré-aux-Clercs  était  un  grand  terrain  appartenant  à 
l'abbaye  Saint-Germain-des-Prés  et  qui  d'abord,  se  dé- 
roulant en  forme  de  plaine,  occupait  tout  l'espace  com- 
pris entre  la  rueMazarine  et  les  Invalides.  Il  fut  réduit 
peu  à  peu  par  les  contructions  qui  s'élevèrent  de  divers 
côtés  ;  dans  le  champ  qui  restait,  très-vaste  encore,  les 
étudiants  de  l'Université  avaient  pris  l'habitnde  de  se 
donner  rendez-vous  «  pour  s'esbattre  ))  et  par  le  long 
temps,  une  sorte  de  prescription  s'établit  en  leur  faveur. 
Ce  qui  n'était  qu'une  tolérance  devint  un  droit  que 
l'abbaye  Saint-Germain-des-Prés  volontairement  et  gra- 
cieusement leur  reconnut. 


SAI>'T  EUSTACHE  (ÉGLISE) 


((  C'était,  dit  Sauvai,  une  chapelle  dédiée  à  Sainte- 
Agnès  et  qu'avait  fait  édifier  Jean  Mais  à  qui  la  cons- 
cience reprochait  d'avoir  mis  un  impôt  d'un  denier  sur 
chaque  panier  de  poisson.  » 

Cette  chapelle  existait  avant  le  XIP  siècle,  puisque, 
sous  Philippe-Auguste,  elle  devint  une  annexe  de  St- 
Germain  l'Auxerrois  ;  ce  ne  fut  que  longtemps  après, 
au  XVP  siècle,  qu'on  l'érigea  en  paroisse  sous  le  voca- 
ble de  St-Eustache.  Mais  la  chapelle,  tombant  en  rui- 
nes, avait  fait  place  à  la  magnifique  église  que  nous 
admirons  encore  aujourd'hui,  et  qui  fut  rebâtie  en  1532, 
((  d'une  architecture  gothique  mais  délicate  et  fort  ex- 
haussée. Il  semble  que  David  n'en  était  pas  le  premier 
architecte  et  ait  voulu  faire  revivre  l'architecture  gothi- 
que que  nous  avons  vue  mourir  en  France  »  dit  Sauvai, 
ayant  contre  ces  merveilles  du  moyen-âge  tous  les  pré- 
jugés de  son  temps.  Car  il  ne  parle  pas  autrement  que 
La  Bruyère,  et  chose  plus  inconcevable  que  Fénelon, 
dont  le  savoir  égalait  la  piété,  doué  au  plus  haut  degré 
du  sens  artistique,  et  qui  pourtant,  tout  à  fait  aveugle 
relativement  à  cet  admirable  art  gothique,  écrivit  sur 
ce  sujet  des  énormités. 

Faut-il  s'étonner  après  cela  d'entendre  Sauvai  nous 


374  LES   RUES   DE   PARIS, 

dire  sentencieusement  :  «  Du  Breul,  Gorrozet  et  les 
bonnes  gens  disent  merveilles  tant  de  son  architecture 
que  des  piliers  grêles  et  chargés  de  colonnes  en  l'air. 
Cette  grande  élévation  de  colonnes  et  un  tas  de  moulu- 
res qu'ils  ne  voient  point  ailleurs,  cette  prodigieuse  lon- 
gueur de  pilastres  et  exhaussement  des  voûtes,  qui  sont 
toutes  les  parties  vicieuses  de  l' architecture  (sic),  les  ont 
surpris.  Véritablement  il  y  a  quelques  chapiteaux  de 
colonnes  au  portail  de  l'aile  droite  dont  les  feuilles  sont 
fort  tendres  et  qui  seraient  des  plus  beaux  de  Paris  et 
des  meilleurs,  s'ils  n'étaient  un  peu  gothiques  par  en 
haut.  Il  y  en  a  de  pareille  manière  et  aussi  bonne  au 
côté  gauche  ;  et  c'est  la  seule  bonne  chose  qui  se  trouve 
dans  cette  église.  » 

Voilà  I  et  ces  sottises,  l'honnête  Sauvai,  qui  n'était 
point  un  sot  certes,  les  débite  en  toute  sûreté  de  cons- 
cience et  de  l'air  le  plus  content  du  monde.  A  quel  point 
le  préjugé,  sucé  dès  l'enfance,  peut-il  épaissir  ce  bandeau 
que  la  cécité  nous  met  sur  les  yeux,  puisque  Sauvai  les 
fermait  complètement  alors  à  ce  qui  nous  semble  au- 
jourd'hui ((  niais  d'évidence  »  comme  eût  dit  Toppfïer  ! 
Qui  de  nous,  maintenant,  en  entrant  dans  cette  magni- 
fique basilique,  n'est  saisi  d'une  émotion  religieuse 
mêlée  d'admiration  et  presque  de  stupeur,  devant  cette 
immensité,  j'allais  dire  cette  vastitude  de  l'édifice,  ces 
colonnes  qui  montent  à  une  si  prodigieuse  hauteur, 
soutenant  des  voûtes  qui  semblent  plus  près  du  ciel  que 
de  la  terre  ?  Dirai-je  la  majestueuse  simplicité  du  style 
et  ce  je  ne  sais  quoi  de  mystérieux,  qu'on  sent  partout 
dans  l'enceinte  et  que  favorise  la  lumière  vague  et  voi- 
lée tamisée  par  les  vitraux.  Cette  impression  profonde 


SAINT   EUSTACHE.  375 

que  de  fois  ne  l'ai -je  pas  ressentie  dans  cette  église  qui 
fut  longtemps  ma  paroisse,  impression  de  recueille- 
ment et  de  piété  qu'on  ne  s'attend  pas  à  éprouver  à  la 
vue  de  cette  déplorable  façade  d'un  style  si  différent  et 
qui  jure  tellement  avec  tout  le  reste.  Il  avait  été  ques- 
tion naguère  de  faire  disparaître  cet  anachronisme 
grossier  et  de  mettre  la  façade  en  harmonie  avec  le  style 
de  l'édifice.  Combien  n'est-il  pas  à  regretter  que,  par  des 
motifs  d'économie  sans  doute,  ce  projet  si  raisonnable 
n'ait  pu  être  réalisé. 

11  parait  qu'anciennement  dans  l'église  on  voyait  le 
tombeau  du  fondateur  de  la  chapelle  et  que  sur  la 
pierre  sépulcrale  on  lisait  cette  curieuse  épitaphe  que 
nous  n'avons  pas  retrouvée  : 

Ci  gist  Alain  de  la  rue  de  Grenelle, 

A  qui  Dieu  doint  (donne)  \ie  sempiternelle 

En  paradis,  où  sont  harpes  et  luts, 

Non  en  enfer  oii  damnés  sont  bouluts. 

Que  dirons-nous  de  ce  grand  purgatoire  ? 

Il  en  est  un,  ouy  dà,  tredame  voire  (vraiment)  ! 

On  remarque,  dans  cette  église,  le  grand  autel  du 
chœur  en  marbre  blanc  artistement  travaillé,  et  la  cha- 
pelle de  la  Sainte-Yierge,  une  des  plus  belles  qu'on 
voie  à  Paris,  même  en  dépit  de  peintures  assez 
étranges,  faites,  à  ce  qu'on  prétend,  pour  l'orner. 


NOTRE  MME  ET  L'HOTEL-DIEU 


NOTRE  DAME. 

«  Ce  chef-d'œuvre  d'architecture  gothique,  dit  un 
judicieux  historien,  est  situé  dans  l'Ile  de  la  Cité,  à  la 
place  d'une  chapelle  consacrée  à  la  Vierge,  à  St-Denis 
et  à  St-Etienne,  mais  dont  l'origine  est  inconnue.  Un 
second  temple,  qui  y  avait  été  élevé  au  VP  siècle  par 
les  soins  de  Childebert,  fut  réduit  en  cendres  par  les 
Normands  en  867.  Robert  dit  le  Pieux  résolut  la  recons- 
truction de  Notre-Dame;  son  fils,  Henri,  commença 
l'exécution  de  ce  projet,  et,  en  1661,  Maurice  de  Sully, 
évêque  de  Paris,  aidé  des  fidèles,  fit  poursuivre  les  tra- 
vaux avec  diligence.  Continuée  par  ses  successeurs, 
l'église  arriva  enfin  à  son  achèvement  vers  1257  ou 
1259  :  les  constructions  en  étaient  alors  dirigées  par 
l'architecte  Jean  de  Chelles.  On  croit  que  le  pape  Ale- 
xandre m  en  a  posé  la  première  pierre.  Bâtie  en  forme 
de  croix  latine,  l'église  Notre-Dame  a  390  pieds  de  long 
dans  œuvre,  144  pieds  de  large  et  101  pieds  de  haut  ; 
120  gros  piliers  soutiennent  les  voûtes  principales.  La 
nef  et  le  chœur  sont  accompagnés  de  doubles  bas-côtés 


NOTRE-DAME   ET  l'HOTEL-DIEU.  377 

écrasés  par  de  spacieuses  galeries  qui  régnent  tout  au- 
tour de  l'édifice.  La  façade  principale  se  fait  remarquer 
par  son  imposante  architecture,  son  élévation,  sa  sculp- 
ture pleine  de  détails.  Elle  est  terminée  par  deux 
grosses  tours  carrées  ayant  280  pieds  de  haut  :  on  y 
monte  par  380  degrés,  et  les  deux  tours  sont  liées  entre 
elles  par  deux  galeries  hors  d'œuvre  que  soutiennent 
des  colonnes  gothiques  d'une  délicatesse  surprenante. 
Dans  la  tour  du  sud  est  la  fameuse  cloche  nommée 
bourdon  qui  pèse  près  de  32  milliers.  Fondue  en  1682  et 
refondue  en  1685,  elle  eut  Louis  XIY  et  la  reine  pour 
parrain  et  marraine.  Son  battant  pèse  976  livres.  Il 
faut  16  hommes  pour  la  mettre  en  branle.  La  façade  de 
l'église  est  percée  de  trois  portes,  pratiquées  sous  des 
voussures  en  ogives  et  chargées  de  sculptures  '  » . 

Quelques  passages  de  cet  article  tendraient  à  faire 
croire  que  Maurice  de  Sully  ne  fît  que  donner  une  im- 
pulsion plus  \\YQ  aux  travaux  tandis  qu'en  réalité  c'est 
à  lui  que  Paris  doit  sa  cathédrale  ;  car,  pendant  les 
33  années  de  son  épiscopat,  il  ne  cessa  de  consacrer 
tous  ses  soins  à  cette  grande  entreprise.  L'édifice  sans 
doute  ne  s'acheva  que  sous  Eudes  ou  Odon,  son  succes- 
seur, et  même  certaines  parties  ne  furent  construites 
que  plus  tard,  mais  ce  qui  ne  paraît  pas  moins  certain, 
c'est  que  déjà  l'on  couvrait  le  chœur  lorsque  Maurice  de 
Sully  mourut  dans  l'abbaye  Saint-Yictor  qu'il  habitait 
depuis  quelques  mois  seulement. 

Ce  prélat  se  distinguait  entre  les  plus  pieux  et  les 
plus  savants  de  son  temps,  et  ses  contemporains  avaient 
en  très  grande  estime  ses  vertus,  encore  qu'il  n'ait  pas 

*  Louvet. 


378  LES   RUES  DE   PARIS. 

joué  un  rôle  important  dans  les  affaires  de  l'époque  et 
que  la  construction  de  la  cathédrale  ait  surtout  donné 
l'illustration  à  son  nom.  Yoici  un  trait  de  sa  vie  qu'on 
nous  saura  gré  de  rappeler  et  qui  est  tiré  d'un  sermon 
attribué  par  quelques-uns  à  saint  Bonaventure  et  par 
d'autres  à  un  théologien  du  XV^  siècle  nommé  Godescal 
Hollen  : 

Maurice  était  né  de  parents  très  pauvres  dans  le  vil- 
lage de  Sully  {SolUacd)  sur  les  bords  de  la  Loire.  Réduit 
dans  son  enfance  et  sa  jeunesse  à  vivre  d'aumônes,  il 
trouva  moyen,  en  mendiant,  de  gagner  Paris  où,  d'a- 
bord étudiant  émérite,  il  ne  tarda  pas  à  monter  lui- 
même  dans  l'une  des  chaires  comme  professeur  et  ses 
éclatants  succès  dans  l'enseignement  lui  valurent  un 
canonicat  à  Bourges,  puis  à  Paris  même,  où  il  fut 
promu  également  à  la  dignité  d'archidiacre.  C'est  alors 
qu'eut  lieu  l'événement  auquel  il  est  fait  allusion  phis 
haut. 

Un  matin,  une  femme  âgée,  vêtue  d'une  robe  de 
bure  usée  et  rapiécée,  un  bâton  blanc  à  la  main,  arrive 
dans  la  capitale  et  s'informe  où  demeurait  le  docteur 
Maurice  dont  elle  se  déclare  la  mère.  Sans  doute  elle  en 
fournit  la  preuve  ;  car  de  pieuses  dames  s'empressèrent 
de  lui  donner  l'hospitalité,  et,  craignant  que  l'archi- 
diacre ne  fût  humilié  s'il  voyait  sa  mère  dans  un  si 
pauvre  costume,  ils  habillèrent  la  voyageuse  de  vête- 
ments neufs  couverts  d'un  manteau  également  neuf, 
puis,  dans  cet  état,  la  conduisirent  à  son  fils.  Mais  à 
leur  grande  stupéfaction,  celui-ci,  quoiqu'il  eût  paru 
vivement  ému  d'abord,  se  remit  vite  et  froidement  il 
répondit  : 


KOTRE-DAME   ET  L'hOTEL-DIEU.  379 

—  Que  me  voulez-vous  et  que  prétend-on?  Je  ne  con- 
nais point  cette  femme  et  je  ne  saurais  l'avouer  pour 
ma  mère;  car  ma  mère,  qui  se  fait  gloire  de  la  pauvreté 
si  cil  ère  à  Notre- Seigneur,  ne  porta  jamais  que  des  vê- 
tements grossiers  et  dédaigne  tous  les  vains  ornements 
du  siècle. 

Puis,  non  sans  qu'il  parût  lui  en  coûter,  baissant  les 
yeux  et  détournant  la  tète,  il  s'éloigna  pendant  que 
l'étrangère,  interdite,  le  regardait  avec  une  stupeur 
douloureuse  ;  bientôt  de  ses  yeux  on  vit  couler  des  lar- 
mes et  les  sanglots  gonflaient  sa  poitrine. 

—  Ne  pleurez  pas  ainsi,  bonne  et  digne  femme,  reprit 
l'une  des  dames  qui  l'accompagnaient.  Ne  croyez  pas 
surtout  que  le  docteur  rougit  de  vous,  non,  pas  plus 
qu'il  ne  vous  méconnaît.  Son  émotion  d'abord  en  vous 
voyant  a  trahi  son  cœur  de  fils.  Mais,  par  sa  grande 
vertu  et  sa  haute  sagesse,  dominant  même  les  mouve- 
ments les  plus  vifs  de  la  nature,  il  a  voulu  sans  doute 
nous  donner  une  leçon,  à  nous,  mais  non  pas  à  vous^ 
sa  mère.  Venez,  nous  lui  prouverons  que  nous  avons 
compris.  » 

La  voyageuse  suivit  ses  protectrices  qui,  après  lui 
avoir  fait  reprendre  ses  premiers  et  humbles  vêtements, 
en  lui  rendant  son  bâton,  la  ramenèrent  vers  Maurice 
qu'elles  trouvèrent  au  milieu  d'une  nombreuse  et  bril- 
lante assemblée.  La  pauvre  femme  tremblait  plus  que 
jamais  en  approchant  de  ce  cercle  composé  des  person- 
nages les  plus  importants  de  la  ville  ;  mais  du  plus  loin 
que  xMaurice  l'aperçut,  quittant  sa  place  et  courant  à 
elle  à  travers  la  foule,  il  la  serra  tendrement  dans  ses 
bras  et  s'écria  avec  l'accent  d'une  émotion  profonde  : 


380  LES   RUES  DE  PARIS. 

—  Oh  I  cette  fois,  je  la  reconnais,  c'est  bien  ma  mère, 
ma  chère  bonne  et  vénérable  mère  I 

D'après  les  auteurs  qui  croient  authentique  cette 
anecdote,  elle  contribua  tout  particulièrement  à  rendre 
populaire  l'archidiacre  et  à  lui  mériter  le  plus  grand 
nombre  des  suffrages  lorsque  le  siège  de  Paris  devint 
vacant  par  la  mort  de  l'évêque  Pierre  Lombard  (H60). 

Un  mot  encore  avant  de  terminer  relatif  aux  cons- 
tructions de  l'église  Notre-Dame.  «  L'évêque  Maurice, 
dit  Sauvai,  la  rehaussa  sur  treize  grandes  marches 
qu'on  fut  contraint  d'enterrer  sous  Louis  XII  et  tout  de 
même  de  rehausser  la  rue  de  la  Juiverie  sitôt  que  le 
Petit-Pontet  le  pont  Notre-Dame  qu'on  rebâtissait  eurent 
été  achevés.  Jusque-là  Paris  n'avait  été  qu'une  ville 
fort  basse  et  sujette  en  hiver  à  souffrir  beaucoup  de 
l'eau  quand  la  rivière  était  haute.  » 

Corrozet,  le  bon  vieil  auteur,  avait  sans  doute  fourni 
ce  renseignement  à  Sauvai,  car  on  lit  dans  sa  Fleur 
des  antiquités  et  singularités  de  la  ville  de  Paris  (1552)  : 
«  On  montait  jadis  treize  degrés  pour  entrer  dans  cette 
église,  lesquels  sont  sous  le  pavé  à  cause  que  les  rues 
de  la  cité  ont  été  haussées  pour  obvier  à  l'inondation  de 
la  Seine.  » 

Il  nous  dit  de  l'église  :  «  Ce  temple  est  la  merveille  de 
France  pour  sa  grandeur  et  sa  forme....  Au  plus  haut 
se  présentent  en  vue  deux  hautes  tours  carrées,  de 
grandeur  merveilleuse,  mieux  ressemblantes  à  deux 
forteresses  de  défense  sur  un  rocher  qu'à  des  clochers 
lesquelles  ont  trente-quatre  toises  de  hauteur.  Les  clo- 
ches sont  si  grosses  qu'il  faut  dix-huit  ou  vmgt  hommes 
pour  ébranler  la  plus  matérielle  appelée  Marie,  le  son 


NOTRE-DAME   ET    L'hOTEL-DIEU.  381 

de  laquelle  en  temps  coi  et  de  nuit  se  peut  entendre  de 
sept  lieues  loin  de  la  ville. 

((  A  l'entour  des  deux  tours  sont  doubles  galeries  à 
deux  étages  dont  la  plus  haute  est  soutenue  de  colonnes 
ayant  leur  piédestal  dessus  la  première  ;  tout  au  plus 
haut  il  y  a  une  plate- forme  le  regard  de  laquelle  en  bas 
fait  sembler  les  hommes  aussi  petits  qu'un  oiseau... 
Brief,  c'est  le  spectacle  le  plus  grand  et  le  mieux  bâti  de 
la  chrétienté.  »  Est-il  besoin  de  rappeler,  que  pendant 
la  Commune,  ce  monument  des  vieux  âges  n'a  échappé 
que  par  miracle  et  grâce  au  dévoùment  des  internes  de 
l'Hôtel-Dieu,  à  l'incendie  allumé  par  des  mains  sacri- 
lèges. 


II 


L  HOTEL-DIEU. 

La  fondation  de  cet  hospice  est  attribuée  à  saint  Landry 
d'après  une  légende  insérée  au  Bréviaire  de  1492,  mais 
qui,  paraît-il,  ne  s'appuie  sur  aucun  document  très- 
certain.  Il  y  a  plus. 

((  Saint  Landry  est  mort  vers  l'an  606,  et  tout  porte  à 
croire,  dit  le  judicieux  Saint-Victor  \  qu'à  cette  époque 
l'Hôtel-Dieu  n'existait  point  encore.  On  trouve  même 
qu'en  690,  il  y  avait  sur  l'emplacement  où  il  est  situé  un 
monastère  de  filles  dont  Landetrude  était  abbesse.  Alors 
c'était  la  maison  de  l'évêque  qui  était  l'asile  des  mal- 

'  Tableau  historique  et  pittoresque  de  Paris. 


382  LES  RUES  DE  PARIS. 

heureux,  de  la  veuve  et  de  l'orphelin.  Le  pauvre  et  le 
malade  y  trouvaient  des  secours  et  des  consolations  ;  elle 
servait  encore  de  retraite  aux  pèlerins  et  aux  voya- 
geurs ;  et  les  annales  de  l'église,  celles  de  la  monarchie, 
les  actes,  les  récits  les  plus  authentiques  nous  représen- 
tent les  évêques  de  Paris ,  dignes  successeurs  des 
apôtres,  livrés  par  dessus  tout  à  ces  pieux  devoirs.  On 
les  voyait,  excitant  le  clergé  par  l'ardeur  de  leur  zèle  et 
de  leur  charité,  se  faire  un  plaisir  et  une  gloire  de  rece- 
voir tous  ceux  que  leur  affliction  ou  leurs  besoins  con- 
duisaient vers  eux,  leur  laver  les  pieds,  les  servir  eux- 
mêmes  à  table,  leur  administrer  les  sacrements  et  leur 
prodiguer  ainsi  tous  les  secours  de  Tàme  et  du  corps.» 

Tel  était  saint  Landry,  qu'il  ait  ou  non  fondé  l'hos- 
pice connu  depuis  sous  le  nom  de  l'Hôtel-Dieu  qui  cer- 
tainement existait  déjà  sous  le  règne  de  Gharlemagne 
puisque  nous  voyons,  par  un  acte  de  l'an  de  grâce  829, 
que  l'évèque  Inchade  assigne  à  cette  maison  les  dîmes 
des  biens  dont  il  avait  gratifié  son  chapitre,  ce  qui 
prouve  que  l'Hôtel-Dieu  existait  antérieurement  et  que 
l'évèque  et  son  chapitre  y  avaient  certains  droits  soit 
pour  l'avoir  fondé,  soit  pour  avoir  contribué  à  le  doter. 

Le  nombre  des  pauvres  et  des  malades  allant  en 
augmentant  avec  la  population,  l'établissement  dut 
s'accroître  en  proportion.  Nous  voyons  qu'en  1217, 
d'après  les  nouveaux  statuts  dressés  par  Etienne,  doyen 
de  Paris,  de  concert  avec  le  chapitre,  il  est  établi,  pour 
l'administration  de  cette  maison,  quatre  prêtres,  quatre 
clercs  laïques,  et  vingt-cinq  sœurs  ;  tous  doivent  garder 
la  chasteté,  vivre  dans  la  pauvreté  et  en  commun,  sou- 
mis au  Chapitre,  aux  proviseurs  et  à  celui  des  prêtres 


NOTRE-DAME   ET  L'hOTEL-DIEU.  383 

que  l'on  qualifiait  du  titre  ào.  Maître  de  la  maison  de  Dieu. 

Au  commencement  du  seizième  siècle,  l'hôpital  ou 
l'hospice  (car  il  fut  longtemps  l'un  et  l'autre)  fut  mis 
sous  la  direction  des  chanoines  réguliers  de  saint  Augus- 
tin et  dès  lors  desservi  par  des  sœurs  dites  angustines 
dont  le  nombre,  dans  le  siècle  suivant,  s'élevait  à  plus 
de  cent  «  occupées  à  soigner  les  malades  de  tout  âge,  de 
))  toute  condition,  de  tout  pays,  de  toute  religion  qui  y 
»  étaient  admis  »  dit  un  écrivain  du  temps  ;  il  s'en  trou- 
vait d'ordinaire  plus  de  3^000  sans  les  pauvres.  Voici 
l'admirable  portrait  qu'un  témoin  oculaire  (Helyot)  nous 
fait  de  ces  saintes  filles  : 

((  Le  cardinal  de  Vitry  a  sans  doute  voulu  parler  des 
religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  lorsqu'il  dit  qu'il  y  en  avait 
qui  se  faisaient  violence,  souftraient  avec  joie  et  sans 
répugnance  l'aspect  hideux  de  toutes  les  misères 
humaines  et  qu'il  lui  semblait  qu'aucun  genre  de  péni- 
tence ne  pouvait  être  comparé  à  cette  espèce  de  martyre. 

((  Il  n'y  a  personne  qui,  en  voyant  les  religieuses  de 
l'Hôtel-Dieu,  non-seulement  panser,  nettoyer  les  ma- 
lades, faire  leurs  lits,  mais  encore,  au  plus  fort  de  l'hi- 
ver, casser  la  glace  de  la  rivière  qui  passe  au  milieu  de 
cet  hôpital,  et  y  entrer  jusqu'à  la  moitié  du  corps  pour 
laver  leurs  linges  pleins  d'ordures  et  de  vilenies,  ne  les 
regarde  comme  autant  de  saintes  victimes  qui,  par  un 
excès  d'amour  et  de  charité  pour  secourir  leur  prochain, 
courent  volontiers  à  la  mort  qu'elles  afirontent,  pour 
ainsi  dire,  au  milieu  de  tant  de  puanteur  et  d'infection, 
causées  par  le  grand  nombre  des  malades.  » 

Grâce  au  ciel  et  à  de  continuelles  améliorations,  ce  ta- 
bleau dans  certaines  parties  n'est  plus  exact  et  l'on  ne  res- 


384  LES   RUES   DE    PARIS. 

pire  aujourd'hui  ni  puanteur  ni  infection  dans  ces  vastes 
salles  de  l'Hôtel  de  Dieu  dont  le  visiteur  ne  se  lasse  pas 
d'admirer  la  merveilleuse  propreté.  Comme  au  siècle 
d'Helyot  d'ailleurs,  il  voit  au  chevet  des  malades  les 
bonnes  religieuses  augustines,  vigilantes,  empressées, 
souriantes,  donner  l'exemple  de  l'abnégation  et  du  zèle, 
et,  s'il  le  faut,  comme  dans  les  temps  d'épidémie, 
l'exemple  du  plus  héroïque  dévoûment. 


LES  BOUES  DE  PARTS 


((  Tous  les  ans,  il  se  lève  cent  mille  francs,  pour  char- 
rier les  boues  de  Paris,  cependant  il  n'y  a  point  de  ville 
au  monde  plus  boueuse  et  plus  sale  ;  et  quoique  on  ait 
assez  fait  de  propositions  [)our  le  rendre  net,  jamais 
elles  n'ont  été  écoutées,  ou  parce  que  la  chose  passait 
pour  impossible,  ou  parce  que  c'est  un  revenu  considé- 
rable pour  quelques  grands  qui  en  profitent. 

«  Ces  boues  au  reste  sont  noires,  puantes,  d'une  odeur 
insupportable  aux  étrangers,  qui  pique  et  se  fait  sentir 
trois  ou  quatre  lieues  à  la  ronde.  De  plus  cette  boue, 
outre  sa  mauvaise  odeur,  quand  on  la  laisse  sécher  sur 
de  l'étoffe,  y  laisse  de  si  fortes  taches  qu'on  ne  saurait 
les  ôter  sans  emporter  la  pièce,  et  ce  que  je  dis  des  étoffes 
doit  s'entendre  de  tout  le  reste,  parce  qu'elle  brûle  tout 
ce  qu'elle  touche  ;  ce  qui  a  donné  lieu  au  proverbe  :  // 
tient  comme  boue  de  Paris. 

«  Pour  découvrir  la  cause  de  celte  ténacité  et  puan- 
teur, il  faut  savoir  que  les  salpètriers,  d'une  part,  y 
trouvent  du  soufre,  ou  du  salpêtre  et  du  sel  fixé  et  que 
les  hermétiques,  d'autre  part,  y  séparent  beaucoup  de 
sel  volatil  et  nitreux  ;  tellement  qui  si  elle  tache  et 
brûle,  c'est  par  le  moyen  du  soufre  qui  est  plein  de  feu, 
et  sa  grande  puanteur  lui  vient  du  sel  volatil  qui  est 
subtil  et  sent  fort  mauvais,  et  peut-être  est-ce  lui  qui 

TOME  III.  2* 


386  LES   RUES   DE    PARIS. 

corrompt  l'eau  des  puits  :  on  l'appelle  volatil  à  cause 
qu'il  s'évapore,  et  se  répand  au  loin  :  et  de  là  vient  aussi 
qu'on  sent  de  si  loin  les  boues  de  Paris....  Après  tout, 
Paris  serait  moins  sale  si  les  rues  avaient  plus  d'air,  de 
largeur  et  de  pente.  » 

Sauvai,  s'il  revenait  au  monde  aujourd'hui,  aurait 
lieu  de  se  montrer  satisfait  ;  car  ce  n'est  ni  l'air  ni  la 
largeur  qui  manquent  à  nos  rues,  non  plus  que  le  soleil, 
soit  dit  en  passant.  Quant  aux  boues,  dont  il  se  plaignait 
si  fort,  et  avec  raison,  elles  n'existent  plus,  sauf  dans 
quelques  rues  étroites  en  petit  nombre,  que  pour  mé- 
moire, alors  que  chaque  matin,  des  voitures  spéciales 
enlèvent  les  immondices  déposées  devant  les  maisons. 
Les  eaux  des  ruisseaux  entraînent  le  reste  avec  elles 
dans  les  égouts  ;  ceux-ci,  comme  on  sait,  par  de  récents 
et  immenses  travaux,  forment  sous  la  ville  elle-même 
une  autre  cité  souterraine  sillonnée  en  tous  sens  par 
des  canaux  qui  ne  se  jettent  plus  comme  autrefois  cà  et 
là  dans  la  Seine  souillée  de  leurs  impuretés,  mais  vont 
se  perdre  dans  le  grand  égout  collecteur,  situé  au-dessous 
de  Paris. 

Combien  cet  état  de  choses  est-il  différent  de  celui  que 
déplorait  Sauvai,  et  auquel  il  ne  fut  remédié  d'abord 
que  très-insuffisamment.  Pendant  longtemps,  ce  qu'on 
appelait  à  Paris  le  grand  égout,  n'était  que  le  lit  d'un 
grand  ruisseau  descendant  de  Ménilmontant,  qui 
avec  le  temps  n'avait  plus  fait  qu'un  fossé  boueux  et 
profond,  serpentant  à  travers  la  ville,  du  faubourg  du 
Temple  jusqu'au  Roule  et  à  Chaillot,  et  recevant  dans 
ce  long  parcours  tous  les  embranchements  d'égouts 
venant  des  autres  quartiers,  le  tout  à  ciel  ouvert.  On 


LES   BOUES   DE    PARIS.  387 

imagine,  dans  la  saison  d'été,  quelles  odeurs  répandait 
sur  son  passage  ce  fleuve  immonde,  pire  que  l'Acliéron 
ou  le  Cocyte.  Cet  état  de  choses  dura  pourtant  jusqu'au 
commencement  du  XVIIP  siècle  où  l'on  chercha  par  des 
améliorations  successives  à  remédier  au  mal.  Les  plus 
importantes  furent  dues  àTurgot,  prévôt  des  marchands 
en  1737  ;  il  conçut  le  projet  de  changer  le  cours  du 
grand  égout  qui  irait  en  ligne  droite  d'un  point  à  un 
autre,  ce  qui  fut  exécuté  sous  la  direction  de  l'architecte 
Beausire.  Le  nouvel  égout  fut  creusé  plus  profondément, 
dallé  en  pierres  taillées  en  caniveaux,  avec  des  berges 
maçonnées.  De  plus,  rue  des  Fossés  du  Temple,  un  vaste 
réservoir,  solidement  construit  et  alimenté  par  deux 
grandes  machines  hydrauliques,  fournissant  une  masse 
d'eaux  considérable,  en  quelques  heures,  permettait  de 
laver  le  grand  égout.  Tout  était  terminé  en  17  iO. 

Yingt  ans  après  seulement  (1760),  les  propriétaires 
des  terrains  longeant  le  canal  avisèrent  aie  faire  cou- 
vrir d'une  voiite  en  établissant  partout  des  ventilateurs. 
Mais  alors  comme  longtemps  après,  il  n'existait  pas 
d'autres  égouts  souterrains,  et  les  ruisseaux  continuaient 
de  charrier  à  travers  la  ville,  jusqu'au  grand  réceptacle, 
tout  ce  que  les  eaux  d'évier  et  autres  leur  amenaient. 
Les  immenses  travaux  dont  nous  avous  parlé  plus  haut, 
et  qui  ont  contribué  si  fort  à  l'assainissement  de  Paris, 
ne  datent  que  du  commencement  du  siècle,  et  les  plus 
importants  remontent  seulement  à  quelques  années.  Il 
semble  qu'il  y  ait  peu  de  chose  à  faire  pour  que  la  capi- 
tale de  la  France  soit,  au  point  de  vue  de  la  propreté,  la 
cité  modèle.  Elle  a  déjà  tout  à  fait  cessé  de  mériter  son 
nom  de  Lutetia,  ville  de  Boue, 


LA  COLONNE  DE  LA  GRANDE  ARMEE 


Dans  la  rue  de  la  Paix,  au  milieu  de  la  place  Ven- 
dôme qui  la  sépare  en  deux  parties,  s'élève  la  Colonne 
dite  de  la  Grande  Armée,  érigée  en  l'honneur  de  celle-ci 
par  l'ordre  de  Napoléon  P^  Elle  n'est  pas  seulement 
une  Colonne  triomphale,  mais  un  véritable  trophée, 
puisque,  de  la  basse  au  sommet,  le  bronze  qui  servit 
pour  les  nombreux  bas-reliefs,  est  le  bronze  même  des 
canons  enlevés  à  l'ennemi  :  ce  qui  fait,  comme  on  l'a 
dit,  de  cette  colonne  un  monument  tout  à  fait  original 
encore  que  la  forme  soit  imitée  des  colonnes  triomphales 
antiques. 

((  On  sait  que  la  Colonne,  écrit  M.  Miel,  commencée 
en  1806  et  achevée  en  1810,  fut  un  hommage  de  Napo- 
léon à  la  Grande  Armée.  L'histoire  de  la  campagne 
d'Allemagne  en  1805,  terminée  par  la  bataille  d'Aus- 
terlitz  et  la  paix  de  Presbourg,  au  bout  de  deux  mois, 
est  écrite  en  bronze  dans  la  série  des  bas-reliefs  qui  for- 
ment le  revêtement  du  fut.  Nous  n'insisterons  ni  sur  la 
grandeur  homérique  des  images,  ni  sur  le  mérite  de  la 
statuaire  confiée  à  l'élite  de  nos  sculpteurs,  ni  sur  l'art 
et  l'habileté  avec  laquelle  cette  spirale  se  développe,  ni 
sur  l'intelligence  qui  en  a  combiné  l'exécution  de  ma- 
nière que  les  saillies  et  les  renfoncements  de  la  sculp- 


LA   COLONNE    ET   LA   GRANDE   ARMÉE.  389 

ture  altérassent  le  moins  possible  la  pureté  du  galbe,  la 
première  recommandation  d'une  colonne.  Toutes  ces 
qualités  sont  appréciées  depuis  longtemps.  Nous  nous 
bornerons  à  quelques  détails  relatifs  à  la  construc- 
tion. )) 

L'architecte  du  monument  fut  M.  Le  Père.  Ce  n'est 
pas  lui  qu'on  avait  choisi  tout  d'abord,  mais  M.  Gon- 
doin,  qui,  quoique  homme  de  talent,  hésitant  devant  les 
difficultés  d'exécution,  proposa  l'essai  d'une  colonne 
provisoire  sur  laquelle  on  appliquerait  les  modèles 
devant  servir  au  moulage  des  bronzes.  Cette  idée  fut 
peu  goûtée  par  M.  Denon  qui,  se  rappelant  l'esprit  in- 
ventif de  M.  Le  Père,  son  collègue  à  l'Institut  d'Egypte, 
voulut  après  l'avoir  consulté,  qu'il  fût  associé  à  l'entre- 
prise. Le  Père,  repoussant  vivement  le  projet  d'une  co- 
lonne provisoire,  fit  des  dessins  et  des  plans  pour  un 
monument  définitif,  ail  démontra,  par  des  calculs  rigou- 
reux, la  manière  de  placer  les  bronzes,  sans  aucun  scel- 
lement dans  la  pierre  ;  il  détermina  le  nombre  et  la 
forme  de  toutes  les  pièces  en  tenant  compte  de  la  dila- 
tation et  de  la  condensation  du  métal.  » 

Le  projet  fut  adopté,  et  ce  qui  fait  le  plus  grand 
honneur  à  M.  Gondoin,  c'est  qu'après  l'avoir  examiné 
dans  tous  ses  détails,  il  dit  à  son  collègue. 

{(  Mon  ami,  votre  travail  est  parfait  ;  je  ne  vois  rien 
à  y  ajouter  :  demeurez -en  chargé  ;  je  m'en  rapporte  à 
vous.  » 

L'exécution  réussit  à  souhait  et  à  la  complète  satis- 
faction de  l'Empereur  qui,  déjà  préoccupé  de  la  pensée 
d'un  autre  monument  à  ériger  sur  le  terre-plein  du 
Pont- Neuf,  dit  à  plusieurs  reprises  : 

TOME   III.  22^ 


390  LES   RUES  DE   PARIS. 

((  C'est  Le  Père  qui  fera  l'obélisque.  » 

Mais  de  ce  dernier  monument  le  soubassement  seul 
fut  exécuté  et  même  pas  entièrement.  Pour  en  revenir 
à  la  Colonne,  la  figure  de  l'Empereur  se  trouvant  dans 
presque  tous  les  bas-reliefs,  Le  Père  n'était  point  d'avis 
que  la  statue  du  grand  capitaine  surmontât  le  monu- 
ment, et  il  déclara  qu'une  figure  de  la  Victoire  serait 
préférable.  Mais  cette  opinion  ne  prévalut  point  et 
M.  Denon,  qui  sans  doute  recevait  de  haut  ses  inspira- 
tions, fit  couler  en  bronze  la  statue  de  Napoléon,  ren- 
versée en  1814  par  les  ennemis  triomphants  et  dont  le 
bronze  servit  ensuite  pour  la  statue  de  Henri  IV. 

Aujourd'hui,  une  statue,  faite  sur  le  même  modèle  et 
drapée  à  l'antique  parM.  Dumont,  surmonte  de  nouveau 
la  colonne  en  remplacement  du  Napoléon  moins  acadé- 
mique, avec  le  petit  chapeau  et  la  redingote  légendaires, 
qui  s'y  voyait  depuis  les  premiers  temps  du  règne  de 
Louis -Philippe.  A  vrai  dire,  on  peut  douter  que  le 
changement  soit  heureux,  et  que  le  peuple  reconnaisse 
aussi  facilement  le  héros  des  temps  modernes,  dans  ce 
personnage  dont  les  traits  à  cette  hauteur  ne  peuvent 
se  distinguer,  et  qui  nous  apparaît  afiublé  de  son  banal 
costume  d'empereur  romain.  Je  ne  puis  être  sous  ce 
rapport  de  l'avis  de  feu  M.  Hittorf,  l'éminent  architecte, 
qui  écrivait,  en  1836,  dans  Y  Encyclopédie  des  gens  du 
monde  : 

«  En  fait  d'art,  le  costume  consacré  des  héros  conve- 
nait mieux  que  le  vêtement  ingrat  de  l'époque....  C'est 
surtout  en  voyant  la  belle  tête  de  Napoléon,  telle 
qu'elle  existe  sur  nos  monnaies,  telle  qu'elle  est  gravée 
dans  la  mémoire  de  ses  contemporains,  avec  son  front 


LA   COLOxNNE    ET  LA   GRANDE   ARMÉE.  391 

tout  puissant  disparaître  sous  ce  chapeau  à  trois  pointes, 
la  coiffure  la  plus  laide,  comme  elle  est  la  plus  insensée 
(oh  !  oh  !)  ;  c'est  surtout  à  cette  vue  que  tout  homme  de 
goût  s'afflige  et  regrette  que  l'application  des  principes 
les  plus  faux  ait  ainsi  déparé  le  monument  le  plus  popu- 
laire de  la  capitale.  » 

L'élévation  totale  du  monument,  compris  la  statue 
et  le  piédestal,  est  de  136  pieds.  L'escalier  intérieur 
compte  180  marches.  Le  poids  total  du  bronze  employé 
pour  la  construction  et  les  différentes  pièces  au  nombre 
de  378,  est  de  513,920  livres. 

Victor  Hugo  a  fait  une  Ode  à  la  Colonne  qui  est  assu- 
rément une  de  ses  meilleures  poésies  lyriques  ^  It  était 
poète  alors  et  poète  national  : 

0  monument  vengeur  !  trophée  indélébile  ! 
Bronze  qui,  tournoyant  sur  ta  base  immobile^ 
Semblés  porter  au  ciel  ta  gloire  et  ton  néant. 


Débris  du  grand  Empire  et  de  la  Grande  Armée, 
Colonne  d'où  si  haut  parle  la  renommée. 
Je  t'aime  :  l'étranger  t'admire  avec  effroi. 
J'aime  les  vieux  héros  sculptés  par  la  Victoire^ 

Et  tous  ces  fantômes  de  gloire 

Qui  se  pressent  autour  de  toi. 

Bravo  !  Et  les  autres  vingt  -  sept  strophes  valent 
celle-ci. 

Le  poète  n'avait  que  vingt-cinq  ans  !  Oh  !  s'il  fut  resté 
fidèle  à  ses  premières  croyances  religieuses  et  patrio- 
tiques, à  quelles  hauteurs  il  planerait  aujourd'hui  ! 

'  Odes  et  BalladeSj  Litre  VII, 


392  LES   RUES  DE   PARIS. 

Voilà  ce  que  nous  écrivions  en  1869  ou  1870,  hier 
éloigné  de  prévoir  ce  que  personne  alors  n'eut  imagine 
possible ,  ce  crime  de  lèse-patriotisme  qui  souleva 
naguère  d'indignation  la  France  presque  entière,  troj 
tôt,  faut-il  le  dire  ?  trop  tôt  calmée,  trop  vite  oublieuse  !.. 

On  sait  pourtant  comment,  dans  quelles  circonstances, 
par  quelles  mains,  des  mains  françaises  I  hélas  !  esi 
tombé  ce  monument  entre  tous  glorieux  et  qui,  grâce 
au  vote  de  l'Assemblée  nationale,  ne  tardera  pas  à  se 
relever.  Seulement,  d'après  le  décret,  la  statue  de  Is 
France  doit  remplacer  au  sommet  celle  de  Napoléon  P^ 


COUR  DES  MIRACLES 


((  De  tant  de  Cour  des  Miracles,  il  n'y  en  a  point  de 
plus  célèbre  que  celle  qui  conserve  encore,  comme  par 
excellence,  ce  nom.  Elle  consiste  en  une  place  d'une 
grandeur  très-considérable,  et  en  un  très-grand  cul-de- 
sac  puant,  boueux,  irrégulier,  qui  n'est  point  pavé  ;  elle 
se  trouve  entre  la  rue  Montorgueil,  le  couvent  des 
Filles-Dieu  et  la  rue  Neuve  Saint-Sauveur,  comme  dans 
un  autre  monde.  Pour  y  venir,  il  se  faut  souvent  égarer 
dans  de  petites  rues,  vilaines,  puantes,  détournées  ; 
pour  y  entrer,  il  faut  descendre  une  assez  longue  pente 
de  terre,  tortueuse,  raboteuse,  inégale.  J'y  ai  vu  une 
maison  de  boue  à  demi- enterrée,  toute  chancelante  de 
vieillesse  et  de  pourriture,  qui  n'a  pas  quatre  toises  en 
carré,  et  où  logent  néanmoins  plus  de  cinquante  mé- 
nages chargés  d'une  infinité  de  petits  enfants,  légi- 
times, naturels  et  dérobés.  On  m'assura  que,  dans  ce 
petit  logis  et  dans  les  autres,  vivaient  plus  de  cinq  cents 
grosses  familles  entassées  les  unes  sur  les  autres.  Quel- 
que grande  que  soit  cette  coi<r,  elle  l'était  autrefois  bien 
davantage,  bordée  d'un  côté  par  exemple  aujourd'hui 
de  jardins  qui  autrefois  étaient  des  logis  bas,  enfoncés, 
obscurs,  difformes,  faits  de  terre  et  de  boue  et  tout 
pleins  de  mauvais  pauvres. 


394  LES   RUES   DE   PARIS. 

«  ....  Comme  en  la  rue  des  Francs-Bourgeois,  on  ne 
savait  ce  que  c'était  eu  ce  lieu  que  de  payer  taxes  et 
impositions  civiles  ;  les  commissaires  et  sergents  n*y 
venaient  que  pour  y  recevoir  des  injures  et  des  coups. 
On  s'y  nourrissait  de  brigandages,  on  s'y  engraissait 
dans  l'oisiveté,  dans  la  gourmandise,  et  dans  toutes 
sortes  de  vices  et  de  crimes  ;  là,  sans  aucun  soin  de 
l'avenir,  chacun  jouissait  à  son  aise  du  présent,  et  man- 
geait le  soir  avec  plaisir  ce  qu'avec  Lien  de  la  peine,  et 
souvent  avec  bien  des  coups,  il  avait  gagné  tout  le  jour; 
car  on  y  appelait  gagner  ce  qu'ailleurs  on  appelle  déro- 
ber ;  et  c'était  une  des  lois  fondamentales  de  la  cour  des 
miracles  de  ne  rien  garder  pour  le  lendemain.  Chacun 
y  vivait,  dans  une  grande  licence  ;  personne  n'y  avait 
ni  foi  ni  loi  ;  on  n'y  connaissait  ni  baptême,  ni  mariage, 
ni  sacrements.  11  est  vrai  qu'en  apparence  ils  semblaient 
reconnaître  un  Dieu  ;  pour  cet  effet,  au  bout  de  leur 
cour,  ils  avaient  dressé,  dans  une  grande  niche,  une 
image  de  Dieu  le  Père,  qu'ils  avaient  volée  dans  quelque 
église,  et  où  tous  les  jours,  ils  venaient  adresser  quelques 
prières  ;  mais  ce  n'était  en  vérité  qu'à  cause  que  supers- 
titieusement ils  s'imaginaient  que  par  là  ils  étaient 
dispensés  des  devoirs  dus  par  les  chrétiens  à  leur  Pas- 
teur et  à  leur  Paroisse,  même  d'entrer  dans  l'église  que 
pour  gueuser  (mendier)  et  couper  les  bourses.  »  (Sauval). 

Les  gueux  se  nommaient  Argotiers  de  leur  langage 
appelé  Argot  :  «  Ils  sont  tant  qu'ils  composent  un  gros 
royaume  :  ils  ont  un  roi,  des  lois,  des  officiers,  des  états 
et  un  langage  tout  particulier....  Leurs  officiers  se  nom- 
maient Cagoux,  Archisuppôts  de  l'Argot,  Orphelins, 
Marcandiers,  Rifodés,  Malin greux,  et  Capons,  Piètres, 


COUR    DES    MIRACLES.  395 

Fraucs-mitoux,  Narquois,  Calots,  Sabouleux,  Hubins, 
Coqiiillarts,  Courteaux  de  Boutanche.  »  Tous  ces  noms 
leur  venaient  des  différentes  manières  d'exercer  la 
gueuserie.  Les  Xarquois  par  exemple  étaient  des  misé- 
rables qui ,  l'épée  au  côté,  et  vêtus  de  guenilles, 
contrefaisaient  les  soldats  estropiés.  Les  Marcandiers 
((  grands  pendards  qui  d'ordinaire  allaient  deux  à 
deux  vêtus  d'un  bon  pourpoint  et  de  méchantes  chaus- 
ses )),  se  disaient  de  pauvres  marchands  ruinés  par  la 
guerre,  le  feu  ou  tels  autres  accidents.  De  petits  coquins, 
qu'on  voyait  mendier  par  troupes  de  trois  ou  quatre, 
s'appelaient  les  Orphelins.  Les  Rifodés  accompagnés  de 
femmes  et  d'enfants,  exhibaient  un  certificat  attestant 
qu'ils  étaient  des  infortunés  «  brûlés  avec  tout  leur  bien 
du  feu  du  ciel  ou  par  fortune.  )>  Les  Mcdingreux  contre- 
faisaient les  hydropiques  ou  montraient  leurs  bras, 
leurs  jambes  couverts  de  faux  ulcères  ;  les  Piètres,  ne 
marchant  qu'avec  des  potences  (béquilles),  simulaient 
d'autres  infirmités,  de  même  qyxQlesFroncs-riiitoux  etles 
Sabouleux  ;  ceux-ci  contrefaisaient  les  épileptiques,  etc. 

Tous  ils  avaient  pour  roi  un  gueux  nommé  le  Grand 
Coësre,  quelquefois  le  roi  de  Thumes,  <(  à  cause  d'un 
scélérat  appelé  de  la  sorte  qui  fut  roi  trois  ans  de  suite, 
et  qui  se  faisait  traîner  par  deux  grands  chiens  dans 
une  petite  charrette  et  mourut  à  Bordeaux  sur  une  roue.» 

N'est-il  pas  étrange  de  voir  unpareil  état  de  choses  flo- 
rissant encore  en  plein  XYIP  siècle  et  qu'il  ait  pu  se  per- 
pétuer si  longtemps  par  la  tolérance  ou  l'impuissance 
de  l'administration  ?  En  1630,  les  édiles  du  temps 
avaient  imaginé  de  faire  passer  une  rue  tout  au  travers 
de  la  Cour  des  Miracles j  ce  qui  eût  forcé  beaucoup  de  ses 


396  LES   RUES   DE   PARIS. 

locataires  à  déloger  et  détruit  en  tout  ou  partie  le  quar- 
tier général  de  la  gueuserie.  Mais,  quand  les  ouvriers 
arrivèrent  armés  de  la  pioche  et  du  marteau,  ils  furent 
reçus  de  telle  façon,  à  coups  de  pierre  et  de  bâton,  sans 
compter  les  injures,  qu'ils  prirent  la  fuite  et  ne  revin- 
rent plus.  Les  choses  en  restèrent  là  pour  la  plus  grande 
gloire  du  roi  de  Thumes  et  de  ses  vassaux. 

Certes  il  n'en  pourrait  plus  être  ainsi  aujourd'hui  et 
il  faut  bien  convenir  que  la  police  est  autrement  faite. 
La  Cour  des  Miracles  en  particulier  n'abrite  plus  un 
peuple  à  part,  pour  qui  toutes  les  lois  divines  et  hu- 
maines sont  lettre  morte.  On  y  paie  la  cote  personnelle, 
comme  l'impôt  des  portes  et  fenêtres  et  aussi  les  autres. 
Pas  plus  de  vacarme  là  qu'ailleurs  ;  le  commissaire  de 
police  comme  le  sergent  de  ville  et  le  gendarme  peuvent 
s'y  promener  tranquillement  sans  le  moindre  risque 
d'être  assommés.  Plus  d'un  même  leur  tire  en  passant 
sa  casquette. 

Faut- il  ajouter  en  terminant  que  le  socialisme  dont  il 
se  fait  aujourd'hui  tant  et  trop  de  bruit,  est  un  mot,  un 
grand  mot,  nouveau  pour  une  chose  qui  ne  l'est  guère, 
vieille  comme  le  monde  et  la  paresse  laquelle  est  née  avec 
l'homme.  Les  braves  Ai^gotiers  avaient  résolu  le  problème 
dont  force  gens  se  tracassent  la  cervelle  aujourd'hui  : 
vivre  et  vivre  joyeusement  en  travaillant  le  moins  pos- 
sible ou  même  pas  du  tout.  Tous  ces  drôles,  avec  leurs 
industries  si  diverses  et  peu  fatigantes,  faisaient  du 
socialisme  pratique,  comme  M.  Jourdain  de  la  prose  sans 
le  savoir.  Présentement  au  contraire,  nos  gens  les  uns 
charlatans  et  les  autres  dupes,  prenant  la  chose  au 
sérieux,  font  des  programmes  et  des   coalitions  qui 


COUR   DES   MIRACLES.  397 

ruinent  patrons  et  ouvriers;  ils  rédigent  des  journaux, 
s'enrôlent  dans  les  sociétés  secrètes,  exploitent  leurs 
adhérents  au  profit  d'ambitions  et  de  convoitises  sour- 
noises, qui,  pour  arriver  à  leurs  fins  et  réaliser  leurs 
chimères,  s'inquiètent  peu  de  bouleverser  le  monde.  Et 
tout  cela  se  fait  avec  des  airs  solennels  de  Carême-Pre- 
nant en  deuil  de  Mardi-Gras,  et  des  mots  longs  d'une 
aune,  et  des  phrases  qui  sonnent  creux  pour  le  bon  sens, 
mais  font  dresser  des  milliers  d'oreilles  d'autant  plus 
charmées  que  la  langue  est  plus  inconnue.  C'est  une 
musique  avec  variations  à  laquelle  chaque  auditeur  fait 
dire  ce  qui  lui  plait. 

Franchement  l'autre  système  valait  mieux,  il  semble 
plus  gai  et  la  langue  des  Argotiers  plus  intelligible  et 
plus  plaisante  que  celle  de  MM.  les  humanitaires.  Mais 
les  Argotiers,  au  dire  des  nouveaux  adeptes,  étaient  des 
feignants,  tandis  qu'aujourd'hui  les  confrères,  qui  veulent 
au  fond  les  mêmes  choses,  ne  rien  faire  et  joyeusement 
vivre,  invoquent  leurs  droits  et  se  qualifient  travailleurs. 

Je  doute  qu'entre  ceux  qu'en  voit  les  plus  zélés  il  soit 
beaucoup  de  millionnaires. 


TOME  m.  .  23 


LE  PREVOT  DES  MARCHANDS 


T 


Dans  les  circonstances  actuelles,  il  nous  a  paru  qu'il 
était  intéressant  de  rechercher  et  de  montrer  ce  qu'était 
autrefois,  et  ce  que  fut  pendant  toute  une  longue  suite 
de  siècles,  la  Municipalité  de  Paris.  Car,  d'après  la  ma- 
nière dont  s'écrit  l'histoire  dans  les  journaux  comme 
dans  les  livres  d'un  certain  parti,  que  de  gens  aujour- 
d'hui ne  se  doutent  pas  de  ce  qu'était  l'institution  sous 
cet  ancien  Régime  trop  calomnié  ainsi  que  l'a  prouvé 
éloquemment  et  victorieusement  feu  M.  de  Tocqueville 
dans  un  livre  remarquable  qui  emprunte  aux  antécé- 
dents de  l'auteur  une  singulière  autorité  I  Combien 
d'autres,  en  plus  grand  nombre  peut-être,  dans  leur 
naïve  ignorance  ne  soupçonnent  pas  même  qu'il  existât, 
avant  89,  une  institution  analogue  à  celle  dont  Paris 
vient  d'être  doté  de  nouveau  récemment.  Mais  l'an- 
cienne, sous  plus  d'un  rapport  préférable,  s'appuyait  sur 
des  bases  autrement  solides  et  offrait  à  la  cité  comme 
au  gouvernement  de  bien  plus  sérieuses  garanties.  En 
dépit  des  flagorneries  à  l'adresse  des  contemporains  et 
de  leurs  prétentions  au  progrès,  nous  croyons,  nous, 
fort  de  l'expérience  du  passé,  que  les  deux  organisations 


LE   PRÉVÔT   DES   MARCHANDS.  399 

mises  en  présence  et  clans  la  balance,  la  comparaison 
ne  serait  pas  toute  à  l'avantage  du  présent.  Le  lecteur 
en  jugera. 

((  Lorsque  Paris  eut  enfin  été  subjugué  par  les  Ro- 
mains et  réduit  au  rang  des  villes  tribulaires,  dit  un 
historien  *,  on  voit,  sous  la  protection  immédiate  du 
proconsul,  qui  était  seul  chargé  du  gouvernement  de  la 
Gaule  celtique,  s'élever  dans  ses  murs  un  corps  d'officiers 
subalternes  chargé  de  rendre  la  justice  en  son  nom,  et 
dans  des  cas  peu  importants,  dont  on  pouvait  même 
appeler  encore  devant  ce  magistrat  suprême.  Ces  offi- 
ciers, qui  prenaient  le  nom  de  Défenseurs  de  la  Cité, 
étaient  tirés  d'une  société  de  Nantes  ou  commerçants 
par  eaux,  laquelle  était  elle-même  composée  des  pre- 
miers citoyens  de  la  ville.  Ces  nautes  jouissaient  d'une 
grande  considération  ;  on  les  retrouve  dans  toutes  les 
principales  villes  de  l'empire,  et  plusieurs  étaient  même 
décorés  du  titre  de  chevaliers  romains.  » 

Ces  nautes  devinrent,  dans  les  premiers  siècles  de  la 
monarchie,  les  marchands  d'eau,  composés  pareillement 
de  notables  de  la  cité  et  constituèrent  une  sorte  d'orga- 
nisation municipale  ayant  un  chef  qui  prit  le  nom  de 
Prévôt  ^  des  marchands.  Philippe-Auguste,  ainsi  que 
nous  l'apprend  le  savant  Duchesne,  contribua  beaucoup 
à  développer  l'institution  en  lui  accordant  de  grands 
privilèges  et  précisant  les  attributions  du  Prévôt  :  «  Phi- 
lippe-Auguste éleva  cette  dignité  au  plus  haut  étage  de 
grandeur,  et  comme  s'il  l'eut  nouvellement  érigée,  lui 


Sdint-^Victor.  Tableau  historique  et  pittoresque  de  Paris. 
Prévôt,  de  prœpositus,  préposé. 


iOO  LFS   RUES   DE    PARIS. 

donna  tant  d'autorité  que  nulle  autre,  quoique  grande 
et  élevée,  n'égale  point  aujourd'hui  la  grandeur  de  son 
lustre.  Tl  enrichit  ces  magistrats  de  glorieux  titres,  le 
Président  de  celui  de  Prévôt  des  marchands,  à  la  diffé- 
rence du  Prévôt  de  justice  qu'on  qualifie  simplement 
Prévôt  de  Paris,  et  ses  quatre  assesseurs  s'appelèrent 
les  Echevins.  » 

De  son  côté,  Jaillot  nous  dit  *  :  «  Nos  historiens  font 
mention  de  quatre  endroits  où  les  officiers  municipaux 
ont  tenu  leurs  assemblées.  Le  premier  était  situé  à  la 
Vallée  de  Misère,  et  connu  sous  le  nom  de  Maison  de  la 
Marchandise.  Le  second  a  été  placé  près  de  l'église  St- 
Leufroi  et  du  Grand-Chàtelet,  et  était  nommé  le  Par- 
louer  aux  Bourgeois.  Le  troisième,  sous  le  même  nom, 
était  à  la  porte  St-Michel.  Enfin,  en  1357,  la  ville 
acheta  une  grande  maison  située  à  la  place  de  Grève. 
Elle  s'appelait  la  Maison  de  Grève,  lorsque,  en  1212, 
Philippe-Auguste  l'acquit  de  Philippe  Cluin,  chanoine 
de  Notre-Dame.  On  la  nomma  ensuite  la  Maison  aux  pi- 
liers parce  qu'elle  était  portée  sur  une  suite  de  piliers. 
Enfin  elle  prit  le  nom  de  Maison  aux  Dauphins,  parce 
qu'elle  avait  été  donnée  aux  deux  derniers  Dauphins  du 
Viennois.  Charles  de  France,  à  qui  elle  appartenait  en 
cette  qualité,  la  donna  à  Jean  d'Auxerre,  receveur  des 
gabelles  de  la  prévôté  de  Paris,  qui  la  vendit  à  la  Ville 
par  contrat  du  7  juillet  1357,  moyennant  2880  livres 
parisis. Cette  maison  n'était  pas  alors  aussi  considérable 
qu'elle  l'est  aujourd'hui  ;  différentes  acquisitions  succes- 
sives des  maisons  voisines  mirent  la  ville  en  état  de  la 

^  Bêcher ches  sur  Pans. 


LE    PREVOT    DES    MARCUANDS.  40l 

faire  rebâtir.  La  première  pierre  du  nouvel  édifice  fut 
posée  le  15  juillet  1533.  Terminé  sous  le  règne  de 
Henri  IV,  l'Hôtel-de-YiUe,  par  suite  d'agrandissements 
récents  et  de  plus  en  plus  considérables,  était  devenu  le 
magnifique  palais  que  l'on  sait,  étonnant  de  ses  splen- 
deurs les  nombreux  visiteurs  qui  ne  s'étonnent  pas 
moins  aujourd'hui  devant  l'immense  ruine  et  les  pans 
de  murs  noircis  attestant  les  ravages  de  l'incendie  al- 
lumé par  les  séides  de  la  Commune.  Revenons  : 

Les  fonctions  de  Prévôt  des  marchands,  d'Echevin  et 
de  Conseiller  s'obtenaient  par  l'élection.  Le  Prévôt  des 
marchands,  les  Echevins,  au  nombre  de  quatre,  les  Con- 
seillers, étaient  tous  élus  pour  deux  ans,  et  tous  aussi 
rééligibles  trois  fois  de  suite,  mais  non  plus.  Pour  pré- 
tendre à  cet  honneur,  il  fallait  (notez  ces  conditions) 
qu'ils  fussent  nés  à  Paris,  bourgeois  de  la  ville,  et  mem- 
bres d'une  des  confréries  des  marchands.  Ajoutons  que 
le  père  et  le  fils,  les  deux  frères,  l'oncle  et  le  neveu,  les 
deux  cousins  germains,  soit  par  alliance,  soit  par  con- 
sanguinité, ne  pouvaient  être  élus  ensemble,  et  siéger 
simultanément  dans  le  Parloir  aux  Bourgeois. 

Maintenant  voici  comment  il  était  procédé  à  l'élection 
pour  le  Prévôt  des  marchands  et  les  Echevins.  Le  scru- 
tin avait  lieu  le  lendemain  de  la  Notre-Dame  d'août. 
Quelques  jours  auparavant,  le  Prévôt  des  marchands  et 
les  Echevins  enjoignaient  aux  Quartiniers  ^  de  réunir 
les  Cinquanteniers  ^  et  Dizainiers^  sous  leurs  ordres. 


'  Commandant  un  quartier  de  la  ville. 

2  Cinquantenier  :  qui  commandait  à  50  hommes. 

^  Dizainier  :  qui  commandait  à  10  hommes. 


402  LES    RUES   DE   PARIS. 

avec  six  bourgeois  notables  du  quartier.  Ces  électeurs 
désignaient  parmi  eux  quatre  personnes  au  scrutin  se- 
cret, et  les  noms  de  ces  quatre  élus  étaient  remis  par 
chaque  Quartinier  au  Prévôt  des  marchands.  Ce  dernier 
choisissait,  avec  l'aide  des  Echevins  et  des  vingt-quatre 
Conseillers,  deux  de  ces  élus  ;  puis  le  Prévôt  des  mar- 
chands, les  Echevins,  les  Conseillers  de  ville,  les  Quar- 
tiniers  et  les  Bourgeois  élus,  formant  un  nombre  total 
de  soixante  dix-sept  personnes,  procédaient  à  la  nomina- 
tion des  nouveaux  magistrats  après  avoir  prêté  serment 
d'agir  dans  l'intérêt  de  l'Etat  et  de  la  municipalité. 
Tous,  aussi,  avant  de  se  rendre  au  bureau  de  l'Hôtel-de- 
Ville,  assistaient  à  une  messe  solennelle  du  St-Esprit. 
Pour  le  dépouillement  du  scrutin  secret,  on  choisissait, 
avant  le  vote,  quatre  scrutateurs,  mais  ceux-ci  nommés 
de  vive  voix. 

Les  vingt-quatre  conseillers  étaient  pareillement 
nommés  à  l'élection,  entourée,  comme  la  précédente, 
de  toutes  les  garanties  désidérables.  Les  Quartiniers 
étaient  nommés  par  les  Cinquanteniers  et  Dizainiers, 
eux-mêmes  élus  par  les  Bourgeois.  Ne  pouvaient  pren- 
dre part  aux  élections  que  les  Parisiens  de  naissance  et 
jouissant  depuis  trois  années  du  droit  de  bourgeoisie. 

Ce  droit,  d'après  un  édit  de  l'an  1286,  s'acquérait  de 
la  manière  suivante  :  «  Si  quelqu'un  veut  entrer  en  une 
))  bourgeoisie  ou  commune,  il  doit  aller  trouver  le  Prévôt 
))  en  se  faisant  assister  de  deux  ou  trois  bourgeois  et 
))  s'engager  à  bâtir  ou  acheter,  dans  l'espace  d'un  an, 
»  une  maison  de  la  valeur  de  soixante  sous  parisis.  » 

Le  Prévôt  des  marchands,  dont  les  attributions  se 
rapprochaient  beaucoup  de  celles  du  préfet  d'aujour- 


LE    PRÉVÔT    DES   MARCHANDS.  403 

d'iiui,  devenait  noble  (s'il  ne  Tétait  déjà)  par  le  fait 
mêûie  de  son  élection  et  jouissait  d'autres  singulières  et 
très-honorables  prérogatives.  Aussi  l'on  ne  s'étonne  pas 
qu'un  illustre  magistrat  ait  pu  dire  :  a  Que  le  plus  beau 
»  rêve  que  puisse  faire  un  enfant  de  Paris,  c'est  de  son- 
»  ger  qu'il  est  Prévôt  des  marchands.  )) 

Il  faut  se  garder  de  confondre,  comme  l'ont  fait  quel- 
ques historiens,  le  Prévôt  de  Paris  avec  le  Prévôt  des 
marchands  élu  par  les  notables,  tandis  que  le  premier 
(sorte  de  préfet  de  police),  tenait  du  Roi  seul  toute  son 
autorité. 


II 


Il  nous  est  tombé  récemment  sous  la  main,  à  propos 
de  nos  anciennes  institutions  municipales,  un  document 
des  plus  curieux  et  très  intéressant  comme  très  utile  à 
reproduire:  a  Car, dit  très  bien  un  judicieux  historien^, 
dans  ce  discours  si  honnête,  si  habile  sont  exposés  des 
principes  qui  ont  le  privilège  de  ne  pas  vieillir.  )) 

Sa  date  pourtant  n'est  pas  récente  ;  il  y  a  tantôt  un 
siècle  et  demi  (146  ans)  que  ce  discours  fut  prononcé  par 
le  Prévôt  des  marchands,  messire  de  Castagnère  qui, 
presque  octogénaire,  croyait  devoir  en  conscience  se 
démettre  d'une  fontion  ((  qu'il  sentait,  vu  son  grand 
âge,  ne  pouvoir  remplir  dans  toute  la  sincérité  du  de- 
voir. )) 

On  ne  peut  assez  admirer  l'indépendance  et  la  noble 
fierté  de  ce  langage,  à  une  époque  qui  ne  passe  point 

'  M.  Louis  Lazare. 


404  LES    RUES   DE    PARIS. 

précisément  pour  libérale  y  comme  on  dit  à  présent.  Nous 
croyons  cependant  que  bien  des  gens  aujourd'hui  pour- 
raient faire  leur  profit  des  conseils  de  ce  magistrat 
d'autrefois,  qui  comptait  quarante- cinq  années  d'études 
administratives.  Yoici  donc  comment  s'exprimait  mes- 
sire  de  Castagnère,  le  27  août  1725,  en  assemblée  géné- 
rale des  échevins,  conseillers,  quartiniers  et  dizainiers 
de  la  ville  de  Paris  : 

((  Assez  parlé  de  moi,  c'est  chose  plus  utile  de  vous 
entretenir  de  cette  noble  et  belle  institution  municipale 
que  l'Europe  vous  envie. 

((  Or  donc,  écoutez,  mes  enfants,  et  faites  profit  des 
conseils  d'un  vieillard.  Dieu,  croyez-moi,  accorde  à  ceux 
qui  vont  mourir  un  dernier  rayon  de  sagesse  qui  fait 
que  le  jugement  s'éclaire  et  que  l'âme  s'épure. 

((  Voilà  plus  de  cinq  siècles  que  la  Prévôté  existe  sans 
avoir  subi  de  grave  altération.  Comme  à  ses  premiers 
jours,  elle  est  pleine  de  sève  ;  à  quoi  cela  tient-il  ? 

((  A  la  stricte  observance  de  nos  devoirs. 

«  Nos  devanciers  ont  tous  compris  qu'ils  devaient  se 
renfermer  dans  leurs  attributions. 

((  Chercher  à  les  étendre,  ce  serait  nous  briser  et  nous 
perdre. 

((  Quand  vous  entrez  dans  ce  palais,  n'oubliez  jamais, 
alors  que  vous  endossez  vos  costumes  d'échevins  ou  de 
conseillers,  de  laisser  au  vestiaire,  avec  vos  habits  de 
ville,  toutes  vos  opinions  jMtiques  et  philosophiques.  En 
mettant  le  pied  dans  ce  palais,  vous  êtes  les  magistrats, 
les  tuteurs  de  la  ville.  Ces  titres  sont  assez  beaux  pour 
contenter  une  honnête  ambition. 

((  Aimez  et  respectez  vos  rois,  sans  être  les  courtisans 


LE    PREVOT    DES    MARCHANDS.  4Uo 

du  pouvoir  ;  faites  du  bien  aux  pauvres,  sans  être  les  flat- 
teurs du  peuple. 

«  Eu  améliorant  d'abord,  comme  c'est  votre  devoii*, 
les  quartiers  malsains  ;  en  augmentant  ensuite  la  pros- 
périté des  quartiers  riches,  ne  sollicitez  pas,  ne  briguez 
pas  la  reconnaissance  de  vos  administrés  ;  laissez-la 
monter  plus  haut,  jusqu'à  Celui  qui  a  consacré  vos  dé- 
cisions, afin  que  l'amour  de  son  peuple  rende  sa  tâche 
plus  facile  et,  conséquemment,  plus  heureuse. 

((  Sous  peu  de  jours,  vous  allez  procéder  à  l'élection 
de  mon  successeur.  Portez  vos  voix,  non  sur  le  plus 
habile,  mais  avant  tout  sur  le  plus  honnête. 

({  Que  le  prévôt  que  vous  allez  choisir  soit  d'humeur 
conciliante  et  de  manières  distinguées  et  polies. 

({ Si  cette  robe  de  satin  et  ce  manteau  de  velours 
couvraient  des  formes  vulgaires,  on  rirait  d'abord  du 
magistrat,  puis  on  se  moquerait  de  l'institution.  En 
France,  ne  l'oubliez  pas,  le  ridicule  tue  plus  sûrement 
que  le  glaive . 

))  Lorsque  la  ville  donne  des  fêtes,  comme  ce  n'est 
pas  le  Prévôt  qui  paye  les  violons,  mais  bien  ses  admi- 
nistrés, faites  que  le  premier  magistrat  honore  la  cité 
en  conviant  ses  enfants  les  plus  dignes. 

»  Comme  dernière  recommandation  du  plus  grand 
intérêt,  évitez,  mes  enfants,  de  choisir  pour  magistrat 
un  homme  qui  aurait  figuré  dans  nos  discordes  civiles. 
L'homme  politique  nuirait  au  magistrat,  et  puis  les 
gens  de  désordre  sont  incapables  d'administrer.  Finale- 
ment, en  ce  qui  concerne  le  Prévôt,  tâchez  qu'il  réu- 
nisse trois  qualités,  qui  sont  :  honnêteté,  talent  et  cour- 
toisie. 

TOME  m.  23* 


406  LES   RUES   DE    PARIS. 

))  Passons  maintenant  aux  conseillers,  de  ville,  qui  doi- 
vent être  les  contrôleurs  des  actes  du  Prévôt. 

»  Bien  que  les  conseillers  susdits  tiennent  les  cordons 
de  la  bourse,  il  ne  faut  pas  qu'ils  soient  les  cerbères 
hargneux  du  trésor  de  la  ville,  mais  bien  les  dispensa- 
teurs éclairés  de  ses  finances. 

»  Pour  remplir  ces  fonctions,  il  faut,  non  des  hommes 
à  petites  idées  étroites  et  mesquines,  mais  des  magistrats 
à  vues  larges  et  élevées.  On  n'administre  pas  une  ville 
comme  Paris  de  la  même  façon  qu'un  marchand  de  la 
rue  aux  Lombards  gère  son  commerce  de  pruneaux  ou 
de  pistaches.  Quand  on  a  l'honneur  d'être  conseiller,  il 
faut  élever  son  àme  à  l'unisson  de  la  grandeur  et  de 
l'importance  d'une  ville  qui  a  son  poids  dans  les  desti- 
nées du  monde... 

»  Or,  quels  sont  les  hommes  qu'il  faut  que  vous  choi- 
sissiez de  l'œil  ou  touchiez  de  la  main  ? 

))  Il  m'est  de  science  certaine  que  les  hommes  de  loisir 
et  indépendants  de  fortune  et  de  position  sont  ce  qu'il  y  a 
de  mieux.  Des  preuves,  j'en  ai  les  mains  pleines. 

))  Si  l'on  prend  un  conseiller  faisant  le  commerce, 
par  exemple,  dans  le  cœur  du  magistrat  il  y  aura  deux 
affections  :  ses  chers  intérêts  et  ceux  de  la  ville.  Dans 
cette  position,  il  y  a  toujours  lutte,  et  souvent  le  mar- 
chand, trop  occupé,  sacrifie  l'administrateur. 

))  Si  l'on  choisit  un  médecin  en  exercice,  qu'un  de  ses 
clients  tombe  subitement  malade,  par  devoir  il  appar- 
tient à  l'administration.  Placer  un  magistrat  entre  deux 
obligations  aussi  saintes,  c'est  l'exposer  à  n'en  remplir 
aucune. 

))  Si  vous  jetez  les  yeux  sur  des  liuaucicrs,  tamisez 


LE   PRÉYOT   DES   MARCHANDS.  407 

leurs  antécédents  ;  il  y  a  un  vieux  proverbe  qui  dit  : 
Quand  la  main  touche  trop  ci  Vargent,  le  cceur  devient 
métal.  » 

))  Mes  enfants,  les  malheurs  causés  par  le  déplorable 
sj^stème  de  Law  ne  sont  pas  si  éloignés  que  vous  n'en 
ayez  souvenance. 

»  Je  le  rappelle  avec  douleur  :  deux  conseillers  de 
ville,  hommes  de  finance,  eurent  des  accointances  avec 
l'Écossais. 

))  Loin  de  moi  la  pensée  de  jeter  une  défaveur  quel- 
conque sur  ces  professions  qui,  loyalement  exercées, 
concourent  à  la  prospérité  de  l'État.  Ces  principes  ad- 
ministratifs, je  les  applique  d'ailleurs  à  toutes  les  pro- 
fessions, sans  eu  excepter  aucune. 

»  Et  puis,  il  est  une  vérité  devant  laquelle  nous 
devons  tous  nous  incliner  chapeau  bas  ;  cette  vérité,  la 
voici  :  Pour  faire  un  conseiller,  il  faut  dix  années  d'études 
en  travaillant  pour  la  ville  six  heures  par  jour.  C'est  par 
un  tel  labeur  qu'on  acquiert  son  prix. 

»  Impossible,  à  mon  avis,  à  un  magistrat  d'accommo- 
der les  intérêts  de  sa  profession  avec  ceux  de  la  ville  et 
de  les  dorloter  sur  le  même  oreiller. 

))  Mais,  me  direz- vous,  je  suis  bien  pointilleux,  et  il 
faudrait  une  lanterne  de  Diogène  pour  trouver  des  con- 
seillers. Mon  Dieu  !  Paris  est  assez  riche  en  hommes  de 
loisir  et  de  cœur  pour  ne  pas  être  embarrassé.  Choisis- 
sez, si  vous  voulez,  pour  conseillers  d'anciens  marchands, 
d'anciens  médecins  et  d'anciens  banquiers,  devenus  li- 
bres ;  mais  n'enlevez  pas  le  marchand  à  son  comptoir, 
le  médecin  à  ses  malades  et  le  banquier  à  ses  écus. 


408  LES   RUES   DE    PARIS. 

))  Adieu,  mes  chers  enfants  ;  en  vous  quittant  votre 
magistrat  vous  fait  une  dernière  recommandation  : 
((  Vivez  dans  la  crainte  de  Dieu  et  le  respect  du  roi,  » 
»  —  J'ai  dit.  )) 

D'après  tout  ce  qu'on  vient  de  lire,  on  comprend  le 
langage  du  vieil  auteur  (Corrozet)  au  sujet  de  la  Pré- 
vôté et  de  l'Echevinage  :  «  Je  ne  veux  passer  sans  vous 
déclarer  la  manière  et  quels  sont  les  échevins  de  cette 
notable  ville  ;  je  dis  que  nul  ne  peut  parvenir  à  la  dignité 
de  Prévôt  des  marchands,  ni  d'échevin,  qui  ne  soit  en- 
fant des  habitants  et  né  en  icelle  ville,  afin  que  les 
étrangers  ne  soyent  instruits  aux  secrets  de  la  ville,  et 
que  la  communication  d'iceux  ne  soit  préjudiciable  à  la 
communauté  et  de  mauvais  exemple  à  la  postérité.  Mais 
encore  y  a-t-il  une  autre  observation  qui  est  qu'on 
épluche  de  si  près  la  vie  de  ceux  qui  aspirent  à  ces  di- 
gnités qu'il  est  impossible  qu'homme  y  puisse  parvenir 
qui  soit  le  moins  du  monde  marqué  de  quelque  note 
d'infamie,  ressentant  dénigrement  de  renommée,  ou 
qui,  pour  quelque  méfait,  et  fût -il  léger,  aurait  été  mis 
en  prison,  tant  est  sainte  cette  autorité  et  honneur  de 
l'Echevinage,  que  la  seule  opinion  de  vice  lui  peut 
«tonner  empêchement.  )> 


A  PROPOS  DE  LA  RUE  DES  ROSIERS 


Il  a  été  beaucoup  question,  réceinmeut  de  cette  rue 
des  Rosiers,  à  Montmartre  où,  le  18  mars  1871,  furent 
assassinés,  de  la  façon  que  l'on  sait,  les  généraux  Le- 
comte  et  Clément  Thomas.  Détachons  du  rapport  si 
remarquable  de  M.  le  commandant  Rustant,  un  passage 
relatif  à  la  mort  des  deux  nobles  victimes,  u  Car  de 
cette  catastrophe  comme  de  plusieurs  autres,  écrivait 
naguère  un  journaliste,  une  haute  moralité,  une  grande 
leron  se  dégageront,  espérons-nous,  et  dont  pourront 
faire  leur  profit  ceux  qui,  dans  leur  présomption  insen- 
sée, pensent  qu'on  peut  impunément  agiter  et  déchainer 
les  multitudes  et  qu'il  est  toujours  facile  de  faire  rentrer 
dans  son  lit  le  torrent  dont  on  a  rompu  les  digues.  » 

Maintenant  laissons  la  parole  au  commandant  ; 
«  ...  Vers  cinq  heures,  dit-il,  une  poussée  du  dehors  fit 
envahir  la  chambre  des  prisonniers  par  les  portes  et  par 
les  fenêtres  en  même  temps....  Un  caporal  du  3^  batail- 
lon des  chasseurs,  et  quelques  autres  soldats  ont  remar- 
qué plus  spécialement  que  les  gardes  nationaux 
crièrent  :  <(  A  mort  !  qu'on  les  fusille,  sinon  ils  nous 
»  feront  fusiller  demain  !  » 

»  A  ces  mots,  le  général  Clément  Thomas  fut  saisi, 
expulsé  de  la  chambre  et  poussé  à  coups  de  crosse  et  à 


410  LES   RUES  DE   PARIS. 

coups  de  poing  dans  le  jardin.  Pendant  le  trajet,  quel- 
ques coups  de  fusils  tirés  à  bout  portant  l'atteignirent 
et  le  couvrirent  de  sang  ;  il  ne  tomba  cependant  pas.  Il 
put  se  tenir  debout  jusqu'à  ce  qu'on  l'eût  acculé  le  dos 
au  mur.  Le  général  était  debout,  tenant  son  chapeau  de 
la  main  droite  et  essayant  de  garantir  son  visage  avec 
le  bras  gauche. 

»  De  nouveaux  coups  de  fusil,  tirés  de  toutes  parts, 
finirent  par  l'abattre  sur  le  côté  droit,  la  tète  au  mur  et 
le  corps  plié  en  deux.  Des  scélérats  s'approchèrent 
encore  et  tiraient  toujours  à  bout  portant  ou  frappaient 
sur  le  cadavre  à  coups  de  pied  ou  à  coups  de  crosse. 

))  Pendant  ce  temps,  le  général  Lecomte  était  encore 
dans  la  chambre  ;  il  entendait  les  coups  de  feu  et  com- 
prenait que  lui  aussi  allait  mourir  de  cet  horrible  mort. 
Il  conserva  tout  son  calme  ;  il  remit  son  argent  au  com- 
mandant de  Poussargues,  lui  fit  des  recommandations 
pour  sa  famille  et  marcha  devant  ses  assassins  avec  une 
dignité  si  ferme  que  plusieurs  officiers  le  saluèrent  ;  il 
leur  rendit  leur  salut.  Une  résignation  aussi  sublime 
aurait  trouvé  grâce  devant  des  barbares  ;  elle  ne  toucha 
pas  les  modernes  civilisés  de  Montmartre. 

»  A  peine  avait-il  fait  une  dizaine  de  pas  dans  le  jar- 
din qu'un  de  ses  bourreaux  lui  tira  par  derrière  un  coup 
de  fusil  qui  le  fit  tomber  sur  les  genoux.  Aussitôt  un 
groupe  le  releva  à  moitié  et  le  fit  approcher  du  cadavre 
de  Clément  Thomas.  Ce  fut  là  qu'il  fut  achevé  par  Aie 
dizaine  de  coups  tirés  à  bout  portant  et  que  son  cadavre 
fut  mutilé,  fouillé,  et  que  deux  soldats  —  l'exécration 
de  l'armée  —  vinrent  décharger  leurs  armes  sur  lui.  » 

Ce  récit  n'a  pas  besoin  de  commentaires. 


A  PROPOS  DE  LA  RUE  DES  ROSIERS       411 

La  rue  des  Bosiers,  à  Montmartre  est  de  création  ré- 
cente tellement  qu'elle  ne  se  trouve  pas  mentionnée, 
dans  le  Livret- Chaix  des  Bues  de  Paris,  de  l'année  1869. 
La  seule  qui  soit  indiquée  dans  ce  recueil,  d'ailleurs 
assez  exact,  est  l'ancienne  rue  des  Bosiers  du  quartier 
du  Temple  dont  Jaillot  nous  dit  : 

((  Elle  aboutit  d'un  côté  à  la  vieille  rue  du  Temple  et 
de  l'autre  à  celle  des  Juifs  :  elle  portait  ce  nom  dès 
l'année  1233.  Nos  historiens  nous  ont  conservé  le  souve- 
nir de  l'attentat  commis  sur  une  statue  de  la  Sainte- 
Vierge  qui  fut  mutilée,  la  nuit  du  31  mai  au  l^'^  juin 
1528  :  elle  était  placée  en  la  rue  des  Bosiers.  François  P*^ 
fit  faire  une  autre  statue  d'argent  qu'il  plaça  au  lieu 
même  om  était  l'ancienne  de  pieiTe.  Cette  cérémonie  se  fit, 
le  12  du  dit  mois,  à  la  tin  d'une  procession  générale 
ordonnée  à  cet  eliet.  Cette  statue  ayant  été  volée  en 
1545,  on  en  substitua  une  autre  de  bois  qui  fut  brisée 
par  les  Hérétiques,  la  nuit  du  13  au  14  décembre  1551. 
On  fit  une  semblable  procession  et  on  remit  une  statue 
de  marbre.  Les  actes  qui  constatent  ces  différents  faits 
indiquent  que  ces  réparations  furent  faites  7nœ  des 
Bosie?'s  devant  l'huis  de  derrière  du  petit  Saint-Antoine.» 

Il  existait  naguère  aussi  dans  le  faubourg  St-Germain 
une  rue  des  Bosie?'s,  maintenant  disparue  :  ((  Elle  tra- 
verse, dit  Saint-Yictor,  de  la  rue  Saint-Dominique  à 
celle  de  Grenelle.  Il  parait  qu'elle  fut  ouverte  au  com- 
mencement du  XVIP  siècle.  On  la  nommait  alors  rue 
Neuve-des- Bosiers.  Il  est  probable  qu'elle  fut  percée  sur 
un  terrain  où  les  roses  étaient  abondantes,  ce  qui  lui 
aura  fait  donner  ce  nom.  » 

Puisque  nous  tenons  la  plume  et  que  roccasiou  ne 


412  LES   RUES   DE   PARIS. 

s'en  est  pas  offerte  ailleurs^  donnons  un  souvenir,  sou- 
venir d'admiration  et  de  sympathie,  à  d'autres  nobles 
victimes  ou  plutôt  martyrs  delà  Commune.  Car,  comme 
le  disait  l'un  d'eux,  l'hénjïque  père  Captier,  en  tombant 
sous  les  balles  des  fédérés  :  «  Mes  amis^  c'est  pour  le  bon 
Bien  ! 

Et  cependant  n'auraient-ils  pas  dû  être  sacrés  entre  tous 
pour  les  bourreaux  ces  généreuxprètres,  ces  dignes  frères 
qui,  pendant  tant  de  mois,  infatigables,  s'étaient  dévoués 
pour  soigner  dans  leur  ambulance  d'Arcueil  les  gardes 
nationaux  blessés  comme  plus  tard  les  fédérés.  Chez  ce 
pauvre  peuple  qui,  livré  à  lui-même,  serait  si  difîférent, 
c'est  un  prodige  que  cette  haine  sauvage  du  prêtre,  et 
cette  monstrueuse  ingratitude  qui  ne  s'expliquent  que 
par  sa  malheureuse  crédulité  aux  prédications  scélérates 
des  meneurs,  journalistes  et  autres.  Comment,  après 
tant  d'expériences,  en  est-il  encore  à  comprendre  qu'il 
n'a  pas  de  pires  ennemis  que  ces  détestables  tlagorneurs? 

Il  n'avait  que  trop  raison  ce  ministre  d'une  République 
qui  disait  en  1798,  à  l'ambassadeur  de  France,  Lombard  : 
«  Que  les  grands  mots  de  progrès,  de  liberté  ne  vous  fas- 
»  sent  pas  illusion  ;  de  tout  temps  les  jongleurs  politiques 
»  ont  mis  les  mots  à  la  place  des  choses.  Ils  fourvoient 
))  la  multitude,  trompent  les  cœurs  généreux,  renver- 
»  sent  l'idole  pour  s'aproprier  l'ofirande  et  l'encens.  Le 
»  peuple  sera  toujours  peuple  :  il  lui  faut  un  fétiche,  il 
))  y  aura  donc  toujours  des  charlatans.  » 


ANGLAIS  Eï  PRUSSIEN 


Dans  le  Prologue  de  son  livre,  le  bon  Corrozet,  avant 
de  venir  (t  aux  raretés  de  ce  qui  se  voit  de  grand  et 
remarquable  à  Paris,  »  nous  donne,  à  la  louange  de 
cette  grande  et  illustre  cité,  deux  pièces  de  vers  des 
plus  curieuses,  encore  qu'elles  laissent  un  peu  à  désirer 
au  point  de  vue  de  la  poésie  et  même  de  la  prosodie. 
Mais  elles  ont  ceci  de  particulier,  surtout  pour  l'époque, 
que  les  deux  auteurs  «  qui  se  sont  employés  à  singulari- 
ser cette  ville  mère  et  nourrice  des  bonnes  lettres,  )> 
sont  deux  étrangers,  d'abord  un  Anglais,  nommé  Archi- 
ten,  ))  homme  de  singulière  érudition  et  poète  fort  in- 
génieux, lequel,  décrivant  Paris,  l'effigie  avec  ses  vers 
en  telle  sorte  : 

C'est  Paris^  la  rose  de  la  terre. 

Où  le  baume  flairant  de  l'univers  s'enserre  : 

Qui  en  son  ornement  imite  la  grandeur 

Des  Sidons^  et  l'apprêt  des  banquets  pleins  d'honneur. 

Paris  riche  en  ses  champs  et  en  vins  abondante, 

Courtoise  au  laboureur,  les  moissons  recueillante 

A  foison,  où  les  champs  ne  sont  point  offensés 

De  halliers  épineux.  :  là,  l'on  voit  entassés 

Ses  raisins,  comme  ès-bois  les  feuilles  épandues  : 

Tu  y  vois  les  forêts  de  verdeur  revêtues 

Fourmiller  en  gibier  et  toute  venaison  ; 


414  LES    RUES   DE    PARIS. 

Elle  a  uu  puissant  roi  et  fort  en  sa  maison. 
Auquel  elle  obéit,  qu'elle  sert  et  caresse. 
Là  est  l'air  bon  et  douï,  et  l'assiette  sans  cesse 
Ple'ne  de  tout  bonheur  :  car  tout  y  est  plaisant, 
Tout  est  joyeux  et  beau,  si  l'heur  n'était  nuisant 
Aux  bons  qui  sont  pressés  d'une  faute  commune. 
Ayant  toujours  au  dos  les  rigueurs  de  fortune. 


Les  deux  derniers  vers  ne  manquent  pas  d'à- propos 
si,  pour  une  bonne  partie,  on  n'en  peut  dire  autant  de 
la  description  ;  car  le  Paris  d'aujourd'hui  ne  ressemble 
guère  à  la  cité  champêtre  que  nous  dépeint  Corrozet  et 
dans  laquelle  le  paysage  tient  une  si  large  place. 

Moins  plaisante  sous  ce  rapport  semble  la  seconde 
pièce  de  vers  quoique  beaucoup  plus  longue.  Ni  gazons 
ni  verdure,  ni  vignes  ni  raisins  !  L'auteur  prend  plaisir 
surtout  à  décrire  ce  qu'un  peintre  appellerait  (c  les  fa- 
briques», c'est-à-dire  les  constructions  et  monuments 
de  la  ville,  par  exemple  les  Ponts,  et  il  le  fait  avec  un 
certain  bonheur  d'expression  : 


Hé  !  Dieu  !  que  de  maisons,  que  de  beaux  bâtiments  î 

A  peine  dois-tu  rien,  Paris,  aux  ornements 

De  celle  qui  jadis  commanda  sur  l'empire 

De  tout  cet  univers  :  et  ce  que  plus  j'admire 

Sont  les  Ponts,  cinq  en  nombre  et  tellement  dressés 

Qu'on  y  voit  des  maisons  les  fondements  haussés, 

Et  le  tout  si  bien  fait  qu'où  jugerait  à  peine 

Que  ce  fussent  des  ponts,  que  dessous  fût  la  Seiue^ 

N'était  que  l'on  le  sait,  car  les  rangs  des  logis. 

Les  places^  les  cantons  se  voient  vis-à-vis. 

Tout  ainsi  disposés,  en  même  rang  et  terme 

Qu'on  bâtit  les  maisons  en  pleine  terre  ferme. 


ANGLAIS   ET   PRUSSIEN.  415 

Le  coup  de  crayon,  dans  ce  fragment,  ne  manque  ni 
de  précision  ni  d'agrément.  L'auteur  ensuite  ne  mar- 
chande pas  les  compliments  à  la  cité,  près  de  laquelle 
Ephèse,  Corinthe,  Athènes  seraient  des  bourgades. 


Je  ne  sais  qui  premier  fonda  le  plant  (plan)  aimable 
De  Paris,  la  cité  sur  toute  autre  admirable. 
Il  s'en  faut  rapporter  au  recteur  des  hauts  cieux, 
Qui  de  nous,  plus  que  nous,  est  ami  et  soigneux. 

Rien  ne  désire  l'œiL  et  rien  ne  veut  le  cœur 

Qu'acheter  on  n'y  puisse,  car  ce  que  le  labeur. 

Ce  que  la  terre  et  l'air  produisent,  on  en  fine  (trouve) 

En  cette  cité  grande  et  province  divine. 

Seule,  la  France  on  voit  si  riche  et  de  tel  heur 

Qu'elle-même  ne  sait  sa  force  ou  sa  valeur. 


Passons  sur  les  hiatus  et  autres  menues  fautes  en 
faveur  de  la  bonne  intention,  et  de  l'accent  si  sympa- 
thique qui  se  trahit  même  dans  les  incorrections  de  la 
langue.  D'ailleurs,  pour  être  indulgent  à  cet  égard,  il 
suffit  de  nous  rappeler  que  le  poète  est  un  étranger,  et 
que  cet  étranger  est...  un  Allemand,  bien  plus  un  Prus- 
sien, oui,  vraiment,  un  Prussien,  lequel,  en  'I06I,  Cor- 
rozet  nous  l'affirme  :  a  a  composé  ces  vers  pour  loz  et 
recommandation  de  cette  notre  ville,  afin  que  ses  louan- 
ges se  voient  épandues  et  au  chaud  midi  et  à  l'humide 
occident,  au  levant  tempéré  et  au  gelé  et  froidureux 
septentrion.  » 

Il  faut  avouer,  hélas  I  que  les  temps  sont  bien  chan- 
gés ;  nous  n'avons  pas  à  nous   louer  aujourd'hui  de 


416  LES   RUES    DE    PARIS. 

messieurs  les  Prussiens  autant  que  nos  aïeux  de  cet 
excellent  seigneur  Eustache  de  Knobelstorff,  qui  sut  si 
bien,  lui,  reconnaître  l'hospitalité  de  la  bonne  ville  de 
Paris. 


FIN    DU   TROISIEME    ET    DERNIER    VOLUME. 


TABLE 


L'abbé  de  la  Salle 1 

Eustache  Le  Sueur 13 

Michel-Ange  et  Titien 32 

Toustain 63 

Trémouiile  (La) 67 

Vaucanson 73 

Victor  (Saint) 81 

Ville-Hardouin 90 

Vincent-de-Paul  (Saint) -     .     .    .    .  96 

Les  Vieilles  Rues  (Le  Vieux  Paris) 113 

Après  les  Deux  Sièges 119 

Les  Vieilles  Rues  (suite) 128 

Varia 334 

Hospice  des  Enfants-Trouvés id. 

La  Bastille  (Place  de) 338 

L'Eglise  des  Carmes 340 

Les  Catacombes 358 

Cimetière  du  Père  La  Chaise 362 

Sainte-Geneviève  (l'Eglise) 365 

Saint-Germain-des-Prés  (l'Eglise) 370 

Saint-Euslache  (l'Eglise) 373 

Notre-Dame  et  l'Hôtel-Dieu 375 


4i8  TABLE. 

Les  Boues  de  Paris 385 

La  Colonne  de  la  Grande  Armée 388 

Coar  des  Miracles 394 

Le  PréTÔt  des  Marchands 398 

La  Rue  des  Rosiers 409 

Anglais  et  Prussien 413 


FIN    DE    LA  TABLE    DU   TROISIEME    ET    DERNIER    VOLUME. 


CAMBRAI.    —  IMPRIMERIE  DE  A.   REGNIER-FAREZ,   PLACE-AU-BOIS,  28. 


IW. 


DC 
761 
B78 
t.3 


Bouniol,  Bathild 
Les  rues  de  Paris 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


-r-^ 


î