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Full text of "Les seins dans l'histoire"

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LES  SEINS  DANS  L'HISTOIRE 


\^  (^.  {Si^  (V^,  ^tr^  t^  (j^  ^ 


LES  SEINS  DANS  L'IIISTOIISE 


SIN(iL'l,.\RITi:S    IIKCLEILLIES    PAR 


Le  Docteur  G.-J.  AYITKOAVSKI 


Jo  ne  vomi  pas  dirf  qiip  de  mou  ciitciiilcmeiil  j  a\c 
fait  (oulcs  1rs  ditos  nouvelles,  mais  jn  les  ay  retirres 
de  plusieurs  livres,  les  autres  j'ay  uuy  raeompter  à 
plusii'urs  lions  compaignons. 

Nicolas   l>i:  TimM -. 


PARIS 
A.  MALOINE,    ÉDITEUR 

23-25,     RUE     DE     l'ÉCOLE-DE- MÉDECINE,     23-25 

1903 


1 


03 


AVANT-PROPOS 


L'accueil  favorable  que  les  bibliophiles  ont  fait  à  nos 
deux  premiers  volumes  —  Curiosités  médicales^  Ultéraires  et 
artistiques  sur  les  Seins,  et  Anerdotes  historiques  et  reru/ieuses 
sur  les  Seins  et  F  Allaitement,  suivies  de  V  Histoire  du  dëcolle- 
taf/e  et  du  corset  {\)  —  nous  a  engagé  à  continuer  cette  collec- 
tion d'historiettes  «  sans  chemises  ». 

Nous  publions  aujourd'hui  le  premier  volume  d'une  nou- 
velle série,  qui  comprendra  ensuite  :  —  Les  Seins  à  l' Eylise 
et  au  Théâtre  ;  les  Seins  dans  la  littérature  et  les  beaux-arts . 

Dans  les  ouvrages  de  ce  genre,  le  champ  des  recherches, 
sans  être  illimité,  est  très  étendu.  La  découverte  de  docu- 
ments vainement  cherchés  jusque-là,  de  nouvelles  lectures, 
le  hasard  des  rencontres,  des  sources  qu'on  avait  négligées, 
donnent  des  résultats  inattendus  et  Tintérét  va  toujours 
grandissant. 

L'Exposition  de  1900,  en  rassemblant  à  Paris  tant  de 
curiosités,  tirées  des  galeries  et  des  cabinets  d'amateurs  où 
elles  étaient  en  quelque  sorte  ignorées,  a  oilert  à  nos 
recherches  un  aliment  très  appréciable. 

Le  lecteur  reconnaîtra  certainement  le  soin  que  nous 
avons  apporté  à  être  aussi  complet  que  possible  en  une 
matière  où  il  est  malaisé  de  l'être  tout  à  fait. 

(1)  Paris.  A.  Maloiiic  i»  vol.  in-S-.  ill.  de  210  cl  ISO  lig-. 


LES  SEINS  DANS  L'HISTOIRE 


CHAPITRE  PREMIER 

FAITS    LÉGENDAIRES   ET   HISTORIQUES 


I.   —   RECITS 


A.   —  Faits   généraux 


1"  Sur  les  Seins.  —  Arrachement  des  seins.  Suspension 
par  les  seins.  —  Nous  ne  rapporterons  ici  que  les  atrocités  com- 
mises par  des  tyrans,  par  la  foule  égarée  ou  par  la  soldatesque, 
réservant  pour  une  autre  série  (1)  les  supplices  infligés  aux  martyrs 
de  la  foi  chrétienne. 

Amestris,  femme  de  Xerxès,  ordonne,  dans  un  accès  de  jalousie, 
d'arrêter  la  propre  belle-fille  du  roi,  de  lui  couper  les  seins,  le 
nez  et  la  langue,  et  de  faire  manger  ces  débris  sanglants  par  les 
chiens,  sous  les  yeux  de  l'infortunée  princesse  (2). 

En  iV.'j,  la  phiiosophr  Hypathia,  une  des  gloires  de  l'école 
platonicienne  d'Alexandrie,  fut  livrée,  par  le  patriarche  saintCyrille, 
à  des  forcenés,  qui  l'entraînèrent  dans  l'église  appelée  la  Gésarie  ; 
là  elle  fut  mise  à  nu,  puis  son  corps,  d'une  merveilleuse  beauté,  fut 
dépecé  avec  des  coquilles  tranchantes  :  on  commença  naturellement 
par  les  mamelles,  dont  les  éminences  gracieuses  et  fermes  s'of- 
fraient, les  premières,  en  sacrifice  à  ces  cruels  fanatiques.  Ces  débris 
palpitants  furent  ensuite  promenés  dans  la  ville,  comme  ceux  de  la 
princesse  de  Lamballe,  en  4  792,  et  brûlés  sur  la  place  Cinaron  (3). 

(1)  Les  Seins  à  l'Eglise  et  au  Tliédtre. 

(2j  Gustave  Le  Bon,  les  Premières  civilisations. 

(3)  Grand  Dict.  unir.  duXIX"  siècle. 

LES    SEINS    DANS    l'hISTOIRE.    —    I.  1 


I.I'.S     Si:iNS     DANS     I.     IIISTOlItr. 


La  môme  aberration  avait  poussé  Théodose,  appelé  le  Grand, 
(est-ce  par  dérision  ?)  à  détruire  le  scrajinmi  de  Ptulémée  (1)  et 
les  temples  égsptiens.  Les  sculptures  des  monuments  échappés 
à  la  destruction  portent  encore  la  trace  de  ces  profanations 
artistiques  :  les  marteaux  des  vandales,  précurseurs  de  Tartufe, 
exerçaient  surtout  leur  rag-c  sur  les  mamelles  des  déesses,  prolt 
jnidor  (2)!  Lors  du  sac  de  I»ome,  en  V.Vll,  les  soldats  allemands  et 
espagnols,  entre  autres  distractions  intelligentes,  mettent  en  pièces 
les  tableaux  d'églises,  sans  distinction  de  signatures,  et,  couverts 
des  ornements  pontificaux,  vont  prendre  des  religieuses  qu'ils 
exposent  nues  aux  regards  de  leurs  camarades  (3), 

Au  cours  des  guerres  de  la  Ligue,  la  ville  protestante  de  ^lar- 
vejols  ayant  capitulé,  les  assiégés  subirent,  malgré  les  promesses 
de  Tamiral  de  Joyeuse,  les  plus  horribles  traitements.  On  ne  voit 
partout  que  viols  et  meurtres  :  «  Une  femme  se  défend  contre  les 
violences  des  soldats  ;  on  la  saisit,  on  lui  arrache  un  sein,  on  la 
jette  dans  un  puits.  Passent  deux  gentilshommes,  qui  l'en  font 
sortir  par  ceux-là  mêmes  qui  l'y  ont  précipitée;  à  peine  ont-ils  dis- 
paru, que  les  meurtriers  l'attachent  à  un  arbre,  la  tuent,  et,  ce  fait, 
la  jettent  dans  la  rivière  ».  Ainsi  fut  punie,  de  son  protestantisme 
présumé,  une  femme  qui  était  peut-être  une  fervente  catholique  ; 
car  il  3^  avait  aussi  des  apostoliques  à  Marvejols.  Dans  les  guerres 
de  religion,  nous  le  savons,  c'est  à  Dieu  à  reconnaître  les  siens. 

Le  Lro  Belgicus  (1583),  de  Michel  Aitsinger,  illustré  par  le 
graveur  flamand  Hogenbert,  est  une  courageuse  protestation 
richement  documentée,  contre  la  guerre  stupide  et  lâche,  surtout 
quand  il  s'agit  de  querelles  rehgieuses,  où  de  «  braves  »  spadas- 
sins, armés  jusqu'aux  dents,  égorgent  et  étrijient  de  malheureu- 
ses victimes  sans  défense;  singulière  manière  de  comprendre  et 
d'appliquer  le  précepte  du  Dieu  de  paix,  qu'ils  ont  la  prétention  de 
défendre  :  Aimez-vous  les  tins  les  autres  !  Mais  il  n'est  que 
trop  vrai,  comme  le  remarque  Anatole  France  dans  T/iaïs,  «  toutes 
les   reUgions  enfantent  des  crimes   ».  Une    vieille  estampe,    les 

(1)  V.  Grand  D'ici,  liislor.,  de  l'abbé  Morery  ;  t.  I,  ]).  118. 

(2)  A  la  prise  de  Harlem,  1372,  sous  le  même  fanatisme  religieux,  les  Espa- 
gnols jetèrent  au  l'eu  tous  les  tableaux  de  Hemskerck,  le  Raphaël  protestant. 
Dans  un  autre  ordre  d'idées,  la  femme  de  Monsigny  brilla,  par  dévotion,  plu- 
sieurs manuscrits  de  son  mari,  entre  autres  l'opéra  de  Baucis  et  Philémon. 

(3)  De  Stendhal,  Promenades  dans  Rome . 


FAITS     LKdKNDAIKKS     KT     H  I  S  T  O  lU  H  T  F- ^ 


}Jassacrrs    dWnvcrs    (fîg.    1),    expose,    dans    le    compartiment 
de  o-auche,  une  femme  suspendue  par  les  seins  à  l'aide  de  crochets, 


u  épi-euve  (le  coLirai^v  )>  conservée,  de  nos  jours,  chez  les  Indiens 
Pieds-noirs  (1). 

Autre  exemple  d'atrocité  religieuse  ,  mais  cette  fois  attribuée  aux 

(I)  Anecd..  hisL,  p.  23. 


LKS     SKINS     DANS     I,    IIISTOIUK 


luiu,U('ii()ls.  (jiii  pt'iidanl  I(H1i's  accrs  de  ilclinuiii  rfh(/iosum,  ne  le 
cèdiMil  ("11  ricii  aux  catholiques,  quand  il  s'ag'il  de  ralfinements  de 
barbai'ie.  Nous  le  tirons  du  Thrâtrc  des  oiiautt'z  des  hérrttrques 
drudsiretcms,  fraditi/  du  latin  en  français^  ^2'édit.  Anvers,  1(')01 . 
Fraiirois  du  Casse  étant  lieutenant  (f  j)oui'  le  l'oy  de  Navarre  », 
à  Hazas,  en  Gascogne,  deux  de  ses  soldats  saisissent  une  femme 
catholique,  lui  coupent  les  seins,  puis  lui  emplissent  la  partie 
honteuse  de  poudre  à  canon  et  y  mettent  le  feu,  «  ce  qui  luy  feit 
crever  le  ventre  et  épandre  les  entrailles  dehors.  »  Etait-ce 
pour  tourner  en  ridicule  les  «  canons  «de  TEglise,  ou  par  plaisan- 
terie de  corps  de  garde,  que  ces  tortionnaires  s'ingéniaient  à 
transformer  un  vagin  en  pièce  d'artillerie?  N'a-t-il  pas  cent  fois 
raison  le  moraliste  qui  a  dit  que  la  religion  était  un  brandon  de 
discorde,  non  seulement  entre  les  nations,  mais  entre  les  citoyens 
d'un  même  peuple? 

Ainsi  se  trouve  justifiée  l'observation  du  D''  Quercy  qui,  dans 
sa  Patholo(/ie  de  la  Révolation  (1),  constate  qu'aux  actes  sangui- 
naires se  mêlent  les  actes  lubriques  et  cite,  à  l'appui  de  sa  thèse, 
ce  nouvel  exemple  :  Aux  massacres  de  septembre  (1792),  les 
assassins  de  la  princesse  de  Lamballe  lui  coupèrent  les  seins  et  les 
parties  sacrées  «  le  pauvre  mystère  de  la  femme,  dit  ]^lichelet, 
qu'ils  auraient  dû  voiler  de  la  terre,  ils  le  mirent  au  bout  d'une 
pique  et  le  promenèrent  au  soleil  » .  Autre  supplice  hideux  rap- 
porté par  notre  grand  historien  national  :  «  C'était,  écrit-il,  une 
bouquetière  bien  connue  du  Palais-Royal,  détenue  pour  avoir 
mutilé  un  garde  française  à  la  façon  d'Abélard.  La  plupart  de  ces 
femmes  et  filles  du  Palais-Royal  étaient  royalistes,  regrettant  le 
bon  temps,  les  nobles  qui  les  payaient  mieux.  On  supposa  que 
celle-ci,  royaliste  autant  que  jalouse,  avait  voulu  avilir  un  amant 
révolutionnaire,  outrager  en  lui  la  Révolution.  On  la  punit  par 
le  sexe  autant  que  possible  ;  on  lui  passa  un  bouchon  de  paille 
dans  les  parties  naturelles,  comme  on  en  met  aux  choses  à  vendre. 
La  malheureuse  s'agitant  dans  cette  extrême  douleur,  on  l'attacha 
toute  nue  à  un  poteau,  et  on  lui  cloua  les  pieds  ;  puis  on  lai  coapa 
les  seins  et  l'on  mit  le  feu  à  la  paille  ». 

En  1900,  le  mouvement  des  Boxers  contre  les  étrangers  com- 


(1)  Médecine  inlenuUiunale  illustrée. 


FAITS     LKT.ENnAIRRS     RT     HISTORIQUES 


mença  à  Pao-Ting-fou.  Entre  autres  atrocités  commises  dans  celte 
ville,  l'enquête  du  général  Bailloud  révéla  qu'une  Américaine,  avant 
d'être  mise  à  mort  par  les  révoltés,  avait  été  promenée  toute  nue, 
les  seins  coupés.  Les  Chinois,  en  effet,  ont  une  profonde 
indifférence  pour  ces  organes  ;  ils  reportent  toute  leur  tendresse 
sur  ces  horribles  moignons  de  pieds,  qui  éveillent  chez  eux  les 
mômes  idées  voluptueuses  que  les  mamelles  en  Occident  (1). 

Ablation  rituelle  des  seins.  —  Certaines  sectes  chrétiennes, 
en  Russie,  les  Klysty  ou  Flagellants  et  les  Skopsty  ou  Mutilés,  qui 
se  châtrent,  comme  Origène,  par  fanatisme  religieux,  se  procu- 
rent d'une  façon  bien  cruelle  la  matière  nécessaire  à  la  communion  : 
(c  Après  avoir  décidé  une  vierge  de  quinze  ans,  par  force  pro- 
messes, on  lui  extirpe  le  sein  gauche  pendant  une  immersion  dans 
un  bain  d'eau  chaude.  Cette  chair  est  alors  découpée  sur  un  plat 
en  menus  morceaux ,  que  les  assistants  consomment.  Ensuite  la 
jeune  fdle  est  retirée  du  bain  et  on  la  pose  sur  un  autel  à  proximité. 
Toute  la  communauté  exécute  autour  d'elle  une  danse  folle  et 
sauvage  et  entonne  des  cantiques  [2).  » 

Et  chez  nous,  d'autres  sectaires  —  les  antisémites  —accusent  les 
juifs  de  meurtres  rituels  qui  n'ont  jamais  existé!  Est-il  donc  vrai 
f jue  la  foi  attire  la  mauvaise  foi  ? 

Anomalies  mammaires.  —  Nous  passerons  sous  silence  les 
mamelles  supplémentaires,  étudiées  déjà  à  tous  les  points  de  vue  : 
anatomique,  religieux  et  artistique.  Observons  seulement  que  cer- 
tains goitres  globuleux  peuvent  avoir  l'apparence,  surtout  chez  la 
femme,  d'un  troisième  sein.  «Dans  le  Valais,  écrit,  en  I80O,  le  Ben- 
veiiuto  di(  ^tijle,  nous  avons  rencontré  ma  chimère,  c'est-à-dire  la 
femme  à  trois  tétons  ;  mais  le  troisième  était  un  goitre  et  c'était  le 
seul  dur.  »  Cas  pathologique  qui  rappelle  le  vers  de  Boileau  : 

Son  menton  sur  son  sein  descend  à  triple  étage. 

Les  seins //y/vc/'/royj/r/e.v  sont  assez  rares  chez  l'homme;  cepen- 
dant le  D'  Bedor,  chirurgien  en  chef  de   l'Hôtel-Dieu  de  Troyes, 

(Ij  D'  G.  Matignon,  Superstition,  crime  et  misère  en  Chine,  i"  édit.  1900. 

(■2)  Haxthausen,  Éludes  sur  la  situation  intérieure  de  la  Russie  :  cite  pixv 
M.  A.  Leroy-Beaulieu  clans  ['Empire  des  Tsars  et  les  Russes  (Hachette,  I«8i-I8b::-, 
3  vol.  in-S"). 


LES    SEINS    DANS     1.    IIISTOIin: 


vers  1S){(J,  a  rencontré  celle  confoi'niation  sur  trois  jeunes  gens, 
dans  les  conseils  de  re vision  de  l'Aube.  Ils  furent  déclarés  impro- 
pres au  service  militaire,  attendu  que  tout  habit  de  drap,  tenu 
fermé  sur  la  poitrine,  leur  était  trop  pénible  à  supj)orter;  n'était-ce 
pas  le  cas  de  recourir  aux  corsets? 

Chez  la  femme,  rhyj)ertrophie  mammaire,  en  dehors  des  tumeurs, 
est  assez  fréquente  ;  nous  rappellerons  les  observations  les  j)lus 
curieuses,  publiées  par  les  chirurgiens  :  Marcé,  en  18^)4,  a  opéré 
avec  succès  une  mamelle  droite  de  2,500  grammes,  la  gauche  nor- 
male ;Ashwell,  en  1842,  a  enlevé  une  mamelle  de  10,000  grammes; 
Durston  a  observé  une  malheureuse  portant  une  mamelle  droite 
de  18,200  grammes  et  une  gauche  de  30,200,  et  qui  fut  frappée  de 
mort  spontanée;  enfin  le  D'"  Garcia,  directeur  de  Thôpital  militaire 
de  Mexico,  a  pubhé,  en  janvier  lUOl,  le  cas  le  plus  extraordinaire 
qu'on  ait  observé  jusqu'à  ce  jour  :  une  mamelle  de  40  kilo- 
grammes. 

Christine  de  Suède  présentait  une  difformité  mammaire  moins 
accusée  :  cette  <(  ^Nlessaline  du  Xord  »  était  contrefaite  ;  elle  avait, 
non  seulement,  «  le  nez  plus  long  que  le  pied  »,  assure  une  lettre 
apocryphe  conservée  à  la  bibliothèque  Harlayenne,  mais  elle 
était  agrémentée  d'  «  un  téton  plus  bas  que  l'autre,  d'un  demi- 
pied,  et  si  enfoncé  sous  l'épaule,  qu'il  semble  pas  qu'elle  avait  la 
moitié  de  la  gorge  absolument  plate  (1).  » 

Variétés  ethnographiques.  Mœurs  et  Coutumes. —  Chez  les 

primitifs  comme  chez  les  civilisés,  les  femmes  sont  portées  à  la 
coquetterie;  c'est  un  faible  inhérent  au  sexe  de  ce  nom.  Le  désir 

(1)  La  grande  Mademoiselle  a  raconté  à  la  duchesse  d'Orléans  «  que  celte 
singulière  reine,  étant  fort  blanche,  se  couchait  toute  nue  sur  un  lit  de  velours 
noir,  pour  se  présenter  ainsi  à  ses  amants  ».  Ce  raffinement  de  lubricité  ne 
concorde  guère  avec  le  ])ortrait  ou  plutôt  la  caricature  tracée  par  fauteur 
inconnu  de  la  lettre  en  question,  qui  exagère  certainement  ses  difformités  cor- 
porelles :  «  sa  taille,  écrit-il,  est  voûtée;  elle  a  une  hanche  hors  d'architecture: 
elle  boite:...  elle  rit  de  si  mauvaise  grâce  que  son  visage  se  ride  comme  un 
morceau  de  ])archemin  que  l'on  met  sur  des  charbons  ardents;...  elle  n'a  pas 
soin  de  ses  dents,  elle  pue  assez  honnêtement  pour  obliger  ceux  qui  l'approchent 
à  se  précaulionner  et  à  se  parer  de  la  main...  »  Ce  n'est  qu'une  charge  éma- 
nant de  quehiuc  courtisan  dépité,  d'un  amant  transi  ou  d'une  rivale  jalouse. 

D'ailleurs  les  difformités  jihysiques  ne  semblent  i)as  rebuter  autrement  les 
Don  Juans  septentrionaux:  IMerre  III  n'avait-il  pas,  pour  favorites,  une  bossue, 
la  duchesse  de  Courlande,  et  Elisabeth  Yorontzof,  qui  était  marquée  de  la  petite 
vérole,  et  de  ])lus  «  louchait,  ])uait  et  crachait  en  j)arlant  »,  affirme  une  mau- 
vaise langue  de  l'époque. 


FAITS     F-KGENDAIRES     ET     HISTORIQUES 


de  plaire  ne  consiste  pas  seulement  en  parures  ;  certains  organes 
subissent  des  déformations  spéciales,  s'accordant  avec  Testhétique 
de  la  région  :  pour  les  Chinoises,  les  pieds,  transformés  en  moi- 
gnons, représentent  le /i^f /?/?^s-  ultra  de  la  beauté  (1);  les  Bos- 
chidiennes  s'efforcent  do  distendre  les  lèvres  vulvaires  jusqu'à  ce 
qu'elles  servent  de  tablier  ou  de  pagne;  certaines  peuplades  font 
sauteries  incisives  médianes;  d'autres  cherchent  à  modifier  la  forme 
de  la  bouche,  celle  des  seins,  etc.  C'est,  d'après  Mondière,  pour 
la  femme  Assinienne  un  signe  de  beauté  d'avoir  le  mamelon  le  plus 
long  possible.  Elle  atteint  rapidement  son  idéal  en  se  faisant  saisir 
le  bout  du  sein  entre  les  pinces  des  nymphes  du  myrmyle  ou  for- 
nicarius;  cette  coutume  est  répandue  dans  plusieurs  parties  de 
l'Afi'ique. 

Claudius  Madrolle,  dans  son  curieux  ouvrage  En  Guinée,  a  fait 
des  remarques  intéressantes  sur  la  plastique  thoracique  des  femmes 
Soussous,  peuplade  du  Siorra-Leone  :  on  rencontre  souvent  des 
petites  filles  d'une  dizaine  d'années  avec  des  seins  d'un  développe- 
ment peu  en  harmonie  avec  celui  du  corps  ;  souvent  le  mamelon 
forme  une  saillie  considéraljle  simulant  une  glande  surajoutée  à  la 
première,  en  forme  de  gourde. 

Nous  savons  que  les  Indiennes  viennent  arroser  la  tombe  de  leur 
enfant  nouveau-né  avec  leur  lait  [2]  ;  mais  cette  pratique  contribue 
cà  prolonger  la  sécrétion  lactée,  plusieurs  mois  api-ès  la  mort  de 
l'enfant.  Chateaubriand,  dans  Atala,  rapporte  une  coutume  ana- 
logue :  une  mère,  avant  d'exposer,  sur  les  branches  d'un  arbre,  le 
cadavre  de  son  enfant,  le  berce  encore  dans  son  giron  :  «  Et  la 
jeune  mère  chantait  d'une  voix  tremblante,  balançait  l'enfant  sur 
ses  genoux,  humectait  ses  lèvres  du  lait  maternel  et  prodiguait  à 
la  mort  tous  les  soins  qu'on  donne  à  la  vie  ». 

(1)  La  beauté  Chinoise  réside  en  grande  jiarlie  dans  le  pied.  «  Le  i)ied  d'une 
femme,  d'après  le  I)'-  G.  Matignon,  pris  dans  la  main  d"un  Céleste,  lui  produit 
le  même  effet  qu'à  un  Européen,  la  palpation  d'un  sein  jeune  et  ferme.  »  .\ai)0- 
léon  partageait  les  goûts  de  la  race  mongole  :  il  prisait,  avant  tout  ehez  une 
femme,  les  mains  et  les  |)ieds:  il  trouvait  que  M"«  George,  qui  conchait  avec  ses 
bas  pour  cacher  ses  grands  pieds,  avait  les  «  abattis  canailles  ».  Les  seins,  au.\ 
yeu.x  du  conquérant,  étaient  secondaires:  aussi  Joséphine  et  Marie-Louise  avaient- 
elles  des  extrémités  })riviligiées,  mais  la  poitrine  de  la  i)remiére,  «  bas  placée 
et  plate  »,  ballottait  dans  un  corsage  sans  corset  ni  brassière  et  celle  de  la 
seconde  était,  au  contraire,  «  très  forte,  tout  à  fait  d'une  nourrice  »,  dit  l'auteur 
de  Xapoléon  et  les  femmes,  F.  Masson. 

i:2)  Ciirios..  p.  78.  fig.  49. 


LKS     SEINS     DANS     L    HISTOIHK 


En  La|)()iii(',  d'après  Alexandre  Diichomin,  les  seins  sont  flétris 
avant  l"âg-e  :  «  tel  nourrisson  —  chacune  presque  a  le  sien  —  qui 
tète  un  sein  amaigri,  semble  téter  sa  grand'mère.  » 

Dry  a  publié  de  curieuses  notes  de  voyage  sur  Lisbonne  et,  en 
particulier,  sur  les  Ovarinas,  originaires  d'un  petit  port  du  lilloral 
portugais,  Ovar.  Le  type  féminin  y  est  admirable  et  ces  mar- 
chandes de  i)oissons  sont  les  plus  belles  filles  de  la  péninsule  : 
«  Elles  ont  la  poitrine  jeune  et  très  cambrée  ;  les  jupes  relevées 
jusqu'au-dessus  du  genou,  elles  marchent  vite  sans  presque  bouger 
le  haut  du  corps,  avec  une  grâce  infinie.  N'emprisonnant  jamais 
leur  taille  dans  le  moindre  appareil  de  torture,  elles  gardent  long- 
temps les  apparences  de  l'extrême  jeunesse  m.  Cet  explorateur  a 
vu  des  Ovarinas  dont  le  visage  n"était  plus  très  jeune,  mais  dont 
la  poitrine  était  toujours  superbe.  Par  opposition  :  les  Portugaises 
de  la  ville  de  Guimanarez  ont  la  gorge  remarquablement  déve- 
loppée, assure  Alexandre  Dumas. 

Lors  du  voyage  de  Théophile  Gautier  en  Italie,  les  seins, 
sur  les  bords  du  lac  Léman,  n'étaient  pas  en  odeur  de  sainteté  ;  le 
poète  en  exprime  ses  regrets  à  M"""  S...,  la  «  Présidente  »  de  la  rue 
Frochot  : 

«...  Genève,  ville  protestante,  où,  pour  humilier  les  catholiques 
et  leur  montrer  qu'ils  ne  sont  que  des  payens  sensuels,  les  femmes 
se  rabotent  le. . .  derrière  et  les  tétons  avec  la  varlope  de  la  modestie, 
selon  la  méthode  américaine.  » 

Au  pays  où  les  hommes  portent  le  jupon,  en  Grèce,  «  les  filles 
couvrent  leur  tête  et  ne  couvrent  pas  leur  poitrine,  »  dit  About  ; 
les  mamelles  atteignent,  vers  la  trentaine,  un  développement  quasi 
pathologique.  Les  impressions  des  observateurs  sérieux  concor- 
dent sur  ce  point  :  «  A  quinze  ans,  écrit  Gaston  Deschamps,  la 
maigreur  attique  des  femmes  d'Athènes  est  étoffée  et  robuste.  A 
vingt  ans,  leur  beauté  s'épanouit  comme  une  fleur  splendide  nour- 
rie de  lumière  et  saturée  de  soleil.  Après  quelques  années  de 
rayonnement,  leurs  nobles  formes,  après  avoir  atteint  à  la  majesté 
olympienne,  débordent  en  ampleurs  exagérées  et  éclatent  en  bour- 
souflures intempérantes  ».  En  style  moins  pindarique,  le  sceptique 
auteur  de  la  (Irrèc^  contemporaine  arrive  aux  mêmes  conclusions  : 
suivant  la  mode  du  pays,  les  Hydriotes,  en  toilette  de  soirée, 
montrent  leur  poitrine  «  tombant  en  cascades  dans  leui- chemise  « . 


FAITS     L  KG  EN  I)  AIR  ES     ET     IIISTORlnUES 


A  Keresova,  en  Arcadie,  le  même  auteur  assiste  à  la  célébration 
(le  la  Saint-Nicolas  :  «  Les  femmes  grecques  sautent  aussi  haut 
qu'elles  peuvent  ;  or  les  femmes  grecques  (je  n'ai  pas  dit  les  dames) 
ne  portent  jamais  de  corset,  quoiqu'elles  en  aient  besoin  plus  que 
personne.  11  y  avait  dans  cette  foule  bon  nombre  de  nourrices  au 
corsao-e  exagéré,  qui  riaient  du  haut  de  leur  tète  en  voyant  osciller 
librement  toutes  leurs  richesses  maternelles.  ISIais  ces  mères  de 
famille,  rudement  ballottées,  ne  servaient  qu'à  mieux  faire  valoir 
deux  ou  trois  jeunes  filles  à  l'œil  calme,  au  visage  sévère,  qui  pou- 
vaient bondir  impunément,  sans  troubler  l'harmonie  de  leurs  lignes 
sculpturales  ». 

Autre  trait  d'observation  qui  ne  manque  pas  de  saveur  :  «  Une 
fois  mariée,  la  paysanne  la  plus  élégante  ne  s'inquiète  plus  de  plaire 
à  son  mari  ;  elle  se  trouve  assez  belle,  le  dimanche,  si  elle  peut 
aller  à  la  promenade,  précédée  de  son  mari,  suivie  de  cinq  ou 
six  marmots.  Elle  ne  prend  aucun  soin  pour  cacher  ou  pour 
soutenir  le  sein  formidable  qui  a  abreuvé  toute  cette  petite  famille. 
Elle  s'avance  d'un  pas  majestueux,  le  ventre  en  avant,  comme 
une  oie.  Ainsi  le  dit  la  chanson  :  «  Abaissez-vous,  montagnes, 
afm  que  je  voie  Athéna,  mes  amours,  qui  marche  comme  une 
oie  >■). 

La  statuaire  antique  n'admettait  que  des  seins  petits  et  ce  sont 
cependant  les  ancêtres  de  ces  Grecques  tétonnières,  qui  lui  ont 
servi  de  modèles.  Lessing  soutenait  que  «  la  nature  et  l'art  ne  font 
qu'un  »  ;  Albert  Diirer,  que  «  l'art  se  cache  dans  la  nature  ». 
Durer  avait  raison  contre  Lessing  :  à  l'artiste,  il  appartient  de 
de  dégager  le  diamant  de  sa  gangue. 

A  Rome,  comme  à  Athènes,  les  beaux  seins  n'étaient  pas  les 
plus  gros  :  Ovide  conseille  de  couvrir,  sous  un  léger  voile,  les 
seins  trop  élevés  ou  trop  amples,  et  Martial  '^1)  demande  que 
la  poitrine  de  la  femme  soit  telle  fit  capiat  nostra  tegatqae 
)nanus. 

Quant  aux  Romaines  contemporaines,  les  impressions  des  voya- 
geurs sont  contradictoires  ;  il  est  vrai  qu'à  un  siècle  de  distance, 
les  modes  ont  pu  changer.  Ainsi  Kotzebue,  en  passant  à  Rome,  juge 
le  costume  des  femmes  désagréable  :  «  elles  portent  une  espèce  de 

(1)  Cité  par  le  D'  Straz,  la  Beauté  de  la  femme. 


iO  LKS    SKINS    DANS     L    HISiTClIRE 


corps  (|ui  Iciii'  ;i|)l;itit  (uiit  à  fait  le  .sein  ».  'l"li(''0[)lnlG  Gautier,  au 
contraire,  Icui-  ti()u\e  une  apparence  (f  potiroforme  »  :  «  Les  Ro- 
maines sont  outrageusement  belles,  d'une  beaut(''  lourde,  com- 
pacte, massive,  mais  incontestable...  Elles  sont  énormes  et  sem- 
blent descendues  des  piédestaux  du  Musée.  Vingt  enfants  tien- 
draient à  la  fois  dans  leurs  flancs  robustes;  il  faudrait  des  corsets 
garnis  de  fer,  pour  contenir  leurs  gorges  orgueilleuses.  L'histoire 
de  la  mère  de  Béatrice  Cenci,  à  qui  Ton  ne  pouvait  couper  la  tête, 
parce  que  ses  tétons,  gros  comme  des  bombes,  Tempêchaient 
d'appuyer  son  cou  sur  le  billot,  (et  qui  m'avait  toujours  paru  sin- 
gulière), se  comprend  parfaitement  ici  :  ce  n'est  pas  la  grande 
tétasse  avalée  et  brimballante  de  Rubens  ;  le  grand  baquet  de  colle 
à  la  flamande,  qui  tremble  à  chaque  mouvement  ;  le  Niagara  de 
viande,  qui  ruisselle,  du  haut  de  la  poitrine,  sur  les  montagnes  du 
ventre  et  dans  les  vallées  du  pubis,  comme  on  voit  dans  les  bac- 
chanales de  Jordaens  ;  ce  sont  deux  mappemondes  que  l'on  porte 
devant  soi,  un  second  fessier  appliqué  sur  l'estomac,  deux  immenses 
terrines  vues  du  côté  ])ombé,  un  Capitole  et  un  Palatin  de  chair 
humaine  ».  Qui  reconnaîtrait  le  déhcieux  poète  cVEmaur  et 
Camées  dans  cette  description  rabelaisienne!' 

Suivons  le  volage  Théo  à  Venise,  où  la  Fénice,  danseuse  âgée 
de  dix-huit  ans,  l'autorise  à  s'agenouiller  devant  l'autel  de  ses 
seins.  «  Ils  étaient  gros,  passablement  fermes,  très  blancs,  veinés  de 
bleu,  avec  un  petit  bout  rose,  entouré  d'une  grande  auréole 
couleur  d'hortensia.  Le  lait  qui  les  gonflait  leur  donnait  un  air  de 
tétons  de  Rubens...  J'ai  oublié  de  dire  que  la  pauvre  créature  était 
un  peu  enceinte,  sous  prétexte  que  l'armée  autrichienne  ne  se 
retire  pas  et  que  les  Hongrois  ne  sont  pas  hongres.  » 

Finissons  par  un  coup  d'œil  rapide  sur  les  bustes  féminins  des 
différentes  régions  de  la  France.  Les  Provençales  et  les  Langue- 
dociennes ont  moins  de  gorge  que  les  femmes  du  Nord,  mais  elles 
sont  plus  voluptueuses.  Un  touriste  Anglais,  qui  a  publié  un 
voyage  en  Provence,  dit  que  les  Arlésiennes  et  les  Avignonnaises 
sont  les  plus  belles  fdles  de  l'Europe  ;  le  fils  d'Albion  en  donne 
cette  raison  un  peu  vaine  :  «  C'est  que  les  Anglais  fréquentent 
beaucoup  dans  ces  parages.  »  L'auteur  rend  le  même  hommage 
à  ses  nationaux,  en  prônant  les  L^'onnaises  et  les  femmes  du  pays 
de  Gaux  :  «  Par  la  taille,  le  sein,  etc.,  elles  peuvent  le  disputer  à 


FAITS     LKC.ENDAIRKS     ET     HISTORIOUES  11 

toutes  les  tailles  et  à  tous  les  seins  des  trois  royaumes  unis  (1)  », 
Il  n'y  a  pas  que  M.  Josse  qui  soit  orfèvre,  le  pince-sans  rire  John  Bull 
Test  aussi  à  ses  heures.  Les  Normandes  et  les  Bretonnes,  àlagoroe 
assez  opulente,  ont  un  corsage  élégant;  les  femmes  du  centre, 
d'Auxerre,  par  exemple,  sont  superbes  par  l'ampleur  de  leurs 
formes  et  font  d'excellentes  nourrices  ;  enfin  la  Parisienne,  qui 
possède  «  la  science  du  faux  »,  change  de  ])oitrine  suivant  les 
exigences  de  la  mode.  En  résumé,  la  remarque  d'Henri  lY  est 
toujours  juste  :  «  Oncques  ne  vis,  disait  le  Vert-Galant,  si  belles 
tétonnières  qu'au  pays  de  France  »  :  et  il  s'\'  connaissait. 

Usages  singuliers  des  seins.  —  Avant  de  servir  de  garde- 
manger  à  bébé,  le  sein  est  la  pelote,  l'oreiller  du  père;  aucun 
organe  ne  réunit  mieux  les  avantages  de  Y  utile  dtilci.  Ces  appas 
palpables  sont  des  appâts  magiques  qui,  avec  les  charmes  du 
visage,  provoquent,  chez  l'homme,  la  griserie  nécessaire  à  la  repro- 
duction de  l'espèce;  d'autre  part,  les  caresses  du  mamelon  déter- 
minent, chez  la  femme,  un  éréthisme  favorable  à  l'union  sexuelle  : 

«  Où  vont  ces  doigts  curieux  ?  » 

demande  l'amante  pâmée  : 

—  Puisque  j"(Mi  tiens  un,  Madame, 
Laissez-nioi  prendre  les  deux, 

répond  V Amant  tunidc  d'Hégésippo  Moreau...  L'ivresse  des  sens 
dissipée,  ces  organes  deviennent  quelconques  ;  la  froide  raison 
reprend  ses  droits  et  le  dialogue  des  amoureux  se  termine  dans 
l'angoisse  et  les  sanglots  : 

«  Qu'avons-nous  fait  là,  grands  dieux  '? 
—  Oh  !  rien  qu'un  enfant.  Madame  ! 
Oh  !  rien  qu'un  enfant...  ou  deux!  » 

C'est  surtout  dans  le  mécanisme  de  l'appareil  génital,  que  le  mer- 
veilleux artiste  delà  Création  a  fait  preuve  d'ingéniosité  et...  de 
malice. 

Avec  son  sein  —  M"'^  Mars  disait  :  «  avec  soi-  éventail  »  (2)  — 

(1)  Hector  France,  les  Dessous  de  la  ptidibonde)-ie  anglaise,  l!tOO. 

(2)  Le  sein  de  la  célèbre  tragédienne  n'aurait  pas  eu  la  même  vertu,  car.  à 
ses  débuts,  elle  était  si  dépourvue  de  charmes,  qu'on  la  comparait  à  «  un  pru- 
neau sans  chair.  » 


12  LES     SEINS     DANS     l/ Il  I  S  r  (t  I  U  K 

une  l'oniinc  csl  \Aus  redoutable  (lu'iin  homme,  r(''|)ée  à  la  main  ; 
c'est  Tanne  la  plus  puissante  du  sexe  faible  pour  suljjuguer,  non 
seulement  le  libre  arbitre  du  sexe  réputé  fort,  à  Texemple  de  Phrvné, 
mais  aussi  sa  force  j)livsicjue.  Lactance  rapporte  un  curieux  épisode 
d  u  siège  de  Messène  par  lesLacédémoniens.  Les  Messéniens  sortirent, 
la  nuit,  ]iour  s'emparer  de  Lacédémone,  mais  ils  furent  repoussés 
par  les  femmes  casquées,  cuirassées  et  en  armes.  Les  Lacédémo- 
niens  accouraient  à  leur  secours,  quand  ils  les  rencontrèrent  allant 
au-devant  d'eux  :  ils  les  prirent  pour  une  troupe  ennemie,  et  afin 
de  faire  cesser  cette  méprise,  lesLacédémoniennes  eurent  l'idée  de 
se  dépouiller  complètement  de  leurs  vêtements  ;  il  en  résulta  une 
mêlée,  non  sanglante,  mais  amoureuse,  où  «  chacun,  dit  Larousse, 
donna  les  preuves  de  son  amour  à  celle  qui  la  première  se  rencontra 
dans  ses  bras,  » 

Autre  exemple  de  \ictoire  sans  effusion  de  sang  :  le  ^j  octo- 
bre 1789,  les  femmes  de  la  Capitale  se  rendirent  à  Versailles,  ayant 
à  leur  tête  Théroigne  de  Aléricourt  ;  elles  se  découvrirent  la  poi- 
trine devant  la  rangée  de  fusils,  du  régiment  de  Flandre,  prêts  à 
faire  feu  et  parvinrent  à  détourner  des  excès  un  grand  nombre  de 
soldats.  C'est  à  cet  incident  que  fait  allusion  l'empereur  Léopold, 
dans  la  Tliéroiyne  de  Paul  Hervieux,  jouée  par  Sarah  Bernardt  : 
il  reproche  à  l'héroïne  IlTOl),  d'être  entrée  dans  les  rangs,  et 
d'avoir  harangué  les  soldats  pour  les  détourner  de  leur  devoir  ((  par 
des  provocations  impudiques  «. 

Le  s'unis  ou  creux  des  seins  —  étymologie  de  ce  mot  —  est  la 
cachette  de  prédilection  des  femmes  : 

Faites,  mon  Dieu,  qu'à  cet  instant  je  meure, 

s'écrie  Ruy  Blas,  apercevant  sa  manchette  de  dentelles  cachée 
dans  la  gorgerette  de  la  reine.  jNI"'^  de  Montespan  agonisait  à 
Bourbon-Lancy,  lorsque  son  fils,  le  duc  d'Antin,  découvrit  cachée 
dans  son  sein  la  clef  de  sa  cassette. 

La  cavité  inter-mammaire,  qu'Adam  de  la  Halle  appelait  «  le 
ruiotel  d'amours  »,  la  vallée  d'amour,  sert,  à  l'occasion,  de  porte- 
feuille à  valeurs,  d'écrin  aux  perles  liquides,  fausses  ou  vraies,  qui 
tombent  des  yeux  de  nos  rusées  et  belles  endolories.  Jules  Claretie  a 
tiré  àes  Mémoire  s  inédits  de  M"®  George  l'anecdote  suivante  :  l'Empe- 
reur, étant  à  Saint-Cloud,  envoya  chercher,  à  Paris,  cette  celé- 


FAITS     LKC.  F.  NDAIRRS     ET     H  I  ST  O  R  I  O  l  F  S  13 

brité  dramatique  —  la  favoi'ite  du  moment  —  et  lui  annonça  qu'il 
partait  le  lendemain  matin,  à  cinq  heures,  pour  le  camp  de  Bou- 
logne. La  reine  de  théâtre  ne  semblait  pas  autrement  émue  de  cette 
nouvelle;  l'Empereur  lui  en  fit  le  reproche  et  mettant  la  main  sur 
le  sein  gauche  :  «  Il  n'y  a  rien  pour  moi  dans  ce  cœur,  dit-il.  » 
M^^"  George  était  au  supplice  et  aurait  donné  tout  au  monde  pour 
pouvoir  pleurer,  «  mais  elle  n'en  avait  pas  envie  ».  lis  étaient  sur 
le  tapis  de  la  bibliothèque,  près  du  feu...  Après  un  long  silence, 
la  comédienne  finit  par  obtenir  de  ses  glandes  lacrymales  deux 
grosses  larmes  libératrices,  qui  tombèrent  sur  sa  poitrine.  «  L'Em- 
pereur, avec  une  tendresse  que  je  ne  peux  reproduire,  écrit 
M"''  George,  baisa  ces  larmes  et  les  but...  Je  fus  tellement  touchée 
au  cœur  de  cette  preuve  d'amour,  que  je  me  mis  à  sangloter  de 
véritables  larmes.  Ce  soir-là,  ajoute-t-elle,  l'Empereur  me  fourra 
dans  la  gorge  un  gros  paquet  de  billets  de  banque  —  il  y  avait 
quarante  mille  francs  —  en  disant  :  «  Je  ne  veux  pas  que  ma 
Georgina  manque  d'argent  durant  mon  absence.  »  Et  pendant 
cette  scène  intime,  où,  de  l'aveu  du  même  témoin,  jamais  César, 
descendu  de  son  piédestal,  ne  fut  plus  amoureux,  M.  de  Talley- 
rand,  qui  venait  travailler  avec  son  souverain,  l'attendit  en  vain. 
C'était  la  seconde  fois  que  le  fin  diplomate  était  congédié  pour  le 
même  objet  :  «  Soyez  fière,  disait-il  plus  tard  à  M'""  George,  cela 
n'était  jamais  arrivé  ». 

Chez  nos  belles  pécheresses,  la  poitrine  est  une  sorte  d'étalao-e 
de  joaillerie  ;  certaines  —  les  acteuses  surtout  —  sont  parées 
comme  des  châsses  et  couvertes  de  diamants  qui  en  font  de  véri- 
tables lustres  ambulants  :  ainsi  les  belles  dames  du  temps  de 
Henri  IV  étaient  «  si  fort  chargées  de  pierres  et  pierreries  qu'elles 
ne  pouvoient  se  remuer  ».  Un  couplet  de  la  chanson  d'Odette  Dulac, 
Le  français  tel  qu'on  le  parle,  fait  allusion  à  cet  usage  : 

Sachez  que  la  belle  Otero 
Pour  ses  bijoux  fut  proposée. 
Mais  elle  dit  :  Lou  boléro 
Soûl  il  a  fait  ma  renommée  ; 
J'ai  piou  de  place  à  la  poitrine  : 
On  se  fiche  de  moi,  je  crois, 
En  me  l'offrant  comme  vitrine. 

En  1412,  Jérôme  de  Prague  fit  afficher,  par  dérision,  une  bulle 


ii  LES    SEINS     DANS     l/IIISï(HHK 


(lu  l'ii|)('  siii'  la  <;(ii'«^o  (l'iino  fille  |)ublifjuc;  i(l(''c  liii)ii(|ue  qui  aiito- 
risciail  vc  (lisc'i|)lo  (lo  .Jean  Huss  à  reven(li(juor  l'invcrilion  des 
lemiiios-saiulw  icli. 

TjOs  seins  inlei'Niciincnt  dans  certaines  conjur-alions  ou  dans 
re.\l)i'essit)n  de  la  douleui-.  D'après  15eii(''  Bazin,  les  Siciliennes  qui 
conjurent  le  ciel  daccabler  leur  ennemi  de  toutes  sortes  de  maux, 
se  dénouent  les  cheveux,  se  jettent  à  genoux,  puis  se  découvrent 
la  jmitruie  et  baisent  trois  fois  le  sol.  Les  Ambouélas  de  rAfri(iue 
centrale  se  congratulent  mutuellement,  en  se  frappant  à  couj)s 
l'citc'rés  la  poitrin(\  Quand  Texplorateur  Cesova  fut  introduit  auprès 
de  leur  roi,  les  favorites  se  mirent  à  battre  vigoureusement  leurs 
mains;  api'ès  <|uoi,  ramassant  un  peu  de  terre,  elles  s'en  frottèrent 
les  seins  et  la  poitrine,  en  disant  :  «  hamba  et  caIou)u/a  ».  En 
Orient,  les  femmes  se  frappent,  à  poings  fermés,  la  poili'ine,  aux 
enterrements  et  en  signe  de  deuil.  Pendant  le  chemin  de  la  croix, 
le  Nazaréen  s'adresse  aux  femmes  qui  se  lamentent  et  «  se  frappent 
la  poitrine  »  sur  son  passage  :  «  Filles  de  Jérusalem,  leur  dit-il, 
ne  pleurez  pas  sur  moi,  mais  pleurez  sur  vous-mêmes  et  sur  vos 
enfants:  car  \o\c\  que  des  jours  viendront  dans  lesquels  on  dira  : 
«  Heureuses  les  entrailles  stériles  qui  n'ont  point  enfanté  et  les 
mamelles  qui  n'ont  point  nourri  ;).  Ce  qui,  entre  parenthèse,  ne 
concorde  guère  avec  une  précédente  exhortation  à  la  repopulation  : 
«  L'arbre  qui  ne  produit  pas  de  fruit  sera  coupé  et  jeté  au 
vent  » . 

Rappelons  rapidement  les  usages  fantaisistes  que  les  littérateurs 
et  artistes  ont  attribués  aux  mamelles  :  Scarron,  dans  le  Virgile 
travesti  (liv.  VU),  parle  d'un  «  téton  qui  servoit  à  se  moucher  »  ; 
le  conte  de  La  Fontaine,  la  Courtisane  amoureuse  (fig.  2),  en 
fait  des  coussins  moelleux  :  Camille  consent,  avec  dédain,  à  laisser 
coucher  à  ses  pieds  la  courtisane  Constance,  follement  éprise  de 
lui  : 

Camille  donc  s'étend,  et  sur  un  sein 
Pour  qui  livoire  auroit  eu  de  lenvie, 
Pose  ses  pieds;  et,  sans  cérémonie, 
Il  s'accommode  et  s'en  fait  un  coussin. 

Ces  boules  chaudes  peuvent  en  même  temps  servir  au  butor  de 
«  moine  w,  de  chancelière. 

Sterne,  dans  son  Voyage  sentimental,  considère  les   seins   de 


FAITS     LÉGENDAIRES     ET     HISTORIQUES 


J Illicite,  la  chevi-ière,  comme  un  séchoir.  A'oyant  son  héroïne  laver 
un  mouchoir  dans  le  ruisseau,  il  lui  demande  :  «  Mais  où  le  ferais- 
tu  sécher,  ma  chère  enfant?  —  Dans  mon  sein,  dit-elle,  cela  me 
fera  du  bien  ».  Déjà  dans  l'antiquité,  la  superstitieuse  Julie,  fille 
(rAug'uste,  n'a-t-elle  pf?s  utihsé  la  chaleur  des  seins,  en  faisant  de 
sa  poitrine  une  couveuse  temporaire  (1)? 


Fig.  -2.  —  Tirée  des  Coule.',-,  édités  i)ar  Gai-nier. 

Les  seins  de  M'"  Chouin,  fille  d'honneur  «  grosse  et  courte  »  de 
la  princesse  de  Conti,  étaient  assimilés,  par  la  féroce  princesse 
Palatine,  à  un  instrument  de  musique  :  «  Elle  avait,  écrit-elle  dans 
une  de  ses  lettres  (20  avril  ITIU;,  une  gorge  horriblement  grosse; 
cela  charmait  Monseigneur,  car  il  frappait  dessus  comme  sur  des 
timbales.  » 

Signalons  enfin  un  usage  peu  ordinaire  des  seins,  révélé  par 
la  peinture  naturaliste  :  la  Femme  au  bock,  d'André  Gill  (fig.  3), 
est  une  fille  de  brasserie,  en  négligé  du  soir,  qui  se  livre  à  des 
exercices  d'équifibriste,  devant  une  galerie  de  pifiers  d'estaminet  ; 


(1)  Ciirios.,  p.  3. 


Li:S     Sr.  1,NS     DANS     1.    IIISTOlUK 


le  (li-vcloppcmnit  cl  la  l'igidilé  de  ses  seins  lui  pcrmcllt'iit  de  por- 
ter un  ///'yvs-,  :"i  lélons  tendus,  et  de  chanter  : 

C'est  |)as(lla  cliaii',  ça,  c'est  du  niarl)ro  ! 

Pour  Tiisage  interne,  nous  ne  connaissons  que  les  sumina,  mets 
fort  recherché  par  les  anciens  :  c'était  un  ragoût  préparé  avec  les 
tétines  d'une  truie  qui  venait  de  mettre  bas;  Martial  (1)  nous  en 
a  conservé  le  souvenir. 

Nous  examinerons  plus  loin  le  parti  que  les  artistes  ont  su  tirer 
des  seins,  dans  rorncmentation  et  le  symbolisme  pictural  ou  sculp- 
tural. (Voir  notre  Appendice). 

Erreurs  et  préjugés  relatifs  aux  seins.  —  Entre  autres 
pralicpies  ou  remèdes  conseillés  par  les  guérisseurs  et  toucheurs 
poitevins,  le  D''  Tiffaud  cite  cette  perle  :  «  Pour  préserver  les 
femmes  de  tout  mal  au  sein,  frottez-leur  la  poitrine  avec  le  cordon 
ombilical,  aussitôt  après  raccoucheaient.  (Hiant  à  la  délivrance, 
elle  se  fera  sûrement  si  l'accouchée  mange  de  la  galette  cuite,  la 
veille  de  Noël  ». 

Les  sages-femmes  ou  ouan-pou,  de  l'Empire  du  Milieu,  ne  sont 
pas  embarrassées,  pour  prédire  à  toute  femme  grosse  le  sexe  de 
son  enfant  :  l'aréole  se  fonce  légèrement  pour  une  fille  et  se  noir- 
cit pour  un  garçon.  Et  voilà! 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  image,  coloriée  à  la  faeon  d'Epi- 
nal  et  sans  nom  d'auteur,  intitulée  :  Y  Avenir  dé  rodé  par  la  con- 
formation des  seins  des  dames.  Voici  les  pronostics  portés  par  le 
mammologue  anonyme  et  folichon,  d'après  la  forme  des  seins;  il 
est  inutile  de  «  tâter  »,  comme  pour  les  bosses  crâniennes  des 
phrénologues  :  Seins  nor^nanx,  bon  caractère.  —  Sei?is  Vénus  de 
Milo,  beauté  de  visage,  bonheur  parfait.  —  Seins  ronds,  bonne 
santé,  mariage  heureux.  —  Sei/ts  parachute,  très  bonne  santé, 
entêtement.  —  Seins  yéants,  bon  cœur,  très  longue  existence.  — 
Seins  cornichons,  faible  santé,  mauvais  caractère.  —  Seins  inai- 
gres, grand  amour  maternel,  santé  délicate.  —  Seins  nuls,  faible 
santé  (2). 

(Ij  «  On  croirait  plulùt   boire  que  manger  cette  tétine,   tellement  coule  abon- 
dant le  lait  frais  dont  la  mamelle  est  gonflée.  »  Liv.  XIII,  ép.  44. 
ti)  Hector  France,  loc.  cil. 


FAITS    li':(;endairf.s    et    histohiours 


17 


Du  même  émule  de  Gall,  une  autre  page  coloriée  :  la  Significa- 
tion des  veines  des  seins,  toujours  S.  G.  D.  G.  Supposons  le 
sein  droit,  par  exemple,  divisé 
comme  un  cadran  de  montre  : 
les  veines  des  régions  voisines 
de  I,  II,  III  heures  annoncent 
A  venir  heureux ;X,  Nombreuses 
maternités  ;  IV,  V,  Excellente 
nourrice;  IX,  Longue  vie  ;  NI, 
VII,  Bonne  santé  ;  XII.  Même 
pronostic  que  IV,  V;  VIII,  Ave- 
nir absolument  heureux. 

Une  lithographie  bien  connue  : 
les  Indiscrétions  de  Lavater, 
montre  à  nu  le  buste  d'une  jeune 
femme,  couvert  de  chiffres  cor- 
respondant à  ceux  de  la  figure. 
Les  «  signes  de  naissance  »  qui 
se  voient  au  visage,  seraient 
répétés  sur  une  partie  du  corps 
déterminée  ;  ainsi  celui  du  front 
se  retrouve,  du  même  côté,  à  la 
partie  inférieure  du  sein.  C'est 
enfantin. 

Les  recettes  propres  à  raffer- 
mir et  à  développer  les  seins 
sont  innombrables  ;  elles  ont 
toujours  beaucoup  de  succès... 
;i  la  quatrième  page  des  jour- 
naux, chez  les  gogottes  et  les 
cocottes  défraîchies.  Disons  de 
suite    qu'un    seul    procédé   est 

efficace  pour  le  développement  et  la  fermeté  des  mamelles  :  la 
suralimentation.  Mais  ce  procédé  a  l'inconvénient  d'engraisser  en 
même  temps  toutes  les  parties  du  corps,  taille  comprise,  ce  qui 
contrarie  l'esthétique  de  nos  jolies  «  oies  blanches  »  ou  noires  (1). 


Fig.  3. 


(i)  Dans  son  Hygiène  de  la  Beauté,  le   D'-  E.   Monin  conseille,  pour  avoir  de 

LES    SEIXS    DANS    l'hISTOIRE.    —   I.  2 


i8  LES    SEINS    DANS    L    HISTOIRE 


Exécutons  quelques  NÏeux  remèdes  :  Ovide  conseille  des  cata- 
plasmes de  mie  de  pain  délavée  dans  du  lail  :  .Jérôme  deMonleux, 
médecin  de  Henri  11,  préconise  cette  recette  abracadabrante,  Pour 
étrcindri'  les  seins  pendants  :  <(  Pour  rapetisser  les  grandes 
mamelles  pendantes  qui  sont  chose  malséante,  il  faut  user  de 
pommade  faite  avec  œufs  de  perdrix  et  cire  qui  les  redresse  et 
les  rend  fermes.  On  peut  aussi  se  servir  d'un  composé  de 
racines  de  lis  blancs,  d'huile  rosat  et  de  cire.  Pour  les  empêcher 
de  orossir,  il  faut  souvent  les  oindre  avec  du  suc  d'acacia,  ou  les 
bassiner  souvent  avec  poudre  d'encens  détrempée  dans  du 
vinaigre  (1).  » 

ISAnourga  Roungn,  livre  erotique  de  l'Inde,  composé  par  le 
poète  KouUianmoul,  vers  la  fin  du  xv'  siècle,  donne  des  recettes 
aussi  singulières  :  la  21%  pour  faire  grossir  les  seins;  la  22%  pour 
les  afTermir  et  les  relever. 

La  belle  madame  Talhen,  qui  ignora  toute  sa  vie  l'existence  du 
corset,  attribuait  la  conservation  de  ses  attraits  aux  bains  de 
fraises  et  de  framboises  écrasées  —  vingt  livres  des  unes,  deux 
livres  des  autres  —  dont  elle  faisait  un  fréquent  usage.  Le  procédé 
de  Diane  de  Poitiers,  pour  entretenir  si  longtemps  la  fraîcheur  et 
la  fermeté  de  ses  seins,  était  moins  compliqué  :  à  son  réveil,  elle 
mettait  son  corps  à  la  température  de  son  came,  en  se  plongeant 
dans  l'eau  glacée.  Ainsi  faisait  la  Du  Barrv. 

Dans  ses  Mémoires  d'Outre-Tombe  (2),  Chateaubriand  raconte 
que  les  Seminoles  et  les  Muscogulges,  de  la  Floride,  «  afin  de 
s'affermir  le  sein  et  les  bras  »,  se  frottaient  avec  l'apoya  ou  souchet 
d'Amérique.  Les  naturels  de  l'équateur,  pour  accélérer  le  déveloj)- 
pement  mammaire,  font  prendre  aux  jeunes  fdles,  dès  l'âge  de  dix 
ans,  des  infusions  de  feuilles  de  cindiera,  dont  l'extrait  forme  la 
base  des  pilules  de  Boerhaave. 

Enfin  le  mirifique  massage  est  recommandé...  par  ceux  qui  en 

beaux  ïicins  :  avant  chaque  repas,  trois  pilules  composées  de  0.20  d'extrait  de 
galéga  et  0.05  de  taïun  (six  par  jour)  ;  après  chaque  repas,  une  cuiller  à  café 
d'un  niélange  de  teinture  de  fenouil  et  d'extrait  fluide  d  ortie  blanche,  dans  un 
peu  d'eau  sucrée  ;  enfin,  cinq  minutes  de  courants  induits,  matin  et  soir,  sur 
chaque  mamelon.  Les  vergetures  des  seins  se  traitent,  avec  succès,  par  l'élec- 
trolyse  et  les  comjjresses  d'alumnol.  Le  même  auteur  nous  donne,  dans  son 
riche  t'onnidaire,  un  grand  nombre  d'ordonnances  variées  concernant  les  seins. 

(1)  La  Conf rater iiitc  andicale. 

{'2)  Première  partie.  Liv.  VI. 


FAITS     I.ÊCENDAIRF.S     F.  T     HISTOlilOlES  19 

vivent  (1)  ;  mais  depuis  longtemps,  il  est  reconnu  que  les  pati- 
nages (2)  ou  massages  amoureux  des  seins  tendent  plutôt  à  les 
ramollir  : 

De  mille  liouches  mignotté 

Dans  le  déduit  cubiculaire 

Tettin  perd  grâce  et  fermeté... 

Au  XVII-  siècle,  la  belle  lady  Digby,  pour  conserver  ses  charmes, 
ne  prit  longtemps  d'autres  aliments  que  des  chapons  nourris  avec 
des  vipères  :  ainsi  le  lui  avait  conseillé  son  mari,  philosophe, 
quelque  peu  alchimiste. 

A  Londres,  vers  le  milieu  du  xvin''  siècle,  les  gardes-malades 
ne  manquaient  jamais,  pour  empêcher  le  sein  des  nouvelles  accou- 
chées de  se  flétrir,  d'y  appliquer  des  peaux  de  lièvres.  Dans  une 
enquête  de  la  coui'  ecclésiastique,  en  17H8,  au  sujet  d'une  demande 
en  divorce  du  duc  de  Grafton  contre  sa  femme,  la  garde-malade, 
Martha  Tyson,  confirme  cette  pratique  :  «  Aussitôt  l'accouchement, 
le  sommelier  reçut  Tordre  d'acheter  six  peaux  de  lièvres,  de  pre- 
mière qualité,  chez  ^I.  Lucas,  dans  Panton  Street.  Quand  je  les 
eues,  je  les  étendis  sur  la  gorgé  de  la  duchesse  tout  le  temps  qu'elle 
passa  au  lit  ».  Ces  topiques  s'apjdiquaient  sur  les  seins  des  accou- 
chées qui  voulaient  en  chasser  rapidement  le  lait,  en  vertu  de  la 
médecine  des  signatures  :  il  devait  fuir  avec  la  vélocité  du  lièvre. 

Le  privilège  attribué,  par  les  superstitieux,  aux  difformités  des 
bossus,  s'étend-il  à  toutes  les  bosses  indistinctement?  Pourquoi 
ne  pas  généraliser,  se  demande  un  bossu  à  qui,  dans  une  soirée,  une 
décolletée  solUcite  la  faveur  de  toucher  sa  protubérance  :  «  —  Ça 
porte  bonheur,  dit-elle.  —  Bien  volontiers,  fait  le  spirituel  rachi- 
tique,  en  regardant  le  corsage  de  l'interlocutrice;  mais  à  charge 
de  revanche.  »  Une  repartie  analogue  se  trouve  dans  la  charmante 
berquinade  de  Pierre  Wulff,  le  Secret  de  poUchinelle. 

Mamelles  géologiques  (3] .  —  Le  mont  Thabor,  qui  domine  la 

ili  Chez  les  Aiiibuiiélas  de  la  Couchibi,  la  femme  soupçonnée  de  stérilité  ])ar 
son  mari  est  conduite  à  «  l'homme  de  médecine  »,  le  masseur  de  l'endroit,  qui 
fait  étendre  le  sujet  sur  le  sol  et  passe,  ii  plusieurs  reprises  et  avec  force,  un 
rouleau  de  bois,  en  fuseau,  sur  la  poitrine  et  les  flancs. 

(2)  M°"^  de  Maintenon  éci'it  à  sa  nièce  de  prendre  garde  de  se  laisser  patiner  ; 
au  figuré,  sans  doute. 

(3)  Anecd.  hist.,  p.  Iiî3.  —  En  minéralogie,  on  appelle  maslite  une  pierre  grise, 
dont  la  forme  rappelle  celle  d'un  bout  de  sein. 


20  I.  K  s     SK  INS     DANS     I.    Il  I  SI' (t  I  II  K 

vallc'O  du  Jourdain,  offre  une  bolle  forme  arrondie,  que  ranliquilé 
comparait  déjà  à  un  sein.  De  môme,  dans  Tile  Maurice,  la  mon- 
tao^nc  des  Trois  Mamelles  était  ainsi  nommée  «  parce  que  ses  trois 
pitons,  écrit  Bernardin  de  Saint-Pierre,  en  ont  la  forme  ».  L'auteui- 
de  Paul  et  Virginie  ajoute  en  note  :  «  Il  y  a  beaucoup  de  mon- 
tao-nes  dont  les  sommets  sont  arrondis  en  forme  de  mamelles  et 
qui  en  prennent  le  nom  dans  toutes  les  langues.  Ce  sont,  en  effet, 
de  véritables  mamelles  ;  car  c'est  d'elles  que  découlent  beaucoup 
de  rivières  et  de  ruisseaux,  qui  répandent  l'abondance  sur  la  terre. 
Elles  sont  les  sources  des  principaux  fleuves  qui  l'arrosent,  et  elles 
fournissent  constamment  à  leurs  eaux,  en  attirant  sans  cesse  les 
nuao-es  autour  du  piton  de  rocher  qui  les  surmonte  à  leur  centre 
comme  un  mamelon...  » 

Enfin  la  Jungfrau  (4180  mètres),  la  Vierge  des  Alpes  (1),  qui  doit 
son  nom  à  ce  qu'aucun  être  humain  n'avait  souillé  son  manteau  de 
neio-e,  présente  une  particularité  analogue  :  «  Ce  nom  de  jeune 
fille  donné  à  la  montagne,  écrit  A.  Dumas  dans  ses  Impressions 
de  voyage,  s'harmonise  merveilleusement  avec  ses  proportions 
élégantes  et  sa  blancheur  virginale...  C'est  avec  un  sourire  que 
les  o-uides  vous  indiquent  deux  autres  montagnes  posées  sur  sa 
puissante  poitrine,  que  les  géographes  appellent  :  celle  de  droite, 
Silberhorn  (Pointe  d'argent),  celle  de  gauche  Sc/meehorn  (Pic 
de  neige)  (2),  et  auxquelles  les  guides,  plus  naïfs,  ont  donné  le 
nom  àc  Ma?nelles  Ci).  » 

L'ile  de  Sein  «  la  bien  nommée  »,  au  dire  d'Anatole  France,  bien 
qu'elle  ne  paraisse  pas  avoir  la  forme  arrondie  d'une  mamelle, 
abritait  les  druidesses  —  Velléda,  entre  autres  —  occupées  à  faire 
des  sacrifices  humains  afin  d'apaiser  la  Divinité  courroucée.  «  Des 
fouilles  récentes,  dit  Larousse,  ont  amené  la  découverte  de 
curieuses  médailles  celtiques  très  bombées  du  côté  de  la  face, 
représentant  une  tête  humaine  et  très  concaves  du  côté  pile, 
marqué  d'un  cheval  andi-océphale.  »  Est-ce  une  simple  coïncidence 

(1)  Mais  un  chasseur  de  chamois,  Paulmann.  entreprit  de  déflorer  la  pucelle 
et,  depuis  cette  ascension  mémorable,  on  l'appelle  la  Frau,  car  elle  n'a  plus  le 
droit  de  porter  l'épithète  de  Jung. 

(2)  La  première  a  une  altitude  de  3703  m.  :  la  seconde,  3415. 

(3)  Nous  avons  à  Paris  la  butte  Montmartre,  Bulte  sacrée  de  Sarcey,  que  le 
«  gentilhomme  cabaretier  »  Rodolphe  Salis,  renchérissant,  qualifiait  de  Mamelle 
de  la  France,  mais  sous  forme  métaphorique. 


FAITS     LKCENDAIRF.S     ET     HISTORIQUES 


21 


qui  fait  ressembler  à  un  sein  métallique  ces  médailles  trouvées 
dans  Tîle  du  même  nom  ? 

Pour  compléter  Tanalogie  des  mamelles  géologiques  avec  celles 
de  la  femme,  observons  qu'elles  sont  souvent  déchiquetées  par  des 
crevasses.  Ainsi  à  Pienza,  on  donne  le  nom  de  baize  aux  fissures 
profondes  des  mamelons  crevassés. 

Incidemment,  une  curiosité  étymologique  qui  n'a,  il  est  vrai, 
qu'un  rapport  éloigné  avec  notre  sujet  :  d'après  Gérard  de  Nei- 


Fis.  4. 


val  (1),  le  Liban  tirerait  l'origine  de  son  nom  du  mot  h'ben,  qui 
veut  dire,  en  allemand,  la  vie  ;  il  le  devrait  à  la  blancheur  des 
neiges  qui  couvrent  ses  montagnes  et  que  les  Arabes,  «  au  travers 
des  sables  enflammés  du  désert,  entrevoient  de  loin  comme  le  lait, 
comme  la  vie  !  » 

Les  gomilen  dalmates  (2)  (fig.  4),  très  fréquents  à  Zara  et 
aux  environs  de  Janpria,  dans  la  presqu'île  de  Sabioncello,  peu- 
vent servir  d'intermédiaires  aux  mamelles  géologiques  et  archi- 
tectoniques  ;  ils  sont  moitié  naturels,  moitié  artificiels.  Ce  sont  des 
monticules  de  pierres  et  de  terre  ayant  exactement  la  forme  d'un 
sein  de  femme,  surmonté  de  son  mamelon,  et  qui,  très  ancienne- 
ment,   ont  servi  de   sépultures.  Ils  appartiennent  à  des  époques 

(1)  Voyage  en  Orient. 

(2)  Pluriel  de  (joinila,  mot  dalmate. 


LES    SEINS    DANS    L    HISTOIRE 


Irt's  diverses  ;    (|uelques-uns    datent   des   temps    ])réliistoi"iques. 
d'aulres  sont  d'un  â<;e  moins  reculé  (1). 

Mamelles  architectoniques.  —  La  eonfurmation  extérieure 
de  certains  monuments  religieux  et  funéraires  rappelle-t-elle,  par 
hasai'd  ou  a\ec  intention,  la  l'orme  du  sein  ?  C'est  ce  que  nous 
allons  examiner.  Tandis  que  la  forme  carrée  domine  ^dans  les 
temples  anti(|ues,  les  églises  Inzantines,  dont  le  modèle  est  San 
Vitale,  de  lîavenne,  adoptèrent  la  for-me  globulaire  :  à  Sainte 
Justine  de  Padoue,  par  exemple,  «  des  ballons  circulaires  font 
cercle  autour  des  coupoles  »  ;  les  dômes  bulbeux  de  Saint  Marc 
sont  célèbres,  et  Ton  connaît,  au  moins  par  le  récit  des  voyageurs, 
les  clochers  en  toui)ies  renversées  des  églises  moscovites  (2.. 
Presque  toutes  les  mosquées  furent  imitées  de  Sainte-Sophie  et  se 
couvrirent  aussi  de  coupoles  laiteuses  :  à  Jérusalem,  ce  sont  de 
simples  renflements  ombelles  ;  chez  les  Arabes,  le  dôme  prend 
une  forme  ovoïde  avec  tendance  manifeste  à  se  terminer  en  pointe 
mamelonnée  (3;.  Est-ce  pur  hasard,  ou  Tintention  de  rappeler,  par 
la  forme  de  la  mamelle,  que  le  temple  de  la  Foi  abrite  la  nourrice 
de  l'âme,  comme  la  mamelle  élabore  la  nourriture  du  corps  '.' 
Toujours  est-il  qu'en  Orient,  la  vue  de  ces  rondeurs  blanches 
évoque  l'image  des  globes  mammaires.  «  On  sait  aujourd'hui  que 
la  coupole  arabe,  dit  Léon  Hugonnet,  n'est  qu'un  agrandisse- 
ment de  la  coupe  grecque,  moulée  sur  le  sein  de  la  belle  Hélène. 
Mais  la  gracieuse  fantaisie  des  artistes  orientaux  l'a  recouverte 
d'une  résille  d'or,  La  mosquée  aralie,  avec  ses  dômes  émergeant 
au  milieu  des  arbres,  ressemble  à  une  sultane,  nonchalamment 
étendue,  et  dont  les  formes  chastes  et  marmoréennes  sont  rehaus- 
sées par  les  magnifiques  dentelles  confectionnées  par  des  doigts  de 
fées  et  que  les  artistes  musulmans  ont  pudiquement,  mais  élégam- 
ment, jetées  autour  de  la  belle  dormeuse.  » 

Théophile  Gautier,  écrit,  d'autre  part,  que  les  coupoles  blanches 

(1)  V.  le  Tour  du  Monde  {i[  la  Revue  d'anlliropolo(/ie,  ï'-J  oct.  1899. 

(2)  L'Eglise  de  rAssomption,  à  Moscou,  ne  eonii)te  pas  moins  de  treize  cou- 
poles de  hauteurs  différentes. 

(3)  Il  semble  que  Tarchitecte  du  Sacré-Cœur  de  l'aris,  ait  voulu  éviter,  dans 
les  cinq  cou|)oles.  la  forme  profane  du  sein  en  les  allongeant  et  en  les  coiffant 
de  lanternes  nuiigriciionnes  :  il  en  a  fait  autant  de  bonnets  de  coton  gigan- 
tesques. De  loin,  on  dirait  encore  une  vaste  mamelle  de  vache  a  cinq  pis. 


FAITS     L  K(.ENI)AIltKS     KT     II  I  S  1' O  It  I  M  U  R  S 


■23 


des  marabouts  (fig.  4  bis)  «  s'arrondissaient  comme  des  seins  pleins  de 
lait,  et,  dans  l'azur,  des  minarets  dardaient  leurs  flèches  })ointues.  » 
Vigne  d'Octon,  dans  les  Siestes  (f  Afrique,  remarque  aussi  que  les 
cases  d'Ansoumané,  des  Sousous  du  Soudan,  «  arrondissent  leur 
chaume  comme  des  seins  de  femmes  pointés  vers  le  ciel  bleu  ». 


Malade  apporté  près  d'un  maraboiil  de  Tunisie 
d'après  le  Correspuadant  médical. 


La  môme  idée  se  retrouve,    exprimée  en  vers,  mais  avec  moins 
de  poésie,  dans  ce  mauvais  quatrain  : 

En  Orient,  toute  mosquée 
D'un  vaste  dôme  est  surmontée. 
On  dirait  d'un  ferme  téton 
Dressant  au  eiel  son  mamelon. 

Le  minaret  qui  s'élève  auprès  de  chaque  mosquée  —  tel  le  clo- 
cher de  nos  églises  (1)  —  a  été  comparé  par  un  touriste  en  belle 

(1)  Théophile  Gautier,  au  cours  de  son  voyage  en  Italie,  pendant  l'hiver  de 
1850,  croit  voir,  dans  la  flèche  delà  cathédrale  de  Milan,  «  un  phallus  de  neige 
(\v\\  défonce  le  ciel.  )>  (Lellre  à  la  l'résidenie). 


24  LES    SRINS    DANS     L    HISTOIRE 

humeur,  à  un  immense  phallus  «  en  érection  devant  le  blanc- 
téton  (le  la  mosquée  voisine  ».  Pour  l'auteur  d'En  Egypte,  «  Tobé- 
lisque  est  un  phallus  et  la  pyramide,  le  sein  d'Isis,  de  forme  hiéra- 
tique ».  On  sait  que  les  obélisques,  consacrés  au  Soleil,  au  prin- 
cipe fécondant,  se  dressent  à  TOrient,  sur  la  rive  droite  du  \il, 
tandis  que  les  pyramides,  vouées  à  la  terre,  au  principe  féminin,  à 
Isis,  sont  situées  au  couchant. 

Dans  le  pvlôme,  portail  des  monuments  égyptiens,  on  donne  le 
nom  de  gorge  égyptienne,  non  à  la  boursouflure,  mais,  au  con- 
traire, à  la  partie  excavée  du  sommet  de  cette  porte. 

Sur  l'origine  du  chapiteau  corinthien  et  ses  modiflca- 
tions.  —  On  se  rappelle,  d'après  Yitruve  (1),  le  rôle  de  la  nour- 
rice dans  l'origine  légendaire  de  ce  chapiteau  :  «  Après  la  mort 
prématurée  d'une  jeune  Corinthienne,  ses  jouets  furent  réunis  dans 
une  corbeille  et  placés  par  sa  nourrice  sur  la  sépulture.  Au  prin- 
temps, l'acanthe  entoura  la  corbeille  de  feuilles  nombreuses  ;  mais 
celles-ci  rencontrant  une  résistance  qui  les  comprimait  dans  les 
angles  d'une  tuile  qui  recouvrait  cette  corbeille,  furent  forcées  de 
se  replier  en  forme  de  volutes  ». 

Le  sculpteur  Kallimaque,  en  passant  près  de  cette  corbeillle, 
remarqua  l'harmonie  et  l'élégance  de  son  ornementation  naturelle 
et  imagina  le  motif  du  chapiteau  corinthien.  Mais  M.  Chipiez  (2), 
professeur  à  l'école  spéciale  d'architecture,  et  M.  R.-L.  Amiel, 
dans  les  Beaux-Arts  illustrés,  ont  fait  remarquer  que  Kallimaque, 
étant  contemporain  de  Phidias,  ne  pouvait  être  le  créateur  de  ce 
chapiteau,  car,  bien  avant  lui,  l'ordre  corinthien  se  retrouve  dans 
les  couronnements  campaniformes  de  Karnack.  Au  sculpteur  de 
Corinthe  appartiennent  en  propre  les  modifications  du  premier 
tvpe  :  les  hélices  diagonales,  les  hautes  feuilles  enveloppant  le 
kalathos  et  les  échancrures  de  l'abaque;  il  a  transformé  le  chapi- 
teau au  point  d'être  regardé  comme  l'inventeur  du  troisième  ordre 
grec. 

Est-ce  pour  perpétuer  cette  gracieuse  légende  corinthienne  que 
nos  sculpteurs,  E.  Derré   entre  autres,   introduisent   dans   leurs 


(1)  Anecd.  Idst..  p.  35. 

(2)  Hist.  c'iil.  des  oi'if/ines  des  ordres  çjrecs.  in-8%  IS.dG. 


FAITS     LEr.ENDAIRKS     F:ï     HISTORIQUES 


chapiteaux  composites  des  nounous  à  mi-corps,  avec  leurs  nour- 
rissons (fîg.  5,  a  bis). 


Pont,  Pierre,  Marché  au  lait.  —  A  Harlem,  il  existe  un  Potif 
de  lait,  ainsi  nommé  des  laitières  qui  s'y  rendaient  pour  la  vente 
de  leur  lait,  comme  à  Paris  les  fleuristes  se  réunissent  au  Marché 
aux  fleurs. 

Signalons,  en  Belgique,  la  statuette  en  bronze  de  la  Laitii'rc, 
connue  sous  le  nom  de  Het  Melkbœrinneke,  érigée  au  xviif  siècle, 

^-  ni  %^ 


Fis.  5. 


Fis;,  o  bis. 


en  guise  de  pompe,  au  Mcu^ché  au  lait,  et  reléo-uée  maintenant  au 
Musée  d'Antiquités  d'Anvers  (fig.  6). 

La  ville  de  Sens  possédait  une  fontaine,  datant  des  Romains, 
dont  remplacement  circulaire  était  encore  indiqué  au  siècle  der- 
nier, en  face  de  la  cathédrale,  par  un  cercle  de  pavés  exhaussés, 
nommés,  on  ne  sait  pourquoi,  la  Pierre  au  lait. 

Coupes  en  forme  de  seins  (1).  —  En  l'honneur  de  Maut  (la 
Lune;,  «  régente  du  ciel  et  souveraine  de  la  nuit  »,  qui  était  à 
Saïs  l'objet  d'un  culte  particulier,  les  Égyptiens,  du  temps  d'Héro- 
dote, buvaient  dans  des  coupes  en  forme  de  mamelles  ou  de  demi- 
lune  {hémiiomes),  modelées  sur  le  sein  nourricier  de  la  déesse. 

(1)  V.  Anecd.   Idstor.  et  reli/j..  p.  1  et  suiv. 


26 


l-KS     SEINS     DANS     h    HISTOIRE 


On  rcli'ouvc  ces  coupes  dans  la  célébration  des  Thesmopliories 
grecques,  qui  semblent  n'être  qu'une  importation  des  fêtes  noc- 
turnes de  Saïs  :  «  C'était  un   usage    consacré  par  la  religion  de 

Bacchus,  si  intimement  unie  à  celle  de 
Cérès  Thesmophore  et  dans  les  récits  de 
l'antiquité  et  sur  les  monuments,  d'ap- 
pliquer sur  les  seins  nus  des  femmes 
certains  vases  larges  et  profonds,  de 
Fespèce  des  phiales.  Nous  savons,  d'un 
autre  coté,  que  les  anciens  avaient  une 
sorte  de  vase  appelé  mamelle,  soit  à 
cause  de  sa  forme,  soit  en  raison  de  la 
manière  dont  on  s'en  servait,  et  que  ce 
nom,  d'origine  assez  reculée,  ainsi  qu'un 
autre  analogue,  était  usité  chez  les 
habitants  de  Paphos  (l).  » 

En  Eubée,  on  montrait  la  coupe  qui 
fut  moulée  sur  le  sein  gauche  d'Hélène; 
elle  servait  aux  libations  sacrées. 

Les  calices  primitifs,  comme  l'indi- 
quent certaines  sculptures  extérieures 
de  la  cathédrale  d'Amiens,  étaient  aussi 
mammiformes;  est-ce  une  simple  coïn- 
cidence ou  la  conséquence  des  nombreux 
emprunts  faits  par  le  christianisme  au 
paganisme  ? 

On  a  pu  voir  au  jNIusée  Guimet,  en 
juillet  1901,  dans  une  collection  de 
verreries  égyptiennes,  phéniciennes, 
byzantines  et  arabes,  formée  par  M,  Du- 
rio-hello,  au  hasard  des  ventes  et  surtout 
des  fouilles  de  S^^ie,  des  patères  qui 
paraissent  moulées  sur  des  seins  de  femmes  ;  elles  sont  sans  pied 
et  il  fallait  les  vider  d'un  trait. 


FiK.  (i 


Fontaines  ubérales  ('2) 


Dans  ces  fontaines  monumentales. 


(1)  Creuzcr.  Si/ni/tol'Kjue  et  Mijl/tolor/ie  des  peuples  de  l'aiili(jiiih\ 
(-2)  V.  Anecd.  hisl..  ji.  (3  et  Ciirios..  \).  1^7. 


FAITS    lk(;rm)airrs    kt   historiques 


caprices  de  certains  artistes  de  la  Renaissance,  le  liquide  —  eau, 
vin,  lait  — ■   au   lieu  d'être   versé,    comme    à    l'ordinaire,    d'une 


l'"ig.   (j  bis. 


conque  marine,  d'une  coupe  ou  d'un  vase  penché,  jaillit  d'un  sein 
de  femme.  Le  mot  manquait  dans  la  langue  française  })Our  dési- 
gner ce  genre  original  de  fontaine,  parce  qu'elles  n'avaient,  avant 
nous,  fait  l'objet  d'aucune  étude  spéciale.  Le  qualificatif  iibrral 
(du  latin  uher,    mamelle),   rend  assez  bien,  faute  de  mieux,  l'idée 


28  LKS    SEINS    DANS     i/hISTOIRE 

qu'il  fallait  exprimer,  mais  il  s'écoulera  peut-être  bien  du  temps 
avant  que  TAcadémie  raccueille  dans  son  Dictionnaire . 

Le  lait  —  sécrétion  mammaire  —  qu'il  jaillisse  du  sein  ou  coule 
d'abondance,  tient  une  place  importante  dans  plusieurs  fii>urations 
et  cortèges  de  l'antiquité  ou  des  temps  modernes.  Lors  d'une  fête 
donnée  à  Alexandrie  par  Ptolémée  VI  Philomelor,  l'un  des  chars 
portait  un  automate,  représentant  N^'sa,  qui  se  levait,  épanchait 
du  lait  dans  une  coupe  d'or  puis  s'asseyait  après  cette  libation, 
pour  recommencer  quelques  tours  de  roues  plus  loin.  Sur  un  autre 
char,  traîné  par  cinq  cents  hommes,  on  avait  disposé  un  antre 
profond  d'où  jaillissait  deux  sources  :  l'une  de  lait,  l'autre  de  vin. 

A  l'entrée  de  Charles-Quint  dans  Bruges,  en  avril  loi 4,  on 
construisit  une  fontaine  où  trois  sybilles,  surmontant  une  colonne, 
se  pressaient  le  sein  pour  en  faire  jaillir  du  vin,  qui  tombait  dans 
une  vasque,  s'écoulait  ensuite  par  des  bouches  de  mascarons  et 
était  enfin  recueilli  parle  populaire  (fig.  0  bis). 

Voici  une  nouvelle  série  de  monuments  où  figurent  les  mamelles. 
La  figure  6  bis,  que  Germain  Bapst  a  reproduite,  en  la  régularisant, 
dans  son  Essai  sur  rHistoire  du  théâtre,  a  été  primitivement 
dessinée  par  Rémy  Dupuy;  elle  fait  partie  de  la  suite  de  gravures 
représentant  l'entrée  de  François  P''  dans  sa  Ville  de  Paris,  le 
15  février  1514  —  deux  mois  avant  celle  de  Charles-Quint  —  et  se 
trouve  dans  la  collection  dite  de  l'Histoire  de  France,  au  Cabinet 
des  estampes. 

C'était  presque  toujours  pour  des  entrées  solennelles  ou  des 
réceptions  que  l'on  construisait  ces  sortes  d'édifices.  Une  fontaine 
érigée  à  Bourg,  en  1501,  lors  de  la  réception  de  Philibert  le  Beau, 
représentait  une  jeune  femme  d'une  taille  gigantesque  «  laissant 
échapper  par  ses  deux  mamelles  de  métal  coloi'é,  deux  jets  de  vin 
qui  tomboient  dans  un  bassin  ».  A  mesure  que  le  vin  s'écoulait, 
on  le  remplaçait  pour  que  les  seins  de  la  géante  fussent  —  comme 
le  Manneken-Piss,  de  Bruxelles  —  à  jet  continu  (1). 

A  Bologne,  sur  la  place  de  Neptune,  on  admire  une  fontaine 
—  Fontana  Publica  —  (fig.  7),  érigée  vers  1565  par  Jean 
Bologne,  de  Douai,  et  dédiée  à  saint  Charles  Borromée,  arche- 
vêque de  Milan,  légat  de  Bologne.  C'est  une  des  œuvres  de  la 

{\)  Jules  Baux,  Histoire  deVéfjUse  de  Brou  ;  (Lyon,  1884,  p.  28). 


FAITS     I.KdKNDAIRKS     KT     HISTOIUoUES 


29 


Renaissance  qui  produirent  le  plus  cVeffet  :  «  Ici,  la  Renaissance  et 
le  paganisme  atteignent  leur  extrême.  Au  sommet  est  un  superbe 


Fis.  7. 


Neptune  de  bronze,  non  pas  un  dieu  antique,  calme  et  digne  d'être 
adoré,  mais  un  dieu  mytliologique  qui  sert  à  l'ornement,  qui  est  nu 
et  qui  étale  ses  muscles.  Aux  quatre  coins  du  bassin,  quatre 
enfants,  joyeux  et  bien  tordus,  empoignent  des  dauphins  qui  fré- 


30  LKS     SIUNS     DANS     i/hISTOIRF. 

lillent  ;  sous  les  pieds  du  dieu,  quatre  femmes  à  jambes  de  pois- 
sons déploient  la  magnifique  nudité  de  leurs  corps  cambrés,  la 
sensualité  i'ranche  de  leurs  tètes  hardies  et  pressent  à  pleines  mains 
leur  sein  gonflé  pour  en  faire  jaillir  l'eau  < -1  .  » 

A  Bruxelles,  existait,  au  xvi'^  siècle,  une  fontaine  monumentale 
où  l'eau  jaillissait  du  sein  de  quatre  déesses,  dressées  debout  dans 
des  niches  (2).  En  K)7*.>,  sous  Tarchiduc  Mathias,  les  Réformés 
pillèrent  les  églises  de  Saint-Xicolas  et  de  Sainte-Catherine  et  la 
collégiale  de  Sainte-Guduîe,  renversèrent  et  brisèrent  les  images, 
s'emparèrent  des  -vases  sacrés,  burent  dans  les  calices  au  succès  de 
la  bonne  cause,  s'affublèrent  des  vêtements  sacerdotaux  et  dansè- 
rent des  rondes,  en  chantant,  autour  de  ladite  fontaine  :  une 
ancienne  gravure  nous  a  conservé  la  mémoire  de  cet  événement 
historique  (fig.  7  bis). 

Au  Musée  communal  de  la  même  ville,  figure  un  autre  spécimen 
de  fontaine  ubérale,  dite  des  Trois  Pucelles  [i\o^.  8),  dissimulé  dis- 
crètement dans  un  coin  fort  obscur,  au  bas  et  à  gauche  de  l'escalier 
principal  ;  nous  l'y  avons  cependant  déniché.  Les  pauvres  déesses, 
reléguées  dans  l'oubli,  sont  toutes  nues  et  c'est  là  leur  crime.  Deux 
sont  vues  de  face,  adossées  à  une  colonne  médiane,  et  se  tiennent 
par  les  mains,  remplies  de  liserons  ;  leurs  mamelons  perforés  indi- 
quent les  orifices  d'où  l'eau  jailhssait.  La  troisième  pucelle  a  le 
ventre  appuyé  sur  la  colonne  et  ne  montre  que  ses  «  mamelles  pos- 
térieures »,  potelées  et  juvéniles.  Pour  tout  renseignement,  nous 
lisons  sur  une  pancarte  :  «  Les  Trois  Pucelles,  groupe  provenant 
d'une  ancienne  fontaine  située  près  de  l'église  Saint-Nicolas 
(xvf  siècle)  w.  N'en  déplaise  au  conservateur  du  Musée,  nous 
nous  permettrons  de  relever  plusieurs  erreurs  dans  cette  inscrip- 
tion :  le  motif  semble  représenter  les  trois  Grâces,  que  l'esprit  sim- 
pliste du  peuple  a  transformées  en  «  Pucelles  »  ;  le  monument,  dans 
son  ensemble,  n'a  rien  de  commun  avec  la  fontaine  primitive,  qui 
possédait  quatre  déesses,  et  son  style  est  d'une  époque  beaucoup 
plus  moderne.  Constatons  néanmoins  le  faible  des  Flamands  pour 
les  fontaines  lubriques,  ubérales  ou  uréthrales,  témoin  le  Manne- 
/iCii-Pis.s,  déjà  nommé. 

Nous  connaissons  la  curieuse  fontaine  des  Vierges  de  \urem- 

(1)  II.  Taine.  Voyage  en  lialic. 

{'2)  L.  Hymans,  Bruxelles  à  travers  les  âges  ;  (1880-1884,  2  vol.  111-4°). 


Li:S     SRINS     DANS     L    HISTOIRE 


berg  (1)  :  «  Six  Jeunes  filles,  écrit  Victor  ïissot,  emblèmes  des 
vertus  théologales,  expriment  de  leurs  seins  deux  sources  d'eau 
vive  »  ;  une  septième  —  non  mentioiniée  —  Thémis,  domine  ses 
sœurs.  Le  mordant  et  spirituel  auteur  du  Voyage  au  pays  des 
milliards  onhlie-i-il  la  triade  des  vertus  théologales  :  la  Foi,  l'Espé- 
rance et  la  Charité.  Il  est 
probable  que  le  sculpteur 
leur  a  adjoint  les  quatres 
vertus  cardinales,  le  fonde- 
ment de  toutes  les  autres  :  la 
Prudence,  la  Force,  la  Tem- 
pérance et  la  Justice,  cette 
dernière  planant  au  pinacle. 
A  l'Exposition  de  1900, 
section  Allemande,  les  ateliers 
réunis  de  Munich  avaient 
installé  leur  ameublement 
dans  une  construction  des 
plus  fantaisistes  :  la  décora- 
tion de  la  porte  présentait 
deux  sirènes,  tenant  chacune 
une  vasque  oîi  était  recueillie 
l'eau  qui  jaillissait  de  leurs 
seins  (fig.  9). 

Telle  a  été  conçue,  à  Be- 
sançon, la  sirène  de  la  Fon- 
taine des  Dames,  rue  des 
Archives  (fig.  10),  Cette  fontaine  ubérale  est  la  seule  qui,  à  notre 
connaissance,  existe  en  France  et  soit  en  activité.  Notre  confrère 
P.  Nour\^  a  signalé,  dans  la  Chronique  médicale,  une  figure  de 
femme  nue  qui  rejetait  l'eau  par  les  seins,  à  Fancienne  église 
Saint-Lô  (n'existe  plus)  et  un  simulacre  à  l'église  Saint-Jacques, 
de  Dieppe. 

De  nos  jours,  les  «  Bars  automatiques  w  ont  remplacé  les  fon- 
taines qui,  à  certaines  fêtes,  versaient  le  vin  ou  le  lait  à  discrétion; 
mais  la  distribution  n'est  plus  gratuite  :  il  suffit  d'introduire,  par 


Fis.  8. 


(1)  AneciL,  hisl.  (ig.  5,  p.  9. 


FAITS     Ll-:(i  KM)AIRi:S     Kl      H  I  ST  0  U  1  (J  U  K  S 


33 


•un  orifice,  une  pièce  de  monnaie,  pour  en  recevoir  du  lait  froid  ou 
«haud,  pur  ou  teinté  de  café. 

Terminons  par  les  fontaines  ubérales  fictives,  soit  s\  mi:)oliqucs 


Fig.  9. 


(fîg.  11),  soit  artistiques.  De  ces  dernières,  les  unes  figurent  dans 
certains  tabeaux,  comme  sujets  accessoires  ;  les  autres,  dans  des 
traités  spéciaux,  sont  à  l'état  de  projets  et  pourraient,  à  l'occa- 
sion, être  exécutés  par  des  sculpteurs.  P.  P.  lîubcns  a  une 
prédilection  marquée  pour  ces  sortes  de  compositions  ...  Iniliil  sua 
qiœmquc  volitplm.  Xous  avuns  reproduit  la  Xature  1  cVEricto- 
j/ins  owErccJiti'c  en  s(i  corlicillc    Kil"),  A'ienne)  ;  d'autres  \ariantcs 


(1)  Cur'iijH..   iig.  9i). 

l.ES    SEINS    11  ANS    l.'lUSToIKE.    —    I. 


34 


m:  S     SKINS     DANS     I,    Il  I  S  T  (»  )  It  K 


(le  cotle  planche  nous  montrent  la  même  figure,  toujours  munie  de 


x 


LklV/r  mi  \r^  ' 


Fiir.  JU. 


ses  cinq  mamelles  donnant  de  l'eau,  mais  sous  un  aspect  différent. 
La  Société  élégante  ou  le  Jardin  cV amour  (1638),  présente  une 
modification  analogue  :  Amphilrite,  au  lieu  de  laisser  couler  l'eau 


FAiis    M-;(;  KNDAi  li  i:s    i:  r    ii  is  itniiof  ks 


35 


de  ses  deux  mamelles,  élevant  les  bras  vers  un  dauphin,  est  à 
califourchon  sur  le  cétacé  et  se  presse  les  seins  d'où  sort  un  dou- 
ble jet  (fig.  13). 

DezalUer  d'Argenville,  auteur  de  la  Throrie  et  la  pratique  <ln 
jardinage   (1747),  imagine  une  fontaine  dans  le  goût  égyptien. 


Fit 


11.  —  Le  dieu  Nil  versant  de  l'eau  sur  l'ànu'  d'Osiris,  à  l'hilœ 
d'après  Rosellini. 


avec  une  Isis  «  qui  jette  de  Teau  par  les  mamelles  »  (fig.  12).  Ce  pro- 
jet d'architecture  a  pu  inspirer  David,  pour  sa  fontaine  de  la 
Régénération,  de  1793  (1),  où  Isis,  figurant  la  Nature,  est  assise 
—  au  lieu  d'être  debout  —  entre  deux  lions. 

Le  «  Bon  Bock  »,  société  d'aimables  et  joyeux  vivants  d'élite, 
o-ens  de  lettres,  savants,  artistes,  etc.,  se  réunit,  une  fois  par  mois, 
autour  d'une  table  de  restaurant  :  le  menu  du  festin  —  qui  donne 
en  même  temps  le  programme  d'une  soirée  musicale  et  chantante, 
inter  uocula  —  est  illustré  par  l'un  des  sociétaires.  Nous  donnons 
une  copie  de  la  composition  artistique  du  23  P  dîner,  due  au  crayon 


(!)  Anecd.  Iiist.,    fi^.  ^<<  V-  H- 


36 


LKS     si:  IN  S     DAMS     I,    HISTOIRE 


épicurien  de  Léo  Dehaisne  (fig.  14)  :  la  Fontaine  de  Juttvenee  du 
Bon  Boek. 

Surprises.  —  Est-ce  ensouvenirde  lafontaine  des  Trois Pncelles 
que  les  marchands  de  bibelots,  voisins  du  Manneken-Piss,  vendent. 


Fiiî.   1:2. 


avec  ce  petit  symbole  de  l'Incontinence  urinaire,  des  bustes  de  «  la 
Pucelle»  !'  Les  mamelons  et  le  chignon  sont  perforés;  à  ce  dernier 
s'adapte  un  bout  de  caoutchouc,  semblable  à  celui  des  compte- 
gouttes  ;  il  suffit  de  le  presser  pour  faire  jaillir  l'eau  introduite  dans 
ce  petit  buste  ^fig.  15). 

On  a  imaginé  aussi  des  épingles  de  cravates  et  des  cannes  à  sur- 
prises, représentant  des  nourrices  (fig.  IG).  Les  premières  fonc- 
tionnent à  l'aide  d'une  poire  en  caoutchouc,  dissimulée  sous  les 
vêtements  et  reliée,  par  un  tube  flexible,  à  l'épingle  remplie  de 
liquide  ;  le  mécanisme  des  cannes  «  Remplaçantes  »  est  plus  com- 
pliqué. En  appuyant  sur  un  bouton  A,  soudé  à  une  plaque  de 
métal  mobile,  celle-ci  communique  la  pression  à  la  paroi  d'un  tube 


FAITS    I, K(;  i-:xi)Ai[u:s    i-vr    historiques 


37 


en  caoutchouc  D,  contenant  le  liquide  qui  s'échappe  au  dehors, 
en  passant  par  un  tube  métallique,  ouvert  à  ses  deux  extrémités, 
dont  l'embouchure  supérieure  aboutit  au  mamelon  B,  d'une  nour- 
rice en  belle  humeur. 

Pour  être  complet,  il  no  nous  reste  plus  qu'à  présenter  la  Plus 
belle  des  Parisiennes,  un  superbe 
chromo  cartonné  représentant  une 
femme  décolletée,  avec  un  corsage  ^^r^%>„ 

métallique  ;  en  introduisant  l'extré- 
mité des  doigts  dans  l'ouverture 
découpée  au  niveau  des  seins,  on 
fait  palpiter  la  poitrine  à   volonté. 


m^m 


Fit;.  13. 


Fig.  14. 


Seins  postiches.  —  Le  melliflue  saint  Anselme,  qui  appelle  la 
femme  «  un  doux  mal  »  —  femina  dulce  nialum  —  énumère  les 
artifices  que  les  coquettes  employaient,  au  xi''  siècle,  pour  s'em- 
belUr  :  «  elles  réduisaient  le  volume  de  leurs  seins  (i)  et  teignaient  en 
blond  leurs  cheveux,  afin  de  sembler  appartenir  à  la  race  conqué- 
rante ».  De  nos  jours,  la  teinture  blonde  à  l'eau  oxygénée  ou  au 


(  1  )  Au  mystique  moyen  âge,  le  «  pis  camuset  dur  et  court  »  et  les  «  mamolettes  » 
fermes  n  com  dus  pomes  duretés  »  ou  deux  «  nois  gauges  »  —  de  gaugier  ou 
nover  —  étaient  un  des  caractères  do  la  beauté  féminine. 


38 


l,i:S     SKIJVS     DANS     1.    HISTOIUK 


henné  est  encore  de  mode,  mais  au  lieu  de  réduire  leurs  seins,  nos 
acéphales,   nos  cucurlnlées,  comme  dirait  Juvénal   [V],  cherchent 


Fig.  15. 


Fig.    16. 


Fiy.  17. 


au  contraire  à  les  faire  valoir  et,  en  cas  d'absence,  les  remplacent 
par  des  postiches. 

La  nature  et  la  forme  de  ces  seins  artificiels  sont  variées  ;  les  cou- 
turières ont  Fhabitude  de  les  désigner  sous  le  nom  du  fat)ricant, 

(1)  Sat.  XIY.  Le  \wë.W  satirique  et  misogyne  a  rirrévérence  de  comj)arer  les 
tètes  féminines  à  des  citrouilles,  (•"est-à-dire  à  des  têtes  vides...  Horresco 
referens  ! 


FAITS    1. 1:(;  i:  NDAi  ni".  S    1:1    11  is  iimuolks 


39 


des  «  Berjingeon  »  ou  des  «  ronds  Broustons  ».  Les  petites  bourses 
se  contentent  de  coussins  ovalaires  ou  rectangulaires,  rembour- 
rés (fig.  18,  19),  que  Ton  coud  à  l'intérieur  du  gousset;  ils  sont 
reliés  par  une  tresse  qui  permet  de  les  suspendre  au  même  clou,  à 
l'état  de  repos.  Mais  ces  édredons  minuscules  sont  bien  chauds  en 
été  et  les  plus  fortunées  préfèrent  les  <(  fausses  gorges  »  en  fds  de 
laiton,   reliés  par   un  tissu  léger  en  treillis  et  agrémentés  d'une 


Fiiï.  19. 


Fiçr.  iO. 


Fiiî.  :il. 


ruche  décorative  en  guipure  (fig.  20,  21).  Ces  postiches  ont,  en 
outre,  l'avantage  d'être  élastiques  à  la  pression  et  au  toucher  des 
amateurs  :  l'illusion  est  complète.  On  emploie  aussi  les  «  faux 
avantages  »  en  caoutchouc  plein  ou  creux,  que  l'on  gonfle  suivant 
le  degré  de  proéminence  désiré.  Victor  Tissot,  dans  Vienne  et  la 
vie  Viennoise,  signale  un  des  inconvénients  de  ces  appas  factices 
et  conte  malicieusement  la  mésaventure  arrivée  à  une  Viennoise 
qui  se  faisait  remarquer  par  l'opulence  de  ses  formes  :  en  épinglant 
une  rose  à  son  corsage,  elle  creva  la  doublure  en  caoutchouc 
dont  le  gonflement  automatique  remplace  les  charmes  absents.  Cet 
accident  ne  serait  pas  arrivé  si  la  Viennoise  eut  connu  et  profité  de 
l'annonce  suivante  :  «  Corsets  pneumatiques,  en  caoutchouc  creux, 
se  gonflant  à  volonté,  garantis  increvables,  même  sous  les  plus 
fortes  pressions  ».  Le  ncc  plus  ultra  de  ce  genre  de  postiches,  le 
dernier  cri  est  Y  idéal  plastron  (fig.  22,  23),  qui  bombe  suivant 
les  goûts,  par  tension  ou  relâchement  d'une  dizaine  de  sangles 


40  I,  KS     SKIN'S     DANS     LHISTOIRK 

dissimulées  à  la  lace  postt'ncure  de  la  combinaison.  Ce  mécanisme 
réunit  les  qualités  reciuises  par  les  plus  exigeantes  :  légèreté, 
élasticité  et  hémi-sphéricité  ;  c'est  du  moins  le  prospectus  qui  Taf- 
firme.  (Kufs  sur  le  plat  ou  omelette  soufïlée,  au  choix. 

En  1788,  dit  la  marquise  de  Gréquy,  les  Parisiennes  avaient 
recours  à  des  artifices  moins  compliqués  :  «  Les  jeunes  femmes 
étaient  miséral)lement  habill(''es  en  fourreau  de  linon,  de  toile  de 
Perse  ou  de  petites  soieries  mesquines  ;  fichu  de  mousseline  empe- 
sée qui  grimpait  roidement  jusqu'au  milieu  des  joues  et  qui  leur 
simulait,  par  de  gros  plis  sur  la  poitrine,  une  sorte  de  protubé- 
rance exorbitante  ». 

La  suppression  de  ces  «  mouchoirs  ridiculement  gonflés,  qui 
recèlent  les  charmes  les  plus  agréables  de  la  femme  »  fut  proposée, 
par  la  Société  des  Arts,  comme  contraire  à  l'esthétique.  Cette 
mode  était  vertement  critiquée  dans  la  Décatie  pJdlosophique  : 
«  Ce  sont,  sans  doute,  des  nourrices  ;  voyez  comme  leurs  seins  se 
projettent  !  Non,  ce  sont  de  très  jeunes  personnes  qui  cherchent 
(les  maris,  toutes  ont  l'air  de  faire  ainsi  gonfler  les  phs  de  leurs 
robes  (1)  ».  Du  reste,  les  mouchoirs  bouffants  n'empêchaient  pas  les 
coquettes  hupées  de  porter  les  postiches,  appelés  «  suppléants»  (2), 
comme  de  nos  jours  les  couturières,  en  dehors  des  seins  fac- 
tices, ont  recours  à  des  artifices  de  toilette,  aussi  bien  pour  don- 
ner de  l'ampleur  aux  poitrines  déshéritées  que  pour  restreindre 
les  rotondités  débordantes  :  dans  le  premier  cas,  des  épaulettes  en 
guipures,  de  larges  revers,  des  bouillonnes  et  surtout  des  étoffes 
claires  élargiront  et  arrondiront  la  jjoitrine  à  souhait. 

Dans  le  district  d'Eger,  même  simplicité  de  moyens  pour  con- 
server une  habitude,  une  mode  disgracieuse  :  les  femmes  Tchèques 
se  rembourrent  la  poitrine  et  les  épaules  avec  de  gros  coussins  de 
plumes,  qui  transforment  leur  buste  en  une  sphère  presque  par- 
faite. Les  femmes  Croates,  au  contraire,  compriment  leurs  seins 
avec  le  strophion  ou  la  bande  des  Grecques  de  l'antiquité  et  se  pas- 
sent de  corset. 

Quant  aux  bayadères  de  TLide,  elles  se  contentent  d'enfermer 
leurs  seins  dans  de  légers  écrins.  «  Rien  n"éo-ale  leur  attention  a 
conserver  leur  sein,  comme  un  des  trésors  les  plus  précieux  de 

(1)  D"-  Queiry.  hi  Vullwlorjle  de  la  Hévoliilioii. 

(2)  Aiiecd.  /lisL.  fi  y-.  l(i. 


FAITS     I.  F.(i  K.NDAIIt  KS     KT     II  I  S  T  (»  lU  u  l' F.  S 


41 


leur  beauté.  Pour  Fempêcher  de  gTossir  ou  de  se  déformer,  elles 
l'enferment  dans  des  étuis  d'un  bois  très  léger,  joints  ensemble  et 
bouclés  par  derrière.  Ces  étuis  sont  si  polis  et  si  souples  qu'ils  se 
prêtent  à  tous  les  mouvements  du  corps,  sans  aplatir,  sans  offenser 
le  tissu  délicat  di'  la  peau.  Le  dehors  de  ces  étuis  est  revêtu  d'une 
feuille  d'or  parsemé  de  brillants  :  c'est  là,  sans  contredit,  la  parure 
la  plus  recherchée,  la  plus  chère  à  la  beauté.  On  la  quitte,  on  la 
reprend  avec  une  légèreté  singulière  :  ce  voile  qui  couvre  le  sein 


Èè:^\ÛJjJj- 


Fit:,  i'2. 


Fis.  23. 


n'en  cache  point  les  palpitations,  les  soupirs,  les  molles  ondulations; 
il  n"(")tc  rien  à  la  volupté    1).  » 

Les  seins  postiches  ont  fourni,  aii.x  caricaturistes  de  nos  pério- 
diques illustrés,  matière  à  de  nombreuses  plaisanteries.  En  voici 
quelques-unes  :  de  G.  Lion,  dans  la  Vie  pour  rire  juin  lUOU  ,  les 
Surprises  du  inariaije.  Stupéfaction  du  mari,  la  première  nuit  de 
noces,  quand  il  voit  son  épouse  retirer  ses  seins  :  Ciel,  s'écrie-t-il, 
ma  femme  qui  s'en  vu  de  la  poitrine  ! 

Du  Hire  février  11)00;,  dessin  de  Calumet  :  Pendant  le  désha- 
billage d'une  conquête  facile,  un  vieux  beau  remarque  que  la 
((  péripatéticienne  »  enlève  ses  «  avantages  »  et  murmure  philo- 
sophiquement, parodiant  un  distique  célèbre  : 

Nous  entrerons  dans  ta  carrière 
(Jiiaïul  les  iiéucs  n'y  seront  plus. 


(Il  Raynal,  //(',s7.  philosophique  des  deii.r  Indea 


42  m:s   si:ir4s   dans   l  histoire 

Depuis  plusiouis  années,  dans  le  monde  où  Ton  s'amuse,  la  poi- 
trine a  passé  de  mode  ;  celles  qui  en  sont  pourvues  doivent  reti- 
rer, Tétaier  en  tous  sens,  la  réduire  à  sa  plus  simple  expression  : 
il  faut  soutTrir  pour  être  plate.  Radiguet,  dans  un  de  ses  tableaux 
vivants  et  parlants,  nous  montre  une  jeune  «  crevette  »,  dépourvue 
d'ai)pas,  se  faisant  de  faux  mollets  avec  ses  faux  nichons,  et  disant 
à  une  amie  étonnée  qui  assiste  à  sa  toilette  :  «  —  Bah  !  on  porte 
si  peu  de  poitrine,  maintenant...  autant  s'en  faire  des  mollets  pour 
les  jours  de  bicyclette.  » 

Autres  temps,  mêmes  mœurs,  pour  ce  qui  touche  à  la  coquette- 
rie; nous  avons  donné  (1),  de  Fépoque  du  Consulat,  les  dessins  du 
lion  (/cure  :  des  dames,  âgées  de  plusieurs  lustres,  mettent  de 
faux  appas  pour  briller  en  soirée,  à  la  lueur  d'autres  lustres  plus 
éclatants. 

Tatouages  mammaires.  —  Les  tatouages  mammaires  sont 
assez  rares,  en  raison  de  la  sensibilité  de  la  peau  des  mamelles. 
Aussi  ne  voit-on  de  pareils  dessins  que  sur  des  images,  comme  le 
Nouveau  tatouage,  par  C.  Lion,  de  la  \'ie  ijoiir  rire,  représen- 
tant une  «  cosmopolite  »,  buste  découvert,  qui,  en  dehors  des 
«  langues  vivantes  »,  professe  d'agréal)les  «  leçons  de  choses  »  et 
porte,  tatouée  sur  ses  seins,  la  carte  des  deux  hémisphères,  avec 
cette  invite  :  «  Allons,  qui  veut  apprendre  la  géographie  ?...  ()ui 
m'aime,  s'instruit  !  ». 

Cependant,  les  femmes  consacrées  à  Vichnou,  appelées  Garou- 
(laJi-hassaf/s  Temmes  de  Garoudah),  se  font  imprimer  sur  la  poi- 
trine l'image  de  l'oiseau  de  ce  nom,  comme  la  marque  distinctive 
de  leur  dignité  ;  les  prêtresses  de  Siva,  les  LiiK/a-hassoijs,  ou 
femmes  d\i  làif/aui,  j)ûrfent  sur  leurs  cuisses  l'empreinte  de  cet 
obscène  symbole  (2^ . 

Les  prostituées,  qui  ont  souvent  recours  à  la  pratique  du 
tatouage,  n'acceptent  guère  ces  illustrations  indélébiles  que  sur 
le  bras  ou  l'avant-bras  ;  tous  les  dessins  reproduits  dans  l'inté- 
ressante étude  des  D'*  Lcblond  et  Lucas  (3)  figurent  sur  ces  régions. 
Par  exception,  Amélie  Ch...,  vingt-deux  ans,  couturière,  du  service 

(1)  Anecd.  hisl..    fii;\  17  cl    18. 

(2)  (inind  liiel'ion.  loiiv.  di/  XIX'  siècle. 

(3)  Du  tuiuiKKje  chez  les  prost Huées. 


]•'  A I T  s    L  K  < ;  i:  N I )  A 1  u  i:  s    I-:  r    f 1 1  s  t  o  li  i  (j  u  k  s 


-^3 


du  D''  Louis  JuUien,  à  Sainl-Lazare,  portait  le  nom  de  Uoit,  entre 
les  deux  seins.  Elle  le  conserva  cinq  ans  ;  puis  Léon  étant  mort, 
elle  demanda  au  D''  Badilliot  de  la  délivrer  de  ce  souvenir  compro- 
mettant. Le  D'  Ghéron  a  aussi  rencontré  chez  l'une  des  pension- 
naires de  la  même  prison  un  municipal  à  cheval,  tatoué  sur  le 
sein  (1). 

J .  Mornu  a  eu  l'oc- 
casion d'observer  un 
cas  très  curieux  de 
tatouage,  dessiné  i)ar 
le  porteur  lui-même. 
Ce  travail  était  re- 
marquable par  l'abon- 
dance des  détails  et  la 
perfection  du  dessin, 
contrastant  avec  la 
facture  grossière  or- 
dinaire à  ce  genre 
d'images.  Il  s'agit 
d'un  soldat  au  '1"  ré- 
giment d'infanterie  de 
marine,  envoyé  aux 
compagnies  de  disci- 
pline.   En  sa    qualité 


iVacfif,  il  ne  portait    ^jM  ! 
aucune      enluminure     "^^ 


Fis.  24. 


sur  la  face  postérieure 
du  corps,  mais  la  poi- 
trine, les  bras  et  les  épaules,  en  étaient  couverts  (fig.  24).  «  Au 
niveau  de  la  mamelle,  un  peu  au-dessus  du  mamelon  et  à  droite, 
une  femme  accroupie  à  la  façon  arabe  ;  à  un  centimètre  du  genou 
de  cette  femme,  une  étoile  à  cinq  branches,  à  droite,  et,  à  gauche, 
au  niveau  du  cœur,  une  femme  à  califourchon  sur  la  garde  d'un 
poignard  ;  au-dessous,  cette  inscription  latine  en  lettres  de  deux 
dimensions  :  Mar/is  cogilare  qiiam  diccrc.  (L'action  vaut  mieux 
que  la  parole  !)    La  pointe  du  poignard  ressort  sous  cette  inscrip- 


(1)  Anecd.  h'isl.,  p.  Do. 


44 


I.  KS    SKINS    l>A?<'S    I,    KisToriu: 


lion  et  la  souligne  violemment.  A  côté  du  trait  de  tatouage,  repré- 
sentant la  j)laie  faite  par  le  poignard,  quelques  taches  simulant  du 
sang.  Une  seconde  étoile  à  cinq  branches  se  trouve  à  peu  près 
entre  les  deux  mamelles.  Vn  peu  au-dessus  du  mamelon  droit,  une 
ancre  chargée  d'une  pensée  ». 


FiiT.  25. 


Fis.  -«■ 


Georges  d'Esparbès  a  donné,  dans  une  monograj)hie  consacrée 
à  la  Légion  étrangère  (1),  la  photographie  d'un  joi/ciix  singuliè- 
rement tatoué  sur  le  thorax  (fig.  2Ti  .  Entre  les  deux  mamelles  est 
dessiné,  au  pointillé,  une  femme  couchée  nue  sur  un  canapé,  dans 
la  pose  alanguie  de  la  Danaé  du  Titien,  les  jambes  écartées,  un 
bras  pendant,  Tautre  replié  sur  la  poitrine,  elle  semble  sortir  d'un 
rêve  voluptueux.  A  ses  pieds,  un  homme  nu,  vu  de  dos,  taillé  en 
Hercule,  probablement  le  «  petit  homme  )>  de  son  rêve,  fait  des 
poses  plastiques.  Au  bas  du  canapé  se  lit  l'inscription  :  Réveil  de 
Vc)ius.    Ce   «  petit  homme    »  nous  parait    être  tout  simplement 


(l)  Edil.,  F>.  Flamniaridii,  l'.iOl.   p.  (i:; 


FAITS     LK(;  F,M)AIUi:S     Kl      II  I  S  1' ()  Il  I  (U' I- S 


TAmour,  Ei-os,  lanrant  une  flèche  à  sa  mère,  clans  une  position 
très  classique.  «  Un  autre  homme  s'est  déshabillé  devant  moi, 
poursuit  G.  d'Esparbès,  et  j'ai  pu  suivre,  en  tournant  autour  de 
son  corps,  les  divers  incidents  d'une  impressionnante  chasse  au 
renard  :  une  meute  de  soixante  chiens  spiralait  ses  jambes,  sautait 

'/^^^'^"^^  V"^ 


H    4>^î>^'^^f^4£^ 


^^&^' 


\ 


sur  ses  bras,  cernait  son  cou,  dégringolait  sur  sa  poitrine  avec 
les  piqueurs  à  cheval  escortés  d'un  carrosse  de  dames,  gravissait 
les  fesses  et  redescendait,  au  galop,  vers  la  tannière  innommable, 
d'où  ne  pointait  à  peine,  du  renard  engouffré  déjà  qu'un  rigide  et 
imperceptible  bout  de  queue  bleue.  Chef-d'œuvre  1  » 

Grâce  à  l'extrême  obligeance  de  M.  Bertillon,  directeur  du  ser- 
vice anthropomt'trique  à  la  Préfecture  de  police,  nous  pouvons 
reproduire  divers  spécimens  de  tatouages  relevés  sur  la  poitrine 
de  repris  de  justice';  les  «  gigolettes  »  prisent  peu  ce  mode  d'orne- 
mentation et  préfèrent  les  «  pectoraux  »  mobiles  des  joailliers.  On 
remarquera  surtout  les  Dernières  carloiiches,  de  Neuville  (fig.  27), 


4() 


m: s   sKir-js    dans 


HISTOIRK 


(lonl  rincrustation,  à  Taide  craiguilles  trempées  dans  Tencre  de 
Chine,  a  demandé  plusieurs  mois  à  Fopérateur-artiste  :  ce  tableau, 
maloré  le  nomi^re  de  ses  personnages,  est  d'une  exécution  assez 
exacte.  La  Fillette  accoudée  (tig.  20)  et  la  FeVi^/.s,  de  barrière, 
sur  les  genoux  de  ^lars,  en  bordée  (fig.  28),  sortent  des  sujets 
ordinaires  de  ces  illustrations  cutanées. 


FiK.  :J8. 


Le  D'  Le  Bayon  a  vu  sur  la  poitrine  d'un  disciplinaire  une 
magnifique  reproduction  d'un  tableau  de  maître  :  la  Charité,  pré- 
sentant le  sein  à  un  jeune  enfant.  Un  autre  s'exhibait  à  Paris,  mon- 
trant sur  la  poitrine  divers  épisodes  de  la  guerre  de  Sécession, 
tandis  que  le  dos  était  occupé  par  le  bombardement  d'Alexandrie. 
Plus  récemment,  M.  Emile  Gautier  a  raconté,  dans  le  Journal. 
l'odyssée  d'un  dévoyé,  sortant  des  compagnies  de  disciplines,  qui 
[)ortait  sur  la  poitrine  et  le  dos  toutes  les  phases  de  l'affaire  Dreyfus, 
ne  comprenant  pas  moins  d'une  centaine  de  personnages. 

Leca,  le  chef  des  «  Apaches»,  ex-disciplinaire  des» Bat'd'Aff'  », 


FAITS     LECE.NDAIRES     KT     HISTOHKjUKS 


entre  autres  tatouages,  porte  une  salle  do  bains  sur  la  poitrine,  avec 
des  femmes  en  caleçon  —  où  la  pudeur  va-t-elle  se  nicher  ?  —  La 
chair  des  femmes  est  rose,  les  caleçons  sont  tricolores...  Un  ser- 
pent part  de  Tc'paule  gauche,  passe  sous  le  bras  correspondant, 
s'entortille  autour  d'un  vase  antique  et  vient  sucer  le  mamelon 
gauche.  «  Casque  d'Or  »,  qui  vivait  «  niarmitalomcnt  »  avec 
Leca,  rival  de  Mandat,  révèle  ces 
détails  intimes  dans  ses  Mémoires. 
Le  tatouage  n'est  plus,  comme 
le  voulait  le  D''  C héron,  le  vête- 
ment des  sauvasres  et  des  crimi- 


Fif<.  i\). 


Fis.  30. 


nels  ;  il  est  fort  bien  porté  dans  la  haute  société.  On  cite  parmi  les 
personnages  de  marque  incrustés,  lady  Churchill,  pairesse  du 
Royaume-Uni  ;  la  princesse  Waldemar,  de  Danemark  ;  des  souve- 
rains ou  des  souveraines,  comme  Bernadotte  ([ui  portait  sur  le  bras 
droit  un  bonnet  phrygien,  avec  cette  devise  ironique  :  Mort  aux 
tijrans!  la  reine  de  Grèce,  dont  les  épaules  sont  parées  de  piqûres 
artistiques,  et  encore  :  Edouard  VII  ;  Oscar  de  Suède  ;  Mcolas, 
l'Empereur  de  toutes  les  Russies  ;  le  grand-duc  Alexis,  dont  le 
torse  est  couvert  de  tatouages  fantaisistes  et  quelque  peu  rabelai- 
siens ;  enfin  le  prince  Georges  de  Grèce,  d'après  le  D''  A.  Baratier, 
aurait  la  poitrine  ornée  d'un  immense  dragon  bleu,  aux  ailes 
déployées,  de  près  de  cinquante  centimètres  d'envergure. 


48 


I.KS     SKI.NS     DANS     I.    Il  1  S  l()  I  ii  K 


Les  exotiques  nous  fournissent  quelques  exemples  intéressants. 
Au  Muséum,  nous  avons  vu  la  i)hotogTaphie  d'une  aborigène  du 
Ouecnsland,  qui  ne  porte  que  quelques  incisions  horizontales  entre 
les  seins.  A  côté,  une  Australienne  de  la  tribu  des  Worki  présente 
deux  fortes  cicatrices  produites  par  un  morceau  de  bois  fiché  sous 
la  peau  des  mamelles  (fig.  '2\)).  Ce  sont  les  tatouages  les  plus 
discrets  que  nous  ayons   rencontrés;  ils  n'ont  rien  de  décoratif  et 


•;(7  rsti';' 


'^J.M 


Fiff.  ai. 


■.^„=.#« 


Fis.  ■■i^. 


W& 


.-  Â 


seraient  plutôt  des  tabous  ou  préservatifs  contre  les  mauxais 
esprits. 

En  Tunisie,  l'emploi  du  fer  rouge,  pour  le  traitement  de  la  toux 
persistante,  laisse  des  tracés  indélébiles  sur  le  thorax  des  tuber- 
culeux ;  ces  cicatrices  saillantes,  véritables  chéloïdes,  dessinent, 
le  plus  souvent,  sur  la  poitrine,  une  croix  saillante  à  plusieurs 
branches  (1). 

Les  femmes  fellahs,  trop  pauvres  pour  posséder  des  bijoux,  se 
font  graver,  en  bleu,  des  bracelets  aux  poignets  et  aux  chevilles 
et  des  parures  de  perles  sur  la  poitrine.  Le  D'  Georges   Schweui- 


(1)  U'  FiMix  H:'gii;uilt  ;  Le  Currespo/nldiil  médicnl. 


KAITS     LK(iKM)Ari{KS     KT     H  1  S  I' (»  li  I  (»  l   K  S 


49 


i'urth,  dans  Au  cœur  de  [Afrique^  reproduit  le  tatouage  élégant 
de  Mounza,  épouse  de  Bouroua,  se  composant  de  lignes  pointillées, 


V    ./^^?:^ 


■'lî  •^,    ■;§►  &/ 


'^.'  .1'^- 


''•.^<^:i^'' 


Fiff.  33. 


Fier.  34. 


avec  de  larges  croix  au  milieu  et  sur  les  épaules,  sous  forme  de 
nœuds. 

Aux   Philippines,    chez    les    Igorrdes   (fig.   30),    les   tatouages 
prennent  la  forme  d'un  «  com- 


plet n  inusable  :  la  poitrine 
semble  revêtue  d'im  canezou 
léger  ;  les  Indiens  Négritos 
(fig.  31  et  32),  des  mêmes 
îles,  hommes  et  femmes,  se 
font  couvrir  le  corps  d'ara- 
jjesques  plus  primitives.  La 
poitrine  des  femmes,  au  pays 
des  Bangouens,  est  couverte 
d'un  très  vilain  et  très  com- 
pliqué tatouage,  produit  par 
des  excroissances  de  chair, 
teintes  en  bleu,  analogues  à 
celles  des  femmesWorki,mais 
beaucoup    plus    nombreuses. 

Chez  les  Papous  de  la  Nouvelle-Guinée,  ce  sont  des  dessins  de 
lignes  ponctuées,  enduites  de  couleurs  variées  (fig.  33)  ;  les  motifs 
diffèrent  sur  chaque  sein,  Racinct,  dans   Y  Histoire  du  Costume, 

LES    SEINS    DANS    L"in.STOIliE.    —    I.  4 


Fig.  :V6. 


oO 


I.KS     SKINS     DANS     L    H  1  SI' (»  I  II  K 


représente  une  femme  derîle  Mowi,  des  Sandwich,  le  buste  chargé 
de  tatouages  :  le  contour  des  seins  est  marqué  par  une  suite  de 
petites  chèvres  qui  gravissent  ces  éminences  (fig.  34).  En  Polyné- 
sie, les  tatouages  servent  à  désigner  la  tribu  à  laquelle  Findividu 
appartient;  celui  de  la  figure  3ij  porte  un  damier  sur  le  côté  droit 


Fit;.  36. 


de  la  poitrine.  Toujours,  d'après  Racinet,  le  torse  des  danseuses 
persanes  (fig.  36)  est  souvent  couvert  de  ramages,  représentant 
des  fleurs,  des  palmes,  des  animau.x,  etc. 


Le  cancer  du  sein  à  la  cour.  —  L'impératrice  Frédéric,  la 
mère  de  Guillaume  II,  a  succombé  à  un  cancer  du  sein  gauche. 
L'oj)ération  était  décidée  —  bien  qu'inutile  —  mais  l'impératrice, 
d'orig'ini'  anglaise,  ne  voulait  la  faire  exécuter  que  par  des  médecins 
de  son  pays.  Or  Guillaume  II  les  déteste,  depuis  que  feu  le  D'  Morel 
Mackenzie  a  eu  la  prétention  de  sauver  l'empereur  Frédéric  (i), 

(1)  Qui  souffrait  d'un  cancer  du  laryn.x;  sa  mère,  i'inii)éialrice  Augusta,  était 
aussi  atteinte  d'une  affection  cancéreuse. 


l'AiTs    1.  K  (i  r.  r.DA  I  m:  S    ht    ii  is  io  m  u  r  ks 


ol 


contrairement  à  l'avis  des  plus  illustres  médecins  allemands,  et 
il  s'est  opposé  à  Fintervention  anglaise. 

Une  lithographie,  sans  date  ni  signature  :  Encore  un  cancer  ! 
(fig.  3()  bis)  rappelle  les  horribles  souffrances  endurées  par  la 
malheureuse   Carohne,  épouse   de  Georges   IV  d'Angleterre,  qui 


Fit 


56  hls. 


succomba  aux  ravages  d'un  cancer  du  soin,  comme  Anne  d'Au- 
triche (1). 

La  duchesse  d'Orléans,  douairière,  mourut  de  la  môme  maladie, 
attribuée,  comme  on  sait,  à  la  maladresse  d'un  valet  de  chambre 
c[ui,  en  voulant  atteindre  deux  volumineux  in-l'oliu,  en  laissa  tom- 
ber un  sur  le  sein  de  la  princesse. 

2"  Sur  l'allaitkmext  i:t  lk  i.Arr.  —  Hommes  â  la  mamelle.  — 
L'exemple  de  Cimon  allaité,  dans  sa  prison,  par  sa  fille,  Péra, 
selon  les  uns,  Pérus,  selon  d'autres,  n'est  pas  unique  ;  on  connaît 


(1)  Aiiecd.  Itisl.  et  relif/..  p.  68. 


I.KS     SKINS     DA.NS     L    HISÏOIUK 


aussi  celui  de  David,  fils  de  Robert  III,  un  érotomane  qui,  [)oup 
satisfaire  sa  passion,  ne  reculait  pas  devant  l'assassinat  et  fut 
jeté  dans  les  cachots  d'une  citadelle,  avTC  ordre  de  le  laisser  mou- 
rir de  faim.  Aussitôt  enfermé,  il  parvint  à  séduire  la  fille  de  son 
geôlier,  et  celle-ci,  avec  Taide  d'une  amie  dévouée,  récemment 
accouchée,  put  le  nourrir  quelque  temps.  «  La  jeune  geôlière  allait 
souvent  visiter  le  prisonnier,  et  à  chaque  fois  elle  lui  portait  des 
galettes  très  minces,  qu'elle  dissimulait  sous  son  chapeau  ;  Tautre 
femme  lui  faisait  sucer  son  lait,  au  moyen  d'une  sarbacane  passant 
à  travers  une  fente  de  la  muraille.  Ces  deux  malheureuses  femmes 
furent  découvertes  et  payèrent  de  leur  vie  leur  humanité  (1).  »  Le 
procédé  "de  la  sarbacane  n'est  pas  banal,  mais  il  nous  paraît  au 
moins  superflu  :  la  jeune  geôlière,  qui  [sortait  des  consolations 
morales  et  physiques  au  prisonnier,  ne  pouvait-elle  remplacer  se& 
galettes  par  des  victuailles  plus  substantielles  :  une  forte  tranche 
de  bœuf  ou  de  jambon,  par  exemple?  De  la  sorte,  sa  félicité  eut 
été  complète  :  consolations  et  consommations,  à  discrétion. 

Un  tableau  de  Vincent  Lami,  à  l'Académie  des  Beaux-Arts,  de 
Florence,  représente,  dans  une  scène  du  siège  d'Ancône  par  l'em- 
pereur d'Allemagne,  Frédéric  I"  Barberousse  (1174),  une  dame 
Anconitane  qui  offre  son  lait  à  un  soldat  mourant  de  faim. 

Lallemand  a  fixé  sur  la  toile  un  épisode  analogue  de  la  guerre 
de  Sécession  (fig.  37).  La  gravure  de  ce  tableau,  faite  par  Man- 
gein,  porte  en  titre  :  Le  Triomphe  de  la  tendresse,  et  en  sous  titre, 
pseudo-ironique  :  Dédié  aux  âmes  sensibles. 

Une  des  Observations  de  médecine,  de  Lazare-Rivière,  relevée 
par  le  D"'  Georges  Legrand,  dans  la  2"  édition  de  1G88,  est  citée 
comme  un  exemple  de  tuberculose  communiquée  par  contagion,  à 
la  suite  d'un  régime  lacté  pris  à  la  mamelle  :  «  La  malade,  âgée 
de  quinze  ans,  avait  contracté  sa  maladie  auprès  de  sa  sœur,, 
laquelle  avait  donné  du  lait,  pendant  quelques  jours,  à  ]M.  l'aljbé 
de  Saint-Paul  qui  était  mort  phtisique  depuis  deux  mois.  Or,  ladite 
sœur,  âgée  de  vingt-deux  ans,  d'une  bonne  habitude,  mourut  ans- 
sitôt  après  de  la  même  maladie.  >;  Mais  la  jeune  sœur  guérit  de  sa 
prétendue  phtisie  pulmonaire.  Pour  nous,  la  contagion  n'est  nulle- 
ment prouvée,  attendu  que  l'auteur  de  l'observation  oublie  de  nous 


(1)  F.  Debray,  lUsluire  de  la  ProstiluLion. 


FAITS    Li':(;  r:M)AiHKs    et    histohiquks 


53 


renseigner  sur  les  antécédents  de  ces  jeunes  malades  ;  il  peut  fort 
bien  ny  avoir  là  qu'une  coïncidence.  Ce  qui  nous  intéresse  dans  ce 
fait,  c'est  Fadministration  du  lait  de  femme  contre  la  tui)erculose. 
11  paraît  que  Li-Hung-Chang,  mort  récemment  d'un  ulcère  de 
l'estomac,  fut  mis  au  régime  du  lait  de  femme  et  avait  à  sa  dispo- 


i-ii. 


sition  plusieurs  nourrices  qui  se  relayaient  toutes  les  deux  ou  trois 
heures,  suivant  l'appétit  du  nourrisson  cachectique,  «  Buvait-il  à  la 
mamelle,  se  demande  La  Lanterne,  à  qui  nous  laissons  la  respon- 
sabilité du  fait  ?  se  contentait-il  d'absorber  un  lait  préalablement 
et  soigneusement  recueilli  ?  Ce  point  demeure  obscur.  »  Espérons 
qu'un  jour  ce  menu,  mais  intéressant  petit  problème  de  l'histoii'e, 
sera  éclairci. 


Hommes  nourrices.  —  Et  pourquoi  pas  ?  Les  hommes  ne 
sont-ils  pas  pourvus  de  mamelles  comme  les  femmes  ?  Il  y  a  ac- 
tuellement (1901),  en  Allemagne,  un  bouc  —  ce  n'est  pas  le  pre- 
mier de  son  espèce  —  qui  donne  un  litre  do  lait  par  jour,  et 
comme  l'homme  appartient  à  la  même  classe  des  mammifères,  qui 


o4  Li:s    si:  IN  s    dans    i.  histoiue 

Tcmpêcherait  de  jouir  du  privilège  lactifère  de  ce  quadrupède 
lubrique  ?  Dans  le  sexe  masculin,  il  esl  vrai,  les  mamelles  sont  le 
j)lus  souvent  atrophiées  ;  mais,  à  la  naissance,  qu'il  s'agisse  d'une 
fille  ou  d'un  garçon,  il  n'est  pas  rare  de  les  voir  fournir  du  «  lait 
de  sorcier  )).  Chez  l'adulte,  et  même  chez  le  vieillard,  l'homme- 
nourrice  n'est  pas,  non  plus,  un  mythe  ;  aux  exemples  déjà  cités  (1), 
nous  ajouterons,  en  les  résumant,  ceux  que  M.  E.  Santini  de 
Réals  a  réunis  dans  un  article  de  la  Science  française.  Xélaton  (2) 
j)arle  d'un  jeune  homme  de  vingt-trois  ans,  qui  présentait  uni' 
véritable  glande  mammaire  gauche,  d'oii  s'échappait,  à  la  pression, 
un  liquide  ayant  tous  les  caractères  physiques  du  lait.  De  môme 
Horteloup,  dans  sa  thèse  d'agrégation  (1872),  mentionne  le  cas 
d'un  homme  de  soixante-dix-neuf  ans,  qui,  depuis  neuf  années, 
j)ortait  dans  le  sein  gauche  une  tumeur  liquide  d'où  l'on  tira  deux 
verres  de  lait  pur.  Schacher  cite,  d'après  le  témoignage  de  Jean 
Benoit  Erandellius,  un  «  sale  petit  mendiant  »,  âgé  d'environ 
neuf  ans,  qui  faisait  jaillir  de  ses  seins  ime  humeur  lactée  repré- 
sentant la  valeur  de  vingt  gouttes  et  plus  ;  par  exemple,  ses 
mamelles  étaient  un  peu  plus  petites  que  celles  des  autres  enfants  ;  3) . 
Nous  lisons  ceci  dans  les  Transactions  p/iilosojj/riques  de  la 
Société  Rotjalc  de  Londres^  traduction  du  D''  Demours,  année  1741  : 
«  Le  19  août  1733,  l'évèque  de  Cork  (Angleterre)  écrivait  au 
comte  d'Egmont  :  —  «  Je  vais  vous  parler  d'un  homme  que  j'ay 
trouvé  à  Inishanan,  à  dix  mille  d'ici.  C'est  un  individu  d'environ 
septante  ans,  François  de  naissance,  qui  a  esté  obligé  de  quitter  sa 
patrie  à  cause  de  la  religion.  Il  me  demanda  l'aumosne,  et  je  lui 
donnai  un  petit  écu.  Etant  rentré  chez  moi,  j'entendis  quelque 
bruit  à  la  porte  ;  cet  homme,  transporté  de  reconnoissance,  étoit 
revenu  pour  me  faire  voir  une  curiosité  ;  c'étoit  son  sein,  avec 
lequel  il  m'asseura  avoir  allaité  autrefois  un  de  ses  enfants.  Sa 
femme,  me  dit-il,  étoit  morte  deux  mois  après  ses  couches.  Une 
nuit  que  cet  enfant,  qui  avoit  couché  auprès  de  lui,  crioit  plus 
que  de  coutume,  il  lui  donna  le  sein,  espérant  l'apaiser  par  ce 
moïen  :  mais  il  trouva  qu'avec  le  tems,  l'enfant  tiroit  du  lait,  et 
m'asseura  que,  dans  la  suite,  il  en  eût  assez  pour  le  nourrir.    Je 

(1)  Ciirio.s.,  p.  1)9. 

(2)  Éléments  de  patholof/ie  chirurrjicule.  p.  10:2. 

(3)  M.  René  Duval.  Thèse  de  doctorat.  1881. 


FAITS     LK(;KM)AIRKS     KT     HISTdRlOUKS 


regardai  ses  mamelles,  que  je  trouvai  fort  grosses  pour  celles  d'un 
homme  :  mais  le  mamelon  estoit  aussi  gros,  ou  même  plus,  qu'au- 
cun de  ceux  que  j'aye  jamais  veus  chez  les  femmes.  »  Les  évoques 
et  les  petits  abbés  ne  tartuffaient  pas  au  xviif  siècle  et  ne  baissaient 
pas  les  yeux  devant  les  seins  des  dames. 

Un  cas  analogue  fut  observé  par  le  D''  Juan  Castelar,  et  il  en  lut 
la  relation  dans  la  session  du  7  octobre  i7'.)8,  de  la  Faculté  de 
Madrid.  11  s'agissait  d'un  laboureur  de  trente-six  ans,  nommé 
Lozano,  dont  la  femme  mit  au  monde  deux  jumeaux,  un  garçon  et 
une  fille  ;  le  lait  de  la  mère  étant  insuffisant,  le  père  mit  ses  en- 
fants à  son  sein  pour  calmer  leurs  cris  :  les  succions  répétées  de  sa 
progéniture  affamée  firent  venir  le  lait,  dont  il  allaita,  pendant 
cinq  mois,  son  petit  garçon.  On  trouvera  un  autre  exemple  d'homme 
nourrice,  dans  le  livre  de^IM.  A  Hervé  et  F.  de  Lanoye,  Voyages 
dans  les  glaces,  page  80. 

Nourrices  fabuleuses  (1).  —  Pythagore  a  eu  pour  nourrice  un 
peuplier  qui  distillait  un  suc  analogue  au  lait. 

Après  la  naissance  de  Ptolémée  Soter,  sa  mère,  Arsinoé,  Taurait, 
selon  Suidas,  fait  exposer  sur  un  bouclier.  L"n  aigle  descendit 
vers  Tenfant  et  l'enleva  dans  son  aire;  il  déchirait  les  corneilles 
pour  It'  nourrir  de  leur  sang,  au  lieu  de  lait. 

On  sait  qu'une  des  filles  du  fleuve  Sangaris  devint  grosse,  en 
cueillant —  non  pas  la  noisette  —  mais  un  fruit  à  l'amandier  prove- 
nant des  glandes  séminales  d'Agdistis,  coupées  par  les  dieux 
cruels  ;  son  fils  Atys  fut,  comme  Zeus,  nourri  par  une  chèvre. 

Faut-il  rappeler  que  le  roi  de  l'Olympe  est  représenté  par 
les  artistes  couvert  de  la  peau  de  la  chèvre  Amalthée,  sa  nourrice? 

Coutumes  relatives  aux  nourrices.  —  Il  est  souvent  parlé, 
dans  le  Kama-Souti'a,  de  la  «  sœur  de  lait  »  ;  c'est  que  du  temps 
de  Vatsyayana,  les  dames  Hindoues,  au  lieu  d'allaiter  leurs  enfants, 
les  confiaient  à  des  mercenaires. 

Le  professeur  Budin  tend  à  nous  ramener  aux  temps  des 
«  sœurs  de  lait  ».  Pour  cet  éminent  praticien,  une  nourrice  peut 
allaiter,    avec   avantage,  deux   enfants:  le  sien,  plus  âgé,  opère 

(1)  Aiiecd.  hlal..    [).  43. 


SG  I,  i:  s     SKI.NS     DANS     1/ Il  I  S  I' ()  1  It  K 

des  succions  énergiques  qui  activent  la  sécrétion  lactée,  et  la 
satisfaction  cravoir  son  «  fieu  »  auprès  d'elle  influe  favorablement 
sur  la  santé  de  la  nourrice,  par  suite  sur  son  lait, 

A  Venise,  les  esclaves  devaient  servir  de  nourrices  et,  dans  les 
actes  de  vente,  qui  se  faisaient  sur  le  marché  entre  deux  prêtres, 
on  cédait  les  esclaves  «  avec  leur  lait  w  :  mais  pourquoi,  d'après 
P.  INIolmenti  (1),  par  une  analogie  bizarre,  la  grossesse  était-elle  un 
cas  de  résiliation  de  contrat  de  vente  ? 

Le  même  auteur  rapporte  qu'autrefois  la  plupart  des  prostituées 
vénitiennes  arrivaient  du  Frioul.  Une  délibération  du  Conseil 
d'Udine,  en  date  du  l'i  avril  1390,  expose  comment  un  grand 
nombre  de  femmes,  coupables  et  perverties,  envoyaient  spéciale- 
ment à  Venise  les  nourrices  et  les  servantes  des  bouro-eois  d'Udine 
se  prostituer. 

En  France,  aux  xvn''  et  xvnf  siècles,  l'étiquette  défendait  aux 
nourrices  de  la  cour  de  toucher  leur  royal  nourrison  ;  si  une  épingle 
piqu^  le  bambin,  il  fallait  le  laisser  crier  jusqu'à  ce  que  la 
«  remueuse  »  intervint.  On  comprend  le  cri  du  cœur  de  ]Marie- 
Antoinette  s'écriant  au  Temple  :  Jai  gagné  quelque  chose  à  la 
Révolution,  au  moins  je  suis  débarrassée  de  l'étiquette! 

Récompenses  aux  nourrices.  —  Parlons  d'abord  des  «  rem- 
plaçantes »  royales.  Le  père  nourricier  de  Charles  IX,  d'après  le 
Dictionnaire  héraldique ,  de  Gastelier  de  la  Tour,  reçut  des  lettres 
de  noblesse,  en  juin  UiîJO  :  tin  écusson  semé  de  France,  à  la 
vache  d^argent,  couronnée  d'une  coirronne  antique,  accornée  et 
clarinée,  le  tout  de  gueules. 

De  même,  la  nourrice  de  Louis  X\'  et  son  époux  furent  anoblis 
par  ce  monarque,  en  mars  171  G;  ils  reçurent  pour  armoiries  :  un 
écu  coupé  d\)r  et  d'argent,  chargé  de  deux  fleurs  de  lis  d'or, 
de  deux  dauphins  adossés,  avec  nne  couromie  royale  'posée  sur 
le  coupfL^  et  ce  «  en  considération  de  ce  que  ladite  dame  eut  le 
bonheur  d'allaiter  successivement  deux  fds  de  France,  qui  furent 
tous  deux  dauphins  » . 

On  trouvera  dans  la  Médecine  anecdotique,  littéraire  et  histo- 
rique, du  D""  Minime,  auquel  nous  empruntons  ces  détails  rétros- 

(1)  La  Vie  privée  à  Venise. 


FAITS     F.  K(;  KM)  AIRES     KT     HISTORloUES 


pectifs,  les  décrets  de  Napoléon  accordant  aux  dames  veuves 
jNIallard  et  Laurent,  Fune  nourrice  de  Louis  XYI  et  Fautre  nour- 
rice de  la  fdle  de  ce  monarque,  une  pension  annuelle  et  viagère  de 
douze  cents  francs. 

Occupons-nous  maintenant  des  nourrices  ordinaires.  Il  a  été 
raconté  que  F  Assistance  publique  se  proposait  (1900)  de  décerner 
des  médailles  et  des  diplômes  aux  nourrices  méritantes,  ainsi  qu'à 


Fis.  38. 


toutes  les  personnes  dont  le  dévouement  aux  entants  assistés  serait 
jugé  digne  de  récompense.  Cette  décoration  doit  être  une  plaque 
rectano-ulaire  d'or,  d'argent  ou  de  bronze.  Les  nounous  pourront 
la  porter  avec  un  crochet  piqué  dans  Fétofîe  de  leur  robe,  par 
exemple  à  la  hauteur  de  Fépaule  :  sur  la  poitrine,  elle  serait  gê- 
nante dans  Fexercice  de  leurs  fonctions.  Cette  plaque  présente,  à 
Favers  (fig.  38),  une  figure  symbolique  «  la  Seine  »,  munie  d'une 
jolie  paire  de  seins  nourriciers.  Au  revers  (fig.  3U),  une  paysanne 
allaite  son  nouveau-né  dans  un  paysage  ravissant . 

Ces  récompenses  honorifiques  ne  suppriment  pas,  bien  entendu, 
les  anciennes  récompenses  pécuniaires.  L'ironiste  H.  Harduin, 
veut  qu'on  prodigue  les  décorations  aux  mères  qui  auront  bien 
mérité  de  la  patrie  et  aussi  à  leurs  maris,  dont  la  collaboration  est 
nécessaire,  sinon    indispensable.    On  établirait  cette  gradation    : 


l.  K  s     S  i-:  I  N  s     I)  A  N  S     I.    H  1  S  r  (I I  H  K 


V-\  enfants,  chevalier  ;  18,  commandeur  ;  :^2,  grand  ofïlcier. 
«  L'étoile  des  braves,  ajoute  le  spirituel  rédacteur  du  Malin,  fera 
très  bien  sur  les  robustes  appas  que  la  Maternité  développe  géné- 
ralement chez  les  femmes  qui  ont  beaucoup  d'enfants.  On  verra  de 
l)onnes  mères,  dégrafant  leur  corsage,  dire  à  leur  bébé  :  Tit  veux 
téter,  mon  amour?  Attends  que  j'ôte  ma  croix...  (1).  » 

(^)mme  toute  actualité  importante,  la  décoration  des  nourrices 
a  eu  les  honneurs  de  la  caricature  :  un  dessin  de  Couturier,  de  la 
Chronique  tnunicipa/c,  représente  un  tourlourou  s'adressant 
à  une  nounou,  en  train  de  donner  le  sein  :  ((  Diable,  mam'zelle 
Victoire,  sur  lequel  des  deux  allez-vous  accrocher  votre  déco- 
ration? )). 

Les  «  Gouttes  de  lait  ».  —  La  «  Goutte  de  lait  »  est  une 
œuvre  philanthropique,  instituée  à  Fécamp.  Les  indigents  paient 
le  panier  de  lait  quotidien  deux  sous  ;  les  petites  bourses  le 
paient  huit,  et  les  gens  à  leur  aise,  un  franc.  A  Paris,  le  D''  H.  de 
Rothschild  a  fondé  «  l'Œuvre  philanthropique  du  lait  »  qui  compte 
aujourd'hui  quatorze  dépôts  et  a  pu  livrer  à  la  consommation  des 
milliers  de  litres  de  lait  stérilisé  ou  frais.  C'est  Budin  qui,  le  premier, 
en  1892,  à  sa  consultation  de  nourrissons,  fit  donner  gratuitement 
du  lait  stérihsé,  en  cas  d'insuffisance  de  l'allaitement  ;  ce  lait  était 
distribué  en  petits  flacons  ne  contenant  qu'une  seule  tétée. 

^L  BarbeUion  a  créé,  à  Paris,  une  «  Goutte  de  lait  »  caprine  ; 
les  chèvres  de  race  pure  et  élevées  dans  de  bonnes  conditions  sont, 
on  effet,  les  meilleures  auxiliaires  de  la  nourrice  (2). 

Depuis  la  fondation  de  ces  œuvres,  la  mortahté  des  enfants 
qu'elles  ont  alimentés,  est  tombée  de  trente-trois  à  onze  pour 
cent.  «  Il  y  a  donc  là,  observe  judicieusement  M.  J.  Cornély,  une 
solution  relative  du  problème  de  la  natahté,  car  puisque,  en  France, 
la  fabrication  des  enfants  semble  se  ralentir,  il  faut  tâcher  de  con- 
server ceux  qu'on  obtient.  ;) 

Enfin,  le  D'"  Boudry  a  organisé,  à  l'usage  des  adultes,  l'œuvre 
des  «  Lactatoriums  populaires  de  Paris  »  ;  ce  sont  des  cliniques 

(Il  Dans  ÏArt  décoratif,  ri"  36  de  septembre  19Ul,  on  trouvera  le  lae-similé  de 
la  médaille  de  récompense  pour  la  protection  du  premier  âge,  gravée  ^jar 
J.-G.  Chaplain  :  une  nourrice  tient  un  nourrisson  au  sein  gauche  et  souffle  sur 
une  cuillerée  de  soupe  destinée  à  un  enfant  plus  âgé,  debout  auprès  d'elle. 

[i)  Correspondanl  médical.  —  Rev.  philanthrop.,  1901-1902. 


FAITS     KK(;  KNDAI  KKS     KT     HISTOKinUKS 


59 


destinées  à  recevoir  gratuitement  les  malades,  adressés  par  des 
confrères,  pour  y  suivre  le  régime  lacté  absolu. 

Contre  les  nourrices.  —  Brieux,  avec  sa  pièce  des  Hampla- 
çaiites,  inspirée  vraisemblablement  par  la  Vache  à  lait  de  Daniel 
Riche,  a  voulu  reprendre  la  campagne  de  Jean-Jacques  Rousseau, 
en  faveur  de  Tallaitement  maternel  ;  mais,  malgré  le  concours  sym- 


F\'^.  3'J. 


pathique  de  la  presse  entière,  il  en  fut  pour  ses  frais  d'éloquence  et 
ses  coups  d'épée  dans  le  lait  :  les  mondaines,  prises  dans  Tengre- 
nage  de  la  vie  frivole,  auront  toujours  recours  aux  mercenaires 
qui,  par  aj)pât  du  gain,  abandonneront  leur  enfant  aux  aléas  du 
biberon.  D'ailleurs  il  est  de  bon  ton  d'imiter  les  modes  et  coutumes 
anglaises;  or,  en  Albion,  neuf  fois  sur  dix,  les  enfants  sont  élevés 
au  biberon  par  des  «  nurse  »  sèches.  De  par  l'esprit  d'imitation 
qui  caractérise  nos  snobinettes,  c'est  le  système  qui  prévaut 
maintenant  en  France. 

Les  célébrités  obstétricales  ont  été  interwievées  à  ce  sujet  et 
sont  tombées  d'accord  pour  énoncer  cette  formule  :  <(  Toutes  les 
femmes  peuvent  allaiter,  sauf  celles  qui  sont  atteintes  d'une  mala- 
die grave  et  celles  qui  ont  les  seins  mal  faits.  »  Or  la  malfoi-ma- 
tion  s'observe  à  peine  deux  fois  sur  cent  ;  quant  au  pourcentage 


(K)  I.KS     SKINS     DANS     1/ H  I  ST  (I I  H  K 

des  femmes  malades,  il  varie  suivant  les  circonstances.  «  Toute 
mère  a  du  lait  après  la  naissance  de  son  enfant,  a  n'-pondu  Pinard; 
elle  en  a  plus  ou  moins,  mais  elle  en  a  toujours...  et  le  lait  de 
la  femme,  pris  au  sein,  est  et  sera  toujours  supérieur  à  tous  les  laits 
stérilisés,  maternisés,  imaginai^les  ;,..  le  lait  stérilisé  ne  sera  jamais 
pour  le  nouveau-né  qu'un  pix-allcr.  »  C'est  le  mot  de  la  fin. 

Erreurs  et  préjugés  relatifs  à  lallaitement.  —  De  tout 
temps,  rêver  d'une  nourrice  est  un  signe  de  stéiilité,  en  vertu  de 
l'aphorisme  :  Songe,  mensonge  ;  le  rêve  n'est-il  pas  le  contraire 
de  la  réalité  ? 

Un  ancien  préjugé  tombé  en  désuétude  :  «  Quelques-uns  vou- 
lant signifier  l'oubly  des  mères  envers  leurs  enfans,  peignent  une 
femme  qui  porte  pendue  au  col,  en  forme  de  joyau,  la  pierre  que 
les  Grecs  appellent  Galathlle.  et,  en  sa  main  droite,  un  œuf  d'aus- 
truche.  Cette  pierre,  dont  Pline  fait  mention,  est  fort  à  propos 
attribuée  à  la  femme  dont  nous  parlons,  pour  ce  que  selon  le  mesme 
autheur,  elle  a  une  secrette  propriété  d'augmenter  le  laict  aux 
nourrices,  et  pareillement  de  faire  perdre  la  mémoire  des  choses 
passées.  Tellement  que  par  une  façon  de  parler  figurée,  nous  pou- 
vons bien  dire  des  mères  qui  oublient  leur  enfans,  qu'elles  ont  au 
col  la  pierre  Galathite.  Pour  la  môme  raison  encore,  on  les  compare 
aux  austruches  qui,  ]:)Our  faire  esclorre  leurs  œufs,  en  esté,  les 
ensevelissent  dans  le  sable,  et  un  peu  après  ne  se  souviennent  plus 
de  les  y  avoir  mis.  w  Heureusement  que,  dans  la  gent  autruchienne, 
conmie  dans  l'espèce  humaine,  le  mâle  est  là  pour  réparer  les 
inconséquences  et  légèretés  de  la  femelle  :  il  prend  la  place  de'  sa 
compagne  écervclée  sur  la  couvée. 

Pour  activer  la  sécrétion  lactée,  quand  celle-ci  est  insuffisante, 
M.  le  D'  Schein,  de  Budapest,  préconise  le  massage  abdomi- 
nal. Ce  massage  doit  être  fait  chaque  jour,  pendant  une  demi- 
heure  ou  une  heure,  et  de  bas  en  haut,  à  rebrousse-poils,  c'est-à- 
dire  en  allant  des  parties  génitales  vers  les  mamelles.  On  peut 
associer  à  cette  jiratique  le  pelotage  —  pardon  —  le  massage  des 
seins  eux-mêmes.  Cette  m(Hhode  galactogène  (?)  a  le  doul)le 
avantage  ^wx\\v\utUe^  pour  la  cliente,  ixYagréable,  pour  l'opé- 
rateur. Le  massage  est  à  l'ordre  du  jour,  dépêchons-nous  d'en  user 
tandis  qu'il  guérit;  c'est   une  panacée  universelle  à  la  portée  de 


FAITS     I,  K(;  KNDAI  M  h:s     KT     H  I  S  I  ()  lU  O  T  i:  S  61 

toutes  les  mains  ;  ses  manœuvres  simplident  la  thérapcuti(|ue  et  la 
ramènent  à  des  tours  de  passe-passe  vil)ratoires,  Suédois  ou  autres. 
Où  s'arrêtera  le  massage?  Nouveau  Gusman,  il  ne  connaît  pas 
d'obstacle  et  guérit  les  deux  extrêmes  :  la  maigreur  et  Fobésité, 
l'anémie  et  la  congestion,  le  nervosisme  et  l'apathie,  etc.  Xe  vient- 
on  pas  de  proposer,  contre  les  maladies  de  la  prostate  et  des  vési- 
cides  séminales,  le  massage  de  ces  organes  profonds  à  l'aide  de 
l'index  introduit  dans  le  rectum  ?  A  ce  compte,  les  afTections  pro- 
statiques devaient  êti'e  inconnues  de  Sodome,  Gomorrhe,  Seboïm, 
Adama,  détruites  par  le  feu  du  ciel  ;  et  Caligula,  Henri  111,  le 
cynique  duc  de  Vendôme,  ainsi  que  son  astucieux  secrétaire  Alberoni, 
c  liUti  quanti,  n'étaient  après  tout  que  des  masseurs  incompris. 
Suivant  Nattan-Larrier,  les  femelles  des  cobayes,  qu'on  empêche 
de  manger  leur  placenta,  ont  moins  de  lait  que  les  autres!  Que 
l'influence  de  ce  «  gâteau  placentaire  >•>  se  fasse  sentir  dans  les 
vingt-quatre  heures,  en  agissant  comme  un  aliment  de  premier 
ordre,  à  la  façon  d'un  bifteck  saignant,  nous  l'accordons,  mais  croire 
à  son  action  prolongée,  «  homme  de  peu  de  foi  w,  nous  en  doutons. 
Sans  conseiller  aux  femmes  la  placentophagie  directe,  ^I.  Boucha- 
court  préconise,  comme  galactogène,  des  pilules  d'extrait  de  pla- 
centa de  brebis  :  «  Une  jeune  femme  qui,  la  veille,  donnait 
40  grammes  de  lait,  assure  cet  accoucheur,  en  donne  300  le  Jour 
où  elle  a])sorb('  le  médicament  w.  Bien  plus,  l'extrait  a  fait  venir 
du  lait  à  une  femme  qui  n'était  point  mère.  «  Demain,  sans  doute, 
observe  ironiquement  M.  Henri  de  Varigny,  le  savant  et  spirituel 
critique  scientifique  du  Temps^  il  en  fera  produire  aux  hommes, 
h'squels  auront  par  là  une  carrière  à  laquelle  ils  ne  s'attendaient 
guère.  ))  C'est  par  l'action  galactogène  du  placenta  vivant  que  le 
même  tocologue  explique  la  présence  du  lait  dans  les  mamelles 
des  nouveau-nés.  Nous  craignons  fort  que  notre  vénérable  con- 
frère ne  se  ft\sse  illusion  sur  la  valeur  de  sa  méthode  opothéra- 
pique  ;  il  y  a  beau  temps  que  M.  xXicolas  Lemery  a  préconisé  l'usage 
médical  —  intus  et  extra  —  de  l'arrière  faix  des  femmes  :  «  On  pré- 
fère, écrit-il,  celui  qui  vient  de  la  naissance  d'un  garçtm  à  celui 
d'une  fille.  On  doit  le  choisir  nouvellement  sorti  d'une  femme 
saine  et  vigoureuse,  entier  et  beau.  On  l'applique  tout  chaud,  sor- 
tant de  la  matrice,  sur  le  visage  pour  en  eflacer  les  lentilles.  On 
s'en  sert   aussi,    intérieurement,   étant    séché  et  mis  en    poudre. 


02  L  K  S     S  K  1 1\  S     DANS     L    H  I  S  1'  (>  I  U  K 

pour  lV'()ilepsie,  pour  hâter  raccoucheineiit.  »  La  médecine  des 
signatures,  Tort  appréciée  autrefois,  préconisait  ces  poudres  contre 
la  stérilité  ;  et,  dans  l'antiquité  même,  ne  servaient-elles  pas  à 
cont'cctionncr  un  philtre  d'amour,  Thippomane  ?  Rien  de  nouveau 
sous  le  soleil. 

De  nos  jours,  les  nourrices  en  détresse  et  crédules  adressent 
une  requête,  accompagnée  d'une  offrande,  au  saint  Antoine  do 
Padoue  du  voisinage  qui,  on  le  sait,  a  la  spécialité  de  faire  retrou- 
ver les  objets  perdus,  moyennant  quoi,  les  nounous  retrouvent  leur 
lait...  s'il  doit  revenir. 

Francueil,  le  premier  amant  de  l'épistolière  d'Epinav,  assure 
c|u'il  n'y  a  rien  de  tel  que  «  de  courir  la  poste  pour  faire  passer  le 
lait  ».  Cependant,  au  xviii"  siècle,  il  était  d'étiquette,  pour  une 
nouvelle  accouchée,  de  ne  pas  sortir  avant  six  semaines. 

Un  préjugé,  fort  répandu  dans  le  monde  où  l'on  parle  à  tort  et 
à  travers,  est  de  conseiller  à  une  mère  qui  allaite,  quand  elle  vient 
de  courir,  de  boire  un  verre  d'eau  froide  avant  de  donner  le  sein. 
Quel  rapport  l'eau  introduite  dans  l'estomac  peut-elle  avoir  avec  la 
sécrétion  lactée  ?  L'idée  première  de  cette  pratique  a  dû  germer 
dans  la  cervelle  d'une  laitière,  habituée  à  aqualiser  son  lait,  pour 
le  rendre  plus  léger  à  la  digestion  de  ses  clients, 

M""'  de  Genlis  conte  qu'un  Allemand,  du  nom  de  W'eiss,  avait 
trouvé  la  composition  d'un  spécifique  certain  pourles  Utils  rvjiaiidus 
des  femmes  en  couches.  Le  succès  était  d'autant  plus  assuré  que  les 
lails  répandus  n'existent  pas.  Et  voilà  à  quoi  tient  une  réputation  ! 

C'est  pour  tous  les  Hindous,  sans  distinction  de  caste,  un  article 
de  foi  que  les  louves  volent  des  enfants  nouveau-nés  pour  les  allai- 
ter et  les  élever  ensuite  comme  des  louveteaux  ;  aussi  les  Romulus 
et  Rémus  j)ullulent-ils  dans,  l'Hindoustan.  G.  Labadie-Lagrave, 
qui  a  fait  une  étude  approfondie  de  ces  enfants-loups,  donne  une 
explication  ù  peu  près  plausible  de  cette  conviction  hindoue  : 
«  Une  louve  s'empare  d'un  enfant  et  l'ajjporte  à  ses  petits  afin  de 
leur  procurer  un  repas  de  chair  tendre  et  fraîche  ;  mais,  au  moment 
où  elle  leur  offre  ce  festin,  les  louveteaux,  déjà  rassasiés,  au  lieu 
de  dévorer  le  nouveau  venu,  se  mettent  à  jouer  avec  lui. -Le  nour- 
risson, obéissant  à  un  instinct  de  conservation,  approche  les  lèvres 
de  la  mamelle  de  la  louve  et, -à  partir  de  ce  moment,  l'adoption 
est  consommée.   Il  existe  entre  les  femelles  de  tous  les  mammi- 


FAITS     I.KC  r.NDAI  HKS     K  T     H  I  ST  ()  UI  O  T  K  S  03 

fères  une  sorte  de  solidarité  dans  le  devoir  de  rallaitement.  11  n'est 
pas  rare  qu'une  chatte  allaite  des  petits  chiens  et  parfois  même 
des  lapins  et  des  écureuils  (1).  Le  collaborateur  du  Lipjdncott's 
Magazine  cite  l'exemple  d'une  chatte  qui  a  allaité  un  rat  nouveau- 
né.  »  Cette  conjecture  n'est  pas  absolument  chimérique,  mais  quand 
il  s'agit  d'élucider  un  fait,  on  doit  se  défier  des  raisonnements  pai- 
induction. 

Usages  singuliers  du  lait.  Bains  de  lait  —  11  est  bien  évi- 
dent qu'en  privant  les  animaux  domestiques,  veaux,  ânons,  che- 
vreaux, du  lait  que  la  Nature  leur  destine,  nous  commettons  un 
inique  abus  de  pouvoir  ;  ce  liquide  nourricier,  pas  plus  que  les  œufs 
de  poule,  ne  devrait  entrer  dans  notre  alimentation,  si  nous  respec- 
tions les  vues  du  Créateur.  Mais,  sur  ce  point,  comme  en  beaucoup 
d'autres,  nous  avons  fait  prévaloir  le  principe  ég'oï-jte  et  barbare, 
famiher  à  Robert-Macaire  et  à  Bismarck,  de  «  la  Force  j)rime  le 
Droit  »  ou  du  Quia  nomitior  homo. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  lait  était  autrefois  l'aliment  exclusif  des 
Galactopluu/es  de  Scythie  ou  de  Mœsie,  comme,  de  nos  jours,  les 
Mongols,  qui  se  nourrissent  surtout  de  laitage  (2j.  Au  contraire, 
certaines  peuplades  de  l'Afrique  équatoriale,  tels  les  Okanda,  font 
fi  du  lait,  dont  on  a  assez  bu  dans  l'enfance.  Les  galactophohrs 
de  ce  genre  sont  fort  noml)reux  dans  les  pays  civilisés  et  les  méde- 
cins v  rencontrent  de  fréquentes  résistances  pour  l'application  du 
régime  lacté  exclusif. 

Au  point  de  vue  médical,  le  lait  d'ânesse  a  été  ordonné  comme 
reconstituant  de  premier  ordre.  M™''  de  Pompadour  en  fit  un  usage 
prolongé  contre  des  accès  de  toux  suivis  de  pituite;  le  régime 
lacté  était  d'ailleurs  indiqué  pour  l'affection  du  cœur  qui  incom- 
modait la  marquise  et  l'exposait  aux  palpitations,  aux  suffocations 
et  aux  défaillances.  «  Le  goût  de  l'élève  des  oiseaux  de  basse-cour, 
joint  à  celui  du  laitage,  dit  M.  Dejardins,  cité  par  le  D'  Potiquet, 
fut  la  cause  de  la  construction  de  la  ménagerie  et  de  la  laiterie  de 
Trianon.  )) 


(1)  Une  chiLMine  du  maréchal  Pélissier  alUiila  un  lionc-eau. 

(2)  Octavie  Guichard,  dame  Belot.  femme  de  lettres,  née  à  Paris  en  1T19, 
morte  en  1804,  se  nourrit  presque  exclusivement  de  lait,  après  avoir  perdu  son 
mari,  avocat  au  Parlement,  dès  les  premières  années  de  son  mariage. 


C4  m:  s     SKINS     DANS     I,    IliSTOlUK 

Une  lithographie  satirique  de  Xuma  l'ait  allusion,  vers  1830,  à  la 
vogue  (lu  lait  d'ânesse  pour  la  cure  de  la  phtisie  pulmonaire 
(fig.  40)  (1).  Au  premier  plan,  un  médecin,  à  la  panse  pleine  comme 
la  bourse  qu'il  tient  à  la  main,  forme  un  groupe  sympathique  avec 
deux  botes  asines,  aux  pis  gonflés,  et  leur  ânier  qui  dit,  avec  satis- 
faction :  «  A  nous  quatre,  nous  en  avons  guéri  des  poitrinaires!  » 
Dans  le  lointain,  se  dessine  la  silhouette  de  plusieurs  corbillards  qui 
conduisent  les  malades  «  guéris  »  à  leur  dernière  demeure. 

Le  lait  d'ânesses  soumises  à  des  frictions  mercurielles  passait 
pour  guérir  la  syphilis,  au  wuf  siècle  ;  au  xx'',  les  frictions  se 
font  encore,  mais  directement  sur  les  avariés. 

Les  cures  de  petit-lait  sont  surtout  favorables  aux  constipés. 
Les  anciens  ordonnaient  le  lait  de  chèvre  «  privé  de  son  caseum  »y 
dit  Pline,  contre  les  maladies  de  poitrine.  Nous  ne  faisons  pas 
autre  ciiose  aujourd'hui  avec  les  «  cures  de  petit-lait  de  chèvres  »: 
médication  qui  prit  naissance,  au  commencement  du  xw"  siècle,  à 
Gaïs,  dans  les  Alpes  d'Appenzell,  En  Tartane  russe,  on  a  recours, 
contre  les  affections  respiratoires  et  digestives,  aux  «  cures  de 
koiimis  ou  lait  de  jument  fermenté  »  ;  de  même,  en  Suisse,  on 
donne  des  bains  de  j)etit-lait  de  vache,  provenant  de  la  fabrication  du 
fromage.  Ceux  d'AUevard  sont  fournis  par  de  nombreux  troupeaux. 

Longtemps  les  bains  de  lait  furent  considérés  par  les  coquettes 
comme  le  meilleur  cosmétique  pour  embellir  les  parties  extérieures 
du  corps  et  entretenir  leur  fraîcheur  [2].  M'""  de  Genlis  s'offrit  cette 
fantaisie  :  «  11  y  avait  à  Genlis  la  plus  grande  baignoire  que  j'aie 
jamais  vue,  on  aurait  pu  y  tenir  à  l'aise  quatre  personnes.  Ln  jour, 
je  proposai  à  ma  belle-sœur  de  nous  y  baigner  dans  du  lait  pur, 
et  d'aller  acheter  dans  les  environs  tout  le  lait  des  fermes.  Nous 
nous  déguisâmes  en  paysannes,  et  montées  sur  des  ânes  et  con- 
duites par  le  charretier  Jean,  nous  partîmes  de  Genlis,  à  6  heures 
du  matin,  et  nous  allâmes  à  deux  lieues  à  la  ronde,  de  tous  les 
côtés,  demander  tout  le  lait  des  chaumières,  en  ordonnant  de  por- 

(1)  Aujourd'hui,  on  en  est  pour  le  traitement  de  la  tuberculose  aux  cures 
d'altitude  :  à  défaut  de  ressources  qui  i)ermeltent  le  coûteux  transport  dans  les 
Sanatoria,  on  recommande  les  fenêtres  ouvertes,  jour  et  nuit,  été  comme  hiver  ! 
11  y  a  des  modes  en  matière  de   médication  comme  de  costumes  tjt  de  parures. 

(-2)  Ovide  i)arle  de  dames  romaines  qui,  la  nuit,  couvraient  leur  visage  de 
mie  de  pain  trempée  dans  du  lait  d'ànesse.  —  A  l'époque  où  le  o  à  7  des  belles 
désœuvrées  se  passait  dans  leur  salle  de  bains.  \o  lait  servait  à  troubler  l'eau 
de  la  baignoire  et  à  couvrir  d'un  voile  opalin  les  charmes  les  plus  secrets. 


FAITS     LKGENDAIRKS     l'.T     HISTORKjUKS 


65 


ter  celait  le  lendemain  de  grand  malin  au  château  deGenlis.  Xous 
prîmes  un  bain  de  lait,  ce  qui  est  la  plus  agréable  chose  du  monde  : 
nous  avions  fait  couvrir  la  surface  du  bain  de  feuilles  de  roses,  et 
nous  restâmes  plus  de  deux  heures  dans  ce  charmant  bain.  » 

Pauhne  Borghèse  en  était  fanatique.  Dans  un  voyage  à  Aix-la- 
Chapelle,  son  Altesse  envoya  un  courrier  à  M.  Leclerc,  préfet  de 


Fii?.  4U. 


Bar-sur-Ornain  pour  qu'il  commandât  un  bain  de  lait,  suivi  d'une 
douche  du  même  liquide  qu'elle  voulait  prendre  avant  le  déjeu- 
ner. «  Voilà  le  préfet  dans  tous  ses  états.  11  envoie  aussitôt  les 
cent  hommes  de  sa  garde  départementale  presser  le  pis  de  tout  ce 
qu'il  y  a  de  vaches  dans  les  environs...  A  son  arrivée,  la  princesse 
demande  :  «  Et  mon  bain  ?  —  Il  est  prêt.  —  Et  ma  douche  ?  —  Ah  ! 
ceci  était  plus  dilïicile,  il  n'y  a  pas  d'appareil.  —  Mais  c'est  très 
facile,  au  contraire.  Faites  percer  le  plafond  juste  au-dessus  de  la 
baignoire...  et  de  l'étage  au-dessus,  on  me  donnei'a  ma  douche,  si 
nécessaire  à  ma  santé  (1).  »  Un  médecin  n'eut  pas  mieux  dit. 

(1)  Jost'iih  ïurquaiijles  Sœurs  de  Napoléon. 

LES    SEINS    DANS    l"h1ST0IUE.    —    1.  ^ 


66  m: s    sKiNs    DANS    i/ii  isToi  in: 


Le  préfet  se  distingue  par  son  zèle  et  son  activité  à  satisfaire  les 
fantaisies  laiteuses  de  la  belle  voyageuse  ;  il  est  probable,  qu'à  l'abri 
de  tout  contrôle,  il  tricha  fortement  et  baptisa  amplement  le  lait 
des  vaches.  «  11  en  résulta,  dit  la  maréchale  Oudinot,  qui  raconte 
cet  épisode  (1),  de  nombreuses  éclaboussures  de  lait  caillé,  sur  tout 
le  mobilier  et  l'odeur  prolongée,  dans  l'appartement,  d'une  laiterie 
mal  tenue.  )>  Cette  manie  balnéaire  était  toute  naturelle  chez  une 
aussi  capricieuse  et  charmante  déséquilibrée,  qui  prenait  des  lave- 
ments à  la  fraise  de  veau,  pour  conserver  la  fraîcheur  de  son  teint. 

Marie  Colombier  cite,  dans  ses  Mémoires  fin  a  Empire,  un 
usage  peu  connu  du  lait  de  vache,  qu'elle  constata  lors  d'une  visite 
à  Roqueplan,  ex-directeur  de  l'Opéra.  En  arrivant  dans  la  «  demeure 
ni  chaste,  ni  pure  »  de  la  rue  Taitbout,  elle  fut  surprise  d'en- 
tendre des  rires  fous  dans  toute  la  maison  :  «  Une  dizaine  déjeunes 
filles  se  trouvaient  là;  elles  avaient  dans  les  mains  des  objets  d'une 
forme  singulièrement  audacieuse  ;  elles  les  remphssaient  de  lait  ; 
puis,  à  l'aide  d'un  ressort,  elles  envoyaient  le  contenu  de  ces  ins- 
truments bizarres  dans  une  cuvette.  Et  pendant  l'opération,  c'étaient 
des  fusées  de  rires...  La  maison  de  Roqueplan  touchait  à  un  temple 
d'amour  banal...  La  veille,  des  créanciers  avaient  fait  tout  vendre 
dans  le  lieu  de  plaisir,  après  faillite.  C'est  à  cette  occasion  que  le 
joyeux  critique  avait  acheté  un  lot  de  ces  engins  bizarres,  contenu 
dans  un  panier.  La  fantaisie  lui  était  venue  de  faire  jouer  —  aux 
jeux  non  innocents  —  les  jeunes  danseuses  avec  ces  objets  svm- 
boliques  ».  Ajoutons,  pour  les  historiographes  futurs  des  rues  de 
Paris,  qu'à  cette  maison  close  succéda  un  bureau  de  nourrices, 
espérant  sans  doute  que  le  nom  de  la  rue  lui  porterait  bonheur. 
Mais  cet  établissement,  non  moins  utilitaire  que  le  précédent,  subit 
le  même  sort.  Depuis,  une  nouvelle  «  maison  Tellier  »  prospère, 
paraît-il,  dans  le  voisinage.  Le  nom  de  la  rue  «  Taitbout  »,  qui 
prête  à  la  plaisanterie,  est  décidément  \u\  «  tabou  ». 

Au  xviii''  siècle,  on  préconisait,  contre  la  canitic  ou  blanchisse- 
ment  des  cheveux,  des  lotions  de  la  tête  avec  le  lait  de  chienne, 
«  trois  fois  de  suite,  avant  de  son  coucher  ».  L'étymologie  de 
canitic  {canix,  chien)  justifiait  une  fois  de  plus  cette  application 
simpliste  de  la  médecine  des  signatures. 

(1)  Duchesse  de  Reggio,  Récils  de  (juene  et  de  fuijcr. 


FAITS     !.  K(;ENDAIRKS     KT     HISTOKIQU  KS  67 

De  nos  jours,  le  lait  de  femme  est  employé,  comme  l'émail  jjlanc 
porphyrisé  —  mais  sans  plus  de  succès  — pour  faire  disparaître  les 
tatouages;  on  croit,  en  repassant  les  dessins  au  lait,  effacer  les 
traces  de  la  couleur.  Xous  signalons  plus  loin  un  certain  nombre 
de  remèdes  de  bonne  femme,  où  le  lait  féminin  joue  un  rôle  pré- 
pondérant. 

Gardons-nous  de  finir  sur  un  «  rythme  plaintif  «  et  résumons  les 
applications  thérapeutiques  du  lait,  qu'un  médecin  belge  a  eu 
l'ingénieuse  idée  de  versifier  (1),  pas  toujours  selon  la  mesure  : 

Alinientdoux,  complet,  le  lait  est  du  sang  blanc. 

Le  régime  du  lait  établit  lasepsie, 

(îuérit  le  nervosisme  avec  la  dyspepsie, 

liend  le  sang  moins  aqueux,  l'œdème  moins  tendu. 

Grâce  au  lait,  forganisme  est  bien  mieux  défendu. 

11  refait  le  sang  et  les  fiers  leucocytes 

(Jui  s'en  vont  absorber  les  fâcheux  organites, 

Dont  le  fluide  sucré,  sécrété  par  les  seins, 

Va  forcer  les  déchets  à  sortir  par  les  reins. 

Erreurs  et  préjugés  relatifs  au  lait.  —  Les  Armoricains 
en  sont  encore,  comme  les  primitifs  des  peuplades  ab-icaines,  à 
ridée  des  anciens  :  que  la  nature  du  lait  influe  sur  le  caractère  du 
nourrisson.  Dans  ses  abondantes  et  spirituelles  notes  de  Rabelais 
/iiédccin,  notre  confrère  F.  Brémond  rappelle  que  le  sceptique  curé 
de  Meudon  croyait,  d'accord  avec  son  temps,  à  l'influence  de  l'al- 
laitement sur  le  caractère.  Ainsi,  en  parlant  de  «  Jupiter  tonnant  », 
Rabelais  dit  qu'  «  il  fut  paillard  toujours  comme  un  verrat  ;  aussi 
fut-il  nourry  par  une  truie,  en  Dicte  de  Candie,  si  Agathocles 
Babylonien  ne  ment;  et  plus  boucquin  que  n'est  un  boucq  :  aussi 
disent  les  autres  qu'il  fut  alaicté  d'une  chèvre  Amalthée  ». 

Van  Helmont  assure  que  «  l'âge  développe,  chez  les  enfants,  les 
désirs  ardents  pour  l'amour,  que  leurs  nourrices  leur  ont  commu- 
muniqués  ».  Moriceau  croyait  aussi  fermement  à  l'influence 
du  lait  sur  le  tempérament  :  «  On  apprivoise  les  lions,  disait-il,  en 
leur  faisant  téter  une  vache  ou  une  ânesse,  tandis  que  le  chien 
devient  farouche  s'il  est  allaité  par  une  louve  ».  Le  lait  de  chèvre 
agite,  dit-on,  les  enfants  et  les  rend  «  capricants  »  (2).  Le  nom  de 

(1)  La  Médecine  internationale  illustrée. 

(2)  D'après  M'"'=  Hattazzi,  citée  par  le  D'  Cabanes.  «  K.  Sue  l'ut    noiuii   par  une 
clièvre  et  conserva  longtemps  les  allures  bruscjues  et  sautillantes  de  sa  nuurrire.  » 


08  I.KS     SKIN'S     DANS     L    11  I  S  T  0  1  R  K 

tettc  (  hl'vre,  donnt''  à  rcngoulevent,  vient  de  ce  préjugé  que  cet 
oiseau  recherche  le  lait  des  chèvres  et  les  tette  avidement.  Un  pré- 
cepte de  Pvlhagore  défend  de  faire  cuire  le  chevreau  dans  le  lait 
de  sa  mère  ;  sans  doute  parce  que,  contrairement  à  la  doctrine 
homœopathique,  alors  dans  les  nimbes,  le  fameux  philosophe  pen- 
sait que  les  si?n/lia  nuisaient  aux  simili/nis.  Le  préjugé  qui  veut 
que  «  le  lait  chasse  le  lait  »  vient  du  même  pot. 

Dans  les  campagnes,  les  éruptions  d'impétigo,  d'eczéma,  (|ui 
couvrent  la  tête  et  le  visage  des  enfants  à  la  mamelle,  sont  prises  à 
tort  pour  des  «  croûtes  de  lait  ». 

On  trouve  chez  les  anciens  auteurs  quantité  de  receltes  saugre- 
nues où  le  lait  de  femme  passe  pour  avoir  une  vertu  médicinale. 
Pline  conseille,  pour  les  yeux  malades,  une  mixture  de  punaises, 
écrasées  dans  du  lait  de  femme.  Nicolas  Lemery,  auteur  du  Die- 
tionnairv  ?inive)'se/  des  Drogues  simples^  assure  que  le  lait  de 
femme  est  «  restaurant,  adoucissant,  pectoral,  propre  pour  la  phti- 
sie et  pour  les  autres  maladies  de  consomptions  ».  Jean  Gœurot, 
médecin  de  François  P',  préconise  sérieusement  ce  remède  contre 
la  migraine  :  «  Faire  tondre  les  cheveux  et  y  faire  traire  laict  de 
nourrisse  qui  allaicte  une  fille  (l).  »  Autre  recette,  qui  serait  bien 
utile  aux  Compagnies  d'assurances  sur  la  vie,  et  que  nous  tirons 
des  Curiosilrs  de  Vlnstinre  des  remèdes,  par  le  D''  H.  Coulon,  de 
Cambrai  :  «  Se  vous  volés  savoir  se  uns  hom  mora  u  non,  quand 
il  est  malade,  prendés  sen  orine  et  se  le  mêlés  en  un  vaisiel,  et 
faites  une  feme  ki  nourise  un  oir  malle  dégoûter  de  son  lait  ens;  se 
vous  vées  le  lait  floter,  il  mora,  et  se  li  lais  se  melle  avec  l'orine, 
si  puel  bien  warir.  El  a  le  feme  s'ele  est  malade,  prendés  le  lait 
d'une  feme  ausi  com  devant  ki  nourisse  une  puciele  ». 

Les  somnambules  ne  se  bornent  pas  à  prédire  le  retour  du  volage 
amant  ou  de  Finlidèle  époux  ;  elles  se  livrent  à  un  métier  plus  lucra- 
tif et  plus  dangereux  aussi  :  elles  pratiquent  illégalement  la  méde- 
cine et  donnent  des  consultations,  comme  chacun  sait.  Le  Malin 
raconte  qu'il  y  a  une  trentaine  d'années,  rue  des  Martyrs,  une  de 
ces  prétendues  hypnotisées  prescrivait  constamment  le  lait.  C'était 
une  nouveauté  alors,  et  le  lait  de  la  somnambule  ft\isait  merveille. 
Seulement  elle  recommandait  expressément  de  l'acheter  chez  un 

(1)   Le  Mois  thérapeutique. 


FAITS     I.  KC  KXDAIRKS     ET     H  I  SI' 0  R  I  O  U  E  S  69 

laitier  du  boulevard  de  Clichy,  «  le  seul  de  Paris  qui  vendit  du  bon 
lait  ».  Or  ce  laitier  était  son  amant  et,  grâce  à  ce  truc,  réalisa  de 
gros  bénéfices.  Ils  se  marièrent  après  fortune  faite,  et  le  couple 
habite  aujourd'hui  un  des  plus  jolis  petits  castels  du  Périgord. 
Cette  habile  professionnelle  pouvait  à  juste  titre  appeler  ses  clients 
de  Tun  et  Tautre  sexe  des  «  vaches  à  lait  ». 

On  croit  communément  que  Tabsorption  du  lait  glacé  peut  être 
suivie  de  mort  subite  :  la  légende  attribue  la  mort  foudroyante  de 
la  femme  de  Charles  II,  d'Espagne  (1689),  à  l'absorption  d'une 
tasse  de  lait  glacé,  donné  par  la  comtesse  de  Soissons,  compro- 
mise dans  la  fameuse  affaire  de  «  la  poudre  de  succession  )>.  On 
imputa  encore  à  cette  cause  le  décès  de  la  tragédienne,  miss  Xeilson, 
âgée  de  vingt-deux  ans,  au  chalet  du  bois  de  Boulogne  (avril 
188(1).  Des  bruits  d'empoisonnement  couraient  aussi  :  Tautopsie, 
pratiquée  par  le  D'"  Brouardel,  éclaircit  ce  cas  de  mort  brusque, 
mais  naturelle. 

Le  lait  et  la  tuberculose.  —  Koch,  qui  découvrit,  en  mai  188^, 
le  bacille  tuberculeux,  a  combattu  au  Congrès  de  Londres  (juil- 
let 1901),  les  idées  jusque-là  admises  sur  la  propagation  de  la 
tuberculose  par  le  lait  d'animaux  tuberculeux.  Depuis  longtemps 
nous  doutions  aussi  de  la  possibilité  et  surtout  de  la  fréquence  de 
cette  transmission,  mais  nous  ne  nous  savions  pas  en  si  bonne 
compagnie.  En  principe,  nous  ne  croyons  à  la  contagion  que  sur 
un  terrain  préparé  par  l'hérédité.  L'héroïsme  du  D''  Garnault,  qui 
s'est  fait  inoculer  une  culture  virulente  de  tuberculose  bovine,  sera 
inutile  au  point  de  vue  pratique  et  son  expérience  de  laboratoire  ne 
prouvera  pas  grand'chose  :  ce  n'est  pas  par  inoculation  que  la 
race  bovine  est  dangereuse.  Au  contraire,  l'ingestion  prolongée  de 
lait,  non  bouilli,  provenant  de  mamelles  atteintes  de  maimnite  tuber- 
culeuse, eût  constitué  une  démonstration  beaucoup  plus  probante. 
A  Paris,  où  la  mortalité  partubercuhjse  va  sans  cesse  en  augmen- 
tant, la  proportion  des  vaches  atteintes  de  la  tuberculose  des 
mamelles,  la  seule  dangereuse  pour  le  lait,  d'après  ^DI.  Xocard  et 
Louis  Forest,  ne  dépasse  cependant  pas  2  p.  100,  alors  qu'elle  est 
de  2.">  et  30  p.  100  dans  certains  départements,  et  cela  parce  que 
les  nourrisseurs  font  saillir  leurs  vaches  jusqu'à  épuisement,  tan- 
dis que  les  vaches  laitières  de  Paris  sont  achetées  aussitôt  après 


70 


LF.  S     SKINS     DANS     I.    HISTOIRE 


la  yy/Zw  bas,  on  ])leinc  lactation,  puis  revendues  au  boucher,  huit 
ou  dix  mois  après. 

Lo  lait,  comme  le  crachat,  n'a  à  son  actif  que  fort  peu  de  cas 
probants  de  contagion,  et  les  ligues  antituberculeuses  feraient 
mieux  de  concentrer  leurs  efCorts  sur  la  destruction  d'ag-ents  autre- 
ment  actifs  de  transmission  des  maladies  nettement  contagieuses, 
tels  que  les  mouches,  les  moustiques  et  les  insectes  parasitaires, 


SdCIKTÉ   DE   PRÉSERVATION   CONTRE   LA  TUBERCULOSE 

par   l'Étlucalion    ]iopulairc 

33     r.  lE     LA  FA  VET  TE.     P  A  lU  S     (iX") 


Ne  Crachez  pas  parterre! 

C'EST  DÉGOÛTANT!!! 

Et  C'est  toujours  dangereux  ! 

La  plilisio  cl  la  plupart  dos  nialailips  dos  voies  respirai oiros  so  commuiii- 
pient  par  les  crachais  dossôclios  cl  réduils  en  poussière. 


en  instituant  des  primes  d'encouragement  à  la  destruction  de  ces 
bestioles  pathogènes.  Et  comme  rhôrédité  est  le  facteur  principal 
de  la  transmission  de  la  tuberculose,  de  la  scrofule,  de  la  syphi- 
lis, etc.,  ces  ligues  devraient  conseiller  aux  familles  d'exiger  des 
futurs  conjoints  un  certificatmédical,  ou  un  contrat  d'assurance  sur  la 
vie,  les  déclarant  indemnes  et  bons  pour  le  service  matrimonial. 
Quant  aux  avis  répandus  sous  l'égide  du  Comïtc  d' hygiène,  inter- 
disant de  ne  pas  cracher  par  terre,  ils  sont  moins  une  précaution 
hygiénique  qu'une  mesure  de  propreté  éh-mentaii-c,  profitable  sur- 
tout à  la  gent  moutonnière  et  écervelée  qui  se  croit  obligée  de 
subir  la  tyrannie  de  la  mode,  —  uniquement  instituée  pour  la 
classe  riche  et  oisive  — ,  et  qui,  n'ayant  pas  de  voiture,  revêt,  par 
esprit  d'imitation,  des  robes  traînantes,  bordées  de  ruches.  Les  ser- 
monnaires,  au  xvi'  siècle,  tonnaient  déjà  contre  les  «  cottes  ba- 
layeuses et  estreignantes  »,  ou  collantes  et  les  «  robes  aux  queues 
qui  baloient  la  boue  et  la  poussière  )).  Et  bien  avant,  au  xiii*  siècle, 


FAITS     l.KCKNDAIRKS     KT     11  I  ST  O  U  I  O  U  K  S  71 


Adam,  abbé  de  Perseigne,  se  moque  de  «  ces  robes  interminables 
qui  baloyent  la  poussière  et  entravent  la  marche  des  gens  pressés  »  ; 
il  compare  celles  qui  les  portent  aux  renards  «  fiers  de  leur  longue 
queue  ». 

De  tous  les  agents  propagateurs  des  microbes,  le  plus  dangereux 
et  le  moins  soupçonné  est  peut-être  l'eau  bénite  !  Des  milliers  de 
«  fidèles  »  se  lavent  les  doigts  dans  le  môme  bénitier  et  s'asper- 
gent benoitement  la  figure  d'une  causale,  contaminée.  A  Bruxelles, 
en  Téglise  Sainte-Marie,  au-dessus  d'un  lavabo  en  marbre  blanc, 
servant  de  bénitier,  se  lit  cet  avis  en  gros  caractères  :  «  50  indul- 
gences sont  accordées  à  ceux  qui  font  le  signe  de  la  croix  et  100  à 
ceux  qui  se  servent  d'eau  bénite  )).  Nous  nous  demandions  la 
cause  d'une  telle  inégalité  dans  la  récompense  :  Feau  du  bénitier 
était  noire  de  saleté  (1)  ;  il  s'agissait  d'une  épreuve. 

Crovez-nous,  ouailles  bénévoles,  faites  le  signe  de  croix  à  sec, 
quitte  à  perdre  la  moitié  des  indulgences  promises,  ou  faites-en  un 
second,  toujours  à  sec,  qui  complétera  la  centaine,  jusqu'à  ce  que 
les  conseils  de  fabrique  se  décident  à  supprimer  leurs  cuvettes  mal- 
propres. Les  bénitiers  ont  remplacé  les  piscines,  où  primitivement 
on  se  lavait  les  mains  et  les  pieds  avant  d'entrer  à  l'église  (2;,  c'est 
un  progrès  ;  qui  empêche  les  croyants  de  faire  leurs  ablutions  à 
domicile  ?  On  a  déjà  supprimé  Yasjtersoîi  ou  goupillon  et  l'on  a 
bien  fait,  quoiqu'en  dise  une  inscription  relevée  sur  un  bénitier  du 
musée  des  antiques,  à  Toulouse  : 

Vous  ([ui  prenez  de  l'eau  benoiste 
Avec  la  main  sans  l'asperson. 
C'est  une  chose  deshoneste. 
Demandez-en  à  Dieu  pardon. 

La  question  du  lait.  —  A  l'instigation  du  Malin,  la  presse 
entière  a  fait  une  campagne  (11)02)  contre  les  fraudeurs  du  lait, 
bien  que  dans  ces  dernières  années  la  qualité  du  lait,  vendu  à 
Paris,  se  soit  améliorée  d'une  manière  notable.  Malgré  cette  amé- 

(1)  La  \uv  de  ci-  vaste  encrier  nous  remit  en  mémoire  l'un  des  «  Ixins  tours  » 
joués  par  les  espiègles  pensionnaires  de  couvents  à  leurs  supérieures  :  elles  rem- 
plissaient d'encre  le  bénitier  dans  lequel,  à  l'heure  encore  obscure  des  matines, 
les  pauvres  religieuses  trempaient  leuis  doigts  et  apparaissaient,  au  lever  du 
.iour.  toutes  barbouillées  de  noir. 

(2)  Laborde.  Voyar/e  en  Autriche,  voir  figur(\  t.  II.  p.  43. 


LES     SKINS     DANS     I,    HISTOIRE 


lioration,  on  vend  chaque  jour,  dans  les  vingt  arrondissements  de 
Paris,  7  000  hectolitres  de  tisane  lactée  ;  vend-on  seulement 
700  litres  de  lait?  Ce  n'est  qu'au  point  de  vue  symbolique  qu'un 
Parisien  peut  dire  «  qu'il  boit  du  lait!  »  Le  Napolitain,  plus  heu- 
reux que  le  Parisien,  ignore  le  lait  baptisé,  pour  la  raison  bien 
simple  que  les  vaches  ambulantes  sont  traites  à  la  porte  des 
clients,  coram  populo. 

La  satire  figurée  et  littéraire  s'est  fait  des  gorges  chaudes  de  la 
cupidité  des  industriels  lactifères.  La  «  Question  du  lait  »  a  été 
magistralement  élucidé(^  par  Raoul  Ponchon,  dans  sa  «  Gazette 
rimée  »  du  Journal;  écoutez  ce  maître  en  ironie  expliquer  pour- 
quoi il  est  si  difficile  de  donner  du  lait  pur  aux  enfants  et  aux 
malades  : 

,..  Il  faut  ])ien  du  lait  aux  enfants  — 

Dites-vous.  Sans  nul  doute, 
Pour  qu'ils  soient  beaux  et  triompliants, 

Ne  meurent  pas  en  route. 

Mais  on  voit  un  tas  de  feignants 

Et  de  galactophiles, 
De  grabataires  répugnants 

Empoisonnant  les  villes, 

Qui  ne   se  gorgent  que  de  lait, 

Sous  le  prétexte  A'ague 
Que  c"est  un  aliment  complet. 

Le  diable  les  ineague  ! 

Car  ces  gens-là  boivent  la  part 

Qui  reviendrait  aux  gosses  ; 
C'est  d'où  viennent  pour  la  plupart 

Ces  butyreux  négoces. 

liemarquez  bien,  pauvres  flapis, 

Que  cette  honnête  vache 
Na  qu'un  certain  nombre  de  pis, 

A  moins  qu'elle  n'en  cache. 

Si  donc  la  consommation 

Ordinaire  dépasse 
De  beaucoup  la  production, 

Que  voulez-vous  qu'on  fasse  ? 


FAITS     LK(i  KNDAI  HF.S     HT     H  I  S  T  (t  I!  I  0  U  E  S 


On  fait  comme  font  les  laitiers. 

Ils  coupent  le...  problème 
Avec  de  Teau.  Si  vous  Tétiez, 

Vous  feriez  tous  de  même... 

Un  dessin  d'Hermann  (Paul),  du  Cri  de  Paris,  montre  une  nour- 
rice, dans  les  vignes,  se  caressant  la  cuisse  droite,  accoudée,  le 


L«iT 


—  ftjE   .PLtuRt    f>ftS,fHLM,Tu  NAUMS?LU5    D'E^U   tAH'j  TQH    L/»IT. 

Fig.    40   /j«. 


verre  en  main,  sur  une  table  chargée  de  bouteilles  vides;  son 
nourrisson  pleure  par  toutes  les  extrémités  :  «  Xe  pleure  pas, 
chéri,  dit-elle,  avec  le  bégaiement  de  la  béatitude  alcoolique,  tu 
n'auras  plus  d'eau  dans  ton  lait...  »  (fig.  40  bis).  Ce  cas  est  plus 
fréquent  qu'on  ne  pense. 

Albert  Guillaume  envisage  aussi  la  «  Question  du  lait  »  et  repro- 
duit une  goutte  de  ce  liquide,  vue  au  microscope  et  grossie  huit 
cents  fois  :  une  fermière  trait  le  lait  au  pis  de  la  vache;  à  côté 
d'elle,  son  épou.x  tire  de  Feau  au  puits  et  procède  à  Fondoie- 
ment;  plus  loin,  un  garçon  laitier  s'adresse  à  un  cantonnier  armé 
de  son  tuyau  d'arrosage  et  effectue  le  baptême  en  conscience  ;  le 
crémier,  de  son  côté,  a  recours  à  la  pompe  de  la  cour  pour  le 


74  1.  l'.S     Si:i.\S     DANS     L    HISTOIRE 

troisième  mouillage  ;  enfin,  la  cuisinière  vide  une  carafe  d'eau  dans 
la  casserole  du  café  au  lait  du  matin. 

VlUustrr  national,  de  Bruxelles,  suit  le  mouvement  et  j-epré- 
senle  dans  «  Douce  illusion  »,  deux  naïves  bourgeoises  qui  vien- 
nent chercher  leur  lait  à  létable  même,  pour  être  certaines  de  sa 
pureté  ;  or  dans  le  seau  où  tombe  le  lait  de  la  traite  d'une  vache, 
aboutit  un  petit  tuyau  qui  communique,  au  dehors,  avec  la  pompe, 
manœuvrée  par  le  laitier.  Son  épouse  tire  sur  les  pis,  en  ébau- 
chant un  sourire  narquois  :  «  Oui,  mes  bonnes  dames,  dit-elle,  à 
ses  clientes,  il  faut  faire  traire  son  lait  devant  soi  pour  être  bien 
certain  qu'il  n'y  a  pas  d'eau  dedans  ». 

\J Assiette  au  //carre  a  consacré  un  numéro  spécial  aux  «  Fal- 
sificateurs de  lait  »,  comprenant  51  dessins  humoristiques  de  nos 
meilleurs  caricaturistes  ;  nous  rappellerons  les  légendes  des  prin- 
cipaux :  de  C.  Lefèvre,  une  mère  remplit  un  biberon  dans  le  ruis- 
seau ;  un  passant  s'étonne  :  «  L'eau  du  ruisseau  à  votre  enfant... 
A'ous  êtes  folle  !  —  Mais  non,  msieur,  c'est  plus  pur  que  le  lait 
qu'on  nous  vend.  » 

Régime  lacté,  par  H.  Gerbault  :  le  médecin  dit  à  son  malade, 
en  montrant  les  scellés  placés  sur  les  seins  d'une  nourrice  :  «  Vous 
pouvez  en  prendre  en  toute  sécurité,  c'est  du  lait  cacheté  ». 

Une  mère  quitte  le  berceau  de  son  enfant  pour  accompagner  le 
médecin,  dont  on  ne  voit  que  la  main  :  a  Docteur,  c'est  du  lait 
garanti  !  —  Une  seule  goutte,  et  je  n'en  réponds  plus  !  »  Signé 
Valloton. 

B.  Rabier  présente  un  désespéré  qui  tient,  d'une  main,  un  revol- 
ver et,  de  l'autre,  une  boîte  au  lait  :  «  Décidément,  je  préfère  le 
lait...  C'est  plus  sûr!  » 

Fatal  contrepoison,  de  Mélivet  :  «  Docteur,  c'est  ma  belle- 
mère  qui  a  failli  s'empoisonner...  Alors  je  lui  ai  vivement  fait  ava- 
ler une  tasse  de  lait.  —  Bravo  !  A'ous  pouvez  être  tranquille... 
elle  est  fichue  !  » 

Bain  de  lait  (Henri  Boutet;  :  une  jolie  fille  enjambe  une  baignoire  : 
«  La  seule  façon  de  le  consommer  pour  qu'il  n'empoisonne  pas  ». 

Allaitement  maternel  (Lami)  :  une  mère  en  pleurs  donne  le 
sein  à  son  nouveau-né;  sa  fille  aînée  lui  dit  :  «  Oh!  maman! 
voyons,  ne  pleure  pas...  Toi  aussi  tu  vas  mouiller  le  lait  de  mon 
petit  frère  ». 


FAITS     LK(.KM)AIRES     K  T     H  I  ST  0  RI  0  U  I' S 


Crayon  réaliste  de  Sancha  :  un  g-ros  poupon  aspire  le  sein  de 
sa  nourrice  :  «  En  voilà  un  qui  s'en  f. ..  de  tout  ça  !  ». 

Chn'uùin!  ^Petitjean  :  une  fillette  porte  une  lettre  de  faire  part  : 
((  M'man,  tous  ces  bébés  qui  meurent,  par  où  vont-ils  au  paradis? 
—  Par  la  voie  lactée,  mon  enfant  ». 

Les  couplets  des  théâtres  «  à  côté  »  et  des  revues  ont  fait  cho- 
rus avec  la  presse,  pour  stigmatiser  les  «  faiseurs  d'ang*es  »  ;  rappe- 
lons les  Doléances  tJ'iot  rjarçon  laitier,  de  Jean  Varney  (22  jan- 
vier 1902)  ;  la  Valse  des  lait iers  falsi ficatenrs ,  chantée  par  Fursy, 
dans  Ylmprojyiptu  de  Montmartre  (février  1902),  etc. 

Thémis,  elle-même,  a  risqué  son  mot  pour  rire,  à  propos  de 
poursuites  relatives  à  des  coupages  exagérés.  Le  18  janvier  1902, 
M™^  Couvet  était  citée  devant  la  huitième  chambre  correctionnelle 
sous  rinculpation  de  lait  falsifié.  Elle  ne  répond  pas  à  Tappel  de 
son  nom,  mais  un  ami  de  la  prévenue  remet  au  président  un  cer- 
tificat de  sage-femme,  constatant  que  ladite  dame  Couvet  est 
accouchée,  il  y  a  quarante-huit  heures.  On  parle  de  renvoyer  l'af- 
faire à  quinzaine  :  «  A  un  mois,  prononce  le  président;  si  nous  la 
citions  plus  tôt,  elle  nous  accuserait  d'avoir  fait  tourner  son  lait  !  ». 
Quelques  jours  après,  à  la  même  chambre,  un  prévenu  est  pour- 
suivi pour  délit  identique.  A  l'appel  de  son  nom,  le  défenseur  pré- 
sente un  certificat  de  médecin,  constatant  que  l'inculpé  était  dans 
son  lit,  atteint  de  gastro-entérite  :  «  11  a  donc  bu  de  son  lait? 
demande  le  facétieux  substitut  ». 

A  Autun,  paraît-il,  les  laitières  se  sont  fâchées  contre  les  magis- 
trats qui  avaient  osé  condamner  quelques-unes  de  ces  dames,  con- 
vaincues d'avoir  vendu  du  lait  baptisé  ;  la  corporation  tout  entière 
s'est  solidarisée  avec  elles  et  les  magistrats  qui  avaient  jugé  l'af- 
faire furent  mis  à  Tindex  :  personne  ne  veut  plus  leur  vendre  du 
lait. 


B.  —  Faits  particuliers  sur  les  seins  et  l'allaitement 

Origine  du  nom  d'Alep.  —  Une  vieille  tradition  fait  remonter 
Alep  ou  Halep  à  l'époque  du  voyage  d'Abraham  dans  la  terre  de 
Chanaan.  Il  s'arrêta  avec  ses  chameaux  et  ses  troupeaux  de  brebis 
sur  la  coUine  où  s'élève  la  citadelle  d'Alep.  Tous  les  samedis,  selon 


76  LKS     SEINS     DANS     l'hISTOIRE 

les  chrétiens  et  les  juifs,  tous  les  vendredis,  selon  les  musulmans, 
le  patriarche  distribuait  du  lait  de  ses  troupeaux  aux  pauvres  de 
la  contrée.  Le  jour  marqué,  on  venait  au  pied  de  la  colline  deman- 
der si  c(  Abraham  avait  trait  »,  Ibrahim  haleb.  Ce  dernier  mot 
serait  resté  pour  désigner  le  lieu  où  se  faisait  cette  distribution  (1). 

La  légende  de  Phryné  (2).  —  Toutes  les  villes  qui  possé- 
daient un  temple  de  courtisanes  —  souvent  issues  des  meilleures 
familles  —  avaient  des  soins  respectueux  à  Fégard  de  ces  femmes 
reconnaissantes,  consacrant  la  beauté  qu'elles  tenaient  d'Aphro- 
dite au  service  du  culte  de  la  déesse.  «...  L'incomparable  his- 
toire de  Phryné,  écrit  Pierre  Louys  (3),  telle  qu'Athénée  nous  l'a 
transmise,  donnera  quelque  idée  d'une  telle  vénération.  Il  n'est 
pas  vrai  qu'Hypéride  eut  besoin  de  la  mettre  nue  pour  fléchir 
l'Aréopage  (4),  et  pourtant  le  crime  était  grand  :  elle  avait  assas- 
siné. L'orateur  ne  déchira  que  le  haut  de  sa  tunique  et  révéla 
seulement  les  seins.  Et  il  supplia  les  juges  <(  de  ne  pas  mettre  à 
mort  la  prêtresse  et  l'inspirée  d'Aphrodite  ». 

Phryné  servit  de  modèle  à  Praxitèle  pour  ses  statues  de  Vénus 
et  la  déesse  de  la  beauté  ignorait  les  étoffes  enveloppantes  et  même 
transparentes  ;  c'est  aussi  sans  voiles  que  Gérome,  H.  de  Siemi- 
radzki  et  L.  Chalon  nous  ont  montré  la  courtisane  grecque  «  devant 
le  tribunal  »,  «  à  Eleusis  »  et  ((  aux  fêtes  de  Vénus  »  où,  sur  son 
passage,  des  fanatiques  de  l'idéal  baisent  ses  cheveux  —  ses  seuls 
vêtements. 

Vision  de  la  nourrice  de  Cicéron.  —  L'n  fantôme,  raconte 
Plutarque,  apparut  à  la  nourrice  de  Cicéron  et  lui  dit  que  son 
nourrisson  procurerait,  un  jour,  aux  Romains  les  plus  sérieux 
avantages.  «  On  traite  ordinairement  de  rêves  et  de  folies  ces  sortes 
de  prédictions,  écrit  l'historien  grec  ;  mais  le  jeune  Cicéron  fut  à 
peine  en  âge  de  s'appliquer  à  l'étude  qu'il  vérifia  celle-ci.  » 

(i)  B.  Poiijoulat,   Voijacje  en  Orient. 

(2)  Son  vrai  nom  était  Mnesarète,  sa  pâleur  lui  fit  donner  celui  de  Phryné. 

(3)  L'élégant  et  délicat  traducteur  —  certains  disent  atiteur  —  des  Chansons 
de  Bilitis  ;  E.  Fasquelle,  édit. 

(4)  Alciphron  prétend  que  ce  fut  Phryné,  elle-même,  qui  découvrit  son  sein, 
ayant  recours  à  l'éloquence  de  la  chair  comme  ultime  argument.  Eùt-elle  obtenu 
gain  de  cause  devant  le  Sénat  de  femmes,  établi  par  lléliogabale  ! 


FAITS     LKC.  ENDAIRES     ET     HI  SI' l)  R  I(»  U  E  S 


Oïl  sait  de  reste  que  Gicéron  se  vit  décerner,  pour  avoir  déjoué 
la  conjuration  de  Catilina,  le  surnom  de  Père  de  la  Patrie.  11  fut 
moins  heiu-eux  dans  sa  lutte  contre  Antoine  et  y  succomba. 

Allaitement  de  Mahomet.  —  Voici  un  récit  curieux  emprunté 
à  la  tradition  ou  Sonna.  11  est  placé  dans  la  bouche  d'Halima, 
femme  de  la  tribu  bédouine  des  Beni-Sad  :  «  Je  quittai,  un  jour, 
ma  demeure  avec  mon  mari  et  mon  enfant  qui  venait  de  naître  et 
je  me  rendis  à  La  Mecque  pour  y  chercher  un  nourrisson.  IVous 
avions  avec  nous  une  ànesse  grise  et  une  chamelle  qui  ne  donnaient 
pas  une  goutte  de  lait.  Nous  ne  pouvions  dormir,  parce  que  notre 
enfant  criait  toute  la  nuit  de  faim  (1),  J'avais  aussi  peu  de  lait  que 
la  chamelle.  A  La  Mecque,  on  avait  déjà  offert  à  chaque  nourrice 
l'enfant  qui  devait  être  le  prophète,  mais  aucune  d'elles  n'avait 
voulu  le  prendre  ;  nous  n'attendions  pas  grand  chose  de  la  mère 
d'un  enfant  qui  n'avait  plus  de  père.  Toutes  les  femmes  qui  étaient 
avec  nous  avaient  trouvé  des  nourrissons,  excepté  moi.  «  Je  ne 
veux  pas,  dis-je  à  mon  mari,  retourner  sans  nourrisson  auprès  de 
mes  amies  ;  je  vais  aller  chercher  cet  orphelin.  —  Tu  as  rai- 
son, répondit  mon  mari,  peut-être  Allah  nous  bénira-t-il  si  tu  y 
vas.  »  J'allai  donc  et  je  revins  a^ec  l'orphelin  à  notre  caravane. 
Je  lui  donnai  le  sein  et  il  but  jusqu'à  ce  qu'il  eût  assez;  alors 
j'allaitai  mon  propre  enfant,  qui  put  également  se  rassasier  ; 
ensuite  ils  s'endormirent  tous  deux,  et  pour  la  première  fois  depuis 
longtemps,  nous  eûmes  une  nuit  tranquille.  Mon  mari  alla  ensuite 
près  de  notre  chamelle  et  il  trouva  que  ses  pis  étaient  pleins  de 
lait.  Le  lendemain  matin,  mon  mari  me  dit  :  «  Assurément,  tu  as 
trouvé  un  enfant  béni.  »  Dès  notre  retour,  nos  troupeaux  don- 
nèrent toujours  beaucoup  de  lait,  tandis  que  ceux  de  nos  voisins 
n'en  avaient  pas.  Après  deux  ans,  je  sevrai  l'enfant.  »  A  part  les 
invraisemblances  inhérentes  à  tous  les  récits  sacrés  ou  fabuleux, 
cette  légende  nous  apprend  que,  vers  le  vi"  siècle,  les  nourrices 
existaient  en  Arabie  et  que  la  durée  de  l'allaitement  était  de  deux 
ans. 

(1)  Que  ]jenser  de  la  conscience  de  eeUe  nourrice  {[ui  n'a  pas  de  lait  pour  son 
propre  enfant  et  ciiii  cherche  un  nourrisson  ?  11  est  vrai  que  si  elle  avait  eu  du 
lait  en  abondance  le  miracle  qui  survint  ne  se  serait  pas  produit,  et  alors  l'en- 
fance de  Mahomet  aurait  été  dépourvue  de  merveilleux,  ce  qid  eût  été  bien 
vulgaire  pour  un  fondateur  de  religion. 


L  K  s     S  i;  I  N  S     DANS     1/  H  1  S  l()  1  1!  K 


Mot  d'Amrou.  —  Ûlhman,  enchanté  de  l'augmentation  de 
Timpùt,  dit  au  gvnéral  mahométan,  conquérant  de  FEg-ypte  : 
«  —  Abd-Allah  a  bien  su  traire  encore  la  mamelle  après  toi. 
—  Cela  est  vrai,  ré[)ond  Amrou,  mais  aussi  il  a  aiïamé  les  petits.  « 
C'est  riiistoire  de  la  poule  aux  œufs  d'or. 

Aventure  de  Jean-Baptiste  Lulli.  —  Nous  avons  raconté  (1), 
d'après  le  D'"  Garnier,  comment  le  compositeur  Lulli,  fort  épris 
d'une  jeune  Vénitienne,  s'était  éloigné  d'elle  avec  la  plus  grande 
répugnance,  lorsqu'elle  lui  eut  montré  son  sein  rongé  par  un  can- 
cer ulcéreux.  Le  D''  Garnier  aura  été  victime  soit  d'une  méprise, 
soit  du  sans-gène  d'un  démarqueur  d'anecdotes,  car  la  même  aven- 
ture est  attribuée  au  célèbre  alchimiste  et  théologien  Raymond  Lulle 
(xiii"  siècle).  Voici  comment  le  fait  est  rapporté  par  Brantôme  (2)  : 
«  Estant  en  cette  charge,  il  devint  amoureux  d'une  beUe  dame  de 
^Majorque.  Il  la  servit  longuement  et  fort  bien  ;  et  luy  demandant 
toujours  ce  bon  point  de  jouissance,  elle  après  l'en  avoir  refusé 
tant  qu'elle  put,  luy  donna  un  jour  assignation  où  il  ne  manqua 
n\-  elle  aussi,  et  comparut  plus  belle  que  jamais  et  mieux  en  point. 
Ainsi  qu'il  pensoit  entrer  en  paradis,  elle  luy  vint  à  descouvrir 
son  sein  et  sa  poitrine  toute  couverte  d'une  douzaine  d'emplastres, 
et  les  arrachant  l'un  après  l'autre,  et  de  dépit  les  jetant  par  terre, 
luy  monstra  un  effroyable  cancer,  et  les  larmes  aux  yeux,  lui 
remonstra  ses  misères  et  son  mal,  lu}'  disant  s'il  y  avoit  tant  de 
quoy  en  elle  qu'il  en  dust  estre.  espris  ;  et  sur  ce  luy  en  fist  un  si 
pitovable  discours,  que  luy,  tout  vaincu  de  pitié  du  mal  de  cette 
belle  dame,  la  laissa  ;  et  l'ayant  recommandée  à  Dieu  pour  sa 
santé,  se  défit  de  sa  charge  et  se  rendit  hermite.  »  Cette  héroïne 
était  la  sénora  Ambrosia  de  Castello,  belle  Génoise,  établie  à 
jNIajorque  avec  son  mari.  D'après  Dechambre,  Lulle  passa  sa  vie  à 
chercher  le  remède  du  cancer,  en  souvenii-  de  sa  passion  pour  la 
sefiora,  et  aussi  la  pierre  philosophale,  la  marotte  de  l'époque  fS). 

(1)  Anecd.  hist.,  p.  7:2. 

(2)  Vies  des  darnes  galantes  ;  Discours  II,  p.  15b. 

(3)  La  même  histoire  est  racontée  dans  la  Vie  et  le  martijre  de  Raymond  Lulle, 
par  Tabbé  Perroquet  (in-l2,  1667,  p.  b)  ;  dans  l'Histoire  véritable  de  Raymo?id 
Lulle,  par  le  R.  1'.  Jean-Marie  de  Vernon,  édition  de  1667,  et  enfin  par  Louis 
Figuier  :  Vie  des  savants  illustres  du  moyen  âge.  Détails  communiqués  à  la 
Chronique  médicale,  pav  le  D''  l'iugetta.  chirurgien  des  hùjjitaux  de  Marseille, 
et  par  le  D'  Martel,  chh-urgien  de  IHùtel-Dieu  de  baint-Malo. 


FAITS     LK(iF.M)AIRKS     ET     HISIOUIOUES  79 

Le  tambour  de  Jean  Ziska.  —  Sur  la  foi  de  la  h'-gcnde, 
généralement  admise,  nous  avons  raconté  (1)  que  l'un  des  plus 
grands  capitaines  du  moyen  âge,  Jean  Ziska,  général  des  Hus- 
sites,  voulut,  qu'après  sa  mort,  on  fabriquât  un  tambour  de  sa 
peau,  pour  continuer  à  chasser  les  ennemis  devant  lui.  Un  côté 
de  ce  tambour  macabre  aurait  été  confectionné  avec  la  peau  du 
dos,  et  Fautre,  qui  reçoit  les  chocs  des  baguettes,  avec  la  peau 
des  seins.  Or,  un  lecteur  de  la  Chronique  médicale,  un  érudit, 
nous  fait  observer  que  les  bénédictins,  si  consciencieux  en  leurs 
recherches  historicpies,  ont  afïirmé  dès  la  fin  du  siècle  dernier, 
dans  VArt  de  vérifier  les  dates,  que  ce  n'était  là  qu'  «  un  cunte  «  (2) 
et  l'illustre  historien  de  la  Bohème,  M.  Palacki,  a  achevé  de  cre- 
ver ce  légendaire  tambour,  qui  avait  fait  tant  de  bruit  (3)  ! 

Le  goût  de  Michel-Ange  pour  la  sculpture,  attribué  au 
lait  qu'il  a  sucé.  —  Le  t»  mars  147."),  le  père  de  Michel-Ange 
écrivait  sur  ses  tablettes  :  «  Je  note  que  ce  jourd'hui,  il  m'est  né 
un  enfant  mâle.  Je  lui  ai  donné  le  nom  de  Michelagnano.  11  est  né 
le  lundi  matin,  entre  cinq  et  six  heures,  moi  étant  Podestat  de 
Caprèse,  et  il  est  né  à  Caprèse.  Ses  parrains  ont  été  ceux  qui 
sont  nommés  ci-dessus,  et  il  a  été  baptisé  le  8  dans  l'église  San 
Giovanni  di  Caprèse.  »  11  confia  son  fils  à  une  nourrice  de  Setti- 
gnano,  fille  et  femme  d'un  tailleur  de  pierre  :  ses  premiers  jouets 
furent  les  outils  de  l'artisan  qui  décidèrent  de  la  vocation  de  l'ar- 
tiste. 

Les  partisans  de  la  transmission  des  qualités  morales  par  le  lait 
de  la  nourrice,  ne  manqueront  pas  d'attribuer  à  cette  particularité 
accidentelle  la  vocation  du  puissant  génie  (jui,  avec  le  peintre 
d'Urbin,  rayonne  sur  l'Art  moderne. 

Sollicitude  de  Diane  de  Poitiers.  —  On  sait  que  la  maîtresse 
de  Henri  11,  au  heu  d'être,  comme  à  l'ordinaire,  un  instrument  de 
discorde,  servait  au  contraire  de  trait  d'union  entre  Catherine  de 
Médicis  —  docile  et  résignée,   par  crainte  de  divorce  ou  du  cou- 

(1)  Anecd.  lùst..  p.  50. 

(2)  Voir  la  Chronique  hislorique  des  7-ois  de  Bohême,  t.  VIII,  p.  33. 

(3)  Interm.  des  Chercheurs  et  des  Curieux.  1870,  p.  141-14:2;  Fiijaro  du  2:2  juil- 
let 1882;  Magasin  pittoresque.  1843,  p.  132;  Nouvelle  Biblio:/ruphie  Didot. 
t.  XLYI,  col,  1005  ;  etc. 


80  LES     SEINS     DANS     I,    H  I  S  T  ()  I  R  R 

vent  —  et  le  roi  ;  elle  était  l'arbitre  suprême  dans  les  contesta- 
tions conjugales  et  ses  décisions  étaient  sans  appel.  En  souvenir 
de  sa  patronne  païenne,  Diane  Lucifera,  la  favorite,  ne  se  conten- 
tait pas  d'assister  la  reine  pendant  ses  couches  ;  elle  entoure 
ses  enfants  de  la  sollicitude  la  plus  étroite,  préside  au  choix  de 
leurs  nourrices,  elle  juge  delà  qualité  de  leur  lait  et  les  remplace 
dès  qu'elles  deviennent  insuffisantes.  Dans  les  Lettres  inédites  de 
Diane  de  Poitiers  à  M.  de  Humyères,  gouverneur  des  enfants  du 
roi,  et  publiées  par  M.  Georges  Guiffr3%  nous  relevons  des  détails 
intéressants  sur  son  rôle  de  c(  seconde  mère  »  : 

Fontainelilcau,  12  février  1547-1548. 

.Te  vous  envoyé  ung  présent  pour  la  nourrisse  de  Monsieur  (1)  etung 
autre  pour  la  nourrisse  de  Madame  (2),  je  vous  prie  de  le  leur  bailler  et 
quant  ad  ce  que  dictes  de  la  nourrisse  retenue,  il  me  semble  que  la 
devez  renvoier  en  luy  donnant  quelque  présent;  et  après  si  le  Roy  biy 
veult  faire  quelque  bien  se  sera  à  sa  discrétion. 

Cette  nourrice  retenue  était  peut-être  une  nourrice  arrêtée  par 
M.  de  Humyères  pour  M"'^  Claude,  née  le  {'2  novembre  1547,  alors 
que  Catherine  de  Médicis  avait  déjà  fait  son  choix. 

La  favorite  écrit  d'Anet,  le  21)  août  1.j49  : 

...  I^a  nourrice  est  toujours  icy  et  s'en  voUoit  retourner  vous  trouver, 
ne  fust  que  je  luy  ay  dict  qu'elle  actande  encores  ung  petit,  et  l'entre- 
tiens tant  que  je  puys.  Je  vous  prye  me  mander  quant  il  sera  temps 
qu'elle  y  aille,  affin  que  vous  l'envoyé. 

Non  seulement  «  la  seconde  reine  »  choisissait  les  nourrices,  mais 
«  elle  les  prenait  à  l'engrais  pour  les  dégrossir  et  les  élever  à  la 
hauteur  de  leur  mission.  » 

Autre  lettre  envoyée  d'Oiron,  près  Poitiers,  à  ]\P'^  de  Humvères, 
le  20  mai  1551  : 

...  Le  lioy  et  la  lioync  vous  escripvent  à  Hloys  touchant  la  sancté  de 
de  Mons'' d'Orléans  et  aussi  pour  voyr  si  la  nourrice  à  si  lion  laict  qu'il 
fault,  car  ici  on  dict  qu'il  nest  bon  et  que  sella  luy  donne  des  émotions, 
parquoy  il  me  semble   que  fériés   bien  d'y   adviser,   et,   si  elle  n'est 

(1)  François  II,  né  le  19  janvier  1344. 

(2)  Elisabeth,  née  le  13  avril,  1546.  Kile  fnt  sevrée  à  vingt-deux  mois,  «  à  cause 
de  la  nialladie  de  la  nourrisse,  écrit  Henri  II.  à  laquelle  oultre  cela  avoit  perdu 
le  tetvn  :  néantnioins.  elle  ne  lessoit  de  faire  bien  bonne  chère  ». 


FAITS     LKC.F.  NDAIHKS     Kl      HISTORIOUKS  81 

bonne,  luy  en  Ijailler  une  auUre  ;  el  croy  que  si  son  laict  est  anpiré, 
despuys  que  je  la  viz,  se  a  esté  par  faulte  de  ee  qu'elle  n'a  pas  vescu 
comme  elle  avoit  acoustumé  faire  ;  il  me  semble  que  si  luy  faisiés 
boyre  du  sitre  ou  de  la  byère,  que  eella  la  refrechiroit  fort,  et  suys 
d'advis  que  le  faisiés  ainsi,  je  croy  que  les  médecins  serons  de  ceste 
oppinion. 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  les  «  Dames  de  France  »  mar- 
chent sur  les  brisées  des  médecins. 

Le  roi  s'intéresse  au  débat  et  écrit  de  la  même  résidence  : 

...  Si  d'avanture  il  advenoit  que  la  santé  de  mon  fdz  d'Orléans  empi- 
rast,  je  trouve  vostre  advis  et  celluy  des  médecins  bon,  qui  est  de  luy 
changer  de  nourrice  ;  si  vous  en  avez  trouvé  une  telle  qu'il  est  requis, 
€t  surtout  fault  bien  regarder  qu'elle  ayt  nourry  plus  d'ung  enfant  et 
que  son  laict  soit  bon  et  asseuré. 

Henry  11  a  raison  de  se  méfier  d'un  premier  lait,  qui  n'est  pas, 
comme  le  premier  mouvement,  le  meilleur.  La  reine  s'en  mêle,  à 
son  tour,  et  répond,  de  Fonte vrault,  à  M"'^  de  Humyères,  qui  lui 
écrit  que  la  nourrice  de  son  fils  était  «  honneste  et  bien  condi- 
tionnée ))  : 

...  Mais  nous  n'avons  pas  tant  affaire  de  sa  suffisance  et  de  ses  vertus 
comme  nous  avons  qu'elle  soit  bonne  nourrice,  ce  que  Ton  voit  bien 
qui  n'est  poinct,  car  mon  dict  filz  continue  trop  à  ce  trouver  mal;  par 
quoy  je  vous  prye  que  je  n'en  oye  plus  parler  et  qu'elle  luy  soit  changée, 
car  pour  sa  prudence  et  sagesse  son  laict  n'en  est  pas  meilleur,  on  le 
voit  par  expérience  ;  je  ne  veulx  pas,  à  faulte  d'y  pourvoir  d'heure,  qu'il 
en  vienne  inconvénient. 

C'est  un  congé  en  régie.  Mais  les  ordres  de  la  reine  et  du  roi 
n'a3^ant  point  été  exécutés  assez  |)romptement,  Catherine  écrivit  de 
nouveau  pour  exprimer  son  mécontement  :  «  Je  m'esboys  com- 
ment on  n'a  suyvy  ce  que  j'ay  mandé  ».  Enfin  le  duc  d'Orléans, 
grâce  à  ce  changement  de  nourrice,  finit  par  se  rétablir. 

Comme  toujours,  Diane  a  le  dernier  mot  et  en  profite  pour  admo- 
nester la  gouvernante,  à  Blois  :  «  11  me  semble,  lui  écrit-elle  de  Le 
Vergier  (entre  La  Flèche  et  Angers),  qu'on  lui  debvoit  avoir  plus- 
toust  ousté  celle  qu'il  avoit,  voyant  que  son  laict  neluy  estoit  bon.  » 

Une  reine  de  la  main  gauche,  nourrice.  —  Henriette  de 
Balzac  d'Entraigues  accoucha  en  même  temps  que  la  reine  :  Tune, 

LES    SEINS    DANS    l'HISTOIKE.    —    1.  G 


82  l.KS    SKINS     DANS    l/ Il  I  ST  0  I  H  I-: 

(le  Henri  de  Bourbon;  Tautre,  de  Louis  XllI.  Sans  attendre  les 
honic'lies  de  Jean-Jacques  sur  les  devoirs  maternels,  la  «reinette  » 
allaita   son    fils    adultérin. 

La  reine  Margot  était  «  un  modèle  de  libei'tinage  de  corps  et 
d'âme  »,  au  dire  de  son  panégyriste  Brantôme,  dont  elle  était 
l'idéal,  et  cependant,  par  ses  félicitations,  elle  encourageait  les 
dames  de  la  cour  à  remplir  leurs  devoirs  de  mère  et,  à  Mons,  com- 
blait de  prévenances  la  comtesse  de  Lalain,  Marguerite  de  Ligne, 
chez  qui  elle  fut  reçue,  en  1577,  et  qui  allaitait  son  enfant  devant 
tout  le  monde  :  «  Elle  avoit  donc  ce  bel  enfant  au  maillot  qu'elle 
nourrissoit  de  son  lait,  et  comme  nous  étions  à  table,  à  la  fin  du 
diner,  elle,  parée  et  toute  couverte  de  pierreries  et  de  broderies, 
une  robille  à  l'espagnole  de  toile  d'or,  des  bandes  de  broderie 
de  cannetille  d'or  et  d'argent,  un  pourpoint  de  toile  d'or  à  gros 
boutons  de  diamants  (habit  approprié  à  l'otfice  de  nourrice),  on 
lui  apporta  à  la  table  son  cher  fils,  emmaillotté  aussi  richement 
qu'estoit  vestue  sa  nourrice,  pour  lui  donner  à  taister.  Elle  le  met 
entre  nous  deux  sur  la  table,  et  hbrement  se  déboulonne,  baillant 
son  tétinàson  petit.  Ce  qui  eust  été  tenu  à  incivihtéà  quelqu'autre  ; 
mais  elle  le  faisoit  avec  tant  de  grâce  et  de  naïfveté,  comme  toutes 
ses  actions  en  étoient  accompagnées,  qu'elle  en  reçut  autant  de 
louanges  que  la  compagnie  de  plaisir.  »  La  reine  de  Navarre  lui 
exprima  le  regret  de  ne  point  l'avoir  pour  compatriote  (1). 

Napoléon  P''  aura  la  même  sollicitude  pour  M"^"  de  Montalivet  : 
en  INOG,  il  la  nomma  dame  du  palais  de  l'Impératrice  ;  celle  dont 
il  avait  convoité  la  main  et  qui  lui  avait  préféré  son  cousin, 
accepta,  mais,  à  la  condition  qu'elle  aurait  le  loisir  de  soigner  son 
mari,  en  cas  de  maladie,  et  d'allaiter  la  progéniture  que  l'avenir  lui 
réservait.  L'Empereur,  habitué  à  poser  des  conditions,  non  à  en 
recevoir,  ne  fit  aucune  objection  (2). 

Nourrices  de  Henri  IV.  —  Le  grand-père  de  Henry  de  Bour- 
bon, futur  Henri  IV,  voulant  que  «  ce  lion  enfanté  par  une  brebis  » 
fût  élevé  «  sans  délicatesse  et  superfluités  »,  le  mit  en  nourrrice  à 
Bilhères,  près  Pau. 

i\.)  Mémoires  de  Marguerite  de  Valois  cl  Imiieit  de  Saint-Ainand.  les  Femmes  de 
la  Cour  des  derniers  Valois. 
{'2}  F.  Masson.  loc.  cil. 


FAITS     LÉCÎENDAIRKS     KT     HISTOItloriîS  83 


On  avait  crabord  choisi  une  paysanne  qui  ne  plaisait  point  à 
Vieilleville  ;  il  la  trouvait  «  trop  âgée,  maigre  et  mélancolique  »  et 
voulut  qu'on  donnât  au  nouveau-né  «  une  jeune  nourrice  des 
champs  »  ;  on  devra  «  la  traicter  de  grosses  viandes,  à  sa  mode 
rustique,  surtout  deffendre  sa  chambre  au  médecin  et  à  Tappoti- 
quaire  ».  Ces  sages  conseils  furent  suivis  à  la  lettre  et  eurent  plein 
succès.  «  On  fit  oster,  ajoute-t-il  dans  ses  Mémoires,  de  dessus  le 
berceau  de  l'enlant  les  ciels,  poils  et  daix,  dedans  lesquels  il  estoit 
comme  estouffé,  on  lui  rendit  le  jour  et  le  soleil  à  souhait  et  à 
toutes  heures,  avec  une  nourrice  de  Tàge  de  vingt  et  deux  ans,  et 
fort  saine  :  si  bien  que  l'on  congneust  en  moins  de  huict  jours 
l'amendement  de  l'enfant.  » 

Le  Béarnais  arrivé  au  trône,  sa  nourrice  demanda  pour  récom- 
pense l'autorisation  de  faire  peindre  sur  la  porte  de  sa  cabane  les 
armes  de  France,  avec  cette  inscription  béarnaise  :  «  S  aube -garde, 
(lou  rci/  »  Sauvegarde  du  roi  (1), 

Nourrice  digne  de  son  nourrisson.  —  D'après  Michelet,  il 
semblerait  que  la  nourrice  de  Charles  IX  n'a  pas  été  étrangère  à 
la  première  guerre  de  rehgion  :  «  Un  jour  que  de  Guise,  l'câme  de  la 
Saint-Barthélémy,  demandait,  pour  se  couvrir,  une  autorisation  de 
pourfendre  les  huguenots,  la  reine-mère,  qui  n'était  pas  dupe,  se 
moqua  et  dit,  comme  la  nourrice  du  roi  entrait  :  «  Nourrice  que 
vous  semble  !  —  Mais,  ^tladame,  puiscpie  les  huguenots  ne  veulent 
se  contenter  jamais,  il  faut  les  mettre  à  la  raison  !  » 

Un  argument  de  plus  en  faveur  de  ceux  qui  admettent  l'influence 
du  lait  sur  le  moral  de  l'enfant  :  cette  nourrice  ('tait  protestante  (2) 
et  donnait  des  conseils  de  renégate  ;  perfidie  et  cruauté  étaient 
aussi  les  défauts  dominants  de  son  noble  nourrisson. 

Louis  XIII  et  les  seins.  —  Louis  XIll,  au  rebours  de  ses  suc- 

(1)  Mi'>^  Vauvillicis.  Hi^l.  de  Jeanne  d'Albrel. 

(2)  On  fut  plus  difficile  pour  le  clioix  de  la  nouiricf  du  iJaupliin.  eu  I72'J,  et 
la  question  religieuse  y  joua  un  rôle  important.  La  nourrice  préférée,  M™'  Dufour, 
(|ui  était  catholique,  faillit  échouer  parce  que  des  lettres  anonymes,  adressées  à 
Dodart,  iliédecin  du  roi,  par  une  servante  des  Dufour,  accusaient  de  calvinisme 
le  mari  de  la  nourrice  choisie  pour  le  rejeton  royal  ;  comme  si  la  religion  d'un 
père  nourricier  pouvait  exercer  une  influence  quelconque  sur  le  lait  de  sa  femm{>. 

Voir  l'échange  de  lettres  qui  eut  lieu  k  ce  sujet  entre  Dodart  et  Hérault,  préfet 
de  police  de  réi)0(iue,  reproduites  par  I'.  d'Esliv^'ihxnsld  Méd.anecd..  hi.sl.  et  Litlér. 


84  1.  1".  s     SI".  INS     DA.NS     L    H  I  S  r  O  I  lU". 


ccsscurs,  Louis  XH'  et  Louis  XV  surtout,  prisait  peu  les  charmes 
féminins  et,  en  particulier,  les  seins  :  qu'on  se  rappelle  la  gorgée 
de  vin  lancée  sur  la  gorge  d'une  dame  de  qualité  et  les  pincettes 
introduites  dans  le  corsage  de  M"^  de  Hautefort  (1). 

Dès  son  bas-âge,  cependant,  il  promettait  beaucoup  :  le  Journal 
de  Héroard  raconte  qu'  «  en  tétant,  il  gratte  sa  «  guillery  »,  droite 
et  dure  comme  du  bois.  11  se  plaisoit  ordinairement  fort  à  la  manier 
et  à  V  jouer  du  bout  des  doigts  ».  A  peine  âgé  de  deux  ans,  tou- 
jours d'après  le  même  historiographe,  «  il  met  la  main  dans  le 
sein  de  ]\P'  de  Verneuil,  la  maîtresse  de  son  père,  puis  baise  le 
bout  de  son  doigt  ».  Un  autre  jour,  la  marquise  lui  présenta  sa 
main,  puis  son  bout  de  sein  à  baiser  ?  «  L'enfant  refusa  fièrement 
l'un  et  l'autre,  mais  sa  gouvernante  lui  en  ayant  donné  l'ordre, 
force  lui  fut  bien  de  s'exécuter.  » 

A  cinq  ans,  il  tombe  amoureux  de  la  nourrice  de  la  petite 
Madame  ;  il  la  baise  «  à  la  bouche,  aux  tétons,  avec  transport, 
disant  :  —  Je  vous  baiseroi  toujours  !  »  Une  autre  fois,  il  se  fait 
mettre  au  lit  de  sa  nourrice  et  se  jouant  avec  ses  seins  :  «  Bon- 
jour, ma  garce,  baise-moi  !  —  Monsieur,  lui  demanda  sa  nour- 
rice, pourquoi  m'appelez-vous  ainsi  ?  —  Parce  que  vous  êtes  cou- 
chée avec  moi  ». 

Plus  tard,  observe  le  D''  Cabanes,  à  qui  nous  empruntons  nos 
renseignements,  ces  goûts  devaient  changer  ;  les  espérances  ne 
répondirent  pas  aux  pi'omesses  de  l'enfance.  Blot,  raconte  l'érudit 
auteur  du  Cahiiiet  secret  (le  t  Histoire,  le  chansonnier  de  la  Fronde, 
a  laissé,  sous  le  titre  de  Rêveries,  un  recueil  dans  lequel  la  répul- 
sion de  Louis  Xlll  pour  les  seins  est  caractérisée  en  ces  termes  : 
«  On  savoit,  disait-il  entre  autres  choses,  que  le  roi  Louis  XIII 
regardoit  les  tétons  comme  damnation  et  leur  faisoit  même  des 
avanies,  ce  qui  faisoit  que  le  P.  Joseph  et  Vincent  de  Paul  ne  taris- 
soient  pas  en  invectives  sur  cette  partie,  l'ornement  des  belles.  » 

Origine  du  bégaiement  de  Louis  XIII.  —  Le  vice  de  pro- 
nonciation dont  Louis  Xlll,  le  bègue  béguinant,  était  aflligé,  a  été 
attribué  à  la  maladresse  de  Guillemeau  qui  lui  coupa  «  à  trois  fois  » 
le  filet  ;    la  nourrice   s'étant  aperçue  qu'il  avait  de  la  difficulté  à 

(1)  Anecd.  Iiist.,  p.  (33. 


FAITS     I,  K(;  K?,1)AIRES     KT     H  I  S  i' ()  H  I  (J  l' E  S 


prendre  le  sein.  Or,  cette  petite  anomalie  ne  change  en  rien  la 
succion  ni  la  prononciation  et,  de  nos  jours,  on  ne  touche  plus  au 
filet;  n'accusons  donc  ni  Topération  ni  l'opérateur.  Peut-être 
n'existait-il  qu'un  embarras  de  parole,  dû  à  une  conformation 
spéciale  de  la  langue  :  «  si  longue  et  si  épaisse,  que  quand  elle 
étoit  sortie  de  sa  bouche,  ayant  peine  à  la  retirer,  il  étoit  obligé 
de  la  repousser  avec  le  doigt  ».  Est-ce  bien  là  le  filet  si  résistant 
qui  obligera  le  chirurgien  à  s'y  reprendre  à  trois  reprises  ? 

Comment  le  chevalier  Séguier  gagna  la  faveur  d'Anne 
d" Autriche.  —  Saint-Simon,  dans  ses  Mét/ioires,  rapporte  un 
véritable  crime  de  lèse-galanterie,  dont  fut  victime  Anne  d'Au- 
triche. On  supposait  qu'elle  avait  pu  cacher  dans  son  corsage  des 
papiers  compromettants  :  «  ...  Lors  de  ce  grand  vacarme,  qui  fit 
tant  de  bruit  dans  le  monde  du  commerce  et  des  intelhgences  de 
la  Reine  avec  l'Espagne,  où  la  Reine,  par  l'ordre  du  Roi,  fut 
fouillée  jusque  dans  son  sein,  au  Val-de-Gràce,  par  le  chancelier 
Séguier,  celui-ci,  par  sa  politique  conduite  en  cette  occasion, 
s'assura  pour  toujours  de  la  faveur  de  la  Reine,  sans  se  commettre 
avec  le  Roi  ni  avec  le  cardinal  de  Richelieu.  « 

Des  historiens  assurent,  en  effet,  d'après  René  Kerviler,  que 
Pierre  Séguier,  en  homme  avisé,  avait  fait  secrètement  prévenir  la 
reine  des  fouilles  qu'il  serait  obhgé  de  pratiquer  sur  elle.  Anne 
d'Autriche  ne  pouvait  manquer  de  lui  en  savoir  gré. 


Les  nourrices  de  Louis  XIV.  —  On  sait  que  ce  souverain 
partagea,  avec  d'autres  personnages  célèbres,  l'avantage  ou  plu- 
tôt l'inconvénient,  de  naître  avec  des  dents.  Les  enfants  atteints 
de  cette  anomalie  sont  portés  à  mordre  le  sein  de  leur  nourrice, 
qu'il  faut  remplacer  à  cause  des  gerçures  et  abcès  consécutifs. 
C'est  ce  qui  arriva  pour  le  premier  de  nos  «  enfants  du  miracle  », 
ou  simplement  de  Buckingham,  d'après  les  mauvaises  langues. 

De  même  Don  Carlos,  fils  de  Philippe  II,  vint  au  monde  avec 
des  dents,  et  les  morsures  qu'il  faisait  à  sa  nourrice  lui  valurent 
de  fréquentes  corrections,  jusqu'à  l'âge  de  trois  ans  (1). 

Quant  au  fils  d'Anne  d'Autriche,  destiné  à  faire  tout  Grand,  le 

(l)  Gachai-d,  Don  Carlos  et  PliUippe  II,  cité  par  le  D'-  Cabanes,  loc.  cit. 


86  Li:s     SKI.NS     DANS     1,  "  H  I  S  T  (>  1  HK 

remplacement  des  «  remplaçantes  »  fut  attribué,  par  le  courtisan 
Dionis,  au  grand  appétit  du  futur  roi  Soleil,  (V.  notre  Corps, 
hunid'iit.) 

C'est  toujours  à  notre  savant  confrère  que  nous  empruntons  les 
détails  relatifs  aux  nourrices  de  ce  pi-incc.  «  La  pi-emicre  fut 
Elisabeth  Ancel,  femme  d'un  procureur  du  j'oi  au  bureau  des 
finances  d'Orléans;  elle  n'allaita  le  jeune  prince  que  trois  mois; 
Perrette  ou  Pierrette  Dufour  remplaça  Elisabeth.  A  la  suite  de 
morsures  répétées,  il  lui  survint  des  «  duretés  dans  les  mamelles  » 
qui  l'obligèrent  à  suspendre  ses  fonctions  pendant  quelques  jours. 
La  guérison  fut  prompte,  et  la  reine,  superstitieuse,  y  ^  it  un 
miracle  :  après  avoir  recommandé  à  sainte  Anne,  sa  patronne,  les 
seins  de  la  nouri-ice,  elle  fit  toucher  une  relique  envoyée  par  le 
grand  maître  de  Malte  ».  Ces  meui'trissures  du  petit  glouton  ne 
donnent-elles  pas  raison  aux  étymologistes  qui  font  dériver 
mamcUv  du  mot  grec  ninssd,  pétrir,  mordre. 

La  veuve  Scarron  aux  ordres  des  nourrices  de  la  favo- 
rite. —  En  KitiT,  !M"'*'  de  Maintenon  devient  gou\'ernante  des 
enfants  du  roi  ;  mais  dans  la  crainte  de  perdre  cette  considération 
dont  elle  était  si  jalouse,  elle  remplissait  sa  charge  en  secret  et  se 
plaignait  des  tracas  qu'elle  lui  occasionnait  :  «  Cette  sorte  d'honneur 
singulier  m'a  donné  des  peines  et  des  soins  infinis.  Les  nourrices 
ne  mettoient  la  main  à  rien,  de  peur  que  leur  lait  ne  se  gâtât. 
J'allois  de  Tune  à  l'autre,  à  pied,  déguisée,  portant  sous  mon 
bras  du  linge,  de  la  viande,  et  je  passois  quelquefois  les  nuits  chez 
un  de  ces  enfans,  malade  dans  une  petite  maison  hors  de  Paris. 
Je  rentrois  chez  moi  par  une  petite  porte  de  derrière  et  j'allois  le 
soir  aux  hôtels  d'Albret  et  de  Richelieu.  Afin  qu'on  ne  crût  pas 
que  j'avois  un  secret  à  garder,  de  peur  qu'on  ne  le  pénétrât,  je 
me  faisois  soigner  pour  m'empêcher  de  rougir  (1).  » 

Lait  empoisonné.  —  Les  Mémuires  de  Madame  disent  formel- 
lement que  la  duchesse  de  Fontanges  est  morte  empoisonnée  et 
qu'elle  a,  elle-même,  accusé  de  sa  mortla  Montespan.  Un  laquais, 
que  celle-ci  avait  gagné,  l'aurait  fait  périr  avec  du  lait. 

Ainsi  le  lait,  qui  jouit  de  la  réputation  d'être,  par  excellence,  un 

(i)  Madtnne  de  Mainleiion  peinte  pur  elle-nuhne. 


FAITS    I. i;(;i:m).viri:s    f.t    iiisToiiiur  i;s 


contrepoison,  aurait  servi  de  véhicule  à  une  substance  toxique, 
^lais  sur  cet  empoisonnement,  et  sur  celui  dont  Madame  elle-même 
aurait  été  victime,  il  n'existe  que  des  conjectures.  La  «  belle  et  la 
bête  ))  duchesse  de  Fontanges  semble  plutôt  avoir  succombé  aune 
affection  de  Tutérus  ou  de  ses  annexes,  hypothèse  que  justifie 
le  mot  cruel  de  M™®  de  Sévigné  :  «  Elle  expira  blessée  au  service 
du  roi.  »  Quant  à  Marie-Thérèse,  morte  deux  ans  après,  il  n'y  a 
pas  d'erreur  :  elle  fut  bel  et  bien  ((  hémétiquée  »  par  Fagon, 
seciindum  arteitt. 

M'"'  des  Œillets  et  le  régime  lacté.  —  La  mort  de  cette  comé- 
dienne, de  l'Hùtel  de  Bourgogne,  survienne  après  une  assez  longue 
maladie,  le  25  octobre  1670,  fut  annoncée  à  M.  de  Mérille,  premier 
valet  de  chambre  de  iNIonsieur,  par  l'acteur  Raimond  Poisson, 
dans  une  lettre  où  les  médecins  de  l'actrice  sont  fort  malmenés  : 
«  Monsieur,  j'ai,  sur  la  foi  des  médecins,  été  prêt  de  vous 
régaler  à  Chambort  de  la  convalescence  de  Mademoiselle  des  (Eil- 
lets  ;  et  puisque  vous  en  êtes  de  retour,  je  vous  diroi  seulement 
qu'elle  eût  été  bien  aise  de  satisfaire  à  la  passion  qu'elle  avoit  de 
vous  voir  encore. 

Mais  malheureusement  elle  vient  de  mourir. 
Baralis  et  Braver  alloient  la  secourir... 
Ils  tenoient  le  coup  sûr,  leurs  remèdes,  leurs  veilles, 
Et  ce  qu'ils  en  disoient,  promettoient  des  merveilles  ; 
Ce  que  depuis  trois  jours  ils  avoient  projette. 

Nous  assuroit  de  sa  santé  : 

Tous  deux,  en  la  trouvant  sans  fievi-e, 
Dirent  qu'elle  prendroit  huit  jours  le  lait  de  chèvre. 
Et  que  celui  de  vache  après  l'alloit  guérir; 
Surtout  qu'il  ne  falloit  lui  donner  que  mi-tiède; 
.fe  pense  que  c'étoit  un  excellent  remède. 
Mais  malheureusement  elle  vient  de  mourir. 

«  Voilà,  JNIonsieur,  comme  la  mort  trompe  les  gens  et  comme  elle 
se  rit  des  ordonnances  et  des  pronostics  de  ces  fameux  médecins  !  )> 
Errare  medicuni  est. 

Horreur  du  lait  de  vache.  —  La  marquise  de  Créquy,  parmi 
les  mille  et  une  «  contasseries  »  de  ses  Souvenirs,  signale  une 
manie  de  M™"  la  comtesse  de  Blot  de  Chauvio-nv,  dame  d'atours  de 


88  Li:S     SK1?>S     DANS     l/mSTOIIÎE 

la  duchesse  de  Chartres,  qui  faisait  Tadmiration  du  Palais-Royal, 
sous  la  Régence.  Cette  adorable  petite  maîtresse  observait  une 
diététique  éthérée  des  plus  ridicules;  c'était  ce  que  l'on  appelait 
alors  une  ndjauréc  et,  plus  tard,  une  minaudière ,  descendantes 
des  pri;ci<'uscs  ridicules  du  siècle  précédent. 

M""'  la  comtesse  ne  voulait  b(^ire  que  du  lait  de  brebis  «  qui  sert 
pour  alimenter  les  agneaux  ».  Elle  avait  horreur  du  lait  de  vache 
«  avec  lequel  on  nonrrit  les  veaux,  des  êtres  sans  grâce  et  sans 
esprit».  Elle  ne  pouvait  souffrir  l'idée  d'avoir  «  une  sorte  d'inti- 
mité nutritive  avec  une  vache  ».  Fi  donc!  D'une  conversation 
qu'elle  eut  avec  la  maréchale  de  Luxembourg,  nous  épinglons 
cette  perle  :  «  Je  disais  l'autre  jour  à  ]M.  de  Buffon  :  «  Puisqu'il 
faut  du  lait  dans  la  nature,  pourquoi  les  colombes  ne  nous  en 
fournissent-elles  pas? —  C'était  parler  comme  un  ange,  observe  son 
interlocutrice.  Oserai-je  vous  demander  ce  que  M.  de  Buffon 
vous  a  répondu  ?  — ■  Il  a  pris  je  ne  sais  pourquoi  la  chose  en 
plaisanterie,  il  m'a  conseillé  de  ne  boire  que  du  lait  d'amandes.  » 

Le  harem  de  Pierre  le  Grand.  —  Autre  racontar  de  la  mar- 
quise potinière.  Lors  de  la  visite  du  czar  Pierre  P'',  à  Paris,  la 
plupart  des  suivantes  de  la  czarine  allaitaient  des  poupons  :  <(  Lors- 
qu'on avait  l'air  d'y  prendre  garde,  elles  vous  disaient  à  l'envi  l'une 
de  l'autre,  avec  un  air  de  fierté  jubilatoire  :  «  —  C'est  Sa  Majesté 
l'Empereur  qui  m'a  fait  l'honneur  de  me  faire  cet  enfant-là.  » 

Le  charpentier  couronné  et  vicieux,  qui  usa  sa  vie  par  les  deux 
bouts,  était,  en  effet,  à  la  hauteur  de  sa  réputation  et  pouvait  se 
prétendre,  non  sans  raison,  le  vrai  père  de  ses  sujets. 

Opinion  de  J.-J.  Rousseau  sur  les  seins.  —  A  vingt  ans,  le 
«  citoyen  de  Genève  »  était  fort  sensible  à  la  beauté  des  seins  : 
«  Je  ne  crains  rien  tant  dans  le  monde,  disent  ses  Confessions, 
qu'une  jolie  personne  en  déshabillé  ;  je  la  redouterois  cent  fois 
moins  parée.  Mademoiselle  de  Menthon,  chez  qui  j'allois  l'après- 
midi,  l'étoit  toujours,  elle  mefaisoit  une  impression  tout  aussi  douce, 
mais  difïérente...  Elle  avoit  au  sein  la  cicatrice  d'une  brûlure  d'eau 
bouillante,  qu'un  fichu  de  chenille  ne  cachoit  pas  extrêmement. 
Cette  marque  attiroit  quelquefois  de  ce  côté  mon  attention,  qui 
bientôt  n'étoit  plus  pour  la  cicatrice.  » 


F  A  II"  s     I,  K(i  H:?x  MAIRES     Kl'     H  I  S  T  <»  Il  I  H  U  E  S  S9 

Plus  loin,  il  déshabille  sa  protectrice,  Madame  d'Epinay  :  <(  Elle 
était  fort  maigre  ;  de  la  gorge  comme  sur  ma  main  et  d'autres 
causes  inutiles  à  dire.  Ce  défaut  eût  suffi  pour  me  glacer  :  jamais 
mon  cœur  ni  mes  sens  n'ont  su  voir  une  femme  dans  quelqu'un 
(jui  n'eût  pas  de  téton,  »  La  pauvre  n'avait  pas  la  ressource  de 
M""^  de  Courval  (^P*"  de  Yersel,  de  ses  Mémoires),  sa  rivale  dans 
le  cœur  de  Francueil,  qui,  dit-elle  malicieusement,  «  fait  des  révé- 
rences en  religieuse,  pour  montrer  sa  belle  gorge  ».  Et  pourtant 
George  Sand  parle  d'un  portrait  de  W"  d'Epinay,  qu'elle  a  eu  en 
sa  possession,  où  malgré  sa  laideur  et  sa  maigreur  elle  était  repré- 
sentée en  Naïade,  «  c'est-à-dire  avec  aussi  peu  de  costume  que 
possible  ».  Est-ce  faiblesse  de  constitution  mammaire,  incapacité 
notoire  ou  toute  autre  cause  qui  obligea  la  bienfaitrice  du  misan- 
thrope aigri  à  mettre  en  nourrice  ses  trois  enfants,  dont  un  illé- 
gitime? 11  est  vrai  que  1'  «  ours  »  de  l'Ermitage,  n'avait  pas  encore 
parlé  aux  mères. 

Bientôt  l'insuffisance  mammaire  de  ]\P^  d'Epinay  sera  d'au- 
tant plus  frappante  que,  pour  paraître  nourrir  ses  enfants,  il  sei-a 
de  mode  d'étaler  une  luxuriante  ampleur  de  poitrine.  Diderot  nous 
a  laissé  de  M"®  d'Ette,  maîtresse  du  chevaher  de  Valory  (1760), 
un  crayon  peu  flatté  :  «  Son  visage  est  comme  une  jatte  de  lait 
sur  laquelle  on  a  jeté  des  feuilles  de  roses,  et  des  tétons  à  servir  de 
coussins  au  menton,  les  fesses  à  l'avenant;  du  moins  je  le  présume.  » 
iXotre  philosophe  nous  semble  oublier  ici  son  conseil,  donné  à 
ceux  qui  écrivent  sur  les  femmes,  de  tremper  leur  plume  dans  les 
couleurs  de  l'arc-en-ciel  et  de  saupoudrer  leur  papier  de  la 
poussière  des  ailes  du  papillon  !  Ainsi,  dans  la  seconde  moitié  du 
xviii^  siècle,  nous  en  sommes  revenus  à  l'opulence  pectorale,  aux 
«  amplitudes  désolantes  »  de  la  cour  de  Charles  11;  tel  était  le 
ton,  la  /iishioit. 

Xous  avons  parlé  ailleurs  (1)  du  «  téton  borgne  »  de  la  Zulietta, 
dont  Rousseau  fut  si  péniblement  impressionné  à  \"enise  :  cette 
difformité  n'a  pourtant  rien  de  repoussant.  Combien  de  femmes 
perdent  un  mamelon,  à  la  suite  de  crevasses  profondes,  et  n'en 
sont  pas  moins  fort  appétissantes  ! 

Découpons   encore    dans    les  Confessions  une  anecdote  qui  se 

(Ij  Cmnos..  p.  9. 


LES     SRINS     DANS     i.    HISTOIRK 


rattache  aux  seins.  Il  s'agit  crun  tour  que  M""  de  Menthon,  mère 
de  la  jeune  fîlle  dont  il  est  question  plus  haut,  joua  à  la  «  maman  » 
de  Jean -Jacques  Rousseau,  M"'"  de  Warens  :  «  M"""  de  Men- 
thon dit  un  jour  à  un  des  gentilshommes  du  voisinage,  en  visite 
chez  M""'  do  \\\arens,  que  celle-ci  n'étoit  qu'une  précieuse, 
qu'elle  n'avoit  point  de  goût,  qu'elle  se  mettoit  mal,  qu'elle  cou- 
vroit  sa  gorge  comme  une  bourgeoise.  Quant  à  ce  dernier  article, 
lui  dit  le  visiteur,  qui  étoitun  plaisant,  elle  a  ses  raisons,  et  je  sais 
qu'elle  a  un  gros  vilain  rat  empreint  sur  le  sein,  mais  si  ressem- 
blant qu'on  diroit  qu'il  court.  Madame  de  Menthon  résolut  de  tirer 
j)arti  de  cette  découverte  ;  et  un  jour  que  maman  étoit  au  jeu  avec 
l'ingrat  favori  de  la  dame,  celle-ci  prit  son  temps  pour  passer  der- 
rière sa  rivale,  puis  renversant  à  demi  sa  chaise,  elle  découvrit 
adroitement  son  mouchoir  :  mais,  au  lieu  du  gros  rat,  le  monsieur 
ne  vit  qu'un  objet  fort  différent,  qu'il  n'étoit  pas  plus  aisé  d'ou- 
blier que  de  voir,  et  cela  ne  fit  pas  le  compte  de  la  dame.  » 

Ce  gentilhomme  campagnard  s'était  payé  la  tête  de  son  interlo- 
cutrice ;  M"''  de  Warens  avait,  en  effet,  les  seins  très  beaux,  et 
Jean-Jacques  n'a  pas  manqué  de  relever  ce  détail  dans  le  portrait 
qu'il  a  tracé  de  sa  protectrice  :  «  Elle  avoit  un  air  caressant  et 
tendre,  un  regard  très  doux,  un  sourire  angélique,  des  cheveux 
cendrés  d'une  beauté  peu  commune  et  auxquels  elle  donnoit  un 
tour  négligé  qui  la  rendoit  très  piquante.  11  était  impossible  de  voir 
une  plus  belle  tète,  /tn  plus  beau  sein,  de  plus  belles  mains  et  de 
plus  beaux  bras.  »  Ce  croquis  de  Rousseau  est  d'accord  avec  un 
])ortrait  de  M"""  de  Warens,  par  Largillière,  qui  est  au  musée  de 
Boston  ;  «  maman  »  y  est  représentée  les  bras  nus,  vêtue  d'une 
robe  bleue,  bordée  d'une  bande  de  soie  feuille  morte,  décolletée  en 
pointe  et  laissant  voir,  sous  quelques  bouillons  de  dentelle,  une 
poitrine  éblouissante  de  blancheur. 

Conséquences  funestes  de  la  lactomanie. — La  marquise 
de  Créquy,  dans  ses  Souvenirs,  critique  sévèrement  la  manière 
de  nourrir  les  enfants,  àl'époquede  Rousseau,  et  n'hésite  pas  à  qua- 
lifier la  lactomanie  «  d'inconcevable  folie  de  ce  temps-là  r.  : 
«  D'abord  on  commençait  par  les  allaiter  soi-même  ;  on  n'avait  que 
du  mauvais  lait  à  leur  donner,  et  même  on  n'en  avait  pas  du  tout  ; 
mais  c'était  égal  :  —  à  la  Jean-Jacques  !  \  ous   pensez   bien    que 


FAITS     LKC.  EM)AIRi:s     K  T     H  I  S  T  0  H  I  H  U  K  S  91 

tous  les  enfans  de  ce  temps-là  n'étaient  pas  assez  résolument  con- 
stitués pour  résister  à  une  nourriture  insuffisante  ou  de  qualité 
chétive  ;  il  en  mourait  les  deux  tiers  à  la  mamelle,  et  le  surplus  n'en 
échappait  que  pour  aller  mourir  d'élisie,  après  dix-huit  ou  vingt 
années  de  souffrance  continuelle  et  de  consomption.  Mesdames  de 
Rieux,  d'Est aing,  de  Lusignan  et  de  Goufïier  s'étaient  opiniâtrées 
à  nourrir  leurs  poupons,  attendu  que  le  lait  et  la  sollicitude  d'une 
mère  ne  sauraient  être  remplacés  par  le  lait  et  les  soins  d'une  mer- 
cenaire, etc.  Ce  qu'il  en  est  arrivé,  c'est  que  les  héritiers  sont  allés 
ad  patres,  ainsi  qu'on  aurait  dû  le  pressentir  avec  de  pareilles 
nourrices.  La  soUicitudc  maternelle  àa  ces  Dames  ne  s'étant  exer- 
cée que  sur  les  garçons,  il  ne  leur  est  resté  que  des  fdles,  et  quand 
M.  de  GoufTier  rencontrait  chez  moi  Jean-Jacques  Rousseau,  il  ne 
manquait  pas  de  me  dire  :  «  C'est  pourtant  grâce  à  lui  que  ma 
maison  va  se  trouver  éteinte,  vilain  songe  creux  !  —  Mais  mon 
Dieu,  Madame,  qu'est-ce  que  c'est  donc  que  la  maison  de  Gouf- 
fier,  me  demanda-t-il  ensuite  (Jean-Jacques).  Avez-vous  jamais 
ouï  parler  de  l'amiral  de  Bonnivet  ?  —  Sans  aucun  doute.  X'avez- 
vous  rien  lu  sur  les  ducs  de  Roannez  ?  —  Voilà  par  exemple  une 
famille  dont  je  ne  sais  rien  du  tout.  —  Eh  bien,  lisez  l'histoire  de 
France  avant  de  faire  des  li\res  sur  l'éducation.  A  la  place  du 
marquis  de  GoufTier,  je  vous  étranglerais  !  » 

Naissance  de  Louis  XV.  —  Plusieurs  pronostics  attristants 
entourèrent  le  berceau  de  ce  monarque  :  le  courrier,  envoyé  de 
Versailles,  pour  annoncer  sa  naissance,  fait  une  chute  mortelle  ; 
l'aumônier  ne  peut  ondoyer  l'enfant  parce  que  la  mort  vient  le  sur- 
prendre ;  enfin  les  premières  nourrices  succombent  à  leur  tour.  En 
présence  de  ces  événements  malheureux,  le  roi  se  reprochait 
d'avoir  donné  à  son  rejeton  le  nom  de  duc  de  Berry,  qui  porte 
malheur. 

Éloquence  de  la  chair.  —  Rachaumont  rapporte  dans  ses 
Mrmoirvs,  à  la  date  du  29  janvier  1703,  l'histoire  plaisante  d'une 
supplique,  présentée  à  l'audience  d'un  intendant,  par  une  jeune  et 
jolie  fille  qui  eut  recours  à  l'argument  ad  ho^ninem  et  décisif  de 
Phryné  :  «  Qu'y  a-t-il  pour  votre  service,  belle  enfant,  dit  Monsei- 
gneur en  lorgnant  la  solliciteuse? —  C'est  unplacet.  —  Un  jdacet  ? 


92  I.KS     SKINS     !)A:;s     I,    mSTOIHK 

ah!  11  n'y  a  rien  que  de  juste,  sans  doute  :  un  ange  comme  vous 
doit  avoir  raison.  Si  vous  étiez  aussi  favorable  à  ma  demande!  » 
En  môme  temps,  ses  mains  libertines  avaient  laissé  échapper  le 
placet  pour  des  attouchements  plus  délicieux  :  ((  Eh  !  mais.  Mon- 
seigneur, vous  n'y  songez  pas...  ;  lisez.  »  Xotre  Agnès  ramasse  le 
placet,  et,  en  se  baissant,  découvre  à  Tintendant  de  nouveaux 
charmes.  Sa  grandeur  n'y  tient  point,  et,  de  gré  ou  de  force,  il 
fait  exaucer  sa  requête.  Revenu  à  lui,  la  cause  de  la  demoiselle 
est  gagnée  avant  qu'il  l'ait  sue.  Le  bel  ange  s'envole  rapidement, 
et  monseigneur  parcourt  le  placet...  Quelle  surprise  !  c'était  une 
j)lainte  contre  un  chirurgien  ignorant  ou  fripon...  Depuis  ce  temps, 
Monseigneur  a  pris  la  coutume  de  lire  les  placets  avant  de  pré- 
senter le  sien.  » 

Etait-elle  bèu'ue  de  naissance  ou  de  circonstance,  cette  autre 
solliciteuse,  (jui  l'œil  en  coulisse,  le  corsage  ouvert,  présente  une 
requête  à  un  haut  personnage  et  le  jji'ie  instamment  de  <(  l'aposti- 
tiller?  )) 

Miaulée  bourguignonne.  —  La  nourrice  qui  allaita  M"""  de 
Gcnlis,  étant  grosse  de  quatre  mois,  la  gava  de  mie  de  pain  et  de 
seigle,  passée  dans  un  tamis  et  délayée  avec  de  l'eau  rougie, 
«  sans  lui  donner  jamais  une  seule  ooutte  d'aucun  lait  ».  Cette 
singulière  nourriture,  (|u"on  appelait  en  Bourgogne,  delà  jjiiaidre 
(1740),  réussit  parfaitement  à  la  petite  Stéphanie,  mais  nous  ne 
saurions  engager  les  mères  à  la  substituer  au  lait  de  nourrice  ni 
même  au  lait  stérilisé. 

Tarif  des  nourrices  anglaises,  en  1768  —  La  déposition  de 
l'accoucheur  Hunter,  dans  le  procès  en  divorce  du  duc  et  delà 
duchesse  de  Grafton,  nous  apprend  qu'aussitôt  après  l'accouche- 
ment clandestin,  il  donna  à  la  nourrice  une  guinée  «  petite  douceur 
qui  se  fait  toujours  »  ;  ensuite,  il  lui  payait  une  guinée  et  demie 
par  mois,  soit  38  francs  pour  élever  l'enfant  adultérin  que  la  du- 
chesse «  gagna  »  (1)  de  son  amant,  milord  Ossory. 

Sur  le  marquis  de  Sade.  —  Restif  de   la  Bretonne    a,    entre 

i  1 1   La  tartuferie  britannique  veut  que    1  On  dise  «  gagner»,  au  lieu  de  «  l'aire  >< 
un  enfant  ;  nous  ne  voyons  [las  où  es!  !(>  «  gain  »  dans  cette  affairv'. 


FAITS     1.  K(.  F.  M)AI  ItKS     Fi'      H  1  S  T  ()  Il  I  O  F  F  S  93 

autres  méfaits  et  sui'  la  foi  des  papotages  des  commères  de  Tépoque, 
attribué  au  marquis  de  Sade  la  tentative  de  «  disséquer  une 
femme  toute  en  vie  »  et  cela  dans  une  salle  d'anatomie  et  en  pré- 
sence de  plusieurs  personnes  !  La  victime  de  cet  atroce  projet, 
d'après  le  récit  de  l'auteur  des  Niiils  de  Paris  (1),  serait  parvenue 
à  briser  ses  liens  et  à  s'enfuir  par  la  fenêtre  ! 

Le  personnage,  dont  le  nom  a  fourni  au  vocabulaire  l'épithète  de 
«  sadique  )>,  aurait  satisfait  sur  cette  malheureuse  sa  passion  effré- 
née, avec  des  raflinements  imaginés  par  un  sens  génésique  en 
délire.  Après  l'avoir  grisée,  le  tortionnaire  l'aurait  fait  déj)ouillerde 
ses  vêtements  par  ses  gens,  qui  rattachèrent  sur  une  table.  Laissé 
seul,  en  tête  à  tête  avec  la  belle,  il  lui  aurait  tailladé  les  bras,  le 
corps  et  ouvert  les  seins  avec  une  lancette,  avant  de  se  livrer  sur- 
cette  femme  à  ses  débauches  habituelles  (2). 

Il  est  probable  que  le  fait  s'est  réduit  à  une  escapade  renouvelée 
delà  Régence.  Après  un  souper  fin,  dans  sa  maison  d'Arcueil,  il 
voulut  sans  doute  exiger  quelque  complaisance  extra-conjugale  de 
son  invit^ée,  une  fille  publique  d'ailleurs  —  Rose  Keller  —  qui  prit  au 
sérieux  la  fumisterie  du  marquis  et  se  sauva,  sans  chemise,  au 
poste  le  plus  voisin,  pour-  déposer  une  plainte,  qu'elle  relira,  du 
reste,  moyennant  une  indemnité  de  cent  louis.  Le  marquis  n'en  fit 
pas  moins  six  semaines  de  prison  au  château  de  Pierre-Encise,  à 
Lvon,  après  avoir  été  condamné  à  six  mois  de  réclusion  ;  il  mourut 
en  1814  à  Charenton,  où  le  premier  Consul  l'avait  fait  enfermer 
comme  fou.  En  réalité,  son  crime  était  d'avoir  écrit  un  pampldet 
contre  l'immaculée,  nous  allions  dire  l'immatriculée,  Josépliine  de 
Beauharnais(3). 

L  aube  et  le  crépuscule  des  seins,  à  la  cour  de  Louis  XV 

—  Lors  de  son  dernier  voyage  à  Fontainebleau,  les  assiduités  du 
roi  auprès  de  sa  nièce  inquiétèrent  la  Du  Barry  qui,  jusque-là,  afîec- 

(1)  Voir  le  récit  de  eette  aventure,  dans  la  194°  ^iiit. 

(2)  D"après  le  procès-verbal,  dressé  par  l'un  des  commissaires  du  Chàtelet  et 
transcrit  par  Charles  Desmazes,  dans  le  Chàtelet  de  l'avis,  le  marquis  fut  j)révenu 
«  d"avoir.  à  Arcueil,  déchiqueté  à  coups  de  canif  une  femme,  qu"il  avait  (ait 
mettre  nue  et  attacher  à  un  arbre,  d'avoir  versé  sur  les  plaies  saignantes  de  la 
cire  à  cacheter  brûlante.  » 

(3)  Consulter  Dibliof/raphie  et  icono;/rajjlile  de  tims  les  om-nif/es  île  lleslif  de 
La  Bretonne,  j)ar  l'.-L.  .Jacob,  ])i])li()phile  J'aris.  Fontaine,  1875,  in-8"  ;  p.  4IS;  et 
Cabanes,  loc.  cit. 


94  I,  KS     SKINS     DAxNS     I,  "niSI(HI!K 


(ail  (le  craindre  peu  les  charmes  de  la  jeune  vicomtesse.  Et  cepen- 
dant ces  charmes  ne  passaient  pas  inaperçus  et  on  les  célébra  sur 
1  ail'  d'un  couplet  de  Julie  : 

Lison  clurmait  dans  un  Ijocage 
Ua  bras  par  ci.  ini  bras  par  là. 

Voici  ce  pastiche  galant,  recueilli  par  Pidansat  de  Mairo- 
bert  : 

Kst-il  l)eauté  plus  accomplie"? 

Hébé,  Vénus...  oui,  la  voilà. 

Voyez  sur  sa  gorge  jolie 

Ce  bouton-ci,  ce  bouton-là  ; 

Cette  taille  fine  et  légère  : 

Et  plus  bas,  plus  bas...  halte-là; 

C'est  la  cachette  du  mystère. 

Vers  son  déclin,  la  gorge  de  la  favorite  «  désormais  trop  volu- 
mineuse, avoit  perdu  son  élasticité  »;  les  épigrammatistes  s'en  gau- 
dissaient,  témoin  ce  couplet  féroce  à  l'adresse  des  princes  qui  se 
disputaient  l'honneur  de  faire  leur  cour  ji  la  comtesse  «  Du  Tonneau  »: 

Le  seul  honneur  que  ce  tripot  s'arrache 

C'est  le  matin  de  voir,  en  cotillon, 

La  Du  Barry,  qui  rit  et  sur  eux  crache, 

En  relevant  son  quintal  de  téton, 

(Jue  son  Uamor,  des  nègres  le  bardache, 

Toutes  les  nuits  prend  à  profusion. 

Ramor  fait  allusion  à  Zamor,  le  négrillon  favori  de  la  Du  Barry 
qui  la  dénonça  à  son  retour  d'Angleterre. 

Nouvelle  Danaé.  —  La  comtesse  de  Montauban,  raconte 
M""  de  Genhs,  était  très  joueuse.  Or  un  certain  soir,  au  Palais- 
Royal  (1770),  un  joueur,  debout  derrière  elle,  voulut  prendre  par- 
dessus son  épaule  une  poignée  de  louis  qu'il  venait  de  gagner;  en 
retirant  le  bras,  il  en  laissa  tomber  un  certain  nombre,  dans  le 
corsage  de  la  comtesse,  qui  se  retourna  en  lui  disant  :  «  Eh 
quoi  !  Monsieur,  me  prenez- vous  pour  une  Danaé  ?  »  M™"  de  Mon- 
tauban se  leva  pour  se  secouer  et  faire  tomber  cette  pluie  d'or,  et 
le  joueur  de  s'écrier  qu'elle  faisait  (jros  ventre  et  yros  dos,  pour 
garder  une  partie  de  la  somme.  La  comtesse  se  remit  au  pharaon, 
en  disant  que  Ton  donnait  vingt-quatre  heures  pour  payer  les  dettes 


F  A  II  s    1,  K(;  i:.\i)Ai  it  i;s    i:r    iiision  lui!  ks  Uij 

de  jeu,  et  que  son  créancier  pouvait  bien  attendre  jusqu'au  lende- 
main. En  effet,  en  se  déshabillant,  elle  retrouva  quelques  louis  qui 
furent  ponctuellement  restitués  à  qui  de  droit. 

Louis  XV  à  lagonie.  —  On  sait  que  le  «  Bien-aimé  »  ou  plutôt 
le  «  Trop-aimé  >>,  atteint  une  première  fois  de  la  variole,  en  1728, 
le  fut  une  seconde  fois,  en  1774,  et  qu'il  en  mourut,  dans  sa 
soixante-cinquième  année,  «  malij;'ré  les  prières  publiques,  les  Te 
l)('ii//i,  Fexposition  de  la  châsse  de  Sainte-Geneviève  et  tout  le  tra- 
lala de  la  superstition  ».  Deux  ou  trois  jours  avant  sa  mort,  le  corps 
enflé  et  couvert  de  pustules  horribles  et  infectes,  empoisonné  par 
leur  suppuration  et  miné  par  une  lièvre  délirante,  le  roi  manifesta  le 
désir  de  voir  une  dernière  fois  sa  maîtresse,  Cotillon  111.  «  Le  valet 
de  chambre,  Laborde,  introduisit  la  Du  JJarry  auprès  (ki  monarque. 
Le  moribond,  bien  que  très  abattu,  eut  encore  la  force  de  saisir 
les  mains  et  le  scia  de  sa  maîtresse,  en  témoignant  le  regret  de 
perdre  tant  de  beautés  (1).  » 

Ainsi,  à  l'article  de  la  mort,  le  vieux  patineur  pensait  encore  à 
fourrager  dans  les  corsages  ! 

Première  grossesse  de  Marie-Antoinette.  —  Après  huit 
aimées  de  mutisme  matrimonial,  imposé  par  son  phimosis, 
Louis  XVI  se  décida  à  se  faire  couper  le  fiict  et  devint  éloquent 
auprès  de  sa  femme  qui,  «  le  printemps  aidant  (19 mars  1778),  com- 
mença sa  première  grossesse.  »  Elle  choisit  pour  accoucheur  Ver- 
mond  (2),  frère  du  lecteur  de  la  reine.  Les  professionnels  ufliciels 
virent  cette  nomination  dun  mauvais  œil  et  ne  furent  sans  doute 
pas  étrangers  aux  méchants  propos  qui  coururent  sur  le  «  lour- 
daud et  ignare  »  confrère.  On  lui  prêtait  des  réflexions  dans  le  goût 
de  celle-ci  :  «  La  reine,  avançant  dans  sa  grossesse,  s'était  plainte, 
un  jour,  à  Vermond  d'être  plus  grosse  que  de  raison  :  «  Songez 
Madame,  aurait  répondu  le  balourd,  que  vous  êtes  ventrue!  »  Une 
autre  fois,  la  princesse  se  trouvait  la  gorge  trop  volumineuse  : 
<(  C'est  que,  avait-il  n'pliqué,  vous  êtes  naturellement  téton- 
nière  (3).  » 

(1)  Soulavie,  Méiu.  hist.  et.  polit,  du  réf/ite  de  Louis  XVI  ;  cité  par  le  U'  Cahanès 
dans  le  Cabinet  secret  de  ridatoire  (!'"  série). 

(2)  Voir  nos  Accouchements  à  la  Cour. 
('•'j)  D'  Cabanes,  loc.  cil. 


iHj  1 . 1', S    S 1  : i .\ s    DANS    I .  H  I S  r (» iii i: 

«Quoi  qu'il  en  soit,  au  début  du  troisième  mois,  le  doute  n'étant 
j)lus  permis,  le  2i  mai,  la  reine  obtint  l'élargissement  de  tous  les 
pères  détenus  pour  n'avoir  pas  payé  les  mois  de  nourrice  de  leurs 
enfants  :  «  Si  le  ciel,  dit-elle,  me  fait  la  grâce  d'accoucher  heureu- 
sement, je  ferai  en  sorte  qu'il  n'y  ait  plus  de  ces  malheureux.  » 
Elle  déclara  vouloir  «  vivre  en  mère,  nourrir  son  enfant  et  se  con- 
sacrer à  son  éducation  ».  Le  roi  consent  à  ce  que  la  reine  nour- 
risse, si  elle  accouche  d'un  Dauphin  ;  mais  il  hésitera  s'il  survient 
une  fille  »  (1).  Or  ce  fut  une  princesse  que  le  ciel  envoya,  au  grand 
désappointement  du  couple  royal.  Mais  bien  que,  à  son  second 
accouchement,  la  reine  eût  un  fils,  Louis  XVII,  elle  oublia  sa  pro- 
messe et  passa  la  main,  c'est-à-dire  le  sein,  à  une  nourrice. 

Pudeurs  ultimes.  —  Xous  avons  déjà  parlé  (2'  de  l'incident  qui 
fit  ouvrir  le  corsage  de  Charlotte  Corday  devant  le  Tribunal  révo- 
lutionnaire, et  de  la  façon  dont  s'y  prit  Y  «  ange  de  l'assassinat  » 
pour  cacher  lestrésorsde  beautéqu'unmouvement  d'alarmeavait  mis 
à  nu  ;  la  pudeur  de  Marie-Antoinette,  au  moment  de  son  exécution  (16 
octobre  1793),  subit  une  épreuve  analogue.  M""*  de  Genlis  raconte 
qu'au  moment  où  l'exécuteur  arracha  violemment  le  mouchoir  de 
toile  qui  recouxrait  le  col  et  la  poitrine  de  la  souveraine  déchue, 
«  elle  en  fil  un  mouvement  d'indignation  toute  rt)yale  et  qui  parut 
intimider  les  bourreaux  ». 

Autre  trait  pudique  qui  se  rattache  à  la  toilette  funèbre  de  Ma- 
dame Elisabeth.  En  lui  liant  les  mains  derrière  le  dos,  le  bourreau 
releva  une  des  pointes  du  devant  de  son  fichu  :  «  Au  nom  de  la 
pudeur,  couvrez-moi  le  sein!  s'écria  la  sœur  de  Louis  X^'l  I  » 

La  malheureuse  Jeanne  Gray  eut  le  même  mouvement  de 
détresse,  d'après  le  récit  transmis  au  roi  de  France  par  M.  de 
Noailles  :  «  Elle  délaça  sa  rol)e  et  le  bourreau  luy  vouloit  a^der, 
mais  elle  lu\'  pria  de  la  laisser  faire  elle-mesme  et  se  tourna  vers 
une  gentille  femme  qui  luy  aida  ». 

Enfin,  d'après  Stendhal,  lorsque  sur  l'échafaud,  l'exécuteur  retira 
le  voile  de  Lucrèce  Petroni,  mère  de  Béatrix  Cenci,  elle  souffrit 
beaucoup  de  se  voir  exposée  aux  regards  de  la  foule,  les  épaules  et 
la  poitrine  nues;  mais,  sa  pudeur  fut  encore  offensée  par  la  posture 

(1)  D'  Cabanes,  loc.  cil. 

(2)  Anecd.  hist.,  p.  S.'i. 


FAITS     LKCKNDAIHKS     KT     11  I  ST  (»  li  1  O  L' K  S  97 

qu'il  lui  fallut  prendre  sur  la  planche  :  elle  opposa  une  si  vive  résis- 
tance aux  aides  du  bourreau  qu'elle  se  blessa  profondément  la  poitrine. 

Épisode  dans  les  prisons  de  la  Terreur.  —  La  princesse 
de  Carency,  incarcérée  au  Luxembourg,  simula  une  grossesse  pour 
reculer  l'exécution  de  son  arrêt  de  mort  ;  elle  essaya  plusieurs  fois 
de  s'empoisonner,  en  faisant  infuser  des  centimes  et  des  épingles 
dans  du  vinaigre,  ce  qui  lui  donnait  des  coliques  afTreuses,  sans 
autre  résultat.  «  Ensuite,  écrit  la  marquise  de  Créquy,  on  accourait 
pour  nous  requérir  de  livrer  notre  pitance  de  lait,  pour  en  faire 
boire  à  M""'  de  Carency  qui  venait  encore  de  s'empoisonner. 
Comme  le  lait  était  notre  principale  nourriture,  on  finit  pai*  se 
révolter,  en  lui  faisant  dire  que,  la  prochaine  fois,  on  la  laisserait 
aux  prises  avec  le  vert-  de-gris  et  la  colique  ;  ce  qui  lui  fit  passer 
la  manie  du  suicide  au  moyen  de  Toxide  de  cuivre.  » 

La  nourrice  de  Balzac-  —  C'est  à  Tours,  que  le  hasard  fit 
naître,  le  1*''  prairial  de  Tan  Vil  (20  mai  17*.)t>),  celui  qui  devait 
illustrerle  nom  de  Balzac.  ((  Ainsi  que  l'indiquent  les  lettres  N.  P.  E. 
(Nourri  Par  Etrangère),  inscrites  en  marge  sur  les  registres  de 
l'état  civil,  le  nouveau-né,  fut  confié  aux  soins  d'une  nourrice,  qui 
le  garda  jusqu'à  l'âge  de  quatre  ans.  M"'^  de  Surville  nous  apprend 
pourquoi  la  mère  de  Balzac  se  choisit  une  «  remplaçante  »  :  elle 
avait  perdu  son  premier  enfant  en  voulant  l'allaiter  (1).  ;> 

Testament  contre  le  décoUetage.  —  Un  ministre  du  comté 
dVorlv,  mort  en  1S()4,  légua  tout  son  bien  à  sa  fille  unique,  à  con- 
dition qu'elle  ne  se  marierait  pas  sans  le  consentement  des  deux 
exécuteurs  testamentaires.  11  ajoutait  que  si  sa  fille  Anna  persistait 
à  choquer  la  décence  de  son  sexe,  en  portant  des  vêtements  qui 
découvraient  le  cou  et  les  bras,  il  la  déshériterait  au  profit  d'une 
nièce;  car  «  dans  une  femme,  l'indécence  de  l'habillement  est  une 
mar(|ue  certaine  de  la  dépravation  de  l'âme  (2).  » 

Grossesse  de  Marie-Louise   —  «  Vers  le  milieu  du  sixième 

(1)  Renseignenieats  extraits  de  l'étude  consacrée  au  génial  auteur  de  la  Comé- 
die humaine,  par  le  D''  Cabanes,  dans  la  Chronique  médicale. 

(2)  Les  pei'sonnafjes'  siiuiuUer.s. 

LES    SEINS    DANS    l'HISTOIKE.    —    I.  7 


1)8  I.KS     SKINS     DArvS     1,     lllSIdllil". 

mois  de  sa  grossesse,  le  2  décembre  1810,  jour  anniversaire  de  la 
bataille  d'Auslerlitz  et  de  la  cérémonie  du  couronnement,  Tlmpé- 
ratrice  dota,  sur  sa  cassette  particulière,  douze  jeunes  filles  qui  se 
marièrent  le  môme  jour,  tandis  que  l'Empereur  créait  la  Socirté 
Maternelle^  dont  il  nomma  Marie-Louise  présidente  :  «  Cette  institu- 
tion a  pour  but  de  venir  au  secours  des  mères  de  famille  pauvres, 
ayant  plusieurs  enfants.  On  leur  donnait  des  soins  gratuits  pendant 
leurs  couches.  11  leur  était  délivré,  en  outre,  de  quoi  se  procurer 
du  vin,  du  bouillon  et  une  layette.  Enfin,  lorsqu'elles  avaient 
plusieurs  enfants,  elles  étaient  payées,  si  elles  nourrissaient  le 
dernier,  comme  l'aurait  été  une  nourrice  étrangère  (1).  » 

Incident  de  voyage.  —  En  passant  à  Pesaro,  patrie  de  Ros- 
sini,  Lucien  Bonaparte  n'avait  pas  l'intention  de  s'arrêter,  mais 
son  épouse  se  sentit  prise  de  douleurs  vives  et  craignait  d'accou- 
cher; il  loua  donc,  séance  tenante,  une  auberge  entière  et  fit  venir, 
des  environs,  plus  de  soixante  jeunes  femmes  pour  choisir  une 
bonne  nourrice.  «  La  plupart  de  ces  paysannes,  raconte  Kotzebue, 
fournirent  la  preuve  que  les  mœurs  de  la  campagne  ne  sont  pas 
encore  corrompues,  même  en  Italie.  Lucien  ne  voulait  pas  arrêter 
une  nourrice  sans  une  visite  préalable  du  médecin,  et  ces  paysannes 
avaient  tant  de  pudeur  qu'elles  ne  voulurent  pas  se  soumettre  à 
cette  visite.  L'une  d'elles,  qui  lui  convenait  mieux  que  les  autres, 
voulut  outre  cela  ne  pas  quitter  son  mari,  quoiqu'on  lui  offrit  deux 
scudi,  par  jour,  (environ  trois  écus  d'Allemagne)  et  deux  iial)ille- 
mens,  par  mois.  »  Heureusement,  Lucien  n'eut  pas  besoin  de 
nourrice,  sa  femme  se  rétablit  et  il  la  conduisit  en  bonne  santé 
jusqu'à  Milan. 

La  Censure  à  Vienne.  —  En  Autriche,  la  vieille  Anastasie 
est  aussi  bégueule  et  bébête  (|u'en  France  (2).  Xous  avons  vu  à 

(1)  D"-  Cabanes,  loc.  cil. 

(2)  A  la  cour  extra-pudibonde  de  François  II.  l'éducation  de  l'archiduchesse 
Marie-Louise  se  fit  avec  des  raffinements  qui  frisent  l'obscénité  :  il  n'y  avait  au 
palais  et  dans  ses  dépendances  que  des  serines  sans  serin,  des  chattes  ou  des 
chiennes  sans  chat  ni  chien,  des  poules  sans  coq  et  des  chevaux  hongres  ou 
des  juments,  pour  ne  pas  effaroucher  la  pudeur  d'une  princesse,  chez  qui  Napo- 
léon ne  verra  bientôt  qu'un  «  ventre  »  :  il  se  rappelait  ses  ascendantes  qui 
avaient  eu  entre  13  et  20  enfants  !  et  il  l'épousa  en  considération  de  leur  mer 
veilleuse  fécondité. 


FAITS     I.KCKNDAIRKS     F.T     H  F  S  T  0  lU  Q  U  F  S 


99 


Vienne,  exposée  dans  les  galeries  du  musée  de  l'Hôtel  de  \'ille, 
sous  le  n"  787,  une  gravure  (fig.  41)  à  laquelle  les  rigoureux 
■censeurs  de  1830  refusèrent  le  permis  de  publier  (1),  en  raison  de 


Fiu.  41. 


-son  indécence  !  Or  il  s'agit  de  la  reproduction  bien  anodine  de  la 
délicieuse  composition  de  Sicardi:  Oh!  Che  boccone!  Oh  !  quel  bon 
morceau  (2)  !  Elle  représente  Pierrot  fortement  impressionné  à  la 
vue  du  sein  de  la  coquette  et  rusée  Colombine,  qui  dort  d'un  œil 
«t  regarde,  de  l'autre,  l'effet  qu'elle  produit. 

Le    rond    de    cuir   autrichien,    préposé    à   la    sauvegarde    des 
bonnes  mœurs,  digne  précurseur  de  notre  fameuse  Ligue  contrôla 

(1)  Censurir  tes  Bild  ausdeni  iah\'e  (image  censurée  extraite  de  X Année). 
it)   Curio.silés  arlislhfiies.  fig.  lui.  p.  137. 


100  LKS     SKINS     DANS     1.    IlISl'OlltK 

licence  des  rues  :  «  Ah  !  cachez  ce  sein  que  je  ne  saurais  voir!  »  a 
labouri'  la  mamelle  gauche  de  la  friponne  d'une  grande  croix  à 
l'encre,  stigmate  d'obscénité.  Cet  hiéroglyphe  administratif  signifiait 
que  Tautorisation  ne  sera  accordée  qu'à  la  condition  de  recouvrir 
le  sein,  c'est-à-dire  de  faire  disparaître  le  sel  de  la  composition. 
Avant  la  proclamation  de  la  liberté  de  la  presse,  le  20  mars  1 848, 
la  rigide  censure  Viennoise  défendait  d'appeler  les  actrices  .l/rt*^/«wir 
ou  Mademoiselle  et  saisissait  les  gravures  de  modes  qui  n'avaient 
pas  un  corsage  suffisamment  hypocrite  (1).  Nos  «  Pères  la  Pu- 
deur »  n'en  sont  pas  encore  là,  heureusement,  bien  que,  des- 
cendant en  droite  ligne  des  Soslhène  de  la  Rochefoucauld  et  des 
Falloux,  qui  faisaient  vêtir  les  statues,  l'un,  de  feuilles  de  vignes  (2), 
l'autre,  de  caleçons  ;  simagrées  Hétries  par  Hégésippe  Moreau  : 

Devant  des  gailies  et  des  nus, 

Tartuffe  qui  s'indigne, 
Dans  nos  jardins  coiffe  Vénus 

D'une  feuille  de  vigne. 

Justice  sommaire  en  Egypte.  —  Une  femme  fellah  vient  se 
plaindre  à  Abbas  Pacha,  en  1841),  d'un  soldat  qui  lui  avait  pris  pour 
un  centime  de  lait  caillé  sans  le  payer.  Ablias  interroge  le  soldat, 
il  nie  :  «  Qu'on  lui  ouvre  l'estomac,  s'écrie  le  féroce  justicier  m. 
L'ouverture  est  faite  à  l'instant  même  :  le  corps  du  délit  apparaît. 
Et  si  par  aventure  il  ne  s'y  était  pas  trouvé  ?  Eh  bien,  Abbas 
Pacha  aurait  fait  pendre  la  laitière,  sans  autre  forme  de  procès; 
quant  au  soldat,  il  n'en  aurait  pas  moins  succombé. 

Certains  auteurs  attribuent  ce  méfait  à  Méhémet-Bey-Defterdar, 
gendre  de  Méhémet  Ali,  qui,  pour  la  cruauté,  n'avait  rien  à  envier 
à  son  beau-père. 

Avant  de  quitter  l'Orient,  signalons  la  prédilection  marquée  du 
sultan  actuel,  Abdul-Hamid,  pour  le  lait.  Celui  qu'il  boit  provient 
de  magnifiques  vaches  qu'il  fait  exclusivement  nourrir  de  poires 
et  de  pommes  d'Asie  Mineure  (3). 

(1)  Victor  Tissot.  Vienne  et  la  vie  viennoise. 

(2)  Leur  apparition  fut  saluée  dans  la  presse  indépendante  par  des  plaisan- 
teries, dont  la  finesse  masquait  quelque  peu  la  grossièreté;  telle,  cette  réflexion 
d'enfant  terrible,  devant  un  antique,  muni  de  sa  feuille  de  route  :  n  C'est  pas 
une  feuille  de  vigne,  maman,  mais  de  figuier...  j'aperçois  la  figue!  » 

(3)  Abdul-Hamid  chez  lui,  Georges  Dorys. 


FAITS     Li:(;  KNDAIKKS     Kl      11  I  S  T  ()  It  I  (j  T  K  S  101 

Baratte  improvisée.  —  Le  D'  G.  Crouigneau  (1)  raconte  que, 
pendant  un  voyage  en  Espagne,  Alexandre  Dumas  ne  trouva  pas 
d'autre  moyen  de  se  procurer  du  beurre  vraiment  frais,  que  d'atta- 
cher une  bouteille  à  moitié  pleine  de  lait  au  cou  de  sa  mule  :  «  En 
arrivant  à  chaque  étape,  il  cassait  la  bouteille  et  se  complaisait 
dans  la  dégustation  d'un  beurre  qui  lui  semblait  d'autant  meilleur 
qu'il  était  le  résultat  de  sa  propre  industrie  ». 

Nous  avons  parcouru  en  vain  les  deux  volumes,  de  Paris  à 
Cadix,  pour  y  découvrir  ce  procédé,  «  qui  fait  plus  d'honneur  à 
l'imagination  féconde  du  grand  romancier  qu'à  la  douceur  du  pas 
de  sa  bote  ». 

La  nourrice  du  prince  impérial.  —  M™''  Carette,  dans  ses 
Souvenirs  intimes  de  la  Cour  des  Tuileries,  nous  fournira  de  pré- 
cieux renseignements  sur  la  nourrice  du  rejeton  impérial.  La 
comtesse  Ducos,  femme  de  l'ancien  ministre  de  la  Clarine,  proposa 
d'abord  d'abandonner  à  une  mercenaire  les  deux  jumeaux  qu'elle 
nourrissait,  pour  consacrer  ses  seins  au  jeune  Prince,  L'Impéra- 
trice refusa  «  cette  offn'  de  dévouement  ».  Est-ce  bien  le  fait  d'une 
mère  dévouée  de  céder  les  droits  de  ses  enfants  à  un  étranger  ? 
Une  paysanne  fut  choisie,  mais,  par  précaution,  une  seconde 
nourrice  habitait  les  Tuileries  avec  son  enfant.  La  présence  de 
cette  concurrente  n'était  pas  inutile  :  «  quand  la  nourrice  en 
titre  montrait  quelque  velléité  d'humeur,  »  on  lui  disait  sim- 
plement :  «  Si  vous  êtes  fatiguée,  nounou,  on  va  faire  descendre 
l'autre  !  »  Cela  dissipait  les  nuages  comme  par  enchante- 
ment. 

Le  Prince  éprouva  le  plus  vif  chagrin  du  départ  de  sa  nourrice; 
il  avait  conservé  en  souvenir  d'elle  un  foulai'd  de  soie,  sur  lequel 
il  s'endormait  chaque  soir,  et  un  morceau  de  velours  d'un  de  ses 
corsages  qu'il  tenait  à  la  main  toute  la  nuit. 

L'un  des  fds  de  cette  nourrice  fut  pris  parmi  les  communards  en 
1871.  Envoyé  à  Xouméa,  il  s'adressa  à  l'Impératrice  pour  obtenir 
quelques  adoucissements,  et  l'on  dit  alors  que  la  Commune  «  était 
pleine  de  gens  attachés  à  l'Empire.  » 

(1)  Promenades  d'un  )iiédecin  à  travers  l'Ej-posilion  de  1889.  L'auteur  do  cet 
opuscule  a  fait  de  nombreu.x  emprunts  à  notre  Histoire  des  Accouchements  chez 
tous  les  peuples,  sans  nous  citer  une  seule  fois:  nous  ne  suivrons  pas  son 
exemple,  Suum  cuique. 


i02  LKS     SKINS     DANS     I,  '  Il  1  S  T  O  I  K  K 

Elle  aimait  trop  le  bal...  —  Des  mêmes  Souve/iirs,  nous 
tii'ons  cette  autre  anecdote.  Le  Prince  Impérial  gagna  la  rougeole 
à  un  bal  costumé  des  Tuileries,  en  dansant  avec  la  très  jolie 
M"*"  Robin.  La  pau  vre  jeune  fdle  souffrait  depuis  quelques  jours,  mais 
se  gardait  bien  de  se  plaindre,  pour  ne  pas  être  privée  de  ce  bal.  La 
toilette  terminée,  la  mère  aperçut  des  rougeurs  sur  la  poitrine  de 
sa  fdle  ;  M"®  Robin  n'y  voulut  pas  attacher  d'importance,  vint  au 
bal  et  dansa  toute  la  nuit.  «  Mais  en  rentrant,  une  fièvre  ardente 
la  prit.  La  rougeole  était  rentrée  et  rien  ne  put  la  sauver.  » 

Moralité  :  dans  une  fièvre  éruptive,  éviter  de  sortir,  crainte  que 
féruption  ne  rentre,  dirait  Calino. 

Nourrice  d'Alphonse  XIII.  —  Avant  la  naissance  de  ce  sou- 
verain (17  mai  1886),  on  procéda  au  choix  d'une  nourrice  royale 
ou  at/a.  Parmi  les  vingt-trois  robustes  plébéiennes  qui  se  dispu- 
tèrent l'honneur  de  nourrir  un  prince,  on  choisit  une  grande  et 
belle  fille  des  Astm'ies,  la  sénora  Raymunda.  Un  dicton  espagnol 
affirme  que  les  jjasiegas  de  Santander  sont  les  meilleures  nourrices 
d'Espagne  :  Raymunda  lui  doit  sans  doute  d'avoir  été  préférée  à 
ses  concurrentes  ;  ajoutons  qu'elle  avait  déjà  fait  ses  preuves  en 
donnant  le  sein  à  l'un  des  petits  cousins  du  roi,  fils  aîné  de  l'infante 
Mercedes.  Pendant  la  durée  de  sa  charge,  elle  porta  le  costume 
de  sa  province  :  «  Jupe  rayée  aux  plis  minces,  bordée  d'un  galon 
d'or,  corsage  de  velours  noir  également  bordé  d'or,  chaînettes 
d'argent  et  foulard  de  soie  aux  couleurs  voyantes  coquetternent  posé 
sur  la  brune  chevelure  (ij.  » 

Cadeau  macabre.  —  M.  Camille  Flammarion  a  raconté,  dans 
Le  Fi  (/(ira  (2),  par  suite  de  quelle  circonstance  il  hérita  de  la  peau  des 
épaules  d'une  de  ses  admiratrices,  une  jeune  comtesse  d'origine 
étrangère,  qu'il  avait  remarquée  dans  une  soirée.  «Elle  était  roma- 
nesque et  nerveuse  ;  la  phtisie  la  guettait  et  devait  l'emporter 
bientôt. 

...  Un  jour,  elle  dit  à  l'astronome  :  Je  vous  doinivrai,  plus  tard, 
une  chose  que  vous  ne  pourrez  pas  ne  pas  accepter  sans  nie  faire 
offense.  M,  Flammarion  avaitfîni  par  oublierla  promesse  mystérieuse, 

(1)  Austin  de  Croze,  la  Cuur  d  EapaQue. 

(2)  D''  Cabanes,  Chronique  médicale. 


FAITS     l>K(iF.NI)AI  IIKS     K  T     11  I  S  T  ()  I!  I  U  l' K.  S  103 

lorsqu'un  soir  arrive  chez  lui,  à  son  adresse,  un  paquet  apporté 
par  un  commissionnaire.  Le  paquet  était  accompagné  d'une  lettre 
encadrée  de  deuil  ;  il  contenait  une  peau  blanche,  épaisse  et 
«  dégageant,  a  affirmé  M.  Flammarion,  comme  une  sorte  de  fluide 
électrique  ».  La  lettre  émanait  du  médecin  de  la  comtesse  de  X... 
et  était  ainsi  conçue  : 

Cher  maitre, 

J'accomplis  ici  le  vœu  dune  morte  qui  vous  a  étrangement  aimé. 
Elle  m'a  fait  jurer  de  vous  faire  parvenir,  le  lendemain  de  sa  mort,  la 
peau  des  belles  épaules  que  vous  avez  si  fort  admirées,  «  le  soir  des 
adieux  »,  a-t-elle  dit,  et  son  désir  est  que  vous  fassiez  relier,  dans  cette 
peau,  le  premier  exemplaire  du  premier  ouvrage  de  vous  cjui  sera 
publié  après  sa  mort. 

Je  vous  transmets,  cher  maitre,  cette  relique,  comme  j'ai  jure  de  le 
faire,  et  je  vous  prie  d'agréer,  etc. 

Docteur  V... 

La  peau  fut  envoyée  à  un  tanneur,  puis  à  un  relieur,  qui  en 
recouvrit  un  exemplaire  de  Terre  et  Ciel,  en  cours  de  publication 
à  ce  moment.  De  telles  aubaines  n'échoient  rpi'aux  astronomes... 
et  aux  ténors. 

11  est  bien  certain  que  M.  Flammarion,  en  contemplant  le  royal 
et  magnifique  décolletage  de  l'astre  qu'il  avait  eu  sous  les  yeux, 
n'avait  pas  plus  admiré  les  épaules  que  les  hémisphères  antérieurs  ; 
mais  la  pauvre  malade,  amaigrie  par  la  maladie,  ne  voulut  pas 
sans  doute  lui  léguer  des  seins  naguère  étincelants,  qui  n'étaient 
plus  que  l'ombre  d'eux-mêmes,  et  préféra  emporter  dans  la  tombe 
ces  tristes  débris. 

Charge  d'atelier.  —  Un  élève  de  Bonnat,  chamarré  d'ordres 
exotiques,  avait  préparé  une  toile  sur  laquelle  était  peint  un  torse 
féminin  à  nu.  11  en  était  fort  satisfait;  mais,  aussitôt  parti,  les 
camarades  prennent  la  toile,  ajoutent  au  col  de  la  beauté  la  cra- 
vate du  cordon  de  commandeur  de  la  Baleine  ambulante  et  atta- 
chent au  bout  de  l'un  de  ses  seins  la  croix  de  la  Tulipe  des  îles 
Océaniennes.  Le  lendemain,  à  l'arrivée  du  maître,  le  rapin  constellé 
lire  la  toile  de  sa  retraite  et  la  montre  avec  empressement,  dans 
l'attente  de  félicitations  méritées  ;  mais  il  resta  médusé  à  la  vue  de 
la  cruelle  fumisterie  dont  il  avait  été  la  victime.  Devant  sa  mine 


104  I.KS     SKINS     DANS     l/lllSTOlUi: 

dc'confile,  Bonnat  éclate  de  rire  au  milieu  du  silence  glacial  de 
l'atelier,  qui  travaillait  avec  une  ardeur  inaccoutumée  (1). 

Un  support  original.  —  Les  Hottentotes,  on  le  sait,  -sont 
pourvues  d'avantages  postérieurs  si  volumineux,  qu'on  peut,  la 
femme  se  tenant  debout,  y  étendre  une  nappe  avec  tout  l'appareil 
d'un  petit  déjeuner  du  matin  :  la  tasse  de  café  au  lait,  la  soucoupe 
au  beurre,  le  petit  pain.  Mieux  encore  fait  <(  la  belle  »  Rachel,  une 
plantureuse  personne  de  vingt-deux  ans  (juillet  11)00)  :  elle  pro- 
mène ses  370  livres  —  réjouissance  comprise  —  dans  les  fêtes 
foraines,  où  elle  invite  un  spectateur  —  généralement  un  compère 
un  peu  fluet  —  à  monter  bravement  sur  une  planchette,  supportée 
par  ses  robustes  appas. 

Nous  avons  assisté  à  l'une  de  ces  ascensions  «  en  ballons  »,  et 
nous  reproduisons  ci-contre  l'affiche  de  «  la  belle  Rachel  »  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions  (fig.  42).  Un  usage  des  seins  que  nous 
avons  oublié  de  mentionner  en  temps  et  lieu. 

Conséquences  d'une  fracture  de  clavicule.  —  Une  de  nos 

plus  pétulantes  et  émoustillantes  actrices  fut  victime  d'un  acci- 
dent dans  un  manège  de  «  porte-veines  » .  Il  en  résulta  une  frac- 
ture de  clavicule,  suivie  de  déformation  prononcée  qui,  depuis, 
empêcha  la  divette  de  se  décolleter  en  scène.  Ses  photographies 
la  représentent  cependant  avec  des  corsages  baillant  jusqu'au 
nombril  et.  à  la  scène,  son  décolletage  paraît  aussi  naturel  que 
celui  de  ses  camarades  ;  mais  regardez  de  plus  près  :  les  charmes 
de  l'actrice  ne  s'aperçoivent  qu'à  travers  le  tissu  quasi  transpa- 
rent d'un  maillot  couleur  chair.  La  pauvre  ne  peut  plus  montrer 
ses  seins  qu'emmaillottés.  Elle  ignorait  certainement  l'observation 
suivante,  rapportée  parle  Journal  la  Santé,  dans  une  intéressante 
étude  sur  a  l'action  morale  »  :  «  On  ne  saurait  croire  combien  la 
vanité  féminine  est  capable  d'engendrer  de  courage,  lorsque,  par 
la  douleur,  la  femme  espère  consolider  ses  appâts  compromis,  ou 
restaurer  sa  beauté  chancelante.  Mayor  (de  Lausanne)  cite  le  fait 
d'une  jeune  femme  qui  eut  le  courage  de  maintenir,  nuit  et  jour, 
pendant  trois  semaines,    avec  ses   doigts,    les    deux    fragments 

(Ij  Claude  Vento.  Les  }>eintres  de  la  femme. 


FAITS     LK(i  KNDAI  HKS     KT     HISTOlUdlKS 


lo:-) 


coaptés  d'une  fracture  claviculaire,  afin  de  pouvoir,  dans  la  suite, 
se  décolleter  sans  offrir'  de  déformation  osseuse  d'aucune  sorte.  Le 


Fi-.  42. 


chirurgien  avait  dit  à  cette  dame  qu'il  n'existait  aucun  appareil 
capable  d'obvier  sûrement  à  la  défectuosité  du  cal  ;  il  lui  avait 
conseillé  de  maintenir  ou  de  faire  maintenu'  à  l'aide  des  doigts 


100  m:  s     SKINS     DANS     L    IIISTOIlJi-: 

les  deux  fragments,  et  elle  ne  s'était  fiée  qu'à  elle-même  en  cette 
occuiTcnce  !  » 

Si  notre  sémillante  actrice  avait  connu  ce  trait  de  patience,  ins- 
piré par  la  coquetterie,  elle  ne  s'en  fût  pas  rapportée  aveuglé- 
ment à  rhajjileté  d'un  chirurgien  ;  mais  il  est  probable  que  la 
mobilité  habituelle  du  sujet  —  véritable  mouvement  perpétuel  — 
eût  rendu  ce  mode  de  traitement  inapplicable  en  Tespèce. 

Comme  tout  en  France,  au  dire  de  Beaumarchais,  finit  par  des 
chansons,  Faccident  en  question  et  ses  suites  ont  donné  lieu  à  une 
complainte  —  qui  n'a  rien  de  rosse  —  et  se  chantonne,  dans  les 
coulisses,  sur  l'air  des  Petits  Parrs.  de  Paul  Delmet  : 


D'une  actrice  (1)  écoutez  l'histoire 

Et  plaignez  son  malheureux  sort  ; 

Elle  fut  victime  d'un  porc 

A  JN'euilly,  quand  c'était  la  Foire  : 

Le  cochon  —  en  bois  pas  en  chair  —  [bis.) 

Lui  met  les  quatre  fers  en  l'air. 


Ce  spectacle  était,  de  la  fête, 
Le  «  clou  »  capital  et  nouveau. 
Quel  régal  !  Quel  vivant  tableau  ! 
A  griser,  à  perdre  la  tète. 
L'œil  jubilait,  émerveillé 
D'un  si  piquant  «  instantané  ». 

m 

On  la  relève,  non  sans  peine  : 
Une  fracture  était  son  mal. 
Depuis  lors,  le  vil  animal 
Est,  pour  elle,  un  «  porte-déveine  » 
Il  reste  un  calus  biscornu  (6i.s.) 
(Jui  nuit  à  ses  effets  de  nu. 


(1)  Nous  remphicons  le  nom  de  la  théàtreuse  par  une  entité  :  1  héroïne  de  la 
culbute  ne  nous  ayant  pas  autorisé  à  le  transmettre  à  la  postérité,  pas  plus 
que  son  portrait  ;  par  courtoisie,  nous  avons  promis  au  «  messager  »  de  la 
divette  de  reconnaître  que  sa  protégée  n  a  jamais  eu  de  casse...  même  ])as 
dans  son  nom. 


FAITS     LÉ(;  KNDAI  H  HS     Kl'     H  1  S  1' O  U  KJ  U  K  S  M}' 


Donc  au  niveau  des  clavicules, 

Son  beau  plastique  est  déformé  ; 

La  diva  ne  peut  plus  montrer, 

Que  sous  maillot,  ses  nionticules. 

Ah  !  plaignez  son  malheureux  sort  {bi>^). 

Mieux  eût  valu  cent  fois  la  mort. 

Trait  de  pudibonderie  saugrenue  (1).  —  Un  sculpteur  de 
talent,  M,  Mulot,  olïnt  au  Directeur  de  TExposition  de  l'.MJU, 
M.  Picard,  le  prêt  de  deux  statues  qui  représentaient  des  femmes 
nues.  On  les  casa  d'abord  à  la  section  des  beaux-arts,  puis  on 
fut  d'avis  qu'elles  feraient  merveille  de  chaque  côté  de  l'escalier 
par  lequel  on  accédait  à  la  salle  des  fêtes.  Malheureusement,  une 
femme  vint  à  passer  par  Là,  la  femme  d'un  ministre,  elle  eut  une 
crise  de  pudeur  particuhèrement  douloureuse  à  la  vue  de  ces 
nudités,  et  demanda  à  son  mari,  au  nom  de  la  vertu  française,  de 
faire  cacher  dans  quelque  coin  ces  seins  qu'elle  ne  saurait  voir. 

Il  paraît  que  ces  seins-là  étaient  beaucoup  plus  indécents  que 
les  seins  des  autres  femmes  de  pierre  qui  s'exhibent  sur  nos  places 
publiques,  éternellement  souriantes  et  luxuriantes  sous  l'œil  des 
ministres  éphémères. 

L'auslère  et  débonnaire  ministre  chargea  un  entrepreneur, 
M.  Grousselle,  d'enlever  les  statues,  ce  qui  mécontenta  fort 
M.  Mulot.  Celui-ci  réclama  dix  mille  francs  de  dommages-intérêts 
à  M.  Grousselle,  mais  la  première  chambre  le  débouta  de  sa 
plainte.  Ce  jugement,  inattaquable  au  point  de  vue  juridique,  n'a 
[)as  satisfait  les  esprits  indépendants.  Ils  ont  trouvé  que  M.  Mulot 
était  victime  d'un  accès  de  vertu  déplacé  dans  une  Kermesse,  où 
la  nudité,  à  peu  près  complète,  de  la  femme  se  montrait  à  chaque 
coin  d'avenue,  non  seulement  dans  l'intérieur  des  boutiques  à 
plaisir,  des  bateaux  de  tleurs,  mais  même  sur  les  tréteaux  des 
ditférentes  parades. 

X'était-ce  pas  à  regretter  la  disparition  de  M.  Félix  Ravaisson 
(jui,  pendant  son  passage  au  Louvre,  s'était  contenté  d'habiller  les 
nudités  marmoréennes  avec  des  postiches  bizarres. 

(1)  D'après  le  récit  du  Gil  Dlas. 


108  LKS     SEINS     DANS     \.    IIISTOIHK 

Bataille  de  dames.  —  Lo  2;')  janvier  1900,  à  une  heure  assez 
avancée  de  la  nuit,  une  discussion  violente  s'élevait  au  restaurant 
<(  Tabarin  )),  entre  deux  amies  de  fête,  Louise  X  et  Renée  Y; 
Tobjet  de  la  querelle  :  un  jockey  que  les  deux  noctambules 
venaient  de  rencontrer  et  qu'elles  se  disputaient,  le  couteau  à  la 
main.  Louise  X,  qui  s'était  mexicanisée,  en  prenant  un  nom  de 
guerre  ronflant,  à  double  particule,  plongea  sa  navaja,  à  plusieurs 
reprises,  dans  les  chairs  de  la  poitrine  de  sa  rivale.  Poursuivie  pour 
coups  et  blessures,  la  Mexicaine  de  contrebande  comparut  devant 
la  onzième  chambre  correctionnelle,  oîi  elle  se  présenta  avec  quel- 
ques éraflures  au  visage,  qu'elle  s'était,  paraît-il,  faites  elle-même, 
pour  expliquer  aux  juges  et  excuser  sa  férocité.  Bien  mieux,  elle 
aurait  poussé  le  courage  jusqu'à  se  mordre  le  sein;  mais,  le  pré- 
sident, par  crainte  sans  doute  de  se  laisser  suggestionner,  comme 
les  héliastes  devant  le  sein  phrvnéen,  ne  l'autorisa  pas  à  fournir 
la  preuve  de  cette  blessure.  Le  tribunal  condamna  la  piquante  et 
mordante  Mexicaine  à  six  mois  de  prison . 

Le  corset  de  la  reine  de  Serbie.  —  En  août  11)00,    le  roi 

Alexanch-e,  de  Serbie,  avait  épousé,  malgré  le  quen  dira-t-on  et 
tous  les  obstacles,  M"""  Draga  Maschin,  fille  d'un  président  de 
district  et  dame  d'honneur  de  la  reine  Nathalie.  A  l'étranger,  pour 
justifier  la  décision  du  roi,  on  parlait  tout  bas  de  la  naissance  pro- 
chaine d'un  héritier  de  la  couronne  et  les  mauvaises  langues 
disaient  même  qu'il  n'attendrait  pas  pour  venir  au  monde  les 
neuf  mois  réglementaires.  Un  corset  tout  spécial  avait  été  fabriqué 
par  l'habile  M""^  Gadolle,  pour  protéger  la  précieuse  grossesse  et 
n'en  gêner  en  rien  le  développement;  la  figure  4)^  reproduit  ce 
«  curateur  au  ventre  »  (1).  Il  fut  alors  reconnu  que,  contrairement 
aux  prévisions  du  docteur  Caulct,  qui,  en  septembre  11)00,  décla- 
rait constater  «  l'existence  des  sif/ncs  d'une  grossesse  de  trois  à 
quatre  semaines  »,  la  reine  n'était  nullement  enceinte  et  qu'on  s'était 
trouvé  seulement  en  présence  d'un  état  maladif,  provenant  du 
régime  sédentaire  prescrit  par  les  médecins,  et  de  nature  à  tromper 
tout  le  monde.  Ce  fut,  pour  le  roi  comme  pour  la  reine,  une  cruelle 
désillusion  :  mais,  le  public,  peu  initié  aux  secrets  de  l'art  médical, 

(1)  Nous  en  avons  pris  la  copie  sur  le  modèle  exposé  dans  les  vitrines  de  l'Ex- 
position et  construit  «  sur  la  recommandation  de  ses  docteurs  ». 


FAITS     LKGENDAIRES     K  T     HISTORIOUKS 


109 


apprit  avec   quelque  étonnement  qu'il   pouvait   exister  une  gros- 
sesse nerveuse,  une  grossesse  par  suggestion. 

Ajoutons  quelques  détails  complémentaires.  Aussitôt  la  décla- 
ration signée  par  le  D'  Caulet,  la  nouvelle  se  répandit  dans  les 
principales  villes  serbes  et  des  comités  s'organisèrent  pour  oiïrir 
à  la  reine,  «  bénie  entre  toutes  les 
femmes  »,  un  berceau.  Seize  berceaux 
furent  ainsi  envoyés  à  Belgrade,  dont 
un  en  arge/it  ciselé,  offert  par  la  ville 
de  Xisch  :  Gavroche  dirait  que  c'est 
une  iuscli  qu'on  fit  à  la  reine.  Ces 
berceaux  attendent  et  attendront  pro- 
l)ablement  longtemps,  sous  l'orme  de 
Konak,  le  Messie  serbe,  car  le  temps 
des  miracles  est  passé  et  l'ange  Ga- 
briel n'  «  obombre  »  plus  les  vierges 
ni  même  les  demi- vierges. 

Par  une  coïncidence  des  plus 
curieuses,  l'année  suivante,  le  cas  de 
la  reine  Draga  s'observa  chez  l'impé- 
ratrice Alexandra  :  l'accouchement 
qui  devait  donner  un  héritier  au  trône 
de  la  Russie,  n'a  pas  eu  lieu;  il 
s'agissait  d'une  illusion,  présentant 
toutes  les  apparences  et  les  symp- 
tômes de  la  grossesse  ;  c'est  d'ailleurs 
la  seule  sympathie  entre  ces  deux 
souveraines.  Ces  grossesses  illusoires  Fij,'.   'tS. 

ont  existé  de  tout  temps  chez  les  sou- 
veraines, témoin  [Marie  Tudor  qui,  se  croyant  sur  le  point  de  donner 
un  héritier  à  la  couronne  d'Angleterre,  annonce  officiellement  sa 
grossesse,   provoque  des  réjouissances    publiques    et    finalement 
accouche  «  du  vent  »  :  j/ar/i/rii'/i/  //ton les  ! 


Remplaçante  royale.  —  La  campagne  de  Brieux.  en  faveur 
de  l'allaitement  maternel,  ne  nous  semble  pas  avoir  fait  des  prosé- 
lytes dans  les  cours  d'Europe  ;  que  l'on  en  juge  par  ce  qui  vient 
de  se  passer  en  Russie  et  en  Italie,  où  les  souveraines  en  gésine 


110  Li:S     s  Kl. "4  s     DANS     l/ H  I  S  T  I»  I  K  K 

ont,    lait  choix    de    «    remplaçantes   »    |)Our    le   rejeton    attendu. 

En  Italie,  c'est  M.  Guido  Baeelli,  ancien  ministre  de  l'Instruction 
publique,  qui,  au  cours  d'une  villégiature  en  Toscane,  dénicha 
l'oiseau  rare  —  rara  avis  —  destinée  à  la  suppléance  de  la  reine 
Hélène  ;  ce  personnage  historique  a  nom  Madeleine  Cuiti.  ^'oici, 
d'après  Y  Illustration,  les  émoluments  et  les  avantages  attachés  à 
sa  charge  :  un  fixe  de  130  francs  par  mois  ;  10  000  francs  à  la 
première  dent  de  son  nourrisson,  autant  à  son  premier  mot  et  à 
son  premier  pas  ;  après  avoir  achevé  sa  nourriture,  une  gratifica- 
tion de  20  000  francs  et,  sa  vie  durant,  une  rente  mensuelle  de 
100  francs.  Que  d'envieuses  elle  a  dû  faire!  Ainsi  la  fortune  de 
cette  prolétaire  aura  tenu  uniquement  au  galbe  et  au  prestige  de 
ses  mamelles,  qui,  dans  ce  cas  surtout,  méritent  bien  le  nom 
d'  «  avantages  ». 

Un  journal  français  rédigé,  vraisemblablement,  par  des  re])orters 
fantaisistes,  annonçait  que  la  princesse  Venosa  était,  avant  l'évé- 
nement, partie  pour  Albano,  à  la  recherche  du  merle  blanc, 
accompagnée  de  tout  un  cortège  d'experts  :  un  médecin,  un 
chirurgien  et  un  photographe  ;  il  n'y  manque  que  l'astrologue  pour 
en  faire  une  caravane  d'opérette.  Le  photographe  était,  parait-il, 
chargé  d'examiner  minutieusement,  par  le  moyen  des  rayons  X  (!), 
l'état  de  l'ossature  des  jeunes  femmes  d'Albano,  qui  aspiraient  à 
l'honneur  de  nourrir  de  leur  lait  l'enfant  royal  ;  nous  ne  voyons 
pas  bien  le  transport  de  la  dynamo  nécessaire  à  la  production  des 
rayons  llœntgen.  Le  môme  journal,  en  veine  d'actualités,  ajoute 
que  le  choix  du  grotesque  aréopage  s'est  fixé  sur  une  brune  et 
forte  femme  qu'on  a  emmenée,  séance  tenante,  à  Rome,  après  lui 
avoir  fait  signer  l'engagement  de  ne  voir  son  mari  ni  aucun 
membre  de  la  famille  pendant  deux  ans.  Pourquoi  ne  pas  lui 
apphquer,  durant  ces  deux  ans  de  réclusion,  une  ceinture  de 
chasteté  ?  Il  n'en  manque  pas  et  certes  des  plus  sérieuses  au  musée 
de  l'Arsenal  de  Venise,  sous  l'étiquette  :  ostacolo,  l'obstacle. 

Au  Quirinal,  on  s'attendait  à  un  prince,  mais,  amère  déception, 
ce  fut  une  princesse,  Yolande-Marguerite,  qui  arriva,  toujours 
comme  à  PtHersbourg  ;  on  en  fut  quitte  pour  remplacer  dans  la 
layette  le  bleu  par  le  rose. 

Recette  pour  avoir   un  dauphin.  —  Malgré  son  ardent  désir 


FAirs    I.  i':(;F.M)AiiiKs    i;t    his  roiunUKS  111 

d'avoir  un  «garçon,  Nicolas  II  vient  de  recevoir  du  ciel  une  troi- 
sième fille.  JNIais  un  brave  curé  de  Pologne  —  apôtre,  en  théorie, 
du  Crescite  et  Multiplicaniini  —  a  depuis  indiqué,  à  Fempereur 
de  toutes  les  Russies,  le  moyen  infaillible  de  combler  ses  vœux  et 
ceux  dt'  son  peuple,  dans  la  lettre  suivante  : 

Si  A'otrc  Majesté  veut  être  assurée  d'un  héritier  impérial,  Elle  devrait 
faire  nourrir  son  dernier  enfant  au  sein  droit.  Je  suis  prêt  à  fournir, 
verl)alenient  ou  par  écrit  toutes  preuves  de  mon  assertion. 

Katteh,  Pasteur  à  Ovaricza. 

La  recette  est  facile  à  suivre,  même  en  voyage;  voilà  le  tsar 
avisé. 

Amour  filial  excessif.  — Aux  assises,  en  août  IDIll,  on  ju- 
geait M""^  G.,  qui  avait  tué  son  mari  par  jalousie  et  manifestait, 
pour  son  fils,  une  tendresse  sans  bornes.  Des  témoins  avaient 
remarqué  entre  la  mère  et  son  fils  des  privautés  frisant  l'inceste  : 
«  Il  lui  défaisait  son  corsage,  assure  l'un  d'eux,  et  INI'"'^  G.  ripostait, 
comme  pour  l'excuser:  «  Je  suis  sa  mère,  il  en  a  le  droit  ».  En 
l'espèce,  comme  on  dit  au  Palais,  l'âge  auquel  il  est  interdit  à  un 
enfant  de  prendre  le  sein  de  sa  mère  n'a  jamais  été  fixé. 

Le  régime  lacté  à  la  buvette  de  la  Chambre.  —  D'après  le 
Cri  de  Par/s,  de  nombreuses  légendes,  généralement  assez  déso- 
bligeantes, courent  au  sujet  de  la  buvette  de  la  Chambre  des 
députés,  qui  passe  pour  être  fréquentée  par  nos  «  honorables  » 
avec  plus  d'assiduité  que  la  salle  des  séances.  La  vérité  est  que, 
pris  en  masse,  en  bloc,  dirait  Clemenceau,  nos  législateurs  sont 
beaucoup  plus  sobres  qu'on  ne  se  l'imagine.  Ce  qui  se  consomme 
le  plus,  sur  le  marbre  du  grand  bar  législatif,  ce  sont  les  eaux 
minérales  et  le  lait,  un  lait  de  tout  premier  ordre  et  qui  vient 
en  ligne  directe,  sans  intermédiaires  aquatiques,  d'Isign\',  en 
Normandie.  Il  s'en  absorbe  de  soixante  à  quatre-vingts  litres  j)ar 
jour. 

Une  nourrice  sèche...  de  cœur. — Le  4  mars  1901,  la  neu- 
vième chambre  correctionnelle  a  gratifié  d'un  an  de  prison  une 
nourrice  d'un  nouveau  genre.  Elle  portait  tout  simplement  aux 


il2  m:  s     SKINS     DANS     L    IIISTOIUI': 

Enfants-Assistés  l'enfant  dont  elle  s'était  chargée  et  n'en  continuait 
pas  moins  à  toucher  les  mois  de  nourrice.  Elle  eût  sans  doute 
donné  de  l'extension  à  son  honnête  et  fructueuse  industrie,  sans 
l'importune  intervention  de  la  justice.  Pour  cetle  escroquerie, 
doublée  d'un  détournement  d'enfant,  le  tribunal  a  eu  la  faiblesse 
d'accorder  à  la  coupable,  peu  intéressante  cependant,  le  bénéfice 
de  la  loi  de  sursis.  Il  eût  été  préférable  d'appliquer  une  pénalité 
moins  forte  et  d'obliger  la  condamnée  à  la  subir  ;  son  délit  étant 
de  ceux  qui  ne  méritent  pas  d'indulgence.  11  nous  semble,  comme 
à  M.  Harduin,  du  Malin,  que  les  tribunaux  abusent  quelque  peu 
de  cette  loi  tutélaire. 

Supercherie  dune  nourrice.  —  Lue  jeune  fille  de  dix-sept 
ans  venait  à  Paris,  en  mars  IDUl,  pour  se  placer  comme  nour- 
rice. La  directrice  du  bureau  où  elle  se  présenta  convint  avec 
elle,  pour  la  caser  plus  avantageusement,  de  falsifier  le  certificat, 
délivré  par  le  maire  de  son  pays,  et  mentionna  vingt-sept  ans  au 
lieu  de  dix-sept.  En  outre,  elle  déclarait  que  la  postulante  était  à 
sa  seconde  «  nourriture  ».  Il  n'y  a  qu'une  nourrice  qui  consente  à 
se  laisser  donner  dix  ans  de  plus  que  son  âge  ! 

La  fi'aude  fut  bientôt  découverte  par  les  maîtres  de  la  jeune 
nourrice,  qui  avait  eu  l'imprudence  de  laisser  traîner  une  lettre  oîi 
elle  racontait  ses  exploits  à.  sa  famille.  Plainte  fut  portée  au  par- 
quet, d'otî  poursuite  devant  le  tribunal  de  la  onzième  chambie, 
présidée  par  M.  Monier,  sous  l'inculpation  d'usage  de  faux  certi- 
ficat :  la  directrice  du  bureau  et  sa  complice  furent  condamnées  à 
quinze  jours  de  prison  ;  mais  on  accorda  à  la  nourrice  le  bénéfice 
de  la  loi  Bérenger.  On  lui  rendit  son  âge  véritable,  pour  invoquer 
en  sa  faveur  l'inexpérience  et  l'irresponsabilité  relative  de  la  jeu- 
nesse  [Echo  (le  Paris). 

La  nourrice  de  Maiipassant.  —  Le  nouveau  gardien  du  square 
Solférino,  à  Rouen,  a  été  le  frère  de  lait  de  Guy  de  Maupassant, 
durant  quatre  ou  cinq  jours  ;  une  lettre  de  M"'"  Laure  de  Maupas- 
sant, adressée  à  M.  Robert  Pinchon,  l'ami  de  son  fils,  explique 
dans  quelle  circonstance  et  proteste  contre  l'affirmation  de  certains 
journaux,  qui  faisaient  de  ce  gardien  autre  chose  qu'un  frère  de 
lait  momentané  ;  voici  cette  lettre: 


FAITS     LK(;KNDAIRKS     et     HISTOHKJUKS  113 

...  J'ai  lu  avec  stiipéfacLion,  dans  |)liisieiirs  journaux  de  Paris,  que 
(luy  de  Maupassant  possédait  un  frère  de  lait,  lequel  était,  à  l'iieure 
présente,  gardien  du  square  Solférino. 

Or,  j'ai  été  la  nourrice  de  mon  fils  Guy  et  je  ne  permettrai  à  personne 
d'usurper  ce  titre.  Je  ne  suppose  pas,  en  effet,  qu'une  femme  étrangère 
puisse  s'arroger  un  pareil  droit,  pour  avoir,  pendant  quatre  ou  cinq 
jours  à  peine,  allaité  mon  enfant.  Je  me  trouvais  à  Fécamp,  chez  ma 
mère,  lorsque  je  fus  atteinte  d'une  indisposition  assez  légère.  C'est  alors 
qu'une  femme  Cavelier,  fille  d'un  fermier  voisin,  fut  appelée  pour  me 
venir  en  aide;  c'est  là  tout,  et  la  semaine  n'était  pas  écoulée  que  je 
reprenais  possession  entière  de  mon  cher  nourrisson,  qui  ne  fut  sevré 
({u'à  l'âge  de  vingt  mois...  (1). 

Cette  nourrice  était,  en  effet,  non  pas  une  «  remplaçante  »  véri- 
table, mais  une  «  suppléante  »  intérimaire. 

Mourir  en  beauté  !  — Ce  cri  de  la  fameuse  Hedda  Gabier, 
riiéroïne  d'Ibsen,  a  trouvé  un  commentaire  imprévu  dans  Tatlilude 
d'Angela  Nikolitch,  fusillée  tout  récemment  à  Belgrade  (2).  Celte 
jeune  femme  avait  empoisonné  son  mari,  pour  vivre  avec  son 
amant;  ce  crime  passionnel,  que,  sous  notre  latitude,  un  jury  débon- 
naire eût  acquitté  haut  la  main,  valut,  en  Serbie,  à  l'amoureuse, 
la  peine  capitale. 

Elle  se  tint  la  tête  haute  devant  le  j^eloton  d'exécution  et  cria 
d'une  voix  claire  :  «  Visez  bien  à  la  poitrine,  mes  enfants  !  Je  ne 
veux  pas  être  défigurée  !  » 

Cette  élégance  dans  la  mort  s'observe  encore  dans  le  suicide 
des  femmes  :  les  désespérées  accordent  leur  préférence  au  poison  ; 
si  elles  ont  recours  aux  armes  blanches  ou  à  feu,  c'est  à  la  {)oitrine 
qu'elles  visent  ;  elles  meurent  avec  la  satisfaction  de  n'être  pas 
dévisagées. 

IJne  grève  de  nourrices  (3).  —  Le  2i)  février  1903,  l'avenue 
du  Pirée,  à  Athènes,  vit  défiler  une  cinquantaine  de  nourrices  de 
rétablissement  des  Enfants-Trouvés,  qui  allaient  se  plaindre,  au 
président  du  Conseil,  de  n'avoir  pas  touché  leurs  gages  depuis  le 
mois  de  novembre   et  menaçaient  de   se  mettre  en  grève.  La  dé- 

(1)  !)■■  Minime,  La  Médecine  anecdolique,  Ulléraire,  hislorique. 
ii)  Voir  Figaro  du  12  jaiiv.  1902. 
(3)  D'après  le  récit  du  Petit  Journal. 

LES    SEINS    UVNS    l'HISTOIRE.    —    I.  S 


\'t  1,KS     SRINS     DANS     1/ H  I  S  I  (»  I  H  K 


marclic  des  grévistes  fut  couronnée  de  succès  et  elles  reprirent 
leur  travail,  c'est-à-dire  leurs  nourrissons.  Que  ne  forment-elles 
un  «  seindicat  »  ? 


II.   —   FAITS   CÉLÉBRÉS   PAR   LES  BEAUX-AllTS 


1"  Faits  relatifs  aux  seins.  —  Nombreuxsont  les  sujetslégen- 
daires  qui  autorisent  les  artistes  à  exhiber  des  bustes  féminins 
«  ondoyants  et  divers  »  ;  nous  ne  pourrons  rappeler  que  les  prin- 
cipaux. La  légende  merveilleuse  des  amours  de  Méléagre  et  Ata- 
lante  devait  tenter  le  pinceau  épicurien  de  Rubens.  Cette  fdle  du 
roi  de  Scyros,  célèbre  par  sa  beauté  et  son  agilité,  a  été  dotée  par 
le  maître  flamand  d'une  paire  d'appas  plantureux,  qui  seraient  à 
leur  place  sur  le  torse  d'une  mariturne  de  son  pays  et  non  sur 
celui  d'une  jeunesse  adonnée  aux  sports;  un  tel  emmagasinement 
de  tissu  adipeux  dans  les  seins  et  ailleurs  l'eût  fortement  gênée. 

De  toutes  les  Mort  de  Didon,  après  l'abandon  d'Enée,  c'est 
encore  la  composition  de  Rubens  qui  est  la  plus  suggestive,  par 
les  splendeurs  d'une  gorge  opulente  :  la  princesse  carthaginoise, 
assise  sur  son  bûcher,  s'enfonce  l'épée  de  son  cruel  amant  entre 
les  seins. 

Un  autre  i-écit  légendaire  dont  les  peintres  ont  quelque  peu 
abusé  (Augustin  Carrache,  Dominiquin,  E.  Gennari,  Teniers, 
Poussin,  F.  Boucher,  etc.)  est  lieiiaiid  dam  les  jardins  dWr- 
mide,  la  séduisante  héroïne  de  la  Jérusalem  délivrée^  du  Tasse, 
qui  fascine  par  ses  charmes  le  beau  Renaud  ;  ce  nouvel  Achille  est 
retenu  par  sa  passion  loin  de  l'armée^  des  croisés.  VAr7nide  de 
F.  Boucher,  au  Louvre,  porte  une  chemisette  transparente  qui  ne 
couvre  que  son  abdomen  ;  dans  la  composition  de  E.  Gennari 
(Naples),  Renaud  empêche  sa  bien-aimée  de  détériorer  son  sein 
droit  qu'elle  veut  percer  d'une  flèche. 

La  légende  des  Sabines,  enlevées  au  milieu  d'une  fête  par  les 
compagnons  de  Romulus,  fut  célébrée  surtout  par  Rubens,  Cosimo 
Rosselli,  Poussin  et  Louis  David  (1)  (Louvre).  Ces  toiles  sont  de 

(1)  Contrairemont  an  récit  de  Tite-Livc,  David  a  |)eint  H(tinulu.->  ot  Tatius  à 
pied  et  non  à  cheval. 


FAITS     I- KC  KNDAIH  KS     KT     HISTOKIOUKS 


115 


vastes  études  de  demi-nu:  dans  la  sienne,  David  a  représenté  sa 
femme  au  premier  rang  ffig.  44).  La  composition  du  maître  d'An- 
vers offre  aussi  une  particularité  cui'ieuse  :  Hersilie,  comme  dans 
le  tableau  du  peintre  français,  se  précipite  entre  les  combat- 
tants, mais  ici,  elle  obtient  la  paix  en  montrant  les  enfants  de 
ses   compagnes  et  sa  propre  grossesse. 

Une  des  femmes  les  plus  célèbres  de  l'antiquité,  Sapho,  victime 
d'Eros  qu'elle  avait  si  souvent   chanté  sur  sa  hre,  a  plus  d'une 


Fier.  44. 


Fi  g.  44  h'is. 


fois  inspiré  les  artistes  et  en  particulier  P.  de  Laval  (Salon  de  1837)  : 
la  voluptueuse  Lesbienne,  étendue  sur  un  lit  de  repos,  est  plongée 
dans  l'une  de  ses  extases  poétiques  et  amoureuses  (fig.  43). 

Le  suicide  de  Lucrèce,  qui  ne  voulut  pas  survivre  à  son  dés- 
honneur, après  avoir  subi  les  derniers  outrages  d'un  fds  de  Tar- 
quin  le  Superbe,  est  un  sujet  fort  en  faveur  dans  les  beaux-arts  ; 
il  n'est  pas  une  seule  galerie  artistique  importante  qui  n'en  possède 
plusieurs  spécimens.  Le  plus  souvent,  la  dame  romaine  est  seule, 
le  corsage  entr'ouvert  —  Albert  Diirer  (Munich),  Quentin  Matsys 
(Budapest)  (fig.  46),  Varotari,  dit  le  Padouan  (Dresde),  Bassano 
(Venise),  Mola  (Dresde),  Andréa  del  Sarto  (Florence),  G.  Palma 
(Vienne),  Sirani  Elisabetta  (Rome),  etc.  —  et  s'enfonce,  entre  les 


H6 


LKS     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 


seins  à  découvert,  un  long  slylet,  qui  ne  rempccho  pas  de  rester 
debout.  La  Lucrèce  de  Lucas  Cranach  (Vienne)  est  entièrement 
nue  ;  son  corps  est  assez  beau  pour  être  montré  en  entier,  mais 
une  semblable  attitude  étonne  chez  une  dame  qui  tenait  la  pudeur 
en  si  haute  estime.  Guido  Cagnacci  (Académie  de  San  Luca, 
Rome)  a  représenté  Lucrèce  aux  prises  avec  Tarquin  (fig,  47)  ; 
Taine  donne  de  ce  chef-d'œuvre  une  description  détaillée,  dans 


Fig.  45. 


son  Voyage  en  Italie.  L'héroïne  se  défend  mollement  et  a  plutôt 
l'air  de  badiner.  Son  visage  n'exprime  pas  la  terreur,  loin  de  là  ; 
Lucrèce  semble  surtout  préoccupée  de  faire  valoir  le  galbe  de  son 
torse  admirable,  que  le  criminel  peut  invoquer  comme  circons- 
tance atténuante.  Le  Tarquin  de  la  Lucrèce  surprise,  de  Cam- 
biasi  (Vienne),  est  vêtu  d'un  dolman  de  hussard  !  Ces  anachro- 
nismes,  nous  le  savons,  sont  fréquents  en  peinture.  Pour  terminer 
notre  liste,  citons  encore  le  Tarquin  de  Luca  Gordiano  (Dresde) 
et  la.  Lucrèce,  du  Titien  (Vienne),  se  poignardant  devant  Collatin  ; 
le  chef  de  Técole  vénitienne  a  traité  le  même  sujet  dramatique 
dans  une  autre  toile  qu'il  se  dédie  :  Sibi  Titianus  f.  {ecit). 

Les  artistes  ne  pouvant  rencontrer,  chez  le  même  modèle,  toute 


FAITS     LÉdKNDAIRES     KT     HISTORIQUES 


117 


la  perfection  esthétique,  choisissent  dans  plusieurs  sujets  des 
détails  irréprochables.  Ainsi  Zeuxis,  pour  Texécution  de  son  Hélène 
courlisane,  fit  poser  nues  les  cinq  plus  belles  fdles  d'Agrigente  ; 
il  s'attachait  à  l'imitation  de  la  nature,  bien  que  Quintilien  lui 
adresse  le  reproche  —  plus  tard  mieux  appliqué  à  Michel-Ange 


Fig.   46. 


—  «  de  prêter  quelquefois  aux  membres  des  contours  trop  robustes, 
môme  dans  les  figures  de  femme  ».  Joachim  Sandrart,  de  l'école 
allemande,  et  Vincent,  de  1  école  française  (Louvre;,  ont  montré 
le  peintre  grec  opérant  sa  sélection,  dans  son  atelier,  mais  San- 
drart lui  fai^  peindre  «  une  figure  de  Junon  »,  d'après  cinq  modèles, 
tandis  que,  suivant  Vincent,  le  peintre  grec  choisissait  parmi  «  les 
plus  belles  filles  de  Crotone  »  ;  tous  deux  se  trompent  d'ailleurs, 
l'un  sur  le  nom  de  la  déesse,  l'autre  sur  celui  du  pays. 

Apelle  s'éprenait  facilement  de  ses  modèles  ;  il  est  vrai  que  sa 
renommée  attirait  dans  son  atelier  les  beautés  les  plus  mervcd- 


118 


I.  KS     SKINS     DANS     I/IIISIOIHK 


leuscs  de  son  temps,  qui  aspiraient  à  être  immortalisées  par  le  pin- 
ceau du  plus  illustre  des  j)einlres  grecs.  C'est  ainsi  qu'Alexandre 
lui  conduisit  Gampaspe  ou,  suivant  d'autres,  Panidote,  pour  repro- 
duire son  portrait,  qui  fut  placé  par  Auguste  dans  le  temple  de 
César.  L'artiste  était  si  troublé  en  présence  de  son  modèle, 
qu'Alexandre  s'en  aperçut  et  renonça  à  sa  passion  ;  il  en  fit  pré- 
sent à  Apelle.  Cet  exemple  d'abnégation,  comme  l'épisode  analogue 


FiK.    47. 


de  Slratonice,  fut  souvent  reproduit  par  les  peintres  et  les  sculp- 
teurs, surtout  à  l'époque  de  la  llenaissance  :  Jodocus  van  Wingle 
a  représenté  Apelle  peignant  Campaspe  en  Vénus  (Vienne)  ; 
Falconet  en  fit  le  motif  d'un  bas-relief  exposé  au  Salon  de  17()5, 
AU'vandi'c  cédant  Campmpe  à  Apelle  ;  David,  dans  l'exil  de  1816 
à  1824,  a  exécuté  Apelle  peh/nant  Campaspe  devant  Alexandre  ; 
enfin  Girodet  a  traité  le  même  sujet  et  son  œuvre  a  été  gravée  par 
Bein. 

L'ordre  chronologique  nous  conduit  au  Triomphe  de  César,  par 
Mantegna  (Vienne)  ;  détachons-en  le  groupe  d'une  captive  gau- 


FAITS     LKCKM)  AIKES     KT     HISTOIUdUKS 


119 


loise,  les  seins  au  vent  et  portant  un  nouveau-né  (fig.  4i  bis].  On  sait 
que  la  tunique  de  nos  ancêtres  découvrait  les  bras,  les  éj)aulcs  et 
la  poitrine,  soutenue  par  une  large  ceinture. 

La  Mort  de  Ciéopdtre,  comme  celle  de  Lucrèce,  a  souvent  tenté 
le  pinceau  et  le  ciseau  des  artistes  (1)  ;  la  plupart  font  piquer  Tun 
des  seins  de  la  reine  parla  vipère  cornue  [Guido  Rcni,  iXetschcr, 
François    Barbieri,    Angelo  Allori  dit  Bronzino,  Alexandre  Yaro- 


Fig.  49. 

tari  dit  le  Padouan,Hans  Makart  (Vienne),  etc.];  d'autres,  comme 
G.  Cagnacci  (Vienne),  attachent  le  reptile  historique  au  bras  droit 
(fig.  49).  L'ensemble  de  cette  composition  est  des  plus  bizarres  ; 
on  dirait  un  atelier  de  blanchisseuses  ayant  toutes  le  même  air  de 
famille,  qui,  gênées  ()ar  la  chaleur,  ont  jeté  bas  chemises  et  cami- 
soles :  la  reine  d'Egypte  —  trop  jeune  —  pas  plus  que  les  dames 
de  la  cour,  n'a  le  physique  de  l'emploi  ;  le  peintre  semble  n'avoir 
eu  d'autre  but  que  d'exposer  un  certain  nombre  de  torses  potelés  et 
fort  appétissants  d'adolescentes  ;  son  œuvre  passe  néanmoins  pour 
une  page  d'élite.  Alexandre  Cabanel  a  quitté  les  sentiers  battus  et 
nous  a  montré  une  Cléopâtre,  toujours  les  seins  nus,  mais  essayant 
les  poisons  qu'elle  se  destinait  sur  des  prisonniers,  condamnés  à 


1)  Cufios.  iU'L. 


i20 


LES     SKINS     DANS     I.    HISTOIUK 


mort  ;    effrayée  au  spectacle  de  leurs   horribles   convulsions,  elle 
préféra  ras])ic. 

D'Eugène  Delacroix,  le  chef  de  Técole  romantique,  nous  avons 
au  Palais-Bourbon  les  Juifs  captifs  à  Babyloiic  ;  groupe  famihal, 
oiî  réponse,  appuyée  sur  Tépaule  de  son  mari,  met  à  la  disposition 
de  son  bambin  distrait  des  réservoirs  lactifères  énormes  (fig.  îjO). 


Fig.  50.  —  Tirée  du  Magasin  Pilloresr/ue. 


Les  Marc/tés  d'csc/aves,  qui  se  prêtent  à  la  mise  en  valeur  des 
rotondités  féminines,  ont  été  pris  sur  nature  ou  reconstitués  par 
les  pinceaux  de  Gérôme  et  de  ^'ictor  Giraud  ;  Tun  a  trouvé  son 
entrepôt  de  chair  humaine  en  Turquie  et  l'autre  le  place  dans  Tan- 
cienne  Rome.  Les  chalands,  amateurs  des  seins,  n'ont  que  l'em- 
barras du  choix  ;  il  est  permis  de  mettre  l'article  en  mains  : 
«  Regardez  et  touchez,  s.  v.  p.  »  UEsciavr  à  vendre,  de  G.  Bou- 
langer, appartient  à  la  même  série. 

M.  Lefebvre  exposa,  en  1891,  un  tableau,  actuellement  au  musée 


FAITS     LKC.ENDAIRES     ET     HISTOIUQl'K^ 


121 


^ 


'/ 


d'Amiens,  qui  rappelait  un  acte  de  dévouement  accompli  par  lady 
Godiva,  femme  de  Léoffric,  comte  de  Coventry,  sous  le  règne 
d'Edouard  le  Confesseur  (xi'  siècle).  Voici  Tanecdotede  cette  blonde 
fille  d'Albion,  «  timide  comme  un  agneau,  douce  comme  une 
colombe  »  :  Un  jour  que  les  habitants  de  Coventry  sollicitaient 
du  comte  Léoffric  la  remise  d'un  impôt  qui,  depuis  longtemps,  les 
plongeait  dans  la  plus  profonde  misère,  elle  intercéda  pour  eux  : 

«  De  par  Dieu  !  s'écria  le  duc  guerrier,  je      ^ ^ 

ne  remettrai  point  cet  impôt,  que  vous 
n'alliez  promener  à  cheval,  nue  comme 
l'enfant  qui  vient  de  naître,  d'un  bout  à 
l'autre  de  la  ville  !  »  11  pensait  mettre  une 
condition  impossible.  Lady  Godiva  l'ac- 
cepte :  «  Je  ferai  ce  que  vous  dites,  répli- 
qua-t-elle,  pour  sauver  ces  pauvres  gens  ». 
Léoffric,  très  marri  de  son  imprudence, 
ordonna  qu'au  jour  de  l'épreuve,  on  ne  mit 
pas  le  pied  dans  la  rue,  qu'aucun  œil  ne 
s'abaissât  ;  tous  devaient  rester  dedans, 
portes  closes  et  fenêtres  barrées,  et  qui- 
conque hasarderait  un  regard  indiscret 
serait  mis  à  mort  (1).  L'héroïne  se  mit 
donc  en  selle  et  parcourut  la  ville,  sans 
autre  vêlement  que  son  opulente  chevelure. 
Un  malheureux  boulanger  ayant  contre- 
venu aux  ordres  du  comte,  en  ouvrant  ses  persiennes  et  ses  yeux  au 
passage  de  la  jeune  femme,  fut  impitoyablement  «  tranché  »  le  jour 
même. 

Une  fête  anniversaire  fut  instituée  pour  perpétuer  le  souvenir  de 
l'événement.  Chaque  année,  la  statue  de  Godiva,  non  pas  nue, 
cette  fois,  mais  vêtue  de  riches  habits,  était  portée  en  triomphe  et 
ne  manquait  pas  de  passer  devant  la  porte  du  pauvre  dial)le  de 
mitron  ;  «  la  tête  du  téméraire  était  figurée  à  la  fenêtre  même  où 
sa  fatale  curiosité  l'avait  attiré  ».  Curieux  rapprochement,  qui 
n'est  peut-être  pas  étranger  au  choix  de  ce  sujet  :  Jules  Lefebvre 
est  fils  d'un  boulanger,  qui  était  étaljli  près  la  cathédrale  d'Amiens, 


/\    -Ji 


r^--- 


Fis.  31. 


(1)  Gr.  Dict.  Uîiiv.  du  XIX^  siècle. 


\22  m:  s     SKINS     DANS     L    HISIOIHK 

OÙ  il  est  né.  Behnes  William,  sculpteur  anglais,  mort  en  18()i,  a 
laissé  un  gi'oupe  de  Lady  Godiva,  d'une  heureuse  conception  et 
d'une  touche  exquise. 

V.  Fulconis,  au  Salon  de  IU()2,  a  exposé  une  magnifique  Prùi- 
cesse  Clémence  (fig.  îjI),  dont  le  geste  —  nudité  à  part  —  se  rap- 
proche de  celui  de  Henri  IV,  quittant,  non  sa  chemise,  mais  sa 
religion  pour  Paris  «  qui  vaut  bien  une  messe  !  (1)  ».  Xotre  statuaire 
s'est  inspiré  du  poème  de  Frédéric  Mistral,  intitulé  Calcndan,  le 
pendant  de  Mireille.  Au  chant  XI,  le  poète  provençal  raconte  les 
sujets  peints  sur  les  assiettes  du  château  des  Baux,  tous  tirés  de 
l'histoire  de  Provence.  La  princesse  Clémence,  fille  du  comte  de 
Provence,  Charles  le  Boiteux,  est  demandée  en  mariage,  au  nom 
de  Charles  de  \'alois,  à  condition  de  se  montrer  nue  aux  envoyés  du 
roi  de  France  :  «  Ce  n'est  pas,  s'écria-t-elle,  pour  une  chemisette 
que  je  perdrai  la  belle  couronne  aux  fleurs  de  Ivs  !  »  Son  mari, 
frère  du  roi  de  France,  devait  régner  en  Italie  :  elle  fut  donc 
l'aïeule  de  la  reine  Jeanne  de  Xaples. 

D'après  la  Vie  au  feinp!<  des  Troueères,  d'Antony  Méray,  même 
attitude  —  pour  une  cause  difterentc  —  chez  la  belle  Ariette  de 
Falaise;  mais  quand  le  duc  Robert  de  Xormandie  est  introduit 
auprès  d'elle,  au  lieu  de  retirer  sa  chemise,  elle  la  déchire  du 
haut  vn  bas.  A  l'élonnement  de  Robert,  la  gracieuse  jouvencelle 
répond,  spirituellement,  qu'il  n'est  pas  convenable  qu'elle  mette  à 
la  hauteur  de  sa  bouche  ce  qui  a  touché  ses  pieds  (2).  La  chemise, 
à  cette  époque,  passait  pour  un  objet  de  luxe  cju'on  retirait  la  nuit  ; 
elle  était  rare  dans  les  armoires  au  linge  :  Marie  d'Anjou,  épouse 
de  Charles  YII,  possédait  seule,  de  son  temps,  deux  chemises  de 
toile  :  la  déchirer,  comme  le  fit  Ariette,  était  donc  un  réel  sacri- 
fice. 

Le  tableau  anecdotique  de  E.  Deveria,  gravé  par  Pierre  Adam 
(fig.  52),  montrant  Jeanne  d'Arc  dans  sa  prison,  prête  à  une 
double  interprétation.  S'agit-il  de  la  nuit  du  26  mai  1431,  où  ses 
geôliers  lui  enlèvent  ses  vêtements  de  femme  pour  la  contraindre, 

(1)  La  dévotion  du  Vert-Galant  l'ut  des  plus  complaisantes  :  non  seulement 
nous  le  verrons  figurer  j)armi  les  «  pénitents  »,  mais  il  acceptera  le  titre  de  cha- 
noine de  Saint-Jean  de  Latran.  La  statue  du  joyeux  Béarnais  figure  encore  dans 
cette  église  ;  son  visage  de  circonstance  est  méconnaissable  et  «  il  a  Tair  tout 
mélancolique  de  se  voir  en  un  tel  lieu  ». 

[2)  De  leur  union  devait  naître  Guillaume  le  Bâtard. 


FAITS   lk(;knuaires    et    historioues 


123 


à  son  réveil,  de  revêtir  les  habits  crhonime,  que  son  juge,  l'évoque 
Cauchon,  lui  interdit  sur  l'autorité  des  canons  de  l'Eglise  ?  On 
l'accusera  alors  d'être  «  rencheue  »,  alin  d'attirer  sur  la  pauvre 
recluse  les  rigueurs  de  son  implacable  tribunal.  Ou  bien,  le  peintre 


a-t-il  voulu  rappeler  l'infamie  d'un  «  grand  lord  d'Angleterre  », 
le  comte  de  Statîord,  dit-on,  qui  entra  dans  le  cachot  de  Jeanne, 
pendant  son  sommeil,  et  tenta  de  lui  faire  violence?  Les  Anglais 
croyaient  que  si  Jeanne  perdait  sa  virginité,  elle  perdrait  en  même 
temps  son  «  heur  »,  c'est-à-dire  son  charme,  sa  fortune  :  et,  pous- 
sés parce  sentiment,  ses  gardiens  l'avaient,  à  plusieurs  reprises, 
menacée  de  lui  faire  subir  le  dernier  outrage.  C'est  pour  arriver 
plus  facilement  à  leurs  fins  qu'ils  engageaient  Jeanne  à  quitter  ses 


124  LKS     SKINS     DANS     L    HISTOIRR 

habits  d'homme,  qu'elle  s'obstinait  à  garder,  comme  étant  plus 
propres  h  défendre  sa  pudeur  et  aussi  comme  signe  de  sa  mission 
guerrière  non  terminée  :  chasser  l'Anglais  de  France.  Quelques 
inexactitudes  sont  à  relever  dans  cette  composition  :  l'étalage 
complet  des  seins,  qui  jure  avec  la  pudeur  de  la  villageoise  de 
Domrém}';  d'autre  part,  sa  chevelure  était  taillée  en  rond,  à  la 
manière  des  hommes,  et  fut  rasée  vers  le  25  mai  :  l'artiste  a  cru 
devoir  augmenter  les  charmes  de  son  héroïne  en  lui  rendant  une 
opulence  de  cheveux  qu'elle  ne  possédait  pas. 

Lors  de  son  passage  à  Avignon,  François  P""  eut  la  curiosité 
de  faire  ouvrir  le  tombeau  de  Laure  —  l'amante  imma- 
culée de  Pétrarque  —  dans  l'église  des  Cordelicrs  ;  on  y  trouva, 
au  milieu  des  ossements,  de  huit  dents  et  des  cheveux,  une  médaille 
en  bronze  offrant  le  profil  d'une  femme  qui,  de  ses  deux  mains,  se 
cache  pudiquement  les  seins  ;  certains  prétendent  qu'elle  se  les 
déchire.  La  première  interprétation  nous  semble  plus  vraisemblable 
en  raison  de  la  chasteté  de  l'amante  immatérielle  de  Pétrarque. 

Parmi  les  nombreuses  compositions  qu'inspira  la  Henriade,  la 
plus  importante  est  la  peinture  d'Eisen  (fig.  53)  ;  «  l'artiste,  disent 
les  Concourt,  dans  ce  tableau,  atteint  la  grâce  d'un  petit  Bou- 
cher historique  ».  Le  héros  vient  d'abandonner  son  camp  pour 
courir  aux  pieds  de  son  adorée  : 

D'Estrée  était  son  nom  :  la  main  de  la  nature 
De  ses  aimables  dons  la  combla  sans  mesure. 

Le  peintre  a  suivi  fidèlement  le  récit  du  chant  IX  et  montre 

Au  fond  (le  ces  jardins,  au  bord  dune  onde  claire, 
Sous  un  myrte  amoureux,  asile  du  mystère, 
D'Estrée  à  son  amant  prodiguant  ses  appas. 

Mais  voici  le  raseur  Mornay,  qui 

toujours  sévère  et  toujours  inflexible 

Entraille  cependant  son  maître  trop  sensible. 

Une  caricature  de  James  Gillray,  Occujmtums  de  ci-dcva/il, 
montre  M"'"  Tallien  et  Joséphine  dansant  nues  devant  Barras, 
pendant  l'hiver  de  1707  ;  voici  la  traduction  de  la  légende  qui 
accompagne  cette  gravure  satirique  et  satyrique.  Un  fait  :  Bar- 
ras {pendant  qu'il  (Hait  au  pouvoir),  étant  fatigué  de  Joséphi/ic, 


FAITS   L  K(;eni)airks    kt   historiques 


125 


promit  une  promolion  à  Bonaparte^  à  la  condition  que  ce 
dernier  l'en  débarrasserait  ;  Barras  avait,  comme  d'habitude,  bu 
copieusement  et  placé  Bonaparte  derrière  un,  paravent^  pendant 
(juil  s'amusait  lui-même  avec  ces  deux  dames.  M^^  Tallien  est 
une  superbe  femme.,  fjrande  et  élégante  ;  Joséphine  est  plus 
petite  et  mince,  avec  de  vilaines  dents  [quelque  chose  coinme  des 
((  clous  de  girofle  w)  ;  //  est  inutile  d'ajouter  que  Bonaparte 
accepta  la  promotion  et  la  femme  ;  maintenant...  impératrice 
de  France  ! 


¥U 


Un  tableau  de  Jean  C.  Tardieu  (Galeries  de  \^ersailles)  rappelle 
Fentrevue  de  la  reine  de  Prusse  et  de  Napoléon,  à  Tilsitt  ;  la  poi- 
trine de  la  souveraine  est  toute  nue  ;  il  est  vrai  que  nous  sommes 
le  G  juillet  de  Tannée  1807. 

Au  même  musée,  une  toile  de  M"'^  Auzou  représente  Marie-Louise 
distribuant  ses  bijoux  à  ses  frères  et  sœurs,  avant  son  départ  pour 
la  France;  et  bien  que  l'incident  se  passe  en  mars  1810,  le  décol- 
letage  de  la  future  impératrice  ne  peut  être  plus  complet. 

La  Vélocipédomanie  date  de  loin  :  une  caricature  anglaise  de 
1817,  reproduite  par  le  Décolleté  et  le  Retroussé,  de  John  Grand 
Carteret,  offre,  dans  un  coin,  le  groupe  sympathique  d'un  moni- 
teur du  manège  qui  maintient  fortement...  la  poitrine  d'une  de  ses 
élèves  ((ig.  54)  :  «  C'est  bien,  pas  trop  vite,  doucement.  Madame; 
penchez-vous  vers  moi,  Madame  !  C'est  cela  !  Je  n'ai  pas  de  meil- 


12(1 


I.  i:S     SKINS     DANS     I.    H  I  S  T  0  1  H  K 


Icurc  élève  que  \oiis.  Encore  quelques  leçons,  et  vous  pourrez 
lutter  avec  le  baron  lui-même.  —  Je  ne  comprends  pas  comment 
sont  faits  ceux  qui  ne  prennent  pas  de  leçons  avec  vous,  votre 
méthode  est  si  agréable  que  je  passerais  la  journée  entière  à  che- 
vaucher avec  vous.  » 

In  gracieux   et  vigoureux  crayon  d'André  Gill   (fig.  o-i)  nous 
trace  h  buste  de  la  République  de  1870,  en  son  printemps,  pres- 
sant ses  «  puissantes  mamelles  »  et  se  disant  avec  satisfaction  : 
«  Ça  pousse  !  »  Allusion  à  sa  vaillante  constitution,  qui  lui  promet 
de    longs  jours  ;    de    fait,    c'est  jusqu'à 
présent,   depuis  Louis   X\',  le  gouverne- 
ment qui  a  eu  la  vie  la  plus  longue. 

A  cette  aimable  figure  politique,  oppo- 
sons, en  j-epoussoir,  une  vieille  et  horrible 
pétroleuse  avinée,  de  Faustin,  dont  les 
mamelles  pendantes  et  flasques  pourraient 
servir  d'enseigne  à  une  marchande  d'abats. 
L'.  l  Ksculfd/ion^  découverte  par  Laënnec , 
a  inspiré  de  multiples  fantaisies  dans  une 
note  badine,  qui  contraste  avec  le  caractère 
sérieux  de  la  méthode  exploratrice  :  les 
artistes  ont  négligé  son  utilité  pour  n'en- 
visager que  ses  agréments.  Gustave  Poetzich  et  Jean  Morax, 
en  1891,  ont  décoré  les  murs  de  la  salle  de  garde  de  l'hôpital 
Laënnec  de  fresques  égrillardes  :  Fune  symbolise  Y  Auscultation 
(fig.  5(i)  et  une  autre  la  Percussion  (fig.  57),  sous  les  traits  de 
l'interne,  Jean  Binot,  percutant  ou  plutôt  «  pelotant  »  une  timide 
hospitalisée. 

Une  spirituelle  vigneite  dt>  Draner  surj)rend  un  jeune  médecin 
dans  Fexercice  de  ses  fonctions,  l'oreille  appliquée  sur  la  poitrine 
engageante  de  la  jolie  cliente,  et  leur  })rête  ce  dialogue  :  «  Il  me 
semblait,  docteur,  que  c'était  dans  le  dos  qu'on  écoutait.  —  Pour 
les  poitrines  faibles,  oui...  mais  pour  vous,  ce  n'est  pas  le  cas  ». 

Le  Rire,  sous  le  crayon  piquant  d'Abel  Faivre,  présente  un 
vieux  confrère,  qui  certes  ne  pense  pas  à  la  bagatelle,  —  le  pauvre 
n'a  plus  de  roide  que  F^s  articulations  — ,  il  ausculte  avec  attention 
une  malade,  dépourvue  d'attraits  sinon  de  trayons,  et  sa  conviction 
s'afïirme  dans  cette  repartie  peu  galante  :  «  Pourquoi  levez-vous 


FiK.   rj4. 


FAITS     LK(i  KNDAIUKS     KT     H  I  S  T  ()  Il  I  O  U  K  S 


127 


les  bras?  —  Docteur,  pour  que  mes  seins  ne  tombent  pas.  —  Eli  ! 
Madame,  soyez  sans  crainte,  on  a  balavé  ce  matin  ».  Une  autre 
drôlerie  du  même   caricaturiste,  parue  dans  le  Journah  fait  voir 


Fi«. 


une  jeune  femme,  au  torse  nu,  auscultée  et  palpée  par  un  vieux 
polisson  qui,  la  joue  et  la  main  au  contact  de  cette  chair  fraîche, 
jubile  et  rit  sous  cape  :  «  Oui,  docteur,  je  me  sens  un  point  dans  le 
dos.  —  Que  vous  êtes  enfant!!...  C'est  le  mien.  » 

Albert  Guillaume  qui,  dans  ses  dessins  et  légendes  satiriques  du 
Matin,  peint,  avec  tant  de  vérité,  l'attitude  et  l'expression  comiques 
de  ses  personnages,  fait  figurer  en  tête  des  Don  Juaiis  modernes^ 
émules  du  marquis  de  Priola,  un  médecin  consciencieux  qui,  pour 


i28 


LKS     SKINS     DANS     1,    HlSTOIIiK 


éclairer  son  diagnostic,  joint  la  palpation  à  l'aiisciiltation  (fig.  08). 
De  Gil  Baer,  du  Supplément  (fig.  oG  his)\  un  praticien  sérieux  écrit 
son  ordonnance,  après  auscultation  d'une  malade  imaginaire,  aux 
seins  hypertrophiés  :  «  Docteur, dites-moi  la  vérité,  toute  la  vérité... 
je  suis  poitrinaire?  —  Mais  non,  mais  nun,  vous  avez  la  poitrine 


Fi£r.    56. 


Fig.  oT)  bis. 


chargée,  voilà  tout».  Le  même  artiste  fait  allusion  à  l'arrêté  préfec- 
toral de  1899,  interdisant  le  jeu  de  ballon  aux  Tuileries.  Un  gardien, 
scandalisé  de  l'audace  d'ilri  jeune  homme  qui  presse  à  pleines 
mains  le  corsage  de  sa  camarade,  observe  :  «  Hé  !  jeune  homme  ! 
Savez-vous  donc  pas  que  dans  les  jardins  publics  c'est  défendu  de 
jouer  avec  des  ballons  ?  Si  je  reprends  madame  à  vous  prêter  les 
siens,  je  les  lui  confisquerai  !  ».  Plus  tard,  l'interdiction  de  l'entrée 
des  ballons  du  Louvre  dans  le  Métropolitain  donnera  lieu  à  de 
plaisantes  critiques  :  par  exemple,  un  employé  zélé  refuse  de  per- 
forer le  ticket  d'une  grosse  mère,  sous  prétexte  qu'elle  cache  les 
ballons  interdits  dans  son  corsage. 


FAITS     LK(.ENnAIRF:S     KT     H  I  ST  (»  UI  O  U  E  S 


129 


Au  moment  où  fleurissaient  les  innombrables  ligues  pitriotiques, 
antisimiques  (de  simms,  singe),  etc.,  une  estampe  coloriée  de 
L.  Métivet  esquisse,  d'un  côté,  un  groupe  de  conspirateurs  avec 
chapeaux  mous  à  la  Mores  ;  de  l'autre,  un  Lovelace  qui  enlace  une 
évaporée,  la  main  gauche  posée  sur  les  seins  et  la  droite  sur  la 


Fig.    '61.  —  Tirée  du  Correspondant  médical. 


croupe.  Légende  :  «  Le  grand  complot  et  la  petite  qu'on  p'iote  ». 

Les  rayons  X,  permettant  d'indiscrètes  investigations  aux  gabe- 
lous,  sans  découvrir  les  femmes,  ont  inspiré  à  Gil  Baer  une  suite 
de  six  dessins  sur  Terreur  d'un  préposé  de  la  douane,  qui  s'excuse 
d'avoir  pris,  avec  son  appareil,  les  charmes  d'une  dame  bien  en 
forme,  pour  des  oranges  ou  des  pommes. 

A  propos  de  la  distribution  des  récompenses  aux  exposants 
de  1900,  un  dessin  de  tète  du  Courriel'  français,  dû  au  crayon 

9 


LES    SEINS    DANS    L  HISTOIRE.    —    I. 


130 


Li:S     Si:i.\S     DANS     L    IIISTOIHK 


vaporeux  et  watteaiireux  de  \\'illett(',  nous  conduit  à  «  la  Section 
des  cuirs  et  velours  ».  Le  président  de  la  République  défile  devant 
un  bataillon  de  jolies  fdles  d'Eve,  dans  le  costume  de  leur  mère, 
et  fixe  au  mamelon  o-auche,  saillant,  de  chacune  d'elles,  la  Croix 
de  la  Légion  d'Esterhazy.  En  légende  :  «  Elles  aussi  ?  Et  pourquoi 
pas  Pelles  ont  exposé  la  peau  ». 

lia  été  déjà  question  de  ce  personnage  sadique  {A ti ce d.  /list.. 


■  Fig.    58. 

p.  01^,  qui  se  plaisait  à  enfoncer  des  épingles  dans  les  pelotes 
mammaires  de  jeunes  martyres  de  bonne  volonté  et  sufTisamment 
rémunérées  pour  supporter,  en  silence,  ce  supplice  renouvelé 
de  celui  des  esclaves  romaines  (1).  A  placer  en  regard  du  Forain 
reproduit,  le  dessin  de  Pollak,  paru  dans  le  Messager  français,  avec 
cette  légende  explicative  :  «  Changement  de  pelote  »  (fig.  (Kl). 

En  Fhonneur  de  M'"'  Chauvin,  le  Conseil  de  TOrdre  autorisa  les 
femmes  licenciées  en  droit  à  porter  la  robe...  d'avocat.  Cette  révo- 
lution de  Palais  provoqua  Téclosion  d'une  foule  de  quolibets  dans 


(2)  «  Dans  le  coffret  qui  renferme  la  toilette  d'une  dame  romaine,  au  milieu  des 
colliers,  des  bracelets,  de  scarabés,  se  trouvaient  des  é|)ingles  à  piquer  le  sein 
des  esclaves  ».  E.  About,  Rome  contemporaine.  Barnum,  en  1901,  montrait,  à 
Paris,  un  homme  qui  avait  la  spécialité  de  se  fixer  au.\  seins  des  centaines 
d'aiguilles.  C'était  un  genre  de  caresses  fort  prisé  du  maréchal  de  Rays,  le 
terrible  Barbe-bleue. 


FAITS     LKCRNnAFUKS     RT     HISTOUIljUKS 


i.31 


les  revues  de  fin  d'année  et  de  plaisanteries  en  dessin  ;  celui  que 
nous  reproduisons  (fig.  61)  prt'^voit  un  incident  d'audience  de  nou- 
veau genre  :  une  avocate  vient  d'obtenir  une  suspension  de  séance 


Fis;.   60. 


pour  fermer  la  bouche  de  son  moutard  turbulent  qui  couvrait  la 
voix  de  sa  mère.  Comme  quoi  les  devoirs  maternels  et  profession- 
nels sont  assez  difTiciles  à  concilier.  Les  diverses  phases  de  cet 
incident  font  l'objet  d'une  série  de  douze  cartes  postales  illus- 
trées. 


132 


L  K  s    S  i:  I  X  s    J)  A  N  s     I,    11 1  S  T  0  I  H  1-: 


Les  expériences  scabreuses  que  fil  M.  Santos-Dumont  avec  son 
aérostat  dirif/eable  (?),  lui  ont  valu  le  prix  de  100.000  francs 
décerné  par  l'Aéro-Club,  mais  elles  n'ont  pu  échapper  h  la  rail- 
lerie des  révuistes  et  des  dessinateurs.  La  fantaisie  de  G.  Meunier 
est  une  des  meilleures  (fig.  62)  :  une  femme  légère,  candidate  au 
concours    ouvert   par  l'Aéro-Club,    expose   son    torse,   dépouillé 


Fier.   Gl. 


d'artifices,  au  président  de  ce  cercle  —  vicieux  —  qui  la  reçoit  à 
mains  ouvertes  :  «  Qu'est-ce  que  c'est?  —  Mais,  monsieur,  deux 
petits  ballons  dirigeables  qui  voudraient  bien  gagner  le  prix  di- 
100,000  francs.  »  Dirigeables  ?  plutôt  dirigeants. 


2"  Faits  relatifs  à  rallaitement.  —  Les  guides,  à  Home, 
montrent,  sans  rire,  dans  le  flanc  du  mont  Palatin,  l'antre  luper- 
cal,  où  la  louve  allaita  Romulus  et  Rémus  !  Ils  assurent  avec  le 
même  aplomb  que,  naguères,  on  voyait  encore,  à  l'entrée  de  la 


FAITS    i,K(;endaires    et   historioues 


13:} 


caverne,  le  figuier  ruminai  (1)  qui  abrita  les  fondateurs  de  Ivomc. 
C'est  ainsi  que  les  deux  frères  sont  représentés  dans  le]  Muséum 
de  Florence,  sur  le  revers  d'une  cornaline  ovalaire  [2),  à  l'effigie 
de  Caius  et  Lucius  César,  pour  indiquer  l'espoir  que  l'on  avait  de 
voir  durer  éternellement  l'empire  et  la  paix.  Cette  légende|a  séduit 
plusieurs  fois  le  pinceau  de  Rubens,  dont  l'imagination  féconde  a 
su  varier,  avec  bonh(Hir,  un  sujet  assez  pauvre.  Nous  avons  déjà 


Fig.  62.  —  Tirée  du  Rire  (3). 

reproduit  l'une  de  ses  compositions  magistrales  (4)  ;  les  similaires, 
non  moins  intéressantes,  sont  à  Rome,  galeries  du  Capitole.  L'une 
d'elles  montre  la  louve  en  train  de  lécher  ses  deux  nourrissons 
adoptifs,  à  l'arrivée  de  Faustulus,  accompagné  de  deux  person- 
nages ;  dans  une  autre,  un  oiseau  tient  en  son  bec  des  cerises 
qu'il  apporte  aux  jumeaux  ;   la  tête  du  jjerger  est  couverte  d'un 


(1)  De  Rumia,  Rumina,  déesse  sous  la  protection   de   laquelle   étaient   placés 
les  enfants  à  la  mamelle. 

(2)  Voir  un  autre  camée  anticiue,  fig.  364  de  notre  Histoire  des  accoi/chemenfs. 

(3)  F.  Juven.  directeur,  9  nov.  1901. 

(i)  Curios.,  p.  l(Jl.  La  louve  est  sans  doute  de  Sneyders,  cjui  a  j^eint   presque 
tous  les  animaux  des  tableaux  du  maître. 


134 


LKS     si:  IMS     DANS     L    HISTOIUK 


chapeau  de  paille,  au  lieu  du  capuchon  fixé  à  la  tunique  des  pas- 
teurs, costume  que  les  moines  adoptèrent  par  la  suite. 

Signalons  encore  l'œuvre  de  Pierre  de  Cortone  :  Faustulus 
apporte  Romulus  à  sa  femme  Acca  Laurentia,  assise  à  la  porte  de 
sa  cabane,  tandis  Cju'au  loin  on  aperçoit  Rémus,  allaité  |)ar  la 
louve  ;  lîomuhis  et  liéniifs,  de  Jean  Barbiani  'Florence)  ;  la  Lo/fvc, 
d'un  fin  marbre  rouge  d'Egypte,  une  des  curiosités  de  la  X'illa 
Borghèse,  et  celle  du  Musée  du  Capitule  ffig.  G3),  de  l'an  de 
Rome  i58  :  l'animal,  sur  lerpiel  nous  n'avons  pu  découvrir  le  coup 


Fiu.   (i3. 


de  foudre  dont  parle  Cicéron  (1),  est  un  travail  étrusque  :  mais  les 
deux  bambins  ont  été  ajoutés  plus  tard  ;  enfin,  à  Sienne,  la  colonne 
de  granit  de  la  Piazza  dcl  Camjio^  porte  la  louve  romaine  allai- 
tant Rémus  et  Romulus  :  ce  sont  les  armes  de  la  ville  qui  se  dit 
fondée  par  les  fils  de  Rémus  ;  ainsi  s'explique  encore  la  fontaine 
formée  de  loups  jetant  l'eau  par  la  gueule. 

Une  médaille  (fig.  ()4),  frappée  en  l'honneur  d'un  condottiere  de 
Pérouse,  Nicolas  Piccinino,  Vice-coincs  }tarcliio  Capitancus-Max- 
AC-M.ERS-AER    [aller)  (2)    et  de  Braccio  de    Montone  porte,  à 

(1)  Or.  3-11)  Cmilre  Cal.  Voici  coniinent  le  plus  élotiiiciil  des  orateurs  romains 
e.\|)loile  ce  «  prodige  »  —  accompli  rannée  de  son  considaf  —  contre  Calilina, 
l'an  63  :  «  Vous  vous  rappelez,  sous  le  consulat  de  Cotta  et  de  ïorquatus,  les 
nombreux  objets  qui.  dans  le  Capitole.  furent  frappés  de  la  foudre:  des  statues 
de  dieux  et  de  personnages  antiques  furent  renversées  ;  Tairain  des  fables  des 
lois  fut  fondu  ;  la  foudre  toucha  même  le  fondateur  de  cette  ville  :  Romulus, 
qu'une  statue  dor  rei)résentait.  dans  le  Cai)itole,  tout  enfant  et  buvant  le  lait 
aux  mamelles  d'une  louve...  » 

(2)  Vicomte  Marquis,  grand  capitaine  et  un  autre  Mars. 


FAITS     LKdENDAIRRS     ET    HISTORIQUES 


is:') 


Tavers,  la  louve  des  armes  de  Pérouse,  sous  la  forme  d'une 
chimère  nourrissant  les  deux  fondateurs  de  Rome.  Celte  médaille  est 
Tœuvre  de  Pisani.  Une  autre  médaille  italienne,  frappée  en  Thon- 
neur  de  deux  célèbres  condottieri,  ofï're,  sur  le  revers,  le  môme 
griffon  fantastique  allaitant  deux  enfants  :  allusion  à  la  double 
illustration  que  ces  deux  personnages  avaient  fait  rejaillir  sur  leur 
ville  natale. 

Amiens,  si  loin  de  l'Italie,  possédait  une  porte  aux  Jtitneaax, 


Fi-.  (U. 


ainsi  nommée  à  cause  des  figures  qui  rornaient,  représentant  les 
fondateui-s  de  Rome.  Elle  donnait  sur  la  grande  route  àc  Lyon  à 
Boulogne,  qu'Agrippa,  gendre  et  favori  d'Auguste,  avait  fait  tra- 
cer dans  les  Gaules  [\\.  Enfin,  à  Paris,  au  revers  de  la  porte  d'en- 
trée de  THùtel  de  Hollande,  rue  Vieille-du-Temple,  47,  où  fut  éta- 
blie l'ambassade  hollandaise  sous  Louis  Xl\',  et  où  demeura 
Beaumarchais,  on  peut  voir  un  bas-relief  décoratif,  par  Ilegnaudin, 
rappelant  la  légende  latine. 

Peu  de  sujets  ont  été  reproduits  aussi  souvent  par  la  peinture, 
la  sculpture  ou  la  gravure,  que  la  Charitc  romaine  ou  la  Piêlé 
filiale,    célébrant    le    trait  légendaire   de  Péra  ou  Péro   (2),    qui 

(1)  Amiens  nionumenldl.  Duthoit  IVères. 

(2)  Hugin,  dans  sa  Fable  CCLIV.  iiilitulée  :  Quse  jiiissiinœ  faerunl.  l'appelle 
Xantipi)e  :  Xanfippe  Mjjcon/  pain  indu^o  carcere,  lacle  -sao  uHineiilaiu  vttœ 
pi'œstttit . 


130 


I.  i:S     SKFNS     DANS     L    HISTOIKR 


nourrit,  de  sa  mamelle,  son  père,  Cimon,  condamné  à  mourir  de 
faim  (1).  On  lui  donne  encore  le  titre  de  Charité  chrétienne.  A  la 
liste  de  ces  œuvres  déjà  longue  (2),  ajoutons  une  nouvelle  série  : 
Mans  Sebald  Beham,  né  à  Nuremberg,  ouvre  la  marche,  dans  la 
première  moitié  du  xvi''  siècle.  AYandervorfT,  peintre  hollandais, 
représente  la  femme  debout,  tenant  son  enfant,  tant  bien  que  mal, 
qui,  faute  de  mieux,  suce  son  pouce  —  le  suppléant  du  ma- 
melon —  ;  Dikinson  a  exécuté,  d'après  ce  tableau,  une  gravure  en 


Fis-  65.  —  D'après  la  ^l'^ivure 
de  1'.  Ameiulola. 


Fig.  65  il 


manière  noire  très  appréciée.  Même  occupation  de  Tenfant  dans  le 
groupe  en  marbre  de  Quellin  de  Oude,  au  jNIusée  d'Anvers  ;  à 
Xaples,  Musée  Filangieri,  dans  un  groupe  en  porcelaine,  l'enfant 
joue  au  premier  plan,  avec  un  chien,  tandis  que  la  mère  remplit 
sa  fonction  de  nourrice  paternelle.  Le  Musée  delà  même  ville  pos- 

(1)  Les  artistes  ont  altéré  le  récit  de  Valère  Maxime  (liv.  Y.  cli.  IV,  ').  en 
substituant  le  père  à  la  mère. 

Kotzebue,  qui  a  visité  le  cachot  «  d'un  vieillard  condamné  à  mourir  de  fami  », 
où  l'on  voyait  les  traces  dune  ancienne  peinture,  rappelant  ce  trait  de  dévoue- 
ment fdial.'  avoue  qu"  «  on  ne  sait  plus  le  nom  de  cette  excellente  femme  ».  Ce 
cachot,  dit-il.  est  situé  sous  le  maître-autel  de  l'église  Saint-Nicolas  in  Carcere, 
élevée  sur  une  prison  construite  par  Appius  Claudius.  «  Les  consuls  G.  Quui- 
tius  et  Attilius  —  Acilius  d'après  Pline  —  bâtirent  sur  cette  môme  place  un 
temple  consacré  à  V Amour  filial,  devant  lequel  on  éleva  une  colonne,  que  l'on 
nomma  la  Colonne  de  lait  IColumna  laclaria)  et  au  bas  de  laquelle  on  exposa, 
dans  la  suite,  les  eid'ants  trouvés  )>.  Voir  cette  colonne,  fig.  363  de  notre  UtsI. 
des  Accoucliements. 

(2)  Anecd.,  p.  55  et  Curios.,  p.  57,  162  à  164. 


FAITS     L  KC,  KXDAIRRS     F,T     HISTORIOUES 


137 


sède  un  tableau  sur  le  même  sujet  (fig,  05).  L'enfant  de  la  Péra, 
de  Carlo  Gignari  (Vienne)  (fig.  60),  regarde  dans  le  vide  et  semble 
aussi  se  désintéresser  de  la  scène.  Dans  maintes  compositions,  les 
artistes  ont  tranché  la  dilïiculté  que  soulève  la  présence  de  Tenfant 
en  le  laissant  à  la  maison  (fig.  67,  08). 

Au  Musée  du  Havre,  figure  un  Cimon,  en  plâtre,  d'Hippolvte 
Moulin,  élève  de  Barve  ;  la  notice  locale  n'hésite  pas  à   choisir, 


Fi-.  (36. 


comme  héros  de  l'aventure  légendaire,  parmi  les  nombreux 
Cimons  de  l'antiquité,  le  généralissime  des  troupes  athéniennes, 
le  fils  de  jMiltiade  ;  aucun  document  historique  précis  n'indique 
l'exactitude  de  cette  attribution. 

Le  même  motif  est  gravé  au  revers  d'une  médaille  frappée  pour 
célébrer  la  charité  du  pape  Clément  X,  en  l'an  3,  de  son  règne. 
Une  femme,  symbole  de  la  piétié  filiale,  présente  son  sein  à  un  vieil- 
lard, enchaîné  dans  une  prison  et  assis  sur  une  pierre,  on  lit  : 
I.-H,  1072,  signature  du  graveur  Hameranus,  avec  cette  inscrip- 
tion :  MVIFICAT  ET  BEATIFIGAT  (il  vivifie  et  sanctifie).  Un 
frontispice  du  xvi''  siècle  (fig.  09)  reproduit,  dans  les  médaillons 
inférieurs,  les  deux  versions  sur  ce  trait  de  piété  filiale;  d'un  côté, 
c'est  la  mère  emprisonnée  qui  est  allaitée,  et  de  l'autre,  le  père,  La 


138 


m:s   sei.\s   dans   i/histoiiie 


Fig.  67.  —  D'iiprès  le  Doniiiiiciuin 


Fig.  6!S.  —  D'après  HuIkmis  (AiiiblcrcUmij 


FAITS     LÉCKNDATRKS     KT     HISTORIQUES 


139 


lierur  de  PArt,  qui  a  donné  un  fac-similé  de  ce  frontispice,  ne 
sait  à  quels  faits  il  se  rapporte  :  «  La  troisième  scène,  dans  le  bas 


Fig.  (il).  —  Comiiosition  illu.slranl  le  titre  de  CaroU  Molinœi  francise  et  f/eniuini;e 
celeberriiiii  jurisconsulti  (161^). 


et  à  droite,  dit  le  rédacteur  de  l'article,  doit  représenter  Boëce  en 
prison;  mais  la  quatrième  échappe  à  notre  érudition  ».  Souvent, 


140 


ES     SRINS     DAXS     L    HrSTOIHE 


en  efTcl,  on  a  j)eint  «  le  prince  de  Téloquence  »  dans  sa  prison  ; 
mais  il  se  contente  de  bénir  ses  enfants,  à  travers  les  barreaux  de 
son  cachot,  avant  de  subir  son  supplice. 

Jules  Simon  et  Louis  Blanc  semblent  aussi  ignorer  et  le  nom  et 

la  nationalité  de  cette 
héroïne  romaine.  Le 
premier  raconte  (1)  que 
Louis  Blanc,  arrêté  à 
Gand,  en  1848,  est 
conduit  à  la  prison  poli- 
tique de  VAniigo,  dans 
le  cabinet  du  bourg- 
mestre, où  il  remarque 
une  gravure  suspendue 
au  mur  :  «  C'est  This- 
toire  de  cette  femme, 
écrit  le  philosophe,  qui 
nourrit  de  son  lait  son 
père,  condamné  à  mourir 
de  faim.  11  se  rappelle, 
en  etîet,  que  la  légende 
place  cette  sinistre  aven- 
ture dans  la  ville  de 
Gand.  On  mourait  de 
faim  ici  !  ». 

Mentionnons  encore, 
sans  espoir  de  donner 
une  liste  complète  : 
Gérard  Yan  Honthorst 
(Munich),  qui  fait  tenir, 
à  la  femme,  une  chan- 
delle de  la  main  gauche  et  son  sein  de  la  droite;  le  Domini- 
quin  (fig.  (57)  ;  Gherardo  délie  Notti  (Munich)  ;  GuidoReni  (Gènes)  ; 
P.-P.  Rubens  (fig.  68)  ;  Charles  Loth  (Gènes)  ;  Dominique  Piola, 
palais  Spinola,  (Gènes)  ;  Migliori  Francesco  (Dresde)  ;  Lebel 
(Angers)  ;  Dominique  Feti  (Angers)  ;  Alexis  Jegorieff,  exposition  de 


Fi( 


(l)  Premières  années,  \).  415. 


FAITS     Li:(;  KNDAIitKS     ET     11  I  S  T  (>  lU  O  U  F.  S 


141 


Rome,  lin  du  xviii''  siècle.  Xotons  enfin  une  peinture  à  pou  près 
fruste  de  la  maison  de  Marcus  Lucretius  Frotonis,  reproduite  par 
Gusman  dans  les  Dernières  fouille^  découvertes  à  Pompéi 
(fig.  Go  ôz.s),  elle  a  dû  servir  de  modèle  au  tableau  du  Musée  de 
Xaples  (fig.  65)  :  et  après  cette  longue  nomenclature,  nous  pouvons 
nous  écrier  avec  Don  Ruy  Gomez  de  Silva  :  «  J'en  passe  et  des 
meilleurs  !  ». 


Fis.  72. 


Des  scènes  analogues  ont  été  traitées  par  les  artistes  :  rappe- 
lons cette  «  dame  Anconitaine  »  qui,  en  1774-,  au  siège  d'Ancone, 
par  Barberousse,  offre  son  lait  à  un  soldat  mourant  de  faim  (1)  : 
Tc-pisode  d'une  Américaine  (fig.  37)  et  le  trait  de  dévouement  de 
cette  jeune  indienne,  qui  sauva  la  vie  défaillante  de  don  Barthé- 
lemi  de  Las  Casas,  évèque  de  Ghiapa,  en  lui  donnant  le  sein. 
Nous  connaissons  le  tableau  consacré  par  Hersent  à  ce  fait  histo- 
rique (2)  ;  le  sculpteur  Blanco  s'en  est  aussi  inspiré  dans  un 
groupe  en  terre  cuite  du  plus  gracieux  effet  (fig.  71).  Donnons  enfin 
le  fac-similé  de  la  gravure  japonaise,  en  couleur,  de  Kuniyoshi 


(1)  Page  h±. 

(2)  Anecd.  hisL,  p.  60.  fij 


33. 


112 


LES     SKINS     ItANS     L    HISTOIKK 


(fig.  72),  runc  des  24  planches  de  la  suite  de  rhisloirc  de 
M""'  Tow  «  allaitant  sa  belle-mère  qui  ne  peut  plus  manger  ni 
viande  ni  légumes  :  elle  partage  son  lait  avec  son  bébé  »,  dit 
l'inscription  placée  dans  un  coin  de  la  composition. 


Fij. 


7:1. 


Une  gravure  d'Augustin  Le  Grand  (fig.  73)  eut  un  succès 
immense,  durant  l'épidémie  de  lactomanie  qui  sévit,  en  France, 
au  xviii''  siècle  :  c'était  l'époque  de  J.-J.  Rousseau.  Le  philoso- 
phe de  Genève  offre  une  rose  à  la  mère  qui  accomplit  sa  mission. 
Au  bas  de  l'estampe,  on  lit  cette  légende  :  «  Jean-Jacques  Rous- 


FAITS    LK(i  i:m)ai  i{i:s    i:  r    h  isioiuorKS 


143 


seau  ou  riiomme  de  la  Nature,  Il  rendit  les  mères  à  leurs  devoirs 
et  les  enfants  au  bonheur.  »  Touchants  exemples  qui  seront  bien- 
tôt oubliés.  Lemotif  pruicipaldu  tombeau  de  Jean-Jacques  à  Erme- 
nonville (fig.  74),  représente  une  Charitr,  avec  un  enfant  à  la 
mamelle,  et  les  mères  reconnaissantes  venant  offrir  des  présents  à 
une  Diane  d'Ephèse  ou  une  Nature  multimammée  ;  le  sacré  et 
le  profane  réunis  sous  les  auspices  de  «  l'homme  de  la  Nature  ».  De 


Fit 


même  à  Sparte,  les  nourrices  portaient  leurs  enfants  au  temple  de 
Diane  Corythallis.  V Anta^cmcnt  de  renfance  (fig.  75)  appartient 
encore  au  groupe  des  estampes  inspirées  par  la  campagne  en 
faveur  de  Fallaitement  maternel. 

Bien  avant  la  propagande  de  Rousseau,  Picart,  dès  1717,  préco- 
nisa, par  l'image,  Tallaitement  maternel  :  il  composa  un  tableau 
sensationnel,  dont  la  gravure,  due  à  Duflos,  fut  répandue  à  pro- 
fusion. Les  tirages  successifs  de  cette  excellente  «  leçon  de 
choses  »  offrent  des  variantes  dans  le  dessin  et  les  quatrains  exph- 
catifs  (fig.  76).  L'une  de  ces  planches  est  accompagnée  de  cette 
versification  mirlitonnesque,  à  la  portée  des  âmes  sensibles  et 
naïves  : 

Si  vous  voulez  que  l'on  vous  aime 

Et  qu'on  vous  estime  en  tous  temps  ; 

Mères,  prenez  un  soin  extrême 

U'élever  et  nourrir  vous-mêmes  vos  enfans. 


144 


LES    SKINS     DANS     L    IIISTOIRF. 


La  \n/(rrice  qui  ramené  l  enfant,  de  B(''nard,   appartient  à  la 
même  école  sentimentale  et  nourricière.  La  gravure  de  ce  tableau. 


Fig.  Ta.  —  Dédii^ç  à  la  marquise  de  Maiiiix  il 
Motes  del.,  Louvet  sculp. 


par  Duflos,  est  agrémentée  de  Fapostrophe  versifiée,  de  rigueur, 
aux  mauvaises  mères  : 


De  votre  indifférence,  Eglé,  voilà  le  fruit  : 
Plus  docile  que  vous  au  cri  de  la  Nature, 
C'est  pour  suivre  ses  lois  et  venger  son  injure 
Que  cet  enfant  vous  fuit. 


FAITS    lk(;km)aiuf:s    kt   histoiuouks 


145 


Sans  effort,  sans  biscuit,  il  vole  à  sa  nourrice. 
Si  rhaliitude  enfin  vous  le  ramène,  un  Jour, 
Ne  rougirez-vous  pas  d'avoir,  par  artilice, 
Ce  qu'elle  a  par  Amour. 

Il  n'est  que  trop  naturel  de   rencontrer  dans  le   bataillon   des 
apôtres   de    Fallaitement,   le   créateur  de   la  peinture  morale  en 


Belles  qui  désire:^  des  fruis  de  votre  amour: 
Aprenej  de  cette  peinture 
Diama  paris  1717  Qu'après  les  avoir  mis  an  jour       Auec  privilège  du  Roy 

Rue  des  Boucheris  Vous  leur  deve^  la  nourriture. 

Fig.  76. 


/autour    St    germain 


France,  J.-B.  Greuze,  avec  la  Privation  sensible  ou  le  Départ  de 
la  harcelonnelte  et  le  Retour  de  nourrice,  aimables  leçons  de 
choses  qui  rappellent  à  leurs  devoirs  les  femmes  oublieuses;  n'est-ce 
pas  Diderot  qui  a  dit  de  lui  :  «  il  prêche  la  population  ?  » 
Liezenmayer  a  raconté  sur  la  toile  un  épisode  qui  met  à  jour 
l'àme  charitable  de  Marie-Thérèse  d'Autriche,  émule  de  sainte 
EUsabeth  de  Hongrie.  L'artiste  représente  la  reine  au  moment  où, 
dans  une  promenade,  elle  se  dispose  à  donner  le  sein  à  l'enfant 
d'une  pauvre  malade.  Le  véritable  bienfaiteur,  en  la  circonstance, 
est  le  fils  de  la  souveraine  qui  cède  son  tour  au  petit  miséreux 

10 


LES    SEINS    DANri    L  HISTOIRE. 


146 


L  !■;  s     s  i:  I  N  s     DANS     L    II  I  S  T  O  I  It  K 


(fig-.  77).  Ce  tableau,  qui  figurait  à  FExposition  de  Paris  do  18()7, 
est  retourné  au  Musée  de  Vienne. 


_^C<,     U^^-'-i^    A 


^,  ^  /  ,^. 


^'^y' 

/-'v 

%" 


5   .-^'^"^^ 4"m^^ 


Fie.  77. 


Une  certaine  mode,  en  Angleterre,  a  été  ridiculisée  parla  plume 
et  le  crayon  ;  mais  elle  a,  comme  toujoui's,  résisté  aux  attaques  les 
plus  violentes.  Dans  une  caricature  (fig.  78),  dont  nos  Curiosités  (1) 

(1)  Page  167. 


FAITS     I.  KC.  ENDAIRES     ET     HISTORIOIES 


a- 


n'ont  donné  qu'un  croquis  —  T/w  fnsjdonalih   mamnid  or  ihc 


FiK.  7S. 


convenience  of  modem  dress  (la  maman  fashionable  ou  les  avan- 
tages de  la  robe  moderne)  (1790)  —  Gilleray  raille  la  grande  dame 


148 


LES    SEINS    DANS     L    HISTOIRE 


qui,  avant  de  sortir,  se  résigne  à  olTiir  la  mamelle  à  son  enfant, 
mais,  sans  daigner  le  prendre  des  mains  de  la  gouvernante,  comme 

une  nourrice  royale;  et, 
pour  n'avoir  pas  à  se 
dégraffer,  elle  porte  la 
robe  fendue  au  niveau 
des  seins,  à  la  façon 
des  madones  moyenâ- 
geuses :  c'est  plus  expé- 
ditif  et  moins  schoJàng. 
A  travers  la  fenêtre,  on 
aperçoit  le  cocher  sur 
son  siège,  attendant  im- 
patiemment que  Madame 
ait  terminé  sa  corvée. 
Par  contraste,  l'artiste 
a  accroché  au  mur  un 
tableau  représentant  le 
véritable  amour  mater- 
nel —  Maternât  Love  — 
où  la  mère,  tout  à  son 
devoir,  tient  son  enfant 
sur  ses  genoux  et  dé- 
couvre entièrement  sa 
poitrine. 

Eugène  Delacroix,  en 
1824,  exécuta  son  Mas- 
sacre de  Scio,  comme 
une  protestation  géné- 
reuse et  vibrante  contre 
les  exactions  des  Turcs, 
qui  opprimaient  et  en- 
sanglantaient la  Grèce. 
^ous  ne  tirerons  de 
cette  horrible  et  admirable  page  d'histoire  que  le  groupe  d'une 
mère,  frappée  à  mort,  tandis  qu'elle  allaitait  son  enfant  (flg.  79). 
En  arrière  de  ce  cadavre,  un  Sciote  traîne  à  la  queue  de  sa 
monture  une  jeune  grecque  nue.  «  Elle  se  tord  et  se  renverse  en 


FAITS     LKC.ENDAIRES     KT     HISTORinUES 


149 


proie  aux  convulsions  de  la  pudeur  torturée,  dit  un  écrivain  qui 
excelle  aux  descriptions  héroïques,  Paul  de  Saint-Victor  ;  son  torse 
virginal  a  la  pureté  du  marbre  incarné  ;  le  désespoir  lui  imprime 
les  mouvements  delà  volupté.  Belle  comme  une  Niobide  mourante, 
touchante  comme  une  martyre  chrétienne,  elle  prend,  au  milieu 
de  ces  sènes  d'horreur,  la  divinité  d'une  allégorie.  C'est  la  Grèce 
dépouillée  et  violée  se  débattant  contre  l'oppresseur.  » 


Fig.  80.  —  Empruntée  au  Correspondant  médical. 


Une  mère  mowanle,  de  Philippe  de  Ghampaigne  (Musée  de 
Vienne),  porte  une  blessure  mortelle  au  niveau  du  sein  droit  :  die 
n'a  plus  la  force  de  soutenir  son  enfant  suspendu  à  son  sein.  Nous 
pouvons  rapprocher  de  ces  scènes  tragiques  celle  que  rappelle 
Pline  à  propos  d'un  peintre  thébain,  Aristidês  :  «  11  a  représenté, 
lors  de  la  prise  d'une  ville,  un  enfant  qui  rampe  vers  le  sein  do 
sa  mère,  mourante  d'une  blessure,  et  il  laisse  voir  que  la  mère 
sent  et  craint  que  son  enfant,  à  la  place  du  lait  tari,  ne  suce  du 
sang  ». 

A  côté  de  la  guerre,  un  fléau  non  moins  terrible,  la  peste,  nous 
fournira  d'autres  documents.  Dans  une  composition  de  Piaphaël 
(fig.  80i,  un  fossoyeur  écarte  l'enfant  vivant  du  cadavre  de  sa 


i;-.(i 


LKs   sf:ins    dans    l  histoihe 


mère  ci  il  se  bouche  le  nez  du  mieux  possijjle  pour  éviter  les  éma- 
nalions  : 

Sur  le  téton  do  sa  mère  expirante, 
Tout  endormi,  j'ai  pris  le  nouveau-né. 


/ù^ûÛe^  a■'CA^/i^^/u  ^./yza/^r/^i^.t^' 


SI. 


L'un  des  curieux  hauts  reliefs,  en  cire,  de  Zumbo  Goi'tan,  conser- 
vés au  Musée  de  Florence,  expose  un  charnier  rempli  de  victimes 
de  la  peste  :  le  fossoyeur,  le  nez  et  la  bouche  couverts  d'un  ban- 
deau, jette  ini  cadavre  d'homme  sur  ceux  d'une  mère  et  de  son 
enfant,  encore  cramponné  à  son  sein  (1).  Dans  sa  Peste  ftAsliod 
(National  Gallery,  Londres),  Nicolas  Poussin  étend  au  premier 
plan  une  femme  morte,  avec  son  enfant  sur  la  poitrine  ;  c'est  un 
épisode  de  la  Peste  des  P/iiilstins,  du  Musée  du  Louvre.  Ce  qui 

(1)  D''  Félix  Regiiaiilt,  La  pesie  dans  l'Art,  in  Correspondant  médical. 


FAITS     LÉr.  END  AIRES     ET     HISTORIQUES 


ir.i 


charma  surtout  le  président  De  Brosses,  à  Marseille,  devant  le  bas- 
relief  de  Pierre  Puget,  représentant  la  Pfslr  de  Milan,  ce  fut  la 
figure  d'une  femme  moribonde,  dont  la  gorge,  qui  a  été  belle,  est 
abattue  par  la  maladie  ;  «  on  dirait  que  les  chairs  vont  plier  sous 
le  doigt  ».  Enfin,  dans  la  chapelle  Saint-Charles,  de  Téglise  Saint- 
Jacques  d'Anvers,  un  enfant  des  Pestiférés  de  Milan,  par  Jacques 
Jordaens,  est  pendu  au  sein  de  sa  mère  expirante. 


Fig.  82. 


Xous  avons  reproduit  le  dessin  de  Léo  Dchaisne  (fig.  14), 
illustrant  le  menu  du  231''  diner  de  la  Société  du  «  Bon  Bock  «  ; 
le  billet  d'invitation  pour  le  153'^  banquet  (o  février  188U;  est 
illustré  par  le  Premier  Bock  d'Eugène  Carrière, 

Le  peintre  du  Réel  et  de  la  l'oésie, 

reproduction  de  son  tableau  symbolique  :  Maternité.  Lucien  Car- 
doze  y  a  joint  une  pièce  de  vers  appropriée. 

Une  lithographie  de  Chaponnière  (fig.  81)  porte  en  légende  : 
Hé  col  te  Cl  r  hospice  de  la  maternité.  C'est  sans  doute  une  allusion 
cà  un  fait  politique,  mais  lequel  ?  Les  marmots  jurent  qu'ils   «  ne 


lo2 


I,  i:  S     s  E I  N'  s     DANS     1/  H  I  S  T  ()  I  H  K 


téteront  plus  jusqu'à  la  dissolution  des  Chamlircs  ».  S'agit-il  de  la 
dissolution  qui  eut  lieu  en  avril  1831,  sous  le  ministère  Casimir 
Périer  ?  Les  collégiens,  émancipés  à  ce  moment,  se  mêlaient  aux 
manifestations  politiques  et,  par  ironie,  le  dessinateur  force  la  note 
et  montre  une  révolte  des  enfants  au  maillot.  Cette  conjecture  est 


îlMiMLIIf 


Fig.  83.  —  Musée  de  Gliinv. 


Fig.  84.  —  D'îipres  la  plioloyiapliie 
communiquée  par  M.  Paul  Duval. 


la  seule  qui  nous  paraisse  plausible,  mais  nous  la  donnons  pour 
ce  qu'elle  vaut. 

Le  périodique  illustré  allemand,  Simpiicissinms,  a  publié  une 
caricature  satirique  «  le  Commerce  et  la  Culture  »  (fig.  82),  qui 
faisait  allusion  à  la  crise  économique  de  l'Allemagne,  en  1901,  lors 
de  la  lutte  entre  les  industriels,  libre-échangistes,  et  les  Agrairiens, 
protectionnistes  ;  l'Allemagne,  en  bonne  mère,  nourrit  les  frères 
ennemis  à  ses  mamelles,  en  disant  :  «  Ne  vous  disputez  pas,  j'ai 
assez  de  lait  pour  les  deux  » . 


FAITS    LKGENDAIRKS    ET    HISTORIQUES 


153 


Les  nourrices  termineront  cette  revue  iconographique  (l'histoire 
et  de  mœurs.  La  statuette  en  terre  cuite  émaillée  de  Palissy 
(fîg-.  83),  «  exquise  par  le  sentiment  et  touchante  par  la  naïveté 
du'' rendu  (1)  »,  est  une  restitution  du  costume  de  la  gent  nourri- 
cière au  xvf  siècle. 

Dans  les  galeries  de  Versailles,  un  tableau  anonyme,  des  Beau- 
brun  peut-être,  qui  eurent  la  spécialité  de  portraicturer  Louis  XIV 


Fig.  85.  —  Tirée  du  Malin. 

enfant,  représente  le  roi  au  maillot,  sur  les  genoux  de  sa  nourrice, 
qui  lui  offre  le  sein.  D'après  M.  P.  de  Nolhac,  cette  remplaçante 
royale  ne  serait  autre  que  la  dame  Amelin  ;  elle  est  coiffée  en  che- 
veux et  vêtue  d'une  robe  jaune  paille  relevée  de  dentelle. 

Une  estampe  ancienne,  exposée  au  petit  Palais,  en  1901,  nous 
donnait  le  portrait  de  la  nourrice  de  Monseigneur  le  prince  Ferdi- 
nand, enfant  d'Espagne,  troisième  fils  de  Phihppe  V,  roi  d'Es- 
pagne et  de  Louise-Gabrielle  de  Savoye;  le  sein  gauche  émerge 
en  entier  du  corsage  de  la  nourrice,  qui  se  prépare  à  remplir  ses 
fonctions  augustes. 

Une  statuette  (fig.  84),  rapportée  de  Tampico  par  le  D''  Leter, 
fio-ure  une  Mexicaine  allaitant  son  enfant  tandis  qu'elle  a  sur  son  dos. 


(1)  Philippe  Burty. 


l'J4  LKS     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 

dans  un  panier  de  sparterie,  deux  volatiles  :  une  pintade  et  un 
dindon. 

Curieuse  scène  de  mœurs  prise  sur  le  vif,  par  Boutreil  :  La  pre- 
mière dent,  (le  lait.  Ce  n'est  pas  assez  d'entretenir  la  nourrice  de 
savon,  qu'elle  vend,  et  de  sucre,  qu'elle  mange  :  il  lui  faut  encore 
le  petit  cadeau  de  la  première  dent,  de  peur  qu'elle  n'en  garde  une 
contre  les  parents  :  la  nourrice  ouvre  la  bouche  d'un  bébé  au  mail- 
lot et  montre,  avec  satisfaction,  la  première  incisive  au  père  et  à 
la  mère  attendris. 

Notons  une  caricature  de  Klein  :  Quadrille  échevelê.  exécuté  par 
les  Clodoches  de  la  politique,  où  se  font  vis-à-vis  Chambord  en 
Basile,  Gambetta  en  Arlequin,  d'Aumale  en  Ecossais  et  Thiers 
en  nourrice  bambocheuse,  avec  un  bébé  coifl'é  d'un  bonnet  phr}'- 
gien,  la  troisième  République  ;  son  tablier  blanc  est  parsemé  de 
fleurs  de  lys  et  de  bonnets  phrygiens,  unis  aujourd'hui  sous 
l'égide   du    Nationalisme. 

Les  Remplaçantes^  de  Brieux  (19U1],  donnèrent  aux  nourrices 
une  mauvaise  presse  (1);  Albert  Guillaume,  dans  une  de  ses  satires 
crayonnées  de  l'événement  du  jour,  où  il  excelle,  imagina  le  Char 
de  f  Allaitement  (fîg.  80)  pour  les  réhabiliter  et  proposa  de  le  faire 
figurer  dans  le  cortège  symbolique  de  la  mi-caréme. 

Les  industriels  jouent  souvent  de  la  nourrice  j)our  leurs  n'-clames  : 
une  affiche  d'automobiles  installe  dans  une  de  ses  voitures  à  pneu, 
qui  «  boivent  l'espace  »,  une  nourrice  donnant  le  sein  avec  la 
plus  grande  sécurité.  A  la  même  série  appartient  un  plâtre 
colorié,  visible  à  la  vitrine  des  «  troquets  »  ;  il  recommande  un 
tonique-apéritif  {^\g.  86)  si  bienfaisant,  que  le  nouveau-né  préfère 
la  précieuse  bouteille  à  celle  de  sa  nourrice.  Cette  propagande  est 
en  opposition  avec  la  philosophie  d'un  des  tableaux  de  mœurs  épi- 
sodiques  d'Hogarth,  Gin  Lane,  où  l'on  voit  une  mère  donner  à 
son  nourrisson  du  gin  à  la  place  de  lait  :  l'artiste  moraliste  a  réuni 
dans  sa  composition  tous  les  crimes  du  gin.  De  même,  le  symbo- 
liste Gruikshank,  fait  la  synthèse  des  méfaits  de  l'alcool  dans  la 
Bouteille,  d'où  sortent  tous  les  maux  de  l'humanité.  Quoi  qu'il  en 

(1)  Justifiée  par  la  statistique  trop  édifiante  du  service  de  Pinard  (maison 
d'accouclienient  Baudelocque),  sur  la  mortalité  des  enfants  nouveau-nés  : 
2D  p.  100,  élevés  au  sein  :  40  p.  100,  au  biberon  ;  60  p.  100,  envoyés  en  nour- 
rice. Conclusion  : 

Laissons  les  entauls  à  Icui-  mère. 


FAITS     l,l':(i  RNDAIHKS     F,  T     HISTOHIOUKS 


i:kj 


soit,  la  liqueur  «  sans  alcool  (?j  »  sera  la  bien  venue  chez  les  Orien- 
taux qui,   grâce  à   la  finesse  de    Mahomet,    ont  résolu   ces  deux 


p^HFJ 


ini  m^ïïm  ïïiimi 


Fijï.  cSG. 


graves  questions  :   Talcoolisme  et  —  à  la  satisfaction    des  deux 
sexes  —  le  féminisme. 


CHAPITRE  II 

SUR   LE    DÉCOLLETAGE 


I.   —   FAITS   DIVERS 


En  France.  —  D'après  certains  auteurs,  sous  Charles  YI,  seu- 
lement les  dames  de  qualité  —  àTexemple  dlsabeau  de  Bavière  — 
commencèrent  à  découvrir  leurs  épaules  et  leur  poitrine,  mais  le 
bibliophile  Jacob  fait  judicieusement  observer,  dans  les  Costumes 
historiques  de  la  France,  que  les  statues  de  Luithgarde,  épouse 
de  Charlemagne;  de  Richarde,  épouse  de  Charles  le  Gros;  de 
Berthe,  épouse  de  Robert;  d'Anne,  épouse  de  Henri  P'"  et  d'Adèle, 
épouse  de  Louis  le  Gros,  prouvent  que  cette  mode  est  bien  anté- 
rieure à  la  fin  du  xiv''  siècle.  11  reproduit  le  portrait  d'Agnès  de 
Soisy,  femme  de  Jean  Chastelain  de  Térote  (fig.  87),  gravé  en 
creux  sur  une  tombe,  dans  le  cloître  de  l'abbaye  d'Ourscamp,  près 
de  Xoyon  :  le  surcot  laisse  la  gorge  à  découvert. 

Nous  avons  cité  (1)  le  passage  du  Dit  des  Cornettes,  satire 
contre  la  toilette  des  femmes,  qui  indique  au  xiii^  siècle  une  ten- 
dance très  accentuée  à  l'exhibition  des  charmes  pectoraux.  Les 
désœuvrées  d'alors  savaient  déjà  fort  bien  ((  cacher  ce  qu'il  faut 
cacher,  montrer  ce  qu'il  faut  montrer  »,  comme  on  chante  dans  la 
Jolie  Persane. 

Jeanne  de  Bourbon,  que  son  époux  Charles  V  appelait  le  «  soled 
de  son  royaume  »,  portait,  au  couronnement  du  roi,  à  Reims,  un 
corsage  fortement  échancré  (fig.  88),  à  en  juger  d'après  une 
miniature  du  manuscrit  des  Chroniques  de  Froissart  (Biblioth.  nat., 
n'^  8  32(1). 

(1)  Anecd.  h'ist.,  p.  ISl. 


SUR    LE     DKCOI.LKTAC.E 


i;i7 


Dans  la  première  moitié  du  xv"  siècle,  un  vitrail  de  la  cathé- 
drale de  Chartres  (chapelle  de  Vendôme^,  représente  Catherine, 
femme  de  Jean  de  Bourbon,  comte  de  Vendôme,  avec  un  corsage 
découvrant  les  épaules  et  la  naissance  des  seins  (fig.  89).  De  même 
Jeanne  de  Montaigu,  baronne  de  Thuri,  morte  en  1420,  figure, 
sur  une  vitre  de  l'église  des  Célestins  de  Marcoussis,  avec  un  sur- 
cot  recouvrant  la  robe  ou  cotte  hardie,  dont  Téchancrure  permet 


Fig.  87. 


au  buste  une  émergence  quelque  peu  immodeste  (fig.  90).  Une 
miniature  du  manuscrit  du  règne  de  Charles  Yll,  nous  présente  la 
poitrine,  encore  suffisamment  découverte,  de  Marie  de  Fayel, 
femme  de  Renaud  de  Xanteuil  (fig.  91)  ;  très  décolletée  aussi  est  la 
pieuse  Anne  de  Beaufort,  fille  aînée  de  Pierre  de  Beaufort  (règne 
de  Louis  XI),  figurée  sur  une  vitre  de  Téglise  des  Cordeliers  de 
Nantes  (fig.  92).  Sous  le  règne  de  ce  despote,  le  corsage  féminin, 
qui,  à  Tépoque  de  son  père,  n'était  ouvert  en  pointe  que  sur  la  poi- 
trine, s'ouvre  également  dans  le  dos,  et  la  gorgerette  de  gaze,  qui 
masquait  l'ouverture  antérieure,  prend  le  nom  de  gorgias^  mais 
elle  voile  juste  assez  la  gorge  pour  en  doubler  les  charmes.  En 
chaire,  les  cordeliers,  les  sermonnaires  de  tous  ordres  monastiques 
perdaient  leur  temps  et  leur  salive  à  fulminer  contre   ces  modes 


i:-)8 


LIÎS     Si:iXS     MANS     L    HlSTOlItK 


impudentes  et  qualifiaient  de  «  portes  d'enfer  )>  les  crevés  incon- 
venants du  surcot.  Jean  Gerson,  sous  Charles  YI,  se  plaignait  de 
«  leur  sain  ouvert  et  mamelles  estraintes  et  descouvertes,  corsets 
et  manches  justes. . .  ». 

Un  célèbre  arrêt  du  Parlement,  en  date  de  1420,  interdisait  aux 
prostituées  le  port  de  ceintures  d'or  ou  dorées,  d'où  le  proverbe  : 
Bonne  renommée  vaut  mieux  que  ceinture  dorée  (1)  ;  il  leur  était  en 


Via,,  yj 


outre  défendu  d^avoir  des  robes  à  collet  ouvert  et  leur  corsao^e 
devait  être  lacé  sur  le  côté.  Un  passage  de  la  Vengeance  de  Notre- 
Seigneiir,  mystère  du  xv**  siècle,  dont  nous  aurons  occasion  de 
reparler,  décrit  la  toilette  des  jeunes  filles  qui  «  folâtraient  dans 
Jérusalem  »,  ou  des  filles  de  joie;  c'est  sans  doute  le  costume  des 
courtisanes  de  l'époque,  les  poètes  et  les  artistes  prenant  d'habitude 
leurs  contemporaines  pour  modèles.  Les  vers  suivants  montrent 
que  l'arrêt  du  Parlement  n'était  pas  strictement  observé;  ces  dames 
ne  pouvaient  se  dire    «  collets  montés  »  qu'en  arrière  du  cou  : 

Vous  cheminez  à  grands  pas  d'arrogance, 
Les  cols  levez  aussi  droits  qu'une  lance. 

(1]  Anec.  liist.,  p.  187. 


s  115     \.E     DKC  (t  I.  I.  KTAC  K 


159 


Vous  cheminez  fières  comme  liepars,  (léopards) 
Monstrant  à  tous  vos  beaulx  chevels  espars, 
Vos  beaux  devans,  vos  mignonnes  poitrines  ; 
Et  se  (si)  voyez  paillardeaux  loricars. 
Vous  leur  jettez  impudiques  regars, 
Et  leur  faictes  un  tas  de  petits  signes. 

En  1330.  un  édit  de  Florence  interdisait  les   fichus  de  collets, 
aussi  bien  aux  vierges  folles  qu'aux  vierges  sages. 


Fis.  93. 


Fig.  94.  —  D'après  Roger  Miles, 
le  Costume  et  la  mode. 


Guillaume  Coquillart,  dans  le  Plaidoyer  d'entre  la  simple  et  la 
rusée,  reproche  à  celle-ci  d'allécher  ses  dupes, 

Par  désordonnées  fringueries, 
Par  robes  fendues,  seins  ouverts... 

mode  qui  se  continua  au  siècle  suivant.  Dans  la  Farce  des  deux 
amoureux,  de  Clément  Marot,  l'un  des  personnages,  décrivant  la 
toilette  de  sa  belle,  parle  d'une 

Uobe  de  pers,  large  et  ouverte. 
J'entends  à  l'endroit  des  tetins... 


160  II",  s     SKIXS    DANS     I,    HISTOIUK 

A  l'époque  de  Charles  VIII,  le  Parement  des  dames,  crOlivier 
de  la  Marche,  cite  une  élégante  vêtue  d'une  cotte,  avec  ouverture 
en  guitare  sur  le  devant,  masquée  par  une  pièce  de  tissu  transpa- 
rent qui 

Garde  la  chair  de  chaleur  et  noirceur. 

Pendant  le  règne  de  Louis  XII,  la  robe  génoise,  fort  décolletée 
et  lacée  par  devant,  fut  introduite  à  la  Cour  de  France,  sans  doute 
en  l'honneur  de  la  passion  toute  platonique  que  le  roi  inspira  à  la 
belle  Génoise  Thomassine  (fig.  93). 

Sous  Henri  II,  à  l'exception  de  la  reine  de  fait  et  de  fête,  Diane  de 
Poitiers,  qui  réserve  pour  son  usage  personnel  le  monopole  du 
déshal)illage,  le  costume  féminin  observe  une  austérité  relative  : 
aussi  H.  Estienne  est-il  autorisé  à  écrire  qu'à  son  époque  :  «  On 
avoit  mauvaise  opinion,  en  France,  d'une  femme  qui  faisoit 
paroistre  sa  gorge  ;  au  lieu  qu'en  Italie,  et  particulièrement  à  Ve- 
nise, il  n'y  avoit  pas  jusqu'aux  vieilles  tétasses  qu'on  ne  mît  en 
parade  ». 

Au  temps  du  roi  très  chrétien  Charles  IX,  la  mode  était  aux 
amples  vertugadins  ou  (jard' enfants  (protecteurs  d'enfants)  ou 
encore  cache-batards  et,  par  ironie,  vertu-gardiens  —  «  si  favo- 
rables aux  fdles  qui  s'étaient  laissé  gâter  la  taille  (1)  »  —  :  les  gorges 
étaient  absolument  nues,  quelquefois  ombragées  d'un  filet  de  perles 
ou  de  pierreries  à  grands  carreaux. 

Le  Vert -Galant,  ennemi  de  toute  pruderie  mesquine  et  hypo- 
crite, mais  fervent  admirateur  de  la  nature  saine  et  forte,  est  par- 
tisan de  l'émancipation  des  corsages,  à  la  condition  qu'ils  aient, 
comme  celui  de  sa  Gabrielle  (fig.  94),  quelque  chose  b.  mon- 
trer. 

Le  buste  vigoureux  de  Marie  de  Médicis,  si  souvent  caressé  par 
le  pinceau  de  Rubens,  a  servi  de  modèle  à  ses  contemporaines  et 
aussi  aux  frivoles  des  règnes  suivants;  elles  s'efforçaient  d'atteindre 
l'embonpoint  pectoral  de  cette  souveraine,  «  En  voyant,  dit 
M.  Larroumet,  les  portraits  de  la  robuste  génération  de  femmes 
qui  florissait  dans  la  première  moitié  du  grand  siècle,  vous  aurez 
certainement  remarqué  l'aspect  copieux  de  leur  beauté.   Il  y  a  là 

(Ij  Dict.  des  Jésuiles,  de  Trévoux. 


SLK     LR     DKCOLL  KTA(;K  161 

une  esthétique  particulière  et  Victor  Cousin,  amoureux  posthume 
de  ces  grandes  dames,  n'a  pas  manqué  de  la  formuler  en  style  aca- 
démique. Il  disait  de  la  plus  célèbre  et  de  la  plus  typique  d'entre 
elles,  la  duchesse  de  Long-ucville  :  «  L'embonpoint  et  les  avan- 
tages ne  lui  manquaient  pas.  Elle  possédait  le  genre  d'attraits 
qu'on  prisait  si  fort  en  ce  temps.  » 

Avec  le  chaste  Louis  XIll,  l'antithèse  de  son  père,  les  «  collets 
montés  »  du  xv''  siècle  reparaissent,  mais  comme  la  coquetterie  ne 
perd  jamais  ses  droits,  les  lacets  des  robes  se  relâchent  peu  à  peu 
et  mettent  bientôt  en  évidence  les  opulences  du  corsage,  «  les 
aiguillons  de  la  chair  »  ;  le  scandale  devient  tel  que  le  pape  croit 
devoir  intervenir  et  menacer  d'excommunication  les  impudiques 
qui  dépasseront  les  limites  permises.  Les  jeunes  filles  et  les  femmes 
âoves  dissimulaient  les  échancrures  indiscrètes  de  leurs  robes,  à 
l'aide  de  fichus  en  dentelles,  appelés  mi/nc/es. 

Un  opuscule  de  l'époque  (1618)  —  La  <fescoicv('?'t//re  <lti  style 
impudique  des  courtisannes  de  Normandie^  à  celles  de  Paris, 
envoyée  j>our  estrennes,  de  r  invention  dune  courtisanne  angloise 
—  donne  aux  dévergondées,  qui  veulent  jouer  «  au  reversis  «  ou 
«  à  la  bête  à  deux  dos  «,  les  conseils  suivants  :  «  Celles  qui 
auront  la  Q-oro-e  blanche  et  bien  taillée  et  les  tétons  blancs  et  bien 
relevez,  qu'elles  se  donnent  bien  de  garde  de  mettre  rien  de  leurs 
affûtages  au  devant,  qui  empêchent  la  vue  des  regardans,  mais 
leur  fassent  souhaiter  de  s'en  servir  de  coucinets.  Celles  qui 
l'auront  au  contraire  ci-dessus,  qu'elles  mettent  de  larges  pare- 
mens  à  leurs  collets  et  robbes  et  n'en  fassent  paroistrc  que  des 
échantillons.    » 

Du  temps  de  Louis  XIV,  d'après  les  Costumes  historiques  de 
la  France,  du  bibhophile  Jacob,  la  toilette  des  dames  du  bon  ton 
se  distinguait  par  une  extrême  décence  ;  toutefois,  les  dames  espa- 
gnoles introduisirent,  en  France,  l'usage  de  se  découvrir  entière- 
ment les  bras,  les  épaules  et  la  gorge,  même  à  l'église  :  «  Une 
ordonnance  de  1711  recommande  aux  curés  et  vicaires  de  s'éle- 
ver, dans  leur  prône,  contre  «  ces  femmes  et  fdles  qui  viennent 
entendre  la  sainte  messe  dans  un  habillement  indécent  et  immo- 
deste, n'ayant  qu'une  robe  sans  ceinture,  telles  qu'elles  les  prennent 
en  sortant  du  lit  ».  Ce  fut  pour  éviter  la  nudité  des  épaules  et  de 
la  gorge  que  naquit  l'usage  des  palatines,   portées  d'abord  par  la 

LES    SEINS    liANS    1,'hISTOIUE.    —    I.  Il 


102  LKS     SKINS     DANS     L    HISI'OIIIE 


princesse  Charlotte  Elisabeth  de  Bavière,  fille  de  l'Electeur  Pala- 


tin. 


En  1()92,  les  femmes  se  couvraient  le  sein  avec  des  fichus  appe- 
lés Sfcinkerqiie,  en  souvenir  des  cravates  mal  nouées  que  por- 
tèrent nos  officiers  surpris  —  comme  ils  le  seront  en  1870  —  le 
jour  de  cette  bataille. 

Au  xvii^  siècle,  il  était  imprudent  de  sortir  la  nuit  en  décolleté 
de  soirée  ;  colliers  et  chair  plus  ou  moins  fraîche  pouvaient  tenter 
le  diable  et  les  tire-laines  ;  témoin  Taventure  de  M™'  de  Rohan, 
racontée  par  Tallemant  des  Réaux  :  «  Un  soir  qu'elle  revenait  du 
bal,  elle  rencontre  des  voleurs.  Aussitôt  elle  mit  la  main  à  un  col- 
lier de  perles  magnifiques,  qui  ornait  son  cou.  Un  de  ces  galants 
hommes,  pour  lui  faire  lâcher  prise,  la  voulut  prendre  aux  seins; 
mais  il  avait  affaire  à  une  maîtresse  mouche  :  «  Pour  cela,  lui  dit- 
elle,  vous  ne  l'emporterez  pas,  mais  vous  emporterez  mes  perles.  » 
Durant  cette  contestation,  il  vint  du  monde,  et  elle  ne  fut  point 
volée.  »  Nous  avons  cité  (1),  d'après  le  même  auteur,  pareille  mésa- 
venture arrivée  à  ^P'  Gornuel  ;  celte  fois,   encore,   les  voleurs 

furent  volés. 

Sous  la  Régence,  le  dévergondage  des  mœurs  se  réfléchit  dans 
la  mode,  et  Ton  montrait  au  doigt  les  prudes  qui  hésitaient  à  faire 
étalage  de  leurs  appas.  La  marquise  deCréquy  critique  la  manie  de 
sa  marraine,  la  princesse  des  Ursins,  qui  croyait  devoir  suivre  le 
o'oût  du  jour,  (c  en  faisant  des  toilettes  prodigieuses,  avec  sa  poi- 
trine  et  ses  vieilles  épaules  à  découvert  «.  Ce  tut  la  cause  indi- 
recte d'une  aventure  tragique.  Le  prince  de  Mansfeld  demandait, 
un  jour,  à  la  marquise  la  raison  de  ce  décolletage  intempestif  : 
«  C'est  pour  faire  plaisir  à  nous  autres  jeunes  femmes  et  notam- 
ment à  la  comtesse  Fagnani  »,  répondit  la  marquise  en  montrant 
la  comtesse,  qui  avait  (c  la  plus  belle  poitrine  et  les  plus  belles 
épaules  ».  Madame  Fagnani  «  indépendamment  de  ses  belles 
épaules,  avait  une  belle  passion  »  pour  le  prince.  Elle  se  fâcha  de 
ces  airs  d'intelligence  et  Mansfeld  reçut  un  coup  de  poignard  dont 
il  faillit  mourir. 

Dans  l'anecdote  rapportée  plus  haut  sur  «  le  rat  »  de  M""  de 
Warens,  et  qui  remonte  aux  années  1732  à  1736,M"*'=  de  Menthon 

(1)  Atiecd.  hiiil..  ]).  T'J. 


SUR     LE     1)EC()LLETA(;K 


163 


traite  la  «  maman  »  de  Jean-Jacques  de  précieuse,  parce  qu'elle  man- 
quait de  goût  «  en  couvrant  sa  gorge  comme  une  bourgeoise  ».  Ce 
passage  indique  que  le  décoUetage  était  de  règle  dans  la  haute 
société  de  la  première  moitié  du  xviii''  siècle. 

Un  vaudevilliste  de  ce  temps,  Guigoud-Pigale,  prévient  les  spec- 
tateurs qu'autour  de  son  baquet  magnétique,  dans  la  pièce  qui 
porte  ce  titre,  ils  verront  se  presser  : 

Un  peuple  de  femmes  galantes 
Dont  la  beauté  les  ravira, 
Les  unes  en  chemise  et  d'autres  en  bouffantes, 
Vingt  en  Agnès  et  quarante  en  bacchantes. 

(3n  donnait  le  nom  de  «  chemises  »  à 
des  robes  de  matin  unies  et  sans  plis,  que 
les  petites  maîtresses  préferaient  aux  robes 
drapées,  parce  qu'elles  «  suivaient  mieux  le 
nu  »,  et  faisaient  valoir  les  formes  qu'elles 
moulaient.  Les  «  Agnès  »  étaient  vêtues 
avec  simplicité;  les  «  bacchantes  »,  au 
contraire,  portaient  des  costumes  chamar- 
rés d'ornements. 

Nous  avons  reproduit  ailleurs  (1),  d'après 
Racinet,  une  gravure  de  mode  de  1778, 
dessinée  par  Desrais  et  gravée  par  Dupin, 
représentant  une  jeune  dame  vêtue  à  l'Aus- 
trasienne  ;  mais  l'auteur  de  V Histoire  du 
Cosftunc  a  cru  devoir  tartufier  le  document 

et  couvrir  une  partie  de  la  gorge  ;  nous  rétablissons  le  dessin  sous 
son  aspect  original (fig.  1)4  dis).  Ce  costume  est  d'autant  plus  curieux 
que  l'ouverture  immodérée  du  corsage  et  la  saillie  abdominale, 
simulant  une  grossesse  —  par  allusion  à  celle  de  la  reine  — 
jurent  avec  son  appellation  cVajiisteme/H  à  la  Jeanne  (l'Arc. 

Une  autre  gravure  de  mode  de  1780-1788,  montre  «  une  jeune 
bourgeoise,  assise  dans  une  promenade  publique,  contrefaisant  la 
dame  de  qualité  ».  Le  sein  gauche  s'échappe  entièrement  au 
dehors  ;  et  par  ce  débraillé  licencieux,  les  grandes  dames  «  contre- 
faisaient »,  à  leur  tour,    les  nourrices.    Cette   outrance    dans  le 


Fiir.  94  /;/ 


(I)  Anecd.  hist.,  fig,  120. 


164  l'l>S     SKINS     DANS     L    HISTOÏKK 


décollclag'c  disparut  momentanément,  avec  les  bergeries  à  la 
linon,  alors  que  les  femmes  singeaient  ringénuité  do  la  jeune 
fdle  à  la  Cruche  cassée,  do  Grouze,  recherchant  le  regard  «  lent 
et  traînant  »  que  Mirabeau  adora  dans  sa  maîtresse  {Concourt). 

La  marquise  de  Gréquy  n'est  pas  tendre  pour  M-""  Suzanne 
Neckor  «  apprêtée,  corsée,  busquée,  ficelée  comme  une  carotte  de 
tabac  ».  L\''pouso  du  célèbre  ministre  des  Finances  avait  imaginé 
que  rien  n'était  si  distingué  que  do  se  découvrir  excessivement  la 
poitrine  :  «  C'était  à  ses  yeux  le  comble  du  l)el  air  et  la  marque 
assurée  d'une  grande  élévation  dans  les  habitudes  aristocratiques. 
Voilà  du  moins  ce  que  disaient  les  personnes  qui  cherchaient  cà  l'en 
excuser;  mais,  comme  c'était  une  mode  qui  n'était  plus  suivie  par 
les  femmes  de  qualité,  tout  donne  à  penser  que  ces  exhibitions 
pectorales  de  M""  Necker  avaient  encore  un  autre  motif  ». 

Contraste  fréquent  chez  la  femme,  —  l'incohérence  n'est-elle 
pas  la  note  dominante  du  caractère  féminin  (1)  ?  —  cette  libre  pen- 
seuse du  vêtement  était  une  mijaurée,  une  précieuse  dans  le 
lano-ao-e  et  recherchait  les  expressions  pudibondes  :  elle  disait  une 
jambe  de  perdrix,  pour  une  cuisse;  une  mitre  de  volaille,  au  lieu 
d'un  croupion  de  dinde,  etc.  «  11  est  bon  d'observer,  constate  avec 
nous  la  mauvaise  langue,  que  c'était  en  étalant  toute  sa  gorge  au 
vent  qu'elle  affichait  une  si  belle  pruderie  sur  les  bienséances.  » 

Un  jour  que  M"'"  Necker  était  malade  d'un  refroidissement,  elle 
dit  à  Chamfort,  en  lui  montrant  l'échancrure  protocolaire  de  sa 
robe  :  «  Comment  voulez-vous  que  l'on  puisse  être  en  bonne  santé 
quand  on  est  l'épouse  d'un  ministre  et  que  l'on  est  condamnée  à 
se  sacrifier  continuellement  ainsi  pour  la  convenance  officielle  et 
les  exigences  de  la  représentation?»  L'impertinent  Chamfort,  pour 
toute  r('ponse,  fredonna  ce  couplet  de  Bussy-Rabutin  : 

Eglé,  vous  vous  moquez  tout  l)as 

Du  feu  qui  uous  consume. 
Et  vous  vous  croyez  des  appas; 

—  C  est  ce  qui  vous  enrhume. 

M'"  Necivcr,  qui   devint  plus  tard   i\I""  de  Staël,    fut  de  bonne 

(n  L"  «  Eternel  Féminin  » 

En  un  mot  se  (lé])eint. 
Surtout  en  France  : 
INCOUÉREiNCE. 


Si:ii     I,  K     DKCOLLKTACiK  i65 

heure  atteinte,  au  point  de  vue  plastique,  d'une  «  fluxion  de  poi- 
trine «  ou  d'une  «  dilatation  d'estomacs  »  qui  passèrent  à  l'état 
clironique  :  «  A  dix-neuf  ans,  dit  la  marquise  jacassière,  cette 
grosse  pouponne  avait  des  appas  comme  une  fermière.  »  Elle 
avait  aussi  hérité  de  la  pruderie  de  sa  mère,  au  point  qu'elle 
se  refusait  à  faire  sa  toilette  devant  le  petit  chien  de 
U"'"  Necker. 

D'après  Viollet-le-Duc,  les  femmes  en  toilette  n'ont  commencé 
à  laisser  les  bras  nus  que  sous  le  Directoire  (l)  :  «  Jamais  pendant 
le  moyen  âge  les  bras  des  femmes  n'ont  été  laissés  nus.  Toujours 
ils  sont  couverts  par  des  manches  plus  ou  moins  larges  ou  ser- 
rées, et  il  semble  que  si  les  modes  ont  parfois  permis  de  montrer 
les  épaules  et  la  gorge,  elles  n'ont  admis  dans  aucun  cas  que  les 
bras  fussent  découverts.  Etait-ce  la  conséquence  d'une  observation 
d'hygiène  ?  Xous  n'en  savons  rien,  mais  le  fait  est  notoire.  Pendant 
le  dernier  siècle  même,  où  certes  les  dames  ne  se  privaient  point 
de  décolleter  les  corsages,  les  arrière-bras  étaient  couverts.  » 
Le  célèbre  archéologue  ignorait-il  que  le  cordelier  Menot,  s'éle- 
vant  contre  les  caprices  effrénés  de  la  mode  —  sujet  favori  des 
sermonnaircs  —  critiqua  les  manches  qui  laissaient  voir  la  chair  du 
bras  «  blanche  et  alteintée  «  ? 

Les  costumes  du  Directoire  sont  ouverts  en  haut  et  sur  les  côtés 

"jusqu'aux   dernières   limites  de  l'impudeur;   la  transparence  des 

étofïes  est  telle  que  les  fourreaux  à  l'antique  des  «  ^Merveilleuses  »  et 

des  <(  Impossibles  »  ne  les  empêchent  pas  d'être  nues  ;  elles  sont  à 

l'état  de  nature,  i/i  puris  naturallhus. 

Les  robes  minces  et  nuageuses,  écrit  M.  Henry  May  (2),  avaient 
la  plus  complaisante  indiscrétion.  C'étaient  des  chemises  «  à  la 
prêtresse  »,  «  à  la  Diane  »,  «  à  la  Galatée  ->  auxquelles  seyaient 
ce  couplet  du  prévôt  d'Irai  : 

Afin  déveiller  le  désir, 
Tu  choisis  l'étoffe  légère  ; 
Pour  faire  entrevoir  le  plaisir, 
Tu  prends  la  gaze  la  plus  claire. 
Crois-moi.  ce  que  lœil  ne  voit  pas 

(1)  Vers  182-2,  on  a  porté  de  faux  beaux  bras.  Ces  postiches  étaient  couverts 
de  mitaines  à  jour,  à  travers  lesquelles  on  croyait  voir  un  bras  bien  rond,  bien 
potelé,  de  la  plus  belle  carnation  et  tout  était  faux.  (>!■"'=  de  Genlis). 

(2)  Le  costume,  la  mode. 


166  i,i:s    SKiNS    DANS    i.'hisïoi  lîi: 


N'en  inspire  que  plus  d'ivresse  : 
Cacher  à  propos  ses  appas 
Est  un  raffinement  d'adresse. 

Autre  citation  empruntée  à  notre  précieuse  collaboratrice,  la 
marquise  de  Créquy:  «  Figurez-vous  que  toutes  ces  Grecques  (1) 
de  la  rue  Yivienne  n'étaient  vêtues  que  d'une  chemise  de  percale 
et  d'une  petite  robe  de  mousseline  sans  manche,  avec  toute  la 
gorge  et  les  épaules  au  grand  air.  Cette  robe  à  l'antique  et  sans 
ampleur  était  serrée  sur  la  taille  immédiatement  au-dessous  de  la 
poitrine,  avec  un  galon  de  laine  rouge...  Les  jambes  étaient  toutes 
nues...  Quant  aux  poches,  il  n '3^  fallait  pas  songer  avec  un  pareil 
vêtement,  qui  n'était  composé  que  d'une  mousseline  collée  sur  les 
flancs.  » 

Les  ligues  pour  la  repopulation  n'existaient  pas  encore  ;  mais 
d'instinct,  et  un  peu  par  chauvinisme  de  commande,  les  femmes 
s'efforcèrent  de  combler  les  vides  opérés  avec  tant  de  vigueur  par 
la  guillotine  ;  aussi  la  grossesse  était-elle  bien  portée.  Les  femmes 

(1)  Les  Grecques  et  les  Romaines  ont  porté  longtemps  des  cyclœ  trans- 
parentes, des  laconicœ.  (pie  Yarron  appelle  vitreas  togas,  des  robes  de  verre. 
Lucien,  décrivant  la  toilette  de  ses  contemporaines,  dit  que  sous  leur  draperies, 
tout  se  voit  autant  que  le  visage,  k  l'exception  du  sein,  qui  ressortirait  d'une 
manière  difforme  s'il  n'était  soutenu  de  bandelettes  (L.-H.May).  A  Rome,  les  hétaïres, 
supprimant  ces  bandes  ou  fascia  et  leur  tunique  flottante  ou  Unieolum  cœsiciim, 
l)résentant  une  large  ouverture  sur  la  poitrine,  étaient  toujours  i)rètes  à  faire 

au  premier  venu 

Pour  y  dormir  une  lieurc,  oflre  de  leur  sein  nu. 

Pétrone  ])arle  des  femmes  mariées  qui,  à  l'exemple  des  courtisanes,  vont  pro- 
mener leura  lubriques  ardeurs  chez  vingt  adorateurs,  dans  le  costume  de  Phryné  : 

Un  voile  transparent  de  leurs  secrets  appas 
Dessine  les  contours  et  ne  les  cache  pas. 

Juvénal-,  dans  sa  fameuse  satire  YI.  sur  les  vices  et  les  débauches  des  fem- 
mes, ne  nous  montre-t-il  pas  l'impératrice  Messaline  s'offrant  toute  nue  aux  clients 
d'un  lupanar,  les  seins  relevés  par  une  résille  d'or: 

Nnda  papillit 

('onslitit  aunUis 

A  cet  égard,  les  documents  concernant  les  modes  dissolues  de  l'antiquité  sura- 
bondent ;  rappelons  encore  la  recommandation  de  saint  Jérôme  à  Leta,  au  sujet 
de  l'éducation  de  sa  fille  :  il  veut  «  qu'elle  porte  des  habits  qui  la  garantissent 
du  froid  et  qui  ne  la  laissent  pas  nue  en  la  couvrant  ».  Citons  enfin  ce  passage 
du  de  Beneficih  (lib.  YII)  de  Sénéque  :  «  Je  vois  des  vêtements  de  soie,  si  l'on 
])eut  appeler  vêtements  ces  étoffes  qui  ne  mettent  à  couvert  ni  le  corps  ni  la 
])udeur  et  avec  lesquelles  une  femme  ne  peut  dire,  sans  mentir,  qu'elle  n'est  pas 
nue.  C'est  ce  qu'on  va  chercher  à  grands  frais  chez  des  nations  inconnues  afin 
que  nos  femmes  fassent  voir  au  public  tout  ce  qu'elles  peuvent  faire  voir  en  par- 
ticulier à  leurs  galants.  »  (Héguin  de  Guerlei.  Arrêtons  là  nos  citations,  crainte 
d'encourir  le  reproche  de  citer  à  tout  propos  et  non  à  ])ropos. 


s  U  n     L  K     I)  K  C  O  L  L  E  TAC  F.  167 

stériles  qui  tenaient  à  arborer  cet  emblème  patriotique  recouraient, 
comme  naguère  à  l'époque  des  gestations  de  Marie-Antoinette,  aux 
ventres  artificiels  :  a  Ces  apparences  de  fécondité  s'appelaient  des 
demi-termes,  et  les  élégantes  de  9(î  n'auraient  pas  voulu  se  mon- 
trer sans  un  pareil  accessoire  à  leur  parure.  » 

Sous  le  Consulat  et  FEmpire,  les  «  ]\Ierveilleuses  «  font  place 
aux  «  Agréables  »,  mais  les  robes  sont  toujours  échancrées  et 
moulées:  «  — Que  M"*"  X...  se  dessine  bien!  —  Avec  quelle  grâce 
M"^  X...  se  déshabille  !  »  s'exclamaient  les  mondaines  de  l'époque. 

Une  aquarelle  gouachée  de  Bosio  nous  offre  Un  Salon  pari- 
sien, en  1801.  C'est  l'exacte  représentation  de  l'intérieur,  des 
costumes  et  des  mœurs  de  la  bourgeoisie,  au  commencement  du 
xix''  siècle.  On  a  fait  monter  l'homme  au  chien  savant,  qui  pré- 
sente le  célèbre  Minuta  jouant  aux  cartes,  pour  distraire  les 
enfants,  à  qui  leurs  mères,  en  toilettes  décolletées,  expliquent  la 
partie.  Rien  n'est  dégénéré  :  nous  avons  toujours  les  chiens  calcu- 
lateurs, voire  même  les  toutous  chanteurs  et  les  femmes  de  petite 
vertu,  dévêtues. 

Tous  les  soirs,  l'impératrice  Eugénie,  cette  «  parvenue  de  la 
beauté  »,  était  décolletée  pour  le  diner,  comme  il  convient  dans  les 
festins  d'apparat.  Ce  détail  de  toilette  est  donné  par  M™"  Carotte, 
dans  ses  Souvenirs  intimes  de  la  Cour  des  Tuileries. 

Sous  la  troisième  République,  appelée  ironiquement  athénienne 
par  ses  adversaires,  le  décolletage  est  de  rigueur  dans  les  repas  de 
cérémonie.  C'est  à  cet  usage  que  nous  devons  un  des  mots  sans-gêne 
du  général  de  Galliffet  :  invité  à  diner  chez  jNP"  Adam,  il  n'arrive 
qu'à  neuf  heures.  La  maîtresse  de  la  maison  ne  peut  lui  cacher  son 
dépit.  Après  une  parole  d'excuse,  il  s'approcha  d'elle  et  admirant 
le  décolletage  de  sa  robe  :  «  Les  belles  épaules  !  s'écria-t-il  »,  et  il 
y  déposa  un  baiser.  M""'  Adam  riposte  à  cette  impertinence  par  un 
soufflet  donné  du  bout  de  son  éventail.  Et  Gallifet  de  répliquer, 
sur  le  ton  et  avec  le  sourire  d'un  Lauzun  :  «  ^laintenant  que  j'en 
sais  le  prix  !  »  Et  il  vole  un  second  baiser.  On  n'est  pas  plus 
«  dix-huitième  ». 

Elle  est  vraiment  amusante  la  charge  d'Avelot,  du  Hire,  exj)o- 
sant  les  perplexités  à'Uiie  femme  qui  na  pas  tusage  du  monde. 
Dans  un  premier  dessin,  M"'^  X...,  une  parvenue,  est  en  visite 
chez  une  de  ses  ((  relations  »  qui  l'invite  à  sa  prochaine  soirée  : 

\ 


U)8 


LKS     SKINS     DANS     1.    IIISIdlItE 


((  Alors,  c'est  entendu,  mon  mari  et  moi,  nous  comptons  sur 
vous...  —  Faut-il  venir  en  grande  cérémonie?  —  Oh  !  non,  demi- 
décolletée.  ))  Deuxième  dessin  :  M"""  X...  est  rentrée  chez  elle  et  se 
creuse  la  tête  à  définir  le  demi-décolleté.  Enfin  elle  a  trouvé. 
Eurêka  !  Elle  fera  son  entrée  dans  le  salon  avec  un  sein  caché, 
l'autre  complètement  à  l'air,  et  sera  ainsi  demi-décolletée. 

Bien  réussi  encore  ce  dessin  de  Calumet,  qui  représente  un 
fringant  officier  incliné  devant  les  seins  d'une  grosse  dame  sur 
le  retour,  le  priant  «  d'ouvrir  le  cotillon  »  avec  elle  :  «  Ma  géné- 


Fii?.  '.)o. 


raie,  répond  le  galant  galonné,  d'après  ce  que  me  fait  voir  l'ouver- 
ture du  corsage,  celle  du  cotillon  ne  peut  que  me  charmer  infini- 
ment. » 

La  Civilité  puérile  el  honnête  exige  aujourd'hui  que  l'on 
rompe  son  pain  à  table;  au  xviif  siècle,  au  contraire,  il  était  de 
bon  ton  de  le  couper  au  couteau  ;  et  pourquoi  ?  La  marquise  de 
Gréqu3%  dont  nous  mettons  si  souvent  les  caquets  à  contribution, 
va  nous  répondre  :  «  C'est  parce  que  la  croûte  du  pain  tendre  est 
friable  et  légère  et  (pi'on  risquerait  d'en  faire  sautei'  des  particula- 
rités incommodes  dans  les  yeux  de  ses  voisins  ou  sur  la  gorge  de 
ses  voisines.  » 

Pour  Théophile  Gautier,  une  femme  en  toilette  décolletée  de  bal 
se  conforme  à  l'ancienne  étiquette  olympienne  :  «  Les  dieux  supé- 
rieurs, en  représentation,  avaient  le  torse  nu  ;  des  draperies  à  plis 
nombreux  les  enveloppant  des  hanches  aux  pieds.  »  Les  païens 


SUK     LF.     DKCOLLK  l'AdE 


169 


d'ailleurs  n'avaient-ils  pas  consacré  la  poitrine  à  Neptune,  assimi- 
lant sans  doute  les  ondulations  des  vagues  à  celles  des  mamelles  ? 
A  TAcadémie  de  musique,  il  est  de  mise  de  se  montrer  en  tenue 
aussi  découverte  que  la  loge.  Les  beautés  sur  le  retour,  dit  une 
spirituelle  légende  de  H.  OrlDault,  n'ayant  plus  à  montrer  que  des 


Fit:.  00. 


«  soleils  couchants  qui  ont  beaucoup  couché  »,  les  répandent  sur 
les  rebords  des  baignoires  ou  en  font  un  étalage  discret,  estomp('' 
par  les  écrans  des  avant-scènes. 

Après  les  fantaisies  de  la  plume,  celles  du  crayon  :  une  \  i/r 
plongeante,  prise  de  la  i"  galerie  à  l'Opéra,  par  Jeanne  Dumont, 
du  Rire  (fig.  96),  dévoile,  à  vol  d'oiseau,  les  cascades  de  chair 
des  o:aleries    inférieures  ;    les  têtes    dénudées    et    bombées    des 


170  LKS     SKINS     DANS     L    HISTOIRE 

abonnés  de  l'orchestre  donnent  encore  l'illusion  d'autant  de  roton- 
dités mammaires  :  de  loin,  en  efîet,  une  tète  dénudée  ne  diffère 
d'une  autre  tette  dénudée,  que  par  l'orthographe. 

Le  décolletage  en  cabinet  particulier  —  entre  la  pomme  et  la 
poire,  emblèmes  de  la  forme  et  de  la  rig-idité  des  seins —  se  borne 
au  buste,  jusqu'à  la  taille  ;  dans  l'attitude  du  «  grand  renver- 
sement »  qui  fait  valoir  les  beautés  naturelles. 

Après  le  demi-déshabillé  du  cabaret  à  la  mode  vient  le  désha- 
billé sans  réticences  de  l'intimité  de  l'alcôve,  1'  «  Enfin  seuls  !  »  ;  la 
nature  parée  seulement  de  sa  beauté,  la  plus  précieuse  des  parures. 

Il  nous  reste  à  examiner  quelques  déshabillés  spéciaux.  D'abord 
le  décolletage  obligatoire  pour  le  docteur  «  palpant  ses  premiers 
honoraires  »,  comme  le  débutant  de  Camuset  ou  celui  de  Régnier  : 

Tàtant  le  pouls,  le  ventre  et  la  poitrine. 

C'est  le  casuel  des  enfants d'Esculape,  l'une  des  compensations  du 
pénible  et  ingrat  sacerdoce  hippocratique.  11  en  a  été  question, 
chemin  faisant,  à  propos  de  l'auscultation.  Nous  empruntons  à 
la  ]'/'('  Parisiviiiif,  la  figure  07  montrant  une  cliente  pour  rire, 
déshabillée  à  souhait  par  le  cravon  de  Gerbault  (i). 

Le  décolletage  médical  est  encore  de  rigueur  pour  le  choix 
d'une  nourrice  et  la  vaccination.  Dans  ce  dernier  cas,  il  varie 
suivant  la  région  où  la  cliente  désire  être  piquée  :  au  bras,  «  le 
plus  haut  possible  »,  afin  que  les  brassières  des  chemisettes 
cachent  les  vilaines  cicatrices,  mais  de  préférence  aux  mollets  ; 
pour  les  ribaudes,  le  haut  de  la  cuisse  ou  le  bas  des  reins,  ad 
libitum.  Dans  une  caricature  du  Hirr,  de  E.  Cadel,  une  sexagé- 
naire, à  prétentions,  qui  relève  ses  jupes  et  exhibe  un  steatopyga 
de  Hottentote,  aux  yeux  ébahis  d'un  homme  de  l'art,  muni  de  sa 
lancette  :  «  Docteur,  lui  dit-elle,  vaccinez-moi  à  la  fesse,  et  pas 
troj)  bas,  rapport  au  décolletage.  m 

(1)  Légende  dialoguée  (jui  accompagne  le  dessin  :  «  Docteur,  est-ce  qu'il  faut 
que  je  me  déshabille  ?  —  C'est  indispensable...  —Mon  corset-?  —  Comment  vou- 
lez-vous, mon  enfant,  que  je  puisse  vous  ausculter'-?  —  C'est  bien,  comme  ça  ? 

—  Très  bien...  »  Il  trouve  que  la  chemise  est  encore  un  peu  haut...  11  l'abaisse. 

—  On  se  rend  mieux  compte  comme  ça...  Respirez...  Respirez  bien...  Doucement. 
C'est  bien...  Encore  un  peu...  ça  ne  vous  fait  pas  mal  ?  C'est  ça...  Maintenant  de 
ce  côté...  C'est  bien...  Respirez.  »  Il  y  en  a  qui  disent  qu'elle  se  porte  comme 
vous,  comme  moi.  mais  qu'elle  est  arrivée  à  ce  point  de  détraquage  qu'il  n'y  a 
plus  qu'une  fine  ou  une  forte  moustache  qui,  en  hi  frôlant,  lui  fasse  de  l'effet.  Son 
mari  est  complètement  rasé. 


SUR     L  K     n  K  C  0  I-  L  E  T  A  G  K 


m 


Quant  à  la  mise  à  nu  jusqu'à  la  ceinture,  i)Our  duel  entre 
femmes  (1),  il  est  des  plus  rares  et  ne  se  voit  que  sur  les  toiles  des 
peintres  (2)  ou  dans  les  tableaux  vivants.  Au  xv''  siècle,  certains 
états  allemands,  autorisaient  le 
duel  judiciaire  entre  époux  :  on 
combattait  alors  nu  jusqu'à  la 
taille  avec  des  petits  canifs  en  guise 
d'épées.  De  nos  jours,  lorsque 
deux  viragos  ont  quelque  querelle 
à  vider,  ce  n'est  pas  le  décolle- 
tage,  c'est  plutôt  le  colletage  : 
genre  de  sport  fort  en  honneur 
aux  États-Unis,  qui  a  fourni  l'objet 
d'une  étude  sérieuse  à  un  statis- 
ticien de  Chicago.  Ce  savant, 
d'après  la  Revue  innverselie,  s'est 
proposé  de  rechercher  quelles 
sont  les  armes  dont  se  servent  de 
préférence  les  femmes,  de  cette 
ville,  pour  régler  entre  elles  leurs 
affaires  d'honneur.  Il  a  consulté  à 
cet  effet  les  registres  de  la  police, 
et  voici  ce  qu'il  a  trouvé  :  «  Dans 
771  combats  singuliers,  ces  ama- 
zones ont  employé  186  fois  le 
manche  à  balai,  sans  doute  parce 
que  cet  ustensile  se  trouvait  tout 

justement  sous  leur  main.  Puis  l'arme  favorite,  celle  qui  tient  le 
second  rang,  est  le  couteau:  il  a  été  employé  102  fois.  Viennent 


Fig.  97. 


(Il  Qui  ne  connaît  l'anecdole  dont  le  sieur  de  Chassé,  seigneur  du  l'onceau, 
fut  le  héros?  Une  l'olonaise  et  une  Française  se  disputèrent  ce  «  faquin  »,  comme 
l'appelait  le  duc  de  Richelieu,  les  armes  à  la  main  :  la  Française  fut  blessée. 

A  Venise,  les  duels  entre  femmes  étaient  assez  fréquents  et  à  cet  effet,  reli- 
gieuses et  courtisanes  ])ortaient  toujours  un  poignard  à  leur  ceinture  :  «  J"ai 
appris,  dit  de  Brosses,  qu'une  abbesse.  aujourd'hui  vivante,  s'étoit  jadis  battue 
à  coups  de  poignard,  contre  une  autre  dame  pour  l'abbé  de  Pomponne  »,  un 
vi-ai  nom  de  gaudriole. 

(2)  Mastaglio  a  peint  deux  rivales,  le  torse  nu.  croisant  le  fer  dans  un  salon, 
au  milieu  des  invités,  en  costume  du  premier  Empire  :  il  n'y  manque  qu'un 
cinématographe  pour  être  dans  le  ton  de  notre  époque.  Les  ferrailleuses  de  Bavard 
opèrent  sous  bois. 


172 


I,  i:S     SKINS     DANS     1/  H  I  S  I  (»  I  H  K 


après  différentes  armes,  aussi  fréquentes  qu'étranges  par  leur 
nature  :  couvercles  de  fourneaux,  épingles  à  chapeau,  assiettes 
et  plats,  souliers,  pantoufles,  parapluies,  livres,  fouets...  Enfin  la 
dernière,  qui  n'a  été  utilisée  qu'une  seule  fois,  est  un  biberon  !  )> 
En  France,  à  part  les  pensionnaires  de  Saint-Lazare,  qui  jouent 
volontiers  du  couteau,  les  femmes  irascibles  se  livrent  d'ordinaire 
entre  elles  au  plus  vulgaire  pugilat  et  leurs  armes  sont  fournies 


-V-  ' 


'-■K. 


'^é^^r>7Jk-^ 


Fij,'.  y».  —  Indienne  negritos 
de  Abia  (Philippines). 


par  la  nature  ;  elles  se  grifTent,  se  crêpent  le  chignon  en  conscience, 
et,  quand  elles  n'ont  pas  de  râteliers,  mordent  jusqu'au  sang. 
Dans  les  lavoirs,  la  scène  fameuse  àeV Assoinmoir  n'est  pas  rare; 
alors,  c'est  un  décolletage  inférieur  qui  est  infligé  pour  une  fessée 
bien  sentie,  à  l'aide  de  battoirs  naturels  ou  artificiels. 

Chez  les  primitifs.  —  Les  peuplades  sauvages,  où  la  civili- 
sation n'a  pas  encore  pénétré,  tels  les  Feugiens  du  cap  Horn 
(fîg.  1)8),  pratiquent  le  décolletage  complet;  coutume  justifiée  par 
la  température  et  aussi  par  le  manque  de  magasins  de  confections. 

Là  où  elles  ont  pris  contact  avec  les  civilisés,  les  femmes,  en 
général,  voilent  leur  nudité  inférieure  à  l'aide  de  pagnes,  plus  ou 
moins  bariolés,  et  laissent  à  la  partie  supérieure  une  indépendance 


s  LU     I.  i;     J)i:(;()I.L  KTAGK 


173 


absolue  (fig.  lOU).  Ce  vêtement  primitif  permet  à  la  mère  de 
j)orter  son  enfant  sur  sa  croupe,  sans  nuire  à  la  liberté  de  ses 
mouvements,  quand  elle  se  livre  aux  tr-avaux  des  plantations  et 
aux  soins  du  ménage. 

Les  femmes  des  O  Kôta,  de  l'Afrique  Equatoriale,  marchent  en 
se  dandinant  comme  les  oies  et  en  tendant  restomoc  en  avant  :  à 


vA*»<L. 


Fis.  100. 


l'exemple  des  indigènes  du  quartier  Bréda,  elles  se  maquillent 
horriblement,  mais  de  rouge,  de  jaune  et  de  bleu. 

Au  Dahomey,  une  femme,  mère  de  deux  jumeaux,  les  montre 
avec  fierté  à  tout  venant  ;  et  comme  ils  ne  peuvent  être  ensemble 
dans  le  même  pagne,  elle  les  tient  à  califourchon  sur  chacune  des 
hanches  maternelles  (fig.  100).  L'Australienne  porte  son  enfant 
dans  un  filet  accroché  à  sa  tête  et  qui  voile  quelque  peu  sa  nudité. 

Les  femmes  des  îles  Fidji  (fig.  101)  se  couvrent  la  poitrine  d'un 
foulard  ;  mais  les  pointes  se  croisent  entre  les  seins  et  laissent  ces 


L  K  s     SEINS     DANS     L    H  I  S  r  (  »  I  li  !•: 


organes  à  nu.  Dans  la  tribu  Micmak  (Terre-Neuve),  les  femmes  se 
parent  d'étoffes  bariolées,  sans  recouvrir  les  mamelles.  Les  jeunes 
Taïtiennes  enguirlandent  complètement  leurs  seins  de  fleurs  et 
feuilles  du  pays  (fig.  102).  Les  Indiennes  de  la  Patagonie,  sans  plus 
s'occuper  de  leurs  seins,  s'enveloppent  dans  une  peau  de  bête 
qu'elles  retirent  en  famille. 

L'indienne  Diguenos  (Californie)  relève  sa  chemise  par  en  bas, 


^fW^ 


Fie.  lui. 


Fig.  102. 


quand  elle  allaite  son  enfant.  Pour  le  même  ofïice,  la  femme  Chip- 
powa}'  (Amérique  du  Nord)  ouvre  la  partie  supérieure  de  son  vête- 
ment, comme  les  fellahs  de  la  Basse-Egypte. 

A  l'étranger.  —  Dans  l'antiquité,  les  Egyptiennes  portaient 
les  robes  collantes  et  transparentes,  s'arrêtant  sous  les  seins  et 
retenues  par  une  ou  deux  bretelles.  Un  pectoral,  Voitosk/i,  parure 
faite  de  verroteries,  pierreries  ou  lames  d'ur,  recouvrait  l'espace 
qui  sépare  les  seins  et  oscillait  entre  eux  ;  parfois,  chez  les  prin- 
cesses royales,  les  seins  eux-mêmes  étaient  étroitement  emboîtés 
dans  des  coupes  d'or  qui  en  épousaient  l'exacte  forme  (1). 


(!']  L.  Henry  Mtiy.  loc.  cit. 


SUR    LR     DKCOLL RTAdE 


ITii 


De  nos  jours,  les  Egyptiennes  qui  «  accroupies,  ont,  d'après 
Fromentin,  des  postures  de  singe  et  debout,  des  attitudes  de 
statue  )%  sont  revêtues  d'une  robe  flottante,  bleu  indigo,  entre- 


Fig.  103.  —  Harpiste  d'un  tombeau  de  Thèbes.  Danseuses  de  l'hypogée  de  Mira, 

vi»  dvnastie. 


baillée  au  niveau  de  la  poitrine  (1),  «  et  laissant  entrevoir,  écrit 
Théophile  Gautier,  lorsque  la  fellah  est  jeune  ou  n'a  pas  eu  d'en- 
fants, des  contours   d'une    pureté   sculpturale    qui  rappellent  la 

gorge  aiguë  des  sphinx  »  ;  elles 
montrent,  dit  aussi  le  lyrique 
]\Iichelet,  «  les  belles  formes 
qu'on    admire    dans  les  monu- 


Fig.  104. 


Danseuses  d'un  tombeau 
de  Thèbes. 


Fis.  lOo. 


ments,  ce  sein  très  plein,  mais  droit,  ferme,  élastique.  Il  pointe 
(comme  aux  peintures  sacrées)  d'une  virginité  éternelle,  dressant 
immuablement  la  coupe  de  l'immortalité  ». 

(1)  Telle  la  Fenune  fellah  et  son  enfant,  de  Léon  Boiinat  ;  la  jeune  mère  piu'le 
majestueusement  son  enfant  tout  nu  à  califourchon  sur  l'épaule,  en  lui  tenant 
la  jambe  gauche. 


176 


I.  i:S     SKINS     DANS     L    HISIOIUK 


Siniles  les  filles  de  mœurs  légères  se  livrent  à  des  exhibitions 
pectorales  complètes.  Dans  la  Haute-Egypte,  la  peau  prend  une 
teinte  (fébène  si  vive  que  le  nu  des  indigènes  n'a  rien  de  cho- 
cjuant  —  bien  au  conti'aire  —  et  les  fait  ressembler  à  de  belles 
statues  de  bronze. 


Fi?.  105  bis. 


Fiir.  106 


Sur  Tordre  d'Abbas  P'',  les  aimées  égyptiennes  ont  été  reléguées 
à  Keneh,  où  elles  exécutent  leurs  danses,  à  domicile,  et  se  font 
prier  pour  se  déshabiller,  sous  prétexte  que  le  Coran  (1)  le  leur 
défend  ;  mais,  en  réalité,  dans  Fespoir  d'un  bakchich  plus  impor- 
tant, «  l'argument  irrésistd:)le  »  de  Basile.  (  Hiant  aux  danseuses 
des  cafés  du  Caire  ou  d'Alexandrie,  elles  sont  costumées  et  cou- 
vertes de  sequins  vrais  et  faux  comme  les  i)audets  de  l'endroit.  En 
avril  1830,  si  l'on  en  croit  Alexandre  Dumas,  les  aimées  du  Caire 


(1)  «  Dites  aux  femmes  des  croyants  qu'elles  doivent  préserver  leur  modestie 
de  toute  atteinte....  qu'elles  doivent  étendre  leurs  voiles  sur  leur  s(>iii.  » 


SUR     LE     DECOLLETAGE 


17' 


laissaient  voir  leurs  seins  entièrement  à  nu  par  réchanerurc  de  leur 
corsage  :  «  Elles  font  la  quête  après  des  danses  lascives,  les  uns 
mettent  alors  entre  leurs  lèvres  un  sequin  qu'elles  prennent  avec 
leurs  lèvres  ;  les  autres  collent  sur  leur  visage  et  leurs  seins 
inondés  de  sueur,  un  masque  et  une  cuirasse  de  petites  pièces  d'or 
qu'elles  vont  secouer  ensuite  dans  une  aiguière  d'argent  ».  C'est 
là  que  les  musulmans  gagnent  la  réputation  d'avares  ou  de  magni- 
fiques. 


Fiff.  107 


Autrefois,  comme  il  apparaît  sur  les  murs  des  hypogées,  le 
costume  des  danseuses,  des  musiciennes  et  bateleurs  des  deux 
sexes  était  des  plus  primitifs  (fig.  403-105^. 

Au  dire  de  Georges  Xoblemaire,  les  bayayères  indoues,  de  Tri- 
chinopoly,  sont  plus  habillées  que  nos  jeunes  filles  en  toilette  de 
bal  et  leurs  danses  sont  tout  aussi  correctes  ;  tant  il  est  vrai  que 
la  civilisation  est  l'ennemie  mortelle  de  la  couleur  locale. 

Dans  certains  cafés  arabes  de  Tunisie  et  d'Algérie  (fig.  lUo  A/s, 
100),  les  danseuses  du  ventre  ne  se  gênent  pas  pour  montrer  leurs 
seins  et  leur  nombril,  à  l'exemple  des  danseuses  cambodgiennes  d'au- 
trefois —  si  l'on  en  juge  par  les  sculptures  antiques  du  musée  de 
Gompiègne  (fig.  107)  —  ici  la  nudité  était  absolue,  à  l'exception 
des  «  Pays-Bas  »,  masqués  par  un  ornement  encombrant. 

En  Tunisie,  les  juives,  insouciantes,  laissent  baller  au  vent  leurs 


LES    SEINS    DANS    L  HISTOIRE. 


12 


178 


Li:s   si:iNs    DANS   I,  JUS  loi  m-; 


seins  flasques  et  flétris  (fig.  dU8)  qui  gagneraient  à  garder  l'inco- 
gnito, tandis  que  les  musulmanes  exagèrent  les  précautions,  pour 
cacher  leur  visage  et  le  reste,  aux  giaours,  aux  chiens  de  chré- 
tiens (fig.  109). 


Fiç.  lOS.  —  Juive  de  la  campagne 
(le  Tunis. 


Fig.  109.  —  Musulmane 
de  Tunis. 


A  Damas,  au  dire  du  peintre  G.  Huysmans,  les  femmes  ne  se 
couvrent  pas  la  gorge,  si  ce  n'est  parfois 

Du  ne  gaze  légère 
D'une  entière  blancheur. 

Le  livre  de  Vatsyayana,  où  il  est  question  des  «  étreintes  »  (d) ,  fait 
supposer  qu'à  son  époque,  les  femmes  allaient  le  sein  nu,  comme, 
de  nos  jours,  pour  quelques  basses  castes   et  chez  les  Pariahs. 

(1)  «  L'embrassement  par  pénétration  se  produit  lorsque,  dans  un  lieu  soli- 
taire, une  femme  se  penche  pour  ])rendre  quekpie  objet,  et  pénétre,  pour  ainsi 
dire,  de  ses  seins  l'homme  qui,  à  son  tour,  la  saisit  et  la  presse.  •> 


SUR     LK     DKCOLI,  K1A(;  K 


179 


Dans  certaines  peintures  ou  sculptures  très  anciennes,  les  femmes 
—  même  la  favorite  du  roi  —  ont  la  gorge  découverte. 

Plusieurs  dessins  d'Outamaro  (fîg.  110-114),  au  musée 
Guimet,  montrent  que  la  Japonaise,  à  tout  âge,  en  dehors  ou 
pendant  l'allaitement,  aime  ses  aises  et  se  moque  du  qu'en 
dira-t-on. 

Le  climat  de  Tlndo-Chine  dispense  les  indigènes  de  vêtements 
trop  compliqués,  aussi  les  Siamoises  ne  portent-elles  que  la  culotte 
pour  tout  costume  (fig.  llo)  et 
sont-elles  toujours  prêtes  à  donner 
le  sein  à  leur  progéniture  avide. 
Par  opposition,  la  Française  ne 
porte  culotte  qu'au  figuré  et  se 
décide  ditîicilement  au  rôle  de 
nourrice. 

En  Corée,  à  Séoul,  d'après 
M.  INIarcel  Monnier,  les  femmes 
ont  d'immenses  pantalons  à  la 
mauresque,  serrés  aux  chevilles, 
et  une  drôle  de  petite  casaque, 
disposée  de  manière  à  couvrir 
"seulement  le  dos,  les  épaules  et 
l'épigastre,  tout  en  laissant  les 
jumeaux  mammaires  se  jouer  à 
l'air  en  toute  liberté. 

En  Perse,  les  modes  europé- 
ennes n'ont  pas  encore  séduit  le 
sexe    faible,    et    il    est   probable 

que  de  longtemps  encore  les  Persanes  n'abandonneront  pas  le 
costume  national.  Leur  toilette  d'intérieur  est  aussi  simplifiée 
que  possible,  d'autant  qu'elle  ne  comporte  pas  de  chemise  (fig. 
117).  Nonchalamment  étendue  sur  son  divan,  ou  assise  pour 
fumer  son  kalgan,  espèce  de  narghilé  qui  n'est  pas  précisément 
portatif,  la  Persane  se  contente  d'une  petite  veste,  qui  boutonne 
ou  ne  boutonne  pas,  et  assez  courte  pour  laisser  voir  bonne 
partie  de  l'abdomen.  Sur  une  tente,  en  tapis  d'Orient,  avant 
appartenu  au  schah  de  Perse  actuel,  et  échouée  chez  un  marchand 
de  Stamboul,  nous  avons  vu  représentées  deux  princesses  ou  deux 


180 


LKS     SKINS     DANS     L    IIISTOIUK 


odalisques,   richement  vêtues,  mais   dont   les    seins,  vagabonds» 
s'échappent  complètement  du  corsage  (fig.  MO). 


Fis.  111. 


Fig.   [[-2, 


En  Allemagne,  au  xxf  siècle,  les  dames  de  quahté  échancraient 
outre   mesure  leur  corsage  :  nous  le  savons  par  une  gravure  de 


Fig.   11.3. 


Fig.  114. 


Henri  Aldgrœver  (1540),  représentant  Thamar  consolée  par  Absa- 
lon,  en  costume  de  Fépoque,  suivant  Thabitude  des  anciens 
artistes.  On  remarque  aussi  le  ventre  saillant  qui,  au  xiii'  siècle, 


siw   I, K    I)i:(;(ii,m:ta(; K 


181 


était  déjà  de  mode  en  Picardie,  ainsi  que  lindique  un  trouvère 
artésien,  Adam  de  la  Halle,  dans  le  portrait  de  sa  belle  :  «  bou- 
line (1)  avant  et  reins  voûtés  ». 

Pourquoi  les  sévères  censeurs  de  la  Prusse  contemporaine  sont- 
ils  toujours  à  vitui)érer  la  dépravation  de  nos  mœurs  ?  A  Berlin, 
dans  les  cafés  concerts  en  sous-sol,  les  consommateurs,   assure 


Fis.  ii; 


Fitr    lit; 


Paul  Adam,  «  tripotent  outrageusement  et  déshabillent  entièrement 
les  cantatrices  à  demi  nues  déjà,  qui  font  la  quête  après  leur 
refrain  ». 

La  Vie  privée  à  Vettise,  de  P.  Molmenli,  va  nous  fournir  de 
précieux  détails  sur  le  «  dévestement  »  des  Vénitiennes,  depuis 
l'origine  jusqu'à  la  chute  delà  RépubHque.  Franco  Sacchetti,  con- 
teur italien  du  xiv^^  siècle,  ridicuhsait  déjà  l'inconstance  de  la 
mode  :  «  Si  une  nouvelle  bizarrerie  apparaît,  c'est  à  qui  s'en 
emparera...  X'a-t'on  pas  vu  des  femmes  avec  le  fichu  tellement 
ouvert  qu'elles  laissaient  voir  plus  bas  que  les  aisselles  ?  Et  puis 
elles  firent  un  saut  et  se  couvrirent  le  cou  jusqu'aux  oreilles  ». 

(il  Doutaine,  nombril.  Glossaire  du  patois  picard. 


182  I.KS     SKINS     DANS     1/ H  I  S  F  0  I  H  E 

A  la  même  époque,  Dante  reprochait  aux  Florentines,  effrontées, 
(le  montrer  leur  sein  nu  : 

Aile  Hfacciate  donne  florentine 

L'andar  mostrando  con  le  poppe  il  petto. 

(Toutes  les  impudiques  femmes  florentines  s'en  vont  montrant, 
avec  les  mamelles,  la  poitrine).  Les  Vénitiennes  du  xvf  siècle? 
peintes  par  Garpaccio  et  Gentile  Bellini,  portent  un  corselet  étin- 
celant  de  bijoux  et  les  épaules  nues,  Bertelli  nous  représente  une 
épousée  vénitienne  les  cheveux  épars,  avec  l'ample  gorgerette  et 
les  seins  en  évidence;  cependant  les  jeunes  filles,  qui  allaient  se 
marier  ou  entrer  en  rehgion,  se  couvraient  la  tête  et  les  épaules 
d'un  voile  blanc  de  soie,  et  les  peines  les  plus  sévères  étaient  édic- 
tées contre  les  femmes  de  mauvaise  vie  qui  avaient  adopté  ce  même 
usage. 

Pour  conserver  l'éclat  et  la  fraîcheur  de  leur  teint,  les  Véni- 
tiennes à  la  mode  avaient  l'habitude  de  s'appliquer,  sur  le  visage, 
pendant  la  nuit,  une  tranche  de  veau  cru,  trempé  quelques  heures 
dans  le  lait...  (1).  La  pâleur  du  visage  était  relevée  à  l'aide  du 
fard  ;  le  même  artifice  servait  aussi  à  peindre  les  seins  étalés  à  tous 
les  regards.  Alexandre  Garava  constate  le  fait  dans  son  livre  sati- 
rique Nasjjo  Bizaro  : 

Fazzandose  le  tettc  rosse  e  blanche 
E  descoverte  per  galanteria 

(Elles  se  font  les  tétons  rouges  et  blancs,  et  les  découvrent  par 
galanterie)  ;  il  ajoute  que  les  laveuses  d'assiettes,  elles-mêmes, 
n'avaient  pas  honte  de  se  maquiller  et  de  se  dépoitrailler  à  l'excès. 
Gasola  critique  aussi  la  mode  de  j)orler  la  gorge  nue  : 

<(  Les  femmes  de  Venise,  dit-il,  se  font  gloire  en  public,  surtout 
les  plus  joHes,  de  montrer  la  poitrine,  c'est-à-dire  la  gorge  et  les 
épaules,  si  bien  qu'à  les  voir  on  s'étonne  que  leurs  robes  ne  tom- 
bent pas  à  terre.  « 

Au  xv*"  siècle,  d'après  Galliciolli,  une  ordonnance  de  police 
obhe'eait  les  courtisanes  à  se  mettre  à  leur  fenêtre,  la  gorge  débridée, 


•o" 


(1)  En  France,  les  coquettes   pensaient  obtenir  le  même    résultat  à  l'aide  de 
fréquents  clystères,  sous  Louis  XIV,  et  de  copieuses  saignées,  sous  Louis  XVI. 


SUR     LK     DKCOM-ETAd  E 


183 


afin  cr attirer  les  hommes  et  de  les  détourner  du  péciié  contre 
nature,  qui  était  fort  répandu.  De  même,  à  Lucques,  en  1488,  fut 
institué  VUfïzio  de  if  Onesfa,  qui  devait  punir  les  sodomistes  et 
favoriser  les  amours  licites.  Longtemps,  à  Venise,  des  rues  spé- 
ciales furent  assignées  aux  filles  de  joie  ;  leurs  vêtements  étaient 
des  plus  légers,  et  il  leur  était  permis,  quand  elles  se  mettaient  à  la 
fenêtre,  de  laisser  pendre  hors  de  l'appui  une  jambe  moitié  nue. 
Dans  la  suite,  cette  tolérance  fut  sagement  abolie. 

Au  xvii''  siècle,  les  patriciennes   qui,   autrefois,  sortaient  rare- 


Fig.   117. 

ment  et  ne  se  paraient  qu'à  Foccasion  des  fêtes  publiques,  s'éman- 
cipèrent et  commencèrent  à  se  faire  voir  dans  les  rues  la  gorge 
au  vent  :  ((  elles  s'en  vont  les  seins  nus,  dit  Scipio  Galerano  (11)46), 
et  ne  s'aperçoivent  pas  de  l'erreur  qu'elles  commettent  !  ». 

Vers  la  fin  du  siècle  suivant,  tandis  que  le  costume  grec  était 
adopté  par  les  capricieuses  de  Paris,  les  dames  vénitiennes  s'habil- 
laient à  la  romaine  :  elles  portaient  «  la  gorge  à  l'hermaphrodite  », 
c'est-à-dire  sans  corset. 

A  Londres,  le  D''  Graham,  l'auteur  de  la  Méga/anthropogé- 
nésie  (1),  était  aussi  l'inventeur  d'un  système  de  révivification  de 
l'amour,  par  l'exhibition  de  modèles  vivants  qu'il  associait  à  des 


(1)  On  a  dit  de  cet  auteur,  (jui  enseignait  Tart  de  l'aire  des  enfants  d"es|)rit, 
qu'il  était  dommage  que  le  père  n'eût  pas  pu  profiter  des  enseignements  de  son 
fils. 


184  I.  i:S     SRINS     DANS     i/hIST()IRK 

passes  magnétiques  :  «  Il  avait  chez  lui,  écrit  un  contemporain, 
un  lit  crleste,  où  il  faisait  poser  des  femmes  à  demi  nues,  et  ce 
spectacle,  combiné  avec  des  passes  magnétiques,  des  concerts 
d'instruments  et  des  discours  appropriés,  devait  infailliblement 
provoquer  la  crise  amoureuse  chez  les  époux  envers  qui  la  nature 
s'était  montrée  trop  avare  ». 

Le  charlatan  intéressa  à  ses  affaires  la  fameuse  Emma  Lvons  ou 
Hart,  future  lady  Hamilton,  qui  était  d'une  beauté  incomparable 
et  d'une  plastique  irréprochable  :  «  De  toutes  parts  on  se  précipita 
vers  la  great  attraction;  on  payait  des  prix  fous  pour  contempler 
pendant  quelques  minutes  la  déesse  Hygie,  —  ainsi  l'avait  sur- 
nommée son  cornac,  —  mollement  étendue  sur  le  «  lit  de  volupté  « 
et  à  peine  recouverte  d'une  gaze  transparente.  Elle  s'y  prêtait,  du 
reste,  merveilleusement,  car  elle  savait  prendre  les  poses  les  plus 
difficiles  de  la  statuaire  antique;  elle  imitait  à  s'y  méprendre  les 
marbres  les  plus  beaux,  et  ce  fut  elle  qui  ouvrit  la  voie  à  la  célèi)re 
imitatrice,  M"'"  Hœndel-Schultz,  et  mit  à  la  mode  les  tableaux 
vivants  (1).   » 

Nos  Anglaises  modernes,  austères  en  apparence,  ne  se  gênent 
pas  pour  se  décolleter  à  l'occasion  et  amplement.  Prosper  Mérimée 
écrit  de  Londres  à  son  «  inconnue  »,  le  12  mai  18()2  :  «  J'ai  vu, 
le  soir,  chez  lord  Palmerston,.  de  ti'ès  belles  femmes  et  de  très 
abominables  ;  les  unes  et  les  autres  faisaient  une  exhibition  com- 
plète d'épaules  et  d'appas,  les  unes  admirables,  les  autres  très 
odieux,  mais  les  uns  et  les  autres  avec  la  même  impudence.  Je 
crois  que  les  Anglais  ne  jugent  pas  ces  choses-là  (2).  » 

Néanmoins,  en  dehors  des  mondaines  et  demi-mondaines,  il 
existe  de  nombreuses  protestataii-es  qui  font  partie  de  la  «  ligue 
contre  le  décoUelage  »,  fondée  pai-  miss  Phelps.  \o\c'\  quelques- 
uns  des  aro'uments  tirés  de  cette  mode  déclarée  indécente  :   «  Le 

o 

(1)  Dufour,  liist.  de  la  prostitution.  Gr.  Dicf.  Univ.  du  XIX"  eiècle.  Ces  tableaux 
vivants,  comme  le  remarque  J.  Houdoy,  dans  la  Beauté  des  fe)niHes,  ne  sont  pas 
d'une  création  moderne.  Quand  la  reine  de  Saba  vint  à  Jérusalem,  elle  avait 
toute  une  phalange  de  jeunes  fdles  chastement  vêtues  de  l'air  du  temps,  qui 
représentèrent  devant  Salomon  les  visions  de  la  reine  du  soleil. 

(2)  En  voyage,  dans  les  Palace-Hôtels  et  sur  leurs  paquebots,  les  Anglais  qui, 
au  déjeuner  se  présentent,  la  pipe  à  la  bouche,  en  casquette  et  veston  de  com- 
mis voyageurs,  —  tels  on  les  voit  à  notre  Opéra,  — imposent,  au  dîner,  le  smo- 
king pour  les  hommes  et  la  toilette  de  soirée,  avec  décollelage  sans  limites, 
pour  les  miss  ou  mistress,  même  quand  elles  n'ont  que  des  clavicules  ou  des 
côtes,  saillantes  comme  leurs  incisives,  à  montrer. 


s  L'  H     1 .  K     I)  É  C  O  I.  I,  K  T  A  ( i  K  1  H^y 

décolletage  est  la  honte  des  femmes...  la  robe  décolletée  qui 
découvre  le  corps  avec  impudeur  est  un  défi  porté  à  la  civilisation... 
Ce  sont  les  reines,  les  princesses  et  les  grandes  dames  qui  donnent 
Texemple  de  l'impudicité...  Une  cuisinière  est  supérieure  à  une 
princesse  ;  quand  elle  va  au  bal  de  la  Saint  Patrick,  elle  est  vêtue 
comme  l'exige  l'idée  que  le  peuple  se  fait  des  convenances  ».  Le 
docteur  Minime,  auquel  nous  empruntons  ces  renseignements  (1), 
les  fait  suivre  de  réflexions  topiques  et  fournit  à  miss  Phelps, 
dont  il  approuve  la  campagne,  sans  espoii-  de  succès,  des  argu- 
ments d'ordre  physiologique  :  «  le  décolletage,  symbole  carac- 
téristique d'une  mondanité  rafïinée.  a  pour  mobile  l'impudicité  ; 
la  connexion  du  sein  et  des  organes  sexuels  est  connue  de  tous. 
Cependant  il  n'entrera  pas  dans  la  ligue  de  miss  Phelps,  parce 
quelle  ne  changera  rien  à  ce  qui  est  :  elle  n'attirera  que  les  poi- 
trines plates.  Et  puis,  il  n'est  pas  mau^ais  que  les  femmes  jouent  de 
tous  leur  appas  pour  attirer  l'Eternel  masculin.  » 

Il  y  a  beau  temps  que  le  D'  Palpard,  médecin  de  Montpellier,  a 
adressé  à  la  Société  des  Observateurs  de  la  Femme  (1802-1803), 
une  dissertation  qui  tend  à  prouver  que  le  sentiment  de  la  pudeur 
est  beaucoup  plus  naturel  et  plus  constant  chez  l'homme  que  chez 
la  femme  (2).  En  effet,  le  voit-on  se  décolleter,  se  faire  vacciner 
au  mollet  ou  à  la  cuisse,  |)orter  des  pantalons  ouverts,  enfin  s'af- 
fubler de  seins,  de  hanches  ou  de  culs  (3)  postiches  ? 

Une  faut  non  plus  regarder  de  trop  près  le  puritanisme  yankee  (4) . 
Ainsi  M.  de  Norvins  {Revue  (/es  Revues,  septembre  1899)  rapporte, 
entre  autres  histoires  sur  les  très  libres  filles  d'Amérique,  l'aven- 
ture de  cette  Sadie  Johnson,  un  modèle  très  réputé  dans  les  atehers 
de  New-York,  qui,  au  milieu  d'un  dîner,  donné  par  un  jeune  Ijan- 
quier,  sortit  tout  à  coup  d'un  pâté  monstre,  comme  Méphisto  de  la 

(1)  Loc.  cit. 

(2)  Arthur  Dinatix,  les  Sociétés  badines. 

(3)  Après  les  encombrants  paniers,  imaginés  ])our  cacher  les  suites  du  lii)erli- 
nage  des  femmes,  parurent  les  poches  destinées  à  faire  valoir  les  hanches,  puis 
vinrent  les  culs  qui  faisaient  ressemiîler  les  femmes  k  la  Vénus  hottentote.  «  Au 
lien  de  faire  ressortir  les  belles  formes  de  la  nature,  dit  Dulaure,  elles  les  défi- 
guraient. » 

(4)  La  ])lus  grande  liberté  est  laissée  aux  jeunes  Américaines;  mais,  femmes 
pratif[ues  —  c'est  dans  le  sang  — ,  elles  en  jouent  habilement  :  leur  ftirt  n'est 
dangereux  que  pour  leur  partner:  «  tout  ce  qu'on  voudra,  mais  pas  (.-a  »  :  c'est 
la  formule  consacrée.  Aux  Ktats-Unis,  d'ailleurs,  tout  se  fait  grandement  :  ainsi, 
une  professional  lieauly.  lady  Grantley,  accoucha  cinq  jours  après  son  mariage  ! 


186  LKS     SKINS     DANS     L    HISTOIRE 


soujnèro  du  Petit,  Faust,  et  simplement  vôtuc  du  costume  que 
notre  mère  Eve  a  porté  la  première.  Cette  «  entrée  »  sensation- 
nelle rappelle  une  aventure  analogue,  arrivée  à  la  cantatrice  fran- 
çaise Pélissier.  Elle  débuta  fort  jeune  dans  la  vie  galante,  et  la 
chronique  scandaleuse  de  l'époque  raconte,  qu'à  peine  âgée  de 
quatorze  ans,  mignonne,  ravissante  de  formes,  elle  fut  servie  sur 
un  immense  plat  d'argent,  vêtue  de  persil,  en  guise  de  relevé,  à 
un  diner  de  gentilshommes  (1).  De  même,  ;M"'  Malaga  s'exhibait 
au  boulevard  du  Temple,  «  h  la  crapaudine  «  sur  un  plat  d'argent. 
Enfin  «  Casque  d'Or  »  raconte,  dans  st'S  Mémoires,  qu'en  venant 
au  monde,  elle  était  si  menue,  qu'un  visiteur  s'exclama  :  «  C'est 
un  compte-gouttes  qui  a  fait  ça!  ».  Un  soir,  le  père  d'Ehe  retient 
ses  amis  à  diner  et  leur  promet  une  surprise  :  un  plat  de  sa  compo- 
sition, un  petit  salé  extra.  Après  le  potage  et  l'omelette,  le  «  pater- 
nel »  disparait  un  instant,  prend  sa  fille  dans  le  berceau  puis  la 
couche,  nue  et  frétillante  comme  une  ablette,  sur  un  plat  de  faïence 
capitonné  de  cresson  ;  il  le  pose  sur  la  table,  en  disant  :  «  Mes- 
dames et  Messieurs,  voilà  le  petit  salé  promis  !  »  Incontinent, 
l'émotion  d'un  premier  début  fit  que  le  petit  salé,  tout  en  «faisant 
le  soleil  »,  ne  tarda  pas  à  baigner  dans  son  jus.  C'est  sans  doute 
le  souvenir  de  cette  exhibition  en  pubhc  qui  la  décida  plus  tard  à 
prendre  ses  inscriptions  de  «  licences  »  à  la  Préfecture  :  il  n'y  a 
que  le  premier  jjiat  qui  coûte. 

^lais  revenons  au  pays  des  dollars.  Une  caricature  satirique  de 
la  Life,  de  Xew-York  (1902),  prouve  que  de  l'autre  côté  de  l'Atlan- 
tique, les  habituées  de  l'Opéra  étalent  aux  feux  des  lumières  leurs 
parures  naturelles,  avec  la  même  désinvolture  que  nos  Parisiennes. 
Ce  dessin  montre  le  buste  en  peau  de  deux  spectatrices,  émer- 
geant du  rebord  de  leur  loge,  comme  d'une  baignoire,  avec  cette 
légende  :  «  Vous  croyez  que  ces  dames  prennent  là  leur  bain  du 
matin  ?  —  Pas  du  tout  ;  elles  sont  assises  dans  leurs  loges  à 
l'Opéra.  » 

En  janvier  l'.3(l2,  le  froid  fut  si  rigoureux  et  endommagea  tant 
d'appareils  respiratoires,  chez  les  dames  condamnées  par  le  pi-oto- 
cole  à  figurer  dans  les  réceptions  ou  les  dhiers  officiels  en  robes 
décolletées,  que  M"'"  Roosevelt  s'insurgeant,  à  la  Maison  Blanche, 

(1)  Le  T/iéàtre  d'autrefois  et  d'aujouni'/iui. 


SUR     LR     DKCOLLKTAC.R  187 

contre  cette  étiquette  barbare,  inaugura  une  sorte  de  jaquette- 
dîner  fermée:  toute  TAmérique  higli  ///e adopta  la  nouvelle  mode. 
De  là  à  imiter  la  pudique  Albion  dans  Tinstitution  d'une  ligue 
hypocrite  anti-pectorale,  il  nV  avait  qu'un  pas  et  il  fut  aussitôt 
franchi  par  Chicago,  où  une  Société  s'est  formée  pour  combattre 
le  décolletage  et  la  publication  des  portraits  des  artistes  comme 
annonce  ;  une  contrefaçon  de  notre  fameuse  ligue  contre  la  licence 
des  rues. 

II.   —   EXHIBITIONS   DES   SEINS   EN  PUBLIC  (1) 

Peines  corporelles.  —  Nous  avons  déjà  parlé  des  supplices 
suivis  de  mort,  où  Tarrachement  des  seins  n'était  qu'accessoire; 
ici,  nous  nous  occuperons  des  peines  purement  afïlictives  compor- 
tant la  mise  à  nu  des  seins,  dans  les  diverses  sortes  de  tortures. 

Suivant  certaines  juridictions,  la  fille  mère  était  poursuivie, 
toute  nue,  par  les  huées  de  la  foule  ;  de  même  l'homme  et  la  femme, 
convaincus  d'adultère,  étaient  également  dépouillés  de  tout  vête- 
ment pour  être  fustigés  par  la  ville  (2).  C'est  de  semblable  cou- 
tume judiciaire  que  s'est  inspiré  le  peintre  Garnier  pour  son  Sup^ 
-plier  (les  adultères ,  exposé  au  Salon  de  1876.  Sous  Xéron,  on 
dépouillait  les  adultères  de  leurs  vêtements  et,  après  avoir  lié 
leurs  membres,  on  les  livrait,  dans  le  cirque,  à  un  taureau  sauvage 
qui  les  faisait  sauter  en  l'air,  à  la  grande  joie  des  spectateurs  : 
«  On  les  exposait  ainsi  à  la  fureur  des  cornes  d'un  taureau,  pn'-- 
tend  Nodot,  pour  en  avoir  fait  pousser  sur  le  front  de  leurs  maris  », 
application  de  la  peine  du  talion.  Sainte  Perpétue  subit  ce  sup- 
plice comme  martyre  de  la  foi. 

Au  moyen  âge,  les  mœurs  s'adoucissent  et  la  femme  adultère, 
en  Italie,  est  promenée,  la  poitrine  nue,  sur  un  âne,  comme  le 
représente  une  vieille  toile  dont  nous  avons  détaché  la  figure  il'.). 
De  même,  vers  la  fin  du  xv'^  siècle,  la  belle  infidèle  Jeanne  Shore, 
mariée  à  un  riche  orfèvre  de  la  Cité,  fut  promenée,  nue  jusqu'au 
nombril,  autour  de  l'église  Saint-Paul  (3). 

(1)  Les  nudités  produites  sur  la  scène  ou  dans  les  i)ratiques  religieuses,  comme 
celles  des  Flaf/ellunts,  seront  décrites  dans  nos  Seins  à  l'Eglise  et  au  Théâtre. 

(2)  Lalanne  ;  Curiosités  des  traditions. 

(3)  Hector  France,  loc.  cit. 


188  LKS     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 

Nos  juges  sont  encore  plus  indulg-enls  :  le  tarif  de  l'adultère, 
inaugure  par  ]M.  Morise,  le  président  de  la  onzième  chambre 
(août  lUOl  I,  est  de  25  francs  par  tète  —  c'est  pour  rien  —  ;  cepen- 
dant, un  président  plus  sévère  d'une  chambre  voisine  a  condamné 
la  coupable  à  un  mois  de  prison  et  son  complice,  à  100  francs 
d'amende.  Autres  temps,  autres  mœurs  :  actuellement,  le  ridicule, 
la  flétrissure  morale  sont  le  lot  de  l'époux  et  non  plus  de  son  rival. 

Mais  revenons  aux  étrivières,  à  la  peine  du  fouet  :  les  «  fessées 
patriotiques  »  étaient  la  correction  habituelle  que  les  tricoteuses 
administraient,  en  pleine  rue,  aux  aristocrates  récalcitrantes  ou 
aux  sœurs,  accusées  de  cacher  des  prêtres  «  réfractaires  ».  On 
sait  que  la  fohe  d'Anne  Terwagne,  dite  Théroigne  de  Méricourt, 
ou  mieux  de  Marcourt,  se  déclara  après  ce  suprême  affront  subi 
sur  la  terrasse  des  Feuillants  (31  mai  1703),  pour  avoir  pris  la 
défense  de  Brissot. 

Le  jour  de  l'entrée  des  Prussiens  à  Paris,  le  l*"'  mars  1871,  les 
Parisiens  appliquèrent  la  loi  de  Lynch  à  des  demoiselles  cosmo- 
polites, pour  qui  l'efiigie  des  pièces  d'or,  l'eçues  en  libre-échange 
de  leurs  galanteries,  est  indifférente  :  l'argent  n'a  pas  d'odeur. 
Piochefort  a  raconté  l'incident  dans  les  Aventures  de  ma  vie,  avec 
le  sel  ordinaire  dont  il  assaisonne  son  esprit  paradoxal  et  quelque 
peu  enchn  à  l'exagération  de  l'effet  :  «  Tout  fut  calme.  Cependant, 
le  seul  incident  un  peu  mouvementé  fut  l'arrestation  et  la  fustiga- 
tion par  les  Parisiens  de  trois  salopes  qui  s'étaient  avancées  dans 
les  Champs-Elysées  au-devant  des  ennemis,  auxquels  elles  dis- 
tribuèrent avec  affectation  de  nombreux  baisers.  La  foule  se  jeta 
sur  elles,  les  mit  à  peu  j)rès  nues,  et  après  une  fessée  brutale,  les 
couvrit  de  crachats,  d'injures,  de  huées  et  même  de  violents  coups 
de  poings.  » 

Un  souverain  allemand,  le  prince  Henri  XXII  de  Reuss,  fait  un 
singulier  usage  de  son  droit  de  grâce.  Ce  prince,  à  l'esprit  maladif, 
gracie  volontiers  les  enfants  condamnés  par  les  tribunaux,  mais  à 
la  condition  qu'ils  soient  amenés  devant  lui,  sans  différence  de 
sexe,  entièrement  déshabillés,  et  ensuite  frappés  de  verges.  Un 
photographe  a  pu  prendre,  assure  le  Vonvaerts,  auquel  nous 
empruntons  l'anecdote,  un  instantané  d'une  de  ces  scènes,  dignes 
d'un  échappé  de  Charenton. 

Nos  doux  alliés,  les  Russes,  emploient  de  préférence  le  knout, 


s  lu    LE    DHCOI.  I.  kta(;k 


189 


même  pour  les  femmes,  avec  lanières  de  cuir  armées  de  nœuds, 
comme  autrefois  chez  les  Hébreux  ;  les  Yankees,  pendant  la 
guerre  de  Sécession,  flag-ellaient  aussi,  à  bras  raccourcis,  «  le 
tabernacle  carré,  quadratus  tabeniaculus  »,  c'est-à-dire  les  émi- 
nences  postérieures  des  Américaines  du  parti  adverse,  et  ces 
peines  cruelles,  peut-être  excusables  aux 
époques  troublées,  viennent  d'être  remises 
en  vigueur,  comme  aux  solennités  de  Diane 
Lymnatide,  par  ces  fanatiques  amants  de 
la  Liberté! 

Tout  récemment,  l'Assemblée  législative 
de  l'Etat  de  Virginie  a  voté  une  loi,  per- 
mettant d'appliquer  les  châtiments  corpo- 
rels en  public.  Sa  première  application  fut 
faite  sur  la  place  publique  de  ^lanassas,  à 
une  jeune  fdle  de  dix-huit  ans,  accusée  de 
relations  immorales  avec  un  clergyman. 
A.  Willette  en  a  fait  le  sujet  d'une  de  ses 
satiriques  et  gracieuses  compositions. 

Chez  les  Egyptiens  et  les  Perses,  la 
flagellation  n'était  souvent  que  le  prélude 
d'autres  supplices,  tel  que  l'écorchement  : 
Cambyse  fit  écorcher  vif  un  juge  prévari- 
cateur et  ordonna  de  recouvrir  de  sa  peau 
le  siège  sur  lequel  devait  s'asseoir  le  ma- 
gistrat pour    rendre   la  justice  ;    mais    la 

chronique  ne  dit  pas  si  c'est  le  dos  ou  la  poitrine  qui  fut  livré  au 
tapissier   pour  opérer  cette  macabre  restauration. 

Un  supplice,  longtemps  en  vigueur  dans  les  pays  catholiques, 
était  la  mutilation  des  parties  du  corps  les  plus  charnues,  mamelles 
supérieures  et  inférieures,  avec  des  tenailles  rougies  au  feu.  Après 
l'arrachement,  le  bourreau  versait  dans  les  plaies  béantes  du 
soufre  fondu,  de  l'huile  ou  de  la  cire  bouillantes,  selon  le  caprice 
de  l'ordonnateur  des  hautes  œuvres. 

Il  nous  reste  à  parler  des  châtiments  mortels  qui  ajîpartiennent 
à  l'histoire  du  lait  ou  de  l'allaitement.  Les  sauvages  du  Darien  et 
de  la  Nouvelle-Grenade  enterrent  les  enfants  à  la  mamelle  avec 
leur  mère.  A  l'époque  de  la  révolte  des  Strélitz,  Pierre  le  Grand 


119. 


l'JO  LKS     SEINS     DANS     1,  "  H  I  S  1  (»  I  H  K 

fit  infliger  le  môme  supplice  à  deux  femmes.  Chez  les  Perses,  la 
peine  de  l'auge  consistait  à  enfermer  le  patient  entre  deux  auges 
en  pierre  ou  en  bois:  la  tête  seule  sortait;  on  l'enduisait  d'une 
pâte  faite  de  lait  et  de  miel  et  on  Fexposait  en  plein  soleil,  pour 
être  dévorée  lentement  par  les  mouches  et  les  guêpes  (1). 

Exercices  gymniques  et  bains  publics.  —  A  Lacédémone, 
les  Spartiates  des  deux  sexes,  dépouillés  de  leurs  vêtements,  se 
réunissaient  sur  la  place  publique  pour  se  livrer  aux  exercices 
corporels,  sports,  danses,  institués  par  Lycurgue -.  Cette  nudité 
n'éveillait  aucune  idée  lascive  et  n'altérait  en  rien  la  pureté  de 
leurs  mœurs,  protégée,  en  quelque  sorte,  par  leur  ardent  patrio- 
tisme. «  Les  filles  de  Sparte,  dit  Montaigne,  n'étoient  pas  nues, 
l'honnêteté  publique  les  couvroit,  »  Plutarque  (traduction  d'Am\ot) 
décrit  et  justifie  les  institutions  gymnopédiques  du  grand  législa- 
teur grec  :  «  Pour  leur  ôter  toute  déhcalesse  et  toute  tendresse 
efféminée,  il  accoutuma  les  jeunes  filles,  ainsi  que  les  garçons,  à 
se  trouver  aux  processions,  à  danser  nues  en  quelques  fêtes  et 
sacrifices  solennels,  et  à  chanter  en  la  présence  et  à  la  vue  des 
jeunes  jouvenceaux,  auxquels,  bien  souvent,  elles  donnoient,  en 
passant,  quelque  brocard  à  point  touchant,  concernant  ceux  qui 
en  quelque  chose  aui-aient  oublié  leur  devoir...  Mais  quant  à  ce 
que  les  filles  se  monlroient  ainsi  toutes  nues  en  pubhc,  il  n'}-  avoit 
pour  cela  vilenie  aucune  ;  mais  étoit  l'ébattement  accompagné  de 
toute  honnêteté,  sans  lubricité  ni  dissolution  quelconque.  »  Dorât, 
l'élégant  poète  de  l'afféterie  et  de  la  frivolité,  a  célébré  ces  cou- 
tumes, dignes  de  l'Age  d'or,  dans  son  Poème  de  la  déclamation: 

Combien  je  vous  regrette,  ô  temps,  ô  jours  heureux  ! 

Où  dans  les  murs  de  Sparte,  et  dans  ses  plus  beaux  jeux, 

Se  partageant  en  chœurs,  des  vierges  ingénues 

Dansaient  sans  indécence,  et  dansaient  toujours  nues. 

Que  de  secrets  trésors  dévoilés  aux  amours  ! 

Quel  charme  arrondissait  tous  ces  légers  contours  ! 

A  chaque  mouvement  que  de  beautés  écloses  ! 

Quels  frais  monceaux  de  lis,  mêlés  de  ([uelques  roses  ! 

(1)  (jr.  dicl.  univ.  du  XIX'  siècle. 

(2)  11  nous  fut  donné  d'assister  à  une  «  lutte  de  dames  »  dans  une  fètc  forahie; 
les  championnes  |)Oitaient  un  maillot  rose  qui  ne  manquait  pas  d'agrément  ; 
elles  tombaient  leur  honmie  avec  une  maestria  digne  de  saint  Michel,  terrassant 
le  démon. 


Srii     I,  K     I)  KCOL  L  KTAd  K 


lui 


Que  dis-je  ?  aux  yeux  de  l'amant  enchanté 

La  céleste  pudeur  voilait  la  nudité. 

Et  changeait  le  désir  en  un  timide  hommag-e. 

A  cette  époque  lointaine,    pas    d'adultère  ;   toutes  les  épouses 
étaient  autant  de  Lucrèces   retirées  dans  le  o-ynécée.  Les  courti- 


Fig.  120. 

sanes  seules  s'exposaient  en  public,  vêtues  de  tissus  diaphanes  (1), 
lascives  et  provocantes  ;  à  leur  porte  pendait  un  phallus  recouvert 
d'un  voile. 

(1)  De  même  à  Rome  :  «  Avec  la  couitisane.  point  de  ces  embarras  :  à  travers 
la  gaze  qui  l'habille,  on  la  voit  comme  si  elle  était  nue  ;  on  distingue  si  elle  a  la 
jambe  mal  faite  ou  le  pied  mal  tourné  ;  on  mesure  sa  taille  aux  yeux.  Aimes-tu 
donc  mieux  être  dupé,  c'est-à-dire  paver  avant  d'avoir  vu  la  marchandise  ?  « 
Hor.  Sat.  I,  2. 


rJ2  I.  KS     SKINS     DANS     L    IIISIdlUR 

Los  Romains  n'avaient  ni  la  mentalité  ni  le  tempérament  des 
Spartiates,  en  raison  de  la  corruption  de  leurs  mœurs  ;  aussi  la 
promiscuité  des  sexes,  tolérée  dans  leurs  Thermes,  sous  les 
empereurs  libertins,  fit-elle  de  ces  établissements  des  lieux  de 
débauche  (1)  ;  quelques  empereurs  la  défendirent  :  Adrien,  par 
exemple.  L'estampe  satirique  de  Gaspar  Isac  (fig.  120),  qui  pré- 
tend représenter  les  anciens  bains  romains,  est  de  pure  fantaisie, 
mais  amusante  dans  ses  détails  (2) . 

La  suppression  de  ces  bains,  qui  portèrent  une  égale  atteinte  à 
la  morale  et  à  la  santé  publique,  fut  une  des  premières  et  salu- 
taires réformes  du  christianisme. 

Le  Tepidar'mtn,  de  Th.  Chasseriau,  dont  nous  détachons  le 
groupe  du  premier  plan  (fig.  121),  représente  des  Romaines  dans 
un  établissement  de  bains,  où  le  mélange  des  sexes  n'était  plus 
permis  ;  elles  se  chauffent  autour  d'un  brasier  de  noyaux  d'olives. 
Très  belle  restitution  de  la  vie  antique. 

Plus  tard,  on  tolérera  de  nouveau  à  Rome  la  promiscuité  dans  les 
étuves.  Montaigne,  le  16  mars  loHO,  visite  celles  de  Saint-Marc 
«  qu'on  estime  des  plus  nobles  »  et  constate  que  «  l'usage  y  est 
d'y  mener  des  amies,  qui  veut,  qui  y  sont  frotées  avec  vous  par 
les  garçons  ».  On  les  y  épilait  à  leur  gré,  avec  un  mélange  de 
chaux  et  d'orpiment,  et  l'opération  pour  «  faire  tomber  le  poil  »  ne 
durait  pas  plus  «  d'un  demi  petit  quart  d'heure  ». 

En  16HN,  Maximilien  Misson  parcourt  l'Italie,  et  raconte  que 
Venise  est  la  ville  où  les  peintres  peuvent  le  mieux  étudier  la 
nature  sur  le  vif  :  «  11  y  a  deux  Académies  où  ils  ont  toujours  des 
nuditez  choisies,  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  ;  et  qui  sont  souvent 
ensemble  sur  le  même  théâtre,  dans  Testât  auquel  on  les  veut 
mettre.  Tout  le  monde  peut  entrer  là  et  vous  ne  sçauriez  croire 
avec  quelle  hardiesse  on  dit  que  ces  petites  créatures  soutiennent 

(1)  «  C'est  là,  dit  Ovitle.  (lue  se  cachaient  en  sûreté  les  maris  de  contrebande...» 
C'est  là  également,  ajoute  Martial,  qu'on  allait  dans  les  ténèbres  se  mêler  à  la 
tourbe  honteuse  des  courtisanes...  Ce  furent  les  femmes  qui  remplacèrent  les 
masseurs,  promenant  sur  le  tronc  et  les  membres  leur  main  habile.  »  «  Les  bains, 
le  vin.  l'amour,  dit  Pétrone,  détruisent  ou  entretiennent  notre  vie  ».  Héliogabale  et 
l)07nifien  se  baignaient  avec  les  courtisanes,  les  parfumaient  et  les  épilaient.  Pline 
n'hésite  pas  à  voir  dans  de  pareils  excès  la  cause  de  la  décadence  de  l'Empire. 
(Durand  Fardel,  les  Eaux  minérales  et  J.  Rouyer,  Éludes  sur  l'ancienne  Rome]. 

(2)  Nous  l'avons  divisée  en  trois  parties  et  ne  donnons  ici  que  le  tiers  moyen  ; 
les  deux  autres  i)arties  paraîtront  dans  nos  Eaux  minérales  pour  rire  et  nos 
CUjsleriana  ou  Conles  d'apothicaires. 


s  U  K     h  !•:     D  É  C  OLL  E  T  A  fi  K 


193 


les  regards  du  tiers  et  du  quart.  »  Avant  de  quitter  Tltalie,  cons- 
tatons, avec  Théophile  Gautier,  qu'à  Milan,  en  1850,  on  se  baigne 
encore  avec  les  femmes,  dans  des  baignoires  de  marbre  blanc. 
«  Les  bains,  ajoute  notre  voyageur,  servent  de  maisons  de  passe.  » 
Cependant  Montaigne  remarque  qu'à  Bade  «  les  dames  sont 
seules  au  bain  »  où  elles  se  font  «  cornéter  »,  c'est-à-dire  ven- 
touser;  mais  il  n'en  est  plus  de  même  de  nos  jours,  au  dire  de 
Victor  Tissot  :  «  Les  sources  thermales 
du  Bade  autrichien  sont  très  fréquen- 
tées; elles  forment,  comme  àLouèche, 
de  vastes  piscines,  où  les  deux  sexes 
se  baignent  en  tout  bien  tout  honneur. 
L'n  Anglais  qui  osa,  un  jour,  insinuer 
qu'un  costume  moins  diaphane  con- 
viendrait mieux  au  beau  sexe,  reçut 
pour  réponse  que  ce  costume  avait 
été  ordonné  par  la  Faculté  !  » 

A  Berne,  en  Suisse,  dans  la  seconde 
moitié  du  xviii"  siècle,  Casanova, 
d'après  Gérard  de  Nerval,  prétend 
qu'on  y  est  servi  par  des  baigneuses 
nues,  choisies  parmi  les  filles  les  plus 
séduisantes  du  canton  :  «  Elles  ne 
quittent     point    l'eau     par     pudeur, 

n'ayant  pas  d'autre  voile  ;   mais    elles  folâtrent  autour   de    vous 
comme  des  naïades  de  Rubens  ». 

En  Turquie,  le  Coran  ne  permettant  pas  les  nudités,  les  femmes 
se  baignent  revêtues  de  peignoirs  en  crêpe  de  soie.  On  raconte 
que  le  sultan  Mahmoud  ayant,  un  jour,  pénétré  dans  la  salle  de 
bains  de  ses  femmes,  fut  condamné  par  elles-mêmes  à  rester  un 
temps  assez  long  sans  les  voir. 

En  Finlande  existent  encore  d'anciennes  étuves,  sortes  de  lieux 
sacrés,  où  hommes  et  femmes  allaient  s'exposer  aux  vapeurs 
de  l'eau  versée  sur  des  cailloux  incandescents  ;  ils  se  fustigeaient 
mutuellement  avec  des  brindilles  de  bouleau,  puis  s'immergeaient 
dans  l'eau  froide.  Amédée  Vignola  rapporte  une  particularité 
curieuse  de  ces  bains  publics  :  «  On  y  menait  les  femmes  grosses, 
et  c'est  là,  dans  ces  réduits  obscurcis  par  la  chaude  buée,  que  la 


LES    SEINS    DANS    L  HISTOIRE.    —    I. 


13 


194  I.  i:S     SKINS     DAMS     L    HISlMtlUK 

plupart  des  paysans  finlandais  ont  respiré  pour  la  première 
fois  ». 

Pas  plus  en  France  qu'à  l'étranger,  les  bains  publics  n'offraient 
de  garantie  à  la  morale.  Aux  «  beings  de  Plommieres  »,  écrit 
Fironique  auteur  des  Essais,  à  la  recherche  d'une  eau  minérale 
capable  de  guérir  ses  coliques  néphrétiques,  il  est  indécent  aux 
hommes  de  s'y  mettre  autrement  que  tous  nuds,  sauf  un  petit 
braiét  et  les  femmes  sauf  une  chemise.  »  Par  contre,  il  est  dé- 
fendu à  «  toutes  filles  prostituées  et  impudiques  d'entrer  ausdits 
beings  ny  d'en  approcher  de  cinq  cens  pas,  à  peine  du  fuët  des 
quattres  carres  (fouet  aux  quatre  coins),  des  dits  beings  ».  Il 
était  aussi  interdit  aux  baigneurs  d'  «  user  envers  les  dames, 
damoiselles  et  autres  famés  et  filles,  d'aucuns  propos  lascifs  ou 
impudiques,  faire  aucuns  attouchemens  deshonnestes,  entrer  ni 
sortir  desdits  beings  irrévéremment  contre  fhonnesteté  publi- 
que ». 

A  Paris,  défense  était  faite  aux  étuveurs,  par  ordonnance  de 
pohce,  de  «  tenir  aucune  réunion  de  messieurs  et  de  demoiselles  »  ; 
mais  malgré  ces  règlements,  les  établissements  balnéaires  devin- 
rent des  maisons  de  passe  et  de  rendez-vous.  Guillaume  Pépin  ne 
fait  aucune  différence  entre  les  femmes  qui  se  rendent  aux  étuves 
et  celles  qui  vont  au  lupanar  :  «  Sur  trente  bonnes  femmes  qui  y 
entrent,  dit-il,  à  peine  en  sort-il  une  qui  reste  pure  ».  Au  com- 
mencement du  wf  siècle,  le  prédicateur  Maillard  s'écriait  en 
chaire  :  «  Mesdames,  n'allez  pas  aux  étuves  et  n'y  faites  pas  ce 
que  vous  savez  »,  N'était-ce  pas  abuser  des  confidences  du  confes- 
sionnal ? 

Vers  la  fin  du  xviii®  siècle,  en  vertu  de  la  médecine  des  signa- 
tures qui  assimile  l'écume  de  la  mer  à  celle  d'un  chien  hydro- 
phobe,  au  lieu  d'aller  à  l'Institut  Pasteur  on  se  rendait  à  la  plage 
la  plus  voisine,  pour  se  plonger  dans  l'onde  amère.  En  mars  1671, 
]^jmes  jg  Ludres  et  de  Coëtlogon,  filles  d'honneur  de  la  reine, 
mordues  par  une  petite  chienne  enragée,  partirent  à  Dieppe  pour 
«  se  faire  jeter  trois  fois  dans  la  mer  ».  M""*  de  Sévigné,  qui  raconte 
le  fait,  se  moque  de  la  pudique  M"'''  de  Ludres  et  contrefait  sa 
prononciation  :  A/i,  Zésu  !  niatame  te  Gi'i(jiian^  rêtranze  sozc 
fêtre  zettêe  toute  nue  tans  la  mer. 

Au  xviii®  siècle,  il  était  de  bon  ton,  chez  les  pures  et  les  impures. 


SUR  LE  DKCOLL ETAGE 


19" 


d'accorder  à  leurs  galants  l'entrée  du  cabinet  de  toilette  (1)  et  de  la 
salle  de  bain  —  une  gravure  de  Le  Beau  (177:^)  nous  fait  assister 
à  renjambée  de  la  coquette  baignoire  (fig.121  />is);  — cosl  ainsi 
que  la  marquise  du  Châtelet,  assurent  les  Mrnioircs  de  Long- 
champ,  recevait  ses  visiteurs  à  Cirey  ;  il  en  était  de  même  de  la 


Fis.  121  bis. 


princesse  de  Lillebonne.  A  Rome,  en  1779,  M'"'  de  Genlis  se  bai- 
gnait beaucoup  et  toujours  les  soirs  ;  aussitôt  qu'elle  était  au  bain, 
on  avertissait  le  cardinal  de  Bernis  «  qui  venait,  avec  son  neveu. 


(1)  La  Du  Barry,  en  déshabillé  du  lit,  se  faisait  présenter  ses  mules  i)ar  le 
nonce  du  pape  ;  certes,  Teiripressement  £t  la  satisfaction  du  prélat,  dans  cette 
galanterie,  étaient  plus  vifs  que  s'il  se  fût  agi  de  baiser  celles  de  son  souverain 
pontife. 


196  LES     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 

dit-elle,  causer  trois  quarts  criieurc  avec  moi  ».  La  princesse 
Pauline  Borghèse  était  portée  dans  sa  baignoire  et  s'en  faisait 
retirer  par  son  nègre  Paul  (1),  dont  la  «  charge  »  était  fort  enviée. 
Certains  aliénés  prennent  plaisir  à  se  déshabiller  complètement 
en  hiver  et  à  se  verser  de  l'eau  glacée  sur  le  corps,  sans  paraître 
avoir  conscience  de  leur  acte  ;  c'était  une  des  occupations  favorites 
de  Théroigne  de  jNIéricourt  à  la  Salpêtrière.  Quant  aux  Gallois  et 
Galloises  du  xiv*"  siècle,  qui  vivaient  dans  les  montagnes  du  Poi- 
tou, nus  en  hiver  et  couverts  de  peaux  de  mouton  en  été,  on  les 
classe  parmi  les  érotomanes  [Chr.  méd.). 

Fêtes  publiques  et  festins.  —  Les  orgies  de  Sardanapale, 
que  Uochegrosse  a  évoquées  dans  une  toile  mémorable,  n'ont  rien 
d'authentique;  mais  un  grand  nombre  de  fêtes  célébrées  en 
Egypte,  en  Grèce,  à  Rome  (2),  en  l'honneur  des  divinités  généra- 
trices, où  les  jeunes  filles  renonçaient  à  la  parure  de  la  pudeur  et 
les  femmes  oubliaient  la  dignité  conjugale,  perdirent  bientôt  leur 
caractère  rehgieux  et  ne  furent  plus,  à  Rome  surtout,  que  des 
prétextes  à  exhibitions  plastiques.  Les  floralies,  entre  autres,  avaient 
été  fondées  soit  en  l'honneur  de  Flore,  soit,  d'après  une  autre 
légende,  par  la  courtisane  Flora  qui  avait  légué  tous  ses  biens  à  la 
République,  sous  condition  que  l'anniversaire  de  sa  mort  serait 
fêté  par  des  réjouissances  et  quelles  réjouissances  !  La  populace 
allait  chercher  les  prostituées  dans  leurs  bouges  de  Suburre,  les 
dépouillait  de  leurs  vêtements  et  les  contraignait  à  se  battre  ou  à 
prendre  des  postures  indécentes  (3).  Une  toile  de  P.  Piatti  (Salon  de 
1901)  montre  Gaton  —  le  Bérenger  de  l'époque  —  aux  jeux 
Floraux;  mais  ceux  qui  devaient  y  prendre  part  ne  voulurent  pas 
commencer  leurs  ébats  lascifs,  avec  les  jeunes    femmes    nues, 

(1)  Joseph  Turquan.  les  Sœurs  de  Napoléon. 

{2}  \o\r  Fêles  et  Courlisaues  de  la  Grèce,  par  Chaussard  ;  Voyage  d'Anacharsis  e\ 
Dezobry.  Rome  au  siècle  d'Auguste.  Ces  l'êtes  mythologiques  ont  été  reconstituées 
par  nombre  de  peintres  :  Nicolas  Poussin,  Giulio  Carpioni,  Watteau.  Bouchar- 
don,  J.-V.  Berlin;  P.  Gervais  (salon  1901),  Fêtes  en  l'honneur  de  Bacchus  el 
d'Ariane  :  Vasari,  Fin  d'une  Bacchanale,  etc. 

(3)  A  notre  é])oque.  la  fameuse  Farcy  —  de  joyeuse  mémoire  —  retirée  à 
Montargis,  après  fortune  faite  dans  les  massages  sélects  et  autres  arts  d'agré- 
ments, renonça  à  Satan,  à  ses  pompes  et  à  ses  œuvres  de  chair  et  légua  tout 
son  bien  à  l'Eglise,  par  crainte  des  ilammes  éternelles, 

Une  fille  de  joie  en  sécliant  devient  prude 


SUR  1,1-:  DKCOLL  ETACR  19" 


avant  que  Tauslère  raseur  ne  se  fût  retiré.  Qu'eût-il  dit  s'il  eût  vu 
Héliog-abale  —  un  empereur  —  parcourir  les  rues  de  Rome  dans 
les  attitudes  les  plus  équivoques  et  sur  un  char  traîné  par  des 
femmes  nues;  ou  Tibère  banquetant  au  Palatin,  servi  par  des  filles 
dévêtues?  N'est-ce  pas  aussi  ce  sadique  César  qui  imagina  de  donner 
des  fêtes  à  Caprée,  où  les  statues  de  nymphes  et  de  satyres  étaient 
figurées  par  des  jeunes  filles  et  des  jeunes  gens  en  costume  de  bain? 

Les  Grecs  se  livraient  dans  les  festins  à  une  danse  obscène, 
«  la  cordace  »,  qui  fut  adoptée  parles  Romains;  Pétrone  en  parle, 
sans  la  décrire,  au  festin  de  Trimalcion,  mais  Athénée  ajoute 
qu'elle  ne  pouvait  être  dansée  que  par  des  personnes  sans  pudeur. 
Sienkiewicz,  dans  Quo  Va(/is ,  n'a  pas  été  au-dessous  de  la  vérité, 
en  décrivant  les  réjouissances  immorales,  organisées  en  l'honneur 
de  Néron,  sur  les  berges  de  l'étang  d' Agrippa.  C'est  là  que  les 
femmes  et  les  filles  des  premières  familles  de  Rome  promenaient 
leur  nudité  triomphante  ;  des  vierges  «  dont  c'était  le  début  dans  le 
monde  »  apparaissaient  en  costume  de  Vénus  sortant  de  l'onde. 
Chateaubriand  en  fait  mention  dans  son  Génie  ilu  Christianisme  (1). 

Faut-il  rappeler  le  procédé  irrésistible  employé  par  Cléopâtre 
pour  séduire  Antoine?  Elle  se  rend  au-devant  du  triumvir  dans  une 
o-alère  transformée  en  paradis  païen,  étendue,  complètement  nue, 
sous  une  tente  de  drap  d'or,  entourée  de  ses  femmes  dans  le  même 
appareil. 

Caligula,  épris  éperdûment  de  Césonie,  se  plaisait  à  montrer  les 
charmes  de  sa  maîtresse  à  ses  familiers,  à  l'instar  de  Tibère,  exhi- 
bant sa  femme  nue  devant  sesamis,  ou  du  roi  Candaule,  qui  poussait 
son  confident  Gygès  dans  les  bras  de  la  reine  Nyssia.  Césonie  se 
prêtait  de  bonne  grâce  à  cette  exhibition  et  cependant  le  ventre  en 
persiennes  ou  en  besace  de  ses  trois  maternités  devait  nuire 
quelque  peu  à  son  esthétique;  elle  n'était,  dit  Suétone,  et  nousTen 
croyons,  «  ni  belle,  ni  jeune,  mais  hardie,  altièreetde  la  plus  im- 
pudente lubricité  ». 

Froissart  raconte,  en  ses  Chroniques  (2),  qu'à  l'entrée  de  la 
reine  Isabeau  de  Bavière  (1389)  —  qui  passe  pour  avoir  inauguré, 

(1)  «  Pour  le  repas  de  Tigelliiuis.  on  avait  bâti  des  maisons  sur  les  bords  de 
l'étang  d'Agrippa,  où  les  plus  illustres  Romaines  étaient  placées  vis-à-vis  des 
courtisanes  toutes  nues.  A  l'entrée  de  la  nuit,  tout  fut  illuminé  afin  que  les 
débauches  eussent  un  sens  de  plus  et  un  voile  de  moins.  » 

(2)  Liv,  IV. 


198  LES     SEINS     DANS     I,  "  II I  ST  (»  1  11  E 

en  France,  le  décollctage,  ce  «  sourire  du  corsage  »  qui  fait  la  joie 
des  yeux,  —  on  avait  dressé  à  la  porte  Saint-Denis  un  échafaud, 
sur  lequel  était  assise  une  femme  allaitant  un  petit  enfant,  repré- 
sentant la  Vierge  et  l'enfant  Jésus. 

En  Bohème,  le  24  juin  1412,  pendant  les  troubles  qui  accom- 
pagnèrent les  premières  prédications  de  Jean  Huss,  à  la  suite  d'un 
discours  de  son  disciple  Jérôme  de  Prague,  les  étudiants  de 
l'Université  organisèrent  une  grande  procession  satirique:  «Armés 
de  bâtons  et  d'épées,  ils  escortaient  un  char  rempli  de  bulles  du 
pape;  sur  le  char,  debout,  se  tenait  un  étudiant  déguisé  en  cour- 
tisane, il  agitait  de  petites  clochettes  d'argent,  suspendues  à  son 
cou  et  à  ses  mains,  suivant  la  mode  de  l'époque,  et  portait  attachées 
sur  les  seins  des  bulles  pontificales  (1). 

Aux  tournois  du  moyen  âge  en  France,  les  dames,  dans  leurs 
plus  beaux  atours,  se  passionnaient  pour  les  jouteurs  en  champ 
clos,  —  comme  de  nos  jours  les  senoras  espagnoles  se  pâment 
devant  une  brillante  spada  —  et  se  dépouillaient  de  leurs  voiles,  de 
leurs  écharpes  et  même  de  leurs  coiffes  pour  les  lancer  dansl'arène. 
Un  chroniqueur,  le  roi  d'armes  Perceforest,  cite  un  tournoi  où  les 
femmes,  dans  leur  enthousiasme,  allèrent  jusqu'à  jeter  à  leurs 
chevaHers  leurs  vêtements  les  plus  intimes  :  «  Si  Ijien,  dit-il,  que 
quand  elles  se  virent  à  telle  point,  elles  furent  toutes  comme 
honteuses,  mais,  voyant  que  toutes  étoicnt  de  même,  elles  se  pri- 
rent à  rire,  ayant  donné  leurs  habits  et  joyaux  de  si  grand  cœur 
quelles  ne  sapercevoicnt  de  lew  dêvestement  (2).  w 

En  1313,  Phihppe  le  Bel,  pour  célébrer  la  consécration  de  ses 
fils  dans  l'ordre  de  la  chevalerie,  offrit  à  ses  sujets  des  fêtes  pubh- 
ques  et  «  esbattements  »  durant  quatre  jours.  «  On  y  remarquait 
des  ribauds  dansant  en  chemise...  Adam  et  Eve  dans  leur  plus 
simple  appareil » 

A  une  solennité  semblable,  où  Charles  W  conférait  au  fils  du 
duc  d'Anjou  la  même  dignité,  il  y  eut,  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Denis,  des  réjouissances  et  représentations  scéniques  qui  durèrent 
trois  jours;  entre  autres  divertissements,  un  bal  de  nuit  masqué 
«   pour  dispenser  de  rougir  »,  écrit  un  rehgieux  scandahsé.  Le 


(1)  Denis,  lluss  el  la  Guerre  des  IlumUes,  j).  114. 

(2)  Les  Beaux- Arls  illustrés. 


SUR     LE     DKCO  LLKTAC  K  19'» 


saint  lieu  n'imposa  aucune  retenue  :  les  seigneurs  «  s'abandonnèrent 
au  libertinage  et  à  l'adultère  ». 

Les  étalages  de  nudités  féminines  sont  un  des  ornements  les  plus 
communs  aux  fêtes  solennelles  et  entrées  triomphales.  A  l'entrée 
d'Henri  IV  d'Angleterre  dans  Abbeville  (U30),  des  jeunes  filles 
«  au  naturel  »  représentent  des  sirènes  se  jouant  dans  des 
bassins.  De  môme  pour  l'entrée  de  Louis  XI  à  Paris  (31  août  1461}  : 
à  la  fontaine  du  Ponceau,  trois  «  seraines  (sirènes),  dit  Jean  de 
Troyes,  toutes  nues,  et  leur  voyoit-on  le  beau  tetin  droit,  séparé, 
rond  et  dur,  qui  estoit  chose  bien  plaisante  »  (1).  Cette  fontaine 
est  transformée  en  jardin,  à  la  réception  de  Marie  d'Angleterre, 
seconde  femme  de  Louis  Xll,  «  dedans  ledit  jardin  étoient  trois 
pucelles  :  Beauté,  Lyesse  et  Prospérité,  et  à  la  porte  aux  peintres, 
cinq  autres  pucelles  :  France,  Paix,  Amitié,  Confédération  et 
Angleterre  »,  toutes  vêtues  de  soleil.  Au  vieux  roi,  on  présente 
ce  une  dame  veuve  montrant  ses  mamelles  »  ;  que  représentait 
cette  dame  et  pourquoi  veuve  ?  Le  17  juin  1491,  pour  l'entrée 
de  Charles  VIII  dans  Abbeville,  des  «  pucelles  »  figurent  le  ((  moyen 
estât  »  (bourgeoisie)  —  la  ville  —  et  la  Vierge,  allaitant  un  enfant 
—  le  dauphin  —  qui  mourut  peu  après  en  bas  âge.  D'après 
J.  Houdoy,  Henri  II  fut  reçu,  devant  le  Chatelet,  par  une  Minerve  en 
'  effigie,  portant  des  fruits  de  sa  main  droite  et,  de  sa  gauche,  «  elle 
espreignoit  sa  mamelle  d'où  sortait  du  lait,  signifiant  la  douceur 
qui  provient  des  bonnes  lettres  ».  A  l'entrée  d'Henri  l\  dans 
Amiens,  trois  jeunes  «  nymphes  »,  avec  le  costume  approprié, 
jettent  au  roi  des  fleurs  et  disent  quelques  vers  à  sa  louange. 

L'Allemand  Burchard,  maître  des  cérémonies  au  Vatican,  sous 
le  pontificat  d'Alexandre  Borgia,  nous  a  laissé  dans  une  page 
de  son  journal  [Diarium)  un  aperçu  des  divertissements  auxquels 
se  plaisaient  le  pape  et  la  duchesse  Lucrèce,  sa  fille  :  «  Le  dernier 
dimanche  du  mois  d'octobre,  sur  le  soir,  le  duc  de  Valentinois 
donna  un  repas,  dans  sa  chambre  du  palais  apostolique,  où 
assistaient  cinquante  courtisanes,    honnêtes  dames  de  plaisir  (2). 

(1)  Gr.  die.  univ.  du  XIX"  siècle. 

(2)  Ces  courtisanes,  attachées  publiquement  à  la  cour  pontificale,  doii  leur 
nom  italien  [corticjiane,  habituées  de  la  Cour),  devenu  par  la  suite  le  nom 
générique  de  toute  une  classe  de  femmes,  n'étaient  pas  à  proprement  parler  des 
prostituées.  «  Le  mot  de  courtisane,  dit  H.  Estienne,  qui  est  le  moins  deshon- 
neste  synonyme  de  putain,    a  pris   son  origine  de  la  cour  de  Rome,  à  sçavoir 


200  I.  i:S     SKINS     DANS     L    H  I  S  T  0  I  H  K 

Après  le  repas,  elles  dansèrent  avec  les  serviteurs  et  tous  ceux 
qui  étaient  là,  habillées  d'abord,  puis  nues.  Ensuite,  les  tables 
étant  enlevées,  on  posa  des  flambeaux  par  terre  et  on  jeta  autour 
des  châtaignes  que  les  courtisanes  allaient  ramasser  nues,  mar- 
chant sur  les  pieds  et  sur  les  mains,  passant  et  repassant  au  milieu 
des  candélabres  allumés.  Le  pape,  le  duc  de  Valentinois  et  sa 
sœur  Lucrèce  étaient  à  ce  spectacle  et  le  regardaient.  »  Dans  la 
composition  de  son  Borgia  s\(mvse  !  Jules  Garnier  s'est  inspiré 
de  ces  détails  émoustillants  (1). 

Des  exhibitions  comme  celles  dont  se  régalait  Alexandre  VI, 
n'étaient  pas,  du  reste,  particulières  aux  orgies  pontificales.  L'abbé 
et  seigneur  de  Brantôme  raconte  qu'à  la  cour  de  France,  on  don- 
nait parfois  des  séances  de  prestidigitation  au  miheu  desquelles 
apparaissaient  les  plus  belles  dames,  nues  comme  Eve,  et  dans  les 
poses  les  plus  séduisantes.  Bouchot,  dans  les  Femmes  de  France, 
rappelle,  avec  l'anecdote  précédente,  que  lejour  des //^y^Of^-'^As-  on 
allait  surprendre  les  femmes  au  lit  pour  leur  donner  le  fouet. 
Dulaure  (2)  s'est  étendu  longuement  sur  les  abus  de  cette  joviale 
coutume.  Clément  Marot  fait  allusion  à  cet  usage  dans  la  menace 
épigrammatique  qu'il  adresse  à  la  volage  Marguerite  de  Valois  : 

Très  chère  sœur,  si  je  savois  où  couche 

Vostre  personne,  au  jour  des  Innocenta, 

De  bon  matin  j'yrois  à  vostre  couche. 

Voir  ce  gent  corps  que  j'aime  entre  cinq  cents. 

Adonc  ma  main,  vcu  l'ardeur  que  je  sens, 

Ne  se  pourroit  bonnement  contenter 

Sans  vous  touclier,  tenir,  taster,  tenter, 

Et  si  quelqu'ung  survenoit  d'aventure, 

Semblant  feroys  de  vous  innocenter  : 

Seroit-ce  pas  honneste  couverture? 

des  i)reniières  dévottcs  qui  fréquentoient  i)lus  que  très  familièrement,  jour  et 
nuit, avec  les  prélats  de  Rome.»  Voilà  pourquoi  Burchard  les  appelle  «  honnêtes». 

(j)  Chez  Braun.  Clément  et  C'",  Salon  1885.  —  Ce  même  TJiarium,  de  Burchard. 
nous  fournira  encore  un  épisode  caractéristique  des  mœurs  de  ce  temps  :  Vers 
cette  époque  fut  incarcérée  une  certaine  courtisane,  «  c'est-à-dire  fdle  de  joie 
honnête  »,  nommée  Cursetta,  qui  avait  eu  commerce  avec  un  Maure,  leque 
venait  la  voir,  hahillé  en  femme,  et  se  faisait  appeler  la  Barharesque  espagnole. 
Tous  deu.x  furent  ])romenés  par  la  ville,  la  courtisane  vêtue  comme  le  JMaure. 
d'un  hahit  qui  tombait  jus([u"aux  ])ieds  et  ouvert  par  devant  ;  le  Maure  en  luihil 
de  femme,  les  bras  liés  derrière  le  dos  et  la  robe  retroussée  jusqu'au  nund)rii. 
pour  ciu'on  put  bien  voir  son  sexe. 

(2)  Des  Divinités  génératrices. 


SUR    I,  F.    DKcoi, L  i:ta(;  K  201 

Xous  ajouterons,  avec  Anton}-  Meray,  qu'à  ces  anniversaires 
licencieux,  on  absolvait  les  fornications  et  les  adultères;  aussi 
s'empressait-on  de  commettre  ces  péchés,  quelques  jours  avant  la 
sainte  fête,  pour  avoir  le  bénéfice  de  ces  absolutions.  Les  Innocenta 
étaient  donc  le  prétexte  de  jeux  qui  ne  l'étaient  pas  toujours. 

Dans  une  des  fêtes  de  Chenonceaux,  que  Catherine  offrit  à 
Henri  111,  en  1577,  et  qui  coûta  iUOOOO  francs,  le  service  fut  fait 
par  les  dames  de  la  cour,  «  à  moitié  nues  et  ayant  leurs  cheveux 
espars  comme  les  nouvelles  espousées(l)  ».  La  soirée  se  termina 
par  la  représentation  d'une  de  ces  farces  italiennes  qui,  au  témoi- 
gnage de  l'Estoile,  «  n'enseignent  que  paillardises  ». 

Henri  111,  en  sa  qualité  d'affdié  à  l'une  des  confréries  de  péni- 
tents appelés  «  les  battus  »,  abusait  de  la  flagellation  :  il  lui  prit 
un  jour  fantaisie  d'aller  fouetter  le  garde  des  sceaux  de  Morvilliers  ; 
une  autre  fois,  en  compagnie  de  Charles  IX,  il  va  au  quai  des 
Augustins,  à  la  demeure  de  INI"*  de  Xantouillet  «  pour  la  fouetter  »  ; 
était-ce  à  l'époque  des  Innocents  ?  Ce  prince  vicieux,  au  dire  du 
garde  des  sceaux  du  Vair,   «  fit  donner  assignation  à  toutes  les 

p plus  célèbres  de  Paris,  qu'il  invita  à  Saint-Gloud  et  les  v  fit 

mener  dans  des  carosses  ;  où  étant,  il  les  fit  dépouiller  toutes 
nues  dans  le  bois,  puis  fit  aussi  dépouiller  tous  nus  les  Suisses  et 
lès  y  lâcha  à  la  chasse,  voyant  le  plaisir  ». 

A  Douai,  le  3  septembre  1G62,  pour  la  translatation,  dans 
l'église  des  Recollets,  des  reliques  de  saint  Prosper,  une  estrade 
entre  autres,  élevée  dans  la  Basse-Piue,  devant  la  porte  de  M"*" 
Léonore,  présentait  le  Théulrc  J' Amour  ou  «  les  Vanités  du 
Monde  »  :  des  courtisanes  étalaient  et  offraient  leurs  charmes 
«  par  dérision  des  pauvres  dévotes  qui  n'avoientpas  d'autre  amant 
que  Jésus  »;  sur  la  place  pubhque ,  c'était  «  la  Tentation  de  saint 
Antoine  »,  avec  toutes  les  exhibitions  de  la  chair  féminine  que  com- 
porte ce  spectacle. 

Sous  la  Régence,  en  1722,  le  duc  d'Urléans  inventa  les  FtHes 
d'Adam,  qui  se  célébraient  à  Saint-Cloud  et  où  les  compagnons 
de  joie  étaient  costumés  «  en  peau  »,  Suivant  Richelieu,  on  y 
amenait  de  nuit  et  les  yeux  bandés  des  ((  femmes  publiques  »  ;  le 
Régent  et  ses  roués  portaient  le  masque.  Ou  bien  on  faisait  répéter 

(1)  Anecd.  hisi.,  fig.  ti  bis. 


202  M-:S     SEINS     DANS     1>HISI<1|UE 


les  ballels  de  rOpéra  aux  jeunes  choristes  des  deux  sexes,  en  cos- 
tume de  nos  premiei's  parents. 

M""'  de  Caylus,  dans  ses  Mnnoires,  rappelle  les  bruits  qui  cir- 
culaient sur  les  soupers  où  le  Régent  et  sa  fille,  la  duchesse  de 
Berrv,  s'enivraient  en  commun  et  la  fameuse  séance  de  peinture 
où  la  duchesse  posa  toute  nue  devant  le  duc  d'Orléans. 

La  Guimard,  qui  fit  tant  de  passions,  dansait  sans  voile  devant 
ses  adorateurs,  en  catimini  ;  elle  écrivait,  un  jour,  au  prince  de 
Soubise  :  «...  Un  soir,  souvenez- vous-en  !  vous  avez  voulu  (j'allais 
m'endormir)  que  je  danse  une  gargouillage  dans  le  plus  simple 
appareil  :  c'était  ridicule  pour  moi  plus  encore  que  pour  vous  ; 
pourtant  j'ai  dansé...  ))  Ses  admirateurs,  dont  un  éwèc\ne,  'm  part i- 
hfis,  M.  de  Jarcnte,  la  comparaient  aux  trois  Grâces  réunies. 

Après  le  V)  thermidor,  une  subite  détente  fit  sortir  de  toutes  les 
poitrines  angoissées,  des  cris  de  soulagement  qui  dégénérèrent  en 
furieuses  bacchanales  :  «  Dans  la  promenade  qu'on  fit  faire  à 
Robespierre,  dit  Michelet,  pour  le  mener  à  l'échafaud,  le  plus  hor- 
rible, ce  fut  l'aspect  des  fenêtres  louées  à  tout  prix...  Un  monde 
de  riches  et  de  filles  paradait  aux  balcons...  Les  femmes  surtout 
offraient  un  spectacle  intolérable.  Impudentes,  demi-nues,  sous 
prétexte  de  juillet,  la  gorge  chargée  de  fieurs,  accoudées  sur  le 
velours,  penchées  à  mi-corps  sur  la  rue  Saint-Honoré,  avec  les 
hommes  derrière,  elles  criaient  d'une  voix  aigre  :  A  mort  I  A  la 
(juillotlne  .'...  Elles  reprirent  ce  jour-là  hardiment  les  grandes  toi- 
lettes, et,  le  soir,  elles  soupèrent...  Le  Palais-Royal  regorgeait  de 
joueurs  et  de  filles,  et  les  dames,  demi-nues,  faisaient  honte  aux 
filles  publiques,  puis  ouvraient  ces  «  bals  des  victimes  »,  où  la 
luxure  impudente  roulait  dans  l'orgie  son  faux  deuil  ».  Mercier, 
l'auteur  du  Tableau  de  Paris,  décrit  une  de  ces  saturnales  ;  les 
femmes  ont  adopté  le  costume  grec,  les  bras  nus,  le  sein  décou- 
vert, les  pieds  chaussés  avec  des  sandales  :  «  11  y  a  longtemps  que 
la  chemise  est  bannie,  car  elle  ne  sert  qu'à  gâter  les  contours  de 
la  nature:  d'ailleurs,  c'est  un  attirail  incommode,  et  le  corset  en 
tricot  de  soie  couleur  de  chair,  qui  colle  sur  la  taille,  ne  laisse  plus 
deviner,  mais  apercevoir  tous  les  charmes  secrets  ». 

Sous  le  Directoire,  la  licence  de  la  mode  ne  le  cède  pas  à  la  dis- 
solution des  mœurs  :  c'est  le  triomphe  de  la  ligne  courbe  et  du  nu, 
entrevu  sous  les  étoffes  transparentes  :  en  plein  hiver,  on  porto 


SUR     LE     DKCOLI.  ETAC.K 


203 


des  robes  de  linon  !  «  Xosjeunes  femmes,  écrit  M""'  de  Genlis,  dans 
une  critique  delà  toilette  des  «  Merveilleuses  »  au  Longchamp  de 
1797,  ne  veulent  plus  porter  maintenant  qu'une  simple  mousseline 
bien  claire  et  sans  apprêt...  Avant  tout,  les  vêtements  d  aujour- 
d'hui doivent  ressembler  à  du  linge  mouillé,  afin  de  coller  plus 
parfaitement  sur  la  peau.  J'espère  qu'incessamment  elles  se  mon- 
treront en  sortant  du  bain,  afin  de  dessiner  encore  mieux  les 
formes.  » 

Sous  le  Consulat  et  TEmpire,  à  la  mode  grecque  succède  la 
mode  romaine,  la  nudité  étant  toujours  regardée  comme  le  plus 
élégant  accessoire  du  vêtement.  A  un  bal  delà  duchesse  de  Berg, 
la  reine  Hortense  avait  organisé  un  quadrille  de  Vestales  :  l'Opéra 
de  ce  nom  faisait  alors  fureur  et  tout  était  à  la  «  Vestale  ».  La 
reine  de  Hollande  figurait  dans  son  quadrille  avec  le  costume  d'une 
prêtresse  vouée  à  la  chasteté,  malgré  une  grossesse  de  huit  mois! 
—  elle  portait  alors  dans  son  sein  le  futur  Napoléon  111.  —  En  181 1 , 
raconte  Georgette  Ducrest,  k  un  bal  travesti  des  Tuileries,  la 
même  souveraine  parut  en  Péruvienne,  se  rendant  au  temple  du 
Soleil  :  «  son  élégante  tournure  ressortait  admirablement  sous  un 
vêtement  tellement  léger,  qu'il  semblait  alourdi  par  les  flexibles 
plumes  de  marabouts  dont  il  était  orné  ».  A  ce  bal,  Marie-Louise 
avait  adopté  le  costume  de  Cauchoise  —  nourrice  sèche  —  qui 
convenait  parfaitement  à  l'ampleur  de  son  corsage. 

Les  dames  de  la  cour  et  de  la  haute  société  du  Second  Empire, 
n'eurent  rien  à  envier  à  celles  du  Premier,  dont  elles  restaurèrent, 
ou  pou  s'en  faut,  les  modes  audacieuses.  Ces  grandes  dames,  dont 
Eugène  Pelletan  disait  qu'elles  dansaient  «  en  costume  abrégé  » 
connaissaient  sans  doute  le  mot  de  Prosper  M(''rimée  à  une  coutu- 
rière en  renom  de  la  rue  de  la  Paix  :  «  11  n'y  a  que  le  nu  qui 
habille  ».  T>a,ns  ses  Lettres  à  une  inconnue,  le  même  romancier, 
familier  de  la  cour  impériale,  parle  en  ces  termes  d'un  bal  donné 
à  l'hùlel  de  la  duchesse  d'Albe,  sœur  de  l'impératrice  :  «  On  était 
décolleté  d'une  façon  outrageuse,  par  en  haut  et  par  en  bas  aussi... 
Il  y  avait  des  Anglaises  incroyables.  La  fille  de  lord  *",  qui  est 
charmante,  était  en  nymphe,  driade,  ou  quelque  chose  de  mytho- 
logique, avec  une  robe  qui  aurait  laissé  toute  la  gorge  îx  découvert, 
si  on  n'y  eût  remédié  par  un  maillot.  Cela  m'a  semblé  aussi  vif 
que  le  décoUetage  de  la  maman,  dont  on  pénétrait  tout  l'estomac 


204  l-KS     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 

(run  coup  d'œil La  princesse  Mathilde  était  en  Nubienne,  peinte 

en  couleur  bistre  très  foncé,  beaucoup  trop  exacte  de  costume  ». 

La  belle  comtesse  de  Castiglione  fit  sensation  à  un  bal  costumé 
du  ministère  de  la  Marine,  où  «  on  la  vit  paraître  presque  sans 
voile,  sous  les  atours  de  Salambù  :  on  put  admirer  tout  ce  qu'il 
n'est  pas  d'usage  de  montrer  dans  les  salons  (1)  ».  Il  est  peu  de 
fêtes  où  elle  n'ait  éveillé,  par  un  savant  déshabillage,  toutes  les 
jalousies  féminines  :  Horace  de  Viel  Castel  décrit  en  détail,  dans 
ses  Mi'moires,  le  costume  de  «  Dame  de  Cœurs  »  que  la  com- 
tesse portait  à  une  autre  soirée  de  la  Marine,  et  il  termine  par  cette 
remarque  indiscrète  :  «  La  fière  comtesse  n'a  pas  de  corset  ;  sa 
gorge,  qu'entourait,  sans  en  rien  masquer  du  reste,  une  légère 
gaze,  est  vraiment  admirable  et  se  dresse  fièrement  ».  Triste  retour 
des  vanités  d'ici  bas  :  la  pauvre  vient  de  mourir  après  vingt  années 
de  décrépitude,  passées  dans  l'ombre  d'un  appartement  d'où  elle 
ne  sortait  jamais. 

Les  costumes  féminins  des  bals  de  l'Opéra  avaient  et  ont  encore 
des  corsages  réduits  à  leur  plus  simple  expression,  quelques-uns 
même  une  simple  ceinture.  Voici  une  anecdote  d'A.  ^Mortier,  qui 
se  serait  passée  à  l'une  de  ces  réunions  chorégraphiques,  en  jan- 
vier 1877  :  «  Dans  une  loge  d'entre-colonnes  du  second  étage, 
d'autres  fées  du  maillot  prennent  les  poses  les  plus  gracieuses  et 
les  plus  provocantes.  Un  pierrot  malin  vide  un  sac  de  dragées  dans 
le  corsage  excessivement  ouvert  d'une  jolie  laitière.  La  salle  en- 
tière acclame  ce  haut  fait  :  (f  Rendez  les  dragées  !  crie-t-on  de 
toutes  parts  » . 

II  nous  souvient  de  notre  déconvenue,  à  notre  première  visite 
aux  bals  de  l'Opéra,  de  la  rue  Lepelletier,  où  nous  portions  toutes 
les  illusions  du  jeune  âge  et  l'espoir  d'ébaucher,  voire  de  débau- 
cher une  intrigue  de  foyer  :  à  peine  étions-nous  entré  dans  la 
cohue,  qu'une  Écossaise  hospitalière  —  de  la  rue  Feydeau  — , 
fortement  poitrinée,  prend  ses  appas,  ou  plutôt  ses  abats,  à 
pleines  mains  et  nous  les  présente,  en  disant  :  «  C'est  pas  d'ia 
m....  ?»  Horribile  dictu\  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  nous 
faire  rebrousser  chemin,  sur  le  champ,  «  honteux  et  confus  », 

Jurant,  mais  un  peu  tard,  qu'on  ne  m  y  prendroit  plus. 
(1)  M""»  Carette,  Souvenirs  intimes  de  la  Cour  des  Tuileries. 


SUR     LE     D  K  C  0  L  L  E  1"  A  0  E 


205 


A  une  époque  beaucoup  plus  rapprochée  de  nous,  les  organisa- 
teurs des  bals  des  Quat'zArt^,  au  Moulin  Rouge  et  du  Courrier 
français,  à  Trianon,  en  quête  d'inventions  originales  et  d'attrac- 
tions sensuelles  et  sensationnelles,  ont  imaginé  un  défilé  des  ate- 
liers, dont  M.  Ernest  Laut  a  fait  une  description  complète,  dans  le 


my^>'^^'  ^éjS^     ^wy^\ 


^^^, 


Fig.  122. 


programme  offert   aux  visiteurs  de  l'Exposition  de  lOOO  par  les 
«  Bonshommes  Guillaume  ». 

Nous  ne  retiendrons  que  les  numéros  les  moins  vêtus  de  ce  cor- 
tège fameux.  Voici,  porté  par  des  esclaves,  le  palanquin  sur  lequel 
une  merveilleuse  Cléopâtre,  presque  nue  sous  la  résille  aux 
mailles  d'or  et  d'azur,  est  étendue  immobile ,  en  une  pose  alanguie 
et  lascive,  aux  pieds  d'Antoine  (fig.  122;.  Sous  le  vol  lourd  des 
éventails,  elle  semble  en  extase,  tandis  que,  autour  d'elle,  des 
jeunes  filles  au  corps  superbe,  à  demi  voilé  sous  des  flots  de  gaze, 
balancent  les  guirlandes  fleuries  et  les  cassolettes,  où  se  consument 
les  plus  doux  parfums  de  l'Orient  (fig.  123).  Après  l'Egypte,  Rome. 
Des  légionnaires  entourent  des  martyrs  chrétiens  ;  des  esclaves 
traînent  une  cage  de  fer  où  un  lion  énorme  s'apprête  à  dévorer 


20G 


LKS     SKINS     DANS     L    HISTOIRE 


deux  jeunes  martyres,  toutes  nues  sous  les  flots  de  leurs  longues 
chevelures. 

E.  Mesplès,  dans  une  composition  magistrale  (fig.  I2i],  qui  est 
en  quelque  sorte  la  synthèse  de  ces  voluptueuses  manifestations 
d'art  et  de  jeunesse,  a  groupé  en  un  grouillement  échevelé,  qui 
donne  le  vertige,  tous  les  personnages  marquants  de  ces  mémo- 


1:23.  —  Porteuses  de  fleurs. 


rables  cortèges,  avec  leur  costume  plutôt  atténué.  Un  autre  dessin 
de  E.  Barcet,  paru  dans  le  Tu/t/,  est  comme  un  écho  du  bal  des 
QuafzArts,  de  janvier  1901  (fig.  12o).  Ces  fêtes,  que  tout  Paris 
voudrait  voir,  sont  très  fermées  ;  seul,  le  monde  des  artistes  y  est 
admis,  et  sur  invitations  personnelles.  Quelques  étrangers  s'étant 
introduits,  sans  cartes,  au  bal  des  QuafzArts,  on  prit  ce  pré- 
texte pour  exercer  des  poursuites,  au  nom  de  la  morale  outragée, 
contre  l'organisateur,  le  peintre  Guillaume,  et  la  magnifique 
Sarah  Brown.le  modèle  des  modèles,  qui  figurait  Cléopcâtre.  Moins 
heureuse  que  Phryné,  dont  les  charmes  désarmèrent  les  Héliastes, 
Sarah  Brown  se  vit  condamner  par  un  tribunal  français  à  trois 
mois  de  prison  !  Il  est  vrai  qu'elle  n'osa  pas  recourir  à  l'argument 
irrésistible  de  sa  devancière.  En  1901,  chaque  semaine,  le  samedi, 
il  y  a  —  en  hiver  au  Moulin-Rouge,  en  été  au  Jardin  de  Paris  — 


SUR     LK     DKCOLLETAGE 


207 


des  redoutes  publiques  où 
Ton  voit  défdcr  le  Cortège 
de  Vénus,  En  route  pour 
Ci/thère,  Nymphes  et  Si- 
rènes, l'Amour  et  les 
fleurs,  etc.,  mais  les  per- 
sonnages de  ces  «  corlèg'es 
symboliques  »  sont  moins 
court-vêtus  et  des  maillots, 
couleur  cuisse  de  nymphe 
émue,  atténuent  et  estom- 
pent la  vigueur  de  la  car- 
nation. 

Les  bals  du  Courrier 
français  offrirent  des  fêtes 
du  même  genre,  où  défi- 
laient les  professionnelles 
du  nu,  sans  compter  d'au- 
tres attractions  alléchantes, 
telles  que  tableaux  vivants, 
poses  plastiques,  concours 
de  seins.  Dans  les  tableaux 
vivants,  deux  jeunes  et 
jolies  fdles  représentaient 
les  héroïnes  du  tableau  de 
Bayard,  Duel  de  femmes, 
et  montraient  aux  specta- 
teurs émerveillés  les  splen- 
deurs de  leurs  torses.  Sous 
ce  même  titre,  on  a  joué  à 
rOlympia  une  pièce  écrite 
tout  entière  en  vue  du 
tableau  final,  reproduction 
de  la  même  peinture.  Mais 
la  censure  interdit  aux 
deux  adversaires  de  mon- 
trer à  nu  leurs  poitrines 
—     comme     naguère     au 


208 


LKS     SEINS     DANS     1.    H  1  S  T  ()  I  R  K 


Divan  japonais  —  ce  qui  eut  rendu  le  spectacle  des  plus  capiteux  : 
en  face  de  Liane  de  Pougy  se  trouvait  Jane  Thilda,  toutes  deux 
Tépée  à  la  main  ;  la  brune  et  la  blonde,  Tune  et  l'autre  aux 
formes  sculpturales  et  marmoréennes.  M.  Genncrt  (1)  a  reproduit 
en  photographie  (fig.  126),  à  l'aide  de  figurantes  de  bonne  volonté, 
une  scène  analogue.  Le  duel  vient  d'avoir  lieu;  la  blessée,  affaissée 


Fi  g.  125. 

sur  le  sol,  se  réconcilie  avec  son  adversaire,   qui  est  sans  doute 
aussi  sa  rivale  ;  la  doctoresse  luitâte  le  pouls. 

Le  concours  des  seins  donnait  lieu  à  une  «  agitation  prolongée  » 
—  comme  on  dit  à  la  Chambre  —  et  provoquait  des  oh  !  et  des 
ah  !  enthousiastes  et  bruyants.  Sur  un  grand  écran  (fig.  127),  une 
douzaine  de  femmes,  de  diverses  conditions,  femmes  du  monde, 
nourrices,  etc.,  étaient  peintes,  grandeur  nature  et  le  buste  à  nu! 
L'un  des  seins  de  chaque  personnage  était  remplacé  par  une 
ouverture  circulaire,  à  travers  laquelle  les  concurrentes,  se  tenant 
à  des  poignées,  en  arrière  de  l'écran,  passaient  le  sein  cori'espon- 
dant.  Les  spectateurs  appréciaient  et  discutaient  le  galbe  des  for- 


(1)  Photographie  dart,  50,  boulevard  de  Strasbourg. 


SUR     LE     DKC  01, 1.  ETA(;E 


209 


mes  présentées,  puis  distribuaient  les  prix  à  la  majorité  des  voix  : 
il  était  naturellement  défendu  de  toucher  aux  objets  exposés, 
comme  dans  les  musées.  Ce  genre  de  luttes  galantes  était  un 
passe-temps  favori  des  courtisanes  grecques.  Les  Le  lires  </\\/cl- 


Fig.   1:20. 


phron  rappellent  ces  coutumes,  })articulièrement  une  missive  de 
Mégare,  adressée  à  Bachis,  mais  il  s'agit  ici  des  «  mamelles  infé- 
rieures »,  comme  dans  la  composition  de  Shall,  la  Statue  ou  la 
cotnparaison  [Cig.  127  bis),  dont  nous  ne  reproduirons  qu'une 
partie.  De  même  Georges  Meunier,  dans  l'almanach  du  Rire, 
de  1901,  imagine  un  concours  d'hémisphères  postérieurs  ou  aus- 
traux, devant  un  jury  de  vieux  «  voyeurs  ». 

De  l'autre  coté  de  l'Atlantique,  la  mode  est  également  aux  con- 
cours d'avantages  physiques,  par  exemple  dans  les  Trilby  parties; 

LES    SEINS    DANS    l'iIISTOIUE.    —    1.  14 


210 


I.KS     SEINS     DANS     L    HISIOIHE 


mais  cos  concours  admettent  seulement  les  régions  du  corps  que 
la  pudoui'  autorise  à  ne  pas  cacher;  ainsi  sur  la  jetée  de  la  plage  de 
Narragansette,  a  eu  lieu  un  concours  de  petits  pieds.  Les  bai- 
gneuses, assises  derrière  un  paravent,  ne  laissaient  voir  que  leurs 
extrémités  inférieures.  A  Paris,  les  «  concours  de  beauté  »  per- 
mettent l'exposition  plus  intéressante  du  buste. 


Fig.   127. 


Le  l'j  octobre  1900,  eut  lieu  à  Bullier  le  traditionnel  bal  de 
rinternat  (i).  Le  défilé  des  tableaux  vivants  ne  rappelait,  il  est 
vrai,  que  de  fort  loin  le  chemin  de  la  croix  :  les  Madeleines  non 
repenties  avaient  seules  répondu  à  l'appel  de  la  jeunesse  laborieuse 
et  joyeuse;  la  Presse  médicale  était  représentée  par  Georgette, 

(1)  Le  soir  de  la  composition  écrite  du  concours  de  linternat.  il  est  de  tradi- 
tion que  les  salles  de  garde  convient  les  candidats  à  un  festin  pantagruéli(iue, 
qui  se  termine  par  de  gais  ébats  à  l'ancienne  Closerie  des  lilas.  II  s'y  passait, 
au  début,  des  scènes  si  rabelaisiennes  que  le  bal  de  l'internat  fut  fermé,  en  18SG, 
jjendant  trois  ans;  depuis,  grâce  au  concours  d'artistes  tels  que  Bellery-Desfon- 
taines,  ce  bal  est  devenu,  par  ses  spirituelles  allégories,  l'émule  des  Quatre- 
z'Arts.  (D"-  Micliaut,  Cluon.  médic). 


SUR     LE     DHCOLF.  ETAlï  K 


211 


«  le  minois  le  plus  chiffonné  du  quartier  ».  Parmi  les  douze  cor- 
tèges des  salles  de  garde,  celui  de  la  Salpêtrière  représentait  le 
T/'iontphc  <!('  Mt'ssa/inr.  traînt'e  sur  un  char  par  des  captifs  gau- 


Fig.  127  /jïs. 


lois,  entourée  de  Vestales  et  de  courtisanes,  vêtues  d'étoffes  trans- 
parentes. 

Nous  empruntons  à  la  Chronique  inêdlcalc  et  au  Correspoiidant 
médical  les  détails  de  la  fête  intime  cjui  fut  donnée  Tannée  suivante. 
On  vo3^ait  des  femmes  vêtues  d'une  capote  Greenaway,  dans  le 
char  de  la  Bépopulation  ;  la  Vénus  lesbienne,  dominant  le  char  de 
V Invasion  des  barbares  à  Mitylènr  ;  le  cortège  pompéien  de  l'hô- 
pital Broca;  les  divinités  égyptiennes  de  Saint-Antoine  et  la  figu- 
ration légère  de  Y  Apothéose  de  la  cocaïne,  de  l'Hùtel-Dieu. 


212  l.l'.S     SEINS     DANS     L    llISlMtlUK 


Le  bal  (le  10()2  fut  dig-nc  des  précédents;  notons,  i)arnii  les 
«  o'i'os  numéros  »  du  défilé  :  la  Dnine  au  loup,  sortant  du 
hais,  qui  n'a,  comme  la  Feminc  au  masque,  de  Gervex,  qu'un 
loup  pour  tout  costume  ;  la  trop  célèbre  Casque  d'or,  la  belle 
Hélène  des  Apaches,  en  dame  de  cœur;  mie  femme  nue,  en  croix, 
figurant  le  démon  irrésistible  du  jeu.  La  fête  se  termina  par  un 
concours  de  beautés...  drapées  dans  leur  impudeur.  M.  Paul  Bru 
consacre  un  chapitre  de  son  roman  pathologique,  le  Droit  d'être 
mère,  à  la  description  détaillée  d'un  bal  d'Internat,  à  BuUier; 
l'auteur  avait  toute  latitude  de  se  documenter  dans  ces  fêtes  de  la 
jeunesse  et  il  ne  s'en  est  pas  privé. 


III.   —  PORTRAITS   DE   FEMMES   DÉCOLLETÉES, 
MONTRxVNT   LE   MAMELON. 

Modèles  familiers.  —  Nombre  de  peintres  célèbres  ont  livré 
à  la  publicité  les  charmes  secrets  de  leurs  épouses,  fdles  ou  amies, 
qui  leur  servaient  de  modèles.  Ces  beautés  familières  servaient 
indistinctement  aux  sujets  profanes  ou  religieux  :  Savonarole 
s'élevait  déjà  contre  les  peintres  de  son  temps  qui  représentaient 
les  Vierges  et  les  compagnes  des  saints  sous  les  traits  de  leurs  maî- 
tresses ou  de  celles  de  leurs  amis  ;  de  même  le  sermonnaire  Geilei- 
de  Kaisersberg,  dans  la  cathédrale  de  Strasbourg. 

Le  plus  illustre  des  peintres  grecs,  Apelle,  initia  Laïs  aux  mys- 
tères de  l'amour  et  la  prit  pour  modèle  de  sa  Vénus  Anadijomêne; 
Phryné  Mnesarète  devint  la  Vénus  de  Gnide  du  même  artiste,  qui 
fut  aussi  son  amant.  De  sorte  que  ces  reines  de  beauté  incarnaient 
la  déesse  de  la  volupté  et  pouvaient  répéter  avec  le  poète  : 

Ce  beau  corps  et  le  mien  ne  forment  qu'un  seul  être. 

Praxitèle,  le  rival  d'Apelle  et  par  l'amour  et  par  le  talent,  ayant 
vu  Phryné,  en  compagnie  de  Gratina,  se  baigner  sans  voile  à 
Eleusis,  immortalisa  cette  scène,  en  donnant  cà  sa  Vénus  sortant 
des  ondes,  les  traits  divins  et  les  formes  accomplies  de  la  coui'ti- 
sane  grecque.  L'artiste  craignait,  d'après  Lucien,  «  de  ne  pouvoir 
exprimer  le  doux  sourire  de  ces  deux  fossettes  creusées  sur  ses 
seins...  »  :  son  œuvre  rendit  le  charme  et  l'exactitude  de  la  réa- 


s  U  II     I, 


DKCOI,  LEIAG  K 


213 


lité.  Une  statue  de  Phryné,  due  au  ciseau  de  Praxitèle,  fut  érigée 
dans  le  temple  de  Delphes  ;  à  sa  vue,  C ratés,  disciple  de  Diogène, 
s'écria  :  «  — ■  Voici  donc  un  monument  de  l'impudicité  de  la 
Grèce!  ».  Malheureusement  les  ennemis  du  paganisme  pensèrent 
comme  ce  philosophe  cynique  et  détruisirent  les  chefs-d'œuvre 
antiques,  pour  les  remplacer  par  des  madones  hiératiques,  informes 
et  figées.  René  d'Anjou,  roi  de  Provence,  fondateur  de  l'ordre  des 
Célestins,  n'obéissait-il  pas  à  ce  même  esprit,  aussi  rehgieux 
qu'antiartistique,  lorsqu'il  faisait  ouvrir  le  tombeau  de  sa  maîtresse. 


Fis.  130. 


quelques  jours  après  sa  mort,  pour  la  peindre  en  état  de  putréfac- 
tion ?  Le  président  de  Brosses  a  vu  ce  tableau  macabre,  dans 
une  salle  des  Célestins,  à  Avignon  :  «  C'est  un  grand  squelette 
debout,  dit-il,  coiffé  à  l'antique,  à  moitié  couvert  de  son  suaire, 
dont  les  vers  rongent  le  corps  défiguré  d'une  manière  affreuse.  » 
Dans  le  Jur/eiiieaf  dernier,  de  la  cathédrale  d'Orvieto,  Luca 
Signorelli  s'est  donné  la  satisfaction  de  placer,  au  beau  milieu  de  sa 
fresque,  une  maîtresse  infidèle,  absolument  nue,  emportée  au  noir 
séjour  par  un  démon  muni  d'ailes  de  chauve-souris  ^fig.  130). 
Albert  Durer  nous  a  déjà  présenté  sa  femme  en  Fortune  (1  ,  avec 
des  ailes  dans  le  dos  pour  tout  vêtement.  La  IV/^w.s  de  Lucas  Cra- 
nach,  qui  fait  partie  de  la  galerie  de  peinture  du  château  de  Nurem- 
berg, serait  le  portrait  de  l'épouse  du  peintre  allemand  ;  la  tête  est 
superbe  et  digne  de  la  déesse  de  la  beauté,  mais  les  seins,  les  mains 
et  les  bras  sont  ceux  d'une  lourde  et  vulgaire  Teutone  tétonnière. 

(1)  Cur.  art.,  fig.  64. 


214 


I,  i:  s     SKINS     DANS     I.    IIISTOIUK 


L'Ecole  vénitienne  et,  au  premier  rang*,  son  chef,  le  Titien,  four- 
nira (le  précieux  spécimens  à  notre  collection.  Une  de  ses  pas- 
sions, la  belle  Violante,  fille  de  Palma  le  N'ieux  (fig.  131),  qui  a 
souvent  servi  de  modèle  à  son  père  (1  )  et  aux  peintres  de  Tépoque  (2) , 
figure  parmi  les  voluptueuses  bacchantes  de  Uacchus  cl  Ar'uuw  à 


Fig.  loi.  —  Mezza  figura  di  donna  di  Giacomo  l'aima. 
(Musée  l'oldi-l'ezzoli.  Milan.) 


Naxos.  Le  même  modèle  passe  pour  a\oir  inspiré  la  Mailresse  du 
Titien  {'X),  de  la  galerie  Pitti,  de  Florence,  mais  certains  critiques 
veulent  que  Toriginal  de  cette  toile  célèbre  soit  une  duchesse 
d'Urbin.  Autre  contestation  pour  Tattribution  de  la  Jeune  fille  nue, 

(1)  La  beauté  vénilienne  est  rei)résentée  avec  ses  deu.x  sœurs  dans  une  des 
meilleures  œuvres  du  disciple  préféré  du  Titien,  exposé  à  Dresde  :  elles  forment 
un  groupe  de  trois  jeunes  fdles  (les  Grâces,  les  Heures  '!  d'autres  disent  les 
Vertus  théologales,  assises  sous  des  rosiers).  La  Sainte  Barbe  de  l'église  8anta 
Formosa.  à  Venise,  peinte  par  Palma  l'ancien,  serait  le  portrait  de  sa  fille 
Violante. 

(2)  C'est  elle  que,  d'après  G.  Na])ler,  représente  un  tableau  du  musée  de 
Vienne,  peint  par  P.  Bordonne,  élève  du  Titien,  (fig.  132). 

(3)  Et  non  la  Femme  du  Titien,  comme  l'imiirinient  les  catalogues  :  le  peintre 
italien  mourut  célibataire. 


SUR     I.  F.     DKC  OM.ETAGR 


210 


du  musée  du  Belvédère  :  selon  les  uns,  ce  serait  le  portrait  de  la 
fdle  de  Palma  et,  suivant  d'autres,  celui  de  Laura  de  Dianti.  Celte 
Laura,  maîtresse  d'Alphonse,  duc  d'Esté  ou  de  Ferrare,  d'après  la 
chronique  scandaleuse  des  ateliers,  attelait  à  deux,  et  aurait  prêté 
le  concours  de  sa  beauté  à  l'art  et  à  l'artiste.  Elle  posa,  en  effet, 
sans  voiles  devant  le  grand  peintre  de  Cadoro  ;  mais  une  fois  mariée 
avec  le  duc,  après  la  mort  de  sa  première  femme,  —  la  terrible  fille 
d'Alexandre    VI,    Lucrèce    Bor- 
gia   — ,  son  époux  n'eut  plus  la 
même  condescendance   artistique 
et  n'autorisa  le  pinceau  du  Titien 
à    la    peindre    qu'habillée;    aussi 
R.  Lefèvre,   qui  a   représenté   la 
belle    Laura     posant     pour    une 
nymphe  devant   le  peintre  véni- 
tien, a-t-il  eu  tort  de  donner  pour 
titre  à  son  tableau  :  Le  Titii'n  vl 
la   (lucJiesise    de   Ferrarr.    Même 
incertitude  j)Our  la  Vénus  couchrr 
ou  la  Vénus  au  peut  chien  et  la 
fameuse    Flora     fig.     133  ,     du 
musée  des  Olïices.  Le  buste    de 
cette  délicieuse  beauté  est  couvert 
d'une    fine     chemisette    transpa- 
rente, que  le  mamelon  gauche   arrête   dans   sa    chute  ;    rien   de 
plus    pudique  et  de   plus   voluptueux   que    ce    portrait,    qui   est 
l'image  même  de  la  Grâce  et  justifie  le  jugement  du  Tintoret  sur  le 
Titien  :  «  Cet  homme,  disait-il,  peint  avec  de  la  chair  broyée  ». 
Entin,  au  palais  Sciarra,  de  Rome,  Taine  signale  le  portrait  d'une 
autre  amie  du  Titien,  mais  dans  un  déshabillé  relatif. 

On  a  donc  vu  dans  la  plupart  des  figures  féminines  du  Titien 
(fig.  147),  les  maîtresses  du  peintre  ou  celles  de  grands  seigneurs, 
mais  Marins  Vachon  proteste  contre  ces  attributions  qu'il  traite  de 
romanesques  :  «  Tout  dans  la  vie  privée  du  maître,  écrit  l'auteui- 
de  la  Femnw  dam  IWrt,  les  infirme  sur  le  premier  point,  et  les 
historiens  contemporains,  sur  le  second .  » 

Nous  connaissons  le  portrait  de  la  brune  Fornarina  (F,  l'amie  de 


Fi-.   1^2. 


(Ij  Ciirios.  art.,  fig.  60. 


210  LES    SEINS     DANS     L  "HISTOIRE 

Raphaël.  C'est  le  joyau  du  palais  Barberini,  où  il  contraste  avec 
celui  de  la  délicate  et  blonde  Cenci,  du  Guide;  il  se  retrouve 
dans  les  Chambres  du  ^'atican,  sous  le  costume  sévère  de  la  Jus- 
tice, à  côté  d'Urbain  I*^'',  voisinage  austère  qui  ne  l'empêche  pas  de 
dénuder  sa  mamelle  droite  :  la  papauté  en  a  vu  bien  d'autres  !  Ce 
portrait  et  la  tête  du  pape  sont  peints  à  Thuile  par  «  le  maître  des 
maîtres  »  ;  le  reste  du  tableau  est  de  la  peinture  à  fresque  de  Jules 
Romain. 

Andréa  del  Sarto  prenait  habituellement  pour  modèle  son  é|iouse, 
Lucrezia  délia  Fede,  d'une  robuste  constitution  ;  aussi,  d'après 
Mardot,  ses  Vierges  et  toutes  ses  figures  de  femme  sont-elles  trop 
fortes,  trop  hommasses.  C'estsous  de  telles  apparences  qu'est  peinte 
sa  Lucrèce  (musée  de  Florence  ,  dans  le  costume  de  l'emploi. 
Hans  Holbein  se  contente  de  nous  montrer,  au  musée  de  Bâle,  la 
moitié  des  seins  de  sa  femme,  qui  manque  de  distinction  et  de 
charme.  Taine  se  permet,  sur  le  portrait  de  la  femme  de  Yéronèse, 
peint  par  son  mari,  une  critique  quelque  peu  irrévérencieuse  : 
«  Avec  sa  robe  de  velours  noir,  qui  se  décolette  en  carré,  dans  un 
encadrement  de  dentelles,  elle  représente  pompeusement,  elle  et 
tous  ses  atours,  une  ample  personne  bien  conservée,  bien  étalée, 
majestueuse  et  de  bonne  humeur,  et  dont  la  chair  rouge,  le  con- 
tentement parfait,  Varrondissemott  universel  rappellent  vague- 
ment les  belles  dindes  prêtes  pour  la  broche.  »  Une  maritorne  sans 
noblesse  ni  grâce  comme  épouse  !  choquante  contradiction  avec 
l'élégant  coloris  de  l'auteur  des  A^oc^^  de  Cann  '. 

Au  palais  des  Doges,  dans  la  salle  où  se  faisait  l'élection  du  chef 
de  la  République,  est  un  Jugeuieiit  dernier  de  Palma  le  jeune,  où 
sa  maîtresse  figure  en  trois  circonstances  différentes  :  au  paradis, 
en  souvenir  de  sa  courte  lune  de  miel  ;  au  purgatoire,  à  sa  pre- 
mière infidéhté  et,  en  enfer,  à  la  nouvelle  de  la  seconde  perfidie. 

Les  principales  inspiratrices  de  Rubens  furent,  avec  l'infante 
Isabelle  et  Marie  de  Médicis,  ses  deux  femmes,  Isabelle  Brandt  et 
Hélène  Fourment.  «  Ces  épaisses  matrones,  dit  A.  Michiels,  ont 
accablé  sa  mémoire  et  son  imagination,  de  leur  funeste  embon- 
point »  ;  les  élèves  même  du  grand  peintre  d'Anvers,  qui  étonna 
le  monde  par  l'éclat  de  son  génie,  n'ont  jamais  pu  se  libérer  de 
leur  souvenir.  lsal)elle  montre  ses  belles  épaules,  en  Madeleine  de 
la  Descente  de  la  croix;  la  Vierge  du  volet  de  la  Visitation  serait 


SUR     LE     DKCOM.ETAC.E 


-217 


aussi  le  portrait  de  sa  jeune  femme  pendant  sa  première  gros- 
sesse ;  on  la  retrouve  encore  en  tête  des  Néréides  du  Dèbarqui'- 
rttcnt  (le  Marie  de  Médicis  à  Marseille  et  dans  le  Christ  voidant 
foudroyer  le  monde  (1).  On  a  dit  que,  pour  se  venger  de  l'infidé- 
lité dlsabelle  Brandt  avec  ^'an  Dvck  —  mais  rien  n'est  moins 
d(''montré  — .  Rubens  l'aurait  placée  au  milieu  des  damnés  de  la 


Fig.  133. 

Grappe  de  raisin  ;  des  médisants  ont  voulu  voir  aussi  son  portrait 
posthume  dans  le  Jar/ement  dernier,  qui  est  à  Dusseldorf  :  un 
diable  la  lient  dans  ses  griffes  et  l'entraîne  aux  enfers,  tandis 
qu'Hélène  Fourment  est  placée  au  paradis.  Quant  à  sa  seconde 
femme,  Piubens  l'a  peinte  bien  des  fois  et  toujours  avec  un  débor- 
dement de  chairs  que  le  corsage  est  impuissant  à  endiguer.  Qu'il 
nous  suffise  de  signaler,  à  l'Ermitage  de  Saint-Pétersbourg,  le  des- 
sin, exécuté  en  1634,  et  au  musée  de  ^'ienne,  le  portrait  en  pied, 
dont  nous  ne  donnons  que  le  buste  et  ses  volumineux  contours 
fig.  13o    :  la  fameuse  Pelite  pelisse.  Le  bras  qui  retient  la  four- 


(Ij  Anecd.  Iiisf..  fig.  87  bis, 


U8 


l-i:S     SRINS     DANS     1/"  H  I  ST  0  I  n  I-: 


rure,  sorl  en  même  lemps  de  cadre  et  de  support  aux  mamelles 


Fi-    13o. 


exubérantes  d'Hélène;  dans  cette  œuvre  de  chair,  Rubens  a  déployé 
toute  la  magie  de  son  pinceau  capiteux. 

La  chapelle  mortuaire  de  Téglise  Saint-Jacques,  à  Anvers,  où 


SL'I{    I.  P.    DKC.  (Il,  I.  kta(;f. 


219 


reposent,  côte  à  côte,  le  peintre  et  sa  dernière  épouse  (1),  possède  une 
des  plus  brillantes  compositions  de  Rubcns,  la  Vierge  el  l' enfant 
Jésus,  accompagnés  des  saints  (fig.  130;.  C'est  en  fait  un  tableau 


Fig.  136.  —  D'ajiiès  la  gravure  de  Paul  l'oiilius. 

de  famille  ;  l'artiste   s'est  peint,  sous  les  traits  du    vaillant  saint 
Georges,  à  côté  de  ses  deux  femmes  :  Isabelle,  en  \'ierge,  assez 

(1)  Isabelle  Brandt  fut  ensevelie  à  l'égiise  Saint-Michel,  dans  le  tombeau  de  sa 
mère. 


220  LKS     SKINS     DANS     L  "  H  I  SI' (»  I  I!  K 

décolletée  pour  montrer  une  mamelle,  et  Hélène,  nue  jusqu'à 
la  ceinture ,  sous  le  personnage  mystique  de  la  pécheresse 
Marie-Magdeleine  ;  une  autre  sainte,  assure  A.  Michiels,  serait 
Tefligie  d'une  prétendue  maîtresse,  M"*'  Lunden.  Enfin  saint 
Gérùme  est  l'image  du  père  de  l'artiste  et  un  ange,  celle  d'un  de  ses 
fils.  Par  compensation,  à  la  chapelle  de  la  Visitation  de  la  même 
église,  ^'ictor  ^Volt'voet  a  peint  la  Madone  sous  les  traits  d'Hélène 
Fourment,  dans  un  décolletage  moins  accusé  cependant  qu'à  son 
habitude.  Ne  quittons  pas  cette  église  sans  signaler  le  tableau  d'au- 
tel de  la  chapelle  de  Saint-Antoine,  la  Tcn/ation,  par  Martin  de 
Vos,  le  vieux.  Ce  peintre  a  donné  au  malin  esprit  la  figure  gra- 
cieuse de  sa  femme,  Jeanne  Leboucq,  offrant  à  l'ermite,  dans  la 
corbeille  de  son  corsage,  deux  pommes  appétissantes. 

Dans  un  tableau  mythologique,  de  Vienne,  Rubens  a  réuni  sa 
mère,  ses  deux  femmes  —  en  costume  de  Diane  et  de  Vénus  au  bain 
—  et  ses  deux  enfants,  dont  le  plus  jeune,  au  berceau,  étouffe 
deux  serpents,  comme  Hercule  (1). 

La  femme  de  van  der  Werff  fut  la  muse  de  ses  meilleures  ins- 
pirations et  posait  pour  l'amour  de  l'artiste.  A  son  exemple,  une  des 
nièces  de  Gaspard  de  Crayer,  imitateur  du  maître  fiamand,  devint 
un  modèle  complaisant.  On  la  retrouve  dans  la  Vierge  adorée  par 
saint  François  d'Assise,  de  l'église  d'Anderlecht  «  avec  sa  mine 
égrillarde,  sa  chair  potelée  et  sa  gorge  succulente  »(2}.  David 
Ténier,  le  vieux,  se  met  en  scène  dans  plusieurs  de  ses  tableaux, 
avec  l'une  ou  l'autre  de  ses  femmes,  dont  le  corsage  bâille  souvent 
à  gorge  déployée.  Une  légende  d'atelier  veut  que  la  femme  très 
belle  de  l'Albane  et  ses  douze  enfants  aient  servi  de  modèles  à 
r  «  Anacréon  de  la  peinture  »  pour  ses  nymphes  et  ses  amours. 
(  )uant  à  l'épouse  de  Rembrandt,  elle  retire  et  corsage  et  chemise  pour 
montrer  un  torse  peu  attrayant  (3).  La  Fenunc  au  Jxiln,  de  Tillus- 
tre  peintre  de  l'école  hollandaise,  qui  porte,  au  Louvre,  le  n"  2o49, 
serait  le  portrait  de  sa  seconde  femme.  La  figure,  au  buste  proé- 
minent et  nu,  de- la  ville  à' Anvers,  mère  nourricière  des  peintres, 
œuvre  allégorique  de  Boeyermans,  passe  pour  le  portrait  de  Marie 
lîuthven,    la  femme  du  peintre  de  Charles  P'.  Luca  Giordano  a 

il)  Viardot,  les  Musées  d' Allemafjne  et  de  Russie. 
ii)  Alfred  Michieis.  Ritbens  et  l'Ecole  d'Anvers. 
i'à)  Cui'ios.  art.,  fig.  (13. 


SUR     I,  R     DKCdl.l.  KTAd  I-: 


221 


exécuté,  pour  l'abbaye  des  Bénédictins  du  mont  Cassin,  le  portrait 
de  sa  femme,  sous  la  figure  de  la  Bonté,  avec  Fouverture  tradi- 
tionnelle du  corsage  et  les  accessoires  symboliques  de  la  (hilarité. 
A  Fégiise  de  Santa  Croce,  où  se  trouve  le  colossal  mausolée  de 


Fis.  13" 


Michel-Ange,  Maximilien  Misson  remarque,  dans  la  chapelle  de  la 
famille  Zanchini,  un  tableau  curieux  :  «  Il  y  a  là  je  ne  sça\^  combien 
d'âmes  femelles,  qui  sont  bien  gaillardes  pour  un  tabeau  d'autel. 
On  dit  mesme  que  celle  qui  figure  Eve,  estoit  le  vrait  portrait  de 
la  maistresse  du  peintre,  nommé  Angelo  Bronzini  ». 


m:  s     SEINS     DANS     L    HISTOlliK 


La  Judith  (le  C.  Allori,  du  palais  Pitti,  ne  serait  autre  que  Maz- 
zafina,  la  favorite  du  peintre;  et  les  traits  de  celui-ci  se  retrouve- 
raient dans  Holopherne.  La  jeune  femme  de  Boucher,  morte  à 
vingt-quatre  ans,  posa  souvent  pour  ses  saintes  Vierges  et  ses 
profanes  Vénus,  la  divinité  infâme  du  paganisme ^  suivant 
roxprcssion  flétrissante  et  énergique  de  R.-P.  Beauregard.  Elle 
lui  donna  deux  fdles  charmantes,  «  qui  semblèrent  se  modeler  sur 
les  plus  fraîches  et  les  plus  jolies  images  du  peintre  »  (1). 
Greuze  prêtait  aussi  les  charmes  de  sa  femme,  qu'il  adorait,  à 
ses  aimables  compositions  et  Diderot  à  qui,  paraît-il,  W^^  Greuze 
n'était  pas  indifférente,  quand  elle  s'appelait  M"^  Babet,  le  cons- 
tate non  sans  quelque  dépit  :  «  En  la  peignant  tous  les  ans, 
il  a  l'air  de  dire,  non  seulement  :  «  Voyez  comme  est  belle  !  »  mais 
encore  :  «  Voyez  ses  appas  !  »  Je  les  vois,  monsieur  Greuze  ».  De 
mauvaises  langues  disent  même  qu'il  ne  se  contentait  pas  de  les 
voir.  David,  dans  sa  prison,  apprit  que  sa  femme  —  qui  avait  cessé 
de  l'être  depuis  longtemps  —  faisait  des  démarches  pour  le  sauver; 
en  récompense  de  son  dévouement,  il  la  place  au  premier  rang 
des  Suhincs  court  vêtues  (fig.  44). 

Qui  ne  connaît  le  portrait  si  vivant,  où  ^P""  Ehsabeth  Vigée 
Lebrun  s'est  représentée  tenant  sa  fille  embrassée  sur  sa  poitrine  à 
nu?  Le  bord  en  dentelle  de  sa  chemisette  diaphane  est  l'etenu, juste 
à  point,  par  la  saillie  du  mamelon  droit,  faisant  office  de  patère.  La 
même  particularité  s'observe  dans  le  portrait  d'Angehca  Kauffmann, 
à  Buda-Pesth,  peint  par  elle-même. 

Plus  près  de  nous,  André  Gill  a  portraituré,  dans  le  plus  simple 
des  appareils,  sa  maîtresse,  connue  sous  le  prénom  de  Joséphine  ; 
ce  tableau  fait  partie  de  la  collection  de  iSL  JNIalherbe,  bibliothé- 
caire de  l'Opéra  (fig.  137),  qui  a  eu  l'obligeance  de  le  mettre  à 
notre  disposition.  C'est  d'après  ce  tableau  que  le  célèbre  caricatu- 
riste a  campé  sa  République  (fig.  o5).  Enfin  M.  Devré  a  sculpté 
sur  la  façade  d'une  maison  de  la  rue  Poussin,  à  Paris,  toute  la 
famille  de  l'architecte  de  l'immeuble  (fig.  138).  Ce  groupe  sympa- 
thique, qui  a  figuré  au  salon  de  1901,  symbolise  en  quelque  sorte 
le  bonheur  conjugal  et  l'amour  filial  :  l'heureuse  mère  expose  aux 
regards  des  passants  ses  mamelles  gonflées  par  le  lait  de  la  mater- 


(I)  A.  Iloussaye,  Ilintoire  de  VArt  françah. 


SUH    LF.     DKCOI,  I,  KTAC  K 


22.) 


iiité;  c'est  criin  salutaii-e  exemple  par  ce  temps  d'accroissement 
prog-ressif...  de  la  dépopulation    l). 


Fi-,    I3S. 


Modèles  professionnels.  —  A  la  suite  des  modèles  familiers 

(1)  A  rapprocher  de  ce  tableau  de  famille  un  groupe  sculpté  sur  une  |)orte 
de  la  maison  de  i\I"">  Dupré-Latour,  à  Valence,  de  l'époque  de  la  Renaissance, 
représentant  une  nymphe  allaitant  ses  enfants,  surprise  par  des  satyres. 


L  F.  s     S  i:  T  N  S     DANS     I,    Il  I  S  T  (  »  I  It  F. 


viennent  les  modèles  professionnels,  tels  Rosalie  (J),  le  modèle  pré- 
féré de  Baudry,  qui  la  mit  largement  à  contribution  dans  les  dil- 
férentes  scènes  mythiques  du  foyer  de  l'Opéra  ;  Marie-Louise,  la 
collaboratrice  de  Benjamin  Constant  ;  Emma,  modèle  ordinaire  de 
M.  Gérome,  quia  posé  pour  son  Omphale ;  Pauline  Saucey  (2)  qui  se 
spécialise  pour  le  torse,  dans  les  ateliers  de  MM.  Bouret,  Bavard,  etc.; 
Sarah  Brown,  dite  Sarah  la  Rousse,  qui  a  prêté  sa  figure  exquise 
à  la  Clémence  haure  de  ^I.  Jules  Lefebvre  et  son  «  ensemble  », 
qu'il  est  à  peine  besoin  d'idéaliser,  à  V Ariane  abandonnée  de 
M.  A.  Laurens;  Chiara,  la  Chaste  Suzanne  de  Henner,  exposée 
en  18G7,  que  tous  les  peintres  se  disputèrent  à  Rome.  L'énuméra- 
tion  de  tous  ces  modèles  serait  longue  et  fastidieuse  (3),  conten- 
tons-nous de  signaler  encore  Marie  Renaud  qui,  dans  la  Femme  au 
masgue  de  H.  Gervex,  n'est  vêtue  que  d'un  loup  en  dentelle, 
comme  les  dames  galantes  ou  de  qualité  d'autrefois  (4^^ . 

M.  Paul  DoUfus  raconte  que  Bartholdi  ne  trouva  qu'une  seule 
femme  assez  robuste  de  poitrine  pour  personnifier  la  Liberté  éclai- 
rant le  monde  ;  ce  fut  la  grande  Céline,  qu'il  découvrit  dans  une 
«  maison  Tellier  ».  Le  statuaire  ignorait-il  l'existence  du  modèle, 
mammifère  par  excellence,  bien  connu  des  rapins  et  surnommé 
par  eux  «  M""  de  la  Tétonnière  ?  » 


(1)  C'est  son  portrait  qui  figure  sur  les  billets  de  la  Banque  de  France.  En 
Hongrie,  dans  une  nouvelle  émission  de  billets  de  banque  il902),  le  gouverne- 
ment a  décidé  d"y  faire  graver  le  charmant  minois  de  M"=  Blaha,  l'actrice  la  plus 
populaire  de  Pesth. 

(2)  On  trouvera  les  portraits  de  ces  célébrités  de  l'atelier,  en  costume  de  tra- 
vail, dans  l'intéressante  étude  de  M.  Paul  Dollfus,  Modèles  d'artistes  ;  B'iamma- 
rion,  édit. 

(3)  Ces  professionnelles  du  nu  sont  ])arfois  des  modèles...  de  vertu.  On  cite, 
entre  autres,  la  séduisante  prima  ùalleriiia  Ghita,  de  Rome,  que  Court  fait 
figurer  dans  sa  page  magistrale  des  Obsèques  de  César,  un  poignard  à  la  main. 
Cette  arme  joua,  du  reste,  un  rôle  important  dans  son  e.xistence.  Les  adorateurs 
éconduits  avaient  criblé  de  blessures  le  corps  de  la  jeune  fille  et.  elle-même, 
pour  maintenir  en  respect  les  peintres  qui  utilisaient  sa  superbe  plastique, 
portait  toujours  un  poignard. 

(4)  On  connaît  l'incident  du  Palais  de  Justice,  où  M«  Barboux,  défendant  un 
notaire  traduit  en  jjolice  correctionnelle  par  M""=  veuve  du  Gast,  sous  l'inculpa- 
tion de  vol  et  de  recel,  affirma,  malgré  la  protestation  du  peintre,  que  le  tableau, 
si  vivement  commenté  au  vernissage  du  Salon  de  1886,  était  le  portrait  en  peau 
et  en  pied  de  son  adversaire  (juillet  1902).  L'ex-bâtonnier  n'ayant  pas  répondu 
à  la  jeune  femme  calomniée,  qui  lui  demandait  une  rétractation  et  des  excuses 
publiques,  fut  bâtonné  par  le  prince  de  Sagan,  aspirant  à  la  main  de  la 
victime. 


SIR     LE     DKCOLI,  KTA(;  E 


Portraits  de  personnages  connus.  —  Certaines  célébrités 
féminines  ont  eu  le  malin  plaisir  —  Tartufte  dirait  rindécence  — 
de  se  faire  représenter,  par  la  statuaire  ou  la  peinture,  à  l'état  de 
nature  ou  à  peu  près.  Le  nombre  de  ces  ferventes  de  la  Vérité  est 
sulïisant  pour  en  composer  une  galerie  des  plus  émoustillantes.  Le 

grognon  Kotzebue  constate       _  _      _   _      ^ 

le  fait  en  le  critiquant  avec 
sévérité  :  «    On  trouve,  à 
Xaples,    un  monument  de 
la  vanité  outrée  des  femmes, 
que  jamais  aucun  étranger 
ne  pourra  considérer  sans       ; 
rire.   Une  impératrice   ro- 
maine, j'ai  oublié  laquelle,       f 
a  eu  la  ridicule  fantaisie  de       [ 
faire  faire  sa  statue,  gran- 
(\q\iv  naturelle,  à  Yhgo,  de       | 
soixante  ans  passés,  sous       l 
la  forme  de  la  Vénus   de 
Médicis.    L'impudence       \ 
d'une  vieille  femme  qui  se 
fait    représenter    nue    est 
déjà  quelque  chose  de  très 

surprenant;    mais   il    y    a        

réellement  de  quoi  mourir 

de  rire  d'imaginer  qu'une 

vieille  tête  se  fasse  représenter  avec  un  jeune  corps,  dans  une 

posture  mdécente,  et  paraissant  vouloir  cacher  des  charmes  qu'on 

ne  cherchait  plus  à  voir.  » 

A  la  salle  d'Apollon  du  musée  de  Munich,  on  voit  une  statue  de 
Cérès,  qui  n'est  que  le  portrait  d'une  dame  romaine.  La  même 
coutume  s'est  propagée  dans  les  temps  modernes  et  provoque 
encore  la  critique  de  Kotzebue  :  le  tableau  exposé  à  Rome,  par  Landi, 
représente  une  superbe  femme  nue,  couchée  sur  un  lit  de  repos  ; 
une  vieille  proxénète  soulève  le  rideau  de  pourpre  qui  cachait  la 
beauté  aux  yeux  d'un  jeune  homme,  en  lui  recommandant  le 
silence,  le  doigt  appuyé  sur  ses  lèvres  ;  d'après  notre  censeur,  ce 
serait  le  portrait  d'une  femme  des  plus  belles  et  des  plus  distinguées, 


Fis.   139. 


LES    SEINS    DANS    L  HISTOIRl 


15 


-220  I.  K  S     Si:  INS     DANS     L    lllSIOlliK 

et  il  ojoutc  que  souvent  la  vanité  porte  les  dames  romaines  à  dévoi- 
ler ainsi  leurs  charmes. 

Reprenons  Tordre  chronologique  :  aux  temps  anciens,  si  le 
fanatisme  religieux  a  empêché  les  traits  des  Laïs  et  des  Phryné 
d'arriver  jusqu'à  nous,  ceux  de  la  reine  (VEgypte,  Gléopàtrc,  ont 


Fig.  140.  —  D'après  la  photographie  de  Braiin.  Clénieiit  et  G'^ 


échappé  aux  mutilations  imbéciles  de  Théodose  et  de  ses  imita- 
teurs. Les  sculptures  du  temple  de  Dendera,  consacré  à  V  «  Hélène 
du  Nil  »,  nous  ont  transmis  le  sourire  et  les  charmes  qui  ont  ensor- 
celé César  et  Marc-Antoine  (fig.  139)  ;  elle  est  représentée  en  Isis, 
dans  la  fleur  de  sa  jeunesse  et  l'éclat  de  sa  gloire. 

Un   antique  du  Louvre  représente   Julia  ^lamma^a  (1)   en  Cé- 

(1)  Elle  fit  construire  le  pont  Maniiiiolo,  à  Rome,  et  lui  donna  son  nom. 


s  LU  LK  DKCOLLKTAC.  K 


■rès  (1);  le  sein  gauche,  d'un  développement  normal,  est  à  nu, 
comme  il  convient  à  la  déesse  de  la  fécondité.  Mais  un  autre 
buste  de  la  mère  d'Alexandre  Sévère,  sans  attribution  m\th()lo- 
gique  (n"105o,  salle  des  Saisons),  est  entièrement  recouvert  dune 
tunique  et  aucune  saillie  ne  révèle  le  sexe  de  la  poitrine  ;  on  dirait 
un  éphèbe. 

Ces  contradictions  artistiques  ne  nous  éclaireront  pas  sur  Tori- 
o-inc  de  ce  nom  de  Mamma^a,  bien  au  contraire.  Se  rattache-t-il  à 


Fiff.   142. 


la  perfection  des  formes  pectorales  (2),  à  un  incident  d'allaitement 
ou  simplement  au  hasard?  Les  documents  écrits  sont  muels  sur 
cette  question.  Au  Vatican,  la  tête  d'une  Vénus,  avec  son  fils  Eros, 
passe  pour  le  portrait  de  l'épouse  d'Alexandre  Sévère. 

Nous  connaissons  le  décolletage  outré  de  la  Vierge  du  musée 
d'Anvers,  attribuée  à  Jean  Fouquet  (3),  et  nous  savons  qu'une  tra- 


(1)  Les  épis,  ajoutés  dans  la  main  de  ce  personnage,  par  un  restaurateur 
moderne  et  ignorant,  en  ont  fait  une  divinité. 

(2)  C'est  prolîable  :  elle  ne  devait  pas  être  dépourvue  d'agréments  :  en  tous 
'•as,  ses  goûts  de  libertinage  étaient  tels  que  Brantôme  la  qualifie  de  «  |)utain 
publique  ».  On  ignorait  (jnel  était  le  père  de  Sévère  et  on  eut  pu  lui  adresser 
la  véhémente  apostrophe  du  sermonnaire  exalté,  Jean  Guérin,  tpji  traitait  le 
Béarnais  de  «  fils  de  putain  ».  en  pleine  chaire,  et  assurait  (}ue  «  sa  mère  estoit 
si  |)ul)li(|ut'  (preile  se  pi-estoit  a  ttmt  le  monde  ». 

i-jj  Auecd.  hist.,  tig.   110  Ois. 


228 


I,  KS     SKINS     DANS     l>    IIISIOIIIK 


(lilion  en  fait  le  portrait  d'Agnès  Sorel  «  la  belle  Annes  »,  la  favo- 
rite de  Charles  \'II,  Ce  tableau,  ou  plutôt  cet  *"j;t'oto,  appartenait 
à  un  diptyque  représentant,  sur  un  panneau,  le  donateur  Etienne 
Chevalier,  trésorier  de  France  et  contrôleur  des  finances  sous 
Charles  Vil  et  Louis  XI  :  ce  pieux  personnage  offre  à  la  madone 
«  les  hommages  de  sa  piété  »  ;  le  second  panneau  a  été  détruit  par 
un  vandale  inconscient,  ennemi  de  la  chair  en  peinture  et  fanatique 
de  la  chaire  dite  de  vérité  : 

Par  de  pareils  objets  les  âmes  sont  blessées, 
Et  cela  fait  venir  de  coupables  pensées. 


Fis.  143. 


De  ce  fait,  la  Vierge  d'Anvers  n'en  serait  qu'une  reproductioiï 
en  grisaille.  Ce  diptyque  était  exposé,  h  son  origine,  dans  l'église 
de  Melun;  Henri  IV,  l'amateur  des  «  belles  tétonnières  »,  en  offrit 
paraît-il  1U,0U0  livres;  qu'eût-il  donné  de  l'original! 

Nous  trouvons  une  émule  de  la  «  dame  de  beauté  »  et  de  volupté 
dans  la  marquise  Simonetta  Vcspucci,  maîtresse  de  Jules  de  Médi- 
cis,  morte  de  la  phtisie  à  vingt-trois  ans  :  Antonio  Pollajuolo,  de 
l'école  Florentine,  a  pcintson  buste,  nu  jusqu'au  nombril  (fig.  14U). 
Simonetta  aurait  servi  de  modèle  pour  la  IV// //.s' d'Alexandre  Bot- 
ticelli  (fig.  141),  qui  aurait  modifié  les  traits  du  visage;  plus  tard, 
Falguière  fera  le  contraire  pour  sa  Danse. 

Le  type  de  beauté  pour  Léonard  de  Vinci  était  Monna  Lisa  Ghe- 


SUH     I,  K     DKCdM.  I■:T.\(;K 


220 


rardini,  épouse  en  troisièmes  noces  de  Francesco  di  Bartolomeo 
di  Zanobi  del  (jiocondo  ;  c'est  elle  qui  lui  fournit  le  modèle  de 
Jocondc  (fig'.  142).  Raphaël  nous  a  montré  le  plus  qu'il  a  pu  des 
attraits  de  Jeanne  d'Aragon;  mais  .\ifo,  favori  do  Léon  X,  qui  les 
connaissait  tous,  nous  en  a  laissé  une  description  latine,  aussi 
exacte  que  détaillée,  traduite  par  Houdoy(l). 

Dans  l'abside  de  Saint-Pierre,  à  Rome,  du  côté  gauche,  se  trouve 
le  tombeau  de  Paul  111,  par  Guillaume  de  la  Porte,  prol)ablemenl 
exécuté  sous  la  direction  de  Michel-Ange.  En  haut,  le  pape  donne 
la  bénédiction  ;  en  bas,  à  droite, 
la  Prudence  et,  à  gauche,  la  Jus- 
tice. La  première  est  le  portrait  de 
la  mère  du  pontife  (fig.  14:V),  qui 
montre,  complètement  nue,  une 
poitrine  quelque  peu  ratatinée  ;  la 
seconde  représente  la  sœur  du 
pa])e  ;  primitivement  elle  exhibait 
de  vigoureux  appas,  mais,  par  la 
suite,  on  a  caché  sa  nudité  sous 
une  robe  en  métal. 

L'Arétin  qui,  tout  en  composant 
des  sonnets  sur  les  luxurieux 
dessins  de  Jules  Romain,  reprochait 

à  Michel-Ange  les  nudités  de  la  chapelle  Sixtine,  donne  à 
entendre,  dans  ses  Rfujinnamr/i/i,  que  la  courtisane,  en  dehors 
des  exigences  professionnelles,  a  horreur  du  décolletage  ;  nous 
reproduisons  une  médaille  (fig.  144),  gravée  par  Antonio  Abondio, 


Fi£ 


144.  _  De  la  rolkH-tiim 
(lu  \)'  Leicr. 


(1)  «  8ar  la  poitrine  larKC  et  dont  les  plans  unis  ne  laissent  ai)i)araitre  aucun 
os,  saiTondissenI  deux  seins  égaux,  d'une  dimension  convenable,  qui  exhalent 
le  parfum  des  fruits  de  la  Perse  auxquels  ils  ressemblent...  L'ensemble  de  la 
poitrine  a  la  forme  d'une  i)oire  renversée,  mais  un  peu  comprimée,  dont  le  cône 
est  étroit  et  rond  à  sa  section  inférieure  et  dont  la  base  se  rattache  au  col,  par 
des  courbes  et  des  méplats  d'une  ravissante  proportion...  Le  ventre,  les  flancs 
et  les  charmes  secrets  sont  dignes  de  la  poitrine.  »  Ces  indiscrétions  d'un  philo- 
sophe scolastique.  qui  affirme  l'existence  du  beau  dans  la  nature  devant  la 
perfection  de  .Jeanne,  rappellent  la  Paulér/ rapide  ou  description  des  beaidez  d'une 
dame  tholozuine  par  Gabriel  de  Minut.  (Lyon  loS7,  in-S»)  :  à  Toulouse,  tout  le 
monde  courait  sur  le  passage  de  la  Belle  Paule  de  Viguier,  pour  1  adnnrer. 
«  L'auteur,  dit  Gustave  Brunet,  décrit  sans  exception  toutes  les  beautés  clu  corps 
de  Paule:  il  entre  naïvement  dans  les  détails  les  plus  scabreux.  »  Et  par  qui 
fut  publié  cet  écrit,  dédié  à  Catherine  de  Médicis  ?  Par  une  religieuse,  Charlotie 
de  Minut,  sœur  de  l'auteur  et  abbesse  du  couvent  de  Sainte-Claire  i\  Toulouse. 


230 


LF.S     SKINS     DANS     I.    Il  I  S  1' (>  I  U  K 


qui  fait  rtalag-e  des  charmes  d'une  courtisane  de  Tépoque,  Catha- 
rina  Riva,  et  proteste  contre  l'assertion  du  mordant  et  licencieux 
satirique. 

Le  musée  de  Vienne  possède  le    portrait  d'Isabelle  Gonzaguê 
(fio-.   I  i.'i),  peint  par  le  Titien  ;  la  coquette  ne  risque  que  la  moitié 


Fi".   14o. 


de  son  torse  pour  éveiller  le  désir  d'admirer  le  reste.  Une  copie  de 
ce  gracieux  tableau  se  trouve  à  l'Académie  des  beaux-arts  de  Buda- 
Pest.  Le  pinceau  du  célèbre  coloriste  a  reproduit  la  maîtresse  d'un 
jeune  patricien  de  Venise  —  qui  longtemps  a  passé  pour  Phi- 
lippe II  — ;  le  galant  joue  du  luth  et  regarde  avec  complaisance  la 
jeune  beauté  étendue  sur  un  sopha.  Ci^tte  figure,  nue  sans  indé- 
cence, s'expose  dans  l'attitude  la  plus  voluptueuse.  La  beauté  des 
formes,  l'élégance  de  la  couleur,  la  vérité  du  détail,  tout  concourt 
à  faire  de  ce  tableau  (fig.  146)  un  des  plus  séduisants  du  maître  de 


SI  lî    I.  K.    i)K(;(»i.i,i:ta(;  K 


2:u 


Cadore.  Le  chel'  de  Técole  vénitienne  nous  a  encore  transmis  les 
traits  et  les  charmes  de  la  maîtresse  d'Alonzo  di  Avalos,  marquis 
del  Yasto  ou  du  Guast,  Tun  des  meilleurs  généraux  de  Charles- 
Quint,  dans  un  tableau  allégorique  représentant  Mars  et  Vnit/s  (1), 
sujet  pris  et  repris  maintes  fois,  qui  permettait  aux  artistes  de 
sortir  de   la  banalité  des  portraits  de  famille.  Signalons  enfin    la 


Fig.  146.  —  Gravure  de  J.  Bouilliard. 

Vénus  à  foi'f/uc^  Vénus  et  Adonis  et  cette  superbe  créature 
(fig.  147),  si  belle  et  si  peu  voilée  qu'elle  est,  au  dire  du  livret  de 
Dresde,  «  en  costume  de  Vénus  »  :  autant  de  chefs-d'œuvre,  peints 
de  la  touche  à  la  fois  vigoureuse  et  tendre,  dont  le  maître  avait  le 
secret  ;  tous  sont  des  portraits,  d'après  Viardol. 

Peintres  et  sculpteurs  de  la  Renaissance  ont  représenté  à  Fenvi 
la  duchesse  de  Valentinois  en  Diane  ;  mais  son  attitude  ni  son  cos- 
tume ne  rappellent  la  pudique  sœur  d'Apollon.  Avec  son  faible  pour 
le  nu,  que  n'a-t-elle  préféré   les  attributs  de  Vénus  à  ceux   de  la 


(1)  Ciirios.  art.,  fig.  SG. 


232  1.  KS     Sr.  INS     DANS     I.    IIISTdllti: 

déesse  qui  punit  si  sévèrement  Actéon,  de  Tavoir  surprise  au  i^ain  ? 
Plantureuse  plus  que  gracieuse,  avec  des  yeux  <(  demi  esteints  et 
pleins  de  cliassie  »,  dit  Mézeray,  mi  air  froid,  et  un  nez  fort  et 
recourbé,  sa  beauté  a  été  trop  idéalisée  par  les  artistes  et  les  litté- 
rateurs, Pierre  de  Bourdeilles  entre  autres  (1). 

M.  George  Guiffrey,  commentateur  des  Le^//'e.s  inédites  de  Ditiite 
de  Poitiers,  nous  guidera  à  travers  l'iconographie  de  la  courti- 
sane rovale,  «  qui  maintint  son  empire  pendant  deux  règnes  et  a 
légué  à  Fadmiration  de  l'avenir,  sous  une  étiquette  mythologique, 
la  représentation    plastique   de    ses   charmes  les  plus  secrets  ». 
Dans  Tordre  des  sculptures  :  Diane  chasseresse^  groupe  de  Jean 
Goujon,  d'après  un  dessin  du  Primatice  (2)   (musée  du  Louvre) 
(fig.  1 13.  Anec.  hist.).  La  vive  imagination  de  Michelet  lui  fait  trou- 
ver au  cerf  roval  «  un  air  de  Henri  11  »  et  jusque  dans  le  <<  barbet 
hérissé    »,  il  croit  reconnaître    l'image   du    mari,    de  Brézé,  qui 
«  mêle  timidement  à  la  fête   d'amour  quelques    gémissements  de 
grondeuse  fidélité  ».  Xotre  historien  aurait  pu  pousser  l'analogie 
plus  loin,  suivant  la  remarque  malicieuse  de  M.   Guiffrey,  et  dire 
que  le  barbet  fait  le  gros  dos  comme  pour  rappeler  la  bosse  du 
grand  Sénéchal;  pourquoi  n'a-t-il  pas  vu  dans  le  beau  lévrier,  cou- 
ché à  ses  pieds,  une  allusion  au  beau  maréchal  de  Brissac,  pour 
lequel  la  favorite  royale  aurait  éprouvé  de  tendres  sentiments? 

Un  œil  flatteur  retrouvera  les  traits  de  Diane  dans  le  célèbre 
bas-relief  en  bronze  de  Benvcnuto  Gellini,  la  Nf/?nphe  de  Fontaine- 
bleau, que  l'on  peut  admirer  au  Louvre  :  elle  est  couchée  nue,  au 
milieu  de  chiens  et  de  fauves.  Le  bas-relief,  représenté  figure  149 
(collection  de  M.  d'Yvon),  est  d'une  exécution  des  plus  remar- 
quables; il  appartient  à  l'école  de  Jean  Goujon,  qui  possédait  l'art 
de  donner  à  sa  sculpture  beaucoup  de  relief  et  de  modelé  avec  peu 
de  saillie.  Diane,  habillée  d'un  carquois,  caresse  un  jeune  cerf, 
museau  contre  museau,  qui  n'est  autre  que  Henri  II,  allusion  aux 
amours  de  Léda  et  du  Cygne  olympien  ;  dans  ce  groupe  figurent 

(1)  Comment  expliquer,  sinon  par  l'aveuglement  de  la  passion,  la  préférence 
marquée  de  Henri  II  pour  une  amie  aussi  peu  attrayante,  qui  aurait  pu  ètie  sa 
mère,  alors  que  sa  légitime,  Catherine.  i\  en  croire  le  même  abbé  et  seigneur  de 
Brantôme.  «  avoit  la  gorge  très  Jielle.  blanche  et  pleine;  fort  blanche  aussi  par 
le  corps  ;  elle  étoit  joviale  et  aimoit  à  dire  le  mot  ?  » 

(2)  On  sait  quele  Primatice  célébrait  ])rincipalement  les  charmes  de  la  duchesse 
d'Etampes,  favorite  du  roi  libertin,  dévot  et  avarié,  tandis  (jue  .Jean  doujon 
consacrait  son  ébauchoir  à  la  maîtresse  du  dauphin. 


s  l' H     I.  K     I)  i:  1.(11.  I.  K  TAC.  K 


233 


encore  Phocion  et  Syriiis,  deux  des  chiens  préférés  de  la  déesse  de 

la  chasse  .  L'hôtel  Cluny  possède  un  moulage  de  ce  beau  marbre. 

Passons  aux  peintures.  Diane,  du  château   de   Fontainebleau, 


Fig.  147.  —  Vénus  du  Titien;  gravée  par  A'argeot. 


attribuée  au  Primatice,  tient  un  arc  à  la  main  ;  la  tunique  couvre  à 
peine  la  moitié  du  sein  et  est  retroussée  au-dessus  du  genou, 
comme  il  convient  à  la  «  déesse  aux  belles  jambes».  Hippolyte 
Flandrin  a  exécuté,  à  mi  corps  seulement,  la  copie  de  ce  tableau 
qui  figure  au  musée  de  ^>rsailles,  sous  le  numéro  4063.  Lucas 
Penni,  élève  du  Primatice,  Ta  aussi  représentée  en  déesse,  avec 
une  chlamyde  sur  l'épaule  et  un  javelot  à  la  moin;  ce  tableau  a  été 


234 


l,i;S     SKINS     DANS     L    IIISIOIItK 


<i;Tavé  par  Ransonnetlc.  Une  autre  Diane  chasseresse  du  château 
de  Chenonceaux,  attribuée  au  Primatice,  est  un  portrait  qui  ofï're 
certains  caractères  d'authenticité.  Quant  à  la  déesse  du  château  de 
Chaumont,  qui  est  vêtue  d'une  simple  tunique  de  gaze,  laissant  à 
nu  les  seins,  ce  serait  un  cadeau  de  Diane  à  son  royal  amant.  Au 
musée  de  Versailles  (n"  3193),  elle  apparaît  encore;  mais,  cette  fois 
en  toilette  terrestre,  avec  une  robe  en  velours  rouge  qui  laisse  à 
découvert  une  gorge  richement  développée  ;  le  tableau  a  été  peint 
au  xvn"  siècle,  c'est  donc  une  œuvre  de  fantaisie. 


Fig.   li'.l.  —  Tirée  de  /'.le/  poiii-  Ions. 


Dirnu-  (Ui  milieu  des  dames  de  ta  Cour  de  Itetirill,  par  Fran- 
çois Clouet  (?),  de  la  collection  Lachnicki,  est,  d'après  Vitet,  le 
portrait  le  plus  authentique  de  Diane  de  Poitiers.  Le  sujet  serait 
Moïse,  présenté  à  la  fille  de  Pharaon,  figurée  par  Diane  en  cos- 
tume d'Eve,  selon  la  tradition  ;  mais  en  réalité,  on  lui  présente  un 
nouveau-né  de  la  reine,  comme  pour  le  mettre  sous  son  auguste 
patronage.  Elle  seule  a  le  buste  entièrement  à  découvert  (1).  On 
distingue  la  reine  rel(''guée  au  second  plan  parmi  les  dames  de  la 
cour  :  la  légitime  (''pouse  vient  faire  ses  relevailles  chez  la  concu- 
bine et  accepte  pour  son  fils  cet  insolent  patronage.  A  la  collection 
de  lord  Spencer  appartient  une  Diane,  dont  la  partie  supérieure  est 

(t)  Revue  des  deux  Mondes.  1"  déc.  I8(j3. 


SUR     L  !•:     I)  KCOl.l.  K'IA(;K 


23:i 


dépouillée  de  tout  vêlement;  une  des  gravures  anglaises,  exécutées 

Ta 


Fis.  150. 


d'après  ce  portrait,    se  trouve  aux  estampes   de  la  Bibliothèque 
nationale. 


236 


m: S    ski:; s    dans    i.  iiisioini. 


l^aiis  son  invenlaire  de  talîleaux,  M.  Guifîrey  a  oublié  de  men- 
lionncr  le  portrait  de  Diane  de  Poitiers,  du  château  d'Anet,  que 
nous  empruntons  à  Touvrage  de  M.  P.  Pioussel  (1)  (fig.  J  50).  Autres 


Ing.  loi.  —  D'après  Devéria  ;  Salon  de  1834.  Tirée  de  VAr/iste. 

oublis  :  Diane  (le  Poitiers  et  ses  deux  filles^  en  Parques  (fig.  l-il), 
groupe  en  marbre  de  Germain  Pilon,  et  la  Toilette  de  Diane  de 
Poitiers,  d'un  peintre  de  TEcole  de  Fontainebleau,  qui  ex])0se  les 
attraits  les  plus  intimes  de  la  maîtresse  de  Henri  II  (2).  N'est-ce 

(1)  Uisloire  et  description  du  Cliàleau  d'Anet,  gr.  in-4'>. 

(2)  C'est  A  tort  que,  dans  nos,  Anecdotes  liisloriques  el  religieuses,  p.  193,  nous 


siit    L  K    I)I-:(,(>i.li:ta(;  !•: 


2:3- 


pas  de  cette  académie  (jue  parle  Mérimée,  dans  ses  Li'Ltrrs  à  une 
Inconnue?  «  Il  est  <''vident  qu'elle  a  posé,  et  que,  des  pieds 
jusqu'à  la  tète,  tout  est  portrait.  Même,  si  j'ose  le  dire,  il  résulte  de 
l'examen  de  ses  jambes  qu'elle  attachait  ses  jarretières  au-dessous 
du  genou,  selon  la  mode  du  temps,  qui  a  été  abandonnée,  à  ce 
que  j'ai  enttmdu  dire.  »> 


Fiy.   i;.± 

Une  des  curiosités  du  musée  conniiunal  de  Bruxelles  est  un  por- 
trait satirique  de  Diane  de  Poitiers  (fig.  1;)2),  attribué  à  Hubert 
Goltzius  et  offert  par  le  père  de  M.  Wilson,  gendre  du  président 
Grévy.  La  figure  est  petite  ;  les  seins,  au  contraire,  sont  très  déve- 
veloppés  et  d'une  rondeur  presque  géométrique,  qui  rappelle  la 
synonymie  des  mamelles  «  demi-cercles  tangents  »,  adoptée  par 
les  X  de  l'Ecole  polytechnique.  De  sa  main  gauche,  elle 
tient  une  balance  dont  les  plateaux  sont  chargés,  l'un,  de  deux 
mains  entrelacées  ;  l'autre,  d'une  plume  d'oiseau  :  la  plume  est  la 

avons  rapporté  à  la  duchesse  de  Valentinois  un  portrait  de  (ial)rielle  d'Kstrécs 
dont  il  sera  question  un  peu  plus  loin. 


•238 


LKS     SKINS     DANS     I.    IIISTOIIiK 


plus  loui'de  !  Piquante  allusion  à  la  légèreté  des  serments  d'amour 
«  éternel  !  ».  Ce  tableau  n'est  d'ailleurs  que  la  traduction  picturale 
de  la  fameuse  inscription  gravée,  dit-on,  par  François  V,  à  la 
pointe  du  diamant  qu'il  avait  au  doigt,  sur  une  des  vitres  du  châ- 
teau de  Chambord  :  Tott/c  femme  varie  (1).  Semblable  allégorie  est 
consignée  et  figurée  (fig.  153)  dans  le  théâtre  des  B()ti'<  Ë/tffi/ts(2). 
A  M.  Guiffrey,  également,  nous  empruntons  la  liste  des  mé- 
dailles et  des   émaux.  La 


FiiT.   153. 


Bil)liothèque  nationale  pos- 
sède une  médaille  re- 
présentant Diane  avec  la 
gorge  et  les  épaules  nues. 
Légende  :  DIAXA.  DUX. 

\Âlextl\orum.  CLA- 

RlSSlMAraubasdubuste, 
AS  [Ajuto  o'tatis)  vingt- 
six  ans  (3).  Revers  :  une 
Diane  chasseresse  qui  foule 
aux  pieds  l'Amour,  avec 
celte  légende  :  O^LXIUM 
VIGTOREM  VIGL  Ge 
n'est  pas  le  type  de  beauté 
idéalisé  par  les  artistes  de 
l'époque  ;  c'est  une  femme  bien  vivante,  d'un  embonpoint  respec- 
table, aux  formes  accusées.  La  même  médaille  a  été  frappée  à 
nouveau  et  modifiée  sous  le  premier  des  Bourbons.  Au-dessous 
de  son  buste,  sur  le  revers,  on  voit  une  Junon,  «  la  déesse  aux 
yeux  de  bœuf  »,  qui  presse  une  de  ses  mamelles  et  arrose,  du  lait 
qui  en  sort,  des  lys  épanouis  :  légende  :    Oritiir  et  laefe  viresei/. 

il)  On  donne  encore  celle  i)oulade  liniée  : 

Souvcul  femme  \arie 
Mal  lialiil  c(ui  s'\   lie. 

Le  «  l'ère  des  lettres  !  »  qui,  dans  un  moment  d  humeur,  supprima  rim])rinierie, 
voire  même  l'imprimeur  Dolet,  semblable  à  ces  amants  qui  étouffent  en  embrassant 
trop  tendrement  Tobjet  aimé,  sacrifiait  i)arfois  au.\  Muses  et  a  mérité  le  surnom 
de  «  roi  troubadour  ».  Le  royal  syphilitique  écrirait  aujourd'hui  ;  «  Souvent 
femme  avarie.  » 

(2)  Janot,  1539.  in-H",  jjièce  LXVIll.  et  Bouchot,  les  Femmes  de  Brantôme. 

(3)  Erreur  ou  fiatteiie  d'artiste  :  à  cet  âge  elle  n'était  ])as  encore  duchesse  de 
Valentinois. 


sru     1,1".     DKCO  1,1.  i:TA(iK 


239 


•Ce  revers  appartient  en  réalité  aux  médailles  de  Henri  1\'  cl  parti- 
culièrement à  celles  de  Marie  de  Médicis(i). 

Un  émail  de  Léonard  Limousin,  commandé  par  le  roi,  vers  l-)o4, 
aurait  été  exécuté  en  forme  de  plat,  d'après  un  dessin  de  Raphaël; 
sous  les  traits  des  dieux,  sont  reproduits  :  Henri  II  en  Jupiter, 
Catherine  de  Médicis  en  Junon,  Diane  de  Poitiers  en  Vénus (2). 
Autre  émail  du  même  artiste  représentant  ]'r/ius^  sous  les 
traits  d'une  femme  nue,  éten- 
due sur  le  gazon,  se  jouant 
avec  Eros;  son  unique  vestiture 
est  une  résille,  comme  la  Vrnits 
tir  l'AsscijtO/éc  f/cs  Dieux. 
L'émail  est  daté  de  l.jo5  : 
Diane  avait  alors  cinquante- 
cinq  ans  ;  mais  la  réputation 
d'éternelle  beauté,  surfaite  par- 
les artistes  et  les  littérateurs, 
explique  la  flatterie  de  l'é- 
mailliste.  Les  thuriféraires  ne 
connaissent  pas  de  bornes  : 
Olivier  de  ^lagny  a  célébré  «  la 
pudique  et  vertueuse  »  duchesse 
de  ^'alentinois  ;  l'abbé  de 
Bernis,  «  la  chaste  »  M"""  de 
Pompadour  1 

Le  portrait  de  la  belle  X'énitienne,  Véronique  Franco,  peint 
par  le  Tintoret  pour  Henri  III,  en  souvenir  de  sa  maîtresse 
de  passage,  était,  paraît-il,  fortement  décolleté.  Montaigne  en  parle 
dans  son  Voi/at/c  r/i  Italie;  il  fait  aussi  mention  d'une  célèbre 
courtisane  de  la  même  ville,  Blanche  Cappello,  née  en  i.j48  : 
«  Cette  duchesse,  dit-il,  est  belle  à  l'opinion  italienne,  visage 
agréable  et  impérieux,  le  corset  gros  et  de  tétins  à  leur  souhait.  » 

Le  fécond  Rubens,  dans  ses  prodigieuses  allégories  sur  Marie  de 
Médicis  — •  ((  la  gi-osse  banquière  »,   selon    M""    d'Entraigues  ou 


Fig.  134. 


(Il  \(t\v  noi,  Accoucheineiifs  à  lu  Cour,  la  figure  7:2  de  la  médaille  frap|)ée  en 
rhnnneui-  de  la  naissance  de  Louis  XUI. 

\-l]  Un  trouvera  le  fac  similé  de  cet  émail  dans  le  livre  de  M.  de  Laborde.  sur- 
la  Renaissance  des  Arts,  t.  Il,  p.  785. 


240  I-  K  s     s  i:  I  N  S     I)  A  N  s     L    11  I  s  1'  O  I  li  K 


«  la  balourde  »,  d'après  la  Galigaï  —  se  complaît  à  montrer  le  sein 
rebondi  de  la  princesse  florentine,  organe  particulièrement  prisé 
de  son  volage  époux  ;  mais  en  donnant  à  la  souveraine,  tantôt  les 
attributs  de  Bellone,  la  déesse  de  la  guerre  chez  les  Romains, 
tantôt  ceux  de  Pallas  ou  d'Athéné  (1),  la  déesse  de  la  sagesse  chez, 
les  Grecs,  le  peintre  oublie  la  tradition  mythique  qui  fait  de  la  fille 
de  Zeus  une  des  déesses  les  plus  prudes  de  TOlympe.  Un  portrait 
de  la  fille  du  grand  duc  de  Toscane,  peint  par  le  maître  flamand , 
et  qui  ligure  au  Louvre  (collection  La  Gaze,  n''2109),  la  représente 
en  costume  civil,  assise  dans  ses  appartements,  mais  toujours  un 
des  seins  en  escapade  (fig.  loi). 

Les  portraits  de  Gabrielle  d'Estrées  sont  trop  nombreux  pour 
qu'ils  n'aient  pas  été  copiés  les  uns  sur  les  autres,  car  malgré  le 
plaisir  que  la  duchesse  de  Beaufort  pouvait  éprouvera  faire  étalage 
de  ses  charmes,  il  est  peu  probable  qu'elle  eût  consenti  à  poser  si 
souvent.  Dans  toutes  les  toiles,  elle  a  les  mêmes  attitudes  :  elle  se 
présente,  debout  plutôt  qu'assise,  dans  une  baignoire;  soit  seule  (2), 
soit  en  compagnie  de  sa  sœur,  Diane,  duchesse  de  Villars,  qui, 
par  contraste  ou  modestie,  s'efface  et  se  contente  de  montrer  ses 
épaules  (fig.  loo).  Gabrielle  ne  porte  pas  la  même  coiffure  que  dans 
les  tableaux  du  château  de  Chantilly  (n"  278)  et  de  la  galerie  de  Ver- 
sailles (3).  Ces  peintures  sont  contemporaines  de  la  naissance  du  duc 
de  Vendôme,  que  sa  nourrice  allaite.  M.  de  Maulde  juge  aussi  ces 
portraits,  «  de  l'école  hydrothérapique  )),trop  nombreux  pour  être 
authentiques;  il  les  croit  fabriqués.  A  son  avis,  les  noms  des  per- 
sonnages, inscrits  sur  la  toile  même,  achèvent  de  caractériser  le 
sens  caustique  de  la  composition.  Ces  légendes  ne  figurent  pour- 
tant pas  sur  toutes  les  représentations  de  cette  reine  de  beauté.  Ce 
critique  signale,  dans  la  collection  du  baron  Pichon  (n-  \  XV.)  du  cata- 
loo'ue),  la  même  scène  aquatique,  mais  cette  fois  avant  la  naissance 
de  l'enfant  :  «  divers  symptômes  révèlent  l'attente  de  cette  naissance  ; 
nous  nous  bornerons  à  signaler  la  présence  d'une  femme  qui,  dans 
le  fond  de  la  toile,  coud  avec  ardeur  une  layette.  » 

Dans  le  tableau  du  musée  de  Versailles,  la  belle  Gabrielle  re- 

(1)  Curios.  art.,  l'ig.  82.  Ce  portrait  fut  fait  à  Paris,  sur  la  demande  de  la  reine, 
andis  que  dix-neuf  toiles  sur  les  vingi-une  de  la  siric  furent  exécutées  dans 
l'atelier  d'Anvers. 

(2)  Anecd.  hisL,  fig.  H:2. 
{■i}  Aiiecd.  hisL,  p.   VXo. 


s  LU     I.  i:     IIKC  Ol.l.  KTAC.  K 


241 


prend  ses  exercices  balnéaires,  mais  a{)rès  la  naissance  de  son 
second  enfant,  et  ofîre  une  particularité  toute  spéciale  :  un  anneau 
nuptial,  arrêté  à  la  seconde  phalange  de  l'index,  rappelle  qu'elle 
fut  fiancée  à  son  royal  amant  et  qu'elle  était  sur  le  point  de  l'épou- 
ser, quand  la  mort  vint  la  surprendre  si  inopinément.  M.  Georges 


Fig.  155.  —  Galerie  de  M"'<^  la  vicomtesse  de  Janzé. 

Guifîrey(l)  veut  absolument  que  ce  tableau,  peint  par  Henri  Leh- 
mann,  et  celui  du  château  de  Chenonceaux,  représentent  Diane  de 
Poitiers  dans  le  bain  et,  auprès  d'elle,  les  enfants  de  France  ;  il 
ne  trouve  pas  le  moindre  rapport  entre  la  figure  de  ces  toiles  et  la 
maîtresse  de  Henri  lY  ;  mais  il  n'explique  pas  la  position  significa- 
tive de  la  bague.  Cet  auteur  retrouve  la  coiffe  traditionnelle,  les 
traits  caractéristiques  de  Diane  et  la  carnation  maladive  des  enfants 
•de  Henri  II  ;  il  voit,  dans  les  ornements  de  l'ameublement,  le  style 


(1)  Loc.  cit. 

LES    SEIXS    DANS    l"hISTOII'.E. 


l(i 


242  LKS     SKINS     DANS     L    IIISTOIRF. 

(le  l'épo(iue,  et  jusqu'à  une  licorne,  représentée  sur  le  dossier 
d'une  chaise  en  tapisserie,  concourt  à  le  confirmer  dans  son  opi- 
nion :  la  duchesse  de  Valentinois  ne  croyait-elle  pas  à  l'efficacité 
d'une  préparation  où  la  poudre  de  cet  animal  passait  pour  souve- 
raine contre  les  convulsions  (1;  ? 

Gabrielle  avait  mis  le  nu  à  la  mode,  au  moins  dans  la  peinture  : 
nombre  de  dames  de  qualité,  et  même  de  jeunes  fdles.  se  firent 
portraiturer  en  nymphes  ou  déesses  court  vêtues.  JNI.  de  ^laulde, 
dans  son  étude  documentée  sur  Quelques  porlraits  de  femmes  <hi 
\yp  siècle  (2),  se  fait  le  chevalier  servant  de  la  pudeur  de  ces 
nobles  divinités,  et  assure  que  leurs  portraits,  «  en  tenue  extrê- 
mement olympienne  »,  étaient  toujours  faits  de  chic  (3),  absolument 
comme  de  nos  jours,  la  Danse  de  Falguière,  à  laquelle  M^'"  Cleo 
de  Mérode  afïirme  n'avoir  prêté  que  son  visage.  La  parole  de  la 
ballerine  ne  saurait  être  mise  en  doute  ;  il  sulïit  de  comparer  les 
saillies  accusées  de  ses  apophyses  épineuses  et  ses  salières 
profondes  avec  le  capitonnage  du  marbre. 

Il  est  donc  admis  que  certaines  beautés  ne  posèrent  que  pour 
la  tête,  comme  l'amie  de  Ronsard,  qui  n'en  recommandait  pas 
moins  à  Janet  Clouet  de  la  peindre  avec  tous  les  attraits  de  Vénus  ; 
beaucoup  d'autres  cependant  firent  tomber  corsage  et  chemise 
devant  le  chevalet  des  peintres.  La  duchesse  de  Ferrare,  déjà  nom- 
mée (4),  Françoise  d'Orléans,  la  princesse  de  Gondé,  M™*"  Récamier, 
la  princesse  Borghèse  et  bien  d'autres,  ont  consenti  à  faire  repro- 
duire sur  la  toile,  de  visu.,  les  splendeurs  de  leurs  épaules  et  de 

(1)  Le  27  déc.  lo47.  lors  d'une  rougeole  de  Madame  Elisabeth,  IJiane  de  Poi- 
tiers écrivait  à  M.  de  Humières  :  «  Je  vous  envoyé  de  la  licorne  pour  luy  en 
faire  user  ainsy  qu'il  sera  ordonné.  »  La  licorne  était  aussi  le  symbole  de  la 
])ureté  —  nous  ne  voyons  pas  son  application  en  la  circonstance  —  et  celui  de 
la  victoire,  rien  ne  résiste  à  la  puissance  de  sa  corne  —  elle  justifierait  mieux  le 
triomphe  de  la  courtisane  —  mais  c'était  encore  un  talisman  précieux,  préser- 
vatif de  toutes  les  maladies  et  contre-poison  par  excellence  :  Charles  LK  ne 
vidait  jamais  sa  coupe  avant  d'y  avoir  fait  tremper  un  morceau  de  licorne. 
Pour  nous,  dans  le  tableau  en  question,  cet  animal  fabuleux  ne  figure  que  par 
hasard,  à  titre  décoratif.  Bref,  en  insistant,  sur  la  signification  de  la  licorne. 
M.  Guiffrey  nous  scnd^le  trop  chercher  la  petite  bête. 

(2)  Revue  de  l'art  (incien  et  moderne. 

(3)  D'après  M""^  de  Genlis,  au  xvu''  siècle,  les  femmes  ne  posaient  que  pour 
la  tète  ;  les  peintres  i)renaient  des  modèles  pour  la  gorge.  Cette  délicatesse  de 
décence  finit  avec  Louis  XIV  :  «  Les  femmes  shabillaient  alors  en  Yémis  de 
Médicis.  » 

(4;  Bouchot,  les  Femmes  de  BniiiLômc,  p.  193. 


Sll{     LK     i)  KCOL  L  KrA(;  !■: 


243 


leurs  poitrines,    enveloppées  ou   non  d'une  gaze    légère  qui   en 
rendaient  les  contours  encore  plus  captivants.  Pourquoi  M'"'"   de 


l.)(3. 


Sauves  et  de  Retz  qui,  d'après  Bouchot,  se  dépouillèrent,  dans 
certaines  circonstances,  de  leurs  vêtements,  auraient-elles  hésité  à 
le  faire  en  présence  d'artistes  qui  se  proposaient  d'immortaliser 


1.  K  s     SKINS     DANS     I.    HISIOIIIK 


leurs  charmes  fug-ilifs?  Sans  doule  au  xvi''  siècle,  les  femmes 
eurent  des  accès  de  pudeur  exagérés,  par  exemple  à  Tégard  des 
médecins  :  pour  leurs  couches,  elles  préféraient  les  sages-femmes 
aux  accoucheurs,  et  l'on  rencontrait  des  jouvencelles  qu'inquiétait 
ridée  «  de  paraître  nues  au  jugement  dernier  »  ;  mais  ces  réti- 
cences pudiques  ne  les  empêchaient  pas  d'avoir  un  goût  immodéré 
pour  les  Vénus  païennes  et,  comme  le  fait  remarquer  leur  indul- 
o-ent  et  galant  avocat,  «  le  puritanisme  outré  du  moyen  âge  provoque 
une  réaction  audacieuse  du  réalisme,  qui  alla  jusqu'à  sculpter,  sur 
leurs  tombeaux,  les  corps  nus  d'Anne  de  Bretagne  et  de  Cathe- 
rine de  Médicis  (1).  » 

Au  xv!!*"  siècle,  grâce  à  la  corruption  des  mœurs  (2),  que  de 
beautés,  égarées  dans  le  pays  du  Tendre,  montrent  leurs  mame- 
lons sur  des  toiles  licencieuses  î  Voici  d'abord  j\P^  de  Thian- 
ges,  une  des  Reines  de  Paris  qui,  devant  un  de  ses  portraits, 
reconnaissait  qu'elle  avait  «  la  gorge  belle  »  et  la  montrait  à  tout 
venant.  Elle  finit  dans  la  dévotion,  dit  M"'"  de  Sévigné  et  «  cache 
sa  gorge  ».  La  jeune  Marie  de  Rohan  (fig.  loOj,  mariée  à  Charles, 

(1)  Il  ne  fallait  pas  que  les  mœurs  fussent  bien  austères  pour  que  Clément 
Marot  put  se  permettre  d'adresser  les  étrennes  suivantes  à  Tune  des  fdles  de 
l'escadron  volant  de  la  reine,  Sidoine  de  Mervilliers,  dite  Merlurillon.  âgée  de 
quatorze  ans  à  peine  —  il  n'y  a  que  le  premier  pa...pa  qui  coûte  —  : 

Si  quelqu'un  pour  son  pstroine. 

Vous  cnimeinc, 
Je  vous  donne,  ou  à  peu  prés, 
Au  boul  de  neuf  mois  après. 
Panse  pleine . 

(2)  Le  rigorisme  excessif  du  duc  de  Mazarin  était  heureusement  exceptionnel, 
Il  fit  détruire  un  certain  nombre  de  chefs-d'œuvre  que  Richelieu  avait  réunis 
dans  son  palais  et  qui  ne  choquaient  nullement  ce  cardinal,  sous  ])rétexto  que 
les  femmes  qui  y  figuraient  étaient  trop  décolletées.  Le  même  cagot  défendait 
aux  villageoises  de  traire  les  vaches  dans  Vintérêt  de  leur  chasteté,  et  aux 
nourrices  de  donner  à  téter  le  vendredi  et  le  samedi.  «  Il  enseignait  aux  filles, 
écrit  un  contemporain,  dans  quelle  jjosition  pudique  elles  devaient  battre  le 
beurre  ou  fder.  »  Il  n'est  malheureusement  pas  le  seul  k  avoir  eu  des  idées  aussi 
saugrenues  et  désastreuses  pour  l'art.  Ghiberti  (1381)  rappelle  les  idiotes  per- 
sécutions de  Constantin,  qui  fit  renverser  et  mettre  en  pièces  toutes  les  statues 
et  les  peintures  impudiques  et  les  châtiments  sévères  dont  on  menaça  quiconque 
en  ferait  des  nouvelles,  «  ce  (pii  amena  l'cxlinclion  de  l'art  et  des  doctrines  (pii 
s'y  rattachent  ». 

Un  autre  cornichon,  confit  en  dévotion.  Sublet  des  Noyers,  surintendant  des 
finances  sous  Louis  Xlil.  fit  brûler  un  tableau  de  Michel-Ange,  une /.eV/a  de 
toute  beauté,  que  le  grand  artiste  exécuta  à  Florence  j)0ur  Alphonse,  duc  de 
Ferrare.  «  Cette  Léda.  dit  Roger  de  Piles,  dans  sa  Vie  des  peintres,  était  repré- 
sentée dans  une  passion  d'amour  si  vive  et  si  lascive  que  M.  des  Noyers  l'a 
depuis  fait  brûler  par  ])rincipe  de  conscience.  »  Le  béat  benêt! 


SUR     LR     DKCOLLKTAC.  K 


duc  de  Luyncs,  connétable  de  France,  peinte  par  Morcelsi,  à  dix- 
huit  ans  (1018).  Citons  ensuite  la  belle  et  honnête  M'"'  Deshou- 
lières,  deux  qualificatifs  difficiles  à  accoupler,  surtout  à  Tépoque 
(fig.  lo7).  Cette  beauté  du  corps  et  de  l'esprit  (1)  suit  le  goût  du 
jour  et  expose  à  tous  son  sein  de  déesse,  redoute  imprenable,  devant 
laquelle  le  grand  Condé,  lui-même,  fut  obligé  de  capituler  ;  peut- 
être  est-ce  ce  même  sein  qui,  rongé  j^ar  un  cancer,  remportera  le 


Fi^'.  157.  —  Uaiiibor!  del.  ;  P.  Simon  se. 


Fis.  loS. 


17  février  KiOi ,  comme  plus  tard  M""'  de  la  Popelinière,  que  Voltaire 
appelait  Polymnie,  muse  de  la  poésie  lyrique.  Le  chantre  des  fades 
moutonneries  avait  le  mot  pour  rire  et  sa  houlette  enrubannée  se 
changeait  parfois  en  un  fouet  malicieux  et  satirique  (2),  témoin  son 
fameux  sonnet  où,  prenant  parti  pour  la  Plu'dt'c  de  Pradon  contre 
celle  de  Racine,  elle  attaquait  sans  pitié  l'auteur  et  ses  interprètes, 
en  particulier  sa  tendre  amie,  La  Champmeslé  (3). 


(1)  Dans  la  seconde  moilié  du  .siècle  suivant,  nous  retrouverons  son  Sosie  chez 
Sophie  Arnould,  dont  la  bouche  et  la  poitrine  étaient  aussi  pleines  de  saillies. 

(2)  Voir  sa  chanson  sur  Jacques  Testu,  abbé  de  Belval,  qui  entreprit,  mais 
inutilement,  la  conversion  de  Ninon  de  Lenclos. 

(3)  De  mœurs  plus  que  légères  :  elle  était  grosse  de  son  galant  et  sa  servante 
l'était  de  son  mari,  en  même  temps  ;  c'étaient  des  époux  assortis. 


240  I.KS     Si:iNS     DANS     I,    Il  I  SI  (»l  li  i: 

Une  gi'osse  Aricie,  ;ui  cuir  l'ouge,  aux  crins  l)loiuls, 
N'est  là  que  pour  montrer  deux  énormes  tétons, 
(Jue  malgré  sa  froideur  Hippolyte  idolâtre  (l). 

Le  gracieux  pinceau  de  Pierre  jNIignard  découvre  le  bouton 
cauche  de  la  sémillante  nièce  de  JNIazarin,  Maria  Mancini  Colon- 
na  (2)  (fig.  138),  candidate  éphémère  au  trône  de  France,  qui 
ne  paraît  pas  être  autrement  gênée  de  celte  licence  ;  c'était 
peut-être  la  seule  chose  qu'elle  eût  de  bien  dans  sa  personne. 
A  Tépoquc  où  elle  parut  au  Louvre,  elle  manquait  de  séduction, 
au  dire  d'une  mouche  de  la  cour,  M"'^  de  Motteville  :  o  Elle 
avait  de  longs  bras,  décharnés,  un  cou  d'oie,  un  teint  jaune, 
des  yeux  rudes,  une  bouche  grande  et  plate  ».  Cette  description 
donne  à  penser  que  si  le  portrait  de  M""^  de  Motteville  n'est  pas 
flatté,  celui  du  grand  peintre  pourrait  bien  l'être  un  peu.  Avait-il, 
comme  Daniel  Dumouslier,  peintre  du  roi,  le  bon  esprit  d'embel- 
lir ses  modèles  ?  «  Ils  sont  si  sots,  disait-il,  qu'ils  croient  être 
comme  je  les  fais  et  m'en  paient  mieux.  »  Pourquoi  le  peintre 
d'Elisabeth  d'Angleterre  a-t-il  été  assez  maladroit  pour  reproduire 
fidèlement  son  royal  modèle  ?  Il  lui  en  a  coûté  d'avoir  le  poignet 
tranché.  Mais  revenons  à  la  Mancini  :  Lucien  Perrey  a  raconté 
les  aventures  de  celte  charmeuse  exotique,  dans  un  fort  volume, 
Une  princesse  romaine  au  XVIP  siècle.  L'ouvrage  est  illustré 
d'une  magnifique  eau-forte,  copie  du  portrait  peint  par  Mignard. 
Mais  pour  ne  pas  choquer  les  yeux  de  lecteurs  Irop  collets-montés, 
l'aquafortiste  a  dissimulé  la  chatoyante  fraise  du  sein  sous  un  pli 
de  la  guipure  de  la  chemisette.  Où  la  pudeur  va-t-elle  se  tâcher? 
Nous  espérons  que  les  documents  historiques  reproduits  par  l'au- 
teur ont  plus  d'exactitude  que  le  graphique  du  frontispice,  maquillé 

(1)  La  partie  adverse,  attriliuant  ce  sonnet  au  duc  de  Nevers,  riposte  juir  un 
autre,  où  l'on  malmène  sa  sœur.  Marie  Mancini,  duchesse  de  Bouiliim  : 

.. .   Uiio  s(L'ur  vajjabondc,  aux  crins  plus  noirs  que  blonds, 
Va  par  tout  l'univci-s  promener  deux  UHons 
Dont,  malgré  sou  pays,  Pamon  esl  idolâtre. 

Le  duc.  |)i(]ué  au  vif.  répliciue  pai-  un  troisième  sonnet  contre  R;icine:  il  ne 
croyait  ])as  si  l^ien  dire  en  parlant  de  l';iuteur  du  i)remier,  sans  le  connaître  : 

...   Ce  fui  une  Furie,  aux  crins  plus  noirs  que  blonds, 
Oui  leur  pressa  du  pus  do  ses  affreux  tétons, 
Ce  sonnet  qu'en  secret  leur  cabale  idolâtre. 

(2)  Son  arrivée  à  Rome  fut  saluée  par  cette  Pas(piinade  de  nuiuvais  gotlt  :  «  la 
Vache  esl  attachée  à  la  Colonne.  » 


SUR     L1-:     DKCOLLKlAii  K 


SOUS  ses  auspices  et  expurgé   ad  iisuui  Dclphiiii  et  jiifi'lhirniii . 

Lady  Harley  se  laissa  décolleter  jusqu'aux  mamelons  pai'  le  piu- 
<!eau  de  Caspar  Nctscher  ;  ce  portrait  figure  au  musée  de  Buda-Pesth. 

Freminet  a  représenté  Taltière  et  blonde  M'"''  de  Montcspan.  qui 


Fi^'.  159. 


«  crève  d'embonpoint  »,  en  Chante  (fig.  159).  L'attribution  n'était 
pas  heureuse,  car  «  la  plus  belle  femme  du  royaume  »,  comme  elle 
se  qualifiait  modestement,  mais  «  une  sale  personne  »,  au  dire  de 
la  Palatine,  avait  un  cœur  sec,  un  cœur  «  vernis  »  ;  elle  n'était 
occupée  que  de  sa  parure  et  de  ses  intérêts  :  il  fallait  bien  entre- 
tenir les  ardeurs  de  son  royal  amant  et  conserver  le  renom  de 
«  merveille  de  la  France  »,  que  son  habile  rivale,  M""  de  Mainte- 


248  m:  S     SF.  INS     DANS     I,  '  H  ISTOIli  K 

non,  lui  avait  généreusement  octroyé.  Ce  tableau  figure  actuelle- 
ment à  la  chapelle  de  la  Sainte-Trinité,  au  palais  de  Fontainebleau. 
Voici  les  réflexions  qu'il  suggère  à  Alichelet  ;  elles  sont  sévères^ 
mais  justes  :  «  Elle  avait  déjà  vingt-sept  ans.  C'était  une  fort  belle 
Poitevine,  enjouée,  grande  et  grasse.  Son  portrait  (à  Fontaine- 
bleau) la  représente  assise,  nourrissant  de  jolis  enfants,  dont  l'un 
tette  avidement  ses  beaux  seins  pleins  de  lait.  Eh  bien,  ces  attri- 
buts touchants,  cette  plénitude  charmante  de  la  seconde  jeunesse, 
qui  échpse  la  première,  ici  ne  charment  pas  du  tout.  On  ne  la  sent 
vraiment  pas  mère.  Pas  un  enfant  n'irait  à  elle.  Elle  n'aimait  pas 
les  enfants,  ni  les  siens  même,  ni  personne.  Avec  ce  grand  luxe 
(le  chair,  cette  richesse  de  vie  et  de  sang,  qui  souvent  donne  au 
moins  certaine  bonté  physique,  une  nature  ingrate  perce  pourtant. 
Le  peintre  en  appelant  ce  porlrail-là  Lu  C/uwitr,  a  Tair  de  se  mo- 
quer de  nous.  »  Par  une  condescendance  maladroite,  un  émule  de 
Daniello  Ricciarelli  (1),  a  voilé  en  partie  le  bas  de  la  poitrine  d'une 
gaze  transparente  qui  moule  les  moindres  détails,  de  sorte  que 
l'enfant  qui  est  au  sein  tette  en  réalité  la  mousseline  ajoutée  après 
coup.  O  pudeur,  que  de  bêtises  on  commet  en  ton  nom  ! 

Après  «  la  grassette,  la  maigrette  ))  dirait  Ronsart.  Quand  La 
Vallière,  qui  «  marchait  en  cane  »,  se  fut  retirée  aux  CarméUtes, 
sous  le  voile  noir  et  le  vocable  de  sœur  Louise  de  la  Miséricorde, 

Car  de  laniour  à  \i\  dévotion 
Il  n'est  qu'un  pas , 

on  la  représenta  souvent  en  Madeleine  l'epentle,  mais  jamais  avec 
le  costume  traditionnel;  tel,  par  exemple,  le  portrait  de  la  belle 
pécheresse,  par  Le  Brun  (Munich),  d'une  attitude  trop  théâtrale 
pour  une  pénitente  qui  a  renoncé  aux  joies  de  ce  monde.  Dans  un 
seul  tableau,  celui  du  château  d'Azay-le-Rideau,  elle  apparaît  le 
torse  à  demi  dégagé  de  tout  vêtement,  les  cheveux  dénoués,  jouant 
avec  souplesse  sur  ses  épaules  et  sa  gorge  luxuriante.  L'attribution 
est  plus  heureuse,  car  avant  sa  disgrâce,  la  favorite  de  Louis  Xl\' 
approuvait,  avec  Ninon,  cette  doctrine  épicurienne  du  médecin 
Dernier  :  «  l'abstinence  des  plaisirs  est  un  grand  péché.  »  Avant 
de  jeter  ses  parures  aux  orties,  pour  se  recouvrir  du  cilice  de  la 

(1)  Peintre  qui,  sur  l'ordre  de  Paul  IV—  le  culottier  —  habilla  les  nudités  du 
JiKjeinent  dernier  de  Michel  Ange. 


SIR     LE     DKCOI,  LKTACE 


2i9 


pénitence,  sœur  Louise  fut  représentée  en  déesses  du  paganisme  : 
Diruir,  Hr/ir,  Aurore,  par  Mignard,  Girardon,  Coysevox.  Dans  la 


Fig.   1()0.  —  D'après  la  photographie  de  Weiinviirm  Aiital. 


collection  du  château,  dont  nous  venons  de  parler,  figurait  le 
portrait  de  jNP^  de  Sévigné  avec  un  corsage  «  gourgandine  » 
amplement  ouvert,  sans  la  moindre  dentelle,   sans  le  plus  petit 


250  I,  i:S     SKINS     DANS     L    HISTOIUK 

«  compère  »  pour  estomper  (Wiue  ombre  légère  la  poitrine  de 
Tépistolière. 

L'Académie  des  Arts  de  Buda-Pesth  possède  le  portrait  de 
M"'*'  de  Maintenon,  Françoise  d'Aubigné,  en  Ponione  (fig.  IGO), 
par  Giov.  Fr.  Romanelli  ;  elle  était  alors  dans  tout  l'éclat  de  sa 
jeunesse  et  de  sa  beauté.  Ce  sont  bien  là  les  <(  deux  grands  yeux- 
forts  mutins,  le  très  beau  corsage  et  la  paire  de  belles  mains  » 
que  le  cul-de-jatte  Scarron  reconnaissait  à  sa  fiancée,  quand  on 
dressa  son  contrat  de  mariage.  Xous  ne  sommes  pas  habitués  à 
voir  sous  cet  aspect  frivole  la  prude  et  dévote  l'enégale,  qui  mêlait 
à  sa  piété  un  ])eu  trop  d'ostentation  et  que  la  Palatine  qualifiera 
bientôt  de  «  vieille  ordure,  de  répopée,  de  ratatinée  ».  Nous  nous 
la  re[)résentons  plutôt  à  Saint-Gyr,  où  elle  se  retira  après  la  mort 
de  son  époux  morganatique,  pour  se  livrer  à  des  travaux  manuels 
et  faire,  comme  elle  récrivait  à  M™^  de  Gaylus,  «  de  fort  jolis 
lacets  ».  Mais  on  reconnaît  bien  les  yeux  «  noirs,  brillants,  doux, 
passionnés,  pleins  d'aspect  »,  que  lui  donne  «  une  femme  qui  suait 
Fencre  »,  ^NF"*  de  Scuderi.  De  même  la  Montespan  lui  écrivait,  un 
jour,  dans  une  de  ses  couches  :  «  J'ai  besoin  de  vous  voir;  mais, 
au  noin  de  Dieu,  ne  venez  pas  jeter  vos  grands  yeux  noirs  sur  moi 
dans  l'état  où  je  suis...  » 

Nous  allions  oublier  M'""  Dùclos,  qui  avait  toutes  les  beautés, 
corporelle  et  spirituelle,  mais  la  reine  de  théâtre  ne  se  trouvera  pas 
déplacée  à  côté  de  la  marquise  d'Aubigné,  devenue,  par  la  grâce 
de  ses  grâces,  reine  de  cour  ;  n'est-ce  pas  un  rôle  de  comédie  et 
parfois  de  tragédie  que  l'emploi  de  femme  de  Louis  XIV  ?  Lar- 
gillière  a  peint  l'actrice  en  Ariattc  ahiut(lunnée\  tout  à  sa  douleur 
et  au  souvenir  du  cruel  Thésée,  elle  néo;lio-e  de  rentrer  son  sein, 
en  état  de  vagabondage  :  distraction  dont  profite  la  galerie. 

Ne  quittons  pas  le  xviF  siècle  sans  jeter  un  coup  d'œil  rétros- 
pectif sur  les  œuvres  des  portraitistes  qui  se  sont  illustrés  chez 
nos  voisins  d'Outre-Manche.  Aussi  bien  l'extrême  licence  de  la 
cour  de  Gharles  II  nous  fournira  une  récolte  suffisante.  Avant  son 
règne,  l'élégant  pinceau  d'Antoine  Van  Dyck  célébrera  la  beauté 
langoureuse  de  Vénétia,  Lady  Digby,  dans  un  décolleté  savoureux, 
sans  être  excessif;  à  l'inverse  de  Rubens  —  qui  préfère,  comme 
l'Allemand,  au  dire  de  Montaigne,  l'avaller  au  goûter,  c'est-à-dire  les 
corsages  adipeux  et  les  rondeurs  phénoménales  —  le  peintre  flamand 


Sru     LI-:     DKC.OM.KTAdK 


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s'éprend  du  galbe  aristocratique  et  de  la  taille  élancée  des  Anglai- 
ses. Avec  Peter  Lely,  les  altitudes  équivoques  se  multiplient,  les 
seins  s'émancipent  :  devant  le  peintre  de  la  cour,  la  belle  Clevc- 
land  et  Louise  de  Kéroualle,  maîtresses  de  Charles  II,  Nell  Gwyn, 
la  comtesse  Ossorv  [ïig.  KM)  et  tant  d'autres  «  se  dévêtent  la 
o-oro-e  »  en  entier,  avec  hardiesse  :  bien  avant  Danton,  leur  mot 
d'ordre  est  :  «  de  l'audace,  et  encore  de  l'audace  !  ».  Les  décolletés  de 
G.  Kneller  ont  un  peu  plus  de 
réserve  :  il  s'arrête  aux  boulons, 
(el  le  corsage  de  Mrs  Soams. 
Plus  lard,  Reynolds  donnera  le 
portrait  de  Théophila  Palmer, 
qui  devint  Mrs  G.  Watkin,  dans 
un  tal;)leau  allégorique  :  VEsporr 
iiiiiirrissiiiit  l'Antour  (fig.  162  , 

Rappelons  que  la  beauté  en- 
sorcelante d'Emma  Harth,  future 
lady  Hamilton ,  fut  j^einte  en 
Vi'/uis,  en  Cléopdfn'^en  Phryné, 
par  George  Romney,  l'un  des 
artistes  les  plus  populaires  de 
l'Angleterre,  qui  en  fit  sa  maî- 
tresse et  son  modèle  préféré. 
Enfui  le  RcciicU  choisi  île 
j/i-oci's,  en  12  volumes,  contient, 

comme  les  Co///rv  de  La  Fontaine,  des  gravures  licencieuses;  celle 
de  milady  Albergavenny,  par  exemple,  exhibe  deux  énormes 
ic'tons,  au  chevalier  Lyddel,  en  s'écriant  :  «  Tu  m'es  nécessaire 
comme  l'air  que  je  respire  (1)  !  » 

Passons  au  xviif  siècle.  Déjà,  vers  la  fin  du  siècle  précédent,  les 
dames  de  qualité  commencent  à  se  faire  représenter  en  déesses  de 
rOlvmpe,  montrant  leur  poitrine  avec  le  mépris  du  q^'cn  J/ra- 
f-on,  et  cette  originahté  sera  bientôt  une  mode  (2).  C'est  ainsi  que 

il)  Hi'ctni-  FraiiLH'.  loc.  cit. 

\'l)  M"">  de  La  Haie,  grand'mére  de  M'^'=  de  Genlis,  s'était  lait  peindre  en 
Vénus,  à  côté  de  son  lils  en  Cupklon.  G.  Valck  exécuta  le  portrait  de  Made- 
moiselle de  Bournonville.  en  Diane,  avec  le  sein  gauche  à  nu. 

^'ous  concevons  fort  bien  que  La  Du  Barry  se  laisse  peindre  en  Diane,  ])ar 
Nattier  —  cette  œuvre  est  charmante,  pleine  de  la  grâce  du  xviip  siècle  et  tout 


Fis.  161. 


LKS     SF.INS     DANS     I,    Il  I  S  I  (>  [  I!  K 


le  cisoau  de  Coysevox  déshabilla,  pour  la  transformer  en  Diaiir 
chasseresse,  le  haut  et  le  bas  du  corps  de  la  gracieuse,  spirituelle 
et  peut-être   légère  Marie-Adélaïde  de   Savoie,  ('pouse  du  duc  de 


Fig.  16:2. 


Bourgogne.  Cette  statue  à  peine  vêtue,  que  MM.  R.  Pinset  et  J. 
d'Auriac  ont  reproduite  dans  leur  His/nire  du  poiii'a'it  en  France, 
a  été  faite  pour  le  duc  d'Antin  et  placée  à  Petit-Bourg.  On  trou- 

à  fait  digne  des  meilleurs  tableaux  du  maître  —  ;  mais  représenter,  dans  le  cos- 
tume de  cette  cliaste  divinité,  la  i)rincesse  l'alatine.  mère  du  régent,  celle  dont. 
«  le  style,  disait  Sainte-Beuve,  a  de  la  barbe  au  menton  »,  n'est-ce  pas  une 
véritable  gageure  de  la  part  d"  C.  Ne'.scher  ?  (Voir  au  mus  Je  de  Bloisi. 


SUH     I.  K     I)  lOCOI.LKTAIi  K 


233 


vera  dans  le  commerce  une  reproduction  pholographiqac  d'un 
portrait  de  la  duchesse  de  Bourgogne,  avec  ses  deux  mamelons 
prenant  Fair  à  la  lisière  du  corsage  (fig.  162  bis),  mais,  en  v  regar- 
dant de  près,  on  reconnaît  le  buste  magnifique  de  la  toile  qui  figure 


Fi  y-.   162  /;, 


à  >'ersailles  et  qu'un  industriel  peu  scrupuleux  a  dénaturée.  Nous 
connaissons,  d'Antoine  Coypel,  le  portrait  de  Catherine  de  Seyne  (1) 
en  costume  de  Didon,  exhibant  un  sein  des  plus  vivants  bien 
qu'ensanglanté.  Mais  il  paraît  que  ce  sein  ne  fut  pas  fait  d'après 
nature.    Nattier  l'a  aussi  reproduite  en  costume  du  temps  «  ne 

(1)  Ciirios.  arl..  fig.  So.  Mlle  déhula  dans  llerniioiu'.  en  janvier  17i»;j.  «  toute 
nue  el  toute  vêtue  dOr  »  :  le  jeune  roi  lui  avait  fait  |)résent  d'un  costume  de 
*!0UO  livres.  A  lloussaye,  l'ri/iceases  da  comédie  ei.  Déesses  d'Opéra. 


LES     SEINS     DANS     l/HISTOIHE 


monlrant  que  discrètement  sa  gorge  et  pour  cause  »  écrit  A, 
Houssayc.  Elle  s'appuie  sur  une  urne,  la  Seine  :  «  De  Seyne,  de 
la  scène,  à  la  Seine,  »  comme  on  disait  alors.  Raoux,  le  «  peintre 
des  grâces  »,  eut  la  malice  de  peindre  en  Vestale  M"^  Perdrigeon, 
connue  pour  ses  mœurs  légères.  «  La  mythologie,  dit  Charles 
Blanc  (1),  subsistait  encore  fort  à  propos  pour  fournir  aux  demoi- 
selles do  l'Opéra  un  costume,  c'est-à-dire  une  occasion  do  se  mon- 


Fi  fi'.   163. 


trer  à  demi  nues  ou  en  galant  déshabillé.  M""  Journel  voulait  qu'on 
la  peignit  en  Diane,  dans  Iphigénie  ;  M"''  Quinault  (fig.  1()3) 
posait  en  ximphifrile,  traînée  par  des  chevaux  mai-ins  ;  M'"'  Pré- 
vost, l'ex-petite  Fanchonnette,  se  couronnait  de  pampres,  sous 
prétexte  de  se  faire  peindre  en  Prêtresse  de  Bacchiis ...  Enfin  sous 
les  traits  d'une  Naïade,  figurait  M""  Carton...  Xaturellement,  la 
cour  et  la  ville,  qui  étaient  à  l'unisson,  se  disputaient  les  places 
dans  cet  Olympe.  Les  duchesses  blondes  ceignaient  la  ceinture  de 
Vénus  ou  tenaient  à  la  main  la  faucille  de  Cèrès ;  les  marquises 
brunes  portaient  sur  l'épaule  le  carquois  de  Diane  et  M"*"  de  Seno- 


;1)  Ilisloire  des  peint ret:. 


srii    1,  !•:    I) KcoLi.  r.TAf;  !■; 


san  entretenait,  comme   M"'''  Boucher,  sur  l'autel  de    Vrsfa,   un 
feu  qui,  à  tout  moment,  menaçait  de  s'éteindre.  >) 

M'"  Contât,  paraît-il,  fut  statufiée  en  Vnit/s  cail/pf/fjr.  et 
M'"  Colombe  se  fit  peindre  en  Pomonc,  ofîrant  ses  «  pèches  )> 
—  de  Tespèce  tétons  de  Vénus  —  au  dieu  des  jardins.  M'"  Gaus- 
sin,  de  la  Comédie-Française,  qui  se  révéla  dans  les  tableaux 
anacrconliques,  où  elle  faisait  admirer  sa  gorge  damnatrice  sous 


Fii;.  ltJ4.  —  Maiif-Aiiiic  de  Mailly,  nuuciiiise  de  Tournelle.  duchesse  de  (Ihàteau- 
roii.x.  La  ijhotugraijliie  de  ce  tabl(>au  se  trouve  chez  Braun.  Clément  el  C''--. 

la  métamorphose  de  Vénus,  Junon  ou  Diane,  fut  aussi  })ortraiturée 
par  Nattier,  vêtue  ou  plutôt  dévêtue  en  vestale  du  xviii'  siècle  ; 
son  portrait  est  au  Théâtre  Français  :  «  elle  ne  prend  guère  souci 
de  cacher  son  sein  »,  ajoute  A.  Houssaye,  à  qui  nous  empruntons 
encore  ce  document. 

E.  de  Lvden  raconte,  dans  le  Théâtre  et  autrefois^  que,  pen- 
dant un  entr'acte  du  Derin  de  Villaye,  à  l'Opéra,  où  assistait  le 
jeune  roi  de  Danemark,  M""  Grandi,  Tune  des  plus  jolies  figu- 
rantes, lui  fit  passer  son  portrait  en  pied,  miniature  exquise,  où 
elle  était  représentée  en  costume  de  Diane,  sortant  du  bain  ;  et  il 
parait  que  «  TOurs  »  —  c'était  le  nom  donné  au  monarque  par  ces 
demoiselles  du  ballet — tint  à  s'assurer  lui-même  de  la  ressemblance. 


2:-.6 


l.r.  s     SKINS     DANS     I.    IIISTOIIIK 


M"""  de  Gaylus  j)rétend  que  la  duchesse  de  Berrv,  si  fantasque, 
si  passionnée,  Fimage  même  de  la  Régence,  posa  dans  le  costume 
classique  de  TA/or,  pour  l'illustration  de  la  fameuse  «  édition  du 
régent  »  de  Dajj/inis  et  C/i/oé.  j\I""'  de  Lattaie  possédait  un  por- 
trait de  la  fille  du  régent,  en  Ei(r(>ji(\   offert  par  sa  rivale  à  son 


Fig.  4(i, 


mari  :  «  elle  se  fût  bien  gardé  de  le  conserver,  dit-elle,  si  la  maî- 
tresse de  son  mari  n'avait  été  qu'une  simple  particulière  ».  San- 
terre  peignit  en  Eve  M"""  de  Parabère,  avec  l'assentiment  de  son 
soigneur  et  maître,  Philippe  d'Orléans.  «  Comme  le  roi  Gan- 
daule,  écrit  A.  Houssaye,  il  lui  dévoila  les  beautés  de  sa  maî- 
tresse :  M""'  de  Parabère  fut  une  autre  Nissia.  Je  ne  suppose  pas 
que  Santerre  fut  un  autre  Gygès.  »  Xattier,  le  peintre  en  titre  du 
sérail  de  Louis  X\',  sacrifia  également  au  mauvais  goût  du  jour  ; 
il  a  reproduit  les  traits  et  les  contours  des  quatre  filles  de  ce 
monarque,  dans  les  Dresses  des  (piatre  rinnents,  et  ceux  de 
M""^  de  Ghàteauroux,  dans  la  Nuit,  et  en  Point  du  jinir  (fig.  lOi). 


SUH     I.K     DKCOLI,  ETAd 


2o7 


Le  même  artiste  nous  a  montré,  en  entier,  le  sein  gauclic  de  la 
marquise  de  Flavacourt  (collection  du  comte  B.  de  Castellane). 

Dans  les  galeries  de  Versailles,  sous  le  n°  3739,  Françoise-Marie 
de  Bourbon  (M'""  de  Blois),  duchesse  d'Orléans,  en  Amphitritc,  le 
sein  droit  complètement  à  nu,  se  joue  sur  un  dauphin,  au  milieu 
des  naïades  (fig.  Ulo). 


Fig.  16(i. 


D'aj)rès  la  chronique  des  ateliers,  la  première  maîtresse  de 
Louis  XX,  M"'"  de  IMailly,  aurait  servi  de  modèle  pour  l'exé- 
cution de  la  Mailc/cinr  dévêtue  du  Louvre.  Une  autre  favorite  du 
roi  «  Bien-aimé  »,  la  néfaste  et  ambitieuse  Jeanne-Antoinette  Pois- 
son, marquise  de  Pompadour,  recherchait  les  caresses  du  pinceau 
et  les  morsures  du  ciseau  :  elle  sera  Y  Aurore,  avec  Nattier  (Mar- 
seille) ;  Flore ^  avec  Boucher  (Versailles)  et  dans  ce  dernier  tableau, 
l'un  de  ses  boutons  se  confond  avec  les  fleurs  qu'elle  tient  à  la  main 
(fîg.  1()G)  ;  elle  posera  pour  la  Diane  de  Goustou;  pour  YAhoïKlnnce 

LES    SEINS    DANS    l'hISTOIHE.    —    I.  17 


2:i8 


m:  s     SKINS     DANS     I,    H  1  S  l(>  I  K  K 


d'Adam  Taîné  (fig.  1(57)  ;  pour  ÏAdrorr  de  Vinache  (fig.  108)  ;  pour 
VAtuilli'  de  Pigalle,  la  main  droite  sur  le  cœur  et  la  poitrine  au 
soleil;  enfin  Bouchardon  la  fera  figurer  —  comble  de  Tironie  — 
j)armi  les  quatre  Vertus,  supportant  la  statue  de  son  royal  pacha, 
en  compagnie  de  M""^  de  Mailly,  de  Yintimillc  et  de  Château- 
roux,  ses  émules.  Les  estampes  françaises  et  étrangères  l'ont  sou- 
vent représentée,  sans  le  moindre  linge,  sous  le  titre  de  la  .Iciiiir 


Fitr.    Ui7. 


FiK.   IChS. 


fciiiiin'  à  sa  toili'tli'  et  son  chic/t  i^lig.  Ki'.tj.  Finissons-eji  avec  les 
favorites  de  Louis  XV  :  à  la  vue  du  magnifique  buste  de  la  Du 
Barrv,  sa  dernière  idole,  immortalisée  par  le  ciseau  de  Pajou,  on 
est  tenté  d'excuser  les  folies  du  vieux  roi,  et  \'oltaire  n'exagérait 
pas  quand  il  s'écriait,  devant  un  de  ses  portraits  :  «  L'original  est 
fait  pour  les  dieux  !  »  Mécontente  de  Drouais,  qui  la  peignit  en 
Musc  (salon  de  1171)  et  en  Flore  (salon  de  1773),  elle  s'adressa  à 
Greuze.  ha  M  use  est  gazée,  en  partie,  d'une  draperie  légère  et  trans- 
parente, qui  se  retrousse  au-dessus  du  mamelon  gauche. 

Après  ce  long  défilé  d'impures,  la  vue  se  reposera  sur  le  frais  et 
gracieux  portrait  de  la  toute  jeune  Charlotte  Helvélius,  par  Charles 
Loo,dité>//7  Va/i  Lou  (fig.  170)  :  la  l)eauté,  l'esprit  et  labienveillance. 


SriS     LK     1)  KCOI.  I.  KTAIi  K 


2:59 


les  trois  qualités  de  sa  mère, 
se  reflètent  sur  sa  miji,no!]nc 
figure;  quant  au  bouton  de 
rose  de  son  sein  en  tleur,  il  est 
bien  en  évidence  ])Our  sym- 
boliser le  printemps  de  la  vie. 
Avec  M"'"  de  Créquy,  nous 
laisserons  de  côté  les  divinités 
du  paganisme,  pour  nous 
occuper  d'un  tableau  reli- 
gieux :  le  sacré  après  le  pro- 
fane. La  marcjuisc  attribue  à 
Yan  Goyen  une  peinture  du 
château  d'Heymont,  qui  re- 
présente sa  belle-fille  sous  les 
traits  de  la  Vierge  allaitant 
Jésus,  c'est-à-dire  le  petit-fils 
de  la  marquise  ;  mais  le 
peintre  hollandais,  mort  en 
10 15,    est    bien    ant(''ricur    à 


i''\u.  169.  —  D'iipi'és  la  gra\uii'  de 
.!.  Wt'iss,  rcprctcluite  dans  le  bécollelé 
el  le  relroii.s6-c.  de  J.  (iraiul-Cartcret. 


cette  époque,  et  le  tableau 
est  plutôt  de  Philippe  Van 
Dyck.  Au  moment  où  l'é- 
pidémie de  lactomanie 
sévit  en  France,  le  fils  de 
la  marquise  fit  graver  cette 
œuvre  par  Massart,  sous 
ce  titre  :  La  jj///s  hcllr  des 
itù'rt's  (1).  La  gravure  est 
bien  connue  des  amateurs 
d'estampes  et  porte  la  dé- 
dicace de  la  marquise  avec 
ses  armes  en  cartouche. 
Voici  la  critique  que  celle- 
ci  fait  de  l'œuvre  du  gra- 
veur :   «   Cet   artiste  mo- 


ins- l'o. 


(1)   Aiiccd.  Iii.sl..  liK-  -'l- 


-201) 


1- 1:  s    s  i:  I N  s    I)  A  N  s    i,  h  i  s t  o  i  k  k 


dcrnc    est    loin    d'avoir    rcj)rodiiit    la    physionomie    franehement 
rarouche  et   la   curieuse    naïvclé   de    Foriginal  :    mais    à    qui    la 


Fit;    ITJ. 


faute?  Ce  fut  un  acte  de  complaisance  envers  ma  belle-fdle,  à  qui 
le  graveur  avait  dédié  La  Plus  belle  des  ?}icres,  et  dans  cette 
œuvre-ci,  du  même  graveur,  où  vous  représentez  TEnfant  Jésus 


SL'K     I.  K     DKC.  (t  M.  [■.T.\(;  K 


261 


dans  le  giron  de  la  Vierge,  on  me  permettra  de  vous  dire  (1  i  qu'il 
ne  s'est  rien  trouvé  de  ressemblant,  sinon  votre  portrait.  « 

La  campagne  lactophile,  entreprise  par  Fauteur  (VhJm//r, 
explique  les  nombreuses  toiles  de  Tépoque,  où  des  mères  de  toutes 
les  classes  de  la  société  découvraient  leur  sein  nourricier,  caressé 
par  un  petit  polisson  en  état  d'ivresse  lactique.  Cette  attitude  don- 
nait une   contenance   aux    mains,    toujours   maladroites  dans  les 


F 


4k 


Fii 


tableaux  de  famille.  La  figure  171  est  le  portrait  d'une  jeune 
femme,  peinte  par  Beaucourt,  au  Cap,  en  1781),  remplissant  son 
devoir  de  mère  dans  la  pose  la  plus  naturelle  et  la  plus  gracieuse; 
la  noble  exilée  perpétuait  ainsi,  à  l'étranger,  le  bon  exemple. 
A  défaut  d'enfant  à  nourrir,  les  dames  désireuses  de  suivre  les 
fantaisies  de  la  mode  et  de  montrer  leurs  seins  en  peinture,  se 
faisaient  représenter  :  les  unes,  donnant  à  téter  à  de  petits 
chiens;    d'autres,    taquinant,    giclant  leur  lait    dans  le    bec    de 

(1)  La  marquise,  dans  ses  Souvenirs,  s'adresse  à  son  i)elit-lils,  Tancréde,  qu 
mourut  avant  son  aïeule. 

(2)  Reproduite  dans  le  Décolleté  et  le  retroussé,  de  J.   (irand-Carteret. 


•ir.2 


i.r.s    si:  IN  s   dans    l  histoiisk 


pigeons  paltus,  comme  la  Nourrice  de  Gaspard  Mensch  (lig.  172}. 
Une  toile  de  notre  galerie  (fig.  173),  qui  rappelle  les  types  lla- 
inaiids  e\  rc'clat  du  coloris  de  Jordaens.  semble  avoii-  inspii-('' Tœu- 


i-ii:.  iî; 


vre  précédente.  Plusieurs  critiques  s'adressent  à  ces  compositions 
similaires  :  développement  insufïisant  des  seins,  gonflés  de  lait  j)ar  la 
maternité;  absence  de  la  coloration  ])igmentée,  si  caractéristique, 
de  Taréole  d'une  femme  qui  vient  d'accoucher:  enfin,  inexpérience 
de  la  jeune  femme  qui  se  presse  le  sein  entre  le  médius  e(  l'index, 


suit     I,  K     I)  K(.()M.  KIA(i  I". 


263 


comme  si  elle  Folîmit  à  un  enfant,  au  lieu  d'utiliser  la  puissante 
pince  du  pouce  et  de  l'index,  nécessaire  pour  obtenir  la  douche 
lactée. 

Marie-Antomette  aservidemodèleàr.4m/jAi/n7<'  (fig.  173  bis)  de 
Pajou,  exécutée  en  l'iionneur  de  la  naissance  du  Dauphin  '1781);  la 
reine,  sommairement  vêtue,  assise  sur  des  dauphins,  tient  le  nou- 
veau-né dans  ses  bras  et  le  regarde  avec*  tendresse.  La  manufacture 
de  Sèvres  ne  possède  qu'une  copie  de  ce  groupe;  l'original,  en 
biscuit,  pâte  tendre,  a  été  adjugé  à 
la  vente  San  Donato,  au  prix  de 
171300  francs.  James  (idlray,  qui 
oubhe  la  licence  de  la  cour  de 
Charles  II,  manque  de  mémoire  et 
de  générosité  lorsqu'il  caricature,  en 
Messa/iiir,  cette  reine  imprudente, 
frivole  et  prodigue,  mais  non  débau- 
chée. Le  même  satiric[ue  anglais, 
plus  brutal  que  grivois,  montre,  en 
compensation,  la  princesse  de  Galles 
découvrant  la  maîtresse  de  son  mari, 
l'ignoble  Jersey,  dans  le  lit  conjugal. 

Duplessis  nous  a  laissé  le  portrait 
de  la  malheureuse  duchesse  de  Lam- 
balle  (1),  dont  l'artiste  a  peint  les 
deux  boutons  roses,  ("'mergeant  d'une 
guipure  immaculée. 

Dans  sa  Diane,  Borel  a  reproduit 
les  traits  langoureux   de   Sophie  de  Rufïèt,  marquise  de  Monnier 
—  in  bel  coi'po  anima  bella  —  la  douce  maîtresse  de  Mirabeau, 
«  enlacé  dans  ses  passions  comme  Laocoon  dans  ses  serpents  » 
(fig.  474;. 

A  ces  gracieuses  figures,  opposons  celle  de  Théroigne  de  Méri- 
court  (fig.  17o).  Ce  portrait,  d'après  une  gravure  anonyme,  à  la 
manière  noire,  montre  à  nu  le  sein  de  la  fougueuse  exaltée;  mais 
il  est  probable  qu'il  n'a  pas  été  pris  sur  le  vif,  bien  cpie  cette 
virago    se  préoccupât   fort   peu  du   cju'en    dira-t-on.    Une  autre 


Fitî.   ITo  bi 


(1)   Aiiecd.  hlsl..  lif;-.  '6'.> 


264 


I,  KS     SKINS     DANS     I.    IIISIOÏKK 


héroïiio  de  la  Révolution,  JN!™*^  Tallien,  qui  après  la   réaction  du 
\)  Ihormidor  —  dont  elle  fût  rame  —  donna  le  signal  des  fêtes  et 


foref 


F\g.   174. 


du  luxe,  se  promenait  en  public  la  gorge  découverte  et  laissait 
deviner  les  parties  les  plus  secrètes  de  son  corps,  sous  les  transpa- 
rences d'une  tunique  de  gaze;  c'était  promettre  un  portrait  autre- 


Sl|{     I.  K     I)  K.Cdl,  I,  l-.IAC  K. 


265 


ment  déshabille  que  celui  de  la  figure  17o  bis,  où  le  bouton  du  sein 
Q-auche  se  cache  mal  derrière  la  bordure  en  dentelle  de  sa  chemi- 

o 

sette. 

M''"  RosaUe  Duthé,  actrice  de  second  ordre,  mais  courtisane  dl 
primo  carfello,  figure  déjà  dans  nos  CKriosi/f'sai'tistiqncs  (fig.  84^ 
avec  les  deux  seins  complètement  émancipés  de  la  tutelle  du  cor- 
sage;   elle    se    fit   encore    représenter    en  Da/iaé,  recevant  une 


Fig.  173. 


Fii,'.  ITo  h. 


pluie  d'or  dans  le  «  tonneau  des  Danaïdes  ».  C'est  elle  que 
Ton  chargea  de  l'éducation  amoureuse  du  duc  de  Chartres,  père 
de  Louis-Philippe;  il  paraît  que  l'élève  fut  digne  de  sa  maîtresse. 
Le  roi  trop  chrétien  Charles  X,  en  rupture  de  banc  d'œuvre 
de  chair,  l'avait  aussi  honorée  de  ses  faveurs;  c'était  une  manière 
de  princesse  du  sang  :  «  comme  une  cabotine  de  notre  épo- 
que, à  qui  les  planches  servent  de  trottoir,  elle  eut  pu  mériter 
le  surnom  de  Passage  des  prince x  (1)  ».  Cette  hétaïre  des 
C(Kilisses  avait  pour  camarade  une  actrice  du  même  théâtre  des 
Variétés,  Ozy,  dite  Caliipijge,  qui  était  fière,  à  juste  titre,  de  ses 
mamelles  postérieures  et  les  décolletait  volontiers  dans  fintimité. 


(1)  Gr.  dict.  aniv.  du  XIX"  tiiècle. 


200  I.KS     Si:iNS     DANS     I.    Il  1  S  1  (»  I  li  K 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  trop  célèbre  lady  Lyons,  qui  offre 
plus  d'un  Irait  de  ressemblance  avec  notre  contemporaine  Clara 
^Va^(l,  ci-devant  princesse  de  Cbimay  (1)  :  elle  fut  portraiturée  en 
liacchanlc,  couchée  sur  le  bord  de  la  mer,  par  M™^  Yigée-Lebrun, 
pendant  son  séjour  à  Xaples,  où  son  mari,  lord  Hamilton,  fut  am- 
bassadeur d'Angleterre.  Au  musée  de  Montpellier  se  trouve  le  por- 
trait d'une  autre  lady  ***,  en  Psyché,  peint  par  un  artiste  de  celte 
ville,  François  Fabre.  Xe  serait-ce  pas  plutôt  celui  de  la  célèbre 
comtesse  d'Albany  qui,  dit-on,  épousa  secrètement  l'élève  de  David 
à  Florence  et  le  fit  son  légataire  universel,  en   1824? 

Girodet  avait  peint  le  buste  d'une  actrice  du  théâtre  de  la  Répu- 
bhque.  M""  Simons  Candeille,  maîtresse  du  Girondin  A'ergniaud. 
L'actrice  s'étant  permis  quelf|ues  critiques  sur  la  ressemblance,  le 
j)eintre  piqué  coupa  la  toile  en  morceaux  et  l'expédia  à  ]\1"'*^  Simons. 
11  poussa  sa  vengeance  plus  loin  encor-e  :  il  composa  un  tal)leau 
oîi  sa  cliente  était  représentée  en  J)/(jif/i',  lapidée,  non  de  louis  d'or 
mais  de  gros  sous.  Au  premier  rang  figurait  un  énorme  coq  d'Inde 
rappelant  les  traits  du  célèbre  orateur  girondin.  Arsène  Houssaye, 
d'après,  sans  doute,  le  récit  de  Georgette  Ducrcst  dans  ses  Mf'- 
moii'cs  s/tr  r  imité  rai  ri  ce  .losrphnic,  attribue  celte  aventure  à  une 
autre  aclricc,  M"''  Lange,  qui  épousa,  en  1797,  un  carrossier  l)elge, 
Simons,  dont  le  père  s'était  marié  précisément  avec  M"*'  Candeille, 
l)elle-mère  de  la  j)remière  :  toutes  deux  ayant  porté  le  nom  de 
Simons,  la  confusion  s'explique  naturellement. 

L'époque  napoléonienne  nous  fournira  plusieurs  documents  plus 
ou  moins  authentiques.  Xous  connaissons  déjà  le  dessin  satirique 
de  James  Gillray,  où  M""^  Tallien  et  Joséphine  dansent  nues 
devant  Barras.  Pas  plus  véridique  n'est  la  Lélizia,  décolletée,  que 
Napoléon  fit  placer,  par  ordre,  dans  le  tableau  du  Sacre,  de 
David,  bien  qu'elle  n'y  eût  pas  assisté.  Pauline  Borghèse.  la  plus 
désirable  des  sœurs  de  Bonaparte,  aimait  à  se  faire  admirer  nue 
par  son  entourage,  pendant  sa  toilette  du  matin.  Constant  men- 
tionne cette  coquetterie  dans  ses  Mémoires  :  «  Souvent  un  inter- 
valle assez  long  séparait  le  moment  où  on  lui  offrait  sa  chemise 
de  celui  où  on  la  lui  |)assait;  pendant  ce  temps,  elle  se  promenait 

(1)  Un  mot  entendu  devant  la  vitrine  d'un  marchand  de  photojïraphies.  à  la 
vue  des  nombreuses  cartes-albums  représentant  la  princesse  en  32  poses  et  sans 
costume  :  «  En  voilà  ime  nui  aiint-  à  se  faire  tirer  !  » 


srii    1. 1:    i)K  coi.i.  i:  I  .v(;  i: 


267 


dans  sa  chambre  avec  autant  crassurance  que  si  elle  eût  ('té  tota- 
lement vêtue.  »  Son  plus  grand  plaisir  était  de  faire  apprécier  ses 
formes,  dont  elle  connaissait  la  perfection,  parles  artistes  qui,  disait 
Napoléon,  s'accordaient  à  la  comparer  à  la^\'■nus  do  Médicis;  elle 
n'eût  pas  été  duchesse,  qu'elle 
fût  devenue  modèle  d'atelier 
pour  le  nu  d'ensemble.  Sa 
statue]  faite  par  Canova  (1^, 
en  Vnuis  r/r///./- la  pomme  à 
la  main,  a  été  moulée  sur  sa 
propre  chair  et  elle  en  repro- 
duit fidèlement  les  contours, 
dignes  de  l'antique.  On  pré- 
tend que  la  princesse,  voyant 
hésiter  Canova  pendant  l'o- 
pération du  moulage ,  lui 
aurait  dit  :  «  Mais  allez  donc  1 
de  quoi  avez-vous  peur  ?  — 
De  devenir  amoureux  de  ma 
statue,  —  Allez  toujours, 
Canova,  vous  êtes  un  flat- 
teur ^2)  ».  Une  dame  lui 
demandait  comment  elle  avait 
pu  poser  ainsi  toute  nue  : 
«  Oh  !  dit-elle,  il  y  aAait  du 
feu  dans  l'atelier  ».  Cette 
statue,  chef-d'œuvre  de  dis- 
tinction et  de  grâce,  est  le 
plus  bel  ornement  de  la  villa  Fitr.  i7t3. 

Borghèse.     Quand    elle     fut 

exposée,  pour  la  première  fois,  on  fut  obligé  de  la  protéger 
par  une  enceinte  contre  les  poussées  de  la  foule.  A'ersailles  possède 
un  portrait  de  Pauhne  par  Robert  Lefèvre,  qui  date  de  1H2"3, 
l'année  de  sa  mort  ;  la  «  reine  des  colifichets  »   était  alors  âffée  de 


(1)  Curius.  uri .,  lig.  8.'). 

(2)  Joseph  Turquan.  lue.  cit.  Ce  (liali>,i>ue  pourrait  l)ien  èti-e  a|)Ocryi)he  : 
Canova  imitait  si  parfaitement  la  nature  ipi'on  disail.  a  sa  louange.  «  f|uil  moit- 
Ifiil  si>s  modèles  au  lieu  de  les  rojiicr.  » 


2GS 


m:  s     SKINS     DANS     I,    IIISl'OliiK 


4()  ans  et  commençait  à  s'assagir;  elle  est  vêtue  d'une  chemise  de 
dentelle  et  d'une  tunique  grecque,  à  travers  laquelle  cependant  très 
visiblement  les  bouts  de  sein  transparaissent. 

Pour  la  modique  somme  de  12  francs,  on  peut  se  procurer  aux 
Beaux-Arts  un  moulage  du  buste  de  M"'"  Récamicr,  découvrant 
en  entier  son  sein  gauche  (fig.  176).  A  l'exemple  de  David,  Fran- 
çois Gérard  représenta  l'hospitalière  et  spirituelle  beauté   de  l'Ab- 


Fi^'.   J77. 


baye-aux-Bois,  après  le  bain,  mais  dans  une  pose  (Hfïérente  de  la 
conception  du  maître  :  les  mamelons  font  saillie  sous  la  chemisette 
en  fme  batiste.  Le  même  peintre  nous  a  laissé  le  portrait  de  la 
célèbre  tragédienne  M'"^  George  Wesmer,  le  mamelon  du  sein 
droit  à  découvert  (fig.  177).  L'amie  de  l'empereur  avait  de  puis- 
sants appas  et  la  salle  entière  soulignait  dans  Ci /ma,  la  tragédie 
favorite  de  son  amant,  le  vers  où  elle  s'écriait  : 

Si  j"ai  séduit  (linna,  j'en  séduirai  ])iea  d'autres. 

La  terrible  Nn//('sis  de  Barthélémy  fait  allusion  à  ses  avantages 


srii    I,  K    DKcoi.i,  i:iA(;  K 


269 


physiques  et  à  une  autre  liaison  a^  ce  le  «  prince  de  la  crilicjuc  w 
de  Fépoquc,  montrant 

Janiii, 

Sous  les  appas  de  (loor^o  impercoptililc  iiaiii  ! 


Fi^'.   178.  —  D'après  la  photograpliie  de  Brogi  (Floirnce) 


En  1813,  la  belle  M"'"  Charlotte  Fossetta,   par  amour  de   l'art, 
servit  de  modèle  à  Dannecker,  pour  sa  célèbre  Ariane,  portée  sur 


27U 


I,  i:S     SKINS     DANS     I,    Il  1  S  T  (I  I  !i  K 


un  monstre  mythologique  et  personnifiant  l'Allemagne  triomphante. 
Elle  s'offrit  à  l'artiste,  chez  qui  elle  fréquentait,  en  lui  disant  : 
«  Vous  êtes  sûr  que  mon  corps  pourrait  être  véritablement  utile  à 
votre  art?  C'est  bien,  disposez  de  moi,  si  vous  pensez  pouvoir 
créer  une  œuvre  originale  et  géniale  .A)  ». 

Deux  salles  de  la  NoxrcUe  résidcncr,  de  Munich,  sont   ornées 
(les  portraits  des  trente-six  iavoritesdu  dévot  roi,  Louis  de  Bavière. 

On  y  remarque  celui  de  la 
fameuse  aventurière  Lola  Mon- 
tés, de  mœurs  plus  que  légères; 
il  est  vrai  que  la  légèreté  est  la 
vertu  primordiale  de  toute  dan- 
seuse. 

A  l'Hôtel  de  ville  de  Vienne, 
une  immense  toile  de  Hans 
^lakart  représente  la  cé4èbre 
tragédienne  Charlotte  ^^'olter, 
en  Moisalinc,  le  sein  di'oit  à  nu 
et  —  discrète  llattcrie  de  l'ar- 
tiste —  le  bouton  seul  est  dissi- 
mulé sous  la  feuille  d'une  rose, 
(|ue  l'épouse  de  Claude  tient  à 
lu  main. 

Au  ('anijK)  Sdiilo  ou  l'uiiilcro 
nitmi(iiu'iil(i/c  de  Milan.  —  qui 
ressemble  à  un  Salon  de  sculp- 
tures, aux  mille  veilleuses  vacil- 
lantes, comme  autant  d'àmes  de 
un   caveau  de  la  famille  Maccia,   dû   au   ciseau  de 


Fis.  178  bu 


trépass(''s 

S.  Crippa  (fig.  178),  attire  particulièrement  l'attention  :  la  veuve, 
qui  donne  le  sein  au  dernier-né,  entr'ouvre  la  porte  du  mausolée, 
comme  pour  appeler  l'absent. 

On  vend  en  Egypte  une  photographie  de  la  maison  Zangaki,  re- 
présentant la  nourrice  du  négus  d'Abyssinie,  nue  jusqu'cà  la  cein- 
ture, «  le  menton  aers  (appuyé)  au  pis  ;>,  suivant  le  langage  des 
trouvères  (fig.  178  bis).  Elle  est  atteinte  d'hypertrophie  mammaire 


(1)  (;.  IJcYcr.  cité  i);ir  le  D'  Stralz  dans  la  lieuuli'' di'  la  /'enun 


s  i:  R     I,  K     I)  K.r.dLI,  K  l'A(;  K 


271 


et  c'est  sans  doute  à  cette  cascade  de  chair  qu'elle  doit  rhonneur 
d'avoir  allaite  un  dauphin  abyssin  :  sous  les  tropiques,  on  ignore 
encore  que  les  meilleures  mamelles  ne  sont  pas  les  plus  grosses. 

Revenons  en  France,  Une  des  plus  belles  peintures  décoratives 
de  Chaplin,  le  plafond  du  Salon  des  Fleurs,  aux  Tuileries,  détruit 
j)ar  la  Commune,  en  1871,  représentait  Fimpératricc  Eugénie,  en 
\'r/K(s.  Entourée  des  Arts  et  des  Grâces,  les  Génies  lui  apportaient 
dans  une  corbeille  un  Amour,  sous  les  traits  du  Prince  Impérial  (1). 

La  trop  célèbreCora  Pearl  qui,  sous  le  second  Empire,  occupa  le 


Fier.   179. 


haut  du  trottoir,  eut  la  fantaisie  de  faire  mouler  sa  poitrine 
(fig.  179)  et  sa  main.  Celle-ci,  en  Fair,  lient  un  sein,  l'autre  sein 
fait  couvercle  (fig.  liSU).  Le  tout  en  onyx.  Gallois  fit  sa  statue  en 
douze  séances.  Pendant  une  pose,  i-aconte  Fhi'taïre,  M"'"  Desmard 
frappe  et  supplie  (|u'on  lui  ouvre;  elle  demande  la  permission  de 
venii'  voir  de  temps  en  temps  où  en  sera  la  statue,  i)renant  un  plaisir 
extrême  à  ce  qu'elle  appelait  ((  la  contemplation  de  Fart  et  de  la 
natur-e  ».  «  Elle-même  avait  un  peu  passé  par  là.  Je  dis  un  peu, 
Gallois  n'avait  fait  que  son  buste.  «  —  L'art  est  une  belle  chose, 
mais  la  nature  est  bien  au-dessus,  s'écriait  mon  admiratrice,  en 
appliquant  son  oreille  sur  ma  poitrine.  Quel  dommage,  ajoutait- 
elle,  que  le  ciseau  ne  puisse  reproduire  ces  palpitations  légères 
que  sont  la  vie.  »  Gallois  souriait  et  je  me  disais  à  part  moi  : 
«  —  Il  me  sculpte  et  elle  m'ausculte.  ». 


(1)   (;iauili'  Vciiiii.  les  l'ciiiires  de  la  feuune. 


I,  KS    SK^^S    DANS    1.    Hisroiiti". 


De  Taveu  du  modèle,  la  copie  on  marbre  du  corps  nu  est  par- 
faite, mais  la  tète  peu  ressemblante.  En  1874,  le  sculpteur  Clé- 
singcr  sollicita  Fhonneur  de  faire  son  portrait  : 

...  .le  vais  exécuter  une  statue,  et  je  désirerais  vous  prendre  poui- 
type  :  c'est  vous  dii'c  que  je  saurai  scul|)ter  sur  le  niarl)re.  non  seule- 


•    Fiiï.  181. 


ment  les  beautés  plastifiues.  ilont  la  renonunée  est  arrivée  jusqu'à  moi, 
mais  aussi  la  vie  et  les  indéfinissables  passions  dont  ce  charmant  corps 
est  animé... 

Autre  moulage  de  femme  :  nous  donnons,  figure  181,  le  lorse 
de  la  jeune  négresse  qui  a  posé  pour  la  fontaine  de  Carpeaux  ;  rien 
ne  distingue  ce  corps  de  celui  d'une  Européenne  bien  faite,  ni 
môme  de  la  perfection  d'un  antique. 


srn   I, F.    I) Kcoi. I. KiA(; I-: 


273 


Prosper  d'Epinay  déclarait  le  buste  de  M"^  Eugénie  Fiocre,  dan- 
seuse de  rOpéra,  par  le  môme  sculpteur,  «  le  plus  beau  de  notre 
époque  »,  et  à  sa  vue,  il  éprouva  une  impression  si  vive  qu'il  exé- 


Fitr.  182. 


cuta  celui  de  la  jolie  comédienne  Marie  Magnicr.  Ce  buste  a  Tun  des 
seins  découvert,  Tautre  voilé  sous  une  draperie  :  un  souverain  très 
amateur  de  belles  femmes,  en  tomba  éperdûment  amoureux  ;  mais 
n'oublions   pas  qu'il   doit  toujours  mettre  consciencieusement  en 

LES    SEINS    DANS    l'hISTOIHE.    —    I.  iS 


m; s    SKiNS    DANS    I.   Il  is  roiHi'; 


pi'aliquc   la   devise   de    son   royaume  :  «  FUnion  fait  la  force  ». 
a  Pourquoi,  ('"crivait-il  à  Tarliste,    en  couvrir    un  ?  A'ous  rendrez 


Fig.  \S'2  bis. 

l'autre  jaloux  (1)  !  »  Compliment  que  releva  Albert  ]ylallac  dans  un 
sonnet  inspiré  par  ce  buste  de  «  demi-reine  »  : 

Un  sein  me  laisse  voir  son  coni(mr  adouci; 
l/autre,  qu'un  fin  tissu  de  lin  dérobe  à  peine, 
.laioux  sendjle  vouloir  se  dérober  ainsi. 

(1)  Clauik'  Vcnlo,  lov.  cil. 


SIK     I.  K.     DKCOI.  I,  KTAIi  i: 


La  Callixhw,  du  même  artiste,  est  le  portrait  d'une   femme  du 
monde  qui  fut  autorisée,  par  son  mari,    à  poser  dans  l'atelier  du 


ISi  ter. 


peintre,  mais  complètement  habillée,  pas  môme  décolletée.  D'Epi- 
nav  tint  parole  :  il  habilla...  de  gaze  son  modèle,  de  sorte  que 
dans  la  statue  «  tout  transparaît,  rien  ne  paraît  ».  Quant  à  l'œuvre 
capitale  du  maître,  Cc'uifure  dorée,  qui  contribua  pour  lui  à  la 
«  bonne  renommée  »,  dédaignée  par  son  sujet,  elle  est  la  synthèse 
de  plusieurs  beautés  aristocratiques  :  l'une  a  prêté  la  finesse  de  sa 


276  Li:S     SKI?>S     DANS     I.    IIISIOIIiK 


main,  une  autre  la  cambrure  de  son  pied;  une  troisième  posa 
j)Our  la  taille,  d'autres  pour  «  tout  ce  que  l'on  peut  rê- 
ver !  )). 

La  brune  Coralie  Brache,  danseuse  à  l'Opéra,  une  merveille 
de  beauté  et  de  grâce,  passe  pour  avoir  prêté  les  traits  de  son 
visage  et  les  ondulations  de  son  corps  à  la  Vh-ifr  de  J.-J.  Lefèvre^ 
que  chacun  peut  admirer  au  Louvre;  mais  le  maître,  tenu  au 
secret  professionnel,  nie  le  fait  et  semble  même  ignorer  jusqu'au 
nom  de  la  savoureuse  ballerine. 

Un  portrait  de  femme,  attribué  à  Courbet,  dont  la  chaude  carna- 
tion et  l'ampleur  des  formes  rappellent  celles  de  la  Femme  au 
pei-roquct,  en  plus  habillée,  exhibe  une  poitrine  sans  peur  et 
sans  reproche;  mais  la  coquette  rosit  de  tant  d'audace  et  cache 
sa  figure  rieuse,  à  la  façon  des  Orientales  ou  des  autruches 
(fig.  182). 

De  toutes  les  publications  illustrées,  d'après  nature,  Piiiis  la 
nuit.,  de  la  collection  du  Panorama,  est  celle  qui  reproduit,  avec 
le  plus  de  vérité,  les  charmes  secrets  de  nos  séduisantes  actrices 
ou  professionnelles-beautés.  La  plus  audacieuse,  mais  aussi  la  plus 
voisine  de  la  perfection  est  M"^  Emelen  i^fig.  182  bis)  :  elle  expose  un 
buste  modelé  par  les  grâces  et  d'une  pureté  de  ligne  (jue  Praxitèle 
n'eut  pas  désavoué.  On  sait  que  M.  Massenet  a  donné  à  cette  artiste 
lyrique,  déjà  célèbre  à  l'étranger,  la  consécration  parisienne  qui  lui 
manquait,  en  lui  confiant  l'interprétation  du  prince  Charmant,  de 
Cciidrillon  :  son  ramage  égale  son  plumage  !  Dans  la  même  gale- 
rie figure,  avec  honneur,  la  gloire  des  tableaux  vivants,  Suzanne 
Duvernois,  dont  la  pose  de  prédilection  est  celle  de  la  D/aar  au 
bain  (fig.  182  ter).  Lise  Fleuron  et  sa  sœur  Méaty,  autre  belle  de 
nuit,  nous  montrent  tous  les  trésors  que  peuvent  avantager  ces  atti- 
tudes hardies,  savamment  inclinées  et  fort  appréciées  des  «  plon- 
geurs )j. 

A  la  vitrine  des  marchands  de  photographies  sont  exposés  les 
charmes  de  demi-mondaines  ou  de  théàtreuses  réservés  à  l'intimité. 
La  captivante  Marville,  ReuiYinger  fecit,  se  cambre  ainsi  nue  jus- 
qu'aux hanches,  sans  le  moindre  maillot;  pour  tout  vêtement,  une 
guirlande  de  roses  tremières  tenue  entre  ses  doigts  appliqués  sur 
ses  mamelons.  Au  milieu  de  ces  déshabillés  aphrodisiaques,  trône 
en  souveraine  Tex-princesse  déchue,  non  «  Chimé  — rique  »,  dont 


siK    1.  K    DKCoi.  I.  i:ta(;k 


277 


nous  avons  déjà  parlé  et  qui  est  venue  s'échouer  dans  les  bras 
d'un  violoniste  tzigane  «  Rigo  —  lot  »;  elle  arbore  le  nu  complet, 
recouvert  d'un  maillot  translucide.  Ignorait-elle,  la  belle  pêciic- 
resse,  que  le  violon,  lui  aussi,  a  une  âme  et  des  nerfs,  ses  cordes  ? 
Les  poses  préférées  de  la  princesse  capiteuse  et  capitonnée,  sont 
■en  Phrvné  ou  en  Phébé,  couchée  sur  un  croissant    fig.  183). 


\x 


Fis.   1«3, 


Au  Salon  de  lUOU,  le  portrait  de  M"^  Cora  Laparcerie,  peint 
par  M.  Edouard  Zier,  a  obtenu  un  légitime  succès  d'art  et  de  curio- 
sité ;  la  comédienne  au  masque  tragique,  Ijelle  statue  dont  on  sent 
trop  le  froid  du  marbre,  apparaît  superbe  dans  son  rùle  de  lùuista^ 
enveloppée  nue  dans  des  voiles  vert-pomme  ;  à  travers  l'étofte 
légère  que  les  anciens  appelaient  <(  de  l'air  tissé  »,  s'estompent  les 
contours  de  ses  charmes  qui  fciilUrent  coûter  la  vie  à  l'un  de  nos 
jeunes  gynécologistes. 

Il  est  rare  que,  dans  les  Salons  des  beaux-arts,  nos  actrices 
exposent  d'autres  monts  que  ceux 


278 


I>KS     SKINS     DANS     I,    IIISIOIItK 


Ouen  nos  clinials  les  gens  nomment  tétons. 
Car,  quant  à  ceux  qui  sur  l'autre  hémisphère 
Sont  étendus,  plus  vastes  en  leur  tour, 
Par  révérence  on  ne  les  montre  g'uère. 

Rarement,  en  effet,  ces  «  monticules  »  ou  «  globes  d'arrière  », 
que  La  Fontaine  ne  iiominc  pas,  attirent  l'attention  du  [)ublic. 
Exceptons  Buda-Pesth,  si  Ton  en  croit  la  plaisante  aventure  arri- 

^  „ ^ée,    en    1902,   à    M""^   Arauka 

Heygi  (1).  Le  Conseil  municipal 
J  avait  commandé,  à  un  sculpteur 
émérite,  une  statue  de  la  Czai-ihi. 
qui  devait  décorer  la  façade  du 
théâtre.  Pour  symboliser  cette 
danse,  le  statuaire  n'avait  pas 
cru  pouvoir  choisir  un  plus  joli 
modèle  que  M'"''  Hegyi,  une  des 
actrices  de  Pesth  les  plus  renom- 
mées pour  son  talent  et  sa  luxu- 
riante beauté.  ]Mais  lorsqu'il 
s'agit  de  mettre  en  place  la 
statue,  on  s'aperçut  que  ses 
formes  opulentes  débordaient, 
avec  excès,  de  chaque  côté  du 
])ilier.  La  Commission  des 
Beaux-Arts,  avisée,  en  délibéra 
et  })rit  une  résolution  énergique.  Estimant  qu'une  coupure  s'im- 
posait, elle  fit  venir  un  praticien  qui,  armé  de  son  ciseau,  ramena 
en  quelques  retouches  la  plantureuse  image  de  M'""'  Heg\i  aux 
proportions  éthérées  et  modestes  d'une  jouvencelle  de  Botticelli  : 
ne  la  comparons  pas  toutefois  à  la  Ddiisc  de  Falguière,  où  nous 
ne  devons  rechercher  de  Cleo  (|ue  sa  ligure  supérieure. 

Paul  DoUfus,  l'auteur  de  Modèles  d' (irtislvs,  étrille  de  belle 
façon  les  maris  aveugles  ou  complaisants,  qui  permettent  à  leurs 
femmes  d'exposer  leur  triomphante  nudité  dans  un  costume  trop 
sendjlable  à  celui  des  pensionnaires  que  «  ^Nl"'"  Tellier  »  fait  des- 
cendre au  «  Salon  »  :  «  C'est  sans  doute  l'orgueil  de  se  dire  : 
Cette  gorge  que  vous  admirez,  cette  nuque  que  vous  contemplez, 

(Il  Le  Tlu'àlre  et  la  Mode. 


Fitr-    l«:i  b't 


s  LU     LK     DKCOLLKT  \(i  K 


279 


CCS  beautés  que  vous  devinez  et  que  la  toilette  ne  cache  pas,  tout 
cela  est  à  moi,  m'appartient.  Et  si  je  vous  permets  de  le  regarder, 
j'ai  seul  le  droit  d'y  toucher.  C'est  sans  doute  la  joie  de  se  faire 
ces  réflexions  satisfaisantes  qui  a  amené  M.  G...  à  autoriser  sa 
femme  à  se  faire  portraicturer  par  M.  Sargent,  épaules  et  bras  nus, 


FiiT.  18J  1er.  —  !t'ai)ivrt  la  liliotographif  ili'  Garrij^ues  (Tunis). 


torse  moulé  par  un  corsage  papillon,  un  sein  à  l'air,  et  l'autre  à 
peine  caché,  souligné  plutôt  par  le  corsage.  D'autres  auraient 
gardé  cette  toile  peureux.  M.  G...  a  autorisé  M.  Sargent  à  l'ex- 
poser. C'est  d'une  belle  crànerie,  et  bien  Régence  ». 

Une  «  belle  inconnue  »,  ornée  d'une  [)oitrine  digne  de  l'antique, 
a  eu  la  fantaisie,  fréquente  au  xviii'  siècle,  de  prendre  la  pose  énig- 
matique  du  sphinx,  animal  mystérieux  et  dévorant  — comnic  celui 
de  Thèbes  —  qui  personnifie  le  mieux  «  l'éternel  féminin  »  (fig.  2.j4). 


280  I,  KS     SKINS     DANS     l/lllST(>ll{K 

Sous  celte  forme  aussi  ou  sous  celle  de  tout  autre  monstre,  les 
Turcs  ol)tienncnt  le  portrait  de  leurs  épouses,  autrement  interdit 
par  le  Coran. 

M.  Leydet,  juge  d'instruction,  a  fait  saisir  des  photographies  de 
Améhe  Hélie,  dite  Casque  (/'Or,  où  la  reine  des  «  Apaches  »  lais- 
sait voir  une  gorge  par  trop  décolletée  (1).  L'éditeur  poursuivi  a 
protesté  en  objectant  que  partout  on  exhibe  des  femmes  dans  une 
tenue  plus  légère.  La  figure  183  bis  rappelle  l'attitude  et  le  déshabillé 
de  cette  tapageuse  célébrité,  qui  ne  méritait  «  ni  cet  excès  d'hon- 
neur ni  cette  indignité  ».  Mieux  partagées,  les  danseuses  algé- 
riennes et  tunisiennes  ont  toute  liberté  de  se  montrer,  en  chair  ou 
en  photographie,  nues  jusqu'à  la  ceinture  ;  cette  latitude  est  donc 
une  question  de  latitude  (fig.  183  te?'). 

La  manie  des  cartes  postales  ne  pouvait  manquer  de  s'emparer 
des  poses  plastiques  ou  des  tableaux  vivants,  avec  ou  sans  maillot; 
un  spécimen  de  la  série  ïniiUilée  Lof/cs  (/'ar/istcs  (fig.  184),  nous 
donnera  une  idée  d'un  pareil  dérèglement;  ce  groupe,  qui  pourrait 
l'aire  pendant  au  Jugement  de  Paris,  semble  réunir  un  trio  de  candi- 
dates à  un  concours  de  bustes  :  aux  plus  belles  pommes,  la  pomme  ! 

Les  photogravures  de  portraits  dénudés  s'étalent  jusque  sur  les 
couvertures  de  certains  romans  :  des  mamelles  de  bonne  volonté 
aguichent  les  acheteurs,  pour  la  grande  gloire  delà  littérature 
contemporaine  :  tels,  la  Vierr/e  de  BabyloiU',  roman  antique  de 
Prosper  Castanier;  Pauline  du  1rs  amours  d'une  j'dle  île  ferme, 
de  Georges  Beauné  ;  Sensualité  amoureuse,  de  Jean  Lorain  ;  la 
Bague  brisrc,  de  Pierre  Guedy  ;  le  Miroir  de  l'Autour,  les  Danses 
voluptueuses,  etc.,  enfin  V Encyclopédie  amoureuse  est  ornée  de 
1 32  illustrations  porno,  c'est-à-dire  photographiques. 

A  l'étranger,  mêmes  exhibitions  licencieuses  aux  vitrines  des 
marchands  d'estampes.  Sous  la  rubrique  Studii  (études),  on  vend, 
à  Milan,  des  académies  de  beautés  indigènes  dans  le  costume  le 
plus  primitif.   La  nudité   de  l'une   d'elles  est  voilée  d'un  simple 

(1)  Elle  montrait  en  entier  l'une  des  «  gourdes  »  de  son  jardin  «  i)lotager  )»  pour 
nous  servir  du  jargon  du  monde  où  la  gigolette  fréquente.  D'ailleurs  Amélie 
reconnaît  ([u'elle  a  o  le  corset  facile  »  et  n'est  pas  de  celles  que  la  nature  a  trop 
généreusement  douée  :  «  Je  connais,  écrit-elle,  bon  nombre  de  marchandes  de 
poissons  qui  seraient  très  vexées  d'avoir,  sous  leur  médaille,  une  paire  de  nénés 
aussi  gamins  que  ceux  que  je  ballade  avec  moi;  ...  au  reste,  Mandat  et  Leca. 
qui  sont  des  gens  de  goid,  n'auraient  point  combattu  comme  des  |)reux.  ])our 
qui'](|ue  épaisse  morue  débordant  de  toutes  parts  I  ». 


s  LU     l-i:     DKCOLLKTAdK 


281 


tablier  de  pâtissier  (fig-.  184  A/s),  plié  en  deux,  porlanl,  sur  une  plan- 
chette, ses  seins  affriolants,  au  milieu  de  pommes  naturelles,  avec 
cette  inscription  :  «  Des  pommes,  messieurs  ».  A  Rome,  sont  offertes 
des  cartes  postales  où  de  jeunes  Italiennes,  au  torse  nu,  symbolisent 
la  Force  7nofricc,  le  Tr/r/j/io/ir,  VE(rifun\  la   PJmloqrdphu'^  la 


Fi-r.  184. 


Lu))i'il'ri'  vlrclriquc,  etc.  Par  ses  attractions  féminines  exposées  aux 
étalages,  Vienne  ne  le  cède  en  rien  aux  autres  capitales  du  monde 
civilisé  et  syphilisé,  bien  au  contraire  :  si  l'on  en  croit  ^'ictor  Tis- 
sot  (1),  à  côté  du  pittoresque  cortège  d'actrices  viennoises  «  pres- 
que aussi  économiquement  vêtues  qu'Eve  avant  le  péché  «,  toutes 
les  dames  et  les  demoiselles  de  l'aristocratie  «  possédant  des  grâces 
qui  n'ont  pas  besoin  d'être  relevées  par  les  artifices  de  l'art  », 
s'exposent  aux  suffrages  des  passants  et  se  vendent  en  photogra- 
phie. Parlerons-nous  des  photographies  maquillées,  que  nous  avons 
vues  à  Bukart'st  !'  Certaine  nous  est  restée  dans  le  souvenir  :  elle 
se  composait  de  deux  personnages,  l'un  vrai,  l'autre  fictif;  le  vrai 

(h   Vienne  el  lu  cic  cieituoise. 


282 


I,  K  S     S  K  1  N  S     DANS     1.    Il  I  S  T  0  I  II  R 


était  une  jeune  déclanchée,  dans  le  simple  appareil,  occupée  à  lire 
ou  relire,  aux  pieds  de  son  lit,  une  épître  enflammée,  tandis  qu'un 
vieux  voyeur  —  celui-là  imaginaire  —  se  pâmait  d'aise  en  relu- 
f|uanl,  par  le  trou  de  la  serrure,  les  seins 

De  la  l^eauté  qui  va  se  livrer  au  sommeil. 

Comme  complément  de  cette  étude  du  nu  chez  la  femme,  nous 

parlerons  des  célébrités  mas- 


culines, dont  les  statues  mon- 
trent au  moins  leurs  mamelles, 
sinon  «  un  homme  vraiment 
nu  »  comme  dit  Cathos. 

Dans  l'antiquité,  c'était  de 
règle  :  Auguste,  Domitien, 
etc.,  étaient  représentés,  par 
la  statuaire,  en  tenue  dont 
Musset  pare  Hassan. 

A  la  Renaissance,  Michel- 
Ange  campe  Julien  de  Mé- 
dicis,  sur  son  tombeau  de  la 
chapelle  Saint-Laurent,  à 
Florence,  dans  une  nudité  à 
j)(Hi  près  complète,  mais  non 
cho([uante,  grâce  au  presti- 
gieux ciseau  du  plus  puissant 
sculpteur  que  l'art  ait  produit. 
Pour  se  venger  de  messer 
Biagio  da  Cesena,  camérier 
de  Paul  m,  (|ui  avait  dénoncé  au  pape  sa  magnifique  conception 
du  JiK/ciiicnt  dernier,  «  comme  plus  propre  à  une  salle  de  bain 
qu'à  une  chapelle  »,  Michel-Ange  le  peignit  nu,  au  milieu  des 
damnés,  sous  la  forme  de  Minos,  avec  les  oreilles  d'âne  de  Midas, 
et  un  serpent  qui  le  dévore  «  par  où  il  a  le  plus  péché  ». 

En  septembre  1770,  Pigalle  représenta  Voltaire  assis,  tejuuit  un 
rouleau  d'une  main,  ime  plume  de  l'autre,  mais  complètement  nu, 
sous  prétexte  qu'un  génie  semblable  nv  devait  pas  craindre  de 
revêtir,  devant  la  postérité,  le  costume  de  la  Vérité,  qu'il  aimait 
par-dessus  tout.  Le  seigneur  de  Ferney,  pressenti  sur  cette  fantai- 


Fiy.   184  bis. 


s  lu     i.  K     DKCO  I   1,  K  lAdK  283 


sie  d'artiste,  répondit  :  «  Nu  ou  vêtu,  il  ne  m'importe.  Je  n'inspi- 
rerai pas  d'idées  mallionnètes  aux  dames,  dr  quelque  façon  qu'on 
me  présente  à  elles  ».  Cette  œuvre  est  à  l'Institut  de  iM-ance. 

Callamard  et  Ganova  firent  de  même  pour  Bonaparte.  Le  marbre 
de  Canova  figure  un  immense  dieu  :Mars,  vêtu  seulement  d'un 
manteau  de  guerrier,  plié  et  négfigemment  jeté  sur  l'épaule  gau- 
che, mais  qui  ne  recouvre  rien  ;  son  épée  est  posée  à  côté  de  lui  ; 
il  tient,  de  la  main  droite,  une  Victoire,  et,  de  la  gauche,  un 
sceptre.  Cette  statue,  qui  ne  choquerait  pas,  s'il  s'agissait  d'A- 
j)ollon,  d'Adonis  ou  d'Antinous,  provoque  le  rire  par  sa  nudité 
outrancière,  en  raison  du  personnage  exposé  :  impossible  de  recon- 
naître dans  ce  colosse,  en  peau,  le  «  petit  caporal  »  de  la  tradi- 
tion (1).  Sa  place,  au  milieu  de  la  cour  du  musée  le  plus  important 
de  Milan,  n'est  pas  non  plus  très  bien  choisie  :  elle  fait  baisser  les 
veux  des  visiteuses  et  invite  les  visiteurs  à  la  raillerie  ;  l'un  d'eux  a 
crayonné  ces  vers  peu  luisants  sur  le  socle  : 

A  Milan,  cour  Hréra, 

Sculpté  par  Canova  (2) , 
SuryiL  Napoléon  en  costume  peu  digne  : 
Il  n'a  pour  vêtement  qu'une  feuille  de  vigne  ! 

Le  premier  mari  de  Pauline  Bonaparte,  le  général  Leclerc, 
appelé  le  «  blond  Napoléon  »,  en  raison  de  sa  ressemblance  avec 
son  beau-frère,  est  représenté  dans  sa  statue  de  Versailles,  aussi  nu 
que  Hoche,  son  voisin,  transformé  en  Léonidas  par  un  ciseau  original. 

Pajou  exécuta,  en  marbre,  Buiïon,  non  pas  avec  des  man- 
chettes, mais  tout  nu,  comme  la  Nature,  qu'il  a  scrutée  avec  autant 
d'ardeur  que  de  bonheur:  le  grand  naturaliste  est  en  compagnie 
dun  chien  de  berger  qui  lui  lèche  le  pied. 

Enfin,  nos  nécropoles,  cimetières  ou  cryptes  d'églises,  renferment 
nombre  de  monarques,  reines  ou  personnages  de  marque,  soit  en 
bronze,  soit  en  marbre,  couchés  sur  leur  sépulture,  les  seins  à  nu  ; 
thuis  cette  attitude  horizontale,  ils  ne  choquent  nullement  lœil  le 
moins  indulgent,  mais  debout,  ils  s'exposeraient,  comme  ceux  que 
nous  venons  de  nommer,  au  ridicule. 

(1)  Passe  encore  s'il  s  était  agi  de  renipereui'  lléliogabale.  (iiii  paradai!  devjuil 
ses  légions  de  Syrie,  du  hnut  d"iin  char  «  on  il  étalait  aux  yeux  sa  iiudite 
radieuse  »,  di;  Richepin. 

(2)  Le  célèbre  sculpteur  s'autorisait,  parait-il.  de  la  statue  niu-  de  Septime 
Sévère,  pour  représenter  notre  Empereur  dans  le  même  costinu(>. 


CHAPITRE  III 

SUR   LE   CORSET 


Ses  variétés.  —  Il  n'est  pas  donné  à  toutes  les  tailles  féminines 
de  mesurer  42  centimètres,  comme  celle  de  M"^  Polaire,  dont  le 
buste  squelettique  fut  longtemps  en  évidence  dans  une  vitrine  de 
la  place  de  FOpéra,  et  force  est  bien  aux  «  grenouilles  »  qui  — 
contrairement  à  celle  de  la  fable  —  veulent  se  faire  aussi  fines 
qu'une  guêpe  (1),  de  recourir  aux  appareils  constricteurs  (2)  imaginés 
pour  violenter  la  ligne  et  profaner  l'œuvre  de  la  nature  : 

Beaux  j)apilIons  manques,  qui  pour  être  plus  minces, 
Bardent  leurs  flancs  épais  d"un  corset  et  d'un  l)usc. 

En  vertu  du  pouvoir  discrétionnaire  de  la  mode,  un  type  l'em- 
porte sur  les  autres,  pour  un  temps  donné,  car  les  modes  passent 

(1)  A  liMir  iiik'iitioii,  nous  avons  modifit'  la  lable  de  La  Fontaine  : 

l,a  (iroiioiiillc  \il  un  l'icloii 

Oui  lui  sembla  de  lino  (aille. 
Elle  qui  se  U'Ouvail  grosse  comme  un  liallou, 
Iiii\ieuse.  se  serre,  el  soullVe  et  se  liavaiile 

Pour  égaler  l'animal  en  maigreur, 

Disant  :  u  —  Regarde/,  bien,  ma  sreiir, 
Est-ce  assez  ?  Dites-moi,  n'y  suis- je  poinl  encore  ? 

—  Nenni.  —  M'y  voici  donc  ?  —  l'oinl  du  loul.  —  M'y  voilà? 

—  Vous  n'en  approchez  poinl,  »   La  cliélive  pécore 

Se  serra  tant  qu'elle  creva. 

(2)  Avant  d'endiastiller  leur  gorge  dans  des  corsets  bardés  d'acier,  les 
coquettes  de  tout  lenqjs  se  sont  préoccupées,  comme  les  poupées  armaturées  du 
xviF  siècle  de 

l'resser  de  tous  cotez  lu  molli'  rorpuhMice 
D'un  sein  qui  s'émancipe  el  prend   trop  de  licence, 
Ou  faire  avec  grand  soin  rendjonror  son  étui 
Lorsque,  pour  se  ])roduire,  il  a  besoin  d'appuy. 

Les  appareils  constricteurs  variaient  selon  les  é|)0(pies  :  bandelettes,  larges 
ceintures,  chemise  ou  le  bliaut  lacés,  etc.  Nous  rappellerons,  avec  J.  Iloudoy, 
certains  auteurs  (|iii  signalent  ce  travers  :  Aristenète  (iv«  siècle)  :  Qi/aii/o  lucla- 


s  11$     1,  K     CORS  Kl' 


■285 


comme  les  caprices.  Celui  qui  tient  le  record  actuel  est  le  corset 
droit  Cil  avant,  qui  supprime  le  ventre  au  bénéfice  des  rotondités 
supérieures  et  donne  à  la  femme  Taspect  du  pigeon  boulant 
(fig.  185).  Si  l'on  en  croit  le  poète  Alexis  Isostasion,  la  courtisane 
de  rantiquit(''  connaissait  déjà  Tart  d'aplanir  son  abdomen  :  «  N'a- 
t-clle  pas  assez  de  hanches,  on  les  renfle  par  artifice,  de  sorte  que 
ceux  qui  la  voient  ne  peuvent  s'empêcher  d'admirer  cette  croupe 


Fi":.  18:; 


Yvx.  186. 


empruntée.  A-t-elle  un  gros  ventre,  grâce  à  des  ressorts  qui  l'ont 
Fetlet  des  machines  droites,  dont  se  servent  les  comédiens,  on  lui 
renfonce  le  ventre  en  arrière  ».  Rien  de  changé,  de  nos  jours,  qu(' 
le  procédé. 

Les  «  corps  »    droits    avaient    déjà   fait    leur  appariti(jn    sous 

mine  sfrophium  impellanf  sororiantes  papillœ  .'  (Avec  ((uel  effort  les  seiii.s 
jumeaux  rei)()us.seiit  le  stropinuin  !i  Sainl  Aiiseline  de  Canlorbi-ry  (xp  siècle)  : 

fiirsus  et  mie 

lu  ininhnuiii   iitaninins  col/ii/if  i/isa  sica.s. 

f...  De  nouveau  el  avec  art  elle  comprime  ses  seins  dans  le  moindre  espace). 
Enfin  on  lit  dans  le  Specnlum  nalurule.  de  Vincent  de  Beauvais  (xiii'=  siècle)  : 
Fa.scia,  cingiilain  qiio  peclus  el  papillœ  comprimunlur.  iFascia.  bandeau  au 
moyen  du(iuel  sont  comprimés  la  poitrine  et  les  seinsi. 


28  C. 


I,  KS     SKINS     DANS     I,    Il  I  S  1' ()  I  |{  K 


Ilcni-i  III  (1)  et  son  successeur,  témoin  le  buste  en  entonnoir  de 
(lahrielle  d'Estrées  (fig*.  50).  Nous  retrouverons  les  tailles  en  V  au 
xviiT  siècle  :  celle  de  M"''  de  Penthièvre,  ducliesse  d'Orléans,  est 
visible  au  Musée  de  Versailles  (fig.  dSfi;. 

Vn  couplet  d'une  chanson  de  Lep  Houss  et  Lindex.  le  \'i'/ifrn 


Fig.   186  hi.s.  —  lia|)|)i)i-ls  du  cursi'l  hal)i(iu"l  el  du  modèle  prrcoiiisr 
pai'  M">=  Gaches-Sarrauto  (:2). 


ni  exil,    l'ait  allusion  à   cette   mode   prohibitive    de  l'embonpoint 
abdominal  qui  avantage  le  haut  et  n'trécit  le  bas  : 

La  Femme  alors  supprima  ses  viscères, 
Plus  d"appétits,  surtout  plus  de  petits... 
Ah!  sanglez  bien  vos  entrailles  de  mères. 
Dans  les  corsets  de  Monsieui-  l.i'oty  ! 

Le  crayon  malicieux  de  E.  Barcet  (ast'ujdt  ndvndo  le  même 
ostracisme  :  Une  cliente  se  plaint  cà  son  docteur  de  souffrir  du 
ventre  :  «  —  Pourquoi,  répond  l'homme  de  l'art,  n'essavez-vous 


ili  Anecil.   /lis/.,  fig.  1:;7,   l.^M. 

(■2i    Les   fii^iircs   186  /ti.s   cl    /er   suul    tirées   de   l'ouvrage   de   M"'^'   la  docloressc 
(iaehes-Sarrauie  :  Le  Corse/,  é/uc/e  p/ii/siolof/iqt/e  e/  pmti(/ue  :  Massiui.  édit. 


SIM    i,K    (.oMsr.  r 


287 


pas  du  corset  à  la  mode?  Il  le  supprime  !   C'est  plus  simple  ». 

Donc  le  corset  droit  ou  abdominal ,  dont  la  foi-mule  pourrait  être  : 

«  Rentrez-moi  ceci,  sortez-moi  cela  »,  fait  remonter  le  ventre,  mais 


Fig.  lt>()  /t 


(Jn-st't  ancien  et  modi  le  Gaches-Sarrauli-. 


il  empêche  —  contrairement  aux  corsets  llioraciqucs  —  la  com- 
pression fie  l'estomac  et  des  côtes  ;  tels  sont  les  avantages  du  cor- 
set hygiéni(|ue  inventé  par  une  doctoresse,  M"'"  Gaches-Sarraute. 
Une  seule  objection  sérieuse  à  ce  corset  abdominal  :  il  ne  soutient 
pas  les  seins  ;  les  femmes  ne  peuvent  admettre  que  ces  tumeurs 
pectorales  soient  al)andonnées  à  leur  propre  poids.  Mais  notre  émi- 


288 


LK  S     SKINS     DANS     \.    H  I  S  T  (>  I  li  K 


nciitc  pralicicnne  ne  s'arrête  pas  à  cette  critique  :  l'expérience  lui 
a  démontré  que  beaucoup  ont  besoin  d'avoir  le  ventre  soutenu  et 
que  bien  peu  ont  les  mamelles  assez  volumineuses  pour  réclamer 


Fig.   1S8. 


un  tuteur  ;  aux  femmes  mieux  pourvues,  elle  conseille  une  bras- 
sière spéciale. 

Une  autre  doctoresse,  M^^"  Tylicka,  a  consacré  sa  thèse  (1)  à  la 
question  du  corset,  que  Fauteur  considère  comme  un  détestable 
instrument  de  supplice.  La  terrible  révolutionnaire  propose  aussi 
de  le  remplacer  par  une  brassière  en  toile  forte,  à  l'exemple  des 
Arlt'siennes.  En  cas  de  maiu'reur  excessive,  notre  intransjoeante 


(Il  Ihi  Corst'I.  ,v('.s-  itH'l'ails  ait  point  de  vite  /ii/i/U'iiii/iie  cl  pal/iolof/i(/ii(%  (l.S'J9). 


sua     LE     COItSKT 


289 


conseille  Fusage  de  bretelles  ;  concession  facile  quand  on  port(> 
déjà  la  culotte.  Le  jjort  de  la  l)rassière,  comme  aux  enfants,  nous 
sourit  assez  ;  les  femmes  à  tous  les  âges  ne  sont-elles  pas  de  grands 
enfants  : 

La  femme,  enfant  malade  et  douze  fois  impure, 
a  dit  Fun  de  leurs  apologistes. 


Fier.  isi). 


Fi".  190. 


^I""  Olga  de  Grimewitch,  encore  une  doctoresse,  d'origine 
slave,  a  préconisé  «  le  Callimaste  »,  en  grec  «  beauté  des  seins  », 
Ce  corselet  est  une  sorte  de  suspensoir  des  seins,  formé  de  bandes 
en  tissu  élastique  analogue  au  «  crêpe  Volpeau  »  ;  harnais  léger 
qui  a  au  moins  l'avantage  d'être  peu  encombrant  (fig.  1S7).  Dans 
les  vitrines  de  l'Exposition,  cet  appareil  suspenseur  (Hait  appliqué 
sur  un  buste  de  Diane  (fig.  188),  dont  les  formes  rigides  et  mesu- 
rées semblaient  protester  sous  cet  accessoire  humiliant. 


LES    SEINS    U.WS    I,  HISTOIllE. 


290  LKS     SKIXS     DANS     I.     IIISrolltK 

Du  reste,  dans  toutes  ces  innovations,  les  brassières  tiennent  la 
corde,  avec  les  sous-ventrières  ;  leur  vocaljle  varie  suivant  les 
fabricants.  C'est  ainsi  que  nous  avons  les  Srrrcltrs,  de  A.  Clave- 
rie  ;  le  Prri  (fig.  181)),  sa  discrétion  est  telle  qu'il  «  glisse  sans 
appuyer  »  sur  les  organes  essentiels  de  la  digestion  ;  il  a,  en  outre, 
la  prétention  «  de  mettre  d'accord  la  Faculté  et  Félégance  »  :  l'élé- 
gance, soit;  mais  la  Faculté...  bien  difficile  !  Continuons  l'inven- 
taire. 

Le  corset  de  la  Doctoresse,  simple  bande  mammaire,  a  eu  l'hon- 
neur d'être  adopté  par  M"'"  Wanda  de  Boncza,  des  Français,  dont 
la  taille  fluette  avait  plutôt  besoin  de  postiches  ;  l'Invisible,  YIdéai, 
autre  support,  muni  de  bretelles  légères,  utilisé  surtout  pour  le 
peignoir  ou  la  robe  Empire  ;  la  Brassière  Darbo-Goguey,  de  jour 
et  de  nuit,  de  chambre  et  de  voyage;  le  Mamellia,  de  la  Samari- 
taine; le  Corselet-gorge  de  M™'' veuve  Cadolle  (fig.  190).  La  bras- 
sière Sylphide  permet  d'obtenir  «  l'allure  du  jour  et  ce  joli  mou- 
vement en  avant  qui  caractérise  les  Parisiennes  «.  En  avant, 
marche  !  Avis  aux  ((  marcheurs  «.  Le  Sa/is-Gène,  en  tissu  élas- 
tique d'une  seule  pièce,  avoue  quelques  baleines,  mais  «  garanties 
neuves  j),  ce  qui  implique  que  les  baleines  des  vieux  corsets  res- 
servent à  perpétuité,  tout  comme  le  castor  et  la  pluche  de  nos 
vieux  chapeaux. 

h' Expans ihle  se  décerne  modestement  le  brevet  de  «  corset 
scientifique  »  par  excellence.  C'est  un  moule  «  euplastique  »  en 
tissu  tout  d'une  pièce  aussi  et  sans  couture;  grâce  à  lui,  «  la  taille, 
jadis  empâtée,  s'allonge  et  s'affine  n  ;  avantage  fort  appréciable 
pour  les  Célimènes  sur  le  retour.  ^  Avec  une  coupe  légèrement 
modifiée  »,  cet  accapareur  remplace  la  ceinture  hypogastrique  et 
devient  YAntiptosiqae.  Autre  appellation  non  moins  pédante, 
quelque  peu  torturée  pour  une  sous-ventrière  :  le  Scientifique  de 
santé,  formé  de  trois  sangles  élastiques  sous-ombilicales  ;  même 
critique  pour  le  Doctoresse  [sic]  et  le  Doctorat  (re  sic],  édifiés  sur 
les  principes  de  M"*"  Gaches-Sarraute.  Quand  nous  aurons  signalé 
le  Mystère,  lancé  en  octobre  1899,  et  la  Jupe  corselet,  imaginée 
par  M.  Dœuillet,  nous  n'aurons  passé  sous  silence,  croyons-nous, 
aucune  création  baleinièi-e  importante  (1).  Pour  la  bonne  bouche, 

(1)  Nous   allions  oublier  la  dernière  création  de    Léoty,  (jui  est  un  ajjpareil 
intermédiaire  entre  les  corsets  ordinaires  et  les  ceintures  ortho])édiques  :  l'idée 


SUR     LK     COHSKT 


291 


nous  réservons  la  curieuse  VcIhIuic  (l'allailfiiwnt^  de  la  maison 
Alibert  (fig.  191,  192)  ;  celte  brassière  de  toile  «  empêche  la  délbr- 
mation  des  seins  et  permet  d'allaiter  sans  ôter  la  ceinture  »,  à  la 
satisfaction  de  la  coquetterie  et  de  la  pudibonderie,  bien  qu'il  soit, 
pensons-nous,  plus  immoral  de  montrer  les  bouts  que  le  tout.  Il 
va  sans  dire  que  M™""  Alibert,  la  géniale  créatrice  de  cette  trou- 
vaille, et  dont  la  maison  mère  est  à  Paris,  possède  une  succursale  à 


Fie.  101. 


Fis.   192. 


Londres  :  un  semblable  masque  doit  avoir  le  plus  grand  succès 
dans  cette  pudique  et  hypocrite  Albion  où,  paraît-il,  nombre  de 
prudes,  mariées,  revêtent  des  chemi&es  de  nuit  avec  fente  dis- 
crète (1). 

Dans  le  même  pays,  d'après  le  D'  Stratz,  le  trousseau  de  toute 
jeune   mariée   renferme  une  ceinture  qui   s'adapte  à   sa  taille  et 


iiioie  vieiil  d'ailleur.s  d'un  praticien  de  la  Faculté  de  Lyon,  le  D'  &enevet.  Ses 
avantages  sont  ceux  de  toutes  les  sangles  ventrières,  puisqu'il  en  est  muni;  en 
se  confondant  avec  le  corset,  la  ceinture  peut  se  passer  de  sous-cuisses  :  le 
buse  en  lait  l'office  et  l'empêche  de  remonter. 

(1)  La  même  maison  établit  ses  corsets  droits  abdoniinau.x  —  dont  elle  reven- 
dique la  ijriorité  (1894) —  d'après  «  mannequin  moulé  sur  modèle  vivant  »: 
qu'on  se  le  dise. 


2'J2  I.  KS     sr,  l.\S     DANS     I.    HISTOlUi: 

qu'elle  porte  dès  le  jour  de  son  accouchement,  pour  conserver  ses 
formes  juvéniles.  Au  dire  du  même  auteur,  les  Indiennes  se  san- 
glent aussi  fortement  le  ventre  après  leurs  couches,  avec  la  ç/urita 
javanaise  (fig.  193).  Ce  bandage  descend  au  milieu  de  la  cuisse 
et  se  compose  de  deux  pièces  de  toile  superposées  et  cousues  en 
leur  milieu;  celle  de  dessous  est  unie  et  les  extrémités  de  Tautre 
sont  divisées  en  une  dizaine  de  lanières  que  l'on  serre  à  volonté. 

Les  méfaits  du  corset.  —  La  nature,  pour  soutenir  et  proté- 
ger nos  organes,  nous  a  gratifié  d'un  corset  osseux  et  cartilagi- 
neux, la  cage  thoracique,  où  les  baleines  sont  remplacées  par  les 
côtes  et  le  buse  parle  sternum  ;  mais  des  industriels  avides  et  cou- 
pables ont  imaginé  un  corset  secondaire,  artificiel,  qui  donne  aux 
déshérités  :  taille  mince  et  cambrée,  hanches  et  gorge  saillantes. 
Tout  au  plus  le  corset  ne  devrait-il  servir  qu'à  soutenir  le  ventre  et 
les  jupes,  mais  il  est  devenu  un  instrument  de  parure  et  surtout  de 
torture.  «  La  Parisienne,  dit  le  D''  Bertherand,  ne  comprend  pas 
qu'une  Chinoise  se  brise  les  pieds  pour  être  à  la  mode  de  Pékin,  et 
elle  se  brise  l'estomac  pour  être  à  la  mode  de  Paris  »  ;  or,  la  sno- 
binette  parisienne  donne  le  la  du  «  chic  »  à  tous  les  mannequins 
féminins  de  France  et  de  l'étranger,  et,  à  son  mauvais  exemple, 
les  brebis  cosmopolites  de  Panurge  se  «  brisent  «  le  torse  avec 
ensemble  et  conviction.  Gomme  notre  confrère  J.  Dernier,  qui  vivait 
dans  la  seconde  moitié  du  xvii''  siècle,  nous  demanderons,  inutile- 
ment d'ailleurs,  aux  suppliciées  volontaires,  s'il  «  ne  vaudroit  pas 
mieux  paroître  un  peu  moins  grande  et  moins  droite  que  de 
s'écraser  les  poulmons,  par  une  vanité  dont  on  peut  bien  dire  : 

(Juid  non.  mortalia  pcctora  cogi^? 

(A  quoi  ne  pousses-tu  pas  ■  les  poitrines  mortelles?)  Voilà  une 
plaisante  interprétation  d'un  vers  bien  connu  (1). 

Au  sévère  et  long  réquisitoire  que  nous  avons  dressé  ailleurs  (2) 
contre  les  tailles  ficelées  et  saucissonnées,  nous  n'avons  à  ajouter  ici 
que  peu  de  détails.  M'"'  Tylicka,  qui  était  à  même  de  faire  des 
essais  in  anima  rili  —  on  n'est  jamais  trahi  que  par  les  seins, 
pardon,  les  siens  —  soutit^nt  et  démontre,  dans  sa  thèse,  que  le 

(1)  Virgile:  Enéide.  Liv.  III,  v.  56. 

(2)  Anecd.  hisL.  p.  30-  et  suiv. 


sri«    I,  K.   coKSK.r 


293 


corset  est  un  accessoire  de  toilette  antihygiénique,  qui  refoule  en 
dedans  les  cinq  ou  six  dernières  côtes,  provoque  des  troubles  fonc- 
tionnels de  tous  les  organes  thoraciques  et  abdominaux,  et  elle  con- 
clut à  sa  suppression  radicale  :  la  mort  sans  phrases.  Les  enfants 
des  Steppes  ont  une  horreur  instinctive  des  entraves. 

Autre  inconvénient  signalé  par  M™''  Gaches-Sarraute  :  les  gous- 
sets du  corset,  faits  d'une  étoffe  imperméable,  favorisent  Faccumu- 
lation  de  la  sueur  au-dessous  de  la  glande  mammaire  et  s'opposent 
à  Télimination  des  sécrétions  sudorales,  ce  qui  nuit  à  la  nuti'ition 
de  l'organe.  Mais  c'est  surtout  l'ap- 
pareil digestif  qui  souffre  de  la  cons- 
triction,  d'autant  plus  que  les  ma- 
lades évitent,  avec  intention,  de 
signaler  leurs  malaises.  «  Elles  ne 
veulent  pas  avoir  mal  à  l'estomac, 
ajoute  la  doctoresse,  et  accusent 
volontiers  leur  système  nerveux, 
de  peur  de  voir  toucher  à  leur 
corset  ».  De  fait,  une  femme  «  n'avoue 
jamais  »  qu'elle  se  serre  ;  il  faut, 
avant  tout,  ne  pas  paraître  énorme. 
Certes  Avinain  ne  se  doutait  guère, 
en  lançant  à  ses  émules  son  fameux 

conseil  ultime,  que   la  gent  féminine   l'appliquerait  surtout  à  sa 
toilette  ^ 

Un  nouveau  danger  du  corset  :  les  jeunes  coquettes,  pour  faire 
fine  taille,  se  privent  non  seulement  de  nourriture  et  s'exposent  à 
tous  les  inconvénients  d'une  alimentation  insuffisante  (chloro-ané- 
mie,  neurasthénie,  syncopes,  vapeurs  [2),  gastralgie,   entéralgie, 

(Il  .MM.  Roth  et  Ghapotot  ont  montré  les  déformations  que  subit  le  squelette 
sous  l'influence  du  corset  inextensible  et  le  D>-  Laborde  a  présenté  à  rAcadémit- 
de  médecine  des  épreuves  radiographiques  concluantes. 

M.  Haniy  a  communiqué  à  l'Académie  une  note  relative  à  un  squelette  de 
fenniie  du  .xviii»  siècle,  présentant  des  déformations  du  thora.x  causées  par 
l'emploi  du  corset  :  courbure  e.xagérée  du  sternum,  torsion  des  cartilages  cos- 
taux, rétrécissement  du  thorax,  en  certains  points,  qui  peut  se  chiffrer  par  la 
proportion  de  29  p.  100  du  diamètre  habituel;  c'est  un  exemple  curieux  des 
aberrations  des  anciennes  modes.  {Le  mouvement  thérapeutique.) 

(2)  Voici  daprès  H.  France,  les  différentes  recettes,  employées  en  Angleterre, 
contre  les  vapeurs  [low  spirlts  ou  esprits  affaisés).  suivant  leurs  causes  :  colère, 
assa  fœtida  ;  jalousie,  corne  de  cerf  (un  souvenir  delà  médecine  des  signatures  : 


Fig.  l'J3. 


294  LKS     SKINS     DANS     i/hISTOIKK 

dyspepsie  flatulentc,  vomitante,  etc.),  mais  encore  font  des  «  repas 
de  mouton  »,  c'est-à-dire  suivent  à  la  lettre  le  «  régime  sec  »  et 
suppriment  toute  boisson;  résultat:  avec  (pielques  centimètres  de 
taille,  elles  gagnent  souvent  une  appendicite.  C'est,  nous  le 
savons,  la  cause  de  la  mort  de  la  séduisante  actrice  des  Français, 
dont  nous  venons  de  parler,  et  qui  était  si  fière  de  la  finesse  de 
sa  taille.  Cave  an  t  fcmcllœ  ! 

La  constriction  du  corset  est,  suivant  les  docteurs  Richer  et 
Stratz,  une  dos  causes  principales  de  l'accumulation  de  la  graisse 
aux  hanches  et  aux  cuisses  des  Européennes.  Cette  constriction 
transforme,  de  plus,  l'estomac  en  gourde  et  trace  sur  le  foie  deux 
sortes  do  sillons  artificiels  (1).  Mais  le  D'  Liicke  ne  s'expose-t-il 
pas  au  reproche  de  vouloir  trop  prouver,  en  accusant  les  jarretelles, 
qui  relient  les  bas  au  corset,  de  dévier  les  jambes  ? 

Rappelons  enfin,  avec  Pinard,  qu'il  n'y  a  pas  de  meilleur  instru- 
ment abortif  que  le  corset  :  il  décolle  l'œuf  et  l'expulse  avec  la 
plus  grande  facihté  :  tato,  ri  là  et  jacundc  ;  avis  aux  matrices 
amatrices.  Gerdy  a  rapporté  l'observation  d'une  actrice  de  l'Odéon 
qui,  pour  dissimuler  sa  grossesse,  se  faisait  sangler  outre  mesure 
avant  d'entrer  en  scène  :  un  soir,  la  constriction  fut  telle  qu'elle 
succomba  à  son  imprudente  coquetterie. 

Faits  divers.  —  Antiquité  du  corset.  —  Une  statuette  en 
bronze,  trouvée  dans  les  fouilles  de  Troie  ^3;,  montre  une  femme 
en  cheveux,  dont  le  vêtement,  composé  d'un  corsage  ajusté  et 
d'une  jupe  à  volants  phssés,  est  beaucoup  plus  voisin  du  costume 
moderne  que  de  celui  des  Athéniennes  du  temps  de  Périclès.  C'est 
pourtant  ainsi  que  les  femmes  s'habillaient  en  Grèce,  vers  le 
xvif  siècle,  avant  Jésus-Christ. 

Déjà  le  cJiitonisque  (/j.-zbiviTy.oq),  corsage  ajusté,  se  portait  tan- 
tôt sur  le  chiton,  sorte  de  camisole  sans  manches,  tantôt  et  plus 
souvent  sous  ce  vêtement.  Un  bas-relief  tout  récemment  découvert 


cornes   j)ar  cornes)  :  accès   de  mère,    plumes   brûlées  :  chaussures  étroites   ou 
corsets  serré.'»,  un  verre  d'eau-de-vie. 

(1)  Voir  Traité  J'Anatomie  du  I)''  l'iiirier. 

(2)  Le  mouvemeni  tliérapeuHque. 

(3)  Reproduite  dans  VHisloire  de  l'arl  de  l'errot  el  Ciiipiez  (VF.  (ig.  350)  et  dans 
la  Vie  publique  el  privée  des  Crées  et  des  Romains,  de  G.  Fougères". 


SUR    1.  K    r.OIiSKT  29S 


en  Crète,  dans  le  palais  du  roi  Minos,  confirme  ce  détail  de  cos- 
tume (i). 

En  Etrurie,  on  se  faisait  une  fine  taille  par  des  artifices  de  toi- 
lette, faciles  à  distinguer  sur  une  pâte  antique,  dans  le  portrait  d'une 
femme  étrusque,  nommée  Scylla  :  le  corps  se  rétrécit  au-dessus 
des  hanches  comme  s'il  était  maintenu  dans  un  corset  (2). 

Autrefois,  les  femmes  turques  croyaient  (jue  le  corset  était  une 
sorte  de  cuirasse,  imposée  par  les  maris  à  leurs  femmes,  pour 
s'assurer  de  leur  fidélité  et  dont  eux  seuls  avaient  la  clef,  comme 
pour  les  ceintures  de  chasteté  ou  «  anneaux  de  Venise  ». 

D'après  Gaston  Deschamps,  dès  que  le  corset  moderne  fit  son 
apparition  sur  les  côtes  de  la  mer  Egée,  les  lettrés  l'appelèrent 
(7TT,f)ôo£7[ji.o;,  littéralement,  le  lien  de  la  poitrine  ;  mais  les  Athé- 
niennes trouvent  ce  mot  trop  long  et  trop  savant  :  elles  disent  de 
préférence  t6  y.ozni. 

Armures  de  femmes.  —  Les  voussures  des  seins,  au  dire  du 
bil^liophile  Jacob,  n'étaient  pas  indiquées  dans  la  cuirasse  que  por- 
taient jadis  quelques  femmes  guerrières.  11  en  était  de  cette  partie 
des  armures  féminines  comme  des  corsets  en  fer  du  musée  de 
Cluny  (3)  :  une  voussure  unique  du  poitrail  métallique  emboîtait 
les  deux  mamelles  et  leur  permettait  de  s'entrechoquer  au  galop 
des  haquenées.  C'est  ainsi  que  les  sculpteurs  et  les  peintres  façon- 
nent la  cuirasse  de  Jeanne  d'Arc.  Fredk.  Graves,  dans  le  portrait 
de  l'héroïne,  observe  la  tradition,  mais  agrémente  son  armure  de 
deux  boutons  en  fer,  correspondant  à  ceux  des  seins.  Cependant, 
Misson,  en  lt)88,  dit  avoir  remarqué  au  petit  arsenal  du  Palais 
royal  de  Gênes,  quelques  cuirasses  faites  pour  des  femmes  «  comme 
on  en  peut  Juger  par  la  forme  du  sein  ».  Elles  auraient  servi,  en 
1301,  à  de  nobles  Génoises,  dans  une  croisade  contre  les  Turcs. 
Le  président  De  Brosses,  qui  a  vu  ces  cuirasses,  trouve  que  «  les 
corps  en  sont  larges  et  courts  et  ridiculeusement  bossus  par  devant. 
On  dit  que  c'est  à  cause  des  tétons.  S'il  est  vrai,  ces  braves  cheva- 
lières les  portaient  gros  et  pendants  »,  11  y  en  avait  32  ;  elles  ont 
été  vendues,  en  181."),  au  prix  de  la  vieille  ferraille,  par  les  Anglais 

(1)  Revue  de  Paris,  15  mars  1902. 

(2)  Voir  Winckelmann.  Hist.  de  l'art  chez  les  anciens. 

(3)  Anecd.  hisf.,  fig.  153,156. 


296  LKS     SEINS     DANS     I.    H  I  S  T  (>  I  R  K 

qui  tenaient  Gènes.  «  Une  seule,  dit  Alexandre  Dumas,  a  échappé 
à  cette  spéculation  de  laquais,  encore  ne  m'a-t-elle  point  paru 
bien  authentique.  » 

En  terme  militaire,  on  appelle  «  tétine  »  de  cuirasse  la  saillie 
interne  produite  par  une  balle  qui  s'amortit  sur  cette  armure. 

Licences  des  tailleurs  de  corps.  —  Au  x\ m''  siècle,  oîi  «  le 
tailleur  pour  femmes  »  faisait  fureur,  les  satiriques  de  la  plume  et 
du  crayon  ont  eu  beau  jeu  (  l)  ;  telle  l'estampe  du  Tailleur  (fîg.  194) 
qui  ((  serre  »  de  près  le  «  corps  »  de  sa  cliente.  Le  D'  René  Fau- 
velle  rappelle,  dans  les  Etudiants  en  méilccine  sous  le  Grand  Roi, 
d'après  le  passage  du  Gar^e  toac/ié,  imprimé  en  1612,  les  pri- 
vautés que  se  permettaient  les  tailleurs  pour  dames  : 

La  jeune  fille  s"étant  plainte  que  son  corps  la  pressoit  un  peu  d'en 
haut,  le  tailleur  le  tira  avec  les  dents  par  devant  pour  lui  faire  pren- 
dre la  l'orme  qu'il  devoit. 

Ces  chevaliers  du  buse  et  de  la  couture  étaient,  depuis  long- 
temps, couturiers...  pardon,  coutumiers  du  fait,  comme  le  constate 
une  scène  de  la  Farce  du  Couturier  :  11  faut,  dit  la  <(  Chambe- 
riere  », 

Il  fault,  sire,  que  vous  soyez 

Mon  cousturier;  mais  je  vouldroye 

Que  ce  fust  hien  fait. 

LE    COUSTURIEH 

Uue  je  voye 
Se  vostre  corps  est  droictement 
l^our  porter  un  hon  vestement. 
Guy  :  vos  hanches  sont  espesses. 
Fendue  en  corps  et  haultes  fesses, 
Je  m'esbahy  s'on  ne  se  tue. 
Quand  une'foys  serez  vestue, 
A  vous  avoir  en  mariage. 

Sur  les  lacets.  —  Avant  l'importation  des  corsets  italiens,  par 
Catherine  de  ^Nlédicis,  le  lacet  était  l'agent  de  constriction  des 
bustes  féminins.  Au  xn*^  siècle,  déjà,  on  recherche  les  tailles  fines; 
et  la  cotte  hardie  moule  si  hardiment  les  corps  des  élégantes  de 

(1)  Anecd.  hist..  fig.  169. 


sri{    M-:    ('. uKsirr 


297 


Tépoquc,  qu'elles  semblent  cousues  dans  leurs  robes.  Un  siècle 
plus  tard,  sous  Louis  XI,  les  lacets  continuent  à  étrangler  la  taille  : 
«  Les  robes  sont  si  étroites  par  le  faux  du  rorjfs^  écrit  Pierre  des 
Gros,  que  à  peine  peuvent  les  dames  dedans  respirer  et  souventes 
fois  grand  douleur  y  souffrent,  pour  faire  le  corps  menu.  » 

Au  pays  d'origine  du  corset,  les  lacets  jouaient  un  rôle  prépon- 
dérant dans  la  toilette  des  dames.  Du  \if  au  xviii"  siècle,  les  riciies 


\    I 


Fig.   l'.U. 

Vénitiennes  avaient  sous  le  /laZ/ho//,  longue  tunique  sans  manches, 
la  jje/lorina,  corsage  ou  justaucorps  ouvert  sur  la  poitrine  et 
retenu  avec  des  lacets,  qui  laissaient  entrevoir  la  gorge  (1).  Au 
xvi'  siècle,  Michel- Ange  affuble  le  torse  nu  de  sa  Slhylle  Lihycinic, 
d'un  corselet,  lacé  sur  le  côté,  mais  trop  court  pour  contenir  ses 
seins.  Le  peintre  Preti  habille  son  Hêciibi',  arciKjlant  le  roi  de 
Thrace  Polynincstor,  d'un  corsage  analogue.  La  Lucrèce  de 
Quentin  Matsys,  porte  une  robe  lacée  en  avant  Tig.  4(1) ,  et  dans 
un  tableau  de  Bassano,    nous  retrouvons  le    même  lacet  sur  la 


(1)  Rossi,  Raccolta  shi  eosltnni   Vcnezutni 


"298  I,  KS     SEINS    DANS    i/hISTOIRK 


vertueuse  Romaine  qui  préféra  la  mort  au  déshonneur.  Vers 
la  lin  du  wiT  siècle,  les  corsages  des  Anconitaines  étaient  lacés  de 
quatre  côtés  et  j)ar  conséquent  taillés  en  tulipe,  comme  ceux  des 
courtisanes  vénitiennes. 

En  France,  sous  Louis  XII,  la  robe  était  souvent  lacée  par 
devant,  comme  dans  le  costume  génois,  introduit  à  la  cour  vers 
cette  époque  :  on  imitait  la  belle  Thomassine  Spinola  qui,  à  Gênes, 
s'é])rit  follement  du  roi  et  sollicita  le  titre  de  sa  maîtresse  de  cœur, 
en  lui  offrant  celui  à^iiitetidio.  On  sait  qu'elle  mourut  de  douleur 
au  bruit  de  la  mort  du  roi  ;  le  «  Père  du  peuple  »  la  pleura,  mais 
n'en  mourut  pas.  La  figure  93,  que  nous  empruntons,  avec  les 
détails  précédents,  au  bibliophile  Jacob,  est  copiée  sur  une 
estampe  italienne  de  loOO.  La  robe  est  fort  échancrée  et  lacée 
par  devant;  elle  laisse  entrevoir  la  chemisette  blanche  dont  les 
dessins  sont  d'or  comme  le  lacet. 

Au  xvii*'  siècle,  le  corset  portait  double  laçage,  un  devant, 
l'autre  en  arrière;  et,  pour  le  retirer,  il  suffisait  de  défaire  l'un  des 
lacets;  ainsi  procède  la  Courtisane  amoureuse,  Constance,  des 
Contes  de  la  Fontaine  :  pressée  de  se  délacer,  elle  a  recours  à  un 
poignard  : 

Le  prend,  le  tire  et  coupe  ses  habits. 
Corps  piqué  d"or,  garnitures  de  prix. 

.\os  pécheresses  contem])oraines  n'ont  plus  de  ces  impatiences 
pour  ouvrir  leur  corset:  il  leur  suffit  de  dégraffer  le  buse. 

C'est  surtout  au  xviii"  siècle  que  les  lacets  firent  fureur.  En 
4  7(i2,  J.-J.  Rousseau,  s'imaginant  «  qu'il  ne  pouvait  prendre  la 
plume  sans  alarmer  toutes  les  puissances  de  l'Europe  w,  résolut 
de  ne  plus  écrire  et  «  l'ours  »,  mal  léché,  que  M™"  d'Épinay  avait 
eu  l'habileté  de  prendre  dans  ses  lacets,  se  mit  à  en  faire. 
M'"'  D'ivernois,  fille  du  procureur  général  de  Neufchatel  lui  fit 
demander,  pour  le  jour  de  ses  noces,  un  lacet  de  sa  façon  ;  il  lui 
envoya  le  premier  qu'il  confectionna,  avec  ce  billet  :  «  Le  voilà, 
Mademoiselle,  ce  beau  })résent  que  vous  avez  désiré.  S'il  s'v  trouve 
du  superflu,  faites,  en  bonne  ménagère,  qu'il  ait  bientôt  son 
emploi.  Portez  sous  d'heureux  auspices  cet  emblème  des  liens  de 
douceur  et  d'amour,  dont  vous  tiendrez  enlacé  votre  heureux 
époux,  et  songez  qu'en  portant  un  lacet  tissu  par  la  main  qui  traça 


s  rit    1.  K   coRSi-yr 


299 


les  devoirs  des  mères,  c'est  s'engager  à  les  remplir.  >>  Il  fit  le 
même  présent  à  la  sœur  cadette,  Isabelle,  qui  «  ne  la  pas  moins 
mérité  par  l'intention  ;  mais,  elle  n'a  pas  eu  le  bonheur  de  pouvoir 
faire  sa  volonté  ». 

S'agit-il  de  lacets  pour  robes  ou  pour  corsets  ?  Nous  inclinons 
pour  ces  derniers  qui,  à  cette  époque,  étaient  très  longs  et  de  la 
couleur  du  corset.  Ses  nuances  toutefois  étaient  limilées,  celles  des 
étoffes  variées  à  l'infini  ;  citons,  parmi  les  plus  extravagantes,  la 
couleur  ventre  de  pue  c  en  fièrre  de  lait!  Ah  und  disee  ont  nés. 
Nous  ne  sommes  plus  au  temps  de  Clément  Marot,  où  la  couleur 
du  corset  était  différente  de  celle  des  lacets  : 

Elle  vous  avoit  un  corset 
D'un  fin  bleu,  lacé  d'un  lacet 
Jaune  (1)  qu'elle  avoit  fait  exprès. 

Les  lacets  auraient-ils  vécu?  Une  révolution  importante  dans  l'his- 
toire du  corset  s'opère  en  ce  moment  :  l'arbitre  des  élégances  cor- 
selières,  Léoty,  vient  de  lancer  un  i<  buse  »,  qui  porte  son  nom, 
pour  «  remplacer  tous  les  laçages  et  au  besoin  le  lacet  ».  Qui  vivra, 
verra. 

Corset  accusateur.  —  En  1768,  le  vicomte  de  Bolingbrok 
avait  introduit  une  demande  en  divorce  contre  sa  femme,  Diane 
Spencer,  fille  du  duc  de  Marlboroug,  accusée  d'un  commerce  adul- 
tère avec  l'écuyer  Tophan  Beauclerc  ;  Elisabeth,  la  femme  de 
chambre  de  la  vicomtesse,  fit  une  déposition  dont  l'exactitude  nous 
semble  contestable  :  «  Un  jour,  dit-elle,  en  la  laçant,  j'observai 
l'ampleur  de  ses  reins.  Plus  le  temps  avançait,  plus  les  deux  bouts 
de  son  corset  avaient  de  peine  à  joindre.  Au  troisième  mois,  il  me 
fut  impossible  de  les  rapprocher  ».  Elisabeth  exagère  quelque  peu: 
la  matrice  gravide  ne  s'élève  au-dessus  du  jnibis,  pour  ])rendre 
définitivement  domicile  dans  le  ventre,  qu'au  quatrième  mois  de 
la  grossesse.  Une  autre  domestique  charge  moins  sa  maîtresse  : 
«  Je  remarquai,  à  la  vérité,  un  peu  plus  d'embonpoint  dans 
Madame;    ses  corsets  ne  lui   allaient   plus  si   bien.   Une  de  ses 

(1)  Le  jaune,  dans  le  blason  des  couhMirs.  signifiait  alors  «jouissance  »  ;  de 
nos  jours,  on  en  fait  la  couleur  des  ménages  à  trois  :  elle  n'a  donc  pas  perdu 
sa  signification. 


300  I.KS     SEINS     DANS     I.    H  I  SI' (>  I  li  F. 

femmes,  qui  avait  observé  la  crue  de  ses  reins,  me  dit  qu'elle 
était  grosse  ;  mais,  moi,  qui  n'avais  nulle  raison  de  le  croire  par 
tout  ce  que  j'avais  vu  de  sa  conduite,  je  soutins  que  la  pauvre 
dame  était  hvdropique  ».  En  effet  :  une  hydropisie  de  neut'mois  (1). 
Autrefois,  à  TOpéra  de  Paris,  on  n'eng-ageait  pas  de  femmes 
mariées,  parce  qu'elles  étaient  trop  souvent  «  incommodées  du  //tf(/ 
(le  ccintun'  et  dont  il  falloit  rhinjir  le  corps  ». 

Corsets  en  peau.  —  M"""  Tylicka  (2)  rapporte  une  anecdote, 
attribuée  à  Réveillé-Parise,  dont  Théroïne  est  une  beauté  célèbre 
sous  le  premier  Empire.  Cette  dame,  ayant  entendu  dire  que  la 
peau  de  renne  était  complètement  inextensible,  en  fit  venir  une  du 
Nord  ;  on  en  forma  un  sac,  ouvert  aux  deux  extrémités,  dans 
lequel  elle  se  fit  coudre  la  poitrine  et  le  ventre,  ce  que  les  Amé- 
ricains appellent  «  une  combinaison  ».  Mais  cette  nouvelle 
espèce  de  cilice  ne  put  être  supportée  que  peu  de  mois,  «  il  n'y  eut 
pas  moyen  de  résister  à  cause  des  suffocations  et  d'indéfinissables 
malaises  ».  Ce  maillot  inamovible,  véritable  robe  de  Nessus, 
devait  laisser  à  désirer,  surtout  sous  le  rapport  de  la  propreté. 

La  grande  époque  du  corset  en  peau  est  l'année  1877  :  la  mode 
était  à  l'extra-collant,  et  le  corset  — ■  ipso  facto  —  fut  supprimé, 
comme  tenant  trop  de  place  :  le  corsage  suffisait.  Mais  bientôt  les 
raffinées  trouvèrent  que  la  chemise  aussi  était  encombrante  et 
r  ((  inexpressible  »  suivit  le  sort  du  corset,  pour  céder  la  place  à 
la  peau  de  chevreau  savamment  ajustée,  jouant  le  rôle  de  la  mas- 
tothèque,  où  la  sarigue  renferme  ses  mamelles  et  ses  petits. 

Usages  singuliers  du  corset.  —  Lacets  et  corsets,  pour  cer- 
tains esprits,  sont  des  fétiches  de  la  plus  haute  valeur.  On  a  trouvé, 
récemment,  dans  le  lit  d'une  fille  galante,  dont  l'assassin  est  resté 
inconnu,  un  fer  à  cheval  autour  duquel  étaient  enroulés  plusieurs 
lacets  de  corsets  (3).  D'après  une  superstition,  fort  répandue  dans  la 
classe  de  la  basse  galanterie,  le  fer  à  cheval  faciliterait  les  entre- 
prises et  les  rendrait  fécondes. 

Rien  n'est  plus  superstitieux  qu'un  joucui'  ;  Alphonse  Lemonnier 

(1)  11.  France,  loc.  ci/. 

(■2)  Luc.  cit. 

(3)  Gazclte  médicale  d'Alr/érie. 


SI  II     I.  K     CdltSKT 


301 


dit  avoir  connu  un  auteur  dramatique,  «  plus  joueur  que  joué  », 
qui  n'allait  jamais  au  cercle,  sans  porter  sur  lui  le  corset  de  sa 
maîtresse,  une  sociétaire  de  la  Comédie-Française,  réputée  pour 
une  porte-veine,  une  mascotte.  Mais  le  corset  en  question  avait  été 
donné  par  Tactrice  à  sa  femme  de  chambre,  qui  s'en  était  servie 


?^!Wf 


Fig.  im. 

quelque  temps  avant  de  le  céder  à  Tami  en  question.  Et  malgré 
cette  souillure,  Fauteur  assurait  que  ce  corset  fétiche  lui  avait 
toujours  porté  chance. 

Dans  le  monde  où  Fon  aime,  le  corset  devient  la  poste  restante 
de  Gupidon  :  de  là,  par  allusion  à  la  nouvelle  boîte  du  service  des 
Postes,  dont  M.  Mougeot  était  le  Directeur,  le  nom  de  «  mou- 
geotte  »  (1),  donné  h  ce  dessous  de  toilette.  Une  gracieuse  com- 


il)  Kii  1S31,  unt>   «  inijotU'  »  était  déjà  synonyme  de  cachette. 


•W2  LES     SKINS     DANS     1.  "  Il  I  S  T  (»  I  II  K. 


position  de  G.  Lami  nous  montre  la  «  mougeotte  »  du  Courrier 
français  (fig.  1'.).")). 

L'auteur  des  Sœars  de  Napo/êon  raconte  une  historiette,  qui 
mentionne  le  même  usage  du  corset,  La  grande-duchesse  de  Berg, 
Caroline,  qui  avait  une  liaison  avec  le  général  Junot,  se  trouva 
subitement  indisposée  à  la  Malmaison  :  a  L'impératrice  Joséphine 
s'empressa  auprès  d'elle  pour  la  délacer  et,  en  ouvrant  son  corsage, 
une  lettre  qui  s'y  trouvait  lomi^a  à  terre.  Elle  la  ramassa  et 
reconnut  l'écriture  ;  elle  la  lui  mit  aussitôt  dans  la  main  pour  ne 
pas  être  soupçonnée  d'en  avoir  seulement  remarqué  l'écriture  et 
eut  la  délicatesse  de  la  tenir  fermée  dans  la  sienne,  pendant  tout 
le  temps  que  dura  l'évanouissement  de  sa  belle-sœur.  Lorsque 
Caroline  reprit  ses  sens,  elle  s'aperçut  de  la  discrète  attention  de 
l'impératrice  :  «  C'est  une  lettre  de  Murât  »,  dit  la  princesse,  en 
dissimulant  mal  sa  mauvaise  humour  et  en  répondant  à  une  inter- 
rogation qu'on  ne  lui  faisait  pas  ». 

Autre  anecdote,  où  le  corset  joue  encore  le  rôle  de  boîte  aux 
lettres.  Une  femme  Aversa,  dont  le  mari  venait  d'être  condamné  à 
mort,  résolut  de  demander  sa  grtàce  au  roi  Xasone  ;  à  pied,  elle 
accourt  à  Naples  :  Ferdinand  était  à  la  chasse.  La  pauvre  femme, 
harassée  de  fatigue,  s'affaisse  sur  les  marches  du  palais  roval  et 
s'endort  profondément.  De  retour,  le  roi  l'aperçoit  et,  vo^'ant  une 
pétition  dans  son  corsage,  il  la  prend,  la  lit,  puis  écrit  :  Fortuiia  e 
duorme  (la  Fortune  vient  en  dormant)  ;  il  signe  et  remet  le 
papier  où  il  l'avait  trouvé.  A  son  réveil,  la  solliciteuse  apprend  le 
retour  du  roi  et  veut  entrer  au  palais,  mais  le  garde  s'y  oppose  et 
la  malheureuse  s'en  retourne,  désespérée,  à  Aversa.  L'avocat  de 
son  mari  se  charge  alors  d'adresser  la  requête  à  un  autre  person- 
nage, lorsque  la  dépliant  machinalement,  il  vit  la  signature  rovale 
qui  équivalait  à  une  grâce.    , 

En  Grèce,  le  corset  —  nouveau  miroir  aux  alouettes  — •  est  uti- 
lisé pour  la  chasse  au  mari  :  les  appas  font  ici  l'office  de  l'appeau 
qui  appelle  l'étourneau.  About  raconte  l'histoire  d'un  étranger  qui 
se  laissa  prendre  à  ce  piège  à  baleines.  Attiré  dans  une  famille  des 
environs  d'Athènes,  la  fille  de  la  maison,  belle,  mais  non  rebelle, 
accuse  une  indisposition  subite  et  feint  une  syncope;  au  lieu  de  la 
secourir,  tout  le  monde  s'enfuit,  père,  mère,  frère  et  servantes.  Le 
galant  visiteur,  resté  seul,  s'empresse  auprès  de  la  petite  rouée  et 


SUK     LK     COHSKT 


303 


délace  son  corset.  Aussitôt,  les  fuyards  rentrent,  se  précipitent  sur 
l'audacieux,  qui  déshonore  le  toit  hospitalier,  et  le  conduisent,  cou- 
teau sous  la  gorge,  devant  le  prêtre,  puis,  ce  qui  est  plus  grave, 
devant  le  consul.  Avis  aux  amateurs  de  /////,  qui  cherchent  à 
(c  plumer  la  dinde  »,  suivant  l'expression  espagnole;  qu'ils  évitent 
de  se  faire  «  plumer  »  à  leur  tour, 
s'ils  vont  en  Grèce  :  les  maîtres 
chanteurs  y  abondent. 

Vous  doutiez-vous  de  l'existence 
des  corsets-surprises,  articles  de  jeux 
de  société,  appelés  Corsets  indiscrets 
(fig.  19(1)  ?  On  appuie  sur  un  bouton 
dissimulé  à  la  base,  et  aussitôt  sort, 
par  l'orifice  supérieur,  le  torse  élé- 
gant «  d'un  jeune  et  beau  fiancé  », 
dit  le  prospectus. 


Corsets  d'hommes.  —  Pour  les 
jeux  oIym[)iques,  les  Grecs  se  cei- 
gnaient les  reins  du  (i^too-Tr.p  et  les 
Romains,  du  ciiujuhmi;  le  canipestre 
était  le  caleçon  des  athlètes  ou   des  Fig.  196. 

jeunes     gens     qui     s'exerçaient     au 

Champ  de  Mars.  On  sait  qu'à  Rome,  les  efféminés  seuls  ne  portaient 
pas  de  ceinture. 

En  France,  au  xiv'' siècle,  les  gipons  ou  justaucorps,  rembourrés 
de  crin,  font  saillir  la  poitrine  des  seigneurs  avec  excès  ;  on  pré- 
tend, dit  Roger  Miles,  que  cette  coutume  fut  amenée  par  l'usage 
des  cuirasses  bombées.  A  la  Renaissance,  on  ajoute  un  buse  au 
haut  du  pourpoint,  qui  prend  le  nom  de  corsett/s,  et  les  deux  sexes 
s'en  couvrent  la  poitrine.  Henri  11,  sans  pitié  pour  son  «  couturier  » 
accusé  de  luthéranisme,  le  laisse  condamner  au  bûcher  comme 
hérétique  et  assiste  à  son  supplice.  Sous  François  II,  en  vertu  de 
la  mobilité  de  la  mode  et  de  la  loi  des  contrastes  qui  la  régit,  ce 
buste  descend  et  dessine  la  panse  de  Polichinelle,  digne  pendant 
des  grotesques  vertugadins.  De  là,  les  plaintes  de  Montaigne  : 
«  Quand  nostre  peuple  portoit  le  buse  de  son  pourpoint  entre  les 
mamelles,  ilmaintenoit  par  vifvcs  raisons  qu'il  estoit  en  son  vray 


304  I.  KS     si:  I.NS     DANS     I.    Il  I  s  1(1  I  m. 

lieu  :  quelques  années  après  le  voyla  avallé  jusques  entre  les  cuisses  ; 
il  se  mocquc  de  son  austre  usage,  le  trouve  inepte  et  insupportable.  » 
Bientôt  le  satirique  Agrippa  d'Aubigné,   en  vers  indignés,    trai- 
tera Henri  III  de  «  putain  fardée  »  et  corsetée  : 

Pensez  quel  beau  spectacle,  et  comme  il  fit  bon  voir 
Ce  prince  avec  un  buse,  un  corps  de  satin  noir... 

Avec  Henri  IN',  la  bosse  d'estomac  des  mignons  disparaît  et  les 
pourpoints  s'affranchissent  de  leurs  buses;  les  hommes  abandonnent 
la  rigidité  du  corsage  à  la  gent  caractérisée  par  «  les  cheveux  longs 
et  les  idées  courtes  ».  Le  fils  de  Louis  XIV  portait  un  corps  baleiné 
«  pour  lui  tenir  la  taille  ferme  »  et,  ajoute  son  valet  de  chambre, 
Dubois,  pour  le  protéger  contre  les  coups  de  son  brutal  gouverneur, 
M.  de  Montausier.  (D'' Cabanes,  les  l/idisr/'rnons  de  rhishtire.) 

De  nos  jours,  les  sportsinrii  et  les  officiers  de  tous  les  pays 
portent  le  corset  :  mais  pour  ne  pas  humilier  ces  snoljs  internatio- 
naux, les  corsetiers  ont  donné  à  leurs  appareils  le  nom  de  cein- 
tures. Telles  les  ceintures  olijnipKpie^^  et  les  ceuUures-corsets  de 
E.  Chane.  Les  spécialistes  emploient  le  coutil,  le  tissu  élastique,  le 
satin,  la  soie  et  une  peau  spéciale  «  très  recommandée  ».  M.  Chane 
préfère  la  peau  de  chien  ou  du  coyotte  de  Mexique;  d'autres,  la 
peau  de  daim  :  Tune  portant  l'autre.  Les  buses  et  baleines  sont 
remplacés  par  des  tiges  d'acier  flexible  qui.  comme  le  roseau  «  phe 
et  ne  rompt  pas  ».  En  France,  les  lacets  tendent  à  disparaître,  pour 
faire  place  à  deux  ou  trois  sangles  élastiques  ;  ils  ne  couvrent  que 
les  reins  et  le  ventre,  tandis  que  les  dandys  anglais  en  sont  encore 
aux  corsets  lacés  de  nos  grand'mères,  qui  leur  enveloppent  abdo- 
men et  poitrine.  Ces  (/entlemeu  riders  oubhent  la  signification  du 
mot  anglais  corset,  sfmjs,  qui  veut  dire  «  support  »  ;  nous  nous 
demandons  ce  que  ces  corsets  en  coutil  noir  peuvent  bien  supporter 
chez  les  hommes  ?  Le  ridicule  tout  au  plus. 

Nous  savons  que  dans  la  Dnine  aux  Catiiéllas,  la  Manon  Lescaut 
du  xix'^  siècle  {A)i.  /tis/.^p.  29'.)), les  artistes  hommes  se  conforment, 
depuis  1S96,  à  la  mode  de  1848,  époque  de  la  pui^hcation  du 
roman  de  Dumas  fils.  L' administrateur  de  la  lienaissance  constate, 
dans  une  lettre  adressée  à  M.  Chane,  «  que  ses  corsets  vont  très 
bien  à  nos  comédiens  qui,  encore  un  peu,  ne  voudraient  plus  les 
quitter,  surtout  les  bedonnants  ».  Albert  Lambert  fils,  en   artiste 


sri{     LK     COHSKT  30a 


consciencieux,  s'est  astreint  au  corset  pour  jouer  le  rùle  de  Rodolphe, 
de  la  Vie  de  Bohême  ;  à  rOpéra-Coniique,  les  interj)rèles  de  la 
même  pièce  se  sont  montrés  moins  Brid'oisons  de  la  fo-orme. 

Terminons  en  rappelant,  avec  le  malicieux  Cri  de  Paris^  un 
incident  comique  qui  eut  lieu  au  cours  du  professeur  lîanke, 
le  physiologue  bien  connu  de  l'Université  de  Munich.  Le  pro- 
fesseur, en  expliquant  la  différence  du  tour  de  taille  chez 
l'homme  et  chez  le  singe,  se  permit  une  inoffensive  plaisanterie  sur 
l'habitude  qu'ont  les  dames  et  les  officiers  allemands  de  s'arranger 
de  fines  tailles.  Or,  parmi  les  auditeurs,  se  trouvait  le  prince  George, 
fils  du  prince  Léopold  de  Bavière,  jeune  homme  de  vingt  ans  et 
officier  à  la  suite  d'un  régiment  d'infanterie  quelconque.  Cet  ado- 
lescent prit  mal  l'allusion  et  le  professeur,  un  peu  ahuri,  dut  décla- 
rer publiquement  «  qu'il  n'avait  pas  eu  l'intention  d'offenser  les 
officiers  allemands  portant  corset  ».  Mais  il  y  a  en  ce  moment  à 
Munich  de  paisibles  citoyens  qui  ne  peuvent  plus  se  représenter 
im  singe  sans  épaulettes. 

De  la  taille  des  Américaines.  —  La  lecture  des  recueils  admi- 
nistratifs est  parfois  des  plus  folâtres;  tel  le  grave  Monifrur  offi- 
ciel (lu  cdiiiincrcc,  de  Belgique,  où  se  trouve  le  plus  joyeux  rap- 
port consulaire  qu'on  puisse  imaginer.  Ah  !  il  n'y  a  pas  que  les  Por- 
tugais qui  soient  gais  !  11  y  est  question  de  la  mévente  des  corsets 
français,  en  raison  des  caractères  particuliers  de  la  taille  des  Amé- 
ricaines, bien  différents  de  celle  des  Parisiennes  :  «  Parmi  les  dif- 
férences les  plus  caractéristiques  qu'il  convient  de  signaler,  écrit 
le  consul  belge,  il  est  à  remarquer  notamment  que  la  femme  amé- 
ricaine évite  de  prononcer  la  rondeiu'  du  buste,  elle  s'attache  au 
contraire  à  la  dissimuler,  tandis  que  la  mode  parisienne  tient  à 
l'accuser.  Cette  façon  de  considérer  ce  détail  de  la  toilette  a  pro- 
bablement contribué  à  faire  croire  en  France  que  les  femmes 
anglaises  et  américaines  étaient  bâties  un  peu  difîéremment  des 
françaises...  » 

La  fin  du  corset.  —  Pendant  les  chaleurs  tropicales  de  P.KlO, 
nombre  de  Pai'isiennes,à  seins  et  abdomens  normaux,  ont  jeté  leurs 
corsets  par-dessus  les  corsages  ;  les  amants  de  la  nature  n'avaient 
qu'à  se  louer  de  cette  innovation  et  trouvaient  que  «  le  geste  était 

LES    SEINS    DANS    l'hISTOIKE.    —    I.  20 


306  I.KS     SI.  INS     DANS     I.    Il  I  S  T  (»  I  li  K 

beau  ».  Les  bustes  émancipés  ne  ressemblaient  plus  à  des  man- 
nequins dosier  et,  sous  les  corsages  légers,  les  chairs  flottantes 
laissaient  deviner  leurs  contours  rondelets  et  STassouillets. 

Sans  considération  pour  les  saisons,  notre  «  ralliée  »,  la  sainte 
Russie,  prononça  l'ostracisme  général  contre  les  corsets  :  plus  de 
tutelle  métallique  ni  baleinée  !  Aux  termes  d'une  ordonnance  du 
commencement  de  1898,  le  ministre  de  l'instruction  publique, 
M.  Bogoljewow,  interdit  le  port  du  corset  aux  élèves  des  écoles 
supérieures,  des  gymnases  de  jeunes  filles,  des  Conservatoires  de 
musique  et  des  beaux-arts:  s/frs////t^  fo/'...sets  ! 

Xotre  directeur  du  Conservatoire  de  musique,  moins  exclusif,  se 
contenta  d'interdire,  aux  candidates  des  concours,  le  décolletage 
des  bras  et  de  la  poitrine,  sans  s'occuper  du  corset,  qui  gêne 
cependant  le  jeu  de  l'appareil  respiratoire. 

En  Roumanie,  comme  en  Russie,  le  ministre  de  l'instruction 
publique  a  adressé  aux  directeurs  des  écoles  de  jeunes  filles  la 
circulaire  suivante  :  «  Les  expériences  basées  sur  la  science  et  la 
pratique  ayant  établi  que  le  corset  est  nuisible  à  la  santé,  qu'il  est 
un  obstacle  permanent  au  développement  du  corps  et  à  l'activité 
des  organes  de  la  respiration,  j'arrête  que  vous  devez  interdire 
strictement  l'usage  du  corset  aux  élèves  de  votre  établissement.  » 
Quel  ministre  français  débarrassera  nos  filles  de  ce  carccn'  diiro, 
qui  ôte  à  la  taille  sa  souplesse  et  justifie  une  fois  de  plus  cette 
parole  du  sage  :  «  Les  femmes  n'auraient  pas  assez  de  larmes 
pour  pleurer,  si  la  nature  les  avait  faites  comme  elles  se  font(l).  » 

Théophile  Gautier,  l'amant  du  beau  et  du  vrai,  était  un  ennemi 
déclaré  du  corset  et  élevait  ses  filles  en  Lacédémoniennes;  mais  la 
place  publique,  en  raison  des  convenances  sociales,  était  limitée  à 
son  appartement.  Le  D''  Michaut,  dans  le  Correspom/cu/f  mrdkal,, 
raconte  la  visite  que  fit,  vers  18(iG,  un  de  ses  amis  au  célèbre 
écrivain  :  en  entrant,  il  ne  fut  pas  peu  surpris  de  voir,  dans  le 
salon,  jouant  sur  le  tapis,  deux  jeunes  filles  complètement  nues  ; 
l'une  d'elles,  Judith,  qui  devait  être  plus  tard  M""'  Catulle  Mendès, 
avait  alors  seize  ans.  Combien  de  pères  ont  les  idées  du  poète,  en 
matière  de   régénération  physique  ?  Mistral,  lui   aussi,  était  par- 

(li  L'Iinpôratrice  du  Japon  vient  fie  décider  que  nulle  ne  pourrait  paraitri'  à  la 
Cour,  sans  gants  et  sans  corsets  —  ces  gantelets  de  la  poitrine.  A  ([uami  le 
smokinçi  obligatoire  pour  les  sujets  de  Sa  Majesté  ni|)])onaise  ? 


SIR    I,  K    consET  30"; 


tisan  de  la  suppression  du  corset.  Le  chantre  proven(;al  entendant, 
dit-on,  discuter  dans  un  salon  l'utilité  des  corsets,  répondit  à  la 
maîtresse  de  la  maison,  lorsqu'elle  lui  demanda  son  avis  :  «  Le 
corset,  Madame?  Pourquoi  donc  se  servir  de  cela  ?  Les  vaches  n'en 
mettent  point». Peu  galante,  mais  bien  méridionale  la  comparaison. 

D'après  VEcho  de  Paris,  une  société  de  dames  de  Menne  a 
décidé  la  suppression  du  corset.  Le  nouveau  costume,  comprimant 
les  seins  et  paralysant  le  libre  jeu  des  poumons,  consisterait  en  un 
péplum,  ajusté  par  le  haut,  décolleté  ou  non,  et  s'évasant  en  bas. 
Le  vêtement  serait  soutenu  par  les  épaules  et  non  plus  par  les 
hanches.  S'il  ne  dessine  pas  les  formes,  il  les  laissera  du  moins 
deviner  et  la  souplesse  du  tissu  permettra  même  un  certain  collant, 
qui,  sans  épouser  la  ligne,  ne  sera  pas  dépourvu  de  charme. 

Mais  que  les  corsetiers  se  rassurent,  leur  gagne-pain  n'est  pas 
prêt  de  disparaître  :  l'Ecole  municipale  Jacquard,  leur  A/m(/ 
parcns,  veille  et  étend  sa  protection  sur  la  corporation  tout  entière. 
Un  emploi  de  «  maîtresse  corsetière  »  étant  devenu  vacant,  cette 
Ecole  tutélaire  vient  d'ouvrir  un  concours  (janvier  1903),  dont 
voici  le  programme  : 

1'^  Une  leçon  orale  après  une  demi-heure  de  préparation; 

2"  La  confection  d'un  corset  de  coutil  blanc  ; 

3"  La  coupe,  le  baleinage,  lessayage,  la  rectification,  la  finission,  hi 
garniture  dun  corset  sur  mesure  ; 

4'^  Un  corset  sur  mannequin,  d'après  une  forme  déterminée  par  un 
dessin,  une  gravure  ou  une  description  écrite. 

Les  concurrentes  pourront  être  interrogées  sur  l'histoire  du 
corset,  son  origine,  ses  avantages,  ses  perfectionnements,  etc. 

Le  corset  dans  la  littérature  (Ij.  —  Un  trouvera  à  la 
Bibliothèque  nationale  une  Boutade  contre  tasat/e  du  corset,  pu- 
bliée, en  1855,  par  un  M.  Charles  D...;  elle  est  toujours  d'actualité, 
mais  trop  longue  pour  être  reproduite  ici.  11  propose  de  changer  la 
dénomination  de  Corset  en  celle  à'Etrangh'ar.  Un  court  extrait 
indiquera  le  ton  de  la  diatribe  : 

.  .  .  La  loi  punit  certaines  tentatives  de  suicide,  elle  punit  de  mort 
celui  ([ui.   parfois,  sans  beaucoup  de  réile.xion,  met  avec  intention  le 

(1)  L'analyse  des  pièces  de  lliéàlre  du  il  est  qucstioii  du  corset,  sera  faite 
dans  nos  Heiiis  à  VEc/Use  et  au  lliéàlre. 


308  I-  E  s     SEINS     DANS     I.    Il  I  S  T  (  )  I  H  K 

feu  à  une  cabane;  elle  punit  aussi  de  mort  le  soldat  qui  frappe,  le 
moins  du  monde,  son  supérieur:  mais  elle  se  garde  bien,  cette  même 
loi,  de  punir  la  f(Munu'  ([ui,  a  son  nez  et  a  sa  barbe,  se  suicide  en 
s'étrang-lant  les  lianes,  et,  souvent,  étouffe  son  enfant  dans  ses  en- 
trailles... 

Xanrof  a  brodé  sur  le  Corset  avertisseur,  à  musique,  une  de 
ses  plus  folles  et  fines  fantaisies  (1).  Il  en  énumère  tous  les  avan- 
tages avec  sa  verve  antispleenique  :  c'est  le  palladium  des  familles  ; 
la  sauvegarde  des  jeunes  filles  et  des  épouses  en  détresse,  car  il 
pousse  le  cri  d'alarme,  dès  qu'un  danseur  serre  de  plus  près  qu'il 
ne  convient  la  taille  de  sa  compagne  d'un  instant  :  si  la  danseuse  ne 
crie  pas,  son  corset  criera  pour  elle.  Ce  corset,  dernier  cri,  est 
appelé  à  faire  beaucoup  de...  l)ruit,  si  le  beau  sexe  veut  l'adopter  ; 
mais  nous  nous  permettrons  d'en  douter. 

Après  la  prose,  les  vers.  Le  corset  n'a  pas,  comme  son  contenu, 
inspiré  les  familiers  du  Parnasse  et  l'on  compte  les  rimailleurs 
qui  ont  fait  vibrer  leur  lyre  en  son  honneur.  Une  chanson  popu- 
laire célébrait,  vers  183U,  les  bienfaits  du  Corset  ;  quantum 
mutatus  ab  illo  ! 

Ma  méthode, 
A'raiment  commode, 
lietient  Vénus  dans  mes  lacets, 
Venez  mâchefer  des  corsets. 

Mes  coussins,  de  l^aris  à  Rome, 
Ont  passé  jusque  dans  les  cours, 
Et  c'est  à  bon  droit  qu'on  me  nomme 
La  tapissière  des  Amours. 

Doux  oreillers  de  notre  enfance. 
Fruits  séduisants,  bouquets  de  lys. 
Hochets  d'amour  et  d'innocence, 
Mes  soins  vous  auront  embellis. 

Avec  la  baleine  flexible 
Cernant  vos  charmes  casaniers, 
Je  sais  bien  que  l'homme  sensible 
S'intéresse  à  mes  prisonniers. 

(1)  Supplément  du  Velit  Journal.  1"  juillet  1900. 


su  II     LK     CORSKT  -^^'-^ 


Maurice   Magnier  décrit,  dans  Paris  en   Ballades  (1897),   ses 
plaintives  impressions,  à  la  vue  d'un  étalage  de  Corsets  vides  : 


Parmi  les  choses  que  j'abhorre. 
Qui  troublent  mes  esprits  chagrins, 
Il  en  est  une  plus  encore 
Que  toutes  autres  que  je  crains  ; 
J'en  perds  mes  allures  timides 
Et  j'en  ai  des  rêves  malsains. 
Voir  aux  portes  des  magasins 
Des  corsets  vides. 

11  en  est  de  toutes  les  formes, 
D'ordinaires,  d'extravagants  ; 
Il  en  est  de  petits,  d'énormes, 
De  grotesques  et  d'élégants  ; 
Ils  sont  là,  flasques  et  stupides, 
Formant  d'incroyables  dessins 
Aux  vitrines  des  magasins. 
Les  corsets  vides. 

11  en  est  pour  les  femmes  mûres 
Qui  contiendraient  des  seins  géants, 
D'autres  plats  comme  des  armures, 
Pour  les  pucelles. .  .  d'Orléans  1 
Us  semblent  tous  des  invalides. 
Des  couvents  sans  leurs  capucins, 
Ainsi  pendus  aux  magasins. 
Les  corsets  vides. 

D'où  venez-vous,  gris,  bleus  ou  roses 
Avec  vos  rubans  assortis. 
Asiles  qui  restez  moroses 
Vos  habitants  étant  sortis  ? 
Étes-vous  veufs  d'anciens  suicides  ? 
Connaissez-vous  vos  assassins? 
0  victimes  des  magasins  ! 
0  corsets  vides  ! 

Poitrine  marbrée  et  nacrée 
Que  j'approuve  tes  libertés. 
Quitte  la  férule  exécrée 
Qui  cache  et  froisse  tes  beautés  ; 
Seins,  venez  aux  lèvres  humides. 
Seins,  nus.  en  roses  essaims, 
Et  laissez  pendre  aux  magasins 
Les  corsets  vides. 


310  LES    SEINS    DANS    l/ HISTOIRE 


Envoi 

Cependant  j'aime,  je  l'avoue. 
0  maîtresse,  ces  délaissés, 
Uuand  sur  ta  poitrine  et  ta  joue 
Sonne  la  gamme  des  baisers  ; 
Dans  ces  mains,  de  luxure  avides, 
(Juand  je  possède  tes  doux  seins, 
J'aime  alors,  loin,  dans  les  coussins. 
Les  corsets  vides  ! 

Pensées  et  réflexions  sur  le  corset.  —  Des  trois  usages  du 
corset,  qui  figuraient  sur  l'enseigne  d'une  corsetière  du  xviii'' siècle, 
on  a  fait  une  énigme  versifiée  (1),  que  le  Sphinx  eût  pu  proposer 
à  Œdipe  : 

Par  moi,  les  forts  sont  contenus, 
Les  faibles  sont  soutenus. 
Et  les  égarés 
Ramenés. 

**%  Hemarque  du  Président  \)e  Brosses  :  «  En  la  ville  papale  d'Avi- 
gnon, toutes  les  femmes  y  ont  de  fort  gros  tétons  blancs  et  leur  manière 
de  s'habiller  avec  des  corps  très  mal  faits  les  redouble  encore.  » 

%'%^  Les  premières  femmes  qui  portèrent  des  corsets  étaient  néces- 
sairement des  femmes  déjetées,  contrefaites  ou  minées  par  le  temps. 
Cela  remettait  certaines  choses  à  leur  place  et  en  suppléait  quelques 
autres.  Mais  le  fin  fut  d'amener  à  mettre  ces  cilices  les  femmes  qui  n'en 
avaient  pas  besoin,  et  de  déclarer  incomenantoi  les  tentatives  de  celles 
qui  refusent  de  s'y  soumettre,  et  qui,  au  liout  de  quelque  temps,  ne 
peuvent  plus  en  réalité  les  quitter.  Cela  était  aussi  difficile  à  amener 
([ue  si  on  avait  publié  la  chose  en  ces  termes  :  «  De  par  la  mode,  les 
femmes,  qui  ne  sont  ni  bossues  ni  contrefaites,  cesseront  de  manifester 
cet  avantage,  et  s'arrangeront  de  manière  a  ressembler  entièrement  à 
celles  qui  le  sont...  »  Alphonse  Karr. 

«-%%  La  frontière  côté  nord  de  l'Empire  du  Milieu  est,  en  général,  exces- 
sivement fortifiée  par  ses  travaux  de  ceinture,  de  baleine,  de  cor- 
dons, etc.,  etc.  Si  on  arrive  à  s'en  emparer,  de  celle-hà,  c'est  que  la 
ville  assiégée  y  a  mis  de  la  bonne  volonté.  Ce  qu'il  faut  se  connaître  en 
agrafes,  en  tout,  en   épingles  simples  ou   anglaises!  Très  bon   signe, 

(\)  Anecd.  hisL.  p.  343. 


srii     1.  K     C.  (HtSKT 


311 


quand  elle  n'a  pas  opposé  trop  de   résistance   à  cette  opération  :  elle 
vous  laissera  certainement  entrer  dans   la   place  en  niaitre. 

(iKHliAlLT. 

%**  A  l'aphorisme  d'Hippocrate,  «  toute  la  femme  est  dans  sa  ma- 
trice »,  on  peut  ajouter  que  «  toute  la  femme  est  dans  son  corset  »: 
c'est-à-dire,  d'une  façon  générale,  que  son  hygiène,  sa  santé,  le  bon 
équilibre  de  ses  fonctions  dépendent  de  la  manière  dont  cet  accessoire 
indispensable  de  la  toilette  féminine  a  été  compris  et  exécuté. 

\^  DÉFINITIONS.  —  Conct  :  Prison  pour  femmes.  —  La  taille  artificielle. 
—  Niche  à  seins.  —  Corbeille  à  fruits.  —  (iarde-manger  des  bébés.  — 
Boite  à  joujoux  des  papas. 

wv*.  Synonymie.  —  Se  cotonncr,  bourrer  son  corset  de  coton. 

Se  coneter.  —  Se  serrer,  se  comprimer,  s'étrangler  la  taille.  —  Se  san- 
gle. —  Se  ficeler.  —  Se  saucissonner.  —  Passer  la  taille  à  la  filière.  —  La 
comprimer  dans  un  clan  ;  l'enfermer  dans  un  étui. 

Laçage  du  corset.  —  Serrement  du  Jeu  de  Pommes  (GerlKiult). 

V**  Méditez,  jeunes  filles,  la  recommandation  d'une  mère  à  sa  fille  : 
«  Ce  qu'on  gagne  en  pointure  de  taille  oude  chaussure,  on  le  perd  en 
visage  :  yeux  battus,  traits  tirés,  pâleur  du  teint,  sans  compter  le 
reste.  '> 

«^  Ni  constriction,  ni  compression,  delà  contention  seulement;  tels 
sont  les  principes  fondamentaux  qui  doivent  régir  le  dispositif  et  l'em- 
ploi des  corsets.  '>''  Collineau. 

vw  L'intluence  du  corset  est  d'autant  plus  pernicieuse  qu'il  est  plus 
serré,  qu'il  monte  plus  haut  et  qu'on  a  commencé  plus  tôt  à  le  porter. 

!)'■  Stkatz. 


VW 


On  renoncera  au  corset  comme  on  a  renoncé  à  se  perforer  le  nez 
et  à  se  déformer  le  crâne.  Let(jukneau. 

1,%*  Parodie  d'un  refrain  populaire,  de  l'opéra  de  Charles  VI  : 

Paix  au  tyran.  Toujours  (ôw)  en  France, 
Toujours,  le  corset  régnera. 

vvv  La  femme  n'hésite  pas  à  limiter  sa  respiration,  à  se  priver  de 
manger  et  de  digérer,  à  s'anémier,  à  se  ruiner  la  santé,  pour  la  seule 
joie  de  se  sentir  une  taille  fine  !  Elle  sait  que  son  corset  la  torture  et  se 
console  à  la  manière  de  cette  actrice  qui  me  disait  lui  devoir  une  joie 
quotidienne,  l'ennui  de  le  mettre  le  matin  étant  largement  compensé 
par  le  plaisir  de  l'ôter  le  soir...  La  femme  consent  à  tout  souffrir, 
pourvu  ([u'elle   perde  quehiues  centimètres   de  tour  de  taille  ;  étrange 


312  l,i:S     SKINS    DANS     L    HISTOIRK 

(•imilalioii  tiii  [iliilùl  ahcrralion.  les  désirs  de  riiomiiie  nuriiial  ne  pouvant 
g-uère  être  aguichés  par  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  une  taille  de 
gurpc.  !)■'  E.  Moxix.  —  Lex  Propos  du  Docteur. 

**%  L'usage  du  corset  est  un  mode  de  suicide  lent. 

Que  de  maux  dans  un  corset. 
Que  de  morts  dont  ils  sont  cause. 

!)'■  Dékietx. 

***  Dès  qu'il  y  a  corset,  il  n'y  a  plus  de  corps  naturel. 


xix^  Sous  la  Révolution  (1),  on  offrait  aux  gourgandines  un  assignat 
de  cinq  livres  avec  la  signature  Corset,  contrôleur  préposé  à  l'émission 
de  ce  papier-monnaie,  en  leur  disant  :  Corset  contre  corset  ».  A  l'époque 
de  Louis  XI,  on  pouvait  dire  aux  beautés  faciles,  en  échange  de  leurs 
faveurs  :  Teston  (2)  contre  feston.  De  nos  jours,  une  jolie  solliciteuse  en 
quête  d'une  protection  ou  de  la  signature  d'un  personnage  influent  et  libi- 
dineux, peut  offrir  :  Sein  contre  .seing  ou  même  sein  hlnnc  contre  blanc-seing. 

*Mi  Boutade  du  «  Passant  »,  du  Figaro,  sur  l'origine  du  corset  :  «  Je 
ne  crois  pas  non  plus  qu'on  se  soit  beaucoup  servi  du  corset  dans  l'an- 
tiquité païenne,  au  temps  où,  sans  vouloir  blesser  personne,  ont  vécu 
les  plus  belles  femmes.  Les  statues  de  nos  musées  et  de  nos  places 
l)ubliques  n'ont  gardé  aucune  trace  de  cet  objet  de  dernière  nécessité. 
La  Vénus  de  Milo  n"a  jamais  porté  de  corset;  elle  n'aurait  pas  pu  le 
délacer.  C'est  peut-être  Cérês,  la  déesse  aux  puissantes  mamelles,  qui 
a  commencé.  A  moins  que  ce  ne  soit  tout  simplement  quelque  femme 
qui  était  bossue.  Car  nous  oublions  trop  que  le  corset  se  porte  par  der- 
rière comme  par  devant.  Il  n'y  aurait  même  rien  de  surprenant  à  ce 
que  ce  fût  un  médecin  qui  l'ait  lancé  le  premier.  Cela  expliquerait  que 
presque  tous  le  combattent  aujourd'hui. 

«Vaine  tentative,  du  reste.  La  femme  est  intimement  persuadée  que  le 
comble  de  la  beauté  pour  elle  consiste  à  avoir  une  taille  qui  tienne 
dans  le  trou  d'une  aiguille.  Comme  s'il  ne  suffisait  pas  qu'elle  puisse 
tenir  dans  les  deux  mains!  » 

»-»*■  Note  sans  portée  "  «  Aux  baleines,  les  baleines  »  ;  c'est-à-dire 
aux  poitrines  coi'sées,  les  corsets. 

Le  corset  dans  l'art.  - —  Au  Valican,  J.  Romain  a  muni 
Vlnnoccncv  (fig.  107)  d'un  corset  à  jour  qui  conviendrait  mieux  à 
la  Lti.riirr.   En  effet,   Jorsa,  du  Paris-Virtint,  affuble  la  poitrine 

(1)  Anecd.  hisl.,  j).  281. 

(2i  PÎL^ce  de  monnaie  nui  valait  onze  sous  d'areenf. 


SIK     LK     C.  OHSKT 


313 


d'une  impure  contemporaine  cFun  corsage  analogue,  confectionné 
avec  du  ruban  de  velours  noir. 

En  regardant  de  près  les  œuvres  de  Lucas  Cranach,  exposées 
à  Dresde,  le  docteur  Schlanz  a  fait  des  constatations  archéolo- 
giques qui  tendent  à  réhabiliter  le  corset.  Le  .lounial  des  Débats 
publie,  à  ce  sujet,  la  curieuse  note  suivante  :  «  Le  docteur  Schlanz 
a    été    frappé    d'y   voir    qu'Eve,   Lucrèce   et    les   déesses    môme 


Fig.   197. 


avaient  le  dos  rond.  L'infirmité  de  ces  figures  n'est  pas  un  caprice 
dépravé  de  Cranach;  car  ses  portraits  de  femmes  sont  également 
rachitiques  et  la  duchesse  Catherine  présente  un  cas  de  scoliose 
bien  accentué.  Albert  Diirer,  qui  dessine  un  Adam  magnifique, 
infiéchit  pareillement  l'épine  dorsale  d'Eve.  Comme  on  ne  peut 
douter  de  la  sincérité  de  ces  maîtres,  on  doit  avouer  que  la  femme 
allemande  de  la  Renaissance  avait  Téchine  tordue.  Le  docteur 
Schlanz  a  trouvé  la  cause  d'une  si  grande  disgrâce  dans  le  cos- 
tume, qui  était  bien  moins  soutenu  qu'aujourd'hui  de  baleines  et 
d'acier.  Là  est  la  cause  de  dégéni-rescence  du  type  féminin. 
Poursuivant  ses  éludes  sur  d'autres  époques,  le  docteur  Schlanz 
est  arrivé  à  cette  formule  générale  que  toutes  les  générations 
sans  corset  avaient  le  dos  voûté.  » 


:u4 


I,  KS     SKINS     KANS     I,     H  I  S  l' (1  I  l\  K. 


Gillray  nous  fournira  la  note  gaie  à  Tétranger  avec  le  corse- 
tier  Thomas  Payne,  prenant  mesure  d'une  constitution  toute 
neuve  à  iNI'"'^  Britannia;  mais  cette  constitution,  qui  devait  la  mettre 
à  l'aise,  gêne  tous  ses  mouvements  (1). 

Les  compositions  artistiques  et  JDadines,  relatives  au  corset,  abon- 


Fig.   198. 

dent  au  xyiii*^  siècle  et  vers  1830;  mais,  quel  que  soit  le  talent  de 
l'ai-tiste,  aucun  n'a  dépassé  Wille,  avec  son  croustilleux  Essai 
du  corset  (2).  On  trouvera  dans  le  Panorama,  et  surtout  dans  le 
Décollclr  et  le  Retroussé,  de  J.  Grand-Carteret,  la  reproduction 
de  plusieurs  de  ces  pièces,  telles  que  le  Lacets  vignette  do  Mon- 
siau  (1796),  pour  les  Œuvres  de  J.-J.  Rousseau  (fig.  lU8i  ;  le 
Lacet  raccourci  (fig.  101)),    à  la  suite  d'une  fluxion  de  neuf  mois. 


(1)  Augustin  Filon,  la  Caricature  en  Aiu/lelerre. 

(2)  Anecd.  liisL,  fig.  IGG. 


sriS     I.  K     C.  OliSKT 


31; 


par  Deny;  le  Corxct,  lithographie  banale,  de  Vallou  de  Ville- 
neuve (vers  182'.)),  imitation  du  Coucher  de  Devéria  (1)  ;  V Amant 
fnmnv  d,'  rhaDihir,  gravure  anonyme  de  la  même  époque,  mon- 
trant un  damoiseau  en  bras  de  chemise  délaçant  ou  laçant  sa 
belle,  pour  mieux  Fenlacer  ;  le  Corset,  de  A.  Devéria,  lacé  par 
une  femme,  à  sa  toilette  du  malin  ;  le  Lacet,  de  N.  Maurin,  avec 
lequel  joue  un  chat,   qui  profite   d'un   temps  d\nrrèt  de  sa  maî- 


Fi^.  lyy. 


tresse,  occupée  à  se  mirer  dans  une  psyché;  enfin,  l'une  des  mille 
et  une  Facéties  de  M.  May  eux,  (C.-J.  Traviès  delinearit),  portant 
pour  légende:  «  Elle  n'est  pas  piquée  des  vers,  nom  de  D...!  » 
(fig.  200). 

Parmi  nos  contemporains,  un  fusain  de  Léon  Lhermitte,  trop 
sombre  pour  être  reproduit  :  Une  paysanne  se  déshabille,  le  soir, 
et  s'apprête  à  retirer  une  sorte  de  corsage  faisant  l'office  de 
corset,  lacé  par  devant  ;  une  in(hgène  de  Mont-Saint-Père,  sans 
doute,  le  pays  natal  du  maître.  Voici  deux  des  types  chiffonnés 
et  mouvementés  de  la  nombreuse  collection  de  Henri  Boutet 
(fig.  201,  202),  qui  a  croqué  la  Parisienne,  dans  toutes  ses  atti- 
tudes, surtout  au  moment  où  elle  met  et  retire  son  corset. 

(i)  Anecd.  hisl..  lig.  182. 


316 


ES    SEINS    DANS    L    HISTOIRE 


Après  le  sévère  et  le  gracieux,  le  plaisant  :  une  enseigne  du 
peintre  Abel  Truchet,  destinée  à  une  corsetière  et  primée  par  le 
jury  du  Concours  des  enseignes  (déc.  1902),  porte  pour  dédicace 
ce  jeu  de  mots  :  A  fous  les  Sain/s  (fig.  2(J3).  Le  corsetier  de  la 
reine  Wilhelmine  en  aurait,  paraît-il,  commandé  une  au  même 
artiste,  figurant  les  armoiries  de  Hollande,  avec  leur  devise  si 
pleine  de  promesses  :  Je  maintii'ndi'ai! 

Terminons  par  une  revue 
rapide  des  caricatures  humoristi- 
ques de  nos  périodiques  illustrés, 
légendes  folichonnes  comprises. 
Un  dessin  deBailly,du  Rire,  re- 
présente un  «  surnéné  » ,  un  «  petit 
crevé  » ,  dansant  avec  une  demi- 
vierge  et  échangeant  ce  dia- 
logue ,  fort  vraisemblable ,  si 
Ton  songe  aux  mœurs  et  aux 
corsages  relâchés  de  nos  jeunes 
acéphales  mondaines  :  «  Tiens  ! . . . 
Pas  de  corset,  ce  soir?  —  T'es 
bête...  Je  savais  bien  que  tu 
viendrais.  » 
J.  Belon,  du  Journal  pour  /ous,  nous  montre  une  acteuse,  qui 
n'a  pas  inventé  la  poudre  de  riz,  dans  le  cabinet  du  directeur  ; 
l'imprésario  manifeste  ses  appréhensions  au  sujet  de  la  censure  : 
Le  DIRECTEUR.  —  Je  crains  que  la  S''  scène  du  deux  ne  soit  un  peu 
corsée...  Elle.  —  Mais,  iMonsieur,  si  vous  préférez,  je  n'en  met- 
trai pas  du  tout. 

V>\x  Petit  Journal  pour  rire,  crayon  de  Lourdey  :  Une  bonne, 
le  genou  droit  a  rebouté  sur  les  reins  de  sa  maîtresse,  tire  les 
lacets  de  toutes  ses  forces  :  a  Serre  tant  que  tu  pourras,  dit  l'oiselle. 
—  Mais  Madame  ne  pourra  pas  dîner.  —  Possible,  mais  ça  fera 
rager  la  grande  Irma,  qui  prétend  qu'il  n'y  a  qu'elle  à  Paris 
qui  ait  4o  de  tour  de  taille,  w 

Au  moment  de  «  l'Affaire  »,  les  Ligues  se  multiphèrent  à 
l'infini  ;  H.  Gentil,  du  JourJialpour  tous,  imagina  la  Ligue  contre 
les  corsets.  Dans  un  premier  dessin,  un  vieux  Père  la  Pudeur, 
accompagné  de  deux  agents,  s'adresse,  le  chapeau  à  la  main,  à 


Fig.  200. 


su  H     I- H     COUSKÏ 


317 


deux  turlui-cltes  interloquées  :  «  Mesdames,  je  vous  prie  de  me 
suivre,  pour  vous  expliquer  devant  la  Ligue  contre  l'abus  du  corset  ». 
Au  deuxième  dessin,  les  demoiselles  ont  été  déjupées  et  débusquées 
devant  le  nouvel  aréopage.  Le  Président  prend  la  parole  :  «  Vous 
ne  nierez  pas  la  présence  de  deux  enfants  martyrs  dans  ces  cor- 


Fi-    201. 


Fig.  :202. 


sages?  ».  Le  troisième  dessin  représente  le  prononcé  du  jugement  : 
a  Au  nom  de  la  Ligue,  nous  n'-primons  ces  faits  ;  nous  confisquons 
les  corsets  et...  leur  contenu  ». 

De  J.  Engel  du  Sans  Gênr:  une  petite  Maréchale,  s'habille  pour 
sortir;  sa  mère  la  lace,  tandis  que  la  jeune  effrontée  lui  fait  cette 
recommandation  :  «  Maman,  si  tu  serres  par  trop,  ils  ne  seront 
jamais  fichus  de  me  retirer  mon  corset!  »  Toujours  le  môme  ana- 
chronisme, comme  pour  la  suivante;  nous  ne  sommes  plus  en  1830  ! 

Bonne  précaution.  La  femme  de  chambre  '  vient  de  lacer  le 
corset  de  la  jeune  Égiantine  de  Follebraise  :  «  Avez-vous  fait 
attention,  au  moins,  Justine  ?  \'ous  ne  m'avez  pas  fait  un  nœud 
comme  hier?  —  Oh!  Madame  peut  être  tranquille...  J'ai  fait  une 
boucle  cju'un  enfant  de  dix  ans  pourrait  défaire.  » 


318 


I-  K  S     S  i:  I  N  S     1)  A  N  s     I,    H  I  S  r  (  )  I  li  1". 


Dialogue  de  bonnes  et  belles  vivantes,  extrait  du  Tutu  :  «  Sans 
pantalon  et  sans  corset? —  Je  préside  ce  soir  un  dîner  de  céli- 
bataires ». 

A  propos  de  la  mode  des  corsets  droits,  qui  aplatissent  le 
ventre,  Baer,  du  SuppIêmciU,  met  en  tête-à-tête  une  concierge  et 
une  miséreuse  du  sixième,  chargée  d'ans  et  de  famille  :  «  Vous 
savez  que  les  nouveaux  corsets  suppriment  le  ventre  ?  —  Voilà  ce 
qu'il  nous  faudrait  à  la  maison  :  comme  ça,  on  n'aurait  plus  besoin 
de  se  le  serrer,  le  ventre.  » 


CoR6t:r6 


5uR   ^'lC.Sll^^'t. 


Fie.   l>03. 


APPENDICE 


SYMBOLISME   ET   EFFET   DÉCORATIF    DES   SEINS 


Symbolisme  des  seins.  —  Par  la  variété  de  leur  nombre, 
de  leur  l'orme,  de  leur  attitude  et  de  leur  état  d'activité  fonctionnelle 
ou  de  repos,  les  seins  ont,  dans  l'Art,  un  langage  conventionnel, 


Fis.  203  his. 


souvent  utilisé  pour  les  sujets  allégoriques  et  les  figures  embléma- 
tiques (1). 

Longtemps  les  artistes  ont  représenté  la  Xature,  comme  l'Arté- 
mise  d'Ephèse,  les  membres  inférieurs  emprisonnés  dans  une  gaine 

(I)  Les  documents  relatifs  au  symbole  de  la  Charilé.  seront  réservés  i)our 
les  Sein.t  à  VErjUse  et  au  Théâlre  ;"nous  donnerons  aussi,  dans  cet  ouvrage,  les 
tigurations  de  Diane  d'Ephèse. 


320 


I.  i:s     SEINS     DANS     I.    IIISTOIHK 


et  la  poitrine   couverte  de   mamelles;    «    image  mystique,  disait 


l      ^^  '  NC^-^^.r  ^f:ivjriTL^,  S^^^'"^*'^'^"^  ^JS^.  ^v  f 


Fig.  iOi. 


saint  Jérôme,  rappelant  que  la  nature  est  la  mère  et  la  nourrice 
de  tous  les  êtres  vivants».  Ainsi  elle  apparaît  dans  les  loges   du 


APPKNDIC  K 


321 


Vatican  (fig.  203  bis),  aux  cotés  de  la  philosuphu;  «  Cofj/ti/lo 
cdt/sarujn  nalurse  «  (1),  et  à  Sainte-Mai'ie  des  Frari  de  Venise; 
Fragonard  fils  a  dû  s'inspirer  de  cette  antique  figuration  pour  son 
ÉgaHfé{2]. 

Par  la  suite,  les  allégories  de  la  Xature  perdent  leur  gaine,  et 


Fis.  i^Oo. 


Fig.  :206. 


les  mamelles  sont  réduites  à  quatre  ou  cinq,  six  au  plus,  comme 
dans  une  gravure  allégorique  de  Retel,  gravée  par  Isaenred 
(fig,  204),  portant  pour  légende  :  Naturœ  sequitiir  seniina  qiàsque 
siicV  (Chacun  suit  les  germes  de  sa  nature).  Elle  expose,  d'un  coté, 
les  effets  de  la  Bonté  et,  de  l'autre,  ceux  de  la  Méchanceté  ;  au 


(1)  Une    copie   est   reproduite    sur   le    mur  de   l'escalier   de   la    bibliothèque 
Sainte-Geneviève. 

(2)  Curios.  art.,  fig.  69. 

LES    SEINS    DANS    L'iUSTOUiE.    —    I.  21 


322 


I.KS     SKI?nS     dans     I.    Il  ISIdlll  K 


cenlrc,  la  Nature,  bimammée,  aux  prises  avec  le  Bien  et  le  Mal 
qui  la  frappe,  en  traître,  par  derrière.  L'encadrement  oppose,  en 


Fig.  207.  —  A  la  uloire  de  Riibc-iis. 


haut,  la  bonne  et  la  mauvaise  mère,  Tune  nourrit  son  enfant  de 
son  lait,  l'autre  Tempiffre  de  bouillie;  sur  les  côtés,  deux  autres 
Natures  seximammées,  en  gésine  :  le  génie  du  bien  reçoit  l'un  des 
enfants   et   lui  inculquera    les  bons  sentiments;  le  génie   du   mal 


A  P  P  E  N  D  I  C  R 


;{23 


insuffle  à  Tautre  nouveau-né  les  mauvais  instincts.  A  peine  sortis 
du  néant,  nous  subissons  les  effets  de  la  fatalité. 

Rubens,  le  peintre  des  chairs  exubérantes,  le  chef  du  natura- 
lisme flamand,  s'est  plu,  dans  maintes  compositions,  à  modeler  les 
multiples  mamelles  de  la  Nature;   qu'il  nous  suffise  d'ajouter  au 


Fit 


20S. 


Ti'ioiup/u'  (Ir  la  lic/if/io/i,  déjà  cité('i)  :1a  Nature  cinhcllic  par 
les  Grâces;,  gravure  de  Cornelis  Van  Daven  Junior,  et  les  frontis- 
pices de  deux  ouvrages,  De  sijmlialis  Iwroiris  de  Sylvestre  Pietra 
Santa  ffig.  20.'))  ei De  Jas/icia,  par  Lesnardo  Lessio,  de  la  Société 
de  Jésus  (fîg.  2UG).  Ch.  de  la  Fosse  a  été  bien  inspiré  en  plaçant  à 
côté  du  buste  de  Rubens,  dans  la  vignette  du  frontispice  de  l'œuvre 
du  maître,  une  Xature  quadrimammée  (fig.  207). 


(1)  Curios.  cu'l.,   fig.  67. 


324 


I,i:S     SKINS     DANS     I,    HISTOIIiK 


Le  tombeau  de  Jean-Jacques  Rousseau,  à  Ermenonville,  porte 
aussi  une  Nature  seximammée  (fig.  74),  pour  rappeler,  sans  doute, 
que  le  philosophe  de  Genève  voulait  ramener  l'homme  à  IV'tat 
de  nature.  Ce  s^^mbole  reparaît  encore  dans  la  Nature  confiant 
Vvnfancv  à  la  science  (fig.  208),  de  Fécole  de  Coypel,  et  dans  une 


Fig.  209. 


gracieuse  estampe  commémorative  de  Prudhon,  gravée  par  Copia 
(fig.  201)),  portant  cette  inscription  :  «  Constitution  française, 
fondée  par  la  sagesse  des  droits  de  l'homme  et  des  devoirs  du  cito- 
yen ». 

Par  exception,  les  anciens  donnaient  à  la  Nature  deux  mamelles, 
mais  toujours  pleines  d'un  lait  qui  s'échappait  au  dehors,  en  signe 
de  régénération  ;  ils  ajoutaient  dans  la  main  un  vautour,  emblème  de 
destruction.  Telle  elle  est  figurée  sur  une  médaille  de  l'empereur 
Adrian  (fig.  210).  De  nos  jours,  elle  est  redevenue  bimammée, 
comme    l'indique   l'admirable  statue  polychrome   de    Barrias,   la 


APPF.  MUCK 


32-; 


Xnfure  se  dévoilant  (fig-.  214),  dont  notre  gravure  ne  peut  donner 
qu'une  faible  idre.  C'est  encore  une  Xaturo  —  peut-être  une  Flore 
—  que   représente  la  gracieuse  allégorie^   de   la  bibliothèque   de 


Fi;;.  210.  —  La  Natun 


Fi^.  :>11.  —  La  Substance. 


Fiff.  211*. 


L'IiUL'iilioii. 


Fii; 


!lo.  —  LEspeiaiux". 


Saint-Germain-en-Laye  (fig.  21:j  ),  attribuée  à  Raoux  ou  à  Xattier. 
La  Vrriff',  qui  est  une  émanation  et  l'expression  fidèle  de  la 
nature,  est  représentée,  suivant  les  conventions  d'ateliers,  sous  la 
forme  d'une  femme  nue,  sortant  d'un  puits  :  pourquoi  pas  d'un 
tonneau  de  vin ^  La  sagesse  des  nations  n'a-t-elle  pas  dit  :  in  ri/io 


320 


LF.S    SEINS    DANS    L    HISTOIRE 


rr/v76'.«  (1)  ?  Au   salon  de  IH\)\),   dans    une  toile    mouvementée, 


Fig.  214.  —  i)-;i|iiT.s  Vl//„s/ra/i,nt. 


(I)  Ce  piMil  (•■livia  senlcncc  des  partisyns   du  clos  Diiclaiix  —  le  défenseur  de 
Alcool-Aliiiienl  —  ;    les  Anti-Alcooliques  —  ennemis   de   FAIcool-Poison    —    ne 


Ai>i'i:M)i(;  !•: 


327 


Xec  mrrtjiliir!  (Tip,\  21(n,  DeI)at-Pon.san  a  revêtu  la  Vérité  d'une 
ehemiso,  pour  oiïrir  une  prise  décente  nii\  eiïoris  du  rétre  (1)  et  du 


Fig.  tiio. 


répondroiil-ils  pas   par   le    mot.   à  double  sens.  CAVE  qui.    eu   latin,    signifie  : 
»  l'rends-garde  !  »  Quant  à  l'opinion  du  sage  :  In  medio  Veritas. 

(1)  Curieuse  coïncidence  :  les  lettres  des  mots  rctre  et  traitre  se  retrouvent 
dans  le  nom  d'un  des  personnages  ([ui  ont  joué  un  rôle  important  devant  le 
conseil  de  guerre. 


328 


I,  F.S     SEINS     DANS     1/  III  ST  (l  I  It  K 


liasile  qui  l'cmpèchont  d'émerger,  fine  et  vive  allusion  à  ï  «  Af- 
faii-e  »,  qui  venait  de  mettre  toutes  les  cervelles  à  l'envers. 

Un  comble:  les  pudiques  députés  teutons,  offusqués  de  l'indécente 
tenue  de  la  Vérité,    l'ont   fait   enlever  du  Reichstag,    en  4895  ! 


Fi^^  21  f). 


L'ombre  du  grand  Frédéric,  qui  aimait  les  nudités  mylhulogiques, 
au  moins  autant  que  l'empereur  Ferdinand  II  (1),  a  dû  tressaillir 
dans  sa  tombe. 


(1)  François  Wouters,  le  peintre  officiel  de  ce  monarque.  «  représentait,  dit 
le  vertueux  Papelîroeck,  Vénus  toute  nue  avec  Adonis,  Diane  surprise  i)ar 
Actéon  et  autres  obscénités  de  même  espèce  ». 


APPKNDIC  I-: 


:{-2'j 


La  figure  217  est  le  symbolisme  expressif  des  trois  passions 
qui  perdent  l'homme  et  quelquefois  la  femme  :  le  vin,  le  jeu  et 
l'amour. 

Nous  soumettons  à  la  sagacitr  de  nos  lecteurs  une  estampe  ano- 
nyme (fig.  218,,  dont  nous  n'avons  pu  percer  le  mystère.  En 
raison  du  costume,  elle  doit  dater  de  la  fin  de  Louis  X\'  ou  du 
commencement  de  son  successeur;  jusqu'à  plus  ample  informé, 
nous  y  verrons  une  allégorie  du 
Vice  et  de  la  Vertu.  C'est 
l'image  des  mœurs  du  xvui"  siè- 
cle, où  la  corruption  sans  frein 
coudoie  la  dévotion  aveugle,  et 
la  satire  d'une  société  troublée, 
papillotante  et  papillonnante,  qui 
passe  sans-  transition  du  lupa- 
nar au  cloître.  Le  choix  de 
Jeanne,  duchesse  de  Vendôme, 
pour  personnifier  la  vertu  est 
sans  doute  une  flatterie  d'artiste 
reconnaissant  ;  mais  est-il  bien 
heureux  ?  Ce  grand  nom  n'é- 
^•oque-t-il  pas  la  figure  de  Ga- 
brielle  d'Estrées,  qui  le  donna 
à  son   fils    César,   et   le    buste 

impudique  opposé  à  l'épouse  vertueuse  ne  rappelle-t-il  pas  l'amie 
du  Bi'arnais  et  l'origine  équivoque  des  ducs  de  Vendôme? 

h&. Substance  (fig.  211)  oxilsiFéconfUtr  inatnii'Uc  ^^YésQxAeài^vw 
«  tétins  pleins  de  laict,  qui  donnent  à  connestre  la  substance  que 
nous  tirons  de  la  plus  pure  de  toutes  les  nourritures  (1).   » 

Les  mamelles,  qui  symbolisent  ryl/>oy;'^/<'/y/r(',  occupent  une  place 
prépondérante  dans  les  représentations  de  la  Paix,  soit  en  s'expo- 
sant  au  premier  plan,  comme  dans  la  Paix  ramenant  tahondance, 
par  M™"  Vigée-Lebrun  (musée  du  Luxembourg),  soit  en  fournissant 
du  lait  à  un  nourisson  avide,  comme  dans  la  Paix  et  la  Guerre 
(musée  de  Munich)  (fig.  219),  où  se  retrouvent  toutes  les  qualités 


Fiff.  21" 


(1)  Iconologie  ou  explication  nouvelle  de  plusieurs  images,  emblèmes  et  autres 
figures  hgérogliphiyues  des  Vertus,  des  Vices,  des  Arts,  des  Sciences,  des  Causes 
naturelles,  des  humeurs  différentes  et  des  passions  humaines,  par  liaudoin  :  1()44. 


:vM) 


1.  F.  s     s  K  I  N  S     DANS     I.    II T  S  T  O  I  It  R 


(lu  maître  flamand  :  vigueur  du  dessin,  éclat  du  coloris,  fécondité 
do  la  composition.  Ce  tableau  porte  la  date  de  1()3U  ;  il  ressemble 
beaucoup  à  celui  que  Rubens  peignit,  Tannée  précédente,  pour 
être  offert  à  Charles  l"',  roi  d'Angleterre,  et  que  nous  avons  d(''jà 


^^^ 

^^y 


Fig.  2KS. 

réproduit  ,'1)  sous  le  titre  Mi/icrvc  jjro/rr/ca/i/  la  Paix  contre  la 
Gt/crrc  [National  (jalh'nj^  de  Londres). 

La  Loi  natarcllf  a  le  torse  nu,  pour  signifier  «  qu'il  n"v  a  n\' 
fard  n_v  déguisement  en  cette  loy;  »  elle  tient  un  compas, 
avec  ces  mots  :  .Kqaa  lancv  (également i,  avertissement  qu'il  ne 
faut  pas  faii'e  à  autrui  ce  qu'on  ne  voudrait  pas  (|u'il  nous  fût 
fait.  De  même,  la  nudité  du  buste  de  la  Gloire  signifie  «  qu'il  n'3^a 
jamais  de  fard  dans  les  actions  glorieuses,  pour  ce  qu'elles  parois- 
sent  à  descouvert  en  quelque  tems  que  ce  soit  ». 


(1)  Curios.  a,'/..  i\g.  m. 


Ai'i'K?-;i)i<.  i: 


331 


luEmcuicipalioii  <le  la  Pensée  orne  la  couverture  de  la  revue 
lK)siliviste,  le  L'ihre.  sous  les  traits  d'une  femme,  au  torse  vigou- 
reux, se  pressant  les  seins  pour  en  faire  jaillir  la  sève  rét>énératrice 
%.  220  . 

La  Poêxic  offre  des  mamelles  ^<  nues  et  rei)ondies,  comme  si 
elles  étaient  pleines  de  laict  »,  image  de  la  fécondité  des  pensées  et 
de  l'imagination,  qui  sont  Tàme  de  la  poésie.  Sa  sœur,  la  Muskjiu'. 


#  35*  'X'^it^iY^'^ 


m  ff^je-  -V-t:;/ Ai>--:- 


'^  ^^y 


Fig.  :^19. 

d('Couvre  aussi  sa  gorge,  comme  dans  X Alliance  de  la  jiuésie  et 
(le  la  niasi(jne,  de  \an  Loo  (fig,  222  ,  Sur  son  original  [)lafund  du 
grand  foyer  de  l'Opéra-comique,  Maignan  a  persomiifié  les  Nolex 
(le  la  (/anime  par  sept  belles  nymphes,  court-vêtues,  aux  mamel- 
les accentuées. 

J^a  y-*oe.s/r,  nous  venons  de  le  voir,  n'est  parée  que  de  sa 
sublime  nudité;  faut-il  donc  s'étonner  si  la  Déclamation,  qui  la 
met  en  valeur,  ne  porte  un  voile  que  sur  les  bras  ?  telle  est  celle  de 
Ghapu,  a  l'Opéra. 

La  JJajtse  ne  saurait  être  gênée  par  nul  vêtement  dans  ses  ébats 
chorégraphiques  :  ainsi  l'a  conçue  Carpeaux,  conformément  à  la 
tradition,  dans  son  groupe  célèbre.  La  pudibonderie  des  disciples 
de  Basile  s'en  trouva  offusquée  :  une  nuit  de  18G9,  la  hanche  d'une 
des  danseuses   fut  souillée  d'une  tache  d'encre,  et  le  gouverne- 


332 


M",  s     SEINS     DANS     1,    HISTOIRK 


mont  commanda  un  groupe  plus  décent  à  M,  Gumey.  La  mort 
vint  interrompre  ce  nouveau  travail  et  l'œuvre  de  Carpeaux  reste 
le  j)lus  bel  ornement  de  la  façade,  n'en  déplaise  à  ceux  qui  n'admet- 
tent le  nu  que  dans  un  discours  d'académicien. 

Les  seins  de  VKdiirafion  sont  découverts,  parce  qu'on  ne  doit 
pas  cacher   à  l'enfant  la   vérité:   leur   développement  indique   la 


Fiï.  220. 


maturité  de  l'âge  et  l'expérience  indispensable  pour  élever  la 
jeunesse. 

\^' Instruction  (/ratuilc,  ohlhjdto'u'c  et  laïque  (tig.  221),  se 
présente  sous  les  traits  et  le  costume  d'une  robuste  République, 
fille  de  la  Liberté  et  de  la  Vérité;  sa  puissante  mamelle,  emblème 
de  la  régénération  nationale,  écarte  les  entraves  appointées  à  son 
essor.  Dans  un  coin  s'effondre  le  groupe  de  l'Obscurantisme, 
médusé,  aveuglé  par  l'éclat  de  cette  apparition  rayonnante. 

Dans  les  représentations  allégoriques,  fort  communes  au  moyen 
âge,  des  Arts  libéraux  (Philosophie,  Grammaire,  Dialectique, 
Rhétorique,  Arithmétique,  Géométrie,  Astronomie),  la  Gram- 
maire est  d'ordinaire  figurée  par  une  femme  tenant  de  la  main 
droite  un  paquet  de  verges,  symbole  expressif  des  rigueurs  des 
anciennes  méthodes  scolaires,  et,  de  l'autre,  un  livre  ouvert  qu'un 
marmot    épèle    avec   autant  d'appréhension   que  de  ferveur.    Le 


APPKNDIt'.  R 


333 


Florentin  Guisto,  charo-é  cVorner  de  ces  allégories  coutumières  la 


chapelle  du   couvent  des  Ermites,   à  Padoue,  s'est  quelque    peu 


(1)  Il  nous  a  été  impossi 
lion. 


ble  de  découvrir  l'auteur  do  cette  vaillante  cumposi- 


334 


l-KS     SKINS     UANS     I,    Il  I  S  r  (I  I  li  K 


écarte  du  thème  habituel,  et  la  façon  dont  il  a  compris  sa  (Iram- 
maire  symbolique,  donne  à  cotte  composition  le  droit  de  figurer 
ici.  Elle  tient  bien  d'une  main  le  |)afjuet  de  verges  trachtionnel, 
mais,  elle  appuie  l'autre  doucement  sur  la  tête  d'un  petit  enfant. 
qui,  le  bout  du  sein  dans  la  bouche,  en  suce  avidement  le  lait. 
Malheureusement,  toutes  les  figures  supérieures  de  la  fresque,  où 
se  trouvait  cette  composition  originale,  ont  été  (hHruites  au  \\  ii'' 


^2^ 


Fii 


siècle  pour  l'établissement  des  charj)entes  d'une  voûte;  on  n'en 
connaît  les  détails  que  par  les  esquisses  tracées  à  la  [lointe  d'argent, 
et  repassées  à  la  plume,  de  la  main  même  de  l'artiste,  elles  for- 
ment ainsi  un  précieux  manuscrit  sur  parchemin  du  Cabinet 
national  des  Estampes,  à  Rome  (1). 

La  Grunimairc  était  encore  figurée  par  une  jeune  femme  aux 
mamelles  découvertes,  d'où  sort  un  lait  aljondant,  tenant  une  lime 
d'une  main  et,  de  l'autre,  une  verge,  j)Our  corriger  les  enfants 
paresseux,  «  Mais  cette  légère  peine  est  suivie  d'une  grande  satis- 
faction, pource  qu'elle  leur  fait  gouster  avecque  le  temps,  la 
mer\  eilleuse  douceur  des  sciences,  qui  est  dénotée  par  le  laict  qui 
lu\-  sort  des  mamelles  ». 


(Il  A.  VtMitiui.  Il  iibro  di  Gulsto  per  la   Capella  deijll  E/emilaui  ii)   l'udova. 
dans  les  Gallerie  nulioiialt  italiane.  vol..  iV. 


Ai'i'  r.  M»i(.  i: 


33: 


Liberi  Pietro  a  peint  la  Géométrie  (Académie  de  Vienne),  sous 
les  traits  d'une  femme  nue,  dont  on  ne  voit  que  le  torse  ;  elle  tient 
un  compas  de  la  main  ti,auche.  Cette  toile  sert  de  pendant  à  l;i 
Peinture  et  au  Dessin,  représentés  par  les  bustes  de  deux  Ibrtes 
fdles  dévêtues  et  qui  sont  enlacées,  comme  deux  sœurs  insépa- 
rables. 

Les  qualités  psychiques  se  prêtent  aux  plus  aimables  allégo- 
ries :  la  Perfection  morale  a  les  apparences  d'une  belle  femme, 
tenant   un  compas   à   la  main,   le  corps   perdu  dans  le  zodiaque, 


Fig.  223.  —  Regret. 


Fi!. 


En\  ic. 


couvert  de  gaze  d'or  et,  le  sein  à  nu,  «  pour  signifier,  par  lô,  une 
des  principales  parties  de  la  Perfection  qui  est  de  nourrir  autrui  et 
d'estrc  toujours  pi'est  à  faire  du  bien  à  son  prochain  ;  car  c'est  une 
chose  beaucoup  plus  parfaite  de  donner  que  de  recevoir.  » 

Les  figures  SN^mboliques  de  la  Modération  i  Raphaël;,  de  la 
Bénignité,  de  la  Mansuétude  (Vatican,  salle  de  Constantin),  de 
la  Patience  (Salviati  Gecchino,  Florence),  montrent  en  entier  une 
ou  deux  mamelles;  la  Patience  est  enchaînée  et  soutient  ses  seins 
volumineux  de  ses  bras  croisés. 

Entre  les  mamelles  de  la  Sagesse  (1),  statue   du  musée  Poldi 

(1)  En  1T'.I3,  pour  la  fête  de  l'Etre  suprême.  David  exécuta  les  bas-reliefs  du 
Triomplie  de  la  Sagesse  ;  l'un  d'eux  représente  la  Sagesse  ])ortant  sur  sa  poitrine 
l'œil  de  la  Vérité  ;  «  pourquoi  pas  deux  mamelles  fécondes  »,  observe  Arsène 
Houssaye. 

La  Ville  de  Nice  est  figurée  sous  l'emblème  d'une  femme  armée  et  caSquée, 
avec  la  poitrine  ouverte  et  la  croix  de  Savoie  empreinte  sur  le  cœur. 


336 


m:s   srins   dans    l  iirsToim-: 


Pezzoli,  à  ]\Iilan,  brille  un  soleil,  dont  les  rayons  dorent  les  mame- 
lons du  voisinage.  Au  môme  musée,  la  ]'rrtff  est  couverte  d'une 
draperie,  trop  courte,  qui  laisse  à  découvert  une  de  ses  jambes  et 
ses  deux  seins  ;  mais  elle  tient  une  massue  de  la  main  gauche  et 
sendjle  dire  :  «  Malheur  à  qui  me  touclic!  » 

VUu//nli/('  porte  sa  main  sur  la  mamelle  gauche,  non  pour  la 
cacher,  mais  pour  indiquer  qu'elle  émane  du  cœur.  Autrefois,  la 

Puf/icité  était  couverte  d'un 
vêtement  austère,  la  tête  dis- 
simulée sous  un  voile  épais; 
à  la  Renaissance,  le  voile 
enveloppe  encore  le  corps, 
mais  il  est  transparent  et 
dessine  les  formes;  plus  tard, 
il  s'entr'ouvre  peu  à  peu, 
d'abord  au  niveau  du  buste, 
pour  donner  de  l'air  aux 
mamelles,  comme  on  le  voit 
dansïl/inocencc  et  U Amour, 
de  Coypel  (musée  du  Lou- 
vre) ;  puis  il  tombe  tout  à  fait  : 
la  Pudeur,  de  Frédéric  (Salon 
de  1890)  et  la  Candeur,  de 
A.  Asti,  par  exemple,  gardent 
juste  assez  de  linge  pour 
voiler  une  partie  de  leur  sexe. 
Si  elles  levaient  les  yeux  au 
lieu  de  les  baisser,  on  les  prendrait  volontiers  pour  la  Lu.iure. 
\-i'E><prrume  {J\^.  213;  tient  Eros  dans  ses  bras  et  lui  donne  le  sein, 
rappelant  ainsi  que  l'amour  n'est  soutenu  que  par  l'espérance  : 
«  l'amour,  sans  l'espérance,  a  dit  saint  Augustin,  ne  peut  jamais 
venir  à  bout  de  ses  désirs.  » 

Après  les  Vertus  viennent  les  Défauts  moraux  et  les  Vices.  La 
Coquetterie  est  figurée  par  Oct.  Tassaert  sous  les  traits  et  les 
attraits  d'une  jeune  fille  à  sa  toilette,  en  admiration  devant  la 
pureté  des  lignes  ondulées  de  son  torse.  La  Vanité  (1),  de  Griin 

(1)  Au  Capitule,  la  Vanité,  du  Titien,  tient  compagnie  à  la  Fortune,  du  Guide, 
dans  un  cabinet  réservé  ;  il  en  est  de  même  à  Naples,  pour  les  Danaé  de  Véro- 


Fif 


APPENDIC  R 


337 


(Vienne),  est  nue  comme  la  Vérité  et  tient  aussi  un  miroir  à  la 
main  ;  mais  il  lui  sert  à  explorer  ses  charmes.  Derrière  elle,  un 
cadavre  décharné  rappelle  la  coquette  à  la  réalité,  en  murmurant  à 
son  oreille  le  pu l vis  et  umbra  sinnus,  d'Horace.  Au  Salon  de  1898, 
L.  Belmonte  a  exposé  une  Vanitr,  d'une  philosophie  moins  macabre. 


Fig.  220.  —  Sphinx  ailés  et  Diaiios  d'l:^phè!5e.  Cheminée  par  S.  Serho. 
École  italienne  (xvi°  siècle)  (1). 

sous  l'aspect  académique  d'une  beauté  provocante,  dans  le  costume 
d'Eve  avant  le  péché,  cherchant  à  imiter  la  pose  inchnée  (2)  et 
pudique  de  la  Vénus  de  Médicis. 

nèse  et  du  Titien.  Que  n'imite-t-on.  en  Italie,  le  fanatisme  aveugle  de  Louis 
d'Orléans,  fds  du  régent,  qui  coupa  les  tètes  dTo  et  de  Léda,  du  Gorrège.  Nous 
sommes  bien  de  l'avis  du  D''  Stratz,  quand  il  dit  que  l'immoralité  est  non  pas 
dans  le  nu.  mais  dans  les  yeux  de  ceux  qui  le  regardent. 

(1)  La  boule  de  feu  est  un  bas-relief  e>fécuté  sur  le  contre-cœur  en  fonte  de 
la  cheminée.  Figure  tirée  du  4«  livre  de  Serlio  et  reproduite  par  VArt  pour  tous. 

(2)  Les  Anglais   admettent    que  l'inclinaison  de  la  taille,  chez  la  Vénus  de 

LES    SEINS    D.\NS    l'hISTOIRE.    —    I.  22 


338 


F.  s     SRINS     DANS 


Il  ISTOI  li  !•: 


Plaisir  <r(ittioiir,  sous  la  silhouelte  d'une  jeune  femme,  au  torse 
moulé  sur  celui  crAphrodite,  tient  une  tourterelle  de  chaque  main; 
la  Luxure,  de  A.  Rocher,  offre  ses  mnmolles  saillantes  aux 
caresses  du  zéphyr,  en  attendant  celles  du  bien-aimé. 

Le  Rcyri'l  des  fautes  passées  (fig.  223)  a  été  symbolisé  par  une 
femme  dont  le  sein  gauche,  c'est-à-dire  le  cœur,  est  rongé  de  vers, 


Fig.  :2-27.  —  Sphinx-Sirène  ailé,  l'anneau  tiré  des  Cahiers  iVaraiesques.  de  Prieur, 
Ecole  française  (xviip  siècle). 


«  image  des  secrets  remords  delà  conscience  affligée.  «  V Hérésie 
et  la  Discorde  ont  les  mamelles  pendantes,  flétries  et  desséchées. 
Il  en  est  de  même  de  XArarice  :  Albert  Diirer,  au  musée  de 
Vienne,  en  a  fait  une  vieille  femme  décrépite,  tenant  une  sébile 
remplie  d'or  ;  la  mamelle  droite  —  immense  besace  vidée,  flasque 
et  tombante  —  dévale  du  corsage  entr'ouvert.  L'Envie  (fig.  224), 
qui  caresse  l'hydre  venimeuse,  a  la  mamelle  gauche  rongée  par 
un  serpent. 

Médicis,  est  le  signe  de  la  i)udeur.  et.  par  analogie,  considèrent  le  dos  un  peu 
voûté  des  jeunes  miss  comme  une  grâce  physique  et  morale. 


APPKNDICK 


339 


Les  f|ualilés  physiques,  la  HcaulK  la  Force  (1),  la  Saiif(\  la 
Fécondité^  etc.,  ont  toutes  le  torse  découvert,  orné  de  globes 
accusés. 

La  représentation  des  classes  de  la  Soci(Hé  offre  aussi  un  certain 
intérêt:  la  No/jIcssc  et  VAutorilr  des  classes  dirigeantes  sont 
munies,  en  raison  de  leur  maturité,  de  seins  volumineux;  lemvthe 
de  YEgalilr  fait  étalage  d'une  paire  de  splcndides  mamelles  bien 
semblables,  parité  rare  chez  la  femme  ;  enfin  la  Paurretr  laisse 
passer  ses  mamelles  à  travers  les   trous  de  ses  haillons. 

Des  quatre  Saisons,  il  en  est  trois  qui  exhibent  habituellement 


Fig.  22.S.  —  Chimère.  Anse  de  vase,  tirée  du  Livre  de  croquis  de  Cardillar  (2) 
(xvir-  siècle).  (Musée  Sauvageot.) 

leurs  mamelles;  celles  de  Y  Eté  ont  atteint  leur  maturité,  telle  la 
gracieuse  composition  de  Le  Barbier  ;  le  torse  du  Prhifomjis  est 
celui  d'une  jeune  fille  aux  saillies  pectorales  peu  accusées  ; 
celui  de  M.  H.  Guinier,  exposé  au  Salon  de  1808,  portait  des 
seins  un  peu  proéminents  pour  une  demoiselle  :  «  C'est  intitulé  P/'/;i- 
tetnps,  objecta  un  critique  sévère,  et  les  fruits  sont  déjà  mûrs  ; 
Automne  eût  été  plus  de  saison.  »  Quant  à  V llircr,  si  les  artistes 
lui  donnent  le  corps  d'une  femme,  ils  l'emmitouflent  dans  des 
fourrures  et  ne  découvrent  (|ue  le  bout  du  nez  ;  mais  Pastelot, 
pour  se  singulariser,  n'habille  que  les  extrémités  de  son  Hiver, 
d'un  chapeau,  de  bas  et  de  bottines,  lui  fourre  les  mains  dans  un 


(1)  Une  des  quatre  statues  d'angle  du  tombeau  de  Louis  XII  et  Anne  de  Bre- 
tagne, à  Saint-Denis  ;  voir  les  Seins  à  l'Eglise  et  au  Tliénlre. 

(2)  Orfèvre  tdtra-pratique,  qui   détroussait  ses  clients  pour  rentrer  en  i)0sses- 
sion  des  œuvres  d'art  qu'il  avait  créées. 


340 


I.  KS     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 


manchon,    (iiii   sert  à  la  fois  de  feuille  de  vigne  et  de  soutien  à 
deux  boules  de  neige,  saillant  d'un  torse  complètement  nu  ! 

A  l'Exposition  de  1900,  section  italienne,  nous  avons  relevé  le 
croquis  d'un  tableau  allégorique  de  Jean  Segantini  (fig.  22o),  les 
Mauvaises  mères,  dont  nous  ne  pouvons  pénétrer  le  symbolisme  : 
une  mère  accrochée   par  les    cheveux  aux  branches  d'un  arbre 


Fig.  229.  —  Chimère.  Applique  à  trois  lumières.  Bronze  doré,  époque  de  la  Régence. 
E.xposilion  rétrospective  de  fart  français  de  1900. 

submergé,  allaite  un  enfant  suspendu,  on  ne  sait  comment,  à  sa 
mamelle;  tandis  que, sur  la  rive  lointaine,  s'estompent  les  silhouettes 
d'une  théorie  de  mères  éploréës  qui  fuient  dans  un  brouillard  aussi 
confus  que  le  sujet. 


Les  seins  dans  rornementation.  —  L'art  décoratif  agrémente 
souvent  ses  conceptions  des  courbes  gracieuses  et  des  saillies 
globuleuses  des  seins,  surtout  à  l'époque  de  la  Renaissance.  Les 
artistes  se  plaisaient  alors  à  accuser  le  côté  pittoresque  des 
mamelles  chez  les  animaux  de  la  fable  :  sphinx  (fig.  226),  sirènes 
(fig.  227),  chimères  (fig.  228,  229),  dauphins  (fig.  230),  etc..  Un 


A  P  P  E  N  D  I  C  E 


34J 


singulier  et  gracieux  ornement,  composé  par  Claude  Mellan,  montre 
deux  dauphins  enlacés  caressant  à  leur  manière  les  mamelles 
d'une  Pomone  (fig.  230). 

Un  des  spécimens  les  plus  curieux  de  celte  décoration  fantai- 
siste se  trouve  au  château  d'Ecouen  (xvi^  siècle) .  La  partie  haute 
d'une  cheminée  de  la  salle  à  manger  de  Tintendante  (fig.  231), 
offre  deux  mamelles  débordantes  sur  le  cadre  du   tableau  d'en 


Fier.  230. 


dessous.  Elles  sont  comme  isolées,  à  moins  que  l'artiste  ait  voulu 
les  rattacher  à  la  tète  du  faune,  courbé  sous  le  poids  du  sujet 
assis  à  califourchon  sur  son  cou.  Une  originalité  à  peu  près  sem- 
blable se  remarque  dans  une  frise  imaginée  par  Claude  Mellan 
(fig.  232)  ;  les  seins  remontés  de  l'Abondance  n'ont  pas  de  relief 
et  donnent  lieu  à  l'équivoque  :  on  les  prendrait  pour  une  collerette 
échancrée  en  son  milieu  et  munie  de  deux  boutons.  Une  compo- 
sition non  moins  bizarre  est  le  Tenue  de  H.  Sambin  (fig.  233), 
l'un  des  sculpteurs  les  plus  ingénieux  de  la  Renaissance,  qui 
rappelle  certaines  sculptures  symboliques  de  l'Inde.  Nous  avons 
décapité  ce  «  pourtrait  »  et  supprimé  la  base,  en  raison  du  peu 
d'intérêt  que  présentent,  pour  nous,  ses  extrémités.  On  remarquera 
cette  assise  de  mamelles  qui  sert  de  piédestal  aux  nymphes,  pro- 


34-2 


LKS     SKINS     DANS     L    HISTOIRE 


tégeant  leur  nudité  postérieure  sous  le  môme  manteau.  L'auteur 
exprime  naïvement  sa  satisfaction  libertine  et  sa  recherche  de  la 


Fi-.  231. 


lubricité,  dans  ces  lignes  :  «  le  croy  que  sa  grâce  ne  sera  })oint 
trouvée  mauvaise  et  me  semble  qu'elle  viendra  bien  à  [)ropos  pour 
faire  quelque  mignarde  (1)  et  légère  architecture.  » 


Fi-r.  232. 


Il  a  déjà  été  question  des  chapiteaux  imaginés  par  Tarchitecte 
Chedanne  et  sculptés  par  M.  E.  Derré,  pour  Thùtel  de  M.  Dehay- 
nin,  à  Passy,  qui  tous  portent,  au  milieu  de  feuillages,  le  buste  à 
nu  d'heureuses  mères  souriantes  et  entourées  de  leur  progéniture 

(1)  Ce  qui  |)rouve  que  le  mot  mignardise  est  bien  antérieur  à  l'ierre  .Mi,i,niard, 
le  célèbre  peintre  de  portraits  du  xviir  siècle. 


APPENDIC,  r. 


343 


(fig*.  5,  5  /lis,  233  bis  et  1er)  ;  telles  les  colonnes  du  palais  ducal, 

à  Venise,  formées  de  feuilles  (Toù  se 

détachent  des  figures  symboliques  : 

Arar/cia,  Alacritas^  CastiUis,  Absti- 

ncnfia. 

Les  seins  des  cariatides  sont  tou- 
jours fortement  dessinés;  ils  contri- 
buent ainsi  pour  beaucoup  à  l'effet 
décoratif  des  portes  monumentales 
que  ces  statues  encadrent  ou  des 
corniches  qu'elles  semblent  soutenir. 
Au  Musée  Pokli-Pezzoli,  à  Milan, 
les  seins  figurent  dans  Tarchitecture 
môme  de  Tédifice  :  les  nervures 
ogivales  de  la  salle  d'armes  se  rejoi- 
gnent, deux  à  deux,  par  leur  extré- 
mité libre  et  laissent  pendre  dans  le 
vide  une  demi-sphère  avec  saillie 
centrale,  en  forme  de  mamelle. 

Dans  les   lu'rnmbiciprs  —  bustes 
réunis  dos  à  dos  comme  des  tètes  de  Janus  —  gravés  sur  corna- 
line ou  sur  agate,  on  a  donné,  pour  la  symétrie,  le  même  volume 


Fiir.  233. 


233  A/.v  et  lei\ 


344 


LES    SKINS    DANS    L    HISTOIRE 


aux  mamelles  des  deux  sexes  (fig*.  234) .  Une  autre  pierre  gravée 
du  même  genre  (fig.  235),  montre  la  poitrine  d'une  jeune  femme  : 
ses  cheveux  déroulés  forment,  derrière  elle,  la  barbe  d'un  masque 
de  vieillard. 

Le  Musée  de  Naples  possède  plusieurs  «  pectoraux  »  ou  plaques 
de  métal  circulaires  et  l)ombées,  que  les  guerriers  orientaux  appli- 
quaient sur  leur  costume  au  niveau  des  seins.  Ces  ornements  sont 
en  métal  doré,  ou  même  en  or,  en  argent,  parfois  sertis  de  pierres 
précieuses.  Mounet-Sully  nous  a  présenté  un  Othello  orné  de  ces 
plaques,  sur  son  costume  de  guerre. 


'Kl'^'^ 


\ 

\ 

è 

Fiff.  234;  23:i 


Tirées  du  Muséian  de  Florence. 


Nos  actrices,  dans  les  féeries  ou  les  revues,  emploient  de  sem- 
blal)les  parures  :  une  perle  blanche  y  simule  la  saillie  du  mamelon 
(fig.  236).  Les  Romaines,  d'après  Pline,  portaient  des  colliers  de 
perles  à  un  rang  {littum),  le  jour,  et  à  trois  rangs  [trilinum.^  la 
nuit;  le  troisième  rang  descendait  jusque  sur  les  seins;  «  cette 
conjecture,  remarque  Larousse,  est  encore  confirmée  par  l'expres- 
sion auratœ  inipïUiv,  dont  Ju\énal  se  sert  en  j)arlant  de  ^lessa- 
line,  )) 

Le  musée  du  Caire  possède  une  sorte  de  collier  formé  de  deux 
disques  ciselés  à  jour  et  reliés  par  quatre  chaînes  d"or.  On  ^  voit 
aussi  Voiioshh,  ou  ousckJi.  parure  agrafée  sur  les  épaules  et 
couvrant  toute  la  poitrine;  ornements  luxueux  qui,  selon  saint 
Jérôme,  «  mettent  le  corps  à  nu  sous  prétexte  de  le  vêtir  »  :  le 
luxe,  en  effet,  engendre. la  luxure.  Dans  les  galeries  du  môme 
musée,  le  couvercle  des  sarcophages  d'Égvptiennes  représente  sou- 


A  P  P  K  X  I)  I  C  E 


345 


vent  les  seins  à  nu  :  ils  sont  coloirs  en  jaune,  teinte  réservée  à 
la  peau  féminine,  tandis  que  le  rouge  appartient  aux  corjis  mascu- 
lins; les  mamelons  sont  peints  en  noir. 

Enfin,    dans  un  fragment  de  fresque,  ornement  d'une  case  de 
Graoros  (1),  dessiné  par    Boudier    et  reproduit    par    le   Tour  du 


Fig.  23(j. 


Fiff.  237. 


Momie  (18  mai  1901),  on  croit  reconnaître  une  idole  fantastique 
à  une  seule  mamelle,  comme  les  divinités  égyptiennes  qui  ornent 
les  parois  des  temples  (fig.  237). 


(!)  Ue  ht  Cùle  d'Ivoire  au  Soudan  el  à  la  (iuiuée.  [inv  le  capitaini'  (fOllùne. 


POST-SCRIPTIM 


Fustigation  des  esclaves  à  Rome.  —  Juvénal  (sat.  VI)  parle  d'une 
esclave,  la  malheureuse  Psecas,  qui,  «  les  cheveux  épars,  les  épaules 
découvertes  et  les  seins  nus,  arrange  la  chevelure  de  sa  maîtresse.  — 
Pourquoi,  s"écrie  l'irascible  patricienne,  cette  boucle  est-elle  si  haute? 
Aussitôt  un  coup  de  nerf  de  bœuf  puni  le  forfait  d'un  cheveu  mal 
frisé.  »  Si  la  dame  romaine  veut  que  sa  coiffeuse  ait  les  épaules  décou- 
vertes et  les  seins  nus,  c'est  pour  la  châtier  plus  aisément  à  coups  de 
nerfs  de  bœuf,  comme  d'autres  enfonçaient  une  longue  épingle  d'or 
dans  la  poitrine  et  les  épaules  de  leurs  habilleuses,  décolletées  à  cet 
effet.  iSest-ce  pas  Ovide  qui  recommande  aux  Romaines  «  de  ne  pas 
abuser  de  cette  réprimande  devant  leurs  amants?  »  Une  telle  cruauté 
ne  pouvant  que  nuire  à  la  passion  qu'elles  inspirent. 

La  nurse  "Victoria  et   l'origine  de  la  platitude  anglaise.    —    Le 

D''  Heline.  dans  ses  curieux  et  insti-uetifs  SourcnirK.  publiés  par  la 
Revue  moderne  de  médecine,  rapporte  un  incident  de  voyage  à  Londres 
que  lui  conta  le  D'"  Anselmier.  Appelé  pour  accoucher  une  Française, 
mariée  à  un  lord  anglais,  léminent  gynécologue,  avant  de  rentrer  en 
France,  sollicita  et  obtint  de  la  reine,  qui  s'intéressait  à  la  jeune  mère, 
une  audience  particulière.  «  J'étais  auprès  d'elle,  dit  l'accoucheur, 
depuis  un  instant,  quand  soudain,  la  porte  s'étant  ouverte  à  deux  bat- 
tants, un  chambellan  annonça  S.  A.  U.  le  prince  de  Galles.  Je  vis  alors 
entrer  un  gros  gaillard  blond,  trapu,  qui  s'élança  vers  sa  mère,  et 
après  les  trois  saints  d'usage,  la  prit  tendrement  dans  ses  bras,  en  la 
couvrant  de  baisers  et  en  l'appelant  :  ma  chère  nourrice,  mij  dear  nurse.  » 
dette  historiette  suggère  au  D''  Michaut,  de  la  Chronique  médicale,  des 
réflexions  originales,  ([ui  expliquent  pourquoi  «  elles  n'en  ont  pas  (mi 
Angleterre  ».  «  Pour  comprendre  ce  que  cette  appellation  du  futur 
Edouard  VII,  remarque  notre  ingénieux  commentateur,  avait  de  llat- 
teur  pour  la  reine  Victoria,  il  faut  savoir  qu'en  Angleterre,  durant 
cent  cinquante  ans,  aucune  femme  de  la  société  n'avait  consenti  à 
nourrir  ses  enfants.  Toutes  les  nourrices  venaient  d'Irlande.  Mais  cet 
abus  prolongé  et  constant  des  «  remplaçantes  »  avait  eu  des  consé- 
quences  curieuses,    qu'aucun   des  apôtres  modernes  de  l'allaitement 


POST-SC  UIPTLM  341 


maternel  n"a  mis  jusqu'ici  en  lumière  :  à  savoir  que  les  g-landes  mam- 
maires, ne  fonctionnant  plu^^,  avaient  fini  par  s'atrophier  de  généra- 
tion en  génération,  d'où  la  poitrine  maigre  et  plate  des  Anglaises. 
Très  avisés,  les  médecins,  qui  désiraient  voir  restaurer  l'allaitement 
maternel,  ne  manquèrent  pas  d'insister  sur  cet  inconvénient  de  l'usage 
des  nourrices.  C'était,  n'est-il  pas  vrai?  prendre  les  femmes  par  le 
côté  sensible,  je  veux  dire  la  coquetterie.  Aussi  la  reine,  pour  donner 
la  première  le  bon  exemple,  s'était-elle  décidée  à  nourrir  elle-même 
tous  ses  enfants.  »  Se  non  è  ver-o... 

Les  seins  chez  les  Japonaises.  —  Encore  au  D''  Michaut,  chargé 
d'une  mission  scientifique  (mi  18'J2.  nous  devons  les  renseignements 
suivants  sur  la  plastique  et  le  naïf  sans-gène  des  chastes  Japonaises. 
Le  Kimono  (robe),  largement  ouvert  sur  la  poitrine,  laisse  voir  la 
naissance  des  seins.  Cependant  la  robe  des  courtisanes  n'est  pas 
plus  ouverte  que  celle  des  jeunes  filles  ou  des  femmes  mariées,  et 
même  les  danseuses  se  couvrent  entièrement  la  gorge;  elles  ne  quit- 
tent partie  ou  totalité  de  leur  costume  qu'à  la  suite  de  paris  perdus 
entre  elles  :  la  chiri-foun,  danse  opposée  au  ventre,  alors  ne  manque 
pas  de  couleur  locale  et  elles  s'en  amusent  infiniment.  Dans  le  nord 
seulement,  d'après  Maurice  Dubard,  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des 
fillettes  dont  «  la  partie  supérieure  du  buste,  laissée  à  découvert,  est 
presque  toujours  parfaite  ».  D'ailleurs,  la  Japonaise  n'a  pas  l'art, 
non  plus  que  l'intention,  de  faire  valoir  la  nudité  de  la  poitrine  si 
appréciée  en  Europe:  l'obi  (ceinture)  ne  le  lui  permet  pas. 

De  même,  ni  parures  de  la  gorge  ou  du  cou,  ni  colliers,  ni  rivières  de 
diamant  —  l'étincelante  devanture  d'Otero  n'aurait  aucun  succès  chez 
ces  Asiatiques  fermées  —  pas  la  moindre  Heur  provocante;  c'est  uni- 
quement le  décolletage  triangulaire  qui  dégage  un  cou  très  long,  sous 
l'échafaudage  que  la  coiffeuse  dresse  sur  la  tète  des  élégantes,  et  lui 
laisse  toute  sa  grâce  dans  la  simplicité  de  sa  courbe.  Mais  les  Japo- 
nais n'attachent  pas.  comme  nous,  une  idée  esthétique  et  lubrique  à  la 
forme  et  au  volume  des  seins.  Pour  eux,  le  type  de  la  beauté  pecto- 
rale est  une  platitude  relative  qui.  sans  être  l'indigence,  n'est  pas 
l'opulence,  mais  une  honnête  aisance:  leur  idéal  se  rapproche  des 
vierges  pré-raphaéliques.  La  suggestion  génésique  vient  moins  de  la 
gorge  que  du  cou,  de  la  nuque,  de  la  main  et  du  pied,  comme  chez  les 
Célestes.  La  vue  dune  femme  nue  ne  seml)le  inspirer  au  Japonais 
aucune  idée  sensuelle.  A  Yokohama,  le  D''  Michaut  a  assisté  à  une 
série  de  réceptions  où  l'hôte  présentait  à  ses  invités  sa  femme  absolu- 
ment nue.  Mais  la  Japonaise  ne  supporte  pas  la  moindre  plaisanterie 
légère,  qu'elle  considère  comme  un  manque  de  respect.  «  Pourquoi 
s'adresser  à  nous?  disait  un  jour,  rouge  de  colère,  l'une  des  actrices 
d'un  théâtre  de  femmes,  après  avoir  fait  expulser  un  intrus  qui  avait 
osé  porter  une  main  libertine  sur  la  poitrine  de  la  mignonne  créature; 
ce  n'est  pas  notre  métier  d'agacer  les  hommes.  Le  Yanhiro  (quartier 


348 


LKS     SKINS     DANS     L    HISTOIRH: 


des  prostituées)  est  assez  habité.  »  Beaucoup,  ajoute  Maurice  Dubarcl, 
portent  un  poignard  à  leur  ceinture,  et  ce  n'est  pas  un  vain  hochet  mais 

bien  une  arme  dont  elles  n'hé- 
sitent pas  à  se  servir  pour  dé- 
fendre leur  vertu  en  danger. 

Les  youya,  maisons  de  bains 
chauds,  sont  de  véritables  gre- 
nouillères, où  les  deux  sexes  se 
baignent  en  commun,  dans  le 
costume  de  nos  premiers  pa- 
rents. Honni  soit  qui  mal  y 
pense!  Un  clergyman  a  essayé 
de  faire  tendre  une  corde  de 
séparation,  mais  sans  y  réussir. 
D'ailleurs,  jamais,  de  mémoire 
d'homme,  aucune  scène  scanda- 
leuse ne  s'est  passée  dans  ces 
établissements.  Outre  les  pis- 
cines, il  existe  desbarriquesbal- 
néaires  pouvant  contenir  une 
famille  entière.  En  voyage,  on 
rencontre  souvent  des  femmes 
et  des  jeunes  filles  qui  prennent 
des  douches,  toutes  nues,  sous 
les  cascades  naturelles  si  nom- 
breuses au  Japon  :  elles  ne 
s'effarouchent  pas  et  cherchent 
encore  moins  à  tirer  vengeance 
Fig.  250.  des    indiscrets    Endymions   de 

passage. 
Les  mères  allaitent  très  tard;  pendant  trois  et  même  quatre  ans.  Il 
n'est  pas  rare  de  voir  de  grands  enfants  interrompre  leurs  jeux  pour 
téter;  aussi,  le  rachitisme,  les  diarrhées  infantiles,  les  gastro-entérites 
sont-elles  des  maladies  dont  l'enfance  est  exempte.  Les  «  rempla- 
çantes ))  sont  ignorées  et  les  biberons  inutiles.  Les  bêtes  à  cornes  et 
les  vaches  en  particulier  sont  très  rares  ;  ainsi  s'explique  la  fidélité  des 
mères  japonaises  à  leur  devoir  de  nourrices;  au  reste,  elles  ont  tout  ce 
(|u'il  faut  pour  le  remplir,  contenant  et  contenu;  en  Extrême-Orient,  la 
mamelle  est  petite  comme  la  race,  mais  très  propre  à  la  lactation. 
Détail  piquant  ;  dans  le  langage  japonais,  le  même  mot  tchi-tchi  désigne 
le  sein  et  le  lait,  l'organe  et  la  fonction;  sorte  d'onomatopée  qui  rappelle 
«  le  bruit  argentin  du  lait  jaillissant  dans  les  seaux  »,  dit  A.  Iloussaye. 
Le  corset  est  inconnu  au  Japon,  du  moins  chez  la  classe  moyenne; 
mais  les  Japonais  sont  trop  favorables  aux  idées  occidentales  pour  ne 
pas  adopter  nos  modes  avec  notre  civilisation,  et  bientôt  la  Japonaise 
aura  le  corset  et  le  décoUetasre  de  la  Parisienne  ;  la  cour  a  franchi  le 


J'OST-SCRIPTUM 


349 


premier  pas.  Nous  réservons  pour  nos  Seins  à  VErjlm'  rallaitement  de 
l'ourson  sacré  par  les  femmes  Aïnos,  aboriL;-ènes  du  iiortl  du  Japon. 

Fontaine  ubérale.  —  Une  statuette,  de  la  collection  do  .AF.  le  comte 
Basilewski  (fig.  2o0i,  représentant /)jfljie  chasseresse,  dans  l'attitude  de  la 
Diane  à  la   hiche  du   Louvre,  a  servi  de  fontaine  ubérale  —  à  ([uelle 


Fie.  251. 


Fis.  2a2. 


époque,  dans  quel  pays,  nous  l'ignorons  —  les  trous  pratiqués  dans  le 
chiton  court  de  la  déesse,  au  niveau  des  seins,  et  encore  munis  de 
tuyautage  métallique,  ne  laissent  aucun  doute  sur  son  usage.  Faire 
passer  l'eau  à  travers  le  vêtement  est  une  idée  assez  singulière. 

Au  lieu  de  choisir  la  pudique  déesse  qui,  en  dehors  de  l'heure  du 
bain,  ne  découvre  que  le  sein  droit,  pourquoi  le  sculpteur  n'a-t-il  pas 
placé  ses  robinets  sur  la  poitrine  sans  voiles  d'une  Vénus,  barbouil- 
lant de  son  lait  le  visage  d'Eros,  ou  d'une  Junon  nourricière  traçant  la 
voie  lactée?  (Voir  Architeciura  curiosa  nova,  de  (i.-A.  Bœcler  (1664). 

Les  modèles  à  Venise.  —  Au  xvu'-  siècle  —  Misson  nous  l'apprend 
(p.  1U2)  —  N'enise  est  la  ville  où  les  peintres  peuvent  le  mieux  étudier 
la  nature  sur  le  vif.  Il  n'en  sera  plus  de  même  deux  siècles  plus  tard. 
En  septembre  1846,  le  peintre  Schiavoni  se  plaint  à  Arsène  Iloussaye 
de  la  difficulté  d'avoir  des  modèles  :  se  donner  corps  et  àme  au  premier 
gondolier  venu,  dit-il,  c'est  admis  parmi  les  filles  du  peuple;  mais  se 
découvrir  la  gorge  dans  un  atelier,  voilà  ce  qui  indigne  les  courtisanes 
vénitiennes.  Elles  veulent  bien  que  l'amour  arrache  son  bandeau  pour 
les  voir  à  loisir;  mais  elles  craignent  la  concupiscence  des  yeux,  comme 
disait  saint  Paul.  Elles  qui  ne  rougissent  jamais,  rougiraient  de  se 
déshabiller  bravement  pour  poser  en  Diane  chasseresse,  en  Madeleine 
repentie  ou  en  Nymphe  bocagère  :  ou  bien  il  leur  faut  d'abord  une 
déclaration  galante.  «  Les  courtisanes,  observe  A.  Houssave,  consentent 


3:10 


LKS     SEINS     DANS     L    HISTOIRE 


à  poser  devant  raniour,  qui  ;iinie  le  mystère,  mais  elles  refusent  hau- 
tement (le  poser  devant  Tari  ipii  aime  le  soleil.  » 


Fio-.  253.  —  Nourrice  du  Xégus  d'Abyssinie.  I)'ai)rés  la  pholograpliie  de  Zaïigaivi. 

(Voir  p.  ilQ.) 


Le  bal  des  Quat'  z'arts.  —  Cette  année  le  bal  a  eu  lieu  le  24  avril,  à 
l'Elysée-Munl martre,  avec  son  éclat  habituel  :  le  costume  moyen  âge 
était  de  rigueur.  Chacun  des  grands  ateliers  de  peinture  ou  d'archi- 
tecture a  rivalisé  de  zèle  et  d'originalité  dans  la  conception  de  la  loge 


POST-SCRIPTIMI 


331 


dosUnéc  a  -arnir  la  salle  de  bal  et  du  char  qui  défile  dans  le  cortège. 


Les  princii)ales  recompenses 


ont  été  décernées  aux  chars  représentant 


Fi£ 


-^  LÉniiime  des  Enigmes. 


la  Messe  noire  (fi-.  251),  page  d'histoire  liturgique  reconstituée  par 
l'atelier  Cormon,  et  le  Livre  clheures  (fig.  232)  de  Tatelier  J.-P.  Laurens. 
Au  Salon  de  cette  année,  M.  Abel  Truchet  expose  une  toile  ou  miroite 
et  pirouette,  sous  les  jets  de  la  lumière  électrique,  la  foule  bariolée 
de  rapins  en  costumes  excentriques  et  de  modèles  féminins,  vêtus  de 
leur  jeunesse  et  parés  de  leur  beauté,  in  vestilo  coiifidciiza. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


Avaxt-Propos V 

Chapitre  Premiek.  —  Faits  légendaires  et  historiques 1 

I.  —  Récits 1 

A.  —  Faits  généraux 1 

1°  Sur  les  Seins 1 

2°  Sur  fallaitenient  et  le  lait al 

B.  —  Faits  particuliers   sur  les  seins  et  rallaitemenl .    .  7o 

II.—  Faits  célébrés  par  les  beaux-arts 114 

[°  Faits  relatifs  aux  seins 114 

2'M^^ait s  relatifs  à  l'allaitement 134 

Chapitre  H.  —  Sur  le  décolletage lo6 

1.  —  Faits  divers I"j6 

II.  —  Exhibitions  des  seins  en  public 187 

111.  —  Portraits  de  femmes  décolletées,  avec  mamelon  ....  212 

Chapitre  III.  —  Sur  le  Corset 284 

Appexdice. — Symbolisme  et  effet  décoratif  des  seins 319 

POST-SCRIPTU.M 34Ô 


E  V  n  E  U  .\  ,     IM  P  R  I  .M  E  RI  E     DE     CHARLES     H  É  R  I  S  S  E  Y 


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DECOff^q 


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