LES SEINS DANS L'HISTOIRE
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LES SEINS DANS L'IIISTOIISE
SIN(iL'l,.\RITi:S IIKCLEILLIES PAR
Le Docteur G.-J. AYITKOAVSKI
Jo ne vomi pas dirf qiip de mou ciitciiilcmeiil j a\c
fait (oulcs 1rs ditos nouvelles, mais jn les ay retirres
de plusieurs livres, les autres j'ay uuy raeompter à
plusii'urs lions compaignons.
Nicolas l>i: TimM -.
PARIS
A. MALOINE, ÉDITEUR
23-25, RUE DE l'ÉCOLE-DE- MÉDECINE, 23-25
1903
1
03
AVANT-PROPOS
L'accueil favorable que les bibliophiles ont fait à nos
deux premiers volumes — Curiosités médicales^ Ultéraires et
artistiques sur les Seins, et Anerdotes historiques et reru/ieuses
sur les Seins et F Allaitement, suivies de V Histoire du dëcolle-
taf/e et du corset {\) — nous a engagé à continuer cette collec-
tion d'historiettes « sans chemises ».
Nous publions aujourd'hui le premier volume d'une nou-
velle série, qui comprendra ensuite : — Les Seins à l' Eylise
et au Théâtre ; les Seins dans la littérature et les beaux-arts .
Dans les ouvrages de ce genre, le champ des recherches,
sans être illimité, est très étendu. La découverte de docu-
ments vainement cherchés jusque-là, de nouvelles lectures,
le hasard des rencontres, des sources qu'on avait négligées,
donnent des résultats inattendus et Tintérét va toujours
grandissant.
L'Exposition de 1900, en rassemblant à Paris tant de
curiosités, tirées des galeries et des cabinets d'amateurs où
elles étaient en quelque sorte ignorées, a oilert à nos
recherches un aliment très appréciable.
Le lecteur reconnaîtra certainement le soin que nous
avons apporté à être aussi complet que possible en une
matière où il est malaisé de l'être tout à fait.
(1) Paris. A. Maloiiic i» vol. in-S-. ill. de 210 cl ISO lig-.
LES SEINS DANS L'HISTOIRE
CHAPITRE PREMIER
FAITS LÉGENDAIRES ET HISTORIQUES
I. — RECITS
A. — Faits généraux
1" Sur les Seins. — Arrachement des seins. Suspension
par les seins. — Nous ne rapporterons ici que les atrocités com-
mises par des tyrans, par la foule égarée ou par la soldatesque,
réservant pour une autre série (1) les supplices infligés aux martyrs
de la foi chrétienne.
Amestris, femme de Xerxès, ordonne, dans un accès de jalousie,
d'arrêter la propre belle-fille du roi, de lui couper les seins, le
nez et la langue, et de faire manger ces débris sanglants par les
chiens, sous les yeux de l'infortunée princesse (2).
En iV.'j, la phiiosophr Hypathia, une des gloires de l'école
platonicienne d'Alexandrie, fut livrée, par le patriarche saintCyrille,
à des forcenés, qui l'entraînèrent dans l'église appelée la Gésarie ;
là elle fut mise à nu, puis son corps, d'une merveilleuse beauté, fut
dépecé avec des coquilles tranchantes : on commença naturellement
par les mamelles, dont les éminences gracieuses et fermes s'of-
fraient, les premières, en sacrifice à ces cruels fanatiques. Ces débris
palpitants furent ensuite promenés dans la ville, comme ceux de la
princesse de Lamballe, en 4 792, et brûlés sur la place Cinaron (3).
(1) Les Seins à l'Eglise et au Tliédtre.
(2j Gustave Le Bon, les Premières civilisations.
(3) Grand Dict. unir. duXIX" siècle.
LES SEINS DANS l'hISTOIRE. — I. 1
I.I'.S Si:iNS DANS I. IIISTOlItr.
La môme aberration avait poussé Théodose, appelé le Grand,
(est-ce par dérision ?) à détruire le scrajinmi de Ptulémée (1) et
les temples égsptiens. Les sculptures des monuments échappés
à la destruction portent encore la trace de ces profanations
artistiques : les marteaux des vandales, précurseurs de Tartufe,
exerçaient surtout leur rag-c sur les mamelles des déesses, prolt
jnidor (2)! Lors du sac de I»ome, en V.Vll, les soldats allemands et
espagnols, entre autres distractions intelligentes, mettent en pièces
les tableaux d'églises, sans distinction de signatures, et, couverts
des ornements pontificaux, vont prendre des religieuses qu'ils
exposent nues aux regards de leurs camarades (3),
Au cours des guerres de la Ligue, la ville protestante de ^lar-
vejols ayant capitulé, les assiégés subirent, malgré les promesses
de Tamiral de Joyeuse, les plus horribles traitements. On ne voit
partout que viols et meurtres : « Une femme se défend contre les
violences des soldats ; on la saisit, on lui arrache un sein, on la
jette dans un puits. Passent deux gentilshommes, qui l'en font
sortir par ceux-là mêmes qui l'y ont précipitée; à peine ont-ils dis-
paru, que les meurtriers l'attachent à un arbre, la tuent, et, ce fait,
la jettent dans la rivière ». Ainsi fut punie, de son protestantisme
présumé, une femme qui était peut-être une fervente catholique ;
car il 3^ avait aussi des apostoliques à Marvejols. Dans les guerres
de religion, nous le savons, c'est à Dieu à reconnaître les siens.
Le Lro Belgicus (1583), de Michel Aitsinger, illustré par le
graveur flamand Hogenbert, est une courageuse protestation
richement documentée, contre la guerre stupide et lâche, surtout
quand il s'agit de querelles rehgieuses, où de « braves » spadas-
sins, armés jusqu'aux dents, égorgent et étrijient de malheureu-
ses victimes sans défense; singulière manière de comprendre et
d'appliquer le précepte du Dieu de paix, qu'ils ont la prétention de
défendre : Aimez-vous les tins les autres ! Mais il n'est que
trop vrai, comme le remarque Anatole France dans T/iaïs, « toutes
les reUgions enfantent des crimes ». Une vieille estampe, les
(1) V. Grand D'ici, liislor., de l'abbé Morery ; t. I, ]). 118.
(2) A la prise de Harlem, 1372, sous le même fanatisme religieux, les Espa-
gnols jetèrent au l'eu tous les tableaux de Hemskerck, le Raphaël protestant.
Dans un autre ordre d'idées, la femme de Monsigny brilla, par dévotion, plu-
sieurs manuscrits de son mari, entre autres l'opéra de Baucis et Philémon.
(3) De Stendhal, Promenades dans Rome .
FAITS LKdKNDAIKKS KT H I S T O lU H T F- ^
}Jassacrrs dWnvcrs (fîg. 1), expose, dans le compartiment
de o-auche, une femme suspendue par les seins à l'aide de crochets,
u épi-euve (le coLirai^v )> conservée, de nos jours, chez les Indiens
Pieds-noirs (1).
Autre exemple d'atrocité religieuse , mais cette fois attribuée aux
(I) Anecd.. hisL, p. 23.
LKS SKINS DANS I, IIISTOIUK
luiu,U('ii()ls. (jiii pt'iidanl I(H1i's accrs de ilclinuiii rfh(/iosum, ne le
cèdiMil ("11 ricii aux catholiques, quand il s'ag'il de ralfinements de
barbai'ie. Nous le tirons du Thrâtrc des oiiautt'z des hérrttrques
drudsiretcms, fraditi/ du latin en français^ ^2'édit. Anvers, 1(')01 .
Fraiirois du Casse étant lieutenant (f j)oui' le l'oy de Navarre »,
à Hazas, en Gascogne, deux de ses soldats saisissent une femme
catholique, lui coupent les seins, puis lui emplissent la partie
honteuse de poudre à canon et y mettent le feu, « ce qui luy feit
crever le ventre et épandre les entrailles dehors. » Etait-ce
pour tourner en ridicule les « canons «de TEglise, ou par plaisan-
terie de corps de garde, que ces tortionnaires s'ingéniaient à
transformer un vagin en pièce d'artillerie? N'a-t-il pas cent fois
raison le moraliste qui a dit que la religion était un brandon de
discorde, non seulement entre les nations, mais entre les citoyens
d'un même peuple?
Ainsi se trouve justifiée l'observation du D'' Quercy qui, dans
sa Patholo(/ie de la Révolation (1), constate qu'aux actes sangui-
naires se mêlent les actes lubriques et cite, à l'appui de sa thèse,
ce nouvel exemple : Aux massacres de septembre (1792), les
assassins de la princesse de Lamballe lui coupèrent les seins et les
parties sacrées « le pauvre mystère de la femme, dit ]^lichelet,
qu'ils auraient dû voiler de la terre, ils le mirent au bout d'une
pique et le promenèrent au soleil » . Autre supplice hideux rap-
porté par notre grand historien national : « C'était, écrit-il, une
bouquetière bien connue du Palais-Royal, détenue pour avoir
mutilé un garde française à la façon d'Abélard. La plupart de ces
femmes et filles du Palais-Royal étaient royalistes, regrettant le
bon temps, les nobles qui les payaient mieux. On supposa que
celle-ci, royaliste autant que jalouse, avait voulu avilir un amant
révolutionnaire, outrager en lui la Révolution. On la punit par
le sexe autant que possible ; on lui passa un bouchon de paille
dans les parties naturelles, comme on en met aux choses à vendre.
La malheureuse s'agitant dans cette extrême douleur, on l'attacha
toute nue à un poteau, et on lui cloua les pieds ; puis on lai coapa
les seins et l'on mit le feu à la paille ».
En 1900, le mouvement des Boxers contre les étrangers com-
(1) Médecine inlenuUiunale illustrée.
FAITS LKT.ENnAIRRS RT HISTORIQUES
mença à Pao-Ting-fou. Entre autres atrocités commises dans celte
ville, l'enquête du général Bailloud révéla qu'une Américaine, avant
d'être mise à mort par les révoltés, avait été promenée toute nue,
les seins coupés. Les Chinois, en effet, ont une profonde
indifférence pour ces organes ; ils reportent toute leur tendresse
sur ces horribles moignons de pieds, qui éveillent chez eux les
mômes idées voluptueuses que les mamelles en Occident (1).
Ablation rituelle des seins. — Certaines sectes chrétiennes,
en Russie, les Klysty ou Flagellants et les Skopsty ou Mutilés, qui
se châtrent, comme Origène, par fanatisme religieux, se procu-
rent d'une façon bien cruelle la matière nécessaire à la communion :
(c Après avoir décidé une vierge de quinze ans, par force pro-
messes, on lui extirpe le sein gauche pendant une immersion dans
un bain d'eau chaude. Cette chair est alors découpée sur un plat
en menus morceaux , que les assistants consomment. Ensuite la
jeune fdle est retirée du bain et on la pose sur un autel à proximité.
Toute la communauté exécute autour d'elle une danse folle et
sauvage et entonne des cantiques [2). »
Et chez nous, d'autres sectaires — les antisémites —accusent les
juifs de meurtres rituels qui n'ont jamais existé! Est-il donc vrai
f jue la foi attire la mauvaise foi ?
Anomalies mammaires. — Nous passerons sous silence les
mamelles supplémentaires, étudiées déjà à tous les points de vue :
anatomique, religieux et artistique. Observons seulement que cer-
tains goitres globuleux peuvent avoir l'apparence, surtout chez la
femme, d'un troisième sein. «Dans le Valais, écrit, en I80O, le Ben-
veiiuto di( ^tijle, nous avons rencontré ma chimère, c'est-à-dire la
femme à trois tétons ; mais le troisième était un goitre et c'était le
seul dur. » Cas pathologique qui rappelle le vers de Boileau :
Son menton sur son sein descend à triple étage.
Les seins //y/vc/'/royj/r/e.v sont assez rares chez l'homme; cepen-
dant le D' Bedor, chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu de Troyes,
(Ij D' G. Matignon, Superstition, crime et misère en Chine, i" édit. 1900.
(■2) Haxthausen, Éludes sur la situation intérieure de la Russie : cite pixv
M. A. Leroy-Beaulieu clans ['Empire des Tsars et les Russes (Hachette, I«8i-I8b::-,
3 vol. in-S").
LES SEINS DANS 1. IIISTOIin:
vers 1S){(J, a rencontré celle confoi'niation sur trois jeunes gens,
dans les conseils de re vision de l'Aube. Ils furent déclarés impro-
pres au service militaire, attendu que tout habit de drap, tenu
fermé sur la poitrine, leur était trop pénible à supj)orter; n'était-ce
pas le cas de recourir aux corsets?
Chez la femme, rhyj)ertrophie mammaire, en dehors des tumeurs,
est assez fréquente ; nous rappellerons les observations les j)lus
curieuses, publiées par les chirurgiens : Marcé, en 18^)4, a opéré
avec succès une mamelle droite de 2,500 grammes, la gauche nor-
male ;Ashwell, en 1842, a enlevé une mamelle de 10,000 grammes;
Durston a observé une malheureuse portant une mamelle droite
de 18,200 grammes et une gauche de 30,200, et qui fut frappée de
mort spontanée; enfin le D'" Garcia, directeur de Thôpital militaire
de Mexico, a pubhé, en janvier lUOl, le cas le plus extraordinaire
qu'on ait observé jusqu'à ce jour : une mamelle de 40 kilo-
grammes.
Christine de Suède présentait une difformité mammaire moins
accusée : cette <( ^Nlessaline du Xord » était contrefaite ; elle avait,
non seulement, « le nez plus long que le pied », assure une lettre
apocryphe conservée à la bibliothèque Harlayenne, mais elle
était agrémentée d' « un téton plus bas que l'autre, d'un demi-
pied, et si enfoncé sous l'épaule, qu'il semble pas qu'elle avait la
moitié de la gorge absolument plate (1). »
Variétés ethnographiques. Mœurs et Coutumes. — Chez les
primitifs comme chez les civilisés, les femmes sont portées à la
coquetterie; c'est un faible inhérent au sexe de ce nom. Le désir
(1) La grande Mademoiselle a raconté à la duchesse d'Orléans « que celte
singulière reine, étant fort blanche, se couchait toute nue sur un lit de velours
noir, pour se présenter ainsi à ses amants ». Ce raffinement de lubricité ne
concorde guère avec le ])ortrait ou plutôt la caricature tracée par fauteur
inconnu de la lettre en question, qui exagère certainement ses difformités cor-
porelles : « sa taille, écrit-il, est voûtée; elle a une hanche hors d'architecture:
elle boite:... elle rit de si mauvaise grâce que son visage se ride comme un
morceau de ])archemin que l'on met sur des charbons ardents;... elle n'a pas
soin de ses dents, elle pue assez honnêtement pour obliger ceux qui l'approchent
à se précaulionner et à se parer de la main... » Ce n'est qu'une charge éma-
nant de quehiuc courtisan dépité, d'un amant transi ou d'une rivale jalouse.
D'ailleurs les difformités jihysiques ne semblent i)as rebuter autrement les
Don Juans septentrionaux: IMerre III n'avait-il pas, pour favorites, une bossue,
la duchesse de Courlande, et Elisabeth Yorontzof, qui était marquée de la petite
vérole, et de ])lus « louchait, ])uait et crachait en j)arlant », affirme une mau-
vaise langue de l'époque.
FAITS F-KGENDAIRES ET HISTORIQUES
de plaire ne consiste pas seulement en parures ; certains organes
subissent des déformations spéciales, s'accordant avec Testhétique
de la région : pour les Chinoises, les pieds, transformés en moi-
gnons, représentent le /i^f /?/?^s- ultra de la beauté (1); les Bos-
chidiennes s'efforcent do distendre les lèvres vulvaires jusqu'à ce
qu'elles servent de tablier ou de pagne; certaines peuplades font
sauteries incisives médianes; d'autres cherchent à modifier la forme
de la bouche, celle des seins, etc. C'est, d'après Mondière, pour
la femme Assinienne un signe de beauté d'avoir le mamelon le plus
long possible. Elle atteint rapidement son idéal en se faisant saisir
le bout du sein entre les pinces des nymphes du myrmyle ou for-
nicarius; cette coutume est répandue dans plusieurs parties de
l'Afi'ique.
Claudius Madrolle, dans son curieux ouvrage En Guinée, a fait
des remarques intéressantes sur la plastique thoracique des femmes
Soussous, peuplade du Siorra-Leone : on rencontre souvent des
petites filles d'une dizaine d'années avec des seins d'un développe-
ment peu en harmonie avec celui du corps ; souvent le mamelon
forme une saillie considéraljle simulant une glande surajoutée à la
première, en forme de gourde.
Nous savons que les Indiennes viennent arroser la tombe de leur
enfant nouveau-né avec leur lait [2] ; mais cette pratique contribue
cà prolonger la sécrétion lactée, plusieurs mois api-ès la mort de
l'enfant. Chateaubriand, dans Atala, rapporte une coutume ana-
logue : une mère, avant d'exposer, sur les branches d'un arbre, le
cadavre de son enfant, le berce encore dans son giron : « Et la
jeune mère chantait d'une voix tremblante, balançait l'enfant sur
ses genoux, humectait ses lèvres du lait maternel et prodiguait à
la mort tous les soins qu'on donne à la vie ».
(1) La beauté Chinoise réside en grande jiarlie dans le pied. « Le i)ied d'une
femme, d'après le I)'- G. Matignon, pris dans la main d"un Céleste, lui produit
le même effet qu'à un Européen, la palpation d'un sein jeune et ferme. » .\ai)0-
léon partageait les goûts de la race mongole : il prisait, avant tout ehez une
femme, les mains et les |)ieds: il trouvait que M"« George, qui conchait avec ses
bas pour cacher ses grands pieds, avait les « abattis canailles ». Les seins, au.\
yeu.x du conquérant, étaient secondaires: aussi Joséphine et Marie-Louise avaient-
elles des extrémités })riviligiées, mais la poitrine de la i)remiére, « bas placée
et plate », ballottait dans un corsage sans corset ni brassière et celle de la
seconde était, au contraire, « très forte, tout à fait d'une nourrice », dit l'auteur
de Xapoléon et les femmes, F. Masson.
i:2) Ciirios.. p. 78. fig. 49.
LKS SEINS DANS L HISTOIHK
En La|)()iii(', d'après Alexandre Diichomin, les seins sont flétris
avant l"âg-e : « tel nourrisson — chacune presque a le sien — qui
tète un sein amaigri, semble téter sa grand'mère. »
Dry a publié de curieuses notes de voyage sur Lisbonne et, en
particulier, sur les Ovarinas, originaires d'un petit port du lilloral
portugais, Ovar. Le type féminin y est admirable et ces mar-
chandes de i)oissons sont les plus belles filles de la péninsule :
« Elles ont la poitrine jeune et très cambrée ; les jupes relevées
jusqu'au-dessus du genou, elles marchent vite sans presque bouger
le haut du corps, avec une grâce infinie. N'emprisonnant jamais
leur taille dans le moindre appareil de torture, elles gardent long-
temps les apparences de l'extrême jeunesse m. Cet explorateur a
vu des Ovarinas dont le visage n"était plus très jeune, mais dont
la poitrine était toujours superbe. Par opposition : les Portugaises
de la ville de Guimanarez ont la gorge remarquablement déve-
loppée, assure Alexandre Dumas.
Lors du voyage de Théophile Gautier en Italie, les seins,
sur les bords du lac Léman, n'étaient pas en odeur de sainteté ; le
poète en exprime ses regrets à M""" S..., la « Présidente » de la rue
Frochot :
«... Genève, ville protestante, où, pour humilier les catholiques
et leur montrer qu'ils ne sont que des payens sensuels, les femmes
se rabotent le. . . derrière et les tétons avec la varlope de la modestie,
selon la méthode américaine. »
Au pays où les hommes portent le jupon, en Grèce, « les filles
couvrent leur tête et ne couvrent pas leur poitrine, » dit About ;
les mamelles atteignent, vers la trentaine, un développement quasi
pathologique. Les impressions des observateurs sérieux concor-
dent sur ce point : « A quinze ans, écrit Gaston Deschamps, la
maigreur attique des femmes d'Athènes est étoffée et robuste. A
vingt ans, leur beauté s'épanouit comme une fleur splendide nour-
rie de lumière et saturée de soleil. Après quelques années de
rayonnement, leurs nobles formes, après avoir atteint à la majesté
olympienne, débordent en ampleurs exagérées et éclatent en bour-
souflures intempérantes ». En style moins pindarique, le sceptique
auteur de la (Irrèc^ contemporaine arrive aux mêmes conclusions :
suivant la mode du pays, les Hydriotes, en toilette de soirée,
montrent leur poitrine « tombant en cascades dans leui- chemise « .
FAITS L KG EN I) AIR ES ET IIISTORlnUES
A Keresova, en Arcadie, le même auteur assiste à la célébration
(le la Saint-Nicolas : « Les femmes grecques sautent aussi haut
qu'elles peuvent ; or les femmes grecques (je n'ai pas dit les dames)
ne portent jamais de corset, quoiqu'elles en aient besoin plus que
personne. 11 y avait dans cette foule bon nombre de nourrices au
corsao-e exagéré, qui riaient du haut de leur tète en voyant osciller
librement toutes leurs richesses maternelles. ISIais ces mères de
famille, rudement ballottées, ne servaient qu'à mieux faire valoir
deux ou trois jeunes filles à l'œil calme, au visage sévère, qui pou-
vaient bondir impunément, sans troubler l'harmonie de leurs lignes
sculpturales ».
Autre trait d'observation qui ne manque pas de saveur : « Une
fois mariée, la paysanne la plus élégante ne s'inquiète plus de plaire
à son mari ; elle se trouve assez belle, le dimanche, si elle peut
aller à la promenade, précédée de son mari, suivie de cinq ou
six marmots. Elle ne prend aucun soin pour cacher ou pour
soutenir le sein formidable qui a abreuvé toute cette petite famille.
Elle s'avance d'un pas majestueux, le ventre en avant, comme
une oie. Ainsi le dit la chanson : « Abaissez-vous, montagnes,
afm que je voie Athéna, mes amours, qui marche comme une
oie >■).
La statuaire antique n'admettait que des seins petits et ce sont
cependant les ancêtres de ces Grecques tétonnières, qui lui ont
servi de modèles. Lessing soutenait que « la nature et l'art ne font
qu'un » ; Albert Diirer, que « l'art se cache dans la nature ».
Durer avait raison contre Lessing : à l'artiste, il appartient de
de dégager le diamant de sa gangue.
A Rome, comme à Athènes, les beaux seins n'étaient pas les
plus gros : Ovide conseille de couvrir, sous un léger voile, les
seins trop élevés ou trop amples, et Martial '^1) demande que
la poitrine de la femme soit telle fit capiat nostra tegatqae
)nanus.
Quant aux Romaines contemporaines, les impressions des voya-
geurs sont contradictoires ; il est vrai qu'à un siècle de distance,
les modes ont pu changer. Ainsi Kotzebue, en passant à Rome, juge
le costume des femmes désagréable : « elles portent une espèce de
(1) Cité par le D' Straz, la Beauté de la femme.
iO LKS SKINS DANS L HISiTClIRE
corps (|ui Iciii' ;i|)l;itit (uiit à fait le .sein ». 'l"li(''0[)lnlG Gautier, au
contraire, Icui- ti()u\e une apparence (f potiroforme » : « Les Ro-
maines sont outrageusement belles, d'une beaut('' lourde, com-
pacte, massive, mais incontestable... Elles sont énormes et sem-
blent descendues des piédestaux du Musée. Vingt enfants tien-
draient à la fois dans leurs flancs robustes; il faudrait des corsets
garnis de fer, pour contenir leurs gorges orgueilleuses. L'histoire
de la mère de Béatrice Cenci, à qui Ton ne pouvait couper la tête,
parce que ses tétons, gros comme des bombes, Tempêchaient
d'appuyer son cou sur le billot, (et qui m'avait toujours paru sin-
gulière), se comprend parfaitement ici : ce n'est pas la grande
tétasse avalée et brimballante de Rubens ; le grand baquet de colle
à la flamande, qui tremble à chaque mouvement ; le Niagara de
viande, qui ruisselle, du haut de la poitrine, sur les montagnes du
ventre et dans les vallées du pubis, comme on voit dans les bac-
chanales de Jordaens ; ce sont deux mappemondes que l'on porte
devant soi, un second fessier appliqué sur l'estomac, deux immenses
terrines vues du côté ])ombé, un Capitole et un Palatin de chair
humaine ». Qui reconnaîtrait le déhcieux poète cVEmaur et
Camées dans cette description rabelaisienne!'
Suivons le volage Théo à Venise, où la Fénice, danseuse âgée
de dix-huit ans, l'autorise à s'agenouiller devant l'autel de ses
seins. « Ils étaient gros, passablement fermes, très blancs, veinés de
bleu, avec un petit bout rose, entouré d'une grande auréole
couleur d'hortensia. Le lait qui les gonflait leur donnait un air de
tétons de Rubens... J'ai oublié de dire que la pauvre créature était
un peu enceinte, sous prétexte que l'armée autrichienne ne se
retire pas et que les Hongrois ne sont pas hongres. »
Finissons par un coup d'œil rapide sur les bustes féminins des
différentes régions de la France. Les Provençales et les Langue-
dociennes ont moins de gorge que les femmes du Nord, mais elles
sont plus voluptueuses. Un touriste Anglais, qui a publié un
voyage en Provence, dit que les Arlésiennes et les Avignonnaises
sont les plus belles fdles de l'Europe ; le fils d'Albion en donne
cette raison un peu vaine : « C'est que les Anglais fréquentent
beaucoup dans ces parages. » L'auteur rend le même hommage
à ses nationaux, en prônant les L^'onnaises et les femmes du pays
de Gaux : « Par la taille, le sein, etc., elles peuvent le disputer à
FAITS LKC.ENDAIRKS ET HISTORIOUES 11
toutes les tailles et à tous les seins des trois royaumes unis (1) »,
Il n'y a pas que M. Josse qui soit orfèvre, le pince-sans rire John Bull
Test aussi à ses heures. Les Normandes et les Bretonnes, àlagoroe
assez opulente, ont un corsage élégant; les femmes du centre,
d'Auxerre, par exemple, sont superbes par l'ampleur de leurs
formes et font d'excellentes nourrices ; enfin la Parisienne, qui
possède « la science du faux », change de ])oitrine suivant les
exigences de la mode. En résumé, la remarque d'Henri lY est
toujours juste : « Oncques ne vis, disait le Vert-Galant, si belles
tétonnières qu'au pays de France » : et il s'\' connaissait.
Usages singuliers des seins. — Avant de servir de garde-
manger à bébé, le sein est la pelote, l'oreiller du père; aucun
organe ne réunit mieux les avantages de Y utile dtilci. Ces appas
palpables sont des appâts magiques qui, avec les charmes du
visage, provoquent, chez l'homme, la griserie nécessaire à la repro-
duction de l'espèce; d'autre part, les caresses du mamelon déter-
minent, chez la femme, un éréthisme favorable à l'union sexuelle :
« Où vont ces doigts curieux ? »
demande l'amante pâmée :
— Puisque j"(Mi tiens un, Madame,
Laissez-nioi prendre les deux,
répond V Amant tunidc d'Hégésippo Moreau... L'ivresse des sens
dissipée, ces organes deviennent quelconques ; la froide raison
reprend ses droits et le dialogue des amoureux se termine dans
l'angoisse et les sanglots :
« Qu'avons-nous fait là, grands dieux '?
— Oh ! rien qu'un enfant. Madame !
Oh ! rien qu'un enfant... ou deux! »
C'est surtout dans le mécanisme de l'appareil génital, que le mer-
veilleux artiste delà Création a fait preuve d'ingéniosité et... de
malice.
Avec son sein — M"'^ Mars disait : « avec soi- éventail » (2) —
(1) Hector France, les Dessous de la ptidibonde)-ie anglaise, l!tOO.
(2) Le sein de la célèbre tragédienne n'aurait pas eu la même vertu, car. à
ses débuts, elle était si dépourvue de charmes, qu'on la comparait à « un pru-
neau sans chair. »
12 LES SEINS DANS l/ Il I S r (t I U K
une l'oniinc csl \Aus redoutable (lu'iin homme, r(''|)ée à la main ;
c'est Tanne la plus puissante du sexe faible pour suljjuguer, non
seulement le libre arbitre du sexe réputé fort, à Texemple de Phrvné,
mais aussi sa force j)livsicjue. Lactance rapporte un curieux épisode
d u siège de Messène par lesLacédémoniens. Les Messéniens sortirent,
la nuit, ]iour s'emparer de Lacédémone, mais ils furent repoussés
par les femmes casquées, cuirassées et en armes. Les Lacédémo-
niens accouraient à leur secours, quand ils les rencontrèrent allant
au-devant d'eux : ils les prirent pour une troupe ennemie, et afin
de faire cesser cette méprise, lesLacédémoniennes eurent l'idée de
se dépouiller complètement de leurs vêtements ; il en résulta une
mêlée, non sanglante, mais amoureuse, où « chacun, dit Larousse,
donna les preuves de son amour à celle qui la première se rencontra
dans ses bras, »
Autre exemple de \ictoire sans effusion de sang : le ^j octo-
bre 1789, les femmes de la Capitale se rendirent à Versailles, ayant
à leur tête Théroigne de Aléricourt ; elles se découvrirent la poi-
trine devant la rangée de fusils, du régiment de Flandre, prêts à
faire feu et parvinrent à détourner des excès un grand nombre de
soldats. C'est à cet incident que fait allusion l'empereur Léopold,
dans la Tliéroiyne de Paul Hervieux, jouée par Sarah Bernardt :
il reproche à l'héroïne IlTOl), d'être entrée dans les rangs, et
d'avoir harangué les soldats pour les détourner de leur devoir (( par
des provocations impudiques «.
Le s'unis ou creux des seins — étymologie de ce mot — est la
cachette de prédilection des femmes :
Faites, mon Dieu, qu'à cet instant je meure,
s'écrie Ruy Blas, apercevant sa manchette de dentelles cachée
dans la gorgerette de la reine. jNI"'^ de Montespan agonisait à
Bourbon-Lancy, lorsque son fils, le duc d'Antin, découvrit cachée
dans son sein la clef de sa cassette.
La cavité inter-mammaire, qu'Adam de la Halle appelait « le
ruiotel d'amours », la vallée d'amour, sert, à l'occasion, de porte-
feuille à valeurs, d'écrin aux perles liquides, fausses ou vraies, qui
tombent des yeux de nos rusées et belles endolories. Jules Claretie a
tiré àes Mémoire s inédits de M"® George l'anecdote suivante : l'Empe-
reur, étant à Saint-Cloud, envoya chercher, à Paris, cette celé-
FAITS LKC. F. NDAIRRS ET H I ST O R I O l F S 13
brité dramatique — la favoi'ite du moment — et lui annonça qu'il
partait le lendemain matin, à cinq heures, pour le camp de Bou-
logne. La reine de théâtre ne semblait pas autrement émue de cette
nouvelle; l'Empereur lui en fit le reproche et mettant la main sur
le sein gauche : « Il n'y a rien pour moi dans ce cœur, dit-il. »
M^^" George était au supplice et aurait donné tout au monde pour
pouvoir pleurer, « mais elle n'en avait pas envie ». lis étaient sur
le tapis de la bibliothèque, près du feu... Après un long silence,
la comédienne finit par obtenir de ses glandes lacrymales deux
grosses larmes libératrices, qui tombèrent sur sa poitrine. « L'Em-
pereur, avec une tendresse que je ne peux reproduire, écrit
M"'' George, baisa ces larmes et les but... Je fus tellement touchée
au cœur de cette preuve d'amour, que je me mis à sangloter de
véritables larmes. Ce soir-là, ajoute-t-elle, l'Empereur me fourra
dans la gorge un gros paquet de billets de banque — il y avait
quarante mille francs — en disant : « Je ne veux pas que ma
Georgina manque d'argent durant mon absence. » Et pendant
cette scène intime, où, de l'aveu du même témoin, jamais César,
descendu de son piédestal, ne fut plus amoureux, M. de Talley-
rand, qui venait travailler avec son souverain, l'attendit en vain.
C'était la seconde fois que le fin diplomate était congédié pour le
même objet : « Soyez fière, disait-il plus tard à M'"" George, cela
n'était jamais arrivé ».
Chez nos belles pécheresses, la poitrine est une sorte d'étalao-e
de joaillerie ; certaines — les acteuses surtout — sont parées
comme des châsses et couvertes de diamants qui en font de véri-
tables lustres ambulants : ainsi les belles dames du temps de
Henri IV étaient « si fort chargées de pierres et pierreries qu'elles
ne pouvoient se remuer ». Un couplet de la chanson d'Odette Dulac,
Le français tel qu'on le parle, fait allusion à cet usage :
Sachez que la belle Otero
Pour ses bijoux fut proposée.
Mais elle dit : Lou boléro
Soûl il a fait ma renommée ;
J'ai piou de place à la poitrine :
On se fiche de moi, je crois,
En me l'offrant comme vitrine.
En 1412, Jérôme de Prague fit afficher, par dérision, une bulle
ii LES SEINS DANS l/IIISï(HHK
(lu l'ii|)(' siii' la <;(ii'«^o (l'iino fille |)ublifjuc; i(l(''c liii)ii(|ue qui aiito-
risciail vc (lisc'i|)lo (lo .Jean Huss à reven(li(juor l'invcrilion des
lemiiios-saiulw icli.
TjOs seins inlei'Niciincnt dans certaines conjur-alions ou dans
re.\l)i'essit)n de la douleui-. D'après 15eii('' Bazin, les Siciliennes qui
conjurent le ciel daccabler leur ennemi de toutes sortes de maux,
se dénouent les cheveux, se jettent à genoux, puis se découvrent
la jmitruie et baisent trois fois le sol. Les Ambouélas de rAfri(iue
centrale se congratulent mutuellement, en se frappant à couj)s
l'citc'rés la poitrin(\ Quand Texplorateur Cesova fut introduit auprès
de leur roi, les favorites se mirent à battre vigoureusement leurs
mains; api'ès <|uoi, ramassant un peu de terre, elles s'en frottèrent
les seins et la poitrine, en disant : « hamba et caIou)u/a ». En
Orient, les femmes se frappent, à poings fermés, la poili'ine, aux
enterrements et en signe de deuil. Pendant le chemin de la croix,
le Nazaréen s'adresse aux femmes qui se lamentent et « se frappent
la poitrine » sur son passage : « Filles de Jérusalem, leur dit-il,
ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos
enfants: car \o\c\ que des jours viendront dans lesquels on dira :
« Heureuses les entrailles stériles qui n'ont point enfanté et les
mamelles qui n'ont point nourri ;). Ce qui, entre parenthèse, ne
concorde guère avec une précédente exhortation à la repopulation :
« L'arbre qui ne produit pas de fruit sera coupé et jeté au
vent » .
Rappelons rapidement les usages fantaisistes que les littérateurs
et artistes ont attribués aux mamelles : Scarron, dans le Virgile
travesti (liv. VU), parle d'un « téton qui servoit à se moucher » ;
le conte de La Fontaine, la Courtisane amoureuse (fig. 2), en
fait des coussins moelleux : Camille consent, avec dédain, à laisser
coucher à ses pieds la courtisane Constance, follement éprise de
lui :
Camille donc s'étend, et sur un sein
Pour qui livoire auroit eu de lenvie,
Pose ses pieds; et, sans cérémonie,
Il s'accommode et s'en fait un coussin.
Ces boules chaudes peuvent en même temps servir au butor de
« moine w, de chancelière.
Sterne, dans son Voyage sentimental, considère les seins de
FAITS LÉGENDAIRES ET HISTORIQUES
J Illicite, la chevi-ière, comme un séchoir. A'oyant son héroïne laver
un mouchoir dans le ruisseau, il lui demande : « Mais où le ferais-
tu sécher, ma chère enfant? — Dans mon sein, dit-elle, cela me
fera du bien ». Déjà dans l'antiquité, la superstitieuse Julie, fille
(rAug'uste, n'a-t-elle pf?s utihsé la chaleur des seins, en faisant de
sa poitrine une couveuse temporaire (1)?
Fig. -2. — Tirée des Coule.',-, édités i)ar Gai-nier.
Les seins de M'" Chouin, fille d'honneur « grosse et courte » de
la princesse de Conti, étaient assimilés, par la féroce princesse
Palatine, à un instrument de musique : « Elle avait, écrit-elle dans
une de ses lettres (20 avril ITIU;, une gorge horriblement grosse;
cela charmait Monseigneur, car il frappait dessus comme sur des
timbales. »
Signalons enfin un usage peu ordinaire des seins, révélé par
la peinture naturaliste : la Femme au bock, d'André Gill (fig. 3),
est une fille de brasserie, en négligé du soir, qui se livre à des
exercices d'équifibriste, devant une galerie de pifiers d'estaminet ;
(1) Ciirios., p. 3.
Li:S Sr. 1,NS DANS 1. IIISTOlUK
le (li-vcloppcmnit cl la l'igidilé de ses seins lui pcrmcllt'iit de por-
ter un ///'yvs-, :"i lélons tendus, et de chanter :
C'est |)as(lla cliaii', ça, c'est du niarl)ro !
Pour Tiisage interne, nous ne connaissons que les sumina, mets
fort recherché par les anciens : c'était un ragoût préparé avec les
tétines d'une truie qui venait de mettre bas; Martial (1) nous en
a conservé le souvenir.
Nous examinerons plus loin le parti que les artistes ont su tirer
des seins, dans rorncmentation et le symbolisme pictural ou sculp-
tural. (Voir notre Appendice).
Erreurs et préjugés relatifs aux seins. — Entre autres
pralicpies ou remèdes conseillés par les guérisseurs et toucheurs
poitevins, le D'' Tiffaud cite cette perle : « Pour préserver les
femmes de tout mal au sein, frottez-leur la poitrine avec le cordon
ombilical, aussitôt après raccoucheaient. (Hiant à la délivrance,
elle se fera sûrement si l'accouchée mange de la galette cuite, la
veille de Noël ».
Les sages-femmes ou ouan-pou, de l'Empire du Milieu, ne sont
pas embarrassées, pour prédire à toute femme grosse le sexe de
son enfant : l'aréole se fonce légèrement pour une fille et se noir-
cit pour un garçon. Et voilà!
Nous avons sous les yeux une image, coloriée à la faeon d'Epi-
nal et sans nom d'auteur, intitulée : Y Avenir dé rodé par la con-
formation des seins des dames. Voici les pronostics portés par le
mammologue anonyme et folichon, d'après la forme des seins; il
est inutile de « tâter », comme pour les bosses crâniennes des
phrénologues : Seins nor^nanx, bon caractère. — Sei?is Vénus de
Milo, beauté de visage, bonheur parfait. — Seins ronds, bonne
santé, mariage heureux. — Sei/ts parachute, très bonne santé,
entêtement. — Seins yéants, bon cœur, très longue existence. —
Seins cornichons, faible santé, mauvais caractère. — Seins inai-
gres, grand amour maternel, santé délicate. — Seins nuls, faible
santé (2).
(Ij « On croirait plulùt boire que manger cette tétine, tellement coule abon-
dant le lait frais dont la mamelle est gonflée. » Liv. XIII, ép. 44.
ti) Hector France, loc. cil.
FAITS li':(;endairf.s et histohiours
17
Du même émule de Gall, une autre page coloriée : la Significa-
tion des veines des seins, toujours S. G. D. G. Supposons le
sein droit, par exemple, divisé
comme un cadran de montre :
les veines des régions voisines
de I, II, III heures annoncent
A venir heureux ;X, Nombreuses
maternités ; IV, V, Excellente
nourrice; IX, Longue vie ; NI,
VII, Bonne santé ; XII. Même
pronostic que IV, V; VIII, Ave-
nir absolument heureux.
Une lithographie bien connue :
les Indiscrétions de Lavater,
montre à nu le buste d'une jeune
femme, couvert de chiffres cor-
respondant à ceux de la figure.
Les « signes de naissance » qui
se voient au visage, seraient
répétés sur une partie du corps
déterminée ; ainsi celui du front
se retrouve, du même côté, à la
partie inférieure du sein. C'est
enfantin.
Les recettes propres à raffer-
mir et à développer les seins
sont innombrables ; elles ont
toujours beaucoup de succès...
;i la quatrième page des jour-
naux, chez les gogottes et les
cocottes défraîchies. Disons de
suite qu'un seul procédé est
efficace pour le développement et la fermeté des mamelles : la
suralimentation. Mais ce procédé a l'inconvénient d'engraisser en
même temps toutes les parties du corps, taille comprise, ce qui
contrarie l'esthétique de nos jolies « oies blanches » ou noires (1).
Fig. 3.
(i) Dans son Hygiène de la Beauté, le D'- E. Monin conseille, pour avoir de
LES SEIXS DANS l'hISTOIRE. — I. 2
i8 LES SEINS DANS L HISTOIRE
Exécutons quelques NÏeux remèdes : Ovide conseille des cata-
plasmes de mie de pain délavée dans du lail : .Jérôme deMonleux,
médecin de Henri 11, préconise cette recette abracadabrante, Pour
étrcindri' les seins pendants : <( Pour rapetisser les grandes
mamelles pendantes qui sont chose malséante, il faut user de
pommade faite avec œufs de perdrix et cire qui les redresse et
les rend fermes. On peut aussi se servir d'un composé de
racines de lis blancs, d'huile rosat et de cire. Pour les empêcher
de orossir, il faut souvent les oindre avec du suc d'acacia, ou les
bassiner souvent avec poudre d'encens détrempée dans du
vinaigre (1). »
ISAnourga Roungn, livre erotique de l'Inde, composé par le
poète KouUianmoul, vers la fin du xv' siècle, donne des recettes
aussi singulières : la 21% pour faire grossir les seins; la 22% pour
les afTermir et les relever.
La belle madame Talhen, qui ignora toute sa vie l'existence du
corset, attribuait la conservation de ses attraits aux bains de
fraises et de framboises écrasées — vingt livres des unes, deux
livres des autres — dont elle faisait un fréquent usage. Le procédé
de Diane de Poitiers, pour entretenir si longtemps la fraîcheur et
la fermeté de ses seins, était moins compliqué : à son réveil, elle
mettait son corps à la température de son came, en se plongeant
dans l'eau glacée. Ainsi faisait la Du Barrv.
Dans ses Mémoires d'Outre-Tombe (2), Chateaubriand raconte
que les Seminoles et les Muscogulges, de la Floride, « afin de
s'affermir le sein et les bras », se frottaient avec l'apoya ou souchet
d'Amérique. Les naturels de l'équateur, pour accélérer le déveloj)-
pement mammaire, font prendre aux jeunes fdles, dès l'âge de dix
ans, des infusions de feuilles de cindiera, dont l'extrait forme la
base des pilules de Boerhaave.
Enfin le mirifique massage est recommandé... par ceux qui en
beaux ïicins : avant chaque repas, trois pilules composées de 0.20 d'extrait de
galéga et 0.05 de taïun (six par jour) ; après chaque repas, une cuiller à café
d'un niélange de teinture de fenouil et d'extrait fluide d ortie blanche, dans un
peu d'eau sucrée ; enfin, cinq minutes de courants induits, matin et soir, sur
chaque mamelon. Les vergetures des seins se traitent, avec succès, par l'élec-
trolyse et les comjjresses d'alumnol. Le même auteur nous donne, dans son
riche t'onnidaire, un grand nombre d'ordonnances variées concernant les seins.
(1) La Conf rater iiitc andicale.
{'2) Première partie. Liv. VI.
FAITS I.ÊCENDAIRF.S F. T HISTOlilOlES 19
vivent (1) ; mais depuis longtemps, il est reconnu que les pati-
nages (2) ou massages amoureux des seins tendent plutôt à les
ramollir :
De mille liouches mignotté
Dans le déduit cubiculaire
Tettin perd grâce et fermeté...
Au XVII- siècle, la belle lady Digby, pour conserver ses charmes,
ne prit longtemps d'autres aliments que des chapons nourris avec
des vipères : ainsi le lui avait conseillé son mari, philosophe,
quelque peu alchimiste.
A Londres, vers le milieu du xvin'' siècle, les gardes-malades
ne manquaient jamais, pour empêcher le sein des nouvelles accou-
chées de se flétrir, d'y appliquer des peaux de lièvres. Dans une
enquête de la coui' ecclésiastique, en 17H8, au sujet d'une demande
en divorce du duc de Grafton contre sa femme, la garde-malade,
Martha Tyson, confirme cette pratique : « Aussitôt l'accouchement,
le sommelier reçut Tordre d'acheter six peaux de lièvres, de pre-
mière qualité, chez ^I. Lucas, dans Panton Street. Quand je les
eues, je les étendis sur la gorgé de la duchesse tout le temps qu'elle
passa au lit ». Ces topiques s'apjdiquaient sur les seins des accou-
chées qui voulaient en chasser rapidement le lait, en vertu de la
médecine des signatures : il devait fuir avec la vélocité du lièvre.
Le privilège attribué, par les superstitieux, aux difformités des
bossus, s'étend-il à toutes les bosses indistinctement? Pourquoi
ne pas généraliser, se demande un bossu à qui, dans une soirée, une
décolletée solUcite la faveur de toucher sa protubérance : « — Ça
porte bonheur, dit-elle. — Bien volontiers, fait le spirituel rachi-
tique, en regardant le corsage de l'interlocutrice; mais à charge
de revanche. » Une repartie analogue se trouve dans la charmante
berquinade de Pierre Wulff, le Secret de poUchinelle.
Mamelles géologiques (3] . — Le mont Thabor, qui domine la
ili Chez les Aiiibuiiélas de la Couchibi, la femme soupçonnée de stérilité ])ar
son mari est conduite à « l'homme de médecine », le masseur de l'endroit, qui
fait étendre le sujet sur le sol et passe, ii plusieurs reprises et avec force, un
rouleau de bois, en fuseau, sur la poitrine et les flancs.
(2) M°"^ de Maintenon éci'it à sa nièce de prendre garde de se laisser patiner ;
au figuré, sans doute.
(3) Anecd. hist., p. Iiî3. — En minéralogie, on appelle maslite une pierre grise,
dont la forme rappelle celle d'un bout de sein.
20 I. K s SK INS DANS I. Il I SI' (t I II K
vallc'O du Jourdain, offre une bolle forme arrondie, que ranliquilé
comparait déjà à un sein. De môme, dans Tile Maurice, la mon-
tao^nc des Trois Mamelles était ainsi nommée « parce que ses trois
pitons, écrit Bernardin de Saint-Pierre, en ont la forme ». L'auteui-
de Paul et Virginie ajoute en note : « Il y a beaucoup de mon-
tao-nes dont les sommets sont arrondis en forme de mamelles et
qui en prennent le nom dans toutes les langues. Ce sont, en effet,
de véritables mamelles ; car c'est d'elles que découlent beaucoup
de rivières et de ruisseaux, qui répandent l'abondance sur la terre.
Elles sont les sources des principaux fleuves qui l'arrosent, et elles
fournissent constamment à leurs eaux, en attirant sans cesse les
nuao-es autour du piton de rocher qui les surmonte à leur centre
comme un mamelon... »
Enfin la Jungfrau (4180 mètres), la Vierge des Alpes (1), qui doit
son nom à ce qu'aucun être humain n'avait souillé son manteau de
neio-e, présente une particularité analogue : « Ce nom de jeune
fille donné à la montagne, écrit A. Dumas dans ses Impressions
de voyage, s'harmonise merveilleusement avec ses proportions
élégantes et sa blancheur virginale... C'est avec un sourire que
les o-uides vous indiquent deux autres montagnes posées sur sa
puissante poitrine, que les géographes appellent : celle de droite,
Silberhorn (Pointe d'argent), celle de gauche Sc/meehorn (Pic
de neige) (2), et auxquelles les guides, plus naïfs, ont donné le
nom àc Ma?nelles Ci). »
L'ile de Sein « la bien nommée », au dire d'Anatole France, bien
qu'elle ne paraisse pas avoir la forme arrondie d'une mamelle,
abritait les druidesses — Velléda, entre autres — occupées à faire
des sacrifices humains afin d'apaiser la Divinité courroucée. « Des
fouilles récentes, dit Larousse, ont amené la découverte de
curieuses médailles celtiques très bombées du côté de la face,
représentant une tête humaine et très concaves du côté pile,
marqué d'un cheval andi-océphale. » Est-ce une simple coïncidence
(1) Mais un chasseur de chamois, Paulmann. entreprit de déflorer la pucelle
et, depuis cette ascension mémorable, on l'appelle la Frau, car elle n'a plus le
droit de porter l'épithète de Jung.
(2) La première a une altitude de 3703 m. : la seconde, 3415.
(3) Nous avons à Paris la butte Montmartre, Bulte sacrée de Sarcey, que le
« gentilhomme cabaretier » Rodolphe Salis, renchérissant, qualifiait de Mamelle
de la France, mais sous forme métaphorique.
FAITS LKCENDAIRF.S ET HISTORIQUES
21
qui fait ressembler à un sein métallique ces médailles trouvées
dans Tîle du même nom ?
Pour compléter Tanalogie des mamelles géologiques avec celles
de la femme, observons qu'elles sont souvent déchiquetées par des
crevasses. Ainsi à Pienza, on donne le nom de baize aux fissures
profondes des mamelons crevassés.
Incidemment, une curiosité étymologique qui n'a, il est vrai,
qu'un rapport éloigné avec notre sujet : d'après Gérard de Nei-
Fis. 4.
val (1), le Liban tirerait l'origine de son nom du mot h'ben, qui
veut dire, en allemand, la vie ; il le devrait à la blancheur des
neiges qui couvrent ses montagnes et que les Arabes, « au travers
des sables enflammés du désert, entrevoient de loin comme le lait,
comme la vie ! »
Les gomilen dalmates (2) (fig. 4), très fréquents à Zara et
aux environs de Janpria, dans la presqu'île de Sabioncello, peu-
vent servir d'intermédiaires aux mamelles géologiques et archi-
tectoniques ; ils sont moitié naturels, moitié artificiels. Ce sont des
monticules de pierres et de terre ayant exactement la forme d'un
sein de femme, surmonté de son mamelon, et qui, très ancienne-
ment, ont servi de sépultures. Ils appartiennent à des époques
(1) Voyage en Orient.
(2) Pluriel de (joinila, mot dalmate.
LES SEINS DANS L HISTOIRE
Irt's diverses ; (|uelques-uns datent des temps ])réliistoi"iques.
d'aulres sont d'un â<;e moins reculé (1).
Mamelles architectoniques. — La eonfurmation extérieure
de certains monuments religieux et funéraires rappelle-t-elle, par
hasai'd ou a\ec intention, la l'orme du sein ? C'est ce que nous
allons examiner. Tandis que la forme carrée domine ^dans les
temples anti(|ues, les églises Inzantines, dont le modèle est San
Vitale, de lîavenne, adoptèrent la for-me globulaire : à Sainte
Justine de Padoue, par exemple, « des ballons circulaires font
cercle autour des coupoles » ; les dômes bulbeux de Saint Marc
sont célèbres, et Ton connaît, au moins par le récit des voyageurs,
les clochers en toui)ies renversées des églises moscovites (2..
Presque toutes les mosquées furent imitées de Sainte-Sophie et se
couvrirent aussi de coupoles laiteuses : à Jérusalem, ce sont de
simples renflements ombelles ; chez les Arabes, le dôme prend
une forme ovoïde avec tendance manifeste à se terminer en pointe
mamelonnée (3;. Est-ce pur hasard, ou Tintention de rappeler, par
la forme de la mamelle, que le temple de la Foi abrite la nourrice
de l'âme, comme la mamelle élabore la nourriture du corps '.'
Toujours est-il qu'en Orient, la vue de ces rondeurs blanches
évoque l'image des globes mammaires. « On sait aujourd'hui que
la coupole arabe, dit Léon Hugonnet, n'est qu'un agrandisse-
ment de la coupe grecque, moulée sur le sein de la belle Hélène.
Mais la gracieuse fantaisie des artistes orientaux l'a recouverte
d'une résille d'or, La mosquée aralie, avec ses dômes émergeant
au milieu des arbres, ressemble à une sultane, nonchalamment
étendue, et dont les formes chastes et marmoréennes sont rehaus-
sées par les magnifiques dentelles confectionnées par des doigts de
fées et que les artistes musulmans ont pudiquement, mais élégam-
ment, jetées autour de la belle dormeuse. »
Théophile Gautier, écrit, d'autre part, que les coupoles blanches
(1) V. le Tour du Monde {i[ la Revue d'anlliropolo(/ie, ï'-J oct. 1899.
(2) L'Eglise de rAssomption, à Moscou, ne eonii)te pas moins de treize cou-
poles de hauteurs différentes.
(3) Il semble que Tarchitecte du Sacré-Cœur de l'aris, ait voulu éviter, dans
les cinq cou|)oles. la forme profane du sein en les allongeant et en les coiffant
de lanternes nuiigriciionnes : il en a fait autant de bonnets de coton gigan-
tesques. De loin, on dirait encore une vaste mamelle de vache a cinq pis.
FAITS L K(.ENI)AIltKS KT II I S 1' O It I M U R S
■23
des marabouts (fig. 4 bis) « s'arrondissaient comme des seins pleins de
lait, et, dans l'azur, des minarets dardaient leurs flèches })ointues. »
Vigne d'Octon, dans les Siestes (f Afrique, remarque aussi que les
cases d'Ansoumané, des Sousous du Soudan, « arrondissent leur
chaume comme des seins de femmes pointés vers le ciel bleu ».
Malade apporté près d'un maraboiil de Tunisie
d'après le Correspuadant médical.
La môme idée se retrouve, exprimée en vers, mais avec moins
de poésie, dans ce mauvais quatrain :
En Orient, toute mosquée
D'un vaste dôme est surmontée.
On dirait d'un ferme téton
Dressant au eiel son mamelon.
Le minaret qui s'élève auprès de chaque mosquée — tel le clo-
cher de nos églises (1) — a été comparé par un touriste en belle
(1) Théophile Gautier, au cours de son voyage en Italie, pendant l'hiver de
1850, croit voir, dans la flèche delà cathédrale de Milan, « un phallus de neige
(\v\\ défonce le ciel. )> (Lellre à la l'résidenie).
24 LES SRINS DANS L HISTOIRE
humeur, à un immense phallus « en érection devant le blanc-
téton (le la mosquée voisine ». Pour l'auteur d'En Egypte, « Tobé-
lisque est un phallus et la pyramide, le sein d'Isis, de forme hiéra-
tique ». On sait que les obélisques, consacrés au Soleil, au prin-
cipe fécondant, se dressent à TOrient, sur la rive droite du \il,
tandis que les pyramides, vouées à la terre, au principe féminin, à
Isis, sont situées au couchant.
Dans le pvlôme, portail des monuments égyptiens, on donne le
nom de gorge égyptienne, non à la boursouflure, mais, au con-
traire, à la partie excavée du sommet de cette porte.
Sur l'origine du chapiteau corinthien et ses modiflca-
tions. — On se rappelle, d'après Yitruve (1), le rôle de la nour-
rice dans l'origine légendaire de ce chapiteau : « Après la mort
prématurée d'une jeune Corinthienne, ses jouets furent réunis dans
une corbeille et placés par sa nourrice sur la sépulture. Au prin-
temps, l'acanthe entoura la corbeille de feuilles nombreuses ; mais
celles-ci rencontrant une résistance qui les comprimait dans les
angles d'une tuile qui recouvrait cette corbeille, furent forcées de
se replier en forme de volutes ».
Le sculpteur Kallimaque, en passant près de cette corbeillle,
remarqua l'harmonie et l'élégance de son ornementation naturelle
et imagina le motif du chapiteau corinthien. Mais M. Chipiez (2),
professeur à l'école spéciale d'architecture, et M. R.-L. Amiel,
dans les Beaux-Arts illustrés, ont fait remarquer que Kallimaque,
étant contemporain de Phidias, ne pouvait être le créateur de ce
chapiteau, car, bien avant lui, l'ordre corinthien se retrouve dans
les couronnements campaniformes de Karnack. Au sculpteur de
Corinthe appartiennent en propre les modifications du premier
tvpe : les hélices diagonales, les hautes feuilles enveloppant le
kalathos et les échancrures de l'abaque; il a transformé le chapi-
teau au point d'être regardé comme l'inventeur du troisième ordre
grec.
Est-ce pour perpétuer cette gracieuse légende corinthienne que
nos sculpteurs, E. Derré entre autres, introduisent dans leurs
(1) Anecd. Idst.. p. 35.
(2) Hist. c'iil. des oi'if/ines des ordres çjrecs. in-8% IS.dG.
FAITS LEr.ENDAIRKS F:ï HISTORIQUES
chapiteaux composites des nounous à mi-corps, avec leurs nour-
rissons (fîg. 5, a bis).
Pont, Pierre, Marché au lait. — A Harlem, il existe un Potif
de lait, ainsi nommé des laitières qui s'y rendaient pour la vente
de leur lait, comme à Paris les fleuristes se réunissent au Marché
aux fleurs.
Signalons, en Belgique, la statuette en bronze de la Laitii'rc,
connue sous le nom de Het Melkbœrinneke, érigée au xviif siècle,
^- ni %^
Fis. 5.
Fis;, o bis.
en guise de pompe, au Mcu^ché au lait, et reléo-uée maintenant au
Musée d'Antiquités d'Anvers (fig. 6).
La ville de Sens possédait une fontaine, datant des Romains,
dont remplacement circulaire était encore indiqué au siècle der-
nier, en face de la cathédrale, par un cercle de pavés exhaussés,
nommés, on ne sait pourquoi, la Pierre au lait.
Coupes en forme de seins (1). — En l'honneur de Maut (la
Lune;, « régente du ciel et souveraine de la nuit », qui était à
Saïs l'objet d'un culte particulier, les Égyptiens, du temps d'Héro-
dote, buvaient dans des coupes en forme de mamelles ou de demi-
lune {hémiiomes), modelées sur le sein nourricier de la déesse.
(1) V. Anecd. Idstor. et reli/j.. p. 1 et suiv.
26
l-KS SEINS DANS h HISTOIRE
On rcli'ouvc ces coupes dans la célébration des Thesmopliories
grecques, qui semblent n'être qu'une importation des fêtes noc-
turnes de Saïs : « C'était un usage consacré par la religion de
Bacchus, si intimement unie à celle de
Cérès Thesmophore et dans les récits de
l'antiquité et sur les monuments, d'ap-
pliquer sur les seins nus des femmes
certains vases larges et profonds, de
Fespèce des phiales. Nous savons, d'un
autre coté, que les anciens avaient une
sorte de vase appelé mamelle, soit à
cause de sa forme, soit en raison de la
manière dont on s'en servait, et que ce
nom, d'origine assez reculée, ainsi qu'un
autre analogue, était usité chez les
habitants de Paphos (l). »
En Eubée, on montrait la coupe qui
fut moulée sur le sein gauche d'Hélène;
elle servait aux libations sacrées.
Les calices primitifs, comme l'indi-
quent certaines sculptures extérieures
de la cathédrale d'Amiens, étaient aussi
mammiformes; est-ce une simple coïn-
cidence ou la conséquence des nombreux
emprunts faits par le christianisme au
paganisme ?
On a pu voir au jNIusée Guimet, en
juillet 1901, dans une collection de
verreries égyptiennes, phéniciennes,
byzantines et arabes, formée par M, Du-
rio-hello, au hasard des ventes et surtout
des fouilles de S^^ie, des patères qui
paraissent moulées sur des seins de femmes ; elles sont sans pied
et il fallait les vider d'un trait.
FiK. (i
Fontaines ubérales ('2)
Dans ces fontaines monumentales.
(1) Creuzcr. Si/ni/tol'Kjue et Mijl/tolor/ie des peuples de l'aiili(jiiih\
(-2) V. Anecd. hisl.. ji. (3 et Ciirios.. \). 1^7.
FAITS lk(;rm)airrs kt historiques
caprices de certains artistes de la Renaissance, le liquide — eau,
vin, lait — ■ au lieu d'être versé, comme à l'ordinaire, d'une
l'"ig. (j bis.
conque marine, d'une coupe ou d'un vase penché, jaillit d'un sein
de femme. Le mot manquait dans la langue française })Our dési-
gner ce genre original de fontaine, parce qu'elles n'avaient, avant
nous, fait l'objet d'aucune étude spéciale. Le qualificatif iibrral
(du latin uher, mamelle), rend assez bien, faute de mieux, l'idée
28 LKS SEINS DANS i/hISTOIRE
qu'il fallait exprimer, mais il s'écoulera peut-être bien du temps
avant que TAcadémie raccueille dans son Dictionnaire .
Le lait — sécrétion mammaire — qu'il jaillisse du sein ou coule
d'abondance, tient une place importante dans plusieurs fii>urations
et cortèges de l'antiquité ou des temps modernes. Lors d'une fête
donnée à Alexandrie par Ptolémée VI Philomelor, l'un des chars
portait un automate, représentant N^'sa, qui se levait, épanchait
du lait dans une coupe d'or puis s'asseyait après cette libation,
pour recommencer quelques tours de roues plus loin. Sur un autre
char, traîné par cinq cents hommes, on avait disposé un antre
profond d'où jaillissait deux sources : l'une de lait, l'autre de vin.
A l'entrée de Charles-Quint dans Bruges, en avril loi 4, on
construisit une fontaine où trois sybilles, surmontant une colonne,
se pressaient le sein pour en faire jaillir du vin, qui tombait dans
une vasque, s'écoulait ensuite par des bouches de mascarons et
était enfin recueilli parle populaire (fig. 0 bis).
Voici une nouvelle série de monuments où figurent les mamelles.
La figure 6 bis, que Germain Bapst a reproduite, en la régularisant,
dans son Essai sur rHistoire du théâtre, a été primitivement
dessinée par Rémy Dupuy; elle fait partie de la suite de gravures
représentant l'entrée de François P'' dans sa Ville de Paris, le
15 février 1514 — deux mois avant celle de Charles-Quint — et se
trouve dans la collection dite de l'Histoire de France, au Cabinet
des estampes.
C'était presque toujours pour des entrées solennelles ou des
réceptions que l'on construisait ces sortes d'édifices. Une fontaine
érigée à Bourg, en 1501, lors de la réception de Philibert le Beau,
représentait une jeune femme d'une taille gigantesque « laissant
échapper par ses deux mamelles de métal coloi'é, deux jets de vin
qui tomboient dans un bassin ». A mesure que le vin s'écoulait,
on le remplaçait pour que les seins de la géante fussent — comme
le Manneken-Piss, de Bruxelles — à jet continu (1).
A Bologne, sur la place de Neptune, on admire une fontaine
— Fontana Publica — (fig. 7), érigée vers 1565 par Jean
Bologne, de Douai, et dédiée à saint Charles Borromée, arche-
vêque de Milan, légat de Bologne. C'est une des œuvres de la
{\) Jules Baux, Histoire deVéfjUse de Brou ; (Lyon, 1884, p. 28).
FAITS I.KdKNDAIRKS KT HISTOIUoUES
29
Renaissance qui produirent le plus cVeffet : « Ici, la Renaissance et
le paganisme atteignent leur extrême. Au sommet est un superbe
Fis. 7.
Neptune de bronze, non pas un dieu antique, calme et digne d'être
adoré, mais un dieu mytliologique qui sert à l'ornement, qui est nu
et qui étale ses muscles. Aux quatre coins du bassin, quatre
enfants, joyeux et bien tordus, empoignent des dauphins qui fré-
30 LKS SIUNS DANS i/hISTOIRF.
lillent ; sous les pieds du dieu, quatre femmes à jambes de pois-
sons déploient la magnifique nudité de leurs corps cambrés, la
sensualité i'ranche de leurs tètes hardies et pressent à pleines mains
leur sein gonflé pour en faire jaillir l'eau < -1 . »
A Bruxelles, existait, au xvi'^ siècle, une fontaine monumentale
où l'eau jaillissait du sein de quatre déesses, dressées debout dans
des niches (2). En K)7*.>, sous Tarchiduc Mathias, les Réformés
pillèrent les églises de Saint-Xicolas et de Sainte-Catherine et la
collégiale de Sainte-Guduîe, renversèrent et brisèrent les images,
s'emparèrent des -vases sacrés, burent dans les calices au succès de
la bonne cause, s'affublèrent des vêtements sacerdotaux et dansè-
rent des rondes, en chantant, autour de ladite fontaine : une
ancienne gravure nous a conservé la mémoire de cet événement
historique (fig. 7 bis).
Au Musée communal de la même ville, figure un autre spécimen
de fontaine ubérale, dite des Trois Pucelles [i\o^. 8), dissimulé dis-
crètement dans un coin fort obscur, au bas et à gauche de l'escalier
principal ; nous l'y avons cependant déniché. Les pauvres déesses,
reléguées dans l'oubli, sont toutes nues et c'est là leur crime. Deux
sont vues de face, adossées à une colonne médiane, et se tiennent
par les mains, remplies de liserons ; leurs mamelons perforés indi-
quent les orifices d'où l'eau jailhssait. La troisième pucelle a le
ventre appuyé sur la colonne et ne montre que ses « mamelles pos-
térieures », potelées et juvéniles. Pour tout renseignement, nous
lisons sur une pancarte : « Les Trois Pucelles, groupe provenant
d'une ancienne fontaine située près de l'église Saint-Nicolas
(xvf siècle) w. N'en déplaise au conservateur du Musée, nous
nous permettrons de relever plusieurs erreurs dans cette inscrip-
tion : le motif semble représenter les trois Grâces, que l'esprit sim-
pliste du peuple a transformées en « Pucelles » ; le monument, dans
son ensemble, n'a rien de commun avec la fontaine primitive, qui
possédait quatre déesses, et son style est d'une époque beaucoup
plus moderne. Constatons néanmoins le faible des Flamands pour
les fontaines lubriques, ubérales ou uréthrales, témoin le Manne-
/iCii-Pis.s, déjà nommé.
Nous connaissons la curieuse fontaine des Vierges de \urem-
(1) II. Taine. Voyage en lialic.
{'2) L. Hymans, Bruxelles à travers les âges ; (1880-1884, 2 vol. 111-4°).
Li:S SRINS DANS L HISTOIRE
berg (1) : « Six Jeunes filles, écrit Victor ïissot, emblèmes des
vertus théologales, expriment de leurs seins deux sources d'eau
vive » ; une septième — non mentioiniée — Thémis, domine ses
sœurs. Le mordant et spirituel auteur du Voyage au pays des
milliards onhlie-i-il la triade des vertus théologales : la Foi, l'Espé-
rance et la Charité. Il est
probable que le sculpteur
leur a adjoint les quatres
vertus cardinales, le fonde-
ment de toutes les autres : la
Prudence, la Force, la Tem-
pérance et la Justice, cette
dernière planant au pinacle.
A l'Exposition de 1900,
section Allemande, les ateliers
réunis de Munich avaient
installé leur ameublement
dans une construction des
plus fantaisistes : la décora-
tion de la porte présentait
deux sirènes, tenant chacune
une vasque oîi était recueillie
l'eau qui jaillissait de leurs
seins (fig. 9).
Telle a été conçue, à Be-
sançon, la sirène de la Fon-
taine des Dames, rue des
Archives (fig. 10), Cette fontaine ubérale est la seule qui, à notre
connaissance, existe en France et soit en activité. Notre confrère
P. Nour\^ a signalé, dans la Chronique médicale, une figure de
femme nue qui rejetait l'eau par les seins, à Fancienne église
Saint-Lô (n'existe plus) et un simulacre à l'église Saint-Jacques,
de Dieppe.
De nos jours, les « Bars automatiques w ont remplacé les fon-
taines qui, à certaines fêtes, versaient le vin ou le lait à discrétion;
mais la distribution n'est plus gratuite : il suffit d'introduire, par
Fis. 8.
(1) AneciL, hisl. (ig. 5, p. 9.
FAITS Ll-:(i KM)AIRi:S Kl H I ST 0 U 1 (J U K S
33
•un orifice, une pièce de monnaie, pour en recevoir du lait froid ou
«haud, pur ou teinté de café.
Terminons par les fontaines ubérales fictives, soit s\ mi:)oliqucs
Fig. 9.
(fîg. 11), soit artistiques. De ces dernières, les unes figurent dans
certains tabeaux, comme sujets accessoires ; les autres, dans des
traités spéciaux, sont à l'état de projets et pourraient, à l'occa-
sion, être exécutés par des sculpteurs. P. P. lîubcns a une
prédilection marquée pour ces sortes de compositions ... Iniliil sua
qiœmquc volitplm. Xous avuns reproduit la Xature 1 cVEricto-
j/ins owErccJiti'c en s(i corlicillc Kil"), A'ienne) ; d'autres \ariantcs
(1) Cur'iijH.. iig. 9i).
l.ES SEINS 11 ANS l.'lUSToIKE. — I.
34
m: S SKINS DANS I, Il I S T (» ) It K
(le cotle planche nous montrent la même figure, toujours munie de
x
LklV/r mi \r^ '
Fiir. JU.
ses cinq mamelles donnant de l'eau, mais sous un aspect différent.
La Société élégante ou le Jardin cV amour (1638), présente une
modification analogue : Amphilrite, au lieu de laisser couler l'eau
FAiis M-;(; KNDAi li i:s i: r ii is itniiof ks
35
de ses deux mamelles, élevant les bras vers un dauphin, est à
califourchon sur le cétacé et se presse les seins d'où sort un dou-
ble jet (fig. 13).
DezalUer d'Argenville, auteur de la Throrie et la pratique <ln
jardinage (1747), imagine une fontaine dans le goût égyptien.
Fit
11. — Le dieu Nil versant de l'eau sur l'ànu' d'Osiris, à l'hilœ
d'après Rosellini.
avec une Isis « qui jette de Teau par les mamelles » (fig. 12). Ce pro-
jet d'architecture a pu inspirer David, pour sa fontaine de la
Régénération, de 1793 (1), où Isis, figurant la Nature, est assise
— au lieu d'être debout — entre deux lions.
Le « Bon Bock », société d'aimables et joyeux vivants d'élite,
o-ens de lettres, savants, artistes, etc., se réunit, une fois par mois,
autour d'une table de restaurant : le menu du festin — qui donne
en même temps le programme d'une soirée musicale et chantante,
inter uocula — est illustré par l'un des sociétaires. Nous donnons
une copie de la composition artistique du 23 P dîner, due au crayon
(!) Anecd. Iiist., fi^. ^<< V- H-
36
LKS si: IN S DAMS I, HISTOIRE
épicurien de Léo Dehaisne (fig. 14) : la Fontaine de Juttvenee du
Bon Boek.
Surprises. — Est-ce ensouvenirde lafontaine des Trois Pncelles
que les marchands de bibelots, voisins du Manneken-Piss, vendent.
Fiiî. 1:2.
avec ce petit symbole de l'Incontinence urinaire, des bustes de « la
Pucelle» !' Les mamelons et le chignon sont perforés; à ce dernier
s'adapte un bout de caoutchouc, semblable à celui des compte-
gouttes ; il suffit de le presser pour faire jaillir l'eau introduite dans
ce petit buste ^fig. 15).
On a imaginé aussi des épingles de cravates et des cannes à sur-
prises, représentant des nourrices (fig. IG). Les premières fonc-
tionnent à l'aide d'une poire en caoutchouc, dissimulée sous les
vêtements et reliée, par un tube flexible, à l'épingle remplie de
liquide ; le mécanisme des cannes « Remplaçantes » est plus com-
pliqué. En appuyant sur un bouton A, soudé à une plaque de
métal mobile, celle-ci communique la pression à la paroi d'un tube
FAITS I, K(; i-:xi)Ai[u:s i-vr historiques
37
en caoutchouc D, contenant le liquide qui s'échappe au dehors,
en passant par un tube métallique, ouvert à ses deux extrémités,
dont l'embouchure supérieure aboutit au mamelon B, d'une nour-
rice en belle humeur.
Pour être complet, il no nous reste plus qu'à présenter la Plus
belle des Parisiennes, un superbe
chromo cartonné représentant une
femme décolletée, avec un corsage ^^r^%>„
métallique ; en introduisant l'extré-
mité des doigts dans l'ouverture
découpée au niveau des seins, on
fait palpiter la poitrine à volonté.
m^m
Fit;. 13.
Fig. 14.
Seins postiches. — Le melliflue saint Anselme, qui appelle la
femme « un doux mal » — femina dulce nialum — énumère les
artifices que les coquettes employaient, au xi'' siècle, pour s'em-
belUr : « elles réduisaient le volume de leurs seins (i) et teignaient en
blond leurs cheveux, afin de sembler appartenir à la race conqué-
rante ». De nos jours, la teinture blonde à l'eau oxygénée ou au
( 1 ) Au mystique moyen âge, le « pis camuset dur et court » et les « mamolettes »
fermes n com dus pomes duretés » ou deux « nois gauges » — de gaugier ou
nover — étaient un des caractères do la beauté féminine.
38
l,i:S SKIJVS DANS 1. HISTOIUK
henné est encore de mode, mais au lieu de réduire leurs seins, nos
acéphales, nos cucurlnlées, comme dirait Juvénal [V], cherchent
Fig. 15.
Fig. 16.
Fiy. 17.
au contraire à les faire valoir et, en cas d'absence, les remplacent
par des postiches.
La nature et la forme de ces seins artificiels sont variées ; les cou-
turières ont Fhabitude de les désigner sous le nom du fat)ricant,
(1) Sat. XIY. Le \wë.W satirique et misogyne a rirrévérence de comj)arer les
tètes féminines à des citrouilles, (•"est-à-dire à des têtes vides... Horresco
referens !
FAITS 1. 1:(; i: NDAi ni". S 1:1 11 is iimuolks
39
des « Berjingeon » ou des « ronds Broustons ». Les petites bourses
se contentent de coussins ovalaires ou rectangulaires, rembour-
rés (fig. 18, 19), que Ton coud à l'intérieur du gousset; ils sont
reliés par une tresse qui permet de les suspendre au même clou, à
l'état de repos. Mais ces édredons minuscules sont bien chauds en
été et les plus fortunées préfèrent les <( fausses gorges » en fds de
laiton, reliés par un tissu léger en treillis et agrémentés d'une
Fiiï. 19.
Fiçr. iO.
Fiiî. :il.
ruche décorative en guipure (fig. 20, 21). Ces postiches ont, en
outre, l'avantage d'être élastiques à la pression et au toucher des
amateurs : l'illusion est complète. On emploie aussi les « faux
avantages » en caoutchouc plein ou creux, que l'on gonfle suivant
le degré de proéminence désiré. Victor Tissot, dans Vienne et la
vie Viennoise, signale un des inconvénients de ces appas factices
et conte malicieusement la mésaventure arrivée à une Viennoise
qui se faisait remarquer par l'opulence de ses formes : en épinglant
une rose à son corsage, elle creva la doublure en caoutchouc
dont le gonflement automatique remplace les charmes absents. Cet
accident ne serait pas arrivé si la Viennoise eut connu et profité de
l'annonce suivante : « Corsets pneumatiques, en caoutchouc creux,
se gonflant à volonté, garantis increvables, même sous les plus
fortes pressions ». Le ncc plus ultra de ce genre de postiches, le
dernier cri est Y idéal plastron (fig. 22, 23), qui bombe suivant
les goûts, par tension ou relâchement d'une dizaine de sangles
40 I, KS SKIN'S DANS LHISTOIRK
dissimulées à la lace postt'ncure de la combinaison. Ce mécanisme
réunit les qualités reciuises par les plus exigeantes : légèreté,
élasticité et hémi-sphéricité ; c'est du moins le prospectus qui Taf-
firme. (Kufs sur le plat ou omelette soufïlée, au choix.
En 1788, dit la marquise de Gréquy, les Parisiennes avaient
recours à des artifices moins compliqués : « Les jeunes femmes
étaient miséral)lement habill(''es en fourreau de linon, de toile de
Perse ou de petites soieries mesquines ; fichu de mousseline empe-
sée qui grimpait roidement jusqu'au milieu des joues et qui leur
simulait, par de gros plis sur la poitrine, une sorte de protubé-
rance exorbitante ».
La suppression de ces « mouchoirs ridiculement gonflés, qui
recèlent les charmes les plus agréables de la femme » fut proposée,
par la Société des Arts, comme contraire à l'esthétique. Cette
mode était vertement critiquée dans la Décatie pJdlosophique :
« Ce sont, sans doute, des nourrices ; voyez comme leurs seins se
projettent ! Non, ce sont de très jeunes personnes qui cherchent
(les maris, toutes ont l'air de faire ainsi gonfler les phs de leurs
robes (1) ». Du reste, les mouchoirs bouffants n'empêchaient pas les
coquettes hupées de porter les postiches, appelés « suppléants» (2),
comme de nos jours les couturières, en dehors des seins fac-
tices, ont recours à des artifices de toilette, aussi bien pour don-
ner de l'ampleur aux poitrines déshéritées que pour restreindre
les rotondités débordantes : dans le premier cas, des épaulettes en
guipures, de larges revers, des bouillonnes et surtout des étoffes
claires élargiront et arrondiront la jjoitrine à souhait.
Dans le district d'Eger, même simplicité de moyens pour con-
server une habitude, une mode disgracieuse : les femmes Tchèques
se rembourrent la poitrine et les épaules avec de gros coussins de
plumes, qui transforment leur buste en une sphère presque par-
faite. Les femmes Croates, au contraire, compriment leurs seins
avec le strophion ou la bande des Grecques de l'antiquité et se pas-
sent de corset.
Quant aux bayadères de TLide, elles se contentent d'enfermer
leurs seins dans de légers écrins. « Rien n"éo-ale leur attention a
conserver leur sein, comme un des trésors les plus précieux de
(1) D"- Queiry. hi Vullwlorjle de la Hévoliilioii.
(2) Aiiecd. /lisL. fi y-. l(i.
FAITS I. F.(i K.NDAIIt KS KT II I S T (» lU u l' F. S
41
leur beauté. Pour Fempêcher de gTossir ou de se déformer, elles
l'enferment dans des étuis d'un bois très léger, joints ensemble et
bouclés par derrière. Ces étuis sont si polis et si souples qu'ils se
prêtent à tous les mouvements du corps, sans aplatir, sans offenser
le tissu délicat di' la peau. Le dehors de ces étuis est revêtu d'une
feuille d'or parsemé de brillants : c'est là, sans contredit, la parure
la plus recherchée, la plus chère à la beauté. On la quitte, on la
reprend avec une légèreté singulière : ce voile qui couvre le sein
Èè:^\ÛJjJj-
Fit:, i'2.
Fis. 23.
n'en cache point les palpitations, les soupirs, les molles ondulations;
il n"(")tc rien à la volupté 1). »
Les seins postiches ont fourni, aii.x caricaturistes de nos pério-
diques illustrés, matière à de nombreuses plaisanteries. En voici
quelques-unes : de G. Lion, dans la Vie pour rire juin lUOU , les
Surprises du inariaije. Stupéfaction du mari, la première nuit de
noces, quand il voit son épouse retirer ses seins : Ciel, s'écrie-t-il,
ma femme qui s'en vu de la poitrine !
Du Hire février 11)00;, dessin de Calumet : Pendant le désha-
billage d'une conquête facile, un vieux beau remarque que la
(( péripatéticienne » enlève ses « avantages » et murmure philo-
sophiquement, parodiant un distique célèbre :
Nous entrerons dans ta carrière
(Jiiaïul les iiéucs n'y seront plus.
(Il Raynal, //(',s7. philosophique des deii.r Indea
42 m:s si:ir4s dans l histoire
Depuis plusiouis années, dans le monde où Ton s'amuse, la poi-
trine a passé de mode ; celles qui en sont pourvues doivent reti-
rer, Tétaier en tous sens, la réduire à sa plus simple expression :
il faut soutTrir pour être plate. Radiguet, dans un de ses tableaux
vivants et parlants, nous montre une jeune « crevette », dépourvue
d'ai)pas, se faisant de faux mollets avec ses faux nichons, et disant
à une amie étonnée qui assiste à sa toilette : « — Bah ! on porte
si peu de poitrine, maintenant... autant s'en faire des mollets pour
les jours de bicyclette. »
Autres temps, mêmes mœurs, pour ce qui touche à la coquette-
rie; nous avons donné (1), de Fépoque du Consulat, les dessins du
lion (/cure : des dames, âgées de plusieurs lustres, mettent de
faux appas pour briller en soirée, à la lueur d'autres lustres plus
éclatants.
Tatouages mammaires. — Les tatouages mammaires sont
assez rares, en raison de la sensibilité de la peau des mamelles.
Aussi ne voit-on de pareils dessins que sur des images, comme le
Nouveau tatouage, par C. Lion, de la \'ie ijoiir rire, représen-
tant une « cosmopolite », buste découvert, qui, en dehors des
« langues vivantes », professe d'agréal)les « leçons de choses » et
porte, tatouée sur ses seins, la carte des deux hémisphères, avec
cette invite : « Allons, qui veut apprendre la géographie ?... ()ui
m'aime, s'instruit ! ».
Cependant, les femmes consacrées à Vichnou, appelées Garou-
(laJi-hassaf/s Temmes de Garoudah), se font imprimer sur la poi-
trine l'image de l'oiseau de ce nom, comme la marque distinctive
de leur dignité ; les prêtresses de Siva, les LiiK/a-hassoijs, ou
femmes d\i làif/aui, j)ûrfent sur leurs cuisses l'empreinte de cet
obscène symbole (2^ .
Les prostituées, qui ont souvent recours à la pratique du
tatouage, n'acceptent guère ces illustrations indélébiles que sur
le bras ou l'avant-bras ; tous les dessins reproduits dans l'inté-
ressante étude des D'* Lcblond et Lucas (3) figurent sur ces régions.
Par exception, Amélie Ch..., vingt-deux ans, couturière, du service
(1) Anecd. hisl.. fii;\ 17 cl 18.
(2) (inind liiel'ion. loiiv. di/ XIX' siècle.
(3) Du tuiuiKKje chez les prost Huées.
]•' A I T s L K < ; i: N I ) A 1 u i: s I-: r f 1 1 s t o li i (j u k s
-^3
du D'' Louis JuUien, à Sainl-Lazare, portait le nom de Uoit, entre
les deux seins. Elle le conserva cinq ans ; puis Léon étant mort,
elle demanda au D'' Badilliot de la délivrer de ce souvenir compro-
mettant. Le D' Ghéron a aussi rencontré chez l'une des pension-
naires de la même prison un municipal à cheval, tatoué sur le
sein (1).
J . Mornu a eu l'oc-
casion d'observer un
cas très curieux de
tatouage, dessiné i)ar
le porteur lui-même.
Ce travail était re-
marquable par l'abon-
dance des détails et la
perfection du dessin,
contrastant avec la
facture grossière or-
dinaire à ce genre
d'images. Il s'agit
d'un soldat au '1" ré-
giment d'infanterie de
marine, envoyé aux
compagnies de disci-
pline. En sa qualité
iVacfif, il ne portait ^jM !
aucune enluminure "^^
Fis. 24.
sur la face postérieure
du corps, mais la poi-
trine, les bras et les épaules, en étaient couverts (fig. 24). « Au
niveau de la mamelle, un peu au-dessus du mamelon et à droite,
une femme accroupie à la façon arabe ; à un centimètre du genou
de cette femme, une étoile à cinq branches, à droite, et, à gauche,
au niveau du cœur, une femme à califourchon sur la garde d'un
poignard ; au-dessous, cette inscription latine en lettres de deux
dimensions : Mar/is cogilare qiiam diccrc. (L'action vaut mieux
que la parole !) La pointe du poignard ressort sous cette inscrip-
(1) Anecd. h'isl., p. Do.
44
I. KS SKINS l>A?<'S I, KisToriu:
lion et la souligne violemment. A côté du trait de tatouage, repré-
sentant la j)laie faite par le poignard, quelques taches simulant du
sang. Une seconde étoile à cinq branches se trouve à peu près
entre les deux mamelles. Vn peu au-dessus du mamelon droit, une
ancre chargée d'une pensée ».
FiiT. 25.
Fis. -«■
Georges d'Esparbès a donné, dans une monograj)hie consacrée
à la Légion étrangère (1), la photographie d'un joi/ciix singuliè-
rement tatoué sur le thorax (fig. 2Ti . Entre les deux mamelles est
dessiné, au pointillé, une femme couchée nue sur un canapé, dans
la pose alanguie de la Danaé du Titien, les jambes écartées, un
bras pendant, Tautre replié sur la poitrine, elle semble sortir d'un
rêve voluptueux. A ses pieds, un homme nu, vu de dos, taillé en
Hercule, probablement le « petit homme )> de son rêve, fait des
poses plastiques. Au bas du canapé se lit l'inscription : Réveil de
Vc)ius. Ce « petit homme » nous parait être tout simplement
(l) Edil., F>. Flamniaridii, l'.iOl. p. (i:;
FAITS LK(; F,M)AIUi:S Kl II I S 1' () Il I (U' I- S
TAmour, Ei-os, lanrant une flèche à sa mère, clans une position
très classique. « Un autre homme s'est déshabillé devant moi,
poursuit G. d'Esparbès, et j'ai pu suivre, en tournant autour de
son corps, les divers incidents d'une impressionnante chasse au
renard : une meute de soixante chiens spiralait ses jambes, sautait
'/^^^'^"^^ V"^
H 4>^î>^'^^f^4£^
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sur ses bras, cernait son cou, dégringolait sur sa poitrine avec
les piqueurs à cheval escortés d'un carrosse de dames, gravissait
les fesses et redescendait, au galop, vers la tannière innommable,
d'où ne pointait à peine, du renard engouffré déjà qu'un rigide et
imperceptible bout de queue bleue. Chef-d'œuvre 1 »
Grâce à l'extrême obligeance de M. Bertillon, directeur du ser-
vice anthropomt'trique à la Préfecture de police, nous pouvons
reproduire divers spécimens de tatouages relevés sur la poitrine
de repris de justice'; les « gigolettes » prisent peu ce mode d'orne-
mentation et préfèrent les « pectoraux » mobiles des joailliers. On
remarquera surtout les Dernières carloiiches, de Neuville (fig. 27),
4()
m: s sKir-js dans
HISTOIRK
(lonl rincrustation, à Taide craiguilles trempées dans Tencre de
Chine, a demandé plusieurs mois à Fopérateur-artiste : ce tableau,
maloré le nomi^re de ses personnages, est d'une exécution assez
exacte. La Fillette accoudée (tig. 20) et la FeVi^/.s, de barrière,
sur les genoux de ^lars, en bordée (fig. 28), sortent des sujets
ordinaires de ces illustrations cutanées.
FiK. :J8.
Le D' Le Bayon a vu sur la poitrine d'un disciplinaire une
magnifique reproduction d'un tableau de maître : la Charité, pré-
sentant le sein à un jeune enfant. Un autre s'exhibait à Paris, mon-
trant sur la poitrine divers épisodes de la guerre de Sécession,
tandis que le dos était occupé par le bombardement d'Alexandrie.
Plus récemment, M. Emile Gautier a raconté, dans le Journal.
l'odyssée d'un dévoyé, sortant des compagnies de disciplines, qui
[)ortait sur la poitrine et le dos toutes les phases de l'affaire Dreyfus,
ne comprenant pas moins d'une centaine de personnages.
Leca, le chef des « Apaches», ex-disciplinaire des» Bat'd'Aff' »,
FAITS LECE.NDAIRES KT HISTOHKjUKS
entre autres tatouages, porte une salle do bains sur la poitrine, avec
des femmes en caleçon — où la pudeur va-t-elle se nicher ? — La
chair des femmes est rose, les caleçons sont tricolores... Un ser-
pent part de Tc'paule gauche, passe sous le bras correspondant,
s'entortille autour d'un vase antique et vient sucer le mamelon
gauche. « Casque d'Or », qui vivait « niarmitalomcnt » avec
Leca, rival de Mandat, révèle ces
détails intimes dans ses Mémoires.
Le tatouage n'est plus, comme
le voulait le D'' C héron, le vête-
ment des sauvasres et des crimi-
Fif<. i\).
Fis. 30.
nels ; il est fort bien porté dans la haute société. On cite parmi les
personnages de marque incrustés, lady Churchill, pairesse du
Royaume-Uni ; la princesse Waldemar, de Danemark ; des souve-
rains ou des souveraines, comme Bernadotte ([ui portait sur le bras
droit un bonnet phrygien, avec cette devise ironique : Mort aux
tijrans! la reine de Grèce, dont les épaules sont parées de piqûres
artistiques, et encore : Edouard VII ; Oscar de Suède ; Mcolas,
l'Empereur de toutes les Russies ; le grand-duc Alexis, dont le
torse est couvert de tatouages fantaisistes et quelque peu rabelai-
siens ; enfin le prince Georges de Grèce, d'après le D'' A. Baratier,
aurait la poitrine ornée d'un immense dragon bleu, aux ailes
déployées, de près de cinquante centimètres d'envergure.
48
I.KS SKI.NS DANS I. Il 1 S l() I ii K
Les exotiques nous fournissent quelques exemples intéressants.
Au Muséum, nous avons vu la i)hotogTaphie d'une aborigène du
Ouecnsland, qui ne porte que quelques incisions horizontales entre
les seins. A côté, une Australienne de la tribu des Worki présente
deux fortes cicatrices produites par un morceau de bois fiché sous
la peau des mamelles (fig. '2\)). Ce sont les tatouages les plus
discrets que nous ayons rencontrés; ils n'ont rien de décoratif et
•;(7 rsti';'
'^J.M
Fiff. ai.
■.^„=.#«
Fis. ■■i^.
W&
.- Â
seraient plutôt des tabous ou préservatifs contre les mauxais
esprits.
En Tunisie, l'emploi du fer rouge, pour le traitement de la toux
persistante, laisse des tracés indélébiles sur le thorax des tuber-
culeux ; ces cicatrices saillantes, véritables chéloïdes, dessinent,
le plus souvent, sur la poitrine, une croix saillante à plusieurs
branches (1).
Les femmes fellahs, trop pauvres pour posséder des bijoux, se
font graver, en bleu, des bracelets aux poignets et aux chevilles
et des parures de perles sur la poitrine. Le D' Georges Schweui-
(1) U' FiMix H:'gii;uilt ; Le Currespo/nldiil médicnl.
KAITS LK(iKM)Ari{KS KT H 1 S I' (» li I (» l K S
49
i'urth, dans Au cœur de [Afrique^ reproduit le tatouage élégant
de Mounza, épouse de Bouroua, se composant de lignes pointillées,
V ./^^?:^
■'lî •^, ■;§► &/
'^.' .1'^-
''•.^<^:i^''
Fiff. 33.
Fier. 34.
avec de larges croix au milieu et sur les épaules, sous forme de
nœuds.
Aux Philippines, chez les Igorrdes (fig. 30), les tatouages
prennent la forme d'un « com-
plet n inusable : la poitrine
semble revêtue d'im canezou
léger ; les Indiens Négritos
(fig. 31 et 32), des mêmes
îles, hommes et femmes, se
font couvrir le corps d'ara-
jjesques plus primitives. La
poitrine des femmes, au pays
des Bangouens, est couverte
d'un très vilain et très com-
pliqué tatouage, produit par
des excroissances de chair,
teintes en bleu, analogues à
celles des femmesWorki,mais
beaucoup plus nombreuses.
Chez les Papous de la Nouvelle-Guinée, ce sont des dessins de
lignes ponctuées, enduites de couleurs variées (fig. 33) ; les motifs
diffèrent sur chaque sein, Racinct, dans Y Histoire du Costume,
LES SEINS DANS L"in.STOIliE. — I. 4
Fig. :V6.
oO
I.KS SKINS DANS L H 1 SI' (» I II K
représente une femme derîle Mowi, des Sandwich, le buste chargé
de tatouages : le contour des seins est marqué par une suite de
petites chèvres qui gravissent ces éminences (fig. 34). En Polyné-
sie, les tatouages servent à désigner la tribu à laquelle Findividu
appartient; celui de la figure 3ij porte un damier sur le côté droit
Fit;. 36.
de la poitrine. Toujours, d'après Racinet, le torse des danseuses
persanes (fig. 36) est souvent couvert de ramages, représentant
des fleurs, des palmes, des animau.x, etc.
Le cancer du sein à la cour. — L'impératrice Frédéric, la
mère de Guillaume II, a succombé à un cancer du sein gauche.
L'oj)ération était décidée — bien qu'inutile — mais l'impératrice,
d'orig'ini' anglaise, ne voulait la faire exécuter que par des médecins
de son pays. Or Guillaume II les déteste, depuis que feu le D' Morel
Mackenzie a eu la prétention de sauver l'empereur Frédéric (i),
(1) Qui souffrait d'un cancer du laryn.x; sa mère, i'inii)éialrice Augusta, était
aussi atteinte d'une affection cancéreuse.
l'AiTs 1. K (i r. r.DA I m: S ht ii is io m u r ks
ol
contrairement à l'avis des plus illustres médecins allemands, et
il s'est opposé à Fintervention anglaise.
Une lithographie, sans date ni signature : Encore un cancer !
(fig. 3() bis) rappelle les horribles souffrances endurées par la
malheureuse Carohne, épouse de Georges IV d'Angleterre, qui
Fit
56 hls.
succomba aux ravages d'un cancer du soin, comme Anne d'Au-
triche (1).
La duchesse d'Orléans, douairière, mourut de la môme maladie,
attribuée, comme on sait, à la maladresse d'un valet de chambre
c[ui, en voulant atteindre deux volumineux in-l'oliu, en laissa tom-
ber un sur le sein de la princesse.
2" Sur l'allaitkmext i:t lk i.Arr. — Hommes â la mamelle. —
L'exemple de Cimon allaité, dans sa prison, par sa fille, Péra,
selon les uns, Pérus, selon d'autres, n'est pas unique ; on connaît
(1) Aiiecd. Itisl. et relif/.. p. 68.
I.KS SKINS DA.NS L HISÏOIUK
aussi celui de David, fils de Robert III, un érotomane qui, [)oup
satisfaire sa passion, ne reculait pas devant l'assassinat et fut
jeté dans les cachots d'une citadelle, avTC ordre de le laisser mou-
rir de faim. Aussitôt enfermé, il parvint à séduire la fille de son
geôlier, et celle-ci, avec Taide d'une amie dévouée, récemment
accouchée, put le nourrir quelque temps. « La jeune geôlière allait
souvent visiter le prisonnier, et à chaque fois elle lui portait des
galettes très minces, qu'elle dissimulait sous son chapeau ; Tautre
femme lui faisait sucer son lait, au moyen d'une sarbacane passant
à travers une fente de la muraille. Ces deux malheureuses femmes
furent découvertes et payèrent de leur vie leur humanité (1). » Le
procédé "de la sarbacane n'est pas banal, mais il nous paraît au
moins superflu : la jeune geôlière, qui [sortait des consolations
morales et physiques au prisonnier, ne pouvait-elle remplacer se&
galettes par des victuailles plus substantielles : une forte tranche
de bœuf ou de jambon, par exemple? De la sorte, sa félicité eut
été complète : consolations et consommations, à discrétion.
Un tableau de Vincent Lami, à l'Académie des Beaux-Arts, de
Florence, représente, dans une scène du siège d'Ancône par l'em-
pereur d'Allemagne, Frédéric I" Barberousse (1174), une dame
Anconitane qui offre son lait à un soldat mourant de faim.
Lallemand a fixé sur la toile un épisode analogue de la guerre
de Sécession (fig. 37). La gravure de ce tableau, faite par Man-
gein, porte en titre : Le Triomphe de la tendresse, et en sous titre,
pseudo-ironique : Dédié aux âmes sensibles.
Une des Observations de médecine, de Lazare-Rivière, relevée
par le D"' Georges Legrand, dans la 2" édition de 1G88, est citée
comme un exemple de tuberculose communiquée par contagion, à
la suite d'un régime lacté pris à la mamelle : « La malade, âgée
de quinze ans, avait contracté sa maladie auprès de sa sœur,,
laquelle avait donné du lait, pendant quelques jours, à ]M. l'aljbé
de Saint-Paul qui était mort phtisique depuis deux mois. Or, ladite
sœur, âgée de vingt-deux ans, d'une bonne habitude, mourut ans-
sitôt après de la même maladie. >; Mais la jeune sœur guérit de sa
prétendue phtisie pulmonaire. Pour nous, la contagion n'est nulle-
ment prouvée, attendu que l'auteur de l'observation oublie de nous
(1) F. Debray, lUsluire de la ProstiluLion.
FAITS Li':(; r:M)AiHKs et histohiquks
53
renseigner sur les antécédents de ces jeunes malades ; il peut fort
bien ny avoir là qu'une coïncidence. Ce qui nous intéresse dans ce
fait, c'est Fadministration du lait de femme contre la tui)erculose.
11 paraît que Li-Hung-Chang, mort récemment d'un ulcère de
l'estomac, fut mis au régime du lait de femme et avait à sa dispo-
i-ii.
sition plusieurs nourrices qui se relayaient toutes les deux ou trois
heures, suivant l'appétit du nourrisson cachectique, « Buvait-il à la
mamelle, se demande La Lanterne, à qui nous laissons la respon-
sabilité du fait ? se contentait-il d'absorber un lait préalablement
et soigneusement recueilli ? Ce point demeure obscur. » Espérons
qu'un jour ce menu, mais intéressant petit problème de l'histoii'e,
sera éclairci.
Hommes nourrices. — Et pourquoi pas ? Les hommes ne
sont-ils pas pourvus de mamelles comme les femmes ? Il y a ac-
tuellement (1901), en Allemagne, un bouc — ce n'est pas le pre-
mier de son espèce — qui donne un litre do lait par jour, et
comme l'homme appartient à la même classe des mammifères, qui
o4 Li:s si: IN s dans i. histoiue
Tcmpêcherait de jouir du privilège lactifère de ce quadrupède
lubrique ? Dans le sexe masculin, il esl vrai, les mamelles sont le
j)lus souvent atrophiées ; mais, à la naissance, qu'il s'agisse d'une
fille ou d'un garçon, il n'est pas rare de les voir fournir du « lait
de sorcier )). Chez l'adulte, et même chez le vieillard, l'homme-
nourrice n'est pas, non plus, un mythe ; aux exemples déjà cités (1),
nous ajouterons, en les résumant, ceux que M. E. Santini de
Réals a réunis dans un article de la Science française. Xélaton (2)
j)arle d'un jeune homme de vingt-trois ans, qui présentait uni'
véritable glande mammaire gauche, d'oii s'échappait, à la pression,
un liquide ayant tous les caractères physiques du lait. De môme
Horteloup, dans sa thèse d'agrégation (1872), mentionne le cas
d'un homme de soixante-dix-neuf ans, qui, depuis neuf années,
j)ortait dans le sein gauche une tumeur liquide d'où l'on tira deux
verres de lait pur. Schacher cite, d'après le témoignage de Jean
Benoit Erandellius, un « sale petit mendiant », âgé d'environ
neuf ans, qui faisait jaillir de ses seins ime humeur lactée repré-
sentant la valeur de vingt gouttes et plus ; par exemple, ses
mamelles étaient un peu plus petites que celles des autres enfants ; 3) .
Nous lisons ceci dans les Transactions p/iilosojj/riques de la
Société Rotjalc de Londres^ traduction du D'' Demours, année 1741 :
« Le 19 août 1733, l'évèque de Cork (Angleterre) écrivait au
comte d'Egmont : — « Je vais vous parler d'un homme que j'ay
trouvé à Inishanan, à dix mille d'ici. C'est un individu d'environ
septante ans, François de naissance, qui a esté obligé de quitter sa
patrie à cause de la religion. Il me demanda l'aumosne, et je lui
donnai un petit écu. Etant rentré chez moi, j'entendis quelque
bruit à la porte ; cet homme, transporté de reconnoissance, étoit
revenu pour me faire voir une curiosité ; c'étoit son sein, avec
lequel il m'asseura avoir allaité autrefois un de ses enfants. Sa
femme, me dit-il, étoit morte deux mois après ses couches. Une
nuit que cet enfant, qui avoit couché auprès de lui, crioit plus
que de coutume, il lui donna le sein, espérant l'apaiser par ce
moïen : mais il trouva qu'avec le tems, l'enfant tiroit du lait, et
m'asseura que, dans la suite, il en eût assez pour le nourrir. Je
(1) Ciirio.s., p. 1)9.
(2) Éléments de patholof/ie chirurrjicule. p. 10:2.
(3) M. René Duval. Thèse de doctorat. 1881.
FAITS LK(;KM)AIRKS KT HISTdRlOUKS
regardai ses mamelles, que je trouvai fort grosses pour celles d'un
homme : mais le mamelon estoit aussi gros, ou même plus, qu'au-
cun de ceux que j'aye jamais veus chez les femmes. » Les évoques
et les petits abbés ne tartuffaient pas au xviif siècle et ne baissaient
pas les yeux devant les seins des dames.
Un cas analogue fut observé par le D'' Juan Castelar, et il en lut
la relation dans la session du 7 octobre i7'.)8, de la Faculté de
Madrid. 11 s'agissait d'un laboureur de trente-six ans, nommé
Lozano, dont la femme mit au monde deux jumeaux, un garçon et
une fille ; le lait de la mère étant insuffisant, le père mit ses en-
fants à son sein pour calmer leurs cris : les succions répétées de sa
progéniture affamée firent venir le lait, dont il allaita, pendant
cinq mois, son petit garçon. On trouvera un autre exemple d'homme
nourrice, dans le livre de^IM. A Hervé et F. de Lanoye, Voyages
dans les glaces, page 80.
Nourrices fabuleuses (1). — Pythagore a eu pour nourrice un
peuplier qui distillait un suc analogue au lait.
Après la naissance de Ptolémée Soter, sa mère, Arsinoé, Taurait,
selon Suidas, fait exposer sur un bouclier. L"n aigle descendit
vers Tenfant et l'enleva dans son aire; il déchirait les corneilles
pour It' nourrir de leur sang, au lieu de lait.
On sait qu'une des filles du fleuve Sangaris devint grosse, en
cueillant — non pas la noisette — mais un fruit à l'amandier prove-
nant des glandes séminales d'Agdistis, coupées par les dieux
cruels ; son fils Atys fut, comme Zeus, nourri par une chèvre.
Faut-il rappeler que le roi de l'Olympe est représenté par
les artistes couvert de la peau de la chèvre Amalthée, sa nourrice?
Coutumes relatives aux nourrices. — Il est souvent parlé,
dans le Kama-Souti'a, de la « sœur de lait » ; c'est que du temps
de Vatsyayana, les dames Hindoues, au lieu d'allaiter leurs enfants,
les confiaient à des mercenaires.
Le professeur Budin tend à nous ramener aux temps des
« sœurs de lait ». Pour cet éminent praticien, une nourrice peut
allaiter, avec avantage, deux enfants: le sien, plus âgé, opère
(1) Aiiecd. hlal.. [). 43.
SG I, i: s SKI.NS DANS 1/ Il I S I' () 1 It K
des succions énergiques qui activent la sécrétion lactée, et la
satisfaction cravoir son « fieu » auprès d'elle influe favorablement
sur la santé de la nourrice, par suite sur son lait,
A Venise, les esclaves devaient servir de nourrices et, dans les
actes de vente, qui se faisaient sur le marché entre deux prêtres,
on cédait les esclaves « avec leur lait w : mais pourquoi, d'après
P. INIolmenti (1), par une analogie bizarre, la grossesse était-elle un
cas de résiliation de contrat de vente ?
Le même auteur rapporte qu'autrefois la plupart des prostituées
vénitiennes arrivaient du Frioul. Une délibération du Conseil
d'Udine, en date du l'i avril 1390, expose comment un grand
nombre de femmes, coupables et perverties, envoyaient spéciale-
ment à Venise les nourrices et les servantes des bouro-eois d'Udine
se prostituer.
En France, aux xvn'' et xvnf siècles, l'étiquette défendait aux
nourrices de la cour de toucher leur royal nourrison ; si une épingle
piqu^ le bambin, il fallait le laisser crier jusqu'à ce que la
« remueuse » intervint. On comprend le cri du cœur de ]Marie-
Antoinette s'écriant au Temple : Jai gagné quelque chose à la
Révolution, au moins je suis débarrassée de l'étiquette!
Récompenses aux nourrices. — Parlons d'abord des « rem-
plaçantes » royales. Le père nourricier de Charles IX, d'après le
Dictionnaire héraldique , de Gastelier de la Tour, reçut des lettres
de noblesse, en juin UiîJO : tin écusson semé de France, à la
vache d^argent, couronnée d'une coirronne antique, accornée et
clarinée, le tout de gueules.
De même, la nourrice de Louis X\' et son époux furent anoblis
par ce monarque, en mars 171 G; ils reçurent pour armoiries : un
écu coupé d\)r et d'argent, chargé de deux fleurs de lis d'or,
de deux dauphins adossés, avec nne couromie royale 'posée sur
le coupfL^ et ce « en considération de ce que ladite dame eut le
bonheur d'allaiter successivement deux fds de France, qui furent
tous deux dauphins » .
On trouvera dans la Médecine anecdotique, littéraire et histo-
rique, du D"" Minime, auquel nous empruntons ces détails rétros-
(1) La Vie privée à Venise.
FAITS F. K(; KM) AIRES KT HISTORloUES
pectifs, les décrets de Napoléon accordant aux dames veuves
jNIallard et Laurent, Fune nourrice de Louis XYI et Fautre nour-
rice de la fdle de ce monarque, une pension annuelle et viagère de
douze cents francs.
Occupons-nous maintenant des nourrices ordinaires. Il a été
raconté que F Assistance publique se proposait (1900) de décerner
des médailles et des diplômes aux nourrices méritantes, ainsi qu'à
Fis. 38.
toutes les personnes dont le dévouement aux entants assistés serait
jugé digne de récompense. Cette décoration doit être une plaque
rectano-ulaire d'or, d'argent ou de bronze. Les nounous pourront
la porter avec un crochet piqué dans Fétofîe de leur robe, par
exemple à la hauteur de Fépaule : sur la poitrine, elle serait gê-
nante dans Fexercice de leurs fonctions. Cette plaque présente, à
Favers (fig. 38), une figure symbolique « la Seine », munie d'une
jolie paire de seins nourriciers. Au revers (fig. 3U), une paysanne
allaite son nouveau-né dans un paysage ravissant .
Ces récompenses honorifiques ne suppriment pas, bien entendu,
les anciennes récompenses pécuniaires. L'ironiste H. Harduin,
veut qu'on prodigue les décorations aux mères qui auront bien
mérité de la patrie et aussi à leurs maris, dont la collaboration est
nécessaire, sinon indispensable. On établirait cette gradation :
l. K s S i-: I N s I) A N S I. H 1 S r (I I H K
V-\ enfants, chevalier ; 18, commandeur ; :^2, grand ofïlcier.
« L'étoile des braves, ajoute le spirituel rédacteur du Malin, fera
très bien sur les robustes appas que la Maternité développe géné-
ralement chez les femmes qui ont beaucoup d'enfants. On verra de
l)onnes mères, dégrafant leur corsage, dire à leur bébé : Tit veux
téter, mon amour? Attends que j'ôte ma croix... (1). »
(^)mme toute actualité importante, la décoration des nourrices
a eu les honneurs de la caricature : un dessin de Couturier, de la
Chronique tnunicipa/c, représente un tourlourou s'adressant
à une nounou, en train de donner le sein : (( Diable, mam'zelle
Victoire, sur lequel des deux allez-vous accrocher votre déco-
ration? )).
Les « Gouttes de lait ». — La « Goutte de lait » est une
œuvre philanthropique, instituée à Fécamp. Les indigents paient
le panier de lait quotidien deux sous ; les petites bourses le
paient huit, et les gens à leur aise, un franc. A Paris, le D'' H. de
Rothschild a fondé « l'Œuvre philanthropique du lait » qui compte
aujourd'hui quatorze dépôts et a pu livrer à la consommation des
milliers de litres de lait stérilisé ou frais. C'est Budin qui, le premier,
en 1892, à sa consultation de nourrissons, fit donner gratuitement
du lait stérihsé, en cas d'insuffisance de l'allaitement ; ce lait était
distribué en petits flacons ne contenant qu'une seule tétée.
^L BarbeUion a créé, à Paris, une « Goutte de lait » caprine ;
les chèvres de race pure et élevées dans de bonnes conditions sont,
on effet, les meilleures auxiliaires de la nourrice (2).
Depuis la fondation de ces œuvres, la mortahté des enfants
qu'elles ont alimentés, est tombée de trente-trois à onze pour
cent. « Il y a donc là, observe judicieusement M. J. Cornély, une
solution relative du problème de la natahté, car puisque, en France,
la fabrication des enfants semble se ralentir, il faut tâcher de con-
server ceux qu'on obtient. ;)
Enfin, le D'" Boudry a organisé, à l'usage des adultes, l'œuvre
des « Lactatoriums populaires de Paris » ; ce sont des cliniques
(Il Dans ÏArt décoratif, ri" 36 de septembre 19Ul, on trouvera le lae-similé de
la médaille de récompense pour la protection du premier âge, gravée ^jar
J.-G. Chaplain : une nourrice tient un nourrisson au sein gauche et souffle sur
une cuillerée de soupe destinée à un enfant plus âgé, debout auprès d'elle.
[i) Correspondanl médical. — Rev. philanthrop., 1901-1902.
FAITS KK(; KNDAI KKS KT HISTOKinUKS
59
destinées à recevoir gratuitement les malades, adressés par des
confrères, pour y suivre le régime lacté absolu.
Contre les nourrices. — Brieux, avec sa pièce des Hampla-
çaiites, inspirée vraisemblablement par la Vache à lait de Daniel
Riche, a voulu reprendre la campagne de Jean-Jacques Rousseau,
en faveur de Tallaitement maternel ; mais, malgré le concours sym-
F\'^. 3'J.
pathique de la presse entière, il en fut pour ses frais d'éloquence et
ses coups d'épée dans le lait : les mondaines, prises dans Tengre-
nage de la vie frivole, auront toujours recours aux mercenaires
qui, par aj)pât du gain, abandonneront leur enfant aux aléas du
biberon. D'ailleurs il est de bon ton d'imiter les modes et coutumes
anglaises; or, en Albion, neuf fois sur dix, les enfants sont élevés
au biberon par des « nurse » sèches. De par l'esprit d'imitation
qui caractérise nos snobinettes, c'est le système qui prévaut
maintenant en France.
Les célébrités obstétricales ont été interwievées à ce sujet et
sont tombées d'accord pour énoncer cette formule : <( Toutes les
femmes peuvent allaiter, sauf celles qui sont atteintes d'une mala-
die grave et celles qui ont les seins mal faits. » Or la malfoi-ma-
tion s'observe à peine deux fois sur cent ; quant au pourcentage
(K) I.KS SKINS DANS 1/ H I ST (I I H K
des femmes malades, il varie suivant les circonstances. « Toute
mère a du lait après la naissance de son enfant, a n'-pondu Pinard;
elle en a plus ou moins, mais elle en a toujours... et le lait de
la femme, pris au sein, est et sera toujours supérieur à tous les laits
stérilisés, maternisés, imaginai^les ;,.. le lait stérilisé ne sera jamais
pour le nouveau-né qu'un pix-allcr. » C'est le mot de la fin.
Erreurs et préjugés relatifs à lallaitement. — De tout
temps, rêver d'une nourrice est un signe de stéiilité, en vertu de
l'aphorisme : Songe, mensonge ; le rêve n'est-il pas le contraire
de la réalité ?
Un ancien préjugé tombé en désuétude : « Quelques-uns vou-
lant signifier l'oubly des mères envers leurs enfans, peignent une
femme qui porte pendue au col, en forme de joyau, la pierre que
les Grecs appellent Galathlle. et, en sa main droite, un œuf d'aus-
truche. Cette pierre, dont Pline fait mention, est fort à propos
attribuée à la femme dont nous parlons, pour ce que selon le mesme
autheur, elle a une secrette propriété d'augmenter le laict aux
nourrices, et pareillement de faire perdre la mémoire des choses
passées. Tellement que par une façon de parler figurée, nous pou-
vons bien dire des mères qui oublient leur enfans, qu'elles ont au
col la pierre Galathite. Pour la môme raison encore, on les compare
aux austruches qui, ]:)Our faire esclorre leurs œufs, en esté, les
ensevelissent dans le sable, et un peu après ne se souviennent plus
de les y avoir mis. w Heureusement que, dans la gent autruchienne,
conmie dans l'espèce humaine, le mâle est là pour réparer les
inconséquences et légèretés de la femelle : il prend la place de' sa
compagne écervclée sur la couvée.
Pour activer la sécrétion lactée, quand celle-ci est insuffisante,
M. le D' Schein, de Budapest, préconise le massage abdomi-
nal. Ce massage doit être fait chaque jour, pendant une demi-
heure ou une heure, et de bas en haut, à rebrousse-poils, c'est-à-
dire en allant des parties génitales vers les mamelles. On peut
associer à cette jiratique le pelotage — pardon — le massage des
seins eux-mêmes. Cette m(Hhode galactogène (?) a le doul)le
avantage ^wx\\v\utUe^ pour la cliente, ixYagréable, pour l'opé-
rateur. Le massage est à l'ordre du jour, dépêchons-nous d'en user
tandis qu'il guérit; c'est une panacée universelle à la portée de
FAITS I, K(; KNDAI M h:s KT H I S I () lU O T i: S 61
toutes les mains ; ses manœuvres simplident la thérapcuti(|ue et la
ramènent à des tours de passe-passe vil)ratoires, Suédois ou autres.
Où s'arrêtera le massage? Nouveau Gusman, il ne connaît pas
d'obstacle et guérit les deux extrêmes : la maigreur et Fobésité,
l'anémie et la congestion, le nervosisme et l'apathie, etc. Xe vient-
on pas de proposer, contre les maladies de la prostate et des vési-
cides séminales, le massage de ces organes profonds à l'aide de
l'index introduit dans le rectum ? A ce compte, les afTections pro-
statiques devaient êti'e inconnues de Sodome, Gomorrhe, Seboïm,
Adama, détruites par le feu du ciel ; et Caligula, Henri 111, le
cynique duc de Vendôme, ainsi que son astucieux secrétaire Alberoni,
c liUti quanti, n'étaient après tout que des masseurs incompris.
Suivant Nattan-Larrier, les femelles des cobayes, qu'on empêche
de manger leur placenta, ont moins de lait que les autres! Que
l'influence de ce « gâteau placentaire >•> se fasse sentir dans les
vingt-quatre heures, en agissant comme un aliment de premier
ordre, à la façon d'un bifteck saignant, nous l'accordons, mais croire
à son action prolongée, « homme de peu de foi w, nous en doutons.
Sans conseiller aux femmes la placentophagie directe, ^I. Boucha-
court préconise, comme galactogène, des pilules d'extrait de pla-
centa de brebis : « Une jeune femme qui, la veille, donnait
40 grammes de lait, assure cet accoucheur, en donne 300 le Jour
où elle a])sorb(' le médicament w. Bien plus, l'extrait a fait venir
du lait à une femme qui n'était point mère. « Demain, sans doute,
observe ironiquement M. Henri de Varigny, le savant et spirituel
critique scientifique du Temps^ il en fera produire aux hommes,
h'squels auront par là une carrière à laquelle ils ne s'attendaient
guère. )) C'est par l'action galactogène du placenta vivant que le
même tocologue explique la présence du lait dans les mamelles
des nouveau-nés. Nous craignons fort que notre vénérable con-
frère ne se ft\sse illusion sur la valeur de sa méthode opothéra-
pique ; il y a beau temps que M. xXicolas Lemery a préconisé l'usage
médical — intus et extra — de l'arrière faix des femmes : « On pré-
fère, écrit-il, celui qui vient de la naissance d'un garçtm à celui
d'une fille. On doit le choisir nouvellement sorti d'une femme
saine et vigoureuse, entier et beau. On l'applique tout chaud, sor-
tant de la matrice, sur le visage pour en eflacer les lentilles. On
s'en sert aussi, intérieurement, étant séché et mis en poudre.
02 L K S S K 1 1\ S DANS L H I S 1' (> I U K
pour lV'()ilepsie, pour hâter raccoucheineiit. » La médecine des
signatures, Tort appréciée autrefois, préconisait ces poudres contre
la stérilité ; et, dans l'antiquité même, ne servaient-elles pas à
cont'cctionncr un philtre d'amour, Thippomane ? Rien de nouveau
sous le soleil.
De nos jours, les nourrices en détresse et crédules adressent
une requête, accompagnée d'une offrande, au saint Antoine do
Padoue du voisinage qui, on le sait, a la spécialité de faire retrou-
ver les objets perdus, moyennant quoi, les nounous retrouvent leur
lait... s'il doit revenir.
Francueil, le premier amant de l'épistolière d'Epinav, assure
c|u'il n'y a rien de tel que « de courir la poste pour faire passer le
lait ». Cependant, au xviii" siècle, il était d'étiquette, pour une
nouvelle accouchée, de ne pas sortir avant six semaines.
Un préjugé, fort répandu dans le monde où l'on parle à tort et
à travers, est de conseiller à une mère qui allaite, quand elle vient
de courir, de boire un verre d'eau froide avant de donner le sein.
Quel rapport l'eau introduite dans l'estomac peut-elle avoir avec la
sécrétion lactée ? L'idée première de cette pratique a dû germer
dans la cervelle d'une laitière, habituée à aqualiser son lait, pour
le rendre plus léger à la digestion de ses clients,
M""' de Genlis conte qu'un Allemand, du nom de W'eiss, avait
trouvé la composition d'un spécifique certain pourles Utils rvjiaiidus
des femmes en couches. Le succès était d'autant plus assuré que les
lails répandus n'existent pas. Et voilà à quoi tient une réputation !
C'est pour tous les Hindous, sans distinction de caste, un article
de foi que les louves volent des enfants nouveau-nés pour les allai-
ter et les élever ensuite comme des louveteaux ; aussi les Romulus
et Rémus j)ullulent-ils dans, l'Hindoustan. G. Labadie-Lagrave,
qui a fait une étude approfondie de ces enfants-loups, donne une
explication ù peu près plausible de cette conviction hindoue :
« Une louve s'empare d'un enfant et l'ajjporte à ses petits afin de
leur procurer un repas de chair tendre et fraîche ; mais, au moment
où elle leur offre ce festin, les louveteaux, déjà rassasiés, au lieu
de dévorer le nouveau venu, se mettent à jouer avec lui. -Le nour-
risson, obéissant à un instinct de conservation, approche les lèvres
de la mamelle de la louve et, -à partir de ce moment, l'adoption
est consommée. Il existe entre les femelles de tous les mammi-
FAITS I.KC r.NDAI HKS K T H I ST () UI O T K S 03
fères une sorte de solidarité dans le devoir de rallaitement. 11 n'est
pas rare qu'une chatte allaite des petits chiens et parfois même
des lapins et des écureuils (1). Le collaborateur du Lipjdncott's
Magazine cite l'exemple d'une chatte qui a allaité un rat nouveau-
né. » Cette conjecture n'est pas absolument chimérique, mais quand
il s'agit d'élucider un fait, on doit se défier des raisonnements pai-
induction.
Usages singuliers du lait. Bains de lait — 11 est bien évi-
dent qu'en privant les animaux domestiques, veaux, ânons, che-
vreaux, du lait que la Nature leur destine, nous commettons un
inique abus de pouvoir ; ce liquide nourricier, pas plus que les œufs
de poule, ne devrait entrer dans notre alimentation, si nous respec-
tions les vues du Créateur. Mais, sur ce point, comme en beaucoup
d'autres, nous avons fait prévaloir le principe ég'oï-jte et barbare,
famiher à Robert-Macaire et à Bismarck, de « la Force j)rime le
Droit » ou du Quia nomitior homo.
Quoi qu'il en soit, le lait était autrefois l'aliment exclusif des
Galactopluu/es de Scythie ou de Mœsie, comme, de nos jours, les
Mongols, qui se nourrissent surtout de laitage (2j. Au contraire,
certaines peuplades de l'Afrique équatoriale, tels les Okanda, font
fi du lait, dont on a assez bu dans l'enfance. Les galactophohrs
de ce genre sont fort noml)reux dans les pays civilisés et les méde-
cins v rencontrent de fréquentes résistances pour l'application du
régime lacté exclusif.
Au point de vue médical, le lait d'ânesse a été ordonné comme
reconstituant de premier ordre. M™'' de Pompadour en fit un usage
prolongé contre des accès de toux suivis de pituite; le régime
lacté était d'ailleurs indiqué pour l'affection du cœur qui incom-
modait la marquise et l'exposait aux palpitations, aux suffocations
et aux défaillances. « Le goût de l'élève des oiseaux de basse-cour,
joint à celui du laitage, dit M. Dejardins, cité par le D' Potiquet,
fut la cause de la construction de la ménagerie et de la laiterie de
Trianon. ))
(1) Une chiLMine du maréchal Pélissier alUiila un lionc-eau.
(2) Octavie Guichard, dame Belot. femme de lettres, née à Paris en 1T19,
morte en 1804, se nourrit presque exclusivement de lait, après avoir perdu son
mari, avocat au Parlement, dès les premières années de son mariage.
C4 m: s SKINS DANS I, IliSTOlUK
Une lithographie satirique de Xuma l'ait allusion, vers 1830, à la
vogue (lu lait d'ânesse pour la cure de la phtisie pulmonaire
(fig. 40) (1). Au premier plan, un médecin, à la panse pleine comme
la bourse qu'il tient à la main, forme un groupe sympathique avec
deux botes asines, aux pis gonflés, et leur ânier qui dit, avec satis-
faction : « A nous quatre, nous en avons guéri des poitrinaires! »
Dans le lointain, se dessine la silhouette de plusieurs corbillards qui
conduisent les malades « guéris » à leur dernière demeure.
Le lait d'ânesses soumises à des frictions mercurielles passait
pour guérir la syphilis, au wuf siècle ; au xx'', les frictions se
font encore, mais directement sur les avariés.
Les cures de petit-lait sont surtout favorables aux constipés.
Les anciens ordonnaient le lait de chèvre « privé de son caseum »y
dit Pline, contre les maladies de poitrine. Nous ne faisons pas
autre ciiose aujourd'hui avec les « cures de petit-lait de chèvres »:
médication qui prit naissance, au commencement du xw" siècle, à
Gaïs, dans les Alpes d'Appenzell, En Tartane russe, on a recours,
contre les affections respiratoires et digestives, aux « cures de
koiimis ou lait de jument fermenté » ; de même, en Suisse, on
donne des bains de j)etit-lait de vache, provenant de la fabrication du
fromage. Ceux d'AUevard sont fournis par de nombreux troupeaux.
Longtemps les bains de lait furent considérés par les coquettes
comme le meilleur cosmétique pour embellir les parties extérieures
du corps et entretenir leur fraîcheur [2]. M'"" de Genlis s'offrit cette
fantaisie : « 11 y avait à Genlis la plus grande baignoire que j'aie
jamais vue, on aurait pu y tenir à l'aise quatre personnes. Ln jour,
je proposai à ma belle-sœur de nous y baigner dans du lait pur,
et d'aller acheter dans les environs tout le lait des fermes. Nous
nous déguisâmes en paysannes, et montées sur des ânes et con-
duites par le charretier Jean, nous partîmes de Genlis, à 6 heures
du matin, et nous allâmes à deux lieues à la ronde, de tous les
côtés, demander tout le lait des chaumières, en ordonnant de por-
(1) Aujourd'hui, on en est pour le traitement de la tuberculose aux cures
d'altitude : à défaut de ressources qui i)ermeltent le coûteux transport dans les
Sanatoria, on recommande les fenêtres ouvertes, jour et nuit, été comme hiver !
11 y a des modes en matière de médication comme de costumes tjt de parures.
(-2) Ovide i)arle de dames romaines qui, la nuit, couvraient leur visage de
mie de pain trempée dans du lait d'ànesse. — A l'époque où le o à 7 des belles
désœuvrées se passait dans leur salle de bains. \o lait servait à troubler l'eau
de la baignoire et à couvrir d'un voile opalin les charmes les plus secrets.
FAITS LKGENDAIRKS l'.T HISTORKjUKS
65
ter celait le lendemain de grand malin au château deGenlis. Xous
prîmes un bain de lait, ce qui est la plus agréable chose du monde :
nous avions fait couvrir la surface du bain de feuilles de roses, et
nous restâmes plus de deux heures dans ce charmant bain. »
Pauhne Borghèse en était fanatique. Dans un voyage à Aix-la-
Chapelle, son Altesse envoya un courrier à M. Leclerc, préfet de
Fii?. 4U.
Bar-sur-Ornain pour qu'il commandât un bain de lait, suivi d'une
douche du même liquide qu'elle voulait prendre avant le déjeu-
ner. « Voilà le préfet dans tous ses états. 11 envoie aussitôt les
cent hommes de sa garde départementale presser le pis de tout ce
qu'il y a de vaches dans les environs... A son arrivée, la princesse
demande : « Et mon bain ? — Il est prêt. — Et ma douche ? — Ah !
ceci était plus dilïicile, il n'y a pas d'appareil. — Mais c'est très
facile, au contraire. Faites percer le plafond juste au-dessus de la
baignoire... et de l'étage au-dessus, on me donnei'a ma douche, si
nécessaire à ma santé (1). » Un médecin n'eut pas mieux dit.
(1) Jost'iih ïurquaiijles Sœurs de Napoléon.
LES SEINS DANS l"h1ST0IUE. — 1. ^
66 m: s sKiNs DANS i/ii isToi in:
Le préfet se distingue par son zèle et son activité à satisfaire les
fantaisies laiteuses de la belle voyageuse ; il est probable, qu'à l'abri
de tout contrôle, il tricha fortement et baptisa amplement le lait
des vaches. « 11 en résulta, dit la maréchale Oudinot, qui raconte
cet épisode (1), de nombreuses éclaboussures de lait caillé, sur tout
le mobilier et l'odeur prolongée, dans l'appartement, d'une laiterie
mal tenue. )> Cette manie balnéaire était toute naturelle chez une
aussi capricieuse et charmante déséquilibrée, qui prenait des lave-
ments à la fraise de veau, pour conserver la fraîcheur de son teint.
Marie Colombier cite, dans ses Mémoires fin a Empire, un
usage peu connu du lait de vache, qu'elle constata lors d'une visite
à Roqueplan, ex-directeur de l'Opéra. En arrivant dans la « demeure
ni chaste, ni pure » de la rue Taitbout, elle fut surprise d'en-
tendre des rires fous dans toute la maison : « Une dizaine déjeunes
filles se trouvaient là; elles avaient dans les mains des objets d'une
forme singulièrement audacieuse ; elles les remphssaient de lait ;
puis, à l'aide d'un ressort, elles envoyaient le contenu de ces ins-
truments bizarres dans une cuvette. Et pendant l'opération, c'étaient
des fusées de rires... La maison de Roqueplan touchait à un temple
d'amour banal... La veille, des créanciers avaient fait tout vendre
dans le lieu de plaisir, après faillite. C'est à cette occasion que le
joyeux critique avait acheté un lot de ces engins bizarres, contenu
dans un panier. La fantaisie lui était venue de faire jouer — aux
jeux non innocents — les jeunes danseuses avec ces objets svm-
boliques ». Ajoutons, pour les historiographes futurs des rues de
Paris, qu'à cette maison close succéda un bureau de nourrices,
espérant sans doute que le nom de la rue lui porterait bonheur.
Mais cet établissement, non moins utilitaire que le précédent, subit
le même sort. Depuis, une nouvelle « maison Tellier » prospère,
paraît-il, dans le voisinage. Le nom de la rue « Taitbout », qui
prête à la plaisanterie, est décidément \u\ « tabou ».
Au xviii'' siècle, on préconisait, contre la canitic ou blanchisse-
ment des cheveux, des lotions de la tête avec le lait de chienne,
« trois fois de suite, avant de son coucher ». L'étymologie de
canitic {canix, chien) justifiait une fois de plus cette application
simpliste de la médecine des signatures.
(1) Duchesse de Reggio, Récils de (juene et de fuijcr.
FAITS !. K(;ENDAIRKS KT HISTOKIQU KS 67
De nos jours, le lait de femme est employé, comme l'émail jjlanc
porphyrisé — mais sans plus de succès — pour faire disparaître les
tatouages; on croit, en repassant les dessins au lait, effacer les
traces de la couleur. Xous signalons plus loin un certain nombre
de remèdes de bonne femme, où le lait féminin joue un rôle pré-
pondérant.
Gardons-nous de finir sur un « rythme plaintif « et résumons les
applications thérapeutiques du lait, qu'un médecin belge a eu
l'ingénieuse idée de versifier (1), pas toujours selon la mesure :
Alinientdoux, complet, le lait est du sang blanc.
Le régime du lait établit lasepsie,
(îuérit le nervosisme avec la dyspepsie,
liend le sang moins aqueux, l'œdème moins tendu.
Grâce au lait, forganisme est bien mieux défendu.
11 refait le sang et les fiers leucocytes
(Jui s'en vont absorber les fâcheux organites,
Dont le fluide sucré, sécrété par les seins,
Va forcer les déchets à sortir par les reins.
Erreurs et préjugés relatifs au lait. — Les Armoricains
en sont encore, comme les primitifs des peuplades ab-icaines, à
ridée des anciens : que la nature du lait influe sur le caractère du
nourrisson. Dans ses abondantes et spirituelles notes de Rabelais
/iiédccin, notre confrère F. Brémond rappelle que le sceptique curé
de Meudon croyait, d'accord avec son temps, à l'influence de l'al-
laitement sur le caractère. Ainsi, en parlant de « Jupiter tonnant »,
Rabelais dit qu' « il fut paillard toujours comme un verrat ; aussi
fut-il nourry par une truie, en Dicte de Candie, si Agathocles
Babylonien ne ment; et plus boucquin que n'est un boucq : aussi
disent les autres qu'il fut alaicté d'une chèvre Amalthée ».
Van Helmont assure que « l'âge développe, chez les enfants, les
désirs ardents pour l'amour, que leurs nourrices leur ont commu-
muniqués ». Moriceau croyait aussi fermement à l'influence
du lait sur le tempérament : « On apprivoise les lions, disait-il, en
leur faisant téter une vache ou une ânesse, tandis que le chien
devient farouche s'il est allaité par une louve ». Le lait de chèvre
agite, dit-on, les enfants et les rend « capricants » (2). Le nom de
(1) La Médecine internationale illustrée.
(2) D'après M'"'= Hattazzi, citée par le D' Cabanes. « K. Sue l'ut noiuii par une
clièvre et conserva longtemps les allures bruscjues et sautillantes de sa nuurrire. »
08 I.KS SKIN'S DANS L 11 I S T 0 1 R K
tettc ( hl'vre, donnt'' à rcngoulevent, vient de ce préjugé que cet
oiseau recherche le lait des chèvres et les tette avidement. Un pré-
cepte de Pvlhagore défend de faire cuire le chevreau dans le lait
de sa mère ; sans doute parce que, contrairement à la doctrine
homœopathique, alors dans les nimbes, le fameux philosophe pen-
sait que les si?n/lia nuisaient aux simili/nis. Le préjugé qui veut
que « le lait chasse le lait » vient du même pot.
Dans les campagnes, les éruptions d'impétigo, d'eczéma, (|ui
couvrent la tête et le visage des enfants à la mamelle, sont prises à
tort pour des « croûtes de lait ».
On trouve chez les anciens auteurs quantité de receltes saugre-
nues où le lait de femme passe pour avoir une vertu médicinale.
Pline conseille, pour les yeux malades, une mixture de punaises,
écrasées dans du lait de femme. Nicolas Lemery, auteur du Die-
tionnairv ?inive)'se/ des Drogues simples^ assure que le lait de
femme est « restaurant, adoucissant, pectoral, propre pour la phti-
sie et pour les autres maladies de consomptions ». Jean Gœurot,
médecin de François P', préconise sérieusement ce remède contre
la migraine : « Faire tondre les cheveux et y faire traire laict de
nourrisse qui allaicte une fille (l). » Autre recette, qui serait bien
utile aux Compagnies d'assurances sur la vie, et que nous tirons
des Curiosilrs de Vlnstinre des remèdes, par le D'' H. Coulon, de
Cambrai : « Se vous volés savoir se uns hom mora u non, quand
il est malade, prendés sen orine et se le mêlés en un vaisiel, et
faites une feme ki nourise un oir malle dégoûter de son lait ens; se
vous vées le lait floter, il mora, et se li lais se melle avec l'orine,
si puel bien warir. El a le feme s'ele est malade, prendés le lait
d'une feme ausi com devant ki nourisse une puciele ».
Les somnambules ne se bornent pas à prédire le retour du volage
amant ou de Finlidèle époux ; elles se livrent à un métier plus lucra-
tif et plus dangereux aussi : elles pratiquent illégalement la méde-
cine et donnent des consultations, comme chacun sait. Le Malin
raconte qu'il y a une trentaine d'années, rue des Martyrs, une de
ces prétendues hypnotisées prescrivait constamment le lait. C'était
une nouveauté alors, et le lait de la somnambule ft\isait merveille.
Seulement elle recommandait expressément de l'acheter chez un
(1) Le Mois thérapeutique.
FAITS I. KC KXDAIRKS ET H I SI' 0 R I O U E S 69
laitier du boulevard de Clichy, « le seul de Paris qui vendit du bon
lait ». Or ce laitier était son amant et, grâce à ce truc, réalisa de
gros bénéfices. Ils se marièrent après fortune faite, et le couple
habite aujourd'hui un des plus jolis petits castels du Périgord.
Cette habile professionnelle pouvait à juste titre appeler ses clients
de Tun et Tautre sexe des « vaches à lait ».
On croit communément que Tabsorption du lait glacé peut être
suivie de mort subite : la légende attribue la mort foudroyante de
la femme de Charles II, d'Espagne (1689), à l'absorption d'une
tasse de lait glacé, donné par la comtesse de Soissons, compro-
mise dans la fameuse affaire de « la poudre de succession )>. On
imputa encore à cette cause le décès de la tragédienne, miss Xeilson,
âgée de vingt-deux ans, au chalet du bois de Boulogne (avril
188(1). Des bruits d'empoisonnement couraient aussi : Tautopsie,
pratiquée par le D'" Brouardel, éclaircit ce cas de mort brusque,
mais naturelle.
Le lait et la tuberculose. — Koch, qui découvrit, en mai 188^,
le bacille tuberculeux, a combattu au Congrès de Londres (juil-
let 1901), les idées jusque-là admises sur la propagation de la
tuberculose par le lait d'animaux tuberculeux. Depuis longtemps
nous doutions aussi de la possibilité et surtout de la fréquence de
cette transmission, mais nous ne nous savions pas en si bonne
compagnie. En principe, nous ne croyons à la contagion que sur
un terrain préparé par l'hérédité. L'héroïsme du D'' Garnault, qui
s'est fait inoculer une culture virulente de tuberculose bovine, sera
inutile au point de vue pratique et son expérience de laboratoire ne
prouvera pas grand'chose : ce n'est pas par inoculation que la
race bovine est dangereuse. Au contraire, l'ingestion prolongée de
lait, non bouilli, provenant de mamelles atteintes de maimnite tuber-
culeuse, eût constitué une démonstration beaucoup plus probante.
A Paris, où la mortalité partubercuhjse va sans cesse en augmen-
tant, la proportion des vaches atteintes de la tuberculose des
mamelles, la seule dangereuse pour le lait, d'après ^DI. Xocard et
Louis Forest, ne dépasse cependant pas 2 p. 100, alors qu'elle est
de 2."> et 30 p. 100 dans certains départements, et cela parce que
les nourrisseurs font saillir leurs vaches jusqu'à épuisement, tan-
dis que les vaches laitières de Paris sont achetées aussitôt après
70
LF. S SKINS DANS I. HISTOIRE
la yy/Zw bas, on ])leinc lactation, puis revendues au boucher, huit
ou dix mois après.
Lo lait, comme le crachat, n'a à son actif que fort peu de cas
probants de contagion, et les ligues antituberculeuses feraient
mieux de concentrer leurs efCorts sur la destruction d'ag-ents autre-
ment actifs de transmission des maladies nettement contagieuses,
tels que les mouches, les moustiques et les insectes parasitaires,
SdCIKTÉ DE PRÉSERVATION CONTRE LA TUBERCULOSE
par l'Étlucalion ]iopulairc
33 r. lE LA FA VET TE. P A lU S (iX")
Ne Crachez pas parterre!
C'EST DÉGOÛTANT!!!
Et C'est toujours dangereux !
La plilisio cl la plupart dos nialailips dos voies respirai oiros so commuiii-
pient par les crachais dossôclios cl réduils en poussière.
en instituant des primes d'encouragement à la destruction de ces
bestioles pathogènes. Et comme rhôrédité est le facteur principal
de la transmission de la tuberculose, de la scrofule, de la syphi-
lis, etc., ces ligues devraient conseiller aux familles d'exiger des
futurs conjoints un certificatmédical, ou un contrat d'assurance sur la
vie, les déclarant indemnes et bons pour le service matrimonial.
Quant aux avis répandus sous l'égide du Comïtc d' hygiène, inter-
disant de ne pas cracher par terre, ils sont moins une précaution
hygiénique qu'une mesure de propreté éh-mentaii-c, profitable sur-
tout à la gent moutonnière et écervelée qui se croit obligée de
subir la tyrannie de la mode, — uniquement instituée pour la
classe riche et oisive — , et qui, n'ayant pas de voiture, revêt, par
esprit d'imitation, des robes traînantes, bordées de ruches. Les ser-
monnaires, au xvi' siècle, tonnaient déjà contre les « cottes ba-
layeuses et estreignantes », ou collantes et les « robes aux queues
qui baloient la boue et la poussière )). Et bien avant, au xiii* siècle,
FAITS l.KCKNDAIRKS KT 11 I ST O U I O U K S 71
Adam, abbé de Perseigne, se moque de « ces robes interminables
qui baloyent la poussière et entravent la marche des gens pressés » ;
il compare celles qui les portent aux renards « fiers de leur longue
queue ».
De tous les agents propagateurs des microbes, le plus dangereux
et le moins soupçonné est peut-être l'eau bénite ! Des milliers de
« fidèles » se lavent les doigts dans le môme bénitier et s'asper-
gent benoitement la figure d'une causale, contaminée. A Bruxelles,
en Téglise Sainte-Marie, au-dessus d'un lavabo en marbre blanc,
servant de bénitier, se lit cet avis en gros caractères : « 50 indul-
gences sont accordées à ceux qui font le signe de la croix et 100 à
ceux qui se servent d'eau bénite )). Nous nous demandions la
cause d'une telle inégalité dans la récompense : Feau du bénitier
était noire de saleté (1) ; il s'agissait d'une épreuve.
Crovez-nous, ouailles bénévoles, faites le signe de croix à sec,
quitte à perdre la moitié des indulgences promises, ou faites-en un
second, toujours à sec, qui complétera la centaine, jusqu'à ce que
les conseils de fabrique se décident à supprimer leurs cuvettes mal-
propres. Les bénitiers ont remplacé les piscines, où primitivement
on se lavait les mains et les pieds avant d'entrer à l'église (2;, c'est
un progrès ; qui empêche les croyants de faire leurs ablutions à
domicile ? On a déjà supprimé Yasjtersoîi ou goupillon et l'on a
bien fait, quoiqu'en dise une inscription relevée sur un bénitier du
musée des antiques, à Toulouse :
Vous ([ui prenez de l'eau benoiste
Avec la main sans l'asperson.
C'est une chose deshoneste.
Demandez-en à Dieu pardon.
La question du lait. — A l'instigation du Malin, la presse
entière a fait une campagne (11)02) contre les fraudeurs du lait,
bien que dans ces dernières années la qualité du lait, vendu à
Paris, se soit améliorée d'une manière notable. Malgré cette amé-
(1) La \uv de ci- vaste encrier nous remit en mémoire l'un des « Ixins tours »
joués par les espiègles pensionnaires de couvents à leurs supérieures : elles rem-
plissaient d'encre le bénitier dans lequel, à l'heure encore obscure des matines,
les pauvres religieuses trempaient leuis doigts et apparaissaient, au lever du
.iour. toutes barbouillées de noir.
(2) Laborde. Voyar/e en Autriche, voir figur(\ t. II. p. 43.
LES SKINS DANS I, HISTOIRE
lioration, on vend chaque jour, dans les vingt arrondissements de
Paris, 7 000 hectolitres de tisane lactée ; vend-on seulement
700 litres de lait? Ce n'est qu'au point de vue symbolique qu'un
Parisien peut dire « qu'il boit du lait! » Le Napolitain, plus heu-
reux que le Parisien, ignore le lait baptisé, pour la raison bien
simple que les vaches ambulantes sont traites à la porte des
clients, coram populo.
La satire figurée et littéraire s'est fait des gorges chaudes de la
cupidité des industriels lactifères. La « Question du lait » a été
magistralement élucidé(^ par Raoul Ponchon, dans sa « Gazette
rimée » du Journal; écoutez ce maître en ironie expliquer pour-
quoi il est si difficile de donner du lait pur aux enfants et aux
malades :
,.. Il faut ])ien du lait aux enfants —
Dites-vous. Sans nul doute,
Pour qu'ils soient beaux et triompliants,
Ne meurent pas en route.
Mais on voit un tas de feignants
Et de galactophiles,
De grabataires répugnants
Empoisonnant les villes,
Qui ne se gorgent que de lait,
Sous le prétexte A'ague
Que c"est un aliment complet.
Le diable les ineague !
Car ces gens-là boivent la part
Qui reviendrait aux gosses ;
C'est d'où viennent pour la plupart
Ces butyreux négoces.
liemarquez bien, pauvres flapis,
Que cette honnête vache
Na qu'un certain nombre de pis,
A moins qu'elle n'en cache.
Si donc la consommation
Ordinaire dépasse
De beaucoup la production,
Que voulez-vous qu'on fasse ?
FAITS LK(i KNDAI HF.S HT H I S T (t I! I 0 U E S
On fait comme font les laitiers.
Ils coupent le... problème
Avec de Teau. Si vous Tétiez,
Vous feriez tous de même...
Un dessin d'Hermann (Paul), du Cri de Paris, montre une nour-
rice, dans les vignes, se caressant la cuisse droite, accoudée, le
L«iT
— ftjE .PLtuRt f>ftS,fHLM,Tu NAUMS?LU5 D'E^U tAH'j TQH L/»IT.
Fig. 40 /j«.
verre en main, sur une table chargée de bouteilles vides; son
nourrisson pleure par toutes les extrémités : « Xe pleure pas,
chéri, dit-elle, avec le bégaiement de la béatitude alcoolique, tu
n'auras plus d'eau dans ton lait... » (fig. 40 bis). Ce cas est plus
fréquent qu'on ne pense.
Albert Guillaume envisage aussi la « Question du lait » et repro-
duit une goutte de ce liquide, vue au microscope et grossie huit
cents fois : une fermière trait le lait au pis de la vache; à côté
d'elle, son épou.x tire de Feau au puits et procède à Fondoie-
ment; plus loin, un garçon laitier s'adresse à un cantonnier armé
de son tuyau d'arrosage et effectue le baptême en conscience ; le
crémier, de son côté, a recours à la pompe de la cour pour le
74 1. l'.S Si:i.\S DANS L HISTOIRE
troisième mouillage ; enfin, la cuisinière vide une carafe d'eau dans
la casserole du café au lait du matin.
VlUustrr national, de Bruxelles, suit le mouvement et j-epré-
senle dans « Douce illusion », deux naïves bourgeoises qui vien-
nent chercher leur lait à létable même, pour être certaines de sa
pureté ; or dans le seau où tombe le lait de la traite d'une vache,
aboutit un petit tuyau qui communique, au dehors, avec la pompe,
manœuvrée par le laitier. Son épouse tire sur les pis, en ébau-
chant un sourire narquois : « Oui, mes bonnes dames, dit-elle, à
ses clientes, il faut faire traire son lait devant soi pour être bien
certain qu'il n'y a pas d'eau dedans ».
\J Assiette au //carre a consacré un numéro spécial aux « Fal-
sificateurs de lait », comprenant 51 dessins humoristiques de nos
meilleurs caricaturistes ; nous rappellerons les légendes des prin-
cipaux : de C. Lefèvre, une mère remplit un biberon dans le ruis-
seau ; un passant s'étonne : « L'eau du ruisseau à votre enfant...
A'ous êtes folle ! — Mais non, msieur, c'est plus pur que le lait
qu'on nous vend. »
Régime lacté, par H. Gerbault : le médecin dit à son malade,
en montrant les scellés placés sur les seins d'une nourrice : « Vous
pouvez en prendre en toute sécurité, c'est du lait cacheté ».
Une mère quitte le berceau de son enfant pour accompagner le
médecin, dont on ne voit que la main : a Docteur, c'est du lait
garanti ! — Une seule goutte, et je n'en réponds plus ! » Signé
Valloton.
B. Rabier présente un désespéré qui tient, d'une main, un revol-
ver et, de l'autre, une boîte au lait : « Décidément, je préfère le
lait... C'est plus sûr! »
Fatal contrepoison, de Mélivet : « Docteur, c'est ma belle-
mère qui a failli s'empoisonner... Alors je lui ai vivement fait ava-
ler une tasse de lait. — Bravo ! A'ous pouvez être tranquille...
elle est fichue ! »
Bain de lait (Henri Boutet; : une jolie fille enjambe une baignoire :
« La seule façon de le consommer pour qu'il n'empoisonne pas ».
Allaitement maternel (Lami) : une mère en pleurs donne le
sein à son nouveau-né; sa fille aînée lui dit : « Oh! maman!
voyons, ne pleure pas... Toi aussi tu vas mouiller le lait de mon
petit frère ».
FAITS LK(.KM)AIRES K T H I ST 0 RI 0 U I' S
Crayon réaliste de Sancha : un g-ros poupon aspire le sein de
sa nourrice : « En voilà un qui s'en f. .. de tout ça ! ».
Chn'uùin! ^Petitjean : une fillette porte une lettre de faire part :
(( M'man, tous ces bébés qui meurent, par où vont-ils au paradis?
— Par la voie lactée, mon enfant ».
Les couplets des théâtres « à côté » et des revues ont fait cho-
rus avec la presse, pour stigmatiser les « faiseurs d'ang*es » ; rappe-
lons les Doléances tJ'iot rjarçon laitier, de Jean Varney (22 jan-
vier 1902) ; la Valse des lait iers falsi ficatenrs , chantée par Fursy,
dans Ylmprojyiptu de Montmartre (février 1902), etc.
Thémis, elle-même, a risqué son mot pour rire, à propos de
poursuites relatives à des coupages exagérés. Le 18 janvier 1902,
M™^ Couvet était citée devant la huitième chambre correctionnelle
sous rinculpation de lait falsifié. Elle ne répond pas à Tappel de
son nom, mais un ami de la prévenue remet au président un cer-
tificat de sage-femme, constatant que ladite dame Couvet est
accouchée, il y a quarante-huit heures. On parle de renvoyer l'af-
faire à quinzaine : « A un mois, prononce le président; si nous la
citions plus tôt, elle nous accuserait d'avoir fait tourner son lait ! ».
Quelques jours après, à la même chambre, un prévenu est pour-
suivi pour délit identique. A l'appel de son nom, le défenseur pré-
sente un certificat de médecin, constatant que l'inculpé était dans
son lit, atteint de gastro-entérite : « 11 a donc bu de son lait?
demande le facétieux substitut ».
A Autun, paraît-il, les laitières se sont fâchées contre les magis-
trats qui avaient osé condamner quelques-unes de ces dames, con-
vaincues d'avoir vendu du lait baptisé ; la corporation tout entière
s'est solidarisée avec elles et les magistrats qui avaient jugé l'af-
faire furent mis à Tindex : personne ne veut plus leur vendre du
lait.
B. — Faits particuliers sur les seins et l'allaitement
Origine du nom d'Alep. — Une vieille tradition fait remonter
Alep ou Halep à l'époque du voyage d'Abraham dans la terre de
Chanaan. Il s'arrêta avec ses chameaux et ses troupeaux de brebis
sur la coUine où s'élève la citadelle d'Alep. Tous les samedis, selon
76 LKS SEINS DANS l'hISTOIRE
les chrétiens et les juifs, tous les vendredis, selon les musulmans,
le patriarche distribuait du lait de ses troupeaux aux pauvres de
la contrée. Le jour marqué, on venait au pied de la colline deman-
der si c( Abraham avait trait », Ibrahim haleb. Ce dernier mot
serait resté pour désigner le lieu où se faisait cette distribution (1).
La légende de Phryné (2). — Toutes les villes qui possé-
daient un temple de courtisanes — souvent issues des meilleures
familles — avaient des soins respectueux à Fégard de ces femmes
reconnaissantes, consacrant la beauté qu'elles tenaient d'Aphro-
dite au service du culte de la déesse. «... L'incomparable his-
toire de Phryné, écrit Pierre Louys (3), telle qu'Athénée nous l'a
transmise, donnera quelque idée d'une telle vénération. Il n'est
pas vrai qu'Hypéride eut besoin de la mettre nue pour fléchir
l'Aréopage (4), et pourtant le crime était grand : elle avait assas-
siné. L'orateur ne déchira que le haut de sa tunique et révéla
seulement les seins. Et il supplia les juges <( de ne pas mettre à
mort la prêtresse et l'inspirée d'Aphrodite ».
Phryné servit de modèle à Praxitèle pour ses statues de Vénus
et la déesse de la beauté ignorait les étoffes enveloppantes et même
transparentes ; c'est aussi sans voiles que Gérome, H. de Siemi-
radzki et L. Chalon nous ont montré la courtisane grecque « devant
le tribunal », « à Eleusis » et (( aux fêtes de Vénus » où, sur son
passage, des fanatiques de l'idéal baisent ses cheveux — ses seuls
vêtements.
Vision de la nourrice de Cicéron. — L'n fantôme, raconte
Plutarque, apparut à la nourrice de Cicéron et lui dit que son
nourrisson procurerait, un jour, aux Romains les plus sérieux
avantages. « On traite ordinairement de rêves et de folies ces sortes
de prédictions, écrit l'historien grec ; mais le jeune Cicéron fut à
peine en âge de s'appliquer à l'étude qu'il vérifia celle-ci. »
(i) B. Poiijoulat, Voijacje en Orient.
(2) Son vrai nom était Mnesarète, sa pâleur lui fit donner celui de Phryné.
(3) L'élégant et délicat traducteur — certains disent atiteur — des Chansons
de Bilitis ; E. Fasquelle, édit.
(4) Alciphron prétend que ce fut Phryné, elle-même, qui découvrit son sein,
ayant recours à l'éloquence de la chair comme ultime argument. Eùt-elle obtenu
gain de cause devant le Sénat de femmes, établi par lléliogabale !
FAITS LKC. ENDAIRES ET HI SI' l) R I(» U E S
Oïl sait de reste que Gicéron se vit décerner, pour avoir déjoué
la conjuration de Catilina, le surnom de Père de la Patrie. 11 fut
moins heiu-eux dans sa lutte contre Antoine et y succomba.
Allaitement de Mahomet. — Voici un récit curieux emprunté
à la tradition ou Sonna. 11 est placé dans la bouche d'Halima,
femme de la tribu bédouine des Beni-Sad : « Je quittai, un jour,
ma demeure avec mon mari et mon enfant qui venait de naître et
je me rendis à La Mecque pour y chercher un nourrisson. IVous
avions avec nous une ànesse grise et une chamelle qui ne donnaient
pas une goutte de lait. Nous ne pouvions dormir, parce que notre
enfant criait toute la nuit de faim (1), J'avais aussi peu de lait que
la chamelle. A La Mecque, on avait déjà offert à chaque nourrice
l'enfant qui devait être le prophète, mais aucune d'elles n'avait
voulu le prendre ; nous n'attendions pas grand chose de la mère
d'un enfant qui n'avait plus de père. Toutes les femmes qui étaient
avec nous avaient trouvé des nourrissons, excepté moi. « Je ne
veux pas, dis-je à mon mari, retourner sans nourrisson auprès de
mes amies ; je vais aller chercher cet orphelin. — Tu as rai-
son, répondit mon mari, peut-être Allah nous bénira-t-il si tu y
vas. » J'allai donc et je revins a^ec l'orphelin à notre caravane.
Je lui donnai le sein et il but jusqu'à ce qu'il eût assez; alors
j'allaitai mon propre enfant, qui put également se rassasier ;
ensuite ils s'endormirent tous deux, et pour la première fois depuis
longtemps, nous eûmes une nuit tranquille. Mon mari alla ensuite
près de notre chamelle et il trouva que ses pis étaient pleins de
lait. Le lendemain matin, mon mari me dit : « Assurément, tu as
trouvé un enfant béni. » Dès notre retour, nos troupeaux don-
nèrent toujours beaucoup de lait, tandis que ceux de nos voisins
n'en avaient pas. Après deux ans, je sevrai l'enfant. » A part les
invraisemblances inhérentes à tous les récits sacrés ou fabuleux,
cette légende nous apprend que, vers le vi" siècle, les nourrices
existaient en Arabie et que la durée de l'allaitement était de deux
ans.
(1) Que ]jenser de la conscience de eeUe nourrice {[ui n'a pas de lait pour son
propre enfant et ciiii cherche un nourrisson ? 11 est vrai que si elle avait eu du
lait en abondance le miracle qui survint ne se serait pas produit, et alors l'en-
fance de Mahomet aurait été dépourvue de merveilleux, ce qid eût été bien
vulgaire pour un fondateur de religion.
L K s S i; I N S DANS 1/ H 1 S l() 1 1! K
Mot d'Amrou. — Ûlhman, enchanté de l'augmentation de
Timpùt, dit au gvnéral mahométan, conquérant de FEg-ypte :
« — Abd-Allah a bien su traire encore la mamelle après toi.
— Cela est vrai, ré[)ond Amrou, mais aussi il a aiïamé les petits. «
C'est riiistoire de la poule aux œufs d'or.
Aventure de Jean-Baptiste Lulli. — Nous avons raconté (1),
d'après le D'" Garnier, comment le compositeur Lulli, fort épris
d'une jeune Vénitienne, s'était éloigné d'elle avec la plus grande
répugnance, lorsqu'elle lui eut montré son sein rongé par un can-
cer ulcéreux. Le D'' Garnier aura été victime soit d'une méprise,
soit du sans-gène d'un démarqueur d'anecdotes, car la même aven-
ture est attribuée au célèbre alchimiste et théologien Raymond Lulle
(xiii" siècle). Voici comment le fait est rapporté par Brantôme (2) :
« Estant en cette charge, il devint amoureux d'une beUe dame de
^Majorque. Il la servit longuement et fort bien ; et luy demandant
toujours ce bon point de jouissance, elle après l'en avoir refusé
tant qu'elle put, luy donna un jour assignation où il ne manqua
n\- elle aussi, et comparut plus belle que jamais et mieux en point.
Ainsi qu'il pensoit entrer en paradis, elle luy vint à descouvrir
son sein et sa poitrine toute couverte d'une douzaine d'emplastres,
et les arrachant l'un après l'autre, et de dépit les jetant par terre,
luy monstra un effroyable cancer, et les larmes aux yeux, lui
remonstra ses misères et son mal, lu}' disant s'il y avoit tant de
quoy en elle qu'il en dust estre. espris ; et sur ce luy en fist un si
pitovable discours, que luy, tout vaincu de pitié du mal de cette
belle dame, la laissa ; et l'ayant recommandée à Dieu pour sa
santé, se défit de sa charge et se rendit hermite. » Cette héroïne
était la sénora Ambrosia de Castello, belle Génoise, établie à
jNIajorque avec son mari. D'après Dechambre, Lulle passa sa vie à
chercher le remède du cancer, en souvenii- de sa passion pour la
sefiora, et aussi la pierre philosophale, la marotte de l'époque fS).
(1) Anecd. hist., p. 7:2.
(2) Vies des darnes galantes ; Discours II, p. 15b.
(3) La même histoire est racontée dans la Vie et le martijre de Raymond Lulle,
par Tabbé Perroquet (in-l2, 1667, p. b) ; dans l'Histoire véritable de Raymo?id
Lulle, par le R. 1'. Jean-Marie de Vernon, édition de 1667, et enfin par Louis
Figuier : Vie des savants illustres du moyen âge. Détails communiqués à la
Chronique médicale, pav le D'' l'iugetta. chirurgien des hùjjitaux de Marseille,
et par le D' Martel, chh-urgien de IHùtel-Dieu de baint-Malo.
FAITS LK(iF.M)AIRKS ET HISIOUIOUES 79
Le tambour de Jean Ziska. — Sur la foi de la h'-gcnde,
généralement admise, nous avons raconté (1) que l'un des plus
grands capitaines du moyen âge, Jean Ziska, général des Hus-
sites, voulut, qu'après sa mort, on fabriquât un tambour de sa
peau, pour continuer à chasser les ennemis devant lui. Un côté
de ce tambour macabre aurait été confectionné avec la peau du
dos, et Fautre, qui reçoit les chocs des baguettes, avec la peau
des seins. Or, un lecteur de la Chronique médicale, un érudit,
nous fait observer que les bénédictins, si consciencieux en leurs
recherches historicpies, ont afïirmé dès la fin du siècle dernier,
dans VArt de vérifier les dates, que ce n'était là qu' « un cunte « (2)
et l'illustre historien de la Bohème, M. Palacki, a achevé de cre-
ver ce légendaire tambour, qui avait fait tant de bruit (3) !
Le goût de Michel-Ange pour la sculpture, attribué au
lait qu'il a sucé. — Le t» mars 147."), le père de Michel-Ange
écrivait sur ses tablettes : « Je note que ce jourd'hui, il m'est né
un enfant mâle. Je lui ai donné le nom de Michelagnano. 11 est né
le lundi matin, entre cinq et six heures, moi étant Podestat de
Caprèse, et il est né à Caprèse. Ses parrains ont été ceux qui
sont nommés ci-dessus, et il a été baptisé le 8 dans l'église San
Giovanni di Caprèse. » 11 confia son fils à une nourrice de Setti-
gnano, fille et femme d'un tailleur de pierre : ses premiers jouets
furent les outils de l'artisan qui décidèrent de la vocation de l'ar-
tiste.
Les partisans de la transmission des qualités morales par le lait
de la nourrice, ne manqueront pas d'attribuer à cette particularité
accidentelle la vocation du puissant génie (jui, avec le peintre
d'Urbin, rayonne sur l'Art moderne.
Sollicitude de Diane de Poitiers. — On sait que la maîtresse
de Henri 11, au heu d'être, comme à l'ordinaire, un instrument de
discorde, servait au contraire de trait d'union entre Catherine de
Médicis — docile et résignée, par crainte de divorce ou du cou-
(1) Anecd. lùst.. p. 50.
(2) Voir la Chronique hislorique des 7-ois de Bohême, t. VIII, p. 33.
(3) Interm. des Chercheurs et des Curieux. 1870, p. 141-14:2; Fiijaro du 2:2 juil-
let 1882; Magasin pittoresque. 1843, p. 132; Nouvelle Biblio:/ruphie Didot.
t. XLYI, col, 1005 ; etc.
80 LES SEINS DANS I, H I S T () I R R
vent — et le roi ; elle était l'arbitre suprême dans les contesta-
tions conjugales et ses décisions étaient sans appel. En souvenir
de sa patronne païenne, Diane Lucifera, la favorite, ne se conten-
tait pas d'assister la reine pendant ses couches ; elle entoure
ses enfants de la sollicitude la plus étroite, préside au choix de
leurs nourrices, elle juge delà qualité de leur lait et les remplace
dès qu'elles deviennent insuffisantes. Dans les Lettres inédites de
Diane de Poitiers à M. de Humyères, gouverneur des enfants du
roi, et publiées par M. Georges Guiffr3% nous relevons des détails
intéressants sur son rôle de c( seconde mère » :
Fontainelilcau, 12 février 1547-1548.
.Te vous envoyé ung présent pour la nourrisse de Monsieur (1) etung
autre pour la nourrisse de Madame (2), je vous prie de le leur bailler et
quant ad ce que dictes de la nourrisse retenue, il me semble que la
devez renvoier en luy donnant quelque présent; et après si le Roy biy
veult faire quelque bien se sera à sa discrétion.
Cette nourrice retenue était peut-être une nourrice arrêtée par
M. de Humyères pour M"'^ Claude, née le {'2 novembre 1547, alors
que Catherine de Médicis avait déjà fait son choix.
La favorite écrit d'Anet, le 21) août 1.j49 :
... I^a nourrice est toujours icy et s'en voUoit retourner vous trouver,
ne fust que je luy ay dict qu'elle actande encores ung petit, et l'entre-
tiens tant que je puys. Je vous prye me mander quant il sera temps
qu'elle y aille, affin que vous l'envoyé.
Non seulement « la seconde reine » choisissait les nourrices, mais
« elle les prenait à l'engrais pour les dégrossir et les élever à la
hauteur de leur mission. »
Autre lettre envoyée d'Oiron, près Poitiers, à ]\P'^ de Humvères,
le 20 mai 1551 :
... Le lioy et la lioync vous escripvent à Hloys touchant la sancté de
de Mons'' d'Orléans et aussi pour voyr si la nourrice à si lion laict qu'il
fault, car ici on dict qu'il nest bon et que sella luy donne des émotions,
parquoy il me semble que fériés bien d'y adviser, et, si elle n'est
(1) François II, né le 19 janvier 1344.
(2) Elisabeth, née le 13 avril, 1546. Kile fnt sevrée à vingt-deux mois, « à cause
de la nialladie de la nourrisse, écrit Henri II. à laquelle oultre cela avoit perdu
le tetvn : néantnioins. elle ne lessoit de faire bien bonne chère ».
FAITS LKC.F. NDAIHKS Kl HISTORIOUKS 81
bonne, luy en Ijailler une auUre ; el croy que si son laict est anpiré,
despuys que je la viz, se a esté par faulte de ee qu'elle n'a pas vescu
comme elle avoit acoustumé faire ; il me semble que si luy faisiés
boyre du sitre ou de la byère, que eella la refrechiroit fort, et suys
d'advis que le faisiés ainsi, je croy que les médecins serons de ceste
oppinion.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que les « Dames de France » mar-
chent sur les brisées des médecins.
Le roi s'intéresse au débat et écrit de la même résidence :
... Si d'avanture il advenoit que la santé de mon fdz d'Orléans empi-
rast, je trouve vostre advis et celluy des médecins bon, qui est de luy
changer de nourrice ; si vous en avez trouvé une telle qu'il est requis,
€t surtout fault bien regarder qu'elle ayt nourry plus d'ung enfant et
que son laict soit bon et asseuré.
Henry 11 a raison de se méfier d'un premier lait, qui n'est pas,
comme le premier mouvement, le meilleur. La reine s'en mêle, à
son tour, et répond, de Fonte vrault, à M"'^ de Humyères, qui lui
écrit que la nourrice de son fils était « honneste et bien condi-
tionnée )) :
... Mais nous n'avons pas tant affaire de sa suffisance et de ses vertus
comme nous avons qu'elle soit bonne nourrice, ce que Ton voit bien
qui n'est poinct, car mon dict filz continue trop à ce trouver mal; par
quoy je vous prye que je n'en oye plus parler et qu'elle luy soit changée,
car pour sa prudence et sagesse son laict n'en est pas meilleur, on le
voit par expérience ; je ne veulx pas, à faulte d'y pourvoir d'heure, qu'il
en vienne inconvénient.
C'est un congé en régie. Mais les ordres de la reine et du roi
n'a3^ant point été exécutés assez |)romptement, Catherine écrivit de
nouveau pour exprimer son mécontement : « Je m'esboys com-
ment on n'a suyvy ce que j'ay mandé ». Enfin le duc d'Orléans,
grâce à ce changement de nourrice, finit par se rétablir.
Comme toujours, Diane a le dernier mot et en profite pour admo-
nester la gouvernante, à Blois : « 11 me semble, lui écrit-elle de Le
Vergier (entre La Flèche et Angers), qu'on lui debvoit avoir plus-
toust ousté celle qu'il avoit, voyant que son laict neluy estoit bon. »
Une reine de la main gauche, nourrice. — Henriette de
Balzac d'Entraigues accoucha en même temps que la reine : Tune,
LES SEINS DANS l'HISTOIKE. — 1. G
82 l.KS SKINS DANS l/ Il I ST 0 I H I-:
(le Henri de Bourbon; Tautre, de Louis XllI. Sans attendre les
honic'lies de Jean-Jacques sur les devoirs maternels, la «reinette »
allaita son fils adultérin.
La reine Margot était « un modèle de libei'tinage de corps et
d'âme », au dire de son panégyriste Brantôme, dont elle était
l'idéal, et cependant, par ses félicitations, elle encourageait les
dames de la cour à remplir leurs devoirs de mère et, à Mons, com-
blait de prévenances la comtesse de Lalain, Marguerite de Ligne,
chez qui elle fut reçue, en 1577, et qui allaitait son enfant devant
tout le monde : « Elle avoit donc ce bel enfant au maillot qu'elle
nourrissoit de son lait, et comme nous étions à table, à la fin du
diner, elle, parée et toute couverte de pierreries et de broderies,
une robille à l'espagnole de toile d'or, des bandes de broderie
de cannetille d'or et d'argent, un pourpoint de toile d'or à gros
boutons de diamants (habit approprié à l'otfice de nourrice), on
lui apporta à la table son cher fils, emmaillotté aussi richement
qu'estoit vestue sa nourrice, pour lui donner à taister. Elle le met
entre nous deux sur la table, et hbrement se déboulonne, baillant
son tétinàson petit. Ce qui eust été tenu à incivihtéà quelqu'autre ;
mais elle le faisoit avec tant de grâce et de naïfveté, comme toutes
ses actions en étoient accompagnées, qu'elle en reçut autant de
louanges que la compagnie de plaisir. » La reine de Navarre lui
exprima le regret de ne point l'avoir pour compatriote (1).
Napoléon P'' aura la même sollicitude pour M"^" de Montalivet :
en INOG, il la nomma dame du palais de l'Impératrice ; celle dont
il avait convoité la main et qui lui avait préféré son cousin,
accepta, mais, à la condition qu'elle aurait le loisir de soigner son
mari, en cas de maladie, et d'allaiter la progéniture que l'avenir lui
réservait. L'Empereur, habitué à poser des conditions, non à en
recevoir, ne fit aucune objection (2).
Nourrices de Henri IV. — Le grand-père de Henry de Bour-
bon, futur Henri IV, voulant que « ce lion enfanté par une brebis »
fût élevé « sans délicatesse et superfluités », le mit en nourrrice à
Bilhères, près Pau.
i\.) Mémoires de Marguerite de Valois cl Imiieit de Saint-Ainand. les Femmes de
la Cour des derniers Valois.
{'2} F. Masson. loc. cil.
FAITS LÉCÎENDAIRKS KT HISTOItloriîS 83
On avait crabord choisi une paysanne qui ne plaisait point à
Vieilleville ; il la trouvait « trop âgée, maigre et mélancolique » et
voulut qu'on donnât au nouveau-né « une jeune nourrice des
champs » ; on devra « la traicter de grosses viandes, à sa mode
rustique, surtout deffendre sa chambre au médecin et à Tappoti-
quaire ». Ces sages conseils furent suivis à la lettre et eurent plein
succès. « On fit oster, ajoute-t-il dans ses Mémoires, de dessus le
berceau de l'enlant les ciels, poils et daix, dedans lesquels il estoit
comme estouffé, on lui rendit le jour et le soleil à souhait et à
toutes heures, avec une nourrice de Tàge de vingt et deux ans, et
fort saine : si bien que l'on congneust en moins de huict jours
l'amendement de l'enfant. »
Le Béarnais arrivé au trône, sa nourrice demanda pour récom-
pense l'autorisation de faire peindre sur la porte de sa cabane les
armes de France, avec cette inscription béarnaise : « S aube -garde,
(lou rci/ » Sauvegarde du roi (1),
Nourrice digne de son nourrisson. — D'après Michelet, il
semblerait que la nourrice de Charles IX n'a pas été étrangère à
la première guerre de rehgion : « Un jour que de Guise, l'câme de la
Saint-Barthélémy, demandait, pour se couvrir, une autorisation de
pourfendre les huguenots, la reine-mère, qui n'était pas dupe, se
moqua et dit, comme la nourrice du roi entrait : « Nourrice que
vous semble ! — Mais, ^tladame, puiscpie les huguenots ne veulent
se contenter jamais, il faut les mettre à la raison ! »
Un argument de plus en faveur de ceux qui admettent l'influence
du lait sur le moral de l'enfant : cette nourrice ('tait protestante (2)
et donnait des conseils de renégate ; perfidie et cruauté étaient
aussi les défauts dominants de son noble nourrisson.
Louis XIII et les seins. — Louis XIll, au rebours de ses suc-
(1) Mi'>^ Vauvillicis. Hi^l. de Jeanne d'Albrel.
(2) On fut plus difficile pour le clioix de la nouiricf du iJaupliin. eu I72'J, et
la question religieuse y joua un rôle important. La nourrice préférée, M™' Dufour,
(|ui était catholique, faillit échouer parce que des lettres anonymes, adressées à
Dodart, iliédecin du roi, par une servante des Dufour, accusaient de calvinisme
le mari de la nourrice choisie pour le rejeton royal ; comme si la religion d'un
père nourricier pouvait exercer une influence quelconque sur le lait de sa femm{>.
Voir l'échange de lettres qui eut lieu k ce sujet entre Dodart et Hérault, préfet
de police de réi)0(iue, reproduites par I'. d'Esliv^'ihxnsld Méd.anecd.. hi.sl. et Litlér.
84 1. 1". s SI". INS DA.NS L H I S r O I lU".
ccsscurs, Louis XH' et Louis XV surtout, prisait peu les charmes
féminins et, en particulier, les seins : qu'on se rappelle la gorgée
de vin lancée sur la gorge d'une dame de qualité et les pincettes
introduites dans le corsage de M"^ de Hautefort (1).
Dès son bas-âge, cependant, il promettait beaucoup : le Journal
de Héroard raconte qu' « en tétant, il gratte sa « guillery », droite
et dure comme du bois. 11 se plaisoit ordinairement fort à la manier
et à V jouer du bout des doigts ». A peine âgé de deux ans, tou-
jours d'après le même historiographe, « il met la main dans le
sein de ]\P' de Verneuil, la maîtresse de son père, puis baise le
bout de son doigt ». Un autre jour, la marquise lui présenta sa
main, puis son bout de sein à baiser ? « L'enfant refusa fièrement
l'un et l'autre, mais sa gouvernante lui en ayant donné l'ordre,
force lui fut bien de s'exécuter. »
A cinq ans, il tombe amoureux de la nourrice de la petite
Madame ; il la baise « à la bouche, aux tétons, avec transport,
disant : — Je vous baiseroi toujours ! » Une autre fois, il se fait
mettre au lit de sa nourrice et se jouant avec ses seins : « Bon-
jour, ma garce, baise-moi ! — Monsieur, lui demanda sa nour-
rice, pourquoi m'appelez-vous ainsi ? — Parce que vous êtes cou-
chée avec moi ».
Plus tard, observe le D'' Cabanes, à qui nous empruntons nos
renseignements, ces goûts devaient changer ; les espérances ne
répondirent pas aux pi'omesses de l'enfance. Blot, raconte l'érudit
auteur du Cahiiiet secret (le t Histoire, le chansonnier de la Fronde,
a laissé, sous le titre de Rêveries, un recueil dans lequel la répul-
sion de Louis Xlll pour les seins est caractérisée en ces termes :
« On savoit, disait-il entre autres choses, que le roi Louis XIII
regardoit les tétons comme damnation et leur faisoit même des
avanies, ce qui faisoit que le P. Joseph et Vincent de Paul ne taris-
soient pas en invectives sur cette partie, l'ornement des belles. »
Origine du bégaiement de Louis XIII. — Le vice de pro-
nonciation dont Louis Xlll, le bègue béguinant, était aflligé, a été
attribué à la maladresse de Guillemeau qui lui coupa « à trois fois »
le filet ; la nourrice s'étant aperçue qu'il avait de la difficulté à
(1) Anecd. Iiist., p. (33.
FAITS I, K(; K?,1)AIRES KT H I S i' () H I (J l' E S
prendre le sein. Or, cette petite anomalie ne change en rien la
succion ni la prononciation et, de nos jours, on ne touche plus au
filet; n'accusons donc ni Topération ni l'opérateur. Peut-être
n'existait-il qu'un embarras de parole, dû à une conformation
spéciale de la langue : « si longue et si épaisse, que quand elle
étoit sortie de sa bouche, ayant peine à la retirer, il étoit obligé
de la repousser avec le doigt ». Est-ce bien là le filet si résistant
qui obligera le chirurgien à s'y reprendre à trois reprises ?
Comment le chevalier Séguier gagna la faveur d'Anne
d" Autriche. — Saint-Simon, dans ses Mét/ioires, rapporte un
véritable crime de lèse-galanterie, dont fut victime Anne d'Au-
triche. On supposait qu'elle avait pu cacher dans son corsage des
papiers compromettants : « ... Lors de ce grand vacarme, qui fit
tant de bruit dans le monde du commerce et des intelhgences de
la Reine avec l'Espagne, où la Reine, par l'ordre du Roi, fut
fouillée jusque dans son sein, au Val-de-Gràce, par le chancelier
Séguier, celui-ci, par sa politique conduite en cette occasion,
s'assura pour toujours de la faveur de la Reine, sans se commettre
avec le Roi ni avec le cardinal de Richelieu. «
Des historiens assurent, en effet, d'après René Kerviler, que
Pierre Séguier, en homme avisé, avait fait secrètement prévenir la
reine des fouilles qu'il serait obhgé de pratiquer sur elle. Anne
d'Autriche ne pouvait manquer de lui en savoir gré.
Les nourrices de Louis XIV. — On sait que ce souverain
partagea, avec d'autres personnages célèbres, l'avantage ou plu-
tôt l'inconvénient, de naître avec des dents. Les enfants atteints
de cette anomalie sont portés à mordre le sein de leur nourrice,
qu'il faut remplacer à cause des gerçures et abcès consécutifs.
C'est ce qui arriva pour le premier de nos « enfants du miracle »,
ou simplement de Buckingham, d'après les mauvaises langues.
De même Don Carlos, fils de Philippe II, vint au monde avec
des dents, et les morsures qu'il faisait à sa nourrice lui valurent
de fréquentes corrections, jusqu'à l'âge de trois ans (1).
Quant au fils d'Anne d'Autriche, destiné à faire tout Grand, le
(l) Gachai-d, Don Carlos et PliUippe II, cité par le D'- Cabanes, loc. cit.
86 Li:s SKI.NS DANS 1, " H I S T (> 1 HK
remplacement des « remplaçantes » fut attribué, par le courtisan
Dionis, au grand appétit du futur roi Soleil, (V. notre Corps,
hunid'iit.)
C'est toujours à notre savant confrère que nous empruntons les
détails relatifs aux nourrices de ce pi-incc. « La pi-emicre fut
Elisabeth Ancel, femme d'un procureur du j'oi au bureau des
finances d'Orléans; elle n'allaita le jeune prince que trois mois;
Perrette ou Pierrette Dufour remplaça Elisabeth. A la suite de
morsures répétées, il lui survint des « duretés dans les mamelles »
qui l'obligèrent à suspendre ses fonctions pendant quelques jours.
La guérison fut prompte, et la reine, superstitieuse, y ^ it un
miracle : après avoir recommandé à sainte Anne, sa patronne, les
seins de la nouri-ice, elle fit toucher une relique envoyée par le
grand maître de Malte ». Ces meui'trissures du petit glouton ne
donnent-elles pas raison aux étymologistes qui font dériver
mamcUv du mot grec ninssd, pétrir, mordre.
La veuve Scarron aux ordres des nourrices de la favo-
rite. — En KitiT, !M"'*' de Maintenon devient gou\'ernante des
enfants du roi ; mais dans la crainte de perdre cette considération
dont elle était si jalouse, elle remplissait sa charge en secret et se
plaignait des tracas qu'elle lui occasionnait : « Cette sorte d'honneur
singulier m'a donné des peines et des soins infinis. Les nourrices
ne mettoient la main à rien, de peur que leur lait ne se gâtât.
J'allois de Tune à l'autre, à pied, déguisée, portant sous mon
bras du linge, de la viande, et je passois quelquefois les nuits chez
un de ces enfans, malade dans une petite maison hors de Paris.
Je rentrois chez moi par une petite porte de derrière et j'allois le
soir aux hôtels d'Albret et de Richelieu. Afin qu'on ne crût pas
que j'avois un secret à garder, de peur qu'on ne le pénétrât, je
me faisois soigner pour m'empêcher de rougir (1). »
Lait empoisonné. — Les Mémuires de Madame disent formel-
lement que la duchesse de Fontanges est morte empoisonnée et
qu'elle a, elle-même, accusé de sa mortla Montespan. Un laquais,
que celle-ci avait gagné, l'aurait fait périr avec du lait.
Ainsi le lait, qui jouit de la réputation d'être, par excellence, un
(i) Madtnne de Mainleiion peinte pur elle-nuhne.
FAITS I. i;(;i:m).viri:s f.t iiisToiiiur i;s
contrepoison, aurait servi de véhicule à une substance toxique,
^lais sur cet empoisonnement, et sur celui dont Madame elle-même
aurait été victime, il n'existe que des conjectures. La « belle et la
bête )) duchesse de Fontanges semble plutôt avoir succombé aune
affection de Tutérus ou de ses annexes, hypothèse que justifie
le mot cruel de M™® de Sévigné : « Elle expira blessée au service
du roi. » Quant à Marie-Thérèse, morte deux ans après, il n'y a
pas d'erreur : elle fut bel et bien (( hémétiquée » par Fagon,
seciindum arteitt.
M'"' des Œillets et le régime lacté. — La mort de cette comé-
dienne, de l'Hùtel de Bourgogne, survienne après une assez longue
maladie, le 25 octobre 1670, fut annoncée à M. de Mérille, premier
valet de chambre de iNIonsieur, par l'acteur Raimond Poisson,
dans une lettre où les médecins de l'actrice sont fort malmenés :
« Monsieur, j'ai, sur la foi des médecins, été prêt de vous
régaler à Chambort de la convalescence de Mademoiselle des (Eil-
lets ; et puisque vous en êtes de retour, je vous diroi seulement
qu'elle eût été bien aise de satisfaire à la passion qu'elle avoit de
vous voir encore.
Mais malheureusement elle vient de mourir.
Baralis et Braver alloient la secourir...
Ils tenoient le coup sûr, leurs remèdes, leurs veilles,
Et ce qu'ils en disoient, promettoient des merveilles ;
Ce que depuis trois jours ils avoient projette.
Nous assuroit de sa santé :
Tous deux, en la trouvant sans fievi-e,
Dirent qu'elle prendroit huit jours le lait de chèvre.
Et que celui de vache après l'alloit guérir;
Surtout qu'il ne falloit lui donner que mi-tiède;
.fe pense que c'étoit un excellent remède.
Mais malheureusement elle vient de mourir.
« Voilà, JNIonsieur, comme la mort trompe les gens et comme elle
se rit des ordonnances et des pronostics de ces fameux médecins ! )>
Errare medicuni est.
Horreur du lait de vache. — La marquise de Créquy, parmi
les mille et une « contasseries » de ses Souvenirs, signale une
manie de M™" la comtesse de Blot de Chauvio-nv, dame d'atours de
88 Li:S SK1?>S DANS l/mSTOIIÎE
la duchesse de Chartres, qui faisait Tadmiration du Palais-Royal,
sous la Régence. Cette adorable petite maîtresse observait une
diététique éthérée des plus ridicules; c'était ce que l'on appelait
alors une ndjauréc et, plus tard, une minaudière , descendantes
des pri;ci<'uscs ridicules du siècle précédent.
M""' la comtesse ne voulait b(^ire que du lait de brebis « qui sert
pour alimenter les agneaux ». Elle avait horreur du lait de vache
« avec lequel on nonrrit les veaux, des êtres sans grâce et sans
esprit». Elle ne pouvait souffrir l'idée d'avoir « une sorte d'inti-
mité nutritive avec une vache ». Fi donc! D'une conversation
qu'elle eut avec la maréchale de Luxembourg, nous épinglons
cette perle : « Je disais l'autre jour à ]M. de Buffon : « Puisqu'il
faut du lait dans la nature, pourquoi les colombes ne nous en
fournissent-elles pas? — C'était parler comme un ange, observe son
interlocutrice. Oserai-je vous demander ce que M. de Buffon
vous a répondu ? — ■ Il a pris je ne sais pourquoi la chose en
plaisanterie, il m'a conseillé de ne boire que du lait d'amandes. »
Le harem de Pierre le Grand. — Autre racontar de la mar-
quise potinière. Lors de la visite du czar Pierre P'', à Paris, la
plupart des suivantes de la czarine allaitaient des poupons : <( Lors-
qu'on avait l'air d'y prendre garde, elles vous disaient à l'envi l'une
de l'autre, avec un air de fierté jubilatoire : « — C'est Sa Majesté
l'Empereur qui m'a fait l'honneur de me faire cet enfant-là. »
Le charpentier couronné et vicieux, qui usa sa vie par les deux
bouts, était, en effet, à la hauteur de sa réputation et pouvait se
prétendre, non sans raison, le vrai père de ses sujets.
Opinion de J.-J. Rousseau sur les seins. — A vingt ans, le
« citoyen de Genève » était fort sensible à la beauté des seins :
« Je ne crains rien tant dans le monde, disent ses Confessions,
qu'une jolie personne en déshabillé ; je la redouterois cent fois
moins parée. Mademoiselle de Menthon, chez qui j'allois l'après-
midi, l'étoit toujours, elle mefaisoit une impression tout aussi douce,
mais difïérente... Elle avoit au sein la cicatrice d'une brûlure d'eau
bouillante, qu'un fichu de chenille ne cachoit pas extrêmement.
Cette marque attiroit quelquefois de ce côté mon attention, qui
bientôt n'étoit plus pour la cicatrice. »
F A II" s I, K(i H:?x MAIRES Kl' H I S T <» Il I H U E S S9
Plus loin, il déshabille sa protectrice, Madame d'Epinay : <( Elle
était fort maigre ; de la gorge comme sur ma main et d'autres
causes inutiles à dire. Ce défaut eût suffi pour me glacer : jamais
mon cœur ni mes sens n'ont su voir une femme dans quelqu'un
(jui n'eût pas de téton, » La pauvre n'avait pas la ressource de
M""^ de Courval (^P*" de Yersel, de ses Mémoires), sa rivale dans
le cœur de Francueil, qui, dit-elle malicieusement, « fait des révé-
rences en religieuse, pour montrer sa belle gorge ». Et pourtant
George Sand parle d'un portrait de W" d'Epinay, qu'elle a eu en
sa possession, où malgré sa laideur et sa maigreur elle était repré-
sentée en Naïade, « c'est-à-dire avec aussi peu de costume que
possible ». Est-ce faiblesse de constitution mammaire, incapacité
notoire ou toute autre cause qui obligea la bienfaitrice du misan-
thrope aigri à mettre en nourrice ses trois enfants, dont un illé-
gitime? 11 est vrai que 1' « ours » de l'Ermitage, n'avait pas encore
parlé aux mères.
Bientôt l'insuffisance mammaire de ]\P^ d'Epinay sera d'au-
tant plus frappante que, pour paraître nourrir ses enfants, il sei-a
de mode d'étaler une luxuriante ampleur de poitrine. Diderot nous
a laissé de M"® d'Ette, maîtresse du chevaher de Valory (1760),
un crayon peu flatté : « Son visage est comme une jatte de lait
sur laquelle on a jeté des feuilles de roses, et des tétons à servir de
coussins au menton, les fesses à l'avenant; du moins je le présume. »
iXotre philosophe nous semble oublier ici son conseil, donné à
ceux qui écrivent sur les femmes, de tremper leur plume dans les
couleurs de l'arc-en-ciel et de saupoudrer leur papier de la
poussière des ailes du papillon ! Ainsi, dans la seconde moitié du
xviii^ siècle, nous en sommes revenus à l'opulence pectorale, aux
« amplitudes désolantes » de la cour de Charles 11; tel était le
ton, la /iishioit.
Xous avons parlé ailleurs (1) du « téton borgne » de la Zulietta,
dont Rousseau fut si péniblement impressionné à \"enise : cette
difformité n'a pourtant rien de repoussant. Combien de femmes
perdent un mamelon, à la suite de crevasses profondes, et n'en
sont pas moins fort appétissantes !
Découpons encore dans les Confessions une anecdote qui se
(Ij Cmnos.. p. 9.
LES SRINS DANS i. HISTOIRK
rattache aux seins. Il s'agit crun tour que M"" de Menthon, mère
de la jeune fîlle dont il est question plus haut, joua à la « maman »
de Jean -Jacques Rousseau, M"'" de Warens : « M""" de Men-
thon dit un jour à un des gentilshommes du voisinage, en visite
chez M""' do \\\arens, que celle-ci n'étoit qu'une précieuse,
qu'elle n'avoit point de goût, qu'elle se mettoit mal, qu'elle cou-
vroit sa gorge comme une bourgeoise. Quant à ce dernier article,
lui dit le visiteur, qui étoitun plaisant, elle a ses raisons, et je sais
qu'elle a un gros vilain rat empreint sur le sein, mais si ressem-
blant qu'on diroit qu'il court. Madame de Menthon résolut de tirer
j)arti de cette découverte ; et un jour que maman étoit au jeu avec
l'ingrat favori de la dame, celle-ci prit son temps pour passer der-
rière sa rivale, puis renversant à demi sa chaise, elle découvrit
adroitement son mouchoir : mais, au lieu du gros rat, le monsieur
ne vit qu'un objet fort différent, qu'il n'étoit pas plus aisé d'ou-
blier que de voir, et cela ne fit pas le compte de la dame. »
Ce gentilhomme campagnard s'était payé la tête de son interlo-
cutrice ; M"'' de Warens avait, en effet, les seins très beaux, et
Jean-Jacques n'a pas manqué de relever ce détail dans le portrait
qu'il a tracé de sa protectrice : « Elle avoit un air caressant et
tendre, un regard très doux, un sourire angélique, des cheveux
cendrés d'une beauté peu commune et auxquels elle donnoit un
tour négligé qui la rendoit très piquante. 11 était impossible de voir
une plus belle tète, /tn plus beau sein, de plus belles mains et de
plus beaux bras. » Ce croquis de Rousseau est d'accord avec un
])ortrait de M""" de Warens, par Largillière, qui est au musée de
Boston ; « maman » y est représentée les bras nus, vêtue d'une
robe bleue, bordée d'une bande de soie feuille morte, décolletée en
pointe et laissant voir, sous quelques bouillons de dentelle, une
poitrine éblouissante de blancheur.
Conséquences funestes de la lactomanie. — La marquise
de Créquy, dans ses Souvenirs, critique sévèrement la manière
de nourrir les enfants, àl'époquede Rousseau, et n'hésite pas à qua-
lifier la lactomanie « d'inconcevable folie de ce temps-là r. :
« D'abord on commençait par les allaiter soi-même ; on n'avait que
du mauvais lait à leur donner, et même on n'en avait pas du tout ;
mais c'était égal : — à la Jean-Jacques ! \ ous pensez bien que
FAITS LKC. EM)AIRi:s K T H I S T 0 H I H U K S 91
tous les enfans de ce temps-là n'étaient pas assez résolument con-
stitués pour résister à une nourriture insuffisante ou de qualité
chétive ; il en mourait les deux tiers à la mamelle, et le surplus n'en
échappait que pour aller mourir d'élisie, après dix-huit ou vingt
années de souffrance continuelle et de consomption. Mesdames de
Rieux, d'Est aing, de Lusignan et de Goufïier s'étaient opiniâtrées
à nourrir leurs poupons, attendu que le lait et la sollicitude d'une
mère ne sauraient être remplacés par le lait et les soins d'une mer-
cenaire, etc. Ce qu'il en est arrivé, c'est que les héritiers sont allés
ad patres, ainsi qu'on aurait dû le pressentir avec de pareilles
nourrices. La soUicitudc maternelle àa ces Dames ne s'étant exer-
cée que sur les garçons, il ne leur est resté que des fdles, et quand
M. de GoufTier rencontrait chez moi Jean-Jacques Rousseau, il ne
manquait pas de me dire : « C'est pourtant grâce à lui que ma
maison va se trouver éteinte, vilain songe creux ! — Mais mon
Dieu, Madame, qu'est-ce que c'est donc que la maison de Gouf-
fier, me demanda-t-il ensuite (Jean-Jacques). Avez-vous jamais
ouï parler de l'amiral de Bonnivet ? — Sans aucun doute. X'avez-
vous rien lu sur les ducs de Roannez ? — Voilà par exemple une
famille dont je ne sais rien du tout. — Eh bien, lisez l'histoire de
France avant de faire des li\res sur l'éducation. A la place du
marquis de GoufTier, je vous étranglerais ! »
Naissance de Louis XV. — Plusieurs pronostics attristants
entourèrent le berceau de ce monarque : le courrier, envoyé de
Versailles, pour annoncer sa naissance, fait une chute mortelle ;
l'aumônier ne peut ondoyer l'enfant parce que la mort vient le sur-
prendre ; enfin les premières nourrices succombent à leur tour. En
présence de ces événements malheureux, le roi se reprochait
d'avoir donné à son rejeton le nom de duc de Berry, qui porte
malheur.
Éloquence de la chair. — Rachaumont rapporte dans ses
Mrmoirvs, à la date du 29 janvier 1703, l'histoire plaisante d'une
supplique, présentée à l'audience d'un intendant, par une jeune et
jolie fille qui eut recours à l'argument ad ho^ninem et décisif de
Phryné : « Qu'y a-t-il pour votre service, belle enfant, dit Monsei-
gneur en lorgnant la solliciteuse? — C'est unplacet. — Un jdacet ?
92 I.KS SKINS !)A:;s I, mSTOIHK
ah! 11 n'y a rien que de juste, sans doute : un ange comme vous
doit avoir raison. Si vous étiez aussi favorable à ma demande! »
En môme temps, ses mains libertines avaient laissé échapper le
placet pour des attouchements plus délicieux : (( Eh ! mais. Mon-
seigneur, vous n'y songez pas... ; lisez. » Xotre Agnès ramasse le
placet, et, en se baissant, découvre à Tintendant de nouveaux
charmes. Sa grandeur n'y tient point, et, de gré ou de force, il
fait exaucer sa requête. Revenu à lui, la cause de la demoiselle
est gagnée avant qu'il l'ait sue. Le bel ange s'envole rapidement,
et monseigneur parcourt le placet... Quelle surprise ! c'était une
j)lainte contre un chirurgien ignorant ou fripon... Depuis ce temps,
Monseigneur a pris la coutume de lire les placets avant de pré-
senter le sien. »
Etait-elle bèu'ue de naissance ou de circonstance, cette autre
solliciteuse, (jui l'œil en coulisse, le corsage ouvert, présente une
requête à un haut personnage et le jji'ie instamment de <( l'aposti-
tiller? ))
Miaulée bourguignonne. — La nourrice qui allaita M""" de
Gcnlis, étant grosse de quatre mois, la gava de mie de pain et de
seigle, passée dans un tamis et délayée avec de l'eau rougie,
« sans lui donner jamais une seule ooutte d'aucun lait ». Cette
singulière nourriture, (|u"on appelait en Bourgogne, delà jjiiaidre
(1740), réussit parfaitement à la petite Stéphanie, mais nous ne
saurions engager les mères à la substituer au lait de nourrice ni
même au lait stérilisé.
Tarif des nourrices anglaises, en 1768 — La déposition de
l'accoucheur Hunter, dans le procès en divorce du duc et delà
duchesse de Grafton, nous apprend qu'aussitôt après l'accouche-
ment clandestin, il donna à la nourrice une guinée « petite douceur
qui se fait toujours » ; ensuite, il lui payait une guinée et demie
par mois, soit 38 francs pour élever l'enfant adultérin que la du-
chesse « gagna » (1) de son amant, milord Ossory.
Sur le marquis de Sade. — Restif de la Bretonne a, entre
i 1 1 La tartuferie britannique veut que 1 On dise « gagner», au lieu de « l'aire ><
un enfant ; nous ne voyons [las où es! !(> « gain » dans cette affairv'.
FAITS 1. K(. F. M)AI ItKS Fi' H 1 S T () Il I O F F S 93
autres méfaits et sui' la foi des papotages des commères de Tépoque,
attribué au marquis de Sade la tentative de « disséquer une
femme toute en vie » et cela dans une salle d'anatomie et en pré-
sence de plusieurs personnes ! La victime de cet atroce projet,
d'après le récit de l'auteur des Niiils de Paris (1), serait parvenue
à briser ses liens et à s'enfuir par la fenêtre !
Le personnage, dont le nom a fourni au vocabulaire l'épithète de
« sadique )>, aurait satisfait sur cette malheureuse sa passion effré-
née, avec des raflinements imaginés par un sens génésique en
délire. Après l'avoir grisée, le tortionnaire l'aurait fait déj)ouillerde
ses vêtements par ses gens, qui rattachèrent sur une table. Laissé
seul, en tête à tête avec la belle, il lui aurait tailladé les bras, le
corps et ouvert les seins avec une lancette, avant de se livrer sur-
cette femme à ses débauches habituelles (2).
Il est probable que le fait s'est réduit à une escapade renouvelée
delà Régence. Après un souper fin, dans sa maison d'Arcueil, il
voulut sans doute exiger quelque complaisance extra-conjugale de
son invit^ée, une fille publique d'ailleurs — Rose Keller — qui prit au
sérieux la fumisterie du marquis et se sauva, sans chemise, au
poste le plus voisin, pour- déposer une plainte, qu'elle relira, du
reste, moyennant une indemnité de cent louis. Le marquis n'en fit
pas moins six semaines de prison au château de Pierre-Encise, à
Lvon, après avoir été condamné à six mois de réclusion ; il mourut
en 1814 à Charenton, où le premier Consul l'avait fait enfermer
comme fou. En réalité, son crime était d'avoir écrit un pampldet
contre l'immaculée, nous allions dire l'immatriculée, Josépliine de
Beauharnais(3).
L aube et le crépuscule des seins, à la cour de Louis XV
— Lors de son dernier voyage à Fontainebleau, les assiduités du
roi auprès de sa nièce inquiétèrent la Du Barry qui, jusque-là, afîec-
(1) Voir le récit de eette aventure, dans la 194° ^iiit.
(2) D"après le procès-verbal, dressé par l'un des commissaires du Chàtelet et
transcrit par Charles Desmazes, dans le Chàtelet de l'avis, le marquis fut j)révenu
« d"avoir. à Arcueil, déchiqueté à coups de canif une femme, qu"il avait (ait
mettre nue et attacher à un arbre, d'avoir versé sur les plaies saignantes de la
cire à cacheter brûlante. »
(3) Consulter Dibliof/raphie et icono;/rajjlile de tims les om-nif/es île lleslif de
La Bretonne, j)ar l'.-L. .Jacob, ])i])li()phile J'aris. Fontaine, 1875, in-8" ; p. 4IS; et
Cabanes, loc. cit.
94 I, KS SKINS DAxNS I, "niSI(HI!K
(ail (le craindre peu les charmes de la jeune vicomtesse. Et cepen-
dant ces charmes ne passaient pas inaperçus et on les célébra sur
1 ail' d'un couplet de Julie :
Lison clurmait dans un Ijocage
Ua bras par ci. ini bras par là.
Voici ce pastiche galant, recueilli par Pidansat de Mairo-
bert :
Kst-il l)eauté plus accomplie"?
Hébé, Vénus... oui, la voilà.
Voyez sur sa gorge jolie
Ce bouton-ci, ce bouton-là ;
Cette taille fine et légère :
Et plus bas, plus bas... halte-là;
C'est la cachette du mystère.
Vers son déclin, la gorge de la favorite « désormais trop volu-
mineuse, avoit perdu son élasticité »; les épigrammatistes s'en gau-
dissaient, témoin ce couplet féroce à l'adresse des princes qui se
disputaient l'honneur de faire leur cour ji la comtesse « Du Tonneau »:
Le seul honneur que ce tripot s'arrache
C'est le matin de voir, en cotillon,
La Du Barry, qui rit et sur eux crache,
En relevant son quintal de téton,
(Jue son Uamor, des nègres le bardache,
Toutes les nuits prend à profusion.
Ramor fait allusion à Zamor, le négrillon favori de la Du Barry
qui la dénonça à son retour d'Angleterre.
Nouvelle Danaé. — La comtesse de Montauban, raconte
M"" de Genhs, était très joueuse. Or un certain soir, au Palais-
Royal (1770), un joueur, debout derrière elle, voulut prendre par-
dessus son épaule une poignée de louis qu'il venait de gagner; en
retirant le bras, il en laissa tomber un certain nombre, dans le
corsage de la comtesse, qui se retourna en lui disant : « Eh
quoi ! Monsieur, me prenez- vous pour une Danaé ? » M™" de Mon-
tauban se leva pour se secouer et faire tomber cette pluie d'or, et
le joueur de s'écrier qu'elle faisait (jros ventre et yros dos, pour
garder une partie de la somme. La comtesse se remit au pharaon,
en disant que Ton donnait vingt-quatre heures pour payer les dettes
F A II s 1, K(; i:.\i)Ai it i;s i:r iiision lui! ks Uij
de jeu, et que son créancier pouvait bien attendre jusqu'au lende-
main. En effet, en se déshabillant, elle retrouva quelques louis qui
furent ponctuellement restitués à qui de droit.
Louis XV à lagonie. — On sait que le « Bien-aimé » ou plutôt
le « Trop-aimé >>, atteint une première fois de la variole, en 1728,
le fut une seconde fois, en 1774, et qu'il en mourut, dans sa
soixante-cinquième année, « malij;'ré les prières publiques, les Te
l)('ii//i, Fexposition de la châsse de Sainte-Geneviève et tout le tra-
lala de la superstition ». Deux ou trois jours avant sa mort, le corps
enflé et couvert de pustules horribles et infectes, empoisonné par
leur suppuration et miné par une lièvre délirante, le roi manifesta le
désir de voir une dernière fois sa maîtresse, Cotillon 111. « Le valet
de chambre, Laborde, introduisit la Du JJarry auprès (ki monarque.
Le moribond, bien que très abattu, eut encore la force de saisir
les mains et le scia de sa maîtresse, en témoignant le regret de
perdre tant de beautés (1). »
Ainsi, à l'article de la mort, le vieux patineur pensait encore à
fourrager dans les corsages !
Première grossesse de Marie-Antoinette. — Après huit
aimées de mutisme matrimonial, imposé par son phimosis,
Louis XVI se décida à se faire couper le fiict et devint éloquent
auprès de sa femme qui, « le printemps aidant (19 mars 1778), com-
mença sa première grossesse. » Elle choisit pour accoucheur Ver-
mond (2), frère du lecteur de la reine. Les professionnels ufliciels
virent cette nomination dun mauvais œil et ne furent sans doute
pas étrangers aux méchants propos qui coururent sur le « lour-
daud et ignare » confrère. On lui prêtait des réflexions dans le goût
de celle-ci : « La reine, avançant dans sa grossesse, s'était plainte,
un jour, à Vermond d'être plus grosse que de raison : « Songez
Madame, aurait répondu le balourd, que vous êtes ventrue! » Une
autre fois, la princesse se trouvait la gorge trop volumineuse :
<( C'est que, avait-il n'pliqué, vous êtes naturellement téton-
nière (3). »
(1) Soulavie, Méiu. hist. et. polit, du réf/ite de Louis XVI ; cité par le U' Cahanès
dans le Cabinet secret de ridatoire (!'" série).
(2) Voir nos Accouchements à la Cour.
('•'j) D' Cabanes, loc. cil.
iHj 1 . 1', S S 1 : i .\ s DANS I . H I S r (» iii i:
«Quoi qu'il en soit, au début du troisième mois, le doute n'étant
j)lus permis, le 2i mai, la reine obtint l'élargissement de tous les
pères détenus pour n'avoir pas payé les mois de nourrice de leurs
enfants : « Si le ciel, dit-elle, me fait la grâce d'accoucher heureu-
sement, je ferai en sorte qu'il n'y ait plus de ces malheureux. »
Elle déclara vouloir « vivre en mère, nourrir son enfant et se con-
sacrer à son éducation ». Le roi consent à ce que la reine nour-
risse, si elle accouche d'un Dauphin ; mais il hésitera s'il survient
une fille » (1). Or ce fut une princesse que le ciel envoya, au grand
désappointement du couple royal. Mais bien que, à son second
accouchement, la reine eût un fils, Louis XVII, elle oublia sa pro-
messe et passa la main, c'est-à-dire le sein, à une nourrice.
Pudeurs ultimes. — Xous avons déjà parlé (2' de l'incident qui
fit ouvrir le corsage de Charlotte Corday devant le Tribunal révo-
lutionnaire, et de la façon dont s'y prit Y « ange de l'assassinat »
pour cacher lestrésorsde beautéqu'unmouvement d'alarmeavait mis
à nu ; la pudeur de Marie-Antoinette, au moment de son exécution (16
octobre 1793), subit une épreuve analogue. M""* de Genlis raconte
qu'au moment où l'exécuteur arracha violemment le mouchoir de
toile qui recouxrait le col et la poitrine de la souveraine déchue,
« elle en fil un mouvement d'indignation toute rt)yale et qui parut
intimider les bourreaux ».
Autre trait pudique qui se rattache à la toilette funèbre de Ma-
dame Elisabeth. En lui liant les mains derrière le dos, le bourreau
releva une des pointes du devant de son fichu : « Au nom de la
pudeur, couvrez-moi le sein! s'écria la sœur de Louis X^'l I »
La malheureuse Jeanne Gray eut le même mouvement de
détresse, d'après le récit transmis au roi de France par M. de
Noailles : « Elle délaça sa rol)e et le bourreau luy vouloit a^der,
mais elle lu\' pria de la laisser faire elle-mesme et se tourna vers
une gentille femme qui luy aida ».
Enfin, d'après Stendhal, lorsque sur l'échafaud, l'exécuteur retira
le voile de Lucrèce Petroni, mère de Béatrix Cenci, elle souffrit
beaucoup de se voir exposée aux regards de la foule, les épaules et
la poitrine nues; mais, sa pudeur fut encore offensée par la posture
(1) D' Cabanes, loc. cil.
(2) Anecd. hist., p. S.'i.
FAITS LKCKNDAIHKS KT 11 I ST (» li 1 O L' K S 97
qu'il lui fallut prendre sur la planche : elle opposa une si vive résis-
tance aux aides du bourreau qu'elle se blessa profondément la poitrine.
Épisode dans les prisons de la Terreur. — La princesse
de Carency, incarcérée au Luxembourg, simula une grossesse pour
reculer l'exécution de son arrêt de mort ; elle essaya plusieurs fois
de s'empoisonner, en faisant infuser des centimes et des épingles
dans du vinaigre, ce qui lui donnait des coliques afTreuses, sans
autre résultat. « Ensuite, écrit la marquise de Créquy, on accourait
pour nous requérir de livrer notre pitance de lait, pour en faire
boire à M""' de Carency qui venait encore de s'empoisonner.
Comme le lait était notre principale nourriture, on finit pai* se
révolter, en lui faisant dire que, la prochaine fois, on la laisserait
aux prises avec le vert- de-gris et la colique ; ce qui lui fit passer
la manie du suicide au moyen de Toxide de cuivre. »
La nourrice de Balzac- — C'est à Tours, que le hasard fit
naître, le 1*'' prairial de Tan Vil (20 mai 17*.)t>), celui qui devait
illustrerle nom de Balzac. (( Ainsi que l'indiquent les lettres N. P. E.
(Nourri Par Etrangère), inscrites en marge sur les registres de
l'état civil, le nouveau-né, fut confié aux soins d'une nourrice, qui
le garda jusqu'à l'âge de quatre ans. M"'^ de Surville nous apprend
pourquoi la mère de Balzac se choisit une « remplaçante » : elle
avait perdu son premier enfant en voulant l'allaiter (1). ;>
Testament contre le décoUetage. — Un ministre du comté
dVorlv, mort en 1S()4, légua tout son bien à sa fille unique, à con-
dition qu'elle ne se marierait pas sans le consentement des deux
exécuteurs testamentaires. 11 ajoutait que si sa fille Anna persistait
à choquer la décence de son sexe, en portant des vêtements qui
découvraient le cou et les bras, il la déshériterait au profit d'une
nièce; car « dans une femme, l'indécence de l'habillement est une
mar(|ue certaine de la dépravation de l'âme (2). »
Grossesse de Marie-Louise — « Vers le milieu du sixième
(1) Renseignenieats extraits de l'étude consacrée au génial auteur de la Comé-
die humaine, par le D'' Cabanes, dans la Chronique médicale.
(2) Les pei'sonnafjes' siiuiuUer.s.
LES SEINS DANS l'HISTOIKE. — I. 7
1)8 I.KS SKINS DArvS 1, lllSIdllil".
mois de sa grossesse, le 2 décembre 1810, jour anniversaire de la
bataille d'Auslerlitz et de la cérémonie du couronnement, Tlmpé-
ratrice dota, sur sa cassette particulière, douze jeunes filles qui se
marièrent le môme jour, tandis que l'Empereur créait la Socirté
Maternelle^ dont il nomma Marie-Louise présidente : « Cette institu-
tion a pour but de venir au secours des mères de famille pauvres,
ayant plusieurs enfants. On leur donnait des soins gratuits pendant
leurs couches. 11 leur était délivré, en outre, de quoi se procurer
du vin, du bouillon et une layette. Enfin, lorsqu'elles avaient
plusieurs enfants, elles étaient payées, si elles nourrissaient le
dernier, comme l'aurait été une nourrice étrangère (1). »
Incident de voyage. — En passant à Pesaro, patrie de Ros-
sini, Lucien Bonaparte n'avait pas l'intention de s'arrêter, mais
son épouse se sentit prise de douleurs vives et craignait d'accou-
cher; il loua donc, séance tenante, une auberge entière et fit venir,
des environs, plus de soixante jeunes femmes pour choisir une
bonne nourrice. « La plupart de ces paysannes, raconte Kotzebue,
fournirent la preuve que les mœurs de la campagne ne sont pas
encore corrompues, même en Italie. Lucien ne voulait pas arrêter
une nourrice sans une visite préalable du médecin, et ces paysannes
avaient tant de pudeur qu'elles ne voulurent pas se soumettre à
cette visite. L'une d'elles, qui lui convenait mieux que les autres,
voulut outre cela ne pas quitter son mari, quoiqu'on lui offrit deux
scudi, par jour, (environ trois écus d'Allemagne) et deux iial)ille-
mens, par mois. » Heureusement, Lucien n'eut pas besoin de
nourrice, sa femme se rétablit et il la conduisit en bonne santé
jusqu'à Milan.
La Censure à Vienne. — En Autriche, la vieille Anastasie
est aussi bégueule et bébête (|u'en France (2). Xous avons vu à
(1) D"- Cabanes, loc. cil.
(2) A la cour extra-pudibonde de François II. l'éducation de l'archiduchesse
Marie-Louise se fit avec des raffinements qui frisent l'obscénité : il n'y avait au
palais et dans ses dépendances que des serines sans serin, des chattes ou des
chiennes sans chat ni chien, des poules sans coq et des chevaux hongres ou
des juments, pour ne pas effaroucher la pudeur d'une princesse, chez qui Napo-
léon ne verra bientôt qu'un « ventre » : il se rappelait ses ascendantes qui
avaient eu entre 13 et 20 enfants ! et il l'épousa en considération de leur mer
veilleuse fécondité.
FAITS I.KCKNDAIRKS F.T H F S T 0 lU Q U F S
99
Vienne, exposée dans les galeries du musée de l'Hôtel de \'ille,
sous le n" 787, une gravure (fig. 41) à laquelle les rigoureux
■censeurs de 1830 refusèrent le permis de publier (1), en raison de
Fiu. 41.
-son indécence ! Or il s'agit de la reproduction bien anodine de la
délicieuse composition de Sicardi: Oh! Che boccone! Oh ! quel bon
morceau (2) ! Elle représente Pierrot fortement impressionné à la
vue du sein de la coquette et rusée Colombine, qui dort d'un œil
«t regarde, de l'autre, l'effet qu'elle produit.
Le rond de cuir autrichien, préposé à la sauvegarde des
bonnes mœurs, digne précurseur de notre fameuse Ligue contrôla
(1) Censurir tes Bild ausdeni iah\'e (image censurée extraite de X Année).
it) Curio.silés arlislhfiies. fig. lui. p. 137.
100 LKS SKINS DANS 1. IlISl'OlltK
licence des rues : « Ah ! cachez ce sein que je ne saurais voir! » a
labouri' la mamelle gauche de la friponne d'une grande croix à
l'encre, stigmate d'obscénité. Cet hiéroglyphe administratif signifiait
que Tautorisation ne sera accordée qu'à la condition de recouvrir
le sein, c'est-à-dire de faire disparaître le sel de la composition.
Avant la proclamation de la liberté de la presse, le 20 mars 1 848,
la rigide censure Viennoise défendait d'appeler les actrices .l/rt*^/«wir
ou Mademoiselle et saisissait les gravures de modes qui n'avaient
pas un corsage suffisamment hypocrite (1). Nos « Pères la Pu-
deur » n'en sont pas encore là, heureusement, bien que, des-
cendant en droite ligne des Soslhène de la Rochefoucauld et des
Falloux, qui faisaient vêtir les statues, l'un, de feuilles de vignes (2),
l'autre, de caleçons ; simagrées Hétries par Hégésippe Moreau :
Devant des gailies et des nus,
Tartuffe qui s'indigne,
Dans nos jardins coiffe Vénus
D'une feuille de vigne.
Justice sommaire en Egypte. — Une femme fellah vient se
plaindre à Abbas Pacha, en 1841), d'un soldat qui lui avait pris pour
un centime de lait caillé sans le payer. Ablias interroge le soldat,
il nie : « Qu'on lui ouvre l'estomac, s'écrie le féroce justicier m.
L'ouverture est faite à l'instant même : le corps du délit apparaît.
Et si par aventure il ne s'y était pas trouvé ? Eh bien, Abbas
Pacha aurait fait pendre la laitière, sans autre forme de procès;
quant au soldat, il n'en aurait pas moins succombé.
Certains auteurs attribuent ce méfait à Méhémet-Bey-Defterdar,
gendre de Méhémet Ali, qui, pour la cruauté, n'avait rien à envier
à son beau-père.
Avant de quitter l'Orient, signalons la prédilection marquée du
sultan actuel, Abdul-Hamid, pour le lait. Celui qu'il boit provient
de magnifiques vaches qu'il fait exclusivement nourrir de poires
et de pommes d'Asie Mineure (3).
(1) Victor Tissot. Vienne et la vie viennoise.
(2) Leur apparition fut saluée dans la presse indépendante par des plaisan-
teries, dont la finesse masquait quelque peu la grossièreté; telle, cette réflexion
d'enfant terrible, devant un antique, muni de sa feuille de route : n C'est pas
une feuille de vigne, maman, mais de figuier... j'aperçois la figue! »
(3) Abdul-Hamid chez lui, Georges Dorys.
FAITS Li:(; KNDAIKKS Kl 11 I S T () It I (j T K S 101
Baratte improvisée. — Le D' G. Crouigneau (1) raconte que,
pendant un voyage en Espagne, Alexandre Dumas ne trouva pas
d'autre moyen de se procurer du beurre vraiment frais, que d'atta-
cher une bouteille à moitié pleine de lait au cou de sa mule : « En
arrivant à chaque étape, il cassait la bouteille et se complaisait
dans la dégustation d'un beurre qui lui semblait d'autant meilleur
qu'il était le résultat de sa propre industrie ».
Nous avons parcouru en vain les deux volumes, de Paris à
Cadix, pour y découvrir ce procédé, « qui fait plus d'honneur à
l'imagination féconde du grand romancier qu'à la douceur du pas
de sa bote ».
La nourrice du prince impérial. — M™'' Carette, dans ses
Souvenirs intimes de la Cour des Tuileries, nous fournira de pré-
cieux renseignements sur la nourrice du rejeton impérial. La
comtesse Ducos, femme de l'ancien ministre de la Clarine, proposa
d'abord d'abandonner à une mercenaire les deux jumeaux qu'elle
nourrissait, pour consacrer ses seins au jeune Prince, L'Impéra-
trice refusa « cette offn' de dévouement ». Est-ce bien le fait d'une
mère dévouée de céder les droits de ses enfants à un étranger ?
Une paysanne fut choisie, mais, par précaution, une seconde
nourrice habitait les Tuileries avec son enfant. La présence de
cette concurrente n'était pas inutile : « quand la nourrice en
titre montrait quelque velléité d'humeur, » on lui disait sim-
plement : « Si vous êtes fatiguée, nounou, on va faire descendre
l'autre ! » Cela dissipait les nuages comme par enchante-
ment.
Le Prince éprouva le plus vif chagrin du départ de sa nourrice;
il avait conservé en souvenir d'elle un foulai'd de soie, sur lequel
il s'endormait chaque soir, et un morceau de velours d'un de ses
corsages qu'il tenait à la main toute la nuit.
L'un des fds de cette nourrice fut pris parmi les communards en
1871. Envoyé à Xouméa, il s'adressa à l'Impératrice pour obtenir
quelques adoucissements, et l'on dit alors que la Commune « était
pleine de gens attachés à l'Empire. »
(1) Promenades d'un )iiédecin à travers l'Ej-posilion de 1889. L'auteur do cet
opuscule a fait de nombreu.x emprunts à notre Histoire des Accouchements chez
tous les peuples, sans nous citer une seule fois: nous ne suivrons pas son
exemple, Suum cuique.
i02 LKS SKINS DANS I, ' Il 1 S T O I K K
Elle aimait trop le bal... — Des mêmes Souve/iirs, nous
tii'ons cette autre anecdote. Le Prince Impérial gagna la rougeole
à un bal costumé des Tuileries, en dansant avec la très jolie
M"*" Robin. La pau vre jeune fdle souffrait depuis quelques jours, mais
se gardait bien de se plaindre, pour ne pas être privée de ce bal. La
toilette terminée, la mère aperçut des rougeurs sur la poitrine de
sa fdle ; M"® Robin n'y voulut pas attacher d'importance, vint au
bal et dansa toute la nuit. « Mais en rentrant, une fièvre ardente
la prit. La rougeole était rentrée et rien ne put la sauver. »
Moralité : dans une fièvre éruptive, éviter de sortir, crainte que
féruption ne rentre, dirait Calino.
Nourrice d'Alphonse XIII. — Avant la naissance de ce sou-
verain (17 mai 1886), on procéda au choix d'une nourrice royale
ou at/a. Parmi les vingt-trois robustes plébéiennes qui se dispu-
tèrent l'honneur de nourrir un prince, on choisit une grande et
belle fille des Astm'ies, la sénora Raymunda. Un dicton espagnol
affirme que les jjasiegas de Santander sont les meilleures nourrices
d'Espagne : Raymunda lui doit sans doute d'avoir été préférée à
ses concurrentes ; ajoutons qu'elle avait déjà fait ses preuves en
donnant le sein à l'un des petits cousins du roi, fils aîné de l'infante
Mercedes. Pendant la durée de sa charge, elle porta le costume
de sa province : « Jupe rayée aux plis minces, bordée d'un galon
d'or, corsage de velours noir également bordé d'or, chaînettes
d'argent et foulard de soie aux couleurs voyantes coquetternent posé
sur la brune chevelure (ij. »
Cadeau macabre. — M. Camille Flammarion a raconté, dans
Le Fi (/(ira (2), par suite de quelle circonstance il hérita de la peau des
épaules d'une de ses admiratrices, une jeune comtesse d'origine
étrangère, qu'il avait remarquée dans une soirée. «Elle était roma-
nesque et nerveuse ; la phtisie la guettait et devait l'emporter
bientôt.
... Un jour, elle dit à l'astronome : Je vous doinivrai, plus tard,
une chose que vous ne pourrez pas ne pas accepter sans nie faire
offense. M, Flammarion avaitfîni par oublierla promesse mystérieuse,
(1) Austin de Croze, la Cuur d EapaQue.
(2) D'' Cabanes, Chronique médicale.
FAITS l>K(iF.NI)AI IIKS K T 11 I S T () I! I U l' K. S 103
lorsqu'un soir arrive chez lui, à son adresse, un paquet apporté
par un commissionnaire. Le paquet était accompagné d'une lettre
encadrée de deuil ; il contenait une peau blanche, épaisse et
« dégageant, a affirmé M. Flammarion, comme une sorte de fluide
électrique ». La lettre émanait du médecin de la comtesse de X...
et était ainsi conçue :
Cher maitre,
J'accomplis ici le vœu dune morte qui vous a étrangement aimé.
Elle m'a fait jurer de vous faire parvenir, le lendemain de sa mort, la
peau des belles épaules que vous avez si fort admirées, « le soir des
adieux », a-t-elle dit, et son désir est que vous fassiez relier, dans cette
peau, le premier exemplaire du premier ouvrage de vous cjui sera
publié après sa mort.
Je vous transmets, cher maitre, cette relique, comme j'ai jure de le
faire, et je vous prie d'agréer, etc.
Docteur V...
La peau fut envoyée à un tanneur, puis à un relieur, qui en
recouvrit un exemplaire de Terre et Ciel, en cours de publication
à ce moment. De telles aubaines n'échoient rpi'aux astronomes...
et aux ténors.
11 est bien certain que M. Flammarion, en contemplant le royal
et magnifique décolletage de l'astre qu'il avait eu sous les yeux,
n'avait pas plus admiré les épaules que les hémisphères antérieurs ;
mais la pauvre malade, amaigrie par la maladie, ne voulut pas
sans doute lui léguer des seins naguère étincelants, qui n'étaient
plus que l'ombre d'eux-mêmes, et préféra emporter dans la tombe
ces tristes débris.
Charge d'atelier. — Un élève de Bonnat, chamarré d'ordres
exotiques, avait préparé une toile sur laquelle était peint un torse
féminin à nu. 11 en était fort satisfait; mais, aussitôt parti, les
camarades prennent la toile, ajoutent au col de la beauté la cra-
vate du cordon de commandeur de la Baleine ambulante et atta-
chent au bout de l'un de ses seins la croix de la Tulipe des îles
Océaniennes. Le lendemain, à l'arrivée du maître, le rapin constellé
lire la toile de sa retraite et la montre avec empressement, dans
l'attente de félicitations méritées ; mais il resta médusé à la vue de
la cruelle fumisterie dont il avait été la victime. Devant sa mine
104 I.KS SKINS DANS l/lllSTOlUi:
dc'confile, Bonnat éclate de rire au milieu du silence glacial de
l'atelier, qui travaillait avec une ardeur inaccoutumée (1).
Un support original. — Les Hottentotes, on le sait, -sont
pourvues d'avantages postérieurs si volumineux, qu'on peut, la
femme se tenant debout, y étendre une nappe avec tout l'appareil
d'un petit déjeuner du matin : la tasse de café au lait, la soucoupe
au beurre, le petit pain. Mieux encore fait <( la belle » Rachel, une
plantureuse personne de vingt-deux ans (juillet 11)00) : elle pro-
mène ses 370 livres — réjouissance comprise — dans les fêtes
foraines, où elle invite un spectateur — généralement un compère
un peu fluet — à monter bravement sur une planchette, supportée
par ses robustes appas.
Nous avons assisté à l'une de ces ascensions « en ballons », et
nous reproduisons ci-contre l'affiche de « la belle Rachel » dans
l'exercice de ses fonctions (fig. 42). Un usage des seins que nous
avons oublié de mentionner en temps et lieu.
Conséquences d'une fracture de clavicule. — Une de nos
plus pétulantes et émoustillantes actrices fut victime d'un acci-
dent dans un manège de « porte-veines » . Il en résulta une frac-
ture de clavicule, suivie de déformation prononcée qui, depuis,
empêcha la divette de se décolleter en scène. Ses photographies
la représentent cependant avec des corsages baillant jusqu'au
nombril et. à la scène, son décolletage paraît aussi naturel que
celui de ses camarades ; mais regardez de plus près : les charmes
de l'actrice ne s'aperçoivent qu'à travers le tissu quasi transpa-
rent d'un maillot couleur chair. La pauvre ne peut plus montrer
ses seins qu'emmaillottés. Elle ignorait certainement l'observation
suivante, rapportée parle Journal la Santé, dans une intéressante
étude sur a l'action morale » : « On ne saurait croire combien la
vanité féminine est capable d'engendrer de courage, lorsque, par
la douleur, la femme espère consolider ses appâts compromis, ou
restaurer sa beauté chancelante. Mayor (de Lausanne) cite le fait
d'une jeune femme qui eut le courage de maintenir, nuit et jour,
pendant trois semaines, avec ses doigts, les deux fragments
(Ij Claude Vento. Les }>eintres de la femme.
FAITS LK(i KNDAI HKS KT HISTOlUdlKS
lo:-)
coaptés d'une fracture claviculaire, afin de pouvoir, dans la suite,
se décolleter sans offrir' de déformation osseuse d'aucune sorte. Le
Fi-. 42.
chirurgien avait dit à cette dame qu'il n'existait aucun appareil
capable d'obvier sûrement à la défectuosité du cal ; il lui avait
conseillé de maintenir ou de faire maintenu' à l'aide des doigts
100 m: s SKINS DANS L IIISTOIlJi-:
les deux fragments, et elle ne s'était fiée qu'à elle-même en cette
occuiTcnce ! »
Si notre sémillante actrice avait connu ce trait de patience, ins-
piré par la coquetterie, elle ne s'en fût pas rapportée aveuglé-
ment à rhajjileté d'un chirurgien ; mais il est probable que la
mobilité habituelle du sujet — véritable mouvement perpétuel —
eût rendu ce mode de traitement inapplicable en Tespèce.
Comme tout en France, au dire de Beaumarchais, finit par des
chansons, Faccident en question et ses suites ont donné lieu à une
complainte — qui n'a rien de rosse — et se chantonne, dans les
coulisses, sur l'air des Petits Parrs. de Paul Delmet :
D'une actrice (1) écoutez l'histoire
Et plaignez son malheureux sort ;
Elle fut victime d'un porc
A JN'euilly, quand c'était la Foire :
Le cochon — en bois pas en chair — [bis.)
Lui met les quatre fers en l'air.
Ce spectacle était, de la fête,
Le « clou » capital et nouveau.
Quel régal ! Quel vivant tableau !
A griser, à perdre la tète.
L'œil jubilait, émerveillé
D'un si piquant « instantané ».
m
On la relève, non sans peine :
Une fracture était son mal.
Depuis lors, le vil animal
Est, pour elle, un « porte-déveine »
Il reste un calus biscornu (6i.s.)
(Jui nuit à ses effets de nu.
(1) Nous remphicons le nom de la théàtreuse par une entité : 1 héroïne de la
culbute ne nous ayant pas autorisé à le transmettre à la postérité, pas plus
que son portrait ; par courtoisie, nous avons promis au « messager » de la
divette de reconnaître que sa protégée n a jamais eu de casse... même ])as
dans son nom.
FAITS LÉ(; KNDAI H HS Kl' H 1 S 1' O U KJ U K S M}'
Donc au niveau des clavicules,
Son beau plastique est déformé ;
La diva ne peut plus montrer,
Que sous maillot, ses nionticules.
Ah ! plaignez son malheureux sort {bi>^).
Mieux eût valu cent fois la mort.
Trait de pudibonderie saugrenue (1). — Un sculpteur de
talent, M, Mulot, olïnt au Directeur de TExposition de l'.MJU,
M. Picard, le prêt de deux statues qui représentaient des femmes
nues. On les casa d'abord à la section des beaux-arts, puis on
fut d'avis qu'elles feraient merveille de chaque côté de l'escalier
par lequel on accédait à la salle des fêtes. Malheureusement, une
femme vint à passer par Là, la femme d'un ministre, elle eut une
crise de pudeur particuhèrement douloureuse à la vue de ces
nudités, et demanda à son mari, au nom de la vertu française, de
faire cacher dans quelque coin ces seins qu'elle ne saurait voir.
Il paraît que ces seins-là étaient beaucoup plus indécents que
les seins des autres femmes de pierre qui s'exhibent sur nos places
publiques, éternellement souriantes et luxuriantes sous l'œil des
ministres éphémères.
L'auslère et débonnaire ministre chargea un entrepreneur,
M. Grousselle, d'enlever les statues, ce qui mécontenta fort
M. Mulot. Celui-ci réclama dix mille francs de dommages-intérêts
à M. Grousselle, mais la première chambre le débouta de sa
plainte. Ce jugement, inattaquable au point de vue juridique, n'a
[)as satisfait les esprits indépendants. Ils ont trouvé que M. Mulot
était victime d'un accès de vertu déplacé dans une Kermesse, où
la nudité, à peu près complète, de la femme se montrait à chaque
coin d'avenue, non seulement dans l'intérieur des boutiques à
plaisir, des bateaux de tleurs, mais même sur les tréteaux des
ditférentes parades.
X'était-ce pas à regretter la disparition de M. Félix Ravaisson
(jui, pendant son passage au Louvre, s'était contenté d'habiller les
nudités marmoréennes avec des postiches bizarres.
(1) D'après le récit du Gil Dlas.
108 LKS SEINS DANS \. IIISTOIHK
Bataille de dames. — Lo 2;') janvier 1900, à une heure assez
avancée de la nuit, une discussion violente s'élevait au restaurant
<( Tabarin )), entre deux amies de fête, Louise X et Renée Y;
Tobjet de la querelle : un jockey que les deux noctambules
venaient de rencontrer et qu'elles se disputaient, le couteau à la
main. Louise X, qui s'était mexicanisée, en prenant un nom de
guerre ronflant, à double particule, plongea sa navaja, à plusieurs
reprises, dans les chairs de la poitrine de sa rivale. Poursuivie pour
coups et blessures, la Mexicaine de contrebande comparut devant
la onzième chambre correctionnelle, oîi elle se présenta avec quel-
ques éraflures au visage, qu'elle s'était, paraît-il, faites elle-même,
pour expliquer aux juges et excuser sa férocité. Bien mieux, elle
aurait poussé le courage jusqu'à se mordre le sein; mais, le pré-
sident, par crainte sans doute de se laisser suggestionner, comme
les héliastes devant le sein phrvnéen, ne l'autorisa pas à fournir
la preuve de cette blessure. Le tribunal condamna la piquante et
mordante Mexicaine à six mois de prison .
Le corset de la reine de Serbie. — En août 11)00, le roi
Alexanch-e, de Serbie, avait épousé, malgré le quen dira-t-on et
tous les obstacles, M""" Draga Maschin, fille d'un président de
district et dame d'honneur de la reine Nathalie. A l'étranger, pour
justifier la décision du roi, on parlait tout bas de la naissance pro-
chaine d'un héritier de la couronne et les mauvaises langues
disaient même qu'il n'attendrait pas pour venir au monde les
neuf mois réglementaires. Un corset tout spécial avait été fabriqué
par l'habile M""^ Gadolle, pour protéger la précieuse grossesse et
n'en gêner en rien le développement; la figure 4)^ reproduit ce
« curateur au ventre » (1). Il fut alors reconnu que, contrairement
aux prévisions du docteur Caulct, qui, en septembre 11)00, décla-
rait constater « l'existence des sif/ncs d'une grossesse de trois à
quatre semaines », la reine n'était nullement enceinte et qu'on s'était
trouvé seulement en présence d'un état maladif, provenant du
régime sédentaire prescrit par les médecins, et de nature à tromper
tout le monde. Ce fut, pour le roi comme pour la reine, une cruelle
désillusion : mais, le public, peu initié aux secrets de l'art médical,
(1) Nous en avons pris la copie sur le modèle exposé dans les vitrines de l'Ex-
position et construit « sur la recommandation de ses docteurs ».
FAITS LKGENDAIRES K T HISTORIOUKS
109
apprit avec quelque étonnement qu'il pouvait exister une gros-
sesse nerveuse, une grossesse par suggestion.
Ajoutons quelques détails complémentaires. Aussitôt la décla-
ration signée par le D' Caulet, la nouvelle se répandit dans les
principales villes serbes et des comités s'organisèrent pour oiïrir
à la reine, « bénie entre toutes les
femmes », un berceau. Seize berceaux
furent ainsi envoyés à Belgrade, dont
un en arge/it ciselé, offert par la ville
de Xisch : Gavroche dirait que c'est
une iuscli qu'on fit à la reine. Ces
berceaux attendent et attendront pro-
l)ablement longtemps, sous l'orme de
Konak, le Messie serbe, car le temps
des miracles est passé et l'ange Ga-
briel n' « obombre » plus les vierges
ni même les demi- vierges.
Par une coïncidence des plus
curieuses, l'année suivante, le cas de
la reine Draga s'observa chez l'impé-
ratrice Alexandra : l'accouchement
qui devait donner un héritier au trône
de la Russie, n'a pas eu lieu; il
s'agissait d'une illusion, présentant
toutes les apparences et les symp-
tômes de la grossesse ; c'est d'ailleurs
la seule sympathie entre ces deux
souveraines. Ces grossesses illusoires Fij,'. 'tS.
ont existé de tout temps chez les sou-
veraines, témoin [Marie Tudor qui, se croyant sur le point de donner
un héritier à la couronne d'Angleterre, annonce officiellement sa
grossesse, provoque des réjouissances publiques et finalement
accouche « du vent » : j/ar/i/rii'/i/ //ton les !
Remplaçante royale. — La campagne de Brieux. en faveur
de l'allaitement maternel, ne nous semble pas avoir fait des prosé-
lytes dans les cours d'Europe ; que l'on en juge par ce qui vient
de se passer en Russie et en Italie, où les souveraines en gésine
110 Li:S s Kl. "4 s DANS l/ H I S T I» I K K
ont, lait choix de « remplaçantes » |)Our le rejeton attendu.
En Italie, c'est M. Guido Baeelli, ancien ministre de l'Instruction
publique, qui, au cours d'une villégiature en Toscane, dénicha
l'oiseau rare — rara avis — destinée à la suppléance de la reine
Hélène ; ce personnage historique a nom Madeleine Cuiti. ^'oici,
d'après Y Illustration, les émoluments et les avantages attachés à
sa charge : un fixe de 130 francs par mois ; 10 000 francs à la
première dent de son nourrisson, autant à son premier mot et à
son premier pas ; après avoir achevé sa nourriture, une gratifica-
tion de 20 000 francs et, sa vie durant, une rente mensuelle de
100 francs. Que d'envieuses elle a dû faire! Ainsi la fortune de
cette prolétaire aura tenu uniquement au galbe et au prestige de
ses mamelles, qui, dans ce cas surtout, méritent bien le nom
d' « avantages ».
Un journal français rédigé, vraisemblablement, par des re])orters
fantaisistes, annonçait que la princesse Venosa était, avant l'évé-
nement, partie pour Albano, à la recherche du merle blanc,
accompagnée de tout un cortège d'experts : un médecin, un
chirurgien et un photographe ; il n'y manque que l'astrologue pour
en faire une caravane d'opérette. Le photographe était, parait-il,
chargé d'examiner minutieusement, par le moyen des rayons X (!),
l'état de l'ossature des jeunes femmes d'Albano, qui aspiraient à
l'honneur de nourrir de leur lait l'enfant royal ; nous ne voyons
pas bien le transport de la dynamo nécessaire à la production des
rayons llœntgen. Le môme journal, en veine d'actualités, ajoute
que le choix du grotesque aréopage s'est fixé sur une brune et
forte femme qu'on a emmenée, séance tenante, à Rome, après lui
avoir fait signer l'engagement de ne voir son mari ni aucun
membre de la famille pendant deux ans. Pourquoi ne pas lui
apphquer, durant ces deux ans de réclusion, une ceinture de
chasteté ? Il n'en manque pas et certes des plus sérieuses au musée
de l'Arsenal de Venise, sous l'étiquette : ostacolo, l'obstacle.
Au Quirinal, on s'attendait à un prince, mais, amère déception,
ce fut une princesse, Yolande-Marguerite, qui arriva, toujours
comme à PtHersbourg ; on en fut quitte pour remplacer dans la
layette le bleu par le rose.
Recette pour avoir un dauphin. — Malgré son ardent désir
FAirs I. i':(;F.M)AiiiKs i;t his roiunUKS 111
d'avoir un «garçon, Nicolas II vient de recevoir du ciel une troi-
sième fille. JNIais un brave curé de Pologne — apôtre, en théorie,
du Crescite et Multiplicaniini — a depuis indiqué, à Fempereur
de toutes les Russies, le moyen infaillible de combler ses vœux et
ceux dt' son peuple, dans la lettre suivante :
Si A'otrc Majesté veut être assurée d'un héritier impérial, Elle devrait
faire nourrir son dernier enfant au sein droit. Je suis prêt à fournir,
verl)alenient ou par écrit toutes preuves de mon assertion.
Katteh, Pasteur à Ovaricza.
La recette est facile à suivre, même en voyage; voilà le tsar
avisé.
Amour filial excessif. — Aux assises, en août IDIll, on ju-
geait M""^ G., qui avait tué son mari par jalousie et manifestait,
pour son fils, une tendresse sans bornes. Des témoins avaient
remarqué entre la mère et son fils des privautés frisant l'inceste :
« Il lui défaisait son corsage, assure l'un d'eux, et INI'"'^ G. ripostait,
comme pour l'excuser: « Je suis sa mère, il en a le droit ». En
l'espèce, comme on dit au Palais, l'âge auquel il est interdit à un
enfant de prendre le sein de sa mère n'a jamais été fixé.
Le régime lacté à la buvette de la Chambre. — D'après le
Cri de Par/s, de nombreuses légendes, généralement assez déso-
bligeantes, courent au sujet de la buvette de la Chambre des
députés, qui passe pour être fréquentée par nos « honorables »
avec plus d'assiduité que la salle des séances. La vérité est que,
pris en masse, en bloc, dirait Clemenceau, nos législateurs sont
beaucoup plus sobres qu'on ne se l'imagine. Ce qui se consomme
le plus, sur le marbre du grand bar législatif, ce sont les eaux
minérales et le lait, un lait de tout premier ordre et qui vient
en ligne directe, sans intermédiaires aquatiques, d'Isign\', en
Normandie. Il s'en absorbe de soixante à quatre-vingts litres j)ar
jour.
Une nourrice sèche... de cœur. — Le 4 mars 1901, la neu-
vième chambre correctionnelle a gratifié d'un an de prison une
nourrice d'un nouveau genre. Elle portait tout simplement aux
il2 m: s SKINS DANS L IIISTOIUI':
Enfants-Assistés l'enfant dont elle s'était chargée et n'en continuait
pas moins à toucher les mois de nourrice. Elle eût sans doute
donné de l'extension à son honnête et fructueuse industrie, sans
l'importune intervention de la justice. Pour cetle escroquerie,
doublée d'un détournement d'enfant, le tribunal a eu la faiblesse
d'accorder à la coupable, peu intéressante cependant, le bénéfice
de la loi de sursis. Il eût été préférable d'appliquer une pénalité
moins forte et d'obliger la condamnée à la subir ; son délit étant
de ceux qui ne méritent pas d'indulgence. 11 nous semble, comme
à M. Harduin, du Malin, que les tribunaux abusent quelque peu
de cette loi tutélaire.
Supercherie dune nourrice. — Lue jeune fille de dix-sept
ans venait à Paris, en mars IDUl, pour se placer comme nour-
rice. La directrice du bureau où elle se présenta convint avec
elle, pour la caser plus avantageusement, de falsifier le certificat,
délivré par le maire de son pays, et mentionna vingt-sept ans au
lieu de dix-sept. En outre, elle déclarait que la postulante était à
sa seconde « nourriture ». Il n'y a qu'une nourrice qui consente à
se laisser donner dix ans de plus que son âge !
La fi'aude fut bientôt découverte par les maîtres de la jeune
nourrice, qui avait eu l'imprudence de laisser traîner une lettre oîi
elle racontait ses exploits à. sa famille. Plainte fut portée au par-
quet, d'otî poursuite devant le tribunal de la onzième chambie,
présidée par M. Monier, sous l'inculpation d'usage de faux certi-
ficat : la directrice du bureau et sa complice furent condamnées à
quinze jours de prison ; mais on accorda à la nourrice le bénéfice
de la loi Bérenger. On lui rendit son âge véritable, pour invoquer
en sa faveur l'inexpérience et l'irresponsabilité relative de la jeu-
nesse [Echo (le Paris).
La nourrice de Maiipassant. — Le nouveau gardien du square
Solférino, à Rouen, a été le frère de lait de Guy de Maupassant,
durant quatre ou cinq jours ; une lettre de M"'" Laure de Maupas-
sant, adressée à M. Robert Pinchon, l'ami de son fils, explique
dans quelle circonstance et proteste contre l'affirmation de certains
journaux, qui faisaient de ce gardien autre chose qu'un frère de
lait momentané ; voici cette lettre:
FAITS LK(;KNDAIRKS et HISTOHKJUKS 113
... J'ai lu avec stiipéfacLion, dans |)liisieiirs journaux de Paris, que
(luy de Maupassant possédait un frère de lait, lequel était, à l'iieure
présente, gardien du square Solférino.
Or, j'ai été la nourrice de mon fils Guy et je ne permettrai à personne
d'usurper ce titre. Je ne suppose pas, en effet, qu'une femme étrangère
puisse s'arroger un pareil droit, pour avoir, pendant quatre ou cinq
jours à peine, allaité mon enfant. Je me trouvais à Fécamp, chez ma
mère, lorsque je fus atteinte d'une indisposition assez légère. C'est alors
qu'une femme Cavelier, fille d'un fermier voisin, fut appelée pour me
venir en aide; c'est là tout, et la semaine n'était pas écoulée que je
reprenais possession entière de mon cher nourrisson, qui ne fut sevré
({u'à l'âge de vingt mois... (1).
Cette nourrice était, en effet, non pas une « remplaçante » véri-
table, mais une « suppléante » intérimaire.
Mourir en beauté ! — Ce cri de la fameuse Hedda Gabier,
riiéroïne d'Ibsen, a trouvé un commentaire imprévu dans Tatlilude
d'Angela Nikolitch, fusillée tout récemment à Belgrade (2). Celte
jeune femme avait empoisonné son mari, pour vivre avec son
amant; ce crime passionnel, que, sous notre latitude, un jury débon-
naire eût acquitté haut la main, valut, en Serbie, à l'amoureuse,
la peine capitale.
Elle se tint la tête haute devant le j^eloton d'exécution et cria
d'une voix claire : « Visez bien à la poitrine, mes enfants ! Je ne
veux pas être défigurée ! »
Cette élégance dans la mort s'observe encore dans le suicide
des femmes : les désespérées accordent leur préférence au poison ;
si elles ont recours aux armes blanches ou à feu, c'est à la {)oitrine
qu'elles visent ; elles meurent avec la satisfaction de n'être pas
dévisagées.
IJne grève de nourrices (3). — Le 2i) février 1903, l'avenue
du Pirée, à Athènes, vit défiler une cinquantaine de nourrices de
rétablissement des Enfants-Trouvés, qui allaient se plaindre, au
président du Conseil, de n'avoir pas touché leurs gages depuis le
mois de novembre et menaçaient de se mettre en grève. La dé-
(1) !)■■ Minime, La Médecine anecdolique, Ulléraire, hislorique.
ii) Voir Figaro du 12 jaiiv. 1902.
(3) D'après le récit du Petit Journal.
LES SEINS UVNS l'HISTOIRE. — I. S
\'t 1,KS SRINS DANS 1/ H I S I (» I H K
marclic des grévistes fut couronnée de succès et elles reprirent
leur travail, c'est-à-dire leurs nourrissons. Que ne forment-elles
un « seindicat » ?
II. — FAITS CÉLÉBRÉS PAR LES BEAUX-AllTS
1" Faits relatifs aux seins. — Nombreuxsont les sujetslégen-
daires qui autorisent les artistes à exhiber des bustes féminins
« ondoyants et divers » ; nous ne pourrons rappeler que les prin-
cipaux. La légende merveilleuse des amours de Méléagre et Ata-
lante devait tenter le pinceau épicurien de Rubens. Cette fdle du
roi de Scyros, célèbre par sa beauté et son agilité, a été dotée par
le maître flamand d'une paire d'appas plantureux, qui seraient à
leur place sur le torse d'une mariturne de son pays et non sur
celui d'une jeunesse adonnée aux sports; un tel emmagasinement
de tissu adipeux dans les seins et ailleurs l'eût fortement gênée.
De toutes les Mort de Didon, après l'abandon d'Enée, c'est
encore la composition de Rubens qui est la plus suggestive, par
les splendeurs d'une gorge opulente : la princesse carthaginoise,
assise sur son bûcher, s'enfonce l'épée de son cruel amant entre
les seins.
Un autre i-écit légendaire dont les peintres ont quelque peu
abusé (Augustin Carrache, Dominiquin, E. Gennari, Teniers,
Poussin, F. Boucher, etc.) est lieiiaiid dam les jardins dWr-
mide, la séduisante héroïne de la Jérusalem délivrée^ du Tasse,
qui fascine par ses charmes le beau Renaud ; ce nouvel Achille est
retenu par sa passion loin de l'armée^ des croisés. VAr7nide de
F. Boucher, au Louvre, porte une chemisette transparente qui ne
couvre que son abdomen ; dans la composition de E. Gennari
(Naples), Renaud empêche sa bien-aimée de détériorer son sein
droit qu'elle veut percer d'une flèche.
La légende des Sabines, enlevées au milieu d'une fête par les
compagnons de Romulus, fut célébrée surtout par Rubens, Cosimo
Rosselli, Poussin et Louis David (1) (Louvre). Ces toiles sont de
(1) Contrairemont an récit de Tite-Livc, David a |)eint H(tinulu.-> ot Tatius à
pied et non à cheval.
FAITS I- KC KNDAIH KS KT HISTOKIOUKS
115
vastes études de demi-nu: dans la sienne, David a représenté sa
femme au premier rang ffig. 44). La composition du maître d'An-
vers offre aussi une particularité cui'ieuse : Hersilie, comme dans
le tableau du peintre français, se précipite entre les combat-
tants, mais ici, elle obtient la paix en montrant les enfants de
ses compagnes et sa propre grossesse.
Une des femmes les plus célèbres de l'antiquité, Sapho, victime
d'Eros qu'elle avait si souvent chanté sur sa hre, a plus d'une
Fier. 44.
Fi g. 44 h'is.
fois inspiré les artistes et en particulier P. de Laval (Salon de 1837) :
la voluptueuse Lesbienne, étendue sur un lit de repos, est plongée
dans l'une de ses extases poétiques et amoureuses (fig. 43).
Le suicide de Lucrèce, qui ne voulut pas survivre à son dés-
honneur, après avoir subi les derniers outrages d'un fds de Tar-
quin le Superbe, est un sujet fort en faveur dans les beaux-arts ;
il n'est pas une seule galerie artistique importante qui n'en possède
plusieurs spécimens. Le plus souvent, la dame romaine est seule,
le corsage entr'ouvert — Albert Diirer (Munich), Quentin Matsys
(Budapest) (fig. 46), Varotari, dit le Padouan (Dresde), Bassano
(Venise), Mola (Dresde), Andréa del Sarto (Florence), G. Palma
(Vienne), Sirani Elisabetta (Rome), etc. — et s'enfonce, entre les
H6
LKS SEINS DANS L HISTOIRE
seins à découvert, un long slylet, qui ne rempccho pas de rester
debout. La Lucrèce de Lucas Cranach (Vienne) est entièrement
nue ; son corps est assez beau pour être montré en entier, mais
une semblable attitude étonne chez une dame qui tenait la pudeur
en si haute estime. Guido Cagnacci (Académie de San Luca,
Rome) a représenté Lucrèce aux prises avec Tarquin (fig, 47) ;
Taine donne de ce chef-d'œuvre une description détaillée, dans
Fig. 45.
son Voyage en Italie. L'héroïne se défend mollement et a plutôt
l'air de badiner. Son visage n'exprime pas la terreur, loin de là ;
Lucrèce semble surtout préoccupée de faire valoir le galbe de son
torse admirable, que le criminel peut invoquer comme circons-
tance atténuante. Le Tarquin de la Lucrèce surprise, de Cam-
biasi (Vienne), est vêtu d'un dolman de hussard ! Ces anachro-
nismes, nous le savons, sont fréquents en peinture. Pour terminer
notre liste, citons encore le Tarquin de Luca Gordiano (Dresde)
et la. Lucrèce, du Titien (Vienne), se poignardant devant Collatin ;
le chef de Técole vénitienne a traité le même sujet dramatique
dans une autre toile qu'il se dédie : Sibi Titianus f. {ecit).
Les artistes ne pouvant rencontrer, chez le même modèle, toute
FAITS LÉdKNDAIRES KT HISTORIQUES
117
la perfection esthétique, choisissent dans plusieurs sujets des
détails irréprochables. Ainsi Zeuxis, pour Texécution de son Hélène
courlisane, fit poser nues les cinq plus belles fdles d'Agrigente ;
il s'attachait à l'imitation de la nature, bien que Quintilien lui
adresse le reproche — plus tard mieux appliqué à Michel-Ange
Fig. 46.
— « de prêter quelquefois aux membres des contours trop robustes,
môme dans les figures de femme ». Joachim Sandrart, de l'école
allemande, et Vincent, de 1 école française (Louvre;, ont montré
le peintre grec opérant sa sélection, dans son atelier, mais San-
drart lui fai^ peindre « une figure de Junon », d'après cinq modèles,
tandis que, suivant Vincent, le peintre grec choisissait parmi « les
plus belles filles de Crotone » ; tous deux se trompent d'ailleurs,
l'un sur le nom de la déesse, l'autre sur celui du pays.
Apelle s'éprenait facilement de ses modèles ; il est vrai que sa
renommée attirait dans son atelier les beautés les plus mervcd-
118
I. KS SKINS DANS I/IIISIOIHK
leuscs de son temps, qui aspiraient à être immortalisées par le pin-
ceau du plus illustre des j)einlres grecs. C'est ainsi qu'Alexandre
lui conduisit Gampaspe ou, suivant d'autres, Panidote, pour repro-
duire son portrait, qui fut placé par Auguste dans le temple de
César. L'artiste était si troublé en présence de son modèle,
qu'Alexandre s'en aperçut et renonça à sa passion ; il en fit pré-
sent à Apelle. Cet exemple d'abnégation, comme l'épisode analogue
FiK. 47.
de Slratonice, fut souvent reproduit par les peintres et les sculp-
teurs, surtout à l'époque de la llenaissance : Jodocus van Wingle
a représenté Apelle peignant Campaspe en Vénus (Vienne) ;
Falconet en fit le motif d'un bas-relief exposé au Salon de 17()5,
AU'vandi'c cédant Campmpe à Apelle ; David, dans l'exil de 1816
à 1824, a exécuté Apelle peh/nant Campaspe devant Alexandre ;
enfin Girodet a traité le même sujet et son œuvre a été gravée par
Bein.
L'ordre chronologique nous conduit au Triomphe de César, par
Mantegna (Vienne) ; détachons-en le groupe d'une captive gau-
FAITS LKCKM) AIKES KT HISTOIUdUKS
119
loise, les seins au vent et portant un nouveau-né (fig. 4i bis]. On sait
que la tunique de nos ancêtres découvrait les bras, les éj)aulcs et
la poitrine, soutenue par une large ceinture.
La Mort de Ciéopdtre, comme celle de Lucrèce, a souvent tenté
le pinceau et le ciseau des artistes (1) ; la plupart font piquer Tun
des seins de la reine parla vipère cornue [Guido Rcni, iXetschcr,
François Barbieri, Angelo Allori dit Bronzino, Alexandre Yaro-
Fig. 49.
tari dit le Padouan,Hans Makart (Vienne), etc.]; d'autres, comme
G. Cagnacci (Vienne), attachent le reptile historique au bras droit
(fig. 49). L'ensemble de cette composition est des plus bizarres ;
on dirait un atelier de blanchisseuses ayant toutes le même air de
famille, qui, gênées ()ar la chaleur, ont jeté bas chemises et cami-
soles : la reine d'Egypte — trop jeune — pas plus que les dames
de la cour, n'a le physique de l'emploi ; le peintre semble n'avoir
eu d'autre but que d'exposer un certain nombre de torses potelés et
fort appétissants d'adolescentes ; son œuvre passe néanmoins pour
une page d'élite. Alexandre Cabanel a quitté les sentiers battus et
nous a montré une Cléopâtre, toujours les seins nus, mais essayant
les poisons qu'elle se destinait sur des prisonniers, condamnés à
1) Cufios. iU'L.
i20
LES SKINS DANS I. HISTOIUK
mort ; effrayée au spectacle de leurs horribles convulsions, elle
préféra ras])ic.
D'Eugène Delacroix, le chef de Técole romantique, nous avons
au Palais-Bourbon les Juifs captifs à Babyloiic ; groupe famihal,
oiî réponse, appuyée sur Tépaule de son mari, met à la disposition
de son bambin distrait des réservoirs lactifères énormes (fig. îjO).
Fig. 50. — Tirée du Magasin Pilloresr/ue.
Les Marc/tés d'csc/aves, qui se prêtent à la mise en valeur des
rotondités féminines, ont été pris sur nature ou reconstitués par
les pinceaux de Gérôme et de ^'ictor Giraud ; Tun a trouvé son
entrepôt de chair humaine en Turquie et l'autre le place dans Tan-
cienne Rome. Les chalands, amateurs des seins, n'ont que l'em-
barras du choix ; il est permis de mettre l'article en mains :
« Regardez et touchez, s. v. p. » UEsciavr à vendre, de G. Bou-
langer, appartient à la même série.
M. Lefebvre exposa, en 1891, un tableau, actuellement au musée
FAITS LKC.ENDAIRES ET HISTOIUQl'K^
121
^
'/
d'Amiens, qui rappelait un acte de dévouement accompli par lady
Godiva, femme de Léoffric, comte de Coventry, sous le règne
d'Edouard le Confesseur (xi' siècle). Voici Tanecdotede cette blonde
fille d'Albion, « timide comme un agneau, douce comme une
colombe » : Un jour que les habitants de Coventry sollicitaient
du comte Léoffric la remise d'un impôt qui, depuis longtemps, les
plongeait dans la plus profonde misère, elle intercéda pour eux :
« De par Dieu ! s'écria le duc guerrier, je ^ ^
ne remettrai point cet impôt, que vous
n'alliez promener à cheval, nue comme
l'enfant qui vient de naître, d'un bout à
l'autre de la ville ! » 11 pensait mettre une
condition impossible. Lady Godiva l'ac-
cepte : « Je ferai ce que vous dites, répli-
qua-t-elle, pour sauver ces pauvres gens ».
Léoffric, très marri de son imprudence,
ordonna qu'au jour de l'épreuve, on ne mit
pas le pied dans la rue, qu'aucun œil ne
s'abaissât ; tous devaient rester dedans,
portes closes et fenêtres barrées, et qui-
conque hasarderait un regard indiscret
serait mis à mort (1). L'héroïne se mit
donc en selle et parcourut la ville, sans
autre vêlement que son opulente chevelure.
Un malheureux boulanger ayant contre-
venu aux ordres du comte, en ouvrant ses persiennes et ses yeux au
passage de la jeune femme, fut impitoyablement « tranché » le jour
même.
Une fête anniversaire fut instituée pour perpétuer le souvenir de
l'événement. Chaque année, la statue de Godiva, non pas nue,
cette fois, mais vêtue de riches habits, était portée en triomphe et
ne manquait pas de passer devant la porte du pauvre dial)le de
mitron ; « la tête du téméraire était figurée à la fenêtre même où
sa fatale curiosité l'avait attiré ». Curieux rapprochement, qui
n'est peut-être pas étranger au choix de ce sujet : Jules Lefebvre
est fils d'un boulanger, qui était étaljli près la cathédrale d'Amiens,
/\ -Ji
r^---
Fis. 31.
(1) Gr. Dict. Uîiiv. du XIX^ siècle.
\22 m: s SKINS DANS L HISIOIHK
OÙ il est né. Behnes William, sculpteur anglais, mort en 18()i, a
laissé un gi'oupe de Lady Godiva, d'une heureuse conception et
d'une touche exquise.
V. Fulconis, au Salon de IU()2, a exposé une magnifique Prùi-
cesse Clémence (fig. îjI), dont le geste — nudité à part — se rap-
proche de celui de Henri IV, quittant, non sa chemise, mais sa
religion pour Paris « qui vaut bien une messe ! (1) ». Xotre statuaire
s'est inspiré du poème de Frédéric Mistral, intitulé Calcndan, le
pendant de Mireille. Au chant XI, le poète provençal raconte les
sujets peints sur les assiettes du château des Baux, tous tirés de
l'histoire de Provence. La princesse Clémence, fille du comte de
Provence, Charles le Boiteux, est demandée en mariage, au nom
de Charles de \'alois, à condition de se montrer nue aux envoyés du
roi de France : « Ce n'est pas, s'écria-t-elle, pour une chemisette
que je perdrai la belle couronne aux fleurs de Ivs ! » Son mari,
frère du roi de France, devait régner en Italie : elle fut donc
l'aïeule de la reine Jeanne de Xaples.
D'après la Vie au feinp!< des Troueères, d'Antony Méray, même
attitude — pour une cause difterentc — chez la belle Ariette de
Falaise; mais quand le duc Robert de Xormandie est introduit
auprès d'elle, au lieu de retirer sa chemise, elle la déchire du
haut vn bas. A l'élonnement de Robert, la gracieuse jouvencelle
répond, spirituellement, qu'il n'est pas convenable qu'elle mette à
la hauteur de sa bouche ce qui a touché ses pieds (2). La chemise,
à cette époque, passait pour un objet de luxe cju'on retirait la nuit ;
elle était rare dans les armoires au linge : Marie d'Anjou, épouse
de Charles YII, possédait seule, de son temps, deux chemises de
toile : la déchirer, comme le fit Ariette, était donc un réel sacri-
fice.
Le tableau anecdotique de E. Deveria, gravé par Pierre Adam
(fig. 52), montrant Jeanne d'Arc dans sa prison, prête à une
double interprétation. S'agit-il de la nuit du 26 mai 1431, où ses
geôliers lui enlèvent ses vêtements de femme pour la contraindre,
(1) La dévotion du Vert-Galant l'ut des plus complaisantes : non seulement
nous le verrons figurer j)armi les « pénitents », mais il acceptera le titre de cha-
noine de Saint-Jean de Latran. La statue du joyeux Béarnais figure encore dans
cette église ; son visage de circonstance est méconnaissable et « il a Tair tout
mélancolique de se voir en un tel lieu ».
[2) De leur union devait naître Guillaume le Bâtard.
FAITS lk(;knuaires et historioues
123
à son réveil, de revêtir les habits crhonime, que son juge, l'évoque
Cauchon, lui interdit sur l'autorité des canons de l'Eglise ? On
l'accusera alors d'être « rencheue », alin d'attirer sur la pauvre
recluse les rigueurs de son implacable tribunal. Ou bien, le peintre
a-t-il voulu rappeler l'infamie d'un « grand lord d'Angleterre »,
le comte de Statîord, dit-on, qui entra dans le cachot de Jeanne,
pendant son sommeil, et tenta de lui faire violence? Les Anglais
croyaient que si Jeanne perdait sa virginité, elle perdrait en même
temps son « heur », c'est-à-dire son charme, sa fortune : et, pous-
sés parce sentiment, ses gardiens l'avaient, à plusieurs reprises,
menacée de lui faire subir le dernier outrage. C'est pour arriver
plus facilement à leurs fins qu'ils engageaient Jeanne à quitter ses
124 LKS SKINS DANS L HISTOIRR
habits d'homme, qu'elle s'obstinait à garder, comme étant plus
propres h défendre sa pudeur et aussi comme signe de sa mission
guerrière non terminée : chasser l'Anglais de France. Quelques
inexactitudes sont à relever dans cette composition : l'étalage
complet des seins, qui jure avec la pudeur de la villageoise de
Domrém}'; d'autre part, sa chevelure était taillée en rond, à la
manière des hommes, et fut rasée vers le 25 mai : l'artiste a cru
devoir augmenter les charmes de son héroïne en lui rendant une
opulence de cheveux qu'elle ne possédait pas.
Lors de son passage à Avignon, François P"" eut la curiosité
de faire ouvrir le tombeau de Laure — l'amante imma-
culée de Pétrarque — dans l'église des Cordelicrs ; on y trouva,
au milieu des ossements, de huit dents et des cheveux, une médaille
en bronze offrant le profil d'une femme qui, de ses deux mains, se
cache pudiquement les seins ; certains prétendent qu'elle se les
déchire. La première interprétation nous semble plus vraisemblable
en raison de la chasteté de l'amante immatérielle de Pétrarque.
Parmi les nombreuses compositions qu'inspira la Henriade, la
plus importante est la peinture d'Eisen (fig. 53) ; « l'artiste, disent
les Concourt, dans ce tableau, atteint la grâce d'un petit Bou-
cher historique ». Le héros vient d'abandonner son camp pour
courir aux pieds de son adorée :
D'Estrée était son nom : la main de la nature
De ses aimables dons la combla sans mesure.
Le peintre a suivi fidèlement le récit du chant IX et montre
Au fond (le ces jardins, au bord dune onde claire,
Sous un myrte amoureux, asile du mystère,
D'Estrée à son amant prodiguant ses appas.
Mais voici le raseur Mornay, qui
toujours sévère et toujours inflexible
Entraille cependant son maître trop sensible.
Une caricature de James Gillray, Occujmtums de ci-dcva/il,
montre M"'" Tallien et Joséphine dansant nues devant Barras,
pendant l'hiver de 1707 ; voici la traduction de la légende qui
accompagne cette gravure satirique et satyrique. Un fait : Bar-
ras {pendant qu'il (Hait au pouvoir), étant fatigué de Joséphi/ic,
FAITS L K(;eni)airks kt historiques
125
promit une promolion à Bonaparte^ à la condition que ce
dernier l'en débarrasserait ; Barras avait, comme d'habitude, bu
copieusement et placé Bonaparte derrière un, paravent^ pendant
(juil s'amusait lui-même avec ces deux dames. M^^ Tallien est
une superbe femme., fjrande et élégante ; Joséphine est plus
petite et mince, avec de vilaines dents [quelque chose coinme des
(( clous de girofle w) ; // est inutile d'ajouter que Bonaparte
accepta la promotion et la femme ; maintenant... impératrice
de France !
¥U
Un tableau de Jean C. Tardieu (Galeries de \^ersailles) rappelle
Fentrevue de la reine de Prusse et de Napoléon, à Tilsitt ; la poi-
trine de la souveraine est toute nue ; il est vrai que nous sommes
le G juillet de Tannée 1807.
Au même musée, une toile de M"'^ Auzou représente Marie-Louise
distribuant ses bijoux à ses frères et sœurs, avant son départ pour
la France; et bien que l'incident se passe en mars 1810, le décol-
letage de la future impératrice ne peut être plus complet.
La Vélocipédomanie date de loin : une caricature anglaise de
1817, reproduite par le Décolleté et le Retroussé, de John Grand
Carteret, offre, dans un coin, le groupe sympathique d'un moni-
teur du manège qui maintient fortement... la poitrine d'une de ses
élèves ((ig. 54) : « C'est bien, pas trop vite, doucement. Madame;
penchez-vous vers moi, Madame ! C'est cela ! Je n'ai pas de meil-
12(1
I. i:S SKINS DANS I. H I S T 0 1 H K
Icurc élève que \oiis. Encore quelques leçons, et vous pourrez
lutter avec le baron lui-même. — Je ne comprends pas comment
sont faits ceux qui ne prennent pas de leçons avec vous, votre
méthode est si agréable que je passerais la journée entière à che-
vaucher avec vous. »
In gracieux et vigoureux crayon d'André Gill (fig. o-i) nous
trace h buste de la République de 1870, en son printemps, pres-
sant ses « puissantes mamelles » et se disant avec satisfaction :
« Ça pousse ! » Allusion à sa vaillante constitution, qui lui promet
de longs jours ; de fait, c'est jusqu'à
présent, depuis Louis X\', le gouverne-
ment qui a eu la vie la plus longue.
A cette aimable figure politique, oppo-
sons, en j-epoussoir, une vieille et horrible
pétroleuse avinée, de Faustin, dont les
mamelles pendantes et flasques pourraient
servir d'enseigne à une marchande d'abats.
L'. l Ksculfd/ion^ découverte par Laënnec ,
a inspiré de multiples fantaisies dans une
note badine, qui contraste avec le caractère
sérieux de la méthode exploratrice : les
artistes ont négligé son utilité pour n'en-
visager que ses agréments. Gustave Poetzich et Jean Morax,
en 1891, ont décoré les murs de la salle de garde de l'hôpital
Laënnec de fresques égrillardes : Fune symbolise Y Auscultation
(fig. 5(i) et une autre la Percussion (fig. 57), sous les traits de
l'interne, Jean Binot, percutant ou plutôt « pelotant » une timide
hospitalisée.
Une spirituelle vigneite dt> Draner surj)rend un jeune médecin
dans Fexercice de ses fonctions, l'oreille appliquée sur la poitrine
engageante de la jolie cliente, et leur })rête ce dialogue : « Il me
semblait, docteur, que c'était dans le dos qu'on écoutait. — Pour
les poitrines faibles, oui... mais pour vous, ce n'est pas le cas ».
Le Rire, sous le crayon piquant d'Abel Faivre, présente un
vieux confrère, qui certes ne pense pas à la bagatelle, — le pauvre
n'a plus de roide que F^s articulations — , il ausculte avec attention
une malade, dépourvue d'attraits sinon de trayons, et sa conviction
s'afïirme dans cette repartie peu galante : « Pourquoi levez-vous
FiK. rj4.
FAITS LK(i KNDAIUKS KT H I S T () Il I O U K S
127
les bras? — Docteur, pour que mes seins ne tombent pas. — Eli !
Madame, soyez sans crainte, on a balavé ce matin ». Une autre
drôlerie du même caricaturiste, parue dans le Journah fait voir
Fi«.
une jeune femme, au torse nu, auscultée et palpée par un vieux
polisson qui, la joue et la main au contact de cette chair fraîche,
jubile et rit sous cape : « Oui, docteur, je me sens un point dans le
dos. — Que vous êtes enfant!!... C'est le mien. »
Albert Guillaume qui, dans ses dessins et légendes satiriques du
Matin, peint, avec tant de vérité, l'attitude et l'expression comiques
de ses personnages, fait figurer en tête des Don Juaiis modernes^
émules du marquis de Priola, un médecin consciencieux qui, pour
i28
LKS SKINS DANS 1, HlSTOIIiK
éclairer son diagnostic, joint la palpation à l'aiisciiltation (fig. 08).
De Gil Baer, du Supplément (fig. oG his)\ un praticien sérieux écrit
son ordonnance, après auscultation d'une malade imaginaire, aux
seins hypertrophiés : « Docteur, dites-moi la vérité, toute la vérité...
je suis poitrinaire? — Mais non, mais nun, vous avez la poitrine
Fi£r. 56.
Fig. oT) bis.
chargée, voilà tout». Le même artiste fait allusion à l'arrêté préfec-
toral de 1899, interdisant le jeu de ballon aux Tuileries. Un gardien,
scandalisé de l'audace d'ilri jeune homme qui presse à pleines
mains le corsage de sa camarade, observe : « Hé ! jeune homme !
Savez-vous donc pas que dans les jardins publics c'est défendu de
jouer avec des ballons ? Si je reprends madame à vous prêter les
siens, je les lui confisquerai ! ». Plus tard, l'interdiction de l'entrée
des ballons du Louvre dans le Métropolitain donnera lieu à de
plaisantes critiques : par exemple, un employé zélé refuse de per-
forer le ticket d'une grosse mère, sous prétexte qu'elle cache les
ballons interdits dans son corsage.
FAITS LK(.ENnAIRF:S KT H I ST (» UI O U E S
129
Au moment où fleurissaient les innombrables ligues pitriotiques,
antisimiques (de simms, singe), etc., une estampe coloriée de
L. Métivet esquisse, d'un côté, un groupe de conspirateurs avec
chapeaux mous à la Mores ; de l'autre, un Lovelace qui enlace une
évaporée, la main gauche posée sur les seins et la droite sur la
Fig. '61. — Tirée du Correspondant médical.
croupe. Légende : « Le grand complot et la petite qu'on p'iote ».
Les rayons X, permettant d'indiscrètes investigations aux gabe-
lous, sans découvrir les femmes, ont inspiré à Gil Baer une suite
de six dessins sur Terreur d'un préposé de la douane, qui s'excuse
d'avoir pris, avec son appareil, les charmes d'une dame bien en
forme, pour des oranges ou des pommes.
A propos de la distribution des récompenses aux exposants
de 1900, un dessin de tète du Courriel' français, dû au crayon
9
LES SEINS DANS L HISTOIRE. — I.
130
Li:S Si:i.\S DANS L IIISTOIHK
vaporeux et watteaiireux de \\'illett(', nous conduit à « la Section
des cuirs et velours ». Le président de la République défile devant
un bataillon de jolies fdles d'Eve, dans le costume de leur mère,
et fixe au mamelon o-auche, saillant, de chacune d'elles, la Croix
de la Légion d'Esterhazy. En légende : « Elles aussi ? Et pourquoi
pas Pelles ont exposé la peau ».
lia été déjà question de ce personnage sadique {A ti ce d. /list..
■ Fig. 58.
p. 01^, qui se plaisait à enfoncer des épingles dans les pelotes
mammaires de jeunes martyres de bonne volonté et sufTisamment
rémunérées pour supporter, en silence, ce supplice renouvelé
de celui des esclaves romaines (1). A placer en regard du Forain
reproduit, le dessin de Pollak, paru dans le Messager français, avec
cette légende explicative : « Changement de pelote » (fig. (Kl).
En Fhonneur de M'"' Chauvin, le Conseil de TOrdre autorisa les
femmes licenciées en droit à porter la robe... d'avocat. Cette révo-
lution de Palais provoqua Téclosion d'une foule de quolibets dans
(2) « Dans le coffret qui renferme la toilette d'une dame romaine, au milieu des
colliers, des bracelets, de scarabés, se trouvaient des é|)ingles à piquer le sein
des esclaves ». E. About, Rome contemporaine. Barnum, en 1901, montrait, à
Paris, un homme qui avait la spécialité de se fixer au.\ seins des centaines
d'aiguilles. C'était un genre de caresses fort prisé du maréchal de Rays, le
terrible Barbe-bleue.
FAITS LKCRNnAFUKS RT HISTOUIljUKS
i.31
les revues de fin d'année et de plaisanteries en dessin ; celui que
nous reproduisons (fig. 61) prt'^voit un incident d'audience de nou-
veau genre : une avocate vient d'obtenir une suspension de séance
Fis;. 60.
pour fermer la bouche de son moutard turbulent qui couvrait la
voix de sa mère. Comme quoi les devoirs maternels et profession-
nels sont assez difTiciles à concilier. Les diverses phases de cet
incident font l'objet d'une série de douze cartes postales illus-
trées.
132
L K s S i: I X s J) A N s I, 11 1 S T 0 I H 1-:
Les expériences scabreuses que fil M. Santos-Dumont avec son
aérostat dirif/eable (?), lui ont valu le prix de 100.000 francs
décerné par l'Aéro-Club, mais elles n'ont pu échapper h la rail-
lerie des révuistes et des dessinateurs. La fantaisie de G. Meunier
est une des meilleures (fig. 62) : une femme légère, candidate au
concours ouvert par l'Aéro-Club, expose son torse, dépouillé
Fier. Gl.
d'artifices, au président de ce cercle — vicieux — qui la reçoit à
mains ouvertes : « Qu'est-ce que c'est? — Mais, monsieur, deux
petits ballons dirigeables qui voudraient bien gagner le prix di-
100,000 francs. » Dirigeables ? plutôt dirigeants.
2" Faits relatifs à rallaitement. — Les guides, à Home,
montrent, sans rire, dans le flanc du mont Palatin, l'antre luper-
cal, où la louve allaita Romulus et Rémus ! Ils assurent avec le
même aplomb que, naguères, on voyait encore, à l'entrée de la
FAITS i,K(;endaires et historioues
13:}
caverne, le figuier ruminai (1) qui abrita les fondateurs de Ivomc.
C'est ainsi que les deux frères sont représentés dans le] Muséum
de Florence, sur le revers d'une cornaline ovalaire [2), à l'effigie
de Caius et Lucius César, pour indiquer l'espoir que l'on avait de
voir durer éternellement l'empire et la paix. Cette légende|a séduit
plusieurs fois le pinceau de Rubens, dont l'imagination féconde a
su varier, avec bonh(Hir, un sujet assez pauvre. Nous avons déjà
Fig. 62. — Tirée du Rire (3).
reproduit l'une de ses compositions magistrales (4) ; les similaires,
non moins intéressantes, sont à Rome, galeries du Capitole. L'une
d'elles montre la louve en train de lécher ses deux nourrissons
adoptifs, à l'arrivée de Faustulus, accompagné de deux person-
nages ; dans une autre, un oiseau tient en son bec des cerises
qu'il apporte aux jumeaux ; la tête du jjerger est couverte d'un
(1) De Rumia, Rumina, déesse sous la protection de laquelle étaient placés
les enfants à la mamelle.
(2) Voir un autre camée anticiue, fig. 364 de notre Histoire des accoi/chemenfs.
(3) F. Juven. directeur, 9 nov. 1901.
(i) Curios., p. l(Jl. La louve est sans doute de Sneyders, cjui a j^eint presque
tous les animaux des tableaux du maître.
134
LKS si: IMS DANS L HISTOIUK
chapeau de paille, au lieu du capuchon fixé à la tunique des pas-
teurs, costume que les moines adoptèrent par la suite.
Signalons encore l'œuvre de Pierre de Cortone : Faustulus
apporte Romulus à sa femme Acca Laurentia, assise à la porte de
sa cabane, tandis Cju'au loin on aperçoit Rémus, allaité |)ar la
louve ; lîomuhis et liéniifs, de Jean Barbiani 'Florence) ; la Lo/fvc,
d'un fin marbre rouge d'Egypte, une des curiosités de la X'illa
Borghèse, et celle du Musée du Capitule ffig. G3), de l'an de
Rome i58 : l'animal, sur lerpiel nous n'avons pu découvrir le coup
Fiu. (i3.
de foudre dont parle Cicéron (1), est un travail étrusque : mais les
deux bambins ont été ajoutés plus tard ; enfin, à Sienne, la colonne
de granit de la Piazza dcl Camjio^ porte la louve romaine allai-
tant Rémus et Romulus : ce sont les armes de la ville qui se dit
fondée par les fils de Rémus ; ainsi s'explique encore la fontaine
formée de loups jetant l'eau par la gueule.
Une médaille (fig. ()4), frappée en l'honneur d'un condottiere de
Pérouse, Nicolas Piccinino, Vice-coincs }tarcliio Capitancus-Max-
AC-M.ERS-AER [aller) (2) et de Braccio de Montone porte, à
(1) Or. 3-11) Cmilre Cal. Voici coniinent le plus élotiiiciil des orateurs romains
e.\|)loile ce « prodige » — accompli rannée de son considaf — contre Calilina,
l'an 63 : « Vous vous rappelez, sous le consulat de Cotta et de ïorquatus, les
nombreux objets qui. dans le Capitole. furent frappés de la foudre: des statues
de dieux et de personnages antiques furent renversées ; Tairain des fables des
lois fut fondu ; la foudre toucha même le fondateur de cette ville : Romulus,
qu'une statue dor rei)résentait. dans le Cai)itole, tout enfant et buvant le lait
aux mamelles d'une louve... »
(2) Vicomte Marquis, grand capitaine et un autre Mars.
FAITS LKdENDAIRRS ET HISTORIQUES
is:')
Tavers, la louve des armes de Pérouse, sous la forme d'une
chimère nourrissant les deux fondateurs de Rome. Celte médaille est
Tœuvre de Pisani. Une autre médaille italienne, frappée en Thon-
neur de deux célèbres condottieri, ofï're, sur le revers, le môme
griffon fantastique allaitant deux enfants : allusion à la double
illustration que ces deux personnages avaient fait rejaillir sur leur
ville natale.
Amiens, si loin de l'Italie, possédait une porte aux Jtitneaax,
Fi-. (U.
ainsi nommée à cause des figures qui rornaient, représentant les
fondateui-s de Rome. Elle donnait sur la grande route àc Lyon à
Boulogne, qu'Agrippa, gendre et favori d'Auguste, avait fait tra-
cer dans les Gaules [\\. Enfin, à Paris, au revers de la porte d'en-
trée de THùtel de Hollande, rue Vieille-du-Temple, 47, où fut éta-
blie l'ambassade hollandaise sous Louis Xl\', et où demeura
Beaumarchais, on peut voir un bas-relief décoratif, par Ilegnaudin,
rappelant la légende latine.
Peu de sujets ont été reproduits aussi souvent par la peinture,
la sculpture ou la gravure, que la Charitc romaine ou la Piêlé
filiale, célébrant le trait légendaire de Péra ou Péro (2), qui
(1) Amiens nionumenldl. Duthoit IVères.
(2) Hugin, dans sa Fable CCLIV. iiilitulée : Quse jiiissiinœ faerunl. l'appelle
Xantipi)e : Xanfippe Mjjcon/ pain indu^o carcere, lacle -sao uHineiilaiu vttœ
pi'œstttit .
130
I. i:S SKFNS DANS L HISTOIKR
nourrit, de sa mamelle, son père, Cimon, condamné à mourir de
faim (1). On lui donne encore le titre de Charité chrétienne. A la
liste de ces œuvres déjà longue (2), ajoutons une nouvelle série :
Mans Sebald Beham, né à Nuremberg, ouvre la marche, dans la
première moitié du xvi'' siècle. AYandervorfT, peintre hollandais,
représente la femme debout, tenant son enfant, tant bien que mal,
qui, faute de mieux, suce son pouce — le suppléant du ma-
melon — ; Dikinson a exécuté, d'après ce tableau, une gravure en
Fis- 65. — D'après la ^l'^ivure
de 1'. Ameiulola.
Fig. 65 il
manière noire très appréciée. Même occupation de Tenfant dans le
groupe en marbre de Quellin de Oude, au jNIusée d'Anvers ; à
Xaples, Musée Filangieri, dans un groupe en porcelaine, l'enfant
joue au premier plan, avec un chien, tandis que la mère remplit
sa fonction de nourrice paternelle. Le Musée delà même ville pos-
(1) Les artistes ont altéré le récit de Valère Maxime (liv. Y. cli. IV, '). en
substituant le père à la mère.
Kotzebue, qui a visité le cachot « d'un vieillard condamné à mourir de fami »,
où l'on voyait les traces dune ancienne peinture, rappelant ce trait de dévoue-
ment fdial.' avoue qu" « on ne sait plus le nom de cette excellente femme ». Ce
cachot, dit-il. est situé sous le maître-autel de l'église Saint-Nicolas in Carcere,
élevée sur une prison construite par Appius Claudius. « Les consuls G. Quui-
tius et Attilius — Acilius d'après Pline — bâtirent sur cette môme place un
temple consacré à V Amour filial, devant lequel on éleva une colonne, que l'on
nomma la Colonne de lait IColumna laclaria) et au bas de laquelle on exposa,
dans la suite, les eid'ants trouvés )>. Voir cette colonne, fig. 363 de notre UtsI.
des Accoucliements.
(2) Anecd., p. 55 et Curios., p. 57, 162 à 164.
FAITS L KC, KXDAIRRS F,T HISTORIOUES
137
sède un tableau sur le même sujet (fig, 05). L'enfant de la Péra,
de Carlo Gignari (Vienne) (fig. 60), regarde dans le vide et semble
aussi se désintéresser de la scène. Dans maintes compositions, les
artistes ont tranché la dilïiculté que soulève la présence de Tenfant
en le laissant à la maison (fig. 67, 08).
Au Musée du Havre, figure un Cimon, en plâtre, d'Hippolvte
Moulin, élève de Barve ; la notice locale n'hésite pas à choisir,
Fi-. (36.
comme héros de l'aventure légendaire, parmi les nombreux
Cimons de l'antiquité, le généralissime des troupes athéniennes,
le fils de jMiltiade ; aucun document historique précis n'indique
l'exactitude de cette attribution.
Le même motif est gravé au revers d'une médaille frappée pour
célébrer la charité du pape Clément X, en l'an 3, de son règne.
Une femme, symbole de la piétié filiale, présente son sein à un vieil-
lard, enchaîné dans une prison et assis sur une pierre, on lit :
I.-H, 1072, signature du graveur Hameranus, avec cette inscrip-
tion : MVIFICAT ET BEATIFIGAT (il vivifie et sanctifie). Un
frontispice du xvi'' siècle (fig. 09) reproduit, dans les médaillons
inférieurs, les deux versions sur ce trait de piété filiale; d'un côté,
c'est la mère emprisonnée qui est allaitée, et de l'autre, le père, La
138
m:s sei.\s dans i/histoiiie
Fig. 67. — D'iiprès le Doniiiiiciuin
Fig. 6!S. — D'après HuIkmis (AiiiblcrcUmij
FAITS LÉCKNDATRKS KT HISTORIQUES
139
lierur de PArt, qui a donné un fac-similé de ce frontispice, ne
sait à quels faits il se rapporte : « La troisième scène, dans le bas
Fig. (il). — Comiiosition illu.slranl le titre de CaroU Molinœi francise et f/eniuini;e
celeberriiiii jurisconsulti (161^).
et à droite, dit le rédacteur de l'article, doit représenter Boëce en
prison; mais la quatrième échappe à notre érudition ». Souvent,
140
ES SRINS DAXS L HrSTOIHE
en efTcl, on a j)eint « le prince de Téloquence » dans sa prison ;
mais il se contente de bénir ses enfants, à travers les barreaux de
son cachot, avant de subir son supplice.
Jules Simon et Louis Blanc semblent aussi ignorer et le nom et
la nationalité de cette
héroïne romaine. Le
premier raconte (1) que
Louis Blanc, arrêté à
Gand, en 1848, est
conduit à la prison poli-
tique de VAniigo, dans
le cabinet du bourg-
mestre, où il remarque
une gravure suspendue
au mur : « C'est This-
toire de cette femme,
écrit le philosophe, qui
nourrit de son lait son
père, condamné à mourir
de faim. 11 se rappelle,
en etîet, que la légende
place cette sinistre aven-
ture dans la ville de
Gand. On mourait de
faim ici ! ».
Mentionnons encore,
sans espoir de donner
une liste complète :
Gérard Yan Honthorst
(Munich), qui fait tenir,
à la femme, une chan-
delle de la main gauche et son sein de la droite; le Domini-
quin (fig. (57) ; Gherardo délie Notti (Munich) ; GuidoReni (Gènes) ;
P.-P. Rubens (fig. 68) ; Charles Loth (Gènes) ; Dominique Piola,
palais Spinola, (Gènes) ; Migliori Francesco (Dresde) ; Lebel
(Angers) ; Dominique Feti (Angers) ; Alexis Jegorieff, exposition de
Fi(
(l) Premières années, \). 415.
FAITS Li:(; KNDAIitKS ET 11 I S T (> lU O U F. S
141
Rome, lin du xviii'' siècle. Xotons enfin une peinture à pou près
fruste de la maison de Marcus Lucretius Frotonis, reproduite par
Gusman dans les Dernières fouille^ découvertes à Pompéi
(fig. Go ôz.s), elle a dû servir de modèle au tableau du Musée de
Xaples (fig. 65) : et après cette longue nomenclature, nous pouvons
nous écrier avec Don Ruy Gomez de Silva : « J'en passe et des
meilleurs ! ».
Fis. 72.
Des scènes analogues ont été traitées par les artistes : rappe-
lons cette « dame Anconitaine » qui, en 1774-, au siège d'Ancone,
par Barberousse, offre son lait à un soldat mourant de faim (1) :
Tc-pisode d'une Américaine (fig. 37) et le trait de dévouement de
cette jeune indienne, qui sauva la vie défaillante de don Barthé-
lemi de Las Casas, évèque de Ghiapa, en lui donnant le sein.
Nous connaissons le tableau consacré par Hersent à ce fait histo-
rique (2) ; le sculpteur Blanco s'en est aussi inspiré dans un
groupe en terre cuite du plus gracieux effet (fig. 71). Donnons enfin
le fac-similé de la gravure japonaise, en couleur, de Kuniyoshi
(1) Page h±.
(2) Anecd. hisL, p. 60. fij
33.
112
LES SKINS ItANS L HISTOIKK
(fig. 72), runc des 24 planches de la suite de rhisloirc de
M""' Tow « allaitant sa belle-mère qui ne peut plus manger ni
viande ni légumes : elle partage son lait avec son bébé », dit
l'inscription placée dans un coin de la composition.
Fij.
7:1.
Une gravure d'Augustin Le Grand (fig. 73) eut un succès
immense, durant l'épidémie de lactomanie qui sévit, en France,
au xviii'' siècle : c'était l'époque de J.-J. Rousseau. Le philoso-
phe de Genève offre une rose à la mère qui accomplit sa mission.
Au bas de l'estampe, on lit cette légende : « Jean-Jacques Rous-
FAITS LK(i i:m)ai i{i:s i: r h isioiuorKS
143
seau ou riiomme de la Nature, Il rendit les mères à leurs devoirs
et les enfants au bonheur. » Touchants exemples qui seront bien-
tôt oubliés. Lemotif pruicipaldu tombeau de Jean-Jacques à Erme-
nonville (fig. 74), représente une Charitr, avec un enfant à la
mamelle, et les mères reconnaissantes venant offrir des présents à
une Diane d'Ephèse ou une Nature multimammée ; le sacré et
le profane réunis sous les auspices de « l'homme de la Nature ». De
Fit
même à Sparte, les nourrices portaient leurs enfants au temple de
Diane Corythallis. V Anta^cmcnt de renfance (fig. 75) appartient
encore au groupe des estampes inspirées par la campagne en
faveur de Fallaitement maternel.
Bien avant la propagande de Rousseau, Picart, dès 1717, préco-
nisa, par l'image, Tallaitement maternel : il composa un tableau
sensationnel, dont la gravure, due à Duflos, fut répandue à pro-
fusion. Les tirages successifs de cette excellente « leçon de
choses » offrent des variantes dans le dessin et les quatrains exph-
catifs (fig. 76). L'une de ces planches est accompagnée de cette
versification mirlitonnesque, à la portée des âmes sensibles et
naïves :
Si vous voulez que l'on vous aime
Et qu'on vous estime en tous temps ;
Mères, prenez un soin extrême
U'élever et nourrir vous-mêmes vos enfans.
144
LES SKINS DANS L IIISTOIRF.
La \n/(rrice qui ramené l enfant, de B(''nard, appartient à la
même école sentimentale et nourricière. La gravure de ce tableau.
Fig. Ta. — Dédii^ç à la marquise de Maiiiix il
Motes del., Louvet sculp.
par Duflos, est agrémentée de Fapostrophe versifiée, de rigueur,
aux mauvaises mères :
De votre indifférence, Eglé, voilà le fruit :
Plus docile que vous au cri de la Nature,
C'est pour suivre ses lois et venger son injure
Que cet enfant vous fuit.
FAITS lk(;km)aiuf:s kt histoiuouks
145
Sans effort, sans biscuit, il vole à sa nourrice.
Si rhaliitude enfin vous le ramène, un Jour,
Ne rougirez-vous pas d'avoir, par artilice,
Ce qu'elle a par Amour.
Il n'est que trop naturel de rencontrer dans le bataillon des
apôtres de Fallaitement, le créateur de la peinture morale en
Belles qui désire:^ des fruis de votre amour:
Aprenej de cette peinture
Diama paris 1717 Qu'après les avoir mis an jour Auec privilège du Roy
Rue des Boucheris Vous leur deve^ la nourriture.
Fig. 76.
/autour St germain
France, J.-B. Greuze, avec la Privation sensible ou le Départ de
la harcelonnelte et le Retour de nourrice, aimables leçons de
choses qui rappellent à leurs devoirs les femmes oublieuses; n'est-ce
pas Diderot qui a dit de lui : « il prêche la population ? »
Liezenmayer a raconté sur la toile un épisode qui met à jour
l'àme charitable de Marie-Thérèse d'Autriche, émule de sainte
EUsabeth de Hongrie. L'artiste représente la reine au moment où,
dans une promenade, elle se dispose à donner le sein à l'enfant
d'une pauvre malade. Le véritable bienfaiteur, en la circonstance,
est le fils de la souveraine qui cède son tour au petit miséreux
10
LES SEINS DANri L HISTOIRE.
146
L !■; s s i: I N s DANS L II I S T O I It K
(fig-. 77). Ce tableau, qui figurait à FExposition de Paris do 18()7,
est retourné au Musée de Vienne.
_^C<, U^^-'-i^ A
^, ^ / ,^.
^'^y'
/-'v
%"
5 .-^'^"^^ 4"m^^
Fie. 77.
Une certaine mode, en Angleterre, a été ridiculisée parla plume
et le crayon ; mais elle a, comme toujoui's, résisté aux attaques les
plus violentes. Dans une caricature (fig. 78), dont nos Curiosités (1)
(1) Page 167.
FAITS I. KC. ENDAIRES ET HISTORIOIES
a-
n'ont donné qu'un croquis — T/w fnsjdonalih mamnid or ihc
FiK. 7S.
convenience of modem dress (la maman fashionable ou les avan-
tages de la robe moderne) (1790) — Gilleray raille la grande dame
148
LES SEINS DANS L HISTOIRE
qui, avant de sortir, se résigne à olTiir la mamelle à son enfant,
mais, sans daigner le prendre des mains de la gouvernante, comme
une nourrice royale; et,
pour n'avoir pas à se
dégraffer, elle porte la
robe fendue au niveau
des seins, à la façon
des madones moyenâ-
geuses : c'est plus expé-
ditif et moins schoJàng.
A travers la fenêtre, on
aperçoit le cocher sur
son siège, attendant im-
patiemment que Madame
ait terminé sa corvée.
Par contraste, l'artiste
a accroché au mur un
tableau représentant le
véritable amour mater-
nel — Maternât Love —
où la mère, tout à son
devoir, tient son enfant
sur ses genoux et dé-
couvre entièrement sa
poitrine.
Eugène Delacroix, en
1824, exécuta son Mas-
sacre de Scio, comme
une protestation géné-
reuse et vibrante contre
les exactions des Turcs,
qui opprimaient et en-
sanglantaient la Grèce.
^ous ne tirerons de
cette horrible et admirable page d'histoire que le groupe d'une
mère, frappée à mort, tandis qu'elle allaitait son enfant (flg. 79).
En arrière de ce cadavre, un Sciote traîne à la queue de sa
monture une jeune grecque nue. « Elle se tord et se renverse en
FAITS LKC.ENDAIRES KT HISTORinUES
149
proie aux convulsions de la pudeur torturée, dit un écrivain qui
excelle aux descriptions héroïques, Paul de Saint-Victor ; son torse
virginal a la pureté du marbre incarné ; le désespoir lui imprime
les mouvements delà volupté. Belle comme une Niobide mourante,
touchante comme une martyre chrétienne, elle prend, au milieu
de ces sènes d'horreur, la divinité d'une allégorie. C'est la Grèce
dépouillée et violée se débattant contre l'oppresseur. »
Fig. 80. — Empruntée au Correspondant médical.
Une mère mowanle, de Philippe de Ghampaigne (Musée de
Vienne), porte une blessure mortelle au niveau du sein droit : die
n'a plus la force de soutenir son enfant suspendu à son sein. Nous
pouvons rapprocher de ces scènes tragiques celle que rappelle
Pline à propos d'un peintre thébain, Aristidês : « 11 a représenté,
lors de la prise d'une ville, un enfant qui rampe vers le sein do
sa mère, mourante d'une blessure, et il laisse voir que la mère
sent et craint que son enfant, à la place du lait tari, ne suce du
sang ».
A côté de la guerre, un fléau non moins terrible, la peste, nous
fournira d'autres documents. Dans une composition de Piaphaël
(fig. 80i, un fossoyeur écarte l'enfant vivant du cadavre de sa
i;-.(i
LKs sf:ins dans l histoihe
mère ci il se bouche le nez du mieux possijjle pour éviter les éma-
nalions :
Sur le téton do sa mère expirante,
Tout endormi, j'ai pris le nouveau-né.
/ù^ûÛe^ a■'CA^/i^^/u ^./yza/^r/^i^.t^'
SI.
L'un des curieux hauts reliefs, en cire, de Zumbo Goi'tan, conser-
vés au Musée de Florence, expose un charnier rempli de victimes
de la peste : le fossoyeur, le nez et la bouche couverts d'un ban-
deau, jette ini cadavre d'homme sur ceux d'une mère et de son
enfant, encore cramponné à son sein (1). Dans sa Peste ftAsliod
(National Gallery, Londres), Nicolas Poussin étend au premier
plan une femme morte, avec son enfant sur la poitrine ; c'est un
épisode de la Peste des P/iiilstins, du Musée du Louvre. Ce qui
(1) D'' Félix Regiiaiilt, La pesie dans l'Art, in Correspondant médical.
FAITS LÉr. END AIRES ET HISTORIQUES
ir.i
charma surtout le président De Brosses, à Marseille, devant le bas-
relief de Pierre Puget, représentant la Pfslr de Milan, ce fut la
figure d'une femme moribonde, dont la gorge, qui a été belle, est
abattue par la maladie ; « on dirait que les chairs vont plier sous
le doigt ». Enfin, dans la chapelle Saint-Charles, de Téglise Saint-
Jacques d'Anvers, un enfant des Pestiférés de Milan, par Jacques
Jordaens, est pendu au sein de sa mère expirante.
Fig. 82.
Xous avons reproduit le dessin de Léo Dchaisne (fig. 14),
illustrant le menu du 231'' diner de la Société du « Bon Bock « ;
le billet d'invitation pour le 153'^ banquet (o février 188U; est
illustré par le Premier Bock d'Eugène Carrière,
Le peintre du Réel et de la l'oésie,
reproduction de son tableau symbolique : Maternité. Lucien Car-
doze y a joint une pièce de vers appropriée.
Une lithographie de Chaponnière (fig. 81) porte en légende :
Hé col te Cl r hospice de la maternité. C'est sans doute une allusion
cà un fait politique, mais lequel ? Les marmots jurent qu'ils « ne
lo2
I, i: S s E I N' s DANS 1/ H I S T () I H K
téteront plus jusqu'à la dissolution des Chamlircs ». S'agit-il de la
dissolution qui eut lieu en avril 1831, sous le ministère Casimir
Périer ? Les collégiens, émancipés à ce moment, se mêlaient aux
manifestations politiques et, par ironie, le dessinateur force la note
et montre une révolte des enfants au maillot. Cette conjecture est
îlMiMLIIf
Fig. 83. — Musée de Gliinv.
Fig. 84. — D'îipres la plioloyiapliie
communiquée par M. Paul Duval.
la seule qui nous paraisse plausible, mais nous la donnons pour
ce qu'elle vaut.
Le périodique illustré allemand, Simpiicissinms, a publié une
caricature satirique « le Commerce et la Culture » (fig. 82), qui
faisait allusion à la crise économique de l'Allemagne, en 1901, lors
de la lutte entre les industriels, libre-échangistes, et les Agrairiens,
protectionnistes ; l'Allemagne, en bonne mère, nourrit les frères
ennemis à ses mamelles, en disant : « Ne vous disputez pas, j'ai
assez de lait pour les deux » .
FAITS LKGENDAIRKS ET HISTORIQUES
153
Les nourrices termineront cette revue iconographique (l'histoire
et de mœurs. La statuette en terre cuite émaillée de Palissy
(fîg-. 83), « exquise par le sentiment et touchante par la naïveté
du'' rendu (1) », est une restitution du costume de la gent nourri-
cière au xvf siècle.
Dans les galeries de Versailles, un tableau anonyme, des Beau-
brun peut-être, qui eurent la spécialité de portraicturer Louis XIV
Fig. 85. — Tirée du Malin.
enfant, représente le roi au maillot, sur les genoux de sa nourrice,
qui lui offre le sein. D'après M. P. de Nolhac, cette remplaçante
royale ne serait autre que la dame Amelin ; elle est coiffée en che-
veux et vêtue d'une robe jaune paille relevée de dentelle.
Une estampe ancienne, exposée au petit Palais, en 1901, nous
donnait le portrait de la nourrice de Monseigneur le prince Ferdi-
nand, enfant d'Espagne, troisième fils de Phihppe V, roi d'Es-
pagne et de Louise-Gabrielle de Savoye; le sein gauche émerge
en entier du corsage de la nourrice, qui se prépare à remplir ses
fonctions augustes.
Une statuette (fig. 84), rapportée de Tampico par le D'' Leter,
fio-ure une Mexicaine allaitant son enfant tandis qu'elle a sur son dos.
(1) Philippe Burty.
l'J4 LKS SEINS DANS L HISTOIRE
dans un panier de sparterie, deux volatiles : une pintade et un
dindon.
Curieuse scène de mœurs prise sur le vif, par Boutreil : La pre-
mière dent, (le lait. Ce n'est pas assez d'entretenir la nourrice de
savon, qu'elle vend, et de sucre, qu'elle mange : il lui faut encore
le petit cadeau de la première dent, de peur qu'elle n'en garde une
contre les parents : la nourrice ouvre la bouche d'un bébé au mail-
lot et montre, avec satisfaction, la première incisive au père et à
la mère attendris.
Notons une caricature de Klein : Quadrille échevelê. exécuté par
les Clodoches de la politique, où se font vis-à-vis Chambord en
Basile, Gambetta en Arlequin, d'Aumale en Ecossais et Thiers
en nourrice bambocheuse, avec un bébé coifl'é d'un bonnet phr}'-
gien, la troisième République ; son tablier blanc est parsemé de
fleurs de lys et de bonnets phrygiens, unis aujourd'hui sous
l'égide du Nationalisme.
Les Remplaçantes^ de Brieux (19U1], donnèrent aux nourrices
une mauvaise presse (1); Albert Guillaume, dans une de ses satires
crayonnées de l'événement du jour, où il excelle, imagina le Char
de f Allaitement (fîg. 80) pour les réhabiliter et proposa de le faire
figurer dans le cortège symbolique de la mi-caréme.
Les industriels jouent souvent de la nourrice j)our leurs n'-clames :
une affiche d'automobiles installe dans une de ses voitures à pneu,
qui « boivent l'espace », une nourrice donnant le sein avec la
plus grande sécurité. A la même série appartient un plâtre
colorié, visible à la vitrine des « troquets » ; il recommande un
tonique-apéritif {^\g. 86) si bienfaisant, que le nouveau-né préfère
la précieuse bouteille à celle de sa nourrice. Cette propagande est
en opposition avec la philosophie d'un des tableaux de mœurs épi-
sodiques d'Hogarth, Gin Lane, où l'on voit une mère donner à
son nourrisson du gin à la place de lait : l'artiste moraliste a réuni
dans sa composition tous les crimes du gin. De même, le symbo-
liste Gruikshank, fait la synthèse des méfaits de l'alcool dans la
Bouteille, d'où sortent tous les maux de l'humanité. Quoi qu'il en
(1) Justifiée par la statistique trop édifiante du service de Pinard (maison
d'accouclienient Baudelocque), sur la mortalité des enfants nouveau-nés :
2D p. 100, élevés au sein : 40 p. 100, au biberon ; 60 p. 100, envoyés en nour-
rice. Conclusion :
Laissons les entauls à Icui- mère.
FAITS l,l':(i RNDAIHKS F, T HISTOHIOUKS
i:kj
soit, la liqueur « sans alcool (?j » sera la bien venue chez les Orien-
taux qui, grâce à la finesse de Mahomet, ont résolu ces deux
p^HFJ
ini m^ïïm ïïiimi
Fijï. cSG.
graves questions : Talcoolisme et — à la satisfaction des deux
sexes — le féminisme.
CHAPITRE II
SUR LE DÉCOLLETAGE
I. — FAITS DIVERS
En France. — D'après certains auteurs, sous Charles YI, seu-
lement les dames de qualité — àTexemple dlsabeau de Bavière —
commencèrent à découvrir leurs épaules et leur poitrine, mais le
bibliophile Jacob fait judicieusement observer, dans les Costumes
historiques de la France, que les statues de Luithgarde, épouse
de Charlemagne; de Richarde, épouse de Charles le Gros; de
Berthe, épouse de Robert; d'Anne, épouse de Henri P'" et d'Adèle,
épouse de Louis le Gros, prouvent que cette mode est bien anté-
rieure à la fin du xiv'' siècle. 11 reproduit le portrait d'Agnès de
Soisy, femme de Jean Chastelain de Térote (fig. 87), gravé en
creux sur une tombe, dans le cloître de l'abbaye d'Ourscamp, près
de Xoyon : le surcot laisse la gorge à découvert.
Nous avons cité (1) le passage du Dit des Cornettes, satire
contre la toilette des femmes, qui indique au xiii^ siècle une ten-
dance très accentuée à l'exhibition des charmes pectoraux. Les
désœuvrées d'alors savaient déjà fort bien (( cacher ce qu'il faut
cacher, montrer ce qu'il faut montrer », comme on chante dans la
Jolie Persane.
Jeanne de Bourbon, que son époux Charles V appelait le « soled
de son royaume », portait, au couronnement du roi, à Reims, un
corsage fortement échancré (fig. 88), à en juger d'après une
miniature du manuscrit des Chroniques de Froissart (Biblioth. nat.,
n'^ 8 32(1).
(1) Anecd. h'ist., p. ISl.
SUR LE DKCOI.LKTAC.E
i;i7
Dans la première moitié du xv" siècle, un vitrail de la cathé-
drale de Chartres (chapelle de Vendôme^, représente Catherine,
femme de Jean de Bourbon, comte de Vendôme, avec un corsage
découvrant les épaules et la naissance des seins (fig. 89). De même
Jeanne de Montaigu, baronne de Thuri, morte en 1420, figure,
sur une vitre de l'église des Célestins de Marcoussis, avec un sur-
cot recouvrant la robe ou cotte hardie, dont Téchancrure permet
Fig. 87.
au buste une émergence quelque peu immodeste (fig. 90). Une
miniature du manuscrit du règne de Charles Yll, nous présente la
poitrine, encore suffisamment découverte, de Marie de Fayel,
femme de Renaud de Xanteuil (fig. 91) ; très décolletée aussi est la
pieuse Anne de Beaufort, fille aînée de Pierre de Beaufort (règne
de Louis XI), figurée sur une vitre de Téglise des Cordeliers de
Nantes (fig. 92). Sous le règne de ce despote, le corsage féminin,
qui, à Tépoque de son père, n'était ouvert en pointe que sur la poi-
trine, s'ouvre également dans le dos, et la gorgerette de gaze, qui
masquait l'ouverture antérieure, prend le nom de gorgias^ mais
elle voile juste assez la gorge pour en doubler les charmes. En
chaire, les cordeliers, les sermonnaires de tous ordres monastiques
perdaient leur temps et leur salive à fulminer contre ces modes
i:-)8
LIÎS Si:iXS MANS L HlSTOlItK
impudentes et qualifiaient de « portes d'enfer )> les crevés incon-
venants du surcot. Jean Gerson, sous Charles YI, se plaignait de
« leur sain ouvert et mamelles estraintes et descouvertes, corsets
et manches justes. . . ».
Un célèbre arrêt du Parlement, en date de 1420, interdisait aux
prostituées le port de ceintures d'or ou dorées, d'où le proverbe :
Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée (1) ; il leur était en
Via,, yj
outre défendu d^avoir des robes à collet ouvert et leur corsao^e
devait être lacé sur le côté. Un passage de la Vengeance de Notre-
Seigneiir, mystère du xv** siècle, dont nous aurons occasion de
reparler, décrit la toilette des jeunes filles qui « folâtraient dans
Jérusalem », ou des filles de joie; c'est sans doute le costume des
courtisanes de l'époque, les poètes et les artistes prenant d'habitude
leurs contemporaines pour modèles. Les vers suivants montrent
que l'arrêt du Parlement n'était pas strictement observé; ces dames
ne pouvaient se dire « collets montés » qu'en arrière du cou :
Vous cheminez à grands pas d'arrogance,
Les cols levez aussi droits qu'une lance.
(1] Anec. liist., p. 187.
s 115 \.E DKC (t I. I. KTAC K
159
Vous cheminez fières comme liepars, (léopards)
Monstrant à tous vos beaulx chevels espars,
Vos beaux devans, vos mignonnes poitrines ;
Et se (si) voyez paillardeaux loricars.
Vous leur jettez impudiques regars,
Et leur faictes un tas de petits signes.
En 1330. un édit de Florence interdisait les fichus de collets,
aussi bien aux vierges folles qu'aux vierges sages.
Fis. 93.
Fig. 94. — D'après Roger Miles,
le Costume et la mode.
Guillaume Coquillart, dans le Plaidoyer d'entre la simple et la
rusée, reproche à celle-ci d'allécher ses dupes,
Par désordonnées fringueries,
Par robes fendues, seins ouverts...
mode qui se continua au siècle suivant. Dans la Farce des deux
amoureux, de Clément Marot, l'un des personnages, décrivant la
toilette de sa belle, parle d'une
Uobe de pers, large et ouverte.
J'entends à l'endroit des tetins...
160 II", s SKIXS DANS I, HISTOIUK
A l'époque de Charles VIII, le Parement des dames, crOlivier
de la Marche, cite une élégante vêtue d'une cotte, avec ouverture
en guitare sur le devant, masquée par une pièce de tissu transpa-
rent qui
Garde la chair de chaleur et noirceur.
Pendant le règne de Louis XII, la robe génoise, fort décolletée
et lacée par devant, fut introduite à la Cour de France, sans doute
en l'honneur de la passion toute platonique que le roi inspira à la
belle Génoise Thomassine (fig. 93).
Sous Henri II, à l'exception de la reine de fait et de fête, Diane de
Poitiers, qui réserve pour son usage personnel le monopole du
déshal)illage, le costume féminin observe une austérité relative :
aussi H. Estienne est-il autorisé à écrire qu'à son époque : « On
avoit mauvaise opinion, en France, d'une femme qui faisoit
paroistre sa gorge ; au lieu qu'en Italie, et particulièrement à Ve-
nise, il n'y avoit pas jusqu'aux vieilles tétasses qu'on ne mît en
parade ».
Au temps du roi très chrétien Charles IX, la mode était aux
amples vertugadins ou (jard' enfants (protecteurs d'enfants) ou
encore cache-batards et, par ironie, vertu-gardiens — « si favo-
rables aux fdles qui s'étaient laissé gâter la taille (1) » — : les gorges
étaient absolument nues, quelquefois ombragées d'un filet de perles
ou de pierreries à grands carreaux.
Le Vert -Galant, ennemi de toute pruderie mesquine et hypo-
crite, mais fervent admirateur de la nature saine et forte, est par-
tisan de l'émancipation des corsages, à la condition qu'ils aient,
comme celui de sa Gabrielle (fig. 94), quelque chose b. mon-
trer.
Le buste vigoureux de Marie de Médicis, si souvent caressé par
le pinceau de Rubens, a servi de modèle à ses contemporaines et
aussi aux frivoles des règnes suivants; elles s'efforçaient d'atteindre
l'embonpoint pectoral de cette souveraine, « En voyant, dit
M. Larroumet, les portraits de la robuste génération de femmes
qui florissait dans la première moitié du grand siècle, vous aurez
certainement remarqué l'aspect copieux de leur beauté. Il y a là
(Ij Dict. des Jésuiles, de Trévoux.
SLK LR DKCOLL KTA(;K 161
une esthétique particulière et Victor Cousin, amoureux posthume
de ces grandes dames, n'a pas manqué de la formuler en style aca-
démique. Il disait de la plus célèbre et de la plus typique d'entre
elles, la duchesse de Long-ucville : « L'embonpoint et les avan-
tages ne lui manquaient pas. Elle possédait le genre d'attraits
qu'on prisait si fort en ce temps. »
Avec le chaste Louis XIll, l'antithèse de son père, les « collets
montés » du xv'' siècle reparaissent, mais comme la coquetterie ne
perd jamais ses droits, les lacets des robes se relâchent peu à peu
et mettent bientôt en évidence les opulences du corsage, « les
aiguillons de la chair » ; le scandale devient tel que le pape croit
devoir intervenir et menacer d'excommunication les impudiques
qui dépasseront les limites permises. Les jeunes filles et les femmes
âoves dissimulaient les échancrures indiscrètes de leurs robes, à
l'aide de fichus en dentelles, appelés mi/nc/es.
Un opuscule de l'époque (1618) — La <fescoicv('?'t//re <lti style
impudique des courtisannes de Normandie^ à celles de Paris,
envoyée j>our estrennes, de r invention dune courtisanne angloise
— donne aux dévergondées, qui veulent jouer « au reversis « ou
« à la bête à deux dos «, les conseils suivants : « Celles qui
auront la Q-oro-e blanche et bien taillée et les tétons blancs et bien
relevez, qu'elles se donnent bien de garde de mettre rien de leurs
affûtages au devant, qui empêchent la vue des regardans, mais
leur fassent souhaiter de s'en servir de coucinets. Celles qui
l'auront au contraire ci-dessus, qu'elles mettent de larges pare-
mens à leurs collets et robbes et n'en fassent paroistrc que des
échantillons. »
Du temps de Louis XIV, d'après les Costumes historiques de
la France, du bibhophile Jacob, la toilette des dames du bon ton
se distinguait par une extrême décence ; toutefois, les dames espa-
gnoles introduisirent, en France, l'usage de se découvrir entière-
ment les bras, les épaules et la gorge, même à l'église : « Une
ordonnance de 1711 recommande aux curés et vicaires de s'éle-
ver, dans leur prône, contre « ces femmes et fdles qui viennent
entendre la sainte messe dans un habillement indécent et immo-
deste, n'ayant qu'une robe sans ceinture, telles qu'elles les prennent
en sortant du lit ». Ce fut pour éviter la nudité des épaules et de
la gorge que naquit l'usage des palatines, portées d'abord par la
LES SEINS liANS 1,'hISTOIUE. — I. Il
102 LKS SKINS DANS L HISI'OIIIE
princesse Charlotte Elisabeth de Bavière, fille de l'Electeur Pala-
tin.
En 1()92, les femmes se couvraient le sein avec des fichus appe-
lés Sfcinkerqiie, en souvenir des cravates mal nouées que por-
tèrent nos officiers surpris — comme ils le seront en 1870 — le
jour de cette bataille.
Au xvii^ siècle, il était imprudent de sortir la nuit en décolleté
de soirée ; colliers et chair plus ou moins fraîche pouvaient tenter
le diable et les tire-laines ; témoin Taventure de M™' de Rohan,
racontée par Tallemant des Réaux : « Un soir qu'elle revenait du
bal, elle rencontre des voleurs. Aussitôt elle mit la main à un col-
lier de perles magnifiques, qui ornait son cou. Un de ces galants
hommes, pour lui faire lâcher prise, la voulut prendre aux seins;
mais il avait affaire à une maîtresse mouche : « Pour cela, lui dit-
elle, vous ne l'emporterez pas, mais vous emporterez mes perles. »
Durant cette contestation, il vint du monde, et elle ne fut point
volée. » Nous avons cité (1), d'après le même auteur, pareille mésa-
venture arrivée à ^P' Gornuel ; celte fois, encore, les voleurs
furent volés.
Sous la Régence, le dévergondage des mœurs se réfléchit dans
la mode, et Ton montrait au doigt les prudes qui hésitaient à faire
étalage de leurs appas. La marquise deCréquy critique la manie de
sa marraine, la princesse des Ursins, qui croyait devoir suivre le
o'oût du jour, (c en faisant des toilettes prodigieuses, avec sa poi-
trine et ses vieilles épaules à découvert «. Ce tut la cause indi-
recte d'une aventure tragique. Le prince de Mansfeld demandait,
un jour, à la marquise la raison de ce décolletage intempestif :
« C'est pour faire plaisir à nous autres jeunes femmes et notam-
ment à la comtesse Fagnani », répondit la marquise en montrant
la comtesse, qui avait (c la plus belle poitrine et les plus belles
épaules ». Madame Fagnani « indépendamment de ses belles
épaules, avait une belle passion » pour le prince. Elle se fâcha de
ces airs d'intelligence et Mansfeld reçut un coup de poignard dont
il faillit mourir.
Dans l'anecdote rapportée plus haut sur « le rat » de M"" de
Warens, et qui remonte aux années 1732 à 1736,M"*'= de Menthon
(1) Atiecd. hiiil.. ]). T'J.
SUR LE 1)EC()LLETA(;K
163
traite la « maman » de Jean-Jacques de précieuse, parce qu'elle man-
quait de goût « en couvrant sa gorge comme une bourgeoise ». Ce
passage indique que le décoUetage était de règle dans la haute
société de la première moitié du xviii'' siècle.
Un vaudevilliste de ce temps, Guigoud-Pigale, prévient les spec-
tateurs qu'autour de son baquet magnétique, dans la pièce qui
porte ce titre, ils verront se presser :
Un peuple de femmes galantes
Dont la beauté les ravira,
Les unes en chemise et d'autres en bouffantes,
Vingt en Agnès et quarante en bacchantes.
(3n donnait le nom de « chemises » à
des robes de matin unies et sans plis, que
les petites maîtresses préferaient aux robes
drapées, parce qu'elles « suivaient mieux le
nu », et faisaient valoir les formes qu'elles
moulaient. Les « Agnès » étaient vêtues
avec simplicité; les « bacchantes », au
contraire, portaient des costumes chamar-
rés d'ornements.
Nous avons reproduit ailleurs (1), d'après
Racinet, une gravure de mode de 1778,
dessinée par Desrais et gravée par Dupin,
représentant une jeune dame vêtue à l'Aus-
trasienne ; mais l'auteur de V Histoire du
Cosftunc a cru devoir tartufier le document
et couvrir une partie de la gorge ; nous rétablissons le dessin sous
son aspect original (fig. 1)4 dis). Ce costume est d'autant plus curieux
que l'ouverture immodérée du corsage et la saillie abdominale,
simulant une grossesse — par allusion à celle de la reine —
jurent avec son appellation cVajiisteme/H à la Jeanne (l'Arc.
Une autre gravure de mode de 1780-1788, montre « une jeune
bourgeoise, assise dans une promenade publique, contrefaisant la
dame de qualité ». Le sein gauche s'échappe entièrement au
dehors ; et par ce débraillé licencieux, les grandes dames « contre-
faisaient », à leur tour, les nourrices. Cette outrance dans le
Fiir. 94 /;/
(I) Anecd. hist., fig, 120.
164 l'l>S SKINS DANS L HISTOÏKK
décollclag'c disparut momentanément, avec les bergeries à la
linon, alors que les femmes singeaient ringénuité do la jeune
fdle à la Cruche cassée, do Grouze, recherchant le regard « lent
et traînant » que Mirabeau adora dans sa maîtresse {Concourt).
La marquise de Gréquy n'est pas tendre pour M-"" Suzanne
Neckor « apprêtée, corsée, busquée, ficelée comme une carotte de
tabac ». L\''pouso du célèbre ministre des Finances avait imaginé
que rien n'était si distingué que do se découvrir excessivement la
poitrine : « C'était à ses yeux le comble du l)el air et la marque
assurée d'une grande élévation dans les habitudes aristocratiques.
Voilà du moins ce que disaient les personnes qui cherchaient cà l'en
excuser; mais, comme c'était une mode qui n'était plus suivie par
les femmes de qualité, tout donne à penser que ces exhibitions
pectorales de M"" Necker avaient encore un autre motif ».
Contraste fréquent chez la femme, — l'incohérence n'est-elle
pas la note dominante du caractère féminin (1) ? — cette libre pen-
seuse du vêtement était une mijaurée, une précieuse dans le
lano-ao-e et recherchait les expressions pudibondes : elle disait une
jambe de perdrix, pour une cuisse; une mitre de volaille, au lieu
d'un croupion de dinde, etc. « 11 est bon d'observer, constate avec
nous la mauvaise langue, que c'était en étalant toute sa gorge au
vent qu'elle affichait une si belle pruderie sur les bienséances. »
Un jour que M"'" Necker était malade d'un refroidissement, elle
dit à Chamfort, en lui montrant l'échancrure protocolaire de sa
robe : « Comment voulez-vous que l'on puisse être en bonne santé
quand on est l'épouse d'un ministre et que l'on est condamnée à
se sacrifier continuellement ainsi pour la convenance officielle et
les exigences de la représentation?» L'impertinent Chamfort, pour
toute r('ponse, fredonna ce couplet de Bussy-Rabutin :
Eglé, vous vous moquez tout l)as
Du feu qui uous consume.
Et vous vous croyez des appas;
— C est ce qui vous enrhume.
M'" Necivcr, qui devint plus tard i\I"" de Staël, fut de bonne
(n L" « Eternel Féminin »
En un mot se (lé])eint.
Surtout en France :
INCOUÉREiNCE.
Si:ii I, K DKCOLLKTACiK i65
heure atteinte, au point de vue plastique, d'une « fluxion de poi-
trine « ou d'une « dilatation d'estomacs » qui passèrent à l'état
clironique : « A dix-neuf ans, dit la marquise jacassière, cette
grosse pouponne avait des appas comme une fermière. » Elle
avait aussi hérité de la pruderie de sa mère, au point qu'elle
se refusait à faire sa toilette devant le petit chien de
U"'" Necker.
D'après Viollet-le-Duc, les femmes en toilette n'ont commencé
à laisser les bras nus que sous le Directoire (l) : « Jamais pendant
le moyen âge les bras des femmes n'ont été laissés nus. Toujours
ils sont couverts par des manches plus ou moins larges ou ser-
rées, et il semble que si les modes ont parfois permis de montrer
les épaules et la gorge, elles n'ont admis dans aucun cas que les
bras fussent découverts. Etait-ce la conséquence d'une observation
d'hygiène ? Xous n'en savons rien, mais le fait est notoire. Pendant
le dernier siècle même, où certes les dames ne se privaient point
de décolleter les corsages, les arrière-bras étaient couverts. »
Le célèbre archéologue ignorait-il que le cordelier Menot, s'éle-
vant contre les caprices effrénés de la mode — sujet favori des
sermonnaircs — critiqua les manches qui laissaient voir la chair du
bras « blanche et alteintée « ?
Les costumes du Directoire sont ouverts en haut et sur les côtés
"jusqu'aux dernières limites de l'impudeur; la transparence des
étofïes est telle que les fourreaux à l'antique des « ^Merveilleuses » et
des <( Impossibles » ne les empêchent pas d'être nues ; elles sont à
l'état de nature, i/i puris naturallhus.
Les robes minces et nuageuses, écrit M. Henry May (2), avaient
la plus complaisante indiscrétion. C'étaient des chemises « à la
prêtresse », « à la Diane », « à la Galatée -> auxquelles seyaient
ce couplet du prévôt d'Irai :
Afin déveiller le désir,
Tu choisis l'étoffe légère ;
Pour faire entrevoir le plaisir,
Tu prends la gaze la plus claire.
Crois-moi. ce que lœil ne voit pas
(1) Vers 182-2, on a porté de faux beaux bras. Ces postiches étaient couverts
de mitaines à jour, à travers lesquelles on croyait voir un bras bien rond, bien
potelé, de la plus belle carnation et tout était faux. (>!■"'= de Genlis).
(2) Le costume, la mode.
166 i,i:s SKiNS DANS i.'hisïoi lîi:
N'en inspire que plus d'ivresse :
Cacher à propos ses appas
Est un raffinement d'adresse.
Autre citation empruntée à notre précieuse collaboratrice, la
marquise de Créquy: « Figurez-vous que toutes ces Grecques (1)
de la rue Yivienne n'étaient vêtues que d'une chemise de percale
et d'une petite robe de mousseline sans manche, avec toute la
gorge et les épaules au grand air. Cette robe à l'antique et sans
ampleur était serrée sur la taille immédiatement au-dessous de la
poitrine, avec un galon de laine rouge... Les jambes étaient toutes
nues... Quant aux poches, il n '3^ fallait pas songer avec un pareil
vêtement, qui n'était composé que d'une mousseline collée sur les
flancs. »
Les ligues pour la repopulation n'existaient pas encore ; mais
d'instinct, et un peu par chauvinisme de commande, les femmes
s'efforcèrent de combler les vides opérés avec tant de vigueur par
la guillotine ; aussi la grossesse était-elle bien portée. Les femmes
(1) Les Grecques et les Romaines ont porté longtemps des cyclœ trans-
parentes, des laconicœ. (pie Yarron appelle vitreas togas, des robes de verre.
Lucien, décrivant la toilette de ses contemporaines, dit que sous leur draperies,
tout se voit autant que le visage, k l'exception du sein, qui ressortirait d'une
manière difforme s'il n'était soutenu de bandelettes (L.-H.May). A Rome, les hétaïres,
supprimant ces bandes ou fascia et leur tunique flottante ou Unieolum cœsiciim,
l)résentant une large ouverture sur la poitrine, étaient toujours i)rètes à faire
au premier venu
Pour y dormir une lieurc, oflre de leur sein nu.
Pétrone ])arle des femmes mariées qui, à l'exemple des courtisanes, vont pro-
mener leura lubriques ardeurs chez vingt adorateurs, dans le costume de Phryné :
Un voile transparent de leurs secrets appas
Dessine les contours et ne les cache pas.
Juvénal-, dans sa fameuse satire YI. sur les vices et les débauches des fem-
mes, ne nous montre-t-il pas l'impératrice Messaline s'offrant toute nue aux clients
d'un lupanar, les seins relevés par une résille d'or:
Nnda papillit
('onslitit aunUis
A cet égard, les documents concernant les modes dissolues de l'antiquité sura-
bondent ; rappelons encore la recommandation de saint Jérôme à Leta, au sujet
de l'éducation de sa fille : il veut « qu'elle porte des habits qui la garantissent
du froid et qui ne la laissent pas nue en la couvrant ». Citons enfin ce passage
du de Beneficih (lib. YII) de Sénéque : « Je vois des vêtements de soie, si l'on
])eut appeler vêtements ces étoffes qui ne mettent à couvert ni le corps ni la
])udeur et avec lesquelles une femme ne peut dire, sans mentir, qu'elle n'est pas
nue. C'est ce qu'on va chercher à grands frais chez des nations inconnues afin
que nos femmes fassent voir au public tout ce qu'elles peuvent faire voir en par-
ticulier à leurs galants. » (Héguin de Guerlei. Arrêtons là nos citations, crainte
d'encourir le reproche de citer à tout propos et non à ])ropos.
s U n L K I) K C O L L E TAC F. 167
stériles qui tenaient à arborer cet emblème patriotique recouraient,
comme naguère à l'époque des gestations de Marie-Antoinette, aux
ventres artificiels : a Ces apparences de fécondité s'appelaient des
demi-termes, et les élégantes de 9(î n'auraient pas voulu se mon-
trer sans un pareil accessoire à leur parure. »
Sous le Consulat et FEmpire, les « ]\Ierveilleuses « font place
aux « Agréables », mais les robes sont toujours échancrées et
moulées: « — Que M"*" X... se dessine bien! — Avec quelle grâce
M"^ X... se déshabille ! » s'exclamaient les mondaines de l'époque.
Une aquarelle gouachée de Bosio nous offre Un Salon pari-
sien, en 1801. C'est l'exacte représentation de l'intérieur, des
costumes et des mœurs de la bourgeoisie, au commencement du
xix'' siècle. On a fait monter l'homme au chien savant, qui pré-
sente le célèbre Minuta jouant aux cartes, pour distraire les
enfants, à qui leurs mères, en toilettes décolletées, expliquent la
partie. Rien n'est dégénéré : nous avons toujours les chiens calcu-
lateurs, voire même les toutous chanteurs et les femmes de petite
vertu, dévêtues.
Tous les soirs, l'impératrice Eugénie, cette « parvenue de la
beauté », était décolletée pour le diner, comme il convient dans les
festins d'apparat. Ce détail de toilette est donné par M™" Carotte,
dans ses Souvenirs intimes de la Cour des Tuileries.
Sous la troisième République, appelée ironiquement athénienne
par ses adversaires, le décolletage est de rigueur dans les repas de
cérémonie. C'est à cet usage que nous devons un des mots sans-gêne
du général de Galliffet : invité à diner chez jNP" Adam, il n'arrive
qu'à neuf heures. La maîtresse de la maison ne peut lui cacher son
dépit. Après une parole d'excuse, il s'approcha d'elle et admirant
le décolletage de sa robe : « Les belles épaules ! s'écria-t-il », et il
y déposa un baiser. M""' Adam riposte à cette impertinence par un
soufflet donné du bout de son éventail. Et Gallifet de répliquer,
sur le ton et avec le sourire d'un Lauzun : « ^laintenant que j'en
sais le prix ! » Et il vole un second baiser. On n'est pas plus
« dix-huitième ».
Elle est vraiment amusante la charge d'Avelot, du Hire, exj)o-
sant les perplexités à'Uiie femme qui na pas tusage du monde.
Dans un premier dessin, M"'^ X..., une parvenue, est en visite
chez une de ses (( relations » qui l'invite à sa prochaine soirée :
\
U)8
LKS SKINS DANS 1. IIISIdlItE
(( Alors, c'est entendu, mon mari et moi, nous comptons sur
vous... — Faut-il venir en grande cérémonie? — Oh ! non, demi-
décolletée. )) Deuxième dessin : M""" X... est rentrée chez elle et se
creuse la tête à définir le demi-décolleté. Enfin elle a trouvé.
Eurêka ! Elle fera son entrée dans le salon avec un sein caché,
l'autre complètement à l'air, et sera ainsi demi-décolletée.
Bien réussi encore ce dessin de Calumet, qui représente un
fringant officier incliné devant les seins d'une grosse dame sur
le retour, le priant « d'ouvrir le cotillon » avec elle : « Ma géné-
Fii?. '.)o.
raie, répond le galant galonné, d'après ce que me fait voir l'ouver-
ture du corsage, celle du cotillon ne peut que me charmer infini-
ment. »
La Civilité puérile el honnête exige aujourd'hui que l'on
rompe son pain à table; au xviif siècle, au contraire, il était de
bon ton de le couper au couteau ; et pourquoi ? La marquise de
Gréqu3% dont nous mettons si souvent les caquets à contribution,
va nous répondre : « C'est parce que la croûte du pain tendre est
friable et légère et (pi'on risquerait d'en faire sautei' des particula-
rités incommodes dans les yeux de ses voisins ou sur la gorge de
ses voisines. »
Pour Théophile Gautier, une femme en toilette décolletée de bal
se conforme à l'ancienne étiquette olympienne : « Les dieux supé-
rieurs, en représentation, avaient le torse nu ; des draperies à plis
nombreux les enveloppant des hanches aux pieds. » Les païens
SUK LF. DKCOLLK l'AdE
169
d'ailleurs n'avaient-ils pas consacré la poitrine à Neptune, assimi-
lant sans doute les ondulations des vagues à celles des mamelles ?
A TAcadémie de musique, il est de mise de se montrer en tenue
aussi découverte que la loge. Les beautés sur le retour, dit une
spirituelle légende de H. OrlDault, n'ayant plus à montrer que des
Fit:. 00.
« soleils couchants qui ont beaucoup couché », les répandent sur
les rebords des baignoires ou en font un étalage discret, estomp(''
par les écrans des avant-scènes.
Après les fantaisies de la plume, celles du crayon : une \ i/r
plongeante, prise de la i" galerie à l'Opéra, par Jeanne Dumont,
du Rire (fig. 96), dévoile, à vol d'oiseau, les cascades de chair
des o:aleries inférieures ; les têtes dénudées et bombées des
170 LKS SKINS DANS L HISTOIRE
abonnés de l'orchestre donnent encore l'illusion d'autant de roton-
dités mammaires : de loin, en efîet, une tète dénudée ne diffère
d'une autre tette dénudée, que par l'orthographe.
Le décolletage en cabinet particulier — entre la pomme et la
poire, emblèmes de la forme et de la rig-idité des seins — se borne
au buste, jusqu'à la taille ; dans l'attitude du « grand renver-
sement » qui fait valoir les beautés naturelles.
Après le demi-déshabillé du cabaret à la mode vient le désha-
billé sans réticences de l'intimité de l'alcôve, 1' « Enfin seuls ! » ; la
nature parée seulement de sa beauté, la plus précieuse des parures.
Il nous reste à examiner quelques déshabillés spéciaux. D'abord
le décolletage obligatoire pour le docteur « palpant ses premiers
honoraires », comme le débutant de Camuset ou celui de Régnier :
Tàtant le pouls, le ventre et la poitrine.
C'est le casuel des enfants d'Esculape, l'une des compensations du
pénible et ingrat sacerdoce hippocratique. 11 en a été question,
chemin faisant, à propos de l'auscultation. Nous empruntons à
la ]'/'(' Parisiviiiif, la figure 07 montrant une cliente pour rire,
déshabillée à souhait par le cravon de Gerbault (i).
Le décolletage médical est encore de rigueur pour le choix
d'une nourrice et la vaccination. Dans ce dernier cas, il varie
suivant la région où la cliente désire être piquée : au bras, « le
plus haut possible », afin que les brassières des chemisettes
cachent les vilaines cicatrices, mais de préférence aux mollets ;
pour les ribaudes, le haut de la cuisse ou le bas des reins, ad
libitum. Dans une caricature du Hirr, de E. Cadel, une sexagé-
naire, à prétentions, qui relève ses jupes et exhibe un steatopyga
de Hottentote, aux yeux ébahis d'un homme de l'art, muni de sa
lancette : « Docteur, lui dit-elle, vaccinez-moi à la fesse, et pas
troj) bas, rapport au décolletage. m
(1) Légende dialoguée (jui accompagne le dessin : « Docteur, est-ce qu'il faut
que je me déshabille ? — C'est indispensable... —Mon corset-? — Comment vou-
lez-vous, mon enfant, que je puisse vous ausculter'-? — C'est bien, comme ça ?
— Très bien... » Il trouve que la chemise est encore un peu haut... 11 l'abaisse.
— On se rend mieux compte comme ça... Respirez... Respirez bien... Doucement.
C'est bien... Encore un peu... ça ne vous fait pas mal ? C'est ça... Maintenant de
ce côté... C'est bien... Respirez. » Il y en a qui disent qu'elle se porte comme
vous, comme moi. mais qu'elle est arrivée à ce point de détraquage qu'il n'y a
plus qu'une fine ou une forte moustache qui, en hi frôlant, lui fasse de l'effet. Son
mari est complètement rasé.
SUR L K n K C 0 I- L E T A G K
m
Quant à la mise à nu jusqu'à la ceinture, i)Our duel entre
femmes (1), il est des plus rares et ne se voit que sur les toiles des
peintres (2) ou dans les tableaux vivants. Au xv'' siècle, certains
états allemands, autorisaient le
duel judiciaire entre époux : on
combattait alors nu jusqu'à la
taille avec des petits canifs en guise
d'épées. De nos jours, lorsque
deux viragos ont quelque querelle
à vider, ce n'est pas le décolle-
tage, c'est plutôt le colletage :
genre de sport fort en honneur
aux États-Unis, qui a fourni l'objet
d'une étude sérieuse à un statis-
ticien de Chicago. Ce savant,
d'après la Revue innverselie, s'est
proposé de rechercher quelles
sont les armes dont se servent de
préférence les femmes, de cette
ville, pour régler entre elles leurs
affaires d'honneur. Il a consulté à
cet effet les registres de la police,
et voici ce qu'il a trouvé : « Dans
771 combats singuliers, ces ama-
zones ont employé 186 fois le
manche à balai, sans doute parce
que cet ustensile se trouvait tout
justement sous leur main. Puis l'arme favorite, celle qui tient le
second rang, est le couteau: il a été employé 102 fois. Viennent
Fig. 97.
(Il Qui ne connaît l'anecdole dont le sieur de Chassé, seigneur du l'onceau,
fut le héros? Une l'olonaise et une Française se disputèrent ce « faquin », comme
l'appelait le duc de Richelieu, les armes à la main : la Française fut blessée.
A Venise, les duels entre femmes étaient assez fréquents et à cet effet, reli-
gieuses et courtisanes ])ortaient toujours un poignard à leur ceinture : « J"ai
appris, dit de Brosses, qu'une abbesse. aujourd'hui vivante, s'étoit jadis battue
à coups de poignard, contre une autre dame pour l'abbé de Pomponne », un
vi-ai nom de gaudriole.
(2) Mastaglio a peint deux rivales, le torse nu. croisant le fer dans un salon,
au milieu des invités, en costume du premier Empire : il n'y manque qu'un
cinématographe pour être dans le ton de notre époque. Les ferrailleuses de Bavard
opèrent sous bois.
172
I, i:S SKINS DANS 1/ H I S I (» I H K
après différentes armes, aussi fréquentes qu'étranges par leur
nature : couvercles de fourneaux, épingles à chapeau, assiettes
et plats, souliers, pantoufles, parapluies, livres, fouets... Enfin la
dernière, qui n'a été utilisée qu'une seule fois, est un biberon ! )>
En France, à part les pensionnaires de Saint-Lazare, qui jouent
volontiers du couteau, les femmes irascibles se livrent d'ordinaire
entre elles au plus vulgaire pugilat et leurs armes sont fournies
-V- '
'-■K.
'^é^^r>7Jk-^
Fij,'. y». — Indienne negritos
de Abia (Philippines).
par la nature ; elles se grifTent, se crêpent le chignon en conscience,
et, quand elles n'ont pas de râteliers, mordent jusqu'au sang.
Dans les lavoirs, la scène fameuse àeV Assoinmoir n'est pas rare;
alors, c'est un décolletage inférieur qui est infligé pour une fessée
bien sentie, à l'aide de battoirs naturels ou artificiels.
Chez les primitifs. — Les peuplades sauvages, où la civili-
sation n'a pas encore pénétré, tels les Feugiens du cap Horn
(fîg. 1)8), pratiquent le décolletage complet; coutume justifiée par
la température et aussi par le manque de magasins de confections.
Là où elles ont pris contact avec les civilisés, les femmes, en
général, voilent leur nudité inférieure à l'aide de pagnes, plus ou
moins bariolés, et laissent à la partie supérieure une indépendance
s LU I. i; J)i:(;()I.L KTAGK
173
absolue (fig. lOU). Ce vêtement primitif permet à la mère de
j)orter son enfant sur sa croupe, sans nuire à la liberté de ses
mouvements, quand elle se livre aux tr-avaux des plantations et
aux soins du ménage.
Les femmes des O Kôta, de l'Afrique Equatoriale, marchent en
se dandinant comme les oies et en tendant restomoc en avant : à
vA*»<L.
Fis. 100.
l'exemple des indigènes du quartier Bréda, elles se maquillent
horriblement, mais de rouge, de jaune et de bleu.
Au Dahomey, une femme, mère de deux jumeaux, les montre
avec fierté à tout venant ; et comme ils ne peuvent être ensemble
dans le même pagne, elle les tient à califourchon sur chacune des
hanches maternelles (fig. 100). L'Australienne porte son enfant
dans un filet accroché à sa tête et qui voile quelque peu sa nudité.
Les femmes des îles Fidji (fig. 101) se couvrent la poitrine d'un
foulard ; mais les pointes se croisent entre les seins et laissent ces
L K s SEINS DANS L H I S r ( » I li !•:
organes à nu. Dans la tribu Micmak (Terre-Neuve), les femmes se
parent d'étoffes bariolées, sans recouvrir les mamelles. Les jeunes
Taïtiennes enguirlandent complètement leurs seins de fleurs et
feuilles du pays (fig. 102). Les Indiennes de la Patagonie, sans plus
s'occuper de leurs seins, s'enveloppent dans une peau de bête
qu'elles retirent en famille.
L'indienne Diguenos (Californie) relève sa chemise par en bas,
^fW^
Fie. lui.
Fig. 102.
quand elle allaite son enfant. Pour le même ofïice, la femme Chip-
powa}' (Amérique du Nord) ouvre la partie supérieure de son vête-
ment, comme les fellahs de la Basse-Egypte.
A l'étranger. — Dans l'antiquité, les Egyptiennes portaient
les robes collantes et transparentes, s'arrêtant sous les seins et
retenues par une ou deux bretelles. Un pectoral, Voitosk/i, parure
faite de verroteries, pierreries ou lames d'ur, recouvrait l'espace
qui sépare les seins et oscillait entre eux ; parfois, chez les prin-
cesses royales, les seins eux-mêmes étaient étroitement emboîtés
dans des coupes d'or qui en épousaient l'exacte forme (1).
(!'] L. Henry Mtiy. loc. cit.
SUR LR DKCOLL RTAdE
ITii
De nos jours, les Egyptiennes qui « accroupies, ont, d'après
Fromentin, des postures de singe et debout, des attitudes de
statue )% sont revêtues d'une robe flottante, bleu indigo, entre-
Fig. 103. — Harpiste d'un tombeau de Thèbes. Danseuses de l'hypogée de Mira,
vi» dvnastie.
baillée au niveau de la poitrine (1), « et laissant entrevoir, écrit
Théophile Gautier, lorsque la fellah est jeune ou n'a pas eu d'en-
fants, des contours d'une pureté sculpturale qui rappellent la
gorge aiguë des sphinx » ; elles
montrent, dit aussi le lyrique
]\Iichelet, « les belles formes
qu'on admire dans les monu-
Fig. 104.
Danseuses d'un tombeau
de Thèbes.
Fis. lOo.
ments, ce sein très plein, mais droit, ferme, élastique. Il pointe
(comme aux peintures sacrées) d'une virginité éternelle, dressant
immuablement la coupe de l'immortalité ».
(1) Telle la Fenune fellah et son enfant, de Léon Boiinat ; la jeune mère piu'le
majestueusement son enfant tout nu à califourchon sur l'épaule, en lui tenant
la jambe gauche.
176
I. i:S SKINS DANS L HISIOIUK
Siniles les filles de mœurs légères se livrent à des exhibitions
pectorales complètes. Dans la Haute-Egypte, la peau prend une
teinte (fébène si vive que le nu des indigènes n'a rien de cho-
cjuant — bien au conti'aire — et les fait ressembler à de belles
statues de bronze.
Fi?. 105 bis.
Fiir. 106
Sur Tordre d'Abbas P'', les aimées égyptiennes ont été reléguées
à Keneh, où elles exécutent leurs danses, à domicile, et se font
prier pour se déshabiller, sous prétexte que le Coran (1) le leur
défend ; mais, en réalité, dans Fespoir d'un bakchich plus impor-
tant, « l'argument irrésistd:)le » de Basile. ( Hiant aux danseuses
des cafés du Caire ou d'Alexandrie, elles sont costumées et cou-
vertes de sequins vrais et faux comme les i)audets de l'endroit. En
avril 1830, si l'on en croit Alexandre Dumas, les aimées du Caire
(1) « Dites aux femmes des croyants qu'elles doivent préserver leur modestie
de toute atteinte.... qu'elles doivent étendre leurs voiles sur leur s(>iii. »
SUR LE DECOLLETAGE
17'
laissaient voir leurs seins entièrement à nu par réchanerurc de leur
corsage : « Elles font la quête après des danses lascives, les uns
mettent alors entre leurs lèvres un sequin qu'elles prennent avec
leurs lèvres ; les autres collent sur leur visage et leurs seins
inondés de sueur, un masque et une cuirasse de petites pièces d'or
qu'elles vont secouer ensuite dans une aiguière d'argent ». C'est
là que les musulmans gagnent la réputation d'avares ou de magni-
fiques.
Fiff. 107
Autrefois, comme il apparaît sur les murs des hypogées, le
costume des danseuses, des musiciennes et bateleurs des deux
sexes était des plus primitifs (fig. 403-105^.
Au dire de Georges Xoblemaire, les bayayères indoues, de Tri-
chinopoly, sont plus habillées que nos jeunes filles en toilette de
bal et leurs danses sont tout aussi correctes ; tant il est vrai que
la civilisation est l'ennemie mortelle de la couleur locale.
Dans certains cafés arabes de Tunisie et d'Algérie (fig. lUo A/s,
100), les danseuses du ventre ne se gênent pas pour montrer leurs
seins et leur nombril, à l'exemple des danseuses cambodgiennes d'au-
trefois — si l'on en juge par les sculptures antiques du musée de
Gompiègne (fig. 107) — ici la nudité était absolue, à l'exception
des « Pays-Bas », masqués par un ornement encombrant.
En Tunisie, les juives, insouciantes, laissent baller au vent leurs
LES SEINS DANS L HISTOIRE.
12
178
Li:s si:iNs DANS I, JUS loi m-;
seins flasques et flétris (fig. dU8) qui gagneraient à garder l'inco-
gnito, tandis que les musulmanes exagèrent les précautions, pour
cacher leur visage et le reste, aux giaours, aux chiens de chré-
tiens (fig. 109).
Fiç. lOS. — Juive de la campagne
(le Tunis.
Fig. 109. — Musulmane
de Tunis.
A Damas, au dire du peintre G. Huysmans, les femmes ne se
couvrent pas la gorge, si ce n'est parfois
Du ne gaze légère
D'une entière blancheur.
Le livre de Vatsyayana, où il est question des « étreintes » (d) , fait
supposer qu'à son époque, les femmes allaient le sein nu, comme,
de nos jours, pour quelques basses castes et chez les Pariahs.
(1) « L'embrassement par pénétration se produit lorsque, dans un lieu soli-
taire, une femme se penche pour ])rendre quekpie objet, et pénétre, pour ainsi
dire, de ses seins l'homme qui, à son tour, la saisit et la presse. •>
SUR LK DKCOLI, K1A(; K
179
Dans certaines peintures ou sculptures très anciennes, les femmes
— même la favorite du roi — ont la gorge découverte.
Plusieurs dessins d'Outamaro (fîg. 110-114), au musée
Guimet, montrent que la Japonaise, à tout âge, en dehors ou
pendant l'allaitement, aime ses aises et se moque du qu'en
dira-t-on.
Le climat de Tlndo-Chine dispense les indigènes de vêtements
trop compliqués, aussi les Siamoises ne portent-elles que la culotte
pour tout costume (fig. llo) et
sont-elles toujours prêtes à donner
le sein à leur progéniture avide.
Par opposition, la Française ne
porte culotte qu'au figuré et se
décide ditîicilement au rôle de
nourrice.
En Corée, à Séoul, d'après
M. INIarcel Monnier, les femmes
ont d'immenses pantalons à la
mauresque, serrés aux chevilles,
et une drôle de petite casaque,
disposée de manière à couvrir
"seulement le dos, les épaules et
l'épigastre, tout en laissant les
jumeaux mammaires se jouer à
l'air en toute liberté.
En Perse, les modes europé-
ennes n'ont pas encore séduit le
sexe faible, et il est probable
que de longtemps encore les Persanes n'abandonneront pas le
costume national. Leur toilette d'intérieur est aussi simplifiée
que possible, d'autant qu'elle ne comporte pas de chemise (fig.
117). Nonchalamment étendue sur son divan, ou assise pour
fumer son kalgan, espèce de narghilé qui n'est pas précisément
portatif, la Persane se contente d'une petite veste, qui boutonne
ou ne boutonne pas, et assez courte pour laisser voir bonne
partie de l'abdomen. Sur une tente, en tapis d'Orient, avant
appartenu au schah de Perse actuel, et échouée chez un marchand
de Stamboul, nous avons vu représentées deux princesses ou deux
180
LKS SKINS DANS L IIISTOIUK
odalisques, richement vêtues, mais dont les seins, vagabonds»
s'échappent complètement du corsage (fig. MO).
Fis. 111.
Fig. [[-2,
En Allemagne, au xxf siècle, les dames de quahté échancraient
outre mesure leur corsage : nous le savons par une gravure de
Fig. 11.3.
Fig. 114.
Henri Aldgrœver (1540), représentant Thamar consolée par Absa-
lon, en costume de Fépoque, suivant Thabitude des anciens
artistes. On remarque aussi le ventre saillant qui, au xiii' siècle,
siw I, K I)i:(;(ii,m:ta(; K
181
était déjà de mode en Picardie, ainsi que lindique un trouvère
artésien, Adam de la Halle, dans le portrait de sa belle : « bou-
line (1) avant et reins voûtés ».
Pourquoi les sévères censeurs de la Prusse contemporaine sont-
ils toujours à vitui)érer la dépravation de nos mœurs ? A Berlin,
dans les cafés concerts en sous-sol, les consommateurs, assure
Fis. ii;
Fitr lit;
Paul Adam, « tripotent outrageusement et déshabillent entièrement
les cantatrices à demi nues déjà, qui font la quête après leur
refrain ».
La Vie privée à Vettise, de P. Molmenli, va nous fournir de
précieux détails sur le « dévestement » des Vénitiennes, depuis
l'origine jusqu'à la chute delà RépubHque. Franco Sacchetti, con-
teur italien du xiv^^ siècle, ridicuhsait déjà l'inconstance de la
mode : « Si une nouvelle bizarrerie apparaît, c'est à qui s'en
emparera... X'a-t'on pas vu des femmes avec le fichu tellement
ouvert qu'elles laissaient voir plus bas que les aisselles ? Et puis
elles firent un saut et se couvrirent le cou jusqu'aux oreilles ».
(il Doutaine, nombril. Glossaire du patois picard.
182 I.KS SKINS DANS 1/ H I S F 0 I H E
A la même époque, Dante reprochait aux Florentines, effrontées,
(le montrer leur sein nu :
Aile Hfacciate donne florentine
L'andar mostrando con le poppe il petto.
(Toutes les impudiques femmes florentines s'en vont montrant,
avec les mamelles, la poitrine). Les Vénitiennes du xvf siècle?
peintes par Garpaccio et Gentile Bellini, portent un corselet étin-
celant de bijoux et les épaules nues, Bertelli nous représente une
épousée vénitienne les cheveux épars, avec l'ample gorgerette et
les seins en évidence; cependant les jeunes filles, qui allaient se
marier ou entrer en rehgion, se couvraient la tête et les épaules
d'un voile blanc de soie, et les peines les plus sévères étaient édic-
tées contre les femmes de mauvaise vie qui avaient adopté ce même
usage.
Pour conserver l'éclat et la fraîcheur de leur teint, les Véni-
tiennes à la mode avaient l'habitude de s'appliquer, sur le visage,
pendant la nuit, une tranche de veau cru, trempé quelques heures
dans le lait... (1). La pâleur du visage était relevée à l'aide du
fard ; le même artifice servait aussi à peindre les seins étalés à tous
les regards. Alexandre Garava constate le fait dans son livre sati-
rique Nasjjo Bizaro :
Fazzandose le tettc rosse e blanche
E descoverte per galanteria
(Elles se font les tétons rouges et blancs, et les découvrent par
galanterie) ; il ajoute que les laveuses d'assiettes, elles-mêmes,
n'avaient pas honte de se maquiller et de se dépoitrailler à l'excès.
Gasola critique aussi la mode de j)orler la gorge nue :
<( Les femmes de Venise, dit-il, se font gloire en public, surtout
les plus joHes, de montrer la poitrine, c'est-à-dire la gorge et les
épaules, si bien qu'à les voir on s'étonne que leurs robes ne tom-
bent pas à terre. «
Au xv*" siècle, d'après Galliciolli, une ordonnance de police
obhe'eait les courtisanes à se mettre à leur fenêtre, la gorge débridée,
•o"
(1) En France, les coquettes pensaient obtenir le même résultat à l'aide de
fréquents clystères, sous Louis XIV, et de copieuses saignées, sous Louis XVI.
SUR LK DKCOM-ETAd E
183
afin cr attirer les hommes et de les détourner du péciié contre
nature, qui était fort répandu. De même, à Lucques, en 1488, fut
institué VUfïzio de if Onesfa, qui devait punir les sodomistes et
favoriser les amours licites. Longtemps, à Venise, des rues spé-
ciales furent assignées aux filles de joie ; leurs vêtements étaient
des plus légers, et il leur était permis, quand elles se mettaient à la
fenêtre, de laisser pendre hors de l'appui une jambe moitié nue.
Dans la suite, cette tolérance fut sagement abolie.
Au xvii'' siècle, les patriciennes qui, autrefois, sortaient rare-
Fig. 117.
ment et ne se paraient qu'à Foccasion des fêtes publiques, s'éman-
cipèrent et commencèrent à se faire voir dans les rues la gorge
au vent : (( elles s'en vont les seins nus, dit Scipio Galerano (11)46),
et ne s'aperçoivent pas de l'erreur qu'elles commettent ! ».
Vers la fin du siècle suivant, tandis que le costume grec était
adopté par les capricieuses de Paris, les dames vénitiennes s'habil-
laient à la romaine : elles portaient « la gorge à l'hermaphrodite »,
c'est-à-dire sans corset.
A Londres, le D'' Graham, l'auteur de la Méga/anthropogé-
nésie (1), était aussi l'inventeur d'un système de révivification de
l'amour, par l'exhibition de modèles vivants qu'il associait à des
(1) On a dit de cet auteur, (jui enseignait Tart de l'aire des enfants d"es|)rit,
qu'il était dommage que le père n'eût pas pu profiter des enseignements de son
fils.
184 I. i:S SRINS DANS i/hIST()IRK
passes magnétiques : « Il avait chez lui, écrit un contemporain,
un lit crleste, où il faisait poser des femmes à demi nues, et ce
spectacle, combiné avec des passes magnétiques, des concerts
d'instruments et des discours appropriés, devait infailliblement
provoquer la crise amoureuse chez les époux envers qui la nature
s'était montrée trop avare ».
Le charlatan intéressa à ses affaires la fameuse Emma Lvons ou
Hart, future lady Hamilton, qui était d'une beauté incomparable
et d'une plastique irréprochable : « De toutes parts on se précipita
vers la great attraction; on payait des prix fous pour contempler
pendant quelques minutes la déesse Hygie, — ainsi l'avait sur-
nommée son cornac, — mollement étendue sur le « lit de volupté «
et à peine recouverte d'une gaze transparente. Elle s'y prêtait, du
reste, merveilleusement, car elle savait prendre les poses les plus
difficiles de la statuaire antique; elle imitait à s'y méprendre les
marbres les plus beaux, et ce fut elle qui ouvrit la voie à la célèi)re
imitatrice, M"'" Hœndel-Schultz, et mit à la mode les tableaux
vivants (1). »
Nos Anglaises modernes, austères en apparence, ne se gênent
pas pour se décolleter à l'occasion et amplement. Prosper Mérimée
écrit de Londres à son « inconnue », le 12 mai 18()2 : « J'ai vu,
le soir, chez lord Palmerston,. de ti'ès belles femmes et de très
abominables ; les unes et les autres faisaient une exhibition com-
plète d'épaules et d'appas, les unes admirables, les autres très
odieux, mais les uns et les autres avec la même impudence. Je
crois que les Anglais ne jugent pas ces choses-là (2). »
Néanmoins, en dehors des mondaines et demi-mondaines, il
existe de nombreuses protestataii-es qui font partie de la « ligue
contre le décoUelage », fondée pai- miss Phelps. \o\c'\ quelques-
uns des aro'uments tirés de cette mode déclarée indécente : « Le
o
(1) Dufour, liist. de la prostitution. Gr. Dicf. Univ. du XIX" eiècle. Ces tableaux
vivants, comme le remarque J. Houdoy, dans la Beauté des fe)niHes, ne sont pas
d'une création moderne. Quand la reine de Saba vint à Jérusalem, elle avait
toute une phalange de jeunes fdles chastement vêtues de l'air du temps, qui
représentèrent devant Salomon les visions de la reine du soleil.
(2) En voyage, dans les Palace-Hôtels et sur leurs paquebots, les Anglais qui,
au déjeuner se présentent, la pipe à la bouche, en casquette et veston de com-
mis voyageurs, — tels on les voit à notre Opéra, — imposent, au dîner, le smo-
king pour les hommes et la toilette de soirée, avec décollelage sans limites,
pour les miss ou mistress, même quand elles n'ont que des clavicules ou des
côtes, saillantes comme leurs incisives, à montrer.
s L' H 1 . K I) É C O I. I, K T A ( i K 1 H^y
décolletage est la honte des femmes... la robe décolletée qui
découvre le corps avec impudeur est un défi porté à la civilisation...
Ce sont les reines, les princesses et les grandes dames qui donnent
Texemple de l'impudicité... Une cuisinière est supérieure à une
princesse ; quand elle va au bal de la Saint Patrick, elle est vêtue
comme l'exige l'idée que le peuple se fait des convenances ». Le
docteur Minime, auquel nous empruntons ces renseignements (1),
les fait suivre de réflexions topiques et fournit à miss Phelps,
dont il approuve la campagne, sans espoii- de succès, des argu-
ments d'ordre physiologique : « le décolletage, symbole carac-
téristique d'une mondanité rafïinée. a pour mobile l'impudicité ;
la connexion du sein et des organes sexuels est connue de tous.
Cependant il n'entrera pas dans la ligue de miss Phelps, parce
quelle ne changera rien à ce qui est : elle n'attirera que les poi-
trines plates. Et puis, il n'est pas mau^ais que les femmes jouent de
tous leur appas pour attirer l'Eternel masculin. »
Il y a beau temps que le D' Palpard, médecin de Montpellier, a
adressé à la Société des Observateurs de la Femme (1802-1803),
une dissertation qui tend à prouver que le sentiment de la pudeur
est beaucoup plus naturel et plus constant chez l'homme que chez
la femme (2). En effet, le voit-on se décolleter, se faire vacciner
au mollet ou à la cuisse, |)orter des pantalons ouverts, enfin s'af-
fubler de seins, de hanches ou de culs (3) postiches ?
Une faut non plus regarder de trop près le puritanisme yankee (4) .
Ainsi M. de Norvins {Revue (/es Revues, septembre 1899) rapporte,
entre autres histoires sur les très libres filles d'Amérique, l'aven-
ture de cette Sadie Johnson, un modèle très réputé dans les atehers
de New-York, qui, au milieu d'un dîner, donné par un jeune Ijan-
quier, sortit tout à coup d'un pâté monstre, comme Méphisto de la
(1) Loc. cit.
(2) Arthur Dinatix, les Sociétés badines.
(3) Après les encombrants paniers, imaginés ])our cacher les suites du lii)erli-
nage des femmes, parurent les poches destinées à faire valoir les hanches, puis
vinrent les culs qui faisaient ressemiîler les femmes k la Vénus hottentote. « Au
lien de faire ressortir les belles formes de la nature, dit Dulaure, elles les défi-
guraient. »
(4) La ])lus grande liberté est laissée aux jeunes Américaines; mais, femmes
pratif[ues — c'est dans le sang — , elles en jouent habilement : leur ftirt n'est
dangereux que pour leur partner: « tout ce qu'on voudra, mais pas (.-a » : c'est
la formule consacrée. Aux Ktats-Unis, d'ailleurs, tout se fait grandement : ainsi,
une professional lieauly. lady Grantley, accoucha cinq jours après son mariage !
186 LKS SKINS DANS L HISTOIRE
soujnèro du Petit, Faust, et simplement vôtuc du costume que
notre mère Eve a porté la première. Cette « entrée » sensation-
nelle rappelle une aventure analogue, arrivée à la cantatrice fran-
çaise Pélissier. Elle débuta fort jeune dans la vie galante, et la
chronique scandaleuse de l'époque raconte, qu'à peine âgée de
quatorze ans, mignonne, ravissante de formes, elle fut servie sur
un immense plat d'argent, vêtue de persil, en guise de relevé, à
un diner de gentilshommes (1). De même, ;M"' Malaga s'exhibait
au boulevard du Temple, « h la crapaudine « sur un plat d'argent.
Enfin « Casque d'Or » raconte, dans st'S Mémoires, qu'en venant
au monde, elle était si menue, qu'un visiteur s'exclama : « C'est
un compte-gouttes qui a fait ça! ». Un soir, le père d'Ehe retient
ses amis à diner et leur promet une surprise : un plat de sa compo-
sition, un petit salé extra. Après le potage et l'omelette, le « pater-
nel » disparait un instant, prend sa fille dans le berceau puis la
couche, nue et frétillante comme une ablette, sur un plat de faïence
capitonné de cresson ; il le pose sur la table, en disant : « Mes-
dames et Messieurs, voilà le petit salé promis ! » Incontinent,
l'émotion d'un premier début fit que le petit salé, tout en «faisant
le soleil », ne tarda pas à baigner dans son jus. C'est sans doute
le souvenir de cette exhibition en pubhc qui la décida plus tard à
prendre ses inscriptions de « licences » à la Préfecture : il n'y a
que le premier jjiat qui coûte.
^lais revenons au pays des dollars. Une caricature satirique de
la Life, de Xew-York (1902), prouve que de l'autre côté de l'Atlan-
tique, les habituées de l'Opéra étalent aux feux des lumières leurs
parures naturelles, avec la même désinvolture que nos Parisiennes.
Ce dessin montre le buste en peau de deux spectatrices, émer-
geant du rebord de leur loge, comme d'une baignoire, avec cette
légende : « Vous croyez que ces dames prennent là leur bain du
matin ? — Pas du tout ; elles sont assises dans leurs loges à
l'Opéra. »
En janvier l'.3(l2, le froid fut si rigoureux et endommagea tant
d'appareils respiratoires, chez les dames condamnées par le pi-oto-
cole à figurer dans les réceptions ou les dhiers officiels en robes
décolletées, que M"'" Roosevelt s'insurgeant, à la Maison Blanche,
(1) Le T/iéàtre d'autrefois et d'aujouni'/iui.
SUR LR DKCOLLKTAC.R 187
contre cette étiquette barbare, inaugura une sorte de jaquette-
dîner fermée: toute TAmérique higli ///e adopta la nouvelle mode.
De là à imiter la pudique Albion dans Tinstitution d'une ligue
hypocrite anti-pectorale, il nV avait qu'un pas et il fut aussitôt
franchi par Chicago, où une Société s'est formée pour combattre
le décolletage et la publication des portraits des artistes comme
annonce ; une contrefaçon de notre fameuse ligue contre la licence
des rues.
II. — EXHIBITIONS DES SEINS EN PUBLIC (1)
Peines corporelles. — Nous avons déjà parlé des supplices
suivis de mort, où Tarrachement des seins n'était qu'accessoire;
ici, nous nous occuperons des peines purement afïlictives compor-
tant la mise à nu des seins, dans les diverses sortes de tortures.
Suivant certaines juridictions, la fille mère était poursuivie,
toute nue, par les huées de la foule ; de même l'homme et la femme,
convaincus d'adultère, étaient également dépouillés de tout vête-
ment pour être fustigés par la ville (2). C'est de semblable cou-
tume judiciaire que s'est inspiré le peintre Garnier pour son Sup^
-plier (les adultères , exposé au Salon de 1876. Sous Xéron, on
dépouillait les adultères de leurs vêtements et, après avoir lié
leurs membres, on les livrait, dans le cirque, à un taureau sauvage
qui les faisait sauter en l'air, à la grande joie des spectateurs :
« On les exposait ainsi à la fureur des cornes d'un taureau, pn'--
tend Nodot, pour en avoir fait pousser sur le front de leurs maris »,
application de la peine du talion. Sainte Perpétue subit ce sup-
plice comme martyre de la foi.
Au moyen âge, les mœurs s'adoucissent et la femme adultère,
en Italie, est promenée, la poitrine nue, sur un âne, comme le
représente une vieille toile dont nous avons détaché la figure il'.).
De même, vers la fin du xv'^ siècle, la belle infidèle Jeanne Shore,
mariée à un riche orfèvre de la Cité, fut promenée, nue jusqu'au
nombril, autour de l'église Saint-Paul (3).
(1) Les nudités produites sur la scène ou dans les i)ratiques religieuses, comme
celles des Flaf/ellunts, seront décrites dans nos Seins à l'Eglise et au Théâtre.
(2) Lalanne ; Curiosités des traditions.
(3) Hector France, loc. cit.
188 LKS SEINS DANS L HISTOIRE
Nos juges sont encore plus indulg-enls : le tarif de l'adultère,
inaugure par ]M. Morise, le président de la onzième chambre
(août lUOl I, est de 25 francs par tète — c'est pour rien — ; cepen-
dant, un président plus sévère d'une chambre voisine a condamné
la coupable à un mois de prison et son complice, à 100 francs
d'amende. Autres temps, autres mœurs : actuellement, le ridicule,
la flétrissure morale sont le lot de l'époux et non plus de son rival.
Mais revenons aux étrivières, à la peine du fouet : les « fessées
patriotiques » étaient la correction habituelle que les tricoteuses
administraient, en pleine rue, aux aristocrates récalcitrantes ou
aux sœurs, accusées de cacher des prêtres « réfractaires ». On
sait que la fohe d'Anne Terwagne, dite Théroigne de Méricourt,
ou mieux de Marcourt, se déclara après ce suprême affront subi
sur la terrasse des Feuillants (31 mai 1703), pour avoir pris la
défense de Brissot.
Le jour de l'entrée des Prussiens à Paris, le l*"' mars 1871, les
Parisiens appliquèrent la loi de Lynch à des demoiselles cosmo-
polites, pour qui l'efiigie des pièces d'or, l'eçues en libre-échange
de leurs galanteries, est indifférente : l'argent n'a pas d'odeur.
Piochefort a raconté l'incident dans les Aventures de ma vie, avec
le sel ordinaire dont il assaisonne son esprit paradoxal et quelque
peu enchn à l'exagération de l'effet : « Tout fut calme. Cependant,
le seul incident un peu mouvementé fut l'arrestation et la fustiga-
tion par les Parisiens de trois salopes qui s'étaient avancées dans
les Champs-Elysées au-devant des ennemis, auxquels elles dis-
tribuèrent avec affectation de nombreux baisers. La foule se jeta
sur elles, les mit à peu j)rès nues, et après une fessée brutale, les
couvrit de crachats, d'injures, de huées et même de violents coups
de poings. »
Un souverain allemand, le prince Henri XXII de Reuss, fait un
singulier usage de son droit de grâce. Ce prince, à l'esprit maladif,
gracie volontiers les enfants condamnés par les tribunaux, mais à
la condition qu'ils soient amenés devant lui, sans différence de
sexe, entièrement déshabillés, et ensuite frappés de verges. Un
photographe a pu prendre, assure le Vonvaerts, auquel nous
empruntons l'anecdote, un instantané d'une de ces scènes, dignes
d'un échappé de Charenton.
Nos doux alliés, les Russes, emploient de préférence le knout,
s lu LE DHCOI. I. kta(;k
189
même pour les femmes, avec lanières de cuir armées de nœuds,
comme autrefois chez les Hébreux ; les Yankees, pendant la
guerre de Sécession, flag-ellaient aussi, à bras raccourcis, « le
tabernacle carré, quadratus tabeniaculus », c'est-à-dire les émi-
nences postérieures des Américaines du parti adverse, et ces
peines cruelles, peut-être excusables aux
époques troublées, viennent d'être remises
en vigueur, comme aux solennités de Diane
Lymnatide, par ces fanatiques amants de
la Liberté!
Tout récemment, l'Assemblée législative
de l'Etat de Virginie a voté une loi, per-
mettant d'appliquer les châtiments corpo-
rels en public. Sa première application fut
faite sur la place publique de ^lanassas, à
une jeune fdle de dix-huit ans, accusée de
relations immorales avec un clergyman.
A. Willette en a fait le sujet d'une de ses
satiriques et gracieuses compositions.
Chez les Egyptiens et les Perses, la
flagellation n'était souvent que le prélude
d'autres supplices, tel que l'écorchement :
Cambyse fit écorcher vif un juge prévari-
cateur et ordonna de recouvrir de sa peau
le siège sur lequel devait s'asseoir le ma-
gistrat pour rendre la justice ; mais la
chronique ne dit pas si c'est le dos ou la poitrine qui fut livré au
tapissier pour opérer cette macabre restauration.
Un supplice, longtemps en vigueur dans les pays catholiques,
était la mutilation des parties du corps les plus charnues, mamelles
supérieures et inférieures, avec des tenailles rougies au feu. Après
l'arrachement, le bourreau versait dans les plaies béantes du
soufre fondu, de l'huile ou de la cire bouillantes, selon le caprice
de l'ordonnateur des hautes œuvres.
Il nous reste à parler des châtiments mortels qui ajîpartiennent
à l'histoire du lait ou de l'allaitement. Les sauvages du Darien et
de la Nouvelle-Grenade enterrent les enfants à la mamelle avec
leur mère. A l'époque de la révolte des Strélitz, Pierre le Grand
119.
l'JO LKS SEINS DANS 1, " H I S 1 (» I H K
fit infliger le môme supplice à deux femmes. Chez les Perses, la
peine de l'auge consistait à enfermer le patient entre deux auges
en pierre ou en bois: la tête seule sortait; on l'enduisait d'une
pâte faite de lait et de miel et on Fexposait en plein soleil, pour
être dévorée lentement par les mouches et les guêpes (1).
Exercices gymniques et bains publics. — A Lacédémone,
les Spartiates des deux sexes, dépouillés de leurs vêtements, se
réunissaient sur la place publique pour se livrer aux exercices
corporels, sports, danses, institués par Lycurgue -. Cette nudité
n'éveillait aucune idée lascive et n'altérait en rien la pureté de
leurs mœurs, protégée, en quelque sorte, par leur ardent patrio-
tisme. « Les filles de Sparte, dit Montaigne, n'étoient pas nues,
l'honnêteté publique les couvroit, » Plutarque (traduction d'Am\ot)
décrit et justifie les institutions gymnopédiques du grand législa-
teur grec : « Pour leur ôter toute déhcalesse et toute tendresse
efféminée, il accoutuma les jeunes filles, ainsi que les garçons, à
se trouver aux processions, à danser nues en quelques fêtes et
sacrifices solennels, et à chanter en la présence et à la vue des
jeunes jouvenceaux, auxquels, bien souvent, elles donnoient, en
passant, quelque brocard à point touchant, concernant ceux qui
en quelque chose aui-aient oublié leur devoir... Mais quant à ce
que les filles se monlroient ainsi toutes nues en pubhc, il n'}- avoit
pour cela vilenie aucune ; mais étoit l'ébattement accompagné de
toute honnêteté, sans lubricité ni dissolution quelconque. » Dorât,
l'élégant poète de l'afféterie et de la frivolité, a célébré ces cou-
tumes, dignes de l'Age d'or, dans son Poème de la déclamation:
Combien je vous regrette, ô temps, ô jours heureux !
Où dans les murs de Sparte, et dans ses plus beaux jeux,
Se partageant en chœurs, des vierges ingénues
Dansaient sans indécence, et dansaient toujours nues.
Que de secrets trésors dévoilés aux amours !
Quel charme arrondissait tous ces légers contours !
A chaque mouvement que de beautés écloses !
Quels frais monceaux de lis, mêlés de ([uelques roses !
(1) (jr. dicl. univ. du XIX' siècle.
(2) 11 nous fut donné d'assister à une « lutte de dames » dans une fètc forahie;
les championnes |)Oitaient un maillot rose qui ne manquait pas d'agrément ;
elles tombaient leur honmie avec une maestria digne de saint Michel, terrassant
le démon.
Srii I, K I) KCOL L KTAd K
lui
Que dis-je ? aux yeux de l'amant enchanté
La céleste pudeur voilait la nudité.
Et changeait le désir en un timide hommag-e.
A cette époque lointaine, pas d'adultère ; toutes les épouses
étaient autant de Lucrèces retirées dans le o-ynécée. Les courti-
Fig. 120.
sanes seules s'exposaient en public, vêtues de tissus diaphanes (1),
lascives et provocantes ; à leur porte pendait un phallus recouvert
d'un voile.
(1) De même à Rome : « Avec la couitisane. point de ces embarras : à travers
la gaze qui l'habille, on la voit comme si elle était nue ; on distingue si elle a la
jambe mal faite ou le pied mal tourné ; on mesure sa taille aux yeux. Aimes-tu
donc mieux être dupé, c'est-à-dire paver avant d'avoir vu la marchandise ? «
Hor. Sat. I, 2.
rJ2 I. KS SKINS DANS L IIISIdlUR
Los Romains n'avaient ni la mentalité ni le tempérament des
Spartiates, en raison de la corruption de leurs mœurs ; aussi la
promiscuité des sexes, tolérée dans leurs Thermes, sous les
empereurs libertins, fit-elle de ces établissements des lieux de
débauche (1) ; quelques empereurs la défendirent : Adrien, par
exemple. L'estampe satirique de Gaspar Isac (fig. 120), qui pré-
tend représenter les anciens bains romains, est de pure fantaisie,
mais amusante dans ses détails (2) .
La suppression de ces bains, qui portèrent une égale atteinte à
la morale et à la santé publique, fut une des premières et salu-
taires réformes du christianisme.
Le Tepidar'mtn, de Th. Chasseriau, dont nous détachons le
groupe du premier plan (fig. 121), représente des Romaines dans
un établissement de bains, où le mélange des sexes n'était plus
permis ; elles se chauffent autour d'un brasier de noyaux d'olives.
Très belle restitution de la vie antique.
Plus tard, on tolérera de nouveau à Rome la promiscuité dans les
étuves. Montaigne, le 16 mars loHO, visite celles de Saint-Marc
« qu'on estime des plus nobles » et constate que « l'usage y est
d'y mener des amies, qui veut, qui y sont frotées avec vous par
les garçons ». On les y épilait à leur gré, avec un mélange de
chaux et d'orpiment, et l'opération pour « faire tomber le poil » ne
durait pas plus « d'un demi petit quart d'heure ».
En 16HN, Maximilien Misson parcourt l'Italie, et raconte que
Venise est la ville où les peintres peuvent le mieux étudier la
nature sur le vif : « 11 y a deux Académies où ils ont toujours des
nuditez choisies, de l'un et de l'autre sexe ; et qui sont souvent
ensemble sur le même théâtre, dans Testât auquel on les veut
mettre. Tout le monde peut entrer là et vous ne sçauriez croire
avec quelle hardiesse on dit que ces petites créatures soutiennent
(1) « C'est là, dit Ovitle. (lue se cachaient en sûreté les maris de contrebande...»
C'est là également, ajoute Martial, qu'on allait dans les ténèbres se mêler à la
tourbe honteuse des courtisanes... Ce furent les femmes qui remplacèrent les
masseurs, promenant sur le tronc et les membres leur main habile. » « Les bains,
le vin. l'amour, dit Pétrone, détruisent ou entretiennent notre vie ». Héliogabale et
l)07nifien se baignaient avec les courtisanes, les parfumaient et les épilaient. Pline
n'hésite pas à voir dans de pareils excès la cause de la décadence de l'Empire.
(Durand Fardel, les Eaux minérales et J. Rouyer, Éludes sur l'ancienne Rome].
(2) Nous l'avons divisée en trois parties et ne donnons ici que le tiers moyen ;
les deux autres i)arties paraîtront dans nos Eaux minérales pour rire et nos
CUjsleriana ou Conles d'apothicaires.
s U K h !•: D É C OLL E T A fi K
193
les regards du tiers et du quart. » Avant de quitter Tltalie, cons-
tatons, avec Théophile Gautier, qu'à Milan, en 1850, on se baigne
encore avec les femmes, dans des baignoires de marbre blanc.
« Les bains, ajoute notre voyageur, servent de maisons de passe. »
Cependant Montaigne remarque qu'à Bade « les dames sont
seules au bain » où elles se font « cornéter », c'est-à-dire ven-
touser; mais il n'en est plus de même de nos jours, au dire de
Victor Tissot : « Les sources thermales
du Bade autrichien sont très fréquen-
tées; elles forment, comme àLouèche,
de vastes piscines, où les deux sexes
se baignent en tout bien tout honneur.
L'n Anglais qui osa, un jour, insinuer
qu'un costume moins diaphane con-
viendrait mieux au beau sexe, reçut
pour réponse que ce costume avait
été ordonné par la Faculté ! »
A Berne, en Suisse, dans la seconde
moitié du xviii" siècle, Casanova,
d'après Gérard de Nerval, prétend
qu'on y est servi par des baigneuses
nues, choisies parmi les filles les plus
séduisantes du canton : « Elles ne
quittent point l'eau par pudeur,
n'ayant pas d'autre voile ; mais elles folâtrent autour de vous
comme des naïades de Rubens ».
En Turquie, le Coran ne permettant pas les nudités, les femmes
se baignent revêtues de peignoirs en crêpe de soie. On raconte
que le sultan Mahmoud ayant, un jour, pénétré dans la salle de
bains de ses femmes, fut condamné par elles-mêmes à rester un
temps assez long sans les voir.
En Finlande existent encore d'anciennes étuves, sortes de lieux
sacrés, où hommes et femmes allaient s'exposer aux vapeurs
de l'eau versée sur des cailloux incandescents ; ils se fustigeaient
mutuellement avec des brindilles de bouleau, puis s'immergeaient
dans l'eau froide. Amédée Vignola rapporte une particularité
curieuse de ces bains publics : « On y menait les femmes grosses,
et c'est là, dans ces réduits obscurcis par la chaude buée, que la
LES SEINS DANS L HISTOIRE. — I.
13
194 I. i:S SKINS DAMS L HISlMtlUK
plupart des paysans finlandais ont respiré pour la première
fois ».
Pas plus en France qu'à l'étranger, les bains publics n'offraient
de garantie à la morale. Aux « beings de Plommieres », écrit
Fironique auteur des Essais, à la recherche d'une eau minérale
capable de guérir ses coliques néphrétiques, il est indécent aux
hommes de s'y mettre autrement que tous nuds, sauf un petit
braiét et les femmes sauf une chemise. » Par contre, il est dé-
fendu à « toutes filles prostituées et impudiques d'entrer ausdits
beings ny d'en approcher de cinq cens pas, à peine du fuët des
quattres carres (fouet aux quatre coins), des dits beings ». Il
était aussi interdit aux baigneurs d' « user envers les dames,
damoiselles et autres famés et filles, d'aucuns propos lascifs ou
impudiques, faire aucuns attouchemens deshonnestes, entrer ni
sortir desdits beings irrévéremment contre fhonnesteté publi-
que ».
A Paris, défense était faite aux étuveurs, par ordonnance de
pohce, de « tenir aucune réunion de messieurs et de demoiselles » ;
mais malgré ces règlements, les établissements balnéaires devin-
rent des maisons de passe et de rendez-vous. Guillaume Pépin ne
fait aucune différence entre les femmes qui se rendent aux étuves
et celles qui vont au lupanar : « Sur trente bonnes femmes qui y
entrent, dit-il, à peine en sort-il une qui reste pure ». Au com-
mencement du wf siècle, le prédicateur Maillard s'écriait en
chaire : « Mesdames, n'allez pas aux étuves et n'y faites pas ce
que vous savez », N'était-ce pas abuser des confidences du confes-
sionnal ?
Vers la fin du xviii® siècle, en vertu de la médecine des signa-
tures qui assimile l'écume de la mer à celle d'un chien hydro-
phobe, au lieu d'aller à l'Institut Pasteur on se rendait à la plage
la plus voisine, pour se plonger dans l'onde amère. En mars 1671,
]^jmes jg Ludres et de Coëtlogon, filles d'honneur de la reine,
mordues par une petite chienne enragée, partirent à Dieppe pour
« se faire jeter trois fois dans la mer ». M""* de Sévigné, qui raconte
le fait, se moque de la pudique M"''' de Ludres et contrefait sa
prononciation : A/i, Zésu ! niatame te Gi'i(jiian^ rêtranze sozc
fêtre zettêe toute nue tans la mer.
Au xviii® siècle, il était de bon ton, chez les pures et les impures.
SUR LE DKCOLL ETAGE
19"
d'accorder à leurs galants l'entrée du cabinet de toilette (1) et de la
salle de bain — une gravure de Le Beau (177:^) nous fait assister
à renjambée de la coquette baignoire (fig.121 />is); — cosl ainsi
que la marquise du Châtelet, assurent les Mrnioircs de Long-
champ, recevait ses visiteurs à Cirey ; il en était de même de la
Fis. 121 bis.
princesse de Lillebonne. A Rome, en 1779, M'"' de Genlis se bai-
gnait beaucoup et toujours les soirs ; aussitôt qu'elle était au bain,
on avertissait le cardinal de Bernis « qui venait, avec son neveu.
(1) La Du Barry, en déshabillé du lit, se faisait présenter ses mules i)ar le
nonce du pape ; certes, Teiripressement £t la satisfaction du prélat, dans cette
galanterie, étaient plus vifs que s'il se fût agi de baiser celles de son souverain
pontife.
196 LES SEINS DANS L HISTOIRE
dit-elle, causer trois quarts criieurc avec moi ». La princesse
Pauline Borghèse était portée dans sa baignoire et s'en faisait
retirer par son nègre Paul (1), dont la « charge » était fort enviée.
Certains aliénés prennent plaisir à se déshabiller complètement
en hiver et à se verser de l'eau glacée sur le corps, sans paraître
avoir conscience de leur acte ; c'était une des occupations favorites
de Théroigne de jNIéricourt à la Salpêtrière. Quant aux Gallois et
Galloises du xiv*" siècle, qui vivaient dans les montagnes du Poi-
tou, nus en hiver et couverts de peaux de mouton en été, on les
classe parmi les érotomanes [Chr. méd.).
Fêtes publiques et festins. — Les orgies de Sardanapale,
que Uochegrosse a évoquées dans une toile mémorable, n'ont rien
d'authentique; mais un grand nombre de fêtes célébrées en
Egypte, en Grèce, à Rome (2), en l'honneur des divinités généra-
trices, où les jeunes filles renonçaient à la parure de la pudeur et
les femmes oubliaient la dignité conjugale, perdirent bientôt leur
caractère rehgieux et ne furent plus, à Rome surtout, que des
prétextes à exhibitions plastiques. Les floralies, entre autres, avaient
été fondées soit en l'honneur de Flore, soit, d'après une autre
légende, par la courtisane Flora qui avait légué tous ses biens à la
République, sous condition que l'anniversaire de sa mort serait
fêté par des réjouissances et quelles réjouissances ! La populace
allait chercher les prostituées dans leurs bouges de Suburre, les
dépouillait de leurs vêtements et les contraignait à se battre ou à
prendre des postures indécentes (3). Une toile de P. Piatti (Salon de
1901) montre Gaton — le Bérenger de l'époque — aux jeux
Floraux; mais ceux qui devaient y prendre part ne voulurent pas
commencer leurs ébats lascifs, avec les jeunes femmes nues,
(1) Joseph Turquan. les Sœurs de Napoléon.
{2} \o\r Fêles et Courlisaues de la Grèce, par Chaussard ; Voyage d'Anacharsis e\
Dezobry. Rome au siècle d'Auguste. Ces l'êtes mythologiques ont été reconstituées
par nombre de peintres : Nicolas Poussin, Giulio Carpioni, Watteau. Bouchar-
don, J.-V. Berlin; P. Gervais (salon 1901), Fêtes en l'honneur de Bacchus el
d'Ariane : Vasari, Fin d'une Bacchanale, etc.
(3) A notre é])oque. la fameuse Farcy — de joyeuse mémoire — retirée à
Montargis, après fortune faite dans les massages sélects et autres arts d'agré-
ments, renonça à Satan, à ses pompes et à ses œuvres de chair et légua tout
son bien à l'Eglise, par crainte des ilammes éternelles,
Une fille de joie en sécliant devient prude
SUR 1,1-: DKCOLL ETACR 19"
avant que Tauslère raseur ne se fût retiré. Qu'eût-il dit s'il eût vu
Héliog-abale — un empereur — parcourir les rues de Rome dans
les attitudes les plus équivoques et sur un char traîné par des
femmes nues; ou Tibère banquetant au Palatin, servi par des filles
dévêtues? N'est-ce pas aussi ce sadique César qui imagina de donner
des fêtes à Caprée, où les statues de nymphes et de satyres étaient
figurées par des jeunes filles et des jeunes gens en costume de bain?
Les Grecs se livraient dans les festins à une danse obscène,
« la cordace », qui fut adoptée parles Romains; Pétrone en parle,
sans la décrire, au festin de Trimalcion, mais Athénée ajoute
qu'elle ne pouvait être dansée que par des personnes sans pudeur.
Sienkiewicz, dans Quo Va(/is , n'a pas été au-dessous de la vérité,
en décrivant les réjouissances immorales, organisées en l'honneur
de Néron, sur les berges de l'étang d' Agrippa. C'est là que les
femmes et les filles des premières familles de Rome promenaient
leur nudité triomphante ; des vierges « dont c'était le début dans le
monde » apparaissaient en costume de Vénus sortant de l'onde.
Chateaubriand en fait mention dans son Génie ilu Christianisme (1).
Faut-il rappeler le procédé irrésistible employé par Cléopâtre
pour séduire Antoine? Elle se rend au-devant du triumvir dans une
o-alère transformée en paradis païen, étendue, complètement nue,
sous une tente de drap d'or, entourée de ses femmes dans le même
appareil.
Caligula, épris éperdûment de Césonie, se plaisait à montrer les
charmes de sa maîtresse à ses familiers, à l'instar de Tibère, exhi-
bant sa femme nue devant sesamis, ou du roi Candaule, qui poussait
son confident Gygès dans les bras de la reine Nyssia. Césonie se
prêtait de bonne grâce à cette exhibition et cependant le ventre en
persiennes ou en besace de ses trois maternités devait nuire
quelque peu à son esthétique; elle n'était, dit Suétone, et nousTen
croyons, « ni belle, ni jeune, mais hardie, altièreetde la plus im-
pudente lubricité ».
Froissart raconte, en ses Chroniques (2), qu'à l'entrée de la
reine Isabeau de Bavière (1389) — qui passe pour avoir inauguré,
(1) « Pour le repas de Tigelliiuis. on avait bâti des maisons sur les bords de
l'étang d'Agrippa, où les plus illustres Romaines étaient placées vis-à-vis des
courtisanes toutes nues. A l'entrée de la nuit, tout fut illuminé afin que les
débauches eussent un sens de plus et un voile de moins. »
(2) Liv, IV.
198 LES SEINS DANS I, " II I ST (» 1 11 E
en France, le décollctage, ce « sourire du corsage » qui fait la joie
des yeux, — on avait dressé à la porte Saint-Denis un échafaud,
sur lequel était assise une femme allaitant un petit enfant, repré-
sentant la Vierge et l'enfant Jésus.
En Bohème, le 24 juin 1412, pendant les troubles qui accom-
pagnèrent les premières prédications de Jean Huss, à la suite d'un
discours de son disciple Jérôme de Prague, les étudiants de
l'Université organisèrent une grande procession satirique: «Armés
de bâtons et d'épées, ils escortaient un char rempli de bulles du
pape; sur le char, debout, se tenait un étudiant déguisé en cour-
tisane, il agitait de petites clochettes d'argent, suspendues à son
cou et à ses mains, suivant la mode de l'époque, et portait attachées
sur les seins des bulles pontificales (1).
Aux tournois du moyen âge en France, les dames, dans leurs
plus beaux atours, se passionnaient pour les jouteurs en champ
clos, — comme de nos jours les senoras espagnoles se pâment
devant une brillante spada — et se dépouillaient de leurs voiles, de
leurs écharpes et même de leurs coiffes pour les lancer dansl'arène.
Un chroniqueur, le roi d'armes Perceforest, cite un tournoi où les
femmes, dans leur enthousiasme, allèrent jusqu'à jeter à leurs
chevaHers leurs vêtements les plus intimes : « Si Ijien, dit-il, que
quand elles se virent à telle point, elles furent toutes comme
honteuses, mais, voyant que toutes étoicnt de même, elles se pri-
rent à rire, ayant donné leurs habits et joyaux de si grand cœur
quelles ne sapercevoicnt de lew dêvestement (2). w
En 1313, Phihppe le Bel, pour célébrer la consécration de ses
fils dans l'ordre de la chevalerie, offrit à ses sujets des fêtes pubh-
ques et « esbattements » durant quatre jours. « On y remarquait
des ribauds dansant en chemise... Adam et Eve dans leur plus
simple appareil »
A une solennité semblable, où Charles W conférait au fils du
duc d'Anjou la même dignité, il y eut, dans l'abbaye de Saint-
Denis, des réjouissances et représentations scéniques qui durèrent
trois jours; entre autres divertissements, un bal de nuit masqué
« pour dispenser de rougir », écrit un rehgieux scandahsé. Le
(1) Denis, lluss el la Guerre des IlumUes, j). 114.
(2) Les Beaux- Arls illustrés.
SUR LE DKCO LLKTAC K 19'»
saint lieu n'imposa aucune retenue : les seigneurs « s'abandonnèrent
au libertinage et à l'adultère ».
Les étalages de nudités féminines sont un des ornements les plus
communs aux fêtes solennelles et entrées triomphales. A l'entrée
d'Henri IV d'Angleterre dans Abbeville (U30), des jeunes filles
« au naturel » représentent des sirènes se jouant dans des
bassins. De môme pour l'entrée de Louis XI à Paris (31 août 1461} :
à la fontaine du Ponceau, trois « seraines (sirènes), dit Jean de
Troyes, toutes nues, et leur voyoit-on le beau tetin droit, séparé,
rond et dur, qui estoit chose bien plaisante » (1). Cette fontaine
est transformée en jardin, à la réception de Marie d'Angleterre,
seconde femme de Louis Xll, « dedans ledit jardin étoient trois
pucelles : Beauté, Lyesse et Prospérité, et à la porte aux peintres,
cinq autres pucelles : France, Paix, Amitié, Confédération et
Angleterre », toutes vêtues de soleil. Au vieux roi, on présente
ce une dame veuve montrant ses mamelles » ; que représentait
cette dame et pourquoi veuve ? Le 17 juin 1491, pour l'entrée
de Charles VIII dans Abbeville, des « pucelles » figurent le (( moyen
estât » (bourgeoisie) — la ville — et la Vierge, allaitant un enfant
— le dauphin — qui mourut peu après en bas âge. D'après
J. Houdoy, Henri II fut reçu, devant le Chatelet, par une Minerve en
' effigie, portant des fruits de sa main droite et, de sa gauche, « elle
espreignoit sa mamelle d'où sortait du lait, signifiant la douceur
qui provient des bonnes lettres ». A l'entrée d'Henri l\ dans
Amiens, trois jeunes « nymphes », avec le costume approprié,
jettent au roi des fleurs et disent quelques vers à sa louange.
L'Allemand Burchard, maître des cérémonies au Vatican, sous
le pontificat d'Alexandre Borgia, nous a laissé dans une page
de son journal [Diarium) un aperçu des divertissements auxquels
se plaisaient le pape et la duchesse Lucrèce, sa fille : « Le dernier
dimanche du mois d'octobre, sur le soir, le duc de Valentinois
donna un repas, dans sa chambre du palais apostolique, où
assistaient cinquante courtisanes, honnêtes dames de plaisir (2).
(1) Gr. die. univ. du XIX" siècle.
(2) Ces courtisanes, attachées publiquement à la cour pontificale, doii leur
nom italien [corticjiane, habituées de la Cour), devenu par la suite le nom
générique de toute une classe de femmes, n'étaient pas à proprement parler des
prostituées. « Le mot de courtisane, dit H. Estienne, qui est le moins deshon-
neste synonyme de putain, a pris son origine de la cour de Rome, à sçavoir
200 I. i:S SKINS DANS L H I S T 0 I H K
Après le repas, elles dansèrent avec les serviteurs et tous ceux
qui étaient là, habillées d'abord, puis nues. Ensuite, les tables
étant enlevées, on posa des flambeaux par terre et on jeta autour
des châtaignes que les courtisanes allaient ramasser nues, mar-
chant sur les pieds et sur les mains, passant et repassant au milieu
des candélabres allumés. Le pape, le duc de Valentinois et sa
sœur Lucrèce étaient à ce spectacle et le regardaient. » Dans la
composition de son Borgia s\(mvse ! Jules Garnier s'est inspiré
de ces détails émoustillants (1).
Des exhibitions comme celles dont se régalait Alexandre VI,
n'étaient pas, du reste, particulières aux orgies pontificales. L'abbé
et seigneur de Brantôme raconte qu'à la cour de France, on don-
nait parfois des séances de prestidigitation au miheu desquelles
apparaissaient les plus belles dames, nues comme Eve, et dans les
poses les plus séduisantes. Bouchot, dans les Femmes de France,
rappelle, avec l'anecdote précédente, que lejour des //^y^Of^-'^As- on
allait surprendre les femmes au lit pour leur donner le fouet.
Dulaure (2) s'est étendu longuement sur les abus de cette joviale
coutume. Clément Marot fait allusion à cet usage dans la menace
épigrammatique qu'il adresse à la volage Marguerite de Valois :
Très chère sœur, si je savois où couche
Vostre personne, au jour des Innocenta,
De bon matin j'yrois à vostre couche.
Voir ce gent corps que j'aime entre cinq cents.
Adonc ma main, vcu l'ardeur que je sens,
Ne se pourroit bonnement contenter
Sans vous touclier, tenir, taster, tenter,
Et si quelqu'ung survenoit d'aventure,
Semblant feroys de vous innocenter :
Seroit-ce pas honneste couverture?
des i)reniières dévottcs qui fréquentoient i)lus que très familièrement, jour et
nuit, avec les prélats de Rome.» Voilà pourquoi Burchard les appelle « honnêtes».
(j) Chez Braun. Clément et C'", Salon 1885. — Ce même TJiarium, de Burchard.
nous fournira encore un épisode caractéristique des mœurs de ce temps : Vers
cette époque fut incarcérée une certaine courtisane, « c'est-à-dire fdle de joie
honnête », nommée Cursetta, qui avait eu commerce avec un Maure, leque
venait la voir, hahillé en femme, et se faisait appeler la Barharesque espagnole.
Tous deu.x furent ])romenés par la ville, la courtisane vêtue comme le JMaure.
d'un hahit qui tombait jus([u"aux ])ieds et ouvert par devant ; le Maure en luihil
de femme, les bras liés derrière le dos et la robe retroussée jusqu'au nund)rii.
pour ciu'on put bien voir son sexe.
(2) Des Divinités génératrices.
SUR I, F. DKcoi, L i:ta(; K 201
Xous ajouterons, avec Anton}- Meray, qu'à ces anniversaires
licencieux, on absolvait les fornications et les adultères; aussi
s'empressait-on de commettre ces péchés, quelques jours avant la
sainte fête, pour avoir le bénéfice de ces absolutions. Les Innocenta
étaient donc le prétexte de jeux qui ne l'étaient pas toujours.
Dans une des fêtes de Chenonceaux, que Catherine offrit à
Henri 111, en 1577, et qui coûta iUOOOO francs, le service fut fait
par les dames de la cour, « à moitié nues et ayant leurs cheveux
espars comme les nouvelles espousées(l) ». La soirée se termina
par la représentation d'une de ces farces italiennes qui, au témoi-
gnage de l'Estoile, « n'enseignent que paillardises ».
Henri 111, en sa qualité d'affdié à l'une des confréries de péni-
tents appelés « les battus », abusait de la flagellation : il lui prit
un jour fantaisie d'aller fouetter le garde des sceaux de Morvilliers ;
une autre fois, en compagnie de Charles IX, il va au quai des
Augustins, à la demeure de INI"* de Xantouillet « pour la fouetter » ;
était-ce à l'époque des Innocents ? Ce prince vicieux, au dire du
garde des sceaux du Vair, « fit donner assignation à toutes les
p plus célèbres de Paris, qu'il invita à Saint-Gloud et les v fit
mener dans des carosses ; où étant, il les fit dépouiller toutes
nues dans le bois, puis fit aussi dépouiller tous nus les Suisses et
lès y lâcha à la chasse, voyant le plaisir ».
A Douai, le 3 septembre 1G62, pour la translatation, dans
l'église des Recollets, des reliques de saint Prosper, une estrade
entre autres, élevée dans la Basse-Piue, devant la porte de M"*"
Léonore, présentait le Théulrc J' Amour ou « les Vanités du
Monde » : des courtisanes étalaient et offraient leurs charmes
« par dérision des pauvres dévotes qui n'avoientpas d'autre amant
que Jésus »; sur la place pubhque , c'était « la Tentation de saint
Antoine », avec toutes les exhibitions de la chair féminine que com-
porte ce spectacle.
Sous la Régence, en 1722, le duc d'Urléans inventa les FtHes
d'Adam, qui se célébraient à Saint-Cloud et où les compagnons
de joie étaient costumés « en peau », Suivant Richelieu, on y
amenait de nuit et les yeux bandés des (( femmes publiques » ; le
Régent et ses roués portaient le masque. Ou bien on faisait répéter
(1) Anecd. hisi., fig. ti bis.
202 M-:S SEINS DANS 1>HISI<1|UE
les ballels de rOpéra aux jeunes choristes des deux sexes, en cos-
tume de nos premiei's parents.
M""' de Caylus, dans ses Mnnoires, rappelle les bruits qui cir-
culaient sur les soupers où le Régent et sa fille, la duchesse de
Berrv, s'enivraient en commun et la fameuse séance de peinture
où la duchesse posa toute nue devant le duc d'Orléans.
La Guimard, qui fit tant de passions, dansait sans voile devant
ses adorateurs, en catimini ; elle écrivait, un jour, au prince de
Soubise : «... Un soir, souvenez- vous-en ! vous avez voulu (j'allais
m'endormir) que je danse une gargouillage dans le plus simple
appareil : c'était ridicule pour moi plus encore que pour vous ;
pourtant j'ai dansé... )) Ses admirateurs, dont un éwèc\ne, 'm part i-
hfis, M. de Jarcnte, la comparaient aux trois Grâces réunies.
Après le V) thermidor, une subite détente fit sortir de toutes les
poitrines angoissées, des cris de soulagement qui dégénérèrent en
furieuses bacchanales : « Dans la promenade qu'on fit faire à
Robespierre, dit Michelet, pour le mener à l'échafaud, le plus hor-
rible, ce fut l'aspect des fenêtres louées à tout prix... Un monde
de riches et de filles paradait aux balcons... Les femmes surtout
offraient un spectacle intolérable. Impudentes, demi-nues, sous
prétexte de juillet, la gorge chargée de fieurs, accoudées sur le
velours, penchées à mi-corps sur la rue Saint-Honoré, avec les
hommes derrière, elles criaient d'une voix aigre : A mort I A la
(juillotlne .'... Elles reprirent ce jour-là hardiment les grandes toi-
lettes, et, le soir, elles soupèrent... Le Palais-Royal regorgeait de
joueurs et de filles, et les dames, demi-nues, faisaient honte aux
filles publiques, puis ouvraient ces « bals des victimes », où la
luxure impudente roulait dans l'orgie son faux deuil ». Mercier,
l'auteur du Tableau de Paris, décrit une de ces saturnales ; les
femmes ont adopté le costume grec, les bras nus, le sein décou-
vert, les pieds chaussés avec des sandales : « 11 y a longtemps que
la chemise est bannie, car elle ne sert qu'à gâter les contours de
la nature: d'ailleurs, c'est un attirail incommode, et le corset en
tricot de soie couleur de chair, qui colle sur la taille, ne laisse plus
deviner, mais apercevoir tous les charmes secrets ».
Sous le Directoire, la licence de la mode ne le cède pas à la dis-
solution des mœurs : c'est le triomphe de la ligne courbe et du nu,
entrevu sous les étoffes transparentes : en plein hiver, on porto
SUR LE DKCOLI. ETAC.K
203
des robes de linon ! « Xosjeunes femmes, écrit M""' de Genlis, dans
une critique delà toilette des « Merveilleuses » au Longchamp de
1797, ne veulent plus porter maintenant qu'une simple mousseline
bien claire et sans apprêt... Avant tout, les vêtements d aujour-
d'hui doivent ressembler à du linge mouillé, afin de coller plus
parfaitement sur la peau. J'espère qu'incessamment elles se mon-
treront en sortant du bain, afin de dessiner encore mieux les
formes. »
Sous le Consulat et TEmpire, à la mode grecque succède la
mode romaine, la nudité étant toujours regardée comme le plus
élégant accessoire du vêtement. A un bal delà duchesse de Berg,
la reine Hortense avait organisé un quadrille de Vestales : l'Opéra
de ce nom faisait alors fureur et tout était à la « Vestale ». La
reine de Hollande figurait dans son quadrille avec le costume d'une
prêtresse vouée à la chasteté, malgré une grossesse de huit mois!
— elle portait alors dans son sein le futur Napoléon 111. — En 181 1 ,
raconte Georgette Ducrest, k un bal travesti des Tuileries, la
même souveraine parut en Péruvienne, se rendant au temple du
Soleil : « son élégante tournure ressortait admirablement sous un
vêtement tellement léger, qu'il semblait alourdi par les flexibles
plumes de marabouts dont il était orné ». A ce bal, Marie-Louise
avait adopté le costume de Cauchoise — nourrice sèche — qui
convenait parfaitement à l'ampleur de son corsage.
Les dames de la cour et de la haute société du Second Empire,
n'eurent rien à envier à celles du Premier, dont elles restaurèrent,
ou pou s'en faut, les modes audacieuses. Ces grandes dames, dont
Eugène Pelletan disait qu'elles dansaient « en costume abrégé »
connaissaient sans doute le mot de Prosper M(''rimée à une coutu-
rière en renom de la rue de la Paix : « 11 n'y a que le nu qui
habille ». T>a,ns ses Lettres à une inconnue, le même romancier,
familier de la cour impériale, parle en ces termes d'un bal donné
à l'hùlel de la duchesse d'Albe, sœur de l'impératrice : « On était
décolleté d'une façon outrageuse, par en haut et par en bas aussi...
Il y avait des Anglaises incroyables. La fille de lord *", qui est
charmante, était en nymphe, driade, ou quelque chose de mytho-
logique, avec une robe qui aurait laissé toute la gorge îx découvert,
si on n'y eût remédié par un maillot. Cela m'a semblé aussi vif
que le décoUetage de la maman, dont on pénétrait tout l'estomac
204 l-KS SEINS DANS L HISTOIRE
(run coup d'œil La princesse Mathilde était en Nubienne, peinte
en couleur bistre très foncé, beaucoup trop exacte de costume ».
La belle comtesse de Castiglione fit sensation à un bal costumé
du ministère de la Marine, où « on la vit paraître presque sans
voile, sous les atours de Salambù : on put admirer tout ce qu'il
n'est pas d'usage de montrer dans les salons (1) ». Il est peu de
fêtes où elle n'ait éveillé, par un savant déshabillage, toutes les
jalousies féminines : Horace de Viel Castel décrit en détail, dans
ses Mi'moires, le costume de « Dame de Cœurs » que la com-
tesse portait à une autre soirée de la Marine, et il termine par cette
remarque indiscrète : « La fière comtesse n'a pas de corset ; sa
gorge, qu'entourait, sans en rien masquer du reste, une légère
gaze, est vraiment admirable et se dresse fièrement ». Triste retour
des vanités d'ici bas : la pauvre vient de mourir après vingt années
de décrépitude, passées dans l'ombre d'un appartement d'où elle
ne sortait jamais.
Les costumes féminins des bals de l'Opéra avaient et ont encore
des corsages réduits à leur plus simple expression, quelques-uns
même une simple ceinture. Voici une anecdote d'A. ^Mortier, qui
se serait passée à l'une de ces réunions chorégraphiques, en jan-
vier 1877 : « Dans une loge d'entre-colonnes du second étage,
d'autres fées du maillot prennent les poses les plus gracieuses et
les plus provocantes. Un pierrot malin vide un sac de dragées dans
le corsage excessivement ouvert d'une jolie laitière. La salle en-
tière acclame ce haut fait : (f Rendez les dragées ! crie-t-on de
toutes parts » .
II nous souvient de notre déconvenue, à notre première visite
aux bals de l'Opéra, de la rue Lepelletier, où nous portions toutes
les illusions du jeune âge et l'espoir d'ébaucher, voire de débau-
cher une intrigue de foyer : à peine étions-nous entré dans la
cohue, qu'une Écossaise hospitalière — de la rue Feydeau — ,
fortement poitrinée, prend ses appas, ou plutôt ses abats, à
pleines mains et nous les présente, en disant : « C'est pas d'ia
m.... ?» Horribile dictu\ Il n'en fallut pas davantage pour nous
faire rebrousser chemin, sur le champ, « honteux et confus »,
Jurant, mais un peu tard, qu'on ne m y prendroit plus.
(1) M""» Carette, Souvenirs intimes de la Cour des Tuileries.
SUR LE D K C 0 L L E 1" A 0 E
205
A une époque beaucoup plus rapprochée de nous, les organisa-
teurs des bals des Quat'zArt^, au Moulin Rouge et du Courrier
français, à Trianon, en quête d'inventions originales et d'attrac-
tions sensuelles et sensationnelles, ont imaginé un défilé des ate-
liers, dont M. Ernest Laut a fait une description complète, dans le
my^>'^^' ^éjS^ ^wy^\
^^^,
Fig. 122.
programme offert aux visiteurs de l'Exposition de lOOO par les
« Bonshommes Guillaume ».
Nous ne retiendrons que les numéros les moins vêtus de ce cor-
tège fameux. Voici, porté par des esclaves, le palanquin sur lequel
une merveilleuse Cléopâtre, presque nue sous la résille aux
mailles d'or et d'azur, est étendue immobile , en une pose alanguie
et lascive, aux pieds d'Antoine (fig. 122;. Sous le vol lourd des
éventails, elle semble en extase, tandis que, autour d'elle, des
jeunes filles au corps superbe, à demi voilé sous des flots de gaze,
balancent les guirlandes fleuries et les cassolettes, où se consument
les plus doux parfums de l'Orient (fig. 123). Après l'Egypte, Rome.
Des légionnaires entourent des martyrs chrétiens ; des esclaves
traînent une cage de fer où un lion énorme s'apprête à dévorer
20G
LKS SKINS DANS L HISTOIRE
deux jeunes martyres, toutes nues sous les flots de leurs longues
chevelures.
E. Mesplès, dans une composition magistrale (fig. I2i], qui est
en quelque sorte la synthèse de ces voluptueuses manifestations
d'art et de jeunesse, a groupé en un grouillement échevelé, qui
donne le vertige, tous les personnages marquants de ces mémo-
1:23. — Porteuses de fleurs.
rables cortèges, avec leur costume plutôt atténué. Un autre dessin
de E. Barcet, paru dans le Tu/t/, est comme un écho du bal des
QuafzArts, de janvier 1901 (fig. 12o). Ces fêtes, que tout Paris
voudrait voir, sont très fermées ; seul, le monde des artistes y est
admis, et sur invitations personnelles. Quelques étrangers s'étant
introduits, sans cartes, au bal des QuafzArts, on prit ce pré-
texte pour exercer des poursuites, au nom de la morale outragée,
contre l'organisateur, le peintre Guillaume, et la magnifique
Sarah Brown.le modèle des modèles, qui figurait Cléopcâtre. Moins
heureuse que Phryné, dont les charmes désarmèrent les Héliastes,
Sarah Brown se vit condamner par un tribunal français à trois
mois de prison ! Il est vrai qu'elle n'osa pas recourir à l'argument
irrésistible de sa devancière. En 1901, chaque semaine, le samedi,
il y a — en hiver au Moulin-Rouge, en été au Jardin de Paris —
SUR LK DKCOLLETAGE
207
des redoutes publiques où
Ton voit défdcr le Cortège
de Vénus, En route pour
Ci/thère, Nymphes et Si-
rènes, l'Amour et les
fleurs, etc., mais les per-
sonnages de ces « corlèg'es
symboliques » sont moins
court-vêtus et des maillots,
couleur cuisse de nymphe
émue, atténuent et estom-
pent la vigueur de la car-
nation.
Les bals du Courrier
français offrirent des fêtes
du même genre, où défi-
laient les professionnelles
du nu, sans compter d'au-
tres attractions alléchantes,
telles que tableaux vivants,
poses plastiques, concours
de seins. Dans les tableaux
vivants, deux jeunes et
jolies fdles représentaient
les héroïnes du tableau de
Bayard, Duel de femmes,
et montraient aux specta-
teurs émerveillés les splen-
deurs de leurs torses. Sous
ce même titre, on a joué à
rOlympia une pièce écrite
tout entière en vue du
tableau final, reproduction
de la même peinture. Mais
la censure interdit aux
deux adversaires de mon-
trer à nu leurs poitrines
— comme naguère au
208
LKS SEINS DANS 1. H 1 S T () I R K
Divan japonais — ce qui eut rendu le spectacle des plus capiteux :
en face de Liane de Pougy se trouvait Jane Thilda, toutes deux
Tépée à la main ; la brune et la blonde, Tune et l'autre aux
formes sculpturales et marmoréennes. M. Genncrt (1) a reproduit
en photographie (fig. 126), à l'aide de figurantes de bonne volonté,
une scène analogue. Le duel vient d'avoir lieu; la blessée, affaissée
Fi g. 125.
sur le sol, se réconcilie avec son adversaire, qui est sans doute
aussi sa rivale ; la doctoresse luitâte le pouls.
Le concours des seins donnait lieu à une « agitation prolongée »
— comme on dit à la Chambre — et provoquait des oh ! et des
ah ! enthousiastes et bruyants. Sur un grand écran (fig. 127), une
douzaine de femmes, de diverses conditions, femmes du monde,
nourrices, etc., étaient peintes, grandeur nature et le buste à nu!
L'un des seins de chaque personnage était remplacé par une
ouverture circulaire, à travers laquelle les concurrentes, se tenant
à des poignées, en arrière de l'écran, passaient le sein cori'espon-
dant. Les spectateurs appréciaient et discutaient le galbe des for-
(1) Photographie dart, 50, boulevard de Strasbourg.
SUR LE DKC 01, 1. ETA(;E
209
mes présentées, puis distribuaient les prix à la majorité des voix :
il était naturellement défendu de toucher aux objets exposés,
comme dans les musées. Ce genre de luttes galantes était un
passe-temps favori des courtisanes grecques. Les Le lires </\\/cl-
Fig. 1:20.
phron rappellent ces coutumes, })articulièrement une missive de
Mégare, adressée à Bachis, mais il s'agit ici des « mamelles infé-
rieures », comme dans la composition de Shall, la Statue ou la
cotnparaison [Cig. 127 bis), dont nous ne reproduirons qu'une
partie. De même Georges Meunier, dans l'almanach du Rire,
de 1901, imagine un concours d'hémisphères postérieurs ou aus-
traux, devant un jury de vieux « voyeurs ».
De l'autre coté de l'Atlantique, la mode est également aux con-
cours d'avantages physiques, par exemple dans les Trilby parties;
LES SEINS DANS l'iIISTOIUE. — 1. 14
210
I.KS SEINS DANS L HISIOIHE
mais cos concours admettent seulement les régions du corps que
la pudoui' autorise à ne pas cacher; ainsi sur la jetée de la plage de
Narragansette, a eu lieu un concours de petits pieds. Les bai-
gneuses, assises derrière un paravent, ne laissaient voir que leurs
extrémités inférieures. A Paris, les « concours de beauté » per-
mettent l'exposition plus intéressante du buste.
Fig. 127.
Le l'j octobre 1900, eut lieu à Bullier le traditionnel bal de
rinternat (i). Le défilé des tableaux vivants ne rappelait, il est
vrai, que de fort loin le chemin de la croix : les Madeleines non
repenties avaient seules répondu à l'appel de la jeunesse laborieuse
et joyeuse; la Presse médicale était représentée par Georgette,
(1) Le soir de la composition écrite du concours de linternat. il est de tradi-
tion que les salles de garde convient les candidats à un festin pantagruéli(iue,
qui se termine par de gais ébats à l'ancienne Closerie des lilas. II s'y passait,
au début, des scènes si rabelaisiennes que le bal de l'internat fut fermé, en 18SG,
jjendant trois ans; depuis, grâce au concours d'artistes tels que Bellery-Desfon-
taines, ce bal est devenu, par ses spirituelles allégories, l'émule des Quatre-
z'Arts. (D"- Micliaut, Cluon. médic).
SUR LE DHCOLF. ETAlï K
211
« le minois le plus chiffonné du quartier ». Parmi les douze cor-
tèges des salles de garde, celui de la Salpêtrière représentait le
T/'iontphc <!(' Mt'ssa/inr. traînt'e sur un char par des captifs gau-
Fig. 127 /jïs.
lois, entourée de Vestales et de courtisanes, vêtues d'étoffes trans-
parentes.
Nous empruntons à la Chronique inêdlcalc et au Correspoiidant
médical les détails de la fête intime cjui fut donnée Tannée suivante.
On vo3^ait des femmes vêtues d'une capote Greenaway, dans le
char de la Bépopulation ; la Vénus lesbienne, dominant le char de
V Invasion des barbares à Mitylènr ; le cortège pompéien de l'hô-
pital Broca; les divinités égyptiennes de Saint-Antoine et la figu-
ration légère de Y Apothéose de la cocaïne, de l'Hùtel-Dieu.
212 l.l'.S SEINS DANS L llISlMtlUK
Le bal (le 10()2 fut dig-nc des précédents; notons, i)arnii les
« o'i'os numéros » du défilé : la Dnine au loup, sortant du
hais, qui n'a, comme la Feminc au masque, de Gervex, qu'un
loup pour tout costume ; la trop célèbre Casque d'or, la belle
Hélène des Apaches, en dame de cœur; mie femme nue, en croix,
figurant le démon irrésistible du jeu. La fête se termina par un
concours de beautés... drapées dans leur impudeur. M. Paul Bru
consacre un chapitre de son roman pathologique, le Droit d'être
mère, à la description détaillée d'un bal d'Internat, à BuUier;
l'auteur avait toute latitude de se documenter dans ces fêtes de la
jeunesse et il ne s'en est pas privé.
III. — PORTRAITS DE FEMMES DÉCOLLETÉES,
MONTRxVNT LE MAMELON.
Modèles familiers. — Nombre de peintres célèbres ont livré
à la publicité les charmes secrets de leurs épouses, fdles ou amies,
qui leur servaient de modèles. Ces beautés familières servaient
indistinctement aux sujets profanes ou religieux : Savonarole
s'élevait déjà contre les peintres de son temps qui représentaient
les Vierges et les compagnes des saints sous les traits de leurs maî-
tresses ou de celles de leurs amis ; de même le sermonnaire Geilei-
de Kaisersberg, dans la cathédrale de Strasbourg.
Le plus illustre des peintres grecs, Apelle, initia Laïs aux mys-
tères de l'amour et la prit pour modèle de sa Vénus Anadijomêne;
Phryné Mnesarète devint la Vénus de Gnide du même artiste, qui
fut aussi son amant. De sorte que ces reines de beauté incarnaient
la déesse de la volupté et pouvaient répéter avec le poète :
Ce beau corps et le mien ne forment qu'un seul être.
Praxitèle, le rival d'Apelle et par l'amour et par le talent, ayant
vu Phryné, en compagnie de Gratina, se baigner sans voile à
Eleusis, immortalisa cette scène, en donnant cà sa Vénus sortant
des ondes, les traits divins et les formes accomplies de la coui'ti-
sane grecque. L'artiste craignait, d'après Lucien, « de ne pouvoir
exprimer le doux sourire de ces deux fossettes creusées sur ses
seins... » : son œuvre rendit le charme et l'exactitude de la réa-
s U II I,
DKCOI, LEIAG K
213
lité. Une statue de Phryné, due au ciseau de Praxitèle, fut érigée
dans le temple de Delphes ; à sa vue, C ratés, disciple de Diogène,
s'écria : « — ■ Voici donc un monument de l'impudicité de la
Grèce! ». Malheureusement les ennemis du paganisme pensèrent
comme ce philosophe cynique et détruisirent les chefs-d'œuvre
antiques, pour les remplacer par des madones hiératiques, informes
et figées. René d'Anjou, roi de Provence, fondateur de l'ordre des
Célestins, n'obéissait-il pas à ce même esprit, aussi rehgieux
qu'antiartistique, lorsqu'il faisait ouvrir le tombeau de sa maîtresse.
Fis. 130.
quelques jours après sa mort, pour la peindre en état de putréfac-
tion ? Le président de Brosses a vu ce tableau macabre, dans
une salle des Célestins, à Avignon : « C'est un grand squelette
debout, dit-il, coiffé à l'antique, à moitié couvert de son suaire,
dont les vers rongent le corps défiguré d'une manière affreuse. »
Dans le Jur/eiiieaf dernier, de la cathédrale d'Orvieto, Luca
Signorelli s'est donné la satisfaction de placer, au beau milieu de sa
fresque, une maîtresse infidèle, absolument nue, emportée au noir
séjour par un démon muni d'ailes de chauve-souris ^fig. 130).
Albert Durer nous a déjà présenté sa femme en Fortune (1 , avec
des ailes dans le dos pour tout vêtement. La IV/^w.s de Lucas Cra-
nach, qui fait partie de la galerie de peinture du château de Nurem-
berg, serait le portrait de l'épouse du peintre allemand ; la tête est
superbe et digne de la déesse de la beauté, mais les seins, les mains
et les bras sont ceux d'une lourde et vulgaire Teutone tétonnière.
(1) Cur. art., fig. 64.
214
I, i: s SKINS DANS I. IIISTOIUK
L'Ecole vénitienne et, au premier rang*, son chef, le Titien, four-
nira (le précieux spécimens à notre collection. Une de ses pas-
sions, la belle Violante, fille de Palma le N'ieux (fig. 131), qui a
souvent servi de modèle à son père (1 ) et aux peintres de Tépoque (2) ,
figure parmi les voluptueuses bacchantes de Uacchus cl Ar'uuw à
Fig. loi. — Mezza figura di donna di Giacomo l'aima.
(Musée l'oldi-l'ezzoli. Milan.)
Naxos. Le même modèle passe pour a\oir inspiré la Mailresse du
Titien {'X), de la galerie Pitti, de Florence, mais certains critiques
veulent que Toriginal de cette toile célèbre soit une duchesse
d'Urbin. Autre contestation pour Tattribution de la Jeune fille nue,
(1) La beauté vénilienne est rei)résentée avec ses deu.x sœurs dans une des
meilleures œuvres du disciple préféré du Titien, exposé à Dresde : elles forment
un groupe de trois jeunes fdles (les Grâces, les Heures '! d'autres disent les
Vertus théologales, assises sous des rosiers). La Sainte Barbe de l'église 8anta
Formosa. à Venise, peinte par Palma l'ancien, serait le portrait de sa fille
Violante.
(2) C'est elle que, d'après G. Na])ler, représente un tableau du musée de
Vienne, peint par P. Bordonne, élève du Titien, (fig. 132).
(3) Et non la Femme du Titien, comme l'imiirinient les catalogues : le peintre
italien mourut célibataire.
SUR I. F. DKC OM.ETAGR
210
du musée du Belvédère : selon les uns, ce serait le portrait de la
fdle de Palma et, suivant d'autres, celui de Laura de Dianti. Celte
Laura, maîtresse d'Alphonse, duc d'Esté ou de Ferrare, d'après la
chronique scandaleuse des ateliers, attelait à deux, et aurait prêté
le concours de sa beauté à l'art et à l'artiste. Elle posa, en effet,
sans voiles devant le grand peintre de Cadoro ; mais une fois mariée
avec le duc, après la mort de sa première femme, — la terrible fille
d'Alexandre VI, Lucrèce Bor-
gia — , son époux n'eut plus la
même condescendance artistique
et n'autorisa le pinceau du Titien
à la peindre qu'habillée; aussi
R. Lefèvre, qui a représenté la
belle Laura posant pour une
nymphe devant le peintre véni-
tien, a-t-il eu tort de donner pour
titre à son tableau : Le Titii'n vl
la (lucJiesise de Ferrarr. Même
incertitude j)Our la Vénus couchrr
ou la Vénus au peut chien et la
fameuse Flora fig. 133 , du
musée des Olïices. Le buste de
cette délicieuse beauté est couvert
d'une fine chemisette transpa-
rente, que le mamelon gauche arrête dans sa chute ; rien de
plus pudique et de plus voluptueux que ce portrait, qui est
l'image même de la Grâce et justifie le jugement du Tintoret sur le
Titien : « Cet homme, disait-il, peint avec de la chair broyée ».
Entin, au palais Sciarra, de Rome, Taine signale le portrait d'une
autre amie du Titien, mais dans un déshabillé relatif.
On a donc vu dans la plupart des figures féminines du Titien
(fig. 147), les maîtresses du peintre ou celles de grands seigneurs,
mais Marins Vachon proteste contre ces attributions qu'il traite de
romanesques : « Tout dans la vie privée du maître, écrit l'auteui-
de la Femnw dam IWrt, les infirme sur le premier point, et les
historiens contemporains, sur le second . »
Nous connaissons le portrait de la brune Fornarina (F, l'amie de
Fi-. 1^2.
(Ij Ciirios. art., fig. 60.
210 LES SEINS DANS L "HISTOIRE
Raphaël. C'est le joyau du palais Barberini, où il contraste avec
celui de la délicate et blonde Cenci, du Guide; il se retrouve
dans les Chambres du ^'atican, sous le costume sévère de la Jus-
tice, à côté d'Urbain I*^'', voisinage austère qui ne l'empêche pas de
dénuder sa mamelle droite : la papauté en a vu bien d'autres ! Ce
portrait et la tête du pape sont peints à Thuile par « le maître des
maîtres » ; le reste du tableau est de la peinture à fresque de Jules
Romain.
Andréa del Sarto prenait habituellement pour modèle son é|iouse,
Lucrezia délia Fede, d'une robuste constitution ; aussi, d'après
Mardot, ses Vierges et toutes ses figures de femme sont-elles trop
fortes, trop hommasses. C'estsous de telles apparences qu'est peinte
sa Lucrèce (musée de Florence , dans le costume de l'emploi.
Hans Holbein se contente de nous montrer, au musée de Bâle, la
moitié des seins de sa femme, qui manque de distinction et de
charme. Taine se permet, sur le portrait de la femme de Yéronèse,
peint par son mari, une critique quelque peu irrévérencieuse :
« Avec sa robe de velours noir, qui se décolette en carré, dans un
encadrement de dentelles, elle représente pompeusement, elle et
tous ses atours, une ample personne bien conservée, bien étalée,
majestueuse et de bonne humeur, et dont la chair rouge, le con-
tentement parfait, Varrondissemott universel rappellent vague-
ment les belles dindes prêtes pour la broche. » Une maritorne sans
noblesse ni grâce comme épouse ! choquante contradiction avec
l'élégant coloris de l'auteur des A^oc^^ de Cann '.
Au palais des Doges, dans la salle où se faisait l'élection du chef
de la République, est un Jugeuieiit dernier de Palma le jeune, où
sa maîtresse figure en trois circonstances différentes : au paradis,
en souvenir de sa courte lune de miel ; au purgatoire, à sa pre-
mière infidéhté et, en enfer, à la nouvelle de la seconde perfidie.
Les principales inspiratrices de Rubens furent, avec l'infante
Isabelle et Marie de Médicis, ses deux femmes, Isabelle Brandt et
Hélène Fourment. « Ces épaisses matrones, dit A. Michiels, ont
accablé sa mémoire et son imagination, de leur funeste embon-
point » ; les élèves même du grand peintre d'Anvers, qui étonna
le monde par l'éclat de son génie, n'ont jamais pu se libérer de
leur souvenir. lsal)elle montre ses belles épaules, en Madeleine de
la Descente de la croix; la Vierge du volet de la Visitation serait
SUR LE DKCOM.ETAC.E
-217
aussi le portrait de sa jeune femme pendant sa première gros-
sesse ; on la retrouve encore en tête des Néréides du Dèbarqui'-
rttcnt (le Marie de Médicis à Marseille et dans le Christ voidant
foudroyer le monde (1). On a dit que, pour se venger de l'infidé-
lité dlsabelle Brandt avec ^'an Dvck — mais rien n'est moins
d(''montré — . Rubens l'aurait placée au milieu des damnés de la
Fig. 133.
Grappe de raisin ; des médisants ont voulu voir aussi son portrait
posthume dans le Jar/ement dernier, qui est à Dusseldorf : un
diable la lient dans ses griffes et l'entraîne aux enfers, tandis
qu'Hélène Fourment est placée au paradis. Quant à sa seconde
femme, Piubens l'a peinte bien des fois et toujours avec un débor-
dement de chairs que le corsage est impuissant à endiguer. Qu'il
nous suffise de signaler, à l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, le des-
sin, exécuté en 1634, et au musée de ^'ienne, le portrait en pied,
dont nous ne donnons que le buste et ses volumineux contours
fig. 13o : la fameuse Pelite pelisse. Le bras qui retient la four-
(Ij Anecd. Iiisf.. fig. 87 bis,
U8
l-i:S SRINS DANS 1/" H I ST 0 I n I-:
rure, sorl en même lemps de cadre et de support aux mamelles
Fi- 13o.
exubérantes d'Hélène; dans cette œuvre de chair, Rubens a déployé
toute la magie de son pinceau capiteux.
La chapelle mortuaire de Téglise Saint-Jacques, à Anvers, où
SL'I{ I. P. DKC. (Il, I. kta(;f.
219
reposent, côte à côte, le peintre et sa dernière épouse (1), possède une
des plus brillantes compositions de Rubcns, la Vierge el l' enfant
Jésus, accompagnés des saints (fig. 130;. C'est en fait un tableau
Fig. 136. — D'ajiiès la gravure de Paul l'oiilius.
de famille ; l'artiste s'est peint, sous les traits du vaillant saint
Georges, à côté de ses deux femmes : Isabelle, en \'ierge, assez
(1) Isabelle Brandt fut ensevelie à l'égiise Saint-Michel, dans le tombeau de sa
mère.
220 LKS SKINS DANS L " H I SI' (» I I! K
décolletée pour montrer une mamelle, et Hélène, nue jusqu'à
la ceinture , sous le personnage mystique de la pécheresse
Marie-Magdeleine ; une autre sainte, assure A. Michiels, serait
Tefligie d'une prétendue maîtresse, M"*' Lunden. Enfin saint
Gérùme est l'image du père de l'artiste et un ange, celle d'un de ses
fils. Par compensation, à la chapelle de la Visitation de la même
église, ^'ictor ^Volt'voet a peint la Madone sous les traits d'Hélène
Fourment, dans un décolletage moins accusé cependant qu'à son
habitude. Ne quittons pas cette église sans signaler le tableau d'au-
tel de la chapelle de Saint-Antoine, la Tcn/ation, par Martin de
Vos, le vieux. Ce peintre a donné au malin esprit la figure gra-
cieuse de sa femme, Jeanne Leboucq, offrant à l'ermite, dans la
corbeille de son corsage, deux pommes appétissantes.
Dans un tableau mythologique, de Vienne, Rubens a réuni sa
mère, ses deux femmes — en costume de Diane et de Vénus au bain
— et ses deux enfants, dont le plus jeune, au berceau, étouffe
deux serpents, comme Hercule (1).
La femme de van der Werff fut la muse de ses meilleures ins-
pirations et posait pour l'amour de l'artiste. A son exemple, une des
nièces de Gaspard de Crayer, imitateur du maître fiamand, devint
un modèle complaisant. On la retrouve dans la Vierge adorée par
saint François d'Assise, de l'église d'Anderlecht « avec sa mine
égrillarde, sa chair potelée et sa gorge succulente »(2}. David
Ténier, le vieux, se met en scène dans plusieurs de ses tableaux,
avec l'une ou l'autre de ses femmes, dont le corsage bâille souvent
à gorge déployée. Une légende d'atelier veut que la femme très
belle de l'Albane et ses douze enfants aient servi de modèles à
r « Anacréon de la peinture » pour ses nymphes et ses amours.
( )uant à l'épouse de Rembrandt, elle retire et corsage et chemise pour
montrer un torse peu attrayant (3). La Fenunc au Jxiln, de Tillus-
tre peintre de l'école hollandaise, qui porte, au Louvre, le n" 2o49,
serait le portrait de sa seconde femme. La figure, au buste proé-
minent et nu, de- la ville à' Anvers, mère nourricière des peintres,
œuvre allégorique de Boeyermans, passe pour le portrait de Marie
lîuthven, la femme du peintre de Charles P'. Luca Giordano a
il) Viardot, les Musées d' Allemafjne et de Russie.
ii) Alfred Michieis. Ritbens et l'Ecole d'Anvers.
i'à) Cui'ios. art., fig. (13.
SUR I, R DKCdl.l. KTAd I-:
221
exécuté, pour l'abbaye des Bénédictins du mont Cassin, le portrait
de sa femme, sous la figure de la Bonté, avec Fouverture tradi-
tionnelle du corsage et les accessoires symboliques de la (hilarité.
A Fégiise de Santa Croce, où se trouve le colossal mausolée de
Fis. 13"
Michel-Ange, Maximilien Misson remarque, dans la chapelle de la
famille Zanchini, un tableau curieux : « Il y a là je ne sça\^ combien
d'âmes femelles, qui sont bien gaillardes pour un tabeau d'autel.
On dit mesme que celle qui figure Eve, estoit le vrait portrait de
la maistresse du peintre, nommé Angelo Bronzini ».
m: s SEINS DANS L HISTOlliK
La Judith (le C. Allori, du palais Pitti, ne serait autre que Maz-
zafina, la favorite du peintre; et les traits de celui-ci se retrouve-
raient dans Holopherne. La jeune femme de Boucher, morte à
vingt-quatre ans, posa souvent pour ses saintes Vierges et ses
profanes Vénus, la divinité infâme du paganisme ^ suivant
roxprcssion flétrissante et énergique de R.-P. Beauregard. Elle
lui donna deux fdles charmantes, « qui semblèrent se modeler sur
les plus fraîches et les plus jolies images du peintre » (1).
Greuze prêtait aussi les charmes de sa femme, qu'il adorait, à
ses aimables compositions et Diderot à qui, paraît-il, W^^ Greuze
n'était pas indifférente, quand elle s'appelait M"^ Babet, le cons-
tate non sans quelque dépit : « En la peignant tous les ans,
il a l'air de dire, non seulement : « Voyez comme est belle ! » mais
encore : « Voyez ses appas ! » Je les vois, monsieur Greuze ». De
mauvaises langues disent même qu'il ne se contentait pas de les
voir. David, dans sa prison, apprit que sa femme — qui avait cessé
de l'être depuis longtemps — faisait des démarches pour le sauver;
en récompense de son dévouement, il la place au premier rang
des Suhincs court vêtues (fig. 44).
Qui ne connaît le portrait si vivant, où ^P"" Ehsabeth Vigée
Lebrun s'est représentée tenant sa fille embrassée sur sa poitrine à
nu? Le bord en dentelle de sa chemisette diaphane est l'etenu, juste
à point, par la saillie du mamelon droit, faisant office de patère. La
même particularité s'observe dans le portrait d'Angehca Kauffmann,
à Buda-Pesth, peint par elle-même.
Plus près de nous, André Gill a portraituré, dans le plus simple
des appareils, sa maîtresse, connue sous le prénom de Joséphine ;
ce tableau fait partie de la collection de iSL JNIalherbe, bibliothé-
caire de l'Opéra (fig. 137), qui a eu l'obligeance de le mettre à
notre disposition. C'est d'après ce tableau que le célèbre caricatu-
riste a campé sa République (fig. o5). Enfin M. Devré a sculpté
sur la façade d'une maison de la rue Poussin, à Paris, toute la
famille de l'architecte de l'immeuble (fig. 138). Ce groupe sympa-
thique, qui a figuré au salon de 1901, symbolise en quelque sorte
le bonheur conjugal et l'amour filial : l'heureuse mère expose aux
regards des passants ses mamelles gonflées par le lait de la mater-
(I) A. Iloussaye, Ilintoire de VArt françah.
SUH LF. DKCOI, I, KTAC K
22.)
iiité; c'est criin salutaii-e exemple par ce temps d'accroissement
prog-ressif... de la dépopulation l).
Fi-, I3S.
Modèles professionnels. — A la suite des modèles familiers
(1) A rapprocher de ce tableau de famille un groupe sculpté sur une |)orte
de la maison de i\I""> Dupré-Latour, à Valence, de l'époque de la Renaissance,
représentant une nymphe allaitant ses enfants, surprise par des satyres.
L F. s S i: T N S DANS I, Il I S T ( » I It F.
viennent les modèles professionnels, tels Rosalie (J), le modèle pré-
féré de Baudry, qui la mit largement à contribution dans les dil-
férentes scènes mythiques du foyer de l'Opéra ; Marie-Louise, la
collaboratrice de Benjamin Constant ; Emma, modèle ordinaire de
M. Gérome, quia posé pour son Omphale ; Pauline Saucey (2) qui se
spécialise pour le torse, dans les ateliers de MM. Bouret, Bavard, etc.;
Sarah Brown, dite Sarah la Rousse, qui a prêté sa figure exquise
à la Clémence haure de ^I. Jules Lefebvre et son « ensemble »,
qu'il est à peine besoin d'idéaliser, à V Ariane abandonnée de
M. A. Laurens; Chiara, la Chaste Suzanne de Henner, exposée
en 18G7, que tous les peintres se disputèrent à Rome. L'énuméra-
tion de tous ces modèles serait longue et fastidieuse (3), conten-
tons-nous de signaler encore Marie Renaud qui, dans la Femme au
masgue de H. Gervex, n'est vêtue que d'un loup en dentelle,
comme les dames galantes ou de qualité d'autrefois (4^^ .
M. Paul DoUfus raconte que Bartholdi ne trouva qu'une seule
femme assez robuste de poitrine pour personnifier la Liberté éclai-
rant le monde ; ce fut la grande Céline, qu'il découvrit dans une
« maison Tellier ». Le statuaire ignorait-il l'existence du modèle,
mammifère par excellence, bien connu des rapins et surnommé
par eux « M"" de la Tétonnière ? »
(1) C'est son portrait qui figure sur les billets de la Banque de France. En
Hongrie, dans une nouvelle émission de billets de banque il902), le gouverne-
ment a décidé d"y faire graver le charmant minois de M"= Blaha, l'actrice la plus
populaire de Pesth.
(2) On trouvera les portraits de ces célébrités de l'atelier, en costume de tra-
vail, dans l'intéressante étude de M. Paul Dollfus, Modèles d'artistes ; B'iamma-
rion, édit.
(3) Ces professionnelles du nu sont ])arfois des modèles... de vertu. On cite,
entre autres, la séduisante prima ùalleriiia Ghita, de Rome, que Court fait
figurer dans sa page magistrale des Obsèques de César, un poignard à la main.
Cette arme joua, du reste, un rôle important dans son e.xistence. Les adorateurs
éconduits avaient criblé de blessures le corps de la jeune fille et. elle-même,
pour maintenir en respect les peintres qui utilisaient sa superbe plastique,
portait toujours un poignard.
(4) On connaît l'incident du Palais de Justice, où M« Barboux, défendant un
notaire traduit en jjolice correctionnelle par M""= veuve du Gast, sous l'inculpa-
tion de vol et de recel, affirma, malgré la protestation du peintre, que le tableau,
si vivement commenté au vernissage du Salon de 1886, était le portrait en peau
et en pied de son adversaire (juillet 1902). L'ex-bâtonnier n'ayant pas répondu
à la jeune femme calomniée, qui lui demandait une rétractation et des excuses
publiques, fut bâtonné par le prince de Sagan, aspirant à la main de la
victime.
SIR LE DKCOLI, KTA(; E
Portraits de personnages connus. — Certaines célébrités
féminines ont eu le malin plaisir — Tartufte dirait rindécence —
de se faire représenter, par la statuaire ou la peinture, à l'état de
nature ou à peu près. Le nombre de ces ferventes de la Vérité est
sulïisant pour en composer une galerie des plus émoustillantes. Le
grognon Kotzebue constate _ _ _ _ ^
le fait en le critiquant avec
sévérité : « On trouve, à
Xaples, un monument de
la vanité outrée des femmes,
que jamais aucun étranger
ne pourra considérer sans ;
rire. Une impératrice ro-
maine, j'ai oublié laquelle, f
a eu la ridicule fantaisie de [
faire faire sa statue, gran-
(\q\iv naturelle, à Yhgo, de |
soixante ans passés, sous l
la forme de la Vénus de
Médicis. L'impudence \
d'une vieille femme qui se
fait représenter nue est
déjà quelque chose de très
surprenant; mais il y a
réellement de quoi mourir
de rire d'imaginer qu'une
vieille tête se fasse représenter avec un jeune corps, dans une
posture mdécente, et paraissant vouloir cacher des charmes qu'on
ne cherchait plus à voir. »
A la salle d'Apollon du musée de Munich, on voit une statue de
Cérès, qui n'est que le portrait d'une dame romaine. La même
coutume s'est propagée dans les temps modernes et provoque
encore la critique de Kotzebue : le tableau exposé à Rome, par Landi,
représente une superbe femme nue, couchée sur un lit de repos ;
une vieille proxénète soulève le rideau de pourpre qui cachait la
beauté aux yeux d'un jeune homme, en lui recommandant le
silence, le doigt appuyé sur ses lèvres ; d'après notre censeur, ce
serait le portrait d'une femme des plus belles et des plus distinguées,
Fis. 139.
LES SEINS DANS L HISTOIRl
15
-220 I. K S Si: INS DANS L lllSIOlliK
et il ojoutc que souvent la vanité porte les dames romaines à dévoi-
ler ainsi leurs charmes.
Reprenons Tordre chronologique : aux temps anciens, si le
fanatisme religieux a empêché les traits des Laïs et des Phryné
d'arriver jusqu'à nous, ceux de la reine (VEgypte, Gléopàtrc, ont
Fig. 140. — D'après la photographie de Braiin. Clénieiit et G'^
échappé aux mutilations imbéciles de Théodose et de ses imita-
teurs. Les sculptures du temple de Dendera, consacré à V « Hélène
du Nil », nous ont transmis le sourire et les charmes qui ont ensor-
celé César et Marc-Antoine (fig. 139) ; elle est représentée en Isis,
dans la fleur de sa jeunesse et l'éclat de sa gloire.
Un antique du Louvre représente Julia ^lamma^a (1) en Cé-
(1) Elle fit construire le pont Maniiiiolo, à Rome, et lui donna son nom.
s LU LK DKCOLLKTAC. K
■rès (1); le sein gauche, d'un développement normal, est à nu,
comme il convient à la déesse de la fécondité. Mais un autre
buste de la mère d'Alexandre Sévère, sans attribution m\th()lo-
gique (n"105o, salle des Saisons), est entièrement recouvert dune
tunique et aucune saillie ne révèle le sexe de la poitrine ; on dirait
un éphèbe.
Ces contradictions artistiques ne nous éclaireront pas sur Tori-
o-inc de ce nom de Mamma^a, bien au contraire. Se rattache-t-il à
Fiff. 142.
la perfection des formes pectorales (2), à un incident d'allaitement
ou simplement au hasard? Les documents écrits sont muels sur
cette question. Au Vatican, la tête d'une Vénus, avec son fils Eros,
passe pour le portrait de l'épouse d'Alexandre Sévère.
Nous connaissons le décolletage outré de la Vierge du musée
d'Anvers, attribuée à Jean Fouquet (3), et nous savons qu'une tra-
(1) Les épis, ajoutés dans la main de ce personnage, par un restaurateur
moderne et ignorant, en ont fait une divinité.
(2) C'est prolîable : elle ne devait pas être dépourvue d'agréments : en tous
'•as, ses goûts de libertinage étaient tels que Brantôme la qualifie de « |)utain
publique ». On ignorait (jnel était le père de Sévère et on eut pu lui adresser
la véhémente apostrophe du sermonnaire exalté, Jean Guérin, tpji traitait le
Béarnais de « fils de putain ». en pleine chaire, et assurait (}ue « sa mère estoit
si |)ul)li(|ut' (preile se pi-estoit a ttmt le monde ».
i-jj Auecd. hist., tig. 110 Ois.
228
I, KS SKINS DANS l> IIISIOIIIK
(lilion en fait le portrait d'Agnès Sorel « la belle Annes », la favo-
rite de Charles \'II, Ce tableau, ou plutôt cet *"j;t'oto, appartenait
à un diptyque représentant, sur un panneau, le donateur Etienne
Chevalier, trésorier de France et contrôleur des finances sous
Charles Vil et Louis XI : ce pieux personnage offre à la madone
« les hommages de sa piété » ; le second panneau a été détruit par
un vandale inconscient, ennemi de la chair en peinture et fanatique
de la chaire dite de vérité :
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
Fis. 143.
De ce fait, la Vierge d'Anvers n'en serait qu'une reproductioiï
en grisaille. Ce diptyque était exposé, h son origine, dans l'église
de Melun; Henri IV, l'amateur des « belles tétonnières », en offrit
paraît-il 1U,0U0 livres; qu'eût-il donné de l'original!
Nous trouvons une émule de la « dame de beauté » et de volupté
dans la marquise Simonetta Vcspucci, maîtresse de Jules de Médi-
cis, morte de la phtisie à vingt-trois ans : Antonio Pollajuolo, de
l'école Florentine, a pcintson buste, nu jusqu'au nombril (fig. 14U).
Simonetta aurait servi de modèle pour la IV// //.s' d'Alexandre Bot-
ticelli (fig. 141), qui aurait modifié les traits du visage; plus tard,
Falguière fera le contraire pour sa Danse.
Le type de beauté pour Léonard de Vinci était Monna Lisa Ghe-
SUH I, K DKCdM. I■:T.\(;K
220
rardini, épouse en troisièmes noces de Francesco di Bartolomeo
di Zanobi del (jiocondo ; c'est elle qui lui fournit le modèle de
Jocondc (fig'. 142). Raphaël nous a montré le plus qu'il a pu des
attraits de Jeanne d'Aragon; mais .\ifo, favori do Léon X, qui les
connaissait tous, nous en a laissé une description latine, aussi
exacte que détaillée, traduite par Houdoy(l).
Dans l'abside de Saint-Pierre, à Rome, du côté gauche, se trouve
le tombeau de Paul 111, par Guillaume de la Porte, prol)ablemenl
exécuté sous la direction de Michel-Ange. En haut, le pape donne
la bénédiction ; en bas, à droite,
la Prudence et, à gauche, la Jus-
tice. La première est le portrait de
la mère du pontife (fig. 14:V), qui
montre, complètement nue, une
poitrine quelque peu ratatinée ; la
seconde représente la sœur du
pa])e ; primitivement elle exhibait
de vigoureux appas, mais, par la
suite, on a caché sa nudité sous
une robe en métal.
L'Arétin qui, tout en composant
des sonnets sur les luxurieux
dessins de Jules Romain, reprochait
à Michel-Ange les nudités de la chapelle Sixtine, donne à
entendre, dans ses Rfujinnamr/i/i, que la courtisane, en dehors
des exigences professionnelles, a horreur du décolletage ; nous
reproduisons une médaille (fig. 144), gravée par Antonio Abondio,
Fi£
144. _ De la rolkH-tiim
(lu \)' Leicr.
(1) « 8ar la poitrine larKC et dont les plans unis ne laissent ai)i)araitre aucun
os, saiTondissenI deux seins égaux, d'une dimension convenable, qui exhalent
le parfum des fruits de la Perse auxquels ils ressemblent... L'ensemble de la
poitrine a la forme d'une i)oire renversée, mais un peu comprimée, dont le cône
est étroit et rond à sa section inférieure et dont la base se rattache au col, par
des courbes et des méplats d'une ravissante proportion... Le ventre, les flancs
et les charmes secrets sont dignes de la poitrine. » Ces indiscrétions d'un philo-
sophe scolastique. qui affirme l'existence du beau dans la nature devant la
perfection de .Jeanne, rappellent la Paulér/ rapide ou description des beaidez d'une
dame tholozuine par Gabriel de Minut. (Lyon loS7, in-S») : à Toulouse, tout le
monde courait sur le passage de la Belle Paule de Viguier, pour 1 adnnrer.
« L'auteur, dit Gustave Brunet, décrit sans exception toutes les beautés clu corps
de Paule: il entre naïvement dans les détails les plus scabreux. » Et par qui
fut publié cet écrit, dédié à Catherine de Médicis ? Par une religieuse, Charlotie
de Minut, sœur de l'auteur et abbesse du couvent de Sainte-Claire i\ Toulouse.
230
LF.S SKINS DANS I. Il I S 1' (> I U K
qui fait rtalag-e des charmes d'une courtisane de Tépoque, Catha-
rina Riva, et proteste contre l'assertion du mordant et licencieux
satirique.
Le musée de Vienne possède le portrait d'Isabelle Gonzaguê
(fio-. I i.'i), peint par le Titien ; la coquette ne risque que la moitié
Fi". 14o.
de son torse pour éveiller le désir d'admirer le reste. Une copie de
ce gracieux tableau se trouve à l'Académie des beaux-arts de Buda-
Pest. Le pinceau du célèbre coloriste a reproduit la maîtresse d'un
jeune patricien de Venise — qui longtemps a passé pour Phi-
lippe II — ; le galant joue du luth et regarde avec complaisance la
jeune beauté étendue sur un sopha. Ci^tte figure, nue sans indé-
cence, s'expose dans l'attitude la plus voluptueuse. La beauté des
formes, l'élégance de la couleur, la vérité du détail, tout concourt
à faire de ce tableau (fig. 146) un des plus séduisants du maître de
SI lî I. K. i)K(;(»i.i,i:ta(; K
2:u
Cadore. Le chel' de Técole vénitienne nous a encore transmis les
traits et les charmes de la maîtresse d'Alonzo di Avalos, marquis
del Yasto ou du Guast, Tun des meilleurs généraux de Charles-
Quint, dans un tableau allégorique représentant Mars et Vnit/s (1),
sujet pris et repris maintes fois, qui permettait aux artistes de
sortir de la banalité des portraits de famille. Signalons enfin la
Fig. 146. — Gravure de J. Bouilliard.
Vénus à foi'f/uc^ Vénus et Adonis et cette superbe créature
(fig. 147), si belle et si peu voilée qu'elle est, au dire du livret de
Dresde, « en costume de Vénus » : autant de chefs-d'œuvre, peints
de la touche à la fois vigoureuse et tendre, dont le maître avait le
secret ; tous sont des portraits, d'après Viardol.
Peintres et sculpteurs de la Renaissance ont représenté à Fenvi
la duchesse de Valentinois en Diane ; mais son attitude ni son cos-
tume ne rappellent la pudique sœur d'Apollon. Avec son faible pour
le nu, que n'a-t-elle préféré les attributs de Vénus à ceux de la
(1) Ciirios. art., fig. SG.
232 1. KS Sr. INS DANS I. IIISTdllti:
déesse qui punit si sévèrement Actéon, de Tavoir surprise au i^ain ?
Plantureuse plus que gracieuse, avec des yeux <( demi esteints et
pleins de cliassie », dit Mézeray, mi air froid, et un nez fort et
recourbé, sa beauté a été trop idéalisée par les artistes et les litté-
rateurs, Pierre de Bourdeilles entre autres (1).
M. George Guiffrey, commentateur des Le^//'e.s inédites de Ditiite
de Poitiers, nous guidera à travers l'iconographie de la courti-
sane rovale, « qui maintint son empire pendant deux règnes et a
légué à Fadmiration de l'avenir, sous une étiquette mythologique,
la représentation plastique de ses charmes les plus secrets ».
Dans Tordre des sculptures : Diane chasseresse^ groupe de Jean
Goujon, d'après un dessin du Primatice (2) (musée du Louvre)
(fig. 1 13. Anec. hist.). La vive imagination de Michelet lui fait trou-
ver au cerf roval « un air de Henri 11 » et jusque dans le << barbet
hérissé », il croit reconnaître l'image du mari, de Brézé, qui
« mêle timidement à la fête d'amour quelques gémissements de
grondeuse fidélité ». Xotre historien aurait pu pousser l'analogie
plus loin, suivant la remarque malicieuse de M. Guiffrey, et dire
que le barbet fait le gros dos comme pour rappeler la bosse du
grand Sénéchal; pourquoi n'a-t-il pas vu dans le beau lévrier, cou-
ché à ses pieds, une allusion au beau maréchal de Brissac, pour
lequel la favorite royale aurait éprouvé de tendres sentiments?
Un œil flatteur retrouvera les traits de Diane dans le célèbre
bas-relief en bronze de Benvcnuto Gellini, la Nf/?nphe de Fontaine-
bleau, que l'on peut admirer au Louvre : elle est couchée nue, au
milieu de chiens et de fauves. Le bas-relief, représenté figure 149
(collection de M. d'Yvon), est d'une exécution des plus remar-
quables; il appartient à l'école de Jean Goujon, qui possédait l'art
de donner à sa sculpture beaucoup de relief et de modelé avec peu
de saillie. Diane, habillée d'un carquois, caresse un jeune cerf,
museau contre museau, qui n'est autre que Henri II, allusion aux
amours de Léda et du Cygne olympien ; dans ce groupe figurent
(1) Comment expliquer, sinon par l'aveuglement de la passion, la préférence
marquée de Henri II pour une amie aussi peu attrayante, qui aurait pu ètie sa
mère, alors que sa légitime, Catherine. i\ en croire le même abbé et seigneur de
Brantôme. « avoit la gorge très Jielle. blanche et pleine; fort blanche aussi par
le corps ; elle étoit joviale et aimoit à dire le mot ? »
(2) On sait quele Primatice célébrait ])rincipalement les charmes de la duchesse
d'Etampes, favorite du roi libertin, dévot et avarié, tandis (jue .Jean doujon
consacrait son ébauchoir à la maîtresse du dauphin.
s l' H I. K I) i: 1.(11. I. K TAC. K
233
encore Phocion et Syriiis, deux des chiens préférés de la déesse de
la chasse . L'hôtel Cluny possède un moulage de ce beau marbre.
Passons aux peintures. Diane, du château de Fontainebleau,
Fig. 147. — Vénus du Titien; gravée par A'argeot.
attribuée au Primatice, tient un arc à la main ; la tunique couvre à
peine la moitié du sein et est retroussée au-dessus du genou,
comme il convient à la « déesse aux belles jambes». Hippolyte
Flandrin a exécuté, à mi corps seulement, la copie de ce tableau
qui figure au musée de ^>rsailles, sous le numéro 4063. Lucas
Penni, élève du Primatice, Ta aussi représentée en déesse, avec
une chlamyde sur l'épaule et un javelot à la moin; ce tableau a été
234
l,i;S SKINS DANS L IIISIOIItK
<i;Tavé par Ransonnetlc. Une autre Diane chasseresse du château
de Chenonceaux, attribuée au Primatice, est un portrait qui ofï're
certains caractères d'authenticité. Quant à la déesse du château de
Chaumont, qui est vêtue d'une simple tunique de gaze, laissant à
nu les seins, ce serait un cadeau de Diane à son royal amant. Au
musée de Versailles (n" 3193), elle apparaît encore; mais, cette fois
en toilette terrestre, avec une robe en velours rouge qui laisse à
découvert une gorge richement développée ; le tableau a été peint
au xvn" siècle, c'est donc une œuvre de fantaisie.
Fig. li'.l. — Tirée de /'.le/ poiii- Ions.
Dirnu- (Ui milieu des dames de ta Cour de Itetirill, par Fran-
çois Clouet (?), de la collection Lachnicki, est, d'après Vitet, le
portrait le plus authentique de Diane de Poitiers. Le sujet serait
Moïse, présenté à la fille de Pharaon, figurée par Diane en cos-
tume d'Eve, selon la tradition ; mais en réalité, on lui présente un
nouveau-né de la reine, comme pour le mettre sous son auguste
patronage. Elle seule a le buste entièrement à découvert (1). On
distingue la reine rel(''guée au second plan parmi les dames de la
cour : la légitime (''pouse vient faire ses relevailles chez la concu-
bine et accepte pour son fils cet insolent patronage. A la collection
de lord Spencer appartient une Diane, dont la partie supérieure est
(t) Revue des deux Mondes. 1" déc. I8(j3.
SUR L !•: I) KCOl.l. K'IA(;K
23:i
dépouillée de tout vêlement; une des gravures anglaises, exécutées
Ta
Fis. 150.
d'après ce portrait, se trouve aux estampes de la Bibliothèque
nationale.
236
m: S ski:; s dans i. iiisioini.
l^aiis son invenlaire de talîleaux, M. Guifîrey a oublié de men-
lionncr le portrait de Diane de Poitiers, du château d'Anet, que
nous empruntons à Touvrage de M. P. Pioussel (1) (fig. J 50). Autres
Ing. loi. — D'après Devéria ; Salon de 1834. Tirée de VAr/iste.
oublis : Diane (le Poitiers et ses deux filles^ en Parques (fig. l-il),
groupe en marbre de Germain Pilon, et la Toilette de Diane de
Poitiers, d'un peintre de TEcole de Fontainebleau, qui ex])0se les
attraits les plus intimes de la maîtresse de Henri II (2). N'est-ce
(1) Uisloire et description du Cliàleau d'Anet, gr. in-4'>.
(2) C'est A tort que, dans nos, Anecdotes liisloriques el religieuses, p. 193, nous
siit L K I)I-:(,(>i.li:ta(; !•:
2:3-
pas de cette académie (jue parle Mérimée, dans ses Li'Ltrrs à une
Inconnue? « Il est <''vident qu'elle a posé, et que, des pieds
jusqu'à la tète, tout est portrait. Même, si j'ose le dire, il résulte de
l'examen de ses jambes qu'elle attachait ses jarretières au-dessous
du genou, selon la mode du temps, qui a été abandonnée, à ce
que j'ai enttmdu dire. »>
Fiy. i;.±
Une des curiosités du musée conniiunal de Bruxelles est un por-
trait satirique de Diane de Poitiers (fig. 1;)2), attribué à Hubert
Goltzius et offert par le père de M. Wilson, gendre du président
Grévy. La figure est petite ; les seins, au contraire, sont très déve-
veloppés et d'une rondeur presque géométrique, qui rappelle la
synonymie des mamelles « demi-cercles tangents », adoptée par
les X de l'Ecole polytechnique. De sa main gauche, elle
tient une balance dont les plateaux sont chargés, l'un, de deux
mains entrelacées ; l'autre, d'une plume d'oiseau : la plume est la
avons rapporté à la duchesse de Valentinois un portrait de (ial)rielle d'Kstrécs
dont il sera question un peu plus loin.
•238
LKS SKINS DANS I. IIISTOIIiK
plus loui'de ! Piquante allusion à la légèreté des serments d'amour
« éternel ! ». Ce tableau n'est d'ailleurs que la traduction picturale
de la fameuse inscription gravée, dit-on, par François V, à la
pointe du diamant qu'il avait au doigt, sur une des vitres du châ-
teau de Chambord : Tott/c femme varie (1). Semblable allégorie est
consignée et figurée (fig. 153) dans le théâtre des B()ti'< Ë/tffi/ts(2).
A M. Guiffrey, également, nous empruntons la liste des mé-
dailles et des émaux. La
FiiT. 153.
Bil)liothèque nationale pos-
sède une médaille re-
présentant Diane avec la
gorge et les épaules nues.
Légende : DIAXA. DUX.
\Âlextl\orum. CLA-
RlSSlMAraubasdubuste,
AS [Ajuto o'tatis) vingt-
six ans (3). Revers : une
Diane chasseresse qui foule
aux pieds l'Amour, avec
celte légende : O^LXIUM
VIGTOREM VIGL Ge
n'est pas le type de beauté
idéalisé par les artistes de
l'époque ; c'est une femme bien vivante, d'un embonpoint respec-
table, aux formes accusées. La même médaille a été frappée à
nouveau et modifiée sous le premier des Bourbons. Au-dessous
de son buste, sur le revers, on voit une Junon, « la déesse aux
yeux de bœuf », qui presse une de ses mamelles et arrose, du lait
qui en sort, des lys épanouis : légende : Oritiir et laefe viresei/.
il) On donne encore celle i)oulade liniée :
Souvcul femme \arie
Mal lialiil c(ui s'\ lie.
Le « l'ère des lettres ! » qui, dans un moment d humeur, supprima rim])rinierie,
voire même l'imprimeur Dolet, semblable à ces amants qui étouffent en embrassant
trop tendrement Tobjet aimé, sacrifiait i)arfois au.\ Muses et a mérité le surnom
de « roi troubadour ». Le royal syphilitique écrirait aujourd'hui ; « Souvent
femme avarie. »
(2) Janot, 1539. in-H", jjièce LXVIll. et Bouchot, les Femmes de Brantôme.
(3) Erreur ou fiatteiie d'artiste : à cet âge elle n'était ])as encore duchesse de
Valentinois.
sru 1,1". DKCO 1,1. i:TA(iK
239
•Ce revers appartient en réalité aux médailles de Henri 1\' cl parti-
culièrement à celles de Marie de Médicis(i).
Un émail de Léonard Limousin, commandé par le roi, vers l-)o4,
aurait été exécuté en forme de plat, d'après un dessin de Raphaël;
sous les traits des dieux, sont reproduits : Henri II en Jupiter,
Catherine de Médicis en Junon, Diane de Poitiers en Vénus (2).
Autre émail du même artiste représentant ]'r/ius^ sous les
traits d'une femme nue, éten-
due sur le gazon, se jouant
avec Eros; son unique vestiture
est une résille, comme la Vrnits
tir l'AsscijtO/éc f/cs Dieux.
L'émail est daté de l.jo5 :
Diane avait alors cinquante-
cinq ans ; mais la réputation
d'éternelle beauté, surfaite par-
les artistes et les littérateurs,
explique la flatterie de l'é-
mailliste. Les thuriféraires ne
connaissent pas de bornes :
Olivier de ^lagny a célébré « la
pudique et vertueuse » duchesse
de ^'alentinois ; l'abbé de
Bernis, « la chaste » M""" de
Pompadour 1
Le portrait de la belle X'énitienne, Véronique Franco, peint
par le Tintoret pour Henri III, en souvenir de sa maîtresse
de passage, était, paraît-il, fortement décolleté. Montaigne en parle
dans son Voi/at/c r/i Italie; il fait aussi mention d'une célèbre
courtisane de la même ville, Blanche Cappello, née en i.j48 :
« Cette duchesse, dit-il, est belle à l'opinion italienne, visage
agréable et impérieux, le corset gros et de tétins à leur souhait. »
Le fécond Rubens, dans ses prodigieuses allégories sur Marie de
Médicis — • (( la gi-osse banquière », selon M"" d'Entraigues ou
Fig. 134.
(Il \(t\v noi, Accoucheineiifs à lu Cour, la figure 7:2 de la médaille frap|)ée en
rhnnneui- de la naissance de Louis XUI.
\-l] Un trouvera le fac similé de cet émail dans le livre de M. de Laborde. sur-
la Renaissance des Arts, t. Il, p. 785.
240 I- K s s i: I N S I) A N s L 11 I s 1' O I li K
« la balourde », d'après la Galigaï — se complaît à montrer le sein
rebondi de la princesse florentine, organe particulièrement prisé
de son volage époux ; mais en donnant à la souveraine, tantôt les
attributs de Bellone, la déesse de la guerre chez les Romains,
tantôt ceux de Pallas ou d'Athéné (1), la déesse de la sagesse chez,
les Grecs, le peintre oublie la tradition mythique qui fait de la fille
de Zeus une des déesses les plus prudes de TOlympe. Un portrait
de la fille du grand duc de Toscane, peint par le maître flamand ,
et qui ligure au Louvre (collection La Gaze, n''2109), la représente
en costume civil, assise dans ses appartements, mais toujours un
des seins en escapade (fig. loi).
Les portraits de Gabrielle d'Estrées sont trop nombreux pour
qu'ils n'aient pas été copiés les uns sur les autres, car malgré le
plaisir que la duchesse de Beaufort pouvait éprouvera faire étalage
de ses charmes, il est peu probable qu'elle eût consenti à poser si
souvent. Dans toutes les toiles, elle a les mêmes attitudes : elle se
présente, debout plutôt qu'assise, dans une baignoire; soit seule (2),
soit en compagnie de sa sœur, Diane, duchesse de Villars, qui,
par contraste ou modestie, s'efface et se contente de montrer ses
épaules (fig. loo). Gabrielle ne porte pas la même coiffure que dans
les tableaux du château de Chantilly (n" 278) et de la galerie de Ver-
sailles (3). Ces peintures sont contemporaines de la naissance du duc
de Vendôme, que sa nourrice allaite. M. de Maulde juge aussi ces
portraits, « de l'école hydrothérapique )),trop nombreux pour être
authentiques; il les croit fabriqués. A son avis, les noms des per-
sonnages, inscrits sur la toile même, achèvent de caractériser le
sens caustique de la composition. Ces légendes ne figurent pour-
tant pas sur toutes les représentations de cette reine de beauté. Ce
critique signale, dans la collection du baron Pichon (n- \ XV.) du cata-
loo'ue), la même scène aquatique, mais cette fois avant la naissance
de l'enfant : « divers symptômes révèlent l'attente de cette naissance ;
nous nous bornerons à signaler la présence d'une femme qui, dans
le fond de la toile, coud avec ardeur une layette. »
Dans le tableau du musée de Versailles, la belle Gabrielle re-
(1) Curios. art., l'ig. 82. Ce portrait fut fait à Paris, sur la demande de la reine,
andis que dix-neuf toiles sur les vingi-une de la siric furent exécutées dans
l'atelier d'Anvers.
(2) Anecd. hisL, fig. H:2.
{■i} Aiiecd. hisL, p. VXo.
s LU I. i: IIKC Ol.l. KTAC. K
241
prend ses exercices balnéaires, mais a{)rès la naissance de son
second enfant, et ofîre une particularité toute spéciale : un anneau
nuptial, arrêté à la seconde phalange de l'index, rappelle qu'elle
fut fiancée à son royal amant et qu'elle était sur le point de l'épou-
ser, quand la mort vint la surprendre si inopinément. M. Georges
Fig. 155. — Galerie de M"'<^ la vicomtesse de Janzé.
Guifîrey(l) veut absolument que ce tableau, peint par Henri Leh-
mann, et celui du château de Chenonceaux, représentent Diane de
Poitiers dans le bain et, auprès d'elle, les enfants de France ; il
ne trouve pas le moindre rapport entre la figure de ces toiles et la
maîtresse de Henri lY ; mais il n'explique pas la position significa-
tive de la bague. Cet auteur retrouve la coiffe traditionnelle, les
traits caractéristiques de Diane et la carnation maladive des enfants
•de Henri II ; il voit, dans les ornements de l'ameublement, le style
(1) Loc. cit.
LES SEIXS DANS l"hISTOII'.E.
l(i
242 LKS SKINS DANS L IIISTOIRF.
(le l'épo(iue, et jusqu'à une licorne, représentée sur le dossier
d'une chaise en tapisserie, concourt à le confirmer dans son opi-
nion : la duchesse de Valentinois ne croyait-elle pas à l'efficacité
d'une préparation où la poudre de cet animal passait pour souve-
raine contre les convulsions (1; ?
Gabrielle avait mis le nu à la mode, au moins dans la peinture :
nombre de dames de qualité, et même de jeunes fdles. se firent
portraiturer en nymphes ou déesses court vêtues. JNI. de ^laulde,
dans son étude documentée sur Quelques porlraits de femmes <hi
\yp siècle (2), se fait le chevalier servant de la pudeur de ces
nobles divinités, et assure que leurs portraits, « en tenue extrê-
mement olympienne », étaient toujours faits de chic (3), absolument
comme de nos jours, la Danse de Falguière, à laquelle M^'" Cleo
de Mérode afïirme n'avoir prêté que son visage. La parole de la
ballerine ne saurait être mise en doute ; il sulïit de comparer les
saillies accusées de ses apophyses épineuses et ses salières
profondes avec le capitonnage du marbre.
Il est donc admis que certaines beautés ne posèrent que pour
la tête, comme l'amie de Ronsard, qui n'en recommandait pas
moins à Janet Clouet de la peindre avec tous les attraits de Vénus ;
beaucoup d'autres cependant firent tomber corsage et chemise
devant le chevalet des peintres. La duchesse de Ferrare, déjà nom-
mée (4), Françoise d'Orléans, la princesse de Gondé, M™*" Récamier,
la princesse Borghèse et bien d'autres, ont consenti à faire repro-
duire sur la toile, de visu., les splendeurs de leurs épaules et de
(1) Le 27 déc. lo47. lors d'une rougeole de Madame Elisabeth, IJiane de Poi-
tiers écrivait à M. de Humières : « Je vous envoyé de la licorne pour luy en
faire user ainsy qu'il sera ordonné. » La licorne était aussi le symbole de la
])ureté — nous ne voyons pas son application en la circonstance — et celui de
la victoire, rien ne résiste à la puissance de sa corne — elle justifierait mieux le
triomphe de la courtisane — mais c'était encore un talisman précieux, préser-
vatif de toutes les maladies et contre-poison par excellence : Charles LK ne
vidait jamais sa coupe avant d'y avoir fait tremper un morceau de licorne.
Pour nous, dans le tableau en question, cet animal fabuleux ne figure que par
hasard, à titre décoratif. Bref, en insistant, sur la signification de la licorne.
M. Guiffrey nous scnd^le trop chercher la petite bête.
(2) Revue de l'art (incien et moderne.
(3) D'après M""^ de Genlis, au xvu'' siècle, les femmes ne posaient que pour
la tète ; les peintres i)renaient des modèles pour la gorge. Cette délicatesse de
décence finit avec Louis XIV : « Les femmes shabillaient alors en Yémis de
Médicis. »
(4; Bouchot, les Femmes de BniiiLômc, p. 193.
Sll{ LK i) KCOL L KrA(; !■:
243
leurs poitrines, enveloppées ou non d'une gaze légère qui en
rendaient les contours encore plus captivants. Pourquoi M'"'" de
l.)(3.
Sauves et de Retz qui, d'après Bouchot, se dépouillèrent, dans
certaines circonstances, de leurs vêtements, auraient-elles hésité à
le faire en présence d'artistes qui se proposaient d'immortaliser
1. K s SKINS DANS I. HISIOIIIK
leurs charmes fug-ilifs? Sans doule au xvi'' siècle, les femmes
eurent des accès de pudeur exagérés, par exemple à Tégard des
médecins : pour leurs couches, elles préféraient les sages-femmes
aux accoucheurs, et l'on rencontrait des jouvencelles qu'inquiétait
ridée « de paraître nues au jugement dernier » ; mais ces réti-
cences pudiques ne les empêchaient pas d'avoir un goût immodéré
pour les Vénus païennes et, comme le fait remarquer leur indul-
o-ent et galant avocat, « le puritanisme outré du moyen âge provoque
une réaction audacieuse du réalisme, qui alla jusqu'à sculpter, sur
leurs tombeaux, les corps nus d'Anne de Bretagne et de Cathe-
rine de Médicis (1). »
Au xv!!*" siècle, grâce à la corruption des mœurs (2), que de
beautés, égarées dans le pays du Tendre, montrent leurs mame-
lons sur des toiles licencieuses î Voici d'abord j\P^ de Thian-
ges, une des Reines de Paris qui, devant un de ses portraits,
reconnaissait qu'elle avait « la gorge belle » et la montrait à tout
venant. Elle finit dans la dévotion, dit M"'" de Sévigné et « cache
sa gorge ». La jeune Marie de Rohan (fig. loOj, mariée à Charles,
(1) Il ne fallait pas que les mœurs fussent bien austères pour que Clément
Marot put se permettre d'adresser les étrennes suivantes à Tune des fdles de
l'escadron volant de la reine, Sidoine de Mervilliers, dite Merlurillon. âgée de
quatorze ans à peine — il n'y a que le premier pa...pa qui coûte — :
Si quelqu'un pour son pstroine.
Vous cnimeinc,
Je vous donne, ou à peu prés,
Au boul de neuf mois après.
Panse pleine .
(2) Le rigorisme excessif du duc de Mazarin était heureusement exceptionnel,
Il fit détruire un certain nombre de chefs-d'œuvre que Richelieu avait réunis
dans son palais et qui ne choquaient nullement ce cardinal, sous ])rétexto que
les femmes qui y figuraient étaient trop décolletées. Le même cagot défendait
aux villageoises de traire les vaches dans Vintérêt de leur chasteté, et aux
nourrices de donner à téter le vendredi et le samedi. « Il enseignait aux filles,
écrit un contemporain, dans quelle jjosition pudique elles devaient battre le
beurre ou fder. » Il n'est malheureusement pas le seul k avoir eu des idées aussi
saugrenues et désastreuses pour l'art. Ghiberti (1381) rappelle les idiotes per-
sécutions de Constantin, qui fit renverser et mettre en pièces toutes les statues
et les peintures impudiques et les châtiments sévères dont on menaça quiconque
en ferait des nouvelles, « ce (pii amena l'cxlinclion de l'art et des doctrines (pii
s'y rattachent ».
Un autre cornichon, confit en dévotion. Sublet des Noyers, surintendant des
finances sous Louis Xlil. fit brûler un tableau de Michel-Ange, une /.eV/a de
toute beauté, que le grand artiste exécuta à Florence j)0ur Alphonse, duc de
Ferrare. « Cette Léda. dit Roger de Piles, dans sa Vie des peintres, était repré-
sentée dans une passion d'amour si vive et si lascive que M. des Noyers l'a
depuis fait brûler par ])rincipe de conscience. » Le béat benêt!
SUR LR DKCOLLKTAC. K
duc de Luyncs, connétable de France, peinte par Morcelsi, à dix-
huit ans (1018). Citons ensuite la belle et honnête M'"' Deshou-
lières, deux qualificatifs difficiles à accoupler, surtout à Tépoque
(fig. lo7). Cette beauté du corps et de l'esprit (1) suit le goût du
jour et expose à tous son sein de déesse, redoute imprenable, devant
laquelle le grand Condé, lui-même, fut obligé de capituler ; peut-
être est-ce ce même sein qui, rongé j^ar un cancer, remportera le
Fi^'. 157. — Uaiiibor! del. ; P. Simon se.
Fis. loS.
17 février KiOi , comme plus tard M""' de la Popelinière, que Voltaire
appelait Polymnie, muse de la poésie lyrique. Le chantre des fades
moutonneries avait le mot pour rire et sa houlette enrubannée se
changeait parfois en un fouet malicieux et satirique (2), témoin son
fameux sonnet où, prenant parti pour la Plu'dt'c de Pradon contre
celle de Racine, elle attaquait sans pitié l'auteur et ses interprètes,
en particulier sa tendre amie, La Champmeslé (3).
(1) Dans la seconde moilié du .siècle suivant, nous retrouverons son Sosie chez
Sophie Arnould, dont la bouche et la poitrine étaient aussi pleines de saillies.
(2) Voir sa chanson sur Jacques Testu, abbé de Belval, qui entreprit, mais
inutilement, la conversion de Ninon de Lenclos.
(3) De mœurs plus que légères : elle était grosse de son galant et sa servante
l'était de son mari, en même temps ; c'étaient des époux assortis.
240 I.KS Si:iNS DANS I, Il I SI (»l li i:
Une gi'osse Aricie, ;ui cuir l'ouge, aux crins l)loiuls,
N'est là que pour montrer deux énormes tétons,
(Jue malgré sa froideur Hippolyte idolâtre (l).
Le gracieux pinceau de Pierre jNIignard découvre le bouton
cauche de la sémillante nièce de JNIazarin, Maria Mancini Colon-
na (2) (fig. 138), candidate éphémère au trône de France, qui
ne paraît pas être autrement gênée de celte licence ; c'était
peut-être la seule chose qu'elle eût de bien dans sa personne.
A Tépoquc où elle parut au Louvre, elle manquait de séduction,
au dire d'une mouche de la cour, M"'^ de Motteville : o Elle
avait de longs bras, décharnés, un cou d'oie, un teint jaune,
des yeux rudes, une bouche grande et plate ». Cette description
donne à penser que si le portrait de M""^ de Motteville n'est pas
flatté, celui du grand peintre pourrait bien l'être un peu. Avait-il,
comme Daniel Dumouslier, peintre du roi, le bon esprit d'embel-
lir ses modèles ? « Ils sont si sots, disait-il, qu'ils croient être
comme je les fais et m'en paient mieux. » Pourquoi le peintre
d'Elisabeth d'Angleterre a-t-il été assez maladroit pour reproduire
fidèlement son royal modèle ? Il lui en a coûté d'avoir le poignet
tranché. Mais revenons à la Mancini : Lucien Perrey a raconté
les aventures de celte charmeuse exotique, dans un fort volume,
Une princesse romaine au XVIP siècle. L'ouvrage est illustré
d'une magnifique eau-forte, copie du portrait peint par Mignard.
Mais pour ne pas choquer les yeux de lecteurs Irop collets-montés,
l'aquafortiste a dissimulé la chatoyante fraise du sein sous un pli
de la guipure de la chemisette. Où la pudeur va-t-elle se tâcher?
Nous espérons que les documents historiques reproduits par l'au-
teur ont plus d'exactitude que le graphique du frontispice, maquillé
(1) La partie adverse, attriliuant ce sonnet au duc de Nevers, riposte juir un
autre, où l'on malmène sa sœur. Marie Mancini, duchesse de Bouiliim :
.. . Uiio s(L'ur vajjabondc, aux crins plus noirs que blonds,
Va par tout l'univci-s promener deux UHons
Dont, malgré sou pays, Pamon esl idolâtre.
Le duc. |)i(]ué au vif. répliciue pai- un troisième sonnet contre R;icine: il ne
croyait ])as si l^ien dire en parlant de l';iuteur du i)remier, sans le connaître :
... Ce fui une Furie, aux crins plus noirs que blonds,
Oui leur pressa du pus do ses affreux tétons,
Ce sonnet qu'en secret leur cabale idolâtre.
(2) Son arrivée à Rome fut saluée par cette Pas(piinade de nuiuvais gotlt : « la
Vache esl attachée à la Colonne. »
SUR L1-: DKCOLLKlAii K
SOUS ses auspices et expurgé ad iisuui Dclphiiii et jiifi'lhirniii .
Lady Harley se laissa décolleter jusqu'aux mamelons pai' le piu-
<!eau de Caspar Nctscher ; ce portrait figure au musée de Buda-Pesth.
Freminet a représenté Taltière et blonde M'"'' de Montcspan. qui
Fi^'. 159.
« crève d'embonpoint », en Chante (fig. 159). L'attribution n'était
pas heureuse, car « la plus belle femme du royaume », comme elle
se qualifiait modestement, mais « une sale personne », au dire de
la Palatine, avait un cœur sec, un cœur « vernis » ; elle n'était
occupée que de sa parure et de ses intérêts : il fallait bien entre-
tenir les ardeurs de son royal amant et conserver le renom de
« merveille de la France », que son habile rivale, M"" de Mainte-
248 m: S SF. INS DANS I, ' H ISTOIli K
non, lui avait généreusement octroyé. Ce tableau figure actuelle-
ment à la chapelle de la Sainte-Trinité, au palais de Fontainebleau.
Voici les réflexions qu'il suggère à Alichelet ; elles sont sévères^
mais justes : « Elle avait déjà vingt-sept ans. C'était une fort belle
Poitevine, enjouée, grande et grasse. Son portrait (à Fontaine-
bleau) la représente assise, nourrissant de jolis enfants, dont l'un
tette avidement ses beaux seins pleins de lait. Eh bien, ces attri-
buts touchants, cette plénitude charmante de la seconde jeunesse,
qui échpse la première, ici ne charment pas du tout. On ne la sent
vraiment pas mère. Pas un enfant n'irait à elle. Elle n'aimait pas
les enfants, ni les siens même, ni personne. Avec ce grand luxe
(le chair, cette richesse de vie et de sang, qui souvent donne au
moins certaine bonté physique, une nature ingrate perce pourtant.
Le peintre en appelant ce porlrail-là Lu C/uwitr, a Tair de se mo-
quer de nous. » Par une condescendance maladroite, un émule de
Daniello Ricciarelli (1), a voilé en partie le bas de la poitrine d'une
gaze transparente qui moule les moindres détails, de sorte que
l'enfant qui est au sein tette en réalité la mousseline ajoutée après
coup. O pudeur, que de bêtises on commet en ton nom !
Après « la grassette, la maigrette )) dirait Ronsart. Quand La
Vallière, qui « marchait en cane », se fut retirée aux CarméUtes,
sous le voile noir et le vocable de sœur Louise de la Miséricorde,
Car de laniour à \i\ dévotion
Il n'est qu'un pas ,
on la représenta souvent en Madeleine l'epentle, mais jamais avec
le costume traditionnel; tel, par exemple, le portrait de la belle
pécheresse, par Le Brun (Munich), d'une attitude trop théâtrale
pour une pénitente qui a renoncé aux joies de ce monde. Dans un
seul tableau, celui du château d'Azay-le-Rideau, elle apparaît le
torse à demi dégagé de tout vêtement, les cheveux dénoués, jouant
avec souplesse sur ses épaules et sa gorge luxuriante. L'attribution
est plus heureuse, car avant sa disgrâce, la favorite de Louis Xl\'
approuvait, avec Ninon, cette doctrine épicurienne du médecin
Dernier : « l'abstinence des plaisirs est un grand péché. » Avant
de jeter ses parures aux orties, pour se recouvrir du cilice de la
(1) Peintre qui, sur l'ordre de Paul IV— le culottier — habilla les nudités du
JiKjeinent dernier de Michel Ange.
SIR LE DKCOI, LKTACE
2i9
pénitence, sœur Louise fut représentée en déesses du paganisme :
Diruir, Hr/ir, Aurore, par Mignard, Girardon, Coysevox. Dans la
Fig. 1()0. — D'après la photographie de Weiinviirm Aiital.
collection du château, dont nous venons de parler, figurait le
portrait de jNP^ de Sévigné avec un corsage « gourgandine »
amplement ouvert, sans la moindre dentelle, sans le plus petit
250 I, i:S SKINS DANS L HISTOIUK
« compère » pour estomper (Wiue ombre légère la poitrine de
Tépistolière.
L'Académie des Arts de Buda-Pesth possède le portrait de
M"'*' de Maintenon, Françoise d'Aubigné, en Ponione (fig. IGO),
par Giov. Fr. Romanelli ; elle était alors dans tout l'éclat de sa
jeunesse et de sa beauté. Ce sont bien là les <( deux grands yeux-
forts mutins, le très beau corsage et la paire de belles mains »
que le cul-de-jatte Scarron reconnaissait à sa fiancée, quand on
dressa son contrat de mariage. Xous ne sommes pas habitués à
voir sous cet aspect frivole la prude et dévote l'enégale, qui mêlait
à sa piété un ])eu trop d'ostentation et que la Palatine qualifiera
bientôt de « vieille ordure, de répopée, de ratatinée ». Nous nous
la re[)résentons plutôt à Saint-Gyr, où elle se retira après la mort
de son époux morganatique, pour se livrer à des travaux manuels
et faire, comme elle récrivait à M™^ de Gaylus, « de fort jolis
lacets ». Mais on reconnaît bien les yeux « noirs, brillants, doux,
passionnés, pleins d'aspect », que lui donne « une femme qui suait
Fencre », ^NF"* de Scuderi. De même la Montespan lui écrivait, un
jour, dans une de ses couches : « J'ai besoin de vous voir; mais,
au noin de Dieu, ne venez pas jeter vos grands yeux noirs sur moi
dans l'état où je suis... »
Nous allions oublier M'"" Dùclos, qui avait toutes les beautés,
corporelle et spirituelle, mais la reine de théâtre ne se trouvera pas
déplacée à côté de la marquise d'Aubigné, devenue, par la grâce
de ses grâces, reine de cour ; n'est-ce pas un rôle de comédie et
parfois de tragédie que l'emploi de femme de Louis XIV ? Lar-
gillière a peint l'actrice en Ariattc ahiut(lunnée\ tout à sa douleur
et au souvenir du cruel Thésée, elle néo;lio-e de rentrer son sein,
en état de vagabondage : distraction dont profite la galerie.
Ne quittons pas le xviF siècle sans jeter un coup d'œil rétros-
pectif sur les œuvres des portraitistes qui se sont illustrés chez
nos voisins d'Outre-Manche. Aussi bien l'extrême licence de la
cour de Gharles II nous fournira une récolte suffisante. Avant son
règne, l'élégant pinceau d'Antoine Van Dyck célébrera la beauté
langoureuse de Vénétia, Lady Digby, dans un décolleté savoureux,
sans être excessif; à l'inverse de Rubens — qui préfère, comme
l'Allemand, au dire de Montaigne, l'avaller au goûter, c'est-à-dire les
corsages adipeux et les rondeurs phénoménales — le peintre flamand
Sru LI-: DKC.OM.KTAdK
■i:\[
s'éprend du galbe aristocratique et de la taille élancée des Anglai-
ses. Avec Peter Lely, les altitudes équivoques se multiplient, les
seins s'émancipent : devant le peintre de la cour, la belle Clevc-
land et Louise de Kéroualle, maîtresses de Charles II, Nell Gwyn,
la comtesse Ossorv [ïig. KM) et tant d'autres « se dévêtent la
o-oro-e » en entier, avec hardiesse : bien avant Danton, leur mot
d'ordre est : « de l'audace, et encore de l'audace ! ». Les décolletés de
G. Kneller ont un peu plus de
réserve : il s'arrête aux boulons,
(el le corsage de Mrs Soams.
Plus lard, Reynolds donnera le
portrait de Théophila Palmer,
qui devint Mrs G. Watkin, dans
un tal;)leau allégorique : VEsporr
iiiiiirrissiiiit l'Antour (fig. 162 ,
Rappelons que la beauté en-
sorcelante d'Emma Harth, future
lady Hamilton , fut j^einte en
Vi'/uis, en Cléopdfn'^en Phryné,
par George Romney, l'un des
artistes les plus populaires de
l'Angleterre, qui en fit sa maî-
tresse et son modèle préféré.
Enfui le RcciicU choisi île
j/i-oci's, en 12 volumes, contient,
comme les Co///rv de La Fontaine, des gravures licencieuses; celle
de milady Albergavenny, par exemple, exhibe deux énormes
ic'tons, au chevalier Lyddel, en s'écriant : « Tu m'es nécessaire
comme l'air que je respire (1) ! »
Passons au xviif siècle. Déjà, vers la fin du siècle précédent, les
dames de qualité commencent à se faire représenter en déesses de
rOlvmpe, montrant leur poitrine avec le mépris du q^'cn J/ra-
f-on, et cette originahté sera bientôt une mode (2). C'est ainsi que
il) Hi'ctni- FraiiLH'. loc. cit.
\'l) M""> de La Haie, grand'mére de M'^'= de Genlis, s'était lait peindre en
Vénus, à côté de son lils en Cupklon. G. Valck exécuta le portrait de Made-
moiselle de Bournonville. en Diane, avec le sein gauche à nu.
^'ous concevons fort bien que La Du Barry se laisse peindre en Diane, ])ar
Nattier — cette œuvre est charmante, pleine de la grâce du xviip siècle et tout
Fis. 161.
LKS SF.INS DANS I, Il I S I (> [ I! K
le cisoau de Coysevox déshabilla, pour la transformer en Diaiir
chasseresse, le haut et le bas du corps de la gracieuse, spirituelle
et peut-être légère Marie-Adélaïde de Savoie, ('pouse du duc de
Fig. 16:2.
Bourgogne. Cette statue à peine vêtue, que MM. R. Pinset et J.
d'Auriac ont reproduite dans leur His/nire du poiii'a'it en France,
a été faite pour le duc d'Antin et placée à Petit-Bourg. On trou-
à fait digne des meilleurs tableaux du maître — ; mais représenter, dans le cos-
tume de cette cliaste divinité, la i)rincesse l'alatine. mère du régent, celle dont.
« le style, disait Sainte-Beuve, a de la barbe au menton », n'est-ce pas une
véritable gageure de la part d" C. Ne'.scher ? (Voir au mus Je de Bloisi.
SUH I. K I) lOCOI.LKTAIi K
233
vera dans le commerce une reproduction pholographiqac d'un
portrait de la duchesse de Bourgogne, avec ses deux mamelons
prenant Fair à la lisière du corsage (fig. 162 bis), mais, en v regar-
dant de près, on reconnaît le buste magnifique de la toile qui figure
Fi y-. 162 /;,
à >'ersailles et qu'un industriel peu scrupuleux a dénaturée. Nous
connaissons, d'Antoine Coypel, le portrait de Catherine de Seyne (1)
en costume de Didon, exhibant un sein des plus vivants bien
qu'ensanglanté. Mais il paraît que ce sein ne fut pas fait d'après
nature. Nattier l'a aussi reproduite en costume du temps « ne
(1) Ciirios. arl.. fig. So. Mlle déhula dans llerniioiu'. en janvier 17i»;j. « toute
nue el toute vêtue dOr » : le jeune roi lui avait fait |)résent d'un costume de
*!0UO livres. A lloussaye, l'ri/iceases da comédie ei. Déesses d'Opéra.
LES SEINS DANS l/HISTOIHE
monlrant que discrètement sa gorge et pour cause » écrit A,
Houssayc. Elle s'appuie sur une urne, la Seine : « De Seyne, de
la scène, à la Seine, » comme on disait alors. Raoux, le « peintre
des grâces », eut la malice de peindre en Vestale M"^ Perdrigeon,
connue pour ses mœurs légères. « La mythologie, dit Charles
Blanc (1), subsistait encore fort à propos pour fournir aux demoi-
selles do l'Opéra un costume, c'est-à-dire une occasion do se mon-
Fi fi'. 163.
trer à demi nues ou en galant déshabillé. M"" Journel voulait qu'on
la peignit en Diane, dans Iphigénie ; M"'' Quinault (fig. 1()3)
posait en ximphifrile, traînée par des chevaux mai-ins ; M'"' Pré-
vost, l'ex-petite Fanchonnette, se couronnait de pampres, sous
prétexte de se faire peindre en Prêtresse de Bacchiis ... Enfin sous
les traits d'une Naïade, figurait M"" Carton... Xaturellement, la
cour et la ville, qui étaient à l'unisson, se disputaient les places
dans cet Olympe. Les duchesses blondes ceignaient la ceinture de
Vénus ou tenaient à la main la faucille de Cèrès ; les marquises
brunes portaient sur l'épaule le carquois de Diane et M"*" de Seno-
;1) Ilisloire des peint ret:.
srii 1, !•: I) KcoLi. r.TAf; !■;
san entretenait, comme M"''' Boucher, sur l'autel de Vrsfa, un
feu qui, à tout moment, menaçait de s'éteindre. >)
M'" Contât, paraît-il, fut statufiée en Vnit/s cail/pf/fjr. et
M'" Colombe se fit peindre en Pomonc, ofîrant ses « pèches )>
— de Tespèce tétons de Vénus — au dieu des jardins. M'" Gaus-
sin, de la Comédie-Française, qui se révéla dans les tableaux
anacrconliques, où elle faisait admirer sa gorge damnatrice sous
Fii;. ltJ4. — Maiif-Aiiiic de Mailly, nuuciiiise de Tournelle. duchesse de (Ihàteau-
roii.x. La ijhotugraijliie de ce tabl(>au se trouve chez Braun. Clément el C''--.
la métamorphose de Vénus, Junon ou Diane, fut aussi })ortraiturée
par Nattier, vêtue ou plutôt dévêtue en vestale du xviii' siècle ;
son portrait est au Théâtre Français : « elle ne prend guère souci
de cacher son sein », ajoute A. Houssaye, à qui nous empruntons
encore ce document.
E. de Lvden raconte, dans le Théâtre et autrefois^ que, pen-
dant un entr'acte du Derin de Villaye, à l'Opéra, où assistait le
jeune roi de Danemark, M"" Grandi, Tune des plus jolies figu-
rantes, lui fit passer son portrait en pied, miniature exquise, où
elle était représentée en costume de Diane, sortant du bain ; et il
parait que « TOurs » — c'était le nom donné au monarque par ces
demoiselles du ballet — tint à s'assurer lui-même de la ressemblance.
2:-.6
l.r. s SKINS DANS I. IIISTOIIIK
M""" de Gaylus j)rétend que la duchesse de Berrv, si fantasque,
si passionnée, Fimage même de la Régence, posa dans le costume
classique de TA/or, pour l'illustration de la fameuse « édition du
régent » de Dajj/inis et C/i/oé. j\I""' de Lattaie possédait un por-
trait de la fille du régent, en Ei(r(>ji(\ offert par sa rivale à son
Fig. 4(i,
mari : « elle se fût bien gardé de le conserver, dit-elle, si la maî-
tresse de son mari n'avait été qu'une simple particulière ». San-
terre peignit en Eve M""" de Parabère, avec l'assentiment de son
soigneur et maître, Philippe d'Orléans. « Comme le roi Gan-
daule, écrit A. Houssaye, il lui dévoila les beautés de sa maî-
tresse : M""' de Parabère fut une autre Nissia. Je ne suppose pas
que Santerre fut un autre Gygès. » Xattier, le peintre en titre du
sérail de Louis X\', sacrifia également au mauvais goût du jour ;
il a reproduit les traits et les contours des quatre filles de ce
monarque, dans les Dresses des (piatre rinnents, et ceux de
M""^ de Ghàteauroux, dans la Nuit, et en Point du jinir (fig. lOi).
SUH I.K DKCOLI, ETAd
2o7
Le même artiste nous a montré, en entier, le sein gauclic de la
marquise de Flavacourt (collection du comte B. de Castellane).
Dans les galeries de Versailles, sous le n° 3739, Françoise-Marie
de Bourbon (M'"" de Blois), duchesse d'Orléans, en Amphitritc, le
sein droit complètement à nu, se joue sur un dauphin, au milieu
des naïades (fig. Ulo).
Fig. 16(i.
D'aj)rès la chronique des ateliers, la première maîtresse de
Louis XX, M"'" de IMailly, aurait servi de modèle pour l'exé-
cution de la Mailc/cinr dévêtue du Louvre. Une autre favorite du
roi « Bien-aimé », la néfaste et ambitieuse Jeanne-Antoinette Pois-
son, marquise de Pompadour, recherchait les caresses du pinceau
et les morsures du ciseau : elle sera Y Aurore, avec Nattier (Mar-
seille) ; Flore ^ avec Boucher (Versailles) et dans ce dernier tableau,
l'un de ses boutons se confond avec les fleurs qu'elle tient à la main
(fîg. 1()G) ; elle posera pour la Diane de Goustou; pour YAhoïKlnnce
LES SEINS DANS l'hISTOIHE. — I. 17
2:i8
m: s SKINS DANS I, H 1 S l(> I K K
d'Adam Taîné (fig. 1(57) ; pour ÏAdrorr de Vinache (fig. 108) ; pour
VAtuilli' de Pigalle, la main droite sur le cœur et la poitrine au
soleil; enfin Bouchardon la fera figurer — comble de Tironie —
j)armi les quatre Vertus, supportant la statue de son royal pacha,
en compagnie de M""^ de Mailly, de Yintimillc et de Château-
roux, ses émules. Les estampes françaises et étrangères l'ont sou-
vent représentée, sans le moindre linge, sous le titre de la .Iciiiir
Fitr. Ui7.
FiK. IChS.
fciiiiin' à sa toili'tli' et son chic/t i^lig. Ki'.tj. Finissons-eji avec les
favorites de Louis XV : à la vue du magnifique buste de la Du
Barrv, sa dernière idole, immortalisée par le ciseau de Pajou, on
est tenté d'excuser les folies du vieux roi, et \'oltaire n'exagérait
pas quand il s'écriait, devant un de ses portraits : « L'original est
fait pour les dieux ! » Mécontente de Drouais, qui la peignit en
Musc (salon de 1171) et en Flore (salon de 1773), elle s'adressa à
Greuze. ha M use est gazée, en partie, d'une draperie légère et trans-
parente, qui se retrousse au-dessus du mamelon gauche.
Après ce long défilé d'impures, la vue se reposera sur le frais et
gracieux portrait de la toute jeune Charlotte Helvélius, par Charles
Loo,dité>//7 Va/i Lou (fig. 170) : la l)eauté, l'esprit et labienveillance.
SriS LK 1) KCOI. I. KTAIi K
2:59
les trois qualités de sa mère,
se reflètent sur sa miji,no!]nc
figure; quant au bouton de
rose de son sein en tleur, il est
bien en évidence ])Our sym-
boliser le printemps de la vie.
Avec M"'" de Créquy, nous
laisserons de côté les divinités
du paganisme, pour nous
occuper d'un tableau reli-
gieux : le sacré après le pro-
fane. La marcjuisc attribue à
Yan Goyen une peinture du
château d'Heymont, qui re-
présente sa belle-fille sous les
traits de la Vierge allaitant
Jésus, c'est-à-dire le petit-fils
de la marquise ; mais le
peintre hollandais, mort en
10 15, est bien ant(''ricur à
i''\u. 169. — D'iipi'és la gra\uii' de
.!. Wt'iss, rcprctcluite dans le bécollelé
el le relroii.s6-c. de J. (iraiul-Cartcret.
cette époque, et le tableau
est plutôt de Philippe Van
Dyck. Au moment où l'é-
pidémie de lactomanie
sévit en France, le fils de
la marquise fit graver cette
œuvre par Massart, sous
ce titre : La jj///s hcllr des
itù'rt's (1). La gravure est
bien connue des amateurs
d'estampes et porte la dé-
dicace de la marquise avec
ses armes en cartouche.
Voici la critique que celle-
ci fait de l'œuvre du gra-
veur : « Cet artiste mo-
ins- l'o.
(1) Aiiccd. Iii.sl.. liK- -'l-
-201)
1- 1: s s i: I N s I) A N s i, h i s t o i k k
dcrnc est loin d'avoir rcj)rodiiit la physionomie franehement
rarouche et la curieuse naïvclé de Foriginal : mais à qui la
Fit; ITJ.
faute? Ce fut un acte de complaisance envers ma belle-fdle, à qui
le graveur avait dédié La Plus belle des ?}icres, et dans cette
œuvre-ci, du même graveur, où vous représentez TEnfant Jésus
SL'K I. K DKC. (t M. [■.T.\(; K
261
dans le giron de la Vierge, on me permettra de vous dire (1 i qu'il
ne s'est rien trouvé de ressemblant, sinon votre portrait. «
La campagne lactophile, entreprise par Fauteur (VhJm//r,
explique les nombreuses toiles de Tépoque, où des mères de toutes
les classes de la société découvraient leur sein nourricier, caressé
par un petit polisson en état d'ivresse lactique. Cette attitude don-
nait une contenance aux mains, toujours maladroites dans les
F
4k
Fii
tableaux de famille. La figure 171 est le portrait d'une jeune
femme, peinte par Beaucourt, au Cap, en 1781), remplissant son
devoir de mère dans la pose la plus naturelle et la plus gracieuse;
la noble exilée perpétuait ainsi, à l'étranger, le bon exemple.
A défaut d'enfant à nourrir, les dames désireuses de suivre les
fantaisies de la mode et de montrer leurs seins en peinture, se
faisaient représenter : les unes, donnant à téter à de petits
chiens; d'autres, taquinant, giclant leur lait dans le bec de
(1) La marquise, dans ses Souvenirs, s'adresse à son i)elit-lils, Tancréde, qu
mourut avant son aïeule.
(2) Reproduite dans le Décolleté et le retroussé, de J. (irand-Carteret.
•ir.2
i.r.s si: IN s dans l histoiisk
pigeons paltus, comme la Nourrice de Gaspard Mensch (lig. 172}.
Une toile de notre galerie (fig. 173), qui rappelle les types lla-
inaiids e\ rc'clat du coloris de Jordaens. semble avoii- inspii-('' Tœu-
i-ii:. iî;
vre précédente. Plusieurs critiques s'adressent à ces compositions
similaires : développement insufïisant des seins, gonflés de lait j)ar la
maternité; absence de la coloration ])igmentée, si caractéristique,
de Taréole d'une femme qui vient d'accoucher: enfin, inexpérience
de la jeune femme qui se presse le sein entre le médius e( l'index,
suit I, K I) K(.()M. KIA(i I".
263
comme si elle Folîmit à un enfant, au lieu d'utiliser la puissante
pince du pouce et de l'index, nécessaire pour obtenir la douche
lactée.
Marie-Antomette aservidemodèleàr.4m/jAi/n7<' (fig. 173 bis) de
Pajou, exécutée en l'iionneur de la naissance du Dauphin '1781); la
reine, sommairement vêtue, assise sur des dauphins, tient le nou-
veau-né dans ses bras et le regarde avec* tendresse. La manufacture
de Sèvres ne possède qu'une copie de ce groupe; l'original, en
biscuit, pâte tendre, a été adjugé à
la vente San Donato, au prix de
171300 francs. James (idlray, qui
oubhe la licence de la cour de
Charles II, manque de mémoire et
de générosité lorsqu'il caricature, en
Messa/iiir, cette reine imprudente,
frivole et prodigue, mais non débau-
chée. Le même satiric[ue anglais,
plus brutal que grivois, montre, en
compensation, la princesse de Galles
découvrant la maîtresse de son mari,
l'ignoble Jersey, dans le lit conjugal.
Duplessis nous a laissé le portrait
de la malheureuse duchesse de Lam-
balle (1), dont l'artiste a peint les
deux boutons roses, ("'mergeant d'une
guipure immaculée.
Dans sa Diane, Borel a reproduit
les traits langoureux de Sophie de Rufïèt, marquise de Monnier
— in bel coi'po anima bella — la douce maîtresse de Mirabeau,
« enlacé dans ses passions comme Laocoon dans ses serpents »
(fig. 474;.
A ces gracieuses figures, opposons celle de Théroigne de Méri-
court (fig. 17o). Ce portrait, d'après une gravure anonyme, à la
manière noire, montre à nu le sein de la fougueuse exaltée; mais
il est probable qu'il n'a pas été pris sur le vif, bien cpie cette
virago se préoccupât fort peu du cju'en dira-t-on. Une autre
Fitî. ITo bi
(1) Aiiecd. hlsl.. lif;-. '6'.>
264
I, KS SKINS DANS I. IIISIOÏKK
héroïiio de la Révolution, JN!™*^ Tallien, qui après la réaction du
\) Ihormidor — dont elle fût rame — donna le signal des fêtes et
foref
F\g. 174.
du luxe, se promenait en public la gorge découverte et laissait
deviner les parties les plus secrètes de son corps, sous les transpa-
rences d'une tunique de gaze; c'était promettre un portrait autre-
Sl|{ I. K I) K.Cdl, I, l-.IAC K.
265
ment déshabille que celui de la figure 17o bis, où le bouton du sein
Q-auche se cache mal derrière la bordure en dentelle de sa chemi-
o
sette.
M''" RosaUe Duthé, actrice de second ordre, mais courtisane dl
primo carfello, figure déjà dans nos CKriosi/f'sai'tistiqncs (fig. 84^
avec les deux seins complètement émancipés de la tutelle du cor-
sage; elle se fit encore représenter en Da/iaé, recevant une
Fig. 173.
Fii,'. ITo h.
pluie d'or dans le « tonneau des Danaïdes ». C'est elle que
Ton chargea de l'éducation amoureuse du duc de Chartres, père
de Louis-Philippe; il paraît que l'élève fut digne de sa maîtresse.
Le roi trop chrétien Charles X, en rupture de banc d'œuvre
de chair, l'avait aussi honorée de ses faveurs; c'était une manière
de princesse du sang : « comme une cabotine de notre épo-
que, à qui les planches servent de trottoir, elle eut pu mériter
le surnom de Passage des prince x (1) ». Cette hétaïre des
C(Kilisses avait pour camarade une actrice du même théâtre des
Variétés, Ozy, dite Caliipijge, qui était fière, à juste titre, de ses
mamelles postérieures et les décolletait volontiers dans fintimité.
(1) Gr. dict. aniv. du XIX" tiiècle.
200 I.KS Si:iNS DANS I. Il 1 S 1 (» I li K
Nous avons déjà parlé de la trop célèbre lady Lyons, qui offre
plus d'un Irait de ressemblance avec notre contemporaine Clara
^Va^(l, ci-devant princesse de Cbimay (1) : elle fut portraiturée en
liacchanlc, couchée sur le bord de la mer, par M™^ Yigée-Lebrun,
pendant son séjour à Xaples, où son mari, lord Hamilton, fut am-
bassadeur d'Angleterre. Au musée de Montpellier se trouve le por-
trait d'une autre lady ***, en Psyché, peint par un artiste de celte
ville, François Fabre. Xe serait-ce pas plutôt celui de la célèbre
comtesse d'Albany qui, dit-on, épousa secrètement l'élève de David
à Florence et le fit son légataire universel, en 1824?
Girodet avait peint le buste d'une actrice du théâtre de la Répu-
bhque. M"" Simons Candeille, maîtresse du Girondin A'ergniaud.
L'actrice s'étant permis quelf|ues critiques sur la ressemblance, le
j)eintre piqué coupa la toile en morceaux et l'expédia à ]\1"'*^ Simons.
11 poussa sa vengeance plus loin encor-e : il composa un tal)leau
oîi sa cliente était représentée en J)/(jif/i', lapidée, non de louis d'or
mais de gros sous. Au premier rang figurait un énorme coq d'Inde
rappelant les traits du célèbre orateur girondin. Arsène Houssaye,
d'après, sans doute, le récit de Georgette Ducrcst dans ses Mf'-
moii'cs s/tr r imité rai ri ce .losrphnic, attribue celte aventure à une
autre aclricc, M"'' Lange, qui épousa, en 1797, un carrossier l)elge,
Simons, dont le père s'était marié précisément avec M"*' Candeille,
l)elle-mère de la j)remière : toutes deux ayant porté le nom de
Simons, la confusion s'explique naturellement.
L'époque napoléonienne nous fournira plusieurs documents plus
ou moins authentiques. Xous connaissons déjà le dessin satirique
de James Gillray, où M""^ Tallien et Joséphine dansent nues
devant Barras. Pas plus véridique n'est la Lélizia, décolletée, que
Napoléon fit placer, par ordre, dans le tableau du Sacre, de
David, bien qu'elle n'y eût pas assisté. Pauline Borghèse. la plus
désirable des sœurs de Bonaparte, aimait à se faire admirer nue
par son entourage, pendant sa toilette du matin. Constant men-
tionne cette coquetterie dans ses Mémoires : « Souvent un inter-
valle assez long séparait le moment où on lui offrait sa chemise
de celui où on la lui |)assait; pendant ce temps, elle se promenait
(1) Un mot entendu devant la vitrine d'un marchand de photojïraphies. à la
vue des nombreuses cartes-albums représentant la princesse en 32 poses et sans
costume : « En voilà ime nui aiint- à se faire tirer ! »
srii 1. 1: i)K coi.i. i: I .v(; i:
267
dans sa chambre avec autant crassurance que si elle eût ('té tota-
lement vêtue. » Son plus grand plaisir était de faire apprécier ses
formes, dont elle connaissait la perfection, parles artistes qui, disait
Napoléon, s'accordaient à la comparer à la^\'■nus do Médicis; elle
n'eût pas été duchesse, qu'elle
fût devenue modèle d'atelier
pour le nu d'ensemble. Sa
statue] faite par Canova (1^,
en Vnuis r/r///./- la pomme à
la main, a été moulée sur sa
propre chair et elle en repro-
duit fidèlement les contours,
dignes de l'antique. On pré-
tend que la princesse, voyant
hésiter Canova pendant l'o-
pération du moulage , lui
aurait dit : « Mais allez donc 1
de quoi avez-vous peur ? —
De devenir amoureux de ma
statue, — Allez toujours,
Canova, vous êtes un flat-
teur ^2) ». Une dame lui
demandait comment elle avait
pu poser ainsi toute nue :
« Oh ! dit-elle, il y aAait du
feu dans l'atelier ». Cette
statue, chef-d'œuvre de dis-
tinction et de grâce, est le
plus bel ornement de la villa Fitr. i7t3.
Borghèse. Quand elle fut
exposée, pour la première fois, on fut obligé de la protéger
par une enceinte contre les poussées de la foule. A'ersailles possède
un portrait de Pauhne par Robert Lefèvre, qui date de 1H2"3,
l'année de sa mort ; la « reine des colifichets » était alors âffée de
(1) Curius. uri ., lig. 8.').
(2) Joseph Turquan. lue. cit. Ce (liali>,i>ue pourrait l)ien èti-e a|)Ocryi)he :
Canova imitait si parfaitement la nature ipi'on disail. a sa louange. « f|uil moit-
Ifiil si>s modèles au lieu de les rojiicr. »
2GS
m: s SKINS DANS I, IIISl'OliiK
4() ans et commençait à s'assagir; elle est vêtue d'une chemise de
dentelle et d'une tunique grecque, à travers laquelle cependant très
visiblement les bouts de sein transparaissent.
Pour la modique somme de 12 francs, on peut se procurer aux
Beaux-Arts un moulage du buste de M"'" Récamicr, découvrant
en entier son sein gauche (fig. 176). A l'exemple de David, Fran-
çois Gérard représenta l'hospitalière et spirituelle beauté de l'Ab-
Fi^'. J77.
baye-aux-Bois, après le bain, mais dans une pose (Hfïérente de la
conception du maître : les mamelons font saillie sous la chemisette
en fme batiste. Le même peintre nous a laissé le portrait de la
célèbre tragédienne M'"^ George Wesmer, le mamelon du sein
droit à découvert (fig. 177). L'amie de l'empereur avait de puis-
sants appas et la salle entière soulignait dans Ci /ma, la tragédie
favorite de son amant, le vers où elle s'écriait :
Si j"ai séduit (linna, j'en séduirai ])iea d'autres.
La terrible Nn//('sis de Barthélémy fait allusion à ses avantages
srii I, K DKcoi.i, i:iA(; K
269
physiques et à une autre liaison a^ ce le « prince de la crilicjuc w
de Fépoquc, montrant
Janiii,
Sous les appas de (loor^o impercoptililc iiaiii !
Fi^'. 178. — D'après la photograpliie de Brogi (Floirnce)
En 1813, la belle M"'" Charlotte Fossetta, par amour de l'art,
servit de modèle à Dannecker, pour sa célèbre Ariane, portée sur
27U
I, i:S SKINS DANS I, Il 1 S T (I I !i K
un monstre mythologique et personnifiant l'Allemagne triomphante.
Elle s'offrit à l'artiste, chez qui elle fréquentait, en lui disant :
« Vous êtes sûr que mon corps pourrait être véritablement utile à
votre art? C'est bien, disposez de moi, si vous pensez pouvoir
créer une œuvre originale et géniale .A) ».
Deux salles de la NoxrcUe résidcncr, de Munich, sont ornées
(les portraits des trente-six iavoritesdu dévot roi, Louis de Bavière.
On y remarque celui de la
fameuse aventurière Lola Mon-
tés, de mœurs plus que légères;
il est vrai que la légèreté est la
vertu primordiale de toute dan-
seuse.
A l'Hôtel de ville de Vienne,
une immense toile de Hans
^lakart représente la cé4èbre
tragédienne Charlotte ^^'olter,
en Moisalinc, le sein di'oit à nu
et — discrète llattcrie de l'ar-
tiste — le bouton seul est dissi-
mulé sous la feuille d'une rose,
(|ue l'épouse de Claude tient à
lu main.
Au ('anijK) Sdiilo ou l'uiiilcro
nitmi(iiu'iil(i/c de Milan. — qui
ressemble à un Salon de sculp-
tures, aux mille veilleuses vacil-
lantes, comme autant d'àmes de
un caveau de la famille Maccia, dû au ciseau de
Fis. 178 bu
trépass(''s
S. Crippa (fig. 178), attire particulièrement l'attention : la veuve,
qui donne le sein au dernier-né, entr'ouvre la porte du mausolée,
comme pour appeler l'absent.
On vend en Egypte une photographie de la maison Zangaki, re-
présentant la nourrice du négus d'Abyssinie, nue jusqu'cà la cein-
ture, « le menton aers (appuyé) au pis ;>, suivant le langage des
trouvères (fig. 178 bis). Elle est atteinte d'hypertrophie mammaire
(1) (;. IJcYcr. cité i);ir le D' Stralz dans la lieuuli'' di' la /'enun
s i: R I, K I) K.r.dLI, K l'A(; K
271
et c'est sans doute à cette cascade de chair qu'elle doit rhonneur
d'avoir allaite un dauphin abyssin : sous les tropiques, on ignore
encore que les meilleures mamelles ne sont pas les plus grosses.
Revenons en France, Une des plus belles peintures décoratives
de Chaplin, le plafond du Salon des Fleurs, aux Tuileries, détruit
j)ar la Commune, en 1871, représentait Fimpératricc Eugénie, en
\'r/K(s. Entourée des Arts et des Grâces, les Génies lui apportaient
dans une corbeille un Amour, sous les traits du Prince Impérial (1).
La trop célèbreCora Pearl qui, sous le second Empire, occupa le
Fier. 179.
haut du trottoir, eut la fantaisie de faire mouler sa poitrine
(fig. 179) et sa main. Celle-ci, en Fair, lient un sein, l'autre sein
fait couvercle (fig. liSU). Le tout en onyx. Gallois fit sa statue en
douze séances. Pendant une pose, i-aconte Fhi'taïre, M"'" Desmard
frappe et supplie (|u'on lui ouvre; elle demande la permission de
venii' voir de temps en temps où en sera la statue, i)renant un plaisir
extrême à ce qu'elle appelait (( la contemplation de Fart et de la
natur-e ». « Elle-même avait un peu passé par là. Je dis un peu,
Gallois n'avait fait que son buste. « — L'art est une belle chose,
mais la nature est bien au-dessus, s'écriait mon admiratrice, en
appliquant son oreille sur ma poitrine. Quel dommage, ajoutait-
elle, que le ciseau ne puisse reproduire ces palpitations légères
que sont la vie. » Gallois souriait et je me disais à part moi :
« — Il me sculpte et elle m'ausculte. ».
(1) (;iauili' Vciiiii. les l'ciiiires de la feuune.
I, KS SK^^S DANS 1. Hisroiiti".
De Taveu du modèle, la copie on marbre du corps nu est par-
faite, mais la tète peu ressemblante. En 1874, le sculpteur Clé-
singcr sollicita Fhonneur de faire son portrait :
... .le vais exécuter une statue, et je désirerais vous prendre poui-
type : c'est vous dii'c que je saurai scul|)ter sur le niarl)re. non seule-
• Fiiï. 181.
ment les beautés plastifiues. ilont la renonunée est arrivée jusqu'à moi,
mais aussi la vie et les indéfinissables passions dont ce charmant corps
est animé...
Autre moulage de femme : nous donnons, figure 181, le lorse
de la jeune négresse qui a posé pour la fontaine de Carpeaux ; rien
ne distingue ce corps de celui d'une Européenne bien faite, ni
môme de la perfection d'un antique.
srn I, F. I) Kcoi. I. KiA(; I-:
273
Prosper d'Epinay déclarait le buste de M"^ Eugénie Fiocre, dan-
seuse de rOpéra, par le môme sculpteur, « le plus beau de notre
époque », et à sa vue, il éprouva une impression si vive qu'il exé-
Fitr. 182.
cuta celui de la jolie comédienne Marie Magnicr. Ce buste a Tun des
seins découvert, Tautre voilé sous une draperie : un souverain très
amateur de belles femmes, en tomba éperdûment amoureux ; mais
n'oublions pas qu'il doit toujours mettre consciencieusement en
LES SEINS DANS l'hISTOIHE. — I. iS
m; s SKiNS DANS I. Il is roiHi';
pi'aliquc la devise de son royaume : « FUnion fait la force ».
a Pourquoi, ('"crivait-il à Tarliste, en couvrir un ? A'ous rendrez
Fig. \S'2 bis.
l'autre jaloux (1) ! » Compliment que releva Albert ]ylallac dans un
sonnet inspiré par ce buste de « demi-reine » :
Un sein me laisse voir son coni(mr adouci;
l/autre, qu'un fin tissu de lin dérobe à peine,
.laioux sendjle vouloir se dérober ainsi.
(1) Clauik' Vcnlo, lov. cil.
SIK I. K. DKCOI. I, KTAIi i:
La Callixhw, du même artiste, est le portrait d'une femme du
monde qui fut autorisée, par son mari, à poser dans l'atelier du
ISi ter.
peintre, mais complètement habillée, pas môme décolletée. D'Epi-
nav tint parole : il habilla... de gaze son modèle, de sorte que
dans la statue « tout transparaît, rien ne paraît ». Quant à l'œuvre
capitale du maître, Cc'uifure dorée, qui contribua pour lui à la
« bonne renommée », dédaignée par son sujet, elle est la synthèse
de plusieurs beautés aristocratiques : l'une a prêté la finesse de sa
276 Li:S SKI?>S DANS I. IIISIOIIiK
main, une autre la cambrure de son pied; une troisième posa
j)Our la taille, d'autres pour « tout ce que l'on peut rê-
ver ! )).
La brune Coralie Brache, danseuse à l'Opéra, une merveille
de beauté et de grâce, passe pour avoir prêté les traits de son
visage et les ondulations de son corps à la Vh-ifr de J.-J. Lefèvre^
que chacun peut admirer au Louvre; mais le maître, tenu au
secret professionnel, nie le fait et semble même ignorer jusqu'au
nom de la savoureuse ballerine.
Un portrait de femme, attribué à Courbet, dont la chaude carna-
tion et l'ampleur des formes rappellent celles de la Femme au
pei-roquct, en plus habillée, exhibe une poitrine sans peur et
sans reproche; mais la coquette rosit de tant d'audace et cache
sa figure rieuse, à la façon des Orientales ou des autruches
(fig. 182).
De toutes les publications illustrées, d'après nature, Piiiis la
nuit., de la collection du Panorama, est celle qui reproduit, avec
le plus de vérité, les charmes secrets de nos séduisantes actrices
ou professionnelles-beautés. La plus audacieuse, mais aussi la plus
voisine de la perfection est M"^ Emelen i^fig. 182 bis) : elle expose un
buste modelé par les grâces et d'une pureté de ligne (jue Praxitèle
n'eut pas désavoué. On sait que M. Massenet a donné à cette artiste
lyrique, déjà célèbre à l'étranger, la consécration parisienne qui lui
manquait, en lui confiant l'interprétation du prince Charmant, de
Cciidrillon : son ramage égale son plumage ! Dans la même gale-
rie figure, avec honneur, la gloire des tableaux vivants, Suzanne
Duvernois, dont la pose de prédilection est celle de la D/aar au
bain (fig. 182 ter). Lise Fleuron et sa sœur Méaty, autre belle de
nuit, nous montrent tous les trésors que peuvent avantager ces atti-
tudes hardies, savamment inclinées et fort appréciées des « plon-
geurs )j.
A la vitrine des marchands de photographies sont exposés les
charmes de demi-mondaines ou de théàtreuses réservés à l'intimité.
La captivante Marville, ReuiYinger fecit, se cambre ainsi nue jus-
qu'aux hanches, sans le moindre maillot; pour tout vêtement, une
guirlande de roses tremières tenue entre ses doigts appliqués sur
ses mamelons. Au milieu de ces déshabillés aphrodisiaques, trône
en souveraine Tex-princesse déchue, non « Chimé — rique », dont
siK 1. K DKCoi. I. i:ta(;k
277
nous avons déjà parlé et qui est venue s'échouer dans les bras
d'un violoniste tzigane « Rigo — lot »; elle arbore le nu complet,
recouvert d'un maillot translucide. Ignorait-elle, la belle pêciic-
resse, que le violon, lui aussi, a une âme et des nerfs, ses cordes ?
Les poses préférées de la princesse capiteuse et capitonnée, sont
■en Phrvné ou en Phébé, couchée sur un croissant fig. 183).
\x
Fis. 1«3,
Au Salon de lUOU, le portrait de M"^ Cora Laparcerie, peint
par M. Edouard Zier, a obtenu un légitime succès d'art et de curio-
sité ; la comédienne au masque tragique, Ijelle statue dont on sent
trop le froid du marbre, apparaît superbe dans son rùle de lùuista^
enveloppée nue dans des voiles vert-pomme ; à travers l'étofte
légère que les anciens appelaient <( de l'air tissé », s'estompent les
contours de ses charmes qui fciilUrent coûter la vie à l'un de nos
jeunes gynécologistes.
Il est rare que, dans les Salons des beaux-arts, nos actrices
exposent d'autres monts que ceux
278
I>KS SKINS DANS I, IIISIOIItK
Ouen nos clinials les gens nomment tétons.
Car, quant à ceux qui sur l'autre hémisphère
Sont étendus, plus vastes en leur tour,
Par révérence on ne les montre g'uère.
Rarement, en effet, ces « monticules » ou « globes d'arrière »,
que La Fontaine ne iiominc pas, attirent l'attention du [)ublic.
Exceptons Buda-Pesth, si Ton en croit la plaisante aventure arri-
^ „ ^ée, en 1902, à M""^ Arauka
Heygi (1). Le Conseil municipal
J avait commandé, à un sculpteur
émérite, une statue de la Czai-ihi.
qui devait décorer la façade du
théâtre. Pour symboliser cette
danse, le statuaire n'avait pas
cru pouvoir choisir un plus joli
modèle que M'"'' Hegyi, une des
actrices de Pesth les plus renom-
mées pour son talent et sa luxu-
riante beauté. ]Mais lorsqu'il
s'agit de mettre en place la
statue, on s'aperçut que ses
formes opulentes débordaient,
avec excès, de chaque côté du
])ilier. La Commission des
Beaux-Arts, avisée, en délibéra
et })rit une résolution énergique. Estimant qu'une coupure s'im-
posait, elle fit venir un praticien qui, armé de son ciseau, ramena
en quelques retouches la plantureuse image de M'""' Heg\i aux
proportions éthérées et modestes d'une jouvencelle de Botticelli :
ne la comparons pas toutefois à la Ddiisc de Falguière, où nous
ne devons rechercher de Cleo (|ue sa ligure supérieure.
Paul DoUfus, l'auteur de Modèles d' (irtislvs, étrille de belle
façon les maris aveugles ou complaisants, qui permettent à leurs
femmes d'exposer leur triomphante nudité dans un costume trop
sendjlable à celui des pensionnaires que « ^Nl"'" Tellier » fait des-
cendre au « Salon » : « C'est sans doute l'orgueil de se dire :
Cette gorge que vous admirez, cette nuque que vous contemplez,
(Il Le Tlu'àlre et la Mode.
Fitr- l«:i b't
s LU LK DKCOLLKT \(i K
279
CCS beautés que vous devinez et que la toilette ne cache pas, tout
cela est à moi, m'appartient. Et si je vous permets de le regarder,
j'ai seul le droit d'y toucher. C'est sans doute la joie de se faire
ces réflexions satisfaisantes qui a amené M. G... à autoriser sa
femme à se faire portraicturer par M. Sargent, épaules et bras nus,
FiiT. 18J 1er. — !t'ai)ivrt la liliotographif ili' Garrij^ues (Tunis).
torse moulé par un corsage papillon, un sein à l'air, et l'autre à
peine caché, souligné plutôt par le corsage. D'autres auraient
gardé cette toile peureux. M. G... a autorisé M. Sargent à l'ex-
poser. C'est d'une belle crànerie, et bien Régence ».
Une « belle inconnue », ornée d'une [)oitrine digne de l'antique,
a eu la fantaisie, fréquente au xviii' siècle, de prendre la pose énig-
matique du sphinx, animal mystérieux et dévorant — comnic celui
de Thèbes — qui personnifie le mieux « l'éternel féminin » (fig. 2.j4).
280 I, KS SKINS DANS l/lllST(>ll{K
Sous celte forme aussi ou sous celle de tout autre monstre, les
Turcs ol)tienncnt le portrait de leurs épouses, autrement interdit
par le Coran.
M. Leydet, juge d'instruction, a fait saisir des photographies de
Améhe Hélie, dite Casque (/'Or, où la reine des « Apaches » lais-
sait voir une gorge par trop décolletée (1). L'éditeur poursuivi a
protesté en objectant que partout on exhibe des femmes dans une
tenue plus légère. La figure 183 bis rappelle l'attitude et le déshabillé
de cette tapageuse célébrité, qui ne méritait « ni cet excès d'hon-
neur ni cette indignité ». Mieux partagées, les danseuses algé-
riennes et tunisiennes ont toute liberté de se montrer, en chair ou
en photographie, nues jusqu'à la ceinture ; cette latitude est donc
une question de latitude (fig. 183 te?').
La manie des cartes postales ne pouvait manquer de s'emparer
des poses plastiques ou des tableaux vivants, avec ou sans maillot;
un spécimen de la série ïniiUilée Lof/cs (/'ar/istcs (fig. 184), nous
donnera une idée d'un pareil dérèglement; ce groupe, qui pourrait
l'aire pendant au Jugement de Paris, semble réunir un trio de candi-
dates à un concours de bustes : aux plus belles pommes, la pomme !
Les photogravures de portraits dénudés s'étalent jusque sur les
couvertures de certains romans : des mamelles de bonne volonté
aguichent les acheteurs, pour la grande gloire delà littérature
contemporaine : tels, la Vierr/e de BabyloiU', roman antique de
Prosper Castanier; Pauline du 1rs amours d'une j'dle île ferme,
de Georges Beauné ; Sensualité amoureuse, de Jean Lorain ; la
Bague brisrc, de Pierre Guedy ; le Miroir de l'Autour, les Danses
voluptueuses, etc., enfin V Encyclopédie amoureuse est ornée de
1 32 illustrations porno, c'est-à-dire photographiques.
A l'étranger, mêmes exhibitions licencieuses aux vitrines des
marchands d'estampes. Sous la rubrique Studii (études), on vend,
à Milan, des académies de beautés indigènes dans le costume le
plus primitif. La nudité de l'une d'elles est voilée d'un simple
(1) Elle montrait en entier l'une des « gourdes » de son jardin « i)lotager )» pour
nous servir du jargon du monde où la gigolette fréquente. D'ailleurs Amélie
reconnaît ([u'elle a o le corset facile » et n'est pas de celles que la nature a trop
généreusement douée : « Je connais, écrit-elle, bon nombre de marchandes de
poissons qui seraient très vexées d'avoir, sous leur médaille, une paire de nénés
aussi gamins que ceux que je ballade avec moi; ... au reste, Mandat et Leca.
qui sont des gens de goid, n'auraient point combattu comme des |)reux. ])our
qui'](|ue épaisse morue débordant de toutes parts I ».
s LU l-i: DKCOLLKTAdK
281
tablier de pâtissier (fig-. 184 A/s), plié en deux, porlanl, sur une plan-
chette, ses seins affriolants, au milieu de pommes naturelles, avec
cette inscription : « Des pommes, messieurs ». A Rome, sont offertes
des cartes postales où de jeunes Italiennes, au torse nu, symbolisent
la Force 7nofricc, le Tr/r/j/io/ir, VE(rifun\ la PJmloqrdphu'^ la
Fi-r. 184.
Lu))i'il'ri' vlrclriquc, etc. Par ses attractions féminines exposées aux
étalages, Vienne ne le cède en rien aux autres capitales du monde
civilisé et syphilisé, bien au contraire : si l'on en croit ^'ictor Tis-
sot (1), à côté du pittoresque cortège d'actrices viennoises « pres-
que aussi économiquement vêtues qu'Eve avant le péché «, toutes
les dames et les demoiselles de l'aristocratie « possédant des grâces
qui n'ont pas besoin d'être relevées par les artifices de l'art »,
s'exposent aux suffrages des passants et se vendent en photogra-
phie. Parlerons-nous des photographies maquillées, que nous avons
vues à Bukart'st !' Certaine nous est restée dans le souvenir : elle
se composait de deux personnages, l'un vrai, l'autre fictif; le vrai
(h Vienne el lu cic cieituoise.
282
I, K S S K 1 N S DANS 1. Il I S T 0 I II R
était une jeune déclanchée, dans le simple appareil, occupée à lire
ou relire, aux pieds de son lit, une épître enflammée, tandis qu'un
vieux voyeur — celui-là imaginaire — se pâmait d'aise en relu-
f|uanl, par le trou de la serrure, les seins
De la l^eauté qui va se livrer au sommeil.
Comme complément de cette étude du nu chez la femme, nous
parlerons des célébrités mas-
culines, dont les statues mon-
trent au moins leurs mamelles,
sinon « un homme vraiment
nu » comme dit Cathos.
Dans l'antiquité, c'était de
règle : Auguste, Domitien,
etc., étaient représentés, par
la statuaire, en tenue dont
Musset pare Hassan.
A la Renaissance, Michel-
Ange campe Julien de Mé-
dicis, sur son tombeau de la
chapelle Saint-Laurent, à
Florence, dans une nudité à
j)(Hi près complète, mais non
cho([uante, grâce au presti-
gieux ciseau du plus puissant
sculpteur que l'art ait produit.
Pour se venger de messer
Biagio da Cesena, camérier
de Paul m, (|ui avait dénoncé au pape sa magnifique conception
du JiK/ciiicnt dernier, « comme plus propre à une salle de bain
qu'à une chapelle », Michel-Ange le peignit nu, au milieu des
damnés, sous la forme de Minos, avec les oreilles d'âne de Midas,
et un serpent qui le dévore « par où il a le plus péché ».
En septembre 1770, Pigalle représenta Voltaire assis, tejuuit un
rouleau d'une main, ime plume de l'autre, mais complètement nu,
sous prétexte qu'un génie semblable nv devait pas craindre de
revêtir, devant la postérité, le costume de la Vérité, qu'il aimait
par-dessus tout. Le seigneur de Ferney, pressenti sur cette fantai-
Fiy. 184 bis.
s lu i. K DKCO I 1, K lAdK 283
sie d'artiste, répondit : « Nu ou vêtu, il ne m'importe. Je n'inspi-
rerai pas d'idées mallionnètes aux dames, dr quelque façon qu'on
me présente à elles ». Cette œuvre est à l'Institut de iM-ance.
Callamard et Ganova firent de même pour Bonaparte. Le marbre
de Canova figure un immense dieu :Mars, vêtu seulement d'un
manteau de guerrier, plié et négfigemment jeté sur l'épaule gau-
che, mais qui ne recouvre rien ; son épée est posée à côté de lui ;
il tient, de la main droite, une Victoire, et, de la gauche, un
sceptre. Cette statue, qui ne choquerait pas, s'il s'agissait d'A-
j)ollon, d'Adonis ou d'Antinous, provoque le rire par sa nudité
outrancière, en raison du personnage exposé : impossible de recon-
naître dans ce colosse, en peau, le « petit caporal » de la tradi-
tion (1). Sa place, au milieu de la cour du musée le plus important
de Milan, n'est pas non plus très bien choisie : elle fait baisser les
veux des visiteuses et invite les visiteurs à la raillerie ; l'un d'eux a
crayonné ces vers peu luisants sur le socle :
A Milan, cour Hréra,
Sculpté par Canova (2) ,
SuryiL Napoléon en costume peu digne :
Il n'a pour vêtement qu'une feuille de vigne !
Le premier mari de Pauline Bonaparte, le général Leclerc,
appelé le « blond Napoléon », en raison de sa ressemblance avec
son beau-frère, est représenté dans sa statue de Versailles, aussi nu
que Hoche, son voisin, transformé en Léonidas par un ciseau original.
Pajou exécuta, en marbre, Buiïon, non pas avec des man-
chettes, mais tout nu, comme la Nature, qu'il a scrutée avec autant
d'ardeur que de bonheur: le grand naturaliste est en compagnie
dun chien de berger qui lui lèche le pied.
Enfin, nos nécropoles, cimetières ou cryptes d'églises, renferment
nombre de monarques, reines ou personnages de marque, soit en
bronze, soit en marbre, couchés sur leur sépulture, les seins à nu ;
thuis cette attitude horizontale, ils ne choquent nullement lœil le
moins indulgent, mais debout, ils s'exposeraient, comme ceux que
nous venons de nommer, au ridicule.
(1) Passe encore s'il s était agi de renipereui' lléliogabale. (iiii paradai! devjuil
ses légions de Syrie, du hnut d"iin char « on il étalait aux yeux sa iiudite
radieuse », di; Richepin.
(2) Le célèbre sculpteur s'autorisait, parait-il. de la statue niu- de Septime
Sévère, pour représenter notre Empereur dans le même costinu(>.
CHAPITRE III
SUR LE CORSET
Ses variétés. — Il n'est pas donné à toutes les tailles féminines
de mesurer 42 centimètres, comme celle de M"^ Polaire, dont le
buste squelettique fut longtemps en évidence dans une vitrine de
la place de FOpéra, et force est bien aux « grenouilles » qui —
contrairement à celle de la fable — veulent se faire aussi fines
qu'une guêpe (1), de recourir aux appareils constricteurs (2) imaginés
pour violenter la ligne et profaner l'œuvre de la nature :
Beaux j)apilIons manques, qui pour être plus minces,
Bardent leurs flancs épais d"un corset et d'un l)usc.
En vertu du pouvoir discrétionnaire de la mode, un type l'em-
porte sur les autres, pour un temps donné, car les modes passent
(1) A liMir iiik'iitioii, nous avons modifit' la lable de La Fontaine :
l,a (iroiioiiillc \il un l'icloii
Oui lui sembla de lino (aille.
Elle qui se U'Ouvail grosse comme un liallou,
Iiii\ieuse. se serre, el soullVe et se liavaiile
Pour égaler l'animal en maigreur,
Disant : u — Regarde/, bien, ma sreiir,
Est-ce assez ? Dites-moi, n'y suis- je poinl encore ?
— Nenni. — M'y voici donc ? — l'oinl du loul. — M'y voilà?
— Vous n'en approchez poinl, » La cliélive pécore
Se serra tant qu'elle creva.
(2) Avant d'endiastiller leur gorge dans des corsets bardés d'acier, les
coquettes de tout lenqjs se sont préoccupées, comme les poupées armaturées du
xviF siècle de
l'resser de tous cotez lu molli' rorpuhMice
D'un sein qui s'émancipe el prend trop de licence,
Ou faire avec grand soin rendjonror son étui
Lorsque, pour se ])roduire, il a besoin d'appuy.
Les appareils constricteurs variaient selon les é|)0(pies : bandelettes, larges
ceintures, chemise ou le bliaut lacés, etc. Nous rappellerons, avec J. Iloudoy,
certains auteurs (|iii signalent ce travers : Aristenète (iv« siècle) : Qi/aii/o lucla-
s 11$ 1, K CORS Kl'
■285
comme les caprices. Celui qui tient le record actuel est le corset
droit Cil avant, qui supprime le ventre au bénéfice des rotondités
supérieures et donne à la femme Taspect du pigeon boulant
(fig. 185). Si l'on en croit le poète Alexis Isostasion, la courtisane
de rantiquit('' connaissait déjà Tart d'aplanir son abdomen : « N'a-
t-clle pas assez de hanches, on les renfle par artifice, de sorte que
ceux qui la voient ne peuvent s'empêcher d'admirer cette croupe
Fi":. 18:;
Yvx. 186.
empruntée. A-t-elle un gros ventre, grâce à des ressorts qui l'ont
Fetlet des machines droites, dont se servent les comédiens, on lui
renfonce le ventre en arrière ». Rien de changé, de nos jours, qu('
le procédé.
Les « corps » droits avaient déjà fait leur appariti(jn sous
mine sfrophium impellanf sororiantes papillœ .' (Avec ((uel effort les seiii.s
jumeaux rei)()us.seiit le stropinuin !i Sainl Aiiseline de Canlorbi-ry (xp siècle) :
fiirsus et mie
lu ininhnuiii iitaninins col/ii/if i/isa sica.s.
f... De nouveau el avec art elle comprime ses seins dans le moindre espace).
Enfin on lit dans le Specnlum nalurule. de Vincent de Beauvais (xiii'= siècle) :
Fa.scia, cingiilain qiio peclus el papillœ comprimunlur. iFascia. bandeau au
moyen du(iuel sont comprimés la poitrine et les seinsi.
28 C.
I, KS SKINS DANS I, Il I S 1' () I |{ K
Ilcni-i III (1) et son successeur, témoin le buste en entonnoir de
(lahrielle d'Estrées (fig*. 50). Nous retrouverons les tailles en V au
xviiT siècle : celle de M"'' de Penthièvre, ducliesse d'Orléans, est
visible au Musée de Versailles (fig. dSfi;.
Vn couplet d'une chanson de Lep Houss et Lindex. le \'i'/ifrn
Fig. 186 hi.s. — lia|)|)i)i-ls du cursi'l hal)i(iu"l el du modèle prrcoiiisr
pai' M">= Gaches-Sarrauto (:2).
ni exil, l'ait allusion à cette mode prohibitive de l'embonpoint
abdominal qui avantage le haut et n'trécit le bas :
La Femme alors supprima ses viscères,
Plus d"appétits, surtout plus de petits...
Ah! sanglez bien vos entrailles de mères.
Dans les corsets de Monsieui- l.i'oty !
Le crayon malicieux de E. Barcet (ast'ujdt ndvndo le même
ostracisme : Une cliente se plaint cà son docteur de souffrir du
ventre : « — Pourquoi, répond l'homme de l'art, n'essavez-vous
ili Anecil. /lis/., fig. 1:;7, l.^M.
(■2i Les fii^iircs 186 /ti.s cl /er suul tirées de l'ouvrage de M"'^' la docloressc
(iaehes-Sarrauie : Le Corse/, é/uc/e p/ii/siolof/iqt/e e/ pmti(/ue : Massiui. édit.
SIM i,K (.oMsr. r
287
pas du corset à la mode? Il le supprime ! C'est plus simple ».
Donc le corset droit ou abdominal , dont la foi-mule pourrait être :
« Rentrez-moi ceci, sortez-moi cela », fait remonter le ventre, mais
Fig. lt>() /t
(Jn-st't ancien et modi le Gaches-Sarrauli-.
il empêche — contrairement aux corsets llioraciqucs — la com-
pression fie l'estomac et des côtes ; tels sont les avantages du cor-
set hygiéni(|ue inventé par une doctoresse, M"'" Gaches-Sarraute.
Une seule objection sérieuse à ce corset abdominal : il ne soutient
pas les seins ; les femmes ne peuvent admettre que ces tumeurs
pectorales soient al)andonnées à leur propre poids. Mais notre émi-
288
LK S SKINS DANS \. H I S T (> I li K
nciitc pralicicnne ne s'arrête pas à cette critique : l'expérience lui
a démontré que beaucoup ont besoin d'avoir le ventre soutenu et
que bien peu ont les mamelles assez volumineuses pour réclamer
Fig. 1S8.
un tuteur ; aux femmes mieux pourvues, elle conseille une bras-
sière spéciale.
Une autre doctoresse, M^^" Tylicka, a consacré sa thèse (1) à la
question du corset, que Fauteur considère comme un détestable
instrument de supplice. La terrible révolutionnaire propose aussi
de le remplacer par une brassière en toile forte, à l'exemple des
Arlt'siennes. En cas de maiu'reur excessive, notre intransjoeante
(Il Ihi Corst'I. ,v('.s- itH'l'ails ait point de vite /ii/i/U'iiii/iie cl pal/iolof/i(/ii(% (l.S'J9).
sua LE COItSKT
289
conseille Fusage de bretelles ; concession facile quand on port(>
déjà la culotte. Le jjort de la l)rassière, comme aux enfants, nous
sourit assez ; les femmes à tous les âges ne sont-elles pas de grands
enfants :
La femme, enfant malade et douze fois impure,
a dit Fun de leurs apologistes.
Fier. isi).
Fi". 190.
^I"" Olga de Grimewitch, encore une doctoresse, d'origine
slave, a préconisé « le Callimaste », en grec « beauté des seins »,
Ce corselet est une sorte de suspensoir des seins, formé de bandes
en tissu élastique analogue au « crêpe Volpeau » ; harnais léger
qui a au moins l'avantage d'être peu encombrant (fig. 1S7). Dans
les vitrines de l'Exposition, cet appareil suspenseur (Hait appliqué
sur un buste de Diane (fig. 188), dont les formes rigides et mesu-
rées semblaient protester sous cet accessoire humiliant.
LES SEINS U.WS I, HISTOIllE.
290 LKS SKIXS DANS I. IIISrolltK
Du reste, dans toutes ces innovations, les brassières tiennent la
corde, avec les sous-ventrières ; leur vocaljle varie suivant les
fabricants. C'est ainsi que nous avons les Srrrcltrs, de A. Clave-
rie ; le Prri (fig. 181)), sa discrétion est telle qu'il « glisse sans
appuyer » sur les organes essentiels de la digestion ; il a, en outre,
la prétention « de mettre d'accord la Faculté et Félégance » : l'élé-
gance, soit; mais la Faculté... bien difficile ! Continuons l'inven-
taire.
Le corset de la Doctoresse, simple bande mammaire, a eu l'hon-
neur d'être adopté par M"'" Wanda de Boncza, des Français, dont
la taille fluette avait plutôt besoin de postiches ; l'Invisible, YIdéai,
autre support, muni de bretelles légères, utilisé surtout pour le
peignoir ou la robe Empire ; la Brassière Darbo-Goguey, de jour
et de nuit, de chambre et de voyage; le Mamellia, de la Samari-
taine; le Corselet-gorge de M™'' veuve Cadolle (fig. 190). La bras-
sière Sylphide permet d'obtenir « l'allure du jour et ce joli mou-
vement en avant qui caractérise les Parisiennes «. En avant,
marche ! Avis aux (( marcheurs «. Le Sa/is-Gène, en tissu élas-
tique d'une seule pièce, avoue quelques baleines, mais « garanties
neuves j), ce qui implique que les baleines des vieux corsets res-
servent à perpétuité, tout comme le castor et la pluche de nos
vieux chapeaux.
h' Expans ihle se décerne modestement le brevet de « corset
scientifique » par excellence. C'est un moule « euplastique » en
tissu tout d'une pièce aussi et sans couture; grâce à lui, « la taille,
jadis empâtée, s'allonge et s'affine n ; avantage fort appréciable
pour les Célimènes sur le retour. ^ Avec une coupe légèrement
modifiée », cet accapareur remplace la ceinture hypogastrique et
devient YAntiptosiqae. Autre appellation non moins pédante,
quelque peu torturée pour une sous-ventrière : le Scientifique de
santé, formé de trois sangles élastiques sous-ombilicales ; même
critique pour le Doctoresse [sic] et le Doctorat (re sic], édifiés sur
les principes de M"*" Gaches-Sarraute. Quand nous aurons signalé
le Mystère, lancé en octobre 1899, et la Jupe corselet, imaginée
par M. Dœuillet, nous n'aurons passé sous silence, croyons-nous,
aucune création baleinièi-e importante (1). Pour la bonne bouche,
(1) Nous allions oublier la dernière création de Léoty, (jui est un ajjpareil
intermédiaire entre les corsets ordinaires et les ceintures ortho])édiques : l'idée
SUR LK COHSKT
291
nous réservons la curieuse VcIhIuic (l'allailfiiwnt^ de la maison
Alibert (fig. 191, 192) ; celte brassière de toile « empêche la délbr-
mation des seins et permet d'allaiter sans ôter la ceinture », à la
satisfaction de la coquetterie et de la pudibonderie, bien qu'il soit,
pensons-nous, plus immoral de montrer les bouts que le tout. Il
va sans dire que M™"" Alibert, la géniale créatrice de cette trou-
vaille, et dont la maison mère est à Paris, possède une succursale à
Fie. 101.
Fis. 192.
Londres : un semblable masque doit avoir le plus grand succès
dans cette pudique et hypocrite Albion où, paraît-il, nombre de
prudes, mariées, revêtent des chemi&es de nuit avec fente dis-
crète (1).
Dans le même pays, d'après le D' Stratz, le trousseau de toute
jeune mariée renferme une ceinture qui s'adapte à sa taille et
iiioie vieiil d'ailleur.s d'un praticien de la Faculté de Lyon, le D' &enevet. Ses
avantages sont ceux de toutes les sangles ventrières, puisqu'il en est muni; en
se confondant avec le corset, la ceinture peut se passer de sous-cuisses : le
buse en lait l'office et l'empêche de remonter.
(1) La même maison établit ses corsets droits abdoniinau.x — dont elle reven-
dique la ijriorité (1894) — d'après « mannequin moulé sur modèle vivant »:
qu'on se le dise.
2'J2 I. KS sr, l.\S DANS I. HISTOlUi:
qu'elle porte dès le jour de son accouchement, pour conserver ses
formes juvéniles. Au dire du même auteur, les Indiennes se san-
glent aussi fortement le ventre après leurs couches, avec la ç/urita
javanaise (fig. 193). Ce bandage descend au milieu de la cuisse
et se compose de deux pièces de toile superposées et cousues en
leur milieu; celle de dessous est unie et les extrémités de Tautre
sont divisées en une dizaine de lanières que l'on serre à volonté.
Les méfaits du corset. — La nature, pour soutenir et proté-
ger nos organes, nous a gratifié d'un corset osseux et cartilagi-
neux, la cage thoracique, où les baleines sont remplacées par les
côtes et le buse parle sternum ; mais des industriels avides et cou-
pables ont imaginé un corset secondaire, artificiel, qui donne aux
déshérités : taille mince et cambrée, hanches et gorge saillantes.
Tout au plus le corset ne devrait-il servir qu'à soutenir le ventre et
les jupes, mais il est devenu un instrument de parure et surtout de
torture. « La Parisienne, dit le D'' Bertherand, ne comprend pas
qu'une Chinoise se brise les pieds pour être à la mode de Pékin, et
elle se brise l'estomac pour être à la mode de Paris » ; or, la sno-
binette parisienne donne le la du « chic » à tous les mannequins
féminins de France et de l'étranger, et, à son mauvais exemple,
les brebis cosmopolites de Panurge se « brisent « le torse avec
ensemble et conviction. Gomme notre confrère J. Dernier, qui vivait
dans la seconde moitié du xvii'' siècle, nous demanderons, inutile-
ment d'ailleurs, aux suppliciées volontaires, s'il « ne vaudroit pas
mieux paroître un peu moins grande et moins droite que de
s'écraser les poulmons, par une vanité dont on peut bien dire :
(Juid non. mortalia pcctora cogi^?
(A quoi ne pousses-tu pas ■ les poitrines mortelles?) Voilà une
plaisante interprétation d'un vers bien connu (1).
Au sévère et long réquisitoire que nous avons dressé ailleurs (2)
contre les tailles ficelées et saucissonnées, nous n'avons à ajouter ici
que peu de détails. M'"' Tylicka, qui était à même de faire des
essais in anima rili — on n'est jamais trahi que par les seins,
pardon, les siens — soutit^nt et démontre, dans sa thèse, que le
(1) Virgile: Enéide. Liv. III, v. 56.
(2) Anecd. hisL. p. 30- et suiv.
sri« I, K. coKSK.r
293
corset est un accessoire de toilette antihygiénique, qui refoule en
dedans les cinq ou six dernières côtes, provoque des troubles fonc-
tionnels de tous les organes thoraciques et abdominaux, et elle con-
clut à sa suppression radicale : la mort sans phrases. Les enfants
des Steppes ont une horreur instinctive des entraves.
Autre inconvénient signalé par M™'' Gaches-Sarraute : les gous-
sets du corset, faits d'une étoffe imperméable, favorisent Faccumu-
lation de la sueur au-dessous de la glande mammaire et s'opposent
à Télimination des sécrétions sudorales, ce qui nuit à la nuti'ition
de l'organe. Mais c'est surtout l'ap-
pareil digestif qui souffre de la cons-
triction, d'autant plus que les ma-
lades évitent, avec intention, de
signaler leurs malaises. « Elles ne
veulent pas avoir mal à l'estomac,
ajoute la doctoresse, et accusent
volontiers leur système nerveux,
de peur de voir toucher à leur
corset ». De fait, une femme « n'avoue
jamais » qu'elle se serre ; il faut,
avant tout, ne pas paraître énorme.
Certes Avinain ne se doutait guère,
en lançant à ses émules son fameux
conseil ultime, que la gent féminine l'appliquerait surtout à sa
toilette ^
Un nouveau danger du corset : les jeunes coquettes, pour faire
fine taille, se privent non seulement de nourriture et s'exposent à
tous les inconvénients d'une alimentation insuffisante (chloro-ané-
mie, neurasthénie, syncopes, vapeurs [2), gastralgie, entéralgie,
(Il .MM. Roth et Ghapotot ont montré les déformations que subit le squelette
sous l'influence du corset inextensible et le D>- Laborde a présenté à rAcadémit-
de médecine des épreuves radiographiques concluantes.
M. Haniy a communiqué à l'Académie une note relative à un squelette de
fenniie du .xviii» siècle, présentant des déformations du thora.x causées par
l'emploi du corset : courbure e.xagérée du sternum, torsion des cartilages cos-
taux, rétrécissement du thorax, en certains points, qui peut se chiffrer par la
proportion de 29 p. 100 du diamètre habituel; c'est un exemple curieux des
aberrations des anciennes modes. {Le mouvement thérapeutique.)
(2) Voici daprès H. France, les différentes recettes, employées en Angleterre,
contre les vapeurs [low spirlts ou esprits affaisés). suivant leurs causes : colère,
assa fœtida ; jalousie, corne de cerf (un souvenir delà médecine des signatures :
Fig. l'J3.
294 LKS SKINS DANS i/hISTOIKK
dyspepsie flatulentc, vomitante, etc.), mais encore font des « repas
de mouton », c'est-à-dire suivent à la lettre le « régime sec » et
suppriment toute boisson; résultat: avec (pielques centimètres de
taille, elles gagnent souvent une appendicite. C'est, nous le
savons, la cause de la mort de la séduisante actrice des Français,
dont nous venons de parler, et qui était si fière de la finesse de
sa taille. Cave an t fcmcllœ !
La constriction du corset est, suivant les docteurs Richer et
Stratz, une dos causes principales de l'accumulation de la graisse
aux hanches et aux cuisses des Européennes. Cette constriction
transforme, de plus, l'estomac en gourde et trace sur le foie deux
sortes do sillons artificiels (1). Mais le D' Liicke ne s'expose-t-il
pas au reproche de vouloir trop prouver, en accusant les jarretelles,
qui relient les bas au corset, de dévier les jambes ?
Rappelons enfin, avec Pinard, qu'il n'y a pas de meilleur instru-
ment abortif que le corset : il décolle l'œuf et l'expulse avec la
plus grande facihté : tato, ri là et jacundc ; avis aux matrices
amatrices. Gerdy a rapporté l'observation d'une actrice de l'Odéon
qui, pour dissimuler sa grossesse, se faisait sangler outre mesure
avant d'entrer en scène : un soir, la constriction fut telle qu'elle
succomba à son imprudente coquetterie.
Faits divers. — Antiquité du corset. — Une statuette en
bronze, trouvée dans les fouilles de Troie ^3;, montre une femme
en cheveux, dont le vêtement, composé d'un corsage ajusté et
d'une jupe à volants phssés, est beaucoup plus voisin du costume
moderne que de celui des Athéniennes du temps de Périclès. C'est
pourtant ainsi que les femmes s'habillaient en Grèce, vers le
xvif siècle, avant Jésus-Christ.
Déjà le cJiitonisque (/j.-zbiviTy.oq), corsage ajusté, se portait tan-
tôt sur le chiton, sorte de camisole sans manches, tantôt et plus
souvent sous ce vêtement. Un bas-relief tout récemment découvert
cornes j)ar cornes) : accès de mère, plumes brûlées : chaussures étroites ou
corsets serré.'», un verre d'eau-de-vie.
(1) Voir Traité J'Anatomie du I)'' l'iiirier.
(2) Le mouvemeni tliérapeuHque.
(3) Reproduite dans VHisloire de l'arl de l'errot el Ciiipiez (VF. (ig. 350) et dans
la Vie publique el privée des Crées et des Romains, de G. Fougères".
SUR 1. K r.OIiSKT 29S
en Crète, dans le palais du roi Minos, confirme ce détail de cos-
tume (i).
En Etrurie, on se faisait une fine taille par des artifices de toi-
lette, faciles à distinguer sur une pâte antique, dans le portrait d'une
femme étrusque, nommée Scylla : le corps se rétrécit au-dessus
des hanches comme s'il était maintenu dans un corset (2).
Autrefois, les femmes turques croyaient (jue le corset était une
sorte de cuirasse, imposée par les maris à leurs femmes, pour
s'assurer de leur fidélité et dont eux seuls avaient la clef, comme
pour les ceintures de chasteté ou « anneaux de Venise ».
D'après Gaston Deschamps, dès que le corset moderne fit son
apparition sur les côtes de la mer Egée, les lettrés l'appelèrent
(7TT,f)ôo£7[ji.o;, littéralement, le lien de la poitrine ; mais les Athé-
niennes trouvent ce mot trop long et trop savant : elles disent de
préférence t6 y.ozni.
Armures de femmes. — Les voussures des seins, au dire du
bil^liophile Jacob, n'étaient pas indiquées dans la cuirasse que por-
taient jadis quelques femmes guerrières. 11 en était de cette partie
des armures féminines comme des corsets en fer du musée de
Cluny (3) : une voussure unique du poitrail métallique emboîtait
les deux mamelles et leur permettait de s'entrechoquer au galop
des haquenées. C'est ainsi que les sculpteurs et les peintres façon-
nent la cuirasse de Jeanne d'Arc. Fredk. Graves, dans le portrait
de l'héroïne, observe la tradition, mais agrémente son armure de
deux boutons en fer, correspondant à ceux des seins. Cependant,
Misson, en lt)88, dit avoir remarqué au petit arsenal du Palais
royal de Gênes, quelques cuirasses faites pour des femmes « comme
on en peut Juger par la forme du sein ». Elles auraient servi, en
1301, à de nobles Génoises, dans une croisade contre les Turcs.
Le président De Brosses, qui a vu ces cuirasses, trouve que « les
corps en sont larges et courts et ridiculeusement bossus par devant.
On dit que c'est à cause des tétons. S'il est vrai, ces braves cheva-
lières les portaient gros et pendants », 11 y en avait 32 ; elles ont
été vendues, en 181."), au prix de la vieille ferraille, par les Anglais
(1) Revue de Paris, 15 mars 1902.
(2) Voir Winckelmann. Hist. de l'art chez les anciens.
(3) Anecd. hisf., fig. 153,156.
296 LKS SEINS DANS I. H I S T (> I R K
qui tenaient Gènes. « Une seule, dit Alexandre Dumas, a échappé
à cette spéculation de laquais, encore ne m'a-t-elle point paru
bien authentique. »
En terme militaire, on appelle « tétine » de cuirasse la saillie
interne produite par une balle qui s'amortit sur cette armure.
Licences des tailleurs de corps. — Au x\ m'' siècle, oîi « le
tailleur pour femmes » faisait fureur, les satiriques de la plume et
du crayon ont eu beau jeu ( l) ; telle l'estampe du Tailleur (fîg. 194)
qui (( serre » de près le « corps » de sa cliente. Le D' René Fau-
velle rappelle, dans les Etudiants en méilccine sous le Grand Roi,
d'après le passage du Gar^e toac/ié, imprimé en 1612, les pri-
vautés que se permettaient les tailleurs pour dames :
La jeune fille s"étant plainte que son corps la pressoit un peu d'en
haut, le tailleur le tira avec les dents par devant pour lui faire pren-
dre la l'orme qu'il devoit.
Ces chevaliers du buse et de la couture étaient, depuis long-
temps, couturiers... pardon, coutumiers du fait, comme le constate
une scène de la Farce du Couturier : 11 faut, dit la <( Chambe-
riere »,
Il fault, sire, que vous soyez
Mon cousturier; mais je vouldroye
Que ce fust hien fait.
LE COUSTURIEH
Uue je voye
Se vostre corps est droictement
l^our porter un hon vestement.
Guy : vos hanches sont espesses.
Fendue en corps et haultes fesses,
Je m'esbahy s'on ne se tue.
Quand une'foys serez vestue,
A vous avoir en mariage.
Sur les lacets. — Avant l'importation des corsets italiens, par
Catherine de ^Nlédicis, le lacet était l'agent de constriction des
bustes féminins. Au xn*^ siècle, déjà, on recherche les tailles fines;
et la cotte hardie moule si hardiment les corps des élégantes de
(1) Anecd. hist.. fig. 169.
sri{ M-: ('. uKsirr
297
Tépoquc, qu'elles semblent cousues dans leurs robes. Un siècle
plus tard, sous Louis XI, les lacets continuent à étrangler la taille :
« Les robes sont si étroites par le faux du rorjfs^ écrit Pierre des
Gros, que à peine peuvent les dames dedans respirer et souventes
fois grand douleur y souffrent, pour faire le corps menu. »
Au pays d'origine du corset, les lacets jouaient un rôle prépon-
dérant dans la toilette des dames. Du \if au xviii" siècle, les riciies
\ I
Fig. l'.U.
Vénitiennes avaient sous le /laZ/ho//, longue tunique sans manches,
la jje/lorina, corsage ou justaucorps ouvert sur la poitrine et
retenu avec des lacets, qui laissaient entrevoir la gorge (1). Au
xvi' siècle, Michel- Ange affuble le torse nu de sa Slhylle Lihycinic,
d'un corselet, lacé sur le côté, mais trop court pour contenir ses
seins. Le peintre Preti habille son Hêciibi', arciKjlant le roi de
Thrace Polynincstor, d'un corsage analogue. La Lucrèce de
Quentin Matsys, porte une robe lacée en avant Tig. 4(1) , et dans
un tableau de Bassano, nous retrouvons le même lacet sur la
(1) Rossi, Raccolta shi eosltnni Vcnezutni
"298 I, KS SEINS DANS i/hISTOIRK
vertueuse Romaine qui préféra la mort au déshonneur. Vers
la lin du wiT siècle, les corsages des Anconitaines étaient lacés de
quatre côtés et j)ar conséquent taillés en tulipe, comme ceux des
courtisanes vénitiennes.
En France, sous Louis XII, la robe était souvent lacée par
devant, comme dans le costume génois, introduit à la cour vers
cette époque : on imitait la belle Thomassine Spinola qui, à Gênes,
s'é])rit follement du roi et sollicita le titre de sa maîtresse de cœur,
en lui offrant celui à^iiitetidio. On sait qu'elle mourut de douleur
au bruit de la mort du roi ; le « Père du peuple » la pleura, mais
n'en mourut pas. La figure 93, que nous empruntons, avec les
détails précédents, au bibliophile Jacob, est copiée sur une
estampe italienne de loOO. La robe est fort échancrée et lacée
par devant; elle laisse entrevoir la chemisette blanche dont les
dessins sont d'or comme le lacet.
Au xvii*' siècle, le corset portait double laçage, un devant,
l'autre en arrière; et, pour le retirer, il suffisait de défaire l'un des
lacets; ainsi procède la Courtisane amoureuse, Constance, des
Contes de la Fontaine : pressée de se délacer, elle a recours à un
poignard :
Le prend, le tire et coupe ses habits.
Corps piqué d"or, garnitures de prix.
.\os pécheresses contem])oraines n'ont plus de ces impatiences
pour ouvrir leur corset: il leur suffit de dégraffer le buse.
C'est surtout au xviii" siècle que les lacets firent fureur. En
4 7(i2, J.-J. Rousseau, s'imaginant « qu'il ne pouvait prendre la
plume sans alarmer toutes les puissances de l'Europe w, résolut
de ne plus écrire et « l'ours », mal léché, que M™" d'Épinay avait
eu l'habileté de prendre dans ses lacets, se mit à en faire.
M'"' D'ivernois, fille du procureur général de Neufchatel lui fit
demander, pour le jour de ses noces, un lacet de sa façon ; il lui
envoya le premier qu'il confectionna, avec ce billet : « Le voilà,
Mademoiselle, ce beau })résent que vous avez désiré. S'il s'v trouve
du superflu, faites, en bonne ménagère, qu'il ait bientôt son
emploi. Portez sous d'heureux auspices cet emblème des liens de
douceur et d'amour, dont vous tiendrez enlacé votre heureux
époux, et songez qu'en portant un lacet tissu par la main qui traça
s rit 1. K coRSi-yr
299
les devoirs des mères, c'est s'engager à les remplir. >> Il fit le
même présent à la sœur cadette, Isabelle, qui « ne la pas moins
mérité par l'intention ; mais, elle n'a pas eu le bonheur de pouvoir
faire sa volonté ».
S'agit-il de lacets pour robes ou pour corsets ? Nous inclinons
pour ces derniers qui, à cette époque, étaient très longs et de la
couleur du corset. Ses nuances toutefois étaient limilées, celles des
étoffes variées à l'infini ; citons, parmi les plus extravagantes, la
couleur ventre de pue c en fièrre de lait! Ah und disee ont nés.
Nous ne sommes plus au temps de Clément Marot, où la couleur
du corset était différente de celle des lacets :
Elle vous avoit un corset
D'un fin bleu, lacé d'un lacet
Jaune (1) qu'elle avoit fait exprès.
Les lacets auraient-ils vécu? Une révolution importante dans l'his-
toire du corset s'opère en ce moment : l'arbitre des élégances cor-
selières, Léoty, vient de lancer un i< buse », qui porte son nom,
pour « remplacer tous les laçages et au besoin le lacet ». Qui vivra,
verra.
Corset accusateur. — En 1768, le vicomte de Bolingbrok
avait introduit une demande en divorce contre sa femme, Diane
Spencer, fille du duc de Marlboroug, accusée d'un commerce adul-
tère avec l'écuyer Tophan Beauclerc ; Elisabeth, la femme de
chambre de la vicomtesse, fit une déposition dont l'exactitude nous
semble contestable : « Un jour, dit-elle, en la laçant, j'observai
l'ampleur de ses reins. Plus le temps avançait, plus les deux bouts
de son corset avaient de peine à joindre. Au troisième mois, il me
fut impossible de les rapprocher ». Elisabeth exagère quelque peu:
la matrice gravide ne s'élève au-dessus du jnibis, pour ])rendre
définitivement domicile dans le ventre, qu'au quatrième mois de
la grossesse. Une autre domestique charge moins sa maîtresse :
« Je remarquai, à la vérité, un peu plus d'embonpoint dans
Madame; ses corsets ne lui allaient plus si bien. Une de ses
(1) Le jaune, dans le blason des couhMirs. signifiait alors «jouissance » ; de
nos jours, on en fait la couleur des ménages à trois : elle n'a donc pas perdu
sa signification.
300 I.KS SEINS DANS I. H I SI' (> I li F.
femmes, qui avait observé la crue de ses reins, me dit qu'elle
était grosse ; mais, moi, qui n'avais nulle raison de le croire par
tout ce que j'avais vu de sa conduite, je soutins que la pauvre
dame était hvdropique ». En effet : une hydropisie de neut'mois (1).
Autrefois, à TOpéra de Paris, on n'eng-ageait pas de femmes
mariées, parce qu'elles étaient trop souvent « incommodées du //tf(/
(le ccintun' et dont il falloit rhinjir le corps ».
Corsets en peau. — M""" Tylicka (2) rapporte une anecdote,
attribuée à Réveillé-Parise, dont Théroïne est une beauté célèbre
sous le premier Empire. Cette dame, ayant entendu dire que la
peau de renne était complètement inextensible, en fit venir une du
Nord ; on en forma un sac, ouvert aux deux extrémités, dans
lequel elle se fit coudre la poitrine et le ventre, ce que les Amé-
ricains appellent « une combinaison ». Mais cette nouvelle
espèce de cilice ne put être supportée que peu de mois, « il n'y eut
pas moyen de résister à cause des suffocations et d'indéfinissables
malaises ». Ce maillot inamovible, véritable robe de Nessus,
devait laisser à désirer, surtout sous le rapport de la propreté.
La grande époque du corset en peau est l'année 1877 : la mode
était à l'extra-collant, et le corset — ■ ipso facto — fut supprimé,
comme tenant trop de place : le corsage suffisait. Mais bientôt les
raffinées trouvèrent que la chemise aussi était encombrante et
r (( inexpressible » suivit le sort du corset, pour céder la place à
la peau de chevreau savamment ajustée, jouant le rôle de la mas-
tothèque, où la sarigue renferme ses mamelles et ses petits.
Usages singuliers du corset. — Lacets et corsets, pour cer-
tains esprits, sont des fétiches de la plus haute valeur. On a trouvé,
récemment, dans le lit d'une fille galante, dont l'assassin est resté
inconnu, un fer à cheval autour duquel étaient enroulés plusieurs
lacets de corsets (3). D'après une superstition, fort répandue dans la
classe de la basse galanterie, le fer à cheval faciliterait les entre-
prises et les rendrait fécondes.
Rien n'est plus superstitieux qu'un joucui' ; Alphonse Lemonnier
(1) 11. France, loc. ci/.
(■2) Luc. cit.
(3) Gazclte médicale d'Alr/érie.
SI II I. K CdltSKT
301
dit avoir connu un auteur dramatique, « plus joueur que joué »,
qui n'allait jamais au cercle, sans porter sur lui le corset de sa
maîtresse, une sociétaire de la Comédie-Française, réputée pour
une porte-veine, une mascotte. Mais le corset en question avait été
donné par Tactrice à sa femme de chambre, qui s'en était servie
?^!Wf
Fig. im.
quelque temps avant de le céder à Tami en question. Et malgré
cette souillure, Fauteur assurait que ce corset fétiche lui avait
toujours porté chance.
Dans le monde où Fon aime, le corset devient la poste restante
de Gupidon : de là, par allusion à la nouvelle boîte du service des
Postes, dont M. Mougeot était le Directeur, le nom de « mou-
geotte » (1), donné h ce dessous de toilette. Une gracieuse com-
il) Kii 1S31, unt> « inijotU' » était déjà synonyme de cachette.
•W2 LES SKINS DANS 1. " Il I S T (» I II K.
position de G. Lami nous montre la « mougeotte » du Courrier
français (fig. 1'.).")).
L'auteur des Sœars de Napo/êon raconte une historiette, qui
mentionne le même usage du corset, La grande-duchesse de Berg,
Caroline, qui avait une liaison avec le général Junot, se trouva
subitement indisposée à la Malmaison : a L'impératrice Joséphine
s'empressa auprès d'elle pour la délacer et, en ouvrant son corsage,
une lettre qui s'y trouvait lomi^a à terre. Elle la ramassa et
reconnut l'écriture ; elle la lui mit aussitôt dans la main pour ne
pas être soupçonnée d'en avoir seulement remarqué l'écriture et
eut la délicatesse de la tenir fermée dans la sienne, pendant tout
le temps que dura l'évanouissement de sa belle-sœur. Lorsque
Caroline reprit ses sens, elle s'aperçut de la discrète attention de
l'impératrice : « C'est une lettre de Murât », dit la princesse, en
dissimulant mal sa mauvaise humour et en répondant à une inter-
rogation qu'on ne lui faisait pas ».
Autre anecdote, où le corset joue encore le rôle de boîte aux
lettres. Une femme Aversa, dont le mari venait d'être condamné à
mort, résolut de demander sa grtàce au roi Xasone ; à pied, elle
accourt à Naples : Ferdinand était à la chasse. La pauvre femme,
harassée de fatigue, s'affaisse sur les marches du palais roval et
s'endort profondément. De retour, le roi l'aperçoit et, vo^'ant une
pétition dans son corsage, il la prend, la lit, puis écrit : Fortuiia e
duorme (la Fortune vient en dormant) ; il signe et remet le
papier où il l'avait trouvé. A son réveil, la solliciteuse apprend le
retour du roi et veut entrer au palais, mais le garde s'y oppose et
la malheureuse s'en retourne, désespérée, à Aversa. L'avocat de
son mari se charge alors d'adresser la requête à un autre person-
nage, lorsque la dépliant machinalement, il vit la signature rovale
qui équivalait à une grâce. ,
En Grèce, le corset — nouveau miroir aux alouettes — • est uti-
lisé pour la chasse au mari : les appas font ici l'office de l'appeau
qui appelle l'étourneau. About raconte l'histoire d'un étranger qui
se laissa prendre à ce piège à baleines. Attiré dans une famille des
environs d'Athènes, la fille de la maison, belle, mais non rebelle,
accuse une indisposition subite et feint une syncope; au lieu de la
secourir, tout le monde s'enfuit, père, mère, frère et servantes. Le
galant visiteur, resté seul, s'empresse auprès de la petite rouée et
SUK LK COHSKT
303
délace son corset. Aussitôt, les fuyards rentrent, se précipitent sur
l'audacieux, qui déshonore le toit hospitalier, et le conduisent, cou-
teau sous la gorge, devant le prêtre, puis, ce qui est plus grave,
devant le consul. Avis aux amateurs de /////, qui cherchent à
(c plumer la dinde », suivant l'expression espagnole; qu'ils évitent
de se faire « plumer » à leur tour,
s'ils vont en Grèce : les maîtres
chanteurs y abondent.
Vous doutiez-vous de l'existence
des corsets-surprises, articles de jeux
de société, appelés Corsets indiscrets
(fig. 19(1) ? On appuie sur un bouton
dissimulé à la base, et aussitôt sort,
par l'orifice supérieur, le torse élé-
gant « d'un jeune et beau fiancé »,
dit le prospectus.
Corsets d'hommes. — Pour les
jeux oIym[)iques, les Grecs se cei-
gnaient les reins du (i^too-Tr.p et les
Romains, du ciiujuhmi; le canipestre
était le caleçon des athlètes ou des Fig. 196.
jeunes gens qui s'exerçaient au
Champ de Mars. On sait qu'à Rome, les efféminés seuls ne portaient
pas de ceinture.
En France, au xiv'' siècle, les gipons ou justaucorps, rembourrés
de crin, font saillir la poitrine des seigneurs avec excès ; on pré-
tend, dit Roger Miles, que cette coutume fut amenée par l'usage
des cuirasses bombées. A la Renaissance, on ajoute un buse au
haut du pourpoint, qui prend le nom de corsett/s, et les deux sexes
s'en couvrent la poitrine. Henri 11, sans pitié pour son « couturier »
accusé de luthéranisme, le laisse condamner au bûcher comme
hérétique et assiste à son supplice. Sous François II, en vertu de
la mobilité de la mode et de la loi des contrastes qui la régit, ce
buste descend et dessine la panse de Polichinelle, digne pendant
des grotesques vertugadins. De là, les plaintes de Montaigne :
« Quand nostre peuple portoit le buse de son pourpoint entre les
mamelles, ilmaintenoit par vifvcs raisons qu'il estoit en son vray
304 I. KS si: I.NS DANS I. Il I s 1(1 I m.
lieu : quelques années après le voyla avallé jusques entre les cuisses ;
il se mocquc de son austre usage, le trouve inepte et insupportable. »
Bientôt le satirique Agrippa d'Aubigné, en vers indignés, trai-
tera Henri III de « putain fardée » et corsetée :
Pensez quel beau spectacle, et comme il fit bon voir
Ce prince avec un buse, un corps de satin noir...
Avec Henri IN', la bosse d'estomac des mignons disparaît et les
pourpoints s'affranchissent de leurs buses; les hommes abandonnent
la rigidité du corsage à la gent caractérisée par « les cheveux longs
et les idées courtes ». Le fils de Louis XIV portait un corps baleiné
« pour lui tenir la taille ferme » et, ajoute son valet de chambre,
Dubois, pour le protéger contre les coups de son brutal gouverneur,
M. de Montausier. (D'' Cabanes, les l/idisr/'rnons de rhishtire.)
De nos jours, les sportsinrii et les officiers de tous les pays
portent le corset : mais pour ne pas humilier ces snoljs internatio-
naux, les corsetiers ont donné à leurs appareils le nom de cein-
tures. Telles les ceintures olijnipKpie^^ et les ceuUures-corsets de
E. Chane. Les spécialistes emploient le coutil, le tissu élastique, le
satin, la soie et une peau spéciale « très recommandée ». M. Chane
préfère la peau de chien ou du coyotte de Mexique; d'autres, la
peau de daim : Tune portant l'autre. Les buses et baleines sont
remplacés par des tiges d'acier flexible qui. comme le roseau « phe
et ne rompt pas ». En France, les lacets tendent à disparaître, pour
faire place à deux ou trois sangles élastiques ; ils ne couvrent que
les reins et le ventre, tandis que les dandys anglais en sont encore
aux corsets lacés de nos grand'mères, qui leur enveloppent abdo-
men et poitrine. Ces (/entlemeu riders oubhent la signification du
mot anglais corset, sfmjs, qui veut dire « support » ; nous nous
demandons ce que ces corsets en coutil noir peuvent bien supporter
chez les hommes ? Le ridicule tout au plus.
Nous savons que dans la Dnine aux Catiiéllas, la Manon Lescaut
du xix'^ siècle {A)i. /tis/.^p. 29'.)), les artistes hommes se conforment,
depuis 1S96, à la mode de 1848, époque de la pui^hcation du
roman de Dumas fils. L' administrateur de la lienaissance constate,
dans une lettre adressée à M. Chane, « que ses corsets vont très
bien à nos comédiens qui, encore un peu, ne voudraient plus les
quitter, surtout les bedonnants ». Albert Lambert fils, en artiste
sri{ LK COHSKT 30a
consciencieux, s'est astreint au corset pour jouer le rùle de Rodolphe,
de la Vie de Bohême ; à rOpéra-Coniique, les interj)rèles de la
même pièce se sont montrés moins Brid'oisons de la fo-orme.
Terminons en rappelant, avec le malicieux Cri de Paris^ un
incident comique qui eut lieu au cours du professeur lîanke,
le physiologue bien connu de l'Université de Munich. Le pro-
fesseur, en expliquant la différence du tour de taille chez
l'homme et chez le singe, se permit une inoffensive plaisanterie sur
l'habitude qu'ont les dames et les officiers allemands de s'arranger
de fines tailles. Or, parmi les auditeurs, se trouvait le prince George,
fils du prince Léopold de Bavière, jeune homme de vingt ans et
officier à la suite d'un régiment d'infanterie quelconque. Cet ado-
lescent prit mal l'allusion et le professeur, un peu ahuri, dut décla-
rer publiquement « qu'il n'avait pas eu l'intention d'offenser les
officiers allemands portant corset ». Mais il y a en ce moment à
Munich de paisibles citoyens qui ne peuvent plus se représenter
im singe sans épaulettes.
De la taille des Américaines. — La lecture des recueils admi-
nistratifs est parfois des plus folâtres; tel le grave Monifrur offi-
ciel (lu cdiiiincrcc, de Belgique, où se trouve le plus joyeux rap-
port consulaire qu'on puisse imaginer. Ah ! il n'y a pas que les Por-
tugais qui soient gais ! 11 y est question de la mévente des corsets
français, en raison des caractères particuliers de la taille des Amé-
ricaines, bien différents de celle des Parisiennes : « Parmi les dif-
férences les plus caractéristiques qu'il convient de signaler, écrit
le consul belge, il est à remarquer notamment que la femme amé-
ricaine évite de prononcer la rondeiu' du buste, elle s'attache au
contraire à la dissimuler, tandis que la mode parisienne tient à
l'accuser. Cette façon de considérer ce détail de la toilette a pro-
bablement contribué à faire croire en France que les femmes
anglaises et américaines étaient bâties un peu difîéremment des
françaises... »
La fin du corset. — Pendant les chaleurs tropicales de P.KlO,
nombre de Pai'isiennes,à seins et abdomens normaux, ont jeté leurs
corsets par-dessus les corsages ; les amants de la nature n'avaient
qu'à se louer de cette innovation et trouvaient que « le geste était
LES SEINS DANS l'hISTOIKE. — I. 20
306 I.KS SI. INS DANS I. Il I S T (» I li K
beau ». Les bustes émancipés ne ressemblaient plus à des man-
nequins dosier et, sous les corsages légers, les chairs flottantes
laissaient deviner leurs contours rondelets et STassouillets.
Sans considération pour les saisons, notre « ralliée », la sainte
Russie, prononça l'ostracisme général contre les corsets : plus de
tutelle métallique ni baleinée ! Aux termes d'une ordonnance du
commencement de 1898, le ministre de l'instruction publique,
M. Bogoljewow, interdit le port du corset aux élèves des écoles
supérieures, des gymnases de jeunes filles, des Conservatoires de
musique et des beaux-arts: s/frs////t^ fo/'...sets !
Xotre directeur du Conservatoire de musique, moins exclusif, se
contenta d'interdire, aux candidates des concours, le décolletage
des bras et de la poitrine, sans s'occuper du corset, qui gêne
cependant le jeu de l'appareil respiratoire.
En Roumanie, comme en Russie, le ministre de l'instruction
publique a adressé aux directeurs des écoles de jeunes filles la
circulaire suivante : « Les expériences basées sur la science et la
pratique ayant établi que le corset est nuisible à la santé, qu'il est
un obstacle permanent au développement du corps et à l'activité
des organes de la respiration, j'arrête que vous devez interdire
strictement l'usage du corset aux élèves de votre établissement. »
Quel ministre français débarrassera nos filles de ce carccn' diiro,
qui ôte à la taille sa souplesse et justifie une fois de plus cette
parole du sage : « Les femmes n'auraient pas assez de larmes
pour pleurer, si la nature les avait faites comme elles se font(l). »
Théophile Gautier, l'amant du beau et du vrai, était un ennemi
déclaré du corset et élevait ses filles en Lacédémoniennes; mais la
place publique, en raison des convenances sociales, était limitée à
son appartement. Le D'' Michaut, dans le Correspom/cu/f mrdkal,,
raconte la visite que fit, vers 18(iG, un de ses amis au célèbre
écrivain : en entrant, il ne fut pas peu surpris de voir, dans le
salon, jouant sur le tapis, deux jeunes filles complètement nues ;
l'une d'elles, Judith, qui devait être plus tard M""' Catulle Mendès,
avait alors seize ans. Combien de pères ont les idées du poète, en
matière de régénération physique ? Mistral, lui aussi, était par-
(li L'Iinpôratrice du Japon vient fie décider que nulle ne pourrait paraitri' à la
Cour, sans gants et sans corsets — ces gantelets de la poitrine. A ([uami le
smokinçi obligatoire pour les sujets de Sa Majesté ni|)])onaise ?
SIR I, K consET 30";
tisan de la suppression du corset. Le chantre proven(;al entendant,
dit-on, discuter dans un salon l'utilité des corsets, répondit à la
maîtresse de la maison, lorsqu'elle lui demanda son avis : « Le
corset, Madame? Pourquoi donc se servir de cela ? Les vaches n'en
mettent point». Peu galante, mais bien méridionale la comparaison.
D'après VEcho de Paris, une société de dames de Menne a
décidé la suppression du corset. Le nouveau costume, comprimant
les seins et paralysant le libre jeu des poumons, consisterait en un
péplum, ajusté par le haut, décolleté ou non, et s'évasant en bas.
Le vêtement serait soutenu par les épaules et non plus par les
hanches. S'il ne dessine pas les formes, il les laissera du moins
deviner et la souplesse du tissu permettra même un certain collant,
qui, sans épouser la ligne, ne sera pas dépourvu de charme.
Mais que les corsetiers se rassurent, leur gagne-pain n'est pas
prêt de disparaître : l'Ecole municipale Jacquard, leur A/m(/
parcns, veille et étend sa protection sur la corporation tout entière.
Un emploi de « maîtresse corsetière » étant devenu vacant, cette
Ecole tutélaire vient d'ouvrir un concours (janvier 1903), dont
voici le programme :
1'^ Une leçon orale après une demi-heure de préparation;
2" La confection d'un corset de coutil blanc ;
3" La coupe, le baleinage, lessayage, la rectification, la finission, hi
garniture dun corset sur mesure ;
4'^ Un corset sur mannequin, d'après une forme déterminée par un
dessin, une gravure ou une description écrite.
Les concurrentes pourront être interrogées sur l'histoire du
corset, son origine, ses avantages, ses perfectionnements, etc.
Le corset dans la littérature (Ij. — Un trouvera à la
Bibliothèque nationale une Boutade contre tasat/e du corset, pu-
bliée, en 1855, par un M. Charles D...; elle est toujours d'actualité,
mais trop longue pour être reproduite ici. 11 propose de changer la
dénomination de Corset en celle à'Etrangh'ar. Un court extrait
indiquera le ton de la diatribe :
. . . La loi punit certaines tentatives de suicide, elle punit de mort
celui ([ui. parfois, sans beaucoup de réile.xion, met avec intention le
(1) L'analyse des pièces de lliéàlre du il est qucstioii du corset, sera faite
dans nos Heiiis à VEc/Use et au lliéàlre.
308 I- E s SEINS DANS I. Il I S T ( ) I H K
feu à une cabane; elle punit aussi de mort le soldat qui frappe, le
moins du monde, son supérieur: mais elle se garde bien, cette même
loi, de punir la f(Munu' ([ui, a son nez et a sa barbe, se suicide en
s'étrang-lant les lianes, et, souvent, étouffe son enfant dans ses en-
trailles...
Xanrof a brodé sur le Corset avertisseur, à musique, une de
ses plus folles et fines fantaisies (1). Il en énumère tous les avan-
tages avec sa verve antispleenique : c'est le palladium des familles ;
la sauvegarde des jeunes filles et des épouses en détresse, car il
pousse le cri d'alarme, dès qu'un danseur serre de plus près qu'il
ne convient la taille de sa compagne d'un instant : si la danseuse ne
crie pas, son corset criera pour elle. Ce corset, dernier cri, est
appelé à faire beaucoup de... l)ruit, si le beau sexe veut l'adopter ;
mais nous nous permettrons d'en douter.
Après la prose, les vers. Le corset n'a pas, comme son contenu,
inspiré les familiers du Parnasse et l'on compte les rimailleurs
qui ont fait vibrer leur lyre en son honneur. Une chanson popu-
laire célébrait, vers 183U, les bienfaits du Corset ; quantum
mutatus ab illo !
Ma méthode,
A'raiment commode,
lietient Vénus dans mes lacets,
Venez mâchefer des corsets.
Mes coussins, de l^aris à Rome,
Ont passé jusque dans les cours,
Et c'est à bon droit qu'on me nomme
La tapissière des Amours.
Doux oreillers de notre enfance.
Fruits séduisants, bouquets de lys.
Hochets d'amour et d'innocence,
Mes soins vous auront embellis.
Avec la baleine flexible
Cernant vos charmes casaniers,
Je sais bien que l'homme sensible
S'intéresse à mes prisonniers.
(1) Supplément du Velit Journal. 1" juillet 1900.
su II LK CORSKT -^^'-^
Maurice Magnier décrit, dans Paris en Ballades (1897), ses
plaintives impressions, à la vue d'un étalage de Corsets vides :
Parmi les choses que j'abhorre.
Qui troublent mes esprits chagrins,
Il en est une plus encore
Que toutes autres que je crains ;
J'en perds mes allures timides
Et j'en ai des rêves malsains.
Voir aux portes des magasins
Des corsets vides.
11 en est de toutes les formes,
D'ordinaires, d'extravagants ;
Il en est de petits, d'énormes,
De grotesques et d'élégants ;
Ils sont là, flasques et stupides,
Formant d'incroyables dessins
Aux vitrines des magasins.
Les corsets vides.
11 en est pour les femmes mûres
Qui contiendraient des seins géants,
D'autres plats comme des armures,
Pour les pucelles. . . d'Orléans 1
Us semblent tous des invalides.
Des couvents sans leurs capucins,
Ainsi pendus aux magasins.
Les corsets vides.
D'où venez-vous, gris, bleus ou roses
Avec vos rubans assortis.
Asiles qui restez moroses
Vos habitants étant sortis ?
Étes-vous veufs d'anciens suicides ?
Connaissez-vous vos assassins?
0 victimes des magasins !
0 corsets vides !
Poitrine marbrée et nacrée
Que j'approuve tes libertés.
Quitte la férule exécrée
Qui cache et froisse tes beautés ;
Seins, venez aux lèvres humides.
Seins, nus. en roses essaims,
Et laissez pendre aux magasins
Les corsets vides.
310 LES SEINS DANS l/ HISTOIRE
Envoi
Cependant j'aime, je l'avoue.
0 maîtresse, ces délaissés,
Uuand sur ta poitrine et ta joue
Sonne la gamme des baisers ;
Dans ces mains, de luxure avides,
(Juand je possède tes doux seins,
J'aime alors, loin, dans les coussins.
Les corsets vides !
Pensées et réflexions sur le corset. — Des trois usages du
corset, qui figuraient sur l'enseigne d'une corsetière du xviii'' siècle,
on a fait une énigme versifiée (1), que le Sphinx eût pu proposer
à Œdipe :
Par moi, les forts sont contenus,
Les faibles sont soutenus.
Et les égarés
Ramenés.
**% Hemarque du Président \)e Brosses : « En la ville papale d'Avi-
gnon, toutes les femmes y ont de fort gros tétons blancs et leur manière
de s'habiller avec des corps très mal faits les redouble encore. »
%'%^ Les premières femmes qui portèrent des corsets étaient néces-
sairement des femmes déjetées, contrefaites ou minées par le temps.
Cela remettait certaines choses à leur place et en suppléait quelques
autres. Mais le fin fut d'amener à mettre ces cilices les femmes qui n'en
avaient pas besoin, et de déclarer incomenantoi les tentatives de celles
qui refusent de s'y soumettre, et qui, au liout de quelque temps, ne
peuvent plus en réalité les quitter. Cela était aussi difficile à amener
([ue si on avait publié la chose en ces termes : « De par la mode, les
femmes, qui ne sont ni bossues ni contrefaites, cesseront de manifester
cet avantage, et s'arrangeront de manière a ressembler entièrement à
celles qui le sont... » Alphonse Karr.
«-%% La frontière côté nord de l'Empire du Milieu est, en général, exces-
sivement fortifiée par ses travaux de ceinture, de baleine, de cor-
dons, etc., etc. Si on arrive à s'en emparer, de celle-hà, c'est que la
ville assiégée y a mis de la bonne volonté. Ce qu'il faut se connaître en
agrafes, en tout, en épingles simples ou anglaises! Très bon signe,
(\) Anecd. hisL. p. 343.
srii 1. K C. (HtSKT
311
quand elle n'a pas opposé trop de résistance à cette opération : elle
vous laissera certainement entrer dans la place en niaitre.
(iKHliAlLT.
%** A l'aphorisme d'Hippocrate, « toute la femme est dans sa ma-
trice », on peut ajouter que « toute la femme est dans son corset »:
c'est-à-dire, d'une façon générale, que son hygiène, sa santé, le bon
équilibre de ses fonctions dépendent de la manière dont cet accessoire
indispensable de la toilette féminine a été compris et exécuté.
\^ DÉFINITIONS. — Conct : Prison pour femmes. — La taille artificielle.
— Niche à seins. — Corbeille à fruits. — (iarde-manger des bébés. —
Boite à joujoux des papas.
wv*. Synonymie. — Se cotonncr, bourrer son corset de coton.
Se coneter. — Se serrer, se comprimer, s'étrangler la taille. — Se san-
gle. — Se ficeler. — Se saucissonner. — Passer la taille à la filière. — La
comprimer dans un clan ; l'enfermer dans un étui.
Laçage du corset. — Serrement du Jeu de Pommes (GerlKiult).
V** Méditez, jeunes filles, la recommandation d'une mère à sa fille :
« Ce qu'on gagne en pointure de taille oude chaussure, on le perd en
visage : yeux battus, traits tirés, pâleur du teint, sans compter le
reste. '>
«^ Ni constriction, ni compression, delà contention seulement; tels
sont les principes fondamentaux qui doivent régir le dispositif et l'em-
ploi des corsets. '>'' Collineau.
vw L'intluence du corset est d'autant plus pernicieuse qu'il est plus
serré, qu'il monte plus haut et qu'on a commencé plus tôt à le porter.
!)'■ Stkatz.
VW
On renoncera au corset comme on a renoncé à se perforer le nez
et à se déformer le crâne. Let(jukneau.
1,%* Parodie d'un refrain populaire, de l'opéra de Charles VI :
Paix au tyran. Toujours (ôw) en France,
Toujours, le corset régnera.
vvv La femme n'hésite pas à limiter sa respiration, à se priver de
manger et de digérer, à s'anémier, à se ruiner la santé, pour la seule
joie de se sentir une taille fine ! Elle sait que son corset la torture et se
console à la manière de cette actrice qui me disait lui devoir une joie
quotidienne, l'ennui de le mettre le matin étant largement compensé
par le plaisir de l'ôter le soir... La femme consent à tout souffrir,
pourvu ([u'elle perde quehiues centimètres de tour de taille ; étrange
312 l,i:S SKINS DANS L HISTOIRK
(•imilalioii tiii [iliilùl ahcrralion. les désirs de riiomiiie nuriiial ne pouvant
g-uère être aguichés par ce qu'on est convenu d'appeler une taille de
gurpc. !)■' E. Moxix. — Lex Propos du Docteur.
**% L'usage du corset est un mode de suicide lent.
Que de maux dans un corset.
Que de morts dont ils sont cause.
!)'■ Dékietx.
*** Dès qu'il y a corset, il n'y a plus de corps naturel.
xix^ Sous la Révolution (1), on offrait aux gourgandines un assignat
de cinq livres avec la signature Corset, contrôleur préposé à l'émission
de ce papier-monnaie, en leur disant : Corset contre corset ». A l'époque
de Louis XI, on pouvait dire aux beautés faciles, en échange de leurs
faveurs : Teston (2) contre feston. De nos jours, une jolie solliciteuse en
quête d'une protection ou de la signature d'un personnage influent et libi-
dineux, peut offrir : Sein contre .seing ou même sein hlnnc contre blanc-seing.
*Mi Boutade du « Passant », du Figaro, sur l'origine du corset : « Je
ne crois pas non plus qu'on se soit beaucoup servi du corset dans l'an-
tiquité païenne, au temps où, sans vouloir blesser personne, ont vécu
les plus belles femmes. Les statues de nos musées et de nos places
l)ubliques n'ont gardé aucune trace de cet objet de dernière nécessité.
La Vénus de Milo n"a jamais porté de corset; elle n'aurait pas pu le
délacer. C'est peut-être Cérês, la déesse aux puissantes mamelles, qui
a commencé. A moins que ce ne soit tout simplement quelque femme
qui était bossue. Car nous oublions trop que le corset se porte par der-
rière comme par devant. Il n'y aurait même rien de surprenant à ce
que ce fût un médecin qui l'ait lancé le premier. Cela expliquerait que
presque tous le combattent aujourd'hui.
«Vaine tentative, du reste. La femme est intimement persuadée que le
comble de la beauté pour elle consiste à avoir une taille qui tienne
dans le trou d'une aiguille. Comme s'il ne suffisait pas qu'elle puisse
tenir dans les deux mains! »
»-»*■ Note sans portée " « Aux baleines, les baleines » ; c'est-à-dire
aux poitrines coi'sées, les corsets.
Le corset dans l'art. - — Au Valican, J. Romain a muni
Vlnnoccncv (fig. 107) d'un corset à jour qui conviendrait mieux à
la Lti.riirr. En effet, Jorsa, du Paris-Virtint, affuble la poitrine
(1) Anecd. hisl., j). 281.
(2i PÎL^ce de monnaie nui valait onze sous d'areenf.
SIK LK C. OHSKT
313
d'une impure contemporaine cFun corsage analogue, confectionné
avec du ruban de velours noir.
En regardant de près les œuvres de Lucas Cranach, exposées
à Dresde, le docteur Schlanz a fait des constatations archéolo-
giques qui tendent à réhabiliter le corset. Le .lounial des Débats
publie, à ce sujet, la curieuse note suivante : « Le docteur Schlanz
a été frappé d'y voir qu'Eve, Lucrèce et les déesses môme
Fig. 197.
avaient le dos rond. L'infirmité de ces figures n'est pas un caprice
dépravé de Cranach; car ses portraits de femmes sont également
rachitiques et la duchesse Catherine présente un cas de scoliose
bien accentué. Albert Diirer, qui dessine un Adam magnifique,
infiéchit pareillement l'épine dorsale d'Eve. Comme on ne peut
douter de la sincérité de ces maîtres, on doit avouer que la femme
allemande de la Renaissance avait Téchine tordue. Le docteur
Schlanz a trouvé la cause d'une si grande disgrâce dans le cos-
tume, qui était bien moins soutenu qu'aujourd'hui de baleines et
d'acier. Là est la cause de dégéni-rescence du type féminin.
Poursuivant ses éludes sur d'autres époques, le docteur Schlanz
est arrivé à cette formule générale que toutes les générations
sans corset avaient le dos voûté. »
:u4
I, KS SKINS KANS I, H I S l' (1 I l\ K.
Gillray nous fournira la note gaie à Tétranger avec le corse-
tier Thomas Payne, prenant mesure d'une constitution toute
neuve à iNI'"'^ Britannia; mais cette constitution, qui devait la mettre
à l'aise, gêne tous ses mouvements (1).
Les compositions artistiques et JDadines, relatives au corset, abon-
Fig. 198.
dent au xyiii*^ siècle et vers 1830; mais, quel que soit le talent de
l'ai-tiste, aucun n'a dépassé Wille, avec son croustilleux Essai
du corset (2). On trouvera dans le Panorama, et surtout dans le
Décollclr et le Retroussé, de J. Grand-Carteret, la reproduction
de plusieurs de ces pièces, telles que le Lacets vignette do Mon-
siau (1796), pour les Œuvres de J.-J. Rousseau (fig. lU8i ; le
Lacet raccourci (fig. 101)), à la suite d'une fluxion de neuf mois.
(1) Augustin Filon, la Caricature en Aiu/lelerre.
(2) Anecd. liisL, fig. IGG.
sriS I. K C. OliSKT
31;
par Deny; le Corxct, lithographie banale, de Vallou de Ville-
neuve (vers 182'.)), imitation du Coucher de Devéria (1) ; V Amant
fnmnv d,' rhaDihir, gravure anonyme de la même époque, mon-
trant un damoiseau en bras de chemise délaçant ou laçant sa
belle, pour mieux Fenlacer ; le Corset, de A. Devéria, lacé par
une femme, à sa toilette du malin ; le Lacet, de N. Maurin, avec
lequel joue un chat, qui profite d'un temps d\nrrèt de sa maî-
Fi^. lyy.
tresse, occupée à se mirer dans une psyché; enfin, l'une des mille
et une Facéties de M. May eux, (C.-J. Traviès delinearit), portant
pour légende: « Elle n'est pas piquée des vers, nom de D...! »
(fig. 200).
Parmi nos contemporains, un fusain de Léon Lhermitte, trop
sombre pour être reproduit : Une paysanne se déshabille, le soir,
et s'apprête à retirer une sorte de corsage faisant l'office de
corset, lacé par devant ; une in(hgène de Mont-Saint-Père, sans
doute, le pays natal du maître. Voici deux des types chiffonnés
et mouvementés de la nombreuse collection de Henri Boutet
(fig. 201, 202), qui a croqué la Parisienne, dans toutes ses atti-
tudes, surtout au moment où elle met et retire son corset.
(i) Anecd. hisl.. lig. 182.
316
ES SEINS DANS L HISTOIRE
Après le sévère et le gracieux, le plaisant : une enseigne du
peintre Abel Truchet, destinée à une corsetière et primée par le
jury du Concours des enseignes (déc. 1902), porte pour dédicace
ce jeu de mots : A fous les Sain/s (fig. 2(J3). Le corsetier de la
reine Wilhelmine en aurait, paraît-il, commandé une au même
artiste, figurant les armoiries de Hollande, avec leur devise si
pleine de promesses : Je maintii'ndi'ai!
Terminons par une revue
rapide des caricatures humoristi-
ques de nos périodiques illustrés,
légendes folichonnes comprises.
Un dessin deBailly,du Rire, re-
présente un « surnéné » , un « petit
crevé » , dansant avec une demi-
vierge et échangeant ce dia-
logue , fort vraisemblable , si
Ton songe aux mœurs et aux
corsages relâchés de nos jeunes
acéphales mondaines : « Tiens ! . . .
Pas de corset, ce soir? — T'es
bête... Je savais bien que tu
viendrais. »
J. Belon, du Journal pour /ous, nous montre une acteuse, qui
n'a pas inventé la poudre de riz, dans le cabinet du directeur ;
l'imprésario manifeste ses appréhensions au sujet de la censure :
Le DIRECTEUR. — Je crains que la S'' scène du deux ne soit un peu
corsée... Elle. — Mais, iMonsieur, si vous préférez, je n'en met-
trai pas du tout.
V>\x Petit Journal pour rire, crayon de Lourdey : Une bonne,
le genou droit a rebouté sur les reins de sa maîtresse, tire les
lacets de toutes ses forces : a Serre tant que tu pourras, dit l'oiselle.
— Mais Madame ne pourra pas dîner. — Possible, mais ça fera
rager la grande Irma, qui prétend qu'il n'y a qu'elle à Paris
qui ait 4o de tour de taille, w
Au moment de « l'Affaire », les Ligues se multiphèrent à
l'infini ; H. Gentil, du JourJialpour tous, imagina la Ligue contre
les corsets. Dans un premier dessin, un vieux Père la Pudeur,
accompagné de deux agents, s'adresse, le chapeau à la main, à
Fig. 200.
su H I- H COUSKÏ
317
deux turlui-cltes interloquées : « Mesdames, je vous prie de me
suivre, pour vous expliquer devant la Ligue contre l'abus du corset ».
Au deuxième dessin, les demoiselles ont été déjupées et débusquées
devant le nouvel aréopage. Le Président prend la parole : « Vous
ne nierez pas la présence de deux enfants martyrs dans ces cor-
Fi- 201.
Fig. :202.
sages? ». Le troisième dessin représente le prononcé du jugement :
a Au nom de la Ligue, nous n'-primons ces faits ; nous confisquons
les corsets et... leur contenu ».
De J. Engel du Sans Gênr: une petite Maréchale, s'habille pour
sortir; sa mère la lace, tandis que la jeune effrontée lui fait cette
recommandation : « Maman, si tu serres par trop, ils ne seront
jamais fichus de me retirer mon corset! » Toujours le môme ana-
chronisme, comme pour la suivante; nous ne sommes plus en 1830 !
Bonne précaution. La femme de chambre ' vient de lacer le
corset de la jeune Égiantine de Follebraise : « Avez-vous fait
attention, au moins, Justine ? \'ous ne m'avez pas fait un nœud
comme hier? — Oh! Madame peut être tranquille... J'ai fait une
boucle cju'un enfant de dix ans pourrait défaire. »
318
I- K S S i: I N S 1) A N s I, H I S r ( ) I li 1".
Dialogue de bonnes et belles vivantes, extrait du Tutu : « Sans
pantalon et sans corset? — Je préside ce soir un dîner de céli-
bataires ».
A propos de la mode des corsets droits, qui aplatissent le
ventre, Baer, du SuppIêmciU, met en tête-à-tête une concierge et
une miséreuse du sixième, chargée d'ans et de famille : « Vous
savez que les nouveaux corsets suppriment le ventre ? — Voilà ce
qu'il nous faudrait à la maison : comme ça, on n'aurait plus besoin
de se le serrer, le ventre. »
CoR6t:r6
5uR ^'lC.Sll^^'t.
Fie. l>03.
APPENDICE
SYMBOLISME ET EFFET DÉCORATIF DES SEINS
Symbolisme des seins. — Par la variété de leur nombre,
de leur l'orme, de leur attitude et de leur état d'activité fonctionnelle
ou de repos, les seins ont, dans l'Art, un langage conventionnel,
Fis. 203 his.
souvent utilisé pour les sujets allégoriques et les figures embléma-
tiques (1).
Longtemps les artistes ont représenté la Xature, comme l'Arté-
mise d'Ephèse, les membres inférieurs emprisonnés dans une gaine
(I) Les documents relatifs au symbole de la Charilé. seront réservés i)our
les Sein.t à VErjUse et au Théâlre ;"nous donnerons aussi, dans cet ouvrage, les
tigurations de Diane d'Ephèse.
320
I. i:s SEINS DANS I. IIISTOIHK
et la poitrine couverte de mamelles; « image mystique, disait
l ^^ ' NC^-^^.r ^f:ivjriTL^, S^^^'"^*'^'^"^ ^JS^. ^v f
Fig. iOi.
saint Jérôme, rappelant que la nature est la mère et la nourrice
de tous les êtres vivants». Ainsi elle apparaît dans les loges du
APPKNDIC K
321
Vatican (fig. 203 bis), aux cotés de la philosuphu; « Cofj/ti/lo
cdt/sarujn nalurse « (1), et à Sainte-Mai'ie des Frari de Venise;
Fragonard fils a dû s'inspirer de cette antique figuration pour son
ÉgaHfé{2].
Par la suite, les allégories de la Xature perdent leur gaine, et
Fis. i^Oo.
Fig. :206.
les mamelles sont réduites à quatre ou cinq, six au plus, comme
dans une gravure allégorique de Retel, gravée par Isaenred
(fig, 204), portant pour légende : Naturœ sequitiir seniina qiàsque
siicV (Chacun suit les germes de sa nature). Elle expose, d'un coté,
les effets de la Bonté et, de l'autre, ceux de la Méchanceté ; au
(1) Une copie est reproduite sur le mur de l'escalier de la bibliothèque
Sainte-Geneviève.
(2) Curios. art., fig. 69.
LES SEINS DANS L'iUSTOUiE. — I. 21
322
I.KS SKI?nS dans I. Il ISIdlll K
cenlrc, la Nature, bimammée, aux prises avec le Bien et le Mal
qui la frappe, en traître, par derrière. L'encadrement oppose, en
Fig. 207. — A la uloire de Riibc-iis.
haut, la bonne et la mauvaise mère, Tune nourrit son enfant de
son lait, l'autre Tempiffre de bouillie; sur les côtés, deux autres
Natures seximammées, en gésine : le génie du bien reçoit l'un des
enfants et lui inculquera les bons sentiments; le génie du mal
A P P E N D I C R
;{23
insuffle à Tautre nouveau-né les mauvais instincts. A peine sortis
du néant, nous subissons les effets de la fatalité.
Rubens, le peintre des chairs exubérantes, le chef du natura-
lisme flamand, s'est plu, dans maintes compositions, à modeler les
multiples mamelles de la Nature; qu'il nous suffise d'ajouter au
Fit
20S.
Ti'ioiup/u' (Ir la lic/if/io/i, déjà cité('i) :1a Nature cinhcllic par
les Grâces;, gravure de Cornelis Van Daven Junior, et les frontis-
pices de deux ouvrages, De sijmlialis Iwroiris de Sylvestre Pietra
Santa ffig. 20.')) ei De Jas/icia, par Lesnardo Lessio, de la Société
de Jésus (fîg. 2UG). Ch. de la Fosse a été bien inspiré en plaçant à
côté du buste de Rubens, dans la vignette du frontispice de l'œuvre
du maître, une Xature quadrimammée (fig. 207).
(1) Curios. cu'l., fig. 67.
324
I,i:S SKINS DANS I, HISTOIIiK
Le tombeau de Jean-Jacques Rousseau, à Ermenonville, porte
aussi une Nature seximammée (fig. 74), pour rappeler, sans doute,
que le philosophe de Genève voulait ramener l'homme à IV'tat
de nature. Ce s^^mbole reparaît encore dans la Nature confiant
Vvnfancv à la science (fig. 208), de Fécole de Coypel, et dans une
Fig. 209.
gracieuse estampe commémorative de Prudhon, gravée par Copia
(fig. 201)), portant cette inscription : « Constitution française,
fondée par la sagesse des droits de l'homme et des devoirs du cito-
yen ».
Par exception, les anciens donnaient à la Nature deux mamelles,
mais toujours pleines d'un lait qui s'échappait au dehors, en signe
de régénération ; ils ajoutaient dans la main un vautour, emblème de
destruction. Telle elle est figurée sur une médaille de l'empereur
Adrian (fig. 210). De nos jours, elle est redevenue bimammée,
comme l'indique l'admirable statue polychrome de Barrias, la
APPF. MUCK
32-;
Xnfure se dévoilant (fig-. 214), dont notre gravure ne peut donner
qu'une faible idre. C'est encore une Xaturo — peut-être une Flore
— que représente la gracieuse allégorie^ de la bibliothèque de
Fi;;. 210. — La Natun
Fi^. :>11. — La Substance.
Fiff. 211*.
L'IiUL'iilioii.
Fii;
!lo. — LEspeiaiux".
Saint-Germain-en-Laye (fig. 21:j ), attribuée à Raoux ou à Xattier.
La Vrriff', qui est une émanation et l'expression fidèle de la
nature, est représentée, suivant les conventions d'ateliers, sous la
forme d'une femme nue, sortant d'un puits : pourquoi pas d'un
tonneau de vin ^ La sagesse des nations n'a-t-elle pas dit : in ri/io
320
LF.S SEINS DANS L HISTOIRE
rr/v76'.« (1) ? Au salon de IH\)\), dans une toile mouvementée,
Fig. 214. — i)-;i|iiT.s Vl//„s/ra/i,nt.
(I) Ce piMil (•■livia senlcncc des partisyns du clos Diiclaiix — le défenseur de
Alcool-Aliiiienl — ; les Anti-Alcooliques — ennemis de FAIcool-Poison — ne
Ai>i'i:M)i(; !•:
327
Xec mrrtjiliir! (Tip,\ 21(n, DeI)at-Pon.san a revêtu la Vérité d'une
ehemiso, pour oiïrir une prise décente nii\ eiïoris du rétre (1) et du
Fig. tiio.
répondroiil-ils pas par le mot. à double sens. CAVE qui. eu latin, signifie :
» l'rends-garde ! » Quant à l'opinion du sage : In medio Veritas.
(1) Curieuse coïncidence : les lettres des mots rctre et traitre se retrouvent
dans le nom d'un des personnages ([ui ont joué un rôle important devant le
conseil de guerre.
328
I, F.S SEINS DANS 1/ III ST (l I It K
liasile qui l'cmpèchont d'émerger, fine et vive allusion à ï « Af-
faii-e », qui venait de mettre toutes les cervelles à l'envers.
Un comble: les pudiques députés teutons, offusqués de l'indécente
tenue de la Vérité, l'ont fait enlever du Reichstag, en 4895 !
Fi^^ 21 f).
L'ombre du grand Frédéric, qui aimait les nudités mylhulogiques,
au moins autant que l'empereur Ferdinand II (1), a dû tressaillir
dans sa tombe.
(1) François Wouters, le peintre officiel de ce monarque. « représentait, dit
le vertueux Papelîroeck, Vénus toute nue avec Adonis, Diane surprise i)ar
Actéon et autres obscénités de même espèce ».
APPKNDIC I-:
:{-2'j
La figure 217 est le symbolisme expressif des trois passions
qui perdent l'homme et quelquefois la femme : le vin, le jeu et
l'amour.
Nous soumettons à la sagacitr de nos lecteurs une estampe ano-
nyme (fig. 218,, dont nous n'avons pu percer le mystère. En
raison du costume, elle doit dater de la fin de Louis X\' ou du
commencement de son successeur; jusqu'à plus ample informé,
nous y verrons une allégorie du
Vice et de la Vertu. C'est
l'image des mœurs du xvui" siè-
cle, où la corruption sans frein
coudoie la dévotion aveugle, et
la satire d'une société troublée,
papillotante et papillonnante, qui
passe sans- transition du lupa-
nar au cloître. Le choix de
Jeanne, duchesse de Vendôme,
pour personnifier la vertu est
sans doute une flatterie d'artiste
reconnaissant ; mais est-il bien
heureux ? Ce grand nom n'é-
^•oque-t-il pas la figure de Ga-
brielle d'Estrées, qui le donna
à son fils César, et le buste
impudique opposé à l'épouse vertueuse ne rappelle-t-il pas l'amie
du Bi'arnais et l'origine équivoque des ducs de Vendôme?
h&. Substance (fig. 211) oxilsiFéconfUtr inatnii'Uc ^^YésQxAeài^vw
« tétins pleins de laict, qui donnent à connestre la substance que
nous tirons de la plus pure de toutes les nourritures (1). »
Les mamelles, qui symbolisent ryl/>oy;'^/<'/y/r(', occupent une place
prépondérante dans les représentations de la Paix, soit en s'expo-
sant au premier plan, comme dans la Paix ramenant tahondance,
par M™" Vigée-Lebrun (musée du Luxembourg), soit en fournissant
du lait à un nourisson avide, comme dans la Paix et la Guerre
(musée de Munich) (fig. 219), où se retrouvent toutes les qualités
Fiff. 21"
(1) Iconologie ou explication nouvelle de plusieurs images, emblèmes et autres
figures hgérogliphiyues des Vertus, des Vices, des Arts, des Sciences, des Causes
naturelles, des humeurs différentes et des passions humaines, par liaudoin : 1()44.
:vM)
1. F. s s K I N S DANS I. II T S T O I It R
(lu maître flamand : vigueur du dessin, éclat du coloris, fécondité
do la composition. Ce tableau porte la date de 1()3U ; il ressemble
beaucoup à celui que Rubens peignit, Tannée précédente, pour
être offert à Charles l"', roi d'Angleterre, et que nous avons d(''jà
^^^
^^y
Fig. 2KS.
réproduit ,'1) sous le titre Mi/icrvc jjro/rr/ca/i/ la Paix contre la
Gt/crrc [National (jalh'nj^ de Londres).
La Loi natarcllf a le torse nu, pour signifier « qu'il n"v a n\'
fard n_v déguisement en cette loy; » elle tient un compas,
avec ces mots : .Kqaa lancv (également i, avertissement qu'il ne
faut pas faii'e à autrui ce qu'on ne voudrait pas (|u'il nous fût
fait. De même, la nudité du buste de la Gloire signifie « qu'il n'3^a
jamais de fard dans les actions glorieuses, pour ce qu'elles parois-
sent à descouvert en quelque tems que ce soit ».
(1) Curios. a,'/.. i\g. m.
Ai'i'K?-;i)i<. i:
331
luEmcuicipalioii <le la Pensée orne la couverture de la revue
lK)siliviste, le L'ihre. sous les traits d'une femme, au torse vigou-
reux, se pressant les seins pour en faire jaillir la sève rét>énératrice
%. 220 .
La Poêxic offre des mamelles ^< nues et rei)ondies, comme si
elles étaient pleines de laict », image de la fécondité des pensées et
de l'imagination, qui sont Tàme de la poésie. Sa sœur, la Muskjiu'.
# 35* 'X'^it^iY^'^
m ff^je- -V-t:;/ Ai>--:-
'^ ^^y
Fig. :^19.
d('Couvre aussi sa gorge, comme dans X Alliance de la jiuésie et
(le la niasi(jne, de \an Loo (fig, 222 , Sur son original [)lafund du
grand foyer de l'Opéra-comique, Maignan a persomiifié les Nolex
(le la (/anime par sept belles nymphes, court-vêtues, aux mamel-
les accentuées.
J^a y-*oe.s/r, nous venons de le voir, n'est parée que de sa
sublime nudité; faut-il donc s'étonner si la Déclamation, qui la
met en valeur, ne porte un voile que sur les bras ? telle est celle de
Ghapu, a l'Opéra.
La JJajtse ne saurait être gênée par nul vêtement dans ses ébats
chorégraphiques : ainsi l'a conçue Carpeaux, conformément à la
tradition, dans son groupe célèbre. La pudibonderie des disciples
de Basile s'en trouva offusquée : une nuit de 18G9, la hanche d'une
des danseuses fut souillée d'une tache d'encre, et le gouverne-
332
M", s SEINS DANS 1, HISTOIRK
mont commanda un groupe plus décent à M, Gumey. La mort
vint interrompre ce nouveau travail et l'œuvre de Carpeaux reste
le j)lus bel ornement de la façade, n'en déplaise à ceux qui n'admet-
tent le nu que dans un discours d'académicien.
Les seins de VKdiirafion sont découverts, parce qu'on ne doit
pas cacher à l'enfant la vérité: leur développement indique la
Fiï. 220.
maturité de l'âge et l'expérience indispensable pour élever la
jeunesse.
\^' Instruction (/ratuilc, ohlhjdto'u'c et laïque (tig. 221), se
présente sous les traits et le costume d'une robuste République,
fille de la Liberté et de la Vérité; sa puissante mamelle, emblème
de la régénération nationale, écarte les entraves appointées à son
essor. Dans un coin s'effondre le groupe de l'Obscurantisme,
médusé, aveuglé par l'éclat de cette apparition rayonnante.
Dans les représentations allégoriques, fort communes au moyen
âge, des Arts libéraux (Philosophie, Grammaire, Dialectique,
Rhétorique, Arithmétique, Géométrie, Astronomie), la Gram-
maire est d'ordinaire figurée par une femme tenant de la main
droite un paquet de verges, symbole expressif des rigueurs des
anciennes méthodes scolaires, et, de l'autre, un livre ouvert qu'un
marmot épèle avec autant d'appréhension que de ferveur. Le
APPKNDIt'. R
333
Florentin Guisto, charo-é cVorner de ces allégories coutumières la
chapelle du couvent des Ermites, à Padoue, s'est quelque peu
(1) Il nous a été impossi
lion.
ble de découvrir l'auteur do cette vaillante cumposi-
334
l-KS SKINS UANS I, Il I S r (I I li K
écarte du thème habituel, et la façon dont il a compris sa (Iram-
maire symbolique, donne à cotte composition le droit de figurer
ici. Elle tient bien d'une main le |)afjuet de verges trachtionnel,
mais, elle appuie l'autre doucement sur la tête d'un petit enfant.
qui, le bout du sein dans la bouche, en suce avidement le lait.
Malheureusement, toutes les figures supérieures de la fresque, où
se trouvait cette composition originale, ont été (hHruites au \\ ii''
^2^
Fii
siècle pour l'établissement des charj)entes d'une voûte; on n'en
connaît les détails que par les esquisses tracées à la [lointe d'argent,
et repassées à la plume, de la main même de l'artiste, elles for-
ment ainsi un précieux manuscrit sur parchemin du Cabinet
national des Estampes, à Rome (1).
La Grunimairc était encore figurée par une jeune femme aux
mamelles découvertes, d'où sort un lait aljondant, tenant une lime
d'une main et, de l'autre, une verge, j)Our corriger les enfants
paresseux, « Mais cette légère peine est suivie d'une grande satis-
faction, pource qu'elle leur fait gouster avecque le temps, la
mer\ eilleuse douceur des sciences, qui est dénotée par le laict qui
lu\- sort des mamelles ».
(Il A. VtMitiui. Il iibro di Gulsto per la Capella deijll E/emilaui ii) l'udova.
dans les Gallerie nulioiialt italiane. vol.. iV.
Ai'i' r. M»i(. i:
33:
Liberi Pietro a peint la Géométrie (Académie de Vienne), sous
les traits d'une femme nue, dont on ne voit que le torse ; elle tient
un compas de la main ti,auche. Cette toile sert de pendant à l;i
Peinture et au Dessin, représentés par les bustes de deux Ibrtes
fdles dévêtues et qui sont enlacées, comme deux sœurs insépa-
rables.
Les qualités psychiques se prêtent aux plus aimables allégo-
ries : la Perfection morale a les apparences d'une belle femme,
tenant un compas à la main, le corps perdu dans le zodiaque,
Fig. 223. — Regret.
Fi!.
En\ ic.
couvert de gaze d'or et, le sein à nu, « pour signifier, par lô, une
des principales parties de la Perfection qui est de nourrir autrui et
d'estrc toujours pi'est à faire du bien à son prochain ; car c'est une
chose beaucoup plus parfaite de donner que de recevoir. »
Les figures SN^mboliques de la Modération i Raphaël;, de la
Bénignité, de la Mansuétude (Vatican, salle de Constantin), de
la Patience (Salviati Gecchino, Florence), montrent en entier une
ou deux mamelles; la Patience est enchaînée et soutient ses seins
volumineux de ses bras croisés.
Entre les mamelles de la Sagesse (1), statue du musée Poldi
(1) En 1T'.I3, pour la fête de l'Etre suprême. David exécuta les bas-reliefs du
Triomplie de la Sagesse ; l'un d'eux représente la Sagesse ])ortant sur sa poitrine
l'œil de la Vérité ; « pourquoi pas deux mamelles fécondes », observe Arsène
Houssaye.
La Ville de Nice est figurée sous l'emblème d'une femme armée et caSquée,
avec la poitrine ouverte et la croix de Savoie empreinte sur le cœur.
336
m:s srins dans l iirsToim-:
Pezzoli, à ]\Iilan, brille un soleil, dont les rayons dorent les mame-
lons du voisinage. Au môme musée, la ]'rrtff est couverte d'une
draperie, trop courte, qui laisse à découvert une de ses jambes et
ses deux seins ; mais elle tient une massue de la main gauche et
sendjle dire : « Malheur à qui me touclic! »
VUu//nli/(' porte sa main sur la mamelle gauche, non pour la
cacher, mais pour indiquer qu'elle émane du cœur. Autrefois, la
Puf/icité était couverte d'un
vêtement austère, la tête dis-
simulée sous un voile épais;
à la Renaissance, le voile
enveloppe encore le corps,
mais il est transparent et
dessine les formes; plus tard,
il s'entr'ouvre peu à peu,
d'abord au niveau du buste,
pour donner de l'air aux
mamelles, comme on le voit
dansïl/inocencc et U Amour,
de Coypel (musée du Lou-
vre) ; puis il tombe tout à fait :
la Pudeur, de Frédéric (Salon
de 1890) et la Candeur, de
A. Asti, par exemple, gardent
juste assez de linge pour
voiler une partie de leur sexe.
Si elles levaient les yeux au
lieu de les baisser, on les prendrait volontiers pour la Lu.iure.
\-i'E><prrume {J\^. 213; tient Eros dans ses bras et lui donne le sein,
rappelant ainsi que l'amour n'est soutenu que par l'espérance :
« l'amour, sans l'espérance, a dit saint Augustin, ne peut jamais
venir à bout de ses désirs. »
Après les Vertus viennent les Défauts moraux et les Vices. La
Coquetterie est figurée par Oct. Tassaert sous les traits et les
attraits d'une jeune fille à sa toilette, en admiration devant la
pureté des lignes ondulées de son torse. La Vanité (1), de Griin
(1) Au Capitule, la Vanité, du Titien, tient compagnie à la Fortune, du Guide,
dans un cabinet réservé ; il en est de même à Naples, pour les Danaé de Véro-
Fif
APPENDIC R
337
(Vienne), est nue comme la Vérité et tient aussi un miroir à la
main ; mais il lui sert à explorer ses charmes. Derrière elle, un
cadavre décharné rappelle la coquette à la réalité, en murmurant à
son oreille le pu l vis et umbra sinnus, d'Horace. Au Salon de 1898,
L. Belmonte a exposé une Vanitr, d'une philosophie moins macabre.
Fig. 220. — Sphinx ailés et Diaiios d'l:^phè!5e. Cheminée par S. Serho.
École italienne (xvi° siècle) (1).
sous l'aspect académique d'une beauté provocante, dans le costume
d'Eve avant le péché, cherchant à imiter la pose inchnée (2) et
pudique de la Vénus de Médicis.
nèse et du Titien. Que n'imite-t-on. en Italie, le fanatisme aveugle de Louis
d'Orléans, fds du régent, qui coupa les tètes dTo et de Léda, du Gorrège. Nous
sommes bien de l'avis du D'' Stratz, quand il dit que l'immoralité est non pas
dans le nu. mais dans les yeux de ceux qui le regardent.
(1) La boule de feu est un bas-relief e>fécuté sur le contre-cœur en fonte de
la cheminée. Figure tirée du 4« livre de Serlio et reproduite par VArt pour tous.
(2) Les Anglais admettent que l'inclinaison de la taille, chez la Vénus de
LES SEINS D.\NS l'hISTOIRE. — I. 22
338
F. s SRINS DANS
Il ISTOI li !•:
Plaisir <r(ittioiir, sous la silhouelte d'une jeune femme, au torse
moulé sur celui crAphrodite, tient une tourterelle de chaque main;
la Luxure, de A. Rocher, offre ses mnmolles saillantes aux
caresses du zéphyr, en attendant celles du bien-aimé.
Le Rcyri'l des fautes passées (fig. 223) a été symbolisé par une
femme dont le sein gauche, c'est-à-dire le cœur, est rongé de vers,
Fig. :2-27. — Sphinx-Sirène ailé, l'anneau tiré des Cahiers iVaraiesques. de Prieur,
Ecole française (xviip siècle).
« image des secrets remords delà conscience affligée. « V Hérésie
et la Discorde ont les mamelles pendantes, flétries et desséchées.
Il en est de même de XArarice : Albert Diirer, au musée de
Vienne, en a fait une vieille femme décrépite, tenant une sébile
remplie d'or ; la mamelle droite — immense besace vidée, flasque
et tombante — dévale du corsage entr'ouvert. L'Envie (fig. 224),
qui caresse l'hydre venimeuse, a la mamelle gauche rongée par
un serpent.
Médicis, est le signe de la i)udeur. et. par analogie, considèrent le dos un peu
voûté des jeunes miss comme une grâce physique et morale.
APPKNDICK
339
Les f|ualilés physiques, la HcaulK la Force (1), la Saiif(\ la
Fécondité^ etc., ont toutes le torse découvert, orné de globes
accusés.
La représentation des classes de la Soci(Hé offre aussi un certain
intérêt: la No/jIcssc et VAutorilr des classes dirigeantes sont
munies, en raison de leur maturité, de seins volumineux; lemvthe
de YEgalilr fait étalage d'une paire de splcndides mamelles bien
semblables, parité rare chez la femme ; enfin la Paurretr laisse
passer ses mamelles à travers les trous de ses haillons.
Des quatre Saisons, il en est trois qui exhibent habituellement
Fig. 22.S. — Chimère. Anse de vase, tirée du Livre de croquis de Cardillar (2)
(xvir- siècle). (Musée Sauvageot.)
leurs mamelles; celles de Y Eté ont atteint leur maturité, telle la
gracieuse composition de Le Barbier ; le torse du Prhifomjis est
celui d'une jeune fille aux saillies pectorales peu accusées ;
celui de M. H. Guinier, exposé au Salon de 1808, portait des
seins un peu proéminents pour une demoiselle : « C'est intitulé P/'/;i-
tetnps, objecta un critique sévère, et les fruits sont déjà mûrs ;
Automne eût été plus de saison. » Quant à V llircr, si les artistes
lui donnent le corps d'une femme, ils l'emmitouflent dans des
fourrures et ne découvrent (|ue le bout du nez ; mais Pastelot,
pour se singulariser, n'habille que les extrémités de son Hiver,
d'un chapeau, de bas et de bottines, lui fourre les mains dans un
(1) Une des quatre statues d'angle du tombeau de Louis XII et Anne de Bre-
tagne, à Saint-Denis ; voir les Seins à l'Eglise et au Tliénlre.
(2) Orfèvre tdtra-pratique, qui détroussait ses clients pour rentrer en i)0sses-
sion des œuvres d'art qu'il avait créées.
340
I. KS SEINS DANS L HISTOIRE
manchon, (iiii sert à la fois de feuille de vigne et de soutien à
deux boules de neige, saillant d'un torse complètement nu !
A l'Exposition de 1900, section italienne, nous avons relevé le
croquis d'un tableau allégorique de Jean Segantini (fig. 22o), les
Mauvaises mères, dont nous ne pouvons pénétrer le symbolisme :
une mère accrochée par les cheveux aux branches d'un arbre
Fig. 229. — Chimère. Applique à trois lumières. Bronze doré, époque de la Régence.
E.xposilion rétrospective de fart français de 1900.
submergé, allaite un enfant suspendu, on ne sait comment, à sa
mamelle; tandis que, sur la rive lointaine, s'estompent les silhouettes
d'une théorie de mères éploréës qui fuient dans un brouillard aussi
confus que le sujet.
Les seins dans rornementation. — L'art décoratif agrémente
souvent ses conceptions des courbes gracieuses et des saillies
globuleuses des seins, surtout à l'époque de la Renaissance. Les
artistes se plaisaient alors à accuser le côté pittoresque des
mamelles chez les animaux de la fable : sphinx (fig. 226), sirènes
(fig. 227), chimères (fig. 228, 229), dauphins (fig. 230), etc.. Un
A P P E N D I C E
34J
singulier et gracieux ornement, composé par Claude Mellan, montre
deux dauphins enlacés caressant à leur manière les mamelles
d'une Pomone (fig. 230).
Un des spécimens les plus curieux de celte décoration fantai-
siste se trouve au château d'Ecouen (xvi^ siècle) . La partie haute
d'une cheminée de la salle à manger de Tintendante (fig. 231),
offre deux mamelles débordantes sur le cadre du tableau d'en
Fier. 230.
dessous. Elles sont comme isolées, à moins que l'artiste ait voulu
les rattacher à la tète du faune, courbé sous le poids du sujet
assis à califourchon sur son cou. Une originalité à peu près sem-
blable se remarque dans une frise imaginée par Claude Mellan
(fig. 232) ; les seins remontés de l'Abondance n'ont pas de relief
et donnent lieu à l'équivoque : on les prendrait pour une collerette
échancrée en son milieu et munie de deux boutons. Une compo-
sition non moins bizarre est le Tenue de H. Sambin (fig. 233),
l'un des sculpteurs les plus ingénieux de la Renaissance, qui
rappelle certaines sculptures symboliques de l'Inde. Nous avons
décapité ce « pourtrait » et supprimé la base, en raison du peu
d'intérêt que présentent, pour nous, ses extrémités. On remarquera
cette assise de mamelles qui sert de piédestal aux nymphes, pro-
34-2
LKS SKINS DANS L HISTOIRE
tégeant leur nudité postérieure sous le môme manteau. L'auteur
exprime naïvement sa satisfaction libertine et sa recherche de la
Fi-. 231.
lubricité, dans ces lignes : « le croy que sa grâce ne sera })oint
trouvée mauvaise et me semble qu'elle viendra bien à [)ropos pour
faire quelque mignarde (1) et légère architecture. »
Fi-r. 232.
Il a déjà été question des chapiteaux imaginés par Tarchitecte
Chedanne et sculptés par M. E. Derré, pour Thùtel de M. Dehay-
nin, à Passy, qui tous portent, au milieu de feuillages, le buste à
nu d'heureuses mères souriantes et entourées de leur progéniture
(1) Ce qui |)rouve que le mot mignardise est bien antérieur à l'ierre .Mi,i,niard,
le célèbre peintre de portraits du xviir siècle.
APPENDIC, r.
343
(fig*. 5, 5 /lis, 233 bis et 1er) ; telles les colonnes du palais ducal,
à Venise, formées de feuilles (Toù se
détachent des figures symboliques :
Arar/cia, Alacritas^ CastiUis, Absti-
ncnfia.
Les seins des cariatides sont tou-
jours fortement dessinés; ils contri-
buent ainsi pour beaucoup à l'effet
décoratif des portes monumentales
que ces statues encadrent ou des
corniches qu'elles semblent soutenir.
Au Musée Pokli-Pezzoli, à Milan,
les seins figurent dans Tarchitecture
môme de Tédifice : les nervures
ogivales de la salle d'armes se rejoi-
gnent, deux à deux, par leur extré-
mité libre et laissent pendre dans le
vide une demi-sphère avec saillie
centrale, en forme de mamelle.
Dans les lu'rnmbiciprs — bustes
réunis dos à dos comme des tètes de Janus — gravés sur corna-
line ou sur agate, on a donné, pour la symétrie, le même volume
Fiir. 233.
233 A/.v et lei\
344
LES SKINS DANS L HISTOIRE
aux mamelles des deux sexes (fig*. 234) . Une autre pierre gravée
du même genre (fig. 235), montre la poitrine d'une jeune femme :
ses cheveux déroulés forment, derrière elle, la barbe d'un masque
de vieillard.
Le Musée de Naples possède plusieurs « pectoraux » ou plaques
de métal circulaires et l)ombées, que les guerriers orientaux appli-
quaient sur leur costume au niveau des seins. Ces ornements sont
en métal doré, ou même en or, en argent, parfois sertis de pierres
précieuses. Mounet-Sully nous a présenté un Othello orné de ces
plaques, sur son costume de guerre.
'Kl'^'^
\
\
è
Fiff. 234; 23:i
Tirées du Muséian de Florence.
Nos actrices, dans les féeries ou les revues, emploient de sem-
blal)les parures : une perle blanche y simule la saillie du mamelon
(fig. 236). Les Romaines, d'après Pline, portaient des colliers de
perles à un rang {littum), le jour, et à trois rangs [trilinum.^ la
nuit; le troisième rang descendait jusque sur les seins; « cette
conjecture, remarque Larousse, est encore confirmée par l'expres-
sion auratœ inipïUiv, dont Ju\énal se sert en j)arlant de ^lessa-
line, ))
Le musée du Caire possède une sorte de collier formé de deux
disques ciselés à jour et reliés par quatre chaînes d"or. On ^ voit
aussi Voiioshh, ou ousckJi. parure agrafée sur les épaules et
couvrant toute la poitrine; ornements luxueux qui, selon saint
Jérôme, « mettent le corps à nu sous prétexte de le vêtir » : le
luxe, en effet, engendre. la luxure. Dans les galeries du môme
musée, le couvercle des sarcophages d'Égvptiennes représente sou-
A P P K X I) I C E
345
vent les seins à nu : ils sont coloirs en jaune, teinte réservée à
la peau féminine, tandis que le rouge appartient aux corjis mascu-
lins; les mamelons sont peints en noir.
Enfin, dans un fragment de fresque, ornement d'une case de
Graoros (1), dessiné par Boudier et reproduit par le Tour du
Fig. 23(j.
Fiff. 237.
Momie (18 mai 1901), on croit reconnaître une idole fantastique
à une seule mamelle, comme les divinités égyptiennes qui ornent
les parois des temples (fig. 237).
(!) Ue ht Cùle d'Ivoire au Soudan el à la (iuiuée. [inv le capitaini' (fOllùne.
POST-SCRIPTIM
Fustigation des esclaves à Rome. — Juvénal (sat. VI) parle d'une
esclave, la malheureuse Psecas, qui, « les cheveux épars, les épaules
découvertes et les seins nus, arrange la chevelure de sa maîtresse. —
Pourquoi, s"écrie l'irascible patricienne, cette boucle est-elle si haute?
Aussitôt un coup de nerf de bœuf puni le forfait d'un cheveu mal
frisé. » Si la dame romaine veut que sa coiffeuse ait les épaules décou-
vertes et les seins nus, c'est pour la châtier plus aisément à coups de
nerfs de bœuf, comme d'autres enfonçaient une longue épingle d'or
dans la poitrine et les épaules de leurs habilleuses, décolletées à cet
effet. iSest-ce pas Ovide qui recommande aux Romaines « de ne pas
abuser de cette réprimande devant leurs amants? » Une telle cruauté
ne pouvant que nuire à la passion qu'elles inspirent.
La nurse "Victoria et l'origine de la platitude anglaise. — Le
D'' Heline. dans ses curieux et insti-uetifs SourcnirK. publiés par la
Revue moderne de médecine, rapporte un incident de voyage à Londres
que lui conta le D'" Anselmier. Appelé pour accoucher une Française,
mariée à un lord anglais, léminent gynécologue, avant de rentrer en
France, sollicita et obtint de la reine, qui s'intéressait à la jeune mère,
une audience particulière. « J'étais auprès d'elle, dit l'accoucheur,
depuis un instant, quand soudain, la porte s'étant ouverte à deux bat-
tants, un chambellan annonça S. A. U. le prince de Galles. Je vis alors
entrer un gros gaillard blond, trapu, qui s'élança vers sa mère, et
après les trois saints d'usage, la prit tendrement dans ses bras, en la
couvrant de baisers et en l'appelant : ma chère nourrice, mij dear nurse. »
dette historiette suggère au D'' Michaut, de la Chronique médicale, des
réflexions originales, ([ui expliquent pourquoi « elles n'en ont pas (mi
Angleterre ». « Pour comprendre ce que cette appellation du futur
Edouard VII, remarque notre ingénieux commentateur, avait de llat-
teur pour la reine Victoria, il faut savoir qu'en Angleterre, durant
cent cinquante ans, aucune femme de la société n'avait consenti à
nourrir ses enfants. Toutes les nourrices venaient d'Irlande. Mais cet
abus prolongé et constant des « remplaçantes » avait eu des consé-
quences curieuses, qu'aucun des apôtres modernes de l'allaitement
POST-SC UIPTLM 341
maternel n"a mis jusqu'ici en lumière : à savoir que les g-landes mam-
maires, ne fonctionnant plu^^, avaient fini par s'atrophier de généra-
tion en génération, d'où la poitrine maigre et plate des Anglaises.
Très avisés, les médecins, qui désiraient voir restaurer l'allaitement
maternel, ne manquèrent pas d'insister sur cet inconvénient de l'usage
des nourrices. C'était, n'est-il pas vrai? prendre les femmes par le
côté sensible, je veux dire la coquetterie. Aussi la reine, pour donner
la première le bon exemple, s'était-elle décidée à nourrir elle-même
tous ses enfants. » Se non è ver-o...
Les seins chez les Japonaises. — Encore au D'' Michaut, chargé
d'une mission scientifique (mi 18'J2. nous devons les renseignements
suivants sur la plastique et le naïf sans-gène des chastes Japonaises.
Le Kimono (robe), largement ouvert sur la poitrine, laisse voir la
naissance des seins. Cependant la robe des courtisanes n'est pas
plus ouverte que celle des jeunes filles ou des femmes mariées, et
même les danseuses se couvrent entièrement la gorge; elles ne quit-
tent partie ou totalité de leur costume qu'à la suite de paris perdus
entre elles : la chiri-foun, danse opposée au ventre, alors ne manque
pas de couleur locale et elles s'en amusent infiniment. Dans le nord
seulement, d'après Maurice Dubard, il n'est pas rare de rencontrer des
fillettes dont « la partie supérieure du buste, laissée à découvert, est
presque toujours parfaite ». D'ailleurs, la Japonaise n'a pas l'art,
non plus que l'intention, de faire valoir la nudité de la poitrine si
appréciée en Europe: l'obi (ceinture) ne le lui permet pas.
De même, ni parures de la gorge ou du cou, ni colliers, ni rivières de
diamant — l'étincelante devanture d'Otero n'aurait aucun succès chez
ces Asiatiques fermées — pas la moindre Heur provocante; c'est uni-
quement le décolletage triangulaire qui dégage un cou très long, sous
l'échafaudage que la coiffeuse dresse sur la tète des élégantes, et lui
laisse toute sa grâce dans la simplicité de sa courbe. Mais les Japo-
nais n'attachent pas. comme nous, une idée esthétique et lubrique à la
forme et au volume des seins. Pour eux, le type de la beauté pecto-
rale est une platitude relative qui. sans être l'indigence, n'est pas
l'opulence, mais une honnête aisance: leur idéal se rapproche des
vierges pré-raphaéliques. La suggestion génésique vient moins de la
gorge que du cou, de la nuque, de la main et du pied, comme chez les
Célestes. La vue dune femme nue ne seml)le inspirer au Japonais
aucune idée sensuelle. A Yokohama, le D'' Michaut a assisté à une
série de réceptions où l'hôte présentait à ses invités sa femme absolu-
ment nue. Mais la Japonaise ne supporte pas la moindre plaisanterie
légère, qu'elle considère comme un manque de respect. « Pourquoi
s'adresser à nous? disait un jour, rouge de colère, l'une des actrices
d'un théâtre de femmes, après avoir fait expulser un intrus qui avait
osé porter une main libertine sur la poitrine de la mignonne créature;
ce n'est pas notre métier d'agacer les hommes. Le Yanhiro (quartier
348
LKS SKINS DANS L HISTOIRH:
des prostituées) est assez habité. » Beaucoup, ajoute Maurice Dubarcl,
portent un poignard à leur ceinture, et ce n'est pas un vain hochet mais
bien une arme dont elles n'hé-
sitent pas à se servir pour dé-
fendre leur vertu en danger.
Les youya, maisons de bains
chauds, sont de véritables gre-
nouillères, où les deux sexes se
baignent en commun, dans le
costume de nos premiers pa-
rents. Honni soit qui mal y
pense! Un clergyman a essayé
de faire tendre une corde de
séparation, mais sans y réussir.
D'ailleurs, jamais, de mémoire
d'homme, aucune scène scanda-
leuse ne s'est passée dans ces
établissements. Outre les pis-
cines, il existe desbarriquesbal-
néaires pouvant contenir une
famille entière. En voyage, on
rencontre souvent des femmes
et des jeunes filles qui prennent
des douches, toutes nues, sous
les cascades naturelles si nom-
breuses au Japon : elles ne
s'effarouchent pas et cherchent
encore moins à tirer vengeance
Fig. 250. des indiscrets Endymions de
passage.
Les mères allaitent très tard; pendant trois et même quatre ans. Il
n'est pas rare de voir de grands enfants interrompre leurs jeux pour
téter; aussi, le rachitisme, les diarrhées infantiles, les gastro-entérites
sont-elles des maladies dont l'enfance est exempte. Les « rempla-
çantes )) sont ignorées et les biberons inutiles. Les bêtes à cornes et
les vaches en particulier sont très rares ; ainsi s'explique la fidélité des
mères japonaises à leur devoir de nourrices; au reste, elles ont tout ce
(|u'il faut pour le remplir, contenant et contenu; en Extrême-Orient, la
mamelle est petite comme la race, mais très propre à la lactation.
Détail piquant ; dans le langage japonais, le même mot tchi-tchi désigne
le sein et le lait, l'organe et la fonction; sorte d'onomatopée qui rappelle
« le bruit argentin du lait jaillissant dans les seaux », dit A. Iloussaye.
Le corset est inconnu au Japon, du moins chez la classe moyenne;
mais les Japonais sont trop favorables aux idées occidentales pour ne
pas adopter nos modes avec notre civilisation, et bientôt la Japonaise
aura le corset et le décoUetasre de la Parisienne ; la cour a franchi le
J'OST-SCRIPTUM
349
premier pas. Nous réservons pour nos Seins à VErjlm' rallaitement de
l'ourson sacré par les femmes Aïnos, aboriL;-ènes du iiortl du Japon.
Fontaine ubérale. — Une statuette, de la collection do .AF. le comte
Basilewski (fig. 2o0i, représentant /)jfljie chasseresse, dans l'attitude de la
Diane à la hiche du Louvre, a servi de fontaine ubérale — à ([uelle
Fie. 251.
Fis. 2a2.
époque, dans quel pays, nous l'ignorons — les trous pratiqués dans le
chiton court de la déesse, au niveau des seins, et encore munis de
tuyautage métallique, ne laissent aucun doute sur son usage. Faire
passer l'eau à travers le vêtement est une idée assez singulière.
Au lieu de choisir la pudique déesse qui, en dehors de l'heure du
bain, ne découvre que le sein droit, pourquoi le sculpteur n'a-t-il pas
placé ses robinets sur la poitrine sans voiles d'une Vénus, barbouil-
lant de son lait le visage d'Eros, ou d'une Junon nourricière traçant la
voie lactée? (Voir Architeciura curiosa nova, de (i.-A. Bœcler (1664).
Les modèles à Venise. — Au xvu'- siècle — Misson nous l'apprend
(p. 1U2) — N'enise est la ville où les peintres peuvent le mieux étudier
la nature sur le vif. Il n'en sera plus de même deux siècles plus tard.
En septembre 1846, le peintre Schiavoni se plaint à Arsène Iloussaye
de la difficulté d'avoir des modèles : se donner corps et àme au premier
gondolier venu, dit-il, c'est admis parmi les filles du peuple; mais se
découvrir la gorge dans un atelier, voilà ce qui indigne les courtisanes
vénitiennes. Elles veulent bien que l'amour arrache son bandeau pour
les voir à loisir; mais elles craignent la concupiscence des yeux, comme
disait saint Paul. Elles qui ne rougissent jamais, rougiraient de se
déshabiller bravement pour poser en Diane chasseresse, en Madeleine
repentie ou en Nymphe bocagère : ou bien il leur faut d'abord une
déclaration galante. « Les courtisanes, observe A. Houssave, consentent
3:10
LKS SEINS DANS L HISTOIRE
à poser devant raniour, qui ;iinie le mystère, mais elles refusent hau-
tement (le poser devant Tari ipii aime le soleil. »
Fio-. 253. — Nourrice du Xégus d'Abyssinie. I)'ai)rés la pholograpliie de Zaïigaivi.
(Voir p. ilQ.)
Le bal des Quat' z'arts. — Cette année le bal a eu lieu le 24 avril, à
l'Elysée-Munl martre, avec son éclat habituel : le costume moyen âge
était de rigueur. Chacun des grands ateliers de peinture ou d'archi-
tecture a rivalisé de zèle et d'originalité dans la conception de la loge
POST-SCRIPTIMI
331
dosUnéc a -arnir la salle de bal et du char qui défile dans le cortège.
Les princii)ales recompenses
ont été décernées aux chars représentant
Fi£
-^ LÉniiime des Enigmes.
la Messe noire (fi-. 251), page d'histoire liturgique reconstituée par
l'atelier Cormon, et le Livre clheures (fig. 232) de Tatelier J.-P. Laurens.
Au Salon de cette année, M. Abel Truchet expose une toile ou miroite
et pirouette, sous les jets de la lumière électrique, la foule bariolée
de rapins en costumes excentriques et de modèles féminins, vêtus de
leur jeunesse et parés de leur beauté, in vestilo coiifidciiza.
TABLE DES CHAPITRES
Avaxt-Propos V
Chapitre Premiek. — Faits légendaires et historiques 1
I. — Récits 1
A. — Faits généraux 1
1° Sur les Seins 1
2° Sur fallaitenient et le lait al
B. — Faits particuliers sur les seins et rallaitemenl . . 7o
II.— Faits célébrés par les beaux-arts 114
[° Faits relatifs aux seins 114
2'M^^ait s relatifs à l'allaitement 134
Chapitre H. — Sur le décolletage lo6
1. — Faits divers I"j6
II. — Exhibitions des seins en public 187
111. — Portraits de femmes décolletées, avec mamelon .... 212
Chapitre III. — Sur le Corset 284
Appexdice. — Symbolisme et effet décoratif des seins 319
POST-SCRIPTU.M 34Ô
E V n E U .\ , IM P R I .M E RI E DE CHARLES H É R I S S E Y
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