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Full text of "Les sociétés badines, bachiques, littéraires et chantantes : leur histoire et leurs travaux"

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LES  SOCIÉTÉS  BADINES. 


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LES 


SOCIÉTÉS  BADINES 


BACHIQUES 


LITTÉRAIRES  ET  CHANTANTES 

LEUR  HISTOIRE  ET  LEURS  TRAVAUX 
OUVRAGE  POSTHUME   DE 

M.ARTHUR  DINAUX 

REVU  ET  CLASSÉ  PAR 

M.  GUSTAVE  BRUNET. 


QAvec  un  portrait  à  Veau-forte  par  G.  S  TA  AL 


TOME  SECOND. 


'PqA'BJS 

LIBRAIRIE    BACHELIN-DEFLORENNE 

3,  QUAI  MALAQUAIS,   3 

Au  premier,  près  de  V Institut. 

MDCCCLXVII. 


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DICTIONNAIRE  DES  SOCIÉTÉS  BADINES 


BACHIQUES,  CHANTANTES   ET  LITTERAIRES, 


ACARONIQUE  (Académie).  Elle  existait  à  Venise 

au  siècle  dernier: 
J.  Casanova,  en  ses  Mémoires,  tom.  Ier  (édit.  de 

Paris,  1843,  in-8_,  p.  i36;  édit.  de  i83o,  p.  257), 
raconte  un  banquet  pique-nique  fait  par  les  académiciens  maca- 
roniques  dans  la  petite  ville  de  Chiozza,  port  de  mer,  dans  une 
des  îles  voisines  de  Venise. 

Après  une  séance  de  l'Académie  dans  laquelle  chaque  mem- 
bre avait  récité  un  morceau  de  sa  façon,  on  banquetait  gaîment. 
Casanova  écrivit  dix  stances  pour  être  de  ces  réunions  et  fut  reçu 
membre  par  acclamation.  Il  figura  encore  mieux  à  table  qu'à  la 
séance,  et  il  mangea  tant  de  macaroni  qu'on  le  jugea  digne  d'être 
nommé  prince,  une  des  premières  dignités  de  la  compagnie. 

On  a  signalé  Laurent  de  Medici,  dit  le  Magnifique,  Gabriel 
Naudé,  le  cardinal  Mazarin,  l'académicien  Charles  Nodier,  M. 
Van  de  Weyer,  littérateur  et  diplomate  belge,  comme  étant  tous 
fervents  amateurs  de  macaroni. 

Personne  n'ignore  combien  le  macaroni  est  du  goût  des 
Napolitains.  Un  poète  qui  a  manié  avec  succès  cet  idiome,  F. 
Sgruttendio,  a  consacré  au  macaroni  une  longue  composition  en 
vers;  il  compare  les  tubes  flexibles  et  allongés  du  mets  national 
à  la  voie  lactée  et  à  la  chevelure  de  Bérénice;  il  peint  avec  feu 
l'ivresse  du  lazzaroni  qui,  la  tête  rejetée  en  arrière,  fait  adroite- 
ment descendre  dans  son  œsophage  les  débiles  et  interminables 
kuyaux  auxquels  il  doit  un  bonheur  complet.  Tout  respire  dans 


*♦ 


MAG 


ces  vers  un  accès  de  macaroni-manie.  Sgruttendio  fait  des  vœux 
passionnés  pour  que  tout  ce  qu'il  touche  soit  changé  en  macaroni, 
et  il  finit  par  demander  aux  dieux  de  le  métamorphoser  lui- 
même  en  macaroni. 

MAGDELAINE  (Ordre  de  la).  Cet  Ordre,  qui  n'a  pas  eu  de 
suite,  prit  sa  naissance  et  sa  fin  en  la  personne  de  Jean  Chesnel 
de  la  Chapperonaye,  à  qui  l'idée  en  était  venue,  et  que  Louis  XIII 
voulut  bien  revêtir  du  cordon  de  cet  ordre  dont  il  fut  l'unique 
membre.  Ce  chevalier  voyant  que  son  projet  ne  prenait  pas  fa- 
veur, se  fithermite,  sans  être  ni  diable  ni  vieux. 

Il  nous  est  resté  un  petit  traité  assez  rare  de  cet  Ordre  sous  le 
titre  de  :  La  Règle  et  Constitution  des  chevaliers  de  l'Ordre 
de  la  Magdelaine-,  par  de  la  Chapperonaye.  Paris,  Du  Bray, 
i6i8_,  in-8  (Lelong,  tom.  III, p.  712,  no  40,  53 1).  Voir  Hélyot, 
Hijl.  des  Ordr.  relig.  et  monajt.,  tom.  VIII,  p.  276  et  suiv. 

MAGNANVILLE  (Société  dramatique  de  M.  de),  de  1768 
à  1772,  M.  de  Magnanville,  garde  du  Trésor  royal,  qui  passait 
la  belle  saison  au  château  de  la  Chevrette  à  trois  lieues  de  Paris, 
avait  organisé  une  troupe  de  comédie  de  société  qui  obtint  quel- 
qu'éclat.  Acteur  et  auteur  à  la  fois,  M.  de  Magnanville  a  com- 
posé une  pièce  en  trois  actes,  les  Orphelines,  qui  obtint  le  plus 
grand  succès.  Le  fournisseur  principal  du  théâtre  de  la  Che- 
vrette fut  le  chevalier  de  Chastellux  qui  y  fit  jouer  successive- 
ment les  Amans  portugais,  comédie  en  un  acte;  les  Prétentions, 
comédie  en  3  actes  ;  et  enfin  une  imitation  libre  de  Roméo  et 
Juliette,  tragédie  de  Shakespeare. 

La  troupe  de  la  Chevrette  était  supérieurement  bien  compo- 
sée; et  ses  représentations  attiraient  une  foule  de  spectateurs 
choisis  de  la  Cour  et  de  la  ville.  Parmi  les  actrices,  on  citait  Mme 
la  marquise  de  Gléon,  Mlle  de  Savalette,  sa  sœur,  et  Mme  de 
Pernan,  fille  de  M.  de  Magnanville.  Ces  trois  dames  ont  mon- 
tré un  talent  distingué. 

Pièces  et  acteurs  n'auraient  peut-être  pas  soutenu  le  grand 
jour  des  représentations  publiques,  mais  elles  ont  attiré  à  chaque 


MAL 


fois  beaucoup  de  monde,  une  foule  de  bravos,  et  l'on  a  applaudi 
à  plusieurs  détails  qui  ont  paru  heureux  et  charmants. 

MALICE  (Ordre  de  la).  Variétés  littéraires  (par  Coupé). 
Littérature  légère,  tom.  Ier,  p.  178.  Paris,  1786,  in-8.11  fut  ins- 
titué le  ier  mai  1734,  par  une  dame  charmante  dont  le  nom  ne 
nous  est  pas  parvenu.  Chaque  chevalier  et  chevalière  portait  un 
petit  cordon  gris  de  lin,  auquel  était  attachée  une  miniature 
ovale  en  émail,  bordée  d'un  fil  d'or:  cette  miniature  représen- 
tait un  singe  et  on  lisait  ces  vers  derrière  cette  figure  : 

Pour  vous  imiter  je  suis  fait  ; 

C'est  là  mon  plus  noble  exercice  ; 

Aussi,  par  un  retour  parfait, 

Vous  me  ressemblez  en  malice. 

Cette  décoration  singulière,  était  principalement  portée  par 
des  dames;  le  singe  étant  fort  laid  de  sa  nature,  la  miniature 
suspendue  au  cou  dé  la  chevalière  faisait  ombre  au  tableau  et  ne 
portait  aucun  ombrage  à  la  beauté. 

Voici  les  statuts  de  cet  Ordre  tels  qu'ils  nous  ont  été  conservés 
par  l'abbé  Coupé,  ancien  répétiteur  au  collège  d'Anchin  de 
Douai_,  dans  l'ouvrage  que  nous  venons  d'indiquer. 

«  Statuts  de  Y  Ordre  de  la  Malice,  institué  par  très-aimable  et 
très-digne  dame  madame  Agrippine  de  la  Bonté  même. 

I. 

Art.  ier.  Il  n'y  aura'que  quatre  dignités,  qui  seront  toujours 
remplies  par  le  beau  sexe,  comme  entrant  mieux  dans  l'esprit  de 
YOrdre.  Ces  dignités  seront  celles  de  grande-maîtresse,  de  lieu- 
tenante,  de  chancelière,  de  trésorière.  L'Ordre  sera,  outre  cela, 
composé  de  quatre  commandeurs  et  de  quatre  chevaliers,  dont 
l'élection  se  fera  en  conscience  et  connaissance  des  mérites  et 
talens  en  malice. 

II. 

Art.  2.  Tous  ceux  et  celles  qui  se  présenteront  pour  être  ad- 
mis dans  YOrdre,  doivent  avoir  les  qualités  requises  pour  occu- 
per les  places  qui  pourront  leur  être  confiées. 


MAL 


III. 

Art.  3.  Ils  seront  obligés  de  prouver  deux  années  au  moins 
d'exercice  réel  ou  d'intention;  ce  qui  sera  vérifié  par  titres  qu'ils 
soumettront  à  l'examen  de  la  chancelière  de  F Ordre. 

IV. 

Art.  4.  Le  noviciat  sera  d'une  année,  et  pendant  ce  temps  les 
Novices  seront  obligés  de  donner  à  la  lieutenante,  deux  fois  par 
jour,  les  moyens  les  plus  fins  et  les  plus  adroits  d'attraper  et  de 
faire  donner  dans  le  panneau  ceux  que  l'Ordre  voudra  favoriser 
de  son  amitié  et  de  sa  bienveillance. 

V. 

Art.  5.  On  ne  sera  reçu  Profès  qu'après  avoir  exactement 
rempli  les  obligations  du  noviciat;  ce  qui  sera  certifié  par  la  lieu- 
tenante,  et  examiné  en  plein  chapitre. 

VI. 

Art.  6.  Défenses  sont  faites  de  prendre  aucun  domestique 
Champenois,  Suisse,  ou  Picard. 

VII. 

Art.  7.  On  ne  pourra  faire  élever  dans  sa  maison  ni  dindons, 
ni  oyes,  ni  moutons. 

VIII. 

Art.  8.  Mais  on  aura  pour  le  bon  exemple,  beaucoup  de  sin- 
ges, de  chats,  de  perroquets,  de  chouettes,  de  renards  et  de  pies. 

IX. 

Art.  9.  Les  principaux  livres  de  la  Bibliothèque  (de  F Ordre) 
seront  VEspiègle,  Richard  sans  Peur,  Buscon,  Gusman  d'Al- 
farache,  Gil  Blass  le  Pince  sans  rire,  Y  Histoire  des  pages,  les 
Anecdotes  des  pensionnaires  des  religieuses.  » 

Ces  statuts  étaient  précédés  de  la  préface  qui  suit,  composée 
par  l'institutrice. 

Celui  qui  veut  de  la  Malice 
Devenir  un  digne  Profès, 
Doit  si  bien  tendre  ses  filets 
Pendant  le  temps  qu'il  est  Novice, 


MAL 


Qu'il  ne  passe  jamais  un  jour 

Sans  avoir  fait  quelque  bon  tour  : 

Mais  que  l'aimable  politesse, 

L'esprit  fin,  la  délicatesse, 

Brillent  en  toute  occasion  ; 

Et  que  jamais  malice  noire, 

De  fait  ou  bien  d'intention, 

Ne  ternisse  la  belle  gloire 

Que  dans  Y  Ordre  il  faut  acquérir. 

Loin  de  nous  ces  esprits  caustiques 

Qui  blessent  sans  savoir  guérir. 

Censeurs  bourrus,  fâcheux  critiques, 

Vrais  boute-feux  des  républiques, 

Nous  vous  bannissons  pour  toujours  ; 

Votre  demeure  est  chez  les  ours. 

Et  vous,  complaisans  insipides, 

Qui  ne  louez  qu'avec  fadeur, 

Cherchez  ailleurs  des  gens  avides 

D'un  poison  qui  gâte  le  cœur. 

Nous  ne  recevons  dans  notre  Ordre 

Que  des  sujets  doux  et  malins, 

Qui  sachent  rire  sans  trop  mordre, 

Et  qui  pour  les  bons  tours  enclins, 

Augmentent  pour  eux  notre  estime. 

Badinons  sans  désobliger, 

Et  suivons  toujours  pour  maxime  : 

Jamais  nuire,  mais  corriger. 
Ces  vers  résument  les  articles  des  statuts. 
Cette  singulière  association  a-t-elle  eu  lieu  en  effet?  c'est  avec 
de  telles  réunions  qu'on  a  pu  organiser  les  mystifications  de 
l'abbé  de  Saint-Martin,  à  Caen,  de  Poinsinet  et  d'autres  victi- 
mes de  la  malice. 

Les  domestiques  de  Suisse,,  de  Champagne  et  de   Picardie 
viennent  du  proverbe:  99  Champenois  et  un  mouton  font  cent. 
Je  l'ai  fait  venir  d'Amiens  pour  être  Suisse.  —  Les  consignes 
singulières  des  Suisses. 

MAL-MARIEZ  (Confrairie  des).  Société  imaginaire  due  à 


MAL 


l'imagination  facétieuse  d'un  de  ces  nombreux  écrivains  qui,  au 
dix-septième  siècle,  prirent  les  soucis  de  la  vie  conjugale  pour 
but  de  leurs  railleries.  L'édition  originale  de  cet  opuscule  est 
très-rare;  nous  l'avons  inutilement  cherchée  sur  les  catalogues 
les  plus  riches  en  ce  genre,  notamment  sur  celui  du  duc  de  la 
Vallière  (1784,  3  vol.  in-8),  et  nous  n'en  trouvons  aucune  indi- 
cation dans  la  curieuse  Bibliographie  (spéciale)  des  ouvrages 
relatifs  à  V amour,  aux  femmes  et  au  mariage,  2  e  édition, 
Paris,  J.  Gay,  1864,  in-8.  Le  texte  que  nous  reproduisons  nous 
est  fourni  par  une  copie  manuscrite  faisant  partie  de  la  biblio- 
thèque formée  par  M.  Leber  (n°  261 5  du  catalogue  imprimé)  et 
acquise  par  la  ville  de  Rouen. 

La  Confrairie  des  Mal-Mariés^  ou  Martyrs,  assemblés  rue 
Tournecul. —  La  Confrairie  des  Martyrs.  —  Aduertissement 
aux  confrères  et  sœurs  de  la  haute  et  basse.,  pauure  et  riche, 
vieille  et  nouuelle,  et  noble  et  roturière  Confrairie  des  Mar- 
tyrSj  martyrisez  par  leurs  honnestes,indiscrettes  et  maladuisées 
femmes  nouvellement  instalées  au  chasteau  (sic)  de  Bissestre,  à 
présent  appelle  Malencontre. 

Agez  (sic)  et  paty.  chap.  si  i'eusse  bien  pensé. 

Mes  tres-chers  confrères,  vous  n'estes  pas  ignorans  que  dez 
long-temps  il  y  a  une  Confrairie  des  Martyrs  érigée  ie  ne  sçay 
où,  instituée  par  ie  ne  sçay  qui,  et  de  laquelle  on  parle  ie  ne 
sçay  comment.  Mais  l'ayant  meurement  considérée  en  toutes 
ses  dépendances;  après  auoir  este  prié  de  plusieurs,  et  spéciale- 
ment de  ceux  de  la  rue  des  mauuaises  paroles,  et  de  la  rue  tour- 
neculj  i'ay  délibéré  sur  leur  instante  prière  et  pour  la  commo- 
dité de  nous  tous,  de  designer  un  lieu  asseuré  où  l'assemblée  se 
trouuera,  s'il  leur  plaist  pour  y  faire  eslection  des  Maistres  et 
Gouuerneurs  de  la  Confrairie,  et  pour  délibérer  des  choses  qui 
y  sont  requises  et  nécessaires  :  et  pour  ce,  il  est  enioint  de  par 
Thibault  le  Persécuté,  General  des  Affligez,  à  tous  qu'il  appar- 
tiendra, de  ne  se  présenter  pour  se  faire  enrooler,  qui  ne  soient 
chargez  de  persécutions  et  d'opprobres,  principalement  de  fleures 
quartaines,  malebosses,  voleurs  et  yvrognes  et  toutes  autres  in- 


MAL 


iures  et  supplices,  pratiquez  par  les  exécuteurs  à  l'endroit  des- 
dits Martyrs,  et  prendre  garde  que  Martin  baston  n'y  ait  passé: 
car  il  seroit  du  tout  indigne  de  conuerser  auee  lesdits  martyrs. 
Comme  aussi  ceux  qui  se  présenteront  deuant  Monsieur  le 
Doyen  et  Messieurs  les  Gouuerneurs  pour  estre  examinez  leur 
est  enioint  d'apporter  le  certificat  de  leur  martyre  ou  mariage 
dont  la  teneur  s'ensuit. 

Nous  soussigné^  N.  certifions  que  N.  a  esté  accordé  à  Saint- 
Près,  fiancé  à  Saint  Innocent ,  marié  à  Saint  Merry ,  les 
nopces  faites  à  la  Grimace,  le  souper  à  la  valée  de  Misère,  et 
de  là  coucher  à  la  riie  de  la  Tannerie,  et  le  lendemain  s'en 
alla  (comme  son  devoir  estoit)  aux  Martyrs,  et  sa  femme  aux 
filles  repenties,  et  à  leur  retour  en  leur  maison,  si^e  en  la  rue 
d'Amour  sans  souci,  à  présent  appelée  rue  des  Afflictions,  et 
paroisse  de  songe\-y  :  auparauant  se  sont  présente \  chacun 
un  bouquet,  l'un  fait  de  soucy,  et  Vautre  de  diuerses  pensées, 
et  pour  les  conseruer  les  ont  mis  rafraischir  dans  une phiole 
d'amertume  remplie  de  larmes  tombées  du  fin  fond  de  leur  en- 
tendement. 

Et  vous  tous  à  qui  le  semblable  arriue  plus  souvent  que  tous 
les  iours,  posez  pour  baze  de  votre  espérance  ce  petit  prouerbe 
tant  usité,  patientia  vincit  omnia,  la  patience  surmonte  toutes 
choses  en  nostre  endroit.  C'est  la  reine  des  vertus,  aussi  sera 
(t)  elle  à  la  face  de  nostre  Labaron  ou  enseigne  auec  la  souffrance 
qui  sera  au  reuers,  et  nous  fera  sa  harangue  (malheur  à  nous) 
qui  ne  vous  est  que  par  trop  connue,  usque  ad  finem  patieris  : 
tu  endureras  iusques  à  la  fin.  Sus  donc,  mes  chers  frères,  pre- 
nons courage.,  qu'un  chacun  garnisse  sa  bourse  au  desceu  de  son 
persécuteur,  afin  qu'après  que  nous  nous  serons  deuëment  ac- 
quitez  de  nos  charges  et  deuoirs  à  l'endroit  de  la  Confrairie, 
nous  nous  transportions  au  lieu  nommé  la  Consolation,  seis  en 
la  rue  d'Allégresse,  à  la  joie  nompareille,  pour  là  nous  consoler 
les  uns  les  autres  et  nous  conter  nos  fortunes,  chacun  scait  les 
siennes;  et  aussi,  si  quelqu'un  auoit  usé  de  quelques  paroles 
des-honnestes  à  l'endroit  de  son  persécuteur,  il  en  laue  sa 


MAN 


bouche  auparauant  que  de  se  mettre  à  table,  où  sera  préparé  le 
festin  somptueux  et  magnifique,  garni  de  (ie  ne  vous  dis  rien) 
toutes  sortes  de  mets,  apportez  du  royaume  sans  nom. 

Statuts  de  la  Confrairie.  —  Item  sera  fait  eslection  de  deux 
maistres  les  plus  souffreteux  et  persécutés  qui  se  puissent  trou- 
ver entre  les  confrères,  et  seront  tenus  establir  des  commis  en 
diuers  endroits  pour  la  commodité  de  ceux  qui  voudront  se  faire 
enrooler. 

Premièrement,  en  la  rue  qu'on  appelle,  va  te  coucher  sans 
souper. 

Secondement,  en  la  rue,  ie  suis  maistre  quand  ie  suis  seul. 

Troisiesmement,  en  la  riie,  souuent  faut  que  ie  me  taise. 

Quatriesmement,  en  la  rue  doublée  de  reuesche. 

Cinquiesmement,  pour  les  sœurs,  en  la  riie  pauée  d'andouilles 
sans  cuire. 

Sixiesmement,  en  la  rue  donnez  leur  du  bon  dans  la  mitaine. 

Septiesmement,  et  nous  ne  receurons  aucuns  confrères  si  leur 
chappeau  ne  tourne. 

Huictiesmement,  et  ne  receurons  aucune  sœur,  si  elle  ne  sait 
dire,  merci  Dieu,  les  mains. sur  les  roignons. 

Neufiesmement,  est  fait  deffenses  à  tous  ceux  et  celles  qui  sont 
tels,  comme  cy  dessus  a  esté  dit,  de  s'y  présenter,  à  peine  d'en- 
courir un  affront  signalé  en  présence  de  toute  l'assemblée.  Fait 
ce  iour  de  ma  grande  affliction,  au  mois  de  mon  martyre,  l'année 
prens  y  garde  si  tu  veux. 

Tres-chers  frères  et  sœurs,  vous  serez  aduertis  de  vous  trouuer 
audit  lieu  des  Martyrs,  au  matin,  pour  y  receuoir  vostre  distri- 
bution et  vos  bouquets  à  l'accoustumée,  le  lendemain  des  festes 
de  Pasques. 

MANTEAU  (Compagnie  du)  à  Florence .  Cette  association,  ou 
Compagnia  del  Mantellaccio  affectait  le  mépris  des  richesses; 
et  devait  son  nom  au  mauvais  manteau  dont  s'affublait  le  pré- 
sident. Une  satire  portant  ce  nom  et  dont  il  y  a  deux  éditions, 
sans  date  et  1572,  très-rares  et  très-chères  l'une  et  l'autre,  a  été 


MAR 


attribuée  à  Laurent  de  Medici  (i).  Il  en  existe  d'autres  éditions 
de  1584,  1597,  16 10,  et  il  a  été  publié  à  Florence  en  1861  une 
réimpression  fac-similé  de  l'édition  de  1578.  La  Compagnia 
del  Mantellaccio  a  eu  l'honneur  d'être  citée  parmi  les  textes  de 
langue  par  l'Académie  de  la  Crusca. 

MARIONNETTES  (Ordre  des).  Voici  encore  une  fiction  qui 
n'a  existé  que  dans  l'imagination  d'un  poète.  Travenolj  homme 
de  lettres,  protégé  de  Mgr.  le  prince  de  Conti,  grand-prieur  de 
France,  chez  lequel  il  demeurait,  créa,  de  son  autorité  privée, 
un  Ordre  des  Marionnettes  (1),  présidé  par  Polichinelle,  ayant 
pour  secrétaire  Turlupin,  et  pour  vice-président  Carnaval.  Cet 
ordre  avait  des  statuts  et  l'on  y  délivrait  des  brevets.  En  voici 
un  qu'on  lit  dans  les  Œuvres  mêlées  du  sieur  ***  (Travenol), 
1775,  in-8,  p.  46-47,  et  qui  est  censé  être  délivré  à  une  actrice 
de  POpéra,  qui  devait  probablement  à  ses  gestes  et  à  ses  mouve- 
ments quelque  droit  à  être  comparée  à  une  marionnette  : 

De  par  le  grand  Polichinelle, 
Maître  du  petit  opéra, 
Composé  d'acteurs  sans  cervelle, 
Comme  il  fut  toujours  et  sera, 
Administrateur  très-fidèle, 
Des  trésors  de  la  Bagatelle, 
Des  Godenots  (1),  et  cœtera, 
Dont  souvent  on  rit  et  rira. 
A  notre  automate  séquelle 


(1)  Les  meilleurs  critiques  italiens,  notamment  A. -M.  Salvini,  regardent 
cette  attribution  comme  erronée.  Des  détails  bibliographiques  au  sujet  de  ces 
poésies  burlesques  se  trouvent  dans  l'ouvrage  de  B.  Gamba  :  Série  dell'edi- 
%ioni  dei  testi  di  lingna  italiana. 

(2)  Né  en  17 10,  mort  vers  1780;  ses  nombreux  écrits  sont  oubliés;  il  se  fit 
connaître  un  moment  par  ses  démêlés  avec  Voltaire,  contre  lequel  il  publia 
divers  ouvrages  satiriques. 

(3)  D'anciens  dictionnaires  donnent  à  ce  mot  le  sens  de  «  petite  marion- 
nette d'escamoteur.  »  Un  auteur  burlesque  a  dit  d'Enée  qu'il  avait  emporté 
son  père  et  ses  godenots  (ses  idoles). 


io  MAR 


Qui,  dans  nos  comiques  concerts, 
Fait  valoir  nos  chants  et  nos  vers 
Par  le  moyen  d'une  ficelle  : 
Salut  ;  et  lui  faisons  savoir, 
Qu'étant  toujours  en  sentinelle, 
Pour  bien  remplir  notre  devoir, 
Il  nous  a  plu  de  recevoir 
Une  belle  et  noble  demoiselle 
Dans  notre  irréprochable  corps. 
Voulons  que  l'actrice  nouvelle, 
Qui,  par  de  séduisans  accords, 
Comme  la  tendre  Philomelle, 
Nous  cause  d'amoureux  transports, 
Soit  l'âme  de  nos  chansonnettes, 
Qu'elle  jouisse,  toutefois, 
Des  privilèges  et  des  droits 
De  nos  chéries  Marionnettes  : 
Bien  entendu  qu'à  nos  Statuts, 
Qui  ne  peuvent  souffrir  d'abus, 
Ni  pour  le  fond,  ni  pour  la  forme, 
En  tout  elle  sera  conforme. 
Mandons,  en  outre,  à  nos  féaux , 
Que  nous  tenons  pour  nos  égaux, 
De  lui  rendre  un  parfait  hommage, 
De  l'admettre  à  tous  nos  plaisirs, 
Comme  un  grand  et  beau  personnage 
Qui,  sans  nul  ressort  ni  cordage, 
Saura  combler  tous  nos  désirs. 
Telle  est  la  volonté  suprême 
De  notre  adjoint  le  Carnaval. 
Fait  dans  son  cabinet  jovial, 
Avec  plaisir  et  sans  emblème. 
Au  mois  où  les  matous  en  rut, 
Se  rassemblent  sur  les  goutières, 
L'an  qui  vit  les  stances  ratières 
De  YAlmanach  de  Bel^ebuth. 
Signé,  par  Nous,  Polichinelle: 
Et  sur  le  repli,  Turlupin, 


MAR 


Des  secrétaires  le  modèle, 
Ainsi  que  tout  fagot in. 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  dire  qu'un  érudit  ingénieux,  un 
membre  de  l'Académie  des  Inscriptions,  M.  Charles  Magnin,  a 
laissé,  sous  le  titre  à? Histoire  des  Marionnettes,  un  gros  vo- 
lume rempli  de  recherches  très-curieuses  et  très-piquantes. 

MARMITE  (Ordre  de  la).  Il  y  eut  un  Ordre  de  la  Marmite. 
Un  livret,  portant  cette  dénomination,  se  vendit  à  Lille  en  1847. 

Dans  un  recueil  de  poésies  mss.  in-4  composées  vers  1760  par 
un  habitant  de  la  Ferté-sous-Jouarre,  on  trouve,  au  44e  f°,  une 
pièce  intitulée:  Brevet  d'Empoisonneur  du  diable  donné  à 

commençant  ainsi  : 

s 

De  par  le  cuisinier  d'Hédin 
Premier  empoisonneur  du  diable, 
De  par  Mignot,  de  par  Seguin, 
De  par  la  troupe  vénérable 
Des  cuisiniers  et  marmittons 

Il  s'agissait  de  recevoir  dans  l'Ordre  un  gros  abbé  de  bonne 
humeur  qui  avait  manqué  la  veille  un  salmis  de  bécasse;  sui- 
vant les  statuts,  on  dansa  deux  pas  de  sarabande,  puis  on  le  coiffa 
de  la  plus  grande  marmitte  en  signe  de  bonnet  de  docteur  et  on 
le  reçut  dans  V Ordre. 

La  pièce  suivante,  remercîment  du  précédent  brevet,  débute 

de  la  sorte  : 

De  par  Seigneur  Marmittonfa, 
Nous,  directeur  de  la  marmitte, 
Grand  général  de  lèchefritte, 
Casserole,  broche  et  ccetera.... 

Il  finit  par  accorder  un  second  brevet  au  gascon  Delpy,  autre 
abbé,  paraît-il,  qui  avait  médit  de  l'Ordre  et  de  ses  statuts,  et  on 
lui  souhaite  de  ne  plus  rencontrer  Goûin  et  de  ne  plus  écouter 
aux  portes. 

Le  savant  auteur  des  Etablissements  des  Romains  sur  le  Rhin 
et  sur  le  Danube,  M.  Max.  de  Ring,  a  fait  un  livre  curieux  in- 
titulé :  Sur  le  Voyage  de  la  Marmite  zurichoise  à  Strasbourg 


12  MAT 

en  i5 76  (1).  Cette  Marmite  était  une  sorte  de  réunion  acadé- 
mique qui  s'assemblait  chaque  semaine  dans  l'hôtel  du  Prêteur 
d'Autigny  pour  faire  des  lectures  sur  l'histoire  locale.  Dans  la 
séance  dont  parle  M.  -Ring,  on  lut  un  article  sur  l'Alsace  destiné 
au  Dictionnaire  géographique  cL'Expilly  (2)  en  présence  de 
Schœpflin,  auteur  présumé  de  l'article,  Koch,  Oberlin,  Ring,  le 
Prêteur  d'Autigny,  qui  tous  rangés  autour  de  la  marmite,  com- 
muniquèrent leurs  observations.  Ces  conférences,  on  peut  l'af- 
firmer, n'ont  pas  été  perdues  pour  la  science. 

MATTE  (Enfants  ou  Compagnons  de  la).  On  appelait  ainsi 
autrefois  les  escrocs  et  les  filous,  parcequ'ils  avaient  coutume  de 
s'assembler,  dit  Le  Duchat,  sur  une  place  nommée  la  Mate.  De 
mate  est  venu  matois  qui  signifie  rusé.  Il  existe  un  livret  en  vers  : 
Le  fin  mathois  ou  le  marchand  meslé  propre  à  tout  faire.  Pa- 
ris, 16 14. 

D'après  M.  Francisque-Michel  {Etudes  de  philologie  com- 
posée sur  V argot,  i856),  l'étymologie  indiquée  par  Le  Duchat 
n'est  pas  exacte;  le  mot  matte  vient  de  l'italien  matto  (folie), 
expression  aujourd'hui  hors  d'usage  et  remplacée  par  matto^a. 
Les  Enfants  de  la  Matte  seraient  ainsi  les  Enfants  de  la  Folie. 

Le  terme  d'Enfants  de  la  Matte  se  trouve  dans  les  Apresdis- 
nées  du  seigneur  de  Cholières.  Paris,  i588  (3),  et  Leduc  a  dit 
dans  ses  Proverbes  en  rime,  ou  Rimes  en  proverbes  (Paris,  i665, 

2  vol.  in- 12): 

Enfants  qui  sont  de  la  matte 
Savent  tous  jouer  de  la  patte. 

(1)  Uber  die  Reise  des  Zuer cher  Breitopfes  nach  Strasburg  vom  Jahre 
1 576  ;  Bayreuth,  1787.  Les  bibliophiles  recherchent  un  ouvrage  d'un  autre 
genre  intitulé  :  La  Marmite  des  capucins,  rétablie  par  les  miracles  du  Père 
Marc  d'Aviano,  Cologne,  1684  et  i685.  C'est  une  satire  sortie  de  la  plume 
d'un  protestant. 

(2)  Ce  Dictionnaire  des  Gaules  et  de  la  France  (Paris,  1762-70,  6  vol.  in- 
fol.)  peut  encore  être  consulté  avec  profit  ;  malheureusement  il  est  resté  ina- 
chevé; il  s'arrête  à  la  lettre  S. 

(3)  Il  a  été  donné  récemment  à  Bruxelles  une  édition  de  ce  volume  cu- 
rieux (1864,  petit  in- 12,  340  pages);  elle  n'a  été  tirée  qu-à  206  exemplaires. 


MAU  i3 


Leur  savoir  leur  portait  quelquefois  malheur;  Brantôme  dit 
avoir  vu  pendre  un  enfant  de  la  matte  qui  avait  dérobé  la  vais- 
selle d'argent  de  la  cousine  du  prince  de  la  Roche-sur- Yon.  Voir 
d'ailleurs  le  livre  de  M.  F.  Michel,  pag.  262-264. 

MAUBEUGE  (Académie  des  armes  a).  Maubeuge  possédait 
une  Académie  des  Armes,  dont  était  M.  Barès,  si  l'on  en  croit 
une  lettre,  ainsi  signée,  adressée  à  Mme  Curé,  sur  le  traité  de 
Y  Amour  décent,  délicat  et  dégagé  des  sens.  (La  Muse  limo- 
nadière, tom.  I,  pag.  212). 

MAUREPAS  (Société  dramatique  de  M.  de).  M.  de  Maure- 
pas  donnait  des  soirées  dramatiques  très-courues, très  à  la  mode, 
sous  le  règne  de  Louis  XVI,  à  une  époque  où  le  goût  de  jouer 
la  comédie  s'empara  de  tout  le  monde  et  fit  de  rapides  progrès. 
Depuis  la  Cour  jusqu'au  dernier  manoir  de  province  on  éleva 
des  théâtres  de  société  sur  lesquels  s'escrima  toute  la  noblesse 
de  France  &  de  Navarre.  Le  ministre  de  Maurepas  composait 
des  parades  que  jouait  M.  Gui  de  Miromesnil,  le  Scapin  le  plus 
fin,  le  plus  délié  et  le  plus  véritablement  comique  d'entre  les 
acteurs  de  société,  le  Dugazin  enfin  du  théâtre  Maurepas.  Cet 
artiste  improvisé,  malgré  ce  genre  d'occupation,  ou  peut-être  à 
cause  de  ce  talent  de  société,  devint  garde-des-sceaux  de  France. 
Ce  qui  fit  éclore,  en  1783,  une  diatribe  sanglante,  comme  toutes 
celles  qu'on  faisait  alors,  elle  était  intitulée  :  Très-humbles  re- 
montrances de  Guillaume  Nicodême  Volanges,  dit  Jeannot, 
acteur  des  Variétés  amusantes,  à  Monseigneur  de  Miromesnil, 
garde-des-sceaux  de  France.  Elle  avait  trait  à  ces  succès  de 
théâtre  à  l'aide  desquels  le  grand  seigneur  rivalisait  avec  celui 
qui  avait  fait  le  succès  de  la  farce  de  Jeannot. 

Fleury  raconte  dans  ses  Mémoires,  qu'un  soir,  à  la  suite  de 
la  représentation  d'une  parade  ou  d'un  proverbe  chez  M.  de 
Maurepas,  M.  de  Miromesnil  ayant  été  fort  applaudi  dans  un 
rôle  d'ivrogne,  excepté  par  M.  de  Vaudreuil,  on  demanda  à  ce 
dernier  le  motif  de  son  abstention;  il  répondit  que  cette  ivresse 
était  contraire  aux  principes.  Comme  on  se  récria  sur  ce  mot 


MED 


principes,  M.  de  Vaudreuil  posa  cet  axiome:  M.  de  Miromes- 
nil  cherche  à  chanceler,  les  vrais  ivrognes  cherchent  à  se  retenir; 
M.  de  Miromesnil  veut  perdre  l'équilibre,  et  le  buveur  qui  va 
tomber,  veut  le  conserver.  Et  il  développa  cette  théorie  si  per- 
tinemment et  si  comiquement  que  les  auditeurs  s'amusèrent  au- 
tant à  ce  commentaire  qu'à  la  représentation  de  la  pièce  même. 

MÉDAILLON  (Ordre  du).  Cet  Ordre  a  été  fondé  en  janvier 
ou  février  1765  par  des  admirateurs  de  Mlle  Clairon  qui  se  dé- 
corèrent d'un  médaillon  portant  les  traits  de  cette  célèbre  actrice 
et  que  l'on  frappa  à  l'occasion  du  fait  suivant. 

Quatorze  ans  auparavant,  vers  175 1,  Garrick,  célèbre  acteur  de 
Londres,  vint  passer  quelques  jours  à  Paris  et  eut  occasion  de 
voir  jouer  Clairon  alors  à  ses  débuts.  Il  prédit  ce  qu'elle  serait  un 
jour.  Quand  l'actrice  fut  arrivée  à  l'apogée  de  sa  gloire,  Garrick 
se  rappela  sa  prédiction  avec  plaisir,  et  fit  représenter,  par  Gra- 
velot,  un  dessin  dans  lequel  Clairon  figure  entourée  de  tous  les 
attributs  de  la  tragédie  ,  un  de  ses  bras  s'appuie  sur  une  pile  de 
livres;  on  y  lit  les  noms  de  Corneille,  Racine,  Crébillon,  Vol- 
taire, etc.  Melpomène  est  auprès  d'elle  et  la  couronne.  Au  haut 
du  dessin,  on  lit  :  Prophétie  accomplie,  et  au  bas  ces  vers  : 
«  J'ai  prédit  que  Clairon  illustrerait  la  scène, 
«  Et  mon  esprit  n'a  point  été  déçu  ; 
«  Elle  a  couronné  Melpomène, 
«  Melpomène  lui  rend  ce  qu'elle  en  a  reçu.  » 

Ces  vers  sont  de  Garrick. 

Il  fit  frapper  ce  médaillon  en  bronze,  et  les  enthousiastes  du 
talent  de  Clairon  le  recherchèrent  et  le  portèrent  :  ce  fut  l'origine 
de  Y  Ordre  du  Médaillon.  Les  flatteurs  firent  là  dessus  ces  vers: 
Sur  l'inimitable  Clairon, 
On  va  frapper,  dit-on, 
•  Un  médaillon. 

Mais  quelqu'éclat  qui  l'environne, 
Si  beau  qu'il  soit,  si  précieux, 
Il  ne  sera  jamais  aussi  cher  à  nos  yeux 
Que  l'est  aujourd'hui  sa  personne. 


MED 


i? 


Tout  naturellement  cet  hommage  rendu  au  talent  d'une  ac- 
trice trouva  des  envieux  ;  l'envie  fit  naître  la  satire,,  et  l'on  ne 
tarda  pas  à  faire  la  parodie  suivante  sur  le  madrigal  qui  pré- 
cède : 

De  la  fameuse  Fretillon  (i), 
A  bon  marché,  je  crois,  on  vend  le  médaillon  : 

Mais  à  quelque  prix  qu'on  le  donne, 
Fut-ce  pour  douze  sous,  fut-ce  même  pour  un, 
On  ne  pourra  jamais  le  rendre  aussi  commun 
Que  le  fut  jadis  sa  personne. 

Si  Mlle  Clairon  fut  flattée  du  madrigal,  elle  devint  furieuse 
après  l'épigramme  et  menaça  l'auteur  de  son  indignation;  celui- 
ci  se  déclara  :  c'était  M.  de  St-Foix_,  qui  se  vengeait  ainsi  de  ce 
qu'un  jour  qu'on  jouait  à  la  Cour  Olympie  et  les  Grâces,  Clai- 
ron ne  voulut  jamais  consentir  que  Mlle  Doligny,  faisant  un 
rôle  de  prêtresse,,  se  retirât  un  peu  plus  tôt  que  d'ordinaire,  pour 
pouvoir  reparaître  dans  la  seconde  pièce  sans  laisser  d'intervalle, 
ce  qui  aurait  engagé  le  roi  Louis  XV,  qui  ne  pouvait  souffrir 
les  entr'acteSj  à  rester  au  spectacle. 

L'enthousiasme  ne  dure  pas,  surtout  en  France  où  les  esprits 
sont  changeants;  Y  Ordre  du  Médaillon  ne  fut  donc  qu'un  ordre 


(i)  Tel  est  le  nom  sous  lequel  Mlle  Clairon  est  désignée  dans  un  libelle 
violent  intitulé  :  Histoire  de  mademoiselle  Cronel,  dite  Fretillon ,  écrite  par 
elle-même.  Il  est  attribué  à  un  comédien,  Gaillard  de  la  Bataille,  qui  avait 
été  l'amant  de  cette  actrice  et  qui  voulut  se  venger  de  ce  qu'elle  lui  avait 
donné  son  congé.  Publiée  pour  la  première  fois  en  1739  à  la  Haye  (Rouen), 
in-12,  cette  satire,  où  il  y  a  sans  doute  de  la  calomnie,  mais  où  la  médisance 
doit  tenir  une  large  part,  a  été  plusieurs  fois  réimprimée.  Une  édition  datée  de 
Londres,  1782,  2  vol.  in-18,  se  joint  à  la  collection  Cazin.  L'auteur  d'un 
poème  dont  on  ne  peut  transcrire  le  titre  (Senac  de  Meilhan  peut-être) 
s'exprime  ainsi: 

«  Vit-on  jamais  sous  la  céleste  voûte, 

Plus  de  débauche,  un  plus  facile  ton, 

Que  n'en  offrit  l'illustre  Fretillon  ?...  » 

Née  en  1723,  l'actrice  n'avait  encore  que  seize  ans,  lorsque  YHistoire  de 
Fretillon  vint  lui  donner  une  célébrité  fâcheuse. 


16  MED 

éphémère,  qui  n'attendit  même  pas  pour  tomber  que  l'artiste 
qui  en  avait  été  l'objet  fut  passée  de  mode  et  devenue  vieille  (i). 

MÉDUSE  (Ordre  de  la).  Dans  toutes  les  provinces  on  a 
éprouvé,  à  certaines  époques  de  paix  et  d'abondance,  le  besoin 
de  se  réunir  en  petits  comités  particuliers  et  choisis,,  dont  tous 
les  membres  sympathisaient  entr'eux,  et  avaient  pour  occupa- 
tion principale  de  chanter,  rire  et  boire.  Eloignés  des  grandes 
affaires  de  la  capitale  et  privés  de  ses  plaisirs  vifs  et  bruyants., 
les  provinciaux  qui  avaient  de  la  santé,  de  l'aisance  et  du  loisir, 
ne  savaient  mieux  faire  que  de  s'assembler  ainsi  pour  couler  le 
plus  doucement  possible  les  jours  que  la  providence  leur  accor- 
dait. Ces  sociétés  locales,  bornées  souvent  à  un  petit  nombre  de 
membres,  n'en  ont  pas  moins  laissé  des  traces  de  leur  existence: 
c'est  ce  qui  fait  qu'aujourd'hui  nous  trouvons  des  opuscules 
rares,  il  est  vrai,  mais  curieux,  qui  nous  révèlent  les  conditions 
d'existence  de  ces  associations  de  plaisir. 

En  citant  la  Méduse,  ne  semble- t-il  pas  qu'on  va  parler  de 
quelque  chose  bien  effrayant,  bien  glaçant,,  bien  pétrifiant  ?  Ce 
mot,  qui  rappelle  un  affreux  naufrage,  et  une  foule  de  souve- 
nirs tristes  et  pénibles,  nous  paraît  singulier  comme  enseigne 
d'une  compagnie  joyeuse.  Il  s'agit  pourtant  ici  d'une  société 
gastronomique  et  bachique  dont  la  devise  était  :  Lœtificando 
petrijîcat.  La  pétrification  dont  il  est  ici  question  paraît  être 
une  allusion  à  l'immobilité  procurée  par  la  boisson,  nous  n'osons 
dire  par  l'ivresse  qui  était  strictement  défendue  par  les  statuts. 

Cet  ordre  de  chevalerie  épicurienne  fut  institué  à  Marseille 
par  des  officiers  de  marine  vers  l'an  1 683  ou  en  1 684  (2)  ;  suivant 
l'auteur  de  l'Ordre  des  Francs-maçons  trahis  (3),  il  aurait  été 

(1)  Mlle  Clairon  est  morte  à  Paris  le  18  janvier  i8o3  dans  un  âge  fort 
avancé.  Elle  abaissé  de  curieux  Mémoires  publiés  en  1 799  et  réimprimés  en 
1822  avec  une  notice  d'Andrieux.  Voir  aussi  une  Notice  due  à  l'académicien 
Lemontey.  Paris,  1823,  in-8. 

(2)  Œuvres  de  Vergier,  Lausanne,  iq^i,  pet.  in- 12,  t.  II,  p.  157. 

(3)  Amsterdam,  1763,  in-8°,  pag.  3  et  4. 


MED  17 


fondé  à  Toulon,  par  M.  de  Vibray.  Quoiqu'il  en  soit,  il  prit 
une  certaine  faveur  dans  les  ports  de  mer  et  parmi  les  marins 
qui  observèrent  ses  statuts  fort  exactement.  Les  chevaliers  se 
visitaient  souvent  d'une  province  à  l'autre,  et  s'assemblaient 
pour  tenir  leurs  chapitres  dans  des  hospices  nommés  Manses> 
établis  en  différents  endroits  du  royaume,  et  ces  chapitres  se 
tenaient  à  table. 

Il  reste  une  question  qui  jusqu'ici  n'a  jamais  été  bien  éclaircie 
à  l'endroit  de  VOrdre  de  la  Méduse  :  cette  société  admettait- 
elle  des  femmes  dans  son  sein  et  dans  l'accomplissement  de  ses 
mystères  ?  Le  livre  des  Francs-maçons  trahis,  cité  plus  haut,  dit 
positivement  que  les  dames  étaient  exclues  de  cette  association. 
L'éditeur  des  Œuvres  de  Vergier  annonce  de  son  côté  que  les 
chevaliers  se  donnaient  entr'eux  le  nom  de  père  ou  de  frère, 
suivant  la  charge  et  la  dignité  qu'ils  possédaient  dans  l'ordre; 
puis  il  ajoute  :  «  Il  y  avait  aussi  des  chevalières  sous  le  nom  de 
sœurs.  »  Le  même  recueil  contient  d'ailleurs  des  pièces  qui 
prouvent  assez  que  la  Méduse  recevait  des  personnes  des  deux 
sexes,  des  frères  et  des  sœurs  parfaitement  unis  entr'eux.  Voici 
ce  qu'on  lit  dans  une  des  Lettres  de  la  Méduse  attribuées  à 
Vergier;  on  ne  nous  persuadera  pas  que  ces  plaisanteries  pou- 
vaient avoir  cours  d'homme  à  homme  : 

«  Frères  et  sœurs  sont  fort  dispersés;  cependant  avec  le  peu 
que  nous  avons  pu  rassembler,  nous  tinmes  hier  un  chapitre,  et 
nous  devons  encore  en  tenir  un  ce  soir.  Il  fut  fait  grande  com- 
mémoration des  pères  ahsens  dans  le  premier;  je  crois  qu'il  n'en 
sera  pas  moins  fait  dans  le  second.  Mais  votre  présence  auroit 
été  bien  nécessaire  dans  l'un  comme  dans  l'autre  :  car  la  joie  ne 
sçauroit,  sans  vous,  y  être  telle ,  que  nos  constitutions  le  deman- 
dent. Une  de  nos  sœurs  surtout  (et  vous  devinerez  aisément  la- 
quelle c'est)  est  dans  une  tristesse  que  rien  ne  sçauroit  adoucir. 

Révérend  Père  commissaire, 
Hâtez-vous  donc  de  revenir; 
Pour  calmer  nos  douleurs,  pour  les  faire  finir, 
Votre  présence  est  nécessaire. 

2. 


18  MED 


Par  elle,  de  Bacchus  les  membres  dispersés 
Se  verront  réunis  et  même  renforcés  : 
Et  comme,  après  une  longue  froidure, 

Le  soleil  par  ses  doux  regards, 
En  réchauffant  nos  champs  y  fait  de  toutes  parts 

Briller  les  fleurs  et  la  verdure, 

Du  moment  que  vous  paraîtrez, 

Sûrement  vous  rappellerez 
La  gaillarde  vigueur  à  ses  membres  ravie. 

Hâtez  donc  votre  heureux  retour  : 
D'une  mourante  voix  Bacchus  vous  y  convie; 

Il  vous  rendit  cent  fois  la  vie, 
Rendez -lui,  sans  tarder,  la  vie  à  votre  tour. 

«  N'allez  pas  nous  alléguer,  pour  justifier  votre  retardement, 
le  soin  de  vos  affaires^  ni  celui  de  vos  plaisirs  ;  vos  affaires  les 
plus  importantes  doivent  être  celles  de  l'Ordre,  et  tous  les 
plaisirs  que  vous  goûtez  sans  lui.,  sont  autant  de  larcins  que 
vous  lui  faites.  » 

Plus  loin  on  lit  un  fragment  d'une  lettre  en  vers  au  sujet  de 
la  réception  <Vune  sœur,  conçue  en  ces  termes  : 


Pour  n'en  point  encourir  de  blâme 
N'écoutez  pas  ses  attraits  séducteurs; 
Détournez  vos  regards  de  ses  regards  flatteurs, 
Le  bandeau  sur  les  yeux,  examinez  son  âme. 

Voyez  si  ces  feux  passagers, 
Si  l'amour  des  blondins,  êtres  vains  et  légers, 

Ne  la  tiennent  point  occupée  : 

Vous  le  savez,  plus  d'une  fois, 

Mon  Père,  en  de  semblables  choix, 

Votre  prudence  fut  trompée; 
De  là  nous  sont  venus  tant  de  divers  malheurs. 
Aux  plus  beaux  de  ses  jours,  ô,  des  plus  tristes  pleurs 

Source  à  jamais  intarissable  1 

Un  général,  de  cent  vertus  orné, 

Ainsi  qu'une  fleur  moissonnée  ; 
Et  comme  par  le  vent  est  moissonné  le  sable, 


MED  19 

Les  pères  dispersés  en  cent  lieux  différents, 
Les  vices  de  leurs  cœurs  devenus  les  titans, 
L'union  des  esprits  si  charmante  et  si  sainte, 

En  eux  entièrement  éteinte. 
Enfin,  de  tous  les  maux  qu'ont  les  dieux  destinés 
A  venger  leurs  autels  détruits  ou  prophanés, 
Pour  ces  prophanés  choix,  nous  ressentons  l'atteinte, 
A  nous  punir,  leur  bras  semble  se  ralentir; 

N'allons  pas  encore  sur  nos  têtes 
Par  des  crimes  nouveaux  le  faire  appesantir  : 
Détournons,  s'il  se  peut,  de  semblables  tempêtes.... 

Avant  que  de  donner  nos  voix, 

A  la  prosélite  nouvelle, 
Sondons,  examinons,  éprouvons  mille  fois 

Sa  vocation  et  son  zèle. 
Songez  que  parmi  nous  les  grâces,  les  beautés 

Que  vous  voyez  briller  en  elle,    . 

Sont  d'inutiles  qualités; 
Nous  demandons  des  cœurs  simples,  soumis,  sincères, 

Des  cœurs,  pour  nos  secrets  mystères 

Uniquement  mystérieux, 

Après  le  vin,  après  les  dieux, 

Aimant  par  dessus  tous  les  Pères. 
Examinez-la  donc  d'un  soin  particulier; 
Remplissez  les  devoirs  d'un  exact  commissaire, 
Et  si  vous  lui  trouvez  la  vertu  nécessaire, 
Je  lui  donne  ma  voix,  —  Signé,  le  Chancelier. 

Voici  encore  un  autre  fragment  en  quatre  petites  strophes 
dans  lesquelles  on  cite  une  sœur  du  nom  de  De  Brosse,  ce  qui 
ne  laisse  aucun  doute  sur  l'admission  de  dames  en  chair  et  en  os: 
Notre  République  irritée 
A  la  discorde  s'est  portée, 
Et  se  divise  en  deux  partis  : 
U  amour  même  est  le  chef  du  nôtre, 
Les  jaloux  transports,  les  dépits, 
Se  sont  faits  les  tyrans  de  l'autre. 

Remplis  de  craintes  et  d'alarmes, 
Les  Bénaquins  prennent  les  armes, 


20  MED 

Et  de  vaincre  se  sont  promis  ; 

Les  Brossins  pleins  de  confiance 

S'aiment,  et  de  leurs  ennemis 

Ne  prennent  point  d'autre  vengeance. 

Aux  injures,  aux  invectives 
Des  Bénaquins,  troupes  craintives, 
Les  dieux  en  foule  ont  accouru, 
Pour  prendre  part  à  leur  querelle  : 
Mais  dès  que  De  Brosse  a  paru, 
Tous  les  dieux  ont  été  pour  elle. 

Lasse  d'une  guerre  inégale, 
Si  la  Bénaquine  cabale 
Désire  de  faire  la  paix, 
Elle  peut  nous  faire  connoître 
Ses  humbles  vœux  et  ses  souhaits*; 
On  les  écoutera  peut-être 

Pour  nous,  d'après  ces  diverses  pièces,  il  reste  bien  avéré  que 
des  dames,  de  véritables  dames,  se  mêlaient  avec  les  chevaliers  de 
la  Méduse,  et  que  les  sœurs  n'étaient  pas  des  frères  déguisés. 
Si  nous  hésitions  encore,  nous  lèverions  nos  derniers  doutes  en 
jetant  les  yeux  sur  un  charmant  petit  livret  que  nous  possédons 
sous  ce  titre  :  Les  agréables  divertissemens  de  la  Table,  ou  les 
réglemens  de  l'illustre  Société  des  frères  et  sœurs  de  l'ordre 
de  Méduse.  A  Lyon,  chez  André  Laurens,  seul  imprimeur  ordi- 
naire delà  ville,  rue  Raisin,  à  l'ange  Gabriel.  M.  DCC.  XII. 
in- 12  de  64  pages,  avec  figures  de  Bouchet,  surnommé  YAfri- 
quain  médusien,  à  la  fois  artiste  et  poète,  puisqu'il  a  buriné  les 
estampes  et  vignettes  et  composé  les  dernières  stances  du  livre. 
A  la  page  9,  la  gravure  nous  représente  les  membres  de  la  Mé- 
duse en  fonction,  c'est-à-dire  à  table;  nous  les  y  voyons  entre- 
mêlés de  dames  dont  les  doigts  ont  délaissé  le  jeu  de  l'éventail 
pour  tenir  le  verre  d'une  main  ferme.  Les  deux  sexes  y  sont  en 
nombre  parfaitement  égal.  Au-dessous  de  cette  figure  on  lit  ce 
distique  : 

«  Turbam  hilarem  in  rupes  subito  jubet  ire  Médusa 
«  Mox  oleum  ;  vitam  quam  rapit  illa  dabit.  » 


MED 


Le  catalogue  de  M.  Leber  (tom.  Ier,  p.  417,  n°  2629)  et  celui 
de  M.  M***  (1846,  in-8,  n°  705)  indiquent  une  nouvelle  édition, 
ou  du  moins  un  nouveau  frontispice  de  ce  rare  opuscule,  avec 
quelques  changements  dans  le  titre  qui  est  ainsi  conçu  :  Les 
divertissemens  de  la  Table,  ou  réglemens  de  V illustre  Société 
des  frères  et  sœurs  de  V  ordre  de  Méduse.  Marseille ,  de  l'im- 
primerie de  l'ordre  (sans  date,  mais  vers  1720),  in-12,  64  pages, 
figures.  Ce  règlement  contient  quelques  articles  dignes  de  re- 
marque ;  ainsi,  il  y  est  ordonné  de  se  servir  de  certains  mots  par- 
ticuliers en  échange  de  ceux  dont  se  sert  le  commun  des  mar- 
tyrs. En  place  de  Monsieur ,  Madame,  on  doit  dire  mon  frère, 
ma  sœur,  au  lieu  de  vin,  verre,  boire,  il  faut  se  servir  des  mots  : 
huile,  lampe,  lamper,  etc.  On  dit  encore  aujourd'hui,  en  style 
familier  et  populaire,  un  lampeur  pour  un  buveur  (1);  il  est  vrai 
qu'une  lampe  absorbe  autant  de  liquide  oléagineux,  qu'un  franc 
buveur  use  de  spiritueux.  Ce  n'est  pas  ainsi  néanmoins  que  le 
règlement  explique  l'emploi  de  ces  termes  :  l'huile,  dit-il,  étant 
le  symbole  de  la  douceur,  la  lampe  est  celui  de  la  vigilance,  ces 
mots  doivent  être  naturellement  choisis  par  les  frères  et  sœurs 
de  la  Méduse.  Ne  -voyons  dans  cette  explication  qu'une  facétie 
introduite  dans  des  statuts  composés  au  dessert. 

Le  premier  article  du  règlement  exige  que  tous  les  membres 
de  l'ordre  soient  bons  catholiques,  de  bonnes  vie  et  mœurs, 
point  médisants,  blasphémateurs,  ni  ivrognes.  Les  épreuves  de 
réception  n'étaient  pas  dures:  un  postulant  restait  quelque 
temps  en  instance  afin  qu'on  pût  prendre  des  renseignements 
sur  son  caractère;  il  choisissait  ensuite  un  parrain  qui  faisait 
son  éloge  et  priait  le  chapitre  de  le  recevoir,  le  grand-prieur  et 
le  parrain  buvaient  un  coup  là-dessus  ;  cela  s'appelait  signer  la 

(1)  Lamper,  lampée,  îampas  sont  des  mots  du  style  familier  dont  on  trouve 
des  exemples  chez  divers  auteurs. 

Par  trop  lamper  un  curé  de  Bourgogne 

De  son  pauvre  œil  se  trouvoit  déferré  (Grécourt). 

L'on  avaloit  d'abord  trois  ou  quatre  lampées  (Hauteroche). 

Vous  humectez  volontiers  le  Iampas  (La  Fontaine). 


MED 


requête,  et  le  présenté  était  reçu  frère  anonyme;  c'était  le  pre- 
mier grade.  Dans  le  chapitre  suivant,  le  parrain  rappelait  la 
demande  et  lampait  de  rechef;  on  nommait  un  rapporteur  qui 
concluait  sur  la  réception  du  postulant,  et  l'on  allait  aux  voix  sur 
le  choix  du  nom  sous  lequel  on  reconnaîtrait  le  nouveau  membre 
dans  l'Ordre;  ce  sobriquet  devait  le  caractériser  le  mieux  possi- 
ble. Cela  fait,  le  présenté  prêtait  serment  sur  une  figure  de  Mé- 
duse, de  fidélité  au  Roi,  d'être  fidèle  frère  de  Méduse,  de  renon- 
cer à  tout  autre  Ordre,  de  propager  celui  qui  l'admettait,  et  de 
lamper  pour  toutes  les  fautes  qu'il  commettrait  dans  l'Ordre. 
Après  le  serment  le  grand-prieur  donnait  l'accolade,  et  le  nou- 
veau membre  la  donnait  à  tous  les  frères  et  sœurs  du  chapitre. 
La  même  cérémonie  s'observait  pour  la  réception  des  sœurs. 

Les  régies  de  la  Méduse  ordonnaient  certaines  formalités  peu 
difficiles  à  suivre,  pour  le  manquement  desquelles  on  était 
imposé  à  une  amende  convertie  en  bon  vin,  ou  condamné  à 
lamper-,  c'était  là  le  fond  des  occupations  des  frères  et  sœurs. 
Les  condamnations  devaient  être  dénoncées  par  un  membre- 
rapporteur,  à  ce  commis,  qui  portait  sa  serviette  sur  l'épaule 
pendant  toute  la  durée  de  ses  fonctions  de  juge-instructeur,  et 
que  pour  cela  on  appelait  infulat.  Aucun  frère  ne  devait  dire  ni 
chanter  aucune  chanson  pouvant  blesser  la  modestie  des  sœurs. 
Il  y  avait  encore  un  exercice,  ou  plutôt  un  non-exercice  pratiqué 
dans  r Ordre  de  la  Méduse,  c'était  la  pétrification.  Tout  mem- 
bre pétrifié  ne  pouvait  remuer  ni  faire  le  plus  léger  mouvement 
pendant  la  pétrification;  les  sœurs  devaient  observer  le  silence 
tant  que  les  frères  restaient  pétrifiés,  le  tout  à  peine  de  lamper 
à  l'honneur  de  la  désaltérante  mère  Méduse.  Les  sœurs  pouvaient 
pétrifier  les  frères;  elles  se  trouvaient  elles-mêmes  exemptées 
de  la  pétrification.  Les  réunions  de  l'Ordre  avaient  lieu  une  fois 
chaque  mois,  et  le  jour  de  St-Louis  où  l'on  débutait  en  portant 
la  santé  du  Roi.  La  présence  des  membres  à  chaque  séance  était 
obligatoire,  à  moins  d'excuse  légitime;  après  trois  absences  par 
manque  de  zèle,  on  biffait  le  nom  du  sociétaire  manquant. 

L'emblème  de  l'Ordre  consistait  en  un  buste  de  Méduse,  à 


MED 


figure  jeune  et  agréable,  la  poitrine  découverte,  la  chevelure 
entremêlée  de  serpents  sans  qu'ils  eussent  rien  d'effrayant,  avec 
cette  devise:  Lœtificando  petrificat.  (Elle  égayé  en  pétrifiant). 
La  pétrification  consistait  dans  l'immobilité  immédiate  de  tous 
les  convives  sur  un  signal  du  prieur  ou  de  tout  autre  membre 
qui  frappait  sur  la  table.  Cette  manœuvre  était  une  imitation 
de  la  franche-maçonnerie.  Les  instruments  qui  servaient  à  la 
société  tels  que  bouteilles,  aiguières,  raffraîchissoirs,  fontaines, 
portaient  l'emblème  de  la  Méduse,  mais  d'une  Méduse  riante  et 
jolie.  Lorsqu'un  chapitre  était  réuni,  les  membres  qui  y  assis- 
taient se  couvraient  d'un  bonnet  particulier,  qui  tenait  à  la  fois 
de  la  mître  d'abbé  et  du  casque  de  la  folie.  Les  frères  et  sœurs 
devaient  toujours  être  munis  d'une  boîte  surmontée  de  ce  même 
emblème:  c'était  pour  ainsi  dire  la  décoration  de  la  société  qui 
n'en  avait  pas  d'autre.  On  signale  également  un  trophée  com- 
posé de  bouteilles,  de  verres  et  de  coupes,  reliés  par  des  pampres 
de  vigne  émargés  de  petits  oiseaux,  avec  cette  devise  :  Oleo  et 
lampade  Médusa  gaudet.  Plus  d'une  fois  les  érudits  de  la  com- 
pagnie ont  dû  donner  aux  sœurs  une  traduction,  libre  de  ces 
mots  latins,  et  leur  dire  que  Méduse  se  réjouit  par  le  vin  et  les 
verres,  comme  ils  ont  expliqué  que  les  serpents  de  sa  jolie  tête 
étaient  l'emblème  de  la  prudence. 

En  général,  les  frères  et  sœurs  de  la  Méduse  étaient  tous  gens 
de  qualité.  On  donnait  à  chaque  membre,  à  son  entrée  dans 
l'Ordre,  un  surnom  servant  à  le  caractériser;  il  était  défendu  de 
l'appeler  par  son  nom  de  famille.  Il  y  avait  le  frère  Heureux. 
le  fr.  Nécessaire,  le  fr.  Sincère,  le  fr.  Ardent ,  le  fr.  Bienfai- 
sant, le  fr.  Amphion,  les  ffr.  Sensible,  Magnifique  et  Commode, 
et  le  fr.  Bibi.  Le  marquis  de  L***  s'appelait  frère  Distingué', 
c'est  à  lui  qu'appartint  le  recueil  que  nous  possédons  et  qui 
porte  sur  les  plats  extérieurs  des  couvertures  des  Méduses  frap- 
pées en  or,  et  à  l'intérieur  des  médaillons  de  maroquin  rouge, 
entourés  de  pampres  et  de  raisins,  avec  cette  inscription  :  Par  — 
le  frère  —  Distingvé-,  on  lit,  page  35  du  livre,  les  vers  suivants 
qui  lui  sont  adressés  : 


24  MED 

«  Le  nom  de  frère  Distingué 

«  N'est  pas  un  nom  à  l'aventure; 

«r  Par  lui  point  il  ne  fut  brigué, 

a  II  lui  convient  par  sa  nature  : 

«  Il  se  distinguera  toujours, 

«  Chez  Mars,  Bacchus  et  les  Amours.  » 

Les  sœurs  avaient  de  même  leurs  surnoms;  nous  voyons  de 
fort  galants  couplets  adressés  aux  sœurs  Nécessaire,  Bien-f di- 
sante, Amphione,  Tope-à-tout,  Ardente,  Appétissante,  Bonne- 
à-tout,  Judicieuse,  Gracieuse,  Aimable,  Parfaite  et  Brillante. 
En  voici  un  (page  3o)  qui  semble  adressé  à  elles  toutes  : 

Quand  auprès  d'une  aimable  sœur, 

On  a  sa  lampe  pleine, 

On  sent  une  noble  douceur, 

Qui  nous  tient  en  haleine. 

A  peine  on  forme  des  désirs, 

Qu'on  a  tout  ce  qu'on  aime, 

Et  l'on  goûte  les  vrais  plaisirs, 

Qu'on  goûtait  à  Thélème. 

Le  même  recueil  contient  parmi  ses  dernières  strophes  (p.  61) 
un  dixain  qui  explique  assez  bien  les  bornes  que  la  mère  Mé- 
duse, qui  n'était  après  tout  que  la  bouteille,  voulait  poser  aux 
récréations  de  ses  enfants  : 

Loin  d'ici,  crapuleux  ivrognes, 

Lourdauds  piliers  de  cabaret, 

Notre  huile  excellent  n'est  pas  fait 

Pour  oindre  vos  vineuses  trognes  : 

C'est  ambroisie,  c'est  pur  nectar, 

Notre  Ordre  illustre  n'en  fait  part 

Qu'à  gens  de  condition  requise. 

Méduse  sçait  faire  un  bon  choix, 

Et  il  faut  pour  être  de  mise, 
Du  mérite,  des  mœurs,  et  respecter  ses  loix. 

V Ordre  de  la  Méduse  s'étendait  dans  toute  la  France  et  par- 
ticulièrement dans  les  villes  maritimes.  Un  Grand-Maître 
était  reconnu  comme  chef  suprême;  il  y  avait  en  outre  des 


MEI 


Prieurs  pour  chaque  province,  le  Grand  guidon  de  l'Ordre  (le 
marquis  de  S***  en  17 12),  le  Grand  musicien,  le  Protecteur, 
(le  comte  de  G***)  le  Cellerier,  le  Poète,  etc.  Les  chevaliers  se 
visitaient  souvent  d'une  province  à  l'autre,  et  comme  c'étaient 
tous  des  personnes  d'esprit  et  de  bons  vivants,  cela  donnait  lieu 
à  des  parties  de  plaisir  très-agréables. 

En  l'année  1700,  cet  Ordre  fut  très-brillant  à  Dunkerque  où 
le  poète  Vergier  était  Prieur 3  sous  le  titre  de  frère  Judicieux, 
fonctions  qu'il  cumulait  avec  celles  de  chancelier  de  l'Ordre.  Les 
chapitres  s'assemblaient  alors  dans  une  retraite  paisible  qu'on 
nommait  le  Petit-Château  ;  c'était  une  maison  située  à  la  vue 
de  la  mer,  qui  avait  été  ajustée  exprès  pour  les  chevaliers  de  la 
Méduse  et  où  ils  prenaient  leurs  ébats.  Tant  que  Vergier  fut 
commissaire  de  la  marine  à  Dunkerque,  commissaire  ordonna- 
teur et  président  du  conseil  de  commerce  en  la  même  ville,  il 
y  soutint  l'existence  de  l'Ordre  dont  il  tenait  la  chancellerie; 
mais  après  sa  mort  funeste  arrivée  dans  la  nuit  du  16  août  1720 
à  Paris,  où  il  avait  soupe  chez  une  dame  Fontaine,  et  où  il  fut 
assailli  et  poignardé  par  trois  hommes  masqués  au  coin  de  la 
rue  du  Bout-du-Monde,  il  ne  fut  plus  question  de  cet  Ordre 
bachique  et  chantant  dont  les  derniers  échos  s'évanouirent  avec 
la  vie  de  son  poète. 

MEISTER  S^ENGERS  (Maîtres  poètes).  Au  XIVe  siècle, 
époque  de  décadence  pour  la  littérature  allemande,  la  poésie  se 
vulgarisa  tellement  qu'il  se  forma  des  maîtrises  ou  jurandes 
dans  lesquelles  on  était  admis  en  remplissant  certaines  condi- 
tions qui  se  bornaient  à  la  connaissance  de  règles  insignifiantes 
sur  la  prosodie.  Souvent  même  on  se  faisait  recevoir  en  payant 
simplement  une  somme  d'argent:  c'était  Vlnstitut  historique 
de  ce  temps-là.  Les  membres  de  ces  sociétés  adoptèrent  la  déno- 
mination de  Meister  Sœngers  (maîtres  poètes).  Pour  s'illus- 
trer, il  fallait  inventer  quelque  nouveau  rythme  que  l'on  déco- 
rait d'un  nom  baroque.  Tels  étaient  les  rythmes  de  l'Escargot, 
de  VEncre,  des  Etudiants  joyeux,  de  l'Or,  des  Roses,  etc. 


26  MEL 

Mayence,  Strasbourg  et  Nuremberg  possédaient  les  jurandes 
les  plus  fameux.  On  en  comptait  aussi  à  Memmingen,  à  Ulm, 
à  Augsbourg  et  dans  d'autres  villes  delà  Souabe.  Leurs  réunions 
qui  avaient  ordinairement  lieu  dans  les  cabarets ,  finissaient 
presque  toujours  par  des  orgies.  La  discussion  altérait;  on  y 
buvait  à  l'Allemande. 

La  tradition  fait  remonter  l'origine  de  ces  sociétés  à  Henri  de 
Misnie,  et  il  paraît  en  effet,  que  ce  fut  autour  de  lui  que  se  réunit 
à  Mayence  une  société  de  poètes  et  de  chanteurs  qui  trouva  bien- 
tôt des  imitateurs  surtout  dans  les  villes  libres  impériales.  Ces 
associations  eurent  des  règlements. 

A  partir  du  XVIIe  siècle,  leur  éclat  alla  toujours  en  dimi- 
nuant. La  dernière  de  toutes,  qui  existait  encore  à  Ulm  en  1839, 
prit  le  parti  de  se  dissoudre. 

Les  poésies  qui  restent  des  Meistersœnger,  sont  en  partie 
restées  inédites;  quelques-unes  ont  été  publiées  dans  divers  re- 
cueils allemands;  les  savants  d'outre-Rhin  se  sont  occupés  avec 
zèle  de  tout  ce  qui  concerne  cette  portion  de  l'histoire  littéraire 
de  leur  pays;  nous  nous  bornerons  à  signaler  la  dissertation  de 
Jacob  Grimm  :  Ueber  den  altdeutschen  Meistergesang.  Got- 
tingue,  181 1,  in-8;  et  nous  renverrons  pour  de  plus  amples 
renseignements  bibliographiques,  qui  seraient  déplacés  ici,  à 
l'ouvrage  (allemand)  du  docteur  Graesse  sur  l'histoire  littéraire 
universelle,  tom.  II.  {Dresde,  1842,  2e  section,  p.  1013-1019.) 

MELLO  (Société  dramatique  du  Château  de).  Le  petit  vil- 
lage de  Mello,  situé  dans  le  canton  de  Creil,  arrondissement  de 
Senlis,  possède  un  beau  château  qui  appartient  à  M.  Seillière 
dont  le  nom  a  été  célèbre  par  d'immenses  fournitures  faites  aux 
armées. 

Dans  ce  château  on  jouait  la  comédie  de  société. 

Il  nous  reste: 

Esquisses  dramatiques  (par  le  vicomte  de  Bordesoulle).  Pa- 
ris, H  .Four  nier  jeune,  1837,  in-8,  qui  contiennent  le  Comte 
d'Himbercourt  (5  actes);  la  Marquise  d'Albos,  esquisse  espa- 


MEL  27 

gnole;  un  Maestro,  esquisse  italienne;  Y  Amateur  de  tableaux  , 
comédie  (le  tout  en  vers). 

Ces  pièces  ont  été  représentées  sur  des  théâtres  de  société, 
notamment  au  château  de  Mello. 

Ce  château  est  aujourd'hui  meublé  à  la  moderne  et  avec  un 
luxe  singulièrement  remarquable. 

Le  prince  de  Bergues  y  demeure  en  été. 

Il  y  a  une  partie  du  château  que  l'on  appelle  le  château  neuf; 
la  partie  ancienne  est  gothique,  elle  comprend  plusieurs  tours, 
celle  du  milieu  renferme  une  chapelle.  De  ce  château,  qui  domine 
les  villages  de  Mello  et  de  Sires,  placés  sur  les  rives  de  la  jolie 
rivière  de  le  Terrein,  qui  se  jette  dans  Y  Oise,  on  a  une  vue 
superbe  s'étendant  sur  une  partie  du  Beauvoisis.  Le  vicomte  de 
Bordesoulle,  auteur  du  théâtre  de  Mello,  a  épousé  une  des  de- 
moiselles Seillière. 

MÉLOPHILE  (Société),  cTAvallon.  La  petite  ville  d'Aval- 
lon  était  déjà  renommée  comme  ayant  donné  naissance  à  M .  Cou- 
sin, le  plus  intrépide  faiseur  d'Ana  que  l'on  connaisse,  et  qui  ne 
manquait  jamais  d'ajouter  à  son  nom  celui  de  sa  ville  natale, 
afin  de  n'être  pas  confondu  dans  la  masse  des  Cousins  qui  rem- 
plissent le  monde;  la  petite  cité  bourguignonne  peut  encore  se 
vanter  d'avoir  donné  naissance  en  1787  à  une  association  joyeuse 
destinée  à  faire  quelque  bruit  dans  son  sein.  Il  s'agit  d'une 
réunion  musicale  qui  prit  le  titre  de  Société  Mélophile  d?A- 
vallon,  et  qui  adopta  pour  devise  :  Societatis  vinculum  harmonia, 
devise  que  devraient  bien  prendre  toutes  les  sociétés  et  particu- 
lièrement celles  qui  s'occupent  de  musique. 

La  Révolution  vint  interrompre  les  plaisirs  et  surtout  l'Har- 
monie des  Mélophiles  d'Avallon.  On  entendit  alors  d'autres 
flons-flons  que  ceux  qu'elle  avait  mis  en  faveur,  mais  le  souve- 
nir de  cette  réunion  de  joyeux  musiciens  a  été  conservé  par  une 
médaille  frappée  en  son  honneur.  D'un  côté  une  lyre  posée  sur 
des  palmes  et  une  couronne  de  roses  environnée  de  rayons  lumi- 
neux; autour  on  lit  la  belle  devise  de  la  société.  Au  revers,  une 


28  M  EN 


couronne  de  lauriers  entoure  les  mots:  Société  Mélophile  d'A- 
vallon,  1787. 

MENESTRELS  (Société  des),  de  Belleville.  Nous  pouvons 
offrir  sur  son  compte  quelques  détails  que  nous  puisons  dans  un 
journal  du  temps  passé. 

Depuis  longues  années,  la  Société  des  Ménestrels,  guoguette 
légalement  autorisée,  fleurit  à  Belleville  sous  la  présidence  du 
sieur  Duverger,  tourneur  en  nacre,  et  tient  encore  ses  paisibles 
séances  dans  les  salons  du  sieur  Chevry,  marchand  de  vin  trai- 
teur de  cette  commune.  Dans  maintes  circonstances,  la  Société 
des  Ménestrels  s'est  toujours  empressée  de  venir  au  secours  des 
malheureux,  et  c'était  encore  pour  un  motif  de  bienfaisance  que 
le  sieur  Duverger  eut  l'idée  d'organiser  pour  la  soirée  du  6  no- 
vembre 1847  une  petite  représentation  théâtrale,  dont  la  com- 
position se  trouvait  révélée  dans  le  programme  suivant  : 

«  Une  scène  de  Manlins  Capitoîinus;  une  autre  scène  de 
Qitasimodo  ;  Sans  Tambour  ni  Trompette,  vaudeville. — Chan- 
sonnettes, chansons  et  récits  par  les  amateurs  les  plus  distin- 
gués des  sociétés  de  chant.  —  Concours  d'improvisation  :  dix 
dames  prises  au  hasard  dans  la  société  écriront  chacune  un  mot 
qu'elles  jetteront  dans  une  urne.  Il  sera  procédé  au  tirage  d'un 
de  ces  mots,  et  celui  qui  sortira  sera  pour  tous  les  concurrents 
le  sujet  d'un  couplet  qui  devra  être  déposé  non  signé  sur  le  bu- 
reau, une  heure  après  sa  sortie.  —  Un  beau  prix  à  l'auteur  le 
mieux  inspiré,  décerné  par  le  jury,  choisi  séance  tenante. — 
Prix  d'entrée,  3o  centimes.  » 

Informé  de  cette  représentation  extraordinaire,  M.  Gabelo- 
teau,  commissaire  de  police  de  Belleville,  se  transporta  dans  les 
salons  du  sieur  Chevry.  Le  contrôleur,  qui  ne  le  connaissait  pas, 
voulut  d'abord  exiger  le  prix  d'entrée;  mais  lorsqu'il  eut  décliné 
ses  qualités,  le  nouveau  visiteur  entra  gratis  et  put  constater 
que  l'on  venait  de  finir  le  vaudeville  Sans  Tambour  ni  Trom- 
pette, en  présence  d'une  centaine  de  témoins  environ. 

Par  suite  du  procès-verbal  dressé  par  le  commissaire,  les  sieurs 


MEN  29 


Duverger  &  Chevry  ont  été  traduits  devant  le  tribunal  de  police 
correctionnelle  sous  la  prévention  d'avoir  ouvert  un  théâtre 
clandestin,  et  par  conséquent  contrevenu  à  l'autorisation  qui 
leur  avait  été  donnée  de  présider  et  de  recevoir  une  simple  société 
chantante. 

Le  tribunal,  après  avoir  entendu  la  plaidoirie  de  Me  Thorel- 
Saint-Martin,  a  renvoyé  les  prévenus  de  la  plainte. 

MENTEURS  (Ordre  des).  L'histoire  du  pays  messin  offre 
des  usages  intéressants  ou  bizarres.  On  y  avait  fondé  ancienne- 
ment un  Ordre  des  Menteurs.  Les  assemblées  avaient  lieu  dans 
les  forêts,  et  les  séances  se  tenaient  sous  un  vieux  chêne,  comme 
Saint  Louis  rendait  la  justice.  Le  jour  delà  réception,  les  cheva- 
liers de  cet  ordre  attachaient  par  la  bandoulière  leurs  fusils  à 
des  anneaux  enfoncés  dans  le  chêne.  Le  président  de  la  société 
siégeait  sur  une  borne,  et,  devant  lui,  le  candidat,  à  genoux, 
jurait  de  ne  jamais  dire  la  vérité  en  fait  de  chasse  (1). 

C'était,  en  effets  parmi  des  chasseurs  que  Y  Ordre  des  Men- 
teurs avait  été  prendre  naissance.  Peut-être  même  sera-t-on 
tenté  de  croire  encore  aujourd'hui  que  si  cette  institution  est 
tombée  en  désuétude,  quant  à  la  forme,  elle  n'en  subsiste  pas 
moins  parmi  nos  modernes  Nemrods,  quant  au  fond. 

Ne  se  fondera-t-il  donc  jamais  une  association  de  membres 
jurant,  à  leur  réception,  de  ne  jamais  altérer  la  vérité,  en  quoique 
ce  soit,  même  en  fait  de  chasse?  (Voir  l'article  Moncrabeau.) 

Nous  reproduisons  une  patente  de  menteur,  délivrée  par  une 
société  qui  paraît  différente  de  celle  que  nous  signalons  : 

En  tête  une  vignette,  grossièrement  gravée  sur  bois,  repré- 
sente M.  Sans- Vérité  disputant  à  M.  de  Crac  le  passage  aux 
bords  de  la  Garonne. 

Patente  de  Menteur. 

Nous,  grand  Archi-Chancelier  de  la  diète  de  Moncrabeau,  et 

(1).  M.  G.  G.  F.  Ladoucette,  Album  pittoresque  de  la  France,  la  Moselle 
France  littéraire,  (t.  IV,  p.  3q6,  i832). 


3o  MEN 


en  cette  qualité  Haut  Justicier  de  la  ville  et  faubourgs  de  Cra- 
covie,  Contrôleur  général  de  toutes  les  vérités  qui  se  disent  en 
ce  bas  monde.  Chef  forcé  de  tous  les  Hâbleurs,  Menteurs.,  Nou- 
vellistes, gens  sans  occupations,  et  autres  personnes  désœuvrées 
ou  qui  s'exercent  dans  le  bel  art  de  mentir  finement,  sans  porter 
préjudice  à  autres  qu'à  la  vérité,  dont  nous  faisons  profession 
d'être  ennemi  juré,  à  tous  ceux  qui  ces  présentes  Lettres  ver- 
ront, salut,  joie,  santé  et  surtout  haine  pour  la  vérité;  avons 
reçu  la  très-humble  supplique  de  nos  Chevaliers  et  Officiers  de 

la  Diète  qui  nous  ont  exposé  que  le  sieur désirant  d'être 

agrégé  dans  ladite  Diète,  s'exerçait  depuis  longtemps  dans  la 
noble  profession  de  mentir,  et  qu'il  y  a  fait  de  si  grands  et  de 
si  rapides  progrès,  que  dans  peu  il  mériterait  la  réputation  de 
modèle  parfait  en  ce  genre.  A  ces  causes,  enquêtes  scrupuleuse- 
ment faites  des  dispositions  heureuses,  des  rares  talents  et  des 

brillants  succès  dudit  sieur Voulant  seconder  le  pieux  désir 

qu'il  a  de  pouvoir  mentir  avec  autorité,  lui  avons  accordé  et  oc- 
troyé, et  par  ces  présentes  lui  accordons  et  octroyons  dès  à  pré- 
sent la  charge  de  grand  Correcteur  de  toutes  les  vérités  qui  se 
diront  en  France,  le  recevons  Frère  et  Chevalier  de  l'Ordre  des 
Vérités  altérées,  lui  donnons  de  plus  plein  pouvoir  d'y  agréger, 
après  un  examen  suffisant,  toutes  personnes  qui  se  présenteront 
à  lui,  et  de  leur  faire  expédier  provisoirement  des  lettres  signées 
de  sa  main,  et  scellées  du  petit  sceau,  à  la  charge  par  lui  d'en 
envoyer  un  état  à  notre  bureau,  et  de  se  servir,  pour  son  gref- 
fier, du  sieur dont  la  capacité  nous  est  connue,  pour,  après 

un  fidèle  rapport,  que  nos  lettres  du  grand  sceau  lui  soient  ex- 
pédiées, ce  faisant,  nous  lui  avons  donné  et  lui  donnons  pour 
toujours  plein  pouvoir  de  mentir  impunément  dans  sa  juridic- 
tion, comme  aussi  dans  tous  les  départements,  même  dans  les 
pays  étrangers,  et  généralement  dans  tous  les  autres  lieux  deçà 
et  delà  des  mers  où  il  se  trouvera  dépendant  de  notre  Empire; 
et,  pour  effet  de  l'exécution  de  nos  ordres,  nous  enjoignons  à 
tous  nos  Sujets  de  le  publier  et  reconnaître  pour  tel,  afin  qu'on 
n'en  prétende  cause  d'ignorance,  à  peine,  contre  les  contreve- 


MEN  3i 


nants,  d'être  punis  sévèrement,  suivant  les  Lois  de  Dieu  :  Car  tel 
est  notre  plaisir. 

Donné  à  Moncrabeau,  en  pleine  Diète,  sous  le  contre-sel  de 
notre  Archi-Chancelier,  le 

f  Brisevral,  Archi-Chancelier;  Sans-Vérité,  Contrôleur; 
De  par  PArchi-Chancelier,  Crac,  Secrétaire. 

La  Diète  générale  de  Moncrabeau.   —  A  Monsieur — 

Nos  Officiers  et  Commissaires  au  département  des  menson- 
ges, nous  ayant  fait  savoir  que  depuis  longtemps,  vous  vous 
étie\  exercé  dans  VArt  noble  de  maltraiter  toutes  sortes  de 
vérités,  de  broder  des  récits,  en  augmentant  et  diminuant  les 
faits  qui  arrivent  dans  ce  monde  terrestre,  et  que  par  des 
succès  heureux ,  fruit  d'une  imagination  féconde  et  brillante, 
vous  étie\  parvenu  à  inventer  des  vérités  qui  n'ont  jamais 
existe ',  à  créer  des  Histoires  qui,  sans  vous,  seraient  restées 
éternellement  dans  le  néant,  et  qu'enfin,  après  une  multipli- 
cité d'expériences  réitérées  plusieurs  fois  par  jour,  vous  vous 
étie%  déjà  acquis  en  ce  genre  de  littérature  un  nom  des  plus 
illustres,  nous,  toujours  \élés  à  maintenir  et  accroître  la  haute 
réputation  de  notre  Ordre,  en  le  remplissant  de  bons  et  fidèles 
sujets,  parfaitement  convaincus  des  talents  rares  que  la  na- 
ture vous  a  si  libéralement  prodigués,  en  toutes  sortes  de 
mensonges,  sans  en  être  requis  ni  priés,  avons  jugé  à  propos 
de  vous  incorporer  dans  notre  Diète,  en  vous  recevant  Frère 
bien-aimé,  comme  il  parait  plus  amplement  par  les  Lettres- 
Patentes  que  nous  vous  envoyons;  vous  exhortant  à  persévé- 
rer toujours  dans  une  si  noble  occupation;  à  y  faire  même 
des  progrès  rapides,  à  nous  instruire,  dans  l'occasion,  des 
Sujets  qui,  comme  vous,  pourraient  faire  honneur  à  notre 
Ordre,  afin  de  les  y  incorporer  s'ils  le  méritent. 

A  Moncrabeau,  le.., pour  les  Officiers  Généraux  de  la  Diète', 

Crac,  Secrétaire. 

Plusieurs  écrits  ont  conservé  des  exemples  de  mensonges  bien 
dignes  d'émaner  de  la  société  qui  nous  occupe.  M.  O.  Delepierre, 
dans  son  très-curieux  volume  intitulé  Macaroneana,  (i852, 


32  MER 


p.  24),  signale  une  vieille  chanson  bien  connue  des  bateliers  de  la 
Meuse: 

Ah!  j'ai  vu,  j'ai  vu.... 

Compère,  qu'as-tu  vu? 

J'ai  vu  une  grenouille 

Qui  filait  sa  quenouille 

Au  bord  d'un  fossé. 

Compère,  vous  mentez. 

Ah!  j'ai  vu,  j'ai  vu... 
Compère,  qu'as-tu  vu? 
J'ai  vu  une  mouche 
Qui  se  rinçait  la  bouche 
Avec  un  pavé. 
Compère,  vous  mentez. 

J'ai  vu  une  carpe 
Qui  pinçait  de  la  harpe 
Au  haut  d'un  clocher. 
Compère,  vous  mentez. 

On  peut  classer  parmi  les  plus  piquants  recueils  de  menteries 
la  Nouvelle  Fabrique  des  excellents  traits  de  vérité,  par 
Philippe  d'Alcrippe,  sieur  de  Néri  (pseudonyme),  livre  réim- 
primé plusieurs  fois  depuis  1579  (voir  Nodier,  Mélanges  extraits 
d'une  petite  bibliothèque,  p.  362),  et  dont  il  a  paru  une  fort 
bonne  édition  en  1854  dans  la  Bibliothèque  elqêvirienne.  N'ou- 
blions pas  aussi  une  facétie  d'origine  allemande  qui  a  obtenu  un 
grand  succès:  Les  Aventures  du  baron  de  Munchhausen. 

MERCREDIS  (Société  des).  Est  déjà  mentionnée  comme  an- 
cienne et  aimable  dans  la  ire  année  de  YAlmanach  des  Gour- 
mands (pour  1804),  p.  186;  ses  membres  signalés  pour  la  grâce 
de  leur  esprit  et  la  finesse  de  leur  palais ,  se  réunissaient  chez 
Legacque,  près  des  Tuileries. 

Suivant  YAlmanach  des  Gourmands  (t.  II,  p.  246  et  suiv.), 
la  Société  des  Mercredis  introduisit  l'usage  de  manger  les 
dindes  aux  truffes  braisées  au  lieu  de  rôties,  afin  de  les  avoir 
toujours  tendres.  Legacque,  à  cheval  sur  les  principes,  com- 


MER  33 

mença  par  se  regimber,  mais  dans  la  séance  du  mercredi  9  no- 
vembre i8o3,  le  président  lui  dit  :  «  Que  ce  n'était  pas  sans  y 
avoir  mûrement  réfléchi  que  la  société  avait  adopté  cette  me- 
sure; que,  composée  de  gourmands  mûris  par  l'âge  et  une 
longue  expérience,  elle  ne  pouvait  errer,  même  en  s'écartant  des 
routes  battues  ;  qu'il  convenait  qu'une  dinde  braisée  était  un 
solécisme  en  cuisine,  mais  que  la  société,  déterminée  à  en  courir 
les  risques,  prenait  sous  sa  protection  spéciale  l'honneur  de 
M.  Legacque,  quel  que  fut  le  résultat  de  cet  essai;  qu'enfin  elle 
entendait  être  obéie,  et  manger  le  mercredi  suivant,  1 6  novembre 
i8o3,  une  dinde  aux  truffes  braisée.  »  Et  sans  attendre  de  ré- 
plique, il  leva  la  séance. 

Legacque  n'en  dormit  pas,  et  attendit  avec  angoisse  l'heure 
de  l'expérience  qui  réussit  parfaitement,  et  dès  ce  jour  la  dinde 
braisée  fut  légitimée. 

La  Société  des  Mercredis  date  d'environ  1780  à  1782. 

Les  convives  étaient  au  nombre  de  dix-sept. 

Ils  dînaient  ensemble  tous  les  mercredis,  à  4  heures  sonnant 
à  l'horloge  des  Tuileries  voisines  de  l'établissement  de  Legacque, 
siège  des  séances, de  1802  à  i8o5  et  plus,  plus  tard  rue  d'Antin. 

La  4e  année  de  YAÎmanach  des  Gourmands  (1806)  est  dédiée 
à  la  Société  des  Mercredis-,  17  personnes  depuis  24  ans,  y  est- 
il  dit,  exercent  chaque  semaine  en  commun,  leurs  facultés  dé- 
gustatrices. 

Selon  les  règlements,  tout  profane  est  exclu  des  réunions;  on 
s'est  écarté  de  cet  article  en  faveur  de  Grimod  de  la  Reynière 
seulement. 

Il  y  avait  un  président  (peut-être  Jourgniac  de  Saint-Méard), 
et  un  secrétaire-archiviste. 

La  société  a  pris  naissance  chez  Villain,  restaurateur,  rue 
Croix-des-Petits-Champs,  établissement  continué  par  M. Barbet, 
son  gendre. 

Un  jour  Grimod  de  la  Reynière  déposa  dans  le  sein  de  la  So- 
ciété des  Mercredis  le  secret  d'un  linimentum  virilitatisy  à 
l'aide  duquel  un  adonis  devient  un  hercule,  et  qui  quoique  bien 

3. 


34  MER 

innocent,,  a  des  effets  aussi  surs  que  rapides.  La  société  lui  en 
exprima  sa  reconnaissance,  quoique  pour  la  plupart  des  membres 
qui  la  composaient  une  telle  recette  put  paraître  du  superflu. 
Mais  comme  le  superflu  devient  souvent  chose  très-nécessaire, 
le  garde  des  archives  de  la  société  a  dû  être  dans  le  cas  de  déli- 
vrer plus  d'une  expédition  de  cette  précieuse  minute  pour  satis- 
faire les  désirs  des  amateurs  qui  joignaient  à  la  conscience  de 
leurs  forces,  le  sentiment  de  leurs  besoins. 

A  la  fin  de  1809,  ou  au  commencement  de  18 10,  la  Société  des 
Mercredis  fut  dissoute  par  le  peu  d'accord  qui  régnait  entre  les 
anciens  et  les  nouveaux  membres  et  par  suite  de  divisions  in- 
testines dont  la  cause  n'a  pas  été  bien  connue. 

Nous  voyons  cependant  que  la  société,  toujours  présidée  par 
M.  Griaud,  se  tient  encore  chez  Legacque,  rue  de  Rivoli,  au 
commencement  de  18 12,  mais  elle  ne  brille  plus  que  d'un  faible 
éclat;  la  division  s'est  mise  dans  son  sein.  Elle  ne  se  rassemble 
plus  que  tous  les  quinze  jours,  elle  avait  alors  duré  dix-sept  ans 
sans  interruption. 

Les  membres  de  la  Société  des  Mercredis  avaient  des  sobri- 
quets analogues  à  leur  goût  et  à  leurs  moyens  gastronomiques. 

Le  président  de  la  société,  M.  d'Aigrefeuille,  était  fier  de 
s'appeler  maître  Dindon. 

Le  secrétaire  perpétuel,  René  Alissan  de  Chalet,  auteur  de 
Y  Ecole  des  Gastronomes,  comédie  jouée  en  1804  au  Palais- 
Royal,  se  nomme  maître  Turbot. 

,  Le  trésorier,  l'abbé  Geoffroy,  ce  fameux  critique  qui  pinçait 
vivement  auteurs  et  acteurs,  figurait  sous  le  nom  de  maître  Ho- 
mard. 

Le  titre  honorifique  de  maître  Écrevisse  avait  été  décerné  à 
Grimod,  questeur  de  cette  assemblée;  ses  doigts  difformes  n'é- 
taient guères  plus  adroits  que  les  ciseaux  de  ce  succulent  crus- 
tacée. 

Gastaldy,  docteur  médecin,  fut  président  à  mortier  du  jury 
dégustateur. 

La  3520  séance  du  jury  (mardi  16  janvier  1810),  fut  illustrée 


MER  33 

par  la  réception  de  l'illustre  Louis  de  Cussy,  inventeur  de  l'art 
d'assaisonner  les  poulets  de  366  manières,  de  manière  à  changer 
chaque  jour  de  l'année  _,  même  dans  les  bissextiles.  Ce  jour, 
Jourgniac  de  Saint  -Méard,  président  de  la  société  des  Gobe- 
Mouches_,  fut  élu  à  l'unanimité  chancelier  de  l'Académie  gas- 
tronomique; mademoiselle  Minette  Menestrier  (née  en  1790  à 
Besançon),  et  sa  charmante  sœur  cadette,  Augustine,  furent  pro- 
clamées gourmandinettes  et  membres  honoraires  du  jury  dé- 
gustateur. 

Donnons  un  échantillon  de  la  poésie  qu'on  chantait  dans  ces 
joyeuses  et  spirituelles  réunions. 

A  Messieurs  de  la  Société  des  Mercredis.  —  Air  :  Vlà  c'que 
c'est  qy?  d'aller  au  bois. 

Que  j'aime  ces  fronts  réjouis, 

Ces  visages  épanouis  ! 

Mes  regards  en  sont  éblouis, 
Et  quand  j'examine 
Chacun  à  sa  mine, 

Je  dis  de  tous,  en  même  tems  : 

Via  c'que  c'est  qu'les  bons  vivants. 

Les  chers  Apôtres  de  Momus, 

En  sacrifiant  à  Cornus, 

Ont  conservé  les  anciens  us  : 

Buvant  à  plein  verre, 

Faisant  bonne  chère, 
Ils  sont  gourmets,  ils  sont  friands  : 
Vlà  c'que  c'est  qu'les  bons  vivants. 

Propos  gaillards,  franche  gaîté 
Distinguent  leur  société  : 
Rien  de  fardé,  rien  d'apprêté  ; 

Douce  bonhomie 

A  l'esprit  s'allie  ; 
Souvent  malins,  jamais  méchans  : 
Vlà  c'que  c'est  qu'les  bons  vivants. 

A  leur  banquet  est-on  admis, 
On  n'y  trouve  que  des  amis; 


36  MER 


Tous,  par  le  plaisir  réunis, 

Se  montrent  affables, 

Prévenans,  aimables; 
Et  tout  fait  répéter  céans  : 
Vlà  c'que  c'est  qu'les  bons  vivants. 
D'Épicure  joyeux  enfants, 
En  amitié  toujours  constans, 
Conservez  bien  ces  sentimens  : 

Jamais  à  Legacque 

Ne  tournez  casaque, 
Et  qu'on  dise  encor  dans  cent  ans  : 
Vlà  c'que  c'est  qu'les  bons  vivants. 

MERCURIALES  (Les).  Conférences  d'hommes  de  lettres 
ayant  lieu  à  Paris  tous  les  mercredis  (Mercurii  dies),  vers  1660, 
en  imitation  de  l'Académie  française.  Elles  donnèrent  l'idée  à 
d'Aubignac  de  fonder  son  Académie  dite  des  allégoriques.  (Sal- 
lengre,  tom.  I,  p.  3o8.) 

MÈRE-FOLLE  (Compagnie  de  la),  de  Dijon.  Cette  associa- 
tion compta  parmi  ses  membres  un  prince  de  Condé;  elle  était 
une  imitation  de  la  Société  des  Fous  de  Clèves. 

Elle  se  composait  en  partie  de  cavaliers,,  en  partie  de  fantassins 
tous  bigarrés  de  vert,  rouge  et  jaune,  bonnet  de  même  couleur 
à  deux  pointes  ou  deux  cornes  avec  sonnettes  ;  ils  tenaient  à  la 
main  des  marottes  ornées  d'une  tête  de  fou.  Le  quartier-général 
était  à  la  Poissonnerie. 

Le  chef,  qui  s'appelait  la  Mère  folle,  élu  par  la  société,,  et  pris 
parmi  les  plus  recommandables  par  leur  bonne  mine,  avait  une 
cour  complète  des  dignitaires:  grand  écuyer,  chancelier,  officiers 
de  justice,  une  garde  suisse  et  des  gardes  à  cheval. 

L'infanterie,  de  plus  de  200  hommes,  portait  sur  son  guidon 
des  têtes  de  fous  sans  nombre  avec  leurs  chaperons  et  plusieurs 
bandes  d'or,  et  pour  devise  :  Stultorum  infinitus  est  numerus. 
Elle  avait  un  drapeau  à  deux  flammes  de  trois  couleurs  rouge, 
vert  et  jaune,  de  la  même  figure  et  grandeur  que  celui  des  ducs 
de  Bourgogne,  on  y  voyait  représentée  une  femme  assise  vêtue 


MER  37 

des  mêmes  couleurs,  ayant  en  main  une  marotte  de  fou  et  sur  la 
tête  un  chaperon  à  deux  cornes;  avec  une  infinité  de  petits  fous 
coiffés  de  même,  sortant  de  dessous  et  par  les  fentes  de  sa  jupe, 
avec  une  devise  pareille  à  celle  du  guidon. 

Les  brevets  étaient  expédiés  sur  parchemin  et  écrits  en  trois 
couleurs  avec  sceau  en  cire  de  même,  portant  la  même  figure  de 
Mère  Folle,  et  signées  par  le  Griffon  vert  comme  greffier.  — 
Dans  les  réunions  gastronomiques  chacun  portait  son  plat.  La 
Mère  Folle  avait  5o  Suisses  pour  sa  garde;  c'étaient  de  riches  ar- 
tisans de  la  ville  qui  montaient  la  garde  à  la  porte  de  la  salle  de 
l'assemblée.  Ils  suivaient  la  Mère  Folle  à  pied  dans  les  rues; 
leur  chef  seul  était  à  cheval. 

Dans  les  occasions  solennelles  ,  la  compagnie  marchait  par  la 
ville  avec  de  grands  charriots  peints,  traînés  par  six  chevaux  ca- 
paraçonnés aux  trois  couleurs,  avec  postillons  vêtus  de  même. 
Les  charriots  portaient  ceux  qui  récitaient  des  vers  bourgui- 
gnons, et  qui  avaient  des  costumes  analogues  aux  personnages 
représentés.  On  s'arrêtait  devant  la  maison  du  gouverneur,  du 
premier  président  et  du  maire. 

Cortège:  quatre  hérauts  avec  marotte, —capitaine  des  gar- 
des,— chariot, —  deux  hérauts.  — La  Mère  Folle,  sur  unehaque- 
née  blanche, —  dames  d'atours,  —  six  pages,  —  douze  laquais,  — 
l'enseigne,  —  60  officiers, —les  écuyers,  fauconniers,  grands  ve- 
neurs et  autres.  —Le  guidon, — 5o  cavaliers,  et  à  la  queue  le  fiscal 
vert  et  ses  deux  conseils, — les  suisses  fermaient  la  marche. 

La  Mère  Folle,  lorsqu'elle  était  seule,  montait  quelquefois  un 
char  à  deux  chevaux  fait  exprès;  toute  la  compagnie  précédait  et 
suivait  alors  ce  char.  D'autres  fois,  lorsqu'on  avait  construit  sur 
les  chariots  un  théâtre  capable  de  contenir  avec  la  Mère  Folle 
des  acteurs  en  costume  qui  récitaient  aux  coins  des  rues  des  vers 
français  et  bourguignons  conformes  au  sujet  représenté.  Une 
bande  de  violons  et  une  troupe  de  musiciens  étaient  sur  ce  théâ- 
tre qu'on  faisait  tirer  par  douze  chevaux. 

S'il  arrivait  à  Dijon  quelqu'évènement  particulier  comme 
larcins,  meurtres,  mariages  bizarres _,  séductions ,  etc.,  alors  le 


38  MÈR 

chariot  et  l'infanterie  étaient  sur  pied,  et  Ton  habillait  une  per- 
sonne de  la  troupe  de  manière  à  imiter  en  charge  les  héros  de 
l'aventure  :  c'est  ce  qu'on  appelait  faire  marcher  la  Mère  Folle, 
ou  l'Infanterie  dijonnaise.  A  vrai  dire  c'était  là  le  but  de  l'ins- 
titution. Sous  le  drapeau  de  la  folie,  cette  société  cherchait  à 
tourner  le  vice  en  ridicule  et  à  en  faire  une  sorte  de  critique  popu- 
laire qui  pouvait  servir  d'avertissement  public.  Dans  les  vieilles 
pratiques  du  moyen-âge  qui  paraissent  quelquefois  des  plus  fu- 
tiles ou  des  plus  burlesques,  on  trouve  souvent,  en  les  analysant 
à  fond,  une  haute  pensée  de  sagesse  et  d'utilité. 

Cependant,  comme  tout  dépérit  et  s'écarte  du  premier  but 
choisi,  il  se  glissa  maints  abus  dans  cette  institution  commencée 
dans  un  but  de  plaisir  et  même  de  moralité  naïve.  Aussi,  cette 
singulière  société  fut-elle  abolie  par  un  édit  de  Louis  XIII, 
rendu  à  Lyon,  le  21  Juin  i63o,  comme  contraire  aux  bonnes 
mœurs,  au  repos  et  à  la  tranquilité  de  la  ville  de  Dijon,  et  d'un 
très-mauvais  exemple. 

C^cte  de  réception  de  Henry  de  Bourbon, prince  de  Condé, 
premier  prince  du  sang,  en  la  compagnie  de  la  Mère  Folle  de 
Dijon,  l'an  i636.  —  Les  superlatifs,  mirelifiques  et  scientifiques, 
l'opinant  de  l'Infanterie  Dijonnoise,  régent  d'Apollon  et  des 
muses,  nous  légitimes  enfants  figuratifs  du  vénérable  Bontemps 
et  de  la  Marotte,  ses  petits-fils,  neveux  et  arrière-neveux,  rouges, 
jaunes,  verts,  couverts,  découverts  et  forts-en-gueule,  à  tous  fous, 
archi-fous,  lunatiques,  hétéroclites,  éventés ,  poètes  de  nature 
bisarre,  durs  et  mois,  almanachs  vieux  et  nouveaux,  passés,  pré- 
sents et  à  venir  :  Salut. 

Doubles  pistoles,  ducats  et  autres  espèces  forgées  à  la  portu- 
gaise, vin  nouveau  sans  aucun  mal-aise,  et  chelme  qui  le  voudra 
croire;  que  haut  et  puissant  seigneur  Henri  de  Bourbon,  prince 
de  Condé, prince  du  sang,  maison  et  couronne  de  France,  che- 
valier, etc.,  à  toute  outrance,  auroit  S.  A.  honoré  de  sa  présence 
les  fêtes  et  guoguelus  mignons  de  la  Mère  Folle,  et  daigné  re- 
quérir, en  pleine  assemblée  d'infanterie,  être  immatriculé  et 
récepturé,  comme  il  a  été  reçu  et  couvert  du  chaperon  sans  péril, 


MÈR  3g 

et  pris  en  main  la  marotte,  et  juré  par  elle  et  pour  elle  ligue 
offensive  et  défensive,  soutenir  inviolablement,  garder,  et  main- 
tenir  folie  en  tous  ses  points,  et  s'en  aider  et  servir  à  toute  fin, 
requérant  lettres  à  ce  convenables;  à  quoi  inclinant  de  l'avis  de 
notre  redoutable  Dame  et  Mère,  de  notre  certaine  science,  con- 
naissance, puissance  et  autorité,  sans  autre  information  précé- 
dente à  plein  confiant,  de  S.  A.  avons  icelle  avec  allégresse  par 
ces  présentes,  hureiu  berelu  ,  à  bras  ouverts  et  découverts ,  reçu 
et  impatronisé,  le  recevons  et  impatronisons  en  notre  Infanterie 
Dijonnoise,  en  telle  sorte  et  manière  que  la  demeure  incorporée 
au  cabinet  de  l'inteste,  et  généralement  tant  que  folie  durera^ 
pour  par  elle  y  être,  tenir  et  exercer  à  son  choix  telle  charge 
qu'il  lui  plaira;  aux  honneurs,  prérogatives,  prééminences,  au- 
torité et  puissance,  que  le  ciel,  sa  naissance  et  son  épée  lui  ont 
acquis;  prêtant  S.  A.  main-forte  à  ce  que  folie  s'éternise,  et  ne 
soit  empêchée,  ains  ait  cours  et  décours,  débit  de  sa  marchan- 
dise, étofée  et  commerce  en  tous  pays,  soit  libre  partout,  en  tout 
privilégiée,  moyennant  quoi  il  est  permis  à  S.  A.  ajouter  si  faire 
le  veut,  folie  sur  folie,  franc  sur  franc,  ante,  sub  ante,per  ante, 
sans  intermission .  diminution  ou  interlocutoire,  que  le  branle 
de  la  mâchoire,  et  ce  aux  gages  et  prix  de  la  valeur  qu'avons  as- 
signé et  assignons  sur  nos  champs  de  Mars,  et  dépouilles  des 
ennemis  de  la  France,  qu'elle  lèvera  par  ses  mains,  sans  être 
comptable.  Donné  et  souhaité  à  S.  A. 

A  Dijon,  ou  elle  a  été, 
Et  où  l'on  boit  à  sa  santé, 
L'an  six  cens  mille,  avec  vingt-six, 
Que  tous  les  fous  étoient  assis. 

Signé  par  ordonnance  des  redoutables  seigneurs  buvans  et 
folatiques,  et  contre-signe,  Des  Champs,  Mère;  et  plus  bas:  le 
Griffon  vert  (i). 

(i)  Un  livre  savant  et  curieux:  Y  Histoire  de  V  idiome  bourguignon  et  de  sa 
littérature,  par  M.  Mignard,  Paris,  i856,  in-8°,  renferme  de  longs  détails 
sur  la  Confrérie  de  la  Mère  Folle. 


40  •  MIN 

MICHEL  ARCHANGE  (Saint),  Explication  de  l'institu- 
tion, des  règles  et  des  usages  de  la  Confrairie  électorale  de 
pour  les  agonisans.  Érigée  premièrement  à  Joseph- Bouy  en 
Bavière,  et  depuis  à  Freisinghen,  Bonn,  Cologne,  Liège,  etc., 
impr.  par  ordre  de  S.  A.  E.  de  Cologne,  à  Lille,  chez  Ig.  Fiévet 
et  L.  Daniel,-impr.  du  Roy,  sur  la  Grand' Place.  M.  DCC.  VI. 
in-40  de  6  feuillets  et  56  pp.  fig. 

Dans  la  plupart  des  confréries  de  la  Flandre  surtout,  on  se  con- 
tente de  faire  faire  quelque  service  divin,  et  ensuite  on  se  divertit 
à  faire  bonne  chère.  Il  n'y  a  point  de  fête  qui  n'ait  son  festin, 
point  de  décès  de  confrère  qui  ne  fournisse  aux  vivants  une  oc- 
casion de  boire  à  leur  santé,  et  de  souhaiter  bon  voyage  au 
défunt;  c'est  ce  qu'on  appelait  en  Flandre  croquer  la  tête  du 
mort-,  cette  coutume  a  encore  lieu  dans  les  campagnes  où  l'on 
ne  renvoie  point  les  étrangers  après  l'enterrement  sans  les 
réunir  dans  un  grand  dîner. 

Cette  confrérie  avait  une  décoration,  un  ou  plusieurs  cos- 
tumes pour  chaque  membre,  etc. 

MINOTAURE  (Société  du).  Elle  n'a  jamais  existé,  on  peut 
le  croire,  que  dans  l'imagination  de  MM.  Duvert  et  Lauzanne, 
auteurs  d'un  vaudeville  portant  ce  titre,  joué  en  i852  au  théâtre 
du  Palais-Royal.  Tous  les  lecteurs  de  la  Physiologie  du  ma- 
riage^  de  Balzac,  savent  ce  que  c'est  que  le  minotaure. 

Ce  vaudeville  étant  sans  doute  complètement  oublié  aujour- 
d'hui, nous  allons  donner  sur  son  compte  quelques  détails  que 
nous  emprunterons  au  feuilleton  d'un  journal  qui  n'est  plus  : 
Y  Assemblée  nationale. 

Supposez  donc  que  le  rideau  se  relève.  Oscar  s'avance,  comme 
dit  la  chanson;  Oscar  veut  voir  son  Eugénie,  qu'un  odieux 
tuteur  destine  à  un  rival  plus  odieux  encore.  Le  rival  se  nomme 
Léopardin,  le  tuteur  Dardouillet.  Léopardin  n'a  peut-être  pas 
les  avantages  frivoles  que  demande  l'emploi  des  amoureux; 
mais,  outre  que  son  visage  est  assez  pittoresque,  il  a  un  mérite 
bien  plus  solide  aux  yeux  de  Dardouillet  :  il  est  propriétaire, 


MIN  41 

trois  fois  propriétaire,  c'est-à-dire  trois  fois  beau,  trois  fois  jeune, 
trois  fois  aimable.  De  plus,  Léopardin  est  un  ancien  ami,  un 
frère,  un  membre  de  la  société  mystérieuse  qui  s'est  fondée  à 
Paris  sur  les  principes  de  la  Physiologie  du  Mariage^  et  sous 
le  nom  de  la  Société  du  Minotaure. 

Dans  l'âge  des  bonnes  folies,,  Dardouillet  s'était  affilié  à  la  fa- 
meuse Société  du  Minotaure.  Il  était  garçon,  il  avait  juré  haine 
aux  maris  et  haine  au  mariage.  Il  avait  appelé  sur  sa  tête  les 
ténébreuses  vengeances  de  sa  société,  s'il  venait  à  trahir  son 
serment;  puis.,  il  avait  fini  par  trahir  son  serment.  Retiré  à 
l'écart,  grisonnant,  oublié,  il  s'est  marié  incognito.  Voici  pour 
la  prudence ,-  mais  il  a  pris  une  jeune  femme,  ce  qui  est  bien 
téméraire,  et  il  s'effraie  maintenant  de  sa  témérité.  Léopardin  a 
fait  comme  lui,  il  a  rompu  ses  vœux,  il  a  connu  le  malheur. 
C'est  là  ce  qui  rapproche  Dardouillet  de  Léopardin  ;  sans 
compter  qu'une  indiscrétion  de  Léopardin  peut  livrer  Dar- 
douillet à  l'implacable  justice  du  tribunal  occulte,  et  qu'il  s'as- 
sure un  complice  muet  en  se  donnant  un  neveu. 

Il  y  a  une  fatalité  sur  les  secrets.  Avec  quelque  précaution 
qu'on  les  porte,  on  en  laisse  toujours  tomber  quelque  chose. 
Oscar  surprend  celui  de  Dardouillet,  et  le  voici  maître  de  la  si- 
tuation. Il  y  a,  en  effet,  un  terrible  article  4  dans  les  statuts  de 
la  Société  du  Minotaure.  Quand  un  sociétaire  a  fait  la  faute  de 
se  marier,  l'article  4  l'oblige  à  recevoir  un  tiers  dans  son  mé- 
nage. Oscar  se  présente  donc  comme  le  tiers  et  comme  le  ven- 
geur. S'il  est  un  dieu  pour  les  maris,  qu'il  protège  maintenant 
Dardouillet  !  Léopardin  a  déjà  passé  par  là;  il  serre  avec  com- 
passion la  main  de  son  ami.  Une  réflexion  cependant  :  Léo- 
pardin est-il  donc  veuf  pour  avoir  subi  son  épreuve?  Il  ne  l'est 
pas;  mais  il  a  joué  un  tour  à  la  Société.  Le  traître  a  ébauché  une 
sorte  de  mariage  provisoire.  La  mairie  avait  négligé  de  publier 
les  bans;  peu  importe  :  sur  la  seule  apparence  de  la  commu- 
nauté conjugale,  un  membre  de  la  Société  s'est  aussitôt  présenté 
au  domicile  du  délinquant,  et  parlant  à  la  dame  Léopardin  ou 
du  moins  soi-disant  elle,  a  exigé  le  tribut  du  Minotaure.  Aussi, 


42  MOD 

Léopardin  peut-il  dormir  sur  les  deux  oreilles.  S'il  épouse  Eu- 
génie, la  Société  n'a  plus  à  intervenir  dans  le  tête-à-tête;  elle  a 
été  payée  en  fausse  monnaie;  tant  pis  pour  elle,  et  l'axiome  du 
droit  romain  prévaut  dans  toute  sa  force  :  Non  bis  in  idem. 
Léopardin  ne  paiera  pas  deux  fois. 

Dardouillet  n'a  pas  été  aussi  avisé  que  son  ami.  Il  n'a  pas 
même  jeté  un  os  à  ronger  au  Minotaure;  le  Minotaure  garde 
tous  ses  droits  sur  le  ménage  Dardouillet.  Le  ci-devant  socié- 
taire tremble  et  sue  à  la  fois.  Oscar  ne  lui  laisse  pas  de  relâche, 
tant  qu'à  la  fin  le  malheureux  Dardouillet  lui  demande  grâce,  et 
que,  tout  en  lui  accordant  la  main  de  sa  fille,  il  s'estime  encore 
heureux  d'en  être  quitte  à  si  bon  marché. 

MODES  (Académie  de).  Le  projet  de  cette  importante  Aca- 
démie, bien  digne  d'occuper  le  peuple  français,  fut  publié  en 
l'année  1778,  à  la  suite  de  la  pièce  intitulée  :  Les  Panaches,  ou 
les  Coiffures  à  la  mode,  comédie  en  un  acte,  représentée  sur  le 
Grand  théâtre  du  monde  et  surtout  à  Paris  (attribuée  à  J.  H. 
Marchand),  Londres etParis,Besnos,  17 78,  pet.  in-8°de75p.(i). 
Suivant  le  texte  imprimé.,  ce  projet  aurait  été  trouvé  dans  les 
papiers  de  feue  la  comtesse  de  C***.  A-t-il  été  mis  à  exécution  ? 
Il  méritait  certainement  de  l'être,  et  l'on  doit  à  jamais  regretter 
qu'une  matière  qui  a  porté  le  nom  français  aux  extrémités  les 
plus  reculées  du  monde,  qui  a  fait  la  réputation  de  tant  de  gens, 
et  la  fortune  de  tant  d'autres,  qui  a  fait  vivre,  étendre  et  pro- 
pager l'industrie  française,  et  prospérer  mille  professions  qui 
vêtissent,  ornent,  parent  et  décorent  le  corps  de  l'homme  et 
surtout  de  la  femme  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  tête  et  même  au- 
delà  (puisque  les  pointes  des  cheveux  sont  comprises  dans  les 


(1)  Cette  facétie  dirigée  contre  les  coiffures  élevées  que  la  mode  variait  et 
multipliait  alors  avec  des  recherches  incroyables,  est  précédée,  dans  quelques 
exemplaires,  d'un  traité  bouffon  qui  occupe  5-2  pages  et  qui  est  intitulé  :  Le 
parfait  ouvrage,  ou  Essai  sur  la  coeffure,  traduit  du  persan,  par  le  sieur 
l'Allemand,  coeffeur,  neveu  du  sieur  André,  perruquier,  breveté  du  grand 
roi  de  Perse,  correspondant  du  grand  Turcs  fctc. 


MOD  43 


modes);  on  doit  amèrement  regretter,  disons-nous,  que  le  projet 
de  la  comtesse  de  G***  n'ait  pas  été  réalisé;  il  eut  peut-être  sauvé 
à  la  France  bien  des  commotions  ! 

Quoiqu'il  en  soit,  voici  les  bases  de  Y  Académie  des  modes 
telles  qu'elles  furent  jetées  par  celle  qui  en  eut  l'idée. 

L'association  se  compose  de  5o  membres  divisés  en  deux 
bureaux;  l'un  de  25  hommes;  le  second  de  25  femmes.  Ils  seront 
choisis  parmi  les  gens  de  la  cour  et  de  la  ville  signalés  par  leur 
bon  goût  et  qui  se  distinguent  par  l'élégance  la  plus  recherchée. 

Le  bureau  des  hommes  se  réunira  tous  les  mardis.  Le  bureau 
des  dames  s'assemblera  tous  les  vendredis  (Veneris  diest  jour 
de  Vénus),  de  trois  à  dix  heures,  de  manière  à  pouvoir  encore 
assister  aux  spectacles  les  jours  de  séance. 

Les  deux  bureaux  se  confondront  une  fois  par  mois  en  assem- 
blée générale  pour  arrêter  ensemble  la  forme  la  plus  séduisante 
des  ajustements  qui  pourront  convenir  aux  deux  sexes.  Néan- 
moins les  hommes  ainsi  que  les  dames,  feront  séparément 
certains  règlements  qui  tiennent  à  des  parties  secrètes  de  l'ajus- 
tement qui  ne  regarde  spécialement  qu'un  seul  des  deux  sexes. 

Chaque  bureau  aura  son  secrétaire  particulier  qui  sera  perpé- 
tuel. La  compagnie  entière  nommera  son  secrétaire  en  chef. 

Chaque  bureau  élira,  chaque  année  au  jour  de  la  Madelaine, 
son  président  ou  sa  présidente;  et  la  compagnie  entière  en  choi- 
sira pareillement  un  ou  une,  dont  l'office  cessera  après  l'année 
révolue. 

Chaque  année  on  nommera  quatre  censeurs  chargés  d'examiner 
les  nouvelles  inventions  en  modes  et  d'en  faire  rapport  aux 
séances  générales  pour  que  l'attache  de  la  compagnie  y  soit 
donnée  ou  refusée. 

En  guise  de  jeton  de  présence,  il  sera  délivré  à  chaque  cava- 
lier ayant  assisté  à  une  séance  un  ruban  propre  à  faire  un  nœud 
d'épée  et  à  chaque  dame  une  paire  de  gants  d'un  nouveau  goût. 
Mais  ceux  ou  celles  qui  se  seraient  endormis  pendant  la  séance 
perdraient  leur  droit  à  cette  distribution.  Il  est  essentiel  d'avoir 
toute  sa  tête  pour  faire  des  règlements  sur  celle  des  autres. 


44  MOD 


Tout  inventeur,  fabricant  ou  marchand  sera  tenu  de  remettre 
au  secrétaire  de  chaque  bureau,  selon  la  compétence,  l'invention 
ou  le  chef-d'œuvre  qu'il  entreprendra  d'accréditer,  même  les  re- 
mèdes à  la  mode  ;  il  sera  fait  rapport  à  la  prochaine  séance. 

Il  sera  établi  deux  chaires  de  modes,  où  deux  professeurs, 
homme  et  femme,  feront  chacun  un  cours,  une  fois  par  semaine, 
sur  l'art  d'inventer  et  de  perfectionner  les  objets  de  goût,  de 
coquetterie,  de  parure,  et  généralement  tout  ce  qui  tient  et  se  rap- 
porte aux  moyens  de  plaire. 

L'on  distribuera  annuellement  deux  médailles  de  5oo  livres, 
comme  prix  de  distinction,  à  ceux  qui  se  seront  le  plus  signalé 
par  des  inventions  nouvelles  ou  par  la  pratique  assidue  des 
nouveautés.  Il  y  aura  deux  accessit  pour  les  élèves  les  plus  dis- 
tingués. 

Les  prix  de  la  présente  année  (1778)  seront  décernés  à  celles 
qui  justifieront  avoir  porté  le  bonnet  le  plus  élevé  en  pyramide 
et  à  celui  qui  aura  décoré  ses  pieds  des  boucles  les  plus  colos- 
sales. 

Il  y  aura  à  l'Académie  des  honoraires,  des  vétérans  et  quatre 
pensionnaires. 

Les  fonds  de  la  compagnie  seront  établis  sur  les  réceptions 
des  tailleurs,  perruquiers,  chapeliers,  dessinateurs,  bijoutiers, 
marchandes  de  modes,  etc. 

Les  acteurs  et  actrices  seront  invités  deux  fois  l'an  à  des 
séances  de  l'Académie  pour  se  perfectionner  dans  l'art  de  se  vêtir 
avec  élégance. 

La  médaille  de  l'Académie  est  un  vaisseau  en  pleine  mer, 
avec  toutes  ses  voiles  déployées;  quatre  vents  le  soufflent  en 
sens  contraire,  et  l'amour  tient  le  gouvernail;  Momus,une  lor- 
gnette à  la  main,  est  à  la  poupe,  environné  d'enfans  ailés  et 
faisant  des  boules  de  savon.  Autour  on  lit  :  Mors  aut  saîus  ex 
ventis  (un  vent  les  établit,  un  autre  les  détruit).  Au  revers,  une 
renommée  dont  la  coiffure  se  perd  dans  les  nues;  elle  a  à  la 
main  pour  trompette  une  corne  d'abondance,  d'où  il  tombe  des 
écus,  des  fleurs,  et  des  papillons,  avec  ces  mots  autour  :  Plus 


MOI 


dat  quant  sonat  (ses  largesses  surpassent  son  bruit).  Des  génies, 
en  bas,  tendent  les  mains  pour  recueillir  la  manne  précieuse. 

On  ne  pourra  admettre  dans  cette  Académie  aucun  membre 
des  sociétés  déjà  établies,  mais  tous  les  états  pourront  y  être 
admis,  même  les  abbés  et  les  dames  de  théâtre. 

MODÈNE.  (Société  de),  vers  i525.  —  Le  modénois  Grillen- 
zone(i),  fonda  une  société  littéraire  dont  les  membres  se  réunis- 
saient à  table.  Pendant  le  repas,  tantôt  ils  devaient  composer 
une  épigramme  grecque  ou  latine,  un  sonnet  ou  un  madrigal 
sur  chacun  des  mets  qu'on  leur  présentait,  tantôt  ils  ne  pou- 
vaient demander  à  boire  que  dans  la  langue  dont  le  chef  du  ban- 
quet s'était  servi  le  premier.  Un  autre  jour,  chacun  devait  citer 
tous  les  proverbes  relatifs  à  un  animal,  à  une  plante,  à  un  mois, 
à  une  sainte,  à  une  passion,  etc. 

Cette  Société  modénoise,  à  la  fois  littéraire  et  mangeante, 
paraît  s'être  éteinte  en  même  temps  que  son  fondateur,  Grillen- 
zone,  qui  mourut  en  1 55 1 . 

MOINEAUX  (Le  Club  des).  Nous  n'affirmons  pas  que  ce 
club  ait  réellement  existé,  mais  nous  pouvons  du  moins  donner 
à  son  égard  ce  que  nous  offre  un  article  inséré  dans  un  vieux 
journal  et  signé  d'un  nom  aimé  du  public. 

Sous  la  dénomination  générique  de  club,  il  existe  en  Angle- 
terre une  foule  d'associations  qui  souvent  s'occupent  de  choses 
bizarres  en  apparence,  mais  dont  les  efforts,  traduits  d'une  ma- 
nière plus  ou  moins  étrange,  tendent  presque  toujours  vers  un 
but  d'utilité  générale.  De  ce  nombre,  il  faut  compter  le  Club  des 
Moineaux,  qui  s'est  donné  la  mission  éminemment  sociale  de 
poursuivre  à  outrance  et  de  détruire,  par  tous  les  moyens  en 
son  pouvoir,  l'intéressant  volatile  dont  il  arbore  bien  traîteuse- 
ment  le  nom  sur  sa  bannière. 

Par  quel  destin  fatal  l'infortuné  pierrot,  cet  être  inoffensif  au 

(i)  Ne  pas  le  confondre  avec  Orazio  Grillenzone,  peintre  et  sculpteur,  qui 
fut  un  des  amis  du  Tasse,  et  que  ce  grand  poète  a  fait  connaître  en  intitulant 
un  de  ses  écrits  en  prose  :  Grillenzone  o  VEpitafio. 


46  MOI 

premier  chef,  et  dont,  au  rapport  des  naturalistes,  la  vie  séden- 
taire est  exempte  de  reproche,  est-il  devenu  l'objet  d'une  croi- 
sade impie  de  la  part  des  pacifiques  gentlemen,  nos  amis  d'outre- 
Manche?  C'est,  nous  hésitons  d'horreur  à  le  redire,  pour  le 
punir  de  ses  nombreux  et  abominables  forfaits  à  l'encontre  de 
l'agriculture  et  de  la  civilisation.  En  été,  cet  ennemi  de  l'ordre 
gaspille  les  groseilles  et  les  cerises,  il  dévaste  les  champs  de  blé 
et  les  jardins;  en  automne,  il  dévore  les  raisins,  les  fruits  et  les 
semailles;  en  hiver,  il  se  tient  aux  aguets,  tout  proche  de  nos 
habitations  où  il  fait  élection  de  domicile  ;  il  pénètre  dans  nos 
greniers,  qu'il  met  à  sec  ;  il  entre  dans  nos  colombiers,  et  con- 
trairement à  toutes  les  règles  du  droit,  il  s'approprie  la  nourri- 
ture de  nos  timides  colombes.  On  en  a  même  vu,  véritables  can- 
nibales, pousser  l'audace  et  la  voracité  jusqu'à  déchirer  tout  vif 
le  gésier  de  jeunes  pigeonneaux  et  se  repaître,  avec  une  joie 
sauvage,  des  graines  qu'il  renfermait,  et  déjà  en  partie  décom- 
posées par  la  digestion  ! 

A  ces  actes  si  coupables  au  point  de  vue  de  l'influence  morale 
qu'ils  peuvent  exercer  sur  les  masses,  il  faut  joindre  le  préju- 
dice matériel  qu'ils  causent  à  la  société  tout  entière  sous  le  rap- 
port des  approvisionnemens.  Buffon,  le  grand  naturaliste,  éva- 
lue la  consommation  d'un  moineau  à  5  kilogrammes  de  froment 
par  année.  Or,  en  supposant  que  cette  vengeance  volatile,  très- 
prolifique  d'ailleurs,  compte  pour  la  France  i5  millions  de  têtes, 
chiffre  nullement  exagéré,  la  part  qu'elle  prélève  sur  nos  mois- 
sons serait  de  75  millions  de  kilogrammes  ou  de  1  milliond'hec- 
tolitres.  On  conçoit  donc,  parle  temps  de  disette  qui  court,  l'ar- 
deur belliqueuse  dont  les  Anglais,  moins  approvisionnés  que 
nous-mêmes,  font  preuve  contre  desconsommateursaussi  nom- 
breux, aussi  à  craindre. 

Ces  griefs  justifient  dans  de  certaines  limites  l'existence  du 
Club  des  Moineaux,  composé  de  tout  ce  que  la  perfide  Albion 
renferme  de  philanthropes  et  de  réformateurs.  Cette  association, 
humanitaire  au  plus  haut  degré,  a  tenu  ces  derniers  jours  son 
meeting  annuel,  dans  un  bourg-pourri  de  la  Grande-Bretagne. 


MOI  47 

Ce  meeting  consiste  en  un  dîner, qui  se  compose  principalement 
de  pierrots  mis  à  toutes  les  sauces.  Or,  c'est  surtout  en  mangeant 
de  ces  mets  peu  agréables,  que  les  membres  du  club  contractent 
une  sainte  horreur  pour  ce  volatile  impudent,  et  jurent  de  l'exter- 
miner jusqu'au  dernier.  Entre  la  poire  et  le  fromage,  des  récom- 
penses ont  été  remises  à  ceux  des  membres  qui  s'étaient  le  plus 
illustrés  en  combattant  l'ennemi  commun. 

Le  premier  lauréat  est  un  M.  Plummer  (quel  nom  pour  un 
oiseleur  aussi  habile!)  porteur  de  5,8 12  pauvres  bêtes,  qu'il  a 
déposées  sur  le  bureau,,  et  dont  on  ne  nous  dit  pas  la  condition. 
Etaient-elles  en  vie  ou  dans  des  cages?  étaient-elles  mortes  et 
emplumées?  étaient-elles  rôties  ou  à  l'état  de  conserves  ?  C'est 
ce  que  le  compte-rendu  néglige  de  nous  apprendre.  Toutefois, 
M.  Plummer,  avec  les  félicitations  du  président  et  les  nombreu- 
ses marques  de  sympathie  de  la  part  de  l'assemblée,  a  reçu,  pour 
son  beau  fait  d'armes,  une  prime  de  10  shillings,  soit  12  fr.  ou 
220  sous,  vieux  style.  Mais^ 

Pour  célébrer  des  cœurs  humains, 

Contre  pierrot  la  triste  haine, 

Dix  shillings  morbleu  !  dix  shillings, 

Ce  n'est  pas  un  sou  par  douzaine  ! 
Le  second  lauréat,  un  M.  Forris,  n'est  point,  à  l'endroit  du 
pierrot,  coupable  d'une  Saint-Barthélémy  pareille.  Dieu  merci, 
il  n'a  sur  la  conscience  que  3,696  pauvres  bêtes  et,  pour  cette 
action  d'éclat,  il  reçoit  cinq  shillings;  après  lui  il  n'y  a  plus  eu 
que  des  mentions  honorables.  On  voit  par  ces  chiffres  que  le 
club  ornithocide  ne  se  ruine  pas  en  récompenses  et  qu'au  vil 
métal,  objet  de  recherche  de  la  part  des  esprits  vulgaires,  ses 
membres  semblent  préférer  l'honneur  d'avoir  été  utiles  à  l'hu- 
manité. Dans  un  siècle  comme  le  nôtre,  c'est  un  détail  qu'il  faut 
noter. 

Pourtant,  la  question  qui  nous  occupe  a  aussi  un  côté  vérita- 
blement sérieux.  Ce  sont  les  services  que  les  oiseaux  peuvent 
rendre  au  point  de  vue  de  la  destruction  des  insectes  nuisibles 
à  l'agriculture.  Les  dégâts  que  le  moineau  cause  à  nos  moissons 


48  MOI 

et  à  nos  jardins  doivent-ils  nous  le  faire  proscrire,  comme  on  le 
demande  de  l'autre  côté  du  détroit?  ou  bien,  en  considération 
des  avantages  qu'il  peut  nous  procurer,  n'est -il  pas  plus  sage 
d'oublier  ses  méfaits  et  de  lui  laisser  le  soin  d'anéantir  les  para- 
sites destructeurs  dont  les  campagnes  ont  tant  à  se  plaindre? 
Ainsi  se  pose  le  problème,  qui  est  réellement  digne  d'un  examen 
approfondi. 

On  sait  que,  depuis  quelques  années,  les  chenilles,  les  hanne- 
tons et  les  insectes  de  toute  sorte,  sous  l'influence  d'une  tempé- 
rature trop  douce  en  hiver,  se  multiplient  outre  mesure.  Com- 
ment se  débarrasser  de  ces  êtres  dangereux,  dont  la  fécondité 
désastreuse  tend  sans  cesse  à  rompre  l'harmonie  que  la  Provi- 
dence a  si  sagement  ordonnée  dans  la  création  ?  Tous  les  natu- 
ralistes s'accordent  à  considérer  les  oiseaux  comme  l'instrument 
au  moyen  duquel  doit  se  rétablir  l'équilibre.  La  mission  de  ces 
volatiles  est  de  purger  la  terre  des  parasites  que  la  grande  cul- 
ture semble  encore  vouloir  développer.  Ainsi,  le  pinson,  le  ros- 
signol, la  fauvette,  le  rouge-gorge,  sont  pour  les  chenilles  de 
redoutables  ennemis.  Mais  le  plus  à  craindre  de  tous,  c'est  le 
moineau  vorace,  lequel,  au  moment  où  les  larves  sortent  de  leur 
retraite,  alors  que  les  fruits  et  les  graines  manquent  absolument, 
se  livre,  avec  une  ardeur  insatiable  comme  sa  faim,  à  la  destruc- 
tion des  chenilles,  des  hannetons,  des  sauterelles,  enfin  de  tous 
les  ennemis  secrets  de  notre  agriculture.  Un  agronome  anglais, 
Bradley,  soutient  qu'au  moment  de  la  couvée,  le  mâle  et  la 
femelle  absorbent  40  chenilles  par  heure,  soit  environ  220  par 
jour.  Or,  combien  cette  consommation,  déjà  considérable,  ne 
doit-elle  pas  encore  s'accroître  à  la  naissance  de  la  jeune  famille 
et  lorsqu'elle  est  devenue  adulte  ? 

Reste  à  savoir  si  les  services  rendus  compensent  les  dégâts. 
Déjà  nous  avons  dit  avec  Buffon,  qu'un  moineau  consomme 
durant  l'année  5  kilogrammes  de  froment;  eh  bien  !  les  insectes 
dont  il  se  nourrit,  détruiraient-ils  dans  les  récoltes  pour  une 
valeur  moindre  ou  supérieure?  Nous  croyons  que  la  perte  cau- 
sée par  les  insectes  serait  beaucoup  plus  forte.  Dans  lePalatinat 


MO  M  49 


et  en  Ecosse,  après  avoir  institué  des  primes  pour  la  destruction 
du  volatile,  on  a  dû  en  instituer  pour  encourager  sa  reproduc- 
tion, les  récoltes  se  trouvant  de  plus  en  plus  ravagées  par  les 
parasites,  à  mesure  qu'il  avait  disparu. 

En  France,  la  législation  reste  muette  contre  les  insectes,  et 
c'est  là  une  grave  lacune  qu'il  faudrait  nous  hâter  de  remplir. 
Mais,  relativement  aux  oiseaux,  la  loi  du  3  mai  1844  donne  à 
l'administration  un  pouvoir  tutélaire  qui  lui  permet  d'en  mul- 
tiplier ou  d'en  réduire  le  nombre  suivant  les  circonstances.  Un 
département  se  trouve-t-il  infesté  par  les  moineaux  :  le  conseil 
général,  en  les  rangeant  parmi  les  animaux  nuisibles,  peut 
aussitôt  en  permettre  la  destruction  toute  l'année.  Si,  au  con- 
traire, le  moineau  est  devenu  rare,  et  que,  pour  réprimer  les 
ravages  des  chenilles,  des  hannetons,  des  sauterelles,  sa  multi- 
plication devienne  nécessaire,  le  conseil-général  doit  le  protéger 
contre  toute  poursuite,  tout  engin-  qui  empêcheraient  le  repeu- 
plement. Enfin,  et  comme  moyen  terme,  le  préfet  pourrait,  après 
la  fermeture  de  la  chasse,  autoriser  la  destruction  du  moineau 
pour  cause  de  dégâts,  quand  bien  même  le  conseil-général  ne 
l'aurait  point  prescrite  par  ses  déclarations. 

Avec  ce  système,  éminemment  applicable  à  toutes  les  circons- 
tances, il  sera  bien  facile  de  maintenir  l'équilibre  dans  les  exis- 
tences volatiles  et  d'en  proportionner  le  chiffre  aux  exigences  de 
l'agriculture.  Quand  au  Club  des  Moineaux,  puisse-t-il  ne  pas 
se  repentir  un  jour  de  la  guerre  si  injuste  déclarée  par  lui  à  l'oi- 
seau le  plus  sociable,  et  que  la  plupart  de  nos  économistes,  de 
nos  savans  et  de  nos  hommes  d'Etat,  se  souviennent  avoir  élevé 
jadis,  lorsqu'ils  étaient  à  l'école  primaire!  Jacques  Valserres. 

MOMUS  (Soirées  de).  Une  société  lyrico-baccho-dansante, 
qui  tenait  ses  séances  dans  le  quartier  Saint-Martin,  sous  le  nom 
de  Soirées  de  Momus,  a  cru  devoir  publier  les  productions  de 
ses  membres,  dans  Les  Giboulées  de  Mars,  chansonnier  im- 
primé en  18 17. 

«  Et  du  Caveau  fermé,  consoler  l'univers.  » 

4- 


5o  MOM 


Parmi  les  membres  de  cette  société,  on  voyait  les  noms  fort 
ignorés  de  MM.  Carpon,  Festeau  (i),  Chavance,  de  F...,  Cous- 
selle,  etc.,  qui  avaient  pour  président  M.  Conclus,  tout  aussi  in- 
connu. Ces  messieurs  ont  composé  plusieurs  chansons  impri- 
mées dans  les  Giboulées,  ainsi  que  M.  Félix,  qui  soupait  déjà 
chez  Momus,  et  qui  a  voulu  sans  doute,  dit  la  Petite  Chronique 
de  Paris  (année  1817,  p.  241),  boire  à  deux  tonneaux. 

Au  nombre  des  correspondants  on  cite  un  des  bergers  de  Sy- 
racuse, M.  Colau,  et  au  nombre  des  invités  M.  Wolf,  auteur  de 
la  chanson  :  le  Bec  dans  Veau. 

Les  Soirées  de  Momus  pour  18 18.  Paris,  Alexis  Eymery  et 
Delaunay,  181 8,  in-18  de  2  5o  pp.  et  1  f*  d'errata,  plus  deux 
grav.  Recueil  de  chansons  momusiennes,  quelque  fois  avec  la 
musique  imprimée.  Nous  y  voyons  que  M.  Le  Roy  de  Bacre, 
chevalier  de  la  Légion-d'Honneur,  avait  été  nommé  censeur  des 
Soirées  de  Momus,  que  cette  société  comptait  parmi  ses  corres- 
pondants L.  Grenier  et  Auguste  D***  (qui  figure  et  chante  au 
banquet  du  10  octobre  18 17),  et  pour  invités  aux  soirées  Henri 
T***  et  Auguste  T.,  P.  Aze,  Casimir  Delavigne,  Chavance  de 
F...,  Coupart  (membre  du  Caveau  moderne),  Fulgence,  Etienne 
Larrivée,  A.  de  Rochefort. 

Les  membres  des  soirées  sont  MM.  Armand  Séville,  J.  Bou- 
cher, Bécour,  Bonnier,  le  comte  Dorfeuille,  Emile  Cottenet, 
Frédéric  de  Courcy^  Gentilhomme,  Charles  Hubert,  Le  Roy  de 
Bacre  (censeur),  Maréchalle,  Martin,  Merville,  René  Perrin, 
L.  Ponet,  et  Ernest  Renault. 

L'esprit  de  la  Société  était  essentiellement  royaliste.  En  18 17, 
les  soirées  se  tinrent  chez  Legacque,  restaurateur  au  Palais- 
Royal.  On  fit  une  chanson  là-dessus  (Décour). 

L'épigraphe  ou  devise  était:  le  Soleil  luit  pour  tout  le  monde. 

(r)  M.  Louis  Festeau  s'est  fait  connaître  depuis  par  de  nombreuses  chan- 
sons qui  justifient  ti'ôp  SOUVent  le  titre  qu'il  a  lui-même  donné  au  recueil 
qu'il  a  publié  en  1 842  :  les  Egrillardes.  Dix  de  ces  chansons  sont  reproduites 
dans  les  Chansons  joyeuses  du  XIX*  siècle.  Verdun,  Imprimerie  particulière 
(Bruxelles),  1866,  2  vol.  in*i8« 


MOM  5i 


Voici  le  programme  de  cette  société  momusienne,  qui  lui 
tenait  lieu  en  même  temps  de  constitution,  de  statuts,,  et  de  rè- 
glement. C'était  pour  elle  une  charte-vérité;  elle  est  tout  natu- 
rellement en  chanson;  chaque  article  forme  un  couplet  : 

La  philosophie  Momusienne.  —  Air  du  Fleuve  de  la  Vie, 

Fêter,  pour  embellir  sa  vie, 

Le  jour  Vénus, 

Le  soir  Cornus  ; 
D'un  joyeux  enfant  de  Momus, 
C'est  la  philosophie. 

Armé  d'un  refrain  et  d'un  verre, 
Mettre  sa  gloire  à  bien  trinquer; 
Quand  vingt  partis  troublent  la  terre, 
Prendre  celui....  de  s'en  moquer. 

Fêter,  etc. 

Satisfait  du  peu  qu'on  possède 
Sans  désirer  ce  qu'on  n'a  pas, 
D'un  ami  vrai  n'implorer  l'aide 
Que  pour  achever  un  repas. 

Se  moquer  du  fat  qu'on  renomme, 
Et  malgré  son  rang,  son  crédit, 
De  la  férule  frapper  l'homme 
Sans  avoir  égard  à  l'habit. 

Assis  à  l'ombre  d'une  treille, 
Le  thyrse  et  la  marotte  en  main, 
Confondre  les  ris  de  la  veille 
Avec  les  ris  du  lendemain. 

Offrir  aux  belles,  pour  hommage, 
Un  cœur  aussi  dur  que  l'airain, 
Des  enfans  de  son  voisinage, 
Être  le  père  ou  le  parrain. 

Quand  le  cours  des  beaux  ans  s'achève, 
D'Atropos  braver  la  rigueur, 


52  MOM 


Et  puisque  la  vie  est  un  rêve 
Mourir  en  rêvant  le  bonheur. 

Fêter,  pour  embellir  sa  vie, 
Le  jour  Vénus, 
Le  soir  Cornus, 
D'un  joyeux  enfant  de  Momus, 

C'est  la  philosophie.     Ck.  Hubert,  Momusien. 

MOMUS  (Soupers  de).  Une  société  mangeante,  buvante  et 
chantante,  formée  à  Paris  en  i8i3,  prit  ce  titre;  elle  a  publié  un 
recueil  de  ses  chansons;  nous  possédons  :  Les  Soupers  de  Mo- 
mus,  recueil  de  chansons  inédites  pour  1820,  7e  année.  Paris, 
chez  Béchet  aîné,  libraire,  quai  des  Augustins,  n°  11,  in- 18 
orné  de  gravures. 

Le  premier  banquet  des  Soupers  de  Momus  eut  lieu  le  6 
mars  181 3.  Beauvilliers  était  le  restaurateur  des  Soupers  de 
Momus. 

Le  5  juin  181 3  eut  lieu  un  banquet  auquel  furent  invités  Dé- 
saugiers  et  Antignac,  membres  du  Caveau  moderne. 

Un  littérateur  oublié  aujourd'hui,  P.  J.  Charrin,  était  de  la 
société  lyrique  des  Soupers  de  Momus;  il  n'oublia  pas  de  se 
décerner  ce  titre  sur  le  frontispice  de  son  volume  :  Chansons 
et  Poésies, par  P.  J.  Charrin,  membre  de  plusieurs  académies, 
convive  des  Soupers  de  Momus;  3e  édit.  Paris,  Béchet,  1820, 
in- 18,  fig.  Nous  pensons,  sans  avoir  eu  l'occasion  de  le  vérifier, 
que  ce  volume  est  le  même  que  celui  qui  est  intitulé  :  Les 
Passe-Temps  d'un  Momusien,  ou  Chansons  et  Poésies  de  P.J. 
Charrin,  de  plusieurs  académies.  Paris,  Delaunay,  18 17, 
in-18. 

Etienne  Jourdan  composa  une  chanson  en  six  couplets  sous 
le  titre  :  Momus  n'est  pas  mort,  ou  les  Soupers  compromis, 
sur  l'air  de  la  Papesse  Jeanne.  {Nouvel  Almanach  des  Gour- 
mands, 1826,  t.  II,  p.  307.) 

On  cite  de  Piis,  l'un  des  fondateurs  des  Soupers  de  Momus, 
un  opuscule  intitulé  :  Plan  d'une  association  fraternelle  et 


MO  M  53 


chevaleresque  pour  la  délivrance  des  vins  captifs,  dédié  aux 
convives  des  Soupers  de  Momus,  par  l'ermite  de  Montmorency, 
ex-général  du  Vaudeville,  ex-prieur  du  Rocher  de  Cancale,  et 
aujourd'hui  simple  visiteur  des  ordres  bachiques,  1820,  in-8°. 

Signalons  aussi  :  Cadet  Buteux  à  V Ecole  des  Vieillards ,  pot- 
pourri  en  5  actes,  précédé  d'un  prologue,  par  M.  Jacinthe  Le- 
clère,  convive  des  Soupers  de  Momus,  2e  édit.,  Paris,  chez 
Duvernois,  1824,  in-8°  de  29  pages  et  une  lithogr.  en  couleur. 

Jacinthe  Leclère  est  auteur  de  la  Mort  de  Kléber,  trag.  en  3 
actes,  ornée  du  portrait  du  général. 

V Anthologie  lyrique,  2e  édition,  ou  Momus  en  délire,  con- 
tient des  œuvres  de  Momusiens  et  a  dû  sa  naissance  aux  Soupers 
de  Momus.  Dans  le  Complément  de  ce  livre  [Paris,  Béchet, 
181 1 ,  in-i  2  de 78  pages)il  y  a  des  chansons  de  Masson  de  Morvil- 
liers,  François  de  Neufchâteau,  Pons  de  Verdun,  Millevoye,  de 
Jouy,  et  Delahaye  fils,  qui  paraissent  appartenir  à  la  Société  des 
Soupers. 

Mayeur  de  Saint-Paul,  acteur  et  auteur  dramatique,  le  créa- 
teur du  rôle  de  Danières  du  Sourd,  ou  V Auberge  pleine,  était 
membre  des  Soupers  de  Momus.  Il  mourut  à  Paris  le  18  décem- 
bre 1818  après  avoir  mené  une  existence  précaire,  et  parmi  ses 
divers  ouvrages,  il  se  trouve  des  libelles  qui  ne  lui  font  pas  hon- 
neur. 

M.  de  Saint-Laurent,  l'un  des  convives  des  Soupers  de  Mo- 
mus,  n'a  mis  au  jour,  de  moitié  avec  M"*,  qu'wwe  Journée  à 
Saint-Cloud,  vaudeville. 

En  1822,  M.  Eugène  de  Pradel,  le  fameux  improvisateur, 
était  correspondant  des  Soupers  de  Momus. 

MOMUS  (Le  petit  couvert  de) de  Dunkerque.  Société  joviale 
et  chantante,  fondée  à  Dunkerque  vers  1825  par  MM.  Fonte- 
moing,  Carlier,  Pieters,  etc.  On  se  réunissait  pour  dîner, 
chanter  et  boire. 

Ces  réunions  ont  produit:  i°  le  petit  Couvert  de  Momus, 
2*  le  Portefeuille  du  petit  Couvert  de  Momus. 


MON 


MONCRABEAU  (Diète  de),  voir  Menteurs.  Moncrabeau 
est  une  commune  du  canton  de  Francescas^  arrondissement  de 
Nérac,  département  de  Lot-et-Garonne,  qui  n'a  d'autre  célé- 
brité que  celle  d'avoir  vu  naître  dans  son  sein  tant  et  de  si  har- 
dis menteurs  que  son  nom  est  devenu  proverbial;  ainsi  l'on 
dit  d'un  homme  qui  débite  une  gasconnade  renforcée,  qu'il  ar- 
rive de  Moncrabeau.  On  a  fondé  dans  plusieurs  villes  de  France 
des  Sociétés  de  Menteurs ,•  elles  se  composaient  de  personnages 
reconnus  pour  être  habituellement  brouillés  avec  la  vérité.  On 
leur  envoyait,  de  la  part  de  la  Diète  de  Moncrabeau,  une  pa- 
tente de  menteur  ou  un  brevet  et  lettres-patentes ,  en  forme  de 
privilège,  qui  les  nommait  Chevaliers  de  V ordre  des  vérités  al- 
térées. Ces  lettres  imprimées ,  dans  lesquelles  on  remplissait  à 
la  main  le  nom  du  récipiendaire,  étaient  signées  par  l'archi- 
chancelier  Brise-vrai,  contresignées  du  contrôleur  Sans-vérité, 
et  pour  ampliation,  par  Crac,  secrétaire.  Chaque  chevalier  pou- 
vait proposer,  et  même  recevoir  dans  la  congrégation  tout  men- 
teur bien  reconnu  et  avéré. 

La  Diète  de  Moncrabeau  date  du  siècle  dernier,  mais  elle  a 
repris  une  grande  faveur  dans  les  armées  sous  le  régime  de  la 
République.  Dans  le  mois  de  vendémiaire,  an  XI,,  il  se  tenait  un 
chapitre  à  Douai,  où  l'on  enregistra  maints  brevets  dont  un  est 
entre  nos  mains. 

La  diète  générale  des  menteurs  était  censée  se  tenir  à  Mon- 
crabeau3  sur  le  fort  de  Riquet;  il  était  juste  que  le  chef-lieu  de 
cet  ordre  célèbre  et  étendu  fut  situé  en  pleine  Gascogne. 

La  prétendue  Diète  de  Moncrabeau  délivrait  des  brevets  qui 
ressemblent  à  certains  égards  aux  patentes  de  Menteurs.  Il  y  a 
cependant  des  différences,  et  comme  la  postérité  tiendra  sans 
doute  à  les  connaître,  nous  croyons  utile  de  reproduire  le  texte 
de  ces  importants  documents  : 

A  notre  bien- Aimé Salut. —  Monsieur.  —  Nos  Officiers 

et  Commissaires  au  Département  de....  nous  ayant  fait  sçavoir 
que  depuis  longtems  vous  vous  étiez  exercé  dans  l'Art  noble 
de  maltraiter  toutes  sortes  de  vérités,  de  broder  les  récits,  en 


MON  55 


augmentant  et  diminuant  aux  faits  qui  arrivent  dans  ce  monde 
terrestre;  et  que  par  des  succès  heureux,  fruit  d'une  imagina- 
tion féconde  et  brillante,  vous  étiez  parvenu  à  inventer  des 
vérités  qui  n'ont  jamais  existées,  à  créer  des  Histoires  qui, 
sans  vous,  auroient  restées  éternellement  dans  le  néant,  et 
qu'enfin,  après  une  multiplicité  d'expériences  réitérées  plusieurs 
fois  par  jour,  vous  vous  étiez  déjà  acquis  en  ce  genre  de  Litté- 
rature un  Nom  des  plus  illustres.  Nous,  toujours  zélés  à  main- 
tenir et  à  accroître  la  haute  réputation  de  notre  Ordre,  en  le 
remplissant  de  bons  et  idoines  Sujets  parfaitement  convaincus 
des  talents  rares  que  la  nature  vous  a  si  libéralement  prodigué 
en  toutes  sortes  de  Menteries,  sans  en  être  requis  ni  priés,  avons 
jugé  à  propos  de  vous  incorporer  dans  notre  Diète,  et  vous  re- 
cevoir en  Frère  bien-aimé,  comme  il  paroît  plus  amplement 
par  le  Brevet  et  les  Lettres-Patentes  que  nous  vous  envoyons, 
vous  exhortant  à  persévérer  toujours  dans  une  si  noble  occupa- 
tion, à  y  faire  même  des  progrès  rapides,  et  à  nous  instruire, 
dans  l'occasion,  des  Sujets  qui,  comme  vous,  pourroient  faire 
honneur  à  notre  Ordre,  afin  de  les  y  incorporer,  s'ils  le  méri- 
tent. 

Fait  et  passé  dans  notre  Diète  générale,  tenue  à  Moncrabeau, 
sur  le  Fort  de  Riquet,  ce....  jour  du  mois  de....  an...  de  la  Ré- 
publique. Par  nos  Sieurs  les  Officiers  -  Généraux  de  la  Diète. 
Crac,  Secrétaire. 

Brevet  et  Lettres -Patentes  de  la  très-véridique  société 
de  Moncrabeau,  en  forme  de  privilège.  —  Nous,  grand  ar- 
chichancelier  de  la  Diète  générale  de  Moncrabeau^  et  en  cette 
qualité  Sieur  Haut -Justicier  de  la  Ville  et  Fauxbourgs  de 
Cracovie,  Contrôleur -Général  de  toutes  les  Vérités  qui  se  di- 
sent en  ce  bas  monde,  Chef  forcé  de  tous  les  Hâbleurs,  Men- 
teurs, Nouvellistes,  Gens  sans  occupations,  et  autres  personnes 
désœuvrées  qui  s'exercent  dans  le  bel  Art  de  mentir  finement, 
sans  porter  préjudice  à  autre  qu'à  la  Vérité,  dont  nous  fai- 
sons profession  d'être  ennemis  jurés  :  A  tous  ceux  qui  ces  pré- 
sentes Lettres  verront:  Salut,  joie,  santé,  et  sur-tout  haine 


56  MON 


pour  la  Vérité.  Reçu  avons  les  très-humbles  supplications  de 
plusieurs  de  nos  Chevaliers  et  Officiers  de  la  Diète  qui  nous 
ont  exposé  que  le  Sieur....  Habitant  de....  désirant  d'être  agrégé 
dans  ladite  Diète,  s'exerçoit  depuis  longtemps  dans  la  noble  Pro- 
fession de  mentir,  et  qu'il  y  avoit  fait  de  si  grands  et  si  rapides 
progrès,  que  dans  peu  il  mériteroit  la  réputation  de  modèle  par- 
fait en  ce  genre.  A  ces  Causes,  Enquêtes  scrupuleusement  faites 
des  dispositions  heureuses,  des  rares  talens,  des  brillants  succès 
dudit  Sieur ,  voulant  seconder  le  pieux  désir  qu'il  a  de  pou- 
voir mentir  avec  autorité,,  lui  avons  accordé  et  octroyé,  et  par 
ces  Présentes,  lui  accordons  et  octroyons,  dès-à-présent,  la 
charge  de  grand  Correcteur  de  toutes  les  Vérités  qui  se  diront 
dans  l'étendue  de  la  République,  le  recevons  en  Frère  et  Cheva- 
lier de  l'Ordre  des  Vérités  altérées;  lui  donnons  de  plus,  plein 
pouvoir  d'y  agréger,  après  un  examen  suffisant  toute  personne 
qui  se  présentera  à  lui,  et  par  intérim  lui  fera  expédier  des  Let- 
tres signées  de  sa  main,  et  scellées  du  petit  Sceau,  à  la  charge 
par  lui  d'en  envoyer  un  état  à  notre  Bureau,  et  de  se  servir  pour 

son  Secrétaire  du  Sieur ,  dont  la  capacité  nous  est  connue, 

pour  qu'après  un  fidèle  rapport,  nos  Lettres  du  grand  Sceau  lui 
soient  expédiées.  Ce  faisant,  lui  avons  donné  et  lui  donnons 
pour  toujours  plein  pouvoir  de  mentir  impunément  dans  sa  Ju- 
risdiction;  comme  aussi  dans  tous  les  Départemens,  même  dans 
les  Pays  étrangers ,  et  généralement  dans  tous  autres  lieux  en 
deçà  et  au-delà  des  Mers,  où  il  se  trouvera  dépendant  de  notre 
Empire.  Et  pour  l'effet  de  l'exécution  de  nos  Ordres,  Nous  enjoi- 
gnons à  tous  nos  Sujets  de  le  publier  et  reconnoître  pour  tel,  afin 
qu'on  n'en  prétende  cause  d'ignorance;  à  peine,  contre  les  Con- 
trevenans,  d'être  punis  sévèrement,  suivant  les  Lois  de  la  Diète. 
Car  tel  est  notre  plaisir.  Donné  à  Moncrabeau ,  en  pleine 

Diète,  sous  le  contre-Scel  de  notre  Archichancelier,  le jour 

du  mois  de an  II  de  la  République.  Brisevrai,  Archi- 
chancelier. Contrôlé  le  ....jour  du  mois  de....  an  II,  Sansvé- 
rité,  Contrôleur,  Par  mondit  Sieur  Archichancelier,  Crac, 
Secrétaire. 


MON 


MONCRABEAU  (Société  de),  à  Namur.  A  l'heure  oîi  nous 
écrivons,  il  existe  encore  dans  la  ville  de  Namur  en  Belgique 
une  Société  de  Moncrabeau,  qui  a  peut-être  commencé,  comme 
tant  d'autres,  par  un  badinage  entre  gens  joyeux  qui  ne  se  gê- 
naient pas  pour  houspiller  fort  gaiement  la  vérité,  mais  qui  a 
fini  par  devenir  une  honorable  société  de  bienfaisance  venant 
au  secours  des  indigents  à  l'aide  de  concerts,  de  collectes  et  de 
loteries  de  charité.  En  décembre  i85o,  elle  donna  un  charmant 
concert  à  la  salle  de  spectacle  au  profit  des  pauvres.  En  février 
suivant,  elle  organisa  une  tombola  de  plus  de  400  lots,  parmi 
lesquels  on  distinguait  deux  magnifiques  vases  de  porcelaine 
donnés  par  le  vicomte  Desmanel  de  Biesme,  sénateur.  Par 
une  triste  fatalité ,  cette  société  perdit  le  17  novembre  1860, 
M.  Clément  Philippart,  l'un  de  ses  membres,  qui,  en  se  prome- 
nant, tomba  dans  une  mare  où  il  s'est  noyé.  —  Malheureuse- 
ment ceci  n'est  pas  un  mensonge. 

Empruntons  à  un  journal  belge  quelques  détails  sur  les  Mon- 
crabeautiens  de  Namur  : 

«  Le  raout  du  Cercle  artistique  et  littéraire.  —  Faut-il  dire 
que  la  salle  était  décorée  avec  infiniment  de  goût  ?  Cela  est,  je 
pense,  inutile.  Cet  éloge  accordé  quelquefois  par  une  complai- 
sance banale,  devait  être  nécessairement  et  justement  applicable 
à  une  fête  donné  au  sein  de  la  Société  qui  compte  parmi  ses 
membres  tout  ce  que  la  capitale  renferme  d'artistes  éminents.  Il 
y  avait  la  plus  belle  décoration,  celle  dont  aucun  autre  genre  de 
luxe  ne  peut  tenir  lieu,  et  qui  fait  malheureusement  défaut  à 
beaucoup  d'hôtels  de  grands  seigneurs  et  de  financiers.  Nous  vou- 
lons parler  d'une  nombreuse  et  intéressante  galerie  de  tableaux, 
obligeamment  prêtés  par  les  auteurs  ou  par  les  propriétaires. 
L'examen  des  toiles  qui  faisaient  à  la  salle  du  Cercle  une  si  riche 
et  si  précieuse  parure,  aurait  suffi  pour  remplir  la  soirée.  Nous 
ne  parlerons  pas  aujourd'hui  en  détail  de  cette  exposition.  Elle 
mérite  qu'on  aille  la  revoir  au  jour,  et  qu'on  lui  consacre  un 
compte  rendu  spécial,  ce  que  nous  nous  proposons  de  faire. 

Les  ministres  avaient  été  invités  à  la  fête.  Plusieurs  d'entre 


58  MON 


eux  y  assistaient  :  M.  Rogier  d'abord,  l'ancien  président  du 
Cercle  et  l'ami  des. arts,  puis  MM.  les  ministres  des  affaires 
étrangères  et  des  travaux  publics. 

Un  théâtre  improvisé  avec  rampe,  herse  lumineuse  et  rideau, 
avait  été  élevé  à  l'une  des  extrémités  de  la  salle.  Derrière  le  ri- 
deau se  préparait  une  surprise.  A  un  signal  donné,  la  surprise 
éclate  sous  la  forme  de  la  Société  namuroisedite  de  Moncrabeau 
qui  avait  répondu  à  l'appel  de  la  commission  du  Cercle  et  venait 
lui  donner  une  des  séances  de  musique  qui  lui  ont  procuré  une 
grande  popularité  dans  sa  localité.  Les  Moncrabeautiens  sont 
vêtus  de  costumes  pittoresques,  mais  surtout  indescriptibles; 
un  mélange  de  persan,  de  moyen  âge  et  de  fantaisie  carnavales- 
que fortement  empreint  du  cachet  de  l'immortel  Chicard. 

Les  Moncrabeautiens  forment  un  orchestre  de  quarante  vir- 
tuoses. Ils  ont  des  instruments  de  leur  invention  qui  n'ont  pas 
d'analogie  avec  ceux  de  Sax,  mais  dont  vous  pourriez  trouver 
les  équivalents  dans  votre  cuisine,  au  coin  du  foyer  ou  ailleurs. 
Il  y  en  a  en  bois,  en  fer-blanc  et  en  carton.  Parmi  les  morceaux 
qu'ils  ont  exécutés  avec  une  précision  incroyable ,  on  a  remar- 
qué une  sorte  de  symphonie  pastorale  renfermant  des  effets  aux- 
quels Beethoven  n'a  point  pensé,  et  une  imitation  de  la  fantaisie 
composée  pour  la  musique  des  Guides  sur  les  airs  nationaux 
d'Angleterre  et  de  Belgique,  avec  tintement  de  cloches,  canons* 
etc. 

Après  la  première  partie  du  concert  moncrabeautien,  il  y  a  eu 
un  moment  de  repos ,  puis  un  intermède  d'Un  autre  genre  a 
commencé.  Un  piano  se  trouvait  là:  où  n'y  en  a-t-il  pas!  Un 
jeune  et  intelligent  artiste  a  bravement  attaqué  le  clavier,  pour 
improviser  un  accompagnement  à  des  airs  qu'il  ne  connaissait 
pas,  et  s'est  tiré  à  merveille  de  cette  tâche  délicate.  On  a  enten- 
du: deux  chansons  par  M.  Clesse,  la  célèbre  relation  du  voyage 
d'un  Tournaisien  à  Paris,  chanté  pan  l'auteur  lui-même  qui  a 
nom  M.  Leray,  une  chanson  bruxelloise  par  M.  Victor  Lefevre 
et  une  poésie  de  circonstance  récitée  par  M.  Massart. 

Ici  un  nouveau  repos  consacré  à  des  causeries  d'artiste  devant 


MON  59 


les  tableaux,  puis  bientôt  après  une  nouvelle  exhibition  des  Mon- 
crabeautiens.  Ceux-ci  se  sont  métamorphosés  dans  l 'entre-partie- 
Quand  le  rideau  se  lève  ou  plutôt  s'écarte,  on  voit  apparaître 
une  troupe  de  Chinois,  figurant  assez  bien,  sur  les  gradins  su- 
perposés qui  ont  été  construits  à  leur  intention _,  un  vaste  para- 
vent venu  en  droite  ligne  du  Céleste-Empire.  Les  braves  Namu- 
rois  donnent  un  second  concert  qui  ressemble  fort  au  premier, 
et  qui  n'obtient  pas  moins  de  succès,  mais  que  nous  nous  abs- 
tiendrons d'analyser  et  pour  cause.  Ce  qu'il  faut  surtout  admirer 
dans  ces  exécutants,  c'est  le  sérieux  parfait  avec  lequel  ils  font 
leur  originale  cacophonie.  Ils  sont  aussi  graves  que  les  aruspices 
romains;  on  ne  surprendrait  pas  un  sourire  sur  leurs  lèvres. 

Le  concert  terminé,  la  salle,  en  un  clin  d'oeil,  s'est  métamor- 
phosée, et  un  excellent  souper,  improvisé  par  Dubost,  a  réuni 
les  artistes  et  les  auditeurs.  La  commission  du  Cercle  y  avait  in- 
vité tous  les  membres  de  la  Société  de  Moncrabeau  auxquels 
chacun  s'est  empressé  de  faire  l'accueil  le  plus  cordial  et  le  plus 
chaleureux.  Un  toast  a  été  porté  par  M.  Vervoort,  président  du 
Cercle,  à  ces  hommes  ingénieux  et  modestes  qui  ont  su  faire 
tourner  l'originalité  de  leurs  plaisirs  au  profit  de  l'humanité  et 
dont  les  pauvres  de  Namur  ont  pu  tant  de  fois  apprécier  le  dé- 
vouement et  les  services.  Le  digne  chef  d'orchestre  de  la  Société 
namuroise,  M.  Bosret,  a  reçu  aussi  de  M.  Vervoort  sa  part  méri- 
tée de  remercîments  et  d'éloges. 

En  résumé,  la  soirée  a  été  des  plus  joyeuses  et  des  plus  ani- 
mées. Les  dilettanti  ont  pu  regretter  peut-être  qu'on  n'ait  pas 
fait  un  peu  de  vraie  musique.  Ce  sera  pour  une  autre  fois.  Les 
raouts  se  suivent  et  ne  se  ressemblent  pas,  heureusement  pour 
eux,  puisque 

«  L'ennui  naquit  un  jour  de  l'uniformité.  » 

MONOSYLLABES  (Confrérie  des).  Henri  de  Lorraine, 
comte  d'Harcourt,  fils  puîné  de  Charles  de  Lorraine,  duc  d'El- 
beuf,  qui,  suivant  Tallemant  des  Réaux,  avait  mené  dans  sa  jeu- 
nesse «  une  espèce  de  vie  de  filou,  ou  du  moins  de  goinfre,  »  fonda 


6o  MON 


une  société  de  viveurs  qu'il  intitula  :  Confrérie  des  Monosyl- 
labes^ parceque  chaque  confrère  y  était  connu  sous  une  épithète 
ne  formant  qu'une  seule  syllabe.  Ainsi  le  noble  fondateur,  qui 
était  gros  et  court,  s'appelait  le  Rond-,  Nicolas  Faret,  de  l'acadé- 
mie française,  dont  Boileau  a  placé  le  nom  dans  une  de  ses  sa- 
tires, y  reçut  le  nom  de  le  Vieux:  c'est  pourquoi  Saint-Amant  le 
nomme  toujours  ainsi.  Saint- Amant  lui-même  répondait  au 
surnom  de  le  Gros,  et  ainsi  des  autres.  Lorsque  trois  confrères 
se  trouvaient  ensemble,  ils  pouvaient  recevoir  qui  ils  voulaient. 
La  confrérie  se  composa  de  poètes,  de  chanteurs,  de  jeunes  sei- 
gneurs, tous  bons  vivants.  On  pourrait  presque  regarder  cette 
association  épicurienne  comme  la  première  pierre  qui  servit  plus 
tard  de  fondement  au  Caveau. 

La  Confrérie  des  Monosyllabes,  dans  laquelle  Méziriac  & 
l'abbé  de  Boisrobert  durent  aussi  figurer,  florissait  de  i63o  à 
1645,  car  Faret,  secrétaire,  et  bientôt  l'ami  et  le  compagnon  de 
plaisir  du  comte  d'Harcourt,  était  déjà  mort  à  la  fin  de  1646. 
C'était  un  franc  buyeur,  souvent  cité  dans  les  couplets  bachiques 
du  temps,  par  la  raison  surtout  que  son  nom  rimait  richement 
avec  cabaret. 

Le  joyeux  fondateur  de  la  Confrérie  des  Monosyllabes ,  né 
le  20  mars  1601,  est- mort  le  25  juillet  1666;  un  magnifique 
portrait  de  lui  nous  a  été  laissé  par  le  célèbre  graveur  Antoine 
Masson.  Il  est  connu  sous  le  nom  du  Cadet  à  la  perle.  On  lit 
ces  vers  sous  cette  gravure: 

c  L'honneur  qu'il  s'est  acquis  est  sy  grand  et  sy  juste 
t  Et  l'on  aura  pour  luy  tant  d'estime  et  d'amour, 
«  Que  comme  les  grands  Roys  prenent  le  nom  d'Auguste, 
«  Les  plus  fameux  héros  prendront  celuy  d'Harcour.  > 

MONTALEMBERT  (Société  dramatique  de  l'hôtel).  1784- 
1786.  M.  le  marquis  de  Montalembert,  maréchal  des  camps  et 
armées  du  Roi,  d'une  famille  où  l'esprit  semble  être  héréditaire, 
avait  le  goût  des  représentations  dramatiques  ;  il  n'hésita  pas  à 
former,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  une  société  pour  jouer  ce  qu'on 


MON  61 

appelait  alors  des  comédies  mêlées  d' ariettes,  et  ce  qu'on  nomme 
aujourd'hui  des  opéras-comiques,  dans  le  bel  hôtel  de  Monta- 
lembert  qu'il  possédait  à  Paris,  hôtel  qu'avait  occupé  précédem- 
ment le  comte  de  Clermont  et  ensuite  le  célèbre  Réaumur.  Les 
dames  de  sa  famille,  la  marquise  et  la  baronne  de  Montalembert, 
qui  s'adjoignirent  la  comtesse  de  Podenas,  voulurent  bien  se 
charger  des  rôles  de  femmes;  plusieurs  grands  seigneurs  se  pré- 
sentèrent pour  entrer  dans  la  société  de  ces  dames,  et,  sans 
égaler  leur  talent  naturel  et  charmant,  leur  finesse.,  leurs  grâces 
et  l'expression  qu'elles  surent  mettre  dans  leur  chant  et  leur 
jeu,  se  firent  encore  remarquer  dans  les  diverses  représentations 
de  l'hôtel  Montalembert.  Parmi  ces  nobles  acteurs  de  société  il 
faut  citer  le"  fameux  marquis  de  Bièvre,  le  chevalier  d'Assas^  le 
vicomte  de  Podenas,  dont  un  descendant  a  commandé  un  régi- 
ment de  dragons  à  la  fin  de  la  Restauration,  M.  de  Lagrange,  le 
marquis  de  la  Chevalerie,  le  vicomte  de  Saint-Hermine,  M.  de 
Boismorel,  le  comte  de  Nugent,  le  comte  de  Trion,  M.  de  la 
Chabeaussière,  et  le  marquis  de  Prunelay.  Le  chef  et  le  promo- 
teur de  cette  élégante  société,  M.  le  marquis  de  Montalembert, 
ne  jouait  pas^  mais  il  était  l'aîné  de  la  troupe,  et,  au  besoin,  il 
composait  les  pièces  du  répertoire.  Il  eut  pour  fournisseurs  de 
la  musique  de  ses  petits  opéras  les  maestri  italiens  de  Cambini 
et  Thoméoni.  Les  représentations  de  l'hôtel  de  Montalembert 
paraissent  avoir  commencé  en  1784  et  ne  se  sont  guères  pro- 
longées au-delà  de  1786.  L'orage  de  la  Révolution  commençait 
déjà  à  gronder  dans  le  lointain,  la  scène  allait  s'agrandir  et 
s'ouvrir  pour  de  terribles  tragédies  auxquelles  la  noblesse  française 
devait  fournir  un  bon  nombre  de  victimes.  Les  chants  cessèrent 
presque  partout  à  dater  de  1787. 

Les  noms  des  membres  de  la  société  dramatique  de  l'hôtel 
Montalembert  et  les  œuvres  théâtrales  du  maître  de  céans  nous 
sont  révélés  par  l'existence,  d'un  recueil  fort  rare  contenant  le 
théâtre  du  noble  marquis.  Il  est  composé  des  trois  pièces  sui- 
vantes :  i°  La  Statue,  comédie  en  deux  actes,  en  prose,  mêlée 
d'ariettes,  par  M.  le  marquis  de  Montalembert,  musique  de 


62  MON 


M.  de  Gambini,  représentée  pour  la  première  fois,,  sur  le  théâtre 
de  l'hôtel  de  Montalembert,  au  mois  d'août  1784  (sans  nom  de 
lieu  ni  d'imprimeur),  1786,  in-8°  de  55  pages.  — i°  La  Bergère 
de  qualité ,  comédie  en  trois  actes,  mêlée  d'ariettes,  par  le  même, 
musique  de  M.  de  Cambini,  représentée  pour  la  première  fois 
sur  le  même  théâtre  le  24  janvier  1786  (s.  n.  de  lieu  ni  d'imp.), 
1786,  in-8°de2  feuillets,  et  69p.— 3°  La  Bohémienne  supposée, 
comédie  en  deux  actes,  mêlée  d'ariettes,  par  le  même,  musique 
de  M.  Thoméonis,  rep.  pour  la  première  fois  le  7  mars  1786 
(s.  n.),  178Ô,  in-8°  de  63  pages.  —  Ces  trois  productions  ne 
furent  imprimées  qu'à  petit  nombre  pour  être  offertes  en  ca- 
deau aux  élégantes  habituées  de  l'hôtel  Montalembert.  M.  de 
Soleinne,  qui  avait  rassemblé  tant  de  richesses  dramatiques, 
en  possédait  un  exemplaire  relié  en  veau  marbré  (catalogue 
n°  3559);  plus  heureux  que  lui  nous  avons  pu  nous  en  procurer 
et  tranche  dorée. 

On  aime  à  savoir  la  destinée  des  principaux  acteurs  d'une 
société  si  brillante.  La  marquise  de  Montalembert,  née  Marie 
de  Comarieu,  mariée  en  1770,  femme  aussi  aimable  que 
spirituelle,  passa  à  Londres  vers  1790  et  y  fut  abandonnée 
par  son  mari  qui  parut  céder  aux  idées  de  la  Révolution;  il 
en  adopta  même  les  principes  jusqu'au  point  d'invoquer  le 
divorce  pour  épouser  la  fille  d'un  apothicaire.  Cette  conduite 
fit  lever  le  séquestre  mis  sur  ses  biens  et  sur  sa  belle  terre  de 
Maumont.  La  charmante  et  délaissée  marquise  composa  en 
Angleterre  un  excellent  roman  intitulé  Elise  Dumesnil.  Lon- 
dres, 1798,  et  un  en  maroquin  rouge  à  filets.  Paris,  1800,  6 
vol.  in- 12. 

Quant  au  marquis  de  Montalembert,  devenu  le  doyen  des 
généraux  français  et  de  l'Académie  des  sciences,  il  composa 
plusieurs  ouvrages  estimables  sur  l'art  de  fortifier  les  places,  et 
mourut  d'hydropisie  le  29  mars  1800,  à  l'âge  de  86  ans.  Il  fut 
proposé  pour  une  place  à  l'Institut  dans  la  section  de  méca- 
nique, mais  il  se  retira  en  apprenant  qu'il  avait  Bonaparte  pour 
concurrent.  Il  laissa  une  foule  de  Poésies  inédites.  «  J'ai  de 


MON  63 

«  Montalembert,  dit  Lalande  en  faisant  son  éloge  (i),  un  grand 
«  nombre  de  contes  en  vers  et  de  chansons,  que  je  voudrais 
«  publier,  parce  qu'on  y  trouve  de  la  grâce,  de  l'élégance  et  de 
«  l'imagination.  »  Le  nom  de  Montalembert  est  aujourd'hui 
aussi  connu  en  France  qu'en  Belgique;  il  a  retenti  souvent  à  la 
tribune  de  la  chambre  des  Pairs  sous  la  monarchie  française,  et 
il  a  grandi  encore,  ce  qu'on  ne  croyait  pas  possible,  à  l'Assem- 
blée législative  sous  la  République. 

MONTESSON  (Société  dramatique  de  MraeDE).  La  marquise 
de  Montesson,  née  en  1737,  épousa  fort  jeune  un  vieillard, 
vécut  en  province  jusqu'en  1769,  année  où  elle  devint  veuve; 
aimable,  riche,  spirituelle,  elle  fut  bientôt  remarquée  à  la  Cour; 
elle  aimait  les  arts  et  raffolait  de  la  comédie.  Elle  captiva  le  duc 
d'Orléans,  qui  l'épousa  secrètement  le  23  avril  1773.  Ce  mariage 
secret  fut  d'ailleurs  connu  de  tout  le  monde.  Elle  forma  une 
troupe  d'acteurs  de  société,  et  fit  jouer  des  pièces  de  sa  composi- 
tion où  elle  remplissait  elle-même  un  rôle.  Elle  fit  imprimer 
ses  écrits  sous  le  titre  &  Œuvres  anonymes,  Théâtre,  Mélanges 
(par  Mme  de  Montesson^  Collé  et  autres).  Paris  3  de  l'imprime- 
rie de  Francois-Ambroise  Didot  Yaîné>  1782-1785,  8  vol.  in-8, 
gr.  papier  fin  d'Annonay. 

Tiré  à  petit  nombre  d'exemplaires,  tous  donnés  en  présent. 
Des  exemplaires  ont  été  payés  2o3  fr.  à  la  vente  Lefebure,  en 
l'an  V;  259  fr.  chez  Méon,  en  i8o3;  325  fr.  (rel.  en  maroquin), 
Soleinne  en  1843. 

Mme  Drouin,  du  Théâtre-Français,  reçue  en  1742,  retirée  en 
1780,  après  38  ans  de  service ,  femme  d'esprit,  de  goût  et  d'in- 
telligence, était  plus  propre  encore  à  former  des  actrices  qu'à 
l'être.  Aussi,  quelques  années  avant  sa  retraite,  présidait-elle  aux 
comédies  de  Mme  Montesson.  Ce  fut  même  pour  se  livrer  plus 

fi)  Magasin  encyclop.,  VIe  année,  t.  Ier,  p.  123-129.  Voir  aussi  YEloge 
historique  du  général  Montalembert ,par  Laplatrière.  Paris,  1801,  in-8°,  avec 
portrait. 


64  MON 


particulièrement  à  l'instruction  de  la  troupe  illustre  de  la  Chaus- 
sée d'Antin,  qu'elle  renonça  à  la  pratique  du  théâtre  où  elle  rem- 
plissait les  rôles  de  charge.  . 

Mme  de  Montesson.,  qui  s'était  chargée  da  la  conversion  du 
premier  prince  du  sang_,le  duc  d'Orléans,  était  devenue  souve- 
raine de  son  cœur,  comme  elle  était  maîtresse  de  son  esprit.  Le 
duc  voulut  l'épouser.  Louis  XV  s'y  opposa.  Enfin  on  consentit  à 
un  mariage  de  la  main  gauche  et  sans  éclat.  L'abbé  Poupart, 
curédeSaint-Eustache,  fit  la  cérémonie.  On  dit  même  que  M.  de 
Beaumont  l'honora  de  sa  présence.  Mme  de  Montesson  chercha 
à  prendre  l'attitude  de  Mme  de  Maintenon  à  la  cour  de 
Louis  XIV.,  et  dirigea  le  duc  d'Orléans  vers  les  plaisirs  honnêtes., 
les  distractions  permises.,  et  le  goût  des  arts  et  de  la  gaîté  sans 
licence. 

Elle  avait  son  théâtre  dans  son  hôtel  de  la  rue  d'Antin  où  elle 
jouait  aver  le  prince.  Celui-ci.,  né  bonhomme  et  naïf,  non-seule- 
ment réussissait,  mais  déployait  un  véritable  talent  dans  les 
rôles  où  il  fallait  du  naturel.  Mme  de  Montesson  remplissait  les 
rôles  d'amoureuses  et  de  bergères.  Les  autres  acteurs  les  plus 
renommés  de  cette  compagnie  étaient: 

Le  vicomte  de  Gand,  M.  de  Ségur,  le  comte  d'Onesan,  la 
comtesse  de  La  Marck,  la  marquise  de  Crest. 

Le  triomphe  du  duc  d'Orléans  était  les  rôles  difficiles  de  For- 
tis  des  Dehors  trompeurs  et  de  Fruport  de  l'Ecossaise. 

Mme  de  Montesson.,  un  peu  gênée  par  son  embonpoint,  ren- 
dait les  rôles  d'amoureuse  avec  plus  d'intelligence  et  de  grâce 
que  de  noblesse;  la  houlette  allait  assez  singulièrement  à  cette 
figure  fine  mais  trop  bien  nourrie  (i).  «Vous  voyez,  »  disait  à  ce 
propos  le  duc  d'Orléans,  «que  l'air  de  la  campagne  est  très-bon 
pour  ma  bergère.  »  Dans  les  rivalités  qui  surgirent  entre  les 
troupes  de  la  Chaussée  d'Antin  et  de,Trianon,  des  épigrammes 
étaient  lancées  et  rendues.  Le  comte  d'Adhémar,  à  qui  l'habit 
de  berger  dans  le  Devin  du  village  allait  si  drôlement,  se  per- 


i)  Mémoires  de  Fleury. 


MON  '  65 

mettait  de  décocher  des  traits  sur  l'ampleur  des  charmes  de 
Mme  de  Montesson  qui  le  lui  rendait  bien;  et  s'il  appelait  la 
première  in-folio-Philis,  elle  le  nommait  Tircis-Laflèche. 

La  troupe  comptait  d'autres  acteurs  inférieurs,  mais  ayant  au 
moins  pour  eux  la  noblesse  du  maintien,  la  pureté  de  la  diction,, 
de  l'aisance,  et  cet  usage  du  monde  qui  est  déjà  un  avantage 
immense  sur  la  scène. 

De  1770  à  1780,  rien  ne  pouvait  être  comparé  à  ce  théâtre  qui 
primait  tous  ceux  de  la  société  française. 

Citons  quelques  passages  des  nouvelles  de  l'époque  : 

Avril  1778.  —  «  Le  petit  théâtre  de  Mme  de  Montesson  a  été 
aussi  brillant  cet  hiver  que  les  précédents.  Voltaire  y  parut 
deux  fois  et  y  fut  reçu  avec  presque  autant  d'hommages  qu'aux 
Français;  le  vieillard  s'est  mis  à  genoux  devant  le  duc  d'Or- 
léans qui  avait  été  le  recevoir  dans  sa  loge.  Mme  de  Montesson 
l'a  relevé  et  embrassé  en  le  comblant  de  caresses.  Voilà  le  plus 
beau  jour  de  mon  heureuse  vie!  s'est-elle  écriée  avec  attendris- 
sement. On  a  joué  deux  comédies  de  cette  dame  :  la  Femme  sin- 
cère, tableau  plein  de  grâce  et  de  sensibilité,  et  V Amant  roma- 
nesque, caractère  plus  original  et  ensemble  plus  gai.  Le  comte 
d'Ornesan  a  rendu  un  rôle  de  vieux  domestique  avec  un  natu- 
rel rare  et  une  vérité  digne  du  premier  théâtre.  La  figure  et  la 
voix  de  Mme  de  Montesson  ont  toute  la  grâce,  toute  la  fraîcheur 
de  son  esprit.  Elle  remplit  les  premiers  rôles  dans  ses  pièces  et 
dans  Zémire  et  Açor,  la  Belle  Arsène,  Aline  et  la  Servante- 
Maîtresse.  Ce  spectacle  a  toujours  attiré  la  plus  brillante  as- 
semblée. 

«  On  y  a  donné  la  première  représentation  du  Jugement  de 
Midas,  paroles  d'un  anglais,  d'Hèle  (1),  musique  de  Grétry;  cette 


(1)  Il  s'agit  de  Thomas  Haies,  homme  de  beaucoup  d'esprit,  auteur  de 
quelques  écrits  fort  bien  faits;  on  trouve  à  son  égard  d'amples  et  très-inté- 
ressants renseignements  dans  un  volume  aussi  instructif  que  piquant  du  à 
M.  Van  de  Weyer:  Choix  d'opuscules  philosophiques,  historiques  et  litté- 
raires. {Londres,  i863).  Cette  notice,  composée  en  1854,  occupe 74  pages  et 

5 


66  MON 

pièce  a  été  jouée  ensuite  à  la  comédie  italienne  après  que  le 
théâtre  de  Montesson  en  eut  la  primeur. 

«  L'hiver  de  1780  à  1781  attira  tout  Paris  au  théâtre  de 
Mme  de  Montesson.  On  y  joua  son  coup  d'essai  :  Marianne, 
dont  la  première  idée  appartient  au  duc  d'Orléans,  qui  en  avait 
esquissé  quelques  scènes  et  l'avait  tirée  du  roman  de  Marivaux. 
Puis  vinrent  l'Homme  impassible  et  la  Fausse  vertu,  les  deux 
premiers  ouvrages  en  vers  écrits  par  Mme  de  Montesson;  versi- 
fication aisée,  pure  et  naturelle.  On  a  clos  cette  année  par  la 
Réduction  de  Paris  par  Henri  IV \  grand  opéra,  paroles  du 
marquis  Ducrest,  pièce  de  Mme  de  Genlis,  musique  de  Mereaux. 
Ouvrage  assez  maladroit  et  un  peu  ennuyeux.  » 

Janvier  1782.  —  «  On  joue  sur  le  théâtre  de  Montesson  les 
Maillotins,  ou  Paris  sauvé,  tragédie  en  prose  de  Sédainej  exé- 
cutée par  les  acteurs  ordinaires  de  l'illustre  société.  On  a  trouvé 
des  défauts  dans  la  pièce.  3> 

Mme  de  Montesson  est  auteur  de  la  Comtesse  de  Chamelles, 
pièce  jouée  aux  Français  où  elle  fut  reçue  avec  froideur  et  même 
avec  sévérité.  Tirée  en  grande  partie  des  Liaisons  dangereuses 
de  Laclos  et  de  Clarisse  de  Richardson.  On  trouva  dans  une 
loge  d'amis  de  la  maison  d'Orléans,  qui  paraissaient  applaudir 
avec  zèle  de  leurs  mains,  un  sifflet  placé  sous  les  pieds  de  ces 
claqueurs.  Pour  quelques  louis  l'ouvreuse  livra  cet  instrument 
oublié,  et  le  duc  d'Orléans  le  fit  suspendre  à  un  ruban  dans  le 
cabinet  de  Mme  de  Montesson  entre  les  deux  statues  de  l'Amitié 
et  de  la  Bienfaisance,  et  quand  cette  aimable  et  généreuse  dame 
parlait  trop  vivement  d'un  ami  ou  avait  des  retours  vers  la 
gloire,  le  prince  philosophe  donnait  de  la  paume  de  la  main  sur 
l'instrument  aux  perdrix,  et  au  sifflement  qu'il  en  tirait,  la  trop 
confiante  femme  cessait  son  éloge  ou  laissait  tomber  sa  plume , 
se  rappelant  une  cruelle  leçon. 


forme  la  première  des  Lettres  sur  les  Anglais  qui  ont  écrit  en  français.  Il  est 
bien  à  désirer  que  les  lettres  qui  doivent  suivre  une  série  aussi  bien  inau- 
gurée ne  se  fassent  pas  attendre  longtemps  encore. 


MON  67 


Les  huit  volumes  que  nous  avons  mentionnés  contiennent 
des  pièces  de  théâtre,  des  poésies,  des  nouvelles;  rien  ne  s'élève 
au-dessus  de  la  plus  banale  médiocrité.  Renouard,  dans  son  Ca- 
talogue d'un  amateur  (tome  III,  page  5o),  s'exprime  en  ces 
termes:  «  Avec  de  l'esprit,  des  connaissances  et  beaucoup  de 
qualités  aimables,  Mme  de  Montesson  eut  un  travers,  celui  de 
se  faire  auteur  et,  qui  pis  est,  auteur  dramatique.  Au  moins  di- 
minua-t-elle  ce  tort  par  l'incognito  presque  complet  auquel  elle 
condamna  ses  trop  nombreuses  productions,  mais  après  les  avoir 
fait  magnifiquement  imprimer.  Ces  huit  volumes,  exécutés  avec 
un  luxe  de  prince,  ne  furent  dansle  temps  tirés  qu'à  douze  exem- 
plaires, et  j'ai  su  de  l'imprimeur  qu'il  ne  lui  avait  pas  été  permis 
de  se  réserver  les  deux  exemplaires  qu'accorde,  sinon  un  droit 
réel,  du  moins  un  usage  constant.  Le  succès  de  cette  publication 
fut  encore  tellement  équivoque  que  cette  dame,  un  peu  dépitée, 
ne  tînt  pas  même  compte  de  distribuer  tous  les  exemplaires 
d'une  si  peu  nombreuse  édition  ;  elle  en  laissa  la  moitié  périr 
dans  ses  garde-meubles.  »  Dans  une  note  reproduite  au  cata- 
logue de  vente  de  sa  bibliothèque,  en  i853,  Renouard  dit  qu'on 
lui  a  assuré  que,  des  douze  exemplaires,  quatre  avaient  été  per- 
dus. 

Mme  de  Montesson  était  la  tante  de  Mme  de  Genlis  qui  en 
parle  en  détail  dans  ses  Mémoires  (1).  Elle  mourut  en  1806.  Vol- 
taire avait  assisté  à  une  de  ses  représentations,  et  quoiqu'il  n'y 
eut  là  que  des  acteurs  très-médiocres  jouant  des  pièces  encore 
plus  médiocres,  le  grand  railleur  qui  flattait  volontiers  les  per- 
sonnages influents,  donna  des  signes  d'un  vif  enthousiasme. 

MONTGERON  (Société  dramatique  de  M.  de).  Paris  et 
Hélène ,  tragédie  en  musique,  représentée  chez  M.  de  Mont- 
geron,  intendant  du  Berry  en  1708.  Bourges,  in-4,  (n°  1720 
du  catalogue  de  M.  de  M*,  i85o,  in-8). 


(1)  Voir  aussi  la  Correspondance  de  Grimm,  1773,  1780, 1781,  le  journal 
de  Collé,  les  souvenirs  et  portraits  du  duc  de  Lévis, 


68  MON 


Le  titre  de  cette  pièce  qu'il  serait  sans  doute  fort  difficile  de 
se  procurer  aujourd'hui,  atteste  du  moins  l'existence  de  la  société 
que  nous  enregistrons. 

MONTMARTRE  (Académie  de).  Cette  société  fantastique 
qui  n'était  qu'une  allégorie  prolongée  sur  l'ignorance  et  la  sot- 
tise, adonné  naissance  à  plusieurs  ouvrages.  Il  y  eut  là  une  allu- 
sion aux  ânes  qui  se  trouvaient  en  grand  nombre  à  Montmartre, 
par  suite  du  travail  des  moulins;  on  suppose  que  ces  quadru- 
pèdes avaient  formé  une  académie. 

Nous  citerons  : 

Eloge  de  Varie,  lu  dans  une  séance  académique  par  Chris- 
tophe Philonague  (D.  Joseph  Cajot), aux  dépens  du  loisir.  1782, 
pet.  in-12  (1). 

Eloge  de  Vasne,  par  un  docteur  de  Montmartre.  Nosce  te, 
ipsum.  Londres  et  Paris,  Delaguette,  1769,  pet.  in-12  (2), 
de  59  pp. 

Il  existe  une  gravure  imprimée  en  rouge,  représentant  la 
réception  des  sieurs  Miolant  et  Janinet  à  V Académie  de  Mont- 
martre. Un  chat  avec  un  rabat  et  un  âne  habillé  sont  trainés 
dans  un  char  attelé  de  six  baudets  brayants,  et  arrivent  à  tra- 
vers une  double  haie  d'oies  et  de  dindons,  vers  la  butte  de  Mont- 
martre garnie  à  la  fois  de  moulins  et  de  l'aréopage  académique 
formé  de  treize  ânes,  assis  en  cercle,  le  président  au  centre.  La 
renommée,  planant  dans  les  nuages,  proclame  cette  entrée  triom- 
phante; au  bas  on  lit  ces  vers  : 

Dans  cette  illustre  académie, 
Où  vous  devez  être  reçus  , 


(1)  Le  Coq-à-l'Asne,  ou  l'Eloge  de  Martin  Zèbre,  prononcé  dans  l'assemblée 
générale  tenue  à  Montmartre  par  MM.  ses  confrères.  Eh!  eh!  eh!  eh! sire 
Asne!  AAsnière,  aux  dépens  de  qui  il  appartiendra,  1000  700  60.  in-8, 
de  23  pp. 

(2)  UAsne,  1729,  in-12,  par  Louis  Coquelet. 
Laus  Asini,  Lugd.  Batav.  en  omc.  Elz.,  pet.  in-4- 


MON  69 


Que  vous  allez  porter  envie 
A  vos  confrères  biscornus  ? 
Quoique  la  cabale  croasse, 
Laissez  la  paille  en  vos  greniers; 
Montmartre  est  pour  vous  le  Parnasse. 
Et  les  chardons  sont  vos  lauriers. 

Il  y  a  :  Pensées  philosophiques  d'un  citoyen  de  Montmartre 
(par  le  p.  Sennemaud,  jésuite).  La  Haye  et  Paris,  1756,  in-12. 

Il  y  a  aussi:  Mémoires  littéraires  de  Montmartre.  Neuf- 
chdtel  et  Paris,  Bélin,  1786,  pet.  in-12.  —  Espèce  d'imitation 
des  Mémoires  de  l'Académie  de  Troyes,  sauf  l'esprit  et  la  gaîté 
répandus  à  pleine  main  dans  ces  derniers,  et  fort  ménagés  dans 
les  premiers  sans  doute  pour  les  rendre  plus  vraisemblables  et 
leur  donner  la  couleur  locale. 


MONTUZETS  (Confrérie  des).  Diverses  associations  se 
créèrent  à  Bordeaux  au  XVe  et  au  XVIe  siècle;  elles  se  propo- 
saient dans  l'origine  un  but  de  piété,  de  chanté  et  de  bonne 
fraternité;  ces  vues  s'effacèrent  peu  à  peu,  et  les  réunions  de  ces 
associations  devinrent  des  occasions  de  plaisir,  des  parties  de 
campagne  que  précédaient  cependant  des  cérémonies  religieuses. 

La  Confrérie  des  Montu^ets  était  la  plus  célèbre  de  toutes. 
Louis  XI  se  trouvant  à  Bordeaux,  au  moment  où  elle  célébrait 
sa  fête,  voulut  bien  accepter  le  titre  de  premier  confrère;  il  lui 
accorda  des  privilèges.  C'était  bien  assez  pour  lui  donner  l'éclat 
qu'elle  conserva  longtemps.  L'acte  de  confirmation  accordé 
par  ce  souverain  prouve  que  cette  société  existait  déjà  depuis 
longtemps. 

Par  lettres  patentes,  le  roi  donne  en  rente  annuelle  et  perpé- 
tuelle, trois  tonneaux  de  vin  à  prendre  sur  la  connétablie,  pour 
être  employés  aux  frais  de  cette  confrérie  le  jour  qu'ils  vont  en 
procession  à  Montuzet;  il  permet  aux  membres  de  cette  association 
de  faire  des  pêcheries  sur  la  rivière,  et  les  prend  sous  sa  protec- 
tion; ils  peuvent  choisir  leurs  habillemens  de  blanc  et  de  rouge 


70  MOR 

à  leur  guise.  Enfin  personne,  s'il  n'est  du  serment  de  cette  con- 
frérie, n'a  droit  de  passer  gens  ou  chevaux  sur  la  rivière. 

Quelques  jours  avant  la  fête,  des  officiers  de  la  confrérie  par- 
couraient la  ville,  enseignes  déployées,  précédés  de  fifres,  de 
tambours,  avertissant  leurs  confrères  de  se  préparer  au  voyage, 
a  Les  officiers  font  l'exercice,  dit  ou  Tillet,  avec  leurs  enseignes 
«  dans  les  places  publiques,  dans  certains  cantons  de  rue,  et 
«  au-devant  des  hôtels  des  personnes  constituées  en  dignité.  Le 
«  départ  était  précédé  d'un  repas  splendide  dans  lequel  ne 
«  régnait  pas  toujours  le  bon  ordre  convenable.  »  (Voir  un 
mémoire  de  M.  L.  de  Lamothe  sur  les  bénéficier  s  et  sur  l'église 
Saint-Michel,  dans  les  Actes  de  V Académie  de  Bordeaux ,i  844, 
p.  538-540. 

MOPSES  (Ordre  des).  Le  Secret  des  Mopses  révélé  (par 
l'abbé  Larudan).  Amsterdam,  1745,  in- 12.  Cet  ordre  doit  son 
existence  à  un  scrupule  de  conscience.  Clément  XII  ayant  excom- 
munié les  Francs-Maçons  en  1736,  beaucoup  de  catholiques 
allemands,  épouvantés  par  la  bulle  papale,  renoncèrent  à  faire 
partie  de  la  société,  mais  ils  en  formèrent  une  autre,  qui,  sans 
les  exposer  aux  censures  du  Vatican,  pouvait  leur  procurer  les 
principaux  agrémens  delà  Franc-Maçonnerie.  Ils  se  mirent  sous 
la  protection  d'un  potentat  allemand  et  prirent  pour  grand- 
maître  un  seigneur  distingué  du  pays.  Ils  adoptèrent  pour  sym- 
bole un  chien,  emblème  de  la  fidélité,  et  se  donnèrent  le  nom  de 
Mops,  qui,  en  allemand,  signifie  Doguin. 

Ils  n'ont  pas  de  serment,  ne  reçoivent  que  des  catholiques  et 
admettent  les  femmes  qui  peuvent  même  prendre  tous  les  grades, 
celui  de  grand-maître  excepté.  11  y  avait  une  loge  de  Mopsés  à 
Francfort;  elle  était  gouverné  six  mois  par  un  homme,  six  mois 
par  une  femme. 

MORALE  UNIVERSELLE  (Ordre  de  la).  Cet  ordre  a  été 
fondé  à  Paris  par  une  dame  qui  était,  à  ce  qu'on  disait,  née 
dans  l'Inde.   Empruntons  à  cet  égard  quelques  détails  à  un 


MOR  71 

feuilleton  de  M.  Amédée  Achard,  inséré  dans  l' Assemblée  na- 
tionale^ du  21  décembre  i85o. 

«  Madame  Alina  Deldir  a  institué  un  ordre  de  chevalerie,,  avec 
autorisation  et  privilège  du  gouvernement,  et  délivre  des  brevets 
ainsi  conçus:  Ordre  asiatique  du  cercle  de  morale  universelle. 
Gloria  in  excelsis  Deo.  Dans  un  triangle  le  mot  DIVI.  Au- 
dessous  :  La  Foi.  —  La  Charité.  —  U  Espérance. 

«  Nous,  Alina  Deldir,  sultane  d'origine  mogole,  maîtresse 
fondatrice  de  l'Ordre  asiatique  de  morale  de  la  noble  porte 
de  Véglise  d'Eldir,  fondation  autorisée  par  la  voie  légale  et 
approuvée,  croyons  faire  une  chose  raisonnable  et  digne  en 
comblant  de  nos  faveurs  les  personnes  qui  se  distinguent  par 
leurs  bonnes  mœurs,  leurs  mérites,  leurs  actions  d'éclat,  leurs 
sentiments  religieux;  à  cet  effet,  voulant  honorer  d'un  titre  spé- 
cial d'honneur,  avons  nommé  chevalier  de  l'Ordre  Asiatique, 
M.  ***,  dont  l'objet  est  la  foi  de  la  conscience  humaine  dans  la 
divine  Providence.  Nous  informons  tous  les  amis  de  la  vérité 
que  nous  avons  par  le  présent  brevet  créé,  institué  et  solennelle- 
ment (sic)  ordonné  chevalier  de  l' Ordre  asiatique  de  morale 
universelle...  » 

Au  bas  de  ce  brevet  se  trouvent,  d'un  côté  la  signature  du 
grand-chancelier  de  Y  Ordre  asiatique,  Gh.  Mercier  Deldir;  et 
de  l'autre,  en  grosses  lettres,  celle  d'Alina  Deldir,  grande-maî- 
tresse de  Y  Ordre  asiatique. 

Un  mot  encore  pour  achever  la  description  de  ce  singulier 
brevet. 

La  signature  du  grand-chancelier  de  l'Ordre  asiatique  est 
accompagnée  d'un  gros  rat  noir  fort  bien  dessiné  sur  le  papier. 
Pourquoi  un  rat,  et  pourquoi  ce  rat  est-il  noir? 

Les  trois  vertus  théologales,  dont  les  noms  brillent  en  tête  du 
brevet  délivré  par  la  princesse  Alina  Deldir,  sont  séparées  par 
des  filets;  trois  figures  d'animaux  les  accompagnent  ;  un  léopard 
armé  de  formidables  griffes,  sous  la  Foi;  un  éléphant  errant 
dans  un  petit  jardin,  sous  la  Chanté;  et  un  tigre,  orné  d'une 
queue  majestueuse,  sous  l'Espérance. 


72  MOR 

«  Quels  rapports  mystérieux  existent  entre  ces  trois  animaux 
et  les  trois  vertus  théologales  ?  C'est  ce  que  la  princesse  Alina 
Deldir  n'explique  pas.  Peut-être  ces  trois  figures  sont-elles  des 
symboles  comme  la  bête  de  l'Apocalypse?  Une  imagination 
orientale  peut  seule  rêver  l'Espérance  sous  la  forme  d'un  tigre, 
et  la  Charité  sous  les  traits  d'un  éléphant.  » 

Les  chevaliers  de  V Ordre  asiatique  de  morale  universelle 
portent  à  la  boutonnière  un  ruban  vert  à  liserés  noirs. 

«  Quiconque  a  des  prétentions  à  la  vertu,  les  candidats  au  prix 
Montyon,  tous  les  mortels  enfin  qui  ont  ou  croient  avoir  com- 
mis de  belles  actions  peuvent  en  toute  assurance  se  présenter 
chez  Alina  Deldir  et  lui  demander  un  brevet  de  chevalier.  Les 
frais  de  chancellerie,  d'enregistrement  et  autres  ne  coûtent  pas 
plus  de  cent  écus.  » 

«  Mais  deux  brevets  pris  ensemble  ne  valent  guère  que  cinq 
cents  francs.  » 

«  On  ne  saurait  payer  moins  cher  un  bout  de  ruban  vert  à 
liserés  noirs.  » 

<c  L'Ordre  asiatique  a  ses  officiers _,  ses  commandeurs,  ses 
grand'croix  et  ses  plaques.  On  assure  que  la  princesse  Alina  Del- 
dir traite  de  gré  à  gré  avec  les  personnes  vraiment  vertueuses.  » 

«  La  morale  universelle  se  contente  de  peu .  » 

MOROSOPHES  (Ordre  des).  Ce  mot,  qui  signifie  sages 
dans  la  folie  (i),  désigne  une  société  sans  doute  imaginaire  qui 
était  au  fond  la  même  que  celle  des  Aphrodites  dont  nous  avons 
déjà  parlé.  Peut-être  y  a-t-il  eu  quelque  réalité  dans  ce  qu'a 
écrit  à  cet  égard  le  chevalier  de  Nerciat  dans  son  très-licentieux 
ouvrage  :  les  Aphrodites,  1793,  mais  il  a  sans  doute  énormé- 

(1)  Il  existe  un  ouvrage  d'un  écrivain  du  seizième  siècle  :  la  Morosophie, 
par  Guillaume  de  la  Perrière,  mais  il  s'agit  de  tout  autre  chose.  Le  volume 
imprimé  à  Lyon  en  1 553  est  un  recueil  d'emblèmes  moraux  accompagnés  de 
vers  latins  et  français.  Devenu  rare,  il  est  fort  recherché  ;  de  beaux  exem- 
plaires ont  été  payés  89  et  125  fr.  aux  ventes  H.  de  Ch.  et  Desq  en  i863  et 
1866. 


MOR  73 

ment  donné  carrière  à  son  imagination  déréglée.  Quoiqu'il  en 
soit,  nous  allons  donner  d'après  lui  quelques  indications  qu'on 
joindra,  si  l'on  veut,  à  celles  qu'offre  déjà  l'article  consacré  aux 
Ajphrodites. 

Les  Morosophes  avaient  une  décoration  qui  se  portait  avec 
un  ruban  vert,  liseré  de  ponceau,  par  les  retirés  en  petit  ordre, 
par  les  dignitaires  effectifs  au  col,  par  le  seul  grand-maître  et 
grande-maîtresse  en  grand  cordon.  Ces  derniers  exclusivement 
étaient  ornés  encore,,  la  grande-maîtresse  du  signe  de  la  planète 
de  Vénus  brodé  en  argent  sur  un  fond  de  satin  ou  paillon  vert 
clair;  la  grande  maîtresse  du  signe  de  la  planète  de  Mars  brodé 
sur  un  fond  de  satin  ou  paillon  ponceau.  Autour  de  ces  deux 
plaques _,  d'ailleurs  égales,  brillait  une  riche  auréole  à  huit 
pointes,,  de  rayons  de  diamants,  de  rubis  et  d'émeraudes  placés 
sur  le  cœur. 

Une  demoiselle  ne  pouvait  être  admise  avant  vingt  et  un  ans; 
il  fallait  qu'elle  fut  autorisée  par  un  proche  parent,  membre  de 
la  Société,  ou  tout  au  moins  par  un  dignitaire  membre  de  la 
famille  de  la  postulante. 

La  Révolution  fut  fatale  aux  Morosophes-,  plusieurs  (au  dire 
de  Nerciat),  périrent  dans  la  journée  du  10  août;  d'autres  furent 
égorgés  lors  des  massacres  de  septembre.  Les  sociétaires  qui 
purent  trouver  un  asile  à  l'étranger  trouvent  aujourd'hui  dans 
un  pays  que  nous  ne  pouvons  nommer  une  retraite  délicieuse, 
des  statuts  épurés  et  des  sujets  d'élite.  » 

C'est  probablement  de  X 'Ordre  des  Morosophes,  ou  Aphro- 
diteSj  qu'il  est  question  dans  un  autre  écrit  peu  édifiant  attribué 
à  l'infatigable  Nerciat,  lorsqu'il  fait  dire  à  son  héroïne  : 

«  J'avais  l'honneur  d'être  la  principale  dignitaire  d'un  ordre 
«  voué  au  plaisir;  l'un  de  mes  plus  importants  devoirs  était  de 
«  faire  beaucoup  et  de  bonnes  recrues.  » 

MORT  (L'Ordre  de  la  tête  de).  i65i-i652.  S'il  y  eut  des 
esprits  gais  qui  fondèrent  des  sociétés  de  récréation  et  de  plaisir 
et  qui  allèrent  peut-être  un  peu  loin  dans  cette  voie ,  il  s'en  ren- 


74  M  OR 


contra  d'autres  qui  prirent  avec  exagération  le  chemin  opposé  et 
se  jettèrent  avec  ardeur  dans  la  tristesse  et  les  larmes.  Cette  es- 
pèce d'aberration  mérite  tout  autant  d'être  relevée  comme  pein- 
ture de  mœurs  que  toute  autre  nuance  de  caractère.  C'est  pour- 
quoi nous  n'oublierons  pas  de  consigner  ici  un  mot  sur  un  ordre 
tout  aussi  bizarre  dans  son  genre  que  les  sociétés  joyeuses  les 
plus  excentriques.  Nous  voulons  parler  de  l'Ordre  de  la  Tête 
de  Mort  institué  en  i65i,  (d'autres disent  en  1 632,)  par  Silvius 
Nimrod,  duc  de  Wurtemberg- Eller,  qui  s'en  déclara  le  premier 
grand-maître,  et  qui  en  créa  sa  mère,  Sophie-Magdeleine,  du- 
chesse de  Lignitz  et  de  Brieg,  grande-prieure.  Cette  institution, 
ou  l'on  recevait  hommes  et  femmes,  était  prête  à  disparaître  au 
commencement  du  XVIIIe  siècle;  elle  fut  rétablie  en  1709  par 
Louise-Elisabeth,  veuve  du  duc  Philippe  de  Saxe-Mersbourg, 
petite-fille  du  fondateur,  et,  depuis  cette  restauration,  on  n'y 
admit  que  des  dames  (les  hommes  en  furent  exclus),  qui  jurèrent 
de  se  priver  de  jeux,  de  spectacles,  d'habits  ou  d'équipages  ma- 
gnifiques, et  principalement  de  tout  amusement  ou  apparence 
de  galanterie.  La  marque  distinctive  de  cet  ordre  était  un  ruban 
noir  soutenant  une  tête  de  mort  autour  de  laquelle  pendait  une 
légende  portant  cette  devise  :  Mémento  mori.  (Souviens-toi 
qu'il  faut  mourir.)  Ce  triste  ordre  ne  put  se  soutenir;  il  périt 
faute  de  néophytes. 

Il  fut  réglé  que  ce  serait  toujours  une  princesse  de  la  maison 
de  Wurtemberg  qui  aurait  la  qualité  de  grande-prieure,  que  les 
femmes  de  toute  condition  y  seraient  admises,  et  qu'on  regar- 
derait moins  à  la  noblesse  de  la  naissance  qu'à  la  pureté  de  la 
vie  exemplaire.  Les  chevalières  de  la  Tête  de  Mort  étaient 
obligées  de  s'assembler  tous  les  ans  chez  la  grande-prieure,  où 
chacune  d'elles  lui  communiquait  par  écrit  ses  réflexions  et 
observations  au  sujet  de  la  mort  de  quelques-unes  des  dames  de 
l'ordre  et  ce  qu'elle  aurait  composé  sur  cette  grave  matière.  On  a 
formé  un  recueil  de  tous  ces  funèbres  discours.  Les  dames 
convaincues  d'avoir  commis  une  faute  contre  les  règlements, 
payaient  une  amende  déposée  dans  une  caisse  que  l'on  vidait 


MOR  75 


tous  les  ans,  le  jour  du  Vendredi* saint,  au  profit  des  pauvres. 
Quant  une  dame  de  l'ordre  venait  à  décéder,  toutes  les  autres 
étaient  obligées  de  porter  pendant  une  année  un  ruban  noir  sur 
celui  de  l'ordre  avec  le  nom  de  la  défunte  inscrit  en  lettres 
blanches. 

MORVILLE  (Société  dramatique  du  château  deJ.  1737- 
1741.  Le  château  de  Morville,  en  Normandie,  situé  près  de 
l'Andelle,  réunissait,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  une  so- 
ciété d'hommes  et  de  femmes  de  beaucoup  d'esprit  qui  s'amu- 
saient à  jouer  la  comédie  de  société  sous  le  patronage-de  madame 
la  marquise  de  Morville.  Les  auteurs,  en  même  temps  acteurs 
de  ce  petit  théâtre,  furent  le  comte  de  Caylus,  homme  universel, 
ami  des  arts  et  des  plaisirs,  que  l'on  rencontre  partout  dans  les 
galantes  et  joyeuses  annales  du  règne  de  Louis  XV;  l'aimable 
comte  de  Tressan,  membre  de  la  plupart  des  académies  d'Europe; 
le  marquis  d'Armenonville,  jouant  les  premiers  rôles  de  cette 
troupe  distinguée;  le  marquis  de  Ximenès,  tenant  de  près  au 
maître  du  château,  bien  jeune  encore,  mais  annonçant  déjà  les 
dons  le?  plus  heureux;  M.  de  Bombarbe,  personnage  de  beau- 
coup d'esprit,  qui  écrivit  considérablement  sans  se  faire  im- 
primer; le  marquis  de  Surgères;  Coypel  qui  avait  quelquefois 
l'honneur  d'être  le  collaborateur  de  M.  de  Caylus;  Granval  qui 
appliquait  de  la  musique  à  ses  divertissements  et  ses  vaudevilles, 
et  quelques  autres  auteurs  et  compositeurs  modestes  qui  ne 
voulurent  pas  se  nommer. 

Pendant  le  séjour  à  Paris,  on  avait  loué  une  maison  et  un 
théâtre  à  Pantin  où  la  société  de  M.  de  Morville  se  rassemblait 
une  ou  deux  fois  la  semaine.  M.  de  Caylus  dirigeait  la  troupe. 
On  y  joua  plusieurs  comédies  de  M.  Coypel  qui  n'ont  pas  vu  le 
jour  (1).  Le  marquis  de  Surgères  composa  pour  cette  société  la 


(1)  Un  recueil  ms.  des  poésies  de  théâtre  de  Coypel  composées  pour  des 
sociétés  privées,  repose  en  ce  moment  à  la  Bibl.  publique  de  Valenciennes. 
Il  consiste  en  trois  volumes  in-40  richement  reliés  et  provient  de  la  Bibl.  des 


76  MOR 


comédie  de  l'École  du  monde,  elle  lui  valut  une  épître  en  vers 
de  M.  de  Tressan  qui  a  été  imprimée  dans  ses  Œuvres. 

Lés  pièces  principales  de  ce  théâtre  privé  sont  \  le  Confiant, 
ouïe  Fat,  com.  3  act.  1741. —  La  Maison  culbutée,  com.  1  a. 
avec  divert.  1738.  —  Les  Ages,  ou  la  Fée  du  Loreau,  com.  1 
a.  1739. — V 'Humeur, com.  5  a.  1739. — La  Comédie  impromptu, 
3  a.  1739.  —  Le  Confident  intéressé,  com.  1  a.  avec  divert. 
1740.  —  Le  prince  Pot-à-thé,  ballet  pant.  3  a.  —  L'Amant 
déguisé  y  com.  3  a.  —  Toutes  ces  pièces  et  deux  fêtes  données 
en  1740  et  le  23  juin  1741,  à  l'occasion  de  l'arrivée  de  madame 
de  Morville  au  château,  sont  de  M.  le  comte  de  Caylus. 

Comment  Vesprit  vient  aux  filles,  com.  en  3  actes  et  en  vers. 
1738,  et  la  Princesse  Sirenne,  farce  héroïque  en  1  acte,  prose 
et  couplets,  1739,  appartiennent  à  M.  de  Surgères. 

M.  de  Bombarde  est  auteur  des  paroles  et  de  la  musique  des 
six  pièces  suivantes  :  La  Feste  du  Loreau,  1  a.  pr.  1738.  — Les 
Amans  généreux,  5  a.  pr.  —  Le  Faux  Serment,  com.  2  a.  pr. 
avec  divert.  —  Le  Bal  de  l'Opéra,  com.  1  a.  pr.  1739.  —  Les 
Trois  Billets,  com.  5  a.  pr.  —  L'Heureuse  Folie,  com.  1  a.  pr. 
avec  divert. 

M.  de  Soleinne  possédait  toutes  ces  pièces  en  manuscrit  dans 
sa  vaste  et  précieuse  collection  dramatique;  sans  kii  et  sans  les 
soins  du  savant  rédacteur  de  son  catalogue,  (1)  nous  n'aurions 
probablement  pas  eu  connaissance  de  ces  productions  non  des- 
tinées au  public.  Voir  le  curieux  catalogue  en  question,  tom.  II, 
no  1798  et  1800. 

Le  spirituel  comte  de  Tressan,  qui  survécut  à  presque  tous 

ducs  de  Croy  qui  avaient  aussi  un  théâtre  particulier  au  château  de  Saint- 
Ermitage,  près  Condé,  et  qui  suivirent,  à  la  fin  du  dernier  siècle,  l'exemple 
de  M,  le  marquis  de  Morville. 

(1).  Le  catalogue  Soleinne  a  été  rédigé  par  M.  Paul  Lacroix  (bibliophile 
Jacob),  aujourd'hui  conservateur  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal;  M.  G.  Bru- 
net  a  pris  une  part  active  à  ce  travail;  on  lui  doit  notamment  la  rédaction 
de  ce  qui  concerne  le  théâtre  patois  (tom.  III)  et  celle  du  tom.  IV  (Théâtre 
étranger). 


MOU  77 


les  membres  de  la  Société  de  Morville,  avait  coutume  d'en  faire 
souvent  leloge.  Dans  le  volume  de  ses  Œuvres  diverses,  Ams- 
terdam et  Paris,  Cellot,  1776,  in-8°,  il  s'exprime  ainsi,  page 
444: 

«  Ceux  qui  restent  de  la  société  de  feu  M.  le  marquis  de  Mor- 
te ville  doivent  en  conserver  le  souvenir  le  plus  tendre.  Peu  de 
«  gens  ont  réuni,  comme  lui,  les  vertus  les  plus  épurées,  la  jus- 
ce  tesse  et  la  clarté  de  l'esprit,  le  savoir,  l'érudition  la  mieux 
«  choisie,  et  une  douceur  de  mœurs  inaltérable  ;  j'étais  ami  de 
«  ses  sœurs,  de  ses  enfans;  j'ai  passé  quinze  des  plus  belles 
«  années  de  ma  vie  dans  cette  société  que  j'ai  sans  cesse  regrettée, 
«  sans  espérance  de  retrouver  le  ton,  la  sûreté,  les  connaissances 
«  et  les  charmes  qui  l'animaient.  » 

Enfin,  dans  un  autre  endroit  de  ses  œuvres,  le  même  seigneur- 
poète  rend,  dans  ces  vers,  un  galant  hommage  à  deux  dames  de 
la  Société  de  Morville,  les  jeunes  marquises  de  Surgères  et 
d'Armenonville  : 

«  Jeunes  beautés,  filles  d'amour, 
«  Vous  qui  reçûtes  en  partage 
«  La  simplicité  du  village, 
«  L'air  noble  et  galant  de  la  cour. 
«  L'esprit  et  la  raison  du  sage. 

«  Heureux,  et  mille  fois  heureux, 
t  Quiconque  peut  entre  vous  deux, 
«  Passant  les  beaux  jours  de  sa  vie, 
«  De  l'une  toujours  amoureux, 
«  Mériter  l'autre  pour  amie.  » 

MOUCHE  A  MIEL  (l'Ordre  de  la).  1703-1725.  La  du- 
chesse du  Maine,  petite  fille  du  grand  Condé,  une  des  prin- 
cesses les  plus  spirituelles  de  son  temps,  vint  résider  vers  1700, 
au  château  de  Sceaux,  embelli  par  la  famille  Colbert  et  acquis 
par  le  duc  du  Maine,  l'aîné  des  princes  légitimés.  C'est  là  que 
la  brillante  princesse  tenait  cour  plénière  et  vivait  au  sein  des 
plaisirs  et  d'une  société  charmante  composée  de  mademoiselle 


78  MOU 


d'Enghien,  sa  sœur,  et  du  duc  de  Nevers;  des  duchesses  de  la 
Ferté,  d'Albemarle,  d'Estrées,  de  Lauzun,  de  Rohan  et  de  la 
Feuillade;  des  ducs  de  la  Force  et  de  Coislin;  des  marquises  de 
Mirepoix_,  de  Charost_,  d'Antin  et  de  Boussoles;  du  comte 
d'Harcourt;  des  dames  d'Artagnan,  qu'on  appelait  les  voisines 
parce  qu'elles  avaient  un  château  au  Plessis-Piquet;  de  mes- 
dames de  Chimay,  de  Lassay,  de  Barbezieux  et  de  Croissy;  des 
demoiselles  de  Choiseul,  de  Moras  et  de  Langeron  ;  et  enfin  de 
M.deDampierre,  gentilhomme  du  duc,  et  de  madame  deLivry, 
dame  d'honneur  de  la  duchesse.  Voilà  pour  les  gens  titrés.  Si 
l'on  compte  les  gens  d'esprit  et  de  savoir,  il  faut  citer  made- 
moiselle de  Launay,  depuis  madame  de  Staal;  Nic.de  Malezieu 
et  l'abbé  Genest,  poètes  de  la  maison;  les  présidents  Hénault  et 
de  Mesmes,  Destouches,  Fontenelle  déjà  vieux,  Voltaire  encore 
jeune,  La  Motte-Houdart,  Danchet,  LaFare,  l'abbé  de  Chaulieu 
et  Sainte-Aulaire,  toutes  personnes  spirituelles  et  de  bonne  com- 
pagnie, faisant  des  vers  pour  la  consommation  de  la  princesse 
qui  en  absorbait  considérablement.  Le  compositeur  Matho, 
maître  de  musique  des  enfants  de  France,  y  dirigeait  les  diver- 
tissements lyriques  (i). 

La  duchesse  du  Maine,  très-petite  de  taille,  mais  fort  jolie  et 
fort  piquante,  avait  été  appelée  par  mademoiselle  de  Nantes, 
fille  légitimée  de  Louis  XIV,  jalouse  de  sa  naissance,  la  poupée 
du  sang;  cette  petitesse  et  le  rôle  dejine  mouche  qu'elle  remplit 
dans  une  comédie  de  société,  la  faisaient  comparera  une  abeille; 
aussi  prit-elle  cette  devise  italienne,  tirée  du  Tasse:  (2)  Piccolasi, 

(1)  Lire  dans  les  Causeries  du  Lundi  de  M.  Sainte-Beuve  (tom.  II,  p.  161- 
178),  une  notice  fort  intéressante  sur  la  duchesse  du  Maine  et  sur  la  cour  de 
Sceaux,  sur  Malezieu,  «  homme  instruit,  sachant  des  mathématiques,  de  la 
littérature,  du  grec,  du  latin,  improvisant  des  vers,  imaginant  des  spectacles, 
entendant  même  les  affaires  et  rassemblant  dans  son  état  servile  les  avantages 
d'une  médiocrité  universelle,  »  sur  l'abbé  Genest,  «  le  moins  solennel  des 
Académiciens  (il  était  un  des  quarante),  un  mélange  du  poète  et  du  bouffon.  « 

(2)  Voici  le  passage  de  VAminte  (act.  II.  se.  I)  : 

Picciola  è  l'ape,  e  fa  col  picciol  morso 
Pur  gravi  e  pur  moleste  le  ferite. 


MOU  79 


ma  fa  pur  gravi  le  ferite  (petite,  mais  elle  fait  de  profondes 
blessures);  l'âme  de  la  devise  était  une  mouche  à  miel.  C'est  cet 
emblème  qui  fournit  à  la  princesse,  le  n  juin  1703,  peu  d'années 
après  l'acquisition  de  Sceaux  (1),  l'idée  de  créer  un  ordre  parti- 
culier pour  ses  affidés;  par  allusion  à  sa  fondatrice  il  fut  appelé 
VOrdre  de  la  Mouche  à  miel.  Cette  plaisanterie  alla  jusqu'à 
former  des  règlements,  dresser  des  statuts,  nommer  des  officiers, 
et  donner  divers  noms  aux  dames  et  aux  cavaliers  qui  y  furent 
admis.  Trente-neuf  personnes,  non  compris  la  fondatrice,  furent 
nommées  et  prononcèrent  le  serment  de  l'ordre;  par  allusion  à 
l'abeille,  on  jurait  par  le  Mont-Hymette  : 

«  Je  jure,  par  les  abeilles  du  Mont-Hymette,  fidélité  et  obéis- 
«  sance  à  la  directrice  perpétuelle  de  l'ordre,  de  porter  toute  ma 
«  vie  la  médaille  de  la  Mouche,  et  d'accomplir,  tant  que  je  vivrai, 
«  les  statuts  de  l'ordre;  et  si  je  fausse  mon  serment,  je  consens 
«que  le  miel  se  change  pour  moi  en  fiel,  la  cire  en  suif,  les 
«  fleurs  en  orties,  et  que  les  guêpes  et  les  frelons  me  percent  de 
«  leurs  aiguillons.  » 

On  ne  s'arrêta  pas  là;  une  médaille  fut  frappée  pour  servir  de 
décoration  de  l'ordre;  elle  était  d'or,  du  poids  de  14  grammes 
63  centigrammes.  D'un  côté  on  voyait  la  jolie  tête  de  la  fonda- 
trice avec  la  légende  :  L.  BAR.  D.  SC.  D.  P.  D.  L.  O.  D.  L. 
M.  A.  M.  (Louise,  baronne  de  Sceaux,  directrice  perpétuelle 
de  VOrdre  de  la  Mouche  à  miel.)  Au  revers,  une  abeille  se  diri- 
geant vers  une  ruche,  et  autour  la  devise  italienne  citée  plus 
haut;  à  l'exergue,  la  date  de  1703  qui  est  celle  de  la  fondation. 
Cette  décoration  était  soutenue  par  un  ruban  citron,  et  se  portait 
obligatoirement  toutes  les  fois  que  les  membres  se  trouvaient  à 
Sceaux  (2). 

(1)  Ce  fut  en  1700  que  le  duc  du  Maine  acheta  aux  héritiers  de  M.  de  Sei- 
gnelay  le  château  de  Sceaux  pour  la  somme  de  900,000  livres. 

(2)  La  médaille  est  gravée  dans  le  Magasin  pittoresque ,  tome  XIII,  p.  72 
(mars  1845).  Elle  l'avait  déjà  été  dans  les  Récréations  numismatiques  de  To- 
biesen  Duby  (publiées  à  la  suite  du  Recueil  général  des  pièces  obsidionales). 
Paris,  1786,  in-40. 


So  MOU 


L'officier  ou  héraut  de  l'ordre  était  M.  de  Bessac, enseigne  des 
gardes  de  M.  le  duc  du  Maine.  Le  marquis  de  Gondrin,  qui 
servit  vaillamment  en  Flandre,  et  auquel  les  puristes  de  Sceaux 
reprochaient  d'estropier  les  vers  qu'il  citait,  fut  nommé  le  ba- 
ladin de  YOrdre  de  la  Mouche.  Le  premier,  dans  les  cérémonies 
de  réception,  était  revêtu  d'une  longue  robe  de  satin  incarnat 
parsemée  d'abeilles  en  argent,  avec  une  coiffure  en  forme  de 
ruche;  le  second  devait  porter  les  attributs  de  la  Folie. 

On  rencontre  dans  le  Prince  de  Cathay,  divertissement  joué 
à  Châtenay,  le  3  août  1704,  et  composé  par  M.  de  Malezieu, 
les  articles  suivants  des  statuts  de  l'Ordre;  ils  donnent  une  idée 
de  cette  plaisanterie  chevaleresque. 

Art.  ier.  —  Vous  jurez  et  promettez  une  fidélité  inviolable, 
une  aveugle  obéissance  à  la  grande  Ludovise  Louise,  dictatrice 
perpétuelle  de  l'ordre  incomparable  de  la  Mouche  à  miel. 

Art.  2.  —  Vous  jurez,  et  promettez  de  vous  trouver  dans  le 
palais  enchanté  de  Sceaux,  chef-lieu  de  YOrdre  de  la  Mouche  à 
miel y  toutes  les  fois  qu'il  sera  question  d'y  tenir  chapitre;  et  cela 
toutes  affaires  cessantes,  sans  même  que  vous  puissiez  vous 
excuser  sous  prétexte  de  quelqu'incommodité  légère,  comme 
goutte,  excès  de  pituite,  ou  gale  de  Bourgogne. 

Art.  3. —  Vous  jurez,  et  promettez  d'apprendre  incessamment 
à  danser  toutes  contre-danses,  comme  Furstemberg,  Pistolet, 
Derviche,  Pet-en-cul,  et  autres;  de  les  danser  encore  plus  volon- 
tiers s'il  le  faut,  pendant  la  canicule,  que  dans  les  autres  temps, 
et  de  ne  point  quitter  la  danse,  si  cela  vous  est  ainsi  ordonné, 
que  vos  habits  ne  soient  percés  de  sueur,  et  que  l'écume  ne  vous 
en  vienne  à  la  bouche. 

Art.  4. —  Vous  jurez  et  promettez  d'escalader  généreusement 
toutes  les  meules  de  foin  de  quelque  hauteur  qu'elles  puissent 
être,  sans  que  la  crainte  des  culbutes  les  plus  affreuses  puisse 
jamais  vous  arrêter. 

Art.  5.  —  Vous  jurez  et  promettez  de  prendre  en  votre  pro- 
tection toutes  les  espèces  de  mouches  à  miel,  de  ne  faire  jamais 
mal  à  aucune,  de  vous  en  laisser  piquer  généreusement  sans  les 


MOU  81 


chasser,  quelqu'endroit  de  votre  personne  qu'elles  puissent  at- 
taquer, soit  joues,  jambes,,  fesses,  etc.,  dussent-elles  en  devenir 
plus  grosses  et  plus  enflées  que  celles  de  votre  majordome. 

Art.  6.  —  Vous  jurez  et  promettez  de  respecter  le  précieux 
ouvrage  des  mouches  à  miel,  et  à  l'exemple  de  votre  grande  dic- 
tatrice,  d'avoir  en  horreur  l'usage  profane  qu'en  font  les  apothi- 
caires, dussiez-vous  crever  de  réplétion. 

Art.  7.  —  Vous  jurez  et  promettez  de  conserver  soigneuse- 
ment la  glorieuse  marque  de  votre  dignité,  et  de  ne  jamais  pa- 
raître devant  votre  dictatrice  sans  avoir  à  votre  côté  la  médaille 
dont  elle  va  vous  honorer. 

Le  récipiendaire  reçoit  la  décoration  et  cependant  le  chœur 
chante  : 

«  Viva  sempre,  viva  ed  in  honore  cresca 
«  Il  novo  cavalier  délia  mosca.  » 

Malgré  le  ton  de  plaisanterie  qui  règne  dans  cette  formule  de 
réception  qui  nous  a  été  conservée  dans  le  livre  curieux  inti- 
tulé :  Les  Divertissements  de  Sceaux, à.  Trévoux  et  Paris,  Et. 
Ganeau,  1712,  in-12,  pages  175-197,  on  a  des  preuves  que  les 
nombreux  courtisans  de  la  duchesse  du  Maine  tenaient  à  grand 
honneur  d'être  reçus  dans  l'Ordre  de  la  Mouche  à  miel.  Nous 
avons  dit  que  cet  ordre  comptait  39  membres;  un  jour,  jour  né- 
faste! il  en  perdit  un  :  toute  la  petite  cour  brigua  la  place  va- 
cante. Au  nombre  des  prétendants  se  présentèrent  les  comtesses 
de  Brassac  et  d'Uzes  et  le  président  de  Romanet.  L'élection  eut 
lieu  en  plein  chapitre  avec  grande  solennité;  le  président  l'em- 
porta sur  ses  deux  belles  rivales.  Elles  affectèrent  un  grand  res- 
sentiment et  se  plaignirent  que  l'élection  n'avait  pas  été  juri- 
dique. Cela  donna  l'idée  à  la  spirituelle  mademoiselle  de  Launay 
de  dresser,  en  leur  nom,  une  protestation  en  termes  du  Palais, 
avec  toutes  les  formes  de  la  chicane  pour  se  plaindre  du  passe- 
droit.  La  pièce  arriva  par  une  voie  inconnue  au  président.  On 
ne  sut  d'abord  à  qui  attribuer  cette  facétie  ;  on  la  donna  à  Ma- 
lezieu,  à  l'abbé  Genest,  aux  parties  intéressées,  qui,  tous,  s'en 

6. 


82  MOU 


défendirent  énergiquement.  Enfin  on  descendit  jusqu'aux  plus 
ineptes  commensaux  de  la  maison,  sans  penser  à  mademoiselle 
de  Launay,  arrivée  depuis  peu  de  temps  et  dont  l'esprit  n'était 
pas  encore  apprécié  par  la  duchesse  :  elle,  seule  dans  le  secret, 
jouissait  de  l'embarras  général  qui  dura  plus  de  quinze  jours; 
elle  intrigua  toute  la  société  de  Sceaux  sans  trahir  son  incognito. 
Seulement  elle  composa  sur  ce  fait  les  vers  suivants  dont  la 
production  ne  fit  qu'accroître  l'incertitude  et  piquer  doublement 
la  curiosité  : 

«  N'accusez  ni  Genest,  ni  le  grand  Malézieux 

«  D'avoir  part  à  l'écrit  qui  vous  met  en  cervelle. 

«  L'auteur  que  vous  cherchez  n'habite  point  les  cieux  ; 

«  Quittez  le  télescope,  allumez  la  chandelle, 

«  Et  fixez  à  vos  pieds  vos  regards  curieux  : 

«  Alors,  à  la  clarté  d'une  faible  lumière, 

«  Vous  le  découvrirez  gisant  dans  la  poussière.  » 

Une  autre  fois  mademoiselle  de  Moras  avait  perdu  la  médaille 
de  Tordre  :  M.  de  Malezieu  la  trouva  par  hasard;  on  menaça  la 
jeune  adepte  de  la  chasser  de  l'association  pour  punir  sa  négli- 
gence, et  quelques  jours  après  on  servit  devant  la  duchesse  du 
Maine  un  pâté  dans  lequel  se  trouva  la  médaille  avec  ces  vers  : 

«  Je  possède  un  trésor  dont  Moras  est  indigne; 
«  Qui  n'a  pu  le  garder  ne  le  méritait  pas  ; 

«  Mais  par  une  faveur  insigne 

«  Urgande  l'offre  en  ce  repas 
«  A  celle  qui  pourra  par  une  chansonnette 
«  Vanter  plus  dignement  les  charmes  de  Laurette.  » 

Pour  consoler  mademoiselle  de  Moras,  M.  de  Malezieu  fit  en 
son  nom  la  chanson  demandée,  et  on  lui  rendit  sa  médaille. 
C'était  à  peu  près  comme  on  en  usait  pour  retirer  les  gages 
touchés  dans  les  jeux  innocents. 

Ainsi  qu'on  peut  le  voir,  le  but  de  V Ordre  de  la  Mouche  à 
miel  était  de  se  divertir  galamment,  et,  l'on  peut  ajouter,  poéti- 


MOU  .  83 

quement.  Tout  finissait  par  des  chansons,  ou  au  moins  par  des 
petits  vers.  La  princesse  fondatrice  de  l'ordre  aimait  passionné- 
ment ces  délassements  littéraires  entourés  de  toute  l'élégance  et 
du  faste  du  siècle  de  Louis  XIV.  Elle  dormait  fort  peu,  et  pour 
remplacer  le  sommeil,  elle  inventa  les  grandes  nuits,  fêtes 
somptueuses,  régies  tour  à  tour  par  un  roi  et  une  reine  de  con- 
vention. A  cette  occasion  eurent  lieu  des  loteries  poétiques.  On 
mettait  les  lettres  de  l'alphabet  dans  un  sac;  chacun  en  tirait 
une  ;  celui  qui  amenait  un  a  devait  composer  une  ariette,  si 
mieux  il  n'aimait  une  apothéose^  le  possesseur  du  c  devait  une 
comédie  -,  celui  de  Vf  en  était  quitte  pour  une  fable-,  le  proprié- 
taire de  l'o  en  tenait  pour  une  ode  ou  un  opéra,  deux  choses 
fort  lourdes  à  produire;  un  r,  un  s  n'exigeaient  qu'un  rondeau, 
un  sonnet. 

On  faisait  aussi  des  bouts-rimés,  des  énigmes;  des  anagram- 
mes, des  rondeaux,  des  rondeaux  redoublés,  des  triolets,  des 
virelays;  on  posait  des  questions  qu'on  faisait  résoudre  par  les 
beaux  esprits.  Un  soir  on  proposa  à  Fontenelle  le  problême  sui- 
vant :  Quelle  différence  y  a-t-il  entre  la  maîtresse  du  logis  et 
une  pendule?  L'une,  répondit  le  philosophe,  marque  les  heures, 
l'autre  les  fait  oublier.  Voltaire,  condamné  à  faire  une  énigme 
pour  racheter  son  gage,  improvisa  celle-ci ,  la  meilleure  peut- 
être  qu'on  connaisse  : 

Cinq  voyelles,  une  consonne, 
En  français  composent  mon  nom. 
Et  je  porte  sur  ma  personne 
De  quoi  l'écrire  sans  crayon  (i). 

La  même  pénitence  fut  imposée  à  La  Motte  qui  l'accomplit 
avec  cette  autre  énigme  : 

A  la  candeur  qui  brille  en  moi 
Se  joint  le  plus  noir  caractère. 

i)  Oiseau.  » 


84  MOU 


Il  n'est  rien  que  je  ne  tolère; 

Mais  je  suis  méchant  quand  je  bois  (i). 

Les  grandes  nuits  durèrent  peu  (2);  elles  coûtaient  trop  cher  en 
argent  et  en  esprit.  Mademoiselle  de  Launay  supporta  seule  la 
dépense,  non  des  frais,  mais  des  vers  de  la  dernière  de  ces  fêtes 
littéraires  données  à  Sceaux.  A  cette  occasion,  la  duchesse  du 
Maine  reconnaissante  lui  donna  son  portrait  où  elle  était  repré- 
sentée en  Hébé,  suivant  le  goût  du  temps.  La  spirituelle  suivante 
l'en  remercia  par  deux  couplets,  auxquels  la  princesse  répondit 
par  ce  quatrain  : 

«  Vous  me  payez  avec  usure, 
«  Launay,  d'un  médiocre  don; 
«  L'original  et  la  peinture 
«  Ne  valent  pas  votre  chanson.  » 

Les  descriptions  des  fêtes  de  la  duchesse  du  Maine,  ses  vers, 
ses  chansons,  ses  fantaisies^  ses  ballets  et  les  séances  de  son 
ordre,  ont  été  livrés  à  une  publicité  fort  restreinte  dans  deux 
ouvrages  qui  se  complètent  réciproquement  et  qui  sortent  de 
l'imprimerie  établie  à  Trévoux  par  le  duc  du  Maine  sous  la  di- 
rection de  M.  de  Malezieu  et  l'inspection  de  Nicolas -Joseph 
Blondeau;  ce  sont  :  i°  Les  Divertissements  de  Sceaux.  Trévoux 
et  Paris,  Et.  Ganeau,  17 12,  in-12  de  8  fel3.,  476  pages.  20  Suite 
des  divertissements  de  Sceaux,  contenant  des  chansons,  des 
cantates  et  autres  poésies,  avec  la  description  des  nuits  qui 
y  sont  données.  Ibidem,  172b,  in-12,  35 1  pag.  (3) 

Le  premier  volume  fut  publié  par  les  soins  de  l'abbé  Genest, 
le  second,  plus  rare  encore  que  le  premier  et  presqu'înconnu 

(1)  Papier. 

(2)  Ces  Grandes  nuits ,  au  nombre  de  seize ,  occupent  la  majeure  partie 
du  second  volume  des  Divertissements  de  Sceaux  ;  ce  sont  des  œuvres  dra- 
matiques avec  intermèdes,  chansons,  dialogues,  harangue  de  l'Ambassadeur 
des  Groënlandais,  etc. 

(3)  Plus  de  la  moitié  de  ces  deux  volumes  est  de  la  composition  de  Malezieu. 


MOU  85 


aux  bibliographes,  par  ceux  de  madame  de  Staal,  auparavant 
mademoiselle  de  Launay.  On  y  trouve,  entr'autres  intermèdes, 
scènes  dialoguées,  etc.  la  Grande  nuit  de  V éclipse,  opéra,  le 
Prince  de  Cathay,  divertissement,  les  Champs-Elysées,  la 
Veillée,  la  Ceinture  deVénus,  la  Toilette,  le  Jeu,  etc.  La  du- 
chesse du  Maine  avait  pris  une  part  active  à  la  composition  [de 
ces  ouvrages  curieux.  On  ne  doit  pas  oublier  non  plus  le  Comte 
de  Gabalis,  divertissement  en  2  actes  par  de  Beauchamps,  musi- 
que de  Bourgeois,  représenté  à  Sceaux  devant  la  duchesse,  et 
imprimé  à  la  suite  des  Lettres  d'Héloïse  à  Abeilard,  du  même. 
Paris,  Demonneville,  1758,  in-12;  ni  un  Recueil  de  lettres  au- 
tographes, trouvé  dans  les  papiers  du  président  de  Mesmes,  et 
contenant  une  correspondance  fort  plaisante  de  Malezieu  et  au- 
tres chevaliers  de  la  mouche  à  miel  ;  ce  recueil  fait  partie  de 
la  bibliothèque  formée  par  M.  C.  Leber;  il  figure  à  son  catalo- 
gue sous  le  n°  58 18  (1).  Ce  savant  bibliophile  a  cru  apercevoir 
dans  l'ordre  joyeux  et  burlesque  imaginé  par  la  duchesse  du 
Maine,  une  pensée  plus  sérieuse  que  celle  d'un  simple  diver- 
tissement. Le  Régent  aussi  eut  quelques  soupçons ,  mais  il 
n'inquiéta  guère  des  ennemis  débiles. 

La  duchesse  du  Maine,  toute  bienveillante  qu'elle  voulait  pa- 
raître, exerçait  une  espèce  de  tyrannie  sur  les  chevaliers  dont 
elle  s'était  faite  la  grande  maîtresse.  Tout  le  monde  connaît 
l'impromptu  de  Sainte-Aulaire  qu'elle  appelait  son  berger  ou  son 
Apollon,  et  l'effet  qu'il  produisit  sur  la  princesse  qui  le  pressait 
de  se  démasquer  dans  un  bal.  Il  lui  dit  : 


«  La  divinité  qui  s'amuse 
«  A  me  demander  mon  secret, 


(1)  Nous  trouvons  au  même  catalogue,  n°  1638-1640,  trois  compositions 
dramatiques  de  Malezieu  restées  inédites  et  jouées  en  1705,  1706  et  1707  de- 
vant la  duchesse  du  Maine:  la  Tarentole,  Pyrgonopolice,  capitaine  dE- 
phèse,  les  Importuns  de  Chastenay;  l'Epitre  dédicatoire  de  cette  comédie  est 
imprimée  à  la  fin  du  tome  I«r  des  Divertissements  de  Sceaux. 


86  MOU 


c  Si  j'étais  Apollon,  ne  serait  pas  ma  muse.... 
(Ce  vers  la  décontenança  d'une  manière  très-marquée). 
«  Elle  serait  TJiétis,  et  le  jour  finirait,  (i)  » 

La  duchesse  du  Maine  imposait  à  tous  ses  courtisans  une  loi 
sévère;  celle  de  ne  pouvoir  la  quitter  sans  sa  permission  qu'elle 
n'accordait  pas  toujours.  Aussi  Destouches^  naturellement  fier 
de  son  talent,  et  piqué  de  l'indifférence  de  la  princesse  qui  ne 
lui  parlait  plus  de  son  opéra  de  Ragonde  (2),  partit  un  jour  de 
Sceaux  sans  en  avoir  obtenu  la  permission  et  laissa  sur  sa  table 
ce  couplet  que  le  valet  de  chambre,  en  allant  l'avertir  pour  dîner, 
recueillit  et  porta  à  la  duchesse: 

Sur  l'air  :  Buvons  à  tasse  pleine. 

«  Dans  une  paix  profonde, 

«  De  soins  délivré, 

«  Philosophe  ignoré,  m 

«  Je  ne  tiens  plus  au  monde 
«  Que  pour  en  médire  à  mon  gré. 

«  J'ai  fait  ma  cour  aux  grands; 
«  Ils  sont  tous  polis,  mais  indifférents  ; 

«  Et  le  séjour  des  dieux 
«  Pour  simple  mortel  est  trop  ennuyeux.  » 

MOULIN  VERT  (Société  du).  Nous  empruntons  à  un  feuil- 
leton signé  Eugène  de  Mirecourt  quelques  détails  sur  une 
société  chantante  qui  se  réunissait  en  cet  endroit. 

Le  cabaret  de  la  mère  Saguet,  mis  en  vogue  par  le  cénacle 

(1)  Renvoyons  à  la  notice  que  nous  avons  déjà  citée  de  M.  Sainte-Beuve, 
pour  un  autre  quatrain  galant  de  Sainte-Aulaire,  auquel  la  duchesse  fit  une 
réponse  un  peu  gaillarde  pour  une  précieuse. 

(2)  Cependant  la  fête  de  Sceaux  que  l'on  a  le  plus  citée  finissait  par  l'o- 
péra de  Ragonde,  de  Destouches,  musique  de  Mouret.  Ce  divertissement  en 
musique  formé  de  trois  intermèdes,  a  pour  titre:  Le  mariage  de  Ragonde  et 
de  Colin,  ou  la  Veillée  de  village. 


MOU  87 


Thiers  Armand  Carrel  et  Chenavard,  donnait  asile  en  182 1  à 
une  société  du  Moulin  Vert  ou  du  Moulin-de-beurre. 

Béranger  fut  élu  président. 

On  compta  bientôt  les  sociétaires  par  milliers.  Chacun  d'eux 
avait  le  droit  d'amener  sa  famille. 

Les  salles  du  cabaret  ne  pouvant  plus  contenir  la  foule,  on 
dressa  des  tables  au  milieu  de  la  plaine  voisine,  et  parfois  il  y 
en  eut  plus  de  cent,  de  huit  à  dix  couverts  chacune,  toutes  gar- 
nies de  leurs  dîneurs. 

Sur  la  table  du  président,  à  portée  de  sa  main,  se  trouvait  un 
énorme  cruchon,  au  goulot  duquel  s'adaptait  transversalement 
un  manche  en  bois  de  chêne.  Ce  maillet  monstrueux  servait  à 
frapper  sur  la  table  et  à  réclamer  le  silence. 

C'était  la  sonnette  de  Béranger. 

Quand  on  apportait  le  potage,  le  président  frappait  trois 
coups.  Tout  le  monde  se  levait,  on  criait  :  «  Chapeau  bas  !  »  et 
douze  cents  voix  entonnaient  en  guise  de  Benedicite  le  qua- 
train suivant  : 

Accourez  au  Moulin- Vert, 
Gais  enfans  de  la  folie  ! 
Pour  vous,  pour  femme  jolie, 
On  met  toujours  un  couvert. 

Trois  nouveaux  coups  étaient  frappés  par  le  président.  Hom- 
mes, femmes,  enfants,  vieillards,  se  rasséaient;  puis  l'on  n'en- 
tendait plus,  pendant  une  heure,  que  le  cliquetis  des  verres,  des 
couteaux  et  des  fourchettes. 

Il  y  avait  là,  près  du  roi  de  la  chanson,  comme  des  satellites 
autour  d'un  astre,  Charlet,  Edouard  Donvé,  Eugène  de  Mon- 
glave,  Billoux,  Amédéede  Bast,  Dumersan,  Bellenger,  Moreau, 
Albert  Montémont,  Désaugiers  et  vingt  autres. 

Au  dessert,  le  maillet,  retentissant  de  nouveau,  annonçait 
qu'il  était  temps  de  se  faire  inscrire,  non  pour  les  tours  de  pa- 
role, mais  pour  les  tours  de  chanson. 

Désaugiers  donna  au  Moulin- Vert  la  primeur  de  Madame 
Denis  et  de  Ma  fortune  est  faite  ,•  Edouard  Donvé  y  chanta  le 


88  NEU 

Trompette  de  Marengo  et  le  Vin  à  quatre  sous,  en  pinçant  de 
la  guitare;  Montémont  et  Billoux  y  obtinrent  les  honneurs  du 
bis,  l'un  pour  ses  Glissades,  l'autre  pour  son  Coup  depiqueton. 
Mais  les  plus  beaux  triomphes  appartenaient  à  Béranger. 


EUF  SŒURS  (Société  nationale  des).  1790.  Cette 
société,  composée  d'hommes  de  lettres  et  d'artistes, 
se  réunissait  à  la  fin  de  chaque  mois;  le  14  de 
chacun  des  mois  suivants  paraissait  un  cahier  que 
l'on  nommait  :  le  Tribut  de  la  Société  nationale  des  Neufs 
Sœurs ,  ou  Recueil  de  Mémoires  sur  les  sciences,  belles-lettres  et 
arts,  et  d'autres  pièces  lues  dans  les  séances  de  cette  société. 
Ces  cahiers  avaient  4  feuilles  1/2  d'impression.  On  souscrivait 
chez  Onfroy,  libraire  de  la  société,  rue  Saint-Victor,  et  chez  Née 
de  la  Rochelle,  au  bout  du  quai  des  Augustins,  près  du  pont 
Saint-Michel.  Le  prix  était  de  12  liv.  par  an  pour  Paris. 

Au  commencement  de  1791,  Edmond  Cordier  faisait  partie 
de  cette  association.  Il  y  lut  un  Essai  sur  VÉloge  de  Fénélon, 
qui  a  été  extrait  du  Tribut  de  la  Société  nationale  des  Neuf 
Sœurs,  des  14  mars  et  14  avril  1791,  et  a  formé  un  opuscule  de 
28  pp.  Paris,  Onfroy,  1791,  in-8°. 

La  société  avait  annoncé  qu'elle  ferait  graver  tous  les  ans, 
pour  le  mois  de  janvier,  le  portrait  d'un  des  hommes  illustres 
de  France,  et,  pour  celui  de  juillet,  un  sujet  de  l'histoire  du  pays. 
M.  Henriquez,  sociétaire,  présente  à  l'assemblée  publique  du 
3o  janvier  1791,  sa  gravure  du  portrait  de  Fénélon. 

Dans  la  même  séance,  M.  Benoit, sculpteur,  également  mem- 
bre de  la  Société  des  Neuf  Sœurs,  a  exposé  le  buste  de  l'auteur 
de  Télémaque,  sculpté  en  argent^  non  moulé,  mais  fait  au  mar- 
teau et  repoussé  à  l'épaisseur  d'un  huitième  de  ligne. 


NEU  89 

La  Société  nationale  des  Neuf  Sœurs  avait  pour  but  la  réu- 
nion de  tous  les  talents  utiles  et  agréables;  c'est  pour  cela  qu'elle 
s'était  mise  sous  l'invocation  de  toutes  les  muses  sans  exception. 
On  y  comptait  donc  des  littérateurs  de  toutes  les  catégories,  et 
des  artistes  de  tous  les  genres,  dont  on  voulait  faire  servir  les 
divers  talents  aux  progrès  des  lumières  et  au  triomphe  des 
mœurs.  Mais,  commencée  avec  le  règne  de  la  liberté,  qui  dégé- 
néra bientôt  en  celui  de  la  licence,  cette  association  ne  compta 
que  peu  d'années  d'existence  :  les  lettres  et  les  arts  ne  peuvent 
vivre  dans  les  temps  d'anarchie;  la  société  tomba  presqu'aussi- 
tôt  que  la  royauté  (1). 

Il  y  avait  la  Société  nationale  des  Neuf  Sœurs,  à  Paris,  dans 
laquelle  l'abbé  Martial  Dourneau  fut  admis  en  1790,  sur  la  pré- 
sentation de  l'abbé  Sicard,  son  ami.  Il  lut,  le  jour  de  sa  récep- 
tion, un  discours  en  vers,  impr.  page  59-62  de  son  livre  inti- 
tulé :  Mes  Instants,  ou  Recueil  de  poésies  fugitives.  Limoges, 
L.  Barbou}  l'an  Ve,  in-12. 

Le  même  ouvrage,  page  i58,  contient  des  couplets  pour  être 
reçus  à  la  Veillée  des  Neuf  Sœurs  à  R***  (Rheims). 

Est-ce  la  même  société  que  la  première,  ou  seulement  une 
émanation,  une  sorte  d'affiliation?  «  Il  fallait,  pour  être  initié  à 
«  cette  aimable  société,  s'y  présenter  avec  une  pièce  de  vers,  ou 
«  des  couplets  analogues  à  l'objet  de  ses  assemblées.  Outre  des 
«  lectures  aussi  édifiantes  qu'instructives,  on  s'y  amusait  quel- 
«  quefois  à  improviser  et  à  jouer  au  secrétaire,  etc.,  etc.  » 

Les  couplets  de  Dourneau  ont  été  composés  pendant  la  répu- 
blique et  avant  l'an  Ve,  date  de  son  ouvrage;  on  le  voit  par  le 
mot  frimaire  employé  au  3e  de  ces  couplets. 

Un  des  membres  les  plus  actifs  de  la  Société  des  Neuf  Sœurs , 

(1)  Il  existe  un  petit  recueil  intitulé:  les  Bijoux  des  Neuf-Sœurs,  ou  Mé- 
langes de  pièces  fugitives.  Paris,  Didot  jeune,  1796,  in- 18.  Peut-être  con- 
tient-il des  pièces  lues  dans  la  socie'té  dont  il  s'agit.  Renouard  (Cat.  d'un 
amateur,  tom.  III,  p.  3),  dit  que  ce  fut  un  abbé  qui  publia  cette  collection, 
et,  dans  son  catalogue  de  i853,  n°  141 6,  il  le  nomme  l'abbé  Bancarel,  per- 
sonnage fort  inconnu. 


go 


NEU 


littérateur  d'ailleurs  bien  médiocre,  La  Dixmerie,  étant  mort  en 
1790,  fut  l'objet  d'une  cantate. 

Cantate  demandée  par  la  Société,  et  exécutée  dans  V As- 
semblée publique  du  22  Janvier  1792;  Paroles  de  M.  Paris  de 
l'Oratoire,  Musique  de  M.  Bonési,  qui  a  mis  en  musique 
Amasis,  Opéra  posthume  de  la  Dixmerie. 

Nous  nous  bornerons  à  reproduire  quelques  notes  qui  don- 
nent sur  cet  écrivain  des  détails  assez  curieux. 

Auprès  d'un  funeste  cercueil, 
Accablés  de  regrets  et  plongés  dans  le  deuil , 
Nos  cœurs  redemandoient  un  philosophe  aimable  ; 

Quand  tout-à-coup  le  Dieu  du  sort 
Appelle  avec  bonté  cette  ombre  vénérable, 
Qui  des  lieux  souterrains,  où  commande  la  mort, 

Touchoit  déjà  le  sombre  bord. 
«  Viens  recevoir,  dit-il,  ta  juste  récompense. 
Par  toi  la  brute  même  a  goûté  le  bonheur  ; 

A  tes  côtés  marchoit  la  bienfaisance, 
Et  tes  écrits,  où  brille  un  talent  enchanteur, 
S'embellissoient  des  vertus  de  ton  cœur. 

Tu  croyois  voir  partout  la  nature  féconde 
Des  mêmes  élémens  recréant  l'Univers  , 
Et  les  mêmes  acteurs,  dans  des  rôles  divers , 
Paroissant  tour-à-  tour  sur  la  scène  du  monde  ; 
Eh  bien  !  en  ta  faveur,  je  suspendrai  mes  loix. 
De  sincères  amis  s'affligent  de  ta  perte  ; 
Vers  la  clarté  des  cieux  la  route  t'est  ouverte, 
Et  d'un  état  nouveau  je  te  laisse  le  choix, 
Si  tu  veux  vivre  encor  une  seconde  fois.  » 

Mes  amis,  essuyons  nos  larmes, 
Il  triomphe  du  trépas; 
Et  bientôt  nous  pourrons,  ô  moment  plein  de  charmes! 
Le  presser  dans  nos  bras. 

Le  sage  va  parler:  écoutons  en  silence. 

«  Dieu  puissant,  répond-il,  qui  tiens  dans  ta  balance 


NEU 


«  Les  destins  des  mortels, 
«  Daigne  entendre  la  voix  de  ma  reconnoissance, 

«  Et  mes  vœux  solennels. 
«  De  tout  pénible  soin,  libre  et  débarrassée, 

«  Mon  âme,  au  séjour  des  vivans, 
«  Dans  l'avenir  caché  sous  les  voiles  du  tems, 

«  N'égara  jamais  sa  pensée. 
«  Pour  charmer  mes  loisirs,  il  est  vrai  qu'une  fois 
«  J'empruntai  les  accens  d'une  antique  Sibyle, 

«  Mais  le  tems  a  trahi  ses  oracles  gaulois. 

«  Et  dans  sa  réforme  utile, 
«  La  France  à  mes  desseins  se  montre  peu  docile. 
i  Je  connois  le  respect  que  Ton  doit  à  tes  loix, 

«  Et  les  dangers  d'un  premier  choix. 
«  Long-tems  encor  j'eusse  vécu  sans  peine, 

«  Si  tes  décrets  l'eussent  permis. 
«  Mais  que  j'aille  à  la  race  humaine 

«  Présenter  un  second  Eumène, 
«  Et  de  ces  jours  tissus  de  plaisirs  et  d'ennuis. 
«  Parcourir  de  nouveau  la  carrière  incertaine, 

«  O  Dieu  du  sort,  je  ne  le  puis. 
«.  Tout  changement  m'effraie,  et  je  reste  où  je  suis  [i] 

«  La  gloire  est  un  vain  nom,  la  fortune  est  volage, 

«  Le  dégoût  poursuit  les  plaisirs. 
«  Quel  objet  maintenant  peut  flatter  mes  désirs  ? 
«  Ah!  la  mort  seule  est  le  bonheur  du  sage. 

«  J'eus  des  amis  généreux  et  constans; 
«  Comme  des  heures  fortunées, 
«  Auprès  d'eux  couloient  mes  années; 
«  Mais  ils  viendront,  je  les  attends  (2). 


(1)  Il  arriva  plusieurs  fois  à  La  Dixmerie  d'aller  pour  dîner  chez  un  ami, 
et  ne  pouvant  se  résoudre  à  se  déplacer,  mettant  les  heures  au  bout  des 
heures,  et  les  jours  au  bout  des  jours,  il  y  restoit  des  mois,  et  même  des 
années  entières,  pour  ainsi  dire,  sans  s'en  appercevoir. 

(2)  La  Dixmerie  et  Saint-Foix  allant  à  l'Opéra,  un  jour  de  grand  spec- 


92  NEU 


«  Adieu:  je  vais,  de  ce  sombre  rivage 
«  Ecouter  les  beaux  esprits. 
«  Je  veux  savoir  enfin,  s'ils  tiennent  le  langage 
«  Que  jadis  à  mon  gré  leur  prêtoient  mes  écrits.  » 

Sur  les  ailes  de  l'espérance 
Nous  voyons  tous  le  bonheur  s'envoler. 
Et  !  qui  pourra  nous  consoler 
De  cette  éternelle  absence? 

Aux  vifs  regrets  de  l'amitié, 
Dieu  du  sort,  tu  parus  sensible. 
Non,  non,  tu  n'es  pas  inflexible, 
Jette  sur  nous  un  regard  de  pitié. 

Sur  les  ailes  de  l'espérance 
Nous  voyons  tous  le  bonheur  s'envoler, 
Et!  qui  pourra  nous  consoler 
De  cette  éternelle  absence?  . 

Le  Dieu  du  sort  fait  entendre  sa  voix. 

Et  des  arts  le  puissant  génie 
Court  du  maître  du  monde  exécuter  les  loix. 
Le  marbre  obéissant  s'amollit  sous  ses  doigts. 
Quelle  merveille!  ô  ciel!  c'est  toi,  la  Dixmerie  ; 

C'est  notre  ami  que  je  revois; 
Ses  vertus,  ses  talens,  tout  y  vit  à  la  fois. 

Dieu  des  arts,  c'est  toi  qui  soulages 
Notre  douleur  et  nos  regrets; 
Tu  répares  les  outrages 
Que  la  main  du  temps  nous  a  faits. 
Par  toi,  les  héros  ni  les  sages 
Tout  entiers,  sous  ses  coups,  ne  périssent  jamais. 

tacle,  se  promirent,  si  la  foule  les  séparoit,  de  se  rejoindre  au  parterre.  Le 
spectacle  fini,  et  les  lumières  éteintes,  Saint-Foix  n'avoit  pas  encore  paru 
et  La  Dixmerie  restoit  tranquillement  debout  au  milieu  du  parterre.  Trois 
quarts-d'heure  après  vient  un  garçon  de  théâtre,  qui,  tout  étonné,  lui  de- 
mande ce  qu'il  fait  là  :  — j'attends  M.  de  Saint-Foix. 


NOE  93 


Pour  les  montrer  à  tous  les  âges, 
Tu  sais  tromper  la  mort  et  lui  ravir  leurs  traits. 
Leur  gloire  vit  dans  leurs  ouvrages; 
Mais  tu  peux  seul,  à  nos  yeux  satisfaits, 
Conserver  leurs  douces  images, 

Dieu  des  arts ,  c'est  toi  qui  soulages 
Notre  douleur  e$  nos  regrets  : 
Tu  répares  les  outrages 
Que  la  main  du  tems  nous  a  faits. 
Par  toi,  les  héros  ni  les  sages 
Tout  entiers,  sous  ses  coups,  ne  périssent  jamais. 

NIGAUDS  (Coterie  des).  Dans  le  huitième  discours  du 
Spectateur,  l'auteur  parle  de  la  Coterie  des  Nigauds,  dont  lui, 
indigne,  a  été  autrefois  membre  et  qui  était  composée  de  fort 
honnêtes  gens,  d'un  naturel  paisible,  qui  demeuraient  assis  les 
uns  auprès  des  autres,  et  fumaient  leur  pipe  sans  dire  un  mot 
jusqu'à  minuit. 

NOACHITES  (Ordre  des),  ou  Chevaliers  Prussiens.  Le 
sieur  de  Saint-Gelaire  introduisit  cet  ordre  à  Paris  en  1757;  il 
fonda  en  1758  un  chapitre  dit  des  Empereurs  d'Orient  et  d'Oc- 
cident, dont  les  membres  portaient  le  titre  fastueux  de  Souve- 
rains princes  maçons.  Cette  association  tenant  de  près  ou  de 
loin  aux  loges  maçonniques,-  nous  ne  nous  en  occupons  pas. 

NOE  (l'Ordre  de).  Les  lauriers  de  MM.  de  Posquières  et 
Morgier,  fondateurs  de  Y  Ordre  de  la  Boisson,  et  de  M.  de  Vi- 
bray,  instituteur  de  celui  de  la  Méduse,  empêchèrent  plusieurs 
personnes  de  dormir.  Les  enfants  sont  imitateurs,  et  il  y  a  beau- 
coup d'hommes  qui  sont  de  grands  enfants  à  cet  égard.  M.  P.- 
L.  Voisin  n'eut  de  repos,  à  la  suite  des  succès  des  nouvelles  so- 
ciétés bachiques,  qu'autant  que  lui  aussi  eut  jeté  les  bases  d'une 
réunion  buvante  et  absorbante,  et  il  en  dressa  les  lois,  et  les 
statuts.  Pour  que  la  société  fut  au  moins  la  première  par  l'an- 


94  NŒU 


cienneté  de  son  nom ,  il  remonta  jusqu'au  déluge  et  il  la  mit 
sous  l'invocation  de  Noë ,  le  premier  planteur  de  la  vigne,  et  le 
premier  aussi  qui  ressentit  les  effets  des  fumées  du  vin.  L'insti- 
tution de  l'Ordre  de  Noë  eut  lieu  le  25  Juin  1732,  et  Ton  dési- 
gna de  suite  les  dignitaires  de  l'Ordre^  qui  empruntèrent  leurs 
titres  à  la  nomenclature  de  ceux  des  Etats  souverains.  Ainsi  il 
y  avait  un  grand-commandeur,  un  grand-écuyer,  un  secrétaire 
d'Etat  de  Noë  ;  la  durée  du  commandement  du  chef  de  l'ordre 
était  qualifiée  de  règne;  les  dignitaires  se  donnaient  le  titre  de 
Seigneur;  les  sociétaires  s'appelaient  frères-chevaliers. 

Le  but  de  la  société  était  de  se  réunir  pour  boire  en  suivant 
certaines  formalités.  En  1754  l'Ordre  durait  encore;  outre  son 
auteur  et  fondateur,  le  frère  P.-L.  Voisin,  les  personnages  les 
plus  marquants  de  l'Ordre  furent  frère  Claude  Pézé  et  Joseph 
Lemoine_,  parles  soins  desquels  il  est  resté  quelques  documents 
manuscrits  formant  les  annales  de  cet  ordre  de  buveurs ^  dont  la 
nomenclature  est  aussi  prétentieuse  que  les  titres  des  dignitai- 
res. Ces  manuscrits  sont  intitulés:  i°  Institutions  académiques 
des  sciences  et  beaux-arts ,  annales  de  V ordre  immortel  et  res- 
pectable du  bon  père  et  patriarche  Noé,  du  25  juin  17  32,  par  le 
frère  P.-L.  Voisin }  fondateur  des  lois  et  statuts  qui  sont  ob- 
servés parles  seigneurs,  frères  chevaliers ,  et  transcrits  au 
commencement  du  règne  de  frère  Claude  Pe\é,  par  Joseph 
Lemoyne,  grand-commandeur ,  grand-écuyer  et  secrétaire 
d'Etat.  In-8j  beau  manuscrit  avec  titres  et  sommaires  en  rouge. 
(Catalogue  Lerouge,  n°  526.)  —  20  Loix  et  règlements  de  V Or- 
dre de  Noé,  suivis  de  l'Etat  de  l'Ordre,  contenant  les  noms, 
surnoms,  qualités  et  demeures  des  chevaliers.  (Vers  1754),  pet. 
in-12  manuscrit.  (Catalogue  Leber,  n°  2635.) 

NŒUD  (Ordre  du)  ou  Saint-Esprit  au  droit  désir.  Il  existe 
un  livre  devenu  rare:  Mémoire  pour  servir  à  l'histoire  de 
France  du  XIVe  siècle,  contenant  les  statuts  de  l'Ordre  du 
Saint-Esprit  au  droit  désir ,  ou  du  Nœud,  institué  à  Naples  en 
i352,  et  renouvelé  en  1579 ,-  parLefebvre.  Paris,  De  Bure, 


NOS  95 

1764,  in-8.(Un  exemplaire  figure  au  catalogue  Leber ,  6426.^ 
(Voy.  Schoonebeek,  2me  part,  page  196.) 

Louis  d'Anjou,  dit  de  Tarente,  roi  de  Naples,  second  mari  de 
la  reine  Jeanne,  institua  cet  Ordre  en  l'honneur  de  son  couron- 
nement comme  roi  de  Jérusalem  et'  de  Sicile.  Le  nombre  des 
chevaliers,  d'abord  fixé  à  60,  fut  ensuite  porté  à  3oo. 

Les  chevaliers  qui,  à  nombre  pareil  et  à  forces  égales,  avaient 
attaqué  les  premiers  et  étaient  restés  vainqueurs,  ou  ceux  qui 
avaient  fait  prisonnier  le  chef  des  ennemis,  avaient  délié  le 
Nœud.  C'était  un  Ordre  militaire,  mais  avec  des  formes  bizarres 
et  presque  burlesques.  Les  Ordres  de  chevalerie  étaient  rares 
alors,  peu  connus  en  Italie;  ce  qui  a  donné  un  air  d'excentricité 
à  celui-ci. 

Les  chevaliers  portaient,  les  uns  disent  sur  la  poitrine,  d'au- 
tres croient  autour  du  bras  droit,  un  nœud,  ou  cordon  de  soie 
pourpre  et  or;  sur  le  nœud  on  lisait  les  mots:  Le  Dieu  plaît. 
Le  roi  plaçait  ce  cordon  aux  chevaliers.  Lorsqu'un  chevalier 
avait  fait  preuve  de  valeur,  il  portait  le  nœud  délié;  il  le  re- 
nouait quand  il  entreprenait  un  second  acte  de  bravoure. 

Cet  Ordre  disparut  dans  les  désordres  et  les  révolutions  qui 
arrivèrent  à  Naples  après  la  mort  de  Louis  deTarente,  en  1369. 
Mais  on  le  restaura  en  1579,  comme  on  le  voit  par  l'ouvrage  ci- 
dessus  indiqué  qui  nous  a  conservé  l'histoire  et  les  statuts  de 
cette  association. 

C'est,  à  ce  que  l'on  croit,  le  plus  ancien  Ordre  de  chevalerie  de 
l'Italie;  le  prince  de  Tarente,  frère  aîné  du  Roi,  Louis-J^arnabé 
Visconti,  Seigneur  de  Milan,  Louis  San  Severino,  Guillaume 
Del  Balzo,  comte  de  Noïa,  etc.,  furent  créés  chevaliers ,  ainsi 
que  d'autres  qui  s'étaient  distingués  par  leur  bravoure,  et  aux- 
quels on  prescrivit  une  formule  de  serment  et  de  foi  perpétuelle. 
—  Les  chevaliers  portaient,  comme  le  roi,  un  habit  militaire, 
qui  désignait  leur  dignité,  tel  que  l'usage  l'autorisait  alors. 

NOSTRE-DAMË  DE  TOUTE-JOIE  (Confrairie  de)  ou  de 
la  Car  oie  (de  la  danse).  Par  un  mélange  de  piété  et  déplaisirs, 


96  OBS 

ainsi  que  cela  se  pratiquait  au  moyen-âge,  on  greffait  le  profane 
sur  le  sacré,  et  d'une  confrairie  fondée  sous  l'invocation  de  la 
vierge  Marie,  on  faisait  une  société  dansante.  C'est  ainsi  que 
s'organisa  la  confrairie  des  bourgeois  de  Paris ,  sous  le  titre  de 
Nostre-Dame  de  Toute-Jqye,  ou  de  la  Carole.  —  Le  catalogue 
Leber,  n°  562 1,  indique  les  Règlements  de  l'ancienne  con- 
frairie royale  des  bourgeois  de  Paris,  sous  le  titre  de  Nostre- 
Dame  de  Toute-Joie,  vulgairement  dite  de  la  Carole  (de  la 
danse),  érigée  l'an  i3o2. {Sans  lieu  ni  date))  in-8. 

Consultez  aussi  le  Traité  des  confrairies ,  par  Savaron. 
Paris ,  1604,  in-8,  et  le  Calendrier  des  confrairies  de  Paris, 
tant  de  celles  de  dévotion,  où  toutes  personnes  sont  reçues, 
que  de  celles  des  nobles,  communauté^,  marchands,  bourgeois, 
artisans, Paris,  Collet,  1621,  pet.  in-8,  fig. 


BSERVATEURS  DE  LA  FEMME  (Société des). 
:8o2-i8o3.  Comme  nous  puisons  nos  renseigne- 
ments dans  les  livres,  il  doit  arriver  souvent  que 
nous  passons  sous  silence  des  sociétés  intéressantes 
et  bizarres  qui  ont  existé  dans  l'ombre  et  qui  n'ont  pas  laissé  de 
traces  imprimées  de  leur  passage;  comme  aussi,  par  compensa- 
tion, nous  aurons  à  mentionner  des  sociétés  sur  lesquelles  on  a 
composé  des  ouvrages,  mais  qui  réellement  n'ont  eu  d'existence 
que  dans  l'imagination  de  poètes  ou  d'écrivains  facétieux.  Nous 
nous  consolerons  de  cet  inconvénient  lorsque  les  auteurs  auront 
été  bien  servis  par  une  imagination  vive  et  spirituelle  et  que 
leurs  fictions  vaudront  au  moins  la  réalité.  C'est  heureusement 
ce  qui  nous  arrive  à  propos  de  la  Société  des  Observateurs  de 
la  Femme,  créée  par  feu  Lemontey,  de  l'Académie  française  ; 
cette  plaisanterie  lui  fut  suggérée  par  le  titre  bizarre  sous  lequel 


OBS  97 

s'étaient  réunis,  en  1800,  des  savants  et  des  philosophes  distin- 
gués, entr'autres  Cuvier,  Sicard,  etc.,  qui  formaient  la  Société 
des  Observateurs  de  VHomme  se  réunissant  tous  les  mercredis. 
(Voyez  le  Magasin  Encyclopédique  dirigé  par  Millin,  etc.) 
Lemontey  feignit  qu'une  association  pour  observer  la  femme 
s'était  organisée  dans  une  ville  qu'on  ne  nomme  pas,  que  ses 
membres  portaient,  pour  se  reconnaître,  un  œil  en  médaillon, 
attaché  sur  le  cœur  à  un  cordon  de  cheveux.  Il  fit  paraître  un 
petit  livret  sous  le  titre  suivant  :  Récit  exact  de  ce  qui  s  est 
passé  à  la  séance  des  Observateurs  de  la  Femme,  le  mardi  2 
novembre  1802,  par  l'auteur  de  Raison,  Folie,  etc.  (M.  Lemon- 
tey), Paris,  Déterville,  an  XT(i8o3),  in- 18. 

Le  prétendu  narrateur  de  cette  séance  est  M.  Philogyne;  les 
membres  principaux  sont  MM.  Louviers,  le  marquis  de  Korn- 
longen,  l'abbé  Satin;  les  correspondants  sont  MM.  Leone,  le 
marquis  Cavalconi,  Prudent,  avocat  des  dames,  de  Lavie,  Qua- 
trézé,  Hangman;  les  autres  membres  (commissaires)  se  nom- 
ment MM.  Blondin,  Coxcomb,  Molina,  Stanislas  Crépékirki, 
Fiorelles,  Voïant,  Altâtinget  dom  Pudico.  Il  est  inutile  d'ajou- 
ter que  tous  ces  noms  sont  de  pure  imagination,  comme  le  reste. 

La  salle  des  séances  de  cette  société  avait  été  décorée,  par  son 
inventeur,  des  bustes  de  Thomas,  Rousseau  et  Diderot,  trois 
philosophes  qui  se  sont  livrés,  au  sujet  de  la  femme,  à  de  pro- 
fondes méditations.  Le  premier  était  sculpté  en  plâtre  vernis,  le 
second  en  bronze  doré,  et  le  troisième  en  lave  brute;  on  y  avait 
ajouté  deux  figurines,  savoir  :  l'abbé  Galiani  (1),  en  rocaille_,et 
madame***  en  pain  d'épice.  Tous  les  auditeurs  étaient  des  vieil- 
lards ou  des  jeunes  gens;  la  physionomie  des  premiers  respirait 
l'indulgence  et  l'urbanité,  les  seconds  avaient  l'air  dur,  hautain 
et  impoli.  C'était  déjà  l'époque  où  la  prudente  et  sage  vieillesse 
entendait  mieux  les  règles  de  la  civilité  que  la  superbe  jeunesse. 
En  examinant  de  près,  on  découvrait  que  les  hommes  âgés 

(1)  Spirituel  Napolitain,  contrefait  comme  Esope,  plein  de  verve  et  de  feu, 
très-épris  du  beau  sexe.  La  Bibliothèque  universelle  lui  a  consacré  un  curieux 
aiticle  sorti  de  la  plume  de  Ginguené. 

7 


98 


OBS 


étaient  bien  moins  chargés  d'années  que  poussés  par  l'ardeur  du 
travail  vers  une  décadence  prématurée;  et,  comme  on  sait  qu'il 
est  très-commun  de  voir  les  astronomes  atteindre  avec  vigueur 
les  bornes  les  plus  reculées  de  la  vie  humaine,  on  doit  en 
conclure  qu'il  est  moins  favorable  à  la  longévité  d'observer  les 
femmes  que  les  astres. 

L'ouvrage  à  l'aide  duquel  Lemontey  nous  a  si  spirituellement 
révélé  les  mystères  de  la  Société  des  Observateurs  delà  Femme 
a  été  réimprimé,  avec  quelques  additions,  dans  la  troisième  édi- 
tion de  son  livre  charmant  intitulé.  :  Raison,  Folie,  petit  cours 
de  morale  mis  à  la  portée  des  Vieux  Enfans.  Paris,  Déter- 
ville,  1816,  in-8°,  tome  II,  où  il  occupe  les  pages  1-104.  Il  se 
retrouve  aussi  dans  les  Œuvres  de  Lemontey  (Paris,  1829,  5 
vol.in-8°),  tome  II,  p.  1-97.  Nous  emprunterons  quelques  traits 
à  ce  compte-rendu  spirituel  d'une  séance  de  cette  société  fantas- 
tique : 

Le  marquis  de  Kornlongen  lit  une  dissertation  sur  le  mariage 
des  courtisanes. 

L'abbé  Satin  récite  un  hymne  de  sa  composition  à  la  louange 
des  yueux. 

M.  Prudent,  jurisconsulte  parisien,  à  qui  beaucoup  de  pro- 
bité procure  beaucoup  de  loisir,  fait  hommage  d'un  livre  de  sa 
composition  intitulé  :  Y  Avocat  des  Dames,  ou  Avis  aux  Fem- 
mes pour  la  conservation  de  leurs  droits  en  qualité  de  Filles, 
d'épouses,  de  mères  et  de  veuves,  avec  cette  épitaphe  :  «  La 
beauté  passe,  la  pauvreté  reste.  » 

La  société  a  reçu  du  docteur  Palpard,  médecin  à  Montpellier, 
une  dissertation  qui  tend  à  prouver  que  le  sentiment  de  la  pu- 
deur est  beaucoup  plus  naturel  et  plus  constant  chez  l'homme 
que  chez  la  femme  ;  l'auteur  cite  à  l'appui  de  ses  opinions  les 
faits  que  lui  a  fournis  une  expérience  de  cinquante  années,  mais 
on  ne  saurait  analyser  un  travail  écrit  avec  une  naïveté  telle- 
ment positive  qu'elle  épouvante. 

La  société  avait  mis  diverses  questions  au  concours  : 

«  Y  a-t-il  une  tête  de  l'un  ou  de  l'autre  sexe  que  l'amour  n'ait 


OLT  99 

«  pu  ou  ne  puisse  rendre  folle  ?  >  Il  a  été  reçu  vingt-trois  dis- 
cours, tous  pour  la  négative. 

«  L'art  de  la  toilette  est-il  parvenu,  sous  le  méridien  de  Pa- 
«  ris,  à  son  plus  haut  degré  de  perfection,  et  va-t-il  maintenant 
a  subir  le  sort  de  toutes  les  choses  humaines  qui  dégénèrent 
«  quand  leur  développement  est  achevé  ?  »  Seize  mémoires  ont 
été  reçus;  quinze  s'accordent  à  dire  que  la  toilette  a  épuisé  en 
France  les  ressources  du  génie;  le  seizième,  œuvre  d'un  esprit 
original  et  indépendant,  affirme  que  la  chose  que  les  Européens 
appellent  toilette,  n'est,  même  à  Paris  et  à  Londres,  qu'un  art 
dans  l'enfance,  une  grossière  ébauche  abandonnée  à  elle-même. 

En  proposant  son  troisième  prix  :  Apologie  de  l'esclavage  des 
Femmes,  la  société  s'était  flattée  que  l'invitation  odieuse  qu'elle 
feignait  d'adresser  ne  séduirait  personne,  mais  elle  s'était  bien 
trompée.  Quatre  cent  soixante-huit  discours,  presque  tous  re- 
marquables par  une  dialectique  nerveuse  et  une  vive  éloquence, 
ont  apporté  la  triste  preuve  que  le  despotisme  est  universel  dans 
le  cœur  de  l'homme.  Prise  dans  le  piège  qu'elle  avait  tendu,  la 
société  a  cherché  le  moyen  de  réparer  le  mal  qu'elle  avait  causé. 
Elle  a  pris  le  parti  de  couronner  le  plus  inepte  des  concurrents. 
Heureusement,  il  s'est  trouvé  un  discours  côté  sous  le  n°  3n, 
où  l'abjection  du  style  égale  l'absurdité  du  raisonnement,  et 
dont  l'auteur  paraît  tellement  sot  qu'on  a  de  la  peine  à  le  croire 
tout  à  fait  pervers;  la  société  a  donc  couronné  la  plus  méprisable 
des  rapsodies  du  concours,  et  elle  a  la  franchise  d'en  convenir 
contre  l'usage  héréditaire  des  sociétés  rémunératrices.  L'auteur 
a  reçu  une  chaîne  d'or;  il  se  nomme  Dominique  Hanger  (pen- 
deur),  planteur  à  la  Jamaïque. 

OLTEN  (Société  d').  Détails  sur  la  Société  d'OIten,  avec 
Cette  épigraphe  :  Quod  genus  hoc  hominum}  Quove  hune  tant 
barbara  morem  permittit  patria?  Virg.  Aeneid.  lib.  I  (par 
Hérault  de  Sechelles).  Paris,  1790,  in-8°de  38  pages,  tiré  à  100 
exemplaires  seulement. 

Olten  était  une  petite  ville  de  la  Suisse,  chef-lieu  d'un  bail- 


100 


ORP 


lage  du  canton  de  Soleure.  Nous  n'avons  jamais  rencontré  l'écrit 
en  question,  de  sorte  que  nous  ignorons  de  quelle  société  il 
s'agit. 

OLYMPIQUE  (Société).  Espèce  de  loge  maçonnique  de 
Paris,  sur  laquelle  Lerouge  possédait  deux  pièces  originales. 
(Catalogue,  n°  3i8.) 

La  Société  Olympique  paraît  avoir  été  établie  à  Paris  en 
1785  ou  1786.  Au  mois  d'août  1787,  le  lieutenant  de  police 
ordonna  la  fermeture  de  cette. société  et  de  plusieurs  autres 
clubs  du  même  genre.  Au  mois  d'octobre  suivant,  la  Société 
Olympique  ayant  pu  prouver  qu'elle  ne  s'occupait  que  de  fran- 
che-maçonnerie, fut  autorisée  à  continuer  ses  réunions.  Il  faut 
donc  la  ranger  parmi  les  sociétés  maçonniques  de  la  capitale. 

ORPHÉE  (Les  frères  d').  Cette  société  portait  aussi  le  nom 
des  Frères  de  VUnion-,  ils  s'assemblèrent  dans  la  première 
moitié  du  siècle  dernier  dans  un  but  artistique.  On  ne  devait  se 
réunir  que  pour  faire  de  la  musique,  et  l'on  s'était  engagé  à 
commencer  par  dîner  ensemble  et  finir  par  s'occuper  de  beaux- 
arts;  mais  un  doux  engagement  mène  souvent  plus  loin  qu'on 
ne  pense;  quand  nos  musiciens  se  trouvèrent  inter pecula3  ils 
s'y  sentirent  si  bien  qu'ils  y  restèrent,  et  les  instruments  qu'on 
avait  apportés  ne  sortaient  pas  de  leurs  étuis.  Si  bien  que  tout 
le  concert  se  passait  en  chocs  de  verres  et  de  bouteilles.  On  se 
retirait  comme  on  était  entré,  à  la  raison  près,  qu'on  laissait 
trop  souvent  au  fond  des  coupes.  Cet  Ordre  tomba  donc  dans  le 
néant,  de  1740  à  1745. 

Sur  ses  ruines  s'éleva  l'Ordre  des  Frères  d'Apollon  ,•  ceux-ci 
commencèrent  par  faire  de  la  musique  et  par  dîner  ensuite; 
c'était  le  plus  sûr  moyen  d'avoir  un  concert  exécuté  d'une  façon 
sérieuse.  Ils  ont  eu  quelques  années  d'existence  de  plus  que 
leurs  prédécesseurs. 

Avant  les  Frères  de  l'Union  il  y  avait  V Ordre  d'Orphée,  ba- 
chique et  musical,  institué  le  i«  avril  1705,  par  sept  musiciens 


PAI  101 

célèbres  du  temps  parmi  lesquels  on  comptait  Duché  de  Le 
Verrier,  Philidor,  et  La  Montagne.  Ces  sept  fondateurs  se 
distinguaient  par  des  surnoms  qu'ils  avaient  adoptés  et  sous 
lesquels  ils  étaient  connus  dans  l'Ordre  ;  ils  en  ajoutaient  le 
titre  à  leur  nom;  ces  appellations  avaient  été  choisies  :  savant, 
harmonieux,  bon  accord,  mélodieux,  du  Parnasse,  gracieux  et 
nécessaire;  le  fameux  Philidor  avait  le  surnom  du  Parnasse,  et 
le  secrétaire  de  l'Ordre  celui  de  frère  Nécessaire.  Le  premier 
grand-maître  fut  Henri-Félix  Duché  de  Le  Verrier. 

Les  frères  et  les  chevaliers  se  réunirent  d'abord  trois  fois  par 
semaine;  mais  bientôt  ils  trouvèrent  cette  obligation  trop  lourde 
et  trop  difficile  à  remplir;  ils  ne  se  réunirent  plus  que  tous  les 
mercredis.  Dans  leur  réunion  ils  étaient  coiffés  d'un  bonnet  rose 
avec  une  bordure  violette,  et  portaient  au  bras  un  bracelet. 
Leurs  statuts,  que  l'on  a  conservés,  en  manuscrit,  signés  des 
noms  et  surnoms  des  sept  fondateurs,  étaient  assez  sévères  pour 
des  artistes  musiciens.  Il  y  était  défendu  d'être  envieux  les  uns 
des  autres,  de  se  vouloir  du  mal  et  de  ne  pas  se  rendre  mutuelle- 
ment justice.  Il  y  était  expressément  prohibé  de  boire  jusqu'à 
perdre  la  raison.  Tout  cela  était  bien,  mais  cela  ne  dura  pas 
long-temps;  on  perdit  bientôt  la  trace  de  cette  institution  bachi- 
que et  musicale. 


fl  AILLE  (L'ordre  de  la).  i652.  V  Ordre  delà  Paille 
paraît  avoir  été  une  sorte  d'association  créée  pendant 
la  Fronde  par  des  antagonistes  du  cardinal  Mazarin 
qui  voulaient  avoir  un  moyen  de  se  reconnaître  en- 
tr'eux. 

Les  chevaliers  de  la  Paille  sont  plusieurs  fois  cités  dans  les 
Ma^arinades. 


102 


PAI 


Il  existe  une  brochure  (voyez  n°  2623  de  la  Bibliographie  des 
Ma\arinades ,  par  C.  Moreau.  Paris  y  1850,  tom.  II,  p.  3 10),  qui 
porte  le  titre  suivant  : 

V  Ordre  de  la  Paille,  institué  pour  combattre  les  Ma^arins, 
avec  VAvis  pour  faire  sortir  présentement  des  prisons  ceux 
qui  y  sont  détenus  pour  quoi  que  ce  soit.  PariSjSimon-le-Pas- 
teur,  i652,  7  pages in-40. 

L'auteur  nous  apprend  que  le  prince  de  Condé  donna  pour 
signe  de  reconnaissance  à  son  armée,  dans  les  journées  de  Phi- 
lipsbourg  et  de  Lens  «  de  tirer  un  peu  de  chemise  hors  des 
chausses.  »  Au  combat  de  la  porte  Saint-Antoine,  il  donna  de 
la  paille  aux  Allemands  d'abord,  puis  à  toutes  ses  troupes. 

Ce  pamphlet  n'est  pas  commun. 

Le  Mercure  de  la  Cour,  ou  les  Conférences  secrètes  du  car- 
dinal Ma\arin  avec  ses  Conseillers  et  Confidents  pour  venir  à 
bout  de  ses  entreprises,  dédié  aux  Parisiens,  avec  cette  épita- 
phe  :  e:  Nolite  fieri  sicut  equus  et  mulus,  quibus  non  est  intel- 
lectus.  »  {Paris,  1 65 2,  in-40),  est  divisé  en  cinq  parties.  On  ne 
croit  pas  qu'il  y  en  ait  eu  davantage;  la  4e  partie,  qui  a  3 1  pages, 
contient  deux  pièces  de  vers  assez  médiocres  intitulées,  savoir  : 
Y  Ordonnance  de  la  Fronde  pour  prendre  la  paille,  et  les  Sta- 
tuts des  Chevaliers  de  la  Paille.  L'auteur  est  de  la  Fronde  des 
princes.  Dans  cette  dernière  pièce,  il  ordonne  de  croire 

«  Que  le  coadjuteur  qui  lorgne 

4  Pour  être  ministre  d'Etat,  » 

c  Aussi  bien  que  Servien-le-borgne  (1) 

<  Est  de  la  Fronde  un  apostat.  » 

Le  chapeau  du  coadjuteur  est  mazarin,  dit-il,  et  sa  mître  est 
frondeuse. 

Ces  deux  pièces  de  vers  ont  été  reproduites  par  Sautereau  de 
Marsy,  dans  son  Nouveau  Siècle  de  Louis  XIV 3  pages  353  et 
358. 

(i)  Abel  Servien,  qui  signa  la  paix  de  Munster,  comme  plénipotentiaire  de 
la  France  ;  nommé,  en  i653,  surintendant  des  finances,  il  mourut  en  1659. 


PAI  io3 

UOrdre  du  Papier  était  le  contraire  de  VOrdre  de  la  Paille, 
ou  bien  l'un  était  sorti  de  l'autre.  (Voyez  les  Mémoires  du  P. 
Berthod  (introduction),  tom.  XLVIII  de  la  Collection  de  Mé- 
moires depuis  Vavènement  de  Henri  IV  jusqu'à  la  paix  de 
1763,  publiée  par  MM.  Petitot  et  Monmerqué,  1820-29,  79  vol. 
in-8°. 

Citons  aussi  le  grand  dialogue  de  la  Feuille  et  du  Papier, 
contenant  ce  qui  peut  se  dire  de  plus  considérable  sur  ces  deux 
sujets,  avec  leurs  raisonnements  sur  les  affaires  d'Etat,  le  tout 
en  style  vulgaire.  Première  partie.»  (S.  /.,  i652),  26  pp.  (Ya-t-il 
une  2e  partie  ?) 

U Apothéose  de  la  Paille,  prise  par  les  Dieux  et  les  Déesses 
en  faveur  de  messieurs  les  Princes ,  et  V Abjection  du  Papier, 
pris  par  Priape,  les  Sylvains,  Faunes  et  Satyres-,  Galanterie 
ou  Caprice.  Paris 3  Jean  Brunet,  16S2,  8  pages. 

Le  Bouquet  de  Mademoiselle;  la  Paille  y  est  préférée  à  toutes 
les  fleurs.  (N°  56  du  Supp.  de  la  Bibliogr.  des  Ma\arinades.) 

Caquet  de  la  Paille  (s.  /.),  i652,  8  pages,  contre  le  duc  d'Or- 
léans, qui  est  fort  maltraité. 

Louanges  de  la  Paille,  dédiées  à  M.  le  duc  de  Beaufort.  Pa- 
ris, J.  du  Crocq,  16S2,  8  p.,  épître  signée  D.N. , 

Triolets  sur  la  mode  de  la  Paille  qui  court.  Paris,  Nicolas 
Lorrain,  i652,  7  p. 

Le  Triomphe  de  la  Paille  sur  le  Papier  sortant  du  Palais- 
Royal,  avec  le  Pour  et  le  Contre  de  Vun  et  de  Vautre.  (S.  /., 
i652)  8  pages.  Rare. 

PAINOLO  (Congrega  del).  Ce  mot  signifie  la  Société  du 
Chaudron;  c'était  une  réunion  d'artistes  qui  s'assemblaient  à 
jour  fixe  à  Florence,  dans  la  première  moitié  du  XVIe  siècle, 
afin  de  rire,  chanter,  discuter  des  questions  artistiques  et  se 
livrer  aux  joies  de  la  bonne  chère.  Vasari,  dans  ses  Vite  dei 
Pittori  a  conservé  la  mémoire  d'un  plat  que  le  célèbre  Andréa 
del  Sarto  prépara  un  jour  pour  le  souper  des  membres  de  la  So- 
ciété du  Chaudron;  c'était  un  temple  octogone,  formé  de  co- 


io4  PAP 

lonnes  faites  de  saucisses;  leurs  chapiteaux  et  leurs  piédestaux 
étaient  confectionnés  avec  ce  fromage  parmesan  qui  est  le  prin- 
cipal ingrédient  du  macaroni.  D'autres  parties  de  l'édifice  étaient 
en  sucre  ou  en  massepain  (marçapano).  Le  pavé  était  formé  de 
petits  morceaux  de  galantine  de  diverses  couleurs,  imitant  la 
mosaïque.  L'édifice  provoqua  une  admiration  générale;  son  ar- 
chitecte donna  ensuite  le  signal  de  la  démolition,  et  les  débris 
disparurent  dans  l'estomac  des  convives. 

PALLADIUM  (Société  du),  ou  les  Compagnes  de  Péné- 
lope, espèce  de  franc-maçonnerie  de  femmes  fondée  pour  exci- 
ter à  la  vertu  et  à  la  sagesse.  Il  existe  un  catéchisme  pour  ensei- 
gner le  rit  de  cet  Ordre,  et  des  cahiers  de  réception  des  deux 
grades  d'apprentie  et  de  compagnone.  Les  Compagnes  de  Pé- 
nélope, ou  le  Palladium  des  Femmes,  ont  dû  être  réformées 
par  le  frère  Guillaume,  fameux  maçon,  qui  s'occupait  beaucoup 
de  sociétés  secrètes.  Il  existait  chez  M.  Lerouge,  n°  5 20  de  son 
catalogue,  un  ms.  in-40  avec  fig.  intitulé  :  Société  du  Palla- 
dium. Précis  historique: Instruction ,•  Grades;  Adelphes,  Com- 
pagnons d'Ulysse.  Ces  derniers  noms  désignaient  sans  doute  les 
personnages  qui  voulaient  faire  fléchir  la  vertu  des  femmes.  Le 
règlement,  composé  de  61  articles,  est  daté  de  Lutèce,  le  20  mai 

PAPILLONNAGE  (L'Ordre  du).  Cet  Ordre  n'a  jamais  existé 
que  dans  l'imagination  fort  légère  de  l'auteur  d'un  pamphlet 
mis  au  jour  en  1742,  et  mentionnant  comme  formant  la  biblio- 
thèque d'un  petit-maître,  V Encyclopédie  perruquière ,  en 
7,3oo  cahiers,  les  Statuts  et  Règlements  de  l'Ordre  élégan- 
tissime  du  Papillonnage ,par  l'urbanisme  Zephirofolet,  100  vo- 
lumes in-fol. 

Si  V  Ordre  du  Papillonnage  est  fictif,  Y  Encyclopédie  perru- 
quière ne  l'est  pas;  nous  avons  le  petit  traité  portant  le  titre 
ainsi  libellé  :  l'Enciclopédie  perruquière,  ouvrage  curieux  à 
l'usage  de  toutes  sortes  de  têtes,  enrichi  de  figures  en  taille- 


PAR  io5 

douce,  par  M.  Beaumont,  coëffeur  dans  les  Quinze-  Vingt s, 
avec  cette  épigraphe  :  «  S'en  torche  qui  voudra  les  barbes.  » 
A  Amsterdam  et  se  trouve  à  Paris,  che\  Vauteur,  et  che\ 
Hocher  eau,  libraire,  à  la  descente  du  Pont-Neuf,  au  Phénix, 
ij5j,  in-12  de  3j  pages,  avec  45  têtes  coiffées,  gravées.  Le  vé- 
ritable auteur  de  cette'facétie  est  l'avocat  Jean-Henri  Marchand, 
qui  prit  le  nom  de  Beaumont,  coiffeur  à  la  mode.  Il  adresse  la 
dédicace  de  son  livre  au  perruquier  André,  poète  et  auteur  dra- 
matique (1).  On  a  aussi  de  lui  une  critique  des  coiffures  outrées, 
sous  le  titre  de  :  YEnciclopédie  carcassière,  ou  Tableau  des 
coiffures  à  la  mode  ,  gravées  sur  les  desseins  {sic)  des  petites- 
maîtresses  de  Paris.  Paris,  Hochereau, ij  53 ,  in-8°de44 pages. 
Dans  ce  vol.  on  trouve  la  Fille  dégoûtée,  comédie  en  un  acte  et 
en  prose.  J.-H.  Marchand  est  aussi  l'auteur  de  :  les  Panaches, 
ou  les  Coiffures  à  la  mode,  1778,  pet.  in-8°  de  j5  pages. 

PARFAITE  UNION  (Société  de  la).  Cette  société,  com- 
posée de  14  femmes  dans  son  origine,  et  fondée  à  Meaux  ou  à 
La  Ferté-sous-Jouarre,  a  donné  lieu  à  la  pièce  suivante  : 

De  la  Parfaite  Union 

Je  veux  raconter  l'histoire  , 

Chanter  sa  fondation, 

Ses  dits,  ses  faits  et  sa  gloire, 

Ah!  la  Parfaite  Union 

Court  au  temple  de  mémoire, 

Ah!  la  Parfaite  Union 

N'est  pas  une  fiction. 

(1)  Il  s'agit  du  Tremblement  de  Terre  de  Lisbonne,  tragédie  d'un  sérieux 
burlesque,  mise  sous  le  nom  de  Charles  André,  perruquier  privilégié,  de- 
meurant rue  de  la  Verrerie,  près  la  Grève;  elle  est  généralement  attribuée  à 
l'avocat  Marchand  ;  mais  Laporte,  dans  sa  France  littéraire,  la  donne  à  Paris 
de  Meyzieu  et  à  son  secrétaire  Ducoing.  La  dédicace,  à  Voltaire,  que  le  per- 
ruquier-poète appelle  son  cher  confrère,  est  aussi  singulière  que  le  reste  de 
l'œuvre.  L'auteur  prétendu  annonce  qu'il  a  composé  sa  tragédie  pendant 
deux  nuits  consécutives  où  il  se  trouvait  éveillé  par  ces  sortes  de  gens  qui 
par  leurs  odeurs  sont  capables  dempestiférer  tout  le  genre  humain. 


o6  PAR 


Quatorze  femmes  un  jour 
Lasses  de  garder  silence, 
Prirent  un  commun  séjour 
Pour  jaser  tout  à  l'aisance  ; 
Ah!  la  Parfaite  Union 
En  dit  plus  encor  qu'on  ne  pense, 
Ah  1  la  Parfaite,  etc. 

A  l'heure,  à  l'instant  précis, 
Au  rendez-vous  on  s'assemble; 
On  amuse  le  tapis 
En  parlant  toutes  enBemble. 
Ah  !  la  Parfaite  Union 
Souvent  a  qui  lui  ressemble. 
Ah!  la  Parfaite,  etc. 

Sur  ce  ton  là  volontiers 
La  séance  continue 
Et  pendant  des  jours  entiers 
Le  babil  se  perpétue. 
Ah!  la.  Parfaite  Union 
N'est  point  sujette  à  la  mue. 
Ah  !  la  Parfaite f  etc. 

Deux  secrétaires  choisis 
Rédigent  l'ample  matière  ; 
On  dit  qu'il  en  faudrait  six 
Qui  tous  auraient  fort  à  faire. 
Ah!  la  Parfaite  Union 
Brille  dans  le  commentaire. 
Ah  !  la  Parfaite,  etc. 

Les  rouets  et  les  tricots, 
Illustre  et  solide  ouvrage, 
Soutiennent  les  doux  propos 
De  ce  grave  aréopage. 
Ah!  la  Parfaite  Union 
De  son  temps  sait  faire  usage. 
Ah!  la  Parfaite,  etc. 


PAR  107 


C'est  dans  ce  sage  réduit 
Qu'on  projette  d'ordinaire 
Quelques  courses  pour  la  nuit, 
Quelques  soupers  à  mystère. 
Ah!  la  Parfaite  Union 
Est  par  fois  aventurière. 
Ah  1  la  Parfaite,  etc. 

De  messeigneurs  les  époux 
Qu'aucun  chef  ne  se  malaise  ; 
Ces  courses,  ces  rendez-vous 
Sont  badinage  et  fadaise. 
Ah!  la  Parfaite  Union 
Ne  veut  que  jaser  à  l'aise. 
Ah  !  la  Parfaite,  etc. 

L'autre  jour  un  son  bruyant 

Au  champ  de  Mars  (1)  en  fit  croire; 

Mais  nos  preux  (2)  vont  réclamant 

L'accent  de  leur  territoire. 

Ah!  la  Parfaite  Union 

A  des  rivaux  de  sa  gloire. 

Ah  !  la  Parfaite,  etc. 

Naguères  chez  le  Décan 
On  la  crut  à  même  vitre  ; 
Mais  ce  n'était  qu'un  quanquan 
De  quelques-uns  du  chapitre  : 
Ah  !  la  Parfaite  Union 
Peut  chanter  à  leur  pupitre. 
Ah  !  la  Parfaite,  etc. 

Depuis,  chez  le  Préconteur, 
On  reconnut  son  langage, 
Mais  c'était  l'écho  jaseur     • 
Des  nonnes  du  voisinage. 
Ah  !  .la  Parfaite  Union 
Imite  assez  ce  ramage. 
Ah!  la  Parfaite,  etc. 


(i)  L'arquebuse. 

(2)  Les  chevaliers  de  l'arquebuse. 


io8  PAR 


AUX  ASPIRANTES  A  LA  PARFAITE  UNION.  —  ENVOI. 

Vous  toutes  qui  désirez 
D'entrer  dans  cette  milice, 
Tôt  ou  tard  vous  obtiendrez 
Cet  honneur,  cette  justice  ; 
Ah  !  la  Parfaite  Union 
Vous  réserve  un  bon  caprice  ; 
Ah!  Imparfaite  Union 
N'est  point  une  fiction. 
(Extrait  d'un  Recueil  de  Poésies,  composées  vers  1760,  par 
un  habitant  de  La  Ferté-sous-Jouarre,  manuscrit  in-40.) 

PAROISSE  (La).  —  Nouvelles  à  la  main.  —  Vers  le  milieu 
du  XVIIIe  siècle,  il  existait  à  Paris  une  réunion  de  causeurs  et 
de  nouvellistes  qui  avait  son  centre  chez  Mrae  Doublet  de  Per- 
san, née  Legendre,  femme  aimable,  mais  déjà  d'un  âge  mûr 
puisqu'elle  avait  vu  le  jour  dans  le  siècle  précédent.  Cette  dame, 
entourée  d'une  sorte  de  célébrité  par  son  amour  pour  les  nou- 
velles politiques,  mondaines  ou  littéraires,  et  par  ses  liaisons 
avec  beaucoup  de  gens  de  lettres  et  d'hommes  distingués  dans 
maintes  carrières,  appartenait  à  la  nombreuse  famille  des  Cro- 
zat.  Elle  avait  pour  frère  l'abbé  Legendre,  sur  lequel  Piron,  ami 
de  la  maison,  avait  fait  cette  épigramme  : 

«  Vive  notre  vénérable  abbé  , 
«  Qui  siège  à  table 
«  Mieux  qu'au  jubé  !  » 

Mmc  Doublet,  dont  la  petite  nièce  n'était  rien  moins  que  la 
duchesse  de  Choiseul,  perdit  son  mari,  M.  Doublet  de  Persan, 
intendant  du  commerce,  et  se  trouvant  presque  sans  fortune,  se 
retira  dans  un  appartement  extérieur  du  couvent  des  Filles- 
Saint-Thomas,  où  elle  se  tint  aussi  enfermée  que  si  elle  eut  été 
grillée,  car  elle  n'en  sortit  pas  une  seule  fois  durant  l'espace  de 
quarante  années  qu'elle  y  demeura.  Là,  elle  se  constitua  une 
société  aimable  et  choisie,  composée  de  personnes  distinguées 
par  leur  rang,  par  leur  savoir  ou  leurs  qualités.  On  y  remar- 


PAR 


109 


quait  d'abord  l'abbé  Legendre,  son  frère;  Bachaumont,  le  plus 
ancien  et  le  plus  fidèle  de  ses  amis,  qui  partageait  son  apparte- 
ment; Alexis  Piron,  dont  la  gaîté  était  à  peine  modérée  par  le 
lieu  saint  où  il  était  et  la  présence  d'une  femme  respectable;  les 
abbés  Chauvelin  et  Xaupi,  les  deux  frères  La  Curnede  Sainte- 
Palaye,  dont  l'un  a  jeté  tant  de  jour  sur  nos  antiquités  litté- 
raires nationales_,  alors  que  personne  ne  s'en  occupait,  et  qui, 
nés  jumeaux  et  plus  liés  encore  par  l'amitié  que  par  la  nature, 
vivaient  dans  la  même  habitation  et  dans  la  même  chambre; 
l'antiquaire  de  Foncemagne_,  le  médecin  Falconet,  propriétaire 
d'une  des  plus  considérables  bibliothèques  particulières  de  l'épo- 
que; Mairan,  Mirabaud,  d'Argental,  Voisenon,  abbé  peu  ortho- 
doxe, dans  les  œuvres  duquel  on  lit  des  vers  adressés  à  Mme  Dou- 
blet, âgée  de  92  ans.  Presque  tous  ces  membres  de  la  réunion 
avaient  à  peu  près  le  même  âge,  et  formaient  un  cercle  d'amis 
d'humeur  égale  et  assortie,  qui  se  rassemblaient  chaque  jour, 
dans  le  quartier  le  plus  populeux  de  Paris,  à  la  même  heure, 
dans  le  même  salon,  où  chacun  allait  s'asseoir  sur  le  même  siège 
que  la  veille,  placé  au-dessous  de  son  propre  portrait.  De  sorte 
qu'absent  ou  présent  chacun  d'eux  était  sûr  que  la  maîtresse  du 
lieu  avait  ses  traits  sous  les  yeux.  Cette  singulière  société  prit 
le  nom  de  :  la  Paroisse,  bien  que  pourtant,  comme  on  l'a  fait 
remarquer,  elle  ne  renfermait  pas  dans  son  sein  des  paroissiens 
bien  fervents. 

Tous  les  membres  qui  avaient  parcouru  dans  la  journée  les 
divers  quartiers  de  Paris^  rapportaient  au  foyer  de  la  Paroisse 
le  produit  de  leur  récolte  de  nouvelles;  elles  étaient  débitées  et 
livrées  à  la  discussion  ;  puis,  on  les  inscrivait  sur  deux  registres 
ouverts  sur  un  grand  bureau  placé  au  centre  du  salon.  L'un  de 
ces  registres  recevait  les  faits  douteux;  l'autre  contenait  les  faits 
prouvés,  ou  regardés  tels  par  la  société.  A  la  fin  de  la  semaine, 
on  fesait  des  extraits  des  deux  registres  sur  des  feuilles  volantes 
tenues  par  le  valet-de-chambre,  rédacteur  de  Mmede  Persan,  et 
on  les  livrait  à  la  publicité.  C'était  une  petite  spéculation  dont 
le  secrétaire  tirait  profit.  Telle  fut  l'origine  des  Nouvelles  à  la 


110 


PAR 


main,  espèce  de  journal  publié  à  Paris  et  répandu  dans  les 
provinces  avec  quelque  succès,  à  peu  près  jusqu'à  la  révolu- 
tion. 

C'est  encore  la  réunion  de  la  Paroisse  qui  donna  naissance 
aux  Mémoires  secrets  pour  servir  à  l'Histoire  de  la  républi- 
que des  lettres  en  France,  depuis  M  DCC  LXII,  jusqu'à  nos 
jours,  publiés  plusieurs  fois  en  36  vol.  in- 12  (1).  Bachaumont, 
le  commensal  de  Mrae  Doublet,  en  rédigea  les  quatre  premiers 
volumes  et  la  moitié  du  cinquième.  Pidanzat  de  Mairobert, 
qui  passait  sa  vie  chez  Mme  Doublet,  et  qui  était  bien  aise  qu'on 
le  crut  fils  de  cette  dame  et  de  Bachaumont,  continua  ce  recueil 
après  la  mort  de  ce  dernier,  arrivée  en  1771;  De  Mairobert, 
compromis  dans  les  affaires  de  M.  de  Brunoy,  mourut  lui-même 
en  1779,  en  se  tuant  de  désespoir  chez  un  baigneur  où  il  s'ou- 
vrit la  veine  et  où  il  s'acheva  d'un  coup  de  pistolet.  Il  était  alors 
secrétaire  des  commandements  de  M.  le  duc  de  Chartres  (père 
du  roi  Louis-Philippe),  et  censeur  royal  (2).   Les  Mémoires 


(1)  La  meilleure  édition  est  celle  imprimée  en  gros  caractères.  Il  existe 
aussi  quelques  abrégés  ;  M.  F.  Barrière  en  a  publié  un  dans  la  Bibliothèque 
des  Mémoires  du  XVIIIe  siècle.  (Paris,  Didot,  in- 18).  On  commence  la  mise 
au  jour  d'une  Table  qui  rendra  possible  les  recherches  qu'on  voudrait  faire 
dans  les  36  volumes. 

(2)  Pidanzat  de  Mairobert  était  un  des  plus  infimes  membres  de  la  Pa- 
roisse, sous  le  rapport  de  la  capacité,  de  la  considération  et  de  l'honneur.  Il 
fut  passablement  intrigant,  et  eut  successivement  l'oreille  de  MM.  de  Males- 
herbes,  de  Sartines,  Albert,  Lenoir  et  Le  Camus  de  Néville.  Après  sa  mort, 
un  de  ses  amis,  peut-être  un  paroissien,  lui  fit  cette  épitaphe,  qui  le  caracté- 
rise parfaitement  : 

«  Ci-gît  qui  de  l'honneur  partisan  assidu , 

«  De  ses  sentiers  étroits  s'écarta  par  ivresse, 

«  Mais  qui,  cherchant  la  mort  pour  punir  sa  faiblesse, 

«  En  a  plus  recouvré  qu'il  n'en  avait  perdu.  » 

Parmi  ses  nombreux  ouvrages  on  remarque  divers  écrits  relatifs  à  madame 
du  Barry,  et  Y  Observateur  anglois,  1 777-78,  qui  contihue,  mais  avec  plus  de 
hardiesse,  les  Mémoires  secrets. 


PAR  m 

secrets  furent  continués  alors  par  Mouffle  d'Angerville  (i)  et 
autres. 

Pour  en  revenir  au  Cercle  de  la  Paroisse,  nous  devons  ajou- 
ter qu'après  avoir  beaucoup  jasé  et  disserté  sur  la  politique,  les 
belles-lettres,  les  arts,  les  détails  et  aventures  de  société,  et  avoir 
pris  des  notes  sur  tout  ce  qui  s'était  dit,  l'assemblée  se  mettait  à 
table  et  soupait  gaîment.  «  C'était,  dit  un  biographe,  une  espèce 
de  saturnale  succédant  à  une  grave  séance  du  sénat  romain.  La 
fête  devenait  surtout  joyeuse  lorsque  Bachaumont  faisait  les 
frais  du  souper.  A  la  fin  de  sa  vie,  il  feignait  de  radoter  pour 
avoir  le  droit  de  tout  dire  impunément,  et  il  en  convint  avant  de 
mourir.» 

Croirait-on  que  les  innocentes  élucubrations  de  ces  aimables 
vieillards,  que  ces  Nouvelles  à  la  main,  dont  l'audace  pâlit 
devant  la  plus  douce  des  gazettes  de  ce  siècle,  attirèrent  l'atten- 
tion de  la  police  à  l'époque  des  querelles  suscitées  entre  la  Cour 
et  les  parlements  en  1752  et  1753.  Le  valet-de-chambre,  secré- 
taire de  Mme  Doublet,  comme  l'âne,  dans  la  fable  des  Animaux 
malades  de  la  peste,  paya  pour  toute  la  Paroisse.  Il  fut  mis  en 
prison;  mais,  comme  on  le  pense  bien,  il  avait  trop  de  protec- 
teurs pour  y  rester  longtemps  ;  on  le  rendit  bientôt  à  la  liberté 
et  à  sa  bonne  maîtresse. 

Les  membres  de  la  Paroisse  étaient  plutôt  philosophes  qu'in- 
tolérants; ils  se  rangèrent  parmi  les  jansénistes  dans  la  petite 
guerre  déclarée  par  le  parlement  à  l'archevêque  de  Paris  pour 
un  refus  de  sacrements.  Mme  Doublet  se  montrait  généralement 
indulgente,  laissant  toute  liberté  de  penser  à  ses  amis,  mais 
maintenant  la  convenance  dans  le  cercle  qu'elle  présidait  avec 
tact.  Elle  vit  descendre  avant  elle  dans  la  tombe  presque  tous  les 
habitués  de  sa  maison.  On  lui  cacha  longtemps  la  mort  de  Ba- 
chaumont, son  meilleur  ami;  quand  elle  connut  cette  perte,  elle 
en  ressentit  le  plus  grand  chagrin.  Ses  facultés  en  souffrirent  et 

(1)  Avocat,  mort  vers  179$;  auteur  de  la  Vie  privée  de  Louis  XV,  1781, 
4  vol.  in- 12. 


ii2  PAS 

s'altérèrent;  elle  ne  tarda  pas  à  le  suivre  au  tombeau;  elle  s'étei- 
gnit vers  la  fin  de  la  même  année  (i  771);  elle  avait  alors  dépassé 
l'âge  avancé  de  94  ans  et  vu  sa  sixième  génération.  A  ses  der- 
niers moments  elle  consentit  à  recevoir  les  secours  de  l'église 
qu'elle  avait  longtemps  négligés;  on  lui  trouva  un  prêtre  de 
beaucoup  d'esprit,  homme  aimable  et  connaissant  le  monde, 
qui  parvint  à  émouvoir  son  esprit  et  à  rappeler  sa  sensibilité  de 
telle  façon  qu'elle  voulut  se  faire  embrasser  par  ce  convertisseur 
mondain.  Le  pieux  ecclésiastique,  dans  l'espoir  de  sauver  une 
âme,  ne  crut  pas  devoir  se  refuser  à  cette  fantaisie  d'une  péni- 
tente presque  centenaire;  mais,  peu  habitué  à  cette  manœuvre, 
il  s'y  prit  maladroitement  et  dérangea  le  rouge  de  la  dame,  ce 
qui  le  fit  gronder  et  occasionna  le  dernier  péché  d'impatience  de 
Mme  Doublet.  Ces  détails  peignent  mieux  les  mœurs  du  temps 
que  le  plus  long  commentaire.  Avec  Mme  Doublet  de  Persan, 
qui  avait  atteint  le  terme  le  plus  reculé  de  la  vie  humaine,  finit 
cette  société  de  la  Paroisse  dont  elle  fut  la  clé  de  voûte  qui  sou- 
tenait tout  l'édifice  :  il  est  vrai  qu'avant  sa  chute  beaucoup  de 
pierres  s'étaient  détachées  une  à  une,  et,  en  tombant  de  vétusté, 
avaient  singulièrement  diminué  la  solidité  du  monument.  Il  ne 
reste,  bibliographiquement  parlant,  de  tant  de  causeries  aima- 
bles, de  tant  de  caquetages  intimes,  fruits  des  meilleurs  conteurs 
du  temps,  que  les  Nouvelles  à  la  main  et  les  Mémoires  secrets. 

PARTHENIA  ARYSOPHORUM  (Académia).  Son  emblè- 
me était  un  puits  avec  cette  devise  :  Un  a  omnes.  Il  a  été  gravé 
par  Cesare  Bessani,  de  Milan,  vers  161 5. 

PASSION  (Confrères  de  la).  Cette  association  fut  formée 
de  bourgeois  de  Paris  qui  se  réunirent  pour  jouer  des  mystères; 
elle  fut  la  première  à  introduire  quelque  régularité  dans  les  re- 
représentations théâtrales;  M.  Taillandier  lui  a  consacré  une 
notice  curieuse  (Revue  rétrospective,  ire  série  (1834)  tom.  IV, 
p.  337),  d'après  les  registres  manuscrits  du  Parlement  de  Paris 
et  d'autres  documents  inédits  ou  peu  connus.  Dès  1398,  on 


PAS  n3 

trouve  des  Confrères  de  la  Passion  établis  dans  le  bourg  de 
Saint-Maur-des-Fossés.  Le  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris 
(inséré  dans  le  tom.  XL  de  la  Collection  des  Chroniques  fran- 
çaises, publiée  par  M.  Buchon),  mentionne  les  jeux  que  les  con- 
frères donnèrent  en  1438,  après  la  rentrée  de  Charles  VII  à 
Paris;  en  1 53 1  ces  associés  jouèrent  à  l'hôtel  de  Flandres  le  Mys- 
tère de  l'Ancien-Testament.  Le  Parlement  voulut  interdire 
cette  représentation,  mais  le  roi  intervint.  On  se  borna  à  or- 
donner quelques  mesures  de  police  et  à  une  somme  de  mille 
livres  au  profit  des  pauvres.  En  1547,  ils  représentèrent  avec 
éclat  le  Mystère  des  Apôtres,  versifié  par  les  frères  Gréban,  le 
Mystère  de  V Apocalypse,  ouvrage  de  Louis  Choquet.  En  1548, 
ils  s'installèrent  dans  l'hôtel  de  Bourgogne,  et  la  même  année, 
le  17  novembre,  le  Parlement  leur  défendit  a  de  jouer  les  mis- 
tères  de  la  passion  de  Nostre  Sauveur,  ni  autres  mistères  sacrez, 
sur  peine  d'amende  arbitraire,  leur  permettant  néanmoins  de 
pouvoir  jouer  aultres  mistères  profanes,  honnestes  et  licites, 
sans  offenser  ni  injurier  aulcunes  personnes.  » 

Les  Confrères  de  la  Passion  durent  chercher  un  autre  réper- 
toire; en  x557,  ils  obtinrent  du  Parlement  la  permission  de 
«  parachever  le  jeu  de  Huon  de  Berdemoy  le  lendemain  de  la 
feste  de  la  Nativité  de  Nostre  Seigneur  et  sans  scandalle.  »  Ils 
avaient  d'ailleurs  un  privilège  exclusif  que  le  Parlement  faisait 
respecter;  le  i5  septembre  1 571,  on  interdit  les  représentations 
d'une  troupe  italienne  «  qui  jouoit  farces  et  comédies  sans  per- 
mifïion,  exigeant  de  chacunes  personnes  trois,  quatre,  six,  sept 
et  onze  sols,  sommes  excessives  et  non  accoutumées.  »  En  1576 
et  en  1577,  des  arrêts  du  même  genre  furent  rendus,  mais  les 
comédiens  italiens,  objet  d'une  protection  spéciale  de  Henri  III, 
n'en  tinrent  compte,  &  d'un  autre  côté,  les  confrères  luttaient  avec 
le  fougueux  René  Benoist,  curé  de  Saint- Eustache,  qui  se 
montra  avec  éclat  dans  les  troubles  de  la  Ligue,  et  le  public  les 
délaissait  pour  des  représentations  qui  étaient  mieux  de  son 
goût.  Quelques  années  plus  tard  ils  se  séparèrent  en  deux  trou- 
pes; l'une  resta  à  l'hôtel  de  Bourgogne,  l'autre  se  transporta  au 

8. 


ii4  PAU 

Marais;  Henri  IV  confirma  en  vain  leurs  privilèges  au  mois 
d'avril  1 5  87 .  Le  Prince  des  Sots,  Joubert,  dit  Angoulevant,  sou- 
tint contre  les  confrères  un  long  procès  et  le  gagna.  (Voir  l'article 
Sots).  Toutefois  le  Parlement  rendit  encore  le  18  Janvier  i6i3, 
un  arrêt  qui  reconnaissait  le  privilège  des  confrères  «  de  jouer  tous 
mistères,  jeuxhonnestes  et  récréatifs  sans  offenser  personne,  en 
la  salle  de  la  Passion,  dicte  l'hostel  en  Bourgogne,  et  en  tous 
aultres  lieux.  »  Vains  efforts;  la  décadence  était  complète;  les 
Confrères  de  la  Passion  étaient  condamnés  à  périr  ;  le  7  no- 
vembre 1629,  un  arrêt  du  conseil  leur  enjoignait  de  remettre 
aux  mains  d'un  député  à  ce  commis,  les  lettres  et  pièces  justifi- 
catives du  droit  de  propriété  qu'ils  prétendaient  avoir  sur  l'hô- 
tel de  Bourgogne,  et  cet  arrêt  était  rendu  à  la  demande  des  comé- 
diens ordinaires  du  Roi,  parmi  lesquels  figure  Hugues  Guéru, 
dit  Fléchelles,  plus  connu  sous  le  nom  de  Gaultier  Garguille,  et 
auteur  de  chansons  plus  que  badines,  dont  il  a  paru  en  1857, 
dans  la  Bibliothèque  elzévirienne,  une  très-bonne  édition  que 
recommande  surtout  une  excellente  introduction  due  à  la  plume 
de  M.  Edouard  Fournier.  On  contestait  aux  confrères  jusqu'à 
leur  titre  ;  on  les  appelait  «  quelques  particuliers  se  disant  maî- 
tres de  la  Confrairie  de  la  Passion  et  Résurrection  de  nostre 
Sauveur.  »  Après  une  longue  agonie,  ils  reçurent  le  coup  de 
grâce  en  1676;  unéditde  Louis  XIV  les  anéantit  en  ordonnant 
que  les  revenus  de  la  Confrairie  appartiendraient  dorénavant  à 
l'Hôpital-Général.  C'est  ainsi,  ajoute  M.  Taillandier,  après  avoir 
raconté  cette  longue  histoire,  «  c'est  ainsi  que  finit  cette  Con- 
te frairie  célèbre  qui,  pendant  près  de  trois  siècles,  a  eu  le  pçivi- 
«  lége  exclusif  d'amuser  nos  aïeux.  » 

PAULMY  D'ARGENSON  (Société  dramatique  de  M.  le 
Marquis).  Tout  le  monde  sait  quels  services  M.  le  marquis  de 
Paulmy  d'Argenson,  né  à  Valenciennes  en  1722,  lorsque  fon 
père  était  intendant  du  Hainaut,  a  rendu  aux  lettres  en  rassem- 
blant la  plus  curieuse  et  la  plus  nombreuse  bibliothèque  qu'un 
particulier  puisse  posséder,  en  l'enrichissant  de  notes  savantes 


PAU  u5 

et  en  faisant  des  extraits  intéressants  sous  le  titre  de  Mélanges 
tirés  (Tune  grande  Bibliothèque,  65  vol.  in-8  (i). 

Mais  ce  qu'on  sait  moins  généralement 3  c'est  que  le  marquis 
de  Paulmy  avait  formé  une  Société  dramatique  d'amateurs, 
qui  s'assemblait  tous  les  automnes  à  son  château  (en  Touraine 
probablement,  où  sa  famille  tint  toujours  un  grand  état  de 
maison) _,  et  qui  jouait  avec  succès,  pendant  toute  l'arrière-saison, 
les  plus  piquantes  comédies  et  les  plus  jolis  opéras-comiques  de 
nos  théâtres.  Cette  société  nombreuse  et  choisie  avait  tous  ses 
jours  marqués  par  de  nouveaux  divertissements.  De  certaines 
heures  étaient  fixées  pour  la  chasse,  la  pêche,  la  promenade  et 
le  jeu.  D'autres  moments  restaient  affectés  à  la  conversation,  et 
quelques-uns  destinés  à  la  lecture  des  ouvrages  nouveaux  et 
surtout  des  pièces  de  théâtre,  et  de  tout  ce  qui  s'écrivait  journel- 
lement sur  l'art  dramatique  et  la  musique.  Cette  aimable  asso- 
ciation s'était  fait  une  règle  de  ne  prendre  avec  chaleur  aucun 
parti,  de  continuer  à  estimer  ce  qui  a  paru  à  nos  pères  digne  de 
leurs  applaudissements  et  de  n'en  point  refuser  aux  productions 
modernes.  On  conçoit  tout  ce  qu'une  semblable  compagnie  , 
composée  de  femmes  charmantes  et  délicates  et  d'hommes  d'es- 
prit et  bien  élevés,  pouvait  trouver  d'attrait  sous  la  direction 
d'un  amphytrion  aussi  distingué  par  ses  connaissances  étendues 
et  ses  belles  qualités  que  le  marquis  de  Paulmy;  aussi  voyait- 
elle  toujours  arriver  avec  chagrin  le  rude  hiver  qui  ramenait  tout 
ce  monde  élégant  à  Paris,  pour  le  dissiper  dans  le  tourbillon  de 
la  cour  et  de  la  ville. 

De  ces  délicieuses  journées  passées  sur  les  bords  de  la  Loire, 
de  ces  soirées  charmantes  où  les  plus  jolies  marquises  jouaient 
sur  un  théâtre  de  campagne  les  chefs-d'œuvre  de  la  scène  fran- 
çaise, il  ne  serait  plus  resté  qu'un  souvenir  bien  vague,  si  le 
spirituel  directeur  de  cette  société  parfumée  n'avait  trouvé  bon 


(i)  Le  marquis  de  Paulmy,  mort  en  1787,  fut  membre  de  l'Académie 
française;  en  1785,  il  vendit  au  comte  d'Artois  sa  bibliothèque  qui,  confis- 
quée comme  propriété  d'émigré,  a  formé  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal. 


u6  PAU 

de  dresser  à  son  usage  un  joli  livret,  tout  mignard,  tout  char- 
mant, qui  contient  ses  enseignements  et  ses  conseils  aux  artis- 
tes improvisés  de  sa  noble  troupe  dramatique.  Ici  encore  la 
science  bibliographique  a  bien  servi  la  curiosité  des  rechercheurs 
d'anecdotes  intimes  du  dernier  siècle,  et  c'est  à  elle  que  nous 
devons  la  découverte  des  heureux  passe-temps  du  plus  érudit  des 
d'Argenson. 

Le  livret  dont  nous  parlons  porte  cette  indication  :  Etrennes 
aux  sociétés  qui  font  leur  amusement  de  jouer  la  comédie,  ou 
Catalogue  raisonné  et  instructif  de  toutes  les  tragédies,  comé- 
dies des  théâtres  françois  et  italien,  actes  d' ) opéra 3  opéras  co- 
miques, pièces  à  ariettes  et  proverbes,  qui  peuvent  facilement 
se  représenter  sur  les  théâtres  particuliers  (par  le  Marquis 
de  Paulmy  d'Argenson).  A  Bruxelles ,  et  se  trouve  à  Paris, 
che\  Bradel,  et  à  l'Arsenal  (logement  de  l'auteur),  cour  des  Cé- 
lestins.  (Sans  date,  mais  1782),  pet.  in-12  de  VIII,  120  pages 
et  un  supplément  de  4  pages  (1). 

L'auteur  feint  que  ce  livre  est  tiré  d'un  manuscrit  trouvé 
dans  la  bibliothèque  d'une  maison  de  campagne.  Il  le  fit  paraître 
d'abord  comme  Manuel  des  sociétés  qui  font  leur  amusement 
déjouer  la  comédie,  et  il  l'inséra  au  tome  II  de  ses  Mélanges 
tirés  d'une  grande  bibliothèque,  page  172.  Ce  tome  II  parut  en 
1779.  Mais  les  trois  premiers  volumes  desdits  Mélanges  obtin- 
rent une  seconde  édition  en  1785,  et  Fauteur  en  fit  alors  dispa- 
raître son  petit  Manuel,  qu'il  avait  jugé  plus  convenable  de 
publier  à  part,  et  comme  seconde  édition  sous  le  titre  à'Etren- 
nes,  etc.  Ce  volume  est  au  reste  fort  recherché  et  mérite  de 
l'être;  il  est  devenu  rare  (2).  Outre  une  foule  d'anecdotes  dra- 
matiques de  société,  racontées  avec  beaucoup  d'agrément  par 


(1)  M.  Wolf  d'Orfeuil  a  placé  un  extrait  de  ce  joli  livre  à  la  tète  de  Y  Es- 
prit des  Ahnanachs.  Paris,  1783,  2  vol.  in-12  ;  il  occupe  les  pages  10-22  des 
préliminaires  du  Ier  volume. 

(2)  Un  exemplaire  de  ce  livret  se  trouvait  dans  la  bibliothèque  de  M.  Aimé 
Leroy,  bibliothécaire  de  Valenciennes,  qui  possédait  aussi  un  recueil  de  mises 


PAU  .  117 

M.  de  Paulmy,  il  est  terminé  par  cinq  chansons  composées  et 
chantées  dans  des  châteaux  pour  des  fêtes  particulières ,  toutes 
postérieures  à  1767.  On  y  trouve  le  Plaisir  des  rois  et  le  Roi 
des  plaisirs ,  devenue  populaire  depuis,  etunecharmante  imita- 
tion de  Ronsard,  que  nous  consignons  ici  avec  plaisir  : 

Mignone,  allons  voir  si  la  rose, 
Qui,  ce  matin,  avoit  d'éclose 
Sa  robe  de  pourpre  au  soleil, 
N'a  point  perdu  cette  veprée, 
Les  plis  de  sa  robe  pourprée, 
Et  son  teint  au  votre  pareil. 

Las,  voyez  comme  en  peu  d'espace, 
Mignone,  elle  a  dessus  la  place, 
Ses  douces  beautés  laissé  choir; 
O,  vraiment,  marâtre  nature, 
Puisqu'une  telle  fleur  ne  dure 
Que  du  matin  jusques  au  soir! 

Donc,  si  vous  m'en  croyez,  mignone, 
Tandis  que  votre  âge  fleurone, 
En  la  plus  verte  nouveauté, 
Cueillez,  cueillez  votre  jeunesse, 
Comme  cette  fleur,  la  vieillesse 
Fera  ternir  votre  beauté. 

Nous  y  rencontrons  aussi  la  chanson  suivante  qui  a  eu  dans 
le  temps  un  succès  immense  et  que  les  vieillards  se  rappellent  et 
fredonnent  encore  : 

LA  BELLE   IMPRUDENTE. 

J'ai  vu  Lise  hier  au  soir  ; 

Lise  était  charmante  : 
Mais  hélas  !  j'ai  cru  la  voir 

Triste  et  languissante. 

en  scène  du  théâtre  particulier  du  château  de  Y  Ermitage,  près  Condé,  com- 
posé par  le  maréchal  duc  de  Croy,  dont  les  goûts  se  rapprochaient  beaucoup 
de  ceux  du  marquis  de  Paulmy.  Le  répertoire  du  théâtre  de  Y  Ermitage,  non 
imprimé,  est  un  in-folio  relié  aux  armes  de  l'ancienne  maison  de  Croy. 


n8  PAU 


Vous  croyez  qu'avec  Lycas 
C'est  quelques  nouveaux  débats  : 
Non,  vous  ne  devinez  pas 
Ce  qui  la  tourmente. 

Avec  Lycas,  l'autre  jour 

La  jeune  innocente 
A  cueilli  des  fleurs  d'amour, 

Mais  trop  imprudente, 
Elle  tremble  d'avoir  pris 
Parmi  les  fleurs  quelques  fruits; 
Et  voilà,  mes  chers  amis, 

Ce  qui  la  tourmente. 

Déjà  Phcebé  dans  son  cours 

Lui  paraît  trop  lente  : 
Un  courrier  depuis  trois  jours 

Trompe  son  attente  ; 
Et  chacun,  peu  consterné 
De  son  sort  infortuné, 
Lui  voudroit  avoir  donné 

Ce  qui  la  tourmente. 

Cette  chanson  courut  sous  le  voile  de  l'anonyme,  et  tout  Ver- 
sailles en  chercha  l'auteur  avec  autant  d'ardeur  que  Londres  en 
mettait  à  découvrir  celui  des  Lettres  de  Junius(i).  Les  uns  pen- 
saient au  duc  de  Nivernois,  les  autres  nommaient  le  chevalier  de 
Boufflers;  aucuns  parlaient  de  S.  A.  R.  Monsieur.  Chansons  que 
tout  cela  :  le  poète,  c'était  le  secrétaire  de  Madame  Adélaïde  (fille 
de  Louis  XV),  voilà  ce  que  finit  par  conter  la  belle  comtesse 
Diane  de  Polignac,  sujet  du  poème.  Ce  jeune  secrétaire  était 
Germain  Garnier,  depuis  comte  de  l'Empire,  préfet,  sénateur, 
pair  de  France,,  membre  de  l'Institut,  mort  le  4  Octobre  1821  à 
67  ans,  au  milieu  des  grandeurs,  parlant  souvent  avec  plaisir  et 
regrets  du  temps  de  sa  jeunesse  qui  s'écoula  au  milieu  d'un 
monde  élégant  et  léger  et  parmi  les  hommes  les  plus  spirituels 
de  la  fin  du  siècle  dernier. 


(1}  Sir  Philip  Francis. 


PED  '  119 

PAVILLON  (Ordre  du).  —  1717.  —  Louis  XV,  à  l'âge  de 
huit  ans  seulement,  créa  l' Ordre  du  Pavillon,  pour  les  jeunes 
seigneurs  de  la  cour  qui  partageaient  ses  jeux.  Cet  ordre  ne  dura 
pas  longtemps.  A  sa  majorité,  le  souverain  ne  reconnut  plus  ses 
co-associés  sur  le  même  pied  qu'auparavant. 

La  décoration  était  une  croix  d'or  émaillée.  Sur  le  milieu  d'un 
côté  un  pavillon  rappelant  le  nom  de  l'Ordre  et  le  lieu  où  il  avait 
été  fondé;  de  l'autre  un  anneau  tournant  (jeu du  roi);  le  cordon 
était  rayé  de  blanc  et  de  bleu. 

PÉDÉRASTES  (Ordre  des).  Pour  faire  pendant  à  ce  que 
nous  avons  dit  au  sujet  de  la  Secte  anandryne,  il  n'est  pas  hors 
de  propos  de  dire  un  mot  d'un  prétendu  Ordre  des  Pédérastes, 
dont  il  est  question  au  commencement  du  livre  intitulé:  La 
France  devenue  Italienne ,  ouvrage  qui  a  été  réimprimé  plu- 
sieurs fois  dans  VHistoire  amoureuse  des  Gaules-,  il  se  trouve 
dans  le  tome  III  de  l'édition  de  ce  recueil  comprise  dans  la  Bi- 
bliothèque el^évirienne. 

Manicamp,  le  duc  de  Grammont,  le  chevalier  de  Tilladet  et  le 
marquis  de  Biran  sont  accusés  d'être  les  quatre  grands-prieurs 
de  l'Ordre,  dont  ils  rédigèrent  les  statuts  de  la  manière  suivante  : 

I.  Qu'on  ne  recevroit  plus  dorénavant  dans  l'Ordre  des  per- 
sonnes qui  ne  fussent  visitées  par  les  grands-maîtres,  pour  voir 
si  toutes  les  parties  de  leur  corps  étoient  saines,  afin  qu'ils  pus- 
sent supporter  les  austérités. 

II.  Qu'ils  feraient  vœu  d'obéissance  et  de  chasteté  à  l'égard 
des  femmes,  et,  que  si  aucun  y  contrevenoit,  il  seroit  chassé  de 
la  compagnie,  sans  pouvoir  y  rentrer  sous  quelque  prétexte  que 
ce  fut. 

III.  Que  chacun  seroit  admis  indifféremment  dans  l'Ordre 
sans  distinction  de  qualité,  laquelle  n'empêcheroit  point  qu'on 
ne  se  soumît  aux  rigueurs  du  noviciat,  qui  dureroit  jusques  à  ce 
que  la  barbe  fut  venue  au  menton. 

IV.  Que  si  aucun  des  frères  se  marioit,  il  seroit  obligé  de  dé- 
clarer que  ce  n'étoit  que  pour  le  bien  de  ses  affaires,  ou  parce 


120  PED 

que  ses  parents  l'y  obligeoient,  ou  parce  qu'il  falloit  laisser  un 
héritier,  qu'il  feroit  serment  en  même  temps  de  ne  jamais  aimer 
sa  femme,  de  ne  coucher  avec  elle  que  jusques  à  ce  qu'il  en  ait 
un  fils;  et  que  cependant  il  en  demanderoit  permission,  laquelle 
ne  lui  pourroit  être  accordée  que  pour  un  jour  de  la  semaine. 

V.  Qu'on  diviserait  les  frères  en  quatre  classes  ,  afin  que 
chaque  grand-prieur  en  eût  autant  l'un  que  l'autre.  Et  qu'à 
l'égard  de  ceux  qui  se  présenteroient  pour  entrer  dans  l'Ordre, 
les  quatre  grands-prieurs  les  auroient  à  tour  de  rôle,  afin  que  la 
jalousie  ne  put  donner  atteinte  à  leur  union. 

VI.  Qu'on  se  diroit  les  uns  aux  autres  tout  ce  qui  se  seroît 
passé  en  particulier,  afin  que  quand  il  viendroit  une  charge  à 
vaquer,  elle  ne  s'accordât  qu'au  mérite ,  lequel  seroit  reconnu 
par  ce  moyen. 

VII.  A  l'égard  des  personnes  indifférentes,  il  ne  seroit  pas 
permis  de  leur  révéler  les  mystères,  et  que  quiconque  le  feroit, 
en  seroit  privé  lui-même  pendant  huit  jours,  et  même  davantage, 
si  le  grand-maître  dont  il  dépendroit,  le  jugeoit  à  propos. 

VIII.  Que  néanmoins  l'on  pourroit  s'ouvrir  à  ceux  que  l'on 
auroit  l'espérance  d'attirer  dans  l'Ordre  ;  mais  qu'il  faudroit  que 
ce  fut  avec  tant  de  discrétion,  que  l'on  fût  sûr  du  succès,  avant 
que  de  faire  cette  démarche . 

IX.  Que  ceux  qui  amèneroient  des  frères  au  couvent,  joui- 
raient des  mêmes  prérogatives  pendant  deux  jours,  dont  les 
grands-maîtres  jouissoient;  bien  entendu  néanmoins,  qu'ils 
laisseraient  passer  les  grands-maîtres  devant,  et  se  contente- 
raient d'avoir  ce  qu'on  auroit  desservi  de  dessus  leur  table. 

Il  est  aisé  de  voir,  par  ces  statuts  même,  que  ce  soi-disant 
Ordre  est  une  grossière  facétie  inventée  par  l'imagination  déré- 
glée de  l'auteur  de  la  France  devenue  Italienne.  Cet  écrivain 
va  plus  loin;  il  décrit  les  réjouissances  faites  dans  une  maison 
de  campagne  des  environs  de  Paris,  pour  célébrer  la  reconnais- 
sance de  ces  statuts,  qui  amenèrent  bientôt  un  grand  nombre  de 
néophytes  dans  cette  prétendue  société.  On  parle  aussi  de  la  dé- 
coration de  l'Ordre  qui  représentait  un  homme  foulant  aux  pieds 


PEL  121 

une  femme,  comme  dans  la  croix  de  Saint-Michel,  l'ange  foule 
aux  pieds  le  démon. 

L'auteur,  continuant  son  histoire,  va  jusqu'à  dire  qu'un  et 
même  deux  princes  du  sang-royal,,  se  firent  admettre  dans  la 
société,  ce  qui  parvint  aux  oreilles  de  Louis  XIV;  le  roi  qui  dé- 
testait ce  genre  de  débauche,  prit  des  mesures  sévères  pour  dis- 
soudre l'Ordre  entier.  Les  seigneurs  qui  en  faisaient  partie  furent 
exilés  dans  leurs  terres,  et  ne  revinrent  que  plus  tard  à  la  cour. 

Il  a  paru  un  livret  qui  parle  des  individus  qui  auraient  pu 
composer  l'Ordre  dont  il  est  question;  il  a  pour  titre  :  Anecdotes 
pour  servir  à  Vhistoire  secrète  des  Ebugors  ;  à  Medoso  (So- 
dome),  l'an  de  l'ère  des  Ebugors  MMM  CCG  XXX  III.(proba- 
blement  1733),  in-i  2,  de  102  pages  sans  la  clé.  Ce  livre,  imprimé 
en  Hollande,  raconte  les  événements,  d'une  guerre  suscitée  entre 
les  Cythériennes  et  les  Ebugors,  en  se  servant  de  l'anagramme 
pour  déguiser  tous  les  noms  des  personnages  et  des  lieux.  Ce 
voile,  d'ailleurs  très-transparent,  est  entièrement  levé  par  une  clef 
mise  à  la  fin  du  volume.  C'est  une  narration  allégorique  dans  un 
genre  alors  à  la  mode  et  dont  il  reste  quelques  autres  traces:  His- 
toire du  prince  Apprius;  Cléon,  rhéteur  Cyrénéen,  etc. 

Mais  ces  Anecdotes  n'ont  aucune  prétention  historique;  elles 
ne  forment  qu'un  livre  ennuyeux  qui  se  paie  toutefois  fort  cher, 
grâce  à  sa  rareté  et  à  son  titre. 

Il  est  question  dans  un  ouvrage  allemand,  dont  il  existe  deux 
traductions  abrégées  ou  imitations  en  français  (1)  d'un  ordre  qui 
existait  à  Berlin,  mais  il  est  permis  de  croire  qu'il  n'y  a  rien  de 
réel  dans  ces  assertions  scandaleuses. 

PELLETIER  (Société  de),  fermier- général.  En  1759, 
M.  Pelletier,  fermier-général  qui,  tous  les  mercredis  donnait  à 
dînera  Marmontel,  Boissy,  Suard  et  Lanoue,  y  invita  Monti- 
cour,  Saurin  fils,  Helvétius,  Bernard,  Collé  et  Crébillon  fils  qui, 
par  la  suite  y  présenta,  pendant  leur  séjour  à  Paris,  Garrick, 

(1)  Briefe  ueber  die  Gaïanterien  von  Berlin,  1782,  in -12,  378  p. 


PEN 


Sterne  et  Wilkes  dont  l'esprit  ardent  et  le  caractère  impérieux 
annoncèrent  alors  le  rôle  qu'il  devait  jouer  à  Londres.  Goldoni 
y  eut  ses  entrées;  Laujon  y  fut  admis  pendant  les  dernières 
années. 

La  gaîté  de  ces  dîners  y  rappelait  souvent  celle  des  dîners  du 
Caveauy  dont  ils  furent,  pour  ainsi  dire,  la  suite  et  dont  ils  ne 
différaient  que  par  la  suppression  de  l'épigramme  qui  n'y  péné- 
trait que  sous  toute  réserve.  Monticour,  convive  aimable  et  déli- 
cat, fertile  en  saillies,  avait  le  talent  de  donner  de  légers  coups  de 
patte  sans  trop  égratigner,  aussi  s'était-il  fait  surnommer  le 
Chat  de  la  société. 

Ces  dîners  cessèrent  à  la  mort  de  Pelletier  qui,  depuis  son  ma- 
riage surtout,  s'était  réservé  le  droit  de  choisir  ses  convives, 
ajoutait  aux  hommes  de  lettres  et  aux  chanteurs  trois  ou  quatre 
de  ses  amis,  fort  honnêtes  gens  sans  doute,  mais  souvent  de  plats 
financiers  qui,  n'ayant  de  l'or  que  le  poids  sans  en  avoir  l'éclat, 
jetaient  du  froid  dans  la  société  et  en  bannissaient  la  gaîté. 

Cette  tentative  de  résurrection  du  Caveau  n'eut  pas  de  suite 
et  ne  dura  guère  que  trois  ans.  Les  élans  de  l'intimité  n'y  exis- 
taient plus,  l'essor  de  la  saillie  était  arrêté;  le  fermier-général, 
tranchant  du  Mécène,  au  milieu  des  lambris  dorés,  ne  valait  pas 
le  cabaretier  La  Landelle,  et  l'on  dit  même  que  tout  bas  certains 
convives  répétaient  : 

C'est  un  fort  méchant  plat  que  sa  sotte  personne, 
Et  qui  gâte  à  mon  gré  tous  les  repas  qu'il  donne. 

PELOTE  (Ordre  de  la).  Il  est  indiqué  dans  les  notes  de  de 
l'Aulnaye  sur  Rabelais;  nous  manquons  de  détails  sur  son 
histoire. 

PENSIONNAIRES  DU  ROI  (Les),  à  Rome  (i).  Wateîet  et 
Marguerite  Lecomte.  Le  plus  joli  livre  dû  à  une  association  a  vu 

(i)  Les  pensionnaires  du  gouvernement  français  à  Rome  ont  toujours 
formé  une  espèce  d'association  qui  se  maintient  encore.  Sous  le  titre  de  Réu- 
nion des  Romains,  tous  les  anciens  pensionnaires  et  les  artistes  qui  ont  été  à 
Rome,  s'assemblent  tous  les  i5  du  mois  dans  un  banquet  joyeux.  Nous  avons 


PEN  123 

le  jour  à  Rome  en  1764;  mais  il  doit  sa  naissance  à  d'aimables 
Français,,  amis  des  arts,  tous  réunis  accidentellement  dans  la 
cité  sainte.  Voici  à  quelle  occasion  on  fit  ce  charmant  volume. 
Watelet,  peintre,  poète  et  philosophe  ;  Copette,  homme  de 
lettres,  son  ami  particulier  et  son  ancien  instituteur;  et  Mme  Mar- 
guerite Lecomte,  gracieuse  et  jolie  Parisienne,  femme  d'un  pro- 
cureur au  Châtelet,  dont  on  ne  parle  pas,  et  amie  intime  de 
Watelet,  amante  passionnée  des  arts  et  maniant  le  burin  en 
amateur,  entreprirent  en  1764  un  voyage  en  Italie,  la  terre 
classique  des  beaux-arts.  Cette  trinité  joyeuse  et  délicate  fut 
reçue  à  Rome  par  les  jeunes  pensionnaires  Français  comme  une 
bonne  fortune  qui  leur  arrivait,  comme  les  Juifs  recevraient  le 
Messie.  Watelet  lui-même  ne  revit  pas  sans  émotion,  comme 
voyageur,  l'académie  française  à  Rome  où  il  avait  séjourné 
comme  élève.  Le  séjour  des  trois  visiteurs  dans  la  ville  aux  sept 
collines^  ne  fut  qu'une  série  de  fêtes,  de  promenades  artisti- 
ques,  d'excursions  dans  la  campagne  de  Rome,  de  réceptions 
pompeuses  et  cordiales.  Quel  bonheur  pour  des  Français,  loin 
de  leur  patrie,  de  recevoir  la  visite  d'une  femme  charmante, 
artiste  comme  eux,  escortée  de  l'excellent  Watelet^  qui  avait  su, 
avec  sa  grande  fortune,  se  créer  une  vie  volupteusement  inno- 
cente, selon  l'heureuse  expression  de  Marmontel,  et  de  l'abbé 
Copette  (1),  un  littérateur  estimable  dont  l'amitié  de  Watelet 
suffit  pour  faire  l'éloge!  Les  artistes  pensionnaires  Français 

sous  les  yeux  une  médaille  d'argent,  du  module  d'un  franc  environ,  portant 
d'un  côté  une  tête  de  femme  coiffée  à  l'antique,  et  de  l'autre  les  mots  :  Réu- 
nion des  Romains,  avec  le  millésime  i833  dans  une  couronne  de  lauriers. 
Elle  a  été  frappée  par  M.  Violier,  membre  de  la  société.  Le  statuaire  O. 
Henri  Lemaire  est  aujourd'hui  le  tre'sorier  de  la  Réunion  des  Romains.  On  y 
compte  des  peintres,  graveurs,  sculpteurs,  architectes  et  musiciens. 

(1)  Pont.-Franç.  Copette,  docteur  en  Sorbonne,  ex-primarius  de  l'univer- 
sité de  Paris,  membre  des  académies  de  Rome  et  de  Florence,  a  été  oublié 
dans  toutes  les  biographies;  les  artistes  lui  ont  rendu  plus  de  justice  que  les 
lettrés.  Nous  avons  sous  les  yeux  trois  jolis  portraits  de  lui  :  l'un  gravé  par 
son  ami  Watelet  en  1753,  d'après  Cochin  fils;  le  second,  gravé  par  le  même 
en  1763  ;  et  le  troisième,  exécuté  en  1772  par  Lempereur,  d'après  Méon. 


i24  PEN 

voulurent  laisser  un  souvenir  de  ce  délicieux  séjour  et  des  réu- 
nions de  gens  qui  se  convenaient  sous  tant  de  rapports.  Avec  le 
concours  de  leurs  talents  divers,  ils  créèrent  un  admirable  petit 
livret,  tout  gravé,  reproduisant  douze  des  scènes  les  plus  inté- 
ressantes du  voyage.  Etienne  De  Lavallée  Poussin,  né  à  Rouen 
en  1722,  mort  à  Paris  en  1803,  est  le  principal  auteur  de  ce 
joli  recueil  dont  il  grava  le  plus  grand  nombre  des  pièces  avec 
François  Weiroter  (1),  jeune  artiste  allemand  lié  avec  les  pen- 
sionnaires Français  à  Rome.  Durameau  (2),  H.  Roberti  (3), 
Radel  (4),  Delamp,  etc.,  y  contribuèrent  par  leur  crayon  et  leur 
poésie.  Le  texte,  tout  en  italien,  se  compose  d'un  avertissement, 
d'une  canzonette  sur  une  séance  de  l'académie  des  Arcades, 
tenue  en  l'honneur  de  MmeLecomte,  de  douze  sonnets  qui  s'ap- 
pliquent aux  douze  tableaux  et  dont  les  derniers  vers  sont  tirés 
de  Pétrarque,  et  d'une  table  explicative.  Ce  texte  poétique  est 
de  la  façon  de  Louis  Subleyras,  fils  du  peintre,  auteur  du  Ser- 
pent d'airain.  Chaque  page  est  encadrée  d'ornements  variés  et 
allégoriques,  composés  et  gravés  avec  une  finesse  et  une  légèreté 
remarquables.  Le  titre  est  ainsi  conçu  :  Neîla  venuta  in  Roma 
dimadama  Lecomte,  e  dei  signori  Watelet  e  Copetti,  rinoma- 
tissi  letterati  francesi ,  componimenti poetici  di  Luigi  Subley- 
ras P.  A.  colle  figure  in  rame  di  Stefario  Délia  Vallée  Pous- 
sin, pensionario  di  S.  M.  Cristianissima.  ClDlDCCLXlV 
con  licen^a  de  Superiori,  pet.  in~4°de  3o feuillets,  dans  lesquels 
il  n'y  a  que  3  2  pages  remplies  et  chiffrées.  La  plupart  des  revers 
sont  blancs  pour  faire  mieux  valoir  la  gravure. 


(1)  François- Edmond  Weiroter,  né  à  Insprucken  ij3o,  fut  élève  de  Wille 
à  Paris,  alla  étudier  en  Italie  où  il  était  en  1764,  revint  à  Paris  presqu'en 
même  temps  que  Watelet,  y  grava  d'une  manière  fine  et  légère  une  foule 
de  paysages,  et  en  repartit  en  1767  pour  Vienne  où  il  venait  d'être  nommé 
professeur  de  l'académie  de  dessin;  il  y  mourut  en  1 773.  ^    • 

(2)  LouisDurameau,  peintre,  né  à  Paris  vers  1730,  mort  à  Versailles  en  1796. 

(3)  Hubert  Robert,  appelé  Roberti  en  Italie,  peintre  de  paysages,  graveur 
à  l'eau-forte,  né  à  Paris  en  1733,  mort  à  Auteuil,  près  Paris,  vers  1808. 

(4)  Peut-être  L. -F.  Petit  Radel,  architecte-dessinateur,  né  à  Paris  vers  1740. 


PEN  125 

Après  deux  frontispices  allégoriques,  le  ier  tableau  fait  allu- 
sion à  des  imitations  d'Horace  et  à  d'autres  ouvrages  des  savants 
voyageurs;  le  deuxième  représente  le  portrait  de  Madame  Le- 
comte, assise,  tenant  un  crayon,  et  appuyée  sur  une  table  où 
l'on  voit  le  portrait  du  cardinal  Albani,  gravé  par  elle-même;  le 
troisième  est  l'arrivée  à  Rome  de  Watelet  et  de  son  amie,  con- 
duits par  Minerve  et  le  Temps  qui  sème  des  fleurs  sous  leurs 
pas.  Le  quatrième,  c'est  Watelet  prononçant  un  discours  sur  les 
avantages  des  beaux-arts,  lors  de  la  présentation  des  pension- 
naires de  Rome  à  l'ambassadeur  de  France.  Le  cinquième  offre 
la  Visite  des  voyageurs  à  la  fameuse  statue  d'Apollon  au  Vati- 
can. Le  sixième ,  ce  sont  les  études  faites  d'après  l'antique  sur 
les  monuments  de  Rome.  Le  septième  désigne  le  voyage  à  Na- 
ples  après  la  mort  à  Rome  de  M.  Bouchelet.  Le  huitième  est  le 
couronnement  de  Madame  Lecomte,  suivie  de  ses  amis,  au  sein 
de  l'académie  des  Arcades  présidée  par  Apollon.  Le  neuvième, 
la  réception  de  Watelet  à  l'audience  du  Souverain  Pontife.  Dans 
le  dixième  tableau _,  Madame  Lecomte  est  admise  à  baiser  les 
pieds  de  Sa  Sainteté.  Dans  le  onzième,  on  voit  la  promenade  des 
voyageurs  à  Tivoli,  regardant  la  chute  de  la  rivière  Aniene. 
Enfin,  le  douzième  retrace  le  départ  de  Rome  pour  retourner  en 
France  et  les  adieux  des  amis. 

Il  est  difficile  de  voir  rien.de  plus  gracieux  et  de  plus  délicate- 
ment exécuté  que  cette  œuvre  d'une  société  de  jeunes  et  ardents 
artistes  voulant  fêter  une  aimable  voyageuse  et  ses  deux  acolytes. 
C'était  d'ailleurs  une  bien  jolie  femme  que  Madame  Marguerite 
Lecomte,  si  nous  devons  en  croire  le  portrait  que  Watelet  des- 
sina et  que  L.  Lempereur  a  gravé.  Les  vers  suivants  placés  au- 
dessous,  et  attribués  à  Watelet,  vantent  également  son  caractère: 

«  L'heureux  talent  de  plaire,  en  n'y  pensant  jamais; 
«  Un  bon  cœur,  un  sens  droit  et  le  don  d'être  amie  ; 
«  Une  humeur  franche  et  libre  embellissant  tes  traits  ; 

«  La  grâce  enfin  à  la  raison  unie  : 
t  Lecomte,  c'est  pour  toi  ce  que  nature  a  fait; 
«  Et  que  l'art  ne  peut  rendre  en  gravant  ton  portrait,  » 


x 


126  PEN 

Si  la  Biographie  universelle  ne  se  trompe  pas  en  faisant  naî- 
tre Marguerite  Lecomte  à  Paris  vers  1719,  cette  dame  pouvait 
avoir  45  ans  en  1764,  lorsque  les  pensionnaires  du  Roi  à  Rome 
lui  dressèrent  ce  petit  monument  de  leur  admiration;  il  faut  en 
conclure,  ou  que  sa  beauté  était  aussi  impérissable  que  son  esprit, 
ou  que  la  galanterie  des  artistes  français  se  trouvait  d'une  consti- 
tution robuste.  Quoiqu'il  en  soit,  le  talent  de  cette  jolie  femme 
artiste  était  avéré;  elle  grava  des  têtes  et  des  paysages  qui  sont 
loin  d'être  sans  mérite,  et  l'on  connaît  d'elle  une  suite  de  papil- 
lons d'après  nature,  qu'elle  avait  coutume  d'offrir  à  ses  amis,  et 
de  jolies  vignettes  pour  la  traduction  de  Daphnis  et  du  Premier 
navigateur  de  Gessner,  par  Huber,  publiée  à  Paris,  Vincent, 
1764.  Son  voyage  en  Italie  fut  une  marche  triomphale  :  elle  en 
revint  membre  des  académies  de  peinture  et  de  belles-lettres  de 
Rome,  Bologne  et  Florence. 

Watelet  ne  profita  pas  moins  du  voyage  :  0:  Parti  amateur, 
dit  Lemierre  (1),  il  en  revint  artiste.  »  Il  resta  toujours  lié  par 
l'affection  la  plus  tendre  et  la  plus  constante  à  Marguerite  Le- 
comte. Il  s'était  créé,  non  loin  de  Paris,  sur  les  bords  de  la  Seine, 
une  campagne  charmante  où  il  attirait  les  littérateurs  et  les 
artistes  par  une  hospitalité  franche  et  aimable.  C'est  là  qu'il  des- 
sina avec  goût  le  premier  modèle  en  France  de  ce  qu'on  appela 
jardin  anglais  ;  son  habitation  devint  célèbre  sous  le  nom  de 
Moulin-Joli,  et  fut  chantée  par  Delille  dans  son  poème  des 
Jardins.  Sur  les  vieux  saules  qui  bordaient  sa  rivière,  Watelet 
avait  écrit  ces  vers  qui  peignent  bien  sa  vie  modeste  et  heu- 
reuse : 

«  Consacrer  dans  l'obscurité 

«  Ses  loisirs  à  l'étude,  à  l'amitié  sa  vie: 
«  Voilà  les  jours  dignes  d'envie. 

«  Etre  chéri  vaut  mieux  qu'être  vanté.  » 

L'abbé  de  Saint-Non  a  gravé,  d'après  Le  Prince,  une  suite  de 

(1)  Réponse  au  discours  de  réception  de  Sedaine,  successeur  de  Watelet  à 
l'Académie  française,  le  27  avril  1786. 


PEN  127 

huit  paysages  dessinés  au  Moulin-Joli  et  dédiés  en  1755  à  l'ai- 
mable Marguerite  Lecomte;  cette  suite  porte  ce  titre  italien  : 
Varie  vedute  del  gentile  Molino,  dessegnate  d'appresso  na- 
tura  dair  Principe,  ed  intagliate  del  abbate  di  Sannone.  De- 
dicateal  amabile  e  legiadra  Mulinara.  M.  DCCLV,  gr.  in-40 
en  travers. 

Watelet  grava  lui-même  deux  vues  du  Moulin-Joli-,  l'une 
d'elles  est  intitulée:  La  Maison  de  Marguerite  Lecomte, 
meunière  du  Moulin-Joli;  c'est  sans  doute  une  fabrique  qui  dé- 
corait son  parc.  Il  avait  inscrit  sur  ce  petit  monument  hydrau- 
lique les  lignes  suivantes  : 

«  Ah  î  connaissez  le  prix  du  temps  ; 
«  Tandis  que  l'onde  s'écoule, 
«  Que  la  roue  obéit  à  ses  prompts  mouvements, 

a  De  vos  beaux  jours  le  fuseau  roule  ; 
«  Jouissez,  jouissez  ;  ne  perdez  pas  d'instants.  » 

Il  grava  aussi  lui-même  un  portrait  de  son  amie  Marguerite, 
assise,  vue  à  mi-corps,  estampe  en  hauteur.  Tout  cela  prouve 
qu'il  resta  toute  sa  vie  attaché  à  son  aimable  compagne  de  voyage. 
La  mort  seule  devait  séparer  deux  personnes  si  bien  faites  pour 
s'entendre;  celle  de  Watelet  arriva  le  12  janvier  1786(1). 

Nous  ne  terminerons  pas  cet  article  sans  dire  quelle  fut  la 
destinée  du  Moulin- Joli.  Après  la  mort  de  son  ami,  que  d'autres 
ont  ouvertement  qualifié  du  titre  de  son  amant,  Marguerite 
Lecomte,  ne  put  plus  souffrir  un  domaine  qui  lui  rappelait  sa 
perte;  elle  le  vendit  un  bon  prix  au  contrôleur-général  de  Ca- 
lonne,  qui,  suivant  la  chronique  du  temps  (Mémoires  de  Ba- 
chaumonty  10  octobre  1786),  ne  l'acheta  que  pour  le  donner  à 

(1)  A  sa  mort  on  trouva,  parmi  ses  papiers,  un  volume  manuscrit  conte- 
nant des  vers,  intitulé:  Bouquet,  etc.,  à  Madame....  (Marguerite  Lecomte)  ; 
un  recueil  de  cinquante  fables  avec  une  épître  dédicatoire  à  M.  L.  C.  (Mar- 
guerite Lecomte),  un  prologue  et  un  épilogue;  et  enfin  un  carton  conte- 
nant des  vers  relatifs  au  Moulin-Joli,  et  par  conséquent  à  son  aimable  meu- 
nière. Il  avait  gravé  une  suite  de  sujets  du  cabinet  de  Marguerite  Lecomte, 
grand  m-4°,  1754. 


128  PER 

Madame  Lebrun.  L'affectation  de  cette  dame  à  nier  le  fait  dans 

les  papiers  publics  le  rendit  beaucoup  plus  certain  aux  yeux  des 

gens  un  peu  fins.  Un  rimeur  galant,  probablement  de  la  cour 

de  cette  beauté,  composa  à  ce  sujet  le  couplet  suivant  sur  Y  Air 

de  Joconde  : 

Souffrez  qu'un  critique  poli 

En  public  vous  réponde: 
Vous  possédez  Moulin -Joli , 

Le  plus  joli  du  monde  ; 
Pourtant  ne  l'avez  acheté, 

Meunière  jeune  et  tendre; 
Et  l'on  enrage  en  vérité, 

Qu'il  ne  soit  pas  à  vendre. 

Le  Moulin-Joli  était,  à  ce  qu'il  paraît,  destiné  à  n'être  pos- 
sédé et  habité  que  par  des  gens  aimables. 

Les  artistes  de  toutes  les  nations  envoyés  en  Italie  pour  se 
perfectionner  dans  l'étude  des  beaux-arts  ont  toujours  montré 
beaucoup  de  gaîté  et  d'imagination ,  et  ont  laissé  des  traces  de 
leur  passage  dans  la  ville  éternelle.  N'avons-nous  pas  un  livre 
précieux,  gravé  à  l'eau-forte  par  Joseph  Vien,  pensionnaire  de 
l'académie  royale  de  France  à  Rome,  plus  tard  directeur  de  la 
même  académie  représentant  la  Caravanne  du  Sultan  à  la 
Mecque,  mascarade  turque  donnée  à  Rome  par  Messieurs  les 
pensionnaires  de  V académie  de  France  et  leurs  amis,  au  car- 
naval de  Vannée  1748,  dédiée  à  J.  Fr.  de  Troy,  directeur  de 
l'académie,  petit  in-folio  ou  in-40  de  3o  pièces  chiffrées,  avec  un 
frontispice  et  une  épître  gravés  ? 

PERSÉVÉRANCE  (l'Ordre  de  la).  177 1.  A  la  fin  du  siècle 
dernier,  une  louable  émulation  de  philantropie  s'empara  de 
tout  ce  que  la  France  comptait  de  personnes  éclairées,  et,  il 
faut  le  dire,  la  noblesse  donna  un  bon  exemple  en  se  mettant  à 
la  tête  de  toutes  les  associations  destinées  à  améliorer  le  sort  des 
classes  pauvres  et  à  récompenser  les  belles  actions.  La  scène  re- 
produisait des  enseignements  moraux;  la  presse  s'évertuait  à 
convaincre  et  à  moraliser  les  peuples;  les  usages  anglais  pour 


PER  129 

les  souscriptions  humanitaires  et  les  associations  philanthropi- 
ques pénétraient  peu  à  peu  dans  le  royaume  et  s'emparaient  sur- 
tout de  la  plus  haute  classe  delà  société.  L'Ordre  de  la  Persé- 
vérance, fondé  à  Paris,  dans  l'hiver  de  1770  à  1771,  et  réunissant 
de  grandes  dames  et  des  gentilshommes  de  haute  volée,  s'atta- 
chait à  faire  de  belles  actions  et  à  rendre  des  services  à  l'hu- 
manité souffrante.  Il  avait  pour  dignitaires  madame  la  duchesse 
de  Chartres,  madame  de  Bourbon,  le  comte  d'Artois  et  le  duc 
de  Chartres,  les  frères  de  Seignelay  et  de  Rosambo.  La  prin- 
cesse Potocka  contribua  plus  que  personne  à  son  établissement. 
Un  livre  d'honneur  de  l'Ordre  avait  été  dressé  pour  enregistrer 
les  noms  de  tous  les  chevaliers  et  des  dames  qui  se  distingue- 
raient par  des  actes  mémorables  et  leur  zèle  pour  l'Ordre.  Ce 
livre  d'honneur  contenait  quatre  cents  feuillets;  les  nobles 
dames,  les  illustres  chevaliers  composant  cette  société  d'élite 
comptaient  sans  doute  faire  beaucoup  de  bien  et  pendant  long- 
temps; mais,  hélas!  la  Révolution  qui  traversa  tant  de  projets, 
rompit  aussi  les  liens  de  cette  association,  et  douze  feuillets  seu- 
lement ont  pu  être  remplis  intégralement.  Voici  les  noms  des 
douze  sociétaires  dont  les  actions  ont  mérité  l'inscription  sur  le 
livre  d'honneur. 

Et  d'abord  :  le  frère  comte  de  Brostoski,  venu  de  Pologne 
pour  faire  le  bien  en  France;  20  la  sœur  comtesse  Ozolinska,  sa 
compatriote;  3o  le  frère  Seignelay,  qui,  comme  chef  de  l'Ordre,  dut 
montrer  l'exemple  de  la  persévérance;  4°le  duc  de  Lauzun,  dont 
la  vie  offre  un  mélange  d'actions  graves  et  légères;  5°  frère  che- 
valier de  Fleurieu,  d'une  famille  illustre  dans  les  sciences; 
60  sœur  duchesse  de  Chartres,  née  de  Penthièvre,  et  c'est  tout 
dire,  que  d'indiquer  ce  nom,  quand  il  s'agit  de  bienfaisance  et 
de  philanthropie;  70  sœurdeBoulainvillîers,  portant  un  nom  cé- 
lèbre parmi  les  hommes  d'Etat  ;  8°  frère  président  de  Rosambo, 
chef  de  l'Ordre  et  l'un  de  ses  fondateurs;  90  frère  marquis  Ducrest, 
époux  de  madame  de  Genlis,  laquelle  contribua  beaucoup  à  la 
création  de  l'Ordre  qu'elle  disait  imité  d'un  semblable  en  Po- 
logne, et  dont  elle  avait  rédigé  les  statuts;  io°  sœur  comtesse 

9« 


i3o  PER 

d'Arville  Clerre  ;  n°  frère  Meulan  et  120  frère  chevalier  de 
Cossé.  —  Il  était  certainement  difficile  de  trouver  un  noyau  de 
société  plus  distingué  et  mieux  choisi,  et  quand  on  pense  qu'il 
en  existait  alors  en  France  un  grand  nombre  de  ce  genre,  on  ne 
doit  plus  s'étonner  de  cet  immense  mouvement  humanitaire  qui 
se  produisit  peu  de  temps  après  l'avènement  au  trône  du  ver- 
tueux Louis  XVI.  C'est  peut-être  en  vue  de  ces  associations  de 
bienfaisance  que  Guillemain  de  Saint-Victor  fit  paraître,  sous 
un  pseudonyme  transparent,  le  livre  suivant:  Amusements  d'une 
société  innombrable  dans  laquelle  on  compte  des  héros,  des 
philosophes,  des  sages,  des  grands  princes  et  des  rois,  ou  la 
Véritable  maçonnerie,  avec  des  notes  critiques,  etc.,  par  un 
chevalier  de  tous  les  ordres  maçonniques  qui  a  signé  de  Ga- 
minville.  Au  sanctuaire  des  mœurs,  1779,  in- 12. 

L'Ordre  de  la  Persévérance,  dit  Grimm  dans  sa  Correspon- 
dance littéraire  (mars  1 771),  porte  un  titre  un  peu  vague,  mais 
qui  annonce  sans  doute  le  projet  d'une  grande  réforme  dans 
l'esprit  et  dans  les  mœurs  de  la  nation.  Le  principal  objet  de  la 
société,  ajoutait-il,  paraît  être  de  favoriser  les  vues  de  bienfai- 
sance. Quelques  personnes  ombrageuses  se  sont  persuadées  qu'il 
entrait  aussi  dans  ses  projets  d'opposer  une  digue  puissante  aux 
progrès  de  la  philosophie  moderne,  mais  il  semble  peu  naturel 
de  supposer  qu'une  société  bienfaisante  puisse  regarder  comme 
dangereuse  une  doctrine  qui  tend  presque  uniquement  à  réduire 
toutes  les  vertus  à  l'exercice  de  la  bienfaisance.  S'il  est  un  esprit 
incompatible  avec  l'esprit  de  parti,  c'est  sans  doute  l'esprit  de 
charité. 

Tout  ce  qu'on  sait  sur  la  forme  des  réceptions  dans  YOrdre 
de  la  Persévérance,  c'est  que  chaque  membre  de  la  société  était 
tenu  de  choisir  un  emblème  et  une  devise.  Plusieurs  de  ces  de- 
vises étaient  charmantes.  Grimm  n'en  cite  qu'une  seule  qu'il 
croit  appartenir  à  madame  de  Fitz-James;  c'est  une  épingle  avec 
ces  mots  :  Je  pique,  mais  f  attache. 

Bachaumont  écrit,  à  la  date  du  17  mars  1777  :  «  Il  est  ques- 
tion d'instituer  à  la  cour  un  ordre  nouveau  sous  le  nom  de  la 


PER  i3i 

Persévérance,  entre  les  seigneurs  et  les  dames  de  qualité.  Il 
doit  purement  être  de  société  et  de  galanterie.  On  parle  d'ériger 
un  temple  superbe  à  cette  divinité,  et  d'y  élever  trois  autels,  à 
Y honneur,  à  Y  amitié  et  à  Yhumanité.  C'est  au  Palais-Royal  qu'a 
été  conçu  ce  projet,  et  l'on  ne  désespère  pas  de  voir  la  Reine  y 
entrer.  Il  n'y  a  encore  eu  que  des  assemblées  préparatoires, 
entre  autres  une  où  madame  de  Genlis  a  prononcé  un  très-beau 
discours.  » 

«  Précisément  le  lendemain  a  eu  lieu  une  course  de  chevaux 
où  M.  le  comte  d'Artois  a  perdu  selon  sa  coutume  :  a  Monsei- 
«  gneur,  lui  a  dit  M.  de  Coigny,  on  est  embarrassé  de  choisir  un 
«  grand-maître  de  Y  Ordre  de  la  Persévérance  ;  vous  seriez  bien 
«  digne  de  l'être  !  » 

Le  duc  de  Lauzun,  qui  fut  l'un  des  trois  premiers  membres 
de  cet  Ordre,  en  parle  ainsi  dans  ses  Mémoires  (i)  :  «  J'avais 
donné  en  Pologne  même,  trop  de  preuves  de  mon  caractère  ro- 
manesque pour  que  l'on  ne  m'admit  pas  sans  preuves.  Les  sta- 
tuts de  l'Ordre  étaient  charmants.  Il  devint  très-nombreux, 
très  à  la  mode,  très-bien  composé.  Des  gens  distingués,  âgés  et 
raisonnables,  se  firent  une  gloire  d'y  être  admis.  Une  immense 
tente  de  bois  qui  était  au  milieu  de  mon  jardin,  en  devint  le 
temple  (2).  La  Reine,  avide  de  toutes  les  nouveautés,  désira  vive- 
ment y  venir  :  on  tâcha  de  l'en  éloigner,  et  comme  de  raison  ce 
désir  augmenta.  Elle  fut  au  moment  de  nous  envoyer  proposer 
de  faire  avouer  notre  Ordre  par  le  Roi,  et  de  nous  faire  donner 
par  lui  la  permission  de  porter  en  uniforme  de  service,  même 
près  de  sa  personne,  l'écharpe  violette  de  qptre  Ordre.  Toute  sa 
société  trembla  de  voir  la  Reine  dans  un  ordre  de  chevalerie  à  la 
têteduquelj'étais,cequiparaissaitleplusgranddetouslesdangers. 

(î)  Seconde  édition.  Paris,  i858,  in-12,  p.  271  et  suiv. 

(2)  «  Quand  nous  fûmes  une  quinzaine,  M.  de  Lauzun  nous  donna,  dans 
une  maison  qu'il  avait  hors  des  barrières,  au  milieu  d'un  jardin,  une  tente 
qu'il  avait  fait  faire  exprès  pour  nous,  qui  nous  servit  à  nos  assemblées  qui 
se  tenaient  tous  les  quinze  jours.  Cette  tente  était  vaste,  superbe,  richement 
décorée  en  dedans.  »  (Genlis,  Mémoires,  II,  3  61.) 


i32  PER 

«  Notre  grand-maître  n'était  pas  nommé.  Notre  première  loi 
disait  que  ce  devait  être  un  prince  ou  souverain  d'une  maison 
régnante,  distingué  des  autres  par  quelques  grandes  actions. 
Monsieur,  frère  du  roi,  crut  alors  devoir  se  présenter  :  il  fut  re- 
fusé (i).  Nous  lui  répondîmes  que  nous  ne  nommions  pas  à 
cette  place,  ne  doutant  pas  que  Monsieur  ne  remplît  bien  promp- 
tement  les  conditions  prescrites  par  nos  statuts.  Monsieur  se 
choqua.  On  fit  de  mauvaises  plaisanteries  sur  notre  Ordre,  on 
le  tourna  en  ridicule_,  et  la  Reine  n'y  pensa  plus.  » 

M.  Bersot  a  résumé  en  ces  termes  les  longs  détails  que  ma- 
dame de  Genlis  a  donnés  sur  l' Ordre  de  la  Persévérance  qu'elle 
regardait  comme  son  œuvre.  «  On  était  reçu  membre  au  scrutin. 
Le  candidat  devait  deviner  une  énigme  de  madame  de  Genlis  et 
répondre  à  une  question  morale  posée  par  le  président;  il  faisait 
l'éloge  d'une  vertu  à  son  choix,  recevait  l'exhortation  du  prési- 
dent et  prêtait  un  serment  religieux,  patriotique  et  chevale- 
resque. Naturellement  on  s'engageait  à  défendre  les  opprimés. 
On  devait  révéler  les  belles  actions  pour  lesquelles  un  prix  de 
120  livres  était  destiné.  Chaque  chevalier  et  chaque  dame  avait 
une  devise.  Il  y  avait  un  temple  de  l'honneur  où  toutes  ces  de- 
vises étaient  inscrites  dans  un  joli  tableau.  Les  dames  choisis- 
saient ou  non  un  chevalier;  l'uniforme  était  blanc  ou  gris  de  lin; 
l'écharpe,  portée  par  les  hommes  ou  par  les  femmes,  gris  de  lin 
brodée  d'argent.  On  donnait  aux  chevaliers  un  anneau  d'or, 
portant  les  initiales  de  la  devise  de  l'Ordre  :  Candeur  et  loyauté, 
courage  et  bienfaisance,  vertu,  bonté,  persévérance. 

On   faisait  des  quêtes.  Un  chevalier  et  une  dame  étaient 


(i)  Sans  doute  Monsieur  se  consola  parfaitement  de  ce  mauvais  vouloir 
qu'il  ne  méritait  guère.  Pour  persévérant  et  fidèle,  il  l'était  à  coup  sûr,  ce 
prince  qui  répondait  à  la  Reine  désireuse  d'apprendre  si  la  comtesse  de  Pro- 
vence, sa  belle-sœur,  était  enceinte  :  «  Oui,  madame,  il  n'y  a  pas  de  jour  où 
cela  ne  puisse  être  vrai  !  »  (Note  de  Lauzun,  qui  ajoute  avec  fatuité  que  les 
séances  de  Y  Ordre  de  la  Persévérance  lui  amenèrent,  pendant  quelque  temps, 
les  bontés  de  madame  la  marquise  de  Faudoas,  sœur  de  la  baronne  de 
Crussol.) 


PET  i33 

chargés  de  s'informer  des  pauvres  et  de  les  visiter;  ils  faisaient 
un  rapport  qui  était  lu  et  approuvé  dans  la  séance  suivante.  Il  y 
eut  en  peu  de  temps  quatre-vingt-dix  membres.  L'Ordre  de  la 
Persévérance  était  un  beau  nom  pour  un  ordre  français;  il  ne 
manqua  aux  membres  que  de  persévérer.  Au  bout  de  quelques 
mois,  madame  de  Genlis  eut  un  voyage  à  faire;  on  avait  assez 
joué  à  la  chevalerie,  il  ne  fut  plus  question  de  cela.  »  (Etudes 
sur  le  XVIII" siècle.  Paris,  Durand,  i855,  I,  p.  33.) 

PETIT  CHEVAL  NOIR  (Académie  du),  à  Strasbourg.  Le 
Petit  Cheval  noir  est  l'enseigne  d'une  brasserie  renommée  de 
Strasbourg,  dirigée  par  M.  Voltz,  où  l'on  fait  de  l'excellente 
bière.  Une  société  épicurienne  et  chantante  s'est  formée  en  jan- 
vier 1860  dans  la  capitale  de  l'Alsace  et  se  réunit  chez  le  maître 
du  Petit  Cheval  noir.  Elle  s'est  donnée  un  président  quia  inau- 
guré son  installation  par  une  chanson  dont  voici  deux  couplets  : 

De  mon  pouvoir  pour  montrera  sagesse, 

Je  veux,  messieurs,  ne  pas  légiférer. 

En  mes  Etats,  la  bière  est  la  maîtresse  ; 

Et  Meinherr  Voltz  la  fera  respecter. 

Mais,  s'il  allait — en  vérité,  je  n'ose 

Prévoir  ce  fait— la  laisser  décliner, 

D'y  plonger  Voltz,  messieurs,  je  vous  propose; 

Jusqu'à  cent  ans  je  veux  vous  présider  (bis). 

En  nos  chansons,  la  muse  gracieuse, 

Tout  en  jouant,  saura  se  limiter; 

Elle  saura,  sans  être  précieuse, 

Faire  sourire,  et  non  pas  chuchoter  ; 

Mais  si,  parfois,  et  malgré  ma  défense, 

Un  chant  trop  gras  venait  à  résonner, 

Honni  soit-il,  celui  qui  mal  y  pense; 

Jusqu'à  cent  ans  je  veux  vous  présider  (bis). 

PETITS  HOMMES  (Coterie  des).  Il  y  a  eu  les  coteries  des 
grasses  et  des  maigres  (1),  les  clubs  des  boiteux,  des  bossus,  etc., 

(1)  Amusette  des  grasses  et  des  maigres,  contenant  dou^e  douzaines  de 
calembourgs  avec  les  fariboles  de  M.  Plaisantin,  les  subtilités  de  la  comtesse 


i34  PET 

pourquoi  s'étonnerait-on  de  l'existence  d'une  société  composée 
spécialement  de  petits  hommes?  Les  humains  de  courte  taille 
sont  souvent  revêches,  ardents,  taquins,  peu  endurants  et  caus- 
tiques. Ils  veulent  contre-balancer  le  défaut  physique  par  une  plus 
grande  activité,  et  on  les  a  vus  parfois  plus  remuants,  plus  en- 
treprenants que  les  grands.  C'est  ce  caractère  assez  générale- 
ment inhérent  à  la  petitesse  qui  a  pu  donner  à  Pope  l'idée  de 
ses  deux  charmantes  lettres  sur  la  coterie  des  Petits  hommes.  Il 
feint  qu'une  société  s'est  formée  à  Londres  le  21  Décembre  (le 
jour  le  plus  court  de  l'année),  pour  réunir  tous  les  hommes  de 
petite  taille.  On  y  fêtait  l'anniversaire  en  mangeant  un  plat  de 
petits  oiseaux,  dans  une  petite  place  au  voisinage  des  marion- 
nettes. Les  meubles  de  la  salle  étaient  proportionnés  aux  mem- 
bres de  l'assemblée;  les  portes  avaient  été  baissées  au-dessous  de 
cinq  pieds. 

Dans  les  statuts  de  la  société  on  défend  (art.  Ier)  de  s'étendre, 
marcher  sur  la  pointe  des  pieds,  s'asseoir  sur  un  double  coussin, 
sous  peine  d'être  condamné  à  ne  porter,  pendant  tout  un  mois, 
que  des  souliers  sans  talons. — Défense  (art.  2),  de  tirer  avantage 
de  sa  perruque,  de  son  chapeau ,  etc.,  pour  se  grandir. — Si  un 
membre  (art.  3),  achète  pour  son  usage  un  cheval  de  taille, 
ledit  cheval  sera  vendu  et  remplacé  par  un  petit  coursier  écos- 
sais; le  surplus  de  l'argent  employé  à  régaler  la  compagnie.  — 
Art.  4.  Si  un  membre  viole  les  lois  fondamentales  de  la  compa- 
gnie au  point  de  s'élever  sur  plus  d'un  pouce  et  demi  de  talons, 
il  sera  regardé  comme  coupable  de  lèze-petitesse,  et  on  le  chas- 
sera de  la  Coterie  sur  le  champ. 

Cette  plaisanterie  fournit  à  un  M.  Daux,  curé  de  Vauxbuin, 
le  sujet  d'un  livre  dans  lequel  il  fait  figurer  une  société  de  petits 
hommes  qui  tiennent  des  séances  remplies  par  des  récits  tous 
favorables  aux  êtres  de  moindre  taille;  cette  oeuvre  est  dédiée  à 
Charles  Pougens  et  intitulée  :  Les  Petits  hommes,  ou  Recueil 

Tation,  et  les  remarques  de  l'abbé  Vue,  rédigée  par  une  société  de  Cailletes. 
Au  Cap  de  Bonne-Espérance  et  à  Paris,  in- 12  (sans  date),  122  pp.fig- 


PET  i35 

(V  anecdotes  sur  les  hommes  de  petite  stature,  qui  se  sont  fait 
un  nom  par  leurs  vertus^  leurs  talents^  etc.,  suivi  de  Véloge 
de  la  petitesse,  dans  les  divers  objets  de  la  création  et  dans 
les  chef s-d' œuvres  de  Part,  Tela  giganteas  debellatura  fu- 
rores.  Paris,  Pigoreau,  1822,  2  vol.  in- 12  de  IV,  279  et  XVI, 

et  3 12,  XII. — Le  second  volume  est  dédié  à  la  baronne  M 

Gh....  L'auteur  reçut  cet  impromptu  sur  ce  livre: 

Trop  souvent  un  mince  génie, 
En  louant  la  grandeur,  l'abaisse  et  l'humilie  ; 

Mais,  dans  tes  tableaux  élégants. 

Les  petits  nous  paraissent  grands. 

Par  ton  talent,  la  petitesse 

Devient  grâce,  esprit,  gentillesse. 

CherD...  (Daux),  nous  savons  bien  pourquoi: 
C'est  que  tu  peins  ton  portrait  d'après  toi. 

PETITE  M  ANICLE  (Compagnons  de  la).  V Arrivée  du  brave 
Toulousain ,  et  le  devoir  des  braves  compagnons  de  la  petite 
Manicle.  Troyes.  J.  Ant.  Garnier  (sans  date ,  mais  privilège 
de  173 1),  16  pages,  pet.  in-8. 

L'approbation  et  la  permission  de  cette  facétie  sont  signées 
par  deux  célèbres  Troyens;  la  première  est  donnée  le  29  mars 
173 1  par  Grosley,  avocat;  la  deuxième  du  même  jour  par  Ca- 
musat. 

Quoiqu'imprimée  chez  Pierre  ou  Antoine  Garnier  de  Troyes, 
comme  presque  toutes  les  facéties  du  même  genre,  la  scène  de 
cette  brochure  se  passe  à  Rouen.  Ceci  ne  serait  donc  qu'une 
réimpression. 

Il  s'agit  ici  d'une  réception  d'un  personnage  dans  la  société 
de  la  Petite  Manicle,  c'est-à-dire  de  savetiers,  carleurs  et  répa- 
rateurs de  la  chaussure  humaine— divisés  en  trois  classes: 

Les  Urulus,  ou  savetiers  en  boutique; 

Les  Brelaudiers,  établis  au  coin  des  rues; 

Les  Porte-Aumuches,  criant  par  les  rues—à  vieux  souliers(i). 

(1)  Le  Devoir  des  braves  Compagnons  de  la  petite  Manicle  dont  il  existe 


i36  PET 


PETRE-LACONIQUE  et  BOMBORAXALE  (Académie), 
à  Morlanwet^.  Académie  fantastique  créée  par  l'imagination 
du  comte  de  Fortsas,  le  premier  mystificateur  de  la  Belgique. 
C'est  M.  René  Chalon^  qui  sous  ce  masque,  a  imaginé  toutes 
ces  drôleries,  toutes  les  attrapes,  et  les  poissons  d'avril  qu'on  a 
pu  voir  dans  les  journaux  belges  depuis  quinze  ans.  Celle  ditede 
la  Bibliothèque  du  comte  de  Fortsas,  à  Binch,  a  eu  un  grand  suc- 
cès (i).  René  Chalon  peut  lutter  en  inventions  mystifiantes  avec 
les  faiseurs  des  Etats-Unis  d'Amérique  qui  inventèrent  le  gros 
télescope  et  les  découvertes  de  la  lune  et  le  mortier  monstre  qui 
servit  à  la  guerre  des  Anglois  et  des  Chinois. 

Morlanwetz,  où  il  met  son  académie,  est  un  gros  village  du 
Hainaut  où  l'on  extrait  de  la  houille,  et  qui  n'est  célèbre  que  par 
les  ruines  du  château  de  Marimont,  situées  sur  son  territoire. 
Les  académies  n'y  sont  pas  communes,  et  l'on  n'y  comptera 
jamais  d'autres  sociétés  que  des  sociétés  charbonnières. 

Ce  farceur  a  fait  paraître  à  cette  occasion  :  De  la  vitesse  rela- 
tive et  anaclastique  de  Vakénésie  d*un  corps  solide  en  repos. 
Mémoire  présenté  à  l'académie  Petré-Laconique  et  Bombo- 
raxale  (section  des  sciences  exactes),  par  Héleno  Cranir  de 
Mnos  en  Argolide  (Renier  Châlon  de  Mons).  A  Morlanwel^ 
[MonSy  Hoyois),  imprimé  par  ordre  de  l'Académie,  1840,  in-8, 
tiré  à  16  exemplaires  sur  papier  rose.  Le  n°  3  avec  envoi  de  l'au- 
teur était  dans  la  bibliothèque  de  Nodier,  d'où  il  passa  chez 
M.  Baudeloque,  vendue  en  Avril  i85o  (n°  \?fji  du  catalogue). 

plusieurs  éditions,  a  été  réimprimé  dans  la  fort  curieuse  Histoire  des  livres 
populaires,  par  M.  Charles  Nisard.  Paris,  1864,  in-12,  tome  II,  page  25g. 

(ij  C'était  un  catalogue  spirituellement  rédigé  de  livres  imaginaires;  l'édi- 
tion originale  est  fort  rare,  mais  cette  facétie  a  été  réimprimée  en  1849  dans 
le  Journal  de  l'Amateur  de  livres,  publié  par  M.  Jannet  (journal  qui  ne  vécut 
guère  que  deux  ans)  et  dans  YEssai  de  M.  G.  Brunet  sur  les  bibliothèques 
imaginaires  (page  36 1)  imprimé  à  la  suite  du  Catalogue  de  la  Bibliothèque 
de  Saint-Victor  au  XVI*  siècle,  par  le  bibliophile  Jacob  (Paris,  Techener, 
1  862,  in-S.  Voir  d'ailleurs  le  Bulletin  du  bibliophile  belge,  tom.  I,  pages  167- 
169;  Y  Annuaire  de  la  Bibliothèque  royale  de  Belgique,  1841,  p.  269-276; 
les  Supercheries  littéraires,  par  M.  Quérard,  tom.  II,  pages  87-89. 


PHI  -       i37 

PHILALÈTHES  (Collège  des),  à  Lille.  En  1785,  se  forma 
à  Lille  une  association  de  gens  aimables,  éclairés,  et  bons  vi- 
vants, avec  l'intention  de  joindre  les  délassements  littéraires 
aux  travaux  maçonniques  alors  à  la  mode.  Elle  prit  le  nom  de 
Collège  des  Philalèthes,  et  pour  épigraphe  Utile  dulci.  Des 
questions  furent  posées,  des  prix  assignés  à  ceux  qui  se  distin- 
gueraient le  plus.  Les  orages  qui  grondaient  à  l'horizon  poli- 
tique n'intimidèrent  que  médiocrement*  des  hommes  décidés  à 
s'occuper  de  poésie,  de  sciences  et  d'arts  utiles.  Les  Philalèthes 
augmentèrent  le  nombre  de  leurs  associés  et  de  leurs  correspon- 
dants; ils  offrirent  enfin  aux  Lillois  étonnés,  une  espèce  de  com- 
mémoration de  la  fête  des  muses,  dans  une  séance  publique 
tenue  dans  le  chef-lieu  de  la  Flandre. 

Tous  les  six  mois,  ils  imprimaient  un  bulletin  donnant  une 
série  de  18  questions  à  traiter  dans  le  semestre  qui  s'ouvrait. 

Le  maréchal,  prince  de  Soubise  était  associé  honoraire  des 
Philalèthes;  le  maréchal  de  camp  Poisson  des  Londes,  ingénieur 
en  chef  à  Lille,  fut  président  du  Collège.  M.  Delory,  auteur 
d'un  projet  d'histoire  universelle  des  sciences,  le  chevalier  Lego- 
nidec  de  Tressan,  et  le  chevalier  Aubert  de  Bernois,  en  étaient 
membres. 

PHILARÈTES  (Académie  des).  Il  existe  un  livret  devenu 
rare  intitulé:  Discours  académique  du  Ris, prononcé  en  l'Aca- 
démie des  Philarètes,  et  discours  du  ridicule  (sans  date),  in-8. 
Il  est  réuni  quelquefois  avec  des  pièces  de  1 63o,  comme  les  Jeux 
de  Vincognu.  Paris,  au  Palais,  i63o.  —  La  Herté,  ou  l'Uni- 
versel, i63o.  —  La  Blanque  des  marchands  meslés,  in-8.  (Un 
exemplaire  figure  au  catalogue  des  livres  de  Viollet- Leduc, 
n°  1483,  en  1849.  Il  s'agit  évidemment  d'une  académie  imagi- 
naire.) 

PHILANTHROPES  (Société  des).  Cette  Société  fut  créée 
vers  1782,  époque  où  l'on  s'occupait  beaucoup  de  réformes  et  de 
progrès  humanitaires.  Nous  croyons  qu'elle  ne  s'est  jamais  cons- 
tituée de  manière  à  avoir  une  existence  active.  Nous  possédons 


i38  PHI 

un  exemplaire  de  ses  statuts;  nous  croyons  devoir  le  reproduire: 

La  philanthropie  est  une  famille  de  citoyens  éclairés  et  ver- 
tueux, unis  étroitement  par  le  lien  de  l'amour  des  hommes. 

Par  cet  amour,  les  Philanthropes  n'entendent  pas  le  senti- 
ment vague  d'une  âme  sans  énergie,  qui  se  borne  à  des  vœux 
stériles  et  impuissants  pour  le  bien  de  l'humanité  en  général; 
mais  ce  feu  divin  qui  embrase  un  cœur  sensible,  qui  lui  fait  un 
besoin  de  la  félicité  de  ses  semblables  &  l'occupe  sans  cesse  des 
moyens  de  le  satisfaire. 

Une  bienfaisance  active  fait  la  base  de  la  philanthropie,  et  son 
but  principal  est  la  perfection  physique  et  morale  de  l'homme, 
d'où  résulte  le  plus  grand  bonheur  dont  il  puisse  jouir  dans 
l'état  civil.  Toutes  les  connaissances  humaines  qui  concourent  à 
consoler,  soulager  ou  éclairer  l'homme,  sont  du  ressort  de  la 
philanthropie. 

Elle  admet  les  belles  lettres  dans  son  sanctuaire,  mais  seule- 
ment comme  une  utile  récréation,  ou  comme  un  ornement  ac- 
cessoire, qui  embellit  ses  travaux  et  en  augmente  l'intérêt. 

Les  arts  de  luxe,  les  talents  frivoles,  les  sciences  purement  spé- 
culatives, ou  qui  n'ont  d'autre  objet  que  de  satisfaire  une  vaine 
curiosité,  ne  sont  donc  pas  des  titres  bien  recommandablespour 
la  philanthropie.  Mais  cette  Société  exclut  à  jamais  de  son  sein 
et  avec  l'attention  la  plus  sévère,  toutes  discussions  religieuses  et 
politiques,  qui  pourraient  élever  contre  elle  le  moindre  nuage, 
donner  la  plus  légère  atteinte  à  l'ordre  social,  ou  seulement  al- 
térer la  paix  et  l'harmonie  qui  doivent  régner  dans  toutes  les 
réunions  philanthropiques. 

En  un  mot  se  dévouer  plus  particulièrement  au  bien  général, 
faire  aimer  et  respecter  la  vertu,  donner  partout  l'exemple  d'un 
travail  utile,  de  la  soumission  et  de  l'obéissance  aux  lois  de  la 
patrie  :  tel  est  l'engagement  sacré  du  philanthrope.  Cette  Société 
patriotique  espère  être  assez  heureuse  pour  mériter  un  jour,  par 
la  sagesse  de  ses  vues  et  le  désintéressement  de  ses  travaux,  la 
sanction  civile  et  une  existence  légale.  Ce  bienfait  est  le  terme 
de  son  ambition* 


PHI  i3g 

Art.  Irr.  —  Composition  générale  de  la  Société.  —  La  So- 
ciété des  Philanthropes  est  formée  de  plusieurs  comités  parti- 
culiers sous  le  nom  de  maisons.  Chaque  maison  est  composée 
d'un  nombre  indéfini  de  membres  tous  égaux  entre  eux,  sans 
aucune  prépondérance,  distinction  de  rang,  ou  division  de  classe 
en  honoraires,  titulaires,  correspondants,  etc; 

Une  maison  philanthropique  suffit  dans  chaque  province  :  un 
plus  grand  nombre  pourrait  apporter  quelque  confusion,  ou 
jeter  de  l'embarras  dans  la  correspondance. 

L'établissement  d'une  maison  se  fait  dans  les  comices  généraux 
de  la  philanthropie,  ou  du  consentement  unanime  de  toutes  les 
maisons. 

^Lorsque  plusieurs  Philanthropes  domiciliés  dans  un  lieu  où 
il  n'y  a  pas  encore  d'établissement,  désireront  y  en  former  un, 
ils  adresseront  leur  requête  à  cette  fin  au  secrétaire  général,  qui 
la  présentera  aux  comices  pour  y  être  fait  droit. 

Si  le  temps  de  la  tenue  des  comices  est  trop  éloigné,  le  secré- 
taire général  communique  la  requête  à  toutes  les  maisons;  et 
lorsqu'il  en  aura  reçu  le  consentement  unanime,  alors  il  expé- 
diera, en  leur  nom,  des  lettres  portant  permission  provisoire  de 
se  réunir  en  comité;  laquelle  permission  sera  représentée  aux 
comices  prochains  pour  y  être  ratifiée. 

Art.  II.  —  Législation  de  la  Société.  Comices.  —  La  légis- 
lation de  la  philanthropie  réside  dans  les  comices  ou  dans  l'as- 
semblée générale,  qui  se  tient  tous  les  trois  ans,  au  mois  de  mai. 
Chaque  maison  y  assiste,  et  y  est  représentée  par  son  président, 
ou  à  son  défautrpar  un  député  muni  de  tous  ses  pouvoirs. 

Pendant  la  tenue  des  comices,  l'autorité  de  chaque  maison  est 
suspendue  jusqu'au  retour  de  son  député  et  la  réception  de  l'acte 
de  clôture  des  comices. 

Chaque  maison  prend  séance  aux  comices  et  donne  sa  voix 
selon  l'ordre  de  la  date  de  son  institution. 

Tout  se  règle  dans  les  comices  à  la  pluralité  des  suffrages,  qui 
sont  recueillis  par  le  secrétaire  général,  sans  qu'il  puisse  donner 
le  sien. 


HO  PHI 

Le  secrétaire  général  est  élu,  lors  de  la  clôture  des  comices 
parmi  les  membres  résidents  de  la  maison  de  Strasbourg  ;  il 
tient  les  registres  de  l'assemblée,  rédige  les  actes  et  en  délivre  les 
expéditions  requises,  soit  aux  différentes  maisons,  soit  aux 
parties  intéressées. 

C'est  dans  les  comices  généraux  que  réside  le  pouvoir  de  sta- 
tuer sur  les  intérêts  communs  de  la  Société,  d'établir  de  nou- 
velles maisons  ,  et  de  faire  des  règlements  généraux  avec  les  ad- 
ditions et  les  corrections  qu'on  jugera  nécessaires.  Le  tout  sans 
déroger  à  la  loi  fondamentale  de  l'égalité  parfaite. 

Les  arrêtés  des  comices  généraux  ont  force  de  lois  invariables 
jusqu'à  la  tenue  des  comices  suivants. 

Chaque  maison  peut  faire,  pour  son  régime  particulier,  tels 
règlements  qu'elle  jugera  convenables,  sans  néanmoins  donner 
atteinte  aux  statuts  généraux. 

Chaque  maison  fait  insérer  dans  la  feuille  de  correspondance 
du  mois  de  février,  qui  précède  la  tenue  des  comices,  toutes  les 
demandes  et  propositions  qu'elle  veut  faire  à  cette  assemblée. 
Le  secrétaire  général  en  forme  un  cahier  méthodique,  dont  il 
envoie  une  copie  à  chaque  maison;  ce  cahier  sert  de  base  aux 
instructionsdesdéputéset  tracel'ordre  des  conférences comitiales. 

On  a  choisi  Strasbourg  pour  le  lieu  de  l'assemblée  des  co- 
mices et  le  centre  de  la  philanthropie,  sans  que  ce  choix,  fondé 
uniquement  sur  les  avantages  de  sa  situation,  puisse  donner  à 
la  maison  philanthropique  de  cette  ville,  aucune  prééminence  ou 
supériorité  sur  les  autres. 

Art.  III.  —  Administration  de  la  Société.  Officiers.  —  La 
liberté  et  l'égalité  parfaite  étant  la  base  fondamentale  et  le  prin- 
cipe constitutif  de  la  Philanthropie,  toutes  les  Maisons  sont 
essentiellement  indépendantes  les  unes  des  autres.  Elles  com- 
muniquent entr'elles,  soit  par  la  voie  de  leurs  Secrétaires  res- 
pectifs, soit  par  le  Secrétaire  général  de  la  Société. 

Chaque  maison  élit  ou  confirme,  tous  les  ans,  à  la  pluralité 
des  suffrages,  quatre  Officiers,  savoir,  un  Président,  un  Secré- 
taire, un  Vice- Président  et  un  Trésorier. 


PHI 


141 


Le  Président  fait  l'ouverture  des  assemblées  par  l'exposition 
des  matières  qui  doivent  y  être  traitées  ;  il  présente  les  nouveaux 
membres;  recueille  les  avis,  conclut  à  la  pluralité,  et  signe  avec 
le  Secrétaire  tous  les  actes  et  délibérations  de  l'assemblée.  Enfin, 
il  est  le  Représentant  né  de  sa  maison  à  la  tenue  des  comices 
généraux. 

Le  Secrétaire  est  chargé  de  la  correspondance,  soit  avec  les 
membres  dispersés  de  sa  maison,  soit  avec  les  étrangers,  soit 
avec  les  autres  maisons,  soit  enfin  avec  le  Secrétaire  général.  Il 
tient  les  registres  sur  lesquels  il  rédige  et  signe  le  résultat  des 
délibérations  et  de  tous  les  actes  de  l'assemblée. 

Le  Vice- Président  remplace  le  Président  en  cas  d'absence  et 
en  fait  toutes  les  fonctions. 

Le  Trésorier  dispose,  sous  l'autorité  de  la  maison, de  ses  fonds, 
tant  pour  les  dépenses  courantes,  que  pour  les  autres  objets  de 
bienfaisance.  On  ne  prescrit  rien  à  cet  égard  à  la  délicatesse  des 
Philanthropes;  le  Trésorier  recueille  leurs  subsides  volontaires 
au  mois  de  novembre,  et  présente  ses  comptes  deux  fois  l'an, 
pour  les  faire  arrêter  et  signer  après  l'examen  et  le  rapport  de 
deux  Commissaires  nommés  à  cet  effet. 

Ces  quatre  Officiers,  étant  les  censeurs  nés  de  tous  les  ou- 
vrages présentés  à  leurs  maisons,  doivent  être  choisis  de  préfé- 
rence entre  les  membres  résidant  les  plus  versés  dans  les  sciences 
et  dans  les  belles-lettres,  et  qui  ne  sont  pas  trop  surchargés 
d'autres  occupations. 

Art.  IV .  —  Candidats.  —  Quoique  la  Philanthropie  ne  doive 
admettre  que  des  candidats  qui,  outre  les  qualités  requises,  en 
auront  fait  la  demande,  soit  directement,  soit  indirectement, 
par  l'organe  de  quelque  Philanthrope  :  cependant  on  pourra,  si 
le  bien  de  la  Philanthropie  le  demande,  prévenir  quelques  su- 
jets distingués  par  un  mérite  ou  des  talents  supérieurs;  mais 
cette  démarche  sera  toujours  faite  avec  toute  la  prudence  et  la 
circonspection  qu'exige  la  dignité  de  la  Philanthropie. 

Les  qualités  absolument  requises  dans  un  candidat  qui  aspire 
à  l'association  philanthropique  sont  un  état  honorable  dans  la 


H2  PHI 

société  civile,  des  mœurs  pures  et  intègres,  et  un  titre  qui  atteste 
des  connaissances  vraiment  utiles,  ou  du  moins  une  vertu  ac- 
tive bien  reconnue. 

Le  candidat  proposé  doit  réunir  tous  les  suffrages  de  la  mai- 
son à  laquelle  il  désire  d'être  associé:  et  son  admission  sera  con- 
firmée dans  la  prochaine  assemblée,  si  l'unanimité  des  suffrages 
est  toujours  constante. 

S'il  n'y  a  qu'une  voix  pour  l'exclusion  d'un  candidat,  l'oppo- 
sant doit  déclarer  à  l'assemblée,  ou  aux  Officiers  de  la  maison, 
les  motifs  de  son  refus,  dont  la  validité  sera  jugée  à  la  pluralité 
des  suffrages  dans  le  premiçr  cas;  mais  dans  le  second  cas,  Funa- 
nimité  est  absolument  nécessaire. 

Chaque  maison  peut  s'associer  les  candidats  étrangers  qu'elle 
croira  propres  à  remplir  ses  vues,  mais  elle  n'en  admettra  aucun 
qui  soit  domicilié  dans  une  province  où  il  existe  une  maison 
philanthropique,  sans  en  avoir  obtenu  le  consentement. 

Tout  Philanthrope  qui  aura  négligé  de  correspondre  pendant 
une  année  entière,  avec  la  maison  dont  il  est  membre,  sera  censé 
renoncer  à  l'association,  et  son  nom  ne  paraîtra  plus  sur  le  ca- 
talogue de  la  Philanthropie. 

Art.  V.  —  Assemblées  de  la  Société.  —  Les  assemblées  or- 
dinaires de  chaque  maison  se  tiennent  tous  les  i5  jours.  Les 
matières  qu'on  y  traite  sont  les  nouvelles  philanthropiques  ;  la 
lecture  des  correspondances;  la  lecture  et  l'examen  des  ouvrages 
présentés,  sur  le  rapport  des  Commissaires  ;  les  plans  des  opé- 
rations utiles;  l'admission  des  candidats,  etc. 

Les  Philanthropes  ne  sont  pas  astreints  à  des  lectures  régu- 
lières, qui  pourraient  gêner  leurs  occupations  civiles,  mais  ils 
consacrent  de  préférence  à  la  Philanthropie  leurs  ouvrages  qui 
traitent  des  objets  d'utilité  publique,  et  les  soumettent  au  juge- 
ment de  la  compagnie,  avant  de  les  présenter  ailleurs,  ou  de  les 
faire  imprimer.  Ils  doivent  tacher  de  donner  au  moins  chaque 
année  un  bon  ouvrage  où  ils  proposent  toutes  les  idées  utiles, 
tous  les  projets  qu'ils  forment  pour  le  bien  des  hommes.  Cette 
discussion  fait  le  fond  de  nos  conférences  philanthropiques  et  est 


PHI  143 

consignée  dans  nos  registres.  Une  idée  patriotique  peut  avoir 
tôt  ou  tard,  même  dans  un  pays  éloigné,  une  influence  bienfai- 
sante sur  une  portion  respectable  de  citoyens. 

Art.  VI.  —  Objet  des  travaux  de  la  Société.  —  L'étude  de 
l'homme,  de  ses  besoins,  de  ses  droits,  de  ses  devoirs,  sa  perfec- 
tion morale  et  physique,  sont  les  deux  branches  des  travaux  con- 
sacrés spécialement  à  la  Philanthropie.  La  partie  morale  com- 
prend l'éducation  et  sa  perfection  successive;  des  projets  de  cha- 
rité, des  établissements  utiles,  tout  ce  qui  peut  être  objet  d'ému- 
lation et  faire  fleurir  les  mœurs,  donner  de  l'énergie  aux  âmes 
et  éclairer  les  hommes  sur  leurs  vrais  intérêts.  La  partie  phy- 
sique, à  laquelle  elle  s'attache  de  préférence,  embrasse  l'étude 
pratique  de  la  nature,  l'agriculture,  le  commerce,  et  la  perfec- 
tion des  manufactures  et  des  arts  mécaniques.  Accoutumée  sur- 
tout à  regarder  avec  respect  et  intérêt,  cette  classe  utile  de  ci- 
toyens, qui  nourrit  les  autres,  elle  s'empresse  à  lui  procurer  du 
soulagement,  ou  de  l'instruction.  Elle  excite  à  cette  fin  l'indus- 
trie par  des  prix  champêtres,  engagea  certaines  plantations  né- 
gligées, mais  convenables  à  la  nature  du  terrain  et  aux  besoins 
du  local,  récompense  l'invention  de  nouvelles  machines  ou  d'ins- 
truments utiles,  travaille  à  des  écrits  élémentaires  pour  les  cam- 
pagnards, et  perfectionne  ceux  qui  servent  exclusivement  à  son 
instruction  et  à  son  amusement,  et  auxquels  il  est  difficile  sou- 
vent d'en  substituer  d'autres.  Elle  correspond,  à  cet  effet  avec 
des  fermiers  intelligents,  et  des  curés  bienfaisants,  qui  seront 
convaincus  que  leur  ministère  n'est  point  borné  aux  besoins 
spirituels  de  leurs  paroissiens. 

Les  opérations  économiques  des  Philanthropes  sont  donc 
principalement  locales;  les  spéculations  générales  et  brillantes 
manquent  communément  leur  effet  dans  la  pratique. 

Art.  VIL  —  Relations  de  voyages.  —  Les  relations  de 
voyages  font  aussi  une  des  branches  de  l'instruction.  Le  Philan- 
thrope, qui  fait  vœu  d'aimer  les  hommes,  doit  s'empresser  à  les 
connaître.  La  Société  prie  donc  ceux  de  ses  membres  qui  voyagent, 
de  lui  communiquer  leurs  observations  sur  les  pays  qu'ils  par- 


i44  PHI 

courent,  et  d'en  faire  connaître  les  lois,  les  mœurs,  la  nature  du 
climat,  l'état  de  la  population  et  de  la  culture;  les  besoins,  les 
richesses,  le  commerce,  l'état  des  lettres  et  des  arts;  surtout  de 
rendre  compte  de  l'action  réciproque  des  mœurs  et  des  lois,  des 
instituts  qui  y  sont  établis  en  faveur  de  l'humanité,  de  l'éduca- 
tion, de  la  charité  et  de  l'émulation. 

Le  secrétaire  entretient,  au  nom  de  la  Société,  la  correspon- 
dance avec  les  voyageurs,  dirige  leurs  observations  et  assigne  à 
chacun  les  objets  sur  lesquels  elle  désire  d'avoir  des  renseigne- 
ments clairs  et  certains. 

Art.  VIII.  —  Censure  des  ouvrages.  —  Les  ouvrages  pré- 
sentés à  la  philanthropie,  soit  par  ses  membres,  soit  par  les 
externes,  sont  remis  aux  officiers,  commissaires  délégués  pour 
la  censure,  lesquels,  après  un  examen  sévère,  en  rendent  compte 
à  l'assemblée  qui  jugera  du  mérite  et  du  sort  de  chacune  de  ces 
productions. 

Tous  les  mémoires  philanthropiques  destinés  à  l'impression^ 
doivent  être  approuvés,  non-seulement  par  la  maison  dans  la- 
quelle ils  ont  été  lus,  mais  encore  par  une  commission  nommée 
parmi  les  membres  d'une  autre  maison,  pour  s'assurer  davantage 
du  mérite  des  ouvrages,  et  prévenir  les  effets  d'une  indulgence 
assez  naturelle  entre  les  membres  d'une  même  maison. 

On  fait  un  choix  des  meilleurs  morceaux  qui  ont  été  lus  dans 
le  courant  de  l'année,  aux  différentes  maisons,  pour  en  donner 
au  public  un  ou  deux  volumes,  sous  le  titre  de  Mémoires  d'une 
société  de  Philanthropes. 

Art.  IX.  —  Correspondance  des  maisons.  —  A  la  fin  de 
chaque  mois,  le  secrétaire  fait  un  précis  de  tous  les  actes  de  sa 
maison,  qu'il  adresse  au  secrétaire  général;  celui-ci  en  forme  la 
matière  d'une  feuille  de  correspondance,  ou  gazette  philanthro- 
pique qui  paraîtra  tous  les  mois  imprimée  à  l'usage  des  seuls 
philanthropes.  Cette  feuille  contiendra  tous  les  événements  de  la 
philanthropie,  l'analyse  des  mémoires,  le  précis  des  opérations, 
les  réceptions  des  candidats,  les  morts  des  philanthropes,  les 
traits  de  bienfaisance,  les  découvertes  utiles  et  interressantes^etc. 


PHI  i45 

Les  produits  de  l'abonnement  pour  cette  feuille  périodique  sont 
destinés  aux  frais  de  la  correspondance  générale  et  de  la  tenue 
des  comices. 

Art.  X.  —  Devoirs  philanthropiques.  — Les  philanthropes, 
unis  par  le  lien  d'une  fraternité  étroite,  exercent  entre  eux  tous 
les  devoirs  de  l'amitié  et  de  l'humanité.  Ils  se  secourent  mutuel- 
lement dans  leurs  maladies  et  leurs  afflictions,  &  rendent  enfin 
les  derniers  devoirs  à  ceux  que  la  mort  leur  enlève  et  dont  ils 
conservent  une  mémoire  à  jamais  chérie.  On  insère  dans  le  Né- 
crologe la  liste  de  leurs  ouvrages,  et  le  précis  des  bonnes  actions 
qui  ont  illustré  leur  vie. 

PHILOCHOREITES  (Ordre  des).  C'est  une  société  des 
Amis  de  la  Danse 3  ainsi  que  le  nom  grec  qu'elle  s'est  donné 
l'annonce. 

PHILOSOPHES  ORATEURS  (Académie  des).  Société  lit- 
téraire qui  dura  une  trentaine  d'années  dans  la  seconde  moitié 
du  XVI  Ie  siècle,  et  qui  se  réunissait  les  samedis,  place  Dauphine, 
à  la  Renommée ,  deuxième  appartement,  sous  la  présidence  de 
Jean  de  Soudier,  sieur  de  Richesource,  singulier  rectificateur  de 
la  langue  et  du  style,  faisant  concurrence  à  l'Académie  Fran- 
çaise. Il  composa  vingt  ouvrages  qu'il  vendait  lui-même  à  ses 
auditeurs  dans  ses  conférences  hebdomadaires.  Richelet  s'est 
moqué  dans  son  Dictionnaire  de  ce  correcteur  du  Parnasse. 

Il  avait  fait  graver  une  estampe  relative  à  ses  séances  oratoires 
de  chaque  samedi.  Son  emblème  était  un  bâton  qui  porte  autant 
quHl  est  porté ;,  disait-il,  avec  cette  devise:  Je  soutiens  ceux  qui 
me  portent. 

Il  nous  reste  deux  opuscules  curieux  sur  cette  académie  : 

Sujets  de  critique  prosaïques  et  versifiez,  honête  (sic),  recti- 
fiante et  raisonnée,  en  faveur  des  muses  naissantes chez  le 

sieur  de  Richesource,  les  samedis  à  deux  heures,  et  qui  donna  la 
liberté  de  proposer  des  difficultés.  Paris,  à  V Académie  des  Ora- 
teurs,  place  Dauphine,  à  la  Renommée,  deuxième  appartement. 
i685,  16  pages. 

10. 


146  PIE 

Les  mêmes  sujets  de  prose  et  de  vers_,  critiquez  d'une  manière 
raisonnée,  honête  et  rectifiante  en  faveur  des  auteurs  naissans..., 
chez  le  même,  Ibid.  à  V Académie  des  Philosophes-Orateurs, 
i685,  52  p.  Ces  deux  pièces  in-8. 

PIERROTS  (Société  des),  de  Paris.  Nous  empruntons  à  un 
journal  d'il  y  a  quelques  années  le  passage  suivant  : 

«  Pendant  que  le  grand  monde  s'amuse,  croyez  bien  que  le 
petit  monde  ne  se  croise  ni  les  bras,  ni  les  jambes.  —  A  l'heure 
même  où  on  dansait  aux  Tuileries  on  dansait  aussi  à  la  salle 
Bréda:  c'était  le  cinquième  bal  de  nuit  sous  le  patronage  de  la 
société  des  Pierrots  de  Paris.  —  Cette  société  a  bien  positive- 
ment existé  il  y  a  une  trentaine  d'années;  elle  s'était  recrutée 
dans  une  classe  de  commis  marchands  qui  se  reconnaissaient  à 
certains  détails  du  costume  classique  du  Pierrot  et  formaient 
ainsi  une  sorte  de  franc-maçonnerie  dans  les  bals  masqués.  Il  y 
a  là-dessus  une  histoire  demeurée  célèbre. 

a  Dans  le  carnaval  de  1821,  Rougemont,  auteur  dramatique, 
homme  d'esprit  et  mystificateur  ingénieux,  avait  parié  à  un  bal 
de  la  Porte  Saint-Martin  qu'il  ferait  sortir  tous  les  pierrots  de  la 
salle.  On  était  alors  encore  sous  l'impression  produite  par  l'as- 
sassinat du  duc  de  Berry.  Rougemont,  s'approchant  d'un  pier- 
rot de  ses  amis,  lui  dit  à  voix  basse  et  confidentiellement,,  mais 
de  façon  à  être  entendu  de  tout  un  groupe  de  pierrots:  «  Filez 
«vite,  mon  cher  ami;  partez  sans  regarder  derrière  vous:  le 
«  duc  d'Angoulême  vient  d'être  assassiné  par  un  pierrot,  et  on 
«  arrête  tous  les  pierrots  qu'on  rencontre  dans  Paris.  »  Au  bout 
de  dix  minutes  il  ne  restait  plus  un  seul  pierrot  dans  la  vaste 
salle  de  la  Porte  Saint-Martin. 

«  Je  suis  trop  loin  de  ces  pierrots  de  mon  enfance  pour  savoir 
si  la  société  contemporaine  descend  de  la  fameuse  société  de  la 
Restauration.  Ceux-ci  vivent  beaucoup  plus  en  famille:  la  salle 
Bréda  n'est  guères  fréquentée  que  par  des  initiés,  et  les  affiches 
font  de  vains  efforts  pour  y  attirer  des  pierrots  de  bonne  compa- 
gnie; et  cependant,  d'après  l'affiche: 


PLA  147 

«  La  plume  cPor  des  conteurs  arabes  ne  saurait  décrire  toutes 
«  les  merveilles  que  l'administration  prépare  à  ses  nombreux  vi- 
ce siteurs.  » 

PINSONNIERS  (Société  des),  de  Namur.  On  lit  dans  le 
Journal  de  Namur,  décembre  i85o.  «La  Société  des  Pinsonniers 
de  Namur,  dont  l'origine  remonte  à  plusieurs  siècles  et  qui  a  si 
brillamment  figuré  aux  dernières  fêtes  de  notre  kermesse,  était 
menacée  de  dissolution.  A  l'audience  d'hier  de  la  justice  de  paix, 
il  y  avait  une  action  en  revendication  du  drapeau  formée  par 
une  partie  des  sociétaires;  après  les  plaidoiries  des  avocats  sur 
l'esprit  du  règlement,  le  jugea  proposé,  par  forme  de  transaction, 
de  vendre  l'objet  litigieux  entre  les  deux  partis  dissidents,  ce 
qui  fut  immédiatement  exécuté  par  le  ministère  du  notaire  B., 
qui  se  trouvait  à  la  séance.  Le  capitaine  des  Pinsonniers,  déten- 
teur du  drapeau,  fut  ainsi  obligé  d'en  faire  la  remise  aux  acqué- 
reurs qui  maintiendront  la  société.  Des  applaudissements  ont 
couronné  l'rjeuvre,  mais  nous  ne  savons  si  les  avocats  ont  pris 
les  médailles  en  guise  d'huître,  laissant  la  hampe  et  l'étoffe  aux 
plaideurs.  » 

PLAISANCE  (Confrérie  de).  Réunion  qui  existait  à  Valen- 
ciennes  au  moyen  âge.  Elle  célébrait  une  fête  le  dimanche  avant 
la  Pentecôte.  Le  Père  Menestrier,  dans  son  Traité  de  la  Che- 
valerie ancienne  et  moderne,  donne  à  cet  égard  quelques  dé- 
tails qui  ont  été  reproduits  dans  la  Collection  de  Dissertations 
sur  Vhistoire  de  France,  tome  IX,  page  324.  Tous  les  gentils- 
hommes, prélats  et  magistrats  des  villes  voisines  furent  invités. 
Le  prince  de  Plaisance,  accompagné  de  son  cortège,  allait  rece- 
voir les  compagnies  qui  venaient  à  la  fête.  D'abord  le  prévôt 
des  coquins,  nommé  Peuffrin ,  monté  sur  un  cheval  dont  la 
housse  était  peinte  de  verges,  de  cartes  et  de  dés;  il  était  suivi 
d'une  troupe  de  coquins  vêtus  de  casaques  de  canevas  bandées 
de  violet.  Le  roi  des  porteurs  à  sac  marchait  ensuite  également 
à  cheval  et  accompagné  de  cinquante  porteurs  vêtus  de  rouge  à 
bandes  noires.  La  troisième  compagnie  était  celle  de  VEtrille, 


148  PLE 

composée  de  cinquante  hommes  à  cheval,  vêtus  de  casaques 
vertes,  bordées  de  noir,  avec  des  housses  semées  d'étoiles  de 
broderie.  La  compagnie  du  prince  était  de  cent  chevaliers. 

PLATOGES  (Ordre  des).  Nous  manquons  de  renseignement 
sur  cet  ordre  qui  paraît  avoir  été  une  invention  du  libelliste 
Cheyrier.  Il  donna  ce  titre  (l'Ordre  des  Platoges)  à  un  libelle 
qui  paraît  n'avoir  jamais  été  imprimé.  M.  Gillet  de  Nancy  le 
mentionne,  mais  sans  entrer  dans  aucun  détail,  dans  sa  Notice 
historique  et  bibliographique  sur  Chevrier  (Nancy,  1864,  in-8<>), 
et  il  annonce  (page  169)  qu'il  possède  une  copie  manuscrite  de 
ce  pamphlet. 

PLEIADE  (la)  et  le  Recueil  du  Cosmopolite,  —  Le  duc 
d'Aiguillon.  -  La  princesse  de  Conti.  —  Le  bien  et  le  mal  se 
partagent  à  peu  près  également  les  actions  des  mortels;  croyons 
cependant  que  le  bien  l'emporte.  S'il  y  a  eu  des  associations 
pour  exécuter  de  grandes  et  belles  choses,  il  en  exista  aussi 
pour  commettre  des  œuvres  répréhensibles.  C'est  dans  cette  ca- 
tégorie qu'il  faut  classer  la  production  du  Recueil  de  pièces 
choisies,  rassemblées  par  les  soins  du  Cosmopolite.  A  Ancône, 
Uriel  B...t,à  V enseigne  de  la  Liberté,  1745,  in-4. 

Tout  mauvais  cas  est  niable,  aussi  la  société  débraillée  qui 
mit  au  monde  cet  enfant  impudent  ne  s'est-elle  pas  vantée  du 
fait.  Il  en  résulte  qu'on  lui  accorde  une  double  origine _,  comme 
cela  arrive  aux  enfants  dont  la  vertu  des  parents  est  probléma- 
tique. S'il  faut  en  croire  une  note  écrite  sur  un  exemplaire 
vendu  284  livres,  chez  Lefebure,  en  1797,  il  n'aurait  été  tiré 
qu'à  sept  exemplaires  seulement.  La  princesse  de  Conti  l'aurait 
fait  imprimer  dans  une  de  ses  maisons  de  campagne  (quel  passe- 
temps  pour  une  princesse!  )  de  concert  avec  le  comte  d'Agénois 
et  quelques  autres  seigneurs,  pour  rivaliser  madame  la  grande 
duchesse  et  M.  de  Lassay,  qui  avaient  mis  au  monde  les  Mé- 
moires du  temps  (1).  Les  deux  ouvrages  furent  d'abord  dési- 

(1)  11  nous  semble  que  cet  ouvrage  est  resté  inconnu.  Il  n'a  point  été  im- 
primé, et  nul  écrivain,  que  nous  sachions,  n'en  fait  mention. 


PIE 


49 


gnés,  dans  la  société  de  ces  dames,  sous  le  nom  de  Pléiade,  qui 
indiquait  en  même  temps  et  le  nombre  des  personnes  qui  con- 
coururent à  leur  formation,  et  celui  des  exemplaires  imprimés. 
Le  premier  Cosmopolite  qui  ait  paru  dans  le  commerce,  avait 
été  cédé  au  comte  de  Scomberg  par  le  duc  de  La  Vallière.  Parmi 
les  pièces  rares  et  infâmes  qu'on  trouve  dans  ce  recueil,  on  re- 
marque les  Sonnets  et  Sonettiet  les  Doutes  amoureux,  del'A- 
ritin^  en  italien;  le  B....I  céleste  de  P.  Petit,  qui  fut  brûlé  en 
place  de  Grève  pour  l'avoir  composé,  et  les  Couplets  ou  Noëls 
bourguignons,  qui  ne  sont  pas  ceux  de  La  Monnage. 

S'il  faut  en  croire  Debure,  d'après  une  note  qu'on  lit  sur 
l'exemplaire  du  Cosmopolite  ayant  appartenu  au  marquis  de 
Paulmy  et  faisant  aujourd'hui  partie  de  la  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal ;  ce  recueil  aurait  été  formé  par  le  duc  d'Aiguillon,  père  du 
ministre,  imprimé  chez  lui  et  par  lui  dans  sa  terre  de  Vérets, 
en  Touraine,  et  tiré  seulement  à  dou^e  exemplaires;  l'épître  à 
Mme  Miramion,  en  tête  de  l'ouvrage,  et  la  préface  sont  de 
Moncrif. 

En  1797,  à  la  vente  de  M.  Belin  Junior,  un  exemplaire  orné 
de  quatre  figures,  en  couleur,  exécutées  par  un  artiste  habile,  fut 
adjugea  35 1  livres.  En  i8o3,  chez  Méon,  il  ne  fut  vendu  que 
3oo  livres.  Depuis  lors,  deux  exemplaires  ont  changé  de  main^ 
au  prix  de  5o  louis  (1). 

Ce  recueil  des  pièces  les  plus  libres  et  les  plus  impies  qu'on 


(1)  Le  Manuel  du  Libraire  indique  diverses  adjudications  depuis  175  fr. 
(exemplaire  relié  en  veau,  vente  Labey),  jusqu'à  52  5  fr.  en  1829.  La  cin- 
quième édition  n'ajoute  rien  à  ce  que  la  quatrième  fait  connaître  à  cet  égard; 
nous  avons  noté  quelques  autres  ventes:  3i5  francs,  Nodier,  en  1844,  re- 
vendu 304  fr.,  Baudelocque;  425  fr.,  H.  de  Ch.  en  i863.  Nous  en  avons 
rencontré  deux  adjudications  en  Angleterre:  12  1.  st.,  12  sh.,  vente  Hibbert 
et  1 1  1.  st.,  i5  sh.,  vente  Hanrott. 

Un  exemplaire  qui  figurait  sur  une  vente  faite  à  Paris  en  avril  186  5  n'a 
point  passé  aux  enchères,  mais  il  a  été  cédé  de  gré  à  gré  pour  plus  de  800 
francs.  Il  y  a  certainement  plus  de  sept  exemplaires,  car  on  a  constaté  l'exis- 
tence de  huit  ou  neuf  (y  compris  ceux  de 'la  Bibliothèque  impériale  et  de  la 
Bibliothèque  de  l'Arsenal).  Voir  deux  notes  de  Nodier  insérées  au  catalogue 


i5o  POM 

connaisse,  rassemblé  par  une  société  de  seigneurs  débauchés  et 
de  grandes  dames  fort  hardies^  est  peut-être  le  plus  rare  de  tous 
les  livres  ,  et  ce  n'est  pas  un  mal;  il  serait  dangereux  et  désolant 
qu'il  en  fût  autrement:  c'est  surtout  en  pareil  cas  que  le  tirage 
en  petit  nombre  est  obligatoire;  mieux  vaudrait  encore  ne 
l'avoir  pas  imprimé  du  tout  (i). 

Cette  Pléiade  erotique,  cette  association  plus  que  libre  n'a 
pas  été  citée  par  M.  P.  de  Malden  dans  sa  curieuse  notice  sur 
les  Pléiades,  publiée  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile  de  Téche- 
ner  (décembre  1846,  pages  1116-1184).  L'auteur  a  fort  judi- 
cieusement pensé  que  les  étoiles  qui  composaient  le  groupe 
étaient  des  nébuleuses  qu'on  faisait  bien  de  laisser  dans  l'ombre. 

PLUME  (Société  royale  de  la)  et  du  poil.  Espèce  d'asso- 
ciation secrète  formée  de  braconniers  de  toutes  les  espèces  et  de 
tous  les  pays.  Ils  doivent  s'entr'aider  moyennant  un  juste  sa- 
laire réglé,  par  un  tarif,  en  assemblée  générale.  Malheur  au 
braconnier  obscur  qui  dénoncerait  ou  n'aiderait  pas  un  membre 
de  la  société. 

Voir  Ruses  du  braconnage  mises  à  découvert ,  parla  Bruyère. 
Paris 3  1771,  et  Le  Chasseur  conteur,  par  Elzéar  Blaze.  Paris, 
i85o, in-8. 

POMME  DE  PIN  (Les  Dîners  de  la).  Chapelle,  un  des  co- 
ryphées modernes  de  la  secte  épicurienne,  les  frères  Broussin, 
connus  par  leur  amour  pour  la  bonne  chère.,  le  conseiller  Bril- 

Pixerécourt,  no  906,  et  dans  la  Description  de  sa  bibliothèque,  1844,  n°  565. 

Le  Cosmopolite  ne  contient  guère  que  des  pièces  qui  ont  reparu  depuis 
dans  divers  recueils.  J.-B.  Rousseau  et  Grécourt  y  figurent  pour  bien  des 
morceaux.  Des  bibliographes  répètent  depuis  longtemps  sans  examen  que  le 
B.-L  céleste  de  Claude  Le  Petit  fait  partie  de  ce  recueil.  C'est  une  erreur.  Cette 
production  obscène  a  pour  vrai  titre  le  B.-l.  des  Muses  et  n'a  point  été 
réimprimée. 

(  1)  Nous  nous  associons  pleinement  à  cette  idée,  et  nous  regrettons  d'avoir 
à  constater  qu'il  fut  fait  en  1864,  en  Belgique,  une  réimpression  du  Recueil 
du  Cosmopolite  ;  elle  forme  deux  volumes  in-12,  dont  il  n'a  été  tiré  qu'une 
centaine  d'exemplaires,  et  elle  est  accompagnée  d'une  notice  bibliographique. 


PON  i5i 

hac,  et  plusieurs  autres  personnages  de  distinction  ,  fondèrent 
un  dîner  hebdomadaire  au  cabaret  ou  à  l'hôtel  ayant  pour  ensei- 
gne à  la  Pomme  de  Pin,  où  la  joie  et  la  plus  franche  gaîté  pré- 
sidaient. On  peut  se  faire  une  idée  de  l'esprit  et  de  la  jovialité 
des  convives  en  songeant  que  les  Plaideurs  et  le  Chapelain  dé- 
coiffé furent,  en  grande  partie,  composés  dans  ces  joyeux  repas. 

POMONE  (La  Société  de).  On  trouve  dans  YAlmanach  des 
Muses  de  l'an  VIII,  p.  22 6,  les  statuts  de  la  Société  de  Pomone, 
établie  à  Paramé.  Ils  sont  signés  Duault,  28  juillet  1777. 

Paramé  était  une  petite  ville  de  Bretagne,  comptant  alors  en- 
viron 3ooo  âmes;  elle  fait  aujourd'hui  partie  de  l'arrondissement 
de  Saint-Malo. 

La  Société  de  Pomone  avait  pour  but  de  réunir  cinq  familles 
qui  dînaient  ensemble  tous  les  dimanches^  puis  dansaient  et  s'a- 
musaient. A  en  juger  par  le  titre  de  cette  association,  on  devait 
y  boire  plus  de  cidre  que  de  vin,  et  se  tenir  dans  les  bornes  d'un 
plaisir  modeste.  Cette  société  a  dû  durer  jusqu'à  ce  que  les  jeunes 
personnes  des  cinq  familles  fussent  mariées,  ou  jusqu'à  ce  qu'une 
brouille  vint  mettre  fin  à  l'intimité  ordonnée  par  les  statuts. 

PONTIFES  (Frères).  Recherches  historiques  sur  les  con- 
grégations hospitalières  des  frères  Pontifes,  ou  construc- 
teurs de  ponts,  par  M.  Grégoire,  ancien  évêque  de  Blois.  Paris, 
1818,  in-8.  — Mémoire  intéressant  et  curieux  dans  lequel  cepen- 
dant il  s'est  glissé  quelques  erreurs.  M.  C.  Leber  les  a  relevées 
et  y  a  ajouté  les  observations  dont  cette  brochure  lui  paraissait 
susceptible,  en  la  réimprimant  dans  sa  Collection  de  disserta- 
tions historiques  sur  l'Histoire  de  France,  etc.  Le  catalogue 
Lerouge,  n°  282,  indique  un  manuscrit  intitulé:  Grand  Pon- 
tife, ou  maçon  subl.^  Ecossais;  in-4,  manuscrit. 

Si  l'on  n'a  que  des  conjectures  à  offrir  sur  les  sociétés  de  cons- 
tructeurs d'églises,  de  châteaux  et  de  monastères  au  moyen- 
âge,  on  a  la  certitude  de  l'existence  en  France  d'une  société  de 
constructeurs  qui  s'occupaient  de  travaux  différents  et  non  moins 
utiles.  Telle  était  celle  des  frères  Pontifes,  uniquement  livrés 


i52  POR 

à  la  construction  des  ponts.  Du  Xe  au  XIVe  siècle,  ils  bâtirent 
un  grand  nombre  de  ponts  en  Italie  et  dans  le  midi  de  la  France. 
(Du  Cange  au  mot  Fratres  pontis). 

Les  Templiers  essayèrent,  sans  succès,  en  1277,  de  s'associer 
avec  les  frères  Pontifes. 

POPELINIÈRE  (Société  dramatique  de  M.  de  la).  La  Po- 
pelinière, célèbre  fermier-généralà  l'époque  de  Louis  XV, homme 
très-généreux  _,  auquel  l'on  n'a  pas  rendu  toute  la  justice  qu'il 
méritait,  a  composé  des  pièces  de  beaucoup  d'esprit  qu'il  faisait 
jouer  chez  lui. 

Ainsi  s'exprime  Fa,vart  dans  sa  Correspondance  :  Ce  finan- 
cier^), fameux  par  son  luxe  et  par  ses  infortunes  conjugales  (l'in- 
trigue de  sa  femme  avec  le  maréchal  de  Richelieu  fit  le  plus 
grand  bruit),  est  connu  par  un  ouvrage  qu'il  ne  fit  imprimer 
qu'à  un  seul  exemplaire:  les  Tableaux  des  Mœurs  du  temps, 
et  qui-  donnent  une  bien  mauvaise  opinion  de  sa  morale.  Le 
Manuel  du  Libraire  contient  de  longs  détails  sur  cette  produc- 
tion qui  fut,  après  la  mort  de  l'auteur,  séquestrée  par  ordre  du 
roij  et  qui,  passant  mystérieusement  de  main  en  main,  a  appar- 
tenu à  un  honorable  bibliophile  de  Paris;  elle  est  en  ce  moment, 
nous  le  croyons,  dans  le  cabinet  d'un  curieux  d'origine  anglaise 
et  qui,  possesseur  d'une  grande  fortune,  réside  à  Paris.  Les 
Tableaux  des  Mœurs  du  temps  ont  d'ailleurs  été  réimprimés 
en  i863,  à  Bruxelles  (sans  indication  de  lieu  ni  de  date),  à  une 
centaine  d'exemplaires.  C'est  une  série  de  dialogues  où  il  y  a 
parfois  de  l'esprit,  mais  que  gâte  trop  souvent  une  licence  sans 
frein.  M.  Charles  Monselet  a  donnée  dans  le  journal  V Artiste, 
une  analyse  de  ce  qu'on  peut  analyser  dans  ce  livre  étrange. 

PORTE-MORTS  (Société  des)  ou  Confrères  de  la  Charité 
a  Vernon.  Quoique  cette  association  se  proposât  un  but  qui 
sorte  un  peu  du  cercle  de  notre  étude,  nous  devons  cependant 


Ci)  Voir  l'article  que  lui  a  consacré  M.  Denne-Baron  dans  la  Biographie 
générale,  tom.  XXX,  col.  867. 


PRI  i53 

en  faire  mention.  Une  cérémonie  singulière  qu'elle  célébrait 
chaque  année  le  jour  de  la  Fête-Dieu,  est  l'objet  d'une  lettre  in- 
sérée dans  le  Mercure  de  France,  juillet  1732.  Les  membres 
sont  au  nombre  de  treize  ;  ils  ont  un  chef  qui  prend  le  titre  de 
roi  et  qui  est  tiré  au  sort  chaque  année.  La  veille  de  la  Fête- 
Dieu,  un  des  anciens  confrères  prend,  selon  son  tour,  le  titre  de 
roi  des  rois,  ou  roi  des  anciens  rois;  il  figure  dans  les  cérémo- 
nies, porte  une  couronne  à  la  procession  et  donne  un  dîner  à  la 
confrérie.  Avant  de  se  mettre  à  table,  ils  servent  douze  pauvres 
auxquels  on  donne  un  repas  dans  la  rue,  à  la  porte  du  roi  des 
rois. 

PRETTY-GIRLS  (Les).  L'établissement,  ou  la  confrérie  des 
Pretty-Girls  (mots  anglais  qui  signifient  les  jolies  jeunes  filles) 
a  été  mentionné  dans  le  roman  de  Rétif  delà  Bretonne  intitulé: 
La  Famille  vertueuse ,  IIe  partie,  page  219. 

PRINTEMPS  (Société  du).  C'était  une  réunion  formée  de 
jeunes  personnes  de  Lausanne  vers  1760.  Gibbon  en  parle  dans 
ses  Mémoires.  «  Ma  société  favorite  avait  pris,  d'après  l'âge  de 
ses  membres,  la  dénomination  orgueilleuse  as  Société  du  Prin- 
temps. Elle  était  composée  de  quinze  à  vingt  jeunes  demoiselles 
de  bonne  famille  sans  être  des  premières  de  la  ville.  La  plus 
âgée  n'avait  peut-être  pas  vingt  ans;  toutes  agréables,  plusieurs 
jolies,  etdeux  ou  trois  d'une  beauté  parfaite. -Elles  s'assemblaient 
dans  les  maisons  les  unes  des  autres  presque  tous  les  jours  sans 
y  être  sous  la  garde  d'une  mère  ou  d'une  tante.  Elles  riaient, 
chantaient,  jouaient  aux  cartes  et  même  la  comédie,  mais  au 
sein  de  cette  gaité  insouciante,  elles  se  respectaient  et  étaient 
respectées.  » 

PRISEURS  (Société  des).  Si  l'on  ne  s'en  rapporte  qu'à  la 
forme  superficielle,  l'Ordre  des  Priseurs  est  peut-être  le  plus 
nombreux  de  tous  les  Ordres  depuis  la  découverte  faite  par  Ni- 
cot  de  la  poudre  médicée,  tirée  de  Y  herbe  à  la  rojyne(i),  qu'il 

(1)  Le  plus  ancien  traité  sur  le  tabac  est  peut-être  le  livre  suivant:  Ins- 


i54  PRI 

rapporta  du  Portugal  et  offrit  à  Catherine  de  Médicis.  Mais  si 
l'on  creuse,  le  fait,  si  l'on  approfondit  la  question  on  verra  que 
la  vraie  Société  desPriseurs  est  un  Ordre  distingué,  qui  compte 
peu  d'adeptes  d'élite  et  qui  est  fort  peu  connu  des  profanes. 

Dans  cette  association,  un  groupe  de  fidèles  réunis  pour  tra- 
vailler se  nomme  une  manufacture;  la  manufacture  est  consa- 
crée, non  pas,  comme  on  le  croirait,  à  faire  vivre  le  monopole 
des  tabacs  et  les  droits  réunis,  mais  bien  à  Vétude  de  la  nature 
et  des  vertus;  Odry  ne  manquerait  pas  de  dire  que  c'est  pour 
cela  qu'il  la  prise  davantage.  Dans  la  manufacture,  il  y  a  plu- 
sieurs grades,  et  dans  les  grades,  on  compte  différentes  classes. 
Le  hangar }  une  des  parties  de  la  manufacture,  a  les  piocheurs, 
les  semeurs,  les  récolteurs.  Puis  viennent  les  trieurs,  les  éco- 
teurs,  les  torqueurs,  etc. 
La  manufacture  a  pour  chefs  les  directeur  et  sous- directeur \ 
Le  garde-magasin,  le  maître  des  cérémonies,  le  chef  des 
cultures  et  le  surveillant  sont  les  autres  autorités  qui  dominent 
dans  la  congrégation.  Des  statuts  règlent  l'office  et  les  fonctions 
de  chacun.  Le  cérémonial  obligé  n'est  qu'une  longue  allégorie 
tabacologique  poussée  à  l'extrême.  Un  serment  liait  tous  les 
membres  de  la  société.  Les  réceptions  avaient  lieu  solennelle- 
ment, à  la  suite  de  présentations,  et  se  terminaient  par  des  re- 
merciments  d'admission  exprimés  séance  tenante.  Enfin  l'ordre 
se  livrait  à  des  travaux  sérieux  et  philosophiques  qui  ont  attiré 
l'attention  des  amateurs  de  ces  sortes  de  mystères.  Peut-être  la 
politique,  se  cachant  sous  le  voile  de  l'allégorie,  n'est-elle  pas 
restée  étrangère  à  cette  association.  M.  Lerouge,  que  nous  avons 
déjà  signalé  comme  un  infatigable  collectionneur  de  pièces  sur 
les  sociétés  secrètes,  avait  rassemblé  un  nombre  assez  considé- 

trvction  sur  l'herbe  Petvm  ditte  en  France  /'Herbe  de  la  Royne  ou  Médi- 
cée;  et  sur  laracine  Mechiocan  {la  rhubarbe) principalement  {avec  quelques 
autres  simples  rares  et  exquis),  exemplaire  à  manier  philosophiquement 
tous  autres  végétaux.  Par  I.  G.  P.  (Jacques  Gohory,  parisien).  Envie,  d'en- 
vie, etenvie.  Paris,  Galiot  du  Pré,  i5-j2,  in-8,ng.  en  bois,  16  feuillets  en  16 
pages. 


PUG  i55 

rablede  documents  manuscrits  touchant  l'Ordre  des  Priseurs. 
Ils  sont  indiqués  au  n°  5 1 1  et  dans  les  n09  suivants  de  son  Ca- 
talogue des  livres  manuscrits  et  imprimés  sur  la  franc-maçon- 
nerie et  les  sociétés  secrètes.  Paris ,  Leblanc,  1834,  in-8.  La 
Société  des  Priseurs  était  en  pleine  splendeur  dans  les  années 
181 8  et  1 819;  on  en  a  peu  entendu  parler  après  cette  époque;  il 
est  toujours  resté  un  grand  nombre  d'hommes  usant  du  tabac  à 
priser,  mais  ils  n'étaient  plus  organisés  par  centuries,  ni  décu- 
ries. Aujourd'hui  les  priseurs  sont  débordés  de  beaucoup  parles 
fumeurs,  mais  ces  derniers  ne  forment  pas  de  société;  elle  se- 
rait trop  nombreuse. 

PRISONNIERS  (Compagnie  de  la  Charité  des),  à  Liège. 
La  compagnie  de  la  Charité  des  Prisonniers  de  Liège,  com- 
mença en  cette  ville  en  1624  sous  le  titre  de  Confrairie  des 
pauvres  Prisonniers.  Elle  publia,  en  1727,  un  petit  ouvrage 
curieux  sous  le  titre  de:  Traité  de  F Aumône,  par  saint  Cy- 
prien,  évêque  et  martyr,  traduit  par  un  docteur  en  théologie  de 
la  Faculté  de  Paris.  Liège,  P.  Ph.  Gramme,  rue  des  Sœurs-de- 
Hasque,  1727,  pet.  in-8  de  3  feuillets  préliminaires  et  47  pages 
chiffrées,  dédié  à  M.  de  Vandestuo,  baron  de  Gihez,  conseiller 
de  S.  A.j  l'un  des  protecteurs  de  la  Compagnie  de  la  Charité 
des  Prisonniers;  le  titre  porte  le  cachet  de  la  compagnie  repré- 
sentant Saint-Jean  décollé,  patron  des  prisonniers;  avec  les 
titres  de  la  compagnie  et  la  date  de  sa  fondation.  A  cette  épo- 
que (en  1727),  S.  Libert  était  secrétaire  de  la  Compagnie  des 
Prisonniers. 

PUGILISTIQUE  (Société).  Cette  société  existait  en  Angle- 
terre vers  le  commencement  de  ce  siècle;  elle  était  composée  de 
nobles,  de  gentlemen  qui  encourageaient  de  leurs  sympathies 
l'art  de  la  boxe;  elle  se  réunissait  une  fois  par  an  pour  tenir  un 
banquet.  A  cette  époque,  des  personnages  du  premier  rang,  parmi 
lesquels  on  cite  le  duc  de  Buccleugh  et  le  duc  de  Portland  pre- 
naient des  leçons  dans  l'art  du  pugilat,  et  lorsqu'en  1814,  l'em- 
pereur de  Russie  et  le  roi  de  Prusse  vinrent  à  Londres,  on  assure 


i56  PUT 

que  ce  qui  les  intéressa  le  plus,  ce  fut  un  duel  à  coups  de  poing 
entre  deux  éminents  artistes  en  ce  genre;  lord  Lowther  offrit  à 
Leurs  Majestés  un  spectacle  dans  un  déjeûner  qu'il  leur  donna. 
Le  feld-maréchal  Blucher  et  l'hetmann  des  Cosaques,  Platoff, 
furent  tellement  enchantés  qu'ils  voulurent  assister  à  un  se- 
cond combat;  il  eut  lieu  chez  lord  Elgin.  Dans  sa  jeunesse, 
George  IV  était  un  patron  de  la  boxe,  mais  il  cessa  de  s'en  oc- 
cuper après  une  rencontre  à  laquelle  il  assistait  et  où  un  des 
champions  fut  tué  d'un  coup  reçu  à  la  tempe.  Le.  frère  de  George, 
qui  fut  son  successeur  sous  le  nom  de  Guillaume  IV,  assistait 
assez  fréquemment  à  de  pareils  combats,  avant  de  monter  sur  le 
trône.  Aujourd'hui  la  boxe  a  perdu  toute  faveur  auprès  des 
classes  élevées;  elle  est  traquée  par  la  police,  et  elle  est  en  pleine 
décadence;  la  Société  Pugilistiqiie  n'existe  plus. 

L'art  du  pugilat  possède  un  vocabulaire  spécial,  un  argot  inin- 
telligible pour  les  non-initiés.  On  en  trouve  des  échantillons 
dans  les  poésies  de  Thomas  Moore.  (Voir  Tom  CriV s  mémorial 
to  Congress).  Il  existe  aussi  des  recueils  expliquant  les  mots 
techniques  de  la  boxe;  voir  le  Dictionary  of  the  Turf,  the 
Ring,  etc.,  by  Joseph  Bee.  London,  1823,  in-8,  réimprimé  en 
1825  sous  le  titre  de:  The  Sportsmarfs  Slang. 

PUTEAUX  (Société  dramatique  de).  Le  duc  de  Grammont 
possédait,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  une  maison  de  cam- 
pagne à  Puteaux  où  l'on  jouait  quelquefois  la  comédie,  surtout 
à  l'occasion  des  fêtes  des  maîtres  de  la  maison.  Les  poèmes  joués 
par  cette  société  dramatique  étaient  composés  par  le  comte  de 
Sénectère,  l'abbé  de  La  Porte,  Roy  et  Laujon,  la  musique  était 
l'œuvre  de  Le  Vasseur,  Leclerc  et  Martin. 

Il  reste  un  petit  recueil  imprimé  de  ces  divertissements  ;  il  est 
rare.  Voici  son  titre  :  Amusements  lyriques ,  ballet  représentés 
à  Puteaux,  le...  février  1750.  (Sans  nom  de  ville  et  d'impri- 
meur), 1750,  in-8  de  66  pages.  Cette  brochure  n'est  pas  entrée 
dans  le  commerce;  un  petit  nombre  d'exemplaires  a  été  distri- 
bué aux  auteurs  et  acteurs  de  Puteaux  et  aux  intimes  de  la  fa- 


PUY  i57 

mille  de  Grammont.  Ce  recueil  contient:  A\or  et  Thémire, 
première  entrée,,  paroles  de  Laujon,  musique  de  Le  Vasseur.  — 
Apollon  et  Climène,  deuxième  entrée,  paroles  de  M***  (le  comte 
de  Sénectère  ou  l'abbé  de  La  Porte),  musique  de  Leclerc.  —  Le 
Bal  militaire,  troisième  entrée,  paroles  de  Roy,  musique  de 
Martin.  —  (Catalogue  Soleinne,  n°  3522.) 

PUY  D'AMIENS  (Confrérie  du).  Elle  datait  du  XIVe  siècle. 

Deux  fois  par  an,  on  distribuait  des  prix  à  la  meilleure  ballade 
en  l'honneur  de  la  Vierge,  sur  un  air  populaire. 

La  mère  de  François  Ier,  duchesse  d'Angoulême,  passant  à 
Amiens  en  1 5 17,  se  fit  faire  une  copie  du  recueil  des  pièces  cou- 
ronnées dans  ce  puy.  Elle  est  conservée  à  la  Bibliothèque  impé- 
riale. 

PUY  DE  LA  CONCEPTION  DE  CAEN.  Cette  assemblée 
se  tenait  le  8  décembre,  jour  de  la  Conception  de  la  Vierge,  en 
l'honneur  de  laquelle  toutes  les  pièces  devaient  être  composées. 
Son  origine  remontait  à  l'an  1527,  lorsque  Jean  le  Mercier, 
seigneur  de  Saint-Germain  et  avocat  distingué  à  Caen,  proposa 
à  l'Université  de  cette  ville  l'établissement  d'un  palinod,  et  offrit 
d'en  faire  les  frais  pour  cette  année.  Au  commencement  du 
XVIIe  siècle,  des  pièces  de  vers  envoyées  au  Puy  furent  impri- 
mées, mais  on  ne  les  retrouve  plus.  On  connaît  huit  brochures 
reproduisant  les  pièces  couronnées  de  1666  à  1792.  Consultez 
les  Antiquités  de  Caen,  par  Bourgueville;  deux  lettres  insérées 
dans  le  Mercure  de  France,  juin  1725,,  pag.  1286- 1288,  et  dé- 
cembre 1762,  pag.  1  i6-i25;  le  Mémoire  historique  de  l'abbé  de 
la  Rue,  sur  le  palinod  de  Caen,  1781,  in-8°,  et  le  Manuel  du 
bibliographe  normand,  par  M.  Ed.  Frère,  tom.  II,  p.  382. 

PUY  DE  L'ASSOMPTION  NOTRE-DAME  DE  DOUAI 
(Le).  i33o-i592-i594-i6i3.  Les  Puy  s  étaient  des  associations 
poétiques  très-anciennes  dans  les  villes  de  Normandie,  de  Picar- 
die, d'Artois  et  de  Hainaut;  celles  de  Rouen,  Arras,  Valen- 
ciennes  et  Douai  virent  de  bonne  heure  ces  institutions  dans 
leur  sein.  Il  reste  beaucoup  de  traces  manuscrites  des  oeuvres 


i58  PUY 

poétiques  présentées  aux  concours  ouverts  dans  ces  sociétés,  à 
l'instar  des  Chambres  de  rhétorique  de  la  Flandre  et  du  Brabant. 
Les  pièces  imprimées  qui  en  proviennent  sont  plus  rares  ;  c'est 
ce  qui  nous  engage  à  signaler  celles  contenues  dans  un  recueil 
de  Claude  de  Bassecourt,  qui  se  dit  Haynaunois,  et  qui  est  inti- 
tulé :  Tragi-comédie  pastorale  et  autres  pièces.  Anvers,  Ar- 
noult  Coninx,  1 594,  pet.  in-8°  de  8  feuillets  préliminaires  et  237 
pages.  Après  la  pièce  KHylas,  pastorale  en  5  actes  et  en  vers  (1), 
presque  toutes  les  poésies  qui  suivent  sont  relatives  au  Puy  de 
l'Assomption  -  Nostre  -Dame  de  Douay  (2),  où  l'auteur  avait 
concouru  sans  obtenir  le  prix,  ce  qui  l'indigna  fortement  contre 
V ignorance  des  juges. 

Le  Puy  de  VAssomption-Nostre-Dame-de-Douay  était  ainsi 
nommé  parce  que  cette  société  littéraire,  érigée  en  petit  Mont- 
Parnasse,  fêtait  chaque  année  la  fête  de  l'Assomption  par  une 
solennité  littéraire  où  elle  couronnait  la  meilleure  pièce  de  poé- 
sie faite  en  l'honneur  de  la  Vierge.  Là,  on  distribuait  aux  vain- 
queurs des  couronnes,  des  chapels  et  des  affiquets  (images  de 
laVierge),en  argent.  Cette  institution  datait  d'environ  l'an  i33o, 
où  elle  avait  commencé  sous  le  nom  de  :  la  Confrérie  des 
Clers  Parisiens.  La  ville  de  Douai, citéde  paix,  d'étude,  d'Uni- 
versité et  de  17  villes  de  Parlement,  a  toujours  vu  naître  dans 
son  sein  des  associations  littéraires  et  chantantes;  après  celle 
que  nous  venons  de  citer,  on  eut  la  Confrérie  de  Sainte-Barbe, 
établie  chez  les  Pères  Trinitaires  de  Douai;  le  Banc  poétique 
des  seigneurs  de  Cuinchy,\o  Valmuse,  etc.,  etc. 

(1)  D'après  les  rédactions  de  la  Bibliothèque  du  Théâtre  français  (ijSô, 
3  vol.),les  vers  de  cette  pastorale  sont  charmants,  les  scènes  pleines  de  situa- 
tions touchantes  et  de  tableaux  gracieux. 

(1)  Le  Bulletin  du  Bibliophile,  Paris,  1842,  p.  92,  cite  une  édition  de  ce 
livre,  datée  de  Paris,  Connix,  1 592,  pet.  in-8°,  avec  ce  détail  des  pièces:  Ré- 
plique de  M.  Claude  de  Bassecourt  à  la  Responce  des  Rhétoriqueurs  de 
Douay;  Apologie  de  Claude  de  Bassecourt;  Cartel  présenté  par  M.  Claude 
de  Bassecourt  aux  vainqueurs  de  la  couronne  et  chapeau  d'argent,  donnés 
à  Douay  le  quinzième  d'aoust,  Van  i5g2;  Responce  audit  Cartel  par  les 
vainceurs,  et  sur  le  dece?  de  Jean  Cuick,  en  son  vivant  professeur  à  Douay. 


RAM  i5g 

Claude  de  Bassecourt,  Haynaunois,  n'est  pas  le  seul  qui  ait 
concouru  pour  obtenir  les  prix  de  la  société  poétique  de  Douai. 
Un  rimeur  plus  heureux,,  et  qui,  loin  de  se  plaindre  de  l'igno- 
rance de  ses  juges,  les  chante  en  vers  pompeux, a  publiéses  pièces 
couronnées  à  Douay.  Son  ouvrage  est  intitulé  :  les  Œuvres 
poétiques  de  Iacqves  Loys,  doctevr  es  droits  et  poète  lauré, 
divisées  en  1III  livres.  A.  Dovay,  de  l'imprimerie  de  Pierre 
Avroy,  M.  DG  XII ,  in-8°  de  4  feuillets  prélimres,  228  pp.  et  2 
feuillets  de  table.  Ce  volume  est  ordinairement  suivi  de  celui- 
ci  :  les  Œvvres  poetiqves  de  lean  Loys,  Dovysien}  licentié  es 
droits,  diuisées en  IIII Hures.  Dovay,  P.  Avroy,  M.  DC.  XIII, 
in-8°  de  4  feuillets,  243  et  5  pages  de  table  (1). 

Les  princes  de  la  Confrérie  des  Clercs  Parisiens,  auxquels 
Jacques  Loys  adresse  ses  vers  sont:  Pierre  Ledoux,  avocat,  1608; 
Jean  Bellegambe,  peintre,  1609;  Jean  Bertoult,  poète  et  avocat, 
16 10;  Loys  de  Hornay,  1608;  Robert  de  Rantre,  i6o5;  Jean  de 
Respin,  1606;  Isaac  Lambert,  pasteur  de  Notre-Dame,  1607; 
Nicolas  Du  Pré,  prince  de  la  petite  Confrérie. 


gg?  AMBOUILLET  (Société  de  l'hôtel  de).  1600- 
i65o.  Cette  société,  qui  n'avait  peut-être  pas  de 
statuts  écrits,  mais  qui  se  réunissait  dans  la  fameuse 
chambre  bleue  de  l'hôtel  de  Rambouillet,  était  pré- 
sidée par  la  marquise  de  Rambouillet  elle-même^  sous  le  nom 
d'Arthénise.  C'était  le  rendez-vous  de  tous  les  beaux  esprits  du 

(i)  On  trouve  sur  Jean  Loys  un  article  curieux  dans  la  Bibliographie 
douaisienne  de  M.  M.  R.  du  Thillœul,  2  e  édition,  1842,  page  146.  Indépen- 
damment de  ses  deux  volumes,  Loys  avait  publié  en  i58o  un  opuscule  en  vers: 
Hymne  chrestien  du  sainct  nom  de  Jésus. 


i6o  RAM 

temps.  Les  premiers  admis  furent  Gombauld,  Malherbe,  Vau- 
gelas  et  Racan.  Puis  vinrent  Voiture,  Balzac,  Segrais,  Chape- 
lain, Gostar,  Sarrazin,  Conrart,  Mairet,  Patru,  Godeau,  Rotrou, 
Scarron,  Benserade,  Saint-Evremond,  Charleval,  Ménage,  le  duc 
de  la  Rochefoucauld,  le  marquis  de  la  Salle,  depuis  duc  de  Mon- 
tausier;  Malleville,  Desmarets_,  Bautru,  Collin,  Colletet,  George 
de  Scudéry,  Corneille,  Fléchier,  le  prince  de  Condé,  et  même 
Bossuet  qui  y  prononça  un  sermon  dès  l'âge  de  seize  ans.  Parmi 
les  femmes,  on  distinguait  la  fameuse  Julie  d'Angennes,  fille  de 
la  maîtresse  de  la  maison;  Mme  de  Longueville,  Melle  de  Scu- 
déry, Mme  de  la  Suze,  Melle  Paulet,  Mme  de  La  Fayette,  Mme  de 
Sévigné,  etc. 

Grâce  à  la  bonté,  à  l'esprit  et  à  l'amabilité  d'Arthénise,  les  réu- 
nions de  l'hôtel  de  Rambouillet  durèrent  presque  un  demi-siècle. 
Cette  brillante  société  ne  se  dispersa  que  vers  i65o;  de  ses 
débris  ne  sortirent  plus  que  quelques  coteries  peu  intéressantes. 

Les  réunions  de  l'hôtel  de  Rambouillet  eurent  une  grande 
autorité  et  un  grand  retentissement.  Ce  qu'on  appelle  le  langage 
précieux  est  issu  de  ces  conférences.  Le  Grand  Dictionnaire 
des  Précieuses,  de  Somaize,  contient  à  ce  sujet  d'amples  rensei- 
gnements (i). 

Empruntons  ici  quelques  lignes  à  un  feuilleton  de  M.  Bar- 
rière, inséré  dans  le  Journal  des  Débats  (5  juin  i85i)  : 

«  Des  souvenirs  littéraires  de  l'hôtel  de  Rambouillet,  je  n'en 
dirai  mot  :  qui  ne  les  a  présents  à  l'esprit?  Le  plan  et  l'arrange- 
ment de  l'hôtel  même  sont  bien  moins  connus.  «  C'était  une 
«  maison  de  briques,  rehaussée  d'embrasures,  d'amortissements 
ce  de  chaînes,  de  corniches,  de  frises,  d'architraves  et  de  pilastres 

(i)  Une  très-bonne  édition  de  cet  ouvrage  curieux  a  paru  en  1 856, en  deux 
volumes,  qui  font  partie  delà  Bibliothèque  elfévirienne  ;  elle  est  due  à  M.  Li- 
vet  qui  y  a  joint  des  éclaircissements  utiles,  résultats  de  bien  patientes  re- 
cherches. Consulter  aussi  sur  l'hôtel  Rambouillet  l'écrit  du  comte  Rœdereri 
Mémoires  pour  servir  à  V histoire  de  la  Société  polie  en  France,  publié  en 
i835  à  petit  nombre  et  réimprimé  dans  le  second  volume  des  Œuvres  de  ce 
polygraphe  éditées  par  son  fils.  Paris,  Didot,  i85i,  5  vol.  gr.  in-8. 


RÉF  161 

«  en  pierre.  Dès  l'entrée,  et  de  tous  les  endroits  de  la  cour,  on 
«  découvrait  les  jardins.  Le  corps  de  logis  avait  quatre  apparte- 
«  ments  complets  ;  on  y  montait  par  un  escalier  consistant  en 
«  une  seule  rampe  large  et  cintrée,  dont  on  attribua  l'invention 
«  à  la  marquise  elle-même.  La  première  aussi,  dit-on,  elle  fit 
«  ouvrir  dans  son  salon  bleu  des  fenêtres  qui  régnaient,  sans 
«  aucun  appui,  du  haut  en  bas.  » 

Elle  avait  véritablement  d'heureuses  idées  pour  les  disposi- 
tions de  son  hôtel,  et  s'entendait  à  ménager  des  surprises  à  cette 
foule  de  seigneurs,  de  prélats,  de  femmes  aimables  et  de  gens 
d'esprits  dont  il  était  le  rendez-vous.  Un  soir,  qu'on  était  dans 
un  salon,  de  tout  temps  fermé  d'un  côté  par  une  muraille  et 
tendu  d'une  tapisserie,  on  entend  tout  à  coup  du  bruit  derrière 
cette  tapisserie;  elle  se  lève,  une  porte  s'ouvre,  et  Melle  de  Ram- 
bouillet, vêtue  superbement,  paraît  dans  un  cabinet  tout  à  fait 
magnifique  et  merveilleusement  éclairé.  Grand  fut  l'étonne- 
ment,  car  on  savait  que  derrière  la  muraille  était  le  jardin  des 
Quinze- Vingts;  maison  ne  savait  pas  qu'influente  par  son  nom, 
ses  amis,  sa  bonne  grâce  et  ses  bons  offices,  la  marquise  avait 
obtenu  de  bâtir  ce  cabinet  en  saillie,  avec  croisées  sur  trois  faces 
différentes.  Elle  obtint  bien  plus  de  la  courtoisie  des  aveugles  : 
on  lui  planta  une  allée,  on  lui  entretint  une  prairie  sous  les 
croisées  de  son  cabinet.  «  Je  suis  la  seule  à  Paris,  disait-elle, 
«  qui  de  ses  fenêtres,  ait  le  plaisir  de  voir  faucher  les  prés.  »  Il 
est  bien  évident  qu'aujourd'hui  l'on  ne  faucherait  guère  au  Car- 
rousel 1 

RAPE  (Ordre  de  la).  Indiqué  par  de  L'Aulnaye;  on  manque 
de  renseignements  à  son  égard. 

RÉFORMATION  DES  MŒURS  (Société  pour  la).  Cette 
société  ne  paraît  avoir  existé  que  dans  l'imagination  de  l'au- 
teur anonyme  du  livre  intitulé  :  Vénus  la  populaire,  ou  Apo- 
logie des  maisons  de  joyey  traduit  de  l'anglois.  A  Londres, 
chez  A.  Moore  (Hollande),   1727,  petit  in- 8°  de  xn  et  i3o 

11. 


i62  -      REJ 

pp.(i).  Cetauteur,  qui  se  dit  compagnon  de  réforme ,  etqm  signe 
son  épître  dédicatoire  du  faux  nom  de  Phil-Pornix,  qui  dénote  de 
sa  part  des  goûts  peu  délicats,  se  décide  à  dédier  son  ouvrage  aux 
membres  de  la  société  établie  pour  la  réformation  des  mœurs,  en 
assurant  qu'elle  a  des  droits  incontestables  sur  ce  traité  d'un  de 
ses  associés.  Les  efforts  de  la  société,  dit-il,  pour  abolir  la  débau- 
che, ont  servi  seulement  à  la  faire  régner  davantage;  on  ne  lui  a 
ôté  que  des  branches  inutiles  dont  le  retranchement  la  rend  vi- 
goureuse et  fertile.  On  ne  pouvait  attendre  autre  chose  de  l'at- 
tachement de  la  société  à  tourmenter  ces  pauvres  demoiselles  qui 
trafiquent  de  leurs  charmes  avec  le  public,- etc.,  etc. 

On  conçoit  que  ces  reproches,  que  ces  données  et  ces  inter- 
pellations n'ont  rien  de  réel  ni  de  sérieux.  Tout  cela  n'est  que 
de  la  facétie  littéraire.  La  société  est  fictive  comme  le  nom  du 
seigneur  Phil-Pornix.  Nous  devions  néanmoins  faire  une  sim- 
ple mention  du  titre  des  Compagnons  de  la  Réforme  des 
moeurs^  ne  fut-ce  que  pour  dire  qu'ils  n'ont  jamais  existé  en 
fait;  hélas!  en  regardant  autour  de  soi,  on  n'en  est  que  trop  bien 
convaincu. 

RÉJOUIS  (Compagnie  des).  La  Compagnie  des  Réjouis  était 
plutôt  un  titre  donné  à  la  petite  cour  de  Trianon,  qu'une  asso- 
ciation réelle.  C'est  Soulavie,  historien  passionné  et  infidèle,  qui 
cite  cette  soi-disant  société  dans  son  mauvais  ouvrage  des  Mé- 
moires historiques  et  politiques  du  règne  de  Louis  XVI. 

Ces  Réjouis  se  composaient  de  Marie-Antoinette,  la  comtesse 


(i)  Mais  si  la  société  dont  parle  l'auteur  de  Vénus  la  populaire  paraît  ima- 
ginaire, il  a  très-réellement  existé  en  Angleterre  une  Association  pour  la 
suppression  du  vice,  qui,  fondée  vers  le  commencement  de  ce  siècle,  diri- 
geait des  attaques  contre  les  écrivains  immoraux;  elle  a  été  l'objet  des  sar- 
casmes de  Byron.  —  Quant  à  l'ouvrage  anglais  dont  il  s'agit,  il  a  paru  vers 
1 726  :  A  modest  defence  of  public  steivs,  et  il  est  attribué  à  B.  de  Mandeville, 
l'auteur  d'un  livre  hardi  pour  l'époque:  la  Fable  des  abeilles.  La  traduction 
française  a  été  plusieurs  fois  réimprimée,  et  il  existe  une  version  italienne  : 
Venere popolare.  Cosmopoli,  sans  date,  in-12. 


REV  i63 

Jules  de  Polignac,  Diane  de  Polignac,  Vaudreuil,  Besenval,  le 
prince  d'Hénin,  le  comte  d'Adhémar,  etc. 

«  Un  jour,  dit  Soulavie,  la  Compagnie  des  Réjouis  lisant 
«  YHistoire  des  Amours  des  Cerfs,  dans  Buffon,  trouva  plai- 
«  sant  de  commander  des  habits  de  peaux  de  cerfs.,  imitant  les 
«  cerfs  et  les  biches.  Toute  la  compagnie,  après  avoir  erré  dans 
«  le  jardin,  masquée  avec  ces  habits,  trouva  plaisant  encore  de 
«  jouir  des  plaisirs  des  cerfs  et  des  biches.  » 

Est-il  besoin  de  dire  que  ces  dires  d'un  détracteur  de  la  no- 
blesse et  de  la  monarchie  sont  des  calomnies  infâmes  jetées  au 
vent  de  la  malignité  publique  pour  perdre  une  jeune  reine  et 
ses  entours  dans  l'opinion  des  Français? 

RÉVEIL  DE  LA  NATURE  (Société  des  amis  du).  Cette 
Société  existait,  à  Paris,  de  1804  a  1812.  M.  Lerouge  possédait 
trois  brochures  in-8°  imprimées  en  1804,  1806  et  1812.  Elle 
nous  paraît  une  Société  destinée  à  fêter  et  à  chanter  le  prin- 
temps à  la  suite  des  jours  brumeux  de  l'hiver.  Nous  possédons 
des  couplets  adressés  à  tous  les  Amis  formant  la  Société  du 
Réveil  de  la  nature,  le  jeudi  29  mai  1806,  signés  par  un  sieur 
Villette;  c'est  une  espèce  de  pot-pourri  dont  le  sujet  est  le  mot 
Ah  l  II  indique  que  la  société  en  question  avait  surtout  pour  but 
de  s'amuser.  Nous  croyons  devoir  reproduire  ici  ce  morceau 
peu  connu. 

Couplets  sur  le  mot  :  Ah!  adressés  à  tous  les  Amis  formant  la 
Société  du  Réveil  delà  Nature,  le  jeudi  29  mai  1806. 

Air  :  Femmes,  voulez-vous  éprouver. 

Il  est  un  mot  chez  les  Français, 
Mot  qui,  malgré  son  laconisme, 
Pour  la  femme  a  beaucoup  d'attraits 
Et  qui  varie  ainsi  qu'un  prisme. 
Ah!  c'est  un  vrai  caméléon; 
Soit  que  l'on  rie,  ou  qu'on  frissonne, 


i64  RÉV 

De  l'âme  il  est  l'expression, 

Suivant  le  ton  que  l'on  lui  donne  (bis). 

Ce  monosillabe  charmant 
Toujours  à  la  pudeur  échappe, 
Quand  l'amour  vainqueur  qui  l'attend, 
La  surprend,  mordant  à  la  grappe. 
Qui  mieux  que  lui  peint  la  bonté 
Dans  la  bouche  d'un  patriarche? 
Lui  seul  exprime  la  gaieté, 
Avec  les  ris  toujours  il  marche  [bis). 

Air  :  Dorilas  contre  moi  des  Femmes. 

Lors  que  du  fond  de  la  poitrine 
Ce  mot  là  sort  péniblement , 
Alors  je  frissonne  et  devine 
Que  du  malheur  il  est  l'accent  (bis). 
Lorsqu'un  critique  atrabilaire 
Prononce  ce  mot,  en  baillant, 
Si  son  arrêt  est  trop  sévère , 


Un  ami  le  casse,  en  riant.  S  '.     " 

Armés  chacun  d'une  raquette, 

Une  troupe  d'enfants  charmans 

Dit  vingt  fois  ce  mot,  le  répette, 

En  suivant  des  yeux  leurs  volans;  (bis) 

Je  vois  à  leur  geste,  à  leur  mine, 

Leur  crainte,  comme  leur  désir. 

Dans  leur  bouche  aimable,  enfantine 

Ah!  c'est  le  vrai  mot  du  plaisir 

Air  :  Femmes,  voulez-vous  éprouver. 

Ah!  vous  l'avez  donc  deviné, 
Ce  mot  l'expression  de  l'âme, 
Ce  mot  par  qui  nous  est  donné 
Ou  le  suffrage,  ou  bien  le  blâme. 
S'il  est  le  mot  de  ralliement 
Chez  les  amants  de  la  nature, 
Qu'il  y  soit  dit  avec  l'accent 
D'une  amitié  sincère  et  pure       (bis). 


{bis). 


RHE  i65 


Air  :  Du  petit  mot  pour  rire. 

Ah! c'est  chez  toute  nation, 
Du  sentiment  l'expression. 

Et  c'est  donc  pour  vous  dire 
Qu'il  sera  chez  de  vrais  amis, 
Par  le  plaisir  tous  réunis, 

Le  petit  mot  [ter]  pour  rire. 

Villette. 

Il  existe  un  recueil  intitulé  :  Tableau  historique  et  chronolo- 
gique des  fêtes  célébrées  par  la  Société  du  Réveil  de  la  Na- 
ture, depuis  son  origine  jusques  et  compris  18 1 1,  formant  8  an- 
nées. On  y  a  joint  les  écrits,  soit  en  vers,  soit  en  prose,  offerts 
par  plusieurs  membres  de  la  Société  à  chaque  séance,  ainsi 
qu'une  nouvelle  édition  des  statuts  et  règlements  de  la  Société. 
(Paris,  Poulet,  1812,  in-8°,  68  pages)  ;  Vallée  de  Mercadier, 
secrétaire-général. 

RHEINSBERG  (Société  dramatique  de).  Le  grand  Frédé- 
ric, avant  d'être  roi  et  lorsqu'il  était  sous  le  joug  de  son  père, 
se  livrait  à  l'étude  et  aux  divers  amusements  de  l'esprit  au  châ- 
teau de  Rheinsberg  où  il  avait  fixé  son  séjour.  Des  amateurs  y 
jouaient  la  tragédie  et  la  comédie.  Parmi  les  pièces  qui  furent 
représentées  on  peut  citer  Mithridate  de  Racine,  et  Œdipe  de 
Voltaire.  Dans  cette  dernière  tragédie  Frédéric  remplissait  le 
rôle  de  Philoctète. 

RHENANA  (Societas  litteraria).  1480.  En  cette  année  on 
établit  à  Heidelberg,  sous  le  titre  de  Societas  litteraria  Rhenana, 
une  de  ces  associations  littéraires  formées  en  Allemagne  à  l'ins- 
tar de  celles  d'Italie,  pour  épurer  le  goût,  perfectionner  la  langue 
et  la  littérature  nationales.  Comme  on  était  dans  un  état  de 
transition  du  moyen-âge,  à  l'époque  de  la  renaissance  des  lettres, 
il  se  mêlait  quelques  habitudes  burlesques  et  joviales  au  but  lit- 
téraire de  l'institution.  Ainsi  on  s'y  occupait  de  grec,  d'hébreu, 
de  latin ,  d'astronomie,  de  poésie  et  de  jurisprudence,  mais  en 


166  RIB 

même  temps  on  faisait  de  la  musique_,  on  donnait  des  festins  et 
l'on  terminait  souvent  les  travaux  par  des  danses. 

Les  associés,  après  s'être  altérés  à  discuter  sur  les  belles-lettres 
et  les  sciences,,  se  délassaient  souvent  à  table,  où  on  les  voyait, 
dit  Jugler,  more  Germanorum  inveterato  strenue  potare. 

RIBALDERIE  (l'Ordre  de  la).  UOrdre  de  la  Ribalderie, 
institué  à  Paris  en  1612,  a  donné  lieu  à  plusieurs  publications 
sur  les  Ribaulds,  etc. 

Primitivement  les  Ribauds  ou  Ribaux  furent  des  hommes 
forts  qui  travaillaient  sur  les  rives  des  fleuves  _,  soit  à  remonter 
les  bateaux,  soit  à  charger  et  décharger  les  marchandises. 

Sous  Philippe  II,  il  y  avait  une  espèce  de  soldats  appelés  Ri- 
bauds, Ribaldi,  qui  passaient  pour  déterminés  et  que  l'on  met- 
tait en  tête  des  colonnes  allant  à  l'assaut;  le  libertinage  outré 
auquel  ils  s'abandonnaient  rendit  leur  nom  synonime  de  débau- 
ché. Les  Ribauds,  pris  dans  ce  dernier  sens_,  avaient  dans 
chaque  ville  un  peu  considérable,  un  chef  prenant  le  titre  de  roi; 
suivant  Boutellier,  le  roi  des  Ribauds  avait  la  surveillance  des 
tavernes  et  maisons  de  débauches.  Il  en  retirait  une  rétribution. 
Il  prélevait  aussi  cinq  sous  sur  chaque  femme  convaincue  d'a- 
dultère; une  autre  de  ses  prérogatives  consistait  à  obliger  les 
filles  de  joie  de  faire  sa  chambre  pendant  tout  le  mois  de  mai. 
Il  existe  un  vieux  proverbe  :  Mieux  vaut  gaudir  de  son  patri- 
moine que  d'enrichir  un  ribaud  de  moine. 

RIBAUDS  (Roi  des).  Les  Ribauds  (Ribaldi)  formaient  au 
moyen-âge  une  corporation  qui  avait  un  chef  légalement  re- 
connu. Il  y  avait  un  roi  des  Ribauds,  qui ,  suivant  des  statuts 
donnés  par  le  roi  Philippe  en  1 3 17,  ne  mangeoit point  à  cour, 
mais  av  oit  six  denrées  de  pain,  et  estoit  monté  par  Vescuerie 
et  se  devoit  tenir  toujours  hors  la  porte ,  et  garder  illec  qu'il 
n'y  entre  que  ceus  qui  i  doivent  entrer. 

Le  même  roi  des  Ribauds  finissait  quelquefois  fort  mal, 
comme  il  arriva  en  i388  à  Guillet,  qui  fut  mis  au  pilori  avec  le 
Picardiau,  son  prévôt. 


RIB  167 

Le  président  Fauchet,  Pasquier,  dans  ses  Recherches  sur  la 
France ,  et  divers  autres  anciens  écrivains  ont  parlé  de  ce  per- 
sonnage. «  Il  avait  la  charge  de  bouter  hors  de  la  maison  du  roi 
ceux  qui  n'y  dévoient  manger  ni  coucher;  il  alloit,  une  torche 
au  poing,  par  tous  les  coins  et  lieux  secrets  de  l'hostel  chercher 
les  étrangers.  » 

Gouge  de  Longuemare,  avocat  au  Parlement  et  auteur  de  di- 
verses dissertations  sur  l'histoire  de  France,  réunies  en  1748  en 
un  volume  in-i2,a  donné  sur  cette  dignité  des  éclaircissements 
qui  ont  été  reproduits  dans  le  tome  VIII  de  la  Collection  de 
dissertations  publiée  par  MM.  Leber  et  Cohen,  et  que  nous 
avons  citée  plusieurs  fois. 

Ce  n'était  pas  seulement  à  la  cour  du  roi  qu'il  se  trouvait  un 
roi  des  Ribauds;  les  princes  du  sang  en  avaient  aussi  auprès 
d'eux  afin  de  maintenir  la  police;  diverses  grandes  villes  en  pos- 
sédaient en  les  employant  à  l'office  d'exécuteurs  des  hautes 
œuvres.  Il  était  chargé  de  l'inspection  des  lieux  de  débauche  et 
des  personnes  qui  les  habitaient,  et  il  avait  droit  à  une  rétribu- 
tion de  deux  sous  par  semaine.  Selon  un  titre  rapporté  par  du 
Cange  et  daté  de  i38o,  ce  monarque  aurait  joui  d'un  droit  bien 
plus  étendu,  mais  qui  devait  occasionner  bien  du  scandale,  s'il 
le  percevait  à  la  rigueur;  il  pouvait  exiger  cinq  sous  de  chaque 
femme  adultère,  mais  le  document  que  transcrit  le  très -savant 
auteur  du  Glossarium  infimœ  latinitatis  ne  paraît  se  rapporter 
qu'à  un  droit  imaginaire  inventé  par  un  bouffon  (de  statu  go- 
liardorum  seu  buffonum)  se  posant  sans  motif  peut-être,  comme 
faisant  partie  des  ribaux  (se  gerenti pro  ribaldo). 

On  trouve  encore  en  1459  des  traces  de  l'existence  du  roi  des 
Ribauds,  lequel  ne  fut  à  son  origine  que  le  premier  des  sergents 
de  la  juridiction  des  maîtres-d'hôtel  du  roi.  Le  nom  de  roi  se 
donnait  au  moyen-âge  aux  individus  les  plus  versés  dans  leur 
art  ou  ayant  le  plus  d'autorité  parmi  leurs  confrères.  Un  compte 
des  obsèques  de  Charles  VI.,  en  1422,  mentionne  le  roi  des  me- 
nestrels. 

Il  est  fait  mention  dans  les  archives  de  la  ville  de  Péronne, 


i68  ROC 

année  i343  et  \2>5/\.,  d'un  roi  des Ribauds  qui  était  institué  le 
samedi  après  le  Quasimodo.  Un  règlement  du  chapitre  de  la  col- 
légiale de  Saint-Quentin  de  l'année  1246  contient  à  leur  sujet  ce 
qui  suit  :  Ne  ribaldi  juxtà  portas  ecclesiœ  vel  parietes  ejus 
min  gant. 

La  Coutume  bordelaise,  rédigée  au  XVe  siècle,  constate  §  26 
(voirl'édition  de  Bordeaux,  1768,  2  vol.  in-8,  tome  I,  p.  26)  qu'il 
y  avait  dans  cette  ville  un  Rey  deuts  Arlots  qui  exécutait  les 
jugements  rendus  par  la  justice. 

RICOVRATI  (Les)  de  Padoue.  En  1684,  madame  Deshou- 
lières  fut  nommée  membre  de  l'Académie  des  Ricovrati3  de  Pa- 
doue, —  des  retraités  ou  des  réfugiés. 

ROCHER  DE  CANCALE  (Société  du).  Société  de  gour- 
mands et  de  chanteurs,  fondée  par  Capelle(i)et  Renand,  librai- 
res associés. 

Elle  devintplus  nombreuseque  celle  des  Dîners  duVaudeville, 
dont  la  dispersion  fournit  à  ces  deux  amphytrions  des  recrues 
à  choisir  dans  ces  déserteurs.  Ils  y  prirent  Laujon,  Piis,  Ar- 
mand Gouffé,  Alissan  de  Chazet,  Philipon  de  la  Madeleine  et 
Despréaux. 

Laujon  était  président  ou  doyen  de  la  Société  du  Rocher  de 
Cancale,  vers  1 8 1 1 .  11  y  avait  un  sous-doyen  ou  vice-président. 
Brillât-Savarin,  dans  sa  spirituelle  Physiologie  du  Goût}  donne 
de  piquants  détails  sur  le  restaurant  longtemps  célèbre  de  la  rue 
Montorgueil,  où  se  réunissaient  ces  joyeux  convives. 

ROIS  (Confédération  des).  Espèce  de  coterie  fondée  en  An- 
gleterre où  l'on  a  toujours  eu  grand  goût  pour  les  associations  sin- 
gulières par  leur  nom  et  leur  but.  Cette  grande  alliance  des  Rois 
se  forma  à  Londres  un  peu  après  le  retour  de  Charles  II  dans  ses 
Etats.  L'on  y  admettait  indifféremment  toutes  sortes  de  per- 

(1)  Mort  au  mois  d'octobre  i85i,  dans  sa  81e  année;  il  a  laissé  de  nom- 
breux ouvrages  en  vers  et  en  prose,  fort  oublie's  aujourd'hui. 


ROS  169 

sonnes,  de  quelque  condition  ou  qualité  qu'elles  fussent,  pourvu 
qu'elles  ne  refusassent  pas  de  prendre  le  titre  de  Roi.  On  vou- 
lait par  là  repousser  tous  les  hommes  imbus  d'idées  républi- 
caines ou  anti-monarchiques;  c'est  du  moins  l'opinion  que  le 
Spectateur  émet  dans  son  huitième  discours  qui  renferme  quel- 
ques détails  piquants  sur  des  sociétés  assez  bizarres  établies  dans 
la  Grande-Bretagne. 

ROMAINS  (Société  des).  Elle  date  de  1808  à  18 10  environ; 
elle  fut  d'abord  restreinte  aux  pensionnaires  du  gouvernement  à 
Rome,  qui  en  étaient  revenus,  puis  elle  s'étendit  à  tous  ceux  qui 
ont  été  à  Rome,  n'importe  à  quels  frais,  et  comme  artiste. 

Cette  société  se  réunit  les  i5  de  chaque  mois  en  un  banquet 
très -gai.  Elle  dure  encore,  mais  la  médaille  n'est  plus  distri- 
buée. 

ROSATI  D'ARRAS  (Société  des).  Nous  ne  saurions  mieux 
faire  pour  donner  une  idée  exacte  des  travaux  de  cette  société 
que  de  reproduire  une  Notice  insérée  dans  la  3e  série  des  Ar- 
chives du  Nord,  publiées  par  M.  Arthur  Dinaux,  à  Valen- 
ciennes(i). 

Robespierre,  Carnot,  Le  Gay,  Harduin,  Bertin,  Feutry, 
les  Rosati  de  Paris,  Mercier  (de  Compiègne).  —  Si  une  rémi- 
niscence des  anciens  Puys  d'amour  peut  être  signalée  en  Artois, 
c'est  sans  doute  celle  qui,  à  la  fin  du  siècle  dernier  (le  12  juin 
1778),  fit  naître  à  Arras  la  Société  Anacréontique  des  Rosati. 
C'était  moins  sans  doute  qu'une  académie  littéraire,  mais  c'était 
certainement  plus  qu'une  réunion  bachique.  On  peut  la  consi- 
dérer comme  le  dernier  écho  redisant  les  chants  amoureux  des 
Trouvères  artésiens  du  XIIIe  siècle,  assaisonnés  de  toute  la 
galanterie  et  du  savoir-vivre  du  siècle  enrubanné  de  Louis  XV. 

La  Société  des  Rosati  d  Arras  était  consacrée  à  Chapelle,  à  La 


(1)  Il  a  été  fait  une  2e  édition  de  cette  Notice  de  M.  Dinaux;  elle  porte 
pour  rubrique  :  A  la  Vallée  des  Roses,  de  l'imprimerie  anacréontique,  Van 
iooo8oo5o. 


170  ROS 

Fontaine,  à  Chaulieu;  certes,  des  hommes  d'esprit  et  de  plaisir 
ne  pouvaient  mieux  choisir  leurs  patrons;  cependant.,  sans  sortir 
de  la  province  et  en  remontant  de  cinq  cents  ans  plus  haut,  la 
nouvelle  société  aurait  pu  trouver  des  maîtres  parmi  ceux  qui 
eux-mêmes  inspirèrent  Chaulieu,  La  Fontaine  et  Chapelle. 
L'Artois  n'entendait-il  pas  résonner  alors  les  chants  de  Quenes 
de  Béthune,  d'Adam  de  la  Halle,  d'Audefroy- le-  Bâtard,  de 
Sauvage,  de  Courtois  d'Arras  et  d'Adam  de  Givency?  Mais,  au 
XVIIIe  siècle,  qui  songeait  aux  vieux  Trouvères,  aux  pères  de 
la  poésie  française,  si  fins  et  si  inventifs  ?  C'était  trop  tard  ou 
trop  tôt  pour  y  penser. 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire  connaître  l'origine  des  Rosati 
que  par  la  transcription  exacte  d'un  Extrait  des  feuilles  vo- 
lantes de  la  Société  Anacréontique  que  nous  devons  à  la  com- 
plaisance du  fils  d'un  Rosati,  qui  possède  beaucoup. de  pièces 
inédites  composées  et  écrites  par  son  père.  Voici  la  pièce  qu; 
nous  a  été  obligeamment  communiquée  : 

Lettre  à  M.  l'abbé  Ménage  (à  Paris),  en  lui  octroyant  le 
diplôme  de  Rosati.  —  «  Monsieur,  vous  avez  sans  doute  entendu 
parler  de  la  Fête  des  Roses  et  de  la  Société  Anacréontique  des 
Rosati;  la  Renommée,  il  est  vrai,  n'a  pas  encore  fait  voler  d'un 
pôle  à  l'autre  le  nom  de  cette  société  amico-poético-bachique; 
mais  un  Rosati  résident(M.Charamond).quia  l'honneur  d'être 
votre  neveu,  doit  vous  avoir  dit  quelques  mots  de  son  origine  et 
du  but  qu'elle  se  propose. 

«  Des  jeunes  gens  réunis  par  l'amitié,  par  le  goût  des  vers, 
des  roses  et  du  vin,  partirent  un  beau  jour  à  cinq  heures  du 
matin  et  se  réunirent  dans  un  jardin  bien  fleuri,  bien  ombragé, 
bien  champêtre,  sous  un  berceau  de  troëne  et  d'acacia  que  réflé- 
chissait le  ruisseau  le  plus  pur.  Chacun  lut  sa  pièce  de  vers  ana- 
logue au  local  et  aux  mystères  qu'on  devait  y  célébrer;  des  bou- 
teilles de  vin  de  Champagne  furent  apportées  dans  des  raffraî- 
chissoirsde  porcelaine,  on  emplit  les  verres. 

«  Tout-à-coup,  l'un  des  jeunes  gens,  fouillant  dans  ses  grandes 
poches,  en  tira  quelques  centaines  de  roses  fraîchement  cueillies, 


ROS  i7i 

En  un  clin-d'œil,  tout  fut  empreint  de  leurs  couleurs.  Le  ber- 
ceau vert  en  fut  lambrissé  et  plafonné;  des  roses  effeuillées  rou- 
girent la  table,  les  bancs  et  le  gazon.  Le  liseron  qui  rampait  au 
bord  de  l'onde,  fournit  des  couronnes  où  l'on  fit  serpenter  la 
rose;  on  but  à  la  reine  des  fleurs;  lesim-promptu  jaillirent  avec 
la  mousse  du  Chambertin;  et,  dans  un  moment  d'inspiration, 
l'un  des  plus  aimables  poètes  de  la  société  s'écria  :  «  Amis! 
«  qu'un  jour  si  beau  (c'était  le  12  juin  1778)  renaisse  tous  les 
«  ans,  et  qu'on  l'appelle  la  Fête  des  Roses  l  j>  A  cette  idée,  on 
bat  des  mains,  on  emplit  les  verres,  on  épanche  quelques  gouttes 
de  nectar  sur  les  fleurs  éparpillées,  et  l'on  trinque  en  disant  : 

«  Profanes,  loin  d'ici  !  cet  asile  est  sacré  !  » 

Telle  fut  l'inauguration  du  Berceau-,  ainsi  commença  la  Fête 
des  Roses  l 

«  Prendre  un  honnête  délassement,  s'éclairer  des  rayons  de  la 
vraie  philosophie,  rire  de  l'ambition  et  de  mille  riens  impor- 
tantSj  faire  revivre  le  ton  simple  et  franc  de  nos  anciens  auteurs 
en  dépit  de  la  précocité  et  delà  morgue  de  plusieurs  célébrités  du 
jour,  voilà  le  principal  but  des  Rosati;  voilà  pourquoi,  Mon- 
sieur, les  Rosati  s'empressent  de  vous  adopter  :  qui  mieux  que 
vous  remplira  leurs  vues? 

«  La  cérémonie  de  votre  adoption  n'est  ni  grave,  ni  fatiguante. 
Vous  cueillerez  une  rose,  vous  la  respirerez  trois  fois,  puis  l'atta- 
cherez à  votre  boutonnière,  vous  vuiderez  d'un  trait  (notez  cette 
circonstance)  un  verre  de  vin  rosé  à  la  santé  de  tous  les  Rosati, 
passés,  présents  et  futurs;  ensuite  vous  embrasserez,  au  nom  de 
la  société,  une  des  personnes  que  vous  aimez  le  mieux;  vous 
serez  alors  un  vrai  Rosati.  » 

Le  but  principal  de  la  société  des  Rosati  fut  donc  l'étude  de  la 
gaie  science,  et  ses  travaux  obligés  consistaient  à  faire  l'éloge 
de  la  Rose,  de  la  Beauté,  du  Vin  et  de  Y  Amour  :  toutes  choses 
fort  agréables  et  peu  difficiles  à  entreprendre.  Les  sociétaires 
exerçaient  leur  culte  sous  un  berceau  de  roses,  devant  les  bustes 
des  trois  poètes  qui  présidaient  à  leurs  repas  et  à  leurs  chansons 


172  ROS 

tout  couronnés  de  rieurs.  Chaque  couvert  était  marqué  par  un 
bouquet  de  roses.  Les  assemblées  commençaient  au  printemps, 
à  l'épanouissement  de  la  reine  des  jardins,  et  finissaient  à  l'au- 
tomne, lorsque  son  règne  était  fini  :  on  ne  connaissait  pas  alors 
en  France  les  roses  du  Bengale,  celles  dites  remontantes  qui 
fleurissent  la  plus  grande  partie  de  l'année  ;  c'est  bien  dommage: 
si  ce  progrès  horticole  eût  été  fait  un  demi-siècle  plus  tôt,  les 
sessions  de  nos  Rosati  eussent  duré  l'année  entière.  Les  réci- 
piendaires recevaient  un  diplôme  en  vers  et  y  répondaient  par 
des  couplets.  Diplôme  à  part,  les  Rosati  semblaient  avoir  calqué 
leur  association  sur  celles  des  Puys  verds  et  des  Puys  d*  amour. 
Une  philosophie  toute  épicurienne  avait  seulement  fait  écarter 
de  leurs  éloges  obligés  le  nom  de  la  Vierge  Marie,  qui,  sous  le 
régime  des  Trouvères,  dominait  souverainement  presque  tous 
les  sujets  poétiques.  Les  Rosati  n'exclurent  pourtant  pas  le  beau 
sexe  de  leurs  réunions,  mais,  pour  des  raisons  de  convenance, 
ils  n'avaient  que  des  associées  étrangères  à  la  ville  d'Arras.  On 
ne  cite  guère  qu'une  seule  exception  à  cette  règle  rigoureuse;  ce 
fut  la  réception  d'une  dame  d'Arras,  que  nous  voyons  citée  sous 
les  initiales  de  madame  Ch...,  faciles  à  remplir  par  les  habitants 
du  pays,  qui  fut  admise  comme  Rosata.  Il  paraît  que  son  visage 
s'alluma  tout-à-coup  d'une  couleur  appropriée  au  titre  qu'elle 
recevait,  quand  elle  accepta  la  coupe  de  vin  rosé,  symbole  de 
l'initiation,  et  qu'elle  se  vit  la  seule  femme  au  milieu  d'une 
société  d'hommes,  couronnés  de  roses,  qui  chantaient  le  vin  et 
l'amour.  Aussi  M.  Legay,  poète  aimable  et  galant,  grand-chan- 
celier des  Rosati,  ne  put-il  s'empêcher  de  s'écrier,  dans  un  des 
couplets  improvisés  à  cette  réception  : 

«  Sur  ton  visage, 
«  Quelle  purpurine  couleur! 
«  Permets-moi  le  baiser  d'usage  ; 
«  Je  croirai  reprendre  la  fleur 

«  Sur  ton  visage.  » 

Le  Berceau  des  Roses,  lieu  des  séances  des  Rosati,  était  situé 
hors  des  murs,  dans  un  des  faubourgs  d'Arras,  à  Avesnes,  surles 


ROS  i73 

bords  de  la  Scarpe(i).  La  liberté  la  plus  entière,  mais  sans  indé- 
cence, régnait  parmi  les  membres  de  cette  société  anacréontique 
qui  se  composait  de  magktrats,  d'avocats,  d'abbés,  d'officiers  du 
génie  et  de  propriétaires  de  l'Artois.  Au  reste,  la  pièce  suivante 
désigne  le  but  qu'on  se  proposait  d'atteindre,  et  renferme  tout 
à  la  fois  les  statuts  de  la  compagnie  et  le  programme  de  ses 
séances. 

LA    FÊTE    DES  ROSES. 

Un  des  beaux  jours  du  joli  mois 

Qui  rend  aux  arbres  leur  feuillage, 
La  verdure  aux  gazons,  aux  oiseaux  leur  ramage, 
Et  les  fait  deux  à  deux  voltiger  dans  les  bois; 

Eveillés  avant  que  l'Aurore, 
Fuyant  son  vieil  époux,  répande  au  sein  de  Flore 
Ces  pleurs  que  Phœbus  change  en  rubis  éclatants. 
Quelques  Anacréons  dont  pas  un  seul  ne  cloche, 
Bien  gais  et  bien  dispos,  l'un  de  l'autre  contents, 
Bouquet  de  roses  en  main,  et  jolis  vers  en  poche, 
Courent  loin  de  la  ville  et  des  sots  importants 

Fêter  le  retour  du  printemps. 

Dans  un  cabinet  de  verdure 

De  mille  roses  nuancé, 

(i)  Ce  lieu  était  voisin  de  l'abbaye  de  Notre-Dame-d'Avesnes,  de  l'ordre  de 
Saint-Benoît,  fondé  avant  l'an  H25  en  Artois,  et  établie  près  des  murs  d'Ar- 
ras,  lorsque  Philippe  II  eut  vendu  à  cette  congrégation  le  château  de  Belle- 
motte  de  Marguerite  de  Marie,  comtesse  d'Artois.  L'abbesse  Anne  de  Warlu- 
zel,  morte  en  i  5gg,  bâtit  en  ce  lieu  une  église  et  un  cloître  réduits  en  cendre 
en  i654  par  le  marquis  de  Mondejeu,  depuis  maréchal  de  Schulemberg, 
chargé  de  défendre  Arras  contre  le  prince  de  Condé.  Les  dames  d'Avesnes 
restèrent  quarante  ans  à  leur  refuge  d'Arras,  jusqu'à  ce  que  l'abbesse  Jeanne 
de  Tramecourt,  qui  succéda  à  Marie-Thérèse  de  Montmorency,  eut  achevé  la 
reconstruction  des  bâtiments.  Elles  étaient  au  nombre  de  douze,  et  faisaient 
preuve  de  noblesse  militaire,  tant  du  côté  paternel  que  du  côté  maternel, 
pour  être  admises  dans  la  maison  où  elles  vivaient  presqu'en  chanoinesses  et 
sans  être  cloîtrées.  A  l'époque  de  la  fondation  de  la  Société  des  Rosati,  leur 
voisine,  l'abbesse  était  Marie-Jeanne  de  Mouchy;  le  même  écho  pouvait 
redire  les  chants  anacréontiques  des  épicuriens  d'Arras  et  les  pieuses  hymnes 
des  vierges  de  Saint-Benoît. 


174  ROS 

.  Près  d'une  source  qui  murmure, 

Se  réuni:  le  groupe  dispersé. 
Sur  un  banc  raboteux,  chancelant,  mal  posé, 

Nous  nous  plaçons  à  l'aventure  ; 
Chaque  bouquet  bientôt,  en  couronne  tressé, 

Presse  nos  fronts  d'une  fraîche  ceinture. 
La  nappe  au  même  instant  disparaît  sous  les  fleurs. 

La  couleur  du  vin  qu'on  varie 
Tantôt  contraste  et  tantôt  se  marie 

A  l'incarnat  de  leurs  couleurs. 

Le  Dieu  de  la  plaisanterie, 
Momus,  vient  animer  les  propos  des  buveurs. 
On  parle  vers,  amour,  même  philosophie, 

Tout  en  riant  on  apprécie 

Les  illusions  de  la  vie, 

Les  charmes  d'une  Belle,  et  l'esprit  des  Auteurs 

Tout-à-coup  le  bruit  cesse.  Aux  plus  gentils  Poètes, 

A  tous  ces  paresseux  qui  chantèrent  l'Amour, 

Aux  Chapelle,  aux  Chaulieu,  nous  buvons  tour-à-tour, 

En  répétant  nos  chansonnettes. 
Mais  lorsque  du  soleil  les  rayons  importuns, 
Introduits  à  travers  la  voûte  de  feuillage, 
Dissipent  de  nos  fleurs  les  suaves  parfums, 
Nous  quittons  notre  Eden,  en  disant  :  «  Quel  dommage  , 

«  Quand  le  chagrin  semble  allonger  les  jours, 
«  Que  les  instants  heureux  nous  paraissent  si  courts  !  » 

On  voit  assez  par  ce  document,  qui  est  pour  ainsi  dire  la 
charte  constitutionnelle  des  Rosati,  que  c'étaient  de  francs  épi- 
curiens, ne  pensant  qu'aux  plaisirs,  aux  biens  matériels  de  la 
vie  et  aux  jouissances  de  l'humanité.  Ces  joyeux  compagnons 
paraissent  avoir  tous  possédé  les  qualités  mémorables  que  l'on 
accorde  généralement  au  bon  roi  Henri  IV.  La  majorité  des 
membres  étant  composée  d'officiers,  ils  avaient  le  triple  talent 
de  boire  et  de  battre,  et  d'être  verts  galants.  Ils  en  ajoutaient 
même  un  quatrième,  celui  de  chanter,  ce  que  ne  dédaignait  pas 
de  faire  aussi  le  roi  du  Pont-Neuf. 

Nous  sommes  parvenu  à  reconstituer  à  peu  près  complète- 


ROS  i75 

ment  la  liste  des  chevaliers  de  cet  Ordre  bachico-littéraire:  c'est 
la  composition  la  plus  étonnante  qu'on  puisse  voir  :  un  abbé  à 
côté  d'un  officier  du  génie;  un  peintre  auprès  d'un  avocat-géné- 
ral; un  artiste  contre  un  professeur  de  théologie;  le  commandant 
d'une  citadelle  assis  sur  la  basque  de  l'habit  d'un  avocat;  un 
mince  poète  vis-à-visd'un  riche  seigneur;  un  ancien  écuyer  du  roi 
touchant  du  coude  Maximilien  de  Robespierre,  et  tous  ces  gens 
d'états  si  variés,  de  conditions  *et  d'habitudes  si  diverses,  peu 
soucieux  des  choses  de  ce  monde,  gais  et  contents,  chantaient, 
buvaient  ensemble,  faisaient  vers  et  chansons,  et  menaient 
joyeuse  et  aimable  vie  quand  les  partis  commençaient  à  s'agiter, 
lorsque  la  monarchie  et  l'état  social  même  tremblaient  sur  leurs 
antiques  fondements. 

Nous  en  demandons  humblement  pardon  à  nos  graves  lecteurs, 
mais  nous  ne  saurions  faire  la  monographie  de  cette  société, 
plus  galante  que  savante,  plus  bachique  que  littéraire,  sans  y 
entremêler  beaucoup  de  pièces  de  poésies;  on  n'y  conversait 
qu'en  couplets, on  n'y  parlait  qu'en  rimes: ce  sera  donc  de  l'his- 
toire en  vers.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire,  pour  peindre  les 
divers  personnages  qui  figurèrent  sous  le  Berceau  des  Roses, 
que  de  rappeler  leurs  propres  discours,  et  ces  discours  ne  sont 
que  des  chansons. 

On  nous  pardonnera  les  détails  dans  lesquels  nous  allons  être 
forcé  d'entrer;  ils  sont  obligatoires  pour  faire  bien  connaître  cet 
intérieur  et  ces  hommes  vus  en  deshabillé.  C'est  d'ailleurs  une 
peinture  de  mœurs  assez  curieuse  d'une  époque  déjà  séparée  de 
nous  par  plusieurs  révolutions,  etiln'est  pas  sans  intérêt  de  voir 
les  distractions  et  de  connaître  les  jeux  de  personnages  devenus, 
quelques  années  plus  tard,  fameux  dans  les  lettres,  les  armes  et 
la  dictature. 

A  tout  seigneur,  tout  honneur  :  commençons  notre  nomen- 
clature par  le  chancelier  de  l'Ordre,  Le  Gay,  aimable  auteur  de 
Mes  Souvenirs  (i).  C'est  lui  qui  tint  d'une  main  ferme  et  jusqu'à 

(i)  Paris,  1786,  in- 18.  Né  en  1759,  Le  Gay  n'a  fait  imprimer  que  quelques 


176  ROS 

sa  dissolution  le  sceau  de  la  compagnie,  représentant  une  rose  à 
mille  feuilles.  Il  fut  le  fondateur  de  la  société  des  Rosati,  il  en 
devint  l'âme  et  le  pivot.  Ce  charmant  et  fécond  poète  d'Arras, 
est  mort  juge  d'instruction  au  tribunal  de  première  instance  de 
Béthune,  le  7  juin  1823,  après  avoir  été  procureur-impérial  au 
même  siège.  Lors  de  l'érection  du  Berceau  des  Roses,  il  n'était 
qu'avocat  et  chansonnier,  et  avait  mérité  le  titre  de  Chantre  de 
MyrtiSy  du  nom  d'une  beauté  qui  revient  souvent  dans  ses  vers 
et  qui  avait  semé  le  printemps  de  sa  vie  de  trouble  et  d'agita- 
tion. 

Le  Gay  inaugura  par  ces  couplets  la  première  session  des  Fê- 
tes de  la  Rose,  à  l'ouverture  du  printemps,  époque  annuelle  où 
les  Rosati  commençaient  leurs  aimables  travaux  : 

Lève-toi  radieux  et  clair, 
Soleil,  viens  parer  la  nature  : 
Vents  printanniers,  agitez  l'air  : 
Que  Flore  émaille  la  verdure  : 
Que  tout  favorise  en  ce  jour 
La  gaîté,  les  vers  et  l'Amour. 
Que  chaque  frère  en  Apollon, 

Dans  ce  vallon, 

Boive  et  chansonne  ; 

Lierre  joyeux, 

Myrte  amoureux, 
Soient  enlacés  dans  sa  couronne. 
Que  tout,  etc. 

La  rose  exhale  son  encens, 

Et  du  printemps 

Les  fruits  rougissent  ; 
Le  balancement  des  rameaux, 

L'ombre  et  les  eaux 

Vous  raffraîchissent. 
Mais  ces  plaisirs  seraient  trop  vains 
Sans  vos  beaux  vers,  sans  nos  bons  vins. 


vers,  et  un  discours  :  Du  Célibat  et  du  Divorce,  prononce  en  1 787  à  l'Aca- 
démie d'Arras. 


ROS  i77 

Ah  !  qu'il  est  doux  sur  le  gazon, 
De  sabler  la  liqueur  vermeille  ! 
La  bouteille  suit  la  chanson 
Qui  nous  renvoie  à  la  bouteille. 

Que  tout  favorise  en  ce  jour 

Non,  non,  ne  parlons  plus  d'Amour. 

Ce  dieu  cruel,  je  l'ai  fêté, 
De  trouble  il  a  semé  ma  vie  ; 
Mais  de  Bacchus  l'enfant  gâté 
Vit  sans  trouble  et  sans  jalousie... 
Tous  les  amants  sont  ennemis, 
Et  tous  les  buveurs  sont  amis. 

Si  Harduin,  le  savant  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  Roya- 
le des  Belles-Lettres  d'Arras,  fréquenta  la  société  des  Rosati,  ce 
ne  fut  que  de  loin  en  loin,  lorsque  ses  douleurs  physiques  lui 
permettaient  de  le  faire,  et  cela  pendant  un  court  espace  de 
temps,  car  il  s'éteignit  le  5  septembre  1785,  à  67  ans.  Cepen- 
dant son  nom  retentit  plus  d'une  fois  sous  le  Berceau  des  Ro- 
ses, ainsi  que  nous  l'apprennent  ces  vers  de  Le  Gay  : 

Harduin,  que  ton  nom  vanté 
Se  mêle  à  notre  douce  orgie  ; 
Permets  que  l'aimable  gaîté 
Boive  à  la  santé  du  génie; 
Souris  aux  fruits  de  nos  loisirs  ; 
La  gloire  naîtra  des  plaisirs. 

Oui,  je  chanterai  mieux  Bacchus, 
Encouragé  par  ton  suffrage  ; 
Ainsi  le  regard  de  Phébus 
Fait  briller  la  fleur  du  bocage  ; 
Ainsi  sous  l'abri  du  palmier 
S'élève  un  timide  rosier. 
A  côté  d'Harduin  et  de  Le  Gay,  ces  deux  éclatantes  étoiles 
littéraires  de  l'Artois,  on  voyait  briller  sous  le  Berceau  des  Ro- 
ses, l'abbé  Roman,  fondateur  de  l'Académie  bocagère  du  Val- 
muse,  de  la  société  royale  d'Arras. 
Voici  le  diplôme  qui  lui  fut  envoyé  par  Le  Gay  pour  son  in- 

12. 


178  ROS 

troduction  dans  la  société  des  Rosati;  il  le  fera  mieux  connaître 
sous  le  point  de  vue  anacréontique  qui  nous  occupe. 

DIPLÔME  DE  ROSATI  A  M.  ROMAN. 

Nous,  qui  d'une  voix  importune 

Ne  formons  ni  vœux,  ni  regrets, 

Et  laissons  sans  courir  après 

Passer  le  char  de  la  Fortune; 

Peu  jaloux  d'accrocher  nos  vers 

Aux  aîles  de  la  Renommée 

Quand  de  cent  trompettes  armée 

Elle  vole  par  l'Univers; 

Nous,  les  seuls  Rosati  du  monde, 

Qui  de  tout  Yious  faisant  un  jeu, 

Dormant  beaucoup,  raisonnant  peu, 

Voyons  dans  une  paix  profonde 

Tout  aller  comme  il  plaît  à  Dieu, 

Et  rions  bien  du  sot  qui  fronde, 

(Quoique  des  sots  tels  soient  les  droits); 

Nous  susnommés,  dans  une  orgie 

Où  vingt  fois  la  coupe  rougie 

Demeura  vide  autant  de  fois, 

Vu  les  productions  diverses 

Du  Troubadour  qu'Anacréon 

Daigna  lotir  de  son  crayon, 

Sa  haine  pour  les  controverses , 

Sans  que  rien  gêne  notre  choix 

Sans  cabale  préliminaire 

(Nonobstant  l'usage  ordinaire 

A  maint  comité  littéraire), 

Avons  choisi,  tout  d'une  voix, 

Le  gentil  Roman  pour  confrère. 

Ce  nouveau  titre  vous  astreint, 
Quand  le  soleil  sur  la  rosée 
Dont  chaque  fleur  est  arrosée 
Darde  et  laisse  un  rayon  empreint, 
A  vous  trouver  sous  le  bocage 
Où  des  fous  dans  la  fleur  de  lage, 


ROS  ijg 


Le  front  de  roses  couronné, 
Sablant  l'Aï,  le  Versenai, 
Invoquent  l'amant  de  Daphné 
Et  le  patron  du  persifflage. 
Ainsi  fait  non  loin  des  tisons, 
Dans  la  plus  rude  des  saisons 
Auprès  de  roses  en  peinture. 
Lu  le  tout  que  nous  approuvons  ; 
En  foi  de  quoi  nous  apposons 
Près  du  scel  notre  signature. 

Le  Gay. 

Après  le  gentil  Roman,  comme  dit  le  diplôme,  siégeait  Car- 
not,  capitaine  au  corps  royal  du  génie,,  en  garnison  à  Arras,  qui, 
plus  tard,  sous  la  Convention,  organisa  la  victoire  en  jetant  qua- 
torze armées  sur  nos  frontières  entamées  et  menacées,  mais  qui, 
à  l'époque  que  nous  retraçons,  se  contentait  de  tourner  un  cou- 
plet, de  chanter  l'Amour,  et  de  sabler  le  Champagne.  Les  Aima- 
nachs  des  Muses  du  temps  recèlent  des  poésies  de  lui  extrême- 
ment légères;  celui  de  1791  contient  (page  37)  le  Temps  passé, 
dialogue  burlesque  entre  madame  Fagotin  et  M.  Barbichon. 
Le  recueil  des  Rosati  renfermait  plusieurs  chansons  du  capi- 
taine Carnot,  parmi  lesquelles  nous  choisissons  la  meilleure, 
celle  qui  eut  autrefois  quelque  retentissement  dans  le  pays  et  fit 
une  sorte  de  réputation  à  son  auteur  (1).  Elle  est  intitulée  : 

(1)  Sous  la  Restauration  on  a  réuni  une  bonne  partie  des  pièces  de  vers 
composées  par  Garnot,  qui,  alors  en  exil  à  Magdebourg,  ne  comptait  pas  sur 
ses  productions  poétiques  pour  passer  à  la  postérité.  Le  recueil  dont  nous 
parlons  parut  sous  ce  titre  :  Opuscules  poétiques  du  général  L.-N. -M.  Carnot. 
Paris,  Baudouin  fils,  1820,  in-8°.  M.  Saady  Carnot,  fils  aîné  du  général,  mort 
du  choléra  en  1  832,  a  dû  donner  des  soins  à  cette  publication.  M.  Hippolyte 
Carnot,  son  second  fils,  qui  fut  ministre  de  l'instruction  publique  sous  le  gou- 
vernement provisoire  de  la  République,  se  proposait  de  publier  les  œuvres 
de  son  père,  précédées  de  Mémoires  sur  sa  vie  ;  il  a  même  eu,  dit-on,  l'envie  de 
faire  une  notice  sur  la  Société  des  Rosati  d'Arras.  On  a  prétendu  que  Carnot 
était  le  héros  d'une  collection  épistolaire,  publiée,  en  l'an  IX,  à  douze  exem- 
plaires seulement,  (est-ce  bien  exact?)  sous  le  titre  de  Recueil  de  Lettres  de 
deux  Amants,  9  vol.  in- 18.  Les  six  premiers  volumes  ont  été  réimprimésen 
18 17  en  4  vol.  in-18,  avec  un  titre  nouveau  :  Lettres  secrètes  et  amoureuses 
de  deux  personnages  de  nos  jours. 


i8o  ROS 


JE    NE    VEUX    PAS. 

D'où  te  vient  cette  fleur  charmante  ? 
Elle  est  divine,  elle  m'enchante, 

Disait  Lucas; 
Donne-la  moi,  belle  Thémire; 

—  Monsieur,  cela  vous  plaît  à  dire  ; 

Je  ne  veux  pas. 

—  Une  fleur  est  si  peu  de  chose  î 
Peut-on  refuser  une  rose 

A  son  Lucas? 
Prends  donc  pitié  de  mon  martyre... 
Mais  elle  s'obstinait  à  dire  : 

Je  ne  veux  pas. 
Cependant  Lucas  par  son  zèle 
Commençait  à  mettre  la  belle 

Dans  l'embarras  : 
Lucas,  dit-elle,  je  soupire  ; 
Mais  ne  croyez  pas  me  séduire; 

Je  ne  veux  pas. 

Lucas  ne  perdant  point  courage, 
Prenait  enfin  tant  d'avantage 

Sur  ses  appas, 
Qu'à  peine  à  la  pauvre  Thémire 
Il  restait  la  force  de  dire  : 

Je  ne  veux  pas. 
Mais  on  ne  voulut  point  entendre 
Un  refus  fait  d'un  air  si  tendre, 

D'un  ton  si  bas. 
La  belle  connut  son  délire 
Quand  il  n'était  plus  temps  de  dire  : 

Je  ne  veux  pas. 
Belles,  de  l'amant  qui  vous  presse 
Voulez-vous  augmenter  l'ivresse 

En  pareil  cas? 
Tout  en  faisant  ce  qu'il  désire, 
N'oubliez  jamais  de  lui  dire  : 

Je  ne  veux  pas. 


ROS 


Carnot  composa  encore  pour  les  Rosati  le  chant  intitulé  :  les 
Mœurs  de  mon  Village,  en  neuf  strophes,  et  plusieurs  chansons 
bachiques,  entr'autres  une  où  Pon  voit  ce  couplet  en  l'honneur 
du  vieux  Silène  : 

Chantant  ribon-ribaine 
Le  bon-homme  Silène 
D'un  grand  verre  nanti, 
Buvait  comme  une  éponge, 
Et  valait  sans  mensonge 
Le  plus  franc  Rosati. 

Personne  n'était  plus  zélé  et  plus  ardent  que  Carnot  pour  la 
gloire  et  l'illustration  des  Rosati  :  il  porta  son  enthousiasme 
jusqu'à  nommer  son  fils  aîné  Saadi,  nom  qui  ne  figure  pas  au 
martyrologe,  mais  qui  rappelle  Y  Empire  des  Roses,  dans  la  litté- 
rature persane  (i). 

Auprès  de  ces  illustres  membres  de  la  Société  des  Roses  ve- 
nait s'asseoir  M.  Charamond,  jeune  avocat,  joignant  à  l'étude 
de  Cujas  le  culte  d'Apollon,  au  nom  duquel  les  recueils  du  temps 
ajoutent  quelquefois  celui  de  M.  Sylva,  qui  fut  sans  doute  un 
de  ses  joyeux  collaborateurs.  M.  Charamond  eut  d'abord  un 
désespoir  amoureux  qui  lui  causa  un  grand  dégoût  de  la  vie; 
Le  Gay,  dans  une  épître,  cherche  à  le  consoler  :  il  paraît  qu'il  y 
réussit,  car  ce  jeune  poète  s'enrôla  parmi  les  Rosati  qu'il  égaya 
souvent  par  des  pièces  de  vers  fort  agréablement  tournées.  On 
peut  citer  la  Vision,  YEmbarras  et  plusieurs  autres. 

A  la  révolution  française,  M.  Louis-Ferdinand  Charamond 
entra  dans  l'administration  militaire;  fut  commissaire  des 
guerres  à  Arras,  Hesdin  et  Poitiers;  nommé  commissaire  des 
guerres  de  la  garde  du  Directoire,  de  celle  des  Consuls,  puis  de 
la  Garde  Impériale;  il  disparut  dans  la  retraite  de  Russie,  à  la  fin 
de  1 812,  ayant  alors  le  grade  de  sous-inspecteur  aux  revues  de  la 

(1)  Voyez  Gulistan,  ou  YEmpire  des  Roses,  composé  par  Musladini  Saadi, 
le  prince  des  poètes  persans,  traduit  en  français  par  Du  Ryer  (1644),  parD'Alè- 
gre  (1704,  1734)  et  l'abbé  Gaudin  (1789,  1791  ).  Des  traductions  bien  préfé- 
rables et  accompagnées  de  notes,  ont  été  publiées  à  Paris  en  1834,  par  M.  N- 
Semelet,  et  en  i835  par  M.  Ch.  Defremery. 


i82  ROS 


garde  de  l'Empereur.  La  famille  Charamond  s'allia  aveccellede 
Lenglet,  d'Arras,  autre  membre  des  .Rosalie poète  Charamond 
a  laissé  un  fils,  né  à  Paris,  qui  exerce  aujourd'hui  les  fonctions 
de  juge-de-paix  à  Valenciennes,  et  qui  jouit  de  l'estime  générale. 

Ce  descendant  du  spirituel  membre  de  la  société  anacréonti- 
qued'Arras  possède  un  grand  nombre  de  poésies  inédites  de  son 
père,  parmi  lesquelles  on  distingue  :  le  Jeu  de  Paume,  poème 
didactique  en  quatre  chants;  plusieurs  brevets  de  Rosati,  des 
chansons  patoises,  des  fables,  et  d'autres  pièces  légères  dont 
quelques-unes  mériteraient  de  voir  le  jour.  Il  a  écrit,  en  prose, 
une  traduction  du  roman  de  Raselas,  du  célèbre  Johnson,  et 
une  de  \  Economie  de  la  Vie  humaine,  de  Robert  Dodsley,  et 
plusieurs  discours  qui  font  partie  des  Feuilles  volantes  de  la 
Société  anacréontique.  Son  portrait  a  été  gravé  au  physiono- 
trace,  par  Fouquet  (i). 

Dubois  de  Fosseux,  successeur  d'Harduin  comme  secrétaire- 
perpétuel  de  la  société  d'Arras,  ancien  écuyer  du  roi  et  depuis 
maire  de  la  capitale  de  l'Artois,  est  un  des  hommes  qui  jetèrent 
le  plus  de  lustre  sur  la  Société  des  Rosati.  Il  avait  bien  des  droits 
pour  y  entrer;  instruit,  aimable,  jovial  et  écrivain  ingénieux, 
il  savait  égayer  un  auditoire  académique  par  la  manière  dont  il 
traitait  les  sujets  les  plus  scabreux  ;  c'est  ainsi  qu'il  fit  des  disser- 
tations Sur  la  langue  des  Femmes,  Sur  leur  tête,  etc.,  etc.,  etc. 
Il  est  aussi  l'auteur  de  F Éloge  deSuger,de  celui  de  J.-B.  Rous- 
seau et  du  Dauphin,  père  de  Louis  XVI.  Voici  son  diplôme 
comme  membre  des  Rosati,  composé  par  M.  Sylva;  il  le  fera 
parfaitement  connaître  : 

Nous,  le  plaisant  synode 
Etabli  près  d'Arras, 
Nous  qui,  malgré  la  mode, 
Savons  rire  aux  éclats, 

(i)  E.-T.  Simon  (deTroyes),  secrétaire  du  Corps  législatif,  homme  de  lettres 
et  bibliographe,  auteur  d'unC//o/.r  de  Poésies,  traiuitdu  latin  et  de  l'italien, 
2  vol.  in-i  8,  était  membre  des  Rosati  d'Arras,  de  première  origine,  et  lié  avec 
les  hommes  célèbres  qui  ont  illustré  cette  société.  Simon  de  Troyes,  homme 


ROS  i83 


Et  qui  n'avons  pour  code 

Que  cette  loi  commode  : 

Fais  ce  que  tu  voudras  ; 

Nous,  prêtres  de  la  Rose, 

Buvant,  causant  en  prose 

Dans  un  charmant  réduit, 

Ce  soir  avons  pour  cause 

Résolu  ce  qui  suit  : 

Vu  l'éloge  funèbre, 

Et  pourtant  non  menteur, 

D'Harduin,  cet  auteur 

Et  modeste  et  célèbre  ; 

Vu  le  discours  si  beau 

Où  sont  vengés  les  mânes 

Du  lyrique  Rousseau 

Dont  quelques  mains  profanes 

Violaient  le  tombeau; 

Vu  cent  plaisanteries 

Galantes  et  jolies 

Sur  un  sexe  aux  yeux  doux 

Qui  nous  plaît,  qui  nous  brave, 

Et  qui  feint  d'être  esclave 

Pour  se  moquer  de  nous  ; 
Vu  l'atteinte  assez  vive 
Que  Fosseux  lui  porta  ; 
Vu  la  gaîté  naïve 
Dont  Phœbus  le  dota, 
Mainte  aimable  missive 
Qu'en  riant  il  dicta, 
Maint  rosier  qu'il  planta 
Et  que  sa  main  cultive, 
Avons  ledit  Fosseux 
Englobé  dans  la  troupe 
Des  archi-paresseux 
Du  mont  à  double-croupe  ; 

d'esprit  d'ailleurs,  littérateur  estimable,  avait  la  manie  de  mettre  sur  les  livres 
qui  lui  appartenaient  un  cachet  des  plus  disgracieux  ;«il  a  fait  à  je  ne  sais  com- 
bien de  volumes  plus  de  mal  que  sa  signature  ne  leur  eut  fait  de  bien»(Nodier). 


184  ROS 


Avons  rempli  sa  coupe 
De  Champagne  mousseux. 
Et  quand  l'amant  de  Flore, 
Caressant  les  boutons, 
Fera  partout  éclore 
La  fleur  que  nous  fêtons, 
De  bon  cœur  l'invitons 
A  venir  dès  l'aurore 
Sous  nos  brillants  festons 
Qu'un  doux  carmin  colore. 
C'est  dans  un  jardinet 
Qu'arrose  une  onde  pure, 
Au  fond  d'un  cabinet 
De  fleurs  et  de  verdure; 
C'est  non  loin  du  châtel 
Que  l'on  appelle  Avène, 
Sur  la  route  qui  mène 
Au  Valmuse  immortel. 
Là,  sa  couronne  est  prête, 
Là,  le  jour  delà  fête, 
Espérons  marier 
Rose  fraîche  au  laurier 
Qui  verdit  sur  sa  tête  ; 
Là,  pour  mieux  l'égayer, 
Entendons  que  l'on  perce 
Le  tonneau  le  plus  vieux, 
Qu'en  chantant  on  lui  verse 
Ce  nectar  précieux 
Dont  la  vapeur  disperse 
Les  traits  facétieux, 
Les  in-promptu  joyeux, 
Et  jette  à  la  renverse 
Les  mortels  et  les  dieux. 
Ainsi  fait  sous  la  treille, 
Auprès  d'une  bouteille 
Et  d'un  poulet  rôti  ; 
Arrêté  sans  murmure, 
Et  signé,  sans  rature, 
Par  tous  les  Rosati. 


ROS  ,85 

M.  de  Fosseux  a  été  parfaitement  dépeint  par  ce  quatrain  com- 
posé par  son  confrère  Charamond,  pour  être  misau-dessousde  son 
portrait  :  Bienfaisant,,  délicat,  sincère,  il  n'est  point  aimable  à 
demi.  Pour  ses  enfants,  c'est  un  ami,  et  pour  ses  amis,  c'est  un 
père. 

Qui  pourrait  s'imaginer  qu'on  va  trouver  au  milieu  de  ces 
joyeux  amis  du  vin  et  de  l'amour,  insoucieux  et  paisibles,  inno- 
cents et  calmes,  Maximilien  de  Robespierre,  avocat  à  Arras,  qui 
depuis.....  mais  alors  il  était  Rosati?  Oui,  Robespierre,  dont  le 
nom  seul  fit  trembler  trente  millions  de  Français,  et  rappelle  le 
règne  de  la  Terreur,  dont  le  souvenir  reste  inséparable  du  sien; 
Robespierre  fut  un  chansonnier  galant  qui  se  mêla  à  la  jeunesse 
dorée  et  élégante  d'Arras,  pour  fêter  l'amour  et  le  vin  sous  un 
berceau  de  roses.  Un  de  ses  confrères  en  Apollon  et  en  Bacchus 
dépeignait  ainsi,  dans  un  couplet,  sa  manière  de  chanter: 

Ah  !  redoublez  d'attention  ! 
J  'entends  la  voix  de  Robespierre; 
Ce  jeune  émule  d'Amphion 
Attendrirait  une  panthère 

On  ne  connaît  que  trop  les  discours  de  Robespierre,  on  ne  sait 
presque  rien  de  ses  chansons:  nous  avons  retrouvé  deux  de  ces 
innocentes  oeuvres  chantées  devant  la  société  des  Rosati;  la 
première,  pour  ainsi  dire  improvisée  lors  de  sa  réception,  est  un 
remerciement  à  ses  confrères;  elle  a  été  publiée  dans  les  mémoi- 
res de  Charlotte  Robespierre,  qui  avait  conservé  une  copie  de 
la  main  de  son  frère  (i);  la  seconde  a  été  recueillie  dans  des 
feuilles  volantes. 

LA  ROSE. 

Remerciements  à  MM.  de  la  Société  des  Rosati. 
Air:  Résiste-moi,  belle  Aspasie. 
Je  vois  l'épine  avec  la  rose, 
Dans  les  bouquets  que  vous  m'offrez  (bis), 
Et,  lorsque  vous  me  célébrez, 
Vos  vers  découragent  ma  prose. 

(i)  Œuvres  de  Max.  Robespierre.  Paris,  1840,  tome  II.  p.  480. 


i86  ROS 


Tout  ce  qu'on  m'a  dit  de  charmant, 
Messieurs,  a  droit  de  me  confondre: 
La  Rose  est  votre  compliment, 
L'Epine  est  la  loi  d'y  répondre  [bis). 


Amis,  célébrons  le  retour 

De  la  jeune  fille  de  Flore. 

O  doux  printemps!   ton  plus  beau  jour 

Est  celui  qui  la  fait  éclore. 

Qu'on  la  cueille  encore  en  bouton, 
Ou  quand  son  sein  modeste  s'ouvre  : 
A  quelle  fleur  trouvera-t-on 
Tous  les  charmes  qu'elle  découvre  ? 

La  Rose  est  la  fleur  chère  aux  Dieux, 
Dans  ses  cheveux  Hébé  la  pose, 
Et  le  nectar  qu'on  sert  aux  Dieux 
Doit  son  coloris  à  la  Rose. 

Le  Gay,  d'Arras.  (1778). 

l'amour  papillon.  —  Imitation  de  l'Anthologie. 
Pour  voltiger  de  rose  en  rose, 
Amour  s'était  fait  papillon  ; 
Mais  Bacchus  qui  m'aime,  et  pour  cause, 
Me  découvrit  ce  Dieu  fripon. 
Je  le  suis,  dans  l'air  il  tournoyé, 
Il  s'abbat,  je  l'attrape  enfin, 
Lors  dans  mon  verre  je  le  noyé, 
Et  je  l'avale  avec  le  vin. 

Amis,  quels  beaux  jours  vont  éclore  ! 
Il  ne  troublera  plus  nos  sens... 
Que  dis-je?  Hélas  !  Il  vit  encore, 
Il  se  ranime,  je  le  sens; 
Il  me  chatouille  avec  ses  ailes, 
De  mon  cœur  il  fait  un  foyer... 
Sus!  Versez  rasades  nouvelles, 
Pour  achever  de  le  noyer. 

M.  Sylva,  Rosati  d'Arras. 


ROS  187 

Il  existait  aussi  une  société  de  Rosatià  Paris. 

Barletti  de  St.  Paul  était  membre  des  Rosatis  de  Paris. — Voir 
la  Biogr.  universelle. 

Il  est  mort  à  Paris  le  3  octobre  1809.  Il  publia  à  Rotterdam, 
ij65,  in- 12,  le  Secret  révélé  qui  le  rit  mettre  à  la  Bastille  parce 
qu'ilytraitaitfortmalM.de  Sartines.  L'ouvrage  fut  détruit;  il  est 
devenu  rare.  —  Barletti  de  St.  Paul  a  mis  en  ordre  la  bibliothè- 
que de  M.  de  Paulmy,  aujourd'hui  conservée  à  l'Arsenal. 

ROSE  (Ordre  de  la).  Dans  un  souper  donné  à  l'hôtel  du  duc 
d'Orléans  à  Paris  au  mois  de  janvier  1402  (ancien  hôtel  de  Nesles, 
devenu  hôtel  de  Soissons  et  aujourd'hui  Halle  au  blé),  on  vit  pa- 
raître dans  un  entremets,  des  dames  en  costume  de  divinités; 
elles  proposèrent  à  la  compagnie  une  nouvelle  association  en  fa- 
veur des  dames,  sous  le  nom  à' Ordre  de  la  Rose.  Pour  apparte- 
nir à  l'ordre  il  fallait  avoir  soin  de  porter  sur  son  vêtement  un 
ornement  en  forme  de  rose.  Dès  lors  on  se  trouvait  contraint 
d'en  accomplir  les  statuts,  composés  en  vers  par  Christine  de 
Pisan.  En  voici  les  premiers  vers: 

A  tous  les  princes  amoureux 
Et  aux  nobles  chevalereux. 

La  date  est  aux  derniers  vers: 

Escript  le  jour  saint  Valentin  (14  février), 
Ou  mains  amans,  très  le  matin, 
Choisissent  amours  pour  l'année, 
C'est  le  droit  de  cette  journée. 

ROSE-CROIX.  Secte  d'illuminés,  espèce  de  franc-maçonne- 
rie qui  surgit  en  Allemagne  au  commencement  du  XVIIe  siècle 
et  qui  occupa  vivement  l'attention  publique.  Son  but,  ses  pra- 
tiques sont  restées  dans  les  ténèbres.  On  lança  contre  elle  de  re- 
doutables accusations  que  la  critique  sérieuse  ne  saurait  ad- 
mettre. L'association  disparut  bientôt  et  tomba  dans  l'oubli. 

On  possède  à  son  égard  un  livre  curieux:  Instruction  à  la 
France  sur  la  vérité  de  Vhistoire  des  Frères  de  la  Rose-Croix. 


ROS 


Paris,  1623,  in-8;  il  est  sorti  de  la  plume  de  Gabriel  Naudé  (1). 

C'est  un  petit  in-8  de  1 17  pages.  L'ouvrage  se  divise  en  seize 
chapitres.  Il  signale  d'abord  la  légèreté  des  Français  à  croire  les 
nouveautés  et  parle  de  plusieurs  folies  auxquelles  ils  ont  ajouté 
foi.  Après  avoir  avancé  qu'il  est  dangereux  de  rien  innover  es 
sciences,  Naudé  arrive  aux  Frères  de  la  R.-C.'}  il  n'y  a  opinion 
si  absurde  que  leur  histoire;  leurs  écrits  ne  peuvent  être  enten- 
dus; vient  ensuite  l'histoire  du  fondateur  de  la  secte;  tout  ce 
qu'il  a  débité  n'est  qu'ineptie,  et  des  imposteurs  seuls  se  disent 
Frères  de  la  Rose-  Croix.  Après  avoir  discuté  quelques  objec- 
tions et  après  avoir  insisté  sur  l'inintelligible  obscurité  du  livre 
de  l'Amphithéâtre,  par  Conrard(2),Naudé«  conclut  que  tous  les 
faux  bruits  et  principalement  ceux  de  cette  compagnie  sont  pré- 
judiciables à  tous  les  royaumes,  estats  et  monarchies.  » 

Selon  l'usage  de  l'époque  le  livre  est  rempli  de  citations,  de 
digressions  tout-à-fait  étrangères  au  sujet.  Naudé  s'appuie  beau- 
coup sur  un  autre  écrit  du  temps  :  Advertissement pieux  et  très 
util  des  Frères  de  la  Rose-Croix:  à  sçavoir  s'il  y  en  a;  quels 
ils  sont-,  et  où  ils  ont  prins  ce  nom  ,•  et  à  quelle  fin  ils  ont  es- 
pandu  leur  renommée.  Escrit  et  mis  en  lumière  pour  le  bien 
public,  par  Henri  Neuhaus  et  de  Dantzick.  Les Frèresy  sont  re- 
présentés comme  gens  fort  dangereux,  fourbes  et  tendant  à  l'a- 
néantissement de  toute  religion.  Une  traduction  française  de  ce 
livret  se  joint  habituellement  à  l'Instruction. 

C'est  encore  aux  Rose-Croix  que  se  rapporte  un  opuscule  pu- 
blié à  Paris  en  1623  :  Effroyables  pactides  faites  entre  le 
diable  et  les  prétendus  invisibles,  opuscule  inséré  par  M.  Ed. 
Fournies,  dans  les  Variétés  historiques  et  littéraires,  tom.  IX, 
p.  275  ;  le  même  recueil  contient  (tom.  1^  p.  116)  V Examen  de 

(1)  Voir  au  sujet  de  ce  polygraphe  instruit  et  original  les  notices  de  M.  La- 
bitte,  Revue  des  Deux-Mondes,  i5  août  i836,  et  Sainte-Beuve,  ier  décembre 
1843  ;  ce  dernier  article  a  reparu  dans  les  Portraits  littéraires,  1844,  t.  II, 
p.  46i-5o6. 

(2)  Il  s'agit  de  VAmphithédtrum  sapientiœ  œternœ  d'Henri  Khunrath,  1609, 
in-fol.;  c'est  un  amas  de  rêveries  cabalistiques  et  insensées. 


ROZ 


V inconnue  et  nouvelle  cabale  des  Rose-Croix.  Le  pacte  repro- 
duit les  «  articles  accordez  entre  le  négromancien  Respuch  et 
les  députés  des  Rose-Croix.  »  Ceux-ci,  au  nombre  de  trente-six, 
déclarent  renoncer  à  leur  baptême,  détester  et  abhorrer  toute 
prière,  confession  et  sacrement;  ils  signent  ce  pacte  avec  leur 
sang.  En  revanche  ils  obtiennent  la  faculté  de  se  faire  trans- 
porter en  un  instant  en  tout  pays  où  ils  voudront  se  rendre,  de 
connaître  la  langue  de  ces  pays,  d'avoir  toujours  leur  bourse 
pleine  de  monnaie,  de  se  rendre  invisibles,  de  pouvoir  entrer  et 
sortir  a:  dans  les  palais,  maisons,  chambres  et  cabinets,  quoy 
que  tout  soit  clos  et  fermé  à  cent  serrures.  »  Il  sera  délivrée 
chacun  des  initiés  «  un  anneau  d'or  enchâssé  d'un  saphir  soubs 
lequel  sera  un  démon  qui  leur  servira  de  guide.  » 

Suit  un  long  récit  de  la  conférence  d'Astaroth  avec  les  Rose- 
Croix  ;  c'est  avec  pareilles  extravagances  qu'on  amusait  la  cré- 
dulité publique. 

Il  existe  un  ouvrage  allemand  plus  sérieux  :  Histoire  des  Ro- 
\enkreus,  par  Semler.  Leipzig,  1786,  in-8. 

ROZZI  (Academia  dei).  Académie  des  Rustres,  à  Sienne, 
une  des  plus  brillantes  sociétés  littéraires  et  badines  qui  se  fon- 
dèrent en  Italie  au  commencement  du  XVIe  siècle;  ses  membres 
écrivirent  un  assez  grand  nombre  de  pièces  de  théâtre  fort  gaies 
et  spirituelles  qui  eurent  un  grand  succès;  plusieurs  d'entre 
elles  furent  jouées  devant  Charles- Quint  lorsqu'il  était  en  Italie, 
et  Léon  X  faisait  chaque  année  venir  à  Rome  la  troupe  des  co- 
médiens-amateurs de  Sienne,  afin  de  se  divertir  un  moment.  On 
a  imprimé  plusieurs  de  ces  pièces,  et  ces  éditions  originales  sont 
aujourd'hui  d'une  rareté  extrême;  on  en  trouvera  des  réunions 
curieuses  dans  le  catalogue  Soleinne  (tom.  IV,  1844,  n°  4143  et 
suiv.,  et  dans  le  catalogue  Libri,  1847,  n°  i853  et  suiv.).  Il 
existe  des  ouvrages  spéciaux  et  détaillés  sur  cette  société  :  Sto- 
ria  delV  Academia  de  Ro^i,  estratta  da  manuscritti  délia 
ste^a,  dalV  Accadimico  Secondante  (Sienne,  1775,  in-8°), 
réimprimé  dans  le  tom.  III  de  la  Nuova  Raccolta  de  Calogera; 


i9o  RUB 

Relaçione  sforica  delV  Origine  et  Progresso  délia  festosa 
Congrega  de  Ro^\i  di  Siena,  diretta  al  signor  Lottini,  Stam- 
patore  in  Parigi,  da  L.  Ricci.  (Paris,  ij5jy  in-8°.)  Consulter 
également  le  catalogue  placé  à  la  suite  des  Poésie  drammatiche 
e  rusticale  scelte  ed  ilhistrate  par  G.  Ferrrario  (Milan,  1812, 
2  vol  in-8°),  et  le  travail  de  M.  Colomb  de  Batines  ;  Bibliogra- 
fia  délie  comédie,  egloghe  ed  altri  compo^ioni  rusticali  délia 
congrega  dé*  Ro\\i  di  Siena  stampate  nel  secolo  XVI  (Flo- 
rence, 1847). 

La  plupart  des  comédies  des  Ro^i  sont  écrites  dans  ce  dialecte 
rustique  qu'emploient  les  paysans  des  environs  de  Sienne,  et 
qui  abonde  en  idiotismes  pittoresques.  Les  premiers  membres 
de  l'Académie  en  question  furent  des  marchands  ou  des  artisans 
qui  jouaient  masqués.  Fondée  vers  1 5 1  o,  elle  cessa  d'exister  vers 
i568. 

RUBICONIENNE  (Académie).  Cette  société  fondée  en  Italie 
vers  le  commencement  de  ce  siècle,  avait  pris  le  titre  délia  Ru- 
biconia  Simpernenia  de  Filopatri  di  Savignano  (Savignano 
est  une  petite  ville  entre  Césène  et  Rimini).  Elle  était  composée 
de  douze  membres,  parmi  lesquels  on  comptait  un  habile  hellé- 
niste; l'abbé  Girolamo  Amati,  employé  à  la  bibliothèque  du  Va- 
tican, et  le  célèbre  antiquaire  B.  Borghesi.  Le  but  de  la  société 
était  de  s'occuper  des  origines  de  l'histoire  d'Italie;  elle  fit  im- 
primer chez  Bodoni  à  Parme  et  en  lettres  majuscules  divers 
opuscules  de  quelques  feuillets  (1)  seulement.  Renouard  possé- 
dait un  de  ces  écrits:  Leces  Robiconiai  sumpoimenias  pilopa- 
tridarom.  P armai,  per.  Aiconem  Monotupom.  1808,  in-4.  Il 
en  parle  avec  quelques  détails  (Cat.  dhin  amateur,  t.  IV,  p.  212), 
et  il  transcrit  les  huit  lignes  qui  forment  le  décret  d'anathème 
académique  placé  à  la  fin  de  ce  livret:  Sei.  Quis.  Poimenom. 
Arvorsom.asce.  Leceis.  Faces.  Facset.  Feceret.  Qyiqve  Facset.... 

Des  exemples  de  ce  latin  archaïque  se  trouvent  dans  YHis- 
toire  de  la  littérature  romaine  de  Schoell,  tom.  I,  p.  41. 

(1)  Voir  Lama,  Vit*  di  Bodoni,  1. 1,  p.  142  et  182. 


SAI  lg] 


La  devise  de  V Académie  Rubiconienne  était:  In  lucempro- 
fert  œtas  et  ingenium. 


ABBATHÉNES.  Conférences  de  beaux-esprits  qui 
avaient  lieu  à  Paris,  probablement  tous  les  samedis, 
comme  leur  nom  l'indique,  de  1660  à  i665,  en  imi- 
tation de  l'Académie  française.  (Sallengre,  tome  I, 


page  3o8.) 


SABRE(Ordre  du).  Ordre  imaginaire  inventé  par  M  M.  Comte 
et  Dunoyer,  rédacteurs  du  Censeur  en  181 5,  et  qu'on  opposait 
à  Y  Ordre  de  VEteignoir;  c'était  un  des  éléments  de  la  polémi- 
que engagée  contre  la  domination  de  l'esprit  militaire,  objet  des 
attaques  d'une  fraction  de  l'école  libérale  de  cette  époque. 

SAINT-GEORGE  (Société  de).  On  trouve  dans  les  Curio- 
sités littéraires,  formant  le  premier  volume  de  la  Bibliothèque 
de  poche  par  une  société  de  gens  de  lettres  et  d'érudits  {Paris, 
Paulin,  1845,  in-18,  page  384),  une  indication  au  sujet  d'une 
société  qui  semble  plutôt  anglaise  que  française.  (Voyez  le  Spec- 
tateur, 8e  discours.)  Voici  comment  s'exprime  la  note  en  ques- 
tion: 

«  Il  est  arrivé  souvent  qu'un  nom  de  baptême  a  servi  d'occa- 
sion à  établir  une  société  et  la  distinguer  des  autres.  C'est  ainsi 
que  l'on  a  vu  de  nos  jours  la  Société  de  Saint-George  qui 
s'assemblait  le  jour  de  saint  George,  à  l'enseigne  de  Saint  - 
George  et  qui  jurait  par  ce  saint.  » 

Mais  que  faisait  cette  société?  était-elle  une  association  de 
bienfaisance?  car  saint  George  donna  son  manteau  à  un  pauvre, 
s'occupait-elle  de  chevaux  ?  on  dit  monté  comme  un  saint  George. 
Questions  difficiles  qu'il  ne  nous  est  pas  donné  de  résoudre. 


192  SAI 

SAINT-GEORGE  (Confrérie  de),  autrement  dite  de  Rou- 
gemont,  en  Franche-Comté  de  Bourgogne.  Cet  Ordre  de 
Saint-George  a  commencé,  selon  Pierre  de  Loisy,  vers  1390, 
et  selon  d'autres  un  an  après  l'Ordre  de  la  Toison-d'Or. 

Les  chevaliers  de  Saint-George  prêtaient  serment  de  main- 
tenir dans  la  province  la  pureté  de  la  religion  catholique  et  l'o- 
béissance au  souverain.  Ils  portèrent  pour  marque  de  leur  Ordre 
une  enseigne  d'or  représentant  saint  George  à  cheval  tenant  un 
dragon  sous  ses  pieds.  Cet  Ordre  (ou  Confrérie)  était  composé 
ordinairement  de  5o  à  60  gentilshommes,  et  les  premières  mai- 
sons de  la  province  se  faisaient  toujours  honneur  d'en  être.  Ils 
faisaient  preuve  de  quatre  lignées  de  noblesse  surmontées  cha- 
cune de  trois  ascendants  de  même  qualité. 

On  connait  sur  cette  confrérie,  outre  plusieurs  manuscrits: 

10  L Estât  de  V illustre  Confrérie  de  Saint-George,  autre- 
ment dite  de  Rougemont  en  Franche-Comté  de  Bourgogne-, 
avec  les  noms,  surnoms,  réceptions ,  armes  et  blasons  d'un 
chacun  des  confrères  vivans  en  la  présente  année  i663,  celles 
de  leurs  lignes  de  noblesse  dans  lesquelles  ils  ont  été  reçus  en 
ladite  confrérie.  Offert  et  gravé  aux  frais  de  Pierre  de  Loisy 
(maître-orfèvre  et  graveur  des  monnoies  de  Besançon).  Besan- 
çon, Couché,  i663,  in-4.  Cet  état  a  été  dressé  par  Thomas  Va- 
rin,  sieur  d'Andoul. 

20  Statuts  de  l'ordre  de  Saint-George  au  comté  de  Bour- 
gogne et  la  liste  de  tous  messieurs  les  chevaliers  dudit  Ordre 
depuis  1390;  par  M.  Antoine -Honoré  de  Poutier,  seigneur  de 
Gouheland,  capitaine  de  dragons.  Besancon,  Charmet,  1768, 
in-8. 

La  liste  ne  commence  qu'en  143 1  et  finit  en  1768. 

11  existe  des  décorations  de  la  Confrérie,  depuis  Ordre  de 
Saint-George. 

Ces  gentilshommes  avaient  des  réunions  à  Besançon  où  ils  se 
festoyaient  annuellement. 

SAINT-HUBERT  ('Ordre  de).  Voyez  Schoonebeek,  Her- 


SAI  i93 

niant  Ed.  Fétis  (i),  etc.  Calendarium  inclyti  ordinis  equestris 
D.  Huberto  sacri.  Aug.  Vindelicorum.  1761,  petit  in-8  de  83 
feuillets  entièrement  gravés. 

Ouvrage  de  luxe  dû  au  burin  de  Jos.  et  Jean  Klauber,  exécuté 
par  ordre  de  Charles  Théodore,  Electeur- Palatin  du  Rhin, 
grand-maître  de  l'ordre  qu'il  releva.  11  faisait  cadeau  de  ce  livre 
à  ses  chevaliers;  les  exemplaires  étaient  reliés  en  maroquin  rouge 
avec  ses  armoiries  frappées  en  or  sur  les  plats. 

Il  y  eut  des  sociétés  de  Saint- Hubert  en  beaucoup  de  lieux; 
pour  la  chasse,  le  plaisir  et  même  la  recherche  du  charbon:  so- 
ciété de  la  forêt  de  Soignies,  etc. 

SAINT  LACHE  (Confrérie  de).  Confrérie  ou  association 
imaginaire  dont  l'existence  supposée  a  donné  lieu  à  une  facétie 
intitulée:  La  grande  Confrérie  des  Soulx  d'ouvrer  et  enrage^ 
de  ne  rien  faire,  ou  de  l'Abbaye  de  saint  Lasche.  Lyon,  en 
lettres  gothiques,  in-8. 

Cet  opuscule,  dont  nous  parlerons  avec  détail  à  l'article  de  la 
Confrairie  des  Saoulx  d'ouvrer 3  en  rappelle  un  autre  du  même 
genre:  le  Passeport  des  Beuveursj  avec  la  lettre  d'escornifle- 
rie  et  Varrest  des  paresseux.  Paris,  in-8. 

SAINT  LAURENT  (Ordre  des  Chevaliers  de).  Ordre  ima- 
ginaire dont  il  est  question  dans  des  livres  satiriques  publiés  en 
Hollande  à  la  fin  du  XVIIe  siècle  et  qui ,  sous  la  forme  de  dia- 
logues entre  deux  religieuses,  exposent  des  désordres  qui  souil- 
laient, dit-on,  des  couvents  de  l'époque.  Voici  le  passage  qui 
doit  nous  occuper  ici; 

«  Agnès  :  L'abbé  me  dit  que  madame  avoit  créé,  la  seconde 
année  qu'elle  fut  abbesse,  un  Ordre  de  chevalerie,  qui  n'étoit 
composé  que  de  prêtres,  de  moines,  d'abbez,  de  religieux  et  de 
personnes  ecclésiastiques;  que  ceux  qui  étoient  admis  faisoient 
serment  de  garder  le  secret  de  l'Ordre  et  s'appelloient  les  Che- 

(1)  Légende  de  Saint  Hubert,  avec  une  préface  bibliographique  et  une  in- 
troduction littéraire.  Bruxelles,  1846,  in-8°. 

i3. 


i94  SAI 

v  aller  s  de  la  Grille  ou  de  S.  Laurent;  que  le  collier  qui  leur 
étoit  donné  le  jour  de  leur  réception,  étoit  composé  des  chiffres 
de  madame  entrelassez  dans  des  lacs  d'amour,  et  qu'au  bas  pen- 
doit  une  médaille  d'or,  représentant  le  patron  de  l'Ordre  couché  ! 
tout  nu  sur  une  grille  au  milieu  des  flammes,  avec  ces  paroles: 
Ardorem  craticulafovet ,  c'est  à  dire,  la  grille  augmente  mes 
feux.  Il  me  montra  le  collier  qu'il  avoit  reçu.  Et  après  quelques 
présens  qu'il  me  fit  de  livres  curieux,  nous  nous  séparâmes  l'un 
et  l'autre  jusques  à  une  nouvelle  entrevue. 

Angélique:  Tu  ne  m'as  rien  appris  de  nouveau  touchant 
l'ordre  établi  par  madame.  M.  l'évêque  de  ***  en  est  le  premier 
chevalier,  l'abbé  de  Beaumont  le  second,  l'abbé  du  Prat  le  troi- 
sième, le  prieur  de  Pompiere  le  quatrième;  voilà  les  principaux 
et  les  premiers  en  date.  Ils  sont  suivis  de  jésuites,  de  jacobins, 
augustins,  carmes,  feuillants,  pères  de  l'Oratoire,  et  du  provin- 
cial des  cordeliers.  Tellement  qu'à  la  dernière  promotion  qui  se 
fit  l'an  passé  le  nombre  étoit  de  vingt-deux.  Mais  il  est  à  re- 
marquer qu'il  y  a  beaucoup  de  différence  entre  eux,  et  qu'ils  ne 
peuvent  jouir  tous  de  pareils  privilèges.  Il  y  en  a  qui  s'appellent 
les  Cordons  bleus;  et  ce  sont  ceux  qui  sont  tout-puissants,  qui 
ont  le  secret  de  l'Ordre,  et  qui  disposent  des  affaires  dé  madame, 
comme  madame  conduit  les  leurs.  Pour  ce  qui  est  des  autres, 
leur  pouvoir  est  limité;  il  y  a  des  bornes  qu'ils  ne  peuvent  pas 
passer;  et  ils  n'ont  guères  plus  d'avantage  que  les  aspirans,  jus- 
ques à  ce  que  par  leur  zèle,  leur  prudence  et  leur  discrétion,  ils 
se  soient  rendus  dignes  d'être  de  la  grande  profession.  De  tous 
les  moines,  les  seuls  capucins  en  sont  exclus,  parce  que  cette 
barbe,  qui  les  déguise  tant,  les  a  rendus  odieux  à  notre  abbesse.  » 

La  Régie  des  Chevaliers  de  saint  Laurent  figure  sur  des  ca- 
talogues de  livres  très-probablement  imaginaires  (car  nul  biblio- 
graphe ne  les  signale)  qu'indiquaient  des  libelles  publiés  en 
Hollande  à  l'époque  de  Louis  XIV. 

SAÎNT-OUËN  (Petit  théâtre  de).  St-Ôuen  était  la  cam- 
pagne de  M.  Necker.  Sa  fille,  devenue  depuis  célèbre  sous  le  nom 


SAI  ,95 

de  Mme  de  Staël,  composa  à  l'âge  de  12  ans,  une  espèce  de  demi- 
drame,  intitulé  :  Les  Inconvénients  de  la  vie  de  Paris.  Il  fut 
représenté  dans  le  salon  de  St-Ouen  par  l'auteur  et  sa  petite  so- 
ciété, devant  les  parents  et  en  présence  de  Marmontel  qui  en  fut 
touché  aux  larmes.  Le  sujet  est  une  mère  qui  a  deux  filles,  l'une 
élevée  simplement  au  village,  l'autre  au  milieu  du  luxe  des 
villes.  La  mère  se  sent  entraînée  vers  la  plus  brillante  de  ses 
deux  enfants.  Cette  mère  est  ruinée,  et  elle  reçoit  des  preuves 
d'attachement  de  la  part  de  la  fille  qu'elle  aimait  moins  :  elle 
voit  quelle  était  la  meilleure  et  la  plus  solide  éducation. 

SAINT-PAUL  (Chevaliers  de).  La  révocation  de  l'Edit  de 
Nantes  a  été  effectuée  en  i685,  mais  dans  les  années  précédentes 
elle  était  prévue  et  avait  fait  naître  dans  quelques  cerveaux  exal- 
tés l'idée  d'une  association  singulière.  C'est  du  moins  ce  qui 
nous  est  révélé  par  le  livre  suivant:  Croisade  des  protestants, 
on  Projet  sur  ^institution  des  Chevaliers  de  Saint  -  Paul. 
Cologne,  Pierre  Marteau  (Hollande,  à  la  Sphère),  1684,  pet. 
in- 12,  fort  rare;  un  exemplaire  est  porté  au  catalogue  Leber, 
^4464).  Le  projet  de  l'auteur  de  cet  ouvrage  (on  peut  douter  que 
l'Ordre  ait  existé  autrement  que  sur  le  papier),  n'aurait  tendu  à 
rien  moins  qu'à  soulever  tous  les  princes  protestants  contre  les 
pays  catholiques  et  à  fonder  un  Ordre  de  chevalerie  très-étendu, 
dont  la  mission  eut  été  de  pourchasser  et  d'anéantir  les  catho- 
liques partout  où  ils  se  seraient  opposés  aux  progrès  de  la  ré- 
forme. Les  nouveaux  Chevaliers  de  Saint-Paul,  appelés  peut- 
être  de  ce  nom  par  allusion  à  l'église  de  St-Paul  de  Londres  et 
en  opposition  à  l'église  de  St-Pierre  de  Rome,  auraient  fait,  en 
grand,  la  contre-partie  des  anciens  chevaliers  de  St-Jean  de  Jé- 
rusalem. 

SAINT -SÉPULCRE  (Ordre  du).  D'abord  Confrérie  qui 
avait  premièrement  pour  siège  l'église  du  St-Sépulcre,  rue  St- 
Denis,  à  Paris,  dans  l'endroit  où  l'on  voit  maintenant  la  Cour 
Batave;  cette  compagnie  s'érigea  en  Ordre  abusivement  en  18 14, 


ig6  SAM 

lorsque  chacun  reprit  ses  titres  et  même  ceux  de  son  voisin.  Les 
confrères  qui  prenaient  la  qualité  de  religieux  et  hospitaliers, 
se  rendaient  deux  ou  trois  fois  par  an  processionnellement  à  leur 
église  où  l'on  célébrait  la  messe  après  laquelle  le  plus  jeune  des 
membres  reçus  prononçait  un  sermon  en  grec.  Les  confrères  se 
rendaient  de  là  à  l'Hôtel-de-Ville;  puis,  escortés  d'un  échevin, 
ils  allaient  au  Châtelet,où  ils  délivraient  les  prisonniers  détenus 
pour  non  paiement  de  mois  de  nourrice.  La  journée  se  terminait 
ordinairement  par  un  banquet.  Cette  association  se  composait 
d'hommes  et  de  femmes;  le  roi,  la  reine,  les  princes  de  la  famille 
royale,  et  un  grand  nombre  de  seigneurs  de  la  Cour  en  faisaient 
partie  et  la  favorisaient  de  leur  influente  protection.  Les  événe- 
ments de  1789  détruisirent  cette  société  et  les  membres  en  res- 
tèrent dispersés  et  ignorés  jusqu'à  la  Restauration  qui  revivifia 
tant  de  choses  oubliées.  Les  auteurs  de  la  Chronique  indiscrète 
du  XIXe  siècle  (MM.  Lahalle,  Roquefort  et  Regnault-Warin), 
Paris,  i825,in-8°j  expliquent,  pages  262-269  de  leur  ouvrage, 
la  burlesque  transformation  de  la  modeste  Confrérie  du  Saint- 
Sépulcre  en  Ordre  royal  et  militaire,  religieux  et  hospitalier. 

Voir  aussi  le  Précis  historique  de  l'Ordre  royal  hospitalier- 
militaire  du  Saint-Sépulcre  de  Jérusalem,  par  M.  le  comte 
Allemand,  vice-amiral  et  administrateur  général  de  l'Ordre, etc., 
etc.  Paris,  1 8 1 5  (sans  nom  de  libraire),  in- 12  de  xi  et  20 1  pages, 
dédié  au  roi  Louis  XVIII. 

Au  nombre  des  12  conseillers  d'honneur  nommés  le  19  no- 
vembre 1775,  étaient  MM.  le  cardinal  de  Luynes,  le  duc  de 
Fleury,  l'archevêque  de  Paris,  le  maréchal  duc  de  Richelieu,  le 
duc  d'Aumont,  le  comte  de  Maurepoix,  M.  de  Sartines,  de  Bou- 
lainvilliers  et  d'Agoust  de  Fleury. 

SAMEDI  (Société  du). On  désignait  Pélisson,  dans  la  Société 
du  Samedi,  sous  le  nom  d'Acantht.  (Voir  l'article  Scudéry.)  On 
a  fait  cette  épigramme  : 

La  figure  de  Pélisson 
Est  une  figure  effroyable, 


SAO  197 

Toutefois  quoyque  ce  garçon 
Ayt  un  visage  épouvantable, 
Il  a  pour  Sapho  des  appas, 
Mais  je  ne  m'en  estonne  pas, 
On  aime  tousjours  son  semblable, 

(Ms.  de  Gaignières,  n<>  568.) 

SANS-SOUCI  (Chevaliers  de).  Dans  les  Variétés  historiques 
et  littéraires,  publiées  par  M.  Fournier  et  qui  font  partie  de  la 
bibliothèque  elzévirienne  continuée  par  M.  Pagnerre,  il  est  dit 
un  mot,  t.  IX,  p.  146,  de  i5 Ordre  des  Chevaliers  de  Sans-Souci, 
formé  à  Chartres  au  commencement  du  XVIIe  siècle_,  par  le 
chanoine  J.  Pedoue. 

SAOULS  D'OUVRER  ET  ENRAGEZ  DE  RIEN  FAIRE 

(Confrairie  des).  Les  grands  statuts  et  ordonnances  de  cette  as- 
sociation imaginaire  ont  été  publiés  au  XVIe  siècle.  C'est  une 
facétie  dont  l'édition  originale  est  devenue  introuvable  aujour- 
d'hui, mais  elle  a  été  réimprimée  dans  la  collection  des  Joyeu- 
setés  publiée  par  M.  Techener,  libraire.  Nous  espérons  qu'on  ne 
sera  pas  fâché  de  la  retrouver  ici. 

Les  grands  statvs  et  ordonnances  de  la  grande  Confrairie 
des  saovls  d'ovvrer  et  enrage^  de  rien  faire,  ensemble  les 
grands  Salaires  que  recèleront  ceux  et  celles  qui  auront  bien 
et  deuement  obserué  les  dicts  Status  et  Ordonnances,  avec  les 
monnoyes  d'or  et  d'argent,  seruans  à  la  dicte  cour.  A  Lion. — 
Statvs  et  ordonnances  de  la  Cour  de  Monseigneur  Monsieur 
Sainct  Lasche.  —  De  par  Saoul  d'ouurer,  par  la  grâce  de  trop 
dormir,  roy  de  négligence,  duc  d'oisiuetéj  palatin  d'enfance_,  vis- 
comte  de  meschanceté,  marquis  de  trop  muser,  connestable  de 
nulle  entreprinse,,  admirai  de  faintise,  capitaine  de  laisse  moy 
en  paix,  garde  et  gouuerneur  de  tous  ceux  et  celles  qui  ayment 
besongne  faicte,  et  du  tout  acheuée,  seigneur  de  ne  rien  faire_, 
escuyer  et  courrier  ordinaire  de  la  cour  de  monseigneur  mon- 
sieur Sainct  Lasche  :  A  noz  amez  et  féaux  les  généraux  et  con- 
seillers sur  le  faict  de  nulle  science  :  à  nos  trésoriers  et  argentiers 


198  SAO 

sur  le  faict  de  nulle  finance,  qui  sont  noz  aydes,  et  à  nos  maistres 
de  plusieurs  affaires  :  à  nostre  baillif,  salut,  sans  dilation  et  nul 
confort;  Nous  auons  entendu  par  bonne  et  suffisante  complainte 
de  nos  bien  amez  et  alliez  les  gens  de  nostre  cour  de  Chasse 
Proufit,  comme  sont  pauures,  souffreteux, endebtez,  malheureux, 
mal  fortunez,  miseraux,  querelleux,  nécessiteux,  rachepts,  ron- 
gneux  et  teigneux,  vuidez  de  richesses  et  indigens,de  tous  biens 
priuez,  et  de  tout  en  tout  despoûillez,  que  sur  peine  de  cinq 
marcs  d'estouppes,  d'estre  bouillis  en  bran,  et  bruslez  en  la  ri- 
uiere,  vous  ayez  à  tenir  les  ordonnances  qui  s'en  suiuent  de  par 
nostre  très  ancien  seigneur  et  indiscrette  personne  Ponts  Mau- 
diné  nostre  maistre  esleu  par  les  conseillers  de  nostre  cour  de 
Chasse  Proufit,  que  combien  tant  pour  eux  que  pour  leurs  pré- 
décesseurs dont  ils  ont  cause,  ayent  esté,  sont  et  seront  encore, 
et  demeureront  (si  Dieu  plaist)  en  bonne  saisine  et  vraye  pos- 
session de  ne  rien  auoir,  et  de  tousiours  moins  acquérir  pour 
nous,  ny  pour  autres  en  aucune  manière,  et  de  faire  tousiours 
grandes  debtes,  et  pour  iceux  debtes  estre  tousiours  empri- 
sonnez, gagez,  excommuniez  plus  souuent  que  chascun  iour.  Et 
si,  par  aucun  cas  d'accident  ou  de  fortune,  il  leur  aduienne  aucun 
peu  de  rente,  ou  quelque  bonne  et  valable  possession  (qu'à  Dieu 
ne  plaise)  ils  en  doibuent  ordonner  et  disposer  en  ceste  manière 
qui  s'ensuit,  c'est  assçauoir  :  qu'ils  laissent  leur  maison  cheoir  à 
terre,  et  mettre  en  ruine,  afin  qu'il  ne  pleuue  dessus,  aussi  par 
eux  chaulfer  du  bois  de  la  couuerture  d'icelle  maison,  s'ils  sont 
gens  qui  puissent  endurer  le  feu. 

Item  qu'ils  laissent  leurs  terres  et  héritages  sans  les  labourer, 
ne  rien  y  semer,  pour  la  doubte  des  oyseaux,  lesquels  mangent 
les  semences  et  les  fruicts  quand  ils  sont  meurs,  et  après  laissent 
venir  leurs  prez  en  ruines,  espines  et  buissons  :  afin  que  les 
regnards,  Heures,  lappins,  cerfs,  biches,  porcs,  sangliers  et 
aultres  bestes  sauvages  puissent  habiter  ausdits  prez  et  y  faire 
leurs  retraictes,  et  les  oyseaux  y  faire  pareillement  leurs  nids,  si 
mestier  est.  En  outre,  laissent  leurs  vignes  venir  en  herbes  et 
déserts,  pour  obuier  et  résister  aux  grandes  peines,  labeurs, 


SAO  igg 


missions  et  despens  qu'il  conuient  de  faire  ;  et  mettre  vn  chascun 
an  pour  les  labourer  et  fessorer. 

Item  plus,  laissent  leurs  boys  couper,  rompre,  tailler  et  des- 
truire,  pour  cause  de  bestes  sauuages  et  des  larrons,  qui  en 
cause  de  nécessité  pourroient  faire  leurs  retraictes,  afin  d'eux  se 
musser  et  cacher. 

Item,  qu'ils  laissent  rompre  et  creuer  leurs  estangs,  pour  cause 
que  les  poissons  et  autres  bestes,  comme  escreuisses,  raues,  cha- 
boux,  qui  sont  dedans,  qu'ils  puissent  estre  hors  de  prison,  et 
s'esbattre  parmy  les  champs,  et  changer  vn  peu  de  lieu. 

Item,  qu'ils  laissent  leu.rs  moulins  cheoir  et  tomber  en  ruyne, 
pour  cause  de  la  farine  qui  gaste  les  robbes  des  bonnes  gens  qui 
y  viennent  moudre  :  et  pour  ce,  et  à  cause  que  nous  gardons  et 
maintenons  en  nostre  dicte  cour  de  Chasse  Proufit,  fine  fran- 
chise, folastrerie,  chasteau  tout  y  faut,  que  iamais  ne  mourra 
sans  héritiers,  et  de  leurs  autres  biens,  rentes  et  reuenus,  que  il 
n'aduienne,  si  Dieu  plaist,  aucun  bien  ny  proufit.  Aucuns  nos 
autres  iusticiers  et  subietes,  si  comme  sont  esceruelez,  fols,  fré- 
nétiques, outre-cuidez,  cornars,  musars,  teigneux,  rongneux, 
pleins  de  vermine  et  autes  bauards  sans  raison,  ne  bort,  ne  mai- 
son, renuerseurs  de  tasses,  vuideurs  de  couppes,  crocheteurs  de 
bouteilles,  blanchisseurs  de  beurre,  taincturiers  de  nappes,  ros- 
tisseurs  de  trippes,  escumeurs  de  pots,  vireurs  de  rost,  tireurs 
de  chair  du  pot  trois  heures  auant  qu'elle  soit  cuite,  regardeurs 
et  gardeurs  de  gaiges  en  plusieurs  lieux  par  défaut  de  plus  suffi- 
sant, quand  ils  ont  à  besongner  auec  leurs  heraux,  si  comme  sont 
lanterniers,  buffetiers,  crieurs  de  vin  à  vendre,  ruffiens,  borde- 
liers,  menteurs,  bourdeurs,  yurognes,  gourmans,  truans,  por- 
teurs d'images,  bastelleurs,  trompeurs,  barateurs  et  coquilleurs. 
Lesquels  se  sont  parforcez,  et  vn  chacun  se  parforcent  d'entrer 
en  nostre  grand  et  terrible  royaume  de  Verte-Bise  et  Frappe- 
Vent.  Et  veulent  édifier  maisons  et  hébergement  qui  sont  déso- 
lez, et  de  longtems  destruicts.  Nous  les  souhaitons,  desirons  et 
voulons  garder  en  tel  estât  bien  longuement.  Et  qui  pis  est,  ils 
deslaissent  d'aller  par  les  bonnes  villes  de  nostre  royaume,  et 


200  SAO 

autres  lieux  à  cause  du  grand  argent  qu'on  leur  doibt  et  qu'ils 
doibuent. 

Pareillement,  afin  de  trouuer  tauernes  et  cabarets  pour  passer 
leur  temps  et  augmenter  leurs  honneurs  en  soustenant  lesdicts 
status  et  coustume  de  monsieur  Sainct  Lasche,car  ils  ne  veulent 
prendre  aduantage  sur  personne  quelconque,  si  d'aduenture  ils 
ne  le  peuuent  trouuer,  ils  ne  se  rompent  pas  les  iambes  à  les 
chercher.  Et  en  retournant  desdictes  tauernes  et  cabarets,  ont 
accoustumé  de  se  battre,  et  de  donner  les  vns  aux  autres  grands 
tatins  et  horions,  gros  et  menus,  lesquels  horions  par  faute  d'es- 
pace se  donnent  auec  grosses  pierres  et  gros  tronsons  de  boys, 
et  qui  pis  est,  payent  de  deniers  bruslez,  liards  affacez,  carolus, 
soûls  et  testons  qui  ne  se  mettent  en  pain,  en  vin,  en  chair,  ny 
poisson.  Et  en  partant  desdictes  tauernçs  en  contant  à  leurs  hos- 
tes  et  hostesses,  leurs  baillent  à  garder  par  faute  d'argent,  robbes, 
manteaux,  cappes,  savons,  chausses  et  pourpoint,  et  autres  ha- 
billemens ,  si  d'auanture  ils  ont  grandes  estaches  de  chiens, 
grosses  pierres  blanches,  et  noires,  sapphirs  iaunes,  diamans 
noirs,  et  perles  rouges,  et  plusieurs  autres  pierres  pretieuses, 
lesquelles  donnent  en  gaige,  et  à  garder  soubz  les  deux  yeux  de 
la  teste,  iusques  à  temps  qu'ils  ayent  loisir  de  les  payer,  au  grand 
preiudice  et  dommage  desdicts  complaignans  en  les  perturbant 
à  tort  et  à  droict,  et  sans  cause  et  raison  deuë.  Et  de  nouueau 
en  venant  contre  les  priuileges  de  nostre  souueraine  cour  de 
Chasse  Proufit,  requerans  sur  ce  prouision  de  iustice.  Parquoy 
Nous  ces  choses  considérées,  et  après  auoir  ouy  lesdits  complai- 
gnans, nous  vous  mandons,  et  commandons  que  royallement  e^ 
défait,  vous  les  mainteniez  et  gardiez  en  vraye  saisine  et  posses- 
sion, d'auoir  tous  les  dimanches  deux  miches  de  faute,  le  lundy 
faute  de  vin,  le  mardy,  mercredy,  et  ieudy  nécessité  de  chair,  le 
vendredy  et  samedy  comme  les  autres  iours,  et  de  n'en  rien  auoir 
en  tout  temps,  fors  seulement  toute  leur  vie  pauureté  et  misère. 
En  cas  d'opposition  non  suffisante,  attendu  que  lesdits  complai- 
gnans ne  sont  tenus,  si  ne  leur  plaist,  de  procéder  ailleurs,  fors 
en  nostre  dicte  cour  de  Chasse  Proufit,  vous  leur  donnerez  et  as- 


SAO 


201 


signerez  iour  non  competant  pardeuant  l'vn  de  nos  iuges,  ou 
pardeuant  son  lieutenant  pour  les  reculer  de  bien  en  mal,  et  pro- 
céder de  mal  en  pis,  et  de  pis  en  pis,  et  encore  outre  pis,  sans 
occasion,  ny  ryme,  ny  raison  :  car,  ainsi  le  voulons,  et  ausdits 
complaignans  l'auons  octroyé  et  octroyons  par  ces  présentes.  L'an 
de  grâce  spéciale  aux  lamberrieres,  trois  iours  après  iamais  en 
nostre  ville  de  Meschance,  auprès  de  nostre  cité  de  Malaise.  Scel- 
lez de  nos  petits  sceaux  par  défaut  de  nostre  grand  sceau  (qui 
est  chez  l'orfeure  engagé  pour  la  façon).  Et  signées  par  les  mais- 
tres  des  souffreteux,  à  la  relation  des  endormis.  Tesmoins  Iehan 
Gueneau,  Thibauld  l'Enflé,  et  Guillaume  Mausoupé,  à  ce  requis 
sans  appeller.  Et  signées  par  nous  autres  notaires, cy  soubz  nom- 
mez. DES  VIGNES,  DES  BLEDZ. 

La  description  des  grands  salaires  que  recevront  ceux  et 
celles  qui  auront  bien  et  duement  gardé  et  observé  les  Ordon- 
nances de  monseigneur  Monsieur  Sainct  Lasche.  —  Bachvs 
Cupido,  Ceres,  Pallas  et  Venus,  regens  et  régentes  des  priuileges 
ordinaires  de  la  souueraine  cour,  nostre  grand  maistre  monsieur 
Saint  Lasche,  salut.  Veu  et  considéré  que  selon  les  mérites  de  ce 
monde  on  est  rémunéré  en  l'autre  :  Nous  ayans  esgard  et  respect 
à  nos  amez  et  féaux  seruiteurs  et  seruantes  de  nostre  cour  de 
monsieur  Sainct  Lasche,  faisons  assçauoir  à  vn  chascun  et  chas- 
cune,  que  pour  la  rémunération  du  bien  et  de  l'honneur  qui  se 
sont  parforcez  en  ce  monde,  à  l'honneur  de  nostre  dit  maistre 
eux  trespassez  de  ce  monde  en  l'autre,  auons  trouué  vne  isle  as- 
sise en  vn  lieu  délectable,  où  à  tout  iamais  pourront  demeurer 
en  ioye  et  félicité,  sans  auoir  pensement  quelconque,  comme  vn 
chascun  pourra  puis  après  ouyr  et  entendre  :  car  au  milieu  de  la 
dicte  isle  il  y  a  vn  chasteau  tellement  construict  et  édifié  que 
c'est  vn  cas  incredible,  sinon  à  ceux  qui  l'ont  veu  et  bien  regar- 
dé. Car  les  murailles  dudit  chasteau  sont  toutes  faictes  auec  gras 
fromage  de  Milan,  toutes  en  pointes  de  diamans,  et  ont  telle  pro- 
priété que  tant  plus  on  en  oste,  et  tant  plus  en  reuient.  Les  cré- 
neaux et  fenestrages  sont  des  caillettes  auec  vne  manière  de  mor- 
tier fait  auec  beurre  frais,  fromage  et  force  sucre.  Les  ponts  le- 


202  SAO 

uis  sont  pauez  auec  force  casse  museaux,  les  chaines  à  leuer  les- 
dicts  ponts  leuis  sont  faictes  d'andoûilles  et  de  gras  boudins  far- 
ciz  et  roustiz  tous  prez  à  manger  et  grignotter.  A  l'vn  des  costez 
dudit  chasteau,  à  main  escarre  sont  situez  palais/ chambres  et 
salles  tous  pauez  de  pierres  précieuses,  comme  iacinthes,  rubis, 
esmeraudes,  escarboucles,  perles,  turquoises  et  gros  diamans, 
qui  est  vne  chose  fort  magnifique.  Et  sont  lesdites  chambres 
toutes  voûtées  de  petits  pastez,  les  licts  sont  de  plume  de  fenix, 
et  les  chalis  de  fin  yuoire_,  ouurez  et  taillez  à  plaisir,  les  courtines 
de  fin  drap  d'or  faictes  en  broderie  triomphante.  Les  cuissinets 
de  velours  cramoisi,  tellement  que  quand  on  a  dormi  dix  ans,  il 
ne  monte  pas  dix  heures.  Les  tables,  tréteaux  et  scabelles  sont 
faictes  de  bois  d'aloës,  de  sandix,  et  de  cyprez,  qui  rendent  vne 
odeur  si  suaue  et  si  magnifique,,  qu'a  bien  considérer  c'est  vne 
chose  deificque.  Les  nappes  et  seruiettes  sont  faictes  en  taffetas 
blanc,  les  platz,  escuelles,  et  toutes  autres  vaisselles  sont  faictes 
d'escarboucles  taillées  et  deuisées  en  toutes  sortes  et  manières 
qu'on  sçauroit  demander.  Tellement  que  quand  voulez  asseoir  à 
table,  vous  n'auez  sinon  à  demander  telles  viandes  que  voulez, 
que  les  auez  incontinent  toutes  taillées  et  prestes  à  manger.  Et 
si  ne  voulez  prendre  la  peine  à  les  tailler,  vous  n'auez  sinon 
baillé,  que  les  morceaux  sautent  incontinent  en  vostre  bouche. 
Et  au  sortir  desdictes  tables,  vous  auez  toutes  manières  d'ins- 
trumens,  comme  orgues,  tabourins,  rebecs,  aubois,  trompettes, 
lucts,  psaiterions,  clairons  et  manicordions,  lesquels  sont  de  si 
mélodieux  accords  qu'vn  an  ne  dure  pas  vn  iour.  Or,  quant  au 
costé  droict  vous  auez  les  iardins  de  plaisance,  où  y  a  toutes 
manières  de  fleurs  qu'on  sçauroit  demander;  un  peu  plus  auant 
vous  trouuerez  vne  vallée  en  laquelle  y  a  plusieurs  belles  fon- 
taines qui  rendent  vin  blanc,  vin  clairet,  vin  cuit,  vin  grec,  hip- 
pocras,  maluesie  et  fin  muscat;  un  peu  plus  auant  y  a  vn  petit 
verdier  auquel  tombe  quand  on  veut  de  gresse  qui  n'est  sinon 
toutes  manières  de  dragées,  comme  camellat,  grangeat,  girofflat, 
madrians,  anis,  coriandres,  dragée  musquée  de  toutes  autres  cou- 
leurs. Et  est  ledit  verdier  tout  fermé  et  enuironné  d'arbres  qui 


SAO  2o3 

portent  faisans,  gelines,  perdrix,  connils,  beccasses,  chappons 
et  espaules  de  mouton  toutes  rosties  et  prestes  à  manger.  Et  en 
montant  vn  peu  plus  hault,voustrouuezvne  montagne  si  haute 
que  quand  vous  estes  au-dessus,  vous  pouuez  toucher  au  ciel, 
si  y  voulez  toucher  :  et  porte  ladîcte  montaigne  vne*  sorte  d'ar- 
bres qui  portent  toutes  manières  d'habillemens,  comme  robbes, 
cappes,  manteaux,  gonnelles,  manchons,  chapperons,  etc.  Et 
quand  vous  en  voulez  auoir,  vous  n'auez  sinon  à  parer  les  es- 
paulles,  qu'incontinent  sautent  dessus.  C'est  pourquoi  vn  cha- 
cun se  pourra  parforcer  de  maintenir,  obeyr  et  seruir  aux  com- 
mandemens  de  monseigneur  monsieur  Sainct  Lasche,  pour  par- 
uenir  à  la  félicité  des  choses  susdictes. 

Item,  et  pour  la  grande  multitude  de  nos  dictes  terres  et  sei- 
gneuries il  y  a  plusieurs  gens  qui  bien  souuent  sont  nécessiteux 
et  ont  affaire  d'or  et  d'argent,  et  ne  sçauent  que  valent  plusieurs 
pièces  d'or  et  d'argent.  Et  à  cause  qu'ils  n'en  ont  point  et  n'en 
manient  gueres,  et  si  en  voudroient  beaucoup  auoir,  mais  au- 
cune fois  il  fait  si  grand  froid  qu'ils  ne  sçauroient  tirer  vn  escu 
de  leur  bourse.  A  celle  fin  nous  y  voulons  pouruoir  et  remédier, 
et  mettre  prix  raisonnable  selon  la  valeur  de  l'or  et  monnoye  de 
nostre  dicte  cour.  Donné  en  nostre  dict  siège  de  Maugouuerne, 
l'an  du  monde  six  mille  six  cens  et  six,  et  le  trente  sixiesme  du 
mois  passé,  signé  par  le  grand  conseil,  et  par  nostre  dit  chance- 
lier. Raguin,  paintre  des  rouges  museaux. 

S'en  suit  la  valeur  et  le  prix  de  VOr  monnoye  de  nostre  dicte 

Cour. 

PREMIÈREMENT  DE  L'OR. 

Vn  noble  vaut  deux  villains, 
Vn  ducat  deux  contes, 
Vn  angelot  deux  chérubins, 
Vn  mouton  deux  brebis, 
Vn  real  deux  chevaliers_, 
Vn  lyon  deux  leopars, 
Vn  salut  deux  bonadies. 


204  SAO 


Vn  escu  deux  targes, 

Vn  riddé  deux  vieillars, 

Vn  guillermus  deux  ioannes, 

Vn  franc  deux  serfz, 

Vn  franc  à  pié  deux  à  cheual, 

Vn  piètre  deux  gerars, 

Vn  ioannes  deux  magisters, 

Vn  florin  au  monde  deux  de  paradis, 

Vn  florin  au  chat  deux  ratz, 

Vn  potestat  deux  requestes, 

Vn  florin  de  Bauieredeux  de  Gorgery, 

Vne  targe  deux  pauois, 

Vn  marquis  deux  barons, 

Vn  appétit  deux  cibotz, 

Vn  ail  deux  oignons. 

LA  VALEUR  DE  l'aRGENT. 

Vn  testard  deux  estordiz, 

Vne  grosse  teste  deux  menues, 

Vn  grand  blanc  deux  petits, 

Vn  floret  deux  roses, 

Vn  double  deux  sangles, 

Vn  breton  deux  anglois, 

Vn  hardy  deux  couars, 

Vn  tournois  deux  ioustes, 

Vne  vache  deux  veaux, 

Vne  haye  deux  buissons, 

Vne  plaque  deux  flammans, 

Vn  blanc  deux  noirs, 

Vn  gros  deux  menus, 

Vn  liart  deux  grégeois, 

Vn  gigot  deux  espaules, 

Vn  car  de  Sauoye  deux  charettes, 

Vn  fort  deux  foibles, 

Vne  maille  deux  cordes. 


SAO 


20D 


Passé  par  le  grand  conseil  de  nostre  cour,  et  signé  par  mais- 
tre  Goguelu  le  Moustardier. 

Bail  à  trois  ans  et  trois  depovilles  d'vne  belle  et  bonne  chèvre. 

En  l'an  mil  six  cents  trop  tost,  le  premier  iour  de  may,  fut 
présent  en  sa  propre  personne,  noble  homme  Bertrand  de  Belle 
Roche,  seigneur  du  dit  lieu,  lequel  a  laissé  au  bon  homme  Chas- 
neau, laboureur,  demeurant  au  Plessis,  près  de  Mirebeau,  au 
Haut-Poitou,  vne  cheure  à  longue  barbe,  courte  queue,  bigarée 
sous  le  ventre,  petis  pieds,  grandes  oreilles,  cheminant  parmi 
les  landes  de  iour  et  de  nuit,  aagée  de  trente  mois  deux  iourset 
demi  ou  enuiron,  iusqu'à  treize  ans  et  à  trois  dépouilles;  à 
charge  d'en  payer  chacun  an,  le  iour  Saint  Luc  en  esté,  huit  sols 
parisis. 

Item.  Le  bon  homme  Chasneau  sera  tenu  de  faire  empraindre 
par  lui  ou  autres  de  ladite  cheure  de  deux  cheureaux  masles 
dont  l'vn  sera  à  la  ressemblance  de  ladite  cheure,  Paultre  ainsi 
qu'il  plaira  à  Dieu. 

Item.  S'il  arriue  que  ladite  cheure  allant  de  vie  à  trépas,  que 
Dieu  ne  veuille,  ledit  bon  homme  Chasneau  sera  tenu  d'appor- 
ter ou  enuoyer  la  peau  de  ladite  cheure  ou  en  l'hostel  dudit  sei- 
gneur gentilhomme,  et  les  os  de  ladite  cheure  demeureront  audit 
Chasneau  pour  lui  faire  emmancher  ses  coulteaux. 

Item.  Et  s'il  arriue  que  le  loup  mange  ladite  cheure,  ledit  bon 
homme  Chasneau  doit  prendre  et  porter  le  loup,  auec  certifica- 
tion suffisante  du  fait,  et  par  ainsi  le  bon  homme  Chasneau  en 
demeurera  quitte. 

Item.  Et  ne  pourra  ledit  Chasneau  donner  ladite  cheure  ni  les 
cheureaux  qui,  au  plaisir  de  Dieu,  viendront  d'elle,  à  d'autres 
sans  le  gré  et  consentement  exprès  dudit  seigneur  gentilhomme, 
car  ainsi  a  esté  accordé.  Et  à  ce  faire  vint  et  fut  présent  Richard 
de  Belle  Roche,  fils  aîné  dudit  seigneur  et  son  héritier  vniuersel 
après  son  trépas,  lequel  a  ratifié  et  eu  pour  agréable  le  bail  de 
ladite  cheure  fait  audit  bon  homme  Chasneau  par  ledit  seigneur 
son  père.  Et  consent  ledit  Richard  de  Belle  Roche,  que  ledit 


2  0b  SAV 

bon  homme  Chasneau  iousse  de  ladite  cheure,  à  charge  qu'il  le 
traitera  bien  et  honnestement,  pour  ce  que  ledit  Richard  et  Thi- 
baut Gros  Nez,  arriere-nepueu  du  mari  de  la  femme  à  Thomas, 
ont  esté  nourris  etallaictez  du  laict  de  ladite  cheure.  Et  pour  ce 
l'aime  ledit  Richard  de  Belle  Roche  autant  comme  sa  propre 
mère  nourrice.  Fait  les  an  et  iour  que  dessus  es  présence  de  ho- 
norables et  scientifiques  personnes  Jean  du  Four  et  Gervais  de 
la  Fosse  et  maistre  Pierre  le  Veau.  Ainsi  signé  maistres  du 
Sceau  et  Fiacre  du  coin,  tous  manans  et  habitans  dudict  lieu. 

SAVETIERS  (Ordre  des).  Cet  ordre  n'est-il  pas  le  mêmeque 
celui  des  Compagnons  de  la  Petite  Manicle?  Il  existe  une  facé- 
tie assez  rare  :  Fameuse  harangue  faite  en  rassemblée  géné- 
rale de  messieurs,  messeigneurs  les  Savetiers,  sur  le  mont  de 
la  Savate,  le  lundi  d'après  la  Saint  Martin,  par  monsieur 
maistre  Jérosme  Piéfrelin,  dit  Cul  de  Bré,  ancien  carreleur, 
minisire  et  grand  orateur  de  V Ordre  pour  servir  de  défense 
à  Pestât _,  contre  un  libelle  prétendu  diffamatoire  sur  l'honnête 
réception  d'un  maître  Savetier,  Carreleur  et  Réparateur  de  la 
chaussure  humaine,  et  surtout  ce  qui  s'est  fait  et  passé  dans 
ladite  réception  entre  l'aspirant,  les  grades  et  l'ancien  desdits 
maîtres.  Troyes,  173 1,  in-8°. 

Il  y  avait  donc  un  Ordre  des  Savetiers.  On  remarquera  que 
cette  réception  avait  lieu  un  lundi,  qui  est  le  dimanche  ou  le 
jour  férié  de  cette  classe  intéressante.  C'est  de  là  qu'est  venue 
l'expression  faire  le  lundi  des  savetiers,  pour  dire  ne  pas  tra- 
vailler et  aller  boire  et  s'amuser  au  cabaret  le  lundi. 

Un  livret  populaire  souvent  réimprimé,  le  Fameux  Devoir 
des  Savetiers,  et  qui  remonte  à  la  fin  du  XVIIe  siècle,  offre  un 
tableau  curieux  de  mœurs  singulières  qui  n'existent  plus  ou 

qui,  du  moins,  se  sont  fort  modifiées M.  Charles  Nisard  l'a 

reproduit  dans  son  Histoire  des  livres  populaires,  t.  I,  p.  309. 
A  la  suite  se  trouve  le  Fameux  congé  des  Cordonniers,  infan- 
terie roulante,  à  cheval  sur  un  cochon...  donné  au  palais  des 
Crasseux,  le  trente  de  Malpropre,  l'année  mil  sept  cent  dix  livres 


SAV  207 

de  poix,  et  approuvé  par  le  colonel  de  laTranche  des  Vieux  Cuirs. 

Un  autre  opuscule,  appartenant  à  la  même  catégorie,  a  pour 
titre  :  l'Arrivée  du  Toulousain;  c'est  la  réception  d'un  compa- 
gnon savetier;  on  rencontre  également  cette  pièce  dans  l'ou- 
vrage curieux  de  M.  Ch.  Nisard,  que  nous  venons  d'indiquer 
(tom.  I,  p.  3 18  et  suiv.). 

Toulousain.  Honneur,  maître  et  compagnons,  savates  et  sava- 
tissons,  s'ils  y  sont. 

Pied-Tortu.  Oui,  pays,  tout  prêt  à  vous  rendre  le  devoir.  D'où 
est  la  venue? 

Toulousain.  De  Nantes,  en  Nantois. 

Pied-Tortu.  Chez  qui  avez-vous  travaillé? 

Toulousain.  C'est  chez  un  maître  Mathieu  la  Grosse-Patte. 

Pied-Tortu.  Est-ce  un  brave  maître? 

Toulousain.  Fort  brave  maître. 

Pied-Tortu.  Qu'avez-vous  remarqué  dans  cette  illustre  et  fa- 
meuse boutique  ? 

Toulousain.  A  main  droite,  il  y  a  trois  alênes  épointées  à 
manche  de  buis  avec  des  viroles  d'argent,  et  une  vieille  forme 
mangée  de  vers;  à  main  gauche,  trois  brochettes  de  la  cage  et  la 
tête  de  la  linotte  que  maître  Juif-Errant  apprenait  à  siffler. 

Pied-Tortu.  Entre  dans  la  boutique,  dis  le  mot. 

Toulousain.  Béni  soit  l'arbre  qui  a  porté  la  poix! 

Pied-Tortu.  Vous  êtes  dans  un  carrosse.  Dites-moi,  pays, 
que  signifient  les  jetons  qui  sont  à  notre  tablier? 

Toulousain.  Ils  signifient  la  monnaie  de  Rolland  le  Vaillant 
qui  en  a  tué  treize  et  quatorze  d'un  revers  de  tire-pied,  qui  lui 
mangeait  les  jambes  à  cause  qu'il  avait  les  loups. 

Pied-Tordu.  Que  signifie  le  tranchet? 

Toulousain.  Tranchet  royal  trempé  par  maître  Charles  Be- 
sançons. 

Pied-Tordu.  Que  signifie  l'astic? 

Toulousain.  C'est  une  des  dents  du  cheval  Bavard,  par  lequel 
est  venu  le  commencement  de  la  guerre  et  par  elle  finira;  il  est 
encore  vivant  dans  la  forêt  des  Ardennes. 


2o8  SCH 

Pièd-Tortu.  Dis-moi,  pays,  que  signifie  l'alêne? 

Toulousain.  L'alêne  frétillante  qui  a  travaillé  aux  pantoufles 
du  premier  moutardier  de  Dijon. 

Pied-Tortu.  Maître,  donnez-nous  dix-huit  deniers  pour  faire 
la  débauche;  il  faut  aller  chez  l'ancien  Gouret.  Quel  salut  lui 
ferez-vous? 

Toulousain.  Je  lui  dirai  :  «  Honneur  au  pays;  gardons  les  se- 
crets du  désordre  du  temps;  allons  vider  les  pintes  et  les  pots.  » 

SCHILDERBENT  (Bent,  ou),  i 600-1740.  La  société  nom- 
mée Schilderbent  (bande  des  peintres),  ou  tout  simplement  ap- 
pelée Bent,  explique  son  but  assez  clairement  par  son  double 
nom  néerlandais.  C'était  une  espèce  de  compagnonage  ou  d'as- 
sociation fondée  à  Rome  par  les  artistes  de  l'école  flamande  ou 
hollandaise  qui  allaient  en  foule  se  perfectionner  sur  la  terre 
classique  des  beaux-arts.  Ces  hommes  du  Nord  revenaient  de 
l'Italie  sans  avoir  perdu  leur  cachet  national;  au  contraire,  il 
semblait  que  tout  en  étudiant  les  beaux  modèles  antiques,  ils 
prissent  à  tâche  d'implanter,  dans  ce  riche  sol  du  midi,  quelques- 
unes  de  leurs  coutumes  flamandes.  L'amour  des  cérémonies  ori- 
ginales et  burlesques,  qui  semble  être  inné  chez  tous  les  habi- 
tants des  provinces  des  Pays-Bas,  fut  transporté  par  eux  des 
bords  brumeux  de  l'Escaut  sur  les  rives  fleuries  du  Tibre.  Ainsi, 
une  fois  à  Rome,  tous  les  artistes  des  dix-sept  provinces  for- 
mèrent une  société  bachique  unie  par  les  liens  de  la  gaîté  et  de 
l'amitié.  Lorsqu'un  membre  nouveau  se  présentait  à  l'admission 
dans  cette  bande  joyeuse,  on  lui  faisait  subir  toutes  sortes  d'é- 
preuves et  de  plaisanteries,  moyen  tiré  de  la  personne  même  de 
payer  sa  bien-venue.  Ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  les  charges 
d'atelier  ne  sont  peut-être  que  les  diminutifs  et  les  derniers 
souvenirs  des  farces  de  la  Schilderbent.  La  réception  se  faisait 
dans  un  cabaret  de  Rome,  aux  frais  du  récipiendaire;  après 
quelques  cérémonies  bizarres,  l'admission  se  terminait  par  une 
sorte  de  baptême  à  la  suite  duquel  le  nouveau  membre  recevait 
un  sobriquet  ayant  quelque  rapport  à  sa  figure,  à  ses  qualités  ou 


SCH 


209 


à  ses  défauts;  c'est  sous  ce  nom  nouveau  qu'il  restait  inscrit  et 
reconnu  dans  la  compagnie:  ce  nom  d'emprunt  s'appelait  le 
bentnaam,  et  chaque  bentvogel ,  ou  initié  de  la  société,  avait  le 
sien  qu'il  remportait  dans  ses  foyers  et  qu'il  conservait  jusqu'au 
tombeau.  La  fête  de  la  réception  durait  toute  la  nuit,,  et  le  len- 
demain les  compagnons  réunis  allaient  à  quelque  distance  de 
Rome  terminer  la  cérémonie  sur  le  tombeau  de  Bacchus.  On 
prétend  que  Raphaël  a  lui-même  donné  l'idée  de  cette  fête.  Les 
Flamands  y  auront  ajouté  la  partie  matérielle.  On  n'y  admettait 
point  les  Italiens  comme  ne  sachant  pas  supporter  la  boisson; 
les  Allemands,  pour  lesquels  on  n'avait  pu  alléguer  le  même 
motif,  y  furent  volontiers  reçus. 

Nous  ne  savons  pas  au  juste  à  quelle  époque  cette  singulière 
association  commença,,  ni  quel  jour  elle  prit  fin  ;  mais  elle  était 
en  pleine  vigueur  au  commencement  du  XVIIe  siècle,  et  trois  de 
ses  membres  consacrèrent  leur  pinceau,  leur  crayon  et  leur  bu- 
rin à  en  retracer  les  singulières  particularités.  Ces  trois  artistes 
sont  hollandais:  Dom.  Wynen,  peintre,  Barent  Graat ,  dessi- 
nateur, et  Mathieu  Pool,  son  gendre,  graveur  à  Amsterdam, 
concoururent  à  la  reproduction  des  trois  grandes  représenta- 
tions burlesques  des  cérémonies  qui  se  pratiquaient  à  Rome 
pour  la  réception  d'un  membre  de  la  Schilderbent.  Nous  igno- 
rons ce  que  sont  devenus  les  tableaux  originaux  de  Dom.  Winen, 
mais  Graat  les  ayant  dessinés  à  la  fin  du  XVIIe  siècle,  et  son 
gendre,  Mathias  Pool,  les  ayant  gravés  au  commencement  du 
XVIIIe,  le  sujet  en  devint  populaire  en  Europe.  Ces  gravures 
sont  à  juste  titre  recherchées  des  curieux  et  deviennent  rares 
dans  le  commerce  où  elles  ne  paraissent  guères  qu'à  la  disper- 
sion d'une  collection  rassemblée  par  un  amateur.  Au  bas  de  ces 
trois  pièces  curieuses  on  lit  la  signature:  D.  W.  Aesçanius, 
c'est  le  bentnaam  ou  sobriquet,  accepté  par  Dom.  Wynen  dans 
l'académie  de  Schilderbent,  au  milieu  des  cérémonies  bachiques 
qui  accompagnaient  l'admission  du  néophyte.  Ce  nom  fait  sans 
doute  allusion  aux  circonstances  de  la  vie  du  peintre  qui  consa- 
cra ses  pinceaux  à  cette  œuvre  burlesque. 

14. 


210  SCH 

Francis  Van  Bossuit,  célèbre  sculpteur  en  ivoire,  né  à 
Bruxelles  en  i635,  autre  membre  de  la  même  société,  fut  ins- 
crit sous  le  nom  d'Observateur,  parce  qu'il  mettait  à  profit  tout 
ce  qu'il  voyait  de  beau,  et  que  sa  mémoire  conservait  fidèlement, 
comme  un  trésor  inépuisable,  ce  qu'il  avait  observé  d'admi- 
rable dans  les  modèles  antiques.  C'est  peut-être  aussi  comme 
bentnaam  que  le  surnom  de  Tempeste  fut  affecté  à  Pierre  Mo- 
lyn-,  que  /.  François  Van  Bloemen  reçut  celui  de  YOri^onte, 
tiré  des  atmosphères  brûlantes  et  vaporeuses  qu'il  introduisait 
dans  ses  tableaux;  que  le  graveur  Régnier  de  Persyn  fut  ap- 
pelé le  Narcisse,  comme  s'aimant  lui-même,  et  qu'enfin  le  so- 
briquet de  Bamboche  fut  donné  à  Pierre  de  Laer,  pour  la  sin- 
gulière conformation  de  sa  figure.  Tous  les  autres  membres  de 
la  Bent  portaient  ainsi  des  surnoms  bizarres  puisés  dans  leurs 
penchants  particuliers,,  le  genre  de  leur  talent,  ou  les  événe- 
ments remarquables  de  leur  vie. 

Un  jour,  les  artistes  flamands,  hollandais  et  allemands  étaient 
parvenus  à  entraîner  à  se  faire  recevoir  parmi  eux  Guillaume 
Van  Ingen,  plus  sensible  aux  plaisirs  de  l'étude  qu'à  ceux  de  la 
table;  il  avait  résisté  longtemps,  mais  prêt  à  quitter  Rome  il 
consentit  à  se  laisser  admettre  dans  la  joyeuse  confrérie.  Au  mo- 
ment où  l'on  procédait  à  la  cérémonie  de  la  réception  dans  un 
cabaret  de  Rome,  la  police  s'empara  tout-à-coup  du  récipien- 
daire et  de  ses  collègues  et  les  conduisit  en  prison,  sous  le 
prétexte  que  les  rassemblements  d'étrangers  étaient  défen- 
dus. Après  leur  interrogatoire ,  on  reconnut  tout  ce  qu'avait 
d'inoffensif  une  telle  réunion,  et  on  rendit  tout  le  monde  à  la 
liberté.  La  société  n'abandonna  point  pour  cela  sa  proie;  elle 
procéda  de  nouveau  à  la  réception,  si  malencontreusement  in- 
terrompue, de  Van  Ingen,  et  comme  il  fut  le  premier  élu  après 
l'événement  de  la  prison,  on  l'inscrivit  sous  le  nom  d'Ingen  le 
premier. 

Pour  indiquer  l'esprit  de  jovialité  et  d'originalité  qui  régnait 
dans  la  bande  académique  flamande  &  hollandaise  à  Rome, 
nous  allons  donner  ici  la  nomenclature  des  principaux  membres 


SCH 


de  cette  société  artistique  et  grivoise,  en  y  ajoutant  les  sobriquets 
sous  lesquels  ils  furent  baptisés  inter  pocula. 

La  Tombe y  né  à  Amsterdam  en  1616,  fut  nommé  par  la  Bent 
le  Boucheur ,  parce  qu'il  n'était  jamais  un  moment,  dans  quel- 
qu'endroit  que  ce  fût,  sans  remplir  sa  pipe  et  fumer. 

Jean-Baptiste  Weeninx,  né  à  Amsterdam  en  1621,  sur- 
nommé le  Hochet,  pour  le  son  aigre  de  sa  voix. 

Jacques  Van  der  Does}  né  à  Amsterdam  le  4  Janvier  1623, 
fut  initié  dans  la  Bent,  au  moment  où  il  allait  s'enrôler  dans  les 
troupes  du  Pape;  à  cause  de  cette  idée  guerrière  et  de  la  peti- 
tesse de  sa  taille  on  le  reconnut  sous  le  nom  de  Tambour. 

Charles  Creèten,  allemand,  baptisé  Y  Espadon. 

Théodore  Van  der  Schuitr,  né  à  La  Haye  en  1628 ,  d'un  ca- 
ractère aimant  et  affable,  fut  nommé  V Amitié. 

Jacques  Vaillant,  de  Lille,  appelé  V Alouette. 

A.  Blankhof,  d'Alkmaer,  nommé  Jean  Maet ,  comme  ne  di- 
sant jamais  deux  paroles  sans  prononcer  ce  mot,  qui  signifie 
camarade,  en  flamand. 

Guillaume  Doudyns,  de  La  Haye,  qu'on  appelait  Diomède. 

Daniel  Mytens,  de  la  même  ville,  fut  gratifié  de  l'épithète  de 
la  Corneille  bigarrée,  à  cause  de  la  recherche  et  de  la  quantité 
de  ses  habits. 

J.  Weyerman,  surnommé  Compariva. 

Abraham  Genoels,  né  à  Anvers  en  1640,  fut  inscrit  à  Rome, 
le  3  Janvier  1675,  sous  le  titre  d'Archimède,  comme  bon  ma- 
thématicien. 

Le  populaire  Carie  du  Jardin  qui  réussissait  si  bien  à  peindre 
les  animaux,  en  reçut  le  nom  de  Barbe  de  Bouc. 

Robert  Duval,  né  à  La  Haye  en  1644,  obtint  de  la  bande 
académique  le  sobriquet  de  La  Fortune. 

J.  Glauber,  d'Utrecht,  eut  nom  Polidor. 

Théodore  Visscher  eut  celui  de  Slempop,  synonime  d'ivrogne, 
qu'il  mérita  trop  bien;  du  reste,  un  des  fermes  soutiens  de  la 
bande  joyeuse. 

Le  riche  Pierre  Van  der  Hulst,  de  Dort,  fut  nommé  Tourne- 


SG  H 


sol,  comme  introduisant  cette  fleur  dans  presque  toutes  ses 
compositions. 

Corneille  de  Bruyn,  reçu  en  1674,  avec  le  surnom  d'Adonis. 

J.  Van  Bunnik3  d'Utrecht,  appelé  la  Timbale. 

Philippe  Roos,  le  Mercure. 

Pierre  Van  Dloemen,  Standaert  ou  VEtendart. 

Jacques  de  Heus,  d'Utrecht,  dut  à  la  ressemblance  de  ses  ou- 
vrages avec  ceux  de  son  maître,  Guillaume  de  Heus,  d'être  qua- 
lifié la  Contre-épreuve. 

Nicolas  Piémont  se  fit  nommer  Opgang  (élévation),  par  iro- 
nie, de  ce  que  de  peintre  il  devint  cabaretier  en  épousant  son 
hôtesse  pour  s'acquitter  de  ce  qu'il  lui  devait. 

Bonaventure  Van  Overbeek  prit  le  titre  de  Romulus. 

N.  Deyssens,  d'Anvers,  eut  celui  de  Casse-noix,  tant  il  avait 
le  nez  grand. 

Georges-Philippe  Rugendas  entra  malgré  lui  dans  la  bande 
académique  qui  l'appela  Schild,  en  français  Bouclier,  parce 
qu'en  sa  qualité  de  peintre  de  batailles,  il  usait  et  abusait  sou- 
vent de  cette  figure  dans  ses  tableaux. 

Isaac  Moucheron  avait  tant  d'habileté  pour  composer  ses  su- 
jets que  ses  confrères  ne  purent  mieux  faire  que  de  l'appeler 
Ordonnance. 

Le  riche  Abraham  Breugel,  d'Anvers,  reçut  le  nom  àç,Rhyn- 
Graef  (comte  du  Rhin). 

A  cause  de  sa  force  et  de  son  adresse  Jacques  de  Baan  fut 
surnommé  le  Gladiateur.  Il  ne  manquait  pas  une  fête  bachique, 
et  mourut  en  1700,  à  la  fleur  de  sa  jeunesse,  usé  par  les  plai- 
sirs. 

Les  deux  artistes  qui  survécurent  à  tous  leurs  confrères  de  la 
société  académique  dite  Schilderbent,  furent  Elle  Terwesten 
et  Jean-François  Van  Bloemen,  dit  Horizon,  né  à  Anvers  en 
i656.  Bloemen  a  été  le  dernier,  il  enterra  la  synagogue,  en 
mourant  à  Rome  vers  l'an  1740,  fort  âgé,  emportant  l'estime  des 
peintres  de  toutes  les  nations  et  les  regrets  des  cabaretiers  de  la 
ville  éternelle;  ce  fut  le  dernier  BentvogeL  On  ne  nous  dit  pas 


SCI 


si  on  l'enterra  près  du  tombeau  du  Bacchus  témoin  des  récep- 
tions de  tous  les  membres  de  la  Schilderbent. 

SCIE  D'HARFLEUR  (Société  de  la).  Dans  les  annales 
d'Harfleur  on  parle  d'une  association  de  seigneurs  de  la  ville  et 
des  environs  qui  se  liguèrent  à  l'époque  de  la  conquête  de  l'An- 
gleterre poursuivre  le  duc  de  Normandie  outre-mer  et  se  prêter 
un  mutuel  appui,  tant  en  guerre  qu'en  galanterie.  Cette  associa- 
tion, qui  célébrait  à  la  fois  les  faits  d'armes  et  les  belles,  se  nom- 
mait la  Chevalerie  d'Harfleur.  Le  temps,  les  combats  et  les 
maladies  anéantirent  ces  valeureux  et  galants  chevaliers,  dont  il 
ne  reste  que  le  souvenir. 

Au  commencement  du  XVIe  siècle,  on  pensa  à  restaurer  cette 
société  en  lui  donnant  pour  but  la  bombance,  la  gaîté,  l'amour  et 
la  défense  des  dames.  Charles  de  Cossé-Brissac  étaitdepuis  1544 
gouverneur  d'Harfleur;  on  lui  décerna  la  présidence  de  cette 
assemblée  :  il  y  consentit,  et  dès-lors  elle  prit  le  nom  de  Scie 
d' H ar fleur , parce  que  la  place  du  président,  en  son  absence,  était 
couverte  par  l'écu  de  ses  armes,  portant,  comme  on  sait,  trois 
scies  d'or,  en  fasce,  sur  un  champ  de  sable.  A  dater  de  ce  mo- 
ment, la  scie  devint  l'emblème  de  la  société;  chacun  de  ses 
membres  jura,  sur  ce  fer,  d'observer  les  statuts,  et  chaque  réci- 
piendaire était  soumis  à  baiser  la  lame  dentelée  au  moment  de 
son  admission. 

La  Scie  d'Harfleur  célébrait  sa  fête  le  jour  du  mardi-gras. 
Dès  le  matin,  une  troupe  de  sociétaires  déguisés  et  masqués  avec 
luxe,  formaient  une  cavalcade,  précédée  de  trompettes  et  de  clai- 
rons, qui  se  dirigeait  vers  le  Havre.  Au  Qui  vive?  de  la  senti- 
nelle de  cette  ville,  on  répondait  :  Folie  d'Harfleur l  aussitôt 
les  ponts  s'abaissaient,  les  portes  s'ouvraient,  et  le  cortège,  suivi 
d'une  masse  populaire  avide  de  ces  sortes  de  spectacles,  se  trans- 
portait chez  les  autorités  où  l'on  faisait  baiser,  comme  honneur 
insigne,  les  dents  des  extrémités  de  la  scie,  le  milieu  étant  ré- 
servé au  gouverneur  et  aux  échevins  d'Harfleur. 

Deux  beaux  masques  portaient  la  lame  dentelée,  et  deux  au- 


214  SCU 

très  étaient  armés  de  deux  bâtons  ornés  de  fleurs  et  de  rubans 
que  l'on  nommaient  bâtons  friseux,  et  qui  devaient  emmancher 
l'instrument. 

Quand  la  procession  avait  fait  le  tour  de  la  ville  du  Havre, 
elle  revenait  dans  le  même  ordre  à  Harfleur  et  s'arrêtait  sur  la 
place;  là,  on  décidait  en  corps  à  quel  domicile  on  devait  porter 
les  bâtons  friseux.  C'était  toujours  chez  un  mari  qui  passait 
pour  être  peu  courtois  pour  sa  femme  que  l'on  déposait  ces  em- 
blèmes de  la.  Scie.  Deux  masques  lui  ordonnaient  avec  un  grand 
sérieux  de  garder  ces  bâtons  jusqu'à  ce  qu'un  mari  reconnu 
moins  galant  que  lui  encore  fut  trouvé.  Le  peuple  applaudissait 
à  cette  espèce  de  jugement  sommaire  et  carnavalesque.  Des  huées 
sans  nombre  saluaient  le  mauvais  mari,  puis  la  bande  joyeuse 
se  rendait  au  banquet  officiel  qui  devait  couronner  cette  journée 
par  une  bombance  complète  et  des  libations  prolongées  dans  la 
nuit. 

La  révolution,  qui  a  supprimé  tant  de  vieilles  institutions,,  a 
respecté  l'institution  de  la  Scie  d'Harfleur^  cette  folie,  qui 
a  sauvé  plus  d'une  femme  des  brutalités  de  son  mari,"  est  restée 
debout,  et,  depuis  1821  surtout,  la  scie  et  les  bâtons  friseux, 
sont  redevenus  les  gages  delà  tranquillité  des  dames  et  la  terreur 
des  époux  discourtois  et  violents. 

SCUDERY  (Société  de  mademoiselle  de).  Les  réunions  de 
MHe  de  Scudéry  avaient  lieu  les  samedis;  elles  eurent  une  grande 
célébrité.  Chacun  des  habitués  ou  membres  de  cette  coterie  avait 
pris  un  surnom  tiré,  le  plus  souvent,  des  romans  du  jour.  La  pré- 
sidente, MUe  de  Scudéry,  s'était  laissé  donner  et  avait  accepté 
assez  modestement  le  nom  de  Sapho. 

Voici  les  surnoms  des  autres  personnages  : 

Mme  Arragonais,  la  princesse  Philoxène; 

Mme  d'Aligre  (sa  fille),  Télamire-, 

Mme  de  Guénégaud,  Amalthie-, 

L'abbesse  de  Malnoue,  Octavie; 

Sarasin,  Polyandre^ 


SCU  2i5 

Conrart,  Théodamus; 

Pellisson,  Acanthe  (i); 

M.  de  Guénégaud,  Alcandre: 

Le  duc  de  Saint-Aignan,  Artaban, 

Yzarn,  Zénocrate-, 

M.  de  Raincy,  le  prince  Agathyrse; 
|  le  nain  de  Julie-, 

Godeau,  \  le  mage  de  Sidon-, 
le  mage  de  Tendre. 

Dans  les  petites  réunions  du  samedi ,,  les  dames  travaillaient  à  des 
ajustements  de  deux  poupées  appelées  la  grande  et  la  petite 
Pandore,  qui  servaient  de  modèles  pour  les  .modes  du  jour. 

Langage  précieux  et  sophistiqué,  goût  faux  et  maniéré,  c'est 
tout  ce  qui  resta  de  ces  réunions;  la  Relation  du  pays  de  Ten- 
dre, dans  le  Ier  vol.  de  Clélie,  1660,  in-8%  p.  399,  peut  donner 
une  idée  de  ce  singulier  genre,  dont  Boileau  a  fait  une  juste 
critique. 

On  s'amusait  dans  ces  samedis,  à  s'envoyer  réciproquement 
des  madrigaux.  En  voici  un  que  l'illustre  Sapho  commit  en 
faveur  du  laid  mais  savant  Pellisson  : 

Enfin,  Acanthe,  il  faut  se  rendre  ; 
Votre  esprit  a  charmé  le  mien  : 
Je  vous  fais  citoyen  de  Tendre, 
Mais  de  grâce  n'en  dites  rien. 

Il  y  eut  échange  général  de  jolies  choses  le  samedi  20  décem- 
bre i653.  Conrart-Théodamas  ayant  donné  à  Scudéry-Sapho 
un  cachet  en  cristal  avec  des  vers  courtois ,  elle  y  répondit  par  un 
madrigal  fort  tendre.  L'assemblée,  montée  sur  un  diapason  très- 
élevé,  improvisa  force  pièces  galantes;  la  relation  de  cettejournée 
des  Madrigaux,  comme  on  l'appela  _,  est  conservée  en  mss.  à  la 
bibliothèque  de  l'Arsenal. 

(1)  11  s'appelait  aussi  le  Chroniqueur,  parce  qu'il  s'était  chargé  de  la  rédac- 
tion des  annales  de  la  société.  Il  prit  également  le  nom  d'Herminius,  mais 
ce  ne  fut  que  dans  sa  prison,  afin.de  déguiser  la  correspondance  qu'il  entre- 
tenait avec  mademoiselle  de  Scudéryet  avec  quelques  amis. 


2i6  SCU 

Mlle  de  Scudéry  répondit  à  Conrart  : 

Pour  mériter  un  cachet  si  joli, 
Si  bien  gravé,  si  brillant,  si  poli, 

Il  faudrait  avoir,  ce  me  semble, 

Quelque  joli  secret  ensemble  ; 

Car  enfin,  les  jolis  cachets 

Demandent  de  jolis  secrets, 

Ou  du  moins  de  jolis  billets; 

Mais,  comme  je  n'en  sais  point  faire, 

Que  je  n'ai  rien  qu'il  faille  taire, 

Ou  qui  mérite  aucun  mystère, 

Il  faut  vous  dire  seulement 

Que  vous  donnez  si  galamment, 

Qu'on  ne  peut  se  défendre 
De  vous  donner  son  cœur  ou  de  le  laisser  prendre. 

On  peut  consulter  avec  profit  l'article  que  M.  de  Monmerqué, 
qui  connaissait  si  bien  le  XVIIe  siècle,  a  consacré  à  M^ede  Scu- 
déry dans  la  Biographie  univers.;  le  judicieux  critique  qualifie 
la  Journée  des  Madrigaux  de  «  pièce  ridicule  qui  ne  mérite  pas 
d'être  exhumée,  »  elle  a  cependant  trouvé  un  éditeur.  Elle  a 
paru  en  i856  à  Paris  (librairie  de  A.  Aubry),  accompagnée  de 
la  Carte  de  Tendre  et  du  Cabinet  des  Précieuses,  avec  une 
introduction  et  des  notes_,  par  M.  Emile  Colombey,  pet.  in-8°. 

Quelques-unes  des*  personnes  qui  faisaient  partie  de  la  So- 
ciété de  mademoiselle  de  Scudéry  se  trouvent  dans  le  Diction- 
naire  des  Précieuses*  par  de  Somaize,  livre  si  curieux  pour 
l'histoire  de  l'époque  et  dont  M.  Livet  a  donné  en  i856,  dans  la 
Bibliothèque  Elçevirienne,  une  excellente  édition,  accompa- 
gnée d'un  commentaire  des  plus  instructifs.  Empruntons-lui 
ce  qu'il  dit  de  madame  Arragonais  (Artémise)  ',  son  mari  était 
trésorier  du  régiment  des  gardes  françaises.  Elle  avait  une  de- 
meure somptueuse  où  l'on  remarquait  surtout  la  richesse  de 
l'ameublement,  et  les  deux  statues  de  la  grande  et  de  la  petite 
Pandore.  Mademoiselle  de  Scudéry  a  tracé  son  portrait  dans  le 
Grand  Cyrus  (7cpartie, livre  IIIe).  «  Philoxène,  qui  estoit  veuve. 


scu 


217 


estoit  d'une  taille  au-dessus  delà  médiocre, mais  fort  bien  faite; 
ses  cheveux  estoient  chastains;  elle  avoit  le  tour  du  visage  un 
peu  en  ovalle,  le  teint  blanc  et  uny,  le  nez  aquilin  et  bien  fait, 
les  yeux  grands,  noirs,  beaux,  doux  et  souriants;  la  physiono- 
mie noble  et  agréable.  » 

Sarasin  porte  le  nom  de  Sésostris  dans  le  Dictionnaire  de 
Somaize,  et  Conrart  reçoit  celui  de  Cîéoxène  (ce  qu'on  peut 
consulter  de  plus  achevé  au  sujet  de  ce  littérateur,  c'est  la  notice 
placée  par  M.  de  Monmerqué  en  tête  de  l'édit.  de  ses  Mémoires, 
qui  fait  partie  de  la  collection  Petitot).  h  Izarn  (Isménius),  eut  à 
la  fois  (dit  M.  Livet)  toutes  les  qualités  de  l'esprit  et  du  corps  ; 
beau  comme  le  jeune  président  de  Lamoignon,  galant  comme 
Pellisson,  gai  comme  Voiture,  amoureux  plus  qu'eux  tous, 
inconstant  comme  lui  seul,  gentil  poète  et  joli  prosateur,  mais 
laissant  à  d'autres  le  soin  de  recueillir  sa  prose  et  ses  vers.  » 
Dans  le  Cyrus,  il  est  représenté  comme  amoureux  tour  à  tour 
de  quatre  princesses  qu'il  trouve  un  jour,  sans  s'émouvoir,  réu- 
nies chez  Mandane.  Sa  réputation  était  si  bien  faite  que  tous  les 
ouvrages  précieux  du  temps  le  dépeignent  de  la  même  manière. 
Dans  les  manuscrits  de  Conrart,  conservés  à  la  bibliothèque  de 
l'Arsenal,  se  trouve  une  Galette  de  Tendre  avec  les  nouvelles 
envoyées  de  différentes  villes.  On  écrit  ÏÏOubly  :  «  11  arriva  ici  il 
y  a  quelques  jours  un  estranger  (M.  Yzarn)  de  fort  bonne  mine 
qui,  après  avoir  passé  de  nouvelle  amitié  à  grand  esprit,  de- 
grand  esprit  à  jolis  vers,  de  jolis  vers  à  billet  galant,  et  de 
billet  galant  à  billet  doux,  s'égara  en  partant  de  cet  agréable 
village,  de  sorte  qu'au  lieu  d'aller  à  Sincérité,  il  vint  dans  notre 
ville  où  il  fut  un  jour  tout  entier  sans  s'apercevoir  qu'il  estoit 
égaré.  î> 

Les  très-longs  romans  de  mademoiselle  de  Scudéry,  fort  ou- 
bliés durant  près  de  deux  siècles,  sont  devenus  l'objet  d'une 
attention  spéciale  depuis  qu'il  a  été  reconnu  qu'ils  renfermaient, 
sous  le  voile  d'une  allusion  permanente,  l'histoire  de  la  société 
élégante  aux  débuts  du  règne  de  Louis  XIV.  Un  écrivain  célè- 
bre, M.  Victor  Cousin,  a  abordé  avec  ampleur  ces  questions. 


2i8  SIF 

Voir  les  articles  qu'il  a  insérés  dans  le  Journal  des  Savants, 
avril,  octobre,  novembre,  décembre  1857,  et  janvier  r858,  sur 
une  clef  inédite  du  grand  Cyrus;  dans  le  même  journal,  avril, 
mai  et  juin  1 858  :  Mademoiselle  de  Scudéry  et  sa  Société, 
d'après  le  grand  Cyrus  ;  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes ,  i5 
février  i858  :  De  l'importance  historique  du  grand  Cyrus. 
Ces  divers  écrits  ont  reparu  dans  le  livre  de  M.  Cousin  :  De  la 
Société  française  au  XVIIe  siècle.  Consultez  aussi  sur  la  Clé- 
lie _,  le  Cours  de  Littérature  dramatique^  de  M.  Saint-Marc- 
Girardin,  tom.  III,  p.  io2-i33.  M.  Léon  de  La  Borde  {Palais 
Ma^arin,  notes) a  dit  avec  raison:  «Quoique  transportés  sur  les 
bords  de  PEuphrate,  quoique  affublés  des  noms  les  plus  persans 
que  mademoiselle  de  Scudéry  ait  pu  inventer,  les  personnages 
du  Cyrus  ne  sont  autres  que  ceux  qui  animaient  la  société  de 
Paris,  et  surtout  l'hôtel  de  Rambouillet.  »  La  Revue  française, 
20  octobre  1 858,  renferme  un  article  de  M.V.Fournel,  intitulé: 
Mademoiselle  de  Scudéry  et  le  grand  Cyrus.  N'oublions  pas 
une  étude  de  M.  E.  Despois  sur  cette  femme  célèbre  dans  la 
Revue  des  Deux-Mondes,  1846. 

SECRETS  (Académie  des).  V Académie  des  Secrets  fut  éta- 
blie à  Naples  par  le  célèbre  Jean-Baptiste  Porta,  qui  avait  déjà 
pris  une  part  active  à  la  fondation  de  V Académie  des  O^iosi, 
elle  ouvrait  ses  rangs  à  toutes  les  personnes  qui  avaient  fait 
quelque  découverte  dans  les  sciences  naturelles,  la  médecine,  la 
physique.  On  se  méfia  des  recherches  de  ces  investigateurs;  ils 
furent  accusés  de  se  mêler  de  magie,  et  Porta  reçut  l'ordre  de 
faire  cesser  les  réunions  qui  avaient  lieu  dans  son  domicile. 
Esprit  chercheur  et  sagace,  Porta  fit  avancer  les  sciences,  et  dans 
ses  nombreux  ouvrages,  au  milieu  de  beaucoup  d'erreurs  et  de 
préjugés  ayant  force  de  loi  au  XVIe  siècle,  on  rencontre  des  idées 
justes  et  neuves.  Voir  G. -H.  Duchesne  ;  Essai  sur  la  vie  et  les 
ouvrages  de  J.-B.  Porta.  Paris,  in-8°;  Colangeli,  Vitadi  G.- 
B.  délia  Porta.  Naples,  1818,  in-8°,  etc. 

SIFFLEURS  (Société  des).  A  Poitiers,  au  XVIe  siècle,  il 


SIX  219 

existait  une  Société  des  Siffleurs.  Etait-elle  satirique  ?  n'était- 
elle  que  burlesque  et  une  imitation  du  chant  des  oiseaux  ?  Nous 
avons  connu  des  personnes  qui  sifflaient  en  société  dans  une 
grande  perfection;  d'autres  qui  se  faisaient  entendre  pour  de 
l'argent.  On  rencontre  encore  dans  les  rues  des  artistes  ambu- 
lants en  ce  genre  fort  passé  de  mode  (voyez  d'ailleurs  Carpen- 
tier,  au  mot  Societas  -,  Dulaure,  tome  V,  page  258). 

SILENCE  (Club  du).  Vun  se  taisait  3  Vautre  ne  disait  rien; 
ainsi  finit  ce  pénible  entretien.  Vers  la  fin  du  XVIIe  siècle,  il  se 
forma  à  Londres  un  Club  du  Silence.  La  loi  fondamentale  était 
de  n'y  jamais  ouvrir  la  bouche.  Cette  association  ne  devait  pas 
faire  grand  bruit  dans  le  monde.  Le  président  était  sourd  et 
muet  comme  les  autres;  il  parlait  des  doigts,  et  encore  n'était-il 
permis  de  déployer  cette  éloquence  mécanique  que  fort  rare- 
ment et  dans  les  occasions  importantes. 

Après  la  fameuse  journée  d'Hochstett,  un  membre  transporté 
de  patriotisme  osa  annoncer  de  vive  voix  la  nouvelle  de  cette 
victoire;  aussitôt  il  fut  renvoyé  à  la  pluralité  des  suffrages  qui, 
selon  l'usage  de  l'ancienne  Rome,  se  donnaient  en  pliant  les 
pouces  en  arrière. 

Ce  club  a  probablement  donné  à  l'abbé  Blanchet  l'idée  de  son 
joli  conte  de  Y  Académie  silencieuse.  Voyez  Apologues  et  contes 
orientaux )  1785,  in-8. 

C'était  le  contraire  de  la  Parfaite  Union  des  14  Dames  de 
M  eaux. 

SIX  (Académie  des).  Cette  association  fut  établie  à  Bordeaux 
il  y  a  quelques  années  par  des  hommes  d'esprit,  amateurs  de  la 
bonne  chère  et  de  la  poésie.  Elle  comptait  parmi  ses  membres 
M.  Duffour-Dubergier,,  négociant,  qui  remplit  longtemps  avec 
distinction  les  fonctions  de  maire  de  Bordeaux  et  qui  s'est  amusé 
à  écrire  une  sorte  de  poème  badin  en  prose:  Chroniques  du 
château  de  Gironville  (nom  d'un  domaine  qu'il  possédait  dans 
le  Médoc),  M.  Biarnez,  négociant,  auteur  d'un  poème  fort  bien 
versifié  et  plein  d'esprit  :  Les  grands   Vins  de  Bordeaux; 


220 


SOC 


M.  Goût- Desmartres,  poète  distingué  qui  présida  pendant  plu- 
sieurs années  l'Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts  de 
Bordeaux.  Les  Six  se  réunissaient  une  fois  par  mois  et  succes- 
sivement chez  chacun  d'eux.  Les  convocations,  les  procès-ver- 
baux des  séances  étaient  en  vers  ;  les  dîners  n'auraient  rien  laissé 
à  désirer  au  connaisseur  le  plus  difficile;  les  vins  surtout,  dé- 
gustés par  les  palais  les  plus  expérimentés  de  la  France,  étaient 
au  dessus  de. tout  éloge.  Satisfaite  de  ses  jouissances  intimes, 
Y  Académie  des  Six  n'a  jamais  rien  livré  à  la  publicité;  elle 
admettait  à  ses  réunions  quelques  aspirants  amis  des  Muses  et 
delà  gastronomie;  malheureusement  elle  vécut  peu;  la  mort  de 
quelques-uns  de  ses  membres  a  été  un  regrettable  motif  de  dé- 
sorganisation ;  il  ne  reste  plus  que  le  souvenir  de  cette  réunion 
de  gourmets  délicats. 

SIXETTE  (les  Chevaliers  de  la).  1729.  Institution,  créa- 
tion, ordonnance  et  statuts  de  l'Ordre  des  Chevaliers  de  la 
Sixette,  in-4  (cat.  Leber,  n°  2Ô3o). 

Registre  original,  manuscrit,  daté  de  1729,  contenant  les 
statuts  de  l'Ordre  et  les  procès-verbaux  des  séances,  signés.  Il 
est  à  regretter  que  Leber  n'ait  pas  dit  un  seul  mot  du  but  de  la 
société. 

Il  paraîtrait  que  ce  sont  des  joueurs  jettant  des  dés  pour  sa- 
voir qui  obtiendrait  le  chiffre  supérieur  à  six  dans  deux  dés. 

SOCIÉTÉ  (Une).  175 1-1752.  Quelle  était  cette  association 
qui  ne  prenait  aucun  titre  et  qui  s'intitulait  seulement  une  So- 
ciété?... Comment  était-elle  organisée?  avait-elle  des  statuts  et 
quels  étaient-ils?  ses  membres^  ses  dignitaires,  son  but,  que  sa- 
vait-on de  tout  cela?  Peu  de  chose.  «  Comme  les  petites  socié- 
tés sont  fort  à  la  mode,  disent  les  auteurs  du  seul  livre  qui 
nous  reste  de  cette  congrégation  peu  connue,  nous  en  avons 
formé  une.  Dans  la  plupart  de  ces  assemblées  on  ne  lit  que  les 
écrits  de  ceux  qui  en  sont  membres....  on  se  réunit  sous  pré- 
texte de  se  critiquer,  mais  chacun  a  intérêt  de  louer  à  outrance 


soc 


pour  être  loué  à  son  tour;  c'est  ainsi  que  certains  beaux-es- 
prits modernes  se  traitent  ^'illustres  et  se  promettent  réci- 
proquement V immortalité  que  chacun  d'eux  croit  mériter 
seul.  Crainte  de  donner  dans  de  pareils  travers,  nous  avons 
résolu  de  ne  parler  dans  notre  société  que  des  ouvrages  d? au- 
trui. Il  en  paroit  tous  les  jours  de  nouveaux,  et  nous  pouvons 
compter  sur  l'abondance  des  matières.  » 

Voilà  à  peu  près  tout  ce  que  nous  savons  de  la  Société  sans 
titre  qui  se  forma  vers  le  milieu  du  siècle  dernier.  Ils  nous 
disent  cela  à  la  tête  de  leur  recueil,  tome  Ier  et  unique,  qui  parut 
avec  cette  énonciation  :  Lettres  d'une  société,  ou  Remarques 
sur  quelques  ouvrages  nouveaux.  Berlin  (Paris,  Duchesne), 
MDCCLI,  in-12. —  2e  édition, ou  plutôt  second  frontispice,  sous 
ce  titre:  Mélange  littéraire,  ou  Remarques,  etc.  A  Berlin  (Pa- 
ris)., MDCCLII,  in-12  de  238  pages. 

Les  membres  de  cette  petite  société  et  en  même  temps  les  au- 
teurs de  ce  recueil  sont:  i°  Boullanger  de  Rivery,  d'Amiens, 
avocat  à  Paris  pendant  quelque  temps,  n'ayant  guères  que  25  ou 
26  ans,  auteur  d'un  petit  nombre  d'ouvrages  littéraires  et  en- 
tr'autresde  Momus  philosophe ,  1750, in-12.  Mort  jeune  au  reste 
le  24  septembre  1758.  —  2e  Pierre-Henri  Larcher,  aussi  jeune 
que  son  confrère,  savant  helléniste  et  trad.  de  Pope,  qui  ne 
mourut  que  le  22  décembre  18 12,  plus  d'un  demi-siècle  après 
son  compagnon  de  jeunesse  (1).  — Et  3°  Jean  Landon,  le  moins 
connu  des  trois.  Ils  étaient  liés  avec  le  libraire  Duchesne  qui 
édita  le  recueil  des  trois  jeunes  gens.  Ils  y  traitent  assez  dure- 
ment l'abbé  Goujet  à  l'occasion  du  Supplément  au.  Diction- 
naire historique  de  Moréry,  ils  s'occupent  plutôt  de  théâtre  et 

(1)  On  trouve  sur  Larcher,  parvenu  à  une  grande  vieillesse,  de  curieux 
détails  dans  un  charmant  article  que  M.  de  Sacy  (aujourd'hui  académicien 
et  sénateur)  a  inséré  dans  le  Journal  des  Débats,  en  i852,  au  sujet  de  la 
vente  de  la  bibliothèque  de  M.  de  Bure,  article  qui  a  été  reproduit  dans  les 
Variétés  littéraires  de  cet  écrivain.  Larcher,  devenu  fort  pieux,  s'était  avisé 
d'un  genre  d'abstinence  qui  ne  pouvait  être  pratiqué  que  par  bien  peu  de 
monde;  les  jours  de  jeûne,  il  se  privait  de  lire  du  grec  et  il  se  réduisait  au 
vil  latin. 


222  SOC 

de  littérature  légère  que  d'ouvrages  sérieux.  Larc'her  y  a  inséré 
sa  traduction  du  discours  de  Pope  sur  la  poésie  pastorale;  ceci 
montre  que  les  membres  de  la  société  ne  tinrent  pas  jusqu'à  la 
fin  la  détermination  de  ne  pas  parler  ni  d'eux  ni  de  leurs  écrits. 

SOCIÉTÉ  LITTÉRAIRE  DE  BORDEAUX.  Cette  société 
fondée  au  commencement  du  siècle,  a  publié  une  série  de  cahiers, 
petit  in-18,  intitulés:  les  Dîners  de  la  Société  littéraire  de  Bor- 
deaux. Cette  collection  se  compose  de  12  numéros;  elle  est  deve- 
nue très-rare,  et  il  serait  sans  doute  fort  difficile  d'en  trouver  un 
exemplaire  complet.  Nous  en  connaissons  5  cahiers;  le  Ier  porte 
la  date  du  20  messidor  an  IX,  le  7e  du  20  nivôse  an  X.  Ce  fut 
le  20  prairial,  qu'en  dînant  on  fonda  la  société,  et  on  fit  en  vers 
un  règlement  qui  comprend  17  articles.  Je  vais  transcrire  les 
premiers  : 

Art.  ier. 

De  par  Apollon  sans  retard 
Nous,  habitants  de  cette  ville, 
Fondons  un  dîner  à  l'instar 
De  nos  amis  du  Vaudeville. 

Art.  2. 

Ordonnons  qu'on  s'assemble 
Comme  ils  font  à  Paris. 
Pour  dîner  tous  ensemble 
Comme  ils  font  à  Paris  ; 
Qu'on  fasse  bonne  chère 
Comme  ils  font  à  Paris, 
Et  qu'on  vide  son  verre 
Comme  ils  font  à  Paris. 

Art.  3. 

Par  mois  on  s'assemble  une  fois 
Et  ce  sera  le  vingt  du  mois. 

Art.  4. 

Après  dîner,  chaque  membre  écrira 
Le  premier  mot  qui  lui  plaira, 


SOC  223 

Et  puis  le  jettera 

Dans  cette  urne  redoutable 

Qui  tout  autour  de  la  table 
Après  passera; 
Chacun  prendra 

Le  mot  qui  lui  viendra, 

Chez  soi  le  traitera 

Et  puis  l'apportera, 

En  prose,  en  vers,  comme  il  voudra, 

Au  dîner  qui  suivra. 
Art.  8. 

Epigrammes  ou  madrigaux, 

Chanson ,  élégie  ou  satire, 

Tous  les  sujets  seront  égaux, 

On  peut  faire  pleurer  ou  rire. 

Hormis  la  Révolution, 

Souvenir  toujours  trop  funeste, 

La  guerre,  la  religion, 

Certain  cas  de  damnation, 

On  peut  traiter  tout  le  reste. 
Art.  10. 

Aux  dîners  littéraires 

Qui  veut  être  accepté, 

Doit  par  un  des  confrères 

Nous  être  présenté. 

Si  la  majorité 

Penche  de  son  côté, 

Lors  la  société 

Lui  dit  avec  bonté  : 
Dans  cette  enceinte  où  chacun  vous  désire 
Venez,  Monsieur,  vous  asseoir  parmi  nous  ; 
Boire,  manger,  chanter,  le  mot  pour  rire, 
Sont  les  devoirs  qu'on  exige  de  vous. 

Si  le  tiers  des  voix  était  pour  le  rejet,  le  candidat  était  repoussé. 
Le  bureau  de  la  société  se  composait  d'un  président  nommé  pour 
trois  mois;  un  secrétaire-caissier  pour  six  mois;  trois  commis- 
saires pour  un  mois. 


224 


SOP 


Ferrère  (avocat  fort  distinguée  Bordeaux),  fut  nommé  prési- 
dent; Martignac,  secrétaire;  c'est  en  vers  que  les  membres  de  la 
société  signent  le  règlement. 

Emérigon,  Duhamel  et  Ferrère, 
Mézès,  Laîné,  Duranteau,  Peyronnet, 
Pontet,  Gradis,  Laborde,  Bergeret, 
Et  Martignac,  rédacteur-secrétaire. 

M.  Emérigon  est  mort  dans  un  âge  fort  avancé^  en  i838, 
président  du  tribunal  de  première  instance.  On  remarquera  les 
noms  de  Laîné  et  Peyronnet^  alors  simples  avocats^  jeunes  en- 
core. 

Le  premier  dîner  eut  lieu  le  20  prairial  an  IX. 

Le  premier  cahier  offre  de  Martignac  une  chanson  intitulée: 
S'il  vous  plaît  ;  il  s'en  rencontre  d'autres  intitulées:  Mouchoir, 
Peut-être,  Absence.  * 

Peyronnet  a  donné  des  chansons  intitulées:  Trompette-, 
Lanterne  -y  A  Nel^ie;  Stances  bachiques;  Il  était  temps ,-  Cha- 
cun le  sien,  conte. 

Nous  serions  disposéàattribueràM.  Laîné  une  élégie  signée  L. 
Il  n'y  avait  que  lui  et  Laborde  dont  les  noms  commençassent 
par  cette  lettre,  et  les  pièces  de  Laborde  sont  signées.  Un  mor- 
ceau intitulé  :  Bouquet  (cahier  n°  3)  porte  le  nom  de  M.  Laîné. 

Ces  petits  vers  n'offrent  de  l'intérêt  (s'ils  en  offrent)  qu'à 
cause  de  la  célébrité  acquise  plus  tard  par  leurs  auteurs. 

Dès  le  second  dîner  M.  Baour-Lormian  fut  présenté  et  admis 
comme  membre  correspondant. 

SOLEIL  (Ordre  du).  Voyez  Société  des  Incas. 

SOPFIISIENS.  V Ordre  des  Sophisiens  a  été  institué  à  Pa- 
ris en  1802  par  Cuvelier  (probablement  l'auteur  dramatique), 
d'autres  disent  en  1801. 

SOPHISIENS  (Ordre  sacré  des).  Cet  ordre  doit  son  origine 
à  quelques  généraux  français  faisant  partie  de  l'expédition  d'E- 
gypte. On  pourrait  presque  le  classer  parmi  les  sociétés  secrètes 


SOT  225 

de  l'armée.  Son  nom  désigne  des  amis,  des  partisans  de  la  sa- 
gesse; il  indique  la  tendance  de  l'association.  Elle  ne  fut  pas  si 
secrète  cependant  qu'il  n'y  eut  des  pièces  imprimées  qui  circu- 
lèrent sur  ses  opérations.  On  lit,  n°  494  du  catalogue  de  Lerouge: 
Mélanges  relatifs  à  VOrdre  sacré  des  Sophisiens,  établi  dans 
les  Pyramides  de  la  République  française ,  in-4,  partie  manus- 
crite, partie  imprimée. 

SOTS  (Le  Clu3  des).  Il  y  avait  à  Paris  pendant  la  première 
révolution,  un  nombre  considérable  de  clubs;  presque  tous 
étaient  politiques;  nous  n'avons  pas  à  en  parler,  grâce  à  Dieu. 
Mais  il  en  est  un  dont  le  nom  était  si  burlesque  que  nous  croyons 
devoir  le  mentionner  :  c'est  le  Club  des  Sots. 

Un  auteur  assez  malin,  mais  fort  peu  galant,  a  dit  que  c'était 
avec  raison  que  les  femmes  étaient  bannies  des  clubs;  il  appuyait 
son  opinion  de  ce  couplet  : 

Dans  ces  cabinets  d'importance, 
Où  l'on  parle  plus  qu'on  n'y  pense, 
On  ne  doit  point  les  appeler. 
La  raison  n'en  est  pas  frivole  : 
Quand  les  hommes  voudraient  parler, 
Vite  elles  prendraient  la  parole. 

Au  Club  des  Sots,  dont  les  membres  n'étaient  pas  si  sots 
qu'on  pourrait  le  croire,  on  n'eut  pas  la  crainte  exprimée  dans 
ce  couplet,  et  l'on  recevait  les  femmes.  Le  fondateur  de  cette 
société  fut  un  nommé  Hervieu,  commis  aux  postes,  qui  eut  la 
singulière  idée  de  former  cette  association;  moyennant  six  livres 
par  trimestre,  tous  ceux  ou  celles  qui  voulurent  s'y  faire  agré- 
ger étaient  reçus  :  et  la  société  dura  jusqu'aux  temps  de  la  Ter- 
reur qui  dispersa  tout,  même  les  Sots.  Cette  société  a  dû  être 
la  plus  nombreuse  de  toutes  celles  de  l'époque,  si  beaucoup  de 
gens  se  rendirent  assez  de  justice  pour  s'y  présenter. 

(Histoire  des  Prisons,  par  Nougaret,  1797.) 

SOTS  (Prince  des).  Au  commencement  du  XVIe  siècle,  il  se 

1.5 


226  SOT 

forma  à  Paris  une  association  de  gens  joyeux  qui  prirent  le  titre 
de  sots,  qui  se  choisirent  un  prince,  et  qui  donnèrent  des  repré- 
sentations dramatiques.  Pierre  Gringore,  le  poète  le  plus  actif  de 
l'époque  (i),  composa  le  Jeu  du  prince  des  Sot%  et  Mère  sotte, 
ioué  aux  halles  de  Paris 3  le  mardi- gras.  Van  mil  huit  cinq  cent 
et  once;  on  en  connaît  deux  éditions,  toutes  deux  sans  date,  petit 
in-8°,  44^  et  in-4°i6fts;l'une  et  l'autre  sont  rarissimes,  mais 
cette  production  dramatique  a  été  réimprimée  ,  à  fort  peu  d'exem- 
plaires, il  est  vrai,  et  peu  correctement  en  1800,  par  le  bibliophile 
Caron  (2). 

Le  Jeu  est  composé  d'une  sotie,  d'une  moralité  à  six  person- 
nages (l'Homme  obstiné),  dirigée  contre  le  pape  Jules  II,  alors 
en  querelle  avec  le  roi  de  France,  et  d'une  farce  à  six  personna- 
ges intitulée  :  Faire  vaut  mieux  que  Dire.  On  peut  consulter 
relativement  à  cette  pièce  vraiment  singulière  et- digne  d'étude 
VAnalecta-Biblion}  de  M.  du  Roure,  t.  1er,  p.  258,  et  la  notice 
sur  Gringore,  de  M.  Lepage^  dans  les  Mémoires  de  V Académie 
de  Nancy-,  1848,  p.  225-228. 

La  sotie  est  une  vive  attaque  dirigée  contre  la  cour  de  Rome  : 
Mère  sotte,  c'est  l'Eglise;  il  y  a  là  des  passages  fort  hardis  et 
une  ironie  assez  vive;  mais  il  est  inutile  de  s'étendre  à  cet  égard 
puisque  cette  pièce  est  analysée  dans  des  ouvrages  très-connus, 
tels  que  l'Histoire  du  Théâtre-François,  par  les  frères  Parfait, 
et  la  Bibliothèque  du  Théâtre-François,  rédigée  par  les  secré- 
taires du  duc  de  la  Vallière. 

(1)  Voir  au  sujet  de  cet  écrivain  une  notice  dans  les  Poètes  et  Romanciers 
de  la  Lorraine,  par  Th.  de  Puymaigre,  Met\,  1848;  Villemain,  Journal  des 
SavantSy  avril  i838  ;  les  notices  de  MM.  Hérisson  et  G.  Daplessis,  publiées 
en  i832  et  en  1848  en  tête  de  la  réimpression  de  deux  ouvrages  de  Grin- 
gore. 

(2)  Le  Jeu  du  Prince  des  Sots  a  été  réimprimé  dans  le  tome  I«r  (le  seul 
qui  ait  été  publié  en  i858)  de  l'édition  des  Œuvres  complètes  de  Gringore 
entreprise  pour  la  Bibliothèque  elzevirienne,  par  MM.  Ch.  d'Héricault  et  A. 
de  Montaiglon  (pag.  197-286).  Le  volume  en  question  a  en  tête  une  notice 
importante  (de  Ixxx  pages)  intitulée  :  Gringore  et  lapolitique  bourgeoise  au 
XVIe  siècle. 


SOT  227 

Le  dernier  des  Princes  des  Sots  vivait  sous  le  règne  d'Hen- 
ri IV;  c'était  Nicolas  Joubert,  surnommé  Angoulevent.  Il  est 
surtout  connu  grâce  à  un  procès  qu'il  soutint  contre  quelques- 
uns  de  ses  sujets  rebelles;  une  sentence  intervint;  elle  a  été 
publiée;  il  s'agissait  de  l'entrée  solennelle  que,  suivant  l'usage, 
ce  prince  burlesque  devait  faire  à  Paris  (1). 

Le  débat  s'engagea  entre  Macloud  Poullet,  seigneur  et  guidon 
de  la  sotie,  Nicolas  Arnault,  seigneur  et  guidon  de  la  sotie,  et 
Pierre-le-Meneur,  procureur  de  noble  homme  Nicolas  Joubert, 
sieur  d'Angoulevent,  valet  de  chambre  du  roy,  prince  des  Sots 
et  premier  chef  de  la  sottise  en  l'Isle  de  France  et  hostel  de 
Bourgogne. 

Angoulevent  fut  tenu  de  prendre  jour  pour  faire  entrée 
sotte  en  la  ville  de  Paris,  et  pour  ce  faire  la  convention  et 
assemblée  ordinaire,  y  respandre  les  largesses  et  faire  tou- 
tes autres  cérémonies  accoutumées  ,  et  à  faute  de  ce  faire, 
qu'il  soit  dégradé  de  la  sotie,  rejeté  de  sa  dignité,  et,  en  son 
lieu,,  il  sera  pourvu  d'un  autre  par  élection,  selon  qu'il  est 
accoutumé. 

Le  prince  répondait  qu'il  ne  reconnaissait  point  les  deman- 
deurs en  leurs  qualités;  il  réclamait  communication  des  statuts 
et  titres  en  vertu  desquels  ils  voulaient  prétendre  qu'il  était  tenu 
du  contenu  en  leur  requête. 

Le  prévôt  condamna  Angoulevent  à  faire  son  entrée  le  pre- 
mier jour  du  mois  de  mai  par  les  lieux,  portes  et  places  accou- 
tumés avec  ses  officiers,  suppôts  et  sujets;  faute  par  lui  de  ce 
faire,  la  principauté  est  déclarée  «vacante  etimpétrable  par  per- 
sonnes plus  capables  queledict  Angoulevent.  » 

Le  Prince  des  Sots  fit  appel;  l'affaire  traîna  en  longueur;  ce 
ne  fut  que  près  de  trois  ans  et  demi  plus  tard  que  le  parlement, 
par  arrêt  du  19  juillet  1608  (inséré  dans  Y  Histoire  du  Théâtre- 
François  3  par  les  frères  Parfait  (1 745,  tom.  III,  p.  252),  le  main- 

(i)  Voir  sur  Angoulevent  l'ouvrage  de  MM.  Rigollot  et  Leber,  que  nous 
avons  déjà  cité  :  Monnaies  des  Fous,  pag.  lii. 


228  SOT 

tint  dans  «  la  possession  et  jouissance  de  sa  principauté  des  sots 
et  des  droits  appartenant  à  icelle  (i).  » 

L'arrêt  n'eut  d'ailleurs  qu'une  exécution  de  peu  de  durée,  et 
depuis  il  n'est  plus  fait  mention  ni  du  procès  des  Sots,  ni  de  son 
association,  et  même,  dès  1612,  les  comédiens,  présentant  une 
requête  au  roi  pour  demander  l'extinction  des  privilèges  des 
Confrères  de  la  Passion,  parlent  de  la  Principauté  des  Sots 
comme  d'un  titre  méprisable  et  qui  n'existaitplus;  ils  rappellent 
qu'Angoulevent  fut  représenté  dans  le  cours  des  débats  «  comme 
une  tête  creuse,  une  commode  éventée_,  vide  de  sens,  un  cerveau 
démonté,  un  homme  né  et  nourri  dans  la  confrairie  des  grosses 
bêtes _,  n'ayant  jamais  étudié  qu'en  la  philosophie  cynique  et 
n'étant  savant  qu'en  la  faculté  des  bas  souhaits.  » 

Au  moment  où  commençait  son  procès,  Joubert,  dit  Angoule- 
vent,  fut  en  butte  à  des  attaques  satiriques  auxquelles  il  répon- 
dit; il  sortit  de  ce  débat  quelques  opuscules  devenus  aujourd'hui 
d'une  rareté  excessive.  Ils  sont  indiqués  dans  le  Manuel  du 
Libraire. 

Paris  n'était  pas  la  seule  ville  qui  eut  pour  se  divertir  une 
association  de  Sots, 

Il  existait  à  Lille  un  Prince  des  Sots  qui  changea  ensuite  sa 
dénomination  pour  celle  de  Prince  d'Amour-,  sa  troupe  était 
de  cinquante  chevaliers  vêtus  de  satin  bleu.  La  ville  de  Tour- 
nai avait  aussi  un  Prince  d'Amour  qui  conduisait  soixante  che- 
valiers vêtus  de  rouge  et  ayant  un  chapeau  vert. 

(1)  Ce  procès  donna  lieu  à  un  avocat  alors  en  renom,  Julien  Peleus,  de 
prononcer  un  discours  qui  fut  imprimé  sous  le  titre  de  :  Plaidoyé  sur  la 
principauté  des  Sots,  avec  l'arrest  de  la  cour  intervenu  sur  iceluy;  Paris, 
chez  David  Doucens,  libraire  juré,  1608,  in-8°.  Un  exemplaire  de  ce  livre, 
devenu  bien  rare,  figure  au  catalogue  de  la  vente  Nodier  (1844,  n°  5g,  payé 
27  fr.).  Ce  n'est  point  une  facétie,  comme  on  l'a  dit  quelquefois  sans  avoir 
pris  la  peine  de  lire  une  page  de  cet  écrit  ;  c'est  un  plaidoyé  sérieux  et  fort 
sérieusement  prononcé;  un  extrait  se  trouve  dans  le  Bulletin  du  Biblio- 
phile belge,  tom.  III,  p.  41 1.  Voir  aussi  le  mémoire  de  M.  de  Reiffenberg  sur 
les  fous  en  titre  d'office,  inséré  dans  l'ouvrage  intitulé  :  Le  Lundi  [Bruxelles, 
i835,  in-12),  t.  I,  p.  293. 


TAB  229 

Les  villes  de  Flandre  avaient  beaucoup  de  goût  pour  ces  diver- 
tissements^ pour  ces  associations  joyeuses.  On  trouvait  à  Ath 
les' Pau  pourvus  (peu  pourvus);  ailleurs  régnaient  le  Preus  des 
Étourdis,  le  Capitaine  de  joyeuse  entente,  la  Compagnie  de 
la  Fille  de  Dame  curieuse.  Le  Quesnoy  se  vantait  de  son  Abbé 
du  Plat  d'argent  qui  se  montra  une  fois  accompagné  de  vingt- 
cinq  jeunes  gens  vêtus  en  moines  et  montés  sur  des  chevaux 
d'osier  qu'ils  allèrent  abreuver  dans  l'Escaut,  y  entrant  jusqu'à 
la  ceinture. 

SUICIDES  (Club  des).  Addison,  parlant  des  clubs  singuliers 
qui  se  formaient  à  Londres  de  son  temps,  parle  d'un  Club  de 
Suicidés',  c'est  sans  doute  pour  se  moquer  des  excentricités  de 
ses  contemporains  qu'il  cite  cette  société  impossible.  La  criti- 
que de  la  chose  est  dans  le  titre  même.  C'est  ainsi  qu'en  France 
on  vit  paraître,  peu  après  la  publication  du  Dernier  jour  d'un 
Condamné,  une  brochure  intitulée  :  le  Lendemain  du  Dernier 
Jour  d'un  Condamné.  La  plaisanterie  faite  par  Addison  en 
annonçant  dans  le  Spectateur  l'ouverture  du  nouveau  Club  des 
Suicidés  en  a  peut-être  fait  former  quelques-uns  qui  n'avaient 
aucune  raison  d'être. 


ABLE  RONDE  (Chevaliers  de  la).  Les  récits  re- 
latifs à  la  Table  ronde  remontent,  dit-on,  à  des 
bardes  d'une  époque  reculée.  On  prétend  que  vers 
l'an  5  60  Melchin  d'A vallon  écrivit  un  livre  :  De 
régis  Arthuri  mensa  rotunda,  production  perdue  aujourd'hui 
ainsi  que  celle  d'un  ermite  dont  le  nom  est  resté  ignoré  :  De 
mensa  rotunda  et  strenuis  equitibus.  Il  est  douteux  que  ces 
écrits  aient  jamais  existé,  mais  les  légendes  de  la  Table  ronde, 
long-temps  vivantes  dans  les  traditions  populaires,  furent  re- 


23o  TAB 

cueillies  par  Galfred  (ou  Geoffroy)  de  Monmouth,  qui  vivait 
vers  l'an  i  i5o;  elles  passèrent  dans  les  poèmes  des  trouvères, 
qui  furent  plus  tard  mis  en  prose  par  des  traducteurs  dépourvus 
de  goût.  On  attribua  à  l'enchanteur  Merlin  l'invention  de  la 
Table  ronde,  image  de  la  rondeur  du  monde.  Il  la  laissa  au  roi 
Arthur,  et  elle  devait  avoir  autour  d'elle  cent  cinquante  cheva- 
liers. On  dit  qu'Arthur  réduisit  ce  nombre  à  douze;  mais,  sous 
Edouard  II,  il  fut  reporté  à  cent;  sous  Edouard  III  il  ne  fut  plus 
que  de  vingt-quatre.  On  a  dressé,  d'après  divers  poètes,  une 
liste  comprenant  168  noms  de  personnages  (qui  tous  paraissent 
imaginaires)  et  qui  ont  fait  partie  de  cette  association.  Cette 
liste  se  trouve  dans  l'ouvrage  en  allemand  du  docteur  Graesse 
sut  Y  Histoire  littéraire  universelle  {Dresde,  1842,  tom.  II, 
3e  section,  p.  149-15 1).  Giron-le-Courtois  et  Arthur  sont  les 
principaux  romans  de  la  Table  ronde.  La  priorité  de  ces  légen- 
des peut  être  revendiquée  pour  Geoffroy  de  Monmouth  qui,  dans 
son  Historia  Britonum,  écrite  au  XIIe  siècle,  a  mêlé  une  mul- 
titude de  fables  à  des  matériaux  plus  anciens  et  plus  sérieux, 
notamment  à  la  chronique  latine  de  Nennius,  objet  d'un  Mé- 
moire  fort  curieux  dont  M.  Paulin  Paris  a  donné  lecture  à  l'Aca- 
démie des  Inscriptions,  au  commencement  de  l'année  i865. 

Cette  association  imaginaire  et  célèbre  a  été  l'objet  d'un  tra- 
vail intitulé  :  Précis  historique  des  Chevaliers  de  la  Table 
ronde,  ou  du  Saint  Hanap,  par  de  B***  (Beausset),  1787,  in-40 
manuscrit  de  140  pp.,  porté  au  catalogue  Lerouge,  n°  525. 

Il  existe  un  petit  volume  rare  et  fort  recherché  des  biblio- 
philes :  Devises  des  armes  des  Chevaliers  de  la  Table  ronde 
qui  estoient  du  temps  du  tres-renomé  et  vertueux  Artus3  roy 
de  la  Grant  Bretaigne,  avec  la  description  de  leurs  armoi- 
ries. Paris ,  in- 16  (vers  i52o).  Le  premier  blason  est  celui  du 
roi  Artus,  et  le  dernier  celui  d'un  inconnu  qui,  dans  ses  armes, 
portait  un  cochon.  Un  bel  exemplaire  de  la  réimpression  qui  a 
paru  à  Lyon,  1590,  s'est  payé  82  fr.  à  la  vente  Solar  (1).  Ala- 

(1)  Le  n«222  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Lille  porte  : 

*  Ce  sont  les  noms,  armes  et  blasons  des  Chevaliers  et  Compagnons  de 


TAB  23i 

mannij  dans  la  prefa^ione  de  son  poëme  de  Cirone  il  cortese, 
rapporte  le  devise,  leggi  ed  armi  de"*  Cavalieri  délia  Tavola 
rotonda  (i). 

TABLE  RONDE  (Société  de  la).  Paris,  1775.  La  Société 
de  la  Table  ronde  se  réunissait  à  Paris  chez  la  belle  comtesse 
deTurpin  de  Crissé,  qui  joignait  aux  charmes  de  la  figure  toutes 
les  qualités  de  l'esprit  et  du  bon  sens.  Elle  était  fille  du  célèbre 
maréchal  de  Lowendahl,  et  épousa  le  comte  deTurpin  de  Crissé 
qui  ajouta  une  grande  fortune  à  celle  qu'elle  possédait  déjà.  Elle 
en  fit  un  noble  usage  en  protégeant  les  lettres  et  les  arts.  Elle  les 
cultivait  elle-même  avec  succès;  on  lui  doit  une  édition  trop  com- 
plète peut-être  des  œuvres  du  galant  abbé  deVoisenon,  l'un  de 
ses  commensaux,  5  vol.  in-8°.  Aujourd'hui  on  est  devenu  plus 
sévère  en  faitde  bienséance  et  une  grandedamene  s'occuperait  pas 
de  faire  imprimer  ces  drôleries  médiocrement  spirituelles  (2). 

Les  membres  de  la  Table  ronde,  tous  gens  d'esprit  et  joyeux 
épicuriens,  tenaient  leurs  séances  chez  la  belle  comtesse.  L'éti- 
quette en  était  bannie,,  aussi  n'y  avait-il  pas  déplace  d'honneur; 
c'est  pour  cela  qu'on  se  rangeait  autour  d'une  table  arrondie  et 
bien  servie  en  mets  délicats,  dont  le  plat  du  milieu  était  un  écri- 
toire.  Parmi  les  membres  principaux  de  cette  compagnie.,  on 
comptait,  outre  la  noble  présidente,  Mme  de  Turpin,,  le  trop 

la  Table  ronde,  au  temps  qu'ils  jurèrent  la  queste  du  saint  Graal,  à  Cama- 
loth,  le  jour  de  la  Penthecouste,  et  par  la  vertu  divine  estoient  tous  à  ce  jour 
assemble^  et  premièrement...  in-fol.  XVe  siècle,  74  fts,  271  écusdes  armes  de 
chevaliers.  Ce  manuscrit  paraît  avoir  de  l'analogie  avec  le  n°  3g85,  t.  II,  p. 
602,  du  catalogue  du  duc  de  la  Vallière. 

Le  dernier  blason,  qui  semble  être  celui  de  l'auteur,  a  pour  devise  :  Riens 
ou  cela.  Table  ronde,  1775. 

(  i  )  La  notice  de  M.  Dinaux  sur  la  Table  ronde  est,  nous  en  convenons, 
bien  incomplète,  et  loin  d'être  au  niveau  des  connaissances  que  divers  éru- 
dits  (et  notamment  M.  de  la  Villemarqué),  ont  précisées  à  cet  égard,  mais  le 
sujet  est  vaste  ;  il  s'écarte  un  peu  du  but  de  ces  recherches,  et  nous  croyons 
à  propos  de  ne  pas  l'aborder  ici. 

(2)  Cette  édition  parut  en  1781.  On  jugea  nécessaire  démettre  des  cartons 
à  quelques  passages  par  trop  risqués. 


232  TAB 

décolleté  abbé  de  Voisenon,  qui  n'avait  dû  l'Église  que  l'habit; 
son  ami  Favart,  l'auteur  dramatique,  qui  s'associa  dans  presque 
toutesses  productions;  le  jeune  et  spirituel  Guillart(i),etle  che- 
valier de  Boufflers,  dont  la  réputation  commençait  alors. 

Les  membres  de  cette  heureuse  association,  sur  laquelle  beau- 
coup de  pédantesques  académies  de  province  devaient  sinon  se 
modeler,  du  moins  se  modifier  un  peu,  écrivirent  et  publièrent 
en  commun  la  Journée  de  l'Amour,  ou  les  Heures  de  Cythère. 
A  Guide  {Paris),  M.  DCC.  LXXVI,  in-8°  de  xvi  et  i65  pages, 
ouvrage  dédié  aux  femmes^  mais  dont  les  exemplaires  n'ont  pas 
été  livrés  au  commerce,  et  qui  sont  excessivement  rares,  ce  joli 
volume  est  orné  de  quatre  charmantes  gravures  et  de  huit  culs- 
de-lampes  dus  au  crayon  de  Tannay  et  au  burin  de  E.  Macret, 
O.  Michel  et  N.  Pruneau ,  tous  artistes ,  fort  en  vogue  dans  les 
boudoirs  élégants  du  siècle  dernier. 

Le  but  de  la  société,  d'après  le  seul  ouvrage  qui  nous  en  reste, 
était  de  célébrer  la  beauté,  de  rétablir  le  culte  de  l'amour,  de  lui 
élever  des  autels  et  d'en  dédier  le  temple  aux  Grâces.  Avec  des 
académiciens  tels  que  ceux  que  nous  venons  de  nommer,  et  sous 
une  présidente  comme  la  comtesse  de  Turpin  de  Crissé,  le  but 
de  l'association  a  dû  être  parfaitement  atteint.  On  doit  dire  que 
le  seul  volume  des  Mémoires  de  la  Société,  qui  nous  reste,  tire 
son  principal  mérite  de  sa  rareté  et  de  son  origine  toute  spé- 
ciale et  toute  aristocratique.  Quoique  spirituel,  ce  recueil  se 
ressent  peut-être  trop  de  cette  fadeur  et  de  cette  teinte  de  berge- 
rie dont  presque  toutes  les  productions  légères  de  la  fin  du  der- 
nier siècle  sont  empreintes.  C'était  d'ailleurs  le  goût  de  l'époque, 
qui  se  reflétait  sur  toutes  les  œuvres  de  littérature  et  d'art,  sur 
les  modes  et  les  meubles,  les  décorations  et  l'architecture.  Ce  fut 
le  fruit  d'une  longue  paix  et  l'effet  du  règne  plus  que  galant  de 
Louis  XV,  qui  avait  plongé  toutes  les  populations  dans  une  fade 

(i)  Né  en  i  752,  mort  en  18 14,  il  a  laissé  d'assez  nombreux  ouvrages  dra- 
matiques, oubliés  aujourd'hui  et  dont  la  France  littéraire  de  Quérard  offre 
la  liste. 


TAR  233 

mollesse  pastorale  et  des  instincts  champêtres  qui  ne  se  dissipè- 
rent que  trop  brusquement  à  l'approche  de  la  tempête  révolu- 
tionnaire. 

TARASQUE  (Ordre  de  la).  1474.  VOrdre  de  la  Tarasque 
est  une  espèce  de  confrérie  qui  doit  son  nom  et  son  origine  à  la 
ville  de  Tarascon,  en  Provence,  dans  laquelle  le  bon  roi  René 
d'Anjou  se  trouva  avec  la  reine,  le  14  avril  (d'autres  disent  le 
14  août  1474);  il  fit  célébrer  une  procession  singulière  qui  existe 
encore  en  cette  ville,  et  y  fonda  cet  ordre  burlesque  afin,  dit-on, 
de  perpétuer  la  reconnaissance  des  habitants  envers  Sainte 
Marthe,  patronne  de  cette  ville,  qui,  suivant  la  légende  (1),  était 
venue  exprès  de  la  Palestine  pour  vaincre  et  enchaîner  un  épou- 
vantable monstre  amphibie,  la  terreur  de  la  province,  qui  rava- 
geait tous  les  bords  du  Rhône,  et  dont  l'appétit  ne  pouvait  se 
satisfaire  qu'avec  des  petits  enfans.  C'est  la  répétition  de  cette 
même  tradition  des  dragons  plus  ou  moins  volants,  des  monstres 
plus  ou  moins  sauvages,  qui  ravageaient  des  contrées  entières 
dont  de  courageux  chevaliers,  ou  des  personnages  élevés  à  la 
dignité  de  saints  par  la  reconnaissance  publique,  avaient  su  les 
délivrer. 

VOrdre  de  la  Tarasque  avait  été  imaginé  par  le  bon  roi 
René,  autant  pour  attirer  un  grand  nombre  d'étrangèresàTaras- 
con  par  les  cérémonies  de  la  fête  de  l'Ordre,  que  dans  la  vue  de 
distraire  Jeanne  de  Laval,  menacée  alors  d'une  maladie  de  lan- 
gueur. 

On  attribue  aussi  à  René  la  fondation  d'un  Ordre  de  V Estur- 
geon qu'on  prétend  avoir  été  institué  pour  encourager  les  pê- 
cheurs. (Villeneuve,  t.  II,  p.  362.) 

Voyez  pour  les  Tarascairis  la  vie  du  roi  René,  par  M.  de 
Villeneuve-Bargemont,  pages  36o-362. 

On  fait  encore  aujourd'hui  à  Tarascon  la  procession  de  ÏOr- 

(1)  Une  autre  légende  attribue  la  mort  du  monstre  à  un  chasseur  arlésien, 
appelé  Bron^et,  dont  la  statue,  armée  de  toutes  pièces,  est  encore  au  sommet 
de  l'Hôtel-de-Ville  d'Arles. 


23.<  TEM 

dre  de  la  Tarasque  qui  y  attire  une  foule  immense  de  curieux 
des  environs.  Les  Chevaliers  de  la  Tarasque,  ou  Tarascairis, 
enseignes  déployées,  capitaine  et  tambours  en  tête,  ouvrent  la 
marche.  Leur  costume  resplendit  de  nœuds  de  rubans  bleu  et 
rouge.  Ils  ont  le  chapeau  empanaché  et  portent  tous  Pécharpe 
en  sautoir,  aux  couleurs  bleu  et  rouge,  et  la  médaille  de  la 
Tarasque.  Après  avoir  entendu  la  messe  à  Sainte-Marthe,  les 
chevaliers,  suivis  des  corporations  des  vignerons,  des  jardiniers, 
des  bergers,  des  moissonneurs,  charretiers,  bûcherons, etc.,  avec 
tous  les  ustensiles  et  attributs  de  leur  profession,  se  rendent  sur 
la  place  de  la  mairie  pour  escorter  la  Tarasque,  dragon  colossal 
représenté  en  toile  peinte  sur  une  carcasse  légère  qui  recèle  dans 
ses  flancs  deux  ou  trois  Tarascaires  chargés  de  lancer  des  fusées 
et  des  artifices  par  les  naseaux  du  monstre.  Son  corps  est  armé 
de  pointes  de  fer;  sa  queue,  mobile,  bondit  et  renverse  les 
curieux  trop  empressés  à  l'approcher.  La  foule  enivrée  n'en  suit 
pas  moins  la  bête  en  criant  traditionnellement  :  la  Tarascon! 
Lagedeon,  la  Tarascon  !.. 

Ce  cortège  est  terminé  par  les  chars  des  jardiniers,  couverts 
de  fleurs,  et  celui  des  mariniers  du  Rhône,  dit  YEsturgeon, 
desquels  on  lance  sur  les  spectateurs  de  l'eau  à  l'aide  d'arrosoirs 
de  jardins  et  de  pompes  de  bateaux.  Les  portefaix  conduisent  la 
Bouto  embriagou  (tonneau  d'ivresse)_,  baril  suspendu  par  des 
cordes  à  de  longues  barres  de  bois, qui  renversent  par  leurvîtesse 
tous  ceux  qu'ils  peuvent  attraper  en  courant. 

TEMPÉRANCE  (Club  de  la),  en  matière  de  modes.  Cette 
association  a-t-elle  réellement  existé?  nous  l'ignorons;  en  tout 
cas,  elle  n'a  pas  eu  grand  succès.  Voici  ce  que  nous  apprend  à 
son  égard  un  journal  parisien,  Y  Avenir  national  (6  avril  1866): 

«  Le  bruit  court  qu'il  va  se  former  à  Paris  même,  non  pas  le 
fameux  Club  de  la  mousseline,  mais  une  Société  de  tempé- 
rance en  matière  de  modes.  Ce  sera  le  club  des  apaisées;  et 
pour  cette  fois,  nous  applaudirons  de  tout  cœur  à  la  réaction. 
Les  statuts  de  l'association  nouvelle  sont  d'une  extrême  simpli- 


TEM  235 

cité.  Pour  faire  partie  d'une  Société  ou  il  y  aura  beaucoup  d'ap- 
pelées, et,  nous  le  souhaitons_,  beaucoup  d'élues,  il  suffit  d'ad- 
hérer à  certaines  clauses  qui  varient  selon  le  rang  des  socié- 
taires. 

«  Comme  dans  cette  société  la  femme  du  peuple  coudoiera  la 
grande  dame,  et  la  grande  dame  marchera  de  pair  avec  la  bour- 
geoise, on  ne  pouvait  guère  imposer  un  costume  uniforme.  C'est 
en  pensant  aux  modes  encore  plus  qu'à  la  littérature  que  Boileau 
a  dû  écrire  : 

L'ennui  naquit  un  jour  de  l'uniformité. 

a  Et  l'uniforme  n'est  que  l'uniformité  élevée  à  la  dixième 
puissance.  On  a  donc  imposé  à  chacune  des  sociétaires  des  con- 
ditions d'admission,  non  point  identiques,  mais,  — dirais-je  vo- 
lontiers, —  parallèles. 

«  La  grande  dame,  par  exemple,  doit  s'engager  à  ne  pas  échan- 
ger, par  manière  de  déguisement,  la  robe  légèrement  décolletée 
qui  sied  si  bien  aux  jolies  épaules,  contre  le  péplum  de  la  Belle- 
Hélène  qui  découvre  audacieusement  la  poitrine  et  laisse  non 
pas  entrevoir,  mais  voir  clairement  ce  qu'on  aimerait  à  deviner. 
Elle  devra  fuir  les  costumes,  les  jupes  largement  échancrées,  les 
maillots  provocants,  la  poudre  de  Sonore. 

«  La  bourgeoise  prêtera  le  serment  d'imiter,  non  pas  les 
petites  dames  du  bord  du  lac,  mais  les  grandes  dames  du  coin 
du  feu.  Elle  ne  devra  rêver  ni  déshabillés  de  Marcellin,  ni  cha- 
peaux Lamballe,  ni  tricornes,  ni  boucles  gigantesques,  ni  botti- 
nes à  talons  d'or,  ni  costumes  de  féeries,  crânement  effrontés, 
le  long  des  trottoirs  parisiens. 

«  La  femme  du  peuple  renoncera  formellement  à  la  crinoline, 
à  ses  pompes  et  à  ses  œuvres.  Lorsque  les  coureuses  de  courses 
passeront  sous  les  fenêtres  du  faubourg  Saint-Antoine,  elle  ne 
les  regardera  ni  avec  envie  ni  avec  regret;  elle  laissera  passer  le 
torrent  comme  on  laisse  l'eau  de  pluie  aller  à  l'égoût. 

a  Notez  que  (les  faits  divers  l'ont  assez  prouvé),  en  renonçant 


236  TEM 

aux  pompes  de  la  crinoline,  elle  renoncera  en  même  temps  à  ses 
incendies.  Double  profit. 

«  Toutes  nos  sympathies  sont  acquises  déjà  à  cette  société, 
vraiment  courageuse  si  elle  veut  vaincre  cet  hydre  à  trois  têtes 
qu'on  a  appelées  le  ton,  le  mauvais  ton,  le  benoiton  régnants.» 

TEMPLE  (Société  du).  Cette  société,  composée  de  tout  ce 
que  Paris  rassemblait  alors  de  gens  aimables  dans  les  lettres  et 
dans  les  arts,  se  réunissait  dans  le  vieux  palais  du  Temple  à 
jour  fixe  sous  la  présidence  des  princes  de  Vendôme,  le  duc  et 
le  grand-prieur;  elle  eut  beaucoup  de  réputation  à  la  fin  du 
XVIIe  siècle  et  au  commencement  du  XVIIIe  siècle,  surtout 
jusqu'en  l'an  17 12,  marqué  par  la  mort  du  duc  de  Vendôme, 
celle  de  la  Fare,  l'un  des  membres  de  la  société,  et  le  bannisse- 
ment de  Jean-Baptiste  Rousseau  qui  en  faisait  partie. 

Le  grand-prieur  mourut  vers  17 10,  et  sa  perte  fut  suivie  de 
celle  de  Chaulieu.  Le  dernier  des  fondateurs  de  cette  société  si 
brillante  et  si  spirituelle  fut  l'abbé  François  Courtin,  qui  tint 
bon  jusqu'au  5  janvier  1739,  et  mourut  à  Passy,  âgé  de  80 
ans. 

Il  était  fils  d'Honoré  Courtin,  mort  conseiller  d'état  en  1703; 
lui-même  naquit  en  1659,  probablement  à  Paris,  quoiqu'il  dise 
dans  une  épître  à  Chaulieu  : 

Picard  grossier  contre  matois  normand, 
Point  ne  me  frotte  à  si  fort  adversaire. 

Mais,  possédant  l'abbaye  de  Mont-Saint-Quentin,  cela  suffisait 
pour  se  déclarer  Picard  dans  une  pièce  badine.  Les  Cinq  épi- 
tres  de  l'abbé  Courtin  ont  été  recueillies  dans  les  œuvres  de 
Chaulieu.  Rousseau  lui  adressa  un  ode  fort  leste  qui  commence 
ainsi  : 

«  Abbé  chéri  des  neuf  Sœurs, 
«  Qui,  dans  ta  philosophie, 
«  Sait  faire  entrer  les  douceurs 
t  Du  commerce  de  la  vie » 


TEM  237 

Voltaire,,  admis,  encore  enfant,  dans  la  Société  du  Temple, 
écrivit,  en  171 5,  avec  Courtin.,  une  lettre  au  grand-prieur,  dans 
laquelle  il  s'amuse  à  tracer  le  portrait  des  deux  collaborateurs 
(lui  et  Courtin),  qui  formaient  le  contraste  le  plus  parfait  : 

L'un  gros,  gras,  rond,  séjourné, 
Citadin  de  papimanie, 
Porte  un  teint  de  prédestiné 
Avec  la  croupe  rebondie. 

Le  gros  Courtin  unissait  au  goût  des  lettres  celui  des  plai- 
sirs; il  pratiqua  toute  sa  vie  les  maximes  du  culte  d'Epicure, 
que  le  relâchement  des  mœurs  autorisait  alors. 

Vers  la  fin  du  règne  de  Louis  XV,  le  prince  de  Conti  attira 
de  nouveau  au  Temple  une  société  d'élite.  La  comtesse  de  Bouf- 
flers,  célèbre  par  les  agréments  de  sa  figure  et  surtout  par  les 
grâces  de  son  esprit,  faisait  les  honneurs  de  cette  petite  cour. 

Le  Temple,  tel  qu'il  était  sous  le  grand-prieur,  a  été  gravé 
par  Rigaud.  Le  Musée  de  Versailles  renferme  un  tableau  d'Oli- 
vier, qui  a  pour  sujet  :  le  Thé  à  Vangloise  dans  le  salon  des 
quatre  glaces,  au  Temple.  Toute  la  société  intime  et  habituelle 
est  là;  le  président  Hénaut,  Pont  de  Veyle,  le  chevalier  de  Lo- 
renzy,  le  prince  d'Hénin;  en  femmes,  la  maréchale  de  Luxem- 
bourg_,  la  maréchale  de  Mirepoix,  la  comtesse  d'Egmont,  et  bien 
d'autres.  Mozart,  enfant,  est  au  clavecin,  Jelyotte  chante  en 
s 'accompagnant  de  la  guitare;  ce  concert  n'interrompt  en  rien 
l'occupation  ou  l'amusement  de  chacun;  on  lit, on  cause,  on  sert 
le  thé.  Ce  tableau  est  charmant. 

TEMPLIERS.  L'ordre  militaire  des  Chevaliers  du  Temple 
sort  du  cadre  que  nous  nous  sommes  tracé,  mais  les  mystères 
qu'il  a  recouverts  et  qui  se  sont  terminés  par  des  catastrophes 
trop  connues  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  les  rappeler,  méritent 
que  nous  nous  y  arrêtions  un  instant. 

De  nombreux  écrivains  ont  pris  la  plume  à  cet  égard;  nous 
citerons  surtout  Raynouard,  qui,  après  avoir  placé  un  Précis 


238  TEM 

historique  en  tête  de  sa  tragédie  des  Templiers ,  représentée 
avec  éclat  en  i8o5,  aborda  plus  amplement  la  question  dans  ses 
Monuments  historiques  sur  la  condamnation  des  Chevaliers  du 
Temple.  Paris  3  i8i3,  in-8.  Il  faut  surtout  consulter  les  docu- 
ments relatifs  au  Procès  des  Templiers,  publiés  par  M.  Miche- 
let, dans  la  collection  des  Documents  inédits  sur  Vhistoire  de 
France  (1840,  2  vol.  in-4),  publication  restée  inachevée; 
M .  Michelet  a  repris  cette  question  dans  son  Histoire  de  France 
(règne  de  Philippe  le  Bel);  les  écrits  de  l'allemand  Wilke:  Ges- 
chichte  desTempelherrenordens  {Leipzig ,  1826-35,  3  vol.  in-8) 
et  de  l'anglais  Ardizon  :  The  Knight  Templars  {Londres, 
i852,  in-8).  On  devra  lire  aussi  l'article  que  M.  Rapetti  a  con- 
sacré à  Jacques  Molay  dans  le  tome  XXXV  de  la  Biographie 
générale,  publiée  par  M.  Didot  (1). 

On  sait  que  les  Templiers  étaient  accusés  de  se  livrer  à  des 
actes  d'une  immoralité  révoltante,  d'adorer  un  chat  introduit 
au  milieu  d'eux  dans  leurs  conclaves  secrets,  de  rendre  hom- 
mage à  des  idoles  ayant  quelquefois  trois  faces,  quelquefois 
deux;  quelquefois  c'était  un  simple  crâne  nu.  Ils  attribuaient, 
dit-on,  à  ces  idoles  la  puissance  de  les  enrichir,  celle  de  faire 
pousserJes  fleurs  et  de  fertiliser  la  terre;  on  ajoute  qu'ils  por- 
taient autour  de  leur  corps  une  corde  qui  avait  touché  cette 
tête,  et  elle  leur  servait  de  talisman. 

Les  cérémonies  de  la  réception  dans  l'ordre  sont  si  connues  et 
elles  sont  décrites  d'une  manière  si  minutieuse  qu'il  est  dilîicile 
de  ne  pas  croire  à  leur  réalité,  du  moins  en  partie. 

Un  des  actes  de  la  réception  consistait  à  renier  Jésus-Christ 
et  à  cracher  sur  la  croix.  De  nombreuses  dépositions  paraissent 
garantir  l'exactitude  de  ce  fait.  M.  Michelet  donne  de  cet  acte 
d'impiété  si  étranger  aux  idées  du  moyen-âge  une  explication 

(1)  Ces  questions  sont  également  abordées  dans  un  ouvrage  anglais  qui  a 
paru  à  Londres  et  qui  roule  sur  le  culte  des  divinités  génératrices  au  moyen- 
âge;  il  fait  suite  à  une  nouvelle  édition  de  l'ouvrage  de  Payne  Knight:  Re- 
nains of  the  worship-,  1786,  in-4;  il  en  a  été  imprimé  en  Belgique  une  tra- 
duction française  tirée  à  petit  nombre. 


TEM  239 

ingénieuse,  mais  dont  l'exactitude  est  peut-être  contestable.  Il 
croit  que  les  cérémonies  d'initiation  avaient  un  sens  symbolique, 
qu'elles  étaient  empruntées  aux  mystères  figuratifs,  aux  rites  de 
l'Eglise  primitive. 

Le  célèbre  historien  suppose  que  dans  cet  esprit,  le  candidat 
était  d'abord  présenté  comme  un  pécheur  et  un  renégat,  et  que 
dans  ce  rôle,  il  devait  à  l'exemple  de  saint  Pierre,  renier  le  Christ. 
Ce  déni  avait  une  sorte  de  mimique  par  laquelle  le  novice  expri- 
mait son  état  de  réprobation  en  crachant  sur  la  croix;  il  était 
ensuite  dépouillé  de  ses  vêtements  profanes  et  admis  par  le  bai- 
ser de  l'ordre  à  un  degré  de  foi  supérieur;  après  quoi  il  revêtait 
le  vêtement  de  sainteté. 

Si  l'on  admet  l'interprétation  de  M.  Michelet,  il  faut  convenir 
que  la  véritable  signification  du  symbole  se  perdit  bien  vite. 

Bien  d'autres  inculpations  ont  été  lancées  contre  les  Templiers, 
mais  on  a  de  la  peine  à  les  croire  fondées.  On  a  avancé  par 
exemple  que  si  un  enfant  naissait  du  commerce  d'un  de  ces  che- 
valiers avec  unevierge_,on  le  faisait  rôtir  et,  de  sa  graisse,  on  for- 
mait un  "onguent  pour  oindre  l'idole.  C'est  du  moins  ce  que 
rapporte  un  document  cité  par  Dupuy  dans  son  Histoire  de 
V Ordre  (p.  24). 

On  a  beaucoup  discuté  sur  l'idole  à  laquelle  les  Templiers 
étaient  accusés  de  rendre  un  culte  dans  leurs  plus  secrets  cha- 
pitres. Des  chevaliers  dirent  l'avoir  vue,  qu'elle  était  à  peu  près 
de  la  grosseur  d'un  homme,  qu'elle  avait  une  physionomie  féroce 
et  une  barbe  blanche.  On  parla  aussi  d'une  vieille  momie  em- 
baumée ayant  des  escauboucles  dans  les  yeux  et  d'une  petite 
tête  qu'on  prétendait  celle  d'une  des  onze  mille  vierges. 

Il  subsiste  encore  des  monuments  qu'on  rattache  au  culte 
secret  des  Templiers  ;  ils  ont  été  l'objet  d'un  travail  fort  remar- 
quable dû  à  un  orientaliste  célèbrej  M. de  HammerPurgstall;  ce 
mémoire  intitulé  :  Mysterium  Baphomatis  reveîatum,  fait 
partie  d'un  recueil  en  six  volumes  in-folio  qui  a  paru  à  Vienne 
de  1809  à  1818  :  Fundgruben  des  Orients  {Mines  de  V Orient), 

Cet  érudit,  revenant  sur  le  même  sujet,  a  mis  au  jour  en 


240  TET 

i832  un  Mémoire  sur  deux  coffrets  gnostiques  du  moyen-âge 
du  cabinet  de  M.  le  duc  de  Blacas.  Il  donne  la  description  et 
le  dessin  de  trente-quatre  figures  qui  correspondent  parfaite- 
ment à  la  description  de  Yidole,  telle  que  la  montrent  les  dépo- 
sitions de  divers  Templiers.  Il  y  en  a  sept  qui  représentent  sim- 
plement une  tête;  deux  ont  deux  faces,  une  devant  et  une  der- 
rière, et  ce  sont  des  têtes  de  femmes.  Von  Hammer  a  décrit 
aussi  quinze  coupes  et  gobelets  et  un  nombre  moins  grand  de 
coffrets.  Les  coupes  et  les  coffrets  sont  ornés  de  figures  très- 
curieuses  représentant  dans  une  scène  suivie  une  cérémonie  qui 
paraît  rappeler  les  mystères  impurs  de  l'antiquité  (1). 

Le  savant  orientaliste  ne  doute  pas  que  le  culte  secret  des 
Templiers  ne  se  rattachât  aux  doctrines  licencieuses  que  profes- 
saient dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère  diverses  sectes 
gnostiques  et  surtout  les  Ophites.  On  comprend  sans  peine  que 
ces  questions  ne  sauraient  recevoir  de  solution  définitive.  Les 
doctrines  secrètes  des  Templiers  n'étaient  connues  que  d'un  pe- 
tit nombre  d'initiés  et  ne  seront  jamais  éclaircies. 

TETE  DE  VEAU  (Société  de  la).  Nous  trouvons  dans  le 
Précurseur  d'Anvers,  numéro  du  Ier  janvier  i85o,  le  récit 
d'une  fête  flamande  dont  la  commune  de  Hove  vient  d'être  le 
théâtre.  Cette  commune  a  pour  spécialité  l'élève  des  veaux  gras, 
et  l'un  de  ces  veaux,  acheté  par  le  boucher  Verni mmen,  a  obtenu 
la  médaille  d'or. 

Or,  il  existe  ù  Hove  une  société  gastronomique  dite  de  la 
Tête  de  veau,  et  Vernimmen  a  eu  l'idée  de  lui  envoyer  la  tête 
de  l'animal  couronné,  pour  son  plus  prochain  banquet.  Ici  nous 
laissons  parler  le  journal  anversois  : 

«  Les  membres  de  la  société  résolurent,  afin  de  donner  ù 
M.  Vernimmen  un  témoignage  d'estime  et  de  reconnaissance 
pour  la  préférence  qu'il  accorde  à  la  commune  pour  ses  achats 
de  bétail^   et,  en  outre,  pour  célébrer  le  triomphe  qu'il  venait 

(1)  Quelques-uns  des  sujets  qu'a  fait  graver  Von  Hammer  ont  été  repro- 
duits dans  les  planches  qui  accompagnent  l'ouvrage  anglais  que  nous  avons 
déjà  cité.  Voir  planche  XXXVIII  et  planche  XXXIX,  figures  1.  2  et  3. 


THE 


241 


de  remporter,,  de  donner  de  grandes  proportions  à  ce  banquet. 

«  Aussitôt  dit,  aussitôt  fait;  on  composa  d'abord  le  menu;  tel 
fermier  s'engagea  à  fournir  les  canards,  tel  autre  les  poulets, 
tel  autre  les  rôtis,  tel  autre  le  gibier,  et  puis  vinrent  les  tartes 
traditionnelles,  puis  encore  le  vin;  on  cite  un  fermier  qui,  au 
milieu  du  banquet,  s'apeicevant  que  les  cent  cinquante  bou- 
teilles de  vin  que  l'on  avait  réunies  avaient  à  peu  près  filé,  en  fit 
chercher  dans  sa  cave  cinquante  nouvelles.  De  leur  côté,  les 
brasseurs  ont  fait  aussi  leur  offrande. 

«  Tous  ces  dons  ont  assuré  largement  l'approvisionnement 
des  comestibles  et  liquides.  Il  fallait  encore  arrêter  le  pro- 
gramme de  la  cérémonie. 

«  Au  jour  fixé,  nos  paysans  à  cheval  formèrent  une  garde 
d'honneur,  et  l'harmonie  de  Bouchout,  ouvrant  la  marche  du 
cortège,  qui  s'est  rendu  jusqu'au  Luythagen,  à  la  rencontre  de 
M.  Vernimmen,  l'a  conduit  triomphalement  dans  la  commune, 
au  bruit  de  la  canonnade  et  au  milieu  des  feux  de  joie. 

«  Toute  la  soirée,  la  commune  a  été  en  fête,  et  le  lendemain 
les  têtes  étaient  encore  tellement  montées  que  l'on  n'a  pu  se 
décider  à  s'arrêter  en  chemin.  Une  seconde  journée  a  été  impro- 
visée; les  meuniers  de  la  commune  et  des  environs  ont  organisé 
une  fête  aux  gaufres. 

«  La  fête  a  donc  duré  deux  jours,  et,  chose  rare,  sans  que  la 
moindre  dispute  ou  la  moindre  mésintelligence  ait  surgi  au 
milieu  des  libations  copieuses  auxquelles  on  s'est  livré.  » 

THÉLÈME  (Abbaye  de).  Abbaye  placée  par  Rabelais  dans 
le  pays  d'Utopie,  où  nos  phalanstériens  ont  voulu  voir  le  pre- 
mier modèle  d'un  phalanstère.  Fais  ce  que  tu  voudras  est,  il  est 
vrai,  la  devise  des  Thélémites  comme  celle  des  Fouriéristes, 
mais  Rabelais  n'a  appelé  dans  Thélème  que  des  gens  de  condi- 
tion libre,  bien  nés,  bien  instruits,  conversant  en  compagnie 
honnête,  et  qui  se  réunissent  sans  autre  but  que  de  vaquer  en 
paix  aux  exercices  et  aux  délassements  des  esprits  délicats.  Nos 
Phalanstériens,  au  contraire,  ont  voulu  ouvrir  à  tout  le  monde 

16, 


242  TOS 

les  portes  de  leur  abbaye  de  Thélème,  grâce  à  la  découverte  du 
travail  attrayant,  cette  chimère  de  Fourier,  qui  n'a  pas  com- 
pris que  le  meilleur  moyen  de  ne  s'amuser  jamais,  c'est  de  s'amu- 
ser toujours,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  travail  sans  effort,  parce  qu'il 
n'y  a  pas  de  travail  sans  attention. 

(Voir,  pour  Y  Abbaye  de  Thélème,  le  Pornographe  de  Rétif, 
tome  II,  p.  36i-362.) 

M.  Lenormand,  membre  de  l'Acade'mie  des  Inscriptions^  en- 
levé à  la  science  par  une  mortprématuréej  a  publié  en  1840  sur 
l'abbaye  de  Thélème  un  opuscule  très-curieux;  il  y  rétablit  les 
dispositions  architecturales  de  cet  édifice  fantastique_,  et  il  entre, 
à  l'égard  de  l'Homère  bouffon,  dans  des  considérations  ingé- 
nieuses. 

THÉOPHILANTROPES,  ou  Adorateurs  de  Dieu  et  Amis 
des  Hommes.  Nous  pouvons,  sans  nous  écarter  de  notre  plan,  faire 
arriver  ici  les  Théophilantropes,  ou  Adorateurs  de  Dieu  et 
Amis  des  Hommes;  cette  association  chancelante  ne  sera  nulle- 
ment déplacée  parmi  toutes  celles  dont  nous  donnons  la  descrip- 
tion et  l'histoire. 

On  connaît  :  Rituel  des  Adorateurs  de  Dieu  et  Amis  des 
Hommes,  contenant  V ordre  de  Vexercice  de  la  Théophilan- 
tropie,  et  le  Recueil  des  Hymnes  adoptés  dans  les  différents 
temples,  tant  de  Paris  que  des  départements, rédigé  par  J.-B. 
Chemin.  Paris,  an  VII_,  in-18.  —  Ce  petit  livre  est  un  monu- 
ment en  son  genre  (1). 

TOSONE  (Gavalieri  del).  Il  existe  une  brochure  intitulée  : 
Ordine  dé"  Cavalieri  del  Tosone.  —  Neir  Academia  vene- 
tiana,  i558,,  in-4°de  22  feuillets,  dont  un  blanc. 

(1)  La  secte  éphémère  des  Théophilantropes  s'écarte  de  notre  cadre,  de 
sorte  que  nous  n'entrerons  pas  à  son  égard  dans  les  détails  qu'elle  pourrait 
réclamer.  Disons  seulement  que  la  collection  révolutionnaire  du  comte  de  la 
Bédoyère  (acquise  par  la  bibliothèque  impériale)  renferme  à  cet  égard  3z 
pièces  de  l'an  V  à  1801,  parmi  lesquelles  on  en  remarque  une  certainement 
trop  violente  :  Crimes  et  forfaits  des  Théophilantropes.  Voir  le  catalogue 
de  cette  collection.  Paris,  i852,  no  1463,  pag.  385. 


TRE  243 

Cet  opuscule  sur  l'Ordre  de  la  Toison-d'Or  est  devenu  fort 
rare.  Il  est  de  François  Sansovino,  Vénitien. 

TRANGARDINS  (Ordre  des).  Ordre  bachique,  fondé  dans 
le  midi  de  la  France  (à  ce  que  nous  pensons),  qui  fut  illustré 
par  les  excellentes  chansons  de  Lainez,  né  vers  i65o,  mort  en 
17 10,  et  dont  les  poésies  ont  été  publiées  à  La  Haye  (Paris), 
i753,  in-8°. 

TREILLE  (La  Chevalerie  de  la).  Il  est  inutile  d'expliquer 
l'origine  et  le  but  d'un  Ordre  de  chevalerie  qui  portait  le  nom  de 
la  Treille;  précurseur  de  l'Ordre  de  Noë  et  de  celui  des  Co- 
teaux; il  servait  à  réunir  les  bons  buveurs  de  l'époque  de  la 
Fronde.  Les  statuts  nous  sont  inconnus;  mais,  avec  un  peu 
d'imagination,  il  serait  facile  de  les  rétablir.  Les  Chevaliers  de 
la  Treille,  que  nous  connaissons,  étaient  des  Frondeurs,  des 
buveurs,  des  poètes  et  des  farceurs. 

Au  premier  rang  nous  voyons  figurer  dans  cet  Ordre  de  bu- 
veurs frondeurs  le  sieur  de  la  Valise,  auteur  de  i°  la  Famine, 
ov  les  Pvtains  à  cvl,  à  Paris.chez  Honoré  l'Ignoré,  à  la  Fille 
qui  truye,  rue  Sans-Bout,  M  DC  XLIX,  in-40  de  8  pages  en 
vers,  pièce  ordurière,  qui  a  surtout  pour  mérite  sa  grande  rareté; 

20  La  Farce  des  Court:sa?:s  de  Pluton,  et  leur  -pèlerinage 
en  son  royaume.  (S.  I.)  1649,  in-40,  2§  pages.  La  Valise  aurait 
bien  pu  avoir  confondu  dans  le  titre  le  dieu  Pluton  avec  Plut  us. 
La  pièce  est  plus  spirituelle,  aussi  ordurière,  et  non  moins  rare 
que  la  précédente. 

Le  second  chevalier  de  la  Treille  est  N.  Boscq,  qui  adressa  une 
épigramme  au  sieur  de  La  Valise  sur  sa  Farce. 

On  trouve  encore  parmi  ces  chevaliers  un  sieur  de  la  Besace, 
et  le  traitant  Desbois,  qui  figure  sous  l'anagramme Siobsed  dans 
la  Farce  du  sieur  de  la  Valise.  (Bibliographie  des  Ma^arina- 
des,  par  C.  Moreau,  p.  401.) 

Il  est  d'ailleurs  évident  que  les  sieurs  de  la  Valise  et  de  la 
Besace  sont  des  pseudonymes.  La  Famine  a  été  réimprimée  à 
Lille  en  1849,  in-18,  avec  deux  autres  mazarinades.  C'est  une 


244  TRE 

allusion  à  la  disette,  un  peu  factice,  dont  les  Parisiens  s'alar- 
mèrent en  1649.  Il  y  a  quelque  verve  dans  cet  opuscule.  En 
voici  le  début  : 

Chacun  est  assez  bon  galand 

Pourvu  qu'il  ait  un  pain  chaland. 

Vous  ne  regardez  plus  à  sa  trogne, 

S'il  est  vaillant  à  la  besogne, 

S'il  a  un  museau  de  cochon, 

S'il  a  un  plantureux  menton, 

S'il  a  le  front  tout  plein  de  rides, 

S'il  a  le  nez  en  pyramide, 

S'il  a  la  peau  d'un  éléphant, 

S'il  a  le  visage  luisant.... 

TREIZE  (Société  des).  1857.  —  Fondée  à  Bordeaux,  au 
commencement  de  1857,  dans  le  but  d'extirper,  par  la  force  de 
l'exemple,  les  absurdes  préjugés  qui  se  transmettent  de  généra- 
tion en  génération  contre  le  nombre  1 3  et  le  jour  du  vendredi. 

Les  séances  de  la  société  sont  tout  simplement  des  banquets 
011  treize  personnes  viennent  s'asseoir  le  vendredi  de  chaque  se- 
maine. 

Les  membres  prennent  l'engagement  solennel  de  commencer 
toutes  leurs  entreprises,  ou  de  se  mettre  en  voyage  le  vendredi, 
préférablement  à  tout  autre  jour. 

La  fête  de  l'Ordre  se  célèbre  le  i3e  vendredi  de  chaque  année. 

Avant  de  se  mettre  à  table,  ils  font  tourner  leur  chaise  sur 
l'un  de  ses  pieds,  et  se  plaisent  à  renverser  les  salières  :  proba- 
blement qu'ils  ont  aussi  le  soin  de  tourner  le  pain  à  l'envers. 

Ce  qu'il  y  a  d'horrible  à  penser,  c'est  qu'en  i858,  après  une 
année  d'existence,  les  treize  associés  jouissaient  d'une  santé  ro- 
buste; la  foudre  avait  épargné  leur  tête,  et  aucun  d'eux  n'avait 
fait  naufrage. 

Ce  n'est  pas  tout,  ajoute  le  journal  la  Gironde  ;  ils  ont  des 
membres  correspondants,  et  ils  accordent  ce  titre  de  plein  droit 
à  toute  personne  réputée  pour  avoir  le  mauvais  œil. 

Quiconque  est  atteint  de  ce  mal  peut  produire  sur  ceiui  qui 


TRI  245 

le  regarde  des  effets  étranges  et  terribles;  il  n'y  a  qu'un  moyen 
de  les  conjurer,,  c'est  de  présenter  au  mauvais  œil  le  petit  doigt 
et  l'index  de  chaque  main  en  pliant  les  autres  doigts.  On  dit 
que  des  hommes  hauts  placés  croient  au  mauvais  œil;  on  sait 
des  artistes  de  talent  qui  passent  pour  avoir  cette  terrible  fa- 
culté; eh  bien!  ils  sont  de  droit  membres  correspondants  de  la 
Société  des  Treize. 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'ajouter  que  Balzac  a  imaginé  une 
Société  des  Treize,  et  il  a  raconté  un  épisode  fort  dramatique 
de  la  carrière  orageuse  de  l'un  de  ces  associés  (Ferragus,  chef 
des  Dévorants)  dans  une  de  ses  productions  les  plus  puissantes. 

TRIANON  ET  DE  CHOISY  (Théâtre  de).  La  dauphine 
Marie  Antoinette,  le  comte  de  Provence  et  sa  femme,  le  comte 
d'Artois,  nouvellement  marié,  et  sa  femme,,  formèrent  une  so- 
ciété intime  et  cherchèrent  à  donner  un  peu  de  mouvement  à  la 
monotonie  de  leur  existence,  au  milieu  d'une  cour  où  l'on  s'en- 
nuyait beaucoup.  Les  trois  jeunes  ménages  s'aimèrent  de  la  plus 
grande  amitié;  les  jeunes  femmes  allèrent  jusqu'à  réunir  leurs 
repas  en  un  seul,  et  sympathisèrent  cordialement.  On  résolut  de 
jouer  la  comédie. 

La  petite  troupe  de  Trianon  se  composa  des  trois  princesses, 
d'abord;  des  comtes  de  Provence  et  d'Artois  ensuite,  puis  de 
MM.  Campan  père  et  fils,  que  leur  service  avait  forcément  mis 
dans  la  confidence. 

On  décida  qu'on  apprendrait  et  jouerait  les  pièces  du  Théâtre- 
Français. 

On  voulut  d'abord  cacher  la  chose  au  Dauphin;  mais  on  avait 
besoin  d'un  public;  il  fut  élu  à  l'unanimité  et  tint  lieu,  à  lui 
seul,  des  loges,  des  galeries  et  du  parterre. 

On  joua,  pour  dernière  représentation,  les  Folies  amou- 
reuses. 

Quand  la  Dauphine  fut  reine,  le  goût  du  théâtre  lui  revint. 
Dans  les  petits  voyages  de  Choisy,  il  y  avait  spectacle  deux  fois 
dans  la  journée.  A  l'heure  ordinaire,  opéra,  comédie  française 


246  TRI 

ou  italienne,  et,  à  onze  heures  du  soir,  un  public  favorisé  ren- 
trait pour  entendre  des  représentations  plus  gaies:  des  parodies, 
parades,  etc.,  exécutées  par  Guimard  et  les  premiers  acteurs  de 
l'Opéra. 

Après  la  suppression  des  dispendieux  voyages  de  Marly ,  la  reine 
fit  adopter  Trianon  pour  effectuer  son  projet  de  jouer  la  comédie. 
Quelques  semaines  après  son  installation  à  Trianon,  les  répéti- 
tions et  représentations  de  la  comédie  et  de  l'opéra-comique 
commencèrent.  Sedaine  eut  les  honneurs  de  l'ouverture  du  théâ- 
tre ;  on  débuta  par  le  Roi  et  le  Fermier,  et  la  Gageure  impré- 
vue. Jamais  plus  augustes  acteurs  ne  se  présentèrent  devant  un 
auditoire  plus  noble  et  plus  imposant.  La  reine  jouait  Jenny 
dans  la  première  et  la  soubrette  dans  la  seconde.  Le  comte  d'Ar- 
tois remplit  le  rôle  de  valet  dans  une  pièce  et  de  garde-chasse 
dans  l'autre.  Sa  mauvaise  mémoire  et  sa  manie  d'improvisation 
empêchaient  qu'on  lui  confiât  des  emplois  importants. 

Voici  une  affiche  à  la  main  de  cette  représentation  : 

Les  Comédiens  ordinaires  du  Roi  donneront,  etc.,  etc.,  etc. 

Personnages.  Acteurs. 

Le  Roi,  MM.  le  comte  d'Adhémar. 

Richard,  le  comte  de  Vaudreuil. 

Un  garde,  le  comte  d'Artois. 

Jenny,  la  Reine. 

Betzy,  Mmes  la  duchesse  de  Guiche  (i). 

La  Mère,  Diane  de  Polignac  (2). 

Les  mêmes  acteurs  donnèrent  ensuite  :  On  ne  s'avise  jamais 
de  tout,  et  les  Fausses  infidélités,  de  Barthe.  Ils  réussissaient 
mieux  dans  l'opéra,  grâce  à  l'entraînement  de  la  musique,  que 
dans  la  comédie,  qui  restait  un  peu  froide  et  pénible. 

Les  maîtres  et  directeurs,  pour  l'opéra,  étaient  Caillot  et  Ri- 
cher,  et  pour  la  comédie  Préville  et  Dazincourt;  Préville  ayant 
beaucoup  d'occupations,  on  lui  adjoignit  Fleury  comme  surnu- 

(1)  Fille  de  Mme  Jules  de  Polignac. 

(2)  Elle  était  chanoinesse. 


TRI  247 

méraire.  Ce  dernier  mit  en  scène  le  Barbier  de  Séville.  Le  ré- 
pétiteur, souffleur,  ordonnateur-général  des  détails^  fut  le  beau- 
père  de  Mme  Campan. 

La  reine  était  gracieuse,  intelligente  et  fort  bien  en  scène. 
Elle  avait  pour  triomphe  Biaise  et  Babet ,  les  Deux  Chasseurs 
et  la  Laitière;  personne  ne  portait  avec  plus  d'aisance  le  cruchon 
de  lait  de  Perrette.  Aux  répétitions,  elle  était  la  meilleure  cama- 
rade du  monde,  rieuse  de  ses  gaucheries,  et  recommençant  au- 
tant de  fois  qu'il  le  fallait,  pour  le  bien  de  l'exécution.  Il  y  avait 
certaines  répétitions  que  le  roi  n'aimait  pas.  C'était  lorsqu'il  y 
avait  un  baiser  à  donner  ou  à  recevoir.  Ces  choses  se  font  tou- 
jours bien  auxlumières,  disait-il;  il  n'est  pas  besoin  de  les  essayer 
et  surtout  d'y  revenir  souvent.  D'après  ces  observations,  et  dans 
la  crainte  de  voir  arriver  son  veto  sur  les  représentations,  on 
passa  dorénavant  les  baisers  qui  furent  donnés  et  reçus  en  blanc. 

Au  commencement  on  a  vu  que  Louis  XVI  composa  à  lui 
seul  tout  l'auditoire;  dès  que  les  acteurs  furent  plus  exercés,  ils 
cherchèrent  plus  de  suffrages.  Les  spectateurs  furent  portés  au 
nombre  de  quarante  ;  bientôt  on  eut  un  véritable  public.  Les 
officiers  des  gardes-du-corps  et  les  écuyers  du  roi  entrèrent  les 
premiers  ;  puis  vinrent  les  officiers  des  princes;  enfin,  on  donna 
des  loges  grillées  à  des  personnages  de  la  cour,  on  invita  des 
dames,  et  la  salle  finit  par  être  trop  étroite. 

L'élégant,  le  chevaleresque,  l'aimable  comte  de  Vaudreuil  était 
l'âme  de  la  troupe  de  la  reine:  c'était  l'amateur  le  plus  renommé 
de  France  pour  jouerla  comédie  de  société  ;  on  l'appelait  le  Mole 
de  Trianon. 

Un  joli  tableau  du  musée  de  Valenciennes,  peint  par  Louis 
WatteaUj  en  17..  représente  les  nobles  acteurs  du  théâtre  de 
Trianon  dans  une  partie  du  jardin.  On  y  distingue  le  duc  d'Or- 
léans, le  comte  d'Artois,  etc. 

TR1NCARDINE  (Société).  Réunion  épicurienne  qui  exis- 
tait à  Coulommiers  vers  le  commencement  du  règne  de  Louis  XV. 
On  donnait  aux  récipiendaires  des  lettres  ou  diplômes  en  latin. 


248  TRI 

Une  d'elles  a  été  publiée  dans  un  journal  consacré  à  la  littérature 
latine,  Y  Hermès  romanus,  qui  a  vécu  à  Paris  de  1816  à  18 19; 
elle  est  datée  de  l'an  5476  du  comput  tricardin  qui  a  Noô  pour 
point  de  départ,  ce  qui  correspond  à  1732;  la  lettre  que  publie 
V Hermès  (tom.  II,  p.  423)  est  adressée  à  M.  Thierry  Duplessy 
qui,  après  avoir  rempli  des  fonctions  diplomatiques  dans  le 
Levant,  vint  mourir  à  Coulommiers.  Elle  est  trop  longue  pour 
être  insérée  ici  en  entier.  Nous  nous  bornerons  à  en  citer  le 
début  et  à  reproduire  quelques  lignes  : 

«  Universis  Trincardinis,  praesentes  litteras  inspecturis,  et 
audituris,  salutem  in  Baccho,  sitim  et  argentum. 

«  Cunctis  honoribus  privilegiis,  prœminentiis,  reditibus, 
émoluments,  huic  dignitati  annexis  et  super  arenas  Maris  Rubri 
atque  Archipelagi  nebulas  assignatis. 

«  Ipsi  addita  facultate  et  licentia  TRINCANDI,  potandi, 
bibendi,  ridendi,  jocandi,  ludendi,  saltandi;  nec  non  in  diver- 
soriis  et  popinis  quotidie  (si  lubet)  sumptibus  suis  peregrandi, 
et  ibi  linguas  bubulas  suillas  et  vervecinas  explicandi,  caetera 
denique  faciendi  quae  ad  verum  et  indubitatum  Trincardinum 
spectant  atque  pertinent. 

«  Juramenta  ad  hoc  solita  super  amphoram  débite  praestita.  » 

TRINOSOPHES  (Les).  18 18-28.  Extraits  du  livre  d'or, 
séances  des  Trinosophes  de  1821,  22  et  23,  pièces  revêtues  des 
signatures  originales  Mangourit,  Lecouturier,  Marc,  Vassal, 
Branety  Baudré,  Lerouge,  Drapier ,  &c. 

Il  y  eut  un  parti  fédératif  des  grands  chevaliers  élus  K.  H.  du 
Phénix,  des  Trinosophes,  des  Sept-Ecossais  réunis,  d'Isis,  et 
des  commandeurs  du  Mont-Thabor,  à  Paris,  en  1821. 

Loge  de  Paris  dont  Lerouge  avait  3i  pièces  de  18 18-1828. 

TRIPOT  (Le).  La  société  littéraire  de  Milhaud  (près  de 
Nismes), dit  leTripot,  est  indiquée  dans  la  France  littéraire  de 
1769,  p.io5.  Il  en  est  parlé  pag.  74-79  de  F Abrégé  de  l'histoire 
de  Nismes:  Nismes,  iyS3,  in- 12. 


TRO  •        249 

TROUBADOURS  MODERNES  (Les).  De  tout  temps  les 
Français  ont  chanté  ;  ils  ne  s'en  abstenaient  pas  même  dans  les 
époques  calamiteuses.  Dans  les  troubles  de  la  Fronde,  ils  chan- 
sonnaient  le  ministre  et  la  cour,  ce  qui  faisait  dire  à  Mazarin  : 
cantaran,  pagaran:  ils  chantent,  ils  paieront;  c'était  tout  ce 
que  voulait  l'adroit  Italien,  aussi  se  laissait-il  volontiers  mettre 
en  couplets  parles  Parisiens,  il  les  retrouvait  à  l'impôt  et  le  peu- 
ple finissait  par  payer  les  violons.  Durant  les  malheurs  de  l'émi- 
gration, une  partie  de  la  noblesse  française,  qui  avait  tout  perdu, 
et  qui  se  trouvait  loin  de  sa  patrie,  trouvait  encore  le  moyen 
d'égayer  le  bivouac  de  l'armée  de  Condé  par  des  chants  cheva- 
leresques et  galants.  D'abord,  chacun  de  temps  à  autre  et  isolem- 
ment,  pour  se  distraire  sur  la  terre  étrangère,  rima  quelques 
couplets;  puis  on  les  redit  en  petit  comité  dans  les  moments  de 
loisir  dérobés  au  tumulte  des  camps  et  aux  fatigues  de  la  guerre; 
puis  enfin  on  s'assembla  et  l'on  travailla  en  commun.  Telle  fut 
l'origine  de  la  société  littéraire  fondée  à  l'armée  de  Condé  sous 
le  titre  des  Troubadours  modernes.  Ceci  se  passait  en  1796; 
M.  du  R._,  qui  a  eu  la  modestie  de  cacher  son  nom,  fut  nommé 
secrétaire  de  cette  compagnie  de  poètes  guerriers;  M.  de  T.  D. 
lui  succéda  en  cette  qualité  en  1797.  Les  autres  principaux 
membres  de  cette  association  furent  M.  le  chevalier  de  Que- 
relles; M.  de  Pelport,  auteur  d'un  poème  sur  la  défense  de 
Maëstricht  par  MM.  les  gentilshommes  français  en  1793;  ce 
membre  quitta  la  société  et  l'armée  de  Condé  pour  aller  à  Phila- 
delphie rejoindre  sa  sœur;  M.  Duc...  (Duchilleau  ?)  ;  M.  de  V... 
(Villem  ?)  auteur  tf  Estelle  de  Mont  fort,  drame  lyrique  ;  M.  de 
Tezmonville  et  M.  de  B.  de  la  N...,  tous  deux  chasseurs  nobles 
de  la  compagnie  n°  16;  M.  de  G***,  chasseur  de  la  compagnie  17; 
enfin  cette  société  avait  pour  protecteur  M.  le  comte  de  Ch... 
M.,  Maréchal  de  camp  à  l'armée  de  Condé,  traducteur  de  Mé- 
tastase en  vers  français. 

Le  19  mai  1796,  toute  la  société  littéraire  fut  reçue  avec  armes 
et  bagages  au  château  de  Rusth,  en  Brisgaw,  chez  le  baron  de 
Bœcklin,  qui  était  à  la  fois  guerrier,  poète  et  musicien;  là, 


2  5o  TRO 

comme  on  le  pense  bien,  il  y  eut  un  feu  roulant  de  vers,  de  bons 
mots  et  de  couplets.  11  en  arriva  autant  au  camp  de  Steinstad^  à 
Hombourg,  et  dans  toutes  les  stations  que  fit  l'armée  dans  le 
Brisgaw. 

Le  recueil  des  pièces  composées  ainsi  par  la  société  en  cou- 
rant et  en  se  battant^  fut  imprimé  sous  le  titre  de  :  Les  Trouba- 
dours modernes jOti  Amusemens  littéraires  de  V armée  de  Condé. 
A  Constance,  1797,  in-8,  de  xvi  et3o3  pp.  avec  un  frontispice 
gravé  représentant  l'écu  des  rois  de  France_,  brisé  en  deux  pièces 
rapprochées  par  Apollon  et  Mars  avec  cette  devise  :  Sicrestituta 
vigebunt.  Au  second  plan,  la  foudre  tue  le  démon  des  révolu- 
tions qui  est  terrassé  et  vaincu.  Il  est  inutile  d'ajouter  que  la 
souscription  de  Constance,  comme  lieu  d'impression_,  est  une 
allusion  aux  sentiments  de  fidélité  à  la  royauté  qui  animaient 
les  auteurs  du  recueil.  Tout  l'ouvrage  respire  le  royalisme  le 
plus  exalté  ;  il  est  bien  entendu  que  les  armées  françaises  sont 
composées  de  traîtres  et  que  la  fidélité  la  plus  sûre  ne  se  trouvait 
qu'à  l'armée  de  Condé.  La  situation  politique  toute  particulière 
dans  laquelle  se  trouvaient  les  jeunes  poètes  auteurs  du  recueil, 
explique  les  exagérations  des  modernes  Troubadours. 

TROUBADOURS  DE  MARSEILLE(Société  des).  Il  existe 
un  volume  difficile  à  rencontrer  aujourd'hui  :  Année  lyrique 
des  Troubadours  de  Marseille.  A  Marseille,  de  l'imprimerie 
de  Mossy,  181 1_,  in- 18  de  255  pages.  Il  a  pour  épigraphe  : 

Libero  patri,  Musis, 
Gratiisque  decentibus. 

On  annonçait  que  cette  Année  lyrique  paraîtrait  tous  les  ans 
au  mois  de  décembre;  nous  n'avons  jamais  vu  que  cette  ire 
année. 

Troubadours  résidants  (en  181 1)  : 

MM.  1.  Jacques-Joseph  Chaix; 

2.  A.  Desmoulins; 

3.  Louis  Dudemaine; 

4.  Louis  Jossand; 


TRO  25i 

5.  Fortuné  Marie; 

6.  Pierre  Massot; 

7.  François  Negrel; 

8.  Antoine  de  Pascalis  ; 

9.  Louis  de  Permon  ; 

10.  Alphonse  Rostan  ; 

11.  H. -J. -Casimir  Rostan; 

12.  Arsène  Séjourné; 

i3.  A.-L.  Esprit  de  Sinety; 
14.  Léon  Templier  (notaire  impérial); 
i5.  A. -Claire  Thibaudeau  (alors  préfet). 
Troubadours  associés  : 
MM.  le  baron  de  Stassart,  préfet  de  Toulouse  ; 

Martignacl  membres  de  la  société  épicurienne  de  Bor- 
Duranteau)         deaux; 

Vincent  de  Saint-Laurent,  secrétaire  perpétuel  de  l'Aca- 
démie de  Nismes; 
Bérenger,  de  Toulon,  auteur  des  Soirées  provençales; 
Pierre  Doranje,  de  Marseille,  résidant  à  Paris; 
Etienne  Michelet,  de  Marseille,  à  l'armée  d'Espagne. 
Le  règlement  général  de  la  Société  des  Troubadours  de  Mar- 
seille, rédigé  par  MM.  de  Permon_,  Marie,  Dudemaine  fils  et 
Casimir  Rostan,  fondateurs  de  la  société>est  composé  de  26  ar- 
ticles formant  un  pot-pourri  en  autant  de  couplets,  tous  sur  des 
airs  différents,  en  commençant  par  celui  des  Pendus.  Il  est  signé 
de  Permon,  président. 

On  y  voit  que  ce  fut  le  6  décembre  1809  que  la  société  fut 
fondée  en  une  séance  bachique.  On  s'y  rangea  sous  le  drapeau  de 
Momus.  Quinze  membres  résidants  forment  la  société;  on  y  join- 
dra des  correspondants.  Le  premier  mercredi  de  chaque  mois 
la  compagnie  se  réunissait  à  déjeûner  chez  le  traiteur  Sibelleau. 
La  société  était  régie  par  un  roi  qui  changeait  tous  les  trois 
mois.  Le  roi  avait  la  police  des  séances,  qui  n'étaient  que  des 
banquets;  il  ordonnait  aux  mutins  de  boire  un  verre  d'eau,  et 
il  lesamandait  d'un  rondeau  ou  d'une  chanson  au  besoin.  L'ad- 


252  TRO 

ministration  des  fonds  de  la  société  était  livrée  à  un  intendant 
(M.  Dudemaine),  exerçant  aussi  les  fonctions  d'archiviste;  il 
contre-signait  les  brevets,  et  tenait  la  correspondance.  Les  qua- 
tre fondateurs  (de  Permon,  Marie,  Dudemaine  fils  et  Casimir 
Rostan),  aidaient  toujours  le  roi  dans  le  gouvernement  de  la 
société.  La  fête  de  la  société  se  célébrait  le  jour  de  l'Epiphanie. 
Chaque  troubadour  pouvait  amener  un  ami  à  chaque  banquet 
ou  séance,  après  présentation  préalable  au  roi  troubadour  et  à 
l'intendant. 

Chaque  troubadour  apportait  une  chanson  au  banquet  ou  à  la 
séance.  Le  sort  désignait  à  chacun  le  sujet  de  la  chanson.  A  la  fin 
de  chaque  repas  on  mettaitdans  une  urne  ou  un  chapeau  autant 
de  mots  qu'il  y  avait  de  convives,  et  ceux-ci  tiraient  au  hasard 
le  mot  qui  devait  servir  de  sujet  de  chanson  pour  la  séance 
suivante.  M.  le  baron  de  Stassart  dut  chanter  un  jour  sur  le 
mot  amphytrion.  Il  traita  l'histoire  d'Amphytrion  d'une  ma- 
nière plaisante  et  en  forme  de  pot-pourri  moral  qui  commence 
sur  l'air  des  Folies  d: Espagne  et  finit  sur  celui  àeTriste raison, 
j'abjure  ton  empire,  par  la  moralité  suivante  : 

«  Il  faut,  amis,  bien  choisir  ses  modèles; 

«  Qyf  Amphytrion  soit  le  vôtre  en  tous  lieux. 

«  Quand  vos  moitiées  vous  seront  infidèles, 

«  Tout  comme  lui,  rendez-en  grâce  aux  Dieux.  » 

M.  Thibaudeau  Jraita  fort  gaîment  les  sujets  suivants  :  le  Fa- 
got, la  Lettre,  le  Notaire. 

M.  Chardon,  de  Toulon,  associé,  M.  de  Sinety,  qui,  à  cause 
de  ses  71  ans,  n'osait  se  dire  troubadour,  firent  aussi  de  jolis 
vers. 

M.  de  Martignac,  de  Bordeaux,  avait  reçu  du  sort  la  mission 
de  chanter  le  Crayon  ;  il  s'en  acquitta  ainsi  : 

LE  CRAYON. 

Mes  très-chers  frères  de  Provence, 
Quel  beau  présent  vous  m'avez  fait  ! 
J'éprouve  une  reconnaissance 
Aussi  grande  que  le  bienfait: 


TRO  253 


J'aurais  pourtant  droit  de  me  plaindre 
D'une  légère  omission  ; 
Vous  deviez  donner  l'art  de  peindre, 
En  même  temps  que  le  crayon. 

Vous  voulez  que  ce  crayon  trace 
Non  des  tableaux,  mais  un  couplet  ; 
Son  trait  incertain  qui  s'efface 
Remplira  fort  bien  votre  objet. 
Dans  tous  les  temps  on  doit  vous  lire, 
Et  vous  avez  avec  raison 
Gardé  le  burin  pour  écrire 
Et  laissé  pour  moi  le  crayon. 

Mais  que  chanter?  sont-ce  nos  drames 
Qui  font  accourir  tout  Paris  ? 
Est-ce  la  vertu  de  nos  dames  ? 
Est-ce  la  rigueur  des  maris  ? 
Est-ce  la  profondeur  des  vues 
Des  politiques  de  salon  ? 
Pour  des  vérités  si  connues, 
Dois-je  donc  tailler  mon  crayon} 

Frondant  des  travers  trop  funestes, 
Tenterai-je  en  des  vers  glacés, 
De  rendre  les  auteurs  modestes, 
Et  les  petits-maîtres  sensés  ? 
Dirai-je  aux  savans  que  l'étude 
Précède  l'érudition  ? 
Contre  le  roc  de  l'habitude 
J'irais  ébrecher  mon  crayon. 

J'ai  toujours  haï  la  satire, 
Elle  décèle  un  mauvais  cœur  ;    - 
Je  ne  sais  pas,  pour  faire  rire, 
Blesser  le  repos  ou  l'honneur  : 
De  quelqu'histoire  scandaleuse 
Qu'un  autre  fasse  une  chanson; 
Sur  une  langue  venimeuse, 
Je  ne  mouille  pas  mon  crayon. 


254  TRO 

Cette  pièce  était  accompagnée  de  l'envoi  suivant: 

Je  ne  suis,  hélas  !  qu'un  prophane; 
Mais  quand  des  vers  j'aurais  le  don, 
Dans  l'antre  affreux  de  la  chicane, 
Adieu  la  rime  et  la  raison. 
Mon  esprit  s'use  et  se  consume 
Dans  de  tristes  et  de  longs  débats, 
Et  Ton  sait  que  quand  on  le  plume, 
L'oiseau  crie  et  ne  chante  pas. 

Mais  pour  un  moment  je  respire, 
Grâce  à  vous,  charmans  troubadours  ; 
Contre  le  diabolique  empire 
Prêtez-moi  longtemps  vos  secours  ; 
Que  ses  clameurs  soient  étouffées, 
Sous  le  charme  de  vos  concerts  ; 
C'est  par  la  lyre  des  Orphées 
Que  l'on  est  tiré  des  enfers. 

TROYENS  (Chevaliers).  Au  XVIIe  siècle,  il  se  forma  en 
Angleterre  une  société  bizarre  :  C'était  Y  Ordre  des  Chevaliers 
Troyens.  Son  fondateur  fut  un  voyageur  nommé  Bage,  qui  le 
conféra  sur  les  ruines  de  Troyes,  à  l'un  de  ses  compagnons  de 
voyage,  Thomas  Coryat,  qui  prit  le  titre  incontesté  de  premier 
anglais  créé  chevalier  Troyen.  Après  sa  réception  sur  les  bords 
du  Simoïs  dans  un  Ordre  dont  il  fut  certainement  le  premier  et 
le  seul  chevalier,  Coryat  improvisa  un  discours  où  il  raconte 
fort  gravement  les  détails  de  cette  cérémonie. 

Coryat  était  un  personnage  excentrique  qui  parcourut,  à 
pied  en  grande  partie,  les  Pays-Bas,  la  France,  la  Savoie,  la 
Suisse,  une  portion  de  l'Allemagne,  la  Turquie;  il  alla  même 
jusque  dans  l'Inde.  Ce  fut  au  commencement  du  XVIIe  siècle 
qu'il  accomplit  ces  longs  et  périlleux  voyages.  Il  en  publia  la 
relation  en  161 1  sous  le  titre  de  Crudities,  en  un  volume  in-40 
devenu  rare  et  cher,  mais  qui  a  été  réimprimé  en  1776,  3  vol. 
in-8°.  Le  style  est  bizarre  et  les  idées  souvent  originales. 

Une  publication  périodique  fort  estimable  mais  qui  a  mal- 


TRO  255 

heureusement  cesse  de  paraître,  le  Rétrospective  Review,con- 
sacra  :  (tom.  VI.  p.  206-224)  une  notice  à  ce  courageux  touriste. 

TROYES  (Académie  de).  Histoire  sérieuse  d'une  Académie 
qui  ne  l'était  pas.  Paris,  Guiraudet  etJouaust,  1848,,  in-8°  de 
16  pp.  (Extr.  du  Journal  de  V Amateur  de  Livres,  et  tiré  à 
part  à  3o  ex.  pour  l'auteur). 

M.  le  docteur  J.  F.  Payen,  bibliophile  zélé  et  bien  connu  par 
le  culte  qu'il  a  voué  à  Michel  Montaignej  est  l'auteur  de  cettedis- 
sertation  sur  la  prétendue  Académie  de  Troyes  inventée  par 
Grosley.  Il  décrit  les  éditions  des  Mémoires  de  cette  Académie; 
il  donne  ensuite  l'indication  de  quelques  pièces  détachées  qui 
s  y  rapportent,  et  finalement  cherche  à  découvrir  les  auteurs  de 
ces  bouffonnes  dissertations  réunies  sous  le  titre  de  :  Mémoires 
de  V Académie  des  sciences ,  inscriptions,  belles-lettres,  beaux- 
arts,  etc.  nouvellement  établie  à  Troyes  en  Champagne. 
Troyes  et  Paris,  Duchesne,  1756,  2  tomes  en  1  vol.  pet.  in-8. 

Grosley,  avocat,  né  à  Troyes,  mort  en  1785,  âgé  de  67  ans, 
composa  cette  facétie  avec  Lefebvre,  son  parent,  son  ami  et  sou- 
vent son  collaborateur.  Cette  plaisanterie  est  une  collection  de 
dissertations,  réflexions,  mémoires"  sur  des  sujets  ridicules  ou 
puériles,  satire  ingénieuse,  spirituelle  et  ironique  de  la  gravité 
souvent  burlesque  avec  laquelle  des  académies  plus  célèbres 
discutent  sur  des  questions  souvent  tout  aussi  peu  importantes 
que  celles  qui  semblent  occuper  la  prétendue  Académie  de 
Troyes. 

Grosley  décrit  ainsi  dans  ses  Mémoires  l'origine  de  l'Acadé- 
mie de  Troyes  {Vie  de  Grosley,  écrite  en  partie  par  lui-même, 
continuée  et  publiée  par  l'abbé  May  dieu.  Londres  etParis, Th. 
Barrois,  1787,  in-8^  page  21  et  suiv.)  *  Il  s'étoit  formé  àTroyes^ 
vers  l'an  1740  une  société  qui  n'avoit  pas  pris,  mais  qui  avoit 
agréablement  reçu  le  titre  d'Académie.  Lefebvre  étoit  de  cette 
Académie.  Nous  lui  proposâmes  David  et  moi,  de  la  faire  parler; 
ce  qui  donna  lieux  aux  mémoires  qui  ont  été  depuis  imprimés. 
Les  recherches  et  le  travail  fondamental  se  faisoient  entre  nous 


256  TRO 

trois  dans  mon  cabinet.  Les  discussions  se  faisoient  le  soir  dans 
les  promenades  et  dans  les  rues,  que  nous  courrions  souvent 
jusqu'à  deux  heures  après  minuit,  plus  occupés  à  resserrer  et  à 
modérer  la  plaisanterie,  qu'à  l'étendre  et  à  l'aiguiser.  Je  jetoi 
sur  le  papier  la  première  dissertation,  qui  fut  revue  en  particu- 
lier et  en  commun,  et  ensuite  arrêtée  et  donnée  au  public.  Les 
autres  dissertations  furent  travaillées  de  même,  chacun  traitant 
en  particulier  les  parties  qui  étoient  le  plus  de  son  goût. 

«David,  le  plus  paresseux  de  tous  les  hommes,  fournissoit  au 
travail  avec  l'ardeur  de  l'homme  le  plus  laborieux  ;  et  lorsque 
nous  eûmes  pris  le  parti  de  faire  part  au  public  des  Mémoires 
de  l'Académie^  en  gardant  le  plus  exact  incognito,  David,  pour 
faciliterPexécution  du  dessein,  s'apprit  àécrire  de  lamain  gauche, 
se  fit  une  écriture  aussi  belle  et  aussi  légère  que  son  écriture 
ordinaire  étoit  maigre  et  chiffonnée,  et  passoit  les  nuits  à  la  tran- 
scription de  deux  ou  trois  copies  que  nous  jettions  ensuite  sous 
quelques  portes.  Le  secret,  exactement  gardé,  accompagna  notre 
travail-  pendant  toute  l'année  qu'il  dura. 

«A  mesure  qu'il  se  répandoit  dans  le  public  il  étoit  examiné, 
apprécié,  jugé,  et  communément  regardé  comme  plat  et  mau- 
vais. Nous  étions  les  premiers  à  le  juger  sinistrement,  excepté 
devant  Jeanso'n,  notre  ami  commun,  sur  le  compte  duquel  nous 
le  mettions,  et  qui  étoit  d'autant  plus  embarassé  à  s'en  défendre, 
qu'il  le  jugeoit  mieux  que  le  public  troyen. 

«David  nous  servoit aussi  par  les  ambassades  à  visage  décou- 
vert: il  osa  en  pleine  rue  et  en  plein  jour  remettre  au  docteur 
Billebaut  la  réponse  que  faisoit  en  grec  à  sa  lettre  latine  le  mé- 
decin de  l'Enclos  près  Bar-sur-Seine  (Vander  Back,  marchand 
d'urine)...  Nous  donnâmes,  de  l'imprimerie  de  Lefebvre,  la 
première  édition  des  Mémoires. ..Nous  ne  pûmes  en  vendre  que 
quatre  exemplaires  à  Troyes  qui  devoit  en  être  le  principal  dé- 
bouché. Le  cousin  Lefebvre  proposa  à  un  de  ses  amis,  M.  de 
Verrières,  poète  à  Paris,  de  se  charger  de  la  vente  de  toute  l'édi- 
tion :1e  poète  s'en  chargea,  eut  le  débit  le  plus  heureux,  et  mou- 
rut insolvable»...  Grosley  s'étend  sur  les  malheurs  pécuniers  de 


TUG  257 

cette  entreprise  dont  la  charge  lui  tomba  sur  les  bras.  Lefebvre, 
quittant  Troyes  pour  s'établir  à  Paris,  y  donna  une  nouvelle 
édition  en  deux  volumes.  Paris,  Duchesnè,  ij56,  in-i2)avec 
des  additions  de  son  cru.  Il  fit  aussi  imprimer  une  lettre  sur  les 
Mémoires  de  V  Académie  de  Troyes-,  Amsterdam  [Paris)  1765, 
in- 12  de  19  pages.  Opuscule  tiré  à  12  exemplaires  si  Ton  en 
croit  l'abbé  Goujet. 

Grosley  réimprima  le  tout  en  y  joignant  une  dissertation  sur 
les  fous,  que,  suivant  quelques  écrivains,  la  ville  de  Troyes 
devait  fournir  au  roi  de  France;  il  intitula  ce  volume  :  3e  édi- 
tion, corrigée  et  complétée  (Sineloco)  M.  DCC.  LXVIII, 
in-12  de  343  pp. 

La  prétendue  Académie  de  Troyes  devait  ne  compter  que 
sept  membres.  M***  ayant  désiré  en  être,  ce  savant  écrivain  y  fut 
admis  le  9  mars  1743  et  y  prononça  un  discours  qui  fait  partie 
des  Mémoires.  Chaque  membre  prenait  le  titre  del'ww  des  sept. 

Les  Mémoires  de  l'Académie  de  Troyes  ont  été  parfois  classés 
parmi  les  travaux  sérieux  de  sociétés  savantes.  Nous  rencon- 
trons un  exemple  de  cette  méprise  étrange  dans  le  catalogue  im- 
primé des  livres  formant  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Bordeaux 
(i832,  in-8)  Histoire,  page  743,  n°  8212. 

TUGNY  (Société  dramatique  du  château  de).  Le  baron  de 
Thiers,  le  plus  aimable  des  millionnaires,  fils  du  fameux  Cro- 
zatj  si  connu  par  ses  richesses,  son  goût  pour  les  arts  et  son  bon- 
heur dans  les  affaires,  était  propriétaire  du  beau  château  deTu- 
gny,  près  Rhétel-Mazarin,  auquel  il  se  rendait  toujours  accom- 
pagné de  plusieurs  centaines  de  personnes.  Pendant  sa  résidence 
à  Tugny,  où  il  avait  un  théâtre,  on  donnait  spectacle  trois  fois 
la  semaine.  On  y  représentait  la  tragédie,  la  comédie,  l'opéra- 
comique,  et  l'on  abordait  même  les  ballets.  Les  acteurs  étaient 
pris  parmi  ses  familiers,  ses  vassaux  et  ses  gens.  Pendant  l'hiver 
il  faisait  donner  dix  sous  par  jour  aux  jeunes  paysans  et  paysan- 
nes qui  venaient  prendre  des  leçons  :  on  y  montait  les  ballets,  et 
on  y  exerçait  les  chœurs;  puis  à  la  saison  des  représentations  on 


258  TUG 

mettait  au  grand  jour  de  la  publicité  tous  ces  talents  populaires 
éclos  dans  l'ombre. 

A  l'exception  des  loges  réservées  à  sa  société,  le  baron  de 
Thiers  accordait  indistinctement  l'entrée  de  la  salle  de  spectacle 
de  son  château  à  tout  le  monde,  et  les  bourgeois  de  Rhétel  qui, 
certes,  n'étaient  pas  blasés  sur  les  plaisirs  dramatiques,  s'esti- 
maient heureux  d'assister  aux  représentations  qu'il  donnait. 

Un  jour  que  l'on  jouait  Zaïre,  à  Tugny,  Orosmane  se  fit 
beaucoup  attendre  ;  l'impatience  gagnait  les  spectateurs  qui  n'o- 
saient siffler  par  respect,  mais  qui  n'en  murmuraient  pas  moins 
tout  bas.  Le  baron  qui  s'en  aperçut,  dit  de  sa  loge  qui  était  sur 
le  théâtre  :  «  Messieurs,  je  vous  demande  bien  pardon  pour  Oros- 
«  mane  ;  mais  cet  acteur  est  mon  cuisinier,  et  il  est  allé  voir  l'état 
«  des  broches.  »  C'est  qu'en  effet,  M.  de  Thiers  recevait  tout  son 
monde  avec  tant  de  grandeur  et  de  générosité,  les  maîtres  au 
château,  et  les  valets  et  femmes  de  chambre  dans  un  vaste  bâti- 
ment appelé  gr 'and- commun ,  où  tous  avaient  bonne  table  et 
logement  commode,  qu'il  fallait  un  grand  état  de  cuisine  pour 
satisfaire  à  tout,  et  que  certainement  l'Orosmane,  chef  des  infi- 
dèles et  des  marmitons,  devait  être  l'homme  le  plus  occupé  de  la 
troupe. 

La  baron  de  Thiers  eut  la  fantaisie  de  se  marier  pour  laisser 
ses  grands  biens  à  quelqu'un  de  son  sang;  il  ne  voulait  pas  de 
fortune,  mais  il  désirait  épouser  une  personne  bien  née;  on  lui 
déterra  une  cadette  de  Montmorency  n'ayant  que  6,000  fr.  de 
revenu  et  qui  désirait  vivre  aussi  grandement  que  les  premiers 
barons  chrétiens,  ses  nobles  parents. Toute  la  lignée  jeta  les  hauts 
cris,  dit-on,  au  premier  bruit  de  cette  alliance.  Une  assemblée 
de  famille  eut  lieu  pour  empêcher  le  plus  pur  sang  de  France  de 
s'encanailler.  Mlle  de  Montmorency  posa  ce  dilemme  :  «  Je  n'ai 
ni  le  goût  ni  la  vocation  de  me  faire  religieuse  ;  pour  vivre  ho- 
norablement dans  le  monde  il  me  faudrait  20,000  livres  par  an  ; 
je  n'en  ai  que  6,000  ;  voyez  entre  vous  à  me  faire  la  somme  et  je 
renonce  à  l'établissement  proposé.  »  On  parla  beaucoup,  on  dis- 
cuta longtemps  et  l'on  se  sépara  sans  avoir  rien  fait.  Le  mariage 


TUG  259 

eut  lieu.  Les  noces  se  firent  avec  la  plus  grande  .magnificence, 
et  au  retour  de  la  belle  saison  le  baron  de  Thiers  et  sa  jeune  moi- 
tié se  rendirent  à  Tugny  où  l'on  joua  force  comédies  et  opéras. 

Le  baron  de  Thiers  fit  secrètement  abattre  le  pauvre  manoir 
de  sa  femme  qui  fut  remplacé  par  un  château  bâti  sur  un  nou- 
veau plan  et  meublé  magnifiquement.  11  acheta  sous  main  les 
terrains  qui  joignaient  ce  domaine  et  réunit  trente  mille  livres 
de  rente  à  la  terre  primitive.  Puis  quand  tout  fut  bien  disposé, 
il  proposa  à  la  baronne  de  faire  un  voyagea  Thiers  en  Auvergne 
et  de  revenir  par  sa  terre  située  en  Normandie.  Sa  femme  s'en 
excusa  beaucoup  en  disant  que  son  bien  était  dans  une  situation 
déplorable  et  hors  d'état  de  leur  offrir  un  asile.  Le  baron  insista 
en  répliquant  que  c'était  égal  et  que  les  chevaux  les  mèneraient 
plus  loin  s'il  le  fallait.  Bon  gré  mal  gré  il  fallut  arriver  au  châ- 
teau. —  Tout  était  prêt,  on  n'attendait  que  les  maîtres.  A  l'ap- 
proche des  voitures,  le  bailli  vint  complimenter  la  baronne  ;  les 
jeunes  filles  présentèrent  des  fleurs;  les  garçons  tirèrent  des 
coups  de  fusil;  le  château  était  splendide;  un  nombreux  domes- 
tique et  les  gardes  se  trouvaient  sous  les  armes.  Douze  jeunes 
filles  du  village  furent  dotées  et  mariées  à  cette  occasion,  et  l'on 
traita  toute  la  commune.  La  baronne  se  croyait  dans  le  pays  des 
fées  et  était  dans  le  ravissement.  Son  mari  la  pria  de  lui  faire  les 
honneurs  de  chez  elle  ;  il  approuvait  tout,  trouvait  l'ameuble- 
ment exquis  et  s'étonnait  du  refus  de  sa  femme  de  le  conduire 
dans  sa  terre.  On  peut  juger  combien  celle-ci  fut  sensible  à  tant 
de  délicatesse.  Le  plébéien  anobli,  qui  avait  su  exécuter  ce  char- 
mant coup  de  théâtre,  avait  alors  à  ses  yeux  bien  des  quartiers 
de  noblesse  d'âme. 

Mlle  de  Thiers,  leur  fille,  épousa  le  duc  de  Béthune-Pologne 
et  lui  porta  le  château  de  Tugny  et  toutes  ses  richesses. 

Le  baron  de  Thiers,  brigadier  des  armées  du  Roi,  dernier  des 
Crozat,  mourut  le  i5  décembre  1770.  Il  était  père  de  la  maré- 
chale de  Broglie  et  oncle  de  la  duchesse  de  Choiseul.  Riche  comme 
tous  les  Crozat  il  possédait  une  galerie  de  tableaux  presqu'aussi 
belle  que  celle  du  Palais-Royal,  Il  en  avait  quatre  cents  au  moins 


26o  USU 

dont  cent  supérieurement  beaux.  Il  avait  aussi  des  portefeuilles 
précieux  de  dessins  originaux  des  plus  grands  maîtres  d'Italie. 
Le  cabinet  de  Crozat,  ou  du  moins  une  partie  de  ses  richesses, 
a  été  gravée. 


NION  (L')  ET  LES  FRÈRES  D'APOLLON.  En 
1734,  les  Chevaliers  de  V Union  furent  établis  à 
Vienne,  en  Dauphiné. 
Cette  association  est- elle  la  même  que  celle  dont 
parle  Moet  (p.  44  de  son  Antropophile,  ou  Secrets  et  Mystères 
de  V Ordre  de  la  Félicité,  1746,  in- 12),  sous  le  titre  de  Frères 
de  V Union  ?  «  Les  beaux-arts,  dit-il,  étaient  leur  principe,  et  la 
musique  principalement  ;  on  s'assembloit  dans  ce  dessein;  mais, 
dès  qu'on  étoit  ensemble,  on  oublioit  les  statuts,  et  Bacchus  seul 
étoit  le  commencement,  le  nœud  et  la  fin  de  chaque  assemblée. 
Les  étuis  des  instruments  faisoient  le  concert  ;  pour  les  musi- 
ciens, ils  les  laissoient tranquilles;  on  se  retiroit comme  on  étoit 
entré,  à  la  raison  près.  Beaucoup  d'honnêtes  gens  à  qui  ce  genre 
de  viedéplaisoit  n'y  ont  point  retourné,  et  l'Ordre  est  actuelle- 
ment dans  le  néant. 

«  Sur  ses  ruines  s'est  élevé  Y  Ordre  des  Frères  d'Apollon. 
Ilsontbien  commencé  (je  souhaite  ne  pas  être  trop  clairvoyant), 
ils  finiront  mal  :  je  veux  dire,  ils  finiront  comme  les  autres.  y> 

Selon  nous,  les  Frères  de  l'Union  et  les  Frères  d'Apollon, 
qui  en  sont  dérivés,  devaient  habiter  Paris  et  non  Vienne  en 
Dauphiné. 

USURIERS  (Confrairié  des).  Association  imaginaire  à  l'é- 
gard de  laquelle  nous  possédons  une  patente  que  nous  allons 
reproduire: 


USU  261 

En  tête,  l'image  de  Mercure,  tenant  un  caducée  d'une  main, 
une  bourse  de  l'autre. 

Patente  d'usurier.  Nous,  descendant  de  l'illustre  Saint  Mat- 
thieu, patron  du  sublime  corps  des  Usuriers  et  Préteurs  sur 
gages,  voulant  récompenser  d'une  manière  éclatante  les  services 
rendus  à  notre  Ordre  respectable  par  M.  ;  en 

notre  qualité  de  Grand-Maître,  le  nommons  inspecteur  en  chef 
dans  le  département  d  à  charge,  par  lui,  de  ne 

prêter  d'argent,  suivant  sa  louable  habitude,  qu'à  un  intérêt 
exhorbitant  et  capable  de  décupler  ses  fonds  en  moins  de  six 
mois;  de  ne  jamais  accorder  un  écu  sans  être  garanti  par  un 
dépôt  représentant  au  moins  dix  fois  la  valeur;  d'être  sourd  aux 
larmes  des  malheureux  que  le  besoin  aura  fait  recourir  à  lui;  et 
enfin  de  propager  et  faire  adopter,  par  les  moyens  qu'il  croira 
les  plus  propres,  l'inappréciable  méthode  qui  l'a  guidé  dans 
toutes  ses  actions,  méthode  à  laquelle  il  doit  d'immenses  capi- 
taux, ainsi  que  le  Brevet  que  nous  lui  accordons  aujourd'hui. 

Ordonnons  à  tous  les  usuriers,  tant  de  première  quede  seconde 
classe,  de  le  reconnaître  pour  leur  chef  et  de  lui  rendre  les  hon- 
neurs dus  à  l'éminent  emploi  dont  il  est  chargé. 

Délivré  en  notre  Palais  de  la  Juiverîe,  à  Jérusalem,  le 
sous  notre  contre-scel,  (représentant  un  vautour,) 

Isaac  VOLE-EORT,  Grand  Usurier; 
Par  le  Grand  Usurier, 

Jacob  PREND-TROP,  Secrétaire. 
A  côté  de  ces  noms  la  figure  d'un  vautour. 


262  VAL 


ALETS  ou  VARLETS  (Confrérie  des).  Festum 
Valletorum,  id  est  Juvenum  et  ineptorum,  selon 
l'explication  de  Charpentier  :  ce  Comme  d'ancien- 
neté^ il  est  en  la  ville  de  Donnemarie-en-Montois 
en  Brie,,  une  confrérie  appelée  la  F  este  aux  Valets,  laquelle  est 
faite  par  chacun,  au  dimanche  le  plus  prochain  après  la  Saint- 
Denis.»  La  même  fête  était  chômée  àDontilli(i)  sous  le  nom  de 
Feste  du  baston  de  Saint-Pierre.  Des  actes  du  quatorzième 
siècle  en  font  foi,  mais  nous  ignorons  ce  qui  s'y  pratiquait;  voir 
le  Glossarium  nQvumde  Carpentier  au  mot  Festum.  Nous  em- 
pruntons ces  détails  à  M.  Leber  {Collect.  de  dissertations  sur 
Vhist.  de  France ,  t.  IX,  p.  238). 

VALMUSE  (Le).  A  la  fin  du  siècle  dernier,  il  se  forma  dans 
le  nord  de  la  France  quelques-unes  de  ces  sociétés  poétiques, 
sous  des  noms  empruntés  à  leurs  occupations  favorites  ou  au 
lieu  où  elles  tenaient  leurs  séances,  à  l'instar  des  Académies 
Italiennes.  C'étaient  de  vieux  restes  des  Chambres  de  Rhétori- 
que flamandes,  et  le  dernier  écho  des  Puys  d'amour  et  des  Puys 
verts  de  l'Artois.  Au  nombre  de  ces  sociétés  on  distingue  celle 
des  Rosati  d'Arras,  et  l'Académie  bocagère  du  Valmuse;  la.  pre- 
mière est  assez  connue  pour  que  nous  n'en  disions  rien,  la 
seconde  l'est  moins  et  mérite  une  pension  spéciale. 

La  ville  de  Douai  après  avoir  vu  naître  dans  son  sein  et  dans 
ses  environs  la  Confrérie  des  Clers  Parisiens  et  le  Banc  poé- 
tique des  seigneurs  de  Cuincy,  devait  aussi  voir  fleurir  autour 
d'elle  V Académie  bocagère  du  Valmuse.  Le  Valmuse  était  une 
jolie  maison  de  campagne  que  M.  de  Wavrechin  avait  permis  à 
M.  Roman  de  bâtir  dans  sa  terre  de  Brunemont,  sur  les  bords 
de  la  Sensée,  entre  Douai  et  Cambrai,  et  qui  donna  son  nom  à 
une  société  anacréontique  que  cet  aimable  poète  y  a  formée. 

(i)  Arrondissement  de  Provins  (Seine-et-Marne). 


VAL  263 

Voici  à  quelle  occasion  :  Madame  de  Wavrechin  avait  un  per- 
roquet chéri  qui  mourut  ;  on  lui  éleva  un  mausolée  à  la  cam- 
pagne :  et  tous  les  poètes  de  la  banlieue  voulurent  chanter  les 
vertus  et  les  grâces  de  Jacquot.  En  assemblant  toutes  ces  pièces 
devers,  les  unes  sérieuses,  les  autres  badines,  on  connut  les 
richesses  poétiques  de  la  contrée.  Le  spirituel  abbé  Roman  au- 
teur, eut  l'idée  de  les  réunir,  et  il  inculqua  dans  la  tête  de  M. 
de  Wavrechin  la  pensée  de  faire  bâtir,  dans  un  des  plus  jolis 
sites  de  sa  terre,  un  lieu  de  plaisance  pour  y  rassembler  les  poètes 
et  poétesses  qui,  dans  la  circonstance  un  peu  puérile  que  nous 
venons  de  signaler,  avaient  fait  preuve  de  talent  et  d'amabilités 
Cet  endroit  fut  appelé  Valmuse,  et  les  membres  de  l'académie 
établie  dans  ce  vallon  poétique  se  nommèrent  Valmusiens  et 
Valmusiennes.  On  les  désignait  aussi  sous  le  nom  de  Bocagers 
et  de  Bocagères,  parce  que  chacun  d'eux  avait  dans  le  Valmuse 
un  arbre  qui  lui  était  dédié  et  qui  portait  son  chiffre  ou  son 
nom  ;  en  revanche  le  membre  de  la  Société  signait  ses  vers  du 
nom  de  son  arbre,  et  il  était  défendu  de  l'interpeller  autrement 
que  par  son  titre  de  Valmusien.  Ainsi.,  l'un  s'appela  le  Figuier, 
l'autre  le  Coudrier,  le  Palmier,  le  Myrthe  ou  le  Rosier  ;  on 
voyait  aussi  dans  la  liste  des  admis,  les  noms  inscrits  de  Cor- 
nouiller, Sureau,  Chêne,  Mezeréon,  Lilas,  Seringat,  Charme, 
Frêne,  Chèvrefeuille,  Oranger,  Cerisier,  Aubépine,  Osier,  Buis 
et  Noyer,  et  ces  arbres  se  retrouvaient  en  effet  dans  l'avenue  de 
Valmuse.  M.  de  Neuflieu,  lieutenant-colonel  du  génie  à  Douai, 
brave  militaire  qui  n'avait  rien  de  piquant,  et  qu'on  savait  très- 
bien  par  quel  bout  prendre,  signait  le  Houx,  et  Le  Gayy  d'Ar- 
ras,  l'auteur  doucereux  des  Souvenir s 3  n'était  connu  que  sous 
le  nom  du  Pécher.  Au  reste,  tous  les  sociétaires,  cavaliers  et 
dames,  paraissaient  gens  de  bonne  compagnie,  bons  vivans  et 
passant  gaîment  leur  tems  ;  après  les  plaisirs  de  la  table,  qu'on 
tint  toujours  en  Flandre  au  rang  des  premiers  devoirs,  la  poésie 
légère  et  les  exercices  champêtres  étaient  leurs  principaux  amu- 
semens;  ils  s'occupaient  aussi  beaucoup  de  botanique  et  de 
chasse. 


264  VAL 

Il  nous  reste  peu  de  pièces  de  l'Académie  bocagère  du  Val- 
muse;  ses  mémoires,  en  feuilles  fort  légères,  comme  on  le  pense 
bien,  s'envolèrent  comme  celles  de  la  Sy bille,  au  premier  vent 
qui  troubla  l'air  tranquille  du  vallon.  Beaucoup  de  vers  de  ces 
académiciens-arbustes  n'eurent  même  pas  les  honneurs  de  la 
transcription  et  se  perdirent  dans  les  airs  avec  le  son  de  la  voix 
qui  les  chantait.  Cependant  nous  avons  retrouvé  un  diplôme  de 
Valmusien,  conservé  dans  Mes  Souvenirs 3  par  Le  Gay- Pécher. 
(Caen,  1788,  in-18.  Tome  Ier,  pag.  148);  il  est  rédigé  par 
M.  Roman  : 

Diplôme  de  Valmusien. 

Nous,  fondateur  de  Valmuse,  ou 
Sur  l'escarpolette  volage, 
Sur  le  plus  joli  cassecou, 
Tout  agrégé,  selon  l'usage, 
Doit  se  démener  comme  un  fou 
Pour  mériter  le  nom  de  sage, 
Permettons  qu'au  mois  de  Mai 
Vienne  à  son  tour  y  prendre  place 
Cet  original  de  Le  Gay, 


Par  une  jeune  Bocagère 
Nous  avons  fait  graver  son  nom 
Sur  le  Pécher  où  Cupidon 
Pour  les  favoris  de  Cythère 
Va  multipliant  le  téton, 
Le  joli  téton  de  sa  mère. 

Fait  au  Valmuse,  où  sans  façon 
Nous  faisons  siéger  la  folie 
Sur  les  genoux  de  la  raison. 
(Signé)  Roman  et  son  Académie. 

La  pièce  la  plus  importante  qui  nous  reste  de  la  société  ana- 
créontique  qui  nous  occupe,  est  intitulée  :  V 'Académie  bocagère 
du  Valmuse,  poème,  1789.  Par  M.  B**  de  N**  L.-G.  au  C.-R 
du  G.  (Benoist  de  Neuf  lieu,  lieutenant-colonel  au  corps  royal 
du  génie).  Au  Mont-Parnasse,  chez  les  Neuf-Sœurs.  {Douai, 


VAU  265 

J.-P.  Derbaix  neveu),  in-8  de  32  pages.  C'est  l'histoire  envers 
de  l'Académie,  écrite  par  celui  de  ses  membres  qui  signait  le 
Houx.  Il  termine  ainsi  son  poème,  devenu  aujourd'hui  fort  rare, 
même  à  Douai;  on  y  voit  que  la  société  de  Valmuse  ne  dédai- 
gnait pas  dans  ses  jeux  les  plaisirs  de  l'art  dramatique  : 

O  Valmuse,  rians  bocages 

Frais  et  délicieux  vallon, 
Musée  et  cabinets  tapissés  de  feuillages, 
Bancs  de  gazons,  et  verdoyant  salon, 

Berceaux,  parterre,  escarpolette, 

Canal,  théâtre,  rivièrette, 

Et  des  Péripatéticiens 

Vous  longue  et  superbe  avenue, 

Vaîmusiennes  et  Valmusiens, 

Avec  respect  je  vous  salue, 

Le  Houx. 

M.  de  Neuflieu,  auteur  de  ce  poème,  né  à  Ham  en  1729,  vint 
mourir  à  Cambrai,  le  10  février  1809,  en  sortant  delà  présidence 
de  la  Société  d'Emulation  de  cette  ville.  Nous  même,  étant  en- 
fant et  collégien,  nous  avons  vu  ce  dernier  des  Valmusiens ,  âgé 
de  80  ans,  appuyé  sur  son  bâton  qui  n'était  autre  que  son  arbre 
de  Houx,  de  Brunemont,  mort  avant  lui;  nous  l'avons  vu  venant 
présider  l'Académie  naissante  de  la  ville  de  Fénelon,  et  y  débi- 
tant, après  les  graves  discussions,  quelque  fable  légère  de  son 
crû,  qu'il  appelait  la  petite  pièce  de  la  séance  ;  eh  bien  !  ce  Nes- 
tor des  académiciens,  qui  avait  assisté  aux  batailles  de  Fontenoy 
et  de  Crevelt,  qui  avait  traversé  nos  révolutions  et  entendu 
gronder  l'orage  sur  les  bosquets  du  Valmuse,  avait  conservé 
quelque  chose  d'aimable  et  de  courtois  que  n'avaient  pu  lui 
enlever  ni  la  guerre,  ni  les  années,  ni  les  rigueurs  de  l'adversité, 
et  qu'il  devait  peut-être  aux  douces  traditions  de  sa  joyeuse  et 
galante  académie  bocagère. 

VAUDEVILLE  (Dîners  du).  Le  2  fructidor,  an  V  (19  août 
1797),  dans  un  dîner  chez  Juliet,  qui  cumulait  l'emploi  d'ac- 


266  VAU 

teur  à  POpéra-Comique  avec  la  profession  de  restaurateur,  dix- 
sept  chansonniers  et  vaudevillistes  :  Barré,  Piis,  Deschamps, 
Desfontaines,  Radet,  les  deux  frères  Ségur,  Léger,  Monnier, 
Rozière,  Demautort,  Despréaux,  Bourgueil,  Prévost  d'Yray, 
Desprez,  Chéron  et  Cambon,  résolurent  de  ressusciter  les  dî- 
ners du  Caveau  (Voyez  ce  nom).  Barré  était  peut-être  le  seul 
qui  eut  fait  partie  du  second  Caveau,  présidé  par  Crébillon  le 
fils. 

Aux  premiers  fondateurs  se  réunirent  bientôt  quelques  nou- 
veaux élus  :  Laujon,  Armand  Gouffé,  Chazet,  Emmanuel  Du- 
paty,  Dieulafoix,  Philippon  la  Madelaine,  etc.,  qui  en  firent 
une  réunion  d'élite  et  très-gaie.  A  cette  époque  du  Directoire 
on  cherchait  à  se  dédommager  de  la  terreur  sous  laquelle  on 
avait  été  longtemps  comprimé.  Le  18  fructidor  apporta  bien 
quelques  perturbations  dans  la  gaîté  générale,  mais  l'impulsion 
était  donnée,  on  la  suivit  et  l'on  chanta  pour  rattraper  le  temps 
perdu. 

Les  règlements  de  la  nouvelle  société  furent  rédigés  et  approu- 
vés en  chansons  : 

Art.  Ier. 

Les  auteurs  du  Vaudeville 
Et  ses  administrateurs, 
De  ce  plan,  vraiment  utile, 
Se  déclarent  fondateurs  ; 
Et  sûrs  que  le  jus  bachique 
Inspire  le  bon  couplet, 
Font  le  serment  authentique, 
De  dîner  au  cabaret. 

Art.  II. 

Ce  sera  par  an  douze  fois, 
Sans  sa  femme  et  sans  son  amie  ; 
Le  jour  sera  le  deux  du  mois, 
L'heure  sera  deux  et  demie. 


VAU  267 


Art.  V. 


En  entrant  avant  toute  affaire, 
Dans  un  vase  chacun  mettra 
Un  sujet  de  chanson  à  faire 
Qu'ensuite  au  sort  on  tirera  ; 
Puis  il  faudra  (quoique  poète) 
Taire  ce  sujet;  et  sans  nom 
Que  le  mois  d'après  on  remette 

La  chanson 
Comme  on  l'aura  faite. 

Art.  VI. 

Chant  libre  au  genre  erotique, 
Moral,  critique 
Et  bouffon  ; 
Mais  jamais  de  politique, 
Jamais  de  religion, 
.Ni  de  mirliton,  etc. 

Art.  VII. 

Pour  être  admis  on  sera  père 

De  trois  ouvrages  en  couplets, 
Dont  deux  au  moins  (clause  sévère) 
Auront  esquivé  les  sifflets,  etc. 

On  dîna  donc  de  mois  en  mois,  à  dater  du  2  fructidor  an  V, 
jusqu'en  nivôse  an  X,  janvier  1802,  ce  qui  comprend  52  dîners 
qui  produisirent  16  à  17  chansons  chacun.  Le  recueil  de  ces 
chants  forme  9  vol.  in- 18  sous  le  titre  de  :  Les  Dîners  du  Vau- 
deville, avec  musique  imprimée.  Paris 3  Huet,  an  V,  1797, 
an  X,  1802.  Beaucoup  de  ces  chansons  sont  jolies,  mais  la  né- 
cessité de  se  conformer  à  un  sujet  donné,  sujet  souvent  fort 
bizarre,  y  jette  quelquefois  une  gêne  et  une  monotonie  qui  de- 
viennent fatigantes. 

Les  Dîners  du  Vaudeville  ont  été  remplacés  par  ceux  du 
Caveau  moderne.  (Voyez  ce  nom.) 


268  VAU 

Le  projet  de  souscription  et  le  prospectus  se  firent  en  couplets 
comme  les  statuts.  En  voici  quelques-uns  : 

Air  :  Du  curé  de  Pomponne. 

Nous  comptions,  d'abord,  entre  nous, 

Dîner,  chanter  et  boire  ; 
Et,  sans  chercher,  comme  des  fous, 

Le  temple  de  mémoire, 
Au  cabaret,  nous  disions  tous, 
Dans  un  joyeux  délire  : 

a  Ah! 

«  Celui  qui  viendra 

«  Là, 

«  Rira. 

«  Nous  ne  voulons  que  rire.  » 

Tout-à-coup  M.  Huet,  libraire  au  théâtre  Feydeau,  demande 
(toujours  par  une  chanson_,  on  ne  parle  qu'ainsi  dans  cette  so- 
ciété) de  publier  les  œuvres  des  membres  de  la  société.  On  nomme 
alors  six  commissaires  chargés  de  dresser  le  prospectus. 

Sur  l'air  :  Chante^,  danse?. 

Nous  promettons  dou^e  cahiers  ; 
Douze  par  an,  c'est  bien  honnête  ; 
Un  chaque  mois...  des  trois  premiers 
La  livraison  est  déjà  prête. 
Joli  format  ;  de  plus,  notez 
Que  tous  les  airs  seront  notés. 

On  désigne  les  conditions  de  l'abonnement,  les  libraires  char- 
gés des  souscriptions  et  du  débit,  et  l'on  stipule  que  M.  Cordier 
imprimeur,  une  fois  payé,  les  bénéfices,  s'il  y  en  a,  serviront  à 
des  actes  de  bienfaisance.  Là  dessus  on  chante  sur  l'air  :  Accom- 
pagné de  plusieurs  autres  : 

Ce  projet  doit  plaire  aux  auteurs, 
Aux  lecteurs, 
Comme  aux  souscripteurs. 


VAU  269 

Ah  !  quels  plaisirs  seraient  les  nôtres, 
Si  l'on  en  tirait  quelque  fruit, 
Si,  de  ces  Dîners,  le  produit 
En  faisait  dîner  quelques  autres  ! 

Le  prospectus  est  terminé  par  ces  vers  qui  contiennent  les 
noms  des  commissaires. 

Air  :  Vaudeville  de  la  Fausse  magie. 

Après  ces  couplets,  le  douzième 
Terminera  ce  prospectus. 
Au  nom  de  Bacchus, 
De  Momus, 
Paris...  cinq  nivôse  —  an  cinquième. 
Piis,  Barré,  Deschamps,  Radet, 
Ségur  aine,  Ségur  cadet. 

Pour  la  3e  année  un  nouveau  prospectus,  dans  la  même  forme, 
fut  lancé  par  sept  commissaires. 

La  bibliographie  des  Dîners  du  Vaudeville  peut  s'établir  de 
la  façon  suivante  : 

Les  Dîners  du  Vaudeville,  avec  musique  imprimée.  Paris, 
Huet,  an  V  (1797)  — an  ^(1802,  9  vol.  in- 18. 

Ballon  d'essai  ou  Chansons  et  autres  poésies  de  L.  Armand 
Gouffé,  convive  des  anciens  Dîners  du  Vaudeville,  l'un  des  fon- 
dateurs du  Caveau  moderne,  etVoilà  tout.  2e  édition,  Paris,  Ca- 
pelle,  i8io_,  in- 18. 

Ballon  perdu,  ou  Chansons  et  autres  poésies  d' Armand  G  ou f- 
fé,  faîtes  depuis  la  publication  du  Ballon  d'essai.  Paris,  Nep- 
veu,  i8o5,  in-18. 

Encore  un  Ballon,  ou  Chansons  et  autres  poésies  d'Armand 
Gouffé,  pour  faire  suite  au  Ballon  d'essai  et  au  Ballon  perdu. 
Paris,  Cap  elle,  1807,  in-18. 

Le  Dernier  Ballon,  ou  Recueil  de  chansons  et  autres  poésies 
nouvelles  d'Armand  Gouffé.  Paris,  Delaunay,  1812,  in-18. 

La  Danse  française ,  dédiée  à  notre  brave  armée  d'Angleterre, 


27o  VAU 

par  les  auteurs  des  Dîners  du  Vaudeville.  in-8°,3  pages.  Paris, 
impr.  du  dépôt  des  lois  (vers  l'époque  du  camp  de  Boulogne). 

La  publication  des  Dîners  du  Vaudeville,  commencée  en 
vendémiaire  an  V.,  plusieurs  fois  suspendue  eï  reprise,  com- 
prend 52  numéros  difficiles  à  rassembler. 

Je  possède  les  3o  premiers,  reliés'en  5  vol.  in-18.  Paris,  chez 
Cordier  (pour  les  3  premiers)  ;  chez  Huet,  à  partir  du  n°  4;  les 
derniers  chez  Rondonneau  et  Brunet.  Chaque  cahier  suivi  de 
musique  notée.  Le  no  de  36  à  5o  pages,  pour  les  24  premiers 
numéros  qui  coûtaient  7  fr.  5o  les  12;  et  de  54  à  70  pages 
pour  les  suivants  payés  10  fr.  les  12  (une  année). 

La  3e  année,  les  membres  étaient  augmentés  :  Goulard,  F. -P. 
Saint-Léger,  Emm.  Dupaty,  Alisan  de  Chazet. 

Au  dîner  du  2  brumaire  an  V  on  fêta  Juliet,  l'acteur.  Piis  fit 
une  chanson  sur  lui. 

Au  dîner  du  2  ventôse  an  V  assistait  Grétry,  chanté  par  Radet. 

Le  2  germinal  an  V,  Philipon  de  la  Madelaine  fut  admis  au 
nombre  des  convives  ordinaires.  Il  avait  assisté  au  dîner  comme 
convive  présenté  par  Le  Prévôt  d'Iray,  son  disciple  (1).  Le  can- 
didat ayant  été  admis  à  l'unanimité,  en  témoigna  sa  reconnais- 
sance par  cet  impromptu,  sur  l'air  du  Vaudeville  d'Épicure  : 

Les  joyeux  enfans  de  Thalie , 
A  leurs  banquets  m'ont  adopté. 

(1)  Après  s'être  livré  à  la  littérature  légère,  Le  Prévôt  d'Iray  aborda  des 
études  plus  sérieuses,  devint  inspecteur-général  de  l'Université  et  membre 
.  de  l'Académie  des  Inscriptions.  Il  laissa  une  Histoire  de  l'Egypte  sous  le 
gouvernement  des  Romains,  et  d'autres  écrits  d'une  érudition  peu  sûre. 
Quant  à  Philippon  de  la  Madelaine,  né  en  1734,  il  entra  dans  sa  jeunesse 
dans  YOrdre  des  Jésuites,  et  mourut  plus  qu'octogénaire,  laissant  un  long 
bagage  oublié  aujourd'hui  :  des  livres  d'éducation,  des  chansons,  des  vaude- 
villes, des  grammaires,  etc.;  nous  citerons  seulement  :  Y  Élève  d'Épicure,  ou 
Choix  de  chansons,  précédé  d'une  notice  sur  Épicure  et  sur  le  Caveau,  1801 
et  1804.  Ces  deux  éditions  contiennent  des  pièces  qui  avaient  déjà  paru  sous 
le  titre  de  Jeux  d'un  Enfant  du  Vaudeville,  1799;  on  y  trouve  des  contes  qui 
ont  disparu  d'une  autre  édition  :  Choix  de  Chansons,  1810;  celles-ci  y  sont 
en  plus  grand  nombre. 


VAU  271 

J'ensuis  confus,  pour  mon  génie  ; 
Pour  mon  cœur,  j'en  suis  transporté. 
En  vain,  dans  l'art  que  j'idolâtre, 
Je  suis  loin  d'être  leur  égal  ; 
S'ils  sont  mes  maîtres  au  théâtre , 
A  table,  ils  auront  un  rival. 

Sedaine  devait  assister  aux  Dîners  du  Vaudeville  du  2  floréal 
an  V,  et  la  lettre  qu'il  adressa  pour  s'excuser  de  ne  pouvoir  s'y 
rendre  est  peut-être  la  dernière  qu'il  écrivit;  il  mourut  peu  de 
jours  après. 

Le  2  nivôse,  Laujon,  doyen  des  chan'sonniers,  fut  invité  aux 
Dîners  du  Vaudeville  et  chanté  par  Demautort. 

Le  2  pluviôse  an  VII,  Dieulafoi  fut  admis  sociétaire. 

Il  a  paru  :  Choix  des  Dîners  du  Vaudeville^  composé  des 
meilleures  chansons  de  MM.  de  Ségur,  de  Piis,  Barré,  Radet, 
Desfontaines,  Laujon,  Armand-Gouffé,  de  Chazet,  Philippon- 
la-Madelaine,  Le  Prévôt-d'Iray,  Despréaux,  Dieulafoi,  Demau- 
tort, Dupaty,  Deschamps,  etc.  etc.,  extraits  de  la  collection 
complète  des  Dîners  du  Vaudeville.  Avec  musique  gravée.  Pa- 
ris, Léopold  Collin,  181 1,  2  vol.  in-18,  fig. 

La  constitution  de  la  Société  des  Dîners  du  Vaudeville  a 
dû  être  nécessairement  en  chansons;  les  commissaires  chargés 
de  présenter  un  projet  de  statuts  furent  Radet,  Piis,  Deschamps, 
Ségur  qui  s'en  acquittèrent  bien  gaîment  au  banquet  du  2  ven- 
démiaire an  V.  (Les  bases  en  avaient  été  arrêtées,  toujours  dans 
un  dîner,  le  2  fructidor  précédent). 

La  société  adopta  le  projet  en  ces  termes  sur  l'air  : 

On  compterait  les  diamants. 

«  Après-dîner,  nous  approuvons 
«  De  par  la  muse  chansonnière, 
«  Ledit  projet  et  souscrivons, 
a  Barré,  Léger,  Monnier,  Rozière, 
«  Demautort,  Despréaux,  Chéron, 
«  Desprès,  Bourjeuil  et  Desfontaines, 


272  VAU 

«  Ségur  aîné,  Prévôt,  Chambon... 

«  Onze  de  moins  que  deux  douzaines,  » 

Bientôt  vinrent  Philippon,  A.  Gouffé,  Ségur  cadet,  Dupaty, 
Mauric  Séguier,  Dieulafoi,  de  Chazet,  Laujon  malgré  son  grand- 
âge,  etc. 

Les  statuts  consistaient  en  huit  articles,  c'est-à-dire  huit 
couplets.  Ondevait  s'assembler  tous  les  2  du  mois,  à  deux  heures 
et  demie,  sans  dames,  sous  les  auspices  de  Panard,,  Vadé,  Pi- 
ron,  Collé  et  Favart,  à  dîner  ou  chacun  payait  son  écot  chez  un 
restaurateur  choisi;  en  entrant  chacun  mettait  dans  une  urne 
un  sujet  de  chanson  à  faire  que  l'on  tirait  ensuite  au  sort,  et  le 
mois  suivant  on  rapportait  la  chanson  faite  sur  le  mot  que  le 
sort  désignait  à  chaque  membre.  Les  sujets  politiques  et  reli- 
gieux étaient  les  seuls  prohibés.  Chacun  à  son  tour  avait  le 
droit  d'amener  un  étranger  ou  candidat  pour  les  places  qui  pour- 
raient vaquer.  Il  n'y  avait  parj  dîners  que  deux  étrangers.  On 
ne  pouvait  se  dispenser  d'assister  aux  séances  que  pour  des  cas 
très  graves;  dans  tous  les  cas  on  n'était  jamais  dispensé  d'en- 
voyer sa  chanson  et  son  écot. 

Le  Journal  des  Gourmands  et  des  Belles,  ou  VÉpicurien 
français,  rédigé  par  quelques  littérateurs  gourmands,  plusieurs 
convives  des  Dîners  du  Vaudeville,  un  docteur  en  médecine, 
etc.,  etc.,  etc.,  avec  cette  épigraphe  : 

Rions,  chantons,  aimons,  buvons, 
Voilà  toute  notre  morale. 

Paris,  chez  Capelle  et  Renand,  paraissait  tous  les  mois,  un 
de  90  pages  in-18,  à  dater  de  1806. 

Il  naquit  après  la  cessation  des  Dîners  duVaudeville,  qui  eut 
lieu  en  l'an  X,  lorsque  plusieurs  de  leurs  joyeux  convives  furent 
appelés  à  des  places  éminentes  du  gouvernement,  ou  quittèrent 
Paris,  ou  même  moururent,  malgré  leur  gaîté  et  leurs  chants. 
La  Société  Epicurienne,  dite  des  Gourmands,  est  la  seule  qui 
depuis  l'an  X  ait  publié  périodiquement  des  chansons;  elle  est 
censée  avoir  succédé  à  la  Société  des  Dîners  du  Vaudeville. 


VAU  273 

Elle  scait  tous  les  mois  au  Rocher  de  Cancale,  chez  Balaine. 
Chaque  convive  devait  apporter  une  chanson  chaque  mois.  Lau- 
jon, doyen  des  chansonniers  vivants,,  en  était  président,  en  dé- 
pit de  ses  quatre-vingt-trois  ans. 

Les  convives  des  Dîners  du  Vaudeville  s'assemblaient  chez 
Brigot,  passage  Marigny. 

Bourgueil,  un  des  auteurs  des  Dîners  du  Vaudeville,  est  mort 
le  19  prairial  an  X,  âgé  de  39  ans;  il  avait  composé  plusieurs 
pièces  pour  le  Vaudeville.  A  des  talents  agréables  il  joignait 
des  connaissances  variées;  il  fut  fort  regretté  de  ses  camarades. 

Jacques-Benoît  Demautort,  mort  à  Paris,  le  10  octobre  18 19, 
auteur  de  plusieurs  vaudevilles,  faisait  de  jolis  couplets;  on  en 
trouve  de  lui  dans  les  Dîners  du  Vaudeville  et  dans  la  pièce  de 
Michel  Morin. 

Demautort  était  né  à  Abbeville  le  29  mai  1745  ;  en  1792,  il 
fit  jouer  au  Vaudeville  le  Petit  Sacristain,  comédie-vaudeville 
en  un  acte;  en  1794,  Arlequin-Joseph,  com. -parade;  en  1795, 
la  Marchande  de  la  Halle;  en  1800,  Vadé  che%  lui,  scènes 
grivoises.  Il  a  participé  à  Enfin,  nous  y  voilà  !  la  Tragédie  au 
Vaudeville,  et  à  la  Paix  dans  la  Manche. 

Terminons  par  une  anecdote  citée  par  M.  A.  de  Bragelonne 
(Chronique  de  Paris,  juin  i85i)  :  Laujon  n'aimait  pas  à  rimer 
dans  le  silence  du  cabinet.  Par  un  beau  temps,  il  s'asseyait  à 
l'ombre  d'un  vieil  arbre  des  Tuileries,  et  là,  sous  l'inspiration 
d'un  ciel  pur  et  du  parfum  de  la  feuillée,  improvisait  ses  vers, 
qu'il  chantonnait  tout  en  les  crayonnant  sur  son  calepin. 

Une  fois,  c'était  jour  de  banquet,  Alissan  de  Chazet,  son 
jeune  confrère,  moins  charitable  que  malin,  traversant  le  jardin 
des  Tuileries,  avise,  adossé  contre  un  marronnier,  Laujon  qui 
tire  son  portefeuille  en  fredonnant  à  dèmi-voix.  Il  s'approche 
à  pas  de  loup,  sans  que  le  poète,  absorbé  par  la  composition,  se 
soit  aperçu  de  sa  manœuvre,  se  cache  derrière  le  tronc  séculaire 
et  saisit  au  vol  chaque  hémistiche  qu'il  consigne  sur  son  agenda; 
sa  tâche  finie,  Laujon  se  lève,  Alissan  s'esquive,  et  tous  deux  se 
retrouvent  une  heure  après  à  la  table  de  Juliet. 

18 


274  VAU 

Le  moment  de  chanter  est  venu  :  Chazet  revendique  un 
tour  de  faveur  pour  des  couplets,,  les  meilleurs,  dit-il,  en  ap- 
puyant sur  ce  propos,  qu'il  ait  fredonnés  de  sa  vie.  La  confiance 
du  chansonnier  pique  la  curiosité.  Le  tour  est  accordé  par 
acclamation.  Alissan,  de  sa  voix  sonore,  entonne  la  fameuse 
chanson. 

Aux  premiers  vers,  Laujon  dresse  l'oreille,  écarquille  les  yeux, 
se  tâte  pour  s'assurer  qu'il  est  bien  éveillé.  Aurait-il  perdu  ses 
tablettes?  Non,  il  les  retrouve  à  leur  place;  il  les  tire,  les  ouvre, 
cherche  à  la  hâte  la  page  dépositaire  de  ses  confidences  lyriques. 
La  voilà,  il  y  suit  mot  à  mot  les  refrains  que  Chazet  débite;  pas 
une  rime,  pas  un  iota  de  changé.  A  quel  prodige  attribuer  cette 
similitude  magique?  Le  pauvre  Laujon  en  perd  la  carte.  Mais, 
le  plus  clair  de  l'aventure,  c'est  que  le  voici  contrefacteur  sans 
le  savoir  et  plagiaire  maigre  lui. 

Cependant  le  chanteur  a  fini.  Trois  salves  de  bravos  éclatent 
à  l'unisson.  Seul,  Laujon  reste  muet,  moitié  par  modestie  et 
moitié  par  stupeur. 

Eh  bien  !  vous  vous  taisez,  Laujon?  lui  dit  Chazet  d'un  air 
d'ingénuité  parfaite.  Est-ce  que  vous  seriez  jaloux?...  Allons,  à 
votre  tour,  confrère;  peut-être aurez-vous  trouvé  mieux. 

Laujon,  de  plus  en  plus  désorienté,  se  trouble,  hésite,  bal- 
butie... 

—  Quoi  !  mauvais  père,  reprend  Chazet  avec  un  long  éclat  de 
rire,  on  vous  enlève  vos  enfans  et  vous  ne  criez  pas  au  voleur!., 
tenez,  reprenez  votre  bien,  et  que  cette  leçon  vous  apprenne  que 
si  les  murs  ont  des  oreilles,  tous  les  maronniers  ne  sont  pas 
sourds. 

La  victime  désensorcelée  prit  très-gaiement  ce  tour  de  page,  et 
la  bande  joyeuse  sabla  la  première  rasade  en  l'honneur  du  vol  à 
la  chanson. 

VAUDREUIL  (Société  dramatique  de  M.  de),  (à  Genevil- 
liers).  M.  de  Vaudreuil  qui  fit  partie  de  la  petite  troupe  de  Tria- 
non,  avait  un  théâtre  de  société  à  son  château  de  Genevilliers. 


VER  275 

Le  Mariage  de  Figaro  y  fut  joué  pour  la  première  fois  à  la 
fin  d'Avril  1784. 

Tous  les  spectateurs  étaient  gens  de  cour;  mais  les  acteurs 
étaient  ceux  de  la  Comédie-Française. 

Les  grands  Seigneurs  trouvèrent  Figaro  très-piquant,  très- 
gai,  presque  décent,  et  s'intéressèrent  à  ce  que  le  public  ne  fut 
pas  privé  de  ce  qui  devait  l'amuser  à  leurs  dépens. —  Ils  aidèrent 
ainsi  à  la  représentation  d'une  pièce  qui  a  préparé  leur  chute  et 
leur  abaissement. 

Le  baron  de  Besenval,  présent  à  la  représentation  fut  presque 
le  seul  qui  fit  opposition  à  ce  que  l'œuvre  de  Beaumarchais  fut 
livrée  au  public. 

Le  maréchal  de  Richelieu  possédait  une  jolie  campagne  à 
Genevilliers  ;  on  y  voyait  une  glacière  surmontée  d'un  temple 
dont  le  comble  était  garni  d'autant  de  statues  qu'il  comptait  de 
colonnes.  — Ce  château  est  parvenu  à  la  famille  Portalis  et  le 
temple  est  encoredebout  à  ce  que  dit  Dulaure  (t.  II,  p.  i3o)  Ce 
château  est-il  le  même  que  celui  de  M.  de  Vaudreuil  ? 

VENIAM  PRO  LAUDE  (Société).  La  société  Veniam  pro 
lande,  instituée  à  Leyde,  était  une  association  de  plaisir  tran- 
quille telle  qu'on  en  voyait  et  qu'on  en  voit  encore  en  Hollande. 
Celle-ci  a  laissé  des  traces  de  son  passage.  Il  existe  un  livre  in- 
titulé :  Description  de  la  grande  cavalcade  en  traîneau  exé- 
cutée par  la  Société:  Veniam  pro  laude.  Leyden,  1766,  in-fol» 
fig.  en  taille-douce  gravées  par  Righout. 

Un  exemplaire  de  ce  volume  rare,  vendu  à  Paris  (maison  Sil- 
vestre)  le  28  décembre  i858,  présentaitla  signature  autographe 
du  graveur  Righout  sur  chaque  planche. 

VERRIÈRES  (Ordre  illustre  de).  Cet  ordre  ne  m'est  connu 
que  par  ses  réglemens  qui,  je  crois,  sont  restés  inédits;  je  les 
insère  ici  d'après  une  copie  faite  sur  le  manuscrit  que  s'était 
procuré  M.  Leber  et  qui  est  porté  au  n°  2628,  tome  I,  page  417, 
du  catalogue  de  sa  bibliothèque  (1839 ,  3  volumes  in-8°),  ao#* 


276  VER 

quise  par  la  ville  de  Rouen,  ainsi  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de 
le  dire. 

Statuts  de  VOrdre  illustre  de  Verrières,  autrement  dit  /'Or- 
dre des  Sifletz,  publie^  sous  l'autorité  de  notre  tres-reuerêe 
et  tres-aymable  sœur  Piquante,  grande-maîtresse  de  l'Or- 
dre, et  approuueç  par  le  frère  Intrépide,  grand-maistre  et 
fondateur  de  VOrdre. 

I.  —  Comme  l'Ordre  est  institué  pour  le  plaisir  et  l'amuse- 
ment des  dames,  on  a  résolu,  d'un  commun  consentement,  que 
les  cheualiers  feront  serment  d'obéir  en  tout  aux  sœurs  de  l'Or- 
dre, et  de  conseruer  pour  les  autres  dames  la  politesse  qui  doit 
faire  le  véritable  caractère  des  cheualiers. 

II.  — Que  par  cette  raison,  quoique  le  frère  Intrépide  soit 
fondateur  de  l'Ordre,  cependant  tout  l'Ordre  sera  sous  l'auto- 
rité de  la  sœur  Piquante,  entre  les  mains  de  laquelle  tous  les 
chevaliers  feront  le  serment. 

III.  —  Que  pour  euiter  la  multiplicité  si  contraire  a  la  dignité 
des  Ordres  de  cheualerie,  aucun  cheualier,  et  aucune  sœur,  en 
quelque  nombre  qu'ils  soient  assemblez,  ne  pourront  recevoir 
aucun  cheualier  ni  aucune  sœur,  si  la  grande-maîtresse  n'est 
présente  au  chapitre. 

IV.  —  Que  lorsqu'un  frère  ou  une  sœur  se  présenteront  pour 
estre  reçus,  le  chapitre  sera  assemblé  de  l'ordre  de  la  grande 
maîtresse,  et  le  frère  ou  la  sœur  reçus  Ou  refusez  à  la  pluralité 
des  voix.  En  cas  de  partage,  la  voix  de  la  grande-maîtresse  pré- 
uaudra. 

V.  —  Et  comme  l'esprit  de  l'Ordre  est  de  vouer  une  parfaite 
obéissance  à  la  grande-maîtresse  elle  pourra  former  opposition 
à  la  réception  de  quelque  frère  ou  sœur  qui  quand  ils  auroient 
toutes  les  voix  du  chapitre  ne  pourront  estre  reçus,  pourueu  que 
la  grande-maîtresse  veuille  bien  se  seruir  de  ces  mots  exprès, 
je  m'oppose  formellement  à  cette  réception. 

VI.  —  Que  lorsqu'à  la  pluralité  des  voix  et  du  consentement 


VER  277 

de  la  grande-maîtresse  on  aura  résolu  de  receuoir  un  frère  ou 
une  cœur,  la  cérémonie  s'en  fera  de  cette  manière. 

On  fera  entrer  le  postulant,  il  se  mettra  à  genoux  deuant  la 
grande-maîtresse  qui  l'interrogera  sur  le  désir  qu'il  a  d'entrer 
dans  l'Ordre  et  sur  les  dispositions  qu'il  doit  y  apporter. 

Ensuitte  si  c'est  un  frère  la  grande-maîtresse  luy  fera  prester 
serment,  luy  attachera  le  siflet  et  l'honorera  de  l'accolade.;  après 
quoy  il  aura  l'honneur  de  receuoir  pareille  accolade  des  sœurs 
et  des  frères  présens,  et  des  absents  et  des  absentes  lorsqu'il  se 
présentera  deuant  eux  pour  la  première  fois;  il  prendra  séance 
après  sans  autre  cérémonie. 

Si  c'est  une  sœur  le  grand-maistre  la  recevra  auec  les  mesmes 
cérémonies. 

En  cas  d'absence  du  grand-maistre  pour  ne  point  retarder  la 
juste  impatience  des  sœurs  et  la  propagation  de  l'Ordre^  la 
grande-maitresse  pourra  pareillement  receuoir  les  sœurs,  mais 
à  la  charge  de  commettre  un  chevalier  pour  faire  prester  serment 
à  la  sœur,  attacher  le  cordon  du  siflet,  et  luy  donner  l'accolade 
sans  pouuoir  sous  aucun  prétexte  faire  elle-mesme  aucune  de 
ces  fonctions  n'y  y  commettre  aucune  sœur  à  peine  de  nullité 
de  la  réception. 

VIL  —  Que  quant  les  frères  ou  sœurs  seront  hors  des  yeux 
des  profanes  (1)  ou  en  plus  grand  nombre  que  les  profanes  ou 
assemblez  en  chapitre  ils  ne  pourront  se  nommer  que  du  nom 
de  frères  ou  de  sœurs  sous  peine  de  l'accolade  pour  les  sœurs, 
et  de  punition  arbitraire  pour  les  frères. 

VIII.  —  Que  les  sœurs  et  cheualiers  porteront  au  costé  gau- 
che près  du  cœur  un  siflet  d'yvoire  de  figure  grotesque  attaché 
à  un  cordon  de  gros  bleu. 

IX. —  Que  quand  les  sœurs  et  cheualiers  se  rencontreront  à 
la  campagne  ils  se  salueront  à  coups  de  siflet. 

X.  —  Que  cet  Ordre  sera  incompatible  avec  tout  autre  excepté 

(1)  Profanes  sont  ceux  qui  ne  sont  point  de  l'Ordre,  qui  ne  postulent 
point  pour  en  estre  ou  qui  en  sont  exclus. 


278  VER 

auec  ceux  de  Saint-Louis,  Saint-Michel,  du  Saint-Esprit  et 
autres  dont  le  roy  voudra  honorer  des  frères. 

Xï.  —  Que  F  Ordre  de  la  Méduse  pour  bonnes  considérations 
pourra  aussy  estre  compatible  avec  ¥  Ordre  de  Verrières  ou  du 
Siflet. 

XII.  —  Que  non-seulement  les  sœurs  et  frères  de  Y  Ordre  de 
Verrières  ne  pourront  receuoir  aucun  autre  Ordre  que  ceux  qui 
ont  esté  dits  auparauant.  Mais  mesme  en  cas  qu'ils  en  eussent 
reçus  ils  seront  obligez  d'y  renoncer  en  receuantceluy  au  Siflet, 
et  auant  que  d'y  estre  admis  au  rang  des  frères  ou  sœurs. 

XIII.  —  Que  pour  conseruer  l'union  et  la  cordialité  entre  les 
sœurs  et  les  frères  ils  exerceront  entre  eux  l'hospitalité. 

XIV.  —  Qu'aucune  sœur  ou  frère  ne  pourra  estre  receu  à  l'ad- 
uenir  s'il  est  receu  dans  l'ordre  du  mariage,  sans  pourtant  que 
ceux  qui  auroient  été  reçus  estants  pour  lors  dans  le  célibat  et 
qui  viendroient  après  à  se  marier  puissent  estre  banis  de  l'Ordre 
sous  ce  prétexte. 

XV.  —  Qu'aucuns  des  frères  et  sœurs  ne  pourront  sous  aucun 
prétexte  réuéler  les  délibérations  prises  dans  le  chapitre  de 
l'Ordre. 

XVI.  —  Que  les  sœurs  auront  pleine  liberté  de  choisir  leurs 
cheualiers  et  de  les  changer  auec  l'agrément  de  la  grande-maî- 
tresse, laquelle  ne  pourra  leur  refuser  quand  les  sœurs  luy  deman- 
deront, à  condition  pourtant  que  les  sœurs  ne  réuelleront  pas 
les  deffauts  des  cheualiers ,  et  qu'elles  ne  pourront  dire  leurs 
sujets  de  plaintes  qu'à  la  grande-maîtresse  et  mesme  sous  le 
sceau  de  la  confession. 

i 

XVII.  Que  les  sœurs  et  les  frères  auront  des  prouisions  don- 
nées par  la  grande-maîtresse  et  contresignées  par  le  grand- 
maistre. 

XVIII.  —  Que  les  difficultez  qui  pourront  suruenir  au  sujet 
des  statuts  et  pour  l'utilité  de  l'Ordre  seront  décidées  par  les 
chapitres,  lesquels  chapitres  seront  nuls  si  la  grande-maîtresse 
n'y  assiste. 

XIX.  —  Qu'aucun  chapitre  ne  pourra  changer  les  présentes 


VER  .  279 

règles  qui  sont  les  règles  fondamentales  de  l'Ordre,  mais  seule- 
ment les  expliquer  et  y  adjouter  sans  qu'on  puisse  sous  aucun 
prétexte  directement  ny  indirectement  donner  atteinte  aux  dix- 
huit  règles  précédentes  qui  seront  seules  appelées  les  statuts  de 
l'ordre,  celles  qui  seront  faittes  après  ne  pouuantestre  jntitulées 
que  arrests  du  chapitre  de  YOrdre  de  Verrières  ou  du  Siflet. 
Serment.  1.  —  Je  jure,  je  promet  d'obéir  à  jamais. 

2.  —  D'obseruer  de  point  en  point  les  statuts  sans  souffrir, 
qu'il  y  soit  rien  changé. 

3.  —  D'auoir  un  très-profond  respect  pour  l'Ordre  et  pour  la 
sœur  Piquante,  souueraine  et  grande-maîtresse  de  l'Ordre. 

4.  —  Beaucoup  de  considération  pour  le  grand-maistre. 

5.  —  Et  beaucoup  de  cordialité  et  d'affection  pour  les  sœurs 
et  frères. 

Les  présentes  règles  ainsy  signées  :  sœur  Piquante,  grande- 
maîtresse;  frère  Intrépide,  grand-maistre;  sœur  Finette;  sœur 
Brillante;  sœur  Spirituelle;  sœur  Sensible;  frère  Discret;  frère 
Tout  Rond  ;  sœur  Mutine  (1);  frère  Volage;  frère  Amusant. 

VERRUE,  à  Saint-Assise,  (Société  de  la  Comtesse  de). 
L'abbé  Roman  (Jean-Joseph  Thoûse),  né  à  Avignon  en  mai 
1726,  mort  dans  sa  maison  à  Vaucluse  en  1787,  faisait  partie 
des  amateurs  du  jeu  des  échecs  qui  composaient  cette  société. 
Les  échecs,  mis  en  vogue  par  Philidor,  étaient  devenus  l'amu- 
sement le  plus  ordinaire  des  gens  de  lettres.  C'est  chez  cette 
dame  que  l'abbé  Roman  composa,  du  moins  en  partie,  son  poème 
des  Echecs  imité  de  celui  de  Vida,  auquel  il  est  supérieur  pour 
l'exactitude  dans  la  description  des  règles  et  de  la  marche  du 
jeu. —  Le  poème  desEchecsien^  chants.  Paris,  1807,  in- 16),  eut 
pour  éditeur  M.  Couvrex,  qui  l'a  fait  précéder  de  Recherches 

(1)  Le  nom  de  cette  sœur  et  de  quelques  autres  de  ses  compagnes,  rap- 
pelle une  chanson  trop  piquante,  composée  à  l'époque  du  commencement  du 
règne  de  Louis  XV:  Les  Saintes  de  la  Cour;  un  grand  nombre  de  dames  de 
haut  parage  y  sont  désignées  sous  le  nom  de  sainte  Finette,  sainte  Etour- 
die, sainte  Endormie,  etc.  Ces  couplets  se  trouvent  dans  le  recueil  Maure- 
pas  à  la  Bibliothèque  impériale. 


28o  VER 

sur  ce  jeu  et  d'une  petite  bibliographie  des  livres  qui  en  traitent 
(mieux  exposée  depuis  par  l'abbé Cancellieri,  et  autres)  (i).  Voir 
le  Magasin  encyclopédique,  1806,  I,  48  et  Annales  encyclo- 
pédiques, oct.  1817. 

VERT  (Sociétés  du).  Sociétés  printannières  dans  lesquelles 
ou  des  jeunes  gens  se  réunissaient  pour  s'amuser  et  finir  par  se 
réunir  dans  un  joyeux  pique-nique  dont  les  frais  étaient  cou- 
verts par  les  amendes  de  la  société. 

L'association  durait  pendant  tout  le  mois  de  mai.  Dans  le 
cours  de  ce  beau  mois  du  renouveau  tous  les  sociétaires  pou- 
vaient se  chercher  les  uns  les  autres  et  se  surprendre  même  au 
lit,  pour  se  demander  de  montrer  du  Vert-,  il  fallait  toujours 
avoir  sur  soi  une  feuille  verte,  fraîche,  et  cueillie  du  jour  même. 
Ceux  qui  étaient  pris  sans  vert  payaient  une  amende  convenue. 
Cela  formait  le  fond  social  servant  à  payer  la  dépense  de  la  fête 
qui  couronnait  l'association. 

C'est  de  là  qu'est  venu  le  proverbe  :  Prendre  quelqu'un  sans 
vert,  pour  dire  le  prendre  au  dépourvu  (2). 

Molière  a  dit  dans  l'Etourdi  : 
«  C'est  ce  qui  fait  toujours  que  je  suis  pris  sans  vert.  » 

Rabelais,  liv.  III.  ch.  2,  dit  que  les  dés  sont  le  vert  du  diable... 
le  diable  me  prendroit sans  vert,  ajoute-t-il,  s'ihne  rencontroit 
saîis  dés. 

Cettecoutumeestancienne;danslesXIIIe,XIVeetX  Ve  siècles, 
il  fallait  pendant  les  premiers  jours  du  mois  de  mai,  porter  sur 
soi  une  branche  de  verdure,  sans  quoi  on  s'exposait  à  recevoir 
un  sceau  d'eau  sur  la  tête. 

Je  vous  prends  sans  vert,  comédie  en  un  acte  et  en  vers  ornée 
de  chants  et  de  danses,  fut  jouée  le  premier  mai  i6g3,  jour  très- 

(1)  Voir  la  Bibliotheca  Shahiludii,  par  A.  Schmid.  Vienne,  1847,  ct  surtout 
la  Bibliographie  anecdotiqne  du  jeu  des  Échecs,  par  Jean  Gay.  Paris,  1864, 
in-12. 

(2)  Voir  Y  Histoire  des  Proverbes,  par  C.  de  Me'ry,-  1828,  t.  II,  p,  169,  et  les 
autres  pare'miographes  français. 


VER  281 

convenable  pour  son  inauguration;  elle  eut  un  grand  succès  dans 
sa  nouveauté.  On  la  donna  sous  le  nom  de  Champmeslé  quoi- 
qu'elle soit  véritablement  de  La  Fontaine.  Elle  est  admise  dans 
les  œuvres  de  ces  deux  écrivains.  (2e  partie  des  Œuvres  de 
Champmeslé,  pages  309-344.  Paris,  S.  J .  Ribou,  2  vol.  in-12 
,735)(.). 

On  y  lit  la  description  du  jeu  qui  fournit  le  titre  de  cette  co- 
médie. 

Eh  !  c'est  un  jeu  quel  jeu  ?  Voilà  tout  le  mystère 
Pour  voir  de  ses  amants  le  cœur  à  découvert, 
Je  leur  viens  d'inspirer  exprès  le  jeu  du  vert; 
C'est  dans  ce  dessein  même  et  pour  le  voir  éclore, 
Que  j'emprunte  la  voix  du  printemps  et  de  Flore, 
Et  sous  l'appas  brillant  des  jeux  et  des  plaisirs, 
Je  vais  adroitement  pénétrer  leurs  désirs. 

Et  plus  loin  : 

a  Dans  ces  verts  ébats, 
«  Craignez  la  surprise, 
«  Telle  est  souvent  prise, 
«  Qui  n'y  pense  pas. 

Lubin  dit  aux  spectateurs  à  la  fin  de  la  pièce  : 

A  venir  voir  nos  jeux  soyez  plus  de  concert; 

Plus  vous  viendrez,  et  moins  vous  nous  prendrez  sans  vert. 

C'est  delà  qu'est  venu  le  proverbe  prendre  quelqu'un  sans 
vert,  pour  dire  le  surprendre  à  l'improviste,  sans  qu'il  s'y  at- 
tende et  sans  qu'il  se  soit  garanti  d'une  attaque  subite. 

VERTU  ("Les  chevalières  esclaves  de  la).  1662. —  Eléoilore 
de  Gonzague,  veuve  de  Ferdinand  III,  institua  cet  Ordre  à 
Vienne  en  Autriche  en  1662,  à  la  suite  d'un  miracle. 

Une  devait  être  reçu  que3o  dames,  d'une  noblessedistinguée_, 
et  d'une  vertu  sans  tache_,  outre  les  princesses  dont  le  nombre 

(1)  De  fait,  il  paraît  que  La  Fontaine  et  Champmeslé  travaillèrent  tous  deux 
à  cette  pièce,  ainsi  qu'à  la  Coupe  enchantée.  Elle  fut  imprimée  en  1699  et 
1700,  etc. 


282  VES 

n'était  pas  limité.  On  sait  qu'elles  sont  toutes  nobles  de  nais- 
sance^ et  personne  n'oserait  dire  qu'elles  ne  sont  pas  vertueuses. 

L'Impératrice  donna  aux  chevalières,  comme  marque  distinc- 
tive  de  l'Ordre,  une  médaille  d'or  représentant  un  soleil  dans 
une  couronne  de  lauriers  avec  cette  légende:  Sola  ubique  trium- 
phat  (ou  plutôt  Sol  ubique  triumphat);  cette  médaille  était  fixée 
à  un  bracelet  porté  au  bras  au  dessus  du  coude.  La  chaîne  d'or 
et  la  médaille  se  portaient  aux  grands  jours  de  cérémonie.  En 
d'autres  temps  on  se  contentait  d'un  bracelet  de  ruban  noir  por- 
tant une  médaille  de  moindre  enodule:  c'était  la  petite  tenue  de 
l'Ordre. 

Les  chevalières  promettaient  d'observer  les  règles  et  les  sta- 
tuts de  l'Ordre  dressés  par  l'Impératrice  qui  en  était  chef  ou 
grande-maîtresse.  En  cas  de  mort  d'un  sociétaire  sa  famille  de- 
vait renvoyer  à  cette  princesse  la  grande  décoration;  elle  pouvait 
garder  la  petite  comme  souvenir  de  l'honneur  que  la  famille 
avait  eu  décompter  une  chevalière  esclave  de  la  vertu.  Ce  n'était 
pas  petite  chose  pour  ses  descendans  de  pouvoir  se  dire  issus 
d'une  des  trente  plus  vertueuses  dames  de  l'Autriche.  (V.  Her- 
montj  t.  II,  p.  447*.) 

VERTUEUX  (Académie  des).  Elle  n'est  connue  par  l'ou- 
vrage de  Du  Souhait,  intitulé  :  V Académie  des  vertueux,  à 
Monseigneur  Philippe  des  Portes,  abbé  de  Tison.  Paris, 
Gilles  Robinet,  1600,  in-12. 

VÉSUVIENNES  (Les).  La  société  ou  le  club  des  Vésu- 
viennes  a  pris  naissance  lors  de  la  révolution  de  février  1848,, 
au  moment  de  l'ouverture  de  toute  espèce  de  club.  On  en  parla 
beaucoup,  on  fit  une  masse  de  caricature ,  les  journaux  en  pu- 
blièrentdes  séances,  il  fut  même  question  d'un  corps  de  plusieurs 
milliers  de  Vésuviennes,  qui  devaient  être  armées  et  équipées,  et 
marcher  à  la  défense  de  la  patrie.  Cent  autres  nouvelles,  plus 
extraordinaires  les  unes  que  les  autres,  furent  répandues  dans  le 
public  à  l'occasion  des  Vésuviennes,  et  cependant  personne  ne 


VIG  283 

voudrait  affirmer  que  cette  association  ait  jamais  existé  réelle- 
ment. 

Il  y  a  bien  en,  à  la  vérité,  sousle  nomde  Vésuviennes,  une  réu- 
nion de  jeunes  filles  honnêtes  qui  se  sont  assemblées,  peu  de  jours 
après  le  24  février,  pour  aviser  aux  moyens  d'obtenir  de  l'ou- 
vrage lorsque  le  travail  manquait  de  toutes  parts.  L'autorité  a 
organisé  alors  des  espèces  d'ateliers  nationaux  de  femmes  où  l'on 
donnait  à  confectionner  les  habillements  des  nouvelles  gardes 
républicaines  et  urbaines.  Gela  n'a  pas  duré  longtemps;  mais  le 
public  parisien,  dont  l'imagination  se  plaît  dans  les  créations 
singulières,  s'est  amusé  plusieurs  mois  encore  après  la  dispersion 
de  ces  réunions,  des  Vésuviennes,  de  leurs  séances ,  de  leurs 
débats  intérieurs  et  de  mille  scènes  fantastiques  que  l'on  créait 
à  plaisir  et  que  les  lithographes  du  Charivari  reproduisaient 
journellement  avec  complaisance. 

D'où  vient  cette  appellation  de  Vésuviennes?  Evidemment 
du  mont  Vésuve.  Mais  pourquoi  ce  nom?  est-ce  parce  que 
l'esprit  des  Vésuviennes  était  volcanique  et  enflammait  tout  ce 
qui  les  approchait  ?  est-ce  parce  qu'elles  comptaient  faire  une 
irruption  dans  Paris  et  par  suite  sur  tout  le  sol  de  la  république  ? 
Est-ce  à  cause  du  feu  caché  qu'elles  renfermaient  dans  leur 
sein?  Nous  ne  savons;  toujours  est-il  que  ce  nom,  adopté  tout 
d'abord,  s'est  vivement  répandu  et  a  été  universellement  adopté 
sans  examen  et  sans  conteste. 

VIGNERONS  (Abbaye  des).  U  Abbaye  des  Vignerons  est 
ie  nom  d'une  réunion,  d'origine  très-ancienne,  de  tous  les  vigne- 
rons de  la  Suisse,  de  la  Savoie  et  de  la  Bourgogne,  qui  s'assem- 
blent tous  les  quatre  ans,  à  Vevey,  dans  le  pays  de  Vaud,  avec 
une  solennité  et  une  pompe  tout-à-fait  merveilleuses.  Les  ar- 
chéologues suisses  font  remonter  cette  institution  aux  fêtes 
païennes  de  Bacchus  et  de  Cérès.  Les  voyageurs  en  racontent  des 
détails  quasi-fabuleux.  Pendant  cette  solennité,  les  vignerons 
chantent  de  vieilles  chansons  en  patois  du  pays;  quelques-unes 
d'entr'elles  ont  été  imprimées  dans  le  livret  suivant  : 


284  VIG 

Description  de  la  Fête  des  Vignerons,  célébrée  à  Vevey  le 
5  août  1819.  Précédée  d'une  notice  sur  Vorigine  et  l'institu- 
tion de  cette  Société,  qui  porte  maintenant  le  nom  d'Abbaye 
des  Vignerons.  Avec  beaucoup  de  figures.  Vevey,  Lœrtscher 
et  fils  (sans  date),  in-8°,  avec  huit  grandes  planches. 

On  serait  parfaitement  renseigné  sur  l'origine  de  cette  réu- 
nion d'agriculteurs  et  de  vignerons  sans  un  incendie  qui  con- 
suma, en  1688,  les  archives  de  la  confrérie.  La  tradition  en  fait 
cependant  honneur  aux  moines  d'Hauterive  et  à  ceux  d'Auleret, 
qui,  ayant  planté  désignes  dans  les  environs  de  Vevey,  célé- 
brèrent l'heureux  succès  d'une  première  vendange  par  des 
repas,  des  chants  et  des  danses. 

On  cite  la  fête  du  20  août  1783  comme  une  des  plus  brillantes 
qui  aient  été  célébrées.  L'abbé,  chef  de  la  société,  était  précédé 
de  deux  vignerons  couronnés  pour  avoir  le  mieux  cultivé  leur 
vigne.  Puis,  on  voyait  l'arche  de  Noé  et  ses  enfants;  le  char  des 
Cyclopes,Cérès  et  Bacchus,  des  troupes  de  Faunes  et  de  Bacchan- 
tes, Silène,  un  pressoir  d'où  coulait  le  vin  nouveau,  la  charrue, 
Vulcain  forgeant  des  socs  et  des  serpes,  la  cuve  où  Ton  foule  le 
raisin,  une  grande  prêtresse,  des  satyres,  une  victime  aux  cor- 
nes dorées,  enfin  un  mélange  de  sacré  et  de  profane,  mais  se 
rapportant  toujours  aux  travaux  de  la  terre,  aux  vignerons  et 
aux  moissonneurs.  Les  Fribourgeois,  les  Valaisans,  les  habi- 
tants de  nos  Alpes,  aussi  avides  d'entendre  chanter  les  louanges 
de  Bacchus  qu'habiles  à  juger  de  ses  dons,  suivaient  et  entou- 
raient cet  immense  cortège  et  applaudissaient  le  refrain  du 
chœur  des  Bacchantes  : 

Chacun  a  son  tempérament , 
Boire  est  notre  amusement. 

Celui  du  chœur  des  moissonneurs  avait  quelque  chose  de  plus 
antique,  de  plus  romain;  c'était  sine  Baccho  et  Cerere  friget, 
Venus,  paraphrasé  ainsi  : 

Oui,  sans  Cérès  et  sans  Bacchus, 
Il  n'est  point  d'autel  pour  Vénus. 


VIO  285 

La  procession  terminée,  on  dressait,  sur  une  promenade  char- 
mante au  bord  du  Léman,  une  table  de  plusieurs  centaines  de 
couverts  où  les  convives  moissonnaient  à  Penvi  ;  il  ne  manquait 
pas  ensuite  d'autels  pour  Vénus.  Le  surlendemain  de  la  pro- 
cession de  l'abbé  des  Vignerons^  les  habitants  de  Vevey  don- 
naient un  grand  bal  aux  étrangers  et  ajoutaient  les  plaisirs  de 
la  ville  à  ceux  de  la  campagne.  Partout  l'ordre  accompagnait  le 
plaisir,  et  tout  le  monde  se  retirait  enchanté  de  Y  Abbaye  des 
Vignerons. 

VILLE-D'AVRAY  (Le  pot-pourri  de).  Le  Pot-Pourri  de 
Ville-d'Avray,  ou  Recueil  de  Chansons  et  Pièces  fugitives, 
par  Joseph-Nicolas  Moreau,  historiographe.  Paris,  impr,  de 
Monsieur  (Didot)}  1781,  in-18,  ou  pet.  in-12  de  180  pages, 
imprimé  à  petit  nombre,  aux  frais  de  l'auteur  et  pour  ses  amis 
seulement,  recueil  de  poésies  fugitives,  assez  rare,  composé  par 
Moreau  à  sa  maison  de  campagne  de  Ville-d'Avray,  où  il  se 
plaisait  à  réunir  une  société  choisie. 

V ILLEROY  (Société  dramatique  de  madame  la  duchesse  de). 
Cette  amie  et  grande  protectrice  de  Mlle  Clairon,  avait  chez  elle 
un  théâtre  particulier  où  Ton  jouait  la  comédie. 

Fleury  y  joua  vers  1780. 

On  y  représentait  les  pièces  du  grand  trottoir,  c'est-à-dire 
les  productions  du  haut  genre. 

VIOLETTES  (Ordre  des). 

CHANSON  SUR  L  ORDRE  DES  VIOLETTES. 

Air  :  Colette  est  faite  pour  Colin. 
Célébrons  d'un  ordre  récent 

La  gloire  et  l'avantage  ; 
Amour,  pour  le  rendre  jouissant 

Donne-lui  ton  suffrage  ; 
Tu  le  dois  à  ce  jeu  naissant, 

N'est-il  pas  ton  ouvrage  ? 
Cet  Ordre,  par  les  plus  doux  noeuds, 

Unit  des  coeurs  sincères  : 


286  VIN 

Ses  suppôts  s'appellent  entr'eux 

Et  bergers,  et  bergères  ; 
Ces  noms  seraient-ils  moins  heureux 

Que  ceux  de  sœurs  et  frères? 

Tendres,  fidèles  et  discrets 

Leurs  ardeurs  sont  parfaites. 
Tout  leur  argot,  tous  leurs  secrets 

Ne  sont  que  des  fleurettes  : 
Et  l'on  peut  connaître  à  ces  traits 

L'Ordre  des  Violettes. 
Un  coup-d'ceil,  un  soupir  léger, 

Un  air  de  rêverie  ; 
Signes  assurés  pour  juger 

De  notre  sympathie, 
Font  toujours  connaître  au  berger 

La  bergère  chérie. 
Un  tête-à-tête,  un  rendez-vous, 

Forment  notre  assemblée; 
D'aucuns  fâcheux,  d'aucuns  jaloux, 

On  ne  la  voit  troublée  ; 
Et  par  le  cœur  seul  entre  nous 

Toute  affaire  est  réglée. 

(Extrait  d'un  Recueil  de  Poésies,  mss.  in-40,  composé  vers 
1760  par  un  habitant  de  la  Ferté-sous-Jouarre). 

VINGT  (Société  des),  à  Berlin.  Vingt  dames  de  Berlin,  pri- 
ses, en  grande  partie,  à  ce  que  nous  croyons,  parmi  la  colonie 
française  formée  des  réfugiés  protestants  que  la  révocation  de 
l'Edit  de  Nantes  rejeta  à  l'étranger,  formèrent  une  société  qui 
tira  son  titre  du  nombre  fixé  et  arrêté  de  ses  membres  féminins. 
Elles  s'occupaient  de  choses  agréables,  tandis  que  leurs  maris 
s'employaint  à  des  choses  utiles.  Leurs  noms,  au  moins  pour 
douze  d'entr'elles,  nous  ont  été  conservés  à  la  tête  de  l'épître  dé- 
dicatoire  des  Comédies  nouvelles  par  M.  le  baron  de  Bielfeld. 
Berlin,  1753,  pet.  in-8  de  XXIV  et  486  pag.,épître  signée  par 
l'éditeur  de  ce  livre,  Etienne  de  Bourdeaux,  libraire  du  roi  et  de 
la  cour  de  Prusse.  Voici  les  douze  dames  connues  entre  les  vingt  1 


\ 


WIL 


2»7 


Mesdames  Lantier,  née  Jordan;  Kuhn^  née  Jassoy;  Féroncejnée 
Feronce;  Royer,  née  de  Marolles;  Jordan,  née  Colin;  Platzman, 
née  Marion;  Girard,  née  Jassoy;  Villiers,  néeDurade;  Schweig- 
ger,  née  Trommel  ;  Haudot,  née  Darret;  Platzman,  née  Lau- 
tier;  Cagnot,  née  Bouissont. 

VIRTU  (Accademia  della).  Cette  association  burlesque  et 
bouffonne  fut  fondée  en  Italie  au  XVIe  siècle.  Annibal  Caro  en 
était  un  des  membres  les  plus  actifs;  il  contribua  à  un  recueil 
facétieux  que  le  bibliophile  Gamba  fit  imprimer  à  Venise  en 
182 1,  sous  la  rubrique  de  Calveley  Hall,  et  à  la  demande  d'un 
amateur  anglais,  J .  Davenport.  Ce  petit  volume  in-8  de  1 20  pages, 
imprimé  à  100  exemplaires,  dont  un  sur  vélin^est  intitulé  :  Di- 
cerie  al  Re  della  Virtù  ;  il  renferme  dix  opuscules  fort  rares  dont 
les  auteurs  sont  Bino,G.  Cincio,  P.P.  Gualtieri,C.  Martirano  et 
G.  Lando.  Ces  écrits  datent  de  1 538  à  1540,  car  le  joyeux  Re- 
gno  della  Virtù  ne  dura  que  ce  court  espace  de  temps. 

Parmi  les  livrets  auxquels  elle  donna  naissance,  on  trouve 
Formaggia  di  Ser  Stentato  al  Serenissimo  re  della  Virtù.  Fi- 
ren%e>  1542,  in-8  (indiqué  au  catalogue  Libri,  1847,  n°  2461.) 

Une  pièce  intitulée  Diceria  di  Santa  Nafisa^al  re  dellaVirtù, 
figure  au  catalogue  de  Roger  Wilbraham,  n°  329.  La  collection 
de  cet  amateur  anglais,  riche  en  livres  italiens,  curieux  et  rares 
fut  dispersée  en  18 16. 

Dans  une  notice  que  nous  avons  déjà  citée  (article  Académies 
d'Italie),  nous  lisons  au  sujet  de  la  société  qui  nous  occupe  que 
YAcademia  della  Virtù  fut  fondée  à  Rome  en  1 538,  par  Claudio 
Tolomenni,  sous  la  protection  du  cardinal  Hippolytede  Médi- 
cis.  Elle  compta  parmi  ses  membres  Annibal  Caro,  L.  Contile, 
F.  M.  Molza,  &c.  Elle  dura  peu  d'années  et  fut  remplacée  en 
1541  par  Y  Accademia  dello  Sdegno.  Sa  principale  occupation 
était  d'expliquer  Vîtruve.  Nous  croyons  que  cette  société  ne  se 
livrait  pas  toujours  à  des  études  d'architecture,  et  que  parfois  elle 
s'abandonnait  aux  élans  d'une  folle  gaîté. 

WILKES  (Société  de  John).  Cet  agitateur  politique  joua 


WIL 


un  rôle  considérable  en  Angleterre,  de  1762  à  1769.  Ses  procès 
de  presse,  ses  élections  àla  Chambre  des  Communes,  furent  l'oc- 
casion des  débats  les  plus  vifs.  Dans  sa  jeunesse,,  il  était  à  la  tête 
d'une  troupe  de  joyeux  mauvais  sujets  qui  se  réunissait  habi- 
tuellement chez  lui  et  qui  formait  une  société  peu  édifiante 
qu'on  signala  comme  régie  par  des  statuts  très-peu  d'accord 
avec  les  règles  de  la  morale.  L'esprit  de  parti  exagéra  sans  doute 
les  torts  de  Wilkes;  mais  toutes  les  inculpations  lancées  contre 
lui  et  ses  amis,  n'étaient  pas  des  calomnies  :  c'est  ce  que  prouve 
l'existence  d'un  livre  qui  fit  scandale  :  Essay  on  woman  {Essai 
sur  la  Femme),  espèce  de  parodie  de  Y  Essai  sur  ?  Homme,  de 
Pope.  L'édition  originale,  datée  de  1763,  forme  un  volume 
petit  in-8°  de  40  pages,  et  ne  fut  tiré  qu'à  quatorze  exemplaires. 
Wilkes  eut  pour  principal  collaborateur  Thomas  Porter,  fils  de 
l'archevêque  de  Cantorbery,  et  ils  s'amusèrent  à  joindre  à  leurs 
vers  impurs  des  notes  dignes  du  texte,  qu'ils  signèrent  du  nom 
d'un  des  plus  savants  et  des  plus  honorables  prélats  de  l'église 
anglicane,  Warburton.  D'après  une  note  insérée  dans  un  cata- 
logue d'autographes  vendues  à  Londres  en  juin  1829-,  le  vérita- 
ble auteur  serait  Cleland,  auteur  d'ouvrages  licentieux.  Voir 
D.  Martin,  Catalogue  ofbooks  privately  printed.  Une  traduc- 
tion française  fut  publiée  à  Londres  en  1763.  Voir  Barbier, 
Dictionnaire  des  Anonymes,  n°  56 1 3. Wilkes  a  laissé  d'ailleurs 
bien  des  livres  sérieux  énumérés  dans  le  Bibliographe^  s  Ma- 
nual  de  Lowndes.  Les  Discours  de  Wilkes  ont  été  imprimés 
en  1777  et  1789;  cette  dernière  édition  est  bien  préférable.  Sa 
correspondance,  à  laquelle  on  a  joint  sa  vie  écrite  par.  J.  Al- 
mond,  a  paru  en  i8o5,  5  voh  in-8°.  Elle  avait  déjà  paru  en  par- 
tie en  1779,  2  vol.  in-8°.  On  y  remarque  des  lettres  de  Voltaire. 


FIN. 


APPENDICE. 


Quelques  notes  retrouvées  dans  les  papiers  de  M.  Arthur 
Dinaux  contiennent  des  renseignements  qui  s'ajoutent  à  ceux 
qu'il  avait  déjà  recueillis,  au  sujet  des  diverses  sociétés,  plus  ou 
moins  badines,  auxquelles  il  avait  consacré  de  longues  recher- 
ches. Nous  y  avons  joint  les  résultats  de  nos  investigations  sur 
certains  points  de  ce  sujet  curieux,  et  nous  nous  trouvons  ainsi 
en  possession  des  matériaux  nécessaires  pour  former  un  appen- 
dice qui,  nous  en  avons  l'espoir,  renfermera  quelques  particula 
rites  intéressantes. 


i9- 


gf  CADÉMIE  MILITAIRE  (t.  I,p.  i),  \e  Bulletin  du 
Bibliophile  (publié  par  M.  Techener),  s'est  occupé- 
à  deux  reprises  de  cet  ouvrage;  il  a  donné  d'abord, 
en  août  i852,  une  note  de  M.  Paul  Lacroix,  et,  en 
uin  i852  (pag.  837),  une  lettre  de  M.  F.  Morand.  Ce  der- 
nier écrivain  conteste  la  valeur  historique  du  récit.  Les  six 
personnages  qui  forment  cette  association  supposée  se  nom- 
ment Parisien,  Picard,  Normand,  Breton,  Champenois, 
Bourguignon.  Le  livre  n'offre  guère  qu'un  récit  d'aventures 
dans  le  genre  de  celles  qui  fourmillent  dans  les  romans  de 
cette  époque.  Le  héros  est  presque  toujours  Parisien,  c'est-à- 
dire  Godard  d'Aucourt,  l'auteur  du  livre,  qui,  sous  ce  masque, 
exerce  aussi  quelques  vengeances  personnelles,  satisfait  ses  ran- 
cunes en  lançant  des  traits  au  Mercure  de  France,  à  l'abbé 
Desfontaines 3  et  surtout  contre  Voltaire  ,  au,  sujet  du  poème 
sur  la  bataille  de  Fontenov. 


AGATHOPÈDES  (t.  I,  p.  8).  Cette  société  burlesque  mérite 
qu'on  ajoute  quelques  détails  à  ceux  dont  elle  a  déjà  été  l'objet  : 

L'article  que  M.  de  Reiffenberg  lui  a  consacré  était  comme 
enfoui  dans  une  publication  bibliographique  qui  n'est  connue 
que  d'un  petit  nombre  de  lecteurs.  Nous  croyons  opportun  de  le 
reproduire  ici  : 

Annulaire  agathopédique  et  saucial,  imprimé  par  les  presses 
iconographiques  à  la  Con grève  de  V Ordre  des  Agath.  —  «  Ce 
ne  sont  pas  ici  les  «  Mémoires  d'une  Académie  qui  n'en  est  pas 


292  AGA 

une,  comme  ceux  de  l'Académie  de  Troyes,  qui  ont  inspiré  quel- 
ques pages  curieuses  à  M.  le  docteur  Payen.  Les  Agathopèdes 
existent  en  chair  et  en  os_,  ils  existent  depuis  quatre  ans,  et  la 
Société  mère,  de  Bruxelles,  a  même  fondé  une  succursale  à  Mons, 
cette  cité  des  bons  drilles. 

«  Il  ne  faut  pas  être  très-fort  sur  le  grec  ni  se  faire  embrasser 
par  Philaminte  ou  Armande,  pour  savoir  qu' agathopèdes  si- 
gnifie  bons  enfants.  Ces  bons  enfants,  plus  malins  que  naïfs, 
sont  des  gens  d'esprit  qui  ont  imaginé  de  se  réunir  périodique- 
ment_pour  dire  des  folies  et.  mourir  de  rire,  s'ils  le  peuvent.  Le 
rire  est  ami  de  l'homme  :  il  est  ordinairement  la  marque  d'une 
bonne  conscience  et  d'un  caractère  franc  et  aimable;  mais  il  me 
semble  que  si  je  devais  sortir  à  certain  jour  de  chez  moi  avec 
l'idée  d'être  d'une  gaîté  folle,  de  débiter  une  foule  de  divertis- 
santes bêtises  et  de  laisser  toutes  mes  préoccupations  à  la  porte, 
j'arriverais  au  rendez-vous  avec  un  sérieux  patibulaire  que  rien 
ne  saurait  dérider.  La  saillie  est  primesautièrej  comme  disait 
Montaigne;  elle  s'improvise  et  ne  se  commande  pas.  Il  ne  faut 
pas  l'immobiliser  en  la  sténographiant  ainsi  qu'un  discours  par- 
lementaire, pour  la  jeter  ensuite  en  moule.  Telle  facétie,  qui 
s'élance  en  pétillant  du  sein  de  la  conversation,  ne  conserve  pas 
son  succès  quand  elle  est  fixée  sur  le  papier,  et  devient  une  niai- 
serie insipide  dès  qu'elle  peut  être  soumise  à  l'examen  d'une 
froide  raison.  Il  est  peu  de  bons  mots  qui,  admirés  à  leur  nais- 
sance, conservent  leur  sel  et  leur  à-propos.  » 

Les  Agathopèdes  sont  une  société  spirituelle  et  joyeuse  dont 
les  membres  sont  partagés  en  deux  classes:  classe  des  Belles- 
Laides  et  classe  des. Sciants.  Leurs  travaux  consistent  à  chan- 
ter la  table  et  l'amour  en  vers  faciles  et  tant  soit  peu  erotiques. 
La  classe  des  sciants  ne  traite  que  des  sujets  tels  que  VElogium 
cochonis  que  nous  citons  sous  le  n°  6261,  et  qui  fait  partie,  avec 
tant  de  drôleries  si  peu  académiques,  du  t.  IV  (lisez  Ier)  du  re- 
cueil de  cette  Société,  qui  a  paru  sous  le  titre  suivant  : 

Annulaire  agathopédique  et  saucial.  (En  vers  et  en  prose.) 


AGA  293 

(Par  MM.  Argus  (Delinge,  avocat) ,  Chanteclair,  Clootboom 
(Gensse),  Croque-Mort,,  Firapel,  Goupil,  Martin  (Bovy),  Ra- 
bon(A.-A.  Baron),  Rousselet,  Sebas  Norab  (A. -A.  Baron),  Ti- 
bert  (Delmotte  fils),  Timer,  un  Vétérinaire«(Gensse).  Cycle  IV 
(première  année).  Impr.  par  les  presses  iconographiques  à  la 
Congrève  de  l'Ordre  des  Agath.\,  chez  A.  Labroue  et  Comp., 
rue  de  la  Fourche,  à  Bruxelles  (1849),  gr.  in-8  de  i3i  pages, 
avec  gravures,  vignettes  et  musique  gravée,  10  fr. 

Comme  ce  volume  est  peu  répandu  eh  France,  n'ayant  été 
tiré  qu'à  35o  exemplaires  pour  les  membres  de  la  Société,  nous 
croyons  devoir,  pour  démontrer  plus  clairement  l'erreur  que 
nous  reprochons  à  M.  Ach.  Comte,  donner  sa  description  d'après 
un  exemplaire  qui  nous  a  été  communiqué  par  M.  P.  Jannet, 
libraire;  elle  fera  connaître  les  artistes,  les  savants  et  les  litté- 
rateurs distingués  qui  ont  eu  part  à  sa  composition,  et  les  su- 
jets, fort  peu  académiques,  qu'ils  ont  traités. 

Le  volume  ouvre  par  les  préliminaires  suivants  :  Avertisse- 
ment de  l'éditeur,  suivi  d'une  Préface,  signée  Chanteclair,  et  de 
Notes  et  documents  trouvés  dans  un  dossier  étiqueté  :  Bureau 
des  platitudes  et  des  éphémorroïdes,  en  tout  14  pages.  Viennent 
ensuite  les  productions  des  Agathopèdes  dans  l'ordre  ci-après  : 

i°  Calendrier  agathopédique,  imité  du  calendrier  républicain 
de  Gilbert  Romme,  et  dans  lequel  l'année  commence,  comme  le 
premier,  avec  les  derniers  jours  de  Septembre.  Au  lieu  des  ap- 
pellations connues  des  mois  républicains,  devenues  menstrues 
agathopédique  s ,  on  y  a  substitué  celles-ci:  huîtrimaire,  le- 
vreaumaire,  crêpose , j 'ambonose ,  truffose,  boudinal,  canardi- 
nal,  fraisinal,  petit-poisidor,  cerisidor ,  melonidor  et  raisi- 
naire:  les  jours  complémentaires  sont  remplacés  par  les  nuits 
purgatoriales.  Les  décades  ont  fait  place  à  des  dodécadors ;  les 
saints  du  calendrier  agathopédique  sont,  comme  dans  le  répu- 
blicain, remplacés  par  des  noms  de  toutes  sortes  de  comestibles 
et  d'animaux;  les  dodécadors  sont  institués  en  l'honneur  d'hom- 
mes illustres  et  célèbres  des  temps  anciens  et  modernes. 


294  AGA 

2°  Eloge  du  cochon  (en  vers);  par  Martin  (Bovy). 

3°  Locomotion  anémique.  Indiquez  les  idées  émises  jusqu'à 
ce  jour  sur  la  possibilité  de  la  navigation  aérienne.  Dans  les  con- 
flits de  priorité  qui  se  sont  élevés  entre  MM.  Van  Heck  et  Van 
Esschen,  ne  pensez-vous  pas  qu'on  puisse  décider  la  question 
en  faveur  de  M.  Kindt-Vanassche?  (Vent  de  fesse  d'un  enfant); 
par  Clootboom(M.  Gensse). 

M.  Gensse  a  fait  imprimer  précédemment  sous  ce  nom  de  doc- 
teur Clootboom  une  facétie  intitulée  :  Aperçu  iconoclastique 
sur  la  fabrication  de  Vhuile  de  caillou. 

4°  Les  Agathopèdes  (chanson);  par  Tibert  (Delmotte  fils). 

5°  Elogium  cochonis auctore  Rabonis  (A. -A.  Baron). 

6°  Discours  du  P.*.  G.\  M.*,  (du  pourceau  grand-maître. 
Compte-rendu  des  travaux  de  l'Ordre  des  Agathopèdes)  ;  par 
Clootboom  (M.  Gensse). 

7°  Maladresse  en  réponse  au  Discours  du  P.*.  G.*.  M.'. 

8°  Cours  d'agathopédie  biblique  (chanson),  par  Martin  (Bovy). 

9°  Thèses,  synthèses,  prosthèses,  hypothèses,,  antithèses  et 
parenthèses  de  philosophie  géométrique,,  astronomique,  chimi- 
que et  thérapeutique.  I.  Quel  est,  selon  vous,  l'origine  et  la 
destination  des  comètes  ?  Partagez-vous  l'opinion  du  savant 
théologien  de  Ram,  qui  regarde  ces  astres  comme  une  consé- 
quence immédiate  du  péché  d'Adam?  IL  Partagez-vous  l'opi- 
nion du  docteur  Servais,  qui  prétend  que  le  mal  vénérien  n'est 
qu'une  oxydation?  Justifiez  votre  opinion  par  des  exemples,  et 
donnez-y  quelques  développements,  par  Rousselet. 

io°  Hymne  au  cochon  (chanson),  par  Tibert  (Delmotte  fils). 

1 1°  Commission  du  budget.  Rapport  financier;  par  Goupil. 

12°  Clinique  des  solanées.  Faire  l'histoire  pathologicothéra- 
peutique  de  la  maladie  des  pommes  de  terre,  par  Clootboom 
(M.  Gensse). 

L'auteur  ne  voit  qu'un  moyen  de  prévenir  la  maladie  des 
pommes  de  terre  :  c'est  de  les  faire  vacciner. 

i3°  Le  Cœur  (de  Boufflers),  chanson,  par  Martin  (Bovy). 


AGA  295 

140  Construction  gynofugilope.  Quel  est  le  meilleur  système 
de  fortification  pour  la  défense  de  la  vertu  des  femmes?  par 
Timer. 

i5°  La  Bagatelle  (chanson),  dédiée  à  mon  ami  Schayes,  con- 
servateur des  objets  de  l'Etat,  par  Martin  (Bovy). 

160  Rapport  sur  un  ouvrage  intitulé  :  «  Que  veut  l'Europe  ?  » 
présenté  par  le  vétérinaire  de  la  classe  des  sciants  (M.  Gensse), 
dans  le  chapitre  conventuel  du  Con:-:  œcu:-:  de  l'Ordre  des 
Agath:-:  le  undécador  de  la  deuxième  docécade  de  canardinal, 
cycle  II. 

170  Commentaire  sur  la  chanson  :  Au  clair  de  la  Lune,  par 
Sebas  Norab  (A.-A.  Baron). 

Ce  plaisant  commentaire  a  été  réimprimé  dans  le  tome  III, 
page  180  et  suiv.  du  «Journal  de  l'Amateur  de  livres  »  de  M.  P. 
Jannet,  précédé  d'une  Note  sur  la  Société  agathopédique. 

180  Le  Roi  du  gland,  chanson  agathopédique,  parTibert(Del- 
motte  fils). 

190  Castramétation  pélapergamesque.  Les  fortifications  de 
Troie,  bâties  d'après  le  système  hydraulique  de  Simon  Stevin^ 
ont-elles  résisté  aux  Grecs,  pendant  dix  ans,  parce  qu'elles 
étaient  construites  à  l'épreuve  du  canon,  du  mortier  et  autres 
batteries  de  cuisine,  ou  parce  que  les  ouvrages  avancés  se  compo- 
saient de  lunes  entières,  au  lieu  de  demi-lunes  et  de  lunettes  ? 
par  Firapel. 

Cette  importante  question  est  traitée  avec  une  telle  gravité 
que  M.  P.  Jannet  annonce  être  dans  l'intention  de  reproduire 
cette  dissertation  dans  une  prochaine  édition  de  sa  «  Bibliotheca 
scatologica.  » 

20°  Les  Femmes  de  la  Bible  (chanson).  Extrait  d'un  ouvrage 
inédit  trouvé,  en  1848.,  dans  les  fouilles  faites  à  Venise,  par 
Martin  (Bovy). 

2i°  Philosophie  trigonométrique.  Croyez-vous  que  le  carré  de 
l'hypoténuse  soit  une  réfutation  suffisante  du  Panthéisme?  par 
Croquemort. 


296  AGA 

220  Le  Cordon  sanitaire  (chanson),  par  Martin  (Bory). 

23°  Législation  pinopénale.  L'adultère  consommé  sur  un  mur 
mitoyen  peut-il  être  considéré  comme  perpétré  dans  le  domicile 
conjugal  ?  Elucidez  l'espèce,  et,  sans  être  trop  long,  mettez  au 
pied  du  mur  les  auteurs  qui  ont  approfondi  cette  matière  déli- 
cate, par  Argus  (M.  Delinge,  avocat). 

24e  Quatre  pages  de  musique  gravée,  des  sept  chansons  que 
renferme  le  volume. 

M.  Chalon,  de  Mons,  a  eu  beaucoup  de  part  à  ce  volume,  et 
il  est  probable  que  les  pseudonymes  que  nous  ne  dévoilons  pas 
cachent  sa  coopération. 

Tel  est  l'énoncé  des  travaux  connus  jusqu'à  ce  jour  de  la 
joyeuse  société  que  M.  Achille  Comte  a  prise  pour  académie 
sérieuse  :  les  sujets  sont  passablement  étranges,  encore  ne  lais- 
sent-ils pas  soupçonner  la  joyeuseté  avec  laquelle  ils  ont  été 
traités. 

a  MM.  les  Agathopèdes,  on  le  voit,  ne  parlent  pas  comme  tout 
le  monde,  dit  le  baron  de  Reiffenberg,  en  finissant  son  article. 
Ce  que  nous  appelons  un  annuaire  est  pour  eux  un  annulaire. 
Le  bureau  des  longitudes  et  des  éphémérides  est  changé  en 
bureau  des  platitudes  et  des  éphémorroïdes,  ainsi  du  reste.  Le 
calembourg  obtient  chez  eux  les  honneurs  de  la  réaction. 

«  En  entrant  dans  cette  société  on  ne  choisit  pas  un  nom  de 
berger  en  Arcadie,  mais  le  nom  d'un  animal;  le  grand-maître 
est  le  cochon.  Cela  ne  nous  paraît  pas  très-folâtre  ni  de  très-bon 
goût. 

L'Annulaire,  puisque  annulaire  il  y  a,  ne  se  vend  pas;  c'est 
un  très-élégant  volume,  orné  de  jolies  gravures  et  de  vignettes 
sur  bois,  aussi  belles  d'exécution  que  folles  d'invention,  rempli 
de  coq-à-Pâne  et  d'admirables  bêtises.  Après  une  préface  fort 
extraordinaire,  on  trouve  des  vers,  de  la  prose,  souvent  un  peu 
lestes,  et  des  mémoires  sur  des  sujets  bouffons,  qui  sont  traités 
avec  une  gravité  et  un  semblant  d'érudition  grotesques. 

«  Encore  un  coup,  il  y  a  dans  ce  volume  plus  d'esprit  et  de 


ARC  297 


talent  qu'il  n'en  faudrait  pour  faire  un  ouvrage  utile.  Son  grand 
tort,  selon  nous,  c'est  d'être  une  débauche  d'intelligence  trop 
prolongée  (1).  » 

ARC  (t.  I,  p.  43).  Les  sociétés  d'archers  sont  loin  d'être 
éteintes  en  Belgique;  elles  y  fleurissent  avec  honneur.  Nous 
nous  bornerons  à  quelques  détails  sur  celles  que  possède  la  ville 
de  Bruges,  et  nous  les  empruntons  à  une  notice  descriptive 
qu'un  érudit  distingué,  M.  O.  Delepierre,  a  consacré  à  cette 
vieille  cité  : 

Confrérie  de  Saint-Georges.  —  Une  des  plus  anciennes 
confréries  de  Bruges  est  celle  des  arbalétriers,  dits  Chevaliers 
de  Saint-Georges;  ses  annales  ont  été  publiées  en  flamand  par 
M.  Joseph  Van  Praet,  en  1786^  alors  imprimeur  en  cette  ville. 
Cette  confrérie  existait  dès  le  XIIIe  siècle;  car,  tout  au  commen- 
cement du  XIVe  siècle,  la  dame  Marie  Van  Eyne  et  Bremen  lui 
octroie  l'usage  de  sa  chapelle  de  Saint-Pierre_,  pour  y  célébrer 
le  service  divin.  Les  Chevaliers  de  Saint-Georges  rendirent  de 
grands  services  à  la  ville  et  au  pays,  car  ordinairement  un 


(1)  Une  des  pièces  qui  composent  Y  Annulaire  agathopédique  (la  23e),  a 
été  reproduite  dans  une  brochure  intitulée  •  les  Pourceaux  de  Bruxelles, 
peints  par  eux-mêmes.  Bruxelles,  i863,  i3  pages.  Cette  reproduction  est 
précédée  d'un  avant-propos  de  deux  pages  où  se  lit  ce  passage  : 

t  Un  immense  scandale  vient  d'éclater  à  Bruxelles. 

«  Deux  avocats  étaient  amis.  Foulant  aux  pieds  lesdevoirs  les  plus  sacrés, 
l'un  d'eux  a  déshonoré  son  ami,  et  par  conséquent  il  s'est  déshonoré  lui- 
même. 

«  Ce  scandale  se  propage  et  s'agrave  ;  un  divorce  se  poursuit,  et,  pour 
combler  la  mesure  de  l'iniquité,  c'est  au  profit  du  coupable.  Il  épousera  sa 
complice.  Nul  n'a  pitié  d'un  époux  sans  pudeur;  c'est  lui  qui  a  perverti  sa 
femme. 

«  Lui  aussi  se  moquait  du  mariage  et  des  maris  trompés  ;  il  les  appelait 
des  Nicodémes  dans  un  écrit  que  l'on  trouvera  ci-après;  il  osait  discuter  la 
question  de  savoir  si  l'adultère  commis  sur  un  mur  mitoyen  peut  être 
considéré  comme  perpétré  dans  le  domicile  conjugal. 

«  C'est  sa  propre  histoire,  c'est  sa  propre  condamnation  qu'il  a  écrite.  » 


298  ARC 

certain  nombre  d'entr'eux  assistaient  aux  sièges  et  combats  qui 
avaient  lieu  dans  le  pays,  et  recevaient  une  solde  comme  nos 
soldats  réguliers.  A  plusieurs  époques,  les  magistrats  leur  accor- 
dèrent des  subsides  annuels  :  «  Voor  aile  de  goede  diensten  die 
«  sy  hebben  gedaen  ten  voordeele  van  de^e  stad  ende  den 
«  lande  van  Vlaenderen.  »  Les  statuts  de  la  confrérie  arrêtés 
(ou  plutôt  rétablis)  en  1400,  décident  que  nul  s'il  n'est  citoyen 
de  Bruges  et  archer  habile,  ne  pouvait  être  admis.  Si  le  réci- 
piendaire avait  une  haine,  une  querelle  ou  une  rancune  contre 
un  de  ses  confrères,  il  était  d'abord  tenu  de  faire  la  paix.  Puis 
il  prêtait  serment  de  fidélité  à  la  compagnie  et  aux  magistrats, 
s'engageant  à  les  défendre  et  à  obéir  aux  chef-homme  et  doyens, 
en  tout  ce  qui  lui  serait  commandé.  Aucun  d'eux  ne  pouvait  se 
livrer  à  l'usure,  ni  tenir  une  conduite  déréglée,  sans  quoi  on 
l'éliminait  de  la  société.  Si  de  pareilles  associations  avaient,  à 
cette  époque,  occupé  un  plus  grand  théâtre,  elles  se  seraient 
peut-être  élevées  au  niveau  des  Chevaliers  de  Saint-Jean  de 
Jérusalem  ou  du  Temple.  Maintes  prouesses  attestent  leur  cou- 
rage et  la  fidélité  que  les  membres  gardaient  à  leur  serment. 

Un  grand  nombre  de  souverains  ont  apposé  leur  signature  sur 
le  registre  des  confréries.  Entr'autres  Jean-sans-Peur,  Phi- 
lippe-le-Bon,  Charles-le-Téméraire,  Maximilien,  roi  des  Ro- 
mains, Philippe-le-Beau,  Charles  II,  roi  d'Angleterre,  Henri, 
duc  de  Glocester,  son  frère,  Marie-Christine  d'Autriche,  Al- 
bert-Casimir, duc  de  Saxe-Tesschen,  etc. 

Dans  le  local  de  cette  confrérie,  on  trouve  un  grand  tableau  de 
Lanselot  Blondeel,  dont  le  panneau  du  milieu  représente  saint 
Georges  tuant  le  Dragon.  Autour  on  voit  différents  épisodes  de 
la  vie  de  ce  saint.  La  société  possède  encore  deux  morceaux  du 
même  peintre,  et  deux  grandes  toiles,  qui  offrent  Charles  II, 
roi  d'Angleterre,  au  milieu  d'une  fête  donnée  par  la  Confrérie. 

Charles-Quint,  en  1540,  et  Albert  et  Isabelle,  en  1608,  auto- 
risèrent la  Confrérie, par  lettres-patentes,  à  poursuivre  les  héri- 
tiers des  confrères  décédés,  qui  refuseraient  de  payer  la  somme 


ARC  299 

que  chacun  s'obligeait  à  donner  à  sa  mort,  en  devenant  mem- 
bre de  la  société. 

Peut-être  le  lecteur  ne  sera-t-il  point  fâché  de  trouver  ici  la 
description  d'un  de  ces  tirs  à  l'arbalète  qui  se  faisaient  jadis  de 
ville  en  ville  avec  tant  de  splendeur  : 

a  Pendant  toute  la  journée,  un  soleil  brûlant  avait  rempli 
l'atmosphère  de  cette  chaleur  accablante  qui  nous  donne  parfois 
une  idée  du  ciel  asiatique.  C'était  le  samedi  10  août  1549;  vers 
tes  six  heures  de  l'après-midi,  les  confrères  de  la  noble  Société 
de  Saint-Georges,  de  Lille,  firent  leur  entrée  à  Bruges,  avec 
toute  la  pompe  que  l'on  donnait  alors  à  ces  sortes  de  fêtes.  Ils 
venaient  prendre  part  à  un  grand  tir  aux  buttes.  Quatre-vingts 
personnes  composaient  le  cortège.  Toutes  étaient  montées  sur 
de  beaux  chevaux  de  Flandre  à  la  forte  encolure.  Le  rouge  était 
la  couleur  de  la  société,  et  chaque  membre  avait  adopté  cette 
couleur,  les  uns  en  satin,  les  autres  en  taffetas  ou  en  damas,  et 
quelques-uns  en  drap.  Le  roi  de  la  confrérie  et  le  prince  d'a- 
mour étaient  vêtus  en  satin  blanc.  Le  clerc,  les  valets,  les  tam- 
bours et  les  fifres  portaient  un  uniforme  jaune. 

«  L'entrée  se  fit  par  la  porte  de  Bouverie.  A  la  suite  du  cor- 
tège s'avançaient  cinq  ou  six  chariots  de  bagages  sur  lesquels  se 
faisaient  remarquer  une  douzaine  de  jeunes  garçons  déguisés 
en  Maures,  et  dont  l'emploi  était  de  servir  les  membres  de  la 
société.  Tout  ce  monde  défila  lentement  au  milieu  des  fanfares, 
à  travers  les  flots  de  peuple  accouru  pour  jouir  de  ce  spectacle. 
Les  croisées  étaient  garnies  de  la  fleur  de  la  bourgeoisie,  ce  qui 
offrait  le  coup-d'œil  le  plus  gracieux  dans  une  ville  célèbre  par 
la  beauté  de  ses  femmes. 

«  Les  Lillois  allèrent  se  loger  à  la  Coupe  d'Or,  vis-à-vis  de  la 
Cour  du  Prince.  Le  lendemain,  les  notables  de  la  Confrérie  de 
Bi~uges  (ce  qu'on  appelait  le  Serment),  se  rendirent  chez  les 
nouveaux  venus,  pour  les  inviter  à  venir  dîner  à  la  salle  de  la 
Société  Saint-Georges,  engager  le  combat  du  tir  à  l'issue  du 
repas  et  souper  ensuite  joyeusement  ensemble.  Comme  il  a  été 


3oo  ARC 

dit,  les  Lillois  étaient  quatre-vingts  et  les  membres  de  la  Con- 
frérie de  Bruges  étaient  plus  de  cent.  Cinq  grandes  tables 
furent  splendidement  servies  et  couvertes  d'une  telle  quantité 
d'argenterie,  que  les  Lillois  témoignèrent  leur  étonnement  d'un 
pareil  luxe.  • 

«  Les  magistrats  de  la  ville  assistaient  à  ce  festin.  Aux  deux 
extrémités  de  chaque  table  étaient  distribués  des  oies,des  hérons 
et  des  butors.  Au  centre  se  trouvaient  12  morceaux  de  viande 
de  vache.  Il  y  avait  encore  33  poulets,  3  jambons,  9  cochons  de 
lait  et  plusieurs  autres  mets  trop  longs  à  décrire.  Le  vin  y  figura 
aussi  en  abondance  ;  on  y  but  52  stoopen  ^'mesure  de  2  pots  ou 
4  pintes)  de  vin  du  Rhin,  1 6  stoopen  de  vin  rouge  (1),  quantité 
de  bière,  etc.  Le  cuisinier  de  ce  fameux  repas  reçut  2  escalins  et 
6  gros  pour  sa  peine. 

«  Après  le  tir,,  et  à  la  fin  delà  journée,  les  Brugeois,  précédés 
de  trompettes  et  de  clairons,  reconduisirent  en  cortège  leurs 
hôtes  à  leur  logis,  à  la  lumière  de  plus  de  cent  torches.  A  peine 
les  rues  pouvaient-elles  contenir  la  foule. 

c  Le  lundi  matin,  le  roi  de  la  Confrérie  de  Bruges  alla  de 
nouveau  inviter  les  Lillois;  maiSj  ayant  appris  qu'ils  faisaient 
les  préparatifs  du  départ,  des  messagers  furent  de  suite  expédiés 
pour  prévenir  les  confrères  de  faire  porter  des  vivres  et  un  ton- 
neau de  vin  au  village  de  Lophem.  L'intention  des  Brugeois 
était  d'accompagner  leurs  hôtes  jusque-là  et  de  leur  y  verser  le 
vin  du  départ.  En  conséquence,  ils  partirent  tous  ensemble  à 
cheval,  et,  arrivés  à  une  belle  plaine,  les  Brugeois  arrêtèrent 
leurs  amis,  et,  par  une  manœuvre  préparée  d'avance,  firent  jeter 
une  si  grande  quantité  de  rameaux  verts  autour  du  cortège,  que 
les  chevaux  ne  pouvaient  plus  avancer.  Alors,  chacun  mit  pied 
à  terre,  et,  en   moins  d'un  quart-d'heure,  le  tonneau  de  vin 


(1)  Il  est  à  remarquer  que  le  vin  du  Rhin  était  moins  cher  alors  que  le 
vin  rouge,  probablement  à  cause  des  difficultés  de  communication  avec  la 
France,  presque  toujours  en  guerre  ou  en  querelle  avec  nous. 


ARC  3oi 

ayant  été  vidé,  les  deux  sociétés  prirent  congé  l'une  de  l'autre, 
avec  les  plus  grandes  marques  d'amitié.  » 

Confrérie  de  Saint-Sébastien.  —  La  société  des  archers,  dite 
de  Saint-Sébastien,  à  Bruges,  remonte  au  moins  au  XI  Ve  siècle. 
Déjà,  en  1396,  elle  avait  une  chapelle  privée,  construite  à  ses 
frais,  dans  le  couvent  des  Frères-Mineurs,  où,  tous  les  diman- 
ches et  jours  de  fêtes,  se  célébrait  une  messe  pour  les  confrères. 
Anciennement  ces  archers  accompagnaient  les  comtes  de  Flandre 
d'une  ville  à  l'autre,  envoyaient  des  compagnies  à  la  guerre,  dé- 
fendaient la  ville  en  cas  de  danger,  et  rendaient  maints  autres 
services. 

En  i325,  le  magistrat  de  la  ville  de  Bruges  leur  accorda,  entre 
autres  privilèges,  pour  les  services  rendus  et  à  rendre,  une 
somme  annuelle  de  100  livres  parisis,  afin  de  les  aider  â  couvrir 
les  frais  de  leurs  costumes. 

En  1454,  les  frères  Adornes,  fondateurs  de  l'église  de  Jérusa- 
lem, dont  l'un  était  chef-homme  de  cette  confrérie,  lui  firent  don 
de  200  verges  de  terre  avec  bâtiments  et  entourées  de  murailles, 
pour  y  faire  leurs  exercices.  Ce  local  était  non  loin  de  l'empla- 
cement actuel. 

A  cette  époque,  le  tir  aux  buttes  était  le  plus  en  usage.  Il  n'y 
avait  pas  encore  de  perche  ou  pyramide,  et  lorsqu'on  tirait  à  l'oi- 
seau, la  pyramide  était  attachée  à  un  moulin,  sur  le  rempart  dit 
des  Carmes,  vis-à-vis  le  local  de  la  société. 

Ce  terrain,  donné  par  les  seigneurs  Adornes,  et  les  buttes,  sur 
les  remparts,  se  trouvent  marqués  sur  la  belle  carte  de  Marc 
Gérard,  de  1 5 62. 

Ce  ne  fut  qu'en  1573  que  la  Confrérie  de  Saint-Sébastien 
acheta,  de  messire  Corneille  De  Blois,  le  local  qu'elle  occupe 
encore  jusqu'à  ce  jour,  à  l'extrémité  de  la  rue  des  Carmes,  à  peu 
de  distance  de  l'ancien  établissement.  Déjà,  depuis  longues 
années,  le  bâtiment  était  orné  de  la  petite  tour  gracieuse  et  pit- 
toresque qui  le  décore  maintenant.  Ce  terrain  coûta  400  livres 
de  gros.  Six  ans  après,  on  construisit  la  galerie  à  couvert  et  les 


302  ARC 

belles  buttes  qui  servent  encore  aujourd'hui  aux  exercices  des 
archers. 

En  i656,  le  roi  d'Angleterre,  Charles  II,  et  son  frère,  Henri 
de  Glocester,  ayant  fui  leur  patrie,  à  cause  des  troubles,  s'inscri- 
virent comme  membres  de  la  confrérie  et  promirent  de  lui  payer, 
après  leur  mort  :  l'un  une  somme  de  1,000  écus,  Tautre  2000 
couronnes.  Le  duc  fit  en  outre  don  à  la  société  d'une  flèche  en 
argent  portant  ses  armes.  Cet  objet  y  est  religieusement  con- 
servé. 

Nous  reproduisons  ici  littéralement,  tel  qu'il  se  trouve  dans 
le  registre  de  la  société,  l'acte  par  lequel  le  monarque  anglais  a 
daigné,  de  sa  propre  main,  s'inscrire  comme  membre  de  la 
confrérie. 

Aujourd'huy,  le  3  d'aoûst  i656,  Chaerles  seconde  Roy  delà 
Grande-Britagnie,  France  et  Irlande,  pour  faire  honneur  éternel 
q  la  confraternité  de  Saint-Sébastiaen  se  daigne  de  se  escrire 
confrère  de  ladite  confraternité  et  de  sa  grâce  royale  promet  de 
faire  paier  après  sa  mort  la  somme  de  mil  escus,  ce  3  aoûst,  C.  R. 

Furent  témoins  dans  l'acte  :  SalomondeMaldeghem,Stadhou- 
der  (gouverneur),  L.  Van  Liekerke,  régisseur,  et  Sebastien  Van 
Waldeghem,  membre. 

En  1662,  la  Société  de  Saint-Sébastien  reçut,  par  suite  de 
cet  engagement,  5, 600  florins.  Cette  somme  servit  à  construire 
la  grande  salle  de  réunion  actuelle,  à  faire  sculpter  le  buste  en 
marbre  de  S.  M.Charles  II,  qui  coûta  35o  florins  ,  le  trophée 
d'armes  qui  l'entoure  (dont  les  frais  se  montèrent  à  47  livres  de 
gros,  1  escalin,  6  gros)  et  à  peindre  le  portrait  du  duc  de  Glo- 
cester, pour  une  somme  de  100  florins. 

A  la  révolution  française,  le  local  de  cette  confrérie  ayant  été 
publiquement  vendu,  comme  appartenant  à  une  corporation, 
fut  racheté  par  les  trois  chefs,  après  un  arrangement  arrêté 
entr'eux  et  les  confrères  (1). 

Çt)  Ces  détails  sont  extraits  d'un  manuscrit  contenant  les  annales  de   la 


ARC  3o3 

En  1834,  S.  M.  Léopold  Ier,,  roi  des  Belges,  accorda  le  titre 
de  Confrérie  Royale  à  la  Société  de  Saint-Sébastien,  et  vou- 
lut bien  inscrire  son  nom  sur  le  registre  des  confrères;  il  leur 
fit  don  de  son  portrait,  peint  par  Kinson.  S.  M.  la  reine  daigna 
également  apposer  sa  signature  sur  les  registres  de  la  société. 
Le  portrait  du  roi  est  placé  dans  la  grande  salle,  qui  contient 
encore  plusieurs  autres  tableaux  de  nos  bons  maîtres  :  d'abord, 
un  saint  Sébastien,  percé  de  flèches  et  attaché  à  un  arbre,  peint 
par  Garemyn;  c'est  un  des  meilleurs  tableaux  de  ce  peintre.  On 
y  voit  aussi  des  portraits  de  chefs  de  la  confrérie,  peints  par 
Van  Oost,  Paelinck,  Ducq,  Odevaere,  etc. 

En  1843,  la  reine  Victoria,  d'Angleterre,  et  son  auguste 
époux,  le  prince  Albert  de  Saxe-Cobourg-Gotha,  honorèrent 
la  société  de  leur  visite  et  daignèrent  s'inscrire  comme  mem- 
bres. 

Un  an  et  demi  après,  la  reine,  se  rappelant  cette  antique  con- 
frérie, lui  fit  parvenir,  comme  souvenir,  par  l'intermédiaire  de 
M.  Sylvain  Van  de  Weyer,  ministre  plénipotentiaire  de  S.  M. 
le  roi  des  Belges,  à  Londres,  une  coupe  en  argent  très-délicate- 
ment travaillée,  ornée  des  emblèmes  de  la  société  et  portant  le 
chiffre  de  la  souveraine  de  la  Grande-Bretagne.  Ce  cadeau  que, 
sous  le  rapport  de  la  valeur  intrinsèque,  nous  ne  pouvons  guère 
appeler  cadeau  royal,  n'en  est  pas  moins  un  objet  de  prix  sous 
le  rapport  de  l'art.  —  La  société  conserve,  avec  le  plus  grand 
soin,  cette  coupe  de  luxe  qui  jusqu'à  présent  n'a  encore  jamais 
servi. 

Autour  d'une  pièce  de  vers,  imprimée  et  encadrée,  se  trouve, 
dans  de  petits  médaillons  bleus,  la  mention  de  tout  ce  qui  est 
arrivé  de  plus  remarquable. à  la  société. 

Société  Saint-Sébastien,  et  composé  d'après  les  pièces  originales,  par  De 
Meyer,  docteur  en  chirurgie,  président  de  la  commission  médico-provinciale 
et  chevalier  de  l'Ordre  de  Léopold.  L'on  attend  avec  impatience  la  publica- 
tion de  cet  ouvrage  qui,  sans  aucun  doute,  présentera  des  faits  intéressants 
et  des  détails  curieux. 


304  BAZ 

ARCADES  (tome  I,  page  48).  Parmi  les  nombreux  ouvrages 
publiés  par  les  membres  de  cette  Académie,  on  peut  citer  VOda 
di  Doriîlo  Dafneio  (le  comte  Rezzonico)  peîl'anno  secolare 
delFArcadia  di  Roma,  1790.  Avec  leurs  noms  académiques,, 
les  poètes  modernes  de  l'Italie  ont  trouvé  le  secret  du  plus  impé- 
nétrable incognito,  qui  n'est  sans  doute  pas  ce  qu'ils  ambition- 
naient le  plus.  Tous  ces  sobriquets,  moitié  grecs,  ont  bien  vite 
été  oubliés. 

On  se  soucie  peu  de  savoir,  par  exemple,  que  Paola  Marghe- 
rita  Bodoni  prenait  dans  l'Académie  des  Arcades  le  nom  de 
Cloride  Fanagria,  et  Maria  Luisa  Gicci  celui  d'Erminia  Tinda- 
ride. 

ASINIENNE  (Compagnie),  (tome  I,  page  61).  Nous  avons  vu 
une  autre  édition  de  YAsinissima  Compagnia,  Venise ,  161 1, 
et  il  en  existe  sans  doute  plusieurs  autres.  Celle  qui  a  passé  sous 
nos  yeux  était  jointe  à  un  livret  relatif  à  une  autre  société  ima- 
ginaire à  l'égard  de  laquelle  nous  manquons  de  renseignements  : 
La  Tremenda  e  Spaventosa  Compagnia  dei  Tagliacantoni  et 
Mangiapillastri  di  Buso  Thomani.  Venise,  1602. 


AZOCHE  (Clercs  de  la),  (tome  I,  page  73).  Le 

livre  de  M.   Faure  que  nous  avons  cité  fournit, 

entre  bien  d'autres  renseignements,  quelques-uns 

qui  méritent  d'être  signalés. 

La  Basoche  de  Toulouse  était  une  des  plus  célèbres  après 

celle  de  Paris;  elle  se  recrutait  parmi  les  étudiants  en  droit  si 

nombreux  dans  cette  ville. 

M.  Faure  rapporte  quelques  faits  qui  lui  ont  été  indiqués  à  cet 


BAZ  3o5 

égard  par  M.  A.  T.  Latour,  magistrat  à  Toulouse;  la  Basoche 
y  était  organisée  comme  celle  de  Paris;  elle  avait  son  roi  et  son 
grand  conseil;  elle  paraît  avoir  eu  le  privilège  du  désordre;  elle 
ne  laissait  aucun  repos  aux  capitouls  chargés  de  la  police. 
C'étaient  les  Bazochiens  qui,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  la  tradi- 
tion, obligeaient  la  Belle  Paule  à  se  montrer  deux  fois  par  se- 
maine le  visage  découvert.  Ils  intervenaient  dans  les  querelles 
publiques  avec  cette  humeur  violente  qui  semblait  inhérente  à 
leur  caractère.  Un  fait  survenu,  il  y  a  moins  d'un  siècle,  mérite 
d'être  signalé. 

Un  imprimeur-libraire  de  Toulouse,  Jean-Florian  Baour  (le 
père  de  l'académicien  Baour-Lormian),  avait  mis  sous  presse 
une  notice  sur  la  Basoche;  elle  déplut  aux  membres  de  l'asso- 
ciation, et  le  22  avril  1766,  la  Cour  bazochiale  rendit  un  arrêté 
qui  défendit  au  sieur  Baour  de  rien  imprimer  à  l'égard  de  la  Ba- 
soche et  de  ses  privilèges.  L'imprimeur  s'adressa  au  Parlement 
qui,  le  28  août  de  la  même  année,  cassa  le  prétendu  arrêt  de  la 
Basoche  comme  «  abusif  et  attentatoire  aux  privilèges  et  con- 
cessions octroyés  à  ladite  Basoche  par  1  edit  de  son  institution 
rendu  par  le  roi  Philippe-le-Bel  en  i3o3  et  par  celui  du  2  jan- 
vier 1548  du  roi  Henri  II.  » 

Ces  deux  édits,  cités  de  confiance,  n'existent  pas. 

Les  artisans,  suppôts  du  Roi  de  la  Basoche,  étaient  tenus  de 
mettre  sur  leurs  enseignes  les  armoiries  de  la  société, c'est-à-dire, 
les  trois  écritoires  d'or  au  champ  d'azur.  Une  chanson,  compo- 
sée à  l'époque  de  François  Ier  et  dont  le  texte  a  été  rajeuni  de- 
puis, assigne  à  ces  armoiries  une  haute  antiquité,  bien  contes- 
table. 

L'encrier,  la  plume  et  Tépée 
Etoient  les  armes  de  Pompée; 
La  Basoche  est  son  héritière, 

Elle  en  est  fière. 
Soldat  clerc,  le  Bazochien 
Est  bon  vivant  et  bon  chrétien. 

20 


3o6  BAZ 


Vive  la  Basoche! 
A  son  approche 
Tout  va  bien. 

Boileau  avait  d'abord  fait  mention  dans  le  Lutrin  du  mai  que 
plantaient  les  Bazochiens  : 

La  discorde.    .     .     . 
S'arrêta  près  du  mai,  dans  la  cour  du  Palais. 

Mais  plus  tard  il  modifia  ce  vers  et  il  écrivit: 

S'arrêta  près  d'un  arbre,  auprès  de  son  palais. 

Un  témoin  oculaire  nous  apprend  qu'en  1748,  selon  l'ancien 
usage,  les  Bazochiens  se  promenaient  pendant  plusieurs  jours 
dans  les  rues  de  Paris,  tous  à  cheval,  marchant  deux  à  deux,  au 
nombre  de  vingt-cinq  à  trente  (ce  chiffre  avait  été  déterminé  en 
1667).  Ils  avaient  pour  cette  cavalcade  des  costumes  rouges  uni- 
formes, avec  des  cocardes  blanches. 

Diverses  productions  poétiques  se  rattachent  au  royaume  de 
la  Basoche.  11  parut  vers  i53o  un  petit  poème  intitulé  :  Les 
Complaintes  et  Epitaphes  du  roy  de  la  Basoche.  Le  dernier 
vers  : 

Cy  jestrandroy  de  la  Vigne  un  vert  jus. 

autorise  à  attribuer  cette  production  à  André  de  la  Vigne,  poète 
bazochien,  auteur  de  divers  autres  écrits  fort  recherchés  des  bi- 
bliophiles. 

On  ne  connait  qu'un  seul  exemplaire  complet  de  ce  livret; 
c'est  celui  qui,  après  avoir  fait  partie  de  la  bibliothèque  du  duc  de 
la  Vallière  (livrée  aux  enchères  en  1784)  passa  dans  celle  de 
M.  de  Soleinne  et  fut  adjugé  en  1844  à  79  francs  (n°  279  du  ca- 
talogue). 

C'est  un  petit  in-8  de  12  feuillets,  imprimé  en  caractères  go- 
thiques; les  expressions  hybrides  ou  latinisées  qui  étaient  dans 
le  goût  de  l'époque,  abondent;  elles  rendent  souvent  le  sens  inin- 
telligible. M.  Faure  a  reproduit  ces  mauvais  vers  (page  341- 


BAZ  307 

353)  d'après  un  exemplaire  incomplet  (6  feuillets  manquent) 
que  lui  a  communiqué  M.  Le  Roux  de  Lincy. 

Bornons-nous  à  transcrire  un  passage  qui  donnera  une  idée 
plus  que  suffisante  de  cette  étrange  production  : 

La  Basoche  contre  la  mort. 

O  Atropos  pluthonique,  scobreuse, 
Furie  aride,  sulphurine,  umbreuse, 
Fière  boucquine,  bugle,  cerbère,  cabre, 
Beste  barbare,  rapace,  ténébreuse, 
Gloute  celindre,  cocodrille  vibreuse, 
Chymere  arrière,  megetin,  candalabre, 
Arpie  austère,  cheziphonie  alabre, 
Gargarineux  steril,  colubrin  abre, 
Lac  cochitif,  comble  de  pleurs  et  plains, 
Palut  boueux,  vil  acheronic  mabre, 
Lubre  matrone  du  cru  tartarin  flabre 
Iay  iuste  cause  se  de  toy  ie  me  plains. 

Un  ecclésiastique  lyonnais ,  Philibert  Girinet,  écrivit,  au 
XVIe  siècle,  une  pièce  de  vers  latins,  Idyllion.ow  Idylle  sur  l'é- 
lection de  Pierre  Gautier,  roi  de  la  Basoche  à  Lyon.  Il  est  vrai- 
semblable que  cette  composition  fut  écrite  de  i53o  à  1 535  ;  l'au- 
teur était  alors  bazoehien;  il  prit  part  à  l'élection  qu'il  décrit  en 
témoin  oculaire  :  YIdyllion  fut  publié  pour  la  première  fois 
dans  un  recueil  de  vers  latins  modernes  mis  au  jour  à  Baie  en 
1546,  par  Gilbert  Cousin:  Bucolicorum  Anctores  XXVIII. 

M.  Faure  a  reproduit  (voir  pag.  3 26)  le  texte  de  l'édition  de 
Bâle,  plus  correct  que  celui  donné  par  M.  Breghot  du  Lut,  et  la 
traduction  française.  Nous  transcrirons  un  court  passage  de 
cette  version  : 

«  Dès  que  le  prince  eut  été  élu,  deux  de  ses.principaux  sujets 
relevèrent  sur  leurs  épaules,  et,  accompagnés  de  la  foule  qui  les 
entourait,  l'établirent  sur  un  siège  magnifique,  et  mirent  dans 
sa  main  droite   le  sceptre  doré.  Là,  d'un  ton  grave  et  par  des 


3o8  BIB 


paroles  éloquentes  que  l'impression  reproduisit  à  l'instant,  il 
remercia  l'assemblée...  L'allégresse  régnait  dans  toute  la  ville; 
on  ne  voyait  partout  que  danses  et  groupes  joyeux.  Leurs  cris 
s'élevaient  dans  les  airs,  et  de  toutes  parts  on  entendait  des 
vœux  adressés  au  ciel  en  faveur  du  prince.  Celui-ci  ordonne  à 
Pun  de  ses  ministres,  à  qui  le  soin  des  forêts  avait  été  confié, 
d'aller  aussitôt  sur  la  montagne  et  d'y  faire  couper  des  branches 
chargées  de  feuilles  pour  en  construire  dans  la  cité  des  berceaux 
sous  lesquels  on  puisse  se  mettre  à  l'abri  de  la  chaleur.  Trois 
sapins  sans  nœuds,  à  l'écorce  résineuse,  sont  également  trans- 
portés. » 

M.  Lerouge  avait  réuni  dans  sa  vaste  collection,  relative  aux 
diverses  sociétés  secrètes  ou  publiques,  des  pièces  assez  nom- 
breuses au  sujet  de  la  corporation  qui  nous  occupe.  Son  catalo- 
gue indique  un  recueil  de  23  pièces  sur  la  Basoche  (1756-59), 
plusieurs  en  manuscrit  ;  le  Triomphe  de  la  Basoche,  poème 
par  Tignel,  1788;  la  Baçochéïde,  poème  burlesco-patriotico- 
héroïque,  par  R...;  Vœu  de  la  Basoche  aux  Citoyens  de  Paris , 
1790;  une  notice  extraite  du  Magasin  encyclopéd.j  1808,  etc. 

BLOIS  (Académie  de),  (tom.  I,  p.  99).  Il  a  été  fait,  en  1.866, 
une  réimpression  de  cette  spirituelle  facétie,  Yverdon,  imprime- 
rie particulière  (Bruxelles?);  c'est  un  in- 18  de  40  pages  qui  n'a 
été  tiré  qu'à  108  exemplaires,  dont  25  sur  papier  jaune  et  3  sur 
vélin.  Les  notes  d'une  érudition  grotesquement  sérieuse  occu- 
pent la  moitié  du  livret.  Il  est  précédé  d'une  dédicace  latine  au 
doctissime  et  illustrissime  secrétaire  de  l'Académie  de  Blois. 
«  Accipe  opusculum  istud  meum  in  quomultas  et  diversissimas 
origines  verbi  Cocu  et  indagare  enucleare  non  sine  temeritate 
praesumpsi.  »  Il  engage  son  ami  à  communiquer  en  particulier 
cet  écrit  aux  académiciens  de  Blois,  en  exceptant  toutefois  ceux 
qui  «  nomen  infaustum  manifesto  et  publico  jure  vindicare 
«  sibi  posse  videbuntur.  » 

BIBLIOPHILES  LYONNAIS.  Des  détails  étendus  sur  di- 


CAL  309 


verses  sociétés  de  ce  genre  existant  en  France  sortiraient  des  li- 
mites que  nous  devons  nous  tracer;  nous  croyons  devoir  cepen- 
dant mentionner  celle  de  Lyon.  Quoiqu'elle  ait  fait  paraître  di- 
verses publications  curieuses  et  tirées  à  petit  nombre,  elle  n'existe 
pas,  à  ce  que  nous  apprend  une  note  consignée  dans  le  Catalogue 
de  mes  livres,  inventaire  d'une  des  plus  riches  collections  d'ou- 
vrages anciens  qu'il  y  ait  en  France,  publié  par  M.  Yemeniz 
(i  865 -66;  3  tomes  in-4).  La  Société  est  une  supposition  de  M. 
Montfalcon,  un  savant  connu  d'ailleurs  par  des  travaux  très-esti- 
mables, et  qui  a  jugé  à  propos  de  placer  sous  un  nom  collectif 
diverses  réimpressions  qu'il  s'est  plu  à  mettre  au  jour. 


ALOTTE  (Association  delà),  (tom.  I,  p.  134).  Un 
choix  fait  avec  goût  dans  les  trop  nombreuses  pièces 
qui  forment  le  Recueil  de  la  Calotte,  offrirait  de  l'in- 
térêt, s'il  était  accompagné  de  notes  rédigées  par  une 
personne  bien  au  fait  de  l'histoire  anecdotique  de  l'époque  et 
très-versée  dans  la  lecture  des  Mémoires  du  temps. 

Nous  reproduirons  deux  de  ces  fragments  oubliés  aujourd'hui. 
Voici  d'abord  le  Brevet  pour  Madame  de  Saint-Sulpice,,  triste 
héroïne  d'une  aventure  scandaleuse  dont  tout  Paris  s'amusa  (1). 


(1)  On  prétendit  que,  dans  un«ouper  avec  des  princes  qui  avaient  un  peu 
trop  bu,  le  feu  fut  mis  à  un  pétard  qu'on  fit  partir  sous  les  jupes  de  cette 
dame,  femme  d'un  inspecteur-général  de  la  marine  et  qu'elle  fut  cruellement 
brûlée.  Sa  vie  fut  en  danger,  mais  elle  finit  par  guérir.  Des  chansons  fort 
gaies  eurent  lieu  à  ce  sujet  ;  le  recueil  Maurepas  (manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque impériale)  en  a  conservé  plusieurs.  Voir  aussi  les  Mélanges  du  pré- 


3io  CAL 


De  par  le  Dieu  porte-marotte 

Nous,  général  de  la  Calotte, 

Obligez  par  notre  devoir 

De  travailler  à  l'avantage 

De  nos  sujets,  et  de  prévoir 

Ce  qui  seroit  à  leur  dommage. 

Plus  d'empêcher  par  tous  moyens 

Que  notre  troupe  calotine, 

Tant  dans  son  corps  que  dans  ses  biens, 

Ne  reçoive  mal  et  ruine  ; 

De  l'avis  de  notre  conseil 

Pour  empêcher  un  cas  pareil 

A  l'aventure  déplorable 

Ou  pour  mieux  dire  lamentable 

Arrivée  à  dame  de  nom. 

Cette  illustre  et  galante  dame 

Aussi  prudente  au  bal  qu'au  jeu 

Par  sa  criarde  qui  s'enflamme 

Se  croyant  tout  à  coup  en  feu 

Crie  :  au  secours  !  à  moi  !  je  brûle  ! 

Mais  la  compagnie  incrédule 

Croyant  qu'un  semblable  discours 

Tendoit  à  la  pure  fadaise, 

Loin  d'accourir  à  son  secours 

La  laissa  brûler  tout  à  l'aise. 

Dont  tel  malheur  est  advenu 

Que  le  conter  par  le  menu 

Ce  seroit  si  terrible  histoire 

Qu'à  grand  peine  on  pourroit  la  croire 

tendu  Bois/ourdain  (1807,  tom.  il,  p.  10)  ;  la  Correspondance  deladuchesse 
d'Orléans  (i855,  tom  II,  p.  3o7,  3 17);  le  Journal  de  Barbier.  L'avocat  Ma- 
rais (dans  son  Journal,  imprimé  dans  la  Revue  rétrospective  de  M.  Tasche- 
reau,  et  réimprimé  en  1864)  dit  que  l'histoire  de  cette  brûlure  est  très-fausse  ; 
les  contemporains,  peut-être  avec  raison,  l'ont  crue  très-vraie. 


CAL  3u 


Si  par  d'oculaires  témoins 
Qui  cette  dame  ont  assistée 
Elle  n'eut  été  racontée. 
Or,  voulant  donner  tous  nos  soins 
Pour  qu'une  disgrâce  semblable 
N'arrive  en  notre  régiment 
Au  sujet  d'un  sexe  agréable 
Et  que  nous  aimons  tendrement, 
Nous  défendons  à  nos  vassales 
Tant  vivandières  que  vestales, 
De  porter  sacristain,  panier 
Tant  de  baleine  que  d'osier, 
Et  criardes  gouderonnées 
Tandis  qu'auprès  des  cheminées 
Le  froid  contraindra  d'approcher, 
Pour  se  chauffer  ou  se  sécher; 
Permettons  les  susdites  hardes, 
Paniers,  sacristains  et  criardes, 
Pendant  les  chaleurs  de  l'été, 
D'autant  qu'alors  il  n'est  à  craindre 
Une  telle  calamité  ; 
N'ayant  nul  dessein  de  contraindre 
Les  dames  dans  cette  saison 
Où,  par  une  bonne  raison 
L'air  et  le  frais  sont  nécessaires. 
Plus  voulons,  si  le  ciel  permet 
Que  ladite  dame  en  revienne 
Que  de  notre  part  elle  tienne 
La  main,  afin  que  sur  ce  fait 
Toute  autre  soit  obéissante, 
Sous  peine  à  la  contrevenante 
D'éprouver  accident  pareil; 
Arrêté  dans  notre  conseil 
Le  même  jour  que  nos  brigades 


3i2  CAL 

Faisoient  joyeuse  mascarade 
Et  couroient  porter  le  momon; 
Par  nous  Forsas,  et  moi  Aimon. 

Le  médecin  de  Louis  XIV,  Fagon,  est  fort  malmené  par  les 
chansonniers  de  la  Calotte  ,•  citons,  parmi  bien  d'autres,,  quel- 
ques vers  lancés  contre  lui  : 

Il  ne  vivoit  que  de  régime, 
Exténué,  bossu,  hideux. 
La  démarche  d'un  quadrupède  ; 
Sa  figure  sembloit  un  zède; 
Une  forêt  de  noirs  cheveux 
Entouroit  son  crâne  et  sa  face  ; 
Il  effroyoit  la  populace; 
Chacun  croyoit  à  son  abord 
Voir  le  squelette  de  la  mort. 

On  sait  d'ailleurs  combien  ce  docteur  eut  d'ennemis;  il  dut 
surtout  le  maintien  de  sa  longue  faveur  à  Madame  de  Mainte- 
non  dont  il  était  l'adulateur  outré.  La  duchesse  d'Orléans  lui 
reproche  d'avoir  hâté  la  mort  du  roi,  et  même  d'avoir  fait  périr 
la  reine  {Correspondance 3  tom.  II,  p.  109,  114  et  201);  mais 
on  sait  que  la  bonne  princesse  ne  ménageait  point  les  accusa- 
tions les  plus  risquées  aux  gens  qu'elle  n'aimait  pas. 

L'aventure  du  père  Girard,  tristement  célèbre  par  les  accusa- 
tions que  porta  contre  lui  la  demoiselle  Cadière  (1),  excita  la 
verve  des  beaux  esprits  de  la  Calotte.  Parmi  de  nombreuses  pièces 
de  vers  à  cet  égard  nous  remarquons  une  Sarcellade  (nom  qu'on 
donnait  à  des  satires  où  l'on  faisait  parler  des  habitants  du  vil- 
lage de  Sarcelles,  près  Paris). 


(1)  Cent  quatorze  ans  après  l'arrêt  du  parlement  d'Aix  qui  acquitta  Gi- 
rard, et  lorsqu'on  pouvait  croire  ce  procès  bien  oublié,  il  a  été  mis  au  jour  à 
Paris,  en  1845,  un  volume  intitulé:  Détails  historiques  sur  le  père  Girard  et 
mademoiselle  Cadière  de  Toulon, 


CAV  3i3 

Sçais  tu,  Collin,  ce  qu'on  dit  à  Paris  ? 

Par  la  morguienne  !  ys  sont  biau  ébaubis. 

Te  souviant  il  de  cette  la  Cadière 

Dont  ys  lisions  les  faitons  n'aguière  ? 

Comme  al  disoit  que  ce  Père  Girard, 

Dès  qu'il  étoit  avec  elle  à  l'écart, 

Après  avoir  biau  varouillé  sa  porte 

La  visitoit  comme  une  bête  morte; 

Qu'il  la  tatoit  et  la  lantiponnoit, 

Tant  qu'un  biau  jour  ce  vilain  maladret 

L'avoit  rendue,  à  ce  qu'ai  disoit,  mère... 

Moi,  je  disians  :  si  ç'atoit  calomnie 

Cette  chienne  devroit  être  punie, 

Mais  si  c'est  vrai,  tout  ce  qu'aile  nous  dit, 

Faudroit  griller  ce  Lucifer  maudit. 

Au  diable-zoc  !  ces  monsieurs  de  Provence 

Avons  à  tous,  baillé, pleine  indulgence; 

C'est  la  besogne  à  Jean  Cogne-Festu: 

Qui  plus  a  mis  et  plus  y  a  pardu. 

Et  qui  pis  est,  on  dit  que  les  Jésuites 

De  ça,  pour  rian,  n'avons  pas  été  quittes, 

Qu'il  a  fallu  pour  ce  biau  jugement, 

Aux  juges  d'Aix  lâcher  biaucoup  d'argent. 

CAVEAU  (t.  I,  p.  1 5 1).  Cette  institution,  longtemps  célèbre, 
mérite  qu'on  en  parle  un  peu  plus  en  détail. 

Laujon  {Œuvres  choisies,  1811,  tom.  IV),  raconte  ce  qui 
concerne  le  premier  Caveau,  celui  de  Piron,  de  Collé  et  de  tant 
d'autres  amis  de  la  gaîté. 

Les  dîners  se  faisaient  à  frais  communs;  on  n'admettait  per- 
sonne, si  ce  n'est  les  associés,  dont  le  nombre  n'était  pas  déter- 
miné; une  seule  voix  contraire  suffisait  pour  entraîner  l'exclu- 
sion. 

L'ordonnateur  des  dîners  était  Laplace;  à  deux  heures  pré- 


314  CAV 

cises  on  se  mettait  à  table;  on  n'attendait  personne,  pas  même 
le  président.  Ce  n'était  qu'au  dessert  qu'il  était  permis  de  s'oc- 
cuper de  chansons. 

Le  tirage  au  sort  ayant  donné  un  jour  à  Laujon  les  mots  : 
Deux  à  deux,  il  composa  rapidement  les  couplets  que  voici  : 

Pour  boire  et  chanter  au  Caveau 
Ici  chaque  mois  nous  ramène  ; 
Si  nous  nous  y  permettons  de  l'eau, 
C'est  celle  qu'offre  PHippocrène 
Qui  coiffe  assez  bien  les  cerveaux; 
L'amorce  est  douce;  on  y  succombe. 
Chacun  s'enivre  à  qui  mieux  mieux, 
Aussi  voyons-nous  qu'on  y  tombe 
Deux  à  deux. 

Pourquoi  donc  laisser  au  hasard 
Le  droit  d'asservir  nos  pensées  ? 
Songez  que  c'est  détourner  l'art 
Des  routes  que  nous  ont  tracées 
Le  bon  Collé,  le  bon  Favard. 
Gaîté  sans  fard,  douce  harmonie 
Offraient,  dans  leurs  couplets  joyeux, 
Des  vers,  dictés  par  le  génie, 
Deux  à  deux. 

A  l'époque  du  Directoire,  le  Caveau  se  réorganisa.  Le  dîner 
fixé  au  2  de  chaque  mois  (calendrier  républicain),  avait  lieu  à 
deux  heures  et  demie  ;  on  soupait  encore  alors.  Le  repas  avait 
d'abord  lieu  à  frais  communs,  mais  bientôt  la  vente  du  recueil 
lyrique  de  la  société  couvrit  amplement  la  dépense  (i). 

(i)  Paris  a  possédé,  à  l'instar  du  Caveau,  un  grand  nombre  de  sociétés 
chantantes ,  mais  qui  ont  fait  peu  de  bruit,  et  dont  il  n'est  sorti  que  des 
productions  médiocres  et  oubliées.  On  nomme  en  ce  genre  les  Sans-Soucis, 


CAV  3i5 

On  nous  saura  peut-être  quelque  gré  de  placer  ici,  sans  nous 
astreindre  à  un  choix  trop  sévère,,  quelques-unes  des  pièces 
échappées  à  la  verve  des  chansonniers  qui,  au  commencement 
de  ce  siècle,  illustrèrent  le  Caveau. 

Après  Désaugiers  et.  Piis,  dont  les  productions  sont  bien 
connues,  Armand  Gouffé  occupe  un  rang  distingué  (i).  Une 
de  ses  chansons  :  le  Vin  et  la  Vérité^  renferme  des  vers  bien 
tournés  : 

In  vino  veritas,  mes  frères, 

Nous  dit  un  proverbe  divin; 

Dieu,  pour  nous  faire  aimer  nos  verres 

Mit  la  vérité  dans  le  vin. 

J'obéis  à  sa  loi  suprême  ; 

Comme  buveur  je  suis  cité; 

On  croit  que  c'est  le  vin  que  j'aime  ; 

Mes  amis,  c'est  la  vérité. 

On  croit  que  la  philosophie 

N'a  jamais  troublé  mes  loisirs, 

Et  qu'à  bien  jouir  de  la  vie 

J'ai  toujours  borné  mes  plaisirs. 

On  dit,  quand  je  cours  sous  la  treille  : 

C'est  le  plaisir,  c'est  la  gaîté 

Qu'il  va  chercher  dans  la  bouteille; 

Mes  amis,  c'est  la  vérité. 


les  Lapins  du  Nord,  les  Lapins  du  Midi,  les  Francs  Gaulois,  les  Amis  de 
l'Entonnoir,  la  Lice  chansonnière,  la  Société  du  Gigot,  les  Enfants  de  la 
Gloire,  etc. 

(i)  Né  en  1773,  employé  au  ministère  des  finances  où  il  devint  sous-chef 
de  division;  les  chiffres  de  la  comptabilité  ne  l'empêchèrent  pas- de  mériter 
le  surnom  du  Panard  du  XIXe  siècle;  ses  chansons  forment  4  vol,  publiés 
de  1802  à  181 3  :  Ballon  d'essai,  Ballon  perdu,  Encore  un  Ballon,  le  Dernier 
Ballon. 


3i6  CAV 

Ce  chansonnier  a  su  rendre  très-gaie  une  chose  fort  triste  :  le 
Corbillard. 

Que  j'aime  à  voir  un  corbillard  ! 

Ce  début  vous  étonne , 
Mais  il  faut  partir  tôt  ou  tard, 

Le  sort  ainsi  l'ordonne, 
Et  loin  de  craindre  l'avenir, 

Moi,  dans  cette  aventure, 
Je  n'aperçois  que  le  plaisir 

De  partir  en  voiture. 

Le  riche  en  mourant  perd  son  bien, 

Moi,  je  vois  tout  en  rose  ; 
Je  n'ai  rien,  je  ne  perdrai  rien, 

C'est  toujours  quelque  chose. 
Je  me  dirai  :  d'un  parvenu, 

Je  n'ai  pas  la  tournure; 
Pourtant  à  pied  je  suis  venu  , 

Et  je  pars  en  voiture. 

Son  portrait,  tracé  par  lui-même,  se  termine  par  un  trait  assez 
original  : 

Du  reste,  j'ai  deux  pieds,  deux  mains, 

J'ai  deux  jambes  pareilles; 
J'ai,  comme  les  autres  humains, 

Deux  fort  belles  oreilles. 
Sur  un  trône  sans  être  né 

Je  chéris  mon  partage; 
Aussi  bien  qu'un  roi,  j'ai  le  né 

Au  milieu  du  visage. 

Citons  encore  quelques  pièces  de  cet  aimable  épicurien  : 

MANGEONS  ! 

Pour  vivre  dans  le  monde, 
Que  de  lois  à  la  ronde 


CAV  3i7 


Nous  nous  forgeons  ! 
Il  n'en  est  qu'une  à  suivre; 
Si  nous  voulons  vivre 

Mangeons  !  mangeons  !  (ter] 

A  vivre  dans  l'histoire, 
A  poursuivre  la  gloire^ 

Quand  nous  songeons, 
J'entends  dame  Nature 
Qui  tout  bas  nous  murmure  : 
Mangeons!  mangeons! 

Les  riches  dans  leurs  terres, 
Comme  les  pauvres  hères 
Dans  leurs  donjons, 
Le  haut,  le  bas  étage, 
N'a  partout  qu'un  langage  : 
s  Mangeons!  mangeons! 

Entre  mille  systèmes 

Que  rarement  nous-mêmes 

Nous  partageons, 
L'un  l'autre  on  se  déchire; 
On  s'accorde  pour  dire  : 

Mangeons  !  mangeons  ! 

Par  des  propos  nuisibles 
Combien  de  gens  sensibles 

Nous  affligeons! 
Rien  n'est  moins  profitable 
Que  de  parler  à  table; 

Mangeons  !  mangeons  ! 

Pour  attendrir  nos  belles 
Dans  des  peines  mortelles 


3i8  CAV 


Nous  nous  plongeons; 
Un  lièvre  pris  au  gîte 
Devient  tendre  plus  vite. 

Mangeons!  mangeons! 

Qu'on  nous  serve  un  potage, 
Des  ragoûts,  du  laitage, 

Ou  des  goujons, 
Ou  bien  qu'on  nous  apporte 
Des  ortolans...  qu'importe? 

Mangeons  !  mangeons  ! 

BIBI. 

Quoiqu'un  docteur  censure 

Vinwn, 
Il  est,  je  vous  assure, 

Bonum; 
Et  comme  chacun  pense 

Sibi, 
Dès  ma  plus  tendre  enfance 

BIBI. 

Je  vis  sur  mon  passage 

Aquam; 
Mais  pour  en  faire  usage 

Nunquam; 
Je  vis  du  vin  à  boire; 

Tibi , 
Tibi,  mon  cher  Grégoire, 

BIBI. 

Je  fus  près  des  bourriches 
Lœtus 


CAV  3 19 


Et  près  de  certains  riches 

Mutus, 
Mais  toujours  sous  les  treilles 

Ubi 
Je  trouvai  des  bouteilles 

BIBI. 

J'ai  craint  les  batailles 

Muîtum; 
J'ai  fait  voir  aux  futailles 

Vultum; 
Moins  fatal  qu'Alexandre 

Orbi 
Sans  rien  réduire  en  cendres 

BIBI. 

Jadis,  fêtant  sans  cesse 

Bacchum, 
J'enivrais  ma  maîtresse 

Mecum, 
Resté  seul,  j'eus  des  craintes 

Morbi, 
Pour  braver  ses  atteintes 

BIBI. 

Je  fis  parfois  à  table 

Carmen, 
Non  pour  rendre  durable 

Nomerty 
J'ignorais  l'art  sublime 

Phœbi; 
Pour  rencontrer  la  rime 

BIBI, 

Par  Bacchus,  je  respire; 
Bibo, 


320  CAV 

Et  lorsqu'au  sombre  empire 

Ibo 
Je  veux  dire  à  Tantale  : 

BIBI. 

Voici  encore  une  jolie  chanson  d'Armand  Gouffé. 

VERSEZ  TOUJOURS. 

Vénus,  sois  favorable 
Aux  galants  troubadours; 
Moi,  pour  chanter  à  table. 
Au  vin  seul  j'ai  recours; 
Verse %,  verse\  toujours  (4  fois). 

Sans  boire  on  ne  peut  rire, 
Les  sens  sont  froids  et  lourds  ; 
Mais  le  bon  vin  inspire 
Les  plus  piquants  discours  ; 
Verse\,  verse^  toujours. 

Bien  souvent  en  sommeille 
Juché  sur  le  velours; 
On  est  gai  sous  la  treille, 
Et  c'est  là  que  je  cours. 
Verseq,  verse\  toujours. 

Le  vin  à  la  vieillesse 
Procure  de  beaux  jours; 
Le  vin  à  la  tendresse 
Offre  un  puissant  secours  ; 
Verseç,  verseç  toujours. 

Le  vin  tourne  les  têtes; 
Ce  sont  là  de  ses  tours; 
Cherchez-vous  des  conquêtes 
Au  pays  des  Amours, 
Verse\,  verse\  toujours. 


CAV  3-2i 


Propageons  dans  la  ville, 
Portons  dans  les  faubourgs 
Ce  refrain  plus  utile 
Que  tous  les  calembourgs  1 
Verse  %,  verse\  toujours. 

Que  l'on  chante  à  la  ronde, 
De  Paris  jusqu'à  Tours, 
Et  que  l'on  se  réponde 
De  Tours  jusqu'à  Nemours, 
Verse\,  verse\  toujours. 

Buvons  jusqu'au  délire 
Et  marquons  bien  les  tours  ; 
J'espère  le  mieux  dire 
Dans  ce  charmant  concours 
Verseç,  verseç  toujours. 

Garçons,  que  l'on  nous  serve 
Le  nectar  des  Pandours, 
Et  que  Dieu  me  préserve 
De  parler  à  des  sourds  ! 
Verseç,  verseç  toujours. 

Du  Champagne,  du  Grave 
Et  point  de  sots  détours; 
Que  l'on  chante  à  la  cave, 
Au  grenier,  dans  les  cours, 
Verse^y  verse\  toujours. 

Le  temps  fuit  et  nous  presse; 
Nos  dîners  sont  trop  courts; 
De  ma  joyeuse  ivresse, 
Ah  !  prolongez  le  cours, 
Verse^,  verse\  toujours. 


21. 


322  CAV 

Brazier  se  montra  l'émule,  souvent  heureux,  d'Armand 
Gouffé;  nous  prenons,  sans  choisir,  parmi  les  chansons  qu'il 
apporta  au  Caveau,  celle  qui  est  intitulée  :  Mangeons. 


M angeons  !  mangeons,  c'est  le  refrain 

D'une  chanson  que  j'aime; 
Ce  doux  refrain  m'as  mis  en  train-; 
Je  veux  chanter  de  même. 
Plus  nous  y  songeons, 
Mangeons,  oui,  mangeons; 
C'est  un  titre  à  la  gloire, 
J'aime  les  bons  mets, 
J'aime  à  manger,  mais 
J'aime  encore  mieux  boire. 


C'est  dans  le  vin  qu'est  le  plaisir; 

Si  l'on  en  croit  l'histoire, 
Grégoire,  avant  que  de  mourir 
Criait  encore  :  à  boire  ! 
Et  dans  cet  instant 
Un  buveur  prétend 
Que,  jaloux  de  sa  gloire, 
Même  après  sa  mort, 
Il  fit  un  effort 
Et  but...  dans  l'onde  noire. 

Sur  la  carte  je  vois  souvent 

La  mer  Adriatique, 
La  mer  du  Sud  et  du  Levant, 
Je  vois  la  mer  Baltique, 
Mais  de  la  gaîté 
Toujours  enchanté 


CAV  323 

J'évite  la  mer  Noire  ; 
Puis,  en  bon  gourmet, 

La  rouge  me  plaît, 
Car  c'est  la  mer  à  boire. 

Voulez-vous  bien  faire  l'amour; 
Videz  vingt  fois  vos  verres; 
Voulez-vous  rimer,  chaque  jour, 
Buvez,  buvez,  mes  frères  ; 
Vraiment,  c'est  en  vain 
Qu'on  blâme  le  vin  ; 
Il  donne  delà  gloire; 
Un  auteur  souvent 
Arrive  en  roulant 
Au  temple  de  mémoire. 

Grisons  le  débile  vieillard 

Que  le  temps  inquiète; 
Grisons  la  prude,  le  cafard 
Et  grisons  la  coquette; 

Grisons  les  enfans, 

Grisons  les  mamans, 

Les  faiseurs  de  gazettes; 

Grisons  les  garçons 

Grisons  les  grisons, 
Grisons  jusqu'aux  grisettes  ! 

Philippon  delà  Madeleine  nous  offrira  : 

l'élève  d'épicure  a  table. 

Chantons,  buvons;  ce  n'est  qu'ici 

Que  la  vie 

Est  jolie; 
Chantons,  buvons;  ce  n'est  qu'ici 
Qu'on  nargue  le  souci. 


324  CAV 

Une  onde  fugitive, 
Voilà  notre  destin; 
Mais  le  ciel  sur  la  rive 
Fait  croître  le  raisin. 

Chantons,  etc. 

Peine,  ennui,  jalousie 
Assiègent  mes  foyers, 
Mais  ici  l'on  oublie  - 
Jusqu'à  ses  créanciers. 

Chantons,  etc. 

Laissons  un  dieu  volage 
Amuser  des  enfans; 
On  n'aime  qu'au  jeune  âge  ; 
On  boit  dans  tous  les  temps. 

Chantons,  etc. 

Combien  d'heures  chagrines 
Suivent  les  doux  ébats  ! 
La  rose  a  des  épines, 
Le  pampre  n'en  a  pas. 
Chantons,  etc. 

Belles  qu'Amour  condamne 
A  de  tendres  langueurs, 
Imitez  Ariane; 
Bacchus  sécha  ses  pleurs. 
Chantons,  etc. 

Garde,  fils  de  Latone, 
Tes  neuf  sœurs,  ton  ruisseau; 
J'ai  pour  muse  Erigone, 
Pour  Parnasse  un  caveau. 
Chantons,  etc. 


GAV  -  325 


LES     TROIS     MOTS. 

Trois  mots  forment  mon  thème 
Et  toutes  mes  leçons; 
Or,  ces  trois  mots  que  j'aime 
Sont  (jugez  s'ils  sont  bons), 

Aimons, 
Buvons, 

Chantons. 

Ici  nous  pouvons  dire 
Tout  ce  que  nous  pensons. 
La  gaîté  nous  inspire; 
Disons  et  répétons 

Aimons, 

Buvons, 

Chantons. 

Dans  cette  courte  vie 
Momus  vaut  bien  Caton  ; 
La  raison  est  folie, 
La  folie  est  raison. 

Aimons_, 

Buvons, 

Chantons. 

Un  roi,  cher  à  l'histoire, 
Fit  plus  d'une  chanson  ; 
Il  sut  aimer  et  boire, 
L'avis  est  trois  fois  bon. 

Aimons, 

Buvons, 

Chantons. 

Phœbus,  par  l'harmonie, 
L'amour,  par  ses  leçons, 


326  CAV 

Bacchus  par  l'ambroisie 
Enivrent  .nos  raisons. 

Aimons, 

Buvons_, 

Chantons. 

Lorsqu'en  trois  mots  je  trace 
Mon  système  en  chansons, 
Changez  les  mots  de  place, 
Ils  seront  toujours  bons. 
Aimons^  buvons,  chantons_, 
Buvons,  chantons,  aimons, 
Chantons,  aimons,  buvons, 
Aimons,  buvons,  chantons. 

buvons. 

Buvons  !  disait  Anacréon; 

Buvons  !  disait  Horace  ; 

Les  Grecs,  les  Romains  du  bon  ton, 

Les  suivaient  à  la  trace. 

Mes  amis,  tant  que  nous  vivrons 

Honorons  leur  mémoire; 

Fêtons  dans  ces  lurons 
Les  patrons 

De  la  chanson  à  boire. 

Buvons,  disait  ce  Vasselin 
Père  du  Vaudeville  ; 
Son  refrain  bachique  et  malin 
Bientôt  courut  la  ville; 
Laissant  chanter  au  troubadour 

Et  l'amour  et  la  gloire , 

Le  plaisir  à  son  tour 
Mit  au  jour 

Mille  chansons  à  boire. 


CAV  327 


Buvons  !  s'écriait  à  Nevers 
Ce  menuisier  que  j'aime; 
En  buvant  il  faisait  ses  vers; 
Il  les  chantait  de  même. 
A  ses  coffres  bien  ou  mal  faits 

Il  ne  doit  pas  sa  gloire; 

Il  doit,  chez  les  Français, 
Ses  succès 

A  ses  chansons  à  boire. 

Buvons,  buvons,  disaient  Collé 

Et  Gallet,  son  confrère, 

Et  Piron,  toujours  accolé 

Aux  vrais  amis  du  verre. 

A  leurs  bons  mots  chacun  sourit, 

Or,  la  chose  est  notoire; 

Messieurs,  ce  qui  nourrit, 
Leur  esprit, 

C'est  la  chanson  à  boire. 

Buvons,  disait  le  bon  Panard 
En  sablant  le  Champagne, 
Entre  le  gracieux  Favard 
Et  sa  vive  compagne. 
Bon  Panard,  on  doit  au  dessert 
Entonner  pour  ta  gloire, 
A  chaque  vin  qu'on  sert 

Un  concert 
De  tes  chansons  à  boire. 

Morgue,  buvons,  disait  Vadé 
Aux  gens  de  la  Courtille, 
Et  plus  d'un  broc  était  vidé 
Par  plus  d'un  joyeux  drille. 


328  CAV 

De  la  fatigue  et  du  chagrin 
Garde-t-on  la  mémoire 
Au  bruit  du  tambourin, 

Du  crin  crin 
Et  des  chansons  à  boire? 

Buvons  !  ce  mot,  ce  joli  mot 
Finit  bien  des  querelles  ; 
Par  ce  mot  certain  Dieu  marmot 
Soumet  bien  des  rebelles  ; 
Et  quand  Nicole  fait  du  train, 

Son  tendre  époux  Grégoire 

Prend  pour  lui  mettre  un  frein 
Le  refrain 

D'une  chanson  à  boire. 

Dans  un  Caveau  qu'on  m'a  vanté 

Les  auteurs,  nos  modèles, 

A  la  bouteille,  à  la  gaîté 

Furent  toujours  fidèles. 

Pour  nous  récha.uffer  le  cerveau, 

Pour  bannir  l'humeur  noire, 

Invoquons  de  nouveau 
.    Le  caveau 

Et  la  chanson  à  boire. 

Antignac,  employé  de  l'administration  des  postes^  mort  en 
1825,  fut  un  des  membres  les  plus  zélés  du  Caveau.  Nous  re- 
produirons trois  de  ses  chansons;  un  recueil,  très-loin  d'être 
complet,  fut  imprimé  en  1809. 


Quand  l'ordre  du  jour  m'indique 
Qu'il  faut  dîner  avec  vous 


CAV  329 


Moi,  j'obéis  sans  réplique. 
Car  cet  ordre  m'est  bien  doux  : 
A  table  ici  tout  m'enchante 
Et  quand  je  trouve  mon  tour, 
Je  ris,  je  bois  et  je  chante; 
Je  suis  à  l'ordre  du  jour. 

A  voir  sa  nouvelle  pièce 
Un  auteur  vient  m'inviter; 
J'y  vais,  car  la  politesse 
M'ordonne  de  l'écouter. 
Je  m'aperçois  qu'à  la  ronde 
Chacun  agit  sans  détour, 
Je  baille  avec  tout  le  monde 
Pour  être  à  l'ordre  du  jour. 

Quand  le  plaisir  donne  l'ordre 
Amis,  cédons  à  sa  voix, 
Et  toujours,  sans  en  démordre, 
De  Cornus  suivons  les  lois; 
Avec  le  jus  de  la  treille 
Et  des  souvenirs  d'amour 
Sur  les  chagrins  de  la  veille 
Passons  à  l'ordre  du  jour. 

LES    EFFETS  PERDUS. 

De  tous  côtés  j'entends  dire  : 
Les  auteurs  perdent  l'esprit  : 
Les  arts  perdent  leur  empire, 
La  vertu  perd  son  crédit. 
Que  faire  en  cette  occurrence  ? 
Offrir  pour  ravoir  tout  ça 
Honnête  récompense 
A  qui  nous  les  rendra. 


33o  CAV 

Entassant  course  sur  course, 
Paul,  tant  que  le  jour  est  long, 
Va  du  perron  à  la  Bourse 
Et  de  la  Bourse  au  perron  ; 
Il  perdit  sa  conscience, 
Hier  dans  ces  environs  là; 
Honnête  récompense 
A  qui  la  lui  rendra. 

Vive,  maligne  et  fantasque. 
Franche  encore  en  ses  écarts, 
Thalie  a  perdu  son  masque 
En  courant  les  boulevards  ; 
Ah  !  sur  cette  perte  immense 
Longtemps  elle  pleurera  ; 
Honnête  récompense 
A  qui  le  lui  rendra. 

Du  serpent  qui  mord  la  lime 
Imitant  l'ancien  combat, 
Comme  lui  Martin  s'escrime 
A  mordre;  c'est  son  état; 
Mais  en  mordant  sans  prudence 
Sa  dernière  dent  tomba. 
Honnête  récompense 
A  qui  la  lui  rendra. 

Jean  a  la  douleur  dans  l'âme; 
Jean,  la  perle  des  maris. 
Las  !  vient  de  perdre  sa  femme 
Dont  vous  connaissez  le  prix  ; 
Elle  s'est  par  imprudence, 
Egarée  à  l'Opéra. 

Honnête  récompense 

A  qui  la  gardera. 


CAV  33i 


Chansonnette  de  table. 

Et  tic,  et  tic,  et  tic,  et  tic, 
Et  tic,  et  toc,  et  tic,  et  toc, 
Que  ce  joyeux  carillon 
Se  répète  à  l'unisson. 

Chez  les  amis  de  la  panse 

C'est  ainsi  qu'on  doit,  je  pense, 

Terminer  un  bon  repas  ; 

Grâce  aux  mains  qui  les  provoquent, 

Que  tous  nos  verres  se  choquent 

Mais  ne  les  imitons  pas. 

Quand  la  table  nous  rassemble 
Son  charme  confond  ensemble 
L'âge,  le  rang  et  l'esprit, 
Et  grâce  à  sa  licence 
Chez  Cornus  toute  distance 
Se  mesure  à  l'appétit. 

Tant  que  la  table  est  garnie 

Gardons  nous  de  la  manie 

De  parler  à  tous  moments  ! 

Point  d'esprit,  point  de  harangue; 

Songeons  qu'un  seul  coup  de  langue 

Fait  perdre  vingt  coups.de  dent. 

Fi  de  ceux  dont  la  bedaine 
A  table  souvent  nous  gêne 
Par  son  embonpoint  fâcheux; 
Pour  les  avoir  il  arrive 
Qu'on  n'invite  qu'un  convive 
Au  lieu  d'en  inviter  deux. 

Certain  fleuve,  dit  l'histoire, 
Jadis  était  la  mémoire 


332  CAV 


Le  premier  de  tous  les  biens  ; 
Que  n'est-il  encore  au  monde  ? 
J'enivrerais  de  son  onde 
Vos  créanciers  et  les  miens. 

Mais  j'aime  mieux  la  puissance 
De  ce  vin  dont  l'influence 
Vient  échauffer  mes  esprits  ; 
Si  par  lui  mon  œil  se  trouble, 
J'ai  le  plaisir  de  voir  double 
Le  nombre  de  mes  amis. 

Et  tic,  et  tic,  et  tic,  et  tic, 
Et  toc,  et  tic,  et  tic,  et  toc, 
Que  ce  joyeux  carillon 
Se  répète  à  l'unisson. 

Capelle  laissa  de  nombreuses  compositions;  nous  en  prenons 
trois  au  hasard. 

LE  CHANSONNIER  PRUDENT. 

ou  Conseils  à  mes  Camarades  du  Caveau. 

Chansonniers,  mes  bons  amis, 
Qui  dès  long-temps  sans  scrupules 
Croyez  qu'il  vous  est  permis 
De  fronder  les  ridicules, 
Quand,  sur  nos  joyeux  ébats 

Maint  sot  crie 

Et  se  récrie, 
A  moins  d'en  parler  tout  bas, 
Hélas  ! 

N'en  parlons  pas. 

Nous  raillons  les  courtisans 
Sans  égard  pour  leur  mérite, 


CAV  333 


Soudain,  fiers  et  suffisans, 
Contre  nous  chacun  s'irrite. 
Puisque  tous  les  potentats 

Les  maintiennent 

Et  les  soutiennent 
A  moins  de  railler  tout  bas, 
Hélas  ! 

N'en  parlons  pas. 

Nous  croyons  que,  sans  danger, 
Les  modernes  Démocrites 
Gaîment  peuvent  se  venger 
Des  pédans,  des  hypocrites; 
Sur  notre  rire  aux  éclats 

La  morale 

Crie  au  scandale. 
A  moins  d'en  rire  tout  bas, 
Hélas  ! 

N'en  rions  pas. 

Quand  hautement  dans  Paris 
Nous  louons  les  douces  flammes, 
La  constance  des  maris, 
La  fidélité  des  femmes, 
Se  conduisant  en  ingrats 

Chaque  sexe 

Rit  et  nous  vexe. 
A  moins  de  louer  tout  bas, 
Hélas! 

Ne  louons  pas. 

RIEN. 

Sur  le  mot  rien  que  l'on  me  donne 
Il  me  faut  faire  une  chanson. 


334  CAV 

Je  la  ferai,  puisqu'on  l'ordonne, 
Mais  je  crains,  et  j'ai  bien  raison  ; 
L'Etre  suprême  qui  nous  anime. 
Lui  seul,  par  son  pouvoir  sublime, 
A  fait  quelque  chose  de  rien. 

Un  rien  est  de  grande  importance, 
Un  rien  produit  de  grands  effets, 
Un  rien  fait  pencher  la  balance 
En  amour,  en  guerre,  en  procès; 
Et  sur  cette  machine  ronde 
Les  gens  qui  ne  font  rien  de  rien 
N'avancent  en  rien  dans  le  monde 
Et  ne  sont  jamais  bons  à  rien. 

Un  rien  flatte  lorsqu'on  espère, 
Un  rien  trouble  lorsque  l'on  craint, 
D'amour  le  feu  ne  dure  guère, 
Un  rien  l'allume,  un  rien  l'éteint; 
De  le  rallumer  l'espérance 
A  presque  seule  le  moyen. 
Le  plaisir  s'échappe  en  silence 
Quand  le  désir  ne  dit  plus  rien. 

Maris  qu'un  soupçon  effarouche, 
Qui  pour  un  rien  êtes  jaloux 
Et  qui  jamais  n'ouvrez  la  bouche 
Que  pour  vous  plaindre  d'être  époux, 
Croyez-moi,  restez  bouche  close  ; 
La  Fontaine  vous  le  dit  bien  : 
«  Quand  on  le  sait,  c'est  peu  de  chose , 
Quand  on  l'ignore,  ce  n'est  rien.  » 

Je  n'ai  pas  fait  grande  trouvaille 
Dans  ce  rien,  sujet  ordonné, 


CAV  335 

Mais  ma  chanson,  quoiqu'elle  vaille, 

Vaut  bien  le  mot  qu'on  m'adonne; 

Et  si,  d'être  juste  on  se  pique, 

Je  crois,  en  franc  Epicurien, 

Etre  à  l'abri  de  la  critique  : 

On  ne  peut  pas  gronder  pour  rien. 

LE  GOURMAND,  OU  MAXIMES  GASTRONOMIQUES. 

L'appétit  doit,  comme  le  jour, 
Se  réveiller  avec  le  jour, 
Des  bons  repas  être  à  la  piste, 

En  tenir  la  liste; 

Puis,  à  Pimproviste, 
Courir  au  meilleur  librement, 
Vlà  c'que  c'est  qu'un  vrai  gourmand. 

Rien  ne  doit  le  déterminer 
A  manquer  l'heure  d'un  dîner; 
N'importe  celle  qu'on  vint  prendre, 

Vite,  il  doit  s'y  rendre 

Sans  se  faire  attendre, 
Prêt  à  toute  heure,  à  tout  moment, 
Vlà  c'que  c'est  qu'un  vrai  gourmand. 

Celui  qui  sert  dans  un  repas 
Assez  souvent  ne  mange  pas. 
L'homme  à  principes  qui  raisonne 

Prend  ce  qu'on  lui  donne 

Et  ne  sert  personne  : 
Il  mange  plus  et  chaudement; 
Vlà  c'que  c'est  qu'un  vrai  gourmand. 

Goûter  de  tous  les  plats  qu'on  sert, 
Du  consommé  jusqu'au  dessert, 


336  CAV 

A  petits  coups  boire  à  son  aise; 

Si  le  dîner  pèse, 

Sauter  sur  sa  chaise 
Pour  le  tasser  honnêtement  (i), 
Vlà  c'que  c'est  qu'un  vrai  gourmand. 

Philippon  delà  Madeleine,  littérateur  assez  fécond,  mais  qui 
ne  s'éleva  pas  au-dessus  de  la  médiocrité,  rima  parfois  des  vers 
que  le  Caveau  entendit  avec  plaisir. 

UN   BON    CUISINIER. 

De  la  gaîté  Cornus  fut  père; 

Sans  les  bons  mots  point  de  beaux  jours; 

Quoique  habile,  une  cuisinière 

Ne  me  satisfait  pas  toujours; 

Mais  la  friponne  est  si  jolie, 

Je  n'ose  la  contrarier; 

J'aurai  ma  table  mieux  servie 

Si  je  prends  un  bon  cuisinier. 

De  ma  cuisine  la  fumée 

Roulant  en  flots  toujours  nouveaux 

Avertira  la  renommée 

Du  grand  succès  de  mes  fourneaux; 

Divinité  des  moins  farouches 

Je  vais  mêla  concilier; 

Pour  lui  faire  ouvrir  ses  cent  bouches, 

Il  me  faut  un  bon  cuisinier. 

Bien  fou  qui  court  après  la  gloire  ; 
C'est  courir  après  le  danger. 


(i)  Ce  procédé  est  reconnu  par  M.  Grimoddc  la  Reynière  pour  être  le  plus 
simple  et  le  plus  satisfaisant. 


CAV  337 

Le  fameux  temple  de  mémoire 
Vaut-il  une  salle  à  manger? 
De  Lucullus  Rome  s'honore; 
Sans  doute,  il  fut  haut  guerrier; 
Il  est  bien  plus  fameux  encore 
Par  sa  table  et  son  cuisinier. 

Nous  terminerons  ces  extraits  en  reproduisant  deux  pièces  : 
la  première,  de  Ch.  Longchamps;  la  seconde,  de  Dupaty  : 

NE   NOUS    PRESSONS    PAS. 

Dans  tout  ce  qu'on  fait,  dit  un  sage, 
Il  faut  se  hâter  lentement  : 
On  reconnaît  à  cet  adage 
Le  philosophe  et  le  gourmand. 
Depuis  que  je  suis  dans  ce  monde 
Je  n'ai  pas  fait  de  bons  repas 
Sans  entendre  dire  à  la  ronde  : 
Mes  amis,  ne  tious  pressons  pas. 

Si  quelque  mangeur  peu  modeste , 
Moins  vrai  gourmand  qu'il  n'est  goulu , 
Me  semble  d'une  main  trop  preste 
Vider  un  plat  qui  m'aura  plu, 
Pour  m'assurer  de  ce  qui  reste 
Je  fais  un  signe...  et  dans  ce  cas 
Je  veux  que  mon  valet  soit  leste; 
Mais  moi  je  ne  me  presse  pas. 

Bien  boire  n'est  pas  boire  vite; 
Ne  me  parlez  pas  du  vilain 
Qui  dans  son  gosier  précipite 
Coup  sur  coup  dix  pintes  de  vin  : 

22. 


338  CAV 

Si  ce  jus,,  dont  je  me  régale. 
En  vieillissant  a  plus  d'appas, 
Il  vieillit  tandis  qu'on  l'avale; 
En  buvant  ne  nous  pressons  pas. 

Moins  connaisseur  dans  mon  jeune  âge, 
Et  peut-être  aussi  plus  ardent. 
Je  me  dépêchais  davantage; 
J'aimais  à  jouir  en  courant, 
Mais  des  plaisirs  où  l'on  se  presse 
Aujourd'hui  je  fais  peu  de  cas, 
Et  dis  toujours  à  ma  maîtresse  : 
En  aimant  ne  nous  pressons  pas. 

Damon,  pour  surprendre  sa  belle 
Courant  la  poste  nuit  et  jour, 
De  surprendre  un  amant  chez  elle 
Est  un  peu  surpris  à  son  tour... 
Avertis  de  ce  qu'il  en  coûte 
Aux  maris  qui  doublent  le  pas, 
La  nuit,  amis,  couchons  en  route, 
Et  le  jour,  ne  nous  pressons  pas. 

Toujours  précédant  la  mesure, 
Toujours  sautant  et  sautant  mal, 
La  pétulante  Orphise  est  sûre 
De  fixer  tous  les  yeux  d'un  bal  ; 
Quand  je  vois  l'orchestre  sourire 
De  ne  pouvoir  suivre  ses  pas, 
Je  suis  tenté  d'aller  lui  dire  : 
En  dansant  ne  vous  presse^  pas. 

Lorsqu'Atropos  eut  quelque  envie 
De  couper  le  fil  de  mes  jours, 
Gomme  j'aimais  assez  la  vie 
Je  lui  tins  ce  petit  discours  : 


CAV  339 


Je  sais  qu'il  faut  que  chacun  meure, 
Et  suis  prêta  sauter  le  pas; 
Si  c'est  mon  tour  à  la  bonne  heure; 
Mais  pourtant  ne  nous  pressons  pas. 


M.  Ch.  Longchamp. 


COUPLETS  AUX  CONVIVES  DU  CAVEAU  MODERNE. 

Au  repas  charmant  qu'Epicure 
Prépare  ici  le  vingt  du  mois, 
Apprenez  par  quelle  aventure 
J'ai  manqué  la  dernière  fois; 
Ah!  qu'une  méprise  pareille 
Aux  gourmets  ferait  de  chagrin!.... 
Pour  un  dîner  mangé  la  veille 
Je  suis  venu  le  lendemain. 

Sans  doute  un  gourmand  chez  Balaine 
Aurait  pu  se  dédommager, 
Et  chez  lui  toute  la  semaine 
On  trouve  fort  bien  à  manger; 
Mais  qu'importe  la  bonne  chère; 
Au  repas,  hélas!  le  plus  fin, 
Votre  amitié,  qui  m'est  si  chère, 
Aurait  manqué  le  lendemain. 

D'une  mémoire  trop  ingrate 
Je  me  défierai  désormais. 
Et  dans  le  cœur  j'aurai  la  date 
De  vos  agréables  banquets. 
N'imitez  jamais  ma  méprise, 
Mes  amis  ;  ce  n'est  qu'au  festin 
Où  l'on  rencontre  la  sottise 
Qu'il  faut  venir  le  lendemain. 


340  CAX 

Si  la  gaîté  ne  l'accompagne 
Aucun  repas  pour  moi  n'est  bon  : 
Tout  seul  j'aurais  pu  du  Champagne 
Faire  au  loin  voler  le  bouchon; 
Mais  ces  mots  brillants,  qui  la  veille 
Partaient  avec  le  jus  divin, 
Sans  vous  au  fond  de  la  bouteille 
Seraient  restés  le  lendemain. 

Un  jour  d'avance,  pour  bien  faire, 
Au  doux  rendez-vous  du  plaisir, 
De  peur  de  rester  en  arrière, 
Amis,  hâtez- vous  d'accourir; 
Cette  mode  fera  merveille, 
Et  pour  dîner  il  est  certain 
Qu'un  gourmand  doit  venir  la  veille 
Bien  plutôt  que  le  lendemain. 

M.  E.  Dupaty. 

CAXTON  SOCIETY.  William  Caxton  est  le  plus  ancien  de 
tous  les  imprimeurs  anglais;  après  avoir  habité  quelque  temps 
les  Pays-Bas,  où  il  s'essaya  dans  les  travaux  typographiques, 
il  s'établit  à  Londres  et  il  publia  en  1477  les  Dits  moraux  des 
philosophes,  premier  volume  daté  mis  au  jour  en  Angleterre. 
Caxton  mourut  en  149 1;  il  n'était  pas  seulement  imprimeur;  il 
traduisit  des  ouvrages  ayant  alors  à  l'étranger  une  grande  ré- 
putation, et  le  plus  souvent  il  les  modifia  au  goût  de  ses  lecteurs. 
Devenus  extrêmement  rares,  les  volumes  sortis  de  ses  presses  se 
payent  des  prix  excessifs. 

Quelques  amis  des  livres  et  de  la  littérature  du  moyen-âge 
formèrent  à  Londres,  en  1845,  une  société  qui  tenait  des  réu- 
nions terminées  par  un  excellent  dîner,  et  qui  s'occupait  de 
réimprimer  ou  d'éditer  de  vieux  écrits  relatifs  à  l'histoire  et  au 
mouvement  intellectuel  de  la  Grande-Bretagne  dans  les  siècles 
passés.  En  dix  ans,  cette  société,  déployant  de  l'activité,  fit  pa- 


coc  341 

raître  seize  ouvrages  ;  les  titres  sont  mentionnés  dans  le  Biblio- 
grapher's  Manual  de  Lowndes  (Appendice  (1864),  p.  116).  11 
paraît  que  depuis  ces  publications  ont  été  suspendues.  Trois 
sont  en  langue  française  :  la  Révolte  du  comte  de  Warmck 
contre  le  roi  Edouard  IV,  d'après  un  manuscrit  conservé  à 
Gand(i849,  in-8°);  le  Chasteau  d'amour,  poème  de  Robert 
Grossetête,  évêque  de  Lincoln _,  et  la  Vie  de  Sainte  Marie 
Egyptienne  (i852,  in-8°);  le  membre  le  plus  zélé  de  la  Caxton 
society  était  le  docteur  J.-A.  Giles;  sur  les  seize  ouvrages  pu- 
bliés, on  lui  en  doit  neuf.  Les  autres  ont  été  mis  au  jour  par 
MM.  C.  Hook,  Cooke,  J.-R.  Bloxham,  C.  Merriter,  Th. 
Wright,  et  le  lieutenant-colonel  Anstruther  (1). 

COCUS  (t.  I,  p.  1 63).  V Ordre  des  Cocus  reparut  au  com- 
mencement de  la  Révolution;  grâce  à  la  licence  de  la  presse  à 
cette  époque  de  bouleversement^  il  inspira  quelques  brochures 
publiées  en  1789  et  1 790,, et  devenues  rares.  Elles  ont  pour  titre: 
Procès-verbal  et  protestation  de  V Assemblée  de  l'Ordre  le 
plus  nombreux  du  royaume ,  in-8°,  32  pages  ;  Délibération  et 
protestation  de  l'Assemblée  des  honnêtes  citoyennes  compro- 
mises dans  le  procès-verbal;  Second  -procès-verbal  de  V Assem- 
blée de  l'Ordre  le  plus  nombreux,  tenue  dans  la  plaine  de 
Longs-Boyaux^  Nouvelle  Assemblée  des  Notables  Cocus  du 
royaume,  en  présence  des  favoris  de  leurs  épouses  (avec  l'épi- 
graphe suivante  au  frontispice  :  Peu  en  meurent  et  beaucoup  en 
vivent).  Dans  ces  libelles,  qui  sont  des  spéculations  basées  sur  le 
scandale,  on  trouve  les  noms  d'une  foule  de  persorinages  impor- 
tants de  l'époque;  les  grands  seigneurs  sont  mêlés  aux  gens  de 


(1)  Les  bibliographes  anglais  Dibdin  et  Lowndes  surtout,  sont  entrés  dans 
de  longs  détails  à  l'égard:  de  Caxton  et  de  ses  ^travaux.  M.  Blades  en  a  fait 
l'objet  de  deux  volumes  in-40  publiés  en  1862,  et  auxquels  il  y  aurait  bien 
peu  de  choses  à  ajouter.  En  fait  d'écrivains  français,  indiquons  M.  Le  Roux 
de  Lincy  {Revue  britannique,  mars  1844)  et  M.  Auguste  Bernard  :  Origine 
et  débuts  de  l'imprimerie  en  Europe,  tom.  II,  ch.  3  et  4. 


342  •  DEV 

lettres,  aux  auteurs,  à  de  simples  marchands.  A  côté  de  certains 
ducs,  de  quelques  princes,  de  divers  comtes,  de  plusieurs  mar- 
quis, vicomtes,  barons,  on  rencontre  des  magistrats,  des  procu- 
reurs, le  poète  Lebrun,  le  comédien  Dugazon.  Citons  aussi  la 
Réponse  des  Femmes  de  Paris  au  cahier  de  r Ordre  le  plus 
nombreux  du  royaume,  1789.  Il  ne  reste  plus  qu'un  très-petit 
nombre  d'exemplaires  de  ce  livret,  et  il  ne  mérite  nullement 
d'être  recherché. 


EVOIR  (Compagnons  du)  (t.  I,  p.  228).  Signalons 
parmi  les  ouvrages  à  consulter  à  cet  égard  les  Mé- 
moires d'un  Compagnon  du  tour  de  France,  par 
J.-B.-E.  Arnaud,  dit  Libourne-le-Décidé,  com- 
pagnon boulanger,  contenant  plusieurs  disserta- 
tions sur  le  devoir  entre  l'auteur  et  plusieurs  compagnons  tail- 
leurs de  pierres  et  charpentiers.  Rochefort,  1859,  in- 18.  Il 
existe  aussi  des  poésies  composées  par  des  compagnons.  Nous 
avons  vu  :  la  Petite  Varlope ,  en  vers  burlesques,  augmentée 
d'une  Chanson  nouvelle  sur  le  tour  de  France.  A  Châlons, 
sans  date  (vers  1720),  in- 12.  Un  exemplaire  de  ce  livre  fort  rare 
s'est  élevé  au  prix  exagéré  de  io3  fr.  à  la  vente  Nodier,  en  1844, 
(n°  594);  en  1849,  il  a  été  adjugé  de  nouveau  à  5o  fr.,  vente 
Taylor,  n°  907.  Le  Manuel  du  Libraire  cite  une  autre  édition. 
Châlons,  1755.  Cette  poésie  est  d'ailleurs  très-plate.  Voici  les 
descriptions  d'Orléans  et  de  Marseille  : 

Cette  ville  est  aussi  fameuse, 
Aussi  belle  qu'elle  est  curieuse; 


COT  343 

Et  Sainte-Croix,  ce  grand  vaisseau, 
Te  faut  le  voir;  faut  que  je  te  dise 
Il  y  a  dedans  de  nouveau 
Un  jubé  de  marbre  très-beau. 
Avec  un  très-beau  chœur  d'église. 

Cette  ville  est  grande, 
Aussi  belle  qu'elle  est  marchande, 
Située  au  bord  de  la  mer. 
Là,  t'y  verras  quantité  de  galères, 
Tant  d'hommes  qui  sont  dans  les  fers, 
On  dirait  qu'ils  sont  aux  enfers; 
Te  faut  déplorer  leur  misère. 

Voir  d'ailleurs  Violet  Leduc,  Bibliothèque  poétique,  t.  II,  p. 
84,  et  le  Bulletin  du  Bibliophile  belge,  t.  I,  p.  443. 

CONARDS  (Abbé'des)  (t.  1,  p.  175).  Une  réimpression  de 
toutes  les  pièces  subsistantes  àzY Abbaye  des  Couards  de  Rouen 
est  annoncée  comme  devant  faire  partie  d'un  Recueil  général 
dès  farces  normandes  que  M.  Anatole  de  Montaiglon  prépare 
pour  la  Bibliothèque  el^evirienne.  On  trouvera  en  tête  une 
histoire  étendue  des  Couards  de  Rouen,  d'après  des  sources 
inédites. 

Les  Couards  avaient  eu  pour  prédécesseurs  la  Confrairie  des 
Coqueluchers,  ainsi  nommés  parce  qu'ils  portaient  le  coquelu- 
chon  des  fous  et  qu'ils  n'étaient  guères  plus  sages.  Le  coque- 
luchon  n'était  que  l'ancienne  coiffure  désignée  sous  les  noms  de 
cuculle,  coule,  capuce,  capuchon;  M.  Leber  est  entré  à  cet  égard 
dans  des  détails  curieux  (Monnaies  des  évêques  des  Innocens  et 
des  Fous,  1837,  Introduction,  p.  lxxix). 

COTEAUX  (Ordre  des)  (t.  Ier,  p.  199).  Nous  trouvons  au 
sujet  de  Saint-Évremond,  envisagé  comme  gourmand,  et  de  ses 
compagnons  dans  V Ordre  des  Coteaux,  une  page  fort  intéres- 


344  DOR 

santé  dans  la  Notice  sur  de  Saint-Évretnond  placée  en  tête  des 
Œuvres  choisies  de  cet  écrivain,  publiées  avec  beaucoup  de 
goût  et  de  soin  par  M.  Ch.  Giraud,  membre  de  l'Institut.  Nous 
nous  donnerons  le  plaisir  de  la  transcrire  ici.  «Saint-Évremond, 
le  chevalier  de  Boisdauphin(plus  tard  marquis  de  Laval,  tué  au 
siège  de  Dunkerque  en  1646),  et  le  comte  d'Olonne  (illustré  par 
une  autre  réputation  commune,  hélas  !  à  bien  d'honnêtes  gens)_, 
se  rendirent  célèbres  àParis  parleur  sensualité  en  fait  de  mets.» 
«  N'attribuons  pas  toutefois  leur  recherche  à  un  grossier  appé- 
tit; c'était  de  l'art,  c'était  l'application  de  la  finesse  de  l'esprit  à 
la  finesse  de  la  bouche;  c'était  le  côté  gastronomique  de  la  philo- 
sophie épicurienne,  dont  ces  trois  amis  faisaient  profession.  On 
nomma  nos  trois  gourmets  :  les  trois  coteaux,  mot  qui  a  fait  du 
bruit  dans  le  XVIIe  siècle.  » 

Tallemantdes  Réaux  {Historiette  de  Sablé,  t.  III,  p.  i3o, 
\$5,  i53,  i56;  Histoire  de  Bois-Robert,  t.  III,  p.  412  et  429), 
a  parlé  de  cet  Ordre  dans  lequel  on  n'était  admis  qu'après  avoir 
fait  ses  preuves  de  friandise,  comme  ailleurs  on  faisait  preuve  de 
noblesse  ou  de  piété.  Il  en  est  question  entre  autres  ouvrages 
modernes,  dans  celui  de  M.  Desnoiresterres  :  les  Cours  galan- 
tes, t.  I,  p.  268  et  suivantes.  Brossette  et  Cizeron-Rival  (Notes 
sur  Boileau)  ont  exclu  Saint-Évremond  de  Y  Ordre  des  Coteaux 
pour  mettre  à  sa  place  Villarceaux;  mais  le  témoignage  de  Talle- 
mont,  la  satire  de  Bois-Robert,  l'affirmation  de  des  Maizeaux, 
et  Saint-Évremond  lui-même  qui  se  qualifie  Coteau  dans  une 
lettre  écrite  à  la  duchesse  de  Mazarin,  ne  peuvent  laisser  aucun 
doute. 

DORMANTS  (Académie  des)  (t.  I,  p.  238).  On  a  réimprimé 
à  Paris,  en  1866,  un  des  ouvrages  de  Nogaret:  le  Fond  du  Sac, 
en  y  joignant  une  notice  curieuse  et  assez  étendue  relative  à  cet 
écrivain  un  peu  singulier;  elle  est  signée  C.-E.  Des  Bordes;  en 
tête  de  l'édition  de  1780,  se  trouve  un  portrait  grotesque  et  fan- 
tastisque  de  l'auteur;  on  a  eu  soin  de  les  reproduire. 


FRA 


345 


RM ITAGE  (Société  de  l')  (t.  I,  p.  288).  M.  Qué- 
rard,  Supercheries  littéraires,  t.  I,  p.  2 12,  entre 
dans  quelques  détails  au  sujet  des  œuvres  dramati- 
ques de  cette  société.  Ni  Catherine,  ni  le  comte  de 
Cobentzel  n'étaient  en  état  d'écrire  correctement  la  langue  fran- 
çaise. Il  est  vraisemblable  que  M.  de  Ségur  a  mis  la  main  à  ces 
productions;  il  comptait  sans  doute  qu'il  était  à  propos  de  faire 
taire  l'amour-propre  de  l'auteur  devant  le  devoir  de  courti- 
san, et  dans  un  beau  moment  d'abnégation  diplomatique,  ifit 
à  la  souveraine  qu'il  était  chargé  de  flatter  un  hommage  désin- 
téressé de  son  esprit. 


RANCS-BLAGUEURS.  Il  est  question  de  cette 
société  dans  le  Voyage  en  Autriche,  de  M.  Cadet- 
Gassicourt,  personnage  spirituel  et  lettré  qui  ac- 
compagna l'Empereur,  en  qualité  de  pharmacien, 
pendant  la  campagne  de  1809.  Après  la  bataille  de  Wagram,  on 
passa  quelques  mois  dans  une  inaction  ennuyeuse;  pour  se  dis- 
traire, divers  officiers  de  l'état-major-général  formèrent  une 
association  où  chacun  apportait  les  nouvelles,  plus  ou  moins 
authentiques,  qu'il  avait  recueillies  et  qu'on  inscrivait  sur  un 
registre.  On  ne  voulut  pas  que  la  Société  des  Francs-Blagueurs 
pût  être  soupçonnée  d'un  esprit  d'opposition,  et  on  eut  soin  d'y 
recevoir  un  colonel  de  gendarmerie,  grand-prévôt  de  l'armée. 
La  paix  signée  à  Schœnbrunn  dispersa  les  membres  de  l'asso- 
ciation; elle  s'éteignit  après  une  bien  courte  existence. 


346  GAL 


ALILEE  (Empire  de)  (t.  I,  p.  363).  Nous  ajoute- 
rons, d'après  l'ouvrage  déjà  cité  de  M.  Faure,  quel- 
ques détails  à  ceux  qu'on  a  déjà  lus  dans  notre  pre- 
mier volume. 

L'étymologie  de  cette  dénomination  est  contestée;  selon  Bou- 
cher d'Argis  (i),  l'explication  la  plus  plausible  est  que  la  com- 
munauté tenait  ses  séances  et  rendait  la  justice  dans  une  maison 
située  dans  le  quartier  juif,  derrière  le  Palais-de-Justice.  Il  y 
avait  une  rue  de  Galilée,,  comme  il  y  avait  une  rue  de  Jérusalem. 

Le  savant  abbé  Lebeuf  est  d'une  autre  opinion.  Il  fait  remar- 
quer que  galilea,  dans  la  basse  latinité,  signifie  bâtiment  oblong, 
galerie.  Les  clercs  de  procureurs  choisirent  le  nom  d'Empire  de 
Galilée  parce  que  leur  lieu  de  réunion  était  une  galerie,  une 
salle  oblongue  du  bâtiment  de  la  Cour  des  Comptes. 

Les  clercs  de  la  Bazoche  avaient  un  roi  ;  ceux  de  la  Cour  des 
Comptes  voulurent  avoir  un  empereur;  il  y  avait  entre  les  deux 
compagnies  une  émulation,,  une  rivalitç  qui  se  manifestait  par 
un  assaut  de  titres  honorifiques,  de  manifestations  publiques., 
de  somptuosité  dans  les  costumes. 

Divers  édits  se  rapportent  aux  faits  et  gestes  de  cette  turbu- 
lente jeunesse. 

Le  5  février  i5oo,  la  Chambre  des  Comptes  fait  emprisonner 
un  clerc,  empereur  de  Galilée,  pour  n'avoir  pas  voulu  rendre  le 
manteau  d'un  autre  clerc  auquel  il  l'avait  faitôter  par  une  déci- 
sion judiciaire. 

Le  20  décembre  1 536,  la  Chambre  défend  de  faire  les  cérémo- 
nies accoutumées  à  l'occasion  du  gâteau  des  rois.  C'était  cette 
fête  (le  6  janvier)  que  la  communauté  célébrait  avec  le  plus  de 
splendeur.  Tous  les  dignitaires,  en  grand  costume  et  précédés 


(0  Voir  le  Mercure,  décembre  1739. 
(2)  Mercure,  mars,  1740. 


GAL  347 

de  musiciens.,  allaient  donner  des  aubades  à  tous  les  membres 
de  la  Chambre  des  Comptes  et  leur  offraient  des  gâteaux.  Divers 
arrêts  autorisent  ou  défendent  ces  cérémonies.  Parfois  l'autorité 
consentait  à  payer  une  portion  des  frais.  Dans  un  compte  de 
finances  de  la  ville  de  Paris,  daté  de  i5 19,  figure  une  somme 
payée  à  l'empereur  de  Galilée  pour  l'aider  à  soutenir  la  dépense 
<c  à  l'honneur  et  exaltation  du  roi.  »  En  i5io,,  François  Ier  ac- 
«  corda  à  l'empereur  25  livres  pourdansesmorisques,  momeries 
«  et  autres  triomphes  que  le  roi  veut  et  entend  être  faits  pour 
«  l'honneur  et  récréation  de  la  reine;  »  mais^  en  i525,  il  y  eut 
défense  de  se  livrer  «  aux  joyeusetés  accoustumées.  » 

Il  était  défendu  à  tout  élève  de  porter  l'épée  à  la  Chambre  des 
comptes  sous  peine  d'une  amende  de  32  sols  pour  la  première 
fois  et  de  3  à  4  livres  pour  la  seconde. 

Les  anciens  comptes  montrent  que  Y  Empire  avait  droit  de 
prendre  tous  les  ans  200  livres  sur  le  domaine,  mais  ce  privilège 
n'existait  plus  au  commencement  du  dix-huitième  siècle. 

La  fête  de  ^Empire  se  célébrait  chaque  année  dans  la  chapelle 
basse  du  palais,  le  28  janvier,  jour  de  la  mort  de  Charlemagne. 
Avait-on  choisi  ce  patron  parce  qu'il  avait  été  empereur,  ou  était- 
ce  plutôt  parce  que  de  tout  temps,  il  a  été  regardé  comme  le  pro- 
tecteur des  écoliers  ? 

Le  dernier  monument  historique  relatif  à  Y  Empire  de  Galilée 
est  le  règlement  donné  par  Nicolas  Barthélémy,  conseiller  du  roi 
et  doyen  de  la  Chambre  des  Comptes  qui  remplissait,  depuis 
1699,  les  fonctions  de  protecteur  de  Y  Empire. 

D'après  ce  règlement,  le  corps  de  Y  Empire  était  composé  de 
quinze  clercs,  savoir:  le  chancelier,  le  procureur-général^  six 
maîtres  des  requêtes,  deux  secrétaires  des  finances,  un  trésorier, 
un  contrôleur,  un  greffier  et  deux  huissiers. 

Les  fonctions  de  chancelier  étaient  soumises  à  l'élection  de 
tous  les  officiers  de  Y  Empire  et  de  tous  les  clercs  travaillant  chez 
les  procureurs. 

L'élection  du  chancelier  était  l'objet  d'un  rapport  fait  par  un 


348  GIR 

maître  des  requêtes  de  la  Cour  des  comptes  en  présence  du  doyen 
des  maîtres  des  comptes,  protecteur  de  V Empire  assemblé  tout 
entier  pour  cette  cérémonie.  Le  chancelier  prononçait  une  ha- 
rangue, et  après  une  réponse  du  protecteur  qui  insistait  sur 
l'observation  des  règlements,  il  prêtait  serment  entre  les  mains 
du  plus  ancien  des  chanceliers  de  YEmpire. 

Les  fonctions  de  chancelier  imposaient  des  charges  assez 
lourdes;  deux  clercs  de  la  même  étude  ne  pouvaient  remplir 
ensemble  des  charges  dans  la  communauté.  Les  membres  de 
V Empire  portaient  aux  audiences  de  la  Cour  un  bonnet  ou 
toque  et  un  manteau  percé,  c'est-à-dire  une  robe  noire  qui  ne 
descendait  que  jusqu'aux  genoux. 

Les  clercs  nommés  devaient  accepter  leur  charge  à  peine  de 
quinze  livres  d'amende;  s'ils  passaient  un  mois  sans  faire  leur 
service,  ils  étaient  déclarés  déchus,  indignés  d'occuper  désormais 
une  place  dans  Y  Empire  et  condamnés  également  à  quinze  livres 
d'amende.  Ceux  qui  trahissaient  le  secret  des  délibérations  étaient 
condamnés  à  soixante  sols  d'amende  pour  la  première  fois;  la 
seconde  ils  étaient  déchus  de  leurs  fonctions  et  déclarés  indi- 
gnes. 

GIROUETTE  (Ordre  de  la)  (t.  I,  p.  3yo).  En  1826,  il  parut 
vin  Petit  Dictionnaire  de  la  Société  des  Girouettes  ;  il  était 
annoncé  comme  rédigé  par  une  Société  d'Immobiles.  Indépen- 
damment des  hommes  politiques  qui  ont  successivement  servi 
tous  les  régimes,  on  trouve  dans  ce  livret  les  noms  de  bien  des 
littérateurs  qui,  après  avoir  chanté  la  gloire  de  Napoléon  jusqu'au 
moment  de  sa  chute,  célébraient  avec  enthousiasme  le  retour  des 
Bourbons  en  1 8 14;  quelques-uns  mirent  leur  verve  poétique  au 
service  de  l'Empereur  lorsqu'il  reparut  à  Paris  en  181 5,  mais  ils 
s'empressèrent  de  courir  au  secours  du  vainqueur  aussitôt  que 
Louis  XVIII  se  montra  de  rechef. 

Les  articles  de  ce  Dictionnaire  ont  le  mérite  d'être  courts, 
voici,  pris  au  hasard,  celui  de  Briffaut. 

«  Auteur  de  tragédies  tombéeset d'opéras  siffles,  et  à  ces  causes, 


ÏNN 


349 


«  l'un  des  quarante  immortels  de  l'Académie.  En   18 10,  il 
«  chantait: 

«  Gloire  à  Napoléon!  Hymen,  comble  ses  vœuxl 

«  Que  le  plus  grand  des  rois  en  soit  le  plus  heureux!  » 

a  En  18 14,  il  chanta: 

«  Allez,  nobles  fils  de  la  gloire, 
«  Au-devant  du  fils  de  Henri  ; 
«  Portez  lui  l'étendard  chéri 
«  Des  Bourbons  et  de  la  victoire.  » 


NNOCENTS  (t.  I,  p.  416).  L'ouvrage  de  MM.  Ri- 
gollot  et  Leber  sur  les  Monnaies  des  évêques  des 
Innocents  et  des  Fous  fournit  des  renseignements 
sur  quelques  associations  éphémères  du  même  genre. 
Le  jour  de  Saint-Nicolas,  patron  des  écoliers ,  offrait  l'occa- 
sion de  former  des  sociétés  badines. 

Dans  certaines  parties  de  l'Allemagne,  les  écoliers  choisissaient 
trois  d'entre  eux  pour  remplir,  l'un  le  rôle  d'Evêque,  les  deux 
autres  celui  de  Diacres;  ils  se  rendaient  ensuite  à  l'église  où  ils 
présidaient  à  l'office  divin;  après  quoi  ils  allaient  chanter  de 
porte  en  porte,  et  l'argent  qu'ils  recevaient  était  reçu  non  comme 
une  aumône,,  mais  comme  un  tribut  dû  à  l'Evêque. 

Ailleurs,  les  écoliers  allemands  célébraient,  le  12  mars,  saint 
Grégoire  comme  leur  patron;  l'un  d'eux  était  habillé  en  évêque; 
les  autres, avec  des  costumes  de  prêtres  et  de  laïques,  formaient 
son  cortège.  Un  usage  semblable  existait  en  France. 

A  Alençon,  au  XVIe  siècle,  on  choisissait  le  jour  de  saint 
Nicolas,  un  enfant  de  bonne  famille  qu'on  habillait  en  Evêque 


35o  JEU 

et  qui  était  le  roi  de  la  fête  (Odolant  Desnos,  Mémoires  histo- 
riques sur  la  ville  d>Alenconi  tom.  I,  p.  49).  '. 

Dulaure  rapporte  (Histoire  de  Paris ,  tom.  III)  que  le  5  dé- 
cembre, veille  de  la  fête  de  saint  Nicolas,  les  écoliers  et  profes- 
seurs de  l'Université  se  réunissaient  pour  élire  un  Evêque  qu'ils 
revêtaient  d'ornements  pontificaux  et  qu'ils  conduisaient  en 
grande  pompe  chez  le  recteur. 

L'abbé  Lebeuf  dit  seulement  (Hist.  du  diocèse  de  Paris, t.  I, 
p.  33o)  qu'en  1367  les  petits  écoliers  habillaient  un  d'entre  eux 
en  Evêque  le  jour  de  saint  Nicolas  et  le  promenaient  par  les 
rues,  ce  que  le  parlement  avait  autorisé;  il  ajoute  que  de  son 
temps  la  même  chose  avait  lieu  à  Reims  et  vers  la  Lorraine. 

Les  anciens  registres  capitulaires  de  Saint-Quentin,  portent 
qu'en  1412,  l'assemblée  des  chapitres  de  la  province  de  Reims 
donna  un  écu  à  l'Evêque  de  saint  Nicolas  qui  était  un  enfant 
de  chœur  des  Dominicains  de  la  ville  de  Saint-Quentin,  où  se 
tenait  l'assemblée,  et  les  comptes  de  l'abbaye  de  Corbie  montrent 
qu'en  1428  l'abbé  de  ce  monastère  fit  une  courtoisie  à  l'Evêque 
de  l'école  des  enfants  qui  donna  la  bénédiction  à  table,  devant 
lui,  le  jour  de  saint  Nicolas. 


EUX  FLORAUX  (t.  I,  p.  420).  Au  sujet  de  l'A- 
cadémie, des  Jeux  floraux,  il  pourrait  s'élever  une 
question  assez  intéressante;  son  illustre  fondatrice 
a-t-elle  réellementexisté  ? 
Des  ouvrages  qui  n'ont  pas  toujours  été  rédigés  d'après  les 
règles  d'une  critique  sévère  (le  Dictionnaire  historique  des 
grands  hommes,  tom.  IX,  p.  48)  et  la  Biographie  universelle, 
(tom.  I,  p.  656)  font  vivre  Clémence  Isaure,  l'un  au  XIVe  siècle, 
l'autre  au  XVe 


JUR  35i 

Guillaume  Catel  dans  son  Histoire  a  prétendu  que  Clémence 
était  un  être  imaginaire;  il  a  été  combattu  par  le  bénédictin  Dom 
Vaissette  (voir '1: 'Histoire  du  Languedoc ,  5  vol.  in-fol.,  tom.  IV, 
p.  198  et  surtout  la  note  19  à  la  fin  du  même  volume,  p.  565), 
mais  cette  thèse  a  été  reprise  et  soutenue  avec  une  grande  saga- 
cité par  M.  J.  B.  Noulet,  membre  de  l'Académie  de  Toulouse  : 
De  Dame  Clémence  Isaure  substituée  à  Notre-Dame  la  Vierge 
Marie ,  i852;  De  la  prétendue  pléiade  toulousaine,  i853. 

Un  volume  qui  aurait  été  imprimé  à  Toulouse  en  i5o5_,  Dic- 
tas de Dona  Clemensa, estindiqué  par  M.deCastellanedansson 
Essai  sur  Vimprimerie  à  Toulouse,  d'après  un  renseignement 
très-hasardé  que  lui  avait  fourni  M.  Alexandre  Du  Mège,  l'au- 
teur de  la  Statistique  pyrénéenne.  Cette  assertion  a  été  repro- 
duite dans  plusieurs  ouvrages  sérieux,  notamment  dans  la  Bio- 
graphie générale,  tom.  X,  col.  738,  d'après  la  Biographie  tou- 
lousaine. On  est  allé  jusqu'à  indiquer  en  détail  le  contenu  de  ce 
volume  imaginaire. 

JURY  DÉGUSTATEUR  (tom.  I,  p.  438).  Avant  de  fonderie 
Jury  dégustateur,  Grimod  de  la  Reynière,  encore  jeune,  réu- 
nissait dans  l'appartement  qu'il  occupait  chez  son  père,  une  so- 
ciété exclusivement  composée  de  littérateurs  et  d'artistes.  Palis- 
sot,  Andrieux,  Beaumarchais,  Chénier,  Mercier,  Colin  d'Har- 
leville,  Vigée  en  faisaient  partie.  On  se  réunissait  deux  fois  par 
semaine,  le  mercredi  et  le  samedi.  Rétif  de  la  Bretonne,  cet  ex- 
centrique et  infatigable  écrivain  qui  fut  fort  lié  avec  Grimod, 
nous  apprend  qu'on  servait  dans  ces  déjeuners  du  café  au  lait, 
avec  des  tartines,  du  thé  et  quelquefois  des  mets  plus  solides  ; 
«  on  converse  en  déjeunant  jusque  vers  trois'heures  ;  ensuite  les 
littérateurs  lisent  leurs  ouvrages,  et  chaque  admis  a  le  droit  de 
dire  son  sentiment.  La  manière  dont  coule  le  café  dans  les  tasses 
a  paru  extraordinaire;  deux  satyres,  placés  dans  la  salle,  distil- 
lent la  liqueur  bouillante  par  un  robinet  qui  leur  sort  de  la  bou- 
che. Le  café,  le  thé,  l'eau  sont  chauffés  dans  les  pièces  d'à  côté, 
de  sorte  que  les  convives  ne  voient  rien  de  l'embarras  du  ser- 


352  JEU 

vice.  »  Ces  déjeuners  eurent  lieu  depuis  1783  jusqu'au  mois  d'a- 
vril 1786. 

Ce  fut  le  23  brumaire  de  l'an  XI  (1802)  que  la  nouvelle  so- 
ciété gourmande,  organisée  par  les  soins  de  Grimod,  tint  sa  pre- 
mière réunion.  «  Le  bouleversement  opéré  dans  les  fortunes  par 
une  suite  nécessaire  de  la  révolution,  les  ayant  mises  dans  de 
nouvelles  mains,  et  l'esprit  de  la  plupart  de  ces  riches  d'un  jour 
se  tournant  surtout  vers  les  choses  purement  animales,  on  a  cru 
leur  rendre  service  en  leur  offrant  un  guide  sûr  dans  la  partie  la 
plus  solide  de  leurs  affections  les  plus  chères.  Le  cœur  de  la  plu- 
part des  Parisiens  opulents  s'est  tout-à-coup  métamorphosé  en 
gésier;  leurs  sentiments  ne  sont  plus  que  des  sensations  et  leurs 
plaisirs  que  des  appétits;  c'est  donc  les  servir  convenablement 
que  de  leur  donner  en  quelques  pages  les  moyens  de  tirer,  sous 
le  rapport  de  la  bonne  chère,  le  meilleur  parti  possible  et  de  leurs 
penchants  et  de  leurs  écus.  » 

UAlmanach  des  gourmands  eut  une  vogue^  une  autorité  que 
personne  ne  s'avisa  de  nier.  On  ne  conteste  pas  le  soleil.  Aussi 
la  table  du  jury  regorgeait.  Les  adhésions  les  plus  illustres  ne 
se  faisaient  pas  attendre.  Un  roi,  le  roi  de  Suède,  s'empressa  de 
témoigner  sa  satisfaction.  Le  prince  archi-ehancelier  (et  la  com- 
pétence de  Cambacérès  ne  pouvait  être  discutée)  honorait  de  son 
haut  patronage  ces  tentatives  de  restaurations  gastronomiques 
que  nul,  mieux  que  lui,  n'était  à  même  d'apprécier. 

Parmi  bien  des  choses  aujourd'hui  sans  nul  intérêt,  YAlma- 
nach  en  question  contient  quelques  morceaux  qui  ne  sont  pas 
tout-à-fait  indignes  d'être  recueillis;  nous  avons  remarqué  un 
parallèle  entre  les  femmes  et  la  bonne  chère.  Il  va  sans  dire  que 
l'orateur  donnait  la  préférence  à  la  table. 

«  Posons  les  principes.  Vous  conviendrez  d'abord  que  les 
plaisirs  que  procure  la  bonne  chère  sont  ceux  qu'on  connaît  le 
plus  tôt,  qu'on  connaît  le  plus  tard  et  que  l'on  peutgoûter  le  plus 
souvent.  Pourriez-vous  en  dire  autant  des  autres  ? 

«  Est-il  une  femme,  quelque  jolie  que  vous  la  supposiez,  Fût- 
elle  mademoiselle  George,  ou  madame Récamier,  qui  puisse  va- 


JUR  353 

lcir  ces  admirables  perdrix  de  Cahors,  du  Languedoc  et  des  Ce- 
vennes  dont  le  fumet  divin  vaut  mieux  que  tous  les  parfums  de 
PArabie  ?  La  mettrez-vous  en  parallèle  avec  ces  pâtés  de  foies 
d'oies  ou  de  canards  auxquels  les  villes  de  Strasbourg,  de  Tou- 
louse et  d'Auch  doivent  la  meilleure  partie  de  leur  célébrité? 
Qu'est-elle  auprès  de  ces  mortadelles  de  Lyon,  de  ces  saucissons 
d'Arles  ou  de  Bologne  qui  ont  acquis  tant  de  gloire  à  la  per- 
sonne du  cochon  ?  Pouvez-vous  mettre  un  joli  petit  minois  bien 
fardé,  bien  grimacier,  à  côté  de  ces  admirables  moutons  des 
Vosges  ou  des  Ardennes,  qui,  fondant  sous  la  dent,  deviennent  ' 
un  manger  délectable?  Qui  osera  la  comparera  ces  indicibles 
veaux  de  rivière  de  Pontoise  ou  dé  Rouen  dont  la  blancheur  et 
la  tendreté  feraient  rougir  les  grâces  elles-mêmes  ?  Quel  est  le 
gourmand  assez  dépravé  pour  préférer  une  beauté  maigre  et  ché- 
tive  à  ces  énormes  et  succulants  aloyaux  de  la  Limagne  ou  du 
Cotentin  qui  inondent  celui  qui  les  dépèce  et  qui  font  tomber 
en  pâmoison  ceux  qui  les  mangent  ?  Rôtis  incomparables,  c'est 
dans  vos  vastes  flancs,  source  de  tous  les  principes  vitaux  et  des 
vraies  sensations  que  le  Gourmand  va  puiser  son  existence,  le 
musicien  son  talent  et  le  poète  son  génie  créateur!  Quel  rapport 
pouvez-vous  établir  entre  cette  figure  piquante,  mais  chiffonnée 
et  ces  poulardes  de  Bresse,  ces  chapons  de  la  Flèche  et  du  Mans, 
ces  coqs-vierges  du  pays  de  Caux,  dont  la  finesse,  la  beauté,  la 
succulence  et  l'embonpoint  exaltent  tous  les  sens  à  la  fois,  et  dé- 
lectent merveilleusement  les  louppes  nerveuses  et  sensitives  de 
tout  palais  délicat  ?  » 

«  ^Remarquez,  Messieurs,  que  dans  mes  arguments,  je  ne  com- 
prends pas  même  les  pâtés  de  mauviettes  de  Pithiviers,  ceux  de 
canards  d?Amiens,  les  rouge-gorges  de  Metz,  les  grives  d'Alen- 
çon,  le  bœuf  à  l'écarlate  et  fumé  de  Hambourg,  les  huîtres  de 
Marennes,  de  Dieppe,  de  Cancale;  que  je  ne  parle  point  du  beurre 
de  Bretagne,  ni  de  la  délicieuse  crème  de  Sotteville;  que  renon- 
çant même  aux  armes  que  je  pourrais  puiser  dans  des  arguments 
plus  doux  et  plus  sucrés,  je  passe  sous  silence  les  noix  confites 
et  la  gelée  de  pommes  de  Rouen,  les  pruneaux  de  Tours,  les 

23. 


354  JUR 

poires  de  Rousselet,  les  groseilles  de  Bar,  le  cotignac  d'Orléans, 
ï'épine-vinette  de  Dijon,  les  figues  d'Olioules,  les  raisins-mus- 
cats de  Pézènas,  la  fleur-d'orange  pralinée  d'Agen,  les  pâtes  d'a- 
bricots de  Clermont,  les  confitures  sèches  de  Beaucaire  et  de  Bé- 
ziers,  etc.  Je  ne  vous  cite  même  pas,  renonçant  aux  forces,  qu'elles 
pourraient  me  fournir  dans  cette  discussion,  l'anisette  de  Bor- 
deaux, l'eau-de-vie  d'Andaye  et  de  Dantzick,  l'eau  de  noyau  de 
Phalsbourg,  l'huile  d'anis  de  Verdun,  la  crème  de  Moka  de  Mont- 
pellier, l'huile  de  rose  de  Cette,  la  crème  de  menthe  et  les  autres 
liqueursxie  la  Martinique.  Sachez-moi  gré,  Messieurs,  de  mon 
silence,  et  voyez  si  vous  pouvez  établir  quelque  comparaison 
entre  ces  comestibles  et  ces  boissons  délectables  et  les  caprices 
d'une  femme,  ses  humeurs,  ses  bouderies.  Figurez-vous  les  mets 
que  j'ai  énoncés  préparés  par  des  cuisiniers  français,  torrifiés 
par  des  rôtisseurs  de  Valogne,  dépecés  par  des  sommeliers  d'Alle- 
magne, et  puis  soutenez  encore  votre  opinion. 

Résumons-nous  donc  et  convenez  que  les  jouissances  que  pro- 
cure la  bonne  chère  à  un  riche  gourmet  doivent  être  mises  au 
premier  rang;  que  bien  autrement  prolongées  que  celles  que 
l'on  goûte  dans  l'infraction  du  sixième  précepte  du  Décalogue, 
elles  n'amènent  ni  langueur,  ni  dégoût,  ni  craintes,  ni  remords; 
que  la  source  s'en  renouvelle  sans  cesse  sans  jamais  s'épuiser  ; 
que  loin  d'énerver  le  tempérament  ou  d'affaiblir  le  cerveau,  elles 
deviennent  l'heureux  principe  d'une  santé  ferme,  d'idées  bril- 
lantes et  de  vigoureuses  sensations.  Loin  d'enfanter  des  regrets, 
de  disposer  à  l'hypochondrie,  de  finir  par  rendre  un  homme  in- 
supportable à  lui-même  et  trop  souvent  aux  autres,  on  leur  doit 
cette  face  de  jubilation,  cachet  distinctif  de  tous  les  enfants  de 
Cornus,  bien  différents  de  ce  visage  pâle  et  blême,  masque  ordi- 
naire des  amoureux  transis.  » 

Des  poésies  gourmandes  en  assez  grande  quantité  sont  répan- 
dues dans  YAlmanach  des  Gourmands.  En  voici  un  échantillon  : 


JUR  355 


Epître  cTun  vrai  gourmand  a  son  ami  Vabbé  d?Herville , 
homme  extrêmement  sobre  et  qui  ne  cessait  de  lui  prêcher 
V abstinence  (i). 

Pour  Dieu,  l'abbé,  trêve  à  tes  longs  reproches! 
Je  suis  gourmand,  comme  un  autre  est  héros  ; 
Pour  moi  la  muse  est  semblable  à  ces  flots 
Qui,  courroucés  contre  un  amas  de  roches, 
Vont  les  frappant  sans  prendre  de  repos. 

Ce  que  je  suis  je  prétends  le  paraître; 
Je  suis  gourmand  ;  oui,  certes,  et  je  veux  l'être  ; 
Et  tes  leçons  ne  me  feront  pas  changer  ; 
J'ai  commencé  ;  laisse-moi  donc  poursuivre. 
Harpagon  dit  :  Il  faut  manger  pour  vivre, 
Et  je  dis,  moi,  que  je  vis  pour  manger. 
Que  l'on  m'appelle  un  pourceau  d'Epicure; 
C'est  un  éloge,  et  non  pas  une  injure.... 

Oh  !  que  manger  est  un  charmant  besoin  I 
Nous  l'éprouvons  et  sans  peine  et  sans  soin  : 
C'est  un  plaisir,  c'est  le  dernier  qu'on  quitte. 
Est-il  éteint?  bientôt  il  ressuscite. 
Quand  la  bécasse  est  réduite  en  purée 
Qu'elle  est  par  l'art  savamment  préparée, 
Ce  mets  si  rare  et  non  moins  précieux 
Ne  doit  servir  qu'aux  banquets  de  nos  dieux. 

Une  note  rappelle  ici  l'impérissable  souvenir  des  purées  de 
bécasses,  servant  de  matelas  à  diverses  entrées  préparées  en 
1790  et  en  1791  par  le  cuisinier  de  M.  de  Nicolaï,  évêque  de 
Béziers,  dont  la  table  était  aussi  délicate  que  recherchée,  et  dont 
cet  excellent  prélat  faisait  les  honneurs  avec  une  grâce  et  une 
noblesse  dont  le  secret  est  perdu. 

(i)  Cette  pièce  de  vers  qu'il  serait  fort  superflu  de  reproduire  en  entier  est 
signée  Saint-Just,  ce  qui  désigne  un  littérateur  fécond  et  singulier,  doué 
d'ailleurs  de  fort  peu  de  talent  et  dont  le  Manuel  du  Libraire  mentionne  les 
trop  nombreuses  publications. 


356  LAN 

Indiquons  aussi  une  série  d'axiomes  que  ne  désavouerait 
certes  pas  le  spirituel  auteur  de  la  Physiologie  du  goût: 

Les  vrais  gourmands  ont  toujours  achevé  leur  dîner  avant  le 
dessert;  ce  qu'ils  mangent  par  delà  le  rôti  n'est  que  de  simple 
politesse. 

C'est  insulter  un  maître  de  maison  que  de  laisser  des  mor- 
ceaux dans  son  assiette  ou  du  vin  dans  son  verre.  Il  vaut  mieux 
se  griser  avec  du  vin  qu'avec  de  l'encre,  parce  que  c'est  moins 
noir. 

Cinq  heures  à  table  sont  une  latitude  raisonnable  pour  un 
dîner  nombreux  et  une  chère  recherchée. 

La  digestion  est  l'affaire  de  l'estomac  et  les  indigestions  celle 
des  médecins. 

LANTERNISTES  (tome  I,  page  435).  N'oublions  pas  d'in- 
diquer un  article  d'un  spirituel  et  zélé  bibliophile  toulousain, 
M.  Desbarreaux  -  Bernard ,  inséré  dans  le  Bulletin  du  biblio- 
phile (mai  i85i,  10e  série,  page  239);  il  est  intitulé:  les  Petites 
illustrations  lanternistes.  Voici  ce  qu'il  nous  apprend: 

Une  assemblée  littéraire  se  forma  à  Toulouse  vers  le  milieu 
du  XVIIe  siècle;  ses  membres  semblaient  vouloir  dérober  au 
public  le  secret  de  leurs  travaux  ;  ils  se  rendaient  le  soir  à  leur 
lieu  de  réunion,  sans  suite,  sans  équipage,  obligés  le  plus  sou- 
vent, par  le  mauvais  état  et  l'obscurité  des  rues,  de  s'éclairer 
eux-mêmes  d'une  petite  lanterne.  Telle  est  l'origine  du  nom  de 
Lanternistes  sous  lesquels  les  désigna  bientôt  la  causticité  gas- 
conne. A  l'imitation  des  Académiciens  d'Italie,  ils  eurent  le  bon 
esprit,  non  seulement  de  ne  pas  se  révolter  contre  ce  sobriquet 
populaire,  mais  encore  d'emprunter  à  l'épithète  burlesque  sous 
laquelle  on  les  désignait  les  armes  parlantes  de  leur  institution. 
S'étant  décidés  à  décerner,  chaque  année,  un  prix  au  meilleur 
sonnet  à  la  louange  du  roi  sur  des  bouts-rimés  fixés  par  eux 
(cette  malheureuse  forme  de  poésie  était  alors  fort  à  la  mode)  ils 
firent  frapper  une  médaille  qui  représentait  d'un  côté  Apollon 
jouant  de  la  lyre,  avec  ces  mots  en  exergue  :  Apollini  Tolosano 


LAP  357 

et  de  l'autre  une  étoile  accompagnée  de  cette  devise  :  Lucerna 
in  nocte. 

M.  Desbarreaux -Bernard  donne  des  détails  étendus  sur 
l'homme  qui  contribua  le  plus  activement  à  l'établissement  de 
cette  compagnie j  M.  Gabriel  de  Ventages  de  Malapeire  qui,  à 
soixante  ans  passés,  et  après  avoir  publié  plusieurs  ouvrages 
fort  érudits,  se  sentit  soudainement  saisi  du  beau  feu  de  lamé- 
tromanie.  Il  nous  prévient  lui-même  qu'il  avait  composé  plus 
de  sept  cent  sonnets  en  l'honneur  de  la  Vierge  Marie.  Il  en  fit 
imprimer  une  faible  partie  en  1694  (5o  sonnets  sur  la  concep- 
tion immaculée  de  la  très-sainte  Mère  de  Dieu  ;  Toulouse,  in-4). 
Un  autre  recueil  parut  en  1697  :  le  Psautier  de  Nostre-Dame 
en  i5o  sonnets.  Ce  fut  encore  M.  de  Malapeire  qui  fit  l'ouver- 
ture des  conférences  de  l'Académie  de  Saint-Orans  (société  res- 
tée inconnue)  et  il  prit  pour  sujet  Y  Immaculée  Conception. 

LAPIN  (L'abbé),  (tome  I,  page  443).  Ce  prétendu  abbé  était 
un  chanteur  qui  débitait,  vers  1780,  dans  le  jardin  du  Palais- 
Royal,  des  chansons  grivoises,  en  les  accompagnant  de  grimaces 
et  de  gestes  burlesques.  Il  obtint  toute  la  vogue  qui,  de  nos 
jours,  est  échue  en  partage  à  Thérésa;  la  reine  Marie-Antoinette 
eut  le  caprice  de  l'entendre,  Lapin  fut  mandé  à  Versailles;  nous 
aimons  à  croire  qu'il  n'y  fut  admis  qu'une  seule  fois.  Voici  un 
échantillon  d'une  de  ses  chansons  les  moins  risquées: 

Robin  a  une  vache 
Qui  danse  sur  la  glace 
Au  son  du  tambourin  ; 
Maman,  j'aime  Robin. 

Robin  ne  sait  pas  lire, 
Mais  il  sait  bien  écrire  ; 
C'est  un  garçon  divin. 
Maman,  etc. 

Robin  a  une  poule 

Qu'il  y  a  sept  ans  qui  couve, 


358  LES 

Elle  n'a  fait  qu'un  poussin. 
Maman,  etc. 

Il  aime  les  pastilles 
Au  coulis  de  lentilles 
Farcies  de  romarin. 
Maman,  etc. 

Le  jour  de  saint  Philippe 
Il  mange  des  tulipes 
Dans  un  plat  de  satin. 
Maman,  etc. 

Il  porte  dans  sa  poche 
Un  morceau  de  brioche 
Du  temps  de  Charles-Quint. 
Maman,  etc. 

Quand  il  chante  un  air  tendre 
Chacun  croirait  entendre 
La  voix  d'un  marcassin. 
Maman,  etc. 

Quand  il  prend  médecine 
Il  veut  que  sa  cousine 
Lui  tienne  le  bassin. 
Maman,  etc. 

Il  enfile  des  merles 
Et  déniche  des  perles. 
C'est  un  Michel  Morin. 
Maman,  etc.  (i) 

LÉSINE  (Compagnie  de  la),  (tome  I,  page  444).  La  Compa- 
gnie de  la  Lésine  fut  regardée  en  Italie  comme  une  excellente 

(1)  Le  nom  de  Robin  figure  depuis  longtemps  dans  les  chansons  badines 
et  la  littérature  facétieuse.  Il  existe  un  livret  en  prose  fort  singulier  mais 
bravant  effrontément  l'honnêteté  :  La  Fluste  de  Robin...  avec  trait  %  de  pa- 
rolles  dignes  de  vostre  veue.  Le  Manuel  du  libraire  en  indique  quatre  édi- 
tions du  commencement  du  XVII'  siècle  ;  toutes  sont  d'une  rareté  extrême. 
On  connaît  la  chanson  de  Beaumarchais  sur  Robin  qui  toujours,  toujours, 
il  est  toujours  le  même. 


MAL  35g 

plaisanterie,  et  on  vit  surgir  de  nombreux  écrits  à  cet  égard.  Nous 
citerons  :  La  Moletta,  soreîla  délia  signora  Lésina,  1602  (il  y 
a  une  seconda  parte)  ;  Madona  Forbicetta,  madré  délia  Lé- 
sina-, 1602;  Ragionamento  del  capitan  Trivello,  marito  délia 
Lésina,  1602;  Messe  Aguccione  degli  appuntati, padre  délia 
Lésina  ;  Il  Punteruaolo  scalco  délia  Lésina:  Settanta  dui  av- 
vèrtimenti  dati  délia  Lésina  à  tutti  banchieri3  mercanti.... 
Milano,  1602;  //  Rampono  servittore  délia  Lésina  ;  la  Pietra 
per  assotigliar  la  Lésina,  1602. 

MAL  MARIÉS  (Confrérie  des),  (t.  II-,  p. 5).  Quelques-unes 
des  plaisanteries  contenues  dans  cet  opuscule  se  retrouvent  dans 
l'ouvrage  connu  sous  le  titre  des  Quinze  joyes  de  Mariage;  on 
l'attribue  en  général  à  Antoine  de  la  Salle.  La  première  édition 
a  paru  vers  1480.  Nous  laissons  de  côté  des  réimpressions  incor- 
rectes, et  nous  signalerons  celle  qui  a  paru  en  1837  à  la  librairie 
Téchener  et  celle  qui  fait  partie  de  la  Bibliothèque  el^évirienne. 
Le  judicieux  et  savant  éditeur  de  cette  collection ,  M.  Jannet, 
vient  tout  récemment  de  mettre  au  jour  la  Seizième  joye  de  Ma- 
riage ,  morceau  trouvé  dans  un  vieux  manuscrit  à  la  suite  des 
Quinze  joyes.  Il  est  facile  de  reconnaître  que  c'est  un  pastiche 
composé  longtemps  après  les  Quinze  Joyes. 

Voici  en  quoi  consiste  la  seizième  joye  : 

«  C'est  quant  le  jeune  homme  voit  ses  compaignons  qui  tour- 
nent entour  la  nasse,  et  tant  cherchent  l'entrée  qu'ilz  la  trouvent 
et  si  boutent  dedens  a  grand  haste  et  premier  qui  premier  peut. 
Et  lui,  qui  est  prudent  et  sage,  voit  bien  les  tourmens  et  mal- 
heuretez  qui  y  sont  et  davanture  mieux  les  congnoit  que  les 
povres  prisonniers,  ainsi  qu'il  convient,  car  jeune  femme  est  en- 
cline à  maintes  chosettes  congnoistre  et  expérimenter  que  plus 
voulontiers  aprendra  de  jeune  home  qui  est  doulx,  bien  disant 
et  de  grant  patience  doué,  que  de  son  mari  qui  est  d'humeur  re- 
vesche  et  ne  pense  qu'à  sa  marchandise  et  aultres  moyens  de  gai- 
gner  argent.» 

«  Ainsi  est  le  bonhomme  en  la  faulse  nasse,  pire  cent  fois  que 


36o  MER 

la  nasse  de  mariage,  et  n'en  peult  sortir,  et  y  demourra  tousjours 
et  y  finira  misérablement  ses  jours.  » 

On  trouve  au  catalogue  Chardin  (1824,  n°  1,922),  un  ma- 
nuscrit intitulé  :  Les  Trois  cent  soixante-six  joy es  de  mariage. 
L'auteur  anonyme  avait  singulièrement  alongé  l'inventaire  de 
ces  félicités  conjugales  qui  empoisonnent  l'existence  de  tant 
d'époux. 

MAUREPAS  (Société  de),  (t.  II,  p.  i3).  Le  personnage  de 
Jeanot  ou  Janot  eut  un  moment  une  vogue  extraordinaire  à  l'é- 
poque de  Louis  XVI.  Une  parade  très-gaie,  Janot, ou  les  Battus 
payent  V amende,  par  Dorvigny,  1779,  obtint  une  multitude  de 
représentations.  Les  imitations  se  produisirent  en  foule;  on  vit 
surgir  Jeannette ,  ou  les  Battus  ne  payent  pas  toujours  Va- 
mende,  par  Beaunoir,  1782  ;  —  Janot  au  Salon ,  1779;  —  La 
Nuit  de  Janot,  ou  le  Triomphe  de  mon  frère ,  par  Janot  cadet, 
1780;  —  Janot  tout  seul,  par  Simonin,  i8oi_,  etc. 

MÈRE-FOLLE,  de  Dijon  (t.  II,  p.  36).  Quelques-unes  des 
pièces  relatives  à  cette  antique  et  joyeuse  corporation  ne  se  trou- 
vent plus  que  dans  des  ouvrages  assez  peu  répandus  aujourd'hui, 
ce  qui  nous  engage  à  les  reproduire.  Voici  d'abord  un  livret  qui 
date  de  la  moitié  du  XVe  siècle  : 

Phelippes,  par  la  grâce  de  Dieu 
Duc  de  Bourgongne,  ce  bon  lieu 
De  Lothier,  Brabant  et  Limbourg, 
Tenant  à  bon  droit  Luxembourg 
Comte  de  Flandres  et  d'Artois, 
Et  de  Bourgoigne  qui  sont  trois, 
Palatin  de  Hainault,  Hollande, 
Et  de  Namur  et  de  Zélande, 
•    Marquis  du  Saint-Impérial, 
Seigneur  de  Frises,  ce  fort  val,] 
De  Salins  et  puis  de  Malines, 
Et  d'autres  terres  près  voisines, 


MER  36 1 


A  tous  les  présens  qui  verront, 

Et  ceux  à  venir  qui  oiront 

Ces  nos  lettres,  savoir  faisons 

Que  nous,  l'humble  requête  avons 

Reçue  du  Haut-Bâtonnier 

Qu'est  venu  sus  dès  avant-hier 

De  notre  chapelle  à  Dijon 

Contenant  que  par  méprisons, 

Ou  par  faute  de  bien  garder 

Aucuns  envieux  pour  troubler 

Des  Foux  joyeux  la  noble  feste 

Ont  long  temps  a  mis  à  leur  teste 

De  la  toute  sus  abolir 

Qui  serait  moult  grand  déplaisir 

A  ceux  qui  souvent  y  fréquentent, 

Et  de  cœur  et  de  corps  l'augmentent, 

Et  ont  ravi  furtivement 

Ou  au  moins  on  ne  sait  comment 

Et  mis  au  néant  le  privilège 

En  quoi  n'avait  nul  sortilège, 

Mais  c'estoit  joyeuse  Folie, 

Le  plus  triste,  si  qu'on  en  rie 

Ce  qui  ne  se  peut  recouvrer, 

Sans  par  nous  de  nouvel  donner 

Sur  ce  notre  commandement 

Ou  à  tout  le  moins  mandement 

Qui  contiegne  permission 

Ou  nouvelle  fondation 

Pour  désormais  entretenir 

La  dite  fête  sans  faillir  ; 

Dont  humblement  il  nous  requiert 

Et  car  c'est  raison,  ce  qui  quiert 

De  légier  lui  avons  passé 

Et  consenti,  et  accordé, 

Et  par  ces  présentes  passons, 

Voulons,  consentons,  accordons, 

Pour  nous  et  pour  nos  successeurs, 

Des  lieux  ci-dessus  dits  Seigneurs, 


362  MER 


Que  cette  fête  célébrée 
Soit  à  jamais  un  jour  l'année, 
Le  premier  du  mois  de  janvier, 
Et  que  joyeux  Foux  sans  dangier 
De  l'habit  de  nostre  chapelle 
Fassent  la  fête  bonne  et  belle, 
Sans  outrage  ou  dérision 
Et  n'y  soit  contradiction 
Mise  par  aucun  des  plus  saiges 
Mais  la  feront  les  Foux  volaiges 
Doucement  tant  qu'argent  leur  dure  ; 
Un  jour  ou  deux,  car  chose  dure 
Seroit  de  plus  continuer, 
Ne  les  frais  plus  avant  bouter 
Par  leurs  fiancés  qui  décroissent 
Lorsque  leurs  dépenses  accroissent. 
Si  mandons  à  tous  nos  sujets 
Qu'en  ce  ne  soient  empeschiez  : 
Ains  lez  en  souffrent  tous  jouir 
Paisiblement  à  leur  plaisir. 
Donné  soubs  nostre  scel  secret 
Et  en  l'absence  du  décret 
De  notre  étroit  et  grand  conseil 
Le  jour  Saint-Jehan,  un  vendredy, 
Devant  dîner,  après  midy 
De  décembre  vingt-septième, 
Des  heures  quasi  la  deuxième, 
Avec  le  seing  de  nostre  main 
Qu'y  avons  mis  le  lendemain 
Sans  plus  la  matière  débattre, 
Mil  quatre  cent  cinquante-quatre. 

Il  y  a  de  l'originalité  dans  Y  Institution  de  maître  Jean  Fa- 
chon,  auditeur  de  la  Chambre  des  Comptes,  en  la  charge  d'am- 
bassadeur de  la  Compagnie  de  V Infanterie  dijonnaise. 

«  L'illustrissime  et  carissime  compagnie  joyeuse  de  l'Infanterie 
dijonnaise,  gayement  assemblée  au  son  des  instruments  musi- 
caux^au  plus  -beau  mirrifique  et  ébluant  appareil  que  faire  s'est 


MER  363 

pu,  tous  enfants  légitimes  et  successeurs  de  la  Marotte,  salut  : 
écus,  ducats,  millereis,  nobles  à  la  rose,  portugaises,  sequins,  pis- 
toles  et  pistolets  sans  balle,  ni  poudre  et  autres  semblables  espèces 
en  quantité,  pour  remplir  les  arsenals  et  leurs  escarcelles  éven- 
tées ;  après  avoir  résolu  la  sphère,  contemplé  la  situation  des 
pôles  sur  notre  horizon,  levé  l'aiguille  du  septentrion  au  midi, 
et  humé  le  nectar  du  bon  père  Denis  (i),  avons  fait  ouvrir  et 
lire  brusquement  par  notre  Griffon  verd  les  paquets  reçus  d'un 
maître  de  nos  postes  et  relais  tant  deçà  que  delà  la  mer,  conte- 
nant avis  certain  ou  environ  que  la  fière  Atropos,  pour  passer 
son  temps  a  éclipsé  un  grand  nombre  d'ambassadeurs  généraux 
de  notre  chère  et  redoutable  Dame  et  Mère.  Qu'à  ce  moyen,  plu- 
sieurs provinciaux  et  locaux,  pour  n'être  surveillés,  ne  conver- 
tis, comme  ils  étoient  jadis,  négligeoient  le  gouvernement  de 
ceux  qui  dépendent  de  notre  conduite,  lesquels  par  ce  défaut, 
couroient,  comme  chevaux  débridés,  à  diverses  sortes  des  périls, 
les  uns  entreprenant  de  longs  et  dangereux  voyages,  traînant 
avec  eux  leur  bien  et  celui  d'autrui  au  travers  des  bois,  forêts  et 
montagnes,  à  la  façon  des  bêtes  sauvages,  quêteurs  de  chimères 
et  autres  tels  inconvénients;  les  autres,  poussés  d'une  manie  et 
aveugle  fureur,  se  jettantà  la  suite  des  armes,  batailles  et  duels, 
couroient  au  devant  de  celle  qui  ne  les  attrappe  que  trop  tôt  et 
demeurant  estropiez  le  reste  de  leur  vie  avec  peine  et  langueur, 
choses  du  tout  contraires  à  nos  joyeux  déportemens;  d'autres 
encore  plus  poussés  d'une  très-grande  avarice  et  cupidité  d'a- 
masser des  biens  pour  les  laisser  à  tels  qui  n'en  sauront  gré,  les- 
quels abandonnent  la  terre,  vrai  lieu  de  leur  origine,  s'exposent 
à  la  merci  et  à  l'inconstance  de  l'eau,  capitale  ennemie  de  nos 
joyeuses  et  gaillardes  assemblées,  contrevenant  directement  au 
vœu  de  nos  Foux  ancêtres,  lesquels  protestoient  d'avoir  un  pied 
en  terre  ferme,  et  tant  que  faire  se  pourroit  torcher  leur  cul  sur 
l'herbe;  sur  quoi  l'affaire,  mise  en  délibération,  a  été  résolue  à  la 
pluralité  des  voix  qui  ont  été  exhibées  par  B  carre  et  par  B  mol, 

(i)  Dionysius,  Bacchus. 


364  MER 

et  à  toute  gamme  que  pour  braver  cette  si  téméraire  et  outre- 
cuidée  mort  qui  ne  respecte  les  Foux  que  quand  bon  lui  semble, 
il  falloit  rendre  la  Folie  immortelle  en  dépit  des  envieux,  établis- 
sant d'autres  ambassadeurs  au  lieu  et  place  des  décédés,  sous 
lequels  notre  autorité  prendroit  soigneusement  garde  au  régime 
et  gouvernement  de  ceux  qui  seroient  sous  leur  conduite,  selon 
que  nos  Foux  ancêtres  l'ont  appris  par  fait,  mimes,  gestes  ou 
autrement.  Pour  ce  est -il  qu'informez  fantastiquement  de  la 
naturelle  et  artiste  folie  de  notre  très-cher  et  bien-aimé  mignon 
et  goguelu.  Jean  Fachon,  à  présent  prenant  repas  et  repos  sous 
notre  domination  en  cette  ville,  sous  la  gaîté  de  ses  sens^  allé- 
gresses de  mâchoires,  légèreté  de  la  main,  galanterie  d'esprit, 
friandise  de  gueule,  vitesse  de  ses  membres  :  vu  aussi  ses  faits 
héroïques,  sa  dextérité  au  maniement  des  armes  bachiques, 
entre  deux  tréteaux,  icelui  examiné  l'usage  de  Jean  le  Coq  sur 
le  titre  de  Folie  à  livre  ouvert,  cap.  siulte  nequitare,  fol.  20  et 
11.  Ouï  aussi  les  solutions  légèrement  fournies  à  chacun  des 
folâtres  arguments  à  lui  fait;  protestation  par  lui  faite  sur  le 
chaperon  de  bien  vivre,  boire,  manger  et  rire,  en  tout  et  partout, 
folâtrer  et  se  divertir,  tant  qu'appétit  et  argent  subsisteroient 
et  mourir. 

Fou  folâtrant,  fou  lunatique, 

Fou  chimérique,  fou  fanatique, 

Fou  jovial,  fou  gracieux, 

Fou  courtisan,  fou  amoureux, 

Fou  gaussant,  fou  contant  fleurette, 

Fou  gaillard,  fou  voyant  fillette, 

Fou  fin,  fou  écervelé, 

Fou  altéré,  fou  gabelé, 

Fou  à  caboche  légère, 

Fou  cherchant  à  faire  bonne  chère, 

Fou  aimant  les  morceaux  choisis, 

Fou  verd,  fou  teint  en  cramoisi, 

Fou  en  plein  chant,  fou  en  musique, 

Fou  faisant  aux  sages  la  nique, 


MER  365 

Fou  riant,  fou  gai,  fou  plaisant, 
Fou  bien  faisant,  fou  bien  disant, 
Fou  éventé,  fou  humoriste, 
Fou  caut,  fou  pantagrueliste, 
Fou  léger,  fou  escarbillat, 
Fou  indiscret,  fou  sans  éclat, 

Et  de  plus  embrasser,  tant  que  vie  lui  durera,  toutes*  sortes 
de  folies  auxquelles  il  pourra  atteindre.  Conclusions  extrava- 
gantes débagoulées  par  le  Fiscal  verd  à  notre  Dame  et  Mère. 
Nous  à  ces  causes  et  mille  autres  aisées  à  deviner,  l'avons  reçu, 
empaqueté  et  emballé,  recevons,  empaquetons  et  emballons  en 
notre  Compagnie,  en  sorte  qu'il  y  soit  admis,  toute  sagesse  ces- 
sante, pour  y  exercer  toute  folie  en  l'état  et  office  d'Ambassa- 
deur du  Levant  au  Ponant  pour  notre  Dame  et  Mère,  lui  don- 
nant et  attribuant  gros,  gras  et  plein  pouvoir  sur  tous  les  Foux 
de  sa  Légation;  les  tenant  avertis  de  jour  à  autre  des  avis  qu'ils 
recevront  de  Nous,  et  autant  que  c'est  pour  le  bien  de  nos  af- 
faires, accroissement,  augmentation  et  multiplication  sans 
chiffres  de  nos  Foux,  que  nous  voulons  et  entendons  être  tou- 
jours d'un  nombre  infini,  de  toutes  lesquelles  diligences  et 
charges  d'Ambassadeur  auxdits  pays,  il  sera  tenu  de  dresser 
de  beaux  et  amples  Mémoires  dont  il  emburlucoquera  notre 
Fiscal  verd,  les  lui  envoyant  à  toutes  les  postes,  et  en  donnant 
avis  par  courriers  extraordinaires,  afin  de  remédier  en  toute 
occurence  au  bien  et  soulagement  de  tous  nos  sujets,  pour 
d'icelle  charge  d'Ambassadeur  jouir  pleinement  et  le  moins  à 
vuide  que  faire  se  pourra,  aux  honneurs,  privilèges,  préroga- 
tives, prééminences,  autorités,  franchises  et  liberté  de  valoir  ce 
qu'il  pourra;  profits,  revenus,  émoluments,  tant  ordinaire  que 
de  rudes  bâtons  dus  à  ladite  charge,  assignés  sur  l'épargne  de 
nos  deniers,  tout  compte  fait,  ayant  à  ce  fin  fait  expédier  les 
présentes  signées  le  Grifon  verd  et  scellées  de  notre  sceau  ». 

«  Si  donnons  en  mandement  à  tous  Foux,  Archifoux,Extrava- 
gans,  Hétéroclites,  Joviaux,  Mélancoliques,  Gurialistes,  Sata- 


366  MER 

niques.  Lunatiques,  Timbrez,  Fanatiques,  Gais,  Chole'riques  et 
tous  autres  de  lui  obéir  follement  en  ce  qui  dépendra  de  sa 
charge  d'Ambassadeur,  sous  peine  de  désobéissance  et  même 
d'encourir  nos  disgrâces,  et  à  nos  Trésoriers,  Receveurs  et 
Payeurs  de  le  payer  de  ses  pensions  et  appointements  par  quar- 
tier et  également,  non  pas  plus  à  l'un  qu'à  l'autre,  en  la  forme 
ancienne  et  accoutumée,  de  sorte  qu'il  ne  reçoive  espèce  qui  ne 
soit  de  mise;  voulant,  commandant  et  ordonnant  très-expres- 
sément que  sur  la  simple  quittance,  ladite  somme  leur  soit 
légèrement  passée  et  allouée  en  notre  Chambre  des  Gets  sans 
aucune  difficulté,  sauf  notre  droit  et  celui  des  autres.  » 

Citons  aussi  la  Description  de  V Ordre  tenu  en  V infanterie 
dijonnaise  en  1610,  opuscule  en  vers  et  en  patois  bourguignon, 
tellement  rare  qu'on  n'en  connaît  à  Dijon  qu'un  seul  exem- 
plaire. M.  Mignard  l'a  réimprimé  dans  son  Histoire  de  l'idiome 
bourguignon  et  de  sa  littérature  {Dijon,  i856,  in-8<>,  p.  386); 
c'est,  dit-il ,  la  meilleure  page  d'histoire  qu'en  puisse  offrir  un 
sujet  des  mascarades  de  la  Mère-Folle.  Le  plus  beau  côté  de  cette 
confrérie  burlesque  a  été,  dès  son  origine,  de  faire  tomber  en  dé- 
suétude les  mascarades  pieuses  qui  se  faisaient  tant  à  l'intérieur 
qu'à  l'extérieur  des  églises,  car  on  avait  vu,  sans  scandale,  dans 
les  temps  reculés,  les  vicaires  de  l'église  Saint-Etienne  de  Dijon 
courir  les  rues  avec  des  fifres  et  des  tambours. 

Nous  transcrirons  quelques  passages  qui  ne  sont  pas,  ce  nous 
semble,  inintelligibles  pour  les  personnes  un  peu  familiarisées 
avec  l'idiome  dont  La  Monnoye  a  tiré  si  bien  parti  dans  ses  pi- 
quants Noëls.  Voici  la  description  de  ce  que  présente  le  grand 
guidon  de  l'Infanterie  dijonnaise  : 

Aipré  céte  trôpe  guareire 
On  portoo  éne  gran  banneire 
Qu'aitoo  pu  grante  din  pechô 
Que  ne  serin  no  deu  ruchô 
Sy  mirelifique  et  si  belle 
Qu'y  nay  pa  aissé  de  sarvelle 


MER  367 


Por  te  pouvoy  ben  recontay 
Lé  beatay  que  j'y  aj  contay  : 
Decaj,  délai,  ille  a  poindue  ; 
De  l'un  dé  coutay  i'y  ai  vue 
Ene  quirielle  de  fô 

Qui  tô  juin  au  chaipisô 

Ay  sai  seutte  ai  tin  do\e  peige 
Quiaivin  de  gran  chemisô 
Doo'ou  dessu,  ieuqu'au  desô 
Non  pa  de  chemisô  de  teeulle 
Ma  de  soo  quelou  de  mouseulle, 
De  qauirôtte  et  de  l'auberon, 
Chacun  lai  botte  et  l'éperon 
Ai  portin,  dringan  por  lay  saule 
Ansin  que  dé  grillô  qu'on  craule. 
Peu  aipré  lé  gude  doau  cor, 
Quatre  qui  aivin  dé  clar  dor 
Portan  dedan  lor  main  dé  rouge, 
Vêtu  de  sion  jaune  et  rouge, 
Tôt  barrôlai  de  fin  argen 
Que  coûtoo  in  gran  cô  d'argen, 
Y  entrire,  émenant  lai  Meire 
Qu'éploitoo  trenan  lou  darreire 
Comme  ène  veille  qui  ne  peu 
Faire  cennelay  quelle  veu 

Aimé  Piron,  poète  bourguignon,  plein  de  verve  et  de  sel,  nous 
montre  dans  son  Monologue  borguignon  por  être  prononçai 
devan  Monseigneu  le  Duc  (Dijon,  1724),  quels  étaient  les  su- 
jets ordinaires  des  déclamations  de  la  Mère-Folle,  les  jours  de 
montrée. 

D'ein  bout  ai  l'autre  tôt  antei 

Ai  déclame  aiséman  lé  rôlle, 

Que  faibriquai  lai  Meire-Folle 

Se  Lanturlu,  se  chanson, 

Se  fanfreluche,  se  dicton, 

Su  le  conte  dé  fringuenelle 

Qui  se  conserve  dans  lai  velle 


368  MIN 


Dicton  que  bé  de  nos  monsieu 
Estime  comme  précieu. 

Il  existe  des  figures  relatives  à  l'association  de  la  Mère-Folle-, 
Tilliot  les  a  fait  connaître;  on  en  remarque  une  qui  offre  deux 
têtes  accolées  par  leur  base,  l'une  de  cardinal,  l'autre  de  fou,  sur 
un  plan  vertical ,  avec  la  légende  :  Stulti  aliquando  sapientes. 
Cette  empreinte  qu'on  dit  provenir  du  sceau  de  la  Mère-Folle, 
appartient  à  une  médaille  des  plus  satiriques  contre  la  cour  de 
Rome  et  qui  ne  peut  être  attribuée  qu'aux  partisans  de  la  Ré- 
forme. Le  revers  que  du  Tilliot  ne  donne  pas,  qu'il  n'a  pas  connu 
peut-être,  représente  une  autre  tête  double,  celle  d'un  pape  por- 
tant la  tiare,  et  du  côté  opposé,  en  hauteur,  une  tête  de  diable  à 
cheveux  hérissés  et  à  longues  oreilles  avec  la  légende  :  Ecclesia 
perversa  tenet  faciem  diaboli.  M.  Leber  a  donné  des  gravures 
fort  soignées  de  ces  objets  cuneux(Moruîaies  des  évêques  des  In- 
nocenset  des  Fous,  1837,  Pa&-  xc)  et^  ajoute  :  Comme  le  sujet 
principal  n'a  rien  de  commun  avec  les  farces  de  la  Société  dijon- 
naise,  il ,est  permis  de  douter  de  l'authenticité  du  sceau,  ou  du 
moins  de  l'empreinte  ainsi  qualifiée  par  Tilliot  (1). 

MINNESiENGER  (t.  II,  p.).  Les  Minnesœnger  ont  été  en 
Allemagne  l'objet  de  nombreux  écrits  ;  il  serait  superflu  de  les 
indiquer  ici;  nous  signalerons  toutefois  les  recueils  de  L.  Tieck  : 
Minnelieder  aus  d.  Schwaeb.  Zeitalter.  Berlin,  i8o3,  in-8°; 
de  Von  der  Hagen,  Minnesinger.  Leipzig,  1 838,  4  vol.  in-40; 
du  baron  de  Lassberg,  Liedersaal,  Sammlung  altdeutscher  Ge- 
dichte.  Eppishausen,  1820-25,4  vol.  in-8°. 

Parmi  les  divers  manuscrits  qui  contiennent  ces  poésies,  on 
distingue  celui  formé  par  Ruediger  Manesse,  de  Zurich,  à  la  fin 


(1)  Les  catholiques  firent  une  contre-partie  des  médailles  en  question;  elle 
présente  également  deux  têtes  doubles;  d'un  côté,  Calvin  mitre  et  le  diable  ; 
légende  :  Joan.  Calvinvs  Heresiarch.  Pesslmvs  ;  au  revers,  un  cardinal  et  un 
fou;  légende  :  Et  stulti  aliquando  sapite.  (Psalm.  xciii.) 


MOR  369 

du  treizième  ou  au  commencement  du  quatorzième  siècle;  il  est 
conservé  à  la  Bibliothèque  impériale  à  Paris,  et  il  a  été  l'objet 
d'un  mémoire  du  baron  de  Zurlauben  inséré  dans  les  Mémoires 
de  P  Académie  des  Inscriptions  ,  tom.XL,p.i54.  On  trouve  dans 
cette  collection  des  poésies  de  140  auteurs  différents;  un  biblio- 
graphe fort  actif,  M.  J.-C.-Th.  Graesse,  de  Dresde,  en  a  donné 
une  liste  raisonnée  dans  son  Tableau  de  VHistoire  littéraire 
générale  {Dresde ,  1842,  tom.  II,  sect.  2,  p.  986-1004).  Il  fait 
connaître  également  le  nom  de  29  poètes  qui  figurent  dans  un 
manuscrit  conservé  à  Jéna ,  et  il  signale  quelques  autres  de  ces 
trouvères  dont  les  compositions  se  rencontrent  dans  divers  ma- 
nuscrits. Il  existe  aussi  un  assez  grand  nombre  de  pièces  ano- 
nymes. 

MORALE  UNIVERSELLE(SociihÉDELAJ(tom.II,p.7o). 

La  sultane  Aline  d'Eldir  a  fait  imprimera  Paris,  en  1829, 
une  brochure  qui  contient  les  titres  constatant  sa  naissance 
dans  VInde.  Ces  pièces  sont  précédées  d'une  courte  introduc- 
tion. 

«  Mon  isolement  en  France,  mon  dévouement  à  l'humanité 
souffrante,  les  ouvrages  que  j'ai  composés  et  publiés,  l'institu- 
tion que  j'ai  fondée,  pour  diriger  l'homme  vers  le  bien,  la  vie 
morale  qui  n'a  cessé  de  régler  mes  actions,  semblent  devoir  in- 
téresser, ou  même  exciter  à  connaître  ma  naissance  et  mon  ori- 
gine, en  attendant  la  publication  des  mémoires  historiques  de 
ma  vie,  à  dater  de  mon  funeste  enlèvement  du  palais  de  mes 
aïeux.  Je  m'empresse  de  satisfaire  les  amis  de  la  vérité,  par  les 
pièces  suivantes,  duement  légalisées  et  certifiées. 

«  A  la  restauration  du  gouvernement  français,  et  lorsque  la  li- 
berté des  mers  eut  permis  d'écrire  dans  l'Inde,  j'adressai  au  roi 
Louis  XVIII,  ainsi  qu'à  son  frère,  alors  comte  d'Artois,  des 
lettres  pour  me  faire  reconnaître,  comme  ayant  toujours  mérité 
les  bonnes  grâces  que  cette  auguste  famille  m'avait  accordées 
dans  mon  enfance,  et  pour  les  supplier  de  prendre  intérêt  à  mon 
sort,  en  faisant  faire  des  informations  dans  ma  patrie  à  mon  sujet. 

24. 


37o  MOR 

Des  ordres  furent  donnés  au  ministère  des  affaires  étrangères, 
et  M.  le  duc  de  Richelieu,  président  du  conseil  des  ministres, 
instruit  de  mes  droits  à  la  haute  bienveillance  du  monarque,  fit 
écrire  à  M.  Dayot,  intendant  à  Chandernagor  ». 

Les  lettres  contenues  dans  la  brochure  en  question  n'offrent 
pas  assez  d'intérêt  pour  être  reproduites  ;  nous  nous  en  tiendrons 
à  la  copie  du  n°  Ier,  page  1 1 . 

Copie  du  ier  numéro  de  la  correspondance  du  scheick  Indien, 
pendant  son  séjour  à  Londres,  avec  madame  d'Eldir. 

«  Refuge  de  continence,  atelier  de  pudeur,  symbole  de  no- 
blesse, source  de  qualités,  que  le  Seigneur  vous  bénisse  !  » 

«  Après  vous  avoir  parlé  de  notre  désir  de  vous  voir  qui  est  in- 
commensurable aussi  bien  qu'inexprimable,  nous  exposerons  à 
votre  cœur  pétri  d'affection,  dans  cette  lettre  sentimentale,  que, 
grâce  à  la  sagesse  divine,  nous  nous  portons  fort  bien  ici,  et  que 
nous  n'avons  que  des  bénédictions  à  rendre  au  sujet  de  l'intérêt 
que  vous  prenez  à  notre  bien-être.  Quant  à  nous,  nous  ne  ces- 
sons d'adresser,  jour  et  nuit,  des  vœux  au  Tout-Puissant,  plein 
de  gloire,  pour  votre  santé  et  votre  bonheur. 

«  Votre  épître  gracieuse  et  pleine  d'affection,  que  nous  atten- 
dions, au  devant  de  laquelle  même  nous  nous  transportions  en 
idée,  nous  est  parvenue  dans  l'instant  le  plus  propice.  Elle  a  ré- 
joui notre  cœur  souffrant  de  n'être  pas  près  de  vous,  nous  en 
avons  logé  tout  le  contenu  dans  ce  cœur,  sanctuaire  de  sym- 
pathie. 

«  Nous  n'avons  pas  encore  terminé  nos  affaires  d'une  manière 
satisfaisante;  s'il  plaît  à  Dieu,  cela  ne  tardera  guère;  nous  avons 
la  plus  ferme  volonté  de  passer  par  Paris  à  notre  retour,  afin 
d'enluminer  nos  yeux  et  notre  cœur  par  la  contemplation  de 
Votre  Altesse,  et  de  remplir  notre  sein  d'allégresse.  Nous  n'a- 
vons point  goûté  plus  de  jouissance  dans  la  tendresse  mater- 
nelle que  dans  votre  affection  ;  nous  songeons  toujours  à  vous, 
et  votre  souvenir  est  toujours  présent  à  notre  pensée,  conformé- 
ment au  sens  de  ces  vers  qui  disent  : 


OBS  371 


Je  ne  cesse  un  seul  instant  de  songer  à  toi, 

Et  le  sentiment  de  l'oubli  est  oublié  par  mon  cœur. 

Signée  Goolam  Mouhi-oud-din. 

MUSICAL  ANTIQUARIAN  SOCIETY.  Réunion  d'ama- 
teurs de  musique  qui  s'organisa  à  Londres  en  1840.  Ses  mem- 
bres, amis  de  l'ancienne  musique  nationale,  ne  se  bornaient  pas 
à  faire  exécuter  de  vieilles  compositions  remontant  au  seizième 
siècle  et  parfois  au-delà;  ils  faisaient  aussi  réimprimer  des  ou- 
vrages devenus  extrêmement  rares.  L'énumération  de  ces  réim- 
pressions comprend  dix-sept  articles  (voir  Lowndes,  Bibliogra- 
phe^ s  Manual,  appendice  ,  1864,  p.  1 55).  Cette  Société  a  cessé 
d'exister  en  1848.  Elle  comptait  parmi  ses  membres  MM.  E.-F. 
Raimbault,  G. -A.  Macfarren,  W.  Horsley ,  E.-J.  Hopkin, 
E.  Taylor,  J.  Warren,  C.-W.  Budd,  Sir  George  Smart.  Vers  la 
même  époque  une  association  du  même  genre  avait  surgi ,  The 
Motett  Society,  qui  prenait  la  vieille  musique  d'église  pour  but 
de  ses  travaux,  mais  celle-ci,  créée  en  1841,  disparut  bientôt  et 
n'a  mis  au  monde  qu'une  seule  publication  datée  de  1842. 

OBSERVATEURS  DE  LA  FEMME  (t.  II,  p.  96)  Transcri- 
vons encore  quelques  passages  empruntés  aux  procès-verbaux 
de  cette  société,  documents  qui  n'ont  jamais  passé  sous  d'autres 
yeux  que  ceux  du  spirituel  Lemontey. 

Il  est  donné  lecture  d'une  lettre  écrite  de  Barcelonne  par  M. 
Leone;  ce  facétieux  espagnol  annonce  qu'après  avoir  longtemps 
médité  sur  la  nature  de  l'amour,  il  a  reconnu  que  c'était  une 
véritable  maladie  d'autant  plus  grave  que  personne  ne  la  plaint, 
parce  que  ceux  qui  n'aiment  pas  n'y  comprennent  rien  et  que 
ceux  qui  aiment  ne  s'occupent  que  d'eux-mêmes. 

Elle  a  si  peu  sa  source  dans  l'imagination  que  les  bêtes  n'en 
sont  pas  exemptes.  Il  est  avéré  que  plusieurs  oiseaux  ne  survi- 
vent jamais  à  leurs  compagnes.  La  police  a  récemment  averti  les 
habitants  de  Berlin  que  la  continence  forcée  était  la  cause  la  plus 
fréquente  de  Thydrophobie  parmi  les  fidèles  animaux  qui  gar- 


372  OBS 

dent  nos  foyers  (i).  Enfin  les  agronomes  savent  que  la  brebis  est 
d'un  tempérament  mélancolique,  etpéri  t  bientôt  si  on  contrarie  ses 
amours.  Ferrand,  médecin  d'Agen,  publia  en  1622,  un  Traité 
de  la  maladie  d'amour ,  mais  sans  le  témoignage  des  docteurs, 
qui  peut  ignorer  que  cette  terrible  passion  se  dénoue  surtout  par 
le  suicide,  extrémité  où  nous  poussent  rarement  les  douleurs 
physiques  les  plus  cruelles  ? 

Notre  correspondant  pose  ensuite  deux  faits  :  l'un  que  les 
suicides  d'amour  sont  aussi  fréquents  que  jamais  ;  l'autre  que 
les  hommes  en  donnent  plus  d'exemples  que  les  femmes;  il  se 
demande  si,  malgré  la  licence  de  nos  mœurs,  il  y  aurait  dans  le 
monde  autant  d'amour  qu'autrefois,  et  si  les  femmes  aimeraient 
moins  que  les  hommes. 

Voici  comment  il  résout  ces  deux  questions. 

Il  répond  à  la  première,  qu'à  la  vérité  il  y  a  moins  d'amoureux, 
mais  qu'il  y  a  plus  de  mauvais  choix,  ce  qui  revient  au  même 
pour  les  catastrophes.  Il  dit,  sur  la  seconde,  que  l'amour  se  com- 
pose d'orgueil  et  de  tendresse,  et  que,  dans  la  passion  de  l'homme 
la  dose  de  l'un  surpassant  celle  de  l'autre,  il  en  résulte  une  ten- 
dance naturelle  vers  les  moyens  violens.  Le  cœur  de  la  femme, 
au  contraire,  se  nourrissant  plutôt  de  tendresse  que  d'orgueil, 
est  plus  disposé  à  se  dissoudre  par  les  moyens  de  langueur  ; 
ajoutons  que  la  femme,  naturellement  religieuse  et  pudique, 
doit  se  résoudre  avec  plus  d'effort  à  un  acte  réputé  impie  et  qui 
n'est  jamais  sans  publicité.  L'amant  se  jette  dans  la  tombe, 
l'amante  y  descend.  Plus  d'hommes  se  tuent  par  amour,  mais 
beaucoup  plus  de  femmes  en  meurent. 

La  Société  imite  les  diverses  classes  de  l'Institut,  elle  propose 
des  prix,  elle  ouvre  des  concours. 

Y  a-t-il  une  tête  de  l'un  ou  de  Vautre  sexe  que  V amour  n'ait 
pu  ou  ne  puisse  rendre  folle  ?  Tel  est  le  premier  sujet  proposé 
par  la  Société  et  sur  lequel  elle  a  reçu  vingt-trois  discours,  tous 
pour  la  négative. 


OBS  373 

II  résulte  de  cette  unanimité  que,  de  tous  les  personnages  que 
nous  vénérons,  princesses  ou  ministres,  guerriers  ou  dévotes, 
géomètres  ou  magistrats,  il  n'en  est  pas  un  seul  que  l'amour 
n'eut  pu  rendre  irrévocablement  fou  ;  âge,  raison,  science,' vertu^ 
tempérament  glacé,  secours  inutiles  !  les  circonstances  seules 
ont  manqué,  et  tout  bon  sens  est  du  bonheur.  On  est  effrayé  du 
mince  intervalle  que  ces  auteurs  ont  découvert  entre  le  génie  et 
la  folie.  Toute  la  différence  consiste  en  ce  seul  point  :  la  tête  du 
génie  est  une  soupape  qui  laisse  échapper  le  trop  plein  ;  la  tête 
de  la  folie  n'en  a  pas.  Que  l'amour  vienne  à  sceller  un  instant 
cette  soupape,  et  le  grand  homme  courra  aux  Petites-Maisons 
plus  vite  qu'un  autre. 

Comme  la  Société  est  informée  qu'il  se  prépare  cette  année  en 
Europe  plusieurs  exemples  fameux  de  cette  vérité,  elle  a  jugé  con- 
venable de  doubler  le  prix  et  de  le  remettre  à  l'année  prochaine 
afin  que  les  auteurs  profitent  de  ces  notables  accidents  pour 
accroître  l'intérêt  et  les  preuves  de  leurs  ouvrages,  si  propres 
d'ailleurs  à  tempérer  l'orgueil  des  forts  etle  désespoir  des  faibles. 

Parmi  les  prix  proposés  figure  celui-ci  : 

«  La  beauté  ne  se  forme  pas  dans  l'homme  des  mêmes  traits 
que  dans  la  femme  ;  mais  son  influence  sur  les  caractères  aux- 
quels elle  est  unie  varie-t-elle  aussi  suivant  les  sexes  ?  Spurina 
fut  le  plus  beau  jeune  homme  de  l'antiquité;  s'il  paraissait  dans 
les  campagnes,  les  femmes  des  pâtres  lui  faisaient  violence;  s'il 
entrait  dans  les  villes,  une  scandaleuse  épidémie  en  ravageait* 
aussitôt  l'enceinte^  et  partout  à  sa  vue  l'innocente  et  la  prude, 
la  prêtresse  et  la  matrone  se  changeaient  en  furies  d'amour.  Le 
généreux  Spurina  employa  le  seul  moyen  qui  put  rendre  la  dé- 
cence au  monde,  et  portant  sur  lui-même  une  main  cruelle,  il 
défigura  le  plus  beau  visage  que  les  dieux  eussent  formé. 

a  Dans  des  temps  plus  modernes^  les  murs  de  Toulouse  furent 
affligés  du  même  prodige.  Dès  que  la  belle  Paule  (i)  se  montrait, 

(i)  Il  existe  sur  Paule  de  Viguier  un  livre  fort  singulier:  de  la  Beauté, 
discours  divers,  avec  la  Paule  graphie,  ou  description  des  beauté^  d'une  dame 


374  PAR 

les  maisons  étaient  vides,  les  ateliers  déserts,  et  la  foule,  horri- 
blement amoncelée,  ressemblait  aux  flots  d'une  sédition.  Le  plus 
court  passage  de  cet  astre  laissait  toujours  des  soupirants  étouffés 
et  quelques  admirateurs  estropiés.  Le  parlement  prit  enfin  pitié 
du  sort  de  ses  justiciables,  et  montrant  plus  de  connaissance, 
du  cœur  humain  qu'il  n'appartient  à  un  parlement  de  province; 
il  rendit  un  arrêt  qui  ordonnait  à  la  belle  Paule  de  paraître  en 
public  deux  fois  par  semaine.  Cette  femme  admirable  se  soumit, 
mais  en  portant  contre  cette  dure  obligation  des  plaintes  que 
personne  ne  crut  sincères. 

«  La  Société  demande  un  parallèle  de  Spurina  et  de  Paule,  où 
seront  analysées  la  nature  et  la  force  de  l'attachement  de  chaque 
sexe  à  ses  avantages  corporels,  et  où  l'on  examinera  si  le  sacri- 
fice que  fit  Spurina  pour  sauver  la  vertu  des  dames  d'Etrurie, 
eût  été  possible  à  la  belle  Paule  pour  conserver  les  bras  et  les 
jambes  au  peuple  de  Toulouse.  La  Société  ne  prescrit  aucune 
forme  aux  ouvrages  des  concurrents,  mais  elle  souhaite  que 
celle  du  dialogue  des  morts,  entre  Spurina  et  Paule,  soit  préférée,, 
à  condition  néanmoins  que,  contre  l'usage  ordinaire,  on  y  trou- 
vera l'esprit  du  sujet  plus  que  l'esprit  de  l'auteur.  » 

PAROISSE  (t.  IL,  p.  108).  Cette  société  mérite  qu'on  en  parle 
avec  quelques  nouveaux  détails  ;  un  article  lui  a  été  consacré 
dans  la  Revue  française;  il  nous  offrira  quelques  traits. 

tholo\aine,  par  Gabriel  de  Minut.  Lyon,  1587,  in-8  ;  ce  livre,  devenu  fort 
rare,  est  très-recherché  des  bibliophiles;  de  beaux  exemplaires  ont  été  payés 
140,  260  et  3oo  fr.  aux  ventes  Crozet,  Renouard  et  Solar  ;  on  est  ensuite  ar- 
rivé à  6o5  et  à  85o  fr.  aux  ventes  Piot  et  Chapponay.  M.  Le  Roux  de  Lincy  a 
inséré  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile  (1849,  p.  43-96),  une  notice  curieuse 
sur  ce  livre.  Voir  aussi  le  Bulletin  du  Bibliophile  Belge,  tom.  III,  p.  422. 
L'auteur  de  la  Paulegraphie  décrit,  sans  aucune  exception,  toutes  les 
beautés  du  corps  de  Paule,  et  il  entre  naïvement  dans  les  détails  les  plus 
scabreux.  Ce  fut  toutefois  une  religieuse,  Charlotte  de  Minut,  sœur  de  l'au- 
teur et  abbesse  du  couvent  de  Sainte-Claire  à  Toulouse,  qui  publia  cet  écrit, 
dédié  à  Catherine  de  Médicis.  Une  réimpression  de  la  Paulegraphie  a  eu  lieu 
à  Bruxelles  en  i865;  elle  n'a  été  tirée  qu'à  106  exemplaires,  et  elle  est  ac- 
compagnée d'une  note  bibliographique  de  4  pages. 


PAR  375 

Le  salon  de  Madame  Doublet  était  un  terrible  cabinet  noir  où 
tout  venait  aboutir  pour  y  être  impitoyablement  disséqué ,  une 
espèce  de  tribunal  secret  et  de  conseil  des  Dix  jugeant  en  dernier 
ressort  les  écrivains,  les  ministres,  les  danseurs^les  généraux  et 
les  comédiens,  enregistrant  pêle-mêle  avec  une  impartialité  qui 
était  la  plus  sûre  des  justices,  les  crimes,  les  travers,  les  vertus 
et  les  ridicules,  les  chansons  et  les  bons  mots,  les  applaudisse- 
ments et  les  sifflets,  les  naissances  et  les  morts,  les  choses  de  la 
rue  et  celles  de  la  cour,  celles  de  l'Académie  et  celles  de  l'égoût, 
en  un  mot  tout  ce  que  l'impétueux  torrent  du  dix-huitième  siècle 
roulait  dans  ses  eaux  bourbeuses,  et  de  cette  réunion  placide 
de  vieux  paroissiens  s'échappaient  chaque  jour  en  feuilles  vo- 
lantes comme  celles  de  la  sibylle  de  Cumes,  en  attendant  qu'il 
se  condensât  en  36  volumes,  le  réquisitoire  le  plus  sanglant 
et  le  plus  incisif  qui  ait  jamais  été  lancé  contre  le  dix-huitième 
siècle. 

Bachaumont  et  madame  Doublet  étaient  les  gens  les  plus  cu- 
rieux du  monde,  et  parla  surtout  ils  devaient  s'attirer  et  se 
plaire.  A  Bachaumont,  le  raffiné  sybarite,  l'expert  ès-arts  de  la 
curiosité,  l'homme  de  tact  qui  savait  le  mieux  trier,  éplucher, 
vérifier  et  narrer  une  anecdote,  revenait  de  droit  la  présidence  du 
salon  de  la  Paroisse.  11  n'en  bougea  pendant  quarante  ans,  te- 
nant cette  charge  à  grand  honneur  et  faisant  fi  de  tout  le  reste^ 
parfaitement  placé  à  la  tête  dtce  petit  monde  égoïste  qui  regar- 
dait toutes  choses  sans  s'inquiéter  de  rien.  Il  mourut  comme  il 
avait  vécu,  apathique  et  indifférent  aux  choses  élevées,  abruti 
par  une  sénilité  qui  n'était  que  la  conséquence  logique  de  son  in- 
souciance et  d'une  vie  sans  ressort,  mais  en  passant  de  vie  à 
trépas,  il  laissait  son  monument,  les  six  premiers  volumes  des 
Mémoires  secrets  qui,  continués  après  sa  mort ,  forment  ces 
36  volumes,  mine  inépuisable  qu'ont  exploitée  à  pleines  mains 
tous  ceux  qui  ont  écrit  sur  le  dix-huitième  siècle,  chaos  de  ren- 
seignements, panorama  fourmillant  et  débordant  où  défilent 
dans  le  leste  déshabillé  de  l'anecdote  épigrammatique  et  satirique, 
tous  les  faits  et  tous  les  hommes,  tous  les  livres  et  toutes  les 


376  POM 

pièces,  tous  les  événements  de  quelque  taille  que  ce  soit,  accom- 
plis dans  l'espace  de  vingt-six  ans,  de  1762  à  1787. 

La  première  partie  des  Mémoires  (celle  à  laquelle  a  coopéré 
spécialement  Bachaumont),  s'ouvre  par  le  nom  de  Sophie  Ar- 
nould  et  se  ferme  par  un  épigramme  contre  le  parlement  Mau- 
péou.  Entre  ces  deux  points  extrêmes,  il  est  question  de  toutes 
les  choses  imaginables  et  de  quibusdam  aliis ,  comme  dans  la 
thèse  de  Pic  de  la  Mirandole  :  de  Voltaire,  de  mademoiselle 
Clairon,  de  Carlin,  de  madame  de  Pompadour,  des  jésuites,  du 
ministère  Choiseul ,  de  Fréron,  de  l'université,  des  abbés  mon- 
dains, des  galants  mousquetaires,  des  robins  et  des  marquis,  des 
femmes  de  cour  et  des  courtisanes,  des  écrivains,  des  artistes, des 
sermons,  des  premières  représentations  à  la  Comédie  française. 
On  y  trouve  entassés  et  se  heurtant  dans  un  tohu-bohu  où  les 
dates  seules  servent  de  point  de  repère,  de  la  prose  et  des  vers, 
des  contes,  des  factums,  des  dissertations  savantes,  des  facéties 
bouffonnes.  On  trouve  surtout  bien  des  choses  qu'on  chercherait 
vainement  ailleurs  parce  qu'elles  ne  pouvaient  alors  se  produire 
que  sous  le  manteau. 

On  a  senti  plusieurs  fois  la  nécessité  d'abréger  ce  volumineux 
recueil  pour  le  rendre  plus  accessible  aux  gens  du  monde.  Merle 
en  donna  en  1808  un  choix  qui  eut  du  succès  malgré  ses  défauts; 
M.  Barrière  en  a  publié  un  abrégé  assez  étendu,  mais  le  meilleur 
travail  en  ce  genre  est  celui  de  M.  Paul  Lacroix  qui  a  fait  pa- 
raître, en  i858,à  la  librairie  Delahays,  un  Bachaumont  rac- 
courci,  mais  conservant  sa  physionomie,  nullement  défiguré, 
auquel  il  n'a  été  rien  ôté,  ni  de  ses  qualités,  ni  de  ses  défauts, 
de  sorte  que,  tout  en  gardant  toute  son  utilité  comme  livre  de 
recherche,  il  est  plus  vif,  plus  rapide,  plus  varié  comme  livre  de 
lecture.  Ajoutons  que  de  nombreuses  notes  aident  à  l'intelligence 
du  texte. 

POMME  DE  PIN  (t.  II,  p.  120).  Les  littérateurs  du  XVII* 
siècleet  jusqu'à  Boileau  lui-même, se  réunissaient  volontiersdans 
ce  cabaret  situé  dans  la  Cité  contre  le  pont  Notre-Dame.  Son  pro- 


PUY  377 

priétaire,  Desbordes,  fit  rapidement  fortune;  il  acheta  pour  son 
fils  une  charge  dans  les  gabelles  et  se  retira  dans  un  château  qu'il 
fit  bâtir  à  Cormeilles.  On  trouve  sur  tout  ceci  des  détails  dans 
un  r  etit  volume  élégant  et  à  la  fois  instructif  et  amusant  sous 
une  lorme  agréable  :  Vins  à  la  mode  et  cabarets  au  XVIIe  siècle } 
pir  Albert  de  la  Fizelière, Paris,  R.  Pincebourde,  1866,  in-18. 

PONTIFES  (t.  II,  p.  137).  Les  membres  de  cette  association 
ne  se  contentaient  pas  de  construire  des  ponts;  ils  élevaient  aux 
abords  des  auberges  où  les  voyageurs  recevaient  l'hospitalité  et 
ils  entretenaient  les  routes  et  les  chaussées.  Un  de  leurs  premiers 
établissements  fut  placé  sur  lés  bords  de  la  Durance,  dans  un 
endroit  dangereux,  Maupas  ou  Mauvais  pas,  lequel  reçut  le  nom 
de  Bon  pas. 

Le  célèbre  pont  d'Avignon  sur  le  Rhône  fut  l'œuvre  de  cet 
ordre. 

PUY.  (t.  IL  p.  157)  Donnons  sur  ce  sujet  intéressant  quelques 
nouveaux  détails  que  nous  fournit  un  article  de  M.  Bottée  de 
Toulmon,  inséré  dans  la  Revue  française  3  i838,  tom.  VII,  p. 
102. 

Le  mot  piiy  dérive  de  podium,  colline,  désignation  de  l'empla- 
cement choisi  comme  amphithéâtre  naturel  pour  entendre  les 
débats  des  poètes.  Les  premières  réunions  littéraires  qui  s'éta- 
blirent en  France  portèrent  donc  le  nom  de  puys.  Des  prix 
étaient  décernés  aux  vainqueurs  de  ces  joutes  de  la  parole  et  de 
l'imagination.  Ces  prix  consistaient  habituellement  en  repré- 
sentations de  fleurs  en  argent. 

Un  laborieux  explorateur  de  nos  antiquités  littéraires,  Sainte- 
Palaye,  dans  une  notice  manuscrite  conservée  à  la  bibliothèque 
royale,  indique  un  manuscrit  sur  le  premier  feuillet  duquel  on 
lit  : 

«  Le  dimancheXIII  jour  de  décembre  1 533  à  Rouen,  aucou- 
vent  des  Carmes,  honorable  homme  Jean  Leuze  bourgeois  et 
marchand  de  cette  ville  de  Rouen,  comme  prince  tint  le  Puy  à 


378  PUY 

l'honneur  et  révérence  de  l'immaculée  conception  de  la  Sainte 
Vierge.  » 

«  Le  prince  supplie  à  tous  poètes  et  orateurs  de  composer  en 
langue  françoise,  vulgaire  et  latine,  apporter  et  envoyer  audit 
Pw^  chants  royaux,  ballades,  rondeaux  et  épigrammesà  l'hon- 
neur d'icelle  conception.  Au  chant  royal  sera  donné  la  palme  et 
au  débattu  le  lis;  pour  la  meilleure  ballade  de  huit  syllabes  et 
huit  lignes  et  tel  refrain  que  l'auteur  voudra  sera  donnée  la  rose; 
pour  le  plus  parfait  rondeau  de  treize  lignes  clos  et  ouvert  le 
signet;  pour  la  meilleure  épigramme  héroïque  sans  excéder  le 
nombre  de  trente  mètres_,  sera  donné  le  chapeau  de  laurier,  et 
au  débattu  Pestrille  (sic)  tous  lesquels  prix  seront  rédimés  par 
autre  prix  de  honnête  valeur.» 

Il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'y  ait  ici  une  faute  de  copiste  :  au 
lieu  d'estoille,  il  faut  lire  étoile;  signé  est  pris  dans  le  sens  de 
signou,  cachet,  anneau. 

Nous  possédons  d'amples  informations  au  sujet  des  Puy-ftE- 
vreux  ;  les  renseignements  abondent;  ils  se  trouvent  dans  les 
archives  du  départementde  l'Eure.  MM. Bonnin  et  Chassant  ont 
publié  des  détails  curieux  que  fournit  le  registre  intitulé  :  «  Cy 
est  le  livre  de  la  fondation  du  service  faict  et  estably  en  l'hon- 
neur de  DieUj  soubz  l'invocation  de  madame  Saincte  Cécille,en 
l'église  cathédrale Nostre-Damed'Evreux  au  iour  et  feste  d'icelle 
saincte  par  chacune  anéeàvenir  à  perpétuité.  »  Après  quelques 
considérations  sur  le  rôle  que  joue  la  musique  dans  l'histoire 
sainte,,  vient  la  fondation  du  service  en  l'honneur  de  Sainte  Cé- 
cile par  les  chantres  et  les  clercs  de  semaine  de  la  cathédraled'E- 
vreux.  Tout  ce  qui  suit  est  relatif  à  la  célébration  de  la  solen- 
nité. Ainsi  l'on  voit  la  désignation  des  messes  qui  doivent  être 
dites,  celle  des  psaumes  et  des  antiennes  qui  doivent  être  chan- 
tées; les  droits  de  chacun  des  célébrants  ecclésiastiques  et  sé- 
culiers sont  indiqués. L'organiste  avait  7  sols  6  deniers  pour 
tout  le  service,  et  le  souffleur  touchait  la  somme  proportionnel- 
lement élevée  de  6  sols. 

On  peut  suivre  dans  l'acte  de  fondation  l'origine  du  Puyde 


PUY  3y9 

musique.  On  voit  d'abord  que  les  chantres  et  les  clercs  de  se- 
maine avaient  célébré  un  service  en  l'honneur  de  Dieu,  un  jour 
de  sainte  Cécile,  les  années  1570,  1 571  et  1572.  Jusques  là  il 
n'y  a  pas  de  fondation.  Le  5  novembre  1573  une  réunion  a 
lieu.  Parmi  les  membres  présents  on  remarque  Guillaume  Cas- 
telley,  valet  de  chambre  et  organiste  de  Charles  IX.  Cette  as- 
semblée a  pour  but  de  pourvoir  aux  frais  du  service  qui  doit  être 
établi  à  perpétuité.  Ils  déposent  entre  les  mains  des  chanoines 
la  somme  de  huit-vingt  livres  pour  être  la  rente  de  huit  livres 
tournois  employées  tous  les  ansàladite  célébration.  Le  prince  et 
maître  devait  être  renouvelé  tous  les  ans;  il  était  tenu  de  faire 
tapisser  la  chapelle  à  ses  frais  et  de  fournir  des  cierges  si  la  fon- 
dation ne  suffisait  pas.  Une  stipulation  toute  spéciale  prescri- 
vait au  prince  de  «  préparer  lieu  honeste  et  la  table  pour,  après 
la  grande  messe  du  jour  ladite  feste,  recepvoir  amiablement  la 
compagnie  aux  convives  du  disner  qui  se  passera  sans  aucun 
scandalle,  insolence  ou  excès,  et  que  ne  sera  obligé  ledit  prince 
faire  austre  fraiz,  s'il  ne  lui  plaist,  car  chacun  des  fondateurs  fe- 
ra porter  leur  vivre.  » 

On  remettait  au  prince  avant  la  fête  une  pièce  portant  ce  ti- 
tre : 

«  Copie  du  contenu  au  gref  que  l'on  baille  au  prince  pour  le 
rendre  certain  du  devoir  de  sa  charge.  » 

Prince  qu'il  plaist  à  Dieu  sur  nous  constituer 
Icy  est  le  moyen  de  la  feste  conduire, 
Puis  quavez  cet  honneur,  il  faut  sans  se  tuer 
Pour  Tannée  en  suivant  si  bien  sévertuer 
Quand  tout  puisse  de  Dieu  le  service  reluire. 

La  fête  commençait  donc  par  un  service  et  se  terminait  par  un 
banquet;  la  musique  n'y  avait  qu'une  faible  part. 

On  trouve  dans  les  charges  du  prince  en  fonctions  l'an  iSySy 
l'obligation  de  prévenir  l'orfèvre  pour  procéder  à  la  confection 
des  prix  d'un  pujr  qu'on  voulait  établir,  comme  aussi  de  faire 
imprimer  pour  le  moins  deux  cents  affiches  chez  Adrien  Leroy, 


38o  PUY 

imprimeur  de  musique.  «Afin  que  par  icelles  plusieurs  musi- 
ciens soient  invitez  d'envoyer  de  leurs  œuvres  audit  Puy.y>  La 
fondation  officielle  de  cette  institution  n'eut  lieu  qu'en  i536. 
Voici  les  principaux  articles  de  l'acte  inscrit  au  registre  : 

«  Le  vingt  troisième  iour  de  novembre  par  chacune  année  à 
venir  le  lendemain  de  ladite  fête  et  solennité,  suivant  ce  qu'il 
pleut  à  Messieurs  du  chapitre,  pour  accorder  l'an  passé  linter- 
cession  de  monseigneur  de  Blanfossé,  Raoul  Boullene,  trésorier 
en  ladite  église,  sera  célébré  un  Puy  en  concertation  de  musique 
en  la  maison  des  enfants  de  choeur  dudit  heu. 

«  Auquel  Puy  seront  receuz  motets  latins,  à  cinq  parties  et 
deux  ouvertures  dont  le  texte  sera  en  l'honneur  de  Dieu  en  col- 
laudation  de  nostre  dame  et  sera  délivré  au  meilleur  motet  lor- 
gue  d'argent  et  au  débattu  qui  est  le  meilleu  déport  la  harpe 
d'argent.  » 

a  Seront  reçues  chansons  à  cinq  parties  à  tel  dict  qu'il  plaira 
au  facteur,  hors  texte  scandaleux  partout.  La  meilleure  aura 
pour  loyer  le  lut  d'argent,  celle  qui  fera  le  débatu  la  lyre  d'ar- 
gent. » 

«  Lair  à  quatre  parties  trouvé  le  plus  agréable  sera  gratifié 
du  cornet  d'argent.  ï> 

«  La  meilleure  chanson  légère,  facescieuse  aussi,  à  quatre  par- 
ties seulement,  emportera  laflûte  d'argent.  » 

«Au  plus  excellent  sonnet  chrétien  françois  faictà  deux  ou- 
vertures sera  donné  le  triomphe  de  la  Cécile  enrichie  dor  qui 
est  le  plus  grand  prix.  » 

«Au  dez  de  chacun  desdits  prix  faits  en  forme  de  bague  ou 
ovale  sera  pour  heureuse  mémoire  escrit  le  nom  du  prince  en 
lannée  duquelz  aura  esté  le  dit  Puy  célébré.» 

«  Et  par  ce  qu'il  est  très  séant  et  nécessaire  pour  la  décoration 
dudit  Puy  de  faire  pour  chacun  des  nouvelles  invitations  aux 
musiciens,  le  prince  en  son  année  aura  soin  d'employer  quelque 
gentil  esprit  à  composer  nouvelles  semonces  en  latin  et  en  fran- 
çois, comme  le  moteten  latin  et  les  chansons  françoises  lesquelles 
fera  délivrer  correctes  et  en  temps  opportun  audit  Adrien  Le- 


RIB  38i 

roy  pour  de  bonne  heure  les  imprimer  et  les  envoyer  aux  mais- 
tres  musiciens  des  villes  prochaines  et  esloignées  qui  par  ce 
moyen  seront  advertis  de  la  célébration  et  continuation  dudit 
Puy.)) 

«  Le  jugement  résolu,  le  prince,  accompagné  des  fondateurs 
et  confrères,  marchera  avec  les  chantres,  lesquelz  pour  rendre 
grâce  à  Dieu  de  lheureux  succès  de  leur  concertation,  s'iront 
permette  devant  le  grand  portail  de  léglise  Nostre  Dame,,  et  là 
chanteront  à  hauite  voix  les  deux  motets  premières  au  Puy  après 
chacun  desquels  chantés,  ils  feront  entendre  aux  assistants  par 
le  doyen  le  nom  des  autheurs  suivant  ce  qui  faict  en  a  estélan 
passé.  » 

«  A  leur  retour  dans  la  cour  de  la  maison  des  enfants  de 
chœur,  ils  chanteront  semblablement  à  hauite  voix  les  chansons 
airs  et  sonnets  premiers_,  et  sera  déclaré  aux  assistants  le  nom 
des  autheurs.  » 

L'acte  se  termine  par  cette  clause  : 

«  Et  affin  que  les  œuvres  plus  excellents  qui  auront  été  pre- 
miers et  aultres  qui  pourroient  mériter  et  servira  l'église  et  ap- 
porter instructions  aux  enfans  de  chœur  et  aultres  ne  tombent 
enoubly,  lemaistredes  enfans  sera  tenu  transcrire  ou  faire  tran- 
scrire en  cinq  livres  qui  lui  seront  laissez  pour  cet  effet  appar- 
tenant aux  fondateurs,  toute  la  musique  susdite  qui  sera  pre- 
mier et  qui  pourroit  mériter  prix  avec  le  nom  des  autheurs.  » 

Le  registre  en  question  s'arrête  à  1602  pour  la  liste  desprinces; 
celle  des  prix  ne  va  pas  au  delà  de  1589;  cependant  on  distri- 
buait encore  des  récompenses  après  cette  époque,  car  il  existe 
une  quittance  de  Nousset,  orfèvre  d'Evreux,  en  date  du  27  no- 
vembre 16 14,  pour  paiement  de  quatre  prix  d'argent:  savoir, 
l'orgue,  le  luth,  la  lyre  et  la  harpe. 

RIBAUDS  (t.  II,  p.  i36).  Le  Bulletin  du  Bibliophile  a  repro- 
duit, dans  son  numéro  de  septembre  1844  (6e  série,  n°  1 104),  la 
petite  notice  que  l'abbé  Lebeuf  avait  fait  insérer  dans  le  Journal 
de  Verdun  (novembre  175 1)  sur  le  Roi  des  Ribauds.  Le  savant 


382  ROX 

antiquaire  fait  observer  qu'on  trouve  dans  les  Olim  du  Parlement, 
défense  faite  au  bailli  de  Vermandois  de  laisser  sous  aucun  pré- 
texte séjourner  le  Roi  des  Ribauds  dans  la  ville  de  Laon  ;  le 
motif  de  cette  injonction  c'est  que  le  bailli  de  Vermandois  ne 
voulait  dépendre  que  delà  juridiction  royale  qui  avait  été  établie 
sur  ce  pays  en  1283. 

ROSE-CROIX  (t.  II.  p.  187).  On  a  publié  à  Leipzig,  en 
1783,  une  réimpression  d'un  écrit  devenu  introuvable  quoiqu'il 
ait  eu  quatre  éditions  successives  :  Missiv  an  die  Hocherleuch- 
tete  Bruederschaft  des  Ordens  Rosenkreut^es.  Lux  in  Cruce 
et  Crux  in  luce  (mission  à  la  très-éclairée  confrérie  de  l'Ordre 
des  Rose-Croix).  Ce  qui  donne  du  prix  à  ce  petit  volume  de  126 
pages,  c'est  qu'il  contient  un  catalogue  raisonné  (pag.  35  à  126) 
d'ouvrages  relatifs  aux  Rose-Croix,  depuis  16 14  jusqu'en  1783, 
et  l'auteur  a  eu  sous  les  yeux  la  presque  totalité  des  écrits  qu'il 
énumère;  il  serait  à  peu  près  impossible  de  les  réunir  aujour- 
d'hui. 

ROXBURGHE(Club).  Selon  l'usage  anglais,  cette  société  de 
bibliophiles  célèbre  chaque  année  l'anniversaire  de  sa  fondation 
par  un  somptueux  banquet;  elle  a  donc  quelque  droit  à  être  pla- 
cée dans  les  réunions  mangeantes  aussi  bien  que  dans  les  asso- 
ciations littéraires.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  rappeler  qu'elle 
fut  fondée  à  Londres  en  18 12,  après  la  vente  de  la  bibliothèque 
du  duc  de  Roxburghe,  vente  que  signala  l'élévation  excessive 
des  prix  auxquels  furent  portés  quelques  livres  précieux.  C'est 
alors  qu'on  vit  un  Décaméron  de  Boccace,  imprimé  à  Venise, 
par  Valdapfer,  adjugé  à  2260  livres  sterling,  grâce  à  la  rivalité 
de  deux  amateurs  opulents,  le  comte  Spencer  et  le  marquis  de 
Blandford.  Ce  dernier  gagna  une  victoire  qui  lui  coûta  cher.  On 
voulut  qu'une  société  spéciale  conservât  la  mémoire  de  cet  évé- 
nement inouï  dans  les  fastes  de  la  bibliophilie. 

Composée  d'abord  de  3  r  membres,  elle  a  ensuite  été  portée  à 
40.  Elle  a  compté  dans  ses  rangs  les  bibliophiles  les  plus  fer- 


ROX  383 

vents  de  l'Angleterre  réunis  à  des  littérateurs  distingués;  citons 
seulement  parmi  les  morts  lord  Spencer,  qui  fut  le  premier  pré- 
sident du  club;  son  fils,  lord  Althorp,  plus  connu  comme 
homme  politique  que  comme  amateur  de  vieux  livres;  sir 
Egerton  Brydges,  personnage  excentrique  qui  portait  une  longue 
barbe  à  une  époque  où  tous  les  mentons  étaient  rasés  et  qui  a 
laissé  d'assez  nombreuses  publications  (i);  Thomas  Frognall 
Dibdin,  vice-président,  auteur  de  nombreux  et  importants  ou- 
vrages de  bibliographie^  qui  sont  loin  sans  doute  d'être  exempts 
de  défauts,  mais  qui  occuperont  toujours  une  place  fort  distinguée 
dans  tout  cabinet  d'élite  (2);  Roger  Wilbraham;  sir  Mark  Mas- 
terman  Sykes;  John  Dent;  W.  Drury;  Richard  Heber,  le  plus 
insatiable  des  bibliomanes;  J.  Lang;  G.  Hibbert;  le  docteur 
Butler,  évêque  de  Lichtfield,  enfin  Walter  Scott,  dont  le  nom 
dispense  de  tout  commentaire  (3). 
A  côté  de  quelques  grands  seigneurs,  tels  que  le  duc  de  De- 

(1)  Nous  citerons  la  Polyanthea  librorum  vetustiorum.  Ghiève.  1822;  Ci- 
melia,  seu  Examen  criticum  librorum.  Genève,  182?;  Censura  litteraria. 
Londres,  i8o5-i8og,  10  vol.  in-8  ;  seconde  édition,  18 1 5,  10  vol.  in-8; 
British  bibliographer,  1 810-18 14,  4  vol.  in-8;  Restituta,  or  titles,  extracts 
and  characters  ofold  books,  Londres,  18 14,  4  vol.  in-8 

(2)  La  Bibliotheca  Spenceriana,  le  Bibliographie  al  Decameron,  le  Biblio- 
graphical  Tour  in  France  and  Germany,  la  nouvelle  édition  des  Typogra- 
phical  Antiquities,  le  Library  Companion,  et  bien  d'autres  ouvrages  fort  re- 
marquables en  leur  genre  ;  le  Manuel  du  Libraire  de  M.  J.  Ch.  Brunet  en 
donne  une  longue  énumération  raisonnée. 

(3)  La  collection  du  docteur  Butler  était  surtout  riche  en  éditions aldines; 
elle  a  été  dispersée  en  vente  publique,  ainsi  que  celles  des  autres  amateurs 
nommés  ci-dessus.  La  bibliothèque  Wilbraham  était  garnie  de  vieux  livres 
italiens;  Drury  avait  surtout  recherché  les  plus  belles  éditions  des  classi- 
ques grecs  et  latins;  Dent  avait  donné  une  attention  spéciale  aux  anciens 
livres  anglais;  Sykes  et  Hibbert  avaient  rassemblé  des  volumes  précieux  en 
tout  genre;  la  vente  du  premier,  faite  en  1824,  comprenait  3691  articles  qui 
ont  produit  18624  livres  sterling,  celle  du  second,  opérée  en  1829,  présentait 
8786  numéros.  Lang  dont  le  cabinet  passa  aux  enchères  en  1828  avait  porté 
ses  efforts  sur  les  vieux  livres  français  ;  il  en  avait  réuni  de  fortcurieux  qui 
sont,  en  partie,  revenus  en  France,  et  dont  la  valeur  a  monté  d'une  façon 
remarquable. 


384  R0X 

vonshire  et  le  duc  de  Northumberland,  on  a  vu  se  ranger  de 
simples  bibliophiles  dépourvus  de  naissance  et  de  fortune,  mais 
animés  d'une  passion  ardente  à  l'égard  du  papier  imprimé;  c'est 
dans  cette  classe  qu'il  faut  ranger  Joseph  Hazlewood,  qui  a  édité 
plusieurs  vieux  auteurs  anglais  dont  les  ouvrages  étaient  deve- 
nus fort  rares  et  qui  avait  composé  sous  le  titre  de  Roxburghe 
Revels  (Amusements  des  Roxburghe),  un  ouvrage  resté  inédit 
et  assez  singulier,  dit-on;  sa  publication  aurait  pu  faire  rire  aux 
dépens  du  club;  elle  n'a  pas  eu  lieu.  Il  est  question  de  cet  écrit 
dans  un  petit  volume  tiré  à  5o  exemplaires  seulement ,  sous  le 
titre  de  Roxburghiana  et  publié  à  Edinbourg  en  1837,  par  J. 
Maidment  (1). 

Dans  le  principe,,  chaque  membre  du  Club  faisait  réimprimer 
à  ses  frais  quelques  vieux  livres  très-rares,  et  cette  édition  nou- 
velle n'était  tirée  qu'à  un  nombre  d'exemplaires  excédant  de 
très- peu  celui  des  membres  du  Club.  Un  autre  système  est  en 
vigueur  depuis  quelques  années  ;  le  club  pourvoit  en  corps  aux 
dépenses  de  l'impression  d'ouvrages  plus  étendus  que  ceux  qui 
étaient  primitivement  mis  au  jour,  et  le  nombre  des  exemplaires 
tirés  est  moins  circonscrit,  de  sorte  que,  sans  être  livrées  au 
commerce,  ces  publications  peuvent  entrer  dans  quelques  dépôts 
publics  et  rendre  ainsi  des  services  aux  travailleurs. 

La  liste  des  ouvrages  mis  au  jour  jusqu'en  1864  par  le  Rox- 
burghe Club  s'élève  à  64  articles,  telle  que  la  donne  VAppendix 
au  Bibliographe^  s  Manual  de  Lowndes  (1864, pag.  1-7.)  On 
peut  y  joindre  deux  réimpressions  faites,  l'une  en  1821,  l'autre 
en  1825,  qui  ne  furent  pas  distribuées  et  quelques  brochures. 

Nous  indiquerons  les  ouvrages  en  langue  française  ou  qui  in- 
téressent la  France: 

La  Contenance  delà  table,  181 6. 

Le  Livre  du  Faulcon,  1817(2). 

(1)  Hazlewood  manquait  de  goût  et  son  instruction  n'était  pas  très-solide, 
mais  il  était  plein  de  zèle  pour  l'histoire  littéraire  de  la  Grande-Bretagne  à 
laquelle  il  a  rendu  de  vrais  services. 

(2)  Cette  réimpression  fut  faite  aux  frais  de  M.  Lang,  propriétaire  du  seul 


SCU  385 

LaRotta  de  Franciosi  à  Terroana,  1825. 

The  Black  Prince...  Poème  historique  relatif  au  Prince  Noir, 
écrit  en  français  par  le  héraut  Chandos,  publié  avec  une  traduc- 
tion et  des  notes  par  le  révérend  H.  O.  Coxe,  1842,  in-4. 

La  vraie  cronicque  d'Escosse.  Pretensions  des  Anglois  à  la 
couronne  de  France.  D'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
de  Bourgogne,  1847. 

Mentionnons  aussi  comme  ayant  pour  l'histoire  littéraire  du 
moyen-âge  une  véritable  importance  The  ancient  Romance  of 
Havelok  the  Dane3  publié  par  Frederick  Madden  avec  une  tra- 
duction française,  des  notes  et  un  glossaire^  1828  (1),  les  an- 
ciennes traductions  anglaises  des  Gesta  Romanorum  avec  une 
introduction  et  des  notes,  par  le  même  éditeur,  et  le  poème  du 
Seynt  graal,  partie  en  vers  anglais  (traduction  du  milieu  du 
XVe  siècle),  et  texte  complet  en  prose  par  Robert  de  Borron 
(dei  180  à  1200).  Cette  édition,  faite  d'après  des  manuscrits  con- 
servés à  Cambridge,  est  due  aux  soins  de  M.  F.  J.  Furnivalle; 
elle  est  accompagnée  d'un  Essai  sur  le  roi  Arthur  par  feu  Her- 
bert Coleridge  (1863-1864,  2  vol.  in-4.) 

SCUDÉRY  (t.  II  p.  214).  Un  petit  volume  publié  à  Paris, 
sous  le  titre  insignifiant  de  Lettres  et  billets  galants,  offre  en 
partie  la  correspondance  deMadameArragonais  avec  Izarn,  ainsi 
que  le  fait  remarquer  une  note  insérée  au  Bulletin  du  biblio- 
phile, 1860,  p.  1424,  et  signée  P.  L.  (Paul  Lacroix). 

exemplaire  connu  de  l'édition  originale;  c'est  un  livret  de  19  feuillets  en 
vers  et  en  prose,  imprimé  vers  la  fin  du  XVe  siècle.  Il  en  existe  trois  autres 
éditions  anciennes  en  caractères  gothiques,  et  toutes  très-rares.  Un  rondeau 
donne  en  acrostiche  le  nom  de  l'auteur:  Isabeau  Faucon 

(1)  Ce  romance  est  une  traduction  d'un  ancien  poème  français  dont  l'au- 
teur est  resté  inconnu  et  dont  on  ne  connaît  pas  de  manuscrit  en  France 
(Voir  un  article  de  M.  Raynouard  dans  le  Journal  des  Savants,  i83i).  M. 
Francisque-Michel  a  fait  paraître  à  Paris  en  1 833,  le  Lai  d'Havelok,  d'après 
la  publication  de  M.  Madden  et  avec  la  traduction  d'une  partie  de  la  préface 
du  savant  Anglais  ;  ce  volume,  imprimé  avec  soin,  n'a  été  tiré  qu'à  cent  exem- 
plaires. 

25. 


386  SOC 

SOCIÉTÉ  DE  L'ARAIGNÉE  DANS  LE  PLAFOND.  Le 
très-intéressant  journal  Y  Intermédiaire,  dans  son  numéro  du 
10  novembre  1866,  que  nous  recevons  à  l'instant,  nous  fait 
connaître  l'existence  de  cette  société;  elle  existe  àVichy  (Allier); 
c'est  une  réunion  littéraire  et  ancienne.  Une  des  principales 
originalités  du  salon  de  réunion  consiste  dans  le  plafond  agré- 
menté, en  guise  de  lustre,  d'une  gigantesque  araignée,  qu'on 
fait  danser,  corps  et  pattes,  à  l'aide  d'un  long  fil  d'archal,  au- 
dessus  de  la  tête  des  assistants. 

SOCIÉTÉ  D'ENCOURAGEMENT  POUR  L'AMÉLIO- 
RATION DE  L'ESPRIT  FRANÇAIS.  Cette  Société  fut  fon- 
dée il  y  a  une  dizaine  d'années  par  la  direction  du  journal  le  Fi- 
garo $  elle  n'eut  qu'une  courte  existence;  elle  fut  l'occasion  de 
splendides  dîners  où  fut  convoquée  l'élite  de  la  littérature  et  des 
arts.  Pour  être  admis  à  ces  festins  il  fallait  trois  conditions;  avoir 
reçu  une  lettre  d'invitation;  payer  une  somme  de  10  francs; 
faire  un  mot  spirituel. 

Les  statuts  de  ces  banquets,  dont  la  rédaction  est  attribuée  à 
M.  A.  Barthet,  sont  divisés  en  sept  chapitres  et  comprennent 
trente-six  articles;  nous  en  indiquerons  quelques-uns  d'après 
l'ouvrage  publié  en  i863  sous  le  titre  de:  Les  grands  Journaux 
de  France. 

Chapitre  IV.  Des  deux  tabIes}XX.  Il  y  a  deux  tables;  la 
grande  etla.  petite.  La  grande,  magnifiquement  ornée  et  éclai- 
rée, mieux  servie  et  servie  la  première,  est  la  récompense  de 
ceux  dont  la  preuve  a  été  trouvée  supérieure;  la  petite,  modes- 
tement reléguée  dans  un  coin  de  la  salle,  est  assignée  à  la  se- 
conde catégorie;  elle  n'aura  le  droit  de  trouver  ni  les  vins  trop 
jeunes,  ni  le  gibier  trop  vieux,  ni  le  service  mal  fait,  ni  le  café 
médiocre. 

XXII.  Un  joli  mot,  dit  à  la  petite  table,  pourra  valoir  à  son 
auteur  d'être  promu  à  la  grande.  Le  mot  en  question  sera  donc 
immédiatement  soumis  au  vote  des  convives  de  la  première  caté- 
gorie. On  pourra  voter  par  acclamation. 


SOC  387 

XXIII.  Un  mot  Prudhomme,  sans  circonstances  atténuantes, 
proféré  à  la  grande  table  pourra,  par  une  réciprocité  sévère,  mais 
juste,  valoir  à  son  auteur  d'être  exilé  à  la  petite. 

XXIV.  Du  premier  et  du  second.  On  entend  par  premier 
celui  dont  la  preuve  a  été  trouvée  la  plus  spirituelle  entre  toutes; 
par  second,  celui  dont  la  preuve  arrive,  comme  mérite,  immé- 
diatement après.  C'est  la  commission  qui  décide.  Le  premier 
est  couronné,  séance  tenante,  des  lauriers  ou  des  fleurs  dérobés 
sur  la  table  même  du  banquet,  un  jambon  ou  un  gâteau 
de  Savoie  qui  n'y  perdront  guère,  et  Figaro  lui  offre  une 
plume  d'or  sur  laquelle  est  gravée  une  inscription  commémo- 
rative. 

XXV.  Le  second  reçoit  une  boîte  de  cigares  sur  laquelle  il 
prélève  un  paquet  d'honneur  qu'il  emporte  comme  un  souvenir. 
Il  offre  le  reste  à  ceux  des  convives  qui  sont  sensibles  aux  agré- 
ments du  pur  Havane.  La  petite  table  n'a  droit  qu'à  des  cigares 
de  second  choix. 

XXVI.  Par  une  exception  spéciale  un  couvert  est  toujours 
réservé  à  la  grande  table.  Ce  couvert  est  désigné  sous  le  nom  de 
couvert  de  V Anglais. 

XXVII.  Pour  devenir  titulaire  du  couvert  de  l'Anglais,  il 
n'est  pas  besoin  de  subir  le  concours  exigé  du  vulgaire  ;  il  suffit 
au  candidat  de  s'être  fait  inscrire  la  veille  avant  quatre  heures 
du  soir  au  bureau  du  journal  et  d'avoir  versé  entre  les  mains  du 
caissier  une  cotisation  de  5oo  fr. 

Le  montant  de  cette  cotisation  exceptionnelle  est  consommé, 
séance  tenante,  par  la  réunion  honorée  de  ce  magnifique  suffrage. 

XXVIII.  Sont  considérés  comme  Anglais  et  accueillis  comme 
tels  tous  les  nobles  seigneurs,  français  ou  étrangers,  disposés  à 
consacrer  vingt-cinq  louis  à  la  satisfaction  d'une  fantaisie  aussi 
distinguée. 

XXIX.  Dans  le  cas  où  le  couvert  de  l'Anglais  est  l'objet  de 
plusieurs  demandes,  la  date  de  l'inscription  fait  loi.  On  passe  à 
l'ancienneté. 

XXX.  Dispositions  générales.  Le  costume  est  ad  libitum. 


388  SOC 

Nous  nous  en  rapportons  à  la  magnificence  ou  à  l'originalité  des 
convives. 

XXXV.  Des  toasts  nominatifs  sont  portés  par  le  président  à 
ceux  des  abonnés  qui,  voulant  s'associer  de  loin  à  la  pensée  des 
dîners  de  Figaro,  lui  auront  envoyé  un  produit  comestible  quel- 
conque. Ces  toasts  ont  naturellement  lieu  au  moment  de  dépe- 
cer ou  de  déboucher  les  pièces  ou  les  bouteilles  offertes. 

Une  liste,  par  ordre  alphabétique  des  membres  de  la  Société 
d'encouragement  comprend  ceux  de  MM.  About,  Dantan,  G. 
Doré,  Th.  Gautier,  Gozlan,  Halévy,  A.  Houssaye,  Méry,  Mon- 
selet,  Murger,  Nadar,  H.  de  Pêne,  etc. 

SOCIÉTÉ  DU  SOUPER  DES  QUINZE  LIVRES.  Charles. 
Antoine  Coypel,  quatrième  peintre  célèbre  de  ce  nom,  né  à  Pa- 
ris en  1694,  et  mort  en  la  même  ville  en  1752,  âgé  seulement  de 
58  ans  ,  fut  le  centre,  le  charme  et  le  lien  de  la  Société  du  Sou- 
per des  Quinze  livres,  ainsi  appelée  parce  qu'il  n'était  pas  per- 
mis d'y  dépenser  plus  que  ce  prix.  Cette  association,  à  en  juger 
par  les  lettres  qui  restent  de  ses  membres,  était  délicieuse  sous 
tous  les  rapports.  Les  auteurs  de  laBibl.  des  Romans (fév .  1779, 
p.  147),  disent  que  c  l'esprit  sans  causticité,  les  talents  sans  ja- 
»  lousie,  les  connaissances  sans  prétention,  et  la  gaîté  sans  in- 
»  décence,  sembloient  se  disputer  le  droit  d'en  diversifier  les 
»  amusements.  »  On  en  fera  mieux  l'éloge,  ajoutent-ils,  en  nom- 
mant : 

MM.  De  Caylus, 
De  Calvière, 
Freret, 
De  Mirabeau, 
De  Foncemagne, 
L'abbé  de  Rothelin, 
De  Bougainville, 
Largillière, 
Rigaud, 
Fagon, 


SOC  389 

MM.  Helvétius, 

Marivaux, 
Mmes  Doublet, 

Le  Marchand, 
Mlle  Quinault. 

SOCIÉTÉ  MUSICALE  DE  SAINTE-CÉCILE,  à  Rouen. 
Les  renseignements  qu'on  possède  sur  la  Société  Musicale  de 
Rouen  qui  se  plaça  sous  l'invocation  de  sainte  Cécile  (i)  sont 
très  peu  étendus,-  on  les  trouve  dans  V Histoire  de  la  cathédrale 
de  Rouen  par  D.  Pommeraye  {Rouen,  1686,  in-4).  On  y  voit 
qu'en  1601  la  société  existait  depuis  longtemps  sans  qu'on  puisse 
fixer  la  date  précise  de  son  origine.  Les  détails  que  donne  l'au- 
teur montrent  qu'à  cette  époque  on  prit  un  arrêté  pour  régler 
les  dépenses  excessives  qu'avaient  faites  quelques  princes;  c'est 
le  nom  qui  était  donné  à  la  personne  élue  chaque  année  pour 
présider  la  solennité^  mais  la  passion  de  briller  qui  animait  les 
princes  ne  s'arrêta  point,  et  elle  mettait  obstacle  à  la  prospérité 
de  la  société;  elle  rendait  de  plus  en  plus  coûteuses  les  fonctions 
de  prince,  et  elles  éloignaient  des  personnes  fort  honorables  qui 
reculaient  devant  des  dépenses-excessives. 

Le  11  octobre  1660,  plusieurs  membres  s'assemblèrent  pour 
tâcher  de  rétablir  la  confrérie  (expressions  qui  constatent  la 
décadence  où  elle  était  tombée).  La  dépense  à  la  charge  de 
chaque  prince  fut  fixée  à  i5o  livres,  le  surplus  devant  être  pris 
sur  les  revenus  et  fonds  de  la  société  qui  paraissent  avoir  été  assez 
considérables. 

Il  fut  en  outre  arrêté  le  16  juin  1661  qu'à  l'avenir  les  prix  qui 
se  donnaient  aux  musiciens  seraient  de  la  valeur  de  100  livres, 
savoir:  70  livres  fournies  par  la  caisse  de  la  société  et  3o  livres 

1)  Observons  en  passant  que  rien  dans  les  actes  de  cette  martyre  n'auto- 
rise à  la  signaler  comme  musicienne;  on  y  lit  au  contraire  qu'elle  imposa  si- 
lence aux  instruments  (organum)  qui  se  faisaient  entendre  à  l'occasion  'Je  son 
mariage.  Un  artiste  du  moyen-âge  qui  n'y  regardait  pas  de  si  près  repré- 
senta la  sainte  avec  un  orgue.  De  là  est  provenue  une  méprise  admise  de- 
puis sans  examen. 


39o  SOT 

par  une  rente  fondée  par  un  des  membres.  Le  n  octobre  1666, 
un  membre  nouvellement  élu  fonda  en  outre  pour  le  deuxième 
prix  des  motets  à  deux  chœurs,  un  écritoire  d'argent  de  la  va- 
leur de  3o  livres. 

La  société  subsistait  encore  en  1686. 

Divers  documents  relatifs  à  la  Société  de  sainte  Cécile  à  Pa- 
ris ont  été  mis  en  lumière  par  M.  Bottée  de  Toulmon.  La  plus 
ancienne  mention  qu'on  rencontre  se  trouve  dans  un  livret  im- 
primé en  1576  par  Adrien  Leroy  et  Robert  Ballard  pour  les 
membres  de  l'association.  C'est  l'acte  de  fondation,  daté  de  1 5y5; 
le  seul  article  où  il  soit  question  de  musique  est  celui-ci  : 

«  Seront  avertis  tous  bons  et  excellens  musiciens  de  ce 
royaume  et  autres  d'envoyer,  si  bon  leur  semble,  audict  jour  et 
vigille  Sainte-Cécile,  quelques  motetz  nouveaux  ou  autres  can- 
tiques honnestes  de  leurs  œuvres,  pour  estre  chantés  afin  de 
cognoistre  et  remarquer  les  bons  auteurs,  nommément  celuy 
qui  aura  le  mieux  faict,  pour  estre  honoré  et  gratifié  de  quelque 
présent  honorable,  ainsi  que  l'on  advisera.  » 

Rien  ne  fait  supposer  la  valeur  du  prix  ,  et  le  reste  de  la  fon- 
dation ne  parle  que  de  services  funèbres  pour  la  mémoire  des 
membres  défunts;  cet  acte  ressemble  plutôt  à  une  fondation  de 
fabrique  qu'à  celle  d'une  association  ayant  pour  but  de  faire 
fleurir  l'art  musical. 

Il  existe  à  Bordeaux,  depuis  une  dizaine  d'années,  une  Société 
de  Sainte-Cécile.  On  en  trouve  aussi  dans  d'autres  villes. 

SOTS  (t.  II,  p. 225).  Le  nom  d'Angoulevent  était  un  sobriquet 
de  confrérie,  comme  Angouleveisme  (dans  le  Triomphe  de  V Ab- 
baye des  Conards),  Plate-Bourse,  Pont-Alletz,  Plat-d'Argent, 
Maie-Epargne,  et  bien  d'autres  semblables..  On  trouve  dans  Ra- 
belais (liv.  I,  ch.  26)  et  que  n'y  trouve-t-on  pas  ?  le  nom  d'An- 
goulevent donné  à  un  capitaine  de  chevaux-legiers  du  roi  Pi- 
crochole,  chargé  d'aller  à  la  découverte,  c'est-à-dire,  de  humer 
et  comme  on  disait  alors,  d'angouler  le  vent,  en  attendant  le 
gibier.  Un  Angoulevent  figure  aussi  dans  la  Satyre  Ménippée , 


SOT  391 

mais  ce  n'est  qu'un  bouffon  du  plus  bas  étage,  méprisable  et 
crapuleux  espion,  et,  qui  pis  est,  imbécile  et  dupe. 

Du  reste,  Nicolas  Joubert,  dit  Angoulevent  ou  Engoulevent, 
mérite  qu'on  en  parle  avec  quelques  détails.  Il  est  question  dans 
des  facéties  de  l'époque  et  dans  le  curieux  pamphletauquel d'Au- 
bigné  a  donné  le  titre  de  la  Confession  de  Sancy ,  d'un  farceur 
en  renom  à  Paris  qu'on  appelait  Angoulevent,  et  on  a  tout  lieu 
de  croire  qu'il  s'agit  de  Joubert.  Le  procès  sur  la  principauté 
des  Sots  ne  fut  pas  la  seule  querelle  qui  s'éleva  contre  ce  baladin. 
Un  poëte  dont  le  nom  est  resté  inconnu,  lança  contre  lui  une 
vive  attaque  en  vers  sous  le  titre  de  Surprise  et  fustigation 
(V Angoulevent ,  par  l'archi-poëte  des  Pois  piles,  Paris,  i6o3. 
C'est  le  récit  d'un  mauvais  tour  joué  à  notre  farceur  qui  est  re- 
présenté comme  fort  enclin  à  mal  faire. 

Ce  prince  reculé 
Entre  les  sots  bien  immatriculé, 
Ce  docte  prince,  en  son  art  triomphant, 
Est  un  magot  sous  le  masque  d'enfant 
Qui  tout  son  corps  et  son  esprit  adonne 
Pour  engoller  quelque  nisse  personne. 

Au  récit  vrai  ou  faux  de  cette  mésaventure,  le  prince  des  Sots 
opposa  aussitôt  un  opuscule  intitulé  :  La  Guirlande  et  response 
d' Angoulevent  (Paris ,  i6o3),  mais  le  dernier  mot  ne  lui  resta 
point,  car  en  1604  il  fut  attaqué  de  nouveau  dans  la  Réplique  à 
la  response  du  poëte  Angoulevent.  Un  autre  farceur  du  temps, 
voulant  acquérir  une  prééminence  signalée_,  prit  le  titre  d'#rc/n- 
sot  j  il  fut  l'objet  d'une  diatribe  en  vers  intitulée  :  UArchi-sot, 
Echo  satyrique.  {Paris,  1 6o5) .  Cette  pièce  a  été  réimprimée  dans 
les  Variétés  historiques  et  littéraires  publiées  par  M.  Ed. 
Fournier  (tom.  VII,  p.  37);  la  Fustigation  est  aussi  comprise 
dans  le  même  recueil  (tom.  VIII_,  p.  81). 

Il  existe  sous  le  titre  de  Satyres  bastardes  et  autres  œuvres 
folastres  du  cadet  Angoulevent ,  un  volume  de  vers  publié  à 
Paris  en  161 5.  Ce  volume  est  très-rare;  des  exemplaires  se  sont 


392  SOT 

payés  16  fr.  La  Vallière  en  1784;  77  fr.,  Pixerécourt  en  1839; 
i5i  fr.,  Nodier  en  1844;  455  fr.,  H.  de  Ch.  en  i863,  offrant 
ainsi  un  exemple  curieux  de  l'élévation  successive  des  livres  de 
ce  genre.  Il  en  a  été  fait  à  Bruxelles  en  i865  (sous  la  rubrique 
de  Quimper-Corentin),  une  réimpression  tirée  à  106  exemplai- 
res; elle  forme  un  volume  in- 18  de  188  pages.  Consultez  aussi 
sur  Angoulevent  le  très-curieux  volume  de  M.  Victor  Fournel: 
les  Spectacles  populaires  et  les  artistes  des  rues,  i863,  in-12. 

SOTS  (tome  II,  p.  225).  Il  n'est  pas  inutile  d'ajouter  quel- 
ques détails  à  ceux  que  nous  avons  déjà  donnés  sur  cette  asso- 
ciation qui  joue  un  rôle  curieux  dans  notre  vieille  littérature. 

M.  d'Héricault,  dans  la  notice  déjà  signalée  et  placée  en  tête 
de  Tédition  de  Gringore,  entreprise  en  1 858,  avance  avec  rai- 
son que  l'ensemble  des  morceaux  dramatiques  qui  constitue 
l'œuvre  portant  le  titre  général  de  Jeu  du  Prince  des  Sots,  est 
incontestablement  ce  qui  nous  a  été  laissé  de  plus  remarquable 
parle  théâtre  du  moyen-âge. 

Le  cry  est  une  proclamation  par  laquelle  l'auteur  convoque  le 
public  à  assister  à  la  représentation  qui  doit  avoir  lieu  aux 
halles  le  mardi-gras  de  1 5 1 1 .  Ces  annonces  étaient  faites  par  un 
des  membres  de  la  corporation  qui  donnait  les  jeux;  habillé  d'une 
façon  caractéristique,  entouré  d'une  troupe  de  ses  confrères, 
accompagné  d'instruments  bruyants,  il  se  promenait  par  la  ville 
s'arrêtant  aux  places  et  aux  carrefours  consacrés  par  l'habitude 
pour  y  déclamer  cette  espèce  d'invitation.  Ce  cry  ou  montre  des 
acteurs  revêtus  des  costumes  de  leurs  rôles,  remplaçait  les 
affiches  qui  ne  furent  inventées  que  longtemps  après. 

Le  cry  versifié  par  Gringore  est  parfaitement  soigné;  il  s'an- 
nonce lestement,  il  marche  d'un  style  vif  et  gai.  Son  allure 
franche,  sa  forme  joviale  et  une  apparence  grotesque  sont  alliées 
à  une  véritable  finesse. 

M.  d'Héricault  ajoute  : 

«  A  quelle  époque  faut-il  faire  remonter  l'existence  de  la  So- 
ciété des  Sot%,  des  En/ans  Sans-Souci?  A  quelle  circonstance 


SOT  393 

dut-elle  sa  naissance  ?  Quel  but  se  proposa-t-elle  ?  On  admet 
généralement  qu'elle  s'organisa  au  commencement  du  quin- 
zième siècle;  les  autres  questions  ne  sont  pas  encore  résolues,  et 
nous  n'avons  pas  jusqu'ici  de  documents  qui  nous  permettent 
de  les  discuter  autrement  que  par  des  hypothèses. 

«  Je  pense  contrairement  à  l'opinion  actuellement  en  faveur 
que  la  corporation  des  Sot%  était  complètement  distincte  des 
autres  sociétés  dramatiques.  Elle  a  dû  avoir  pour  but  de  réunir 
ceux-là  même  qui  n'ayant  degré  en  quelque  faculté,  qui  ne 
tenant  par  position  ni  à  la  Basoche,  ni  aux  Clercs  du  Chdtelet, 
ni  kY  Empire  de  Galilée, voulaient  cependant  prendre  part  aux 
fêtes,  aux  jeux,  aux  esbat\  qui  avaient  été  jusque  là  l'apanage 
des  joyeux  clercs.  Gringore  en  est  une  preuve;  il  annonce  hau- 
tement qu'il  ne  tient  à  aucune  faculté,  et  nous  le  voyons  un  des 
chefs  de  la  corporation  des  Sotç.  Celle-ci  était  donc  une  protes- 
tation contre  le  monopole  dramatique  abandonné  aux  corpora- 
tions juridiques,  une  réunion  de  poètes  indépendants.  Dans  ces 
temps  de  troubles,  de  guerres  et  d'anarchie,  toutes  les  fêtes,  tou- 
tes les  folies,  toutes  les  occasions  d'oublier  le  mal  présent  et  de 
s'étourdir  bruyamment  sur  les  menaces  de  l'avenir,  devaient 
être  les  bienvenues  dans  la  bourgeoisie  et  le  populaire.  C'est  alors 
que  tous  ceux  qui  se  voyaient  jeunes,  qui  se  sentaient  affolés 
par  l'amour  du  bruit,  par  le  besoin  de  la  distraction,  ont  pu  se 
réunir, prendre  effrontément  le  nom  de  Sot^  et  railler  bravement 
les  préoccupations  des  politiques  et  des  sages  en  se  disant  les 
Enfants-sans-souci,  n 

«  J'ai  toujours  cru  qu'ils  avaient  dû  débuter  par  des  masca- 
rades, par  des  bouffonneries  improvisées,  où  chaque  Sot,  le 
Prince  et  la  Mère  en  tête,  jouait  un  rôle.  Ce  rôle  ne  devait  pas 
être  défini  autrement  que  par  les  habits  grotesques  qu'il  avait 
plu  à  chacun  de  prendre  pour  désigner  une  sorte  particulière 
de  sottise.  Il  était  ainsi  abandonné  aux  caprices  de  l'imagination, 
de  l'improvisation,  et  confié  à  la  verve  du  moment;  un  peu  plus 
tard  seulement,  le  plan  fut  nettement  arrêté  d'avance,  l'intrigue 
fut  artistiquement  nouée  par  les  poètes  de  la  Société,  les  rôles 


394  THE 

furent  sérieusement  distribués,  le  dialogue  écrit,  les  jeux  des 
Sotz,  en  un  mot,  se  formulèrent  définitivement  en  une  pièce  de 
théâtre.  C'est  ce  genre  de  pièce  qui  prit  le  titre  de  sotie  du  nom 
des  acteurs  qui  la  jouaient.  On  trouve  dans  ses  allures  les  traces 
du  point  de  départ,  des  mascarades  et  des  improvisations  pri- 
mitives. » 

«  La  troupe  des  Sot%  est  restée  sur  le  théâtre  où  elle  forme, 
pour  ainsi  dire,  le  chœur,  et  rappelle  cette  première  bande  de 
Sotz  qui  n'avait  à  remplir,  dans  les  mascarades,  qu'un  rôle  de 
comparses  ;  le  Prince  des  Sot\  y  est  encore;  aussi  Mère  Sotte  ; 
l'intrigue  est  nouée  par  diverses  espèces  de  sottises  personna- 
lisées, se  prêtant  à  l'action  qu'elles  conduisent,  embrouillent  ou 
débrouillent,  selon  le  plan  tracé.  Comme  on  le  voit,  il  y  a  de 
nombreuses  relations  entre  de  telles  pièces  et  la  partie  qu'avait 
arrangée  une  bande  de  joyeux  compagnons  déguisés  en  sotz  et 
ajoutant  à  leur  uniforme  quelque  particularité  de  costume  pour 
aller  dans  les  carrefours  représenter  et  railler  quelque  trait  de 
la  sottise  humaine,  quelque  accident  de  la  vie  politique  ou  quel- 
que scandale  de  la  vie  privée.  » 

*  11  n'y  a  là  qu'une  hypothèse,  mais  ce  qui  est  certain,  c'est 
que  les  sotz  donnèrent  leur  nom  au  genre  dramatique  qui, 
comme  étude  de  mœurs,  se  rapproche  le  plus  de  la  haute  comé- 
die moderne  et  qui,  comme  forme,  peut  être,  à  certains  égards, 
comparé  à  la  comédie  italienne.  Le  cadre  général  était  banal,  la 
plupart  des  personnages  inventés  d'avance;  beaucoup  d'entre 
eux  avaient  un  caractère  traditionnel  et  connu;  une  grande 
partie  des  effets  de  scène  consistait  justement  dans  cette  connais- 
sance préalable  que  le  public  avait  de  ces  divers  caractères   » 

THÉLÈME(ABBAYEDE),(t.  II,  p.  241).  Deséditeursde  Rabe- 
lais ont  remarqué  que  maître  François  avait  peut-être  pris  l'idée 
de  son  abbaye  si  peu  austère  dans  le  Monopolium  philosopho- 
rum3  alias  Colle  gium  seu  sectafraternitatis  et  congre  g  ationis 
securorum  et  bonorum  sociorum;  ce  règlement  est  inséré  dans 
des  éditions  de  l'ouvrage  satirique  connu  sous  le  nom  d'Epistolœ 


THE  3g5 

obscurorum  virorum  (i);  il  se  compose  de  vingt-deux  articles; 
voici  le  premier  :  «  Prima  hujus  colle  gii  régula  est,  vivere  sine 
régula,  mensura  bibere  sine  mensurd,  modus  edendi  sine 
modo. 

Un  écrivain  anglais  du  douzième  siècle  prétend  que  Guil- 
laume, fils  d'un  comte  de  Poitiers,  eut  l'idée  d'établir  une  ab- 
baye de  belles  dames  et  de  jolies  demoiselles,  plus  galantes  que 
dévotes,  et  de  leur  donner  des  règlements  convenables  à  leurs 
mœurs. 

Les  éditeurs  du  Rabelais  Variorum  citent  à  cet  égard  les 
règlements  «  qui  subsistent  encore  »  ajoutent-ils  (tom.  II, 
p.  337)  donnés  par  la  reine.  Jeanne  de  Naples  à  une  abbaye 
consacrée  à  Vénus,  et  de  fait  ces  règlements  ont  été  souvent 
imprimés  ou  cités  comme  un  document  authentique  (1). 
Astruc  les  a  gravement  insérés  en  provençal  et  en  latin  dans 
son  traité  de  Morbis  venereis,  où  ils  parurent  pour  la  première 
fois,  mais  la  bonne  foi  de  ce  savant  avait  été  trompée  par  des 
Avignonnais  qui  s'étaient  amusés  à  fabriquer  ce  petit  code  et 
à  l'envoyer  au  médecin  consultant  du  roi.  C'est  ce  qu'a  par- 
faitement établi  M.  Jules  Courtet  dans  un  fort  curieux  article 
inséré  dans  la  Revue  archéologique. 


FIN  DU  2e  VOLUME. 


(1)  On  comprend  que  Linguet  les  ait  insére's  dans  sa  Cacomonade  ;  on 
admet  même  que  Papon  ait  accueilli  le  fait  dans  sa  me'diocre  Histoire  de  Pro- 
vence, mais  il  y  a  lieu  d'être  surpris  qu'un  jurisconsulte,  tel  que  Merlin, 
mentionne  la  chose  sans  ressentir  le   m  indre  doute  (Répertoire  universel, 


TABLE  ALPHABETIQUE 

DES 

SOCIÉTÉS     ET    DES    PRINCIPAUX    PERSONNAGES 

MENTIONNÉS   DANS    LE    COURS    DE   L'OUVRAGE. 


Abbé  des  Fous t.  I,  p.  i 

Académie  militaire I,  i;  II,  291 

Académies  d'Italie I,  2 

Académie  de  ces  Dames  et  de  ces  Messieurs.  I,  4 

Aimable  commerce 1,7 

Agathopèdes  (Société  des),  à  Bruxelles.  .    .         I,  8;  II,  291 

Alétophiles I,  20 

Allégories  (Académie  des) I,  22 

Allumette  (Ordre  de  Y) \3  2  3 

Aloyau  (Société  de  1') 1,23 

Altérés  (Ordre  des) I,  24 

Amaranthe  (Ordre  de  1') I,  24 

Amis  de  la  Goguette I,  28 

Amis  (Chantier  des).    .     , I,  3o 

Amis  du, Réveil  de  la  Nature 1,30 

Amour  (Cours  d') 1,32 

Amour  (Légion  d') I,  33 

Anacréon  (Société  d') I,  34 

Anandryne  (Secte) .  I,  34 

Anes  (Fête  des) I,  35 

Anspach  (Société  dramatique  d')    .     .     .     .  I_,  35 

Angoulevent,  Prince  des  Sots 11,227,391 

Anti-Façonniers  (Coterie  des) I,  36 

Anquebec,  Marchand  de  Pains  a  cacheter.  I,  245 


3g8  TABLE 


Aphrodites  ou  Morosophes  (Ordre  des).     .  I,  39 

Aranjuez  (Société  dramatique  d')  .     ...  1,41 
Arbalète,  Arc,  Arquebuse  .     .     .     .    I,  43,  54,  5y  ;  II,  297 

Arcades  (Académie  des) :     .      1,48;  II,  304 

Arc-en-Ciel  (Chevaliers  de  1') I,  5o 

Argotiers I,  5o 

Asinienne  (Académie) I,  61 

Asnal  (Academia  d5) I,  62 

Asnières  (Académie  d') I,  62 

Athéniens  (Voyageurs) I,  62 

Aubignac  (L'abbé  d') I,  182 

Aucat  Roustit  (Société  de  1') 1,63 

Babin  (République  de) I,  63 

Bagatelle  (Société  dramatique  de)     .     .     .  I_,  66 

Bagnolet  (Théâtre  de) 1,70 

Bannatyne  Club I,  71 

Bas-Bleus  (Club  des) I,  72 

Basoche  (Clercs  de  la) I,73;IIj3o4 

Beaumont  (Société  du  Château  de)     .     .     .  I_,  76 

Bel  cyse  (Ordre  de) I,  80 

Benjamin  (Académie  de) I,  81 

Bergers  de  la  Pegnitz I,  82 

Berny  (Société  dramatique  de) I,  82 

Bertrand  (Académie  de) ^84 

Bêtes  (Académie  des) 1,85 

Béziers  (Société  dramatique  de) 1,87 

Bibliophiles  Français I,  89 

Bibliophiles  Lyonnais ;  II,  3o8 

BlLLARDINE  (Société) I,  91 

Blague  (Diète  de  la) I,  92 

Blasés  (Confrérie  des) I,  95 

Blois  (Académie  de) I,99;II,3o8 

Bobelins  (Roi  des) I,  100 

Bolivar  (Société  duj I,  101 

Boisson  (Ordre  de  la) I,  102 


TABLE  399 


Bonne-Volonté  (Société  de  la) 

Bons-Vivants 

Bon-Voisinage  (Société  du) 

Bouchon  (Ordre  du) 

Bourge  d'Ane  (Académie  de) 

Bout  du  Banc  (Dîners  du) 

Boutonistique  (Société  de) 

Brevet  de  Menteur II, 

—      d'Usurier I 

Brunin  (Société  du) 

Brunoy  (Société  dramatique  de)     .... 
Buveurs  (Confrérie  des).  Voir  Corne. 

Cabinet  vert  (Le) 

Cacouacs 

Caillettes  (Musée  des) 

Cajote  (Chevaliers  de  la) 

Calotte  (Association  de  la) I,  134;  I 

Candeur  (Loge  de  la) 

Carabos  (Les) 

Carnavalos  de  Dunkerque 

Carnot I 

Caserne  (Ordre  de  la) 

Catherine  II 

Castellane  (Société  dramatique  de  l'Hôtel) 

Caxton  Society I 

Cervare  (Société  de) 

Chansonniers  de  Bordeaux 

Charlemagne  (Académie  de) 

Charonne  (Société  dramatique  de)     .     .     . 
Chantilly  (Société  dramatique  de)     .     .     . 

Chausse  (Chevaliers  de  la) 

Christine  (La  reine) 

Cimmériens 

Clairon  (Mademoiselle) 

Clémence  Isaure I 


118 
118 
119 

120 
I20 
121 
122 

9>H 

36i 
i3o 
129 

132 
132 

i33 
i33 
309 
142 

.43 
i43 

179 
144 
288 
H5 

340 
i5i 

152 

i53 
i55 
i56 
i57 

I,  24 
i58 

1,14 
35i 


400  TABLE 


Clercs  Parisiens  (Confrérie  des)  ^    .     .     .  I,  1 5g 

Clergé  (Abbé  du)  de  Viviers I,  160 

Clermont  (Théâtre  du  Comte  de)  .     ...  1,82,161 

Clubs I,  161 

C...  (Ordre  des) I,  i63;  II,  341 

Cœurs  réunis  de  Dieppe 1^  1 69 

Coignée  (Ordre  de  la) I,  169 

Collier  céleste  (Ordre  du) ^172 

Colporteurs  (Académie  des).    .     .     ,     .     .  I,  172 

Comité  des  Quatre 1^  174 

Comité  littéraire.      .     . I,  174 

Conards ,     .     .     .      1,  175;  II,  343 

Concorde  (Ordre  de  la) I,  179 

Condé  (Société  dramatique  du  prince  de).  I,  180 

Constance  (Ordre  de  la) I,  181 

Coqueluchiers  (Confrérie  des) I,  181 

Coquetterie  (Royaume  de  la) I,  181 

Coquille  (Suppôts  de  la) I,  1 83 

Cordon  jaune  (Ordre  du) I,  184 

CORNARDS  d'EvREUX 1,1  85 

Corne  (Confrérie  de  la) I,  186 

Coteaux  (Ordre  des) I,  199;  II,  343 

Cour-Neuve  (Société  dramatique  de  la).      .  I,  202 

Couronne  d'amour   (Ordre  de  la).     .     .     .  I,  204 

Courtin  (L'abbé) II,  236 

Cracovie    (Arbre  de) h  2o5 

Crochet  (Chevaliers  du) I,  2o5 

Croissant  (Chevaliers  du) I,  206 

Croix  de  l'Etoile  (Ordre  de  la) I,  208 

Croix-rosée  (Frères  de  la) 1,209 

Culotte  (Ordre  de  la) I,  210 

Curieux  de  la  nature I,  216 

Curieux  (Chambre  des) I,  217 

Dame  blanche  (Chevaliers  de  la) I,  218 

Dames  (Académie  des) I,  219 


TABLE 


401 


Dames  (Athénée  des) 

Dames  chevalières  de  la  cordelière.      .     . 

Dames  (Club  des) 

Dames  de  la  Croix  de  l'Etoile 

Damoiseaux  (Confrérie  des) 

DÉJEUNERS  DES  GARÇONS  DE  BONNE  HUMEUR.  . 

Desloges  (Société  de  Madame) 

Delys 

Devoir  (Compagnons  du) 1,228; 

Dévotes  du  temps  (Ordre  des) 

Diamant  (Ordre  du) 

Dimanche  (Académie  du) 

Dîner  de  la  soupe  a  l'oignon  (Ordre  du).    . 

Dominicale  (La) 

Dominotiers  (Lés)  de  Dantan  jeune.     . 

Dormans  (Académie  des) 1,238; 

Dorothée  (Confrérie  de  sainte) 

Doublet  (Madame) 

Dramatico-littéraire  (Société) 

Dufour  (Dîner  des) 

Echecs  (Joueurs  d') 

Ecrevisse  (Société  de  1') 

Egoïstes  (Société  libre  des) 

Egyptiens  (Société  des) 

Enfants  d'Apollon.    .     .^ 

Enfants  de  Bacchus 

Enfants  du  Caveau 

Enfants  de  Gayant 

Enfants  de  Paris 

Enfants  sans-souci.     .     .     , 

Enfants  de  Thalie.     ......... 

Enfants  de  ville  de  Chalons-sur-Saône.    . 

Enjoués  délicats 

Entresol  (Société  de  1') 

Epicurienne  (Société)  de  Lyon 

26 


y  219 

,  221 

5  222 

,  223 

,  226 

i  227 
>227 

,  142 

,  342 

y  23l 
>  234 
,234 

,  234 

,  235 
,  236 

,344 
,238 

,  108 

,  241 

,248 

_,  25o 

,  250 

y     250 

,  25l 

,  253 
,  256 
,258 

i  259 
,  277 
,277 
,  279 
,279 
,  286 
•  286 
,287 


402 


TABLE 


Epinette  (Rois  de  1') I,  288 

Ermitage  de  Catherine  II  (Société  de  1').     .     I,  288;  II,  345 
Ermitage  du  duc  de  Groy  (Société  drama- 
tique de  1') I,  294 

Esclaffards  (Abbé  des) I,  296 

Escrime  (Société  d') I,  296 

Eteignqir  (Ordre  de  1') I,  297 

Etoile  (Ordre  de  1') I,  299 

Eventail  (Ordre  de  1').' I,  3 00 

Féauté  (la) ,     .     .  I,  3oi 

Félicité  (Ordre  de  la) I,  3oi 

Femmes  (Académie  des).  *    * I,  3i5 

Femmes  (Académie  des)  sans  sexe.     ...  I,  3i5 

Femmes  savantes  (Académie  des) I,  3 16 

Fer  d'or  (Chevaliers  du).     ......  I,  3 17 

Ferney  (Société  dramatique  de) I,  3 1 9 

Feu  d'enfer  (Société  du) I,  3 19 

Feuillants  (Chevaliers) 1,3 19 

Fève  (Roi  de  la) I,  320 

Filles  du  bon  ton  ) Société  des) I,  32 1 

Filous  réformés .  1,322 

Florimontane  (Académie).    .....     ^  1,  322 

Fontange  (Confrérie  de  la) I,  323 

Fonvielle I,  412 

Forestiers  (Ordres) 1^29 

Fourchette  (Société  de  la).     .     .     •     .     .  I,  333 

Fous r,  334 

Fous  de  Clèves 1,338 

Francs  Blagueurs II,  345 

Franches  maçonnes I,  339 

Francs  Penseurs I,  345 

Francs  Péteurs I,  345 

Frédéric  le  grand II,  1 65 

Fri-maçons I,  348 

Friponniers  Confrairie  des) 1,348 


TABLE 


40  3 


Frivolité  (Ordre  de  la).      ......  I,  35o 

Fruitiers  (Club  des) I,  35 1 

Gaillardons ".  I,  352 

Galants  ou  Gallois I,  3  60 

Galante  (Académie).      .           I,  36 1 

Galilée  (Empire  de) I,  363;  II,  326 

Garçons  de  bonne  humeur I,  366 

Garnier  (Germain) II,  118 

Gastronomique  (Société) I,  3 67 

Gildonia I,  370 

Girard  (le  Père),  jésuite II,  3 12 

Girouettes  (Ordre  des) I,  370;  II,  348 

Gobe-mouches  (Ordre  des) 1,371 

Goliards I,  38 1 

Gonesse  (Athénée  de) I,  382 

Gouffé  (Armand). II, 

Goy  Venongerot  (Ordre  du). 1,385 

Gozzi I,  389 

Grâces  (Académie  des) 1,385 

Grands  estomacs  (Club  des) I,  387 

Granelleschi  (Société  des) I,  388 

Grappe  (Ordre  de  la) I*  3o2 

Grenoble  (Société  dramatique  de).          .     .  I,  393 

Grimod  de  la  Reynière 1)428;  II,  2^1  3^\ 

Grosley ,     .  II,  285 

Guimard  (Société  dramatique  de  Mlle).     .     .  I,  393 

Guirlande  de   Marie I,  395 

Gymnase  lyrique I,  396 

Habitavit  (Confrairie  du  grand).     ...  I,  397 

Hachichins  (Club  des) I,  397 

Ham  (Les  Sots  de) I,  399 

Harmonie  (Société  de  1') 1,400 

Havre  (Société  du) I,  401 

Hebdomadaires  (Société  des) I,  4o3 

Hermaphrodite  (Ordre) I,  405 


40  j.  TABLE 

Hermine  (Ordre  de  P) L,  406 

Herpinot  réformé .  ï}  407 

Hippophagique I,  408 

Homère  (Ordre  d') \i  408 

Hommes  sans  Dieu  (Société  des).     ....  I- 409 

Humides   (Académie  des).     ......  ^411 

Humoristes  de  Rome I,  410 

Ignorants  (Académie  des)     . 1,412 

Illustre  Théâtre  (Société  de  1')     ....  I,  413 

Incas  de  Valenciennes \3  414 

Industrie  (Ordre  de  1') Ï>4i5 

Innocents  (Confrairie  des) Ij  416 

Issy  (Amateurs  de  musique  d') I,  417 

ÏZARN H,  217 

Jans  (Confrairie  des) 1,418 

Jean  des  Vignes  (Ordre  de  Saint).     .     .     .  I»4i9 

Jeanne  d'Arc  (Société  de) I?  419 

Jeunes  gens  (Société  de)        I>  419 

Jeux  floraux 1,  420,  II,  35o 

JOURGNIAC    SaINT-MÉARD.       ......  I,   375 

Joye  (Chevaliers  de  la) 1,421 

Joyeux  (Société  des) lf  425 

Jubilation  (Frères  de  la).     .          ....  I,  427 

Juilly  (Académie  de) I?  427 

Jury  dégustateur I,  428,  II,  35 1 

Kit  Cat  Club 1,435 

La  Ferté-Imbault  (Madame  de)    ....  1,438 

Lanternistes  a  Toulouse I,  435,  II,  356 

Lanturelus  (Ordre  des) I,  436 

Lapin  (l'abbé),  chanteur [}  ^3  II,  357 

LARCHER 11,221 

Laujon II,  168,  i73 

Lapins  (Société  des) I    ,43 

Le  Comte  (Madame)  ........  II    122 

Lésine  (Compagnie  de  la) 1,444,11^358 


TABLE  4o5 


Liberté  (Ordre  de  la) 1,448 

Lice  chansonnière I,  449 

Liegnitz  (Académie  de)    .     .          ....  I,  449 

Liesse  (Abbé  de) I,  450 

Littéramique  (Société) I,  45o 

Louis  XVIII v.     .     .     .  1,297,300 

Loup  (Ordre  du) I,  453 

Lourdauds  (Académie  des). I,  453 

Lyon  (Académie  de) Ij  4^4 

Lyrique  (Société)  de  Mons \,  454 

Macaronique  (Académie) II,  1 

Magpeleine  (Ordre  de  la) 11,2 

Magnanville  (Société  dramatique  de  M.  de)  II,  2 

Maine  (Duchesse  du) ^h77 

Malezieu IL  78 

Malice  (Ordre  de  la) 11,3 

Mal-Mariez 11,5,359 

Marchand  (J.-H.) 1^,  77 

Manteau  (Compagnie  âv.) II,  8 

Margon  (L'abbé  de) I,  1 39 

Marie- Antoinette II,  245 

Marionnettes  (Ordre  des) IL  9 

Marmite  (Ordre  de  la) II,  11 

M atte  (Enfants  de  la) II,  12 

Maurepas  (Société  dramatique  de  M,  de).     .  II,  i3,  36o 

Médaillon  (Ordre  du) 1 13  14. 

Méduse  (Ordre  de  la) II,  16 

Meisters^ngers II,  25,  388 

Mello  (Société  du  Château  de) II,  26 

Mélophile  (Société) \\}  27 

Ménestrels  (Société  des) 11,28 

Menteurs  (Ordre  des) II»  29 

Mercredis  (Société  des) 11,32 

Mercuriales II,  36 

Mère-Folle  de  Dijon ,  II,  6,  36o 


4o6  TABLE 


Mezeray  (Mademoiselle) I,  129 

Michel  (Confrérie  de  Saint-) II,  40 

Minotaure  (Société  du) U)40 

Miromesnil  (De),  Garde  des  Sceaux.   ...  II,  1 3 

Modes  (Académie  de) II,  43 

M  odène  (Société  de) 11,45 

Moet I,  3o3 

Moineaux  (Club  des) 11,45 

Molière 1, 414 

Momus  (Soirées  de) 11,49 

Momus  (Soupers  de) 11,52 

Momus  (Le  petit  Couvert  de) IL,  53 

Monconseil  (La  Marquise  de)    ....     .  I,  67 

Moncrabeau  (Diète  de) 11,54 

Moncrabeau  (Société  de)  à  Namur  ....  II,  57 

Monosyllabes  (Confrérie  des) II,  59 

Montalembert  (Société  dramatique)   ...  II,  60 

Montesson  (Société  dramatique  de  Mme  de)  II,  63 

Montmartre  (Académie  de) 11,68 

Montuzets  (Confrérie  des) 11,69 

Mopses  (Ordre  des) 11,70 

Morale  universelle  (Société  de  la)     .     .     .  II,  70,  369 

Morosophes  (Ordre  des) II,  70 

Mort  (Ordre  de  la  Tête  de) Il,  73 

Morville  (Société  dramatique  de) ...     .  II,  75 

Mouche  a  Miel  (Ordre  de  la) II,  77 

Moulin  Vert  (Société  du) II,  86 

Mourgier I)io4 

Neuf  Sœurs  (Société  des) 11,88 

Noachites II,  93 

Noé  (Ordre  de) II,  93 

Nœud  (Ordre  du) II,  94 

Nogaret  (Félix) I,  23 1;  11,344 

Notre-Dame  de  Toute-Joie  (Ordre  de)    .     .  II,  95 
Observateurs  de  la  Femme  (Société  des)  !    .           II,  96,  371 


TABLE  407 


Olten  (Société  d') ,Hj  99 

Olympique  (Société) II,  100 

Orphée  (Les  Frères  d'J •     .  II,  100 

Paille  (Ordre  de  la) II,  101 

Painuolo  (Congrega  del) II.,  io3 

Palladium  (Société  du) II,  100 

Papillonage  (Ordre  du) II,  104 

Parfaite  Union  (Société  de  la) II,  io5 

Paroisse  (La) '.     .         11,108,374 

Passion  (Confrérie  de  la) .  II,  112 

Paulmy  d'Argenson  (Société  dramatique).     .  II,  1 14 

Pelletier  (Société  de) II,  121 

Pensionnaires  nu  Roi,  à  Rome II,  122 

Persévérance  (Ordre  de  la) II,  128 

Petit  Cheval  noir  (Académie  du)  .     ...  II,  1 33 

Petite  Manicle II,  i35 

Petré- Laconique  et  Bomboraxale  (Acad.)    .  II,  i36 

Philalèthes,  à  Lille II,  137 

Philarètes  (Académie  des) Hj,  137 

Philippe  IV,  roi  d'Espagne  ....          .  1,41 

Philanthropes  (Société  des) II,  1 37 

Philosophes  Orateurs  (Académie  des)    .     .  II,  145 

Pierrots  (Société  des) II,  140 

Pinsonniers,  de  Namur II,  147 

Plaisance  (Confrérie  de) II,  147 

Plume  (Société  de  la) II,  i5o 

Pomme  de  Pin  (Dîners  de  la) II,  i5o 

Pomone  (Société  de) II,  i5o 

Pontifes  (Frères) II,  i5i 

Popelinière  (Société  de  M.  de  la)    .   ■  .     .     .  II,  i52 

Porta  (J.-B.j II,  218 

Porte-Morts  (Société  des) II,  i52 

Posquière  (François  de) I,  102 

Présole,  Coutelier  et  auteur  dramatique.    .  I,  242 

Printemps  (Société  du) II,  1 53 


40S  TABLE 


Priseurs  (Société  des) II,  1 53 

Prisonniers  (Société  de  la  Charité  des).   .     .  II,  i55 

Pugilistique  (Société  de) II,  1 55 

Puteaux  (Société  dramatique  de)  ...     .  IIj  i56 

Puy  d'Amiens,  de  Caen,  etc II,  157,377 

Quinault  (Mademoiselle) I,  121 

Réformation  des  Mœurs  (Société  pour  la)    .  II,  161 

Réjouis  (Compagnie  des) II,  162 

Réveil  de  la  Nature  (Amis  du)  .     ...  II,  1 63 

Rheinsberg  (Société  dramatique  de)    ...  II,  i65 

Rhknana  (Societas) II,  i65 

Ribalderie  (Ordre  de  là) II,  166 

Ribauds  (Roi  des) II,  166,  38i 

Robespierre II,  i85 

Rocher  de  Cancale  (Société  du)   ....  II,  168 

Rois  (Confédération  des) II,  168 

Romains  (Société  des) II,  169 

Rosati  d'Arras .  II,  169 

Rose-Croix 11,187,382 

Roxbughe  Club 11,999 

Rozzi  (Academia  dei) JI,  189 

Rubiconienne  (Académie) II,  190 

Sabathènes II.'  191 

Sabre  (Ordre  du) II,  191 

Saint-Evremont I,  201  ;  II,  343 

Saint-George  (Ordre  de) II,  191 

Saint-Hubert  (Ordre  de) II,  192 

Saint-Lache  (Confrérie  de) II,  193 

Saint-Laurent  (Chevaliers  de) II,  193 

Saint-Ouen  (Théâtre  de) II,  194 

Saint- Paul  (Chevaliers  de) II,  195 

Saint-Sépulcre  (Ordre  dv) II,  195 

Saint-Sulpice  (Madame  de) II,  309 

Samedi  (Société  du) II,  196 

Sans-Souci  (Chevaliers  de) II,  197 


TABLE  4oq 


Saouls  d'Ouvrer  (Gonfrairie  des)   ....  I! 


97 


Savetiers  (Ordre  des) il,  206 

ScHILDFRBENT II,    208 

Scie  d'Harfleur II,  2i3 

Scudéry  (Société  dô  Mademoiselle  de).     I,  182;  II,  214,  385 

Secrets  (Académie  des) II,  218 

Silence  (Club  du) 11,219 

Six  (Académie  des),  à  Bordeaux)   ....  11,219 

Sixette  (Chevaliers  de  la) II,  220 

Société  (Une) II,  220 

Société  de  l'Araignée  dans  le  plafond  .     .  II,  386 
Société  d'Encouragement  pour  l'Améliora- 
tion de  l'Esprit  français 11,386 

Société  du  Souper  des  Quinze-Livres.    .  II,  388 

Société  Littéraire  de  Bordeaux  ....  II,  222 

Société  Musicale  de  Sainte-Cécile    ....  11,388 

-    Sophisiens  (Ordre  des) II,  224 

Sots  (Club  des) 11,2  25 

Sots  (Prince  des) Il,  225,390 

Suicidés  (Club  des) 11,229 

Table  ronde II,  229 

Table  ronde  (Société  de  la) 1 1  >.  2 3 1 

Tarasque  (Ordre  de  la) 11,233 

Tempérance  (Club  de  la).     ......  II,  234 

Temple  (Société  du) II,  236 

Templiers II,  237 

Tête  de  Veau  (Société  de  la) II,  240 

Théleme  (Abbaye  de) 11,241,294 

Théophilanthropes II,  242 

Torone  (Cavallieri  del) II,  242 

Trancardins  (Ordre  des) II,  243 

Treille  (Chevaliers  de  la) 11,243 

Treize  (Société  des) II,  244 

Trianon  (Théâtre  de) II,  245 

Trincardine  (Société) 11^  247 


4io  TABLE 


Trinosophes II,  248 

Tripot  (Le) II,  248 

Troubadours  modernes II,  249 

Troubadours  de  Marseille II,  25o 

Troyens  (Chevaliers) II,  254 

Troyes  (Académie  de) II,  255 

Tugny  (Société  dramatique  de) 11,257 

Turpin  (Comtesse  de) II,  259 

Union  et  frères  d'Apollon II,  260 

Usuriers  (Confrairie  des) II,  260 

Valets  (Confrairie  des) II,  262 

Valmuse  (Le) II,  262 

Vaudeville  (Dîners  du) 11,265 

Vaudreuil  (Société  dramatique  de  M.  de).  II,  274 

Veniam  pro  laude  (Société) 11,275 

Verrières  (Ordre  de) 11,275 

Verrue  (Société  de  la  comtesse  de).  .     .     .  II,  279 

Vert  (Société  du).     . II,  280 

Vertu  (Chevalières  de  la) II,  281 

Vésuviennes.  ■ II,  282 

Vignerons  (Abbaye  des).    .     .     .  s    .     .     .  11,283 

Ville-d'Avray  (Pot-pourri  de).    ....  II,  285 

Violettes  (Ordre  des) 11,285 

Vingt  (Société  des),  à  Berlin 11,286 

Virtu  (Academia  della) II,  287 

Watelet ' ,     .  II,  122 

Wilkes  (Société  de) 11,287 


FIN   DE   LA   TABLE. 


Arras.  —  Imp.  de  H.  Schoutheer,  rue  des  Trois- Visages,  53. 


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