Skip to main content

Full text of "Les sources et le développement du rationalisme dans la littérature française de la Renaissance, 1533-1601"

See other formats


TbRciiio 

iJBRARY 


mmw 


\'ii  '. 


s  1925 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lessourcesetledOObuss 


/<^ 


^ 


■^ 


LES  SOURCES  ET  LE  DÉVELOPPEMENT 


RATIONALISME 


SANS  LA  IITTÉMTDIE  FRANÇAISE 


DE  LA  RENAISSAINCE 

(1533-1601) 


/ 


Imprimé  avec  le  concours  du  fonds 
Alphonse  Peyrat. 


Bibliothèque  de  la  Société  d'Histoire  ecclésiastique  de  la  France 


LES  SOURCES  ET  LE  DÉVELOPPEMENT 

DU 

RATIONALISME 

DANS  LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

DE  LA  RENAISSANCE 

(1533-1601) 


Henri    BUSSON 

Docteur  es  Lettres 


P4RIS 

Librairie     LETOUZEY     Se     ANÉ 

Boulevard  lîaspail,  87  et  Rue  de  Vaugirard,  82 
1  922 


PRÉFACE 


Déjà,  eu  1847,  E.  Saisset,  analysant  un  livre  sur  G.  Bruno 
dans  la  Revue  des  Deux-Mondes,  se  plaignait  que  la  philo- 
sophie de  la  Renaissance  fût  trop  peu  étudiée  au  regard  de  la 
littérature  de  cette  époque.  Que  dirait-il  aujourd'hui  s'il  voyait 
si  florissante  l'œuvre  critique  commencée  par  Sainle-Beuve 
dans  son  Tableau  historique  et  critique  de  la  poésie  Irançaise 
et  du  théùire  Irançais  au  XVP  siècle,  et  si  peu  avancée  l'étude 
des  idées  de  la  période  la  plus  féconde  de  notre  histoire  ?  On 
peut  dire,  en  effet,  que  la  philosophie  de  la  Renaissance  fran- 
çaise est  assez  peu  connue,  malgré  les  travaux  déjà  nombreux, 
et  quelques-uns  considérables,  qui  ont  été  consacrés  à  la  pré- 
réforme, à  la  Hétorme,  au  stoïcisme,  au  platonisme.  J'ai  voulu 
tenter  à  mon  tour  l'histoire  de  la  plus  hardie  de  ces  écoles  et 
de  la  plus  importante  :  le  rationalisme. 

J'ose  assurer  qu'il  est  indispensable  de  connaître  ce  courant 
si  l'on  veut  comprendre  et  apprécier  l'attitude  de  Rabelais,  de 
Des  Periers,  de  Montaigne,  de  Bodin,  de  Charron,  de  tous  les 
chefs  de  l'opinion  française  au  XVP  siècle,  l'our  qui  l'igno- 
rerait, bien  des  pages  et  même  des  livres  où  s'alimenta  la 
pensée  de  nos  pères  seraient  lettre  morte,  parce  que  les  pro- 
blèmes qu'ils  agitent,  encore  qu'ils  soient  éternels,  se  sont 
transformés.  Le  XVIP  siècle  lui-même,  s'il  martfue,  au  moins 
dans  ses  manifestations  les  plus  éclatantes,  un  souci  d'apolo- 
gétique contre  la  philosophie  de  l'âge  précédent,  s'explique 
en  grande  partie  par  cette  réaction.  Pascal  presque  entier  et 
Descartes  sortent  de  ce  mouvement.  Tel  sermon  de  RossucI 


VIII  PREFACE 

contre  les  libertins,  telle  eh-valioii  sur  la  création  n  ont  Icin- 
sens  romplel  que  pour  ceux  (|ui  savent  précisément  à  (]ui 
répliquait  lapologiste. 

L'objet  (le  ce  livre  est  donc  grand.  ]*our  tout  débutant  il 
('lait  audacieux  de  l'entreprendre.  Pour  moi,  dans  les  circons- 
fances  où  je  l'ai  exécuté,  avec  les  faibles  moyens  d'investiga- 
tion dont  je  disposais,  ce  dessein  supposait  (juebjne  pré.somp- 
tion.  Je  prie  quon  excuse  ma  témérité  sur  mon  inexpérience 
et  les  fautes  de  mon  livre  sur  la  grandeur  du  ^ujet  :  In  m<ujnii< 
el  voluisse  sat  est. 

Je  n'aurais  pas  eu,  ce  me  sendjle.  le  courage  de  1  entre- 
prendre si  je  n'y  avais  été  poussé  par  des  maîtres  plus  expéri- 
mentés que  moi  :  M.  F.  Strowski.  rapporteur  de  cet  ouvrage; 
M.  Abel  J>efianc,  mon  maître  de  l'Kcole  pratique  des  hautes 
études;  .M.  E.  Jordan,  en  qualité  de  secrétain^  de  l'Association 
pour  le  développement  des  études  supérieures  dans  le  clergé. 
("est  grâce  à  leurs  encouragements,  à  leur  direction,  à  leur 
libéralité  que  j'ai  pu  entreprendre  et  exécuter  ce  travail.  Lors- 
((uil  a  été  terminé  j'ai  été  très  touché  de  l'accueil  que  lui  ont 
fait  le  Collège  de  France  et  la  .Sorbonne  qui  on!  bien  voulu 
contribuer  à  son  im|))ession.  One  M'"''  la  Marquise  Arconaii 
\  isconti,  Al.M.  G.  Lanson,  F.  Aulard  et  A.  Lefranc  veuillent 
bien  agréer  à  ce  titre  mes  respectueux  remerciements.  J'offre 
à  ce  même  titre  les  mêmes  remerciements  à  l'Association  pour 
le  dévelojtpemenl  des  éludes  supérieures  dans  le  cleiiié.  à 
l.XUiance  des  .Maisons  d'éducation  chrétiennes,  à  la  mémoire 
de  Son  Eminence  le  Cardinal  Dubourg  et  à  son  successeur 
-Mgr  (/harost  dont  la  générosité  m'a  rappelé  les  temps  de  la 
Renaissance,  où  l'Eglise  était  riche  et  les  cardinaux  huma- 
nistes. Il  m'est  impossible  de  nommer  ici  tous  ceux  qui  m'ont 
rendu  service  :  mais  je  seiais  ingrat  si  je  n'assurais  de  ma 
reconnai.ssance  M.  Pocquet  du  Haut-Jussé  qui  a  bien  voulu 
revoir  avec  moi  mes  épreuves  et  si  je  ne  disais  l'infatigable 
complaisance  qne  j'ai  renrontrée  pendant  six  ans  près  des 
bibliothèques  de  Rernies.   à  la  \ation;de.   à  la  Mazarine  et  à 


rAmbrosieime.  Tous  ces  concours  iiioiiL  élé  précieux,  bien 
moins  encore  par  les  ressources  qu'ils  mettaient  à  ma  disposi- 
tion que  pare6  que  j'ai  cru  voir  que  cet  empressement  s'adres- 
sait plus  à  mon  livre  qu'à  ma  personne  et  que  tous  ceux  qui 
m'aidaient  avaient  conscience  de  contribuer  à  une  œuvre  d'un 
haut  intérêt  pour  l'histoire  des  idées  françaises.  Puisse  leur 
confiance  n'être  pas  trop  déçue  ! 

Ce  livre,  du  moins,  est  un  livre  de  bonne  foi.  Je  l'ai  écrit  en 
toute  impartialité  de  pensée  et  de  sentiments,  sans  préjugés 
ni  parti  pris,  selon  le  programme  de  l'historien  antique  ; 
ncquc  studere,  neque  odisse.  La  seule  sympathie  que  je  me 
sois  permise,  c'a  été  pour  ceux-là,  amis  ou  adversaires,  dont 
j'ai  tenté  de  retracer  la  pensée.  Morts  illustres  ou  inconnus. 
comment  se  défendre  de  les  aimer,  lorsquen  les  ramenant 
à  la  lumière  on  retrouve  dans  leur  vie  et  dans  leur  conscience 
tant  de  traces  de  préoccupations  et  do  luttes  qui  sont  les  nôtres, 
et  sur  leur  visage  un  air  d'ancêtres  ? 


\ 


AVANT-PROPOS 


Le  rationalisme  est  aussi  ancien  que  la  raison,  si  l'on  entend 
par  ce  mol  tout  système  philosophique  qui  applique  la  raison 
à  la  recherche  du  vrai.  Mais  il  a  pris  de  nos  jours  uu  sens 
plus  restreint.  Il  n'est  pas  seulement  la  recherche  des  vérités 
religieuses  par  la  raison,  car  à  ce  titre  saint  Thomas  lui-même 
serait  un  rationaliste.  11  consiste  dans  \ application  des 
niéUio'cles  rationnelles  aux  choses  religieuses  à  l'exclusion  de 
là  loi  :  Revelationibus  seniotis,  persistendoque  pure  inlra 
limites  nalurales  d'. 

Encore  faut-il  distinguer  deux  sortes  de  ralionalisnies. 
Ouand  l'examen  rationnel  porte  sur  les  problèmes  qui  relèvent 
à  la  fois  de  la  philosophie  et  de  la  théologie  :  existence  de 
l>ieu.  Providence.  Création,  Immortalité,  je  l'ai  appelé  ratio- 

1)  p.  POMEONAZZi,  D(  lui  mortalité  antm..  proœmium.  L.  Ollé-Laprune  a  consa- 
cré toute  une  série  de  conférences  à  CEcola  normale  à  définir  et  à  analyser  l'idée 
de  Rationalisme.  Après  avoir  noté  les  divers  aspects  du  rationalisme,  dialectique, 
scientiflyue,  idéaliste,  exésrétique,  il  conclut  que  toutes  ces  formes  peuvent  se 
définir  :  "  une  doctrine  ou  une  tendance  qui  fait  que  dans  l'homme  on  ne  voit  que 
la  raison,  ou  que  dans  la  raison  on  ne  voit  que  l'homme  «  (La  Raison  et  le  nationa- 
lisme, p.  178).  L.  Ollé-Lapiune  >uppose  que  le  rationaliste  a  toujours  une  attitude 
M^rrcssive  contre  la  foi.  Il  me  semble  qu'il  faut  distinguer.  11  y  a  un  rationalisme 
prthodu.xe,  puisque  l'Eglise  reconnaît  le  rôle  de  la  raison  dans  la  genèse  de  l'act« 
de  foi.  L'hérésie  contraire  est  le  fidéisme.  Saint  Thomas  se  place  souvent  au  seul 
I>i)int  de  vue  rationnel  et  Hot'PPELA.NOE,  dans  son  Traité  de  l'Ame,  dont  on  verra 
plus  loin  l'analyse,  prétend  examiner  le  problème  seclusa  flde,  in  lumine  naturalis 
rntionif:  (TI»  conclusion  Mais  l'Eglise  reconnaît  aussi  que  certains  de  ses  dogmes 
bont  indémontrables.  C'est  être  rationaliste  que  de  vouloir  les  prouver  par  la  raisni. 
même  avec  l'intention  de  les  défendre,  comme  l'a  prétendu  toute  une  école  (N.  de 
fusa  Raymond  de  Sebonde.  Postel).  Cette  forme  du  rationalisme  est  aussi  héré- 
tique. Il  faut  y  joindre  comme  procédant  de  la  même  tournure  d'esprit  la  préten- 
tion de  jufjer.  et  non  plus  de  prouver,  tous  les  faits  religieux  à  la  mesure  de  la 
seule  raison  et  de  ne  croire  que  ceux  qui  résisteront  à  ce  contrôle.  C'est  là  le  vrai 
rationalisme.  Il  ne  suppose  pas  toujours  l'animosité  contre  la  foi,,  pas  plus  que 
la  foi  ne  suppo.-e  toujours  défiance  de  la  raison  ou  complaisance  intellectuelle  pour 
le  dogme.  Il  est  impossible  de  dire  pourquoi  saint  Thomas  et  Pomponazzi,  se 
plaçant  tous  les  deux  au  seul  point  de  vue  rationnel  en  face  du  même  problème, 
concluent  inversement.  Cela  est  du  domaine  de  la  conscience  et  demanderait  à 
t-tre  iinalysH  pour  chaque  cas  particulier. 


XII  AVANT-PROPOS 


nalisme  philosophique;  quand  la  raison  considère  les  dogmes 
d'ordre  purement  lliéologique  ;  la  Trinité,  la  Révélation, 
l'Incarnation,  je  l'ai  appelé  rationalisme  théologique.  Le 
premier  lait  presque  exclusivement  l'objet  de  la  première 
partie  de  ce  volume,  le  second  se  développe  surtout  dans  la 
deuxième  moitié  du  siècle,  particulièrement  à  partir  de  1570. 

Toutes  les  fois  qu'une  révélation  proposa  des  mystères  à 
la  croyance  des  honiimes,  la  philosophie  de  son  côté  dut,  ou 
se  mettre  d'accord  avec  cette  révélation,  ou  s'y  heurter.  Dans 
la  civilisation  chrétienne  en  particulier,  au  temps  même  où 
la  scolasliciue  crut  avoir  concilié  les  exigences  de  la  raison 
et  celles  de  la  foi,  il  resta  toujours  des  philosophes  qui  les 
opposèrent.  C'est  précisément  le  lien  qui  unit,  on  dehor«=;  (]e^ 
averroïsles,  les  écoles  de  Scot,  d'Abélard  et  d'Ockam. 

Mais  la  Renaissance,  en  renouvelant  rélude  de  la  philo- 
sophie grecque,  devait  renouveler  l'antinomie,  ("est  ce  mou- 
vement dont  je  veux  étudier  les  .^ouvres  et  le  tlcrrloppemcnl^^'i. 

La  source  principale  du  rationalisme  jjioderne.  c'est  l'Italie, 
et  dans  rilalie.  l'école  de  Padoiie.  l'aile  avait  reçu,  en  effet,  des 
averroïstes  du  XlIP  siècle  le  principe  fondamental  du  ratio- 
nalisme :  l'opposition  de  la  foi  et  de  la  raison  -':  elle  l'applique 


1/  IJ  autres  lont  essayé  avant  moi.  Alb.  DKSJARniNS  dans  ses  Moruti'^t  .-  imu- 
cals  du  XVic  alèrle  (1870)  et  dans  ses  Sentiments  inoravr  an  XF/e  sif-ih'  (1887)  a 
surtout  cherché  â  prouver  l'influence  —  (xinsidérable  il  est  vrai  —  de  la  foi  en 
matière  de  morale  et  y  aurait  réussi  si  ses  sources  étaient  plus  abondantes  et  plus 
sérieu'^es,  Renan  dans  la  fin  de  sa  thèse  sur  Avctroi's  et  l'Averroisme  étudie 
rUniver-ité  de  Padoue.  l'un  de^  cenlies  le-  plu^  actifs  du  rationalisme  européen. 
.M.  Madilleau  l'a  fait  avec  beaucoup  de  talent  dans  le  premier  chaiiitre  de  son 
fremonini  Mgr  Bacdriix\rt  a  essayé  une  vue  d'ensemble  dans  sou  livre  sur 
l'Eglise,  la  Hcnaissance  et  le  Protestantisme.  Surtout  M.  Buisson  a  creusé  profon 
dément  les  origines  du  protestantisme  libéral  dans  son  livre  si  complet  sur  Castel- 
Iton  et,  sur  bien  des  points,  il  a  ellleupé  le  sujet  que  je  traite.  M.  (haiviuè  a  aussi 
caractérisé  les  causes  et  l'extension  du  rationalisme  à  la  fin  du  XVI"  siècle  dans 
"la  préface  de  son  édition  de  \llci)tiii>lnineres  de  Ropin  (p.  2'<-26).  Récemment, 
enfin,  M.  R.  Charbonnel  a  tenté  l'étude  même  que  je  présente  aujourd'hui  dans 
ce  livre.  M.iis  —  heureusement  pour  moi  dont  le  travail  était  alors  a--e/,  avancé  - 
il  n'a  étudié  que  la  fin  du  XVie  siècle  et  le  début  du  XVIle. 

(2)  PiCAVKT.  dans  la  Hevuv  philosovMquc .  1911,  p.  310:  Esquisse  d'une  histoire 
des  philosoiiliies  nadifivnles.  ch  \III.  p.  21-2;  L'.ivnruisinr  tl  fc.s  .iverroîstes  du 
XI n»  si/rie.  mémoire  pré^ienté  au  Congr<!s  d'hi.stoire  des  Religions,  lîKK)  iltevue 
d  tu'l'iiir  df!  reliol'ifiy.  1902:. 


AVANT-PROPOS  Xill 

comme  Avenues  aux  dogmes  de  la  Création,   de  la  Fiovi- 
dence,  de  l'Immortalité. 

J'aurais  même  pu,  et  j'en  ai  reçu  le  conseil  d'une  bouche 
bien  auloiisée  ''',  me  boi'ner  à  étudier  l'inlluence  de  l'école 
padouane  sur  la  philosophie  française  t'^).  Mais  je  n'ai  fait  ici 
de  la  philoso[)hie  (pTen  vue  (!e  la  littérature.  Et  lorsqu'on 
traite  une  page  hétérodoxe  de  nos  grands  auteurs,  on 
s'aperçoit  tout  de  suite  (ju'elle  contient  des  idées  de  prove- 
nances les  plus  disparates.  11  me  fallait  donc,  sous  peine  de 
renoncer  à  la  deuxième  partie  de  mon  travail,  établir  dans  la 
première  un  exposé  aussi  complet  ({ue  possible  des  sources 
d'idées  rationalistes  où  pouvaient  puiser  les  auteurs  de  la 
Renaissance  française.  Les  Italiens  y  gardent  la  place  prin- 
cipale comme  ils  l'ont  eue  dans  l'histoire;  mais  jai  dû  consacrer 
un  chapitre  à  certains  livres  des  anciens  dont  l'influence  a  été 
considérable,  un  autre  à  ceux  des  protestants  qui  ont  abouti 
au  socinianisme,  un  autre  enhn  aux  mystiques  qui  ont  renou- 
velé dans  le  second  quart  du  siècle  les  sectes  d'illuminés  du 
moyen  âge. 

L'étude  se  divisait  ainsi  d'elle-même  en  deux  grandes 
périodes  :  une  période  d'incubation  (1530-1550  environ), 
pendant  laquelle  les  germes  d'incrédulité  sont  apportés  en 
France  par  les  étudiants.  les  professeurs,  les  livres  ;  une 
période  de  développement,  lorsque  le  rationalisme,  contenu 
jusqu'alors  à  peu  près  exclusivement  dans  les  livres  latins, 
passe  dans  la  littérature  française  renouvek'e.  Cette  phase 
commence  avec  la  Pléiade  (1550  environ)  et  se  développe  sans 
cesse.  J'aurais  pu  en  prolonger  indéfiniment  l'exposé.  J'ai 
p^nsé  qu'en  l'arrêtant  à  la  fin  du  siècle,  il  me  serait  possible 
de  montrer  toute  l'ampleur  du  mouvement  rationaliste.  Mais, 


(1)  M.  RebeUiau. 

(2)  M.  niARBONXEL  coiiclut  aiusi  •  "  Dire  que  le-  Italien-  ont  t'ai;  pénétrer  plus 
profonUiLment  dans  l'esprit  onroiiéen  les  idées  les  plus  hétérodoxes  de  l'aveiToismr, 
ce  serait  adopter  une  formule  assez  simple,  mais  ce  serait  indiquer  le  sens  de 
leurs  efforts  et  en  résumer  assez  nettement  le  résultat  >>  iT.a  p/'iitièe  itnlienne  el 
le  courant  libertin,  p.  714). 


XIV  AVANT-PROPOS 

au  cours  de  ces  deux  tiers  de  siècle,  on  rencontre  des  dates 
plus  précises  qui  peuvent  marquer  l'aboutissement  ou  \v  point 
de  départ  de  tout  un  mouvement  d'idées.  En  1533,  Dolet 
prononce  son  premier  discours  de  Toulouse  :  comme  il  est 
le  plus  célèbre  des  padouans  Irançais,  j'ai  choisi  cette  date 
pour  point  de  départ  de  toute  cette  étude  'i'.  Dans  le  premier 
tiers  du  siècle,  en  effet,  si  l'on  excepte  des  cas  sporadiques 
comme  ceux  de  Jean  Langlois.  Haymon  de  la  Fosse,  Jean 
Vallière,  il  ne  semble  pas  c[u'il  y  ait  de  vrais  rationalistes. 
Le  Fèvre  d'Elaples,  Budé,  Erasme  ont  la  foi  et,  s'ils  veulent 
réduire  la  théologie,  si  l'antiquité  ressuscitée  les  charme,  il  ne 
leur  es!  jamais  venu  à  l'idée  de  construire  un  système  de 
métaphysique  ou  de  morale  en  dehors  de  la  œligion.  Ils 
attaquent  les  moines,  le  célibat  ecclésiastique,  mais  non  la 
théologie  ni  la  morale  chrétienne.  Tout  au  plus  lendcnt-ils 
au  protestantisme.  Dans  les  dix  années  qui  suivent  1533,  les 
disciples  des  philosophes  de  Padoue  et  les  Italiens  eux-mêmes 
jq)poi'icnl  on  FraïKX'  les  idées  rationalistes.  Fourlant,  ces  idées 
ne  sont  pas  encore  très  répandues,  puisque  ni  Rabelais  dans 
ses  deux  premiers  livres  ni  Des  Periers  dans  le  Ciimhalum  ne 
semblent  les  connaître. 

En  1542,  plusieurs  événements  indi(|uenl  une  })énétralion 
plus  intense.  C'est  à  cette  date  cjue  Vicomercatt»  inaugure  la 
chaire  de  ])iiilos()pl)io  du  Collège  de  France  el  y  l'ait  monter 
avec  lui  raveri'oïsnie.  Cette  même  année  Poslel  dénonce  la 
présciKc  à  Palis  des  disciples  de  Pomponazzi  el  jette  le  cri 
d'alarme,  pendant  que  A.  Fumée  envoie  à  Calvin  \\\\  rapport 
sur  l'existence,  à  Paris  également.  d(>  libertins.  I /année  suivante 
(1543),  Oenlien  Hei-vet  signale  dans  deux  préfaces  —  dont  une 
au  roi  -  l'existence  et  la  doctrine  des  «  athées  ».  Dès  lors,  la 
lulle.   est    ouverte.    Vicomeicato    d'une    part    et   ses    élèves, 

'1)  M  \  I.KFRANC.  dans  sa  j>réfac(;  de  l'édiUoii  de  Mii^tittilinii  rlnrlieiniv.  p.  2.')- 
•27,  et  M.  Hausek  {Dr  l'Hnmaniame  et  de  la  Réforme  en  France,  Hcvite  Mxiorique. 
JuiUet  IK97)  .sont  d'accord  pour  placer  entre  l.'j30  et  l.ViO  l'extension  de  la  l'bre  pensé*- 
ffançaLse.  Garasse  proixise  (omme  point  de  départ  de  l'athéisme  le  livre  d'Ant  COR- 
.vÉLliis  :  Exactisxlma  infnntinm  in  Uinbo  clan •orurn  tiuercla  (1531).  On  verra  la 
discussion  de  cette  assertion  dans  HAYr.E.   Hiit     art.  Wechcl.   note  H. 


AVANT-PROPOS  XV 


Habelais  dans  les  lU',  IV^  et  V''  livres  d'autre  pari,  lullent 
contre  des  adversaires  déjà  nombreux,  dont  les  principaux 
sont  Ramus  et  Postel.'  Pendant  cette  même  période  les  libertins 
spirituels  venant  des  Flandres  envahissent  nos  provinces  du 
Nord  et  de  l'Est,  s'insinuent  en  Normandie,  à  Pans  et  jusque 
dans  l'entourage  de  Marguerite  de  Navarre.  Les  systèmes 
théologi(|ues  hétérodoxes  relatifs  à  la  Trinité  ou  à  la  personne 
de  Jésus  (unitarisme,  sabellianisme,  arianisme)  renaissent  sous 
des  formes  diverses  dans  la  personne  de  Gribaldi,  de  Servet 
et  des  premiers  protestants  libéraux.  J'ai  pensé  que  je  pouvais 
arrêter  toute  cette  première  partie  en  1553.  A  cette  date,  en 
effet,  \  icomercato  a  publié  ses  principaux  écrits,  Rabelais 
meurt:  élans  le  camp  opposé,  Postel  arrête  la  publication  de  ses 
ripostes;  Calvin  lance  son  Traité  des  scandales;  Muret  et 
Turnèbe  proclament  comme  acceptées  par  les  catholiques 
eux-mêmes  certaines  thèses  padouanes;  Le  Roy,  De  Puy- 
Herbaut,  Ch.  de  Sainte-Marthe,  au  contraire,  dénoncent  le 
danger  de  l'aristotélisme  et  le  triomphe  des  libertins. 

Celte  date  a,  du  reste,  l'avantage  de  coïncider  avec  la  vraie 
Renaissance  française  et  m'a  permis  d'arrêter  là  l'examen  des 
sources  libertines  pour  étudier  l'expansion  du  rationalisme 
dans  cette  Renaissance.  Mais  ici  se  présentait  une  grosse 
difficulté  de  méthode.  Dans  cette  première  partie  où  je  n'avais 
à  étudier  que  des  philosophes,  il  était  facile  de  les  classer 
selon  l'école  dans  laquelle  les  rangent  leurs  idées.  De  plus, 
l'apport  successif  des  humanistes,  des  Italiens,  des  protestants 
libéraux,  me  permettait  de  suivre  à  peu  près  l'ordre  chronolo- 
gique. Mais,  en  laissant  les  philosophes  pour  étudier  les  litté- 
rateurs, je  m'exposais  à  trouver  chez  le  même  homme  les 
influences  les  plus  diverses  et  les  idées  les  plus  disparates.  Il 
m'a  donc  semblé  que  je  ne  devais  plus  tenir  compte  de  la 
provenance  italienne,  antique,  mystique,  de  leurs  idées,  mais 
chercher  une  autre  classification.  Il  fallait  se  baser  non  sur 
Ja  couleur  de  leur  système,  mais  sur  le  degré  de  leur  incré- 


AVANT-PROPOS 


"lulité.  Et  c'est  ainsi  que  j  ai  été  amené  à  grouper  les  incrédules 
(le  la  seconde  moitié  du  siècle  en  trois  familles  : 

a)  Ceux  qui  continuent  le  rationalisme  d'origine  padouane, 
«t  qui  souvent  arrivent  à  maintenir  en  eux  la  foi,  en  même 
temps  que  le  culte  de  la  raison. 

b)  Ceux  qui,  poussant  à  l'extrême  les  conclusions  îles  pre- 
miers, arrivent  à  l'athéisme,  ou  tlu  moins  au  déisme. 

c)  Ceux  qui  continuent  le  rationalisme  théologique  de  la 
première  période  et  nient  la  Révélation. 

Dans  la  bibliographie  de  mon  travail,  j'ai  dû  admettre  non 
seulement  les  auteurs  hétérodoxes,  mais  aussi  les  apologistes. 
Au  XVV  siècle,  en  effet,  il  était  impossible  d'écrire  tout  ce 
qu'on  pensait  :  les  apologistes  sont  alors  des  témoins  précieux 
du  développement  des  idées  rationalistes. 

On  sait,  d'ailleurs,  —  Kenan  l'a  noté  avec  malice  d),  — 
que  les  livres  qui  prétendent  réfuter  les  hérésies  sont  souvent, 
par  l'insuffisance  de  la  réfutation  ou  par  le  trop  consciencieux 
exposé  des  erreurs,  un  véhicule  puissant  des  théories  qu'ils 
croient  combattre.  J'en  a*i  tiré  parti,  autant  que  possible,  non 
pas  en  reproduisant  leurs  réfutations,  mais  en  relevant  les 
doctrines  qu'ils  prêtent  à  leurs  adversaires. 

Le  travail  ainsi  compris  pourra  sembler  bien  complexe,  mais 
il  ne  faut  pas  oublier  (|ue  quatre  ou  cincj  questions  seulement 
en  forment  toute  la  trame.  Le  rationalisme  philosophique,  en 
effet,  s'attaque  uniquement  aux  (juestions  suivantes  :  antinomie 
de  la  raison  et  de  la  foi,  création  et  Providence,  miracles, 
immortalité  de  l'âme;  le  rationalisme  Ihéologique  fait  d'abord 
renaître  l'évhémérisme,  puis  reproduit  l'argumentation  des 
païens  du  second  siècle  conti-e  l'Incaination  et  la  divinité  de 
Jésus-Christ.  Suivre  l'affaiblisstîment  ou  la  transformation  de 
ces  croyances  au  cours  du  siècle,  en  étudiant  séparément  des 
séries  aussi  complètes  que  possible  de  traités  de  l'immortalité, 
ou  des  théodicées.  ou  les  pages  dispersées  sur  l'évhémérisme, 

M)  Renan.  Souvenim  de  jeunesne,  IV,  I^sy    IT. 


AVANT-PROPOS  XVI 1 

telle  a  été  ma  méthode  de  recherche.  Elle  est  extrêmement 
précise'^*.  Mais  dans  l'exposé,  elle  eût  engendré  une  monotonie 
insupportable,  en  faisant  suivre  un  grand  nombre  do  traités 
qui  se  ressemblent  :  la  seule  question  de  l'immortalité  ne 
suppose  pas  moins  d'une  soixantaine  d'opuscules.  C'est 
pourquoi  j'ai  préféré  suivre  dans  le  volume  l'ordre  chrono- 
logique, en  gioupant  les  livres  qui  traitent  de  la  même 
question,  autant  que  je  lai  pu,  dans  chaque  période.  En  tout 
cas,  le  retour  permanent  des  mêmes  problèmes  garde,  si  je 
ne  m'abuse,  une  certaine  unité  à  l'ensemble  et  relie  entre  elles 
les  diverses  époques. 

Je  n'ignore  pas  que  je  suis  loin  d'avoir  épuisé  le  sujet. 
Dans  la  deuxième  partie  spécialement,  j'ai  laissé  de  côté  à 
des&ein  toute  la  littérature  latine.  J'ose  espérer  cependant  que 
ce  qu'on  pourra  ajouter  à  mon  livre  ne  fera  que  vérifier  mes 
conclusions  et  i^mplir  des  cadres  désormais  définitifs. 

;i;  Il  ne  sera  pas  inutile  de  noter  que  c'est  celle  qu'a  suivie  M.  Lecky  dans  son 
livre  :  The  rise  nnci  infltiencv  of  rationalism  in  Europe.  Il  l'expose  luV-mème  dans 
sa  préface.  I,  xxii,  et  II,  V,  p.  98. 


PREMIERE  PARTIE 


SOURCES  ET  INFILTRATIONS 

(1533-1553) 


:> 


LIVRE    PREMIEH 

(1533-1542) 


CHAPITRE    PREMIER 
Quelques  sources   antiques. 

I.  Influence  de  l'humanisme.  —  II.  Auteurs  grecs  :  Aristote,  Lucien, 
Plutaïque.  —  III.  Auteurs  latins  :  Lucrèce,  Cicéron  (l'athéisme  du 
De  Naturel  Deorutn,  le  déterminisme  du  De  Divinatione)  ;  Pline  (contre 
la  Providence  et  l'immortalité). 


Toutes  les  fois  que  la  pensée  chrétienne  s'est  rencontrée 
avec  la  philosophie  des  gentils,  le  même  problème  s'est  posé  : 
y  a-t-il  compatibilité  entre  les  deux  littératures?  Et  si  la  per- 
fection de  la  forme  dans  les  livres  anciens,  le  goût  du  beau 
chez  les  chrétiens  ont  toujours  vaincu  les  résistances  de 
l'orthodoxie,  c'est  cependant  pai'  une  sorte  d'inconséquence 
que  l'on  a  laissé  des  esprits  chrétiens  se  nourrir  de  l'esprit 
païen.  On  se  souvient  des  scrupules  des  chrétiens  de  Césarée 
(|ue  dut  calmer  saint  Basile  'i'  ;  des  remords  de  saint  Jérôme 
et  des  reproches  que  lui  fit  le  Seigneur  dans  une  vision,  parce 
qu'il  avait  gardé  dans  sa  retraite  une  petite  cassette  de  livres 
classiques,    et    qu'après    avoir    jeûné    il    lisait    Cicéron    ou 

(1)  Ad  adolescetHc.<<  de  legendis  IWris  gentiliurn. 


SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


Piaule  '1';  des  regrets  de  saint  Augustin,  lorsque,  se  rappelant 
l'éducation  littéraire  qu'il  avait  reçue,  il  se  plaignait  qu'on 
l'eût  forcé  à  boire  le  vin  de  l'erreur  dans  des  vases  de  choix  (2). 
Mais  Basile,  Jérôme,  Augustin,  Ambroise  même  qui  se  posa 
aussi  le  problème  *3),  avaient,  par  leur  éducation,  des  attaches 
avec  la  littérature  païenne  qui  les  empêchaient  d'être  trop 
rigoureux.  Lorsque  la  Renaissance  remit  en  face  des  cons- 
ciences afïinées  par  des  siècles  de  piété  les  livres  des  gentils, 
on  s'aperçut  vite  du  danger.  Pétranjue  songea  un  instant  à 
laisser  le  commerce  des  classiques  pour  s'adonner  aux  études 
bibliques  (*'.  Dès  le  début  de  notre  Renaissance  naissent  les 
scrupules,  là  même  où  on  ne  les  attendait  pas, 

Erasme  se  plaint  qu'on  abandonne  l'étude  de  la  théologie 
pour  s'appliquer  à  la  philosophie  antique  ^^\  Il  demande  qu'on 
ne  touche  à  la  littérature  profane  qu'avec  choix  et  discrétion 
et  à  un  certain  âge  seulement  (6^;  il  craint  qu'à  la  faveur  de  la 
résurrection  de  l'ancienne  littérature  le  paganisme  n'essaie 
de  relever  la  tête  ^"^K  Et  dans  sa  vieillesse  (1527),  il  prétendait 
résumer  son  œuvre  en  disant  :  «  J'ai  aussi  travaillé  à  ce  que 
les  bonnes  lettres  qui,  en- Italie  et  surtout  à  Rome,  ne  sentaient 
presque  que  le  pur  paganisme,  se  missent  bonnement  à  rendre 
le  son  du  Christ  f^'  ». 


(1)  Saint  .TérAme,  Fpi.H.  XXTI;  voir  ce  récit  dans  De  Broglie,  L'Eglise  et 
l  Empire  Tlnmain  nu  IVe  siècle.  V.  p.  020  et  suiv.,  ou  G.  Botssier,  La  Fin  du 
Pnoonismc.  I,  p.  328. 

(2)  "  Non  accuso  verha  quasi  verba  lecta  atque  pretiosa,  setl  vinum  errorls,  quod 
in  hls  nobis  propinahatur  ah  ebrlis  doctoribus,  et  nlsi  biberemus  cpedebamur  », 
Confessiones,  I,  xvi.  La  querelle  s'est  renouvelée  de  nos  jours  entre  l'abbé  Gaume 
3t  Mgr  Dupanloup. 

(3)  G.  noiSSiER,  op.  cit..  I,  p.  339  et  suiv. 

(4)  GuiRAUD,  L'Egllie  et.  les  origines  de  la  lienni^sance,  p   69. 

(5)  Préface  du  Nouveau  Testament  (1515).  Texte  cité  dans  Renaudet,  Préréforme 
'et  Humanisme,  p.  126. 

(6)  Enchirhiion.  eh.  II.  texte  cité  Ibid. 

(7)  «  Unus  adhuc  scrupulus  babet  animum  meum.  ne  sub  obtentu  prlscse  lite- 
raturae  renascentls  caput  erigere  conetur  paganismus  ».  Lettre  à  Wolfgang 
Kfipflcin  du  26  février  1517,  datée  d'.\nvcrs,  Hekminjahi),  Corrcxpond.  des  Iléf., 
I,  no  10. 

(8)  Lettre  à  Maldonato  citée  par  Htimbert.  Origines  de  la  théologie  moderne, 
p.  233. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  5 

El  pourtant  Erasme  lui-même  nous  présente  le  spectacle  d'un 
humaniste  si  enthousiaste  de  l'antiquité  (pi  il  y  cherche  même 
la  règle  de  ses  mœurs.  A  la  lecture  des  traités  [)liilosophiques 
de  Cicéron,  il  l'oppose  à  Scot  et  déclare  qu'il  hrùlerait  volon- 
tiers toute  l'œuvre  du  théologien  pour  sauver  les  traités  du 
philosopiie  '1'.  Et,  citant  un  passage  du  De  Senectute  où  Caton 
dit  qu'il  sortira  de  la  vie,  ainsi  que  d'un  hôtel  et  non  d'une 
maison,  et  qu'il  aspire  à  rejoindre  les  Esprits  qui  l'attendent 
de  l'autre  côté  :  «  Qu'est-ce  qu'un  chrétien  pourrait  dire  de 
plus  saint?  s'écrie  Erasme.  Plût  au  ciel  que  les  conversations 
des  moines  fussent  aussi  belles!  Que  peut-on  dire  de  plus 
divin  ?  »  Platon  y  est  comparé  à  saint  Paul.  La  mort  de 
Socrate  surtout  le  ravit  autant  que  celle  des  martyrs  :  «  Quand 
je  lis  des  récits  de  ce  genre  sur  de  tels  hommes,  c'est  à  peine 
si  je  puis  m'empècher  de  dire  :  Saint  Socrate,  priez  pour 
nous  •"->  ».  Et  un  jour  que,  obligé  de  voyager,  il  a  emporté  avec 
lui  une  petite  édition  du  De  Oll'ciis,  il  rend  compte  de  ses 
impressions  en  ces  termes  :  «  Cette  lecture  m'a  tout  embrasé 
pour  la  recherche  du  bien  et  de  la  vertu,  au  point  que  je  n'ai 
jusqu'ici  rien  senti  de  semblable  à  la  lecture  de  certains  de 
nos  contemporains,  qui,  étant  chrétiens,  enseignent  les 
mystères  de  la  philosophie  chrétienne  et  dissertent  sur  les 
mêmes  sujets  avec  non  moins  de  subtilité  que  de  froideur. 
Pour  moi,  je  ne  sais  ce  que  ressentent  les  autres,  mais  voici 
ce  qui  m'est  arrivé;...  je  songeais  en  moi-même  tout  en  lisant  : 
voilà  donc  ce  qu'un  pa'ien  écrit  pour  des  païens,  un  laïque, 
pour  des  laïques  {prophanus  prophanis).  Et,  dans  ses  préceptes 
de  vie,  quelle  équité,  quelle  sainteté,  quelle  sincérité,  quelle 
vérité,  comme  tout  est  naturel,  comme  rien  n'est  falsifié  ni 
amollissant!  Quel  courage  il  exige  de  ceux  qui  dirigent 
l'Etal!  Qu'elle  figure  aimable  et  admirable  de  la  vertu  il  place 
devant  nos  yeux!  Quels  nombreux,  quels  saints,  quels  divins 
enseignements,  sur  l'aide  désintéressée  que  l'on  doit  à  tous,  sur 

(1)  Cnnvivium  rellglosum.  Colloques.  I.  p.  123. 

(2)  Ibid..  I,  p.  126. 


6  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

le  culte  de  l'amitié,  sur  rimniortalilé  des  âmes,  sur  le  mépris 
de  ces  biens  dont  lamour  fait  tout  faire  et  tout  supporter  au 
troupeau  actuel,  je  jie  dis  pas  des  chrétiens,  mais  des  théo- 
logiens et  des  moines  !  (^^  ». 

Il  est  aussi  enthousiaste  des  Tusculanes,  dont  il  vante  l'élé- 
vation. La  morale  de  Cicéron  le  ravit,  au  point  qu'il  est  per- 
suadé qu'  «  il  y  avait  du  divin  dans  l'âme  d'où  sont  venues 
ces  maximes  ».  Il  met  Cicéron  bien  au-dessus  des  «  Juifs 
grossiers  »  et  le  croit  au  ciel  12).  Si  l'on  songe  pourtant 
qu'Erasme  était  l'adversaire  des  cicéroniens,  on  soupçonnera 
quel  a  dû  être  le  culte  de  ces  derniers  pour  leur  maître  : 
»  C'était  vraiment  un  culte  réel,  dit  iM.  Copley  Christie... 
L'inspiration  divine  de  Cicéron  était  aussi  absolument 
reconnue  par  Longucil,  par  Hortensio  Lando,  par  Dolet  et 
par  les  cicéroniens  en  général,  que  Test  de  nos  jours  l'ins- 
piration d'autres  écrits  par  des  hommes  dont  la  science  et  la 
vertu  font  respecter  les  opinions  (3)  ». 

Le  résultat  de  cet  engouement  pouvait  déjà  être  grave,  c'est 
la  laïcisation  de  la  niorale.  On  s'habitua  à  chercher  dans  les 
anciens  des  règles  et  des  exemples  de  vie  qu'on  n'avait  jus- 
qu'alors demandés  qu'à  l'Evangile,  aux  moralistes  chrétiens 
et  aux  vies  des  saints  ("".  Mais  si  nous  considérons  l'influence 
des  anciens  sur  les  idées  seulement,  le  danger  était  bien  plus 
grave  encore. 

C'était  toute  une  ))liilosophie,  en  effet,  (jui  ressuscitait  avec 
eux.  .'\  les  lire,  nos  humanistes  apprenaient  d'abord  à  rai- 
sonner d'une  façon   ]dus  libre,    plus   humaine,   que  ne  leur 

1)  Jacobo  Tiitorl,  inclytn-  rlvitatis  Aiilvrriiicnsix  Pcnsioiuii-lo,  reproilulte  dans 
rédltion  de  Lyon,  1556.  et  datée  du  10  septembre  1519. 

(2)  Trad.  Nisard,  édit.  Dldot.  III,  620.  Il  est  curieux  de  voir  que  saint  Jérôme, 
■flans  la  lettre  XXII  citée  plus  haut,  se  plaint  aussi  que  Usant  les  prophètes  après 
Cicéron  il  les  trouvait  grossiers. 

(9)  Dolet.  ch.  I,  p.  12  à  1',. 

Cl)  Je  louche  Ici  l'un  des  points  les  plus  Intéressants  de  l'Invasion  du  rationa- 
lisme :  la  laïcisation  de  la  morale.  J'ai  dû  renoncer  à  le  traiter  pour  ne  pas 
compliquer  mon  travail.  On  trouvera  sur  les  origines  de  la  morale  Indépendante 
un  article  très  document-é  de  M  Dedieu  auquel  il  n'y  a  rien  à  critiquer  et  peu  à 
ajouter,  et  qui  iKtrXe  précisément  sur  l'érxxiue  que  j'étudie,  dans  la  Hcvue  d'Apo- 
logétique, Juillet  1909  et  sulv. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  7 

avaient  appris  les  scolastiques.  Ouand  Janotus  de  Bragmardo 
a  prouvé  in  modo  et  ligura  d'après  la  méthode  des  suppositions 
et  des  pana  logicalia  que  la  Sorbonne  lui  doit  une  paire  de 
chausses  et  dix  pans  de  saucisses,  «  lui  fut  respondu  qu'il  se 
contentast  de  raison  et  que  aultre  bribe  n'en  auroit.  —  Raison! 
dist  Janotus,  nous  n'en  usons  poinct  céans  'i'  ». 

Quatorze  ans  plus  tard  (1546),  il  faut  entendre  Pierre  Ramus 
évoquer  et  opposer  l'ancienne  et  la  nouvelle  philosophie  : 
«  Evoquons,  dit-il,  quelque  docteur  de  cette  école  mort  il  y  a 
cent  ans.  Quels  seront  ses  sentiments?  Si,  au  souvenir  qu'il 
a  gardé  de  son  temps,  il  compare  le  nôtre,  je  veux  dire  non 
pas  nos  espérances,  mais  les  fleurs  écloses  déjà  de  l'union 
des  lettres  et  de  la  science  en  France,  en  Italie,  en  Angleterre, 
ne  restera-t-il  pas  stupéfait  et  foudroyé?  Il  nentendait  qu'un 
langage  barbare,  malhabile  :  il  entendra  des  gens  de  tout  âge 
et  innombrables  parler  et  écrire  un  latin  élégant.  Pour  le 
grec,  il  entendait  ce  proverbe  :  Grœcuni  est.  non  legitur  ;  il 
entendra  des  maîtres  qui,  non  seulement  lisent  le  grec  très 
facilement,  mais  qui  expliquent  toute  cette  langue  avec  une 
grande  habileté.  Comparerai-je  les  ténèbres  où  étaient  ense- 
velis les  autres  arts  avec  la  lumière  et  l'éclat  d'aujourd'hui? 
Il  entendait  parmi  les  grammairiens  les  Alexandre  de  Ville- 
Dieu,  en  philosophie  les  Scots  et  les  Espagnols,  en  médecine 
les  Arabes,  en  théologie  des  gens  sortis  je  ne  sais  d'où  :  il 
entendra  Térence,  César,  Virafile,  Cicéron,  Aristote,  Platon. 
Galien,  Hippocrate,  Moïse  et  les  Prophètes,  les  Apôtres  et  les 
autres  messagers,  vrais  et  authentiques,  de  l'Evangile,  et 
même  dans  toutes  les  langues.  Ce  changement  ne  lui  sera  pas 
moins  étonnant  que  si,  sorti  des  entrailles  de  la  terre,  il  voyait 
tout  à  coup  levant  les  yeux  au  ciel,  le  soleil,  la  lune  et  les 
étoiles  <2)  ». 

(1)  Rabelais,   I,  20. 

(2)  P.  liami  oratio  de  sttidiis  ■philosophis  et  eloqventiae  conjiingevdls.  Lutetiœ 
habita  avno  i546,  édit.  de  Collectanea;  pra^fationes...,  p.  304-305.  —  Sur  le  même 
sujet,  voir  une  page  de  1561  plus  méprisante  encore  pour  la  scolastique  et  célé- 
brant avec  enthousiasme  la  réforme  de  François  I^r  dans  les  œuvres  de  Lambin 
{Lamhini  Praefat    et  epistol.,  p.  125-127). 


8  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Au  raisonnement  ils  apprirent  à  substituer  la  raison, 
à  l'argumentation  d'école,  la  libre  et  sereine  discussion. 
A  l'imitation  de  Cicéron  et  de  Platon,  ils  aimèrent  à  traiter 
les  ({uestions  philosophiques  sous  forme  de  dialogues,  où  le 
pour  et  le  contre  se  trouvaient  exposés  tour  à  tour  par  des 
personnages  ditlerents:  Du  Cymbaluin  à  VUeptaplonieres, 
c'est  la  forme  préférée  des  philosophes. 

Mais  les  livres  philosophiques  de  l'antiquité  ne  révélèrent 
pas  seulement  à  nos  pères  une  nouvelle  méthode  de  dis- 
cussion, ils  elïcctuèrent  aussi  la  pénétration  de  la  pensée 
antique,  «  L'humanisme,  dit  excellemment  Al.  Hauser  ^i>,  est 
essentiellement  la  conception  des  humaniores  Ullerœ,  c'est-à- 
dire  l'affirmation  hardie  que  l'étude  des  lettres  anti({ues 
rendra  l'humanité  plus  civilisée,  plus  noble  et  plus  heureuse, 
plus  semblable  à  ce  quelle  était  dans  ces  cités  brillantes  où 
l'iMre  humain  se  développait  en  liberté  >-. 

Aussi,  voyons-nous  nos  premiers  humanistes,  avant  même 
(jue  les  philosophes  padouans  aient  donné  au  rationalisme 
fi-ançais  la  tournure  qu'il  a  prise  et  fixé  les  points  du  dogme 
(pi'il  a  attaqués,  prendre  vis-à-vis  de  l'Eglise  une  attitude  non 
pas  hostile  assurément,  mais  douteuse.  Le  Fèvre  d'Etaples, 
«  p>arti  de  l'aristotélisme  de  l'école...  en  est  venu  peu  à  peu, 
par  une  lente  évolution,  aux  témérités  qui  ont  fait  de  lui  le 
pt're  de  la  Réforme  française  (^>  ».  Erasme.  «  ])ai-  la  logicjue 
de  sa  doctrine  et  de  ses  dédains,  était  conduit  à  un  christia- 
nisme de  plus  en  plus  élémentaire  et  simplifié,  presque 
rationnel  <3)  ». 


(1)  Kéforme  et  humanisme  en  France  {Revue  Hixtnrlqur,  1897,  p.  261  et  sulv.), 
cf  IJATnKiLLART  :  "  Le  terme  logique  de  Ihamanlsme  n'était  pa-^  davantage  les 
doctrines  luthériennes  ou  calvinistes;  c'était  beaucoup  plus  le  rationalisme,  absolu 
^■.our  les  e'-prlts  orgueilleux  et  enivrés  de  leurs  prni)res  forces,  conciliable  pour  les 
autres  avec  les  croyances  religieuses  de  juste  milieu  «  {T/HijHae  catholique,  la 
Iienaisfiance  et  le  Protestantisme,  p.  153-154). 

(21  Delaruklle,  g.  Budé,  p.  45  et  48. 

(3)  Renapdet.  PréréfornLC  et  Humanisme,  p.  685.  Mgr  Baudrillart  est  beau- 
coup plus  .'^évère  :  ■  ce  qu'il  prône  sous  le  nom  de  pbilosoiihio  chrétienne,  nu  fond 
f  est  la  sages'-e  antique  ..  C'est  lui  qui  a  lancé  1  humanisme  dans  la  voie  du 
mépris  absolu  du  moyen  Age,  de  la  philosophie  scolastique  et  de  l'influience  de 
l'Eglise  '.  oji  (il.,  p.  47  à  49.  NiSAUo  :  ■■  Les  colloques  développèrent  l'esprit  libre 
penseur  qui  fut  si  florissant  au  XVI»  siècle.  »  (Renaissance  et  Réforme,  I,  192.) 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  9 

Ils  rajeunirent  à  la  lois  par  des  arguments  nouveaux  et 
surtout  par  l'autorité  des  contradicteurs  les  discussions 
dogmatiques.  A  voir  que  des  hommes  graves  et  artistes 
avaient  nié  l'immortalité  ou  seulement  hésité  entre  la  croyance 
et  la  négation,  que  des  esprits  si  complets  et  si  puissants 
étaient  restés  dans  l'incertitude  des  grands  problèmes  reli- 
gieux, n'y  avait-il  pas  lieu  de  se  défier  de  ceux  qui  préten- 
daient depuis  quelques  siècles  en  donner  une  assurance 
lationnelle  ?  Souvent  aussi,  le  même  livre  qui  concluait  par 
un  acte  de  foi  à  la  religion  reproduisait  auparavant  avec 
complaisance  les  objections  des  incrédules.  Combien  en  lisant, 
par  exemple,  le  De  Natura  Deovum  ou  le  De  Divinalione 
furent  plus  frappés  des  négations  de  Cotta  et  de  Cicéron  que 
des  réfutations  de  Balbus  et  de  Ouintus  Tullius. 

Ce  sont  les  livres  de  cette  dernière  catégorie  que  je  voudrais 
énumérer  dans  ce  chapitre  et  je  me  bornerai  à  ceux  que  l'on 
trouve  le  plus  souvent  cités  dans  la  littérature  hétérodoxe  de 
notre  Renaissance. 


Il 


Le  plus  grand  ennemi  de  la  foi  au  XVP  siècle,  c'est  pré- 
cisément celui  qui  en  avait  été  le  soutien  pendant  tout  le 
moyen  âge,  Aristote.  A  vrai  dire,  par  lui-même  il  est  neutre; 
mais  si  saint  Thomas  a  réussi  à  faire  du  péripatétisme  le 
fondement  de  la  scolastique,  avant  lui  Averroès  en  avait  fait 
le  système  le  plus  redoutable  pour  le  christianisme.  Son  De 
Anima,  son  De  Miuido,  sa  Métaphysique,  en  particulier, 
expliqués  par  les  disciples  lointains  d'Averroès,  vont  devenir, 
à  la  Renaissance,  la  source  de  beaucoup  la  plus  importante 
de  l'incrédulité.  Dès  lors,  ce  n'est  pas  tant  l'histoire  du'  péri- 
patétisme que  nous  allons  avoir  à  faire  que  celle  de  ses 
commentateurs.  Et  ainsi,  il  nous  est  inutile  de  lui  consacrer 


10  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

ici  quelques  pages  insuffisantes,  puisque  les  deux  tiers  de  ce 
livre  ne  parleront  que  de  sa  doctrine  'i'. 

Le  danger  de  l'aristolélisnie  n'est  pas  particulier  à  la 
lienaissance.  Campanella,  qui  fit,  il  est  vrai,  sa  bête  noire 
d  Aristote,  a  écrit  à  grands  traits  l'histoire  de  cette  hérésie. 
Dès  les  premiers  siècles  chrétiens,  on  entreprit  de  le  réfuter 
dans  un  livre  qu'on  attribue  à  saint  Justin (2),  précisément  sur 
les  mêmes  points  où  la  Renaissance  va  voir  en  lui  un  adver- 
saire de  l'orthodoxie.  De  Laclance  à  saint  Bernard,  la  plupart 
des  Pères  de  l'Eglise  le  combattent  ou  le  tiennent  en  suspicion. 
Et  saint  Vincent  Ferrier  disait  de  lui  et  d'Averroès  qu'ils 
étaient  «  la  fiole  de  la  colère  divine  renversée  sur  les  eaux  de 
la  sagesse  chrétienne  ».  Le  génie  de  saint  Thomas  ne  put 
empêcher  que  toute  une  école  ne  demeurât  défiante  à  son 
égard,  ou,  si  elle  le  suivait,  suspecte  à  l'Eghse  :  Abélard, 
Scot,  Cajetan,  parmi  les  théologiens,  Pomponazzi,  Nipho, 
Porzio,  Zimara,  Cremonini,  parmi  les  philosophes,  en  font 
sortir  toutes  les  hérésies  modernes  (3':  mais,  il  m'est  impossible 
de  donner  ici  une  idée  seulement  de  l'importance  d'Arislotc. 
Qu'il  me  suffise  de  l'avoir  signalée.  Aussi  bien,  l'histoire  de 
son  influence  n'est  plus  à  écrire  '*'. 

Lucien  est  l'un  des  premiers  connus  parmi  les  sceptiques 
grecs.  Erasme  et  Thomas  Morus  en  1506,  Aleandro, 
N.  Bérauld  en  1515  traduisent  en  latin  quelques-uns  de  ses 


(I)  Renan  a  écrit  que  l'histoire  de?  vicissitudes  de  l'inUrprétation  alexandrlne 
du  pérlpatétisme  pendant  la  Renaissance  se  confond  avec  l'histoire  même  de  la 
philosophie  et  de  la  religion  à  cette  époque  (Picavet,  HUt.  comparée  des  pMlo- 
soiihiat  incdiévnles,  p.  90). 

f2)  Eversio  falsorum  dnamatum  Artxtntelis.  L'ouvrage,  dont  on  ne  peut  dé'^iffner 
l'auteur  d'une  façon  certaine,  .serait  de  la  fin  thi  IV<"  siècle  (Tixeront,  Patnilooie. 
p.  51).  11  est  remarquable  que  le  grand  ennemi  du  pérlpatétisme  de  la  Renais- 
sance. Postel.  rééditera  ce  livre  pour  réfuter  Aristote,  Voir  chap.  X.  Au  même 
chapitre,  on  trouvera  une  étude  sur  Ramus  qui  voit  lui  aussi  en  Aristote  une  des 
sources  de  l'incrédulité  de  la  Renaissance. 

.3)  Campanellae  de  GenlilUmo  non  retincndo,  Quîestlo  I,  pars  II,  p.  is  ft  22; 
REI.MMAX.N,  Illstorla  nlhcisml  et  athfnnnn,  III,  II.  2,  p.  3W-3H\. 

l'i)  Voir  sur  ce  sujet  le  livre  très  documenté  de  Launoy,  De  varia  Aristotelis  in 
academia  parisiensl  lorluna,  Paris,  16.58,  et  surtout  1'  Histoire  campante  des  philo- 
sophles  médiévales  de  M.  Picavet,  ch.  V. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  H 

dialogues  ^^\  Erasme  surtout  l'a  popularisé  en  faisant  passer 
un  grand  nombre  de  ses  pensées  dans  ses  Adages.  Il  devint  si 
populaire  que  l'on  créa  un  mot  pour  caractériser  ceux  qui 
s'essayaient  à  imiter  son  ironie  :  ce  sont  des  lucianistes.  Sans 
entrer  dans  le  détail,  impossiJDle  à  lixer,  de  ce  que  lui  doivent 
les  libertins  du  XVP  siècle  ^^\  on  peut  dire  que  c'est  à  son 
imitation  que  Erasme,  Rabelais,  Bonaventure  Des  Periers, 
Taliureau  ont  cherché  à  piquer  par  le  ridicule,  en  simulant 
la  folie,  des  doctrines  ([u'il  eût  été  trop  dangereux  d'attaquer 
de  front  :  «  Dans  la  lutte  qu'ils  soutenaient  pour  la  cause  de 
l'humanisme  et  de  la  raison,  ils  se  heurtaient  aux  mêmes 
obstacles  qui  jadis  avaient  irrité  l'humeur  de  Lucien  :  l'igno- 
rance et  la  crédulité.  Cette  sottise  du  populaire  qu'exploitaient 
les  «  pastophores  taulpetiers  »  et  les  «  porteurs  de  rogatons  », 
cette  superstition  qui  inspirait  les  vœux  ridiculisés  par 
Erasme  dans  son  coUoquium  du  Naulrage,  cette  ignorance  qui 
tenait  pour  suspectes  les  plus  nobles  curiosités  des  lettres  de 
la  Renaissance,  Lucien  les  avait  rencontrées  parmi  ses 
contemporains,  chez  les  disciples  des  Cyniques  et  les  dupes 
des  Sophistes,  chez  ceux  qui  s'empressaient  à  l'apothéose  de 
Peregrinus  ou  se  laissaient  berner  par  le  faux  devin 
Alexandre.  Dans  la  guerre  des  brocards  que  les  humanistes 
entreprenaient  contre  l'ignorance  et  la  superstition,  Lucien 
était  regardé  comme  un  guide  et  comme  un  champion  '3)  ». 

Aussi  Lucien  et  ceux  qu'on  soupçonnait  de  le  lire  étaient- 
ils  très  suspects.  Dolet  ne  reproche-t-il  pas  à  Erasme  de  s'en 
inspirer  !  <(  Pour  ses  idées,  dit  Neufville  à  Thomas  Morus, ... 
où  les  a-t-il  prises,  sinon  à  Lucien,  l'auteur  le  plus  mordant, 
le  plus  impudent,  sans  rehgion,  sans  Dieu,  et  porté  à  ridi- 
culiser toutes  choses,    religieuses  comme   profanes  ^''\   Nous 

(1)  En  voir  le  détail  dans  Plattard,  Rabelais,  p.  204  et  suiv.  Il  y  avait  des 
éditions  grecques  du  reste  :  Florence,  1496:  chez  les  Aides,  1502  et  1503. 

(2)  Pour  Rabelais  pourtant  voir  Plattard,  loc.  cit.  M.  Plattard  remarque  avec 
raison  que  le  lucianisme  e.st  un  état  d'esprit  et  non  une  doctrine. 

,3)  Plattard,  op.  cit.,  p.  305. 
(4)  De  Imitât.  Ciceron.,  p.  89. 


12  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

relrouverons  souvent  les  mêmes  plaintes  au  cours  de  noire 
élude. 

IMularque,  pour  les  humanistes,  esl  surtout  un  moraliste;  à 
ce  tilrc,  il  ne  nous  intéresse  pas  ici'i'.  Les  traités  religieux  qui 
pouvaient  avoir  le  plus  d'influence  sont  peu  connus  au  début, 
/.s/s  tfl  U^iris,  les  oracles  de  la  Pythie  (2),  la  cessation  des 
oracles,  sont  dans  l'édition  des  Aides  (1509),  mais  on  ne  les 
trouve  pas  dans  les  éditions  latines  <3).  Ils  manquent  dans 
plusieurs  éditions  grecques.  Lorsque  la  traduction  d'Amyol 
les  popularisa,  les  idées  qu'on  y  trouve  sur  les  miracles  ou 
l'évhémérisme  étaient  courantes,  ayant  été  reprises  par 
Cicéron.  Xous  ne  nous  y  arrêterons  donc  pas.  Il  faut  signaler 
cependant  le  De  Placitis  philosophorum  naluralibus,  traduit 
par  Budé  en  1502.  li  constituait  un  répertoire  très  apprécié 
des  opinions  des  philusophes  anciens  sur  les  divers  problèmes 
de  jjliysique  ou  de  métaphysique  qui  préoccupaient  ceux  du 
X\'V  siècle  (^).  Plus  tard,  ils  pouvaient  lire  dans  la  Vie  de 
Conolan,  par  e^cemple,  comment  on  explique  que  des  statues 
pleurent  ou  gémissent  sans  qu'il  y  ait  à  cela  miracle  ni  malice, 
et  peut-être  certains  ont-ils  pensé,  en  lisant  cette  page,  au 
crucifix  de  Muret  dont  H.  Estienne  expliciue  si  drôlement  les 
larme>.  Ils  peuvent  lire  dans  le  dialogue  Pourquoi  la  Pythie 
ne  rend  plus  ses  oracles  en  vers,  qu'il  n'y  a  pas  de  prophètes 


(1)  Cf.  sur  cette  question  Plattard,  oij  cit.,  p.  200201.  Sur  la  philosophie  reli- 
gieuse de  Plutarque,  voir  la  thè^e  de  M.  Bernard  Latzarus,  Les  Idées  religieuses 
de  Plutarque,  Paris,  1920. 

(•2)  Du  PLESSis-MoK.NAY  tirera  des  textes  curieux  de  cet  opuscule  pour  son  traité 
De  la  vérité  de  la  netigion  clirélienne  (voir  ce  traité,  p.  32,  55,  60,  lOl)  156,  158,  532 
et  passim);  mais  ils  n'ont  pas  d'intérêt  pour  ce  travail. 

(3)  Pour  le  détail  de  ces  éditions  avant  Amyot,  voir  Plattard,  op.  cit.,  p.  230-231. 

'il  Par  exemple,  sur  la  nature,  la  définition,  le  siège  de  l'Ame  {De  j,lacills,  IV. 
VIII.  2,  3.  5.  7).  .Mais  on  trouve  des  énumératlons  de  ce  genre  dans  Akistotl, 
Dp  .\»itiia  I.  2:  PLATON.  PUédou.  XLV.  éd.  Didot,  p.  75;  CicÉRON.  Tusculavcs,  I,  9  à 
11;  Ti-RTiLiKX,  De  .inlnw,  V,.  Skxtis  Emi'IKICLS.  adv.  Math  .  VII,  313.  De  plus,  les 
recueils  du  XYI»  siècle  ne  manquent  pas  de  reproduire  ces  listes,  en  sorte  qu'il 
est  fort  difficile  de  savoir  où  les  prennent  ceux  qui  écrivent  sur  l'âme,  ou  sur  la 
.  nature  de  Dieu,  ou  sur  resst-nce  des  choses,  toutes  questions  sur  lesquelles  11  y  a 
des  listes  d'opinions  diverses  dans  les  antbologles. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  13 

et  que  la  réalisation  des  prédictions  est  un  effet  du  hasard.  Le 
traité  :  Pourquoi  les  oracles  ont  cessé  (^',  très  lu  au  XVP  siècle, 
explique,  au  contraire,  la  prophétie  par  une  certaine  dis- 
position du  corps  qui  se  réalise  dans  certaines  conditions  de 
température,  de  terrain  et  de  tempérament,  et  qui  s'appelle 
l'enthousiasme.  La  ressemblance  entre  cet  état  pathologique, 
l'enthousiasme  religieux  et  l'amour  est  exposée  dans  le  Traité 
de  /'.4moïir(2)  et  dès  1552,  Pontus  de  Tyard  a  adopté  cette 
théorie  's)  en  entier.  Mais  toutes  ces  idées,  avant  d'être  lues 
dans  Plutarque  l'ont  été  dans  Cicéron.  C'est  pourquoi,  il  aura 
suffi  de  les  signaler  comme  des  sources  possibles  sans  citer 
les  pages  entières  de  Plutarque. 


IIÎ 


Lucrèce  a  l'athéisme  si  agressif  qu'il  devait  être  suspect 
entre  tous.  On  le  lut  beaucoup  pourtant.  On  trouvait  dans  son 
poème  non  seulement  <(  cet  agrément  inexplicable  et  la  fleur 
inimitable  de  ce  siècle  antique  où  naquit  la  poésie  latine,  la 
beauté,  la  douceur  délicieuse  de  l'adorable  antiquité  '^'  ». 
mais  surtout  une  discussion  passionnée  de  tous  les  problèmes 
religieux  qui  troublaient  les  âmes  :  aux  deux  premiers  livres 
l'origine  et  la  nature  du  monde,  au  troisième  et  au  quatrième 
la  nature  et  la  destinée  de  l'âme,  au  cinquième  la  Provi- 
dence ^'"K  On  peut  s'en  convaincre  en  parcourant  les  notes 
dont  les  éditeurs  commentaient  le  texte  du  poète. 

En  France,  la  première  édition  est  celle  de  N.  Bérauld,  le 
maître  de  Dolet.  Mais,  en  réalité,  ce  n'est  qu'une  réédition  de 


(1)  De  defectu  oraciilontm,  XL  et  suiv. 

(2)  Œuvres,  III,  519  (trad.   Ricard,  Paris,  1844). 

'3)  A'oir  chapitre  XII.  Mais  Ronsard  qui  l'a  mise  en  vers  l'attribue  à  Platon. 

(4)  Lettre  de  Bérauld  à  Deloynes,  en  tête  de  l'éd.  J.  Petit,  Paris,  1514. 

(5)  Pour  le  plan  détaillé,  voir  le  livre  de  M.\rth.\,  Le  Poème  de  Lucrèce,  ou 
Charbonnel,  La  Pensée  italienne,  p.  141  et  suiv.,  notes. 


1  '(  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

.1.-1).  iMo  '  .  Ail  premier  livre,  le  cominentaleur  trouve  un 
long  développemenl  contre  la  création  (2)  (I,  150-265).  En  note, 
i4  ne  manque  pas  de  sout/enir  la  cosmogonie  de  Moïse  et 
s  attaque,  non  pas  à  Lucrèce,  mais  à»Aristote  qui,  lui  aussi, 
soutenait  dans  le  De  Muiido  —  et  l'école  padouane  avec  lui  — 
que  <-  de  rien,  rien  ne  sort '3)  ».  H  proteste  de  même  contre 
les  vei*s  (57-62)  où  Lucrèce  supprime  la  Providence  et  enseigne 
que  les  dieux  sont  insensibles  aux  prières  des  bons  comme 
aux  crimes  des  méchants  f^'.  Mais,  c'est  surtout  le  troisième 
livre  qui  a  effrayé  ou  attiré  les  lecteurs,  car  il  est  consacré 
tout  entier  à  l'âme. 

L'àme  humaine  fait  partie  du  corps  ;  elle  a  son  siège  prin- 
cipal dans  le  cœur.  Composée  d'atomes,  elle  finit  avec  leur 
désagrégation.  Le  poète  soutient  cette  thèse  en  plus  de 
400  vers  (418-842)  :  la  dépendance  de  l'àme  à  l'égard  du  corps 
pour  le  développemenl  de  ses  facultés  et  l'exercice  de  ses 
fonctions  est  le  fondement  de  son  argumentation.  A  ce  propos, 
c'est  tout  un  traité  de  l'immortalité  que  J.-B.  Pio  échafaude  à 
côté  de  celui  de  Lucrèce.  11  oppose  à  la  définition  épicurienne 
du  poète  latin  la  définition  de  saint  Thomas  (^),  repousse  en  une 
demi-page  l'àme  universelle  et  unique  d'Averroès  (^>.  Puis,  il 
aborde  la  (juestion  de  l'immortalité.  A  cette  date,  les  idées  de 
Poinponazzi  étaient  connues.  Elles  avaient  même  été 
condamnées  au  Concile  de  Latran  l'année  précédente.  Mais 
son  livre  n'était  pas  encore  paru.  C'est  à  Scot  que  s'en  prend 
Pio  qui,  ((  au  livre  IV*  de  ses  sentences,  estime  que  l'âme  est 
imniorlelle.    mais   que  cela   ne   peut  se   démontrer   par   des 


(I  /;/  (  iirufii  l.iiricUtnii  /loetam  rnminentarii  u  J.  B.  Pio  editi.  codlcc  tiicretiano 
(lilt'jeuter  emendato  :  nodis  onuiihus  et  difficultati.bus  apertls...  Venundalur  ab 
Axreii.'in  rt  Joaiiue  l'ano.  1514.  in-f".  Edité  par  Bérauld  tiui  le  dédie  à  Deldyiie^. 

(2)  NuUam   rem  e  nihilo  gigni  divinltus   unquam,   I,   151. 

(3/  Fo  H  vo. 

(4)  Fo  ft  vo. 

(5)  Fo  75,  avec  la  réfutation  des  définitions  d'Aristote,  Platon,  Alexandre  d'Aphro- 
dlsias,  Averix)és,  Gallien. 

(Bi  F"  76. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  15 

raisons  convaincantes  et  probantes  *i'  ».  Aristote  varie  selon 
les  livres  que  l'on  consulte;  pourtant,  il  se  trouve  qu'il  a 
insisté  sur  la  valeur  apologétique  du  désir  inné  chez  l'homme 
de  l'immortalité.  Pio  entreprend  en  six  pages  de  réfuter  Scol 
et  en  oublie  Lucrèce.  On  sent  à  l'ai'deur  de  la  lutte  quel  ennemi 
ou  quel  auxiliaire  le  poème  de  Lucrèce  était  pour  tous. 

Il  le  restera  pendant  tout  le  XVP  siècle.  Sans  nous  arrêter 
aux  imprécations  ou  aux  réfutations  que  son  œuvre  a  subies 
et  que  l'on  rencontrera  dans  presque  tous  les  traités  de  l'âme, 
signalons  seulement  l'acharnement  de  Postel  qui  ne  trouve  pas 
d'épithète  plus  injurieuse  pour  Pomponazzi  que  de  l'appeler 
philnsophus  LucreUcus  (2'.  Neuf  ans  plus  tard  (1551), 
P.  Galland  faisait  un  crime  à  Hamus  de  vouloir  l'expliquer  à 
ses  élèves  :  <■<■  Il  me  semble,  quand  je  t'entends  nommer 
Lucrèce,  que  tu  vomis  le  pus  et  le  poison  à  plein  gosier,  lui 
dit-il.  Un  sacrilège  qui  enlève  du  monde  toute  Providence 
divine,  qui  met  au  nombre  des  plus  grands  maux  la  rehgion 
et  la  crainte  des  Dieux,  qui  admet  une  infinité  de  mondes 
formés  dans  l'infini  du  vide  par  la  rencontre  fortuite  d'atomes 
indivisibles  et  qui,  de  ces  mêmes  atomes,  fait  des  âmes  mor- 
telles, c'est  cet  auteur  que  tu  proposes  à  l'étude  des  enfants! 
J'ai  honte  de  ton  malheureux  aveuglement,  Ramus,  qui  veux 
donner  à  lire  à  des  jeunes  gens  l'ennemi  juré  de  toutes  les 
religions,  l'apôtre  le  plus  féroce  et  le  plus  insensé  de  la 
philosophie  d'Epicure  '•''  ».  Et  Calvin  parle  dans  son  Institution 
chrétienne  f^'  d'  <<  un  vilain  poëte  nommé  Lucrèce  lequel 
abbaye  comme  un  chien  pour  anéantir  toute  religion  ». 

Son  meilleur  commentateur  français,  Denis  Lambin,  quand 
il  entreprit  de  l'éditer  (1563),  se  crut  obligé  de  traiter  dans  sa 
préface  toute  la  question  des  mauvaises  lectures  :  «  Mais, 
dira-t-on,  Lucrèce  combat  l'immortalité  de  l'âme,  nie  la 
Providence  divine,  supprime  toutes  les  religions,  met  le  sou- 

(1)  Fo  76  vo. 

(2)  De  Orbis  concordia,  p.  129  v«. 

(3)  P.  Gallandii  pro  schola  parisiensi...  oratio,  p.  44. 

(4)  Inst  chrét..  I,  V,  édit.  de  1561.  1°  7  verso.  En  1540,  A.  Steuco  consacre  aussi 
plusieurs  pages  de  son  De  Perenni  philosophia  à  réfuter  Lucrèce,  notamment  le 
chap.  XXII  du  livre  VII. 


1(5  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

verain  bien  dans  la  volupté.  C'est  la  faute  de  son  maître 
Epicure,  et  non  de  Lucrèce.  Le  poème  en  lui-même,  s'il 
est  contraire  à  la  religion  pour  sa  doctrine,  n'en  est  pas 
moins  un  poème!  Que  dis-je?  un  poème  élégant,  un  poème 
brillant,  un  poème  orné,  éclairé,  illustré  de  toutes  les 
lumières  du  génie.  Quant  aux  folies  d'Epicure, ...  il  ne  nous 
est  pas  difficile  de  les  réfuter  ;  ce  n'est  même  pas  nécessaire  : 
la  voix  de  la  vérité  à  elle  seule  y  suffit.  xMais  il  aurait  dû  appli- 
quer son  beau  génie  à  une  doctrine  plus  pure  et  à  un  sujet 
plus  sérieux  !  —  Il  aurait  dû,  qui  le  nie?  mais,  si  on  peut  s'en 
affliger  et  s'en  plaindre,  il  est  impossible  d'y  remédier  ».  Mais 
Epicure  et  Lucrèce  sont  des  impies?  Le  sommes-nous  aussi 
pour  les  lire?  Prenons  en  eux  ce  qui  est  bon,  laissons  le 
mauvais.  Les  Pères  ne  lisaient-ils  que  des  livres  chrétiens? 
Leurs  écrits  sont  pleins  de  pensées  des  poètes  païens  et  même 
impies.  A  ce  compte,  si  on  ne  lisait  que  les  auteurs  irré- 
préhensibles. Platon  lui-même  serait  exclu,  qui  prêche  l'union 
libre,  et  Arislote,  qui  enseigne  l'éternité  du  monde  et  semble 
en  désaccord  sur  l'immortalité  avec  Platon  et  avec  nous.  Les 
stoïciens,  gardiens  si  vigilants  de  la  vertu,  soumettent  Dieu 
au  destin!  Pour  en  revenir  à  Lucrèce,  goûtons  ses  beautés, 
regrettons  ses  erreurs.  Plût  au  ciel  qu'on  trouvât  réunies  dans 
les  mêmes  livres  les  pensées  chrétiennes  et  la  beauté  du  style! 
Puisque  cela  n'est  pas,  gardons-nous  d'accuser  d'irréligion 
ceux  qui,  par  amour  des  lettres  seulement,  lisent  et  font  lire 
Lucrèce  *i^ 

Mais,  de  tous  les  latins,  celui  qui  me  semble  avoir  le  plus 
contribué  au  développement  du  rationalisme  dans  notre 
Renaissance,  c'est  Cicéron.  On  peut  s'en  étonner.  Cicéron 
n'a-l-il  pas  écrit  Le  snnrje  de  Scipion,  où  il  défend  le  spiri- 
tualisme platonicien?  N'a-l-il  pas  écrit  VHorlensius  qui  déter- 
mina la  première  conversion  d'Augustin '2)?  Mais,   il  a  écrit 

(1)  Lamh    Karolo  nono.  en  tcte  de  rédlUon.  —  Préface  datée  du  l»»"  novembre 
1563,  reproduite  dans  :  Trium  disnerlUslmorum  prxfattone<>...,  Paris.  1579. 

(2)  Contentions,  III,  4. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  17 

aussi  le  De  Naiura  Deorum  el  le  De  Divina\ione(^''\  et  quel  que 
soit  le  jugement  final  que  l'on  porte  sur  ces  deux  livres  — 
il  en  a  été  porté  de  bien  contradictoires  ^^^  --  ils  ont  répandu 
pendant  tout  le  XVI"  siècle,  sur  la  Providence  et  les  miracles, 
des  idées  qui  ont  fait  passer  Cicéron  pour  un  athée. 

Déjà  saint  Augustin  l'avait  pris  pour  tel  et  avait  consacré 
un  livre  de  la  Cité  de  Dieu  à  établir  contre  lui  la  Providence, 
à  la  détendre  contre  le  Destin,  à  la  concilier  avec  le  libre 
arbitre  '-^'^. 

Les  philosophes  du  XVP  siècle  ont  pris  au  De  Xatura 
Deorum  (^'  d'abord  la  liste  des  athées  qui  se  trouve  aux  cha- 
pitres I,  XXII,  XXIII  du  premier  livre  :  Protagoras,  Evhémère, 
Diagoras,  Calhmaque,  Anaximandre,  Théodore  de  Cyrène. 
Sur  la  nature  de  Dieu,  ils  ont  répété  aussi  les  opinions  diverses 
que  relève  Cicéron  au  cours  du  premier  livre,  l'exposé  de 
l'évhémérisme  que  fait  Balbus  au  second  livre;  surtout  beau- 
coup reproduisent  l'histoire  de  Simonide  et  du  tyran  Hiéron(^^  : 
ce  dernier  ayant  demandé  au  poète  ce  que  c'était  que  Dieu, 
Simonide  lui  demanda  un  jour  pour  réfléchir,  puis  deux,  puis 
quatre,  et  enfin,  en  donna  la  raison  au  tyran  :  <(  Plus  j'y  pense, 
plus  la  chose  me  paraît  obscure  ».  Les  fidéistes  —  et  la  plupart 
des  philosophes  le  sont  en -1550  —  ne  manquent  jamais  de 
raconter  ce  trait. 

La  Providence  y  est  attaquée  à  la  fois  par  Velleius  et  par 
Cotta  '^K  L'argument  que  j'ai  trouvé  le  plus  souvent  emprunté 

(1)  Je  néglige  à  dessein  le  De  fato,  bien  qu'il  ait  été  édité  et  commenté  plusieurs 
fois.  L'état  fragmentaire  où  il  nous  est  parvenu  rend  la  doctrine  de  Cicéron 
douteuse,  et  du  reste  il  n'ajoute  guère  aux  traités  que  je  signale. 

(2)  G.  BoissiER  estime  que  le  De  Natura  Deorum  n'a  pas  de  conclusion  (La  Relî- 
fjion  romaine,  I,  p.  55).  Havet  pense  que  la  conclusion  en  est  l'athéisma  ('Le 
Christianisme  et  ses  origines.  II,  75). 

(3)  Livre  V,  chap.  I-lî. 

(4)  Editions  spéciales  :  Venise,  1471,  1503;  Paris,  Colines,  1533;  Lyon,  1541,  en  plus 
des  éditions  des  œuvres  complètes  :  Venise,  1523,  1541,  1546,  1552;  Paris,  Estienne,  1543, 
Colines,    1545. 

'5)  De  Natura  Deorum,   I,  22. 

(6)  Dans  le  De  Divinatione  (II,  50),  Cicéron  cite  aussi  le  vers  dEnnius  qui  est 
reproduit  quelquefois  par  les  incrédules  de  la  Renaissance  :  Sed  eos  non  curare 
opinor  quid  agat  humanum  genus. 


18  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

au  De  Nalura  Deorum  est  celui  de  Velleius  au  chapitre  IX 
du  premier  livre.  11  vise  à  la  fois  la  Création  et  la  Providence  : 
«  D'où  vient  que  vos  architectes  songèrent  tout  à  coup  à 
construire  l'Univers,  eux  qui  jusque-là  n'avaient  fait  que 
dormir  pendant  des  siècles  innombrables?...  Pourquoi  votre 
Providence  a-t-elle  consumé  dans  l'oisiveté  cette  immensité 
de  siècles'^)?  ».  Celte  objection  est  examinée  aussi  par  saint 
Augustin  et  il  y  donne  une  solution  assez  vive  :  avant  de 
créer,  Dieu  faisait  l'enfer  pom-  les  rationalistes.  Toute  la  réfu- 
tation de  Cotta  au  troisième  livre  a  dû  paraître  à  beaucoup 
blasphématoire  (2). 

Mais  il  serait  impossible  de  donner  le  détail  des  emprunts 
que  lui  a  faits  le  XYP  siècle,  car  jamais  plus  qu'à  cette  époque 
on  n'a  fait  cas  de  sa  philosophie.  Longueii,  après  avoir  étudié 
Pline,  s'adonna  tout  entier  au  seul  Cicéron^^),  Boyssonné,  dans 
sa  prison  de  Chambéry,  adoucissait  sa  peine  en  le  lisant  (^). 
On  verra,  au  cours  de  cette  étude,  tout  ce  que  doit  au  De 
Natura  Deorum  la  philosophie  de  Dolet,  de  Vicomercato,  de 
François  du  Jon,  de  Pontus  de  Tyard,  de  Bruès  (^\  dé  Jean 
Bodin,  c'est-à-dire  les  représentants  les  plus  avancés  de  la 
libre-pensée  française  au  XVP  siècle.  MM.  Villey  et 
P.  Plattard  ont  révélé  aussi  ce  que  Rabelais  et  Montaigne  ont 
pris  à  ce  livre  :  Rabelais,  3  passages  (^'  ;  Montaigne,  45  em- 


(1)  De  Xntura  Deorum,  l,  9.  Voir  plus  loin,  chapitres  XII  et  XV,  les  études  sur 
Pontus  de  Tyard,  sur  Crespet.  sur  J.  de  Champagnac. 

(2)  M.  Thiaucourt  estime  qu'elle  a  scandalisé  aussi  les  chrétiens  des  premiers 
siècles  et  même  les  païens  {lievue  des  cours  et  conférences,  1904,  p.  413,  et  édition 
du  De  yalura  Deorum,  Hachette,  p.  49). 

(3)  Ch.  LoinjoUi  vila,  en  tète  de  ses  œuvres,  éd.  Cryphe,  1563,  p.  18. 

(4)  Epislolie,  IX,  fo  34.  Voir  Mugnier,  Boussonné,  p.  225. 

(5)  Sur  Bruès  et  Cicéron.  voir  aussi  Villey,  Les  Sources  de  Monknçine,  I,  p.  171; 
pour  .7.  Bodin,  ses  emprunts  au  De  Natura  Deorum  ont  été  relevés  par  M.  Chau- 
viBÊ  dans  son  J.  Bodin,  auteur  de  la  Bépublique,  p.  21(î,  note,  et  dans  son  édition 
de  lllriitnplomeres.  p.  33,  note  D,  où  il  dit  :  ■■  Bodin  a  pratiqué  assidûment  cet 
ouvra>rp  en  vue  de  Vlleiilaplomeres  «. 

(6)  III,  3;  IV,  7,  28,  cf.  PLATTARD  L'Œuvre  de  Rabelais,  p.  1S7-1S8.  Mais  M.  Plat- 
tard  a  omis  de  relever  le  iwssage  le  plus  important,  celui  du  De  Divlnatione  qui 
prouve  (|ue  Rabelais  a  emprunté  à  Cicéron  l'explication  rationnelle  du  miracle. 
On  le  trouvera  au  chai>itre  VIII.  A  ce  même  chapitre,  on  verra  que  les  Acadé- 
miques de  Cicéron  sont  aussi  une  source  de  pyrrhonlsme. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  19 

prunts.  On  verra,  par  contre,  que  si  les  athées  y  prennent 
des  objections  contre  la  Providence,  les  apologistes,  surtout 
à  partir  de  1570,  s'y  approvisionnent  de  ripostes  contre  ces 
mêmes  athées  '■^\  au  point  que  Le  Fèvre  de  la  Boderie  traduira 
ce  traité  pour  les  réfuter.  Ce  phénomène  s'explique  par  la 
composition  même  du  De  iXatura  Deorum  où  les  représentants 
des  divers  systèmes  philosophiques  les  opposent  tour  à  tour. 
Aussi,  il  n'est  pas  de  traité  de  l'existence  de  Dieu  qui  n'y 
emprunte  plus  ou  moins. 

La  plupart  des  critiques,  cependant,  voient  en  lui  un  athée. 
Pomponazzi,  qui  lui  doit  tant,  joint  son  anathème  à  celui  de 
saint  Ausfustin  (2), 

Lorsqu'en  1550,  Sixte  Birck  entreprit  de  commenter  le  Pe 
Nalura  Deorum,  il  s'excusa  sm^  l'exemple  de  saint  Augustin, 
Eusèbe,  Théodoret,  saint  Cyrille,  qui  ont  lu  ce  livre  ou 
d'autres  livres  impies  pour  les  réfuter.  Encore  est-il  prudent, 
dit-il,  de  ne  pas  donner  les  livres  philosophiques  de  Cicéron 
à  lire  à  tout  venant,  mais  <(  à  ceux-là  seulement  qui  ont  appris 
dans  la  philosophie  de  saint  Paul  les  trésors  de  sagesse  cachés 
dans  le  Christ  ».  Beaucoup  estiment  que  les  stoïciens  ont 
approché  le  plus  de  la  doctrine  chrétienne.  Comme  le 
stoïcien  du  De  Naiura  Deorum  est  remis  à  place  par  l'acadé- 
micien sur  le  chapitre  de  la  Providence  !  (3). 

(1)  Pacard,  par  exemple,  p.  40,  63,  71,  171,  268,  270,  274  et  passim,  de  sa  Théologie 
naturelle.  —  P.  389  :  "  Il  reste  à  répondre  à  Ootta.  Vellius  et  aux  autres  qui  deman- 
dent de  quels  yeux  Platon  a  peu  voir  fabriquer  le  monde  et  quels  instrumens  et 
outils  ont  e<té  propres  pour  cet  effet?  Comment  les  elemens  ont  peu  obéir  à  leur 
facteur  ?  «  Il  prend  la  réponse  de  Cicéron  lui-même.  Pontus  de  Tyard  y  prend 
également  les  preuves  et  les  objections  à  l'existence  de  Dieu  (Deuxième  Curieux. 
éd.  157S,  p.  97  à  115).  —  Crespet  (1586)  résume  le  De  Natura  Deorum  et  conclut  : 
«  En  ces  trois  livres  de  la  nature  des  Dieux,  comme  es  autres  livres,  il  a  surmonté 
les  plus  habiles,  il  sest,  surmonté  soy-mesme  comme  par  divine  Providence  à  fin 
que  l'idolâtrie  fut  reprouvée  par  ses  mesmes  possesseurs  «  [De  l'Avie.  I,  1,  p.  2  v". 
éd.  160'.). 

(2)  .<  Homo  iste  in  dicto  libro  De  Divlnatione  mihi  yidetur  negare  demones,  et 
in  libro  De  Natura  Deorum  negare  deos  esse.  Quare  non  immerito  mihi  videtur 
Augustinus  in  cap.  9  libri  5  De  Civitate  Dei  de  ipso  dixisse  :  Cicero  dum  contendit 
homines  facere  liberos,  fecit  sacrilegos  »  {De  Incant.,  XII.  p.  195-196).  La  page  195 
porte  en  manchette  :  Cicero  atheos. 

(3)  Xijsti  Betuleii...,  in  M.  T.  Ciceronis  libros  très  de  nalura  Deorum  commen- 
tarii...  Basileae,  per  J.  Oiwrinum.  s.  d.  (155<)).  Epistola  uuncup.  ad  Luc.  Wel-eium. 
fo  A. 


20  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

L'année  suivante,  Galland  reproche  à  Ramus  sa  complai- 
sance pour  le  «  traité  sceptique,  inconsistant,  et  donc  impie 
et  sacrilège  de  la  Nature  des  Dieux  »  et  le  juge  bien  plus  dan- 
gereux que  les  livres  d'Arislote  (^);  et  un  peu  plus  tard,  vei^ 
1560,  Baudouin  ne  trouvait  pas  de  plus  cinglante  injure  à 
adresser  à  un  traducteur  de  Cicéron,  François  Hotman,  que 
de  laccuser  d'enseigner  l'athéisme  cicéronien  :  elegans 
magister  Cicerordanti'  à^drr-o::  '2). 

Le  deuxième  livre  de  la  Divination  offrait  une  théorie  du 
miracle  extrêmement  hardie  :  Cicéron  nie  qu'il  y  ait  des 
miracles  au  sens  religieux  du  mot,  c'est-à-dire  des  faits  pro- 
duits par  une  intervention  particulière  de  Dieu.  «  Tout  ce  qui 
survient  est  le  résultat  nécessaire  d'une  cause  naturelle,  et  ce 
qui  semble  en  dehors  des  lois  ordinaires  ne  peut  jamais  être 
en  dehors  de  la  nature.  Trouvez,  si  vous  le  pouvez,  la  cause 
de  ce  qui  vous  étonne  et  vous  surprend  :  si  elle  vous  échappe, 
n'en  tenez  pas  moins  pour  certain  que  rien  ne  se  fait  sans  une 
cause  naturelle  (3)  ».  Et  ainsi,  il  ne  se  faut  étonner  de  rien.  Les 
prodiges  qu'on  nous  signale  comme  des  signes  de  la  colère 
des  Dieux  ne  sont  que  des  faits  rares  et  c'est  pour  cela  qu'ils 
nous  étonnent;  mais  la  nature  produit  tous  les  jours  des  choses 
plus  étonnantes  et  qui  ne  nous  surprennent  point,  tant  il  est 
vrai  que  «  c'est  l'ignorance  des  causes  qui  produit  notre  éton- 
nement  (^^  ».  En  présence  des  faits  de  ce  genre,  il  faut  donc  se 


(1)  p.  GaHandli  pro  scliola  pari>iien>ii...  oratio,  p.  67  :  «  Tibi  placult  dubia  et 
titubans,  ideoijue  prophana  et  impia  de  natura  deonim  ejus  disputatio...  » 

(2)  Lettic  de  Baudouin  à  Calvin  citée  par  Bayle,  art.  Hotman,  rem.  N. 

(3)  "  Quidriuid  oritur.  qualecumque  est,  causam  habeat  a  natura  necesse  est  :  ut 
etlam  si  pra'ter  consuetudineni  cx.stitorit,  pra^ter  naturam  tameii  non  possit 
exstsiere.  Causam  igitur  investigato  in  re  nova  atque  admirabili,  si  potes;  si 
nullam  rcperies.  illud  lamen  exploratiim  habcto,  niliil  fleri  p<3tuisse  sine  causa.  » 
{De  lUviiiallone.   H,  2S.) 

(4)  "  Mulae  partus  prol.itus  est  a  te,  res  mirabilis  proptereA  quia  non  saepe 
fit;  spd  si  fleri  non  potuisset  facta  non  esset.  Atque  lioc  contra  omnlaj  ostenta 
valeat,  nunquam  qu(«l  fleri  non  potuerit  esse  factum;  sin  potuerit,  non  esse 
rairandum.  Causarum  enim  ignoratio  in  re  nova  minilionem  facit  :  eadem  igno- 
ratio  si  In  rébus  usiuitis  est  non  rairamur.  »  {De  Divinatlone,  II,  22.) 


QUELQUES     SOURCES    ANTIQUES  21 

poser  le  dilemme  suivant  :  »  ou  bien  ces  choses  sont  impos- 
sibles naturellement  et,  dans  ce  cas,  elles  n'ont  pas  eu  lieu  ; 
ou  bien,  elles  sont  possibles,  et  donc  n'ont  rien  d'extra- 
ordinaire... ».  Cette  théorie  de  Cicéron  est  destinée  à  rassurer 
son  frère  Ouintus  contre  la  terreur  superstitieuse  des  pro- 
diges. Mais  appliquée  aux  miracles  par  Pomponazzi  et  l'école 
padouane,  elle  donnait  le  principe  qui  les  niait  et  les  expliquait 
a  priori  :  ce  n'est  pas  Dieu  qui  fait  le  miracle,  c'est  notre 
ignorance. 

Lui-même,  Cicéron,  entreprit  d'expliquer  certains  prodiges. 
Ou  plutôt,  c'est  son  frère  Quintus  qui,  après  Plutarque, 
explique  les  songes  et  les  facultés  divinatrices  des  mourants 
"à  la  façon  de  Platon  :  tandis  que  le  corps  est  inerte,  l'âme 
retourne,  agile,  vers  les  régions  supérieures  et  y  voit  l'avenir. 
C'est  Ouintus  aussi  qui  attribue  la  force  prophétique  de  la 
Pythie  de  Delphes  à  la  qualité  et  aux  exhalaisons  du 
sol  (1).  Cardan  fera  de  même  le  climat  de  Judée  propice  à 
l'éclosion  de  la  prophétie.  Mais  Cicéron  est  plus  sceptique 
que  son  frère.  Vous  dites,  lui  répond-il,  que  la  terre  de 
Delphes  avait  une  vertu  prophétique  :  pourquoi  donc  ne  l'a-t- 
elle  plus?  Comment  le  temps  peut-il  détruire  une  force  divine 
comme  celle-là  ?  '(  Depuis  quand  cette  force  secrète  a-t-elle 
disparu?  Serait-ce  depuis  qiie  les  hommes  sont  devenus 
moins  crédules  ("^^  ?  » 

On  remarquera  aussi,  au  cours  du  volume,  ce  que  ces  deux 
théories  du  miracle  et  de  la  divination  deviennent  dans  la 
philosophie  de  Pomponazzi,  de  Dolet,  de  Rabelais  (V^  livre), 
de  Montaigne  (3),  de  Bouchet,  d'une  part,  de  l'autre,  dans  celle 
de  Cardan,  de  Ronsard,  de  Pontus  de  Tyard.  Mais  le  De  Divi- 
natione,   si  je  ne  me  trompe,    a  été  moins  copié  et  moins 


(11  De  Diviiiatione.  I,  36.  Dans  les  Tusculnnea  il  explique  aussi  d'après  Plutarque 
la  fureur  prophétique  par  la  mélancolie  (Tusculanes,  III,  5). 

(-2)  De  Divinatione,  II,  57. 

(3)  Mr.ntaigne  a  emprunté  24  passages  au  De  Divinatione,  d'après  M.  Villey,  Les 
Source.<i  de  la  pensée  de  Montaigne,  I,  104. 


22  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

reproché  à  Cicéron  que  le  De  Nalura  Deomm^^l  Cependant, 
plusieurs  des  apologistes  que  nous  avons  cités  à  propos  du 
second,  les  joignent  tous  deux  dans  la  même  exécration.  En 
voici  un  aulre  plus  récent  (1575)  :  «  Cicéron,  ayant  lu  avec 
soin  les  livres  des  stoïciens  et  des  épicuriens,  a  voulu  dire, 
comme  les  autres,  sa  pensée.  Les  livres  qu'il  a  écrits  :  le  De 
Natura  Deorum,  le  De  Divinalione  et  le  De  Fato  sont  remplis 
de  doutes.  Après  avoir,  dans  le  De  Xatura  Deorum,  fait  dis- 
puter l'athée  Cotta  ei  le  stoïcien  Balbus,  lui-même,  disputant 
avec  son  frère  Quintus  sur  la  divination  (dans  le  De  Divina- 
lione), nous  ouvre  sa  pensée  ;  il  égale  et  même  surpasse 
l'impiété  de  ceux  qui  ont  traité  ce  sujet...  Il  use,  en  effet,  de 
ce  dilemme...  :  ou  bien,  il  n'y  a  pas  de  libre  arbitre  dans 
l'homme  et  Dieu  a  la  prescience,  ou  bien,  il  n'y  a  pas  de  pres- 
cience divine  et  l'homme  est  libre  '2)  ». 

Mais  que  pouvaient  faire  des  critiques  de  ce  genre  après  la 
poussée  du  cicéronianisme  qui  fît  adorer  Cicéron  aux  premiers 
humanistes?  Le  mot  n'est  pas  exagéré  :  Erasme,  dont  on  a  vu 
déjà  l'enthousiasme  pour  Cicéron,  écrivait  encore  dans  le 
Convivium  religiosum  (1522)  :  u  J'avoue  sans  crainte  à  mes 
amis  que  je  ne  puis  lire  les  dialogues  de'  Cicéron  sur  la  vieil- 
lesse et  sur  l'amitié,  ou  bien  le  De  oUiciis  et  les  Tusculanes, 
sans  m'arrêler  parfois  pour  baiser  la  page  et  penser  avec 
vénération  à  cette  âme  sainte  inspirée  par  une  divinité  céleste  ». 
H.  Lando  mettait  les  lettres  de  Cicéron  à  côté  de  l'Evangile  : 
<(  pour  moi,  le  Christ  et  Tullius  seuls  me  plaisent,  le  Christ 
et  Tullius  me  suffisent...  ».  Et  son  ami  Cousin,  qui  nous 
rapporte  ces  paroles,  ajoute  que,  lorsqu'il  s'enfuit  en  France, 
il  avait  oublié  d'apporter  l'Evangile  et  n'avait  dans  son  bagage 
que  Cicéron  (3).  Beaucoup  durent  faire  comme  lui.  Tour  ceux 


fl)  Il  est  vrai  que  sf)n  influence  ici  e.st  moins  facile  k  constater,  car  elle  se 
confond  avec  celle  d'Aristote  Voir  la  théorie  dWristote  dans  l'étude  sur  Vlco- 
mercato,  chap.  VII. 

(2)  .1.  QUERi.  De  Fait  exiiufjiitillone  (1575),  p.  20. 

(3)  Tous  ces  textes  sont  cités  par  Copley  Christie.  Dolet,  p.  12 14. 


QUELQUES    SOUKCES    ANTIQUES  23 

qui  ne  lisaient  que  les  Tusculanes^  la  chose  était  sans  danger; 
mais  quand  une  lois  on  a  cru  un  homme  inspiré,  il  est  difficile 
de  limiter  la  liste  des  ouvrages  qu'on  admettra  dans  le  canon. 

P-hne  a  eu  plus  que  Cicéron  encore  la  réputation  d'athéisme 
et  il  faut  accorder  qu'il  la  méritait  mieux.  Il  a  été  très  lu;  son 
Histoire  naluvelle  était  pour  les  savants  de  la  Renaissance  une 
véritable  encyclopédie.  Elle  eut,  de  1469  à  1532,  38  éditions  (^^ 
Je  laisse  de  côté  le  savant,  encore  qu'on  y  ait  cherché  les  cas 
rares,  herbes  médicinales,  propriétés  prodigieuses  de  certains 
animaux,  monstres,  pour  autoriser  à  croire  que  les  miracles 
étaient  produits  par  des  forces  naturelles,  et  ne  considère 
que  les  pages  philosophiques  de  son  livre. 

Le  deuxième  livre  est  consacré  à  la  religion.  Le  Dieu  de 
Pline  c'est  <(  le  monde,  immense,  éternel,  sans  origine  et  sans 
fin  '2)  ».  Les  autres  dieux  sont  des  hommes  divinisés  pour  leurs 
mérites  '^\  Il  est  inutile  d'essayer  de  se  faire  une  idée  de  ce 
Dieu  ''''.  Il  est  inconvenant  surtout  de  s'imaginer  qu'il  s'occupe 
de  nous  et  des  affaires  humaines  '^'.  Sa  puissance,  qui  est 
immense,  est  celle  de  la  nature  avec  qui  Pline  le  confond.  Elle 
fait  des  choses  étranges  au  premier  abord,  mais  dont  il  ne  faut 
pas  s'étonner.  Que  de  choses  jugées  impossibles  et  qui  existent 
en  effet!  Pour  qui  considère  l'ensemble  de  la  nature,  il  n'y  a 


(1)  Plattard,  L'Œuvre  de  Rabelais,  p.  227-229.  qui  indique  ce  que  lui  doit  Rabe- 
lais :  "  Il  était  trop  loin  du  pessimisme  de  Pline  pour  prendre  à  son  compte  les 
réflexions  attrist-ées  qu'inspirent  au  naturaliste  latin  le  spectacle  de  la  faiblesse  de 
1  homme  à  sa  naissance  ou  l'extrême  raffinement  de  la  civilisation.  Mais  il  les  a 
méditées  et  il  s'en  est  souvenu.  Son  roman  doit  à  Pline  naturaliste  une  foule  de 
singularités  et  de  cas  étranges,  et  à  Pline  moraliste  des  sentences,  des  considéra- 
tions qui  ont  pris  souvent  une  forme  oratoire  >■. 

(2)  Numen  esse  credi  par  est  (mundum)  aeternum,  immensum,  neque  genitum, 
neque  interiturum  unquam  (llistor.  nat  ,  II.  1).  En  I5i0,  A.  Steuco  reproche  ce 
texte  à  Pline   {De  Perennl  philosoptiia,  VI.   2). 

(3)  Ibid..  II,  5.  ^ 

4)  IbhL,  II,  5  :  Hic  est  veiustissimus  referendi  bene  merentibus  gratiam  mos  ut 
taies  numinibus  adscribant.  Quippe  et  aliorum  nomina  Deorum...  ex  hominum 
nata  sunt  meritis. 

(5)  Irridendum  vero  agere  curam  rerum  humanarum  illud  quidquid  est  sum- 
mum. Anne  tam  trjsti  atque  multiplie!  ministerio  non  pollui  credamus  dubite- 
musve  ?  II,  5. 


24  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

point  (rirrégularilé  a  ï^es  lois  ni  de  monstres  en  sa  majesté  (^'. 
Sa  puissance  a  pourtant  des  bornes  :  elle  ne  peut  faire  des 
choses  absurdes  ou  contradictoires,  rendre,  par  exemple,  les 
hommes  immortels,  les  ressusciter  une  fois  morts  ;  elle  ne 
peut  pas  faire  que  celui  qui  a  vécu  n'ait  pas  vécu,  ou,  dans 
un  autre  ordre  de  faits,  que  2  fois  10  ne  fassent  pas  20  :  «  d'où 
Ion  voit  la  puissance  de  la  nature,  et  c'est  ce  que  nous  appelons 
Dieu  '-'  ».  Celle  apothéose  de  la  nature,  c'est  la  rehgion  d'une 
grande  partie  de  la  Renaissance.  Mais  les  limites  mêmes,  ridi- 
cules, que  Pline  pose  à  la  puissance  divine,  je  ne  les  aurais 
pas  rapportées  si  je  n'en  avais  trouvé  l'expression  et  la  réfu- 
tation dans  quelques  apologistes  chrétiens  (3) 

Abandonné  de  Dieu,  l'homme  est  malheureux  sur  la  terre. 
Phne  est  foncièrement  pessimiste  et  le  pessimisme  n'est  pas 
chrétien  i^'.  Or,  aucune  page  peut-être  n'a  été  plus  copiée, 
commentée,  grossie  par  la  Renaissance,  que  le  célèbre  début 
du  VIP  livre,  où  Pline  a  mis  la  condition  ùe  l'homme  au- 
dessous  de  celle  des  animaux  f^'.  La  terre,  dure  marâtre  plutôt 
que  mère  pour  l'homme^  tandis  qu'elle  donnait  aux  autres 
êtres  vivants  des  poils,  des  écorces,  a  jeté  l'homme  nu  sur 
la  terre,  destiné  aux  pleurs  dès  le  premier  jour  de  sa  vie. 
Puis  le  sombre  philosophe  oppose  la  faiblesse  et  l'ignorance 
de  l'enfant  à  l'instinct  si  précoce  et  si  sûr  des  animaux  ;  il 
dépeint  les  passions  :  ambition,  avarice,  superstition,  tour- 
ment de  l'au-delà  ;  les  contradictions  entre  les  idées,  les 
religions,    les  mœurs  des  peuples  f^'  :  plus  loin,   il  ajoute  à 


(1)  Ibid..   VIT,  1. 

(2)  II,  5.  In  flr.p. 

(3)  Voir  Charron,  Trois  Vérités,  I,  10. 

(4)  Uomeo  tie  Castlglione  par  e.xemple  (1536)  reproche  vlolpmmfiit  à  Pllnp  la  page 
que  je  commenta"  ici.  De  lib  ofter..  veritas  IV.  p.  22-23).  Moiitaisne  la  traduit  et 
peprochf  a  Pline  (h-  p.'irler  ainsi  dp  nii-u  (Essais.  II,  xii.  édlt  Motheau.  vol.  IV, 
p.   31-32). 

(5)  Voir  i:ar  e.xemple  la  page  où  Rabelais  le  traduit  (III,  viii)  et  celle  de  Mon- 
taigne. Essais.  II,  XII  (él.  Motheau.  3"  vol..  p.  199-2(K));  (^u  plus  loin,  au  chap.  XIII, 
la  traduction  d?  Boaistuau  (Théâtre  du  monde,  p.  6)  et  De  l'Espine,  dans  son 
Trtiilé  (te  la  Providence  (i.5,s9).  cité  par  IloGi;,  De  l'Espine,  p    88.  95. 

(«^  VII,  1. 


QUELQUES    SOURCES    ANTIQUES  25 

tous  ces  maux  la  brièveté  de  la  vie  (^>  et  conclut  :  «  Beaucoup 
ont  pensé  qu'il  valait  mieux  n'être  pas  né,  ou  mourir  au  plus 
vite  (2)  .),. 

Le  même  pessimisme  lui  fait  repousser  toute  hypothèse 
d'immortalité  ou  de  résurrection  :  «  Tous  les  hommes  sont 
après  leur  dernier  jour  comme  avant  leur  premier,  et  après  la 
mort,  il  n'y  a  plus  de  sentiment  ni  pour  l'âme  ni  pour  le 
corps,  pas  plus  cju'avant  la  naissance.  La  même  vanité  se 
continue  pour  l'avenir  et  au  temps  même  de  la  mort  se  promet 
à  faux  {sibi  mentitur)  la  vie  :  soit  par  l'immortalité,  soit  par 
la  métempsycose  :  comme  si  la  vie  de  l'homme  différait  de 
celle  des  animaux,  ou  qu'il  n'y  eût  pas  sur  terre  des  animaux 
qui  vivent  plus  longtemps  et  à  qui  personne  ne  présage 
l'immortalité  ».  Puis,  il  objecte  les  difficultés  de  se  figurer 
une  âme  après  la  mort  :  de  quoi  est-elle  faite?  conmient  sub- 
siste-t-elle ?  comment  exerce-t-elle  ses  sens?  «  Ce  sont  des 
fables  pour  amuser  les  enfants  que  ces  contes  d'une  mortalité 
qui  ne  veut  pas  finir.  Quelle  est  cette  folie  de  renouveler  la 
vie  par  la  mort?  Quel  repos,  une  fois  nés,  s'il  y  a  un  élysée 
et  des  enfers  où  l'âme  et  les  ombres  ont  encore  le  sentiment  ? 
Cette  envie  cruelle  gâte  le  seul  bien  de  la  vie  :  la  mort  (3)  ». 
Déjà,  par  la  sincérité  et  la  profondeur  de  son  pessimisme, 
Pline  nous  fait  penser  au  poète  du  néant  : 

O  lugubres  troupeaux  des  morts,  je  vous  envie, 
Si,  quand  l'immense  espace  est  en  proie  à  la  vie, 

Vous  goûtez  à  jamais,  hôtes  d'un  noir  mystère, 

L'irrévocable  paix  inconnue  à  la  terre, 

Et  si  la  grande  nuit  vous  garde  tout  entiers  !  (^). 


(1)  VII,  51. 

(2)  VII,  1.  —  Même  conclusion  VII,  51   :  Natura  vero  nihil  hominibus  brevitate 
vitœ  praestitit  melius. 

(3)  VII,  56. 

(4)  Leconte  de  Lisle,  Poèmes  Barbares,  Aux  morts. 


26  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Une  irréligion  aussi  radicale  ne  pouvait  guère  prendre 
d'iniluence  au  XVP  siècle,  les  humanistes  chrétiens  lui  repro- 
chaient de  blasphémer;  les  autres,  ceux  que  ses  idées  auraient 
attirés,  son  pessimisme  devait  leur  paraître  ridicule.  Qui  fut 
moins  pessimiste  que  les  hommes  qui  assistèrent  au  spectacle 
de  notre  Renaissance?  Pourtant  ses  attaques  contre  la  Provi- 
dence et  l'immortalité  s'ajoutaient  aux  attaques  plus  masquées 
de  Pomponazzi.  Pio,  dans  l'édition  de  Lucrèce  que  fil 
imprimer  Bérauld  à  Paris  en  1514,  joint  Pline  à  Lucrèce  pour 
ce  qui  concerne  l'impiété  ^^K  II  est  regrettable  que  nous  n'ayons 
pas  le  commentaire  que  Longueil  consacra  à  Pline.  On  sait 
qu'il  l'avait  surtout  étudié  en  érudil,  compulsant  les  savants 
anciens  dont  il  trouvait  trace  dans  Pline  et  entreprenant  de 
longs  voyages  d'études  en  France,  en  Angleterre,  en  Alle- 
magne, pour  voir  les  villes  décrites  par  Pline  (2).  En  1531,  à 
Venise,  Egnazio  expliquait  devant  Bunel  et  Dolet  le  septième 
livre,  celui  précisément  où  nous  venons  de  signaler  la  néga- 
tion de  la  Providence. 

Poslel,  surtout,  s'est  acharné  sur  lui,  autant  au  moins  que 
sur  Pomponazzi.  Dès  ses  premiers  livres,  il  en  fait  un  disciple 
d'Epicure  '^l  N'a-t-il  pas  imaginé  un  Dieu  qui  se  confond  avec 
le  monde?  N'a-t-il  pas  écrit  que  Dieu,  c'est  le  bien  que  nous 
faisons  à  nos  semblables  ('''  ?  Puis,  il  le  compare  —  suprême 
injure  au  XVP  siècle  —  à  Averroès  (^^  !  Dans  le  De  Etrurm' 
originibus  (1551),  il  lui  reproche  de  nier  l'existence  de  Dieu, 
la  Providence  et  l'immortalité  (^',  et  plus  loin  les  miracles  C'). 


(1,  Animum  ferire  cum  corpore  quando  contaffio  corijoris  affligilur.  IIujus  nefa- 
riae  et  a  piis  mentibus  absterfrendre  senUntije  fuit  Pliniiis.  In  ('.  Lmrclium  poetani 
vommenlarii  a  J    R.  Pio  edUl,  Venundatur  ab  Ascencio  et  J.  P.'ii-n'o,  \bVi,  in  f°. 

{•i)  XicÉRON,  MéiiKiires.  XVII;  SiMAR.  Etude  mr  la  lir  de  C.  de  I.ontineU  Recueil 
des  travaux  de  l'Université  de  Louvain.  1911;  et  surtout  la  vie  de  Limpueil  en  tête 
de  ses  Œuvres  (Gryphe,  1563,  p.  10,  12  à  15). 

(3)  De  Orbls  concordla  (1543),  p.  130. 

(4)  De  Orbis  concordla,  I,  2,  p.  18. 

(5)  IMd..  p.  IM  v.  Autres  attaques,  iMd.,  p.  59. 

(6)  P.  40. 

(7)  P.  189-190. 


QUELQUES     SOURCES    ANTIQUES  27 

P.  Galland  (1551)  le  joint  dans  la  même  réprobation  à  Lucien 
et  à  Suétone  ;  «  Ils  ont,  dit-il,  poussé  des  aboiements  si  sacri- 
lèges et  impies  contre  les  chrétiens  et  contre  notre  chef  lui- 
même,  le  Christ,  contre  l'immortalité  des  âmes  et  d'autres 
dogmes  chrétiens  que,  à  moins  d'être  expliqués  par  un  pro- 
fesseur d'une  science  remarquable  et  d'une  foi  sincère  et 
assurée,  je  ne  vois  pas  qu'on  puisse  les  admettre  dans  les 
écoles  (^'  ».  De  Lostal,  dans  son  deuxième  Discours  philo- 
sophique (1579),  rapproche  de  la  Consolation  à  Marcia,  où 
Sénèque  semble  nier  l'immortalité,  le  VIP  chapitre  du 
deuxième  livre  de  YHistoire  naturelle,  où  «  Pline  a  si  mal- 
heureusement traité  de  la  Providence  divine,  qu'il  ne  se  faut 
point  esbahir  s'il  a  mal  opiné  de  l'immortalité  de  nos 
âmes  '2)  ».  Crespet,  tout  en  se  servant  de  son  témoignage  pour 
combattre  le  polythéisme,  le  proclame  «  le  plus  asseuré  athée 
de  tous  -3)  ».  Garasse,  enfin,  après  avoir  rapporté  les  mêmes 
objections  du  second  livre  de  Pline  contre  la  Providence, 
assure  que  cette  Histoire  naturelle  u  de  Pline  le  grand  »  est 
l'arsenal  des  athées  (s). 

Il  est  possible,  et  pourtant  Garasse  me  semble  exagérer. 
Toute  la  philosophie  de  Cicéron,  réunie  à  toute  la  science  de 
Pline  et  à  la  poésie  de  Lucrèce,  n'eussent  pas  plus  détourné 
le  monde  du  christianisme  au  XVP  siècle  qu'ils  ne  l'avaient 
empêché  d'y  aller  aux  premiers  siècles,  s'il  n'y  avait  eu  à 
l'irréhgion  d'autres  causes,  et  plus  puissantes.  Seulement, 
ils  y  ont  aidé  ;  l'engouement  pour  la  beauté  de  la  forme,  la 
fraîcheur  de  doctrines  qui  semblaient  toutes  nouvelles,  l'au- 
torité de  grands  noms  contrebalançant  subitement  celle  des 
Pères  et  des  théologiens,  ont  pu,  dès  le  début  du  siècle,  séduire 
cei^tains  esprits.  La  plupart,  cependant,  ne  se  sont  détachés 


(1)  p.  GaUandii  pro.schola  parisiensi...  oratio.  p.  44  -v". 

(2)  ni-^cours  plnlosophiques,  le  discours,  p.  47.  Renvois  à  Cnv<'Olatlo  od   Mari. 
c.  55,  et  à  Nat.  Hist.,  II,  7. 

(3)  De  l'Ame,  I,  1,  p.  4  (éd.  de  1604). 

(4)  Somme  des  Vérités  chrétiennes,  II,  6,  p.  99. 


28  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

de  la  religion  que  sous  rintluence  de  courants  plus  puissants 
qu'il  nous  reste  à  étudier.  M.  Besch  me  semble  avoir  donné  la 
conclusion  exacte  de  ce  chapitre  quand  il  a  écrit  :  «  L'huma- 
nisme, en  vulgarisant  la  littérature  et  la  philosophie  antique, 
avait  donné  (vers  1550)  aux  intelligences  d'élite  une  certaine 
tournure  laïque  qui  les  inclinait  au  rationalisme  ^i)  ».  Je  ne 
ferais  de  réserve  que  sur  la  date,  qu'il  faudrait  reculer  d'au 
moins  vingt  ans. 

(1)  Revue  du  XVIe  siècle,  1919,  p.  28,  art.  sur  Tahureau. 


CHAPITRE    II 
Sources   Italiennes. 

L'École  de  Padoue  entre  1520  et  1530. 


L'Ecole  Padouane  avant  Pomponazzi.  —  II.  Pomponazzi  :  L'immortalité 
{De  Anima).  —  IIL  Pomponazzi  :  La  Providence  [De  Fato).  —  IV. 
Pomponazzi  :  Les  miracles  {De  Incantationibus) ;  l'antinomie  entre  la 
raison  et  la  foi.  —  "V.  Pomponazzi  :  Eternité  du  monde  i d'après  un 
manuscrit!. 


,  On  pourrait  dire  que  la  renaissance  du  rationalisme  au 
XXl^  siècle  fut  surtout  la  renaissance  de  l'averroïsme.  C'est 
lui  qui,  transformé  par  le  centre  d  études  de  Padoue,  fixa  les 
points  d'attaque  précis  de  la  libre-pensée.  En  tant  que  le 
rationalisme  européen  en  est  issu,  il  date  du  XIIP  siècle  ^^^ 
((  Le  XVP  siècle   n'a  eu  aucune   mauvaise  pensée   que   le 

.{l)  •<  Ainsi  vers  le  milieu  du  Xllie  siècle  presque  tous  les  ouvrages  importants 
d'Averroès  ont  été  traduits  d'arabe  en  latin  »  (Renan,  Avetroès,  p.  216).  Sur  l'impor- 
tance du  mouvement  rationaliste  à  Paris  au  Xllle  siècle,  voir  Renan,  op.  cit.,  268, 
et  Du  PLESSis  d'Argentré,  Collectio  judiciorum,  I,  175  et  suiv.,  qui  donne  la 
liste  des  erreurs  condamnées.  Renan  {op.  cit.,  p.  107-108)  a  bien  montré  d'autre 
part  comment  l'averroïsme,  en  interprétant  la  doctrine  d'Aristote,  arrive  au  ratio- 
nalisme :  «  Tout  l'esprit  de  la  philosophie  arabe'.,  est  résumé  en  deux  doctrines, 
ou,  comme  disait  le  moyen  âge,  en  deux  grandes  erreurs  intimement  liées  entre  elles 
et  constituant  une  interprétation  complète  et  originale  du  péripatétisme,  l'éter- 
nité de  la  matière  et  la  théorie  de  l'intellect.  La  philosophie  n'a  jamais  proposé 
que  deux  hypothèses  pour  expliquer  le  système  de  l'univers  :  d'un  côté.  Dieu  libre, 
personnel...,  providence,  causalité  de  l'Univers  transportée  en  Dieu,  âme  humaine 
susbtantielle  et  immortelle;  d'autre  côté,  matière  éternelle,  évolution  du  germe  par 
sa  force  latente,  Dieu  indéterminé,  lois,  nature,  nécessité,  raison,  impersonnallté 
de  l'intelligence,  émersion  et  réabsorption  de  l'individu.  La  philosophie  arabe, 
et  en  particulier  celle  d'Ibn  Roschd  (Averroès).  se  classe  de  la  manière  la  plus 
décidée  dans  la  seconde  de  ces  catégories  ». 


30  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

XIIP  siècle  n'ait  eue  avant  lui  ^^K  Sous  l'influnce  de  quelles  per- 
sonnalités ;  Albert  le  Grand,  saint  Thomas,  Raymond  Lulle,  ce 
courant  s'est  ralenti  à  la  fm  du  XIIP  siècle  en  France  (2);  sous 
quelles  influences,  par  contre,  il  s'est  épanoui  et  transformé  en 
Italie  dans  les  Universités  dont  Padoue  était  le  centre  :  Pierre 
d'Abano  '^K  le  Français  Jean  de  Jandun  ^^\  l'augustin  Paul 
de  Venise  *5),  le  chanoine  Gaëtano  de  ïiène  (1387-1465)  ^^\ 
Vernias  enfin,  le  maître  de  Niphus  '^',  Renan  nous  l'a  raconté 
tout  au  long  et  M.  Charbonncl  l'a  résumé  dans  une  thèse 
récente  '«).  Aussi  bien  tout  cela  nous  est  inutile,  car  s'il  est 
très  exact  que  toutes  les  idées  principales  pour  lesquelles 
combat  le  rationalisme  du  XVP  siècle  ont  été  émises  et  souvent 
sous  les  mêmes  formes  en  France  dès  le  XIIP  siècle '^^  s'il 
est  vrai  que  Pomponazzi  lui-même  n'est  pas  le  père  du  ratio- 
nalisme padouan.  mais  qu'il  n'a  fait  que  reprendre  et  systé- 
matiser des  idées  antérieures  (^'^>,  encore  est-il  que  ce  sont  ses 
disciples  immédiats  et  ses  livres  qui  ont  provoqué  en  France 
la  renaissance  du  rationalisme,  qu'il  est  le  seul  dont  se  sou- 
viennent les  «  libertins  »  de  1530  à  1550  (i^',  et  le  seul  aussi, 


(Il  Renan,  Averroèx  el  l'averroïsnie,  p.  23C>-231. 

(2)  Renan,  op.  cit.,  ch.  II,  p.  321  et  suiv.  Sur  la  fortune  de  la  philosophie 
cI'Aristote  et  de  ses  commentateurs,  les  luttes  entre  les  réalistes  et  les  nomina- 
listes.  voir  Du  Plessis  d'Argentré,  op.  cit.,  I,  p.  132  et  suiv.  et  280  et  suiv.,  et 
Jiussi  Launoy,  De  varia  Ari!^tot<ell^  in  Academia  parlaiensl  fortuna. 

(3;  Renan,  op.  cit.,  p.  32*;;  Mabilleau,  Crenionhti,  p.  92. 

Cl'  Renan,  op.  cit.,  p.  338. 

(51  Ibid..  p.  344. 

(0    lijift  .   p.   347. 

(7i  lliid..  p.  352,  et  Bayle.  Dirtiouriaire.  an.  Xiphus. 

(><)  T.n  Pensée  italienne  nu  .M/e  siècle  et  le  courant  libertin,  chap.  II,  début, 
r>,  22r)-231. 

(9i  Voir  Rena.n.  o/,.  cil.,  ch.  II,  et  spécialement  :  pour  l'Immortalité,  p.  230-239: 
sur  la  Raison  et  la  Foi,  p.  232;  sur  la  Création,  p.  238,  et  pour  l'ensemble,  p.  268- 
276.  II  trouve  même  un  cas  d'incrédulité  dans  presque  tous  les  mystères  chrétiens 
à  Orléans  en  1022.  mais  ce  cas  est  e.vceptlonnel. 

(Il»),   RENAN,  op.  cit.,  p.  322-353. 

Il»  M.  PiCAVET  a  noté  cette  filiation  :  ••  Les  padi.uans  du  XVie  siècle  n'ont  fait 
que  reprrxluire  la  doctrine  des  averroïstes  du  XIII''  siècle  sur  l'opposition  de  la  foi 
et  de  la  raison  et  les  iKulouans  a  leur  tour  sont  continués  au  XVIie  siècle  par  ceux 
qu  on  a  appelés  les  libertins  et  les  esprits  forts  ».  ncvue  philosophique,  septembre 
1911,  p.  310. 


SOURCES    ITALIENNES  31 

OU  à  peu  près,  à  qui  s'en  prennent  leurs  adversaires,  comme 
on  le  verra  plus  loin.  x\insi,  comme  il  est  reconnu,  d'autre 
part,  que  toute  la  libre-pensée  italienne  du  XVP  siècle  vient 
aussi  de  lui  '",  résumer  ses  doctrines  essentielles,  ce  sera 
indiquer  les  théories  qui  ont  passé  en  France  aux  environs 
de  1530. 

L'Ecole  de  Padoue,  partie  de  la  méthode  positiviste  et  de 
l'étude  de  la  nature  (fm  du  XIIP  et  XIV"  siècles)  ^^\  s'était 
adonnée,  au  cours  du  X'V*',  à  l'étude  de  la  logique,  puis  de 
la  métaphysique  ^3)  ;  mais  le  XVP  la  ramena  vers  l'étude  de 
l'âme  (*'.  Le  succès  récent  des  commentaires  d'Alexandre 
d'Aphrodisias,  où  était  niée  plus  brutalement  encore  que  chez 
Averroès  l'immortalité  de  l'àme,  avait  ravivé  ce  problème  qui, 
du  reste,  ne  s'était  jamais  éteint  depuis  le  XIIP  siècle.  Les 
attaques  hardies  de  Paul  de  Venise  (^',  les  commentaires  de 
Thomas  de  Vio  Cajetan,  que  nous  retrouverons  associé  à 
Pomponazzi  dans  les  malédictions  de  G.  Postel,  et  dont  Renan 
a  dit.  après  G.  Patin  '^l,  que  c'est  de  lui  que  Pomponat  «  tira 
son  venin  »,  les  leçons  de  Vernias  avaient,  pendant  tout  le. 
XV^  siècle,  exaspéré  l'opinion  sur  cette  question  de  l'immor- 
talité ^''K  Tous  les  professeurs  avaient  fait  leur  traité  sur  ce 
problème,  et,  par  l'attitude  qu'ils  y  adoptaient,  on  pouvait 
juger  de  la  rectitude  de  leur  foi.   Les  étudiants  en  étaient 


(1)  Voir  Charbonnel,  La  Pensée  italienne  au  XV I^  siècle  et  le  courant  libertin, 
p.  227-231.  MaLs  M.  Charbonnel  n'étudie  Pomponazzi  que  chez  son  élève  Cremonini 
et  chez  les  érurtits  italiens  qui  ont  étudié  sa  philosophie  (Fiorentino  et  Ferri).  J'ai 
pen-té  qu'il  était  nécessaire  de  lui  restituer  sa  vraie  place,  qui  est  la  première. 
M.tBiLLEAU  constate  la  même,  chose  :  «  C'est  autour  de  Pomponazzi  qu'il  convient 
de  grouper  les  principaux  représentants  de  l'école  padouane  au  XVie  siècle  (Cre- 
monini. p.  114).  Renan  :  ■■  Pomponat  représentant  la  pensée  vivante  de  son  siècle... 
ce  n'est  plus  un  scolastique,  c'est  déjà  un  homme  moderne  ».  {op.  cit.,  p.  554.) 

(2)  MABILLEAU,   op.    Cit.,  p.   90  et   SUiV.;   CH-iRBONNEL,   op     Cit..   p.   220-221. 

(3)  MABILLEAU,    op.    Cit.,    p.    98. 

(4)  Ibid.,    p.   114:   CHARBONNEL,   op.    Cit.,   p.   226-227. 

(5)  Mort  enl429.  Voir  Ren.\n,  op.  cit.,  p.  345. 

(6)  Ibid..  p.  351.  Patiniana,  p.  98-99,  éd.  1701.  Voir  B.\yle,  Dictionnaire,  art. 
Niphus,  remarque  C;  et  Renan,  op.  cit.,  p.  352. 

(7)  Voir  BRUCKER.  Hist.  phil.  critlca,  IV,  p.  61  à  69. 


32  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

arrivés  eux  aussi  à  ne  vouloir  pas  qu'on  fit  un  cours  sans 
Iraiter  ce  sujet  (^>.  Le  concile  de  Lalran,  en  décembre  1512, 
condamna  les  averroïsles. 


II 


Poniponazzi  f^'  aborda  la  question  dans  son  Tractatus  de 
immortalitate  animœ,  qui  parut  en  1516. 

Le  disciple  qui,  au  début  du  livre,  demande  à  Pomponazzi 
de  lui  parler  de  l'immortalité,  exclut  tout  d'abord  toute 
ingérence  de  la  foi  dans  la  discussion  :  «  Cher  Maître,  lui  dit- 
il, ...  vous  nous  avez  dit  que  la  thèse  du  divin  Thomas  sur 
l'immortalité  de  l'âme,  encore  qu'elle  soit  vraie  et  très  solide, 
est  pourtant  en  contradiction  avec  les  écrits  d'Aristote  ;  c'est 
pourquoi,  si  je  ne  suis  pas  importun,  je  voudrais  savoir  de 
vous  deux  choses  :  d'abord,  quelle  est  votre  opinion  sur  ce 
sujet,  les  révélations  et  les  miracles  mis  de  côté,  et  en  s'en 
tenant  simplement  aux  limites  naturelles  ;  secondement,  quel 
est,  selon  vous,  l'avis  d'Aristote  en  cette  matière  '^^  ».  On  sent 
bien  que  cette  dernière  question  est  secondaire  et  va  seule- 
ment permettre  à  Pomponazzi  de  se  retrancher  derrière  Aris- 
tote.  Quant  à  la  première,  en  séparant  la  raison  et  la  foi,  elle 
autorise  ainsi  le  maître  à  toutes  les  audaces,  les  hérésies  ne 
pouvant  être  des  hérésies  que  chez  un  théologien,  non  chez 
un  philosophe. 

Et  le  professeur  s'atlafiue  au  problème.  Dans  une  première 
partie  ^^\   il  discute  les  preuves  métaphysiques  de  l'immor- 


(1)  Vnir   MAUILLKAIj,   o//.   cil  ,   \).   275;   RE.N.4N,   o/y.   dl.,   p.   355. 

(2)  Pour  les  détails  sur  la  vie,  les  ouvrages  et  la  bibliographie  de  Pomponazzi, 
Je  renvoie  à  Tiraboschi,  Sloria  délia  leller.  ilal.,  VII,  p.  OVi-652.  à  la  thèse  récente 
de  M.  CiiARBONiVEL,  et  aux  ouvrages  de  Fiokentino  :  P.  Pomponazzi  (Florence, 
ISOH  :  ARDtGo,  PompoiKtzzl  (Mantoue,  1869,  Padoue,  t90«);  Fonta.na,  SuUa  Jminor- 
lalilà  fini  anima,  dl  Pielro  Pomponazzi  (Sierra,  1869);  on  trouvera  une  abondante 
bibliographie  dans  l'ouvrage  de  M.  Charbonnel.  p.  LL. 

(3)  De  Immorlalttate  animx.  proœmlum,  p.  4  (je  cite  selon  l'édition  s.  1.  de  1534). 

(4)  Cha]).  I-XIII. 


SOURCES    ITALIENNES  33 

lalité.  Sa  méthode,  que  nous  retrouverons  dans  son  De  Incaii- 
lalwnibus,  est  à  remaniuer.  Il  expose  et  réfute  tour  à  tour 
les  systèmes  divers  qui  ont  de  tout  temps  prétendu  expliquer 
1  orignie  et  la  destinée  de  l'âme  humaine.  Les  chapitres  pairs 
réfutent  les  impairs,  apportant  les  uns  et  les  autres  des  objec- 
tions, des  réfutations,  des  objections  aux  réfutations  précé- 
dentes, et  ainsi  à  l'infini,  si  bien  qu'au  milieu  du  livre  on  ne 
sait  plus  guère  ce  qu'il  faut  croire,  ni  ce  que  croit  l'auteur 
lui-même.  C'est  seulement  après  les  avoir  tour  à  tour  exposés, 
réfutés,  défendus  et  définitivement  rejetés,  qu'il  nous  expose 
son  propre  système.  Ajoutons  que  le  style  barbare,  au  témoi- 
gnage de  Brucker  lui-même  'i',  dont  le  latin  n'est  pas  du 
meilleur  goût,  et  la  dialectique  obscure  et  scolastique,  ne 
facilitent  pas  l'étude  de  ce  livre.  Essayons  pourtant  d'en 
dégager  les  grandes  lignes. 

Averroès  (2)  enseigne  que  l'intellect  est  séparé  de  l'âme 
sensitive,  qu'il  est  immortel,  mais  unique  pour  tous  les 
hommes.  Pomponazzi  ne  s'arrête  pas  longtemps  à  exposer  ce 
système,  pourtant  très  répandu.  Renan,  depuis,  a  soutenu 
qu'Alexandre  d'Aplirodisias,  Thémistius  et  les  Arabes,  en 
faisant  l'intellect  <(  séparable  du  corps,  éternel,  divin  »,  n'ont 
fait  que  commenter  Aristote,  et  en  le  prétendant  unique,  que 
.((  tirer  la  conséquence  immédiate  de  la  doctrine  exposée  au 
troisième  livre  de  l'âme  '3)  ».  .Mais  tel  n'est  pas  l'avis  de  Pom- 
ponazzi. Il  s'étonne  qu'on  ose  attribuer  à  Aristote  une  théorie 
«  aussi  éloignée  de  sa  pensée,  aussi  fausse,  incompréhensible, 


(1)  In  stilo  barbaro,  inepto,  confuso,  et  scholasticorum  stabulam  redolente,  ex 
quo  facile  tsedium  legenti  obrepit,  quas  scribendi  dicendique  ineptias  comitatur 
methodus  obscura,  scholastica,  spinosa  et  ob.jectionum  atque  responsionum  ita 
impllcata  ut  non  nisi  summa  attentions  adhibita  authoris  neminl  mens  perspici 
queat  {Hist.  p/i.  crit.,  IV,  p.  161);  déjà  en  1543  Vicomercato  disait  au  collège 
de  France  que  ceux  qui  avaient  le  courage  de  surmonter  le  dégoût  engendré  par 
la  lecture  de  Pomponazzi,  on  devait  les  tenir  pour  doués  d'une  belle  patience. 
{De  Anima  ratlonali,  p.  234.) 

(2)  De  Immortalitate  animœ.  ch.  III IV. 

3)  Averroès  et  l'Averroïsvie..  II,  V,  p.  123-124. 


3i  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

ii)oii:?li  ucLise  o  ».  Pomponazzi,  en  efi'el,  n'est  pas  un  disciple 
d'AvciToès,  mais  d'Aristote. 

Platon  et  saint  Thomas  ne  lui  plaisent  pas  mieux '2).  Tous 
les  deux  enseignent  que  l'intellect,  distinct  de  l'âme  sensitive, 
est  multiplié  avec  les  individus.  Soit  qu'on  admette  avec 
IMaton  que  l'àme  est  à  l'égard  du  corps  sicul  motor  ad 
luotuiii,  ou  avec  les  scolastiques  qu'elle  est  la  forme  du  corps, 
celte  théorie  est  à  rejeter.  Le  système  de  Platon,  en  effet, 
détruit  l'unité  du  composé  humain.  La  deuxième  formule  est 
la  pure  doctrine  de  saint  Thomas. 

Ne  séparons  donc  pas  l'àme  immortelle  de  l'âme  mortelle  ^^K 
Toutes  les  deux  sont  dans  l'homme.  La  question  est  de  savoir 
si  cette  âme  est  à  la  fois  mortelle  et  immortelle,  est  plutôt 
immortelle  que  mortelle  ou  vice  versa.  Voilà  évidemment  la 
position  à  emporter  (^).  Pomponazzi  s'arrête  en  face  de  saint 
Thomas.  Derrière  le  docteur  angélique,  il  voit  «  l'Ecriture, 
qui  doit  être  préférée  à  toute  raison  et  môme  à  l'expérience  »; 
mais,  avec  tout  le  respect  qu'il  doit  à  l'Ecriture  et  à  la  foi., 
Pomponazzi  se  demande  si  ces  vérités  dépassent  les  limites 
de  la  raison,  et  si  ce  qui  est  révélé  et  objet  de  foi  est,  en  même 
temps,  comme  le  prétend  saint  Thomas,  conforme  à  l'aris- 
totélisme.  Pour  sa  part,  sans  vouloir  contredire  le  grand 
aristotélicien  qu'est  saint  Thomas,  il  se  permet  d'émettre 
quelques  doutes  sur  son  système;  car  la  même  méthode,  qui 
tire  de  la  nature  des  opérations  intellectuelles  la  preuve  de 
l'itnmortalilé,  prouverait  aussi  bien,  par  la  nature  des 
o| m' ridions  sensitives,  le  besoin  que  l'âme  a  du  corps,  l'usure 


(1)  .\lihi  videtur  qiKid  netliim  in  se  sit  falsissima,  veriim  ininU'Uifîil'ilis  et  mons- 
triKJsa  et  ab  Aristotele  prorsus  aliéna  {cap.  IV,  p.  11);  même  idée  dans  De  Incan- 
tatifwibus,  X,  p.  193.  —  Cf.  aussi  Ren\n,  op.  cit.  II,  III,  p.  357  :  «  C'est  donc  par 
erreur  qu'on  a  rangé  Pomrxxiat  ixirmi  les  averroistes  ».  Selon  certains,  Il  .serait 
plutôt  disciple  d'Ale.xandre  d'Aphrodislas  (Charbon.\el,  La  Pensée  liai.,  p.  228). 
Pomponazzi  n'accepte  pas  ouvertement  rale.\andrisme,  mais  il  arrive  aux  mêmes 
conclu.sions  à  pou  près. 

(2)  Ch.  V-VI. 

(3)  Cil.  MI. 
('.)  Ch.  VIII. 


SOURCES    ITALIENNES  35 

de  ses  facultés,  que  l'àme  est  mortelle.  Et  même,  en  y 
regardant  de  près,  on  verra  que  l'âme  a  plus  de  facultés  qui 
supposent  sa  mort  qu'elle  nen  a  à  postuler  son  immortalité. 
Nous  ne  pouvons  pas  suivre  dans  le  détail  toute  cette  dis- 
cussion où  Pomponazzi  essaie  d'élreindre  son  adversaire, 
emploie  la  dialectique  si  serrée  à  la  fois  et  si  abstraite  de  la 
scolastique  pour  exposer,  mettre  en  doute,  confirmer  et 
réfuter  tom"  à  tour  les  thèses  de  saint  Thomas  sur  l'unité, 
l'immortalité,  l'individualité  et  l'origine  de  lame.  Ce  n'est  pas, 
du  reste,  qu'il  veuille  contredire  un  philosophe  de  cette  taille; 
il  n'est  qu'une  puce  près  de  cet  éléphant.  Et  cette  pantalonnade 
finit  la  discussion. 

Puisqu'on  doit  donc  rejeter  l'averroïsme  qui  sépare  l'in- 
tellect de  l'àme  sensitive,  que,  d'autre  part,  le  thomisme  qui, 
en  reconnaissant  leur  unité,  assure  l'immortalité  de  l'intellect, 
est  ambigu,  il  reste  d'admettre  que  l'intellect  est  inséparable 
de  l'âme  sensitive,  mais  que  l'un  et  l'autre  sont  mortels  par 
nature  ^^\  immortels  seulement  en  ce  que  l'âme  est  douée 
d'intelligence  et  de  volonté  et  capable  de  connaître  —  dis- 
cursivement;  il  est  vrai,  et  non  intuitivement  —  l'universel. 
Ainsi,  dans  la  série  des  êtres,  l'âme  humaine  est  intermédiaire 
entre  les  animaux  et  les  anges,  engendrée  comme  les  pre- 
miers et  non  créée  '2),  douée  de  raison  plutôt  que  d'intelli- 
gence, mais  incapable  de  penser  sans  images,  et  par  là 
incapable  d'exercer  ses  facultés  hors  du  corps  et,  dans 
le'  corps  même,  aveuglée  par  l'idée  pure  «  comme  un 
hibou  par  le  soleil*^'  ».  Ici,  Pomponazzi  rejoint  Alexandre 
d'Aphrodisias. 

Ces  discussions  métaphysiques  ne  sont  point  ce  qu'il  y  a  de 
plus  original  dans  le  livre  de  Pomponazzi.  Par  les  arguments 
qu'elles  reprennent  et  sous  la  forme  abstraite  que  le  philo- 
sophe leur  a  donnée,  elles  paraissent  d'un  autre  âge^^'. 

(1)  Essentialiter  et  vere  hoc  est  mortale,  sed  secundum  quid  immortale  (p.  51). 

(2)  Dicimus  auod  anima  humana  est  facta,  sed  non  per  creationem,  verum  per 
generationem  (ch.  X.  p.  67). 

(3)  Ch.  IX-X. 

(4)  Pour  l'exposé  théorique  du  thomisme  en  ces  questions,  voir  Vacant,  Diction- 
naire théologique.  art.  Ame-,  ou  Gardair.  Corps  et  Ame.  Paris,  1S96. 


, 


3G  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Mais  sailli  Thomas,  comme  les  platoniciens  récents, 
comptait  autant  sm'  les  preuves  morales  que  sur  les  théories 
métaphysiques  pour  assurer  la  foi  à  l'immortalité  :  le  besoin 
inné  de  justice,  les  nécessilés  de  la  vie  sociale,  la  crainte  uni- 
verselle de  la  mort  et  la  croj^ance,  universelle  aussi,  à  l'au- 
delà,  autant  de-  sentiments  exploités  depuis  longtemps  et 
renouvelés  dans  le  gros  ouvrage  de  iMarsile  Ficin  :  Theologiœ 
platonicx  de  inimortaliiate  animoruin  libri  XXII  (i'. 

Pour  répondre  à  ces  arguments  du  cœur,  c'est  toute  une 
autre  conception  de  la  vie  qu'il  iaul  organiser.  Pomponace  va 
le  l'aire  '2). 

Et  d'abord  la  lin  de  Ihomme,  dit-on,  est  la  sagesse,  c'est- 
à-dire  la  contemplation  de  Dieu,  qu'on  ne  peut  réaliser 
qu'après  la  mort.  —  Le  bonheur  de  chaque  être,  répond  Pom- 
ponazzi,  doit  être  en  rapport  avec  sa  nature.  II  ne  faut  point 
assigner  à  l'homme  une  lin  (jui  est  réservée  aux  pures  intelli- 
gences. Sa  vraie  lin,  c'est  la  conservation  et  l'harmonie  de 
l'humanité  par  l'accomplissement  de  ses  devoirs  moraux  et 
de  son  travail  de  chaque  jour.  Rares  ceux  qui  peuvent  viser 
plus  haut  et  s'adonner  à  la  spéculation  philosophique  ;  tra- 
vailler, souffrir  avec  patience  et  mourir,  c'est  toute  la  vie. 
.  Dans  le  cas  de  la  mort  de  l'àme,  comment  exiger  de  l'homme 
les  grands  dévouements  à  la  patrie,  à  son  prochain?  Une  telle 
doctrine  ne  tarit-elle  pas  la  source  de  tout  désintéressement, 
de  tout  héroïsme?  —  Non;  puisque  ce  dévouement  est  un  acte 
de  vertu  louable  et  loué  par  tous  le>  hommes,  on  dioit  choisir 
de  mourir  en  l'accomplissanl  plutôt  que  de  vivre  dans  la  honte. 
Le  bien  de  la  commmiauté,  et  jjar  la  même  celui  de  l'individu, 
l'exige.  Platon  et  Aristote  s'accordent  à  dire  <|ue  la  mort  est 
cfuel(|uefois  préférable  à  la  vie,  et  Sociatc  dans  son  Apologie, 
dit  qu'il  faut  mépriser  la  mort,  (pic  l'âme  soit  immortelle  ou 
qu'elle  soit  mortelle.   Saint  Thomas  lui-même  ne  parle  pas 


(1)  Vdir  surtout  ch.  XIV,  \>    10m/,2. 

(2)  Ch.  XIII-XIV. 


SOURCES    ITALIENNES  37 

autrement.  Ce  désir  de  l'immortalité  a  été  donné  aux  hommes 
pour  réprimer  lem-s  passions  et  les  exciter  à  la  vertu,  mais 
s'ils  savaient  la  valeur  du  bien  et  la  laideur  du  vice,  ils  prati- 
queraient le  premier  et  se  détourneraient  du  second  à  cause 
d'eux-mêmes,  semblables  aux  animaux  qui,  sans  espoir 
d'immortalité,  s'exposent  à  la  mort  pour  le  bien  de  leur 
communauté,  comme  les  abeilles  i>,  ou  par  dévouement  pour 
leur  famille  '^K 

Si  l'on  objecte  que  Dieu  alors  est  injuste  et  que  les  mé- 
chants ne  sont  pas  toujours  punis  en  ce  monde,  ni  les  bons 
récompensés,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  n'y  a  qu'une  punition 
essentielle  et  qu'une  récompense  essentielle  du  vice  et  de  la 
vertu  :  le  vice  et  la  vertu  eux-mêmes.  Tout  péché  porte  en  lui- 
même  sa  punition,  toute  vertu  sa  récompenserai  Joute  autre 
sanction,  même  celle  d'outre-tombe,  est  accidentelle.  Et  même, 
le  bien  fait  pour  lui-même  est  plus  méritoire  que  s'il  est  fait  par 
crainte  de  l'enfer  ou  dans  l'espoir  du  paradis.  Aristote  ne 
faisait-il  pas  de  ce  haut  désintéressement  le  but  suprême  de 
la  philosophie  :  «  Ce  que  vous  faites  par  espoir  d'une  récom- 
pense ou  fuyez  par  crainte  de  la  punition,  je  le  fais  par  amour 
de  la  vertu  et  le  fuis  par  honte  du  mal  ^^'  ». 

L'unanimité  même  des  peuples  à  croire  à  l'immortalité  et 
à  faire  de  cette  croyance  le  fondement  de  toute  civilisation  ne 
prouve  rien,  car  si  un  homme  peut  se  tromper,  tous  le  peuvent. 
Et  la  preuve  qu'ils  se  trompent,  c'est  (ju'en  matière  religieuse, 
ils  sont  en  désaccord.  Des  trois  religions  :  judaïque,  chré- 
tienne, mulsumane,  deux  au  moins  sont  fausses,  et  le  monde 
entier  peut-être,  la  plus  grande  partie  au  moins,  est  dans 
l'erreur  ^^\  Mais  il  est  facile  d'expliquer  la  concordance  des 

(1)  Virgile,  Gcorg..  ix,  •203--227;  Aristote,  De  HUt   anim..  VI.  30. 

(2)  ARISTOTE,  ibid. 

(3)  Praemium  essentiale  virtutis  est  Ipsamet  virtus  quœ  hominem  felicem  facit... 
pœna  vitiosi  est  ipsum  vitium  (XIV,  p.  120). 

(i)  Cum  enim  Interrogaretur  .A.ristoteles  qukl  e.v  philosophia  acquislvisset,  res- 
pondit,  quod  vos  spe  prsemiorum  facitis  et  timoré  pœn»  fugitis.  ego  ex  amore  et 
nobilitate  virtutis  facio  et  ex  vitii  vituperio  fugio  (ibid...  p.  122).  —  Comparer 
Diderot.  Entretien  d'un  iihitosophe  avec  ta  maréchale  de'". 

(5)  Supposito  quod  sint  tajitum  très  leges  scilicet  Christi,  Moysis  et  Mahumeti, 
aut  igitur  omnes  sunt  falsae  et  sic  totus  mundus  est  deceptus,  aut  saltem  du;? 
earum,  et  sic  major  pars  est  decepta  (XIV,  p.  123). 


38  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

diverses  religions  sur  l'article  de  rimmortalilé.  Le  légis- 
lateur est  comme  le  médecin  et  il  doit  adapter  la  législation  à 
ses  sujets  ^^K  De  ceux-ci,  les  uns  font  le  bien  pour  le  bien,  les 
autres,  les  plus  nombreux,  ont  besoin  de  stimulant  et  de  freins. 
C'est  pour  eux  que  les  politiciens  ont  inventé  ces  fictions  de 
la  vie  future.  Ce  faisant,  ils  n'ont  regardé  que  le  bien  commun 
de  l'humanité  et  non  la  vérité;  le  législateur  doit  faire  pra- 
tiquer le  bien,  il  n'est  pas  chargé  d'enseigner  le  vrai,  et,  en 
cela,  il  est  aussi  excusable  que  le  médecin  ou  la  nourrice  qui 
trompe  un  enfant  pour  lui  faire  prendre  un  remède  ou  un 
fortifiant. 

Il  est  faux,  enfin,  de  prétendre  que  seuls  les  méchants  nient 
l'immortalité  de  l'âme  ;  de  très  honnêtes  gens  l'ont  rejetée  : 
Simonide,  Homère,  Hippocrate,  Gallien,  Alexandre  d'Aphro- 
disias.  En  revanche,  parmi  ceux  qui  l'ont  prêchée,  combien 
l'ont  soutenue  par  politique  et  sans  y  croire  réellement  !  Pour 
un  peu  ne  pourrait-on  pas  dire  que  les  premiers  sont  plus 
vertueux  que  les  seconds  <2',  puisqu'ils  sont  plus  désintéressés 
et  rejettent  l'espèce  de  servilité  et  de  crainle  qui  est  la  consé- 
quence de  la  foi? 

Au  reste  qui  empêche  de  dire  que  l'homme  est  immortel, 
si  on  y  tient?  Il  est  immortel,  si  l'on  veut,  en  ce  que  par  l'intelli- 
gence et  la  vertu  il  peut  ressembler  aux  anges.  Les  anciens 
n'ont-ils  pas  déifié  les  grands  hommes?  Il  est,  au  contraire, 
semblable  aux  bêtes  quand  il  vit  comme  elles.  Mais,  en  vérité, 
il  n'est  ni  dieu  ni  bête  et  ne  mérite  «  ni  cet  excès  d'honneur  ni 
cette  indignité  ». 


(1)  AUqui  cnim  sunt  homines  ingenui  et  bene  institutae  natur?e,  adeo  quod  ad 
virtutem  inducuntur  ex  sola  virtutis  nobllltate,  et  a  vitio  retrahuntur  ex  sola 
ejus  fœditate...;  quidam  vero  ex  perversltafe  natur.ne  nullo  honim  pr^nmiorum  nalu- 
ralium)  moventur  :  ideo  pf)suerunt  virtuosis  in  alla  vita  pr;pmia  ?eterna,  vitiosis 
vero  aetema  damna  quse  maxime  terrèrent...  Respiciens  legislator  pronitatem 
viarnm  ad  maliim,  intendens  communi  bono.  sanxit  animam  csso  imm(irl<ilem.  non 
curans  de  veritate,  sed  tantum  de  probitate,  ut  indiicat  homines  ad  virtutem 
(XIV,  p.  123-124). 

(2)  Asserentes  animam  mortalem  melius  videntur  salvare  rationem  virtutis  quam 
a.sserentes  ipsam  immortalem.  Spes  namque  prsemli  et  rx^na;  timor  videntur  servi 
litatem  quamdam  importare  quae  ratloni  virtutis  contrariatur  (XIV,  p   139). 


SOURCES    ITALIENNES  39 

Nous  avons  insisté  sur  ces  deux  chapitres  du  livre  de  Pom- 
ponazzi,  parce  que  ce  sont  ceux-là  surtout  qui  ont  porté.  Ils 
ne  sont  pas  absolument  nouveaux.  Renan  a  pu  distinguer 
jusque  dans  le  XIIP  siècle  les  origines  de  <(  l'idée  des  religions 
comparées  i^'  et  le  livre  des  Trois  Imposteurs  a  été  attribué 
à  Averroès  avant  de  l'être  à  Villeneuve,  à  Boccace,  à  Pom- 
ponazzi  lui-même  (2).  Averroès,  avant  Pomponazzi,  avait 
déclaré  les  récompenses  de  l'autre  vie  immorales  '3)  ;  «  Parmi 
les  fictions  dangereuses,  dit-il,  il  faut  compter  celles  qui 
tendent  à  ne  faire  envisager  la  vertu  que  comme  un  moyen 
d'arriver  au  bonheur.  Dès  lors,  la  vertu  n'est  plus  rien,  puis- 
qu'on ne  s'abstient  de  la  volupté  que  dans  l'espoir  d'en  être 
dédommagé  avec  usure.  Le  brave  n'ira  plus  à  la  mort  que 
pour  éviter  un  plus  grand  mal.  Le  juste  ne  respectera  plus  le 
bien  d'autrui  que  pour  acquérir  le  double  ».  Et  il  ajoutait 
comme  Pomponazzi  :  «  Je  connais  des  hommes  parfaitement 
moraux  qui  rejettent  toutes  ces  fictions  et  ne  le  cèdent  point 
en  vertu  à  ceux  qui  les  admettent'^'  ».  Ce  haut  stoïcisme  que 
le  philosophe  veut  implanter  à  la  place  de  la  morale  chré- 
tienne, toute  la  partie  sérieuse  de  la  Renaissance  l'avait 
adopté  (^K  Mais,  nulle  part  encore,  semble-t-il,  on  n'avait  réuni 
dans  un  pareil  faisceau  les  idées  éparses  sur  ces  matières  ; 
personne  encore  n'avait  su  présenter  un  idéal  de  vie  nouveau 
et  à  la  fois  élevé  et  cohérent.  C'était  vraiment  le  paganisme, 
dans  sa  conception  la  plus  sévère  et  la  plus  haute,  qu'on  voulait 
substituer  à  l'idéal  de  vie  qui  avait  guidé  l'humanité  depuis 
quinze  siècles  et  aucun  livre  n'aura  cette  portée  jusqu'à  celui 
de  Kant. 


(1)  Renan,  Averroès  et  l'Averr.,  p.  280  et  suiv. 

(2)  Renan  {op.  cit.,  p.  297)  donne  la  liste  des  écrivains  à  qui  on  en  a  prêté  la 
paternité.  Sur  ce  livre  fabuleux,  voir  la  dissertation  de  La  Mounoye  à  la  fin  du 
tome  IV  du  Mevagiaiui,  éd.  de  Paris,  1713. 

(3)  Item  tempore  Domini  Innocentii  papae  VI  (1356)  insurrexerunt  in  monte 
Albo  quidam  qui  ausi  sunt  dogmatizare,  quod  omnia  de  génère  bonorum  quse 
flenda  sunt,  sunt  fienda  Dei  puro  amore  et  non  ex  alia  causa  nec  spe  mercedis 
aeternse.  L'auteur  de  cette  erreur  était  un  Cistercien,  Bérenger  de  Montfaucon 
(Du  PLESSis  d'Argentrê,  CoUectto  judiciorum,  I,  p.  376). 

(4)  Cité  par  Renan,  op.  cit.,  p.  156-157, 

(5)  Voir  M'ie  Zanta,  La  Renaissance  du  Stoicisme,  Paris,  1914. 


40  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Voici  mainlenant  la  conclusion  de  lauteur  i)  :  u  II  me  semble 
([ue  la  question  de  l'immortalilé  est  un  problème  insoluble, 
de  même  que  celui  de  1  éternité  du  monde  :  aucune  raison 
naturelle  ne  peut  prouver  l'iinmorlalité  de  l'âme,  ni  non  plus 
prouver  qu'elle  est  mortelle  ».  Dieu  seul,  par  conséquent, 
peut  résoudre  de  pareilles  questions  et  puisqu'il  nous  l'a  révélé, 
il  faut  nous  en  tenir  à  renseignement  de  l'Eglise;  si  l'on  peut 
apporter  (juelques  arguments  valables  contre  ce  dogme,  ces 
arguments  sont  faux  et  illusoires  ;  si  certaines  raisons  de 
croire  à  l'immortalité  semblent  faibles,  c'est  que,  toutes  vraies 
et  lumineuses  qu'elles  soient,  elles  ne  sont  pas  la  vérité  ni  la 
lumière  elle-même.  Au  reste,  les  dogmes  doivent  être  prouvés 
par  la  Révélation  et  l'Ecriture,  et  non  par  la  raison,  (jui  se 
réserve  les  vérités  purement  philosophiques. 

Après  cela,  on  peut  discuter  sur  la  question  de^  savoir  si 
Pomponazzi  cro}^ait  à  l'immortalité  ou  non  ^-\  si  les  derniers 
mots  de  sa  conclusion  sont  sincères,  ou  s'ils  ne  sont  qu'une 
précaution  qui  n'abusait  personne.  Le  livre,  tel  qu'il»  est, 
fil  scandale;  sans  Bembo  peut-être  eùl-il  été  fatal  à  son  auteur. 
Mais,  ni  les  explications  de  Pomponazzi  ne  convainquirent 
personne,  ni  les  réfutations  de  ses  adversaires  n'en  détruisirent 
l'impression.  Pendant  cinquante  ans,  l'école  de  Padoue  et  les 
écoles  dont  elle  était  le  centre  :  Bologne,  Ferrare,  Venise, 
vont  retenti»'  des  disputes  sur  ce  dogme.  C'est  là  (pie  les  Fran- 
çais iront  chercher  des  raisons  de  ne  plus  y  croire. 


III 


Le  De  InimorUdiUdc  est  le  premier  livre  de  Ponqtona/./.i  et 
le  plus  connu:  il  en  a  écrit  d'autres  (]ui  ont  fait  moins  de  bi'uil 
à  leur  apparition,  mais  dont  les  princijx's  élaienl  aussi  hardis. 
Il  nous  les  faut  étudier  ])our  avoir  une  iflée  d  ensendîle  des 
(lo(liine<  pi'ofcssées  à  Pa<loue. 

(1)  Ch.  XV. 

(2)  Baylk,  nidlniinalrr,  art.  Pomponat:  rn.\RnON\EL,  op.  cit..  p.  2'ifi-247. 


SOURCES    ITALIENNES  41 

Les  cinq  livres  De  Fato  (i),  écrits  en  1520,  publiés  en  1556, 
reprennent  le  problème,  bien  vieux  aussi,  du  libre  arbitre  et 
de  la  Providence.  Alexandre  d'Aphrodisias  a  traité  cette 
question  et  c'est  après  avoir  résumé  son  livre  que  Pomponace 
entreprend  le  sien.  Les  trois  termes  de  libre  arbitre,  destin 
et  Providence  s'opposent  et  se  détruisent  mutuellement.  Qui 
en  pose  un  exclut  les  autres  f^'.  D'où  six  solutions  :  1"  Diagoras 
et  Protagoras  tiennent  pour  le  libre  arbitre  et  nient  l'existence 
de  Dieu;  2°  Epicure  et  Cicéron  admettent  l'existence  de  Dieu, 
mais  nient  la  Providence;  3°  Chalcidius  croit  qu'Aristote  borne 
l'action  divine  au  monde  sidéral,  faisant  du  monde  sublunaire 
le  régne  du  hasard  ;  4°  Alexandre,  Thémistius  et  Averroès, 
fidèles  interprètes  d'Aristote,  disent  que  la  Providence  ne 
s  étend  qu'aux  êtres  sidéraux  individuellement,  aux  êtres 
sublunaires  in  speciein  seulement,  et  non  aux  individus;  mais 
ils  n'osent  croire  au  libre  arbitre;  5°  la  solution  chrétienne  : 
Dieu  prévoit  tout,  gouverne  tout,  et  cependant  l'homme  reste 
libre;  6°  les  stoïciens,  enfin,  soutiennent  l'universalité  absolue 
de  la  prescience  divine,  mais  nient  le  libre  arbitre  (3'. 

A  chacun  de  ces  systèmes,  un  chapitre  est  consacré.  Ils 
ont  tous  leurs  difficultés,  mais  à  parler  rationneUement,  c'est 
le  stoïcisme  qui  semble  à  Pomponazzi  le  plus  acceptable,  bien 
qu'aucune  solution  ne  soit  certaine.  Il  a,  en  effet,  cet  avan- 
tage sur  la  théorie  chrétienne  de  ne  faire  Dieu  auteur  du  mal 
que  par  nécessité  de  nature  et  non  par  volonté. 

'Pomponace  attaque  spécialement  Boèce,  saint  Thomas,  les 
théologiens  modernes  qui  ont  essayé  de  concilier  le  libre 
arbitre  et  la  Providence  ^^K  N'était  que  ces  systèmes  sont 
exposés  par  des  hommes  aussi  graves,  il  les  prendrait  pour 


(1)  De  Falo.  llhero  arbltrio  et  de  Prsedestinatione  libri  V.  BasUeœ,  ex  offlcina 
Henricpetrina,  1567. 

(21  Quo  fit  si  provident iam  ponas,  fatum  i>onas,  et  liberum  arbitrium  destruas. 
si  vero  liberum  arbitrium  ponis  et  providentiam  et  fatum  destruis.  (II,  P.  529.) 

(3)  De  Fato,  ch.  I.  Sur  ce. problème  dans  le  De  Fato  de  Gémistos  Pléthon,  voir 
E.  RoDOCANACHi.  Lo  Réforme  en  Italie,  I,  p.  41-42. 

(4)  Brucker.  Hift.  phil.  critica,  IV,  p.  158. 


42  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

des  rêveries  et  des  puérilités  ('^  La  grâce  efncace  de  saint 
Thomas  surtout  lui  est  insupportable  et  il  le  proclame  plus 
impie  que  les  stoïciens.  Lui-même  s'essaie  à  accorder  la 
prescience  divine  et  le  libre  arbitre  (^K  En  vérité,  il  a  surtout 
parcouru  tous  les  systèmes  sans  trouver  de  solution  à  un 
problème  insoluble.  Va-t-il  jusqu'à  nier  la  Providence,  comme 
le  soutient  Brucker,  ou  la  liberté,  comme  le  dit  M.  Rodo- 
canachi  <3)  ?  Il  ne  me  semble  pas.  Seulement  le  stoïcisme 
l'attire.  Voici  du  reste  la  fin  de  toute  cette  discussion.  Aucun 
système  ne  peut  résoudre  l'antinomie  qui  existe  entre  le  Fatum 
et  le  libre  arbitre.  Sous  cette  réserve,  on  tire  deux  conclusions  : 
L  —  Des  six  théories  exposées,  la  doctrine  stoïcienne  semble 
la  moins  déraisonnable.  Le  plus  grave  reproche  qu'on  puisse 
lui  faire,  c'est  qu'elle  rend  Dieu  auteur  du  péché  et  donc 
pécheur  lui  aussi.  Mais  cette  objection  ne  tient  pas  si  l'on 
admet  avec  les  stoïciens  eux-mêmes  que  l'âme  meurt  avec  le 
corps,  car  dans  cette  hy))othèse  que  les  hommes  se  mangent 
entre  eux,  cela  est  aussi  indifférent  que  de  voii'  les  loups 
manger  les  brebis  et  les  serpents  tuer  les  autres  animaux. 
Cela  est  dans  le  plan  de  l'univers  et  il  ne  faut  en  considérer 
r(ue  l'ensemble.  S'il  n'y  avait  pas  de  mal,  il  n'y  aurait  pas 
tant  de  bien  dans  le  monde.  Et  cet  enchaînement  universel  du 
bien  et  du  mal  est  entre  les  mains  du  dcsiin.  Que  si,  au 
contraire,  on  suppose  les  âmes  immortelles,  il  faut  en  limiter 
le  nombre.  Et  ainsi  les  hommes  successivement  sont  heureux 
et  malheureux,  et  le  retour  des  âmes  dans  des  corps  nouveaux, 
en  les  faisant  parcourii-  allei'ualivement  le  cycle  du  bonheur  et 
celui  du  malheur,  tour  à  (our  esclaves  et  reines,  permet  de 
croire  à  une  justice  suprême. 

(1)  H;p  sunt  communlores  rpsixwisloncs,  fjuas  nisi  gravissimi  viri  eas  Invenls- 
sent  vel  approbassent,  certe  (llcerem  esse  deliramenla  et  illiislones  puériles  (IV,  II, 
p.  SI9).  Ailleurs  il  dit  que  l'explication  des  docteurs  chrétiens  lui  paraît  :  «  presti- 
çrlatorius  et  r>*>tius  involutlo  et  deceptio  quam  enodatio  et  solutio  »  (Voir  épilogue, 
p.  1014) 

(2)  ne  Falo,  V,  7.  Voir  le  résumé  de  son  système  dans  Rrucker.  op.  cit.,  p  168 
et  suiv. 

(3)  Brickeh.  Ilist.  ]iliil  cru..  IV,  15S;  lî.  RoDOCANACiii,  L'i  Itififriiip  ni  llnlie. 
I.    p.   51-5-2. 


SOURCES    ITALIENNES  43 

II.  —  Oue  si  aucun  de  ces  systèmes  ne  vous  plaît,  consi- 
dérez que  dans  ce  monde  il  n'y  a  guère  que  des  sots  et  des 
coquins  ilatui  et  sceleraii)  et  que  ceux  qui  vous  paraissent  bons 
et  intelligents  sont  plus  sots  et  plus  méchants  que  les  autres. 
Notre  monde  est  un  mélange  de  biens  dans  la  région  sidérale, 
et  de  maux  dans  la  région  sublunaire.  En  limitant  la  Provi- 
dence à  la  première,  vous  sauvegardez  la  liberté  humaine  et 
la  Providence  (i'.  Naturellement,  il  ne  faut  point  dire  ces  choses 
au  vulgaire,  qui  ignore  la  philosophie.  Il  ne  faut  même  pas 
les  dire  aux  prêtres,  du  moins  à  ceux  qui  ne  sont  pas  instruits. 
Cela  fait  tort  aux  philosophes  et  leur  attire  des  quolibets  et, 
ce  qui  est  pire,  des  persécutions  '2). 


IV 


Quand  Pomponazzi  niait  l'immortalité  de  l'âme,  quand  il 
cherchait  à  concilier  la  liberté  et  la  Providence,  il  agitait  à 
nouveau  des  querelles  bien  anciennes  ;  il  était  seulement  le 
dernier  venu  des  libres  esprits  qu'avait  obsédés  l'obscurité  de 
ces  mystères.  Alais  sa  théorie  du  miracle  est  toute  moderne  3). 
Renan,  qui  l'a  étudiée  du  reste,  n'y  a  rien  ajouté,  et  c'est  peut- 
être  par.  là  que  Pomponazzi  nous  intéresse  le  plus.  Le  livre 
pourtant  où  elle  est  exposée  fit  moins  de  bruit  que  le  De  Immor- 
talitale.  Il  ne  fut  publié  qu'assez  tard,  en  1556  (^',  trente  ans 
après  la  mort  de  son  auteur. 


(1)  V.  épilogue,  p.  1010-1014. 

(2)  Ailleurs  il  a  parlé  du  tourment  philosophique  qui  le  poursuit  et  s'est  com- 
paré à  Prométhée  (De  Fato,  VIT,  in  Une,  p.  708-709). 

(3)  L'historien  du  rationalisme,  Lecky.  fait  même  de  cette  négation  du  miracle 
le  signe  le  plus  manifeste  de  l'avènement  de  la  raison.  Mais  son  étude  —  pour 
le  XVie  siècle  —  est  très  superficielle.  Et  pendant  toute  la  Renaissance,  en  Italie 
comme  en  France,  la  question  de  l'immortalité  préoccupe  beaucoup  plus  les 
esprits  cpie  celle  des  miracles.  Je  n'ai  pas  relevé  moins  d'une  soixantaine  de 
traités  spéciaux  ou  de  dissertations  sur  rimmortalité  au  cours  du  siècle  en  France. 
Les  études  sur  les  miracles  au  contraire  sont  rares.  Il  faut  arriver  à  la  fin  du 
siècle  pour  voir  poser  la  question  dans  toute  son  ampleur. 

(4)  De  naturalium  effectum  admirandorum  causis  seu  de  Incantationibus  ilher. 
En  apparence,  le  livre  est  dirigé  contre  l'existence  des  démons,  mais  il  traite  sur- 
tout des  miracles. 


44  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Nous  l'éludicrons  ici  cependaiil  parce  que,  sans  aucun 
doute,  il  est  le  résumé  de  renseignement  de  Pomponazzi  '^^  ; 
mais  son  influence,  renforcée  considérablement  par  Cardan, 
se  fait  surtout  sentir  dans  la  seconde  moitié  du  siècle.  L'idée, 
nouvelle  alors,  de  l'immulabililé  des  lois  naturelles,  qu'il 
expose,  la  criticpie  et  l'essai  d'explication  qu'il  cherche  à 
donner  aux  miracles,  sont  précisément  les  idées  les  plus, 
remarquables  (jue  nous  aurons  à  relever  chez  les  premiers 
disciples  français  de  Padoue;  et  si  le  rationalisme  français 
n'en  est  pas  resté  au  rire  de  Rabelais,  s'il  a  pris  au  sérieux 
bien  des  problèmes,  c'est  en  partie  à  des  livres  de  ce  genre 
(|u"il  le  doit  ^'^K 

Lu  définition  du  miracle  nous  reporte  à  Cicéron.  Le  miracle, 
c'est  ce  qui  est  rare,  ce  n'est  pas  ce  qui  est  contre  les  lois  ou 
en  dehors  d'elles,  car  il  n'y  a  rien  qui- soit  en  diehors  des  lois; 
ce  sont  des  faits  naturels,  mais  dont  le  retour  est  très  rare  ou 
la  cause  inconnue  pour  nous.  Ils  se  produisent  surtout  dans 
les  périodes  de  grands  changements,  pour  l'établissement 
d'une  religion  nouvelle  dans  le  monde,  par  exemple  <3).  Mais  ces 
grandes  révolutions  sont  elles-mêmes  soumises  à  un  rythme 
inconnu  de  nous'-').  Tout  s'en  va  et  revient  selon  des  lois  et 


■'!)  Voir  une  bonne  étude  sur  cette  question  du  miracle  selon  Pomiwnace  dans 
Brucker.  flist.  i>hil.  crit.,  IV.  ]>.  167  et  suiv..  et  dans  Tiraboschi.  Storui  délia 
Ici  1er    ital.,  VII,  622  et  suiv. 

1-2}  On  verra  cependant  que  sur  le  |x>int  précis  du  déterminisme  les  auteurs  de  la 
première  moitié  du  siècle  doivent  plus  au  De  Divinatione  qu'à  Pomponazzi  qui 
n'était  pas  imprimé.  Mais  il  faut  tenir  compte  de  l'enseignement  oral  et  écrit  des 
élfves  de  Pomi)onazzi  qui  réi)andent  ses  idées. 

'3)  Videat  aliqui.s  legem  Moysis,  legem  gentilium  et  lopem  Mahumeti.  in  una- 
cumquf  legre  fleri  miracula  qualia  lejfuntur  ei  memorantur  In  lefrc  Christi  :  hoc 
autem  vi<letur  consonum  :  (pioniam  imjxissibile  est  tantam  fleri  transmutatlonen 
sine  maçnis  pr«xliglis  et  miraculis.  Non  sunt  autem  miracuJa  quia  sint  totaliter 
contra  naturam  et  prïPter  onlinem  rorporum  caelestium  sed  pro  tanto  dicuntur 
mira<ula  quia  Insueta  et  rarissima  facta,  et  non  secundum  comraunem  naturœ 
cursum.  sed  in  lonsrissimis  jx-riodis  (De  IncanKitioiiibus.  XII,  p.  293-294).  Comparer 
avec  les  te.xtes  de  CicÉRdn  ilHimés  plus  haut  (page  20.  notes)  et  extraits  du  Dr 
Dlvitiiitioiif.  II.  28. 

l'i)  Post  illa  oracula  alius  m<Klu>i  secutus  est  illi  contrarius.  Primus  tamen 
modus  non  e.\  toto  perlit,  sed  tantum  ad  tempu.s  licet  valde  longum...  Sic  erit  de 
Istis  ipgiijus.  fpuKl  reitcrabuntur...  fnde  Aristoteles  dixit  Inflnilie^  esse  renovaUm 
philosophiam  et  inflnilies  fuerunt  e.Tdem  oplniones...  {ibid.,  p.  29''<  295). 


SOURCES    ITALIENNES  45 

à  des  époques  délenninées.  Le  temps  des  oracles  est  passé  : 
peut-être  reviendra-t-il.  Les  écoles  philosophiques  passent  et 
reviennent  de  même  et  tout  n'est  qu'un  perpétuel  écoulement 
et  un  éternel  retour.  A  moins  encore  que  tout  cela  ne  soit  que 
fictions  et  fables  'i*.  Car,  s'il  n'y  a  ni  prophéties,  ni  Providence, 
comme  le  soutient  Cicéron  au  second  livre  du  De  Divinalione, 
ni  même  de  Dieu,  comme  le  prétend  le  même  Cicéron  au 
livre  De  Natura  Dcoriim,  tous  ces  prétendus  miracles  ne  sont 
que  tromperies  et  effets  du  hasard.  Il  est  vrai  que  saint 
Augustin  '"^^  a  eu  bien  raison  de  dire  que  si  Cicéron  est  un  grand 
orateur,  il  est  un  piètre  philosophe. 

On  voit  du  moins  que  Pomporiazzi  lui  a  j»ris  sa  notion  du 
miracle,  qui  est  la  négation  même  du  miracle,  tel  que  'le 
moyen  âge  entier  l'avait  conçu. 

Les  miracles  étaient  alors  susceptibles  de  deux  explications  : 
les  hommes  religieux  y  voyaient  Kintervention  des  saints  et 
des  démons,  les  philosophes  croyaient  avec  Avicenne  que 
toute  la  matière  obéit  à  l'esprit  de  l'homme  et  c^u'il  peut  ainsi 
à  volonté  faire  la  pluie,  la  grêle  et  les  autres  phénomènes  de 
ce  genre  (3).  Mais  ces  deux  explications,  la  première  surtout, 
ne  peuvent  satisfaire  un  vrai  péripatéticien.  Car  Aristote  ne 
croit  pas  aux  démons  (^',  et,  d'autre  part,  il  estime  qu'aucun 
effet  ne  peut  se  produire  d'un  corps  à  un  autre  sans  contact 

(1)  llaec  autem  intelligantur  ubl  supponatur  hos  effectus  esse  veros  et  non  fictos 
neque  fabellas.  Si  namquc  teneamus  non  esse  divinatlones  neirue  Dei  providentiam, 
irt  mihi  videtur  Cicero  tenere  in  libro  2  Dé  Divinatione  et  Deum  nullum  esse,  ut 
mlhi  videtur  eumdem  a^sentire  in  libre  De  Natura  Deorum,  tum  habemus  dicere 
hrec  omnia  esse  figmenta,  deceptiones  vel  casus;  et  sic  faciliter  solvuntur  diffi- 
cultates  (ibid.,  p.  295). 

(2)  Puto  autem,  bona  venia  dixerim...  quoniam  quanquam  clarissimus  orator, 
minimus  tamen  fuit  ptiilosophus  (De  Incantationibus,  p.  296).  Pour  saint  Augtjs- 
TiN,  voir  De  cit.  Dei,  V,  9. 

(3)  Assentiamne  tribus  legibus  Dœmones  introducentibus,  nihil  est  profecto  quod 
dubitemus,  quando  quidem,  apertissimum  sit  hos  mirabiles  effectus  per  Daemones 
ipsos  fieri.  {Epixtola  ad...  medicum  pl^iji^inim  mantuamtm...,  p.  2,  préface  du  De 
incantationibus .)  —  Non  minus  aperta  est  solutio  apud  Avicennam.  cum  ponat 
intelleotu!  bene  disposito  et  a  materia  elevato.  omnia  matcrialia  ol>edire  iibid., 
p.  2). 

(4)  Le  !<''■  chapitre  est  consacré  à  réfuter  l'intervention  des  démons  et  le  II»  à 
réfuter  Avicenne.  Mais  Pomponace  ne  croit  pas  que  l'explication  d'Avicenne  soit 
absolument  en  opposition  avec  Aristote. 


46  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

immédiaU^'.  Il  laut  donc  chercher  d'autres  explications  aux 
miracles  et  Pomponazzi  en  propose  trois. 

I.  —  La  nature  tient  en  réserve  des  forces  inconnues  à 
riiomnie.  Des  herbes,  des  pierres,  des  minéraux  2',  dont 
quelques-uns  sont  employés  en  médecine,  agissent  sur 
l'homme,  les  uns  en  \erlu  de  propriétés  connues  et  expéri- 
mentées, les  autres,  comme  l'aimant,  par  la  force  de  vertus 
occultes.  Si  on  en  veut  connaître  certaines,  il  suffit  de  se 
reporter  au  Traité  des  Minéraux  d'Albert  le  Grand  t^)^  ou  au 
premier  chapitre  du  quatrième  livre  de  la  Théologie  de  Ficin, 
ou  mieux  encore  à  Pline,  d'où  Albert  et  Ficin  les  ont  tirées. 
Mais  n'y  a-t-il  pas  de  ces  plantes  ({ui  nous  sont  inconnues  et 
dont  usent  les  thaumaturges  (^^  ?  ((  Connaissant  donc  des  plantes 
douées  de  ces  propriétés  occultes,  ils  les  emploient  et  en  tirent 
des  effets  qui  paraissent  aux  ignorants  venir  de  Dieu,  des 
anges  ou  des  démons,  et.  qui  font  passer  leurs  auteurs  pour 
des  familiers  des  esprits  surnaturels  ».  La  pluie,  la  grêle,  les 
phénomènes  atmosphériques  sont  probablement  influencés 
par  certaines  plantes  f^)  :  ne  savons-nous  pas  déjà  que  le  laurier 
et  le  veau  marin  éloignent  la  foudre?  Et  c'est  ainsi  qu'on 
devient  saint,  ou  nécromancien,  ou  sorcier,  sans  même  croire 
aux  démons!  «  Et,  par  contre,  beaucoup  qui  ont  passé  pour 
saints  dans  le  peuple  et  à  qui  on  prêtait  un  commerce  avec 
les  anges  étaient  peut-être  des  criminels  (^)  ». 


(1)  De  Incantationibus,  p.  2. 

(2)  Ibid.,  III,  p.  21  et  sulv. 

(3)  AUicrti  magni  MineraUiiin  libri  V  édité  (mi  r.76.  l'.91.  15V2).  I.  Il  17.  Il  f,iii(ii-;iit 
y  joindre  son  Liber  secret orum...  de  virlutibns  herbiirum,  laiiiilur/i  et  aiiiTitdiiiiin. 
continuellement  édité  et  traduit  depuis  la  fin  du  XVe  siècle. 

Cl)  Aliqui  habentes  cognJtlonem  islorum  sic  operantium...  inducunt  taies  effectus, 
quos  vulpares  videntes  et  nescientes  reducere  in  causam  credunt  talla  fleri  a  Deo 
aut  ab  Angelis  aut  a  daemonibus  et  exLstimnnt  homlnes  ipsos  talia  opérantes  habere 
familiarilatem  cum  angells  vcl  cum  daemonibus  (De  Jitcant.,  III,  p.  23). 

(5)  Ibid.,  IV,  p.  42. 

(6)  Ex  qulbus  sequitur  quud  fortassi-  muiti  babiti  siint  ma?i  et  necromanticl 
ut  Petru.s  Aponensi.s,  Clclus  Esculanus  qui  tamen  nullum  commercium  babuerunt 
cum  spiritibus  immundis.  imo  forlassis  cum  Arislotele  credlderunt  dsemones  non 
esse.  Kt  aliqut  exLstlmatl  sunt  a  vulparibus  sancti  et  creditl  habere  commercium 
cum  ang-elis  propter  oi)era  qu;e  videbantur,  cum  tamen  foitassis  fuerint  viri 
scelerati   Ubid..   IV,  p.   i2-43). 


SOUKCES    ITALIENNES  47 

II.  —  L'homme  est  un  microcosme  :  sa  nature  participe  de 
celle  des  êtres  supérieurs  et  des  êtres  sublunaires  f^l  11  doit 
donc  aussi  avoir  leurs  propriétés.  Et  si  certaines  herbes, 
animaux  ou  pierres  ont  la  propriété  de  guérir  —  le  dictame, 
par  exemple,  —  certains  hommes  peuvent  aussi  l'avoir  ^2'. 
Mais  de  même  que  la  rhubarbe  n'a  d'effet  que  si  elle  est 
chauffée,  de  même  ces  hommes  n'arrivent  à  user  de  leur 
puissance  que  par  la  force  de  leur  volonté  et  de  leur  imagi- 
nation '3).  Et  comme  les  plantes  guérissent  les  unes  une 
maladie,  les  autres  une  autre,  les  hommes  aussi  sont  spécia- 
lisés ''■^K  Plutarque,  dans  sa  Vie  de  Caton,  cite  par  exemple  les 
Psylles  qui  guérissaient  des  morsures  de  serpent;  les  rois  de 
France  passent  pour  guérir  les  écrouelles. 

III.  —  Enfin,  qui  dira  la  force  de  Timagination ?  Avant  que 
Montaigne  y  consacre  tout  un  chapitre  et  lui  attribue  aussi 
«  le  principal  crédit  des  miracles,  des  visions,  des  enchante- 
ments ''"^  »,  Pomponazzi  lui  a  prêté  le  même  pouvoir.  Déjà 
.Marcile  Ficin  <s)  avait  décrit  les  effets  de  l'imagination  :  désir, 
volupté,  crainte  et  douleur.  Pomponazzi  les  retrace  à  son 
tour'"'  Il  en  est  de  classiques  :  les  femmes  enceintes  donnent 
à  leur  enfant  la  ressemblance  de  celui  qui  les  a  préoccupées 
pendant  leur  grossesse  ;  les  enfants,  à  la  vue  d'une  potion 
amère.  croient  déjà  en  sentir  l'amertume.  Il  en  est  d'his- 
toriques :  Sophocle  et  Denys,  tyran  de  Sicile,  moururent  tous 
deux  de  joie  à  l'annonce  d'une  victoire.  Pourquoi  ces  effets 
n^arriveraient-ils  pas  à  s'extérioriser,  à  passer  chez  les  autres 


:i)  De  Incan!  ,  III,  p.  -'7. 

(2)  Ihid..  IV,  )>.  43.  Ficix  avait  enseigné  la  même  chose  :  Hinc  efflcitur  apud 
Platonicos  sectatoresque  Avicennœ  ut  omnis  rationalis  anima  per  essentiam  suam 
atque  potentiam  super  totam  sit  muncli  materiam;  totam  movere  possit  atque 
foi-mare,  viclelicet  quando  ad  haec  Dei  fit  Instrumentum  iTIieol.  platon..  IX.  3^ 
Mais  Ficin  est  bien  plus  crédule  que  Pomponazzi  et  tient  tous  les  miracles  rnmr 
vrais,  bien  que  produits  par  une  puissance  naturelle  à  l'homme. 

(3)  De  Incant..  IV.  p.  44. 

Cl)  Ibid.,  IV,  p.  45. 

■  51  Livre  I,  ch.  XIX,  édit.  159S:  édit.  1595,  ch.  XX  (éd.  Mot  beau- Jouaust,  1,  p.  130). 

;6)  Theol.  plal..  XIII,  p.  1. 

(7)  De  incantationibus,  III,  p.  31  et  suiv. 


48  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

par  une  sorte  de  suggestion  <^'  ?  L'histoire  raconte  que 
l'approche  d'Alexandre  réjouissait  les  hommes,  et  les  méde- 
cins, depuis  Galien,  ont  reconnu  l'influence  heureuse  d'une 
haleine  douce  respirée  par  les  malades  '2).  Démocrite  vécut 
pemhint  trois  jours  de  l'odeur  d'un  pain  frais  et  chaud  ^^'.  Et 
le  même  Galien  '^',  exposant  l'importance  de  la  confiance  pour 
les  malades,  dit  que  le  médecin  qui  en  guérit  le  plus  est  celui 
qui  leur  inspire  le  plus  de  foi.  «  Amsi,  il  n'est  pas  impossible 
(]ue  la  force  de  l'imagination  et  de  la  volonté  parvienne  à 
insuffler  la  santé  à  un  malade'^'  ».  C'est  à  cette  même  imagi- 
nation qu'il  faut  attribuer  la  puissance  des  reliques  :  «  Les 
médecins  et  les  philosophes  savent  la  puissance  de  la  foi  et 
de  l'imagination  pour  la  guérison.  Aussi,  si  c'étaient  des  os 
de  chien  et  qu'on  y  eût  autant  de  confiance,  la  guérison  s'en 
suivrait  aussi  bien.  Même  beaucoup  de  corps  sont  vénérés 
sur  terre,  dont  les  âmes  souffrent  dans  les  enfers  ».  Et  puis, 
la  vertu  que  certains  hommes  peuvent  avoir,  comme  certaines 
plantes,  de  guérir,  peut  passer  à  leurs  ossements,  dont  le 
toucher  ou  les  émanations  auraient  ainsi  une  vertu  curative'^). 
Pomponazzi  a  fort  bien  vu  la  hardiesse  et  la  conséquence 
de  pareilles  théories.  Exposant  au  chapitre  suivant  <'^',  selon 
la  méthode  qui  lui  est  chère,  les  objections  que  l'on  peut  faire 
à. sa  doctrine,  il  dit  :  «  Ces  théories  renversent  la  loi  de  Moïse 
et  celle  du  Christ,  car  ces  religions  ont  leur  autorité  et  leur 
fondement  les  plus  sûrs  dans  les  miracles;  or,  selon  ces  expli- 


(1)  Nihil...  prohiljot  quin  ad  pxtra  et  in  corpora  aliéna,  aliciuando  consimiles 
operetur  effectus  (ibid.,  IV,  p.  36). 

(2)  Ut  namque  refert  Plutarchus  in  vita  Alexandri  magni,  horaines  lœtabantur 
et  confortabanfiir  In  ejus  approximatione,  quoniam  carnes  ejiis  redolcbant.  Et 
amplexiis  adolescentium  boni  anhelitus  est  mediclna  temperata  secundum  medi- 
cos  iWid.,  IV,  p.  37). 

(3)  Ibtd.,  IV.  p.  51  52. 

U)  Profjnostic.,  lib.   1,  ch.   II. 

(5)  Quare  Incredibile  non  est  etiam  .sanitatem  posse  produci  ad  extra  ab  anima 
talit«T  imaginante  et  desiderante  de  jppritudine  :  hoc  nepari  non  jKitest  ut  apparat 

in  fascinatione.  in  lepra,  in  infe.stis  \>esle ergo  non  minus  '.-st  de  sanitate  (De 

li,canl(itio?iibus,  IV,  51). 

'6)  Dp  IricanlnlIonWus.  XI,  p.  234-235. 

(7)  Ibld  .  V,  p    C5  et  sulv. 


SOUECES    ITALIENNES  49 

calions,  il  iiy  a  plus  de  miracles'^*  )>.  On  peut,  en  effet,  expli- 
quer ainsi  les  prodiges  de  Moïse,  d'Elie,  d'Elisée,  «  même  ceux 
du  Christ  et  des  apôtres  ;  il  n'est  pas  contre  la  nature,  en 
effet,  que  l'ombre  de  Pierre  guérisse  les  malades,  puisque 
cette  guérison  peut  être  ramenée  à  l'une  des  causes  naturelles 
énumérées  plus  haut.  La  mort  d'Ananias,  à  la  menace  de 
Pierre,  est  un  effet  naturel  <2)  ».  Les  mêmes  principes  expliquent 
les  miracles  modernes;  l'impression  des  stigmates  de  saint 
François  d'Assise,  —  si  elle  est  réelle,  • —  les  souffrances  de 
sainte  Catherine  de  Sienne  au  sujet  de  la  passion  sont  un 
pur  effet  de  l'imagination  et  de  la  violence  des  sentiments, 
et  non  des  miracles  '^^K  ■ 

Aussi,  au  chapitre  suivant,  Pomponazzi  va  faire  quelques 
restrictions  en  apparence.  Il  accorde  qu'il  y  a  des  miracles 
inexphcables  par  les  forces  naturelles  :  la  résurrection  de 
Lazare,  la  guérison  de  l'aveugle-né,  la  multiplication  des 
pains.  D'autre  part,  rien  n'empêche  de  croire  que  certains 
faits,  explicables  naturellement,  aient  été  en  réalité  mira- 
culeux. Et  du  moment  que  l'Eglise  a  enseigné  que  ces  faits 
sont  des  miracles,  il  faut  la  croire  et  ne  pas  écouter  cette 
mauvaise  langue  de  Pline  le  Jeune  qui,  au  chapitre  I  de  son 
IP  livre,  affirme  que  Moïse  était  magicien  {magicum  et  virum 
venelicum),  ni  Suétone  qui,  dans  sa  Vie  de  Néron,  appelle 
les  chrétiens  genus  novx  ac  malelicœ.  superstitionis  homi- 
num'-^'.  Pour  les  guérisons  et  les  stigmates,  il  faut  suivre  la 
même  conduite,  l'Eglise  ne  décidant  rien  que  sous  l'inspiration 
du  Saint-Esprit. 

Mais  le  chapitre  VII  va  détruire  ces  concessions.  Si  ces 

(1)  Istis  modis  datis.  ruunt  lex  Moysi  et  Cliristi  si  fas  est  eas  duas  leges  dicere...; 
unde  secundum  istos  modos  nulla  sunt  miracula  {Ibid.,  V,  p.  65-67).  Plike.  Lettres, 
X,  97. 

(2)  Idem  dici  posset  de  gestis  per  Christum  et  apostolos  :  non  enim  videtur  contra 
naturam  fiuod  umbra  Pétri  sanet  langores  quoniam  secundum  aliquem  illorum 
modorum  posset  reduci  in  causam  naturalem  {Ibid  ,  p.  66-67). 

(3)  Octava  dubitatio  est,  quoniam  secundum  lUos  très  modos  passio  Domini 
nostri  Salvatoris  po.ssit  flgurari  in  cordibus  humanis  et  .sic  quœ  dicuntur  de 
S.  Cathanna  Senensi  et  de  quibusdam  aliis  sanctis  mulleribus  non  esset  ex 
divino  miraculo.  Et  consequenter...  dici  posset  beatum  Franciscum  ex  miraculo 
non  habuisse  (si  modo  habuit)  stigmata  salvatoris  nostri...  {Ibid.,  p.  67-68), 

(4)  Ibid.,  VI,  p.  81-82.  —  Suétone.  Duodecim  Cœsares,  Nero,  16. 


50  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

résuneclioiis  boiil  inexplicables  naturelleiiienl,  conimeiil 
expliquer  celles  que  rapportent  les  auteurs  anciens,  Pline  et 
IMalon"'?  Vespasien,  si  l'on  en  croil  Suétone  2),  a  prédit 
1  avenir,  guéri  uji  aveugle  et  un  bolleiix.  i.es  apparitions  de 
s})eclres  rapportées  par  les  liisloi'iens  sont  innombrables. 
Ouen  conjure?  Si  Ion  donne  la  même  autorité  historique  à 
Pline  et  à  l'Evangile,  il  est  clair  qu'il  n'y  a  que  deux  solutions 
possibles  :  ou  bien  Pline  a  raison,  et  alors  les  miracles  sont 
des  faits  naturels  dont  la  cause  lui  a  échappé,  tout  comme 
ceux  des  évangélistes;  ou  bien  Pline  nous  ti'ompe  et  les  évan- 
gélistes  aussi.  Cette  dernière  solution  semble  être  celle  que 
choisit  Pomponazzi  :  »  Peut-être  '3)  ces  historiens  furent-ils 
trompés,  et  si  les  faits  qu'ils  rapportent  furent  vus  par 
(|uelques-uns  et  ne  sont  pas  de  simples  lictions,  ces  morts 
n'étaient  pas  morts,  mais  crus  morts,  comme  cela  est  arrivé 
souvent  et  même  de  notre  temps...  ».  (<  Peut-êti"e''')  aussi,  en  ce 
qui  concerne  les  miracles  de  Vespasien,  son  aveugle  n'était 
pas  réellement  aveugle,  ni  son  boiteux  estropié,  au  moins  d'une 
façon  incurable  ».  Serait-ce  une  faute,  du  reste,  de  mentir  dans 
ces  cas'^)?  Socrale  nous  appi-end,  au  second  livre  de  la  Répu- 
blique, que  pour  un  but  pieux  et  édifiant  II  est  permis  dç 
mentir;  et  Scevola,  au  dire  de  saint  Augustin,  professe  qu'il 
est  bon  que  les  nations  soient  trompées,  (|uaml  il  s'agit  de  la 
religion  :  Ex/^'r///  //)  religione  civitalcf;  falW^^).  Ainsi,  les 
miracles  prétendus  ont  des  causes  naturelles,  ou  bien  ils  sont 
le  fruit  de  l'erreur  des  historiens,  ou  de  la  ruse  des  prêtre.s*''). 
En  aucun  cas,  ils  ne  sont  l'œuvre  de  Dieu. 


(1)  PLINE.  Hist.  Nal..  XXV,  2;  PLATON,  ncp..  X  (cités  par  Pomponazzi,  Ibid., 
VII,  p.  94-95). 

(2)  Si'ÉTONE,  Dund.  Cass.,  Vespaslanus,  4,  5,  8.  —  De  nirnntntinnihiis.  VII.  p.  95-96. 

(3)  De  Iricantalionibv^,  VIII,  p.  103  et  104. 

(4)  Ibid.,  p    104. 

(5)  Ibid..  VIII,  p.  103-l(»4. 

(6)  n^iiuhl.,  II,  377,  379;  Dr  CiviUite  Dri,  IV,  27.  —  Dp  Inrnntnliniiibns.  p.  104. 

(7)  Supposlto  igitur  hos  effectus  veros  esse  yeluti  sœpius  diximus  :  quonlam 
allqiia.  qii;e  rcfcruntur  multotiens  esse  falsa  reperiunlur  :  veriim  Inventa  esse 
ad  siirrlidendum  pf(iinia.s,  vcl  ut  in  honore  habeantnr.  vol  ])ropter  aVIquod  .scelus  : 
aliqul  existlmanint  ha>c  omnia  quîe  referuntur  decepliones  et  fraudes  esse,  quod 
minime  arbifrannir  veluti  sui>erius  diximus  :  nam  neque  omnla  talia  sunt  falsa 
{De  Inranlatlonibus,  XIII,  p.  297). 


SOURCES    ITALIENNES  51 

Dans  le  monde  ainsi  organisé,  il  n'y  a  pas  plus  de  place  pour 
la  prière  que  pour  le  miracle.  Toute  prière  exaucée  est  en 
quelque  sorte  un  miracle.  Les  gens  d'AquiIa  (i),  par  exemple, 
ont  obtenu  de  leur  patron,  saint  Céleslin,  la  cessation  de  la 
pluie.  Cela  n'est  pas  possible,  car  il  n'y  a  aucune  relation 
entre  la  prière  et  les  nuages.  La  prière  ne  peut  faire  l'office 
ni  du  soleil,  ni  du  vent.  Il  reste  qu'on  explique  ce  résultat  en 
disant  que  les  prières  ont  touché  les  intelligences  qui  président 
aux  mouvements  du  ciel.  iMais  cela  aussi  est  impossible,  car 
ces  esprits  sont  inflexibles  et  font  mouvoir  les  astres  selon 
la  loi  inébranlable  du  destin.  Si  nous  remplaçons  ces  intelli- 
gences par  les  lois  naturelles,  dont  elles  sont,  en  effet,  la  per- 
sonnification, n'est-ce  pas  déjà  le  déterminisme  intégral? 

C'est  là  une  proposition  bien  grave  se  dit  Pomponazzi  (2)_ 
L'opinion  commune  croit  les  prières  utiles.  Mais  à  quoi  et 
comment?  on  ne  sait,  le  résultat  pouvant  tout  aussi  bien  être 
attribué  au  hasard.  On  peut  donc  soutenir  l'inutilité  comme 
l'efficacité  de  la  prière. 

a)  Si  la  prière  est  efficace,  on  peut  répondre,  avec  Avicenne, 
que  la  volonté  et  surtout  l'imagination  des  fidèles  d'Aquila  ont 
été  si  violentes  qu'ils  ont  chassé  les  nuages  '3),  ou  avec  Aris- 
tote  que  la  cessation  de  l'orage  est  le  résultat  naturel  des 
émanations  de  certaines  herbes  ''^K 

b)  Si  on  tient  la  prière  pour  inutile  (^\  il  faut  s'expliquer. 
Sans  doute,  elle  ne  touche  pas  Dieu,  car  Dieu  est  inflexible 
et  immuable.  Tout  au  plus  peut-elle  toucher  les  démons  et  les 
anges.  Et  pourtant  la  prière  n'a  pas  été  inutile  puisqu'elle  était 
le  moyen  prévu  par  Dieu  pour  avoir  du  beau  temps. 

(t)  De  Incaiitatinnibiis.  Il,  p.  214  et  suiv.  :  NuUus  igitur  relinquitur  modus  nisi 
movendo  int^Ili^entias  et  eas  flectendo  velutl  subditl  et  orantes  movent  majores; 
et  hœc  est  jelig-iosorum  opinlo,  qu?e  non  potest  stare  cum  opinlone  recitata  :  naœ 
ponunt  intelligentias  inflexibiles  et  eas  de  necessitate  movere  cori^ora  cselestia. 

(2)  Ad  quartam  autem  dubltatlonem  omnium  sententia  mea  gravissimam  ten- 
tandum  est...  respnndere  (Ibid..  XII,  p.  236). 

(3)  Cum  Aquilanorum  anlmte  fuerint  valde  intentée,  nihil  est  minim  si  imlires 
fugati  sunt  {Ibid..  p.  237). 

(4)  Ibid..  p.   237-238. 
{:-,)  Ibid  ,  p.  243-244. 


52  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

c)  Il  y  a  donc  une  troisième  réponse  '^)  :  «  c'est  que  la 
prière  des  gens  d'Aquila  a  été  efficace,  non  pas  qu'ils  aient 
fléchi  Dieu  ou  les  corps  célestes,  cai'  cela  est  impossible,  ni 
qu'ils  aient  effectivement  amené  le  beau  temps,  mais  parce 
qu'ils  ont  reçu  le  beau  temps  à  raison  de*  cette  disposition  ». 

Ainsi  comprise,  la  prière  est  une  bonne  chose,  non  pour 
obtenir  quelque  faveur  de  Dieu,  mais  pour  faire  acte  de  piété. 
Platon  nous  enseigne  à  demander  à  Dieu  non  ce  qui  nous  est 
utile,  mais  ce  qu'il  jugera  bon.  Les  philosophes  ne  sont  donc 
pas  impies,  mais  le  peuple,  dont  la  religion  est  surtout  utili- 
taire, ne  les  comprend  pas  ■^). 

La  hardiesse  de  pareilles  théories  eût  été  dangereuse  pour 
leur  auteur,  s'il  en  avait  pris  la  responsabilité;  mais  d'abord, 
il  n'est  que  l'interprète  d'Aristole.  Il  y  a  du  vrai  en  cela  et 
Reimmann  a  raison  de  compter  parmi  les  causes  de  l'athéisme 
italien  l'excès  d'engouement  pour  Aristole'^).  Mais,  aux  yeux 
de  l'Eghse  d'alors,  quel  plus  sûr  abri  pour  un  hérétique?  Aris- 
tole  n'était-il  pas  le  père  de  la  philosophie,  le  maître  de  toute 
pensée  ?  Pour  Pomponazzi,  il  était  de  plus  un  ami  d'enfance  '^^ 
Aussi  quand  Pomponazzi  pose  le  problème  de  l'immortalité 
de  l'âme,  il  se  propose  de  rechercher  ce  qu'Aristole  en  a 
pensé  <5):  quand  il  songe  à  étudier  les  miracles,  c'est  aussi  pour 
chercher,  dans  les  rares  passages  où  il  en  a  parlé,  la  pensée 
d'Aristole  '6). 

Le  malheur  est  qu'Aristote  est  sans  cesse  en  contradiction 
avec  l'Eglise  :  à  propos  de  l'immortalilé,  qu'il  déclare  incon- 


(1)  Ibiil.,  p.  251  :  Posset  et.  ut  existimo,  tertio  dlci  et  foi-t^ssis  melius,  quod 
preces  Afiuilanorum  profuerunt  ad  talem  effectnm  conseriuendum,  non  quidem 
(jiila  moverint  L'eos  vel  corpora  cselestia.  lioc  enim  imi>o.ssibiIe  est.  rieque  quonlam 
ipsi  iriduxerint  effective  sepenltatem,  sed  quia  ii)si  recciierint  serenitatem  a  corix)- 
ribus  CPlestibus  ratione  i-ert.'P  et  ordinatae  (llsiKisiiInriis. 

(2)  Ibid..  p.  250-251. 

(3)  lllsl.  ntheisTiit,  III,  II,  p.  2. 

Cl)  Amor  meus  et  observaiitia  quam  a  tcneris  aniils  crffa  Aristotelem  habui 
iDe  Ivcunldlloiiibus,  X,  p.  110). 

(5)  Qnamnam  sententiam  .\ristotelis  in  eadom  malcria  fuisse  censés?  (Prooemiiim). 
(6)Rofrastl  me  nt  qnid  de  boc  sentiam  arieriam,  pr.'pripueffue  quid  ad  bix-  verisl- 
militer  Peripatetifl  dicere  possent  (De  fnrantaHonibns,  Epistola  ad  medirum  man- 
tuanum,  p.  2). 


SOURCES    ITALIENNES  53 

naissable  et  sur  laquelle  ses  interprètes  n'ont  pu  s'accorder  ; 
à  propos  des  miracles,  quAristote  ne  croit  pas  être  faits  par 
les  démons  ^^\  pour  la  raison  qu'il  ne  croit  pas  à  l'existence  des 
démons  '2).  C'est  même  une  chose  si  «  incroyable  et  mons- 
trueuse »  de  la  part  de  ce  grand  philosophe,  que  son  disciple 
consacre  à  exposer  ses  théories  et  à  les  justifier  autant  qu'il 
le  peut  deux  chapitres  de  son  De  incanialionibus  f^).  Mais  à  quoi 
bon?  Il  faut  avoir  l'âme  simple  comme  les  croyants  ou  sage 
comme  les  apôtres  et  les  prophètes  pour  y  croire.  Les  fonctions 
des  anges  sont  trop  relevées  pour  être  connues  des  philo- 
sophes '^). 

Même  difficulté,  à  propos  de  la  Providence,  qu'Aristote 
veut  restreindre  au  monde  sidéral  <^>;  à  propos  des  enchante- 
ments. qu'Aristote  tient  pour  rêveries  de  bonnes  femmes  (^)  et 
que  l'Eglise  prend  au  sérieux.  L'opposition  est  bien  plus  grave 
encore  sur  la  question  des  miracles  et  de  la  prière,  l'aristo- 
télisme  ne  laissant  aucune  place  à  l'intervention  de  Dieu  dans 
le  monde,  la  religion  supposant,  au  contraire,  un  rapport 
constant  entre  Dieu  et  l'homme.  Au  fond,  c'est  tout  le  système 
péripatéticien  qui  s'oppose  au  christianisme  :  «  Je  ne  suis  pas 
de  l'avis  de  ceux  qui  croient  que  la  foi  s'accorde  avec  Aristote. 
Ce  sont,  à  mon  avis,  deux  chemins  incompatibles  ''^)  ».  Il  dit  cela 
à  propos  du  libre  arbitre  et  de  la  Providence  ;  on  pourrait 
étendre  cette  déclaration  à  toute  la  philosophie  du  lycée. 


(1)  De  IncantatiohibKn:.  I,  II,  p.  6  et  suiv. 

(2)  Ibid..  Bpistola,  p.  -2  :  Neque  Aristoteles  admlsit  clsemones  veluti  leges  affir- 
mant. 

(3)  Ch.  IX-X.  p.  KKJ  et  suiv. 

(4)  Habent  causas  aliquas  et  officia  longe  prtestantiora  quœ  phllosophis  non  fue- 
runl  cognita  :  secl  sunt  aperta  In  Christum  credentlbus,  et  saplentlssimis  volunta- 
tibus,  quales  fuerunt  prophetaî.  Apostoli  et  sancti  viri  {De  Incantationibus,  XIII, 
in  fine,  p.  234). 

(5)  De  fn conta tiotiibu.'i.  X.  p.  120. 

(6)  Videtur  dicere  hsec  incantamenta  es'^e  muliercularum  figmenta  [De  Incanta- 
tionibus, X,  p.  191). 

(7)  Neque  eis  consent io  qui  vlam  fidei  cum  Aristot.ele  convenire  credunt.  Mihi 
iiamquc  videtur  bas  vias  incompatibiles  esse  [De  l'ato.  III.  I,  p.  753). 


54  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Ou€   faire   en   présence   de   ce    dilemme?    Se   dédoubler. 
'<  Pomponat  philosophe  ne  croit  pas  à  rimmortalilé,  mais  Pom- 
ponal   chrétien  y  croit   ».   Averroès  lui  a  démontré   que  la 
Trinité  n'est  que  la  distinction  des  trois  principaux  attributs 
divins,   mais  Averroès  est  un  impie,    il  s'en  voudrait  de  le 
croire  ^^\    «    Certaines   choses   sont  vraies   théologiquement, 
qui  ne  sont  pas  vraies  philosophiquement '2)  »,  L'opposition 
entre  la  raison  et  la  foi  est  invoquée  par  notre  philosophe,' 
toutes  les  fois  qu'il  est  embarrassé.  Et  cela  lui  permet  de  tout 
oser  comme  philosophe  et  de  conseiller  toujours  l'assentiment 
à    l'Eglise   quand   même.    Cette    idée   n'était   pas   nouvelle. 
Albert  le  Grand  l'avait  combattue  vers   1255  (3).   Parmi  les 
thèses  condamnées  à  Paris,  en  1277,  nous  relevons  celle-ci  '*>  : 
<(     Que  le  philosophe  doit  nier  la  création  du  monde  parce 
qu'il  s'appuie  sur  les  causes  et  les  raisons  naturelles,  tandis 
que  le  croyant  peut  nier  l'éternité  du  monde  parce  qu'il  s'appuie 
sur  les  raisons  surnaturelles  ».  Et  le  synode  insistait  sur  cette 
erreur  :  «  Ils  prétendent,  disait-il,  qu'il  est  des  choses  vraies 
selon  la  philosophie,  (juoiqu'elles  ne  le  soient  pas  selon  la  foi, 
comme  s'il  y  avait  deux  vérités  contraires  et  comme  si,  en 
opposition  avec  la  vérité  de  l'Ecriture,  la  vérité  pouvait  se  trouver 
dans  les  livres  des  païens'^)  ».  Pétrarque,  au  siècle  suivant,  fai- 
sait le  même  reproche  aux  Vénitiens  :  «  Quand  ils  disputent  en 
public,  ils  protestent  (inils  parlent  abstraction  faite  de  la  foi, 
c'est-à-dire  qu'ils  cherchent  la  vérité  en  rejetant  la  vérité  et 


11)  De  Faio,  V.   IV.  p.  037-03S. 

(2)  Renan.  Averroès,  II,  III.  i>.  3n9, 

(3)  RENAN,  011.   cit.,   II,  II,  p.  23-2. 

('.)  Quod  naturalis  phllosophus  simpliclfer  débet  negare  mnndi  novitatem  quia 
nitiiiir  rausis  et  rationlbus  naturalibus  .  fltielis  autem  potest  negare  mundl  aeter- 
nltatem  quia  nititur  causis  supernaturalibus.  (Du  Plessis  dArgentré,  Collectio 
JttfUclorum.  I.  p.  177  et  sulv.).  Voir  aussi  Du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.  111. 
1».  337-398. 

(5)  Du    PLESSIS   D'ARfJENTRÉ,    I.    P.    175. 


SOURCES    ITALIENNES  55 

la  lumière  en  tournant  le  dos  au  soleil  (i'  »,  Poggio  disait  de 
Valla  ;  «  \'alla  blâme  la  physique  d'Aristole,  il  trouve  barbare 
le  latin  de  Boèce,  il  détruit  la  religion,  professe  des  idées 
hérétiques,  méprise  la  Bible...  Et  n'a-t-il  pas  professé  que  la 
religion  chrétienne  ne  repose  point  sur  des  preuves,  mais 
sur  la  croyance,  qui  serait  supérieure  à  toute  preuve '2)?  ».  Le 
concile  de  Latran  condamna  cette  attitude  (3);  mais  elle  devint 
vite  à  la  mode  et  nous  verrons  que  vers  1550,  elle  est  univer- 
sellement admise  en  France,  même  par  certains  philosophes 
spiritualistes. 

Etait-elle  sérieuse  chez  Pomponazzi?  Il  serait  curieux  que 
Pomponazzi  eût,  le  premier  aussi,  posé  «  une  cloison  étanche  » 
entre  sa  raison  et  sa  croyance  ('*)  ;  mais  un  tel  état  d'esprit 
nous  semble  bien  moderne.  Renan  y  voit  une  précaution  : 
((  Pendant  quatre  siècles,  dit-il,  les  libres  penseurs  ne  trou- 
vaient pas  de  meilleur  subterfuge  pour  exercer  leur  hardiesse 
aux  yeux  des  théologiens.  La  compression  produit  toujours 
la  subtilité,  Ja  conscience  proteste  et  se  venge  par  un  respect 
ironique  des  entraves  qu'on  lui  impose'^'  ».  Ne  prenons  donc 
pas  trop  au  sérieux  les  déclarations  d'orthodoxie  de  Pom- 
ponazzi. Lui-même,  dans  une  page  très  fine  de  son  De  Fato, 
nous  y  invite  :  <(  Il  est  reconnu  et  universellement  admis, 
surtout  chez  les  disciples  de  saint  Dominique,  que  saint 
Thomas  a  reçu  —  réellement  et  non  en  imagination  —  du 
Rédempteur,  l'assurance  que  tout  ce  qu'il  a  écrit  touchant  la 
théologie  est  vrai  et  juste.  Que  si  cela  est  vrai,  il  n'est  rien 
que  je  n'accepte  dans  son  système  sur  la  prédestination.  Car 
encore  qu'il  me  paraisse  faux  et  impossible,  et  même  capable 


(1)  Cité  par  Renan,  Averroès,  p.  335. 

(2)  Pogii  opéra,  p.  84,  cité  par  Humbert,  Origines  de  la  théologie  moderne,  p.  121. 

(3)  Renan,  Averroes,  p.  364. 

(4)  Voir  Renan,  Souvenirs  d'enfance  et  de  jeunesse  -.  Le  séminaire  Saint-Sulpice, 
I,  portrait  de  M.  Le  Hir. 

(5)  Aveiroès,  II,  III,  p.  360  Voir  aussi  Charbonnel,  La  Pensée  italienne,  p.  273- 
274,  qui  explique  cette  attitude  par  le  scrupule  de  consciences  réellement  Incer- 
taines entre  les  deux  ordres  de  certitude. 


56  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

de  tromper  les  hommes  plulùl  que  de  les  éclairer,  pourtant, 
selon  la  parole  de  Platon,  il  est  impie  de  ne  pas  croire  aux 
dieux  cl  à  leurs  fils,  même  s'ils  disent  des  choses  impossibles, 
et,  selon  la  parole  de  l'apôtre,  il  faut  enchaîner  notre  esprit 
dans  l'obéissance  au  Christ  ».  Oui  saura  la  portée  exacte  de  ce 
dernier  trait  (^'  ? 

Quoi  ([uil  en  soit  pour  Pomponazzi.  iVenan'^',  Lecky  (3) 
ont  vu  dans  cette  antinomie  de  la  raison  et  de  la  foi  le  fonde- 
ment môme  de  la  doctrine  padouane.  L'accord  que  le  moyen 
âge  croyait  avoir  établi  entre  la  philosophie  et  la  théologie  est 
rompu,  la  raison,  jusque-là  «  servante  »,  est  libre  et  bientôt 
elle  prétendra  détrôner  son  ancienne  maîtresse,  selon  que 
lavait  déjà  enseigné  à  Paris  le  dominicain  Jean  Munerius  : 
Fiat  !j)S(i  ratio  aiuioritas,  sine  cjua  nec  valet  aucloritas  '^). 


V 


Lorsque  les  Français  dont  j'étudie  les  idées  arrivèrent  à 
Padoue,  Pomponazzi  était  mort'^'.  D'auties  professeurs  moins 
connus,  mais  aussi  peu  orthodoxes,  l'avaient  remplacé  dans 
sa  chaire,  même  avant  sa  mort.  Citons,  par  exemple,  dans  la 


(1)  De  Fnto,  V.  C,  p.  95S. 

(2)  RENAN,  Averroès  et  l'Aveu.,  p.  360. 

(3)  RisivQ  ..  of  ratioiinlism.  I.  370  et  siiiv.  Après  avoir  décrit,  lo.s  rirconstarices  qui 
amenèrent  la  Renai.s^nce  italienne,  il  continue  :  "  Padoue  et  Bologne  furent  alors 
les  grand.s  centres  do  la  libre  pensée.  Une  série  de  professeurs,  dont  Pomponazzi 
parait  avoir  été  le  plus  éminent.  a  poursuivi  dans  ces  universités  des  discussions 
aussi  hardies  que  celles  du  XVIIle  siècle  et  a  habitué  un  petit  nombre  —  mais 
cai»ables  —  de  disciples  à  appliquer  aux  questions  de  théologie  un  examen  hardi. 
Us  soutenaient  qu'il  y  avait  deux  sphères  de  la  pensée,  la  sphère  de  la  raison  et 
la  sph'-re  de  la  foi.  Comme  philosophes,  ils  élal)oraient  les  théories  du  scepticisme 

'  le  plus  hardi  et  le  plus  Inflexible,  comme  catholiques  et  sous  l'influence  de  la 
fol.  ils  acquiesçaient  à  toutes  les  doctrines  de  leur  Eglise.  Le  fait  qu'ils  re<;evaient 
certaines  docUiries  comme  matière  de  foi  ne  les  emi)êchait  pas  de  les  repousser 
au  iKMut  de  vue  de  la  raison,  et  la  séparation  complète  des  deux  ordres  d'idées 
leur  permettait  de  poursuivre  leurs  discussions  intellectuelles  par  une  méthode 
purement  la  que  et  avec  un  courage  ailleurs  Inconnu  ». 

(4)  Kn  M'S.  DU  PLESSts  d'Aroe.m'Ré,  CoUectio  judic,  II,  p.  257. 

(5)  A  Bologne  en  1525. 


SOURCES    ITALIENNES  57 

chaire  de  philosophie  extraordinaire,  M.  Antonio  Genua,  de 
Padoue.  u  le  meilleur  interprète  d'Aristote  »,  selon  Aide  Ma- 
nuce'^'.  La  philosophie  ordinaire  était  enseignée,  en  1520,  par 
Girolamo  Bagolino,  à  qui  son  averroïsme  bruyant  attira  des 
persécutions.  Il  était  soupçonné  même  de  matérialisme.  Il  a 
traduit  le  De  Fato,  d'Alexandre  d'Aphrodisias,  et  commenté 
plusieurs  livres  d'Aristote  î^).  En  1522,  il  passa  à  la  Faculté  de 
médecine.  En  1524,  la  chaire  de  la  philosophie  ordinaire  fut 
attribuée  à  Al.  xVntonio  Zimara,  averroïste  notoire.  J.-G.  Sca- 
liger,  qui  suivit  ses  cours,  le  donnait  comme  tel  '^l.  Son  œuvre 
principale  en  est  du  reste  une  preuve.  Il  a  établi  des  tables  géné- 
rales de  concordance  entre  Averroès  et  Aristote,  où  toutes  les 
questions  traitées  par  les  deux'philosophes  sont  exposées  par 
ordre  alphabétique'^).  xMais  le  plus  illustre  élève  et  l'inter- 
prète le  plus  clair  de  la  pensée  de  Pomponazzi,  ce  fut  le  pro- 
fesseur de  httérature  latine  et  grecque,  vers  1530  précisément, 
Lazzaro  Bonamico.  Il  fit  dans  la  période  que  nous  étudions  (^> 
la  gloire  de  l'école  padouane  et  il  prit  sur  ses  disciples  un 
ascendant  dont  il  serait  difficile  d'exagérer  la  profondeur  et 
la  portée.  Sa  parfaite  urbanité  le  faisait  aimer  de  ses  élèves 'S); 
nous  le  voyons,  par  exemple,  s'intéresser  à  Bunel^'')  sur  la 
recommandation  de  Sadolet^^).  Bunel  restera  en  relation  avec 


'1,1  p.  ManiUii  lilt  .  p.  191 

(2)  Détail  flans  Riccoboni,  De  Gymnas.  patav.,  p.  22  vo  :  «  H.  Bugollnus  vernonen- 
sls...  qui  fecit  Annotationes  in  Averrois  compendium  super  Arist.  priora  resoluto- 
ria:  ...et  quœstionum  moraUum  Alexandri  Aphrod.,  et  De  Fato  :  Annotationes  et 
dubilationes  in  primum  reaolutorivm  Ariftol.  :  interpretationes  Syriani  in  Metaplvj- 
sica  ».  Renan  mentionne  Bag-olino    op.  cit.,  p.  377)  sans  l'étudier. 

(3)  Exoteric.  lection.  liber  quintus,  Préface. 

(4)  RICCOBONI,  op.  cit.,  p.  22  vo  :  Tabulœ  et  dilue idationes  in  dicta  Arialotelis  et 
Averrois  recognita  et  expurgata  (Venise.  2  in-f»,  1564).  Sur  Zimara,  voir  Renan. 
Averroès  et  lAverr.,  II,  III,  x,  p.  373  (éd.  de  1866). 

(5)  Devenu  professeur  en  1530.  il  ne  quittera  sa  chaire  qu'en  1544;  mort  en  1552. 

(6)  Brucker.  Hist.  ptiil.  crit.^  IV,  p.  184-185. 

(7)  Bunelli  epistoL,  p.  21 

'8)  Sadolet  :  eiist..  II,  p.  203,  II,  p.  212,  et  réponse  de  Bunel,  ibiJ..  II.  p.  213. 


58  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

lui.  Lui-même  Sadolet  lui  écrit  fréquemment  *i).  Il  eut  de 
brillanls  élèves  et  bien  divers  :  Reginald  Pool,  le  futur  cardinal, 
qui  l'hébergea  à  Rome  jusqu'au  sac  de  la  ville;  Pierre  Slrozzi, 
que  nous  verrons  mourir  en  blasphémant;  Barlholomé  Ricci; 
Celio  Curione,  pour  ne  pas  parler  des  Français '2).  Il  eut  des 
amis  non  moins  divers  et  illustres  :  Bembo,  Paul  .love, 
Sperone  Speroni,   Sadolet. 

Né  à  Bassano,  en  ]A19^^\  il  étudia  à  Bologne,  Paris  et 
Padoue.  Elève  de  Leonino  Tomeo  et  de  Calfurnio  pour  le  grec, 
de  -Marco  Muzuro  pour  le  latin  ^^\  il  eut  pour  maître  de  philo- 
sophie Pomponazzi.  Nous  savons  par  la  suite  de  sa  vie  combien 
il  goûta  les  lettres  antiques  :  admirateur  ardent  de  Cicéron,  il 
disait  préférer  la  gloire  d'un  bon  cicéronien  à  l'éclat  du  trône 
ou  de  la  tiare.  Mais  il  fut  plus  brillant  philosophe  encore, 
et  Pomponazzi  l'appréciait  tellement  que,  si  nous  en  croyons 
Negri,  le  professeur  de  Padoue,  il  lui  demandait  de  résoudre 
les  questions  les  plus  difficiles  de  la  philosophie  et  souvent 
adoptait  et  enseignait  les  solutions  de  son  élève  '^).  Brucker  a 
pu  dire  même  que  Pomponazzi  a  tiré  plus  de  gloire  de 
Bonamico  que  l'élève  du  professeur'^).  Il  ne  voulut  jamais 
cependant  quitter  la  chaire  de  littérature  latine  et  grecque 
pour  s'adonner  entièrement  à  la  philosophie.  Les  efforts  de 


(1)  Sadol.  epist.,  paxaim  :  une  quinzaine  de  lettres  entre  1528  et  V)3A  où  Sadolet 
le  met  au  courant  de  tous  ses  travaux. 

(2)  On  les  trouvera  plus  loin  chap.  III. 

(3)  Sources  :  Brucker,  //ts./.  phil.  crit.,  IV,  p.  184-185;  Tiraboschi.  Siloria  délia 
Ictter.  itat.,  VII,  p.  2181-2185;  Verci,  en  tête  d'une  édition  de  ses  Lettres.  1770;  et 
surtout  la  notice  très  documentée  de  O.  Marangoni,  Laz.  Bonamico  e  to  Studio 
Padovano  nclla  prima  meta  del  clnquecento.  Nunvo  archivio  veneto,  1901,  p  306 
et  suiv.  Marangoni  met  en  doute  la  lApende  selon  lanuplle  11  serait  né  de  pauvres 
fermiers. 

i/i)  FiAMiNi,  Il  cimiuecevto.  p.  98:  Brucker,  lor.  cil.,  p.  iM.  11  prit  part  à  la 
querelle  des  Clcéroniens.  On  sait  quKiasme  le  provoqua  ainsi  :  Lazare,  venl  foras. 

(5)  Sadol.  Epist.,  édlt.  de  Rome.  1767,  appendix,  p.  134  et  suiv.  ;  PrîPceptorem 
habuit  Petrum  Pomponatium...  apud  çfuem  tanta  exlstlmatione  fuit  Lazanis  ut 
interdum  ille  abstnisas  atque  involutas  Aristotells  sententlas  ex  ipsius  Lazarl 
Inlerpretatione  publiée  explicaret. 

(6)  Impertali,  cité  par  Brucker,   loc.  vit.,  p.  185. 


SOURCES    ITALIENNES  59 

R.  Pool,  de  Sadolet,  de  Rembo,  de  G.  Pl'liig  ^'),  en  ce  sens, 
furent  vains. 

Il  se  confina  donc  dans  la  littérature  et  les  œuvres  qu'il  a 
publiées  sont  sans  intérêt  au  point  de  vue  qui  nous  occupe  '2). 
On  lui  a  fait  un  reproche  d'avoir  si  peu  écrit.  Sa  nonchalance 
naturelle  et  deux  passions  absorbantes,  pour  le  jea  de 
cartes  et  pour  une  certaine  Trapolina,  lui  laissaient  peu 
de  loisirs.  Ce  n'est  pas  une  raison  suffisante  pour  le  traiter 
d'athée,  comme  l'ont  fait  Saldenus  3),  Reinimann,  et  toute  une 
kyrielle  de  critiques  allemands*^).  Il  est  vrai  qu'il  lui  arriva 
un  jour  de  «  manquer  de  respect  aux  saintes  Ecritures  »  et 
de  répondre,  à  quelqu'un  qui  lui  demandait  son  sentiment  sur 
les  psaumes  de  David,  qu'il  préférait  les  poésies  de  Pindare, 
Mais  ce  sont  là  distractions  d'humaniste.  Un  jour  que  Jacques 
Boileau,  docteur  de  Sorbonne,  parlait  de  saint  Augustin 
devant  le  grave  Nicolas  Boileau  et  La  Fontaine,  ce  dernier 
lui  demanda  bien  à  brûle-pourpoint  s'il  croyait  cjue  saint 
Augustin  avait  autant  d'esprit  que  Rabelais! 

D'ailleurs,  il  ne  se  désintéressa  jamais  des  questions  fonda- 
mentales de  la  philosophie.  Dans  ses  vers,  il  engageait  ses 
amis  à  sonder  l'origine  des  choses" et  les  lois  de  l'univers*^). 
Lui-même  songea  un  instant  à  traduire  Aristote  ;  pour  cette 


(1)  Voir  le  récit  de  ces  efforts  chap.  IV. 

(2)  On  en  trouvera  la  liste  dans  Verci,  L.  Bonainici  cannina  et  épistolse  uua 
cmti  ejus  vita,  Venetiis,  1770. 

(3)  Saldentjs,  De  Ubris  varioque  eorum  usu  et  abusu  Ubri  duo,  Amstelodami, 
Boom,   17G«.  Ch.   II,  p.  44-45. 

(4)  Cujus  ob  causam  hoc  loco  îacienda  est  mentio  quia  odas  Pindaricas  Psalmis 
Davidis  prEetulisse  fertur  Cons.  Dieterico,  in  .4.  B..  p.  113,  et  post  eum  Je.nckîxo 
Thomasio  in  Historla  atheismi,  cap.  2,  §  4,  p.  10,  Imm.  Webero  in  Bevrtlieiliino  fier 
atheisteren.  p.  30,  Georg.  Math.  Kumgio  in  Bibl.  vet  et  nov..  p.  1?1.  Quwl  si  testilms 
flde  digTiis  referunt  acceptum  hominem  profanse  mentis  eumdem  fuisse  arguit... 
iReimmann.  Hi.it.  Ath.,  p.  363). 

(5)  I  ....  Primum  |  Naturse  îpsius  et  tantarum  exordia  rerum.  I  Immensinue 
orbis  facem,  qui  rector  et  intus  1  Miranda  ratione  movet  nec  fallitur  unquam;  | 
Sed  melius  quavis,  quavis,  expressius  arte  |  Omnia  molitur  mens  pura  et  purior 
auro.  {Carmina  et  efdst.,  édit.  de  Venise,  p.  22.) 


60  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Iraduclioii,  il  supplie  Jupiter  de  lui  accorder  non  la  force, 
ni  la  beauté,  ni  la  richesse,  mais  la  sagesse  et  le  souille  poé- 
tique ;  Sophiain  Lyramque  <i).  Je  ne  sache  pas  qu'il  ail  mis 
son  dessein  à  exécution,  mais  il  nous  reste  de  lui  une  étude 
manuscrite  sur  la  physique  de  Pomponazzi  <2)  et  il  ne  serait 
pas  sans  importance  de  savoir  ce  que  pensait  de  l'éternité 
du  monde,  des  miracles,  d€S  démons,  le  professeur 
de  Bunel  et  de  Dolet.  Malheureusement,  les  questions  agitées 
dans  ces  commentaires  sont  de  peu  d'intérêt.  De  plus,  si  le 
manuscrit  est  de  la  main  de  Bonamico,  le  titre  semble  indiquer 
qu'il  contient  les  idées  de  Pomponazzi,  et  non  celles  de  son 
élève.  Son  biographe,  Verci,  loue  ce  dernier  de  son  élégance 
quand  il  traitait  les  ({ueslions  philosophiques.  Si  le  livre  que 
j  examine  est  de  Bonamico,  il  dément  bien  cruellement  les 
louanges  de  Verci  :  la  méthode  abstraite  et  purement  scolas- 
lique  du  raisonnement,  la  sécheresse  du  style,  le  latin  barbare 
dont  il  use,  s'ils  sont  habituels  à  Pomponazzi,  ne  feraient 
guère  soupçonner  dans  l'auteur  du  manuscrit  l'un  des  chefs 
des  cicéroniens. 

Les  Commcnlairefi  sur  la  pJujsique  sont  donc  vraisemblable- 
ment des  cours  de  Pomponazzi  qui  n'ont  pas  été  imprimés. 
Ont-ils  été  tran.scrits  sousia  dictée  du  célèbre  professeur,  ou 
s'ils  sont  composés  de  notes  prises  avec  son  assentiment  par 
son  élève?  Deux  fois  l'auteur  parle  de  son  professeur, 
prœceplor  meus  ;  mais  rien  ne  permet  de  savoir  certainement 
si  c'est  Bonamico  qui  désigne  ainsi  Pomponazzi  ou  ce  dernier 
qui  rend  hommage  à  ses  maîtres.  La  première  hypothèse  me 
semble  cependant  plus  probable. 

Dans  leur  ensemble  les  commentaires  portent,  non  pas 
directement  sur  la  physique  d'Aristote,  mais  sur  quelques-uns 


(1)  Votum  cum  Arlstotelem  latlnum  farerc  pararet,  7  Dlstlçrues  {Ibid.,  p.  53). 

(2)  Quieddrn  plii/stca  Ponii>.  manu  f.azarl  Boiinmirl.  Codex  Airibros..  I  220  inf.. 
Fo  89  à  149.  .Je  dois  un  remerciement  tmjl  spécial  à.  M.  le  Conservateur  de  la 
bibliothèque  Ambroslenne,  qui  a  bien  voulu  faire  photographier  à  mon  intention 
ce  manuscrit. 


SOURCES    ITALIENNES  Gl 

des  commentaires  qu'Averroès  lui  a  consacrés  (i).  Et  comme 
toute  la  physique  se  ramène  pour  Arislole  à  l'étude  du  mou- 
vement, ce  problème  est  aussi  le  seul  ou  à  peu  près  qui  soit 
agité  dans  les  commentaires  :  si  le  mouvement  local  est 
continu  *2),  si  le  mouvement  du  ciel  est  naturel  (3),  relations 
entre  le  mouvement,  le  lieu  (^)  et  l'espace  (^\  entre  le  moteur 
et  le  mobile  ^^\  toutes  questions  qui  sont  absolument  dépour- 
vues d'intérêt  et  même  de  suite  rigoureuse  (').  Le  seul  problème 
qui  touche  au  rationalisme,  c'est  celui  de  l'éternité  du  mouve- 
ment. L'hauteur  l'étudié  précisément  au  début  du  manuscrit  '^K 
11  estime  avec  Averroès  que  le  mouvement  du  ciel  est  éternel, 
mais  non  toute  espèce  de  mouvement.  Cette  restriction  est  faite 
contre  Al-Farabi  '9).  A  1  éternité  du  mouvement  est  liée  celle 
du  monde,  et  Aristote  les  a  réunies  au  début  du  VHP  livre. 
Ni  Averroès  ni  Bonamico  ne  les  séparent.  Ils  justifient  Aristote 
de  n'avoir  pas  mis  Platon  à  côté  d'Anaxagore  et  d'Empé- 
docle  '10)  au  nombre  des  philosophes  qui  repoussent  l'éternité 
du  monde.  Pour  Platon,  en  effet,  s'il  admet  que  le  monde  ait 
commencé,  il  professe  quand  même  que  le  mouvement  est 
éternel.  Avant  la  naissance  du  monde  tout  s'agitait  dans  un 
mouvement  désordonné;  le  monde  fut  créé  du  jour  que  Dieu 


(1)  A  l'exception  cependant  des  pages  114  vo-117  qui  me  semblent  un  commentaire 
du  De  Nutritione  et  auctione  de  Pomponazzi.  L'écriture  n'est  pas  la  même  du  reste. 
Le' manuscrit  demanderait  un  examen  critique  sévère,  l'écriture  cbangeant  à 
deux  reprises  et  l'ensemble  étant  coupé  par  une  page  de  grec  (Fo  105). 

(2)  Fos  106-111. 

(3)  Fos  140-162. 

(4)  Fo  127. 

(5)  Fo  130. 

(6)  Fo  130. 

(7)  Sur  cette  question  du  mouvement  dans  Aristote,  voir  G.  Hamelin,  Le  Systi'me 
d'Aristote.  17»  et  18e  leçons.  Les  commenta,ires  ne  suivent  pas  la  série  des  livres 
de  la  physique  d'Aristote  et  même  ne  portent  pas  sur  l'ensemble  d'un  chapitre. 
Il  semble  bien  qu'on  soit  en  présence  d'un  recueil  de  dissertations  ou  de  leçons 
sur  la  physique,  mais  non  d'un  commentaii-e  suivi. 

(8)  Fos  91  à  92  vo. 

(9)  Fo  92  vo  :  Quapropter  expositio  .\lpharabii  dicitur  esse  erronea. 

(10)  Arist.  phys.,  VIII,  4. 


0;^  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

mit  dans  ce  chaos  l'ordre  et  riiarmonie  '^'.  Quant  à  Anaxagore 
et  Empédocle,  dont  Aristote  rapporte  la  cosmologie  au  même 
\'IIP  livre,  Bonamico  expose  longuement  leurs  systèmes.  Le 
premier  lail  naître  l'univers  de  la  matière  chaotique  en  repos, 
en  la  mettant  en  mouvement  sous  l'action  de  l'intelligence;  il 
suppose,  comme  Platon,  un  commencement  au  monde,  mais 
non  à  la  matière  ^^K  Et  si  le  monde  n'a  pas  commencé,  il  ne 
linira  pas.  On  ne  peut  qu'objecter  à  Anaxagore  que  plutôt  que 
de  supposer  la  matière  au  repos,  il  serait  sage  de  supposer 
le  néant,  comme  l'Eglise  :  <(  les  anciens,  même  en  admettant 
un  commencement  au  monde,  étaient  obligés  de  le  l'aire  pré- 
céder d'un  repos  infini,  car  ils  n'ont  jamais  pu  imaginer  que 
de  rien  vint  quelque  chose  f^*  ».  Empédocle.  lui,  fait  alterner 
le  repos  et  le  mouvement  cosmique  sous  l'influence  de  l'amour 
et  de  la  discorde  '^);  et  ce  mouvement  d'agrégation  et  de  disso- 
ciation des  atomes  se  poursuit  selon  un  rythme  éternel,  en 
sorte  que  le  monde  est  éternellement  engendré  et  éternelle- 
ment anéanti  '^K 

Bonamico  ne  dit  point  <|uelle  est  son  opinion,  ni  celle  de 
Pomponazzi  dans  ce  débat,  mais  il  est  facile  de  voir  qu'il  prend 
parti  pour  Averroès.  Il  le  défend  contre  Avicenne  et  Al-Gazel 
qui,  plus  épris  de  Platon  et  de  Plotin  que  d'Aristote,  acceptent 
la. création,  l'intervention  de  Dieu  dans  le  monde,  et  soustraient 
la  métaphysique  à  la  raison  pour  chercher  les  preuves  de 
l'existence  du  premier  moleur  dans  rEcriture  et  la  théologie  "5"'. 

(1)  l'iarto  ipse  licet  exposuerit  miimii  incoptionem.  fainen  posuit  motus  aetemi- 
tatem  quia  ir>^p  clicel)at  fiiKnl  ante  iiite|)ti(>nem  mnndi  nmnia  movebantiir  motu 
Inonlinato  et  ciikmI  Deus  postnKxlum.  riim  coMstnixIt  miindum  induxit  ipsum 
ad  nrdinem  et  tune  omnia  iiueppruiif  movcri  niutii  ordinato  (f"   93). 

(2)  F"»  92  vo  et  9'i. 

(3)  F"  93  x"  :  Re-iK)ii(letiir  ipiod   ^('(■lllldllrll  aiiti<|ii()s  necesse  e'^t  poriere  res  per 
.  inflnitum  tempiis  (piievlsse  etsi  ix)snerint  mimdi  iriceptioiiem  quia  numquam  Ipsl 

imaginari  j)otuiM-unt  ex  nihilo  ali<iuid  flerl. 

"0  ARI8TOTE,  Pliys..  VIII.  '..  cite  les  VOIS  d "Empédocle. 

(.51  F"»  92  V".  93  et  9'i  :  lït  sic  mundtis  destrnel)atur  et  sic  staliat  ix-r  aliquod 
tempiis.  et  r)<)stea  elcmenta  ipsa  deveniebaut  ad  iiiimicitiam  et  litem  et  iterum 
tK.>.tea  revertel)antur  ad  amicitiam  et  sic  delnceps  qualiter  dicendo  ponebat  mun- 
dnm  Inflnities  generari  et  inflnities  corrumpi  (F»  9/i). 

if,)  F"  9:1.  Sur  ces  auteurs,  voir  Picavet.  Histoire  générale  des  phil.  mtdiévales, 
p    171  à  173. 


SOURCES    ITALIENNES  63 

li  hésite  cependant  à  suivre  Averroès  sur  la  question  des 
«  substances  séparées  »,  c'est-à-dire  des  intelligences  qui,, 
même  dans  l'averroïsme,  constituent  la  chaîne  des  moteurs 
par  lesquels  le  mouvement  se  transmet  de  la  première  sphère 
jusqu'à  nous  'i'.  Leur  existence  relève-t-elle  de  la  méta- 
physique ou  de  la  physique?  Porphyre,  Alexandre  d'Aphro- 
disias,  Avicenne,  en  font  une  question  de  métaphysique  ; 
Averroès  et  Sim]5licius  la  réservent  à  la  philosophie  naturelle. 
Bonamico  se  range  enfin  à  l'avis  de  ces  derniers  (2). 

Ainsi,  dans  toutes  les  questions  soulevées  par  ces  Commen- 
taires, Averroès  est  l'autorité  la  plus  souvent  invoquée  et  le 
guide  le  plus  fidèlement  suivi. 

(1)  PICAVET,    op.    cit.,    p.    174. 

(2)  Fo  96  vo-97. 


CHAPITRE    III 
Les    Français    en    Italie. 

I.  Noms  de  quelques  étudiants  français  dans  les  Univeisités  italiennes.  — 
II.  Relations  et  correspondance  des  anciens  étudiants  d'Italie;  leurs 
situations  en  France;  services  léciproques.  —  III.  Leurs  protecteurs. 


Il  Lopinion  qui  lait  venir  la  philosophie  du  XVIIP  siècle 
de  la  liéloruic  est  erronée,  écrit  Renan.  Si  celle  philosophie 
a  des  antécédents,  c'est  dans  l'Italie  païenne  de  1500  qu'il  faut 
les  chercher.  La  l^éfornie  précisément  est  une  réaction  contre 
l'incrédulité  italienne  de  ce  temps-là <^'  ».  Alignet  joint  l'Espagne 
à  l'Italie  f^),  Rcimmann  et  Voelius  le  tiennent  également  pour 
vrai  (3). 

-M.  Copley  Christie  n  donc  eu  raison  de  consacrer  tout  un 
chapitre^'''  de  son  Dolcl  à  éhidicr  l'Univci'silé  de  Padoue.  Lui 
aussi  y  voit  «  le  quartier  général  d'une  école  philosophique 
absolument  opposée  aux  doctrines  chrétiennes  »,  où  deux 
sectes  se  partagent  l'influence  et  l'inleqDrétation  d'Aristote  : 
les   averroïstes   el   les   matérialistes,    ces   derniers,    disciples 


(1)  Cité  i)ar  DiUK,  Michel  f^ervet  et  Calvin,  p.  ',-2. 

(2)  Ihid  ,  p.  41. 

(3)  Ex  Italia  atheismum  transiisse  In  Galliam  et  hanc  ab  illa  infectàm  esse  hac 
lue  oIj  vicinum  et  arctiiis  relpiiblicae  dvilis  ecclesiasticae  et  lltterarije  commer- 
cium,  G.  Vœtii  est  Jutikliim,  t.  I  Dissert.  sctert.,  p.  21S,  et  in  Pnixitiiinmenis, 
p.  H'iô.  Nec  allenum  est  illnd  a  verisimlIiliKlim-  (Ukimmanx,  ///v/,  nth  ri  /illironim, 
V    383). 

(4)  Ch.  II. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  (35 

d'Alexandre  d'Aphrodisias  el  de  Pomponaee.  «  Les  années 
que  Dolet  y  passa  eurent  sur  lui  une  influence  qu'il  ressentit 
toute  sa  vie.  Ce  lut  là  sans  nul  doule  qu'il  conçut  ces  opinions 
qui,  près  de  vingt  ans  plus  tard,  devaient  être  la  cause  de  sa 
mort  et  qui  ont  servi  de  prétexte  à  ses  ennemis  pour  le  fléli'ir 
du  nom  d'athée  '^)  ».  Nous  nous  en  serions  douté,  après 
l'exposé  que  nous  avons  fait  des  doctrines  de  Pomponace, 

Aussi  si  l'on  considère  que  des  milliers  de  jeunes  Français 
allèrent,  au  début  du  XVP  siècle,  comme  Dolet,  se  former  près 
de  cette  université,  on  comprendra  quelle  énorme  influence  ce 
centre  a  pu  exercer  sur  la  pensée  française.  <(  L'histoire  des 
universités  est  une  partie  essentielle  de  l'histoire  de  la  civilisa- 
tion (2>  ».  Mais  au  point  de  vue  français  celles  d'Italie  sont  les 
plus  importantes  ^^).  Le  droit  civil  n'étant  pas  enseigné  à  Paris, 
la  plupart  des  familles  des  parlementaires  envoj'aient  leurs 
enfants  soit  en  province,  soit  en  Italie.  Très  souvent  après  un 
stage  à  Orléans,  Poitiers,  ou  Bourges,  ils  allaient  se  faire 
recevoir  docteurs  au  delà  des  monts  ^^).  Bologne  surtout  était 
célèbre  pour  le  droit,  Padoue  pour  la  philosophie  et  les  huma- 
nités, Florence  pour  le  grec.  Mais  «  le  mouvement  intellectuel 
de  Bologne,  de  F'^errare,  de  Venise,  se  rattache  tout  entier  à 
celui  de  Padoue  :  les  Universités  de  Padoue  et  de  Bologne  n'en 
font  réellement  qu'une,  au  moins  pour  l'enseignement  philoso- 
phique et  médical.  C'étaient  les  mêmes  professeurs  qui,  tous 
les  ans,  enseignaient  de  l'une  à  l'autre  pour  obtenir  une  aug- 
mentation de  salaire  i^>  ».  Et  puis  les  élèves  ne  trouvaient-ils 


(1)  C.  Christie,  op.  cit.,  ch.  II,  p.  23. 

(2)  E.  Picot,  Bulletin  philol.  et  histor.,  1915,  p.  8. 

(3)  Balzo  {L'Italia  nella  letteratura  Ji'onceye  del  Imperio  romano  alla  morte 
di  Enrico  IV,  ch.  II,  p.  46-47)  proclame  que  les  Universités  italiennes  «  fuis>no 
centre  di  luce  e  di  libro  pensiero...  Egli  enciclopedisti  francesi  del  secolo  XVIII 
furono  gli  eredi  diretti  dei  nostri  accademici  del  grande  perlodo  erudito,  etc.  » 
Voir  aussi  Flamini,  Il  Clnquecento,  p.  103-104. 

(4)  Cette  coutume  est  très  ancienne.  Pour  les  noms  des  étudiants  du  moyen  âge, 
voir  les  travaux  de  E.  Picot  et  Biagio  Brugi  cités  ci-après.  Les  étudiants  les 
plus  célèbres  du  début  du  XVie  siècle  :  sont  Le  Fèvre  d'Etaples,  Budé,  Erasme. 

(5)  Renan,  Averroès,  II,  m,  p.  326. 

5 


66  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

pas  partout  les  chefs-d'œuvre  de  l'art,  les  livres  des  maîtres 
italiens,  et  des  condisciples  venus  de  tous  les  coins  de  l'Europe? 

Les  très  remarquables  travaux  de  M.  E.  Picot  nous  permet- 
tent de  nou-s  faire  une  idée  de  l'affluence  des  étudiants  français 
en  Italie  au  \VP  siècle.  Outre  les  études  individuelles  qu'il  a 
consacrées  à  beaucoup  d'anciens  disciples  des  Italiens  ^^>,  il  a 
dressé  lui-même  des  listes  d'étudiants  français  de  Ferrare  et 
de  Pavie  "^\  Le  Bulletin  italien  de  1917  présente  un  résumé 
de  ces  travaux  et  d'autres  similaires  relatifs  à  Ferrare,  Pavie 
et  Padoue.  Il  serait  parfaitement  fastidieux  et  inutile  de  reco- 
pier ici  ces  nomenclatures.  Nous  nous  contenterons  d'en 
extraire  les  noms  les  plus  connus  qui  concernent  la  période 
où  grandit  la  génération  de  1530,  soit  entre  1520  et  1530,  ou 
exceptionnellement  pour  les  autres  périodes  les  noms  que  nous 
retrouverons  au  cours  de  celte  étude. 

A  Ferrare  '3'  les  Français  ne  deviennent  nombreux  qu'au 
XVP  siècle,  surtout  lorsque  la  duchesse  Renée  de  France  y 
attira  ses  compatriotes. 

La  liste  de  M.  Picot  contient  269  noms,  la  plupart  origi- 
naires de  Bourgogne,  du  Dauphiné  ou  de  Savoie  ;  malheu- 
reusement les  plus  grandes  lacunes  concernent  précisément 
la  période  qui  nous  mtéresse.  Relevons  seulement,  dans  les 
années  qui  suivent  1530,  les  noms  de  Coras,  du  Bourg,  du  Prat, 
Amanieu  de  DurforI,  Blocqueil,  de  Cambrai,  docteur  en 
1534  "'). 


(1)  Les  Français  italianisants  au  XV le  siècle,  2  vol. 

(2)  Les  Français  à  l'Université  de  Ferrare,  Journal  des  Savants,  février-mars 
1902.  —  Les  Français  à  l'Université  de  Pavie,  Bulletin  philol.  et  htstor.,  1915,  p.  8- 
90. 

3)  Les  noms  donnés  par  M.  Picot  sont  extraits  de  l'ouvrage  de  J.  Pardi, 
-Tltoll  doltorali  conferiti  dallo  studio  di  Ferrara  nei  sec.  XV  e  XVI.  In-f»,  Lucca, 
Marchi,   J901. 

(4)  Picot.  I^es  Français  à  Ferrare.  Journal  des  Savants,  février-mars  1902.  — 
Après  1540,  Girard  de  Hoyssonné,  nis  du  proscrit  de  Toulouse,  ancien  élève  de 
Padoue  (docteur  en  15'.9).  Il  a  pour  condisciples  le  fils  d\i  président  de  Toulouse, 
J.  Minut.  italien  d'origine  daiUeurs;  Nicolas  Alixant  (1547).  En  1546,  Adam  et 
Antoine  Fumée  y  sont  témoins  dune  promotion.  Ce  sont  les  flls  d'Antoine  Fumée, 
(lui,  en  1542.  dénonça  à  Calvin  les  libertins  de  Paris.  Mais  c'est  surtout  Alclat 
(pii  fera  la  fortune  de  cette  Université  (1553-1556). 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  67 

A  Pavie,  M.  Picot  a  relevé  311  noms,  de  l'Est  aussi,  pour 
la  plupart.  Signalons  seulement  les  Perrenot,  seigneurs  de 
(iranvelle.  dont  le  père  était  chancelier  de  Charles  Quint,  et 
surtout  Simon  de  Neufville  qui  y  étudia  de  1515  à  1521  avant 
de  devenir  à  Padoue,  en  qualité  de  professeur  d'éloquence 
latine,  le  maître  de  Dolet  *^>. 

De  Bologne  il  suffira  de  citer  ®  Alexis  de  Castellane,  reçu 
docteur  en  1531,  et  surtout  Jacques  Spifame.  reçu  docteur 
en  droit  en  1528,  dont  nous  raconterons  la  destinée  tragique  (3). 
En  1531,  le  roi.  sur  la  recommandation  de  G.  Budé  et  de 
.1.  du  Bellay,  y  envoyait  à  ses  irais  Denis  Couronneau.  Il 
logeait  chez  le  cardinal  Cornaro  en  compagnie  de  Raoul  de 
Ponysson.  Tous  deux  vécurent  ensuite  dans  la  maison  du 
cardinal  de  Tournon  (*>. 

Mais  le  centre  principal,  c'est  Padoue,  Malheureusement  il 
reste  très  peu  de  documents  sur  l'époque  qui  nous  intéresse  *^'. 


(1)  Bulletin  philologique.  1915,  p.  s-90.  Parmi  les  étudiants  antérieurs  à  l'époque 
que  nous  étudions,  citons  S.  Champier,  reçu  docteur  en  1515,  le  normand  Jacques  de 
Bethencourt,  reçu  docteur  en  1516,  et  parmi  ceux  qui  sont  postérieurs  à  cette 
époque  Jacques  de  Vintimille  (1535-1536  environ). 

(2)  Pourtant  j  omettrais  l'un  des  plus  actifs  parmi  les  protecteurs  des  étudiants 
italiens  si  je  ne  signalais  Jean  des  Pins,  évèque  de  Rieux,  qui  fut  dans  les  der- 
nières années  du  XV»  siècle  et  les  premières  du  XVI»  élève  à  Bologne  de  Filippo 
Beroaldo  l'ancien  (Picot,  Bulletin  Italien,  1917,  p.  65).  Sur  Jean  des  Pins,  voir 
Gallia  christiana,  XIII,  192  D  et  193-194. 

(3)  Picot.  Bulletin  Italien,  1918,  p.  29. 

(4À  E.  Picot,  Italiens  en  France  au  XV/e  siècle.  Bulletin  Italien,  191S,  p.  29.  — 
SAMonLL.iN,  De  BunelLo.  p.  29.  Sur  Bologne  les  Allemands  sont  mieux  renseignés 
que  nous.  Ils  ont  pu  retrouver  les  matrices  et  faire  la  liste  et  la  biographie  de 
4.420  étudiants  depuis  1289  à  1562.  A  titre  de  renseignement,  voici  le  titre  de  ces 
deux  ouvrages  :  Acta  ymlionis  Germanicœ  l'niversitatis  Bononiensis  ex  archetypis 
tabularii  Molvezzîani.  Jussu  institutl  Germanicl  Savignyani  Ediderunt  Friedlaen- 
der  et  Carolus  Malazola,  Berolini,  1S81.  In-f».  —  Deutsclie  studenden  in  Bologna 
(1289-1562)...  Im  Augstrag  (1er  K.  Preussischeu  Akademe  der  Wissenschaften  bear- 
l>eîtet  von  Gustav  Knod..  1899,  gr.  in-S».  M.  Picot  fait  un  grand  éloge  de  oe 
dernier  volume  dans  Bulletin  philologique  et  historique,  1915.  p.  9. 

(5)  M.  BI.4GGIO  Brugi  a  publié  les  Monumenta  délia  Univer.^ita  di  Padnva  jus- 
qu'en 1405,  et  pour  la  première  moitié  du  XVie  siècle  il  a  cherché  à  remplacer  les 
matrices  disparues  en  relevant  dans  les  actes  officiels  et  les  archives  de  Padoue 
les  noms  des  étudiant-^  qui  avaient  ,pu  laisser  trace  de  leur  passage,  Gli  anticM 
!<iolari  di  Franria  nllo  studio  di  Pndova,  Mélanges  Picot.  Paris,  1913,  l,  p.  535-555: 
et  tirage  à  part.  Je  renvoie  à  ce  tirage. 


68  SOUKCES    ET    INFILTRATIONS 

Les  Français  avaient  à  Padoue  toute  une  oreànisation  :  une 
caisse  sociale,  pour  les  frais  communs  et  les  prêts,  une  biblio- 
thèque, des  protecteurs  choisis  parmi  les  professeurs  de  l'Uni- 
versité. En  cela  ils  imitaient  les  autres  «  nations  )>,  mais  de 
plus  ils  avaient  le  droit  de  porter  les  armes''*.  Ils  étaient  divisés 
en  deux  ((  nations  »,  les  Borgundi  et  les  Provinciales^  distinctes 
pour  les  élections.  M.  Biaggio  J3rugi  cite  peu  de  noms  parmi 
les  étudiants  des  lettres.  Parmi  les  plus  anciens  est  Ch.  de  Lon- 
gueiP^',  français  par  sa  famille  et  son  éducation  ^>.  Il  y  arriva 
en  1516.  Il  y  revint  en  1519  comme  professeur  et  eut  pour 
élèves  Guy  Breslay,  Maurice  Bullioud,  Jean  Budé  (1521-22)  '^\ 
Charles  Brachet  et  Gaillard  se  réfugient  chez  lui  en  arrivant  à 
l'adoue  '^K  Emile  Perrot  (Milles  IT),  de  Paris,  y  étudiait  en 
1530'^'.  Il  avait  fait  des  études  sous  la  direction  de  Farel  au 
collège  Le  .Moine,  puis  à  Toulouse,  où  il  s'était  lié  d'amitié 
avec  P.  Bunel.  Parti  pour  l'Italie  en  1528,  il  fut  reçu  docteur 
en  droit  en  1531.  Une  rixe  l'ayant  obligé  de  quitter  Padoue,  il 
s'établit  à  Marostica,  près  de  Bassano,  et  ne  rentra  en  France 
qu'en  1536.  De  Toulouse,  Boyssonné  probablement  fut  l'un 
des  premiers  C{ui  allèrent  jusqu'à  Padoue  vers  1520'"'').  Pierre 
Bunel  l'y  suivit  plus  tard  (1529),  suspect  déjà  aux  Toulousains. 
Ce  fut  lui,  peut-être,  qui  y  attira  son.  compatriote  et  ami 
.\rnaud  du  Ferrier,  reçu  docteur  en  L533.  réservé  à  de  si 
hautes  destinées'^)  et  à  devenir  professeur  de  Cujas.  Il  s'y 


(1)  Gli  antichi  scolari...  alto  studio  di  Padova.  p    2. 

(2)  Je  (lois  signaler  ixmrtant  que,  avant  Lon^eil,  Sadolet  y  a  étudié  sous  Leonico 
Tomeo.  Bien  que  Sadolet  soit  italien,  il  a  été  très  mêlé  aux  choses  de  France  et 
nous  le  retrouverons  souvent  au  cours  de  cette  étude. 

(3)  Il  signe  toujours  Longolius  Parlsiensis.  —  Sur  Longueil,  voir  NicÉRON,  XVII, 
et  surtout  Si.mar,  Christophe  de  Lnngucil.  huiiKiniste  (1488-1522).  Travaux  de  l'Uni- 
versité de  Louvaln,  31»  fasc,  1911. 

(4)  Bulletin  Italien.  1917,  p.  177.  nKi.AïUKLi.K,  Jtéiiertolre,  v.   131.  19»), 

(5)  Long,  eptst..  III,  2. 

(6)  Sur  Perrot.  voir  Picot,  Français  Ital.,  I,  p.  325  et  suiv.;  Bayle;  et  France 
Prolestante.   XIX-XX  (1870-1871),  p.  401   à  406,  513  à  523,   561   à  569. 

(7)  Mt'G.NiER,  La  vie  et  les  poésies  de  Jean  de  Boyssonné,  p.  11. 

(8)  Sur  du  Ferrier,  voir  Bévue  des  LanQuea  Bomanes,  1895,  p.  184-185,  note  de 
Bûche.   (Né  à  Toulouse  vers  1506-1508,  mort  en  158.'i). 


LES    FKANÇAIS    EN    ITALIE  69 

lia  d'amitié  avec  Michel  de  l'Hospital.  Regnaud  de  Chandon 

y  était  en  ir)'29^).  11  habita  qiichjiie  temps  Venise®.  Bunel 
parle  assez  souvent  aussi  de  Piochet'^);  il  était  lié  avec  Antoine 
de  Paulo,  fds  du  Capitoul  de  Toulouse  ''^). 

Dolet  à  ce  moment  était  près  de  revenir  en  France.  Arrivé  à 
Padoue  en  1526,  il  y  resta  trois  ans.  Il  y  put  connaître  Jean 
de  Maumont  que  M.  Picot  propose  d'identifier  avec  Amomo 
et  qui  deviendra  un  des  premiers  auditeurs  du  Collège  de 
France  et  disciple  de  Danès  (^),  Nicolas  Le  Breton,  qu'Orlensio 
Lando  place  en  compagnie  de  Dolet  dans  un  de  ses  dia- 
logues '^\  Jean  de  Montluc  '~\  Antoine  Arlier,  premier  consul 
de  Nîmes:  DafTis '^>  qui,  en  1532,  devint  régent  de  l'Université 
de  Toulouse  et  en  1536  conseiller  au  Parlement  de  la  même 
ville;  Charles  Estienne,  l'imprimeur.  Au  moment  où  Dolet 
quitte  Padoue,  on  y  voit  aiTiver  Pierre  de  Montdoré  '^\  qui  de- 
viendra en  1552  maître  de  la  librairie  du  roi  à  Fontainebleau, 
puis  tournera  au  protestantisme;  Guillaume  Scève;  Christophe 
Richier,  futur  valet  de  chambre  de  François  P'"  et  secrétaire 
de  Ant.  du  Bourg '^o).  ami  de  Ant.  Arlier:  Pierre  Paschal  qui, 
quelques  années  plus  tard,  pouvait  se  vanter  de  n'avoir  plus 


(1)  BiiJlelii)  Itatteii.  1917,  p.   177. 

(2)  Bnnelti  epixt.,  p.  4S. 

(3)  BUNEL,   Epist.,  p.  34. 

(4)  Ibid..  p.  42,  49  :  Piochetus  a  me  discendens  reliquit  apud  me  Ruellium.  Je 
ne  connais  rien  sur  Piochet;  il  restera  en  relation  avec  Boyssonné  {Revue  des 
Langues  Romanes.  1897,  n»  37,  datée  de  1537).  Quant  à  Ruellius  (Ruelle  ou  de  la 
Ruelle),  c'est  sans  doute  le  médecin  gui  a  édité  les  œuvres  de  Celse  et  de  Diosco- 
ride,  ou  son  flis.  R.  N.  .-  Catalogue  des  Ouvrages  de  Médecine,  gui  donne  le  détail 
de  ces  éditions,  publiées  à  Paris  pour  la  plupart. 

(5)  Français  liai.,  I,  p.  67-68. 

(6)  Philaletha    1536),  Picot,  Français  Ital.,  I,  p.  276. 

(7)  Français  Ital  ,  I,  p.  251. 

(8)  Français  Ital.,  I,  p.  325  et  suiv.,  art.  sur  Perrot. 

(9)  BUNEL  fait  allusion  à  Montdoré  dans  une  lettre  à  A.  Ranconet  {Epist  ,  p.  82). 

(10)  Tous  ces  noms  sont  extraits  de  Picot,  Bulletin  Italien,  1917.  p.  173  à  180,  ou 
de  BiAGGio  BRUGi,  loc.  cit.  —  Sur  Charles  Richier  et  son  amiUé  pour  Rabelais  et 
Dolet,  voir  Picot,  Français  Ital.,  I.  p.  97,  note  (Lettre  de  Arlier  à  Dolet, 
inéd.). 


70  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

rien  de  français  el  d'être  devenu  toul  italien  >''  el  qui  y  pro- 
nonça le  réquisitoire  —  qui  l'a  seul  illustré  —  contre  l'assassin 
de  son  malheureux  compatriote  et  condisciple  à  Padoue,  Jean 
de  AÏauléon;  P.  Danès  enfin  qui  quitta  la  chaire  du  Collège  de 
France  pour  se  faire  disciple  de  Padoue  en  1534,  et  tout  une 
pléiade  de  jeunes  Français  dont  nous  retrouverons  les  noms 
à  travers  la  correspondance  de  ceux  que  nous  venons  de  nom- 
mer <5'.  La  Faculté  de  droit  est  mieux  connue,  car  on  a  les 
registres  d'immatriculation  à  partir  de  1498.  En  1524,  elle 
compte  plus  de  20  étudiants  français;  en  1536,  23;  en  1538, 
25  au  moins;  en  1539,  40;  en  1541,  81  ou  89.  On  voit  que  la 
renommée  de  Padoue  va  grandissant  pendant  la  première 
moitié  du  siècle.  Elle  diminue  ensuite  '^^  Montaigne,  en  1580, 
trouva  une  centaine  de  gentilshonmies  français  tant  à  l'uni- 
versité qu'aux  <(  escoles  d'escrime,  du  bal,  de  monter  à  che- 
val ».  Cette  année-là  la  faculté  de  droit  ne  comptait  que  dix 
élèves  français  <'*•. 

Plusieurs  des  élèves  dont  nous  avons  parlé  ne  vivaient  pas 
à  Padoue  même,  mais  à  Venise.  «  Padoue  n'est  que  le  quartier 
latin  de  Venise,  tout  ce  qui  s'enseignait  à  Padoue  s'imprimait 
à  Venise  '^>  ».  Padoue,  du  reste,  était  alors  sous  la  dépendance 
de  Venise  et  la  République  administrait  même  l'Université. 
Regnaud  de  Chandon  y  habitait  en  1531  '^K  A  Venise,  ils 
trouvent    hospitalité    et    protection    chez    l'ambassadeur    de 


(1)  Il  écrit  à  M.  de  Maiiléon  :  Ego  vero  eo  sum  jam  viiUii,  oratione,  omni  l'cliquo 
corporis  motu  ut  me  non  Gallum  agnoceres  sed  totum  Italum  judlcares  {Pasch. 
epistolse,  p.  106-107). 

(2)  Parmi  les  étudiants  qui  vinrent  plus  tard  à  Padoue,  citons  G.  Audebert  (1538), 
venant  de  Bologne  (Françai»  Ital  ,  I,  165);  François  de  Perussis  [1538]  (BiAC.Gio 
Brugi.  op.  cit.,  p,  7;  Franrais  liai..  II,  p.  38);  Antoine  du  Bourg,  neveu  du  chance- 
lier {Français  liai  ,  II,  p.  175). 

(3)  A  partir  de  1560.  une  forte  réaction  se  fait  contre  les  Italiens  :  Tahureau, 
Dialogues  (art.  de  Besche.  p.  158  et  suiv.);  Pelktier  (thèse  de  Jiigé,  p.  311); 
Ronsard,  Poèmes,  II  (au  trésorier  de  réparte,  Bl.  VI,  p.  265);  H  Estienne, 
DUtlooitex  du  nouveau  lanf/aiic  françois  Uallanisô  (l.')7X). 

(4)  BIAGGIO  BRUGI.  Op.  Clt  ,  p.  10. 

(5)  Renan,  Averrofs,  II,  III,  p.  326. 

(6)  Bunelli  eplst.,  p.  Vi,  '.S. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  71 

France.  En  1521,  c'est  François  de  Bosis,  élève  de  Gérard  de 
Verceil,  ami  de  Budé,  qui  occupe  ce  poste.  C'est  chez  lui  que 
Simon  de  Neufville  a  trouvé  l'hospitalité.  En  1529,  l'ambas- 
sadeur est  Lazare  de  Bail',  qui  à  son  tour  prend  Bunel  comme 
secrétaire  au  sortir  de  chez  E.  Perrot'^).  Bunel  y  trouve  Ban- 
conet,  futur  traducteur  de  grec  et  humaniste  distingué  ^^î, 
et  Gaspard  le  futur  gendre  de  Marand  de  Bordeaux  (3).  Ba'if  a 
appris  le  grec  de  M.  Aluzuro  lui-même  au  temps  que,  jeune 
étudiant,  il  rivalisait  avec  Christophe  de  Longueil  (1516);  il 
en  explique  la  beauté  à  son  hôte  et  aussi  lui  raconte  la  triste 
destinée  de  son  condisciple;  en  retour  le  jeime  Toulousain'*) 
apporte  à  son  maître  les  cours  qu'il  entend  à  Padoue.  De 
temps  en  temps  un  Français  passe  et  demande  l'hospitalité. 
Pierre  Gylles  s),  le  célèbre  naturaliste,  y  séjourne  avant  de 
partir  pour  l'Orient '^).  Et  puis  Baïf  est  un  lettré  lié  avec  tous 
les  humanistes  du  temps.  Bembo,  alors  à  Padoue,  fréquente  sa 
maison,  ainsi  que  les  Manuces,  père  et  fils.  Sadolet,  ancien 
élève  de  Padoue,  fuyant  Bome  saccagée,  est  dans  son  évêché 
à  Carpentras,  mais  il  écrit  assidûment  et  l'ambassadeur  lui 
envoie  des  livres. 

Vers  1530,  Dolet  devient  secrétaire  de  Jean  de  Langeac, 
prolongeant  ainsi  son  séjour  à  Padoue.  On  lit  alors  Cicéron, 
ou  l'on  va  écouter  Egnazio  qui  commente  au  début  de  1531  ■^' 


(1)  PiNVERT,  De  Lazail  Ddijfl  vita,  p.  55 

(2)  Il  aidera  Ant.  de  Govéan  à  commenter  et  à  éditer  Cicérou  Dezeimeris,  La 
Renaismiice  à  Bordeaux,  p.  141-142). 

(3)  PiNVERT,  De  Lazari  Baijfl  vita,  p.  58. 

(4)  Ibid.,  p.  55. 

(5)  Sur  P.  Gylles,  cf.  Xicéron,  XXIII;  Dr  H.\my,  Le  père  de  la  zoologie  française.- 
P.  Gylles  d'.Mbl  {S'ouvelles  .^rchives  du  Muséum,  4»  série,  t.  II,  P.  1-24). 

(6)  PINVERT,  De  Lazari  Bayfl.  vita.  p.  58. 

(7)  Novi  quod  scribam  nihil  habeo  nisi  forte  illud  scire  vis,  Egnatius,  Virgilii 
libres  Georgicos,  epistola-:  fainiUares  Cic€ronis  et  septimum  Plinii  interpretatur. 
{Buneili  e//i.</  ,  p.  44.) 


72  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

ce  laiiu'iix  \  II'  livre  de  Pline,  les  Leltres  de  Cicéron  el  les 
Gcorgiques,  et  plus  lard,  le  De  OUiciis  de  Cicéron  et  le  poème 
de  Lucrèce  ''^K 


II 


neutres  en  France,  les  anciens  padouans  se  gioupent  et  se 
soutiennent.  Ils  trouvent,  du  reste,  dans  la  plupart  des  huma- 
nistes, même  ceux  (jui  nont  pas  passé  par  l'Italie,  des  pro- 
l('<leni's  tout  désignés.  A  Paris  :  Budé.  Grollier,  Bérauld, 
la  tribu  des  Perrots,  Piogei*  Barme,  de  Loynes,  de  Brie  '2), 
Ruzé,  Brachet,  du  Bourg  sont  en  relations  constantes.  Puis  la 
cour  de  Fontainebleau  attire  les  jeunes  qui  y  trouvent  occasion 
de  montrer  leur  science  et  d'en  tirer  profit.  A  Lyon  :  M.  Scève, 
Rabelais,  Dolet,  Fournier  se  trouvent  ensemble  dans  les  années 
qui  suivent  1530.  Ils  y  sont  en  contact  continuel  avec  les  Ita- 
liens '3),  Toulouse  ^'*)  surtout  est  un  centre  très  important  d'ex- 
pansion poiii'  la  pliil('.>ophic  padoiiaiino  :  Boyssoniié.  les  du 
l""aur,  Jean  des  Pin.s  sur  ses  vieux  jours,  Voulté.  Bunel  parfois 
y  sont  protégés  par  Minut,  Bertrandi,  Gribaldi  jusqu'en  1541. 
lioussel  et  Pac  (^)  vers  1532  sont  obligés  de  fuir  à  la  cour  de 


(1)  Baplistam  Egiiatium  quem  Officia  Ciceronis  et  Lucretium  interpretaiitem 
Venetiis  juvenis  audivi  (Dolet,  Comment,  ling.  lat.,  I,  p.  1156. 

<2)  Sur  les  relations  entre  de  Brie  et  Bérauld,  voir  Dri.rii  allfi-siodor.  Poemata 
dîto,  Parisiis,  1520.  De  Brie  appelle  Bérauld  <■  savant   dans  les  deux  langues  ». 

(3)  Sur  les  Italiens  à  Lyon,  voir  Heulhard,  Rabelais  et  ses  voyages  en  Italie, 
p.  62  et  suiv.  :  Préface  des  Œuvres  de  Des  periers,  par  Lacoik,  et  surtout 
('.  Chbistie,  Dolet,  cil.  IX  en  entier. 

(4)  Sur  le  groupo  de  Toulouse,  voir  G.  CiiRisrii:,  Dolrl;  muonier,  La  vie  et  les 
poésies  de  Jean  de  Boyssoinir,  Ant.  (iovôan.  prot .  de  dioil.  samuiillan.  De  Petro 
Biniello;  et  les  notes  dont  M.  Biche  a  accompagné  l'édition  des  Leltres  de  Boys- 
sonné  iUevue  des  Langues  Bomnnes,  1894-1897). 

'5)  Sur  Pac.  voir  :  Doleli  oratiunes,  H.  59;  France  l'rnies'anle,  II,  731;  Revue  des 
Langues  Romanes,  1S04,  p.  325;  1S95,  p.  179 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  73 

Marguerite.  Bordeaux  ^^  après  la  restauration  du  collège  de 
Guyenne  (1534)  les  voit  accourir  de  tous  les  points  :  Arnould  du 
Ferron  <2',  Ranconet  '^',  Briand  Vallée,  Morand,  Gaspard, 
Buchonatn.  F^obert  Breton,  les  Govéan.  Tout  près,  Cahors  "^' 
avait  des  évêques  italiens  et  une  université  où  venaient  sou- 
vent des  professeurs  italiens.  J.-C.  Scaliger  s'y  fixa,  qui  avait 
étudié  à  Padoue,  et  il  était  en  relation  avec  le  groupe  de  Bor- 
deaux; en  1534,  L.  Petrucius  qui  y  professait  le  droit  est  en 
correspondance  avec  Boyssonné,  suspect  et  près  de  fuir  Tou- 
louse ^'.  Orléans  semble  avoir  été  aussi  un  centre  d'italianisme 
\ers  1520  à  cause  de  sou  université.  Aleandro  v  séjourna  et 
elle  fournit  des  élèves  à  Padoue  :  Brachet,  Dolet.  Bérauld 
qui  donna  des  leçons  à  Dolet  y  résida  longtemps. 

Entre  ces  centres  des  lettres  fréquentes  et  des  services  réci- 
proques entretiennent  une  amitié  constante.  La  correspon- 
dance de  Longueil,  par  exemple,  est  considérable  et  c'est  du 
reste  tout  ce  qui  demeure  de  lui.  Beaucoup  de  ses  correspon- 
dants sont  italiens  et  cela  s'explique  puisqu'il  a  grandi  et  est 
mort  à  Padoue  :  Sauli  dont  il  a  été  le  précepteur,  après  Bona- 
mico'^>:  Machiavel,  Navagero  qu'il  aurait  d'après  la  tradition 
rencontré  chez  Pomponazzi  et  à  qui  il  demande  un  Pline  '"^K 


(1)  Sur  le  groupe  bordelais,  voir  :  Dezeimeris,  La  Renaissance  à  Bordeaux, 
p.  540-543.  et  Sabiré,  Charron,  p.  3S;  P.  Courte.ault,  Geoffroy  de  Malvyn,  avant- 
propos,  I-II. 

[i]  A.  de  Ferron  mourut  en  1563  (Eloge  dans  SaUit-Romnald,  Trésor  chron..  III, 
p.  63). 

(3)  Sur  Ranconet,  voir  .Ménage,  Anti-Baillet.  T.  p.  118-119  léâ.  de  La  Haye.  1690); 
P.  DE  Saint-Romuâld.  Tî-é.^or  clironol...  I,  p.  543  (année  1536).  Je  trouve  Ranconet 
cité  parmi  Ie>  grands  hommes  du  t«mps  dans  une  lettre  adressée  par  D.  L.  en 
1556  à  Henri  de  Mesme  {Gallorum  aliquot  epist.,  Estienne,  1581,  p.  306).  J.  nxj 
Bellay  lui  a  dédié  un  sonnet  fort  élogieux  (Divers  Poèmes,  Recueil  de  Sonnets. 
M.-L.,  II.  p    137). 

(4)  Sur  Cahors.  cf.  baudel  et  Malnowski,  Hist.  de  VUniverslté  de  Cahors,  de 
iàl',  à  1557.  Cahors  eut  des  évêques  italiens.  Dans  là  période  qui  nous  intéresse, 
l'évèque  était  Paul  de  Caretto  (1528  à  1553).  Ant.  Govéan  professa  à  Cahors  à 
partir  de  1546  et  s'y  maria  en  1549. 

(5)  Lettre  de  Boyssonné  [Ri  vue  L.  R.,  1896,  p.  317.  n»  23) 

(6)  SiMAR.  Ch.  de  Longueil,  p  86-87.  M.  Sim.\r  a  établi  le  nom  et  la  biographie  de 
tous  les  correspondants  de  Longueil  dans  cet  ouvrage,  p.  156-194. 

(7)  LongolU  Epistol.,  IV,  29. 


74  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

l^enibo  '\  Parmi  eux  aussi  nous  trouvons  des  noms  qu'allirera 
la  générosilé  de  I^'ançois  T""  :  Franeesco  Bellini  '^\  Fondulo  '-\ 
'fui  deviendra  précepteur  du  fils  de  François  I*^,  Theocrenô, 
(|ui  |»récéda  Fondulo  dans  cette  tâche  ^^^  Est-ce  Longueil  qui 
leur  a  donné  le  désir  de  voir  la  France  ou  bien  plutôt  lui  qui 
avait  été  quelque  temps  précepteur  de  François  1"  (1510)  et 
avait  gardé  de  solides  amitiés  à  Paris  les  aurait-il  recom- 
mandés à  ses  amis  ? 

A  Orléans  il  a  aussi  un  ami  :  Jacques  Lucas,  doyen  d'Or- 
léans à  qui  il  fait  un  long  parallèle  entre  Budé  et  Erasme  à 
l'avanlage  du  premier'^'.  A  Sadolet  <^)  il  écrit  très  souvent  et 
au  vieux  Mellin  de  Saiul-Gelais  '^),  gloire  déjà  ancienne  de 
l'école  de  Padoue.  Il  est  en  relation  avec  Linacre,  l'humaniste 
anglais  '^)  et  avec  R.  Pool  '9)  le  futur  cardinal  jusqu'à  ce  qu'en 
1521  il  accepte  l'hospitalité  de  ce  dernier,  pour  mourir  l'année 
suivante  dans  sa  maison. 

Non  seulement  il  reste  en  relation  avec  ses  anciens  profes- 
seurs ou  condisciples,  mais  il  accueille  les  jeunes  étudiants 
ou  rcconnuande  les  [lalicns  qui  se  rendent  en  France.  Quand 
le  jeune  Flaminio,  lils  de  son  très  grand  amà  Alarco  Antonio  '!<>), 
va  en  France,  une  lettre  de  Longueil  l'annonce  chez  Mariano 
CaslcUano,  rarrlîidinci'c  dAvigiion  i''.  E(  (juand  un  jour  il  voit 


1)  Lonf/olii  e/nst.,  IV,  20.  —  Lettres  à  Saull  :  I,  36;  II,  18,  19,  31:  III,  29;  —  h 
Machiavel,  IV,  iS;  —  à  Navagero  :  II,  2:  IV,  2;  —  à  Kombo  :  17  lettres. 

(2)  IV,  25. 

(3)  I,  7,   23;   II,  4;   SAMOUILLAN.   De    Bunelll   vlla.   p.   60. 

(4)  Theocrenô  l'a  prévenu  de  l'arrivée  d'Oct.  Grimaldi,  IV,  31  (datée  de  Padoue). 

(5)  IV,  34.  —  Longueil  parle  à  chaque  Instant  aussi  de  Bri<son.  étudiant  à 
Padoue  (IV,  7,  8).  .M.  Slmar  le  donne  pour  médecin.  Seralt-U  parent  du  prési- 
dent Barnabe  Brisson  (1531  à  1591)? 

(6)  I,    32:    II,    5;    HI.    1,    5;    IV,    12,    26. 

(7)  Voir  Emile  Picot,  Fnniç.  lUtl..  I,  p.  51;  LouyoUl  epist..  IV,  13.  —  Sur 
Saint  Gelais,  on  peut  aussi  rx>nsulter  H.  Guy,  Histoire  de  la  Poésie  de  la  Renais- 
sance, I,  p.  13')-14S,  qui  résume  les  travaux  antérieui-s  et  donne  la   bibliographie. 

(8)  Sur  Linacre.  voir  Delarielle,  Hépertoire,  p.  8,  note. 

(9)  IV,  32,  33.  R.  Pool  a  écrit  la  biographie  de  Longueil. 

10)  Sur  M.  A.  Flaminio,  voir  TIraboschi.  VII,  p.  135'i;  Symo.nds,  Henaiss.  In  Italy, 
II,  p.  366;  RoDOCANACHi,  La  liéforme  en  Italie,  I,  p.  292-300. 

(Il)  III.  28;  IV,  1  (1552).  Castellano  est  en  relation  avec  Boy.ssonné  aussi  Hevue 
L    n  ,  1>'97,  no  44  (1537),  Sur  Castellano,  voir  Simar,  op    cil. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  75 

arriver  chez  lui  deux  jeunes  Français,  Ch.  Brachet  i)  cl 
Gaillai'd,  il  les  reçoit,  pauvre  lui-même,  puis  les  envoie  chez  son 
ami  Octavien  Griniakli*^)  qui,  «.  sur  sa  seule  recommandation 
et  sans  aucunement  les  connaître  les  aide  de  sa  fortune  avec 
magnificence '3)  ».  Mais  sa  plus  belle  action  en  ce  genre,  c'est 
son  intervention  en  faveur  de  Simon  de  Xeufville.  Nous  avons 
quatre  lettres  à  Egnazio  sur  ce  sujet,  trois  à  Oct.  Grimaldi  qui . 
intercédait  aussi  près  d'Egnazio,  une  à  François  de  Rosis  '^), 
et  cinq  à  Neufville  lui-même*^'.  C'était  presque  un  compa- 
triote. Il  sortait  de  l'Université  de  Bologne  et  se  trouvait  sans 
ressources.  Longueil  va  jusqu'à  dire  qu'il  «  meurt  de  faim 
dans  cette  région  la  plus  florissante  de  l'Italie  6)  ».  Le  profes- 
seur a  deviné  le  génie  de  lélève.  C'est  un  Français,  il  est  vrai, 
mais  il  en  répond  ;  ((  Non  seulement  il  n'a  pas  la  légèreté  ni 
les  vices  des  Français,  mais  il  possède  la  gravité  italienne  '^)  »  : 
intelligent  du  reste  et  pieux,  parlant  l'italien  comme  un  Italien. 
Mais  il  s'agit  de  savoir  <(  s'il  va  être  obligé  de  retourner  en 
France  ou  s'il  pourra  demeurer  dans  cette  Italie  mère  et  nour- 
rice de  toutes  les  bonnes  disciplines  (s)  ».  H  propose  donc  au 
professeur  de  le  prendre  chez  lui  à  Venise  comme  secrétaire. 
C'était  alors  chose  commune  pour  les  étudiants  pauvres. 
Erasme  avait  chez  lui  à  ce  moment  (1530  à  1533),  en  qualité 


(1)  Ce  Ch.  Brachet  est  lié  avec  S.  Macrix,  De  Carolo  Drachelo  consUiario  regio  ■ 
Versus  cum  leg-erem  meos  Bracheto  |  Fido  Longolll  asseclae  Bracheto.  .,  Hymni, 
V,  p.  175.  Sur  Brachet,  voir  Picot,  Franc.  liai.,  II.  p.  166.  C'est  peut-être  sa 
fille  dont  Ronsard  a  fait  l'épitaphe.  Edlt.  Laumonier-Lemerre,  V,  p.  311  :  Epitaphe 
de  Marie  Brachet. 

(ï)  Longolli  epist.,  Itl,  2. 

(3)  Lettre  à  Oct.  Grimaldi,  III,  3. 

(4)  III,  14,  21.  26,  32;  III.   3.  16,   17:   II,  23. 

(5)  II,   16,  22,  24,  26,  27. 

(6)  Ne  summœ  virtutis  adolescens  in  ipsa  florentissima  Italiœ  parte  famé  pereat 
(ni,  21,  à  Egnazio). 

(7)  III,  26.  à  Egnazio. 

(8)  Ea  est  Villanovani  ipslus  fortuna,  ut  nisi  abs  te  rationibus  ejus  mature 
consulatur  sit  ei  in  Galliam  remigrandum  et  hac  vestra  omnium  bonarum  artium 
altrice  atque  parente  Italia  carendum  (III,  14,  à  Egnazio). 


76  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

de  valet,  Gilbert  Cousin,  l'une  des  gloires  du  protestantisme 
IVaii'jiiis  ''.  Eynazio  se  déli:îil  des  Français.  Et  puis  Xeufville 
élail  jeune  encoi-e  —  il  avait  vingt-six  ans.  Il  se  décida  trop 
tard.  Son  protecteur  lui  avait  trouvé  une  autre  maison  aussi 
hospitalière  et  plus  facile  à  ouvrir  :  celle  de  l'ambassadeur  de 
l'rance.  l-'rançois  de  liosis  ''. 

Ou  bien  c'est  un  étudiant  qu'on  rappelle  et  qu'il  faut  retenir 
en  Italie.  Ce  Guy  Breslay  qui  devait  plus  tard  sauver  pour  un 
temps  les  jours  de  Dolet,  son  pères  l'a  envoyé  à  Padoue.  Il  est 
lié  avec  Longueil  qu'il  avait  admiré  à  Paris,  Mais  un  jour  le 
père  rappelle  le  jeune  homme.  Et  tout  naturellement  Guy  va 
trouver  Longueil.  Longueil  n'a  pas  assez  d'autorité  près  du 
père.  Qu'à  cela  ne  tienne.  Il  écrit  à  son  ami  Roger  Barme. 
Et  Roger  Barme  est  —  j'ignore  à  quel  titre  —  ami  de  Breslay. 
Qu'il  lui  écrive,  qu'il  lui  représente  que  son  fils  ((  n'a  pas  encore 
ictiiv  de  ses  études  tous  leurs  fruits,  et  ([uil  lui  l'aut  y  consa- 
crer un  an  encore  '3)  »,  El  ces!  ainsi  ([u'aux  envii'ons  de  1520 
la  générosité  de  Longueil  préparait  à  Dolet  un  maître  et  un 
|)r(jtecleur  '^K 

Sadolet  a  des  relations  du  même  genre.  Parmi  ses  anciens 
professeurs,  Leonico  Thomeo  a  une  part  spéciale  d'affection. 
Il  jdeiu^e  sa  mort  dans  une  lettre  à  Negri,  professeur  à  Padoue, 
(le  juin  1531  f^).  Mais  plus  que  tous  il  a  le  culte  de  l'amitié 


(1)  Cf.  BAYLE,  art.  G.  Cousin,  et  note  A.  Ce  Cousin  a  écrit  un  commentaire  sur 
Lucien.  Longueil  discute  de  même  avec  N.  Dracon  à  quelles  conditions  il  prendrait 
un  certain  Vicentius  Varianus  qui  serait  un  peu  son  domestique  et  Ix'aucoup  son 
élève  {Lnnoolil  eplst  ,  IV,  I7,  et  IV,  23,  où  le  jeune  homme  est  appelé  Varmia- 
nus  [1521]). 

(2)  Longueil  le  remercie  (II,  23). 

(3)  nogerlo  Barmx,  II,  41.  Sur  Guy  Hreslay,  voir  Du  Veudikh.  Bill.,  II.  p.  1/12. 
(/i)  Aussi  Dolet  qui  connaissait  intimcm(Mit  Xeufville  pour  avoir  été  son  élève 

de  choix  lui  fait-il  faire  dan.s  son  De  Imitntlone  clceron.  un  magnifique  éloge  de 
Longueil  :  •■  Longolius  est  quo  nemo  mihi  neque  amiclor  neque  charior  unquam 
fuit.  Copulavit  nos  summum  amicitlae  vinculum,  morum  similiiudo  et  studiorum 
socielas  ...  Il  le  défendra  donc  même  après  sa  mort,  •.  ut  morte  ipsa,  quae  ab  altère 
alterum  abstraxit,  conjunctiorem  constantioremque  non  inflrmiorem  factam  aml- 
cltiam  nostram  doceam...,  ac  cujus  vlvam  adhuc  memoriam  tenemus,  hanc  quan- 
tum potero,  imm'irtalem  reddam...  »  (p.  14). 
(5)  Sadoteli  ei>lsl.  fainH  .  i,  p    397-398. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  77 

et  tous  les  anciens  de  Padoue  sont  ses  amis.  Christophe  de 
Longueil  surtout,  aux  environs  de  1520,  semble  être  dans  son 
intimité  :  conseils,  réconforts,  confidences,  témoignages  réci- 
proques d'amitié,  se  croisent  dans  leurs  lettres  f^).  En  1521  et 
1522,  Sadolet  offre  l'hospitalité  à  Longueil  (2)  qui  accepte  en 
principe;  mais  le  tombeau  lui  en  réservait  une  autre.  Bonamico 
plus  tard,  alors  qu'il  était  le  professeur  le  plus  en  vue  de 
Padoue,  entretient  avec  lui  une  correspondance  extrêmement 
fréquente.  Sadolet  le  tient  au  courant  de  ses  travaux;  Bona- 
mico le  presse  d'imprimer  son  Hortensius  en  1531  >3).  Un  étu- 
diant originaire  d'Avignon  lem-  sert  d'intermédiaire  pour 
assurer  la  régularité  de  leur  courrier  (^).  Reginald  Pool,  alors 
à  Padoue,  lui  écrit  à  plusieurs  reprises  et  engage  avec  lui  de 
véritables  polémiques  sur  lesquelles  nous  aurons  à  revenir'^). 
Jean  des  Pins,  évêque  de  Rieux,  et  son  ancien  condisciple  de 
l^adoue,  reçoit  en  hommage  son  Psaume  92  '6)  et  Germain  de 
Brie  —  encore  un  ancien  padouan  —  vient  d'Auxerre  à  Car- 
pentras  pour  le  voir  "^ 

Et  lui  aussi  protège  les  jeunes  étudiants.  C'est  sous  ses 
auspices  que  le  jeune  Pierre  Bunel  part  pour  l'Italie  et  nous 
avons  encore  deux  lettres  par  lesquelles  il  annonce  son  arrivée 
à  Bonamico  et  le  lui  recommande  comme  un  jeune  savant  de 
grand  avenir  ^).  De  même,  en  1540,  il  recommandera  à  Romolo 
Amaseo'9)  Jacques  Bording  qui  part  pour  y  préparer  la  méde- 


(1)  Sadoleti  eiiist.  fam.,  I,  p.  41,  45,  52,  53,  72;  de  Longueil  à  Sadolet,  ibid.,  1, 
p.  56,  76,  77,  ixmr  la  seule  année  1519. 

(2)  Ibid.,  I,  p.  83  (1521),  et  I,  p.  90  (1522). 

(3)  Sadolet  à  Bonamico,  I,  p.  66  (1527);  I,  p.  85  (1528);  II,  p.  153  (1532),  p.  154,  156 
(1532),  p.  201  (1534),  p.  203  (1534),  p.  212  (1534).  p.  238.  —  Réponses  de  Bonamico  :  II. 
p.  155,  202,  262  (1536).  —  Sur  l'HoTtensius,  I,  p.  122,  p.  417. 

(4)  L.  Bonamici  carmina  et  epist.,  édit.  Verci,  p.  86  (1er  juin  1532). 

(5)  Sadoleti  epist.  famil.,  II.  p.  174,  182  (1533),  p.  204  (1534).  —  R.  Pool  à  Sadolet, 
II,  p.  289  (1537). 

(6)  I,  p.  113. 

(7)  I,  p.  123  (de  G.  de  Brie  à  Sadolet). 

(8)  II,  p.  203,  212  (1534);  Bunel  le  remercie,  II,  p.  213. 

(9)  Sadoleti  epist.  seleclœ,  Estienne,  1581,  p.  179,  de  Carpentras,  1540. 


SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


cine  fi'.  C'est  lui  encore  qui  veut  placer  Bunel  chez  son  ami 
le  prince  AmaHi'^).  En  1538,  Bonamico  lui  envoie  Benoît 
Rhambert  qui  désire  le  connaître  (3). 

La  correspondance  de  Bunel  qui  s'échelonne  entre  1530  et 
1540  ressuscite  à  nos  yeux  les  figures  et  les  noms  de  tous  les 
padouans  de  1530.  Lazare  de  Baïf  d'abord  (^),  qui  lui  avait 
procuré  une  hospitalité  riche  et  intelligente  au  moment  que 
suspect  de  la  piété  ombrageuse  des  Toulousains  il  s'en  alla 
à  Padoue  chercher  la  liberté,  reçoit  ses  remerciements.  Il 
l'entretient  de  Kegnaïul  de  Chandon  qui  a  été  son  condis- 
ciple et  sans  doute  ((uehjuefois  son  commensal  chez  Baïf  <^). 
A  Emile  Perrot,  arrivé  à  Padoue  dès  1528  t^),  il  demande  des 
conseils  sur  le  programme  de  grec  qu'il  doit  suivre  avec  son 
hôte  '■^',  l'entretient  de  leurs  amis  communs  qui  se  trouvent  avec 
lui  :  Alixant'^',  P.  Danès's',  Pioche!*'»).  C'est  lui  qui  annonce  la 
même  année  les  cours  d'Egnazio  sur  le  VIP  livre  de  Pline,  les 
(iéorgiques  et  Cicéron  c^).  Dans  un  voyage  à  Rome,  il  a  salué 
Fondulo  au  nom  de  Perrot  "2)  (1532).  Et  Fondulo  était  lui-même 
en  correspondance  avec  Perrot  <^3)  Revenu  en  France,  en  1534, 


(1)  Ce  Jacques  Bording  qui  fut  longtemps  l'ami  de  Dolet  deviendra  le  médecin 
du  roi  de  Danemark. 

(2)  Bunelti  epist  .  p.  22. 

(3)  Sadolell  eptst..  éd.  Verci,  p.  97  (1538).  Ce  Benoit  Rambert  est  resté  en  relation 
avec  P.  Manuce  (/'.  Manucii  epist.,  p.  141). 

(4)  Biinein  epist.,  éd.  Estienne,  1551,  p.  1,  81. 

(5)  Ibid.,  p.  1  à  3,  40.  46,  'iS. 

(6)  Ihid..  p.  3  (novembre  1530),  7,  16  (octobre  1531).  26,  30,  32,  37,  42  (février  1531), 
44,  49,  51,  56  (juin  1532). 

(7)  Ibid.,  p.  5. 

(8)  Ibid  ,  p.  5. 

(9)  Thid.,  p.  4'i.  Il  restera  en  relation  avec  Danès  (lettre  de  15')1,  j>.  84  à  90,  datée 
de  Toulouse).  Ils  étaient  très  liés  :  Levant  hanc  ;çgritudlnem  simul  et  Danesii  vlri 
optimi  et  doctissimi  jucunda  consuetudo  (De  Venise,  s.  d.,  à  Antoine  de  Paulo, 
p.  3'.). 

(10)  P.  49. 

(11)  P.  44 

(12)  P.  56. 

(13)  Ibid  Perrot,  outre  sa  correspondance  avec  Bunel  et  Fondulo,  avait  aussi  des 
relations  avec  Daffls. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  79 

il  a  de  longues  controverses  épistolaires  sur  lesquelles  nous 
reviendrons  avec  ses  anciens  condisciples  Odet  et  Anibroise 
de  Selve,  frères  de  son  ancien  protecteur  Georges,  évèque  de 
Lavaur"^  Son  ami  et  compatriote  J.  du  Faur  et  le  cardinal 
de  Tournon  font  nommer  Arnaud  du  Ferrier  conseiller  au 
l^arlement  de  Paris®.  Bunel  en  félicite  ses  deux  amis  (3).  Son 
protecteur  G.  de  Selve  vient  à  mourir;  il  raconte  ce  malheur 
à  Ayinard  Ranconet,  son  ancien  condisciple  de  Padoue,  et 
la  chance  qu'il  a  eue  de  trouver  la  protection  des  du  Faur 
après  celle  des  de  Selve  ''^>.  Ce  Jacques  du  Faur  avait  aussi 
des  relations  parmi  les  condisciples  plus  âgés  que  Bunel; 
c'est  ainsi  que,  voulant  sans  doute  demander  un  service,  Bunel 
écrit  de  la  part  de  du  Faur  à  François  Olivier,  chancelier  de 
France  *^',  à  Guy  Breslay  '^)  dont  nous  connaissons  déjà  la 
situation  et  la  sympathie  pour  ses  jeunes  condisciples  de 
Padoue.  D'autres  nous  sont  moins  connus,  Jean  Caussade, 
Antoine  de  Paulo,  du  Parlement  de  Toulouse,  ami  de  Danès, 
Georges  Cognet,  Jean  Bertrandi  '^).  Tous  se  connaissent  les 
uns  les  autres,  s'écrivent,  se  donnent  réciproquement  des  nou- 
velles et  constituent  entre  eux  une  vraie  famille  spirituelle. 

Et  à  Padoue  il  a  aussi  un  grand  ami:  c'est  Paul  iManuce,  le 
fils  du  grand  imprimeur.  Pendant  quatre  ans,  c'est  Manuce 
qui  nous  le  rappelle,  ils  avaient  vécu  ensemble.  Bunel  l'avait 
dominé  de  toute  l'autorité  morale  et  intellectuelle  que  lui 
valait  son  âge  et  son  caractère.  Il  dirigea  ses  études,  il  le 
lança  dans  le  ciceronianisme,    il  étonna   par  sa  rigoureuse 


(1)  Ibid..  p.  101  à  108  (janvier  1534). 

(2)  Sur  du  Faur,  abbé  de  la  Chaise-Dieu,  frère  du  président  Pierre  du  Faur,  et 
les  relations  de  Bunel  avec  cette  famille,  voir  une  note  de  M.  Bûche  dans  Revue 
L.   /{.,   1895.  p.   18S-189. 

(3)  BiDielli  epist.,  p.  78;  voir  Picot,  Franc.  Ital.,  1,  p.  354,  note. 

(4)  Bunelli  episl.,  p.  66.  82. 

(5)  IbM..  p.  97. 

(6)  Ibid  .  p.  77.  11  appelle  G.  Breslay  ■■  studiorum  meoruni  hoc  tempore  patro- 
nus  ». 

(7)  Italien,  président  à  Toulouse  et  protecteur  des  étudiants  padouans. 


8()  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

vertu  la  vertu  bien  fragile  du  jeune  imprimeui'.  Ils  s'écrivaient 
souvent  et  lorsque  Bunel  mourut  à  Turin  —  sur  la  route  de 
Padoue  où  il  menait  ses  élèves,  les  fils  de  Pierre  du  Faur  — 
Guy  du  Faur  en  fit  part  à  P.  Manuce.  Et  Manuce  rend  à  son 
ami  ce  témoignage  ;  u  II  avait  vécu  avec  moi  pendant  quatre  ans 
et  j'admirais  la  rigueur  de  ses  mœurs  et  de  sa  vertu.  Quelques- 
uns  le  trouvaient  d'un  caractère  un  peu  rude,  mais  il  était  très 
doux  envers  ceux  qui  lui  ressemblaient,  c'est-à-dire  les 
hommes  de  bien.  Dès  qu'il  avait  reconnu  le  vice,  il  devenait 
très  dur...  11  était  tout  ouvert  et  simple.  Je  n'ignore  pas  que 
quelques-uns  ont  accusé  ses  opinions  religieuses,  mais  si  leur 
vie  était  comparée  à  celle  de  Bunel,  on  penserait  à  Socrate 
entouré  de  la  conjuration  des  méchants.  Il  eut  toutes  les 
vertus,  celles  du  philosophe  et  celles  du  chrétien,  mais  surtout 
la  chasteté.  Ce  fut  son  plus  grand  triomphe,  dans  l'adolescence 
même  où  la  volupté  captive  les  autres  (i)  v. 

Dolet  enfin  est  le  plus  célèbre  padouan  français  de  1530. 
Sa  correspondance  est  moins  volumineuse  que  celle  de  Bunel, 
mais  là  aussi  nous  retrouvons  les  mêmes  noms.  S'il  veut  capter 
la  jjienvcillance  de  G.  Budé.  il  lui  raconte  ses  études  en  Italie  2) 
et  le  vieux  savant  applaudit  à  cet  amour  des  lettres  qui  deux  fois 
l'a  conduit,  lui  aussi,  sur  la  terre  propice  à  l'humanisme  : 
((  Bientôt,  écrit  Dolet,  enflammé  d'un  plus  grand  amour  de 
l'éloquence,  je  com'us  en  Italie.  Là,  lié  d'une  grande  amitié 
;i\'('c  .Million  (le  XciiKilIr.  jr  passai  troi,^  nw^  à  Pa(h)no  et  la 
mort  m'ayant  privé  de  ce  compagnon  et  de  ce  secours,  je 
songeai  à  revenir  en  France.  Mais  Jean  de  Langeac  me  retint 
|tlii<  longtemps  en  ilalio,  alors  andjassadeur  à  Venist^  ^3)  ». 
A  François  de  Langeac  il  confie  ses  espoirs  de  voir  se  renou- 
.  vêler  l'éloquence  française  au  point  que  les  Italiens  ne  pour- 


(1)  /'.  Manulii  lltterae,  p.  IM-Iio,  s.  d.,  de  Venise.  —  Sur  les  mœurs  de  Manuce 
que  la  délicatesse  de  Bunel  étonne,  voir  Bayle,  art.  Stilpon,  note  G. 

(2)  Doleli  eiilst.,  J,  p.  irtl  à.  103  (de  1.532,  d'après  Delaruellk.  liiiiertoire,  p.  238, 
fjui  donne  la  réponse  de  Budé.  Répertoire^  no  174). 

3)  Doleli  eplsl  ,  I,  p.  105. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  gl 

ront  bientôt  plus  railler  les  Français  '•'.  Il  fut  l'ami  de  Lazare 
de  Baïf  aussi,  jusqu'au  jour  où  l'apparition  du  De  Re  navcili 
les  brouilla.  Il  eut  pour  professeur  à  Orléans  le  savant  Bérauld, 
premier  éditeur  français  de  Pline,  commentateur  de  Lucrèce 
et  de  Lucien,  ami  de  de  Loynes,  de  Longueil  et  correspondant 
d'Erasme  '2). 

Mais  il  écrit  surtout  à  ses  anciens  condisciples  (3)  ;  le  juris- 
consulte Arnould  du  Perron  (^);  Jean  Boyssonné  (^),  de  Tou- 
louse; Jacques  Bording,  l'ami  de  Sadolet'^);  Claude  Cotte- 
reau  ('''J;  Ant.  Arlier  <-^\]  Eustache  Prévost;  Claude  Sonet  (9).  Son 
De  Imitalione  Ciceroniana  est  fait  pour  défendre  le  souvenir  de 
son  grand  ami  Longueil  contre  la  rage  d'Erasme  et  le  livre 
est  dédié  à  un  autre  élève  de  Padoue,  G.  Scève  (^o).  Il  le  prie 

(1)  IMd.,  I,  p.  93  à  97;  II,  p.  134,  136,  137. 

(2)  Sur  la  vie  de  N.  Bérauld,  voir  France  Protest,  (s^  édit.),  II,  p.  297  et  suiv., 
et  art.  de  Delaruelle  dans  Revue  des  Biblioth.,  1902,  p.  420-445,  qui  donne  la  liste 
de  ses  publications. 

(3)  Assistaient  à  son  banquet  (1537)  :  Budé,  Bérauld,  Danès,  J.  Toussain,  Salmon 
Macrin,  N.  Bourbon,  Dampierre,  Voulté,  JMarot,  Rabelais  (Chenevière,  Des 
Perler  s,  p.  56). 

(4)  Doleti  epist.,  I,  p.  so,  83.  C'est  du  Ferron  qui  a  dû  mettre  Dolet  et  Scaliger  en 
rapports.  Du  Ferron  et  Dolet  avaient  dû  se  connaître  à  Toulouse  vers  1532.  Ferron 
ne  put  arriver  à  apaiser  la  querelle  entre  les  deux  érudits  {Boulmier,  op.  cit., 
p.  92  à  97;  DEZETMERIS,  op.  cit.,  p.  543). 

(5)  Doleti   epist.,   I,   p.    88,   90,   91;    II,   p.    120,   121,   124. 

(6)  I,  p.  93,  98;  II,  p.  128,  129,' 130,  139.  —  Jacques  Bording  a  dirigé  quelque  temps 
le  collège  de  Carpentras,  au  temps  où  Sadolet  était  évêque  de  cette  ville,  et  où 
Paschal  y  faisait  ses  études  (Bonnefon,  P.  Paschal,  p.  3).  Bording  passa  ensuite 
à  la  Réforme. 

(7)  II,  p.  127. 

(8)  Sur  ses  relations  avec  Dolet,  voir  Picot,  Franc.  Ital.,  I,  p.  97,  note. 

(9)  II,  p.  145.  Bunel  annonce  l'arrivée  de  Sonet  à  Padoue  dans  une  lettre  à  Perrot, 
de  novembre  1530.  Sonet  aurait  bien  mieux  fait  de  rester  à  Toulouse  où  ses 
«  monstra...  et  portenta  verborum  »  ne  risquaient  de  choquer  personne  (Bunelli 
epist.,  p.  5).  Il  a  aussi  plusieurs  lettres  à  Finet.  G.  Budé,  écrivant  à  P.  Lamy,  le 
prie  de  saluer  Rabelais  et  Finet;  il  est  possible  que  Finet  lût  un  compagnon  de 
Rabelais,  car  Dolet  était  ami  de  Rabelais  (lettre  de  Arlier  à  Dolet.  1538.  Voir 
Picot,  Franc.  Ital.,  I,  p.  97,  note).  Mais  ni  Delaruelle  {Répertoire,  p.  165,  let- 
tre 111),  ni  DES  MARETS  et  Rathery  dans  leur  édition  n'ont  pu  trancher  la 
question.  Dolet  linvite  à  venir  en  France  (II,  p.  140.  Poemata.  I,  3,  p.  181),  ce  qui 
semble  contre  leur  hypothèse. 

(10)  C'est  même  dans  la  dédicace  du  livre  à  G.  Scève  qu'il  lui  dit  en  parlant  des 
exécutions  de  protestants  à  Paris  :  "  Istarum  tragœdiarum  specUntorem  me  praebeo 
et  aliorum  partira  vicem  doleo  casumque  miseror  partira  stultitiam  rideo,  qui  sibi 
capitale  periculum  ridicula  quadam  pertinacia  et  intolerabili  obstinatione  cons- 
tant (septembre  1534),  p.  6. 


82  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

de  saluer  leur  ami  coiiunuii  Founiier.  Ouaud  il  est  poursuivi 
pour  avoir  défendu  trop  chaleureusement  Bunel  à  Toulouse, 
c'est  à  G.  Breslay  *'),  membre  du  grand  Conseil,  qu'il  demande 
protection  et  à  J.  des  Pins ''2)  un  brevet  d'orthodoxie,  en  leur 
rapj)olant,  au  premier,  l'amitié  de  Simon  de  Neul'ville,  au 
second,   celle  de  Longueil. 

La  correspondance  de  J.  de  Boyssonné  (3)  gardée  en  manus- 
crit à  Toulouse,  a  été  publiée  dans  la  Revue  des  Langues 
romanes  ('')  avec  de  précieuses  annotations  de  M.  Bûche.  La 
première  série  surtout  (1533  et  1534)  a  de  l'intérêt  pour  nous. 
On  y  icliouvc  les  mêmes  noms  encore  que  nous  avons  cités 
tant  de  fois.  D'abord  les  étudiante  de  Padoue  originaires  ou 
anciens  étudiants  de  Toulouse  :  Jean  Daffis  <^',  Arnaud  du 
Ferrier(^).  Ce  dei'nier  lui  dit  son  chagrin  de  voir  s'en  aller 
Daffis  et  Lazare  de  Baïf.  Il  va  avoir  comme  professeur  Ales- 
sandri.  l*uis  les  anciens  amis  d'Italie  :  Jacques  du  Faur,  le 
Mécène  de  Bunel,  alors  abbé  de  la  Chaise-Dieu,  qui  rappelle 
au  président  le  temps  de  leur  jeune  amitié  quand  ils  étaient 
à  Venise  et  à  Bologne  c^)  ;  Guillaume  et  Maurice  Scève  et 
G.  Breslay  (^).  Enfin  les  amis  dispersés  qui,  des  quatre  coins 
de  France,  écrivent,  s'envoient  des  témoignages  de  sympa- 
thie :  Pac  '-^K  qui  vient  de  quitter  Toulouse  et  sa  chaire  de 
droit  (1532)  pour  se  réfugier  chez  Marguerite  de  Navarre; 
Gérard  Roussel  (i°)  (1533),  alors  aumônier  de  Marguerite  et  qui 


(1)  Doleti  eplst.,  I,  p.  109. 

(2)  Ibid..  I,  p.  85,  87.  C'est  J.  Eording  qui  Tavait  présenté  à  J.  des  Pins  (0.  Galtier, 
Dolet,  p.  283).  Il  dut  le  voir  aussi  à  Toulouse. 

(3)  Sur  Boysscmné,  voir  la  thèse  de  F.  Mugnier,  Tji  Vie  cl  lea  Poésies  de  Jean 
de  Boyssounû. 

(4)  Années  189/.  à  1897. 

(5)  Revue  L.  R  ,  1895,  p.  179,  de  Padoue. 

{6)  Ibid  .  1895,  p.  183  (datée  de  1533),  et  réiwnse  de  du  Ferrier,  ibid.,  p.  185,  186 
{octobre  1533),  de  Padoue. 

n)  Revue  L.  R  ,  1895,  p.  1S8  ;  De  tuo  in  me  animo  dubitare  npqueo  si  vora  sunt 
quae  mihi  lîononise  et  Venetils  cum  es.sem  ostpndel)as. 

(8)  Voir  MrONiER,  op.  cit.,  p.  85  et  suiv.;  Revue  L.  R  ,  iX9i.  p.  32.5-326, 

(9)  Revue  L.  P..  1896,  p  79  fl536)  :  Scripslssem  ad  comoniiies  amicos  Doletum. 
Scevam  et  Vulteium,  sed  dici  non  potest  quam  graviter  sim  occupatus 

(10)  Revue  L.  R.,  1895,  p.  181-182  (de  Toulouse,  1533). 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  83 

est  prié  de  la  saluer  de  la  part  de  Boyssonné;  Bracliet,  con- 
seiller au  l'arlement  de  Paris  (i).  Quelques  années  plus  tard  il 
est  en  correspondance  ou  lié  avec  le  groupe  de  Bordeaux  où 
Marand  ^'^K  le  bon  paiitagrueliste,  amuse  son  «  patron  »  Briand 
Vallée,  tous  deux  du  reste  amis  de  Rabelais:  où  Buchanam  et 
Pi.  Breton  l'ont  jouer  des  moralités  au  collège  de  Guyenne  (3). 
A  Chr.  Bichier,  secrétaire  du  chancelier  Ant.  du  Bourg,  il 
confie  une  letti'e  pour  R.  de  Chandon,  à  Poitiers.  De  Chandon 
lui-même  reçoit  une  lette  de  Boyssonné  (1537),  où  il  est  prié  de 
saluer  de  sa  part  les  du  Bourg  i^).  Dolet  vient  de  quitter  Tou- 
louse, mais  il  est  à  Lyon,  en  compagnie  peut-être  de  Scève,  de 
Fournier,  et  toujoui's  en  relations  avec  Voulté,  le  poète  toulou- 
sain, ami  intime  de  Boyssonné,  et  avec  t^oyssonné  lui-même  (^). 
Le  même  Voulté  est  lié  avec  Piochet,  l'ancien  étudiant  de 
Padoue,  et  il  prie  Boyssonné,  alors  à  Fontainebleau,  de  le 
saluer  de  sa  part,  amsi  que  Cognet  s'il  passe  à  Beauvais  ^^'. 
Voulté  va  à  Lyon  en  1537  pour  aider  Dolet,  puis  il  passe  à  la 
cour<^).  Parmi  les  Italiens,  Boyssonné  est  lié  avec  Losée,  qu'il 
attire  à  Toulouse  en  1537,  un  an  avant  que  lui-mêpie  soit 
obligé  de  fuir  à  Chambéry  (*^).  Losée  le  suivit  dans  sa  retraite. 
Il  écrit  plusieurs  fois  à  M.  Gribaldi  et  lui  transmet  des  nou- 
velles de  Dolet  qu'il  vient  de  recevoir  de  Lyon  par  G.  Scève (9); 


(1)  Ibid..  1896,  p.  139,  n»  20  (1536). 

(2)  Marand  avait  marié  sa  flUe  à  un  ancien  étudiant  de  Padoue.  Gaspard.  — 
Revue  L.  R.,  1897,  n»  45,  p.  192  :  Salut  à  Briand  Vallée.  —  Sur  Breton,  voir  Revue 
L.  R.,  1896,  no  26,  p.  361  (1537),  et  réponse  de  Breton. 

(3)  Revue  L    R..  1896.  p.  7'i  (1536),  p.  368,  n»  32. 
(i)  Revue  L.  R  .  1896.  p.  369. 

(0)  Revue  r..  R  .  1897,  p.  177.  no  35.  —  nolet  lui  a  envoyé  son  De  Re  navali  (.juin 
1537). 

(6)  Revue  L.  R-,  1-97,  n"  37  (1537).  Piocliet  faisait  partie  de  la  maison  du  cardinal 
de  Chatillon.  Richier,  autre  padouan,  écrit  aussi  à  Boyssonné  de  saluer  Piochet 
à  Beauvais  (Revue  L.  R..  1897,  p.  183,  no  38). 

(7)  Revue  r.    R  .  1896.  p.  361,  à  Robert  Breton  (1537),  et  p.  365,  à  Gribaldi. 

(8)  Voir  MuGMER,  Roijssnniié,  p.  83-84.  —  Boyssoanei  epist.,  Revue  L.  R.,  1897, 
p.  189,  no  43.  M.  Bûche  dit  qu'il  faisait  partie  du  groupe  de  Mathieu  Mopha  Gn- 
baldi,  alors  fixé  à  Cahors  (tbid). 

(9)  Revue  L  R.,  1896,  p.  358.  n»  24;  p.  365.  no  29  (de  Toulouse,  1537),  annonce  le 
rétablissement  de  la  santé  de  Dolet  et  le  départ  de  Voulté  pour  la  Cour. 


84  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

à  L.  Petinicio,  jurisconsulte  italien,  professeur  à  Cahors'^'; 
à  Minut,  l'ancien  président  de  Toulouse  ''^).  L'impression  esl 
que  Boyssonné  esl  en  relations  intimes  avec  les  plus  hardis  des 
padouans  :  Gribaldi,  Dolet,  Pac,  G.  Roussel.  Si  l'on  consi- 
dère, d'autre  part,  les  accusations  dont  il  fut  l'objet,  on  se 
demande  si  les  idées  de  ces  hommes  ne  décidèrent  pas  de  ses 
amitiés  autant  que  le  cœur  de  Boyssonné. 

Ces  étudiants  étaient  l'élite  de  la  bourgeoisie  française,  et 
l'éducation  qu'ils  recevaient,  celle  que  l'Europe  entière  enviait 
à  l'Italie.  Leur  supériorité  et  aussi  l'engouement  que  Fran- 
çois V  montra  de  bonne  heure  pour  les  choses  d'Italie,  leur 
valut  d'occuper  des  situations  importantes.  En  1559,  ïurncbe 
voulant  railler  P.  de  Paschal  insinue  même,  peut-être  avec 
quelque  jalousie,  que  le  litre  d'ancien  étudiant  de  Padoue  suffit 
à  ouvrir  la  voie  des  honneurs  et  des  riches  bénéfices  et  qu'un 
jeune  homme  est  assuré  de  réussir 

Si  Romam  sonat  et  Patavi  si  perstrepit  uibem, 
Undivagos  et  si  Venetos,  atque  Appula  rura{3). 

Des  premiers  élèves  français  des  universités  italiennes,  un 
grand  nombre  entrent  encore  dans  les  ordres  :  G.  de  Brie,  qui 
devint  aumônier  d'Anne  de  Bretagne  (1538);  Mellin  de  Saint- 
Gelais,  aumônier  du  Dauphin,  puis  du  futur  Henri  II  (1536), 
en  même  temps  que  galant  |)oète  de  cour;  Jean  des  Pins  (''), 
évoque  de  Pamiers,  (1520-1522),  puis  de  Rieux  (1523),  après 
avoir  négocié  le  traité  entre  Léon  X  cl  François  I"  (1515)  et 
avoir  été  ambassadeur  à  Venise  et  à  Rome  (1516-1520)  ;Sadolet, 
évêque  de  Carpenlras  (1517).  Parmi  la  génération  des  étudiants 
italiens  de  1530  je  ne  trouve  que  Alardet  et  Paul  de  Selve  <^) 
(étudiants  de  Padoue)  qui  devinrent  évêques,  le  premier,  de 
Mondovi  et  de  Lausanne,  le  second,  de  Sainl-Flour;  et  Spifame 

(1)  np.vue  L.  n.,  1896,  p.  357.  n»  23. 

(2)  nevue  L.  H  .  IS96.  p.  7t-72.  n"»  il  et  12,  datées  de  1536. 

(3)  De  nova  i-nplmulx  iitilltatis  rnllone,  cité  par  P.  de  Noliiac,  Revue  d'Hist 
un.  de  la  France,  1918,  p.  37/.-375. 

(4)  nevue  L.  H  ,  1897,  p.  177-178;  C.  CHRISTIE,  Dolet,  p.  63-65. 

(5)  Bulletin  Italien.  1917,  p.  173  à  180. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  85 

(étudiant  de  Bologne)  qui  fut  évêque  de  Nevers  avant  de  finir 
dans  la  Réforme,  puis  sur  l'échafaud  (i). 

La  plupart  des  étudiants  des  environs  de  1530  se  vouèrent 
plutôt  à  la  magistratia-e  :  Maurice  Bullioud  (2)  deviendra  con- 
seiller au  Parlement  de  Paris;  Daffis  '3)  et  Antoine  de  Paulo  ''^) 
sont  conseillers  à  Toulouse  entre  1534  et  1541.  Ce  dernier 
deviendra  même  président  à  mortier  (1556).  Ranconet  et 
E.  Perrot  f^)  sont  conseillers  à  Paris  (1551):  Perrot  finira  par 
devenir  conseiller  maître  ordinaire  de  la  Chambre  des  comptes 
(1554).  Vintimille  est  conseiller  à  Dijon  (1550)  (s);  A.  du  Ferron, 
conseiller  à  Bordeaux,  jouit  d'une  grande  autorité,  justifiée 
par  son  érudition  de  jurisconsulte  et  d'historien  (''. 

D'autres  entrent  dans  l'administration.  Il  faut  nommer  en 
premier  lieu  Michel  de  l'Hospital,  Jean  de  Selve  ^^\  président 
à  Bordeaux,  Milan,  Rouen  et  Paris;  Jean  Budé  f^',  secrétaire 
du  roi:  puis,  parmi  les  anciens  padouans,  Guy  Breslay  ^^^\  con- 
seiller (1525),  puis  président  au  grand  Conseil  (1521);  parmi 
ceux  de  1530,  Brachet  <"',  président  de  la  grande  Chambre 
(1534);  Richier(i2)^  secrétaire  du  chanceher  du  Bourg  avec 
R.  de  Chandon  ^i^'  peut-être  et  valet  de  chambre  de  François  P""; 

(1)  Il  avait  été  auparavant  président  au  Parlement  de  Paris.  Voir  cbap.  IV,  et 
Bayle,  art.  Spifame. 

(2)  Bulletin  Italien,  1917,  p.  173  à  180.  Un  Thomas  Bullioud  devient  en  1531  contrô- 
leur général  de  la  Marine  du  Levant  (Bourilly,  Colin,  p.  39);  un  Antoine  Bullioud 
est  en  1537  général  des  finances  de  Bretagne  (B.  Pocquet  du  Haut-Jdssé,  Histoire 
de  Bretagne.  V,  p.  33).  Sont-ce  ses  frères? 

(.3)  Revue  L.  R  ,  1895,  p.  178. 

(4)/bid.,  p.  271. 

(5)  Picot,  Franc.  liai.,  I,  p.  325  (voir  ctiap.  IV). 

(e)  Revues  L.  R.,  1894,  p.  326.  II  avait  fait  des  dessins  pour  la  maison  d'Anet,  ce 
(lui  lui  valut  la  protection  de  la  duchesse  de  Valentinois. 

17'  A.  Ferronensis  Burdigalensis  Régit  consiliarii  in  consuetudines  Burdlg.  com- 
mentnr.  libri  duo,  Lugduni,  ap.  A.  Gryphium,  1535.  A.  du  Ferron  est  mort  en 
1563  (Saint-Romuald,  Trésor  cfironol.,  111,  p.  630). 

(8)  Œuvres  de  Mellin  de  Saint-Gelais,  éd.  Blanchemain,  II,  p.  279.  M.  de  Saint- 
Gelais  lui  compose  une  épitaphe.  Il  mourut  en  1529. 

(9)  Delaruelle.  Répertoire,  p.  190.  Il  était  aussi  garde  des  chartes  de  France. 
flO)  Revue  L.  R.,  1897,  p.  81-82.  Il  est  mort  à  Turin  vers  1.548. 

(Il)  Revue  L.  R.,  1896.  p.  82.  Conseiller  au  Parlement  de  Paris  auparavant.  Mort 
en  1541. 

fl2)    Revue  L.   R.,   1894,  p.  327. 

(13)  Boyssonné  le  prie  de  saluer  les  du  Bourg  de  sa  part  [Revue  L.  li  .  lettre  de 
Boyssonné,  n»  38,  p.  369). 


86  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Pierre  de  Alontdoré  ''\  directeur  de  la  librairie  de  Fontai- 
nebleau (1552).  Du  Ferrier  (2)  après  avoir  été  professeur  devint 
conseiller  au  Parlement  de  Paris,  puis  conseiller  du  roi.  Arlier 
sera  premier  consul  de  Nîmes,  lieutenant  du  sénéchal  de  Pro- 
vence et  conseiller  au  Parlement  de  Turin  (3). 

Enfin,  quelques-uns  sont  professeurs  dans  les  universités  : 
du  Ferrier''^)  à  Boui'ges,  puis  à  Toulouse  (1537);  Boyssonné 
à  Toulouse  avant  1530,  et  une  deuxième  fois  en  1533,  puis 
à  Chambéry.  Guill.  Scève  (^)  est  probablement  correcteur  chez 
Gryphius  avec  Dolet.  Je  ne  parle  pas  de  ceux  qui  furent  pré- 
cepteurs dans  les  grandes  familles,  mais  il  ne  sera  pas  inutile 
peut-être  de  signaler  que  François  I"  lui-même  avait  eu  pour 
maître  pendant  quekpie  temps  (Christophe  de  Longueil  ^^'>. 
Couronneau  C')  remplace  Postel  au  Collège  de  France  après  son 
départ,  en  1542.  Danès  y  fut  également  de  1530  à  1534. 

Ainsi  les  anciens  étudiants  d'Italie  occupaient,  dès  1530,  des 
situations  très  importantes.  Lorsqu'avec  les  années  leur 
nombre  se  sera  accru,  la  plupart  des  grands  postes  de  l'Etal 
seront  entre  leui's  mains.  Ils  mettent  à  profd  leur  pouvoir  pour 
se  pousser  et  se  défendre  mutuellement. 

Nous  avons  noté  en  parcourant  leurs  lettres  comme  ils  se 
munissaient  de  recommandations  pour  leurs  compatriotes 
d  Italie  ou  leurs  professeurs  avant  de  partir.  Quand  ils  vou- 
laient voyager  en  pays  étranger,  ils  se  rendaient  le  même  ser- 
vice :  ainsi  Budé  lecommande  Longueil  à  Linacre  et  à 
Th.  .\Iorus.  lors  de  son  voyage  en  Angleterre  en  1519  (^\ 
comme  il  le  recommande  quelques  mois  plus  tard  à  Lascaris 
avant  son  départ  pour  Boine  <.'t  PadoueW.  Fn  France,  on  peut 
suivre  les  intrigues  nouées  à  Toulouse  pour  donner  à  du  Fer- 
-rier  la  chaire  de  Pac,  en  1536.  Il  ne  l'obtint  quC'  l'année  sui- 

(1)  nulletin  italien,  1917,  p.  177. 

(2)  neviu;  L.   H..   1893,  p.   1S4-185. 
(3;  Hullethi  ItiiUni.  1917,  p.  177. 

(4)  MiGMER,  Boyssonné,  p.  14;  lievue  L.  R..  1895,  p.  184-185. 

(5)  Revue  L.  R  ,  1896.  p.  80. 

(6)  Avant  son  voyage  en  Italie,  il  est  vrai  (1510).  Simar,  Christ,  de  Lonuueil,  p.  36 

(7)  E.  Picot,  Vie  de  Postel,  dans  Franc    liai  .  I,  p.  313-324. 

(8)  Dklaruelle,  Répertoire,  no  40. 

(9)  Ibid.,  no  34. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  87 

vante,  gi'àce  à  Jac(]ues  du  Faur  et  au  cardinal  de  Tournon  ''). 
Ruzé,  lieutenant  civil  au  Chàtelet,  s'est  fait  de  même  le  pro- 
tecteur des  humanistes  et  surtout  de  Longueil  et  Toussain  '2). 
Longueil  lui  aussi  a  ses  protégés.  Il  intrigue  d'une  façon  très 
mystérieuse  près  de  Aug.  Grimaldi  en  faveur  de  Gregorio 
Cortese,  le  futur  cardinal  (3). 

Mais  c'est  surtout  lorsque  les  padouans  sont  en  danger  pour 
leurs  idées  qu'ils  sont  heureux  d'avoir  des  amis  parmi  les 
juges.  Budé  se  charge  d'adoucir  Ruze  à  l'égard  de  Longueil  ^''\ 
je  ne  sais  à  quelle  occasion.  Longueil  demande  aussi  l'aide  de 
Sadolet  (•^>.  Quand  Bunel  est  attaqué,  Jean-François  de  Selve 
le  défend  «  contre  la  calomnie*^)  ».  f^ncore  Longueil  ni  même 
Bunel  ne  furent  pas  souvent  inquiétés.  Mais  quand  on  était 
exposé  comme  Boyssonné  ou  Dolet  à  de  continuelles  persé- 
cutions, c'est  alors  qu'on  se  flattait  d'avoir  étudié  en  Italie. 
Boyssonné  fut  atteint  par  les  poursuites  dirigées  contre  les 
novateurs  de  Toulouse  en  1530.  Il  s'en  tira  avec  une  rétrac- 
tation publique,  puis  s'enfuit  en  Itahe.  De  retour  à  Toulouse 
en  1533.  il  dut  s'exiler  de  nouveau  en  1535  et  se  réfugia  à 
Chambéry  où  il  fut  mis  en  prison.  La  bienveillance  de  Margue- 
rite à  Toulouse,  de  l'évêque  à  Chambéry,  lui  furent  bien  utiles, 
mais  il  chercha  des  protecteurs  mieux  placés.  En  1530,  il 
s'adressa  a  Guy  Breslay,  ancien  étudiant  de  Padoue,  alors 
conseiller  au  grand  Conseil  et  très  influent  près  du  chancelier 
Poyet"'):  à  Brachet  <8)  aussi,  qui  depuis  deux  ans  présidait  la 
grande  chambre  des  enquêtes,   il  recommanda  son  procès. 

(1)  BunelU  eidst.,  p.  78. 

(2)  Delaruelle,  Réiiertoiie.  p.  161,  162. 

(3)  LoTiyolH  epist  ,  j.  p.  is,  19.  Les  lettres  sont  très  confidentielles,  mais  on  voit 
qu'il  s'agit  d'une  place  à  obtenir.  Sur  le  rôle  de  G.  Cortese,  voir  Rodocanachi,  La 
Réforme  en  Italie,  l,  p.  152,  202,  203;  II,  p.  39. 

(4)  Id  tu  si  bona  fide  accusaveris...  suprœfectum  Ruzœum  placatiorem  tibi  ipsa 
placabilitate  praestabo  epistola  privatim  elaborata  ir.ongoUi  epist.,  p.  456,  de  Budé 
à  Longueil). 

(5)  Lonfjoln  epist.,  III,  p.  5. 

(6)  Bunclli  eprxt..  p.  SO  C'est  Ant.  du  Ferrier  qui  le  lui  a  écrit.  Si  J.  Fornier 
est  le  Furnerius  dont  parle  Dolet  (ce  qui  est  douteux),  voici  un  autre  cas  :  Il  fut 
délivré  en  prison  par  G.  de  Selve  en  1535  (Revue  L.  R.,  1S94,  p.  329;  1896.  p.  84; 
1897,  p.  180). 

(7)  Boyssovvci  epist..  Revue  L.  R  ,  1S96.  p.  si  et  13^. 

(8)  Ibid..  p.  139. 


88  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Voilà  des  prolecteui's  sérieux  pour  un  accusé.  Il  pria  aussi 
R.  de  Chandon  de  sailuer  de  sa  part  toute  la  famille  des 
du  Bourg '1).  Etait-ce  simple  amitié?  Encore  eut-il  le  gTand 
avantage  d'avoir  à  Toulouse  un  président  d'origine  italienne, 
prolecteur  déclaré  des  humanistes '^^  Jacques  Minut,  dont  la 
tolérance  sauva  la  vie  à  six  étudiants  condamnés  à  mort  en 
1533'").  Ce  digne  président  fui  aussi  le  protecteur  de  Dolet 
qui  en  avait  grand  besoin.  En  1537,  Voullé  s'en  va  à  Lyon 
pour  le  secourir,  «  juvandi  Doleti  gratia  »,  nous  dit  Boys- 
sonné  '■*).  Breslay  dont  nous  venons  de  voir  la  puissance  et  la 
bienveillance  pour  Boyssonné  fut  aussi  très  utile  à  Dolet  dans 
l'affaire  de  Toulouse'^'.  Jean  des  Pins  le  sauva  en  même  temps 
que  les  autres  étudiants  '°î,  en  1533.  Cinq  ans  plus  tard,  le 
cardinal  de  Tournon  le  soutient  en  même  temps  que  Postel. 
Nous  avons  la  preuve  qu'il  n'était  point  ingrat.  Après  avoir'"') 
imploré  l'assistance  de  Minut  et  éprouvé  sa  bienveillance,  il 
le  proclame  '^)  «  le  vengeur  de  sa  liberté,  le  promoteur,  le  guide 
et  le  gardien  de  son  salut,  son  Dieu  et  le  père  de  son  sort 
f!  de  sa  gloire  ».  Et  quand  il  fut  mort,  en  1538,  Dolet  lui 
composa  l'épitaphe  suivante  : 

Vivus  satis  diu  innocentibus  et  sontibus 
Ego  jura  dixi  :  quœ  domus  PIutoni;E 
Umbris  Rhadamanihus  jura  dicat,  noscere 
Tandem  libuit.  Tu  si  libet  eo  me  sequere  '9). 

Quelques  années  plus  tard  Dolet  le  suivait.  Personne  cette 
fois  ne  put  le  sauver. 

(1)  Ibid  ,  1896,  lettre  33,  p.  309  (1537). 

(2)  Il  était  lié  avec  Egnazio  qui  avait  expliqué  Lucrèce  à  Dolet.  Egnazio  lui  a 
dédié  quelque;  ouvrages  (Builmikr,  Dolet,  p.  33). 

(3)  L  évéfjue  .1.  des  Pins  intercéda  pour  eux  près  du  président.  Sur  J.  Minut, 
voir  Picot,  Bulletin  Italien.,  1917,  p.  163-164;  Del.\ruelle,  Réijertoire,  p.  66,  note  3; 

-Revue  L.  li  ,   1K96,   p.  73  et  suiv..  et  surtout  Le  Dorkz,  Le  manuscrit  de  Dante 
offert  par  Munit  d  Françoh  /«>•,  dans  Revue  des  BiblioUi.,  1903. 

(4)  Revue  L,  R..  1896,  p.  361  (lettre  à  R.  Breton). 

,5)  Galtier,  Dnlel,  p.  2H3;  Doleti  eiiisL,  I.  p.  109  et  suiv.  Dreslay  n'avait  proba- 
blement pas  connu  Dolet  à  Padoue  comme  le  dit  M.  Galtier,  mais  11  avait  été 
l'élève  de  Neulville,  le  vial  maître  de  Dolet.  :  ...Villanovo  tuo,  imo  nostro  cora- 
munl  amico  »,  dit  Dolet  {Dolell  eplsl.,  I,  p.  111). 

(6)  Doleti  oratlones,  p.  60,  85.  87,  88. 

(7)  Epid..  I,  p.  91. 

(8)  Eplxl..  I,  p.  92-93. 

(9)  Poemaln,  IV,  p.  16 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  §9 


III 


On  a  déjà  rencontré  dans  les  pages  précédentes  plusieurs 
noms  qui  n'appartiennent  pas  à  d'anciens  élèves  de  Padoue. 
C'est  quils  avaient  pour  protecteurs  non  seulement  les  Italiens 
—  très  nombreux  en  France  —  non  seulement  les  humanistes 
comme  Budé,  \.  P.érauld,  mais  ceux-là  même  qui  ne  voyaient 
dans  ces  jeunes  étudiants  qu'une  force  à  utiliser  pour  leur 
ambition.  Dés  le  début  de  l'époque  que  nous  étudions,  nous 
trouvons  à  Paris  François  de  Loynes,  Ruzé,  GroUier,  Roger 
Barme. 

François  de  Loynes  "'  (-j-  1524)  est  un  ami  d'Erasme  et  de 
Germain  de  Brie,  le  cousin  et  ami  intime  de  Budé.  Ancien  pro- 
fesseur de  droit  à  Orléans,  il  devint  en  1500  conseiller  au 
Parlement  de  Paris  et  en  1522  président  aux  enquêtes.  En  1520, 
Longueil  intervient  près  de  lui  en  faveur  d'un  juif  réfugié  à 
Lyon,  un  maian.  comme  on  les  appelait.  Leonardo  Pomaro^^). 
Cet  homme  est  suspect  et  a  dû  s'enfuir  à  Venise,  mais  son  fils 
est  resté  à  Lyon.  Longueil  se  porte  garant  de  l'orthodoxie 
du  père  et  supplie  qu'on  ne  punisse  pas  le  jeune  homme  inno- 
cent. Huzé  3)^  d'origine  parisienne,  fut  successivement  con- 
seiller de  ville  (1500).  au  Parlement  (1511).  lieutenant  civil  au 
Châtelel.  C'est  en  celte  qualité  qu'il  rendit  service  aux 
padouans  compromis  et  en  général  à  tous  les  humanistes. 
Barme  '^K  avocat  du  roi  au  Parlement,   puis  ambasvsadeur  à 


(1)  Sur  Franc.  Deloinus  (de  Loynes,  Delouin,  de  Luynes,  selon  Bèze),  voir  Dela- 
EUELLE,  Répertoire,  p.  6.  N.  Bérauld  le  signale  à  Erasme  comme  l'un  des  savants 
les  plus  en  vue  de  Paris  et  lui  dédie  ses  Commentaires  sur  Lucrèce.  De  Loynes 
était  lié  aussi  avec  Grollier.  Erasme  annonce  sa  mort  à  Berquin  (1525),  Hermixj.. 
Corresp.,  I,  nos  14  et  156.  Voir  aussi  sur  ce  personnage  Revue  des  Biblioth.,  1902, 
p.  424,  426. 

(2)  Longolii  episl..  III,  34:  IV,  4,  5.  Pomaro  était  ami  de  Budé,  de  Le  Fèvre 
d'Etaples  (Del.xruelle,   Répertoire,  p.  190). 

(3)  Sur  Ruzé  et  sa  femme  —  trop  connue  à  l'époque  —,  voir  Del.\ruelle.  Réper- 
toire, p.  100  et  161;  Revue  des  Biblioth.,  1902,  p.  425. 

(4)  Del.\rielle,  Répertoire,  p.  189. 


90  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Rome  (vers  1518),  enfin  président  au  Parlement  de  Paris  (1519), 
ftil  aussi  leui'  ami.  Xou.s  l'avons  vu,  d'aulre  pai't,  en  rappoi't 
avec  Longueil.  Par  ces  trois  hommes  les  premiers  padouans 
pouvaient  agir  sur  la  justice.  Le  grand  financier  du  temps  leur 
était  aussi  acquis  :  c'est  droitier  ^').  H  servait  d  intermédiaire 
entre  Budé  et  Egnazio,  voyageant  sans  cesse  de  Paris  à 
Venise  (2).  Fijs  d'un  trésorier  du  roi  à  Lyon,  il  succéda  à  son 
père  en  1531;  marié  à  la  petite-fille  de  G.  Briconnet,  plusieurs 
l'ois  envoyé  en  ambassade  (notamment  en  1534  vers  Clé- 
ment VII),  mêlé  aux  affaires  parce  que  l'argent  y  est  toujours 
mêlé,  trésorier  de  France  en  1545,  trésorier  général  des 
finances  en  1547,  il  mit  sa  fortune  au  service  des  humanistes. 
Lui-même  avait  acquis  une  certaine  cultm^e  à  la  frécpientation 
des  Italiens.  11  était  lié  avec  Budé,  Hilaire  Courtois  ^^\  Bour- 
bon, A'oulté,  Erasme,  Egnazio.  Il  aida  les  Aides  à  faire  leurs 
belles  éditions  et  lui-même  était  bibliophile  et  collectionneur 
de  médailles. 

Après  1530,  les  grands  seigneurs  se  joignent  aux  riches 
bourgeois  et  aux  lettrés  |)our  protéger  les  étudiants  dont  nous 
avons  doiHié  les  noms.  En  parcourant  la  thèse  que  M.  Bourilly  V 
a  consacrée  à  G.  du  Bellay,  seigneur  de  Langey,  par  exemple, 
on  retrouve  la  plupart  des  noms  que  nous  avons  vus  dans  ce 
ciiapitre  :  on  sait  (juelle  hospitalité  et  quelle  amitié  l'ont  lié 
à  son  médecin,  Rabelais  ('*).  Je  relève  parmi  ses  amis  :  G.  de 
Bi-ie.  Lazare  de  Baïf,  Sadolel,  Budé,  Longueil,  Simon  de 
Xenfville  :  parmi  ses  protégés.  J.  de  Boyssonné  (s),  Jean 
Cottereau,  le  meilleur  ami  de  Dolel,  Dolet  lui-même  qui  l'a 
célébré  dans  son  L.yon  marchand  (1537)  et  dans  son  traité  sur 


il)  Sur  Grollier,  voir  rimportante  étuilc  de  Lk  Roix  de  Lîncy,  necheichex  nur 
J.  Grcllier.  Paris,  1866,  ln-8o. 

i2)  Lettre  de  Budé  à  Egnazio,  du  27  novembre  151S,  OELARrKLi.E,  Rfiicrtnire,  p.  'H 
48;  49.  note  2. 

i3)  H.  Courtois,  né  à  Evreux,  avocat  à  Paris,  a  publié  en  particulier  Hilnrli  Cor- 
tesil...  Volantitlx  (\b33).  Cf.  La  Croix  di;  Maink.  I,  p.  377;  Dr  verdier,  II.  p.  230. 

(4)  Heilhard,  nabelais  en  Italie,  iiasstvi 

(5)  BOURRII.I.Y,  O.  du  Bellay,  v    318  et  suiv. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  91 

La  manière  de  traduire  d'une  langue  à  une  autre  (1540),  et  lui 
a  adressé  plusieurs  lettres  (^).  Le  cardinal  de  Lorraine  lui 
également  un  protecteur  des  Italiens  et  des  humanistes  fran- 
çais. Dolet  vante  sa  libéralité  (2).  Sadolet  voulant  pousser  son 
neveu  Paul  à  la  cour  implore  G.  du  Bellay  et  Jean  de  Lor- 
raine, pour  qu'ils  introduisent  le  jeune  homme  près  du  roi^^K 
Le  cardinal  de  Tournon(^)  (1489  à  1562)  a  pour  clients  Danès, 
du  Ferrier,  Lambin.  C'est  lui  qui,  avec  Jacques  du  Faur,  fait 
nommer  du  Ferrier  conseiller  au  Parlement  '^)  :  il  défend 
Dolet  et  Postel,  en  1538;  G.  de  Brie  lui  offre  son  livre  Contre 
les  gentils  (^).  L'ambassadeur  cardinal  Georges  d'Armagnac, 
ayant  passé  sa  vie  à  Venise  (1536-1539)  et  à  Rome  (1540-1568 
avec  quelques  intermittences),  est  le  protecteur  naturel  des 
étudiants  de  Padoue.  Il  était  en  relations  avec  Rabelais, 
Germain  de  Firie.  Pierre  Paschal  <"''). 

Mais  le  grand  protecteur  des  Italiens  et  des  padouans  me 
semble  être  à  cette  époque  P.  du  Chastel  '^'.  Dans  sa  jeunesse 
aventureuse,  il  avait  passé  deux  ans  comme  professeur  à 
Venise  (un  peu  après  1530).  Il  supplanta  Colin  comme  lecteur 
du  roi  et  devint  bibliothécaire  de  François  l"  après  Budé, 
évêque  de  Tulle  (1539),  puis  de  Màcon.  enfin  d'Orléans.  Erudit 
de  premier  ordre,  large  d'idées,  tout-puissant  sur  François  P^ 
à  qui  en  imposait  son  érudition,  puis  sur  Henri  II,  il  n'est  pas 
douteux  qu'il  mit  son  autorité  au  service  des  étudiants  d'Italie. 
Nous  verrons  bientôt  que  c'est  grâce  à  lui  que  Vicomercato 


(1)  Doleti  epist.,   I,  p.   95;  II,   p.   134,  136,   137. 

(2)  Franc,  liai.,  I,  p.  53-54,  note,  p.  58.  note. 

(3)  Sadol.  epist.  selectse.  p.  194,  195,  202  (1537). 

(4)  Sur  le  cardinal  de  Tournon,  voir  :  Picot,  Frniiç.  Ital..  I,  p.  105-116;  Flevry, 
Histoire  du  Cardinal  de  Tournon,  1728. 

(5)  Bunelli  epistol.,  78. 

(6)  Traduction  du  livre  de  .saint  Jean  Chrysostome  Contre  les  gentils  (152S).  B.  N. 
Vél.  1713. 

(7)  Voir  sur  le  cardinal  d'Armagnac  :  Tamizey  de  Larroque,  Lettres  inédites    f 
du   Cardinal   d'.Armagnac,   1874  ;   P.    Maruéjouls   dans  Positions  de   l'Ecole   des 
Chartes  (1896,  p.  22-28);  P.  de  Nolhac,  ajt.  sur  P.  de  Paschal,  dans  Revue  Hist. 
litt.,  1918,  p.  40-41,  note. 

(8)  .Sur  du  Chastel,  voir  un  article  curieux  de  Bayle.  art.  Chalellan,  et  P.  Gal- 
LAND,  Pétri  Castellani...  vita.  Parts,  1674. 


92  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

put  instaurer  laverroïsme  au  Collège  de  France.  Bunel  félicite 
son  ami  Jacques  du  Faur  d'avoir  obtenu  son  amitié  (');  lui- 
même  écrit  à  l  evêque  de  Mâcoii  une  lettre  enthousiaste  pour 
le  féliciter  de  ce  qu'il  a  fait  pour  l'avancement  des  lettres  fran- 
çaises '2).  Dolet  lui  a  également  envoyé  une  lettre  '^\ 

Après  1530  donc,  les  étudiants  d'Italie  sont  groupés  en 
centres  où  s'entretient  et  d'où  rayonne  sur  la  France  l'admi- 
ration des  choses  et  des  idées  italiennes.  Ces  groupes  sont 
reliés  par  une  correspondance  continuelle  qui  enserre  le  pays 
comme  d'un  réseau  spirituel.  Disciples  charmés  par  des 
maîtres  supérieurs,  il  semble  que,  rentrés  en  France,  ils  se 
soient  sentis  isolés  au  milieu  des  esprits  formés  au  moule  de 
la  scolastique  et  qu'ils  aient  cherché  à  entretenir  en  eux,  en 
écrivant  à  leurs  condisciples  et  à  leurs  anciens  maîtres,  le 
culte  et  la  flamme  de  la  beauté  antique.  Car  le  lien  de  cette 
amitié,  c'est  un  idéal  commun  et  nouveau,  fondé  sur  une  nou- 
velle idée  de  la  beauté  ('')  el,  pour  beaucoup,  de  la  vie.  l*ai'- 
venus  aux  grandes  charges  de  l'Etat  ou  protégés  par  ceux 
qui  les  détiennent,  ils  s'aident  mutuellement  en  cas  de  besoin 
ou  de  danger.  Ils  se  reconnaissent  par  delà  les  frontières  : 
R.  Pool,  Sadolet,  Longueil,  S.  de  \eufville,  Thomas 
Linacre  et  Aide  Manuce  sont  en  relations  continuelles.  Il 
n'est  même  pas  besoin  qu'ils  se  soient  connus  à  Padoue. 
Malgré  la  différence  d'âge,  Dolet  écrit  avec  confiance  à  Budé. 
car  Budé  est  allé  deux  fois  en  Italie,  et  à  Jean  des  Pins  f^*  ; 
Longueil  à  (iiiles  de  Viterbe  («),  à  Bembo  ('),  el  à  Mellin  de 


(1)  BuiielU  eijisl.,  p.  73, 
-  (2)   Bunelli  epUt  ,  p.  75. 

(3)  Doleti  epUt..  I,  p.  116. 

(4)  Sur  le  rôle  de  la  beauté  dans  la  Renaissance,  voir  .\.   Lekranc,  nevne  des 
cours  el  confér.,  19101911. 

(5)  Dolell  eplSt.,-1,  p.  85.  87. 

(6)  f.ongolli  eplsl  .  IV,   16, 

(7)  IbUl  ,  1.  1,  2.  3,  -21,  etc. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE  93 

Sainl-Gelais  "';  Sadolet  à  Erasme  2),  comme  à  des  Irères  aînés 
qui  ont  sucé  au  même  sein  le  même  lait  et  vu  s'épanouir  sur 
le  même  berceau  le  même  sourire. 


(1)  Ibid.,  IV,  13. 

(2)  Sadol.  Epist.,  II,  CXLIX  (mai  lfj32)  et  nombreuses  lettres  d'Erasme  à  Sadolet 
dans  le  même  volume.  Erasme  avait  visité  l'Italie  et  s'était  flxé  quelque  temps  à 
Bologne,  puis  à  Florence.  Voir  Nolhac,  Erasme  en  Italie. 


CHAPITRE    IV 
Les  Français  en  Italie.  Leurs  idées. 

1.  Les  suspects  :  a)  Longueil;  h)  Le  problème  de  la  Raison  et  de  la  Foi. 
Rationalistes  et  Fidéistes  |R.  Pool,  P.  Bunel,  G.  de  Selve,  Sadolet)  ; 
c)  Un  sceptique  :  Ainould  du  Fenon.  —  II.  Les  déistes  :  a)  Un  arien 
à  Toulouse  :  M.  Gribaldi;  b)  déistes  de  Bordeaux  :  Briand  Vallée, 
A.  Govéan,  R.  Breton;  déistes  d'Agen  :  J.-C.  Scaligei-,  P.  Rufus  ; 
c)  Dolet  La  Raison  et  la  Foi,  La  Providence  et  les  miracles, 
l'Immortalité. 

C'esl  dans  ce  groupe  de  padouans  français  quil  nous  faut 
chercher  les  premiers  symptômes  de  la  libre  pensée  naissante. 
On  pense  bien  (pi'il  serait  inutile  d'en  attendre  des  déclarations 
nettes  d'irréligion.  J'en  distingue  deux  catégories  :  ceux  qui 
dans  une  àme  religieuse  portent  en  eux  à  leur  insu  le  germe 
du  rationalisme;  et  ceux  qui  ont  conscience  d'avoir  perdu  la 
foi  et  même  sont  connus  publiquement  pour  tels. 


.le  ne  nie  que  pour  mémoire  ceux  d'entre  eux  qui  passèrent 
au  j)i'()testantisni('  :  Mellin  de  Saint-fiolais  dan.-?  sa  jeunesse**), 
l'icnr  (le  Aloiihlof»'.  T'IiniN'  INmtoI,  .'-^iiilanic  (|ni  aprrs  nvoir 
passé  «  de  Sion  à  Babel  »  devint  suspect  aux  Réformés  eux- 
inêiuc-  ci  fui  iiii<  à  Mii»rl  ;i  (Iciicvc  en  ]î')('t(\'^)^  Aymard  llan- 


(1)  Voir  une  \iwve  très  hardie  contre  la  «   Papallté  »  clans  ses  Œuvrer   (Ul.  I, 
p.  108).  Elle  e-st  lie  1547. 

(2)  Picot,  Bulletin   llalleti.  idis,   p.  29;   Hayle,  art.   Spifamc;   Saint-Romuald. 
Trésor  clironol..  III,  p.  570. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  95 

coiicl  le  savant  lecteur  d'Aristole  qui  eut  le  même  sort  ^'', 
Arnaud  du  Ferrier  dont  la  sympathie  pour  la  Réforme  lit 
scandale  au  concile  de  Trente  (2}.  Boyssonné  exilé  à  Toulouse, 
trop  ami  de  Roussel  et  de  Gribaldi  pour  qu'on  ne  le  soup- 
çonne pas  d'avoir  dépassé  la  règle  de  foi  des  protestants  eux- 
mêmes  '3).  Je  m'excuse  presque  de  les  avoir  nommés,  n'igno- 
rant pas  que  plusieurs  d'entre  eux  eurent  une  âme  religieuse  et 
que  si  le  protestantisme  suppose  par  son  principe  un  premier 
pas  vers  le  rationalisme,  peu  de  ses  adeptes  au  XVP  siècle 
allèrent  plus  avant  et  rejetèrent  la  Révélation. 

Christophe  de  Longueil  ne  nous  a  rien  laissé,  que  les  regrets 
très  grands  dont  les  humanistes  ont  pleuré  sa  mort  préma- 
turée. Mais  il  fut  le  maître  de  Simon  de  Neufville.  lequel  fui 
celui  de  Dolet,  l'ami  de  Bembo,  de  Sadolet,  de  Leonico  Tomeo 
et  Navagero.  Surtout,  quelques-unes  de  ses  lettres  nous  mon- 
trent en  lui  une  âme  bien  peu  religieuse.  Il  entreprend,  par 
exemple,  de  consoler  son  ami.Rouzerius  de  la  mort  de  son 
père.  \'oici  le  résumé  de  sa  lettre  :  son  père  devait  suivant 
l'ordre  naturel  mourir  avant  lui*''';  et  puis  il  était  assez  vieux; 
Rouzerius  n'a-t-il  jamais  lu,  lui  si  versé  dans  les  lettres,  de 
consolation  à  un  fils  sur  la  mort  de  son  père?;  la  foi  nous 
défend  de  pleurer  les  morts,  et  les  philosophes  mêmes  qui 
croyaient  l'âme  mortelle  ne  les  pleuraient  pas  ;  aussi,  si 
Rouzerius  lui  a  écrit  en  cette  circonstance,  c'est  sans  doute 
qu'il  y  voyait  une  occasion  de  lui  extorquer  une  lettre. 

Même  procédé  à  l'égard  d'Etienne  Sauli  dont  il  avait  été  le 
précepteur.   Il  a  perdu  son  frère  :  qu'y  faire  ?  Nous  appro- 

(1)  SAINT-ROMUALD,  ihid..  III,  p.  543;  France  Protest.,  VIII,  p.  378  et  suiv.  J.  du 
Bellay  a  célébré  sa  science  :  Divers  Poèmes,  Sonnets  (M.-Lav.,  II,  p.  137).  La 
Bibllothècnie  Nationale  possède  un  exemplaire  du  Phijsica  auscultntio,  Paris. 
Wechel,  1532,  qui  porte  son  ex-libris  (R  1674). 

(2)  Bayle,  art.  Ferrier;  France  Protest.,  l^e  édit.,  IV,  p.  374;  2e  édit.,  V,  p.  678. 

(3)  France  Protest..  II,  p.  731;  Revue  des  Langues  Romanes,  1894,  p.  325;  1895, 
p.  181-182;  MuGNiER,  Vie  et  poésies  de  Jean  de  Boyssonné. 

(4)  AmisLsti  parentem...  hoc  est  eum  cui  te  lege  atque  rerum  naturae  ordine 
superstitem  esse  oportet.  praesertim  cum  ea  œtate  decesserit  cum  jam  satis  tum 
naturce  tum  etiam  virtuti  fecis.se  videretur.  Long,  epist.,  II,  9,  Vidobalda  Rou- 
zerio  (1521).  M.  Simar  n'a  pu  identifier  ce  personnage. 


96  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

clioiis  (Je  la  iiioi'l  tous  les  jours;  à  nous  de  la  supporter  en 
chrétiens  et  en  philosophes,  car  c'est  une  loi  de  la  vie  que 
((  nous  sommes  nés  pour  mourir  noas-mêmes  les  premiers 
ou  pour  voir  mourir  les  autres  ")  ».  Sauli  se  fâcha  et  trouva 
la  consolation  trop  peu  chrétienne.  Nous  n'avons  pas  sa  lettre, 
mais  nous  pouvons  lire  la  réponse  de  Longueil.  Il  s'excuse 
d'avoir  écrit  la  lettre  un  peu  vile  et  brève.  S'il  n'y  a  pas  parlé 
de  religion,  c'est  qu'il  a  jugé  inutile  de  rappeler  ces  vérités 
à  un  homme  comme  Et.  Sauli.  Pour  ce  qui  est  de  Jean  Sauh, 
on  peut  croire,  à  la  dignité  de  sa  vie,  que  ses  «  mânes  »  son! 
maintenant  heureuses '2). 

Du  moins  dans  ces  deux  lettres,  si  sèches  cependant,  il  y  a 
une  allusion  aux  croyances  chrétiennes.  Il  n'y  en  a  plus  dans 
celle  qu'il  adresse  à  Girolamo  Alessandrino.  Celui-là  aussi 
a  perdu  son  frère.  «Qu'y  faire?  dit-il  encore...,  la  nature 
te  l'avait  donné...,  mais  à  condition  de  le  reprendre  à  sa 
volonté.  Elle  l'a  repris,  plus  vite  il  est  vrai  que  nous  no 
l'avions  pensé,  mais  non  plus  vite  qu'elle  n'en  avait  le  droit. 
.Supportons  donc  comme  des  hommes  reconnaissants  et  non 
comme  des  sots,  avec  calme,  ce  que  personne  ne  peut  ni  lui 
reprocher  ni  éviter '3)  ».  Et  c'est  tout  !  Ce  cirénonien,  qui  sert 
ainsi  à  ses  amis  tantôt  du  Cicéron,  tantôt  du  Lucrèce  ou 
du  Sénéque  pour  les  consoler  de  la  perte  des  leurs,  ce  cicé- 
ronien  se  doutait-il  que  lui  et  ses  correspondants  étaient  chré- 
tiens? Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  trouver  lettres  plus  vides 
de  foi  mémo  parmi  les  "  païens  qui  n'ont  point  d'espérance  ». 

Les  premiers  .disciples  de  Padoue  dont  nous  voulons  exa- 
miner les  doctrines  étaient  chrétiens  :  Bunel,  de  Selve, 
Sadolet.  Ce  dernier  était  même  évoque  de  Carpentras''').  Mais 

(1)  lOiit  ,   II,   19. 

'2)  Ibid  .   II,  18. 

(3)  llieron.  Alexandrino.  ihifl..  I,  IQ. 

(/.)Noiis  l'éludions  Ici,  hlen  qu'il  prtt  une  orlpine  italienne,  parre  qu'il  a  pa.ssé 
la  plus  grande  partie  de  sa  vie  en  France  et  qu'il  y  avait  de  grandes  relations. 
Votr  l'étude  de  .Ioly  (Caen,  IS.")?)  ou  Nicêron  qui  lui  consacre  un  bel  article  et 
donne  la  bibliographie  de  ses  œuvres,  XXVIII,  p.  346  et  suiv.,  ou  encore  Tiraboschi, 
Storia  ilfila  Leitcr    ilal  .  VII,  p.  ViO-'i-W.  Il  mourut  en  l.V.7. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  97 

tous  avaient  suivi  l'enseignement  de  Padoue.  Ils  en  étaient 
sortis  persuadés  que  la  théologie  traditionnelle,  eelle  qui  depuis 
saint  Thomas  s'appuyait  sur  Aristote,  n'avait  plus  de  fon- 
dement, puisque  Pomponazzi  avait  montré  dans  Aristote  même 
un  adversaire  des  principaux  dogmes  chrétiens.  Ils  étaient 
donc  mis  en  demeure,  ou  de  ne  plus  croire  aux  dogmes  chré- 
tiens, ou  de  chercher  à  tout  prix  à,  concilier  la  théologie  et 
la  philosophie,  ou  bien  de  séparer  la  raison  et  la  foi,  comme 
l'avait  fait  Pomponazzi  en  personne,  et  de  ne  croire  sans  autres 
raisons  de  croire  que  la  Révélation  et  la  parole  des  Evangiles  . 
à  mesure  que  l'autorité  de  Pomponazzi  grandira,  qu'on  sera 
forcé  de  reconnaître  l'impuissance  de  la  raison  à  démontrer 
les  dogmes  fondamentaux  du  spiritualisme  chrétien,  on 
exaltera  la  théologie  et  on  méprisera  la  raison  comme  impuis- 
sante, les  philosophes  comme  des  gens  sans  valeur.  Montaigne 
qui  adoptera,  comme  la  plupart  de  ses  contemporains,  ce 
système,  le  rendre  célèbre  :  c'est  le  fidéismie  ^i).  Mais  par 
quelles  angoisses  durent  passer  les  premiers  qui  eurent  à 
choisir  entre  leur  foi  et  leur  raison  !  nous  pouvons  nous  en 
rendre  compte  par  une  série  de  lettres  datées  de  1534-1535. 
Le  17  septembre  1534,  R.  Pool  écrivait  de  Padoue  à  Sadolet. 
Il  voudrait  voir  Bonamico  s'adonner  à  la  philosophie  et  à  la 
théologie,  car  qu'est-ce  que  les  lettres  et  même  la  rhétorique, 
comparées  à  la  philosophie?  Il  n'aura  de  vraie  gloire  qu'en 
s'adonnant  à  des  études  plus  sérieuses.  Et  Sadolet  sait 
comment  Bonamico  y  est  bien  préparé;  il  a  tant  étudié  avec 
Pomponazzi:  il  a  tant  lu  les  philosophes  anciens!  Il  serait 
dommage  qu'il  laissât  improductives  de  pareilles  semences, 
et  Sadolet  lui  rendrait  service  en  le  poussant  de  toute  la  force 


(1)  Cet  aboutLs-sement  logique  du  rationalisme  pour  ceux  qui  tenaient  à  la  foi 
était  déjà  réalisé  en  Italie.  Le  cardinal  Adriano  di  Corneto  en  1509  avait  soutenu 
«  que  rEcritui'e  sainte  contient  seule  la  véritable  science  et  que  la  raison  humaine 
est  incapal)le  de  s'élever  par  ses  propres  forces  à  la  connaissance  des  choses 
divines  et  de  la  métaphysique  »  dans  son  livre  :  De  vera  philosophia  ex  quatuor 
dortoribm  eccles.  Voir  Rodocanacht,  La  Réforme  en  Italie,  I,  ip.  54,  d'où  est 
extraite  la  formule  ci-dessus,  et  Imbart  de  la  Tour,  OHgines  de  la  Réforme,  II, 
p.  367. 


98  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

de  son  influence  '^K  II  pourrait  étudier  Platon  d'abord,  puis 
la  théologie,  car  elle  est  autant  au-dessus  de  la  philosophie 
que  celle-ci  est  au-dessus  des  lettres.  Quelle  satisfaction  en 
effet  peut  donner  la  philosophie  à  un  esprit  studieux  ?  Ce 
quelle  sait  lui  vient  des  sens,  les  maîtres  les  plus  trompeurs 
qui  soient.  Il  lui  est  impossible  de  se  passer  de  leurs  données 
qu'elle  ne  soit  en  péril  de  s'égarer.  La  raison  ne  trouve  la 
vérité  qu'en  s'éloignant  des  sens,  mais  combien  lents  sont 
ses  progrès  dès  qu'elle  s'en  écarte  !  combien  vite  elle  se 
fatigue  et  revient  à  ce  qu'elle  croyait  avoir  quitté  (2'  !  Bornée 
par  les  conditions  que  lui  fait  la  matière,  sa  dernière  science 
c'est  d'avouer  qu'elle  ne  peut  rien  savoir.  En  dehors  de  cet 
axiome,  rien  n'est  certain  dans  la  philosophie.  Puisque  donc 
la  raison  est  impuissante,  celui  qui  cherche  la  vérité  recourra 
à  la  foi,  supérieure  à  la  raison  et  plus  certaine,  appuyée  qu'elle 
est  sur  la  parole  de  celui  qui  ne  peut  ni  se  tromper  ni  être 
trompé. 

Sadolel  lui  répond  vu  décembre  1534  que  la  théologie  ne 
peut  rien  sans  la  philosophie  qui  en  est  le  fondement.  Crai- 
gnait-il de  voir  s'écrouler  l'édifice  théologique  avec  la  philo- 
sophie, si  on  la  méprisait  ?  Etait-ce  engouement  de  cicéronien 
pour  la  pensée  des  anciens  ?  Toujours  est-il  qu'il  prend  la 
défense  de  la  philosophie;  il  émet  même  sur  l'inutilité  des 
ouvrages  de  théologie  moderne  des  réflexions  que  Dolet 
reprendra  l'année  suivante  dans  le  De  Imitatione  cicero- 
niana  '^K  Reginald  Pool  s'est  plaint  de  n'avoir  pas  le  temps  de 
lire  les  philosophes  anciens.  Que  lit-il  donc  ?  «  Si  nous  n'avons 
à  étudier  que  ce  qui  concerne  notre  foi  et  notre  confiance 

{l)Sadol  ei'ist.,  Il,  cciv,  p.  2?6-297.  R.  Pool  devint  suspect  de  protestantisme  (RODo- 
CANACHr,  La  Réiorme  en  Halte,  I,  p.  ï^o,  299.  335.  Il  fut  mOme  emprisonné  à  ce 
titre  en  1557;  ibid.,  p.  94,  95. 

(2)  Netiue  enim  uiKpiam  ulla  vox  notior  aut  verior  est  a  Philosophia  missa 
quam  illa  :  animum  hnmanum  nuUa  arte  humana,  nuUo  studio  humano  ad 
veritatis  perfectam  notitiam  i>er(luci  i)osse,  se  vero,  si  aliquid  conducat,  si  quic- 
quam  adjumcnti  in  verltate  indagandam  praebeat  eo  maxime  juvare,  si  nobis 
persuadeat  nos  nihll  scirc  pos.se  (Sadol.  episl.,  II.  cciv.  p.  2.30).  Tout  l'exposé  qui 
précède  n'est  que  la  paraphrase  de  la  traduction  de  cette  lettre. 

(3)  Voir  plus  loin  étude  sur  Dolet,  en  fin  de  chapitre. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  99 

en  la  bonté  el  la  clémence  de  Dieu,  tout  cela  nous  est  donné 
en  abrégé  en  des  livres  clairs  et  peu  nombreux.  Le  livre  des 
Evangiles,  en  effet,  contient  tout  ce  qu'il  faut  pour  nous  sauver. 
Que  si  tu  veux  une  doctrine  plus  développée,  penses-tu  que  les 
volumes  infinis  des  compilateurs  et  mauvais  écrivains 
modernes  t'en  apprendront  plus  que  les  ouvrages  de  Paul, 
l'Ancien  Testament  ou  les  prophètes  »  ?  Les  lectures  reli- 
gieuses étant  ainsi  réduites,  il  reste  du  temps  pour  lire 
et  relire  les  livres  des  philosophes,  si  utiles  même  pour  la  vie 
spirituelle.  Basile,  Chrysostome,  Augustin,  Jérôme  auraient- 
ils  tant  progressé  dans  les  saintes  lettres  sans  le  secours  des 
lettres  profanes  ^*)  ? 

Voilà  la  discussion  engagée  de  part  et  d'autre  et  les  attitudes 
des  deux  personnages  bien  nettes.  Mais  c'est  Bunel  qui  va 
l'exposer  dans  toute  son  ampleur  au  mois  de  janvier  suivant  '2) 
dans  une  lettre  adressée  de  Venise  à  Odet  et  Ambroise  de 
Selve.  On  va  y  entendre  un  écho  des  discussions  de  Padoue 
sur  les  rapports  de  la  raison  et  de  la  foi.  La  raison  suffit-elle 
à  la  vie  ?  La  foi  y  est-elle  nécessaire  ?  Doit-on  s'appliquer  de 
préférence  à  la  théologie  ou  se  contenter  de  la  philosophie  ? 
La  foi  a-t-elle  un  fondement  plus  sérieux  que  la  philosophie 
ou  si  elle  ne  s'appuie  que  sur  la  raison  ?  Et  la  vie  morale 
elle-même  de  l'homme  a-t-elle  besoin  de  la  grâce  ou  si  la  philo- 
sophie antique  suffit  à  la  gouverner  ?  Doit-elle  avoir  pour  but 
l'accomplissement  d'une  volonté  extérieure  et  supérieure 
à  l'homme  ou  si  la  vertu  se  suffit  à  elle-même  comme  l'en- 
seignait Pomponazzi  ?  Telles  sont  les  graves  questions  qui 
y  sont  posées. 

Il  rappelle  d'abord  '3)  à  son  correspondant  leurs  souvenirs 
communs  de  Padoue,  les  leçons  qu'ils  écoutaient  sur  saint 
Paul  et  le  goût  que,  pour  son  compte,  il  prenait  à  cette  théo- 
logie ''^).  Georges  de  Selve  aussi,  le  frère  d'Odet,  —  un  saint 


(1)  Sadol.  epist.,  II,  205,  p.  240-241. 

(2)  14  des  Calendes  de  février  1534  (N.  st.  19  janvier  1535). 

(3)  P.  Bunelli  epist.,  p.  102. 

(4)  Ibid.,  p.  103. 


100  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

— s'y  délectait.  Sadolet  même  s'en  était  épris  puisqu'il  avait 
dit  à  R.  Pool  que  «  Platon  et  Aristote  comparés  à  Paul  le 
laissaient  froid  ». 

«  Mais  cette  opinion  que  j'avais  de  Sadolet  me  semble 
démentie  par  une  lettre  —  bien  écrite  certes  —  et  dont  l'au- 
torité et  leloquence...  ont  tellement  agi  sur  quelques-uns, 
que...  répudiant  la  théologie  que  peu  de  temps  auparavant 
ils  avaient  prise  pour  com])agne  très  chaste,  ils  en  reviennent 
à  cette  vieille  concubine  (juils  songaient  à  renvoyer  de  chez 
eux  et  à  ses  caressantes  douceurs  ».  Il  raconte  ensuite  comment 
R.  Pool  avait  demandé  à  Sadolet  d'insister  près  de  Bonamico, 
son  hôte  '),  pour  lui  faire  étudier  les  saintes  lettres;  il  espérait 
que  l'autorité  de  l'évêque  amènerait  Bonamico,  sinon  à  l'étude 
de  la  théologie,  du  moins  à  celle  de  la  philosophie  morale, 
plus  sérieuse  que  la  rhétorique  et  que,  arrivé  là,  il  verrait 
la  vanité  de  la  philosophie  et  chercherait  plus  haut  des 
lumières  plus  certaines  (2).  Mais  voilà  que  .Sadolet  a  répondu 
à  R.  Pool  ('  qu'il  trouve  mauvais  qu'on  méprise  ces  ornements, 
dont  l'importance  est  telle  que  sans  eux  rien  de  ce  qu'on  leur 
préfère  ne  peut  subsister  ». 

((  Oui  supporterait  cette  affirmation  que  la  théologie  ne 
peut  se  défendre  sans  la  philosophie,  que  les  sciences  divines 
ne  peuvent  tenir  sans  les  sciences  humaines...  ?  T. a  théologie  '^\ 
la  vraie  théologie,  ne  demande  ni  aux  dialecticiens  une 
méthode  pour  raisonnei-.  ni  aux  pliilosophes  des  préceptes 
pour  bien  vivre...  h]lle  ne  dépend  que  d'elle-même  :...  elle  n'a 
point  besoin  des  autres  arts...  et  Paul,  si  on  le  veut  Icnir  pour 
architecte,  la  met  à  servir  non  de  faîte  au  bàlinirnl,  jiiais  de 
fondement.  Et  pour  garder  cette  comparaison...  si  on  n'établit 
des  fondements  très  solides,  tout  ce  qu'on  y  superpose,  ou 
l'inondation  on  la  \iolence  des  vents  le  fera  tomber. 

(1)  Ibid.,  p.  10'.. 

12)  Se  sperare  ut  cum  eo  pervenisset.  non  conslstendum  slbl  in  (-a  disciplina 
putaret,  quse  altius  evehere  homlnem  ccrte  non  potest,  quam  ut  tandem  fateatur 
se  hoc  unum  sclre  quod  nihll  sciât  :  majore  quadam  luce  opus  esse  ad  tam  crassas 
igDorantise  tencbras  discutlendas  {ibid.,  p.  10-4). 

(3)  Uunel  fait  ici  des  restrictions  que  nous  rapportons  ailleurs  et  desquelles  11 
apparaît  f|u  il  a  des  tendances  vers  la  réforme  (p.  103). 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  IQl 

»  Or,  qu'il  y  a-t-il  de  moins  solide  que  la  philosophie,  soil 
qu'elle  traile  de  la  morale,  soit  des  sciences  de  la  nature  ">  ? 

»  Maintenant  pour  ce  qu'il  dit,  que  ceux  qui  aiment  les 
bonnes  disciplines  ne  recherchent  pas  la  gloire,  cela  est  bien 
dit,  certes;  mais  Sadolet,  cela  est  visible,  juge  les  autres  à  son 
aune.  Pour  moi,  je  crois  que  ce  désir  de  la  gloriole  envahil 
toutes  les  âmes  et  ne  peut  être  méprisé  que  par  les  chrétiens 
et  encore  pas  ordinaires.  Et  ceci  :  tout  acte  de  vertu,  s'il  arrive 
à  la  perfection  de  son  genre  a  en  lui  sa  plus  grande  récom- 
pense 2).  Peut-on  imaginer  de  plus  belles  paroles  ?  Et  pourtant, 
le  chrétien,  ce  n'est  pas  tant  dans  ses  actes  ou  dans  aucun 
genre  de  vertu  (qui  du  reste  ne  peuvent  être  parfaites  tant  que 
nous  vivons)  que  dans' la  parfaite  bienveillance  du  Christ  pour 
lui  qu'il  trouve  son  repos.  Ce  n'est  pas  que  ces  sentences  me 
déplaisent  beaucoup,  car  en  philosophie  on  ne  peut,  à  mon 
avis,  rien  dire  de  plus  divin,  mais  je  veux  faire  comprendre 
aux  philosophes,  s'ils  veulent  rester  en  lutte  avec  nous, 
combien  ils  sont  faibles  >3).  Je  parle  ici  de  ceux  qui  sont  initiés 
à  nos  mystères;  que  si  on  me  produit  un  épicurien,  ce  genre 
d'arguments,  je  le  sais,  ne  me  sei^vira  de  rien. 

»  En  accordant  que  Basile,  Chrysostome,  Augustin  furent 
munis  de  toutes  ces  disciplines,  ils  ont  voulu  toutefois  que 
ces  arts  que  nous  appelons  libéraux  fussent  assujettis  comme 
des  serviteurs  à  la  théologie  leur  reine.  Aucun  d'eux  même, 
que  je  sache,  après  avoir  goûté  la  suavité  des  saintes  lettres, 
n'a  pu  s'empêcher  de  trouver  les  systèmes  des  philosophes 
insipides,  ou  mêmes  amers...  '^'.  Quand  à  moi,  je  ne  puis  assez 
louer  le  dessein  de  Pool  qui  veut  tout  subordonner  dans  les 
sciences  humaines   au  Christ,    et  qui,    philosophe  savant  et 


(1)  On  aperçoit  ici  le  schéma  de  la  première  partie  du  Phèdre  de  Sadolef;  on  en 
verra  l'analyse  plus  loin. 

(2)  Omnem  virtutis  actionem,  si  ad  perfectionem  sui  quseqrie  generis  perducatur 
sibi  prœmium  amplissimum  esse.  Cf.  Pomponazzi  (Imiitortalité  de  l'âme,  fin)  qui 
a  proclamé  ce  principe  avant  Sadolet. 

(3)  P.  106. 

(4)  P.  107. 


102  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

oralour  de  iiiérile,  ne  vcul  pus  cependant  imiter  ceux  qui  se 
croient  un  peu  trop  cicéroniens  quand  ils  appellent  le  Christ 
par  son  nom,  trop  peu  philosophes  s'ils  sont  orthodoxes  en 
matière  religieuse  ^^^  ». 

BuncI  cherche  ensuite  des  excuses  à  Sadolet,  oppose  à  sa 
malencontreuse  lettre  et  à  iHortensius  son  Commentaire  sur 
l'Ejjîlre  aux  Romains,  «i  pieux,  et  son  éloquence  si  pleine  de  foi. 
Puis  il  ti'rmine  ainsi  :  «  Contarini,  incomparable  en  tout  genre 
de  sciences  (et  dont  par  conséquent  on  ne  peut  dire  qu'il  méprise 
ce  qu'il  ignore)  fait  ses  délices  de  celte  théologie  que  je  loue 
et  ne  souffre  pas  d'en  être  séparé.  Que  si  ces  petits  philosophes 
veulent  s'en  tenir  au  jugement  d'un  homme  de  grand  poids, 
je  lui  demanderai  où  il  a  pris  ce  caractère  si  doux,  ces  mœurs 
si  chastes  :  il  me  répondra,  sans  craindre  d'être  repris  par  eux, 
que  c'est  au  Christ  et  non  à  Aristote  qu'il  doit  ces  vertus.  Pool 
est  tout  à  cette  étude,  Pool  le  plus  savant,  le  plus  doux,  le  plus 
tin  critique  que  je  connaisse.  Ton  frère  l'évèque  de  Lavaur, 
encore  qu'il  veuille  s'affiner  par  l'étude  de  l'éloquence  et  de 
la  philosophie,  avoue  cependant  que  ces  études  sont  etxté- 
rieures.  mais  ne  peuvent  prétendre  à  former  l'âme.  ]']t  comme 
cela  est  bien  vrai  !  :  ces  anciens  philosophes  et  législateurs 
ont  farci  leurs  livres  de  beaux  préceptes  et  de  belles  lois,  mais 
ils  n'ont  pu  les  mettre  dans  le  cœm^  des  hommes.  Il  y  fallait 
un  souffle  plus  puissant  et  ceux  qui  l'ignorent,  ceux-là  me 
semblent  ignorer  pourquoi  le  Christ  est  descendu  sur  terre  et 
remonté  aux  cieux,  ou,  très  certainement,  ne  pas  croire  que 
ces  choses  sont  arrivées  '2)  ». 

La  belle  conclusion  et  combien  profonde  !  A  cette  bifurcation 

où  il  fallait  suivre  la  raison  ou  la  foi,  où  leur  accord  paraissait 

.  impossible,    où  le    maître    devait   être    Cicéron    et    Arislole 


fl)  La  formule  est  heiirpii-p  roiitre  les  cicéroniens,  Lonpiieil  et  Dolet  en  parti- 
culier :  Eos  tamen  imitari  non  velle  qui  parutn  Clceronlanl  si  Chrl.stum  nomine 
appellant,  panim  pliilosophi  si  île  relijïione  Ijene  sentiunt  slbl  videntur. 

(2)  P.  108.  G.  Contarini  est  run  des  adversaires  de  Pomponazzi  contre  qui  il  a 
écrit  plusieurs  traités. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  103 

OU  le  Christ,  où  les  sources  de  la  vie  morale  nouvellement 
jaillies  de  l'aristotélisme,  du  platonisme,  du  stoïcisme  ressus- 
cites tentaient  les  âmes  qu'avaient  si  longtemps  désaltérées 
les  fleuves  de  vie  éternelle  de  l'Evangile,  qu'il  est  émouvant 
de  les  voir,  nos  premiers  padouans,  hésitants  et  troublés  en 
l'aGe  du  problème.  Rcginald  Pool,  si  doux,  si  franc,  si  sùr<^'; 
Georges  de  Selve,  le  saint  évoque  qui,  à  l'exemple  de  Chry- 
sostome  et  d'Augustin,  unit  la  culture  et  la  foi;  Bunel,  âme 
droite  mais  simple,  qui  rêve  pour  le  moment  de  réinstaurer 
la  philosophie  chrétienne  de  Le  Fèvrc  d'Etaples  :  voilà  les 
esprits  désabusés  de  la  philosophie  et  qui  se  tournent  vers  la 
croyance  simple,  mais  aboutissent  au  fidéisme.  En  face  d'eux 
est  Bonamico,  le  doux  Bonamico,  que  ((  les  fleurs  embaumées 
de  la  rhétorique,  les  jardins  délicieux  de  la  philosophie  » 
retiennent  de  jamais  se  hasarder  dans  «  les;  rochers  à  pic  et 
broussailleux^^)  »  de  la  scolastique,  ni  même,  nous  le  savons 
d'ailleurs,  dan^  la  théologie  réduite  et  embellie  de  Bunel;  et 
aussi  Sadolet,  disciple  et  intime  ami  de  Leonico  Tomeo  ^^K 
ami  de  Bembo,  épris  de  culture  et  de  philosophie  antique  — 
nous  en  verrons  d'autres  preuves  —  au  point  de  scandaliser 
ses  amis,  un  vrai  humaniste  et  excellent  cœur,  mais  esprit 
laïque  et  païen:  et  à  l'arrière-plan  nous  entrevoyons  Dolet 
et  les  cicéroniens.  les  héritiers  de  Bembo  et  de  Pomponazzi, 
à  qui  leur  raison  suffit  et  leur  conscience,  sans  intervention 
d'aucune  autorité,  ni  doctrinale  ni  morale,  ceux  qui  oublient 
que  le  Christ  est  descendu  sur  terre  et  «  se  croiraient  trop 
peu  cicéroniens  s'ils  l'appelaient  par  son  nom  ». 

Bunel  changea  de  système.  Le  fidéisme  était  l'attitude 
adoptée  par  la  plupart  des  protestants,  surtout  par  les  calvi- 
nistes. Bunel,  en  1534,  était  encore  protestant  de  cœur. 
En   1530,   Toulouse  l'avait  chassé  comme  suspect  de  luthé- 


(1)  Poli  suavltate  et  minime  fucata  probitate  (p.  103). 

(2)  P.  104. 

(3)  Quis  autem  te  melius  novit  (Bonamicum)  cui  propter  familiaritatem  vestram 
ejus  vitae  cursus  notissimus  esse  débet  ?  (R.  Pool  à  Sadolet,  Sadol.  epist.,  II,  p.  204, 
226). 


104  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

ranisiiie.  Conuiie  les  proteslaiils,  il  veut  siiuplilier  la  théo- 
logie, la  dégager  de  la  scolaslique  et  y  intéresser  le  sentiment 
plus  que  la  raison  i*'.  Mais  il  faut  croire  que  la  Révélation  et 
l'autorité  de  l'Ecriture  ne  suffirent  plus  bientôt  à  son  esprit 
inquiet.  Il  s'attacha  en  effet  à  l'étude  de  la  Théologie  naturelle, 
de  Raymond  Sebond,  qui  professe  précisément  l'erreur  inverse 
du  fidéisme,  prétendant  fonder  la  foi  sur  la  raison.  C'est  lui 
qui  étant  venu  un  jour  chez  le  père  de  Montaigne  «  luy  fil 
présent  au  départir  »  de  ce  livre  de  Raymond  Sehond  dont 
Montaigne  devait  faire  plus  tard  une  si  curieuse  apologie,  et 
même  <(  le  luy  recommanda  comme  livre  très-utile  et  propre 
à  la  saison  en  laquelle  il  le  luy  donna;  ce  fut  lors  que  les 
nouvelletez  de  Luther  commençoient  d'entrer  en  crédit  (2)  >.. 
Ainsi  Bunel  avait  rompu  — effrayé  sans  doute  —  avec  Calvin. 
Et  cela  nous  explique  que  le  réformateur  lui  fasse  une  place 
au  Traité  des  Scandales.  Il  vient  de  parler  de  ceux-là,  catho- 
liques ou  rationalistes,  qui  n'acceptent  pas  dans  toute  la 
rigueur  de  la  théologie  calvinienne  les  suites  du  dogme  du 
péché  originel  impuissance  de  la  raison  et  de  la  volonté 
humaine.  «  Nous  en  voyons  peu  ayant  ceste  opinion  d'eslre 
sages  qui  ne  soyent  quant  et  quant  ennemis  de  l'Evangile.  Les 
hypocrites  s'enflambent  encore  plus  jusques  à  estre  forcenez. 
J'en  allegueray  seulement  un  exemple  de  Maistre  Pierre 
Bunel.  lequel  n'a  eu  d'autre  cause  de  se  révolter  de  l'Evangile, 
sinon  pour  ce  qu'estant  addonné  à  se  monstrer,  et  se  plaisant 
en  soy,  ne  se  pouvait  i-anger  à  l'humilité  chrestienne  (3)  ».  Ainsi 
Pierre  Bunel  avait  grande  confiance  en  sa  raison  et  n'a  pu 
supporter  le  joug  de  Calvin.  Il  semble  que  dès  lors  il  revint 
au  catholicisme <*).  Mais  de  pareilles  contradictions  dans  la  vie 


(1)  "  C'est  à  la  vraie,  la  solide,  la  pure  théologie  plus  douce  que  toait  »  qu'il 
désirait  attirer  son  ami  :  "  théologie  dont  la  force  est  plus  difficile  à  exprimer  par 
parole,  qu'à  sentir  par  le  sens  Intime  de  l'esprit...  »  Il  l'oppose  à  celle  du  moyen 
âge,  "  maltresse  de  disputes  et  de  chicanes  »  {Bunelli  epist.,  p.  104). 

(2)  Esmis.  II,  XXII.  Edit.  Jouaust,  III,  p.  ITl. 

(3)  De  Scnndalis,  Opuscules,  p.  1158. 

(4)  M.  .S.\Moi:iLLAN  le  dit  catholique,  De  Pctro  Bnnello,  p.  85-87. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  ]  05 

intellectuelle  prouvent  un  esprit  inquiet  et  qui  a  perdu  son 
équilibre.  Il  est  peu  probable  qu'après  avoir  tant  douté  de  la 
raison,  il  ait  trouvé  dans  les  raisonnements  de  Raymond  de 
Sebonde  les  bases  d'une  foi  solide. 

Sadolet,  au  contraire,  s'attacha  de  plus  en  plus  à  la  raison 
et  en  fit  le  principe  de  la  vie  intellectuelle  et  morale.  Dès  1533, 
dans  son  poème  De  Hberis  ncte  instituendis^^),  il  avait 
dressé  pour  son  élève  un  plan  d'éducation  purement  laïque,  si 
laïque  que  le  bon  W.  Pool  en  fut  scandalisé.  Il  le  guettait,  dit-il, 
à  la  fin  de  son  ouvrage,  et,  en  suivant  avec  intérêt,  avec 
admiration  même,  le  programme  proposé  par  Sadolet,  il  atten- 
dait pour  voir  à  quel  port  allait  le  conduire  une  si  belle  course. 
Quel  n'a  pas  été  son  étonnement  quand  il  a  vu  que  la  philo- 
sophie était  le  terme  où  tendait  définitivement  Sadolet  : 
«  Certes,  c'est  un  beau  port,  le  plus  beau  mênie,  si  nous 
étions  encore  au  temps  d'Aristote  ou  de  Platon,  ou  de  Cicéron, 
ou  si  ces  philosophes  étaient  les  pilotes  de  l'élève  de  Sadolet... 
.Mais  puisque  tu  as  entrepris  ce  voyage  en  un  temps  où  des 
terres,  des  îles,  des  havres  inconnus  aux  anciens  ont  été  décou- 
verts, où  beaucoup  de  ceux  qui  étaient  alors  célèbres  ont  été 
engloutis  par  la  mer  ou  détruits  par  le  temps,  où  pour  nos 
esprits  aussi  a  été  préparé  par  Dieu  et  par  son  fils  un  port 
beaucoup  plus  sûr  et  plus  tranquille,  inconnu  aux  anciens; 
puisque  toi-même,  pilote  dans  cette  expédition,  après  avoir 
abordé  à  ce  port  connu  des  anciens,  as  passé  outre,  et  après 
y  avoir  fait  escale  pour  ton  ravitaillement,  tu  t'es  enfin  réfugié 
dans  le  port  indiqué  par  le  fils  de  Dieu...;  comment  ton  Paul 
n'aurail-il  pas  lieu  de  se  plaindre  que  tu  le  laisses  dans  un 
port  étranger  et  peu  sûr,  quand  toi-même  te  réfugies  dans 
un  très  beau  et  très  sûr  )>  ?  Un  tel  début  devait-il  aboutir  là 
et  ne  promettait-il  pas  de  dépasser  les  anciens  ?  Que  Sadolet 
l'excuse,  s'il  le  presse  de  conduire  son  élève  jusqu'au  point 


(1)  De  liberis  recte  institniendis  liber  ad  G.  Bellaium  Langeum,  Lugduni.  1532; 
Paris,  1534.  —  Traité  d'éducation  du  cardinal  Sadolet  et  vie  de  l'auteur,  par 
A.  Florebelli,  traduits  pour  la  première  lois  avec  texte  latin,  notes  explicatives 
et  justificatives,  par  T.  Charpexne,  Paris,  1855,  in-8o. 


106  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

OÙ  lui-inème  a  Irouvé  le  repos,  et  s'il  lui  paraît  un  peu  froissé 
de  l'oubli  où  il  a  laissé  la  théologie  ^^\ 

Sadolet  lui  répondit  le  3  décembre  suivant.  Très  brièvement 
et  d'un  air  assez  embarrassé,  il  lui  dit  que  la  théologie  étant 
le  couronnement  de  la  philosophie  et  demandant  un  âge  assez 
avancé,  il  a  cru  devoir  s'arrêter  à  la  philosophie  dans  un  pro- 
gramme qui  conduit  son  élève  à  vingt-cinq  ans  seulement  et 
que,  du  reste,  il  fera  sur  la  théologie  un  ouvrage  spécial. 
[lloricnsius  i2). 

Il  ne  l'appela  pas  Hortensius,  mais  Phsedrus  sive  de 
Laudibus  pliilosophia',  et  le  publia  à  Lyon  en  1538.  L'ouvrage 
se  divise  en  deux  parties;  la  première  décrie  la  philosophie, 
la  seconde  fait  son  éloge.  Phèdre  dans  le  premier  livre  soutient 
la  thèse  fid.éiste,  Sadolet  dans  le  second  la  thèse  rationaliste, 
si  bien  que  le  livre  se  trouve  être  un  tableau  de  l'état  des 
esprits  à  cette  époque,  en  même  temps  que  des  idées  de 
Sadolet. 

Les  uns  donc  disent  que  la  philosophie  est  inutile. 
La  physique  qui  recherche  les  secrets  de  la  nature  et  du  ciel 
et  les  causes  des  phénomènes,  cherche  l'introuvable.  Dieu 
nous  a  caché  ces  choses  précisément  pour  que  nous  les  igno- 
rions. Ceux  qui  s'obstinent  à  les  scruter  sont  semblables  au 
philosophe  Thaïes  qui  tomba  dans  un  puits  en  regardant  le 
ciel:  d'autres  ont  désespéré  de  rien  savoir  (Empédocle,  les 
académiciens).  Quant  à  ceux  qui  ont  cru  savoir,  ils  se  contre- 
disent sur  les  principes  des  choses  et  la  constitution  de  l'uni- 
vers (3)  Ji^^  o,)(  ,.|.,.,.  quand  ils  ont  voulu  définir  Dieu,  et  c'est 
la  Révélation  qui  nous  a  instruits  de  sa  vraie  nature.  Dieu  est 
inabordable,  semblable  à  ce  roi  de  Perse  caché  au  fond  de  son 
palais  de  Suse  ou  d'Ecbatane,  dont  tout  le  niontle  admire  la 


(1)  Sadol.  eiÂsl.  (éd.  17(J0),  II.  CLXXIV,  p.  100-103,  du  29  octobre  1532 

(2)  Sadol.ejÂst.;  II,  CLXXV,  p.  110-111. 

(3)  P.  579-.584  de  rédltion  des  Œuvres  de  1G07. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  107 

cour,  mais  que  nul  ne  peut  voir  en  personne  ^^^  Tenter  d'ar- 
river jusqu'à  lui  c'est  renouveler  le  sacrilège  des  géants  de 
la  légende.  La  morale  est  aussi  inutile  que  la  physique;  la 
vertu  consiste  à  agir  et  non  à  classer  les  vertus  ou  à  discuter  du 
souverain  bien'-'.  Quand  à  la  dialectique,  peut-on  enseigner 
une  science  plus  vide  d'objet  et  plus  vaine,  avec  ses  figures 
el  SCS  syllogismes  par  lesquels  ou  pi'ouve  tout  ce  qu'on  veut, 
même  l'absurde  ^^i  ? 

Mais  Sadolet  répond  à  Phèdre.  Il  commence  par  discerner 
les  vrais  philosophes  d'avec  les  charlatans;  le  vrai  philosophe 
est  grave,  sage,  séparé  de  la  foule  surtout.  Volontiers  il  pren- 
drait pour  devise  celle  qu'arborera  quelques  années  plus  tard 
le  poète  philosophe  Pontus  de  Tyard  :  Nec  turbœ  nec  in 
turbam. 

La  vraie  philosophie,  celle  de  Platon  et  d'Aristote,  et  non 
la  scolastique.  celle  que  connaissent  les  Italiens  et  depuis 
quelque  temps  seulement  les  Fr-mçais  '^',    nous   apprend   à 

(1)  p.  585.  Même  idée  chez  S.  Macrin  en  1537  :  Hijmn.,  II,  p.  57  :  De  Deo 
difficile  loqui  7iisi  fides  adsit  : 

De  Deo  Musse  quoties  loquuntur 
Non  eis  portas  facile  invenire  est 
Obvias  vocum,  propriisque  numen 

Dicere  verbis. 
Namciue  res  tanta  est  Deus,  ut  capaces 
Illius  non  sit  reperire  sensus, 
Rite  nec  sacrum  queat  ulla  nomen 

Lingua  profari. 
i\.t  Mes  nostris  simul  ut  refusa  est 
Mentibus,  fulget  nova  lux  repente 
Et  Deum  flxis  vigil  intuetur 

Sensus  ocellis. 
Solvitur  llngu.Te  prlus  impeditae 
Tarditas 


Et  flde  arcanas  duce  opes  reclusit 

Entheo  aftîatu  super  astra  raptus, 

Arduum  miro  penetrans  volatu 
Cycnus  Olympum. 
La  comparaison   de  Dieu  au   roi   de  Perse  se  trouve  aussi  dans  A.    Steuco,  De 
perenni  phllosopïua.  iv,  v,  f  75  v». 

(2)  Phxdrus,  dans  Oi,era,  éd.  1607,  p.  585  à  588. 

(3)  P.  588  à  619.  , 

(4)  Ibld.,  p.  .561.  Il  traite  les  scolastiquee  de  barbares  et  ajoute  que  c'est  de  la 
philosophie  antique  qu'il  va  parler  :  Quod  majore  cum  spe  Isetitiaque  aggredimur 
quod  mtelligimus  non  solum  in  Italia,  quœ  semper  omnium  bonarum  artium 
parens  jure  existimata  est  :  verum  etiam  trans  Alpes  in  Galliis  Germaniisque  quam 
multi...'-e  ad  politiores  dedant  lifteras. 


108  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

traiter  chaque  cliose  selon  son  niiportance.  Elle  est  la  mère  de 
la  sagesse  et  de  la  prudence,  sources  de  toutes  les  vertus; 
elle  met  de  l'unité  dans  notre  vie  et  nous  rend  constants  avec 
nos  propres  principes;  elle  perl'eclionnc  tout  l'homme  et  non 
pas  seulement  —  comme  les  autres  sciences  —  une  seule 
faculté  *').  Son  fondement  c'est  la  raison;  «  or  la  raison  est  notre 
maîtresse  et  notre  reine;  tout  ce  que  nous  sommes  nous  le 
devons  à  la  raison,  en  sorte  que  la  raison  est  tout  l'homme  ».  Par 
la  raison  nous  connaissons  Tunixersel,  par  elle  nous  sortons 
des  doutes  et  de  l'opinion  pour  arriver  à  la  certitude;  par  elle 
nous  allons  à  la  vie  lu'ureiise  *2';  «  et  comme  c'est  le  propre  ohjet 
de  la  raison  de  rechercher  la  vérité  et  que  la  vérité  est  surtout 
dans  les  choses  religieuses,  la  recherche  des  vérités^  reli- 
gieuses appartient  à  la  philosophie  ».  Il  méprise  également 
les  nouveaux  académiciens  qui  prétendent  (ju'on  ne  peut 
découvrir  la  véi'ité  el  les  matérialistes  (|ui  Irouvent  la  religion 
inutile.  Puis  il  conclut  <3)  :  <(  On  peut  coiiiprendre  par  là  (pie 
les  semences  de  toutes  les  vertus  dépo.sées  en  nos  âmes  })ar  la 
nature,  seule  la  philosophie  les  fait  grandir;  seule  elle  leur 
permet  de  croître  et  de  donner  de  bons  fi'uits  ».  Le  vrai  sage 
trouvera  dans  l'étude  de  la  philosophie  la  perfection  et  la 
joie;  «  il  sera  semblable  à  Dieu  tant  par  sa  façon  de  vivre  que 
pour  la  joie  et  le  bonheur  qui  raccom]»agnei'ont  toujours*'''*  », 
Quelle  confiance  dans  la  raison  et  dans  l'homme  !  Quel  oubli 
du  dogme  de  la  déchéance  humaine  el  de  la  grâce  divine  ! 
Comme  cet  évècpie  <'sl  bien  un  Italien  de  la  lîenaissance,  el 

(1)  Ihid  ,  p.  620  à  634  ;  "  Ciim  in  iidbis  longe  dominetiir  ratio  iiriruijialumque 
ipsa  teneat:  quidquid  sumus  iï)si  totum  id  acceplmus  et  possldemus  e  ratione,  ut 
sit  nostra  ratio  Uliid  ipsum  piano,  quodoimqiie  est  hnmo  »  (p.  610). 

(2)  Ihtd..  p.  641  à  652.  Qnum  igitur  peculiarnm  offlriiim  ratlonts  slt  indagare 
veritat^m,  in  divini.s  autem  et  scriptuin,s  maxime  existât  veritas,  dlvinorum  inda- 

"gatio  in  primis  rationi  est  proposita.  Hic  me  recens  Ista  academia  non  r)ermovet, 
qu;e  penipi  et  comprehendi  negat  posse  veritatem...  Sunt  alti  agrestiores,  negantes 
utilem  homini  es'e  divinonim  cognitionem  {ihid  ,  p.  652-653). 

'3)  Ex  qiio  intelligi  potest  virtutiim  omnium  scmina,  qiise  a  natiira  in  animis 
nosiris  .sata  sunt,  ex  una  rite  ali  collquo  philosopliia.  neque  sine  ea  unquam  ad 
honam  fnigem  ixtssc  adole.scorc  (ihid  .  p.  663). 

(4)  Similem  sese  quoad  fas  est  efflciet  Deo;  tum  In  vltae  ratione  tum  in  perpétua 
anlmi  l*titia  ac  voluptate  'p.  669).  On  reconnaît  les  termes  mêmes  de  Sénôque  : 
Sapiens  ille  plenu.s  est  gaudio,  liilaris...;  cum  Diis  ex  pari  vlvit  (Episl.,  MX.  14); 
sapiens  similis  Eeo,  excepta  mortalitate  (De  Covfl.  Sap  ,  VIII,  2),  etc. 


LES    FRANÇAIS    EX    ITALIE.     LEURS    IDÉES  1()9 

comme  son  livre  nous  marque  nettement  l'état  d'esprit  des 
padouans  !  Entre  la  raison  et  la  foi,  l'équilibre  est  rompu. 
Faut-il  mépriser  la  raison  et  s'attacher  à  la  foi  ?  Faut-il 
sacrifier  les  vérités  révélées  pour  suivre  Aristote  et  Averroès  ? 
Quelques-uns,  et  Sadolet  est  de  ceux-là,  ne  se  résignent  ni 
à  l'un  ni  à  l'autre  de  ces  extrêmes  et  ils  espèrent  encore,  en 
sacrifiant  l'ancienne  philosophie  et  un  peu  de  théologie, 
arriver  à  un  compromis  entre  les  deux  puissances  ennemies. 

La  nouvelle  académie,  contre  laquelle  s'élève  Sadolet.  est 
au  contraire  la  maîtresse  intellectuelle  de  Arnould  du 
Ferron'*'.  En  bon  élève  de  Padoue,  il  s'est  adonné  à  l'étude 
d  Aristote,  et  il  a  traduit  un  de  ses  livres,  celui  qui  expose 
et  discute  la  doctrine  de  Xénophane,  de  Mélissus  et  de  Gor- 
gias  ''.  Il  a  de  plus  défendu  les  conclusions  d'Aristote  contre 
les  attaques  de  Bessarion.  Du  coup,  du  Ferron  remontait  au 
berceau  même  de  la  philosophie,  à  cette  école  d'E'lée  qui,  la 
première,  a  fixé  la  doctrine  de  l'unité  divine  et  de  l'éternité 
de  l'Etre '3).  Mais  aussi,  il  y  voyait  soutenue  l'éternité  du 
monde  et  l'impossibilité  de  la  création  ex  nihilo.  Il  est  vrai 
qu'Aristote,  dont  il  accepte  la  thèse,  démontre  à  Xénophane 

1,1  Du  Ferron  est  très  lié  avec  Dolet  et  Scaliger  {Boulmier,  Dolet,  p.  92-97;  Dezei- 
MERis,  Renaissance  des  Ultres  à  Bordeaux,  p.  543).  L'édition  de  seis  Coutumes  de 
Bordeaux  [In  consuetudincs  Burdigalensium  libri  duo,  Lugduni.  ap.  Ant. 
Gryphium,  1585)  est  précédée  de  six  distiques  de  A.  Govéan  gui  présente  le  livre 
â  Briand  Vallée. 

(2)  Aristotelis  liber  nnnc  primurn  versus  :  Adversus  Xenophanern.  Zenonern  et 
Gorgiam.  interprète  Arnoldo  Ferrono  Burdigalensi  Begio  consiliario.  —  Bessar- 
rionis  S'iceni  di'sputatio  de  In^nito  pro  Xénophane,  Mellsso,  Parmenide,  adversus 
Aristotelem.  —  Anioldi  FeiToni  pro  Aristotele  adversus  Bessarlonem  libellus,  Lug- 
duni, ap.  J.  Tornaesium,  M.  DL.  VII.  Les  éditions  depuis  celle  de  Spalding-  (1793) 
ont  sul3stitué  Melissos  à  Zenon  dans  le  titre  et  l'exposé  des  doctrines,  et  lui  ont 
attribué  la  première  partie  du  traité  et  la  deuxième  à  Xénophane,  en  sorte  que 
le  titre  définitif  est  celui-ci  :  De  Melissos,  de  Xénophane  et  de  Gorgias.  Voir  la 
discu.ssion  de  cette  attribution  dans  Barthélémy  Saint-Hilaire,  trad.  de  ce  traité 
(Paris,  1866),  Dissertation  préface,  p.  194-197.  D'autre  part,  ce  traité  avait  été 
traduit  cinq  ans  avant  la  publication  de  l'opuscule  de  du  Ferron,  par  Jean- 
Bernardin  Felicl\no,  prof,  de  Venise.  Il  semble,  à  en  juger  par  le  titre,  que  du 
Ferron  n'a  pas  connu  ce  travail. 

(3)  Je  ne  puis  refaire  ici*  un  exposé  de  la  philosophie  éléatique  :  on  voudra  bien 
se  reporter  pour  ces  discussions  à  la  traduction  de  B.  Saint-Hilaire  et  surtout  à 
la  préface  qui  la  précède;  on  y  trouvera  un  bon  exposé  des  théodicées  de  Xéno- 
phane et  Melissos,  p.  CLXdt-CLXix.  On  verra  aussi  un  exposé  important  du  système 
de  Xénophane  dans  VHistoire  de  la  Littérature  grecque  de  M.  Croiset,  II.  IX 
l2e  édit.,  p.  503  512). 


110  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

(]ue  1  unité  et  limmortalité  de  Dieu  ne  comportent  pas  néces- 
sairement l'éternité  dhi  monde,  les  choses  pouvant  èlre  en 
partie  incréées,  en  partie  créées,  ou  encore  engendrées  les 
unes  des  autres  en  un  système  circulaire  animé  d'un  mou- 
vement éternel,  composé  de  chaînons  qui  reçoivent  ci  Irans- 
mettent  l'être  successivement. 

Mais  ce  ne  sont  pas  ces  spéculations  qui  me  semblent  avoir 
influé  le  plus  sur  l'esprit  du  savant  traducteur.  Le  troisième 
traité,  de  Gorgias,  l'a  davantage  séduit.  Le  sophiste  y  soutient 
que  l'être  et  le  non-être  sont  également  impossibles,  que  la 
science  n'existe  pas  ou  en  tout  cas  ne  peut  être  communiquée. 
Bien  que  le  traité  de  Gorgias  soit  suivi  d'une  réfutation  d'Aris- 
tote,  nous  avons  la  preuve  que  ses  sophismes  ont  ébranlé  un 
instant  la  confiance  de  du  Ferron  en  la  raison  et  l'ont  conduit 
à  une  sorte  de  pyrrhonisme. 

Les  trois  traités  d'Aristote,  en  effet,  sont  suivis  d'une  dis.ser- 
tation  de  Maxime  de  Tyr,  qui  reprend  sur  un  ton  badin  et 
amusé  la  thèse  de  Pyrrhon  (i)  :  «  Ne  vois-tu  pas  la  multitude 
des  docteurs  et  des  doctrines?  Où  me  tourner?  Lequel 
admettre?  Quels  conseils  suivre?  »  Du  Ferron  entreprend 
de  réfuter  Maxime  de  Tyr  (2)  :  //  ne  luul  pas  à  rause  des 
divergences  entre  les  philosophes  renverser  la  philosophie. 
Du  Ferron  semble  donc  reprendre  pour  son  compte  l'argu- 
mentation de  Sadolct  dans  le  Phxdrus,  ou  plus  probablement 
celle  de  VAcademia  de  0.  Talon  (15'iS^  dont  on  verra  plus 
loin  l'analyse.  Mais  la  conclusion  est  bien  différente.  Tandis 
que  les  autres  padouans  que  nous  éludions  s'appliquent 
à  chercher  sous  la  sophistique  la  vraie  philosophie  (c'est  la 
thèse  de  Sadolet  dans  la  seconde  partie  du  Phcvdrus),  ou, 
renonçant  ouvertement  à  rien  connaître  par  la  raison,  se  réfu- 
gient dans  la  foi  (c'est  la  posHion  de  R.  Pool,  de  Bunel,  de 


(1)  Maxlmi  Tyrii  qui  Ht  flnifi  philosophiiB  dcclaratU}  in  philosophos  dlssentientes 
(p.  63-73  de  l'opuscule). 

(2)  Ob  phtlosoiihorum  dlsnentiones  non  esse  de  grndu  drjicieudain  PliHnsnphtnm 
neaponsto  Arnoldi  Ferronl  fp.  74  à  90). 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  111 

Talon),  ilu  Ferron,  lui,  s'en  lient  à  une  sorte  de  dilettantisme 
1res  accueillant,  ce  qui  est  une  des  formes  du  scepticisme.  Si 
la  nature,  dit-il,  si  Thomme  même  sont  composés  d'éléments 
hétérogènes,  pourquoi  s'étonner  que  la  vérité  renferme  des 
systèmes  contradictoires'^)?  La  vérité  est  semblable  à  l'univers 
d'Empédocle,  qui  oscille  sans  cesse  sous  le  branle  inverse 
de  l'amour  et  de  la  discorde.  Chaque  système  a  du  bon  :  la 
musique  de  Pythagore,  l'astronomie  de  Thalèsi,  la  misan- 
thropie d'Heraclite,  la  chasteté  de  Carnéade  (•■),  l'amour  du 
travail  de  Diogène,  la  volupté  d'Epicure,  sont  des  aspects 
(Ijvcrs  du  bien  '3'. 

Mais,  dira-t-on,  la  vérité  est  divisée  dans  cette  hypothèse  ? 
Non,  ((  la  philosophie  ne  divise  pas  le  bien  lui-même;  au 
contraire,  elle  l'embrasse  et  l'enserre  dans  ses  liens;  les  dissen- 
sions des  philosophes  ne  déchirent  pas  le  souverain  bien  »  : 
elles  nous'  incitent  plutôt  à  le  chercher  avec  plus  de  soin. 
La  même  terre  nous  porte,  le  même  ciel  nous  contemple, 
pourquoi  nous  plaindre  que  chacun  cherche  le  vrai  à  sa 
guise  (^)  ?  Homère  à  lui  seul  a  professé  tous  les  systèmes  qui 
prétendent  expliquer  l'origine  des  choses  f^'.  —  Mais  les  sys- 
tèmes se  détruisent  et  se  succèdent  ?  —  C'est  comme  dans 
la  nature.  Tout  passe,  tout  meurt.  Le  même  fleuve  ne  coule 
pas  deux  fois  dans  le  même  lit.  Heraclite  l'a  dit  depuis  long- 
temps. Que  subsiste-t-il  donc?:  «celle-là  qui  est  éternelle, 
sans  origine,  sans  fin,  sans  changement,  la  nature  t^)  ».  Nous 
retrouV'Ons  ici  le  disciple  de  l'aristotélisme  padouan.  Dans  les 
notes  critiques  dont  il  a  fait  suivre  sa  traduction  du  Contre 


(1)  p.  75. 

(2)  Je  ne  sais  où  du  Ferron  a  trouvé  que  Carnéade  était  remarquable  par  sa 
chasteté,  ri  est  plus  célèbre  par  son  application  au  travail,  dont  du  Ferron  fait 
un  mérite  à  Diogène. 

(3)  P.  75-79.  A  ce  propos,  du  Ferron  fait  un  éloge  enthousiaste  d'Epicure  et  de 
sa  philosophie. 

(4)  P.  79. 

(5)  P.  79-83.  Longues  citations  d'Homère.  Il  est  curieux  de  trouver  au  début  du 
XVIle  siècle  un  autre  sceptique,  Claude  Belurgey  (-f  1620)  qui  faisait  aussi  d'TIomère 
son  livre  d'heures  (Lachèvre,  Mélanges,  p.  174). 

(6)  P.  85.  •<  Illa  sempiterna,  immortalis,  nunquam  genlta  natura,  cul  nullum  tem- 
pus  affert  commutationem  ». 


112  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

XciiofilKine,  il  défend  aus^si  l'existence  de  la  nature  niée  par 
Empédocie,  en  s'appuyanl  >ur  la  lihysiquc  d  Aristote  el  les 
commentaires  d'Alexandre  d'Aphrodisias  *^>. 

Que  conclure  ?  C'est  l'académie  qui  a  raison.  Mais  il  y  a 
plusieurs  académies  :  celle  de  Platon,  celle  d'Arcésilas,  celle 
de  Carnéade.  Toutes  s'accordent  en  ce  point  qu'elles  pro- 
fessent le  scepticisme  :  Abstiens-toi  de  conclure,  nous  disent- 
elles.  Le  mot  iziyfj)  est  leur  mot  d'ordre  et  il  signifie  «  qu'il 
faut  suspendre  notre  jugement  quand  1  intelligence  est  hési- 
tante, afin  de  ne  pas  lui  faire  prendre  une  chose  pour  certaine 
ou  l'en  détourner  absolument,  à  cause  de  l'égalité  des  motifs 
de  crédibilité  qui  nous  sont  proposés  *=^)  ».  Du  Perron  s'attaque 
alors  aux  dogmatiques  *3)  cl  entasse  pour  soutenir  l'abstention 
{sToy/;)  des  pyrrhoniens  les  textes  de  Zenon  et  de  Chrysippe  W. 

Dans  son  enthousiasme  pour  la  nouvelle  académie,  du 
Perron  s'en  tenait-il  à  une  défiance  prudente  à  l'égard  des 
divers  systèmes  que  ressuscitait  chaque  année  la  Renais- 
sance ?  ou  son  esprit  était-il  arrivé,  par  la  frécjuentation  des 
sophistes  grecs,  au  scepticisme  radical  d'un  Carnéade,  d'un 
Arcésilas  ?  Il  semble  bien,  à  la  lecture  ck  sa  déclamation, 
qu'il  est  moins  loin  qu'il  ne  l'a  cru  lui-même  de  la  virtuosité 
dialectitpie  de  Maxime  de  Tyr.  et  que,  s'il  réserve  les  droits 
de  la  philosophie  —  par  où  il  est  moins  sceptique  que  .son 
adversaire  —  c'est  à  condition  de  faiio  de  la  philosophie  le 
rércplacle  indifférent  de  tous  les  systèmes.  Dans  un  esprit 
que  le  dilletlantisme  a  fait  si  accueillant  et  si  dédaigneux,  et 
où  se  pressent  pêle-mêle  tant  de  systèmes,  y  a-t-il  encore 
jilacc  |)our  la  foi  ?  «  Carnéade  revient  j)resque  à  Protagoras. 
Sa  méthode...  est  destructive  de  toute  science...;  elle  conduit 
à  l'indifférence  pour  la  vérité  ''"'^  ». 

(1)  p.  31-33. 

(2)  Le  mot  i-'.y  veut  dire  :  retentio  as.sentionl>;  ,-i  rttiiiciula  liitelliffeiitia  iit  ne 
eam  de  re  flrmam  statuamu^  aut  ab  ea  plane  avellamus  prcupter  feriuabllitatem 
rationum  qujp  proirmiiritur  (p.  KO).  Cette  histoire  de  rAcadémle  pourrait  bien 
être  le  résumé  de  la  première  partie  de  VArndeinUi  d'Omer  Talon. 

(3)  P.  87. 

(4)  P.  88-90. 

(5)  Ckoiset,  nhloirr  ilr  Ut  IJlteralhrc  jrectirie  (-Je  éd.,  V,  p.  80). 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.    LEURS    IDÉES  113 


III 


D'autres  allaient  plus  loin  encore.  Mathieu  Gribaldi  (i),  l'ami 
et  le  protecteur  de  tous  les  padouans  du  sud-ouest,  padouan 
lui-même  d'origine,  après  avoir  professé  ouvertement  le  pro- 
testantisme, prit  parti  pour  l'arianisme  après  l'affaire  de 
Servet,  cacha  chez  lui  l'antitrinitaire  Gentilis  et  ne  dut  qu'à 
la  mort  d'éviter  un  procès  d'hérésie  de  la  part  de  Calvin. 
C'est  peut-être  un  de  ses  élèves  que  vise  Bunel  dans  mie 
lettre  adressée  de  Toulouse  à  Odet  de  Selve,  le  25  avril 
1541  '--^  <(  Pour  ce  qui  est  de  cette  affaire  que  tu  me  rappelles 
dans  ta  dernière  lettre,  j'ai  exposé  la  chose  en  entier  à 
Mezentius,  mais  il  lui  serait  beaucoup  plus  facile  de  la  com- 
prendre de  vive  voix  qu'à  moi  par  lettre.  C'est  donc  de  lui 
que  tout  dépend  )>.  Mezentius,  c'est  évidemment  un  pseudo- 
nyme pris  à  VHnéide,  par  lequel  on  désignait  les  athées  '■'''. 
«  Conteniplo]'  diiuni  »,  l'appelle  le  poète'*'  et  Macrobe  nous 
raconte  qu'il  avait  ordonné  aux  Rutules  de  lui  apporter  les 
prémices  jusque-là  réservées  aux  dieux  (^).  Quand  il  se  ren- 
contre à  la  fm  du  livre  X  avec  le  pieux  Enée,  c'est  par  un  blas- 
phème qu'il  salue  la  mort  :  Nec  mortem  horremiis  nec  divum 
parcimus  idli'^h  II  nous  est  impossible  naturellement  de 
décider  si  c'est  un  ami  de  Mathieu  Gribaldi  qui  est  ainsi 
désigné,  et  encore  moins  de  dire  quelle  est  cette  affaire  mysté- 


(1)  Sur  Gribaldi,  voir  Tiraboschi,  Storia  délia  Littéral,  italiana,  VII;  Bayle, 
art.  Gribaud.  Professeur  à  Toulouse,  Cahors,  Valence,  Grenoble.  Obligé  de  fuir 
à  Genève,  puis  poursuivi  par  Calvin  lui-même  pour  ses  relations  avec  Gentilis. 
Mort  en  1564.  Ami  intime  de  Boyssonné  et  A.  Govéan. 

(2)  La  lettre  est  datée  du  7  des  calendes  de  mai  1531  par  erreur  puisqu'il  y  parle 
de  la  mort  de  G.  de  Selve  :  Quod  attinet  ad  negrotium  illud  cujus  tu  in  posterio- 
ribus  literis  meministi,  ego  Mezentio  rem  omnem  exposui,  crui  longe  mellus  coram 
quam  ipse  literis  complectl  possem  (posset?).  Ab  eo  igltur  omnia  {Bunelli  epist  , 
p.  90). 

(3)  Nous  trouverons  un  autre  Mezentius  en  1563,  ch.  XVI. 

(4)  Aeneid.,  VII,  648:  VIII,  7. 

(5)  Saturn.,  III,  p.  5. 

(6)  Aen.,  X,  880. 


1 1  i  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

rieuse,  si  mystérieuse  et  dangereuse  qu'on  ne  peut  en  confier 
le  détail  à  une  lettre,  que  Bunel  remet  entre  ses  mains.  Nous 
savons  seulement  que  le  Piémontais  avait  professé  le  droit  à 
Toulouse  en  1536-1537  cl  qu'en  cette  année  1541  il  dédiait, 
di;  X'alence,  un  livre  de  droit  à  ses  anciens  élèves  '^'.  Peut-être 
ne  sera-t-il  pas  téméraire  de  supposer  qu'il  avait  aussi  parmi 
eux  des  disciples  à  qui  il  avait  révélé  ses  idées  antichrétiennes, 
et  que  c'est  l'un  d'eux  que  Bunel  désigne  sous  le  nom  de 
Mezentius.  En  toute  hypothèse,  il  est  évident  que  Gribaldi 
n'était  pas  seul  à  Toulouse  à  «  mépriser  les  dieux  )>. 

Quand  Gribaldi  arriva  à  Grenoble,  en  1558,  il  y  trouva  son 
ami  Ant.  Govéan  (2)^  aussi  suspect  que  lui.  Calvin  les  accuse 
tous  les  deux  de  ne  pas  croire  à  l'immortalité  et  d'être  des 
lucianjotes  <3),  et  Calvin  n'était  pas  seul  à  croire  Govéan 
incrédule.  Ses  compatriotes  de  Grenoble  l'obligèrent  à  les 
rassurer  sur  son  orthodoxie  par  un  discours*^'  et  son  ami 
Briand  Vallée  le  traitait  d'athée  —  ce  qui  n'était,  il  est  vrai, 
qu'un  rendu. 

Voici  l'histoire.  Briand  Vallée  (ou  Briant  de  la  Vallée), 
président  au  tribunal  de  Saintes,  sa  patrie,  puis  conseiller 
à  Bordeaux,  ami  de  Govéan,  A.  du  Perron,  Voulté,  Rabelais 
avait  peur  du  tonnerre.  La  chose  se  trouvait  d'autant  plus 
plaisante  que  le  conseiller  était  un  joyeux  compère,  plus  sem- 
blable. ]»araîl-il,  à  frère  Jean  qu'à  Panurge  (•^'. 

En  1539,  Ant.  Govéan  insérait  dans  un  recueil  de  ses  épi- 


(1)  De  riiethodo  ac  ralionr  studendi  in  jure  civilt  libri  III,  Lyon,  1541. 

(2)  .Sur  Govéan,  voir  Mugnier,  Ant.  Gouvcan,  Champion,  1901.  Rappelons  que 
Govéan  était  comme  tous  les  padouans  partisan  d'Aristote,  qu'il  défendit  contre 
Ramus  avec  Vicomercato.  Il  avait  étudié  Aristote  au  collèpe  .Sainte-Barbe,  à  partir 
de  1527.  sou.s  la  direction  de  Pelage  Rodrigue,  excellent  interprète  d'Arlstote 
(Jacobus  VAX  Yaanen,  Disxertatio  de  vlta  A.  Goveani.  en  tête  de  l'édition  de  ses 
œuvres,  Amsterdam,  1756,  in-f,  XII).  Lié  avec  Ferretti,  Minut,  vivant  sans  cesse 
avec  les  anciens  élèves  de  Padoue,  j'ai  cru  pouvoir  le  placer  au  milieu  d'eux 
quoiqu'il  ne  soit  pas  sûr  qu'il  ait  étudié  en  Italie.  Il  finit  ses  jours  à  Turin  en 
1566.  Pour  son  nom  (Govcanus,  Govéan,  Gouvéan.  Gouvéa,  Govéa)  je  suis  l'ortho- 
graphe do  son  dernier  historien.  On  trouvera  dans  Mtignier,  op.  cil.,  p.  1.  une 
note  sur  cette  question. 

(3)  De  ScandallH.  Voir  texte,  ch.  X. 

(4)  Bayle.  art.  Govéa,  note  H. 

(5)  Sur  B.-  Vallée,  voir  note  de  Bûche,  dans  Revue  L.  /?  ,  1897,  p.  194-195,  qui 
donne  la  bibliographie. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  115 

grammes  'i^  le  clisli(jiie  suivant  :  «  Pendant  qu'il  tonne,  Vallée 
s'enfuit  dun  pied  rapide  au  fond  de  son  cellier,  au  cellier  il 
ne  croit  pas  qu'il  y  ait  un  Dieu  ».  Vallée  fut  très  froissé  et 
il  répondit  par  ce  distique  :  «  Antoine  Govéan,  lils  de  marran, 
ne  croit  pas  qu'il  y  ait  de  Dieu  ni  au  cellier  ni  au  ciel '^'  ». 
Govéan  étant  originaire  de  Portugal,  il  était  tout  naturel  que 
Vallée  l'accusât  d'être  fils  de  marran  '3);  mais  il  est  difficile  de 
savoir  au  juste  ce  que  vaut  l'accusation  d'athéisme  (^).  De 
pareilles  piqûres  pouvaient  alors  être  mortelles.  Rabelais 
le  sentit  et,  s'interposant,  il  les  plaisanta  l'un  et  l'autre  : 
«  Quand  les  enfants  voient  leur  père  en  colère,  ils  accourent 
tout  droit  au  sein  de  leur  mère,  sachant  bien  qu'il  y  a  plus 
de  douceur  au  giron  de  leur  mère  qu'il  ne  peut  y  avoir  de 
colère  au  cœur  de  leur  père.  Ainsi  lorsque  Jupiter  irrité  fa'it 
mugir  le  ciel,  Govéan  se  réfugie  dans  le  sein  de  l'antique  mère. 
Le  sanctuaire  de  l'antique  mère,  c'est  le  cellier.  Aucun  heu 
ne  peut  être  plus  sûr  pour  ceux  qui  craignent  la  foudre.  Car 
c'est  la  tour  de  Pharos,  les  monts  Acrocérauniens  et  les  chaînes 
élevées  que  frappe  la  foudre  de  Jupiter;  mais  pour  les  ton- 
neaux cachés  dans  les  celliers  souterrains,  elle  ne  les  frappe 
point  :  Bacchus  éloigne  la  foudre  '^'  ». 


(1)  Paru  chez  Gryphe  en  1539  (Heudiard,  Rabelais  en  Italie,  p.  2f70).  Gaullieur 
donne  pour  origine  à  cette  affaire  une  plaisanterie  de  Rabelais.  On  appelait  André 
Govéan  sinainvorus  (mange-moutarde).  Rabelais  avait  inséré  dans  le  catalogue  de 
la  bibliothè(iue  de  Saint-Victor  (II,  7)  un  ouvrage  imaginaire  intitulé  :  «  De 
Moutarda  post  prandium  servienda);  ce  serait  pour  venger  son  frère  et  frapper 
un  ami  de  Ral)elais  qu'Ant.  Govéan  fit  cette  épigramme  :  «  Dum  tonat.  in  cellas 
propero  i>ede  Vallius  imas  |  Confugit  :  in  cellis  non  putat  esse  Deum  ■>.  Le  distique 
se  trouve  dans  l'édition  des  œuvres  de  Govéan,  de  Rotterdam,  à  la  page  682  : 
Opéra  iuridlca,  philologica.  phUoaophica.  Rotterdam,  in-f",  Beman.  1766:  Epi- 
gram.  lib.  I,  XVI. 

(2)  Anton!  Goveane  tua  est  marrana  propage  |  In  Cœlo  et  in  cellis  non  putat 
esse  Deum. 

(3)  Sur  ces  juifs,  voir  le  chapitre  précédent.  Selon  Gaullieur,  du  reste,  le  père 
de  Govéan  était  un  .iuif  converti. 

(4)  Voir  aussi  sur  cette  affaire  Bayle.  art.  Gouvéa,  note  H:  et  Heulhard,  Rabe- 
lais en  Italie,  p.  270-272. 

(5)  Six  distique>  latins  cités  par  Dezeimeris,  op.  cit.,  p.  541,  et  par  Heulhard, 
Rabelais  en  Italie,  p.  27-2,  d'après  un  manuscrit  italien. 


I 


11(5  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

«  \'al]ée  en  fut-il  quille  pour  si  peu  ?  je  n'oserais  l'affirmer 
et  ce  fut  peut-être  par  prudence  qu'en  1539  il  fonda  de  ses 
deniers  au  collège  de  Guyenne  une  leçon  de  théologie.  Pour 
un  prétendu  athée,  cette  fondation,  qui  tomba  dans  la  suite, 
a  tout  l'air  d'un  tour  de  Panurge  à  l'adresse  de  Govéan^i)  ». 
J-îriand  \'a!lée  nous  est  suspect  pour  d'autres  raisons  encore 
que  ses  relations  et  l'accusation  de  Govéan.  En  1535,  il  avait 
séjourné  quelque  temps  à  Nérac;  son  fils  Nicolas  fui,  en  1569, 
condamné  à  mort  comme  protestant  (2).  Buchanam  lui  a 
adressé  en  faveur  d'une  entremetteuse  une  apologie  qui  fait 
plus  d'honneur  à  l'esprit  de  Buchanam  qu'au  caractère  du 
président  W.  On  m'excusera  de  ne  pas  la  reproduire  ici  —  elle 
est  très  longue  du  reste;  —  mais  après  avoir  invoqué  en  faveur 
de  sa  cliente  les  arguments  d'ordre  philosophique,  les  services 
rendus  par  les  entremetteuses  aux  amoureux,  aux  maris  et 
aux  célibataires,  aux  dieux  mêmes  de  la  mythologie,  il  insinue 
que  le  ((  tant  bon,  tant  vertueux,  tant  docte  et  équitable  prési- 
dent ('>)  »  connaît  mieux  que  par  ouï-dire  le  genre  de  services 
qu'elles  peuvent  rendre  : 

Adde  quod  est  Icvibus  non  impenetrabile  telis 
Cor  libi  :  sensisti  tu  quoque  quid  sit  amor. 

Quae  \ita  animi  miserande,  fuisset 

Tuia  tibi,  si  fidam  lena  negasset  opem  ? 
Olim  tu  quod  eras,  alios  nunc  esse  putato. 

Buchanam,  Ant.  Govéan  et  Briand  Vallée  avaient  alors  pour 
confrère  Robert  Breton.  Né  à  Arras,  il  devint  professeur  au 
collège  de  Guyenne  en  1534.  Je  ne  sais  où  il  avait  fait  ses  études, 
mais  il  faisait  partie  des  admirateurs  de  Cicéron  qu'il  défendit 
contre  les  attaques  de  Malhias  Itterius  ^^).   Il   était  lié  avec 

(1)  DEZEIMERI8,  Renaiss.  à  liordraur.  p.  5'.1:  p.  23  du  tirage  spécial. 

(2)  Gaulliet;r,  Ilintoire  du  cdIU'oc  de  Guyenne,  p.  157-158. 

(3)  Ad  Briaiidum   Vallium  Sénat.   lnii-dlR.  pro  Lena  apologia   {ELc(jiiirnin  Ubcr, 
p.  318  à  322). 

tf,)  Rabelais.  IV,  37. 

(.5)  Defenslo  Clceronls  contra  yf(\t}i.   llterium.  en  tête  de  ses  Orationes  ipinluor. 


LES    FKANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  117 

V'oulté,  Arnold  Fabrice,  admirateurs  de  Dolel,  et  avec  Dolel 
lui-même  ^^K  II  correspondait  avec  Boyssonné.  Comme 
Buchanam,  Robert  Breton  faisait  pour  le  collège  des  mora- 
lités. Son  De  uirtute  et  voluptate  et  paterno  amore  est  imprimé 
à  la  suite  d'un  petit  traité  de  rhétorique  (2)  du  même  auteur, 
sous  la  date  de  1544,  à  Paris,  mais  l'auteur  dit  dans  sa  préface 
que  la  moralité  a  été  jouée  autrefois  à  Bordeaux'-).  Le  traité 
de  rhétorique  est  dédié  à  Jean  Morin,  lieutenant  civil  de  la 
prévôté  de  Paris  et  la  raison  en  est  assez  curieuse  :  <(  Lorsque, 
dit-il,  ma  situation  était  telle  que  je  courais  de  grands  dangers, 
surtout  —  par  suite  de  l'envie  funeste  de  certains  —  pour  ma 
vie  même,  j'ai  pensé  qu'il  me  fallait  écrire  quelque  chose 
sur  le  moyen  d'acquérir  quelque  éloquence,  en  partie  pour 
remédier  un  peu  à  ma  douleur,  en  partie  pour  te  féliciter 
de  ta  justice  ».  11  lui  dédie  donc  ce  livre  comme  un  témoi- 
gnage de  sa  reconnaissance  et  à  l'intention  de  son  fils  qui 
arrive  à  l'âge  où  ce  traité  peut  lui  être  utile  t^>.  Ainsi  il  avait 
failli  être  mis  à  mort  vers  1542-1543.  Nul  doute  que  ce 
fût  pour  délit  d'opinion.  Il  nous  est  impossible  de  savoir  s'il 
était  seulement  protestant  ou  «  Hbertin  ». 

La  moralité  n'est  pas  d'un  gros  intérêt.  Les  personnages  en 
sont  encore  allégoriques  et  représentent  la  vertu,  l'amour 
paternel,  l'avarice.  La  seconde  partie  elle-même,  qui  est  un 
dialogue  moral  entre  plusieurs  épicuriens  chantant  le  règne 


(1)  Sur  Breton,  voir  Gaullieur,  op.  cit.,  p.  84  à  86;  Dezeimeris,  op.  cit.,  p.  540; 
Britanni  episl.,  n°«  2,  3,  5. 

(2)  Rob.  Breton,  De  ratione  conscquendœ  eloquentlœ  liber  :  cui  adjunctum  est 
jocosum  flctis  introductis  personnis  et  rerum  simnlachris  de  virtute,  et  voluptate 
et  paterno  amore  in  Uberos  colloquium  studiosis  discendis  adolescenttbus  peruttle, 
Parisiis,  apud  Lud.  Grandinum,  1544. 

(3)  Hoc  quidem  totum  quondam  Burdigalae  actum  est/  7(/';i.- .  sed  res  postea 
plurlbus  Immutatis,  sublatis  etiam  actibus  et  magna  ex  parte  vei"sibus.  ad  collo- 
quium est  redacta  (.\rgumentum,  p.  29). 

(4)  Quum  is  mearum  rerum  esset  status  ut  cum  de  caeteris  rébus  multis  tum 
maxime  propter  nonnuUorum  funestam  invidiam  de  vita  periclitarer.  putavi 
mihi  de  ratione  consequendse  eloquentise  scribendum.  —  Dédicace,  p.  2  :  viro 
praeclarisslmo  Joanni  Morino,  rerum  capitalium  supprœfecto  parisiensi  pruden- 
tissLmo  Ce  .Jean  Morin  est  mort  avant  octobre  1553.  InHiuiatton.<i  du  ChâteleP, 
no  4910. 


118  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

do  la  volupté,  resie  vague.  Mais  voici  pourtant  une  page  où 
j'ai  de  la  peine  à  ne  pas  voir  la  manière  et  les  idées  des  u  lucia- 
nistes  »  de  1540.  Xantippe,  parlant  de  sa  femme  :  «  Je  vais 
dire  ce  qui  en  est.  Toutes  les  femmes  se  croient  des  Minerves 
et  on  nen  a  jamais  vu  une  qui  ne  se  vantât  d'avoir  une  bouche 
dor(^).  Sûrement  (luelle  est  d'or,  si  toutefois  le  bavardage 
suffit  à  la  rendre  doi'.  Pour  celle-ci  dès  qu'elle  met  un  peu 
d'ardeur  à  disputer,  dieux  !  quels  tonnerres  éclatent  subi- 
tement !  Je  la  crains  plus  que  la  foudre  de  Jupiter.  Et  en  cela 
je  suis  prudent,  car  Jupiter  du  liant  du  ciel  avec  sa  foudre 
ne  ma  jamais  fait  de  mal.  mais  celle-ci.  toutes  les  fois  que  j'ai 
reçu  sa  main  dans  le  dos,  combien  dure  je  l'ai  sentie,  combien 
raide  !  Je  ne  mens  pas.  on  peut  le  voir,  regarde,  je  suis  presque 
bossu  par  les  coups  :  te  parais-je  agir  sottement  en  lui  témoi- 
gnant plus  de  crainte  qu'à  Jupiter  ?  ».  Et  plus  loin,  quand 
Cornelia  va  redemander  à  Hai-pagon  la  fille  de  Philon,  elle 
l'en  prie,  ((  par  l'amitié  qui  les  unit,  par  les  dieux  qui  les  ont 
amenés  à  cette  amitié  ».  E't  Harpagon  lui  répond  :  «  De  quelle 
amitié,  de  quels  dieux  me  parles-tu  »  ? 

Evidemment  Harpagon  est  le  mécliant  homme  de  la  pièce 
et  les  paroles  de  Xantippe  ne  sont  que  plaisanteries.  Mais  si 
l'on  se  souvient  que  11.  Breton  était  ami  de  Dolel.  de  Boys- 
sonné  '2),  de  Bi'iand  \'allée  et  de  Govéan,  c'est-à-dire  des  plus 
hardis  parmi  les  novateurs,  que  ces  deux  amis  à  cette  époque 
précisément  se  reprochaient  mutuellement  leur  peur  du  ton- 
nerre et  leur  athéisme,  que  surtout  ce  même  B.  Breton  a  failli 
êtie  condamné  à  moi-t  pour  hérésie,  peut-être  n'est-il  pas  exa- 


ct) Est-ce  une  allusion  à  saint  Jean  Chrysostome  ? 

{•i)  Pour  Diîlet  et  Boyssonné  :  Boyssonné,  Lettres  {Revue  L.  /?..  n»  -K,  1S96, 
p.  361),  lettre  do  1537  où  11  annonce  à  R.  Breton  que  Voulté  vient  de  partir  pour 
Lyon  afin  de  secourir  Dolet.  Suivent  deux  lettres  de  Breton  k  Boyssonné;  —  et 
R  BRETON,  Ei'i^tnl  Ul>ri  III.  Toulous<'.  1536.  f"  H  v»  :  lettres  à:  Dolet.  où  il  lui 
dit  qu'il  la  défendu  contre  ses  détracteurs:  et  posxim,  nombreuses  lettres  à  Dolet, 
Boyssonné,  Briaml  Vallée    Marand. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  1  ]  9 

géré  dy  voir  dei^  sous-entendus  qui  rangent  R.  Breton  à  côté 
de  Rabelais  et  de  Des  Periers  t^'. 


Ainsi  le  centre  humaniste  de  Bordeaux  nous  est  bien  sus- 
pect :  Briand  \  allée,  Rabelais,  du  Ferron,  R.  Bi-etoii, 
Buchanam  ont  partie  liée,  se  soutiennent  et  se  protègent  au 
besoin.  Ils  soutiennent  de  même  leurs  amis.  En  1538,  J.  C. 
Scaliger,  médecin  à  Agen,  est  poui'suivi  pour  luthéranisme. 
Sarrazin,  son  ami  et  précepteur  de  ses  enfants,  ayant  été  deux 
ans  plus  tôt  inquiété  par  l'Inquisition,  avait  pris  la  fuite. 
François  P''  eut  la  bonne  idée  de  mettre  cette  affaire  entre 
les  mains  de  Briand  \'allée  et  de  du  Ferron  :  ils  blanchirent 
Scaliger  à  la  barbe  de  l'Inquisiteur  f^).  Mais  Rabelais  a  porté 
contre  lui  une  grosse  accusation  :  il  en  fait  un  athée.  Il  écrit 
à  Bernard  de  Salignac,  de  Lyon,  en  1532(3)  :  «  J'ai  appris 
d'Hilaire  Bertulphe,  mon  ami  intime,  que  tu  prépares  je  ne 
sais  quoi  contre  les  calomnies  de  Jérôme  Aléandre  que  lu 
soupçonnes  d'avoir  écrit  contre  toi  sous  le  masque  d'un  faux 
Scaliger.  Je  ne  veux  pas  te  laisser  plus  longtemps  dans  l'incer- 
titude ni  dans  cette  erreur.  Scaliger  hii-méme  existe;  il  est 
de  Vérone  (^),  de  cette  famille  exilée  des  Scaliger  et  exilé  lui- 
même.  Pour  le  moment  il  exerce  la  médecine  à  Agen.  Je  le 


(1)  Voir  cependant  à  rencontre  de  cette  thèse  Gailueur,  op.  cit.,  p.  114,  qui  le 
donne  comme  un  catholique.  Mais  Gaullieur  ignore  la  dédicace  à  Jean  Morin.  qui 
est  décisive.  Je  ne  parle  pas  du  discours  de  R.  Breton  sur  la  philosophie  (1536),  où 
il  fait  un  éloge  très  enthousiaste,  mais  sans  originalité,  de  cette  science.  Il  met 
du  reste  —  est-ce  une  précaution  ?  —  la  théologie  au-dessus  de  la  philosophie. 

(2)  nevue  L.  R..  1S97,  p.  195;  Gaxjllieur,  Histoire  du  collège  de  Guyenne,  p.  157- 
158. 

(3)  Revue  des  Etudes  Rabel..  1905,  p.  12:  1906,  p.  29  et  suiv.  D'après  le  D'  Santi. 
qui  résume  dans  cet  article  les  études  de  Ziesing  et  de  Heulhard,  cette  lettre 
serait  adressée  à  Erasme  que  Scaliger  avait  pris  à  partie  en  faveur  de  Dolet,  et 
qui  avait  soupçonné  Aléandre  d'être  l'auteur  de  cette  attaque.  La  lettre  de  Rabe- 
lais serait  de  décembre  1531. 

Cl)  Les  Scaliger  sont  en  effet  des  italiens  bien  connus.  Je  place  ici  cependant 
l'étude  sur  Jules  César  parce  que  le  témoignage  de  Rabelais  est  sujet  à  caution 
et  que  cette  page  est  surtout  destinée  à  exposer  les  idées  de  P.  Rufus.  Ce  dernier 
a  sa  place  toute  indiquée  ici  à  cause  de  ses  relations  et  de  son  goût  pour  l'aristo- 
télisme,  bien  que  j'ignore  oîi  il  a  lait  ses  études. 


120  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

connais  bien;  il  n'a  pas  bonne  répulalion,  par  /eus,  ce  calom- 
niatcLir;  comme  médecin  il  n'est  pas  maladroit,  mais  pour  le 
reste  absolument  athée  comme  personne  ne  le  fut  f^)  ». 

Rabelais  était-il  jaloux  de  son  confrère  en  médecine  (2)  ? 
C'est  la  thèse  du  docteur  Sanli.  Mais  Rabelais  avait-il  à  crain- 
dre sa  concuiTence  ?  Peut-être  cependant  faul-il  restreindre 
l'accusation  de  Rabelais.  Scahger  n'était  pas  athée  sans  doute, 
mais  il  était  averroïste,  étant  élève  de  Padoue;  voici  son  propre 
aveu  :  «  J'ai  suivi  le  système  d'Averroès,  parce  que  j'ai  été 
forcé  de  jurer  par  les  paroles  de  cet  homme  par  mes  profes- 
seurs :  Buccaferrea.  Pierre  Pomponazzi,  Zimara,  Tiberio, 
Xipho,  qui,  je  l'avouerai  simplement,  renvoyaient  plus  souvent 
Aristole  à  Averroès  que  celui-ci  à  celui-là  t^)  ».  Quoi  qu'il  en 
soit  de  l'accusation  de  Rabelais,  le  fils  de  Scaliger,  Joseph, 
le  donne  au  contraire  comme  un  apôtre.  Il  aurait  converti  un 
athée  d'Agen,  Pelrus  Rufus  (^).  Ce  Rufus  était  conseiller  à 
Agen  «  au  temps  où  Muret  enseignait  au  collège  de 
Guyenne  »,  c'est-à-dire  vers  1550  f^).  «  Il  était  très  cher  à  Sca- 
liger, à  cause  de  sa  science,  étant  excellent  péripatélicien  et 
très  savant  jurisconsulte,  mais  il  était  atteint  de  cette  maladie  » 
(l'athéisme).  Son  ami,  «  qui  brûlait  d'une  haine  impitoyable 
contre  les  athées,  si  nombreux  en  ce  siècle,  n'eut  pas  de  repos 
qu'il  n'eût  amené  ce  Rufus  à  de  meilleurs  sentiments,  l'invi- 
tant à  diner,  le  harcelant  de  discussions,  l'adoucissant  par 
ses   prières,    lui  donnant  à   lire   le  De   Perenni  philosophia 


(1)  Cette  dernière  phrase  est  en  grec. 

'2)  J.  C.  Scaliger  l'a  bien  rendu  à  Rabelais.  Voir  dans  lievue  des  Etudes  Rabel., 
lîK»  et  1906,  un  article  du  D""  Santl,  où  il  analyse  avec  beaucoup  de  .sagacité 
un  poème  latin  de  Scaliger,  écrit  entre  1553-1558,  où  Rabelais,  sous  un  nom  d'em- 
prunt, est  accusé  d'athéisme  :  bis  monachus  tandemque  atheos. 

f3)  Kxotrricamm  exercitaUonum  liber  1'"',  Paris,  Vascosan,  1557,  Préface.  —  En 
LW),  Cardan  l'accuse  aussi  par  écrit  d'être  averroïste.  Voir  le  texte  —  assez 
curieux  —  dans  Charbonnel,  op.  cit.,  p.  LVir-Lvm,  appendice  VIII. 

(i)  Pierre  Roux,  I,e  Roux,  Roussel,  Rousseau  ?  —  M.  le  Conservateur  des  archives 
d'Agen  (pii  a  bien  voulu  faire  des  recherches  sur  ce  personnage  n'a  i)u  arriver  à 
aucun  résultat.  Il  y  a  aussi  des  Huffl  italiens  en  France  au  XVII«  siècle  (Bayle. 
art.  Ruffl). 

(5)  J   Scninjrri  riHslol..  p.  M-ii. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  121 

(î'Agostiuo  Sleiu'o  i)our  raiiieiier  à  h\  vraie  connaissance  de 
Dieu.  Car  il  ne  put  jamais  obtenir  de  Hul'us  qu'il  lût  la  Bible 
dont  son  esprit  avait  horreur.  Et  cette  lecture  (d'Agostino 
Sleuco)  plut  tellement  à  Rufus  qu'il  se  tourna  tout  entier  vers 
létude  de  la  théologie.  Il  y  ht  de  tels  progrès  que  personne 
ne  mit  plus  d'ardeur  à  défendre  la  vraie  religion  et  à  combattre 
l'athéisme,  car  c'était  un  disputeur  très  vif  et  très  pénétrant. 
Et  Scaliger  guérit  de  ce  mal  non  seulement  ce  très  célèbre 
Rufus,  mais  aussi  quelques  demi-savants  (^^  ». 

Le  disciple  le  plus  fidèle  de  Padoue  et  le  chef  du  Cicéronia- 
nisme  français,  c'est  Et.  Dolet.  Personne  ne  peut  se  flatter  de 
rien  ajouter  désormais  aux  études  si  documentées  de  Boulmier 
et  Copley  Christie,  et  pourtant  je  vais  à  mon  tour  examiner 
sa  doctrine.  11  est  le  seul  des  padouans  français  dont  l'œuvre 
soit  assez  vaste  pour  supporter  un  examen  étendu  sur 
les  diverses  questions  débattues  à  Padoue  depuis  Pomponazzi. 

«  Et.  Dolet  était  un  enfant  de  la  pure  Renaissance  italienne, 
et  il  l'était  véritablement  plus  qu'aucun  des  savants  que  la 
France  a  produits  (2)  ».  Sans  doute,  mais  son  incrédulité  a 
d'autres  sources.  Vers  l'âge  de  seize  ans,  il  a  suivi  les  cours 
de  \icolas  Bérauld,  le  commentateur  et  éditeur  de  Lucrèce, 
de  Pline,  de  Lucien*^).  En  Italie,  il  a  entendu  les  leçons  de 
J.-B.  Egnazio  sur  le  VIP  livre  de  Pline  et  sur  Lucrèce;  il  s'est 
enrôlé  parmi  les  cicéroniens  et  non  seulement  il  a  toujours 
été'le  défenseur  de  Cicéron.  mais  ses  ouvrages  montrent  qu'il 
le  connaissait  parfaitement.  Les  citations  de  ses  commen- 
taires en  sont  tirées  pour  la  plus  grande  partie.  J'ai  eu  la 
curiosité  de  relever  les  citations  de  Cicéron  là  où  elles  sont  le 
moins  attendues  :  dans  le  De  Re  navali.  Au  cours  des  30  pre- 

(1)  /.  ScalUjeri  epist.,  I,  i.  Ad  nobilis.  Janum  Doussam  Dominum  a  Nord- 
wijck,  etc..  p.  45-4fi  de  Véd.  de  1627.  La  lettre  est  datée  de  Leyde,  le  19  décembre 
1593. 

(2)  CoPLEï  Christie,  Et.  Dolet,  ch.  I,  p.  7. 

(3)  Luciann...  autore  omnium  maxime  didaci  et  convitioso,  religionls  expert!, 
Dei  ignaro  et  ad  omnla  tum  sacra,  tum  profana  ridenda  projecto  [De  Iniit.  Cicer., 
p.  89). 


122  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

mières  pages  jen  ai  compté  33,  autant  au  moins  que  de  cita- 
tions de  César  ou  de  Virgile.  Cliose  remarquable,  jusque  dans 
ce  lexique  de  termes  de  marine,  c'est  le  De  Natura  Deorum  et 
le  De  Divinalione  qui  fournissent  le  plus  d'exemples  '^).  Il 
suffit  de  parcourir  ses  livres  de  philosophie  pour  constater  à 
quel  point  il  en  était  pénétré.  Il  me  semble  donc  que,  si  c'est 
en  Italie  (juil  a  pris  les  germes  de  l'incrédubté,  c'est  à  la 
lecture  des  anciens  (ju'il  les  a  développés  '2)  et  (jue  son  génie 
tout  de  clarté  tient  de  Cicéron  plus  que  de  Pomponazzi. 

Il  n'est  pas  douteux  cependant  que  lorsqu'il  arriva  de 
Padoue  il  avait  fixé  son  attitude  en  face  des  problèmes  reli- 
gieux. Xous  en  avons  la  preuve  daas  les  deux  discours  «juil 
prononça  à  Toulouse  lors  des  émeutes  de  1533  '3).  Le  premier 
est  assez  modéré,  sinon  dans  le  ton  ^  (jui  sent  le  jeune  étudiant 
frais  sorti  de  rhétorique,  —  du  moins  pour  les  idées.  Seule 
la  fin  où  il  exhorte  ses  camarades  à  rechercher  la  gloire  peut 
nous  rappeler  l'Italie''^).  Le  deuxième  discours  est  bien  plus 
violent.  Son  adversaire  Pinachus  lui  reproche  surtout  d'être 
cicéronien  et  d'avoir  étudié  en  Italie  5).  Mais  Cicéron  n'est-il 
pas  le  plus  grand  des  orateurs  ?  Quant  à  l'autre  reproche, 
non  seulement  on  le  traite  de  transfuge  sous  j)i'élexte  que.  né 
en  France,  il  a  été  élevé  en  Italie,  mais  surtout  la  fréquentation 
continuelle  de  Simon  de  Neufville  l'a  rendu,  dit-on,  hargneux 
et  violent.  El  bien  !  oui,  il  a  été  l'élève  aimé  de  Simon  de 
Neufville.  D'aboid  i)()iuquoi  Pinachus  s'attaque-t-il  à  un  mort, 

(1)  Six  rlu  De  Divlnatione,  p.  5,  10,  23,  26.  28,  30;  sept  du  De  Natura  Deorum.  p.  5 
'2  citations),  9  (2  citations),  16,  17,  25. 

(2)  M.  Blusson,  que  nous  devrons  contredire  tout  à  l'heure,  semble  dire  aussi 
que  c'est  surtout  les  anciens  qu'il  a. étudiés  en  Italie  :  «  A  une  heure  où  la  lutte 

s'engageait   nettement   entre   l'Kfïlise  et  la  Réforme ,    il   prend    parti   pour  les 

anciens,  c'est-à-dire  contre  les  catholiques  et  les  protestants....  Il  parle  la  langue 
franchement  païenne  qu'on  parlait  à  Rome  Impunément  sous  Léon  X  et  qu'on 
parla  en  France  au  temps  de  Voltaire  »  iCasIcltioii,  I.  p.  'il).  MOme  idée,  p.  '16,  à 
propos  de  son  profe.s.seur  Simon  de  Neufville. 

f3)  Voir  le  récit  de  Coclky  Ciiristik,  ch.  IV  et  V.  Les  deux  discours  furent 
prononcé-s,  le  premier  le  9  rKtohre  1533.  le  second  entre  le  20  novembre  1533  et  le 
26  janvier  1534.  Copley  Chrisiie  les  analy.se,  p.  100.  Ils  furent  publiés  chez  Gryphe, 
où  Dolet  était  correcteur    fin  aortt  153'». 

(/j)  Oratio  lu  Thninxnm  /»,  p.  21. 

(5)   UraHo   in   rholosaiu   /'»,    [i    39. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  123 

qu'il  esl  inutile  de  défendre  depuis  que  Longueil  en  a  fait  un  si 
bel  éloge  ?  Et  puis  d'avoir  été  l'élève  de  Simon  de  Neuiville,  il 
s'en  glorifie  :  car,  dit-il  en  reprenant  la  belle  phrase  qui  com- 
mence le  Pro  ArcJiia,  s'il  a  quelque  éloquence,,  c'est  à  Neuf- 
ville  qu'il  le  doit.  Quant,  à  la  violence  ([u'on  lui  reproche, 
c'est  celle  qu'ont  eue  les  grands  cœurs  devant  les  grands  abus. 
A  ce  compte,  Démosthène,  Cicéron,  Horace,  Juvénal  méritent 
le  même  reproche. 

Qui  ne  bondirait  d'indignation  en  voyant  l'intolérance  de 
Toulouse  envers  Boyssonné,  Pac,  Bunel,  Jean  de  Caturce, 
Gribaldi,  et  son  obstination  à  traiter  de  luthériens  tous  ceux 
qui  sont  intelligents  ?  Oui  ne  se  révolterait  de  voir  à  quelles 
superstitions,  «  dignes  des  Turcs  »,  elle  est  encore  asservie  ? 
'(  Car  est-ce  autre  chose  que  cette  cérémonie  qui  a  lieu  chaque 
année  à  la  fêle  de  Saint  Georges,  alors  qu'on  fait  entrer  des 
chevaux  dans  l'église  Saint-Etienne,  qu'ils  en  font  neuf  fois 
le  tour  pendant  qu'on  officie  solennellement,  afin  d'obtenir 
des  grâces  pour  eux  ?  Est-ce  autre  chose  que  cette  cérémonie 
qui  consiste  à  jeter  une  croix  dans  la  Garonne  en  un  jour 
désigné,  comme  si  l'on  voulait  se  rendre  propice  un  Eridan, 
un  Danube,  un  Nil,  ou  même  le  vénérable  père  Océan...  ! 
Est-ce  autre  chose  que  de  la  superstition  que  de  faire  promener 
par  des  enfants  les  troncs  pourris  de  certaines  statues  dans 
toute  la  ville,  quand  la  chaleur  de  l'été  fait  désirer  la  pluie  'i)  »  ! 

Sans  doute  donc  Dolet  est  un  padouan.  Mais  M.  Buisson 
me  .semble  exagérer  quand  il  conclut  de  ces  textes  que  Dolet 
s'y  montre  «  fidèle  à  l'esprit  de  l'université  de  Padoue,  c'est-à- 
dire  au  pur  paganisme  ^2)  „  Ces  hardiesses  ne  dépassent  pas 
celles  des  protestants  et  sont  atténuées  par  une  profession  de 
de  foi  chrétienne. 

Il  n'était  pas  protestant  cependant,  et  dès  1535  il  est  très 
visible  (fuil  a  dépassé  la  position  de  la  Réforme.  Son  De  Imi- 

(1)  p.   57;    tiad.    ChriSTIE,    p.    105-106. 

(2)  Ca>>telUon,  1,  p.  43. 


124  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

talioiu'  Ciccroniiuui  reprend,  outre  la  théorie  du  cicéronia- 
nisiiie.  la  thèse  que  nous  avons  déjà  vue  agitée  entre  Bunel 
et  Sadolel  :  il  faut  laïciser  la  littérature.  On  y  arrivera  d'abord 
en  laïcisant  la  langue  de  l'Eglise.  Les  mots  <(  Eglise,  apôtres, 
évèques.  catholique,  schisme,  dogme  »  et  tant  d'autres  ne  sont 
pas  dans  Cicéron.  Il  faut  leur  chercher  des  équivalents.  Ne 
pourrait-on  pas  dire  par  exemple,  «  au  lieu  de  l'Eglise,  cité 
ou  république:  au  lieu  de  pape,  flamine  de  Jupiter;  au  lieu 
de  cardinaux,  pères  conscrits:  au  lieu  de  diable,  syco- 
phante  (^)  »  !  Certes,  ce  serait  bien  amusant.  Et  cela  n'est  pas 
bien  méchant  ni  nouveau.  Il  y  avait  seize  ans  que  Longueil 
avait  proposé  la  môme  l'éforme  et  elle  semble  avoir  été  le  rêve 
des  cicéroniens  (2). 

-Mais  voici  qui  est  plus  grave  (3).  H  faut  aussi  laïciser  la 
lilléi'alure  elle-même.  Thomas  Alorus.  lun  des  interlocuteurs, 
se  plaint  que  Longueil  n'ait  pas  consacré  son  talent  à  la  défense 
de  la  foi.  Comme  si  cela  servait  à  quelque  chose  !  riposte 
Simon  de  Neufville  qui  défend  Longueil.  A  quoi  ont  servi 
tous  ces  écrits  dédification  ou  de  polémique  don!  les  luthé- 
riens inondent  l'Eglise  depuis  quelf|ue  mois?  «  Y  a-t-il  quel- 
qu'un qui  prétende  par  ses  écrits,  ses  avis,  ses  exhortations', 
fair-e  embrasser  la  tlocti-ine  chrétienne  à  ceux  que  la  volonté 
de  Dieu  n'a  pu  y  amener  ?  ».  Ainsi,  cette  force  céleste,  la 
grâce,  est  trop  faible,  si  Erasme  et  (juelques  autres  théologiens 
de  son  espèce  n'y  mettent  la  main  ?  Ainsi,  lès  épîtres  de  Paul 
et  les  travaux  des  Pères  sont  insuffisants  ?  «  O  varias  honiuium 
mentes  !  O  pedora  cœca  »!  Et  à  quoi  ont  abouti  les  livres  de 
Luther,  de  Zwiiigle,  d'Oecolampade,  de  Bucer,  d'Erasme,  de 
Lambert  et  de  Farci,  sinon  à  ruiner  les  dogmes  qu'ils  préten- 
daient défendre  ! 


(1)  Dr  linitnllr)iir  Cicerori..  p.  17'i. 

(2)  oraHf,  iterdullionis  rei,  Florence,  I52'i  (écrite  on  1519).  Voir  Simar,  Ch.  de 
Loiifiiifil.  (h.  IX.  Sur  cet  ;i.'ip(>ct  du  clcéroniaiiisme,  voir  Amikl.  Eiasinc,  Paris 
1889;  BoiLMiE.R,  DcAet,  ch.  VI:  R.  Sabbadim,  Stnria  del  Ciceroniasmo,  Torlno.  1886. 

(3*  .\ou>  avrns  noté  la  première  e.xpressidii  de  celte  idée  dans  Sadolel,  ch    III. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IBÉES  125 

Nous  arrivons  ici  à  la  pensée  secrète  d'Etienne  Dolet.  S'il  ne 
veut  pas  qu'on  s'occupe  des  dogmes,  c'est  de  peur  qu'on  ne 
les  délruise  en  les  louchant.  Ces  dogmes  sont  si  fragiles  que 
les  remuer,  c'est  les  briser;  si  misérablement  élayés  que  la 
raison,  si  on  l'y  applique,  les  renverse,  et  que,  dès  qu'on  ne 
les  regarde  plus  avec  les  yeux  de  la  foi,  on  les  méprise.  «  En 
discutant  certains  articles  de  la  foi  chrétienne  et  ramenant 
tout  à  leur  volonté,  en  limant  pour  ainsi  dire  et  affinant  la  reli- 
gion, il  aiTive  que  beaucoup,  après  avoir  regardé  à  fond  les 
mystères  qu'auparavant  ils  révéraient,  les  méprisent,  les 
trouvent  sans  fondement  et  faux,  méprisent  la  religion  du 
Christ,  nient  que  Dieu  s'occupe  des  affaires  humaines,  pro- 
clament que  l'âme  ne  surfit  point  au  corps  et  croient  que  la 
mort  efface  tout,  qu'il  ne  demeure  aucun  sentiment.  Voilà  la 
plaie  de  notre  siècle  ;>,  et  c'est  la  curiosité  de  Luther  qui  l'a 
faite.  «  Ce  qu'on  connaît  mieux,  on  le  méprise'^'  ».  Voilà  en 
tout  cas  la  plaie  de  Dolet.  Comme  Bonaventure  Des  Periers, 
il  a  peut-être  «  goûté  l'Evangile  »  quelque  temps,  mais  bientôt 
tous  les  deux  ont  mis  dos  à  dos  luthériens  et  papistes  et  conclu 
de  l'âpreté  des  luttes  théologiques  au  néant  de  leur  objet. 

La  Providence,  l'Immortahté,  il  indique  lui-même  les 
dogmes  discutés.  Lui-même  y  a-t-il  cru  ?  Il  ne  parle  nulle 
part  de  la  Providence,  et  il  semble  bien  qu'il  l'a  remplacée 
par  le  Destin  des  anciens.  A  l'article  Fatum  de  ses  commen- 
taires, il  expose  les  idées  antiques  d'une  façon  si  personnelle 
que  je  crois  y  saisir  ses  préférences  secrètes.  «  Le  Fatum  est 
pour  les  Latins  ce  que  les  grecs  appellent  cjy.aûyiv/;,  c'est- 
à-dire  l'ordre  et  la  série  des  causes  dont  l'enchaînement  pro- 
duit toute  chose.  Voilà  la  vérité  éternelle  qui  coule  de  toute 


(1)  Christianae  persuasionis  tlum  capta  quœdam  discutiunt  et  omnia  ail  suam 
sententiam  nutumque  revocant,  dum  religionem  velimt,  elimant  et  iTerpoliunt,  flt 
profectxj  ut  introspectis  mysteriis  quae  reverebantur  antea,  multi  jam  multa  negli- 
gant  vanaque  et  commentltia  opinentui-,  Christ!  institutionem  despiciant.  Deum 
humaiia  curare  negent,  an  imam  corpori  non  superstitem  praedicent,  credantque 
omnia  morte  deleri  nec  ullum  sensum  manere.  Hanc  nostri  seculi  labem  et 
maculam  conflavit  explodenda  Lutheranorum  curiositas  qui...  notiora  (ut  huma- 
narum  est  reruni  notanim  fastidium  et  contempt.us)  aspernandi  ansam  dederunt 
(De  Imitât,  ciceron.,  p.  37).  II  continue  aux  pages  38  et  suiv. 


120  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

éleriiilé.  En  ce  cas,  rien  n'arrive  qui  n'ait  dû  arriver  et  rien 
ne  sera  dont  la  nalure  ne  contienne  les  causes  efficientes.  On 
comprend  donc  que  le  Fatum  est  la  cause  éternelle  des  choses, 
non  pas  à  la  manière  des  superstitieux,  mais  à  la  manière 
dont  l'entendent  les  physiciens,  la  raison  d'être  de  ce  qui  a 
élé.  de  ce  qui  est,  de  ce  qui  sera  '^^  ».  Puis  avant  de  donner 
des  exemples  de  l'emploi  de  ce  mot,  il  raconte  comment  lui 
—  qui  ne  croyait  pas  d'abord  à  la  puissance  du  destin  — 
est  obligé  d'y  croire  après  les  malheurs  qui  lui  sont  arrivés 
sans  ((u'il  le  mérite  et  même  il  fait  des  vers  en  l'honneur  du 
Destin.  Cette  rigueur  scientifique  et  harmonieuse  dans  l'en- 
chaînement des  causes,  ce  déterminisme  inflexible  qui  rem- 
place la  Providence,  nous  en  avons  trouvé  déjà  la  théorie  : 
c'est  celle  de  Pomponace.  précisément  dans  son  De  Falo  à 
moins  qu'elle  ne  soit  prise  à  Cicéron.  au  De  Divinatione,  dont 
Dolet  reproduit  les  propres  termes. 

Xaturcllement  quand  on  professe  cette  théorie,  on  ne  croit 
pas  aux  miracles.  Dolet  donne  des  miracles  la  même  définition 
que  Cicéron  et  Pompon azzi  :  «  Le  miracle,  c'est  tout  ce  qui  est 
de  natu?'e  à  provofjuer  notre  étonnement.  Quant  à  la  définition 
des  miracles,  que  les  chrétiens  applicpient  aujourd'hui  à  ce 
qui  est  digne  d'admiration,  les  anciens  ré.servaient  ce  mot  aux 
cho.ses  laides.  Car  pour  eux  les  miracles  étaient  mon.slres 
et  choses  horribles  '-'^'  ».  Ce  texte  est  de  1538.  Dès  1536  dans 
la  première  partie  de  ses  Commentaires  ^^\  à  l'article  «  />or- 
iciilum  ».   il  a  entassé  des  cilations  de  Cicéron  qui  laissent 


(1)  Fatum  id  appeUant  LaUni  qund  Graeci  iui.v.iiu.i-jf,v  :  Id  est  ordinem  seriemqiie 
causariim  ciim  causa  causa»  nexa  rem  ex  se  gig^nat.  Ea  est  ex  omnl  reternitate 
fluens  vorilas  spmpilprna  Qufxl  cum  ita  sit  nihil  est  factum  quna  non  futurnm 
fuerlt  :  eodemque  modo  nihil  est  futurum  cujus  non  causas  idipsnm  efficientes 
natura  contineat.  Kx  (juo  intelligitur  ut  fatum  sit  non  Id  quod  superstitiose  sed 
id  quod  physlce  dicitur  causa  aeterna  rerum,  cur  et  ea  qua;  praeterleriint  facta 
sint,  et  f|ua»  instant  fiant,  et  qu?e  serpiuntur  futura  sint...  (Comment,  ling.  lai.,  II, 
p.  Il(l6-ll(t7.  pain  en  153Ki.  —  Ua))proclicr  de  (U'ÉKON.  IJr  Dfvtnatiojic.  II,  2-2.  28, 
textes  cités  idus  haut.  p.  20.  noie.s  3.  'i. 

(2)  MIraculum  dicitur  quidquid  admirationom  .idfiMi-p  pilest.  Qua»  vero  Clirist-ani 
dlgna  admirafione  miracula  nunc  dlcunt  antiqui  in  rehus  turpibus  utebantur. 
Ponebant  enim  miracula  pro  monstris  vel  horrendis  {Comment,  ling  Int.,  II, 
p.  1300). 

(3)  P.  663 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  127 

deviner  sa  pensée  :  «  Rien  ne  peut  arriver  sans  cause,  el  rien 
n'arrive  qui  ne  soil  possible  :  et  s'il  arrive  ce  Cjui  a  été  possible, 
cela  ne  doit  point  paraître  un  présage.  Donc  il  n'y  a  pas  de 
présage...  (•>  ».  Aux  mots  coniicere  1,653),  coniector  (ibid.), 
auspicerc  (I,  056),  prœsentire  (I,  661),  vatidnari  (I,  664),  il 
insère  des  extraits  des  mêmes  livres  non  moins  significatifs. 
N'y  a-t-il  pas  là  un  procédé  habile  pour  se  masquer?  En  douze 
pages  de  commentaires  (653  à  665)  il  a  réussi  à  glisser  une 
grande  partie  du  De  Natura  Deoriim  et  du  IP  livre  du  De  Dwi- 
nalione,  car  il  a  soin  de  choisir  les  pages  où  Cicéron  attaque 
les  miracles  plutôt  que  celles  du  I"  livre  où  son  frère 
Ouintus  les  défend.  Encore  une  fois  n'est-ce  pas  un  subterfuge 
et  n'est-il  pas  logique  de  conclure  que,  de  même  que  Pompo- 
nace  se  cachait  derrière  Aristote  pour  attaquer  Hé  dogme, 
Dolet  s'abritait  derrière  Cicéron  ? 

Lui-même  du  reste  nous  a  dit  une  fois  sa  pensée,  mais  c'est 
en  vers  latins.  La  suprême  science,  c'est  de  connaître  les 
causes,  puisque  tout  a  une  cause  naturelle;  la  paix  de  l'àme 
est  à  ce  prix,  puisque  celui  qui  connaîtrait  toutes  les  causes 
connaîtrait  la  raison  de  tout  ce  qui  est  et  n'aurait  plus  aucun 
sujet  ni  de  s'effrayer,  ni  de  se  troubler.  Et  voici  ce  que  souhaite 
Dolet  à  son  fils,  en  des  vers  où  les  souvenirs  de  Virgile  se 
mêlent  à  ceux  de  Lucrèce'''^'  :  «  Avec  ces  connaissances,  tu 
mèneras  une  vie  tranquille,  sans  t'effrayer  d'aucun  présage; 
tu  croiras  que  tout  naît  de  la  puissance  souveraine  de  la  nature 

(1)  De  Divlnatione.  Il,  28. 

(2)  Dolet  vient  de  recommander  à  son  fils  l'étude  des  sciences  : 

His  notis  securus  âges  nec  territus  ullo 
Portento,  credes  generari  cuncta  sagacis 
Naturse  vi  prœstante  Imperloque  stupendo  : 
Naturaeque  ejusdem  dlssolvi  omnla  jussu. 
Felicem  nlmium,  rerum  si  noveris  ortus 
Et  causas  tam  multiplices,  guibus  horrida  multa 
Subjicias  pedibus  fremitumque  tonentis  Olympi. 
Ilaec  optata  Patris  cédant  tibi,  Gnate.  fruaris 
Ingenio  ut  tranquillo  semper.  seu  Mare  Terra 
Se»    Tellus   C?elo    mista    una   confundatur. 

{GenethUacum,  .\i  v",  paru  en  1539.) 


1:28  SOURCES  et  infiltrations 

ingénieuse  et  de  son  pouvoir  meiTeilleux  ;  el  que  la  même 
nature  l'ait  tout  mourir  à  sa  volonté.  Trop  heureux  si  lu  connais 
l'origine  et  les  causes  multiples  de  toutes  choses,  alin  de  pou- 
voir fouler  aux  pieds  les  phénomènes  terrifiants  et  le  murmure 
du  tonnerre  de  l'Olympe  »  ! 

On  sait  que  Dolet  fut  brûlé  pour  une  traduction  de  certains 
passages  de  VAxiochus  qui  fit  suspecter  sa  foi  à  l'immortalité. 
Ces  faits  sont  trop  connus  pour  que  nous  y  insistions  ici. 
Boulmier  et  .M.  Copley  Christie  ont  aussi  étudié  le  problème 
et  tous  les  deux  concluent  que  Dolet,  s'il  a  cru  à  l'immortalité, 
c'est  d'une  foi  bien  faible,  et  sans  être  fixé  sur  la  forme  de 
la  vie  future.  A  l'aiiicle  Anima  de  ses  Commentaires  il  donne 
d'abord  le  sens  étymologique,  selon  lequel  l'àme  serait  le 
souffle  de  nos  poumons  et  il  ajoute  :  «  Outre  cette  signification 
anima  est  employé  pour  exprimer  une  certaine  force  céleste, 
par  laquelle  nous  vivons,  nous  nous  mouvons  et  nous  sommes 
des  êtres  raisonnables.  Quelques-uns  à  la  vérité,  attribuent 
cette  force  au  sang,  et  d'autres  à  d'autres  parties  du  corps; 
les  uns  croient  qu'elle  est  mortelle  et  s'éteint  avec  le  corps, 
mais  d'autres  ont  assuré  qu'elle  est  immortelle  <i'  ».  Il  promet 
de  discuter  ces  questions  dans  son  De  Opinione. 

-Malheureusement  il  n'écrivit,  ou  du  moins  ne  publia  point 
ce  volume.  De  tous  les  textes  où  il  parle  de  l'immortalité,  il 
semble  qu'on  puisse  croire  qu'il  s'en  faisait  une  idée  toute 
particulière.  L'immortalité,  c'est  celle  du  nom  :  c'est  la  gloire. 
"  La  mort  est  terrible  pour  ceux  qui  doivent  mourir,  risible 
jioiir  ceux  qui  sont  immortels  :  c'est-à-dire  pour  ceux  que  la 
gloire  des  armes  ou  des  lettres  a  rendu--  célèbres.  Et  en  effet 
celui-là  pourra-t-il  mourir  pour  toujours,  qui  est  certain 
après  la  mort  de  vivre  toujours  par  la  gloire  acquise 
de  son  courage?  Pour  moi...  que  je  meure  si  rien  plus  que 
le  souvenir  de  la  mort  me  réjouit  el  m'anime  aux  armes  et 
aux  lettres.  Non  ]>u<  ([iic  je  désire  moui-ir...   mais  c'est  que 

(1)  Traduct.  Copley  Christie,  Dolet.  XXV,  p.  'iC3.  —  Comment,  lina    lativœ.  II. 
p.  413. 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  121) 

je  veux  vaincre  la  mort  et  acquérir  durant  ma  vie  une  vie 
immorlelle,  soit  par  les  armes  soit  par  les  lettres  w».  C'est 
cette  immortalité  qu'ont  acquise  tous  les  grands  écrivains  (2), 
C'est  celle  aussi  qu'il  donne  à  ses  amis  les  plus  chers,  à  Lon- 
gueil  en  particulier  : 

Setl  vixit,  neque  morte  uUa  extinguetur,  arce  tectus 
l^'omœ  micantis  noininisquo  magni  (3). 

C'est  celle  qu'il  rêve  pour  prix  de  ses  longs  travaux'^'.  Après 
s'être  plaint  du  labeur  accablant  que  lui  demandent  ses  Com- 
mentaires, il  ajoute  '^)  :  (c  i\Iais  ce  qui  me  console,  c'est  le  sou- 
venir et  le  respect  de  la  postérité...  C'est  une  brute,  non  un 
homme,  celui  qui,  comme  un  animal,  a  passé  sa  vie  dans  le 
silence  sans  laisser  de  monument  qui  dise  qu'il  a  vécu  et  qu'il 
n'est  pas  mort  pour  toujours...  Au  moins,  après  la  mort  de 
Budé,  d'Erasme,  de  Dolet.  on  dira,  si  nous  ne  recevons  pas 
d'autre  récompense  de  nos  immenses  travaux,  que  Budé, 
Erasme  et  Dolet  furent  enflammés  de  zèle  pour  la  vertu  et 
devinrent  célèbres  pour  leur  amour  des  lettres...».  Et  comme 
cela  est  bien  d'un  disciple  de  Cicéron  (6)  I 

(1)  Comment,  ling.  lat.,  II.  p.  1162-1163. 

(2)  Chez  les  Français  modernes  ;  Budé,  Ch.  de  Longueil,  Simon  de  Neufville, 
Béraulfl,  Germain  de  Brie,  Pierre  Danès,  Jacques  Toussain,  Macrin,  Maine, 
M.  Scève,  Richier  {ibid.). 

(3)  Carmin..  IV,  I.  —  Cf.  Boulmier,  Dolet,  p.  8S.  Reproduit  par  Sébast.  Gryphe 
en  tête  de  l'édition  des  lettres  de  Longueil,  p.  8. 

(4)  Autre  poème  non  moins  caractéristique  : 

Pertulit  et  multos  aestus  et  frigora    multa, 
Abstinuit   somno  saepe,   cibotjue  libens, 
Viveret  ut  fama  celebri  post  fata  Doletus  ; 
Quas  natura  negat  sic  cumulantur  opes; 
Quam  natura  negat.  certam  post  funera  vitam 
Credidit  aeterno  nomine  posse  dari. 
Et  tu  hune  miraris  tantos  subiise  labores  ? 
Fecit  id  optatœ  posteritatis  amor; 
Posteritatis  amor  !  Quem  guis  nisi  bellua,  spemat  ? 
Heu,  vita  nulla  est  posteritate     carens! 
Carni.  1,  68.  —  Boulmier,  op.  cit..  p.  114-115. 

(5)  Comment.  Img.  lat.,  II,  p.  954-955. 

(6)  Voir  Tusculanes,  I,  XIV-XV. 


130  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Mais  parfois  aussi  cette  gloire  posthume  lui  paraît  un  leurre 
et  il  se  dit  qu'il  est  plus  sûr  d'en  jouir  de  son  vivant  : 

Viveiis   vidensque  gloria  mea  frui 
Voie... 

((  Les  morts  ne  tirent  aucun  plaisir  de  leurs  livres  savants  ni  de 
leurs  exploits  courageux  ».  Homère,  Virgile,  Démoslhène  ne 
savent  pas  combien  leui'  nom  est  répandu  sur  terre...  «  Après 
la  mort  peut-être  aurai-je  un  sort  meilleur,  mais  en  attendant 
j'aime  celui  que  j'ai  (3)  ».  Croyait-il  encore  à  l'immortalité 
quand  il  écrivait  ces  vers  ou  quand  il  disait  à  son  maître  aimé, 
Simon  de  Neufville;  v.  Un  sommeil  éternel  le  presse-t-il  et 
des  ténèbres  profondes  ?  Est-ce  en  vain  que  je  te  consacre  mes 
tristes  vers?  Peut-être  ce  chant  de  ma  tendresse  le  trouvera 
sourd  ''^)   )). 

Un  de  ses  poèmes  enfin  qui  le  fit  accuser  d'athéisme  se 
termine  ainsi  :  ((  ne  crains  pas  l'aiguillon  de  la  mort  (|ui  te 
])rivera  de  sentiment  {quiv  dabit  sensu  carere),  ou  te  donnera 
d'habiter  des  lieux  meilleurs  et  de  jouir  d'un  meilleur  état, 
si  toutefois  l'espoir  de  l'Elysée  n'est  pas  vain  (3)  ».  Mais  il  est 
difiicile  de  savoir  à  quel  point  ces  vers  traduisent  les  doutes 
de  Dolet,  car  le  dilemme  qu'il  propose  est  celui  par  lequel 
Cicéron  nous  exhorte  à  ne  point  craindre  la  mort  au  P""  livre 
des  mêmes  Tusculanes  (^).  C'est  de  même  au  chapitre  39  des 
Tiisculanes  qu'il  cherche  une  pensée  originale  à  inscrire  sur 
le  lombeaii  du  jcnnc  .sim()ii  de  Xeiifville '^'  :  "  Salut,  passant. 

(1)  Carmin..  I,  5.  —  Boulmier,  Dolet,  p.  169,  le  cite  en  entier. 

(2)  Carmin.,  IV,  2.  —  Cité  en  entlesT  clans  Boulmier,  op.  cit.,  p.  IMI. 

(3)  Cnrm..  I.  15.  —  Copley  Christie,  ch.  XXV,  p.  /i66.  -  Boilmier  (p.  59)  le 
date  de  1533  environ. 

(4)  Les  chapitres  0-9  du  l<"^  livre  posent  le  dilemme  de  la  façon  suivante  :  la 
mort  nous  rend  heureux  ou  nous  anéantit,  donc  est  bonne  en  toute  hypothèse. 
Les  chapitres  10-31  exposent  les  preuves  de  l'immortalité  ffe  hypothèse);  les  cha- 
pitres 32  et  suivants,  la  2«  hypothèse  :  si  la  mort  nous  anéantit,  elle  nous  délivre 
du  mal. 

(5)  On  me  dispensera  de  citer  ici  tout  le  chapitre  de  Cicéron,  dont  cette  épl- 
taphe  est  l'adaptation.  Boulmier.  en  ifrnorant  sans  doute  l'orlRine,  s'extasie  sur 
le  dégoût  de  la  vie,  romantique  déjà,  dont  témoignent  ces  vers  de  Dolet  ! 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  131 

Regarde  un  peu  ici.  Ce  destin  que  les  mortels  considèrent 
comme  un  malheur,  de  mourir  jeune,  je  le  considère  moi 
comme  un  très  grand  bonheur.  C'est  pomxjuoi  félicite-moi 
de  ma  mort  et  cesse  de  me  plaindre  :  par  la  mort,  j'ai  cessé 
d'être  mortel  ». 

En  résumé,  ce  que  Dolet  a  rapporté  d'Italie  c'est  surioul 
le  culte  des  anciens;  il  semble  avoir  gardé  plus  de  souvenir 
des  leçons  d'Egnazio,  des  conversations  de  Bembo,  que  des 
livres  de  Pomponazzi;  mais  il  faut  bien  noter  que  dans  Cicéron 
il  ne  prend  que  ce  qui  sert  à  affirmer  son  incrédulité.  Nous 
l'avons  déjà  suipris  qui,  du  De  Divinatione,  ne  citait  que  le 
IP  livre.  De  même,  le  P""  livre  des  Tusculanes  lui  offrait  une 
démonstration  de  l'immortalité;  il  se  garde  bien  de  la  citer. 
Il  a  lu  le  Songe  de  Scipion  et  en  fait  l'éloge,  mais  c'est  à 
-Morus,  porte-parole  d'Eraisme  son  ennemi,  qu'il  prête  ces 
sentiments  d'admiration  pour  le  célèbre  fragment  de  la  Répu- 
blique (1). 

Avant  que  la  traduction  de  YAxiochus  l'eût  compromis  défi- 
nitivement, il  était  sus-pect.  Dès  1535,  Odoni  écrivant  à 
G.  Cousin  le  caractérisait  ainsi  :  impius,  sine  Deo,  sine  reli- 
Qione  uUa  <2).  Florido  qui  déjà  dans  ses  Horœ  succissine 
(1539)  en  avait  fait  un  épicurien  de  l'école  d'Aristippe  (3)  l'atta- 
quait violemment  en  1541  comme  dissimulant  habilement  ce 


(1)  De  Imitât,  ciceron.,  p  lis.  Les  deux  interlocuteurs  sont  Morus  (Erasme)  et 
Neufville  (Dolet). 

(2)  Cité  par  Copley  Christie,  Dolet,  ch.  XXV. 

(3)  Horx  succlssivae,  III,  p.  A.  Voici  un  autre  texte  de  Florido;  il  intéresse  l'état 
général  du  rationalisme  en  Europe  vers  1541  :  Sint  multi  in  Italia  perditissimi 
homines  quique  et  de  Deo  et  de  Anima  credant  impia,  an  tamen  eam  notam 
Italis  propriam  sobrius  dixeris  ?  An  non  et  in  Gallia,  si  non  alius,  tu  tamen,  cui 
illa  peculiaris  sit,  natus  es  ?  An  non  et  in  Hispania  et  Germania  et  aliis  quibus- 
libet  reg-ionibus  multi  idem  sentientes  inveniuntur?  Cœterum  cum  multi  ubique 
mali  flagitiosique  nascantur  alanturque  summam  certe  incorruptissimamque  Gallo- 
rum  in  delictis  puniendls  justitiam  qui  cliristiane  vivere  cupiunt  vel  inviti  maxi- 
mis  laudibus  prosequuntur.  Atqaie  inde  conpertum  habeo  ut  qui  nihil  unquam 
laudabile  in  vita  feceris.  quod  de  Deo  animaque  sentis  caute  omnibus  paiam  non 
facias,  ne  scilicet  in  crucem  continuo  rapiaris.  Puis  il  lui  rappelle  le  meurtre  de 
Lyon  et  les  troubles  de  Toulouse  qui  l'ont  compromis  Adversui;  Steph.  Doletl 
ealunutias,  Fij. 


132  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

(ju'il  pensait  de  l'àme  et  de  Dieu  (^)  :  «  lu  crois  obslinémenl 
(ju'il  ny  a  et  n'y  a  jamais  eu  de  Dieu  ni  de  dieux  :  de  même 
poiu'  ce  qui  est  de  l'immortalité  de  l'âme,  tu  es  de  l'avis  de 
Diagoras.  d'Epicure,  d'Aristippe,  de  Lucrèce,  de  Lucien  et 
de  Pline.  Si  cela  n'était  connu  de  tous  ceux  qui  te  fréquentent 
im  peu,  je  l'exposerais  plus  longuement  ».  Et  ce  n'est  pas  les 
quelques  vers  religieux  insérés  dans  le  Genelhliacum  qui 
effaceront  celte  triste  renommée.  Dolet  lui  répondit  dans  sa 
Conliitalio  maledictorum  Floridi  que  cette  impiété  était 
propre  aux  Italiens  et  inconnue  en  France'^'.  Et  il  le  met 
au  défi  de  prouver  ni  par  ses  écrits,  ni  par  ses  paroles,  ni  par 
sa  vie,  que  Dolet  soit  un  impie '3). 

Il  ne  semble  pas  qu'il  ait  menti  et  qu'il  ait  été  réellement 
un  impie.  Si  Douen  a  été  trop  loin  en  le  réclamant  pour  le 
protestantisme  '^\  tous  ceux  qui  l'ont  étudié  sont  d'accord 
pour  affirmer  qu'il  a  cru  à  Dieu.  Mais  sa  religion  fut  celle 
de  la  raison,  celle  de  Cicéron,  et  non  pas  celle  de  l'Eglise, 
ni  même  de  Calvin*^).  Il  a  invoqué  Dieu  dans  son  cantique  de 
la  conciergerie,  et  dans  une  prière  célèbre  où  il  lui  demandait 
—  funeste  pressentiment  —  de  ne  pas  permettre  que  sa  vie 
fût  jamais  à  la  merci  d'un  juge  ^^).  Mais  jamais  il  n'a  invoqué 


(1)  F.  FLORiDo  Sabino.  Advers.  Dol  Calurn..  Dij.  —  Dans  le  Genelhliacum  (1539) 
en  effet  Dolet  recommande  à  son  fils  d'être  religieux.  Mais  il  ne  s'agit  que  de  la 
religion  rationnelle  : 

Vive  Deo  fldus:  stabilis  flducla  dlvum 
Tristitla  vitae  immunem  te  reddet  ab  omni. 
Religlonis  amor  verre  fert  commoda  tanta.  (A*.) 

La  fin  du  Genethliacum  (B  3  v°)  contient  aussi  une  profession  de  fol  spiritualiste 
à  l'immortalité. 

(2)  ïtalis  propriam,  Gallis  incognitam.  Confulatio  maledictorum,  p.  41  (Dédié 
à  G.  Bigot). 

(3)  Je  ne  cite  pas  les  accusations  qui  ont  suivi  son  supplice  et  qui  ont  pu  être 
Influencées  par  son  jugemipnt.  On  les  trouvera  résumées  dans  Copley  Christie, 
cil.  XXV.  Les  plus  célèbres  sont  celles  de  Calvin  (voir  ch.  XI).  de  .Scaliger  {PoeUr. 
llb  .  VI,  p.  730)  rapportées  par  Bayle,  art.  Dolet,  commentées  par  le  D'  Santi, 
dans  li.  Eludes  nab.,  1905,  p.  15. 

(',)  Bulletin  de  la  Société  d'IMstoire  du  Protestantisme  français,  1831. 

(5)  La  France  Protestante  elle-même  en  fait  un  déiste  rationaliste  (art.  Dolet, 
2«  édit.,  t.  V,  p.  430  et  sulv.). 

(6)  Traduite  dans  Copley  Christie,  p.  473;  Boulmier,  p.  270-271;  France  Protes- 
tante (2»  édit.,  V,  p.  430  431).  Pour  le  cantique  de  la  conciergerie.  11  commence  par 
ce  vers  .  -•  Si  au  besoin  le  monde  m'abandonne  ».  Voir  France  Protestante,  ibid., 
et  DOLET,  Second  Enfer,  Lyrm,  154'( 


LES    FRANÇAIS    EN    ITALIE.     LEURS    IDÉES  133 

ni  la  Vierge  ni  seulement  le  Christ;  jamais  non  plus  il  ne  parle 
ni  de  la  Trinité,  ni  de  la  Rédemption,  ni  de  la  Providence. 
((  C'est  un  parti-pris  chez  Dolet,  écrit  Boulmier,  de  se 
renfermer  dans  l'expression  générale  du  sentiment  religieux, 
sans  jamais  se  déclarer  positivement  pour  tel  ou  tel  article 
formel  du  dogme  catholique  '^^  ».  Sans  nul  doute,  précise  son 
dernier  et  savant  historien  '^\  <(  Dolet  était  un  païen  de  l'école 
de  Bembo  et  de  Longueil;  avec  eux  il  pensait  que  la  religion  de 
Cicéron  convenait  mieux  à  un  homme  éclairé  qu'un  système 
qui  offrait  à  la  vénération  des  fidèles  le  vin  des  noces  de  Gana, 
le  peigne  de  la  Vierge  Marie  et  le  bouclier  de  saint  Michel 
Archange  ^3)  >>  Qu'il  eût  raison  ou  non,  il  n'est  pas  douteux 
que  Cicéron  fut  son  Dieu,  «  notre  Dieu  »  comme  il  l'appelle 
quelque  part  '^)  et  (|ue  c'est  à  l'Italie  qu'il  en  dut  la  révélation. 
«  Ce  n'était  donc  ni  un  protestant,  ni  un  catholique,  encore 
moins  un  athée:  c'était  un  libre  penseur  f^'  ». 

(1)  Oi).  cit.,  p.  267. 

(2)  COPLEY  Christie,  op  Cit.,  cli.  I,  p.  7.  Je  choisis  surtout  les  textes  de  ces 
deux  auteurs  qui  sont  favorables  à  Dolet,  et,  du  reste,  savants.  Ils  ont  même, 
Boulmier  surtout,  plus  de  science  que  de  goût;  son  ouvrage  est  gâté  par  la  décla- 
mation, et  celui  de  M.  Copley  Christie  n'en  est  pas  exempt. 

(3)  Dolet  lui-même  insiste  d'une  façon  significative  sur  la  différence  à  faire 
entre  la  religion  et  la  superstition  {Comment.  Ivg.  t.at-,  II,  p.  1441). 

(4)  Comment,  ling.  lat.,  I,  p.  918. 

(5)  Boulmier,  op.  cit.,  p.  271,  conclusion. 


CHAPITKE    V 
Les    Italiens    en    France. 

(1529-1542) 

I.  Auteurs  :  I.  Rationalistes  :  Averroès  (1529).  avec  les  Commentaires  de 
Ziinaia  |1530,  ;  L.  Tomeo  (1530-1532;;  Sepulveda  (1536);  Hiiiana  (1539). 
—  11.  Apologistes  :  Isodorus  de  Isolanis  (1528;  Paleario  (1536  ;  Romeo 
de  C'astiglione  (1536i  :  raison  et  foi,  libre  arbitre,  immortalité; 
Ag.  .'^teuco  (1540). 

II.  Professeurs  :  I.  Divers,  aperçu  général;  II  Theocreno  (1522-1536); 
m  Belmisseri  (1533-1534);  lY.  Bellini  (1532-1534);  V.  J.  Ferrerio  (1537- 
1540  .  —  l\ésultat  :  Budé  et  Calvin  constatent  la  pénétration  rationa- 
liste avant  1540. 


I 


Si  les  Français  allaient  chercher  en  Italie  l'arl  et  la  pensée 
nouvelle,  les  Italiens  n'étaient  pas  moins  pressés  de  les 
répandre  en  France. 

Ils  le  faisaient  par  leurs  livres  d'abord.  Les  étudiants  fran- 
çais senaient  de  courtiers  aux  libraires  de  Venise.  Bunel 
envoyait  un  jour  à  E.  Perrol  un  dictionnaire  grec,  un  Démos- 
thène,  un  Xénophon,  et,  chose  plus  remarquable,  un  De  Anima 
d'Aristote,  qu'il  confiait  à  Alixant  <'>.  Trois  autres  lettres  anté- 
rieures '2)  font  allusion  à  des  envois  de  cette  nature  :  l'ambas- 
sadeur lui-même,,  L.  de  Baïf,  se  sert  de  .ses  privilèges  pour 
fairx'  i)arv('nir  sùrenienl  des  livres  à  ses  amis  et  la  malle  diplo- 
matique couvre  de  la  contrebande  et  renferme  plus  de  livres 
(jue  de  rapports.  Sadolel  en  particulier,  exilé  à  Carpentras, 
reçoit  par  celte  voie  l(;s  œuvres  de  lîembo.  Les  courriers  (li|)lo- 

(1)  Bunelli  cpisl..  p.  51 

(2)  Ibid  ,  p.  7,  23  et  61.  Sur  Alixant,  voir  Picot,  Len  Etudiants  français  à  Ferrare. 


LES  ITALIENS  EN  FRANCE 


LoO 


matiques  emportent  les  volumes  jusqu'à  Lyon;  là  des  amis 
de  levêque  les  lui  expédient  ^^K  En  dehors  de  ces  occasions,  il 
y  avait  un  service  régulier  pour  la  librairie.  C'est  Bunel  qui 
nous  l'explique  :  <(  Sur  les  moyens  de  transport,  je  m'en  suis 
bien  informé.  Une  grande  partie  de  ceux  qui  expédient  des 
livres  à  Lyon,  les  font  porter  par  eau  jusqu'à  Turin.  Mais  il 
y  a  ici  un  muletier  qui  partira  dans  cinq  ou  six  mois;  seulement 
il  demande  pour  la  charge  complète  d'un  mulet  douze  écus 
d'or,  alors  que  les  autres  marchands  n'en  donnent  habituel- 
lement que  dix  ».  Il  conseille  à  son  ami  de  venir  plutôt  lui- 
même  à  Venise  puisqu'il  a  une  autre  raison  de  faire  ce  voyage 
et  conclut  :  «  Quoi  que  tu  décides,  sois  sûr  que  nous  aurons 
toujours  occasion  de  te  faire  envoyer  à  Lyon  tout  ce  que  nous 
voudrons,  tant  du  moins  que  l'Italie  sera  en  paix  (2)  ». 

Si  nous  avions  des  catalogues  assez  nombreux  des  librai- 
ries de  1530,  sans  nul  doute  nous  y  trouverions  aussi  les 
œuvres  des  professeurs  italiens.  Je  dois  dire  que  les  catalogues 
qui  ont  été  étudiés  '3)  n'en  mentionnent  point.  Mais  de  bonne 
heure  les  libraires  dé  Lyon  et  de  Paris  voulurent  satisfaire 
la  clientèle  qui  recherchait  lés  œuvres  des  rationalistes  italiens. 

C'est  en  1529  que  Lyon  vit  naître  la  première  édition  fran- 
çaise d'Averroès.  Aristote  ou  plutôt  la  traduction  de  la  Méta- 
j'bijf^ique  de  Hessarion  avait  été  imprimée  par  IL  Estienne,  dès 
1515  <^).  Mais  Scipion  de  Gabiano  en  1529  y  ajouta  les  com- 
mentaires d'Averroès  '^).  L'année  suivante  (1530),  un  autre 
libraire  lyonnais^ compléta  l'œuvre  de  Gabiano  en  donnant  une 
traduction  des  trois  livres  De  Vâme  avec  les  commenlaires 


(1)  Bembi  epist.  famll.  (H.  Estienne,  1581),  p.  169. 

(2)  Bunelll  evùt.,  p.  60-61,  à  E.  Pen-ot,  de  Venise,  s.  d.  Sur  le  même  sujet,  voir 
Rabelais,  Lettres  à  M.  l'evesque  de  Maillezaia  (de  Rome,  28  janvier  et  15  février 
1536). 

(3)  Voir  chap.  VI. 

(4)  Arist.  opus  laflaphys'cum  a  Bessarioiie  latinitute  donatum,  Paris,  H.  Estienne, 
1515.  Sur  la  valeur  de  cette  traduction,  voir  Brucker.  Hixt.  phil.  critic,  IV, 
p.  47-48.  Je  laisse  de  côté  les  Problf'ines  d'Averroès  qui  étaient  édités  en  France 
depuis  longtemps,  mais  qui  n'ont  aucun  intérêt  ici  (voir  la  Bibliographie). 

(5)  LibH  metaphysicœ  XIV  cum  siwouloruin  cpitomatU  hactenns  non  impressis 
Averroeque  ftdelisximo  interprète,  Lugduni,  Scipio  de  Gabiano,  1529,  in-f». 


136  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

d'Averroès  et  les  notes  de  A.  Zimara^^K  Zimara  était  connu 
d'une  partie  des  étudiants  français  de  Padoue,  il  y  avait  pro- 
fessé la  pliilosophie  ordinaire  '2)  à  partir  de  1524.  C'était  un 
averroïste  connu.  Voilà  donc  les  œuvres  principales  d'Averroès 
imprimées  à  Lyon.  Je  ne  crois  pas  exagérer  en  assurant  que 
ces  années  1529-1530  qui  ont  vu  l'essor  de  ces  deux  volumes 
sont  une  date  dans  l'histoire  du  rationalisme  français. 

En  1530  encore  Simon  Colines.  et  Gnphe,  en  1532,  réim- 
priment les  œuvres  de  Leonico  Tomeo  (3).  Plusieurs  de  nos 
étudiants  d'Italie  ''^)  avaient  admiré  à  Padoue  ce  vieillard 
blanc  et  propre,  pauvre  et  frugal,  célibataire  et  heureux  ^^\ 
qui,  après  avoir  traduit  Aristote  sur  le  grec  avec  la  conscience 
dun  érudit,  s'intéressait  tour  à  tour  aux  étudiants  qui  le 
venaient  voir  comme  un  saint  de  l'humanisme  et  à  une  grue 
qu'il  nourrissait  depuis  près  de  quarante  ans.  La  grue  et  le 
philosophe  devaient  mourir  en  1531. 

Deux  de  ses  dialogues  ont  trait  à  l'âme  :  l'un  à  son  essence, 
l'autre  à  l'Immortalité;  et  tous  les  deux  sont  dédiés  à  Bembo 


(1)  De  Animai  Itbri  très  cum  Averrois  cordubensis  commentariis  ac  apostUUs 
A.  Zimarœ,  Lugdunl,  Myt,  1530,  in-8". 

(2)  Voir  sur  Zimara  le  chap.  II  et  Tiraboschi.  LPllernl.  itnl..  VII,  p.  S46  Noter 
que  BRUCKER  {Hist  phil.  crlt.,  IV,  p.  205)  cite  de  lui  un  livre  où  il  a  mêlé  de  la 
façon  la  plus  extravagante  la  magie  à  la  philosophie. 

(3)  Nicolai  Leonici  Thomaei  oinisculum  nuper  in  lucem  editum.  Nicolnl  Leonicl 
Thomei  dlalofji.  S.  Colines.  1530.  M.  Plattard  signale  une  autre  édition  chez 
Gryphe  en  1532  {Les  sources  de  Rabelais,  p.  203).  La  première  édition  des  dialogues. 
Venise,  152i,  était  dédiée  à  Renauld  Pool,  son  ancien  élève.  Lex  questions  problé- 
matiques du  pourquoy  d'amour,  nouvellement  traduit  d'Italien  en  langue  fran- 
rolse  par  Nicolas  Leonlque  (Tome),  poète  Jrançoys;  avec  ung  petit  livre  contenant 
le  nouvel  amour  inventé  par  le  sieur  Papillon  et  une  npistrc  abhorrant  folle  amour 
par  Clément  Marol  (15/13,  petit  in-S»),  cité  par  M""  Ruutz-Rees  dans  la  biblio- 
graphie de  son  Sainte-Marthe,  est  la  traduction  des  "  Quiestiones  aniatoriie  »  du 
même  Leonico  qui  se  trotivent  dans  toutes  les  éditions  ci-dessus  citées 

(4)  Sadolet  dér>lore  sa  mort  dans  une  lettre  à  Negrl,  professeur  de  Padoue,  de 
juin  1531  :  De  Leonico  maie  factum.  Optimum  et  doctisslmum  virum  amtslmus 
quem  amabam  ego  merito  illlois  plurimum  (Sadol.  episi  ,  Pars  I,  Romae,  1760,  I, 
p.  397-398). 

(5)  Pervenlt  veneranda  barb.e  canitie  ad  septuagesimum  tertium  aetatis  annum, 
mediocri  substantla.  ipsaque  civili  frugalitate,  et  cebes  et  lellx,  quod  nemo  vel 
Innocentiae  et  doctrljise  conscientia,  vel  mundltla  corporis,  vel  animi  nitore, 
beatlor  aetate  nostra  fuerit,  P.  .Tove,  Eloges,  ip.  91;  cité  par  Bayle,  art.  Thomeus: 
voir  aussi  Brucker,  IV,  p.  156-157. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  137 

dont  ils  portent  le  nom  (i).  Dans  le  premier  Bembus  il  se  con- 
tente d'exposer  les  théories  diverses  sur  la  nature  de  Tàme  et 
son  origine,  et  par  le  fait  même  sur  sa  destinée.  II  est  pieux, 
conclut-il,  de  croire  que  lame  est  créée  par  Dieu  et  destinée 
au  ciel  ou  a  l'enler.  D'autres  (et  parmi  nous  Laclance  cl  Tei'- 
tulien)  font  naître  —  et  donc  mourir  —  les  âmes  avec  les  corps. 
D'autres  (Origène  et  tous  les  Grecs  à  peu  près)  les  croient 
créées  à  l'origine  et  dispersées  ensuiie  dans  le  corps  pour  des 
épreuves  successives.  Les  académiciens  croient  aussi  à  l'im- 
mortalité '2). 

Dans  un  second  dialogue,  beaucoup  plus  étendu,  Bembo 
essaie  de  réconcilier  les  péripatéticiens  et  les  platoniciens 
représentés  par  Antonius  Justinianus,  ancien  professeur  de 
Venise  et  Joannes  Baduarius.  Parmi  les  nombreuses  questions 
qui  divisent  les  deux  écoles  :  principes  des  choses,  origine  du 
monde,  Providence,,  etc.,  il  choisit  l'immortalité.  Il  expli([ue 
alors  le  Phèdre  et  expose  après  Platon  que  l'âme  ne  peut  périr 
ni  par  corruption  de  sa  propre  nature,  puis(|ue  sa  nature 
est  précisément  le  mouvement,  ni  par  une  intervention  étran- 
gère, puisqu'elle  est  principe  de  mouvement  pour  les  autres  '^'. 
Le  seul  intérêt  de  ce  livre  est  que  Tomeo,  qui  avait  étudié  le 
grec  sous  Démetrius  Chalcondyle  et  s'était  adonné  à  l'étude 
de  Platon  avant  de  devenir  le  restaurateur  du  péri})atétisme  '•^^ 
et  le  traducteur  alors  le  plus  exact  d'Aristote,  essaie  de  con- 
cilier les  deux  piinces  de  la  philosophie.  Il  n'y  réussit  qu'en 
s'appuyant   sur  Averroès   et   c'est   au   sens   averroïste   qu'il 


(1)  Bembus  sive  de  animorum  es^entia.  Bcmbrts  sive  de  ardmoruin  immnrtalitate. 
'•%  Résumé  de  la  conclusion  du  Bembus  sive  de  aiUm.  essenda. 

(3)  Voici  les  deux  syllogismes  proposés  puis  développés  par  Bembo  :  l"  Animus 
a  se  ips)  movetur  :  quod  a  se  ipso  movetur  semper  movetur;  qiiod  semper  movetur 
est  immortale,  animus  igitur  immortalis  est;  2°  Animus  seipsum  movet;  :iu<  d 
seipsum  movet  motionis  est  principium  :  quod  principium  motionis  est  est  ingeni- 
tum;  quod  est  ingenitum  est  incorruptibile,  quod  est  incorruptibile  est  immcr 
taie,  animus  igitur  est  immortalis. 

(4)  BRUCKER.  Hisi.  crit.  philos.,  IV.  p.  156-157.  —  «  Léonicus,  par  la  vivacité  de 
sa  polémique  contre  la  scolastique,  par  son  enseignement  médical  tout  hippocra- 
tique,  par  la  beauté  de  son  style  et  sa  manière  cicéronienne.  mérite  d'être  considéré 
comme  le  fondateur  du  r)éripatétisme  hellénique  et  critique.  »  (Renan.  Averroès, 
p.  3S5-3S6). 


138  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

acceple  rinimorlalilé  *^'.  Mais  lui  (lui  a  lanl  fait  pour  débar- 
rasser lélude  d'Arislotc  des  gloses  scolasliques  a  gardé  de  la 
siolasli(|ue  la  méthode  subtile  qui  rend  ces  deux  traités  assez 
obscurs,  (juoiqu'en  dise  Renan. 

\  oici  maintenant  l'œuvre  d'un  Espagnol,,  mais  disciple 
(les  Italiens  :  Jean  Ginez  de  Sepulveda.  Après  avoir  passé 
vingt  ans  aux  écoles  d'Italie,  il  était  cette  année-là  même  (1536) 
nommé  par  Charles-Ouinl  historiographe  et  précepteur  de 
son  fds.  En  Italie  il  avait  fréquenté  chez  Alberto  Pio  son 
Mécène,  Aide  Manuce,  Pomponazzi,  Musurus  *^'.  Avant  de 
devenir  le  Tite-Live  de  l'Espagne,  il  s'était  adonné  à  la  philo- 
sophie et  avait  traduit  plusieurs  livres  d'Aristote,  de  la  Phy- 
suiuc  et  des  Pan  a»naluraliaA^^  et  surtout  les  commentaires 
d'Alexandre  dWphrodisias  sur  les  douze  livres  de  la  Métaphy- 
sique. Colines  donna  une  édition  de  ce  dernier  livre  en  1536  <^'. 

Depuis  dix  ans  donc  Arislote  commenté  par  des  Italiens  était 
pres([ue  tout  entier  imprimé  en  France.  VVechel  y  joignit  ce 
qui  manquait  en  donnant  en  1539  les  œuvres  de  logique  com- 
mentées par  Burana.  Jean-François  Burana  de  Vérone  avait 
été  l'élève  de  Girolamo  Bagolino.  Ce  dernier  était  un  averroïste 
fougueux.  On  lui  reprocha  même  d'avoir  repris  les  doctrines 
matérialistes  d'Alexandre  Achillini.  Son  élève,  helléniste  et 
hébra'isant  distingué,  s'attacha  à  l'étude  des  conunentateurs 
arabes.  En  1527,  il  devint  professeur  à  l'Université  de  Bologne 
et  le  resta  longtemps.  Il  s'appliqua  surtout  à  la  logique,  fit  un 
commentaire  très  abondant  des  premiers  et  des  seconds  Analy- 
tiques en  y  joignant  le  commentaire  d'Aven-oès.  La  mort  ne  lui 
permit  pas  d'en  surveiller  l'impression.  Elle  fut  faite  pour  le 
pi'cmier  de  ces  deux  volumes  par  les  soins  de  son  maître 


(1)  Renan.  '</<    dt  ,  \>    aso;  n.  Ritter,  Ge.vr/i    (Icriieurrn  iilii!..  I"  partie,  p.  377. 

(2)  BiircKKK.  Ili-I.  iihilos.  cru..  IV,  p.  19G.  Sur  sa  vie,  voir  aussi  Nicéron,  XXIH 

(3)  Détail  il  iii^  Hki  (  ker.  o/»    cit  .  p.   190. 

iAj  Alesandri  AiilirodiKui-i  i<immei>lar,i  in  duodechn  Arist.  Libros  de  prima  philo- 
soplild,  ihtcrpretr  j.  (jvn.  Sepulveda  Coidiihi  nsi.  Paris,  Colines,  1536,  lii-I». 


LES  ITALIENS  EN  FRANCE  139 

Bagolino,  à  Venise  en  1536,  à  Paris,  chez  Wechel,  en  1539  <i). 
Ainsi  de  1529  à  1539,  tout  x\ristoie  à  peu  près,  commenté 
par  les  averroïstes  de  l'école  padouane,,  a  été  imprimé  à  Lyon 
ou  à  Paris. 

La  réfutation  d'Averroès  avait  précédé  en  France  sa  publi- 
cation et  c'est  à  un  Italien  que  nous  la  devons  (2)  :  Isodorus  de 
Isolanis.  Dès  1528,  Jean  Crespin  réimprimait  à  Lyon  ses 
quatre  livres  Sur  l Eternité  du  monde  contre  les  averroïstes  (3). 

L'auteur  était  dominicain,  originaire  de  Alilan,  ancien  élève 
de  ri  niversité  de  Bologne,  professeur  à  Pavie  au  couvent 
Saint- Apollinaire  ^^K  Son  ouvrage  se  divise  en  quatre  livres  : 
le  premier  pour  les  principes  et  les  définitions;  le  second  rap- 
porte les  opinions  des  théologiens  et  des  philosophes  anciens 
sur  l'immortalité  :  Orphée,  Anaxagore,  Empédocle,  les  épicu- 
riens, Démocrite,  Platon,,  les  stoïciens.  L'auteur  s'arrête  plus 
longuement  à  Aristote,  à  ses  commentateurs  Alexandre  et 
Thémistius.  Le  troisième  livre  est  en  entier  consacré  à  discuter 
l'averroïsme.  Isodorus  de  Isolanis  accorderait  aux  averroïstes 
que  le  monde  est  créé  de  toute  éternité,  mais  non  pas  qu'il  est 
éternel  et  incréé  '^i;  il  estime  en  effet  que  la  création  dans  le 
temps  est  indémontrable  par  la  raison.  Mais,  en  fait,  dit-il, 


(1)  Exliibemus  tandem  ...diu  expectata  Aristotelis  priora  resoliitoria  a  Joanne 
Francisco  Burana  Veronensi  jam  recen.^  et  latino  sermone  donata  et  commentariis 
exactissinUs  illustratii,  Parisiis  ex  offlcina  Ch.  WechelL  sub  scuto  Basiliensi, 
^IDXXXIX,  in-fo  (préface  de  Bagolino.  Réimprime  en  1567).  Sur  Burana,  voir  Bayle, 
Dictionn.,  art.  Burana;  Brucker,  Hist.  phil.  crit.,  IV,  p.  231-232. 

(2)  Je  laisse  de  côté,  bien  entendu,  toute  l'œuvre  de  saint  Thomas  et  des  scolas- 
tigues,  qui  pourtant  combattent  Averroès  assez  souvent. 

(3)  In  averroUtas  de  seternitate  mundi  libri  juatuor  -,  fratris  Isodori  de  Isolanis 
rnediolanensis  ordhiis  prasdicatorum.  Crespin,  1528,  in-S»  de  16  feuillets,  gothique. 
Le  livre  fut  écrit  au  couvent  de  Pavie  en  1513  et  imprimé  pour  la  première  fois  à 
Pavie  en  1522.  Il  y  a  une  autre  édition,  chez  Chesnot,  en  1580. 

(4)  Pour  sa  vie  et  la.  bibliographie  de  ses  œuvres  (assez  nombreuses  contre  les 
protestants),  voir  Quétif  Echard,  Script.  0.  P  ,  II,  50;  Altamura.  Bibl.  Dominic. 
incrementum.  p.  2'i4-245. 

&  Cette  distinction  entre  l'éternité  de  la  matière  et  celle  de  la  création  est  de 
Platon. 


1  iO  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

le  monde  n'est  pas  éternel  (Ch.  Vll-\'lli).  Et  le  quatrième  livre 
est  consacré  à  réfuter  les  objections  faites  par  les  averroïstes 
à  la  cosmogonie  de  Moïse.  Car  l'auteur  n'admet  pas  que  l'on 
dislingue  avec  les  plus  récents  des  péripatéticiens  la  lumière 
naturelle  selon  laquelle  on  doit  avouer  l'élernile  du  monde  et 
rejeter  toute  création,  même  éternelle,  et  la  lumière  de  la  foi 
qui  nous  permettrait  d'y  croire;  la  raison  est  le  principe  de 
toute  connaissance  et  commande  au  monde  «  comme  un  géné- 
ral dans  son  armée  (i)  )>. 

La  même  crainte  de  l'averroïsme  padouan  qui  fit  écrire  ce 
traité  à  Isodorus  de  Isolanis  inspira  à  Paleario  un  poème  sur 
l'immortalité.  Il  fut  écrit  à  Padoue  où  l'auteur  faisait  ses  études 
philosophiques,,  s  attachant  surtout  à  Cicéron  et  Aristote.  Et 
c'est  Gryphius  qui  l'imprima,  en  1536(2).  Ainsi  l'immortalité 
eut  son  épopée.  Après  un  long  préambule  où  il  invo(iue  Aris- 
tote  contre  ceux  qui  nient  l'immortalité,  le  poète  dans  un 
premier  chant  proclame  l'existence  d'un  Dieu  unicpie.  Le 
deuxième  est  réservé  à  l'ame.  Elle  est  immortelle  :  son  désir  du 
bonheur,  la  nature  de  l'âme  qui  ne  grandit  ni  ne  décroit  avec 
le  corps,  la  puissance  de  ses  facultés  qui  comprennent  l'uni- 
versel, la  tendance  de  l'ame  à  s'abstraire  du  corps  pour  exercer 
mieux  ses  facultés,  la  supériorité  de  l'homme  sur  la  nature 
entière,  sont  autant  de  garanties  de  sa  vie  future.  La  fin  du 
deuxième  livre  s'attaque  à  l'averroïsme.  Le  troisième  livre 
chante  la  vie  future  :  le  ciel,  le  purgatoire,  l'enfer.  Au  reste, 
ce  serait  fausser  la  nature  de  cet  ouvrage  que  d'y  chercher  un 
système  de  philosophie.  V'ossius  en  a  déjà  surfait  la  valeur, 
à  rnon  avis,  en  l'appelant  «  un  chant  immortel  et  divin  ».  A 
moins  qu'il  ne  dure  autant  que  Virgile  et  Lucrèce,  dont  Pal- 


1)  F')  VIII  vo  (fin  (lu  II"  livre). 

(2)  Aonii  faUarll  Verulmii  Dr  Animor.  irniiiort.  llhrl  très,  Gryphius.  Nous 
avons  encore  la  correspondance  échangée  entre  Paleario  et.  Sadolet  iioiir  négocier 
cette  impression  {Sadoleti  c/iist  fam..  II,  p.  236;  II,  p.  239).  Sur  cet  auteur,  voir 
Dal  Ca.nto,  .4o/(/o  ralriirlo,  Uome,  1910;  ,l.  BONNET,  .1  Pulrcrlo,  Paris,  1}-63.  MiiN- 
NERICH.  Binqrnplile  de  A.  Palemio.  Strashourp:,  1K61;  R(M)()CANACHI,  Lu  llcforme 
en  Italie.  I,  p.  300-311,  qui  donne  une  bibliographie  plus  étendue 


LES     ITALIENS    EN    FRANCE  141 

caris  a  pillé  les  hémistiches  avec  autant  de  dextérité  qu'autre- 
fois les  Apollinaires. 

Le  dominicain  Romeo  de  Castiglione  (i)  composa  à  Lyon 
el  publia  dans  la  même  ville  en  1538  (2)  un  opuscule  sur  le  libre 
arbitre,  mais  le  dernier  chapitre  du  livre  est  en  réalité  un  traité 
de  l'immortalité,  comme  le  titre  le  fait  ressortir  :  De  libertate 
operuin  et  necessitaie...  Brevis  quoque  annotatio...  ad  animo- 
ruin  iinmortaliialem  (3).  L'auteur  ayant  parcouru  l'Italie,  la 
France  et  l'Espagne,,  son  témoignage  nous  en  sera  plus  pré- 
cieux. Le  lieu  de  la  composition  semble  indiquer  qu'il  vise 
les  libertins  français  aussi  bien  que  les  Italiens  (^>. 

Il  s'attaque  aux  <.<■  philosophes  chrétiens  »  qui  «  préfèrent 
passer  pour  philosophes  que  pour  chrétiens  »,  encore  qu'ils 
tiennent  aux  deux  épilhètes  pour  tromper  à  la  fois  les  simples 
et  les  savants  (^'.  L'Ecriture  leur  répugne.  «  A  la  vérité  pre- 
mière qui  est  le  Christ,  ils  préfèrent  Aristote  »  et  ses  commen- 
tateurs :  Averroès  et  Alexandre  d'Aphrodisias  ^^\  et  séparent 
ainsi  d'une  façon  définitive  la  philosophie  et  la  théologie.  «  Ils 


(1)  Sur  Romeo  de  Castiglione,  voir  Altamura,  Bihl.  Dominic  increm.,  p.  301-302, 
qui  donne  les  sources  anciennes.  Né  en  1492.  A  l'époque  où  il  composa  son  livre, 
il  était  assistant  du  maître  de  l'ordre,  et  visiteur  des  couvents  de  France  et 
d'Espagne.  Il  devint  maître  lui-même  en  1546,  prit  part  au  Concile  de  Trente  et 
mourut  en  1552. 

(2)  Altamura  signale  de  lui  un  livre  De  llbertat'e  et  necesHtate  operum,  paru 
à  Lyon  en  1521.  S'il  n'y  a  pas  erreur  de  la  part  d'Altamura,  ce  doit  être  une 
première  ébauche  de  celui  que  j'étudie  ici.  Quant  à  ce  dernier,  il  est  signé  de 
Lyon,  21  septembre  1538  (fin  du  volume).  L'auteur  explique  dans  la  préface  qu'il 
l'a  dicté  à  Lyon. 

(3)  De  libertate  operum  et  necessitate  adversus  pseudophilosophos  cliristianos. 
F.  lîomaei  a  Castellinne  Tusco  ord.  Prxd.  Romanœ  provinr.ix  Reform.  Artium  et 
sacrae  Theoloyiœ  prof  Brevis  quoque  Annotatio  ejusdem  in  eosdem  ad  animorum 
immortnlitatem  christlane  ac  peripatetice  deducta  (s.  l.  n.  d.).  L'ouvrage  est  dédié 
au  cardinal  Jean  Salviati.  Le  traité  de  l'Immortalité  est  le  14^  et  dernier  chapitre 
du  volume. 

(4)  Il  connaît  la  phiU)Sophie  française,  et  parmi  les  bons  traducteurs,  à  côté 
d'ArgjTopoulo.s.  d'Hennolao  Barbaro  et  de  Th.  Gaza,  il  cite  Le  Fèvre  d'Etaples  et 
Vatable  De  libert.  op.,  veritas  II»,  p.  15). 

(5)  Prspfntio,  5,  p.  2. 

(6)  Ht  ssepenumero  nauseantes  in  sacras  literas  si  quid  rancidulum  hauserunt  ex 
suo  .Aphrodispeo  aut  .\verrhoë  vel  aliis  Ethnicorum  libris  quos  praelerunt  univevsi-, 
ore  rotundo  atque  adductis  in  altum  superciliis,  de  facili...  enuntiant  quod  igno- 
rant (Prœîntin,  l.  p.  2).  Pour  Aristote,  il  le  donne  comme  leur  autorité  pour  com- 
battre  l'immortalité   {De   libert.   op..   veritas  XTV,   p.    lSl-182). 


112  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

disent  qu'il  est  plus  conforme  à  la  nature  de  l'homme  d'être 
conduit  par  la  raison  (jue  d'être  lié  par  la  foi  (i).  Comme  si 
notre  assentiment  ne  devait  pas  s'appuyer  à  l'autorité  de  Dieu 
plutôt  qu'aux  raisons  humaines,  comme  si  la  foi  avait  quelque 
mérite  là  où  la  raison  apporte  une  preuve,  comme  si  enfin  Dieu 
n  avait  pas  dit  :  heureux  ceux  qui,  sans'avoir  vu,  ont  cru  *"2'  i  » 
Romeo  connaît  ces  incrédules  qui,  lorsqu'on  leur  présente 
des  textes  de  l'Ecriture  pour  prouver  par  exemple  l'immor- 
talité, prononcent  avec  dédain  que  ce  sont  là  des  «  niaiseries 
de  petits  frères  »  (commenta  Iraterculorum),  qui  répètent  en 
hochant  la  tête  ((  que  nous  entrons  à  la  sacristie  chaque  fois 
que  nous  voulons  prouver  quelque  chose...  Hélas,  hélas, 
déplorable  aveuglement  de  la  malice  humame  qui  fuit  et  blas- 
phème ainsi  la  lumière  de  la  vérité  au  point  de  traiter  les 
paroles  de  Dieu  de  fables  et  d'inventions  humaines  !  *3)  ».  Un 
jour  passé  dans  la  maison  de  Dieu  vaut  mieux  que  cent  passés 
dans  les  palais  des  pécheurs  :  <(  Il  y  a  plus  de  sécurité  dans 
le  coin  le  plus  petit  de  cette  sacristie  si  méprisée  que  dans  le 
royaume  entier  de  la  philosophie.  Car  dans  cette  sainte 
sacristie  réside  le  Christ,  force  et  sagesse  de  Dieu,  en  qui 
sont  cachés  tous  les  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science. 
Tandis  que  dans  le  royaume  de  la  philosophie  se  trouve 
l'homme,  pourriture  et  ver,  et  règne  Aristote  de  ({ui  il  a  été 
dit  aussi  bien  que  des  autres  :  Omnis  homo  mendax  f'*)  ».  C'est 
la  science  divine  (jui  nous  apprend  à  «  fléchir  toute  intelligence 
sous  l'obéissance  au  Christ  ».  Sa  faiblesse  même  est  la  raison 
de  sa  force  :  •-  C'est  pourquoi  un  iota  ou  un  accent  de  la 
littérature  sacrée  a  beaucoup  plus  d'autorité  cl  de  force  pour 
prouver  la  vérité  que  l'autorité  de  n'importe  (juellc  lumière 
naturelle  '^)  )>. 


(1)  St:d  aiunfc  :  ...  bominuin...  est  ma^s  rationibus  duci  anam  tïde  ligari  (^letitas 

xtv,  p.  tm. 

(i)  De  llb.  op.  VeriUs  XIV.  p.  188. 

(3)  De  lib.  op.  Veritas  XIV.  p.  186, 

(4)  PS.  115,  p.  2;  De  llberl.  operum,  vcritas  XIV,  p.  l.><6-187. 

(5)  De  lib.  op.  Veritas  XIV,  p,  187. 


LES  ITALIENS  EN  FRANCE  •      143 

On  pourrait  croire  d'après  ces  textes  (|ue  Romeo  est  fidéisle. 
Il  neii  est  rien.  Thomiste  par  vocation,  il  défend  contre  les 
rationalistes  et  contre  les  iidéistes  l'équilibre  de  la  raison  et 
de  la  foi  tel  que  l'ont  réalisé  les  docteurs  scolastiques  :  «  De 
même  que  la  théologie  révélée  fait  sortir  l'Ecriture  sainte  de 
la  lumière  divine  qui  la  révèle..,  de  même  aussi  la  philo- 
sophie... découle  de  la  lumière  naturelle  de  l'esprit  hmnain. 
Or,  la  philosophie  naturelle  est  à  la  théologie  révélée  ce  que  la 
lumière  naturelle  est  à  celle  de  Dieu  :  et  la  lumière  de  l'intel- 
ligence humaine  n'est  autre  chose  qu'un  reflet  de  la  divine 
clarté  imprimé  dans  nos  âmes  à  leur  création  ».  C'est  pourquoi 
en  tant  que  la  raison  participe  à  la  lumière  divine,  elle  atteint 
par  ses  seules  forces  bien  des  vérités;  en  tant  qu'elle  n'est  pas 
la  lumière  infaillible,  elle  erre  souvent.  La  théologie  lui  est 
donc  bien  supérieure.  C'est  Lia  et  Rachel,  la  servante  et  la 
maîtresse,  ou,  selon  Aristote  lui-même,,  le  hibou  en  face  du 
soleil  <i).  Aussi  les  scolastiques  ne  méritent  point  le  reproche 
que  leur  font  les  philosophes  modernes,  d'avoir  usé  de  la 
philosophie  d'Aristote  <(  pour  prouver  les  vérités  de  foi  »;  ils 
s'en  sont  servi  seulement  pour  éclairer  ces  vérités  et  montrer 
qu'elles  ne  répugnent  pas  à  la  raison  '2).  Les  abandonner  et 
renoncer  à  rien  prouver  par  la  raison,  c'est  une  ingratitude; 
c'est  aussi  une  imprudence.  Quand  Philippe  demanda  aux 
Athéniens  de  livrer  leurs  orateurs,  Démosthène  leur  conta 
l'apologue  du  loup  qui  demandait  au  berger  de  livrer  ses 
chiens.  C'est  ainsi  qu'il  faut  répondre  aux  détracteurs  des 
scolastiques  (3). 

L'ensemble  du  livre  est  destiné  à  réfuter  le  fatalisme  et  à 
établir  la  liberté  humaine.  Il  vise  d'abord  les  disciples  de 
Pomponazzi  et  des  anciens  (chap.  1-20);  puis,  en  introduisant 
la  grâce  et  la  prédestination  dans  le  débat,,  il  s'attaque  aux 
protestants  (Ch.  21-23).  Les  premiers  s'appuient  sur  Cicéron 


(1)  De  libai.  01)  ,   Veritas  Ja,  p.   6. 
(3)  Itiid.,  p.  7. 
(3)  Ibid.,  p.  9. 


1  'l  i  SOURCES    ET     INFILTRATIONS 

(|ui.  dans;  le  De  .\aiura  Dcoruni  a  nié  la  prescience  divine  et 
le  laluiu,  les  estimant  inconciliables  avec  le  libre  arbitre  ^^\ 
et  sur  Avicenne  qui  soumet  tout  à  l'âme  du  ciel  (2).  Us  repro- 
duisent en  somme  sur  ce  point  la  doctrine  stoïcienne  ^3)  ^i 
veulent  tirer  à  eux  Aristote  ^^K  Mais  Romeo  n'accepte  pas  leur 
interprétation  des  textes  d'Aristote;  il  leur  oppose  Boèce, 
«  philosophe  illustre  et  excellent  chrétien  (^)  »,  Aristote  lui- 
même  '6),  saint  Augustin  <"').  Surtout  il  leur  rappelle  avec 
saint  Thomas  qu'en  Dieu  il  n'y  a  ni  passé  ni  futur  mais  un 
éternel  présent,  ce  qui  exclut  toute  nécessité  dans  la  pre- 
science divine  ^^K 

Dans  le  chapitre  qu'il  a  réservé  à  la  fin  de  son  livre  à  l'im- 
mortalité il  s'attaque  à  Alexandre  et  à  ses  partisans,  ainsi 
(ju'à  Averroès.  Au  débuts  il  signale  bien  l'hérésie  des  augus- 
tiniens,  selon  lesquels  l'âme  sommeille  juscpiau  jugement  géné- 
ral, et  celle  des  anabaptistes  qui  l'anéantissent  jus(ju"à  ce  même 
jugement,  mais  il  ne  les  réfute  point.  Pomponazzi  n'y  est  point 
nommé.  Pourtant  est-ce  pur  hasard  si  le  chapitre  se  trouve 
n  l'aiiv  le  traité  (hi  célèbre  padouan  en  prouvant  d'abord  que 
l'âme  est  immortelle,  et  ensuite  r|u'Aristote  l'a  cru  ^^'>  ? 

La  première  partie  est  appuyée  sur  les  textes  de  l'Ecriture 
et  des  Pères  ^^^K  Mais  comme  les  incrédules  n'acceptent  pas  ces 
raisons'"),  Roméo  proclame  la  supériorité  de  la  théologie,  sur 
la  philosophie.  Surtout,  dans  une  deuxième  partie,  il  produit 

(I)  De  Hbert.  op.,  veritas  VIII.  p.  43. 
(-2)  Ibid.,  verita,s  IX,  p.  55. 

(3)  Ibld-,  veritas  IX.  p.  51.  H  cite  Sénèque  :  regrilur  f.itis  mortile  gtnns. 

ii)  Ibid.,   veritiis  VIII.  p.  A\. 

(5)  Ibld..  veritas  IX.  p.  51. 

(6)  Ihid.,  j).  54-55. 

(7)  Ibta  .   p.   56-57. 

(S)  In  Deo  stium  piîPsciie  et  velle  niiin|ii;iin  traiiseuiit  in  praeteritum...  Quo  fit  ut 
divini  actus  debeant  potius  consideraii  quasi  praesentlaliter  seini>er  egredientes 
(piam  ut  egressi  vel  eprressuri  i)ropti'r  ii)sum  nunc  aeternltatis,  cui  tam  prœteritum 
quam  futurum,  multo  maRls  pripscntia  sunt  quam  sit  praesens  homini,  puta  flffulo, 
opus  suum  qnod  liic  et  nunc  oi>pratur  fp.  lii-l-i-^). 

',9)  De  llbcrl.  op..  verilas  XIV.  p.  1H1-1.S2.  Noter  que  Romeo  de  Castifflione  a 
étudié  Aristote"  sous  la  direction  de  l'excellent,  péripatétlcien  F»""  Verino  IDe 
lAUrrl.  operuiii.  F»  1  v"). 

(10)  De  liberl.  op.,   veritas  XIV,  p.  183-186. 

(II)  Ibid  ,  p.  186-18«.  Leurs  objections  ont  été  données  en  tôte  de  cet  article. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  .  145 

contre  ceux  qui  «  assurent  quAristote  a  cru  l'âme  mortelle  '^^  », 
«  qui  mettent  leur  gloire  dans  le  nom  d'Aristote  ^2)  »,  les  textes 
mêmes  du  stagirite,  d'où  il  ressortirait  qu'il  a  professé  l'immor- 
talité '3).  Il  appuie  son  interprétation  sm^  Thémistius  et  Théo- 
phraste.  Par  contre,  il  lui  faut  la  défendre  contre  Gajetan  qu'il 
prend  à  partie  plusieurs  fois  (^\  contre  Averroès,  à  qui  il  con- 
sacre onze  pages  *^',  contre  xAlexandre  d'Aphrodisias  surtout, 
r  <(  Achille  des  modernes  »,  comme  il  l'appelle.  Peut-être  aussi 
est-ce  à  la  fin  du  traité  de  Pomponazzi  qu'il  a  relevé  cette  objec- 
tion que  la  vertu  est  à  elle-même  son  propre  loyer  's).  Il  conclut 
son  étude  en  déclarant  que,  d'après  Aristote  lui-même,  les  deux 
intellects  —  possible  et  agent  —  sont  parties  constitutives  de 
notre  âme  et  que  tous  deux  sont  séparables  du  corps  et  immor- 
tels "l  C'est  plus  que  n'exigeait  la  stricte  orthodoxie. 

((  Quant  à  ceux  pour  qui  Alexandre  et  d'autres  sont  des 
dieux  ))  et  qui  tiennent  que  cette  interprétation  d'Aristote  ne 
concorde  pas  avec  celle  d'Alexandre,  qu'ils  se  souviennent 
qu'Alexandre  et  ses  disciples  se  sont  souvent  trompés,  à  en 
croire  Averroès  lui-même;  qu'eussent-ils  raison  et  Aristote 
aussi,  Aristote  n'est  pas  à  lui  seul  toute  la  philosophie;  que 
la  philosophie  enfin  n'est  pas  nécessairement  la  vérité,  dans 
les  choses  de  la  foi.  Si  Aristote  s'est  souvent  trompé  en  matière 
même  de  physique,  qu'y  a-t-il  d'étonnant  que  la  nature  et  la 
destinée  de  l'âme  lui  aient  échappé  ^^^  ?  Ce  recul  final,  par  où 
l'auteur  fait  des  restrictions  à  sa  confiance  en  Aristote,  n'est-il 
pas  bien  significatif?  Les  dix  dernières  pages  ^s)  sont  une 
vaste  compilation  où  sont  entassés  tous  les  auteurs  connus, 
grecs,  latins  et  arabes. 


(1)  Ibid.,  p.  182. 

(2)  Ibid.,  p.  190. 

(3)  Ibid.,  p.  191  à  196. 

(4)  Ibid.,  p.  192.  194. 

(5)  Ibid  ,   p.   200-211. 

(6)  Quemadmodura  peccatum  est  pœna  peccanti;  sic  etiam  recte  vivere  praemiura 
est  vlrtuoso  (p.  198-199). 

(7)  P.  216. 

(8)  P.  216-218. 

(9)  P.  218  à  227.  A  propos  de  Cicéron,  il  reprend  la  discussion  de  l'Entéléchie,  que 
je  joindrai  aux  études  sur  ce  sujet  parues  deux  ans  après.  Voir  ch.  VHI,  début. 

10 


146  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

On  en  peut  dire  autant  du  gros  in-folio  (jue  publia  Agostino 
Steuco  à  Pai-is  en  1540  :  le  De  Pereimi  philosophia  d'.  Son 
but  est  de  concilier  la  raison  et  le  dogme.  Pour  cela  il  a  entassé 
en  dix  livres  tous  les  textes  que  pouvaient  lui  fournir  les  phi- 
losophes anciens.  Naturellement  un  tel  souci  d'apologétique 
ne  peut  se  réahser  qu'en  déformant  le  sens  des  pages  citées. 
Aussi  le  livre  a  peu  de  valeur.  La  méthode  du  reste  est  vite 
accablante  pour  le  lecteur  qui  trouve  une  compilation  de  textes 
hétérogènes  là  où  il  cherchait  un  essai  prudent  du  syncré- 
tisme. Pourtant  le  livre  eut  assez  de  succès  pour  être  réédité 
à  Bâle  deux  ans  plus  tard.  Nous  le  trouverons  cité  en  cours  de 
ce  volume  par  J.-C.  Scaliger  qui  se  flatte  d'avoir  converti  un 
athée  grâce  à  A,  Steuco,  et  par  Postel  qui  combat  sa  méthode. 
C'est  que  le  De  Perenni  philosophia  en  essayant  d'acca- 
parer la  philosophie  au  profit  de  la  théologie  reconnaissait 
par  là  même  la  force  et  le  danger  de  la  première.  Il  est  donc 
lui  aussi  un  témoin  du  développement  du  mouvement  ratio- 
naliste. On  a  la  même  impression  si  Ion  considère  les  dogmes 
que  le  savant  bibliothécaire  entreprend  de  prouver.  Les  trois 
premiers  chapitres  de  son  livre  traitent  de  Dieu;  le  quatrième, 
de  la  Providence?  les  ciufjuiième,   sixième  et  septième  ide  la 
création;  le  huilièmo,  des  démons;  le  neuvième,  de  l'immorta- 
lité; le  dixième,  du  souverain  bien.  C'est  tout  le  programme  de 
l'école  de  Padoue. 

En  ce  qui  concerne  Dieu,  l'auteur  est  surtout  préoccupé  de 
montrer  la  Trinité  en  germe  chez  les  platoniciens.  Cela  est 
sans  intérêt  pour  notre  étude.  Mais  il  a  grand  soin  d'établir 
la  Providence  contre  la  nature  d'Aristote,  le  hasard  d'Epicure, 
le  destin  de  Sénèque '■^>.  Sa  méthode  consiste  à  affirmer  que 
ces  auteurs  ont  voulu  désigner  sous  ces  trois  noms  l'activité 

(1)  Auy.  Steiichi  Euaubini.  episcopi  K'imml,  scdis  Apogtolicae  hmiolhcciiril  De 
Perenni  philosophia.  lUirl  X.  Paris.  1540;  Bàle,  1542;  Paris,  157S.  Mes  renvois  se 
reportent  à  cette  dernière  édition.  Sur  A.  Steuco,  voir  Bkuckkr.  llistor.  rrltirn 
philosophiie.   IV,  p.  753. 

(2)  De  Perenni  phil.,  \\h.  IV,  cap.  I,  IX,  X;  11b.  VI,  cap.  V.  po  104-105  vo. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  147 

divine  et  à  appliquer  à  la  Providence  ce  (juils  en  disent.  Il 
a  fait  aussi  de  longues  recherches  pour  prouver  la  création 
contre  l'aristotélisme  padouan.  Deux  chapitres  de  discussions 
sont  suivis  de  vingt  chapitres  d'autorités  !  Aristote  lui-même 
dépose  en  faveur  de  la  création.  Il  n'a  pas  combattu  ce  dogme, 
sinon  sous  la  forme  fausse  que  lui  prêtait  la  philosophie  anté- 
rieure. A  Cotta,  Steuco  oppose  Cicéron,  et  le  De  Natiira  Deo- 
ruin  devient  ainsi  un  livre  d'apologétique  (i'  Seuls  Averroès, 
Lucrèce  et  Pline  lui  paraissent  irréductibles. 

La  même  méthode  lui  permet  de  soutenir  que  toutes  les 
écoles  philosophiques  ont  cru  à  l'immortalité  :  pythagoriciens, 
Egyptiens,  poètes  antiques,  Chaldéens,  Platon,  Aristote  «  qui 
est  merveilleusement  d'accord  avec  Moïse  »  sur  la  création 
de  l'âme  et  avec  tous  ceux  que  je  viens  de  nommer,  ainsi 
qu'avec  Cicéron,  sur  sa  destinée.  Cicéron  «  au  nom  de  tous 
les  Romains  »  professe  que  l'âme  est  faite  à  l'image  de  Dieu. 
Et  c'est  dans  le  De  Nalura  Deorum  ("2)  !  Sénèque  a  décrit  le 
paradis,  sans  le  savoir  ^^i  jj  j^'y  ^  p^g  ^jg  raison  désormais 
pour  qu'Alexandre  d'Aphrodisias  ne  vienne  pas  déposer  en 
faveur  du  dogme  qu'il  a  le  plus  contribué  à  ruiner.  Et  aussi 
il  le  fait,  pendant  deux  chapitres  *^). 

Un  parti  pris  aussi  aveugle  nous  défend  de  chercher  dans 
le  livre  de  A.  Steuco  aucune  discussion  sérieuse.  Mais  le  livre 
était  à  signaler  pour  l'influence  qu'il  a  pu  avoir  sur  certains 
esprits  à  qui  en  imposaient  la  vaste  érudition  de  l'auteur  et 
les  grands  noms  dont  il  étayait  sa  doctrine. 

(1)  Ibid.,  lib.  VII,  cap.  VII,  Fo  133.  Noter  ces  arguments  qui  visent  l'école  de 
Padoue  autant  que  Cicéron  :  que  Dieu  n'est  pas  resté  oisif  avant  la  création 
(FO  133  vo);  qu'il  n'y  a  pas  de  temps  pour  Dieu  (chap.  III) 

(2)  Ihid...  lit).  IX.  cap.  XI,  Fo  20'i. 

(3)  U)id.,  cap.  XII  et  XIII. 

(4)  Ihld.,   cap.  XXI-XXII. 


148  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


II 


Les  auteurs  accompagnaient  les  livres.  Depuis  longtemps 
la  France  était  le  pays  de  cocagne  des  aventuriers  méridio- 
naux, Paris  le  centre  lumineux  qui  attirait  étudiants  et  pro- 
fessem^s;  avec  François  F'"  la  cour  à  son  tour  va  devenir  le 
monde  rêvé  par  les  courtisans  et  les  poètes. 

M.  Mathorez  a  fait  une  étude  très  documentée  sur  Les  Ita- 
liens en  France  du  XI II" siècle  lusquau  règne  de  Charles  VlîIW. 
M.  Guiraud,  d'autre  part,  a  consacré  tout  un  chapitre  de  son 
livre  sur  [Eglise  et  les  origines  de  la  Renaissance  ^2)  à  montrer 
l'influence  de  l'art  italien  en  France  sous  les  papes  d'Avignon. 
M.  Picot  enfin,  dans  une  série  d'études  magistrales  publiées 
tout  récemment  par  le  Bulletin  Italien  ^^\  a  retracé  le  tableau 
de  l'invasion  pacifique  qui  suivit  le  retour  de  nos  armées  après 
1515  :  princes  au  service  du  roi  :  les  Trivulzi,  les  Fregosi, 
les  San  Scverini,  les  Gondi,  les  Slrozzi:  banquiers  lombards 
et  génois  établis  à  Lyon  W,  les  Gondi  et  les  Strozzi  déjà  cités, 
les  Salviati,  les  Pilti;  sculpteurs,  peintres  et  architectes  pom' 
les  palais  royaux  et  les  tombeaux  somptueux  :  les  Giusti,  les 
Mazzoni,  Benvenuto  Cellini,  Léonard  de  Vinci,  et  tant  d'autres 
qui  travaillent  à  Blois,  à  Gaillon,  à  Amboise,  à  Fontainebleau, 
ou  aux  tombeaux  si  riches  de  Louis  XII  à  Saint-Denis,  de 
Thomas  James  à  Dol;  de  Th.  Bohier  et  Catherine  Briçonnet 
à  Tours;  graveurs,  armuriers,  brodeurs,  ouvriers  en  or  ou 
en  soie,  verriers  et  parfumeurs. 

Leur  nombre,  déjà  considérable,  augmentera  encore  lorsque 
le  Dauphin  aura  épousé,  en  1533,  Catherine  de  iMédicis.  Bel- 
ini^sci'i,  (|iii  fil  iiii  (''pithalamc  à  cette  occasion,  énumère  coni- 

(1)  Bulletin  llalH-n.  1917,  p.  8,  76,  129   et  sulv. 

(2)  Ch.  II  :  "  Les  arts  à  la  cour  d'Avignon  ». 

(3)  Uutli'tln  HaUen.  1901,  p.  92,  269;  19<)2,  p.  23,  108;  1903,  p.  7,  IIS,  219;  1904,  p.  123, 
294  et  pour  l'époque  que  nous  étudions  :  1917,  p.  61  et  suiv.;  160  et  sulv. 

(4)  Pour  les  Italiens  établis  à  Lyon,  voir  CifAHPix  rEir.EHOLLES,  Les  Florentins 
à  Lyon,  Lyon,  1794.  * 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  149 

plaisamment  dans  sa  préface  tous  ceux  qui  quittèrent  le  pape 
pour  s'attacher  au  roi  :  Philippe  Strozzi,  le  prince  de  Melphe, 
Jean  Caraccioli,  Pierre-François  de  Pontremoli  son  compa- 
triote, Theocrcno,  et  lui  surtout,  lui  Belmisseri,  f[ui  <(  vieux, 
médecin,  professeur  à  Bologne,  a  fait  à  ses  frais  le  voyage  de 
Bologne  à  Paris  à  cause  de  son  très  grand  amour  pour  Sa 
Majesté  ».  Le  prédicateur  même  de  la  cour  est  un  Italien  : 
J.-B.  Pallavicini,  <c  omnium  concionantium...  prœclaris- 
simus  (^)  ». 

Mais  les  professeurs  surtout  furent  nombreux  :  sans  remon- 
ter jusqu'au  XIIP  siècle  où  Saint  Thomas  d'Aquin,  Pierre 
Lombard,  Brunetto  Latini  illustrèrent  notre  Sorbonne  ^^\  sans 
nous  arrêter  sur  le  séjour  de  Tifernas  au  XV^  siècle  (3),  sans 
refaire  après  MM.  Renaudet  <^),  Delaruelle,  Imbart  de  la  Tour, 
Pasquier,  l'histoire  de  l'enseignement  tapagem-  de  Balbi,  de 
Vetelli,  de  Fausto  Andrelini,  d'Aleandro  f^),  de  Lascaris  (s),  de 
Ricci  et  Giustiniani  c^),  au  début  du  XVP  siècle  ;  nous  mention- 
nerons ceux  qui  ont  parcouru  nos  universités  après  1520. 

Toulouse,  Orléans,  Cahors,  Valence  <8),  Grenoble,  Bourges 
voient  affluer  les  professeurs  de  droit.  Quelques-uns  sont 
célèbres  :  Gribalbi,  dont  nous  avons  noté  ailleurs  l'influence 
in  ôligieusp,  Ferretti  élève  de  Decio  et  maître  de  Ant.  Govéan, 
Alciati'^).  Le  poète  Alamanni  arrivé  en  1532  ne  s'en  retour- 


(1)  Belmisseri,  Epithalunnuni,  préface.  La  plupart  de  ces  noms  sont  cités  clans 
les  Actes  de  Françoh  /er.  voir  aussi  une  liste  dans  Amomo,  Rime  Toscane,  Paris, 
1535,  et  un  résumé  dans  Flamini,  //  Cinquecento,  p.  231  à  234. 

(2)  Pour  la  liste  complète,  voir  Von  Alex.  Budinszky,  Die  universitàt.  Paris  und 
die  Frensden  an  derselben  im  mittelattur,  Berlin,  1876. 

(3)  G.  Tifernatis  carmina,  Castelli,  s.  d.  (1521  ?).  B.  Mazarine.  10644  La  préface 
contient  la  vie  de  Tifernas. 

(4)  Prcri'forme,  p.  116  et  suiv. 

(5)  Pasquier,  J.  Aleandre  U4S0-I5?9) 

(6)  Delaruelle,  Budé,  p.  74  et  suiv. 

(7)  Sur  Ricci,  voir  Delaruelle,  Répertoire,  p.  32,  note  2.  Sur  Agostino  Giusti- 
niani, voir  delaruelle,  Répertoire,  p.  32,  note  l,  et  Quetif  Ech.\rd,  Scriptores 
0.  P.,  II,  p.  93  à  100.  Tous  deux  vinrent  à  Paris  en  1518. 

(8)  Sur  ceux  de  Valence  :  Decio.  Gribaldi.  Gallaula,  Emillus.  voir  Mugnier,  Bous- 
sonne,  p.  411. 

(9)  Pour  les  détails  et  les  autres  noms,  voir  Bulletin  Italien,  1917,  p.  160  à  172 


150  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

liera  qu'en  1549  (i);  le  milanais  Simeoni  (Gabriel),  venu  à  la 
cour  avec  l'ambassadeur  florentin  en  1528,  erre  de  Paris  à 
Lyon,  de  Lyon  à  Florence  ^^\  à  Clermont,  à  Troyes  où  il  est 
emprisonné  pour  cause  d'hérésie.  En  1529  mourait  à  Blois 
Navagero,  l'humaniste  vénitien,,  élève  de  Pomponazzi,  ami  de 
Longueil,  Bembo  et  Sadoiet;  la  même  année  s'éteignait  Paolo 
Emili,  qui  avait  écrit  à  Paris  même  l'histoire  de  François  P""  '3). 
Ils  ont  de  nombreux  protectem^s.  Le  roi  lui-même  avait 
confié  ses  enfants  à  un  Italien  :  Theocreno.  Il  suffit  de  parcourir 
les  actes  de  François  I"  pour  se  rendre  compte  de  la  multitude 
de  faveurs  qu'il  leur  accorde.  Pendant  tout  le  règne  de  Henri  II 
ils  font  la  mode  à  la  cour  jusqu'à  ce  que,  vers  I5G0,  une 
réaction  violente  se  dessine  contre  Catherine  et  les  Italiens. 
Les  mêmes  personnages  que  nous  avons  vu  protéger  les 
padouans  français  protègent  les  Italiens.  G.  du  Bellay  établit 
Alex.  Losée,  quand  il  quitta  Toulouse,  lieutenant  du  juge 
d'appel  à  Turin;  le  cardinal  de  Lorraine  a  des  Italiens  dans 
sa  domesticité.  Il  est  le  Mécène  d'Agostino  Giustiniani  qui 
lui  (Irdie  une  traduction  (hi  Tiinée  en  1520,  de  Luigi  Alamanni, 
Pietro  Aretino,  Claudio  Tolomei,  qui  le  remercient  dans  leurs 
livres  *^).  Le  cardinal  de  Tournon,  vers  1540,  a  aussi  plusieurs 
Italiens  à  son  service.  En  1551,  il  héberge,  jusqu'à  ce  qu'il 
lui  ait  procuré  un  bénéfice,  le  philosophe  Claudio  Tolomei 
qui  avait  professé  les  Ethiques  d'Aristote  à  Padoue  (1547- 
I5'i8)'^'.  Son  ami  ,lac([iies  (}olin  introduit  François  Bcllini  à 
la  cour,  protège  Theocreno  et  publie  quelques  vers  dans  le 
recueil  de  ce  dernier  '^). 


(1)  Sur  Alamanni,  voir  la  thèse  de  M.  Hauvette. 

(2)  Venu  à  Paris  en  1528,  pensionné  en  1534.  il  retourna  à  Florence  en  1539  et 
revint  en  France  en  15'i2. 

f3)  Pmili  Aetnylll  Vcronensis  de  rebua  r/estis  Fraiicorum,  Paris,  Vascosan,  1539. 
Pauli  Aeinylil  de  se  epigrnmmata  : 

Est  Mater  Verona  mlhi... 

Incolui  Romam,  retinet  me  Gallia  :  cardo 

Carlus  habet.... 

(4)  E.  Picot.  Franc   liai..  I,  p.  53.  54,  58. 

(5)  Franc,  liai.,  1,  p.  105  à  116. 

f6)  Colin.  lecteur  du  roi  avant  P.  du  Chastel,  traduisit  le  rorttaiano  de  B.  Casti- 
GLIONE.  Sur  sa  vie.  voir  :  BoiniiLLY.  J.  Colin,  abbi  de  Saint- Ambroise,  Biblloth. 
d'Hist.  Moderne,  19(»;  Delaruelle,  Réiiertoire,  p.  227;  GaUia  ChHutlana,  II,  p.  181. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  151 

Je  ne  parle  pas  de  leurs  compatriotes  déjà  établis  en  France 
et  qui  les  poussaient  à  la  fortune. 

De  tous  ceux-là  l'influence  fut  surtout  personnelle  et  nous  ne 
pouvons  lévaluer  exactement.  D'autres  enseignèrent  la  philo- 
sophie à  Paris  et  nous  allons  nous  y  arrêter  plus  longuement. 

Benedetto  Tagliacarne  (i),  dit  ïheocreno,  né  vers  1480  à  Sar- 
zana,  près  de  Gênes,  d'une  famille  noble,  quitta  son  pays  en 
1522  quand  il  fut  ravagé  par  les  impériaux.  Il  suivit  en  France 
Frederico  Fregoso,  archevêque  de  Salerne,  frère  du  doge  de 
Gênes.  A  la  fin  de  Tannée,  il  éiait  devenu  un  familier  de  Fran- 
çois I".  En  1524  le  roi  le  nommait  précepteur  de  ses  enfants. 
Il  garda  cette  fonction  même  pendant  la  captivité  des  fils  du 
roi,  qu'il  accompagna  à  Madrid  (1524-1526),  et  fut  nommé 
évèque  de  Grasse  en  1535.  Il  mourut  l'année  suivante  à  Avi- 
gnon. Belmisseri  loue  son  érudition  :  <(  oiunium  doctrina  con- 
summatissimus  (2)  ».  A'ous  n'avons  de  lui  qu'un  livre  insigni- 
fiant *3)^  au  point  de  vue  qui  nous  occupe.  Mais  il  fut  très 
puissant  à  la  cour.  Les  actes  de  François  P""  mentionnent  des 
dons  très  nombreux  en  argent,  terres  et  maisons  faits  par  le 
roi  à  l'adroit  Italien  f^);  le  roi  légitima  les  deux  enfants  qu'il 
eut  en  Italie  et  en  France  <5)  et  donna  des  lettres  de  naturalisation 
avec  permission  de  tester  sans  payer  de  droit  de  chancellerie 
(chose  rare  alors)  et  de  posséder  des  bénéfices,  à  son  neveu 


(1)  Sur  Tag-liacarne,  voir  Nicéron,  33,  p.  322  à  32S;  Flamini,  Studi  dl  Storia 
letter.  Hat..  \,.  33(»-332;  DELARUELLE,  Béperioire,  p.  211;  bourilly,  Jacquet:  Colin, 
p.  55-56. 

(2)  Epilhnlamhnii  Hctirhi  flUi  Chr;st.  Gallortnn  régis,  préface. 

(3)  Theocrini  episcopi  grassensis,  régis  F.  liberorum  prxceptoris,  Poemata  guae 
juvenis  admndutn  lusit,  Poitiers,  1536.  Le  livre  n'a  d'intérêt  que  pour  la  chronique 
mondaine  du  temps.  Mais  il  eut  un  gros  succès;  l'Arioste  a  mis  son  autour  dans  la 
phalange  de.s  poètes  au  dernier  livre  de  son  Roland  Furieux:  s.  Macrin  le  célèbre, 
Luigi  Alamanni  aussi  (Opère  Tonrane,  éd.  Gryphe,  II.  p.  16). 

(4)  Voir  Actes  de  François  /«r,^  I,  n°^  3181,  3293;  II,  nos  4287,  4778,  6361,  4122; 
V,  no  18625;   VI,   no  20734. 

(5)  Ibid.,  VI,  nos  20332,  20333  (datés  de  1531). 


152  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

François  Tagliacarne  (i).  Theocreno  ne  fui  pas  égoïste;  les 
Italiens  qui  arrivaient  en  France  trouvaient  en  lui  un  protec- 
teur aussi  bienveillant  que  puissant  (2),  H  dut  être  en  relations 
avec  Alamanni  exilé  *3);  c'est  lui  peut-éli'e  qui  recul  Bellini 
en  153 i  et  le  présenta  à  Jacques  Colin,  son  ami;  c'est  lui  peut- 
être  encore  qui  reçut  Amomo  :  celui-ci  n'eut  garde  de  l'oublier 
et  dans  ses  Rime  toscane  W,  il  vante,  parmi  les  Italiens  qui 
sont  à  Paris,  Theocreno,  u  Ch'  adorna  Italia  d'iminorlalc 
honore  <^)  ».  C'est  lui  enlin  qui  favorisa  Belmisseri:  aussi  Bel- 
misseri  >^"intitule  son  client  plein  de  confiance  (Iklus  cliens)  et 
le  proclame  aimé  de  Phébus  et  des  Muses  :  «  Dilectus  Phœbo  et 
Mu  sis  '6). 

Belmisseri  (''')  est  né  aux  environs  de  1480,  à  Ponlremoli.  Il 
dut  étudier  à  Bologne  et  y  devint  ensuite  professeur  de  logique 
et  de  médecine  (1512-1519).  Mais  il  3^  fut  vraisemblablement 
mal  payé,  si  l'on  en  croit  les  doléances  de  sa  muse  : 

Nnstra  eteiiim  eineritii  pridoni  fraudala   hiboie 
Musa  dolet,  studii  praemia  pauca  ferens... 
Tu  precibus  juslis,  tu  tanto  numiiie  inotus 
Et  Phœbo  et  .\lusis  praemia  rcdde   tuis(8). 


(1)  Ibid.,  II,  no  6769. 
2)  Flamini,  Studi  di  Storia  letl.  itul.,  p.  330-332. 

(3)  Aussi  Alamanni  fait  son  éloge  : 

Quanto  il  greto  e'I  roman  conobbe  e'I  tosco 
Per  alcun  tempo  mal,  conosce  solo 
Qu&sto  gentil,  che  si  l'Italia  onora 
Non  pur  del  suo  saver,  ma  d'altre  tante 
Virtu,  ch'a  dirle  lo  sol  non  fla  possente 

(Opère  toscane,  éd.  Grypho.  Il,  p.  16). 

(4)  Paris,  Colines,  1535. 

(5)  F»  Dij.  Cette  poésie  a  été  reproduite  en  partie  par  E.  Picot,  Franc.  liai.,  I, 
p.  63. 

(6)  BELMISSERI,  Epifjram.  (1534),  p.  88  et  89. 

(7)  Em.  Costa,  p.  Belmisseri  poela  ponlremolese  del  sec.  XVI.  Torino,  1887; 
Flamini,  r.e  lellere  italtane  alla  corle  di  Fratiresro  I  rc  di  Fntncia  (Studi  di  Storta 
lelterarla),  p.  334-335. 

(8)  Elegia  undecima  pro  stiiM?ndi(j  lecturae  suae  decem  annorum  Bononiensibus 
credito  :  F.  Guizardinr  gubernatori  (Opéra,  p.  73-74).  Il  revient  sur  ce  sujet  dans 
sa  dernière  éplgramme,  p.  99. 


J 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  153 

Il  était  lié  avec  le  médecin  L.  Bocca-Fero  professeur  à 
Padoue,  commentateur  d'Aristote,  si  l'on  en  croit  l'épigramme 
qu'il  lui  a  consacrée.  On  peut  supposer  qu'il  fut  son  élève  (i). 
11  a  fait  aussi  une  épitaphe  très  élogieuse  au  maître  de  Bocca- 
Fero,  Alessandro  Achillini  ('^),  l'un  des  averroïstes  les  plus 
connus.  Puis  il  alla  à  Padoue  et  à  Venise  exercer  la  médecine. 
En  1527,  la  peste  désola  Venise;  il  s'y  dépensa,  mais  là  encore 
son  dévouement  fut  mal  payé  :  «  Salut  à  toi  aussi  que  ceint 
l'Adriatique,  bien  que  tu  portes  un  cœur  de  pierre;  non 
médiocre  fut  le  secours  cjue  je  te  donnai  lorsque  tu  eus  une 
peste  si  grave,  et  cependant  dans  ma  bourse  il  vint  peu  de 
monnaie  (3)  ». 

Sa  renommée  cependant  grandissait.  Clément  VII  le  prit 
pour  médecin  et  c'est  en  cette  qualité  que  le  pape  l'amena 
avec  lui  à.  Marseille  où  il  devait  voir  le  roi  à  l'occasion  du 
mariage  du  Dauphin  (1553).  Il  se  révéla  poète  ^^)  et  le  roi  et  le 
pape  lui  décernèrent  solennellement  la  couronne  de  poésie  f^). 
Il  a  eu  soin  de  nous  le  rappeler  en  faisant  graver  en  tête  de 
l'édition  de  1534  de  l'épithalame  son  propre  portrait  entre  le 
pape  et  le  roi  qui  lui  mettent  sur  la  tête  une  couronne  de 
laurier. 

11  suivit  le  roi  à  Paris  et  n'y  resta  qu'un  an  (1533-1534). 
L'année  suivante,  en  effet,  il  fut  rappelé  à  Rome  par  Paul  III, 
y  enseigna  Aristote,  puis  la  théologie.  On  perd  ses  traces  à 
dater  de  1544  et  on  ignore  même  la  date  de  sa  mort.  —  A 
Paris,  il  s'était  lié  avec  le  gouverneur  Lisset  et  Jean  d'Estoute- 
ville  *6).  Mais  surtout  il  avait  au  coiu*s  de  1533  professé  la  philo- 
sophie. Il  ne  nous  reste  rien  de  son  enseignement  proprement 

(1)  Epitjram.  lib.,  p.  98  v"-99.  Sur  Buccaferrea  (Bocca-Fero),  voir  Brucker,  Hist. 
phH.  crit.,  IV,  p.  765. 

(2)  Epigram.  llb.,  p.  97  vo-9S  : 

QuLdquid   Aristoteles   docuit,   vel   Musa   Platonis 
Docta  canit,  quidquid  Grsecia  et  ipsa  refert, 
Quod  nostri  scripsere,  tenent  hsec    mai-mora  qu»  nunc 
Corpus  Alexandri  nomen  ad  astra  ferunt. 

(3)  Epiçjram.  lib.,  p.  98. 

(4)  Epilalarnium  in  nnptii.f;  Heitrici  filu  Christ>.  Gnllorum  régis  Francisci  ceie- 
bratis  Massiliœ  anno  Domini  I5SS,  die  divo  Martino  dedlcata. 

(ô)  Costa,  op.  cit.,  p.  9-10. 
(6)  Costa,  op.  cit.,  p.  ii. 


154  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

dit,  mais  cependant  nous  pouvons  nous  en  faire  une  idée.  — 
Voici,  en  effet,  son  ouverture  de  cours  à  Paris  : 

«  Jeunes  Français,  lumières  très  brillantes  du  monde,  com- 
prenez maintenant,  grâce  à  mon  étude,  un  livre  où  Aristote 
a  laissé  flotter  entièrement  les  rênes  de  son  génie,  aiin  de  con- 
naître lame  mal  connue.  Ne  vous  lassez  pas  maintenant  de 
pâlir  sur  les  vieux  parchemins,  ne  vous  lassez  pas  de  traduire 
dune  main  rapide  les  écrits  :  ardue,  difficile,  connue  depuis 
peu,  cette  matière  tourmente  partout  les  hommes  doctes.  D'où 
vient  l'âme?  Qu'est-elle  après  la  mort?  Survit-elle  au  corps,  ou 
si,  à  la  mort,,  elle  aussi  périt  ?  Combien  il  fut  bon  interprète  de 
la  nature  et  savant  dans  tout  mystère,  Aristote  le  montre  dans 
ces  livides.  Mais  là  où  ses  écrits  mal  compris  brouillent  les  idées 
et  entraînent  certains  en  toutes  sortes  d'erreurs,  moi,  ces  nom- 
breux passages  couverts  de  ténèbres,  je  les  éclaire,,  et  par  mes 
commentaires  je  les  rends  lumineux.  Les  idées  sont-elles  vraies? 
je  les  prouve;  vaines?  je  le  montre;  fausses?  je  les  réfute;  ei 
j'enseigne  que  seuls  les  corps  sont  victimes  du  destin  <^^  ». 

Ainsi  en  1533  (l'édition  des  œuvres  est  de  1534)  il  expliquait 
le  De  Anima  d'Aristote  aux  écoliers  parisiens.  Et  il  ne  suivait 
pas,  semble-t-il,  Pomponazzi,  comme  on  aurait  pu  le  craindre 
d'un  médecin  qui  l'avait  entendu  à  Bologne  ou  à  Padoue,  mais 
pourtant  il  suivait  Aristote  et  prétendait  l'expliquer  d'une  façon 
nouvelle  pour  les  Parisiens,  autrement  par  conséquent  que  les 
scoIasti(}ues.  Seul  Averroès  avait  alors  aux  yeux  des  philo- 
sophes ce  double  mérite  d'être  original  et  d'accord  avec  Aris- 
tote. A  moins  cependant  quil  ne  fit  comme  Pomponazzi  :  nier 
l'immortalité  d'après  Aristote  et  l'affirmer  par  la  foi;  mais  le 
dernier  vers  de  la  pièce  que  nous  venons  de  citer  rend  cette 
hypothèse  bien  douteuse. 

Nous  avons  du  reste  une  autre  source  de  sa  doctrine.  C'est 
une  sorte  de  profession  de  foi  écrite  sous  forme  de  douze  dis- 
tiques, qu'il  lut  à  Bologne  dans  une  discussion  qui  eut  lieu 
devant  Clément  \'1I.  Xaturellcment,  les  conclusions  étant  lues 

(1)  Eleyia  sexla  scliolnslUls  se/ituayinla  collegioritin  Parlfils  pro  Irclionc  libro- 
rum  Aristotells  de  Anima  (Opéra  poetlca,  p.  70  v»). 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  155 

devant  le  pape,  elles  sont  orthodoxes.  On  y  trouve  cependant 
la  préoccupation,  universelle  alors,  de  l'immortalité  et  quelque 
trace  d'averroïsme.  A  ce  titre,  la  voici  en  partie  : 

1.  —  Le  Mens  siège  dans  les  hauteurs  brillantes  du  monde 
céleste,  et  féconde,  anime  et  remplit  son  œuvre. 

2.  —  De  là  il  voit  et  examine  les  actes  hmiiains... 

3.  —  Aux  sphères  il  a  joint  des  esprits  et  des  intelligences 
inférieures  à  qui  il  a  appris  à  diriger  le  cours  de  si  grandes 
masses. 

4.  —  Le  Mens  délivré  du  corps  retourne  aux  sièges  éthérés; 
ce  lieu  convient  à  des  esprits  éternels  (Mentibus  œiernis). 

7.  —  Celui-là  se  trompe  qui  nie  que  notre  âme  puisse  reve- 
nir dans  notre  corps. 

8.  —  Et  aussi  celui  qui  croit  que  l'âme  meurt,  ou  qu'elle 
passe  en  un  autre  corps. 

9.  —  Celui-là  aussi  se  trompe  qui  place  plusieurs  âmes  dans 
le  corps,  alors  qu'une  seule  peut  en  remplir  les  fonctions... 

12.  —  Celui-là  erre  qui  nie  que  l'âme  se  réjouisse  après  la 
mort  (^). 

Il  est  remarquable  qu'il  réserve  l'immortalité  à  l'intellect 
actif  (mens)  comme  les  averroïstes,  qu'il  le  proclame  comme 
eux  aussi  éternel,  et  non  immortel  (conclusion  4^);  qu'à  la 
première  conclusion  il  le  compare  avec  Dieu,  ce  que  faisait 
aussi  Alexandre  d'Aphrodisias,  pour  qui  l'unique  intellect  agent 
était  Dieu<2).  Peut-être  aussi  est-il  seulement  platonicien  comme 
le  ferait  croire  la  troisième  conclusion.  Mais  l'ensemble  me 
paraît  d'une  orthodoxie  assez  suspecte. 

Le  volume  avait  été  offert  à  François  L^  Il  contenait  en 
outre  de  nombreuses  pièces  flatteuses  pour  le  roi.  Le  roi 
récompensa  son  poète  (3), 

(1)  Conclusiones  coram  Clémente  per  authorem  Bononise  disputatœ  anno  /532,  à 
la  fin  des  Opéra  (Collnes,  I53'i).  Costa  les  a  reproduites  en  entier  dans  son  étude 
sur  Belmisserl,  p.  23-24.  •> 

(2)  Voir  plus  loin  l'étude  sur  le  De  Anima  rationali,  de  Vicomerc.4TO,  qui  discute 
cette  théorie  des  Alexandristes. 

(3)  Actes  de  François  1er,  vil,  p.  760.  n"  28.S71.  Don  de  30  écus  soleil,  ih'd-, 
VII,  p.  792.  no  99.101  :  A  Paul  Belmissere  de  Pontreme,  qui  lait  compositions  et 
harangues  de  plusieurs  matières  et  diverses  sciences  «  esquelles  il  croit  estre  bien 
expert  »  et  dont  il  donne  récréation  au  roi,  225  livres  tournois  (Actes  non  datés). 


156  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Peu  après  son  départ,  avant  peut-être,  arriva  à  la  cour  le 
frioulan  Francesco  Bcllini.  Il  y  fut  protégé  par  J.  Colin. 
Bellini  était  un  ami  de  Berabo,  un  ancien  élève  de  Padoue,  où 
il  avait  l'réquenté  Longueil  et  il  avait  gardé  un  culte  pour 
Pomponazzi  (i).  Il  pleui"a  .sa  mort  dans  une  élégie  latine  2).  Elle 
contient  soixante-sept  distiques.  Pietro  Pomponazzi  y  console 
son  élève  Hercule  de  Gonzague.  L'âme  ne  meurt  pas,  dit-il, 
et  cette  affirmation  surprend  un  peu  dans  la  bouche  de  Pom- 
ponazzi '3),  Pourquoi  se  plaindre?  sa  vie  a  été  heureuse,  puis- 
qu'il lui  a  été  donné  de  connaître  les  causes  secrètes  des 
choses  ^^);  mort,  il  est  tranquille,  car  le  Styx,  Cerbère,  les 
enfers  n'existent  point  <').  Il  est  dans  les  hauteurs  de  l'Olympe. 
De  là,  il  regarde  —  suprême  bonheur  —  le  monde  harmonieux 
et  les  hommes  misérables;  il  entend  l'harmonie  des  sphères; 
il  contemple  les  évolutions  des  astres  (6).  Son  empirée  est  celui 
du  Songe  de  Scipion  et  du  I"  livre  des  Tusculanes  (''').  Puis 
Pomponazzi  donne  des  conseils  à  son  élève  :  qu'il  respecte  les 
doctes,  les  poètes,  les  muses  f^).  A  cette  condition  il  aura  la 
gloire,  comme  Virgile  et  son  compatriote  Pomponazzi.  Et  le 
philosophe  prédit  à  son  élève  des  destins  glorieux  (^)  pour  lui- 

(1)  Flamim,  Il  Cinquecento,  p.  231  et  suiv.  Bellini  dut  arriver  en  France  vers  1533. 
Il  y  était  en  153i.  Ses  œuvres  ont  été  publiées  par  Gianmatteo  Toscane  (cf.  Simar, 
Ch.  de  Longueil,  p.  179). 

.  2)  Bellini  la  composa  tout  jeune  et  vraisemblablement  aussitôt  ai)rès  la  mort  de 
son  maître.  Bembo  en  effet  y  fait  allusion  dans  une  lettre  à  Hercule  de  Gonzague, 
du  1er  avril  1526,  et  qualifie  Bellini  de  iiiier  {«  iibet  etnm  inihi  iliuin  sic  aiii>rUitrv 
qui  pubes  vix  dum  sit.  ><).  C'est  sans  doute  à  cette  élégie  que  fait  allusion  Amomo 
dans  sa  Selva  al  christ,  re  di  Francia  Francesco  Primo  (Rime  Tosaine)  : 

«  Un  Franscesco  Bellin,  pur  tuo    iiritîione, 
L'altro  era,  un  che  la  flebile  elefria 
Ganta  si  ben...  »  {vers  191-193). 
Restée  en  manuscrit  à  la  Marciane  de  \'eiiise  (.W>    laliii  ?^/.  cl.  XI)  jusqu'en  1889. 
Publiée  à  cette  date  par  la  Ilns-edria  Emillnvn,  II*  année,  fasc.  III,  septembre  isf^s, 
p.  151  à  155.  M.  Vittoria  Cian  y  a  joint  un  article  sur  le  suicide  de  Pomponazzi. 
Sur  F.    Bellini.   cf.   Tikaboschi,    Lctti-rnt.  liai..    'VII,    p.   2095-20%;    Maziicciuolli, 
Scriti.  liai..  II,  2,  p.  684  et  suiv. 

(3)  Spirlius  e.\ufu.s  corpore  morte  caret  (vers  10). 

(4)  Nam  mihi  ^ecretas  rerum  cosrnoscere  causas  |  Et  superos  llcuit  mente  videre 
deos  (vers  15-16). 

(5)  Vers  15  à  24. 

(6)  Ver>  25  a  70. 

(7)  M.  Cian  iniliciue  en  note  les  nombreux  rap|)ri>cbemcnts  qui  miuitrcnt  que  le 
Jeune  Bellini  sin>iplre  du  Soni/r  de  Srioioii 

(8)  Vers  85  à  95. 
(91  Vei-s  105  à  13i. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  157 

même,  et  pour  la  terre  l'avènement  de  l'âge  d'or.  Hémistiches 
de  Virgile,  idées  de  Cicéron,  tel  est  le  contenu  de  ce  poème 
du  jeune  humaniste. 

Jean  Ferrerio,  Piémonlais,  avait  séjourné  longtemps  en 
Ecosse  avant  de  venir  en  France;  il  était  moine  de  l'abbaye 
cistercienne  de  Kenlos  W.  En  1531,  il  y  avait  composé  un  traité 
Sur  la  vraie  signilication  de  la  comèle  (2),  contre  les  politiciens 
astrologues  qui  voyaient  en  son  apparition  un  mauvais  pré- 
sage pour  le  règne  de  Jacques'  V  et  de  Marie  de  Lorraine;  en 
1534,  il  prenait  rang  parmi  les  cicéroniens  et  préparait  un 
traité  pour  défendre  Cicéron  contre  ses  détracteurs  ^3)  L'un 
et  l'autre  opuscule  étaient  restés  inédits,  et  l'auteur  inconnu. 
Je  suppose  qu'il  était  le  neveu  de  Filiberto  Ferrerio,  légat  du 
pape  en  France  de  1537  à  1540.  En  tout  cas,  il  appert  des 
préfaces  de  ses  livres  que,  après  être  retourné  en  Italie,  il  s'en 
vint  à  Paris,  peu  de  temps  avant  1540,  et  en  profita  pour  éditer 
ces  deux  livres  et  les  autres  volumes  que  nous  allons  étudier. 
Il  dédie  son  livre  le  plus  important  à  Filiberto  Ferrerio  et  rap- 
pelle dans  sa  dédicace  toutes  les  gloires  de  cette  illustre 
famille  (^). 

Si  donc,  comme  il  est  probable,  il  vint  avec  le  légat  à 
Pairis,  il  y  arriva  en  1537.  Le  11  juin  de  cette  année,  le  légat 
était  encore  à  Lyon;  il  fut  reçu  pour  son  audience  d'arrivée  à 
Melun  le  20  juin  1537  (5).  Les  bulles  furent  enregistrées  en 
octobre  1538  (^).  Filiberto  Ferrerio  s'en  alla  à  la  fin  de  1540.  Le 


(1)  Bibliographie  générale  des  Ecrivains  de  l'ordre  de  Saint-Benoit  (l'77),  I, 
p.  323. 

(2)  De  Vera  cornet ae  signiflcatione,  Paris,  Vascosan,  1540  La  première  dédicace 
à  Jaciues  V,  roi  d'Ecosse,  est  du  15  août  1531. 

(3)  Cicero  poeta  etiam  elegans  nedum  Ineptus  fuisse  contra  vutgalaui  gramma- 
tistarum  opinionem  asseritur.  Vascosan,  1541.  Dédicace  à  G.  Stewart,  évêque 
d'Aberdeen,  trésorier  du  roi,  datée  du  28  novembre  1534. 

(4)  \railerni(a  de  Anintor.  iinmort.  Dédicace  à  Filiberto  Ferrerio,  fin.  Sur  cette 
famille  des  Ferrerio,  voir  Moreri. 

(5)  ictes  de  François  /er,  ix,  no  11.773. 

(6)  Ibid.,  III,  no  10.469. 


158  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

roi  a\  anl  son  dôparl  lui  lit  un  don  de  3.375  livres  'i)  el  lui 
donna  des  lettres  de  naturalisation  *2). 

Penilant  son  séjour  à  Paris,  Jean  Ferrerio  avait  publié  toute 
une  série  d'ouvrages.  Outre  les  deux  livres  dont  nous  avons 
parlé  '3).  il  fit  imprimer  un  commentaire  du  Songe  de  Scipion 
sur  l'immortalité*^)  (1539).  L'année  suivante  il  donnait  une 
édition  française  —  la  première  —  du  livre  de  Pic  de  la  Miran- 
dole  sur  la  même  question  *5);  et  pour  le  compléter  il  y  joignait 
deux  appendices,  l'un  sur  l'entéléchie,  l'autre  sur  les  preuves 
scripluraires  de  l'immortalité  (^'. 

Le  traité  de  l'immortalité  est  en  apparence  un  exposé  du 
Songe  de  Scipion:  mais  l'auteur  laisse  vite  Cicéron,  essaie 
sans  trop  y  réussir  d'accorder  Platon  et  Arislote,  et  finalement 
s'en  remet  à  la  foi  pour  s'assurer  de  l'immortalité.  A  ce  titre, 
il  a  ici  (juelqu'intérêt.  La  préface  est  déjà  significative.  Après 
avoir  plaint  les  anciens,  si  savants  dans  les  choses  de  la  nature, 
si  incertains  des  vérités  de  la  philosophie,  il  ajoute  :  «  Mais 
ceux-là  sont  plus  condamnables  qui  dans  notre  siècle  préfèrent 
les  opinions  de  Platon,  d'Aristote  et  des  autres  philosophes  sur 
l'âme  aux  dogmes  de  notre  foi...  Alors  qu'ils  refusent  de 
s'écarter  d'un  doigt  de  la  philosophie  humaine,  ils  tombent 
dans  la  plus  grande  impiété.  11  ne  reste,  à  mon  avis,  aucun 
espoir  au  chrétien  qui  s'attache  à  ces  théories  païennes  au 
point  de  nier  l'immortalité  des  âmes  et  la  résurrection  de  la 
chair,  ou  de  railler  la  si  grande  lumière  de  l'Evangile  à  la 
façon  des  païens*'^)  ».  Mais  il  ne  veut  pas  les  réfuter,   il  ne 


(1)  IbUi..    iV.   iio   11.773. 

(2)  Ibid  .    VU,   110  -2', .685. 

(3!  De  vern  comelie  siijiiiliralioiip  et  Ciceio  poetd...  usserittur,  tous  deux  de  15i0. 

(4)  AcademUn  de  animorum  iinmorlalitate  ex  Vlo  Ciceronis  de  neiniblica  Ubro 
eiiarratio.  Jo.  l'errerU)  niilhore.  Vascosan,  1539. 

(5)  J.  F.  Phi  Mirnndulx  De  animorum  immorlnlilatr  -/or/ri  et  anjntii  Dlf/irs^io 
nunquam  priiis  in  GnUis  excusa,  Parisiis  ap.  J.    Roygiii,  via  ad  D.  Jacol)um,  15'il. 

(6)  Apiiendix  de  EnieUrMa,  J.  Ferrerio  Pedem.  authore  (p.  49  à  55).  —  Appendix 
altéra  per  curndem  J.  F.  P..  in  iu"  immorlalitas  animorum  ex  diviiiis  lilteris 
rnnprniatur  (p.  55  à  60).  Les  deux  api>endi(es  .sont  de  la  mi^me  impression  et  sous 
le  même  titre  (fue  '^  traité  de  Pic  de  la  Mlrandole. 

(7)  Academica  de  animor.  imniort...  enurratio.  préface,  f"  3. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  J  59 

veut  qu'expliquer  les  écrits  des  anciens.  Ce  n'est  pas  toujours 
facile.  Ainsi,  sur  le  De  Anima  d'Aristole  que  n'a-t-on  pas  écrit  ! 
Et  pourtant,  si  on  y  regarde  de  près,,  u  il  faut  avouer  qu'il  parle 
plutôt  de  l'âme  en  général  qu'il  n'affirme  quelque  chose  de 
certain  sui-  l'immortalité.  Si  vous  apercevez  quelque  idée  par 
hasard  qui  semble  prouver  notre  croyance,  vous  la  trouverez 
si  hésitante,  si  douteuse,  que  vous  aurez  honte  de  vous  servir 
d'un  argument  pris  à  un  philosophe  qui  n'a  jamais  rien  affirmé 
sans  réserve  (^)  ».  Platon  est  plus  net,  mais  pas  toujours  ortho- 
doxe. Il  est  donc  vain  de  chercher  chez  les  anciens  la  certitude 
de  l'immortalité  et  le  moyen  le  plus  sûr  et  le  plus  court,  c'est 
de  recourir  à  l'Evangile  (2>. 

La  première  partie  du  traité  expose  les  preuves  de  l'immor- 
talité du  Phèdre  et  essaie  d'accorder  Aristote  et  Platon.  Elle 
rappelle  par  endroits  le  traité  de  Leonico  qui,  lui  aussi,  avait 
cru  voir  dans  l'opposition  entre  les  deux  philosophes  une 
opposition  verbale  seulement  (3).  Mais  tous  les  deux  se  sont 
trompés,  même  Platon,  puisqu'il  a  cru  l'âme  éternelle.  Les 
autres  philosophes  païens  aussi  ont  erré  à  la  suite  d'Aristote, 
en  croyant  le  monde  éternel  <^).  Plus  grave  encore  est  l'erreur 
des  disciples  d'Aristote  qui  aujourd'hui  veulent,  en  niant  l'im- 
mortalité, rendre  la  vie  de  l'homme  semblable  à  celle  des 
brutes  (^). 

Après  avoir  énuméré  à  son  tour  les  athées,  puis  toutes  les 
erreurs  différentes  sur  la  nature  de  l'âme  *'^',  il  cite  les  autorités 
païennes  et  chrétiennes  qui  nous  assurent  de  l'immortalité. 


(1)  Ibid  .   p.  4. 

(2)  Ibid.,   p.  4  vo-5. 

(3)  Ibid.   p.  12  vo. 

(4)  Ibid.   p.  19  vo. 

(5)  Ibid.   p.  15  vo. 

(6)  Ibid  .  p.  -25  vo.  Sa  liste  d'incrédules  est  curieuse  et  montre  l'influence  de 
Cicéron.  El!e  comprend  :  Anaxagore.  Démocrite,  Epicure  (athées);  les  sto'iciens,  Dla- 
goras.  Théodore  de  Cyrène.  Evhémère,  Callimaque,  Prodicos  de  Céos.  qui  ont  cru 
l'àmi-  mortelle.  Il  met  à  part  Lucien  et  Pline,  ce  dernier  noté  pour  le  chap.  53 
du  Vile  livre,  celui  précisément  dont  on  a  lu  l'analyse  et  la  traduction  au 
premier  chapitre  de  ce  volume.  On  remarquera  que  tous  ces  philosophes,  sauf 
Lucien  et  Pline  naturellement,  sont  cités  comme  incivdules  dans  le  Di'  Nntm-n 
hrnniin    .l'ai  sisnalé  en  tète  de  cet  article  que  Ferrerio  était   cicéronieii. 


1(10  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Que  si  ces  autorités  et  ces  raisons  ne  paraissent  pas  convain- 
cantes, il  faut  s'en  tenir  à  la  foi  :  «  qui  propler  islas  rationes 
credere  nolucril,  propler  lideni  credat  '^)  », 

La  même  préoccupation  fidéiste  se  traduit  dans  ses  autres 
ouvrages  sur  l'inimorlalité  <2).  Le  traité  de  Pic  de  la  Mirandole, 
qu'il  réimprime,  conclut  contre  Averroès  qu'Aristote  a  cru 
à  ce  dogme  ^3)  Mais  Ferre rio  n'en  est  pas  aussi  convaincu. 
C'est  pourquoi  au  début  de  son  Appendice  il  lui  oppose  Platon; 
même  si  nous  n'avions  pas  le  témoignagne  de  Jésus-Christ  sur 
cette  vérité,  dit-il,  faudrait-il  donner  tant  d'importance  à  l'auto- 
rité d'un  homme  que  de  n'admettre  aucune  raison  après  sa 
décision?  Arislote  n'est  pas  seul  philosophe'^).  .Mais  nous 
avons  dans  l'Ecriture  l'appui  le  plus  ferme  de  notre  croyance. 
Avant  d'énumérer  les  textes  bibliques,  il  résume  cependant 
en  deux  pages  nos  raisons  de  croire  :  la  perfection  de  l'homme 
fait  à  l'image  de  Dieu  (p.  56-57),  le  courage  de  ceux  qui 
sacrifient  leur  vie  au  bien  (p.  57),  le  consentement  universel 
des  peuples  (p.  58).  Cependant  tous  ces  arguments  ne  lui 
paraissent  pas  .suffisants  et  c'est  en  dernier  lieu  à  l'Ecriture 
(lu'il  demande  des  raisons  de  croire  (p.  59-60)  ^5). 


!i)  Ibid  ,  p.  32.  A  remarquer  que  parmi  les  erreurs  sur  ce  dogme  il  cite  celles 
des  augiistiniiens  :  Illi  ressurectionem  animarum  appellant  iiuum  e  latebris  in 
Quibus  ad  certura  tempus  reconditae  fuerant  juxta  illorum  somiiia  evocabiinHir 
ad  beatltudinem  (p.  33). 

1-2)  Sur  l'importance  de  ce  prol)lème,  Ferrerio  a  une  pagre  dans  sa  préface  :  C'est 
la  question  la  plus  grave  qui  existe;  le  grand  nombre  des  ouvrages  parus  pour 
l'examiner  n'est  pas  ujie  raison  pour  la  délaisser.  Les  gens  religieux  lais.seront 
tout  i)our  l'étudier  :  Hoc  ipsum  si  flat  non  dubito  futurum  quin  paulatim  defer 
vfsc^nt  corruptae  de  beata  ista  animorum  immortalitate  et  Christi  religione  inanes 
quorumdam   qufestiones  quibus  tolus  ferc   mundns  nnnc  liuiciiiatur  (p.  ô), 

'3)  Plan  du  traité  de  Pic  de  la  Mirandole  :  1°  a)  Raisons  pour  l'immortalité 
(p.  7  il  11);  b)  Objections  et  réfutation  (p.  17-18)^  —  2o  Autorités  .-  «)  Aristote  (p.  18); 
II]  Alexandre  et  Averroès  (j).  lM-19)  réfutés  par  Thénphraste  (p.  20),  Théniistius  (j).  21); 
Ammonios  (p.  23)  ;  r)  Commciitateui-s  d'Aristote  :  Philorxvnus.  Simplicius,  etc. 
(p.  2i-30i:  —  3"  Objoction.s  et  réftitations  (p.  30  a  W).  11  tt^mine  en  disant  qu'.Aris- 
tote  a  cru  à  l'Immortalité  (p.  48). 

Cl)  Quod  si  nullus  esset  Chri.stus  nnllumque  do  caclo  pr;pstantissinuini  in  hoc 
ipso  Animai  negotio  oraculum  (id  quod  muiti  plusqiiam  Epiciiri  factis  hoc  tem- 
r>ore  videntiir  comprobare).  non  tanti  tamen  esse  deberet  unius  hominis  quan- 
tiimvis  magnl  persuaslo  ut  nulli  superslt  ratlonl  locus  (p.  55-56), 

(5)  .)f  joins  son  étude  sur  l'Entéléchie  à  relie  de  Sp.  .Marlino.  parue  trois  ans 
plus  lard.  Voir  chap.  VIII. 


LES    ITALIENS    EN    FRANCE  161 

Tels  sont  les  noms  principaux  que  nous  avons  cru  devoir 
iielever  antérieurement  à  1540  'i).  Leur  rôle  est  loin  d'être 
éclairci  et  nous  soupçonnons  beaucoup  plus  leur  influence  que 
nous  ne  pouvons  la  définir.  Serait-ce  trop  dire  cependant  que 
d'expliquer  par  leur  présence  l'apparition  des  premiers  livres 
d<j  Rabelais  et  de  celui  de  Bonaventure  Des  Periers  ?  Ils  ont 
agité  devant  les  yeux  de  nos  ancêtres  la  question  fondamentale 
de  l'immortalité.  Ils  ont  insinué  que  le  monde  pourrait  bien 
être  plus  vieux  que  ne  le  dit  la  Bible,  et  soumis  à  des  lois 
inflexibles  où  le  miracle  ni  la  prière  ne  peuvent  intervenir. 
Ils  ont  proclamé  ou  avoué  que  les  dogmes  n'avaient  pas  de  fon- 
dement rationnel.  Emettre  de  pareils  doutes,  même  en  y 
donnant  une  réponse,  n'est-ce  pas  déjà  très  grave?  En  1534, 
Budé,  à  qui  l'amour  de  la  philologie  avait  fait  toute  sa  vie 
négliger  les  querelles  dogmatiques,  semble  préoccupé  de  l'ex- 
tension de  l'incrédulité  ;  "  D'où  vient,  dit-il,  que  les  avertis- 
sements de  l'Ecriture,  que  les  réponses  et  les  prédictions  du 
Fils  de  Dieu  en  personne  n'obtiennent  de  nous  qu'un  assen- 
timent «  académique?  ».  La  seule  cause,  c'est  que  toutes  ces 
vérités  ne  s'imposent  pas  à  l'évidence  des  sens  vains  et  témé- 
raires. Or  sur  l'immortalité  de  l'âme  et  son  sort  après  la  mort, 
ou  bien  il  faut  croire  à  la  sagesse  divine,  ou  bien  nous  sommes 
descendus  de  nouveau  jusqu'à  l'antique  polythéisme  et 
athéisme,  ou  enfin  nous  fondant  sur  la  doctrine  de  presque 
toute  l'antiquité,  nous,  aujourd'hui  même,  condamnons  nos 
âmes,  à  mourir  avec  nos  corps  » '2).  Et  quand  il  cherche  les 
causes  de  celte  incrédulité,  c'est  dans  l'expansion  de  la  philo- 
sophie ancienne  qu'il  les  trouve  :  «  0  Dieu,  s'écrie-l-il;  ô  Sau- 
veur, malheur,  faute  honteuse  et  inexpiable  :  L'Ecriture  et 
la  Révélation,  nous  n'y  croyons  qu'avec  hésitation...  C'est  que 
la  fréquentation  des  villes  et  des  foules,  maîtresses  de  toutes 
les  erreurs,  nous  apprend  à  penser  selon  la  méthode  de  l'Aca- 

(1)  Noter  cependant  que  Vicomercato,  à  qui  je  réserve  un  chapitre  spécial,  était 
arrivé  à  Paris  avant  1530  et  professait  la  pliilosopliie  au  collège  de  Plessis,  en 
attendant  de  prendre  la  chaire  du  Collège  de  France. 

(2)  De  Transitii  llellenisml,  i,  p.  137,  dan.s  l'éd.  des  Oiiusrula.  Mêmes  idées,  p.  221. 

11 


162  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

demie  et  à  ne  tenir  rien  pour  certain  '^^  pas  même  ce  que  la 
Révélation  nous  apprend  sur  les  habitants  du  ciel  et  des 
enfers  <2).  Et  le  but  de  son  De  Transilu  Hellenismi  ad  CJiris- 
tianismum  est  précisément  de  réconcilier  la  philosophie  et 
la  foi.  En  même  temps  que  le  pyrrhonisme,  l'aveiToïsme 
entrait  en  France.  L'année  môme  où  paraissait  le  Cymbaluni 
imnidi  (1537),  Jean  Bruyerin  (  hampier  note  (luVVverroès  a  été 
importé  en  France  par  les  Italiens.  Nous  savons  maintenant 
que  ses  œuvres,  imprimées  à  Lyon  et  à  Paris,  étaient  accom- 
pagnées des  commentaires  des  Italiens,  mais  les  maîtres  que 
je  viens  de  nommer  le  professaient  aussi  peut-être  :  «  D'Italie, 
certains  philosophes  ont  passé  en  France,  qui  expliquaient 
les  commentaires  d'Averroès  et  les  livres  d'Aristote  avec 
beaucoup  de  succès  à  de  nombreux   auditeiu\s  (3)  ». 

Calvin,  dans  le  même  temps,  (1536  et  1539),  attaquait  les 
Italiens  dans  ïlnstilulion  chrctienne  ^^K  Ce  sont  eux  qui  ont 
répandu  celte  «  fausse  opinion...  que  la  religion  a  esté  ancien- 
nement controuvée  par  l'astuce  et  finesse  de  peu  de  gens  :  à 
fin  de  contenir  par  ce  moyen  le  simple  populaire  en  modestie, 
combien  que  iceulx  qui  incitaient  les  autres  à  honorer  Dieu 
n'eussent  aucune  imagination  de  la  divinité  '^)  ». 

Il  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  de  vrais  athées,  bien  que  plusieurs, 
«  nyent  toute  divinité  »;  mais  pour  beaucoup  Dieu  est  le  Dieu 


(1)  Sur  le  pyrrhonisme,  voir  les  articles  consacrés  à  Orner  Talon  (1548)  au 
chap.  VIII,  à  P.  Ramus  (1551)  au  chapitre  IX,  et  à  A.  du  Ferron  (1537)  au  chap.  IV, 
fin. 

(2)  Ibid  ,  p,  146. 

(3)  Averrhol  collect.  de  rc  médita,  éd.  de  1542,  Lyon,  Oriphius  (Préface,  A3)  : 
«  Apud  Latinos  vero  paucos  reperias  qui  tam  ardentes  illum  (Aristot.)  sint  sectati, 
nlsi  si  posfquam  ex  Italia  terra  in  Gallias  nostras  philosophi  ciuidam  convolarunt, 
magna  tum  laudo  paj-iter  et  fréquent!  auditoris  commcntaria  Averrhois  et  Aristo- 
telLs  volumina  interprétantes  ».  En  1540,  A.  Steuco  se  plaint  aussi  que  les  philo- 
sophes italiens  et  français  suivent  Averroès  à  l'exclusion  de  tous  les  autres  com- 
mentateurs d'Aristote  {De  Perenni  qiltilosophia,  IV,  4,  î°  75  de  l'édition  de  Paris 
1577). 

(4)  Je  cite  d'après  la  trad.  de  Calvin  (1541),  laquelle  est  faite  suf  le  texte  de 
1539.  J'ai  noté  les  textes  qui  se  trouvent  aussi  dans  l'édition  de  1536. 

(5)  Instll.  chrét..  ch.  I.  p.  4  (éd.  I.ejrdvr.  Châtelain  et  Pniinier.  niblioth.  des 
Hautes  Etudes,  1911,  2  vol.);  éd.  15.39,  1,  p.  5;  Opéra.  I.  p.  282.  Le  témoig-nage  défi 
nations  Invoqué  est  pris  du  De  Satura  Deorum,  I,  16.  C'est  Calvin  qui  donne  la 
soiurce. 


JLES    ITALIENS    EN    FRANCE  1(33 

d'Averroès  :  «  un  Dieu  oysif  et  ne  se  meslant  de  rien  <i)  ».  Ceux 
d'entre  eux  qui  admettent  une  Providence  restreignent  au 
moins  son  action  :  ils  ((  luy  ont  assigné  à  gouverner  ce  qui  est 
par  dessus  le  milieu  de  l'air,  abandonnant  le  reste  à  fortune  <2)  ». 
La  Providence,  ils  l'ont  remplacée  en  effet  par  la  fortune  des 
stoïciens  ou  par  la  nature  d'Aristote  :  «  quant  est  des  choses 
qui  adviennent  ordinairement  outre  le  cours  de  nature  :  com- 
bien y  en  a-t-ii  qui  n'estiment  plustost  la  fortune  y  dominer 
pour  agiter  et  desmener  les  hommes  çà  et  là  que  la  Providence 
de  Dieu,  pour  les  bien  gouverner '2'  ?  ».  Contre  tous  ces  philo- 
sophes il  soutient  que  la  Providence  n'est  pas  seulement  géné- 
rale, mais  particulière '^^  Leur  objection,  il  la  connaît  :  c'est 
que  l'on  fait  Dieu  auteur  du  mal.  Il  refait  donc  à  sa  façon  le 
De  Fato  de  Pomponazzi  et  résout  —  on  sait  avec  quelle 
dureté  —  le  problème  de  la  prescience  divine,  de  la  prédes- 
tination et  de  la  liberté'^'. 


(1)  Ihid.,  VIII,  p.  502;  éd.  1539,  VIII,  p.  38;  Opéra,  I,  p.  889.  —  Cette  attaque  contre 
les  averroïstes  date  de  1536  :  «  cum  vero  omnipotentem  et  rerum  omnium  creato^ 
rem  appellamus,  talem  ejus  omnipotentiam  qua  omnia  operatur  in  omnibus... 
cogitai-e  oportet,  non  qualem  illi  Sophistse  affingunt,  inanem,  sopitam,  otiosam.  > 
(éd.  de  1536,  p.  117,  Overa,  I,  p.  63) 

(2)  /bid.,  ch.  VIII,  p.  502;  éd.  1539,  VIII,  p.  38,  Opéra,  I,  p.  889. 

(3)  Ibid.,  ch.  I,  p.  15. 

(4)  /bid.,  ch.  VIII.  Au  ch.  IV  (p.  236),  il  accorde  a.ussi  que  la  raison  reconnaît 
comme  conséquence  de  la  sagesse  divine  «  quelque  action  générale  à  conserver 
et  diriger  les  choses  que  Dieu  a  crées  »,  mais  c'est  la  foi  qui  conçoit  la  vraie 
Providence;  «  non  point,  je  ne  scay  quel  mouvement  universel,  par  lequel  11 
conduyse  tant  l"ediflce  universel  du  monde,  que  toutes  les  parties;  mais...  sa 
providence  singulière,  par  laquelle  il  maintient,  conserve  et  vivifie  toutes  choses 
qu'il  ancrées  jusques  aux  plus  petis  oyseaux  de  l'air...  ». 

(5)  Ibid.,  ch.  VIII  en  entier;  éd.  de  1536,  p.  138-142  (Opéra,  I,  p.  72  et  suiv.),  mais 
moins  développé. 


CHAPITRE    VI 
Rationalisme   d'origine   française. 


I.  Les  problèmes  rationalistes  en  France  avant'1530  :  riinmortalité,  d'après 

,      Pierre    d'Ailly,   Houppelande,    Crockart,    Erasme   et    Budé.   —  II.  Le 

Platonisme  :  A.  Bouchard  (1532-1533).  —  III.  Rabelais  :  (les  miracles 

dans  les  deux  premiers  livres  (1533-1535).  —  Bonaventure  Des  Periers 

(1538). 


C'est  une  question  qu'agitait  gravement  Voetius  f^)  au 
XVIP  siècle,  et  après  lui  Clavigny  de  Sainte  Honorine  '2)  et 
Hcinimann,  de  savoir  s'il  y  a  eu  des  athées  en  France  avant  le 
règne  de  François  P^  A  lire  les  chroniques  du  temps,  il  y 
aurait  —  de  la  fm  du  XV®  siècle  jusqu'en  1530  même  —  beaucoup 
d'hérétiques,  mais  pas  de  rationalistes,  ni,  à  plus  forte  raison, 


(1)  Xegari  tamen  non  potest  ciuiii  a  tempore  Fraricisci  1'  Gallicam  aiilam  et 
inde  totum  regnum  magis  ac  omnis  impietas  et  alheismus  inundarint.  Quod  non 
dissimulai  Gentiletus  in  suo  Anllmachiavelio,  p.  232-235,  2s6.  Et  Tuanus  ad  an.  1572, 
ubi  in  causas  lanienœ  Parisiensis  inquirit  deque  tam  immani  perfldia  judicium 
fert.  Ant.  Sirmundus  prsef.  libri  de  Inimorlalttale  ani)nie  innuit,  non  paucos 
esse  hodie  in  Gallla  qui  eam  negent.  Carolus  Pascliasius  in  tract,  de  virl.  et  vitlis, 
cap.  15  de  multitudine  sectae  atlieorum  conqueritur.  Julius  C.  Scaliger  qui  in 
Gallia  vixit  ac  scripslt  testatur  se  Inflnitum  pœne  atheorum  numerum  novlsse. 
Formalla  ejus  verba  citât  el  laudat  Clapinarius  lib.  5  de  .Ircanis  Hcruini>ubl.  cap.  4. 
ubi  ait  atlieismum  esse  in  fldei  negoliis  veliflcari  et  sacra  diripere.  De  Athelsmo, 
p.  218-219,  dans  Gisb.  Voetii  S^U'ctarum  disputât.  Thcolou.  pars  /»,  llltrajectl, 
1648. 

(2)  CLAViG.\y  i>K  SAiNTK  HONORINE,  fni  puji'ment  ri  nanor  dm  livres  suspects, 
p.  82,  nie  qu'il  y  ail  eu  des  athées  en  France  avant  François  1er.  kkimmann  combat 
cette  opinion  :  Hist-orta  athelsmt  et  alhetstorum,  p.  383-384. 


RATIOXALISME    d'ORIGINE    FRANÇAISE  '  IQo 

d'athées  'i'.  Toutes  les  condamnations  et  exécutions  rapportées 
par  le  Bourgeois  de  Paris  et  par  du  Plessis  d'Argentré  frappeiit 
des  «  luthériens  )).  Il  y  a  quelques  exceptions  cependant,  et 
l'on  comprend  que  la  persistance  de  l'illuminisme  du  moyen 
âge  '^\  le  renouveau  des  doctrines  d'Ockam  '^i  à  la  fin  du 
XV®  siècle,  la  restauration  de  la  philosophie  antique  par 
l'humanisme  et  spécialement  de  l'aristotélisme,  les  premières 
influences  italiennes  aient  fait  beaucoup  plus  d'incroyants  que 
la  justice  n'en  a  saisi.  Mais  ces  cas  semblent  sporadiques  <^'. 
L'ensemble  de  la  nation,  et  spécialement  l'enseignement, 
demeure  orthodoxe.  Longueil,  en  1508-1509,  opposant  la 
France  et  l'Italie,  donnait  à  la  seconde  la  supériorité  dans  les 
lettres,  mais  à  la  première  celle  des  mœurs  et  de  la  foi  (°).  En 
151  S,  Valenlin  Tschudi  écrivant  à  Ulrich  Zwingli  raille  les 
discussions  périmées,  les  batailles  burlesques  des  théologiens 
français  '^).  De  l'avis  de  ceux  mêmes  qui  ont  étudié  avec 
sympathie  la  fin  du  XV®  siècle  et  le  début  du  XVP  siècle, 
l'université  à  cette  époque  «  est  à  peu  de  choses  près,  par  son 
organisation  et  par  ses  méthodes,  ce  qu'elle  était  un  siècle 
plus  tôt.  C'est  toujours  la  formidable  machine  construite  au 
moyen  âge  pour  fabriquer  des  théologiens'^)  ». 


(1)  Pour  rétude  du  courant  de  libre  pensée  qui  traverse  tout  le  moyen  âge 
depuis  Abélard  à  la  Renaissance,  voir  A.  Lefranc,  Bévue  des  cours  et  conférences, 
1910-1911,  15  leçons;  et  pour  le  XVe  siècle  Delaruellb,  G.  Budé,  ch.  II.  Mais 
M.  PiCAVET,  dans  son  Histoire  générale  des  pMlosophies  médiévales,  me  semble 
atténuen  à  plusieurs  reprises  les  propositions  émises  par  M.  Lefranc  sur  le 
rationalisme  de  .T.  Scot  Erigène,  p."  144;  Abélard,  p.  188  :  "  Ni  en  philosophie  ni 
en  théologie  Abélard  n'a  été  un  rationaliste...  »;  R.  Bacon  {p.  195). 

(2)  Sur  cette  question,  voir  Renaudet,  Préréforme  et  humanisme  à  Paris  pen- 
dant les  premières  guerres  d'Italie,  ch.  Il  :  Les  doctrines  au  XV»  siècle,  p.  107. 

(3)  Sur  Ockam,  voir  Renaudet,  îbid.,  p.  61-65;  et  Delaruelle,  Budé,  ch.  I  :  Les 
précurseurs. 

(4)  Nous  les  donnons  au  début  du  ch.  X  à  propos  des  «  libertins  ». 

(5)  Panégyrique  de  saint  Louis  à  Poitiers.  Extrait  et  analyse  dans  Sim.ar,  Ch.  de 
Longueil,  p.  17. 

(6)  A'oir  le  texte  de  cette  lettre  intéressante  dans  Herminjard.  Correspond,  des 
Réformés,  I,  no  i7  (22  juin  1518). 

(7)  Delaruelle,  Budé,  p.  54.  M.  Renaudet  arrive  aux  mêmes  conclusions  pour 
la  période  qu'il  étudie  (1494  à  1517),  op.  cit.,  conclusions,  p.  697  et  sulv. 


IGG  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Le  grand  problème,  c'est  toujours  l'immortalité  (i),  et  le 
grand  ennemi,  c'est  Averroès.  Mais  le  danger  est  si  lointain 
qu'on  réimprime  encore  sur  ce  sujet  le  livre  de  Pierre  d'Ailly, 
vieux  de  plus  de  cent  ans  '"2'.  C'est  un  livre  de  psychologie  et 
non  d'apologétique.  L'aulem-  y  étudie  la  nature  de  l'àme,  mais 
il  semble  pai-ler  à  des  gens  sans  inquiétude  sur  sa  destinée 
et  il  se  contente  d'énoncer  au  chapitre  VI  les  systèmes 
d'Alexandre  d'Aphrodisias  et  d'Averroès  sans  juger  néces- 
saire de  les  réfuter  '3). 

Pour  ceux  que  poayait  séduire  le  Commentateur,  on  réim- 
primait sans  cesse  le  beau  livre  de  Guillaume  Houppelande. 
De  1489  à  1504,  il  a  eu  sept  éditions  au  moins  ('^'.  Guillaume 
Houppelande  '-^^  était  originaire  de  Boulogne-sur-Mer.  Il  fut 
reçu  maître  en  théologie  à  Paris  avec  Jacques  Lhuillier,  en 
1457.  De  Launoy  lui  donne  un  triple  éloge  :  d'avoir  bien  gou- 
verné sa  paroisse,  d'avoir  sauvegardé  les  biens  de  l'Eglise, 
d'avoir  étudié  les  philosophes  et  les  Pères.  Devenu  curé  archi- 
prêlre  de  Saint-Séverin,  puis  chanoine  de  Notre-Dame  et 
archidiacre  de  Brie,  il  professait  au  collège  de  Navarre  où 

(1)  Le  De  Aidiiia  d'Aristote  était  au  programme  des  candidats  à  la  déterminance 
dressée  en  1542  i/ar  le  cardinal  d'Estouteville  (Dentfle-Chatelain,  Cartulariutn 
universii.  Par.,  IV,  p.  728). 

(2)  Tractatus  de  anima  editus  a  Do  Petro  de  Alliaco.  —  A  la  fin  :  Tractatus 
brevis  de  anima  et  accidentibus  ejus  per  R.  D.  P.  de  AUyaco  compilatus  et  parisils 
solertia  caracteribusque  Jo.  Lamberti...  Impressus  anno  Dominl  millesimo  quin- 
gentesimo  tertio  »  (1503.  gothique).  Sur  P.  d'.\illy,  voir  la  thèse  latine  de  l'abbé 
Salembier  (Lille,  1886)  et  l'opuscule  de  R.  Pontivianne  (Le  Puy,  1S96)  qui  en  est 
le  résumé, 

(3)  Ihid.,  ch.  VI,  pars  I»  :  Tras  opiniones  de  anima  rationali  :  Una  fuit  Alex^ndri 
quod  anima  intellectiva  humana  est  forma  materialis  generabilis  et  corruptibilis 
educta  de  potenfia  materiaî...  Alla  fuit  opinio  commentatoris  quod  est  forma 
ingenerahilis  et  incorruptibills...  et  quod  illa  est  unica  omnibus  hominibus...  Tertia 
via  est  veritas  cafholica. 

(4)  La  première  est  de  1489.  Hain  en  cite  deux  datées  de  1491  et  1493,  Coppinger 
une  de  l'.99.  La  BIbl.  nat.  en  possède  de  1491,  1493,  l'i96,  l'i99,  1501;  la  Mazarine  en 
a  un  exemplaire  de  l.V)4.  Celle  que  j'ai  étudiée  est  de  1501  :  De  Immorlalitate 
aniinie,  Jehan  Petit,  1501,  B.  N.,  Res.  D,  37871,  petit  ln-8o  goth.,  non  paginé. 

(5)  Sur  Houppelande,  voir  Chevalier.  lUpertolre  des  Sources  du  moyen  âge.  .le 
ne  connais  pas  d'ouvrage  de  quelque  imrMjrt.nice  sur  cet  auteur.  Les  détails  que  Je 
donne  si>nt  pris  dans  de  Launoy,  Ilist.  Nnvarrae  Gynmasit,  il,  p.  590-591.  Voir  aussi 
la  CorreKiwndaiice  de  Giingulri  qui  en  fait  grand  cas  :  Lettres  (éd.  Tuasne)  à 
Rrulefer,  II.  p.  14  à  20;  aux  Cordeliers  de  Paris,  II.  p.  lf»7  à  195;  à  Trlthème,  I. 
p.  390  et  sulv. 


RATIOXALISME    d'oEIGINE    FRANÇAISE  107 

il  s'était  établi  pour  finir  sa  vie,  au  point  qu'on  l'a  longtemps 
appelé  maison  de  Houppelande.  Il  y  composa  son  livre  de 
l'immortalité  qui  parut  chez  Denis  Roce  en  1489.  Lui-même 
mourut  en  1493  et  lé  2  août  il  fut  enterré  à  Notre-Dame.  Il 
était  doyen  de  la  Faculté  de  théologie. 

Houppelande  expose  d'abord  les  opinions  hétérodoxes  des 
anciens  philosophes  sur  la  nature  de  l'âme,  puis  énumère  tous 
ceux  qui  l'ont  crue  immortelle.  Visiblement,  c'est  un  huma- 
niste: non  seulement,  il  connaît  Hermès  Trismégiste  et  Platon 
que  les  travaux  de  l'école  de  Florence  venaient  de  renouveler, 
mais  il  a  lu  Sénèque,  Salluste,  Cicéron.  Pour  Aristote,  il 
hésite  s'il  doit  suivre  l'interprétation  de  Scot,  mais  il  préfère 
ne  pas  charger  le  grand  philosophe  de  cette  hérésie.  Averroès 
est  longuement  réfuté  sur  les  trois  points  principaux  de  son 
système  :  que  l'intellect  possible  est  séparé,  qu'il  ne  s'unit  à 
Ihomme  qu'à  l'âge  de  raison,  qu'il  est  unique  pour  tous  les 
hommes. 

Il  reste  à  prouver  l'immortalité  et  G.  Houppelande  ne  se 
dissimule  pas  la  difficulté  de  l'entreprise  :  «  on  aurait  peine  à 
trouver  une  vérité  plus  obscure  et  plus  difficile  à  persuader 
par  les  forces  humaines  et  les  principes  de  la  raison  natu- 
relle (1)  ».  Il  n'en  faut  donc  point  attendre  des  raisons  démons- 
tratives; trop  d'exigence  conduit  à  douter  en  pareille  matière, 
et  la  foi  y  est  plus  efficace  que  la  raison.  Ce  n'est  pas  cependant 
que  les  preuves  données  par  la  raison  soient  impuissantes;  si 
elle  ne  peut  prouver  ce  dogme  et  le  démontrer  d'une  façon 
efficace  et  évidente,  elle  peut  cependant  en  apporter  des  raisons 
probables,    valables    pour    les    infidèles    commç    pour    les 


(1)  Vix...  ulla  Veritas  est  obscurior  et  ad  persuadendum  ex  viribus  htimanis  seu 
prdncipiis  ptiilosophise  naturalis  difftcillor...  Quisquis  igitur  in  hao  materla 
obscura,  difticill  et  ardua  et  que  humanum  ingenium  superat  et  excedit  non 
contentus  iiersuasionibus  probabilibus  :  acrilogias,  id  est  ratlones  demonstraturas 
quseritis  {sU-),  meo  judicio  spemendus  est  ac  sibi  Ipsi  in  hujusmodi  rationum 
vana  inquisitione  frustra...  relinquendus.  Ardua  enim  in  re  iidei  jiotius  per  oracula 
patrum  considerari  debent  quam  discuti  per  intellectum.  Sei>e  enim  humanas 
sensus  dum  quarumdam  rerum  rationes  querens  non  invenlt  in  dubitationis  vora- 
ginem  se  mergit. 


168  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

chrétiens  -^K  Un  texte  de  Cicéron,  une  lettre  de  Platon  à  Denys, 
le  consentement  universel  des  peuples,  la  nature  excellente  de 
noire  àme,  notre  désir  inné  de  l'immortalité,  la  nécessité  d'une 
justice  (loutie-tombe  nous  sont  garants  de  cette  vérité.  Il  y  a 
bien  aussi  les  textes  de  l'Ecriture  que  Houppelande  aligne 
sans  les  commenter  dans  sa  troisième  conclusion.  Mais  la 
deuxième  conclusion  surtout  va  nous  montrer  combien  il  est 
loin  de  l'état  d'esprit  que  Pomponace  traduira  vingt  ans  plus 
lard.  Il  réduit  le  problème  lui  aussi  à  la  pure  philosophie,  et 
dans  les  mêmes  termes  dont  se  servira  Pomponace;  mais  sa 
conclusion  est  justement  contraire  à  celle  de  ce  dernier  :  «  En 
dehors  de  la  foi  <2),  et  en  s'en  tenant  à  la  lumière  de  la  raison 
naturelle,  il  est  plus  raisonnable  et  plus  probable  d'affirmer, 
que  l'ame  raisonnable  est  immortelle  que  de  la  dire  mortelle, 
c'est-à-dire  que  l'opinion  des  philosophes  qui  suppose  l'àme 
immortelle  est  ])lus  laisonnablc  et  plus  probable,  même  en 
dehors  de  la  foi,  ([ue  son  contraire  ".  Car  les  raisons  d'y  croire 
sont  plus  nombreuses  et  plus  concluantes  que  les  raisons  d'en 
douter.  Elles  sont  impuissantes  à  nous  donner  une  assurance 
plus  forte  qu'une  simple  opinion,  c'est-à-dire  que  l'assentiment 
(pj!  n'exclut  ])as  la  crainte  d'errer,  mais  elles  sont  précieuses 
pour  affirmer  et  augmenter  la  foi  des  fidèles,  pour  la  défendre 
contre  les  impies  et  les  hérétiques,  pour  les  amener  à  la  foi. 
Heureux  sommes-nous  cependant  que  Dieu  nous  ait  révélé 
ce  dogme,  de  façon  que  personne  n'en  puisse  plus  douter  ni 


(i)  I»  Conclusio  :  Etsi  Immortalltas...  non  possit  efflcaci  seu  evidenti  ratione 
prohari  lier  demonstrari.  potpst  in  thopicis  seu  rationibus  probabililjus  apparenter 
tam    fldelibus    qwam    infldelibus   persuaxieri. 

(•2)  II»  Conclusio  :  Seclusa  Fide  in  lumine  naturalis  ratinnis  rationabilius  et 
probabilius  est  asserere  animam  rationalem  Immortalem  esse  quam  dicere  eam 
mortalem  seu  qu(xl  opinio  philosophorum  qns^  ponit  animam  immortalem  ratio- 
nabilLor  ne  x>robabilior,  etiam  seclusa  flde,  (juam  ejus  opposlta.  Rappelons  la 
conclusion  de  Pomponazzi  :  ■•  La  question  de  l'immortalité  est  un  problème 
insoluble...;  aucune  raison  naturelle  ne  peut  prouver  l'immortalité  de  l'ftme,  ni, 
non  plus,  qu'elle  est  mortelle  ».  Voir  chap.  II.  Cette  fac.on  de  poser  le  problème, 
au  point  de  vue  purement  rationnel,  était  admise  depuis  que  saint  Thomas  avait 
tenté  de  démontrer  l'Immortalité  contre  Averroés  ■•  non  per  documenta  fldel  sed 
l»er  Ipsorum  philosophorum  rationes  et  dicta  ><  {Dr  Vnllnle  intHlerUis  contra 
Averrolstna.    Analysé  dans  Picavet.  Hist.  des  phUos.  médiév.,  p   212-220). 


RATIONALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  ■  109 

même  hésiter  à  le  croire,   sans  avoir  besoin  d'en  chercher 
des  raisons  probables*^). 

Au  couvent  des  dominicains  de  la  rue  Saint-Jacques  lisait 
Pierre  Crockart  de  Bruxelles '2).  Converti  du  nominalisme  au 
thomisme,  il  avait  renié  son  maître  Johannès  Major  ^3)  pour 
s'attacher  à  saint  Thomas.  Le  chapitre  général  de  Milan,  1505, 
l'autorisa  à  lire  les  sentences  au  couvent  de  Pafi's.  En  1510, 
il  y  était  encore  et  y  publiait  ses  Questions  sur  les  huit  livres 
de  kl  physique  et  sur  les  trois  livres  de  /'ameW;  il  préparait 
alors  une  édition  de  la  Somme  qui  parut  en  1512  '^\  Ses 
Commentaires  sur  la  physique  montrent  un  homme  averti  sur 
l'averroïsme,  mais  sans  la  moindre  inquiétude  sur  l'avenir  de 
cette  doctrine  *6'.  Il  expose  l'averroïsme'^)  et  réfute  Télernité 
du  monde  par  la  seule  raison  naturelle.  Il  estime  même  que  la 
plupart  des  dogmes  peuA'ent  se  démontrer  aussi  par  la 
raison  (s). 


(1)  Rationes...  licet...  non  sint  ex  earum  natura  natSR  generare  nisi  opinionen 
seu  assensum  cum  formidine  de  opposite...,  ex  inii)erio  tamen  voluntatis  possunt... 
generaxe  assensum  flrmum  supra  opinionem  et  infra  scientiam  ratione  ipsius 
evidentiœ  et  non  adherentise.  Hinc  taies  persuasiones  seu  rationes  possunt  multi- 
pliciter  proflcere  et  valere  ad  fldem  fldelium...  Ex  his  apparet  quantae  gratiœ 
referendae  sunt  altissimo  Dec  et  misericordi^e  D.  N.  J.  C.  qui  fidèles  suos  certis- 
simos  reddidit  in  liis  ad  qufe  ingeniosissimi  atque  eruditissimi  viri  per  rationem 
naturalem  non  valuere  sufficlenter  jjertingere...  et  non  liceat  nobis  in  his  dubitare 
aut  aliquatenus  fluctuare...,   iMd  ,  fin. 

(2)  Sur  P.  Croclvart,  voir  Quetif-Echard,  Scriptorei^  G.  P.,  II.  p.  29  à  31;  Renau- 
DET,  Préréforme,  p.  404.  469,  594,  C59,  593.  Né  vers  1460-1470,  étudia  à  l'université 
de  Paris  sous  le  nominaliste  Joliannes  Major.  Se  convertit  au  thomisme  et  entra 
chez  les  Dominicains  en  1503.  Lecteur  à  Paris  à  partir  de  1505.  Mourut  à  Malines 
en  1514.  .•Mtamura  l'inscrit  sous  l'année  1522  et  lui  donne  83  ans  à  sa  mort,  ce 
qui  ne  correspond  pas  aux  chiffres  donnés  ci-dessus  d'après  Quétif-Echard. 

f3)  Valentin  Tschudi,  dans  une  lettre  où  il  décrit  à  Ulrich  Zwingli  les  débats  des 
Sorbonnigues,  cite  Jean  Major  i>armi  les  autorités  qu'ils  substituent  aux  Pères 
de  l'Eglise.  Herminjard,  Correspond.,  I,  n°  19,  lettre  de  Paris,  22  juin  1518. 

(4)  Acutissiniœ  subtiles  ac  fœcundœ  quaestiones  'physicales  in  libros  octo  pf-ysi- 
corum  et  in  très  libros  de  anima  Aristotelis,  1510.  Je  me  suis  servi  de  l'édition  1521, 
Jehan  Petit. 

(5)  Secunda  Secundœ  Sommas  S.  T.  nh  eo  rerognita  et  accuratn,  1512. 

(6)  Liber  octnviis  physic.  q.  I»,  art.  1;  an  mundus  potuit  esse  ab-  œterno  — 
ad  secundam  conclusionem. 

(7)  Lib    VIII,  q.  la,  art.  l,  2. 

(8)  Quartodecimo  argaiitur  quod  ratione  naturali  )X)te.st  demonstrari  inceptio 
mundi  quia  phisici  nihil  posuerunt  nisi  ratione  coacti...  Item  ubi  articuli  fldei 
possunt  demonstrart  vel  ad  sensum  cognosci  ut  quod  Christus  patitur  vel  quod 


170  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Ouanl  à  ses  commentaires  sur  le  De  Anima,  ils  exposent 
tout  au  long  la  psychologie  de  saint  Thomas,  mais  ne  touchent 
qu'en  passant  la  question  de  l'immortalité.  Averroès  n'y  est 
pas  nonmié.  Crockart  réfute  de  préférence  le  platonisme  et 
l'origénisme  qui  supposent  les  âmes  éternelles  ou  créées  avec 
le  monde  '^>. 

L'année  même  où  Pierre  de  Bruxelles  publiait  ses  commen- 
taire sur  le  De  Anima,  Budé  étudiait  ce  traité  (2).  H  le  dit  à 
La'scaris,  alors  à  Milan,  mais  il  se  plaint  de  l'obscurité  d'Aris- 
tote  :  l'étude  de  la  M  élu  physique  et  du  De  Anima  lui  semble 
difïicile  sans  commentaire  (3).  H  lut  donc  les  commentaires  de 
Bessarion  sur  la  Métaphysique,  probablement  dans  l'édition 
de  M.  Estienne  (1515).  ceux  de  Thémistius,  les  traductions 
d'Argiropoulos  (^'.  Et  quand  dix  ans  plus  tard,  il  eut  fini  cette 


Lteus  sit  omtiipotens  {In  F/7/um  phiisic,  q.  II,  art.  4);  ibid.,  q.  III.  art.  5  :  an  Deus 
esse  possit  demonstrari  —  il  soutient   l'affirmative,   évidemment. 

Au  moment  où  Pierre  de  Bruxelles  arrivait  à  Pans,  Le  Fèvre  d'Etaples  expliquait 
au  coUèfre  Lemoine  le  De  Anima  d'Aristote  (1504-1505).  Il  existe  un  résumé  de 
son  cours  dans  les  cahiers  de  Beatus  Rhenanus  {Bibl.  de  Schlettstadt,  ms.  435). 
Le  Fèvre  d'Etaples  ayant  fait  plusieurs  sé.iours  en  Italie,  .j'aurais  aimé  savoir  com- 
ment il  a  traité  le  problème.  :Mais  je  ne  pouvais  entreprendre  un  pareil  voyage 
pour  si  peu;  Le  Fèvre  d'Etar>les  étant  antérieur  à  Pomponazzi  n'offrait  qu'un  inté- 
rêt se.condaire  pour  mon  livre.  Le  très  complaisant  conservateur  de  la  bibliothèque 
n'a  pu  rien  me  transmettre  non  plus,  le  manuscrit  étant  très  détérioré  et  très 
difficile  à  lire.  Je  regrette  que  M.  Renaudet,  qui  a  consacré  une  belle  étude  à 
Le  Fèvre  d'Etaples  et  qui  signale  ce  manuscrit,  ne  l'ait  pas  analysé.  Si  le  problème 
de  l'immortalité  est  la  pierre  de  touche  des  esprits  au  XW  siècle,  il  est  probable 
que  l'examen  de  la  doctrine  de  Le  Fèvre  d'Etaples  sur  cette  question  fixerait  son 
attitude  à  l'égard  du  rationalisme.  Il  a  bien  publié  une  introduction  au  De  Anima 
de  Thémistius,  mais  elle  est  purement  philologique  et  sans  le  moindre  intérêt 
(Arislol.  de  anima  Ubrl  trex  una  cnm  J.  Fabri  Stapnlensts  in  coudent  intrndur- 
uone;  Themisilt  commentatninciila.  Basileae,  MDXXXVIII,  B.  N.,  Rés.  R  iss17). 

(1)  AcutiKsimie...  quasstione!)  in  très  libros  de  Anima,  llb.  III,  q.  III»,  art.  5. 

(î2)  En  1502,  il  avait  traduit  et  publié  le  De  PlaclUs  philosophoniin  qui  contient 
toute  une  section  sur  l'âme  et  l'idée  que  les  anciens  philosophes  s'en  sont  faites 
(Opu^rul.,   p.   511   et   suiv.). 

(3)  Delaruelle.  Tiâpci-toire.  no  1,  p.  2,  lettre  de  1510. 

(4)  Lettre  à  Lamy,  du  '2  mai  1520,  Delaruelle.  nipcrloire,  lettre  68;  Lvcubra- 
'  tiovex.  p.  .301  à  303  :  «  De  Aristotele  in  eadem  tecum  sum  sententia,  proi-sus  cum 

ut  In  humanis  et  sublimihiis  rebus  omnlnoque  in  Interituris  et  mathematicis, 
acrem  eximium  et  absolutum  fuisse  sentiam  :  non  Item  in  œtemis  et  cîelestibus. 
Ad  ea  enim  ipse  imrum  mihl  vel  obnlxe  vcl  féliciter  appulisse  anima/lvefrsiiv 
nem  videtur  atque  contentlonem  accommodasse  Docere  hm-  r>T'Tcipue  posstmt 
TV.  iJî7v.zy.  yj7iA,  quorum  intcrpr.-s  Bessario  fldclis  ni;igis  quam  clcgiins  ,iut  Jucun 
dus  mlhi...  visus  est  :  in  nUquIs  Arg>  ropylus  non  si>crriondus  L.ilions  autem 
nobls  compendium  Thémistius  magnum  attultt  ad  eos  libros  quos  .\nstofeles 
Intelligl  vulgo  noluit  »  {Lnvai>r..  p.  303). 


RATIONALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  '  171 

étude,  il  s'aperçut  que  la  philosophie  d'Aristote  était  un  mau- 
vais fondement  pour  la  foi  et  que  le  philosophe  était  ((  malhabile 
à  parler  des  choses  éternelles  ».  P.  Lamy  était  aussi  de  cet 
avis.  Sans  doute,  Budé  avait  depuis  dix  ans  pris  contact  avec 
les  gens  et  les  idées  d'Italie.  En  1511,  il  se  plaignait  à  Nicolas 
Bérauld  que  certames  gens  ne  goûtent  que  ce  qui  est  italien  (i). 
En  1520.  il  envie  ceux  qui,  comme  Longueil,  ont  le  bonheur 
de  franchir  les  monts  pour  connaître  Bembo  et  Sadolet  (2). 

Entre  temps,  il  avait  dans  son  De  Asse  (1515)  effleuré  la 
question  de  l'àme,  mais  en  philologue  plutôt  qu  en  philosophe. 
Il  reproche  à  Cicéron  d'avoir  mal  compris  la  définition  de 
l'âme  par  Aristote  ^^i  i\  ^  traduit  h-ùi/tiv.  par  mouvement, 
dit  Budé.  comme  si  Aristote  avait  écrit  hÀz/.i/îiy.  .  Et 
reprenant  la  déhnition  de  l'âme  d'Aristote,  il  la  traduit  ligne 
par  hgne,  invoque  en  sa  faveur  les  commentateurs,  Thémis- 
tius  surtout,  «  le  plus  clair  traducteur  d'Aristote  »,  et  soutient 
que  vjrùiy-iy.  veut  dire  énergie  et  non  mouvement  et 
désigne  la  perfection  du  corps  et  de  l'actuation  de  ses  puis- 
sances (^).  Aristote  non  plus  n'a  jamais  dit  que  l'âme  était  faite 
de  quintessence  comme  le  soutient  Cicéron.  Aussi,  il  est  naturel 
que  les  Grecs  modernes.  Bessarion,  Argiropoulos,  l'aient  pris 
à  partie.  Seul  Politien  l'a  défendu,  mais  «  pour  faire  parler 
de  lui,  plutôt  que  que  pour  défendre  Cicéron  )>.  Evidemment, 
ce  dernier  s'est  trompé,  il  applique  à  l'entéléchie  ce  que  le 
philosophe  grec  disait  du  mens  ou  voOç  ,  l'intellect  agent  des 
modernes.  Cela  explique  que  l'entéléchie  soit  immortelle  pour 


1)  Delaruelle.  Répertoire,  n»  2,  p.  5  (du  25  mars  1511). 

(2)  Delaruelle,  Répertoire,  no  62,  p.  106,  lettre  à  Ruzé,  du  6  mars  1520.  Il  était 
allé  en  Italie,  en  1501  et  1505,  dix  ans  plus  tôt  (Delaruelle,  Budé,  p.  82  et  suiv.). 
Autre  éloge  de  l'Italie  au  début  du  deuxième  livre  de  la  Philologie  {Lucubrat., 
p.  60) 

(3)  Voici  le  t-exte  de  Cicéron  critiqué  par  Budé  :  Aristoteles  longe  omnibus  prae- 
stjans  et  ingénie  et  diligentia  cum  quatuor  nota  illa  gênera  principiorum  esset 
complexus,  e  quibus  omnia  orirentur,  quintam  quamdam  naturam  c^nset  esse  e 

qua  sit  mens Quintum  genus  adhibet  vacans  nomine;  et  sic  Ipsum  animum 

t.'z-'/éy%t'/y     appellat    novo   nomine,    quasi    quamdam    continuatam    motionem    et 
perennem  {Tusculane.i,  I,  X). 

(4)  Animam  prijnam  esse  perfectionem  corporis,  id  est  entelechiam;  quod  quidem 
corpus  potestate  in  actum  prodeunt  vitam  habeat  {De  .isse,  p.  8  de  l'éd.  de  1527). 


172  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

L'icéron,  tandis  que  Aristote  la  crue  mortelle  el  unicjue  pour 
tous  les  hommes.  On  reconnaît  la  thèse  d'Averroès  'i).  A  partir 
de  1515  donc  Budé  soupçonne  les  problèmes  soulevés  par  la 
renaissance  de  laristotélisme.  Mais  il  n'a  pas  vu  la  portée  de 
cette  discussion.  Au  fond,  cest  toute  la  question  de  limmor- 
talilé  qui  se  pose  dans  cette  définition  de  l'âme,  celle  qu'adopte 
Budé  étant  la  base  de  l'alexanth'isme  '-).  .Mais  Budé  n'insiste 
pas.  Il  a  trouvé  cette  discussion  de  philologie  dans  les  tra- 
ducteurs et  l'a  relevée;  il  ne  soupçonne  pas  l'effervescence  qui 
règne  dans  les  Universités  italiennes,  ni  avec  quelle  passion 
les  philosophes  vont  s'acharner  sur  ce  mol  d'entéléchie,  jus- 
qu  à  ce  que  Rabelais,  promenant  Panurgc  au  royaume  de 
quintessence,  close  le  débat  — -  à  son  habitude  —  par  un  jeu 
de  mots  des  moins  atti(iues  '3'.  Comme  tous  les  premiers  huma- 
nistes français,  Budé  a  la  foi  très  sincère  <^^  et  l'écroulement 
même  de  la  philosophie  scolastique  le  laisse  sans  inquiétude 
sérieuse.  Pourtant,  en  1526,  il  tratUiil  en  latin  le  De  Mundo 
d'Aristote  et  celui  de  Philon  f|u"il  joint  ensemble  u  comme  à 
Thésée  Hercule  »,  ou  «  à  un  Aristote  païen  un  Aristote  reli- 
gieux <^)  ».  Philon,  en  effet,  soutient  la  création  '^^  et  par  là 
s'oppose  à  l'hérésie  aristotélienne  de  réiernité  du  monde.  On 
voit  tout  de  suite  ([ue  Budé  sur  les  questions  dogmatiques 
défend  l'orthodoxie. 

Erasme  a  glissé  dans  son  colloque  Puerpera  (1526)*'')  ses 
idées  sur  l'âme.  Elles  sont  sans  originalité,  si  ce  n'est  dans 
l'expression  qu'il  leur  donne.  FamuUa,  naïve  et  simple, 
s'imagine  les  âmes  sous  la  forme  de  petits  enfants  :  c'est  ainsi 
qu'elle  les  a  vues  peintes;  et  elle  se  demande  pourquoi  on  ne 


(1)  Toute  cette  discussion,  un  hors-d  œuvre  dans  le  De  Asse,  est  c<intenue  dans 
les  r»ages  6  v-o  à  9  de  l'éil.  de  1.V27.  cliez  Bade  Ascensius,  9  v"-ll  dans  relie  de  1542, 
chez  Vascosan. 

'2)  Autres  allusions  à  l'immortalité  :  De  transitn  Uellen.,  1,  p.  137.  221  et  sulv 
3)  Voir  char»    VIII.  (lél)ut  et  fin 

''i)  Voir  Delarl'elle.  Bwlé.  les  idées  maître i<se<<.  p.  isg  et  suiv. 

'.=!)  Préface  à  J.ic  jucs  Tonssain.  p.  442. 

(6)  Budiel   Lucubral.,   p.   461   et   sulv. 

(7)  CoUoi  ,  I.  p.  331  et  sulv.  (é«lit.  Tauchnitz,  Lfipsig,  1829). 


KAlIO^TALISMi:    DORIGiXE    FRANÇAISE  J  ,3 

leur  mel  pas  des  ailes,  comme  aux  anges,  p^uisqu'on  dit  qu'elles 
volent  au  ciel.  Eutrapel  lui  explique  alors  que  l'àme  invisible 
se  reconnaît  à  ses  opérations  ;  il  lui  commente  la  définition 
classique  d'Aristote  f^'.  Les  diverses  fonctions  quelle  exerce 
dans  le  corps  sont  pourtant  l'œuvre  d'une  même  substance  ; 
il  n'admet  même  pas  le  développement  de  l'àme  au  sein  de 
l'embryon,  successivement  doué  d'une  âme  végétative,  sen- 
sible, raisonnable  ;  cette  dernière,  le  corps  la  reçoit  dès  son 
début  2'.  Les  relations  de  l'àme  et  du  corps  sont  des  plus 
simples;  l'âme  est  comme  le  pilote  qui,  guidant  le  navire,  se 
déplace  avec  lui.  ou  «  comme  l'écureuil  qui  tournant  sa  cage 
tournante,  tourne  lui-même  avec  elle  ».  Mais  la  question  de 
l'immortalité  n'y  est  même  pas  posée.  Serait-ce  parce  que  les 
voyages  d'Erasme  en  Italie  '3)  et  son  séjour  à  Padoue  (^'  sont 
antérieurs  à  Pomponace?  Plus  tard,  des  doutes  lui  viendront 
et  en  condamnant  son  Cato  christianus,  le  23  septembre  1542, 
la  Sorbonne  lui  reprochera  de  dire  que  «  la  résurrection  est 
probable  <5)  ». 


II 


Xous  voilà  arrivés  en  1530  et  aucun  des  traités  que  nous 
avons  analysés  ne  nous  donne  la  preuve  qu'en  France  à  cette 
date  le  rationalisme  italien  soit  bien  puissant.  L'abondance  de 
ces  traités,  pourtant,  est  un  indice  que  la  question  est  posée. 
Xe  faudrait-il  pas  attribuer  à  la  même  cause  la  renaissance 
du  platonisme  qui  se  fait  vers  cette  époque?  Brucker  remarque 
avec  sagacité  que  le  néo-platonisme  de  Ficin  est  né  en  Italie 

(1;  Anima  est  actus  corporis  org-anici  physici,  vitam    habentis  in  potentia. 
(•2)  On  a  vu  plus  haut  (p.  167,  art.  Houppelande)  que  ces  détails  sont  en  réalité 
une  réfutation  de  laverroisme. 

(3)  1506  et  1513. 

(4)  1506-1507.  Pourtant  Erasme  estimait  beaucoup  le  centre  de  Padoue.  Dans  le 
Colloquium  semle  (15-24),  le  chanoine  hollandais  Eusebius  va  à  Padoue  étudier  la 
théologie  et  la  médecine  {CoUoq.,  I,  p.  254). 

(5)  De  Plessis  d'Argentré,  Collecfio  judic.  Il,  p.  229.  col.  2. 


174  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

par  réaction  contre  l'incrédulité  d'Averroès  et  d'Alexandre  '^) 
et  P'icin  lui-même  estime  que,  puisque  la  prédication  religieuse 
est  impuissante  à  détruire  une  impiété  si  ré})andue,  il  y  faut 
employer  une  \)\us  grande  puissance,  c'est-à-dire  les  miracles 
ou  «  une  religion  philosophique  que  les  philosophes  écouteront 
avec  plaisir  et  qui  peut-être  les  persuadera  '2)  ».  Cette  religion 
philosophie] ue,  c'est  le  i)latonisme,  qui,  depuis  saint  Augustin, 
était  tenu  pour  la  philosophie  la  plus  proche  (ki  christia- 
nisme'3).  Ficin,  en  traduisant  Plalon,  avait  encore  accentué 
sans  s'en  douter  la  ressemhlance,  et  le  néo-platonisme  de  la 
Uenaissance  où  s'amalgamaient  les  platoniciens,  les  alexan- 
drins, la  Kahbale,  les  rêveries  des  Chaldéens,  de  Zoroastre, 
de  l^rismégiste  et  de  Pythagore,  le  tout  réuni  dans  un  hut 
apologétique,  est  évidemment  plus  près  de  la  théologie  chré- 
tieime  (|ue  de  la  philosophie  de  Plalon  '^). 

Or,  la  traduction  de  Platon  par  Ficin  est  imprimée  à  Paris 
en  1518  '^),  puis  en  1522  et  1533.  Le  Timce  paraît  en  grec  en 
1538  et  avait  été  pi-écédé  en  1530  par  le  ("omment.aire  de 
Prorhis  <'''.  C'est  jirécisément  vers  celte  (hitc  (piil  faut  |)lac('r 
lune  des  premières  œuvres  platoniciennes  françaises,  et  elle 
a  trait  à  l'immortalité  :  «  De  Vexcellence  et  immortalilé  de 
famé,  exlrnit  non  seulement  du  Timee  de  Platon,  mais  aussi 
de  ])luf>ieurs  aultres  rjrecz  et  latins  philosophes,  tant  de  la 
pytha(jorique   que   platonique   fanùlle   par   maistre   Amaunj 


(1)  llist,  ithll.  rriti,  IV,  p.  63:  Et  alLl  platonicam  T>hilosophiam  luiic  veneno 
(impiété  d'Averroès  et  d'AU'xandre)  opporii  antidotum  jkvssc  judiiabant. 

(•2)  Theol.   plat.,   proœmiiiin.    p.    iv. 

(3)  Eos  (Platon  et  ses  disciples)  omnes  CfPteris  anteponimus,  eo^que  nuljis  propin- 
qiilores  fatemur.  De  civ.  lui.  VIII.  IX.  Ficin  {Throl,  i>lal..  proœmium.  p.  IV)  : 
Platonicos  mutatls  panels  chrlstlanos  fore.  Erasme  vers  la  fin  de  VKricouiiitm 
Mdviw  n.  p.  396  de  l'éd.  Taiifctiiiitz.  Lelpslf?,  1S29)  fait  un  assez  long  rapproche- 
ment entre  le  christianisme  et  le  platonisme.  Pour  la  contamination  du  plato- 
nisme sur  la  théolople  des  Pères,  voir  Fouillée,  Platon  et  li'.  Platonisme,  II, 
livre  V,  p.  421  et  sulv. 

f/|)    BBL'CKER,   op.    cit.,    IV,    p.   1'i-/.5   et  5S-59. 

(5)  Chez  J.  Petit  ;  1522  chez  J.  Baile.  Je  dois  noter  cependant  que  le  livre  de 
Champler  sur  la  philf)Sophie  platonicienne  (151G)  avait  préparé  cette  renaissance. 

(6)  Toutes  ces  dates  sont  empruntées  à  la  belle  étude  de  M.  A.  Lefranc,  Ilist. 
lill   de  la  Fr.,  1896. 


RATIONALISME    DORIGiNE    FRANÇAISE  ,  175 

Bouchard,  iiiai:<lre  des  requesles  ordinaires  de  Ihoslel  du 
roy  (1)  ».  Lauleur,  compatriote  de  Briand  Vallée,  ami  de 
Tirai lueau.  de  Pierre  Lamy  et  de  Rabelais,  est  plus  connu 
pour  sa  défense  du  sexe  féminin  <2)  contre  les  attaques  de 
Tira(|ueau  que  pour  son  traité  platonicien,  inédit  du  reste; 

Le  manuscrit  est  composé  de  103  feuillets  de  beau  par- 
chemin enluminés  avec  beaucoup  de  goût,  tant  pour  la  pureté 
du  dessin  que  pour  la  fraîcheur  des  couleurs.  Il  porte  sur  le 
premier  feuillet  les  armes  de  François  F'"  entourées  de  son 
initiale  répétée  avec  d'autres  dessins  et  commence  par  une 
dédicace  de  20  pages  au  roi.  Evidemment,  il  lui  a  été  offert. 
11  a  dû  être  écrit  entre  1531  et  1533.  En  effet,  l'auteur  dans  la 
dédicace  prend  le  titre  de  <(  maistre  des  requesles  ordinaires 
de  l'hostel  du  roy  »,  titre  qu'il  acquit  en  1531  <3).  H  y  loue  le 
Trailé  de  l'âme  de  Cassiodore  et  le  Timée.  Or,  l'édition  /j/'/?i- 
ceps  de  Cassiodore  est  de  1533  *^'  et  celle  du  Tiinée  grec  de 
1532.  Bouchard  semble  même  dire  que  c'est  sur  la  demande  de 
François  P''  (|u"il  a  entrepris  cette  adaptation  des  deux  traités 
en  question.  Mais  sa  manière  nest  ni  celle  de  Cassiodore  ni 

(1)  Bibl.  Nat.,  manuscr.  franc.,  anden  lomis.  1991.  Dix  ans  plus  tard,  le  plato- 
nisme s'épanouira  en  une  œuvre  de  même  nature,  mais  de  source  plus  pure.  La 
croyance  à  l'immortalité  fait  aus?i  le  fond  du  2^  livre  de  la  Parfaite  Amie  (DOlet, 
15'i2.  Je  cite  d'après  la  réimpression  de  Gohin,  Paris,  1909).  Quand  l'amie  après 
la  mort  de  l'amant  sera  ennuyée  de  vivre,  il  lui  suffira  de  se  souvenir  des  ensei- 
gnements de  son  amant  :  préexistence  et  chute  des  âmes,  retour  par  la  mort 
vers  l'être  aimé  : 

Si  suis-je  bien  dès  cette  hexire  certaine 
Que  reschappés  de  la  prison  mondaine 
Irons  au  lieu  qu'avons  tant  estimé.... 
Là  reunis  et  nous  recognoissants 
Serons  toujours   (non   par  foys)    jouyssants 
Et  à  jamais  vivants  amys  ensemble  (vers  1101  et  suiv.). 
Toute  la  fin  du  2«  livre  (vers  1044  à  1127)  est  une  description  de  la  vie  étemelle, 
mélange  assez  libre  du  Phédon  et  de  la  description  des  îles  fortunées  du  Critias, 
idéal  de  paradis  païen  semblable  à  une  cour  galante  et  luxueuse. 

(2)  1522  :  Tv;;  yuvKtzsta;  tv;,/<;  ,  écrit  contre  le  De  Leç/ibus  connubialibus  fl513). 
Voir  article  de  M.  A.  Lefranc,  dans  Revue  Et.  Babel.,  1904,  p.  82,  et  un  autre 
de  B.\RAT,  ibid..  1906,  p.  138  et  253  et  suiv.  Pour  la  vie  de  .A.  Bouchard,  voir 
Haag.  France  protestan'tte,  ii,  p.  413. 

3)  Haag,  art.  cité. 

(4)  Airrelii  Cassiodori  variarvm  libri  XIJ;  item,  de  Anima  liber  unus  recens 
inveiiti  et  in  lucem  dati  a  Mnriangelo  Accurno,  Augustae  Vindelic.  (Augsbourg), 
ex  aedibus  Henrlci  Sllicei,  1533. 


176  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

colle  (lu  Tin'ce.  Cassiodore  est  un  chrétien  qui  a  lu  Platon; 
Bouchard  ne  <e  souvient  que  de  Ficin;  autant  le  .style  du 
premier  est  simple,  autant  celui  du  second  est  subtil  et  pré- 
cieux, fleuri,  de  plus,  de  citations  très  nombreuses  de  Pytha- 
gore,  Linée,  Orphée,  (jue  lui  fournissait  l'ouvrage  de  Marsile 
Ficin  :  Thealogia  pUilonua  de  iiumovUililate  anintonmi. 

Peut-être  même  faudrait-il  chercher  dans  cette  parenté 
littéraire  l'explication  d'une  phrase  de  Rabelais  relative  à  ce 
livre.  Rabelais  publia  à  Lyon,  en  1532,  un  manuscrit  apocryphe 
que  les  deux  compères  avaient  acheté  à  Lyon  même  en  1530  ^i'. 
Il  le  fait  précéder  d'une  lettre  à  Am.  Bouchard,  où  il  lui  dit  : 
«  J'attends  de  jour  en  jour  ton  charmant  nouveau  petit  livre, 
sur  l'architecture  du  monde,  qui  doit  avoir  été  tiré  des  plus 
saints  écrins  de  la  philosophie.  11  n'est,  en  effet,  aucun  de  tes 
écrits  —  publiés  ou  manuscrits  —  qui  n'ait  le  parfum  de  celte 
doctrine  mystérieuse  et  étrangère  èl  qui  ne  soit  directement 
tiré  de  cet  antre  terrible,  dans  lequel,  selon  Heraclite,  se 
cache  la  vérité  ».  Et  il  ajoute,  en  grec,  qu'il  n'oublie  pas  le  très 
aimable  typographe  (îryphius.  Haag  admet  comme  vrai- 
semblable que  le  livre  auquel  fait  allusion  Rabelais  soit  notre 
manuscrit  parce  qu'il  contient,  en  effet,  une  exphcation  de 
tout  l'univers  <2),  On  verra  tout  à  l'heure  par  l'analyse  du  livre 
(pie  cette  hypothèse  n'est  guère  acceptable  sous  cette  forme. 
Non.  le  traité  de  Bouchard  ne  traite  que  de  l'immortalité  et  ne 
mérite  en  rien  le  titre  De  Archilectura  mundi.  Mais  celui  de 
l'icin,  d'où  il  est  tiré,  est  réellement,  lui.  une  encyclopédie, 
(|iii.  nous  élevant  d'abord  de  l'homme  à  Dieu^^)  pour  en 
aihriir-er  les  perfections '''^  redescend  ensuite  de  Dieu  à 
l'homme  '^\     s'arrête    à    nous    faire    admirer    les    sphères 


(1)  Er  rnii/iiis  vriiciiiiiilir  (Hiliiiuihitis  .-  [.uni  <  ii^imlu  rrstinnentutii .  Hnn  cou- 
tractus  vnuHliouls  anlifiuix  nomaiKuntu  lemiiorlbiif;  inilus. 

(2)  Article  cité. 

(3)  Livre  I. 

(4)  Livre  II. 

(5)  Livre  III. 


RATIONAÈISME    DORIGINE    FRANÇAISE  177 

célestes  *i),  et  où  Ion  trouve,  outre  toutes  les  propositions 
émises  depuis  Platon  sur  Tâme  et  réunies  par  Ficin  en  quatorze 
livres,  <(  tout  ce  que  les  anciens  ont  écrit  sur  l'essence  divine, 
les  idées,  la  Providence,  l'âme  du  monde,  les  intelligences, 
les  sphères  célestes,...  les  quatre  éléments,...  la  matière  et  la 
forme,...  le  mouvement,...  les  démons,...  les  miracles...  »  et 
bien  d'autres  problèmes  qu'énumère  complaisamment  l'éditeur 
de  l'édition  parisienne  de  1549  (2).  Le  Timée  aussi  contient 
un  système  du  monde  et  une  explication  de  l'univers.  Dès  lors, 
on  peut  faire  une  double  hypothèse.  Ou  bien  la  phrase  de 
Rabelais  ne  vise  pas  le  traité  de  Y  Excellence  de  i  immortalité 
de  iâme,  mais  une  adaptation  plus  large  du  Timée,  ou  bien 
si  c'est  à  ce  traité  que  Rabelais  fait  allusion,  il  ne  l'avait  pas  lu 
et  se  fiant  aux  dires  de  son  ami.  il  croyait  que  tout  le  Timée  y 
était  contenu;  ou  encore  ce  traité  était  bien  de  1532  une  com- 
pilation du  Timée  et  de  Ficin,  mais  l'autem-,  ne  l'ayant  pas 
fait  imprimer,  l'a  réduit  et  en  a  seulement  gardé  ce  qui  avait 
trait  à  l'immortalité.  Dès  lors,  rien  n'empêcherait  dadmettre 
qu'il  ait  été  composé  avant  1533  puisqu'il  ne  doit  rien  à  Cassio- 
dore,  la  préface  seule  serait  postérieure  à  cette  date. 

Il  serait  parfaitement  inutile  de  résumer  ici  ce  livre  dont 
l'auteur  ne  paraît  pas  soupçonner  Averroès  ni  Pomponace  : 
il  dit  seulement  dans  sa  préface  :  «  Les  vulgaires  philosophes, 
après  avoir  lu  les  livres  de  Democrite,  de  Crysippus  et 
d'Epicure  ont  pensé  l'âme  estre  corporelle,  non  persuadés 
d'aulcune  intérieure  raison,  mais  les  extérieures  opérations 
ayant  une  seulle  considération  ».  Le  résumer  serait  du  reste 
fort  difficile,  la  langue  en  est  celle  qu'écrivaient  Briçonnet, 
Marguerite  de  Navarre,  et  les  mystiques  du  temps.  Voici  les 
titres  de  quelques  chapitres  de  ce  livre;  c'est  ce  qu'il  contient 
de  plus  clair,  et  ils  nous  serviront  à  expliquer  quelques  termes 
un  peu  vifs  de  l'ami  de  Bouchard,  maître  François  Rabelais  : 

Chapitre  II  ^3)  :  «  De  l'origine  et  naissance  des  âmes  et  par 

(1)  Livre  IV. 

(2)  Bibliopola  ad  leclorem,  p.  II. 

(3)  Haag  (art.  cité)  donne  la  liste  de  tous  les  chapitres,  mais  d'une  façon  légère- 
ment inexacte  et  incomplète.  J'ai  rectifié  et  complété  sur  le  manuscrit. 

12 


178  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

quelles  raisons  les  platonic(|iies  ont  de  leur  principe  et  com- 
mencement opiné  ». 

Chapitre  III  «  De  quel  lieu  et  comment  l'àme  descend  au 
corps  humain  ». 

Chapitre  IV  :  «  En  quel  temps  l'àme  est  au  corps  infuse,  et 
par  quelle  part  elle  entre  au  corps  et  par  quelle  part  aussi 
elle  en  sort  ». 

Les  autres  chapitres  sont  consacrés  à  l'immortalité  selon 
la  (c  Platonicque  achademye  »,  c'est-à-dire  selon  Ficin.  Ceux 
que  nous  venons  de  citer  agitent  des  questions  que  la  scolas- 
tique  et  la  médecine  avaient  longtemps  débattues  sans  les 
résoudre  <!'.  On  verra  un  jour  comment  l'ami  de  Bouchard, 
Rabelais,  y  répondra  ^'. 

Rien  dans  les  traités  que  je  viens  d'étudier  ne  paraît 
dénoter  la  pénétration  des  idées  italiennes. 

L'inventaire  des  librairies  du  temps  conduit  aux  mêmes 
conclusions.  Sans  parler  de  celles  où  l'on  ne  trouve  que  des 
Heures  et  des  livres  de  piété  '3),  les  hbrairies  les  mieux  acha- 
landées ne  semblent  pas  munies  de  livres  hétérodoxes  d'origine 
ilalienne.  (/hez  Jean  Frichon,  en  1529'^',  c'est  Erasme  qui 
domine  de  beaucoup  :  Adages,  Colloques,  Enchiridion,  Eloge 
de  la  lolie;  parmi  les  latins,  Cicéron  :  le  De  OUiciis,  le  De 
Finihus  et  plusieurs  trailés  intitulés  :  Tullius,  De  Anima,  le 
Songe  de  Scipion  évidemment;  quelques  rares  exemplaires 
du  Pline  de  Forben,  et  de  Sénèque,  Les  Grecs  ne  sont  repré- 
sentés que  par  quelques  traités  de  Lucien,  dont  seize  exem- 
plaires du  De  Sectifi  et  huit  opuscules  non  désignés,  (sans 
doute  ceux  qu'avaient  traduits  et  publiés  Erasme  et  Morus, 

(1)  A  vrai  dire,  elles  sont  beaucoup  plus  anciennes  que  la  scolastique.  Voir  par 
exemple  sur  le  temps  où  l'àme  est  Infuse  au  corps  les  opinions  des  philosophes 
anciens  dans  Plutarque,  De  Placllis  philos.,  IV,  21,  p.  537  de  la  trad.  de  Budé. 

i2)  Ch.  VIII,  fin. 

(3)  Celle  de  Louis  Royer,  par  exemple.  Mémoires  de  la  Socirtr  d'Hist.  de  Paris 
et  de  l'Ile  de  France,  XXI  (1894),  p.  53  et  sulv. 

(i)  Ibid.  —  M.  L.  AuvRAY  arrive  à  la  même  c-onclusion  d:ins  sou  étude  sur  La 
hlblioihèdue  de  Claude  Bellii^vrr  (1.53O)  publiée  dans  les  Mclanfji's  F.  Picot,  II, 
p  333-363.  Par  contre  la  bibliothèque  du  château  de  Blois  contenait,  en  1518,  doux 
exemplaires  du  De  Satura  deorum  et  deux  du  De  divinalione  iBlblioth.  du  château 
de  Blois  par  P.  Arnauldet.  dans  le  Bibliographe  moderne,  1905.  p.  373  et  sulv.). 


KATIOXALISME    DORIGINE    FRANÇAISE  179 

en  1506)  ^^\  el  un  exemplaire  des  Œuvres  en  grec.  Parmi  les 
Italiens,  je  ne  relève  que  Laurent  Valla  :  les  Elégances,  in 
Pogion,  De  Matura  oculorum,  De  Nalura  siniplicium,  De 
^atu^a  partium,  De  Quêestionibiis  phisistis  (sic);  5  exemplaires 
De  Voluptate;  M.  Ficin  :  16  exemplaires  du  De  TripUci  vita. 

11  semble  donc  qu'on  doive  reporter  l'influence  de  la  philo- 
sophie italienne  après  1530.  C'est  à  partir  de  1528  et  surtout 
de  1532  que  l'exode  des  Italiens  vers  Paris  devient  important. 
Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'y  ait  pas  d'incrédules  en  France 
avant  1530  ;  les  <(  libertins  »  existaient  depuis  longtemps,  et 
nous  en  donnerons  ailleurs  des  preuves.  Erasme  dont  nous 
venons  de  constater  la  vogue  toute-puissante,  est  déjà  bien 
frondeur  en  matière  religieuse  :  il  n'est  pas  rationaliste,  car 
s'il  a  une  tendance  à  simphfier  le  dogme  et  à  éliminer  des 
pratiques  pieuses,  il  n'a  jamais  essayé  de  se  passer  de  la 
Révélation:  il  aurait  pu  —  avec  plus  de  logique  et  de 
caractère  —  aboutir  au  protestantisme,  mais  non  au  ratio- 
nalisme. Seulement,  s'il  est  vrai  que  l'Italie  a  orienté  d'une 
façon  définitive  le  rationahsme  moderne,  si  elle  a  fixé  les  points 
à  discuter,  et  la  façon  de  poser  la  discussion,  c'est  surtout 
après  1530  qu'elle  a  agi  sur  la  pensée  française. 

Même  après  cette  date,  il  semble  que  les  premiers  libres 
penseurs  français  jusqu'en  1542  aient  peu  connu  la  pensée 
italienne.  Leurs  arguments,  leur  tournure  d'esprit  en  font  les 
successeurs  de  Rutebœuf  et  de  Villon  beaucoup  plus  que  les 
élèves  'de  Pomponazzi. 


III 


Rabelais,  par  exemple,  dans  ses  deux  premiers  livres  (1533- 
1535),  attaque  ouvertement  les  miracles  :  nulle  part,  il  ne  nous 
oiïre  l'expression  du  déterminisme.   Ses  railleries  ont  donc 

(1)  Voir  PLATTARD,  L'ŒuvTe  de  Rabelais,  p.  204-205. 


180  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

bien  moins  de  portée  que  les  articles  des  Commentaires  de 
Dolel,  disciple  immédiat  de  Pomponazzi  et  par  lui  de  Cicéron. 
Il  faudrait  peut-être,  en  abordant  la  question  des  miracles, 
distinguer,  avec  M.  Lecky  (i),  les  miracles  des  légendes  du 
moyen  âge,  ceux  de  l'Ancien  Testament,  ceux  de  Jésus- 
Christ.  Beaucoup,  en  effet,  —  et  l'Eglise  elle-même  fait  cette 
distinction  —  ont  attaqué  les  premiers  sans  mettre  en  doute 
les  derniers.  C'est  le  cas  des  protestants  :  ((  En  ce  qu'ilz  (les 
catholiques)  nous  demandent  miracles,  dit  Calvin  (2),  ilz  sont 
desraisonnables.  Car  nous  ne  forgeons  point  quelque  nouveau 
Evangile  :  mais  nous  retenons  celuy,  pour  la  vérité  duquel 
confirmer,  servent  tous  les  miracles  que  jamais  et  Jésus  Christ 
et  ses  apostres  ont  faicts.  On  pourroit  dire  qu'ilz  ont  cela  parti- 
euher  oultre  nous  qu'ilz  peuvent  confirmer  leur  doctrine  par 
continuelz  miracles,  qui  se  font  jusques  au  jour  d'huy.  Mais 
plustost  ilz  allèguent  miracles  qui  pourroient  esbranler  et  faire 
doubler  un  esprit,  lequel  autrement  seroil  bien  en  repos  :  tant 
sont  ou  frivoles  ou  mensongiers  ».  11  ne  faisait  que  résumer  l'un 
des  griefs  des  réformés  et,  avant  eux,  des  humanistes  français 
contre  les  légendes  dont  la  piété  crédule  du  moyen  âge  avait 
auréolé  certains  saints.  Nous  avons  vu  Pomponazzi  attaquer 
la  légende  des  stigmates  de  saint  François  d'Assise  et  de  sainte 
Catherine  de  Sienne.  En  1521,  G.  Briçonnel  défendit  aux  Cor- 
deliers  de  Meaux  de  représenter  dans  leur  église  ou  quelque 
part  que  ce  fût  saint  François  stigmatisé.  F'affaire  fut  portée 
devant  le  Parlement  qui  donna  tort  à  l'évêque  (3).  Erasme,  dans 
son  colloque  Exequise  seraphicse  (1531),  raille  également  (^)  les 
plaies  du  saint,  ainsi  que  la  mode  alors  régnante  de  revêtir 
en  mourant  l'habit  franciscain,  et  les  privilèges  <^)  de  l'ordre 


(1)  nisinfj  and  inflticnci'  of  nallonallsm...,  I,  p.  182. 

(2)  Lettre  à  François   I*"",   en   tftte  de   l'Institution  chrétienne,   Bâle,   1536;   éd. 
A.  Lefranc,  fa.sc.    I,  p.  xvii-xviii. 

(3)  Hermin).,  I,  p.  67-68,  note. 

(4)  Colloques,  il,  p.  193-209. 

(5)  On  sait  que  Ivonçucil  lui-mi^me  avait  lait  cet  acte  de  piété,  dont  le  rallie 
Erasme  dans  ce  même  dialogue. 


RATIONALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  ISl 

séraphiqiie  qui,  selon  le  naïf  Théotime,  assurait  à  ses  membres 
le  ciel  immédiatement  après  la  mort,  sans  effort  pour  le  gagner 
durant  la  vie.  Il  est  vrai  que  certains  prédicateurs  franciscains 
lui  fournissaient  sur  ce  sujet  des  armes  faciles  <^).  Dans  un 
autre  de  ses  coîlo({ues,  Exorcisinus  sive  speclrum^  il  raconte 
l'histoire  d'apparitions  merveilleuses  simulées  par  un  prêtre 
et  acceptées  comme  réelles  par  un  autre  nommé  Faunus, 
dexorcismes  ridicules  qui  montrent  jusqu'où  peut  aller  la 
naïveté  des  uns  aussi  bien  que  la  ruse  entreprenante  des 
autres,  et  il  conclut  :  ((  Jusqu'ici,  je  ne  me  fiais  pas  beaucoup 
aux  fables  qu'on  raconte  à  propos  des  spectres,  mais  désor- 
mais j'y  croirai  beaucoup  moins  encore,  car  je  soupçonne  que 
ce  sont  des  hommes  crédules  et  semblables  à  Faunus  qui 
rapportent  comme  vraies  dans  leurs  livres  des  histoires 
inventées  par  la  même  ruse  (2)  ».  Plus  tard,  en  1543,  Claude 
Despences  fera  scandale  en  disant  en  chaire  que«  la  légende 
dorée  est  une  légende  de  fer  et  pleine  d'absurdités  ».  Il  dut 
se  rétracter  en  deux  sermons  et  ne  réussit  jamais  à  faire  oublier 
cette  imprudence  '2). 

Rabelais  ne  manque  jamais  l'occasion  de  railler  ces 
croyances,  par  exemple,  celle  de  saint  Nicolas.  Panurge, 
voulant  imiter  ce  saint,  met  une  partie  de  l'argent  que  lui  a 
rapporté  la  croisade  à  marier  ((  non  les  jeunes  fdles,  car  elles 
ne  trouvent  que  trop  de  maris,  mais  grandes  vieilles  sempi- 
terneuses  qui  n'avaient  dents  en  gueulle  (^)  ».  Ou  bien,  il  raille 


(1)  Du  PLESSis  d'Argentré  (I.  390;  II,  319)  Cite  le  cas  de  Franciscains  qui 
prêchent  que  qui  porte  l'habit  de  saint  François  ne  peut  être  damné,  que  le 
Saint  descend  une  fois  par  an  en  purgatoire  pour  en  tirer  les  âmes  de  ceux  qui 
ont  appartenu  à  son  ordre,  qu'en  recevant  les  stigmates  il  souffrit  autant  que 
Jésus-Christ,  que  sa  conception  fut  annoncée  par  un  ange,  qu'il  naquit  dans  une 
étable  entre  un  bœuf  et  un  âne,  qu'il  est  un  second  christ,  etc.  Voir  aussi  sur  ce 
sujet  Rexan,  Averroès  et  l'averroïsme,  II,  II,  p.  260. 

(2)  Quelques  années  après  l'époque  qui  nous  intéresse,  Marguerite  de  Navarre 
consacra  aux  faux  miracles  la  65*  nouvelle  de  VHeptameron  (VII^  joirrnée). 

(3)  Legendam  auream  legendam  esse  ferream  et  rébus  ahsurdis  plenam,  Ladnoy, 
Hist.  Gymn.  navarensis;  Nicéron,  Mém.,  XIII,  art.  sur  Cl.  Despences.  De  Launoy 
ajoute  qu'en  cela  Despences  était  de  l'avis  de  M.  Cano  qui  pourtant  joua  un  rôle 
au  Concile  de  Trente  et  qui  a  écrit  (De  Locis  Vieolog..  II,  6)  :  ■•  Eam  homo 
scripsit  ferrei  oris,  plumbei  cordis,  animi  certe  parum  slnceri  et  prudentis  ». 

(4)  II,  XVII. 


182  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

ceux  qu'attirent  les  pèlerinages  célèbres,  comme  les  pèlerins 
de  saint  Sébastien  qui  croient  que  <(  saint  Sebastien  donne  la 
peste,  saint  Antoine  met  le  feu  aux  jambes,  saint  Eutropc  fait 
les  hydropiques,  saint  Gildas  les  fols,  saint  Genou  les 
gouttes  <i)  ».  Saints  guérisseurs  ou  <(  jeteurs  »  de  maladies, 
Habelais  les  traite  dès  lors  comme  dix  ans  plus  tard  fera  Calvin 
au  Traité  des  Reliques. 

Mais,  en  réalité,  le  peuple  demeurait  très  crédule.  Des 
miracles,  mais  n'en  arrivait-il  pas  tous  les  jours?  En  1516,  à 
Poitiers,  un  fou  fait  tomber  le  précieux  sang  sur  le  corporal 
«  et  estoit  la  consécration  de  vin  blanc;  dont  il  advint  un  beau 
miracle,  car  sitost,  qu'il  fut  tombé  sur  les  corporaux  sacrez  il 
devint  rouge  ».  En  1552,  des  brigands  qui  ont  mangé  dos  hosties 
volées  sont  brûlés  par  un  feu  mystérieux  qui  leur  sort  des 
entrailles  '2).  Dans  le  même  ordre  de  miracles  surprenants,  il 
faut  lire  le  joli  tour  que  fit  le  diable  à  une  Bordelaise,  qui, 
croyant  parler  à  un  avocat,  dit  au  malin  qu'elle  se  donnait  au 
diable  si  elle  était  coupable  d'un  vol  dont  on  l'accusait.  Le 
diable  la  prit  au  mot  et  l'emporta  dans  la  mer,  puis  sur  sa 
maison,  sur  l'église,  <(  et  de  là...  sur  une  grosse  tour  de  la 
ville  de  Bordeaux  et  fust  illec  bruslée  toute  vive  en  la  présence 
de  tout  le  peuple,  qui  fust  une  chose  fort  espouvantable...  à 
veoir,  dont  Dieu  nous  vueille  tous  garder...  (3)  ».  En  1518,  une 
jeune  fille  <(  impotente  de  tous  ses  membres  depuis  treize  ou 
quatorze  ans,  corbée  et  contrefaicte  tellement  que  ne  se 
pouvoit  ayder  ne  mouvoir  »  fit  une  neuvaine  à  Notre-Dame  de 
Lorelte.  .\  la  fin  de  la  messe  qui  clôturait  sa  neuvaine,  elle  fut 
guérie  '^^K  En  1528,  les  luthériens  ayant  mutilé  une  Vierge  qui 


(1)  I,  XLV.  Voir  sur  les  saints  jeteurs  de  maladies  art.  du  D''  Folet,  Revue  Et 
llah..    19(16.   p.  199  et   suiv.;   Er^SMR,   liiniiiinc  xernptiiiae   IColtoi/.   Il,   199-200). 

(2)  Jonrnal  d'un  Bourgeois  de  paris,  p.  35,  138  et  suiv.  (éd.  BourrlUy). 

(3)  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris,  p.  /«Ifi,  appendice.  Extrait  de  la  chronlgue 
manuscrite  (Blbl.  nat.,  fr..  17.527).  On  trouve  une  histoire  semblable  à  peu  de 
chose  près  dans  S.\iXT-RoMT'ALrj,  Trésor  chronologique,  p.  530,  sous  l'année  1533. 
Saint-Romuald  la  tient,  dit-il,  de  LElrio,  Disquisit:  magie,  librl  sex.,  I. 

(4)  Journal  d'un  Bourgeois  de  Pans,  p.  60. 


RATIOX.ALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  183 

était  à  la  façade  de  la  maison  de  <(  maistrc  Loys  de  Ilaiiay  », 
près  de  l'église  du  Pelit-Saint-Antoine,  on  fait  des  processions 
expiatoires  et  on  porte  la  statue  mutilée  à  saint  Gervais. 
a  Huict  jours  après  ou  environ  y  eust  ung  enfant,  lequel  estoit 
mort  au  ventre  de  sa  mère,  qui  eust  vie,  qui  fust  gros 
miracle...  '^)  ».  En  1530,  en  l'abbaye  de  Chaumes,  le  tombeau 
de  saint  Dosme,  évè(}ue  du  Mans,  est  le  théâtre  de  miracles 
nombreux  '2).  Le  23  janvier  1534,  la  Sorbonne  délibère  sur  une 
histoire  d'apparitions  :  une  femme  défunte  a  révélé  à  des 
vivants  qu'elle  était  damnée.  La  Sorbonne,  prudemment, 
maintient  la  possibilité  des  apparitions,  mais  conseille  une 
grande  réserve  dans  lexamen  des  cas  particuliers  <(  pour  ne 
point  tromper  le  peuple  avec  de  fausses  apparitions  et  par  le 
moyen  des  faux  miracles,  le  détourner  de  croire  les  véri- 
tables <3)  ». 

Mais  les  miracles  continuels,  ce  sont  ceux  que  la  piété  des 
fidèles  sollicitait  sans  cesse  du  ciel.  Toutes  les  fois  qu'une  trop 
longue  sécheresse,  ou  une  pluie  continue,  ou  une  gelée 
excessive  menaçait  les  récoltes,  on  descendait  les  châsses  de 
((  Madame  sainte  Geneviève  et  de  saint  Marceau  »  ou  de  saint 
Germain,  «  le  noble,  riche  et  précieux  chef  de  Mons.  Saint 
Jehan-Baptiste,  des  reliques  de  la  sainte  Chapelle  »,  ou  celui 
de  saint  Philippe,  les  reliques  de  la  sainte  Chapelle  elle-même 
(couronne,  clous  et  vraie  croix),  et  on  s'en  allait  «  en  fort 
honn€ste  procession  »  à  l'une  des  églises  de  la  capitale.  Chaque 
année  a  sa  procession,  et  l'éclat  en  est  tel  que  les  chroniqueurs 


(1)  Driard,  Chronique  Parisienne,  p.  133.  Le  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris, 
p.  294,  raconte  la  même  chose,  mais  il  met  deux  enfants.  Il  est  vrai  qu'il  ne 
dit  point  qu'ils  fussent  morts  au  ventre  de  leur  mère. 

(2)  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris,  p.   346. 

(3)  Du  Plessis  d'Argentré,  II,  p.  120.  Driard  raconte  la  même  histoire  et 
nomme  la  femme  en  question.  En  1526,  l'âme  de  sœur  Alix  de  Trésieux,  décédée, 
avait  apparu  à  sœur  .Antoinette  de  la  Grollée.  du  16  février  au  21  mars,  au 
monastère  de  Saint-Pierre  de  Lyon;  et  l'aumônier  de  François  1er  avait  écrit 
le  récit  de  ces  apparitions  (1529)  (L.\  Croix  du  M.4ine.  I,  8). 


iS4  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

nous  les  rapportent  comme  mi  événement  important  ^i).  Ils 
ne  manquent  pas  d'en  signaler  le  résultat  merveilleux.  En  1517, 
la  sécheresse  est  telle  qu'il  n'y  a  plus  d'herbe  ;  la  Seine  est  si 
basse  que  les  marchandises  qui  viennent  par  eau  ((  comme 
vin,  boys,  foings  »  sont  rares  et  ne  peuvent  arriver.  On  fait 
une  procession  solennelle  de  la  châsse  de  sainte  Geneviève  : 
<c  dont  depuys  ne  cessa  de  plouvoir  par  l'espace  de  troy  moys 
ou  environ  (2)  ».  En  1521,  c'est  la  famine;  nouvelle  procession; 
et  pendant  qu'on  faisait  la  procession,  «  par  les  bonnes 
prières  de  la  glorieuse  Vierge  Marie  et  de  Madame  saincte 
Geneviève,  arrivèrent  à  Paris  cinq  grands  bateaux  chargez 
de  bled  où  il  pouvoit  avoir  quatre  cents  muidz  de  bled,  mesure 
de  Paris  (3)  ».  Mais  la  grande  année,  ce  fut  1529.  Il  gela  si 
fort  qu'on  crut  toutes  les  vignes  perdues,  <(  car  les  gros 
glaçons  pendoient  aux  bourjons  et  grappes  »  ;  les  paroisses 
suburbaines  organisent  des  processions  et  miraculeusement 
«  tous  les  matins  survenoit  ung  broillas  qui  îaissoit  cheoir 
toute  la  glace  et  gelée  ».  On  multiplia  les  pèlerinages. 
Une  partie  des  vignes  gelèrent  «  et  est  certains  que, 
sans  la  grâce  de  Notre-Seigneûr  tout  universellement  esloit 
perdu.  Dieu  nous  fist  miracle  tout  évident  et  fust  ceste  année 
dicte  et  jugée  année  des  miracles  (^)  ». 


(1)  Voici  le  détail  des  années  qui  précèdent.  1530. 
1517.  Contre  la  sécheresse B.  de  Pa/-l5,  p.  50-51. 

1521.  —       famine —  p.  83.  Versoris,  p.  110. 

1522.  —       pluie .' —  p.  16.    Driard,  p.  70  71, 

1523.  —        pluie _ —  p.  127.        —        p.  78. 

1524.  —       Sécheresse —         p.  140.       —       p.  93. 

1525.  —  guerre —     .  p.  113. 

1527.  —        pluie VEB80RI8,  p.  197.  —         p.  126. 

1529  —       gelée —        p.  217. 

1529.  —        guerre  .  le  7  juillet —       p.  141. 

1530.  —      pluie —      p.l5l. 

(2)  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris,  p.  51. 

(3)  Ibid  ,  p.  83. 

(4)  Versoris,  Livre  de  raison,  p.  218.  Salnnon  Macrin  a  écrit  aussi  deux  hymnes 
sur  ce  sujet,  où  le  déluge  de  Deucalion,  la  punition  des  Titans,  le  meurtre  perpétré 
par  Lyc^aon  s'entremêlent  dans  un  l)caii  désordre  lyrique  aux  jn-lères  du  poète  : 
1  ne  PluvUs  i-l  temiicslallbus  ad  Dciim  {Hyrnn  ,  p.  107-108),  14  strophes  de  4  vers; 
H.  Lielatnr  oh  redditam  serenltatcm  (36  vers).  Ces  pièces  sont  de  1537 


RATIONALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  185 

Ecoutons  niaiuleiiant  le  rire  de  Rabelais;  avec  quelle  malice 
il  raille  la  pompe  de  la  procession,  la  majesté  des  chants,  le 
style  même  de  l'oraison  de  la  messe  qu'il  parodie,  la  joie,  puis 
la  déconvenue  des  assistants  : 

«  Car  un  jour  de  vendredy,  que  tout  le  monde  s'estoit  mis 
en  dévotion,  et  faisoit  une  belle  procession,  avec  force  letanies 
et  beaux  preschans,  supplians  à  Dieu  omnipotent,  les  vouloir 
regarder  de  son  œil  de  clémence  en  tel  desconfort,  visible- 
ment furent  veues  de  terre  sortir  grosses  gouttes  d'eau,  comme 
quand  quelque  personne  sue  copieusement.  Et  le  pauvre 
peuple  commença  à  s'esjouir,  comme  si  c'eust  esté  chose  à  eux 
profitable,  car  les  aucuns  disaient  que  de  humeur  il  n'y  en 
avoit  goutte  en  l'air  dont  on  esperast  avoir  pluye  et  que  la 
terre  suppleoit  au  default.  Les  aultres,  gens  scavans,  disoient 
que  c'estoit  pluie  des  antipodes,  comme  Seneque  narre  au 
quart  livre  Ouestionum  naiuralium...;  mais  ils  y  furent 
tromptjs.  Car  la  procession  finie,  alors  que  chascun  vouloit 
recueillir  de  ceste  rosée  et  en  boire  à  plein  godet,  trouvèrent 
que  ce  n'estoit  que  saulmure,  pire  et  plus  salée  que  n'est  l'eau 
de  la  mer  W  ». 

Un  grand  miracle  aussi,  et  que  les  trois  chroniqueurs  du 
temps  nous  ont  rapporté  ^^\  c'est  la  «  résurrection  »  de  Chris- 
tophe Bueg,  de  Gennes  en  Anjou.  Le  samedi  19  septembre 
1528,  ce  jeune  homme  —  il  avait  21  ans  — •  fut  pendu  place 
Maubert.  Avant  de  subir  sa  peine,  il  se  recommanda  à  Notre- 
Dame  de  Recouvrance  des  Carmes.  Il  fut  «  pendu  et  estranglé 
et  le  bourreau  le  laissa  pendre  bien  l'espace  de  demi-heure  ». 
Puis,  on  le  mit  dans  une  charrette  pour  le  mener  au  gibet. 
Mais  quand  il  fut  dans  la  charrette,  il  leva  une  jambe  et  com- 
mença à  respirer,  et  le  valet  du  bourreau  lui  donna  un  coup 

(1)  II.  II.  On  na  pas  oublié  que  Dolet,  la  même  année,  raillait,  dans  son  deu- 
xième (li.'icours  (le  Toulouse,  les  processions  faites  en  vue  de  la  pluie  :  «  Est-ce 
autre  chose  que  de  la  superstition  que  de  faire  promener  par  des  enfants  les  troncs 
pourris  de  certaines  statues  dans  toute  la  ville  quand  la  chaleur  de  l'été  fait 
désirer  la  pluie?  ■>  iOralio  iia_  p.  57). 

(2)  Journal  dun  Bourgeois  de  Paris,  j).  313-314  ;  L'Rr.\RD,  p.  135;  Versoris,  p.  210, 
sont  d'accord  p.3ur  le  raconter.  Le  récit  du  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris  est 
le  plus  détaillé  et  très  curieux. 


186  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

de  ])ie(l  et  lira  son  couteau  pour  lui  couper  la  gorge.  «  Lors 
d'advanture,  il  y  eut  une  pouvre  Icmme...  qui  print  ledicl 
vallel  et  cria  en  luy  disant  :  Ha  traistre,  le  tueras-tu?  vois-lu 
pas  que  c'est  un  miracle  ?  »  La  multitude  s'amasse,  on  emmène 
le  pendu  aux  Carmes  et  le  roi  le  gracie.  L'année  suivante,  un 
jeune  prêtre  a  la  même  chance,  à  Lyon  f^>.  Le  28  novembre 
1540,  à  Castelnuovd,  près  de  Turin,  un  condamné  fut  aussi 
sauvé  après  avoir  été  frappé  de  la  hache  par  deux  fois.  On 
attribuait  ce  miracle  à  la  Vierge.  Mais  Cardan  qui  nous  le 
raconte  suppose  plus  simplement  que  la  hache  était  mal 
aiguisée  ou  que  le  bourreau  y  mil  (pielque  complaisance '3). 
X'ersoris  croit  de  même  que  le  jeune  Bueg,  en  1528,  ne  fut  pas 
assez  longuement  <(  pendu  ne  brandillé  »;  mais  le  Bourgeois 
de  Pans  croit  à  un  miracle;  le  condamné  était  innocent  et  la 
X'ierge  qu'il  avait  priée  lavait  sauvé.  Driard  se  contente  de 
rapporter  cette  explication  en  ajoutant  :  quod  pie  credilur. 
Quant  au  peuple,  il  criait  au  miracle,  parce  que  le  jeune 
Angevin  avait  commencé  une  prière  à  la  Vierge  avant  de 
mourir  et  que  le  bourreau  ne  l'avait  pas  laissé  l'achever  (^). 
La  Vierge,  dans  la  circonstance,  ne  faisait  que  rééditer  le 
miracle  de  saint  Jacques.  Un  pèlerin,  en  passant  à  Toulouse, 
avait  été  faussement  accusé  de  vol  el  condamné  à  être  pendu. 
.Mais  saint  Jacques,  dont  il  allait  vénérer  le  tombeau,  était 
monté  sur  le  gibet  et  l'y  avait  soutenu  pendant  trente-six 
jours  f-^).  Rapprochons  de  ces  faits  un  chapitre  de  Rabelais 
publié  quelques  années  seulement  après  '^). 


(1)  Journal  d'un  Bourgeois  de  Parla,  p.  323. 

(2)  Cardan,  De  lierum  variPlnte,  XIV,  Lxxvi. 

(3)  En  cela  Cardan  suit  Pomponazzi,  car  le  cas  est  classique,  et  Pomponazzi  exa- 
minant les  résurrections  racontées  par  Pline  soutient  qu'il  s'est  trompé  et  que 
se«  morts  n'étaient  pa.s  morts  réellement  •■  comme  cela  s'est  vu  souvent,  même 
de  notre  temr>s  :  par  exemple,  le  voleur  r>endu  ici  à  Bologne  »  {De  Incanlaltonlbus, 
VIII,  p.  103). 

(4)  VerSORIS,   p.   210. 

(6)  Une  verrière  de  Lisieux  de  1527  représente  ce  miracle.  En  voir  la  reproduction 
et  la  liste  d'autres  verrières  semblables  dans  Mâle,  L'An  chrétien  à  la  fin  du 
moyen  dfje.  p.  178.  IH0-IS6. 

(6)  II,  XIV,  récit  de  Panurge. 


RATIONALISME    d'oRIGINE    FR.VNÇAISE  |  ,S7 

Fanurge  raconle  la  façon  miraculeuse  dont  il  a  échappé  au 
supplice.  Les  «  paillards  Turcs  )>  l'avaient  mis  en  broche  «  tout 
lardé  comme  un  connil  »  et  \e  faisaient  rôtir  tout  vif.  ((  Ainsi 
comme  ilz  me  roustissoient,  je  me  recommandois  à  la  grâce 
divine,  ayant  en  mémoire  le  bon  sainct  Laurent,  et  lousjours 
esperois  en  Dieu  qu'il  me  delivreroit  de  ce  forment,  ce  qui 
fust  faict  bien  estrangement.  Car  ainsi  que  me  recommandois 
bien  de  bon  cœur  à  Dieu,  criant  :  «  Seigneur  Dieu,  aide  moy  ! 
Seigneur  Dieu,  sauve  moy  !  Seigneur  Dieu,  osle  moy  de  ce 
tonnent...  »,  le  routisseur  s'endormit  par  le  vouloir  divin 
ou  bien  de  quelque  bon  Mercure  qui  endormit  cautement  Argus 
qui  avoit  cent  yeux  ».  Alors  Panurge  saisit  avec  ses  dents  un 
tison  et  le  lance  sous  un  lit.  Le  feu  prend  à  toute  la  maison, 
le  maître  arrive  et  le  débroche;  Panurge  embroche  à  son  tour 
le  «  baschat  ))  et  se  sauve,  non  sans  s'être  retourné  «  comme 
la  femme  de  Loth  »  et  avoir  vu  <(  toute  la  ville  bruslant  comme 
Sodome  et  Gomorre  ».  Le  choix  du  supplice  qui  rappelle  celui 
de  saint  Laurent,  les  litanies  de  Panurge,  son  espoir  en  Dieu, 
la  façon  «  estrange  »  dont  Dieu  le  délivre,  le  soin  qu'il  a  de 
noter  que  son  gardien  sendort  ((  par  le  vouloir  divin  »,  le  tout 
mêlé  aux  inventions  burlesques  de  l'ancêtre  de  Tartarin,  tout 
cela  n'est-il  pas  la  parodie  du  miracle  tout  récent  et  que  sans 
doute  les  Carmes  mettaient  à  profit,  que  nous  venons  de 
raconter  ? 

Rabelais  a-t-il  eu  plus  de  hardiesse  encore,  et  après  avoir 
raillé  les  miracles  contenus  dans  les  légendes  des  saints  ou 
enfantés  chaque  jour  par  la  crédulité  populaire,  s'esl-il 
attaqué  à  ceux  de  l'Evangile?  Ce  serait  évidemment  d'une 
tout  autre  portée.  Jusqu'ici,  il  est  à  peine  protestant,  par  là, 
il  deviendrait  rationahste.  Il  y  a  dans  ses  deux  premiers  livres 
quelques  pages  bien  énigmatiques  et  je  ne  propose  mon 
commentaire  qu'à  titre  d'indication.  Bien  fin  qui  soulèvera 
complètement  le  voile  et  éclaircira  le  sourire  énigmatique  du 
grand  railleur  ! 

Epislémon  a  disparu  dans  le  combat  contre  les  trois  géants 


188  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

que  commandait  Loupgarou;  on  le  cherche,  el  on  le  trouve 
«  roide  mort,  et  sa  teste  entre  ses  bras  toute  sanglante  ».  Alors 
Panurge,  au  milieu  de  la  tristesse  générale,  dit  :  «  Enfants, 
ne  pleurez  goutte,  il  est  encore  tout  chault,  je  vous  le  gueriray 
aussi  sain  qu'il  fut  jamais.  Ce  disant  prinst  la  teste  "et  la  tint 
sur  sa  braguette  chauklement  afin  qu'elle  ne  print  vent. . .  Adonc 
nettoya  très  bien  de  beau  vin  blanc  le  col  et  puis  la  teste,  et  y 
synapisa  de  poudre  de  diamerdis,  qu'il  portoit  tousjours  en  une 
de  ses  fasques...  joignit  la  teste  et  le  cou  bien  adroitement,  y 
mil  tout  autour  quinze  ou  seize  points  d'agueille, ...  puis  à 
l'entour  un  peu  d'onguent  qu'il  appeloit  resu.scitatif.  Soudain 
Epistemon  commença  respirer,  puis  ouvrir  les  yeiix,  puis 
baisler,  puis  esternuer.  Dont  dist  Panurge  :  à  cesle  heure  il 
est  ressuscité  (1)  ».        , 

11  y  a  dans  ce  récit  bien  de  la  fantaisie,  mais  le  dessin 
général,  le  burlesque  mis  à  part,  ne  rappelle-t-il  pas  déjà 
l'aspect  ordinaire  des  guérisons  de  l'Evangile?  Jésus-Christ 
rassure  les  malades,  il  leur  oint  les  j^eux  ou  les  oreilles  el  ils 
sont  guéris.  Examinons  le  texte  de  plus  près.  La  pose  du 
cadavre  est  déjà  une  satire  :  c'est  celle  qu'on  donne  aux 
statues  de  saint  Denis  et  de  sainte  Valérie '2'.  La  phrase  par 
laquelle  Panurge  rassure  Eusthènes  et  Pantagruel  est  la  tra- 
duction burlesque  de  celle  que  Jésus-Christ  adresse  en  pareille 
circonstance  aux  parents  du  mort  ou  aux  malades  :  aux  pleu- 
reuses qui  emplissent  la  maison  de  Jaïre  :  «  Pourquoi  vous 
troubler  et  pleurer?  elle  n'est  pas  morl;e...  (3).  Ne  pleurez 
pas,  elle  n'est  pas  morte...  (^)  »;  à  la  mère  du  jeune  homme  de 
Naïm  :  «  Ne  pleurez  pas...  <5)  ».  Faut-il  être  prévenu  pour  voir 
dans  les  remèdes  de  Panurge  ou  •^a  façon  d'oindre  le  col 
d'Epistémon  «  d'onguent  resuscitatif  »  une  parodie  et  une 


(t)  II,  XXX. 

(2)  Le  Loirvre  possède  une  statue  de  cette  sainte  de  l;i  fin  du   XV»  .siècle  dans 
cette  ix)sitlon  fsalle  du  moyen  Age). 

(3)  Marc,  v,  39. 

(4)  Luc,  Vm,  52. 

(5)  LUC,  VII,  13. 


RATIONALISME    d"0RIGINE    FRANÇAISE  189 

déformation  burlesque  des  gestes,  inutiles  aussi,  du  Sauveur, 
dans  la  guérison  du  sourd-muet  et  de  l'aveugle-né?  »  Il  lui 
mit  ses  doigts  dans  les  oreilles  et  avec  de  la  salive,  il  toucha 
sa  langue  et  leva  les  yeux  au  ciel  en  disant  :  Ouvrez-vous  'i)  ». 
«  Et  appliquant  de  la  salive  sur  ses  yeux,  il  lui  imposa  les  mains 
et  il  commença  à  voir  (2)  ».  «  H  cracha  à  terre  et  fit  de  la  boue 
avec  son  crachat,  et  il  enduisit  de  cette  boue  les  yeux  de 
l'aveugle  t^)  ».  Si  l'on  conteste  que  Rabelais  ait  voulu  parodier 
ces  textes  —  ce  qu'au  reste,  je  ne  prétends  pas  —  il  me  seinble 
qu'il  est  difficile  de  ne  pas  voir  dans  l'ensemble  de  la  scène  — 
paroles  et  gestes  —  un  souvenir  au  moins  inconscient  des 
scènes  évangéliques. 

Cela  est  d'autant  plus  vraisemblable  que  le  procédé  est  très 
fréquent  dès  les  deux  premiers  livres  (^),  d'où  est  extrait  le 
récit  précédent.  Grandgousier  tire  son  nom  d'une  exclamation 
de  son  père  à  sa  naissance  <(  à  l'imitation  des  anciens 
Hébreux  f^)  »  ;  à  la  naissance  de  Pantagruel,  une  femme  dist 
<(  en  esprit  prophétique  :  il  est  né  à  tout  poil,  il  fera  choses  mer- 
veilleuses, et  s'il  vit  il  aura  de  V^^ge  '^^  »•  Cela  est  un  souvenir 
de  la  Nativité  de  Jean-Baptiste.  Même  réminiscence  plus  loin 
sur  l'enfance  de  Pantagruel  :  «  Ainsi  croissoit  Pantagruel  de 
jour  en  jour  et  profitoit  à  veue  d'œil  ''')  ».  Puer  autem  crescebat 
et  conlortabatur  spiritu  »,  dit  saint  Luc  t^)  en  parlant  de  saint 
Jean-Baptiste,  et  en  parlant  de  Jésus  :  «  Puer  autem  crescebat 
et  conlortabatur  plcnus  sapientia...  ^^^  ».  Si  de  ces  textes  on 

(1)  Marc.  VII,  33. 

(2)  MARC,  VIII.   23-25. 

(3)  Jo.\N.,  IX,  6. 

(4)  Sur  les  souvenirs  bibliques  dans  Rabelais,  voir  l'étude  de  M.  Plattard,  dans 
Bévue  des  m.  Rabel.,  1910  (4e  fasc,  p.  257-330;  1911,  p.  422-436.  Je  serais  aussi  de 
lavis  de  M.  Plattard  que  Rabelais  n'a  pas  l'intention  de  parodier  les  textes  de 
lEvangile. 

(5)  I.  VII.  Pour  cette  coutume  des  hébreux,  voir  par  exemple  Genèse,  XXIX, 
p.  32-35,  naissance  de  Ruben,  Lévi  et  Juda;  XXX,  pour  les  autres  fils  de  Jacob. 

(6)  II,  II. 
•7)  II,  V. 

f8)  Luc,  I,  SO. 
(9)  LUC,  II,  40. 


190  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

rapproche  les  citations  textuelles  et  fort  déplacées  —  au  dire 
de  II.  Eslienne  lui-même  —  des  chapitres  10  et  38  du  I"  livre, 
la  généalogie,  plus  déplacée  encore,  qui  commence  le  IP  livre, 
à  l'imitation  de  celle  de  Jésus,  on  nous  accordera  que  ce  n'est 
peut-être  point  calomnier  Rabelais  que  de  lui  prêter  de 
pareilles  intentions  contre  les  miracles. 

Peut-èlre  même  faut-il  chercher  dans  le  chapitre  VI  du 
I"  livre  la  pensée  intime  de  Rabelais  en  ces  matières.  Gar- 
gantua est  sorti  «  par  l'oreille  senestre  »  de  Gargamelle. 
Rabelais  se  doute  que  nous  ne  croirons  point  «.  ceste  estrange 
nativité  ».  Alors,  il  cherche  dans  la  mythologie  antique  des 
naissances  aussi  exiraordinaires.  Il  se  rappelle  surtout  ce 
fameux  VIP  livre  de  Pline  '^'  que  nous  avons  signalé  comme 
l'encyclopédie  des  rationalistes,  que  Egnazio  avait  expliqué 
à  Venise  deux  ans  auparavant,  que  Réraud  avait  édité  à  Paris 
depuis  dix  ans.  Ceci  est  bien  naturel  et  l'enfantement  du  géant 
Gargantua  est  bien  à  sa  place  entre  celui  de  l'éléphant  et  celui 
du  centaure  dont  parle  PHne. 

Mais  voici  qui  est  plus  grave  et  élargit  la  question  d'une 
façon  troublante,  u  Si  ne  le  croyez  je  ne  m'en  soucie,  mais 
un  homme  de  bien,  un  homme  de  bon  sens  croit  toujours  ce 
qu'on  luy  dit.  Ne  dit  Salomon,  Prouerbior.  XIV  :  Innocens 
crédit  onmi  verbo,  etc.  ?  et  saint  Paul  prim.  Corinthior.  XIII  : 
caritds  oinnia  crédit?  Pourquoy  ne  le  croiriez-vous  pas? 
Pour  ce,  dictes-vous,  qu'il  n'y  a  nulle  apparence.  Je  vous  dis 
(fue,  pour  ceste  seule  cause,  vous  le  devez  croire  en  foy  par- 
faicte.  Car  les  sorbonnistes  disent  (jue  foy  est  argument  des 
choses  de  nulle  apparence.  Est-ce  contre  nostre  loy,  noslre 
foy.  contre  raison,  contre  la  saincle  Escrilure?  De  ma  part, 
je  ne  trouve  rien  e.scrit  en  Bible  saincte  qui  soit  contre  cela. 
'Mais,  si  le  vouloir  de  Dieu  tel  eust  esté,  diriez-vous  qu'il  ne 

fl)  "  Mais  \<m<.  serif/  Ijît'ri  davantaifrc  eshahis  et  estonnés  si  je  vous  exposois  pré- 
sentement tfjut  le  chap.  de  Pline  auquel  r>arle  des  enfantements  estranges  et  contre 
nature.  Lisez  le  septiesme  de  sa  Natiiretle  hUtoirc,  chap.  III,  et  ne  m'en  tabustez 
plus  rentendement  >■.  Il  y  renvoie  encore  a  jiropos  di'  la  naissance  de  Paiitatrruel 
au  début  du  chap    IV  du  livre  second. 


RATIONALISME    D'ORIGINE    FRANÇAISE  191 

leusl  pu  faire?  Ha,  par  grâce,  n'emburelucoquez  jamais  vos 
esprits  de  ces  vaines  pensées.  Car  je  vous  dis  que  à  Dieu  rien 
n'est  impossible.  Et  s'il  vouloit,  les  femmes'  auroient  doré- 
navant ainsi  leurs  enfants  par  l'oreille  ».  Cette  ruse  de 
confondre  la  foi  avec  la  crédulité,  le  croyant  avec  le  naïf,  en 
s'appuyant  sur  la  Bible  mal  entendue  et  sur  la  définition  de 
la  foi  par  saint  Paul  (i),  cet  étonnicment  feint  de  l'incrédule 
qui  ne  veut  pas  croire  parce  qu'il  n'y  a  nulle  apparence  '-', 
et  la  réponse  ingénue  du  bon  sorbonniste  qui  paraphrase  le 
credo  quia  absurduni,  cette  assimilation  habile  des  prodiges 
racontés  par  «  l'asseuré  menteur  »  de  Pline  et  de  ceux  de  la 
Bible,  cette  déroute  si  habilement  masquée  du  sorbonniste  qui 
se  retranche  derrière  la  toute-puissance  de  Dieu  et  soutient 
—  ou  à  peu  près  —  que  la  Bible  en  a  de  tout  aussi  étonnants 
et  qu'après  tout,  dans  le  monde  des  possibles,  tout  arrive  ; 
nest-ce  pas  l'aveu  déguisé  par  un  sourire,  que  cette  naissance 
miraculeuse,  ce  n'est  pas  celle  de  «  Crocquemouche  »  ou  même 
celle  de  Minerve  qu'elle  parodie,  mais  le  miracle  dont  l'Eglise 
a  auréolé  l'enfantement  de  la  Vierge  (3)  et  qui  suscit^ail  déjà, 
comme  soixante  ans  plus  tard  chez  Bodin,  les  railleries  des 
libertins;  et  d'une  façon  plus  vaste  encore  tous  les  miracles 
de  la  Bible  et  de  l'Evangile  assurés  par  les  «  sorbonnistes  (^)  ». 
La  chose  est  d'autant  plus  vraisemblable  que  la  phrase  par 
laquelle  Rabelais  appuie  la  réalité  de  l'invraisembable  nais- 
sance de  son  héros  est  précisément  celle  par  laquelle  l'ange 
annonce  à  Marie  la  conception  et  la  naissance  miraculeuse  de 


(1)  Celle  qu'il  prête  aux  «  Sorbonnistes  ». 

(2)  Ce  sont  les  propres  termes  que  Calvin  prête  aux  libertins  de  son  temps  : 
«  Qui  est  l'homme,  disent-ils.  tant  simple  et  idiot,  qui  se  laisse  persuader  ce  dont 
il  ne  voit  nulle  raison  »  (De  Scandalis,  voir  ch.  XI);  ce  sont  ces  termes  que 
soixante  ans  plus  tard  Bodin  prêtera  à  son  incrédule  :  «  quelle  apparence  y 
a-t-il....  que  Dieu  soit  descendu  dans  le  corps  d'une  femmelette  ».  Voir  chap.  XVII. 

(3)  Noter  aussi  qu'à  cette  époiue  Rabelais  a  des  tendances  protestantes  très 
prononcées  et  que  le  culte  de  la  Vierge  et  sa  virginité  sont  précisément  très  atta- 
qués par  les  protestants  (Du  Plessis  d'.^rgentré,  Collectio  judic,  II,  XV  et 
suiv). 

(4)  M.  COMPAYRÉ  voit  aussi  dans  ce  texte  une  raillerie  pour  la  crédulité  du 
moyen  âge  [Histoire  critique  dex  doctrines  de  l'Education  en  France,  Paris,  1885, 
1,  p.  73). 


192  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

son  enfant  et  la  grossesse  inespérée  de  sa  cousine  Elisabeth  : 
"  C'est  que  rien  n'est  impossible  à  Dieu  ^i)  ».  Et  l'auteur  avait 
si  bien  conscience  de  sa  hardiesse  qu'il  supprima  la  partie  la 
plus  dangereuse  de  ce  passage  dans  l'édition  de  1542. 

Dès  1533,  Uabelais  semble  aussi  s'être  préoccupé  de 
l'éternité  du  monde,  lune  des  questions  que  l'école  padouane 
avait  renouvelée  d'Averroès.  Malheureusement,  il  est  délicat 
de  décider  quelle  est  l'opinion  de  Rabelais.  Il  cite  seulement 
au  chapitre  XX  du  l"  livre,  un  fragment  de  l'argumentation 
des  philosophes  contre  l'éternité  du  monde,  ce  qui  semble 
indicjuer,  s'il  parle  sérieusement,  qu'il  était  alors  orthodoxe 
sur  cette  question  :  «  Les  articles  de  Paris  (de  la  Sorbonne?) 
chantent  que  Dieu  seul  peut  faire  choses  infinies.  Nature  rien 
ne  faict  immortel  :  car  elle  met  fin  et  période  à  toutes  choses 
par  elle  produictes,  car  omnia  orta  cadunt,  etc.  Mais  ces 
avalleurs  de  frimars  font  les  procès  devant  eux  pendans  et 
infinis  et  immorlelz  ».  Une  phrase  de  la  Pantagnieline  pro- 
gnostication  (1532)  semble  confirmer  cette  impression  que 
Rabelais  croyait  à  la  création  ex  nihilo  :  «  Dieu  le  créateur... 
sans  la  maintenance  et  le  gouvernement  duquel  toutes  choses 
seroient  en  un  moment  reduictes  à  néant,  comme  de  néant 
elles  ont  esté  produictes  en  leur  estre  (2)  ». 

Ainsi,  malgré  ses  hardiesses,  le  Rabelais  des  deux  premiers 
livres  ne  semble  pas  avoir  pris  position  contre  le  dogme,  ou  tout 
au  moins  s'être  fait  un  système  philosophique  pour  appuyer 
les  témérités  de  sa  fougueuse  intelligence.  C'est  plus  tard 
seulement  que  la  philosophie  des  padouans  et  de  Cicéron  lui 
fournira  la  formule  philosophique  à  laquelle  il  aspire  incons- 
ciemment. 

M)  Luc,  I,  p.  37.  Ce  texte  est  évUlemmoiit  rar^tiirneiil  traditionnel  en  faveur 
du  miracle.  Voici  par  exemple  comment  L.  Richkome,  dans  son  Discours  des 
miracles  (1597),  reprocJie  aux  protestants  de  ne  pas  croire  à  la  translation  mira- 
culeuse de  la  maison  de  Lorette  :  «  Croyez  ce  prodige,  ou  ne  le  croyez  pas,  je 
le  laisse  à  vostre  conscience.  Mais  si  vous  faut-il  croire,  ou  vous  estes  du  tout 
infldelles,  estre  véritable  ce  que  IWnge  dict  à  la  Vierge  en  ce  mesme  lieu,  que 
fiien  n'est  imi»ossihie  à  Dieu-,  Et  partant  qu'il  a  peu  faire  porter  ce.ste  bien-heureuse 
chambre,  de  Nazareth  en  Italie  »  {Discours  des  miracles,  ch.  XXXV,  p.  1C2). 

(2)  Pant.  Prognostic,  ch.  I. 


RATIONALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  193 


IV 


Dans  le  temps  que  Rabelais  publiait  les  deux  premiers  livres 
de  son  roman,  Des  Periers  préparait  son  Cymbaliim  mundii^K 
Peut-être  même  était-il  déjà  écrit,  si  nous  en  croyons  la  lettre 
de  Thomas  l'Incrédule  à  Pierre  Croyant  qui  ouvre  ce  livre 
fameux  et  qui  en  l'ait  remonter  l'idée  première  jusqu'en  1529- 
1530(2).  Mais  le  pamphlet  de  Des  Periers  était  autrement 
violent  que  celui  de  Rabelais. 

Lui  aussi  ^3)  d'abord  est  protestant.  La  France  protestante, 
il  est  vrai,  le  renie,  le  trouvant  sans  doute  de  trop  mauvaise 
compagnie  et  se  souvenant  de  l'anathème  lancé  contre  lui  par 
Calvin;  mais  cet  anathème  même  nous  dit  qu'il  avait  tout 
d'abord  «  goûté  à  l'Evangile  )>.  Il  a  mis  en  scène  dans  ses 
dialogues  les  principaux  chefs  de  la  Réforme  :  Luther,  Bucer; 
il  a  reproduit  les  accusations  ordinaires  des  évangélistes  contre 
l'Eghse  romaine  :  le  célibat  ecclésiastique  <^),  les  mauvaises 
mo'urs  des  couvents  <^',  les  attaques  contre  les  «  sorbon- 
nisles  <6'  ».  les  indulgences  (''',  la  messe  et  la  communion  ^8*. 


(1)  Il  parut  avant  Pâques  1537,  en  février  probahlement,  par  conséquent  en  1538 
selon  la  nouvelle  chronologie.  La  même  année,  le  libraire  qui  l'avait  imprimé, 
Jehan  Morin,  est  accusé  par  Lizet  près  du  chancelier  du  Bourg  d'avoir  vendu 
au  libraire  Jehan  de  la  Garde  «  quatre  petits  livres  les  plus  blasphèmes  hérétiques 
que  l'on  ne  sauroit  poinct  dire  et  contre  le  sainct  sacrement  de  l'autel  et  toute 
la  doctrine  catholique,  lesquelz  livres  ont  esté  brûlez  avec  ledit  de  la  Garde  et 
aultres  exécutez  ces  jours  passez  »  (Herminjard,  IV,  n"  702,  liste  du  16  avril  1538). 
Mais  ce  sont  probablement  des  livres  protestants. 

(2)  Ed.  Jacob,  p.  405  et  suiv.,  début  de  la  lettre. 

(3)  Nous  ne  pouvons  reprendre  ici  l'analyse  détaillée  d'un  livre  aussi  connu  que 
le  Cymbalum,  ni  les  conjectures  faites  par  les  critiques  sur  sa  portée  réelle  et 
même  sur  sa  signification.  On  se  reiwrtera  ix>ur  ces  détails  aux  éditions  courantes, 
Jacob,  Lacour.  Les  notes  renvoient  à  l'éd.  .Jacob.  Sur  la  vie  de  Des  Periers,  voir 
la  thèse  de  M.  Chenevière.  Nous  nous  bornerons  k  noter  en  quoi  ce  livre  est 
la  reprise  des  Idées  déjà  courantes,  en  quoi  il  les  dépasse. 

(4)  P.  443,  451,  457  (3e  dialogue). 

(5)  P.  411  (1"  dialogue).  456  (4e  dialogue). 
{&)  P.  411  (1er  dialogue). 

(7)  P.  441   (38  dialogue). 

(8)  P.  417  (ler  dialogue)  et  475  (4e  dialogue). 

13 


194  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Mais  il  ne  s'est  pas  arrêté  au  protestantisme.  Lorsque  les 
persécutions  provoquées  par  les  placards  de  1534,  puis  la 
concentration  disciplinaire  et  doctrinale  opérée  par  Calvin, 
obligèrent  les  humanistes  français  à  se  rallier  à  Calvin  ou  à 
revenir  au  catholicisme  ^^\  il  fut,  avec  Rabelais,  de  ceux  qui 
restèrent  neutres,  ou  plutôt  qui  se  moquèrent  des  deux  partis 
et  se  rallièrent  à  un  troisième  :  celui  des  libertins.  Tous  les 
critiques  s'accordent  à  reconnaître  la  gravité  de  ce  livre  :  ((  Le 
livre  de  Des  Periers,  dit  M.  Hauser '2),  n'allait  à  rien  moins 
qu'à  saper  les  bases  de  toute  religion  fondée  sur  la  révélation  », 

Le  problème  de  l'âme  n'y  est  pas  posé,  tel  du  moins  que 
nous  l'avons  examiné  jusqu'ici.  Seulement  à  la  fin  du  livre  f^) 
Hylactor  promet  à  son  compagnon  de  lui  raconter  <(  la  fable 
du  jugement  de  Paris  »  qui  est  peut-être  celle  du  jugement 


(1)  Sui«  l'histoire  de  ce  mouvement,  voir  Buisson,  CastelUoH;  Hauser,  Huma- 
nisme et  Réforme,  dans  Revue  Hist.,  juillet  1897. 

(2)  Hauser,  art.  cU«  :  A  partir  de  1535,  les  humanistes  sont  mis  en  demeure  de 
suivre  la  Réforme  à  leurs  risques  et  périls  ou  d'y  renoncer.  Les  persécutioqs  qui 
suivent  l'affaire  des  placards  en  font  fléchir  un  grand  nombre.  Mais  surtout  la 
logique  de  leur  doctrine,  en  développant  toutes  les  conséquences  du  libre  examen, 
les  menait  au  rationalisme  : 

«  Entre  eux  et  les  réformés  devait  se  poser  fatalement  une  question  de  méthode 
et  une  cfuestion  de  doctrine.  Pour  eux  la  libre  critique  était  en  droit  de  s'appliquer, 
sans  être  limitée  par  aucune  autorité  extérieure  et  supérieure,  à  tout  l'ensemble 
.de  l'intelligence  et  de  la  volonté  humaine.  Les  réformés  aussi  faisaient  appel  au 
libre  examen,  mais  au  libre  examen  s'appuyant  sur  la  Bible  et  s'arrêtant  devant 
elle;  r>armi  les  humanistes,  si  beaucoup  étaient  des  "  bibliens  »,  d'autres  ne  recon- 
naissaient à  personne  qualité  pour  leur  dire  :  «  Tu  n'Iras  pas  plus  loin  »  et  la 
Bible,  du  moins  pour  les  plus  hardis  d'entre  eux,  n'était  rien  d'autre  qu'un  livre. 
Par  cette  négation  radicale  du  principe  d'autorité,  ils  ne  revenaient  pas  au  chris- 
tianisme primitif,  mais  bien  aux  temps  qui  ont  précédé  le  christianisme,  c'est-à- 
dire  aux  philosophies  antiqujes  (Faguet,  XVie  siècle,  p.  xix,  xxix,  etc.).  Or  ces 
philo.sf)phies,  par  quelques  noms  qu'on  doive  les  distinguer  les  unes  des  autres,  se 
ressemblaient  toutes  entre  elles  et  différaient  toutes  de  la  philosophie  du  moyen 
âge  précisément  en  ceci  qu'elles  concevaient  l'individu  comme  une  force  autonome 
puisant  en  soi  ses  moyens  d'action  et  ses  raisons  d'agir.  Thé<^riquement,  ces 
philosophies  pouvaient  nier  la  lil)ert.é  liumaine  d'une  façon  aussi  absolue  que  le 
faisait  le  christianisme;  pratiquement,  elles  enseignaient  le  libre  et  complet  dévelop- 
I»ement  du  moi.  les  droits  du  sens  individuel,  l'exercice  de  la  vertu  considéré 
comme  un  mérite,  la  recherche  de  la  gloire,  bref  (avec  tout  ce  que  ce  mot  contient 
de  blAme  et  d'éloge)  l'orgueil  La  croyance  plus  ou  moins  précise  à  un  Dieu 
unique  plus  ou  moins  nettement  distinct  du  monde,  la  croyance  surtout  à  l'unité 
de  la  nature  et  à  la  amformité  de  l'homme  avec  la  nature,  telle  est  la  religion  des 
penseurs  qui  représentent  sous  sa  forme  la  plus  pure  l'esprit  de  la  Renaissance  ». 

(3)  Liai.  IV,  p.  475. 


RATIOXALISME    D'ORIGINE    FRANÇAISE  195 

dernier.  En  revanche,  les  miracles  y  sont  niés  à  plusieurs 
reprises.  Des  Periers  s'en  prend  d'abord  comme  Rabelais  à 
la  Providence  qui  règle  le  beau  et  le  mauvais  temps.  Hermès  (i) 
avoue  cjue  Jupiter  «  regardoit  tousjours  (dans  le  livre  qu'il  lui 
a  perdu)  quand  il  vouloit  commander  quel  temps  il  devoit 
faire  (*)  »  ;  et  comme  Cupido  chante  un  refrain  un  peu  léger, 
le  ((  messager  rapide  »  lui  dit  :  ((  Ha  !  que  tu  as  bon  temps  ! 
tu  ne  te  soucyes  guère  s'il  doit  plouvoir  ou  neiger,  comme 
faict  nostre  Jupiter,  lequel  en  a  perdu  le  livre  ^3).  Les  prodiges 
que  fit  Jésus-Christ  et  ceux  qu'il  promit  à  ses  apôtres  y  sont 
tournés  en  dérision.  C'est  Trigabus,  le  railleur,  qui  reproche 
à  Jésus-Christ  d'avoir  trompé  ses  disciples  en  <(  leur  disant 
qu'ilz  cherchassent  bien,  et  que  s'ilz  pouvoient  recouvrer 
d'icelle  pierre  philosophale  (l'Evangile)...  ils  feroient  mer- 
veilles, transmueroyent  les  metaulx,  romproyent  les  barres  de 
portes  ouvertes,  gariroyent  ceux  qui  n'auroyent  point  de  mal, 
interpreteroyent  le  langage  des  oyseaux,  impeteroient  facile- 
ment tout  ce  qu'ils  voudroient  des  dieux  '^),  pourveu  que  ce 
fust  chose  licite  et  qui  deust  advenir,  comme  après  le  beau 
temps  la  pluye,  fleurs  et  serain  au  primtemps,  en  esté  pouldre 
et  chaleurs,  fruictz  en  automne,  froid  et  fanges  en  hyver;  bref 
ils  feroyent  toutes  choses  et  plusieur^s  aultres '5)  ».  On  a 
reconnu  la  parodie  du  dernier  chapitre  de  l'Evangile  de  saint 
Marc,  où  Jésus  ressuscité  promet  à  ses  apôtres  qu'ils  feront 
des  miracles  pour  assurer  leur  doctrine  ^^K 
Je  crois  voir  une  allusion  plus  précise  aux  théories  philoso- 


(1)  On  sait  que  Mercure,  dans  le  livre  de  Des  Periers,  c'est  Jésus-Christ,  Jupiter, 
Dieu  le  Père. 

(2)  39  dial.,  p.   448. 

(3)  Ibid.,  p.  450. 

(4)  Amen  dico  vobis,  si  qui'd  petieritis  Patrem  in  nomine  meo,  dabit  vobis... 
Petite  et  accipietis  (Joan.,  XVI,  23-24;  Math.,  VII,  7). 

(5)  Dial.   II,   p.   424r425. 

(6)  Signa  autem  eos  qui  crediderint  hsec  sequentur;  in  nomine  meo  daemonla 
ejicient,  linguis  loquentur  novis,  serpentes  tollent  et  si  mortiferum  quid  biberint, 
non  eis  nocebit;  super  segros  manus  imponent  et  bene  habebunt  (M.\rc,  XVI,  17-18). 
Voir  aussi  Math.,  X,  8;  Luc,  X,  19. 


196  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

phi(|ues  italiennes  dans  le  premier  dialogue.  xMercure  apporte 
sur  terre  un  livre  «  tel  qu'il  ne  s'en  vend  point  dedans  Athènes  » 
et  dont  voici  le  titre  :  Chronica  rerum  mirabilium  qiias  Jupiter 
gessit  aniequam  esset  ipse.  —  Fatorum  prsescriptum,  sive 
eorum  quœ  lulura  sunl  cerlœ  dispositiones.  —  Catalogus 
Heroum  iiinnorlalium  qui  cum  Joue  vitam  viciuri  sunl  sempi- 
teriiam.  C'est  sous  une  forme  un  peu  voilée  l'énoncé  de  trois 
thèses  libertines. 

La  première,  la  Chronique  des  choses  merveilleuses 
accomplies  par  Jupiter  avant  qu'il  existât^  est  le  problème  de 
la  création,  comme  il  est  discuté  entre  l'Eglise  et  les  averroïstes 
padouans.  Ceux-ci,  posant  en  principe  que  Dieu  est  acte  pur, 
en  concluent  qu'il  a  créé  le  monde  de  toute  éternité.  Si  on  le 
nie,  on  admet  que  Dieu  avait  en  lui  avant  de  créer  quelque 
puissance  qui  n'a  passé  en  acte  qu'à  cette  occasion.  Il  s'est 
réalisé,  il  s'est  complété,  il  est  devenu  plus  puissant,  ou  au 
moins  il  a  acquis  une  qualité  qu'il  n'avait  pas  :  celle  de 
créateur '1).  La  Bible  donc,  selon  eux,  en  professant  la 
création  dans  le  temps,  fait  Dieu  incomplet  (ce  qui  est  dire 
qu'elle  le  supprime)  pendant  le  temps  qui  a  précédé  la 
création  :  il  aurait  donc  créé  le  monde  avant  d'être  lui-même 
entier,  c'est-à-dire  avant  d'être,  puisqu'on  ne  peut  le  conce- 
voir imparfait.  La  seconde  thèse  est  évidemment  une  affirmation 
du  déterminisme  tel  que  l'enseignait  Pomponazzi  dans  son  De 
Falo,  et,  à  ce  (ju'il  semble,  Dolet,  l'ami  de  Des  Periers.  Nous 
avons  précisément  une  preuve,  postérieure  de  six  ans,  il  est 
vrai,  au  Cymbcduni,  que  le  déterminisme  avait  de  nombreux 
adhérents  (2).  D'ailleurs,  le  protestantisme  renouvelait  la 
rjueslion,  et  Calvin  à  ce  moment-là  même  faisait  de  la  pré- 
destination la  base  de  son  église.  Le  Catnloque  des  héros 
immortels  qui  avec  Jupiter  doivent  vivre  éternellement  est  un 
exposé  de  l'évhémérisme.  Cinr|  ans  après  le  Cijmbalum, 
A.  ]'"umée  se  |il;iiiil  (pu^  les  libertins  fassent  de  Moïse  et  de 

(1)  Voir  rexposé  de  cette  assertion  dans  l'article  sur  Vicomercato.  au  chap.  VII. 

(2)  La  préfaro  du  Dr  Fntn,  do  Oonticu   Hervet.  En  voir  le  texte  au  chap.  IX. 


I 

I 


RATI0XAI.TS3IE    D'oRIGINE    FRANÇAISE  107 

Jésus  des  hommes  comme  les  autres,  dont  l'apothéose  est, 
pour  l'un  le  résultat  de  sa  ruse,  pour  l'autre  la  récompense 
de  ses  bienfaits  ^^K  Précisément,  Des  Periers  raconte  au  second 
dialogue  une  histoire  symbolique  que  nous  retrouverons  plu- 
sieurs fois  chez  les  incrédules,  celle  de  Psaphon,  qui  voulait 
par  ruse  se  faire  passer  pour  dieu.  La  liste  des  héros  qui 
sont  arrivés  à  l'immortalité,  on  la  trouvera  plus  loin  et  on 
verra  que,  dès  1518,  elle  était  connue.  Il  n'est  pas  douteux 
.  (|ue  Des  Periers  y  fasse  ici  allusion  et  se  propose  d'y  placer 
Jésus.  Au  livre  apporté  par  Mercure,  Byrphanes  et  Curtalius 
substituent  le  leur.  Jupiter  y  pourra  lire  le  récit  de  ses  péchés. 
Les  commentateurs  ont  supposé  qu'il  s'agissait  d'une 
mythologie.  Il  s'agirait  plutôt,  ce  me  semble,  d'une  thèse 
chère  aux  libertins  :  l'anthropomorphisme  du  Dieu  hébreu.  Les 
libertins  exploitent  contre  le  christianisme  les  vengeances  du 
Dieu  d'Israël  et  ses  colères;  on  verra  plus  loin '2'  que  l'accu- 
sation remonte  très  haut,  jusqu'à  Celse,  et  qu'elle  s'est 
répandue  surtout  dans  la  seconde  moitié  du  siècle.  Mais 
Celse  était  connu  avant  1537  et  il  ne  me  semble  pas  invrai- 
semblable que  sur  ce  point  encore  l'auteur  du  Cymbaîum  ait 
devancé  son  siècle. 

Des  Periers  va  beaucoup  plus  loin  encore,  et  ce  qui  donne 
à  son  livre  un  accent  unique  à  cette  date,  c'est  qu'il  s'attaque 
en  face  à  Jésus-Christ  lui-même  et  nie  la  Révélation.  Jésus- 
Christ  est  personnifié  par  Mercure  que  Curtalius  voit  «  des- 
cendre du  ciel  en  terre  '3)  ».  Après  l'avoir  mis  en  scène  d'une 
façon  ridicule  au  premier  dialogue'^',  avoir  pariodé  le  sitio 
du  Calvaire  (comme  Rabelais,  quelques  années  auparavant, 
au  chapitre  V  de  son  I"  livre),  avoir  repris  et  ridiculisé  dans 
la  fin  du  même  dialogue  l'entrevue  de  Jésus  et  de  la  Samari- 
taine, il  l'attaque  directement  au  deuxième  dialogue,  le  plus 

(1)  On  trouvera  au  chap.  XI  un  exposé  et  une  histoire  de  ce  mouvement. 

(2)  Chap.  XI  et  suivants,  notamment  les  articles  relatifs  à  du  Bartas  et  à  J.  Bodin. 

(3)  Dial.  I,  p.  412. 

(4)  Dans  ce  dialog-ue,  il  le  fait  voleur,  ivrogne,  blasphémateur. 


198  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

violent  du  livre:  (^  Je  puis&e  mourir,...  si  lu  es  qu'ung 
abuseur.  lui  dit  Trigabus,  et  fusses-tu  fils  de  Jupiter  trois  fois, 
afin  que  je  te  le  dye,  tu  es  un  caut  varlet'^)  ».  Lui-même 
Jésus  se  fait  gloire  d'avoir  trompé  les  hommes  :  <(  0  pauvres 
gens,  vous  fiez-vous  en  Mercure,  le  grand  aucteur  de  tous  abuz 
et  tromperie  ?  Scavez-vous  pas  bien  qu'il  n'a  que  le  bec,  et  que 
par  ses  belles  raisons  et  persuasions  il  vous  feroit  bien  entendre 
des  vessies  que  sont  des  lanternes,  et  de  nuées  que  sont  poilles 
d'airain?  (2)  ». 

C'est  lui,  en  effet,  qui  le  premier  montra  aux  hommes  la 
juerre  i)hilosophale,  qui  symbolise  l'Evangile,  puis,  quand  ils 
la  demandaient,  il  la  brisa  en  poudre  et  la  répandit  dans  l'arène 
en  leur  disant  de  bien  chercher.  Et  depuis  lors,  docteurs 
orthodoxes  et  hérétiques  «  n'ont  cessé...  de  fouiller  et  remuer 
les  sables  du  lliéati-e,  pour  tn\  cuyder  ti'ouver  des  pièces. 
C'esf.  un  passe-temps  que  de  les  voir  esplucher  t^)  ».  De  là 
noises  et  disputes,  règles  et  méthodes  diverses  :  <(  Hz  crient, 
ilz  se  demeinent,  ilz  se  injurient  et  dieu  sçait  les  beaulx  procès 
crimineiz  qui  en  sourdent.  Tellement  qu'il  n'y  a  court,  rue, 
temple,  fontaine,  four,  molin,  place,  cabaret  ny  bourdeau 
qui  ne  soit  plein  de  leurs  parolles,  caquetz,  disputes,  factions 
et  envies '^'  ».  0  le  beau  tour  que  leur  a  joué  Mercure  !  Mais 
aussi  ses  jours  sont  finis.  11  lui  arrivera  ce  qui  arriva  à 
Psaphon '^',  roi  de  Lybic,  qui  se  fil  passer  pour  dieu  en  habi- 
tuant quelques  oiseaux  à  répéter  :  Psaphon  est  un  grand  dieu. 
.Mais  qui  croit  maintenant  à  la  divinité  de  Psaphon? 

Déjà  la  doctrine  qu'il  a  prêchée  est  sans  force;  outre  qu'elle 
est  faite  «  de  tous  larecins  ^^^  »,  c'est-à-dire  pillée  aux  philo- 
sophes anciens,  elle  n'a  plus  «  telle  vertu  quelle  eut  jadis, 


(n  Dial.  II,  début,  p.  423. 

(2)  Ibid..  p.  /i35. 

(3)  Hiid..    p.    42/1-425 
(',)  Ihid  .  p.  42C. 

(f,)  Ibid  .  p.  /,75, 
16)  Dial    I.  p    414. 


RATIONALISME    D'oRIGINE    FRANÇAISE  199 

quand  elle  fut  brisée  nouvellement  par  Mercure  pource  qu'elle 
est  toute  esventée  depuis  le  temps  qu'il  l'a  respandue  par  le 
théâtre  t^)  ».  Il  est  bien  vrai  qu'on  a  essayé  de  lui  redonner  force 
et  vertu;  mais  Rlietulus,  c'est-à-dire  Luther,  qui  s'en  vante, 
lui  fait  produire  des  effets  qui  la  déshonorent  et  dont  le  prin- 
cipal est  d'avoir  marié  quelques  moines  (2).  En  revanche,  la 
pauvreté  et  la  misère  régnent  toujours  sur  terre,  le  doute 
tourmente  les  intehigences,  la  maladie  frappe  les  hommes,  et 
ainsi  puisque  cette  pierre  qui  devait'  renouveler  le  monde  n'a 
point  réussi  à  l'améliorer,  c'est  <(  qu'elle  n'a  point  tant  de  vertu 
que  l'on  dict,  mais  que  cp  ne  sont  que  parolles,  et  que  vostre 
pierre  ne  sert  que  à  faire  des  comptes  ^^^  ».  Bavard  était  <(  Mer- 
cure qui  a  payé  le  monde  de  belle  pure  parolle  »,  bavards  ses 
disciples,  «  ung  tas  de  gros  veaux  »  qui  <(  perdent  tout  le  temps 
de  leur  vie  à  chercher  ce  que  à  l'adventure  il  n'est  pas  possible 
de  trouver  (^)  ».  Il  est  vrai  que  cependant  ils  vivent  bien  du 
monde  qu'ils  dupent,  mais  «  l'homme  est  bien  fol  lequel  s'attend 
avoir  quelque  cas  de  celui  qui  n'est  point,  et  plus  malheureux 
celuy  qui  espère  chose  impossible  (^)  ». 

Comment  ne  pas  voir  dans  ce  livre  la  négation  de  toute 
religion  positive?  M.  Lacour,  qui  est  très  sympathique  à 
l'auteur,  lui  en  fait  une  gloire  (6).  Mais  ses  contemporains 
furent  effrayés,  encore  qu'ils  ne  semblent  pas  avoir  trouvé  la 
clef  de  cette  effrayante  allégorie  c^).  Sagon  l'accusa  d'athéisme 


(1)  Dlal.  II,  p.  433.  • 

(2)  J'en  fay  ce  que  je  veulx  (de  la  pierre  philosophale) ;  car  non  seulement  je 
transmue  les  métaulx,  mais  aussi  j'en  fais  transformation  sur  les  hommes...  :  car 
à  ceulx  qui  n'osoient  regarder  les  vestales,  je  fay  maintenant  trouver  bon  de 
coucher  avec  elles;  ceulx  qui  se  soûlaient  habiller  à  la  bouhémienne,  je  les  fay 
accoustrer  à  la  turque;  ceulx  qui  par  cy  devant  alloient  à  cheval,  je  les  fay  txoter 
à  piedz;  ceux  qui  avoient  coustume  \ie  donner,  je  les  contrains  de  demander  » 
(Dial.  II,  p.  433-434). 

(3)  Dial.   II,   p.   436-437. 

(4)  Ibid.,  p.  435,  437. 

(5)  Elal.  II,  fin,  p.  410. 

(6)  <i  Loin  de  Des  Periers  la  pensée  de  nier  la  présence  d'un  Dieu  créateur..., 
mais  il  le  veut  débarrasser  des  langes  dont  les  hommes  enfants  l'ont  enveloppé 
à  leur  image.  »  {Préface  des  Œuvres  de  Des  periers.  1er  vol.,  p.  lxx). 

(7)  La  lettre  du  chancelier  qui  le  signalait  à  Pierre  Lizet,  premier  président, 
pour  le  prier  de  faire  arrêter  l'imprimeur,  Jean  Morin,  dit  seulement  que  le  roi 
y  avait  trouvé  «  grands  abus  et  hérésies  ». 


:?00  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

et  Calvin  le  mil  avec  Rabelais  et  Govéan  au  nombre  des  pires 
épicuriens  'i),  Govéan  ne  peut  lui  être  comparé  en  rien.  Mais 
s'il  ressemble  à  Rabelais  par  le  burlesque  de  la  plaisanterie,  il 
le  dépasse  par  «  l'effrayante  hardiesse  de  sa  pensée.  Il  est  à  la 
fois  plus  délicat  et  plus  radical  que  Rabelais.  Il  vous  fait  des- 
cendre de  rOlympe  les  dieux  du  paganisme,  uniquement  pour 
vous  amuser,  à  ce  qu'il  semble  ;  mais  bientôt  il  vous  semble 
aussi  (jue  c'est  un  léger  voile  derrière  lequel  il  se  rit  du  chris- 
tianisme... Ce  lettré,  pétri  de  verve  gauloise  et  bourré  de  litté- 
rature grecque  et  latine,  a  su,  dès  la  pi»emière  moitié  du 
XVP  siècle,  en  se  jouant  et  sans  effort,  devancer  les  plus  hardis 
négateurs  qui  scandalisent  aujourd'hui  le  monde  '2)  ». 

Encore  une  fois,  il  m'étonne  à  cette  date  !  Rabelais  et  lui 
ont  pu  connaître  des  rationalistes  italiens.  Ils  ont  vécu  tous 
les  deux  à  Lyon,  centre  de  l'italianisme  <3),  Mais  ni  dans  leurs 


(1)  Voir  le  texte  chap.  XI.  La  Faculté  de  théologie  de  Paris  condamna  aussi 
le  livre  dès  le  19  juillet  153S;  voir  la  sentence  dans  du  Plessis  d'Argentré,  II, 
p.  130,  H.  ESTiENNE  joint  Rabelais  et  Des  Periers  dans  la  même  réprobation. 
J'extraiiS  de  sa  longue  diatribe  ce  qu'elle  a  de  moins  déclamatoire  et  de  plus 
vrai  (ApolOQ.  pour  Hérodote,  XIV,  10)  :  «  Quand  on  aura  bien  espluché  tous 
»  leurs  discours,  ne  trouvera  on  pas  que  leur  intention  est  d'apprendre  aux 
»  lecteurs  de  leurs  livres  à  devenir  aussi  gens  de  bien  qu'eux,  c'est-à-dire  dé 
»  ne  croire  de  Dieu  et  de  sa  Providence  non  plus  qu'en  a  creu  ce  meschant 
»  Lucrèce  ?  de  leur  apprendre  que  tout  ce  qu'on  en  croit,  on  le  croit  à  crédit  ? 
>>  que  tout  ce  que  nous  lisons  de  la  vie  éternelle  n'est  escrit  que  pour  amuser  et 
".repaistre  dune  vaine  espérance  les  povres  idiots?  que  toutes  les  menaces  qui 
i>  nous  sont  faictes  de  l'enfer  et  du  dernier  jugement  de  Dieu  ne  sont  non  plus 
»  que  les  menaces  qu'on  faict  aux  petits  enfants  du  loup  garou  ?  et  pour  conclu- 
•>  sioii  que  toutes  les  religions  ont  esté  forgées  e,s  cerveaux  des  hommes?  Or 
i>  Dieu  sçait  si  tels  raaistres  ont  faute  d'eschoUers  !..,  Ceux  qui  veulent  arriver  à 
»  ne  plus  croire  ne  sauroyent  prendre  plus  aisé  ni  plus  court  chemin...  que  d'aller 
»  à  l'eschole  des  docteurs  susdicts  ». 

'2)  Haag,  France  protest  ,  S*"  éd.,  V,  p.  3til.  Franck,  dans  son  édition  (Lemerre), 
arrive  à  la  même  conclusion.  La  voici,  bien  que  le  ton  en  soit  un  peu  sybillin  : 
"  Oui,  le  Cymbaliim  est  un  contre-évangile;  les  quatre  dialogues  de  Bonaventure 
sont  les  quatre  évangiles  qu'il  offre  au  monde;  le  symbolisme  de  l'avenir  y  est 
contenu;  la  satire  est  grosse  d'une  révélation.  Ces  quatre  dialogues  se  tiennent  par 
un  lien  intime  et  logique,  dont  la  plupart  des  annotateurs  ont  méconnu  l'exis- 
tence, pour  n'y  avoir  pas  regardé  d'assez  près.  Triple  et  un  cpiant  au  sens  dans 
ses  quatre  actes  si  futiles  d'apparence,  ce  livre  est  une  page  d'histoire,  un  pam- 
phlet et  une  prophétie;  11  retrace  l'état  des  esprits  et  des  mœurs  en  ce  temps-là, 
il  s'attaque  au  sanctuaire  et  ouvre  .sur  les  destinées  humaines  des  jours  surpre- 
nants ».  Cité  par  Chenevière.  Des  periers,  p.  62. 

(3)  Sur  la  liberté  <le  penser  relative  et  l'italianisme  à  Lyo.-i  vers  1535.  voir 
Chenevière,  Des  Periers,  p.  43-50. 


KATIOXALISME    d'oRIGINE    FRANÇAISE  201 

préoccupalions,  ni  dans  leurs  arguments,  ni  dans  leur 
méthode,  on  ne  trouve  rien  d'italien.  Les  padouans  —  même 
les  Français  —  sont  raisonneurs,  subtils,  avec  quelque  chose 
de  scolastique  ;  ils  sont  timides  même  et  s'abritent  derrière 
Aristote.  Les  deux  écrivains  que  nous  venons  d'étudier  ne  pro- 
posent point  de  raisonnement  en  forme.  Leur  seul  argument, 
c'est  celui  que  répétera  plus  tard  Bodin  :  cela  n'est  pas 
croyable  et  leur  seule  méthode  d'argumenter,  c'est  le  ricane- 
ment; ils  n'ont  peut-être  jamais  lu  ni  Aristote  ni  ses  commen- 
tateurs, mais  Lucien  lem*  est  un  modèle  et  leurs  contem- 
porains les  appellent  des  lucianistes.  Héritiers  de  Villon,  de 
Rutebœuf,  familiers  des  Italiens  lyonnais,  commensaux  des 
chefs  des  «  libertins  »  à  la  cour  de  Marguerite,  ils  n'ont  ni  la 
légèreté  superficielle  des  premiers,  ni  le  jargon  raisonneur 
des  seconds,  ni  le  mysticisme  obscur  des  derniers;  leur  audace 
est  tempérée  de  finesse  et  le  sérieux  du  fond  s'éclaire  d'un 
sourire  français. 


LIVRE    II 

(1542-15531 
Section  Ir«.  —  RATIONALISME  PHILOSOPHIQUE 


CHAPITRE    VII 
Sources  Italiennes  {.Suite) 


I.  F'rancesco  Viconiercato  :  1.  Sa  vie;  2.  Son  enseignement  au  collège  de 
France  :  Averroisme,  éternité  du  monde,  déterminisme,  la  Raison  et  la 
Foi.  —  II.  Cardan  :  1.  Immortalité;  2.  La  théorie  du  Mens  :  prophéties 
et  miracles  expliqués  naturellement. 


I 


Etant  donnée  la  vogue  de  la  philosophie  italienne  aux  envi- 
ron.s  de  1530,  il  n'est  pas  étonnant  que  François  I",  lorsqu'il 
voulut  fonder  le  Collège  de  France,  ait  attribué  plusieurs 
chaires  à  des  professeurs  italiens.  Dès  le  début,  quatre  d'entre 
eux  y  son!  appelés  et  occupent  les  chaires  suivantes  : 

Aga/.io  (îuidacerio  (1530  à  1540)  :  hébreu; 

Paolo  Paradisi  (1530-1549)  :  hébreu; 

(iuido  Guidi  (Vidus  Vidius)  (1542-1547)  :  médecine; 

Francesco  Vicomercato  (1542  à  1567)  :  philosophie. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  203 

Des  deux  premiers  nous  ne  pouvons  rien  dire  de  parti- 
culier. Guidacerio  a  laissé  quelques  œuvres  insignifiantes  *i>. 
Paradis!  (de  son  vrai  nom,  Canossa),  juif  converti,  vint  à  Paris 
en  1531  et.  après  avoir  enseigné  l'hébreu  à  Marguerite  de 
Navarre,  devint  lecteur  royal.  La  Bibliothèque  de  l'Arsenal 
conserve  de  lui  un  manuscrit  :  La  vie  et  la  naissance  du  pro- 
phète Moyse,  traduit  de  l'hébreu  en  français  par  Paul  Paradis. 
Pour  Guido  Guidi,  il  est  beaucoup  plus  connu,  mais  semble 
s'être  cantonné  strictement  dans  la  médecine.  La  chose 
n'est  pas  si  commune;  les  médecins  d'alors  aimaient  à  se  mêler 
de'métaphysique.  Nous  en  avons  vu  un  exemple  dans  Belmis- 
seri;  en  voici  un  autre  plus  illustre  :  Francesco  \'icomercato. 

Franscesco  de  Vicomercato  ou  Vimercati  ^^\  fils  de  Phi- 
lippe, naquit  aux  environs  de  1500  f^).  H  étudia,  puis  ensei- 
gna peut-être  à  Pavie  et  à  Padoue  la  philosophie  et  la 
médecine.  C'est  cette  dernière  science  qui  fit  sa  fortune;  il  y 
acquit  une  telle  réputation  que  François  I""  lui  demanda  de 
venir  à  Paris  '■''l  II  y  était  en  1530  avec  le  titre  de  médecin 
ordinaire    du   Roi  ^^K    L'année    suivante,    il    est    qualifié   de 


(1)  Ad  ChrUh  rerjem  et  reginam  Galliœ  in  verba  Det  supra  montein  explanatio, 
Paris,  Wechel,  1531,  in-8o. 

—  In  psalmos  secundum  hœbream  veritatem  rerum  expositio,  Paris,  F.  Gryphius, 
153®,  iii-40. 

—  Commentaria  in  septeni  psalmos  Davidicos  qui  pœnitentiales  dicuntur,  Pari- 
siis,  apud  collegium  Italorum,  1536,  in-S». 

(2)  Sources  de  la  vie  de  Vicomercato  :  Actes  de  François  /er;  Argelati,  Biblioth. 
scri4)t.  mediol.,  II,  I,  1651;  Paolo  San  Giorgio,  Storia  dell'itniversUa  dl  Milano, 
1831;  TiRABOSCHi,  Storia  délia  letterat.  Ital  ,  VII,  p.  638;  Gouget,  Mém.  hist.  sur  le 
Collège  de  France,  II,  p.  187  à  199  (Paris,  1758,  3  volumes,  2e  édit.);  Gaillard, 
Hist.  de  Fmnçois /er,  t.  IV,  p.  209;  CfRTirs.  Xotit.  sn-ipt.  mediol.  nitdica  ertiditionc 
clarorum,  II,  p.  70;  Brucker,  Hist.  phil.  crlt.,  IV,  p.  229;  du  Bodlay,  Hist.  Univ. 
paris.,  VI,  p.  934;  A.  Lefranc,  Hist.  du  Collège  de  Finance,  p.  160  et  passini; 
MORHOF,  Polyhistftr.,  t.  II,  1.  I,  eh.  II,  p.  57. 

(3)  Arg-elati  ne  donne  pas  la  date  de  sa  naissance.  Mais  son  père  naquit  en  1474, 
et  lui-même  fut  reçu  à  exercer  la  médecine  à  Milan,  en  1523. 

(4)  Peut-être  sulvlt-ll  François  I^r  lors  de  son  retour  de  Milan  en  1530,  ou  l'am- 
bassade Florentine  qui  vint  à  Paris  en  1528  ? 

15)  Actes  de  François  /er  n,  p.  9,  no  3878.  Mandement  à  Jean  Carré,  commis 
au  payement  des  offlciei-s  de  l'hôtel,  de  donner  à  M.  Francesco  de  Vicomercato, 
médecin  ordinaire  du  noi,  la  somme  de  250  livres  tournois  pour  six  mois  die 
gages  (juillet  à  décembre  1530).  Paris,  12  mars  1530  (N.  st.  1531).  Selon  Argelati. 
il  avait  publié  en  1530  :  In  libros  VIl'l  physicorum  Aristotells  commentaria,  Parl- 
siis,  1530.  Je  n'ai  pas  vu  ce  volume.  Il  doit  avoir  confondu  avec  le  De  Naturali 
ausctiltatione  (1550). 


204  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

<i  médecin  de  la  reine  Eiéonore  »  el  reçoit  500  livres  «  en 
récompense  des  services  qu'il  a  rendus  au  roi  el  à  ladite  dame 
avant  d'cfre  inscrit  sur  les  états  de  leur  maison  'i)  ».  En  1533, 
un  bref  de  Clément  \'II  confirmé  par  lettre  royale  lui  réserve 
le  premier  bénéfice  vacant  de  l'archevêché  d'Aix  (2).  Il  y  est 
toujours  qualifié  de  «  médecin  ordinaire  de  la  reine  »  et  de 
plus  prévôt  de  Saint-Just  de  Lyon  (3). 

En  même  temps  qu'il  soignait  Leurs  Majestés,  il  enseignait 
la  dialectique  au  collège  du  Plessis.  Je  ne  saurais  préciser 
à  quelle  date  il  commença  son  enseignement;  mais  en  1540, 
il  régularise  sa  situation  en  demandant  à  être  reçu  dans  l'Uni- 
versité. Du  Boulay  nous  a  conservé  le  détail  de  cet  événe- 
ment :  «  Francesco  Vicomercato...  fut  adopté  le  23  août  1540, 
]»ar  la  nation  française.  Voici  en  effet  ce  qui  est  écrit  dans 
les  actes.  Francesco  A'icomercato  régent  de  dialccti(jue  au 
collège  du  Plessis,  dit  qu'après  s'être  appliqué  plusieui's  années 
à  la  physique  el  aux  autres  arts  libéraux  à  Pavie  el  ensuite 
à  Padoue  et  avoir  satisfait  de  l'avis  de  tous  les  doctes  aux 
examens  requis,  il  a  obtenu  enfin  le  doctoral  en  philo- 
sophie. Etant  venu  dans  celte  Université  de  Paris,  il  préfère 
instruire  la  jeunesse  que  de  s'adonner  aux  loisirs  des  études. 
Mais  comme  il  a  appris  que  ceux  de  sa  nation  sont  exclus  de 
l'enseignement  s'ils  ne  sont  reçus  dans  la  iiôtic  et  dans  celte 
aime  Académie,  il  demande  à  être  reçu  comme  enfant  adoptif 
de  cette  illustre  compagnie.  La  nation  l'admet  au  nombre  des 
professeurs,  nonobstant  tout  empêchement,  à  condition  qu'il 
prouve  par  lettres  ou  par  témoins  (pi'il  a  obtenu  le  grade  el 
fait  le  temps  d'études  requis  dans  une  université  connue  '^)  ». 


(1)  Actex  de  François  1er  u,  p  3s_  „»  -iOîg.  Le  médecin  du  roi.  le  célobre  Cop, 
mourut  en  1532  (Delarijelle,  Iléiiertoire,  p.  17,  note).  Alais  il  est  probable  qae 
Vicomercato  était  consulté,  comme  Fernel,  par  la  reine. 

(2)  Arles  de  François  /«r,  n.  p   573    n»  6553. 

(3)  La  même  année,  Onlnteriiis  lui  dédie  son  Llhur  Ajihoris.  Hyiiorratis  (Vene- 
flls,  1533)  et  loue  s.a  sci<^nce  mé<licale  riul  lui  a  valu  la  charge  de  médecin  de  la 
reine  Eiéonore  (Texte  dans  .Argelati,  o/>.  cit.,  II,  l.  lOfii-icoî). 

(/i)  BULAEUS,  Hist.  Univ.  paris  ,  VI,  p.  934. 


SOLRCKS    ITALIKNNES    :    VICOMERCATO  205 

En  1541,  il  était  «  conseiller  »,  en  môme  temps  que  médecin 
du  roi  *^).  La  même  année,  il  publia  son  Commentaire  sur 
le  III^  livre  du  De  Anima  (2).  Nous  pouvons  donc  supposer 
qu'il  avait  expliqué  ce  livre  au  collège  du  Pléssis  les  années 
précédentes,  comme  Belmisseri  l'avait  commenté  en  1534. 

Son  cours  dut  être  brillant,  car  l'année  suivante,  le  roi, 
voulant,  à  l'instigation  de  Pierre  du  Chastel,  fonder  au  Collège 
de  France  une  chaire  de  philosophie,  «  la  seule  qui  y  manquât, 
et  ayant  chargé  P.  du  Chastel  de  chercher  un  professeur 
capable  d'y  enseigner  une  philosophie  pure  avec  quelque 
autorité,  parmi  tant  d'hommes  très  doctes  dont  la  France  et 
l'Europe  étaient  pleines  <3)  »,  il  choisit  Vicomercato.  Ses 
Commentaires  sur  le  IIl^  livre  de  l'Ame  d'Aristote  étaient  alors 
à  l'impression  et  c'est  sur  la  lecture  d'une  partie  du  livre  que 
le  cardinal  jugea  \'icomercato  apte  à  occuper  la  chaire  de 
philosophie  <^).  Il  y  parla  d'immortalité,  et  selon  une  méthode 
nouvelle,  si  nous  l'en  croyons.  En  1543,  il  publiait  le  résultat 
de  son  cours  :  De  Anima  rationali  disceptatio  peripatetica^^). 
A  ce  moment  une  tempête  s'élevait  dans  l'Université,  soulevée 
par  Ramus  qui  venait  de  lancer,  contre  Aristote,  ses  Dialec- 
ticœ  insfitutiones.  Ant.  de  Govéan  releva  le  gant.  Le  roi  s'en 
mêla  et  diit  choisir  des  champions  pour  défendre  Aristote  : 
qui  était  mieux  indiqué  que  Vicomercato,  le  disciple  du  restau- 
rateur d'Aristote,  Pomponazzi.  et  Danès.  ancien  élève,  lui 
aussi,  de  Padoue  et  de  Bonamico  ?  Tous  deux  s'adjoignirent 


(1)  Actes  de  François  /er,  iv,  p.  306,  no  12.432,  et  IV,  p.  407,  no  12.907.  H  succédait 
à  Jean  Le  Moeste  et  entra  en  charge  le  1^^  juillet  1542. 

(2)  Commenlarnis  super  III  tibritm  Arisiotel.  De  .Innna,  Parisiis,  1541;  Venetiis. 
apud  Heredes  Scoti,  1574,  in-f».  Mais  ceci  est  discutable.  L'exemplaire  de  la  Bibli<> 
tiièciue  nationale  est  de  1543  et  la  prélace  en  est  datée  de  mars  1543.  Y  a-t-il  une 
édition  antérieure  ou  est-ce  une  erreur  d'Argelati  ? 

(3)  De  A)H)>tn  ratinnaU.  1543.  Dédicace  à  P.  du  Chastel.  M.  A.  Lefr.a.nc  (Hist.  du 
Collège  de  France,  p.  160)  et  l'abbé  Goujet  (Mém.  sur  le  Collège  royal  de  France. 
2e  éd.,  Paris.  1758,  II,  p.  187)  sont  d'accord  pour  faire  entrei<  Vicomercato  au 
Collège  de  France  en  1542. 

(4)  Conimentarii  super  III  libruin  de  Anima,  dédicace. 

(5)  Paris,  Wechel,  1543,  in-8o. 


206  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

Govéan  contre  Ramus,  Jean  Quentin  et  Jean  de  Beaumont, 
el  Aristote  triompha  '*). 

Depuis  lors  nous  ne  pouvons  suivre  Vicomercato  que  par 
ses  ouvrages.  Il  est  probable  qu'ils  sont  la  reproduction  de 
son  cours,  ou  tout  au  moins  qu'ils  traitent  les  questions  qu'il 
y  agita  :  les  voici  dans  l'ordre  de  leur  apparition  : 

1550.  Réimpression  de  Parva  naluralia,  traduits  en  latin 
par  Nicolo  Tomeo  et  revus  par  Vicomercato  (2). 

1550.  De  Maturali  auscultatione  Aristotelis  librl  VIII  <3). 

1551.  Commentarius  in  eani  pariem  duodecimi  libri  Meta- 
phys.  Aristotelis,  in  qua  de  Deo  et  cœteris  mentibus  divinis 
disseritur  (^). 

1556.  In  quatuor  libros  Aristotelis  meteorologicorum 
commentarii  (&). 

Mais  il  gardait  en  manuscrit  quelques  livres,  soit  qu'il  les 
jugeât  compromettants,  soit  qu'ils  représentent  ses  dernières 
leçons  à  Paris  et  qu'il,  n'ait  pas  eu  le  loisir  de  les  éditer  : 
trois  livres  De  principiis  rerum  naluralium  imprimés  après 
sa  mort  par  les  soins  de  son  ami,  le  médecin  milanais  Louis 
Seplalio  '^),  un  Commentaire  sur  le  De  partibus  animalium, 
el  un  autre  sur  lElhique  à  Nidomaque  dont  lai  Bibliothèque 
ambrosienne  possède  les  manuscrits  ^'').  D'autres  manuscrits 
ont  été  perdus  :  un  Traité  des  bienlaits,  un  De  Concordia  Aris- 
totelis et  Platonis  ^^),  un  traité  sur  VOrdre  de  la  nature 
<lans  les  choses,  en  italien  (^).  Ajoutons  que  Vicomercato  fait 

Il  Voir  dans  Launoy  (Ilist^.  Univ.  paris.,  VI,  p.  3S8)  le  texte  de  la  lettre  du  Roi 
nommant  Vicomercato  et  Danès. 

(2)  Dédié  à  Henri  II. 

(3)  Parisiis.  ap.  Vascosanum,  in-fo.  La  Bibl.  nat.  en  possède  un  exemplaire  aux 
armes  de  Henri  II  avec  chiffre  et  emblèmes  royaux  (Bibl.  nat.,  R.  160). 

(4)  Parisiis,  ap.  Math.  Davidem,  in-40,  dédié  au  cardinal  de  Bourbon. 

(5)  Paris,  Va.scosan,  in-f». 

'6)  De  principiis  rerum  natural.  libri  III,  Venetiis,  ap.  Bolzetam,  1596,  in,4o; 
Marpurpi.  1598.  ln-80. 

(7)  Ms?.  H.  34  et  R.  106. 

(8)  Ce  livre  a  dû  être  Imprimé  :  Sp.  Martino  y  renvoie  dans  son  De  Entricchia, 
p.  32.  A  moins  que  .Martino,  élève  et  ami  de  Vicomercato,  ne  l'ait  lu  en  manuscrit. 

(9)  Aroelati,  loc.  cil- 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCAÏO  207 

souvent  allusion  dans  ses  ouvrages  à  un  traité  De  Dogma- 
libiis  (1),  dont  je  ne  trouve  mention  nulle  part  ailleurs.  Son 
œuvre  est  donc  considérable  autant  par  l'étendue  que  par 
l'importance  philosophique. 

Il  semble  avoir  joui  d'une  certaine  gloire.  En  1546,  le  roi  lui 
donnait  l'abbaye  de  Coëtmalouen,  en  Bretagne  (2)  Dans  la 
préface  du  Commentaire  sur  les  Météorologiques  ^{lb^6),  il 
constate  que  son  De  Naturali  auscultatione  a  eu  un  gros  succès 
en  France  et  en  Italie  (1550).  Il  est  protégé  par  le  cardinal 
du  Chastel,  le  cardinal  de  Bourbon,  le  cardinal  de  Lorraine, 
Henri  II,  à  qui  il  dédie  ses  livres  (3).  Ce  dernier  lui  faisait  une 
pension  ampla  et  liberalis,  dit  Duval,  qui  lui  était  payée  par 
les  mains  de  Antoine  de  Bourbon,  cardinal  de  Vendôme, 
son  protecteur  (^).  A  la  mort  de  Henri  II,  il  composa  pour  la 
reine  mère  un  livre  de  consolation  que  possède  la  bibliothèque 
ambrosienne  ^^K 

Il  dut  quitter  la  France  vers  1567,  rappelé,  si  l'on  en  croit 
Brucker,  par  le  duc  de  Savoie  qui  le  fit  professeur  à  Turin, 
et  son  conseilleras).  I]  mourut  à  Milan  en  1570  ^''). 


(1)  Par  exemple,  dans  le  De  Principiis  rerum  naiur.,  p.  48,  89,  98. 

(2)  Actes  de  François  /er,  vi,  p.  794,  no  23023. 

(3)  A  P.  du  Chastel  le  De  Aîiima  et  le  De  Naturali  auscultatione;  au  cardinal 

Ch.  de  Lorraine  le  In meteorologlcorum;  au  cardinal  de  Bourbon  le  De  Deo; 

à  Henri  II  la  réimpression  de  Tomeo. 

(4)  GoujET,  op.  cit.,  p.  192. 

(5)  Delta  consolazlone  libro  1  di  F.  V.  jiUa  serenissima....  relna  Caterina  dl-: 
Medici....,  ms.  N.  205. 

i&i  Brucker.  Hist.  phil.  crit.,  IV,  p.  229. 

(7)  TiRABOSCHi,  Storia  delta  letteratura  ital.,  VII,  p.  639;  Argelati,  toc.  cit.  En 
1567,  il  est  encore  (jualiflé  de  professeur  de  philosophie  à  la  page  10  de  la  préface 
d'un  écrit  latin  paru  cette  année-là  :  In  pétri  Rami  insolentissimuni  decanatum, 
gravtssimi  cujusdam  oratoris  Phillppica  secunda,  in-40.  Il  ne  faut  pas  confondre 
notre  philosophe  avec  son  ou  ses  homonymes  qui  servaient  dans  l'armée  fran- 
çaise dans  le  même  temps  qu'il  enseignait  au  Collège  de  France.  Le  premier  est 
Francesco  Bemardino  de  Vicomercato,  originaire  aussi  du  Milanais:  Sur  sa  vie, 
ses  camijagnes  et  la  bibliographie  qui  le  concerne,  voir  les  Mémoires  de  M.  et  J.  du 
Bellay,  m,  p.  350,  391,  393;  IV,  p  93,  114,  190,  209,  246.  Il  était  capitaine  de  chevau- 
légers  et  aux  ordres  de  GuUlaume  du  Bellay.  Il  mourut  en  1546.  Son  testament 
est  aux  insinuations  du  Chàtelet  [Insinuations  du  Châtelet,  par  Tuetey  et  Cam- 
PARDON,  no  2330;  voir  aussi  Actes  de  François  /er_  y,  p.  92,  15142).  Mais  la  Biblio- 
thèque nationale  possède  aussi  une  lettre  de  1550,  datée  de  Lyonj,,  22  mars,  et 
signée  Francesco  Vicomercato  (Ms.  fr.  3063).  C'est  un  rapport  adressé  par  un 
ingénieur  au  général  Da  Nove  sur  les  travaux  militaires  à  effectuer  à  Bourg.  Il 


208  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

Il  nous  l'aut  maintenant  examiner  son  enseignement,  tel 
qu'il  nous  l'a  transmis  dans  ses  livres  :  immortalité  de  l'àme, 
nature  de  Dieu,  Providence,  éternité  du  monde,  miracles. 

Ses  deux  premiers  livres  traitent  de  l'ûme  car  c'est,  il  le  dit 
lui-même  '*',  la  question  qui  alors  primait  toutes  les  autres. 
Tout  (}c  suite  il  se  pose  en  philosophe  indépendant.  <(  Il  suffit, 
(lit-il  à  Pi^erre  du  Chaste),  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  Com- 
mentateurs d'Aristote  des  quatre-vingts  dernières  années,  pour 
voir  que  cette  faculté  que  la  nature  a  donnée  aux  hommes  pour 
trouver  la  vérité  simple  et  claire,  ils  l'ont  toute  tournée  à  une 
science  sophistique,  ténébreuse  et  vide,  et  que  légistes,  théo- 
logiens, philosophes,  rivalisent  d'ignorance,  de  barbarie  et 
de  dureté  dans  leur  langage,  et  qui  pis  est,  de  fausseté  dans 
leur  jugement  (^'  ».  Il  va  donc  commenter  le  IIP  livre  de  l'âme 
à  sa  guise,  «  sans  jurer  sur  les  paroles  de  personne  »,  si  ce 
n'est  peut-être  d'Averroès^  Car  déjà  il  fait  remarquer  qu'il 
n'a  point  négligé  les  commentaires  d'Averroès.  bien  que  les 
ignorants  les  méconnaissent  pour  leur  obscurité  et  les  délicats 
pour  leur  inélégance  (3). 

Quatre  points  sont  controversés  par  les  commentateurs 
anciens  et  modernes  d'Aristote  :  la  nature  de  l'àme,  la  nature 
de  l'intellect  agent,  l'unité  de  l'àme  individuelle,  son  immor- 
talité. Il  s'amuse  de  la  diversité  des  écoles  qui  ont  prétendu 
résoudre  ces  quatre  problèmes,  les  oppose  avec  malice  ^*>  et 


est  peu  vraisemblable  que  ce  soit  notre  philosophe  qui  en  soit  l'auteur,  bien  que 
le  XVie  siècle  nous  présente  des  hommes  aussi  universels.  .Je  préfère  supposer 
que  le  capitaine  avait  un  fil.s  qui  portait  son  nom  et  continua  sa  profession. 
Argelati  et  Curtius  avaient  soulevé  en  partie  ce  problème  sans  le  lésoudiv 

(1)  Coiiniientarius  sui)er  IIl  Uli.  Arist.  de  Anima,  p.  10. 

(2)  Ibid..  p    3-4. 

(3)  Ibld  ,  p.  12-13  Toutes  les  citations  «-ont  extraites  de  la  préface  à  P.  du  Chàtel. 
Cette  dédicace  est  datée  du  7  mars  1543. 

f'i)  On  m'excusera  de  refaire  rapidement  cette  classification  ;  A.  Ceux  qui  veulent 
que  l'Intellect  apont  infoime  le  coi7>s.  ii)  soit  qu'ils  civ)ient  l'Ame  moitelle  .Mex.indre 
d'AphnxIislas.  PomiKinace,  Scot).  h)  soit  qu'ils  la  croient  immortelle  :  individuel- 
lement (saint  Thomas,  les  deux  Pic  de  la  Mirandole).  collectivement  'Averroès, 
Achillinns).  —  H.  Ceux  qui  croient  l'Ame  extérieure  au  corps  et,  n)  uniiiue,  comme 
Téophrasip  Thémistius  et  .selon  .Jean  de  .Tandun.  .\verroès,  ou  h)  multiple, 
comme  Philopponus  Même  diversité  sur  la  n.itnre  de  cet  intelled  asrent  {Ibid-, 
p    21 2,  3131. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  209 

conclut  que  si  sur  tout  autre  problème  il  est  plus  difficile 
d'accorder  deux  philosophes  que  deux  horloges,  sur  la  ques- 
tion de  la  nature  et  de  la  destinée  de  l'âme,  c'est  chose  abso- 
lument impossible.  Pour  lui,  laissant  de  côté  tous  les  commen- 
tateurs et  Platon  lui-même,  pour  lequel  il  marque  à  plusieurs 
reprises  quelque  dédain,  il  s'attachera  au  seul  Aristote  (i'. 

Qu'est-ce  donc  que  l'âme  et  quel  sens  précis  Aristote  a-t-il 
attaché  au  mot  hzù.iyziy.  ?  L'entéléchie  est-elle  un  mouvement 
perpétuel  et  l'âme  une  parcelle  de  la  quintessence,  comme  l'a 
soutenu  Cicéron  (2),  et  depuis  Pohtien  ?  ou  l'entéléchie  est-elle 
une  perfection  du  corps,  comme  l'ont  dit  Argyropoulos,  Budé 
et  .Mélanchthon  ?  Pour  Vicomercato,  l'âme  est  la  perfection 
du  corps.  Mais  la  question  est  de  savoir  si  cette  perfection  est 
seulement  l'actuationdes  puissances  corporelles  en  sorte  qu'elle 
en  soit  comme  le  couronnement  et  la  fleur  inséparable,  ou 
si  elle  est  extérieure  au  corps,  séparable  de  lui  comme  le 
contenu  du  vase  qui  le  contient,  le  dirigeant  comme  le  cocher 
son  attelage  ou  le  pilote  son  navire  (3)  ?  La  première  thèse 
est  celle  dAlexandre  d'Aphrodisias  et  de  Pomponace  qui 
en  concluent  que  l'âme  meurt  avec  le  corps  dont  elle  n'est 
que  le  développement  et  dont  elle  est  inséparable;  c'est 
celle  aussi  de  saint  Thomas  qui,  par  une  inconséquence 
inexplicable,  la  croit  immortelle  tout  de  même  (^).  Scot  est  plus 
logique  en  avouant  que  dans  ce  cas  l'immortalité  ne  peut  être 
prouvée  que  par  la  foi  '^).  La  seconde  est  celle  d'Averroès.  Il  y 
a  une  troisième  interprétation,  intermédiaire,  qui  accorde  que 
les  puissances  végétatives  et  sensitives  de  l'homme  sont  insé- 
parables du  corps,  que  l'intellect  au  contraire,  le  mens,  le  vovç, 
est  extérieur;  après  Thémistius,  Simplicius,  Philopon,  Théo- 
phraste,  Vicomercato  accepte  cette  hypothèse  t^). 

(1)  Comment,  super  111  lib....  de  Anima,  p.  215. 

{2]Tusculane.t,  i,  lo,  cf.  p.  171,  note  3.  Vicomercato  soutient  qu'on  doit  lire 
£VT-:/c>£ia  et  non  Ivô-rz-^sc/.  .  Je  n'insiste  pas  sur  cette  discussion  gui  sera  exposée  au 
ebapitre  suivant  (De  Anima  ratlonaH,  p.  223). 

(3)  De  Anima  ralionali,  p.  210.  226. 

(4)  Ibid.,  p.  2SS. 

(5)  Ibid.,  p.  231. 

(6)  Ibid.,  p.  239. 

14 


210  SOURCES    ITALIENNES    :    MCOMEUfATO 

Mais  qu'csl-ce  que  cet  intellect,  ce  v/j,-  mystérieux  qui 
dépasse  le  corps  ^^'>  ?  Est-il  comme  un  soleil  extérieur  au  corps 
et  (|ui  l'illumine,  le  précède  dans  lèlre,  lui  survit  unique  et 
éternel  comme  le  soleil  qui  préexiste  et  survit  à  nos  yeux  ? 
Ainsi  le  veulent  les  autorités  que  nous  venons  de  citer  (2). 
Alexandi-e  d'Aphrodisias,  au  contraire,  et  saint  Thomas 
admettent  autant  dinlellecls  que  dhommes.  Sans  entrer  dans 
les  discussions  (jue  suppose  une  pareille  question,  disons  tout 
de  suite  que  \'icomercato  prend  parti  })OMr  l'Averroïsme  : 
«  Quiconque  pèsera  exactement  les  raisons  (|ui  j)rouvent  l'unité 
de  lintellect...  les  trouvera  bca!ucoup  plus  probantes  et  con- 
formes aux  principes  d'Aristote  (3)  ».  Que  si  ce  philosophe  ne 
nous  a  pas  dit  clairement  sa  pensée  sur  ce  point,  c'est  qu'il 
craignait  les  conséquences  sociales  d'une  telle  doctrine;  mais 
Théophraste  affirme  que  tel  était  son  enseignement  '•^K  Lais- 
sons de  côté  toutes  les  raisons  qui  appuient  ces  théories  et 
que  Vicomercato  cueille  chez  Thémistius  et  Averroès.  Toutes 
se  ramènent  aux  deux  suivantes  :  la  matière  est  cause  de  divi- 
sion et  donc  ce  qui  est  séparé  de  la  matière  ne  saurait  être 
divisé:  l'ûme  est  immortelle,  et  donc  elle  l'est  dans  les  deux 
sens  :  elle  ne  naît  pas  plus  qu'elle  ne  finit  (s).  Bessarion  a  fort 
bien  vu  que  la  théorie  d'Aristote  était  incompatible  avec  la 
doctrine  chrétienne,  car  Aristote  n'admet  pas  de  création  nou- 
velle. Et  pourtant  Bessarion  assure  que  <(  ceux  qui  croient 
avec  Aristote  l'intellect  unique  pour  tous  les  hommes  ne  peu- 
vent être  réfutés  par  des  raisons  naturelles'®'   >»,  Et  pour  ne 


(1)  Ibld.,  p.  226  et  sulv. 

(2)  La  comparaison  est  de  Thémistius,  selon  Vicomercato,  ibid.,  p   281. 

(3)  Ibid.,  p.  268  :  Qulsquis  exacte  perpendit  eas  quae  unitatem  probant  (ratlo- 
nes)...,  multo  cœterLs  efflcaclores  atque  aristotelicis  principiis  conformas  magis 
comperiet. 

(4)  Ponlt  enim  Intellectum  ingenitum,  et  interitui  minime  obnoxium,  hoc  est 
aeternum  parte  utraqiie,  quod  esse  non  potest  in  doctrina  perlp;itetica,  nisi  unus 
tantum  {Ibld.,  p.  268). 

ib)  Ibld.,  p.  270-27^1. 

(6)  IMd.,  p.  27'i  :  Bessarlo...  tandem  asserlt  eos  qui  unicum  intellectum  omnibus 
ex  opinion£  Arlstot.  statuunt,  nondum  convlncl  physlcis  rationibus. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERC.ATO  211 

pas  sortir  de  France  ni  même  de  Paris,  Budé,  le  grand  Budé, 
qui  venait  alors  de  mourir,  encore  qu'il  ait  erré  dans  l'inter- 
prétation de  Cicéron,  assure  que,  si  l'on  peut  fixer  la  pensée 
d'Aristote,  ce  n'est  certes  pas  dans  le  sens  de  la  multiplicité 
des  àrïies'^).  En  sorte  qu'il  faut  choisir  avec  Bessarion  entre 
deux  théories  :  ou  bien  un  intellect  unique  et  éternel  avec  Thé- 
mistius,  Averroès,  Théophraste  ou  bien  de  âmes  distinctes 
et  nées  avec  le  corps,  mais  mourant  avec  lui,  avec  Alexan- 
dre'^\  Pour  lui,  Vicomercato  estime  que  «  d'après  les  principes 
d'Aristote,  on  ne  peut  rien  apporter  contre  cette  thèse  de  l'unité 
de  l'intellect  *^3)  ». 

Quand  à  la  nature  de  cet  intellect  agent,  Alexandre  d'Aphro- 
disias  et  x\chillini  ont  eu  tort  de  le  confondre  avec  Dieu,  bien 
que  leurs  raisons  soient  difficiles  à  réfuter  *^  ;  parmi  ceux  qui 
l'identifient  avec  l'âme  humaine,  il  faut  rejeter  saint  Thomas  et 
Philopon.  qui  admettent  autant  d'intellects  que  d'âmes,  et  suivre 
Thémistius  qui  n'en  admet  qu'un  (^\  Seulement  l'âme  n'est  plus 
extériem^e  au  corps  pour  l'éclairer  et  le  guider;  elle  en  fait 
partie,  lui  est  intrinsèque  :  «  P^igurez-vous  un  forgeron  qui 
serait  dans  l'airain  ou  le  fer  et  non  en  dehors  du  métal,  ne 
pénétrera-t-il  pas  toute  la  matière  ?  De  même  l'intellect  agent 
ne  fait  qu'un  avec  l'intellect  patient  qu'il  assiste  (®^  ». 

Les  théologiens  sans  doute  ont  du  mal  à  maintenir  la  doc- 
trine chrétienne  en  face  du  péripatétisme  ainsi  renouvelé. 
Saint  Thomas  s'y  est  vainement  essayé  f^  Mais  la  «  théologie 


(1)  Neaue  enlm  intellectus  agens  apud  Aristot.  dlsclt,  cum  in  omnibus  hominibus 
unicus  sit,  etiam  ipso  Buclœo  favente,  œternus,  imraortalis...,  semper  intelligens 
et  homtni  tanyuam  lumen  quoddam  quo  intelligit  assistens  .  De  An.  ration., 
p.  225;  autre  texte  de  But^é,  p.  2f76.  On  a  vu  que  Budé  et  Vicomercato  sont  d'accord 
sur  le  sens  d'Entéléchie,  mais  je  crois  quo  Vicomercato  fausse  la  pensée  de  Budé 
en  en  faisant  un  averroïste. 

(2)  Ibid.,  p.  272-273.  BESSARION,  Contra  calumniator.  Platonis,  lib.  III.  cap.  2i. 
—  Commentant  collerjii  Conimbricensis  S.  J.  in  très  libres  de  Anima,  lib.  II,  cap.  I. 
quœst.  VII,  art.  I  (éd.  de  1612,  p.  78). 

(3)  De  Anima  rat.,  p.  285. 

(4)  Ibid.,  p.  285. 

(5)  Ibid.,  p.  287-288. 

(6)  Ibid.,  p.  291.   La  comparaison  est  de  Thémistius. 

(7)  Ibid.,  p.  îfTV-aso  :  examen  de  la  thèse  de  saint  Thomas. 


21:?  SOURCES    ITALIENNES   :    VICOMERCATU 

chrétienne  n'est  pas  liée  par  ce  principe  d'Aristote  que  dans 
les  choses  séparées  de  la  ma*lière,  il  n'y  a  qu'un  individu  par 
espèce  ».  Les  théologiens  du  reste  raisonnent-ils  comme  tout 
le  mond-e  ?  On  a  l'impression  que  Vicomercalo  les  regarde  avec 
pitié  et  que  pour  sortir  du  dilemme  péripatéticien,  ils  sont 
obligés  de  sortir  de  la  méthode  ordinaire  de  raisonner  (i). 

Il  est  facile  maintenant  de  prévoir  la  position  de  Vicomer- 
calo à  l'égard  de  l'immortalité.  Cette  question  est  évidemment 
connexe  à  celle  de  l'origine  de  l'âme  (2).  Vicomercato  n'accepte 
pas  la  thèse  d'Alexandre  d'Aphrodisias  et  de  Pomponazzi. 
Mais  il  convient  que  leurs  arguments  sont  très  forts  '^^  et  que 
saint  Thomas  est  impuissant  contre  eux  ''^K  II  écarte,  comme 
Pomponazzi,  les  arguments  en  faveur  de  l'immortalité  tirés 
du  désir  universel  de  la  survie,  de  la  supériorité  de  l'homme 
et  autres  de  ce  genre  comme  inefficaces  <^).  Pour  établir  l'im- 
mortalité, il  n'a  que  quelques  textes  d'Aristote  du  De  Ani- 
malium  generatione,  du  De  partibus  animalium,  du  De  Anima, 
qui  prouvent  que  Tàme  est  séparable  du  corps  *^).  Et  pour 
répondre  à  l'objection  de  Pomponace  que  l'intellect  ne  peut 
comprendre  qu'à  l'aide  d'images,  il  faut  accepter  la  thèse 
d'Averroès,  en  sorte  que  les  arguments  de  Pomponace  valent 
contre  saint  Thomas,  mais  non  contre  le  Commentateur  <'), 

Tel  est  l'enseignement  de  Vicomercato.  Il  ne  se  dissimule 
pas  ce  qu'il  a  d'hétérodoxe,  mais  lui  aussi  a  renoncé  à  récon- 

(1)  Jbid  ,  p.  286.  Voir  la  même  attitude  à  popopos  de  l'éternité  du  monde,  plus 
loin,  p.  217-218. 

(2)  Ibid.,  p.  234. 

(3)  Quorum  opinioni  (les  défenseurs  de  l'immortalité)  mihi  Quoque  in  prsesentia 
subscribere  placet,  tametsi  aliquando  Alexandri  partes  vel  in  totum  fuerim  secu- 
tus,  vel  saltem  (luod  ipse  asserebat,  nihilominus  qoam  adversariorum  positionem 
ex  Aristotelis  dictis  colligi  defenderim  ilbid.,  p.  1/(0). 

(4)  Ibid.,  p.  234-239,  pour  l'e.\>posé  du  livre  de  Pomponace  et  des  théories  de 
saint  Thoma.s, 

i5)  Ibid..  p.  255. 

(6)  Ces  textes  sont  cités  et  commentés,  p.  2-'(9  à  255.  Il  me  semble  Inutile  de  les 
rapporter  ici;  on  les  trouvera  du  reste  —  toujoxirs  les  mêmes  —  chez  tous  les  auteurs 
fiui  veulent  s'appuyer  .sur  Aristote  rK>ur  démontrer  ce  dogme.  P.  Galland,  par 
exemple,  les  oppose  tous  à  Ramus  pour  venger  Aristote  du  reproche  d'impiété  en 
1551  (Pro  Schola  Parlsiensi  contra  P.  Rami  Novam  Academ...  p.  47  vo-48). 

(71  Pour  la  réfutation  de  Pomponace,  elle  comprend  les  pages  25&263. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  213 

cilier  la  raison  et  la  foi,  Arislote  et  l'Eglise  :  «  Voilà,  conclut- 
il,  ce  que  pense  Aristote  de  Tâme  raisonnable,  quoi  qu'en  aient 
pensé  ceux  qui  n'ayant  pas  assez  de  foi  apparemment  au 
Christ,  ont  cru  l'autorité  d'Aristote  nécessaire  pour  affirmer 
les  vérités  que  nous  devons  croire  en  tant  que  chrétiens  et  qui 
dans  ce  but  l'ont  fait,  bon  gré  mal  gré,  maître  de  toute  vérité 
sur  ce  sujet,  ne  supposant  pas  qu'un  si  grand  homme  ait  ignoré 
la  vérité  sur  l'âme.  Comme  s'il  ne  contenait  pas  d'autres  doc- 
trines contraires  à  notre  foi  !  telles  que  l'éternité  du  monde,  qui 
va  autant  qu'il  se  peut  contre  la  foi  chrétienne,  le  petit  nombre 
d'intelligences  (^',  et  tant  d'autres  théories  qui  sont  en  oppo- 
sition avec  elle  !  Que  si  nous  ne  craignons  pas  d'attribuer 
ces  doctrines  à  Aristote,  si  nous  les  enseignons  tous  les  jours 
dans  nos  écoles  sans  croire  par  là  ruiner  notre  foi,  pourquoi 
ne  pa's  dire  librement  aussi  ce  que  nous  estimons  être  sa  doc- 
trine sur  l'âme  ?  Pour  moi,  certes,  il  me  semble  que  ceux-là 
plutôt  ruinent  la  religion,  qui  l'appuient  sur  le  témoignage 
d'Aristote,  de  Platon  et  d'autres  qui  n'y  sont  pas  accommodés. 
Car  que  peuvent  penser  les  ennemis  de  notre  foi,  sinon  que 
nos  dogmes  sont  ridicules,  en  les  voyant  étayés  d'arguments 
sans  valeur  f^)  ?  ». 

Le  détour  est  joli  !  Mais  si  l'on  veut  aussi  apprécier  à  sa 
valeur  la  thèse  de  \  icomercato,  il  faut  se  souvenir  qu'au  temps 
où  il  enseignait  l'averroïsme  à  Paris,  cette  doctrine  était  pres- 
que réconciliée  avec  l'Eglise.  «  Comparé  au  platonisme  pur, 
dit  excellemment  Mabilleau  '^i,  l'averroïsme  peut  sembler 
d'abord  matérialiste.  Mais  quand  parut  l'alexandrisme  avec 
sa  théorie  du  développement  naturel  de  toutes  les  formes  y 
compris  l'intellect,  celle  de  la  générahté  et  de  la  corruptibilité 
de  l'âme,  etc..  il  fallut  bien  reconnaître  que  l'averroïsme  qui 
admettait  au  moins  des  formes  séparées  était  la  seule  interpré- 

(1)  Allusions  aux  attaques  de  Pompona^zl  contre  la  démonomanie  dans  le  De 
Incantationibus. 

(21  De  Anima  rat.,  p.  292-293,  fin  du  volume. 

(3)  Op.  cit.,  p.  147.  Même  remarque  dans  Renan,  .iverroès,  II,  III,  p.  372  at 
175. 


214  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

talion  spirilualisle  du  péripatétisme,  et  c'est  avec  les  aver- 
roïstes  que  l'Eglise  dut  faire  alliance  contre  les  partisans  de 
Pomponace  ».  Si  donc  de  pareilles  compromissions  montrent 
à  quel  point,  on  sentait  la  foi  chancelante,  du  moins  elles  nous 
expliquent  i)our(|uoi  \icomercato  })ut  enseigner  Averroès  à 
Paris  sans  être  menacé.  Il  enseigna  ensuite  bien  d'autres 
doctrines  et  plus  dangereuses. 

En  1551,  il  publiait  son  Commentaire  sur  le  XI I^  livre  de  la 
mélaplujsique  ''  où  Aristote  traite  de  l'existence  de  la  nature 
et  de  l'action  de  Dieu.  Mais  naturellement  il  se  placera  comme 
Ai'istote  à  un  point  de  vue  strictement  philosophique,  sans 
tenir  compte  des  vérités  de  la  foi  '^'. 

Dieu  est.  Le  mouvement  des  globes  célestes  en  effet  et  le 
temps  dont  ce  mouvement  est  la  mesure  sont  éternels.  Ils 
demandent  donc  une  substance  éternelle  qui  leur  serve  de 
fondement '3).  Encoi'e  ne  peut-on  rigoureusement  appuyer  la 
démonstration  de  l'existence  de  Dieu  sur  la  notion  de  temps. 
En  réalité,  il  n'y  a  (jue  l'être  et  ([uand  on  dit  (jue  le  monde 
n'existait  pas  ou  n'existera  plus,  ])hilosophi(|uement  cela  n'im- 
j)lique  aucune  idée  de  temps,  :  on  veut  dire  qu'en  dehors  de 
la  cause  |treinière.  il  n'y  a  rien.  C  est  poui-cpioi  saint  Thomas, 
<iaignant  qu'avec  la  notion  de  la  perpétuité  du  temps  ne 
croulât  aussi  celle  de  l'éternité  de  la  substa'nce  première,  a 
jiroposé  de  l'existence  de  Dieu  une  auti'e  démonstration  :  par 
la  cause  première.  Si  le  monde  a  commencé,  il  a  une  cause, 
et  celle-ci  une  autre  et  ainsi  à  l'infini,  jusqu'à  ce  qu'on  arrive 
à  la  cause  première  de  toutes.  Evidemment,  du  moment  qu'on 


(1)  In  enm  partern  anodcclmi  lihri  metaphys  in  i/no  de  Deo  et  ceterla  mevUlnis 
divlnis  disseritur,  Paris,  David,  1551,  in-^o. 

(2)  Hanc  Ltaque  Dei  mentiumque  omnium  divlnarutn  cogaitionem  liber  hic 
exhibet,  non  quidem  omnem  eam  guam  flide  credimus,  sed  qtiîe  naturae  lumlne  a 
philf^sopho  tradi  potiiit  (Préface,  2). 

(3)  IMd  ,  p.  8.  Ce  mouvement  n'est  ni  la  génération  ni  l'accroissement  ou  la. 
diminution,  ni  l'altération,  ni  le  déplacement  en  ligne  droite,  mais  le  mo\ive- 
ment  circulaire.  Sur  la  question  du  mouvement  et  l'Infinité  du  mouvement  circu- 
laire, voir  G,  Hamelin,  Le  Systf-me  d'Arlstote,  17»  leçon,  p.  310  et  sulv.,  et  la 
1S«  leçon  à  r«anir  de  la  p.  33^1. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCAÏO  215 

admet  la  création  du  monde,  il  est  tout  simple  de  croire  à  une 
cause  première;  mais  ceux  qui  avec  Aristote  et  malgré  saint 
Thomas  croient  le  monde  éternel  —  et  Vicomercato  est  du 
nombre,  —  doivent  inférer  l'existence  de  Dieu  de  l'éternité 
du  monde  lui-même  ^^K 

Cette  substance  est  l'acte  pur,  car  si  elle  n'agissait  pas  par 
elle-même,  par  son  essence,  mais  seulement  par  sa  puissance, 
le  mouvement  ne  serait  plus  éternel  (2).  Mais  la  puissance  pré- 
cède l'acte  ?  Et  donc  l'acte  a  pu  ne  jamais  exister,  ni  Dieu,  que 
nous  confondons  avec  l'acte  pur  ?  Les  philosophes  de  l'école 
de  Mégare  s'en  tirent  en  disant  qu'il  n'y  a  de  puissance  que 
celle  qui  vient  en  acte.  C'est  nier  l'essence  même  de  la^  puis- 
sance, qui  est  d'être  libre  et  non  nécessitée  à  agir.  Aristote 
résout  l'objection  en  disant  que  la  priorité  de  la  puissance  sur 
l'acte  n'existe  que  dans  les  choses  naturelles  et  en  maintenant 
pour  les  choses  éternelles  l'identité  de  l'acte  et  de  la  puis- 
sa-nce  f^'. 

Cette  substance  est  immatérielle  ('*\  immuable,  et  partant 
immobile,  car  tout  mouvement  est  un  changements^);  son 
action  est  nécessaire  d'une  nécessité  simple  et  absolue  [y.vy:/y.r, 
«TrÀwç,  necessaria  simpliciter  et  absolute).  On  voit  poindre 
déjà  le  déterminisme  de  Vicomercato  dont  nous  parlerons 
bientôt.  Elle  est  le  premier  moteur  duquel  dépend  tout  ce  qui 
se  meut '6);  elle  est  incommensurable,  indivisible  et  indivi- 
duelle *^).  Elle  est  heureuse  enfin.  Le  bonheur  de  Dieu  consiste 
en  une  action  continuelle,  parce  que  l'acte  est  source  de  joie 
et  que  cette  activité  consiste  en  partie  dans  la  contemplation 
de  soi.  Telle  est,  —  mais  plus  brève  et  moins  intense  —  la 
joie  pure  et  inaltérable  qu' Aristote  attribue  au  sage  <^). 

(1)  In  eam  partem...  disseritur^  p.  12-13. 

(2)  Ibid.,  p,  17-19. 

(3)  Ibid.,  p,  21-23. 

(4)  Ibid.,  p,  20-21. 

(5)  Ibid.,  p.  64. 

(6)  Ibid..  p.  66. 

(7)  Ibid.,  p.  81  à  86. 

(8)  Ibid.,  p.  69  à  71.    Aristote,    Eth.   à   Nicom.,   X. 


216  souRCi:s  italiennes  :  mcomer'.'.ato 

Dieu  donc  étant  acte  pur,  on  ne  peut  faire  venir  le  monde 
ni  du  vide,  ni  du  cJiaos  comme  les  anciens  théologiens,  ni  de 
la  matière  confuse  avec  les  physiciens  ('),  ni  du  néant  par 
création  comme  Font  cru  nos  modernes  théologiens  :  ex  nihilo 
liH  (ji(jni  polest^^K  i\on,  le  Dieu  d'Aristole  n'est  pas  resté 
oisif,  il  agit  du  moment  (ju'il  existe,  il  n"a  donc  pu  laisser  le 
monde  dans  le  chaos  '3).  Rien  n'a  existé  avant  l'acte,  mais  avec 
l'acte  est  apparu  le  monde  ordonné.  Ainsi  le  monde  est  éternel. 
Toutes  choses  roulent  sans  fin  du  néant  à  l'être  et  de  l'être 
au  néant;  mais  ce  mouvement  circulaire  n'atteint  pas  l'univers 
lui-même;  les  phénomènes  a})paraissent  et  passent,  la  matière 
première  est  sans  principe  et  sans  fm  ('^). 

Tout  cela  n'est  pas  très  orthodoxe  et  Vicomercato  s'en 
aperçoit  :  «  Il  faut  remarquer,  dit-il,  que  ce  que  j'ai  dit  contre 
le  chaos  en  faveur  de  l'éternité  de  la  matière  est  opposé  à  notre 
dogme  que  le  monde  a  été  créé  de  rien.  .Mais  nos  théologiens 
nient  qu'il  y  ail  incompatibilité  entre  cet  acte  éternel  et  le 
néant  :  même  ils  ont  fait  de  cet  acte  un  Dieu  très  bon  et  très 
grand  et  qui  n'est  point  oisif,  puisqu'il  est  occupé  à  se  contem- 
pler soi-même,  ce  (|ui  est  son  acte  propre  's)  ».  C'est  tout  ce 
(|u'i]  dit  de  c€  problème  dans  l'ouvrage  imprimé  en  1551.  Mais 
on  remarquera  qu'il  ne  le  résout  point.  Sa  vraie  pensée,  beau- 
coup plus  hardie,  c'est  dans  le  De  Principiis  renun  nalura- 
lium  (ju'il  la  livre;  il  eut  soin  de  garder  ce  volume  en 
manuscrit.  On  aura  remarqué  que  la  citation  ex  nihilo  nihil, 
par  la(|iiellc  il  nie  franchement  la  création,  en  est  tirée,  et  non 
du  livre  sur  Dieu.  Dans  le  De  Principiis  donc  il  reprend  la 
question  de  la  création.  Il  nie  que  la  matière  première  ait  été 
engendi'ée,  ni  créée,  ni  qu'elle  soit  destinée  à  finir.  C'est  la 


(1)  Ibld.,  p.  25.  Il  vise  par  les  théologiens  anciens  :  Orphée,  Hésiode  et  Trismé- 
giste;  par  les  physiciens  :  Anaxagoro,  Empédocle  et  mén»'  lMat<in.  Voir  sur  ce 
sujet  les  idées  de  Pomponazzi  et  de  Bonamico  au  chap.  II,  p.  61-62. 

(2)  De  Principiis  rerum  natnraUnm .  p.  48. 

(3)  in  eam  partem...,  de  Deo  di.^sT//»?-,  p.  26-27. 

(4)  Ibld..  p.  37-39.' 
t5)  Ibld.,  p.  39, 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  217 

négation  de  la  cosmogonie  de  Moïse.  Mais  d'abord  il  faut 
distinguer  deux  vérités  :  celle  de  la  philosophie,  celle  de  la 
foi  (1).  Selon  la  seconde,  la  matière  a  été  créée  avec  le  monde 
qui  en  est  tait.  «  Mais  la  raison  naturelle  montre  au  contraire, 
que  la  matière  première  n'est  ni  engendrée,  ni  périssable.  Il  est 
inutile  de  dire  avec  les  théologiens  que  le  monde  a  été  fait  de 
rien;  car  les  physiciens,  sont  tous  d'accord  sur  ce  principe  :  ex 
nihilu  nil  gigni.  Pour  la  différence  que  font  certains  théolo- 
giens entre  la  génération  (qui  suppose  un  sujet  préexistant) 
et  la  création  (qui  suppose  le  néant),  je  ne  sais  où  ils  ont  pris 
cette  distinction,  en  tout  cas  pas  dans  Moïse  ».  Moïse  en  effet  a 
parlé  de  faire  :è-rjir,7x^j.  disent  les  Septante,  mais  non  de  créer. 
Ni  Platon,  ni  Arislote  n'ont  connu  non  plus  la  création.  Il  est 
donc  naturel  que  tous  les  physiciens  aient  cru  la  matière 
sans  commencement,  puisque  tout  ce  qui  naît  naît  de  quelque 
chose  et  que  tout  ce  qui  existe  a  d'abord  existé  en  puissance 
et  que  toute  puissance  suppose  un  sujet,  non  pas  seulement 
actif,  comme  serait  la  puissance  de  Dieu,  mais  un  sujet  passif, 
comme  des  matériaux  qui  attendent  l'ouvrier  (2).  H  est  raison- 
nable aussi  qu'ils  l'aient  crue  immortelle,  d'abord  parce  que 
<(  ce  qui  n'a  pas  commencé  ne  finit  pas  »;  ensuite  parce  que 
la  forme,  en  s'unissant  à  la  matière,  ne  la  détruit  pas;  elle 
la  laisse  subsister  dans  le  composé  et  après  la  disparition  de 
la  forme,  la  matière  reparaît  pour  s'unir  à  de  nouvelles  formes 
par  une  transformation  incessante,   mais  éternelle. 

Mais  encore  une  fois,  comment  accorder  cette  vérité  philo- 
sophique avec  les  dogmes  religieux  ?  Ici  il  me  faut  citer  toute 
une  page  de  Vicomercato.  Nous  l'avons  déjà  suipris  à 
plusieurs  reprises  se  moquant  des  théologiens  et  en  particulier 


(1)  Dupliciter  hoc  considerandum.  Prlmum  quidem  naturae  uno  lumine,  ratio- 
nibusque  ex  ea  petitis.  Deinde  absolute  ac  simpliciter  et  omnino  in  se.  Ac  primo 
quidem  modo...  aliter  dici  non  potest  quam  matcriam  nec  gigni  nec  genitam 
aliquando  e.sse,  nec  interire  nec  interituram...  Altero  modo  non  genitam  qiiidem 
aut  interituram,  sed  tamen  non  neternam,  verum  a  summo  oplflce  ex  nihllo 
creatam...  Nec  enim  ei  dogmati  assentitur  quod  aliquid  ex  nlhilo  fleri  Religio  ac 
Veritas  tradunt.  TJnde  physici  omnes  in  id  consensere  ex  nlhilo  nil  gigni  {Ibid., 
I,   XXII,   p.    4S-49). 

(2)  Ibid.,  p,   49  V. 


218  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

de  sailli  Thomas;  le  ton  persifieui'  de  sa  réponse  va  nous 
donner  son  dernier  mot  :  ((  et  d'abord  il  y  a  selon  Aristole  un 
moyen  qui  est  vraiment  une  génération,  qui  suppose  un  certain 
mouvement,  qui  est  le  propre  d'un  agent  naturel,  qui  suppose 
une  matière  d'où  sort  l'oBjet  engendré.  Mais  en  plus  de  ce  mode 
de  génération,  il  y  en  a  un  autre  que  nos  théologiens  — nous 
1  avons  déjà  dit  —  ont  appelé  création,  qui  se  fait  sans  mou- 
vement, sans  sujet,  sans  matière  et  est  réservé  au  seul  Dieu 
tout-puissant.  Sa  puissance,  à  lui,  est  si  grande  quil  peut  agir 
non  seulement  sur  ce  qui  est,  mais  même,  si  l'on  peut  dire, 
sur  ce  (jui  n'est  pas  :  chose  étonnante,  bien  plus,  qui  surpasse 
tout  étonnement.  Car  si  par  sa  prescience  il  prévoit  ce  qui  n'est 
pas  encore,  et  le  reven(li(]ue  povn*  soi  comme  ce  qui  existe, 
il  n'est  pas  étonnant  qu'il  donne  aussi  l'être  à  cie  qui  aupa- 
ravant était  l'absohi  néant 'i'.  Cela,  il  eét  vrai,  est  bien  subtil 
et  dépasse  la  cajjacité  et  la  pénétration  d'une  tète  humaine. 
Mais  il  est  des  esprits,  et  des  jugements  choisis  de  Dieu  qui 
comprennent  ces  choses,  cl  bien  d'autres  de  ce  genre,  et  qui 
les  révèlent  à  ceux  qui  sont  moins  bien  partagés.  Ainsi  il  a 
créé  la  matière  de  rien,  et  non  d'une  matière  antérieure.  Et 
donc  elle  n'était  pas  avant  d'être  créée,  pas  même  en  puissance 
dans  quelque  sujet.  piiis(|iiil  n'y  avait  pas  de  sujet,  mais 
seulement  dans  resj)rit  de  l'ouvrier  et  rexenq)laire  de  ce 
monde  (^^  Il  n'y  a  dans  cette  création  aucune  mutation...  Que 
s'il  y  en  a  une,  c'est  seulement  dans  la  connaissance,  parce 
(pK.'  un  objet  est  connu  comme  existant  (|ui  auparavant  n'était 
jias.  Mais  on  ne  saurait  prétendre  que  ce  changement  ait 
affecté  l'objet  créé,  car  poui-  changer  il  faut  d'aboi'd  exister, 
et  passer  alors  d'un  état  ou  d'une  forme  à  une  autre.  Voilà 
comment  on  répond  à  Averroès.  I.a  matière,  en  effet,  (selon 

'1)  On  se  souvient  que  le  problème  de  la  prescience  divine,  de  la  liberté  humaine 
et  du  Fatum  a  préoccupé  les  péripatétlciens  autant  que  les  protestants.  Se  repor- 
ter au  chap.  II  à  l'analyse  dn  De  Fato,  de  Pomponazzl. 

(2)  Viw>mercato  se  moque  à  plusieurs  reprises  des  Idées  de  Platon,  particulière- 
ment à  p(rr>pos  de  la  création  :  In  eam  partcm dlsserltur,  p.  16.  28,  97;  De  Prin- 

cipils  rerum  natural.,  II,  XII.  p.  89. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  219 

Averroès)  bien  que  n'étant  pas  en  acte,  a  pu  être  le  terme 
de  l'action  du  créateur,  surtout  (]u'elle  a  été  créée  douée  de 
forme.  Car  que  pendant  quelque  temps  elle  soit  restée  privée 
de  forme,  comme  le  veut  Platon  (^),  il  ne  le  faut  point  croire. 
Mais  du  moment  qu'elle  a  été  créée  de  rien  dans  ces  conditions, 
il  est  sûr  qu'li  n'y  eut  rien  de  plus  en  puissance  (poientialius) 
que  ce  dont  elle  fut  faite  !  Voilà  ce  qu'on  peut  dire  de  cette 
création  particulière  au  Dieu  tout-puissant.  De  cette  toute- 
puissance  ineffable,  personne  ne  peut  avoir  une  idée  assez 
grande,  assez  élevée,  assez  démesurée,  qu'il  y  ait  beaucoup 
plus  encore  à  penser.  Mais  les  anciens  sages  qui  n'avaient  que 
la  raison  et  leurs  sens  pour  les  conduire  ne  pouvaient  pas  y 
arriver  !  (2)  », 

Dieu  n'est  donc  pas  la  cause  efficiente  du  monde,'  comme  l'a 
prétendu  Platon  *^3^';  ni  les  idées,  ni  l'âme  du  inonde  causes 
efficientes  des  êtres  qui  existent  dans  l'univers.  Aristote, 
auquel  s'attache  Vicomercato,  en  supposant  le  monde  éternel, 
a  supprimé  le  rôle  de  cause  première  que  l'on  prêtait  à  Dieu. 
Il  n'est  plus  comme  chez  Platon  le  fabricateur  et  le  père  de 
l'univers  {opilicem  Deum  et  Patrem),  il  n'en  est  que  le  conser- 
vateur et  le  gardien  {servatorem  et  custodem).  Il  préside  aussi 
à  la  naissance  des  êtres  vivants  et  à  leur  conservation,  avec 
le  ciel  et  la  nature.  Le  système  platonicien,  qui  suppose  à  l'ori- 
gine du  monde  Dieu,  source  du  bien  et  l'intelligence,  source 
de  l'ordre,  est  plus  en  harmonie  avec  le  christianisme.  Mais 
cela  suppose  le  monde  créé,  or  le  monde  est  éternel. 

Du  môme  coup  aussi  le  Dieu  d'Aristote  et  de  Vicomercato 


(1)  Platon  aurait  admis  en  effet  l'éternité  de  la  matière  première  et  la  création 
du  monde  dans  le  tem.ps;  quelques  catholiques  s'étaient  ralliés  à  ce  système  inter- 
médiaire entre  la  Bible  et  l'averroïsme.  Mais  Vicomercato  fait  de  la  forme  une 
substance  et  non  une  qualité;  il  en  fait  mf-me  la  substance  première,  inséparable 
de  la  matière  et  en  fait  toujours  unie  à  elle.  Seulement,  tandis  que  la  matière  est 
unique  pour  l'univers,  les  formes  sont  multiples  {De  Principiis  rerum  natitral., 
II,  II,  p.  65  et  suiv.;  II.  IV,  p.  76  et  suiv.;  II,  VII;  II,  VIII,  p.  79  et  suiv.). 

(2)  De  PrlncivUs  rerum  natural.,  I,  XXIII,  p.  53. 

(3)  De  Prlncipiis  rerum  nnt  ,  II,  XII,  p.  89  et  91.  Bans  les  pages  précédentes  (86-S8), 
Vi<M>mercato  a  ©xposé  les  différentes  causes  efficientes  imaginées  par  les  anciens 
philosophes  :  le  hasard,  l'amour,  l'intelligence,  l'amour  et  la  discorde,  les 
atomes,  etc. 


220  SOURCES    ITALIENNES    :    VICÛMERCATO 

cesse  d'être  la  cause  finale  du  monde.  Car  la  bonté  divine,  que 
Platon  donne  comme  fin  au  monde  dans  le  Tiniée,  suppose 
encore  ({ue  Dieu  l'ait  créé  intentionnellement  *i'.  «  Mais  Arjs- 
tote  n'a  pu  donner  aucune  fin  à  la  naissance  du  monde  puis- 
qu'il a  nié  celte  naissance  ».  Seulement  (^  au  mouvement 
perpétuel  du  ciel,  il  a  doivïié  pour  fin  le  bonheur  de  la  suprême 
Inlelligence '■^'.  Ce  mouvement  si  admirable  des  cieux,  cette 
rapidité  incompréhensible  d'un  mouvement  inimaginable  peut- 
elle  avoir  pour  fin  des  êtres  périssables,  ou  même  l'homme, 
point  imperceptible  en  face  de  la  nature  ?  Non,  chaque  corps 
céleste  se  meut  pour  sa  propre  perfection  et  l'ensemble  du 
monde  se  meut  pour  Dieu  qui,  lui,  premier  moteur  immobile, 
très  bon  et  très  grand,  jouit  de  sa  perfection  dans  l'absolu 
repos  '3'. 

"  Dieu  d'Abraham.  Dieu  d'Isaac,  Dieu  de  Jacob;  non  des 
philosophes  et  des  savants  !  »  s'écriait  Pascal  dans  la  nuit  de 
sa  grande  conversion.  C'est  peut-être  la  révolution  la  plus 
importante  qu'aient  faite  les  livres  tels  que  celui  dont  on  vient 
de  suivre  l'analyse  ([ue  de  substituer  le  Dieu  des  averroïstes 
au  Dieu  de  la  Synagogue  et  de  l'Eglise.  Le  Père,  penché  avec 
tendresse  sur  le  monde  épanoui  sous  sa  prunelle,  reculait 
dans  un  arrière-ciel  invisible,  inconnaissable,  fantôme  algé- 
brique et  sans  cœur  (^).  Le  ciel,  que  tout  le  moyen  âge  avait 
senti  près  de  lui  comme  le  plancher  de  sa  maison  passagère, 
se  repliait  comme  une  tente  et  découvrait  des  esi)aces  infinis 
el  lénifiants.  La  Vierge  et  les  anges,  intermédiaires  aussi  entre 
le  ciel  et  la  lene,  s'évanouissaient  et  —  nous  le  verrons  tout 


(1)  Ibid.,  II,  XIV,  p.  98.  Selon  Platon,  il  est  de  ressence  du  bien  de  tendre  à 
se  communiquer.  C'est  ce  besoin  de  s'épancher  hors  de  soi  qui  a  porté  Dieu  à 
créer  le  monde.  Vicomercato  expose  cette  idée  {Ibid.,  p.  97  vo). 

(2)  Ibid.,  p.  gs. 

(3)  Ibid.,  p.  99  vo  :  Est  autem  Deus  optimus,  maximu.s,  ac  suprema  omnium 
causa,  quae  nuUo  modo  movetur.  nec  ulla  opus  habet  actione,  ut  flnem  suum 
acqulrat,  siquidem  ipse  est  finis  tum  slbl,  tum  caeterLs  omnibus. 

(4)  Si  l'on  veut  sentir  la  différence  entre  le  Dieu  des  averroïstes  et  celui  des 
chrétiens,  qu'un  pellse  la  belle  méditation  de  Bossi  kt  ilili^vdliniis  sur  li's  mystères. 
ire  semaine,  "«  élévation)  :  «  c'est  un  père,  c'est  une  mère,  c'est  une  nourrice  ».  etc. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  221 

à  l'heure  —  sourds  désormais  aux  demandes  de  miracles, 
cédaient  la  place  aux  lois  inflexibles  de  la  nature.  «  L'essence 
propre  de  Dieu  et  son  action  sur  le  monde  se  trouvent  ainsi 
plus  réduites  encore  que  dans  linterprétalion  la  plus  étroite 
du  péripatétisme.  Dieu  n'est  qu'un  moteur,  et  il  ne  meut  plus 
même  directement  les  êtres  qu'il  appelle  à  la  forme  :  son  rôle 
dans  l'univers  se  borne  à  donner  cette  «  chiquenaude  »  dont 
parle  Pascal,  qui  met  la  machine  en  branle,  sans  que  le  moteur 
ait  jamais  à  renouveler  son  intervention...  Il  est  impossible 
d'imaginer  un  Dieu  plus  abstrait,  malgré  son  étroite  déter- 
mination, plus  spécial  et  plus  général  tout  ensemble  —  et  en 
fin  de  compte,  moins  inteUigent  et  moins  moral  —  c'est-à- 
dire  moins  réel  W  ». 

Entre  ce  Dieu  immobile  qui  préside  au  mouvement  du 
premier  ciel,  mais  dont  l'action  n'arrive  pas  jusqu'à  l'homme 
et  l'homme  lui-même,  Vicomercato  donne  avec  Aristote  une 
gTande  influence  aux  astres  <'2).  Le  soleil  surtout,  soit  «  qu'au 
printemps  il  habille  la  terre  d'herbes  et  de  plantes  »  soit  que 
par  sa  chaleur  il  fasse  monter  dans  les  êtres  vivants  la  sève 
du  désir,  ou  que  par  son  seul  éloignement  il  sèche  tout,  plantes 
et  hommes,  le  soleil  est  évidemment,  par  son  mouvement 
régulier  ou  par  ses  rencontres  avec  les  autres  astres,  la  cause 
de  ce  qui  arrive  dans  ce  monde  '3). 

Il  faut  cependant  y  joindre  une  autre  cause  plus  puis- 
sante encore  :  la  Nature  (^).  Vicomercato  lui  consacre  tout  le 
IIP  livre  du  De  principm  rerum  naturalium.  Et  ce  sont  les 
pages  les  plus  hardies  qu'il  ait  écrites. 

La  nature  ne  peut  se  connaître  que  par  ses  effets.  Les  anciens 
physiciens  y  ont  vu  <(  la  substance  première  et  immanente  de 
rhaijue  chose  (^)  »:  d'autres  l'ont  confondue  avec  Dieu  consi- 

(1)  Mabilleau,  Cremonini,  VII,  II,  p.  19S. 

(2)  De  priiicipiis  rer.  nat.,  p.  91. 

(3)  Ibid  ,  II,  XII,  p.  93-94. 

(4)  Sur  la  Nature  selon  Aristote,  voir  G.  Hamelin,  Le  système  d'Aristole,  17«  le- 
çon, et  particulièrement  p.  299-305. 

(5)  Primam  cujusque  rei  substantiam  innatam,  nec  genitam,  corporibus  omnl- 
43US,  qua  orirl  atque  interire  apta  sunt,  subjectam  {De  Principiis  rerum  natur., 
p   105) 


'2-J-J  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMEUCATO 

(Jéré  .>^oil  d'ans  la  |)ius.san(L\  soil  dans  1  ordre  (jui  préside 
aux  choses  naturelles;  d'autres  en  ont  fait  le  tout;  les  disciples 
de  Platon  lonl  prise  pour  l'ànie  de  l'univers  <^);  les  théologiens 
onl  donné  ce  nom  —  à  tort  —  à  la  puissance  de  Dieu  quand 
elle  s'exerce  régulièrement  et  selon  les  lois  établies  <2).  Mais 
tous  se  trompent.  Sans  doute  la  nature  est  supérieure  aux 
forces  naturelles  quelle  commande,  et  en  ce  sens  les  Plato- 
niciens ont  raison;  sans  doute  encore,  elle  est  un  instrument 
de  Dieu,  et  c'est  pourquoi  les  poètes  ont  pu  dire  après  le 
disciple  de  Platon  que  «  l'univers  est  plein  de  dieux  ».  Mais 
elle  n'est  ni  l'âme  du  monde,  ni  Dieu;  Sénèque  a  eu  tort  de 
l'identifier  avec  lui  ^^K 

Pour  bien  comprendre  la  nature,  il  ne  suffit  pas  d'y  voir 
le  principe  des  choses  naturelles;  il  faut  chercher  ce  qui  diffé- 
rencie les  choses  naturelles  des  artificielles.  Or  ce  qui  est  le 
propre  des  choses  naturelles  simples  (air,  eau,  feu)  ou  compo- 
sées (plantes,  animaux,  etc.),  c'est  le  mouvement,  de  crois- 
sance, de  décroissance,  d'altération,  de  déplacement.  Le 
principe  de  ce  mouvement  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le 
mouvement  commandé  par  l'âme,  c'est  la  nature  (^).  Si  je  com- 
prends bien  Vicomercato,  la  nature  n'est  que  l'ensemble  des 
lois  naturelles  qui  président  à  l'accroissement  des  êtres,  à  leur 
éijuilibre  et  à  leurs  mouvements  '-^K 

(1)  Ibid.,  p  105  yo.  Les  stoïciens  aussi  'Fouillée,  Platon,  II,  IX,  p.  268).  Pour 
ces  différentes'  définitions,  voir  aussi  Cicéron,  De  Nat.  Dcorvm,  II,  81,  82). 

(2)  Ibid..  p.  106. 

(3)  De  Briieficiis.  IV.  i<,  et  .\(iliir  i/iio'st..  'ih.  De  Prinriiiiis  rrnim  niitur., 
III.   I,  p.  106-107 

(4)  Id  natnram  evse  merito  e.xistimavit  Aristoteles  et  docuit  quod  ejusmodi  esset 
motionum  prvncipium  atriue  etiam  status  in  quem  desinere  consueverunt  {Ibid., 
p.  108). 

(5)  Voirl  du  reste  une  pape  du  premier  manuel  de  physique  française  (l!i95)  où 
la  notion  de  la  nature  e-^t  donnée  assez  clairement.  Dieu,  pour  consei-ver  les  espèces 
maipré  la  mort  des  individus,  ■•  a  Infus  et  appliciué  à  chascune  espèce  un  certain 
propre  i»rincii)e  de  mouvement  (lui  est  api>elé  nature  particulière,  laquelle  in.s- 
truicte  et  puldée  de  l'universelle  iKmrvolt  sans  Lntermision  à  tout  ce  qu  est  néces- 
saire, non  seulement  à  la  conservation  des  corps  particuliers  pour  le  temps  qu'ils 
ont  à  durer,  mais  encore  à  la  conservation  i)eri)etuelle  de  leurs  espèces.  Et  d'au- 
tant qui-  cfHi-  nature  est  Imitée  itar  art,  lequel  pi-oduil  i)lusieurs  effects  on  ce  has 
monde,  la  voulant  imiter,  nous  avons  à  scavoir  la  distinction  d'er^tre  les  choses 
naturelles  et  les   artificielles.   Laquelle   consiste  en   ce  que   les  naturelles  ont   en 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  223 

C'est  donc  la  nature  qui  remplace  la  Providence  et  préside 
à  toute  la  vie  de  l'univers.  Le  ciel  même,  quoi  qu'en  ait  pré- 
tendu Porzio  qui  veut  réserver  le  ciel  à  Dieu  et  la  terre  à  la 
nature,  le  ciel  même  est  régi  par  ses  lois.  Son  seul  privilège 
c'est  d'être  éternel,  alors  que  les  choses  et  les  êtres  sublunaires 
sont  éphémères  ^^K  II  est  bien  vrai  encore  qu'Aristote  a  pré- 
tendu ailleurs  que  le  ciel  est  régi  par  l'intelligence;  mais  Vico- 
mercato  se  contente  d'expliquer  Aristote  sans  se  flatter  de 
le  concilier  toujours  avec  lui-même  (2).  C'est  la  nature  qui 
préside  à  la  génération  des  êtres  et  des  choses  <3).  Et  tout  ce 
qu'elle  fait,  elle  le  fait  avec  ordre  et  selon  des  lois,  en  vue 
d'un  but  prévu  et  voulu  (^)  Elle  utilise  tout,  et  rien  ne  se  perd 
dans  l'univers:  la  même  quantité  de  matière  reste  toujours 
dans  le  commerce  sous  des  formes  et  des  transformations 
multiples,  comme  un  miroir  inaltérable  où  se  réfléchissent 
sans  y  rien  ajouter  les  formes  divei'ses  des  phénomènes  (^).  Ce 


elles  un  principe  interne  de  mouvement  et  de  station;  et  au  contraire  les  artifi- 
cielles prennent  leur  mouvement  et  station  des  causes  extérieures  n'ayant  rien 
de  la  nature,  que  la  seule  matière,  laquelle  leur  est  despartie  des  quatre  éléments  » 
(Champagnac,  Physique  Française,  ch.  V,  p.   23-24). 

(1)  De  Pi-inciviis  rerum  natur.,  II.  IV,  p.  112-115.  On  voit  à  nouveau  combien  est 
exigu  le  rôle  laissé  à  Dieu  par  un  pareil  système.  C'est  du  reste  le  pur  aristote- 
lisme  :  «  Ce  n'est  pas  Dieu  qui  ordonne  toutes  choses  en  vue  de  lui  même.  Dieu  ne 
descend  point  à  gouverner  les  choses  :  c'est  à  la  nature  qu'appartient  l'archi- 
tectonique  du  monde,  c'est  en  elle  que  réside  la  pensée  artiste,  la  raison  pratique, 
tandis  que  la  ijensée  pure  se  repose  dans  son  immobilité  :  «  Dieu  n'est  pas  celui 
qui  commande  et  dispose,  mais  il  est  ce  en  vue  de  quoi  la  raison  pratique  ordonne 
tout  »  (Eth.  eud.,  VII,  XV).  L'action  providentielle  appartient  donc  à  la  nature. 
En  toutes  choses  nous  la  voyons  faire  ce  qui  est  le  meilleur  parmi  les  possibles 
(De  Vita  et  morte,  IV).  Ce  qu'elle  perd  d'un  côté,  elle  ^e'  repuend  de  l'autre  : 
ce  qu'elle  enlève  ici  elle  l'ajoute  là.  Ce  qui  surabonde,  elle  l'emploie  à  suppléer 
ce  qui  manque....  Et  toujours  elle  travaille  la  masse  inerte  du  coiTis,  la  façonne 
et  la  tJansforme  »  (Fouillée,  Platon,  II,  VII,  p.  224-225). 

(2)  De  Principiis  rerum  natur.,  p.  115. 

(3)  Ibid.,  III,  VIII,  p.  123-126. 

(4)  Ibid.,   III,   IX,   p.  126-128. 

(5)  Cette  idée  est  développée  aussi  dans  le  même  volume,  I,  XXIV,  d'où  est  prise 
la  comparaison  citée  ici  :  quoquo  quidem  modo  dependere  aliquid  et  aliud  acqui- 
rere  dicitur,  sed  ad  naturam  suam  (il  s'agit  de  la  matière  première)  ac  essentiam 
nil  accedit  nilque  de  ea  decedit.  Quod  speculorum  similitudine  ostenditur,  quorum 
est  natura  ut  ab  eis  quae  in  eis  apparent,  imaginibus  (nil)  perpetiantur  {Ibid., 
p.  54  vo). 


224  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

qui  périt  mèm'e,  la  nature  en  tire  parti,  <(  semblable  à  un  père 
de  famille  prudent  (jui  ne  perd  rien  de  ce  qu'il  peut  utiliser  <i)  », 
aveugle  qu'elle  est  pourtant  et  marchant  vers  une  fin  quelle 
ignore  et  réalise  sans  en  avoir  conscience  ('^), 

Dans  le  monde  ainsi  constitué  en  système  fermé,  où  circule 
éternellement  la  même  quantité  de  matière  et  d'énergie  sous 
des  formes  et  des  transformations  incessantes  (3),  où  la  loi  régit 
tous  les  phénomènes,  depuis  le  branle  des  sphères  sidérales 
à  la  naissance  de  l'insecte,  où  toute  forme  qui  meurt  fait  place 
à  une  forme  qui  naît,  où  toute  forme  qui  naît  prend  la  matière 
laissée  inerte  par  sa  devancière,  où  rien  ne  se  perd,  rien  ne 
ne  se  crée,  où  tout  se  fait  selon  un  plan  déterminé,  y  aura-t-il 
place  pour  le  caprice,  pour  l'exception,  pour  le  miracle  ? 

Les  théologiens  l'ont  prétendu.  Ils  ont  distingué  entre  la 
puissance  ordinaire  et  régulière  de  Dieu,  qu'ils  ont  appelée 
la  nalm'e,  et  sa  puissance  extraordinaire  :  «  Pieusement  et 
saintement  ils  racontent  ({u'en  dehors  de  l'ordre  fixé  et  certain 
il  est  arrivé  souvent,  —  et  il  peut  toujours  arriver  —  des  faits 
extraordinaires,  soit  dans  le  ciel,  soit  sur  la  terre;  que  par 
exemple  le  soleil  s'est  arrêté  ou  même  qu'il  a  reculé,  que  la 
lune  s'est  éclipsée  et  d'autres  phénomènes  de  ce  genre, 
racontés  dans  nos  saints  Livres  et  qui  ne  sont  poini  l'effet  de 
la  puissance  ordinaire  de  Dieu.  Mais  comme  les  phénomènes 
naturels   arrivent   selon    un    ordre    constant...   et    qu'on    les 


(1)  Qua  in  re  prudentem  quoque  patremfamilias  imitatur,  qui  nihil  omnino  solet 
rejicere  ex  quo  facere  commode  allquid  possit  [Ibid.,  III,  X,  p.  127). 

(2)  Ibtd.,  III,  XII,  p.  130  et  suiv.  Lans  le  commentaire  in  VIII  libros  Anstot.  de 
nat.  ausc.  (1550),  il  a  toute  une  dissertation  pour  essayer  de  déterminer  la  part  du 
hasard  et  celle  de  l'intelligence  dans  les  événements  du  monde  (p.  125  k  150). 

(3)  Ibid.,  I,  XXIV,  p.  54.  Beau  te.xte,  tout  moderne  r>our  l'idée  d'absolu  détermi- 
nisme qui  s'en  dégage  :  Non  solum  autem  ingenita  materia  est  et  ab  interitu 
liberata,  sed  omnium  etiam  earum  mutationum  expers.  quie  pemiciem  aliquam 
aut  incommodum  ei  possint  afferre.  Nec  enim  augcsclt  aut  minuitur,  sed  eadem 

, semr>er  mole  permanet,  nec  quod  ad  rerum  perpetuum  ortum  allquld  ex  ea  capia- 
tup,  propterea  decresclt  aut  quid  de  ea  decedlt.  Id  enim  seraper  sumitur  quod 
alterius  erat  corr)oris  cujus  forma  Interiit.  Formas  duntaxat  mutât,  cas  vicissim 
aceipiens  mole  ac  .substantia  semper  servata.  Ac  quanquam  in  nonnullis  amplior 
fleri  aut  angustior  videtur  .  ,  totius  tamen  universl  habita  ratione,  eadem  ejus 
moles  persévérât.  Sur  le  détf-rmini-me  d'Aristote,  voir  H.\mklin,  op.  cit.,  15^  leçon, 
p.  275  et  suiv. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  225 

reporte  à  Dieu  comme  à  leur  cause  première,  ils  ont  appelé 
nature  la  puissance  ordinaire  de  Dieu...  Mais  les  physiciens  se 
contentent  de  la  nommer  la  puissance  de  Dieu,  car  pour  eux 
Dieu  ne  fait  rien  sans  un  ordre  fixe  et  établi  en  dehors  duquel 
rien  n'arrive  '^'  ». 

Pourtant  il  y  a  des  exceptions  apparentes,  des  monstres, 
des  perturbations  atmosphériques,  pluies,  grêle,  orages,  qui 
semblent  n'avoir  pas  de  loi.  De  plus,  si  la  nature  agit  inten- 
tionnellement, doit-on  aussi  attribuer  à  sa  volonté  les  acci- 
dents, le  mal?  Ces  anomalies  ne  sont  qu'apparentes.  Les 
monstres  ne  sont  pas  faits  intentionnellement  par  la  nature,  ils 
sont  le  résultat  d'une  force  extérieure  qui  la  violente  ou  d'une 
matière  rebelle  à  subir  ses  lois.  Les  perturbations  atmosphé- 
riques doivent  leur  irrégularité  à  la  matière  et  noil  à  la 
nature  (2).  La  maladie,  est  contraire  à  la  nature  de  l'individu, 
mais  conforme  aux  lois  universelles.  Du  reste,  si  l'on  veut 
considérer  la  question  dans  toute  son  ampleur,  il  faut  classer 
les  phénomènes  en  quatre  catégories  :  les  faits  naturels,  ceux 
qui  sont  en  dehors  de  la  nature  {prœter  naturam),  ceux  qui  y 
contredisent  (contra  naturam),  ceux,  qui  la  dépassent  (supra 
naturam).  Les  faits  naturels  arrivent  toujours  de  la  même 
façon  :  mouvements  des  astres,  naissance,  identité  de  nature 
entre  les  enfants  et  les  parents,  lois  de  la  pesanteur;  si  un 
de  ces  effets  est  vicié  par  une  intervention  étrangère  à  la 
nature,  il  est  dit  privter  naturam  (3).  Les  faits  qui  sortent  de 


(1)  Ab  his  autem  qui  artem  divinam  dixerunt  (naturam)  hi  non  admodum 
dissensere  qui  Dei  vim  seu  legem  per  omnia  fusam  ac  corporibns  omnibus  inser- 
tam  eam  esse  putaverunt,  aut  etiam  Dei  potentiam  ordinariam.  Quamquam  apud 
physicos  potentiam  dicere  satis  est,  quippe  qui  nil  concedunt  Dei  vi  ac  potentia 
fleri,  nisi  ordine  rato  et  constituto  prœter  quem  nil  omnino  efflciatur.  Theologi 
nostri  ijd  pie  ac  sancte  tradunt,  cum  praeter  ordines  ratos  et  certes  multa  et  facta 
esse  et  fleri  posse,  tum  in  cœlestjbus,  tum  in  his  caducis  nos  doceant.  Quemad- 
modum  est  solem  constitisse,  aut  etiam  rétro  cursum  agisse,  ©umdemque  ex 
adverso  Lunse  defecisse,  et  ejus  generls  alia,  quse  in  sacris  litteris  traduntur, 
quœque  a  Dei  potentia  ordiinaria  minime  extiterunt.  Quoniam  autem  et  quae 
natura  fiunt  ordine  qurxlam  i>erpetuo  fleri  videntur.  veluti  hominem  ex  homine 
ac  certis  temporibus  na,sci,  hœcque  omnia  in  Deum.  ut  supremam  causam  refe- 
runtur,  potentiam  banc  Dei  ordinariam  naturam  dixere.  (De  Principiis  rerum  nat., 
III.  II.  p.  106-107  ) 

(2)  n)id..  III,  XI,  p.  129-130. 


(3)  Ibid.,  p.  145. 


15 


226  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO 

l'ordre  naturel  [pradev  jialuram)  ne  sortent  donc  que  de  l'ordre 
habituel  des  lois  naturelles,  mais  non  de  l'ordre  absolu,  car 
en  dehors  de  cet  ordre  il  n'y  a  rien.  Ce  sont  des  événements 
qui  arrivent  rarement,  mais  non  sans  raison,  et  ainsi  ce  qui 
se  fait  en  dehors  de  la  loi  est  en  réalité  semblable  aux  faits 
que  nous  appelons  naturels  et  n'en  diffère  que  par  la  fréquence. 
Par  exemple  la  vigne  ([u'on  appelle  «  xa-vjoç  »  donne  ordinai- 
rement du  raisin  blanc;  quelquefois  il  est  noir;  cela  n'a  rien 
de  miraculeux.  Il  se  forme  des  calculs  dans  l'urine,  les  reins, 
les  intestins  de  l'homme;  cela  n'a  rien  qui  soit  hors  de 
la  nature,  car  si  cet  accident  est  exceptionnel  chez  l'homme, 
bien  d'autres  excréments  se  forment  dans  son  corps,  qui  n'ont 
aucun  rapport  avec  la  matière  dont  il  est  formé.  Les  pierres 
mêmes  qui  se  forment  dans  les  nuages  et  tombent  sur  la  terre, 
diron&-nous  qu'elles  sont  miraculeuses  parce  qu'elles  n'ont 
ni  la  forme,  ni  la  constitution  chimique  des  nuages  ?  Pas  du 
tout,  et  il  ne  faut  point  prétendre  qu'elles  sortent  de  la  nature, 
si  ce  n'est  en  ce  sens  qu'elles  ne  sont  pas  dans  la  place  voulue 
par  la  nature  <*). 

«  Quant  aux  faits  contre  nature  '^'  {contra  naiuram),  il  n'y 
en  a  pas  dans  l'univers;  ni  Aristote,  ni  aucun  des  philosophes 
n'en  ont  jamais  constaté  un;  ceux  qu'on  cite,  il  faut  les  pro- 
clamer impossibles  ou  inventés,  mais  non  contraires  à  la 
nature. 

Que  si  certains  veulent  ainsi  les  nommer,  cela  les  regarde, 
mais  le  philosophe  ne  s'occupe  que  des  faits  possibles  et  exis- 
tants soit  naturels,  soit  extraordinaires;  quant  à  ceux  qui 
sont  impossibles,  il  les  passe  sous  silence.  Au-dessus  de  la 
nature  on  poiil  idacer  les  intelligences  divines  qui  sont  hors 

(1)  IMd  ,  III,  XVI,  142  \°  et  143.  La  théorie  est  prise,  selon  Vicomercato,  dans 
Aristote,  De  Animal.,  IV. 

(2)  Contra  naturam,  nisi  ea  slnt  guae  prfPtcr,  nihil  est  in  rerum  universltatfe. 
Idcirco  nec  Aristotelos,  nec  omnlno  Orrecorum  philosophonim  uUns,  ullG.ni  e,ius 
quod  contra  naliiram  slt  mentionem  feclt.  Qii?e  autem  esse  luillo  modo  po.ssunt, 
veiutl  homo  lapideus,  hîEc  flcta,  sen  impossibilia,  non  autem  contra  naturam 
dicuntur.  Quod  si  quis  velit  ea  nominare,  suo  arhifrio  faciat.  Philosophl  ea 
tantum  posuenint  et  nomlnanint  qiue  es.se  possunt  et  intenlum  flunt,  seu  secun- 
flum,  .seu  praeter  naturam.  Ea  vero  quae  esse  non  possunt,  praeteriere.  ilbid., 
p.  m.) 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  227 

des  lois  ordinaires  du  temps,  de  l'espace,  du  mouvement. 
Dans  ce  groupe  aussi  on  peut  ranger  les  miracles  que  raconte 
notre  religion  et  qui  dépassent  les  forces  de  la  nature,  mais 
les  physiciens  y  verraient  des  faits  prœter  ou  contra  naiuram, 
c'est-à-dire  qu'ils  les  expliqueraient  naturellement  ou  les 
déclareraient  faux  'i). 

De  là,  Mcomercato  s'élève  —  il  y  a  déjà  souvent  fait  allusion 
—  à  la  fixité  des  lois  naturelles.  La  loi  est  de  sa  nature 
immuable  et  nécessitante  pour  tous  les  êtres  d'une  même 
espèce  ^2).  Ainsi  tout  objet  lourd  est  porté  vers  la  terre  si  on 
ne  l'empêche.  Cette  immutabilité  est  le  caractère  distinctif 
des  lois  naturelles.  Aucune  coutume  ne  peut  prévaloir  contre 
elle  :  vous  aurez  beau  lancer  une  pierre  en  l'air,  elle  ne  prendra 
pas  l'habitude  d'aller  en  haut.  Toutes  choses  donc  placées 
dans  leurs  conditions  naturelles  se  perpétuent  selon  des  lois 
intangibles  ^^l 

Ces  idées  qui  nous  paraissent  si  natm-elles  aujourd'hui  ne 
l'étaient  pas  autant  alors,  et  nous  verrons  les  protestations 
qu'elles  suscitèrent.  Cependant  elles  n'étaient  plus  absolument 
neuves,  car  Pomponazzi  les  avait  déjà  développées,  quoique 
sous  une  autre  forme.  .Mais  Pomponace  ni  Aristote  ne  fm^ent 
pas  les  seuls  maîtres  de  Vicomercato.  II  était  tout  pénétré 
de  Pline  et  de  Lucrèce.  Dans  ses  Commentaires  Sur  les  huit 
livres  du  De  ausculatione  (1550)  (^',  puis  plus  tard,  en  1556, 
Sur  les  quatre  livres  des  météorologiques,  il  s'était  essayé 
B  donner  des  phénomènes  terrestres,   célestes  ou  océaniques 

(1)  nia  vero  supra  naturam  dici  possunt  quae  extra;  cœlum  sunt  posita,  nec 
locum,  nec  tempus,  nec  motum  participantia  ...cujus  modi  sunt...  mentes  divinse. 
Supra  naturam  rursus  quse  nostra  religio  asserit,  guse  nulla  vi  naturse  effîcl 
untiuam  potuerunt,  quœ  eadem  physicis  prseter  et  contra  naturam  dicerentur 
{Ibid.,  p.  144  vo.) 

(2)  Nam  quae  alicui  generi  secundum  naturam  conveniunt,  in  omnibus  illius 
generis  Inesse  debent,  non  in  quibusdam  inesse,  in  aliis  non  inesse...  Hinc  etiam 
efflcitur  ut  quse  secundum  naturiam  adsunt,  immutabilia  sint,  eamdemque  vim 
et  perpetuo  habeant...  Naturse  igitur  constantiam  ac  immutabilitatem  propriam 
sensuit  (Aristoteles)  ut  legis  mutationem  et  inconstantlam  {Ibld  ,  III,  XVII» 
p.  145  yo.) 

(3)  III,  XVII,  p.  145,  fin  du  volume. 

(4)  Paris,  Vascosan,  15.50  (Bibl.  nat.,  R.  256). 


228  SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCAlO 

une  explication  purement  scientifique,   d'où  est  exclue  toute 
intervention  divine.  Dieu  n'est  pas  nommé  dans  ces  livres. 
En  revanche  Pline  et  Lucrèce  y  sont  cités  à  chaque  page. 
Est-ce  sans  arrière-ix;nsée  qu'il  copie  leurs  commentaires  et 
n'y  a-t-il  pas,  par  exemple,  une  allusion  maligne  à  ceux  qui 
voient  dans  toutes  les  perturbations  atmosphériques  des  signes 
de  colère  divine  dans  ce  couplet  sur  la  i'oudre  :  «  Lucrèce  se 
rit  des  anciens  qui  croyaient  que  Jupiter  lançait  la  foudre  et 
calculaient  d'après  le  trajet  et  la  place  de  l'éclair  le  présage 
((u'elle  portait.  C'est  pourquoi,  après  avoir  expliqué  la  nature 
et  la  puissance  de  la  foudre...,   il  ajoute  des  considérations 
nombreuses,  profondes  et  vraies  sur  cette  superstition.  Qu'y 
a-t-il  en  effet  de  plus  naïf,   dit  Sénèque,   que  de  croire  que 
Jupiter  envoie  la  foudre  des  nues,    frappe   quelquefois  ses 
colonnes,   ses  arbres,    ses   statues,    et   laissant   impunis   les 
sacrilèges,   atteint  les  brebis,   incendie  les  autels,   punit  des 
troupeaux  innocents...  .Mais  le  même  auteur  défend  l'antiquité; 
les  anciens  n'étaient  point  si  sots  que  de  croire  tout  ce  qu'il 
vient  de  dire;  c'était  pour  frapper  l'esprit  des  simples  que  les 
habiles  leur  suggéraient  cette  crainte  d'une  force  inévitable  et 
supérieure  à  eux.  Car  il  était  bon  que,   en  face  d'une  telle 
audace  dans  le  crime,  il  y  eut  quelque  chose  contre  quoi  per- 
sonne ne  se  sentit  cajiable  de  lutter  (i). 

Ainsi  la  superstition  antique  vient  de  la  crainte  ou  de  l'utile. 
Yicomercato  a  développé  ailleurs  encore,  en  résumant  ou 
même  en  copiant  le  De  Xatara  Deorum,  cette  idée  d'Evhémère. 
Si  les  hommes  ont  donné  aux  dieux  des  figures  humaines, 
c'est  tout  simplement  pour  habituer  l'homme  à  respecter 
l'homme  en  lui  faisant  craindre  de  blesser  en  son  semblable 
une  forme  divine;  s'ils  ont  divinisé  certains  animaux,  comme 
les  ibis  qui,  en  Egypte,  détruisaient  les  serpents,  c'est  que 
ces  animaux  étaient  utiles  et  qu'on  voulait  en  empêcher  la 
destruction.    La   formule   de   cette   apothéose,    il   l'emprunte 

11)  In  m  libnim  meleorol.  Aristot  ,  p.  298. 


SOURCES    ITALIENNES    :    VICOMERCATO  229 

textuellement  au  De  \atura  Deorum  :  «  Tout  ce  qui  était  sus- 
ceptible d'apporter  une  grande  utilité  au  genre  humain,  ils  le 
pensaient  de  nature  divine  ».  Ils  en  vinrent  à  diviniser  les 
vertus,  les  facultés  :  la  force,  la  bonne  foi,  l'intelligence. 
Enfin,  il  y  eut  encore  deux  autres  sortes  de  dieux  :  ceux  qui 
avaient  été  mis  au  rang  des  dieux  pour  leurs  bienfaits  envers 
les  hommes  :  Hercule,  Castor,  Pollux  et  bien  d'autres;  ceux 
qui  furent,  surtout  chez  les  poètes,  la  personnification  de  phéno- 
mènes naturels  ou  météorologiques  ^^K 

Vicomercato  a-t-il  une  arrière-pensée  dans  tous  ces 
développements  ?  On  ne  saurait  le  dire  évidemment  et  rien 
dans  le  texte  ne  le  fait  supposer.  Nous  les  avons  rapportés 
cependant,  parce  que  d'abord  ils  nous  permettent  de  suivre 
l'infiltration  d'une  idée  très  féconde  pour  l'histoire  des  reli- 
gions, et  aussi  parce  que  le  procédé  dont  il  se  sert  est  le  mêm.e 
que  ses  contemporains,  Rabelais,  Breton  peut-être.  Des 
Periers  sûrement,  ceux  qu'on  appelait  les  lucianistes, 
employaient  pour  ridiculiser  la  religion  chrétienne.  Fut-il 
aussi  hardi  qu'eux?  Je  n'en  sais  rien*^).  En  tout  cas,  si  nous 
jetons  un  regard  sur  son  œuvre,  il  nous  apparaît  comme  un 
homme  très  dégagé  des  superstitions  de  son  temps,  très  savant 
aussi  '•■^>  et  qui  surtout  eut  une  idée  juste  de  ce  que  devait  être 
la  vraie  science.  Il  fut  un  esprit  éminemment  laïque,  si  l'on 
entend  par  là  le  souci  de  tout  expliquer  rationnellement  et  sans 


(1)  Toute  cette  page  n'est  que  le  résumé  des  pages  120121  de  In  \II  metaphysic. 
in  quo  de  Deo  disseritur,  Vicomercato  n'indique  pas  ses  sources.  Rappelons  que 
la  Génért/ogî'e  de  Boccace  était  fort  connue,  que  Giraldi,  dans  son  De  Deis  genlium 
histona,  avait  codifié  l'évhémérisme  trois  ans  avant  que  Vicomercato  publiât  cette 
page  et  que  Noël  Conti  publiait  sa  Mythologie  cette  année-là  précisément.  Mais 
Vicomercato  n'a  rien  pris  à  ces  livpes.  Sa  dissertation  est  le  résumé  des  cha- 
pitres 60-64  du  second  livre  du  De  Natitra  Deorum.  Tous  les  exemples  qu'il  donne 
y  sont,  la  classification  est  la  même  et  Vicomercato  copie  textuellement  la  deu- 
xième moitié  du  chap.  60  et  une  partie  du  chap.  64. 

(2)  Pour  ne  pas  sortir  du  plan  que  je  me  suis  tracé,  je  signale  en  note  seulement 
que  son  élève  Sp.  Martino  en  fait  un  défenseur  d'Epicure.  Ce  philosiophe  n'enseigna 
point  que  le  bonheur  est  dans  la  volupté;  il  le  mit  dans  les  plaisirs  de  l'esprit. 
C'est  par  calomnie  qu'on  lui  a  prêté  des  théories  dont  Aristippe  est  le  père  (De 
Entelechia.  p.  8-9). 

(3)  Le  même  Sp.  Martino  loue  son  immense  érudition,  p.  15  (Voir  texte  chap.  VIII, 
à  propos  du  Brutus  de  Fernel). 


230  SOUUC.es    lTALir>Ni\ES    :    MCOMKUCATO 

faire  intervenir  jamais  le  mystère  clans  les  faits  d'ordre  scien- 
tifique. A  peine  une  dizaine  de  fois  en  cinq  gros  volumes,  j'ai 
trouvé  sous  sa  plume  le  nom  de  Dieu,  et  Ton  a  vu  (|uel  rôle 
effacé  il  lui  prête;  une  seule  fois  j'y  ai  rencontré  le  nom  de 
Jésus-Christ,  et  c'est  dans  la  préface  de  son  De  Nalurali  aus- 
(ulUdione,  pour  lui  comparer  Pierre  du  Chastel.  La  chose 
vaut  d'être  relevée.  De  même,  dit-il,  que  Jésus-Christ  a  été 
constitué  intermédiaire  enlix?  Dieu  et  l'homme  séparés  par 
linlini.  de  même  P.  du  Chastel  a  été  placé  entre  lui  eti  le  roi  — 
proche  de  l'un  par  sa  dignité,  semblable  à  l'autre  poiu'  son 
amour  de  la  philosophie,  —  afin  de  présenter  au  roi  la  personne 
et  les  commentaires  de  Vicomercato  'i'  !  Quatre  ou  cinq  fois 
eji  tout  il  parle  de  l'Eglise,  mais  c'est  pour  opposer  ses  dogmes 
à  ceux  d'Aristote.  Et  la  solution  qu'il  propose  est  ordinai- 
rement de  se  moquer  des  théologiens.  Pomponazzi,  quand  il 
remarquait  ainsi  ses  hérésies,  se  confondait  en  protestations 
de  foi  et  nous  assurait  (pi'il  n'était  point  complice  d'Aristote. 
X'icomercato  n'éprouve  })as  ce  besoin.  Sans  doute  se  sentait- 
il  plus  en  sûreté;  l'aristolélisnie  rationaliste  avait  fait  tant 
de  progrès  depuis  Pomponazzi  !  Il  fut  attaqué  cependant  par 
Postel.  Et  Rome  le  soupçonna.  Une  lettre,  sans  date  malheu- 
reusement, du  fonds  Oitoboni  '^^  à  la  Bibliothèque  vaticane,  le 
met  en  compagnie  de  Pomponazzi,  de  Porzio,  de  Cardan, 
parmi  les  philosoj)hes  qui  se  plaisent  à  ruiner  la  foi.  Les 
jésuites  de  Coïmbre  l'ont  classé  parmi  les  averroïstes 
notoires,  en  compagnie  d'Achillini,  Jean  de  Jandun.  Odo, 
Zimara '3).  Son  rôle  est  difficile  à  déterminer^''),  car  ses  idées 


(1)  In  VIII  libros  Aristot  de  natural.  ausriiltatione.  AmpUssimo  Praesiill  Castel- 
lano  matiffcorum  eirlscopo.  Fo  m.  La  chose  paraît  lui  sembler  de  bon  proût;  car 
dans  sa  consolation  à  Catherine  de  Médicls  11  compare  aussi  la  mort  de  Henri  II 
à  celle  de  Jésus-Christ.  Comme  le  sang  et  la  mort  de  Jésus-Christ  ont  établi  la 
paix  entre  Dieu  et  l'homme,  ainsi  la  mort  de  Henri  H  a  scellé  la  paix  entre  la 
France  et  l'empire  {Délia  consol..  F"  4). 

(2)  Fonds  Ottobonl,  ms.  2366,  p.  22S,  cité  par  DEJon,  De  ruifluence  du  concile  de 
Trente  nur  la  Ullératnire  ei  lex  beaux-arts  chez  Icx  peuidcf:  catholiques,  p.  380. 

(3)  Commentant  coHeqU  conimhrnnsU  S.  Jesu  1?t  très  litiros  de  Anima,  LugdunI, 
1600,  Lib.  II,  cap.  I,  fjuaest.  VII,  art.  I,  p.  59;  éd.  1612,  p.  78. 

(4)  Il  a  été  connu  a.ssez  longtemps  cependant.  Brucker  lui  fait  une  grosse  place 
dans  son  histoire  de  la  philosf)(r>hie  et  le  met  Immédiatement  après  les  ■<  étoiles 
de  première  grandeur  dans  le  ciel  péripatéticlen  »  (Ilist.  phil.  cru  ,  IV,  p.  229). 


SOUUCES    ITALIENNES    :    CARDAN 


231 


furent  p-eu  originales  :  l'averroïsme  qui  fait  le  fond  de  sa 
doctrine  sur  l'àme,  l'essai  d'une  explication  scientifique  du 
monde,  la  séparation  du  domaine  de  la  raison  et  de  celui 
de  la  foi  '^),  la  substitution  de  la  nature  à  la  Providence,  ces 
idées  arrivaient  en  France  depuis  quelques  années  déjà  de 
tous  les  côtés.  Mais  il  a  prêté  une  voix  sonore  dans  la  plus 
grande  chaire  de  Paris  à  ces  idées  toutes  fraîches  encore  '^l. 
Comparé  à  Pomponazzi  et  à  Cardan,  il  est  plus  clair  que  le 
premier,  plus  sérieux  que  le  second,  plus  hbre  d'esprit  que 
l'un  et  l'autre.  Il  me  fait  songer  à  ce  phénomène  bien  connu  : 
si  dans  une  liqueur  saturée  d'un  corps  on  introduit  une  par- 
celle de  ce  corps,  aussitôt  les  parcelles  en  suspension  se  grou- 
pent et  cristallisent.  Je  ne  serais  pas  étonné  que  dans  les 
milieux  intellectuels  saturés  d'averroïsme  par  les  infdtrations 
italiennes,  il  ait  opéré  cette  cristallisation  et  déterminé  pour 
sa  bonne  part  l'aboutissement  des  aspirations  rationalistes  qui 
se  groupent  à  Paris  —  nous  en  donnerons  d'autres  preuves  — 
entre  1540  et  1550. 


II 


Cardan  n'a  jamais  enseigné  en  France;  mais  il  y  fut  connu 
de  bonne  heure.  Dans  la  seconde  moitié  du  siècle,  son  influence 
sera  plus  grande  que  celle  de  Pomponazzi;  non  pas  que  Cardan 
ait  beaucoup  d'idées  que  n'ait  eues  Pomponazzi,  mais  il  est 
plus  facile  à  lire  et  à  trouver  en  librairie.  C'est  un  écrivain 
agréable,  abondant,  quelque  peu  bavard  même  pour  un  philo- 
sophe, savant  du  reste,  comme  on  l'était  en  ce  temps,  à  traiter 


(1)  On  a  vn  comment  il  les  oppose  à  propos  des  causes  finales  {De  Principiis 
rerum  nat.,  II,  XIII,  p.  92  v»).  Ailleurs,  U  se  plaint  que  saint  Thomas  et  les  scolas- 
tiques  aient  lié  trop  étroitement  le  sort  de  la  religion  à  celui  de  la  philosophie  : 
sanctus  ille  ac  plus  vir,  aliique  muiti  qui  eum  sunt  imitati,  pietat-e  (ut  puto)  et 
religionis  conflrmandae  studio  ducti,  in  philosophia  rationibusque  cum  divlnis 
litteris  conjungendis  limites  fortasse  excessisse  videntur.  (In  eam  partein...  disse- 
ritur,  a  ijj.) 

(2)  Renan  {Averroès  et  l'Averroisme,  il,  III,  p.  425)  le  signale  aussi  comme  l'un 
des  rares  Italiens  qui  ont  apporté  l'averroïsme  de  ce  côté-ci  des  monts,  mais  il  ne 
l'étudié  pas. 


•23'2  SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN 

de  toutes  choses,  mathéiuathiques,  mécanique,  métaptiysifjue, 
morale.  Par  dessus  tout,  il  est  médecin  et  même  charlatan.  Il 
a  voyagé,  traversé  la  France  et  pérégriné  jusqu'en  Ecosse, 
sest  créé  partout  des  relations  et  partout  a  laissé  l'impression 
d'un  homme  charmant,  savant  et  quelque  peu  «  feslé  »  *^\ 

Si  nous  voulions  étudier  toute  son  œuvre,  il  y  faudrait  plu- 
sieurs volumes.  Dans  ses  œuvres  de  morale.  De  consolatione 
libri  très  (15-i2),  De  Sapieniia  libri  V  (1544),  il  a  condensé  toute 
la  sagesse  païenne;  dans  son  De  subliUlale,  (1550)  ^2),  l'astro- 
nomie; dans  le  De  varietate,  (1557)  les  sciences  naturelles; 
son  De  immortaUlale  animorum,  publié  à  Lyon  en  1545,  nous 
le  montre  préoccu|)é  des  problèmes  traditionnels  de  la  philo- 
sophie padouane.  Ce  dernier  livre  étant  le  seul  qui  ait  paru 
en  France  avant  1550,  on  comprendra  que  l'influence  de 
Cardan  n'y  devienne  sensible  qu'un  peu  plus  tard,  chez  les 
auteurs  que  j'étudie  dans  la  seconde  partie  de  cet  ouvrage. 

Cardan  est  né  à  Pavie  '3);  il  y  a  commencé  ses  études  et  les 
a  terminées  à  Padoue  (1525).  C'est  dire  qu'il  a  été  l'élève  de 
Pomponazzi  et  que  le  fond  de  sa  philosophie  lui  est  emprunté. 
Il  serait  peut-être  moins  exigeant  en  fait  de  preuves,  car  il  a 
un  esprit  très  accueillant  et  même  un  peu  crédule,  surtout  en 
matière  de  merveilleux.  Cependant,  il  a  soin  de  noter,  lui 
aussi,  que  des  trois  sortes  de  preuves  qui  existent,  la  raison, 
l'autorité,  l'expérience,  les  sages  préfèrent  la  raison,  le 
peuple,  l'autorité.  Pour  l'expérience  elle  est  entre  les  deux 
catégories  de  preuves  et  d'hommes;  et  si  elle  est  juste  elle 


(1)  L'épithète,  pour  vulgaire  qu'elle  soit,  ne  me  parait  pas  imméritée.  Elle  est 
(le  Garasse  {Doctrine  rvrieuse.  i,  3,  p.  24)  :  „  Hlerosme  Cardan,  l'un  des  plus 
ratlinés  alheistes  que  le  monde  porta  jamais,  avoit  le  tymbre  de  la  cervelle  aussi 
fei-lé  comme  la  conscience  tarée  ». 

M.  Charbo.nnel  a  donné  dans  son  livre  une  étude  très  documentée  sur  la  vie 
et  les  œuvres  de  Cardan,  en  Insistant  surtout  sur  la  philosophie  hermétique 
de  cet  étrange  penseur.  Je  me  permets  d'y  renvoyer  {La  Pensée  italienne,  p.  274- 
299)  pour  la  vie  et  cet  aspiect  de  l'œuvre  de  Cardan.  Bayle  lui  a  consacré  aussi 
un  article.  L'étude  que  l'on  va  lire  montre  plutôt  en  Cardan  le  disciple  de  Pompo^ 
nazzl  et  le  promoteur  du  mouvement  rationaliste  de  Padoue. 

'2)  Editions  françaises,  Paris.  1551;  Lyon,  1554,  1580.  Traduit  par  R.  Le  Blanc  : 
Paris,  1556  (1  édit.),  1578  (2  édit.),  15R4.  On  trouvera  une  bibliographie  considérable 
sur  Cardan  dans  la  thèse  de  M.  Gharboitnel,  p.  T-Tl  et  MM-00. 

3)  En  1501,  mort  en  1557  à  Rome. 


SOLUCtS    ITAI.IF.NNES    :    CARDAN  233 

sera  pivlérée  de  tous  i'.  La  loi  est  pour  lui  uu  acquies- 
cement totalement  passif  qui  supprime  toute  réflexion 
et  tout  travail  de  la  raison;  elle  est  pour  l'âme  ce  que  le 
sommeil  est  pour  l'esprit  :  le  repos  absolu,  en  sorte  que  '<  plus 
on  a  la  raison  puissante,  moins  on  a  de  foi  '2)  ». 

Il  semble  avoir  douté  de  la  création  et  avoir  admis  l'éternité 
du  monde  ^3).  Alais  les  raisons  qu'il  nous  donne  sont  de  celles 
qui  l'ont  fait  traiter  de  fou  par  Naudé  <^)  et  qui  ont  fait  dire 
à  J.-C.  Scaliger  qu'en  certaines  choses  il  paraissait  au-dessus 
de  l'intelligence  humaine,  en  beaucoup  d'autres  au-dessous 
de  celle  des  petits  enfants  '^'  :  c'est  la  salure  de  la  mer  qui 
lui  démontre  son  éternité  et  celle  du  monde  <^^  Cardan  toute- 
fois paraît  hésiter  ;  «  sire  œiernuin,  sive  genitum,  sive  lactum  » 
dit-il  en  parlant  du  monde.  Scahger  qui  l'en  reprend  lui 
rappelle  que  cette  façon  de  s'exprimer  ressemble  fort  à  celle 
de  l'athée  Protagoras  :  «  IJei  sive  sint  sive  non  sini  c)  )>.  Mais 
Cardan  n'insiste  pas  sur  cet  article  et  je  n'en  ai  pas  trouvé 
mention  dans  ses  imitateurs.  Les  deux  points  sur  lesquels 
il  a  le  plus  écrit  sont  l'immortalité  et  les  miracles,  le  second 
surtout. 

Son  traité  De  llmmorialité  («)  soutient  laverroïsme.  Après 


(1)  Nempe  cum  tria  sint  quibiis  omnia  probemur  :  ratio,  auctoritas,  experientia, 
sapientibus  ratio  magis  satisfacit,  populo  auctoritas,  média,  inter  utrosque  atque 
inter  utrague  experientia  erit.  Quœ  tamen  si  recta  sit  apud  omnes  omnibus  potior 
erit.  {De  Saïnentia,  I,  p.  29-30.) 

i2)  Ut  qules  spirltul  somnus,  ita  1111  (menti)  fldes.  Et  ut  somnus  perfectus  perfecta 
gules  splrltibus  ita  quies  perfecta  mentis.  Cessât  enim  in  utroque  rationalls 
animœ  opus  :  ob  id  qui  plus  ratlone  valent  minus  babent  fidei  De  Rer.  variet., 
VIII,  XLII). 

(3)  Quod  omnium  bonorum  nostrorum  simul  111e  (Deus)  causa  sit  :  sive  ut  auctor 
cuncta  primus  efflciat  :  sive  ut  philosophi  volunt,  .iam  per  se  existentia  gubernet 
ac  moderetur.  > 

(4)  Judicium  de  Cardano.  dans  Bayle,  art.  Cardan,  note  TD. 
i'i)  Rapporté  par  Bayle,  art.  Cardan,  note  H. 

(6)  Citation  dans  Scaliger,  Exoteric.  exercitat.  de  subWitatie.  Exercitalio  LUI, 
p.  53.  Voir  aussi  Garasse,  Doctrine  curie  use,  IV,  i. 

(7)  Scaliger,  ibld.,  LXI,  p.  93  vo.  Voir  aussi  Garasse,  Somme  des  Vérités  chré- 
tiennes. II.  2,  p.  127  et  suiv.  Pour  le  mot  de  Protagoras,  il  est  pris  a  Ckéku.n.  De 
Natura  Deorum,  I,  23. 

(8)  Hieron.  Cardani  Medici  mediolan.  liber  de  Immortalitate  animorum,  Ltfg- 
duni,  apud  Seb.  Gryphium,  1545. 


234  SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN 

avoir  posé  le  problème  de  riiiimortalité  el  de  la  pluralité 
des  âmes  (p.  7-8),  il  commence  par  accumuler  les  objections 
contre  l'immortalité  (p.  8-0O).  Il  y  en  a  54.  Puis  il  y  répond, 
et.  entre  temps,  se  demande  si  on  peut  bien  vivre  sans  croire 
à  l'immortalité  (p.  30-42:  il  en  convient  fort  bien 'i).  Suivent 
49  arguments  en  faveur  de  l'immortalité,  tirés  de  Platon, 
des  néo-platoniciens,  d'Aristote  même,  qu'il  discute  longue- 
ment (p.  42-170)  et  réfute  ensuite  (181-188).  Alors  enfin  il  arrive 
au  point  important,  laverroisme.  «  Pour  l'unité  de  l'intellect, 
en  parlant  de  la  nature,  de  l'origine,  de  l'essence  de  l'âme, 
nous  la  lem-  concédons  :  en  effet  il  n'y  a  pa's  plus  de  différence 
entre  les  hommes  cpientre  les  chevaux  ou  les  chiens;  tous 
semblent  avoir  la  môme  origine,  car  tous  ont  dès  l'âge  le  plus 
tendre  les  mêmes  principes  innés,  comme  les  hirondelles  ont 
la  même  façon  de  construire  leurs  nids  (2)  ».  H  compare  cette 
intelligence  unique  tantôt  au  soleil  des  corps,  tantôt  au  magné- 


(1)  Videamus  an  forsam  ad  l^ene  beateque  vivendum  aiiimae  immortalitatem  cre- 
dere  plurimum  conférât.  Il  soutient  la  négative  en  opposant  les  éiticuriens  aux 
stoïciens,  Pline  à  Cicéron,  les  sadducéens  aux  pharisiens.  Cette  idée  est  déjà  dans 
le  traité  de  Pomponazzi  {De  Anima,  ch.  XIV,  p.  139).  Vanini  l'a  reprise  sans  y 
rien  changer,  si  j'en  crois  Garasse,  Doctrine  curieuse,  VII,  14,  p.  880  à  8862. 

2)  De  Immort,  animorum.  p.  188.  Il  a  aussi  exposé  l'aveirroïsme  dans  le  De  lier, 
varlet..  VIII,  XLII,  où  il  définit  ainsi  l'intellect  :,  «  Mens  est  sempiterna  substantia, 
imago  rerum  verarum,  a  materia  segregata,  extrinsecus  homini  adveniéns  ».  Cf. 
aussi  Bayle,  art.  cité,  rem.  D.  fin.  M.  Charbonnel  a  bien  mi.s  en  lumière  l'aver- 
roisme  de  Cardan  :  «  Cardan  pa.sse  en  revue  avec  soin  les  doctrines  de  l'antitiulté 
riui  sont  favorables  à  l'immortalité  de  l'âme.  Personnellement,  il  est  prêt  à  l'ad- 
mettre comme  une  opinion  très  vrai.semblable,  et  surtout  comme  un  dogme  reli- 
gieux. Mais  il  n'oublie  pas  de  souligner  les  arguments  qu'on  a  opposés  aux 
d()ctrirx<^s  en  question.  A  son  avis,  les  uns  contrebalancent  les  autres...  En  tout 
cas,  il  f.iut  distinguer  plusieurs  degrés  ou  plusieurs  formes  dans  la  vie  de  l'àme; 
c'est  seulement  dans  la  mesure  ou  elle  participe  directement  à  l'intelligible,  où 
elle  est  comme  une  étincelle  de  la  lumière  divine,  que  l'Ame,  en  tant  que  mens, 
échapr)e  à  la  mort.  Au  contraire,  étroitement  lié,  par  son  fonctionnement,  aux 
organes  corr>i>rels,  l'intellect  passif  est  destiné  à  se  dissoudre,  à  périr,  comme  le 
c<^>rps  lui-même  Ce  qui  subsiste,  au  fond,  c'est  la  continuité  «  In  globo  »  de  l'acti- 
vité intellectuelle,  qui,  par  l'Ame  du  monde,  se  révèle  dans  la  synthèse  cosmique; 
ce  n'est  |K)lnt  notre  personnalité  morale  »,  La  pensée  Italienne  au  XVI»  siècle  elle 
courant  libertin,  ch.  III,  j).  283,  note  1.  —  Mais  comme  on  trouve  tous  les  contraires 
dans  lesprit  hésitant  de  notre  philosophe,  on  peut  voir  un  exposé  très  clair  et 
une  réfutation  qui  semble  sincère  de  ce  même  averroïsme  dans  le  De  Con^otatione, 
II.  p.  307-30M.  Peut  être  faudrait-il,  pf>ur  le  bien  apprécier,  distinguer  plusieurs 
époques  dans  l'évolution  de  sa  pensée. 


SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN  235 

tisme  qui  attire  l'aiguille  du  cadran  'i)  let  il  renonce  à  en  expli- 
quer la  nature.  Peut-être  n€  croyait-il  pas  trop  à  l'immortalité. 
Des  critiques  catholiques  l'en  ont  accusé.  Du  moins  il  ne 
croyait  pas  à  l'immortalité  personnelle  <2).  Lui-même  avoue 
dans  son  traité  qu'Arislote  a  tellement  embrouillé  la  question 
qu'on  ne  sait  plus  ce  qu'il  en  pense  *3'.  Dans  sa  Sagesse,  il  loue 
le  sage  qui  dit  comme  tout  le  monde,  mais  pense  à  sa  guise, 
loris  ut  licet,  intus  est  libet,  dira  plus  tard  Cremonini,  et  il 
applique  précisément  ce  précepte  à  l'immortalité  «  dont  la 
croyance  n'a  pris  de  force  que  parce  qu'elle  plaît  au  peu- 
ple (*)  ».  C'est  même  peut-être  un  dernier  argument  et  le  seul 
pour  y  croire  que  cette  espérance  est  une  belle  invention  pour 
donner  de  la  patience  à  l'humanité.  Que  si  notre  espoir  est 
déçu,  nous  ne  pourrons  point  nous  en  plaindre.  Parions  donc 
puisque  le  pari  est  avantageux  et  sans  risques  ^^\ 

Mais  soutenir  l'averroïsme  en  1545,  c'était  mener  de  l'eau 
à  la  rivière.  Cardan  fut  non  pas  plus  original,  mais  plus 
influent,  lorsqu'il  reprit  et  développa  la  théorie  des  miracles 
de  Pomponazzi.  Elle  était  récente  encore,  du  moins  pour  le 
grand  public  qui  n'avait  pas  suivi  les  cours  du  philosophe  à 
Padoue,  car  le  De  Incantationibus  fut  imprimé  en  1556  seule- 
ment.  Cela  explique  que  nous  trouvions  avant  1550  si  peu 

(1)  De  Anim.  immort.,  p.  197. 

(?)  Ut  igltur  una  et  in  toto  perpétua  est  conjiinctaque  supenori  menti,  et  ita 
extrinsecus  advenit;  «^  cujusque  anima  et  cuique  propria,  et  in  corpore  mortalis. 
{De  Rerum  variet.,  VIII.  XLII). 

(3)  De  Anim.  immort.,  ch.  VI,  début.  Tout  le  chap.  V  est  consacré  à  étudier  ce 
qu'en  a  pensé  Aristote. 

(4)  De  Sapientia,  III,  p.  168  et  suiv.  Il  se  couvre  de  l'autorité  d'Aristote  qui 
aurait  dit  :  loquendum  esse  ut  plures  consueverunt,  sed  credendum  ut  pauci. 

(5)  Porro  securitas  dicitur,  cum  vel  non  speramus,  nec  timemus,  vel  solum  ea 
speramus  in  quiljus  falli  etiam  si  contingat  agnoscere  errorem  non  licet...  :  qua- 
mobrem  sapientissime  instituta  spes  aetemi  prœmii,  quam  nemo  possit  congruere. 
Nam  cum  perennis  sit  anima  {selon  .■iverrocs)  ut  docuimus,  ac  omnino  sempiterna, 
quid  refert  sL  in  spem  etiam  oiptimam  illam  in  vita  alas  ?  quamobrem  recte  Cicero 
inquit  :  non  posse  coargui  qui  animes  dicunt  immortales.  Nam  si  morlantur, 
nemo  est  qui  arguât...;  si  supersint,  nec  tamen  loquantur...  Ergo  animum  affir- 
mare  Immortalem,  non  solum  pium  et  prudens  est,  sed  irreprehensibile,  ac  mul- 
torum  bonorum  causa  {De  Sapientia,  II,  p.  86). 


236  SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN 

d'attaques  contre  les  miracles  et  que  celles  que  nous  avons 
relevées  dans  Dolel  "Ct  chez  Vicomercato  ont  leur  source  en 
Cicéron  et  Aristote  plutôi  qu'en  Pomponazzi,  Elles  se  multi- 
plieront dans  la  seconde  moitié  du  siècle,  autant  sous  lin- 
lluence  de  Cardan  que  de  Pomponazzi.  Cesl  dans  le  De  reruin 
larietale  surtout,  paru  en  1557,  que  nous  trouverons  exposée 
cette  théorie  (*'. 

Ce  par  où  elle  est  originale,  c'est  qu'elle  est  le  dévelop- 
pement logique  de  l'averroïsme  de  Cardan  que  nous  venons 
d'exposer.  Le  mens  est  une  substance  éternelle,  immaté- 
rielle, extrinsèque  à  l'homme,  qui  agit  en  chaque  corps 
cependant  et  lui  est  par  conséquent  liée  pour  l'exercice  de  son 
activité  '-).  Ses  effets  seront  conditionnés  par  l'état  du  corps  qui 
lui  sert  d'instrument.  Laissons  pour  une  fois  Garasse  exposer 
cette  théorie  qu'il  a  merv^eilleusement  saisie  et  qui  est  très 
importante,  «  Supposant  que  tous  les  animaux,  depuis  les 
fourmis  et  la  vermine  jusques  à  l'homme  ont  une  mesme  ame 
en  espèce,  natui-e  et  fonction...,  il  conclud  que  tous  les  esprits 
sont  distinguez  en  trois  ordres  spécifiques,  en  bestes,  en 
hommes  communs  et  en  prophètes  «  Mens  ipsa  cum  omni 
modo  immiscetur^  dit-il,  belluas  lacit  »,  lors  que  l'esprit  ou 
lame  est  ensevelie  tout  à  fait  dans  Ja  masse  du  corps,  alors, 
c'est  une  beste  en  esprit,  en  ame,  en  opérations,  en  tout.  ((  Cum 
mediocriter  :  homines  »,  quand  l'ame  ne  s'alhe  (jue  médio- 
crement avec  le  corps,  alors  de  celte  alliance  il  resuite  un 
animal  (pii  s'appelle  Ihomme,  et  qui  a  l'esprit  commun  :  mais 
(jiiand  cet  esprit  se  desborde,  comme  par  inondation  et 
déluge,  cum  copiose  eflundilur  spirilus,  non  repugnanle  vi 
corporea,  Proplwia  eiadil  ».  Alors  il  se  faict  non  pas  un 
liomiiie  commun  et  trivial,  mais  il  anive  que  c'est  un  pro- 
phète.. .  Puis. . .  il  a'djouste  que  les  prophètes  ne  viennent  pas  en 


(1)  En  1557.  Cardan  était  déjà  célèbre  ;  <>  Cardani  liber  {de  suhlililale)  quanta 
nunc  gratia  regnet  non  ignora-s  »,  J.-C.  Scaliger.  à  Vascosan  (ép.  lim.  du 
Exotericarum  lect.  liber  Vu«,  Paris,  1557. 

(2)  ne  neruni  variel.,  VIII,  XLII,  p.  307  A  311. 


bOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN  237 

tous  lieux  indifleremment  comme  potirons  «  nain  juxta  polos 
iinpossibilc  est  ut  nascantur  Prophetœ,  corpus  enim  eorum 
qui  illic  habitant  densuni  est  ».  Au  tour  des  pôles  il  es.t  impos- 
sible qu'il  y  ait  des  prophètes,  d'autant  que  le  corps  de  ceux 
qui  demeurent  en  ces  quartiers  là  est  trop  grossier  :  et  pour 
cesie  mesme  raison  il  adjouste,  qu'à  son  petit  jugement  il  y 
avoit  force  prophètes  en  Palestine,  d'autant  que  le  pays  est  le 
plus  tempéré  du  monde  (i)  ».  Le  prophétisme  ainsi  entendu 
n'est  que  la  conséquence  de  la  doctrine  averroïste  et  il  remonte 
jusqu'à  Maimonide  ^-K 

Il  est  un  produit  du  climat  et  du  tempérament.  C'est  pour 
les  peuples  qui  réalisent  ces  conditions  une  spécialité  comme 
une  autre  :  «  Les  Péruviens  sont  remarquables  par  leur  habi- 
leté au  travail  des  mains,  les  Espagnols  par  leur  agilité,  les 
orientaux  par  leur  subtilité,  les  Turcs  par  la  force,  les  anciens 
Egyptiens  étaient  mathématiciens,  les  Grecs,  philosophes;  c'est 
le  résultat  de  la  nature  du  niens^  de  la  part  qu'on  en  a,  de 
l'usage  qu'on  en  fait...  Certains  même,  tant  par  suite  de  leur 
religion,  superstitieuse  ou  vraie,  que  par  une  propriété  de 
leur  nature  et  par  la  force  de  l'esprit  lui-même  (du  niens)^  soit 
que  les  prières  de  David  appelées  psaumes  aient  le  pouvoir 
de  faire  venir  la  lumière  dans  l'âme,   soit  qu'elles  ne  l'aient 


(1)  Garasse,  Doctrine  curieuse,  I,  3,  p.  24-25.  Voir  aussi  ibid..  VIT,  22,  p.  943-9'i4. 

Voici  un  texte  plus  complet  de  Cardan  :  a)  Quibus  ex  toto  mens  sepulta  est 
in  corpore  ub  neyue  vestigium  illius  appareat,  hi  robori  solum  incumbunt  suntque 
feri  velut  Tartari  ac  Turcse;  b)  Quibus  vero  mens  sepulta  non  est,  sed  tamen 
conjuncta  corpori  valde  :  si  corpus  robustum  fuerit,  hi  agilitate  valent,  si  imbelle, 
artibus  :  ut  Indi  Peru  qui  minimis  instrumontis  subtilissime  texunt,  sed^flcant, 
vasaque  conflciunt:  c)  quod  si  parum  annexa  fuerit  con>ori,  artibus  nihil  valent, 
sed  studiis:  si  quidem  iml)ecillis.  mathematicis,  si  robusta,  physicis;  d)  si  vero 
admodum  separata,  minus  etiam  artibus  prsestat  aut  conversatione  hominum, 
sed  divina  intelligit   iDe  rcium   vnriet..  p.  313). 

Pomponazzi  a  donné  l'ébauche  de  cette  théorie  au  De  Incantation ibus.  IV.  V. 
p.  244.  Vanini  reprend  exactement  la  même  théorie,  d'après  M.  Charbonnel, 
0]1.    cit..    p.    376-377. 

(21  "  Le  prophétisme  est  un  état  naturel,  plus  parfait  que  celui  du  vulgaire.  La 
révélation  prophétique  ne  diffère  pas,  au  fond,  de  l'infusion  de  l'intellect  actif,  ou 
en  d'autres  termes  de  la  révélation  permanente  de  la  raison  ».  (Renan,  Avenoés 
et  l'Àverroïsme.  Il,  l.  p.  iso,  et  I,  II,  p.  170.) 


238  SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN 

pas,  il  est  certain  en  tout  cas,  que  quand  leurs  corps  sont  purs 
et  sobres,  leurs  âmes  arrivent  à  prévoir  l'avenir*^)  ». 

Ainsi  certains  hommes  peuvent  être  en  communication 
intime  avec  lame  divine  qui  anime  l'humanité  et  réaliser,  par 
suite,  des  effets  qui  nous  semblent  extraordinaires,  quand  ils 
sont  naturels.  Lui-même,  Cardan,  est  le  siège  de  phénomènes 
curieux;  il  tombe  en  extase  à  volonté;  il  voit,  de  ses  yeux  et 
non  en  imagination,  ce  qu'il  veut;  il  voit  les  événements  futurs 
dans  ses  songes  et  sur  ses  ongles.  D'autres  ont  d'autres  parti- 
cularités; saint  Augustin  rapporte  l'histoire  d'un  homme  qui 
devinait  la  pensée  de  ses  interlocuteurs.  La  France  a  eu  Jeanne 
d'Arc.  Erasme  a  vu  un  italien  qui  parlait  allemand  sans  l'avoir 
appris  et  qui  en  fut  guéri  par  un  médecin  <2).  Pourc^uoi  dès  lors 
s'étonner  de  ce  qu'on  raconte  des  statues  qui  suent,  des 
spectres,  des  feux  folets,  des  phénomènes  d'autosuggestion. 
Cardan  explique  tout  cela  <3). 

Une  grande  partie  de  ces  phénomènes  sont  })roduits  par 
ruste.  Les  possessions  démoniaques,  par  exemple,  sont  de 
l'imagination.  Cardan  doute  de  l'action  des  démons,  fidèle  en 
cela  à  la  philosophie  de  Pomponazzi  '^'.  Il  raconte  que  deux 


(1)  De  Varietate.  VIII,  XLIII,  p.  313.  Cardan  consacre  deux  livres  de  cet  ouvrage 
à  étudier  la  divination  (livres  XIV,  XV)  et  un  à  la  magie  (livre  XVI).  On  voit  ici 
la  théorie  de  l'influence  des  climats  que  développera  surtout  Bodin.  En  voici 
un  autre  Indice  :  «  ubi  arbores  radiées  in  imum  terrœ  non  demittunt,  hominles 
infldi  sont  et  inconstantes,  seu  quod  immodica  siccitas,  seu  mutatio  ventorum 
frequens,  mobilia  ac  levia  mortalium  ingénia  reddit  :  atque  ideo  inflda  et  incons- 
tantia  ».  Scaliger  qui  cite  ce  te.xte  du.  De  Subtllitnte  le  réfute  (Exlorlcarum  exer- 
rit.  de  SubHlitale,  exercltat.  CLXVII,  p.  229).  La  méchanceté  native  des  hommes 
vient  de  ce  qu'ils  ont  un  tempérament  chaud  et  humide,  ce  qui  les  rend  cruels 
et  mous,  violents  et  gourmands  (Ibid.,  exercitat.  LCLXXIV,  p.  348). 

(2)  De  Varlet.,  VIII,  XLIII,  p.  314-322.  Sur  Jeanne  d'Arc  :  Quae  si  divino  numine 
ad.iuta  fuit,  cur  capta?  Si  non,  quom(xlo  tanta  virpo  peregit  ?  Denique  si  magicls 
artibus  supra  vires  humanas  r>otviit.  cur  capta  non  evasit  ?  si  absque,  cur  dam- 
nata  ?  Quamobrem  non  omnino  fabiilosam  Camillae  hLstoriam  quis  dicat. 

(3)  Voir  Charbo.\nT':l„  op.  citi..  p.  295  à  297,  qui  donne  les  références.  Après  avoir 
raconté  les  histoires  que  je  viens  d'énumérer,  Cardan  conclut  :  Talia  plura  contin- 
gunf  mira,  sed  tamen  vera,  et  a  ratione  non  aliéna,  {De  Variet.,  VIII,  LXIII, 
p.  322.) 

(4)  Il  ne  prend  pas  absolument  parti  entre  les  platoniciens  et  les  chrétiens  qui 
y  croient  et  les  périi)atétlclens  qui  les  nient,  n  semble  croire  à  leur  existence  en 
se  fondant  sur  rexr>érience  tout  en  la  proclamant  indémontrable  par  la  raison. 
{De  Varietate.  XVI.  XCIII). 


SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN  239 

ans  €n  ça,  70  pensionnaires  d'un  orphelinat  de  Rome  devin- 
rent démoniaques  en  une  nuit.  Cela  pouvait  venir  du  mauvais 
air,  ou  de  l'eau;  <(  pofesl  et  esse  dolus  »,  ajoute-t-il  malicieu- 
sement (1).  «  Il  arrive  bien  des  choses  parmi  les  hommes  et  si 
quelqu'un  se  dit  avec  calme  que  de  tels  faits  sont  faux  et  pleins 
de  ruse,  il  flairera  facilement  la  ruse  ^^^  ».  Une  femme  de  Pàvie 
évoquait  le  diable  et  il  lui  répondait  sans  qu'on  le  vît  :  Cardan 
la  soupçonne  d'être  ventriloque  <3).  H  en  est  de  même  des  con- 
damnés qui  sont  sauvés  soit  de  la  prison,  soit  de  la  corde,  soit 
de  la  hache:  Le  28  novembre  1540  à  Castelnuovo  près  de 
Turin,  un  condamné  a  prédit  qu'il  ne  mourrait  pas.  Le  bour- 
reau l'a  frappé  deux  fois  avec  la  hache  et  il  a  échappé  :  un 
autre,  pendu  à  Crémone,  est  tombé  ^^K  C'est  sans  doute  (jue  la 
hache  était  mal  aiguisée  ou  que  le  lacet  n'était  pas  solide. 
La  preuve,  c'est  qu'un  condamné  étant  tombé  deux  fois  par 
suite  de  la  rupture  de  la  corde,  y  est  resté  lorsqu'à  la  troisième 
fois  on  a  mis  une  corde  plus  solide  :  «  ainsi  sans  recourir  au 
miracle,  bien  des  raisons,  la  nature,  la  ruse,  expli(iuent  ces 
phénomènes  '^)  ».  Et  Cardan  nous  donne  enfin  sa  formule.  Il  y 
a  des  miracles,  il  n'y  en  a  guère  de  vrais.  Il  est  plus  crédule 
que  Pomponazzi  et  Cicéron.  Son  esprit  porté  à  la  chimère, 
son  imagination  nourrie  de  magie  l'empêchent  de  nier  radi- 
calement le  surnaturel.  Mais  l'influence  de  Pomponazzi  a  été 
trop  grande  sur  lui  pour  qu'il  n'en  garde  pas  une  défiance 
naturelle  envers  ce  qui  n'est  pas  explicable  :  «  qu'il  arrive  des 
miracles,  personne  n'en  doit  douter,  puisque  toutes  les  reli- 
gions en  présentent  quelques-uns  '6';  bien  que  la  plupart  soient 
des  fables  et  des  ruses  des  hommes.  Mais  si  c'est  de  la 
crédulité  de  les  croire  tous,  il  y  aurait  témérité  à  les  nier 
tous...  Il  naît  en  effet  des  monstres,  seuls  les  sots  ou  les  gens 


(1)  De  Variet.,  XIV,  LXXVI,  p.  550. 

(2)  IMd. 

(3)  De  Variet.,  XV,  LXXIV,  p.  550551. 

(4)  On  attribuait  ce  miracle  à  la  Vierge,  dit  Cardan. 

(5)  De  Variet..  ibid. 

(6)  Il  vient  de  raconter  ceux  que  rapporte  saint  Augustin  dans  la  Cité  de  Dieu 
(XXII,  8),  et  MONTAIGNE  (I,  XXVII,  éd.  Moth.  et  Jouaust,  II,  p.  79  et  sulv.). 


i?40  sol'rcp:.s  rrAi.ii;.\NKS  :  caruam 

sans  expérience  peuvent  en  douter  :  des  enfants  à  deux  têtes, 
à  trois  yeux,  à  tète  d'aigle;  et  pourtant  cela  n'est  pas  si  extraor- 
dinaire que  de  voir,  d'entendre,  quand  il  n'y  a  rien  à  voir  ou 
à  entendre,  de  ressusciter,  d'être  soudainement  guéri...  Mais, 
direz-vous,  la  résurrection  d'un  mort,  c'est  chose  contre  nature 
et  non  simplement  une  erreur  de  la  nature,  tandis  que  voir 
ou  entendre  sans  sujet  c'est  une  erreur  de  notre  âme.  Mais, 
mon  cher,  le  mort  n'est  mort  qu'à  notre  avis  :  Mortuus  non 
nisi  ad  nostram  existimationem  niorluiis  erit  !  (^)  ». 

Il  est  bien  difficile,  on  le  voit,  de  fixer  la  pensée  fuyante 
de  Cardan.  II  semble  bien  qu'il  crut  aux  miracles,  mais  que 
la  peur  d'être  dupe  des  faux  le  rendit  très  prudent  '-^K  Les  théo- 
ries par  lesquelles  il  prétendit  les  expliquer,  outre  qu'elles 
sont  en  germe  dans  Avicenne  et  Averroès.  me  semblent  avoir 
nui  au  développement  du  véritable  esprit  scientifique.  Au 
déterminisme  rigoureux  de  Vicomercato,  au  scepticisme  de 
Cicéron,  de  Lucien,  de  Rabelais,  il  a  substitué  une  doctrine 
qui  suppose  un  manque  complet  d'esprit  critique  et  une  crédu- 
lité peu  ordinaire;  il  ne  nie  guère  les  faits  allégués,  lors  même 
qu'ils  sont  manifestement  des  contes  de  nourrice,  il  nie  seu- 
lement qu'il  y  ait  là  une  chose  qui  dépasse  les  forces  naturelles. 
Je  sais  bien  que  cette  attitude  est  prudence  devant  l'impuis- 
sance de  la  critique,  que  c'est  en  partie  celle  de  Pomponazzi, 
qu'elle  a  l'avantage  de  s'opposer  aux  faits  qui  sembleraient 
les  mieux  établis  et  de  réserver  les  droits  de  la  science  avant 
même  que  la  science  soit  née,  mais  elle  est,  à  mon  avis,  un 
recul  sur  le  déterminisme  d'Aristote.  Elle  fut  pourtant  admise 
par  la  plus  grande  partie  des  esprits  au  XVP  siècle. 

D'autres  idées,  non  moins  hardies,  sur  la  valeur  des  reli- 
gions qu'il  met  toutes  au  même  rang  (3),    sur  l'attitude  de 

(1)  De  Itenirn  varict.,  XV.  LXXXI,  p.  57S.  Au  début  du  même  chapitre,  il  trouve 
trois  causes  aux  miracles  :  l'avarice  des  prûtres.  le  désir  d'étendre  la  religion,  la 
ruse  pour  se  disculper  (p.  575). 

(2)  Abrogat  impietas  hominum  fldem  veris,  ut  nuUa  sit  occasio  securitatis  (De 
Variet  ,  XV.  LXXXI.  p.  578). 

3)  De  Snpientia.  I.  p.  17  :  les  républlipies  antlipies  étaient  florissantes  ou  punies 
selon  leur  piété,  ut  etiam  non  solum  vera  sed  falsa  religio  in  precio  habenda  sit. 
Il  y  a  tout  une  page  sur  ce  thème. 


SOURCES    ITALIENNES    :    CARDAN  241 

réserve  et  de  prudence  qui  convient  au  sage,  même  s'il  est 
athée  'i),  sur  l'importance  politique  de  la  religion  et  le  danger 
du  cléricalisme  (2),  l'influence  des  astres  sur  la  naissance  des 
religions  et  spécialement  sur  Jésus-Christ  (3)  l'ont  fait  ranger 
au  nombre  des  athées.  D'autres  ont  été  séduits  au  contraire 
par  l'averroïsme  de  son  traité  De  Vâme  W.  En  général  cepen- 
dant, on  le  verra  surtout  dans  la  seconde  partie  de  cet  ouvrage, 
son  influence  a  été  mauvaise  à  la  religion  en  France.  Il  me 
fait  songer  à  Renan  pour  le  tour  volontiers  religieux  de  son 
esprit,  pour  l'averroïsme  dont  Renan  était  pénétré;  mais  à 
un  Renan  moins  bien  équilibré,  chez  qui  l'imagination  et  la 
fantaisie  l'auraient  emporté  sur  la  science. 

(1)  De  Sapientia,  lll,  p.  175-176  :  Omnes  sapientes,  etiam  si  id  non  credant, 
vulgo  plaudunt,  etc. 

(2)  De  Sapienlia,  III,  p.  146-147.  Le  roi  doit  favoriser  la  religion  :  quod  hoc 
populi  in  aximiratione  continentur.  Cavendum  tamen  est  ne  vel  superfluus  sit 
sumptus  vel  sacerdotibus  summa  auctoritas  tribuatur.  Cum  enim  plures  optimi  sint, 
periculosum  tamen  est  salutem  publicam  illis  committere,  ob  religionis  apud 
populum  auctoritatem. 

(3)  Cf.  Charbonnel,  op.  cit.,  p.  291-293,  qui  expose  tout  au  long  ces  idées  de 
Cardan;  et  Bayle,  art.  Cardan,  rem.  Q.  Bayle  rappelle  d'après  Naudé  quelques 
prédécesseurs  de  Cardan;  il  faudrait  y  ajouter  Pomponazzi  (De  Fato). 

X  ce  sujet.  Turnèbe  se  plaint  de  Cardan  sans  le  nommer  :  «  Quinetiam,  quod 
omnem  impietatem  sui^erat,  eo  progressus  est  cujusdam  vesanus  et  sceleratus 
furor  ut  horam  natalitiam  Servatoris  nostri  describeret  et  eum  sideribus  subji- 
ceret.  (Préface  de  la  traduction  du  De  Defectu  oraculorum.,  au  cardinal  de  Lor- 
raine. Opéra,  éd.  de  16O0,  II,  p.  74.) 

(4)  L'ont  dit  athée  :  Garasse,  Mersenne,  Delrio,  Th.  Raynaud.  On  les  trouvera 
cités  dans  Reimmann,  Hist.  ath.  et  ath.,  sect.  III,  ch.  IV,  §  il.  L'ont  dit  religieux 
et  même,  certains,  catholique  :  Bayle,  J.-F.  Buddée,  S.  Parcker.  Reimmann.  Voir 
spécialement  Bayle,  art.  Cardan,  rem.  D,  qui  cite  plusieurs  des  autorités  indi- 
quées ici  et  Erucker,  Hist.  crit.  philos.,  V,  p.  77-79,  qui  donne  toutes  les  références. 
Entre  les  deux  camps  opposés,  J.-C.  Scaliger  me  semble  donner  une  appréciation 
plus  équitable  en  faisant  de  Cardan  dans  ses  Exoiericae  exercitationes  in  Cardanum, 
un  averroïste.  Voir  aussi  la  même  note,  avec  les  réservesi  à  faire,  dans  le  livre  de 
M.  R.  Charbonnel,  La  pensée  italienne,  p.  284. 


16 


CHAPITRE    VIII 

Les  aspects  du  Rationalisme  entre   1  542 
et  1553. 


Rationalisme  Padouan  :  élèves  et  amis  de  Vicomercato  :  rimmortalité 
chez  J.  Ferrerio,  Spirito  Maitino,  Danès  (Entéléchie).  —  II.  L'Alexan- 
drisme  :  le  Brutus  de  J.  Fernel.  —  III.  Naturalisme  :  Exposé  et  réfu- 
tation de  Pierre  de  Paschal.  —  lY.  Le  Pyrrhonisme  d'après  Saint- 
Gelais  et  Rabelais  :  VAcadeniia  de  O.  Talon.  —  V.  Rabelais  :  a)  l'Im- 
mortalité ;  b)  les  niFracles  (livres  III,  IV,  Y). 


I 


Vicomercato  eut  des  disciples  '^).  Lui-même,  dans  son  De 
Anima  rationali,  nous  présente  Spirito  Alartino  comme  son 
élève  très  fidèle,  très  laborieux  et  très  docte  2).  Martino  à  son 
tour  dans  son  livre  sur  VEntéléchie  nous  donne  Jean  FeiTerio 

(1)  En  plus  de  Vicomercato  et  de  ses  disciples,  je  dois  signaler  que  Ant.  Govéan 
—  dont  nous  avons  vu  d'autre  part  les  relations  et  l'attitude  suspectes  —  ensei- 
gnait la  pliUosophie  à  Paris  en  1541-1542.  En  1543,  il  était  choisi  avec  Vicomercato 
pour  défendre  Aristote  contre  Ramus.,  Il  le  défendit  même  dans  un  livre  qu'il  a 
dédié  à  J.  Spifame  et  où  il  annonce  qu'il  va  combattre  pour  Aristote  «  quem 
amo,  quem  adnnior,  cui  dehere  primum  volo  »  {A.  Govennl  itro  Aristotele  respon- 
sio  adversus  P.  liami  cniummas,  Paris,  1.543,  p.  1).  Nous  savons,  d'autre  part,  qu'il 
s'adonna  tout  jeuoQe  à  l'étude  d'Aristote  sous  la  direction  de  son  compatriote 
Pelage  Rodriguez  à  Sainte-Barbe.  Il  y  entra  en  15^7.  Mais  j'ignore  commemt 
R(Klrlgiiez  interprétait  Aristote.  Nous  savons  aussi  qu'avant  de  revenir  à  Paris  il 
avait  fréquenté  le  groupe  padouan  bordelais,  étant  professeur  au  collège  de 
Guyenne,  et  pas.sé  trois  ans  à  Lyon]  le  centre  du  rationalisme  italien  (Détails  pris 
•à  Jacobus  van  Yaassen,  Dlssertatio  de  vita  et  scriptis  A.  Goveani,  en  tête  de 
l'édition  de  ses  œuvres,  .Amsterdam,  1756,  F»  VII,  VII,  Xll).  Van  Yaassen  lui-même 
enfin  nous  dit  que  c'est  l'aristotélisme  que  Govéan  enseignait  à  Paris  en  même 
temiis  qu'il  expliquait  Plante.  Et  l'on  sait  que  les  nouveaux  péripatétlciens 
étaient  presque  tous  averroïstes.  Toutefois,  A.  Govéan  semble  s'être  cantonné  dans 
la  l(>gi(iue.  Il  ne  nous  reste  rien  en  tout  cas  de  son  enseignement  qui  nous  per- 
mette de  le  ranger  d'une  façon  certaine  parmi  les  professeurs  rationalistes. 

(2)  Plura  si  quis  expetet,  dialogum  perlegat  doctissimi  juvenis  Spiritus  Martini, 
nf>stri  et  fldelissiml  et  diligentisslmi  dlscipuli,  quem  de  entelecbia  non  minus 
•df>cte  quam  diserte  lonscriptum  ut  nostram  sententiam  conflrmaret  bis  proximis 
diebus  est  editurus  (Uf  Aittm  ration.,  p,  218).  Et  Martino  de  son  côté  dit  que  c'est 
en  assLstant  au  cours  de  Vicomercato  sur  le  De  Anima  qu'il  a  conçu  le  projet 
décrire  s^>n  livre  sur  l'Entéléchie  {Dialngus  de  EiUetcche'ut.  AU).  Sp.  Martino 
était  de  Coni  en  Piémont  (Sp.  Martinus  cuneas)  et  donc  à  peu  près  compatriote 
de  Vicomercato.  D'après  la  fin  du  De  Enlelectiia  (p.  47i.  on  peut  croire  qu'Us 
habitaient  la  même  maison  à  Paris. 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  243 

comme  son  ami  et  celui  de  \'icomercato  ^^K  L'un  et  l'autre  ont 
renouvelé  la  dispute  sur  l'entéléchie  *2).  Si  je  me  crois  obligé 
d'y  insister,  c'est  que  la  question  semble  devenir  aiguë  à  cette 
époque,  qu'elle  a  été  traitée  aussi  par  Rabelais  et  qu'elle 
est  plus  grave  qu'il  ne  lui  semble.  Selon  que  l'on  conçoit 
l'àme  comme  un  principe  de  mouvement  perpétuel  {ivh'/.syY]^) , 
ou  comme  la  perfection  {tD.o-)  des  puissances  corporelles,  on 
la  juge  nécessairement  immortelle  ou  périssable  *3).  C'est 
donc  la  ([uestion  de  l'immortalité  qui  se  pose  sous  une  autre 
forme. 

Déjà  Romeo  de  Castiglione  avait  consacré  à  l'entéléchie 
deux  pages  de  son  chaipitre  sur  l'àme  (1538).  Il  y  attaque 
Cicéron  et  Politien  et  prend  parti  pour  Budé  sans  le  nommer 
et  pour  Hermolao  Barbaro  dont  il  accepte  la  définition. 
L'endéléchie  —  car  il  faut  dire  endéléchie  —  n'est  pas  le  mou- 
vement, mais  un  principe  de  mouvement,  un  acte  premier  et 
non  un  acte  second.  Elle  peut  agir  ou  rester  au  repos  sans 
cesser  d'être.  De  fait,  elle  n'agit  pas  toujours.  Comment  donc 


(1)  Ferrerii  familiaris  nostri  alioquin  eruclitis.simi  sententiam  ut  tu  non  satis 
probas,  ita  nec  ego  laudo  (p.  44). 

(•2)  On  a  v\i  au  cours  de  cet  ouvrage  comment  Budé,  Melanchton,  Vicomercato, 
pour  ne  citer  que  les  plus  récents,  ont  discuté  cette  question.  J'aurais  dû  y 
joindre  Boccace,  qui  cherche  à  faire  de  l'entéléchie  un  mythe.  L'entéléchie  est 
flUe  d'Apollon,  c'est-à-dire'  du  soleil,  c'est-à-dire  dte  Dieu,  parce  ciue  l'âme  est 
créée  par  Dieu.  Entéléchie,  selon  Chalcidius  (sui>er  Tiineo),  veut  dire  âge  complet 
(aetas  perfecta)  et  cela  signifie  que  l'âmg  infuse  dans  l'embryon  se  développe 
seulement  avec  le  temps.  Psyché,  qui  est  la  personnification  mythique  de  l'àme, 
est  donc  bien  fille  d'Apollon  et  d'Entéléchie.  Elle  a  deux  sœurs  aînées,  non  pas 
qu'elles  naissent  avant  elle,  mais  leurs  puissances  s'exercent  avant  celles  de  l'âme 
raisonnable  :  ce  sont  l'âme  végétative  et  l'âme  sensitive  (Généalogie,  V,  XXII, 
p.  43  vo).  Heirmolao  Barbaro,  désespérant  de  trouver  l'énigme,  s'adressa  au  diable 
pour  savoir  Je  vrai  sens  d'entéléchie  (Crinitus,  De  Honesta  discipUna,  VI.  XI): 
mais  le  diable  lui  répondit  d'une  voix  .si  faillie  que  le  philosophe  ne  comprit  pas  la 
réponse. 

(!3)  L'âme  immortelle  parce  que  principe  de  mouvement,  c'est  l'argumentation 
de  Platon  dans  le  Phèdre:  l'àme  perfection  des  puissances  corporelles  c'est  Talexan- 
drisme.  On  en  verra  la  preuve  avec  les  citations  d'Alexandre  d'.\phr.,  dans 
Charboîvnel,  Pensée  ital.,  p.  163.  Sp.  Martino  fait  dire  à  Vicomercato  dans  son 
Dialogue  sur  l'enléléchle.  p.  16  :  sane  disputationes  quœ  de  nominibus  fiunt  sper- 
nend?e  neutiquam  sunt  cum  rerum  (ut  ait  Aristot.)  -rv/fi/'/.  sint  et  notse.  J.-C.  Sca- 
liger  ne  craint  pas  d'avancer  en  1557  que  l'étjTnologie  bien  comprise  du  mot 
entélécliie  suffit  à  réfuter  les  alexandristes  :  «  T'nde  inscitia  pertinacice  delira- 
menta  destruas  eorum.  qui  se  Alexandri  sectatores  esse  malunt,  quam  principes 
veritatis  »  (Exotevicarinn  e.rercitni.  liber  XV.  Exercitatio  307,  paragr.  12,  p.  746 
de  l'édit.  de  Lyon,  1615.) 


2i4  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Cicéron  peut-il  la  définir  perennis  motio  ?  Quant  à  la  subs- 
tance dont  elle  est  laite,  c'est  une  question  qui  demanderait 
un  long  traité.  Romeo  se  contente  de  dire  qu'elle  ne  vient  ni 
du  corps,  comme  le  soutient  Alexandre  d'Aphrodisias,  ni  de 
l'âme  des  parents,  comme  le  veut  Tertullien,  ni  de  la  substance 
divine  ainsi  que  l'enseigne  Lactance,  ni  de  l'angélique,  selon 
la  doctrine  d'Origène,  mais  qu'elle  est  spirituelle,  et  ne  peut 
exister  avant  le  corps,  car  elle  n'est  complète  que  par  son 
union  avec  lui  ^^K 

J.  Ferrerio  consacre  à  la  même  question  le  deuxième  appen- 
dice qu'il  a  ajouté  au  traité  de  Pic  de  la  Mirandole  (1540). 

1°  Faut^il  écrire  en/éléchie  ou  endéléchie  ?  Les  attiques 
nïettent  t  et  non  d.  Il  s'appuie  sur  Lucien  {De  Actione  D 
adversus  T),  et  sur  Corinthius  ^^\  qui  précisément  donne  comme 
exemple  de  la  coutume  des  attiques  le  mot  entéléchie  pour 
endéléchie  {De  Dialecùs  aiiicorum).  Le  mot  ivxù.kyzicf.  a  aussi 
le  sens  de  mouvement  chez  Aristote  {IW  Phisic,  définition  du 
mouvement).  Cicéron  a  donc  raison  de  lire  :  kv-ùlyjia.  et  de 
traduire  perennis  motio. 

2"  Aristote  a-t-il  cru  l'enléléchie  mortelle  ?  C'était,  on  s'en 
souvient,  l'avis  de  Budé.  Ou  bien  l'a  t-il  crue  immortelle, 
comme  le  veut  Cicéron?  La  question  est  insoluble  tant  qu'on 
ne  sera  pas  certain  que  le  mot  z^j-ùh/not.  désigne  chez  Aristote 
\q  mens  aussi  bien  que  l'âme  végétative.  L'autre  définition 
aristotélicienne  de  l'erjtéléchie  perlectio  corporis  organict 
tend  à  faire  croire  qu'il  y  a  compris  le  mens  et  que  Cicéron 
a  eu  raison  de  la  croire  immortelle.  Tout  au  plus  peut-on 
concéder  aux  adversaires  de  Cicéron  qu'Arislote  a  cru  le  mens 
immortel  et  l'enléléchie  mortelle;  mais  dans  ce  cas  l'enléléchie 
ne  représente  que  l'âme  végétative. 

3"  L'âme  est-elle  composée  de  quintessence  ?  Aristote  ne  l'a 
jamais  prétendu.  Il  dit  seulement  qu'elle  n'est  pas  corporelle 


(1)  De  Libertate  et   necexsitate  opcrum,  XIV,  p.  221-222. 

(5)  Gix'jroriu.s  Pardos,  archevêque  de  Corlnthe  dont  les  traités  parurent  pour  la 
première  fois  vers  1493  à  la  suite  des  Erolemula  de  DemetJius  Clialcondylas,  à 
Milan. 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  245 

ni  composée  des  quatre  éléments,  mais  qu'elle  vient  du  ciel  f^'. 
Nulle  part  il  n'a  assimilé,  comme  le  lui  reproche  injustement 
Diogène  Laërce,  l'entéléchie  et  la  quintessence.  Argiropoulos 
a,  le  premier,  soulevé  ce  problème. 

Le  résumé  de  Ferrerio  est,  on  le  voit,  assez  clair  et  rapide; 
il  reste  très  favorable  à  Cicéron  et  à  l'immortalité.  Plus  long, 
plus  complexe  et  tout  opposé  pour  la  doctrine  est  celui  de 
Spirito  Martino.  C'est  un  dialogue  entre  Vicomercato,  P.  Gal- 
land  et  Martino.  Les  trois  amis  se  promènent  dans  un  beau 
jardin  au  bord  de  la  Seine.  Vicomercato  et  Galland  sont  les 
deux  antagonistes.  Spirito  Martino  ne  fait  guère  qu'écouter 
et  à  la  fm  du  dialogue  prend  parti  pour  son  maître  Vico- 
mercato. Après  de  longs  hors-d 'œuvre,  où  Vicomercato  fait 
l'éloge  d'Epicure  et  attaque  Cicéron,  le  débat  sur  l'entéléchie 
commence  '2).  Vicomercato  développe  la  thèse  de  Romeo  de 
Castiglione.  En  procédant  par  la  méthode  socratique,  il  fait 
avouer  à  Sp.  Martino  que  l'àme  n'est  pas  un  accident  (p.  16-18), 
mais  une  substance  (p.  19-20)  ;  cette  substance  est  la  forme 
qui  perfectionne  {-ihtov)  le  corps  (20-25).  Continuant  l'élimi- 
nation des  différentes  substances,  il  juge  que  l'âme  est  l'acte 
et  la  perfection  d'un  corps  animé  (p.  25-29).  Encore  est-elle 
un  acte  premier  et  non  un  acte  second  comme  l'accroissement, 
la  nutrition,  le  sentiment,  l'intelligence,  (p.  29-30).  Ces  fonc- 
tions et  ces  facultés  ne  sont  pas  des  mouvements,  comme 
le  soutient  Politien  pour  accorder  Platon  et  Aristote  (3).  Aristote 
a  combattu  ceux  qui  font  l'àme  principe  de  mouvement; 
comment    donc   eùt-il   pu   la   définir   mouvement    perpétuel  ? 

(1)  Animas  vero  ex  cœlis,  essecpie  illas  non  quldem  qualia  inter  nos  versantur 
oorpora  :  cotrpora  tamen  altlore  ratione  ac  modo,  quse  quinta  dicuntur  natura 
{fbltt.,  p.  :-y!,).  Il  faut  remarquer  dès  le  début  de  cet  article  que  la  question  de  la 
quintessence  et  celle  de  l'entéléchie,  posées  par  Cicéron  dans  la  même  phrase  des 
Tusculaiies  (I,  10)  sont  toujours  unies  dans  les  dissertations  des  philosophes  de  la 
Renaissance. 

(2)  Sp.  Mnrtitn  Cuneatis  Dialogvs  de  Eniclechia,  p.  16. 

(3)  Tomeo,  voulant  accorder  Aristote  et  Platon,  dans  son  Bembus  sive  de  ani- 
morum  itnmortcUte,  soutient  la  même  théorie,  p.  21.  Ces  développements  de 
Martino  sont  en  réalité  une  paraphrase  du  premier  chapitre  du  second  livre  du 
De  Anhno,  où  Aristote  définit  l'âme.  La  dissertation  de  Politien  se  trouve  dans 
ses  Misceilanea,  cap.  I. 


246  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

El  à  supposer  qu'elle  soit  principe  de  mouvement,  ce  mouve- 
ment n'a-l-il  point  de  cesse,  ni  l'âme  de  repos  ?  Pour  ce  que 
Arislole  croit  l'àme  mortelle  ou  immortelle,  Vicomercato  s'en 
remet  à  Budé  (p.  3-2).  Comme  Budé,  il  estime  que  Cicéron 
a  dû  se  tromper  en  voulant  concilier  Aristote  et  Platon  ou 
plutôt  confondre  v^-ù.iytix  et  vjZùÂyaa.  '^\  V'elcurio  a  fait 
la  même  erreur.  Les  autorités  qu'on  apporte  en  faveur  de 
Cicéron  sont  insuffisantes.  Le  même  Cicéron  a  commis  une 
autre  erreur  en  soutenant  qu'Aristote  croit  l'âme  composée 
de  quintessence  (p.  30). 

P.  Galland  intervient  à  son  tour  et  soutient  Cicéron  contre 
Budé  et  \'icomercato.  Il  s'appuie  sm^  Ferrerio  et  plus  encore 
sur  Mélanchthon  (3).  I;âme  est  principe  de  mouvement,  non  pas 
d'un  mouvement  externe  comme  le  pilote  d'un  navire,  mais 
du  mouvement  vital,  chez  les  animaux  comme  chez  les  hommes 
(p.  35).  Ce  mouvement  n'est  pas  un  accident,  car,  selon  Fer- 
rerio, il  y  a  mouvement  substantiel  et  mouvement  accidentel. 
Par  là  Galland  pense  échapper  à  l'objection  de  son  interlo- 
cuteur; l'âme  est  substance  et  non  accident  (p.  37-39).  Pour 
ce  qui  est  du  mot  entéléchie,  si  on  doit  l'écrire  avec  un  l  ou  un 
d,  Galland  accorde  qu'il  peut  y  avoir  faute  de  copiste  et  répète 
les  autorités  apportées  déjà  par  Ferrerio  (p.  37).  Vicomer- 
cato revient  à  la  charge,  opj)ose  Philopon  à  Lucien  cl  à 
Corinihius  'p.  'iO-41)  et  réfute  Ferrerio.  Spirito  Alartino  conclut 
en  faveur  de  Vicomercato.  Mais  déjà  Galland  vaincu  s'e.sl 
éloigné;  il  s'en  va  au  collège  de  Cambrai,  où  il  vient  d'obtenir 
une  chaire.  Quant  à  Vicomercato  et  son  docile  élève,  ils  ren- 
trent à  la  maison  où  les  attendent  des  lettres  d'amis  italiens. 

Et  c'est  ainsi  cpi'au  bord  de  la  Seine  on  .se  passionnait  alors 
pour  savoir  s'il  fallait  écrire  endéléchie  ou  entéléchie  '3).  Dancs 

i\)  On  a  vu  an  rhapifrc  in-érédciit  (p.  211)  que  N'irnriiciTatn  f.iit  dr  Budé  un 
averroïste. 

(2)  In  doctissimo  de  Anima  ci>mmentario.  dit-il  du  traité  de  Mélanchton.  Ce 
livre  avait  jmni  en  IMO  et  venait  d'être  réédité  à  Lyon  (Xb'tï). 

'3)  Autres  sources  de  ce  problême  :  Vives,  Annotât,  s^ur  le  chap.  ."V/  de  la  Cité 
de  Dieu.  .ScALiGER,  Exerrit.  In  Ittinim  Cardant  de  Siibtililate,  exercit.  307:  Cicé- 
ron, Titsrnl  ,  I,  10;  Diogéne  LaKrce,  V,  1.  13  'vie  d'Aristotf):  PloTIN.  Ennead.,  IV. 
lib.    II.   d  aprè.^   ElSfenE,   Piwiiaratin  rvanoel.,   llh    XV.    lo   'éd.    Didnt,   p.    196-197). 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE     1542    ET    155;5  i?4  / 

vers  le  même  temps')  défendait  Biidé  son  maître  avec  autant 
d'énergie  que  Vicomercato.  C'est  Florido  qui  fut  présenté 
à  Danès  et  se  prit  de  (juerelle  avec  lui  à  propos  de  l'entéléchie. 
Il  nous  raconte  lui-même  la  scène  et  note  que,  s'il  n'avait  eu 
plus  de  sang-froid  que  le  bouillant  professeur  du  Collège  de 
France,  ils  en  fussent  vraisemblablement  venus  aux  coups  : 
«  Car,  explique  Florido,  P.  Danès  ne  voulut  écouter  ni  mes 
paroles,  ni  mes  raisons,  ni  aucune  des  objections  que  l'on  fait 
habituellement  à  Budé...,  répétant  sans  cesse  que  je  ne 
défendais  point  Cicéron  des  attaques  de  Budé.  Celui  qui  nous 
avait  mis  aux  prises  demanda  un  examen  soigné  et  détaillé 
et  je  repris  les  points  si  nombreux  sur  lesquels  Cicéron  avait 
paru  en  faute  à  Budé,  à  propos  de  l'entéléchie.  Danès  s'em- 
portant  contre  moi  se  mit  à  crier  très  haut  que  je  divaguais, 
si  je  relevais  dans  Budé  autre  chose  que  ce  qui  a  trail  au 
mouvement  continu.  Je  lui  expliquai  ce  que  je  pensais  de 
ce  mouvement;  mais  pour  ce  qui  a  trait  à  l'immortalité  et  à  la 
différence  entre  d  et  /  établie  par  le  grammairien  Corinthius 
et  Lucien,  il  ne  put  jamais  le  supporter;  il  répétait  que  Budé 
ne  s'était  jamais  demandé  ce  que  Cicéron  pensait  de  l'immor- 
talité ou  (!e  la  mortalité  de  l'âme '"2'.  que  Corinthius  était  un 
grammairien  ignorant  ef  que  pour  Lucien,  les  textes  que  nous 
prenons  dans  son  dialogue,  il  les  a  écrits  pour  rire  ^3)  ».  Alors 
Florido  se  fâche,  dit  à  Danès  que,  puisqu'il  a  si  mauvais 
caractère,  il  renonce  à  la  discussion  et  s'en  va. 

Galland  cite  les  textes  de  CicéTon  et  le  défend  ainsi  qu'Aristote  contre  Ramus  sur 
l'interprétation  de  l'entéléchie  dans  son  P.  Gallandii  Pro  schoia  parisiensi  contra 
novam  Academiam  P.  Eaml  (Paris,  1551),  p.  48  vo-49.  Il  ajoute  gue  Aristote.  dans 
des  livres  aujourd'hui  perdus,   disait  l'âme  composée  de  quintessence. 

(1)  Je  n'ai  pu  dater  exactement  la  scène.  Elle  doit  être  de  1540-1541.  Florido,  en 
effet,  dit  que  c'étaiti  quelques  jours  après  son  retour  de  Bologne.  Or,  Filoriido 
quitta  Bologne  probablement  en  1540  et  alla  à  Rome  où  il  demeura  jusque  vers 
1542  d'après  SabbadLnl.  .Je  ne  sache  pas  que  Danès  soit  allé  à  Rome  à  cette 
époque.  Dans  ce  cas,  il  faudrait  peut-être  avancer  l'arrivée  de  Florido  à  Paris 
jusqu'au  début  de  1541  ?  La  difficulté  tient  à  ce  que  le  livre  d'où  est  extraite  la 
discussion  sur  l'Entéléchie  fut  imprimé  à  Rome.  Sur  Florido,  cf.  R.  Sabbadini, 
Vita  e  opère  di  F.  Florido,  dans  Giornale  i<torica  dalla  lett.  ital.,  VIII,  p.  353-363. 

(2)  Cela  confirme  ce  que  je  disais  de  Budé  au  chap.  IV.  La  discussion,  d'abord 
purement  philologique,  est  devenue  plus  grave  et  suppose  maintenant  une  thèse 
en  faveur  de  l'immortalité  ou  contre  cette  croyance,  selon  qu'on  est  pour  ou 
contre  Cicéron.  Danès  étant  élève  de  Budé  me  .semble  garantir  mon  interprétation 
du  De  Asse. 

(3)  Adv.  Steph.  Doleii  calvmnias  (non  paginé),  paru  en  1541. 


248  SOURCES    ET     INFILTRATIONS 


11 


Jean  Fernel  est  plus  connu  que  Spn-ito  Maiiino.  Bayle  lui 
a  consacré  l'un  de  ses  plus  spirituels  articles  '^';  il  nous  a  dit 
son  acharnement  au  travail,  sa  vie  sans  repos,  presque  sans 
sommeil,  toute  retirée,  sauf  lorsque  la  gloire  de  ses  livres 
le  força  à  donner  des  leçons  ou  à  soigner  la  reine;  il  a  noté 
que  Fernel,  avant  d'être  médecin,  avait  expliqué  Aristote 
à  Sainte-Barbe  '^^  et  que  les  auteurs  préférés  de  ses  études 
étaient  Cicéron,  Platon  et  Aristote  :  figure  sévère  de  savant 
laborieux  et  probe.  Récemment  M.  Figard  a  consacré  tout 
un  volume  à  étudier  sa  psychologie  '^K  C'est  que  Fernel  fut 
disciple  d'Aristote  autant  que  de  Galien.  Avant  décrire  sur 
les  remèdes  et  la  pathologie  (1554),  il  a  exposé  l'ensemble  de 
sa  philosophie'^).  Et  c'est  ainsi  que  dans  son  premier  livre, 
on  trouve  dessinée  très  vigoureusement  et  avec  originalité 
la  figure  d'un  libertin. 

Ce  livre  est  le  De  abdiiis  rerum  caiisis  '■')  et  le  personnage 
en  question  s'appelle  Brutus.  Le  livre  se  lit  avec  intérêt,  même 
après  Vicomercato.  Fernel  a  de  l'esprit,  de  la  clarté;  il  a  su 
mettre  de  l'intérêt  en  variant  les  caractères  de  ses  person- 
nages, et  de  l'agrément,  car  il  a  des  lettres,  cite  les  poètes, 
surtout  Virgile.  Le  livre  se  présente  sous  forme  de  dialogue 
entre  trois  personnages  aux  noms  symboliques. 


(1)  Dictlorm..  art.  Fernel.  Jean  Fernel  n'est  pas  un  élève,  à  proprement  parler, 
de  Vicomercato;  mais  nous  allons  retrouver  les  théories  du  médecin  italien  dans 
celles  de  Fernel  sur  l'éternité  du  monde.  Il  est  indéniable  qu'il  l'a  lu  et  il  est 
probable  qu'il  l'a  connu,  Viwjmencato  étant  aussi  médecin.  On  a  cru  longtemps 
que  Fernel  avait  guéri  la  reine  Catherine  de  Médlcis  de  sa  stérilité.  M.  Figard 
démontre  qu'il  s'agit  de  la  femme  du  dauphin.  11  mourut  en  1558. 

(2)  Voir  aussi  Quichkr.\t,  Jlht.  du  collège  Sainte-Barbe.  I,  ch.  XVIII,  p.  173. 
Il  y  enseigna  aussi  les  mathématiques  {Ibfd.,  I,  xix.  p.  177-1«6). 

(3)  L.  FiGARD,  Vu  médecin  philosophe  au  XVfe  sli'cle.  Etude  mr  la  psuctiologle 
de  Fernel.  Alcan,  1903,  in-S». 

(4)  Sur  rim.ix>rtanro  do  la  philosophie  p<xir  J.  Fernel,  voir  Figard,  op.  clty, 
p.  49  50. 

iô}  De  Abditia  rerum  causis,  Paris,  1548. 


I 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  249 

Eudoxus,  Philiatros  et  Brutus  devisent  près  d'uPxC  fontaine 
dans  un  agréable  jardin,  sur  l'origine  des  choses/  Le  premier 
est  sage,  instruit,  avec  un  léger  ton  professoral;  Philiatros 
parle  peu,  mais  décide  du  débat;  Brutus  à  lui  seul  tient  tête 
aux  deux  autres;  il  a  une  vaste  érudition,  un  caractère  fou- 
gueux, une  argumentation  subtile.  «Quel  est  cet  homme, 
je  te  i)rie,  dit  Eudoxus,  que  tu  m'as  donné  à  combattre  ? 
l'hiliatros  :  Comment  le  trouves-tu  toi-même  ?  Eudoxus  :  Que 
je  meure,  si  jamais  je  suis  tombé  sur  un  homme  qui  m'ait 
donné  plus  de  mal  !  Il  tient  obstinément  à  son  idée,  après 
avoir  médité  profondément  et  longtemps  en  tout  sens.  Adroit 
de  plus,  et  subtil,  en  sorte  que  ce  qu'il  veut  prouver  —  même 
le  faux  —  il  le  rend  habilement  vraisemblable;  et  encore  il 
ne  rougit  jamais  de  rien,  réunissant  ainsi  en  sa  personne  les 
qualités  que  Platon  demande  du  dialecticien  pénétrant  :  la 
science,  la  prudence,  et  l'audace.  Philiatros  :  Assurément, 
il  met  beaucoup  de  soin  à  lire  les  ouvrages  des  philosophes, 
non  seulement  des  anciens,  mais  dte  ceux  de  son  siècle  qui  ont 
acquis  quelque  célébrité  ;  il  les  a  fré(:ïuentés,  écoutés,  pratiqués, 
ceux  du  moins  qu'il  a  trouvés  dignes  de  cet  honneur,  et  il  a 
parcouru  dans  ce  seul  but  une  bonne  partie  du  globe.  Mais 
maintenant  il  semble  embarrassé  de  ces  attaches  au  point  qu'il 
lui  reste  peu  d'espoir  de  pouvoir  s'en  dégager  (i).  » 

Parmi  ces  professeurs,  un  surtout  l'a  influencé,  disciple  de 
Platon,  mais  du  vrai  Platon,  du  Platon  restauré  et  dégagé  de 
toutes  les  sottises  qu'on  lui  fait  dire  aujourd'hui.  «  Comment 
j'ai  été  instruit  par  un  maître  platonicien,  il  n'  y  a  pas  si 
longtemps,  je  vais  te  le  dire,  si  tu  veux.  Si  je  ne  les  avais  pas 
égarés  par  ma  négligence,  j'ai  quelque  part  des  carnets  et  des 
cahiers,  où  j'ai  pris  note  des  remarques  que  j'entendais  de  sa 
bouche.  Celait  un  vieillard  blanc  et  vénérable,  à  la  barbe 
inculte  et  longue,  sérieux  et  imposant,  sans  jamais  être  dur 
cependant.  Il  avait  à  ses  côtés  et  derrière  lui  une  troupe  de 

(1)  De  Abditis  rerum  causls,  I,  p.  78-79. 


250  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

jeunes  pliilosaphes,  gens  de  chez  nous  et  étrangers.  Bref  c'était 
un  liomme  en  qui  vous  auriez  cru  voir  reluire  l'air  de  cette 
antiquité  lant  louée,  au  point  que  moi-même,  séduit  par  l'har- 
monie gracieuse  du  chœur  qui  lentourait  et  la  célébrité  de 
son  nom,  je  me  joignis  à  eux...  Mais  plus  attrayante  encore 
était  la  très  grande  bonté  et  modestie  de  cet  homme  :  quel- 
que demande  qu'on  lui  fit,  il  y  répondait  avec  douceur  et  sans 
aucune  morgue  '^)  ». 

Le  portiait  de  Brutus  est  trop  individuel  pour  n'avoir  pas 
un  nom  et  ses  souvenirs  trop  personnels  pour  n'être  pas  ceux 
de  Fernel  lui-même.  L'acharnement  de  Brutus  au  travail,  ses 
lectures  immenses '2)^  la  visible  sympathie  dont  l'auteur  l'en- 
toure permettent  de  le  supposer.  La  chose  est  douteuse 
cependant,  car  Fernel  a  chargé  un  peu  le  personnage  comme 
son  nom  l'indique.  etBrutusadii  voyager  d'une  Université  dans 
l'autre,  tandis  (|uc  Fernel  ne  semble  pas  avoir  quitté  Paris. 
De  plus,  Fernel  cherche  ordinairement  à  concilier  le  péripaté- 
tisme  et  le  dogme  chrétien  <3).  Brutus  est  peut-être  un  élève 
de  Viccjmcrcato.  dont  il  profes.se  en  partie  les  théories  et 
qui  avait  parcouru  l'Italie^  Ce  vieillard  blanc  qui  se  promène 
avec  ses  élèves,  c'e.st  précisément  le  môme  que  nous  avons 
ti'ouvé  au  début  du  hvre  de  Sp.  Martino,  et  c'est  Vicomercato. 
Ce  dernier  avait  été  platonicien  et  avait  tâché  à  concilier 
Aristole  et  Platon  dans  son  De  Concordia  Aristotelis  et 
Plalouis  ^^\  Ces  longs  voyages  m'ont  fait  aussi  penser  à  Postel. 
Peu  iiiqtorle.  du  reste,  si  Brutus  n'est  pas  Fernel,  ni  même 
peut-rlic  un  élève  de  \'icomercato,   il  soutient  une  doctrine 


(1)  Ibld.,  I.  p.  10t. 

(2)  Le  Sylvius  ocrealus,  de  L.  Akkivabene  (1555),  place  Fernel  au  premier  rang 
parmi  les  médecins  français  et  parmi  les  philosophfs  :  Priori  nomen  est  Femellus. 
Qui  vir  sit  satls  déclarant  multa  et  quidem  ernditisslma  opéra  rpise  homlnem  non 
tam  magnum   medtcum  quam   i)hlIosophnm   demonstrant    (p.   19' 

(3)  FiGAHD,  Oji.  rit  ,  p.  145. 

4)  .Sp.  Martino  lui  dit  :  Studuisti...  philosophia»  ..,  quippe  in  omnes  cognoverls 
disciplinas  siciit  ips"e  gloriari  soles,  eamque  ipsam  latinis  lltteris  illu-straverls, 
imltatoremqiie  te  Platonls  ostenderis  {Op.  cit.,  p.  15). 


LES    ASPECTS    DU    EATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  251 

bien  plus  radicale  que  celle  d'Averroès,  l'alexandrisme  même, 
c'est-à-dire  le  pur  matérialisme. 

Sur  la  question  de  l'âme,  il  se  proclame  hautement  disciple 
d'Alexandre  d'Aphrodisias*^).  Les  foraies  naissent  des  corps 
et  l'entéléchie,  qui  est  la  perfection  du  corps,  sort  de  la  matière 
en  ce  que  la  puissance,  par  un  progrès  continu,  se  réalise 
et  devient  acte.  «  Mais,  objecte  le  bon  Eudoxe,  cela  est  la 
doctrine  d'Alexandre  d'Aphrodisias  !  veux-tu  donc  suivre  son 
parti  pas  à  pas  ?  —  Pourquoi  pas,  je  te  prie  ?  répond  Brutus. 
—  Mais,  dans  ce  cas,  c'est  le  corps  qui  est  la  cause  première 
efficiente  de  l'àme,  c'est  du  corps  qu'émerge  l'àme,  c'est  la 
différence  du  corps  et  des  tempéraments  qui  fait  la  variété 
des  formes  !  —  Voilà  justement  le  principe  et  comme  le  fon- 
dement de  cette  théo^^e  »  —  Mais  cela  est  horrible,  s'écrie 
Eudoxe  scandalisé;  <(  car  à  ce  compte,  toute  forme,  et  la  partie 
la  plus  élevée  de  l'âme  humaine  elle-même  (le  mens  que  les 
averroïsles  croyaient  seul  immortel  dans  l'âme),  est  mortelle 
et  sujette  à  la  ruine,  puisqu'elle  est  le  résultat  de  l'élaboration 
des  corps  et  la  réalisation  d'une  harmonie  qui  finira.  Qu'y  a-l-il 
de  plus  absurde  et  surtout  de  plus  impie  »  ?  Mais  aux  remon- 


(1)  Ita  volebam  compositi  formam  vim  quamdam  esse,  ex  subjectorum  sibl 
corporum  temperamento  ac  mixtione.  Subjecti  enim  ex  mixtione  prseparationem, 
ipsainque  potentiam,  cum  ad  absolutionem  pervenerit,  tum  ivri/iy-xj ,  Id  est 
perfectionem  fleri,  quae  rei  sit  forma.  Ita  forraam  de  ix>tentia  materiœ  educi 
sentio,  quod  ipsa  potentia  continentl  progressione  transeat  ad  formam  actusque 
fiât...  —  Eudoxus  :  Hsec  sunt  Alexandr-i  illius  Aphrodissel.  Tune  igitur  vis  illiiis 
partes  conserto  pede  tueri  ?  —  Brutus  :  quidni,  obsecro  ?  De  Abdit.  rer.  causis, 
I,.p.  25.  —  Conséquences  de  cette  théorie  :  Eud.  :  Necesse  est  eo  quidem  authorô, 
sub.jecti  prieparationem  non  accedentem  solum  adjuvantemque.  sed  prlmam  et 
efficientem  causam  statui;  quippe  quje  de  se  omnem  formse  essentiam  proférât  ac 
suscitet.  Simul  vero  ex  subjecto  sibi  conpore  animam  omnemque  speciem  emer- 
gere  -.  et  a  corporum  differentia  formarum  varietat-es  proflcisci.  —  Brutus  :  Hsec 
prlnclpia  sunt,  et  velut.i  fundamenta  illius  opinionis  —  Eud.  Horrenda,  sane. 
Consequitur  enim  formam  omnem,  vel  ipsius  hominis  prsest.antissimam  mentem, 
mortalem  et  in  rnecioni  obnoxlam  esse,  siquldem  ex  subjectorum  prseparatione 
et  interitura  harmonia  resultet  :  quo  quid  esse  potest  vel  absurdius,  vel  magi 
Impium  ?  (Ihid).  On  voit  nettement  dajis  ce  texte  que  l'interprétation  du  mot 
t^Tc/éyecry.  proposée  par  Budé,  Vicomercato,  Sp.  Martino  est  aussi  celle  qu'invo- 
quent les  matérialistes,  disciples  l'Alexandre. 


252  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Irances  du  sage  Eudoxe  el  à  ses  longues  démonslralions  (^' 
Brutus  répond  philosophiquement  qu'on  lui  a  déjà  dit  tout 
cela  bien  des  fois  *)  et  il  refuse  de  renoncer  à  l'alexandrisme. 
Il  a  aussi  ses  idées  sur  la  naissance  du  monde  et  les  a  prises 
(*  dans  des  auteurs  très  graves  qui,  s'appuyant  sur  des  prin- 
cipes autres  que  ceux  dEudoxe,  auraient  vite  fait  de  renverser 
ses  croyances  3)  »  ;  «  Tout  est  formé,  dit-il,  de  deux  éléments 
inséparables,  mais  d'inégale  durée  :  la  matière  el  la  foi*me.  La 
première,  tandis  que  le  composé  périt  et  se  transforme  en  un 
autre,  demeure,  elle,  identique.  Car  toute  substance  qui  naît, 
naît  de  quelque  sujet;  ainsi  par  exemple,  de  1  eau  vient  l'air, 
les  animaux  du  sperme,  et  rien  ne  vient  de  rien.  Or,  le  sujet 
dont  toute  substance  est  faite  se  comjposant  de  matière  el 
de  forme,  la  forme  périt  et  fait  place  à  une  autre.  Il  est  donc 
nécessaire  qu'il  demeure  quelque  chose  dont  la  permanence 
soit  la  base  du  changement  des  phénomènes.  Et  donc  la 
matière  n'a  pas  eu  de  naissance  ;  elle  est  indissoluble, 
immortelle...:  et  de  même  qu'elle  n'a  pas  d'origine,  elle  n'aura 
point  de  fin  '^'>  ».  Ses  deux  interlocuteurs  refusent  de  sous- 
crire à  une  pareille  hérésie.  Mais  Brutus  se  fâche  :  «  Moi,  dit- 
il,  que  je  renonce  à  une  science  dont  je  suis  sûr,  que  je  cherche 
à  saisir  les  opinions  trompeuses  et  incertaines  des  autres  ! 


(1)  Elles  remplissent  les  chap.   IV,  V,  VI. 

(2)  Ibid..  p.  25. 

(3)  Ego  enlm  ut  ingénue  fatear,  a  gravissimis  quibusdam  authorlbus  sum  Instl- 
tutus,  qui  aliis  quam  tu  principiis  nixi,  facile  possint  tuum  hcx:  placitum  ever- 
tere  (en  manchette  :  Alexandri  aliorumque  philosopliorum).  A  la  page  suivante, 
il  cite  Alexandre  Aphrod.,   Galien  et  Philoponus  (début  du  chap.   II). 

(4)  Sic  unumquodque  ex  naturis  duabus  conflatum  est  quae  nullo  pacto  sejungl 
aut  disclusae  hxis  consistere  queunt  :  sed  est  utraque  alt«rius  sic  appetens,  ut  el 
annexa  alioqul  moritura  foveatur.  Materies  ea  quîE  formse  tanquam  primum  fon- 
damentum  substernitur,  dum  res  ipsa  composita  périt  atque  in  aliam  facesslt, 
una  eademque  permanet.  Omnis  enim  quae  gignitur  substantia  ex  qundam  gignitur 
fltque  subjecto  :  quœmadmrxlum  ex  aqua  flt  ser,  stirpes  et  anlmalia  ex  semine, 
neque  quicquam  flt  ex  nihilo.  Atqui  subjectum  ex  quo  aliquid  factum  est,  ex 
materia  et  specle  condltum  erat.  Si)ecles  periit  abiitque  succedente  altéra,  prlva- 
tionemque  toUente  :  materia  autem  eadem  i)ermansit  (juje  hanc  subjecta  substrar 
taque  excii>eret.  Necesse  igitur  est  luinc  in  moduni  subjici  ipilddam  in  quo  servato 
ac  superstite  flut  reruni  convei-sio.  Ex  quo  intcUigitur  materiam  nec  uUo  ortu 
generatam  el  indissolubilem  esse,  immortaleni  seculis  omnibus,  ac  ut  ortus  ita 
et  lntepltu.s  expertem  {De  Abdil.  rer   cousis,  I,  p.  18-19). 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  253 

Moi,  abandonner  en  un  instant  ma  cause  et  m 'avouer  vaincu  ! 
Moi,  qui  ai  acquis  ma  science  par  tant  de  veilles  et  de  sueurs, 
finalement,  d'un  mot,  je  la  désavouerais  toute  !  Tant  et  de  si 
graves  auteurs  qui  depuis  si  longtemps  s'accordent  sur  ces 
matières,  vous  voudriez  que  je  les  désavoue  sur  une  autorité 
méprisable  et  que  je  me  fasse  accuser  d'ignorance  crasse  'i)  »  ! 
Cette  doctrine  que  Brutus  soutient  avec  tant  de  fougue  n'est- 
elle  pas  la  même  que  celle  du  De  principiis  rerum  natu- 
ralium  ?  Le  principe  invoqué  :  neqiie  quicquam  fit  ex  nihilo 
est  celui  que  Vicomercato  a  proclamé  avec  le  plus  de  force; 
l'exemple  allégué  :  la  transformation  de  l'eau  en  air  est  pro- 
posée de  même  par  Vicomercato.  C'est  bien  la  même  doctrine, 
puisée  aux  mêmes  sources  averroïstes,  sinon  empruntée  de 
l'un  à  l'autre.  Fernel,  du  reste,  met  un  voile  sur  ces  hardiesses. 
A  la  fin  du  livre  J'^^  Eudoxe  et  Brutus  se  réconcilient  grâce 
au  Timée  et  Philiatros  leur  montre  précisément  les  rappro- 
chements qui  s'imposent  entre  la  cosmogonie  platonicienne 
et  celle  de  la  Bible  '^K  Brutus  cède  enfin,  non  sans  remarquer 
pouiiant  que  de  pareilles  questions  seul  Dieu  sait  le  vrai 
mot  et  (jue  l'homme  n'y  peut  chercher  que  le  vraisemblable 
et  non  la  certitude  "'K  II  n'est  donc  pas  aussi  endurci  qu'on 
eût  pu  le  croule  et  peut-être  même  n'est-il  qu'un  masque. 
Il  valait  la  peine  cependant  de  tirer  de  la  masse  du  livre  cette 
silhouette  de  hbertin,  si  vivante  que,  encore  qu'elle  soit  un 
peu  chargée  à  la  fin,  nous  avons  pu  croire  y  reconnaître  im 
instant  l'ombre  de  Jean  Fernel  '■^K 


(1)  ihta.,  p.  79. 

('2)   De  Abdilt.  re'r.  causis.  p.  94-96. 

(3)  IMd.,  ch.  VIII,  IX,  X. 

(4)  Et  harum  guidem...  opinionum  utra  vera  sit,  solus  opinor  novit  Deus;  neque 
nos  quid  verum,  sed  qxiid  sit  verisimile  investigamus  {Ibid.,  p.  79). 

•5)  Je  n'ai  extrait  du  livre  de  Fernel  que  ce  qui  constitue  la  doctrine  d'un  libertin 
de  1548.  Pour  le  reste  de  sa  philosophie  —  qui  est  celle  de  tous  les  péripatéticiens 
à  cette  date  — ,  sur  la  nature,  sur  l'essence  et  les  fonctions  de  l'âme,  on  voudra 
bien  se  reporter  à  la  thèse  de  M.  Figard  qui  l'expose  tout  au  long. 


25  4  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


III 


Il  semble  aus^i  que  le  «  naturalisme  »  prenne  de  l'extension 
à  cet  époque.  On  a  vu,  au  précédent  chapitre,  quelle  part  les 
nouveaux  péripatéticiens  l'ont,  dans  l'organisation  de  l'univers, 
à  la  nature,  au  détriment  de  la  Providence. 

Mais  la  nature  n'est  pas  j)our  tous  les  penseurs  le  même 
symbole.  Les  uns  y  voient  une  force  aveugle  privée  d'ordre  et 
de  finalité,  qui  agite  les  éléments  d'un  mouvement  fatal  :  ceux- 
là  se  font  du  monde  une  idée  matérialiste  ou  mécaniste.  Les 
autres  désignent  par  là  une  force  intelligente  autant  que 
féconde,  principe  de  production,  de  conservation  et  d'har- 
monie pour  les  espèces  et  pour  l'univers  lui-même.  Ainsi  la 
sculptait  alors  pour  le  château  de  Fontainebleau  Nicolo  Peri- 
coli  dit  II  Tribolo.  On  peut  aujourd'hui  voir  au  Louvre  sa 
('  Xalure  ».  Elle  est  figurée  par  une  statue  don!  la  tête  est  une 
belle  tête  de  femme,  intelligente  et  douce  ;  à  partir  du  cou, 
il  n'y  a  plus  qu'un  tronc  couvert  de  trois  rangées  de  seins, 
auxquels  sont  suspendus  les  hommes  et  les  animaux  et  qu'en- 
guirlandent des  rameaux  et  des  fleurs  (i^  .\insi  la  représentait 
alors  Rabelais  dans  le  Quart  livre  :  «  Physis  (c'est  Nature)  en 
sa  première  portée  enfanta  Beaulté  et  Harmonie  sans  copula- 
tion charnelle,  comme  de  soy  mesmes  est  grandement  féconde 
et  fertile  ^^^  ».  Les  sto'ïciens-  l'identifient  avec  Dieu  et  aboutis- 


fl)  I^  statue  est  à  la  salle  VII  de  la  Renaissance,  n"  ■'iCS    Elle  vient  du  Palais 
de  Fontainebleau. 
(2)  IV,  XXXII.  Voir  aussi  Ronsard.  Hymnes.  I  (ni.  V,  IG)  : 

Bien  loin?  derrière  toi.  mais  bien  loin?  par  derrière  (l'Eternité) 

La  Nature  te  suit.   Nature  banne  mère 

D'un  Imston  appuyée,  à  qui  mesme  les  Dieux 

Font  honneur  du  genouil  quand  elle  vient  aux  deux. 

Le  Caron  DUil.  phil  .  p  82)  essaie  de  la  définir  :  <■  Nature  (laquelle  aucuns  des 
anciens  aitpellent  Dieu,  les  autres  une  puissance  divine  dispersée  par  l'Univers 
et  incomprenable  par  le  sens)  est  réputée  celle  qui  comprend  et  entretient  toutes 
les  choses  créées  de  Dieu  et  entre  les  autres,  l'homme  libre,  franc  et  vrai  selprneur 

des  bestes,  plantes et  de  tout  ce  que  le  ciel  environne  :  mais  sujet  à  Lieu  le 

souverain  roi  du  monde  ». 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  255 

seul  ainsi  à  un  panthéisme  naluralisle.  Daulrcs  enfin,  les  épi- 
curiens, désignent  sous  ce  nom  le  vide,  les  atomes  et  leurs 
propriétés,  dont  la  rencontre  fortuite  produit  l'Univers  '•^K  De 
ces  conceptions  diverses  du  monde,  qu'on  discutait  à  propos 
de  la  physique  d'Aristote  ^^\  aucune  ne  pouvait  être  acceptée 
par  l'Eglise,  car  toutes  suppriment  la  Providence.  Nous  avons 
des  discussions  qu'elles  soulevaient  un  écho  plus  précis  que 
le  chapitre  de  Rabelais. 

En  1547,  François  de  Bouliers  (^*  écrivait  à  Pierre  de  Pas- 
chal  ^■^\  alors  étudiant  à  Bologne,  pour  lui  exposer  ce  problème 
de  l'existence  de  la  nature  et  lui  signaler  les  conséquences 
qu'en  tiraient  les  athées*^).  Le  jeune  étudiant  lui  répondit  de 
Venise,  le  21  septembre  1548  <^'.  Il  s'excuse  d'abord  de  ne 
pouvoir  lui  donner  qu'une  réponse  trop  brève  pour  im  si 
vaste  sujet.  Comment  traiter  dans  une  lettre  une  question 
à  laquelle  «  les  Grecs,  les  Egyptiens,  et  les  Latins  ont  con- 
sacré des  volumes  »  ?  Cependant  pour  que  son  ami  ne  regrette 
pas  sa  peine  et  qu'il  puisse  répondre  à  ceux  qui  lui  exposent 
leurs  doutes,   Pa.schal  aborde  le  problème. 

C'est  au  De  Natura  Deoruin  qu'il  demande  les  éléments  de 
sa  réponse.  «  Gardé-toi  bien,  lui  dit-il,  de  prendre  pour  des 


(1)  Cet  exposé  est  pris  au  De  \at.  Deorum,  II,  81-82,  On  verra  tout  à  l'heure 
pourguoi  je  m'y  suis  reporté.  Colet  a  repris  et  complété  Cicéron  {Comment,  ling. 
lat.,  II,  p   471). 

(-2)  Se  reporter  par  exemple  au  chap.  VII,  p.  ■2'21,  pour  voir  comment  Vicomercato 
l'entend. 

(3)  F.  de  Bouliers  était  alors  à  Rome,  à  la  suite  du  cardinal  du  Bellay,  en  com- 
pacte de  Rabelais.  Ce  dernier  est  salué  à  la  fin  de  la  lettre.  Est-il  téméraire  de 
penser  que  F.  du  Bouliers  et  Rabelais  ont  discuté  ensemble  sur  la  nature  ? 

(4)  Sur  P.  de  Pasctial,  voir  Bonnefon,  P.  de  Pascal,  hUtoriographe  du  roi.  15i8 
û  1565  (Paris,  1883):  P.  DE  NOLHAC,  Un  humnni'^te  ami  de  Ronsard  :  P.  de  Paschal, 
dans  Revue  d'Histoire  liti.,  1918.  La  lettre  fait  partie  des  lettres  de  P.  'Paschal 
imprimées  à  la  suite  de  son  discours  pour  J.  de  Mauléon  :  P.  PaschaUi  adversvs 
J.  Maulii  parricidas  actio.  Accedunt...  epistolae  in  Italica  peregrinatione  exaratse, 
Lugduni,  1548  (traduction  française  chez  Vascosan,  1549). 

(5)  Nous  n'avons  pas  la  lettre  de  Bouliers,  mais  P.  de  Paschal  lui  dit  au  début 
de  sa  répons©  qu'il  a  hésité  à  lui  écrire  «  quod  omnino  non  facerem  nisi  te  in 
quemdam  philosophum  istic  (à  Rome  ou  en  France  ?)  incidisse  qui  aliter  atque 
ego  de  Aeternitate,  Universo,  Tempore  et  natura  loquatur  et  .sentiat  ex  tuls 
litteris  intelligerem  »  (P.  PaschaUi  epist.,  p.  113). 

(G)  M.  P.  de  Nolhac  {art.  cité,  p.  44)  la  date  par  erreur  du  25  septembre.  Elle 
porte   Vciictiis.   V  cal.  oct. 


256  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

philosophes  ceux  qui  donnent  le  nom  de  nature  aux  éléments. 
C'est  la  vieille  erreui'  d'Epicure,  réfutée  par  les  anciens  eux- 
mêmes.  Plût  au  ciel,  mon  cher  de  Bouliers,  que  ses  sectateurs 
fussent  de  nos  jours  peu  nombreux  !  Mais  tiens-les  pour  vains 
et  futiles,  plus  légers,  s'il  est  possible,  que  ces  atomes  dont 
la  course  et  la  rencontre  —  rêve  ridicule  —  enfantent  tout. 
Suis  Platon,  Orphée,  Mercure  Trismegiste,  qui  sécarlent  à 
peine  de  notre  dogme  '^)  ».  Il  expose  ensuite  l'idée  que  ces  épi- 
curiens se  font  du  monde.  Par  malheur,  on  peut  se  demander 
dans  quelle  mesure  Paschal  reproduit  la  doctrine  des  Fran- 
çais et  des  Italiens  de  1547,  car  la  première  partie  de  son 
exposé  est  copiée  mot  à  mot  du  De  Natura  Deoruin  <2)  :  u  Ils 
disent  que  la  terre  est  au  centre  du  monde,  entourée  d'air, 
que  de  la  terre  vient  l'eau,  de  l'eau  l'air,  de  l'air  l'éther,  et, 
en  sens  inverse,  de  l'éther  naît  l'air,  de  l'air  l'eau,  de  l'eau 
la  terre.  Cela  est  très  vrai  et  connu  de  tout  le  monde.  Mais 
tandis  que  pour  ces  philosophes  tout  est  fait  d'atomes  assem- 
blés par  hasard  et  s'en  va  au  néant,  ceux-là  voient  combien 
un  tel  système  est  faux  qui  font  de  Dieu  le  père  de  la  nature... 
et  distinguent  l'esprit  de  la  matière  (3)  ».  Paschal  suit  Trisme- 
giste plus  encore  que  Platon.  Après  Dieu  et  procédant  direc- 
tement de  Dieu,  est  l'éternité;  de  l'éternité  sort  l'univers;  le 
mouvement  de  rotation  du  monde  est  à  son  tour  la  mesure  du 
temps;  et  le  temps  est  la  cause  des  changements  qui  survien- 
nent dans  le  monde  sublunaire  (^'.  Le  monde,  le  ciel,  le  temps, 
l'élernilé,  tout  cela  s'agite  sous  la  main  et  la  conduite  de  Dieu, 
qui  n'est  en  rien  soumis  à  la  nature. 


(1)  p.  Paschalii  epist.,  p.  116. 

(2)  De  liât,  deor.,  Il,  xxxiii-xxxiv. 

(3)  P-  PaschalU  epist.,  p.  114-115.  Cette  transmutation  des  éléments,  que  Balbus 
emprunte  à  Heraclite,  n'est-ce  iwint  celle  que  Panurgc  invoque  pour  prouver  à 
frère  .Jean  que  le  monstrueu.x  Physetére  est  autant  à  craindre  que  les  «  chevaux 
du  soleil  flammivomfs,  qui  rendent  le  feu  par  les  narines  »  :  «  ne  vous  ay  je 
assez  exposé  la  transmutation  des  elemens  et  le  facile  symbole  qui  est  entre 
rousty  et  bouilly  et  bouilly  et  rousty  ?  Paninoniet,  IV.  xxxiii. 

(4)  P.  Paschalii  epist.,  p.  115-117.  Vlcomercato  a  aussi  consacré  plusieurs  pages 
à  l'éternité  à  laquelle  11  ne  croit  point.  Rons.iri)  lui  consacre  l'un  de  ses  Hymnes 
(I,  1.  Blanch.  V,  p.  13). 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  257 

Ce  mot  ramène  Paschal  à  son  sujet  :  Garde-loi  bien  aussi, 
mon  ciier  de  Bouliers,  d'ouvrir  l'oreille  à  ceux  qui  définissent 
la  nature,  une  force  douée  de  raison  et  d'ordre,  qui  contient 
et  enfante  tout  et  en  dehors  de  laquelle  il  n'y  a  rien;  c'est 
une  force  sans  raison...  mais  qui  dépend  de  Dieu  et  non  de  soi. 
Pythagore,  entre  autres  belles  doctrines,  a  professé  que  Dieu 
est  répandu  dans  toutes  les  parties  de  l'univers,  qu'il  va  et 
vient  dans  la  nature,  et  communique  la  vie  à  tous  les  êtres 
vivants...  Cela  est  presque  en  accord  avec  notre  religion 'i>  ». 
Il  est  vrai,  mais  manifestement  Paschal  est  platonicien  :  Vico- 
mercato,  qui  a  longuement  parlé  de  la  nature  aussi,  et  qui 
représente  la  pensée  commune  des  commentateur  d'Aris- 
tote  entre  1540  et  1550,  en  fait  le  principe  de  mouvement 
du  monde  sublunaire  et  même  —  contre  Porzio  —  du  monde 
sidéral  *2).  Elle  est  pour  lui  source  de  vie  (3).  Mais  elle  n'est 
pas  la  puissance  de  Dieu;  Vicomercato  reproche  aux  théolo- 
giens de  les  identifiera^).  Il  combat  également  Platon,  Trisme- 
giste,  Orphée  et  Hésiode  sur  le  même  problème  de  la  nature  (^). 
Il  semble  donc  qu'en  général  les  chrétiens  et  les  platoniciens 
s'accordaient  pour  faire  de  la  nature  un  synonyme  de  la  Pro- 
vidence, ou  l'ensemble  des  lois  aveugles  dont  la  Providence 
se  sert  pour  atteindre  ses  fms^  tandis  que  les  péripatéticiens 
la  substituaient  à  la  Providence  ou  au  moins,  s'ils  réservaient 
encore  à  Dieu  la  direction  du  ciel,  donnaient  à  la  nature  celle 
de  notre  monde  terrestre.  C'est  pourquoi  Pierre  de  Paschal 
ajoute  cet  acte  de  foi  à  la  Providence  :  «  Je  n'ai  jamais  cru 
qu'il  y  eût  d'autre  vieille  pythonisse  (que  les  Grecs  appellent 
r.pivoia.  ),  sauf  l'intelligence  divine  qui  prévoit  et  crée  tout  et 
régit  la  nature  elle-même  ».  Le  plaisant  de  cette  déclaration, 
c'est  que  P.  de  Paschal  l'a  empruntée  mol  pour  mot  à  l'épi- 
curien Velleius  qui  au  premier  livre  du  De  Naiura  Dcorum 

(1)  Ibid.,  p.  117-118. 

(2)  De  Principiis  ver.  nal.,  m,  IV,  p.  112-115. 

(3)  Ibid.,  III,  VIII,  p.  123-136,  et  II,  XII,  p.  93-94. 
^4)  Ibid.,  III,  III,  p.  106107. 

(5)  Ibid.,  II,  XII,  p.  89  vo,  et  De  Libris...  in  quibus  de  Deo  diaserihir,  p.  26-27. 

17 


•258  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

professe  en  ces  termes  son  dédain  pour  la  Providence  stoï- 
cienne '^). 

Puis  après  avoir  cité  en  laveur  de  la  Providence  chrétienne 
une  page  de  vers  d'Orphée,  ii  conclut  :  «  Tu  vois  que  ces 
poètes  divins  ont  vraiment  attribué  à  Dieu  ce  que  ces  je  ne 
sais  quels  petits  philosophes  attribuent  à  tort  à  la  nature. 
Aussi  c'est  pour  moi  un  chagrin  —  un  grand  chagrin  —  de 
voir  des  chrétiens  embarrassés  dans  ces  vieilles  en^eurs,  dont 
les  racines  devraient  être  depuis  longtemps  coupées  et  arra- 
chées. Mais  ceux-là  seuls  sont  entraînés  par  ces  erreurs  qui, 
selon  la  parole  de  l'Apôtre,  connaissant  Dieu,  ne  l'ont  pas 
glorifié  selon  ses  mérites;  mais  s'écartant  de  la  vraie  rehgion, 
se  sont  anéantis.  Et  môme  (chose  pitoyable  à  dire)  ils  se  sont 
tellement  anéantis  que,  alors  que  la  mort  devrait  leur  rendre 
quelque  existence,  ils  pensent  qu'ils  ne  seront  plus  rien  du 
tout.  Je  te  signale  cette  catégorie  d'hommes,  afin  que  tu  les 
puisses  reconnaître  facilement.  Fuis-les  comme  des  furieux  et 
prie  le  Dieu  très  grand  et  très  bon  qu'il  ramènç  à  lui  ceux-là 
dont  une  impiété  criminelle  a  troublé  l'esprit  (2)  ». 


IV 


Jai  déjà  noté  à  plusieurs  reprises  que  l'antinomie  établie 
par  les  padouans  entre  la  raison  et  la  foi  avait  eu  pour  premier 
résultat  de  rendre  les  chrétiens  défiants  à  l'égard  de  la  pre- 
mière. Cette  attitude  de  réserve  était  restreinte  aux  matières 
religieuses,  les  questions  purement  philosophicjues  restant  du 
ressort  de  la  raison.  Voilà  que,  par  une  extension  facile  à  pré- 
voir, cette  défiance  va  atteindre  la  raison  elle-même  :  le  fidé- 
isme  va  se  tranformer  en  pyrrhonisme. 

(1)  CiCÉRON,  De  Nalura  Dcnrtnn,  I.  8;  /'.  Panchalit  epist.,  p.  lis.  T'n  an  avant  que 
P.  de  Paschal  écrivit  cette  lettre.  Mellin  de  Saitit-Gelais  publiait  son  Advertis- 
sement  sur  les  pioemenla  d'A><lrolo(iii\  où  Ton  lit  :  [Aristote]  «  en  ses  livres  de  géné- 
ration et  corruption  et  en  ceux  du  ciel,  et  rlu  inonde  et  de  la  physique...  donne 
aux  corps  célestes  la  disposition  des  choses  inférieures  desquelles  nous  sommes 
composez...  »  (Œuvres  de  \f.  de  Salnt-Gelats,  éd.  Blanchemaln,  III,  p.  252.) 

2)  P.  PaschalU  eiitst.,  p.  119-120. 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  259 

En  1527.  ("oriiclius  Agrippa  de  Netteshciiu  publiait,  à 
Cologne  son  De  liuerlitudine  scientiarum,  et  dès  1531  le  livre 
était  réimprimé  à  Paris.  Mais  en  France  même  je  ne  connais 
pas  d'ou\  rage  qui  ait  professé  le  scepticisme  radical  antérieu- 
rement à  celui  d'Omer  Talon  que  je  vais  analyser  tout  à 
l'heure  :  VAcademia  (1548).  Encore  la  source  d'Omer  Talon 
sera,  non  le  fameux  alchimiste,  mais  un  philosophe  classique  : 
Cicéron. 

Cela  ne  veut  pas  dire  qu'il  n'y  eût  pas  de  pyrrhoniens  en 
France  avant  1548.  Dix  ans  auparavant  (1538)  Sadolet  s'at- 
taquait dans  son  Phecdrus  à  la  nouvelle  académie  <^).  En  1546, 
Mellin  de  Saint-Gelais  signalait  avec  étonnement  les  sophismes 
de  celte  école  :  «  En  toutes  choses  n'y  a  qu'une  seule  opinion 
qui  nous  meine  de  droict  fil  à  la  vérité,  et  y  en  a  sans  nombre 
qui  nous  en  destournent;  tellement  que  ce  n'est  merveille  s'il 
est  difficile  de  trouver  deux  hommes  qui,  en  quelque  matière 
un  peu  subtile,  soient  d'un  mesme  advis,  si  ce  n'est  que  eslans 
guidez  au  droict  chemin  de  la  vérité  par  la  Philosophie,  ils 
s'accordent  et  viennent  à  mesme  but.  Cela  fut  cause  que  les 
sceptiques  disoient  toutes  choses  estre  disputables  et  qu'il  n'est 
riens  si  manifeste  ne  si  confessé  de  tous  que  l'on  ne  puisse 
débattre  et  par  raison  apparente  rendre  doubteux,  en  façon 
que  Anaxagoras  par  dispulation  sophistique  se  exercita 
prouver  que  la  neige  est  noire  <2)  ».  H  sera  utile  de  remarquer 
que  ce  sophisme  du  célèbre  philosophe  nous  est  rapporté  par 
Cicéron  dans  ses  Académiques  (3). 

Le  pyrrhonisme  était  môme  si  connu  en  1546  que  Rabelais 
L'a  ridicuHsé  dans  son  Tiers  livre  en  la  personne  du  philosophe 
Trouillogan.  On  sait  en  quelle  heure  embarrassante  Panurge 
se  résout  à  recourir  à  ses  lumières  et  quelle  question  délicate 
il  soumet  à  sa  prudence.  Après  qu'il  a  consulté  en  vain  le  théo- 
logien Hippotadée  et  le  médecin  Rondibilis  «  sur  l'entreprinse 

(1)  Voir  plus  haut,  page  108,  avec  la  note  2.  Il  semble,  à,  en  croire  Sadolet,  que 
la  nouvelle  académie  soit,  à  cette  date,  peu  connue  :  recens  tsta  academin. 

(2)  Advcrlissement  sur  les  Jugements  d'Astrologie  (1546),  édit.  Blanchemain,  III, 
p.  248. 

(3)  Académie,  quaest.,  II,  23,  31. 


2G0  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

du  mariage  »  et  sur  «  les  dangiers  de  coquage  »,  il  fait,  venir 
Trouillogan,  «  attendu,  lui  dit  Pantagruel,  quie  le  philosophe 
pcifaicl,  et  tel  qu'est  Trouillogan,  respond  assertivemenl  de 
tous  doubles  proposés  i^)  ».  Quelle  n'est  pas  leur  stupéfaction 
à  fous  les  deux  quand  ils  entendent  les  «  répugnantes  et 
contradictoires  responses  »  de  leur  oracle.  Panurge  a  beau  lui 
pai'ler  en  façons  «  disjunctives  »,  puis  par  propositions  simples, 
tourner  et  retourner  ses  questions,  il  n'en  peut  tirer  autre 
réponse  que  les  formules  recommandées  par  les  pyrrhoniens  : 
«  ce  que  voudrez;  j'en  double;  je  n'y  contredis;  il  est  possible; 
l'un  et  l'autre;  ni  l'un  ni  l'autre  ».  Le  subtil  philosophe  trouve 
même  l'occasion  de  lui  apprendre  que  plus  on  sait  une  ques- 
tion, plus  on  en  doit  douter  :  «  Pour  quoy  donc  doublez  vous 
d'une  chose  (|ue  ne  cognoissez  ?  —  Pour  cause  —  Et  si  la 
cognoissiez  ?  —  Encore  plus  ». 

La  blanche  ^'é^ité  dorl  au  Innd  d  un  gi-aiid  puits  (2). 

C'est  aussi  l'impression  de  Panurge.  Il  se  croit  «  descendu  au 
puitz  ténébreux,  auquel  disoit  Heraclitus  estre  vérité  cachée  (3)  ». 
Le  compagnon  bavard  de  Pantagruel  est  subjugué  et  irrité  par 
le  laconisme  ambigu  (hi  ])hilosophe.  Il  se  fâche  et  se  donne  au 
diable.  Mais  le  sage  Gargantua,  interprète  de  Rabelais  proba- 
blement, se  lève.  Il  n'est  pas  irrité,  lui,  il  est  scandalisé.  Non 
pas,  sans  doute,  qu'il  ne  comprenne  et  n'approuve  une  réserve 
prudente  et  un  doute  fondé.  Mais  abuser  ainsi  de  la  raison, 
se  soustraire  de  parti  pris  à  toute  responsabilité  intellectuelle, 
hésiter  toujours  entre  oui  et  non  et  s'amuser  à  ce  jeu  lui  paraît 
inconvenant.  «  Loué  soil  le  bon  Dieu  en  toutes  choses,  dit-il. 
A  ce  que  je  voy,  le  monde  est  devenu  beau  filz,  depuis  ma 
cognoissance  première.  En  sommes  nous  là  ?  Donc  sont  huy 
les  plus  doctes  et  prudens  philosophes  entrés  au  phrontislere 
et   escole    des    pyrrhoniens,    aporrheticques,    sceplicques   et 


(1)  Pantaoruel.  m,  xxix. 

(2)  .Silly-Prl'dhomme.  Les  Epreuves    le  Doute. 

(3)  Métaphore  classUfiie  chez  les  pyrrhoniens.   On  la  retrouvera  tout  à  l'heure 
dans  le  livre  dû.  Talon. 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  201 

ephectiques.  Loué  soit  le  bon  Dieu  !  Vrayement  on  pourra 
dorénavant  prendre  les  lions  par  les  jubés;  les  chevaulx,  par 
les  crains;  les  bulles,  par  le  museau;  les  bœufz,  par  les  cornes; 
les  loups,  par  la  queue;  les  chèvres,  par  la  barbe;  les  oiseaux, 
par  les  piedz;  mais  ja  ne  seront  telz  philosophes  par  leurs 
paroles  pris.  A  Dieu  mes  bons  amis  ».  Ces  motz  prononcés, 
se  retira  de  la  compagnie.  Pantagruel  et  les  aultres  le  vou- 
loient  suivre;  mais  il  ne  le  voulut  permettre  (i)  ». 

Deux  ans  après  que  Rabelais  eut  publié  cette  charge  gro- 
tesque du  nouvel  académicien,  0.  Talon  exposa  l'histoire  et  la 
méthode  de  la  nouvelle  académie  dans  son  Acadeinia  (1548)  (2). 
En  écrivant  ce  livre,  le  professeur  semble  avoir  eu  deux  inten- 
tions. Le  but  immédiat,  c'était  dis  justifier  Ramus,  son  ami 
intime,  «  son  frère  »,  comme  il  l'appelle,  d'avoir  attaqué  Aris- 
tote.  Car  en  proclamant  qu'aucun  système  n'est  suffisant  et 
complet,  que  la  vérité  se  doit  cueillir  en  toute  liberté  et  com- 
poser comme  un  bouquet  de  fleurs  éparses  et  diverses,  il  con- 
damnait l'attachement  exclusif  de  l'école  à  Aristote  et  la  guerre 
que  depuis  cinq  ans  elle  menait  contre  Ramus  par  la  voix  et  les 
livres  de  Périon,  Ant.  Govéan,  Galland,  Danès,  Vicomercato. 
Deux  causes,  dit-il  dans  la  conclusion  de  son  opuscule,  font  que 
les  sectateurs  d'Epicure,  d'Aristote,  de  Zenon,  sont  plus  nom- 
breux que  les  partisans  de  l'Académie  :  la  paresse  intellectuelle 
qui  fait  que  Ion  aime  à  trouver  la  vérité  toute  faite  et  pour 
ainsi  dire  systématisée;  l'engouement  pour  un  penseur  dont 
on  a  fait  son  idole  '3).  C'est  ainsi  que  certains  péripatéticiens 
cf  sont  si  attachés  à  leur  maître  qu'ils  en  font  une  sorte  de  Dieu 
et  croient  que  ce  qui  est  contraire  à  Aristote  l'est  aussi  à  la 


(1)  Pnntcigruel,  m,  xxxvi.  La  scène  commence  au  chapitre  précédent.  Voir  le 
commentaire  qu'en  donne  E.  Faguet,  Seizième  siècle,  p.  106-107. 

(2)  Audom.  Talœi  Academia,  ad  Cardinalem  Lotharingum,  Paris,  1548.  Je  cite 
d'api-ès  la  réimpression  des  Collectaneae  Prœfaliones,  1577.  Sur  Omer  Talon  et 
son  livre,  cf.  de  Launoy,  De  varia  Ai'lstol...  fortuna,  c,  13,  14;  Waddington,  De 
P.  Rami  vita,  p.  17  et  passim. 

(3)  Academia,  p.  125-126;   Cicéron,    Acad..   Il,   3. 


262  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

nature,  à  la  vcrilé.  à  Dieu  ».  C'est  ce  fanatisme  qui  les  a  fait 
se  déchaîner  contre  Ramus  avec  tant  de  lage  et  remuer  ciel  et 
terre  pour  le  faire  condamner  i)ar  le  roi  : 

Vix  IManui.s  tanti.   lulaque  Troia  fiiil  1  d) 

Mais  le  but  philosophique  de  l'ouvrage.  Talon  l'expose  dès 
le  début  :  «  délivrer  les  hommes  opiniâtres,  esclaves  des 
croyances  fixes  en  philosophie  et  réduits  à  une  indigne  servi- 
tude; leur  faire  conqtrendie  que  la  vraie  philosophie  est  libie 
dans  l'appréciation  el  le  jugement  qu'elle  porte  sur  les  choses, 
et  non  enchaînée  à  une  opinion  ou  à  un  auteur  (^)  ». 

L'ensemble  de  la  dissertation  est  emprunté  aux  Acadé- 
miques de  Cicéron.  Dans  la  première  partie,  0.  ïalon  fait 
l'histoire  de  l'ancienne  el  de  la  nouvelle  xAcadémie,  l'une  allant 
(le  Platon  à  Arcésilas.  l'autre  d'Arcésilas  à  Carnéade  (3).  «  Le 
principe  dé  cette  nouvelle  Académie,  c'était  de  disputer  le  pour 
et  le  contre  des  questions  obscures,  de  ne  pas  prendre  les  opi- 
nions des  philosoi)hes  poui'  les  oracles  divins,  de  ne  pas  s'atta- 
cher continuellement  à  une  école  <^)  ».  Mais  elle  n'est  pas  aussi 
nouvelle  qu'elle  le  prétend,  car  avant  elle  «  Démocrite,  Anaxa- 
gore,  Empédocle  avaient  professé  qu'on  ne  peut  rien  connaître, 
rien  comprendre,  rien  savoir,  (jue  nos  sens  sont  bornés,  notre 
esprit  débile,  nolic  \ic  coiiitc  et  la  vérité^  selon  l'expression 
de  Démocrite,  profondément  enfouie,  que  les  opinions  et  les 
sy.stèmes  ont  tout  envahi,  qu'il  ne  reste  ])lus  de  place  pour 
la  vérité  et  qu'enfin  tout  est  couvert  de  ténèbres  :  c'est  pour- 
quoi Arcésilas  soutenait  ([n'on  ne  peut  l'ien  connaître  et  non 
pas  seulement,  commf  Socrate,  qu'on  ne  connaît  rien;  tant  la 
vérité  est  profondément  cacher  !  Il  ne  faut  donc  rien  tenir  pour 


(1)  Ihid.,    p.    123-133. 

(2)  Ibid..  p.  109. 

(3)  Ihid..    p.    110-111:   CirÉRON.    ArfKlnriic.    I,    9:    II.    6. 
Cl)  Acndeiiiin.  p.  111;  Acad..  I.  3 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    £T    1553  203 

certain,  rien  affirmer,  mais  retenii-  toujours  son  assentiment 
et  se  garder  de  toute  précipitation  téméraire  (^'  ». 

On  a  reconnu  dans  cet  exposé  les  termes  mêmes  dont  use 
Cicéron  à  la  fin  des  Secondes  Académiques.  0.  Talon  lui 
emprunte  encore  plusieurs  autres  formules  de  ce  genre  t^). 
Puis  il  prend  aux  Premières  Académiques  l'exposé  plus  tech- 
nique de  la  logique  de  Carnéade  et  de  Philon.  La  vraie  philo- 
sophie, dit-il,  évite  deux  défauts  :  la  compréhension  (  y.y-xvr/^ng 
et  rassentimenl  (  (jvy/.xrâ^-'ji:  );  car  aucune  sensation,  aucune 
perception  n'est  certaine  (3).  En  fait  les  anciens  philosophes 
n'ont  ahouti  qu'à  des  résultats  incohérents  :  les  physiciens 
ignorant  tout  de  la  nature  des  choses,  les  moralistes  se 
disputant  sur  le  fondement  du  souverain  bien,  les  logiciens 
cherchant  toujours  le  critérium  de  la  certitude '<*).  Dans  ces 
conditions,  il  faut  suspendre  tout  jugement  et  s'en  tenir  à 
ïi-oyy;    des  Pvrrhoniens  '^^ 

La  seconde  partie  du  traité  expose  les  méthodes-  différentes 
de  discussion  des  diverses  Académies  et  ne  présente  ici  aucun 
intérêt  f^).  Mais  la  troisième,  si  elle  rappelle  encore  de  trop 
près  les  phrases  dte  Cicéron,  nous  fait  soupçonner  en  Talon  un 
académicien  aussi  déclaré  que  son  maître  :  «  les  académiciens, 
s'écrie-t-il.  sont  autant  au-dessus  des  autres  philosophes  que 
les  hommes  libres  sont  au-dessus  des  esclaves,  les  sages  au- 
dessus  des  imprudents,  les  esprits  fermes  au-dessus  des  opi- 
niâtres (-')  )).  Les  autres  en  effet,  sont  liés  par  un  système  ou 
attachés  à  un  homme:  le  nouvel  académicien  est  libre.  Sa  philo- 
sophie «  lui  enseigne  la  réserve,  garantit  sa  liberté,  le  pousse 
à  la  recherche  de  la  sagesse,  fait  la  force  et  le  fondement  du 
jugement  humain  t^'  ».  Elle  apprend  à  s'attacher  à  la  philo- 

(1)  Academia,  p.  112-113;  Acad.,   I,  12. 

(2)  Haec  igitur  unica  fuit  antlquorum  et  primorum  philosopliorum  sapientia, 
hoc  uniim  arbitrare  se  scire,  quod  nihil  scirent.  Academia.  p.  113-114;  Acad.,  II, 
33. 

(3)  Academia,  p.  115;  Acad.,  Il,    12.  47. 

(4)  Academia,  p.  116.  llS-119:  Acad.  II.  37  et  suiv. 
(6)  Academia.  p.  116;  Acad.,  II,    is. 

(6)  Academia,  p.  120-124. 

(7)  Academia.  p.   124-125:   Acad..  Il,     3. 

(8)  Academia,  p.  125. 


264  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Sophie  et  non  aux  philosophes.  Le  <(  magister  dixit  »  appliqué 
à  Pythagore  ou  à  Arislole  est  au  contraire  fatal  à  la  liberté 
de  la  pensée  '^). 

X'oilà  donc  Cicéron  devenu  maître  du  pyrrhonisme,  car  la 
première  partie  de  celte  analyse  lui  est  prise  presque  textuel- 
lement; et  voilà  Orner  Talon,  si  nous  en  croyons  sa  conclusion, 
qui  prêche,  abrilé  par  Cicéron,  l'absolu  scepticisme.  Ses 
ennemis  du  moins  interprétèrent  ainsi  sa  dissertation.  Il  est 
probable  cependant  qu'il  faut  séparer  en  lui  le  philosophe 
et  le  chrétien.  Grâce  à  la  distinction  popularisée  par  l'école 
padouane  entre  la  conscience  religieuse  et  la  conscience  philo- 
sophique, l'auteur  peut  publier  les  livres  les  plus  hardis  sans 
que  sa  foi  chrétienne  puisse  être  suspectée.  Pomponazzi  philo- 
sophe déclarait  le  problème  de  limmortahté  insoluble,  Pompo- 
nazzi chrétien  croyait  l'âme  immortelle;  Talon  philosophe  pro- 
clamait la  vérité  introuvable.  Talon  chrétien  croyait  à  la  vérité 
révélée.  C'est  du  moins  lui  qui  nous  le  dit  et  s'il  nous  est 
loisible  de  iiolei'  le  danger  d'un  lldéisme  aussi  découragé  '^\ 
nous  ne  pouvons  en  suspecter  la  sincérité  puisque  cette  atti- 
tude sera  admise  pendant  tout  le  cours  du  siècle  ;  «  Quoi 
donc  ?  s'écrie  Omer  Talon,  faudra-t-il  ne  croire  à  rien  sans 
argument  décisif,  faudra-t-il  s'abstenir  de  rien  approuver  sans 
raison  évidente  ?  Au  contraire;  dans  les  choses  religieuses  une 
foi  sûre  et  solide  aura  plus  de  poids  que  toutes  les  démons- 
trations de  tous  les  philosophes.  Cette  dissertation  que  je 
fais  ne  vaut  que  pour  la  philosophie  humaine  dans  laquelle 
il  faut  d'abord  connaître  avant  de  croire;  dans  les  problèmes 
religieux,  au  contraire,  qui  dépassent  l'intelligence,  il  faut 
d'abord  croii'e  afin  d'airiver  ensuite  à  la  connaissance  ^3'  ». 


fl)  Academta,  p.  126. 

(2)  ■■  C'est  le  sceptirlsine  qui  rpcneillo  l'héritage  du  fld-^Jsme.  »  (Ollé-Laprune. 
Ln  rrrtittide  rnornir.  rhap.  IV.  p.  927.)  Tout  le  chapitre  V  rie  ce  livre  de  GUé- 
Laprune  est  consax-ré  i\  montrer  comment  le  scepticisme  et  le  positivisme  sortent 
du   fldélsme. 

(3)  Academta,  p   120. 


LES    ASPECTS    DU    RATIOXALISME    ENTRE    1542    ET    1553  205 


v 


Et  nous  retrouvons  maître  François  Rabelais  *i).  Nous 
n'avons  recueilli  dans  les  deux  premiers  livres  que  ses  attaques 
contre  les  miracles.  Nous  aurions  pu  cependant  y  relever  sur 
la  nature  de  l'àme  une  plaisanterie  qui  à  première  vue  semble 
suspecte.  Dans  le  combat  de  l'armée  de  Garganlua  contre 
celle  de  Picrocliole,  Gymnaste  s'attaque  à  Tripet,  «  et  ce 
pendant  qu'iceluy  se  couvroit  en  hault,  luy  tailla  d'un  coup 
l'estomac,  le  colon  et  la  moytié  du  foye  :  dont  tomba  par  t^rre, 
et  tombant  rendit  plus  de  quatre  potées  de  soupe,  et  lame 
meslée  parmy  les  soupes  ^"')  ».  Cette  image  lui  sourit,  car  il  la 
reprendra  en  l'aggravant  au  Quart,  livre.  Panurge  en  effel 
trouve  dans  l'île  de  l^uach  de  drôles  de  malades  :  <(  Ils  meurent 
tous  hydropiques,  tympanites,  et  meurent,  les  hommes  en 
pétant,  les  femmes  en  vesnant.  Ainsi  leur  sort  l'ame  par  le 
cul  (3'  ».  Ces  textes  sont  plus  choquants  que  dangereux. 
Rabelais  avait  lu  peut-être,  entendu  discuter  en  tout  cas,  à  son 
ami  A.  Bouchard  ces  chapitres  que  nous  avons' cités,  où  le 
rêveur  platonicien  se  demande  u  comment  l'ame  descend  au 
corps  humain;  en  quel  temps  l'ame  est  au  corps  infuse  et 
par  quelle  part  aussi  elle  en  sort  i^)  ».  Et  comme  la  «plato- 
nique académie  »  consultée  gravement  par  le  docte  Bou- 
chard n'arrivait  pas  à  donner  une  réponse  certaine  à  ces  ques- 
tions saugrenues,  Rabelais  proposait  dans  un  éclat  de  gaieté 
un  peu  gras  la  solution  du  problème. 

Cela  ne  l'empêchait  pas  d'y  chercher  des  réponses  plus 
sérieuses.  Il  a  lu  dès  son  apparition  à  Paris  (1530),  ou  plutôt 


(1)  Tin-R  Une.  1546;  (?i/fl(f  livre,  1548.  augmenté  en  1552.  Les  chapitres  étudiés 
dans  le  iiréseiu  article  sont  de  1552. 

(2)  I,  XXXV. 

(3)  IV,  XLIII. 

(4)  De  l'excellence  et  immortalUé  de  lame,  chap.  III  et  IV. 


266  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

dan>  IcMlilion  de  Lyon  en  1532'^),  le  traité  de  Leonico  sur 
rame  qne  nous  avons  analysé.  Ce  traité  en  effet  parut  chez 
Colincs  et  chez  Gryphe  avec  un  certain  nombre  d'opuscules 
de  Leonico,  entré  autres  le  Sammitus  sive  de  luclo  Talario. 
Rabelais  cite  ce  dernier  dialogue  dans  son  premier  livre  (2). 
Il  est  allé  en  Italie  à  plusieurs  reprises.  En  1535,  étant  à  Rome, 
il  se  mit  en  devoir  d'apprendre  l'arabe  «  afin  d'étudier  les 
averroïstes  dans  le  texte  même.  Lévêque  de  Iveramo...  lui  en 
donna  les  premières  leçons  <3)  ».  H  est  à  remarquer  que  Rabe- 
lais l'appelle  ((  son  premier  précepteur  en  langue  arabique  », 
ce  qui  suj)poserait  (ju'il  a  continué  (juelque  temps  cette  étude. 
Dès  ses  premiers  livres  aussi,  il  cite  fréquemment  Alexandre 
d'Aphrodisias  "")  et  se  moque  au  contraire  de  Pierre  d'Ailly  (^\ 
sans  que  nous  sachions  cependant  s'il  les  a  lus  ou  si  seulement 
il  en  a  entendu  parler  dans  ses  études.  Enfin,  il  a  eu  dans  sa 
bibliothèque  le  De  Anima  de  Mélanchthon,  de  la  première  édi- 
tion en  1540  (^).  Le  volume  qui  porte  son  ex  lihris  est  aujour- 
d'hui à  la  bibliothèque  Bodléienne  d'Oxford  <^).  La  Revue  des 
Etudes  Rabelaisiennes  qui  signale  ce  fait  intéressant  ajoute 
que  Rabelais  y  cherchait  sans  doute  d'abord  les  études  anato- 
miqucs  et  physiologiques  qui  occupent  les  deux  tiers  du  traité. 
Il  sera  permis  d'en  douter,  quand  on  voit  l'importance  de  cette 
question  de  l'Ame  au  XVP  siècle  et  l'obsession  qu'elle  exer- 
çait <ur  tous  les  esprits  cultivés.  Rabelais  était  donc  au  cou- 


(1)  Rabelais  étaitv  à  Lyon  quand  Gryphe  publia  cette  édition,  et  lui-même, 
outre  son  I^r  livre,  publiait  ciiez  l'éditeur  de  Tomeo  les  Lettres  médicinales  de 
Giovanni  Manardi  et  r.'lr.«  parva  de  Gallen. 

(2)  I,  XXIV  :  "  Puis  estudoient  en  l'art  de  peinture  et  sculpture  ou  revoquolent 
en  usage  l'antique  jeu  des  taies  ainsi  qu'en  a  escrit  Leonicus  et  comme  y  joue 
nostre  l)ons  amy  Lascaris  .> 

(3)  Heilhard,  nabelals  en  IIoUp.  p.  83.  Voici  le  texte  de  liabelais  :  «  l'Evesque 
de  Caramith.  celuy  qui  en  Rome  fut  mon  premier  précepteur  en  langue  ara- 
bique ..  ». 

(4)  Par  exemple.  I.  X  (fin);  I,  XXXIX 

(5)  II,  XIV;  III,  XXX  et  passim. 

(6)  fotnmentariwt  de  Anima  Philip.  Melanch.  {sic),  Vltebergsp,  MDXL.  Le  livre 
fut  aussi  édité  chez  Gryphius  en  1542. 

(7)  Ui;vue  El    nabfl.,  1907.  p.  4'i8-449,  et  1921.  fasc.  3-4,  p.  280. 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  207 

rant  des  discussions  soulevées  par  les  élèves  de  Pomponazzi. 
Aussi  il  va  donner  son  opinion,  mais  d'une  façon  si  subtile 
qu'elle  va  demander  de  longs  commentaires;  encore  ne  nous 
flattons  pas  d'avoir  trouvé  le  dernier  mot  de  Rabelais. 

Dans  le  Tiers  livre  (1546),  il  écrit  trois  fois  asne  pour  âme  (^'. 
Il  est  vrai  que  c'est  celle  de  Raminagrobis.  Au  même  livre, 
il  met  dans  la  bouche  de  Panurge  un  discours  sur  la  consti- 
tution physique  de  l'homme  et  le  siège  de  l'àme  :  ^<  L'intention 
du  fondateur  de  ce  microcosme  (l'homme),  est  y  entretenir 
lame,  laquelle  y  a  mise  comme  hoste,  et  la  vie.  La  vie  consiste 
en  sang.  Sang  est  le  siège  de  l'ame;  pourtant  un  seul  labeur 
peine  en  ce  monde,  c'est  forger  sang  continuellement  ».  Et 
après  avoir  décrit  le  long  travail  de  formation  et  d'épuration  du 
sang,  il  conclut  :  ((  En  fin  tant  est  affiné  (le  sang)  dedans  le  retz 
merveilleux  que,  par  après  en  sont  faicts  les  espritz  animaulx, 
moyennant  lesquelz  elle  imagine,  discourt,  juge,  resoult, 
délibère  ratiocine,  et  remémore... '2)  »,  Ailleurs  lé  médecin 
Rondibilis  revient  sur  les  esprits  animaux  :  (c  Contemplez,  dit-il 
à  Panurge,  la  forme  d'un  home  attentif  à  quelque  estude, 
vous  voirez  en  luy  toutes  les  artères  du  cerveau  bendées 
comme  la  chorde  d'un  arbalèste,  pour  luy  fournir  dextrement 
espritz  suffisans  à  remplir  les  ventricules  du  sens  commun, 
de  l'imagination  et  appréhension,  de  la  ratiocination  et  reso- 
lution, de  la  mémoire  et  recordation  :  et  agilement  courir 
de  l'un  à  l'autre  par  les  conduitz  manifestes  en  anatomie  sus 
la  fin  du  retz  admirable  onquel  se  terminent  les  artères  :  les 
quelles  de  la  senestre  armoire  du  cœur  prenoient  leur  origine, 
et  les  espritz  vitaulx  affînoient  en  longs  ambages  pour  estre 
faictz  animaulx  '3)  ». 

Le  livre  fut  condamné.  M.  Heulhard  voit  dans  le  discour? 
de  Panurge  une  profession  de  foi  matérialiste  ^^\  J'en  doute 

(1)  III,  XXII  :  "  Son  asne  s'en  va  à.  trente  mille  pannerees  de  diables  ».  La 
phrase  est  répétée  une  seconde  fois  à  la  fin  du  chapitre.  —  III,  XXIII  :  «  au  moins 
s'il  perd  le  corps  et  la  vie,  qu'il  ne  damne  son  asne  ». 

(2)  III,  IV. 

(3)  III,  XXXI. 

(4)  Bahnlais  en  Italie,  p.  208  et  sulv.  M.  Heulhard  ne  relève  pas  le  discours  de 
Rondibilis,  mais  l'idée  est  la  même  que  dans  celui  de  Panurge. 


2G8  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

pour  ma  part.  Conditionner  l'exercice  de  la  pensée  par  1  état 
du  cerveau  n'a  rien  de  matérialiste.  Quant  à  l'élaboration  des 
esprits  vilaux  et  animaux  dans  le  sang,  c'est  une  théorie  cou- 
rante chez  les  médecins  et  philosophes  du  XVP  siècle  qui  l'ont 
trouvée  dans  la  Bible  <i).  Rabelais  a  pu  la  prendre  à  Mélanch- 
thon  <2\  ou  à  Cardan  (3\  ou  encore  à  Guillaume  Bigot  <^).  Il 
est  remarquable  pourtant  que,  d'après  G.  Bigot,  on  reprochait 
cette  théorie  à  Galien  et  que  Cassiodore,  dont  l'édition  récente 
était  connue  à  Rabelais  '^)  par  son  ami  A.  Bouchard,  la  combat 
et  restreint  la  formation  par  le  sang  à  l'àme  des  animaux  : 
((  Donc  on  a  bien  raison  de  réserver  ce  nom  d'âme  à  celle  des 
hommes  à  l'exclusion  des  animaux,  parce  que  pour  ceux-ci 
leur  principe  vital  est  constitué  dans  le  sang.  Mais  celle-là 
(celle  de  l'homme),  étant  immortelle,  porte  à  bon  droit  le  nom 
d'âme,  de  y.vy.vj.y.,  c'est-à-dire  séparée  du  sang,  parce  que. 
même  après  la  mort  du  corps,  elle  garde  dans  sa  perfection 
sa  propre  substance  ■^)  ».  Il  est  certain  d'autre  part  que  parmi 
les  accusations  portées  contre  le  Tiers  livre,  on  releva  dés  héré- 


fl)  Levit.,  XVII,  11,  15  :  Anima  carnis  in  sanguine  est. 

(2)  Melanchthon,  Commentar.  de  Anima,  p.  149  (éd.  de  1542).  Posfel  expose  aussj 
cette  théorie  à  la  même  éixxiue.  Elans  le  De  Natlvit.  med.  ult.  (1547),  p.  86-87  : 
"  Nisi  varii  interprètes  contorsissent  dlctum  Mosis  ad  sua-s  opiniones,  quo  dixit  : 
Anima  in  sanguine  est  :  illa  poterant  satis  esse  ad  originem  (animse)  demonstraa- 
dam,  ut  videlicet  anima  quidem  sit  in  potentia  in  semine,  sed  non  iirius  in  actum 
seipsam  movendo  veniat,  quam  in  ambryone  sang-uis  fiât...  »;  et  Abrah.  liber 
lezorah  (1552),  note  Z.s,  page  Dw  :  "  Summa  enim  virtus  voluntatis  Dei  est  in  hoc 
posita  ut  sanguis  qui  nihil  aliud  est  quam  Aqua  Rubra  divinitus  per  animalium 
virtuium  adminicula  tincta,  sit  sedes  animarum.  Anima  enim  in  «anguine  est  ». 
—  Dès  1538.  DOLET  signale  gans  la  développer  cette  théorie  :  Quam  (Vinimam) 
nonnulli  sanguincm  interpretantur  {Comment,  ling.  lat.  lib.  II,  p    413). 

(3)  llieron.  Cardard...  de  niiimorum  immort  ad  laie.  Lyon,  Seb.  Gryphius.  1545. 
Une  partie  du  chap.  V  examine  si  les  âmes  naissent  du  sang. 

(4)  '"hrlst.  i>liilosoph.  prietudium,  Toulouse,  1549  :  «  Respondens  objection!  pro 
Galeno  factœ,  a=serit  se  recte  dixisse  Galenum,  tamen  ix)tius  excusât  quam  incusat. 
post  loquitur  de  materiali  causa  .spiritus  vitalis  qu.ne  potior  est  sanguinis  pars  et 
subtilior  :  tum  rjuomodo  hic  spiritus  peiiiciatur  in  corde  >•.  Titre  d'un  chapitre 
non  numéroté  du  premier  livre,  p.  117.  Voir  aussi  sur  cette  question  la  thèse  de 
M.  FiGARD  .sur  Fernel.  ch   V. 

(5)  Voir  ch,  VI,  p.  175-176. 

(6)  Anima  Igitur  homlnis  proprie  dicitur  non  etiam  i)ecudnm,  quia  illonim  vita 
in  sanguine  tantum  noscitur  constituta  Uivi-  vero  rpioniam  immoitalls  est.  anima 
recte  appellatur,  quasi  ■>j'/,<,;  (il  faudrait  dire  w/iyi;),  Id  est,  a  sanguine  longe 
discreta,  quoniam  et  post  mortera  corpori.s  perfcctam  ejus  constat  esse  sub-^lan- 
tiam  (Cassiodore,  De  Anima,  début). 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  209 

sies  sur  l'àme.  Rabelais  en  effet  s'en  défend,  mais  il  ne  fait 
allusion  qu'à  la  triple  substitution  de  asne  à  âme  qui  serait 
aux  yeux  de  ses  ennemis,  le  seul  fondement  «  de  mortelle 
hérésie  »  ei  qui  est  —  on  s'en  serait  douté  —  <(  survenue 
par  la  faulte  et  négligence  des  imprimeurs 'i'  ».  Allons,  tant 
mieux. 

Il  récidiva  cependant.  Dans  le  Quart  livre  (1548),  voulant 
excuser  Panurge  sur  ce  qu'il  a  eu  peur  durant  la  tempête, 
il  en  donne  une  raison  un  peu  inattendue  :  «  Ores,  si  chose  est 
en  ceste  vie  a  craindre,  après  l'offence  de  Dieu,...  je  dis  ceste 
espèce  de  mort  par  naufraige  estre,  ou  rien  n'estre  à  craindre. 
Car,  comme  est  la  sentence  de  Homère,  chose  griefve,  abhor- 
rente  et  dénaturée  est  périr  en  mer.  La  raison  est  baillée  par 
les  Pilhagoriens,  pour  ce  que  lame  est  feu  et  de  substance 
ignée.  .Mourant  donc  l'homme  en  eau  (élément  contraire),  leur 
semble  (toutesfois  le  contraire  est  vérité)  l'ame  estre  entiè- 
rement estaincte  f^)  ».  a  Quoiqu'il  se  prononce  contre  cette  doc- 
trine par  la  bouche  même  de  Pantagruel,  Rabelais  biffa  entiè- 
rement la  dernière  phrase  dans  l'édition  de  1552.  Et  cette 
prudence  lui  était  dictée  par  le  funèbre  précédent  de  Dolet  ^3)  », 
condamné  en  1545  pour  avoir  traduit  une  phrase  de  Platon 
aussi  inoffensive  que  celle  de  Pythagore. 

Et  non  seulement  il  supprime  les  passages  suspects,  mais 
il  va  confesser  franchement,  en  apparence,  sa  foi  à  l'immor- 
talité. ((  Huppe  de  froc,  s'écrie  frère  Jean,  je  veulx  devenir 
clerc  sus  mes  vieux  jours.  J'ay  assez  belle  entendouoiré, 
voire. 

Je  vous  demande  en  demandanf, 

Comme  le  roy  à  son  sergent, 

Et  la  royne  à  son  enfant  : 

Ces  héros  icy  et  semi-dieux  desquelz  avez  parlé  peuvent  ilz 
par  mort  finir?  Par  nettre  dene,  je  pensois  en  pensarois  qu'ilz 


(1)  «  Le  defunct  roy  François  àvoit  eu  en  horreur  quelque  mangeur  de  serpens 
qui  fondoit  mortelle  hœresle  sus  un  N  mis  pour  :m  par  la  faulte  et  négligence  des 
imprimeurs  ».  Prologue  du  Quart  livre  de  1552,  au  cardinal  Odet  de  Châtillon. 

(2)  IV,   XXII. 

(3)  Heulhard.  Rabelais  en  Italie,  p.  250. 


27(0  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

fussent  immorlelz,  comme  beaux  anges,  Dieu  me  le  veuille 
pardonner.  Mais  ce  reverendissime  Macrobe  dit  qu'ilz  meurent 
finalement.  —  Xon  tous,  respondit  Pantagruel.  Les  Stoïciens 
les  disaient  tous  esire  mortelz,  un  excepté,  qui  seul  est  im- 
mortel, impassible,  invisible.  Pindarus  apertement  dit  es 
déesses  Hamadryades  plus  de  fil,  c'est-à-dire  plus  de  vie, 
n'estre  fille  de  la  (luonoille  et  fillasse  des  Destinées...  que 
es  arbres  par  elles  conservées...  Quant  aux  Semidieux,  Panes, 
Satyres,...  Heroes  et  Diemons,  plusieurs  ont...  compté  leurs 
vies  estre  de  9720  ans...  —  Cela,  dist  frère  Jean,  n'est  point 
matière  de  bréviaire.  Je  n'en  croy  sinon  ce  que  vous  plaira.  — 
Je  croy,  dist  Pantagruel,  que  toutes  âmes  intellectives  sont 
exemptes  des  cizeaux  de  Atropos.  Toutes  sont  immortelles  : 
Anges,   Damions  et  Humaines  '^)  ». 

Jusqu'ici  la  position  e!st  claire.  D'un  côté,  frère  Jean  ne  croit 
pas  aux  héros  et  laisse  pour  compte  à  Plutarque  les  racontars 
superstitieux  de  la  Cessation  des  oracles  ^^-K  Mais  frère  Jean 
croit-il  à  l'immortalité  de  l'âme  humaine  ?  Il  ne  répond  point 
à  la  profession  de  foi  du  bon  Pantagruel.  Celui-ci  d'autre  part, 
le  sage  du  livre,  croit  l'âme  immortelle,  et  il  est  visible  même 
qu'il  a  bien  étudié  la  question,  puisqu'il  a  le  soin  de  préciser 
qu'il  ne  s'agit  que  de  l'âme  «  intellective  ».  Les  averroïstes  eux- 
mêmes  eussent  souscrit  à  sa  déclaration.  On  peut  même  sup- 
poser qu'il  est  ici  le  porte-parole  de  Rabelais.  Mais  voici  qui 
n'est  plus  aussi  clair. 

«  Je  vous  diray  toutes  fois,  continue  Pantagruel, nine  histoire 
bien  estrange,  mais  escripte  et  asceuree  par  plusieurs  doctes 
et  sfcavans  historiographes  à  ce  propous  ».  Cette  histoire 
étrange,  c'est  le  mythe  de  la  mort  du  grand  Pan  '^\  Les  héros 


(1)  IV,  XXVII,  fin. 

(2)  Tous  les  détails  en  effet  en  sont  tirés,  comme  l'indique  Rabelais  lui-m^me 

(3)  -M.  Salomon  Reinach  a  expliqué  ce  mythe  d'une  façon  très  Ingénieuse  à 
l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles  Lettres.  Le  pilote  du  bateau  s'appelait  Tha- 
mou-,  d'après  Plutarque  :  "  Or  Thamous  est  le  nom  syrien  d'Adonis  dont  les 
fidèles  pleuraient  chaque  année  la  mort.  A  cette  occasion,  ils  psalmodiaient  une 
sorte  de  cantilène  comix)sée  du  nom  trois  fois  répété  de  Thamous  et  de  trois  mots 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  271 

donc,  sont  immortels  et  «  toutes  fois  »  le  grand  Pan  est  mort. 
Serait-ce  à  dire  que  les  héros  meurent  et  que  Pantagruel  ne 
nous  a  fait  une  déclaration  de  si  pur  spiritualisme  que  pour 
la  rétracter  adroitement?  Chez  Pluiarque,  Philippe  raconte 
cette  histoire  pour  prouver  que  les  héros  sont  mortels.  M.  Plat- 
tard  me  semble  avoir  prouvé  que  c'est  le  texte  de  Plutarque 
que  suit  Rabelais  et  non  celui  d'Eusèbe  ou  de  G.  Bigot  qui 
lui  ont  aussi  emprunté  ce  récit 'i'.  Il  est  donc  à  croire  qu'il 
savait  la  portée  de  cette  légende,  comme  le  marque  du  reste 
sa  transition  :  Je  vous  diray  toutes  fois  une  histoire '2).  De 
Lostal,  qui  reprend  ce  récit  dans  ses  Discours  jjhiloso- 
phiques  (3),  en  conclut  que  certaines  Intelligences  sont  mor- 
telles et  d'autres  immortelles.  Bodin  dans  son  Heptaplomeres 
raconte  aussi  l'histoire  pour  prouver  que  «  certainement  ils 
(les  démons)  ne  sont  point  immortels  (^)  ».  Mais  Rabelais  en 
joignant  les  âmes  humaines  aux  âmes  des  démons,  a  singu- 
lièrement compliqué  la  question.  Ils  nous  importe  peu  que  les 

grecs  signifiant  :  le  très  grand  (Dieu)  est  mort.  Le  pilote  et  les  passagers,  qui 
ignoraient  l'identité  de  Thamous  et  d'Adonis,  crurent  que  le  cri  de  Thamous 
appelait  le  pilote  par  son  nom  et  que  l'épithète  r.my.-yv.^  (très  grand)  signifiait  : 
le  grand  Pan  ».  C'est  ce  malentendu  qui  a  donné  naissance  à  l'histoire  rapportée 
par  Plutarque  et  si  inutilement  commentée  depuis  iBulletin  Corr.  Hell  .  XXXI, 
1907,  p.  1-12).  M.  L.  Karl  n'accepte  pas  l'interprétation  de  M.  S.  Reinacti  {Mélanges, 
E.   Picot,   I,   p.   268) 

(1)  Plattard,  L'Œuvre  de  Rabelais,  p.  244  et  292  et  suiv. 

(2)  Quant  à  l'application  qu'il  fait  du  mythe  à  Jésus-Christ,  elle  vient  d'autres 
sources.  Pan  était  en  effet  le  symt)ole  tout  désigné  du  bon  pasteur.  P.  Messie  le 
premier  peut-être  l'avait  employé,  puis  l'italien  Pierre  le  Chevelu.  Du  Fail 
l'assure  du  moins  et  en  fait  à  .son  tour  l'application  {Contes  d'Eulrapel.  XXXIV, 
Epistre  à  un  gentilhomme  contre  les  athées).  Marot  lui-même  a  écrit  .sur  la  fin  de 
sa  vie  «  la  complainte  d'un  pastoureau  chrestien  dressant^  sa  plainte  à  Dieu  soubz 
la  personne  de  Pan.  Dieu  des  bergers  »  (Œuvres,  éd.  Langlet-Dufresnois,  I,  p.  97). 
Dènisot,  dans  ses  Cantiques  spirituels,  reprend  cette  comparaison  (Jugé.  Denisot, 
p.  84).  Marguerite  de  Navarre  et  Briçonnet  dans  leur  correspondance  désignent 
couramment  Jésus-Christ  par  le  nom  de  grand  berger  ou  grand  pasteur  (Hermin- 
JARD,  Corresp.,  I,  append.  no  40  a  et  passim).  Bigot  a  fait  cette  application  avant 
Rabelais,  et  avant  Bigot,  Postel,  que  M.  Plattard  ne  cite  pas.  Postel  s'attaque'  même 
à  l'interprétation  de  Plutarque  {De  Orbis  concordia  lib.  I,  VII,  p.  61-62,  Paris, 
1543)  et  il  le  résume  aussi  dans  son  De  Etntrix  orlgivlbus,  p.  37-38  (Paris.  1551). 
A.  Steuco  avait  résumé  Plutarque  en  1540  dans  son  De  perenni  philosophin, 
lib.  VIII.  cap.  36,  fos  191  vo-192  de  l'édition  de  Paris,  1577. 

(3)  2«  discours,  p.   135-136  (1579). 

(4)  Bodin,  Colloque  de  J.  Bodln  des  secrets  cachez  des  choses  sublimes  (ms., 
fo  56). 


272  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

f(  Semidieux,  Panes,  Satyres,  Sylvains,  Follets,  Aegipanes, 
Xvmphes,  Heroes  et  Dœmons' »  soient  mortels,  comme  le  veut 
frèi'e  Jean,  ou  immortels;  mais  il  est  assez  troublant  qu'on 
puisse  se  demander  si  Rabelais  croyait  sincèrement  à  l'immor- 
talité de  l'àme  humaine. 

Tout  compte  l'ait,  il  me  semble  qu'il  y  croyait  et  que  le  sage 
Pantagruel  parle  en  son  nom  quand  il  affirme  sa  foi  spiri- 
tualiste.  Seulement.. il  ne  faut  pas  lui  en  demander  })lus  long. 
Sous  quelle  forme  concevail-il  cette  vie  future,  personnelle 
comme  l'Eglise,  impersonnelle  comme  Averroès  et  la  plupart 
des  humanistes  français  d'alors?  Il  ne  nous  l'a  point  dit '^'. 
Mais  il  a  dit  assez  crûment  son  dédain  des  chicanes  de  mots 
et  des  questions  inutiles.  Il  n'a  jamais  éprouvé  le  désir  de 
a  savoir  précisément  comment  l'on  voit  Dieu  '2)  ».  A  son  ami 
A.  Bouchard.  (|ui  se  demandait  avec  les  platoniciens  par  où 
sort  l'âme,  il  répond  en  racontant  la  mort  bouffonne  des  insu- 
laires de  Ruach:  ceux  qui  depuis  Budé  discutaient  pour  savoir 
si  l'âme  est  faite  de  quintessence,  il  les  renvoyait  avec  les 
<(  malhéologiens  »  au  royaume  de  dame  Entéléchie.  Peut-être 
même  dans  son  dédain  des  disputes  oiseuses  a-t-il  (juelque 
fois  méconnu  la  portée  de  certaines  discussions;  mais  il  est 
amusant,  après  que  nous  avons  vu  l'acharnement  de  Cicéron, 
de  Budé,  de  Romeo  de  Castiglione,  de  Florido,  de  Danès, 
de  Galland.  de  G.  Bigot,  de  Mélanchthon,  de  Vicomercato, 
de  Fernel,  autour  de  lenléléchie,  de  lire  cette  page  d'un  dessin 
si  joli,  d'un  ton  si  leste,  d'un  bons  sens  si  vigoureux  (3)  ;  Panurge 
et  ses  coni|)agnons  sont  descendus  au  port  de  Matheothécnie 
j)rès  du  palais  de  Ouinte-Essence.  Là  ils  trouvent  des  soldats 
qui  leur  demandent  d'un  ton  rogne  d'où  ils  viennent  : 

«  Cousins,  respondit  Panurge,  nous  sommes  Tourengeaux. 
Ores  venons  de  France,  convoiteux  de  faire  révérence  à  la 


(1)  La  restriction  de  Pantajïiuel  (jui  réserve  l'immortalité  aux  seules  âmes 
«  intfllectives  >>  (le  v^v:  ou  mens  des  philosophes)  semble  le  ranger  parmi  les 
néoplatoniciens  ou  parmi  les  averroïstes;  mais  on  ne  peut  p<réciser  davanta-re. 

(2)  La  Briyère.  CarnctPrfis,  II.  Du  mérite  per.sonnel,  portrait  du  docteur. 

(3)  ye  Livre,,  ch.  XVIII.  J'anticipe  ici  sur  la  chronologie;  mais  cette  page,  r-^lé 
guée  dans  la  deuxième  partie  de  mon  ouvrage,  perdrait  toute  sa  signiflcation 


LES    ASPECTS    DU    EATIONALISME    ENTRE     1542    ET    1553  273 

dame  Quinte-Essence,  et  visiter  ce  trescelebie  royaume 
d'Entelechie.  — Que  dicles-vous  ?  interroguent-ils;  dictes-vous 
Entelechie  ou  Endelechie  ?  —  Beaux  cousins,  respondil 
Panurge,  nous  sommes  gens  simples  et  idiots,  excusez  la 
rusticité  de  nostre  langage,  car  au  demourant  les  cœurs  sont 
francs  et  loyaux.  —  Sans  cause,  dirent-ils,  nous  ne  vous  avons 
sus  ce  différent  interrogez  :  car  grand  nombre  d'aultres  ont  icy 
passé  de  vostre  pais  de  Touraine,  lescjuels  nous  sembloient 
bons  lourdaux,  et  parloient  correct,  mais  d'aultres  pays  sont 
icy  venus,  ne  sçavons  quels  outrecuidfez,  fiers  comme  Escos- 
sois,  qui  contre  nous  à  l'entrée  voulurent  contester...  En  vostre 
monde  avez-vous  si  grande  superfluité  de  temps  que  ne 
sçavez  en  quoi  l'employer,  fors  ainsi  de  nostre  dame  Royne 
parler,  disputer,  et  impudentement  escrire  ?  Il  estoit  bien 
besoin  que  Ciceron  abandonnast  sa  Republique  pour  s'en 
empescher,  .  et  Diogenes  Laërtius,  et  Theodorus  Gaza,  et 
Argyropile,  et  Bessarion,  et  Politian,  et  Budé,  et  Lascaris,  et 
tous  les  diables  de  sages  fols  '^)  :  le  nombre  desquels  n'estoit 
assez  grand  s'il  n'eust  esté  recentement  accreu  par  Scaliger, 
Bigot,  Chambrier,  François  Fleury  (2)  et  ne  scay  quels  aultres 
tels  jeunes  haires  esmouchetez...  Vous  icy  n'estes  venus  pour 
en  leur  folie  les  soustenir...:  plus  aussi  d'iceux  ne  vous  parle- 
rons. Aristoieles,' prime  homme  et  parangon  de  toute  philo- 
sophie, fut  parrein  de  nostre  dame  royne  :  il  tresbien  et  pro- 
prement la  nomma  Entelechie.  Entelechie  est  son  vray  nom  : 
s'aille  chier  qui  aultrement  la  nomme  !...». 

(1)  Vicomercato  cite  Cicéron,  Argyropylus,  Budé,  Mélanchthon,  Politien  {De 
Anima  rat.,  p.  216-217).  Ferrerlo  cite  D.  Laerce,  Cicéron,  Argyropilus  (p.  55); 
Mélanchthon  cite  Boèce,  Gaza,  Plutarque.  Themistius  {Comment,  de  Anima, 
p.  25-29). 

(2)  Chambrier  est  J.  Camerarius  qui  avait  commenté  les  Tuxnihines.  oîi  se  trouve 
le  texte  de  Cicâron  discuté;  Fleury  est  Florido.  L'authenticité  de  la  page  e.^t 
discutée  à  cause  de  lallusion  à  Scaliger;  il  me  semble  qu'il  serait  facile  de  suppo- 
ser l'interpolation  de  ce  nom  ou  même  de  toute  la  deuxième  série  de  noms.  La 
première  série  contient  ceux  qu'on  trouve  dans  tous  les  traités  sur  l'entéléchie, 
et  Rabelais  les  a  cités  sans  le.s  lire  (sauf  Mélanchthon).  Rejeter  l'authenticité  du 
tout  me  parait  difficile  étant  donné  le  style  de  cette  page.  De  plus,  si  on  rejette 
ce  chapitre,  il  faudra  aussi  renoncer  à.  tous  ceux  qui  suivent  (19  à  24),  où  Rabe- 
lais raconte  les  merveilles  du  palais  de  «  Quinte-Essence  ».  On  a  vu,  en  effet, 
que  depuis  Cicéron  la  question  de  l 'Entelechie  et  celle  de  la  Quinte-Essence  sont 
toujours  liées;  c'est  donc  le  même  écrivain  qui  a  fait  les  chapitres  18  à  24  du 
Ve  livre 

18 


274  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Un  Iroiivo  aussi  dans  le  Tiers  el  le  Quart  livre  des  pages 
sur  les  miracles  inspirées  des  Italiens  ou  de  C.  Agrippa,  mais 
qui  ne  ressemblent  plus  en  rien  aux  railleries  des  deux  pre- 
miers  livres.    Le    Tiera   livre   surtout,    dans   neuf   chapitres, 
présente   un  exposé  de   tous  les   systèmes   de   divination  <^), 
-M.  Plattard  estime  que  lUibelais  a  dû  les  prendre  à  Cornélius 
Agrippa  '*>.  Les  kyrielles  de  plantes  aux  vertus  merveilleuses 
el  tl "animaux  thaumaturges,  l'ethiopis,  lecliineis,  le  diclame, 
le  «  flair    issanl  des  lauriers,  figuiers,  el  veaux  marins  »  qui 
détourne  la  foudre,  le  coq  qui  fait  reculer  les  lions  '3),  viennent 
de  Pline,  soit  directement,  soit  par  Pomponazzi,  soil  plus  proba- 
blement par  les  innombrables  anthologies  qui  les  avaient  cata- 
logués et  les  reproduisaient  sans  cesse.  C'était  aussi  une  supers- 
tition courante  répandue  par  les  platoniciens,  ([ui  prêtait  aux 
mourants  le  sens  de  la  divination  et  Rabelais  a  eu  une  belle 
occasion  de  l'appliquer  à  la  mort  de  son  maître  G.  .du  Bellay  de 
Langey  ^^K  Comme  Pomponazzi  enfin,  il  sait  l'influence  de  l'as- 
pect du  médecin  sur  le  malade  :  «  Plus  y  a;  sus  un  passage  du 
sixiesme  des  Epidémies  dudict  père  Hippocrates,  nous  suons 
disputans  à  scavoir.  non  si  la  face  du  médecin  chagi'in,  tetric- 
que.  reubarbatif...  contriste  le  malade,  et  du  médecin  la  face 
joyeuse,  sereine,  plaisante,  riante,  ouverte,  ésjouyst  le  malade, 
(cela  est  tout  esprouvé  et  certain),  mais  si  telles  contristations 
et  esjouissemens  proviennent  par  appréhension  du  malade  con- 
templant ces  qualités  ou  par  transfusion  des  esprits  sereins 
et  ténébreux,  joyeux  ou  tristes,  du  médecin  au  malade,  comme 
est  l'avis  des  Platonicques  et  Averroïstes  '^'  ».  C)n  remarquera 
qu'il  sait  rattacher  cette  théorie  à  sa  source,  l'averroïsme.  Mais 

(1)  Oh.   12,   13,   14,  16.  19,  21,  25,  37,  46. 

(2)  Soit  dans  le  chap.  XIII  du  De  Incertitudine  scientiarum  (Lyon,  1527);  soit 
dans  le  De  Occulta  phUosojihUi  (1529).  Sur  ce  sujet,  voir  aussi  A.  Lkfranc, 
Rabelais  et  Cornélius  Agriijpa  dans  Mélanges  Picot,  II,  p  477-4S6.  Au  chapitre  XIII 
du  Tiers  livre,  à  propos  de  la  divination  somniale  Kahtp'iis  semble  définir  l'Intel- 
lect comme  les  averroïstes:  «  la  partie  qui  en  luy  'l'homme)  plus  est  divine  (c'est 
vov?   et  mens)  ». 

(3)  IV,  LXII. 

(4)  III,  XXI.  Sur  les  circonstances  de  cette  mort,  survenue  le  10  janvier  1543  à 
Saint-Symphorien.  près  Roanne,  voir  Heulhard.  op.  cit.,  p.   ii9. 

(5)  IV.  ancien  prologue.  Texte  repris  et  légèrement  modifié  dan-  la  Lettre  à 
Monseigneur  Odet  d''  fhastHlon. 


LES    ASPECTS    DU    RATIONALISME    ENTRE    1542    ET    1553  275 

il  ne  semble  pas  en  faire  lapplicalion  que  fait  Pomponace  et 
s'en  servir  pour  expliquer  les  miracles:  il  parle  en  médecin 
plutôt  qu'en  philosophe. 

Il  y  a  mieux.  Si  la  page  que  je  vais  citer  est  de  lui,  il 
a,  avant  de  mourir,  compris  la  portée  des  théories  de  Cicéron 
et  nié  le  miracle  lui-mêmfe  quand  il  n'en  connaissait  pas  la 
cause.  Après  deux  chapitres  où  Pantagi'uel  et  ses  compagnons 
ont  admiré  les  guérisons  miraculeuses  faites  par  Entéléchie 
et  ses  officiers,  ceux-ci  guérissant  les  cas  ordinaires,  la  reine 
se  réservant  les  incurables  (serait-cie  une  allusion  à  Jésus- 
Christ  et  à  ses  apôtres'"?,  la  reine  de  Quinte-Essence  calme 
leur  effroi  en  leur  révélant  la  théorie  du  De  Divinatione.  Ces 
merveilles  ont  une  cause  qu'ils  ignorent  mais  qui  est  natu- 
relle :  elles  sont  rares  et  c'est  pourquoi  elles  les  étonnent, 
mais  ce  ne  sont  pas  des  miracles  :  «  Ce  que  fait  les  humains 
pensemens  es.garer  par  les  aby.smes  d'admiration  n'est  la 
souveraineté  des  effects,  lesquels  apertement  ils  esprouvent 
naistre  des  causes  naturelles,  moyennant  l'industrie  des  sages 
artisans  :  c'est  la  nouveauté  de  l'expérience  entrant  en  leurs 
sens,  non  prevoyans  la  facilité  de  l'œuvre,  quand  jugement 
serain  associe  estude  diligent '2).  Pourtant  soyez  en  cerveau, 
et  de  toute  frayeur  vous  despouillez,  si  d'aucune  estes  saisis 
à  la  considération  de  ce  que  voyez  par  mes  officiers  estre  fait. 
'Voyez,  entendez,  contemplez  à  vostre  libre  arbitre,  tout  ce 
que  ma  maison  contient,  vous  peu  à  peu  emancipans  du  ser- 
vage d'ignorance  '3>  ».  Lui  aussi  s'est  émancipé  du  <(  servage 
d'ignorance».  Alors  que  dans  les  deux  premiers  livres 
Rabelais  se  contentait  de  nier  les  miracles,  dans  ses  derniers 
il  les  explique.  Et  de  même  qu'entre  le  IP  et  IIP  livre,  il  a 


(1)  Math.,  XVIt,  15.  18-19;  Luc,  X,  17  où  les  Apôtres  sont  représentés  comme 
faisant  des  miracles,  mais  inférieurs  à  ceux  du  Christ. 

(■2)  Je  me  permet.s  de  rappeler  la  phrase  de  Cicéron  commentée  ici  et  qui  est 
la  formule  de  son  système  :  quidquid  oritur,  causam  habeat  naturaiem  necesse  e.st, 
ut  etiam  si  prœter  consuetudinem  exstiterit,  praeter  naturam  tamen  non  possit 
exsistere...  Caumrunt  iyiioralio  in  re  nova  mirationem  facH  [De  Divinat.,  II,  28,  22). 

(3)  V,   XX[. 


276  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

étudié  les  théories  padouanes  sur  l'immortalité,  de  même,  poui" 
les  miracles,  il  a  cherché  chez  les  padouans  et  trouvé  dans 
Cicéron  la  formule  définitive  qui  les  nie  et  qui  leur  substitue 
la  régularité  des  lois  naturelles  <^). 


(1)  Au  roman  de  Rabelais,  il  faudrait  rattacher  son  pastiche  :  La  naviga-Mon  du 
compaignon  à  la  Bouteille.  Brunet  le  date  de  1545.  L'auteur,  à  la  fin  du  chapitre 
sur  les  Iles  fortunées,  se  iplaiut  qu'il  y  a  des  menteurs  «  qui  disent  des  choses 
qui  ne  sont  pas  vray-semblables  ny  conformes  à  la  raison  ».  Pour  lui,  il  s'est 
••  bien  gardé  de  dire  la  vérité  de  plusieurs  choses  ((jitia  veritas  odium  varit)  Pource, 
dient  les  clercs,  que  vérité  engendre  haine  et  aussi  que  pour  dire  vérité  on  est 
aucunesfois  pendu  »  (  La  Navigation...,  Paris.  Micaud,  1576,  non  paginée). 


I 


CHAPITRE    IX 
La    Réaction. 


Aristote  et  ses  commentateurs  ennemis  de  la  foi  :  attaques  de  G.  Hervet, 
G.  Bigot,  Ramus;  riposte  de  Galland.  —  II.  Le  Rationalisme  chrétien  : 
Postel,  a'  en  1542,  dénonce  les  disciples  de  Pomponazzi  et  essaie  de 
les  réfuter;  b)  vers  1552  :  deuxième  série  d'attaques  et  de  réfutations. 
-  III.  Platon  contre  Aristote  :  L.  Le  Roy  ;  aveux  fidéistes  :  Muret, 
des  Autels,  Guéroult;  Calvin  adapte  son  Institution  chrétienne  aux 
besoins  de  l'apologétique  nouvelle.  —  IV.  Protestations  de  Puy- 
Herbault,  de  Sainte-Marthe  et  de  Pontus  de  Tyard. 


Ainsi,  entre  1542  et  1553,  toutes  les  formes  du  rationalisme 
s'épanouissaient  :  raverroïsme  avec  Vicomercato,  le  natu- 
ralisme selon  P.  de  Paschal,  le  matérialisme  d'après  Fernel. 
Des  dogmes  fondamentaux  étaient  attaqués  :  l'immortalité 
personnelle  de  l'âme,  la  Providence,  les  miracles  ;  la  valeur 
même  de  la  raison  était  mise  en  doute  par  Omer  Talon.  La 
réaction  et  l'attaque  furent  simultanées.  Puisque  les  averroïstes 
et  les  alexandristes  se  réclamaient  des  meilleurs  commenta- 
teurs d'Aristote  et  d'Aristote  lui-même,  il  fallait  dénoncer  le 
scandale  de  l'aristotélisme  enseigné  officiellement  dans  les 
écoles  :  ce  fut  l'œuvre  de  Ramus.  La  séparation  de  la  raison  et 
de  la  foi  avait  amené  les  chrétiens  à  mépriser  la  raison  comme 
ennemie  de  la  croyance,  les  philosophes  à  dédaigner  la  foi 
comme  privée  de  fondements,  les  nouveaux  académiciens  à 
dénier  à  l'une  et  à  l'autre  toute  valeur  démonstrative  et  à  se 
réfugier  dans  le  pyrrhonisme  :  il  fallait  donc  proclamer  à  nou- 
veau l'union  de  la  raison  et  de  la  foi  et  rétablir  du  même  coup 
la  confiance  en  l'une  et  en  l'autre  :  ce  fut  l'œuvre  de  Postel.  Ces 
deux  grands  noms  remplissent  toute   l'histoire  de   ces  dix 


278  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

années.  Autour  deux  s'agitent  des  défenseurs  moins  connus 
et  dont  le  programme  est  plus  modeste,  mais  dont  les  livres 
dénoncent  les  mêmes  ennemis  et  soutiennent  le  même  combat. 


Le  premier  en  date  est  Gentien  Hervel. 

Il  n'avait  pas,  que  je  sache  (D,  étudié  en  Italie  ;  mais  il  y 
avait  séjourné.  Au  moment  où  il  écrivait  les  livres  dont  je 
parle,  il  était  à  Lyon,  grand  centre  d'italianisme.  Et  pendant 
plusieurs  années,  il  avait  vécu  dans  la  maison  de  la  duchesse 
de  Salisburv'  en  qualité  de  précepteur  du  frère  de  Reginald 
Pool  :  Arthur  (2). 

Il  savait  donc  les  auteurs  favoris  des  nouveaux  incrédules 
et  s'attaqua  à  l'un  d'eux  :  Alexandre  d'Aphrodisias.  Deux 
traités  surtout,  édités  seulement  depuis  dix  ans  <3),  occupaient 
les  humanistes  :  le  De  Anima  et  le  De  Fato.  Mais  ils  étaient 
d'inspiration  bien  différente.  Tandis  que  le  De  Fato  combat 
le  déterminisme  stoïcien,  le  De  Anima  fait  venir  l'âme  du 
corps.  Aussi  Hervet  pubhe  le  De  Fato,  mais  il  se  garde  bien 
d'éditer  le  De  Anima  d'Alexandre  d'Aphrodisias.  Il  traduit, 
au  contraire,  la  réfutation  qu'en  a  faite  Philopon  et  la  joint  au 
De  Anifna  d'Aristote.  Les  deux  traités  nous  importent  peu,  du 
reste,  mais  les  deux  préfaces  écrites  en  novembre  1543  sont 
du  plus  haut  intérêt. 

Le  De  Anima  ''')  est  dédié  à  Reginald  Pool.  Hervet  fait  l'éloge 

(1)  Il  fit  deux  longs  séjours  à  Rome  à  la  suite  du  cardinal  R.  Pool.  Sur  G.  Hervet, 
voir  .7.  DEBARBOUILLER.  TJommcf:  illufitreu  de  l'Orléanais,  i;  et  Nicéron,  Mémoires. 
XVII,  p.  l«7-2flO. 

(2)  R.  Pool  avait  lui-même  jtnur  précepteur  un  élève  des  italiens,  Guillaume 
Latlmer. 

(3)  A  Venise,  en  1534. 

(4)  Arist  De  Anima  libri  très  e  graeco  ...in  Ungnam  iaiinain  Irndnril.  G.  lier- 
veto  inteTfirete.  Item  in  rosdrm  lihros  J.  Gr  Philoixtni  commenlarius  ab  rodem 
versus,  Lugdunl,  1544. 


LA    RÉACTION  279 

du  cardinal  et  de  sa  famille  et  rappelle  les  malheurs  qui, 
depuis  quelques  années,  ont  fondu  sur  elle.  La  mort  tragique 
du  frère  et  de  la  mère  de  R.  Pool  l'amènent  tout  naturellement 
à  parler  de  l'immortalité  :  «  Si  notre  âme  est  immortelle, 
comme  le  divin  Platon  le  prouve  par  des  raisons  très  sûres 
dans  le  Phédon,  comme  l'attestent  si  manifestement  les  saintes 
Ecritures,  comme  le  confirme  le  consentement  de  toutes  les 
nations,  en  sorte  qu'il  faut  presque  retrancher  du  nombi-e  des 
chrétiens  celui  qui  en  a  le  moindre  doute  »,  qui  ne  sent  que 
ces  martyrs  sont  plus  heureux,  jouissant  de  la  contemplation 
de  la  <(  cause  première  »  et  de  «  l'inaccessible  lumière  »  du 
ciel,  que  s'ils  étaient  encore  dans  les  ténèbres  terrestres  ? 
<(  Mais  il  s'en  est  élevé,  ô  douleur,  qui  s'attaquent  à  cette  vérité 
très  certaine  de  l'immortalité.  Et  ce  sont  ceux-là  qui,  hostiles 
à  toute  religion  et  à  toute  piété,  ont  reçu  à  juste  titre  le  nom 
d'athées;  ils  n'ont  pas  trouvé  de  meilleur  moyen  de  faire  la 
guerre  à  Dieu  (  Gco^.^/.crv  )  que  de  faire  mourir  —  autant 
qu'ils  le  pouvaient  —  la  partie  divine  de  leur  être  (i'.  Cette 
erreur  est  certes  la  plus  criminelle,  la  plus  pernicieuse,  la  plus 
mortelle  qui  puisse  envahir  le  genre  humain.  Car,  si  elle  était 
reçue  pour  certaine,  les  méchants  qui  ne  respirent  que  le 
crime,  quel  frein  leur  resterait-il:  et  les  bons  qui  souffrent  tout 
pour  la  piété,  la  religion,  la  vertu,  quel  espoir  les  soutien- 
drait »  ?  Mais  ces  incrédules  sont  réfutés  par  Phérécyde  de 
Cyros  (2),  Pythagore  et  surtout  Platon,  le  plus  grand  des 
philosophes.  Quant  à  Aristole,  Alexandre  avait  rendu  douteuse 

(1)  Secl  exorti  sunt,  proh  dolor.  nonnuUi  qui  hanc  verissimam  de  immortalitate 
animae  sententiam  oppugnare  conantur.  Atque  ii  quidem  .sunt  qui  quoniam  omni 
penitus  religionis  et  p!etatis  nomini  Infesti  sunt,  aôsuv  cognomen  jure  sortiti 
sunt  :  qui  non  alia  ratione  se  melius  posse  0-o/j.y.xziv  judicavenirit,  quam  si,  quod 
in  els  est,  divinam  sui  partem  penitus  extinguerent. 

(2)  On  remarquera,  à  ce  propos,  que  Hervet  n'a  point  lu  —  et  i)our  cause  —  le 
traité  de  Phérécyde  sur  l'immortalité.  Il  sait  que  ce  philosophe  l'a  défendue,  par 
Cicéron  qui  le  cite  à  ce  titre  en  compagnie  de  Pythagore  dans  les  TuscuUines,  I, 
16,  ou  par  Agostino  Steucri  qui  reproduit  la  liste  de  Cicéron  et  ins  ste,  lui  aussi, 
sur  la  valeur  apologétique  de  Platon  {De  Perennl  pbllosophla.  IX  xxiv).  Cardan 
(De  Sapientia.  III,  p.  I69  de  ledit,  de  1544)  attaque  ceux  qui  se  servent  du  témoi- 
gnage de  Phérécyde  :  <■  Miinim  est  aliquos  somniasse  primum  fuisse  Pherecidem 
qui  animes  dixerit  immortales...  ». 


280  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

son  opinion,  mais  Philopon  a  prouvé  limniorlalité  par  Aris- 
tole  lui-même.  C'est  pourquoi  G.  Hervel  la  traduit  ('). 

Le  De  Fato,  paru  la  mèiue  année  f^',  est  dédié  à  François  i". 
Ce  (jui  a  poussé  Hervcf  à  traduire  ce  livre,  c'est  (ju'il  lui  a 
paru  ((  très  approprié  à  cette  époque.  Car  depuis  quelques 
années  s'est  élevée,  ou  plutôt  a  été  suscitée  des  enfers,  une 
secte  qu'on  appelle  les  athées,  qui,  outre  beaucoup  d'horribles 
blasphèmes,  professent  avec  ténacité  ([ue  le  destin  et  la  néces- 
sité inflexible  des  causes  mènent  tout,  et  que  rien  presque 
n'est  en  notre  pouvoir:  les  raisons  et  les  autorités  qu'on  leur 
apporte,  tirées  de  l'Eci-iture  sainli^  ou  de  ses  commentateurs, 
il  les  rejettent  '3)  ».  C'est  pourquoi,  il  lui  a  paru  bon  de 
traduire  les  auteurs  païens  qui  combattent  le  déterminisme, 
et  en  particulier  Alexandre  d'Aphrodisias.  Ce  faisant,  il  assu- 
rera au  roi  le  mérite  de  ses  exploits,  qui  lui  échappe  dans 
la  doctrine  de  ces  fatalistes. 

Hervet  ne  semble  pas  avoir  vu  le  vrai  remède  à  ((  l'athéisme  » 
qu'il  dénonce.  G.  Bigot  eut  le  coup  d'œil  plus  large  et  si  son 
œuvre  est  loin  d'avoir  la  valeur  de  celle  de  Ramus  ou  la  portée 
de  celle  de  Postel.  il  semble  pourtant  avoir  repris  le  rêve  de 
Le  Fèvre  d'Etaples,  de  substituer  à  la  philosophie  païenne 
ressuscitée  une  «  philosophie  chrétienne  ».  Seulement,  il  n'en 
a  écrit  que  le  prélude  :  Chrislianiv  philosophie  pnrhidium 
(1549).  Le  volume  tout  entier  est  consacré  à  l'étude  de  l'homme 
et  contient  j)liis  de  physiologie  et  de  médecine  que  de  philo- 
sophie ^^\  Au  quatrième  livre  cependant  on  trouve  une  démons- 

(1)  De  Anima.  pTéfa<;e,  fo  \2.  datée  de  Lyon,  1"  novembre  1543. 

(2)  Alexandrl  Aplirod.  De  Foto...  liber  unus,  a  Genliano  Herveto  Aurelio  versus, 
Lugduni,  apud.  Aegid.  et  J.  Huguetan  fratres,  l»'i4,  in-8o. 

(3)  Ad  hoc  autem  vertendum  opusculum  hoc  me  non  parum  incitavlt  quod 
Id  mihl'  sit  visum  huic  tempori  convenientissimum.  Nam  cum  non  multis  abhinc 
annis  sit  vel  exorta,  vel  ab  inferis  excitata  ncfaria  qu?e  rw  vfji-.-j  dicitur,  secta, 
qui.  ut  plurima  maxime  impia  et  execranda  pr<ftermitt.am,  hoc  quoque  constan 
fissimo  a.s«erunt,  omnia  fat/)  et  inexorabili  causarum  neces^itate  geri,  et  nlhil 
es.se  penitus  In  no.stra  potestate  :  quse  autem  ex  sacrLs  scripturis  aut  harum 
Interpretibiis  afferentur,  rationes,  et  testimonia,  penitus  rejiciunt  :  oper.'P  i)retlum 
mihi  factnrus  visu.s  sum  si,  qvuç  ad  eorum  convellendam  opiuionem  ab  Kthnlcis 
scrlpta  sunt.  in  médium  afferrem...  Préface,  A5  vo.  Datée  de  Lyon.  22  novembre 
(15/.3). 

(4)  G.  Biqoti  Chrlstianse  uhiloaoïihiie  praeludium,  Toulouse,  1549.  Plan  du  volume  : 
livre  I,  du  corps;  livre  II.  de  1  Ame  végétative;  livre  III,  de  l'âme  sensitive;  livre  IV, 
de  l'âme  raisonnable. 


LA    RÉACTION  281 

Iration  de  rimmorlalité.  En  deux  chapitres  G.  Bigol  conclut  à 
l'immortalité  de  ce  que  l'âme  connaît  l'universel  et  de  ce  qu'elle 
se  connaît  elle-même  ").  C'est  qu'il  a  vu,  lui  aussi,  le  grand 
danger  (|ue  fait  courir  à  la  foi  la  renaissance  de  l'aristo- 
télisme  :  «  Hélas,  écrit-il  à  Jean  du  Bellay,  alors  archevêque 
de  Paris,  pour  ne  pas  aller  plus  loin  que  le  temps  où  nous 
vivons,  comment  extirperas-tu,  comment  arracheras-tu  cette 
erreur  qui  renaît,  touchant  l'immortalité  de  l'âme,  venue 
d'Averroès  et  avant  lui  (à  ce  qu'il  me  semble,  ainsi  qu'aux 
plus  savants  de  la  Grèce)  d'Aristote?  Comment  forceras-tu 
ces  misérables  impies  à  penser  et  à  parler  autrement,  sinon 
par  les  raisons  tirées  de  cette  philosophie  (chrétienne)  ?  (2).  Car 
la  philosophie  païenne  aboutit  la  plupart  du  temps  au  probable, 
non  à  la  certitude,  quelquefois  à  l'erreur  ou  même  à  l'impiété;... 
la  philosophie  chrétienne,  ehe,  ne  doute  de  rien,  ne  se  trompe 
jamais, ...  corrige  les  erreurs  de  sens  et  les  monstruosités  qu'ils 
produisent,  telle  cette  prétention  d'Aristote  de  proclamer  le 
ciel,  les  éléments  et  la  matière  première  immortels  et  coéternels 
à, Dieu...  (3)  ». 

L'année  même  où  Gentien  Hervet  dénonçait  les  athées, 
Ramus  inaugurait  sa  campagne  contre  Aristote.  Mais  ses 
Dialeclicœ  instituliones  (1543)  dirigées  uniquement  contre  le 
syllogisme  aristotélicien  ont  trompé  les  historiens  de  la  philo- 
sophie sur  le  vrai  sens  de  son  attaque.  On  n"a  vu  en  Ramus 
jusqu'ici  que  l'adversaire  de  la  scolastique  et  il  s'en  faut  de 
peu  que  certains  n'en  fassent  à  ce  titre  un  libre  penseur.  C'est 
oublier  une  partie  de  son  œuvre,  la  plus  petite,  il  est  vrai,  et 
la  moins  connue.  Etant  donnée  la  tournure  de  plus  en  plus 
irréligieuse  que  prenait  la  philosophie  d'Aristote  chez  ses  com- 
mentateurs, Ramus  eût  été  bien  peu  avisé  de  ne  pas  exploiter 
ce  scandale  contre  Aristote  lui-même.  Il  n'y  manqua  point. 

Devenu  professeur  au  collège  de  Prestes,  en  1545,  il  y  débuta 

(1)  p.  428  et  432  (chapitres  non  numérotés). 

(2)  Christ,  philos,  pnetudium,  lib.  IV,  p.  75  (Préface  à  Jean  du  Bellay). 

(3)  Ibid..  p.  74-75. 


::?82  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

par  l'explication  du  Songe  de  Scipion  (i).  Ce  traité  tout  spiri- 
tualiste  et  de  doctrine  platonicienne  lui  dut  être  une  belle 
occasion  de  combattre  Vicomercato  dont  le  De  Anima  ralionali 
venait  de  paraître  (1543)  ("2).  Ses  privleciiones  cependant  sont 
surtout  philologiques  et  ne  contiennent  que  peu  d'allusions 
aux  idées  rationalistes.  Rétablir  le  texte,  recourir  à  Platon 
I)our  l'expliquer,  est  le. souci  continuel  du  commentateur, 
("esl  ainsi  qu'il  expose  et  développe  longuement  le  syllogisme 
du  Phèdre  :  quod  seipsuin  movei  œternum  est  ;  animus  auiem 
seip-suni  movel  ;  animus  igilur  œternus  esf'3).  Mais  il 
reproche  à  Platon  d'avoir  mis  le  principe  du  mouvement  de 
l'âme  dans  l'âme  elle-même,  comme  si  elle  était  éternelle,  et 
non  en  Dieu  ^^K 

Une  fois  seulement,  il  me  semble  viser  les  averroïstes  : 
('  Bien  (|ue  cette  idée  (que  l'âme  est  l'image  de  Dieu)  soit  attri- 
buée à  Aristote  par  ses  interprètes,  contre  lesquels  s'indigne 
Thémistius,  quelles  monstrueuses  opinions  professent  ceux 
(jui  enseignent  ({u'il  n'y  a  qu'un  seul  esprit  de  Dieu  vivant  dans 
l'univers,  que  les  âmes  des  hommes  ne  sont  rien,  rien  non  plus 
les  démons,  rien  les  esprits  célestes  des  anges,  que  seule 
subsiste  cette  force  divine  simple  et  unique  (jui  s'étend  au  ciel 
et  à  la  terre,  comme  le  Dieu  de  Virgile  : 

Principio  caelum  ac  terras  camposque  lùjuentes 
Spiiitus  intus  alit  totamque  infusa  per  artus 
Mens  agitât  molem  et  magno  se  corpore  miscet  (5). 

Cet  esprit  unique  du  monde,  c'est  l'averroïsme  qu'enseignait 

U)  n  l'expliqua  en  Ib'ib  et  le  publia  en  1546.  Je  n'ai  pu  consulter  que  l'édition 
de  Lyon.  1556  :  M  T.  Cire.ronix  de  Officilx  lib.  lll...,  ejut^dem  somnium  xciiiionis, 
ex  libro  de  nep.  Sexto,  adnotalionibu^  Erasmi  lioterod.,  scolUi^  P.  Ollvarll  Valen- 
(irii.  pnelfcUonibus  Pétri  liaml  exiiliaitum,  Lufrduni  apud  Theobaldum  Papanum, 
1556.  —  Sur  ce  livre,  voir  Waddington,  De  Pétri  Rami  vita,  scriptls.  philosophia, 
p.  33. 

(2)  On  sait  (pie  Macrobe  au  début  du  Y»  siècle,  cherchant  un  traité  splritualiste 
à  opfKJser  à  la  d(»ctrine  chrétienne,  avait  aussi  fait  choix  du  Songe  de  Scipion 
et  l'avait  commenté  en  néo-platonicien  {Ci.  BoissiER,  Fin  du  Paganisme,  II,  p.  203 
et  suiv). 

(3)  P.   31   vo-32. 

(4)  P.  32  v». 

(5)  Aen.,  VI,  724-727.  RAMU8,  Prwlect  ,  p.  31.  L'allusion  à  Li  négation  des 
démons,  qui  se  trouve  à  la  phr;isj  i)rérédente,  vise  la  d<Ktrinc  padouane  (cf.  De 
Incaiituhionibus,  de  Pomponazzi). 


LA    REACTION  283 

Vicomercato.  Ramus  n'insiste  pas  et  sil  est  difficile  de  croire 
qu'il  ne  visait  pas  en  ces  lignes  les  averroïstes  de  Paris,  on  ne 
peut  dire  à  coup  sûr  si  elles  sont  une  revanche  sur  Vicomer- 
cato. Peut-être  aussi  sa  position  l'obligeait-elle  à  des  ménage- 
ments. En  tout  cas,  le  choix  du  sujet  de  son  cours  me  paraît 
à  lui  seul  iorl  significatif. 

Plus  tard  il  s'enhardit  contre  Aristote.  Comment,  s'écriait- 
il,  comment  des  chrétiens  supporteront-ils  que  les  commen- 
tateurs d' Aristote  défendent  ses  mensonges,  appellent  ironi- 
quement -Moïse  ((  romancier  égyptien  »,  traitent  les  chrétiens 
tantôt  d'ignorants  et  d'âmes  simples,  tantôt  de  gens  chicaniers, 
criminels  et  fous?'i^  Dans  une  autre  préface,  il  reproche  à 
ceux  qui  commentent  la  Physique  d'Aristote  de  professer  <(  une 
physique  qui  enseigne  l'impie  infinité  et  éternité  »  du  monde, 
et  à  ceux  qui  suivent  sa  Métaphysique  que  leur  enseignement 
<(  est  rempli  des  mêmes  impiétés  et  d'autres  beaucoup  plus 
honteuses  '2'  ».  11  s'étonne  que  dans  ces  conditions  «  les 
savants,  mêmie  chrétiens,  témoignent  plus  de  foi  à  Aristote 
qu'à  Moïse  et  au  Christ  '3)  »  et  il  espère  que  bientôt  «  les 
chrétiens  auront  honte  et  regret  d'une  si  abominable  théo- 
logie ».  C'est  que  jusqu'ici  Aristote  a  eu  des  commentateurs,  il 
n'a  jamais  eu  de  critiques  '-^l  Nos  pères  en  usaient  avec  plus 
de  liberté  :  en  acceptant  la  doctrine  du  Lycée,  ils  la  rectifiaient 
à  l'occasion'^*.  Aujourd'hui,  ajoutait-il  en  1551,  Ramus  seul 
a  eu  le  courage  de  dénoncer  Aristote  et,  chose  étonnante,  il  a 
été  «  noté  comme  impie  pour  avoir  mis  les  âmes  chrétiennes 
en  garde  contre  les  impiétés  du  Stagirite  (^^  )>.  La  même  année, 
Omer  Talon  proclamait  Aristote  «  le  père  des  athées  et  des 
fanatiques  ('''  ». 

(i)  Prœfatio  physica  /a;  édit.  des  roUectan.  prœfaf..  p.  73.  Cette  préface  est  en 
tête  des  Smlarum  phutfiraium  Hbri  octo  (1565). 

(2)  Praefatio  physica  11^;  édit.  des  Collectan.  prœfal.,  p.  S2.  Cette  préface  est  en 
tête  des  Srolariim  metnphysicarum  libri  fjuatuordecim  (1566). 

(3)  Prœfatio  physica  /a;  ibid.,  p.  73. 

(4)  Prxfalio  physica  11^:  ibid..  p.  82. 

(5)  Praefatio  physica  /a;  ibid.,  p.  73. 

(6)  Oratio  initio  suae  professionis  habita;  ibid..  p    425-496. 

(7)  praefatio  septima  in  Paradoxa-,  ibid  .  p.  140.  G.  Talon  se  flatte  aussi,  dans 
sa  /'■e  préface  de  la  philosophie  morale,  de  combattre  en  la  personne  d'Aristote 
«  la  philosophie  des  païens  et  des  gentils  »  (Ibid.,  p.  86). 


28  'l  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Le  1"  mars  1551,  Pierre  Ramus  publia  une  apologie  de  sa 
méthode  pédagogique  et  de  ses  programmes  qui,  en  réalité,  est 
une  justification  de  sa  campagne  contre  Aristote  (i).  Il  y  attaque 
franchement  la  morale  et  la  métaphysique  du  philosophe  : 
((  J'aimerais  mieux,  dit-il,  que  cett-e  science  (la  morale)  fût 
enseignée  aux  enfants  d'après  l'Evangile  et  par  un  théologien 
savant  et  pieux  que  d'après  Aristote  par  un  philosophe. 
L'enfant  apprendra  d'Aristote  beaucoup  d'impiétés  et  il  est  à 
craindre  qu'il  les  oublie  trop  tard  :  que  le  fondement  du 
bonheur  est  dans  l'homme  ;  que  sa  fin  est  l'homme  ;  que 
toutes  les  vertus  sont  au  pouvoir  de  l'homme  (\m  peut  les 
avoir  par  nature  ou  les  acquérir  par  ses  efforts;  que  Dieu  ne 
coopère  point  à  ses  œuvres,  si  grandes,  si  saintes  soient-elles; 
qu'il  n'y  a  point  de  Providence  ni  de  justice  divine  ;  que  les 
âmes  sont  mortelles,  au  moins  de  l'avis  d'Aristote  et  que  par 
conséquent  le  bonheur  de  l'homme  se  termine  à  notre  vie  '2)  ». 
Tous  les  Pères,  continue-t-il,  ont  lutté  contre  la  philosophie 
des  gentils  et  spécialement  contre  celle  d'Aristote,  et  nous, 
par  une  étrange  inconséquence,  non  seulement  nous  ne 
rejetons  pas  la  doctrine  de  ce  philosophe,  mais  nous  en  faisons 
le  fondement  de  notre  religion  et  mes  Aristoteliric  Aniniaduer- 
siones  ont  été  accusées  d'affaiblir  la  théologie  en  combattant 
l'autorité  d'Aristote  (3).  Aussi  Ramus,  s'il  enseigne  lEthique 
de  son  adversaire  à  ses  élèves  du  collège  de  Presles,  selon  les 
prescriptions  de  l'Université,  prend  des  libertés  avec  les  pro- 
grammes quand  il  s'agit  de  ses  «  erreurs  impics  »,  et  «  ce 
n'est  pas  par  la  philosophie  d'Aristote  i:iu'f7  établit  la  doctrine 
chrétienne,  mais  par  la  doctrine  chrétienne  qu'f7  corrige  la 
philosophie  d'Aristote^'''  ». 

Le  débat  est  large  et  l'attaque  de  belle  envergure  :  c'est  tout 


M)  P.  nntni  Veromandui  imi  pliilosopliicn  Parlflensis  Academlae  disciplina., 
Paris.     1551. 

(2)  Pro  philos disclpl.,  p.  40. 

(3)  Ibift  ,  p.  41  —  Sur  rémotion  que  les  attaques  de  Ramus  causôrent  i  la  Sor- 
hunne  ot  notamment  <'i  Périon  et  ;i  Ant.  Govéan,  voir  de  belles  pages  de  l'Academia, 
de  O.  Talon  (15'iK),  i-ei)roduites  par  NVaddi-ncton,  De  P.  Ihiiiii  vlta.  p.  17-24;  Acade- 
mia  (éd.  des  Collectaneœ  prsefai),  p.  126-133. 

(4)  Ibid..  p.  45. 


LA    RÉACTION  2.S5 

laristolélisme  patlouan  alors  enseigné  par  Vicomercato  qui 
est  mis  en  suspicion.  Galland,  qui  s'était  fait  le  champion  de 
la  philosophie  du  Lycée,  et  qui  était  —  on  s'en  souvient  — 
l'ami  et  le  collègue  de  Vicomercato  au  collège  de  France,  lui 
répondit  celte  même  année  1551,  au  mois  de  mai,  par  une 
longue  apologie  d'Aristote  *^'.  Sur  les  quatre  parties  qui  la 
composent,  deux  défendent  le  philosophe  du  reproche 
d'irréligion. 

«  Laristolélisme  et  l'Evangile  sont  absolument  contraires  », 
(lit  Ramus  ^2).  Sans  doute,  répond  Galland:  il  y  a  deux  morales, 
celle  des  philosophes  et  celle  de  Jésus.  Elles  sont  différentes, 
mais  non  contraires.  L'une,  fille  de  la  raison,  «  connaissant 
la  faiblesse  de  l'homme,  mais  non  la  source  de  ses  péchés, 
soutient  l'homme  et  Ihabituc  à  la  vertu.  Elle  a  appris  aux 
païens  les  devoirs  de  la  vie  domestique,  publique  et  civile;  elle 
nous  apprend  à  refréner  nos  désirs  et  nos  passions,  en  sorte 
que,  conduits  par  la  seule  nature,  même  sans  l'Evangile, 
nous  pouvons  pratiquer  la  justice,  la  tempérance,  la  force  ». 
La  moiale  chrétienne  est  comme  le  couronnement  de  celle  que 
nous  venons  de  définir.  La  concupiscence,  source  perpétuelle 
du  péché  et  résultat  de  la  chute  originelle,  la  volonté  de  Dieu 
fondement  de  l'obhgation  morale,  le  devoir  d'aimer  Dieu  et 
son  prochain,  le  salut  éternel  comme  fin  et  but  de  la  vie  morale 
nous  seront  d'autant  plus  faciles  à  croire  que  ces  dogmes 
n'altèrent  point  la  beauté  de  la  philosophie.  Cette  morale 
religieuse,  c'est  évidemment  au  prêtre  de  l'enseigner.  Bien 
loin  d'y  contredire,  Galland  nous  apprend  qu'il  a  un  aumônier 
attitré  et  gagé  pour  l'expliquer  à  ses  élèves  le  dimanche  : 
((  mais  qu'il  l'enseigne,  comme  tu  le  veux,  à  l'exclusion  de  la 
morale  d'Aristote,  qu'il  recommande  les  devoirs  envers  Dieu 
et  la  piété  en  passant  sous  silence  les  vertus  civiques,  à  aucun 
prix   je   ne   le   supporterai '3)    ».    Ce  serait  confondre   deux 

(1)  p.  Gallandii...  Pro  schola  paHsiensl  contra  novam  academiam  P.  Rami 
oratio,  Paris,  1551. 

(■2)  Aristotelica  cum  Evangelio  pugnare  ex  diametro  existimasti  {Pro  schola  pari- 
siensl,  p.  41  v»). 

(3)  Ibid.,  p.  41  vo-43. 


286  SOURCES     ET     INFILTRATIONS 

domaines  séparés,  celui  de  la  foi  et  celui  de  la  raison,  l'Evan- 
gile el  la  philosophie  (i).  Nous  retournons,  comme  on  le  voit, 
quinze  ans  en  anière,  aux  discussions  de  Sadolet  avec  R.  Pool 
el  liunel  sur  la  valeur  de  la  morale  indépendante  pour  la 
conduite  de  la  vie  et  léducalion  des  jeunes  gens  ^-K 

Aristote,  dit  encore  Ramus,  a  mis  le  souverain  bien  de 
riiomme  dans  l'exercice  des  vertus  que  la  raison  lui  montre 
comme  bonnes,  en  sorte  que  l'honune  a  en  lui-même,  et  en  lui 
seul,  le  principe  du  bien  et  le  pouvoir  de  le  réaliser.  Qu'y 
a-t-il  là  d'impie?  «  La  nature,  guide  souverain  de  l'homme  en 
cette  vie  '3),  a  déposé  en  nous  des  étincelles,  des  germes  de 
vertus  que  nous  développons  par  un  exercice  assidu,  de  sorte 
que  nous  pouvons  par  nos  seules  forces  devenir  vertueux  ». 
Il  s'agit  toujours,  bien  entendu,  de  la  vertu  morale  et  civique, 
telle  (jue  l'ont  prati'|uée  les  païens,  et  non  des  vertus  sur- 
naturelles qui  supposent  la  grâce  el  que  ni  Aristote  ni  aucun 
des  philosophes  anciens  n'ont  soupçonnées'^'. 

J\on  seulement  donc  Aristote  n'est  pas  immoral,  mais  il 
n'est  pas  impie.  Car  ce  bonheur  qu'il  propose  à  l'homme 
comme  idéal,  il  nous  dit  quelque  part  que  ce  sont  les  dieux 
qui  le  donnent.  Comment  donc  le  traiter  d'athée?  Ailleurs,  et 
à  plusieurs  reprises,  il  confesse  et  loue  la  Providence 
divine  '^\  Au  sujet  enfin  de  l'immortalité,  il  n'est  pas  vrai  de 
dire  qu'il  proclame  (jue  l'âme  firiit  avec  le  corps.  Galland 
recueille  à  son  tour  tous  les  textes  d'Aristote  d'où  l'on  a  cru 
pouvoir  inférer  qu'il  supposait  l'immortalité  de  l'ànie  intellec- 
tivc.  duvoO-:ou  mens:  et  il  invoque  le  témoignage  de  Théo- 


(1)  Ciim...  lîvangellum  cum  phil'>s  phia  confundat  [Ibid...  p.  3). 

(2)  Cf.  plus  haut.  chap.  IV.  Avant  Galland,  A.  Steuco  avait  soutenu  qii' Aristote 
est  un  homme  religieux  et  un  philosophe  partisan  de  la  Providence  {De  Perennt 
philoxophia,   passlm.   notamment  lib.   IV.   cap.   18). 

(3)  N'atura  enim  optima  Vivendi  dux  {Ibid.,  p.  45). 

(4)  Ibid..  p.  44-45. 

{h)  Ibid  ,  p.  46-47.  L'auteur  cite  de  nombreux  textes  d'Aristote.  —  Remarquer 
cependant  que,  p.  51,  voulant  donner  un  exemple  de  l'antinomie  entre  la  raison 
et  la  foi.  il  dit  que  le.s  philosophes  assu.iettisspnt  Dieu,  pour  le  gouvernement  du 
monde,  \  la  nécessité  des  lois,  ce  qui  est  laverroïsme,  tandis  que  les  théologiens 
le  font  libre  :  "  illi  volunt  Deum  non  m^c^ssario  movere  cœlum;  qu<Ml  i(hilosf)phi 
inquliint,  Deum  necessario  movere  cœlum  dlcimus  ». 


LA    RÉACTION  287 

phraste,  Thémistius,  Simplicius,  Philopuii,  Porphyre, 
Averroès,  saint  Thomas,  Bessarion,  Cicéron  même.  l*ourtant, 
il  ne  iaul  pas  se  méprendre  sur  l'immortalité  reconnue  par 
le  philosophe  :  ((  c'est  à  sa  façon  qu'Aristote  a  dit  i'àme 
immortelle,  non  à  la  manière  dont  le  disent  nos  saintes  lettres 
et  nos  théologiens  ».  Il  ne  laisse  subsister  de  l'âme  aucune 
faculté,  mais  le  mens  seul'^'.  Mais  quel  est  ce  inens'^  Est-il 
unique  comme  le  voulait  Averroès  ou  multiple  comme  le 
veulent  les  théologiens?  Puisque  Galland  avoue  que  limmor- 
talilé  d'Aristote  diffère  de  celle  de  ces  derniers,  n'est-ce  pas 
qu'il  l'interprète  d'après  Averroès?  C'est  jouer  sur  les  mots. 
L'apologiste  ne  sauve  Aristole  du  reproche  de  matérialisme 
qu'en  en  faisant  un  averroïste.  Cela  lui  permet  de  conclure 
que  son  adversaire  calomnie  Aristote  quand  il  prétend  en  faire 
un  impie  et  quand  il  dit  que  les  penseurs  catholiques  doivent 
le  combattre.  Sans  doute  aux  premiers  siècles  de  l'Eglise,  les 
Pères  s'apercevant  que  «  la  science  et  les  démonstrations 
philosophiques  détournent  de  la  croyance  à  l'Evangile  qui 
n'use  pas  de  ces  démonstrations  »,  les  Pères  donc  condam- 
nèrent Aristote  comme  tous  les  auteurs  païens.  Mais  depuis, 
il  est  devenu  —  telles  ces  ruines  des  temples  païens  dont  on 
a  bâti  nos  cathédrales  —  le  fondement  de  l'édifice  évangélique. 
Et  des  attaques  intempérantes  comme  cehe  des  Animadver- 
siones  et  du  Pro  Philosophica...  disciplina  où  Aristote  est 
traité  d'impie  sont  regrettables  et  condamnables  (^>. 

Ramus,  du  reste,  n'a-t-il  pas  à  se  reprocher  le  même  péché 
dont  il  charge  Aristote  et  ses  commentateurs  ?  Il  se  propose, 
ainsi  que  son  «  frère  »  Orner  Talon,  de  remplacer  le  péripa- 
tétisme  par  la  nouvelle  Académie.  C'est  bien  le  pire  choix 
qu'il  pût  faire.  S'il  renonçait  à  la  doctrine  du  Lycée,  que  ne 
s'est-il  attaché  à  la  noble  secte  des  stoïciens,  autrefois  si  floris- 

(1)  Tbid  ,  p.  48  vo.  On  aura  remarqué  que  la  position  de  Galland  en  face  de  ce 
problème  est  exactement  celle  de  Vicomercato  dans  son  De  Anima  rationali.  Il 
cite  les  mêmes  autorités.  Il  examine  lui  aussi  le  problème  de  l'Entéléchie.  Pour 
les  détails,  se  reporter  au  chap.  VII.  p.  209  et  suiv. 

(2)  Ibid.,  p.  50. 


288  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

sanle'i)?  Mais  le  pyrrhonisme  !  u  Toutes  les  autres  sectes, 
même  celle  dEpicm'e,  s'appliquent  à  sauvegarder  quelque 
religion  ;  tandis  que  l'Académie  s'efforce  de  détruire  dans 
l'esprit  des  hommes  toute  croyance,  religieuse  ou  autre  ;  elle 
a  entrepris  contre  les  dieux  la  guerre  des  Titans.  Comment 
croirait-il  en  Dieu,  celui  qui  ne  tient  rien  pour  certain,  qui 
passe  son  temps  à  réfuter  les  idées  d'aulrui,  refuse  toute 
créance  à  ses  sens,- ruine  l'autorité  de  la  raison...  Si  ce  qu'il 
expérimente  et  touche  presque  de  la  main,  il  ne  le  croit  pas, 
comment  aura-t-il  foi  en  1  "existence  de  la  nature  divine,  si 
difficile  à  concevoir  ?  (2)  ».  Ramus  —  notre  .Arcésilas,  comme 
rappelle  Galland  — -  et  son  ami  lauleur  de  VAcademia,  ne 
peuvent  avoir  qu'un  but  :  attaquer  l'Evangile  après  avoir  ruiné 
loute  philosophie.  Que  si  eux-mêmes  n'osent  le  faire,  qui  sait 
si  ses  élèves  ne  renouvelleront  pas  contre  Dieu  la  tentative 
des  (iéants  ?  Pour  avoir  i)ièché  le  pyrrhonisme,  Ramus  et 
Talon  méritent  tous  les  châtiments  '3). 


II 

Mais  le  grand  adversaire  des  nouveaux  péripatéliciens  aussi 
bien  (jue  du  pyn-honisme  naissant,  ce  fut  Guillaume  Postel  <^). 
Il  y  a,  en  vérité,  plusieurs  personnages  en  Postel  :  un  athée  f^\ 
prétend-on,  dans  sa  jeunesse,   un  fou  dans  sa  vieillesse,  un 

(1)  Ibid.,  po  65  vo. 

(2)  Ibid.,  p.  64  vo-65.  H  en  avait  déjà  parlé  p.  6,  il  y  revient  p.  75. 

(3)  Ibid.,  p.  72  \o. 

(4)  Voir  sur  Postel  E.  Picot,  Les  Franc,  ital.,  I,  p.  313-324;  P.  Ravaisse,  Un 
ex-llbris  de  G.  Postel,  dans  Mélanges  Picot.  I.  315-335  (e'xcelletnts  résumés); 
Lefranc.  Hlst.  du  ColK'ue  de  France,  p.  190-191;  Wbill,  De  G.  Postelli  vita  ei 
Indole  (1892),  donne  une  bibliographie  plus  complète;  Mouhoff,  PolyMst.,  II,  I, 
XI.  p.  90. 

(5)  H.  Estienne  rapporte  que  Postel  lui  a  dit  à  lui-même  "  à  Venise  en  la  place 
de  Realte  qu'une  bonne  religion  devrait  estre  composée  de  la  religion  chrestienne, 
de  la  turquesque  et  de  la  judaïque  »  {Traité  de  la  conformité  des  merveilles 
anciennes  avec  les  modernes,  XIV).  Et  comme  cette  thèse  est  à  peu  près  celle 
de  l'IIeptaplimneres,  G.  Patin  prétend,  d'après  Naudé,  que  Postel  aurait  servi  de 
secrétaire  à  quatre  personnages  qui  se  réunissaient  à  Venise  toutes  les  semaines 
deux  fois  pour  discuter  de  religion,  et  que  ses  papiers  seraient  tombés  entre  les 
mains  de  Bodin,  qui  en  a  fait  VHci)tnph(imcre>t  (voir  Chauviré,  Heptaptinmeres. 
introduction,  p.  2).  Postel  était  à  Venise  en  1537  1538,  en  l&'i7-1549  et  en  1554. 


LA    RÉACTION  289 

hérétique  poursuivi  par  l'Inquisition  et  un  prêtre  pieux 
presque  jusqu'à  l'extase  '^^\  un  explorateur  qui  a  parcouru 
tout  l'Orient,  un  linguiste  et  un  hébraisant;  il  est  si  divers  et 
si  contraire  à  lui-même  que  tous  l'ont  tiré  à  eux,  ceux-là  du 
moins  qui  se  sont  donné  la  peine  —  car  c'est  un  travail  pénible 
—  de  le  lire.  Les  autres  répètent  à  tour  de  rôle  qu'il  rêva,  après 
Raj'mond  de  Sebonde,  d'expliquer  tous  les  dogmes,  et  qu'il 
prêcha  la  mission  de  la  mère  Jeanne  qui  devait,  seconde 
Eve,  régénérer  le  monde.  Mais  il  y  eut  aussi  en  lui  un  esprit 
très  vif.  Nul  n'a  vu  avec  plus  de  clarté  l'incréduhté  grandis- 
sante, nul  n'en  a  distingué  plus  nettement  les  causes  ni  com- 
battu avec  plus  de  courage  les  docteurs.  Il  ne  lui  manqua 
qu'un  peu  d'équilibre  pour  être  un  génie  f^).  Déjà  au  XVP  siècle, 
Florimond  de  Raemond  s'indignait  qu'on  le  fît  «  père  des 
déistes  <3)  »;  il  cherchait  à  expliquer  —  d'après  les  conversations 
de  Postel  lui-même  —  l'histoire  de  la  mère  Jeanne,  et  il  ter- 
minait son  portrait  par  ces  belles  lignes  par  lesquelles  nous 
terminerons  aussi  le  nôtre  :  ((  Sur  ses  vieux  ans,  les  princes 
et  gens  de  scavoir  alloient  veoir  ce  vénérable  vieillard  à  Saint- 
Martin-des-Champs  ('''  où  il  logeoit,  assis  dans  sa  chaire,  la 
barbe  blanche  luy  tombant  jusques  à  la  ceinctiu^e,  avec  une  telle 
majesté  en  son  port,  une  telle  gravité  en  ses  sentences,  que 
nul  ne  s  en  relournoit  jamais  sans  désir  de  le  reveoir  et  estonne- 
ment  de  ce  qu'il  avoit  oiiy.  Quand  il  parloit  avec  véhémence,... 
on  eust  dit  que  ses  yeux  estoient  des  escarboucles.  Combien 
de  fois  a  pris  plaisir  le  roy  Charles  IX  d'ouyr  les  admirables 
discours  de  cest  homme  qu'il  appeloit  son  philosophe  !  (^'  ». 


(1)  ■■  Disoit  ordinairement  la  messe  avec  une  extraordinaire  dévotion,  si  qu'on 
l'a  veu  souvent,  mesme,  au  cœur  de  rhyver,  disant  la  veille  de  Noël  la  messe  de 
minuict,  la  fumée  sortir  de  sa  teste  chenue,  lorsqu'il  s'apprestolt  à  la  consécration, 
tant  il  avoit  l'esprit  tendu  à  ce  grand  mystère  »  (Florimond  de  Raemond,  Nais- 
sance et  progrès  de  l'hérésie,  p.  227). 

{il  E.  Picot  termine  le  récit  de  sa  vie  par  cette  phrase  :  «  Si  ce  fut  un  fou,  ce 
fut  un  fou  de  génie  »  {loc.  cit.). 

(3)  Op.  cit..   p.  324. 

(4)  n  y  avait  été  enfermé  en  1562,  à  52  ans,  comme  aliéné,  après  avoLr  été  arrêté 
pour  la  seconde  fois  pour  hérésie  et  avoir  erré  dans  toute  l'Europe. 

(5)  \ai!'sance  et  progrès  de  l'hérésie,  lie  Livre,  p.  227-228. 

19 


290  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Dès  ses  premiers  ouvrages,  il  nomme  ses  adversaires.  Ce 
sont  d'abord  les  Italiens  et  surloul  Pomponazzi.  Dans  son 
premier  livre  De  Orbis  lernv  concovdia  (1542)  'i),  exposant  en 
faveur  de  l'immortalité  un  texte  d'Arislote;  il  s'arrête  tout  à 
coup  :  «  Et  cependant,  dit-il,  ce  bon  Pomponazzi  a  faussé  ce 
texte  qui  laccablait,  en  mettant  une  interrogation!...  0  Italie, 
tu  nourris  de  ces  monstres  d'hommes  qui,  non  contents  d'être 
impies,  versent  encore  leur  venin  aux  autres  et  avec  ce  poison 
pénètrent  dans  les  cours  des  princes  et  promettent  l'impunité 
au  crime  là  précisément  où  on  le  commet  tous  les  jours  !  f^'  ». 
Si  c'est  l'Italie  qui  a  engendré  les  Pline  et  les  Lucrèce,  ils  ont 
aujourd'hui  bien  des  frères  :  «  Ils  sont  comme  des  dieux  pour 
les  courtisans  et  les  demi-savants  de  nos  jours  )>  ;  d'où  la 
corruption  morale  de  nos  cours  où  règne  l'ambition  (3),  Nul 
doute  que  Postel  vise  ici  la  cour  de  France  où  les  Italiens 
sont  si  nombreux  et  si  influents.  Pomponace  est  le  seul  philo- 
sophe qui,  avec  ses  élèves,  ait  méconnu  la  différence  qui  sépare 
l'homme  des  animaux,  dit-il  dans  le  même  livre  ('^).  Et  encore 
celte  apostrophe  à  propos  d'un  texte  de  la  Bible  d;ont  les 
libertins  se  servent  contre  le  dogme  de  la  Providence  :  «  Ainsi, 
ce  texte  n'a  pas  de  valeur  pour  les  impies  qui,  «  avides  de  ce 
(jui  peut  chatouiller  leurs  oreilles  »,  détournent  tout  à  leur 
sens.  Tel  ce  charlatan  de  Pomi)onazzi,  (jui  avait  faussé  des 
témoignages  d'Aristole,  de  Galien  et  d'Averroès  pour  prouver 
que  l'âme  est  mortelle.  0  siècles  f^)  !  ».  C'est  Pomponazzi  encore 
qu'il  vise  quand  au  chapitre  XX  t^),  il  relève  la  formule  de  ce 
»  philosophe  lucrétien  »,  de  ce  «  Satan  damné  »,  que  «  la  vertu 

(1)  Quat'uor  Ubrorum  de  orbis  terne  concovdia  liber  /,  G.  Postello  Barentonio 
math.  reg.  authore.  Excudebat  ipsl  authorl  Petrus  Gromorsus  sub  Phœnlcis  signo 
Juxta  scolas  Remenses.  —  Le  livre  n'a  pas  de  date,  mais,  dans  la  préface  du  De 
Alcorant  et  Evang  concordin  pul)lié  en  1543,  il  parle  de  ce  livre  comme  fait  l'hiver 
précédent  en  six  mois.  K.  Picot  propose  aussi  1542. 

(2)  Ibid..  ch.  XX,  p.  114. 

(3)  Ibid.,  p.  131  vo. 

(4)  Esse  quamdam  vim  in  nalura  humana  qua  cœtera  animanttum  gênera  destl- 
tuantur  ut  neminem  sensu  rationis  intontem  ("te  =  uteiitcm  ?)  prseier  Pompona- 
tlum  et  asseclas  dubitare  arbitrer. ..  {Ibid.,  p.  133). 

(5)  Ibid  ,  ch.  I,  p.  9. 
'6)  Ibid..  p.  1-29  vo. 


LA    RÉACTION  29J 

est  à  elle-même  sa  lin  et  sa  propre  récompense  *i)  ».  C'est 
contre  Pomponazzi  enfin  qu'est  écrit  tout  le  chapitre  VII  sur 
l'existence  des  démons  (2).  Et  comme  il  vient  d'y  faire  allusion 
à  des  prodiges  arrivés  dans  l'ancienne  Rome,  il  élève  tout  à 
coup  sa  grosse  voix  :  0  Romains,  je  m'adresse  à  vous 
encore  (en  exceptant  toutefois  les  bons),  parce  qu'il  est  certain 
qu'il  y  a,  et  il  y  a  toujours  eu  en  Italie,  des  hommes  comme 
Pomponace,  cet  athée  qui  a  voulu  faire  croire  qu'il  n'y  a  pas 
de  substances  séparées  (du  corps)  et  qui,  en  faussant  les  dires 
des  philosophes,  a  taché  de  persuader  la  mortalité  des  âmes 
à  un  pontife  avide  de  nouveauté.  0  Rome,  tu  n'as  jamais 
manqué  de  monstres  »  ! 

Parmi  les  Français,  dès  1543,  il  dénonce  aussi  les  pro- 
testants. Ce  sont  eux  qui  font  douter  de  Dieu,  car  si  Dieu,  se 
dit-on,  a  laissé  se  tromper  si  longtemps  son  Eglise,  comment 
peut-il  être  Dieu  et  comment  l'Eglise  peut-elle  être  vraie  ?  Voilà, 
en  effet,  une  réflexion  qu'ont  dû  faire  bien  des  protestants. 
Mais,  il  s'en  prend  surtout  à  ceux  d'entre  eux  qui  ont  passé 
au  parti  libertin  :  «  C'est  une  habitude  générale  de  convaincre 
les  hommes  qu'il  faut  vivre  dans  l'impiété,  et  de  même  que  les 
brutes,  se  laisser  aller  à  ce  qui  est  défendu.  Quelques-uns 
même  ont  fait  de  leur  impiété  une  profession  publique.  Je 
n'en  veux  d'autre  preuve  que  le  détestable  traité  des  Trois 
prophètes  (3),  le  Cymbalum  mundi,  le  Pantagruel^  et  les  Nou- 
velles Isles  dont  les  auteurs  étaient  autrefois  les  chefs  du 
parti  luthérien  (^'  ». 

Les  cicéroniens  aussi  lui  sont  antipathiques.  Cette  année 
même  Dolet  leur  chef,  est  emprisonné  à  la  Conciergerie.  Il 
s'excuse  donc,  dans  sa  préface,  de  n'être  pas  cicéronien. 
«  Ceux-ci,  dès  qu'ils  ouvrent  un  livre,  crient  que  c'est  du  mau- 

(1)  Cf.  Pomponatli  De  Immort.  Anim.,  ch.  XIV. 

(2)  De  Orbis  conc.  Ub.  I,  ch.  VII,  p.  67.  L'exist-ence  des  démons  est  attaquée  dans 
le  De  Inrnntnlionlbus. 

(3)  Le  Traité  des  trois  imposteurs. 

(4)  Traduction  Chenevière,  op.  cit.,  p.  60  :  Alcorani  seu  legis  Mahometi  et  Evan- 
gelistarum  concordiae  liber  in.  quo  de  cnlnmitutibus  orbi  christiano  imminentibus 
tractatur....  Parisils,  Gromorsus,  1543,  p.  72.  ♦ 


292  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

vais  lalin,  quon  ne  doil  pas  le  lire,  parce  qu'on  ny  trouve  pas 
l'air  de  Cicéron,  de  César  ou  de  Tive-Live  ».  Mais  vraiment,  n'y 
a-l-il  de  latin  que  celui  de  Cicéron  et  se  flattent-ils  eux-mêmes 
de  si  bien  l'imiter  qu'ils  lui  ressemblent?  Au  surplus,  il  ne 
veut  pas  diffamer  une  science  qu'il  ne  saurait  atteindre,  mais 
((  les  jugements  faux  et  dangereux  de  certains  qui,  s'appli- 
(juant  seulement  au  choix  des  mots,  toujours  étudiant,  comme 
dit  saint  Paul,  sans  jamais  arriver  à  connaître  la  vérité,  sem- 
blent nés  pour  déchirer,  blâmer,  dénigrer  les  écrits  des 
autres  ».  Pour  lui,  il  considère  la  doctrine  plus  que  la  forms  ; 
<(  salis  laline,  si  salis  uere  (i) 

A  défaut  de  ces  déclarations  de  guerre,  le  plan  seul  de  son 
premier  ouvrage  suffirait  à  désigner  ceux  qu'il  combat.  Le 
De  Orbis  concordia,  en  effet,  se  compose  de  vingt-trois  cha- 
pitres, dont  l'ordre  n'est  pas  très  rigoureux,  mais  qui  me 
semblent  pouvoir  se  classer  ainsi  :  1-6,  Dieu  et  le  monde  (Pro- 
vidence et  Création);  7,  8,  anges  et  démons;  9-11,  nature  de 
l'homme  ;  12-14,  divinité  de  Jésus-Christ  ;  14-19,  valeur  de 
l'Evangile  ;  20-23,  immortalité  de  l'âme.  Le  hvre  dans  son 
ensemble  traite  donc  de  toutes  les  questions  agitées  depuis 
Pomponazzi.  Mais  Postel  craint  (ju'on  ne  lise  pas  tout  le 
volume.  Il  indique  donc  quels  en  sont  les  chapitres  essentiels  : 
3,  4  (sur  la  Trinité  et  la  création  du  monde);  7,  8  (sur  l'existence 
des  démons):  10  (du  but  de  la  vie  humaine);  14  (de  la  divinité 
de  Jésus-Christ);  20,  21,  22  (immortalité).  Et,  si  on  doit  encore 
réduire  la  lecture,  il  abandonne  les  chapitres  qui  traitent  de 
Dieu  et  celui-là  même  qui  traite  de  la  divinité  de  Jésus-Christ; 
il  n'y  a  donc  que  deux  questions  importantes,  les  deux  vérités 
les  plus  combattues  par  Pomponace  et,  en  ce  moment,  par 
Vicomercato  ^2);  c'est  pourquoi,  il  demande  qu'on  lise  seule- 
ment quatre  chapitres  de  son  livre  :  les  deux  qui  combattent 


(1)  Alcornni...  et  Evangel.  concordix  lib.,  proœmlum.  non  paginé. 

f2i  r,ps  Commet) ta fres  de  Vlcomerrato  sur  le  5»  livre  de  l'Ame  d'Arlstote  auraient 
paru  en  15'.l:  son  De  Anima  rntlonall  parait  en  iS'iS;  mais  l'insistance  de  Postel 
à  réfuter  l'éternité  du  monde  me  fait  croire  que  Vlcomercato  enseignait  alors  au 
CoIIt'sre  de  France  ou  avait  enseigné  /i  Sainte  Barbo  les  Uiéorios  qu'il  exposera  plus 
tard  dans  le  Commentaire  aux  le  lif»  livre  de  la  métaphysique  (1551). 


I 


LA    RÉACTION  293 

rélernité  du  monde  (3,    4)  et  les  deux  qui  établissent  l'immor- 
talité {20,  21). 

Dès  son  premier  livre  ^i*  aussi,  il  indique  sa  méthode.  Le 
grand  résultat  de  la  philosophie  padouane  a  été  de  séparer  la 
raison  et  la  foi.  Les  philosophes  chrétiens  en  ont  pris  leur 
parti,  les  protestants  exaltent  la  foi  au  détriment  de  la  raison. 
Mais  Poslel  a  vu  tout  de  suite  le  danger  d'un  pareil  système  : 
((  L'un  affirme  qu'on  peut  tout  savoir,  l'autre  refuse  son  assen- 
timent à  toutes  les  vérités,  un  troisième  déclare  que  tout  est 
douteux,  quelques-uns  préfèrent  renoncer  à  leur  nature 
d'homme  que  de  déclarer  vrai  ce  qui  est  manifeste  (2)  ».  Pour 
lui,  il  va  démontrer  la  doctrine  spiritualiste  et  même  certains 
mystères  chrétiens,  dont  nous  venons  de  donner  la  liste,  par 
la  raison  et  non  par  la  foi  :  «  Dans  mon  premier  livre  écrivait- 
il  l'année  suivante,  les  articles  de  la  doctrine  de  Jésus-Christ, 
ce  n'est  pas  par  l'autorité,  comme  Agostino  Steuco,  Justin, 
Théodoret  et  à  peu  près  tous  mes  prédécesseurs,  mais  c'est 
par  la  raison  que  j'en  ai  établi  la  démonstration,  que  je  les 
ai  assurés  et  consolidés '^^  ». 

Il  est  bien  vrai  que  cette  méthode  est  inusitée  dans  l'Eglise 
et  qu'un  pape  a  dit  :  Fides  non  habei  merituni  ubi  humana 
ratio  prœbef  experimcnlwn .  Aussi  n'est-ce  pas  pour  les 
croyants  qu'il  écrit,  encore  qu'ils  doivent  bien  se  persuader 
que  Dieu,  auteur  de  la  raison,  ne  nous  donne  rien  à  croire 
qui  ne  puisse  s'enseigner  rationnellement*^'.  Mais  ceux  qui 
n'ont  pas  la  foi,  pour  qui  le  critérium  de  la  vérité  n'est  pas 


(1)  Il  n'avait  publié  avant  le  livre  que  nous  étudions  ici  que  deux  volumes  sur 
les  langues  sémitiques  et  le  De  MaQiftlraUbns  atheniensibus  liber  qui  sont  sans 
intérêt  pour  nous.  Il  était  professeur  d'hébreu  au  collège  Royal  depuis  1538. 

(2)  De  Orbis  coiicord.  lib.  I,  ch.  I,  p.  4  vo, 

(3)  De  Alcorani concordia,  p.  6  :  Primo  itaque  libro...  quœ  in  sancti  Jesu- 

Christi  religionis  placitis  habentur  non  ex  authoritat*....,  sed  ex  ratione  demons- 
trationeque  posui.... 

(4)  mis  qui  sacris  mysteriis  imbuti  Dei  spiritu  aguntur  (quamvis  id  unum  slbi 
imprimis  persuadere  debent  authorem  rationis  Deum,  nil  quamvis  arduum  et 
obscurum,  sine  ratione  praecepisse  aut  docuisse)  non  est  rationibus  conflrmanda 
fldes  quam  jam  satis  persuasam  habent.'Z>e  Orbis  concordia  lib.  I,  proœmium.  Au). 


294  SOURCES    ET    INFILTRATIOJSs 

le  même  que  pour  nous,  comment  les  convaincre  ?  «  Comment 
mettre  fin  aux  discussions,...  si  la  raison  n'est  pas  établie  juge 
(lu  vrai  et  du  taux  et  arbitre  entre  les  adversaires  O  ?  Nous 
avons  sucé  la  vérité  avec  le  lait,  nous  cbrétiens,  et  beaucoup 
pai'mi  nous  se  sont  laissé  persuader  que  nos  dogmes  sont 
indémontrables,  qu'ils  sont  des  axiomes  et  des  principes 
premiers  comme  ceux  de  la  géométrie  '2'  )>.  S'il  en  était  ainsi, 
ils  seraient  connus  du  monde  entier  et  il  n'y  aurait  pas  plus 
besoin  de  Révélation  pour  la  religion  que  pour  les  mathé- 
malifjues.  Qu'il  lui  soit  donc  permis  de  les  transmettre  par  la 
raison  aux  nations.  Aux  premiers  siècles,  Dieu  faisait  des 
miracles  en  faveur  de  son  Eglise:  maintenant  qu'elle  vieillit, 
et  que  c'est  à  peine  si  elle  n'est  pas  détruite,  c'est  par  la  raison 
(ju'il  la  faut  propager  (3). 

On  n'attend  pas  de  nous  que  nous  analysions  maintenant  le 
livre  dans  le  détail.  S'il  est  intéressant  comme  témoin  de  l'état 
d'esprit  français  en  1542  et  comme  indice  de  la  méthode  inau- 
gurée par  Postal,  il  est  beaucoup  moins  original  pour  sa  doc- 
trine. Les  principaux  problèmes  (pie  nous  avons  signalés  y 
sont  repris  tout  au  long.  Sur  la  question  de  l'âme,  Postel 
s'allie  à  Vicomercalo  pour  prêcher  une  espèce  d'averro'isme. 
Cette  idée,  indiquée  seulement  dans  le  De  Concordia^ 
deviendra  chez  Postel  un  système.  Ne  pouvant  vaincre 
l'averroïsme,  il  l'amalgame  à  la  théologie  et  assimile  l'intellect 
agent  à  la  lumière  qui  frappe  nos  yeux  ^^\  ce  qui  est  la  com- 
paraison de  Thémistiiis  lui-même,  ou  encore  au  Verbe,  ((  à 


fl)  At  illis  qui  alieni  a  nostra  persiiasione  sunt,  in  divinis  vero  rébus  sua  etlam 
authoritate  a  nostra  divcrsa  utuntur  nitunturque,  certe  ea,  ratio  exponenda  est 
fjuam  a  veritatls  authore  deo  dimanasse  credimus;  quis  enim  unquam  finis  erit 
altercandi  et  sua  pertinaciter  simplici  authoritate  defendentli  uisi  ratio  veri  et 
falsi  di^crlmen  fecerit  et  inter  litlfratores  veluti  arbiter  (:omiv)Suerit  ?  (Ibld.,  A"J). 

(2)  Nu'iquain  demonstrari  passe  ea  dogmata  quise  a  nobls  probantur  quod  ele- 
menta  sint  et  piinoipia  indemonstrabilia  ut  et  geomelriae  (Ihid.). 

(3)  Na'cente  ecclesia  Christl  miraculis,  nunc  senesrente  et  tantuni  non  afflicta 
pletate.  rationibus  est  agendum  ilhid.). 

•   (Vi   lAber  lezlrah,  note  N,  page  C'U  (155-2).  Sur  la  nature  de  l'Ame  (distincte  du 
rrtriis  .  on  a  vu   i>lus  li;iiit    rh.   VIII.   p.  -268,  note  5)  qu'il  l.i  fait  venir  du  sang. 


LA    RÉACTION  295 

la  lumière  qui  illumine  tout  homme  venant  en  ce  monde  (')  ». 
Alais,  il  s'attaque  à  Pomponazzi  pour  réclamer  l'immortalité, 
conséquence  de  la  nature  du  mens,  proclamée  par  l'autorité 
des  philosophes,  même  d'Aristote  (2),  réclamée  par  notre 
instinct  de  justice  (3)  et  notre  besoin  de  félicité  ('*'. 

Les  chapitres  III,  IV,  V,  traitent  de  la  création.  On  y  trouve 
réfutées  toutes  les  raisons  apportées  par  Vicomercato  dans  le 
De  principiis  renun  naturalium.  Faut-il  en  conclure  que  ce 
dernier  avait  déjà  répandu  ses  idées?  Cela  paraît  peu  pro- 
bable, puisque  c'est  l'année  même  où  il  prend  la  chaire  de 
philosophie  du  Collège  de  France.  Mais  sans  doute  l'aver- 
roïsme  était  courant  alors  à  Paris.  Postel  ne  nomme  personne 
du  reste  et  semble  traiter  ce  problème  de  plus  haut  qu'il  ne  le 
fera  dix  ans  plus  tard  (^'.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  propose  l'amour 
pour  déterminer  Dieu  à  agir  et  résoudre  l'antinomie  entre  la 
puissance  qui  suppose  le  monde  créé  dans  le  temps  et  la 
notion  d'acte  pur  appliquée  à  Dieu,  qui  le  suppose  éternel  (6). 
Et  que  faisait  Dieu'  avant  de  créer?  C'est  l'objection  que 
Velleius  faisait  à  Cotta  dans  le  De  Nalura  Deorum  (7).  Postel 
leur  répond  qu'en  Dieu  il  n'y  a  pas  de  temps,  ni  par  consé- 
quent de  changement,   puisque  le  changement  suppose  suc- 


(1)  De  Xativitnte  mrdtatoris...,  p.  81  (1547)  :  «  De  his  qu»  asserere  potuit  Aristoteles 
in  natura  aiiimœ,  nil  unquam  verius  dixit  quam  quod  de  mente  isecrulturi,.  Restât 
igitur  ut  mens  sola  extrinsecus  accédât  ad  naturam  humanam  complendam,  eaque 
sola  divina  est.  Nil  enlm  cum  ejus  actione  communicat  actio  corporalis.  Constat 
itaque  esse  quoddam  anima  superius  In  nobis  quod  modo  mens,  modo  animus, 
modo  intellectus  vocatur.  Statim  vero  semini  concomitanter  adest,  in  universo 
semper  incubans  quod  omnibus  participatur  individuis  humani  generis.  Expres- 
sius  autem  dicitur  intellectus  agens  a  filosofis,  a  theologis  autem  lux  vera  quse 
illuminât  omnem  hominem  venientem  in  mundum.  Est  enim  in  nobis  una  lux 
reverberationis  obscura,  ab  ipso  surgens  corporis  temperamento,  quae  anima  dici- 
tur a  theologo,  a  fllosofo  autem  intellectus  suppositus  agenti,  qui  et  possibilis 
dicitur  ». 

(2)  De  Orbis  concordia  lib.  I,  p.  114-119;  p.  133-134  (contre  Pomponazzi). 

(3)  IWû..  p.  129-132  (contre  Pomponazzi). 

(4)  Ibià.,  p.  135. 

(5)  Voir  un  i)eu  plus  loin. 

(6)  Voir  l'exposé  de  cette  objection  dans  l'étude  sur  Vicomercato  (ch.  VIII).  La 
réfutation  de  Postel  se  trouve  au  chap.  IV  du  23e  Orbis  concordia  lib.  I,  p.  31. 

(7)  De  Natura  Deorum,  I,  IX. 


296  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

cession  ^^K  Puis,  il  élaLlit  la  crtalion  ex  niliUo  sur  ce  que 
dans  l'hypothèse  d'Aristote,  on  serait  obhgé  d'admettre  que 
le  monde  se  crée  lui  même  t^'. 

Enfin,  il  prend  soin,  en  traitant  des  miracles,  d'établir  la 
supériorité  des  miracles  faits  par  Jésus  et  ses  disciples  sur 
ceux  que  racontent  les  auteurs  profanes  l^'.  Us  dépassent  toutes 
les  forces  naturelles,  dit-il,  et  sont  faits  en  faveur  de  ceux  qui 
en  sont  l'objet,  tandis  que  ceux  que  l'on  prête  à  Apollonius, 
à  Simon  le  Magicien,  ou  ceux  que  raconte  Apulée  sont  ou 
bien  explicables  par  la  magie  ou!  inutiles  aux  hommes.  Quoi 
qu'il  faille  penser  de  cette  distinction,  il  est  indéniable  que 
c'est  bien  ainsi  que  la  question  se  posait  depuis  Pomponazzi  ("*' 
et  qu'en  cherchant  à  donner  des  vrais  miracles  la  même  expli- 
cation que  des  faux  ou  aux  faux  la  même  créance  qu'aux  vrais, 
ce  philosophe  ruinait  l'un  des  fondements  de  l'apologétique  (^\ 
Mais  surtout,  il  ne  serait  peut-être  pas  téméraire  de  voir  dans 
l'insistance  de  Postel  la  preuve  de  la  renaissance  de  la  philo- 
sophie de  Celse. 

Quand  ce  livre  parut,  Postel  était  déjà  en  fuite.  Son  inter- 
vention en  faveur  du  chancelier  Poyet  l'avait  perdu.  D'autre 
part,  sa  doctrine  était  suspecte.  Si  l'averroïsme  de  ses 
premiers  ouvrages  ne  choquait  pas  à  cette  époque,  sa  pré- 
tention renouvelée  de  R.  Lulle,  de  Nicolas  de  Cusa,  de 
Raymond  de  Sebonde,  de  rendre  compte  de  tous  les  mystères 

(1)  De  Orbis  concordia.  I,  p.  32  :  At  mihi  dices  :  quid  in  tanta  aeternitate  agebat 
In  sui  contemplatione  ?  —  Aut  socordia,  dices,  aut  invidia  laborabat,  quod  rem  tam 
pra'claram  tamdiu  in  sua  mente  servaret. 

(2)  Ibid.,  ch.  V,  p.  42-43.  Cette  question  est  reprise  ci-après  dans  ranalyse  du 
Ltber  lezirah. 

(3)  Il  y  consacre  une  partie»  du  ch.  VIII,  p.  75  à  79. 

(4)  Voir  ch.  II,  et,  pour  le  développement  de  cette  objection,  BoniN,  Heptapl., 
ch.  XVII,  et  les  grands  apf)log-istPs.  ch.  XVIII. 

(5)  Je  ne  cite  que  pour  mention  les  deux  livres  suivants  de  Postel  :  De  Rationibu^ 
Spirllus  snvcti  (in-8o.  Paris.  1.562).  Ce  premier  livre  est  une  reprise  du  pr*  mier  du 
De  Concordia  orbis.  On  peut  en  dire  autant  du  De  Sncraruin  Apodixion  seu  EucH- 
dis  Chrlsiinnl  llbrl  duo.  in-S».  Paris.  1.543.  Le  premier  livre  pose  des  axiomes 
dont  l'auteur  tire  dans  le  second  une  démonstration  plus  méthodique  que  celle 
de  ses  deux  volumes  précédents  —  selon  lui  —  des  vérités  dont  nous  venons  de 
parler. 


I>A    RÉACTION  297 

de  la  religion,  était  plus  généreuse  que  prudente  et  faussait  la 
notion  de  la  loi.  Il  ne  revint  que  neuf  ans  plus  tard,  en  1551, 
après  avoir  fait  un  second  voyage  en  Orient  et  surtout  un  long 
séjour  à  \'enise.  Est-ce  là  qu'il  a  vu  de  près  les  partisans  des 
doctrines  padouanes  ?  ou  si  ces  doctrines  sont  si  répandues  à 
Paris  qu'elles  l'épouvantent,  ou  si,  logé  au  collège  des  Italiens, 
il  a  occasion  de  les  étudier  plus  sérieusement  ?  Toujours  est-il 
qu'à  peine  arrivé  il  recommence  la  lutte,  non  plus  cette  fois 
contre  les  rationalistes  italiens,  mais  contre  ceux  de  Paris. 

Le  premier  livre  qu'il  publia  <i)  est  un  essai  sur  la  création 
et  semble  viser  directement  les  théories  contenues  dans  le  De 
auscultaiione  et  le  De  Principiis  rerum  naturaliuni  de  Vico- 
mercato.  Cette  page,  par  exemple  '2),  n'est-elle  pas  un  résumé 
très  précis  du  livre  —  du  cours  plutôt  —  de  Vicomercato?  : 
«  C'est  pourquoi  Aristote  et  ceux  qui  le  suivent  ont  donné  un 
enseignement  mauvais  jusqu'ici,  parce  que,  sous  prétexte  que 
Dieu  agit  de  toute  éternité  et  est  immuable,  ils  ont  voulu  l'en- 
chaîner de  toute  éternité  dans  la  nécessité,  à  ce  point  qu'il 
auîTiil  créé  le  monde  éternel  comme  lui.  Car  Aristote  et  ses 
disciples,...  en  faisant  le  monde  coéternel  à  Dieu,  font  Dieu 
malheureux,  puisque  sa  puissance  lui  est  une  nécessité  ». 
N'est-ce  pas  les  padouans  encore  qu'il  vise,  lorsqu'il  parle  de 
ceux  qui,  pour  ne  pas  accepter  la  théorie  des  idées  de  Platon, 
arrivent  à  nier  Dieu  lui-même  (^l  Mais  Vicomercato  lui-même 
a  reconnu  dans  son  De  Anima  rationali  '^)  le  danger  de  l'aris- 


(1)  Abrahami  patriarchx  Uber  lezirah  sive  formationis  mundi.  —  Vertebat  ex 
hebraeis  eô  commentarils  illustrabat  1551  ad  Babylonis  ruinam  et  corrupti  mundi 
flnem  Gui.  Posteilus,  Restitutus,  Parisiis.  Vœneunt  ipsi  authori  sive  interpreti 
G.  Postello.  In  scholis  Italorum.  La  préface  est  signée  :  G.  Posteilus  restitutus  et 
jam  6  mensem  vene  vitœ  agens,  et  datée  da  1552,  Kalend.  guintil. 

(2)  Ideo  maie  docuit  Aristoteles  et  gui  eum  sequuntur  quia  voluerunt,  eo  quod 
Deus  sit  œternum  agens  et  nullo  novo  motu  mobilis,  eum  fuisse  ab  œtemo  neces- 
sitate  illa  qua  est  etiam  coactum  ut  muridum  sibi  cofetemum  creaverit.  Nam  dum 
Aristoteles  et  sui  ex  vi  potentiae  absolutre  et  aetern<E  arguunt  necessitat«m  coexis- 
tentise  mundi  eum  Deo.  omnino  miserum  et  infelicem  Deum  constituunt,  cui  sua 
potentia  carcer  et  nécessitas  est  (Liber  lezirnh,  E.). 

(3)  Studio  enim  contradicendi  Ideis,  substantiis  separatis  et  in  summa  toti 
sapientise  creatae  in  qua  subsistant  Ideae,  eo  devenit  ut  Deum  negarit  quem  coactum 
ad  hoc  ut  egeat  materia  ad  agendum  constituit...  Ilbid.). 

(4)  A  la  fin  du  volume.  Voir  chap.  VU,  p.  210.  le  texte  de  Vicomercato  qu'on 
peut  rapprocher  de  celui  de  Postel. 


298  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

tolélisme.  Postel  a  soin  de  relever  cet  aveu  :  «  Il  y  en  a  beau- 
coup, dit-il,  parmi  ses  partisans,  qui  confessent  que  cet  auteur 
et  ses  raisonnements,  —  même  les  meilleurs  ^  sont  pleins  de 
venin,  et  qu'on  ne  doit  point  appuyer  les  vérités  religieuses 
des  raisons  humaines  ni  surtout  de  celles  d'Arislote  '^^  ». 

Enfin,  s'il  nous  restait  un  doute  sur  l'objet  des  attacpies  de 
Postel,  voici  un  livre  dont  le  titre  seul  est  une  indication  : 
Liber  de  causis  seu  de  priiicipiis  et  oriainibus  Xalurœ 
ulriuscjue,  in  quo  de  ecierna  renim  leiUate  ila  agilurul  et  aulho- 
ritate  et  ratione  non  ianlum  ubiuis  parlicularis  Dei  providentia, 
sed  et  aniniovum  el  covponmi  immorlalitas  et  ipsius  Aristotelis 
verbis  recte  intelleclis  el  non  detortis  denionstretur  elarissime. 
Conlra  Atheos  et  huiiis  larvso  Babijloniciv  aluninos^^K  La 
thèse  du  De  Principiis  de  Vicomercato  était,  on  s'en  souvient 
peut-être,  que  le  monde  n'a  ni  cause  première,  ni  cause  finale 
et  que  la  nature  remplace  la  Providence.  Ce  sont  précisément 
les  idées  que  Postel  prétend  restaurer  contre  «  ceux  qui  ici 
se  disent  élèves  de  Peretio  '^l  ou  Ponij)onazzi  {qui  asserunt  hic 
se  esse  Pencti  l'oinponatiive  ahimnos)  ».  Il  y  joint,  quand  il  rn 
vient  à  l'immortalité  de  l'âme,  toute  la  troupe  des  athées  et 
<■  thnetopsychores  »  sortis  de  la  doctrine  d'Averroès  et 
d"Alexandre^^>.  .Mais  le  De  Principiis  de  Mcoinercato  comparé 
à  celui  de  Postel  ne  servirait  guère  qu'à  faire  ressortir  la 
netteté  sereine  du  premier  par  le  contraste  des  rêveries  du 
second.  Il  est  curieux  cependant  de  constater  qu'il  ne  nomme 
jamais  Vicomercato,  soit  que  la  faveur  très  grande  de  l'italien 
et  sa  propre  situation  lui  commandassent  la  prudence  (^),  soit 
que  les  livres  que  nous  venons  de  parcourir  visent  tous  les 

(1)  Sntisfariio  pro  suo...  conatu,  p.  72. 

(2)  Paris,  Nivelle,  1552  On  aura  remarqué  clans  le  titre  de  cet  ouvrage  l'allu- 
8lon  à  ceux  qui  faussent  le  texte  cl'Aristot«.  Dix  ans  plus  tôt,  dans  le  De  Concor- 
dia.   il  accusait  Pomponazzl  de  cette  faute.  Voir  les  textes  plu>  haut,   p.  290-291. 

f3)  //  Perctln  tst  le  nom  donné  familièrement  à  l'omponazzl  à  cause  de  sa  petite 
taiUe  Poste!  n'a  pu  apprendre  ces  détails  que  d'Italiens,  soit  à  Venise,  soit  à 
Paris. 

(4)  Chap.  XIV,  fin 

(5)  Non  seulement  il  avait  dû  fuir  la  colère  du  roi.  mais  quand  il  revjm  il 
trouva  sa  chaire  du  Collège  de  France  prise. 


LA    RÉACTION  299 

padouans.  Mais  en  allacjuaul  ainsi  les  élèves  de  Pomponazzi, 
c'est  larislotélisme  restauré  qu'on  frappait.  Ramus  avait  payé 
cher  quelques  années  auparavant  la  gloire  de  s'attaquer  à 
pareille  idole.  Chose  inconcevable,  c'est  au  nom  d'Aristote 
qu'on  démolissait  les  fondements  de  la  religion  et  c'est  la 
Sorbonne  et  les  théologiens  qui  défendaient  ce  «  tyran  ». 

Il  fallait  donc  quelque  courage  à  Postel  pour  dénoncer  la 
tyrannie  d'Aristote  et  les  dangers  de  sa  doctrine  (^).  Postel  l'a 
si  bien  senti  qu'il  a  écrit  un  volume  exprès  pour  justifier 
ses  attaques  contre  le  philosophe.  i\près  avoir  rappelé  que 
c'est  au  nom  d'Aristote  qu'on  nie  l'immortalité  et  la  Provi- 
dence, il  ajoute  '2'  :  «  Beaucoup  en  sont  venus  à  ce  point 
d'impiété  que  ce  qu'ils  n'osaient  professer  eux-mêmes  publi- 
quement à  cause  de  la  sévérité  des  lois,  ils  ont  bien  osé  le 
faire  sous  son  nom  au  point  que  ces  dernières  années  ce 
damné  de  Pomponazzi  a  osé,  à  la  honte  de  l'Italie,...  s'efforcer 
de  prouver  par  Aristote  que  les  âmes  sont  mortelles.  Et  cette 
bête  féroce  est  devenue  si  puissante  dans  son  impiété  qu't7  y 
a  à  Paris  des  partisans  de  sa  doctrine  qui  vont  iusqnà  se  faire 
gloire  d'être  les  disciples  de  Peretto,  c  est-à-dire  de  Pompo- 
nazzi ». 

Postel  trouva  pour  l'attaquer  une  jolie  ruse  :  il  traduisit 
d'abord,  puis  expliqua  (3)  et  réédita  le  livre  du  pseudo  Justin  : 


(1)  G  est  ainsi  du  moins  que  j'interprète  ces  lignes  apocalyptiques  :  Sunt  autem 
duo  summi  tyranni  animorum  in  hac  vita.  unus  sub  authorilate  divina  qua  per- 
diti  homines  abutuntur,  positus  iu  raeretricis  Babyloniae  Bestiae  seipsam  post 
detractDS  secum  nnumeras  cœli  stellas  abusu  ipsius  authoritatis  destnientis;  alter 
in  -ea  quae  videtur  et;  non  est  ratione  pure  humana...  constitutus  :  oujus  caput 
maxime  insigne  est  Aristoteles  {Satisfactio  pro  suo  in  Arist.  conalu,  p.  78). 

(2)  Il  me  faut  citer  en  entier  ce  texte  très  important  :  Ad  haec  eo  im.pietatis 
profecti  sunt  multi  ut  quod  publiée  ipsi  non  auderent  ob  legum  severjtatem,  sub 
ipsius  nomine  ausi  sint  profiter!  :  ut  proximis  istis  annis  perditissimus  quidam 
nebulo  Pomponaclus,  cum  summo  Italire  probro  ausus  ait,  scriptis  etiam  summis 
pontiflcibus  oblatis  et  tantum  non  suasis,  conari  ut  ex  Aristotele  demonstraret 
mortales  esse  animos.  Et  ita  illa  bellua  invaluit  in  ea  impietate  ut  etiam  In 
gloria  ponant  quidam  parisiis  ejus  doctrinœ  interprete.a  .te  Perreti  aut  Pompo- 
natii  esse  discipulos  {SatisfacHo  pro  suo  in  Aristot.  conatu,  p.  79). 

(3)  Ut  itaque  ab  hoc  summo  aut  dubitationis  aut  falsitatis  aut  contradictionum... 
barathro  liberetur  Respublica  Gallica...,  ut  a  nostris  auditoribus  tanta  ex  orbe 
Latino  tollatur  tyrannis...,  su.scepi  hu.jus  operis  et  privatam  ex  suis  Grsecis  in 
latinam  linguam  interpretationem  et  publicam  explicationem  {Saùisfactio  apolog. 
pro  suo  in  Arist.  conatu,  p.  74). 


300  SOURCES    ET    IN-FILTRATIONS 

EversLo  lalsoruin  Aristoielis  dognialuin  ").  Et  de  mémo  que  les 
nouveaux  aristotéliciens  se  cacliaient  derrière  Arislote  pour 
prêcher  la  mortalité  des  âmes  et  l'éternité  du  monde,  il  trouvait 
de  bonne  guerre  de  s'abriter  derrière  Tautorité  de  l'apologiste 
pour  attaquer  le  philosophe.  Il  ceignit  donc  les  armes  du 
martyr,  se  couvrit  du  bouclier  de  la  foi  comme  lui  et  s'attaqua 
au  même  adversaire.  Car  «  de  même  qu'autrefois  presque  tous 
les  germes  d'hérésie  sont  sortis  d'Aristote,  de  même  aujour- 
d'hui la  troupe  des  athées  y  a  sa  source  (2)  ». 

Or,  il  se  trouve  que  le  livre  apocryphe  de  saint  Justin  réédité 
par  Postel  est  composé  de  trois  séries  de  propositions  qui, 
dans  leur  ensemble,  sont  la  réfutation  des  deux  premiers  livres 
du  De  Auscultatione  d'Aristote  et  du  second  livre  Du  Ciel. 
Mais,  précisément,  c'est  sur  ces  livres  que  s'appuyaient  les 
padouans  pour  professer  l'éternité  du  monde;  ce  sont  ces  livres 
(ju'avait  réédités  et  commentés  Vicomercato  deux  ans  aupa- 
ravant, en  soutenant  dans  ses  commentaires  cette  hérésie.  II 
est  difficile  de  ne  voir  là  qu'une  coïncidence  f^). 
*  Seulement  en  même  temps  que  les  ennemis  de  la  foi  lui 
sont  plus  connus,  leur  méthode  aussi  le  gagne.  C'est  à  cette 
époque,  en  effet,  (ju'atteinl  son  plein  développement  la  doc- 
trine rationaliste  que  nous  avons  vu  s'esquisser  dans  le  De 
Or  bis  concovdia  et  que  j'appellerais  —  si  les  termes  ne  sem- 
blaient contradictoires  —  le  ralionahsme  chrétien.  D'autres, 
({ueUjue  trente  ans  auparavant,  en  voyant  renaître  la  philo- 
sophie antique,  avaient  essayé  de  la  christianiser,  de  faire  la 
fusion  des  morales  anli(jue  et  chrétienne,  et  Le  Fèvre  d'Etaples 
qui  s'y  était  appliqué  avait  appelé  ce  mélange  «  la  philosophie 

chrétienne  ».   Postel,   lui,   a  vu  d'un  coup  d'œil  génial  que 

% 

(1)   Paris,  1552.  in-16. 

2)  Suscepi  in  falsa  Aristotelis  dogmata  bellum  Justinj  martyrts  et  pliilosophl 
pra^stantissimi  fretus  armis,  et  fldei  ciim  martyre  consimilis  lorica  tutus,  eo 
quod  ut  olim  omnia  fere  hœreseon  semina  ex  uno  Arlstotele  mersere,  ita  hodie 
Athefiruin  cdhors  inde  manavlt  [Utid  ,  p.  3  vo  et  k;  au  cardinal  de  Lorraine). 

3)  \^  première  série  de  textes  réfutés  est  celle  où  Aristote  établit  que  rien  ne 
vient  de  rien  et  que  le  monde  n'a  ni  commencement  ni  fin.  La  f^econde  série 
attaque  la  fortune,  à  laquelle  Vicomercato  a  consacré  plusieurs  pages.  La  troisième 
traite  de  la  nécessité  du  mouvement  éternel  en  Dieu,  du  mouvement  du  ciel  et 
de  la  ccjTruptlon  des  éléments. 


LA    RÉACTION  301 

désormais  commence  le  règne  de  la  raison,  cl  il  va  chanter 
l'hymne  de  la  nouvelle  puissance  el  tâcher  à  la  baptiser. 
Déjà,  en  1542  et  en  1547,  il  avait  proclamé  que  le  règne  de 
1  autorité  était  fini  et  que  commençait  celui  de  la  raison,  même 
en  matière  de  théologie  '^K  Mais  nulle  part  encore,  il  n'avait 
exposé  son  système  avec  cette  ampleur  (2). 

D'abord,  il  n'admet  pas  qu'on  doute  de  la  raison  :  la  pire 
hérésie,  c'est  le  pyrrhonisme  (3);  il  faut  croire  à  deux  choses 
au  moins,  à  ses  sens  et  à  sa  raison,  l'idéalisme  absolu  ren- 
versant toute  base  de  la  science  et  toute  possibilité  de  dis- 
cussion. Cette  foi  à  la  réalité  des  perceptions  et  à  la  raison  est 
plus  nécessaire  que  la  croyance  à  Dieu  et  à  la  Providence. 
Car  la  raison  aussi  est  chose  sacrée  ^''^  :  «  ce  qui  est  contraire 
à  la  raison  est  nécessairement  contraire  à  Dieu.  Dieu  de  toute 
éternité  a  décidé...  que  la  droite  raison  serait  pour  nous  loi 
éternelle  f^'  ».  Ainsi,  ce  n'est  plus  Aristote  ou  Platon  qu'il 
faut  prendre  pour  règle  du  vrai,  mais  «  ce  qui  est  conforme 
à  la  raison,  voilà  ce  qu'il  faut  accepter  (6)   ».  Car  la  raison 


(1)  AbacoJHlitorum  clavis.  ch.  XIV  :  Sic  sciri  ab  omnibus  et  non  tantum  credi  opus 
est  flivlna...  mysteria,  ut  conversa  flde  in  contemplationem,  profetia  In  prudentem 
ordinationem,  scriptura  in  claram  intelligentiam.  tandem  unus  sit  in  toto  orbe 
pontifex. 

(2)  On  le  trouve  cependant  aussi  expasé  assez  longuement  dans  une  curieuse 
dissertation!  adressée  «  vLi-o  bono  et  sapientl  Petro  Francisco  Giambullario.  inter 
aedis  D.  Laurentii  mystas  canonico  et  Academico  claris.  Florent.  »,  et  intitulée  : 
De  Sunima  veritatis  basi  in  triplici  ratione  posita.  Elle  est  imprimée  à  la  suite 
du  De  Etrurlœ  originibus  (1551).  p.  22^-22'i.  Postel  y  analyse  les  moyens  dont  nous 
disposons  pour  arriver  au  vrai.  Le  plus  simple  est  la  foi.  Mais  la  foi  doit  céder  à 
l'intellig-ence  :  si  credunt  disc^puli,  postea  intelligunt.  La  troisième  voie  'intui 
tion  ?)  est  réservée  aux  anges  et  Adam  seul  parmi  les  hommes  en  a  joui. 

(^)  Non  censeo  ullo  modo  esse  cum  illis  de  veritate  agendum,  qui  de  .sequentibus 
ambigere  sententiis  volunt.  sitne  Deus  et  curamne  rerum  sensibus  objectarum 
habeat,  multo  minus  judico  debere  contendi  cum  illis  qui  sensus  nostros  exte- 
riores  et...  ipsum  intellectum  veritatis  judicem  falli...  volunt.  ut  nil  esse  vert 
sed  omnia  dubia  esse  affirment...  Hœc  sunt  duo  necessaria  primaque  et  inde- 
monstrabilia,  quod  res  sfnsui  aut  intellectui  obnoxije  causa.s  habpant.  quodque 
duce  ip>a  rerum  apprehensione  veritas  renim  possit  tiaberi  {De  Etrurix  origin., 
p.  7  [1551]).  On  se  souvient  que  0.  Talon  venait  de  publier  .son  Acaâemia  (1548). 

(4)  Quod  rationi  répugnât,  Deo  repugnet  necesse  est.  Deus  autem  ab  aeterno  insti- 
tuit...  ut  recta  ratio  pro  lege  aetema  haberetur  {Satisfacio...  pro  suo  iv  Arli^tot. 
conalu,  p.  73,  cotée  paj  erreur  81  [1552]). 

(5)  Il  propose  du  reste  de  modifier  en  ce  sens  la  définition  traditionnelle  de  la 
foi  par  saint  Paul  :  «  Fides  est  cearta  rel  a  sensibus  remotae  per  nm  cognitam  notio 
et  constans  assertio  ». 

(6)  Veritas  quœ  sit  aeternae  rationi  consentanea  recipiatur  (Sali>>factio,  p.  74) 


302  SOURCES    ET    INEILTRATI0N8 

univorselle  est  aussi  infaillible  que  l'Eglise  elle-même  •'  et 
((  de  même  que  Dieu  a  donné  à  son  Eglise  le  pouvoir  de  lier 
et  de  délier,  de  même  Dieu  a  donné  ce  pouvoir  à  la  raison 
humaine  et  ratiiie  dans  le  ciel  ce  que  l'homme,  roi  de  l'univers, 
a  décidé  sur  terre  ».  Dieu,  en  effet,  n  est-il  pas  à  la  fois  le  Dieu 
de  la  raison  et  de  l'autorité?  Il  faut  donc  qu'elles  s'accordent! 
Ou  plutôt,  elles  se  cèdent  le  tour.  Jusqu'ici  le  monde  a  vécu 
de  l'autorité  d'Aristote.  représentée  par  la  Sorbonne;  le  temps 
est  venu  où  l'homme  va  })ar  la  raison  régner  sur  le  mondfe. 
Voilà  précisément  l'œuvi-e  à  laquelle  il  est  destiné,  lui  Poslel  : 
restaurer  la  philosophie  entière  sur  ce  principe  que  la  raison 
esl  supérieure  à  l'autorité  et  (ju'ii  lui  appartient  de  régir 
l'univers  (2).  De  pareilles  théories,  si  elles  ne  manciuenl  m  de 
liardiesse,  ni  même  de  témérité,  marquent  au  moins  une  vue 
très  juste  des  tendances  du  siècle  aux  environs  de  1552  et  un 
elïoi'l  hardi  poui-  y  adapter  le  dogme. 


III 


Puisque  l'inci-édiililé  venait  de  l'engouement  jln  siècle  pour 
les  philosophes  anciens,  l'un  des  meilleurs  remèdes,  c'était  de 
lui  opposer  ces  mêmes  anciens.  Turnèbe  le  rappelle  au  début 


(1)  Sicut  eniirv  dédit  sufe  ecclesiae  a  pupo  Spiritus  sancti  inflnxu  dependenU,  ut 
quidguid  ipsa  ligaret....,  sic  est  omnino  necessarium  ut  ille  ipse  L'eus  de  totius 
humanae  ratjonis  judicio  hoc  ipsum  a  principlo  constituisset,  ut  essent  In  cœlo 
confirmata,  quse  homo  universl  dux  et  imperator  prius  in  terra  ligasset  {Ihid., 
p.  75  vo). 

(2)  Qiium  itaque  slt  unus  tantum  Deiis  et  authoritatls  legitlmje  et  ratlonis  rectae 
author,  est  omnino  necessarium,  ut  omne  verum  vero  consonet,  hoc  est  verum 
authoritatls  legitimae  et  vfrnm  rationis  rectœ  {Satisfaclio,  p.  73).  Dieu  a  permis 
qu'Aristote  fût  le  mattro  do  tonte  pensée  juste  jusf|u'A  re  que  la  scolastique  le 
dép^iuillàt  de  cette  primauté  {Ibid.,  p.  73).  Pendant  le  moyen  âge,  l'autorité  s'est 
substituée  à  In  rai.son:  son  U-mps  est  fini  :  "  Est  enim  magis  necessarium  homlni- 
bus  vinculum  rationis  quam  authoritatis,  eo  qmxl  ab  seterno  Deus  decreverat  ut 
homo,  rect<a  ratione  duce,  quse  sumraam  in  conscientije  lumlne  semper  gestat 
authoritatem,  mundum  gereret.  Postquam  autom  per  peccatum  con.sclpntia  r>erdl 
dit  rectîE  rationis  nsum,  opus  fuit  in  hanc  usque  diem  per  Ipsam  divlnam  autho- 
ritatem mundum  régi,  donec  ca  ratio,  quam  ego  voni  in  mtindum  restituere...,  sit 
rer>'>sit.a  In  snum  locum,  ut  sit  llgatum  et  In  cœlo  quidcjuid  e.a  dure  ligaverim 
In  terra.  Ea  de  re  est  mihl  riepurganda  et  retractanda  tota  philosophia  (Ibid., 
p.  76.  fin). 


LA    RÉACTION  303 

de  son  Di>icours  sur  le  PJicdon  ^^^  :  «  contre  de  pareils  esprits, 
dit-il,  que  l'autorité  des  paroles  sacrées  ne  porte  point  à  croire, 
pour  trouver  quelque  arme,  il  nous  faut  nous  aider  de  la  philo- 
sophie ».  Sans  doute,  si  ces  hommes  avaient  la  foi,  un  tel  pro- 
cédé serait  inutile  :  «  mais  ils  sont  si  pervertis  que,  —  au 
contraire  de  ce  qu'il  faudrait,  —  ils  n'accordent  aucun  crédit 
à  l'Ecrituie  sainte,  tandis  que  les  raisons  humaines  ont  toute 
leur  conhance  »;  et  <(  même  ils  ont  cru  qu'ils  ouvriraient  à  leurs 
erreurs  une  route  triomphale,  si,  rejetant  l'Ecriture,  ils  disaient 
que  l'immortalité  est  chose  admise,  mais  nullement  prouvée  ^2)  )>. 
Ainsi,  voilà  l'aveu  ;  la  thèse  de  Pomponazzi  triomphe  et 
engendre  le  scepticisme  !  C'est  contre  eux  qu'il  propose  un 
plan  de  traité  de  l'immortalité.  Il  serait  sans  intérêt  de  refaire 
ici  encore  une  analyse  sur  ce  sujet;  Turnèbe  nous  a  donné 
l'exemple  de  la  brièveté;  disons  seulement  que  dans  ce  petit 
discours,  il  a  rassemblé  et  résumé  toutes  les  preuves  de  l'im- 
mortalité alors  en  cours,  celles  de  la  raison,  celles  qu'on  tire 
de  la  nature  de  l'àme.  celles  que  fom^nit  l'autorité  des  philo- 
sophes anciens,  surtout  Platon  '3). 

Louis  Le  Roy  compléta  l'œuvre  de  Turnèbe  en  traduisant 
en  français  le  Phédon  l'année  suivante.  Il  y  joignit  plusieurs 
extraits  d'auteurs  grecs  relatifs  à  l'immortalité  (^)  et  fit  pré- 
céder le  tout  d'une  préface  au  roi,  où  il  signale  à  son  tour 
l'athéisme  grandissant  dans  le  royaume.  Le  texte  nous  sem- 
blant assez  important  et  n'ayant  été  donné  qu'en  partie  par 
M.  Beker  et  par  JM"^  Zanta,  nous  le  donnons  en  son  entier  : 

0}  Composé  en  1552,  d'après  Clément.  De  Adriani  Turnrhii  rer/ii  professons 
praefationibus  et.  poenratihus,  Paris.  Picard,  1899. 

{%  Errori  suo  viam  esse  prope  consularem  munituros si  scripturae  auctori- 

tatem  éludèrent,  cum  immortalitatem  animorum  opinione  persuasam,  non  ratione 
ulla  subnixam  esse  crederent.  Adriani  Turnebi  praefatio  in  Phaedonem  Platonis 
de  Animorum  immortalitate   {Opéra.   HT,  p.   49). 

(3)  Pour  Aristote,  Turnèbe  estime  qu'il  croit  à  l'immortalité  de  l'intellect  Eigent; 
mais  il  ne  prend  pas  parti  dans  les  discussions  en  cours  sur  la  nature  de  cet 
intellect.  La  préface  occupe  4  pages  in-fo  {Opéra,  III,  p.  49-53). 

(4)  Voici  le  titre  complet  du  livre  et  l'indication  des  pièces  qui  le  composent  : 
Le  Phedov  de  Platon  traictant  de  l'Immortalité  de  Varne,  jiresenté  an-  Roy  très 
rhrestien  Henri  II  de  ce  nom  à  son  retour  d'Allernaone.  —  Le  10»  livre  de  la  Rcpu- 
hlique  en  ce  qu'il  parle  de  l'Immortalité  et  des  loiers  et  supplices  rternels  — 
Deux  passages  du  mesme  autheur  à  ce  propos,  l'un  du  Phèdre,  l'autnre  de  Gorgias. 
—  La  remonstrance  que  feit  Cyrus  roy  des  Perses  à  ses  enfants  et  amys  un  peu 


30i  SOUR€ES    ET    INFILTRATIONS 

«  Combien  que  rimmortalité  de  lame  soit  cerlainemenl 
prouvée  par  la  sainte  Ecriture,  confirmée  par  tous  les  sages 
anciens;  combien  qu'il  n'y  ail  jamais  eu  au  monde  et  n'ait 
encore  pour  le  présent  nation  tant  ignorante,  cruelle  et  bar- 
bare soit  elle,  qui  n'aye  quelque  révérence  de  Dieu  :...  ce 
nonobstant  jay  pensé  estre  nécessaire  mettre  en  évidence 
ceste  traduction  pour  plusieurs  autres  raisons  qui  m'ont  meu 
l'enlreprendre,  mais  principalement  pour  essaier  à  reduyre 
ces  malheureux  épicuriens  qu'on  dit  s'estre  eslevez  puis 
n'agueres  à  cause  des  dissensions  advenues  en  la  religion  : 
qui  mesprisent  les  sainctes  lettres,  nient  la  Providence  divine 
et  se  mocquent  des  loiers  et  peines  proposées  en  l'autre  vie 
pour  avoir  grande  occasion  de  servir  à  leurs  concupiscences 
desordonnées  et  voluptés  illicites.  Est-il  possible  que  soubz 
l'espèce  humaine  vivent  bestes  tant  déraisonnables  qui  osent 
condamner  leurs  âmes  à  mort  et  souiller  leurs  consciences  de 
jugement  tant  abominable  ?  » 

C'est  que,  au  jugement  de  Le  Roy,  cette  croyance  à  l'immor- 
talité est  le  fondement  même  de  la  religion,  avec  la  foi  en!  la 
Providence  fi).  Aussi,  il  nous  faut  réjouir  de  ce  que  nous 
trouvions  chez  les  auteurs  païens  des  preuves  de  leur  foi  à  ce 
dogme.  Au  milieu  môme  de  leurs  erreurs  «  un  instinct  naturel 
et  quelque  secret  jugement  de  nature  »  leur  a  enseigné  cette 
vérité.  Leurs  raisons  donc  nous  seront  «  non  pour  authorité 
et  confirmation,  ains  comme  arguments  et  occasions  (^'  ». 
Mais  Platon  est  un  guide  bien  plus  sûr  qu'Aristote  «  qui  s'est 
rendu  expressément  obscur  et  ambigu  à  plusieurs  endroits  », 
en  sorte  que  plusieurs  le  comparent  «  à  la  seiche,  laquelle 


au  parnvant  que  rendre  l'esprit,  prlue  du  hultiesme  livre  de  son  Institution  escritie 
par  Xi-iiophon  —  Le  tout  traduit  du  (jrec  en  Fraîiçois  avec  l'exposition  des  lieux 
plus  obscurs  ef>  âlf^ciles  par  Loys  le  Roi/,  dit  hegius.  A  Paris,  chez  Sébastian 
Nyvelle,  1553. 

fl)  "  n  y  a  trois  cho-^es  inséparables  ;  ...  la  religion  df  Dieu,  la  providence  divine 
et  l'immortalité  de  l'ame.  Car  si  les  âmes  n'estoient  immortelles,  il  ne  conviendrott 
espérer  loyer  et  peine  du  bien  ou  mal  fait.  Dieu  donc  ne  se  soucleroit  de  nous. 
Et  s'il  n'en  avoit  point  de  soulcy,  pourquoy  l'adorer'lons  nous?  Nostre  créance 
seroif  vaine  et  la  religion  inutile  »  (Ibid.,  p.  24). 

(■2)  Ibid  .  p.  23. 


LA    RÉACTION  305 

pour  eschapper  des  pescheurs  trouble  l'eaue  par  certaine 
encre  qu'elle  jette  *^'  ».  Ni  l'un  ni  l'autre  pourtant  ne  peuvent 
dispenser  de  recourir  à  l'Ecriture.  Seule,  elle  suffit  pour  établir 
ce  dogme,  «  ayant  foy  de  soy  mesme  pour  estre  divinement 
inspirée  et  révélée  '2)  ». 

Il  faut  sans  doute  attribuer  à  la  même  préoccupation  de 
soutenir  la  foi  par  l'autorité  des  anciens  le  geste  de  Claude 
d'Espence.  Il  traduisit  et  fit  imprimer  en  1547  deux  Sermons 
de  Théodoret,  le  premier  traitant  de  la  vie  éternelle  et  de  la 
résurrection  de  la  chair,  le  second  de  la  Providence.  Ils  furent 
réimprimés  à  Lyon  en  1550  <3).  Mais  le  traducteur  n'y  a  joint 
ni  notes  ni  préface. 

Tous  ces  efforts  pour  réconcilier  la  foi  avec  la  raison  per- 
sonnifiée par  la  philosophie  antique  ne  semblent  pas  avoir  eu 
de  grands  résultats  :  le  fidéisme  fait  des  progrès  si  nous  en 
croyons  le  discours  prononcé  par  Muret  en  février  1552  Sur 
la  dignité  et  la  prééminence  de  la  Théologie  (^).  C'est  au  fond 
toute  la  question  des  rapports  de  la  raison  et  de  la  foi  qui  y  est 
engagée;  mais  il  prend  pour  exemple  surtout  l'immortalité. 
La  théologie  l'emporte  sur  la  philosophie,  et  donc  la  foi  sur 
la  raison,  parce  que  les  philosophes  anciens  n'ont  connu  d'une 
façon  certaine  aucune  des  vérités  spiritualistes.  Sur  l'origine 
du  monde,  il  l'ont  cru  soit  formé  par  la  réunion  des  atomes  '^), 
soit  éterneL^)  g^p  i^  nature  de  l'âme  que  n'ont-ils  dit?  Il 
rappelle  la  liste  qu'on  retrouve  sans  cesse,  des  erreurs 
antiques.  Mais  ce  qui  est  plus  grave  et  plus  embrouillé  pour 
eux,  c'est  de  savoir  si  l'âme  subsiste  après  qu'elle  est  détachée 
du  corps  ou  si  la  même  mort  les  frappe  tous  les  deux.  Epicure 

(1)  Discours  de  la  philosophie,  p.  lO. 

(2)  Phédon,  Argument,  p.  23. 

(3)  Deux  sermons  de  Thcodoret,  le  premier  traitant  de  In  vie  éternelle  et  de  la 
résurrection  de  la  chair,  le  second  de  la  Providence  de  Dieu  et  de  l'incarnation  du 
Sauveur,  Lyon,  lô'tl. 

(4)  De  Dignltate  et  prsestantia  stnidii  theologici.  Dejob  {Marc-Antoine  Muret. 
Paris,  1881,  appendice  B,  p.  434)  n'ose  décider  s'il  fut  prononcé  en  Sorbonne  ou  à 
la  Cour.  Je  cite  d'après  l'édition  d'Anvers,  1623,  p.  16-17. 

(5)  ^linutissimorum  corporum  concursione  coaluisse... 

(6)  Aeternum  esse  eum  neque  desiturum  unquam  neque  exordlum  ducentem  ab 
uUo  temporis  principatu. 

20 


306  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

la  croit  mortelle,  ne  voulant  pas,  puisqu'il  leur  ressemblait 
en  tant  de  points,  différer  des  porcs  en  celui-là;  les  stoïciens 
lui  attribuent  une  vie  longue  —  comme  celle  des  corbeaux  — 
mais  non  immortelle  D;  Pylhagore  est  i)laisant  avec  sa  trans- 
migration, selon  lacjuelle  tel  est  aujourtl'hui  un  coq,  qui,  au 
temps  de  la  guerre  de  Troie,  fut  Agamemnon.  Et  Platon  ?  et 
Aristote?  Pour  ce  dernier,  on  peut  lui  appliquer  les  vers 
d'Homère  (^^  :  «  Pom-  le  fils  de  Tydée,  on  ne  sait  de  quel  parti 
il  est,  s'il  se  trouve  parmi  les  Troyens  ou  parmi  les  Achéens. 
Platon  a  plus  approché  de  la  vérité,  mais  il  l'a  tellement 
mélangée  de  fictions  mensongères  qu'on  doit  avouer  qu'il 
philosophe  en  poète  <3)  ».  Et  si  nous  avions  le  temps,  conclut- 
il,  de  comparer  les  deux  attitudes  de  la  philosophie  et  de  la 
théologie  en  face  de  la  nature  de  Dieu,  quelle  supériorité  aussi 
pour  la  foi  !  I 

De  ce  fidéisme,  voici  deux  preuves  qui  sont  à  peu  près 
contemporaines  du  discours  de  Turnèbe,  étant  toutes  les  deux 
de  1550.  I>a  première  est  de  G.  des  Autels.  A  la  suite  du  Repos 
de  plus  grand  travail  il  a  inséré  deux  dialogues  moraux. 
L'une  de  ces  moralités  a  pour  personnages  :  Vouloir  divin, 
Ignorance,  le  Temps,  la  Vérité. 

Et  Ignorance  chante  : 

Je  suis  pleine  d'ambition 

Ce  n'est  que  belle  fiction 

Si  je  regarde  l'Escriture   {^) 

—  Au  temps  passé  je  suyvois  les  Etniques 

Et  les  savants  philosophes  antiques 

Ils  me  tenoîent,  et  les  folz  glorieux 

Ne  pensent  pas  que  je  fusse  avec  eux  W. 

(1)  Souvenir  sans  doute  de  Cicéron,  Tuncuianes,  I,  XXXI  :  Stoici  autem  usuram 
nobis  largLuntur  tanquam  cornicibus  :  diu  mansuros  aiunt  animes-,  semper, 
negant. 

(2)  Iliade.  V,   V.   86-87. 

(3)  Poetlce  phllosophari.  Toutes  les  citations  qui  précèdent  sont  aux  pages  15, 
16,  17. 

(4)  Repos  de  plus  grand  travail,  p.  63.  Dans  le  même  dialogue,  Dieu  se  plaint 
d'être  délaissé  des  hommes  et  répond  à  l'objection  que  l'on  tire  de  l'existence  du 
mal  contre  la  Providence  : 

«  Par  moy  le  mal  n'ha  son  commencement  * 

Alns  vient  de  l'homme  où  tout  péché  abonde  >.  {IMd..  p  65). 

(5)  Ibtd..  p.  70. 


LA    RÉACTION  307 

Même  défiance  de  la  philosophie  dans  G.  Guéroult.  Il 
reprend  la  i'able,  bien  connue  depuis  Sadolet,  du  philosophe 
ïhalès  qui  regardant  les  astres,  tomba  dans  une  fosse.  Arri- 
vèrent ((  deux  bons  Gantiers  »  qui  lui  firent  la  morale  ;  et  le 
moraliste  en  tire  cette  leçon  : 

Contemplons  doncq  la  qualité 
De  riiumaine  fragilité 
Sans  tascher  d'avoir  congnoissance 
De  ce  que  la  divine  essence 
Reserve  à  soy  seulement 
Car  enquerant  trop  hautement 
Le  sens  humain  s'esblouira 
Et  en  confusion  cherra  (D. 

Où  est  le  temps  que  G.  de  Houppelande  ouvrait  son  Traité 
de  lAme  en  rappelant,  lui  aussi,  toutes  les  erreurs  des  anciens 
sur  l'àme  '2)  et  concluait  malgré  tout  que  la  philosophie  peut 
prouver  l'immortalité  ?  où  est  le  temps  que  Sadolet  dans  son 
De  laudibus  philosophiœ  donnait  le  pas  à  la  philosophie  sur 
la  théologie  ?  Depuis  lors,  on  a  vu  les  fruits  de  cette  doctrine  : 
ceux  qui,  comme  Vicomercato,  ont  pris  Aristote  pour  règle 
ont  abouti  à  l'averroïsme  et  les  autres,  qui  ont  senti  craquer 
avec  l'autorité  d 'Aristote  le  fondement  séculaire  de  la  théologie 
chrétienne,  ou  bien  ont  cessé  de  croire,  ou  bien,  par  une  réac- 
tion aussi  dangereuse  que  l'aristotélisme  lui-même,  ont  dû 
chercher  dans  la  foi  seule  un  appui  à  leur  croyance  ébranlée. 

Calvin,  qui  dès  1536  et  surtout  en  1539  avait  attaqué  les 
padôuans,  revient  à  la  charge  dans  \  Institution  chrétienne 
de  1550.  Il  reprend  le  chapitre  de  la  Providence  sans  y  ajouter 
grand  chose.  Mais  le  simple  déplacement  qu'il  lui  fait  subir 
est  significatif.  Dans  les  premières  éditions  (1536,  1539,  1541), 
la  Providence  n'est  étudiée  qu'en  fonction  de  la  prédestination 

(1)  Le  premier  livre  des  emblèmex  composé  par  Guillaume  Guéroult.  A  Cyon, 
chez  Balthazar  Arnoullet,  MDXXXXX,  p.  63-65. 

(2)  Début  de  son  traité,  voir  chap.  VI.  p.  167. 


308  SOUBCES    ET    INFILTRATIONS 

(chapitre  \  111  :  De  la  prédestination  et  Providence  de  Dieu), 
sous  un  angle  théologique  par  conséquent.  En  reportant  cette 
étude  au  i)remier  livre,  dans  celle  des  attributs  divins,  et  en 
séparant  la  question  de  la  Providence  de  celle  de  la  prédes- 
tination, Calvin  la  plaçait  sur  le  terrain  philosophique.  Il 
refait,  avec  peu  de  changement,  si  ce  nest  avec  un  ordre  plus 
clair,  la  critique  du  hasard  des  épicuriens,  de  la  nature  des 
péripatéticiens,  du  Fatum  des  stoïciens  et  insiste  sur  la  provi- 
dence particulière  w. 

Calvin,  en  1536,  ne  s'était  point  arrêté  à  considérei  la 
création  du  monde.  Le  Dieu  créateur  n'est  pour  lui  que  le 
«  Dieu  conservateur  et  gouverneur  perpétuel  »  de  l'univers  et 
des  hommes  <2).  En  1550,  il  passe  de  Dieu  à  la  création,  comme 
il  est  normal.  Et  la  création,  Calvin,  naturellement,  ne  la 
conçoit  pas  autrement  que  dans  le  récit  de  Moïse,  mais  c'est 
contre  les  philosophes  qu'il  la  défend.  Il  rappelle  l'argument 
du  De  Natura  Deorum  et  des  péripatéticiens  contre  la  création 
dans  le  temps  :  ((  Ne  soyons  point  troublez  en  cest  endroit  de 
la  mocjiierie  des  gaudisseurs,  qui  s'esmei^veillent  pourquoy 
Dieu  ne  s'est  plustost  advisé  de  créer  le  ciel  et  la  terre,  mais 
ha  laissé  passer  un  terme  infiny,  qui  pouvoil  faire  beaucoup 
de  millions  d'aages,  demeurant  cependant  oisif  :  et  qu'il  a  com- 
mencé à  se  mettre  en  œuvre  seulement  depuis  six  mille  ans, 
lesquclz  ne  sont  point  encore  accomplis  depuis  la  création  du 
monde,  lequel  toutefois  déclinant  à  sa  fin,  monstre  de  quelle 
durée  il  sera.  Car  il  ne  nous  est  pas  licite,  ny  mesme  expédient, 
d'enquester  pourquoy  Dieu  ha  tant  différé  :  pource  que  si  l'es- 
prit humain  s'efforce  dte  monter  si  haut  il  defaudra  cent  fois  au 
chemin  :  et  aussi  il  ne  nous  sera  point  utile  de  ronnoistre  ce 


(1)  Ed.  de  1553,  I,  XVI,  XVII.  Les  éditlonà  suivantes  amplifient  encore  cette 
étude.  Calvin  s'est  toujours  préoccupé  de  la  Providence;  on  trouvera  dans  ses 
opuscules  deux  autr&s  traités  :  De  la  providence  de  Dieu  en  général  (Opuscules, 
p.  1296-1312)  et  Réponse  de  J.  Calvin  aux  calomnies  et  nrqumens  d'un  qui  s'efforce 
par  tous  moyens  de  renverser  la  doctrine  de  la  Providence  secrète  de  Dieu  {Opusc, 
p.  1776-1822),  Ce  dernier  ouvrage  traite  surtout  de  la   prédestination. 

(2)  Texte  de  1541,   p.  235,  à  projKw  du   (leu.xième  article  du   credo:  éd.  de  1536, 
p.  17  {Opéra.  I,  63). 


LA    RÉACTION  309 

que  Dieu  (non  sans  cause)  nous  a  voulu  estre  celé...  Parquoy 
un  bon  ancien  jadis  respontlit  fort  bien  à  un  de  ces  moqueurs, 
lequel  par  risée  et  plaisanterie  demandoit,  à  quel  ouvrage 
s'appliquoit  Dieu  devant  qu'il  creast  le  monde.  Il  bastissoit  (dit- 
il)  lenfer  pour  les  curieux  ^^'  n.  Ainsi  répond  Calvin  aux  aver- 
roïstes,  et  il  demande  aux  fidèles  de  ne  point  aventurer  ainsi 
<(  leur  curiosité  hors  du  monde  »  et  de  croire  que  non  seule- 
ment Dieu  a  créé  le  monde,  mais  qu'il  la  créé  dans  le  temps 
et  non  de  toute  éternité. 

Pour  la  première  fois  aussi,  il  introduit  une  étude  sur 
limmortalité  de  l'âme  ®.  Dans  les  premières  éditions,  il 
n'étudiait  pas  ce  dogme  si  ce  n'est  à  l'article  du  Credo  relatif 
à  la  résurrection  de  la  chair  (3).  Mais  il  supposait  l'immortalité 
acceptée.  Dans  les  nouvelles  éditions  (1550  et  suivantes),  il 
introduit,  à  propos  de  la  création  de  l'homme,  plusieurs  pages 
sur  l'essence  et  l'immortalité  de  l'âme  ('^).  Sur  le  premier  objet, 
il  s'attaque  plutôt  aux  panthéistes  et  platoniciens  qui  font  de 
l'âme  «  un  sourgeon  de  la  substance  de  Dieu  <^)  ».  Mais  sur 
l'immortalité,  c'est  aux  padouans  qu'il  s'en  prend,  «  lesquels 
volontiers  tireroyent  par  façon  oblique  ce  dicton  d'Aristote, 
tant  pour  abolir  l'immortalité  des  âmes,  que  pour  ravir  à  Dieu 
son  droict.  Car  sous  ombre  que  les  vertus  de  l'ame  sont  ins- 
trumentales (pour  s'appliquer  d'un  accord  avec  les  parties 
extérieures),  ces  rustres  l'attachent  au  corps  comme  si  elle  ne 
pou  voit  subsister  sans  iceluy  '^)  ».  Lui-même  pourtant  subit 
l'influence  padouane.  Il  reconnaît  que  l'immortalité  ne  peut 
S€  prouver  que  par  l'Ecriture  et  que  «  ce  seroit  fohe  de  vouloir 

(1)  I,  XIV,  1;  texte  de  la  trad.  de  1561,  p.  42  vo,  vérifié  sur  le  latin  de  l'édit.  de 
1550  (II,  6). 

(2)  Edit.  de  1550,  II,  6-7,  17-18:  édit.  de  1559  et  suiv.,  I,  XV. 

(3)  On  verra  bientôt  à  ce  propos  qu'en  1542  il  avait  publié  contre  une  secte 
d'anabaptistes  la  Psychopannichie. 

(4)  I,  XV.  Les  citations  qui  suivent  sont  copiées  sur  la  traduction  de  1561  et 
vérifiées  sur  le  texte  latin  de  1550. 

(5)  I,  XV,  4,  contre  les  manichéens  et  Servet;  voir  aussi  I.  V.  5.  contre  l'âme 
universelle  des  platoniciens  et  de  Virgile  Enéide,  VI,  v.  724  et  suiv.)  en  parti- 
culier. 

(6)  I,  V,  5.  Les  mots  entre  parenthèses  ne  figurent  pas  dans  le  latin  de  1550. 


310  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

apprendre  des  philosophes  quelque  certaine  définition  de 
l'âme,  veu  (jue  nul  d'entr'eux,  excepté  Platon,  n'ha  jamais 
droitement  affermé  l'essence  immortelle  d'icelle.  Les  autres 
disciples  de  Socrates  en  parlent  bien  :  mais  c'est  en  suspens, 
pource  que  nul  n'ha  osé  prononcer  d'une  chose  dont  il  n'estoit 
pas  bien  persuadé  <*'  ». 


IV 


Toutes  ces  œuvres  donc,  en  même  temps  qu'elles  sont  une 
protestation  contre  le  rationalisme  grandissant,  sont  la  preuve 
de  sa  force,  puisqu'elles  n'espèrent  le  vaincre  qu'en  acceptant 
et  retournant  contre  lui  quelques-uns  de  ses  axiomes,  ou 
même  en  essayant  avec  une  hardiesse  quelque  peu  téméraire 
de  faire  du  christianisme  une  religion  purement  rationnelle. 

En  voici  d'autres  qui  ne  sont  qu'une  protestation.  Leur  date 
coïncide  avec  celle  des  précédentes  et  si  elles  ne  nous  apportent 
ni  idées  ni  systèmes  nouveaux,  du  moins  sont-elles  bonnes  à 
citer  comme  témoins  du  développement  de  l'irréligion.  Gab. 
de  Puy-Herbault,  moine  de  Fontevrault,  publie  en  1549  son 
Theotimus  (2)  contre  les  mauvais  livres.  Esprit  court,  écrivain 
sans  ordre  ni  mesure,  il  ne  sait  ni  nuancer  sa  critique,  ni  voir 
la  vraie  cause  du  mal.  Il  s'attaqua  surtout  aux  romans  et  aux 
livres  légers  :  petits  poètes  latins,  romans  du  cycle  breton, 
poésies  de  Marot.  Rabelais  à  lui  seul  a  une  page  entière  ^^K 
('hez  les  Italiens,  c'est  le  même  genre  d'auteurs  qu'il  censure  : 
Béroaldc,  le  commentateur  de  lAne  dor:  Boccace,  Politicii, 
Poggio,  Pomponius  Laetus  :  «  Je  ne  sais,  dit-il,  par  quelle 
malchance  les   belles-lettres  jusqu'ici  sentent   le   paganisme 


(1)  I,  XV,  6. 

(2)  Theotimus,  stve  de  expuroendift  waHs  librix...  Ilbrl  très.  Paris,  1M9,  in-8o. 

(3)  Tlicrtl'iinny,  p.   is(»    M    Hei  i.HAKi)  la  cite  en  entier,  linbeiais  en  Italie,  p.  265 


LA    RÉACTION  311 

{hactenus  paganisnium  oluerunt),  surtout  chez  les  Italiens  qui 
ont  coutume  d'appliquer  leur  talent  —  très  grand  pourtant  — 
à  des  sujets  profanes  et  hostiles  à  notre  religion.  Ceux  qui 
ont  vécu  chez  eux  disent  qu'on  n'y  trouve  point  à  acheter  les 
œuvres  des  Pères;...  et  aujourd'hui,  nous  voyons  dans  les 
librairies  et  dans  les  mains  des  oisifs  je  ne  sais  quels  monstres 
de  livres,  les  plus  fades  et  les  plus  pernicieux  qu'on  puisse 
dire,  nés  en  Italie  même  et  traduits  par  des  Français...  Nous 
devons  beaucoup  à  l'Italie,  mais  il  est  bien  des  dettes  que 
nous  regrettons  de  lui  devoir  (i)  ». 

L'  ((  enraigé  Putherbe  »  reçut  des  félicitations  de  Charles 
de  Sainte-Marthe,  son  compatriote  *-'.  Ce  dernier  partageait 
les  inquiétudes  et  la  vertueuse  indignation  du  moine  et, 
l'année  suivante  (1550),  il  déversait  sa  colère  dans  l'un  des 
écrits  les  plus  violents  qui  se  soient  attaqués  aux  athées  :  la 
Méditation  sur  le  psaume  90  (3).  Ce  psaume  n'est  qu'un  pré- 
texte à  variations  sur  le  même  thème  :  de  même,  dit-il, 
qu'il  y  a  des  remèdes  préventifs,  «  ainsi,  puisque  l'unité  chré- 
tienne est  aujourd'hui  déchirée  en  tant  de  sectes,  que  la 
charité  se  refroidit,  que  la  foi  chancelle,  que  l'espérance  est 
chassée  de  presque  tous  les  cœurs,  que  la  malice  croît  tous 
les  jours  et  que  l'athéisme  élargit  ses  conquêtes  »,  il  est  néces- 
saire et  à  ceux  qui  hésitent  dans  la  foi  et  à  ceux  qui  sont 
attaqués  de  la  maladie  de  l'irréligion  de  recourir  aux  textes 
chrétiens.  C'est  pourquoi,  il  leur  propose  la  méditation  de  ce 
psaume  (^'. 

.Est-ce  Rabelais  ou  Des  Periers.  cet  écrivain  impie  qui  c(  rit 
de  l'Evangile  et  des  divines  promesses,  attaque  le  Christ,  les 
anges,  les  saints,  le  roi,  les  ministres  de  l'Eglise,  les  magis- 


(1)  Theot.,  I,  p.  77  et  suiv. 

(2)  Lettre  du  19  juin  1550,  imprimée  à  la  fin  du  psaume  90.  citée  par  A.  Lefranc, 
dans  Babelais,  les  Sainte-Marthe  et  l'enraigé  putherbe.  Bévue  Et.  Babel.,  1896, 
p.  33). 

(3)  In  psalmum  nnnage^tmum  pia  adinodun,  et  christiana  meditatio,  per  Caro- 
lum  Sanctomarthamim,  Paris,  1550. 

(4)  In  psalmum  nonagesim.,  préface,  p.  2. 


312  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

trats, ...  tantôt  ouvertement,  tantôt  secrètement,  colorant  de 
plaisanteries  et  de  bons  mots  son  impiété,  afin  que  les  lecteurs 
.'^an$  défiance,  comme  s'ils  avaient  mangé  et  bu  de  la  sardonie  'i', 
déraisonnent  en  riant  et  meurent  enfin  misérablement  »  ?  L'un 
ou  l'autre  en  tout  cas,  et  plutôt  Rabelais,  car  il  reproche  à  ces 
livres  surtout  leurs  grossièretés  et  leurs  «  paroles  dignes 
d'Epicure  ou  d'une  brute  (2)  », 

Il  no  se  borne  pas,  comme  Puy-llerbault,  à  des  attaques 
et  des  sermons  contre  les  épicuriens.  Il  voit  que  le  mal  est  dans 
l'esprit  surtout  :  c'est  la  philosophie,  c'est  la  raison  qui 
s'attacjue  à  la  foi,  et  Sainte-Marthe,  si  ami  de  la  philosophie 
pourtant,  de  celle  de  Platon  du  moins  <3),  effrayé,  va  jusqu'à 
la  condamner  :  «  Ajoutez  à  cela  que  les  impies  soutiennent 
leur  impiété  par  le  jugement  charnel,  la  sagesse  du  monde, 
la  raison,  de  telle  sorte  que  si  le  Seigneur  par  son  Saint- 
Esprit  n'affermit  la  foi  d'un  grand  nombre,  ils  rejetteront 
comme  ridicule  la  croyance  à  notre  religion  <^'  ».  Il  sait  sur 
quels  dogmes  précis  porte  l'effort  de  la  philosophie  ratio- 
naliste :  ((  Aussi,  quand  tu  entendras  ces  épicuriens  impies 
se  servir  des  raisons  naturelles  comme  de  machines  de  guerre 
pour  jeter  Dieu  à  bas  de  son  trône,  lui  enlever  sa  Providence, 
s'efforcer  de  prouver  par  leurs  arguments  que  l'âme  est  mor- 
telle, dénigrer  l'Evangile, . . .  alors  pour  ne  pas  chanceler  dans 
la  foi,  crie  :  Vous  êtes  mon  refuge,  ô  mon  Dieu  (^1  ».  Plus  loin, 
il   ajoute  à  cette  liste  l'éternité  du  monde  f^).    x\'est-ce  pas 

(1)  «  L'ai)ium  risus,  autrement  appelé  Sardonia...,  rend  les  hommes  insensés, 
...en  sorte  qu'il  semble  que  le  malade  rie  >•  (A.  Paré.  XXIII,  44).  Sur  cette  herbe, 
voir  PLINE,  Hist    .\at  .  XVI,     34.  6-2. 

(2)  In  psalm.  vonng.,  p.  19.  Son  neveu,  Scevola  I*-"".  a  hérité  de  sa  haine  contre 
Rabelais  qu'il  traite  lui  aiis>i  de  lucianiste  {hlegiortim  liber  I.   p.  26-27). 

(3)  Rt:t;TZ-REKS.  Charles  de  Salide-Afarthe.  p.  394-3!)C.  Ce  livre  a  été  traduit  par 
M.  Bonnet  avec  une  préface  de  M.  Abel  Lefranc  (Champion,  1917). 

(4)  In  Ps.  XC.  p.  20.  —  Ailleurs  (p.  14),  il  leur  repnxhe  d'avoir  remplacé  la 
Providence  par  la  Nature  {Ruulz-Reea.  p.  451-452).  Il  attaciue  encore  le-s  athées 
dan.s  VOrnlaoT)  funèbre  de  la  Royne  de  Navarre,  p.  lOU  et  124  de  la  tnui.  de 
Sainte-Marthe    1550). 

(5)  Ibid.,  p.  20.  autre  texte  plus  court,  p.  31. 

(6)  Non  videbunt  fsalutare  Dei)  .\thei  qui  animam  di(  uni  a  corpore  semotam  non 
extare;  et  posi  mortcm  nuUam  esse  vltam  :  sed  mtindum  hune  .ett'rnum  ac  r>erpe- 
tuo  duraturum  credunt   (Ibid..   p.  50). 


LA    RÉACTION  313 

précisément  tout  le  programme  des  rationalistes,  tel  que  nous 
l'avons  étudié  jusqu'ici  ? 

Ceux-là  sont  «  les  philosophes  »  qui,  ((  cherchant  Dieu  par 
des  raisons  humaines,  ne  l'ont  pas  trouvé,  et,  ne  l'ayant  pas 
trouvé,  ont  nié  son  existence  (^)  ».  Ch.  de  Sainte-Marthe 
connaît  aussi  les  <(  ariens  »,  les  «  quentiniens  »,  successeurs 
des  manichéens  <'^',  en  qui  règne  Satan,  qui  sous  «  l'appa- 
rence de  la  piété,  sous  le  nom  même  du  Christ  persécutent 
le  Christ  et  la  piété  >\  les  anabaptistes  »  qui,  sous  le  nom 
de  l'Esprit  de  Dieu,  annoncent  un  esprit  de  visionnaires,  de 
forcenés,  l'esprit  de  Satan  *3)  ». 

Tous  les  incroyants,  il  les  dénonce  dans  cet  opuscule  au 
hasard  des  versets  du  psaume  (^).  M^"^  Ruutz-Rees,  dans  le 
volume  si  documenté  qu'elle  a  consacré  à  Ch.  de  Sainte- 
Marthe,  y  voit  une  précaution  de  l'auteur  et  un  désaveu  de 
VOraison  lunèhre  de  Marguerite  de  Navarre  t^).  Il  ne  nous 
semble  pas.  Si  la  méthode  d'exposition  manque  d'ordre,  la 
précision  de  l'attaque,  la  science  théologique  de  l'auteur,  la 
siîreté  avec  laquelle  il  caractérise  les  divers  systèmes  qui  abou- 
tissent à  l'irréligion  nous  font  croire  que  son  cri  exprime  un 
effroi  sincère  devant  l'incrédulité  grandissante  ^^'. 


(1)  IMd.,  p.  41  vo. 

(2)  A  propos  de  l'inutilité  des  œuvres  :  manichaeorum  sunt,  sunt  Anabaptistorum, 
sunt  Quentinarlorum,  stint  Atheorum,  sunt  deploratorum  hominum  hae  voces 
[Ihia.,  p.  32). 

(3)  IMd.,  p.  31  vo  :  fanaticum  c[ueindam,  imo  satanicum  splritum  sub  nomine 
Spiritus  Dei  adnuntiantes.  Plus  loin,  il  les  désigne  ainsi  :  Anabaptistarum  furiosum 
et  fanaticum  spiritum  (p.  37). 

(4).  Parfois  il  semble  les  classer.  Ainsi,  p.  45,  il  énumère  successivement  par  ordre 
de  gravité  les  juifs,  les  philosophes,  les  anabaptistes,  les  athées,  en  caractérisant 
leur  hérésie.  Il  fait  aussi  des;  allusions  aux  incrédules  dans  VOraison  funèbre  de 
la  Royne  de  Navarre  (1550),  trad.  de  Sainte-Marthe,  p.  108,  124. 

(5)  Ruutz-Rees,  Charles  de  Sainle-Marthe,  p.  396. 

(6)  Il  serait  fastidieux  de  prolonger  ces  citations.  Je  n'ai  pris  dans  le  ps.  XC 
que  les  passages  les  plus  nets.  Il  en  contient  d'autres.  Voir  aussi  une  attaque  de 
Louis  Le  Roy  contre  les  incroyants  (1553)  qui  mettent  en  doute  la  révélation  (Phé- 
don,  Epitre  dedicat.)  citée  par  Becker  dans  sa  thèse  sur  L.  Le  Roy,  p.  87).  Voici 

enfin  un  texte  vigoureux  de  Pontus  de  Tyard  contre  les  épicuriens  (1552)  :  « En 

ces  jours  encor  se  trouve  un  grand  nombre  d'hommes  qui  lirop  vivement  piquez 
du  corporel  se  sont  en  luy  entièrement  arrestez  et....  ont  osé  (les  misérables)  loger 
en  si  ril  lieu  la  fin  e^t  le  terme  du  souverain  bien,  rendans  par*  trop  délicate 
sensibilité  de  corps  leurs  âmes  estourdies  comme  d'une  paralisie  stupide  et  insen- 


314  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Pontus  de  Tyard,  enfin,  que  nous  verrons,  en  1557  épris 
de  rationalisme,  dénonce,  en  1552,  l'œuvre  néfaste  d'Aristote, 
ses  attaques  contre  la  Providence  en  particulier  : 

Le  grec  trop  audacieux 

Duquel  Finfame  pensée 

Fut  jusqu'au  Ciel  avancée 

Pour  y  enfermer  les  Dieux 

Et  là  les  feindre  ocieux, 

Souspira  son  indolence, 

Lors  que  Famé,  yvre  du  corps, 

Par  fatale  violence 

Veint  aux  oblivieux  bords. 

Dieu  eut  alors  sa  revanche  sur  Aristote  et,  si  je  comprends 
bien  notre  jeune  poète,  il  dut  le  mettre  en  enfer  : 

Luy  comme  les  inhumains, 
Qui  feirent  au  CieF  la  gueiTe 
Pour  Fegaler  à  la  terre, 
Sentit  les  divines  mains 
Assommer  les  discours  vains 
Dedans  sa  poitrine  infecte, 
Qu'encor  depuis  ont  teté 
JLes  nourrissons  de  la  secte, 
Qui  souille  la  Deïté  W. 

sée.  Mais  aillent  tels  pourceaux,  aillent  tels  ventres  gourmans  et  paresseux  se 
touiller  en  la  bauge  de  leurs  ordes  voluptez  :  et  là  se  souillent  et  resouillent,  voire 
s'y  ensevelissent....  éternellement:  pendant  que  ceux  qui  sont  soustenus  de  meil- 
leures aesles  et  guidez  par  plus  fldeles  esprits,  hausseront  le  vol  et  la  veue  pour 
(nonobstant  l'estroite  restreinte  du  cloz  ténébreux  de  la  corporelle  prison)  descou- 
vrir, admirer,  aspirer  et  enfin  attaindre  à  la  jouissance  de  la  lumière  éternelle 
et  vraye  félicité  »  {Solitaire  I,  Fo  1  vo).  Ch.  de  Sainte-Marthe  a  aussi  attaqué  les 
épicuriens  de  l'école  de  L.  Valla,  In  pml.  AT,  p.  14  et  18  (cité  par  Rtm'tz-Rees, 
p.  451-452). 

;i)  I.ivic  (le  vers  lyriques,  ode  111;  Du  socratique  (M.  L.,  p.  132-135).  Elle  parut 
pour  la  première  fois  en  1552  à  la  suite  du  Solitaire  premier.  Le  poète  s'essaye  à 
énumérer  les  diverses  classes  d'incroyants,  mais  d'une  façon  fort  obscure. 


Section  II.   -  RATIONALISME  THÉOLOGIQUE 


I 


CHAPITRE    X 
Les    Libertins    spirituels. 

I.  Avant  1530.  —  II.  Les  Libertins  spirituels  :  histoire  de  leur  Renaissance  ; 
examen  de  leurs  idées  d'après  leurs  écrits,  ceux  de  Marguerite  de 
Navarre  et  les  réfutations  de  Calvin 


Pomponazzi  ni  les  padouans  n'ont  laissé  leur  nom  à  ceux 
qui  suivirent  leur  doctrine.  Il  est  même  curieux  de  constater 
que  dans  la  deuxième  moitié  du  XVP  siècle  on  ne  connaît  plus 
guère  Pomponazzi  et  quç  les  libertins  du  XYIP  ne  le  lisent 
plus.  De  tous  les  noms  que  l'on  donna  aux  incrédules  :  «  nou- 
veaux académiciens  ».  «  philosophes  chrétiens  »,  <(  lucia- 
nistes  »,  «  alhéistes  »  même,  l'histoire  n'en  a  retenu  qu'un, 
celui  de  «  Libertins  ».  L'histoire  est  ingrate.  Mais  ce  nom 
pourtant  correspond  aussi  à  un  courant  fort  puissant  et  plus 
large  que  celui  des  padouans.  Il  représente  l'apport  de  la 
sensibilité  et  du  mysticisme  individuel  dans  le  courant  d'incré- 
dulité. Avant  d'être  des  libertins,  nos  libres  penseurs  furent  des 
"  libertins  spirituels  ». 


316  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


Ceux  qu'au  XVP  siècle  on  a  appelés  —  après  Calvin  —  les 
libertins  sont  surtout  les  descendants  des  mystiques  allemands 
du  XIIP  siècle  i^).  Il  faudrait  donc,  })our  retrouver  l'origine 
de  ce  mouvement,  rémonter  jusqu'à  celte  époque.  La  chose 
n'est  évidemment  pas  possible  ici.  Si  du  reste  les  mystiques 
ont  une  tradition  ininterrompue,  même  en  France,  du  XIII" 
au  XVP  siècle,  il  est  certain  pourtant  que  dans  la  deuxième 
moitié  du  XV^  et  au  début  du  XVP  siècle,  ils  sont  fort  dimi- 
nués et  que,  pour  acquérir  l'importance  qu'ils  prennent  entre 
1540  et  1550,  ils  ont  subi  d'abord  une  véritable  renaissance. 
C'est  cette  renaissance  que  nous  voudrions  rappeler  ici  briè- 
vement, après  avoir  toutefois  jeté  un  coup  d'œil  sur  le  mysti- 
cisme du  XIIP  au  XVP  siècle. 

Il  nous  suffira  de  rappeler  que  c'est  en  France  que  Scot 
Erigé  ne  alluma  au  IX^  siècle  la  flamme  mystique,  développée 
plus  tard  par  les  allemands  Eckart,  Tauler  (2).  C'est  on  France 
que  naquit  et  enseigna  Amaury  de  Bène;  ses  cendres  repo- 
sèrent quelque  temps  au  mori'dstère  de  Saint-Germain-des- 
Prés.  Disciple  d'Erigène  '3),  il  fut  condamné  à  Paris  l'année  de 
sa  mort  en  1204.  puis  après  sa  mort  en  1209  et  ses  ossements 

'1)  On  s'est  demandé  s'il  y  avait  quelque  connexité  entre  la  philosophie  arabe 
et  l'apparition  des  sectes  mystiques  du  XIII"  siècle.  Renan  conclut  qu'il  n'y  a 
qu'un  rapport  apparent  entre  les  deux  systèmes  et  qu'ils  ont  une  origine  différente 
(Averroès,  p.  233-234).  Voici  cependant  une  belle  page  de  Lecky  à.  ce  sujet  : 
■1  Averroès,  renouveîajit  la  vieille  idée  stoïcienne  de  l'iVme  de  la  nature,  attira 
l'attention  sur  le  grand  problème  des  rapix)rts  entre  le  monde  de  la  matière  et 
celui  de  I  esprit.  L'idée  d'un  esprit  Cfui  pénètre  tout,  «  qui  dort  dans  la  pierre, 
çfut  rêve  dans  l'animal,  qui  s'éveille  dans  l'homme  »  (l'expression  est  de  Shelling), 
la  croyance  que  le  principe  vital  taché  qui  produit  les  diverses  formes  de  la 
vie  n'est  que  le  tressaillement  de  la  divinité  qui  habite  en  elles  toutes...  réapparut 
et  fut  fortifiée  par  le  progrès  rapide  du  mysticisme  qui  peut  être  regardé  comme 
la  forme  chrétienne  du  panthéisme  »  [RMng...  of  ratlondl..  I,  p.  336-342). 

'2)  L'école  mystique  allemande  a  été  l'objet  de  travaux  nombreu.x.  On  en  trou- 
vera un  résumé  et  la  bibliographie  dans  P.  Pourrat,  La  Spiritvaltté  chrétienne. 
II.  Moyen-Age.  p.  319-398. 

(3)  r)r:LACRi>ix.  Essai  sur  le  mysticisme  spéniJalif  en  Allemofine  au  XfF"*  siècle, 
ch.    II   en   entier. 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  317 

dispersés*^);  mais  ses  disciples  devinrent  si  nombreux  et  — 
disent  certains  historiens  —  si  débauchés,  qu'ils  furent  persé- 
cutés à  plusieurs  reprises. 

En  1210,  à  Paris,  en  même  temps  qu'on  brûle  les  livres  de 
David  de  Dinant,  on  défend  de  commenter  la  métaphysique 
et  la  plîilosophie  naturelle  d'Aristote,  «  parce  qu'Amaui^  et 
ses  sectateurs  en  abusaient  »  et  on  brûle  les  amalriciens  '~K  En 
1254,  le  livre  de  l'Evangile  élernel  est  répandu  dans  Paris, 
saisi  par  l'évêque  et  envoyé  au  pape  qui  le  condamne  Tannée 
suivante  '3). 

Dès  1301,  si  nous  croyons  du  Plessis  d'Argentré,  Simon  de 
Tournai  enseignait  à  Paris  le  blasphème  des  trois  imposteurs  : 
u  II  y  en  a  trois,  dit-il,  qui  se  partagent  le  monde  de  leurs 
sectes  et  de  leurs  doctrines  :  Moïse,  Jésus,  Mahomet.  Moïse 
le  premier  rendit  fous  les  Juifs,  Jésus  les  chrétiens,  Mahomet 
les  païens  ».  Et  aussitôt  ses  yeux  se  renversèrent  et  il  poussa 
un  mugissement  au  lieu  de  parole  humaine  (^).  En  1310,  on 
brûla  en  place  de  Grève  un  Allemand  qui  enseignait  «  que 
l'âme  anéantie  dans  l'amour  des  créatures  peut  et  doit,  sans 
trouble  de  conscience  ni  remords,  céder  à  la  nature  en  tout  ce 
quelle  demande  et  désire  ».  Il  avait  écrit  un  livre  pour  exposer 
cette  hérésie.  On  a  reconnu  les  théories  mystiques.  Vers  la 
même  époque  (1317),  Jean  XXII,  dans  sa  constitution  contre 
les  Beghards  constate  la  présence  des  fraticèlles  et  des 
beghards  dans  les  diocèses  de  Narbonne  et  de  Toulouse  f^'.  En 
1345,   leurs  erreurs  sont  condamnées  à  nouveau  à  Valence 

-(1)  Du  PLESSIS  d'Argentré,  CollecUo  judic,  I,  p.  126  et  suiv.;  Delacroix,  op. 
cit.,   p.    33,    note   3. 

(2)  Du  Plessis  d  Argentré,  Collectio,  I,  p.  132. 

(3)  Du  Plessis  d'Argentré,  ibid.,  p.  162-163.  Sur  Joachim  de  Flora,  l'auteior  de 
l'Evangile  éternel,  voir  Gebhart,   L'Italie  mystique,  chap.   II. 

(4)  Du  Plessis  d'Argentré.  I,  126.  Selon  Mathieu  Paris  {Hist.  d'Angleterre, 
p.  198,  Cité  par  du  Plessis.  ibid..  p.  126),  l'histoire  est  différente.  Un  joui-,  après 
avoir  résolu  des  questions  de  théologie  insolubles,  comme  ses  élèves  le  pressaient 
de  publier  son  cours,  le  maître  (il  s'appelait  Churnay),  flatté  et  enorgueilli,  s'écria  : 
«  Petit  Jésus,  petit  Jésus  !  J'ai  dans  cette  dispute  affermi  et  exalté  ta  religion, 
mais  si  je  voulais  la  combattre,  je  saurais  bien  par  des  arguments  plus  forts 
l'affaiblir  et  la  rendre  incroyable  ».  Et  aussitôt,  il  resta  muet  et  idiot  et  dut 
renoncer  à  ses  leçons.  —  Ch.  Baudelaire  a  mis  cette  légende  en  vers  dans  ses 
Fleurs  du  Mal,  Spleen  et  Idéal,  XVII.  Châtiment  de  l'orgueil. 

(5)  Du  Plessis  d'Argentré,  ibid.,  p.  290. 


318  SOURCES    ET     INFILTRATIONS 

OÙ  ils  étaient  nombreux  (i'.  Le  frère  mineur  Denis  Foulechat, 
en  ].3(>3,  prêche  aussi  l'tiérésie  des  fralicelles  à  Paris  et  se  voit 
condamné.  En  1373  enfin  Grégoire  XI  écrit  à  Charles  V  pour 
exciter  son  zèle  contre  les  begliards  ou  turlupins,  en  même 
temps  que  contre  les  vaudois  du  Dauphiné  (2).  En  1392,  l'inqui- 
siteur de  la  foi  découvre  des  fraticelles  à  Grenoble  (3).  Mais 
ces  poursuites  répétées  semblent  avoir  diminué  l'hérésie. 
Les  suspects  se  cachent  ou  s'enfuient  vers  les  bords  du  Rhin. 
Si  l'on  veut  suivre  pendant  tout  le  XV®  siècle  les  sursauts 
de  Ihérésie  et  les  reviviscences  de  ces  incendies  mal  éteints 
dans  une  région  donnée  —  celle  qui  semble  la  plus  conta- 
minée —  il  suffit  de  lire  la  thèse  si  érudite  de  M.  Beuzard  f^'. 
Il  y  l'aconte  les  condamnations  et  exécutions  de  1411  ^^\  1420, 
1429,  1430,  1400,  1465,  d'hérétiques  de  toute  sorte,  tous 
connus  sous  le  nom  générique  de  turlupins  dans  le  pays  de 
Douai  et  d'Arras.  M.  Beuzard  y  voit  des  variétés  des  vaudois. 
Mais  qui  arrivera  à  démêler  exactement  les  éléments  de  ces 
diverses  sectes;  qui  dira  les  contaminations  intellectuelles  entre 
les  sectes  d'origine  récente  (  beghards,  turlupins,  vaudois)  et 
lés  cathares,  petrobusiens,  manichéens  de  toute  sorte  venus 
d'Italie  dans  le  Midi,  dès  le  XIP  siècle,  ou  d'Allemagne  aux 
environs  de  Soissons,  et  dont  les  doctrines  antichrétiennes 
et  inmiorales  s'alliaient  si  bien  à  celles  de  nos  sceptiques  ^^^  ? 
.'^^eloii  Michelet  f'\  ce  nom  aurait  désigné  au  moyen  âge  des 
hérétiques  de  nuances  fort  diverses. 

(1)  Du  plessis  d'Argentré.  ibid.,  T.  p.  y.a. 

(2)  Ibid.,   I.  p.  302-303 

(3)  Ibid  .    II,    p.    152. 

Ci)  P.  Beuzard.  Les  hérésies  vendaiU  le  moyen  âge  et  la  Héforme  jusqu'à  la 
mort  de  Philippe  II  H598)  dans  les  régions  de  Douai,  Arras,  Le  Puy,  1912.  In-S». 

(5)  Du  Plessis  d'Argentré  nous  a  gardé  la  rétractation  du  frère  carme  Guil- 
laume de  HildenLssem  faite  devant  l'évêque  de  Cambrai,  Pierre  d'Ailly.  Elle  est 
typitiMc  :  "  quod  homo  potest  ita  uniri  Den  in  hac  vita  ut  per  actus  ext^riores 
qualescumque  non  peccet  ».  etc.  {(ollrrHo  judiciorum.  II,  p.  208).  Longue  liste 
d'erreurs  prises  chez  les  mystiques  allemand.s  et  enseignées  en  chaire  par  ce 
tarme.  Voir  aussi  dans  G.  du  Préau,  Flevchus  hereticorum,  p.  l,  la  fondation  de 
la  secte  «les  Adamltes  vers  l'il^  par  le  belge  Pikart. 

(6)  Voir  sur  ces  sectes:  du  Plessis  d'Argentré,  Collectln,  i,  p.  2-10,  13-19,  48-58, 
64.  etc..  et  BossuET,  Histoire  des  Variations.  XI. 

(7)  IliHoire  de  France,  Réforme,  p.  245  (cité  par  Beuzard,  op.  cit..  p.  67). 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  319 

Cesl  surtout  dans  la  seconde  moitié  du  XV"  siècle  que 
<(  se  produit  tout  à  coup  (dans  le  nord)  comme  une  explosion 
d'hérésie;  l'incendie  éclate  en  Artois,  il  gagne  la  Picardie 
aussi  bien  que  les  Flandres,  le  feu  semble  inextinguible  à  en 
ci'oire  les  rapports  contemporains.  Arias  est  le  centre  du 
mouvement  ([ui  rayonne  dans  toutes  les  directions  et  se  ter- 
mine par  un  grand  procès  d'hérésie  et  de  sorcellerie  tout  à  la 
fois  :  la  vauderie  en  Artois '*>  ».  Ce  procès  eut  lieu  en  1460. 
En  môme  temps  l'hérésie  gagne  du  terrain  dans  les  Pays-Bas; 
en  Hollande,  Germain  Ruissvich,  en  1499.  nie  l'immortalité, 
l'enfer,  la  divinité  de  Jésus-Christ,  affirme  avec  les  averroïstes 
réternité  du  monde.  L'Evangile  pour  lui  est  une  fable  (2). 

La  Sorbonne  elle-même,  par  Pierre  d'Ailly  et  Gerson,  entre- 
tient en  face  de  la  philosophie  trop  sèche  et  aride  de 
G.  d'Ockam  la  flamme  de  cette  mystique  chrétienne  renou- 
velée aux  Pays-Bas  par  Ruysbroek  et  Eckart  et  leurs 
élèves  (3). 

Au  début  XVP  siècle,  les  libertins  deviennent  moins  rares. 
D'abord  on  peut  noter  comme  indice  sérieux  les  édils  portés 
contre  les  blasphémateurs  en  1510,  1518,  1529,  1530  ^"^K  Les 
sacrilèges  aussi  deviennent  plus  fréquents  et  on  les  attribue 
surtout  aux  juifs  espagnols  qui,  chassés  à  la  fin  du  XV*  siècle, 
viennent  en  assez  grand  nombre  en  F'rance  <^).  Le  3  juin  1491, 
à  Notre-Dame  de  Paris,  le  prêtre  Jean  Langlois  se  précipite 


(1)  Beuzard,  op.  cit..  p.  67. 

(2)  Il  fut  pris  et  brûlé  à  La  Haye  en  1518.  Du  Plessis  d'Argentré,  I,  p.  342; 
DU  Préau,  Elenchus  Hereticorum,  p.  209. 

(3)  Delaruelle,  Préréforme  et  humanisme  à  Paris,  cl^ap.  II,  p.  111  à  114. 

(4)  Desjardins,  Sentiments  moraux  au  XF/e  siècle,  p.  30.  Le  Journal  d'un 
Bourgeois  de  Paris,  p.  365-366,  donne  les  punitions  portées  en  1529  :  «  sur  peine 
la  première  fois  de  60  solz  d'amende,  la  seconde  fois  sur  peine  d'avoir  les  lèvres 
fendues,  la  tierce  sur  peine  d'avoir  la  langue  percée  et  la  quatrième  d'estre  pendu 
et  estranglé  »  ;  en  1530  :  «  sur  peine  d'avoir  la  langue  percée  la  première  fois 
et  finalement  sur  peine  de  la  hart  ». 

(5)  Godet,  Rev.  Etudes  Rab.,  1914.  p.  169  et  suiv.  Nous  avons  signalé  ailleurs 
(ch.  III),  l'intervention  de  Longueil  près  de  Deloyne  en  faveur  d'un  maran 
espagnol  en  1520.  M.  Imbart  de  la  Tour  (Origines  de  la  Réforme,  II,  p.  365,  note  2) 
cite  d'autres  blasphèmes  :  en  1495,  contre  la  messe  à  Amiens;  en  1498  et  1500,  contre 
la  Trinité  et  l'Eucharistie  dans  l'.\ube  ;  en  1511,  contre  l'Eucharistie  dans  la 
Seine-Inférieure  et  la  Haute-Garonne. 


320  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

sur  un€  hostie  au  moment  de  rélévation  et  la  profane  ^^K  Le 
26  août  1503,  à  la  Sainte  Chapelle,  Haymon  de  la  Fosse, 
étudiant,  arrache  aussi  l'hostie  des  mains  du  prêtre  et  s'écrie  : 
«  Et  dui^era  toujours  cette  folie  ?  ».  M.  Godet,  qui  a  recherché 
les  circonstances  de  ce  drame  *2),  donne  comme  cause  à  l'in- 
crédulité de  son  héros  le  rationalisme  du  moyen  âge,  l'in- 
fluence de  l'humanisme  et  la  résurrection  de  la  philosophie 
et  de  la  morale  antique.  Ces  dernières  raisons  ne  sont-elles 
point  un  peu  prématurées  à  celte  date  ?  et  ne  faut-il  pas  voir 
en  Haymon  de  La  Fosse  un  sectaleui'  de  l'incrédulité  purement 
française  qui  s'était  perpétuée  depuis  le  XIIP  siècle  '3)  ?  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  est  clair  (ju'il  ne  croyait  à  rien.  Avant  de  mourir 
il  nia  la  divinité  de  Jésus-Christ,  sa  résurrection,  ses  miracles, 
disant  à  ses  juges  «.  que  le  Christ  n'est  pas  né  de  la  Vierge 
-Marie,  qu'il  n'a  pas  vraiment  souffert  pour  nous,  qu'il  n'est 
pas  ressuscite  et  que  ses  miracles  s'expU(|uent  par  la  magie  <^)  ». 
Sa  seule  croyance  était  ((  la  loy  de  nature  »,  ses  dieux  ceux 
des  pa'ïens.  Godet  n'a  donc  pas  tort  de  voir  en  lui  un  martyr 
de  la  libre  pensée  <^). 

N'ingt  ans  plus  tard,  le  samedi  8  août  1523,  «  un  nommé 
Jean  Valliere,  soy  disant  hermitte,  aagé  de  38  à  40  ans,  natif 

1)  Delarvelle,  op.  cit.,  ch.  II,  p.  llO. 

(2)  Bev.  Etudes  Bab:,  1914,  p.  168  à  190,  Tragique  histoire  d'Haymon  de  la  Fosse. 
M.  Godet  raconte  la  vie  de  Haymon  de  la  Fosse.  Il  était  né  vers  1480-1481  ; 
DU  BouLAY,  Hist.  univ.  p<iris..  VI,  p.  12,  raconte  aussi  le  drame  de  Haymon  de  la 

•  Fosse  et  le  dit  »  aut  amentem  repertum  aut  amenti  similem  ».  L'acte  Semble 
indiquer  une  nature  bien  impulsive,  mais  le  jugement  prouve  la  lucidité  d'esprit 
de  l'accusé. 

(3)  On  remarquera  que  Haymon  de  la  Fosse  est  né  près  d'Abbeville  et  que  le  Nord 
est  spécialement  atteint  par  l'illuminlsme. 

1)  Christum  non  esse  natum  de  Virgine  Maria  neque  pro  nobis  vere  passum, 
ncc  ptiam  a  mortuis  vere  ressuscitatum,  quin  imo  daemoniorum  invocatione  fecisse, 
et  miracula  per  eum  in  terris  facta  actibus  maglcis  fecisse.  Sententia  officlalis, 
Bibl.  Sainte-Geneviève,  ms.  ili9,  fo  86  v»,  citée  par  Godet,  art.  cité.  —  A  la 
même  époque  (1507),  Georges  Sabellicus,  magicien  allemand,  professe  les  mêmes 
théories  :  «  fertur  dixlsse...  quod  Christi  salvatoris  miracula  non  sunt  miranda  : 
se  quoque  omnia  facere  posse  quœ  Chrlstus  fecit  quotlos  et  quandocumque  vellt  » 
(DiPLESSis,  I,  ire  partie,  p.  348).  En  1501  arriva  à  Lyon  un  Italien  avec  sa  femme 
et  ses  enfants.  Tous  étaient  habillés  de  lin,  pour  imiter  Apollonius  de  Tyiane. 
L'Italien  se  disait  doué  d'une  puissance  divine  et  de  toute  la  science  des  anciens 
alchimistes  hébreux,  grêles  et  latins.  Le  roi  le  prit  en  amitié  et  le  fit  examiner  par 
des  médecins  ■■  qui  facto  examine  dixerunt  ad  regem  illum  supra  hominem  .sar)ere 
et  cunctos  mortales  sapientia  superare  »  (Du  Boulay,  Itistor.  Univ.  Puris.  VI,  4-5). 
(5)  Godet,  art.  cité,  p.  190. 


LES    LIBERTINS    SPIR'XUELS  321 

de  [lacquoville  près  Falaise  en  Normandie,  pour  les  blas- 
phèmes et  énormes  paroles  par  luy  dictes  à  l'encontre  de 
noslre  créateur  Jhesus  et  sa  digne  mère  la  vierge  Marie  »,  fut 
condamné  à  faire  amende  honorable  devant  Notre-Dame  et 
à  être  conduit  au  «  marché  aux  pourceaulx  »  pour  y  avoir 
«  la  langue  tranchée  »  et  y  être  «  bruslé  tout  vif  en  son  habit 
d'ermitte  jusques  à  la  consommation  de  sondit  corps  en 
cendres  (^)  ».  Celui-là  n'était  pas  un  humaniste  :  «  il  n'estxDit 
point  clerc  et  ne  scavait  A  ne  B  ».  Etant  donné  sa  profession 
d'ermite,  je  n'hésite  pas  à  voir  en  lui  un  disciple  des  rêveurs 
mystiques  qui  semblent  bien  s'être  perpétués  en  certains  coins 
de  France  —  et  en  particulier  en  Normandie  ^'^^  ■ — ,  en  attendant 
que  le  réveil  du  protestantisme  et  l'arrivée  des  libertins  du 
nord  les  renforcent.  En  tout  cas.  lui  aussi  ((  disoit  que  Noire- 
Seigneur  Jésus-Christ  avait  esté  de  Joseph  et  de  Notre-Dame 
conceu  comme  nous  austres  humains  (3)  ». 

La  même  année,  le  dominicain  Amédée  Mesgret  s'attirait  les 
censures  de  la  Sorbonne  pour  toute  une  série  de  propositions 
prêchées  pendant  le  carême  à  Lyon  et  dont  une  semble  en  effet 
assez  grave  :  «  Que  un  payen  qui  a  intention  de  suivre  la  rai- 
son est  sauvé,  combien  qu'il  ne  soit  jamais  batisé  ».  La  Sor- 
bonne jugea  cette  idée  <(  scandaleuse  et  propre  à  faire  mépriser 
le  baptême  W  ». 

En  1520,  au  moment  où  va  commencer  notre  étude,  CL  de 
Seyssel  publie  contre  les  vaudois  un  livre  dont  la  Bibliothèque 
Nationale  possède  un  bel  exemplaire  sur  velin   :  Adversus 


fl)  DRiARD,  Chronique  iiarisienne,  p.  78.  Le  Bourgeois  de  Paris  raconte  la  même 
chose  et  dit  qu'il  habitait  près  de  Pressy  (M.  Bourilly  interprète  Placy  près  de 
Falaise). 

(2)  Voir  plus  loin  la  mort  de  l'anabaptiste  normand  du  Val  (en  1540)  et  l'étude 
sur  les  libertins  spirituels  de  Rouen. 

(3)  Journal  d'îoi  Bourgeois  de  Paris,  p.  397-398. 

(4)  Du  Plessis  d'Argentré,  II,  p.  13,  ire  col.,  Propositio  IX.  —  Les  autres  pro- 
positions sont  protestantes. 

21 


322  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

errores  Valdensium.  L'examen  de  leurs  erreurs  (i)  montre 
qu'ils  sont  plutôt  schismaliques  qu'hérétiques,  et  dune  tour- 
nure d'esprit  bien  moins  dangereuse  et  dissolvante  que  celle 
des  libertins. 


II 


Ce  fut  vers  1520  que  la  doctrine  des  ((  libertins  spirituels  » 
fut  prêchée  pour  la  première  fois  par  un  nommé  Coppin,  de 

(1)  Voici  à  titre  de  document  le  plan  du  livre  de  Seyssel  : 

1.  Difficultés  et  raisons  d'espérer,  p.  1-5. 

2.  Nom.  histoire,  raison  de  l'expansion  de  cette  secte,  p.  5-9. 

3.  Erreurs  de  cette  secte  : 

(i)  Rejettent  l'autorité  de  l'Eglise.  S'appuient  surtout  pour  cela  sur  ce 
que  les  prêtres  indignes  n'ont  pas  de  pouvoir  et  qu'ils  ne  pratiquent 
pas  la  pauvreté,  sans  laquelle  il  n'y  a  pas  de  vrai  disciple  du 
Christianisme.  Discussion  de  ces  idées,  p.  9-39. 

b)  Que  l'Eglise  des  Vaudois  ne  peut  prétendre  à  être  la  vraie  église; 

analyse  leurs  prétentions  â  former  une  église  plus  sainte  que  l'Eglise 
catholique,  p.  39-49. 

c)  Les  prêtres,  même  bons,  n'ont  que  peu  ou  point  de  ixmvoir,  p.  49-52. 

d)  Les  Vaudois  prétendent  que  tout  juste  a  le  pouvoir  d'administrer  les 

Sacrements.  Réfutation,  p.  52-54. 

e)  Quod  nulla  oratio  sit  recipienda  quae  non  sit  in  sacro  canone  inserta 

(ne  reçoivent  que  le  Pater),  p.  54-55. 

f)  Eucharistie. 

g)  Que  les  bénédictions  des  prêtres  sont  sans  effet,  en  particulier  dans 

les  cimetières.  Réfutation   :  valeur  des  cérémonies,  p.  55-60. 
h)  Attaques    contre  l'avarice  des  prêtres  par  les  Vaudois,  p.  60. 
l)  Nient  les  indulgences,  p.  60-65. 
j)  Attaque  des  Vaudois  contre  le  purgatoire,   l'intercession  des  saints, 

p.  61-71. 
h)  Contre  le  culte  des  saints  et  de  la  Vierge  en  particulier,  p.  71-73. 
l)  Contre  le  jeûne,  p.  73. 
m)  Contre  le  culte  des  images,  p.  73-77. 
n)  Que  tout  serment  est  péché  mortel,  p.  77-83. 
o)  Que  tout  men.songe  e.st  péché  mortel,  p.  83-87. 
P)  Que  tout  homicide  est  péché  mort«l,  p.  87. 

4.  E.xhortation  aux  Vaudois  à  se  soumettre  à  l'Eglise.  Il  promet  le  pardon 

aux  convertis  et  leur  propose  des  exemples  de  conversion,  p.  87-90. 

Cette  énumération,  qui  est  le  résumé  exact  de  la  table  du  volume  de  Seyssel,  me 
semble  donner  assez  nettement  l'ensemble  des  erreurs  vaudoises.  Sur  cette  hérésie, 
voir  Berard,  Les  Vaudois,  Lyon,  1892;  Gilles,  Histoire  ecclésiastique  des  églises 
vaudoises,  Genève.  1644.  M.  Rodocan.\chi  qui  fait  1  hlsUjirc  de  la  répres.sion  de 
cette  hérésie  en  Piémont  et  dans  le  royaume  de  Naples  au  XVI»  siècle  note  avec 
raison  que  «  Valdo  était  un  saint  François  d'Assise  sans  le  mysticisme;  11  prêchait 
la  pauvreté  et  .soutenait  que  chacun  ï>eut  exercer  le  saint  ministère  sans  avoir 
reçu  de  consécration  »  {La  Réforme  en  Italie,  II,  p.  251,  note). 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  32.'i 

Lille  '^).  En  1534,  Quinliii  «  du  pays  de  Hannaull  (Hainaul)  ou 
de  ces  quartiers  là  »,  dit  Calvin,  couturier  picard,  selon  Flo- 
rimond  de  Rcemond,,  vient  à  son  tour  en  France.  C'est  lui  qui 
va  devenir  le  chef  de  la  secte.  11  avait  avec  lui,  toujours  d'après 
Calvin,  Berli^and  des  Moulins,  Claude  Perseval  et  Antoine 
Pocque,  tous  gens  ignorants  et  ne  s'entendant  pas  plus  à  ce 
qu'ils  enseignaient  «  que  si  des  harangieres  vouloient  disputer 
d'astrologie  ».  11  faut  croire  cependant  que  leur  doctrine  se 
répandit  très  rapidement.  Faut-il  l'attribuer  à  la  présence  des 
éléments  préexistants  dont  nous  venons  de  faire  la  revue  ou 
aux  germes  de  réforme  et  de  mysticisme  qui  levaient  partout  ? 
Faut-il,  comme  Calvin,  donner  pour  cause  à  leur  succès  la 
facilité  de  leur  morale  ?  Tout  cela  y  contribua  sans  doute  et 
plus  encore  le  soin  qu'ils  avaient  de  s'insinuer  «  sous  le  nom 
de  serviteurs  de  Dieu  pour  abuser  les  simples  (~)  »,  et  leur 
langage  mystique  et  vague  qui  rendait  si  bien  les  aspirations 
des  foules  vers  une  religion  intérieure  moins  formaliste  et 
moins  rigide. 

Ils  furent  vile  démasqués  cependant.  En  1538,  Bucer  écrivait 
à  Marguerite  de  A^avarre  :  «  C.  T.  m'a  averti  de  repousser 
de  tout  cœur  ces  hommes  misérables  et  dangereux  qui 
enseignent  la  simplicité  évangélique,  et  que  nous  apprenons 
dresser  des  embûches  à  la  piété  de  beaucoup  en  France, 
babillant  je  ne  sais  quelle  rénovation  de  l'homme  dans  laquelle 
il  ne  pécherait  point,  même  s'il  ne  confesse  point  le  Christ 


(1)  JALMARD,  Essai  SUT  les  libertins  spirituels  de  Genève.  Calvin  dit  aussi  en  1544 
{Briefve  intruct.,  IV)  qu'il  y  a  une  quinzaine  d'années  que  Coppin  enseigne  sa 
doctrine  en  France,  et  qu'il  l'y  a  vu  il  y  a  10  ans.  Florimond  de  R^mond  (Nais- 
sance et  progrès,  p.  236)  et,  d'après  lui,  Moreri  placent  les  débuts  de  Quintin  en 
Brabant  vers  1525.  Sur  la  renaissance  des  sectes  gnostiques,  il  est  possible  que  la  ' 
vulgarisation  des  livres  où  sont  combattues  ces  erreurs  (Tertullien  notamment. 
De  prœscriptionlbus  haeretic.;  adv.  Marclonem;  adv.  valentinlanos;  —  voir  la  liste 
complète  dans  Msr  Duchesne,  Origines  chrétiennes,  p.  143  sq,)  ait  eii  quelque 
influence.  Pourtant,  comme  le  courant  remonte  jusqu'au  moyen  âge  et  que  les 
adeptes  de  ces  sectes  semblent  en  général  plutôt  ignorants,  il  me  semble  que  la 
tradition  orale  a  beaucoup  plus  d'importance. 

(2)  Calvin,  Contre  la  secte...  des  libertins,  IV. 


324  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Sauveur  ou  que  même  il  le  trahisse  dans  ses  membres,  s'il 
livre  sa  chair  aux  désirs  cl  aux  vices  *^)  ». 

Deux  ans  plus  lard  Pocque  se  présentait  à  Bucer  à  Stras- 
bourg, réussissait  à  le  tromper  et  obtenait  de  lui  des  lettres 
de  recommandation  pour  les  communautés  prolestantes. 
M.  Jaujard  estime  qu'il  y  a  là  une  preuve  que  les  premiers 
libertins  ne  prêchaient  pas  les  doctrines  qu'on  leur  prêle.  Nous 
y  reviendrons.  Il  nous  suifira  d'obsei^ver  pour  le  moment  que 
leur  habileté  à  adapter  leur  langage  aux  idées  de  leur  inter- 
locuteur et  le  jargon  suavement  mystique  et  apparemment 
inolïcnsil'  dont  ils  usaient  en  ont  abusé  bien  d'autres  que 
Bucer  (-).  En  1542,  Pocque  était  à  Genève.  Mais  Calvin  devine 
son  jeu  et  lui  refuse  les  lettres  qu'il  sollicite,  bien  que  Pocque 
.se  plaigne  qu'il  soit  moins  complaisant  (jue  Bucer  «  nostre 
frère  ^3)  ».  En  1543,  Pocque  et  Quintin  s'en  vont  près  de  Mar- 
guerite à  la  cour  de  Nérac  et  y  obtiennent  un  gros  succès. 
Marguerite  connaissait  déjà  leur  langage  et  sans  doute  en 
partie  leur  doctrine  par  Briçonnel,  et  peut-être  par  son  ancien 
secrétaire  Jehan  Feri,  vicomte  de  Domfront.  Elle  fut  très 
mécontente  lorsqu'en  1545  Calvin  les  attaqua  et  Calvin  dut 
lui  écrire  pour  la  calmer  (^).  L'année  suivante  Quintin  était 
arrêté  à  Tournai  et  condamné  à  mort  parce  que,  dit  Calvin, 
«  il  solicitoit  à  paillardise  d'honnestes  femmes  (^'  ».  On  ignore 
ce  (fue  devint  Pocque. 


(1)  Xam  significavit  C.  T.  aversarl  toto  pectore  miseros  illos  et  perniclosos  slm- 
plicitatis  evangelica;  fermentatorcs  qiios  audimus  roUgioiii  multorum  in  Gallis 
Insidiari,  garrientes  nescio  de  qua  renovatione  liominis  in  qua  niliil  peccct  etlamsi 
Christum  Servatorom  non  conflteafur,  imo  In  meml)ris  .suis  prodai,  si  carnem 
suam  concupicentiis  et  vitiis  permittat,  non  cruciflgat.  Bucer  à  la  reine  de 
Navarre  [Calvtni  opéra.  VII.  prolegomena,  XXI). 

(2)  Calvin.  Briefve  Inslr.  contre  la  secte  des  anabapt.,  VIII  Voir  aussi  en  fin 
du  chapitre  XI  la  lettre  de  Fumée  à  Calvin. 

(3)  Calvin,  Briefve  instruction.  IV.  D'autres  anahapti.'ites  étaient  déjà  venus  à 
Genève.  Dès  1537,  un  groupe  de  sectaires  descendit  des  Pays-Bas,  ayant  à  leur 
tête  llerman  de  Gerbihan  et  Audry  Benoit,  de  Anglen  en  Brabant.  Ils  tinrent 
quelques  conféreuce.s  publiques,  mais  le  conseil  les  expulsa  du  territoire  de  la 
république  (Doumergije,  Calvin,  II,  p.  242). 

(4)  Lettre  du  28  avril  15'.5  (Opéra.  XII,  p.  64-68). 

(5)  Contre  un  rordelter,  p.  361. 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  325 

Cependant  leurs  fidèles  devenaient  plus  nombreux,  si  nom-" 
breux  que  les  protestants  mêmes  s  en  inquiétèrent.  Dans  la 
circonstance  ils  semblent  même  avoir  beaucoup  mieux  vu  le 
danger  que  les  catholiques,  sans  doute  parce  que  ces  doctrines 
extrémistes  se  propageaient  surtout  dans  les  groupements 
hérétiques  et  se  cachaient  de  l'Eglise,  peut-être  aussi  parce 
que  la  Sorbonne  et  les  évêques  hjqDnotisé's  par  le  péril  protes- 
tant ne  prirent  pas  garde  à  ce  mouvement  bien  plus  dangereux 
mais  moins  tapageur.  Les  villes  des  Flandres  et  de  l'Artois  : 
Lille,  Valenciennes,  Douai,  Arras,  Tournai,  avaient  des 
noyaux  de  réformés  auxquels  on  avait  envoyé  un  pasteur  en 
1544.  Mais  à  la  même  époque  ces  communautés  étaient  tra- 
vaillées par  les  Hberlins  comme  le  prouvent  les  textes  suivants  : 

Le  2()  mai  1544,  Valerand  Poullain,  de  Strasbourg,  écrivait 
à  Calvin  *^)  :  «  Nos  frères  de  Valenciennes  qui  naguère  nous 
avaient  apporté  certains  écrits  des  quintinistes,  sont  révenus. 
Je  t'en  prie  par  le  Christ,  si  tu  as  lu  les  livres  que  je  t'ai 
envoyés,  écris-leur  quelque  consolation  qui  les  soutienne  dans 
de  si  grandes  épreuves  et  les  munisse  et  les  fortifie  contre 
ces  pestes  ».  Bucer  leur  avait  déjà  écrit;  on  ne  sait  si  Calvin 
en  fit  autant.  Le  5  septembre  suivant,  P.  Viret  confirme  cette 
nouvelle.  Il  écrit  à  Rodolphe  Gualter  (2)  :  «  Nous  apprenons 
que  dans  la  Basse-Allemagne  il  y  a  une  nouvelle  espèce 
de  catabaptistes  qu'on  appelle  libertins,  qui  trouble  les 
âmes  pieuses  et  retarde  (les  progrès)  de  l'Evangile  à  un  point 
incroyable,  et  nous  avons  appris  cette  nouvelle  de  témoins  très 
dignes  de  foi,  qui  les  ont  vus  et  entendus,  qui  même  se  sont 
réfugiés  chez  nous  pour  nous  pousser  à  venir  par  des  traités 
français  au  secours  de  nos  voisins,  ceux  de  Liège,  de  Tournai, 
de  Valenciennes,  et  autres  de  ces  pays  chez  qui  cette  peste 
en  infecte  un  grand  nombre.  Calvin  a  déjà  écrit  contre  ceux 


(1)  Herminjard,  Corirsi).  des  Réforn^és,  IX.    1358. 

(2)  Herminjard,  IX,  1392. 


326  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

que  nous  appelons  bien  justement  calabaptistes  t^)  et  promet 
d'écrire  bientôt  s'il  le  peut  contre  les  libertins  ('^).  Il  serait  trop 
long  de  vous  détailler  leurs  erreurs.  C'est  une  hérésie  farcie 
de  toutes  les  hérésies,  même  les  plus  absurdes,  à  ce  qu'il 
semble.  Même  en  France  cette  épouvantable  peste  a  gagné 
grand  nombre  d'âmes.  C'est  le  genre  d'hommes  le  plus  dan- 
gereux et  en  comparaison  desquels  les  calabaptistes  paraissent 
gens  de  bien.  Si  vous  n'en  avez  pas  encore  trouvé...,  vous 
pourrez  un  jour  les  comprendre  de  plus  près.  Mais  je  pense 
que  vous  n'êtes  pas  sans  connaître  ce  genre  d'hommes.  » 
Farel,  un  mois  après  (3),  les  dit  nés  de  Simon  le  Magicien  et 
souhaite  que  Calvin  les  extirpe  de  fond  en  comble  et  Valerand 
Poulain,  dont  cette  secte  paraît  avoir  été  la  bête  noire,  pousse 
aussi  Calvin  à  hâter  son  livre  en  môme  temps  qu'il  lui  donne 
quelques  détails  :  <(  De  ce  que  vous  prenez  vos  armes  contre  les 
quintinisles,  je  m'en  réjouis...  Raymond  mon  frère  m'a  écrit 
que  ces  horreurs  se  répandent  maintenant  dans  la  Basse- 
Allemagne  par  l'action  de  certains  David  et  Eloi  (^).  Il  ne  m'a 
pas  encore  envoyé  l'exposé  de  leur  doctrine  comme  il  me 
l'avait  promis.  Dès  qu'il  me  l'aura  envoyé  je  vous  le  trans- 
mettrai f^)  ». 

Le  nord  n'était  pas  seul  atteint  par  les  «  spirituels  »  :  les 
libertins  décrits  par  A.  Fumée  à  Calvin  dans  sa  lettre  de  1542  i 

sont  les  frères  de  ceux  du  nord,  et  .si  nous  les  avons  mis  à 
part,  c'est  qu'il  s'y  mêle  des  éléments  italiens  et  humanistes 
qui  donnent  à  leur  groupement  ime  physionomie  particulière 

(1)  La  Briefve  instrurtion...  contre  les  erreur:^  de  lu  secte  des  anabaptistes,  1544. 

[I  semble  d'après  cette  phrase  que  le  nom  de  catabaptiste  soit  synonyme  d'aria-  -■' 

baptiste.  C'est  l'avis  de  M.  Wei.ss  que  j'ai  interrogé  sur  ce  sujet.  j 

(2)  Le  traité  Contre  les  libertins  est  de  1545.  •* 

(3)  5  octobre   1544.    Herminjard.    IX,    1395    :    «   Quintiniste    (sic)    factio   quae   ex 
Simonls  magl   discipulis  ortum   sumpsit   si   Eplphanlo  credimus   utinam   per  te  i 
funditus  cxtirpetur  ». 

(4)  David   est   peut-être   David   Georges   (ou   Jorls),   chef   des   anabaptistes   qui,  ' 
traqué  dans  les  Pays-Bas,   s'était  caché  près  de  Bàle  sous  le  nom  de  Jean  de 
Bruges.   On   ne   découvrit   son   identité   qu'après   sa   mort.   Voir  le  récit  Ae  ses              t 
derniers  Jours  dans  Buisson,  Castetiion,  il,  p.  144  et  .suiv.  Pour  Eloi,  j'Ignore  qui 
il  est. 

(5)  Herminjard,  IX,  130«,  du  13  o(t^>bre  1544. 


A' 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  327 

et  fait  de  leur  doctrine  comme  la  synthèse  de  tout  le  rationa- 
lisme parisien  (^).  La  Normandie  semble  avoir  été  contaminée 
aussi,  et  vers  la  même  époque.  Nous  avons  déjà  raconté  (2) 
le  supplice  de  cet  ermite  normand  qui  périt  en  1523  et  dans 
lequel  nous  avons  diagnostiqué  un  libertin.  En  1540  un  <(  très 
méchant  anabaptiste  »  nommé  du  Val  était  prisonnier  à  Paris. 
Il  condamnait  le  mariage  et  méprisait  les  sacrements,  comme 
les  libertins  d'origine  mystique.  Et  Farel,  qui  signale  le  cas 
à  Calvin,  ajoute  :  «  Il  t'appartient,  ainsi  qu'à  Claude,  d'écrire 
plus  longuement  aux  frères  de  Normandie  et  aux  autres  pour 
qu'ils  redressent  leurs  sentiments,  améliorent  leur  doctrine, 
évitent  de  pareilles  pestes  ».  On  voit  par  cette  dernière  phrase 
que  ce  du  Val  était  Normand,  qu'il  avait  des  coreligion- 
naires en  Normandie  et  que  ces  doctrines  se  développaient 
surtout  dans  les  milieux  protestants.  Il  faut  croire  aussi  que 
c'était  un  hérétique  extraordinaire  et  fort  différent  de  ceux 
qu'on  prenait  et  pendait  tous  les  jours,  car  le  roi  voulut  le  voir 
et  s'entretenir  avec  lui  (3).  Nous  avons  d'autres  traces  de  l'exis- 
tence de  mystiques  normands.  M.  E.  Picot  a  retrouvé  en  effet 
et  publié  les  œuvres  de  l'un  d'eux  :  Pierre  du  Val  <^'.  Les  plus 
caractéristiques  de  ces  œuvres  sont  des  environs  de  1545. 
En  1547,  un  ancien  cordelier  prêchait  cette  doctrine  à  Rouen, 
et  Calvin  l'attaque  dans  son  Epistre  contre  un  certain  cordelier 
lequel  est  prisonnier  à  Rouen  t^'.  Le  moine  ayant  été  relâché 
et  ayant  répondu  à  Calvin  par  un  Bouclier  de  délense,  Farel 
à  son  tour  lui  répondit  dans  son  Glaive  de  la  parole  (6). 

Pour  l'examen  des  doctrines  des  libertins  nous  avons  deux 
sortes  de  documents  :  leurs  propres  œuvres  et  les  réfutations 

(1)  Voir  à  la  fin  du  chapitre  suivant  l'analyse  de  leurs  idées. 

(2)  Voir  au  début   de   ce  chapitre,   p.   320-321. 

(3)  Herminjard,  VI,  887.  Farel  à  Calvin,  6  septembre  1540. 

(4)  Théâtre  mystique  de  Pierre  du  Val  et  des  liber-tins  spirituels  de  Rouen  au 
XF/e  siècle,  publié  avec  une  introduction  par  E.  Picot,  Paris,  1882.  Rien  dans  la 
préface  de  M.  Picot  ne  permet  d'établir  un  rapport  de  parenté  entre  ce  P.  du  Val  et 
le  précédent.  Le  nom  étant  très  commun,  il  est  délicat  de  rien  décider  en  l'absence 
de  documents  précis. 

(5)  Opéra,  éd.  Brunswick,  VII,  p.  341-363. 

(6)  Genève,  1550. 


328  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

écrites  contre  eux.  Les  deux  séries  de  documents  sont  fort 
différentes  non  seulement  de  ton,  comme  il  est  naturel,  mais 
même  de  doctrine,  et  nous  aurons  à  discuter  leur  valeur  après 
les  avoir  exposés. 

Le  Théâtre  mysfiquc  de  P.  du  Val  se  compose  de  six  pièces 
dont  cinq  sont  des  moralités.  Il  faudrait  y  joindre  toute  une 
série  de  poésies  composées  à  l'occasion  des  palinods  ou  de 
noces  entre  1543  et  1547  par  du  Val  ou  ses  amis.  Un  autre 
groupe  d "œuvres  «  libertines  »  a  été  retrouvé  par  Ch.  Schmidt 
en  manuscrit  et  publiées  en  1876.  Le  livre  comprend  huit 
petits  traités  dont  le  premier  avait  été  déjà  publié  par  Jundt  à 
la  lin  de  son  livre  sur  le  panthéisme  au  moyen  âge  <^).  La 
bibliothèque  de  l'Arsenal  possède  aussi  deux  de  ces  opus- 
cules <2)  et  la  bibliothècpie  de  la  Société  d'histoire  du  protes- 
tantisme français,  deux  (3). 

Tl  faut  une  clé  pour  lire  ces  œuvres  et  l'on  s'en  douterait 
déjà  à  lire  celles  de  Marguerite  de  Navarre,  de  Briçonnet, 
teintées  seulement  de  mysticisme  et  déjà  vaguement  incom- 
préhensibles. Pour  celles  des  libertins  spirituels,  elles  le 
seraient  complètement  à  quelqu'un  qui  en  aborderait  la  lecture 
sans  préparation. 

Ils  ne  sont  pas  panihéisfes,  comme  ceux  du  moyen  âge.  Ils 
admettent  mémo  la  Trinité.  Mais  dans  l'histoire  religieuse  de 
l'humanité  ils  distinguent  trois  âges  :  celui  du  Père,  qui  est 
l'Ancien  Testament;  l'âge  du  Fils,  de  Jésus-Christ  à  l'avène- 
ment des  doctrines  «  libertines  »;  celui  de  l'Esprit,  qui  com- 


(1)  Les  libertins  sjrirituels,  iii-12.  de  xiv-251  pages,  Bftle,  1876.  Ch.  Schmidt  pense 
que  les  initiales  J.  F.  dont  est  signé  le  manuscrit  désignent  un  Français  du  nord, 
mais  n'a  pu  lidentifler. 

(2)  Voir  la  Uibliographie. 

(3)  J'ai  à  remercier  ici  M.  Weiss  d'avoir  bien  voulu  me  communiquer  ces  rares 
opuscules  et  me  signaler  les  travaux  faits  par  les  protestants  sur  cette  question, 
notamment  la  thèse  de  M.  Jaujard  que  j'ai  utilisée  largement.  M.  Schmidt  a 
aussi  fait  un  court  et  sïubstantiel  résumé  de  leur  doctrine  dans  la  préface  de 
son  recueil,  p.  vii-x.  On  en  trouvera  de  longs  extraits  dans  la  France  protestante 
(2*  édit.),  III,'  col.  590-591..  M.  E.  PicoT,  résumant  la  doctrine  des  libertins  de 
Rouen,  l'assimile  à  celle  des  libertins  de  Strasbourg  et  cite  des  fragments  du  livre 
de  Schmidt  j>our  la  caractériser  lop.  cit  ,  p.  67). 


LES    LIBELTIXS    SPIRITUELS  329 

mence  avec  eux.  11  y  a  aussi  deux  Christs  :  le  premier  est 
Christ  historique  ou  selon  la  chair,  modèle  et  représentant  de 
Ihomme,  mais  non  son  Sauveur.  Ce  rôle  est  réser\"é  au  Christ 
selon  l'esprit  qui  est  le  Saint-Esprit  lui-même  <i).  En  la  foi  à 
ce  Christ  spirituel  est  la  perfection  de  la  révélation  et  la  déifi- 
cation de  l'homme  :  <(  Il  n'est  plus  besoin  d'avoir  une  loi,  d'en- 
seigner de  faire  le  bien,  car  ceux  qui  ont  reçu  l'esprit  font  natu- 
rellement le  bien,  et  l'homme  «  est  incliné  à  ce  faire  par  nature 
et  ne  le  pourra  obmettre  »;  de  même  vivant  en  Dieu,  il  n'a 
plus  besoin  de  chercher  la  vérité  :  «  l'espérance  et  la  cognoi- 
sance  demeurent  jusques  à  ce  que  l'esprit  se  face  veoir  au 
jour...  et  l'espérance  et  la  cognoissance  disparaissent  alors  '"^)  ». 

C'est  que,  au  développement  historique  et  progressif  de  la 
Révélation  correspond  un  développement  parallèle  du  chré- 
tien. Il  passe  par  les  trois  âges  que  nous  venons  d'énoncer  et 
quand  il  est  arrivé  à  l'absorption  complète  de  sa  personnalité 
par  la  divinité,  il  est  lui-même  déifié.  Séparé  d'une  distance 
infinie  des  autres  hommes,  incapables,  eux,  de  se  sauver,  ni  de 
mériter,  il  est,  lui,  incapable  de  pécher  :  «  Ils  ne  sont  plus 
agitez  ou  esmeutez  et  nul  péché  ou  mal  n'y  a  plus  de  pouvoir... 
Ung  bon  arbre  ne  peult  produire  mauvais  fruictz.  Selon  ceste 
manière  nous  mesurerons  et  considérerons  le  nouvel  nay 
homme  de  Dieu  conceu  et  nay  du  Saint-Esprit  et  trouverons 
en  luy  l'impossibilité  de  pécher  (3)  ». 

Dans  leurs  relations  avec  l'Eglise  établie,  ils  sont  très  pru- 
dents. Naturellement  l'Eglise  catholique  et  le  protestantisme 
lui-jmême  sont  pour  eux  des  formes  transitoires  et  périmées  du 
développement  religieux;  mais  ils  conseillent  «  d'estre  pru- 
dentz,  faisant  tout  son  œuvre  du  cœur  et  intérieurement,  usant 
du  proverbe  teuthonique  qui  dict  de  fermer  la  bouche  et  la 
bourse  à  ceulx  qui  sont  du  dehors.  Ainsy  d'aller  à  leur  eghse, 
leur  ferez  contentement,  car  1  église  de  Dieu  est  là  où  sont  les 


(1)  .JAiJ.iRD,  Essm  sur  les  libertins  spirituels,  thèse  de  la  Faculté  de  théologie 
protestante  de  Paris,  1890,  p.  23. 

(2)  Ibid.,  p.  23. 

(3)  Colloques,  p.  50,  cité  par  Jaoard.  p.  29-30. 


330  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

cœurs  fidèles.  Ne  parlez  poinct  de  leurs  ordonnances  et  edicts. 
Quant  est  du  loyer  sacerdotal,  ecclésiastique  et  romanique, 
vous  aurez  à  leiu'  stypendier  et  payer  leur  ordinaire  sans  mur- 
muration...  (i)  ».  Mais  ils  forment  eux-mêmes  une  église  à  part, 
le  vrai  j)euple,  <(  la  saincle  congrégation  »  des  spirituels, 
soumis  au  seul  Esprit  et  libres  de  tout  joug  humain  :  les  liber- 
tins spirituels. 

Cest  aussi,  ce  me  semble,  a  cette  littérature  mystique  qu'il 
tant  rattacher  une  partie  de  l'œuvre  de  Marguerite  de  Navarre. 
Son  àme  est  très  complexe  :  à  la  lois  catholique  t^)^  protes- 
tante '3),  rationaliste  par  l'indépendance  capricieuse  de  sa 
pensée,  platonicienne  par  l'idée  qu'elle  se  fait  l'amour  ('^),  tous 
les  courants  doctrinaux  de  son  époque  si  tourmentée,  elle  les 
a  accueillis  et  amalgamés  en  elle.  C'est  ce  qui  donne  à  son 
œuvre  un  air  mystérieux  que  je  comparerais  au  sourire  énig- 
matique  que  Clouet  a  noté  dans  les  yeux  de  la  princesse  elle- 
même.  11  n'est  donc  pas  étonnant  que  de  tous  ceux  qui  se  sont 
appliqués  à  étudier  cette  physionomie  si  complexe,  les  uns 
aient  été  plus  frappés  de  son  air  évangélique  (^',  les  autres  de  sa 
piété  presque  orthodoxe  ^^K  Tous  cependant  ont  remarqué 
avec  quelle  assurance  elle  substitue  la  foi  intuitive  à  la  foi 
raisonneuse  des  théologiens*');  avec  quelle  indifférence  dog- 
matique elle  livi-e  la  direction  de  son  âme  à  un  évêque,  catho- 
lique encore,  et  aux  chefs  des  libertins  ('^l;  et  quel  secret  pcn- 


(1)  SCHMIDT,   Les  libertins   sijirilnels.   p.   193-194. 

(2)  3e  livre  des  Prisons. 

(3)  Comédie  jouée  à  Monl-de-Marsan-.  attaques  contre  les  moines,  le  célibat,  les 
pèlerinages  dans  X'Hepiameron. 

(4)  Premier  livre  des  Prisons,  cantiques  spirituels  et  dissertations  qui  terminent 
certains  contes  de  VHcplameron. 

(5)  A.  Lefranc.  Dernières  poésies  de  M.  de  N.,  LXIX-LXX;  Hauser,  Revue  crit. 
d'hist.  et  de  litt..  1896,  p.  512. 

(6)  .SCHMiDT,  op.  cit.,  préface,   XIII. 

("1  Hacser,  Revue  critlqw  d'Iiistuire  et  dr  littér.,  1S96,  p.  513.  l^a.  Comédie  jouée 
à  Mont-de-Marsan  est  curieuse  à  ce  point  de  vue  :  la  raison  y  sermonne  l'igno- 
rance, mais  l'amour  e.st  plus  grand  qiie  la  sagessie  et  la  raison. 

(8)  Marguerite  eut  d'abord  pour  directeur  Briçonnet,  et  leur  corre.spondance 
témoigne  déjà  d'un  goût  commun  ix>ur  les  idées  et  le  style  des  libertins  ;  puis, 
elle  donna  a^sfle  en  sa  cour  de  Nérac  à  Gérard  Rous.sel  et  à  Pac:  enfin,  en  1543, 
elle  reçut  chez  elle  les  chefs  des  libertins  Pocque  et  Quintin  :   «  La  Royne  de 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  331 

chant  !'a  toujours  inclinée  vers  «  un  mysticisme  qui  lui 
permettait  de  rester  catliolique,  tout  en  lui  laissant  la  liberté 
de  ses  convictions  intimes  (^^  »  et  dont  l'aboutissement  était  le 
panthéisme  f^). 

D'abord  sa  foi  à  l'immortalité  semble  avoir  été  par  moment 
hésitante,  si  Ion  en  croit  Bayle.  Peut-être  exagère-t-il  et 
j'estime  que  la  princesse  a  sur  ce  point  subi  seulement  l'in- 
fluence des  discussions  alors  à  la  mode.  Mais  un  texte  de 
Brantôme  plus  curieux  nous  la  présente  comme  partageant  les 
rêveries  des  anabaptistes  sur  le  sommeil  temporaire  des  âmes 
après  la  mort. 

Marguerite  de  Navarre,  dans  la  Comédie  louée  au  Mont-de- 
Marsan,  fait  dire  à  la  (c  mondaine  »  : 

Jayme  mon  corps,  demandez  moy  pourquoy   : 

Pour  ce  que  beau  el  plaisant  je  le  voy; 

Quant  à  mon  ame  qui  est  dedans  cachée, 

Je  ne  la  puis  toucher  d'œil  ny  de  doy, 

Ce  m"est  tout  ung,  point  s'en  suis  empeschée. 

Ame  soit  ame  à  qui  l'a  bien  cherchée 

Mon  corps  est  corps,  je  le  sens  vivement  (3). 

La  «  sage  »  lui  démontre  que  son  corps  n'est  rien  sans  l'âme; 

la  chair 

...  est  la  flûte  du  chantant,^ 
Mais  la  voix  qui  en  sort  pourtant 
Ne  vient  pas  de  la  chair  mortelle  (4). 

Navajre...  se  plongeoit  aux  idolâtries  comme  les  autres...  d'autant  que  Ruffi 
(Roussel)  et  autres  semblables  lui  persuadoyent  que  c'estoyent  choses  indifférentes. 
Dont  l'issue  fut  telle  que  finalement  l'esprit  d'erreur  l'aveugla,  aiant  fourré  en 
sa  maison  deux  malheureux  libertins,  l'un  nommé  Quintin  et  l'autre  Pocque  » 
(BÈZE,  Hist.  ecclés.,  I,  p.  22;  Calvini  opéra,  éd.  Brunswick,  VII,  prolegom.,  p.  23). 
En  1548,  Pocque  figure  encore  sur  la  liste  de  sa  maison  en  qualité  d'aumônier 
(TiLLEY,  Litt.  of  french  Renaiss.,  I,  p.  103).  E.  Picot  et  Ch.  Schmidt  sont  d'accord 
pour  suggérer  que  les  traités  de  Strasbourg  et  de  Normandie  dont  nous  avons 
parlé   ont   été   composés  pour  Marguerite   (E.   Picot,   op.   cit.,  p.  67  ;   Schmidt, 

p.   XIII). 

(1)  Schmidt,  Les  Uhertim  spirituels,  préface,  XIII;  Humbert.  Origines  de  la 
théolofjie  moderne,  l,  p.  227.  M.  labbé  Humbert  y  voit  aussi  i>eut-être  un  souvenir 
du  mysticisme  du  pseudo  Denys. 

(2)  A.  Lefranc,  Dernières  poésies  de  Marguerite:  de  Navai-re,  préface,  LXX 

(3)  Comédie  jouée  au  M ont-de -Marsan  [Dernières  poésies,  p.  66). 

(4)  Ibid..  p.  79. 


332 


SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


L'exlase  et  le  songe  lui  sont,  comme  à  Platon,,  des  preuves 
de  lexistonce  de  l'âme  ''\ 

Quand  François  I"  mourut,  sa  sœur  chanta  son  apothéose. 
11  devient  Pan,  le  dieu  des  bergers.  Et  le  berger  Agapy  chante  : 

Le  corps  vaincu,  l'esprit  victorieulx 

De  crainle  et  mort  droict  aux  cieulx  s'envola  •. 

r.a  bergère  Amarissime  (Marguerite)  lui  répond  : 

Seure  je  suis  que  son  esprit 
Règne  avec  son  chef  Jesus-Christ 
(^ontemplnnt  la  divine  Essence. 

Et  Paraclesis  reprend  à  son  tour  : 

I-*an  nest  poinci  mort,  mais  plus  que  jamais  vit 

Avec  Moïse  et  Jacob  et  David, 

Kt  sont  es  cieulx  pailans  de  bergerie. 

Pan  est  vivant,  encores  le  vous  dictz 

En  ces  beaux  champs  et  plaisans  paradis 

Vostre  doux  Pan  est  en  son  vray  repos 
Voire  et  va  comme  l'espouse  à  l'espoux 
.\u  grand  Pasteur  reduict  en  son  vray  estre  (2). 

-Marguerite  croit  donc  à  Timmortalité.  Mais  les  anabaptistes 
y  croyaient  aussi,  à  leur  façon,,  et  les  padouans  y  croyaient  de 
leur  côté,  à  cause  de  la  révélation  et  en  criant  bien  haut  que 
ce  dogme  est  indénionlrable.  N'est-ce  pas  cette  double 
inl'hience  que  l'on  peut  noter  dans  les  récits  qui  suivent  de 
Brantôme  ?  :  ((  Geste  reyne  souloit  souvant  dire  aux  uns  et  aux 
autres  qui  discouroyent  de  la  mort  et  de  la  béatitude  éternelle, 
par  amprez  :  «  Tout  cela  est  vray,  mais  nous  demeurerons  si 
lonf/'temps;  n)orts  eu  terre  avant  que  venir  là  !  '3)  ».  —  Le 
même  Brantôme  nous  fait  penser  «  qu'elle  n'avait  point  sur 
la    nature    de   lame   les    iflées   qu'un   vrai    philosophe   doit 


(1)  Ibtd..,  p.  78  et  sulv. 

(2)  Comédie  sur  le  trépas  du  Roij  (Dernières  poésies,  p.  44-59). 

(3)  BRANTOME,  Dames  illustres,  éd.  Lalanne.   VIII,  p.   122. 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  333 

avoir  (^)  ».  Il  raconte  en  effet  «  que  une  de  ses  filles  de  chambre 
qu'elle  aymoit  fort,  estant  près  de  la  mort,  elle  la  voulut  veoir 
mourir;  et  tant  qu  elle  fut  aux  abois  et  au  rommeau  de  la  mort, 
elle  ne  bougea  d'auprès  d'elle,  la  regardant  fixement  au  visage 
que  jamais  elle  n'en  osta  le  regard  jusques  aprèz  sa  mort. 
Aucunes  de  ses  dames  plus  privées  luy  demandarent  à  quoy 
elle  amusoit  tant  sa  veue  sur  ceste  créature  trespassante,  elle 
respondit  qu'ayant  ouy  tant  discourir  à  tant  de  sçavans  doc- 
teurs que  l'âme  et  l'esprit  sortoient  du  corps  aussito-t  qu'il 
trespassoit,  elle  vouloit  veoir  s'il  en  sortiroit  quelque  vent  ou 
bruit  ou  le  moindre  résonnement  du  monde,  au  déloger  et 
sortir,  mais  quelle  n'y  avoit  rien  apperçeu...  Et  adjousta  que 
si  elle  n'estoit  bien  ferme  en  la  foy,  qu'elle  ne  sçauroit  que 
penser  de  ce  deslogement  et  département  du  corps  et  de  l'âme: 
mais  qu'elle  vouloit  croire  ce  que  son  Dieu  et  son  Eglise 
commandoient  sans  entrer  plus  avant  en  autre  curiosité...  (2)  ». 
On  peut  hésiter  sur  l'explication  de  ces  détails  :  au 
contraire  c'est  certainement  à  l'influence  des  libertins  qu'il  faut 
rapporter  le  mysticisme  à  tendance  panthéistique  de  son 
esprit.  M.  Parturier  l'a  démontré  dans  la  Revue  de  la  Renais- 
sance <3)  en  comparant  les  idées  religieuses  de  Marguerite, 
telles  que  nous  les  livTent  ses  dernières  poésies,  avec  les 
idées  des  libertins  dont  on  vient  de  voir  l'exposé.  Son  Dieu 
est  le  Tout  incompréhensible  de  Eckart  : 

Ce  Tout  est  tel  qu'on  ne  le  peult  C'jmprendre  ; 

en  face  de  lui  la  créature  n'est  que  néant,  ou  selon  l'expression 


(1)  BAYLE,  Diction,  art.  Marg.  de  Navarre,  rem.  L. 

(2)  Brantôme.  Dames  illustres,  VIII,  p.  124-125. 

(3)  Les  sources  du  mysticisme  de  Marguerite  de  Navarre  à  propos  d'un  manuscrit 
inédit  par  E.  Parturier.  Revue  de  la  nenaissance,  1904,  pages  1-16  et  49-62.  Je 
résume  ici  ce  travaiL  On  y  ti"ouvera  le  développement  des  idées  qui  suivent  avec 
des  textes  abondants  à  l'appui.  J'ai  signalé  en  note  quelques  autres  citations.  Voir 
aussi  Brunetière,  Hist.  de  la  littér.  française  classique,  I,  p.  168,  et  .\.  Lefran'C, 
Les  idées  religieuses  de  Marguerite  de  Savarre  dans  Bulletin  de  la  Société  d'hist- 
du  protestantisme  français.  1897,  page  16. 


334  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

des  spirituels  relevée  par  Calvin,,   elle  n'est  que  le  Cuyder 
c'est-à-dire  un  fantôme,   un  rien  : 

Or  suis-je  rien,  s'il  est  celuy  qui  est  (D. 

Le  monde  est  une  émanation  de  Dieu  et  en  garde  le  reflet. 
Chaque  créature  tend  à  retourner  à  lui  par  l'ascèse  et  la  gnose 

Par  qui  au  Tout  le  Rien  fait  son  retour. 

Ame  qui  as  ce  parfait  Rien  trouvé, 

Cours  à  ton  Tout,  plus  ça  bas  ne  diffère  (2). 

C'est  l'Esprit  et  non  la  science  qui  guide  l'àme  dans  ce  retour 
à  l'Un  et  c'est  là  tout  le  plan  des  Prisons  de  Alarguerile; 
on  obtient  ses  lumières  par  l'anéantissement  du  moi  et  par 
l'Amour  (3)  par  le  dédain  de  la  vie  active  et  en  s'adonnant  à  la 
contemplation,  spécialement  à  celle  de  la  Passion,  tant  recom- 
mandée par  les  mystiques  du  XIV^  siècle  :  Fauler,  Suso, 
Eckart.  Lorsque  l'âme  a  été  ainsi  illuminée  par  la  gnose  et 
qu'elle  est  arrivée  à  s'absorber  dans  le  Tout,  elle  est  libre  : 

Ou  est  l'Esprit,  là  est  la  liberté. 

Si  les  libertins  ont  fourni  à  Marguerite  un  système  théolo- 
gique assez  large  pour  s'accommoder  à  ses  fantaisies  dogma- 

(1)  Cf.  Calvin,  Contre  la  secte...  des  libertins,  m  — 
Seigneur,  Cuyder  a  voulu  entreprendre 
De  ta  hauteur,  sens  et  puissance   entendre 


Mais  il  auroit  besoing  premier  d'apprendre 

Que  c'est  de  luy 

Lors  trouveroit  que  s'il  est,  il  est  Riens. 

[Oraison  de  l'âme  fidèle,  I,  p.  78). 

(2)  0  Adan  mort,  o  Jesus-Christ  vivant; 

G  morte  chair,  o  Cuyder  mis  au  vent; 
O  povrc  Rien,  jusqu'au  Tout  eslevé! 

(Oraison  de  l'dmr  pécheresse,  I,  p.  101). 
Sur  l'opposition  du  Cuyder  ou  Rien  au  Tout,  voir  encore  Chansons  spirituelles, 
III,  p.  139;  Vmbrc,  IV,  p.  263. 

{3\  Mais  quand  à  luy  (Dieu)  par  amour  est  unie  (l'âme) 

Si  remply  est  son  Rien  d'un  peu  de  Tout, 
Qu'à  déclarer  ne  peult  trouver  le  bout. 

{Miroir,  I,  p.  6/.). 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  335 

tiques,  ne  serait-ce  point  aussi  à  leur  école  quelle  s'est  formée 
une  conscience  si  large  et  si  accommodante?  Non  pas  que  je 
veuille  reprendi*e  à  mon  compte  les  accusations  ou  les  calom- 
nies ({uon  a  émises  sur  sa  vie  privée.  Mais  tous  les  critiques, 
même  ceux  qui  lui  sont  les  plus  favorables,  sont  obligés  de 
reconnaître  dans  VHeplauiéron  l'alliance  un  peu  suspecte  d'une 
morale  prêcheuse  et  de  récits  assez  hardis.  On  a  beau  lire  les 
dissertations  de  dame  Oysille  sur  l'amour  platonique,  on  a 
beau  se  dire  même  que  tous  ces  récits  sont  des  faits  divers  du 
lemps,  que  Marguerite  a  mis  à  les  raconter  plus  de  lad  qu'il 
n'y  en  a  dans  les  Cent  Nouvelles  nouvelles  ou  dans  Rabelais, 
on  reste  un  peu  étonné  que  la  dévote  et  religieuse  princesse  (i), 
dont  les  poésies  nous  disant  l'élévation,  se  soil  avisée,  voulant 
pour  se  distraire  nous  raconter  soixante-douze  histoires,  de 
nous  raconter  une  quarantaine  d'adultères.  Je  sais  (pi'une 
dizaine  sont  le  fait  de  prêtres  ou  de  «  cordeliers  ».  Cela  ne  les 
rend  pas  plus  édifiants.  Ce  goût  du  conte  licencieux,  elle  n'a 
pas  eu  besoin  de  fréquenter  les  libertins  pour  le  développer,  il 
est  vrai.  Mais  aussi  ce  que  je  trouve  d'étonnant  dans^  XHepla- 
iiiéron,  ce  n'est  pas  le  choix  des  contes,  c'est  la  prétention  de 
l'écrivain  à  tirer  de  ces  récits  licencieux  des  conclusions 
morales,  c'est  l'opposition  aussi  entre  ce  livre  et  les  autres 
écrits  de  la  Princesse.  Peut-être  n'est-ce  qu'une  inconséquence 
ou  déformation  d'une  conscience  d'ailleurs  religieuse  par 
l'habitude  de  lectures  trop  libres.  Mais  la  fréquentation 
des  libertins  a  pu  aussi  être  pour  beaucoup  dans  cette  perte 
du  scrupule.  Le  libertin,  arrivé  à  l'union  parfaite  avec  le  Tout, 
perd  la  notion  du  bien  et  du  mal.  Il  réalise  vraiment  en  lui 
cet  amalgame  que  nous  voyons  en  Marguerite  d'un  esprit 
religieux  et  d'une  conscience  peu  délicate.  La  nature,  l'instinct 
se  trouve  représenter  pour  lui  la  volonté  divine  et  il  y  cède 
sans  remords.  Par  une  doctrine  toute  semblable,  Marguerite 
veut  que  la  femme  suive  la  nature  et  fait  de  son  refus  un 

(1)  "  C'étoit  l'une  des  (lames  aussi  devotieuses  qu'on  eust  sceu  veoir  et  qui  avoit 
Dieu  aussi  souvant  en  la  bouche  et  le  craignoit  autant  »  (Brantôme,  VIII,  p-  l'^ô). 


336  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

vice  :  «  C'est  une  gloire  et  cruaulté  par  qui  elles  espèrent 
acquérir  nom  dimmortalité  et  ainsy  se  gloriffjans  de  résister 
au  vice  de  la  loy  de  nature  (si  nature  est  vicieuse)  se  font 
non  seullenient  semblables  aux  bestes  inhumaines  et  cruelles, 
mais  aux  diables  desquelz  elles  prenent  l'orgueil  et  la 
malice  'i)  ». 

Telle  qu'elle  nous  apparaît  dans  les  livrets  des  libertins  et 
dans  les  œuvres  de  Marguerite,  la  doctrine  des  libertins  est 
rclalivement  modérée.  Sans  doute  ils  sont  schismalicjues, 
mais  leurs  idées  nous  semblent  bien  moins  dissolvantes  que 
celles  des  libertins  du  XIV*  siècle,  dont  certaines  sectes  aboutis- 
saient à  l'anarchie  sociale  et  à  l'immoralité.  Ils  admettent  la 
valeur  des  Ecritures  et  la  Rédemption  par  le  Christ.  Et  pourtant 
ils  rejoignent  les  libertins  du  moyen  âge  par  piusiem's  points; 
leur  conception  des  trois  époques  du  développement  religieux, 
leiii"  jirélention  d'être  illuminés  par  l'Esprit,  la  déification  des 
pui-s  et  l'impossibilité  de  pécher,  leur  intei*prétation  mystique 
de  l'Ecriture  —  sans  parler  de  leur  origine  allemande  —  sont 
autant  de  points  par  où  ils  rappellent  les  célèbres  disciples  de 
Eckarl.  Mais  nous  soulevons  là  un  gros  problème,  et  il  nous 
faut,  avant  de  l'examiner  plus  à  fond,  rapporter  la  seconde 
série  de  documents  qui  prétendent  caractériser  leur  doctrine. 

Ce  sont  les  traités  de  Calvin  contre  les  libertins.  Il  y  en  a 
trois  :  le  premier  est  de  1544  et  vise,  semble-t-ii,  les  protes- 
tants libéraux  ou  anabaptistes;  le  second,  de  1545,  est  mani- 
festement dirigé  contre  les  sectes  anabaptistes  très  avancées 
et  filles  de  mysticisme  allemand  :  ce  sont  proprement  les  liber- 
lins  spirituels;  le  troisième,  de  1550,  est  moins  spécial  et  vise 
toutes  les  sortes  d'incrédules  :  ceux  qui  épris  d'humanisme 
dédaignent  l'Evangile;  ceux  qui,  confiants  dans  leur  raison, 
méprisent  la  Révélation;  ceux  qui  dégoûtés  des  scandales  des 

(1)  Heplarnéron,  111»  Jour,  26"  nouvelle,  éd.  Janet,    II,  p.  233. 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  337 

diverses  Eglises  et  des  discussions  dogmatiques  se  sont  sépa- 
rés de  toute  confession  religieuse  (^). 

Calvin  classe  les  anabaptistes  en  deux  catégories  selon 
qu'ils  reçoivent  l'Ecriture  ou  la  rejettent.  Les  premiers  (2)  ou 
modérés  ont  des  théories  communes  avec  les  protestants  sur  la 
Cène,  mais  pour  le  reste  ils  les  dépassent;  ils  réservent  le  bap- 
tême aux  adultes,  ne  veulent  pas  reconnaître  l'autorité  dés 
prêtres  catholiques,  ni  des  pasteurs  protestants,  excluent  le 
chrétien  des  charges  civiles  ou  militaires,  tout  usage  d'armes 
étant  diabolique,  même  celui  de  «  glaive  public  ».  Chose  plus 
grave,  ils  reprennent  sur  la  personne  de  Jésus-Christ  les 
hérésies  des  manichéens  et  des  marcionites,  disant  qu'il  n'était 
pas  un  homme  réel  mais  un  fantôme  et  sur  la  nature  et  le 
destin  de  l'âme  celle  des  Augustiniens  (3) . 

L'autre  secte  est  plus  connue  sous  le  nom  de  libertins  ou 
encore  de  quintinistes,  mais  elle  n'est,,  selon  lui,  qu'une 
branche  plus  avancée  des  anabaptistes  '^).  Ceux-là  sont  les 
libertins  qui  lui  avaient  été  signalés  par  les  pasteurs  du  Nord 
et  de  l'Est  ^^K  Leur  hérésie  «  née  depuis  vingts  ans  en  çà  » 
est  tellement  grave  «  qu'il  n'y  a  homme  de  sain  jugement  qui 
y  puisse  penser  sans  en  avoir  horreur  (s)  ». 

(i)  Voici  le  titre  de  ces  trois  traités  :  1°  Briejve  instruction  pour  armer  tous  bons 
fidèles  contre  les  erreurs  de  la  secte  des  anabaptistes,  1544;  2»  Contre  la  secte 
phantasllque  et  furieuse  des  libertins  qui  se  nomment  spirituels,  1545;  3°  Des  scan- 
dales qui  empêchent  aujourd'hui  beaucoup  de  gens  de  venir  à  la  pure  doctrine  de 
l'Evangile  et  en.  débauchent  d'autres,  1550.  Ce  dernier  traité  est  réservé,  vu  son 
importance,  pour  la  fin  de  ce  chapitre. 

(2)  C'est  contre  eux  que  Calvin  écrit  son  premier  traité.  Il  classe  leurs  erreurs 
en  neuf  articles,  Briefve  instruction  pour  armer  tous  bons  fidèles  contre  les 
erreurs  de  la  secte  des  anabaptistes,  opuscules,  p.  579-646,  ou  dans  l'édition 
Brunswick,  VII,  p.  50-151. 

(3)  Voir  plus  loin  l'étude  sur  cette  dernière  hérésie  à  propos  de  la  Psycho- 
pannichie  de  Calvin. 

(4)  C'est  pourquoi  tout  en  leur  conservant  leur  nom  de  libertins  spirituels,  nous 
les  séparons  des  libertins  décrits  par  Fumée  et  par  Calvin  dans  le  De  scandalis. 
Notons  cependant  que  Florimond  de  R.emond  semble  les  assimiler  à  ces  derniers. 
Il  en  fait  des  «  mocqueurs  de  toutes  les  religions  »,  les  appelle  des  «  lucianistes  » 
et  leur  prête  comme  leur  évangile  le  Livre  des  trois  imposteurs  (Naissance  et 
progrès  de  l'hérésie,  p.  236). 

(5)  Il  dit  lui-même  que  c'est  pour  répondre  à  leurs  vœux  qu'il  a  composé  cet 
opuscule  (Opéra,  éd.  Brunswick,  VII,  p.  152-274). 

(6)  Contre  la  secte  phantasllque  et  furieuse  des  libertins  qui  se  nomment  spiri- 
tuels, I. 

22 


338  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Ils  on(  bien  des  traits  semblables  et  des  doctrines  communes 
à  celles  que  nous  avons  relevées  dans  les  traités  publiés  par 
MM.  E.  Picot  et  Gh.  Schmidt.  D'abord  «  ils  ont  un  langage  si 
estrange  que  ceux  qui  les  oyent  en  sont  estonnés  du  premier 
coup  '1)  ».  ((  Ils  gazouillent,  dit-il  plus  loin,  tellement  qu'on 
n'y  entend  quasi  non  plus  qu'au  chant  des  oiseaux  (2)  ».  Eux 
aussi  interprètent  allégoriquement  l'Ecriture  (3).  Us  sont 
doubles,  catholiques  en  apparence  «  pour  ce  que...  toutes 
choses  externes  sont  en  la  liberté  du  chrestien  ^^^  »  et  dissimu- 
lant leur  inci-édulité  réelle.  Comme  les  premiers  encore,  ils 
vi\  ent  sous  le  règne  de  l'esprit,  en  parlant  à  tout  propos  ^^K 
Quant  au  Christ  ils  recourent  à  la  distinction  entre  le  Christ 
historique  et  le  Christ  spirituel.  Le  premier  n'est  qu'un  ((  phan- 
tosme  »  dont  ils  magnifient  la  vertu,  mais  dont  ils  nient  la 
mission  rédemptrice;  il  a  été  «  comme  un  patron  seulement 
auquel  nous  contemplons  les  choses  que  l'Escriture  requiert  à 
nostre  salut  ».  Tout  ce  qu'il  a  l'ait  et  souffert  <(  n'est  qu'une 
farce  ou  une  moralité  jouée  sur  un  eschaffaud  pour  nous 
figurer  le  mystère  de  nostre  salut  *6)  »,  Mais  maintenant  les  illu- 
minés sont  tous  ('hrist,  car  ce  qui  a  été  fait  en  lui  a  été  fait 
en  nous  '"'. 

Si  par  la  partie  modérée  de  leurs  théories  ils  s'accordent 
avec  les  libertins  de  l'entourage  de  Marguerite,  par  les  consé- 
quences radicales  qu'ils  en  tirent  ils  sont  les  successeurs  des 


(1)  Ibid  .  II.  .\  la  fin  du  traité  (XXIV),  Calvin  donne  plusieurs  exemples  de  la 
façon  de  parler  de  Pocque  et  après  chaque  alinéa  traduit  en  langage  ordinaire. 
Je  ne  pense  pas  (jue  ce  soit  un  vrai  sermon  de  Pocque,  mais  plutôt  un  pastiche. 

(2)  Ibid..  VII. 

(3)  «  Ils  l'ont  convertie  en  allégories,  cherchant  des  sens  esgarez  à  travers 
champs,  faisans  d'un  homme  un  cheval  et  cornes  de  lanternes  d'une  nuée  •> 
{Ibid.,  VII).  Ils  tiennent  <■  pour  principe  que  l'Escriture  prinse  en  son  sens  naturel 
n'est  que  lettre  morte  et  qui  occist  et  pourtant  qu'il  la  faut  laisser  pour  venir  à 
l'Esprit  vivifiant  »  {Ibid.,  IX). 

(4)  Ibid.,  VIII. 

(5)  «  Comme  les  curés  de  village  font  quelque  fois  servir  un  marmouset  qui  .sera 
en  leur  paroisse  à  cinq  ou  si.\  sainctz  pour  avoir  autant  d'offrandes  diverses  » 
(Ibid..  XI). 

(6)  Ibid.,  XVII. 

(7)  Calvin  s'amuse  de  ces  idées  en  racontant  des  histoires  arrivées  à  Quintin 
dans  le  patois  picard  du  chef  des  libertins  {Ibid.,  XVIII). 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  339 

secLes  mystiques  du  moyen  âge  (i)  et  spécialement  des  frères 
du  libre-esprit.  Déjà  Tidée  qu'ils  se  font  de  Jésus-Christ  et  de 
la  Rédemption  a  son  origine  dans  la  philosophie  de  Jean  Scot 
Erigène.  Pour  eux  comme  pour  lui  Jésus  n'est  plus  qu'un 
symbole  et  un  modèle  de  l'homme  racheté  par  son  accès  au 
divin.  Mais  pour  participer  à  la  vie  divine  l'homme  n'a  plus 
besoin  des  mérites  du  Christ  ni  de  la  grâce  :  (c  les  mystères  de 
la  religion  disparaissent  devant  l'explication  rationnelle. 
L'abîme  qui  séparait  le  créateur  de  la  créature,  Dieu  et  la 
nature,  se  comble  à  tout  jamais...,  il  n'y  a  point  de  médiateur 
entre  Dieu  et  l'homme,  l'homme  n'a  qu'à  prendre  conscience 
de  soi  pour  trouver  Dieu...;  l'intermédiaire  traditionnel  entre 
la  divinité  et  le  chrétien,  l'Eglise,,  perd  ses  privilèges  et  sa 
dignité  :  tout  homme  est  égal  au  Christ  (2)  ». 

La  liberté  que  leur  donne  l'esprit  est  complète  et  ne  connaît 
pas  de  loi,  pas  même  celles  de  la  morale,  selon  Calvin  :  «  Mais 
après  avoir  ainsi  exumé  leurs  hauts  proèmes  ils  tombent  incon- 
tinent en  cest  abysme  d'induire  le  monde  à  une  vie  brutale  sans 
rien  discerner  >\  et  la  liberté  qu'ils  promettent  est  absolue, 
comme  si  l'homme  <(  n'estoit  subjet  à  la  loy  ni  raison  (3)  »  Pires 
en  cela  que  les  manichéens,  ils  suppriment  toute  purification 
préparatoire  à  la  vie  parfaite,  ils  se  contentent  de  «  fermer  les 
yeux  pour  ne  plus  discerner  entre  le  bien  et  le  mal  et  endormir 
leur  conscience  afin  de  n'avoir  plus  nulle  crainte  de  l'enfer, 
et  alors  ils  sont  plus  netz  que  anges  (*'  ».  La  passion  étant 
sainte,   ils  proclament  le  c(  mariage  spirituel   »,   c'est-à-dire 


(1)  Nrjus  avions  d'abord  préparé  un  chapitre  spécial  sur  ces  sectes  du  moyen 
âge  où  nous  voyons  la  source  des  doctrines  que  nous  examinons  en  ce  moment. 
Mais  comme  il  nous  est  impossible  d'en  suivre  ici  le  développement  depuis  le 
XIV*"  au  XVI«  siècle,  il  nous  a  paru  plus  simple  d'indiquer  seulement  les  rappro- 
chements qui  s'imposent.  Pour  une  étude  plus  ample,  voir  Delacroix,  du  Plessis 
D'.\RGENTRÉ,  Op.  dt-:  Florimond  de  R/EMOND,  Xai^saitce  et  progrès  de  l'hérésie, 
chap.  II:  Du  Préau.  Eieiirhiis  h%reticoriim,  p.  253-254  (ne  fait  que  résumer  Calvin); 
Pekrjexs.  Les  libertins  au  XVll<i  siècle,  introduction;  Encyclopédie  des  sciei^ces 
religieuses  de  Lichtenberger,  art.  libertins  (par  Ch.  Dardier.  1880). 

(2)  Delacroix,  Essai  .tiir  le  mysticisme  allemand,  p.  30-31. 

(3)  Contre  la   secte  iJhantasliiiue  des  libertins,   II,  p.  649. 

(4)  Ibid.,  III. 


340  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

l'union  libre  (^)  :  les  «  saints  »  étant  tous  frères,  ils  établissent 
le  communisme  (2). 

Dieu  en  effet,  pour  les  libertins  de  Calvin  comme  pour  les 
disciples  d'Eckart,  est  l'auleui^  de  tous  nos  actes  et  les  sanc- 
tifie tous  :  ((  Geste  grosse  louasse  de  Quintin  se  trouva  une  fois 
en  mie  rue  où  on  avait  tué  un  homme  :  il  y  avait  là  d'aventure 
quelque  fidèle  qui  dist  :  Helas  !  qui  a  faist  ce  méchant  acte  ? 
Incontinemment  il  respondit  en  son  picanl  :  Puy  que  lu  le 
veu  savoir  cha  esté  my.  L'autre  comme  tout  estonné,,  luy  dit  : 
Comment  seriez -vous  bien  si  lasclie  ?  A  quoy  il  replica  :  Che 
ne  suis-je  mye,  chet  Dieu.  Comment  ?  dict  l'autre  :  Faut-il 
imputer  à  Dieu  les  crimes  qu'il  commande  estre  punis  ?  Adonc 
ce  pouacre  dégorge  plus  fort  son  venin,  disant  :  Ouy,  chet 
my,  chet  Dieu.  Car  che  que  ty  ou  my  toisons,  chet  Dieu  qui 
le  foit  et  che  que  Dieu  foit  nous  le  toisons,  pourche  qu'il  est 
en  nous  '^^  )). 

Ainsi  pensaient  les  bégards  hétérodoxes  :  «  La  perfection 
affranchit  l'âme  de  toute  loi,  de  toute  obéissance...,  aussi  peut- 
elle  donner  au  corps  ce  qui  lui  plait;  nul  péché,  nul  défaut  ne 
saurait  l'atteindre...  Dieu  veut  ce  que  la  nature  demande  (^)  ». 
On  devine  ce  que  pouvaient  produire  de  pareilles  théories. 
Tandis  que  certains  groupements  de  bégards  cl  les  ortlibiens 
arrivent  à  une  vie  contemplative  très  pure,  absorbés  par  la 
contemplation  intérieure  et  perdus  dans  le  «  néant  divin  », 
les  autres,,  les  frères  du  libre-esprit  surtout,  s'abandonnent 
sans  remords  à  tous  les  caprices  de  la  chair.  «  L'instinct  est 
une  volonté  supérieure  que  son  apreté  même  consacre,   un 

(1)  Ibid..  ch.  XXI.  Comparer  Florimnnd  de  R/EMOND.  Naissance  et  progrès  de 
l'hérésie,  ch.  Il,  p.  l/iS-l-lO.  ><  Il  y  en  a  qui  se  nomment  les  libres  :...  ce  sont 
ceux  qui  disent  le  mariage  estre  spirituel  et  mettent  les  femmes  en  commun, 
avec  ceste  bnatale  opinion  que  ce  meslange  est  .sans  péché...  Ces  libres  enseignent 
que  toute  femme  doit  accorder  par  charité  ce  qu'un  homme  de  sa  religion  lui 
demande,  lors  qu'inspiré  de  Dieu,  il  luy  dit  :  mon  esprit  convoite  ta  chair  ». 
Florimond  de  Rsemond  les  compare  aux  gnostiques  et  aux  nicolaites. 

(2)  Contre  la  secte  ■phantastlqut...  des  libertins,  XIII. 

(3)  Ibid..  ch.  XXII. 

(4)  Delacroix,  op.  cit.,  ch.  IV.  M.  Delacroix  constate  que  pour  les  sectes  du 
XlVe  siècle  en  question  cette  liberté  vaut  aussi  contre  la  propriété,  comme  chez 
les  libertins  de  Calvin.  ' 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  341 

dieu  de  chair  qui  s'apaise  dans  la  chair...;  son  énergie  tour- 
mentée et  insatiable  figure  la  spontanéité  créatrice...  On  peut 
impunément  prêter  obéissance  à  ses  désirs,  se  laisser  aller  à 
toutes  les  mollesses,  à  toutes  les  perversités,  Le  corps  ne  pèche 
point  (^)  ».  1 

C'est  qu'au  fond  cette  identification  de  Dieu  et  de  l'homme 
repose  sur  une  conception  panthéiste  du  monde.  Le  mani- 
chéisme avec  ses  deux  principes;  le  monde  et  les  créatures  qui 
ne  sont  rien  que  le  «  cuider  »  et  Dieu  qui  est  tout,  l'âme  par- 
celle du  tout  réintégrée  dans  le  tout  et  ainsi  divinisée  par  l'ini- 
tiation à  la  gnose,  la  vie  future  consistant  dans  l'absorption 
de  1  âme  en  la  divinité  en  sorte  que  l'enfer  et  tout  espoir  de 
récompense  personnelle  disparaît,  tel  est  le  fondement  de  leur 
doctrine  '--K  Et  Calvin  leur  trouve  des  ancêtres  chez  Cerdo, 
-Marcion,  les  gnostiques,  les  sectes  de  Valentin  el  d'Ap- 
pelles,  les  manichéens.  Et  en  dernière  analyse,  c'est  bien  là 
qu'est  leur  origine;  mais  plus  près  d'eux,  Amaury  de  Bène  au 
XIIP  siècle  et  Eckart  au  XIV^  avaient  transformé  les  idées 
d'Erigène   «    en   une   religion   populaire    à   forme   panthéis- 


(1)  Delacroix,  op.  cit.,  ch.  vi,  p.  65. 

(2)  "  Quant  à  Dieu  et  à  la  substance  des  âmes,  combien  qu'ilz  ne  parlent  pas 
du  tout  comme  les  manichéens,  toutefois  ce  qu'ilz  babillent  entre  leurs  dens 
revient  là  :  il  n'y  a  qu'un  Dieu  qui  est  Dieu  et  de  l'autre  caste,  le  monde;  que 
toutes  créatures  ne  sont  rien  sinon  que  l'esprit  de  Dieu,  estant  aux  hommes,  les 
maintient  jusqu'à  ce  qu'il  s'en  retire  :  et  ce  qu'ilz  ont  outre  cela  n'est  que  monde 
ou  Sathan  ou  rien.  Si  un  homme  est  de  leur  secte,  ilz  le  font  Dieu,  disans  que 
son  ame  est  l'esprit  de  Dieu,  sinon  ilz  n'en  tiennent  compte,  non  plus  que  d'un 
cheval,  pource  qu'il  n'y  a  en  luy  que  le  monde,  qui  n'est  rien.  Que  si  on  les 
poursuit  au  vif,  on  trouvera  qu'ilz  bastissent  tous  leurs  songes  sur  le  fondement 
des  manichéens  touchant  les  deu\  principes...  Tout  ce  que  les  chrestiens  tiennent 
de  la  vie  éternelle  et  de  la  résurrection  ne  leur  est  que  fable  car  leur  fantasie 
est  que  l'ame  de  l'iiomme.  qui  est  Dieu,  s'en  retourne  à  soymesme  quand  ce  vient 
à  la  mort  :  non  pas  a  fin  qu'elle  vive  comme  ame  humaine,  mais  que  Dieu  vive 
comme  il  a  faict  dès  le  commencement  »  {Contre  la  secte...  des  libertins.  IV:  cf. 
ibid.,  XII).  "  Hz  se  mocquent  de  toute  l'espérance  que  nous  avons  de  ressusciter, 
disent  que  ce  que  nous  attendons  est  desjà  advenu...  :  que  son  ame  (de  l'homme) 
n'est  que  l'Esprit  immortel  qui  est  toujours  vivant  au  ciel  :  et  que  Jesus-Christ 
par  sa  mort  a  aboly  le  cuider....  qu'il  ne  reste  plus  rien  après  que  le  cuider  est 
aboly  et  qu'il  sufîist  que  l'esprit  s'en  retourne  à  Dieu  en  partant  du  corps.  Car 
adonc,...  il  est  en  son  droit  lieu  et  en  sa  perfection  »  {Contre  la  secte  phantastique... 
des  Uhrrfin.-;.   XXIII). 


342  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

tique  ">  »,  faisant  de  Dieu  l'Etre  un  sans  personnalité  (^',  sans 
conscience  même  du  monde,  et  de  l'âme  ime  émanation  éter- 
nelle et  inséparable  de  Dieu*^),  de  la  vie  religieuse  la  compré- 
hension directe,  sans  prière,,  sans  rites,  sans  intermédiaires 
d'aucune  sorte,  du  divin  par  l'âme  humaine,  remplaçant  l'auto- 
rité par  la  spontanéité  et  l'Eglise  par  la  gnose  <^\  traitant  de 
mythes  les  récompenses  et  les  peines  de  l'autre  vie  (^). 

Le  seul  rapprochement  des  théories  libertines  et  des  rêveries 
mystiques  suffirait  à  répondre  à  la  thèse  de  AI.  Jaujard. 
M.  Jaujard  ne  veut  juger  les  libertins  que  d'après  les  opuscules 
publiés  par  M.  Schmidt  et  il  en  conclut  qu'ils  n'ont  jamais 
professé  la  doctrine  panthéiste  et  immorale  que  leur  attribue 
Calvin.  Ces  accusations,  dit-il,  «  sont  dues  à  la  seule  exagé- 
ration du  réformateur  de  Genève  (^^  »  qui  a  tiré  de  leurs  doc- 
trines connues  des  conséquences  antisociales  et  immorales, 
logiques,  mais  auxquelles  ils  ne  songeaient  pas  c^).  Il  fau(h'ait 
donc  croire  que  Calvin  a  inventé  toutes  les  horreurs  qu'il 
leur  prête  et  qu'il  les  a  ainsi  calomniés  ?  Comment  expliquer 
alors  que  ces  théories  s'accordent  si  bien  avec  les  pratiques 
des  sectes  répandues  sur  le  Rhin  et  dans  les  Pays-Bas  d'où  ils 
viennent  ?  Comment  expliquer  les  scrupules  de  Calvin  qui  ne 
se  résout  à  les  attaquer  que  sur  la  prière  réitérée  des  «  bons 

(1)  Delacroix,  op.  cit..  ch.  il  et  VU.  J> 

(2)  Voir  sur  ce  sujet  les  belles  pages  de  M.  Delacroix,  op.  cit.,  ch.  VII  :  Dieu  j 
est  indéterminé,  il  e.st  l'indétermination  même,  le  néant  si  l'on  peut  dire,  en  ce  *'" 
sens  que  son  Etre  est  au-dessus  de  toute  détermination  de  l'Etre  et  de  l'Etre  lui- 
mêmo  :  «  La  divinité  ne  connaît  rien  et  ne  se  connaît  pas  soi-même  :  tout*  diffé- 
rence s'efface  en  elle,  toute  distinction  d'être  ou  de  personne  s'évanouit  ;  sa 
pureté  absolue  ne  se  trouble  point.  Elle  est  un  désert  silencieux  oil  rien  no 
murmure  ni   n 'apparaît  ;   éternellement  ensevelie  dans   les  ténèbres,  elle  y  dort 

un  grand  sommeil  et  ne  songe  pas  »  (page  175).  Voir  aussi  tout  le  livre  de  Jundt,  ;; 

Histoire  du  panthéisme  populaire  au  moyen  âge  et  au  XF/»  sKrlc,  in-8°,  Stras- 
bourg, 1S75.  Sur  ce  Bicu-N'éant,  voir  la  théorie  des  premiers  gnostiques  dans 
Mgr  DL'CHESNe,  Les  orifjinr.^  rttrctlennes,  p.  Ii7  (système  de  Basilide),  Hist.  anc. 
de  l'Eglise,  I,  p.  170,  note. 

(3)  Delacroix,  o;».  cit.,  ch.  vu,  passlm. 

(4)  ".  L'homme  n'a  plus  qu'à  prendre  conscience  de   soi   pour  trouver   Dieu    •> 
(Delacroix,  op.  cit.,  p.  29).  , 

(5)  lf)ld  .  ch   IL  ^l 

(6)  Jaujard,  Essai  sur  les  libertins  spirituels,  préface,  p.  5.  ^v 
(1)  Ibid.,  ch.  V,  Les  libertin.s  et  Calvin.  < 


LES    LIBERTINS    SPIRITUELS  343 

fidèles  »  et  «  pour  le  salul  de  beaucoup  de  povres  âmes  O  ?  )>. 
Ces  libertins,  il  les  connaît  par  les  rapports  des  pasteurs  du 
Nord  et  de  l'Est,  par  X'alerand  Poullain,  par  le  «  saint  martyr 
de  Jésus-Christ  »,  Estienne  de  la  Forge  (2),  et  nous  avons  dit 
avec  quelle  terreur  ils  les  lui  ont  signalés  :  se  sont-ils  aussi 
trompés  ?  Il  a  reçu  chez  lui  Ant.  Pocque  lui-même  et  lui  a 
refusé  des  lettres  de  recommandation  (3)  ;  il  a  disputé  contre 
Ouintin  (^),  Avant  même  l'arrivée  des  chefs  des  libertins,  Genève 
a  vu  accourir  des  Pays-Bas  plusieurs  de  leurs  disciples  et  cest 
Calvin  qui,  au  témoignage  de  Bèze,  «  les  seut  si  bien  et  heu- 
reusement manier  en  dispute  publique...  que  dès  lors  la  race 
en  fut  perdue  en  ceste  église  (^)  ».  Dès  lors  pourquoi  traiter 
Calvin  de  calomniateur,,  afin  de  sauver  la  réputation  des  quin- 
tinistes  ^^^  ?  Il  est  un  moyen  facile  d'accorder  les  témoignages 
fournis  par  les  libertins  et  les  accusations  de  leur  adversaire  : 
outre  que  leur  habitude  de  dissimulation  nous  permet  de  sup- 
poser qu'ils  n'écrivaient  pas  tout  ce  qu'ils  disaient,  on  peut 
distinguer,  avec  Calvin  et  avec  tous  leurs  historiens,  plusieurs 
sectes  c^),  les  unes  tout  près  du  protestantisme,  les  autres  ver- 
sées dans  l'illuminisme,   mais  contraignant  la  liberté  spiri- 


(1)  Contre  la  secte...  des  anabaptistes,  début  {Opuscules,  p.  579).  Il  expose  les 
mêmes  scrupules  dans  sa  lettre  à  Marguerite  d»e  1545,  France  protestante, 
2e  édit.,  III,  p.  588.589;  Calvini  opéra,  XII,  p.  66. 

(2)  Contre  la  secte...  des  libertins,  IV,  XIII.  Et.  de  la  Forge  fut  brûlé  en  1535, 
après-  l'affaire  des  Placards. 

(3)  Ibid.,  IV. 

(4)  Ibid.,  VII. 

(5)  Cité  par  Doumergue,  Calvin.  II.  242. 

(^)  ViRET  (De  ministerio  verbi)  estime  aussi  qu'ils  font  revivre  les  gnostiques  et 
les  valentiniens.  Bullinger  (Contra  anabaptistas,  lib.  II)  dit  qu'ils  font  Eieu 
auteur  du  péché  (d'après  Du  Pré.\u,  Elenclms  hereticoruni,  p.  253-254).  Ces  témoi- 
gnages confirment  ceux  de  Calvin. 

(7)  Florimond  de  R.emond  en  a  essaj^é  une  classification  {yaissance  et  progrès,... 
p.  150  et  suiv.).  En  voici  le  résumé  :  les  purs,  qui  ont  effacé  dans  le  Pater  la 
prière  :  Pardonnez-nous  nos  offenses,  croyant  qu'ils  ne  peuvent  plus  pécher-,  — 
les  faisans,  qui  ne  veulent  pas  dire  leur  religion-,  —  les  séi>arés,  qui  vivent  en 
ermites;  —  les  prians,  —  les  ravis,  dont  le  seul  nom  est  un  programme;  —  les 
libres,  qui  professent  la  communauté  des  femmes  et  réhabilitent  la  passion;  —  les 
muntzériques,  qui  ne  croient  pas  à  l'humanité  de  Jésus-Christ;  —  les  adamites 
(cf.  B.4YLE,  art.  Adamites,  Picards,  Turlupins)  ;  —  les  davidiques,  disciples  de 
David  George  ou  Joris;  —  les  déistes  ou  antitrinitaires,  disciples  de  Servet;  — 
les  orebites,  qui  niaient  la  filiation  éternelle  du  Christ;  —  enfin,  les  quintinisfes 
(p.  236). 


344  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

tuelle  par  la  pratique  de  l'ascétisme  le  plus  rigoureux,  les 
autres  enfin,  par  une  issue  contraire  mais  aussi  logique, 
retombant  des  hauteurs  de  mysticisme  spéculatif  dans  le  culte 
de  la  chair  :  «  qui  veut  faire  l'ange  fait  la  bète  (')  ». 

Ainsi  par  la  même  contrariété  apparente  nous  pouvons 
expliquer  comment  les  doctrines  mystiques  les  plus  élevées 
arrivent  en  fait  au  môme  résultat  dogmatique  que  le  culte  le 
plus  sévère  de  la  Raison  (2).  Le  but  en  effet  de  la  discipline 
mystique,  c'est  l'union  directe  de  l'âme  à  Dieu  et  le  premier 
résultat,  la  suppression  de  tous  les  intermédiaires  tradi- 
tionnels. La  contenqjlation  de  l'Etre  où  s'absorbent  les  gnos- 
tiques  leur  fait  vite  supprimer  l'individualité  de  Dieu,  et  l'auto- 
rité qu'ils  prêtent  à  leur  méditation  rend  inutile  toute  révéla- 
tion. Surtout  un  pareil  état  d'esprit  me  semble  être  le  dissol- 
vant le  plus  h)i-t  de  tout  dogme  précis,  et  de  toute  égUse  cons- 
tituée :  ((  En  un  pareil  système.,  conclut  M.  Lichtenberger, 
il  semble  en  bonne  logique  qu'il  n'y  ait  plus  de  place  pour  les 
dogmes  chrétiens  '3)  ».  L'individualisme,  c'est-à-dire  la  raison 
et  même  la  sensibilité  de  chacun,  se  substitue  à  l'autorité. 
N'est-ce  pas  Jean  Scot  Erigène  —  «  le  patriarche  des  libres 
penseurs  et  des  panthéistes  »  —  qui  proclamait  que  «  toute 
autorité  qui  n'est  pas  avouée  par  la  raison  est  sans  valeur  » 
tandis  que  «  la  raison,  invinciblement  appuyée  sur  sa  propre 
force,  n'a  besoin  de  la  confirmation  d'aucune  autorité  (^)  »  ? 
Et  voilà  comment  les  mystiques  rejoignent  les  rationalistes  et 
comment  Calvin  a  pu  donner  le  même  nom  de  libertins  aux 
descendants  (hi  suave  Eckarl  et  du  doux  Tauler  et  à  ceux  du 
grave  Aristote. 

Il)  Pour  rhistolre  de  ces  sectes  variées  et  que  l'avènement  de  la  Réforme  a 
multipliées  sans  cesse,  nous  ne  pouvons  l'entreprendre  ici;  on  en  trouvera  les 
éléments  dans  Bossuet,  Histoire  des  variations,  XI;  Du  Ptessis  d'Artjentré.  1er  vol., 
passim  et  surtout  le  livre  de  M.  Dklaokoix  que  j'ai  tant  cité;  et  Buisson,  Cas- 
tcllion,  II  qui  moniro  bien  la  logique  qui  unit  l'analiaptisme  à  l'esprit  de  la 
Réforme. 

(2)  "  Rationalisme  et  mysticisme  au  moyen  à.ife  tendent  éjialement  à  l'unité 
moniste.  De  là  vient  qu'à  cette  époque  le  mysticisme  exerce  sur  le  dogme  une 
intluence  non  moins  redoutable  que  la  critique  rationnelle.  De  là  vient  qu'en 
I-'rance.  mysticisme  et  panthéisme  sont  plus  d'une  fois  des  termes  synonymes  » 
(Ah    Lkkra.nc,   Hevue  des  cours  cl  conlérences.  1910-1911,  l*"""  vol.,  p.   101). 

(3)  llevue  des  cours  el  coriférences,  19  mai  1910,  p.  Vi2. 

Cil  nié  par  M,  A.  LEFRANC,  Ileviie  des  cours  et  conférences,  u  jullle'.  1910,  p.  818. 


CHAPITRE    XI 
Les    «  Achristes  ». 


Protestants  libéraux  :  les  «  Dormants  ».  —  II.  L'antitrinitarisme  : 
Servet  et  ses  disciples  français.  —  III.  Celse  et  Julien.  —  lY.  L'évhémé- 
risme  :  sources  antiques  et  italiennes.  Développement  en  France.  — 
Y.  Conclusion  du  rationalisme  théologique  :  la  lettre  de  Fumée  (1542) 
et  la  réponse  de  Calvin  [Traité  des  Scandales,  1550).  Conclusion  de  la 
première  partie. 


1 


Ouaiid  Calvin  luttait  si  vigoureusement  contre  les  libertins  (i', 
il  était  certes  sincère;  pourrait-on  dire  qu'il  était  logique? 
A  son  point  de  vue,  oui,  puisque  son  œuvre  a  été  précisément 
d'imposer  un  credo  défini  et  une  règle  de  foi  fondée  sur  la 
Révélation  aux  intelligences  éprises  d'individualisme  et  de 
raison.  Il  sauvegardait  ainsi  un  minimum  de  dogmes  sans 
lesquels  il  n'y  avait  plus  de  Révélation,  et  il  les  imposa  avec 
dautant  plus  d'àpreté  qu'il  avait  réduit  ses  exigences  doctri- 
nales à  la  limite  du  christianisme. 

Mais  la  partie  du  monde  protestant  qui  s'agitait  en  dehors 
de  son  influence  était  allée  d'un  bond  aux  extrêmes  et  l'Alle- 
magne  avait  vu  naître   du  luthéranisme  ou  renaître  à  son 


(1)  La  lutte  continua  après  1550.  C'est  évidemment  un  libertin  que  ce  Hollandais 
qui  soutenait  que  «  tout  le  christianisme  institué  par  Jésus  lui-même  consistait 
à  aimer  Dieu  et  son  prochain  »,  excluant  toute»  les  céi^émonies  du  culte  et  toute 
prière.  Calvin  éc^i^^t  contre  lui  la  Rexponse  à  un  certain  Hollandais,  lequel  sous 
ombre  de  faire  les  chrcstiens  tout  spirituels  leur  permet  de  polluer  leurs  eorps  eu 
toutes  idolâtries,  Genève,  Crespin,  MCLXII.  Il  y  rappelle  que,  en  plus  de  l'amour, 
la  révélation  impose  la  foi.  la  prière,  l'obsei-vation  des  commandements  [France 
protestante,  m,  p.  615-616). 


346  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

soiitïie  une  infinité  de  sectes  nettement  anticlirétiennes  ou 
antisociales,  dont  l'éclosion  soudaine  marqua  pour  les  yeux 
clairvoyants  le  terme  dernier  du  mouvement  de  la  Réforme  : 
le  rationalisme.  Autour  de  Calvin  lui-môme  la  multitude 
n'accepte  pas  toujours  son  autorité,  ni  celle  des  pasteurs  : 
«  >Jous  avons  l'Evangile,  disent-ils,  et  nous  savons  lire  nous 
aussi.  Ouavons-nous  besoin  de  vous  f^)  ?  ».  Ils  n'ont  pas  brisé 
avec  le  pape  pour  en  retrouver  un  autre  en  Calvin  ou  tel  réfor- 
mateur (2). 

El  c'est  ceux-là  qui  avaient  raison  et  comprenaient  le 
mieux  le  sens  de  la  liéforme  contre  les  chefs  de  la  Réforme 
eux-mêmes.  Le  libre  examen  était  le  principe  commun  de  la 
Réforme  et  du  rationalisme  de  la  Renaissance;  appliqué  à 
la  critique  des  textes  sacrés  avec  la  même  rigueur  et  la  même 
méthode  qu'aux  textes  profanes,  il  devait  tuer  l'interprétation 
traditionnelle  (3).  L'aboutissement  de  cette  méthode  devait  être 
de  retrouver  sous  les  rites  particuliers  du  catholicisme  la 
formule  la  plus  générale  de  la  religion  :  le  déisme.  C'est  ce 
que  marque  excellemment  M.  Lecky  :  ((  Il  n'y  a  certainement 
jamais  eu  un  mouvement  qui,  dans  ses  derniers  résultats,  ait 
contribué  aussi  largement  que  la  Réforme  à  l'émancipation 
de  l'esprit  humain  de  toutes  les  terreurs  superstitieuses.  Il 

•  (1)  Freniim  prorsiis  excussit  multitudo  quœ  assueta  e-^t  et  educata  propemodum 
ad  licentiam  :  iiuasi  auctorilatem  pontificiorum  frangondo  vim  verbi  sacramento- 
rum  et  totins  ministorii  evacuarcmus.  Nam  clamant  ;  Teneo  satis  Evangelii,  ipse 
scio  légère,  quorum  mihi  tua  opéra  ?  Pr?Bdica  volentibus  audire.  déferas  eisdem 
oplionem  amploctendi  quod  veliiit  (Capitan  à  Farel,  de  Strasbourg,  juill.  153S, 
Herminjard,  V,  p.  728). 

(2)  "  Quid  animi  vero  putas,  Calvini.  inesae  in  tali  viro  (Carlostadt)  nisi  qiiod  hac 
ratione  quidquid  prius  vindicavit  in  munere  ecclesiastico  sibi  Papa,  lllud  Ipsum 
quisquis  illa  randem,  conatur  vindicare  magistratui  »  ?  Oswald  Myconius  à  Calvin, 
10  février  I5'i2,  Herminjard.  vu  p.  421.  On  trouve  assez  souvent  cette  plainte 
dans  la  correspondance  des  réformés.  Voir  notamment,  Herminjard,  VII,  p.  IQO'i. 

(3)  Saisset,  art,  .sur  Servet  dans  Ilevxic  des  Deux-M07}des,  XI  USAS),  jy.b^G,  618  et 
847;  Baidrillart.  Egl.  Cuth.  lienaiss.  et  Prot..  p,  50;  Lecky,  Jiising...  of  rational., 
I,  p.  58  :  Il  manquait  cx-tte  conviction  (au  début  du  protestantisme.)  que  les  lois 
de  la  raison  jjeuvent  être  appliquées  avec  la  mt^me  impartiale  sévérité  à  toute 
question  théologique  aussi  bien  qu'à  toute  autre  forme  de  raisonnement  {tbid.,  I, 
p,  17.01,  Pour  l'évolution  du  rationalisme  au  sein  du  protestantisme,  voir  Bau- 
drillart,  op.  rit.,  p.  376  et  suiv.  M.  Buisson  montre  fort  bien  aussi  comment 
l'illuminisme  est  l'aboutl.ssfment  du  lilire  examen  pour  certaines  natures  (Cas- 
tei.i.ion,  II.  p    i','i-l'..''i:  rUiSER.  Humaiiiume  et.  Tirfnrme:  lietme  Hist.,  1897). 


LES    ((    ACHRISTES     »  3i7 

a  formé  une  multitude  d'églises  (i)  dans  lesquelles  l'esprit  de 
scepticisme  tempéré  et  adouci  qui  a  été  longtemps  une  source 
d'anarchie  peut  s'étendre  en  liberté  et  s'allier  avec  l'esprit  de 
l'ordre.  Il  a  rejeté  une  immense  partie  des  conceptions  dogma- 
tiques et  rituelles  (jui  avaient  à  la  fin  recouvert  le  champ 
entier  de  la  religion  et  il  a  rendu  possible  le  mouvement  continu 
par  lequel  la  théologie  a  depuis  lors  évolué  vers  la  morale. 
Surtout,  il  a  diminué  le  pouvoir  du  clergé  et  ainsi  préparé  la 
voie  à  la  sécularisation  générale  de  l'esprit  européen  qui  est 
la  marque  la  plus  caractéristique  de  la  civilisation  moderne  (2)  ». 
Avant  l'historien  du  rationalisme,  les  contemporains  mêmes 
de  la  Réforme  l'avaient  bien  senti.  Le  9  mars  1544,  le, pasteur 
Valerand  Poullain  dont  on  a  vu  le  zèle  entre  les  spirituels  se 
justifie  près  de  Calvin  de  ce  qu'il  laisse  les  réformés  fréquenter 
les  réunions  catholiques  dans  les  paroisses  où  le  nouveau 
culte  n'est  pas  organisé  régulièrement.  Calvin  est  sévère  sur 
cet  article  et  voudrait  qu'on  rompe  tout  commerce  avec 
«  l'idolâtrie  ».  Mais  Poullain  est  plus  coulant  :  «  Je  les  laisse, 
dit-il  parce  que  je  crains  qu'ils  ne  deviennent  absolument 
athées  comme  je  l'ai  déjà  remarqué  pour  la  plupart  '3)  ».  Dolet, 
également  hostile  au  catholicisme  et  au  protestantisme,  cons- 
tate que  ce  dernier  a  ruiné  la  religion  '^'.  Postel  fait  de  Luther 
le  père  non  seulement  des  sectes  avancées  nées  de  sa  doctrine, 
mais  même  des  «  impies  et  épicuriens  »  et  juge  les  évangélistes 
aussi  dangereux  que  les  mahométans  <^'.  Fontaine  voit  dans 
le  luthéranisme   un  intermédiaire  naturel*  entre  la   piété  et 

(1)  La  multiplicité  des  églises  a  fortement  contribué  à  troubler  les  consciences 
au  XVIe  siècle.  «  De  tel  changement  en  religion  vient  le  doute  entre  le  petit 
peuple,  du  doute  la  variation,  de  la  variation  l'incertitude  de  ce  qu'il  doit  croire, 
de  l'incertitude  une  malheureuse  fin,  qui  est  de  croire  que  la  religion  ne  consiste 
qu'en  opinion,  dont  s'ensuit  après  l'athéisme  »  (Marillac,  cité  par  Desjardins, 
Sentiments  moraux  au  XVIc  sièele,  p.  58-59).  En  France,  particulièrement,  les 
guerres  religieuses  furent  désastreuses  à  ce  point  de  vue.  Voir  entre  autres  témoi- 
gnages celui  de  Castelnau,  Mémoires,  année  1563. 

(2)  Lecky,  liisin'j...  of  Bat.,  I,  p.  57-58  autres  textes,  I,  p.  364-365;  I,  175  et  sulv. 

(3)  Idque  adeo  faciebam,  quod  vererer  ipsos  omnino  fleri  v.O-'-.j^  ,  quod  jam 
in  plerisque  perspexeram  (Herminjard,  Correspond.,  IX,  1334,  p.  179).  "AO-aç  pour 
V.  Poullain.  veut  dire,  vraiseml)lablement,  non  pas  sans  Dieu,  mais  sans  religion. 

(4)  De  imitât,  ciceroiiiana  (1535).  Traduit  dans  France  protestante,  V,  p.  423. 
J'ai  donné  le  texte  'atin  plus  haut,  p.   lî5,  note  l. 

(5)  De  Alcorani...  concordia,  p.  18,  76.  lll   (1543). 


318  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

l'athéisme  (^'.  Montaigne,  enlin,  loue  Bunel  de  sa  prévoyance 
lorsqu'il  devinait  «  par  discours  de  raison  que  ce  commen- 
cement de  maladie  déclinerait  rapidement  en  un  exécrable 
athéisme  »,  le  «  vulgaire  »  étant  par  nature  porté  à  étendre  à 
tous  les  dogmes  les  principes  de  critique  individuelle  et  de 
négation  qu'on  lui  a  fait  exercer  sur  quelques-uns  (2'. 

11  n'est  pas  étonnant  après  cela  que  Calvin  ail  passé  une 
partie  de  sa  vie  à  lutter  contre  ceux  qui  le  dépassaient  :  contre 
les  partisans  de  la  mort  temporaire  de  l'âme  t^',  contre  les 
anabaptistes  ''^\  contre  les  libertins,  contre  les  antitrinitaires, 
contre  les  nouveaux  ariens  (^'. 

Une  partie  de  ces  luttes  a  été-  étudiçe  dans  le  chapitre 
consacrée  aux  libertins.  Il  nous  faut  ici  ébaucher  l'histoire 
des  autres. 

L'une  des  plus  répandues,  semble-t-il,  et  des  plus  curieuses 
parmi  les  sectes  issues  du  protestantisme  fut  celle  des  augus- 
tiniens.  Née  en  Bohême  parmi  les  «  vieux  hussistes  et  récents 
anabaptistes  »,  elle  professait  '^^  que  Jésus-Christ  n'est  pas 
encore  au  ciel  corporellement,  qu'il  n'y  sera  qu'au  jugement 
général,  que,  en  conséquence,  le  ciel  et  l'enfer  sont  »  clos  et 
barrez  »  aux  âmes  et  que  les  âmes  des  trépassés,  en  attendant 
le  jugement,  u  dorment  sans  peine  ny  douleur  ».  Florimond 
de  Rœmond,  à  qui  nous  prenons  ces  détails,  assure  que  Luther 
lui-même  professa  cette  hérésie  dans  son  dernier  ouvrage,  le 
De  enarrationc  super  Genesim  ^"^^  et  Garasse  prétend  même 

'1)  Hlst.  cath.  de  nosire  terniis,  Paris,  1562,  p.  194. 

(2)  Essais,  II,  XII,  édit.  Jouaust,  III.  p.  171-172. 

.(3)  PsuclioixnnUchie. 

14)  Briefve  insti-uction  contre...  la  secte  des  anabaptistes  (154'i).  —  Contre  la 
secte  ptiantastique...  des  libertins  (15i5),  de. 

(b)  Servet  fl5û3),  Blandrata  (1568),  Gentilis  (1561),  Stancari  (1560).  On  trouvera  le 
titre  de  ces  ouvrages  dans  la  France  proieslante.  III.  p.  603,  609.  612  (2c  édit  ),  et 
dans  Bayle  aux  articles  consacrés  à  ces  écrivains. 

(6)  Ij'après  Calvin.  11  y  en  avait  de  deux  .sortes  ;  les  uns  admettaient  que  lame 
soit  une  substance,  mais  qui  s'endort  à  la  mort  et  \>evi\  la  mémoire  et  le  sentiment, 
les  autres  croyaient  que  TAme  n'est  que  le  souffle  de  nos  poumons  et  ne  peut, 
par  (onséqu'ent,  subsister  sans  le  corps,  mais  se  réveillera  avec  lui  (Psycho- 
panntchle.  p.  32). 

(7)  Histoire  de  la  naissance...  de  l'hérésie,  p.  221-222;  Bayle  {DIct..  art.  Luther, 
Rem.  ni))  dit  que  Luther  a.  en  effet,  i)rofesHé  cette  théorie  dans  sa  jeunesse,  mais 
qu'il  la  rectifia  dans  la  suite. 


LES    «    ACHRISTES     »  349 

que  c'est  pour  comballre  Luther  que  Calvin  écrivit  sa  Psycho- 
pannichie  (i).  Cette  dernière  assertion  est  fausse.  L'hérésie  des 
<(  donneurs  »,  comme  les  appelle  Calvin,  était  répandue  dans 
tous  les  groupements  anabaptistes,  aussi  bien  en  France  qu'en 
Allemagne  et  c'est  devant  l'extension  que  prenait  cette  erreur 
parmi  les  protestants  de  France  et  des  provinces  de  l'Eat  que 
Calvin  se  décida  à  écrire  son  livre. 

Il  lavait  commencé  u  sur  les  bancs  de  l'Université 
d'Orléans  (2)  »,  on  ne  sait  à  quelle  occasion.  Peut-être  les  pre- 
miers libertins  avaient-ils  déjà  propagé  cette  hérésie.  Peut- 
être  aussi  Calvin  avait-il  d'abord  entrepris  de  réfuter  les 
rationalistes  italiens  plutôt  que  les  rêveurs  anabaptistes?  Le 
livre  ayant  été  remanié  à  plusieurs  reprises,  il  est  impossible 
de  rien  affirmer.  En  1534,  en  tout  cas,  il  était  terminé.  Mais 
Curione  détourne  Calvin  de  le  publier,  en  lui  représentant  que 
la  publication  du  livre  va  réveiller  des  querelles  assoupies,  et 
il  lui  conseille  de  choisir  un  sujet  plus  sûr  pour  édifier  les 
fidèles  (3).  Calvin  remania  son  livre  l'année  suivante  '-^K  En  1536, 
il  y  fait  une  seconde  préface  (la  première  étant  de  1534),  peut- 
être  en  vue  d'une  édition  qui  n'eut  pas  lieu.  Mais  l'année  sui- 
vante Caroli,  alors  pasteur  à  Lausanne,  se  mit  à  prêcher 
l'hérésie  en  Suisse.  Calvin  l'annonce  à  Mégander,  le  20  février 
1537  '^'.  Viret,  pasteur  lui  aussi  à  Lausanne,  entreprend  de 


(1)  n  cite  d'autres  textes  plus  graves  de  Luther  :  «  Quos  Léo  Pontifex  deflnivit 
articuli  fldei  de  immortalitate  animée  portenta  sunt  »  {Œuvres,  éd.  de  Vlrttemberg- 
1551,  art.  XXII)  et  autres  aux  art.  XXXI,  XLI  de  l'édition  de  1552.  —  Garasse, 
DOCt    cur.,   VIT,   13,   p.   878-879. 

(■3)  France  protestavte,  III,  548. 

(3)  'W.-F.  Capiton  à  J.  Calvin  à  Bâle,  âe  Strasbourg,  fin  1534  (Herminjard,  III, 
n°  490). 

(4)  Il  écrit,  en  effet,  à  Fabri  qui  n'approuvait  pas  tout  ce  qu'y  avait  écrit  Calvin, 
que  Fabri  a  tort  de  juger  son  livre  par  le  manuscrit  qu'il  a  lu  chez  Olivetan, 
que  le  livre  a  subi  de  profonds  remaniements  (Sept.  1535,  Herminjard,  III, 
no  527). 

(5)  Caroli  était  Français.  Originaire  de  Rosay  en  Brie,  docteur  en  théologie, 
prieur  de  Sorbonne,  chanoine  de  Sens.  C'est  un  des  premiers  prêtres  français 
gagnés  à  la  Réforme.  Compromis  dès  1524,  nommé  curé  d'Alençon  par  Marguerite, 
il  s'enfuit  à  Genève  après  l'affaire  des  placards.  Voir  sa  vie  dans  Haag,  France 
protestante,  ir?  édit..  III.  p.  220;  2e  édit.,  III,  p.  770-775;  ou  dans  Doumergue, 
Calvin,  II,  ch.  V,  p.  252  et  suiv.;  Herminjard,  IV,  n"  611. 


350  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

réfuter  Caroli  à  deux  reprises  et  la  seconde  fois  pendant  deux 
jours  argumente  contre  lui  ^^'.  L'expansion  de  cette  erreur  est 
signalée  sur  d'autres  points.  A  Metz  notamment,  en  1538,  on 
noya  deux  hérétiques  dans  la  Moselle  et  on  en  exila  un  troi- 
sième. C'étaient  trois  anabaptist<?s  rebaptisés,  originaires  l'un 
de  Mouzon,  près  Sedan,  l'autre  de  «  Mont  le  Iféry  »,  le  troi- 
sième de  Lille,  ce  dernier  ((  assez  lettré  et  barbier  ».  Tous  trois 
[)rèchaient  le  sommeil  des  âmes  des  défunts,  y  compris  la 
Vierge  Marie  f^).  Calvin  s'émut.  Bucer,  qui  l'avait  jusqu'ici 
dissuadé,  le  presse  de  publier  son  livre.  Le  V  octobre  1538 
lui-même  annonce  à  Antoine  Pignet*'^',  pasteur  à  Ville-la- 
Grand,  près  Genève,  et  son  ancien  condisciple  d'Orléans,  qu'il 
va  faire  imprimer  sa  PsychopannicJiie.  Ant.  Pignet  l'y 
exhorte  '''K  Tandis  que  Calvin  se  préparait  à  défendre  l'immor- 
talité, un  scandale  dont  il  dut  avoir  des  échos  se  produisit  à 
Neufchâtel.  Une  femme  de  la  paroisse  de  Cornaux  nia  ((  la 
résurrection  de  Nostre  Saulveur  Jesus-Christ  et  de  toutz  les 
mortz,  disant  que  l'ame  des  personnes  mourait  avec  le  corps 
et  qu'il  n'y  avait  nulle  différence  entre  l'ame  d'une  beste  et 
celle  d'une  personne  ».  On  l'emprisonna  à  Neufchâtel  ;  le 
dimanche  suivant,  le  pasteur  prêcha  sur  la  résurrection  de 
Jésus-Christ  et  la  nôtre  et  on  obligea  la  paroissienne  à  crier 
merci  dans  l'Eglise  ^5'.  Calvin  épouvanté  lança  sa  Psijchopan- 
n'uhic  qui  parut  à  Strasbourg  en  1542^6) 

Calvin,  après  y  avoir  exposé  la  thèse  qu'il  va  combattre, 
rejette  tout  aussitôt  le  concours  des  sages  et  des  philosophes. 

(1)  28   février-ier   mars   1537.    Récit    dans   une   lettre    de   Megander    à    Biilllnîïer 

(IIERMINJARD,    IV,    n»   616). 

(2)  Calvin  à  Farel,  IIerminjar».  V,  no  743;  Huguenin,  Chronique  de  Metz.  p.  839, 
citée  ibid.,  note  1-2. 

(3)  Herminjard.  V,  7'i9. 

(4)  Herminjard,  VI.  821. 

'5)  Lettre  d'Ant.  Thomassln  au  gouverneur  de  Neufchâtel  (IlERMi.viARr),  VIII, 
n''  1263.  Voir  aussi  VII.  p.  1050). 

(6Î  Vivere  arnid  Christuin.  von  dormive  animis  sanetos  qni  in  flde  Christi  dece- 
dunl.  asserllo  J.  Calvini.  Argentorati.  MDXLII.  —  2"  édition  :  p.iycopannychia 
qua  refellitur  quorumdam  imprritorum  error  qui  animas  poxt  mortem  uaqtie  ad 
ultimum  judtclum  dormire  putam...  (Ibid.,  1545.  Voir  le  titre  complet  dans  France 
proleslatile.  III,  p.  548-549). 


LES    ((    ACHRISTES     »  351 

11  reconnaît  que  Platon  «  a  bien  traité  »  des  facultés  de  l'âme 
et  que  <(  sur  tous  autres  Aristote  en  a  disputé  fort  subtile- 
ment ».  Mais  les  philosophes,  «  comme  ils  ont  accoutumé 
presque  en  toutes  choses  de  discorder,  aussi  s'ebattent-ils 
grandement  entre  eux  en  cet  endroit  »  et  il  est  inutile  de 
chercher  à  savoir  d'eux  la  nature  et  la  destinée  de  l'âme  ^^^ 
C'est  à  la  Bible  donc  que  Calvin  va  demand'er  des  arguments 
ou  plutôt  des  assurances  ([ui  autorisent  la  foi  des  fidèles.  C'est 
du  reste  en  partie  sur  des  textes  des  livres  saints  que  les 
((  dormeurs  »  s'appuyaient  pour  soutenir  leur  erreur. 

En  1544,  Farel  prie  Calvin  de  traduire  en  français  son 
traité  <2).  Calvin  reprend  la  question  et  résume  sa  Psychopan- 
nichie  à  la  fin  de  la  Brièie  instruction  contre  les  anabaptistes; 
mais  la  traduction  française  du  traité  parut  seulement  en 
1558  3)  et  elle  n'est  pas  de  Calvin  lui-même.  D'autres  écrivains 
protestants  s'inquiétaient  aussi  de  l'immortalité.  Nous  ne 
voulons  pas  les  étudier  ici,  puisqu'ils  ne  sont  pas  Français  ; 
pourtant,  il  faut  signaler  \e  traité  de  Mélanchthon  (^)  qu'a  lu 
Rabelais.  11  renouvelle  au  début  le  débat  entre  l'entéléchie  et 
l'endéléchie  et  prend  partie  pour  l'entéléchie  de  Budé  contre 
Cicéron  '=>.  Il  consacre  même  huit  pages  à  réfuter  ce  dernier. 
Puis  une  moitié  du  livre  est  remplie  par  des  détails  de  méde- 
cine s':  l'autre  moitié  étudie  les  facultés  de  l'âme  ("'.  Les  dix 
dernières  pages  abordent  la  question  de  l'immortalité.  Comme 
Calvin,  il  a  recours  aux  textes  scripturaires  et  dédaigne  les 


(1)  Psychop.,  p.  33.  On  reconnaît  ici  l'influence  de  la  philosophie  paclouane. 

(2)  Lettre  du  23  février  1544  (Herminjard,  IX,  p.  1332). 

(3)  Chez  Conrad  Badius  sous  ce  titre  :  Psychopannuchie.  Traitté  par  lequel  est 
prouvé  que  les  âmes  veillent  et  vivent  après  qu'elles  sont  sorties  du  corps,  contre 
l'erreur  de  quelques  ignorans  qui  pensent  qu'elles  dorment  jusques  au  deiTiier 
jugement.  Par  Jean  Calvin.  Nouvellement  trad.  du  Latin  en  François.  MDLVIII, 
petit  info  de  143  pages. 

(4)  Commcntarius  de  Anima  Philip.  Melanth.  (sic).  Viteberga?.  MDXL. 

(5)  P.  22-29,  notamment  p.  25-29. 

(6)  P.  15  à  135. 

(7)  P.   136  à  238. 


352  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

philosophes  c.  Cui'ioiie  aussi  lemplace  Platon  par  saint  Paul  "*'. 
Mais,  il  ne  jait  guère  que  changer  les  noms.  Il  cite  dans  une 
première  partie  pêle-mêle,  Démocrile,  Pythagore,  Platon, 
Cicéron  et  xA.ristote  lui-même,  ((  bien  que  des  philosophes 
vulgaires  {plcbeii)  et  récents  nient  (3'  )>  sa  foi  à  l'immortalité. 
Mais  il  passe  vite  aux  textes  de  l'Ecriture  qui  lui  semblent 
plus  sûrs. 

A'ous  ne  suivrons  pas  Calvin  ni  ses  amis  dans  ces  contro- 
verses toutes  théologiques  ;  la  question  ainsi  posée  sort  du 
domaine  de  la  philosophie.  Mais  si  nous  en  envisageons  les 
résultats,  il  apparaît  que  les  rêveries  des  augustiniens  ne 
purent  qu'aider  le  rationalisme  italien  dans  sa  lutte  contre  le 
dogme  de  l'immortalité  (^'  et  que  Calvin  et  les  protestants  en 
général  accordaient  en  matière  religieuse  beaucoup  plus  de 
poids  à  la  foi  et  à  la  révélation  qu'à  la  raison  (^'.  Cette  défiance 
à  l'égard  de  la  philosophie  était  le  résultat  de  l'extension  du 
rationalisme  padouan. 


(1)  Hcec  dicimus  ex  caelestibus  oraculis,  non  ex  pliilosophorum  disputationibus 
[ibid.,  p.  25-'i). 

(2)  Il  part  du  texte  suivant  :  Ipse  Deus  pacis  vos  totos  emundet  et  integer 
spiritns  vester,  anlmaque  et  corpus  sine  crimine  in  adventu  Domini  Jesu  Christi 
servetur  (/,  Thessal.,  V,  p.  23),  où  l'esprit  est  le  mens  des  philosophes  et  l'âme, 
l'àme  seiisitive.  (C.  S.  Curionis  de  Immorlalitale  animorum  oratio.  imjjrimé  à  la 
suite  de  l'Araneus,  1543.)  Sur  C.  S.,  Curione,  voir  Rodocanachi.  La  licjdriiti'  en 
Italie.   1.  p.  311-314. 

(3)  P.  105. 

(4)  Nous  retrouverons  de  temps  en  temps  l'hérésie  des  aupustiniens.  Servet 
semble  l'avoir  acceptée.  Pour  lui,  l'âme  est  un  composé  de  sang,  de  vapeur  et 
des  éléments  simples  (feu,  air,  eau)  (De  Trinilate  dial  ,  I,  p.  2-25-226).  Son  état 
normal  n'est  pas  d'être  hors  du  corps  comme  l'ont  cru  les  platoniciens  •<  et 
comme  beaucoup  le  croient  encore  »,  mais  d'être  unie  au  corps.  Si  bien  que 
lorsqu'elle  est  privée  de  la  chaleur  corporelle,  elle  devient  plus  faible,  et  comme 
une  ombre  presque  impuissante  et  endormie  en  attendant  la  résurrection  des 
corps  {Ibid..  p.  229). 

'5)  Farel.  exposant  les  études  auxquelles  il  s'est  livré  avant  d'aborder  celle  de 
l'Ecriture,  dit  :  «  cum  Aristofele,  ut  plerlque  omnes  fecere,  chrlstlanus  esse  volui, 
ab  arbore  mala  bonos  ex  se  edere  fructus  sperans  »,  IIerminjard,  Correspond.. 
II.  no  2(»i;  dat^e  de  152?.  Voir  quelques  textes  d'autres  réfurmatours  dans  Bavle, 
Dictionnaire,  art.  Aristute,  rem.  Y. 


LES    (1    ACHRISTES     »  353 


TI 


]\Jais  un  danger  plus  grave  menaçait  la  foi.  Calvin  avait 
entrepris  de  restaurer  quelques  dogmes  du  christianisme, 
bervet,  plus  hardi  ou  plus  logique,  entreprenait  alors  de  res- 
taurer tout  le  christianisme,  selon  le  titre  de  son  grand 
ouvrage  i^'.  Il  en  renouvelait  la  métaphysique  à  l'aide  de  Platon 
(le  Platon  des  alexandrins  et  de  Ficin),  de  la  Kabbale,  des 
mystiques  dont  il  était  l'élève,  et  tentait  avant  Strauss  et 
Henan  «  une  christologie  philosophique,  et  qui  plus  est  une 
christologie  panthéiste ''^'  ».  , 

Né  en  1509,  à  Villanueva,  en  Aragon,  il  vint  en  France  à 
dix-neuf  ans  et  n'en  sortit  plus  que  pour  mourir.  Etudiant  en 
droit  à  Toulouse  de  1528  à  1530,  il  put  y  connaître  Bunel,  du 
Ferrier.  Est-ce  là  qu'il  connut  Gribaldi  qui,  après  la  mort  de 
Servet,  soutiendra  l'arianisme  et  l'àntitrinitarisme  ^3)  ?  H  serait 
curieux  de  savoir  lequel  du  professeur  ou  de  l'élève  a  influencé 
l'autre.  En  1530,  Servet  dut  quitter  Toulouse  '^'.  Oecolampade, 
Bucer,  Capiton.  Zwingle,  tour  à  tour  sondés,  trouvèrent  trop 
dangereux  le  jeune  novateur.  L'année  suivante  (1531),  il 
publia  à  Bâle  son  livre  De  Trinitatis  errovibus  ^"  et  en  1532 

(1)  Clirhtiaiiismi  rcstitutio,  toCii^i  ecclesiae  apn^toUcœ  es(  ad  sua  litnina  vocatio. 
■iii  hïteorum  restittita  coonilioue  Dei.  ficiei  christi,  juntip.ratioriis  voWee  refjcne- 
rationis  baptismi  et  cœnœ  Domini  manducationls .  Restltuto  denique  nobis  regno 
celesti,  Babylonis  impie  captivitate  soluta  et  aniichristo  cum  suis  penitus  des- 
triicto'. 

(2)  SAISSET,  art.  sur  Servet  dans  Revue  des  Deux-Mondes,  XI  (1848),  p.  485  à  618 
et  817  à  848.  Sur  Servet.  voir  aus,çl  Christ.  Chr.  Sandii  Biblioth.  avll-Trinitariorum. 
Freistadli,  1689,  où  l'on  trouvera  la  bio-bibliographie  de  tous  les  chefs  du  mouve- 
ment unitaire  et  socinien.  L'article  sur  Servet  est  aux  pages  6  <à  15.  —  Sur  son 
séjour  eji  France,  voir  l'article  de  M.  J.  Baudrier,  M.  Servet,  ses  relations  avec 
les  litiraires  et  les  imprimeurs  lyonnais,  dans  les  Mélanges  Picot,  I,  p.  41-56. 

3)  Sur  M.  Gribaldi  antitrinitaire,  voir  Sandii  Biblioth.  antitrinit.,  p.  17-18. 

(4)  On  sait  que  l'année  suivante  le  parlement  de  Toulouse  devait  sévir  avec 
rigueur  contre  les  étudiants  novateurs. 

(5)  De  Trinit.  erroribus  libri  septem,  per  Mlch.  Serveto.  alias  Rêves,  ab  Arra- 
gonia  Hispanium.  Anno  1531,  in-8o.  —  Dialog.  de  Trinit  libri  duo.  De  justltia 
regni  Christi  capitula  IV.  Basilese  1532. 

Si 


354  s  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

ses  Dialogues  sur  le  même  sujet.  Ces  deux  livres  firent  un 
tel  scandale  qu'il  rentra  à  Paris  et,  changeant  de  nom, 
s'appela,  de  son  origine,  Michel  de  Villeneuve  ^^'. 

En-  1533,  il  étudia  la  médecine  sous  Jean  Fernel.  Nous 
avons  déjà  trouvé  Jean  Fernel,  platonicien  lui  aussi,  comme 
Serve t,  très  au  courant  des  questions  religieuses  et  sentant 
quelque  peu  l'hérésie.  Puis,  il  professa  au  collège  des  Lom- 
bards. C'est  à  celle  époque  qu'il  fil  connaissance  de  Calvin 
et  que  pour  la  première  fois  leurs  âmes  fougueuses  se  heur- 
tèrent. Sorli  de  Paris  en  1538,  il  erra  pendant  trois  ans  à 
Lyon,  Charlieu,  Avignon,  jusqu'à  ce  que  l'archevêque  de 
Vienne,  Pierre  Paulmier,  le  prîl  chez  lui  en  1541.  C'est  là  que 
pendant  douze  ans,  il  composa  son  grand  ouvrage.  Avant  de 
le  publier,  il  voulut  convertir  Calvin  à  ses  idées  ;  mais  le 
réformateur  avait  son  credo  arrêté.  Il  vit  bien  que  la  système 
de  Servet  ruinait  le  christianisme  au  lieu  de  le  restaurer;  loin 
de  donner  les  mains  à  l'extension  de  l'hérésie,  il  dénonça 
l'hérétique  avec  la  ténacité  que  l'on  sait,  et  quand  Servet  eut 
échappé  à  l'inquisition  de  Vienne,  Calvin  le  fil  condamner  par 
celle  de  Genève. 

Servet  a  attaqué  d'abord  le  dogme  de  la  Trinité  '-'  dans  son 
premier  et  dans  son  dernier  ouvrage.  Il  y  soutient  que  les 
trois  personnes  ne  sont  que  des  manifestations  de  l'activité 
divine  et  prend  place  ainsi  dans  la  lignée  des  disciples  de 
Sabellius  et  des  panthéistes  du  moyen  âge  '^\  En  1542,  dans 
les  notes  qu'il  ajouta  à  une  réédition  de  la  Bible  de  Santé 
Pagnini,  il  s'attaquait  aux  prophéties  et  spécialement  à  celle 
par  laquelle  Isaïe  annonce  la  passion  de  Jésus-Christ,  d'après 
l'interprétation  traditionnelle  ^^'.  «  A  ses  yeux,  les  prétendues 


(1)  C'est  sous  ce  nom  que  Calvin  l'attaque  dans  le  Dr  .■ictnidnlis. 

(2)  Voir  DiDE,  Servet  et  Calvin,  p.  84  et  suiv. 

(3)  Voir  le  bel  exposé  des  hérésies  diverses  que  la  Trinité  et  la  divinité  de  Jésus 
Christ  ont  suscitées  dans  .Saisset,  art.  cité,  p.  598-605,  et  peur  une  étude  plus 
approfondie  Mgr  Duchesne,  Histoire  ancienne  de  l'Eglise,  I,  ch.  17  et  22. 

(4)  ISAÏE,  LUI;  DiDE,  Servet  et  Calvin,  p.  59. 


LES    ((    ACHRISTES    »  355 

prophéties  messianiques  ne  sont  que  le  symbolique  récit  des 
réalités  historiques.  Celte  simple  observation  bouleverse  toute 
la  science  exégétique  du  moyen  âge  et  de  la  Réforme  à  ses 
débuts'^)  ».  JMais,  c'est  surtout  son  livre  Christianismi  resii- 
iutio  (1553)  qui  souleva  contre  lui  toute  la  chrétienté  et  fit 
allumer  son  bûcher  par  la  main  de  Calvin. 

Il  y  va  montrer  après  Paul  de  Samosate  que  Jésus-Christ 
est  le  Christ,  le  fils  de  Dieu,  Dieu  même,  mais  pas  le  Verbe. 
Il  est  le  Christ,  c'est-à-dire  l'Oint,  ("e  titre,  commun  dans  les 
Ecritures,  ne  comporte  aucune  idée  d'un  être  surnaturel.  On 
l'appliquait  à  des  honunes;  Jésus-Christ  lui-même  s'est  dit 
homme  et  a  approuvé  la  Samaritaine  qui  disait  :  Venez-voir 
l'homme  qui  m'a  dit  ce  que  j'ai  fait  (2).  Ceux-là  donc  ont  mal 
compris  l'Incarnation  qui  ont  fait  du  Christ  un  fantôme  sans 
corps.  Mais,  par  contre,  les  apôtres  ne  nous  ont  parlé  ni  de 
la  Trinité,  ni  du  Fils  invisible  du  Père.  Il  est  fils  de  Dieu 
pourtant,  puisqu'il  est  engendré  de  Dieu  et  non  de  l'homme 
et  Dieu  est  vraiment  son  père  (3),  puisqu'il  a  été  engendré  de 
sa  substance  par  le  Saint-Esprit.  Mais  s'il  est  fils  de  Dieu,  il 
n'est  pas  fils  du  Père.  L'ange  en  saint  Luc  le  dit  «  fils  du 
Très-Haut  »,  annonce  qu'il  recevra  a  de  Dieu  »  le  trône  de 
David  ;  il  ne  le  dit  point  fils  de  la  première  personne  de  la 
Trinité  ^■''K  II  est  le  fils  de  Dieu,  mais  il  n'est  pas  le  \^erbe, 
la  seconde  personne  de  la  Trinité  ;  car  il  n'y  en  a  point.  Autre- 
ment il  y  aurait  deux  fils  de  Dieu,  puisque  à  deux  reprises 
Dieu  aurait  engendré  et  enfanté  un  fils.  Du  reste,   d'autres 


(1)  DiDE,   ibid. 

d)  Luc,  III,  21-29,  TOAN,  I,  20,  IV,  29,  VIII,  27,  40,  42;  la  Tiinoth.,  II,  5:  Actes, 
II,  discours  de  saint  Pierre.  Ces  discussions  sur  le  Messie  et  le  Christ  ont  leur 
source  dans  la  théologie  juive.  On  les  trouve  aussi  dans  Julien  l'apostat  (S*  Cyrille, 
contra  Julianiim,  IX,  t.  VI,  p.  290  et  suiv.  de  l'édition  Aubert,  Paris,  1638).  On 
les  retrouvera  à  propos  du  Dialogue  des  7  savants  de  Bodin.  Si  on  veut  s'en  faire 
une  idée  superficielle  mais  facile,  il  suffit  de  lire  Voltaire,  Diction,  jjhilosoph., 
art.   Messie. 

(3)  Aperte  ubiqae  homo  ipse  monstratur  esse  ûlius  Dei  et  ejus  respectu  Deus 
vere  pater.  Vere  pater  quia  ab  eo  est  substantialiter  genitus  sicut  a  pâtre  suo. 
Non  est  ab  ipso  Joseph  genitus  Christus,  sed  de  Spiritu  Sancto  genitus  est,  de 
substantia  Dei  genitus  est  {Christianismi  Restitutio,  p.  9). 

(4)  Ibid.,  p.  10. 


356  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

hommes  ont  pris  ce  nom  de  Fils  de  Dieu  (",  tou^  ceux  que 
Dieu  a  sanctifiés.  Dieu  a  donné  à  Jésus  une  puissance  divine  : 
c'est  en  ce  sens  qu'il  est  Fils  de  Dieu.  On  le  dit  donc  Dieu  par 
sa  puissance,  comme  on  le  dit  homme  par  sa  chair  ^~K 

Mais,  il  n'est  pas  à  la  fois  Dieu  et  homme  ;  il  nesl  pas 
Dieu  incarné  ;  il  n'y  a  en  lui  (pi  une  nature  comme  il  n'y  a 
qu'une  personne,  en  sorte  que  «  le  Christ,  le  /.ôyo^ ,  Elohim, 
TE'tre  sont  une  seule  et  même  personne  *3)  ».  u  Quant  aux  deux 
hypostases  »  imaginées  par  les  sophistes  grecs,  «  c'est  une 
chimère,  la  communication  des  idiomes,  un  sacrilège,  puis- 
qu'elle leur  permet  de  soutenir  qu'un  ange  peut  mourir  dans 
la  peau  d'un  àne  et  l'Esprit  saint  dans  une  mule  ». 

C'est  pour  cela  que  Simon  le  Magicien,  Ménandre  et  Basi- 
lide,  Marcion  et  Manichès,  ont  fait  du  Christ  un  fantôme,  ne 
concevant  pas  que  la  nature  de  l'Etre  infini  pût  prendre  un 
corps.  Et  c'est  par  réaction  contre  cette  hérésie  que  les  théo- 
logiens ont  distingué  les  trois  personnes  divines  et  les  deux 
natures  du  Christ  (*>. 

Les  uns  et  les  autres  ont  tort,  selon  Servet,  et  il  cherche 
dans  le  platonisme  et  la  Kabbale  l'explication  de  ces  mystères. 
Sans  entrer  dans  ces  discussions  périmées  ^^\  signalons  seule- 
ment que  pour  lui  le  Christ  est  le  centre  des  idées  (^'.  Il  est  né 

(1)  JOAN.  X,  35  et  suiv.  :  Si  alios  homines  scriptura  vocat  Deos  et  fllios  Dei. 
vos  dicitis  me  blasphemaj-e  ciuia  dLxi  :  fllius  Dei  sum,  cum  Pater  ultrai  alios 
consortcs  et  participes  moos  mo,  sanctiflcavit.  Servet  commente  seulement  saint 
Jean  ici. 

(2)  Dicitur  Deus  per  virtutem  sicut  homo  per  carnem  {Christ,  renin.,  p.  14). 

(3)  Res  una  est  Christus  unus,  ens  unum,  fllius  unus...  {Ibid.,  p.  119).  —  Ergo 
sequitiir  idem  in  i>erson;i  t'S.se  logon,  KIohim.  et  vultiira  Christi  (Ibid.,  p.  210).  — 
Ipsorum  suppositum  supposititium  est,  idioma  sophisticum  et  invisibilis  illuslo. 
PrsPstigio.sa  est  eorum  salus  et  prœstigiosa  mors  illiiis  invisil)llis  rei.  Sacrilega 
sunt  idiomatum  sophismala.  per  quœ  dicitur  angélus  intra  pellem  asini  mori  et 
Spirilus  sanctus  in  mulo  mori  {Ibid.,  p.  199-200). 

(4)  Christ,  restit..  p.  20'.. 

(5)  On  trouvera  un  bon  exposé  du  platonisme  de  Servet  considéré  comme 
fondemrnt  de  .sa  christologie  dans  l'article  cité  de  Salsset. 

(6)  Christus  ipse  est  idearum  pelagus  setornum  {Christ,  restit..  p.  278).  Autres 
textes,  p.  213.  SANpit'S  {BIbl.  aiiHI.,  p.  9  à  11).  donne  aussi  des  extraits  de  Servet 
et  fp.  11  à  13)  une  bibliographie  complète  de  ses  œuvres.  Enfin,  Calvin  donne  de 
longs  extraits  de  ses  œuvres  traduits  en  français  —  ce  qui  est  appréciable  — 
dans  le  livre  qu'il  a  consacré  à  Justifier  son  supplice  :  Déclaration  pour  main- 
tenir la  vraye  fou  que  tiennent  tous  chrcstiens  de  la  Trinité...  contre  les  erreurs 
aetestables  de  M.  Servet  EsjHignoi  —  où  il  est  aussi  montré  qu'il  est  licite  de 
punir  les  hérétiques  et  qu'à  bon  droict  ce  meschant  a  esté  exécuté  par  justice 
en  la  ville  île  Genève  (Opuscules,   p.  1315  à  1361). 


LES    <(    ACHRISTES    »  357 

de  Dieu,  (]e  la  semence  qui  était  en  Dieu,  comme  y  sont  les 
germes  de  toutes  choses,  et  qui  s'est  réalisée  en  Marie  (i'. 
<(  La  chair  du  Christ  vient  du  ciel,  sort  de  la  substance  de 
Dieu  et  de  Dieu  même.  Son  sang  est  Dieu,  sa  chair  est  Dieu, 
son  âme  est  Dieu  ».  Que  serait  Dieu  sans  le  Christ?  un  prin- 
cipe inaccessible,  retiré  en  soi  dans  les  muettes  profondeurs 
d'une  existence  absolue,  une  cause  sans  effet,  un  soleil  sans 
lumière.  Le  Christ  est  la  lumière  de  Dieu,  sa  manifestation  la 
plus  parfaite,  son  image  la  plus  pure,  sa  personne.  En  ce  sens, 
Christ  est  égal  à  Dieu,  il  est  Dieu  même,  mais  Dieu  visible, 
participant  des  créatures,  contenant  en  soi  l'humanité  de  tous 
les  êtres  de  l'univers  t^'  ».  Seulement,  en  voulant  sauvegarder 
ainsi  l'unité  de  l'essence  divine,  Servet  arrivait  au  pan- 
théisme (2)  et  rendait  également  impossible  la  création  du 
monde  et  l'incarnation  réehe  et  historique  du  Verbe.  Le 
Christ  s'incarnait,  en  ce  sens  que  toute  manifestation  de  Dieu 
aux  hommes  est  une  incarnation  ;  il  est  la  plus  parfaite  de 
toutes,  mais  il  n'est  plus,  quelques  efforts  qu'ait  faits  Servet 
pour  le  conserver,  Jésus  de  Nazareth  ('^^  Socin  était  disciple 


(1)  Verbiim  erat  in  Deo  semen  seminalis  artifex  TTx-pyMztxiç  nyjv/^'^  ut  ait  Philo, 
in  lib.  ïic  Diviiinriim  rerum  hœrede  (IMd.,  p.  90).  —  Caro  Chrlsti  de  cselo'  est, 
lianis  cselestis  de  substantia  Dei,  et  a  D&o  exivit  {Ibid.,  p..  15).  —  Sanguis  Christi 
est  Deus.  sicut  caro'  Christi  est  Deus,  et  anima  Christi  est  Deus  (Ibid.,  p.  217).  — 
A  ce  compte,  conclut  Saissefc,  tous  les  êtres  sont  fils  de  Dieu,  toute  la  nature  est 
consubstantielle  à  son  principe,  et  par  là  même  le  Christ  se  trouve  réduit  à  une 
incarnation  particulière  et  déterminée  de  Dieu  :  l'arianisme  et  le  sabellianisme 
se  rencontrent  {aj-t.  cité,  p.  ei'i). 

(2)  Saisset,  nrt.  cite,  p.  615-616. 

(3)  Sur  le  panthéisme  de  Servet,  voir  Saisset,  ibid..  p.  60.5-611;  Dide,  Servet  et 
Calvin,  p.  79.  Voici  du  reste  des  textes  de  Servet  :  Mundus  hic  totus  et  qure  in 
eo  sunt.  quamdam  deitatis  umbram  continent  et  est  in  eis  deltas  velut  umbra 
deitatis  Christi...  Omnia  per  intermediam  lurem  et  ideam  sunt  unum  in  Deo.  Hac 
ratione  intelligendum  est  quod  ait  Trimegistus,  mundum  esse  consub.stantialem 
Deo,  Deum  secundum  et  Filium  Dei,  etc.   {Christ,  restitutio,   p.  212-213). 

(4)  «  Si  Dieu  pris  en  soi  est  absolument  indivisible,  il  ne  vit  qu'en  produisant. 
La  création  est  donc  éternelle  et  néce.^iSaire  ou  plutôt,  il  n'y  a  pas  de  création,  il 
n'y  a  qu'un  éternel  développement  de  l'être,  et  pour  ainsi  dire  une  incarnation 
permanente  et  nécessaire  de  l'infini  dans  le  fini,  de  Dieu  dans  la  nature.  Alors 
sans  doute  rien  da  plus  simple  que  la  création.  Dieu  s'est  incarné  en  produisant 
la  nature:  il  s'incarne  encore  en  se  communiquant  par  Jésus  d'une  manière 
plus  intime  à  rhumanité;  mais  s'il  en  est  ainsi,  si  tout  être  e.st  une  incarnation 
de  Dieu,  le  Christ  ne  peut  être  qu'une  incarnation  supérieure.  Il  est  Dieu,  mais 
non  pas  évidemment  Dieu  en  soi.   Dieu  indivisible,  il  est  Dieu  manifesté  d'une 


358 


SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


de  Servel,  lorsque  quelques  années  plus  laid  il  niait  la  divinité 
de  Jésus  (1).  Et  quand  Servet  monta  au  bûcher  et  se  recom- 
mandait à  Dieu,  il  s'écriait  ;  «  O  Jésus,  fils  du  Dieu  éternel, 
aie  pitié  de  moi  »  !  Mais  il  ne  voulut  jamais  invoquer  Jésus 
par  la  formule  que  lui  suggérait  Farel  :  Jésus  fils  éternel  de 
Dieu...  N'était-ce  pas  nier  complètement  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  ? 

((  .Après  sa  mort,  ses  disciples  suivirent  sa  première  pointe, 
combattirent  la  Trinité...  Ces  Messieurs  n'ont  voulu  laisser  ce 
pauvre  mot  6y.ooj7<oy  paisible  après  douze  siècles,  parce  qu'il 
ne  se  trouve  dans  l'Ecriture,  disent-ils  :  tiennent  Jesus-Christ 
pour  un  prophète  seulement  qui  fut  adopté  fils  de  Dieu  quand 
il  fut  baptisé  au  fleuve  du  Jourdain...  Ne  pouvant  comprendre 
le  mystère  de  la  Trinité,  ils  ne  veulent  qu'un  Dieu,  au  contraire 
des  déistes  qui  en  font  trois... <2)  ». 

C'est  surtout  dans  les  milieux  protestants  que  Servet  eut 
le  plus  de  disciples.  Dès  1524,  la  Sorbonne  avait  condamné  un 
livre  prolestant  intitulé  Murman.  Parmi  les  propositions 
qu'elle  en  extrait,  je  relève  celle-ci,  Propositio  XXXIII  :  ailri- 
buit  hominibus  impie  très  personas  Trinilatis  individuœ  '^\ 
Dix  ans  plus  tard,  au  lendemain  des  attaques  de  Servel 
contre  la  Trinité,  Claude  d'Aliod,  de  Moutiers  en  Tarentaise, 


manière  éminente.  Et  de  la  sorte,  sous  prétexte  de  reconnaître  dans  le  Christ 
non  seulement  Dieu  le  flls  mais  Dieu  tout  entier,  Sabellius  aboutissait  à  ne  voir 
en  lui  qu'un  homme  supérieur  et  à  nier  sa  divinité  »  (Saisset.  art.  cité,  p.  601). 
Servet  n'a  échappé  à  cette  conclusion  que  par  «  des  spéculations  bigarrées  de 
théologie  et  de  médecine,  de  physique  et  d'astrologie  »  qui  montrent  en  lui  «  non 
plus  un  philosophe  ni  un  théologien,  mais  une  manière  d'alchimiste  et  d'illu- 
miné »  et  qui  font  du  Christ  «  une  Idée,  l'idée  éternelle  de  l'humanité  »  (Il)iil., 
p.  616-617). 

(1)  "  La  doctrine  de  Socin  derrière  celle  de  M.  Servet  et  derrière  le  socinianisme 
lui-même,  le  déisme,  voilà  ce  qu'.aperçut  l'œil  perçant  de  Calvin.  C'est  le  socinia- 
nisme et  le  déisme  qu'il  poursuivit,  qu'il  frappa,  qu'il  voulut  exterminer  en 
M.  Servet  >>  (Sais.set,  ibtd.,  p.  618).  Sur  le  socinianisme  de  Servet.  voir  aussi  DiDE, 
op.  (if-,  p.  60.  Sur  Sozzini.  voir  II.  Amphoux,  Exsai  sui-  la  doctrine  socinienne, 
Strasbourg,  1850,  et  Sanuiis,  fl/b/.  aiit.,  p.  18  à  25,  qui  donne  la  bibliographie  des 
œuvrç'i  de  Lolio.  Sur  lexitansion  des  doctrines  de  Servet  en  Italie  et  spéciale- 
ment en  Vénétle,  voir  Rouocanachi,  La  Réforme  en  Italie,  II,  p.  558  561. 

12)  Florimond  de  R^mo.nd,  .Sais.'^arice  el  progrèK  de  l'iiûrcsle,  p.  229-230. 

(3)  Du  Plessis  d'Arge.vtré,  II  p.  10  à  12,  fin  de  1524. 


LES    ((    ACHRISTES    »  359 

collègue  de  Farel  à  Neufchàlel,  prêcha  rantilrinitarisme  et 
l'arianisme.  Il  professait  que  ((  le  Christ  était  un  homme  tout 
simplement  ».  Pressé  par  Haller  qui  lui  objectait  l'Ecriture,  il 
reconnaissait  «  que  le  Christ  est  fils  de  Dieu  par  nature,  et 
dans  cette  mesure  Dieu,  mais  non  éternel;  il  a  été  fait  dans  le 
temps  ».  Il  ajoutait  même  <(  que  c'est  purement  un  homme 
proposé  à  noire  foi  ».  Il  affirmait  encore  que  le  Saint-Esprit 
est  une  créature  et  niait  la  Trinité  ^^).  Chassé  de  Berne,  il 
prêcha  l'arianisme  dans  tout  le  pays  de  Genève  et  à  Genève 
même  jusqu'en  1537  (^^  En  1537,  Caroli,  pour  se  venger  de  sa 
condamnation,  accuse  Farel  et  Calvin  de  professer  les  mêmes 
erreurs  que  Cl.  d'Aliod.  Par  là,  il  les  discréditait  aux  yeux 
des  réformés  eux-mêmes  ^^\  et,  en  portant  ces  accusations 
devant  Paul  III  et  François  P"",  il  semblait  justifier  pour  les 
contemporains  toutes  les  mesures  de  rigueur  édictées  contre 


(1)  Lettre  de  Berthold  Haller  à  Bullinger  à  Zurich,  de  Berne,  7  mai  1534,  Hermin- 
JARD,  III,  no  464;  voici  en  partie  le  texte  de  cette  lettre  si  impoortante  :  Intérim 
coUocuti  sumus  cum  Gallo  hoc  (Claude  d'Aliod)  qui,  tanxetsi  mente  compos  non 
sit,  natus  tamen  videtur  ad  pertinaciam  et  contentionem.  Asseruerat  Jesum 
Chr.istum  nudum  esse  horainem;  dein  cum  apertissimis  a  nobis  urgeretur  scrip- 
turis.  admlsit  Christum  naturalem  Dei  fllium,  adeoque  Deum  esse,  sed  non 
seternum,  immo  in  tempore  constitutum  et  factum.  Ait  secundo  :  atqui  hune 
alioquin  purum  hominem  esse  fidei  nostrœ  objectum.  Gui  satis  abunde  responsum 
est,  sed  minime  satislactum,  pertinaci  enim  satisflerl  nequit.  Monuinus  hominem 
ut  illi  probemus  Spirituni  sanctum  esse  Deum  et  ab  aeterno,  quem  creaturam 
asserit.  Negat  Triadem;  personas  vero  tam  quoad  vocem  quam  ad  rem. 

(2)  Les  Bernois  adressent  à  leurs  commissaires,  le  28  février  1537,  une  lettre  où 
l'on  lit  :  «  Nous  savons  avec  certitude  que  le  nommé  Claude  de  Savoie  précé- 
demment banni  par  nous  à  cause  de  ses  doctrines  ariennes,  réside  dans  notre 
nouveau  territoire  et  particulièrement  à  Thonon.  Nous  vous  ordonnons...  de 
le  faire  arrêter  et  de  nous  l'envoyer  afin  de  le  punir  selon  ses  démérites.  Vous 
insisterez  auprès  de  nos  combourgeois  de  Genève  pour  que  le  susdit  Claude  soit 
poursuivi  et  qu'on  ne  le  tolère  en  aucune  manière  au  milieu  d'eux  (Herminjard. 
IV,  no  615.  note  3).  Autre  témoignage  :  Claudius  Sabaudus  Arianismum  revocavit  ». 
dit  Megander  à  Bullinger  le  22  mai  1537  (Herminjard,  IV,  p.  631). 

(3)  Megander  à  Bullinger  (S  mars  1537)  :  Postremo  Gallorum  quidam,  in  ditione 
noviter  occupata  suspecti  sunt  nobis,  haud  recte  de  Christo  personarumque  Trini- 
tate  sentire  iHermin.iard,  IV,  p.  200).  Berthold  Haller  écrit  aussi  à  Bullinger  après 
avoir  exposé  les  erreurs  de  Cl.  d'Aliod  :  Vereor  ne  et  Farellus  in  hoc  implicitus  sit 
errore  (7  mai  1534,  Herminjard.  III,  n»  464).  Simon  GFynie  en  écrit  â  Farel  lui- 
même  :  Queritur  iste  (Carolus)  quanquam  clam  et  apud  me  lortasse  unum,  vereri 

se  ne  tu  tzîo'i  -■<;  nO  •jot-rir^oi  Xp^yraù  ûéoTozoi  firme  satis  sentias  :  quae  suspitio 
ex  aliquo  tuo  libello  illi  irisedit.  Une  verbo  etiam  hanc  tollere  licet  (Herminjard, 
III,  no  533,  novembre  1535). 


300  SOURCES    ET    INFIIiTRATIONS 

les  réformateurs  ^^K  Calvin  et  Farel  se  disculpèrent  au  synode 
de  Lausanne  (14  mai  1537)  et  Caroli  fut  destitué  <2). 

Calvin  pourtant  est  demeuré  longtemps  suspect  et  après  le 
supplice  de  Servet  on  disait  qu'il  avait  voulu  «  aux  despens 
(le  la  peau  de  Servet  effacer  l'opinion  qu'on  avait  conceu  de 
luy  qu'il  penchast  à  l'arianisme  '3)  ».  Mais  si  Calvin  nous  semble 
justifié  par  ses  écrits  antérieurs  mêmes  et  navoir  fait  de 
réserve  que  sur  l'emploi  des  termes  Ihéologiques  usuels,  le 
mutisme  de  Farel  sur  la  Trinité  dans  ses  livres  antérieurs  à 
cette  querelle,  son  amitié  pour  Claude  d'Aliod,  la  complaisance 
avec  laquelle  il  couvrit  longtemps  les  blasphèmes  de  Chappo- 
neaulx,  au  point  de  s'attirer  les  reproches  de  Calvin,  le  rendent 
suspect.  Ce  n'est  pas  le  disculper,  à  notre  avis,  que  de  dire 
avec  la  France  protestante  «  qu'il  n'eut  jamais  le  goût  des 
querelles  dogmatiques  ».  Un  ministre  qui  prêche  l'Evangile 
et  écrit  que  les  discussions  sur  la  présence  réelle  ne  sont  «  que 
de  vaines  controverses  de  l'eau  et  du  pain  »,  est  encore 
chrétien;  mais  s'il  laisse  prêcher  —  après  avoir  été  soupçonné 
lui-même  de  cette  ei-reur  —  que  <(  le  Fils  n'est  pas  vrai  Dieu, 
coéternel  et  consubslantiel  au  Père  »,  il  est  encore  philosophe, 
et  religieux  même  ;  mais,  à  moins  de  jouer  sur  les  mots,  il 
n'est  plus  chrétien  '^). 

Cette  discussion  sur  la  divinité  du  Christ  continua  quelque 
temps  encore  dans  les  pays  de  Réforme.  Courtois,  pasteur  de 
Montbéliard,  s'y  trouva  mêlé  et  eut  avec  Farel  et  Calvin  de 
longues  et  pénibles  discussions  au  cours  de  l'année  1543  '^^\ 

(1)  Herminjard,  IV,  638  et  645. 

(2)  Pour  les  détails  de  cette  affaire,  voir  Hermin.tard.  IV.  616,  628,  631;  VI. 
83-2.  Voir  aussi  l'exposé  de  M.  Dou.MERGtE.  Calvin,  III.  p.  252  et  .suiv.  Mais 
M.  Doumergue  me  parait  accorder  une  grosse  confiance  à  la  drfinsin  de  Calvin, 
dont  le  ton  injurieu.x  (Voir  Docmerotte,  ibid.,  p.  259,  note)  fait  suspecter  la  bonne 
foi.  m^me  à  légard  du  i^en  intéressant  Caroli. 

(3)  Florimond  de  U^monu,  Naissance  et  progrès  de  l'hérésie,  Ile  livre,  p.  229. 
Cl)  Erasme  mfime  on  convenait  :  «  Certes,  ces  nouveaux  chrestiens  ne  sont  pas 

meilleurs  que  les  Juifs  et  les  Turcs  :  ils  pi-ennent  patience  d'ouyr  appeler  .lesus- 
rhrlst  prophète  ou  bien  Dieu,  si  on  les  pres.se,  mais  tel  Dieu  qui  ne  soit  plus  que 
Moise  et  les  Prophètes  ...  Pnelalio  Ub.  V.  Basil,  de  Snirilu  sancto  {Contre  Euno- 
niios,   V),  traduit  et  cité  par  Florimond  de  R«MOND,  op.  Cit.,  p.  230. 

{5}  Voir  le  récit  de  ces  di.scussions  dans  \es  lettres  do  Farel  h  Calvin  (Her- 
Mr.NjARi)  IX.  1277)  et  de  Calvin  aux  pasteurs  du  comté  de  NeufcliAtel  {Ibid.,  IX, 
1287). 


LES    «    ACHRISTES    ))  301 

L'année  suivante,  la  question  fut  agitée  à  nouveau  par  Chappo- 
neaulx.  Il  niait  que  (c  le  Fils  soit  vrai  Dieu,  coéternel  et 
coessenliel  au  Père  ».  Calvin  obligea  Farel  de  censurer 
Chapponeaulx  w.  A  Strasbourg,  dans  le  même  temps,  Eckard 
zum  Treubel  niait  la  divinité  de  Jésus-Christ  ^~K 

.Mais  le  plus  célèbre  défenseur  de  Servet,  ce  fut  Caslellion  '3), 
A  vrai  dire,  s'il  le  défendit,  si  même  il  arriva  sur  bien  des 
points  aux  conclusions  de  Servet,  il  ne  fut  pas  son  disciple 
pourtant;  c'est  la  logique  du  protestantisme  qui  la  conduit 
au  rationalisme.  Ses  premiers  doutes  naquirent  à  propos 
d'exégèse.  Il  ne  pouvait  admettre  l'authenticité  du  Cantique 
des  cantiques  <^',  ni  la  descente  du  Christ  aux  enfers  (^);  et,  de 
ce  fait,  il  fut  exclu  du  ministère  pastoral  par  Calvin  en  1544  's). 
Puis,  ses  doutes  s'étendirent  à  toute  la  Bible.  Il  rapporte  les 
objections  qu'on  fait  à  ce  livre  de  contenir  des  choses  cho- 
quantes, des  contradictions  d'histoire  ou  de  doctrines,  des 
erreurs  ou  des  impossibilités  d'interprétation  et  n'y  répond 
que  d'une  façon  vague  (''>.  Dans  le  même  ouvrage,  il  pose  en 
principe  que  l'interprétation  allégorique  de  l'Ecriture  doit  être 
tenue  pour  la  bonne,  toutes  les  fois  qu'elle  est  le  seul  moyen 
d'accorder  la  Révélation  et  la  raison  :  «  Posons  ceci  comme 
règle  générale  :  si  quelque  affirmation  des  auteurs  profanes 


(D)  Herminjabd,  IX,  1419;  France  protestante,  VI,  p.  409  (2e  éd.). 

(2)  France  larotestante,  VI,  p.  2  (l!"e  édit..  IV,  p.  532).  Plusieurs  volume.s  de 
théologie  entre  1525-1535  environ. 

(3)  Je  ne  puis  ici  refaire  ni  même  résumer  le  livre  de  M.  Buisson  sur  ce  per- 
sonnage: on  voudra  bien  s'y  reporter.  Castellion  était  connu  en  France.  Mon- 
taigne se  plaint  que  Castellion  et  Lelio  Gribaldi  n'aient  pas  "  leur  soûl  à 
manger...  et  croy  qu'il  y  a  mil  hommes  qui  les  eussent  appelez  avec  très  avan- 
tageuses conditions  s'ils  l'eussent  sceu  »  [Essais,  I.  XXXV,  tome  II,  p.  160). 

(4)  On  verra  plus  loin  que  les  libertins  de  Paris  faisaient  les  mêmes  objections 
à  ce  livre  en  1542. 

(5)  Pic  de  la  Mirandole  aurait  aussi  combattu  ce  dogme.  Voir  Charbdnnel, 
La  Pensée  italienne,  p.  182.  Erasme  le  met  en  doute iln/juisitio  de  fide.  Colloq.  I.  228). 

(6)  Herminjard  (IX,  p.  157  à  159).  publie  le  certificat  délivré  par  les  magistrats 
de  Genève  à  Castellion,  constatant  que  c'est  pour  des  raisons  purement  doctrinales 
qu'ils  l'ont  écarté  du  ministère.  Calvin  raconte  ses  discussions  avec  lui  dans  une 
lettre  à  Viret  de  mars  1544  (Herminjard,  IX,  no  1336). 

(7)  Buisson,  op.  cit.,  II,  p.  218.  La  thèse  se  trouve  dans  le  De  arte  dnhitandi 
et  confltendi  (resté  en  manu.scrlt). 


30:^  sociEces  ir  ixïiltkatiosiis 

ou  sacnês  répugne  à  la  raison  ou  aux  sens,  à  moins  qu'on  ne 
la  prenne  au  sens  figuré^  aGn  de  la  concilier  avec  la  raison 
et  les  sens,  il  faut  rinlerpréler  au  figuré  ».  C'est  ainsi  que 
CasSellion  ne  voit  dans  rEucharistie  qu'un  mémorial  de  la 
mort  de  Jésus.  U  a  bien  raison  d'ajouter  que  cette  règle  sup- 
prime bien  des  difficultés.  Elle  supprime  tous  les  mystères 
du  christianisme,  tout  simplement  ' . 

Far  là.  il  rejoignait  les  «t  libertins  »  *.  Peut-être  leur  doit- 
il  plus  encore.  Bèze.  en  novembre  15<â3y  le  disait  «^  libertin  ^^ 
et  il  eut  certainement  des  rapports  a\-ec  Jean  de  Bnigesy  le 
chef  des  anabaptistes  caché  prés  de  Metz  ^.  En  1554  (30  juillet), 
-Archer  lui  écrit  :  où  on  dit  que  vous  estes  anabaptiste:...  on 
dii  que  vous  dictes  que  lliooDune  n'a  plus  besoin  de  prier  . 
pardonnez-nous  nos  offenses^  etc..  et  qu'il  n'a  plus  besoin 
d'esire  enseigné  par  la  parole  de  Dieu  '*'  ».  Cette  dernière  idée 
est  iessence  même  de  la  doctrine  des  libertins  spirituels. 
Quant  à  la  demande  du  Paler.  sa  suppression  est  aussi  de 
règle  chez  eux.  Xe  pouvant  plus  pécher,  ils  ne  doivent  plus 
demander  pardon  ® . 

,1  ES  iii^Mimo  geagniam  haane  i«g«laa  leMnams  :  ai  qwxd  dfetiuB  Tel  in  poi>- 
taju»  ¥«1  ia  sacris  anl&bjvïliKiBS  g-jig«^wii  est  m  aial  Sgvraie  aecivÉatnr  aHuilfeste 
latâooif  aat  scb^Imb  Rpa^aet..  iAsB  figaraie  metitÊemOmm  atqae  ta  Intcrpir^aiidaB 
ont  C1BB  nitnt  aat  scksUmbs  esmeSOHmr—  EMt  icg*l*  hvias  ad  ■altos  ao*» 

■-.■'-■-  '  '  --— ^jSbOis  aiDiMsas.  CMé  par  Bnssios,  CmmOitm,  n.  p.  »i. 

ipieadaat  iJéteonfaiît  Ba  lal^iT  théorie  dm  cAiê  iw«M«staziiii    Lec^.^ 
:. .....^:i^i.<am,  i.  p.   *3^?ri'. 

•,   Vocr  le  iHM  de  res  rapvons  djizii:  Brtssos.  Cmsifllkm,  n.  pl  iw  et  soIt. 

^.  rrmmér*  fKott^ttmmte.  I.  p.  33L 

«  Ct^imm^nt.  Irar  dteailHon,  ccvx  «ai  soat  salais  pancat-Os  dire  U  PatcBOEtr» 
et  deaaader  à  Diea  de  lear  paidoaaer  lens  oAcases.  pwfsqaHs  ne  pècheat  pia  >  ' 
Db  rêfxMdûnit  r  Ea  cfflH.  <  *i  oo  c>i)<Kidnv  on  regarde  la  clMee  l)>iea  A  drot  :  ' 
':<?ia  as  csnvwat  poiat  bWTQi  d*  dis»  par  ceiar  nesne  qnl  aarait  da  tout  paicoBbaia 
*OT  »i  fwu  M  samoaté  <«  Titan  à  iMot  de  Mwtes  clMaes  e«  <«  troorevaifi  da  loat 
par.  faKe  et  liéealicvicnx  suk  tfmtiiimt  deCkalt,  téen  traaqnille  cor  e«  paWWr- 
Xoooa.  o  BKia.  cela  ae  peat  poiat  aiaâ  eoasister.  c«  ce  par  cette  iKtane  raisaa  et 
lensif  «iae  tm  ccste  OrataM.  poêm  aa;  seal  htiauat  pvte  a^ktat  poar  sur  mesmt. 
tomt^  *t  thjkcnn  estait  d.:t  aae  ■aataigae.  foeae  oa  ^âiûoa.  Je  lae  tats  oae  cité 
a  part  <<3<r  «<  «alt^nijii  p>-)eir  »3T  wmtsmm^  et  qn'il  enst  te  naing.  le  rv^eard  «t 
»pye«i  iM<wt  sealeacat  1  wr  a>j-!»e  et  qaH  Aeast  plas  k  pecadie  farde  à  aal 
iiaux-  Comamtmitr  «m  dinaâare«ait  afcies  raseaalnWe  oa  <>]«KBnaaalte  n  ■"oaioa 
dm  <  -«p(<  et  saag  de  C%nt«t>  U  tralcvaiié  et  parcatace  ea  l'aaoar  es  Miiiie  de 
I  op«ra:i«)a  de  soa  cspeitr  Qai  est  aotaat  à  dire,  «a'oa  ae  pealt  ici  droictcMo«<! 
«<   iMea  parackeivr  «a   veair  J^^acs  aa   nf»  ca   paix   raag  saft>   l'antre 


LES    «    ACHRISTES    ')  3()3 

On  laccusait  aussi,  ilès  celle  époque,  d'arianisme  :  <(  Le 
bruil  cour!  (]ue  esles  de  l'opinion  de  Servelus,  lui  éeril  le 
même  corn^spondanl  ^\  ce  ijuc  je  ne  peux  croire,  car  on  dit 
t|u"il  a  esté  du  tout  ;u'icn.  c'esl-àHlire  disaul  (juc  Jcsus-Chrisl 
est  créalure  ».  Dans  son  De  aric  dubilandi  et  conlilendi,  il 
laisse  attaquer  le  symbole  île  saint  Athanase  et  la  Trinité  et 
donne  le  beau  rôle  au  {jcrsonnage  ([ui  l'attaque  '-\  Il  alla  plus 
loin  et.  retiré  à  Baie,  u  il  trouxa  dans  l'amitié  de  Sozzini 
queltpie  compensation  à  la  haine  générale  dont  il  était  l'objet 
et  il  semble  avoir  grandement  penché  vers  les  doctrines  de 
son  ami  ^''  ».  Et  dans  son  Moscs  latinus  (1516),  il  voit  dans 
la  loi  de  Moïse  la  codification  tenqHH-aire  et  propre  au  seul 
peuple  juit  i\c  la  loi  naturelle  ([ni.  elle,  demeure  toujours  et 
oblige  tous  les  peuples.  Du  couj».  il  substitue  à  l'autorité  de 
Dieu  la  raison  et  la  nature  ^^'. 

Mais,  c'est  surtout  d'Italie  que  viendront  plus  tanl  les  anti- 
trinitaires  ^1  :  Gribaldi '•»',  I^landrala.  réfugié  en  Pologne, 
contre  qui  Calvin  dut  écrire  deux  lettres,   (uMitilis  '\  réfugié 


(l^  France  inotcstanti'.  I.  p.  331. 

l'J)  BlISSON.  01».  rit..   H,  p.  •î-iO. 

\3)  Leckt.  Risittg...  of  Rational..  II,  p.  49. 

(41  Voir  textes  dans  Brissox.  o;»,  cil.,  p.  097-09S.  .\  noter  que  C.TsteUion  sép.nre 
aussi  la  foi  île  la  raison.  La  foi  étant  pour  lui  «  chose  de  volonté,  non  d'intelli- 
gence: voluntatis  non  intellectus.  Fideni  non  esse  notitiam.  non  esse  scientiam  » 
(Ibid..  Il,  p.  ':mi. 

(51  Les  ouvrages  qui  suivent  datent  de  1553  à  1563  environ.  G.  du  PRÉ.Xf  iPro- 
teohi>-)  donne  léglise  italienne  de  Genève  comme  un  foyer  dincrédulité  {Elenchus 
hcrctic.  p.  71-7'2)  et  cite  en  particulier  la  proposition  de  Gentilis  :  Dicamus 
animam  una  cum  corpore  extinsrui.  Les  protestants  eux-mêmes  se  défiaient  des 
UaUens.  Quand  Bernardin  Ochino  se  présenta  à  Genève,  Calvin  hésita  à  l'accepter. 
L  éçlise  de  Zurich  le  soupçonnait  dajititrinitarisme  et  d'arianisme.  La  suite 
PMuva  que  ces  soupçons  étaient  fondés.  Calvin  lui  fit  subir  un  interrogatoire 
et  conclut  à  son  ortlu^oxio:  il  restait  défiant  vis  ;i-vis  des  Italiens  pourtant  : 
ItaJicis  plerLsque  iiigeniis  non  multum  fido.  Voir  sur  cette  affaire  la  lettre  de 
Calvin  à  C.  Pellican  à  Zurich,  de  Genève.  1>'  avril  15'i3.  Herminj.xru.  VIII.  n'^  li-.M, 
p.  31S-3I9.  d'où  e^t  tiré  le  texte  ci-de5sus. 

(6)  Sur  Gribaldi.  voir  ch.  IV;  et  S.\XPits.  Biblioth.  autitr..  p.  17-lS.  Voir  aussi 
BÈZE.  Vita  Cah'iui.  année  1555,  p.  37S  :  Domi  vei\>  Serveti  cineres  pullulare 
cœperuiU  cujus  Masphemlis  favere  deprehensus  ^lath.  Gribaldus.  non  incelebris 
jurisconsultus.  quum  Genevam  forte  venis.*et....  detluctus  ad  Calvinum  a  quibnstlam 
Italis  quos  Tatavii  docuerat,  récusante  Calvino  dextram  illi  porrigere  nisi  prius... 
de  sacra  Trivide  et  deitaie  Christi  inter  eos  conveniret,  nullum  postea  locum  ullis 
admoniti mibus  vel  argumentis  reliquit. 

(71   Sur  Blandrata  et  Ctentilis  voir  S.xndiis,  oik  cit.,  p.  26  A  34. 


304  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

à  Genève,  condamné  à  mort  en  1558  et  exécuté  en  15G6,  et 
contre  qui  Calvin  a  aussi  écrit  deux  lettres  ^^\  Jacques  Bro- 
card <-\  Bernardine  Ocliino  (3.\  l  Sozzini  surtout  qui  alliait 
en  lui  l'esprit  de  Padoue  et  celui  de  la  Réforme  '^)  et  commença 
de  prêcher  l'antitrinitarisme  vers  1546  en  Suisse,  en  France, 
en  Angleten^e,  en  Belgique  *^).Le  supplice  de  Senet  l'effraya. 
Il  s'en  alla  en  Pologne  où  la  secte  était  très  puissante  et  revint 
mourir  en  Suisse  en  15G2.  Ainsi,  le  long  de  nos  frontières  de 
l'Est  aussi  bien  qu'en  France  même,  les  dogmes  fondamentaux 
du  christianisme  étaient  discutés  et  niés. 


III 


J'ai  déjà  fait  allusion  plusieurs  fois  au  cours  des  études 
précédentes  à  des  sources  possibles  du  rationalisme  théolo- 
gique :  les  livres  de  Celse  et  de  Julien  l'Apostat,  ou  plus  exacte- 
ment les  réfutations  qui  nous  en  sont  restées,  d'Origène  et  de 
saint  Cyrille.  Celse  pouvait  être  connu  même  du  grand  public 
depuis  longtemps.  Le  Contra  Celsum  est  le  premier  ouvrage 
d'Origène  qu'on  ait  traduit  en  latin  et  édité  (à  Rome  en*  1481 
par  Persona).  Il  avait  eu  dans  la  première  moitié  du  XVP  siècle 
de. nombreuses  rééditions  :  Venise,  1514  et  1516;  Paris  (dans 
les  œuvres  complètes),  1512,  1519,  1522,  1530;  Bâle  (Erasme), 
1536,  1545.  Le  Adversus  Julianum  imperatorem  de  saint 
Cyrille  parut  seulement  en  1546  dans  la  traduction  de  Georges 

(1)  Pour  tous  ces  ouvrages  de  Calvin,  voir  Haag,  irp  édit.,  III,  p.  603-609,  611-612; 
France  prolestante,  III,  p.  .')07-539,  qui  donne  le  titre  et  la  date  de  chacun  'l.ô53 
a.  1.563). 

(2)  Florimond  de  R/EMo.nd,  op.  cit.,  p.  227;  Fabkiciis.  Bihliolh.  med.  et  infiin 
tatintlatlx,  i,  p.  262-263,  donne  la  biographie  et  la  bibliographie  de  cet  auteur. 

(3)  Sur  Ochino.  sa  doctrine  et  ses  relations  avec  Castellion.  voir  Bi'issoN,  op 
cit.,  Il,  p.  221;  Sandhjs.  op.  cit.,  p.  2  à  6  qui  donne"  sa  bibliographie  complète; 
RoDOCANACHi.  La  Réjorme  en  Italie,  I,  p.  23'i-2'â7,  qui  cite  et  utilise  les  travaux 
les  plus  récents  sur  ce  personnage;  tbld.,  I,  p.  454-456  pour  la  liste  de  ses  ouvrages. 

Cl)  Lecky,  liixiny  of  national..  I,  p.  372. 

(5)  liAVLE,  Dict.,  art.  Socin;  Sandil's,  op.  cit..  p.  18  à  2.5;  Rodoca.xachi,  La 
Ré/orme  en  Italie,  II,  p.  560-561  (sur  les  deux  Sozzini). 


LES    '<    ACHRISTES    »  365 

de  Trébizonde  (^'.  .Mais  leur  influence  me  semble  s'être  déve- 
loppée surtout  au  cours  de  la  seconde  moitié  du  siècle,  lorsque 
le  rationalisme  devenu  plus  hardi  s'attaque  aux  fondements 
mêmes  de  la  Révélation  et  du  christianisme. 

Les  deux  ouvrages,  en  effet,  offraient  aux  incrédules  un 
système  entier  de  dénigrement  à  opposer  à  l'ensemble  de  la 
théologie  chrétienne  ^2). 

Le  Dieu  des  Juifs  leur  paraît  bien  semblable  à  celui  des 
poètes  épiques  :  il  partage  les  émotions  et  les  passions  des 
hommes.  Il  se  repent  d'avoir  créé  l'homme  (3)  ;  il  a  ses 
caprices  :  pourquoi  sa  colère  contre  Gain  qui  lui  offrait  des 
sacrifices  tout  comme  son  frère  Abel  •^)  ?  Surtout,  il  est  bien 
irascible  et  cruel.  Rappelant  le  carnage  ordonné  par  Dieu  à 
Phinées,  de  ceux  qui  avaient  participé  à  Settine  au  culte  de 
Beelphégor  et  fait  le  mal  avec  les  filles  de  Moab  '^),  Julien 
s'écrie  :  «  Qu'y  a-t-il  de  plus  absurde  que  d'avoir,  à  cause  de 
dix  ou  quinze  hommes  —  mettons  cent  ou  même  mille  —  qui 
ont  osé  transgresser  les  commandements  de  Dieu,  qu'y  a-t-il 
de  plus  absurde,  dis-je,  que  d'en  faire  périr  cent  mille?  Com- 
bien il  me  paraît  préférable  de  sauver  un  impie  parmi  mille 
bons  que  de  perdre  mille  bons  pour  un  impie  «5)  ».  Comparez, 


fl;  A  Bàle. 

(2)  n  est  bien  évident  que  je  n'extrais  du  Contra  Celsum  et  de  l'Adversus 
Julianum  imperatorem  que  ce  qu'en  tiraient  les  incrédules  eux-mêmes,  les 
objections  de  Celse  et  de  Julien;  négligeant,  sauf  de  rares  occasions,  les  réfu- 
tations des  dieux  docteurs.  Mes  renvois  se  réfèrent  pour  le  Contra  Celsum  à  la 
traduction  de  Elle  Bouchereau  (Amsterdam,  H.  Desbordes,  MDCC).  poui*  le 
Adversuif  Julianum  imperatorem  à  l'édition  grecque-latine  des  œuvres  de  saint 
Cyrille,  par  Aubert,  tome  VI  (Paris.  MDC.  XXXVIII). 

(35  Adv.  Jiilian.,  IV,  135  A;  Contra  Celsum,  VI.  LVIII,  p.  260;  LUI,  p.  262. 

ii)Adv.  Julian..  X.  346  E-347  D. 

(.=))  Num.  XXV;  ViGouROfX,  Dict.  de  la  Bible.  îasc.  XXXI,  art.  Phinées. 

(6)  Adv.  Julian..  V,  161  A.  C'est  évidemment  à  ces  idées  que  fait  allusion  B.  Des 
Periers  dans  son  Cymbalum.  A  deux  reprises,  il  reproche  à  Dieu  sa  cruauté  :  «  Je 
ne  crains  que  une  chose  :  c'est  qne  si  Jupiter...  trouve  son  livre  perdu,  il  n'en 
fouldroye  et  abysme  tout  ce  povre  monde  icy,  qui  n'en  peult  mais,  pour  la  puni- 
tion de  nostre  forfait.  Il  n'y  auroit  gnères  à  faire,  car  il  est  assez  t^mpe.statif 
quand  il  se  y  met.  >.  (DiaJogue  I,  édit.  Lacour,  p.  327-328).  Et  Mercure  s'étonne  de 
la  patience  inusitée  de  .Jupiter  :  "  Encores  suis  je  grandement  esmerveillé  comment 
il  iieult  avoir  si-ljelle  patience.  Le  forfaict  de  Lycaon,  pour  lequel  il  fit  jadis  venir 
le  déluge  sur  la  terre,  n'estoit  point  tant  abominable  que  cestuy  cy.  Je  ne  .scay  h 
quoy  il  fient  qu'il  n'en  a  desjà  du  tout  fouldroye  ce  malheureux  monde  » 
(Dial.    III,   p.   346-347). 


366  SOUECES    ET    INFILTRATIONS 

dit-il,  cette  dureté  avec  la  douceur  de  Licurgue  et  la  clémence 
de  Solon  (i),  et  jugez,  puisque  les  philosophes  nous  disent  que 
la  sagesse  consiste  à  ressembler  aux  dieux,  si  l'on  peut  prendre 
pour  modèle  le  Dieu  des  Hébreux  (2).  Celse,  qui,  avant  Julien, 
avait  relevé  aussi  raiithroponiorj)hisme  hébreu,  donne  de  la 
cruauté  de  Dieu  une  preuve  plus  inattendue,  mais  que  Jean 
Bodin  relèvera  :  Comment  le  Père  a-t-il  été  si  dénaturé  que 
d'envoyer  son  Fils  sur  terre  pour  y  souffrir  ce  qu'il  a 
souffert  et  y  momùr  de  la  mort  que  l'on  dit  ^3)  ? 

L'un  et  l'autre  s'attaquent  à  la  Bible  :  ce  jardin  planté  par 
Dieu,  la  création  d'Adam  et  d'Eve,  la  tentation  du  serpent 
paraissent  à  l'un  et  à  l'autre  des  fables  ridicules  :  «  Ce  sont 
fables  pures  )>,  s'écrie  Julien,  de  même  nature  que  celles  des 
poètes  et  d'égale  autorité  (^).  Le  déluge  de  Noé  est  une  version 
de  celui  de  Deucalion  t^',  la  tour  de  Babel  les  fait  songer  l'un 
et  l'autre  aux  Aloades  dont  Homère  raconte  l'aventure  '^^  et 
qui  tentèrent  d'escalader  le  ciel  ^'^\ 

Mais,  c'est  surtout  contre  la  personne  et  l'œuvre  du  Christ 
qu'ils  dirigent  leurs  attaques.  Les  héros  que  la  religion 
païenne  a  honorés  ou  divinisés  l'ont  été  pour  leurs  travaux  : 
Persée,  Eaque,  Amphion  ont  chassé  les  pirates®;  i\linos  et 
Rhad.amante  ont  instauré  la  justice  dans  leurs  pays.  Mais 
Jésus,  qu'a-t-il  fait  de  remarquable,  si  ce  n'est  d'avoir  séduit 
quelques  misérables  et  guéri  quelques  malades  ^^)  ?  «  Si  vous 
aviez  tant  envie  d'innover,  combien  auriez-vous  mieux  fait 
de  choisir  quelqu'un  qui  fût  mort  glorieusement  et  en  qui  la 


(1)  Ibid.,   V,   168  B. 

(2)  Ibid.,  V,   171  D. 

(3)  Contra  Celsuni.  VITI,  XLI,  p.  3'il;  pour  ranthropomorphisme,  voir  aussi  IV, 
LXXI-LXXIII,  p.  17/1-175. 

''()  Adv.  Jul.,  III,  75  A.  Voir  sur  ces  questions  saint  Cyrille,  III,  86  A,  89  A; 
Origène.  livre  IV,  chap.  XXXVII,  XXXVIII,  XXXIX,  p.  153,  155,  156,  157;  livre  VF, 
chap.  XLIX,  p.  257,  où  11  propose  une  explication  allégorique  de  la  création 
mosaïque. 

(5)  Contra  Cclnim.  IV,  chan.  XI,  XLI. 

(6)  Contra  Cclsum.  livre  IV»,  chap.  XXI,  p.  138. 

(7)  Odyssée,  XI,  305-320. 

(8)  Contra  Celsum,  I,  -il:  Adv.  JuUan  ,  VI,  190  G. 

(9)  Adv.  Julian..  VI,  191  E. 


LES    «    ACHRISTES     •>  367 

fiction  qui  l'aurait  fait  Dieu  trouvât  au  moins  à  se  soutenir? 
Si  vous  ne  vous  accommodiez  pas  d'Hercule,  d'Esculape  et 
d€  ces  autres  héros  de  l'antiquité,  vous  aviez  Orphée,  qui 
était,  sans  contredit,  un  homme  divinement  inspiré  et  qui  est 
mort  lui  aussi  de  mort  violente.  Mais  peut-être  que  vous  aviez 
été  devancés  par  d'autres  à  son  égard?  Vous  pouviez  donc 
prendre  Anaxarque,  qui,  comme  on  le  pilait  dans  un  mortier 
avec  la  dernière  barbarie,  témoignait  son  mépris  pour  ce 
supplice  :  Broyez,  broyez,  disait-il,  l'étui  d 'Anaxarque,  car 
pour  lui  vous  ne  le  toucherez  point.  Parole  vraiment  digne  de 
l'Esprit  divin!...  Vous  pouviez  prendre  Epictète,  qui,  comme 
son  maître  lui  tournait  violemment  la  jambe  :  <(  Vous  me 
rompez  la  jambe  »,  lui  dit-il  en  souriant,...  et  comme  il  la  lui 
eut  rompue  :  ((  Ne  l'avais-je  pas  bien  dit  »,  ajouta-t-il,  «  que 
vous  me  la  rompriez  »  ?  Ouest-ce  que  votre  Dieu  a  dit  de  pareil 
dans  les  tourments?  ».  Chez  les  Hébreux  mêmes:  Jonas,  Daniel, 
lui  sont  supérieurs  ;  <(  Vous  nous  présentez  pour  Dieu  celuy 
qui  a  fini  son  infâme  vie  par  une  mort  pleine  de  misère  (i'  ». 
Sa  vie  n'est  pas  irréprochable  '^l  Ses  miracles  mêmes  n'ont 
rien  de  si  étonnant.  Numa  eut  aussi  une  puissance  extra- 
ordinaire et  dans  des  lieux  déserts  communiquait  avec  Dieu  t^'. 
Esculape  surtout,  envoyé  de  Dieu  sur  terre,  parcourut  le 
monde  «  en  arrachant  les  âmes  aux  vices  et  les  corps  à  la 
maladie  (^)  ».  Sans  lui  opposer  ces  hommes  divins,  les  magi- 
ciens d'Egypte  faisaient  des  prodiges  plus  surprenants  que 
ceux  de  TEvangile  ^^K  Ils  apprirent  le  secret  de  leur  art  à 
Moïse  (^).  Et  parmi  les  Grecs,  que  d'imposteurs  qui  ont  pré- 
tendu les  faire  avant  lui,  même  ses  résurrections  :  Zamolxis, 
Rythagore,  Rampsinite,  Orphée,  Protésilas,  Hercule,  Thésée, 


(1)  contra  Celsum,  VII.  LUI,  p.  308;  autres  textes  du  même  genre  :  I,  XXXIII,  p.  66; 
II,  XLII;  VI,  LXXIV-LXXV,  p.  272;  II,  XXIX,  p.  69.  Sur  l'humilité  de  la  naissance 
de  Jésus  :  Contra  Celsum,  I,  XXVIII.  p.  16  et  suiv. 

(2)  Contra  Celfium,  II,  XL,  p.  69  et  suiv. 

(3)  Adv.  JiMian.,  VI,  193  C. 
W  Ibid.,  VI,  200  A. 

(5)  Contra  Celsum,  I,  LXVIII.  42. 

(6)  contra  Celmm,  1,  XXVI;  II,  LU;  III,  XLVI. 


308 


SOURCES    ET    INFILTRATIONS 


Simon,  Judas  le  galiléen,  Tliéodas,  Dosithée  (^',  Esculape, 
Clasomène,  Aristée,  Cléomèdef*),  Encore  si  ces  miracles 
étaient  prouvés  !  Mais  comment  croire  à  sa  résurrection  sur 
le  témoignage  d'une  femme  fanatique  ^3). 

On  trouve  même  dans  ces  livres  les  discussions  exégétiques 
les  plus  récentes,  surtout  dans  celui  de  Julien  qui,  instruit  par 
des  prêtres,  «  leur  a  fait  durement  payer  les  longs  ennuis  que 
lui  avait  coûtés  cette  théologie  »  et  qui  semble  avoir  prévu 
la  plupart  des  arguments  dont  la  critique  se  sert  le  plus 
volontiers  aujourdhui  '^K  II  soutient,  par  exemple,  que  seul 
saint  Jean  a  affirmé  la  divinité  de  Jésus  et  encore  avec 
obscurité  et  ménagement'^'.  Il  s'essaie  même  à  dater  l'époque 
où  les  générations  chrétiennes  ont  été  mûres  pour  cette 
apothéose  :  «  Ce  Jésus,  ni  Paul,  ni  Mathieu,  ni  Luc,  ni  Marc 
n'ont  osé  le  proclamer  Dieu  ;  mais  ce  bon  Jean  (  ôy^pr^aroç 
h)y.yyr,ç  )  qui,  voyant  que  beaucoup  de  villes  grecques  et 
italiennes  étaient  prises  de  cette  maladie  et  apprenant  qu'on  y 
honorait  les  restes  de  Pierre  et  de  Paul,  osa  le  premier  pro- 
clamer ce  dogme  (^>  ».  Encore  le  titre  de  Fils  de  Dieu  qu'on 
lui  donne  a  un  sens  discutable  :  la  Bible  l'attribue  tour  à  tour 
au  monde  pour  marquer  qu'il  a  été  créé  par  Dieu,  aux  anges, 
au  peuple  d'Israël'"^'.  Jésus  lui-même  semble  repousser  ce 
titre  quand  il  dit  l'avoir  au  même  titre  que  les  hommes  '^'. 
Saint  Cyrille  est  obligé  de  relever,  comme  les  apologistes  les 
plus  récents,  tous  les  passages  des  synoptiques  et  de  saint 
Paul  d'où  l'on  peut  inférer  qu'ils  croyaient  à  la  divinité  de 

Jésus  '9). 

D'autres  discussions  non  moins  actuelles  s'élèvent  sur  l'au- 
thenticité du  texte  des  Evangiles  qui  auraient  été  altérés  par 


(1)  Contra  Celsuni.   II.   LV.   i.    --2-73.  77;    VI.   XI     p    -235. 

(2)  fhi'J..    III.   III.    p.   93. 

(3)  Ihiil..   II.  LIX.  77. 

(4)  G.  BoissiER.  La  fin  du  Paunnisme.  I.  III,  ji.  108 

(5)  Ailv.  Jiillan..  VI.  213  li. 

(6)  Adv.  Jitlian..  X,  3-27  A. 

(7)  Covtrn  rcUum,  VI,  XLVII,  p.  256;  Adv.  JiiUnn..  IX.  p.  290  291. 

(R)  Ego  flixi  :  dii  estls  et  mil  e.vceisi  omnes  (Ps.  81.  8'.):  Adv.  Julian..  Vil,  p.  292. 
(9)   Adv    Jiiliav  .  X.   p.  327  ;i  .333  et  vossliii.  voir  riii-^^i   (Unira  Crlsiun.   VIII,   XII. 
p.  32'i  à   326. 


LES    ((    ACHRISTES    »  369 

Marcion  et  \'al<?ntiii'i),  sur  leur  concordance,  en  particulier 
à  propos  de  la  généalogie  de  Jésus  ^'^\  sur  la  portée  et  le  sens 
des  prophéties  surtout,  qui  sont  discutées  par  les  deux  incré- 
dules et  leurs  antagonistes  avec  tous  les  détails  d'histoire  et 
de  grammaire  que  demande  une  pareille  entreprise  f^)  j^g 
résultat  de  ces  longues  controverses,  c'est  que  les  prophéties 
de  l'Ancien  Testament  sont  de  même  nature  que  les  oracles  de 
la  Pythie,  des  Dodonéens,  d'Apollon,  de  Jupiter  Hammon(^); 
que  Jésus  fut  un  sage  comparable  aux  thaumaturges  que  j'ai 
déjà  nommés  ou  aux  philosophes  que  les  divers  pays  ont  vu 
naître  à  l'aurore  de  leur  civilisation  et  à  qui  souvent  ils  ont 
accordé  les  honneurs  divins  :  Pythagore,  les  mages  de 
Chaldée  et  de  Perse,  les  druides  de  Gaule,  Samanis  en  Bac- 
triane,  les  gymnosophistes  de  l'Inde,  Anacharsis  chez  les 
Scythes,  Zamoxis  en  Thrace  f^)  ;  Castor  et  PoUux,  Hercule 
Bacchus,  Esculape  déjà  nommés.  Moïse,  Amphiloque,  Tro- 
phonius,  Antinous  <^)  :  ainsi  s'éleva,  par  une  apothéose  pos- 
thume, Jésus  de  Nazareth. 


IV 


En  définitive,  la  divinité  de  Jésus-Christ  est  l'enjeu  de 
toutes  ces  luttes,  quelquefois  sanglantes,  où  s'exerce  la  pensée 
débridée  de  notre  Renaissance.  «  Ceux  qui  n'ont  pu  saisir  le 
Christ  par  la  foi,  nient  le  Christ  lui-même  et  tout  ce  qu'on  a 
dit  ou  écrit  du  Christ  et  le  méprisent.  Aussi  manichéens, 
pélagiens,    ariens,    [anabaptistes],    athées   et  philosophes   se 

(1)  Contra  Celsum,  II,  p.  63. 

(2)  Adv.  Julian.,  VIII,  p.  253. 

(3)  Voir  spécialement,   Adv.  Julian.,  VIII,   p.  253,   261,  262;   Contra  Celsum,   I, 
XXVII,  XXXIV,  XLIX.  L,  LI,  LUI,  p.  20,  30-32;  II,  XIII,  p.  52;  V,  II;  VII,  X. 

(4)  Contra  Celsum,  VII,  III,  p.  278. 

(5)  Adv.  Julian.,  IV,  p.  133. 

(6)  Contra  Celswn,  III,  XXII,  p.  101;  XXVI  et  suiv.,  p.  112  et  suiv. 


370  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

brisenl  à  celle  pierre  (^^  ».  Mais  le  mysticisme  des  quintinisles 
ou  le  platonisme  de  Servet,  l'ariani-me  des  protestants  libéraux, 
les  livres  de  Celse  et  de  Julien  ne  sont  pas  les  seules  sources  de 
l'incrédulité  en  Jésus-Christ.  L'étude  de  l'origine  des  religions 
a  fait  de  grands  progrès  au  cours  de  la  première  moitié  du 
XVP"  siècle.  11  y  a  deux  laçons  —  en  dehors  de  la  foi  —  de 
comprendre  lorigine  des  religions  :  ou  bien,  on  peut  consi- 
dérer les  divers  systèmes  dogmatiques  comme  la  réalisation 
externe  pour  ainsi  dire  du  sentiment  religieux  épars  dans  les 
masses  à  un  moment  donné,  comme  la  synthèse  de  toutes  le? 
aspirations  des  sociétés  où  ils  naissent  :  c'est  le  système 
adopté  par  les  pythagoriciens,  les  néo-platoniciens,  les  gnos- 
tiques  et  au  XIX^  siècle  par  la  critique  allemande  (2);  ou  bien, 
on  donne  pour  origine  aux  dogmes  religieux  des  causes  parti- 
culières :  héros  que  leurs  exploits  ou  leurs  services  ont  fait 
diviniser,  rois  que  leur  ruse  ou  leur  audace  ou  l'affection 
ignorante  de  leurs  peuples  ont  fait  adorer,  phénomènes 
physi(jues  incompris  :  c'est  la  théorie  d'Evhémère,  courante 
en  France  au  XVIP  et  au  XVIIP  siècle  <3).  C'est  celle  aussi  de 
la  Uenaissance  française.  On  connaît  les  jolies  pages  du 
Voyafje  aux  Pijrénêes  ''''  où  Taine  essaie  de  lier  les  paysages 
pyrénéens  à  la  religion  des  habitants  :  «  chacun  de  ces 
|)aysages  est  une  face  de  la  nature,  chacun  de  ces  dieux  est 
une  des  formes  par  lesquelles  l'homme  a  exprimé  son  idée  de 
la  nature  '^^  ».  Avant  les  plus  modernes  de  nos  philosophes, 
les  penseurs  de  la  Renaissance  y  avaient  songé. 

Ils  avaient  trouvé  ces  idées  d'abord  chez  les  anciens.  Plu- 
tarque  y  fait  allusion  au  traité  d'Isis  et  cVOsirls  et  en  signale 
le  danger  :  «  c'est  transporter  des  cieux  à  la  terre  ces  noms 

(1)  Ch.  de  Sainte-Marthe  :  in  puai  XC  (1550).  Ch.  de  Sainte-Marthe  ne  cite 
pas  les  anabaptistes  dans  cette  liste,  mais  11  leur  fait  une  grosse  part  dans  son 
étude.  Voir  plus  haut,  chap.   IX,  fin. 

(2)  Lecky.  liis.  and  influence  of  Bat.,  I,  p.  299. 

(3)  Lecky,  ihid..  I,  p.  298;  Decharme,  MijHiologie  de  la  Grèce  antique.  Paris, 
1S79.  Introd.,  VII-VIII.  Sur  Evhémère,  voir  De  Block.  Evhémère,  son  livre  et  sa 
doctrine,  Mons  et  Bruxelles,  1866. 

(4)  Eaux  Chaudes,  p.  117  de  la  15»  édlt.,  Hachette. 

(5)  Ibid..  p.  121. 


LES    u    ACHRISTES     "  371 

si  révérés,...  c'est  ouvrir  la  porte  à  l'impiété  de  ce  peuple 
d'athées  qui  transforment  les  dieux  en  hommes...*^'  ».  Lui- 
même  cependant  ne  semble  pas  croire  à  la  légende  de  la 
nymphe  Egerie  ''2'.  Mais,  c'est  surtout  dans  le  De  Nalura 
Oeoruni  qu'ils  purent  en  voir  l'exposé.  Cotta  y  insiste  à  plu- 
sieurs reprises.  Il  cite  la  théorie  de  Prodicos  de  Ceos,  selon 
lequel  «  les  dieux  sont  ce  qui  a  été  utile  aux  hommes  (3)  »,  celle 
d  Evhémère  et  d'Ennius  qui  racontent  que  les  dieux  sont  des 
hommes  divinisés,  et  celle  des  incrédules  qui  voient  dans  la 
religion  une  invention  des  politiques  u  dont  le  but  était  de 
gouverner  par  la  religion  les  esprits  que  la  raison  toute  seule 
ne  gouverne  plus  (^'  ».  Au  deuxième  livre,  le  stoïcien  Balbus 
donne  des  précisions  et  cite  parmi  les  héros  déifiés  par  la 
reconnaissance  des  hommes  :  Hercule,  Castor,.  Pollux,  Escu- 
lape,  Bacchus,  Romulus.  Il  ajoute  qu'on  a  aussi  déifié  les 
forces  naturelles,  lair,  le  soleil,  la  lune,  la  terre,  etc..  <^'.  Voilà, 
me  semble-t-il,  la  source  première  de  ces  théories  '6). 

Mais  les  Italiens  depuis  longtemps  les  avaient  exploitées. 
Boccace,  dès  le  XIV  siècle,  avait  publié  sa  Généalogie  des 
dieux;  elle  fut  réimprimée  à  Paris  en  1511  ^^'.  Dans  ce  traité, 
il  explique  quelques  mythes  antiques  par  la  personnification 
des  phénomènes  physiques;  c'est  ainsi  que  Syrinx  représente 
l'harmonie  des  cieux  et  des  sphères  célestes  <^';  que  la  nuit  est 

(1)  Isis  cl  Osirîs,  LXVI. 

(2)  Vie  de  XiOna,  V. 

(3)  De  Nat.  Deoruin.  I,  XCII. 

(4)  De  Nat.  Deoniin.  I,  XLII. 

(5)  IWâ..  II,  XXIV.  Dans  les  Tusrnlanes,  I,  12,  Cicéron  dit  aussi  pour  prouver 
la  croyance  des  anciens  â  l'immortalité  qu'ils  ont  divinisé  Romulus,  Hercule, 
Bachus,  les  deux  Tyndarides.  Ino. 

(3)  On  a  vu  au  chap.  VII  (art.  Vlcomercato.  fin)  ce  crue  Vioomercato  doit  a,u 
De  Ndfiira  Deorutn.  Je  néglige  à  dessein  Ennius  dont  l'Evhemerus  a  péri  presque 
tout  entier.  Mais  Tertullien  {Ad  nattones,  II)  est  une  source  possible.  Il  résume 
Varron.  Lactance  dans  le  premier  livre  de  ses  Institutions  divines  résume  le 
De  Natiira  Deoruni.  notamment  son   exposé  de  révhémérisme. 

(7)  Généalogie  Johannis  Boccaci  cum  micantissiwis  urborurn  e^fjiacionibus 
eujiisqne  gcntilis  dei  progeniem  non  tam  aperte  quant  soniniatim  declarantibus... 
A  la  fin  du  volume  :  Parrhisi-,  excusum  est  stanncis  hoc  opus  rotulis  opéra  et 
expensis  D.  Hoce.  Lodovici  Hornken  et  sociorum  ejus  vicesima  secunda  die  augusti 
anno  Domivl  lâll.  info  de  157  feuillets,  y  compris  le  Traité  des  montagnes, 
fleuves,  mers,  du  même  Boccace.  Noter  que  Boccace  cite  très  souvent  le  De 
Natura  Deorvni  au  cours  de  son  ouvrage. 

(8)  I,   IV.   fo  9. 


372  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

dite  fille  de  la  terre,  parce  que  c'est  la  terre  qui,  en  interceptant 
la  lumière  solaire,  produit  la  nuit  '^';  que  Minei-vc  est  dite  née 
du  cerveau  de  Zeus,  parce  que  le  cerveau  est  le  siège  de  l'in- 
telligence *'*';  qu'Adonis  est  la  personnification  du  soleil  dont 
le  réveil  et  la  disparition  font  la  joie  et  le  deuil  de  la  terre  (3). 
Il  semble  peu  porté  à  voir  dans  la  religion  une  machination 
politique;  il  explique  ainsi  pourtant  la  légende  de  Minos  qui, 
prétendant  recevoir  ses  lois  de  Zeus,  afin  de  les  rendre  plus 
respectables,  passa  ainsi  pour  le  fils  du  dieu  '^).  Boccace 
s'attache  plutôt  à  expliquer  la  religion  antique  par  la  théorie 
d'Evhémère;  il  l'applique  à  la  mort  mystérieuse  d'Enée  et  de 
Romulus  *^';  Jupiter  aussi  était  un  roi  que  sa  puissance  et  ses 
bienfaits  ont  fait  déifier  après  sa  mort.  Boccace  raconte  ce 
fait  d'après  Ennius  et  Evhémère;  il  s'étonne  de  tant  de  naïveté 
chez  ses  adorateurs  et  il  ajoute  :  «  Je  sais  que  certains  pourront 
dire  que  bien  plus  récemment,  on  a  eu  le  même  penchant, 
puisque  nous  lisons  en  Luc  que,  à  Lystre.  Barnabe  et  Paul, 
hommes  très  saints,  prédicateurs  de  la  religion  divine,  ayant 
redressé  et  fait  marcher  un  boiteux  au  nom  de  Jésus-Christ, 
furent  pris  pour  des  dieux  par  les  habitants  de  Lystre...  et 
que,  malgré  eux,  les  prêtres  leur  préparaient  des  fêtes  et  des 
sacrifices  comme  à  des  dieux.  Mais  le  cas  est  moins  étonnant  : 
ils  avaient  fait,  sous  le  nom  de  Jésus-Christ,  une  œuvre 
divine  (^)  ». 

Giraldi,  en  1548,  formula  avec  plus  de  précision  encore 
l'évhémérisme  :  ((  les  hommes  grossiers  et  simples  voyant 
certains  de  leurs  semblables  exécuter  des  actes  étonnants, 
soit  de  vertu,  soit  d'autre  nature,  les-  crurent  supérieurs  aux 
hommes  et  égaux  aux  dieux*'')  ».  11  justifie  son  explication 

(1)  I.    IX,   f   11. 

(2)  II,    III,    fo   16  V. 

(3)  II,    LUI,    fo   20  vo. 

(4)  XI,  XXVI,  fo  84  verso. 

(5)  VI,  LUI,  fo  52. 

(6)  XI,  I.  fo  80. 

(7)  ne  Dels  gentium  varia  et  inulHidex  Historia...  LiUo  Greg  Gyrnldo  Ferrailrnsl 
autore.  A  la  fin  :  Basileae  ex  offlcin.  Oporini,  anno  .salutis  MnXLVIII  Mense 
augusto.  Le  texte  cité  est  à  la  page  20. 


LES    «    ACHRISTES    »  373 

par  une  citation  du  De  Nalura  Deorum  et  en  donne  des 
exemples.  Il  accorde  aussi  que  certains  dieux  ne  sont  que 
des  forces  naturelles  divinisées  ^i'.  Au  début  de  son  livre,  il 
regrette  que  ces  études  destinées  à  épurer  la  religion  aient 
conduit  à  l'athéisme  E'vhémère,  Protagoras,  Théodore  de 
Cyrène  et  Diagoras  ^'^K  Et  il  ajoute  :  «  Plût  au  ciel  qu'il  n'y 
en  eût  pas  aussi  un  grand  nombre  de  notre  temps  t^'  ». 

Le  livre  de  Noël  Conti,  paru  trois  ans  après  celui  de  Giraldi 
(1551)  (^),  reprend  et  expose  plus  au  long,  mais  avec  moins  de 
méthode,  les  mêmes  idées.  Pour  lui,  les  dieux  sont  la  per- 
sonnification ou  des  sentiments  humains,  ou  des  forces  natu- 
relles <5',  ou  des  grandes  idées  philosophiques  (°);  ailleurs,  il 
expose  que  la  religion  est  née  de  la  crainte  ("'.  C'est  pour 
pénétrer  tous  les  hommes  du  sentiment  de  la  présence  et  de 
la  surveillance  divine  que  les  anciens  attachèrent  à  tous  les 
lieux,  à  toutes  les  familles,  à  toutes  les  professions  le  nom 
d'un  dieu  <^).  Enfin,  beaucoup  de  dieux  sont  des  hommes  divi- 
nisés ^^K  A  plusieurs  reprises  aussi.  Conti  insiste  .«ur  ce  que 
les  récita  miraculeux  sont  la  transformation  légendaire  de 
faits  réels,  mais  naturels  (^o). 

En  France,  ces  idées  ne  semblent  pas  bien  courantes.  La 
première  expression  que  j'en  trouve  au  XVP  siècle,  c'est  dans 


(1)   Adonis  est  la  g-ermination,  Saturne  le  temps,  etc.  Syntagma  I,  p.  35;  XIII, 
p.  565,  etc. 
f2)  Ce  sont  les  athées  cités  par  Cicéron  au  début  du  De  Nat.  Deorum. 

(3)  De  Deis  gentium,  I,  p.  2. 

(4)  Natalift  Comitis  mythologiœ  sive  explicationis  fabularuin  libri  X...Parislis 
ap.  Seb  et  Sim.  Aubray,  1605. 

(5)  Myth.,  III,  I,  p.  190;  IV,  I,  p.  284;  IV,  V,  p.  304;  IV,  X.  p.  360;  V,  IV,  p.  514- 
515;  VII,  I,  p.  696;  IX,  I,  938,  etc.  L'exposé  de  la  théorie  se  trouve  surtout  IV,  I, 
p.   284. 

(6)  ^fyth.,   II,   I,   p.   106-107;   X,   I,   p.   1014-1016. 

(7)  Ad  metum  deorum  in  animis  hominum  imprimendum...  Kam  cum  turba 
fœminarum  imperitorumgue  multitude  rationes  philosophicas  minime  possent 
imbibere,...  Deorum  metu  et  timoré  opus  fuit.  X,  p.  1624.  Cf.  aussi  X,  p.  1026-1027. 

(8)  Myth.,  VIII,  Prélimin.,  p.  807-808. 

(9)  Les  chapitres  VII,   VIII,  IX  en  entier  leur  sont  consacrés. 

(10)  MytiL.,  IV-IX,  à  propos  de  la  résurrection  des  morts  par  Esculape,  par  exemple. 


374  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

un  rapport  du  chancelier  Dupral  sur  le  Concordat  '■^\  sous 
Tannée  1518.  Le  chancelier  voulant  rompre  la  monotonie  de 
son  très  long  rapport  par  un  morceau  de  bravoure,  résume, 
tour  à  tour  en  latin  et  en  français,  une  page  de  la  République 
(le  François  Patrizzi  >2)  de  Sienne  où  sont  énumérés  quelques- 
uns  des  législateurs  (jui  ont  voulu  donner  à  leurs  lois  une 
origine  divine  :  Minos,  Ligurgue  (sfc),  Zamolxis.  <<  (jui  bailla 
les  lois  aux  Gèthes  »,  A'uma  Pompilius.  Alais  il  ne  parle  pas 
des  dieux  mêmes.  Dolet,  dans  son  Commentaire  de  la  langue 
latine,  semble  bien  s'inspirer  d'Evhémère,  lorsqu'il  met  dans 
la  famille  des  dieux  ses  amis  les  humanistes  :  Bembo,  Sadolet, 
Vida,  Erasme,  Mélanchthon,  Germain  de  Bi  ie,  Budé,  Longueil, 
Neufville,  Bérauld  :  ((  ils  sont  de  race  divine  et  parents  des 
dieux  immortels,  non  pas  seulement  par  la  similitude  de  nom 
et  d'appellation,  mais  par  la  gloire  et  l'excellence  de  leur 
génie;  (jue  si  on  scrute  la  divinité  des  dieux,  on  ne  trouve  rien 
de  particulier  aux  dieux,  que  ne  possèdent  ces  génies...  '3)  ». 
Des  Periers  me  semble  faire  allusion  à  l'évhémérisme  en  don- 
nant pour  titre  au  livre  que  Curtalius  a  volé  à  Mercure  :  Cata- 
lor/us  Hcroum  Immorlalium  qui  cum  Jove  vitam  victuri  sunt 
seuipilcmain.  On  pouirait  peut-être  objecter  que  ce  titre  assez 
vague  serait  aussi  bien  une  parodie  de  la  doctrine  de  Calvin  sur 
la  prédestination.  Mais  la  prédestination  qui  forme  le  fonde- 
ment du  calvinisme  était  alors  peu  connue,  Vlnsfilulion  Chré- 
tienne n'ayant  précédé  que  d'un  an  le  Cijmbalum.  Voici  du  J^ 
reste  un  texte  qui  ne  peut  s'appliquer  qu'aux  dieux  anciens,  î: 
et  nullement  aux  réformés.  Gupido  annonce  à  Mercure  qu'il  r 
a  «  ouy  parler  d'ung  livre  le  plus  mei'veilleux  que  l'on  vit  onc-  iti 
qucs  )'  volé  par  deux  «  compagnons  ».  Ce  livre  leur  est  précieux  W: 
pour  dire  la  bonne  aventure  et  promettre  l'immortalité  à  leurs  y 
amis.  ((  Et  davantage,  ces  gallantz  promettent  aux  gens  de  les 

>. 

(1)  Sur  les  causes  et  raisons  qui  ont  rneu  le  Roy  très  ihrestlen...  de  faire  le  J? 
roncordatz...  avec  N.  S.  P.  le  impe  Léon  X  (Journal  de  J.  Bnrillon,  écl  Vaissière.  ^ 
II.  i>.  63). 

(2)  Fr.  Patrinu.s  Senensls  'mort  en  1328).  Son  livre  est  értité  en  France  dè«  1519. 

(3)  Comment,  linf/.  lat..  II.  p.  326-327,  et  II,  p.  493. 


i- 


LES    <(    ACHRISTES    »  375 

enrôler  au  livre  d'immortalité  pour  certaine  somme  d'argent  » 
—  ((  Voire  ?  par  le  corbieu  !  s'écrie  Mercure,  c'est  ce  livre  là 
sans  aultre.  Il  n'y  a  que  danger  qu'ilz  n'y  escripvent  dies  usu- 
riers, rongeurs  de  povres  gens,  des  bougres,  des  larrons,  et 
qu'ilz  en  effacent  des  gens  de  bien,  pource  qu'ilz  n'ont  que 
leur  donner  '^'>  ». 

Vicomercato  a  professé  ouvertement  les  doctrines  d'Evhé- 
mère  à  Paris  (2)  et  son  contradicteur,  Postel,  les  a  exposées  tout 
au  long  dans  le  IIP  livre  de  son'  De  Concordia...  ovbis  (1543). 
Toutes  les  religions  ont  leur  origine  dans  la  nécessité,  l'utilité 
ou  le  plaisir  (3).  Pour  les  premiers  Grecs  et  Romains,  elle  fut 
un  moyen  de  dompter  le  peuple.  Sémiramis  nourrie,  par  des 
colombes,  Egisthe  par  une  chèvre.  Pelée  par  une  jument, 
Paris  par  une  ourse,  après  avoir  été  exposés  :  ces  légendes 
donnaient  aux  hommes  ainsi  sauvés  miraculeusement  plus  de 
conhance  dans  leur  destinée,  et  aux  peuples  qu'ils  comman- 
daient une  crainte  religieuse.  Et  Moïse  sauvé  des  eaux?  Postel 
se  contente  de  dire  qu'il  a  servi  de  modèle  aux  autres  (^'.  Les 
prodiges  qui  ont  annoncé  les  grands  règnes  (Hiéron  en  Sicile, 
Merlin  en  Bretagne);  les  génies  qui  accompagnaient  certains 
grands  hommes  (Pythagore,  Socrate,  Savonarole),  le  com- 
merce merveilleux  que  certains  législateurs  ont  feint  d'avoir 
avec  les  dieux  (Numa,  Lycurgue,  Solon,  Charondas, 
Zamolxis,  Mahomet)  ont  le  même  but.  Une  fois  la  légende 
créée,  l'apothéose  après  la  mort  du  personnage,  des  sacrifices 
offerts  à  l'occasion  de  son  anniversaire,  l'érection  de  temples 
et  Ja  création  de  sacerdoces  destinés  à  l'honorer,  les  récits  de 


(1)  Cymbalum  mundi,  dialogue  III,  édit.  Lacour,  p.  355. 

(2)  /n  XII  melaph.,  p.  120-121;  voir  chap.  VII.  Rappelons  que  pour  Vicomercato 
comme  pour  Postel,  c'est  l'utilité,  les  services  rendus,  la  nécessité  de  faire 
observer  la  loi,  l'ignorance  des  causes  et  phénomènes  naturels  qui  ont  fait  les 
religions. 

(3)  Nécessitas  utilitasve...  atque  libido  variarum  religionum  praecipuse  causj« 
prudentibus  fuere.  De  Orbis  concordia,  III.  ch.  V  :  unde  persuasiones  de  diis- 
variae  itrofinxerint.  p.  277. 

(4)  Ibid.,    p.   279-280. 


376  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

miracles,  entretiennent  et  développent  la  ferveur  des  fidèles  (*). 
Tel  est  le  résumé  de  ces  chapitres  si  hardis  de  Postel.  Ramus, 
en  expliquant  le  songe  de  Scipion  (1545).  fait  aussi  allusion  à 
ces  théories,  mais  sans  insister  <2).  Xalurellemenl,  personne 
parmi  ceux  que  je  viens  de  nommer  n'applique  ces  systèmes 
à  la  religion  chrétienne;  d'aucuns  s'en  défendent  même.  Mais 
nous  savons  d'autre  part  que  quelques-uns  le  faisaient.  Sans 
parler  des  libertins  du  moyen,  âge  et  du  blasphème  des  trois 
imposteurs,  nous  savons  par  A.  Fumée  que  les  libertins 
parisiens  de  1542  reprenaient  ce  blasphème  en  expliquant 
la  croyance  en  la  divinité  de  Jésus-Christ  par  les  théories 
d'Evhémère  ^3)  C'est  cette  lettre  qui  nous  reste  à  étudier;  à 
sa  date,  par  les  précisions  et  l'abondance  des  renseignements 
qu'elle  contient,  elle  sera  la  conclusion  naturelle  de  cette 
série  d'études  si  diverses. 


V 


En  1542,  Calvin,  alors  à  Genève,  demanda  à  Antoine 
Fumée  '^)  de  le  renseigner  exactement  sur  les  libertins.  On  a 
vu  plus  haut  qu'à  cette  date  le  mouvement  libertin  prenait 
dans  le  Nord  une  grande  extension.  Cette  même  année  Pocque 
s'aventurait  jusqu'à  Genève.  Calvin  donc,  effrayé,  demanda 


(1)  Ibid  ,  ch.  VI,  p.  282  à  284;  ch.  VII-VIII,  p.  284-288. 

(2)  Hinc  (pour  donner  de  l'autorité  à  leurs  paroles)  legum  latores  leges  suas 
ad  autorem  aliquem  Deum  retulerunt;  Zoroastes  ad  Oromasim,  Trimegistus  ad 
Mercurium,  Minos  ad  Jovem,  Charondas  ad  Saturnum,  Licurgus  ad  ApoUinem, 
Solon  ad  Minervam  {De  Somnio  Scipionis.  prsefatio,  p.  5). 

(3)  Si  les  textes  sont  rare^  qui  prouvent  cet  état  d'esprit,,  11  ne  faut  pas  s'en 
étonner.  Ces  choses  en  ce  temps-là  i>ouvaient  se  dire,  elles  ne  s'écrivaient  pas. 

(4)  Né  aux  Roches-Saint-Quentin,  en  1511,  conseiller  au  Parlement  de  Paris  en 
1.Î36,  emprisonné  pour  avoir  soutenu  les  protestants  contre  Du  Bourg  en  1559, 
puis  élargi,  resta  pourtant  suspect  et  dut  s'exiler  à  Orléans  en  1562.  Nommé  prési- 
dent des  Enquêtes  au  parlement  de  Bretagne  en  1563,  résigna  le  2  avril  1568,  se 
retira  à  Blain,  et  mourut  en  1570  (Haao,  Fr.  pr.,  V,  186,  2»  édlUon,  VI,  755;  rectifié 
par  Sailnier,  Le  Parlement  de  Bretagne,  I,  p.  404. 


LES    ((    ACHRISTES     »  377 

des  renseignements  à  son  ancien  condisciple  d'Orléans, 
A.  Fumée,  conseiller  au  Parlement  de  Paris  depuis  1536. 

Il  y  a,  en  effet,  lui  répond  Fumée,  une  race  de  gens 
<v  achristes  »  '^^  —  et  le  nombre  en  est  très  grand  —  dont  il  fuit 
non  seulement  la  conversation,  mais  même  la  rencontre. 
Pourtant,  il  en  a  interrogés,  avant  de  répondre  à  Calvin.  Ils 
s'attaquent  à  l'Ecriture  :  (c  Le  Nouveau  Testament  est  l'œuvre 
d'un  homme  érudit,  très  intelligent,  très  sage,  très  fin,  presque 
divin  —  comme  Platon,  —  mais  d'un  Dieu,  jamais  !  Cela  n'est 
pas  possible  <2'  ».  Socrate,  Platon  et  bien  d'autres  philosophes 
n'ont-ils  pas  écrit  des  livres  divins,  plus  divins  que  l'Evangile? 
On  ne  les  croit  pas  dieux  pour  cela  (3).  Quant  à  l'Ancien  Tes- 
tament, ils  en  contestent  le  sens  reçu  jusqu'ici,  et  si  on  leur 
représente  l'autorité  de  ces  textes  sacrés  :  «  Sacrés?  disent-ils, 
des  livres  bourrés  de  paroles  et  de  chansons  impudiques 
comme  celles  qu'on  trouve  au  Cantique  des  Cantiques '^^'i  »? 

Quand  on  leur  parle  du  Fils  de  Dieu,  ils  l'entendent  de 
quelqu'un  qui  a  une  sagesse  divine.  C'est  ainsi  qu'on  lit  dans 
l'Ecriture  :  Mons  Dei,  spiritus  Dei,  c'est  à  dire,  grande  mon- 
tagne, grand  esprit.  La  divinisation  de  Jésus-Christ  est  une 
invention  comme  celle  des  poètes  qui  ont  ainsi  divinisé  les 


(1)  Genus  hominum'  y'/fA-^TWi  .  A  la  fin  de  la  première  partie  de  sa  lettre,  il  dit 
qu'ils  deviennent  un  danger  pour  les  protestants  «  ingenti  eorum  hominum  multi- 
tudine  ".  Tous  les  textes  qui  suivent  sont  des  extraits  de  cette  lettre.  Elle 
est  en  entier  dans  Herminjard,  Correspondance  des  .réformés,  VIII,  n»  1194, 
p.  228-233.  Elle  nest  pas  datée.  Herminjard  la  suppose  de  la  fin  de  1542. 

(2)  Primum  quidem  novi  Testament!  fldem  abrogant  :  eum  qui  illud  conscrip- 
serit  aut  ejus  authorem  summe  eruditum,  ingeniosissimum,  prudentissiraum, 
sagacissimum  ac  pœne  divinum,  ut  Platonem,  §ià-j  Sk  shv.t  oùSvy.ôii  nec  uUa 
ratioue  id  fleri  posse  contendunt. 

(3)  Idgue  eos  maxime  movet...  quod  Socrates,  Plato  aliique  permulti  philosophi 
divina  p'eraque  ac  etiam  diviniora  Evangelio  scripserunt,  qui  tamen  dii  non  sunt 
existimati.  Rapprocher  de  ces  doctrines  le  texte  de  Marguerite  de  Navarre  :  «  Quant 
est  de  moy,  dit  Parlamente,...  je  sçay  bien  que  ung  d'entre  eux,  docteur  en  théo- 
logie et  principal  de  leur  ordre  [ms.  75782  :  docteur  en  théologie  nommé  Colimant 
grand  prescheur  et  provincial  de  leur  ordre  (cordeliers)]  voulut  persuader  à 
plusieurs  de  ses  frères  que  l'Evangile  n'estoyt  non  plus  croyable  que  les  commen- 
taires de  César  ou  autres  histoires  escriptes  par  docteurs  authentiques  »  {Heptam., 
V,  44,  p.  384  du  2?  vol.,  édit.  Janet). 

(4)  Hui!  tam  sanctae...  scripturae,  quoe  tôt  impudicis  verbis  et  cantionibus 
refertcfi  in  Cantico  Canticoritm  passim  reprehenduntur. 


3  /  (S  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

hommes  remarquables  'i'.  A  la  fin  de  la  lettre.  Fumée  noie 
dans  une  sorte  de  codicille  (jue  les  libertins  appli(juent  celte 
m«'MJie  théorie  dEvhémère  à  Moïse  et  en  l'ont  un  grand  général 
qui  a  prétendu  avoir  des  relations  avec  Dieu,  comme  Numa 
avec  la  nymphe  Egérie  (2). 

A  la  vertu  extraordinaire,  divine  de  Jésus-Christ,  à  sa 
morale  élevée,  ils  opposent  tout  ce  qu'ils  peuvent  trouver  de 
bon  dans  Platon  et  Socrate  ;  et  après  avoir  nié  la  réalité  des 
actes  prêtés  au  Christ,  ils  font  remarquer  que,  si  ces  préceptes 
sont  d'un  homme  savant,  ils  sont  cependant  trop  simples  et 
vulgaires,  sans  aucune  démonstration;  qu'un  homme  médio- 
crement dégrossi  a  pu  les  écrire  :  «  Bref,  Jésus  n'était  pas 
humaniste  (^^  ». 

Fumée  indique  ensuite  leur  milieu  :  Ce  sont  des  humanistes 
«  imbus  de  toutes  les  disciplines  »  ;  ce  sont  d'anciens  pro- 
lestants endurcis  aux  disputes  théologiques.  «  Ils  se  sont 
retranchés  derrière  des  remparts  foimidables  de  démons- 
trations d'où  il  ne  faut  pas  espérer  de  les  retirer.  Ils  sont  déses- 
j)érés  et  rebelles  à  tout  remède,  s'étant  attiré  la  malédiction 
dont  parle  l'apotre  :  ((  Que  ceux  (jui  ont  été  une  fois  illuminés, 
qui  ont  goûté  le  don  céleste,  participé  au  Saint-Esprit  et  à 
la  bonne  parole  de  Dieu,  s'ils  viennent  à  tomber,  il  n'est  pas 
possible  qu'ils  soient  renouvelés  par  la  pénitence''*'  ». 

Mais  le  correspondant  de  Calvin  s'aperçoit  qu'il  n'a  point 
parlé  de  la  vie  ni  de  la  doctrine  morale  des  libertins  et  c'est 

(1)  Cum  rie  fllin  Dei  aliquid  audiunt,  de  eo  dictum  interpretantur  qui  probe 
sapientiam  illam  divinam  sectatur...  et  hanc  nostram  '//'/ss^cv  inventionom  esse 
ta!if|'am  pnefarum  fini  celebies  et  eximios  viros  Deos  proptcr  vlitiitem  t'ffiiixerunt. 

ri)  Addam  qnod  prctcrca  Mli  non  dissimulant  de  Mo'e  scnticntes  prudcntissimum 
illum  ilucem  et  pr»feclum  ici  militai-is  extitisa',  quem  cum  Deo  tanquam  Numa 
cum  sua  Epreria  collocutum  a'unt. 

(3)  Havskk.  Humaii.  cl  lléfoime  dans  nevne  IlixL.  1897.  On  trouvera  dans  cet 
article  un  commentaire  de  la  lettre  qui  nous  occupe  ici. 

(4)  Scias  autem  homines  liujusmodi  vix  rationibus  convinci  pos.se.  ita  sunt  apud 
me  deplorati.  Multis  enim  ac  varils  disciplinis  imbuti,  nostrumque  sensum  pulchre 
rallentes  tanquam  qui  aliqunndo  a  nobis  desciverunt.  omni  vallo  ac  sepimento 
demonsiratlonum  se  munlerunt  et  adversum  nos  lia  obstinatc  sese  obflrmarunt, 
ut  vlx  u:.(|uam  eos  Inde  avelli  sperem,  in  illorum  capul  ab  apostolo  dictum  esse 
putans  :  ■  Nam,  inquit.  flori  non  jxjtest  »,  etc.  Calvin  songeait-il  à  la  lettre  de 
Fumée,  lorsqu'il  reprenait  ce  texte  et  l'appliquait  à  Des  Periers? 


LES    <(    ACHRISTES     »  379 

cela  surtout  que  Calvin  lient  à  savoir.  Ce  sont  des  viveurs, 
des  efféminés,  qui  ne  se  refusent  aucune  volupté,  qui  font  de 
la  délicatesse  de  la  table  et  de  la  joie  la  raison  dernière  de 
vivre  et  le  principal  remède  à  la  douleur  elle-même,  qui  repous- 
sent toute  crainte  et  toute  religion,  sachant  que  les  lois 
humaines  nont  pas  de  sanctions  contre  le  plaisir  (i). 

Ils  sont  «  virtuoses  »  au  sens  italien.  Ils  ont  le  goût  du  sang 
et  se  plaignent  que  le  christianisme  leur  ait  enlevé  le  droit  de 
vie  et  de  mort  sur  leurs  serviteurs.  La  ruse  et  le  vol  sont 
permis  contre  leurs  frères.  Cela  ne  fait  aucun  tort  à  l'Etat. 
En  revanche,  tous  les  ordres  du  prince,  même  les  plus  abomi- 
nables, sont  sacrés.  Le  christianisme  a  fait  dégénérer  les 
hommes  en  prêchant  Ihumilité  et  en  leur  enlevant  le  désir  de 
la  gloire;  il  a  arrêté  dans  leur  essor  les  âmes  grandes  et  bien 
nées,  '<  il  a  coupé  les  ailes  à  la  vertu  f^'  ».  Ce  sont  bien  les 
mêmes  hommes  —  les  courtisans  —  que  Postel,  cette  même 
année  1542,  attaquait  si  violemment  comme  disciples  de  Pom- 
ponazzi  et  des  Itahens  :  «  Mais,  répliqueront  les  courtisans 
(j'en  excepte  les  bons),  je  voulais  dire,  les  impies,  pourquoi 
Dieu  a-t-il  donné  à  l'homme  une  telle  soif  de  la  gloire,  un  tel 
désir  de  la  louange  et  de  la  gloire,  un  tel  zèle  pour  acquérir 
la  renommée  '^^  »  ? 


'D  Sunt  e.jusmodi  homines  lauti.  nitidi,  obesi,  y.a/^azit  ,  nihil  voluptatiim 
omnium  qu»  terra  marique  conquirl  possunt  non  affectantes;  potant  egregie, 
mensas  Siceliis  illis  lautiores  ponunt....  sicque  agunt  omnia  tamquam  postrema 
nullamque  posthac  rationem  admittentia  et  si  quando  doloribus  morborum 
anguntur,  tum  maxime  voluptatum  agmina  sibi  asciscunt,  quibus  dolores  illos 
inferiores  reddant,   ac  tandem   in   voliiptate  provoluti  vincant. 

Ci)  Inter  hae  sunt  elati  admodum,  contumaces  et  veloces  eorum  pedes  ad  effun- 
dendum  sanguinem,  ita  ut  quotidie  sublatam  illam  potestatem  vltae  et  necis  in 
serves  nostros  déplorent  et  conquerantur.  Dlcunt...  eum  qui  gloriam  ex  animis 
hominum  sustuierit  alas  vlrtuti  praecidisse.  legemque  nostram  multis  praeclaris 
et  bene  natis  ingeniis  ea  de  causa  obstitisse,  multosque  tandem  degenerare 
coëgisse.   Sic  nos  tanquam  dégénères,  r'/7T£(viv;  /.-ai  c/.-;/u.'.  z   dv^-^r>icientes. 

(3)  De  Concordia  orb.  terne,  lib.  I,  ch.  XX,  p.  132  :  Verum  replicabunt  aulici 
(bonos  non  impeto)  volebam  dicere  impii,  cur  igitur  Deus  dédit  tantam  glorise 
sit.lm.  laudis  et  glorise  aviditatem,  famae  comparandse  studium  ?  Talvin  dan,s  le 
De  Scandalis  note  aussi  que  Tathéisme  «  règne  par  tout  le  monde  et  singuliè- 
rement aux  cours  des  rois  et  des  princes,  entre  gens  de  justice,  protonotaires  et 
autres  de  bonet-rond  :  entre  les  gentilshommes,  thresoriers  et  gros  marchands  » 
[Overa,  Brunswick,  VII,  p.  1183). 


380  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

Habiles  du  reste  autant  (ju'audacieux,  ils  veulent  leurs 
femmes  dévotes  et  mtMiies  superstitieuses,  réclament  la  mort 
des  luthériens,  sont  irréprochables  dans  leurs  conversations, 
pieux  avec  les  hommes  de  foi,  savants  avec  les  savants, 
superstitieux  avec  les  superstitieux,  en  un  mot,  prêts  à  jouer 
tous  les  personnages  et  à  tout  faire  {versipelles  et  -xvovpyrA). 

Mais,  écoutez  ce  qu'ils  murmurent  à  l'oreille  des  simples  : 
Dieu,  qui  est  tout  bon,  n'a  point  créé  les  hommes  pour  les 
condamner  à  un  supplice  éternel;  ce  serait  une  impiété  que  de 
le  croire.  Ils  se  font  une  risée  du  feu  éternel  et  de  notre 
religion  elle-même  qui  est  impraticable  ^^K  Sans  cesse,  ils  ont 
à  la  bouche  le  proverbe  :  Vivere,  bibere  et  Ixtari.  Ce  ne  sont 
pas    des    philosophes,    mais    des    viveurs,    non  Y/.znvY>i  sed 

Calvin  répondit  au  cri  d'alarme  d'Antoine  Fumée  en  1550 
par  le  Traité  des  Scandales  (-'.  Sui^  les  quatre  catégories  de 
scandales  dont  parle  Calvin,  les  deux  premières  seules  inté- 
ressent cette  étude.  La  première  de  toutes  est  celle  de  ces 
humanistes  qui,  instruits  aux  sciences  humaines  et  accoutumés 
à  un  style  pur  et  élégant,  disent  que  «  le  Saint-Esprit  est  en 
l'Ecriture  sainte  d'un  langage  grossier  et  simple  et  mesprisent 
ceste  façon  de  parler  comme  trop  rude  et  mal  polie  '3)  ».  Ils 
ne  s'attaquent  pas  seulement  à  la  forme  des  livres  saints,  mais 
«  plusieurs  choses  y  sont  contenues  qui  leur  senîblent  derai- 


(li  Novitiis  quibusdam  et  incautis  insusurrentes  :  Deum  optimum  homiiiem 
non  crcavisse  ut  tandem  perpetuo  supplie io  daret,  il  de  Deo  existimare  implum 
esse  persuadantes,  perpetiiumque  illum  ignem  miris  sicommatibus  irrident«s, 
contendentes  passim  religion em  nostram  nihil  prêter  verba  habere,  eam  nemlnem 
usquam  assecutum  nec  potuissc  assequi. 

(2)  De  scandalis  quibus  hodie  plerlque  abstenenlur,  nonnuUl  etiam  alienanlur 
a  para  Evangelii  doctrina.  Genevae,  ap.  J.  Crisplnum,  MDL.  ln-40  de  100  pages. 
Des  scandales  qui  empicheul  aujourd'hui  bcaucouii  de  yens  de  veJilr  à  la  pure 
doctrine  de  l'Evangile  et  en  débauchent  d'autres.  Genève,  Crespin,  MDL.  Réimprimé 
en  français  dans  les  Opuscules;  dans  les  deux  langues  dans  les;  Opéra,  t.   VII. 

(3)Calvini  opéra.  Brunswick,  VII.  p.  1152.  Tous  les  textes  qui  suivent  sont  pris 
aux  pages  suivantes. 


LES    «    ACHRISTES    »  381 

sonnables  »,  telles,  par  exemple,  que  l'incarnalion  du  \'erbe, 
la  rédemption  ;  la  morale  évangélique  aussi  leur  paraît  bien 
sévère. 

Le  réformateur  veut  répondre  :  à  la  première  objection, 
il  rappelle  que  saint  Paul  avait  renoncé  à  la  rhétorique  et  que 
les  livres  saints  ont,  en  revanche,  la  gravité  qui  touche  et  la 
majesté  qui  persuade.  Mais  pour  ce  qui  est  des  idées,  il  sent 
bien  qu'il  lui  est  impossible  de  rien  répondre  aux  libertins  : 
il  n'y  a  pas  de  terrain  d'entente  entre  lui  et  eux  :  ((  Quand  je 
leur  aurai  prouvé  clairement  la  divinité  de  Jesus-Christ, 
qu'aurai-je  profité  )>?  Ils  rejetteront  tous  les  arguments  dç 
Calvin,  parce  que  de  telles  vérités  ne  s'établissent  pas  par  des 
arguments.  Elles  dépassent  la  raison.  Et  c'est  ce  qui  permet 
aux  libertins  de  rejeter  toute  l'Ecriture,  parce  qu'elle  contient 
des  choses  que  ((  non  seulement  on  ne  peut  monstrer  par  raison 
naturelle,  mais  qui  sont  incroyables  au  sens  humain  :  Oui  est 
l'homme,  disent-ils,  tant  simple  et  idiot,  qui  se  laisse  persuader 
ce  dont  il  ne  voit  nulle  raison  »  ?  Il  est  difficile  de  mieux  définir 
l'essence  du  rationalisme.  Aussi  Calvin  n'insiste  pas.  Il  n'a 
point  la  confiance  de  Postel  en  la  raison,  il  recourt  à  la  foi,  à 
l'humilité.  Et  élevant  la  voix,'  car  il  est  souvent  éloquent  dans 
ce  beau  traité  :  ((  Nous  tenons,  dit-il,  que  Dieu  a  voulu  estre 
vestu  de  nostre  chair,  s'assujettissant  à  la  mort.  Ce  n'est  point 
une  fable  pour  rire,  ni  un  monstre  qu'on  doyve  avoir  en 
horreur,  .mais  un  mystère  pour  adorer  ».  Il  sait  les  rires  qu'une 
pareille  doctrine  suscite,  et  que  les  libertins  <(  se  croient  bien 
subtils  en  se  mocquant  de  nostre  simplicité  »,  mais  s'ils  ont 
de  l'esprit,  ils  n'ont  point  de  «  conscience  »,  et  s'ils  sont  incré- 
dules, c'est  qu'ils  sont  «  enyvrés  de  Sathan  ». 

Le  deuxième  groupe  de  scandales  est  celui  des  libertins  qui, 
considérant  les  troubles  et  guerres  causés  par  l'Evangile,  se 
détournent  de  la  rehgion,  soit  qu'ils  n'aient  jamais  connu 
l'Evangile,  soit  qu'ils  y  aient  mis  «  le  nez  comme  en  passant  ». 
La  plus  terrible  vengeance  que  Dieu  puisse  en  tirer,  c'est  de 
les  livrer  à  leur  aveuglement.  «  Et  ainsi,  autant  que  nous  en 


382  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

voyons  aujourd'hui  de  mocqueurs  qui,  sous  couleurs  subtiles 
se  gabcnt  de  la  chrestienté.  autant  que  nous  en  voyons  de 
vilains  et  dissolus  qui  s'abandonnent  tomme  pourceaux  à 
toute  ordure  :  sachons  que  Dieu  nous  met  devant  les  yeux 
autant  de  miroirs  de  sa  vengeance  ».  C'est  ainsi  ({u'on  en  a 
vu  (jui  ont  méprisé  l'Evangile  et  (jui,  ayant  d'abord  (pielque 
sentiment  de  Dieu,  c(  abbayent  puis  après  contre  luy  ainsi  que 
chiens  ».  Ils  peuvent  «  abbayer  »  et  rire.  Ils  peuvent  même  rire 
des  «  badinages  des  papistes,  mais  ils  ne  sont  pas  digne>  de 
jamais  retourner  en  la  Papauté  ». 

^  Il  faut  que  Calvin  soit  bien  lâché  pour  les  mettre  au-dessous 
des  «  papistes  ».  On  le  voit  à  la  page  qui  siiit  :  il  va  nommer 
ces  rieurs,  et  nous  les  connaissons  d'avance.  On  nous  excusera 
de  citer  toute  cette  page  :  la  beauté  de  la  pensée,  l'indignation 
mâle  (|ui  l'anime  en  font  une  des  plus  belles  de  Calvin  :  «  Car 
ceux  auxquels  le  sacré  sang  du  Fils  de  Dieu  et  sa  vérité  éter- 
nelle et  la  clairté  de  vie  ont  esté  en  dérision  ou  mespiis  ne 
doyvent  point  eschapper,  que  Dieu  n'en  face  une  exécution 
terrible  et  qu'il  fasse  dresser  les  cheveux  en  la  teste  à  ceux  (jui 
en  oyent  parler...  Puisque  l'Evangile  est  le  souverain  et 
dernier  remède  que  Dieu  donne  aux  hommes  pour  les  guérir, 
tous  ceux  auxquels  ce  remède  ne  profite  de  rien  sont  déses- 
pérés... Pour  conclure  cet  article,  je  dis  en  somme  (|ue  ceux 
qui  estiment  l'impiété  estre  un  crime  énorme...  reconnaissent 
combien  Dieu  prise  son  Evangile  (juand  il  fait  une  punition 
si  rigoureuse  de  ceux  (|ui  n'en  ont  tenu  conte...  Chacun  sait 
qu'Agrippa,  Villeneuve '^l.  Dolet  el  leurs  semblables  ont  tous- 
jours  orgueilleusement  contemné  l'Evangile:  en  la  fin,  ils  sont 
lombes  en  telle  rage  (|ue  non  seulement  ils  ont  dégorgé  leurs 
blasphèmes  exécrables  contre  Jesus-Clirisl  et  sa  doctrine, 
mais  ont  estimé  (piant  à  leurs  âmes,  (jiiils  ne  differoyeni  en 


(\)  n  revient  sur  Servet  pH'^  loin  :  «  Il  y  a  un  certain  K^naKiiol  nommé  Micliel 
Servet  Qui  contrefait  le  médecin,  se  nommant  Villeneuve.  Ce  povre  plorleux 
estant  desjà  enflé  de  l'arrogance...  a  pensé  qn'il  pourroit  acquérir  quelque  grand 
bruit  en  renversant  tous  les  principes  de  la  chrestienté  »  {Dr  SiamUilh.  op.,  \'II, 
p.  11«5). 


LE»    ((    ACHKISTES     <>  383 

rien  des  chiens  et  des  pourceaux.  Les  autres  comme  Rabelais, 
Degovea,  Des  Periers  et  beaucoup  d'autres  que  je  ne  nomme 
pas  pour  le  présent,  après  avoir  gousté  l'Evangile  ont  esté 
fraivpés  du  mesme  aveuglement'^)  ». 

«  Pour  dégorger  leurs  blasphèmes  »  plus  facilement,  ils 
font  les  plaisants,  lancent  leurs  «  petits  brocards  »  dans  les 
banquets  et  compagnies  joyeuses  sans  faire  semblant  de  rien 
vouloir  sinon  rire  et  amuser  leurs  compagnons,  mais  en  fm 
de  compte  «  ils  ne  font  point  difficulté  de  dire  que  toutes 
religions  ont  esté  forgées  au  cerveau  des  hommes;  que  nous 
tenons  qu'il  est  quelque  Dieu  parce  qu'il  nous  plaist  de  le  croire 
ainsi,  que  l'espérance  de  la  vie  éternelle  est  pour  amuser  les 
idiots,  que  tout  ce  (ju'on  dit  de  l'enfer  est  pour  espouvanter 
les  petits  enfants  *2)  ». 

On  a  reconnu  dans  ce  long  portrait  des  traits  de  physio- 
nomie connue.  Quand  les  libertins  de  1542  mettent  la  morale 
de  Socrate  au-dessus  de  celle  de  Jésus  et  le  style  des  Evan- 
giles au-dessous  de  celui  de  Platon,  ils  ne  font  que  redire  ce 
(jue  tous  les  humanisies  répétaient  depuis  vingt  ans,  aussi 
bien  Erasme  que  les  cicéroniens.  S'ils  se  plaignent  que  la  vie 
de  Jésus-Christ  soit  trop  humble  et  sa  mort  trop  ignominieuse 
pour  un  Dieu,  c'est  à  Celse  (|u'ils  pensent  '3),  comme  c'est 
Evhémère  qui  les  fait  assimiler  la  divinisation  de  Jésus-Christ 
à  une  apothéose  et  la  gloire  de  Moïse  à  celle  de  Numa.  Leur 
soumission  absolue  au  prince  ressemble  fort  à  un  axiome  de 
Luther  <^).  si  nous  ne  savions  d'autre  part  que  plusieurs  sont 
des  transfuges  du  protestantisme.  Par  contre,  c'est  aux  «  spiri- 
tuels »  qu'ils  ont  pris  la  négation  de  l'enfer,  comme  ils  doivent 
aux  épicuriens  —  les  deux  écoles  se  rejoignent  parfois  —  le 
goût  du  luxe  et  de  la  bonne  chère.  Mais  on  y  reconnaît  surtout 
le  tempérament  italien,  avec  ce  mélange  si  frappant  de  force 


(1)  Oiifia.   Brunsw.,  VII.  p.   1181-1182. 

(2)  Ihi'l..   p.   1182-11S3. 

(3)  Origène,  Contra  Celsum,  VIT,  ltii-lv.  trad.  Bouchereau,  p.  308. 

(4)  Cujiis  rogio,  ejus  religio. 


384  SOURCES    ET    INFILTRATIONS 

el  de  luse,  cet  étalage  insolent  et  brutal  de  la  «  virtu  »,  ce 
goût  du  sang,  ce  mépris  des  qualités  effacées,  cet  art  de  dissi- 
muler qui  caractérisent  les  Italiens  de  la  Renaissance.  C'est 
ainsi  qu'entre  1540  et  1550  toutes  les  influences  dont  nous  avons 
patiemment  noté  l'apport,  l'érudition  et  le  goût  des  humanistes, 
la  claire  raison  du  péripatétisme,  le  panthéisme  de  l'Alle- 
magne, le  dogmatisme  farouche  des  unitaires,  se  réunissent 
dans  le  même  type  :  le  libertin. 


CONCLUSION 

Nous  pouvons  nous  arrêter  un  instant  et  jeter  un  regard  en 
arrière  f^'. 

Avant  1530,  les  «  libertins  »  français  sont  rares  et  ne  se 
ti-ouvent  guère  que  parmi  les  descendants  des  mystiques  du 
moyen  âge.  A  partir  de  1530,  l'influence  de  l'école  de  Padoue 
se  tait  sentir  doublement,  par  les  élèves  français  qui  vont  en 
Italie  et  par  les  professeurs  italiens  qui  viennent  en  France. 
Néanmoins,  si  l'on  peut  croire  —  les  éditions  d'Averroès  en 
font  foi  —  que  Taverroïsme  pénètre  les  classes  intellectuelles, 
les  libertins  du  temps  —  Rabelais  et  Des  Periers  —  doivent 
beaucoup  plus  à  l'antiquité  et  à  l'esprit  satiritiue  français  qu'à 


1)  "  Le  rationalisme  pourtant  était  en  progrès  (vers  1550)...  Partout,  autour  de 
1550,  on  sent  cet  effort  vers  le  rationalisme.  En  physique,  Palissy  opposait  nette- 
ment à  l'autorité  une  méthode  expérimentale.  En  orthographe,  l'écriture  phoné- 
tique avait  d'ardents  partisans.  Ramus  surtout,  par  une  méthode  originale, 
prétendait  renouveler  tout  le  cycle  des  sciences  libérales.  Après  s'ôtre  bruyam- 
ment séparé  d'Aristote  par  une  thèse  retenti.ssante  où  il  établissait  que  tout  ce 
qu'avait  dit  Aristote  était  faux,  il  recherchait  une  logique  universelle  qui  dominât 
tous  les  ordres  de  connaissance  et  présidât  à  toutes  les  sciences  :  Nulle  autorité, 
disait-il,  n'est  au-dessus  de  la  raison  »,  c'est  elle,  au  contraire,  qui  fonde  l'auto- 
rité et  qui  doit  la  régler.  Et  ailleurs  :  «  Quelqu'un  a  écrit  dernièrement  que 
Hamus  enseignait  la  méthode  de  Platon  et  qu'il  condamnait  celle  d'Aristote.  Cet 
auteur...  n'a  Jamais  lu  la  logique  de  Ramus,  car  il  y  aurait  vu  que  suivant  lui, 
il  n  y  a  qu'une  méthode,  qui  a  été  celle  de  Platon  et  d'Aristote,  aussi  bien  que 
d'Ulppocrate  et  de  Gallien...  Cette  méthode  se  retrouve  dans  Virgile  et  dans 
Clréron,  dans  Homère  et  dans  Démosthène.  Elle  préside  aux  mathématiques,  à 
la  jdiilosophle,  au  jugement  et  à  la  conduite  de  Ujus  les  hommesc  elle  n'est  de 
l'invention  ni  d'Aristote  ni  de  Ramus  ■>  (Villey,  Sources...  des  Essais,  p.  26-27). 


LES    a    ACHRISTES    ->  385 

l'Italie.  Mais,  à  partir  de  1540,  après  l'enseignement  de 
V'icomercato,  les  doctrines  padouanes  triomphent.  Les  catho- 
liques eux-mêmes  acceptent  la  thèse  de  la  séparation  de  la 
raison  et  de  la  loi  et  se  réfugient  les  uns  dans  le  fidéisme, 
ce  (jui  est  un  aveu  que  la  foi  ne  repose  plus  que  sur  la  volonté, 
les  autres  dans  le  «  rationalisme  chrétien  »  ce  qui  est  proclamer 
la  toute-puissance  de  la  raison;  certains  même  dans  une  sorte 
de  pyrrhonisme  qui  n'exclut  pas  la  foi  et  que  La  Molhe  Le 
Va  ver  appellera  plus  lard  la  «  sceptique  chrétienne  ».  On 
renonce  à  prouver  l'immortalité  par  Aristote  :  la  création,  la 
Providence,  les  miracles,  trouvent  plus  de  sceptiques.  En  même 
temps,  le  protestantisme,  entrant  en  lutte  ouverte  avec  le  catho- 
licisme, se  voit  dépassé  par  quelques-uns  de  ses  fidèles  et  favo- 
rise la  renaissance  d'es  sectes  extrémistes  qu'enfante  l'excès 
d'individualisme.  De  tous  ces  courants  naissent  —  en  grand 
nomhre,  semble-t-il  —  des  déistes.  La  Révélation  est  mise  en 
doute  par  les  «  achristes  ».  Jésus-Christ  est  encore  pour  eux  un 
homme  extraordinaire  :  pour  quelques-uns  même,  il  est  encore 
«  le  grand  Pan,  le  Dieu  des  bergers  et  des  pasteurs  ».  Mais  les 
dieux  anciens  sont  morts,  et  c'est  après  leur  mort  qu'on  leur 
a  attribué  une  divinité  éphémère.  Pan,  lui-même,  «  le  grand 
Pan  est  mort  »  ;  pour  beaucoup  la  divinité  de  Jésus  aussi  est 
finie.  Evhémère  a  des  disciples,  et  nombreux  sont-ils  déjà, 
humanistes  souriants  de  l'école  de  Lucien,  protestants  beUi- 
queux  disciples  de  Castellion,  libertins  mystiques  de  la  suite 
de  Ouintin,  théologiens  subtils  nés  des  cendres  de  Servet, 
qui.  pieusement  ou  avec  des  blasphèmes,  l'ont  roulé  «  dans 
le  linceul  de  pourpre  où  dorment  les  dieux  morts  ». 


25 


DEUXIEME  PARTIE 


Le  Rationalisme  dans  la  Littérature  Française 

DE   LA   RENAISSANCE 

(1553-1601) 


LIVRE  PREMIER 

LES    RATIONALISTES    PADOUANS 


CHAPITRE    XTI 
Disciples  des  Padouans  avant  Montaigne. 

I.  Ronsard,  disciple  de  Cardan  :  l'Immortalité;  le  «  Prophétisme  »  chez 
Pontus  de  Tvard  et  Ronsard.  —  II.  Tahureau  (1555)  :  Immortalité, 
Miracles,  Evhémérisme.  —  III  Pontus  de  Tyard  (1557-1578)  :  Dieu, 
Eternité  du  monde,  Immortalité,  Evhémérisme. 

Le  mouvement  philosophique  dont  je  viens  de  retracer  les 
débuts  est  jusqu'ici  cantonné  dans  les  écoles  et  ne  touche  que 
les  érudits.  La  littérature  proprement  dite  — •  sauf  cependant 
Rabelais  et  Des  Periers  —  ne  s'occupe  pas  de  ces  questions.  La 
poésie  philosophique  n'est  pas  née;  son  souffle  briserait  la 
lyre  fragile  de  Marot  d).  Mais  en  Lo49  Du  Bellay  proclamait 
<(  que  la  langue  françoyse  n'est  incapable  de  la  philosophie  '2)  » 
et  demandait  que  l'on  se  mît  à  en  écrire  en  français  «  à 
l'exemple  des  Italiens  qui  l'ont  quasi  toute  convertie  en  leur 
vulgaire  ^^)  ».  Il  assurait  que  «  si  la  phylosophie  semée  par 
Aristote  et  Platon  au  ferlil  champ  atique  etoit  replantée  en 
notre  pleine  françoyse,  ce  ne  seroit  la  jeter  entre  les  ronses 
et  épines,  où  elle  devint  stérile   :  mais  ce  seroit  la  faire  de 

(1)  Je  dois  faire  exception  cependant  pour  Marguerite  de  Navarre.  Encore  ses 
poésies  sont-elles  plutôt  religieuses  que  philosophiques. 

(2)  Dèjense  et  Illustration,  I,  X  (éd.  Chamard). 

(3)  Ibid.,  p.  128. 


390  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

loinglaine  i)ic)rliaii!e  el  d'étrangère  citadine  de  notre  répu- 
blique 1)  ».  Louis  Le  Caron  en  1555  et  Ponlus  de  Tyard  en 
1557  faisaient  des  déclarations  semblables  <2). 

C'est. pourquoi  dans  cette  seconde  partie  je  ne  m'occuperai 
que  des  pliilosoplies  de  langue  française  '3).  Je  n'ignore  pas 
que  la  philosophie,  tendre  encore,  baigne  dans  un  milieu  tout 
latin,  quelle  s'enseigne  et  s'écrit  encore  beaucoup  en  cette 
langue.  Mais  je  n'ai  pas  l'intention  de  refaire  l'histoire  de 
la  philosophie  de  la  Renaissance.  Ceci  est  un  livre  de  littéra- 
ture. 

A  borner  ainsi  ce  travail,  nous  pouvons  distinguer  trois 
groupes  de  philosophes  rationalistes  :  1°  ceux  qui  continuent 
le  mouvement  péripatcticien  caractéristique  de  la  première 
période  et  qui  essaient  toujours  d'équilibrer  la  raison  et  la 
foi  :  Montaigne  est  l'aboutissement  et  comme  la  fleur  de  ce 
rameau:  2°  les  esprits  plus  violents  ou  plus  logiques,  partisans 
extrémistes  de  la  philosophie  padouane  ou  héritiers  lointains 
de  l'illuminisme,  qui  ont  rejeté  toute  foi  et  s'en  tiennent  au 
déisme  pur  ou  même  à  l'athéisme.  Ils  ne  sont  pas  nombreux  : 
mais  leur  groupement  nous  permettra  de  suivre  à  leurs  der- 
nières conséquences  les  courants  divers  que  nous  avons  étudiés 
dans  la  première  partie;  3°  ceux  qui  ont  exploité  et  étendu  le 
rationalisme  théologique  en  s'appliquant  à  ruiner  par  la  cri- 
ti([ue  et  l'étude  de  Julien  l'Apostat  et  de  Celse  les  bases  de  la 
Révélation.  Jean  Bodin  les  résume  tous.  Dans  ces  trois  familles 
d'esprits,  il  faut  distinguer,  comme  nous  l'avons  fait  pour  la 
première  partie,  les  incrédules  et  les  apologistes.  Les  seconds 
sont  souvent  j)lus  nombreux  que  les  premiers.  Leur  abon- 
dance même  et  la  concordance  de  leurs  idées  nous  sont  une 

(1)  Ibid..  p.   129. 

(21  Voir  citations  dans  Du  Bellay,  ihid.,  p.  145-146.  Voir  aussi  Pasquier,  Lettres, 
I.  2,  A  M.  de  Tournebu  /scavoir  s'il  est  bon  de  coucher  les  arts  et  les  sciences 
en  françois).  15'>2.  Tout  le  Discours  au  Roy  qui  commence  le  Secniid  curieux  de 
P.  de  Tyard  'l.%7)  est  une  exhortation  à  renoncer  au  latin  et  à  écrire  la  philosophie 
fn  français. 

(3)  Je  me  suis  permis  cependant  quelques  rares  exceptions  à  cette  règle  en 
faveur  de  livres  dont  l'intérêt  documentaire  était  considérable  pour  l'histoire 
des  idées  rationalistes  'Neuville    rhiffontalnes). 


DISCIPLES    DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  391 

garantie  de  l'extension  du  mouvement  que  nous  étudions. 
Nous  n'y  ciiercherons  autant  que  possible  que  les  idées  de  leurs 
adversaires;  mais  ce  serait  se  priver  d'une  source  très  riche  de 
renseignements  que  de  ne  pas  les  utiliser. 


Quand  Ronsard  entreprit  de  relever  le  ton  de  la  poésie  fran- 
çaise et  de  remplacer  les  rondeaux  et  ballades  par  des  hymnes, 
il  chercha  dans  la  philosophie  des  sujets  dignes  de  «  l'archet 
d'airain  et  la  lyre  ferrée  ».  Il  y  aurait  ainsi  toute  une  étude 
à  taire  sur  les  sources  de  Ronsard  philosophe  '^).  Il  n'entreprit 
pas  moins  que  de  «  descouvrir  les  secrets  de  nature  et  des 
cieux  (2)  ». 

A 'avait-il  pas  pour  guide  et  modèle  de  ses  études  ce  Lazare 
de  Baïf,  l'hôte  érudit  des  padouans  français  ?  Il  lut  donc,  si 
nous  l'en  croyons  :  «  Aristote  et  Platon  et  le  docte  Euri- 
pide <3)  )).  mais  Aristote  surtout  l'aurait  retenu  : 

Maintenant  je  veux  estre  importun  amoureux 
Du  bon  père  Aristote  et  d'un  soin  généreux 
Courtiser  et  servir  la  beauté  de  sa  fille  'i). 

Il  est  vrai  que  c'est  sur  ses  vieux  jours.  Mais  à  en  juger 
par  les  sujets  choisis,  il  s'était  mis  dès  avant  1550  au  courant 
des  idées  philosophiques  répandues  par  l'aristotélisme  de  la 
Renaissance.  Au  premier  livre  des  Amours  il  expose  la  cos- 
mogonie d'Epicure  et  parle  de  l'entéléchie  ^^'. 

Dès  ses  premières  Odes  il  est  préoccupé  du  problème  de 
l'âme.  Sur  son  origine,  il  repousse  la  préexistence  platoni- 

(1)  NatureUement,  nous  ne  ret-enons  de  cette  philosophie  que  ce  qui  a  trait  à 
ce  travail. 

(2)  Hymnes,  I,  I.  de  l'Eternité. 

(3)  Sonnets  pour  Hélène,  II,  Elégie  (Blanch.,  I,  p.  362). 

ii)  sonnets  pour  Hélène,  II.  XXXVI  (Laumonier-Lemerre,  I,  313;  Blanch.,  I, 
p.  336). 

(5)  Il  avait  aussi  lu  Aratus  :  J'ay  l'esprit  tout  ennuyé  1  d'avoir  trop  estudié  | 
Les  Phénomènes  d'Arate,   Odes;   II,    XVIII   (El.,   II,   p.   162).   Arate   venait  d'être 


392  LE   RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

cienne  *i',  et  par  conséquent  la  «  réminiscence  »,  et  prend  parti 
pour  la  table  rase  <2). 

Dès  ses  premières  Odes  aussi  il  est  hanté  par  l'idée  de  la 
mort  : 

Voyez  donc  que  je  seray 
Quand  mort  je  reposeray 
Au  fond  de  la  tombe  noire  (3). 

Idée  d'arlisle,  fantaisie  qui  doit  servir  de  piment  à  la  volupté; 
mais  thème  chrétien  aussi  et  traité  chrétiennement,  sauf 
quelques  réminiscences  de  Cicéron  et  de  Plutarque.  Je  veux 
parler  de  cet  hymne  admirable  de  la  mort  (^^f  (1556).  La  mort 
est  bonne  au  corps  puisqu'elle  le  délivre  de  ses  misères,  nous 
tire  d'exil  et  nous  permet  de  revoir  ((  d'Ithaque  la  fumée  »; 
elle  est  douce,  car  les  fables  des  païens  sur  les  lourments  des 
enfers  sont  fausses  et  de  même  leurs  rêveries  sur  la  transmi- 


publié  (1550).  Sur  la  science  nécessaire  au  poète  de  la  Pléiade,  voir  Brtjnetière, 
Hist.  de  la  lilt.,  I,  p.  292,  Sur  Epicure,  voir  Amours,  I,  Lajumonier-Lemerrei,  I, 
p.  19  : 

Les  petits  corps  qui   tombent    de   travers 

Par  leur  descente  en  biais  vagabonde 

Heurtez  ensemble  on  composé  le  monde 

S'entr'accrochans  de  liens  tous  divers. 

Il  a  étudié  la  question  de  l'entéléclile  on,  du  moins,  il  en  a  entendu  parler  : 
il  écrit  à  Cassandre  {Amours,  I,  LVIII,  Laumonier-Lemerre,  I,  p.  33;  Bl.,  I,  p.  41)  : 
«  Pour  me  donner  l'estre  et  le  mouvement, 
Etes-vous  pas  ma  seule  Ent^lechie?  » 

(1)  Odes.  III,  IV. 

(2)  Que  les  formes  de  toutes  choses 
Soient,  comme  dit  Platon,  encloses 
En  nostre  ame,  et  que  le  sçavoir 
N'est  sinon  se  ramentevoir; 

Je  ne  le  croy 

L'esprit  ressemble 

Au  tableau  tout  neuf,  où  nul  trait 
N'est  par  le  peintre  encor  pourtrait, 
Et  qui  retient  ce  qu'il  y  note. 

{Odes,  III,  VII;  Laumonnier,   II,  p.  15-16). 

Selon  M.  Laumonier,  cette  ode  serait  antérieure  à  1548  et  inspirée  par  l'enseigne- 
ment de  Lambin  à  Coqueret. 

(3)  Odes.  III,  XXIII  (Bl.  II,  p.  238). 

(4)  Hymnes,  II,  IX  (Bl.  V,  p.  239-249). 


DISCIPLES    DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  393 

gralion  des  âmes  '^^  ;  elle  est  bonne  à  l'âme  surtout,  qui,  rache- 
tée du  sang  de  Jésus-Christ,  va  au  ciel, 

Où  plus  elle  n'enduie  avec  son  Dieu  là-haut 
Ny  peine,  ny  soucy,  ny  froidure,  ny  chaud 
Pi'ocez,  ny  maladie;  ains  de  tout  mal  exempte. 
De  siècle  en  siècle  vit  bien-heureuse  et  contente 
Auprès  de  son  facteur... 

El  le  poète  dans  une  péroraison  qu'a  égalée  —  mais  non 
dépassée  —  Lamartine  ^^\  salue  la  mort  : 

Je  le  salue,  heureuse  et  profitable  Mort, 
Des  extrêmes  douleurs  médecin  et  confort  ! 
Quand  mon  heure  viendra.  Déesse,  je  te  prie, 
Ne  me  laisse  longtemps  languir  en  maladie, 
Tourmenté  dans  un  lict;  mais  puisqu'il  faut  mourir, 
Donne-moy  que  soudain  je  te  puisse  encourir-, 
Ou  pour  l'honneur  de  Dieu,  ou  pour  servir  mon  Prince 
Navré,  poitrine  ouverte,  au  bord  de  ma  province  ! 

Nous  avons  de  la  beauté  et  de  l'accent  chrétien  de  cette 
pièce  un  joli  témoignage  et  qui  pourtant  montre  en  celui  qui 
le  donna  une  conscience  peu  rehgieuse.  Brantôme  raconte 
qu'en  1564 '3',  P.  de  Boczosel,  seigneur  de  Chastelard,  s'étant 


'1)  II  repoussa  toujours  la  métempsycose.  En  1569,  il  écrit  contre  Platon  : 
Quelqu'un  a  dit,  de  raisons  mal  garni 
Que  Dieu  n'a  fait  qu'un  grand  nombre  fini 
D'âmes  au  monde,  et  ces  âmes  ne  meurent, 
IMais  dans  les  corps  par  eschange  demeurent 
Selon  le  bien  et  le  mal    qu'elles  ont  lait. 
L'une  est  pourceau,  l'autre  un  serpent  infait, 
L'autre  un  cheval,  et  l'autre  plus  gentille 
Se  fait  oiseau  qui  pleure  son  Itylle. 
^Poèmes,  I,  Discours  de  l'altération  et  changement  des  choses  humaines  (Bl.  VI, 
p.  125). 
Pour  lui,  s'il  y  a  une  métempsycose,  voici  son  vœu  : 
Quand  la  mort  me  voudra  tuer, 
A  tout  le  moins  si  je  suis  digne 
Que  les  Dieux  me  daignent  muer. 
Je  le  veux  estre  en  fleur  de  vigne! 
Odes  .  II,  XXI  (Bl.,  II,  p.  167-169).  Baïf.  s'il  y  a  une  métempsycose,  revivra  sous 
forme  de  tourterelle  (Amours  de  Francine,  II,  CV;  M-L.,  p.  185). 

(2)  Premières  médit,  poél.,  V,  L'immortalité  :  «  Je  te  salue,  ô  mort,  Libérateur 
céleste  »,  etc. 

(3)  Des  Dames  (éd.   Lalanne,   VID.   Sur  le   sieur  de  Chastelard,  v.   Bayle,   art. 
Ronsard,  rem.  O,  et  France  prot.,  II,  668  et  siuiv.;  2e  édition,  III,  p.  354. 


394  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

caché  dans  la  chambre  de  Marie  Stuarl  qu'il  aimait  d'un 
amour  malheureux,  la  reine  le  lit  condamner  à  mort  :  <(  Le 
jour  venu,  ayant  esté  mené  sur  l'éclianaut,  advanl  mourir 
avoit  en  ses  mains  les  Hymnes  de  M.  de  llonsard,  et  pour  son 
éternelle  consolation,  se  mit  à  lire  tout  entièrement  Vhimne  de 
la  mort  qui  est  très-bien  faict  et  propre  pour  ne  point  abhorrer 
la  mort,  ne  s'aydant  autrement  d'autre  livre  spirituel,  ny  de 
ministre,  ny  de  confesseur.  Après  avoir  faict  son  entière  lec- 
ture, se  tourna  vers  le  lieu  où  il  pensoit  que  la  reine  fusl  >- 
et  lui  dit  adieu. 

Telle  est  la  position  —  absolument  orthodoxe  —  de  Ronsard 
à  ses  débuts  >').  iMais  lorsque  treize  ans  i)lus  tard  il  se  mêle 
de  nouveau  de  faire  œuvre  de  philosophe  —  dans  ses 
Poèmes  —  sa  doctrine  est  bien  changée.  Il  me  semble  évident 
qu'il  a  lu  Cardan  et  qu'il  en  accepte  les  idées  sur  la  nature 
de  l'âme  et  les  miracles.  La  tendance  marquée  de  Cardan  au 
panthéisme  devait  séduire  un  poète  si  porté  lui-même  à  com- 
munier à  la  nature  et  à  voir  dans  ses  formes,  même  les  plus 
humbles,  une  manifestation  de  la  vie  universelle  : 

Dieu  est  partout,  partout  se  mesle  Dieu, 
Commencement,  la  fin  et  le  milieu 
De  ce  qui  vit,  et  dont  l'âme  est  enclose 
Par  tout,  et  tient  en  vigueur  chaque  chose, 
Comme  nostre  ùme  infust  dans  nos  corps  (2). 

Cette  âme  qui  anime  l'univers  et  qui  est  Dieu  est  pour  lui 
principe  de  vie  : 

Ja  dès  longtemps  les  membres  seroient  morts 

De  ce  grand  tout,  si  ceste  âme  divine 

Ne  se  mesloit  par  toute  la  machine 

Luy  donnant  vie,  et  force  et  mouvement; 

Car  de  tout  estre,  elle  est  commencement  (3). 

(1)  Je  pourrais  ajouter  qu'il  cotte  dat«,  il  ne  semble  pas  soupçonner  les  idées 
-  des  padouans  sur  —  ou  plutôt,  contre  —  l'existence  des  démons.  Il  leur  consacre 

dans  le  premier  livre  des  hymnes,  une  pièce  qui  le  montre  même  très  superstitieux 
à  leur  sujet. 

(2)  Pol'vies.  I.  Le  Chat  /Bl.  VI,  ji.  67.  Laumonler-Lemerre,  V,  p  57). 

(3)  Ibld. 


DISCIPLES    DES    PADOUANS    AVANT   MONTAIGNE  395 

C'est  elle  qui  <i  meslée  »  à  l'univers  Tagite  d'une  vie  unique 
en  son  principe,  multiple  en  ses  manifestations  :  par  elle 

Tourne  le  ciel  à  la  voûte  estoilée, 

La  mer  ondoyé,  et  la  terre  produit 

Par  les  saisons  herbes,  fueilles  et  fruit  d). 

De  cette  «  âme  divine  »  qui  agite  l'univers  et  palpite  en 

lui,  notre  âme  est  une  parcelle;  éternelle  donc  dans  son  origine 

comme  dans  sa  destinée,  elle  ne  mourra  point,  non  pas,  comme 

il  le  disait  en  1556,   parce  que  le  Ciirist  l'a  promis  *2*,  mais 

parce  qu'elle  se  résorbe  dans  le  tout  dont  elle  n'est  qu'une 

partie. 

Des  elerriens  et  de  ceste  ûme  infuse 
Nous  sommes  naiz  ;  le  coi^ps  mortel  qui  s'use 
Par  trait  de  temps,  des  elemens  est  fait; 
De  Dieu  vient  l'àme,  et  comme  il  est  parfait 
L'ùme  est  parfaite,  intouchable,  immortelle. 
Comme  vivant  d'une  essence  éternelle  : 
L'àme  n'a  donc  commencement  ny  bout, 
Car  la  partie  ensuit  tousjours  le  tout  (3). 

Divine  en  son  origine,  elle  est  la  même  pour  tous  les 
hommes.  Mais  selon  la  pureté  du  corps  où  elle  tombe,  elle 
manifeste  ses  facultés.  Parmi  les  homme?  les  uns  sont  ((  inven- 
teurs 

Des  secrets  plus  cachez,  les  autres  orateurs, 
Les  autres  médecins  U), 

poètes,   magistrats,    historiens.   Si  Ronsard  n'ajoute  pas  les 


(1)  Ibid 

(2)  ha!   pour  Dieu  te   souvienne 

Que  ton  âme  n'est  pas  payenne,  mais  chrestienne. 
Et  que  notre  grand  Maistre  en  la  croix  estendu 
Et  mourant,  de  la  mort  l'aiguillon  a  perdu. 

Hymnes.  II,  IX,  De  la  mort  (Bl..  V,  p.  245). 

(3)  poèmes,  I.  Le  Chat  (Bl.,  VI,  p.  67;  Laum.-Lem.,  V.  p.  57). 

(4)  Poèmes.  II.  Excellence  de  l'esprit  d£  l'homme  (Bl.,  VI,  p.  234;  Laumonier 
Lem.,  V,  p.  228). 


396  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

prophèles,  il  les  a  mis  ailleurs.  -Mais  n'est-ce  pas  déjà  la  doc- 
trine même  de  Cardan  ? 

Quand  elle  trou\e  un  corps  (riine  masse  légère 
<^)ui  lioMore  craintif  son  liostesse  eslrangere 
Et  qui  sans  grommeler  obeyt  promptement 
G!)nmie  un  bon  serviteur  à  son  commandement, 
Elle  achevé  des  faits  qui  donnent  d'Age  en  âge 
Et  d'elle  est  de  son  corps  illustre  tesmoignuge  d). 

Elle  lui  révèle  la  cosmologie  de  Platon,  elle  lui  apprend 
«  sil  y  a  d'autres  mondes  »  et  qui  soient  habités,  puis  elle 
lui  explique  les  phénomènes  atmosphériques. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  Ronsard  soit  un  dis- 
ciple décidé  de  Cardan.  Dans  le  même  livre  où  il  professe 
cette  espèce  de  panthéisme,  il  s'attaque  aux  libertins  et  leur 
prêche  l'immortalité,  non  pas  celle  de  Platon,  mais  celle  que 
Jésus-Christ  a  promise  : 

\'ou,s  qui  sans  foy  errez  à  Tavanlure, 
\'ous  qui  tenez  la  secte  d'Epicure, 
Amendez  vous,  pour  Dieu  ne  croyez  pas 
Que  l'àme  meure  avecque  le  trespas'(2). 

C'est  son  père  lui-même  qui  dans  une  apparition  nocturne 
l'en  assure,  et  après  lui  avoir  recommandé  la  fidélité  à  Jésus- 
Christ  et  au  décalogue,  lui  promet  qu'il  le  rejoindra  dans  le 
ciel. 

(3n  peut  hésiter  du  reste  sur  les  sources  de  Ronsard,  parce 
que  Cardan  se  rencontre  ici  avec  Platon  et  Averroès.  Mais  le 
même  recueil  contient  une  pièce  beaucoup  plus  curieuse  et 
dont  certains  détails  ne  peuvent  être  pris  ailleurs  (jue  dans  le 
philosophe  Italien  ou  ses  traducteurs  :  c'est  l'étrange  poème 
iiililiilé  le  Chai,  où  Ronsard  nous  expose  sa  théorie  de  l'inspi- 
ration poétique. 

Dès  1552,   Pontus  de   lyard,   encore  à  ses  débuts  et  déjà 


(1)  Ibld  .    Bl.    VI,    p.    235. 

(2)  Prosopopée  de  Louys  de   Ronsard.   Poèmes,   II,   131.    Vt,   p.   178;   Laumonier- 
Lemerre,  V,  p.  163). 


DISCIPLES    DES    PADOUAXS   AVANT   MONTAIGNE  397 

sybillin,  avait  entrepris  de  décrire  l'enthousiasme  ou  la  fureur 
poétique*''.  <(  Son  propre  etïet,  disait-il  à  Pasithée,  cest  des- 
lever depuis  ce  corps  jusques  aux  cieux  l'ànie  qui  des  cieux 
est  descendue  dedans  ce  corps  (=^)  ».  L'âme  en  elïet,  venant  de 

I  Un  dont  elle  est  une  parcelle,  s'abaisse  par  quatre  degrés  suc- 
cessifs; l'entendement  angélique,  la  raison,  l'opinion,  la  nature. 

II  lui  faut  pour  retrouver  l'unité  et  la  contemplation  de  l'Un 
remonter  de  la  nature  à  Dieu  :  «  La  furem^  divine,  Pasithée,  est 
runi(|ue  escalier  par  lequel  l'àme  peut  trouver  le  chemin  qui  la 
conduit  à  la  source  de  son  souverain  bien  ^3)  ».  La  furem^  divine 
aura  donc  quatre  degrés  correspondant  aux  quatre  degrés  par 
lesquels  l'àme  s'est  abaissée  :  «  En  quatre  sortes,  ...peut 
l'homme  estre  espris  de  divine  fureur.  La  première  est  par  la 
fureur  poétique  procédant  du  don  des  Muses  :  la  seconde  est 
par  l'intelligence  des  mystères  et  secrets  des  religions  souz 
Bacchus  :  la  troisième  par  ravissement  de  prophétie,  vatici- 
nation ou  divination  souz  Apollon;  et  la  quatrième  par  la 
violence  de  l'amoureuse  affection  souz  Amour  et  Venus  <^>  ». 
Il  n'y  a  pas  de  différence  de  nature  entre  ces  quatre  inspi- 
rations, mais  seulement  de  degré.  L'âme  abaissée  et  comme 
disloquée  par  les  fonctions  qu'exige  le  corps  se  recueille, 
s'harmonise,  d'abord  par  la  musique  et  la  poésie.  La  religion 
y  aide  plus  encore  et  ((  la  sainte  communication  des  mystères 
et  secrets  religieux  au  moyen  desquels  les  purifications  et 
devotieux  offices  incitent  l'âme  à  se  rassembler  en  soy- 
mesme  '^>  ».  Alors  survient  la  troisième  fureur  (|ui  éloigne  «  les 
ratiocinations  intellectuelles  »  et  «  réduit  l'entendement  en 
union  avec  l'âme,  ce  qui  advient  par  le  ravissement  des  pro- 
phéties et  divinations.  Aussi  quiconque  est  esmeu  de  fureur 
divinatrice  ou  prophétique,  tout  ravi  en  intérieure  contem- 
plation il  conjoint  son  ame  et  tous  les  esprits  ensemble...  pour 
aller  puiser  aux  plus  intimes,  profonds  et  retirez  secrets  divins 

(1)  Solitaire  premier  ou  discours  des  Muses  et  de  la  fureur  poétique.   1552.  Je 
cite  d'après  l'édiUon  de  1587. 

(2)  Ibid..  p.  3,  verso. 

(3)  Ibid..  p.  8  verso. 

(4)  Ibid..  p.  8  ver.so-9. 

(5)  Ibid.,  p.  9  verso. 


398  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

la  prédiction  de  choses  qui  doivent  advenir  ("  ».  Enfin  l'âme 
ainsi  unifiée  se  joint  à  l'Un  par  ramoiir,  c'esl-à-dire  «  par  un 
fervent  et  incomparable  désir  que  l'àme  ainsi  eslevée  a  de 
jouir  de  la  divine  et  éternelle  beauté  ('^)  ». 

Telle  est  la  théorie  de  Pontus  de  Tyard  et  elle  ne  manque 
point  de  grandeur  ni  même  de  logique  dans  son  étrangeté.  Elle 
nest  du  reste  (jue  le  développement  d'une  page  de  i  Ion  '3)  déjà 
expliquée,  en  ce  qui  concerne  les  poètes  du  moins,,  par  Ficin 
et  Pomponazzi  (^)  —  et  bien  avant  eux  par  Cicéron  et  Plu- 
tarque  *5).  Mais  celle  de  Cardan,  en  faisant  defe  fonctions  pro- 
plK'ti<iues  une  conséquence  de  l'origine  de  l'àme  selon  Averroès 
et  du  climat,  est  plus  matérialiste  encore.  C'est  celle  de  Cardan 
({lia  choisie  Ronsard  en  1569. 

Avant  de  l'exposer,  je  dois  signaler  que  G.  des  Autels  l'a 
devancé  sur  ce  point.  En  1553  il  chantait  ((  la  douce  rage  » 
que  lui  inspirait  sa  «  Saincte  »  et  de  ce  qu'il  était  amoureux 
concluait  que  \  énus  lavait  fait  à  la  fois 

Prophète,   Piestre  et  poëte  amoureux  (6). 

(1)  P.   10. 

(2)  Ibid. 

(3)  ion,  V,  534. 

(4)  Pomponazzi  commentant  cette  page  de  Ion  écrit  :  Ipsa  musa  poetas  divino 
instinctu  concital,  poetœ  concifaîi  alios  furore  corripiunt...,  omnes  itaque  car- 
minum  ixietae  insignes  non  arte  sed  divino  afflatn  mente  capti  omnia  ista.  prseclara 
poemata  canunt  (De  Iticant.,  p.  125). 

(5)  Cicéron  clans  les  Tusculaves  (III,  V)  expose  ces  idées  en  distinguant,  avec 
les  grecs  la  folie  ordinaire  (y.av(a  )  et  la.  folie  poétique  (  fj.i'M.yy^o'My.  ).  C'est  par 
cette  distinction  que  commence  aussi  le  traitéj  de  Pontus  de  Tyard.  Pour  Plu- 
tarque.  voir  le  traité  de  v'kmouv  (trad.  Ricard,  Paris,  1844,  Ilie  vol.,  p.  519). 

(.6)  Voici  le  sonnet  entier  : 

Du  Dieu  savant  la  folie  divine 
Ne  m'a  pourtant  dérobé  la  pensée 
Si,  comme  fait  la  sibyle  insensée. 
Au  temps  présent  l'avenir  je  devine  : 

—  Si  je  connoy  quel  sacrifice  dine 
La  deité,  apaise,  corroucée,. 
Jamais  pourtant  n'a  esté  engrossée 

De  la  chaleur  du  franc  dieu,  ma  poytrine  : 
—  Si  l'on  m'assict  au  milieu  des  poètes, 
Sœurs  d'Helicon,   les  déesses  vous   n'estes. 
Qui  à  mes  vers  soufriez  ce  vent  heureux  : 

—  Ton  seul  enfant.  Venus,  d'un  sain  breuvage 
M'empoysonnant,  me  fait  en  douce  rage, 
iProphete,  pre.stre  et  poëte  amoureux. 

[Amoureux  repos,  sf>nnet  XIV).  M.  Chamard  signale  aus.sl  que  Sibilet  demande 
que  le  p<K;te  se  sente  inspiré,  dans  son  Art.  poétique  (1548)  (Chamard,  Du  Bellay. 
p.  92). 


DISCIPLES   DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  399 

De  plus,,  ayant  composé  en  1549  un  sonnet  où  il  annonçait 
une  nouvelle  guerre,  il  y  ajoute  en  1553  les  vers  suivants  : 

Ces  vers  Janus,  enclos,  en  se  moquant,  ouït, 
Bien  peu  craignant  de  Mars  les  hoiribles  tempestes, 
Mais  l'an  après,  coniiainl,  ses  portes  il  ouvrit. 
Qui  ne  confessera  que  nous  sommes  prophètes  ?    d) 

Mais  c'est  là  badinage  amusé  de  sceptique.  Le  futur  auteur 
de  Mistiioire  barragouyne  de  Fanireluche  et  Gaudichon  ®  ne 
pouvait  sérieusement  se  croire  un  «  mage  ». 

Autrement  sérieuse  est  l'attitude  de  Ronsard  :  dès  ses  pre- 
mières Odes  il  proteste  contre  ceux  qui  pourraient  croire  que 
la  poésie  vient  «  d'art,  et  non  de  ravissement  »,  et  dans  l'une 
des  plus  connues  Jupiter  enseigne  aux  Muses  que  ce  ravis- 
sement est 

Desmembré  en  diverses  parts, 

En  prophétie,  en  poésies 

En  mystères  et  en  amour, 

Quatre  fureurs  qui  tour  à  tour 

Chatouilleront  vos  fantasies  0). 


(1)  Amoureux  repos  (Lyon,  Temporal,  1553),  sonnet  XVII  et    (luatrain  suivant. 

(2)  Lyon,  chez  Jean  Dieppi,  1574.  En  1550,  G.  des  Autels  consacrait  aussi  un 
sonnet  à  rimmortalité.  Il  y  rappelle  que  les  Gaulois  prêtaient  d«  l'argent  à 
rendre  en  l'autre  monde  :  «  tant  se  fiaient  à  l'immortalité  ».  Pour  lui,  il  y  croit 
aussi  : 

«  Mais  pour  es  cieux  ma  joye  faire  croistre 
Je  te  suppli,  Eternel,  que  je  puisse 
Entre  tes  saints  ma  Sainte  recognoistre  ». 
{Hcpos  de  plus  grand  travail,  p.  14-15  :  De  l'immortalité  de  son  âme  et  de  son 
amour.  Sonet). 

(3)  Odes,  I,  X,  A.  Michel  de  l'Hospital.  Texte  aussi  net  dans  les  Poért^es,  I.  La 
lyre  : 

"   Car,   comme  dit  ce   grand  Platon,   ce  sage. 
Quatre  fureurs   brûlent  nostre   courage, 
.  Bacchus,  Amour,  les  Muses,  Apollon, 
Qui  dans  nos  coeurs  laissent  un  aiguillon 
Comme  freslons,  et  d'une  ardeur  secrette 
Font  soudain  l'homme  et  poète  et  prophète 
Par  eux  je  vois  que  poëte  je  suis...  ». 

!B1.,  VI.  p.  56-57,  Laumonier-Lemerre,  V,  p.  45).  Ces  premiers  développements 
sur  l'enthousiasme  poétique  sont  pris  très  vraisemblablement  à  P.  de  Tyard,  car 
il  fait  allusion  à  •<  l'Enthousiasme  aiguillon  de  Pontus  »  {Awn'irx.  i  Laumonier- 
Lemerre,  1,  p.  42). 


400  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Et  le  poèt^,  développant  sa  théorie,  nous  chante  1  origine 
divine  et  l'autorité  sacrée  du  poète,  dont  «  les  vers  viennent 
de  Dieu,  non  de  l'humaine  puissance  ».  Il  nous  montre  les 
Muses,  agitant  <(  le  cœur  prophète  des  Sibylles  »,  l'esprit  des 
«  oracles  anlicpies  »,  les  «  devins  »„  et  enfin  les  poètes 
anciens  'i'.  Les  poètes  ont  un  démon  qui  les  enseigne  la  luiit  '^^■ 
Celte  prétention  d'être  animé  d'une  iureur  divine,  encore 
qu'elle  ne  soit  pas  simple  exagération  de  poète,  mais,  nous 
l'avons  montré,  vérité  philosophique  alors,  est  aussi  inolîen- 
sive  fjue  celle  de  Hugo  de  poser  au  «  mage  eiïaré  »  ^^K  Parmi 
les  privilégiés  que  les  muses  inspirent,  il  a  nommé  les  oracles 
et  les  sibyles  :  il  s'est  bien  gardé  d'y  mettre  les  prophètes. 
Mais  en  1569  il  est  bien  plus  hardi  et,  disciple  de  Cardan,  il 
reproduit  ses  théories  sur  le  prophétisme. 

La  prophétie  est  chose  naturelle  comme  l'inspiration  poé- 
tique, ((  car  Dieu  par  tout  en  tout  se  communique  ».  Il  n'est 
donc  pas  étonnant  que  certaines  plantes  soient  fatidiques.  Un 
laurier  arraché  dans  son  jardin  lui  a  été  présage  de  sa 
maladie.  Les  animaux  aussi  sont  des  présages  bons  ou  mau- 
vais. 

L'àme  du  ciel  en  tout  corps  tournoyante, 
Les  ix)usse,  anime,  et  fait  aux  hommes  voir 
Par  eux  les  maux  ausquels  ils  doivent  choir. 

La  tortue,  le  <(  limas  »,  la  grue,  le  cygne,  le  pluvier  et 
le  loup  sont  autant  de  témoins  que  l'art  des  augures  avait  un 
fondement  sérieux.  Mais  par  dessus  tout,  Ronsard  craint  les 


(1)  ibid;  passim.  Voir  aussi  Odes,  II,  II,  à  Calliope  (BI.,  II,  p.  134). 

(2)  Odes.  I.  XVIII,  à  J.  de  Bellay  (Bl.,  II.  p.  117  et  sulv.). 

(3)  Dieu  les  tient  agitez,  et  jamais  ne  les  laisse; 
D'un  aiguillon  ardant  il  les  picque  et  les  presse. 
Ils  ont  les  pieds  à  terre  et  l'esprit  dans  les  cieux, 
Le  peuple  les  estime  enragez,  furieux; 

Us  errent  par  les  bois,  par  les  monts,  par  les  prées, 
Et  jouissent  tous  seuls  des  nymphes  et  des  fées. 

poèmes  retranchés.  Discours  à  J.  Crévin  (Bl..  VI.  p.  311). 

Même   idée  de  la  fureur  poétique  et  même  assimilation   à  la  prophétie  dans 
Pkletier.  Art.  poét.  (1555),  p.  11  et  sulv.  Voir  Jugé,  J.  peletler,  p.  147. 


DISCIPLES   DES    PADOUANS   AVANT    MONTAIGNE  401 

chats.   Peut-cire  avait-il  été  frappé  de  leurs  allures  mysté- 
rieuses : 

Ils  prennent  en  songeant  les  nobles  attitudes 

Des  grands  sphinx  allongés  au  fond  des  solitudes. 

Leurs  reins  féconds  sont  pleins  d'étincelles  magiques, 
Et  des  parcelles  d'or,  ainsi  qu'un  sable  fin, 
Etoilent  vaguement  leurs  prunelles  mystiques  (D. 

En  tout  cas,  il  les  hait  et  plus  encore  les  craint  : 

Je  hay  leurs  yeux,  leur  front  et  leur  regard, 
Et  les  voyant  je  m/enfuy  d'autre  part. 
Tremblant  de  nerfs,  do  veines  et  de  membre  (2). 

Superstition,  évidemment;  mais  en  voici  le  fondement  et 
l'aboutissement  très  grave  et  très  signillcatif.  Si  les  idées  de 
Ronsard  sur  l'inspiration  poétique,  sa  crainte  superstitieuse, 
peuvent  avoir  des  origines  nombreuses,  grecques,  italiennes 
ou  françaises,  les  quatre  vers  qui  suivent  sont  la  traduction 
incontestable  de  Cardan  : 

Ne  vois-tu  pas  que  la  saincte  Judée 
Sur  toute  terre  est  plus  recommandée 
Pour  apparoistre  en  elle  des  esprits 
Remplis  de  Dieu,  de  proplietie  épris  0) 

Comme  Cardan  il  fait  de  la  prophétie  un  fruit  naturel  du 
climat  et  du  sol,  qui,  réalisant  des  corps  plus  spirituels,  laissent 
le  mens  qui  les  anime  transparaître  et  communiquer  plus 
directement  avec  le  ciel  ; 

Les  régions,  l'air  et  les  corps  y  servent, 
Qui  l'âme  saine  en  un  corps  sain  consentent , 
Car  d'autant  plus  que  bien  sain  est  le  corps, 
L'âme  se  monstre  et  reluist  par  dehors  •^) 

(1)  Baudelaire,  Fleurs  du  mal,  LXVIII. 

(2)  Le  Chat  iBl.  VI,  p.  70;  Laumonier-Lemerre,  V,  p.  60-61). 

(3)  Ibid.   (Bl.,   VI,  p.  68;  Laumonier,   V,  p.   5S).   Voir  la   théorie  de  Cardan  au 
chapitre  VII. 

(4)  Ibid.  (Bl.,  VI,  p.  68;  Laumonier-Lemerre,  V,  p.  58). 

26 


402  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

11  est  douteux  pourtant  que  Ronsard  ait  adhéré  à  des  théories 
qui  ruinent  une  partie  des  preuves  traditionnelles  de  l'Eglise. 
Au  moment  où  il  écrivait  ces  lignes  il  luttait  contre  les  pro- 
testants et  multipliait  les  professions  de  foi  qui  semblent  sin- 
cères <i).  11  semble  même  s'attaquer  quelquefois  aux  libertins  : 
dans  le  Discours  ù  Loijs  des  Masures,  par  exemple  ^^K 


II 


Le  premier  né  des  vrais  représentants  de  l'esprit  nouveau, 
c'est  le  Démocritic  de  Tahureau  *3).  Ses  Dialogues,  en  effet, 
s'ils  n'ont  paru  qu'en  1565,  ou  au  plus  tôt  en  1562,  ont  été 
écrits  avant  1555,  date  de  la  mort  de  l'auteur. 

Le  Démocritic  tient  de  Rabelais  :  comme  lui  il  se  donne 
«(  le  moins  de  mélancolie  qu'il  lui  est  possible*'')  »:  comme  lui 
il  use  de  raillerie  plus  que  de  raisonnement  (5)  ;  comme  lui, 
c'est  un  lucianiste,  non  pas  au  sens  imprécis  de  railleur,  mais 
parce  qu'il  connaît  et  cite  le  terrible  pamphlétaire  '^i.  .Mais  il 
a  bien  plus  que  Rabelais  conscience  nette  du  fondement  du 
Fationalisme  :  suivre  la  raison.  Les  hommes  d'aujourd'hui 
sont  <-'  irraisonnables  »,  non  pas  qu'ils  soient  privés  de  raison, 
mais  «  comme  celuy  qui  porte  au  doi  la  pierre  précieuse  et 
orientale,  n'en  sçachant  aucunement  la  vertu...,  ils  ignorent 
la  grande  vertu  et  puissance  de  leur  raison,  s'adonnans  plus- 
tost  à  faire  et  croire  mille  badineries  et  tours  de  singes  qu'à 
suyvre  la  vraye  voye  qui  les  guide  tout  droit  au  sentier  de» 


(1)  Voir  DiS(ours  des  misères  de  ce  temps  dans  ledit.  Laumonier-Lemerre,  V. 
p.  329-445.  Sur     cette  série  d'œuvres,  voir  H(vue  luiiverstlaire  du  12  février  1903. 

(2)  Crains  Dieu  sur  toute  chose  et  le  fard  d'Epicure  |  Ne  te  fasse  jamai.s  errer  à 
l'avanture  (Laum.-I^merre,  V.  p.  265  :  comme  celui  qui  voit  dune  fenêtre). 

(3)  Sur  la  vie  de  Tahureau,  voir  l'édition  de  ses  œuvres  par  Conscience,  chez 
Lemerre  (1871),  ou  l'article  que  lui  a  consacré  M.  Bksch  dans  la  Revue  du 
XVI»  siècle,  de  1919.  p.  1-64  et  1,5'i-20O.  Je  cit<e  toujours  d'après  Tédit.   Conscience. 

(4)  /e""  dial..  p.  4. 

(5)  Voir  en  particulier  ses  railleries  sur  les  moines  (I,  p.  93)  par  où  il  ressemble 
encore  à  Rabelais. 

(6)  Voir  en  particulier,  p,  120,  169,  184,  262.  S 


DISCIPLES   DES    PADOUANS   AVANT    MONTAIGNE  403 

raison  <^)  ».  Ils  n'ont  pas  le  sens  critique  et  «  on  leur  voit 
délaisser  un  ferme  et  rassis  jugement  pour  donner  plus  de 
lieu  à  ce  qu'on  leur  donne  à  entendre  de  main  en  main  qu'à 
la  pure  et  nette  vérité,  aimans  mieux  par  ce  moyen  croire  aux 
choses  les  plus  fausses  à  crédit  que  par  raison  aux  véri- 
tables '2)  ». 

Pour  lui  il  remercie  ((  la  haute  et  puissante  nature  »  de  ce 
qu'il  ne  «  se  laisse  aucunement  surmonter  par  une  inflnité  de 
foies  opinions  et  faits  irraisonnables  '3)  »  qui  ont  cours- aujour- 
d'hui. Il  en  sourit  doucement  avec  des  amis  «  que  l'on  peut  sans 
faillir  dire  raisonnables  <^)  »  et  il  <(  veut  plustost  bien  dire  et 
croire  avecques  un  ou  peu  de  gens  de  bon  esprit  que  faillir 
avecques  un  grand  nombre  d'ignorans.  s'estant  du  tout  appuie 
sur  le  fondement  de  la  raison  et  non  point  d'authorité  humaine 
simplement  forgée  de  quelque  pauvre  cervelle  renversée  (5)  ». 
Crois-moi,  dit-il  au  Cosaiophile,  «  je  te  recueillerai  d'un  grand 
et  profond  somme  auquel  la  plus  grande  partie  de  ceux  que 
l'on  appelle  hommes  demeurent  endormis  et  te  semblera,  si  tu 
veux,  après  m'avoir  entendu,  ajouter  plus  de  foi  à  la  raison 
et  vérité  qu'à  une  sotte  opinion  seulement  approuvée  par  une 
longue  coutume  observée  de  ceste  grande  beste  de  plusieurs 
testes,  que  je  t'aurai  retiré  d  un  grand  bourbier...'^)  )>.  Et 
quand  il  se  cherche  un  ancêtre,  ce  n'est  pas  à  Rabelais  qu'il 
songe,  mais  à  Caton,  parce  qu'  «  il  ne  voulait  rien  estre  receu 
entre  les  hommes  qu'il  ne  fut  convenable  à  leur  raison*''')   ». 

Si  la  tournure  d'esprit  de  Tahureau  est  très  nette,  sa  science 
est  relativement  faible,  il  a  lu  davantage  les  poètes  et  Rabelais 
que  les  philosophes.  Sur  la  doctrine  de  l'âme,  la  grande  préoc- 
cupation des  philosophes,,  il  se  borne  à  répéter  les  mauvais 

(1)  /er  dial.,  I.  p.  3. 

(2)  /er   dUlL,   début. 

(3)  /er  dial.,  début. 

(4)  /er  dial.,   p.   4. 

(5)  Advertissement  de  l'auteur,  p.  xv. 

(6)  /er  dial.,  p.   5-6. 

(7)  /^i"  dial.,  p.  45.  Les  srystèmes  des  anciens  philosophes  ne  lui  sont  autorité 
re:evable  que  s'ils  «  ne  sont  point  tant  fondés  sur  une  opinion  que  la  vérité  et 
preuve  raisonnable  n'y  soit  apparente  ».  ?«  dial.,  p.  162. 


404  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

jeux  de  mots  de  Rabelais  **).  L'espoir  de  1  immortalité  dont 
Dolel  et  les  cicéroniens  consolaient  leur  vie  laborieuse  lui 
parait  un  mauvais  marché  :  ^<  Ne  s'en  trouve  il  pas  assés  qui 
se  privent  de  tout  plaisir,  ne  foisans  autre  chose  toute  leur 
vie  que  brouiller  je  ne  sçai  quelles  sornettes  en  espoir  qu'elles 
soient  mises  en  lumières  après  leur  mort  ?  Et  sont  encore 
aveuglés  jusques  à  là  qu'ils  en  pensent  bien  voltiger  et  gam- 
bader en  l'air  plus  dextrement  que  les  autres.  Guidez  vous 
que  la  louange  que  l'on  donne  à  Demosthene  ou  à  Ciceron 
leur  chatouille  bien  maintenant  les  oreilles  ^^^  ?  ». 

Il  sait  lui  aussi  la  diversité  des  théories  émises  sur  la  nature 
et  la  destinée  de  l'âme  et  avant  Montaigne,  avant  Bruès  même, 
il  l'allègue  en  preuve  de  l'impuissance  de  la  raison  :  «  Les 
autres  nous  ont  dépeint  une  ame  rouge,  les  uns  blanche  et 
ceux-ci  bigarée  comme  les  couleurs  des  loiaus  amans  :  Aucuns 
l'ont  logée  au  cueur,,  puis  tantost  au  cerveau  pour  la  tenir 
chaudement;  il  s'en  est  trouvé  quelques  autres  meilleurs 
fourbisseurs  qui  nous  l'ont  engaignée  dedans  tout  le  corps 
comme  dedans  son  fourreau,  de  peur  qu'elle  ne  s'enrouillast 
à  la  pluie  :  Outre  tous  cens  ci  sont  encore  survenus  certains 
organistes  qui  nous  l'ont  armonisée  à  quatre  parties  :  et 
d'autres  expers  enrocheurs  qui  l'ont  entonnée  dedans  un  vais- 
seau à  celle  fin  qu'elle  ne  prit  vent.  Mais  a  quoi  pensoient  ces 
importuns  scrulateui's  de  choses  douteuses*^)?  ». 

Il  devance  l'Apologie  de  R.  Sebond.  Il  la  devance  aussi  sur 
l'expression  générale  du  fidéisme.  Un  an  avant  Louis  le  Caron, 
il  résume  le  pi^emicr  livre  du  De  Uiudibus  pJdlosophix  de 
Sadolet  <'^)  et  proclame  la  faillite  de  la  philosophie  :  les  idées  de 
Platon,  la  cosmogonie  de  Démocrite  et  d'Epicure,  les  varia- 
tions des  écoles  diverses  sur  l'âme  *^),  et  Aristote  lui-même  avec 

(1)  Asue  pour  ame  répété  trois  fois  pages  93,  98.  102  'l«<^  dialoque). 

(2)  î«  dinl  ,   p.   171172. 

(3)  i"  (liai.,  p.  160-162. 

(4)  L  attitude  de  Tahureau  est  plutôt  fldéiste  que  sceptique  et  sou  afgumentation, 
rexemjilf  im^me  qu'il  donne  de  l'impuissance  de  la  raison  rappellent  plutôt 
Sadolet  rpie  Talon.  Il  dénie  à  la  raison  le  pouvoir  de  trancher  les  questions  reli- 
î^leusps,  mais  ne  semble  pas  douter  de  la  raison  elle-même  pour  les  choses  qui 
sont  de  .son   domaine. 

(5)  Dialogues,   Eplstre  XI;  et  Je  dinloijue,   p.   160-162. 


DISCIPLES   DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  405 

ses  contradictions,  nous  apprennent  que  «  Dieu  s'est  réservé  le 
ciel  pour  sa  demeui^e  et  qu'il  a  donné  la  terre  aux  fils  des 
hommes  ^^K  Où  il  est  assés  manifesté  qu'ils  se  doivent  contenter 
du  lieu  qui  leur  est  assigné,  sans  entreprendre  de  voler  plus 
haut  et  avoir  la  cognoissance  de  ce  qui  leur  est  incertain  », 
comme  Anaximène,  cet  astronome  qui,  baillant  aux  étoiles, 
se  laissa  choir  dans  une  fosse  '2). 

Sur  ces  deux  points,  Tahureau  a  donc  les  idées  courantes. 
Sur  la  question  des  miracles  il  ressemble  à  Rabelais,  au  Rabe- 
lais des  deux  premiers  livres.  Pour  railler  les  miracles  à  la 
façon  de  son  modèle,  il  emprunte  à  Diogène  Laërce  (3)  l'histoire 
d'Empédocle  et  des  x\grigentins.  Ce  philosophe,  pour  garantir 
Agrigente  du  vent  «  enfourna  toute  la  ville  de  peaus  d'asnes 
et  par  ce  moien  il  fit  cesser  la  tourmente  qui  conçoit  pour  lors, 
et  après  il  fut  surnommé  en  grec  yjji/.vixviuocç ,  c'est-à-dire 
chasse-vent  »  ^ —  ((  Ha  ha  ha  !  s'écrie  le  Cosmophile,  la  grande 
folie  »  d'avoir  écrit  cette  «  bourde-là  !  »  —  Tu  ne  crois  donc 
pas  ce  qu'assurent  «  tant  d'auteurs  approuvés  ?  »  répond  ironi- 
quement le  scepli(iue.  C'est  que,  conclut  le  Cosmophile,  si  nous 
voulions  croire  tout  ce  qu'on  trouve  dans  les  livres,  «  il  ne  se 
trouveroit  point  en  Arcadie  d'asne  plus  magnifiquement  oreille 
que  nous  serions*'')  ».  Aussi  de  tout  temps  il  y  a  eu  des  gens 
assez  fins  pour  ne  pas  croire  à  <(  telles  bourdes  »;  et  il  les 
énumère  complaisamment  :  Cambise,,  roi  de  Perse,  qui  pro- 
fana le  temple  de  <(  Vulcan  »  ;  mais  en  punition  il  devient  épilep- 
tique  et  fou.  n  Pour  le  moins  les  sots  de  son  temps  le  pensoient 
ainsi  et  raportoient  cette  maladie  qui  lui  estoit  naturelle  à  une 
punition  divine  ».  Qu'il  fût  fou,  cela  est  vraisemblable,  mais 
aux  yeux  de  la  foule  «  une  personne  de  bon  esprit  sera  elle 
jamais  à  peine  estimée  autre  que  foie  et  transportée  de  cer- 
veau '•^)  ?  ».  Denys  le  Tyran  fut  aussi  hardi   et  aussi  lin  quand 

(1)  Psalm.  CXIII,  25. 
v21   ?«  aial.,  p.  128. 

(3)  Vies  et  opinions  des  philosophes,  VIII,  60. 

(4)  îe  dial.,   p.   122-123. 

(5)  P.  176-177 


4 


iOG  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

il  déroba,  selon  Cicéron,  la  barbe  d'or  d'Esculape  et  le  man- 
teau dor  de  Jupiter  Olympien 'i'. 

Quant  aux  vœux  qu'on  peut  adresser  aux  dieux,  ils  les 
laissent  aussi  indifférents  que  les  sacrilèges  et  les  blasphèmes. 
Et  pour  le  prouver  Tahureau  reprend  les  réponses  —  clas- 
siques aussi  —  de  Diagoras.  A  un  ami  qui  lui  montrait  des 
ex-voto  de  marins  «  lesquels  après  sestrc  voués  et  recom- 
mandés aux  dieux  avoient  par  ce  moyen  évité  la  lempeste  et 
pris  terre  miraculeusement...,  ce  mignon  respondit  en  sous- 
riant  et  se  moquant  de  la  simplicité  de  l'autre  :  ...Ne  vois  tu 
pas,  pauvre  homme,  comment  il  n'est  point  lait  de  mention  en 
ces  monumens  ci  de  ceux  qui  ont  esté  noies  après  avoir  fait 
leurs  vœux  !  ».  Et  une  autre  fois  (jue  ce  philosophe  se  trouvait 
sur  mer  en  ime  grande  tempête,  étant  accusé  par  ses  compa- 
gnons de  leur  avoir  par  son  impiété  attiré  ce  malheur,  «  il 
leur  monstra  une  autre  grande  flotte  de  navires  qui  estoient 
en  mesme  péril  et  leur  demanda  s'ils  pensoient  (jue  Diagore 
fust  en  une  chacune  de  ces  navires  '^l  ». 

Enfin  révhémérismc  est  longuement  exposé  dans  le  livre  de 
Tahureau.  Il  énumère  complaisamment  u  les  forgerons  de 
dieux  »,  c'est-à-dire  tous  ceux  qui,  soit  par  politique,  soit  par 
piété,  soit  par  orgueil  ont  fondé  un  culte  ou  prétendu  avoir 
des  relations  intimes  avec  les  dieux  :  Cécrops  en  Grèce,  Mélisse 
on  Crète,  à  Rome  Numa  et  la  nymphe  Egérie,  qui  tous  les 
trois  fondèrent  la  religion  de  leurs  patries  respectives.  Le 
dernier  i!  est  vrai  est  excusable,  car  «  il  le  laisoit  pour  une 
bonne  fin,  qui  estoit  de  retirer  le  peuple  romain,  encores  pour 
lors  rude  et  brutal,  d'une  trop  grande  affection  (pi'il  avoit  ans 
guerres  et  l'induire  à  quelque  vénération  de  la  divinité.  El  telle 
a  lousjours  esté  la  coutume  de  cens  qui  ont  voulu  establir  loix 
et  introduire  nouvelles  coutumes  aux  villes  ou  à  tout  un 
peuple,  c'est-à-dire  de  raporter  toutes  leurs  institutions  à 
quelque  particulière  et  affectée  divinité  ».  Ainsi  tirent  Lycur- 
gue,   Dracon,   Solon,    Minos,   ïrismégiste,   Zoroastre  qui  se 

(1)  De  Sal.  Dcor.,  III,  3'i. 

(2)  Je  dial..   p.   178-179. 


DISCIPLES    DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  407 

(lisait  inspiré  dOromaze,  Carondas,  Zamolchc  en  Scythie, 
Em[)édocle  <[ui  voulut  lui-même  se  faire  passer  pour  Dieu  et 
dans  ce  but  se  précipita  dans  TEtna,  pensant  qu'on  le  croirait 
enlevé  par  les  dieux.  «  De  dire  que  ]\Ioyse  en  ait  fait  autant 
et  qu'il  se  soit  aposté  une  divinité  comme  les  autres,  c'est  une 
chose  tant  méchante  et  détestable  que  tant  sen  faut  qu'on  la 
doive  soustenir,  qu'elle  ne  doit  pas  sortir  hors  de  la  bouche 
des  fidelles  en  quelque  sorte  que  ce  soit,  combien  qu'il  y  en 
ait  pour  le  jourd'hui  d'abandonnés  et  de  perdus  jusques  à  là 
qu'ils  ne  laissent  pas  de  s'engoufrer  en  l'abisme  d'une  si 
dangereuse  et  damnable  opinion  :  mais  plaise  à  la  soîiveraine 
bonté,,  guide  de  nous  tous,  de  les  retirer  de  ce  péril  auquel  ils 
flottent  tant  pernicieusement  et  les  remettre  en  la  vraie  voie 
de  salut  >k  Evidemment  ce  sont,  comme  disait  Rabelais,  vilains 
hérétiques  à  brûler  à  tous  les  diables,  et  ce  n'est  que  pour  nous 
en  inspirer  horreur  que  Tahureau  en  parle  si  longuement  (i). 
Il  semble  pourtant  que  lé  jeune  philosophe  accepte,  comme 
les  Italiens,  qu'on  use  de  cette  supercherie  pour  imposer  une 
religion  au  peuple  :  «  quand  je  considère  bien  à  ceus  qui  vou- 
loient  entièrement  contrevenir  aus  status  et  loix  de  telles 
religions,  encores  qu'elles  fussent  fauces,  je  ne  les  treuve  pas 
moins  à  reprendre  que  ceus  qui  les  avoient  premièrement 
imposées,  veu  que  c'est  une  des  choses  les  plus  pernicieuses 
du  monde  que  de  laisser  courir  et  vaguer  ce  sot  et  inconstant 
vulgaire  avecques  un  si  grand  abandon  et  liberté,  auquel  il 
est  quelquefois  nécessaire  de  donner  une  bride  pour  le  con- 
traindre de  faire  par  force  ce  à  quoi  les  honnestes  et  braves 
èspris  sont  guidés  par  la  vertu  ».  C'est  le  Cosmophile  qui  dit 
cela,  mais  le  Démocritic  renchérit  encore  et  dit  que  sans  la 
religion  nous  retournerions  à  la  «  confusion  du  premier 
chaos  )),  et  voilà  une  raison  suffisante  «■  pour  renverser  une 
bonne  partie  des  nouvelles  et  abhominables  sectes  qui  courent 
pour  le  jourd'huy  à  l'endroit  de  je  ne  scai  quels  pernicieux  et 
naturalistes  libertins  <2)  ». 

(1)  Tout  cet  exposé  de  l'évhémérisme  se  trouve  au  ?<"  dialogue,  p.  172-176. 

(2)  ?e  dialogue,  p.  ISO. 


408  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

«  Le  sentiment  religieux  sous  n'importe  quelle  forme  lui  est 
complètement  étranger  (*'  »,  telle  est  la  conclusion  naturelle 
de  cet  exposé.  M.  Besch  conjecture  que  le  Démocritic  et  le 
Cosmophile  sont  deux  épreuves  du  même  personnage  à  deux 
âges  de  sa  vie  :  Tahureau  lui-même.  Mais  Tahureau  est  mort  à 
un  nge  où  les  idées  bien  personnelles  sont  rares,  car  le  Démo- 
'critic  serait  Tahureau  à  vingt  ans,  l'âge  où  l'on  a  les  idées  de 
ses  voisins  ou  de  ses  maîtres.  Le  Tahureau  de  vingt  ans  est 
rationaliste. 


m 


Le  destin  de  Pont  us  de  Tyard  (2)  ne  ressemble  guère  à  celui 
du  pauvre  Tahureau,  ni  ses  poésies  à  ses  poésies;  mais  avant 
de  devenir,  sur  ses  vieux  jours,  évêque  de  Mâcon,  Tyard  a  été 
l'un  des  sept  de  la  Pléiade,  et  avant  d'écrire  des  Homélies  sur 
le  décalogue  et  la  Passion,  il  a  écrit  des  livres  de  philosophie. 
Le  futur  évoque  ressemblait  fort  au  jeune  Manceau  dont  nous 
venons  d'étudier  les  idées,  et  son  Curieux  au  Démocritic;  c'est 
proprement  son  frère. 

Comme  lui  il  est  sceptique;  mais  il  n'a  pas  la  même  tournure 
d'esprit.  Le  Démocritic  est  le  petit-fils  de  Rabelais;  le  Curieux 
est  1  aïeul  de  J.  Bodin:  aussi  incrédule  que  le  Démocritic,  il 
est  beaucoup  plus  savant.  Pontus  brillait  dans  la  Pléiade  par 
sa  science  : 

Toi  de  qui  le  labeur  enfante  doclement 

Des  livres  immortels...  f3). 

11  connaît  les  philosophes  anciens,  surtout  Platon,  Philon 
et  Cicéron;  il  a  étudié  l'hébreu  et  discute  les  questions  d'exé- 
gèse avec  l'assurance  d'un  rabbin;  mais  il  a  surtout  pratiqué 
Cardan  et  les  rationalistes  de  la  Renaissance  :  les  mêmes  ques- 

'D  Besch,  art.  cité,  Bévue  du  A'F/e  si(Tle,  1919,  p.  170.  Voir  aussi  Villey,  Sources 
des  Kssai.'t,  I,  p.  34-40. 

(2)  Sur  Ponfus  de  Tyard.  v.  Du  Verdier,  BihL.,  III,  p.  363;  Goujet,  Bibl.  franc  , 
XIV;  JA.NDET,  Pontus  de  Tyard.  Paris,  1860,  in-S». 

(3)  Ronsard,  Amours,  II,  p.  l  fLaumonler-Lemerre,  I,  p.  131;  BI.,  I,  p.  147). 


DISCIPLES    DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  409 

lions  le  préoccupent,  les  mêmes  objections  lui  viennent  aux 
livres  :  Dieu,  la  création,  l'éternité  du  monde,  l'immortalité 
de  Tàme.  De  son  érudition  hébraïque  il  tire  aussi  des  objec- 
tions contre  l'enfei-,  et  à  Cardan  il  demande  de  fixer  la  part 
du  déterminisme  qui  entre  dans  notre  vie.  Telles  sont  les  ques- 
tions qu'il  a  agitées  dans  trois  dialogues  :  Premier  curieux, 
Second  curieux  et  Mantice,  parus,  les  deux  premiers  en  1557,, 
le  troisième  en  1558  <i).  Pontus  de  Tyard  a  défini  le  rôle  de 
son  héros  en  disant  que  ces  dialogues  sont  imités  du  Parmé- 
nide  et  du  Tiinée,  que  le  Curieux  y  joue  le  rôle  d'Euthydème, 
Protagoras  et  Thrasymagre,  «  ramassant  les  opinions  des  phi- 
losophes »;  il  lui  a  donné  comme  antagoniste  Mantice,  qui, 
dans  le  dialogue  qui  porte  son  nom,  défend  l'astrologie,  et 
dans  les  deux  (Airieux  «  le  théologien  Hieromnime  qui  rabat 
les  coups  s'il  tn*e  un  peu  trop  haut  ^2)  ».  • 

Le  Curieux  a  appris  dans  le  De  Nalura  Deoruni  les  idées 
diverses  que  l'on  s'est  faites  de  Dieu.  Il  sait  que  Evhémère, 
Protagoras,  Théodore,  Diagoras,  Callimaque  et  Euripide 
«  n  en  croyaient  point  »  qu'Anaximandre  «  faisoit  naistre  et 
mourir  de  long  temps  en  long  temps  des  Dieux  et  mondes 
innombrables  »,  qu'Anaximène  et  Diogène  d'Apollonie  firent 
l'air  Dieu,  Alcméon  le  soleil  et  les  astres,  que  Zoroastre  en 
eut  trois  :  Oromaze,  Arimanius  et  Mitra  <3).  C'est  là,  nous 
dit-il,  une  des  raisons  pour  lesquelles  les  athées  nient  l'exis- 
tence de  Dieu,  car  ces  divergences  existent  encore  chez  les 
peuples  modernes**'.  Les  autres  raisons  des  athées,  toutes  méta- 
physi(|ues,  il  les  sait  aussi  (^).  Son  adversaire  lui  réplique  par 
le  consentement  universel  des  peuples,  l'ordre  de  l'univers. 


(1)  Chez  Jean  de  Tournes.  —  Pour  Mantice.  j'ai  pu  consulter  l'édition  de  1558 
et  la  confronter  avec  celle  de  1587;  pour  les  deux  autres  dialogues,  je  n'ai  eu  en 
main  que  l'édition  de  1578. 

(2)  Avant-dsioiirs  du  Premier  curieux. 
•3)  Second  curieux,  fo  97  féd,  1578). 

(4)  Ibid..  fos  111-112. 

(5)  Ihid..  fos  111-112.  Les  voici  :  A)  si  Dieu  existe,  il  est  im  animal,  car  l'animal 
est  la  forme  vivante  la  plus  belle,  il  a  donc  des  sens  et  éprouve  des  mutations; 
donc,  il  n'est  pa.=  Dieu.  B)  si  Dieu  existe,  il  est  infini  ou  fini;  si  infini,  il  est 
immobile  et  inanimé;  si  fini,  il  n'est  plus  Dieu.  C)  variations  des  divers  peuples 
sîur  l'idée  de  Dieu  (fs  108-112). 


410  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

ridée  (Je  perfection  qui  ne  peut  se  réalis*îi'  pleinement  qu'en 
Dieu,  les  causes  linales'^';  mais  quand  il  a  commencé  de  s'expli- 
quer sur  l'idée  que  l'on  peut  se  faire  de  Dieu  II  s'interrompt 
brusquement  :  «  Mais  je  m'oublie,  dit-il,  continuant  plus  ceste 
description  que  ne  peut  soutenir  nostre  humaine  conception, 
et  possible  me  devroit  faire  exemple  la  response  de  Thaïes  à 
Croesus;  ou  de  Simonide  qui  interrogé  par  \t  Tyran  Hieron 
que  c'esloil  Dieu...,  après  le  premier  délai  qui  luy  fut  donné 
pour  respondre  en  impetra  un  second,  puis  encore  un  tiers;  et 
enlin  sollicité  de  résoudre  :  Plus  je  pense,  dit-il,  sur  la  ({ues- 
lion  proposée,  et  plus  j'y  rencontre  d'obscurité  *2)  ». 

On  aura  reconnu  dans  cette  page  un  résumé  du  De  Natura 
Deoriim.  La  liste  des  athées  qui  la  commence  est  presque 
entière  au  I"  livre  (neuf  sur  onze)  *3)  ;  les  preuves  de  1  existence 
de  Dieu  sont  données  par  Balbus  au  second  livre  f"^);  deux  sur 
trois  des  objections  présentées  par  les  athées  sont  prises  au 
1"  et  au  IIP  livre  du  De  Natura  Deoriim  (&)  et  le  plan  de 
réfutation  qu'en  propose  le  théologien  Hieromnyme  est  la 
première  partie  du  second  livre.  Balbus  se  contente  d'y  ajouter 
la  l*rovidenoe  <6).  L'histoire  même  qui  le  teraiine  en  est 
extraite  c^). 

Quel  bouleversement  la  découverte  des  systèmes  philoso- 
phiques des  païens  jeta  dans  l'âme  de  notre  Renaissance  !  Le 
même  procédé  par  lequel  le  Curieux  s'efforce  de  ruiner  l'idée 
de  Dieu,  il  l'applique  à  la  création  :  les  uns  croient  le  monde 
créé  et  périssable  (Démocrite  et  Epicure),  Platon  le  dit  créé 
mais  immortel,  «  Aristote  en  fin,  croyant  le  monde  éternel, 
diffamoit  du  tiltre  d'impiété  ceux  qui  avoient  contraire  opinion, 
comme  oulrageux  contre  Dieu  :  duquel  ils  sembloyent  estimer 
l'ouvrage  de  mesme  ou  pareille  condition  que  les  œuvres  et 


(1)  Ibld-,  fo»  99  verso  à  107. 

(2)  Ibld.,  fo  114  vo. 

(3)  I,  1,  10,  11,  12,  23.  25,  'i2.  C'allimar|iie  et  Zonastre  sfuls  n'y  si)nt  [>n<. 

(4)  Ch.  V,  XII,  XIII.  XI  ■ 

(5)  I,  6  et  suiv..  Cl  III.  13  1/i. 

(6)  II,  10. 
•7)   I.  21. 


DISCIPLES   DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  411 

manufactures  des  fragiles  humains*^)  ».  Qui  croire  ?  Il  est  visible 
que  le  Curieux  esl,  lui  aussi,  disciple  d'Aristole  :  «  Le  doute 
de  la  création  du  monde  est  de  difficile  assurance  »  dit-il  f^). 
Il  reprend  les  raisonnements  des  péripatéticiens  padouans  sur 
l'éternité  du  monde  :  l'univers  ne  peut  périr  ni  par  lui-même 
ni  par  son  contraire,  car  en  dehors  du  monde  il  n'y  a  rien  ; 
ne  peut  périr  que  ce  qui  a  commencé  :  or  pour  beaucoup  le 
monde  est  incréé;  et  enfin  <(  l'épreuve  journalière  tesmoigne 
que  chacune  nature  par  successive  génération  des  choses 
desquelles  elle  est  nature  tasche  de  les  perpétuer  et  éterniser  : 
comme  fait  la  nature  des  arbres,  les  arbres,  par  fertile  pro- 
duction de  nouveaux  tiges  au  Heu  des  vieux  troncs  desseichez  : 
la  nature  des  animaux,  les  animaux,  par  la  naissance  des  petits 
au  lieu  des  morts;  pourroit  il  entrer  en  un  sain  jugement  que  la 
nature  de  tout  l'univers  fust  moins  soucieuse  et  affectionnée  à 
l'Univers  duquel  elle  est  nature  <3)  »?  Les  animaux  périssent, 
mais  l'espèce  demeure.  «  Et  quand  encore  contre  le  possible 
toutes  espèces  periroyent,  la  masse  universelle  qui  ne  consiste 
point  de  ses  particuliers,  en  devroit  elle  estre  soupçonnée 
comme  périssable  et  sujette  à  la  tin  '^)  ?  ».  Croire  que  le  monde 
finira  enfin,  c'est  croire  que  Dieu  peut  changer,  se  repentir  de 
la  création  ou  l'amélioreras). 

La  matière  donc  est  éternelle  et  se  transforme  sans  périr. 
Le  Curieux  va-t-il  jusqu'au  déterminisme  ?  Il  nous  le  dit  dans 
un  traité  spécial,  Mantice  (1558).  Il  y  combat  l'astrologie  judi- 
ciaire et  reproche  à  Cardan  d'y  avoir  cru,  en  tempérant  il 
est  le  vrai  reproche  d'un  bel  éloge  (s).  Il  s'en  prend  surtout  à 

(1)  Second  curieux,  i°  115. 

(2)  Ibid.,  fo  115. 

(3)  Ibid.,  fo  118  verso. 

(4)  Ibid.,  fo  124. 

(5)  Ibid.,  fos  119-120.  Pontus  de  Tyard  expose  (t^s  120-124)  des  théories  curieuses 
pour  l'époque  sur  le  travail  d'érosion  la  variation  du  lit  de  la  mer  et  (f»»  124 
verso-125)  sur  le  refroidissement  du  système  solaire  et  de  la  terre  "  débilitée  de 
vieillesse  et...  essimée  par  la  si  longue  continuation  d'engendrer  et  de  pi-oduire  ». 

(6)  "  Cardan  duquel  je  ne  puis  faire  que  mémoire  honorable  et  qui,  estimé 
laborieux  et  subtil  aux  disciplines,  laisse  par  l'erreur  où  il  s'est  desvoyé  avec  la 
Judiciaire...  assés  recevable  exemple  combien  contagieuse  est  la  conversation  de 
ceste  superstition  »  {Mantice,  édit.  de  1558,  fo  19;  édit.  de  1587,  1°  144). 


i 


412  LE   RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Guicio  Bonati  "'  <(  et  toute  cette  tr()ii))e  barbare  »  (iiii  «  suivant 
Plolemée  (jui  rapporte  aux  Estoiles  du  Zodiac  la  cause,,  non 
seulement  des  mœurs,  vicieux  et  vertueux...,  mais  encore  la 
diversité  des  polices  et  religions...,  assujetissenl  les  miracles 
de  Jesus-Cbrist  et  de  ceux  qui  sous  cette  religion  ont  fait 
œuvres  admirables  aux  constellations  célestes...  *2)  ».  H  voit 
bien  le  danger  d'une  pareille  théorie  :  l'astrologie  supprime  la 
liberté  :  ((  assujettir  aux  corps  célestes  nostre  vie  et  nostre 
tout  sans  rien  excepter...  seroit  ne  nous,  estimer  hommes  rai- 
sonnables animaux,  mais  moindre  que  brutes  et  maniables  par 
autrui,  sans  aucune  action  procédante  de  nous,,  ainsi  que 
nevrospastes  ou  marionnettes  d'un  Bateleur '^i  ».  H  propose 
donc  de  réduire  la  part  du  déterminisme  à  l'influence  du 
climat  '^).  «  Aussi  avecques  lui  (Flotin)  je  croy  que  .sans  recon- 
gnoi-stre  les  Estoilles  pour  causes,  il  nous  avient  infmiz  acci- 
dens  de  l'air  environnant,  de  la  région  ou  nous  sommes 
habitans,  de  noz  pères  et  mères,  de  l'institution  de  jeunesse, 
de  noz  affections  naturelles,  lesquelles  nous  avons  par  propre 
semence  de  nostre  espèce  et  non  par  céleste  inlluence  (^)  ». 
Sagesse  et  clarté  illuminent  cette  phrase  '^'. 

Sur  l'enfer,  la  vie  future,  si  nous  en  trouvons  des  traces 
dans  les  religions  anciennes  (le  "Aor,ç  des  Grecs,  la  crémation 
des  cadavres,  les  sacrifices  par  le  feu  des  Carthaginois),  c'est 
la  foi  surtout  qui  les  prouve.  Le  Curieux  ne  peut  croire,  pour 

il)  Guiiio  Bonatus  de  Forlivio  decem  continens  tractatus  nstroiiomiœ.  Venetiis, 
1506  (B.  N.  Res.  V.  303);  autre  édition  à  Bàle.  1550.  Tyard  lui  attribue  l'idée 
de  l'influence  de  Saturne  sur  la  religion  .judaïque  (Maniire.  t°  'A  de  ledit.  1558). 
Tyard  le  cite  à  chaque  instant  dans  le  Mantice 

(•2)   Mantice.  15.58,   p.   18;   1587,  p.    144. 

(3)  Ihid..  1558,  p.  26;  1587,  p.  149.  La  page  suivante  Insiste  encore  sur  ce  qu'il 
n"y  a  plus  ni  liberté  ni  responsabilité  possible  avec  l'astrologie. 

'4)  Le  défenseur  de  l'astrologie  dans  le  dialogue  réduit  du  reste  l'influence  astrale 
à  l'influence  sur  la  température,  laquelle  influe  sur  nos  numeurs.  Or.  «  les 
mœurs  de  l'esprit  .suivent  la  temi>erature  du  coips;  l'humeur  colerée  rend  l'homme 
impétueux  et  de  mœurs  et  d'esprit:  l'humeui'  mélancolie  rerui  l'homme  sombre 
et  d'esprit  t>enebreux  ..  iMantlie.  éd.  1.558.  p.  70-71).  C'est  réduire  la  doctrine  à 
"une  explication  naturelle. 

(5)  Mantire,  tbid 

(6)  Il  est  regrettable  qu'on  persiste  toujours  à  prêter  à  Bodin  l'idée  première 
de  l'influence  des  climats.  Pontus  de  Tyard  ni  Cardan  même  ne  peuvent  en  reven- 
diquer l'invention.  On  la  trouve  exposée  très  longuement  dans  Ales,sandri 
(Alexander  ab  Alexandro  :  GenUiHum  dierum  librl  sex,  liber  IV,  cap.  13). 


DISCIPLES    DES    PADOUANS   AVANT   MONTAIGNE  413 

sa  pari,  (ju'une  âme  immortelle  et  séparée  du  corps  puisse 
soutïrij'.  n  1]  faut  hors  de  tout  doute,  croire  que  les  âmes  par 
la  mort  ne  peuvent  estre  esteintes  »,  répond  le  théologien,  mais 
il  avoue  que  <(  mal-aisement  se  peut  prouver  par  raison 
naturelle  que  les  âmes  incorporelles  soient  persécutées  en 
tourment  d'un  l'eu  corporel  ».  11  recourt  à  la  Bible,  cite  et 
commente  les  divers  noms  que  les  juii's  donnaient  à  l'enfer, 
accumule  les  textes  où  l'Ecriture  y  lait  allusion  ;  mais  le 
Curieux  l'interrompt  de  l'air  goguenard  d'un  homme  à  qui 
on  n'en  impose  pas  :  «  Il  vaut  mieux  en  croire  plus  et  en 
disputer  moins  (i)  ». 

Que  lui  font  à  lui  les  idées  des  Grecs  ou  des  Hébreux  en 
matière  religieuse  ?  Sous  les  formes  changeantes  il  s'en  tient  à 
la  religion  éternelle,  sous  les  apothéoses  il  devine  l'astuce,  car 
il  a  lu  Evhémère  !  Il  énumère  donc  ceux  qui  «  impatiens  de  se 
contenir  sous  la  peau  de  l'humanité,  se  sont  eslevez  au  souhaist 
desnaturé  d "estre  Dieux  »  :  Salmonée,,  Cosdroé,  Xercès,  Cotys, 
roi  de  Thrace  qui  se  prétendait  en  relation  avec  Pallas  comme 
Numa  avec  E'gérie  ;  Alexandre,  Clitus  qui  se  crut  Neptune, 
Démélrius  qui  se  faisait  appeler  Jupiter;  parmi  les  empereurs 
romains.  Auguste,  Marc  Antoine,  Caligula,  Héliogabale, 
Dioclétien.  «  Geste  superbe  imagination  esguisa  l'esprit  à 
Psaphon  Lybien,,  de  nouvelle  industrie,  quand  ayant  à  un 
grand  nombre  de  pies,  gaiz  et  autres  oiseaux,  qui...  se  deslient 
la  langue  en  humaine  parole,  apprins  à  dire  bien  entendi- 
blement.  Psaphon  est  grand  Dieu,  il  les  laissa  voiler  à  fin 
que  par  l'advertissement  de  ces  oiseaux,  les  hommes  s'abais- 
sassent à  luy  donner  le  nom  et  les  honneurs  d'un  Dieu  i^)  ». 
Le  Curieux  se  contente  de  comparer  à  ces  audacieux  les  astro- 
logues de  son  temps.  Mais  nous  avons  la  preuve  que  le  poète 
a  senti  la  portée  de  cette  idée  d'Evhémère;  pendant  trente  ans 
il  en  a  suivi  le  développement,  recueillant  les  exemples  nou- 
veaux de  cette  folie  que  ses  lectures  lui  apportaient;  si  bien 


(1)  Premier  curieux,  fos  44-46  {éd.  1578). 

(2)  Mautice,  éd.  1558,  p.  1  et  2. 


41  i  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

que,  dans  rédilioii  de  1587,  la  liste  des  prétendus  dieux 
sallonge  de  près  de  moitié.  Il  relait  la  page  en  intercalant 
l'histoire  de  Thuras  roi  d'Assyrie,  adoré  sous  le  nom  de  Baal, 
Thulès  roi  d'Egypte,  Cléarque  tyran  de  Héraclée;  chez  les 
Romains,  Pompée,  Juslinien,  Julien  l'Apostat;  parmi  les 
femmes  Sémiramis,  la  leinme  dEvagore  roi  de  Crète  qui  se 
faisait  appeler  Latone  ;  Empédocle,  Trophonie,  Ainstée  et 
Empédoline  qui  «  touchez  de  mesme  envie  d'estre  deiliez,  se 
jetterent  dedans  certaine  caverne  à  la  mort  volontaire  '"  ».  (Jn 
tel  souci  de  grossir  le  recueil  de  ces  noms  —  le  plus  nombreux 
que  je  connaisse  au  XVP  siècle  et  le  plus  original  —  ne  marque- 
t-il  pas  quelque  préoccupation  de  sa  signification  et  de  sa 
portée  ^2)  ? 

S'il  ne  se  risque  pas,  comme  Tahureau,,  à  mettre  Moïse  ou 
Jésus-Christ  à  la  suite  de  cette  liste,  il  est  plus  hardi  en  matière 
de  miracles  :  Hieromnime  lui  ayant  parlé  du  mythe  d'Er 
«  ressuscité  le  douzième  jour  après  sa  mort  »  et  du  <(  conte  de 
Thespesée,  trois  jours  après  sa  mort  miraculeusement  restitué 
en  vie  »  selon  Plutarque,  il  lui  répond  :  <(  Celuy  qui  a  escrit 
les  visions  de  Lazare  vous  semble-t-il  point  avoir  contrefait  ces 
passages  de  Platon  et  de  Plutarque  (3)  »  ? 

Hiei'omnime  paraît  un  théologien  assez  large  d'esprit.  Il 
donne  du  récit  de  la  création  selon  Moïse  une  longue  interpré- 
tation allégorique  qui  supprime  la  création  et  la  chute  origi- 
nelle^'^'. Il  renonce  à  prouver  les  vérités  chrétiennes  par  la 
raison,  en  particulier  la  fin  du  monde  :  «  Entreprendre  par 
raison  d'en  descourir  la  inoindre  cognoissance,  c'est  oser  une 
chose  qui  ne  sera  jamais  exécutée'^'  ».  Mais  avant  de  lâcher 
son  interlocuteur  il  lui  signale  le  danger  de  «  l'humaine  curio- 


(1)  Mnnlice.  éd.  1587,  fo»  132-13'i. 

(2)  Il  e-st  évident  que  je  ne  songe  pas  à  tr.iiisfonncr  ici  IVinfus  de  Ty.ird  en  un 
incrédule,  mais  à  chercher  dans  les  idées  qu'il  prête  ;i  un  personnage  —  qui  est 
presque  un  portrait  —  la  trace  des  préoccupations  des  «  curieux  ■>  de  1558. 

(3)  Premier  curieux,  f»"  /i^-'iS  (éd.  1578)  et  f»  2'<2  féd.  I5K7). 

(4)  Premier  nnieux  (éd.  1578),  f^  75. 

(5)  Deiixli-me  ciirieui,  fin.  f"  12.s  (éd.  1.578). 


DISCIPLES    DES    PADOUANS    AVANT   MONTAIGNE  415 

silé  »  f').  Quand  on  a  tant  d'esprit  critique  on  n'a  guère  de  foi. 
Mantice  le  rappelle  au  Curieux  à  son  tour  :  «  Je  ne  suis  à 
apprendre  qu'entre  les  hommes  qui  ont  discouru  ou  qui 
encores  aujourd'hui  discourent  des  choses,,  il  s'en  est  trouvé 
tousjours  de  tant  délicats  en  créance,  qu'à  peine  ce  qu'ils 
touchent  des  doigts  leur  peult  tomber  en  foy  :  et  qu'il  est 
impossible,  non  que  mal  aisé,  par  discussion  donner  persua- 
sion nouvelle  à  l'obstiné,  qui  de  fait  avisé,  s'arme  pour  ne  rien 
croire  ».  Il  sait  aussi  le  danger  d'une  telle  attitude  et  que  le 
pyrrhonisme  en  est  l'aboutissement  :  <(  J'ay  trop  de  cognois- 
sance  combien  celle  conception  est  dangereuse,  comme  unique 
pour  destruire  toute  science,  voire  pour  rebrouiller  toutes  les 
choses  de  ce  monde  dans  le  premier  chaos  :  c'est  à  dire  pour 
nous  laisser  en  ténèbres  d'esprit,  incertains  et  ignorans  de  tout. 
Par  ce  libre  esgayement  de  niemens  à  tous  propos  et  de  refus 
de  raisons  ja  reçues,  périssent  toutes  les  parties  de  la  philo- 
sophie, demeurent  les  stoï(iues,  académiques  et  peripatetiques 
sans  aveu-^'..,  La  mutation  des  météores  en  l'air,  les  vertus  et 
facultés  des  plantes,  la  génération  des  animaux  en  la  terre  et 
aux  eaux  :  brief  toute  congnoissance  naturelle  restera  incon- 
nue )'.  C'est  précisément  ce  que  soutenait,  dix  ans  avant 
Pontus  de  Tyard,  Omer  Talon  dans  son  Academia,  et  l'année 
précédente  Arnould  du  Ferron.  Mais  le  Curieux  ne  doute  pas 
seulement  de  la  raison  :  <(  car  leurs  providences,  éternités 
d'ames  et  naturelles  actions,  ne  seront  fondées  sus  assés  de 
raisonnables  raisons  ».  "Voilà  l'aveu  !  Le  Curieux  est  aussi  le 
frère  des  rationalistes  classiques  qui  nient  la  Providence  et 


(1)  "  Celle  diligence  est  louable  qui  se  travaille  à  la  preuve  et  recerche  de  la 
vérité  des  choses  humaines,  desquelles  l'humaine  raison  peut  former  certaine  et 
demonstrable  doctrine.  Mais  de  s'avancer  à  débattre  par  dispute  les  choses  qui 
sont  réservées  à  la  cognoissance  de  la  pureté  divine  et  desquelles  la  Foy,  as.sise 
sur  un  fondement  qu'on  ne  doit  jamais  essayer  d'eslocher,  nous  assure  suffisam- 
ment. 11  me  semble  que  c'est  lascher  trop  de  bride  à  l'humaine  curiosité  et  qu'il 
vaudroit  mieux  ne  laisser  esgayer  nos  entendemens  outre  les  bornes  constituées 
de  Dieu,  auquel  il  plait  quelquefoi.s  de  permettre  pour  punition  de  nos  esiprits 
enorgueillis  que  les  raisonnements  sophistiques  aveuglent  et  confondent  nostre 
jugement  trop  curieusement  employé  »  {Second  curieux,  P  124,  éd    1578). 

(2)  C'est-à-dire   sans  créance. 


410  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

l'immortalité  !  Dieu  même  peut-être,  pour  être  inaccessible  à 
la  raison  sera  banni  de  la  croyance  :  «  Et  piz,  que  Dieu  (l'infinie 
majesté  et  grandeur  duquel  est  incompréhensible)  pour  n'estre 
prouvé  par  assez  ferme  argument,  et  apparence  de  la  raison 
sensible,  sera  annuité  de  toute  congnoissance,  et  piz  qu'Epicu- 
reement,  dejetté  hors  de  lentendement  humain;  demeurant 
ainsi  toute  science,  d'autant  que  son  subjet  sera  plus  eslevé  et 
diificile,  moins  receùe  de  ces  incrédules  *i'  ». 

(1)  Manlice,  éd.  1558,  p.  55-56. 


CHAPITRE    XIII 
Apologistes    suspects- 


Louis  Le  Caron  (1556)  :  raison  et  foi,  providence.  —  Bruès  (1557)  : 
fidéisme,  la  nouvelle  académie.  —  Boaistuau  (1558)  :  les  miracles 
(influence  de  Cardan\  —  Lambin  (1563)  :  fidéisme.  —  Lostal  (1575)  : 
éternité  du  monde,  averroïsme. 


La  foi  antique  sombre  sous  l'effort  toujours  renouvelé  du 
rationalisme.  Ses  défenseurs  eux-mêmes  sont  réduits  à 
accepter  le  terrain  choisi  par  leurs  adversaires,  et  souvent, 
sans  trop  s'en  douter,  certaines  de  leurs  théories,  principa- 
lement le  ûdéisme  de  l'école  de  Padoue  et  la  thaumaturgie 
naturelle  de  Cardan.  Nous  en  relèverons  de  nombreuses 
preuves  au  cours  de  cette  étude. 

Louis  Le  Caron,  dit  Charondas,  fut  l'un  des  premiers  à 
s'appliquer,  à  écrire  la  philosophie  en  français  W.  Deux  de 
ses  dialogues  surtout  ont  quelque  intérêt  pour  nous  :  le  Cour- 
tisan second  et  le  traité  De  la  tranquillité  desprit  ou  du  sou- 
verain bien  '^i. 

■  Le  Courtisan  second,  ou  de  la  vraie  sagesse  et  des  louanges 
de  la  philosophie  (1556)  est  tout  simplement  une  paraphrase 


(1)  Pour  la  vie  de  L.  Le  Caron,  voir  un  article  de  M.  Pinvert,  dans  la  Revue  de 
la  Renaissance.  1902. 

(-2)  Tous  les  deux  sont  extraits  de  :  Les  dialogues  de  Loys  Le  Caron.  Parisien. 
A  Paris,  pour  Jean  Longis  libraire...  1556.  Le  second  a  une  2®  édition  que  j'ai 
étudiée  :  De  la  tranquillité  d'esprit  livre  singulier....  extrait  des  discours  philoso- 
phiques de  L.  Charondas  Le  Caron  Parisien,  à  Paris,  chez  Jacques  du  Puys,  rue 
Saint-Jacques.  15S8.  Voici  la  liste  complète  de  ses  ouvrages  philosophiques  d'après 


418  LE   RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

-du  Phœdrus  sive  de  laudibus  philosophiœ  de  Sadolet*^'.  Le 
plan  est  identique  :  une  mise  en  scène,  une  première  partie 
contre  la  philosophie,  une  seconde  en  sa  faveur.  Comme  dans 
Sadolel,  la  première  partie  s'attaque  successivement  à  la  phy- 
sique, à  la  morale,  à  la  logique,  la  seconde  distingue  les  vrais 
philosophes  d'avec  les  sophistes.  Les  mêmes  exemples,  les 
mêmes  développements  s'y  retrouvent.  Parfois  Le  Caron  ne 
paraphrase  plus;  il  copie.  Il  serait  inutile  d'établir  ici  une 
comparaison  détaillée  entre  les  deux  traités,  d'autant  plus  que 
dans  ces  conditions  Le  Caron,  tout  jeune  alors  (il  était  né 
en  1536),  ne  pouvait  guère  avoir  d'idées  originales  et  n'ajoute 
rien  aux  systèmes  dont  nous  avons  analysé  l'évolution  à  pro- 
pos de  son  modèle. 

L'autre  traité.  Vallon,  de  la  Iranquillité  d'esprit  ou  du  sou- 
verain bien,  n'est  pas  plus  original.  Il  comprend  d'abord  un 
traité  de  l'âme  :  unité  de  l'âme,  ses  relations  avec  le  corps, 

M.  PiNVERT  {Revue  de  la  lieiniissance,  1902).  La  diversité  des  objets  traités  montre 
l'étendue  de  sa  culture  philosophique  : 
1552.  Verisirniliurn  ilbrl  III  (Dissertations  introuvables). 

1554.  Claire  ou  la  Prudeiiee  du  droit. 

1555.  Lu  philosophie  de  Loys  Le  Caron  parisien. 

1556.  Nouveaux  dialogues  qui  comprennent  : 

a)  Le  Courtisan,  ou  que  le  prince  doit  philnsoiiher. 

b)  Le  courtisan  second,  ou  de  la  vraie  sagesse  ei  des  louanges  de  la 

philosophie. 

c)  Vallon,  de  la  tranguilUté  d'esprit  ou  du  sourernin  bien. 

d)  nonsard,  ou  de  la  poésie. 

e)  Claire,  ou  de  la  beauté. 

Charondas  donnait  le   titre   d'autres  dialogues  ijui   n'ont   jamais   paru, 
mais  dont  le  titre  est  significatif  : 
Livre    II.    T-e  Chaldéen,  ou  de  divination. 
Pasquier,  ou  l'orateur. 
Le  solitaire,  ou  la  description  du  monde. 
Le  sophiste,  ou  de  la  science. 

Fauchet,  ou  l'utilité  qu'ap/iorte  la  cognoisf^ance  des  chfjses  naturelles. 
Livre  III.  Le  nouveau  Narcisse,  ou  de  la  nature  de  l'hojmne. 

Le  nouveau  Heraclgte^  ou  des  secrets  de  la   philosophie  non  encore 

corigneus  ne  révélez 
Le  nouveau  Parmenide,  ou  de  l'Estant  et  des  Idées. 
Le  nouveau  Pgthaqore.  ou  des  nombi-es  et'  de  l'Harmonie. 
Le  .'iinateur,  ou  de  la  chose  publique. 
1556-1557.  Trois  panégyriques. 

(I)  Le  premifT  dialogue.  Le  courtisan,  ou  que  le  prince  doit  philosopher,  est  aussi 
une  adaptation  du  po^;me  de  Sadolet,  De  liberls  recte  instituendis  liber.  Comme 
pour  Sadolet  son  but  est  de  faire  du  prince  un  philosophe;  ses  modèles  sont 
Xénoi^hon,  Platon.  Plutarque  (p.  l-'iS  des  Dialogues). 


APOLOGISTES    SUSPECTS  419 

influence  de  la  <(  nourriture,  l'institution  et  la  doctrine  »  sur 
lélaboration  des  idées.  Ces  idées  sont  traitées  d'après  Platon 
(surtout  le  Theeiète,  le  Timée,  le  Banquet,  et  le  Pavménide). 
Il  n'y  est  pas  question  de  l'immortalité  (i'.  Puis  suit  un  traité 
de  la  Providence  que  l'auteur  oppose  au  Fatum  des  anciens. 
L'inspiration  en  est  stoïcienne.  iM.  Pinvert  y  a  noté  avec  raison 
l'influence  de  Sénèque  et  de  Plutarque.  Avec  eux,  il  distingue 
les  vrais  biens  des  faux;  il  essaie  d'expliquer  le  mal  qui  doit 
nous  détacher  du  monde  et  nous  prouver  la  puissance  divine, 
mais  non  nous  iaire  désespérer  de  sa  justice.  La  Providence 
qu'il  proclame  n'est  pas  celle  des  philosophes,  mais  celle  des 
chrétiens  :  Dieu  s'occupe  non  seulement  de  l'ensemble  du 
monde,  mais  de  tous  les  détails  «  comme  fait  le  gouverneur 
d'une  république,  le  capitaine  d'une  armée,  le  père  de  famille, 
le  patron  d'un  navire  ».  La  tranquillité  d'esprit  a  précisément 
pour  première  condition  un  abandon  entier  à  la  Providence. 
En  somme,  Louis  le  Caron  est  orthodoxe.  Seul  le  premier 
discours  que  nous  avons  analysé  a,  comme  son  modèle  Sadolet, 
une  tendance  à  exalter  la  philosophie  aux  dépens  de  la  théo- 
logie. Mais  il  semble  que  ce  soit  surtout  enthousiasme  de  jeune 
homme  épris  de  cette  science.  Le  choix  des  sujets  de  ses  traités 
—  môme  de  ceux  qui  ne  nous  sont  point  parvenus  —  est  cepen- 
dant significatif  et  suffit  à  marquer  les  préoccupations  intel- 
lectuelles de  son  temps. 

Le  livre  de  Bruès  '2)  est  bien  aussi  une  apologie  et  un  essai 
de  réfutation   des   doctrines  padouanes   et   pyrrhoniennes   : 

(1)  p.  91-95  de  léd.  de  1556. 

(2)  Les  dialogues  de  Guy  de  Bruès  contre  les  nouveaux  Académiciens  que  tout 
ne  consiste  point  en  opinion.  Dédiez  à  très  illustre  et  Reverendissime  cardinal 
Charles  de  Loorralne.  A  Paris,  chez  G.  Cavellat,  à  l'enseigne  de  la  poule  grasse 
devant  le  collège  de  Camhray,  MD.L.VIII.  M.  Villey  a  longuement  étudié  Bruès  et 
en  fait  un  prédécesseur  et  l'une  des  sources  principales  de  Montaigne.  Je  ne 
puis  ici  étudier  tout  Bruès  ;  on  voudra  bien  se  reporter  à  l'excellente  étude  de 
M.  VXLLKY  {Les  sources  de  Montaigne,  i,  p.  i69  et  suiv.).  Bruès  était  un  ami  de 
P.  de  Paschal  {La  Croix  du  Maine.  I.  p.  295,  art.  Bruès.  note).  Le  premier  dialogue 
seul  intéresse  ma  thèse,  le  deuxième  et  le  troisième  portajit  sur  la  distinction  du 
bien  et  du  mal  et  sur  la  valeur  des  lois.  Les  interlo€uteur.:,  .sont  Ronsard  et  Baïf 
dans  le  premier  dialogue,  Aubert  et  Nlcot  dans  les  deu.x  autre.- 


420  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

«  quand  je  considère  l'inconstante  entresuitte  des  choses 
humaines...,  je  ne  me  puis...  contenir  sans  me  plaindre  de 
plusieurs...  qui...,  comme  s'ils  esloient  marris  de  ce  que  nous 
sommes  vrays  hommes,  ont  inventé  tous  les  moyens  qu'ils 
ont  peu  pour  nous  faire  devenir  bestes  brutes  et  nous  ache- 
miner à  l'opinion  de  ceux  qui  croient  nos  âmes  estre  mortelles 
comme  les  corps  ».  C'est  donc  bien  les  disciples  de  Pomponazzi 
qu'il  visie  :  c'est  pour  ne  pas  être  du  nombre  «  de  ces  malheu- 
reux ennemys  d'eux-mesmes  et  de  nostre  Dieu,  et  se  mettre 
au  ranc  de  ceux  qui  se  sont  mis  en  leur  devoir  de  secourir 
par  escris  d'importance  la  Iragihté  des  hommes  »  qu'il  écrit 
son  livre  (i'. 

Mais  le  fondement  de  son  apologétique,  s'il  n'est  pas  nou- 
veau, est  élargi.  Postel,  le  dernier,  s'est  essayé,  à  lenconlre 
des  padouans,  à  donner  à  la  foi  une  base  rationnelle;  après  lui 
tous  les  apologistes,  Turnèbe  et  Muret  en  sont  la  preuve,  ont 
accepté  le  dogme  fondamental  de  Pomponace  :  l'impuissance 
de  la  raison  en  matière  religieuse.  Voici  que,  par  une  exten- 
sion toute  naturelle,  on  étend  le  doute  à  l'autorité  même  de 
la  raison  et  des  sens  en  matière  philosophique.  On  a 
pu  suivre  au  cours  de  la  première  partie  le  développe- 
ment de  ce  courant.  L'origine  en  est  chez  les  padouans 
qui  en  opposant  la  raison  à  la  foi  l'ont  rendue  suspecte  aux 
croyants.  Le  PJu'dre  de  Sadolet  (1538),  ÏAcademia  de  Talon 
(1548),  le  Courtisan  second  de  Le  Caron  (1556),  la  dissertation 
d'Arnould  du  Ferron  contre  Maxime  du  Tyr  (1557)  nous 
amènent  tout  naturellement  à  Bruès.  En  atlacjuant  ces  nou- 
veaux académiciens,  il  ne  fait  qu'amplifier  les  pages  que  nous 
avons  citées  de  Rabelais  (1546),  dé  Postel  (1551)  et  de  Gal- 
land  (1551)  contre  ces  mêmes  pyrrhoniehs. 

Du  reste^  si  ces  derniers  ne  sont  pas  davantage  combattus, 
c'est  que  leur  doctrine  est  susceptible  de  servir  l'apologétique  : 
du  moment  (]\ic  hi  laison  est  impuissante,  de  quel  droit  l'op- 

(I)  Dlnlotjues,  début  de  la  préface. 


APOLOGISTES    SUSPECTS  '  421 

poser  à  la  foi  ?  Pour  prendre  un  exemple  concret,  les  padouans 
nous  redisent  sans  cesse  que  Aristote  et  tous  ses  vrais  com- 
mentateurs sont  d'accord  que  rien  ne  vient  de  rien  et  en  con- 
cluent à  l'éternité  du  monde.  Ce  principe  n'a  pas  été  reçu  de 
tout  le  monde  «  ains  de  ceux-là  tant  seulement  lesquelz  ont 
voulu  raporter  tout  à  leurs  sottes  resveries.  Car  lorsque  nous 
pauvres  humams  voulons  scavoir  par  une  curiosité  la  grande 
puissance  de  Dieu  et  que  nous  la  mesurons  selon  nostre  imbé- 
cillité, nous  tombons  en  ignorance  de  nous-mesmes  et  de  ce 
grand  créateur  du  monde.  Ca  esté  donc  trop  grande  présomp- 
tion aux  philosophes  de  se  vouloir  enquérir  trop  avant  de  la 
puissance  de  Dieu  et  eussent  mieuz  fait  de  croire  ce  qui  est 
très  certain  et  véritable  :  non  pas  d'avoir  ainsi  voulu  démettre 
par  leurs  folles  disputes  l'incompréhensible  grandeur  du  Sei- 
gneur à  leur  fresie  et  imbécile  jugement...  Bail  :  0  qu'à  bon 
droit  ce  bon  philosophe  Socrate  mesprisoit  la  philosophie 
naturelle  par  laquelle  nous  pensons  espier  les  plus  grands 
secrets  du  ciel  ! . . .  Et  c'est  pourquoy  je  dy,  tout  ce  que  les 
hommes  ont  inventé,  et  ont  pensé  scavoir  n'estre  seulement 
qu'opinion  et  resveries,  si  non  ce  qui  nous  est  enseigné  par  les 
Escritures  Sainctes  «t^). 

L'exposé  du  système  comprend  deux  séries  de  preuves  qui 
correspondent  aux  deux  écoles  que  nous  venons  de  signaler  : 
le  fidéisme  d'origine  padouane,  le  pyrrhonisme  de  Talon  et 
de  du  Perron.  Baïf  —  car  c'est  Baïf  qui  est  le  sceptique  — 
examine  successivement  toutes  les  opinions  émises  sur  les 
objets  premiers  de  la  philosophie.  Et  nous  voyons  défiler  à 
nouveau  les  compilations,  classiques  alors  et  courantes,  des 
opinions  philosophiques  sur  les  premiers  principes  des  choses. 
\  a-t-il  trois  ou  quatre  éléments  ?  le  principe  des  choses 
est-il  l'eau  ou  le  feu,  ou  le  «  plain  et  le  vuide  »,  l'air, 
la  privation  ou  la  forme,  ou  la  rencontre  fortuite  des  atomes  ? 

(1)  Dial..  p.  49-50.  C'est  la  thèse  même  de  Talon  dans  son  Academia.  Le  Caron 
insiste  beaucoup  aussi  sur  l'inutilité  de  la  philosophie  dans  la  première  partie  de 
son  Courtisan  second,  mais  sans  arriver,  ce  me  semble,  jusqu'au  pyrrhonisme.  De 
plus,  il  rétablit  la  valeur  de  la  philosophie  dans  la  seconde  partie  de  son  traité, 
comme  Bniès  dans  celui  que  nous  étudions  ici. 


4:?2  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Une  vingtaine  de  philosophes  anciens  fournissent  la  matière 
de  ces  oppositions  amusantes  et  cocasses  (i)  et  l'auteur  conclut 
au  scepticisme  :  <(  0  fureur,  fureur  de  prendre  l'ignorance  poui^ 
le  scavoir,  et  l'incertain  pour  le  scar''^*  !  ».  Puis  la  discussion 
repart  sur  le  nombre  des  mondes  et  l'éternité  de  l'univers. 
Empédocle  y  est  opposé  à  Pline,  à  Démocrite  et  à  Epicure, 
Aristote  à  Anaxagore  et  aux  stoïciens.  Il  consacre  six  pages  à 
cette  revue  (3).  L'âme,  sa  nature,  sa  localisation  dans  le  corps, 
sa  destinée  sont  des  sujets  d'opposition  de  doctrines  déjà  signa- 
lées trop  souvent  pour  que  j'y  revienne;  et  cela  remplit  dix 
pages  (^).  Et  tout  cela  n'est  qu'un  résumé  de  Sadolet  et  de  Le 
Caron  ou  d'un  recueil  d'apophtegmes  comme  ils  pullulaient 
alors  (5). 

On  a  reconnu  dans  cette  première  i)artie  les  thèmes  mis  à 
la  mode  par  l'école  padouane.  Mais  Bruès  élargit  la  thèse 
et  prépare  ainsi  la  voie  à  Montaigne.  La  même  suscipion  d'im- 
puissance qu'il  vient  dénoncer  contre  la  philosophie  naturelle, 
il  l'applique  à  la  dialectique  (6),  à  la  géométrie,  à  l'arithmé- 
tique, à  l'astronomie,  à  l'astrologie.  Ainsi,  il  faut  douter  de 
tout,  ou  du  moins  ne  rien  assurer  :  «  Je  voy  beaucoup  de 
choses  qui  me  semblent  probables,  mais  je  n'en  voy  point  que 
je  doive  assurer  ».  ((  Je  consens  qu'il  n'y  a  aucune  certitude 
en  la  philosophie  ny  aux  autres  disciplines  et  que  véritable- 
ment je  n'apercoy  en  tout  qu'une  opinion  ou  tromperesse  appa- 
rence »  dit-il  ailleurs.  Il  doute  même  de  ses  sens  :  «  Toutes 
les  choses  que  nous  appréhendons  par  les  sens  sont  fauces  ». 

(1)  IMd.,  p.  51-53. 

(2)  Ibid.,  p.  63. 

(3)  Signalons  p.  62  une  attaque  particulièrement  vive  contre  Aristote,  ce  qui 
montre  inon  que  ce  sont  les  padouans  que  vise  Bruès. 

(■4)  Ibid.,  p.  70-81  (nature  de  l'àme,  p.  70-76;  siège,  p.  77-73;  immortalité,  p.  sO-81). 

'.5)  Voir  i)ar  exemple  dans  VAntholor/ie  de  Stobée  les  chapitres  où  l'on  entasse 
les  opinions  des  philosophes  sur  l'Ame  (p.  93-150  de  l'éd.  d'Anvers,  1575).  Sur  le 
même  su.jet.  voir  rex  dlveiites  iPffttix  de  du  Verdier  (1.5R0,  ch.  V).  Pour  les  principes 
premiers  les  énumérations  en  scjnt  innombrables.  Rappelons  seulement  que  Talon 
les  a  résumées  dans  son  Actidcinin.  en  copiant  Cicéron 

(6)  Peut-être  en  souvenir  de  Ramus  ?  Mais  Sadolet  déjà  avait  attaqué  la  dialec- 
tique et  Le  Caron  les  autres  sciences  que  prétendait  alors  englober  la  philosophie. 
L'Acadfmin  de  Talon  contient  aussi  plusieurs  pages  contre  la  dialectique 


APOLOGISTES    SUSPECTS  423 

On  reconnaît  les  thèses  de  O.  Talon  et  des  académiciens.  La 
source  n'est  pas  douteuse  '^K 

Telle  est  la  conclusion  de  Baïf.  Mais  ce  n'est  pas  celle  du 
dialogue.  Ronsard  en  effet  rétablit  la  valeur  de  la  raison  (2)  et 
il  y  réussit  si  bien  que  Baïf  s'écrie  :  <c  0  grande  et  admirable 
excellence  de  l'homme  !  O  divine  condition  d'iceluy  !  O  plus 
grande  encore  et  inestimable  ta  puissance  et  ta  bonté,  Sei- 
gneur, qui  l'as  doué  d'une  si  divine  célérité  d'esprit,  l'as  créé 
immortel  à  ton  image...  Tu  luy  as  revellé  tes  plus  grands  et 
plus  occultes  secrès,  et  par  les  choses  visibles,  l'as  amené 
à  là  cognoissance  de  toy  Dieu  tout  puissant...  0  insensés 
philosophes  et  furieux  ennemys  de  vous-mesmes,  qui  nous 
avés  voulu  démettre  ainsi  que  les  bestes  à  une  brutalité  !  0 
misérable  Pyrrhon  qui  as  tout  meis  en  opinion  et  indiffé- 
rence... Qui  est  celuy  qui  voudroit  mettre  en  doute  la  cognois- 
sance de  nos  sens  et  les  as.seurées  notices  de  nostre  enten- 
dement )'  ?  Et  amsi  le  doute  de  Bruès  était  feint.  Il  reste 
cependant  qu'il  a  beaucoup  mieux  et  plus  longuement  exposé 
les  motifs  de  douter  de  notre  raison  que  ceux  qui  nous  portent 
à  lui  faire  confiance.  Sadolet,  Talon,  Le  Caron,  A.  du  Ferron, 
Bruès,  forment  les  anneaux  d'une  chaîne,  qui  aboutit  tout 
droit  à  Montaigne. 

P.  Boaistuau  (3),  surnommé  Launay,  s'attaque  plutôt  à 
Pline,  mais  pour  établir  «  l'excellence  de  l'homme  »  il  emprunte 
à  Cardan  des  théories  très  dangereuses.  Après  Pline,  il  expose 
dans  le  Théâtre  du  monde  toutes  tes  misères  qui  assaillent 
l'homme  pendant  son  séjour  sur  terre.  Les  animaux  sont  plus 


(1)  p.  23,  24,  102.  Il  faudrait  y  joindre  pour  continuer  la  série  des  traités  scep- 
tiques jusqu'à  Montaigne  le  Quod  nihil  scitur  de  Sanchez  (1581),  les  traités  de 
Sextus  Empiricus  (1562,  1569),  le  De  ivcertitudine  scientiarum  d'Agrippa.  Mais  ces 
ouvrages  ou  bien  sont  hors  des  limites  de  ce  travail,  ou  bien  ont  déjà  été  longue- 
ment étudiés  par  M.  Strowski,  Montaigne,  p.  135-145.  et  par  M.  Villet,  Sources 
des  Essais,  I,  p.  156-182. 

(2)  /«'   dinlofiue.  p.  138-141. 

(3)  Ou  Bouaistuau  ou  Bouaystuau.  car  on  trouve  les  trois  formes  dans  ses  livres 
mêmes.  Il  était  de  Nantes.  Voir  sur  cet  auteur  Munster,  Cosmogr.  universelle, 
1575,  II,  p.  143,  et  surtout  A.  de  l.\  Borderie,  Archives  du  BibUoph.  Breton,  1907, 
V,  p.   1-44. 


424  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

heureux  que  nous  puisque  à  leur  naissance  ils  ont  «  les  uns 
des  plumes,  les  autres  du  poil,  autres  du  cuir,  autres  dfes 
escailles  et  toisons  ;  la  grâce  die  laquelle  (nature)  s'estend 
mesmes  jusques  aux  arbres,  lesquels  a  pourveuz  d'escorces 
pour  leur  servir  de  propugnacule  contre  l'injure  du  froid  et 
violence  de  la  chaleur.  Encore  pour  mieulx  montrer  en  quel 
mespris  et  contemnement  elle  a  eu  l'homme,  elle  l'a  produit 
nud  sur  terre,  quasi  par  desdaing  comme  un  fruict  abortif  ;  Et 
dès  le  jour  de  sa  naissance  luy  a  assigné  des  larmes  pour  héri- 
tage...(i)  ».  On  a  reconnu  la  sombre  page  de  Pline  (2)  et  peut-être 
s'étonnera-t-on  que  La  Croix  du  Maine  refuse  à  Boaistuau  le 
sens  du  latin.  Il  énumère  ensuite  les  autres  avantages  des 
animaux  sur  l'homme  :  l'instinct  si  industrieux  de  tous;  une 
sorte  d'intelligence  qu'il  prête  au  chien  et  à  quelques  autres, 
le  sens  de  la  musique  au;  rossignol;  des  vertus  même,  l'amour 
filial  du  dauphin,  la  résignation  du  cygne,  la  fidélité  du  chien, 
la  générosité  du  cheval  '^K  Oue  si  l'homme  se  considérera  ses 
différents  âges  et  dans  ses  situations  diverses,  même  aspect 
lugubre  <'^'.  Enfin  le  troisième  livre  traite  des  misères  qui  arri- 
vent du  fait  de  la  diversité  des  religions,  de  la  guerre,  des 
maladies,  des  passions,  de  la  mort.  L'ensemble  est  une  vaste 
compilation  qui  fait  penser  à  celles  que  l'auteur  écrira  plus 
tard  ^^)  et  résume,  si  on  peut  dire  que  Boaustuau  résume,  Pline, 
Plutarque,  Gruget  et  Cardan.  Cardan  n'est-il  pas  aussi  un 
compilateur?  Boaistuau  le  proclame  «  homme  digne  de  foy 
et  consommé  en  toute  doctrine  et  érudition  (^J  ». 
Mais  c'est  pour  établir,   à  l'encontre  de  ce  premier  livre, 


(1)  Le  t^iéfitre  du  monde  où  il  etit  faictun  ample  diseours  des  misèrea  humaines, 
composé  en  latin  par  P.  B.  puis  traduit  par  luy-mesme  en  français',  Paris,  Sertenas, 
1558,  fo  6 

(2)  Hist.    nul.,    VI,    7. 

(3)  T  lié  aire,  fos  10-20. 
It,)  26  livre  en  enUer. 

(5)  Histoires  jjrodif/ieuses  les  plus  mémorables  qui  ayent  esté  observées  depuis,  la 
i^attvlté  de  Sotre-Seianeur  jusques  à  nostre  siècle,  extraictes  de  plusieurs  autheurs 
orecz  et  latins,  sacrez  et  prophanes,  1560. 

(6)  De  l'excellence  de  l'homme,  1°  19. 


APOLOGISTES    SUSPECTS  425 

((  l'excellence  de  l'homme  »  '^)  qu'il  va  user  de  ce  dernier  auteur 
au  point  de  se  compromettre.  La  dignité  de  l'homme  se  fonde  ; 
a)  sur  sa  création  et  sur  celle  de  son  âme  en  particulier;  b)  en 
sa  beauté;  c)  par  l'art  militaire;  d)  par  la  peinture,  la  sculpture, 
les  mei'veilles  de  son  génie.  Pour  l'âme  il  rappelle  à  son  tour 
toutes  les  théories  émises  sur  sa  nature  '^^  et  leur  oppose  la 
doctrine  chrétienne  :  l'âme  est  «  inspirée  »  de  Dieu  dans  le 
corps  humain.  Et  il  emprunte  ses  développements,  nous  dit-il, 
à  Lactance  Firmien  et  Grégoire  de  Nysse  parmi  les  anciens, 
et  parmi  les  modernes  à  <<  Janotus,  Bartholomeus  Facius(3)  et 
en  nostre  vulgaire  celuy  qui  a  escrit  contre  les  nouveaux  aca- 
démiciens (Bruès)  et  sur  tous  autres  Théodore!  evesque  de 
Syrie  en  ses  livres  de  la  nature  de  l'homme  translatez  docte- 
ment de  grec  en  françois  par  Roland  Pierre,  œuvre  digne  de 
perpétuelle  louenge  ».  A  propos  de  merveilles  produites  par 
l'homme,  il  donne  une  liste  des  chefs-d'œuvre  de  mécanique 
alors  connus.  Cette  liste,  on  la  retrouve  dans  toute  la  seconde 
moitié  du  XVP  siècle.  Les  sources  principales  en  sont  Cardan 
{De  Subtilitate,  traduit  par  Richard  Leblanc  en  1556),  Messie, 
Rhodigini,  Pline  l'ancien  (^).  C'est  surtout  à  Cardan  et  à  Pline 
qu'emprunte  Boaistuau. 

Ici  l'apologiste  se  rencontre  avec  Cardan  et  Pomponazzi 


(1)  Bref  discouî's  de  l'excellence  ei  dionîté  de  l'homme  faict  en  latin  par 
P.  Bouaystuau  surnommé  Launny  puU  traduit  par  luy  mesme  en  français,  Paris, 
Sertenas,  1558,  ln-8o  de  324  ff. 

(2)  Je  n'ai  plus  le  courage  de  refaire  pour  la  vingtième  fois  cette  liste;  il  est 
évident  qu'à  partir  de  1540  cela  est  devenu  un  cliché.  Boaystuau  y  consacre  deux 
pages  (5  vP  et  6)  et  s'attaque  à  la  fin  à  ceux  qui,  chez  les  païens,  ne  croyaient 
pas  à  l'immortalité. 

(3)  Janotus  m'est  inconnu;  Facius  est  Barthol.  Fazlo,  Barthol.  Facii  de  Humanse 
vHx  feticitate  liber.  —  De  exceilentla  ac  prsestantia  hominis. 

(4)  Voir  ViLLEY,  Les  sources  de  Montaigne,  I,  p.  21-31.  Boaystuau,  dont  l'Excel- 
lence de  l'homme  et  surtout  les  Histoires  prodigieuses  populariseront  ce  cliché, 
cite  ici  :  la  vigne  de  Zeuxis,  la  Vénus  d'Appelles,  la  jument  d'airain,  le  navire 
qu'Archimède  traînait  avec  une  corde  sur  le  marché  de  Syracuse  (pris  à  Plutarque), 
la  sphère  de  «  Sabor  roi  des  Persiens  »,  la  statue  de  Memnon,  la  tête  d'airain 
parlante  d'Albert,  le  miroir  ardent  d'Archimède,  la  copie  de  l'Iliade  qui  tenait 
dans  une  coque  de  noix;  chez  les  modernes  :  l'imprimerie,  la  poudre  à  canon  sans 
bruit,  la  bague  du  duc  Urbin  qui  avait  une  "  horloge  »  dans  le  chaton,  un  homme 
aquatique  vivant  dans  la  mer,  l'essai  d'aéroplanes  de  Léonao>d  de  'Vinci  {Excel- 
lence..., f08   15-20). 


426  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

pour  admettre  que  les  miracles  sont  chose  naturelle.  L'extase, 
d'abord,  est  un  phénomène  naturel.  L'âme  emprisonnée  par 
le  corps  s'en  affranchit  par  la  contemplation  (c  et  alors  qu'elle 
est  despouillée  de  ce  fardeau  du  corps  et  quasi  purifiée,  elle 
reçoit  les  impressions  célestes,  voltige  par  les  elemens,  com- 
munique avec  les  anges  et  pénètre  jusques  au  throne  de  Dieu 
et  enflammée  de  fureur  divine  elle  produit  des  choses  mira- 
culeuses et  quasi  incroyables  f^'  »  Moïse,  saint  Paul,  Socrate, 
Alexandre  le  Grand,  qui  eut  une  sueur  de  sang,  en  sont  des 
exemples  indiscutables  ('-'.  Les  anciens  nous  racontent  que 
Clazomène  et  Aristée,  Cornélius  de  Padoue,  Apollonuis 
d'Ephèse  apprenaient  pendant  leurs  extases  les  choses  futures 
et  les  annonçaient  ensuite;  Platon  «  entrait  tous  les  jours  en 
extase  certaine  heure  du  jour '3'  ».  Bien  plus,  beaucoup  dte 
miracles  «  sont  les  effaicts  de  la  puissance  de  l'ame, . . .  qui 
est  la  cause  que  plus  souvent  le  vulgaire  réfère  beaucoup  de 
choses  à  l'invention  des  esprits  mahns,  qui  toutefois  se  doib- 
vent  attribuer  à  l'homme  comme  son  propre  héritage''^'  ».  Ainsi 
Léonard  Pistoriensis  ne  mangeait  qu'une  fois  par  semaine  ; 
<(  au  temps  de  Bocasse,  aux  Basses  allemaignes...  un  homme 
fui  l'espace  de  trente  ans  sans  prendre  aucun  aliment  par  la 
bouche  »  et  il  y  en  a  «  une  infinité  de  témoins  ».  IVicolas  de  Saxe 
fit  la  même  chose  pendant  vingt-deux  ans,  «  ce  que  Damascene 
prouve  par  plusieurs  raisons  pouvoir  estre  possible  et  selon 
nature,  v€u  que  plusieurs  animaulx  sont  aux  entrailles  de  la 
terre  et  demeurent  cachez  par  plusieurs  moys  et  années  sans 
aucun  aliment'^)  ». 

A  la  même  puissance  mystérieuse,  mais  naturelle,  doivent 
être  attribués  les  effets  merveilleux  de  certains  tempéraments 
et  de  certaines  herbes.  Strabon,  si  nous  en  croyons  Pline  et 


(1)  Ibid..  fo  22. 

(2)  Ihid..  (o  22. 

f3)  ll)i(l  .   fo»  9  yo-lO.    Il  est  remarquable  que  deux  au    moins  des  personnages 
nommés  :  Clazomène  et  Aristée.  sont  cités  comme  thaumaturges  par  Celse 
(■i)  Ibid..  fo  22. 

(3)  Ibid.,  fo»  22  vo-23. 


APOLOGISTES    SUSPECTS  427 

Solin  —  et  Boaistuau  les  croit  —  voyait  à  50  ou  60  lieues 
loin;  les  Tartares  font  venir  les  ténèbres  sur  la  terre,  quand 
ils  veulent  ;  les  Ethiopiens  par  la  vertu  d'herbes  magiques 
«  sèchent  les  fleuves  et  étangs  et  ouvrent  toutes  choses  fer- 
mées »  ;  des  musiciens  ont  guéri  «  plusieurs  frénétiques, 
enragez  et  demoniacles  par  leur  harmonie  ».  L'homme  même 
a  des  propriétés  occultes;  la  salive,  le  cérumen  de  nos  oreilles 
ont  des  vertus  mystérieuses,  la  chair  et  le  sang  de  l'homme 
ont  des  propriétés  médicinales  (^).  Voilà  pourquoi  certains 
hommes  ont  été  invulnérables  au  poison  ou  aux  morsures,  ou 
même  ont  guéri  certaines  maladies  :  ((  aucuns  que  les  grecz 
ont  nommés  ophirgenes,  du  seul  atouchement  guerissoient  les 
picqueures  des  serpens  et  mettantz  la  main  sur  un  corps,  en 
tiroient  le  venin.  Comme  aussi  font  les  Psiles  et  Marciens, 
peuple  d'Afrique,  l'ambassadeur  desquelz,  nommé  Exagon, 
estant  venu  annoncer  quelque  chose  aux  Romains,  fut  mis  nud 
en  un  tonneau  tout  plain  de  serpens,  vipères,  aspicz  et  autres 
bestes  venimeuses,  pour  expérimenter  si  leur  dire  estoit  véri- 
table f2).  Mais  incontinent  qu'il  se  fut  précipité  dedans,  au  lieu 
de  l'offencer,  commencèrent  à  le  chérir,  flater,  lécher.  Bref, 
il  se  treuve  des  choses  si  fantastiques  et  estranges  en  l'homme 
que  plusieurs  anciens,  après  avoir  considéré  l'essence  de 
toutes  choses  et  ne  trouvans  rien  qui  se  peust  egaller  à  la 
merveilleuse  providence  et  exquise  industrie  de  l'homme,  se 
sont  voulu  faire  appeler  Dieux  et  révérer  et  honorer  comme 
quelque  deité  '3)  ». 

Boaistuau  croyait  sérieusement  à  l'Evangile.  Il  écrit  même 
des  pages  très  violentes  contre  les  épicuriens  de  son  temps, 
spécialement  ceux  de  la  cour'^'.  Mais  ceux  qui  lisaient  son 
livre  et  y  trouvaient  ainsi  l'explication  naturelle  de  tous  les 
miracles  de  l'Evangile,  que  devaient-ils  penser  d'une  apologie 


(1)  IMd.,  f^s  25-27.  Renvoi  à  Pline  pour  ces  derniers  exemples. 
<2)  Pomponazzi  parle  des  Psiles  dans  le  De  Incantationibus. 
{3)  Ibid  .  fos  23  vo-24.  Renvoi  à  Pline. 
(4)  Théâtre  du  monde,  fos  20  V-Sl,  texte  très  violent. 


4'28  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

qui,  pour  détruire  l'athéisme  de  Pline,  emprunte  à  Pline  lui- 
même,  à  Cardan,  à  Pomponazzi  et  à  Celse  même  leurs  théories 
les  plus  dangereuses? 

Denis  Lambin  était-il  plus  sérieux  ou  plus  prudent  lorscpien 
1563  il  s'excusait  de  publier  une  édition  de  Lucrèce,  et 
demandait  qu'on  ne  laccusât  pas  d'impiété  à  ce  propos,  en  pré- 
textant que  Lucrèce  n'est  pas  une  exception,  qu'en  réalité  très 
peu  d'auteurs  anciens  ont  cru  à  l'immortaUté  et  qu'aucun  n'en  a 
donné  des  raisons  recevables  ?  La  page  est  un  nouveau  témoi- 
gnage en  tout  cas  des  progrès  du  fidéisme.  Puisque,  dit-il, 
les  anciens  non  seulement  n'arrivaient  pas  à  s'entendre  sur 
la  nature  de  l'âme,  <(  mais  condamnant  pour  aussi  dire  les 
âmes  à  mort,  les  disaient  mortelles,  et  que  quelques-uns  seu- 
lement, parmi  lesquels  Platon  et  Xénophon,  les  sauvent  de 
la  mort,  ce  n'est  pas  sans  raison  que  nous  devons  mépriser 
leur  sagesse  insensée  et  nous  féliciter  de  ce  que,  instruits  par 
Jésus-Christ,  fils  unique  du  Dieu  très  grand  et  très  bon,  sans 
nous  appuyer  sur  aucune  raison  humaine,  sur  aucun  argu- 
ment, si  bien  probant  qu'il  semble,  pas  même  sur  ceux  des 
platoniciens,  nous  croyons  que  nos  âmes  sont  immortelles,  et 
nous  le  croyons  si  fermement  que  aucune  raison  contraire, 
si  pénétrante  et  subtile,  si  ferme  et  forte  quelle  soit,  pas 
même  celles  de  Lucrèce,  —  qui  du  reste  sont  très  légères  et 
faibles,  —  ne  nous  peut  arracher  cette  croyance  (i)  ».  El  c'est 
en  effet  la  conséquence  naturelle  de  la  séparation  de  la  raison 
et  de  la  foi,  de  soustraire  à  toute  entreprise  de  la  première 
ce  qui  relève  uniquement  de  la  seconde,  comme  les  mystères 
chrétiens;  mais  les  vérités  de  la  philosophie  spiritualiste,  est-ce 
encore  les  protéger  que  de  nier  qu'elles  soient  démontrables, 
ou  les  ruiner?  En  tout  cas,  voilà  l'aboutissement  normal  de 
la  philosophie  padoiianc. 

-  (1)  Dédicace  du  III'-  livre  à  Germanus  Pimpontius  Valens,  édition  de  1563.  repro- 
duite dans  Trluin  disserlisslmorum  viroruin  jirielnUfmex  ac  KiinUolie  tamiliares 
aliquot  Murell,  Lambtnl  et  Regii.  .,  Paris,  Maugier,  1579. 


APOLOGISTES    SUSPECTS  429 

L'un  des  disciples  les  plus  avoués  des  padouans  et  surtout 
de  Cardan,  ce  fut  encore  un  apologiste  :  Pierre  de  Lostal,  en 
ses  Discours  philosophiques  *".  Sur  limmortalité  et  l'éternité 
du  monde,  il  accepte  les  conclusions  de  l'école  padouane  et 
ne  cache  pas  son  embarras  pour  maintenir  dans  son  âme  ces 
croyances  et  la  loi  chrétienne'-'. 

Il  prouve  l'existence  de  Dieu  par  l'idée  que  nous  avons 
du  pariait  (3);  son  Dieu  est  le  Dieu  de  Platon  :  «  il  est  Tout, 
comprenant  soubs  soy  les  mondes  intelligible,  céleste,  et  visible, 
où  demeurent  les  Idées,  les  Raisons  et  les  tonnes,  en  l'enten- 
dement, en  l'âme  et  en  la  matière  ».  il  s'attaque  aux  athées 
anciens  et  détermine  leur  doctrine. 

La  liste  est  exactement  celle  que  donne  le  Curieux  de 
Pontus  de  Tyard,  c'est-à-dire  celle  du  De  Ncitura  Deorum. 
dans  le  même  ordre  t'^',  avec  les  mêmes  sentiments,  et  avec 
les  mêmes  doctrines.  La  source  n'est  pas  douteuse  et  nous 
renseigne  encore  sur  les  lectures  habituelles  de  P.  de  Lostal'^'. 

Avec  les  padouans  il  accepterait  volontiers  l'éternité  de  la 
nature  :  «  Cest  un  axiome  en  la  philosophie  que  de  rien  nulle 
chose  ne  peut  estre  faite,  et  mesmes  l'expérience  nous  sert 
de  tesmoignage  pour  l'approbation  d'iceluy  ».  Mais  «  la  divine 
puissance  ne  peut  aucunement  estre  limitée  des  bornes  de 
nostre  raison,  car  rimbecillité  du  genre  humain  est  si  grande, 
que  mesme  regardans  la  nature  des  choses,  nous  sommes 
assortables  à  ceux  qui  contemplent  par  le  dehors  un  superbe 
édifice,  n'ayant  point  le  crédit  de  le  voir  par  dedans,  encore 
si  d'aventure  nous  en  faisons  jugement  par  la  beauté  exte- 

(1)  Les  discours  philosophiques  de  Pierre  de  Lostal  sieur  d'Estrem  esquels  est 
amplement  traitté  de  l'essence  de  l'âme  et  de  la  vertu  morale.  Au  roy  de  Navarre, 
Paris,  par  Jacques  du  Puys,  libraire  juré  à  la  Samaritaine,  près  le  collège  de 
Cambray,  MDLXXIX,  399  p.   Seul  le  premier  discours  nous  intéresse  ici. 

(2)  Voici  d'abord  la  preuve  palpable  de  l'influence  de  Cardan  stfr  cet  auteur;  il 
le  cite  pour  le  louer  ou  le  commenter  ou  soutenir  ses  conclusions  p.  12,  26-27,  28-29, 
31-32,  36,  52,  55-56,  57.  On  trouvera  les  plus  typiques  de  ces  citations  au  cours  de 
l'article. 

(3)  C'est  la  démonstration  que  Pontus  de  Tyard  a  empruntée  au  De  Satura 
Deorum  (II,  XII.  XIII). 

(4)  Voir  au  chap.  précédent,  p.  409-410. 

(5)  Discours  philos.,  p.  243. 


430  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

l'ieui'c,  nou<  n'en  avons  qu'une  opinion  et  incertaine  conjec- 
ture ''  ■ .  11  s  ab^luMidra  donc  d  en  juger  el  même  prendra 
parti  contre  ceux  (\uï  du  principe  ex  nilulo  nihil  ont  voulu 
inférer  l'éternité  du  monde.  Quant  à  savoir  de  quoi  le  monde 
est  fait,  il  y  renonce  et  se  contente  à  son  tour  de  rééditer 
la  liste  des  philosophes  anciens  qui  en  ont  proposé  leur  expli- 
cation *',  en  y  ajoutant  toutefois  Cardan  et  Scaliger. 

Puis  il  aborde  le  grand  problème  de  l'âme  :  sa  nature,  son 
origine,  sa  destinée  '^'z  ^  Pour  la  décision  du  premier  poincl, 
elle  a  esté  mise  jadis  sur  le  bureau,  mais  la  difficulté  a  esté 
cause  d'une  infinité  d'opinions  schismatiques  ».  Il  les  énumère 
lui  aussi  tout  au  long,  et  se  rallie  à  la  définition  d'Aristote  : 
"  elle  est  l'agent  du  corps  naturel  sépara ble  d  iceluy  '^'  ».  Mais 
d'où  vient-elle?  Il  ne  peut  croire  avec  Anaxagore  et  d'autres 
que  les  âmes  soient  «  cachées  dans  la  matière  »,  ni  avec 
Alexandre  d'Aphrodisias  qu'elles  soient  un  produit  de  la 
matière.  Mais  Cardan  (et  Cardan,  c'est  Averroès)  le  tente  : 
<(  Entre  tous  ceux  qui  ont  esbauché  ceste  question,  Hierosme 
Cardan  est  réputé  des  vrais  philosophes  naturels  le  mirouer 
de  toute  philosophie  (^)  ».  Si  donc  <(  en  ceste  petite  navigation 
l'assurance  me  pouvoit  senir  de  rame,  dit-il  en  son  style  sin- 
gulier, je  singlerois  hardiment  au  travers  d'une  telle  mer, 
mais  puis  que  la  décision  de  ce  point  a  mis  Hierosme  Cardan 
en  estime  d'un  prophane  à  l'endroit  de  ceux  qui  se  disent 
letlrez  et  d'athée  envers  les  idiots,  je  caleray  doucement  la 
voile...  pour  tirer  à  la  rame  (<5)  ».  li  expose  le  système  de 


(1)  niKi .    iihilos.,      p.  5-6. 

(2)  Ibld  ,  p.  6-13, 

(3)  Ibid.,  p.  23 

(4)  Ihid..  p.  23-24  De  Lostal  discute  lui  aussi  à  cette  dernière  page  la  question 
de  IViitélécliie.  Sa  théorie  de  l'union  du  corps  et  de  l'Amo  est  celle  de  Platon,  et 
non  celle  d',\ilstote  et  de  saint  Thomas  .  <-  car  le^  philosophes  constituent  un 
douhie  aèrent,  l'un  qui  S';  peut  dissocier  de  ce  en  quoy  il  agit,  comme  le  nautunnier 
de  son  navire  et  le  chevalier  de  son  cheval  ;  l'autre  qui  y  est  tellement  incdrixué 
qu'il  ne  s'en  peut  nullement  depestrer,  comme  la  c^alfur  du  ffu,  et  le  froid  de 
la  neige  :  et  que  nostre  esprit  est  de  la  première  -le  ces  deux  espèces  ■>  {ibid., 
p.  2.i).  La  thés?  de  Platon  acceptée  par  P.  de  Lostal  s'acorde  bien  mieiiv  que  celle 
d'.Aristote  avec  la  phili>sophie  d'Averroès  et  de  Cardaii. 

15}    Ibid.,  p.  28. 
(6)    Ibid.,  p.  26-27. 


APOLOGISTES    SUSPECTS  431 

son  maître  :  *(  une  anic  universelle,  laquelle  informe  toute 
matière  et  opère  diversement  selon  quelle  trouve  en  chaque 
corps  des  organes  propres  pour  agir.  Et  il  ne  me  chaut,  ajoute- 
t-il,  des  subtiles  inventions  que  quelques-uns  ont  mises  en 
avant,  cuidant  voiler  l'opinion  erronée  (selon  leur  advis)  de 
ce  brave  personnage,  parce  que  tout  ainsi  que  nous  disons 
qu'il  y  a  une  humanité  en  nous  et  que  par  cela  nous  com- 
prenons tous  les  hommes  (^),  faisans  toutefois  différence  numé- 
rale entre  eux  :  aussi  il  est  vray-semblable  qu'il  ait  dit  n'y  avoir 
qu'une  ame...  Et  puis  que  la  production,  de  cette  ame  univer- 
selle symbolisant  avec  la  raison  humaine  contrarie  à  la  cré- 
ance, il  faut  s'arrester  là  comme  au  bout  de  sa  carrière,  et 
affirmer  l'affirmation  de  nos  docteurs  ou  pour  le  mieux  nier 
leur  négation  (2'  ». 

On  sent  bien  à  cette  dernière  restriction  que  Lostal  s'attache 
à  Cardan  malgré  les  théologiens.  C'est  dans  la  doctrine  de 
Cardan  seule  qu'il  trouve  l'explication  de  l'inégalité  des 
esprits  :  «  De  vouloir  acertener  que  l'ame  de  quelque  individu 
opère  mieux  que  celle  d'un  autre  pour  avoir  seulement  trouvé 
un  corps  plus  propre  à  agir...,  cela  ne  sembleroit  point  de 
trop  mauvaise  digestion,  qu'à  ceux  qui  ne  veulent  authoriser 
l'opinion  de  Cardan  (3)  ».  Et  il  trouve  pour  exposer  le  système 
de  son  maître  la  plus  belle  page  de  son  livre  :  «  Si  nous  mettons 
une  chandelle  dans  quelque  corps  diaphane,  elle  espandra  sa 
lueur  par  dehors.  Que  si  nous  l'enfermons  dans  une  lanterne 
obscure,  l'obscurité  empeschera  que  ses  rayons  ne  s'apper- 
çoivent  dehors,  car  nonobstant  qu'elle  soit  toujours  allumée, 
,et  qu'elle  ait  une  mesme  lueur  dans  l'une  et  l'autre  lanterne, 
neantmoins  elle  ne  peut  également  montrer  sa  clarté  quand 
le  corps  qui  l'environne  n'est  point  transparent  :  ce  qui  se 
peut  très  bien  accomoder  à  l'ame...  (^)  ».  Faute  de  «  condes- 
cendre à  l'opinion  de  Cardan  touchant  l'ame  universelle  »  on 
est  embarrassé  pour  imaginer  une  forme   résidant  dans   la 

(1)  On  reconnaît  lun  des  arguments  préférés  de  Cardan. 

(2)  /)/<(•.  philos.,  p.  28-29. 

(3)  Ibid..  p.  36  (2e  dUcours). 

(4)  Ibid.,  p.  39. 


432  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

matière  et  séparée  d'elle  cependant  (^'.  La  transmigration 
platonicienne  lui  semble  de  même  facile  à  admettre  et  à  expli- 
quer à  condition  d'accepter  les  théories  de  Cardan  :  a  Si  nous 
voulions  prendre  pied  au  commun  intellect  agent  et  à  l'ame 
universelle,  dont  Trisgcmisle  et  Cardan  ont  si  doctement 
traitté,  il  y  a  par  trop  de  verisimilitude  que  toutes  sortes 
d'ames  retournent  à  leur  première  fontaine  après  la  mort  de 
leurs  corps  élémentaires.  Cependant  je  prieray  tout  amateur 
de  vraye  philosophie  qu'il  veuille  philosojjhiquement  esplucher 
ceste  matière,  m'asseurant  qu'à  la  fm  la  vérité  luy  formera 
une  opinion  véritable  (2)  ».  Sur  l'origine  de  nos  connaissance3 
aussi,  s'il  se  résigne  à  suivre  la  doctrine  des  platoniciens  sui' 
la  réminiscence,  c'est  «  que  l'opinion  de  Cardan  ne  peut  avoir 
vogue  entre  nous  (3)  ». 

C'est  à  Cardan,  enfin,  qu'il  demande  de  l'assurer  de  l'immor- 
talité. Cette  question  est  «  si  obscure  que  l'esclaircissement 
philosophique  n'en  peust  estre  fait  que  par  celuy  à  qui  le  ciel 
aura  prodigué  quel(]ue  grâce  particulière  :  ce  qui  me  sert  en 
partie  comme  d'un  frein  pour  me  garder  d'en  éventer  mon 
opinion  "''>  ».  Il  l'éventé,  cependant.  Après  avoir  noté  Aristippe, 
Phérécrate  de  Phtie  et  Panetius,  qui  niaient  l'immortalité,  il 
énumère  les  platoniciens  an'ciens  et  modernes  qui  l'ont 
assurée.  Mais  leurs  preuves  sont  discutables,  surtout  celles 
de  Plotin  «  qui  ne  sait  bonnement  où  il  en  est  quand  il  veut 
décider  ceste  matière  (^)  ».  Socrale  lui-même  «  obscurcit  telle- 
ment son  dire  d'un  nuage  fabuleux  que  sa  résolution  ne  me 
semble  que  pure  fable '6'  ».  Aristote  aussi  l'a  aflirmée,  «  mais 
il  le  fist  si  obscurément  que  certain  athénien  l'accompara  à 
une  seiche  qui  a  coustume  de  troubler  l'eau  d'une  liqueur 
poisseuse  qu'elle  jette,  voyant  qu'on  la  poursuit  »,  et  que  ses 

(1)  Disc,   philos.,     p.  52. 

(2)  Ibid.,  p.  55-56. 

(3)  Ibld...  p.  57. 

(4)  Ibid..  p.  31. 

(5)  Iblil  .  p   30.  —  Aristippe.  Pliéréorate  et  Panetius  sont  cités  tous  les  trois  dans 
les  Tu^oilnnrx  (l.  16,  32;  II,  6);  mais  ce  n'est  pas  probablement  la  source  de  Lostal, 

(6)  lb<d  .  p.  30. 


I 


APOLOGISTES    SUSPECTS  433 

disciples  les  plus  déclarés  ont  cru  pouvoir  s'appuyer  sur  son 
autorité  pour  nier  riimmorlalilé  ^".  Cardan  seul  —  c'est-à-dire 
Averroès  —  sauve  l'immortalité;  faute  de  l'accepter  de  sa  main 
il  faut  renoncer  à  la  prouver  et  se  contenter  de  la  croire  : 
«  Nous  n'en  pouvons  rien  résoudre  que  theologalement,  si 
nous  ne  voulons  prester  l'oreille  au  dire  de  Cardan,  qui  prouve 
que  mesme  l'ame  d'un  petit  poulet  n'est  point  asservie  aux 
loix  de  la  mort...  <2)  ». 

Ainsi  sur  les  articles  principaux  de  l'averroïsme  padouan  : 
éternité  de  la  matière,  agnosticisme,  opposition  de  la  raison 
et  de  la  foi,  immortalité  de  l'âme,  c'est  à  peine  si  P.  de  Loslal 
tempère  de  quelques  réserves  "prudentes  les  sympathies 
évidentes  et  l'adhésion  de  son  esprit. 


(1)  Ibid  ,  p.  53. 

(2)  Ihid  ,  p.  93. 


28 


CHAPITRE    XIV 
De   Montaigne   à  Charron. 

I.  Montaigne  (1580-1595)  :  raison  et  foi;  Dieu;  iniraortalité,  miracles.  — 
II.  Jean  Bouchet  (1584-1598j  :  miracles;  L.  Richeome  :  miracles; 
Charron  (1601)  :  immortalité,  déterminisme,  raison  et  foi. 


I 


On  sera  peut-être  étonné  après  celte  longue  étude  que 
-M.  Lecky  proclame  Montaigne  ((  le  premier  auteur  français 
qui  se  soit  entièrement  émancipé  des  imaginations  des  théolo- 
giens »,  le  «  premier  grand  représentant  des  temps  modernes 
et  de  l'esprit  rationaliste  '^)  ».  En  vérité  iMontaigne  ne  tranche 
point  sur  son  temps,  si  ce  n'est  par  l'art  avec  lequel  il  expose 
et  renouvelle  des  idées  courantes.  Comme  un  lac  aux  sources 
puissantes  s'alimente  pourtant  surtout  des  eaux  que  lui 
apportent  les  rivières,  ainsi  tous  ces  courants  rationalistes 
vont  se  mêler  en  Montaigne.  L'Apologie  de  Raymond  Sebond 
est  l'aboutissement  de  tout  le  mouvement  padouan,  compliqué 
de  l'apport  de  la  pensée  française  pendant  cinquante  ans.  Si 
je  pouvais  en  distinguer  les  éléments,  peut-être  aiderais-je 
encore  à  comprendi-e  Montaigne  (2). 

C'est  Pierre  Bune!  (|ui  aux  environs  de  1530  donna  au  père 
de  Montaigne  la  ThéoUxjie  Naturelle  de  Raymond  Sebond  '3). 


(1)  nislnçj...  of  RallonaL,  I,  p.  93-94. 

(2)  .Je  n'ai  point  la  prétention  d'expliiiuer  ici  toute  la  pliilosophic  de  Montaigne 
ni  toutes  ses  sources  (ce  serait  faire  un  travail  qui  est  fait),  mais  je  veux  montrer 
parmi  ses  idées  et  ses  sources  celles  qu'il  a  reçues  du  mouvement  que  je  viens 
d'étudier. 

(?)  D'après  Dezelmeris,  Montaigne  aurait  peut-ôtre  eu  pour  précepteur  Muret. 
En  tout  cas,  il  a  fait  une  partie  de  ses  études  au  collège  de  Guyenne,  milieu 
padouan  L'Apologie  a  été  élaborée  entre  1573-1579,  d'aprfîs  M.  Villey.  Pour  une 
étude  d  ensemble  de  ce  chapitre  des  Essalu,  voir  Villey,  Sonnes  et  évol  des 
Exxats,  p.  182-206. 


DE   MONTAIGNE   A   CHARRON  435 

Il  ne  se  doutait  pas  alors  que  ce  livre  (juil  recommandait  à 
son  ami  comme  <(  très  utile  et  propre  à  la  saison  en  laquelle 
il  le  luy  do: ma  »  serait  précisément  le  point  de  départ  d'un 
chapitre  qui  combattrait  la  doctrine  du  livre  en  prétendant  la 
défendre.  S'il  l'avait  prévu,  peut-être  ne  l'eut-il  pas  regretté;  le 
fidéisme  de  Bunel  est  au  point  de  déi)art  du  long  courant  que 
nous  venons  d'étudier,  et  il  a  pour  aboutissement  le  scepti- 
cisme de  Montaigne'". 

La  séparation  de  la  raison  et  de  la  foi,  l'impuissance  die 
la  première  à  établir  les  vérités  philosophiques,  la  nécessité 
de  s  en  remettre  à  la  seconde  pour  y  croire,,  c'est  le  fond  de 
la  philosophie  de  Montaigne  :  «  Je  juge  ainsi  qu'à  une  chose  si 
divine  et  si  hautaine  et  surpassant  de  si  loing  l'humaine  intel- 
ligence, comme  est  cette  vérité  de  laquelle  il  a  pieu  à  la  sacro- 
saincte  bonté  de  Dieu  nous  illuminer '2)^  il  est  bien  besoin  qu'il 
nous  preste  encore  son  secours  d'une  faveur  extraordinaire  et 
privilégiée,  pour  la  pouvoir  concevoir  et  loger  en  nous;  et  ne 
croy  pas  que  les  moyens  purement  humains  en  soyent  aucu- 
nement capables;  et  s'ils  l'estoient,  tant  d'ames  rares  et  excel- 
lentes, et  si  abondamment  garnies  de  forces  naturelles  es 
siècles  anciens,  n'eussent  pas  failly  par  leur  discours  d'arriver 
à  cette  connoissance.  C'est  la  ioy  seule  qui  embrasse  vivement 
et  certainement  les  hauts  mystères  de  nostre  reiligion '•^J  ». 
Toutefois  on  peut  se  servir  de  la  raison  pour  <(  embellir, 
estandre,  et  amplifier  la  vérité  de  sa  créance,  mais  tousjours 
avec  cette  réservation  de  n'estimer  pas  que  ce  soit  de  nous 
qu'elle  dépende,  ny  que  nos  efforts  et  argumens  puissent  par- 


di Pour  l'étude  de  la  vie  et  des  idées  de  Bunel.  se  reporter  aux  chap.  III  et  IV. 
Sur  le  livre  de  Sebond  et  sa  doctrine,  le  rationalisme  chrétien  tel  que  l'a  repris 
Postel,  voir  Compayré,  De  R.  Sabundo  ac  de  Theologiœ  Natitralis  libro,  1873» 
p.  24,  25  et  29.  Que  l'aristotélisme  interprété  par  les  padouans  ait,  en  s'attaquant 
au  dogme,  favorisé  le  fidéisme  et  le  scepticisme,  c'est  Montaigne  lui-même  qui  le 
note  {Essait^.  Il,  xii.  édit.  Motheau.  vol.  III,  p.  290-291). 

(2)  1595  :  Nous  esclaii-er.  —  Toutes  mes  citations  renvoient  à  l'édition  Motheau  et 
Jouaust.  Je  suis  le  text«  de  f58S  et  indique  les  variantes  de  1595  quand  elles  ont 
quelque  intérêt  pour  l'histoire  des  idées  de  Montaigne. 

(3)  Essais,  II,  XII.  3''-  vol.,  p.  174-175.  Il  ne  manque  pas  une  occasion  de  souligner 
l'antinomie  entre  la  raison  et  la  foi  :  «  C'est  aux  chrestiens  une  occasion  de 
croire  que  de  rencontrer  une  chose  incroyable,  elle  est  d'autant  plus  selon  raison 
qu'elle  est  contre  l'humaine  raison  »,  II,  XII,  3e  vol  ,  p.  277. 


43G  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

iaire  une  si  surnaturelle  et  divine  science  ».  En  1595,  il  lui 
semble  que  dans  cette  dernière  phrase  il  a  trop  donné  encore 
à  la  raison  et  il  rectifie  :  «  Ny  que  nos  efforts  et  argumens 
puissent  atteindre  à  une  si  surnaturelle  et  divine  science'"  ». 
Si  notre  croyance  est  ainsi  fondée  sur  la  foi  seule,  elle  n'en 
sera  que  plus  ferme,  dans  la  proportion  où  l'autorité  de  Dieu 
surpasse  celle  de  la  raison  ^^K  C'est  là  une  doctrine  connue. 
Nous  l'avons  suivie  depuis  le  temps  où  une  partie  des  étudiants 
italiens  de  France  s'y  réfugiaient  pour  trouver  à  leur  foi  un 
fondement  moins  fragile  que  l'autorité  d'Aristole  ruinée  par 
Pomponazzi.  Encore  Montaigne  fait-il  la  part  large  à  la  raison 
en  admettant  qu'elle  concourt  à  l'acte  de  foi.  Nous  en  avons 
trouvé  de  plus  radicalement  lidéistes  ({ue  lui  i^). 

Cela  est  une  réponse  à  ceux  qui  accusent  Raymond  de 
Sebonde  d'entreprendre  une  chose  impossible  quand  il  veut 
donner  la  raison  pour  base  à  la  religion.  D'autres  insinuent 
que  cette  méthode  est  dangereuse,  parce  que  ((  ses  argumens 
sont  foibles  et  ineptes  à  vérifier  ce  qu'il  veut  ».  A  ce  compte, 
répond  Montaigne,  que  valent  les  autres  sciences,  fruits  de  la 
raison  (^'  ?  La  logique,  la  rhétorique,  la  grammaire,  Ja  phy- 
sique, la  métaphysique,  les  mathématiques,  toutes  les  sciences, 
en  un  mot,  sauf  la  morale,  ont  trouvé  chez  les  anciens  dés 
contempteurs'^).  Et  pourtant  nous  leur  faisons  conliance.  Les 
fondements  rationnels  de  la  religion  valent  tout  juste  ce  que 
valent  ces  disciplines.  —  Nous  connaissons  déjà  ce  demi-pyr- 
rhonisme  pour  en  avoir  trouvé  l'exposé  dans  la  première  partie 
du  Phœdrus  de  Sadolel,  du  Courtisan  second  de  L.  Le  Caron, 
des  Dialogues  de  Guy  de  Bruès  contre  les  nouveaux  Acadé- 
miciens. 


(1)  EssaiH,  II,  XII,  vol.  III,  p.  175. 

(2)  Ibid.,  p.  176  et  suiv. 

f3)  Il  fait  remarquer,  de  plus,  que  Montaigne  fait  un  éloge  .sincère  de  la  Tfiéoloqie 
de  Raymond  de  .Sebonde  (vol.  III,  p.  173)  et  qu'il  dit  mfme  en  avoiri  éprouvé 
l'efricacité  sur  un  savant  incrédule  {U>id.,  p.  186). 

(4)  EKsnU,  U,  XII:  édit.  Motheau,  vol.  III.  p.  \9.i:  édit.  Dezelmeri.s.  vol.  II,  p.  28. 

(.=))  Uiid  .  éd.  Mofheau,  vol.  III,  p.  993.  La  liste  a  été  allongée  en  1595. 


DE    MONTAIGNE   A    CHARRON  437 

Allons  plus  loin,  continue  Montaigne,  et  après  avoir  flétri 
la  science,  séchons-en  la  racine  même.  La  meilleure  réponse 
à  opposer  aux  détracteurs  de  la  Théologie  de  Raymond  de 
Sebondc,  c'est  de  «  leur  faire  sentir  l'inanité,  la  vanité  et  dene- 
antise  de  l'homme;  leur  arracher  des  poings  les  chetives  armes 
de  leur  raison  (')  »,  en  leur  montrant  non  seulement  qu'elle  n'a 
donné  jusqu'ici  aucun  fruit  qui  vaille,  mais  que  par  sa  nature 
elle  est  impuissante  à  rien  produire  et  qu'enfin  le  dernier  mot 
de  toute  philosophie,  c'est  le  pyrrhonisme  intégraH^).  Ne  me 
parlez  pas  des  académiciens  Clitomaque  et  Carnéade  qui  «  ont 
jugé  que  la  vérité  ne  se  pouvoit  concevoir  par  nos  moyens  ». 
Ils  affirment;  donc  ils  croient  savoir  :  «  l'ignorance  qui  se  sçait, 
qui  se  juge  et  qui  se  condamne,  ce  n'est  pas  une  entière  igno- 
rance ».  «  Pyrrlion,  au  contraire,  et  autres  sceptiques  ou  epe- 
chistes  disent  qu'Us  sont  encore  en  cherche  de  la  vérité  (3'  ». 
Ils  se  gardent  de  loute  «  inclination  ny  approbation  d'une  part 
ou  d'autre,  tant  soit-elle  légère  ».  Leur  idéal  c'est  l'ataraxie  ; 
leur  méthode  consiste  à  provoquer  la  contradiction,  quelle  que 
soit  la  proposition  émise.  «  Si  vous  establissez  que  la  nege  soit 
noire,  ils  argumentent  au  rebours  qu'elle  est  blanche.  Si  vous 
dites  qu'elle  n'est  ny  l'un  ny  l'autre,  c'est  à  eux  à  maintenir 
qu'elle  est  les  deux.  Si  par  certain  jugement  vous  establissez 
que  vous  n'en  sçavez  rien,  ils  vous  maintiendront  que  vous  le 
sçavez '^'  ».  En  résumé,  prenez  le  parti  que  vous  voudrez  :  il 
vous  faudra,  pour  l'établir,  en  réfuter  cent  différents.  C'est 
pourquoi  les  pyrrhoniens  ont  pour  réponses  :  «  Je  n'establis 
rien.  Il  n'est  non  plus  ainsi  qu'ainsin.  Les  apparences  sont 
égales  par  tout...  Leur  mot  sacramentel,  c'est  i-réyo)  ...  Qui- 
conque imagine  une  perpétuelle  confession  d'ignorance,   un 


(1)  Ibid.:  éclit.  Motheau,  vol.  III,  p.  187;  édit.  Dezeimeris,  vol.  II,  p.  2S. 

(2)  L'exposé  entier  du  système  sie  trouve  dans  l'édit.  Motheau,  vol.  III,  p.  279-296; 
vol.  IV.  p.  1-54;  dans  l'édit.  Dezeimeris,  vol.  II,  p.  90-121. 

(3)  EssolK,  II.  XII;  édit.  Motheau.  vol.  III.  p.  282-283:  édit.  Dezeimeris,   II.  p.  92; 
en  1595,  il  a.ioute  aux  "  epecliistes  »  nommés  ici  Zenon,  Xénnphane  et  Démocrite. 

4)   Essalti.  II,   XII;  édit.   Motheau.   vol.    III,   p.   283-285:   édit.    Dezeimeris,   vol.  II, 
p.  9i. 


438  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

jugement  sans  pente  et  sans  inclination,  à  quelque  occasion 
que  ce  puisse  estre,  il  conçoit  le  pyrrhonisme  <i)  ».  Que  sais-je  ? 
voilà  leur  vraie  formule,  ((  comme  je  le  porte  à  la  devise  d'une 
balance  <*)  ». 

Car  Montaigne  penche  vers  le  pyrrhonisme.  «  De  toutes  les 
opinions  que  l'ancienneté  a  eues  de  l'homme,  celles  que  j'em- 
brasse plus  volontiers  et  auxquelles  je  m'attache  le  plus,  ce 
sont  celles  qui  nous  mesprisent,  avilissent  et  anéantissent  le 
plus.  La  philosophie  ne  me  semble  jamais  avoir  si  beau  jeu  que 
quand  elle  combat  nostre  présomption  et  vanité,  quand  elle 
reconnoil  de  bonne  foy  son  irrésolution,  sa  foiblesse  et  son 
ignorance...  La  curiosité  de  connoistre  les  choses  a  esté  donnée 
aux  hommes  pour  fléau,  dit  la  sacrosaincte  Parole  <3).  », 

Même  quand  Montaigne  exposait  avec  tant  d'abondanice 
l'absolu  scepticisme  et  qu'il  y  adhérait  avec  tant  d'abandon, 
il  était  bien  moins  hardi  et  nouveau  qu'il  ne  semble.  Cette  atti- 
tude était  classique  :  Talon,  Du  Ferron,  Bruès  l'avaient  popu- 
larisée, sans  parler  d'Agrippa  et  de  Trouillogan.  Montaigne 
puise  aux  mêmes  sources  qu'eux  :  aux  Académiques  de  Cicéron 
que  O.  Talon  avait  commentées  en  1548  <^'. 

Mais. le  scepticisme  de  Montaigne,  non  plus  f|ue  celui  de  ses 
devanciers,  n'exclut  la  foi.  Il  est  même  une  excellente  prépa- 
ration à  la  croyance,  car  il  «  présente  l'homme  nud  et  vuide, 
recognoissant  sa  foiblesse  naturelle,  propre  à  recevoir  d'en 
liant  quehjue  force  estrangere,  desgarni  d'humaine  science, 
et  d'autant  plus  apt(^  à  loger  chez  soy  la  divine  instruction  et 
créance;  anéantissant  son  jugement  pour  faire  plus  de  place 
à  la  foy  (^)  ».  Celui  qui  se  défie  à  ce  point  de  son  sens  propre, 
comment  oserait-il  s'y  fier  plutôt  qu'à  Topinion  commune  ?  Ce 


(1)  Esmlx.  II,  XII.  édit.  Motlicau:  vol.  III.  p.  2S7:  é<lit.  Dezelmeris.  v(il.  II,  p.  94. 

(2)  Essais.  II,  XII,  édit.  Motiioau;  vol.  IV.  p.  31.  La  dernière  plira-se,  où  Montaigne 
avoue  son  a<lhésion  au  pyrrlionisme,  a  été  ajoutée  en  1588. 

(3)  fJsxais.  II.  XVII;  édit.  Moiheau    vol.   IV,  p.  213-214-,  édit.  Dezpimeris,  vol.  II, 
p,  214-215. 

(4)  L'édition  Motheau  donne  les  référencées  à  la  fin  des  volumes  in  et  IV. 

(5)  Essais.  II.  XII;  édit.  Motheau.  vol.  III,  p.  289-290.  Autre  texte  de  même  sens 
p.  278;  édit.  Uezelmerls.  vol.  II,  p.  95  96  et  89-90,  avec  quelques  variantes. 


DE    MONTAIGNE    A    CHARRON  439 

n'est  pas  lui  qui  prendra  parti  pour  une  hérésie  !  «  De  la 
cognoissance  de  celle  mienne  volubilité  et  imperfection,  j'ay 
engendré  en  moy  quelque  constance  et  fermeté  d'opinion...; 
puis  que  je  ne  suis  pas  capable  de  choisir,  je  prens  le  chois 
d'autruy  et  me  tien  en  rassietle  où  Dieu  m'a  mis...  Ainsi  me 
suis-je  conservé  pur  et  entier,  sans  agitation  et  trouble  de  con- 
science, aux  anciennes  créances  de  nostre  religion,  au  travers 
de  tant  de  sectes  et  de  divisions  que  nostre  siècle  a  pro- 
duittes  <i)  ».  Au-dessus  de  la  raison,  Montaigne,  comme  ses 
devant  iers,  place  la  loi.  Dieu  et  l'Eglise  auront  le  monopole 
de  la  certitude.  «  Si  philosopher  c'est  douter,  comme  ils  disent, 
à  plus  forte  raison  niaiser  et  fantastiquer,  comme  je  fais,  doit 
estre  doubler,  :  car  c'est  aux  apprentifs  à  enquérir  et  à  debatre, 
et  au  cathedrant  de  résoudre.  Mon  cathedraht,  c'est  l'authorilé 
de  la  sacro-sainte  volonté  divine,  qui  nous  reigle  sans  con- 
tredit et  qui  a  son  rang  au  dessus  de  ces  humaines  et  vaines 
contestations  <2)  ». 

Nous  avons  souvent  remarqué  que  cette  méthode  n'est  pas 
sans  danger  pour  la  croyance,  ni  peut-être  toujours  bien 
sincère.  Si  pourtant  on  peut  soupçonner  que  certains  bénéfi- 
cièrent de  ce  qu'il  y  a  d'ambigu  dans  cette  attitude  et  cachèrent 
sous  l'apparente  adhésion  de  leur  volonté  aux  vérités  de  la 
foi  la  répugnance  de  leur  esprit  à  l'égard  de  ces  mêmes  dogmes, 
il  ne  semble  pas  qu'il  faille  accuser  iMontaigne  de  cette  dupli- 
cité. La  sincérité  de  son  caractère  est  évidente.  Il  a  seulement 
parcouru,  à  la  suite  des  padouans,  le  cercle  dangereux  qui 
n'éloigne  le  philosophe  de  la  foi  que  pour  l'y  ramener,  le  con- 
duisant de  la  foi  au  fidéisme,  du  fidéisme  au  scepticisme,  du 
scepticisme  à  la  nouvelle  académie,  de  la  nouvelle  académie  au 
pyrrhonisme,  el,  par  une  brusque  volte-face,  du  pyrrhonisme 
à  la  foi. 


(1)  Essais.  II,  XII;  édit.  Motheau,  vol.  IV,  p.  104;  édit.  Dezeimeris.  vol.  II,  p.  150- 
151,  où  l'on  trouvera  les  variantes  de  1580,  1582,  1587. 

(2)  Essah.  II,  III;  édit.  Motheau,  vol.  III,  p.  25;  édit.  Dezeimeris.  vol.  I,  p.  285. 


440  LE    RATIONALISME   DANS   LA    LITTÉRATUaE    FRANÇAISE 

Mais  linfluence  de  la  philosophie  paclouane  est  plus  mani- 
feste encore  si  nous  considérons  quels  problèmes  de  la  méta- 
physique Montaigne  soustrait  à  la  compétence  de  la  raison. 

C'est  d'abord  Dieu  'i>.  Montaigne  croit  en  Dieu.  «  Il  a  laissé 
dans  ces  hauts  ouvrages  (le  monde)  le  caractère  de  sa  divinité, 
et  ne  lient  qu'à  nostre  imbécillité  que  nous  ne  le  puissions  des- 
couvrir'2'  ».  L'univers  entier  proclame  l'existence  de  Dieu. 
Mais  ce  Dieu  est  inconnaissable  :  <*  il  s'en  faut  tant  que  nos 
forces  conçoivent  la  hauteur  divine,  que  des  ouvrages  de  nostre 
Créateur  ceux-là  portent  mieux  sa  marque,  et  sont  mieux 
siens,  que  nous  entendons  le  moins  '^i  ».  Les  vertus  humaines 
et  les  mouvements  de  notre  âme,,  on  ne  peut  sans  sacrilège 
les  appli(iuer  à  Dieu.  Et  en  1595  Montaigne  renforce  encore 
cette  idée;  saint  Augustin,  Tacite,  Cicéron,  Aristote  lui  four- 
nissent des  textes  (jui  illustrent  cette  thèse  que  Dieu  nous 
est  inconnaissable  et  (|ue  toute  notion  que  nous  nous  en  faisons 
est  entachée  d'anthi-opomoi^phisme ''''.  Si  d'ailleurs  notre 
raison  pouvait  parvenir  à  connaître  Dieu,  comment  tant 
d'hommes  intelligents  parmi  les  anciens  n'y  fussent-ils  pas 
parvenus  ?  La  seule  liste  des  erreurs  humaines  sur  la  divinité 
est  une  preuve  que  cette  vérité  relève  de  la  foi  et  non  de  la 
raison  <°>. 

La  création  ne  lui  paraît  pas  acceptable  pour  la  raison.  «  Par 
ce  que  rien  ne  se  fait  de  rien,  Dieu  n'aura  sceu  bastir  le  monde 
sans  matière  ».  On  a  reconnu  l'argument  des  nouveaux  péri- 
patéficiens.   Mais,   répond  .Montaigne,   notre  raison  peut-elle 

(1)  Je  ne  suis  pas  exactement  Ici  l'ordre  de  Montaipriie  dans  \'Apoto(jie  de  Sebottd. 
En  mettant  limmoitalité  en  tC-Xe  des  (luestions  insolubles  à  la  seule  raison,  Mon- 
taigne se  montre  bien  l'élève  des  padouans  pour  qui  c'était  —  on  l'a  assez  vu  — 
la  grasse  question. 

2)  n,  XII,  vol.  III.  p.  184. 

(3)  II.  XII.  vol    III.  p.  277. 

(4)  Ibid..  note. 

'.5)  II,  XXII.  vol.  IV.  p.  s-io.  La  liste  de  .MiMitaifrne  e.st  l'une  des  plus  complètes 
que  j'ai  lues.  Elle  a  été  ajoutée  en  1595.  On  verra  plus  loin  que  les  apologistes 
chrétiens,  même  les  protestants  (Pacard.  Mornay),  lors  même  qu'ils  proclamant, 
eux  aussi,  l'impuissance  de  la  raison  à  connaître  l'essence  divine,  essaient  cepen- 
dant de  fixer  par  analogie  avec  l'homme  et  iiar  élimination  de  l'imperfection,  les 
principales  i>erfections  divines.  C'est  du  reste  l'enseignement  de  l'EglLse. 


DE    MONTAIGXE   A    CHARRON  441 

connaître  laction  divine  plus  facilement  qu'elle  ne  peut  sonder 
son  essence?  L'indni  est-il  soumis  aux  loix  du  fini?  «  Quoy  ! 
Dieu  nous  a-il  mis  en  main  les  clefs  et  les  derniers  ressorts 
de  sa  puissance  ?  S'est-il  obligé  à  n'outrepasser  les  bornes  de 
nostre  science  ?  ».  Le  monde  que  nous  habitons  a-t-il  épuisé 
la  fécondité  divine  et  ses  loix  sont-elles  les  loix  de  tout  ce 
qui  est  ?  ((  Attache  toy  à  ce  quoy  tu  es  subjet,  mais  non 
pas  luy;  il  n'est  pas  ton  confraire,  ou  concitoyen,  ou  compai- 
gnon.  S'il  s'est  aucunement  communiqué  à  toy,  ce  n'est  pas 
pom-  se  ravaler  à  ta  petitesse,  ni  pour  te  donner  le  contrerolle 
de  son  pouvoir  ».  Nul  ne  peut  se  flatter  de  connaître  les  bornes 
de  cette  puissance,  ni  par  conséquent  d'assurer  qu'il  ne  peut 
rien  tirer  du  néant  :  ((  Pourquoy,  tout  puissant  comme  il  est, 
auroit  il  restreint  ses  forces  à  certaine  mesure  ?  En  faveur  de  qui 
auroit  il  renoncé  son  privilège  '^^  ?  ».  Voilà  comment  un  dogme 
en  contradiction  avec  la  philosophie  d'Aristole  se  trouve  mis 
hors  de  ses  attaques  par  le  disciple  de  Pyrrhon. 

Sur  l'action  de  Dieu  dans  le  monde  il  semble  avoir  varié 
entre  la  première  et  la  dernière  édition.  Aux  deux  premiers 
livres,  en  effet,  il  prouve  la  Providence  par  l'ordre  du  monde  ; 
«  Il  se  trouve  une  merveilleuse  relation  et  correspondance 
en  cette  universelle  police  des  ouvrages  de  nature,  qui  monstre 
bien  qu'elle  n'est  ny  fortuite  ny  conduyte  par  divers  maistres'^'. 
Il  défend  le  secret  des  desseins  de  Dieu  contre  ceux  qui  pré- 
tendent tout  savoir,  d'une  part  les  «  alchimistes,  prognos- 
tiqueurs,  judiciaires,  chiromantiens,  médecins...  »,  d'autre 
part,  «  un  tas  de  gens  interprètes  et  contrerolle urs  ordinaires 
des  dessains  de  Dieu,  faisans  estât  de  trouver  les  causes  de 
chaque  accident,  et  de  veoir  dans  les  secrets  de  la  volonté 
divine  les  motifs  incompréhensibles  de  ses  opérations  »  :  à 
trop  vouloir  scruter  le  soleil,  on  perd  la  vue  '3).  11  n'est  pas 
effrayé  même  par  le  conflit  de  la  prescience  divine  et  de  la 
liberté  humaine,  qu'il  expose  et  résout  comme  un  théologien 

(1)  Essais.  II,   XII;  édit.    Motheau.   vol.   IV.   p.   23-25:   éait.   Dezeimeris,   vol.   II, 
p.  107-109. 

(2)  II,  XXIII,  vol.  IV.  p.  290:  édit.   Dezeimeris,  vol.  II.  p.  25.=). 

(3)  I.  XXXII  (1595  :  XXXIII),  vol.  II,  p.  148-151;  édit.  Dezeimeris,  vol.  I,  p.  182. 


442  LE    RATIONALISME   DAXS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

orthodoxe  'i'.  Mais  en  1595  il  glisse  à  propos  de  la  prière  une 
addition  qui  semble  marquer  que  la  pensée  de  Montaigne 
aurait  évolué.  A  lire  Cicéron  ^^\  peut-être  a-t-il  ac(]uis  des 
doutes  sur  l'efficacité  de  la  prière  et  trouvé  raisonnables  ceux 
qui  nient  même  toute  intervention  de  Dieu  dans  le  monde  : 
«  Il  (Dieu)  est  pourtant  juste  comme  il  est  bon,  et  comme  il 
est  puissant  :  mais  il  use  bien  plus  souvent  de  sa  justice  que 
de  son  pouvoir  et  nous  favorise  selon  la  raison  d'icelle,  non 
selon  noz  demandes.  Platon,  en  ses  Loix,  fait  trois  sortes 
d'injurieuse  créance  des  dieux  :  »  qu'il  n'y  en  ayt  point;  qu'ils 
ne  se  meslent  pas  de  noz  affaires;  qu'ils  ne  refusent  rien  à  noz 
vœux,  offrandes  et  sacrifices  ».  La  première  erreur,  selon  son 
advis,  ne  dura  jamais  immuable  en  homme  depuis  son  enfance 
jusques  à  sa  vieillesse;  les  deux  suivantes  peuvent  souffrir  de 
la  constance'^)  ».  Je  n'oserais  affirmer  pourtant  que  Montaigne 
acquiesce  à  ces  derniers  mots  de  Platon,  l'ensemble  du  cha- 
pitre étant  très  chrétien. 

Mais  la  grande  preuve  de  notre  impuissance  à  rien  savoir, 
c'est,  pour  Montaigne  comme  pour  tous  les  disciples  de  la 
philosophie  padouane.  l'immortalité  de  l'âme.  Les  vingt-cinq 
pages  qu'il  consacre  à  cette  étude  sont  le  résumé  des  manuels 
si  nombreux  (jue  nous  avons  étudiés  au  cours  de  ce  travail. 
Naturellement  il  est  impossible  de  dire  lesquels  il  a  lus  car  ils 
se  répètent  tous,  mais  aussi  celui  de  Montaigne  n'y  ajouta 
rien.  Bien  qu'il  y  cite  quelque  part  Ficin  et  Aristote  qu'il 
trouve  incompréhensible*'^*,  qu'il  émaille  les  pages  de  VApo- 
lofjie  consacrées  à  l'immortalité  de  citations  d'auteurs  anciens  : 
Plutarque,  Sénèque,  surtout  Lucrèce  et  Cicéron,  il  n'est  pas 
certain  que  ce  soient  là  ses  vraies  sources.  Ces  extraits,  il 
pouvait  les  trouver  dans  tous  les  traités  de  l'âme.  Il  avoue 
même  quelque  part  qu'il  ne  s'est  pas  rongé  les  ongles  à  l'étude 


(1)  II.  XIX,  vol.  V,  p.  36-27. 

(2)  Voir  plu.s  bas  à  propf>s  des  miracles 

(3)  I,  XLI,  vol.  II,  p.  291. 

(4)  III,  V,  vol.  VI,  p.  5. 


h 


DE    MONTAIGNE   A   CHARRON  443 

d'Aristote '1'.  Lorsque  donc  il  le  proclame  obcur  sur  la  ques- 
tion de  l'âme,  c'est  l'opinion  de  ses  contemporains  qu'il  nous 
donne  et  non  la  sienne. 

Comme  ses  multiples  devanciers  il  étudie  successivement  la 
nature,  le  siège,  l'origine,  la  destinée  de  l'àme.  Il  refait  donc 
comme  eux  la  liste  longue  et  saugrenue  des  opinions  émises 
avant  lui  sur  les  trois  premiers  de  ces  problèmes '^i  j^uj.  i^ 
première  question  Lactance,  Sénèque  et  les  plus  sages  d'entre 
les  dogmatistes  «  ont  confessé  que  c'estoit  chose  qu'ils  nen- 
tendoient  pas  ».  En  1595  il  ajoute  :  «  et  après  tout  ce  dénom- 
brement d'opinions  :  H  arum  sentenliarum  quœ  vera  sit,  deus 
aliquis  uideat,  dit  Gicéron  '^i  ».  Sm*  la  seconde,  il  admet  comme 
plus  probable  la  théorie  de  Platon,  que  lame  siège  au  cerveau 
et  de  là  gouverne  le  corps  «  comme  le  nocher  gouverne  son 
navire  selon  l'expérience  qu'il  en  a,  ores  tendant  ou  laschant 
une  corde,  ores  haussant  l'antenne  ou  tournant  l'aviron,  par 
une  seule  puissance  conduisant  divers  effets*^'  ».  Pour  le 
problème  de  l'origine  de  l'âme  il  ne  conclut  point  mais  déve- 
loppe avec  beaucoup  de  complaisance  la  théorie  d'Epicure 
qui  fait  naître  l'âme  des  parents  aussi  bien  que  le  corps,  et 
explique  ainsi  la  ressemblance  d'humeur  des  enfants  aux 
pères,    l'accroissement  et  le  dépérissement  de  la  raison  (^i. 


(1)  "  Je  gcay  qu'il  y  a  une  inecleclne.  une  jurisprudence...  et  en  gros  à  quoy  elles 
visent:  mais  de  m'y  enloncer  plus  avant,  de  m'estre  rongé  les  ongles  à  l'estude  de 
Platon  ou  d'Aristote,  je  ne  l'ay  jamais  faict  »  (I,  XXIV,  vol.  II,  p.  20-21).  En  1595, 
il  supprime  Platon  et  écrit  :  «  de  m'estre  rooigé  les  ongles  à  l'estude  d'Aristote, 
monarque  de  la  doctrine  moderne.  »  Cette  addition  correspond  à  ce  que  nous 
noterons  plus  loin  sur  l'évolution  de  Montaigne  dans  le  sens  rationaliste,  sous 
l'influence  de  la  philcs.iphie  imdouane,  entre  1588  et  1595. 

.2)  II,  XII.  vol.  l'V,  p.  55-56  (nature);  p.  56-57  (siège);  p.  63-71  (sur  l'origine).  On 
comprendra  que  je  ne  puis  détailler  ici  ces  énumérations  interminables  et  sans 
conclusion.  Mais  leur  longueur  même  et  leur  diver.sité  sont  la  preuve  que  Mon- 
taigne avait  suivi  de  fort  près  le  problème  preféré  de  l'école  padoupiie. 

(3)  Vol.  IV,  p.  56.  Sur  le  premier  problème,  il  n'a  garde  d  oublier  VEntéléchle 
d'Aristote  :  "  N'oublions  pa~s  Aristote.  ce  qui  naturellement  fait  mouvoir  le  corps, 
qu'il  nomme  entelechie,  d'une  autant  froide  invention  que  nulle  autre,  car  il  ne 
parle  ny  de  l'essence,  ny  de  l'origine,  ny  de  la  nature  de  l'ame,  mais  en  remerque 
seulement  l'effect  >•  {Ibid.,  p.  56). 

(4)  Vol.  IV,  p.  62.  On  notera  que  cette  thèse  est  repoussée  par  saint  Thomas  et 
acceptée  par  certains  averroïstes  (et  selon  Jean  de  Jandun  par  .'Vverroès  lui-même'. 
On  ne  peut  cependant  rien  conclure  contre  Montaigne.  Il  cite  en  tête  de  son 
énumération  la  doctrine  d'Averroès,  puis  celle  de  Platon  sur  l'originei  de  l'âme. 

ib)  Vol.    IV,    p.   e'i-71. 


444  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

((  Quant  à  l'opinion  de  rimmortalilé  de  l'ame,  c'est  la  partie 
de  riiumaine  science  traictée  avec  plus  de  réservation  et  de 
doute  ».  Pomponazzi  disait-il  autre  chose?  Et  depuis  lui, 
n'avons-nous  pas  vu  que  les  apologistes  chrétiens  eux-mêmes 
renoncent  à  prouver  cette  croyance  par  la  raison  ?  ((  Les 
dogmalistes  les  plus  fermes  sont  contraints  en  cet  endroict  i^' 
de  se  rejetter  à  l'abry  des  ombrages  de  l'Académie.  Nul  ne 
scait  ce  qu'Aristote  a  estably  de  ce  subject  (1595  :  non  plus 
que  tous  les  anciens  en  gênerai  qui  le  manient  d'une  vacillante 
créance  :  Rem  gravissimam  proiniUcnUiiin  inagis  quam  pro- 
hantium)  :  il  s'est  caché  soubs  le  nuage  des  paroles  et  sens 
difficiles  et  non  intelligibles,  et  a  laissé  à  ses  sectateurs  autant 
à  disputer  et  a  débattre  sur  son  jugement  (jue  sur  la  chose 
mesme  <2'  ».  11  est  étonnant  que  Montaigne  n'ait  pas  repris  la 
comparaison,  classique  chez  les  disciples  des  padouans,  de 
Aristote  à  la  seiche  :  tant  son  impression  est  celle  de  tous  les 
disciples  de  Pomponazzi.  Il  répète  alors  les  deux  arguments 
courants  :  le  désir  de  la  gloire  si  naturel  à  l'homme,  la  néces- 
sité d'une  justice  finale;  mais  sans  conviclion  :  «  les  plus 
ahurlez  à  cette  persuasion,  c'est  merveille  comme  ils  se  sont 
trouvez  courts  et  impuissants  à  l'establir  par  leurs  humaines 
iorces  '3'  ».  Et  ainsi  il  va  conclure  avec  toute  l'école  padouane  : 
«  c'estoit  vrayment  bien  raison  que  nous  fussions  tenus  à  Dieu 
seul,  et  au  seul  bénéfice  de  sa  grâce,  de  la  vérité  d'une  si  noble 
créance,  puis  que  de  sa  seule  libéralité  nous  recevons  le  fruit 
de  l'immortalité  (1595  :  Confessons  ingenuement  que  Dieu  seul 
nous  l'a  dicl,  et  la  foy  :  car  leçon  n'est  *ce  pas  de  nature  et 
de  nostre  raison  ('^'  ». 

C'est  exactement  la  conclusion  de  Pomponazzi,  devenue 
courante,  môme  chez  les  catholiques.  Montaigne  sur  ce  point 
ne  dépasse  pas  la  moyenne  de  ses  contemporains.  Il  est  bien 

(1)  I59j  :  /.riiicipaiciiienl. 

(2)  Vol.  IV,  p  72.  Autre  texte  du  même  sens  sur  l'dhscurit^  dWristote  en  cette 
question  :  II,  XII  (vol.  III.  p.  291). 

(3)  Vol.   IV,  p    73. 

(4)  fhld  .  p.  74.  Notons  aussi  qu'en  1588  il  parle  de  ces  peuples  ■•  où  Ton  vit 
.soubs  cette  opinion  desnaturée  de  la  mortalité  des  âmes  ».  En  1595.  11  clianse  le 
mot  (lenimluré  en  ■•  opinion  .si  rare  et  si  iiisociable  ».  On  sent  la  nuance. 


DE   MONTAIGNE   A   CHARRON  445 

plus  hardi  sur  la  question  du  miracle,  du  moins  en  1595,  car 
sa  pensée  a  changé  dans  le  sens  sceptique  de  1588  à  1595. 
Entre  ces  deux  dates  il  a  lu  Cicéron  (i)  et  le  De  Divinalione 
lui  a  servi  à  préciser  ses  raisons  et  nier  le  miracle. 

Dès  1588,  il  sait  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'origine  des  miracles. 
Il  en  a  vu  naître.  <(  Encore  qu'ils  s'estoufent  en  naissant,  nous  ne 
laissons  pas  de  prévoir  le  train  qu'ils  eussent  pris  s'ils  eussent 
vescu  leur  aage  (2)  »  ;  et  il  cite  en  exemple  la  guérison  momen- 
tanée d'un  prince  par  un  prêtre  :  «  Si  la  fortune  eusl  laissé 
enimonceler  cmq  ou  six  telles  advantures,  elles  estoienl 
capables  de  mètre  ce  miracle  en  nature  ^^^  ».  Une  autre  fois, 
dans  un  village  voisin,  il  trouve  la  place  «  encore  toute  chaude 
d'un  miracle  qui  venoit  d'y  faillir,  par  lequel  le  voisinage 
a  voit  esté  amusé  plusieurs  mois;  et  commençoient  les  pro- 
vinces voisines  de  s'en  esmouvoir  et  y  accourir  à  grosses 
troupes  de  toutes  qualitez...  Si  toutesfois  la  fortune  y  eust 
voulu  prester  un  peu  de  faveur,  qui  sçait  jusques  où  se  fust 
accreu  ce  batelage?...  On  voit  cler  en  cette-cy  qui  est  descou- 
verte; mais  en  plusieurs  choses  de  pareille  qualité  surpassant 
notre  connoissance,  je  suis  d'advis  que  nous  soustenions  notre 
jugement,  aussi  bien  à  rejetter  qu'à  recevoir  (^)  ».  A  plus  forte 
raison  lorsqu'il  s'agit  d'événements  surnaturels  faut-il  exiger 
des  preuves  extraordinaires.  La  sorcellerie  par  exemple  n'est 
pas  croyable  :  «  Combien  trouve-je  plus  naturel  et  vraysem- 
blable  que  deux  hommes  mentent,  que  je  ne  fay  qu'un  homme 
en  douze  heures  passe,  quand  et  les  vents,  d'orient  en  occi- 
dent !  ...Il  me  semble  qu'on  est  pardonnable  de  mescroire  une 
merveille,  autant  qu'on  peut  en  destourner  et  elider  la  véri- 
fication par  voie  non  merveilleuse  (^'  ».  Ainsi  à  cette  époque 
il  attribue  comme  Pomponazzi  les  miracles  au  hasard  ou  à 
la  ruse. 

(1)  Entre  1588  1595,  il  a  pris  aussi  au  De  Xatura  Deorutn  une  citation  sur  la 
faiblesse  de  l'esprit  humain  (II.  XII,  vol.  III.  p.  2S0,  note). 

(2)  III.  XI,  vol.  VI,  p.  253-254. 

(3)  III,  XI,  vol.  VI.  p.  255;258. 

(4)  III,   XI,  vol.   VI,   p.   257-258. 

(5)  Ibid  ,  p.  261-262. 


44U  LE    RATIONALISME. DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Non  pas  qu'il  nie  le  fait  miraculeux  lui-même.  Il  nous  avoue 
qu'il  l'a  fait  dans  sa  jeunesse  et  que  s'il  entendait  alors  ((  parler 
ou  des  esprits  qui  reviennent,  ou  du  prognostique  des  choses 
futures...,  il  lui  venait  compassion  du  pauvre  peuple  abusé 
de  ces  folies 'i'  >•.  Mais  maintenant  il  reconnaît  qu'il  avait  tort, 
car  (i  condamner  ainsi  resoluement  une  chose  pour  fauce  ou 
impossible,  c'est  se  donner  l'advantage  d'avoir  dans  la  teste 
les  bornes  et  limites  de  la  volonté  de  Dieu  et  de  la  puissance 
de  noire  mère  nature  ^^^  )^  Si  nous  appelons  miracle  tout  ce 
qui  est  incompréhensible,  écrit-il  en  1580,  '<  combien  s'en 
pre-sente  il  continuellement  à  nostre  vue!...  La  pluspart  des 
choses  qui  sont  entre  nos  mains...,  c'est  plustot  accoutumance" 
que  science  (|ui  nous  en  este  l'estrangeté...  Il  faut  juger  des 
choses  avec  plus  de  révérence  de  cette  infinie  puissance  de 
Dieu  '-.  En  1595  il  substitue  la  nature  à  Dieu  :  «  avec  plus 
de  révérence  de  cette  infinie  puissance  de  nature  ».  Condamner 
les  miracles  comme  impossibles  «  c'est  se  faire  fort  par  une 
téméraire  presumption,  de  sçavoir  où  va  la  possibilité  ».  Il 
insiste  en  1595  :  «  Si  l'on  entendoit  bien  la  différence  qu'il 
y  a  entre  l'impossible  et  l'inusité  et  entre  ce  qui  est  contre 
le  cours  de  nature  et  contre  la  commune  opinion  des  hommes 
on  observeroit  la  règle  Hien  trop  commandée  par  Chilon  <3)  ». 
Ainsi  la  conclusion  du  chapitre  reste  chrétienne  en  appa- 
rence :  il  faut  croire  aux  miracles*^'.  Mais  pour  arriver  à  cette 
conclusion,  il  a,  comme  Cicéron,  Pomponazzi  et  Cardan, 
supprimé  la  notion  du  miracle,  en  substituant  à  Dieu  la  toute- 
puissance,  à  nous  inconnue,  mais  très  régulière,  de  la  Nature. 

En  1580,  il  explicpie  par  la  force  de  l'imagination  bien  des 
phénomènes,  en   pai-ticulier  la  naissance  des  monstres,   les 

(1)  I.  XXVII.  vol.  II.  p.  76:  édlt.  Dezeimeris.  vol.  I,  p.  130. 

(2)  Il  semble  qu'en  1580  il  na  pas  encore  bien  pris  conscience  de  la  valeur  de 
sa  théorie;  il  attribue  »>eaucoup  encore  au  caprice  de  la  nature  plus  qu'à  la  loi  : 
témoin  est  le  chapitre  XAXIV  du  1er  nvre  (éd.  de  1.595.  ch.  XXXIII)  :  Lo  lortunr  ne 
renrontre  souvent  nti  train  de  In  raison.  En  quoi  il  .suit  Cairdan  IDc  rer.  i<ariet., 
XV.   S4.    p.    .5n0-.551). 

(3)  I,  XXVII.  vol.  II.  p.  76-82:  édlt.  Dezeimeris.  vol.  I,  p.  130-135. 

(M  Comme  exemples,  il  cit^  ceux  que  raconte  saint  Augustin  (/>'•  fivit.  Dei, 
XXII.  3).  Ils  sont  rapportés  par  Cardan  (De  Rerum  vaHelnle.  XV,  81)  et  par 
Bouchet 


DE   MONTAIGNE   A   CHARRON  447 

cicatrices  (1),  les  extases,  certaines  guérisons'"^'.  Depuis  long- 
temps cette  explication  était  courante;  elle  remonte  à  Pompo- 
nazzi.  En  1595,  il  ajoute  à  cette  page  une  note  curieuse.  On  y 
verra  à  la  fois  la  finesse  de  Montaigne  et  la  fortune  des  idées, 
même  les  plus  fantaisistes,  de  Pomponazzi.  On  se  souvient 
peut-être  (jue  le  philosophe,  dans  son  De  Incantationibus, 
soutenait  que  la  contemplation  d'un  beau  visage  vaut  une  cure 
sérieuse,  et  que  Rabelais  lui-même  a  dit  en  riant  quelque  chose 
d'approchant.  Qu'on  relise  maintenant,  en  le  comparant  au 
texte  de  Pomponazzi,  ce  récit  de  Montaigne  :  «  Simon 
Thomas  estoit  un  grand  médecin  de  son  temps.  Il  me  souvient 
que  me  rencontrant  un  jour  à  Thoulouse  chez  un  riche  vieillard 
pulmonique,  et  traittant  avec  luy  des  moyens  de  sa  guarison, 
il  luy  dict  que  c'en  estoit  l'un  de  me  donner  occasion  de  me 
plaire  en  sa  compagnie,  et  que,  fichant  ses  yeux  sur  la  fres- 
cheur  de  mon  visage  et  sa  pensée  sur  cette  allégresse  et  vigueur 
qui  regorgeait  de  mon  adolescence,  et  remplissant  tous  ses 
sens  de  cet  estât  florissant  en  quoy  j'estoy  lors,  son  habitude 
s'en  pourroit  amender;  mais  il  oublioit  de  dire  que  la  mienne 
s'en  pourroit  empirer  aunsi  (^)  ».  En  '1580  il  citait  comme 
exemple  de  la  force  de  l'imagination  le  cas  d'une  petite  fille 
velue  que  sa  mère  <(  disoit  avoir  esté  ainsi  conceùe  à  cause 
d'un'  image  de  Sainct  Jean  Baptiste  pendue  en  son  lit  <^'  ». 
Mais  en  1595,  il  raconte  à  nouveau  qu'on  lui  a  présenté  un 
petit  monstre  :  cette  fois  la  lecture  du  De  Divinatione  l'a  mis 
sur  ses  gardes.  «  Ce  que  nous  appelons  monstres,  dit-il,  ne 
le  sont  pas  à  Dieu,  qui  voit  en  l'immensité  de  son  ouvrage 
l'infinité  des  formes  qu'il  a  comprin'ses...  De  sa  toute  sagesse 
il  ne  part  rien  que  bon  et  commun  et  réglé;  mais  nous  n'en 


(1)  Il  cite  celles  de  saint  François  et  du  roi  Dagobert.  Celles  de  saint  François 
sont  très  connues;  où  a-t-il  pris  celles  de  Dagobert  ? 

(2)  Voir  I.  XXI,  De  la  force  de  Viningination  (vol.  I.  p.  136). 

(3)  I.  XXI,  vol.  1,  p.  133,  en  note  de  1595. 

'4)  I,  XXI.  vol.  I.  p.  145  146.  Il  reprend  là  aussi  la  puissance  dui  regard  pool" 
rendre  malade  ou  guérir  celui  qui  la  subit.  Le  cas  de  la  petite  en  questiort  est 
classique  et  cité  par  Pomponazzi  dans  le  De  Incantationibus.  Cf.  l'étude  de  ce  livre 
au  chap.  II. 


448  LE    RATIONALISME   DANS    LA    LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

voyons  j)as  l'assortiment  et  la  relation.  Oiiod  cvebro  iidel  non 
miratui\  etiam  si  cur  !Jal  ncsdi.  Quod  ante  non  vidit,  id,  si 
eienci il,  ostensuni  esse  censet  ^i).  Nous  appelons  contre  nature 
ce  qui  advient  contre  la  coustume  :  rien  n'est  que  selon  elle, 
quel  qu'il  soit.  Que  cette  raison  universelle  et  naturelle  chasse 
de  nous  l'erreur  et  l'estonnement  que  la  nouvelleté  nous 
apporte '2>  ».  Ainsi  Cicéron  lui  a  fourni  la  tormiule  exacte  :  il 
y  a  pour  nous  des  mystères  dans  la  nature,  il  n'y  a  pas  de 
miracles  (3). 

Dès  1580  aussi,  c'est  à  la  ruse  des  prêtres  qu'il  attribuait 
les  prétendus  miracles  qu'on  trouve  à  l'origine  de  toutes  les 
religions.  Seulement  il  était  d'accord  avec  les  padouans  pour 
en  approuver  l'usage  ''^'  :  «  Puis  que  les  hommos,  par  tour 
insufiisance,  ne  se  peuvent  assez  payer  d'une  bonne  monnoye, 
(pi'on  y  emploie  encore  la  fauce.  Ce  moyen  a  esté  practiqué 
par  tous  les  législateurs  »:  c'est  pourquoi  la  plupart  des 
«  polices  ont  leurs  origines  et  commencemens  fabuleux  et 
enrichis  de  mystères  supernatùrels  ».  Il  cite  alors  le  cas  de 
Xiinia.  Mais  en  1595  il  y  ajoute  la  liste  de  Tahureau  presque 
entière  et  conclut  :  «  Toute  police  à  un  dieu  à  sa  teste,  fauce- 

1)  CicÉKON.   De  Divinat.,  II,  22. 

(2)  II,  XXX.  vol.  V.  p.  33. 

(3)  On  peut  voir  aussi,  au  ch.  XI  du  livre  I  (vol.  I,  p.  51-55)  sut  les  >•  Prognosti- 
cations  »,  comment  Montaig:ne  en  1595  a  farci  son  texte  d'extraits  du  De  Notura 
Deorutii  et  du  De  Divinaliniie,  comme  s'il  y  avait  trouvé  l'expression  définitive 
ou  la  preuve  d'idées  depuis  longtemps  acquLses.  Nous  devons  noter  cependant  (jue 
dès  1588  il  trouve  des  formules  approchantes  :  "  Il  n'y  a  rien  de  seul  et  de  rare, 
eu  essard  à  nature,  ouy  bien  eu  esgard  à  nostre  cognoissance...  •>  (III,  VI,  vol.  VI, 
p.  58).  On  trouvei-a  un  autre  texte  curieux  dans  r.4//o(or/ic  de  /?.  Scbond,  vol.  IV, 
p.  27-2i^.  Déjà  aussi  à  cette  époque  s'il  approuve  Tacite  d'avoir  rapporté  les  miracles 
de  Vespasien  comme  témoignage  de  la  crédulité  du  temps,  et  s'il  exempte  l'hist-o- 
rien  de  toute  critique,  il  émet  pourtant  des  réserves  sut  la  réalité  des  faits  (III, 
VIII:  vol.   Vf.  p.  117). 

(4)  Cette  idée  a  son  origine  dans  Platon  {népubl.,  V,  259).  Montaigne  hésite  à 
exprimer  cette  idée.  Après  avoir  écrit  en  1580  :  «  il  n'est  pas  deffendu  de  faire  nostre 
profit  <le  la  mensonge  mesme  s'il  est  besoing  »,  11  supprime  cette  phrase  trop  hardie 
en  1595  (II.  XII,  vol.  IV,  p.  'i).  En  revanche,  il  rapporte  sur  ce  môme  sujet  l'autorité 
de  Platon  :  "  II  dit  tout  destrousseement  en  sa  liepubtitiiie  que,  pour  le  profit  des 
hommes,  il  est  souvent  besoin  do  les  piper  »  (vol.  IV,  p.  5,  noteV  Mais  ce  texte  est 
courant.  Il  se  trouve  dans  Pomponazzi  et  c«  n'est  pas  dans  Plat/m  que  Montaigne 
est  allé  le  chercher.  Ce  n'est  probablement  pa.s  non  plus  dans  Pomponazzi. 
Ce  peut  être  dans  Tahureau.  Voir  II,  XII,  vol.  IV,  p.  83,  un  autre  t*xte  très  fort 
en  ce  sens:  «  On  a  raison  de  donner  ,\  l'esprit  humain  les  barrières  les  plus 
contraintes  qu'on  peut...  On  le  bride  et  garrote  de  religions,  de  lolx.  de  coustumes, 
de  peines  et  recompenses  mortelles  et  immortelles  ».  . 


DE    MONTAIGNE   A   CHARRON  449 

ment  les  autres,  véritablement  celle  que  Moïse  dressa  au 
peuple  de  Judée  sorty  d'Egypte  *"  ».  Cette  diernière  restriction 
à  révhémérisme  est  la  précaution  habituelle  de  ceux  qui,  trai- 
tant celte  ([uestion,  tiennent  à  ne  pas  passer  pour  libertins. 
Montaigne  du  reste  n'est  pas  un  «  libertin  »,  c'est  un 
padouan,  par  l'étendue  et  la  nature  de  son  scepticisme. 
Renoncer  à  rien  prouver  par  la  raison  de  ce  qui  est  à  quelque 
degré  matière  de  foi,  en  particulier  l'immortalité,  expliquer 
par  les  seules  forces  de  la  nature  les  miracles  et  les  prodiges, 
considérer  la  religion  comme  un  frein  nécessaire  au  peuple  et 
les  fondateurs  des  diverses  religions  comme  des  ambitieux 
intelligents  et  heureux,  tel  en  est  le  résumé.  Si  j'avais  à  étudier 
sa  doctrine  morale,  peut-êtue  devrais-je  lui  reconnaître  plus 
d'originalité  <2*.  Mais  à  le  considérer  au  point  de  vue  méta- 
physique, Montaigne  ne  paraît  pas  un  esprit  «  avancé  »  pour 
son  époque.  Son  attitude  religieuse  et  philosophique  est  celle 
que  cinf[uante  ans  de  pénétration  italienne  ont  modelée  dans 
l'élite  des  intelligences  françaises  de  la  seconde  moitié  du 
XVP  siècle. 


II 

Cet  état  d'esprit,  si  nous  en  croyons  G.  Bouchet  (3>  était 
même  commun  au  temps  de  Montaigne.  Le  même  peuple  qui 
bavarde  à  ses  joyeuses  Serées  à  lu  Cardan  et  Cicéron.  On  y 
est  très  crédule  :  on  y  raconte  sans  rire  que  des  personnes 
j)resque  centenaires  ont  été  tout  à  coup  rajeunies  (^',   que,  à 

■  (1)  II,  XVI,  vol.  IV,  p.  206-207.  Il  est  remarquable  que  la  liste  de  héros  divinisés 
donnée  par  Montaigne  est  exactement  celle  de  Tahureau,  sauf  Cécrops  et  Melissus. 
Montaigne  a  encore  effleuré  la  question  de  l'évhémérisme  à  plusieurs  reprises  et 
certaines  idées  peuvent  venir  du  De  Natura  Deorum;  mais  la  source  reste  douteuse 
{Efi^ais.  II,  XII;  édit.  Motheau.  vol.  III.  p.  12,  167;  vol.  IV,  p.  34-37). 

(2)  C'est  surtout  à  ce  point  de  vue  que  M.  Villey  s'est  placé  pour  étudier  Mon- 
taigne. 

(3)  Sur  Bouchet.  sieur  de  Brocourt,  voir  Bai/le.  art.  Bouchet;  la  notice  de 
C.-E.  Robert  en  tète  de  l'édition  de  ses  œuvres,  Lemerre,  1873.  Le  I^^  livre  des 
Sérées  est  de  1584.  le  II»  de  1597,  le  Ille  de  1598.  L'édition  de  1608  est  augmentée. 
L'auteur  était  mort  en  1593  ou  1594.  Je  cite  d'après  l'édition  Lemerre. 

(4)  Serées,  II,  XX  (vol.  III,  p.  261).  C'est  sans  doute  cette  crédulité  que  veut 
railler  Rabelais  quand  il  indique  la  façon  de  refondre  les  vieilles  femmes  pour  en 
faire  des  jeunes  filles  de  15  ans  (V,  XXI). 

29 


450  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Xaple?,  sous  François  I",  deux  filles  furent  muées  en  hommes 
à  l'âge  de  quinze  ans.  «  \'alère  Maxime,  Pline  <i',  Hippocrate, 
ont  escrit  celaestre  venu  de  leur  temps  ».  Cardan  raconte  le 
même  fait  et  Montaigne,  qui  a  trouvé  le  cas  à  Vitry-le- 
François  <*',  en  donne  une  plaisante  explication  qu'on  rapporte 
en  souriant  <3).  On  croit  aux  remèdes  des  charlatans,  à  la 
démonomanie  <*',  aux  géants  enfin.  Saint  Augustin,  Pline  et 
Galien  n'en  parlent-ils  pas  ?  Franscisque  de  Lopez  prétend  en 
avoir  trouvé  au  nouveau  monde  et  les  voyageurs  peuvent 
encore  en  voir  ((  au  monastère  de  Ronceval  )>„  que  l'on  dit 
être  les  soldats  de  Charlemagne  ^^K  Cela  est  sans  doute  du 
Cardan  <6'.  Mais  les  géants  sont  à  la  mode  depuis  que  Jean 
Chassanion  a  écrit  lem*  histoire  et  leur  a  attribué  les  osse- 
ments des  grands  fossiles  de  l'époque  préhistorique,  récem- 
ment découverts,  en  assez  grand  nombre,  surtout  dans  la 
vallée  du  Rhône  *'''.  On  cherche  cependant  des  explications  à 
ces  faits  extraordinaires  et  c'est  Cardan  t^)  et  Cicéron  qui  les 
fournissent.  Les  uns  sont  le  fruit  de  l'imagination  excitée. 
Ainsi  les  monstres  viennent  «  de  l'ardence  imagination  de  la 
femme  en  la  conception,  ayant  telle  puissance  sur  le  fruict  que 


(1)  Pline,  Hlst.  \at..  VII,  4.  C'est  l'histoire  de  Lucius  Coissicius;  elle'  est  rap- 
portée par  Cardan  De  lierum  varietate.  VIII,  XLIII  (p.  417  de  l'éd.  de  15S0)  et  par 
Charron  {Satjesse,  éd.  Feugé,  p.  lOS).  Seulement  Cardan  en  cherche  une  explication 
naturelle  tandis  que  Montaigne  et  Cliarron  l'attribuent  à  l'imagination.  Sur  le 
même  sujet,  voir  dans  Baïf  [Poèînes.  V,  p.  154.  éd.  de  1572)  l'histoire  de  Fleurdéplne 
et  Renaud  de  Montauban,  empruntée  à  Arioste  ;  Roland  Fm-ieux,  XXV  (trad. 
Chappuys,  p.  311  et  suiv.). 

(2)  Essais,  I,  XXI,  vol.  I,  p.  135. 

(3)  Serées,  I,  III,  vol.  1,  p.  95-96. 

(4)  Serées,  II.  XIV,  vol.  III,  p.  26-29. 

(5)  Serées,  iCxx.  vol.  III,  p.  252-253. 

(6)  De  varletate,  VIII,  XLIII,  p.  414  (éd.  de  Lyon,  Et.  Michel,  1580). 

(7)  De  gigantibits  eorvinque  rellqulls  atque  iis  qui  ante  annos  aliquot  nostra 
ae'tate  in  Gallia  reperta  sunt.  Basilae,  Ibm.  in-s»;  Spirae,  1587.  Sur  Chassanion  (ou 
Chassagnon)  et  son  ouvrage,  voir  Haag,  111,  p  351  (2»  éd.).  Il  est  né  en  1531  et  mort 
en  1598. 

(8)  Bouchet  est  un  lecteur  assidu  de  Cardan:  il  le  cite  à  tout  propos  I,  VII, 
vol.  II,  p.  68;  I.  XI,  vol.  II,  I).  a'.S;  II,  XIV,  vol.  III,  p.  84;  II,  XVI.  vol  III;  p.  164; 
III,  XXVI,  vol.  IV,  p.  165;  III.  XXIX,  vol.  IV,  p.  252;  III,  XXXIII.  vol.  V,  p.  15;  III. 
XXXIIl,  vol.  V,  p.  23.  Toute  la  III»  sérée  du  11^  livre,  vol.  IV,  p.  277-292.  où  Bouchet 
résume  les  consolations  qui  s'olTrent  à  toutes  les  situations,  n'est  aussi  qu'un 
résumé  du  De  Consolatione  de  Cardan. 


DE   MONTAIGNE   A   CHARRON  451 

le  cliaractere  en  demeure  sur  la  chose  conceue  (i)  ».  A  la 
même  force  de  l'imaginalion,,  il  faut  rattacher  certaines  gué- 
risons  extraordinaires  :  «  Ainsi,  es  pais  des  Barbares  et 
Canibales,  les  Prestres  qui  y  sont  médecins,  demandent  seu- 
lement aux  malades  s'ils  croyent  qu'ils  les  puissent  guérir  ^^\ 
puis  barbotent  certains  mots;  ei  sont  guéris  par  ceste  imagi- 
nation et  opinion  :  d'autant  que  la  liance  qu'a  le  malade  du 
médecin  le  peut  aussi  bien  guérir  que  la  médecine  mesme, 
et  celuy  est  bon  médecin  qui  guerist  plusieurs  malades  et  en 
qui  plusieurs  se  fient...  Le  malade  ayant  fiance  que  son 
médecin  est  habile  homme,  scavant  et  expert  et  qu'il  l'a  guéri 
plusieurs  fois  d'autres  maladies,  ceste  imagination  conforme 
de  telle  sorte  la  vertu  naturelle  du  patient  qu'elle  débilite  la 
cause  de  son  mal  :  si  bien  que  la  nature  bataillant  contre  la 
maladie,  voyant  l'aide  du  médecin,  se  rend  plu^  forte  à  debeller 
et  chasser  le  mal  (3)  ».  La  nature  aussi  a  des  «  secrets  admi- 
rables »  que  nous  ne  connaissons  pas  <^)  et  qui  expli({uent  bien 
des  miracles. 

Mais  ces  explications  nous  reportent  bien  loin  :  jusqu'à 
Rabelais,  jusqu'à  Pomponazzi.  Voici  mieux.  La  conséquence 
de  la  doctrine  de  Pomponazzi,  c'est  qu'il  ne  faut  s'étonner  de 
rien.  Tout  a  une  cause  :  si  nous  ne  la  voyons  pas,  disons 
nous  qu'elle  n'en  existe  pas  moins  et  restons  calmes.  Les 
phénomènes  extranaturcls,  disait  Vicomercato,  sont  ceux  qui 
sont  rares,  et  non  ceux  qui  sont  sans  cause  naturelle.  De  ces 
derniers  (contra  naturani)  il  n'y  en  a  pas.  Mais  bien  avant 
Vicomercato  et  Pomponazzi,  c'avait  été  la  doctrine  de  Cicé- 
ron  (^).  Et  c'est  jusqu'à  Cicéron  et  au  De  Divinatione  que  nous 
reporte  la  vingtième  Serée  du  second  livre.  Une  femme  reçoit 
son  amant  habillé  en  femme  et  le  fait  passer  pom-  sa  cousine. 
Un  jour  le  mari  s'aperçoit  que  la  cousine  est  un  cousin.  Sa 

(1)  II,  XX,  vol.  III,  p.  251. 

(••2)  Serait-ce  une  allusion  à  l'Evangile,  où  Jésus-Christ  demande  aussi  aux 
malades  s'ils  ont  la  foi  ? 

(3)  I,  X,  vol.  II,  p.  188-189. 

(4)  Vol.    II,    p.    261. 

(5)  Voir  au  chap.  I  l'étude  sur  le  De  Divinatione. 


\iy2  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTERATURE    FRANÇAISE 

femme  prend  un  air  mystérieux,  lui  demande  le  secret  et  lui 
explique  que  sa  cousine  est  hermaphrodite,  u  Et  puis  luy 
ilisoit  :  combien  de  fois  avez  vous  lu  dans  de  bons  livres  et  ouï 
dire  à  gens  de  foi,  qu'il  y  avoit  des  hermaphrodites  et  qui  ont 
les  deux  sexes  et  natures  ?  Trouvez  vous  point  dans  Cicéron, 
luy  disoit  elle,  qu'il  ne  se  faut  émerveiller  dune  chose  qui  est, 
quand  elle  peut  estre,  combien  qu'elle  semble  estrange;  et 
que  c'est  l'ignorance  (jui  engendre  l'admiration  et  la  inesmB 
ignorance  des  choses  usitées  fait  que  nous  ne  les  admirons 
point,  combien  que  la  cause  soit  aussi  difficile  comme  des 
choses  que  nous  ti'ouvons  estranges  'i'  >y  ? 

Ainsi  se  mêlent  dans  les  Serées  à  beaucoup  de  pantagrué- 
lisme  quekjues  lignes  sérieuses  —  tout  juste  de  quoi  justifier 
leur  devise  :  Ei  nuf/;r  scria  duciint.  * 

Le  même  engouement  pour  les  théories  padouanes  et  cicé- 
ronicnnes  valut  au  jésuite  L.  Richeome  d'être  pris  à  partie  par 
les  protestants. 

En  1595  un  ministre  publia  la  Copie  d'une  Lettre  escrile  à 
Monsieur  d'Angiers  contre  les  miracles  laids  en  VEglise  de 
Nostre-Dame  des  Ardilliers-lez-Saumur .  Uicheome  y  répondit 
en  1597  par  le  premier  des  Trois  discours  pour  la  Religion 
catholique,  des  Miracles,  des  Saincls,  des  Images  ^2).  La  Con- 
cession de  Sancij  y  fait  une  allusion  maligne.  Les  miracles  de 
de  Xotre-Dame  des  Ardilliers  seraient  dus,  d'après  Richeome, 
à  dos  causes  naturelles '3).  H  y  a  dans  cette  accusation  une 
exagération  certaine,  et  dans  le  livre  de  Richeome  de  graves 
imprudences.  Il  n'est  pas  vrai  qu'il  ait  assimilé  les  miracles 
reconnus  par  l'Eglise  aux  effets  extraordinaires,  mais  naturels, 
des  forces  cosmiques:  mais  il  est  très  certain  qu'il  a  subi  l'in- 
fluence de  la  doctrine  de  Cicéron  et  de  Cardan  et  compromis 
son  apologie  par  sa  complaisance  pour  Pline. 

(1)  II,  XX.  vol.  III.  p  200.  Voir  le  texte  du  De  Divùiatiom-  traduit  Iri  presque  mot 
à  mot  au  rhapltre  I.  p.  20.  (tn  eue  re  à  la  fin  du  chaiiiti-f  I\  ;i  pi-Dpo.s  de  Rahelai.s 
Qui  le  traduit  aussi. 

(2)  Bordeaux,  1597,  in-8o 

(3)  Covfexslon  rie  Sanry.  rli.  II:  ?i  la  suite  du  .hniriuil  ilc  Ihnri  ni  de  L'KSTOILE, 
éilt.  de  La  Haye    IT'i'i    t.  V.  p.  69.  Il  y  revient  cli.  VI.  p.  'iSfi. 


DE    MONTAIGNE   A    CHARRON  453 

«  Le  nom  de  miracle  est  prins  d'admiration,  laquelle,  comme 
dict  un  philosophe,  provient  de  l'inspection  de  quelque  et'fect 
manifeste,  duquel  la  cause  est  cachée  '^)  ».  Cette  définition 
générale  serait  assez  imprudente,  étant  celle  que  nous  avons 
relevée  dans  le  De  Diuinatione.  Mais  l'auteur  a  soin  de  distin- 
guer deux  sortes  de  miracles  :  ceux  de  la  nature  et  ceux  de 
Dieu.  Les  premiers  sont  ceux  dont  on  vient  de  lire  la  définition. 
Les  seconds  sont  des  effets  évidents  produits  par  la  toute- 
puissance  de  Dieu  «  au  dessus  le  cours  commun  et  les  forces 
de  toute  la  nature  '2)  ».  Ceux-là  sont  les  seuls  vrais  miracles, 
dont  Richeome  veut  prouver  la  réalité  aux  protestants.  Mais, 
soit  que  l'apologiste  éprouve  quelque  embarras  en  face  du 
problème,  soit  par  un  vice  de  méthode,  sur  trente-huit  cha- 
pitres qui  traitent  des  miracles  (une  fois  ôtés  les  cinq  chapitres 
préliminaires)  vingt-trois  sont  consacrés  à  exposer  les  miracles 
de  Cicéron,  de  Pline  et  de  Cardan,  et  quinze  seulement  à 
défendre  ceux  de  l'Eglise  ^3).  L'effet  est  évidemment  déplo- 
rable. 

Richeome  passe  en  revue  les  divers  éléments  et  les  diverses 
forces  de  l'Univers  ;  le  soleil,  la  lumière,  le  feu,  l'air,  la  pluie, 
lèvent,  la  foudre,  la  mer,  kseaux,  la  terre  elle-même.  Chacun 
de  ces  articles  comporte  trois  considérations  :  d'abord  la  Pro- 
vidence de  Dieu  dans  la  distribution  de  ces  forces  naturelles, 
puis  les  miracles  de  nature  qu'on  y  a  remarqués  au  cours  des 
siècles,  enfin  les  miracles  que  Dieu  y  a  accomplis.  Une  pre- 
mière observation  s'impose  sur  ce  plan  :  c'est  qu'il  rappelle 
étrangement  celui  du  De  rerum  varielate  de  Cardan.  Le  philo- 
sophe examine  aussi  successivement  tous  les  éléments  et  les 
merveilles  qu'il  y  a  rencontrées  :  «  aquse  miracula,  aeris  mira- 
cula,  lapidum  miracula.   plantarum  miracula.  actiones  mira- 

(1)  Des  Miracles,  ch.  III,  p.  10.  Je  dois  signaler  cependant  que  la  définition  du 
miracle  donnée  par  Richeome  est  de  saint  Thomas  I,  q.  105,  art.  7),  ce  qui  montre 
bien  qu'il  n  entend  pas  confondre  les  merveilles  et  les  miracles.  Mais  qu'on  réflé- 
chisse maintenant  sur  cet  exemple  :  L'Euriiw,  selon  Senèque.  a  sept  flux  et  reflux 
par  .jour;  «  voilà  u  i  miracle,  puis  que  l'etïect  est  évi.lent  et  la  cause  cachée  ». 

(2)  III,  p.  12. 

13)  Ch.  I-V,  préliminaires:  ch  VI  XXVIII.  des  miracles  de  nature:  ch.  XXIX-XLIII, 
des  miracles  de  Dieu. 


4d4  le    rationalisme    dans    la   LITTERATURE   FRANÇAISE 

biles,  animalium  oslensa,  hominum  ostensa,  etc.  ».  Cardan 
est  un  mauvais  modèle  pour  un  apologiste.  Et  puis  il  faut 
avoir  lu  ce  livre  ou  d'autres  de  ce  genre  pour  se  rendre  compte 
de  la  crédulité  du  XVP  siècle  et  du  manque  de  critique  des 
esprits.  Sous  le  nom  de  «  miracles  de  Nature  »,  Richeome 
entasse  toutes  les  fables  qu'il  a  pu  relever  dans  les  historiens 
et  chroniqueurs.  Sa  source  principale  est  Pline  qui  est  cité 
à  toutes  les  pages  (i); 

Ces  merveilles  et  ces  monstres  qu'enfante  la  nature, 
Richeome  nous  les  rappelle  d'abord  pour  nous  faire  admirer 
la  puissance  du  Créateur,  mais  surtout  parce  qu'ils  peuvent 
nous  être  très  utiles  pour  connaître  les  miracles  de  Dieu  <2).  Il  y 
a  là  un  malentendu.  Si  les  merveilles  rapportées  par  Pline 
sont  des  effets  réguliers  des  lois,  comment  nous  aideront-ils 
à  comprendre  ce  qui  est  une  dérogation  à  toutes  les  lois? 
N'est-il  pas  à  craindre  plutôt  que  les  lecteurs  de  Richeome  se 
disent  que  si  les  merveilles  les  plus  inexplicables  de  Pline  ont 
une  cause  cachée  et  ne  nous  étonnent  que  par  notre  ignorance 
—  c'est  la  thèse  de  Cicéron  et  de  Pomponazzi  — ,  ceux  que 
rapportent  les  Saints  Livres  sont  aussi  susceptibles  d'une 
explication  rationnelle;  et  qu'enfin  il  n'y  a  de  miracles  que 
pour  les  ignorants  ?  Cette  impression  est  d'autant  plus  justifiée 
que  l'auteur  rapproche  sans  cesse  les  deux  catégories  de 
miracles  (3).  En  voici  un  exemple  typique.  «  La  pluye  est 
encore  admii'able  en  ses  espèces  et  sortes,  qui  sont  plusieurs 
et  toutes  merveilleuses,  bien  qu'elles  proviennent  des  causes 
naturelles.  Au  consulat  de  Marcus  Attihus  on  vit  pleuvoir  du 
sang  et  du  lait;  de  Lucius  Volumnius,  Servius  Sulpitius,  des 
petites  parcelles  de  chair,   que  les  oiseaux  devoroient  aussi 

Cl)  La  chose  est  d'autant  plus  surprenante  que  l'auteur  tient  Pline  pour  un  Incré- 
dule. Il  dit  à  propos  de  la  pruérison  des  écroucUes  par  le  roi  de  France  :  <<  Ces 
choses  m'ont  faict  souvent  admirer  ou  la  mescreance  ou  l'impudence  de  quelques 
François  chiriirîïiens  rie  mauvaise  main  et  de  pire  conscience,  et  de  certains  glos- 
seurs  de  Pline...  qui  ont  tasché  d'e.xtenuer  et  de  ravaler  pai*  calomnies  ce  miracle 
(ch.  XXXVI,  p.  172). 

(2)  Ch.  V,  p.  16-17;  ch.  IX,  p    37 

!3)  Par  exemple,  ch.  X  (miracle^  du  feu);  ch.  XI  (miracles  de  l'air),  ch.  XII 
(miracles  de  l'eau);  ch.  XVI  (miracles  de  la  foudre);  ch.  XVIII  (miracles  de  la  mer); 
ch.  XX    miracles  des  fontaines);  ch.  XXII  (miracles  de  la  terre),  etc: 


I 


DE   MONTAIGNE  A   CHARRON  455 

tost.  L'an  devant  que  Marcus  Crassus  fut  deffail  par  les 
Parthes  avec  toute  son  armée,  il  plut  du  fer  en  ce  pays-là... 
L'an  de  Lucius  Paulus  et  Lucius  Marcellus,  il  plut  de  la  laine 
en  Carine  lieu  de  Calabre  :  de  toutes  lesquelles  espèces 
Pline  faicl  mention.  Quelquefois  on  a  veu  pleuvoir  des  petits 
crapaux,  des  pierres,  et  autres  choses  prodigieuses...  — 
Pluyes  miraculeuses  furent  celle  de  feu  et  de  soulfre  sur 
Sodome  et  Gomorre,  et  les  autres  cités  complices  :  celle  de 
manne  au  désert  d'Arabie  pour  la  nourriture  des  Hébreux  : 
celle  de  cailles  envoyée  pour  les  mesmes...;  la  pluye  de 
gresle  et  de  cailloux,  contre  les  Amorrheans  en  faveur  de 
losué  W  ».  De  môme  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  la  maison  de 
la  Vierge  a  été  transportée  par  les  anges  à  Lorette,  «  car 
au  dernier  an  du  règne  de  Néron,  en  la  terre  des  Marrucins, 
qui  est  la  Brusse,  un  grand  verger  peuplé  d'oliviers  fut  trans- 
porté avec  ses  arbres  en  une  autre  place  ^^)  ».  Est-il  moyen  plus 
maladroit  de  défendre  l'autorité  de  la  Bible  ou  de  la  Légende 
dorée  que  de  les  assimiler  ainsi  aux  contes  de  Pline,  d'Appien 
et  de  Sextus  Pompeius  ? 

Il  faut  reconnaître  pourtant  que  ce  n'est  pas  là  l'intention 
du  pieux  jésuite.  Il  maintient  la  distinction  entre  les  deux 
ordres  de  phénomènes  :  les  premiers  sont  soumis  à  la  loi,  les 
seconds  sont  anormaux.  Mais  quelle  pauvre  idée  il  se  fait  de 
la  loi  !  L'Univers  de  Richeome  n'est  pas  harmonieux,  il  est 
amusant,  car  u  la  divine  sagesse  se  joue  »  en  la  création  f^' 
et  ses  jeux  sont  les  caprices  des  lois.  <(  Les  Athées  se  mocquent 
de  tels  jeux,  et  les  mescroyent,  ne  scaichans  ny  la  nature  d'une 
bonté  infinie,  qui  se  communique  sans  mesure,  ny  la  force 
d'un  amour  infiny,  qui  transforme  d'une  façon  admirable 
l'aymant  en  la  chose  aymée.  Ils  se  rient  de  ce  qu'ils  ignorent, 
comme  firent  ces  fols,   qui  virent  un  jour  ce  sage  Roy  des 

(1)  Ch.  XII,  p.  53-54.  Autres  miracles  non  moins  surprenants  pris  à  Pline  surtout, 
à  saint  Augustin,  Valère  Maxime,  Cicéron  (De  NatW'a  Deoritm),  cités  au  ch.  XLI. 
p.  203-204.  Mais  Richeome  les  attribue  au  diable. 

(2)  Ch.  XXXV,  p.  162. 

(3)  Ch.  XXIII,  p.  105. 


456  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Lacedenioniens  Agesilas,  qui  se  jouoil  avec  un  sien  petit  gar- 
çon, allant  à  cheval  comme  luy  dessus  un  roseau  :  ausquels 
ce  Prince  ne  respondil  autre  chose  sinon  un  mot,  vous  ne 
sçavez  que  c'est  ([ue  d'eslre  père  (^)  ».  A  ce  compte  il  n'y  a 
plus  de  lois.  La  nature  devient  un  vaste  et  l'antaslicjue  bric- 
à-brac  où  les  choses  les  plus  hétéroclites  se  mêlent  en  un 
désordre  pittoresque;  Dieu  n'est  plus  qu'un  entant  dont  le 
caprice  est  la  règle..  Combien  une  idée  aussi  enfantine  du 
monde  et  de  Dieu  devait  paraître  risible  à  ceux-là  qui,  sans 
connaître  plus  que  Richeome  les  lois  de  la  nature,  soupçon- 
naient cependant  leur  régularité  et  préféraient,  pour  en  sau- 
vegarder l'harmonie,  traiter  de  menteurs  Pline  et  l'Evangile. 
Pour  n'avoir  pas  eu  le  courage  de  sacrifier  le  premier, 
Richeome  détruisait  par  avance  l'apologie  qu'il  faisait  du 
second. 

Charron  ^^\  avec  plus  de  méthode,  ne  fait  que  répéter 
Montaigne.  A  l'étude  de  l'âme  il  consacre  un  chapitre  entier 
de  la  Sagesse  ^^K  II  rapporte  les  opinions  des  diverses  écoles 
sur  l'origine  des  âmes,  place  l'âme,  comme  Montaigne,  au 
cerveau  et  non  au  cœur,  insiste  sur  l'influence  du  tempérament 
personnel.  Sur  le  nombre  des  âmes,  il  énumère,  sans  prendre 
parti,  les  doctrines  des  platoniciens,  d'Averroès,  et  la  doctrine 
commune,  à  qui  il  fait  ce  reproche,  pris  dans  Pomponazzi  <^', 
«  qu'il  faudroit  qu'elle  fut  toute  mortelle,  ou  bien  en  partie 
mortelle  en  la  végétative  et  sensitive,  et  en  partie  immortelle 
en  la  raisonnable,  et  ainsi  seroit  divisible  ».  Puis  il  passe 
au  grand  problème  :  «  L'immortalité  de  l'amc  est  la  chose  la 
plus  universellement,  religieusement  et  plausiblement  receue 
par  loiil  le  monde  (j'entends  d'une  externe  et  publi(|ue  pro- 
fession,   non   d'iuie   itilcrne,    sérieuse  et  vrave  créance...)  la 


'D  Ch.  XXIV.  p.  109-110. 

(2)  Sur  Charron,  voir  J.-B.  Sabrié,  ne  l'humnnlume  ou  ratlonalit'me.  P  Charron 
ii5',i-i60S),  Vhninme  l  œiiire.  liriltueme,  Paris,  Alcan.  1913. 

'3)  I,  XV.  p.  11/..  ilans  lèd.  de  1601;  I.  VIT  do  léd.  de  1604:  p.  51  dans  l'éd.  Feugé 
(Paris.  1642)  fiui  reprcHluii  les  deux  chapitres. 

If,}  lie  Anima,  ch    VII,  et  réfutation  au  chap.  VIII. 


DE   MONTAIGNE   A    CHARRON 


457 


plus  utilement  creue,  la  plus  faiblement  prouvée  et  establie 
par  raisons  et  moyens  humains  (1604  :  mais  proprement  et 
mieux  establie  par  le  ressort  de  la  religion  que  par  tout  autre 
moyen).  Il  semble  y  avoir  une  inclination  et  disposition  de 
nature  à  la  croire,  car  l'homme  désire  naturellement  allonger  et 
perpétuer  son  estre. . .  Puis  deux  choses  servent  à  la  faire  valoir 
et  rendre  plausible,  l'une  est  l'espérance  de  gloire  et  répu- 
tation et  le  désir  de  l'immortalité  de  nom,  qui  tout  vain  qu'il 
est  a  un  merveilleux  crédit  au  monde  :  l'autre  est  l'impression 
que  les  vices  qui  se  desrobent  de  la  veue  et  cognoissance  de 
l'humaine  justice  demeurent  toujours  en  butte  à  la  divine  qui 
les  chastiera,  voire  après  la  mort  ».  Le  choix  des  arguments 
est  exactement  le  même  que  dans  Montaigne  :  la  défiance  de 
l'auteur  sur  la  valeur  de  ces  raisons  et  son  recours  à  la  foi 
sont  exprimés  presque  dans  les  mêmes  termes  que  dans  les 
Essais  et  montrent  un  esprit  nourri  de  la  doctrine  de  Pompo- 
nazzi. 

C'est  chez  Cardan  au  contraire,  soit  directement,  soit  par 
l'intermédiaire  de  Bodin,  qu'il  a  appris  l'influence  exercée 
par  les  climats  sur  les  divers  peuples,  et  la  part  de  détermi- 
nisme qui  en  est  la  conséquence  dans  la  formation  et  le  déve- 
loppement des  mœurs,  des  idées,  et  des  religions  elles- 
mêmes  (ï). 


(1)  Il  met  en  tableau  synoptique  le  chapitre  V  du  I^""  livre  de  la  République  de 
J.  Bodin  : 


Peuples  septentrionaux. 

Moyens. 

Midi. 

Hauts,  grands,  forts, 

Semblent  modérés  en 

1.  Petits,  mélancholiques. 

1.       \ 

blonds,     sociables, 

toutes  ces  choses. 

noirs,  solitaires,  peu  de 

Corps    / 

grands     mangeurs 
et  buveurs. 

poil  et  crépus. 

2.        \ 
Esprit 

Grossiers,  lourds,  stu- 

Pour  la  religion,  sui- 

2.   Ingénieux,    fins,    pru- 

pides, sots,  faciles. 

vent  celle  dont  ils 

dents,  opiniâtres. 

légers,  inconstants. 

sont  le  plus  voisins. 

Religion) 

Peu  religieux  et  dé- 

Participent    modéré- 

3.  Superstitieux,  contem- 

votieux. 

ment    à    ces    deux 
extrêmes. 

platifs. 

Mœurs  t 

Guerriers,   vaillants, 

4.  Non  guerriers,  lâches, 

chastes,  sans  jalou- 
sie, cruels. 

paillards,  jaloux,  cruels. 

Ed.  1601,  I,  p.  38;  éd.  1604,  I,  p.  42;  éd.  Feugé,  p.  234-241; 


458  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Il  constate  à  son  tour  que  les  religions  varient  avec  les 
zones  ethniques,  mais  que  toutes  «  sont  venues  du  midy, 
Egypte,  Arabie,  Chaldée,  Afrique  '^^  ».  Toutes  aussi,  après 
qu'elles  sont  nées,  «  pour  se  faire  valoir  et  recevoir,  elles 
allèguent  et  fournissent,  soit  de  fait  et  en  venté,  comme  les 
VTayes,  ou  par.  imposture  et  beau  semblant,  des  révélations, 
apparitions,  prophéties,  miracles,  prodiges,  sacrez  mys- 
tères, saiiicts  (2)  ».  Toutes  enfin  «  ont  cela  qu'elles  sont 
eslranges  et  horribles  au  sens  commun,  car  elles  sont  basties 
et  composées  de  pièces,  desquelles  les  unes  semblent  au  juge- 
ment humain  basses,  indignes  et  messeantes,  dont  l'esprit  un 
peu  fort  et  vigoureux  s'en  mocque,  ou  bien  trop  hautes,  escla- 
tantes,  miraculeuses  et  misterieuses,  où  il  ne  peut  rien 
cognoistre,  dont  il  s'en  offence  ». 

Car  la  raison  humaine  n'est  capable  ni  de  comprendre  les 
mystères  de  la  foi,  ni  de  condescendre  à  tout  croire  sur  parole  : 
((  D'où  il  advient  qu'il  y  a  tant  de  mescreants,  et  irreligieux, 
pource  qu'il  consultent  et  écoutent  trop  leur  propre  jugement, 
voiiJans  examiner  et  juger  des  affaires  de  la  religion,  s(>lon 
leur  portée  et  capacité,  et  la  traiter  par  lem"s  outils  propres 
el  naturels.  Il  faut  estre  simple,  obéissant  et  débonnaire,  pour 
estre  propre  à  recevoir  religion,  croire...,  assujettir  son  juge- 
ment, et  se  laisser  et  mener  et  conduire  à  l'authorité  publicque, 
captivantes  intellectuni  ad  obsequium  lidei  '3)  ».  Cette  soumis- 
sion de  la  raison  à  la  foi  n'est  guère  sage,  si  nous  en  croyons 
Charron.  La  liberté  d'esprit  est  l'une  des  conditions  de  la 
sagesse,  et  la  première  :  «  c'est  foiblesse  el  sottise  niaise  de 
se  laisser  mener  comme  buffles,  ci'oire  et  recevoir  toute  impres- 
sion ».  Le  sage,  au  contraire,  s'efforce  de  tout  juger  par  la 
raison,  de  «  soustenir,  contenir  et  arrester  son  esprit  dedans 
les  barrières  de  la  considération  et  action  d'examiner,  juger, 
poiser  toutes  choses...,  sans  s'obliger...  à  opinion  aucune,  ny 


(1)  Ed.  1601,  I.  p.  38,  et  II,  p.  5. 

(2)  Sagesse,  il,  V;  éd.  Feugé,  p.  381. 

(3)  Sai/esse.  u.  V;  éd.  Feugé.  p.  385. 


DE    MONTAIGNE   A   CHARRON  459 

se  coiffer  ou  espouser  aucune  chose  (i)  ».  Cicéron  ne  disait 
pas  autrement  «  NuUis  unius  disciplinœ  legibus  adstrictt, 
quibus  in  philosophia  necessario  pareamus,  quid  sit  in  quaque 
re  maxime  probabile,  semper  requiremus  ^2)  ». 

La  Sagesse  est  un  livre  de  morale  et  non  de  métaphysique. 
Comme  livre  de  morale  il  est  extrêmement  grave,  renversant 
les  bases  religieuses  de  l'obligation  morale,  et  faisant  de  la 
Justice,  considérée  comme  vertu  naturelle,  le  fondement  de 
la  religion  (3).  Mais  la  doctrine  philosophique  de  Charron  ne 
dépasse  pas  en  hardiesse  celle  de  .Montaigne  ni  des  philo- 
sophes que  nous  avons  étudiés  jusqu'ici.  Comme  les  padouans 
et  tous  leurs  disciples  il  a  mis  la  religion  hors  de  l'atteinte, 
mais  aussi  hors  du  contrôle,  de  la  raison  (^',  il  a  réussi  à 
garder  l'équilibre  entre  son. besoin  de  tout  raisonner  et  la 
nécessité  de  croire:  comme  eux,  il  fait  de  l'immortahté  un 
dogme  de  foi  et  non  un  article  de  philosophie;  comme  les 
derniers  d'entre  eux  enfin,  et  plus  qu'eux,  il  a  observé  le  rôle 
du  climat  dans  la  vie  intellectuelle  des  peuples.  A  tous  ces 
titres,  il  est  bien  le  fils  spirituel  de  Pomponazzi  et  de  Cardan; 
mais  il  faut  noter  avec  soin  que  son  état  d'esprit  est  commun 
alors  et  qu'il  s'allie  très  bien  avec  une  foi  réelle.  Nous  en 
aurons  plus  loin  la  preuve  indéniable. 


(1)  sagesse.  II.  2;  éd.  1601.  p.  108.  Exposé  du  pyrrhonisme.  Sagesse.  II.  2.  édit. 
Feudé.  p.  321-350. 

(2)  Qiiaestiones  Tuscui.,  IV,  IV.  Même  doctrine  dans  les  Académiques. 

■Z)  Sagesse,  éd.  Feugé,  p.  399-400.  Je  ne  puis  qu'indiguer  Ici  ces  considérations, 
qui  supposent  d'assez  longs  textes.  On  en  verra  un  exposé  dans  Sabrié,  op.  cit., 
p.  336  et  sulv..  et  dans  Strowski  (Pascal  et  son  temps,  I.  p.  177-205)  une  analyse 
'très  délicate  où  l'auteur  montre  comment  Charron  mène  au  déisme,  mais  malgré 
lui  et  plutôt  par  un  vice  de  sa  méthode.  M.  Strowski  souligne  aussi  les  graves 
propositions  de  Charron  sur  les  bases  de  la  morale  {Ibid.,  p.  188). 

(■4)  «  Cecy  il'obligation  de  ne  suivre,que  sa  raison)  ne  touche  point  les  vérités 
divines  que  la  Sagesse  éternelle  nous  a  révélées,  qu'il  faut  recevoir  avec  toute 
humilité  et  submission,  croire  et  adorer  tout  simplement  »  (II,  V,  p.  108  de  l'éd. 
de  leoi). 


CHAPITRE    XV 
Apologistes   orthodoxes. 

I.  Avant  Montaigne  :  Rééditions   des  apologistes  anciens;   Pasquier  (une 

lettre  de  ir)54);  De  Neufville  (155(51,  contre  l'aristotélisme;  Charpentier 
(1558),  contre  l'aristotélisme;  Bourgueville  il564)  ,  l'immortalité,  ler> 
Livres  saints;  P.  Viret  |1564),  providence,  éternité  du  monde,  immor- 
talité; La  Primaudaye,  éternité  du  monde;  Duquesnoy  (1575),  déter- 
minisme; Cheffontaines  (1588),  raison  et  foi;  La  Noue  (1587),  les 
épicuriens;  J.  de  l'Espine  fl587),  fidéisme;  Crespet  (1588),  immortalité, 
fidéisme. 

II.  Après  Montaigne  :  Du  Yair  (1594),  Providence,  immortalité;  Cham- 
pagnac  i595),  éternité  du  monde,  immortalité,  contre  l'Apologie  de 
R.  Sebond:  J.  de  Serrres  (1596),  immortalité;  Infandic  Hotman  (1596). 


I 


L'extension  prise  par  le  rationalisme,  et  en  particulier  par 
le  doute  (le  l'immortalité,  (jiii  en  est  la  manifestation  la  plus 
ordinaire,  fait  germer  tout-e  une  littérature  française  d'apo- 
logétique. Déjà  nous  avons  analysé  ceux  de  ces  apologistes 
(j.ui,  en  voulant  défendre  la  religion  en  péril,  se  sont  eux- 
mêmes  écartés  de  l'orthodoxie  et  se  sont  laissés  gagner  en 
partie  j)âr  les  systèmes  qu'ils  voulaient  combattre.  D'autres 
furent  plus  fidèles  et  doutèrent  moins  de  la  cause  qu'ils 
défendaient. 

On  opposa  d'abord  aux  nouveaux  sceptiques  la  foi  des 
anciens,  et  pour  cela  on  réédita  leurs  traités  ^^l  En  1552,  on 
réimprimait  à  Lyon  le  poème  de  Paleario '2>.  L'année  suivante 
(155.S)  Turnèbe  donnait  une  traduction  latine  du  Traité  de  la 

(1)  .Je  ne  me  flatte  pas  de  les  avoir  tous  relevés,  une  pareille  nomenclature  me 
paraissant  infinie    .le  me  suis  borné  à  ceux  que  j'ai  pu  retrouver  de  1552  k  1580 
2)  Di-  liiiiiiorl    (iiihiioriiiii  liliii  III.  Lii^duMi.  1552. 


a?ol::gistes  orthodoxes  4(jl 

Providence  de  Synesios  'i'.  En  1555,  on  donnait,  à  Lyon, 
une  nouvelle  édition  du  De  anima  de  Vives.  En  1557, 
H.  Estienne  procurait  l'édition  princeps  du  traité  dAthena- 
goras  sur  la  Réswreclion  (2),  dont  l'argumentation  toute  basée 
sur  la  raison  et  le  style  d'un  atticisme  élégant  devaient  charmer 
les  humanistes.  L'année  suivante  (1558),  à  Bâle,  en  même 
temps  que  Conrad  Badius  lançait  une  traduction  française  de 
la  Psychopannichie  de  Calvin,  Bischop  le  jeune  réimprimait 
une  traduction  latine  du  Théopliraste  de  Enée  de  Gaza  sur 
l'immortalité  <3).  A  Paris,  la  même  année,  J.  Charpentier 
traduisait  d'italien  en  latin  et  éditait  le  traité  de  R.  Odoni 
sur  iûme  et  sur  l'immortalité  (^'.  On  y  trouvait  accumulés  — 
ce  n'était  pas  nouveau  —  les  avis  de  tous  les  philosophes 
anciens  sur  la  question;  ce  qui  était  alors  plus  rare,  l'auteur 
croyait  pouvoir  affirmer  qu'Aristote  y  avait  cru;  mais  pour- 
tant il  trouvait  la  parole  du  Christ  bien  plus  certaine  que  celle 
d'Aristote  ^^K  En  1559,  Gilles  Gorbin  donnait  une  édition  plus 
portative  et  moins  luxueuse  que  les  précédentes,  bien  loin- 
taines d'ailleurs,  et  devenues  rares,  du  traité  de  Ficin  sur 
l'immortalité  ^^K  On  se  ferait  difficilement  idée  de  la  somme 
d'arguments  mise  en  circulation  par  les  dix-huit  livres  de 
cette  encyclopédie.  En  même  temps,  René  Benoist  rééditait 
le  traité  plus  vaste  encore  de  même  M.  Ficin  sur  la  religion 


(1)  Dans  les  Opuscula  Suvesn,  Paris,  1553,  in-fo. 

(2)  ApoloQia  iro  Chiislianls  et  de  rei^suriecttone  mortuorum.  H.  Estienne,  1557. 

(3)  Theopiwnstus  seu  de  irnivortalitate  animorum,  Jonnue  Ynlpio  interprète, 
Basileae.  apud  Episcopum  juniorem,  1558. 

(4)  Disputatio  de  animo  methodo  jieripatetica,  îitrum  Aristoteli  morlalis  sit.  an 
immortaliii.  E  R.  Odonis  Itali  vernaculls  Latina.  facta  per  Jacob.  Carpenlarinm 
Bellavacum.  Adjectin  eju<:dem  Cnrpentarli  Srholiis.  Parlsiis  ex  typographia  M.  Da- 
vidis,  via  amygdalina  ad  Veritatis  insigne,  1558.  Voici  le  titre  du  traité  d'Odnni  : 
Discorso  di  Rinaldi  Odoni  per  via  peripntetica,  ove  ai  dimostra  se  I'  anima,  s-erovdo 
Arislotele,  e  mortaie,  o  immortale.  Aldus,  venetiis,  MDLVII. 

(5)  P.  43,  conclusion  du  traité. 

(6)  Ttieolof/iii  platonica  de  irnmort.  animorum  lifiri^  XVIII.  Manàlio  F'tiino  ftoren- 
tino  philo.wpho  auctore.  Parisiis.  apud  Aeg.  Gorbinum,  1559.  C'est  l'éditeur,  dans 
sa  préface,  qui  dit  que  l'œuvre  de  Ficin  est  devenue  introuvable. 


462  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

chrétienne  (i).  En  1571  on  réimprimait,  toujours  à  Paris,  la 
réi'uialion  de  Pomponazzi  par  Conlarini  <2).  L'Antholo(jie  de 
Stobée,  réimprimée  à  Anvers  en  1575,  consacre  plusieurs 
chapitres  à  l'inmiortalité,  à  la  création,  à  toutes  les  questions 
qui  préoccupaient  alors  la  philosophie  française.  En  1578, 
enfin,  S.  Goulard  traduisait  et  publiait,  à  Lausanne,  le  traité 
de  la  Providence  de  Théodorel  (3)  ;  tandis  qu'en  1582  le  pasteur 
M.  Bérauld  traduisait  en  français  le  traité  d'Athénagoras  dont 
nous  avons  déjà  signalé  la  première  édition  en  1557  *^'. 

Je  n'oserais  faire  de  E.  Pasquier  un  apologiste  chrétien,  et 
pourtant  il  écrivait  en  1554  une  lettre  qui  semble  une  disser- 
tation contre  l'averroïsme  de  Cardan.  Il  y  examine  «  si  la 
temperie  du  ciel  produit  les  gens  doctes  en  certains  pays  '^'  ». 
«  Ostez,  je  vous  prie,  de  vostre  teste,  écrit-il  au  chevalier 
de  Montereau,  ceste  folle  persuasion  que  la  temperie  du  ciel 
rende  lés  gens  plus  ou  moins  doctes,  comme  s'il  y  avoil  certains 
pays  ausquels  les  bonnes  lettres  fussent  plus  affectées  qu'aux 
autres  ».  Il  admettrait  une  certaine  influence  du  climat  sur 
le  développement  des  vertus  et  des  vices,  mais  pour  les 
sciences,  ((  c'est  tout  un  autre  discours  ».  N'ont-elles  pas  fleuri 
tour  à  tour  en  Grèce,  à  Rome,  en  Italie,  en  Allemagne,  en 
France,  et  dans  ces  mêmes  pays  n'ont-elles  pas  alterné  avec 
la  plus  noire  barbarie  ?  «  C'est  donc  l'exercice  et  la  vigilance 
que  l'on  y  apporte,  et  non  le  naturel  des  contrées,  qui  nous 
rend  doctes  ».  La  gloire  littéraire  alterne  avec  la  gloire  mili- 


(1)  M.  Ficini  Florentini,  summi  et  iiMlosophl  et  theolof/î,  de  religione  ehrlsttana. 
opus  plane  divinum  cl  huic  nostro  saeculo  pernecessarium.  HU  liber  redditua  est 
printino  suo  nitori  et...  inultum  locupletatus.  G.  Guillard.  1559.  in-4o.  Ce  livre  fut 
traduit  en  français  en  157S  par  Lefèvre  de  la  Bcxlerie,  Sur  René  Benolst,  voir 
l'ouvrage  de  M.  Pasquier,  li.  Benolst,  le  pape  des  Halles,  Angers,  1914. 

(2)  Contnrtm  de  immortalitate  animœ  adversns  Pomponatium,  apud  Seb.  Nivel- 
lium,  sub  Ciconils,  in  via,  Jacobea,  Parislis,  1571. 

(3)  Dix  livres  de  Theodorel  touchant  la  Providence  de  Dieu.  Trad  du  grec  en 
français,  Lausanne,  1578,  in-8o. 

(4)  Atheuayoras  d'Athènes,  philosophe  chrestien,  touchant  la  résurrection  des 
morts,  avec  une  préface  du  traducteur  contenant  certains  advertissements  néces- 
saires, nouvellement  traduit  du  grec  en  finançais  par  M.  Bérauld,  Montauban.  par 
Ch.  Rabier,  1582,  In-S».  Sur  M.  Bérauld,  voir  Fr.  Protestt ,  II,  p.  304  et  suiv. 

(5)  Lettres,  I.  5,  éd.  d'Amsterdam,  1723,  t.  II,  p.  9. 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  i(33 

taire.  Les  lettres  fioi'issenl  dans  les  républiques  prospères  et 
déclinent  avec  elles. 

Pasquier  se  place  à  un  point  de  vue  un  peu  spécial,  mais 
sa  lettre  suffit  à  montrer  que  les  idées  de  Cardan  se  sont  rapi- 
dement répandues.  Au  reste,  trois  ans  plus  tard,  Scaliger 
publiait  un  volume  entier  contre  Cardan  (i'. 

En  1556,  Jean  de  Neufville  attaquait  les  <(  athées  »  dans  une 
violente  diatribe  :  De  pulchvitudine  animi  libvi  quinque.  In 
Epicureos  et  Atheos  homines  huius  secHW-^K  C'est  le  livre 
d'un  moraliste  chagrin  plutôt  que  d'un  métaphysicien.  Il  est 
d'inspiration  platonicienne.  Dans  les  deux  premiers  livres, 
l'auteur  nous  entasse  les  sentences  des  philosophes  et  poètes 
anciens  de  l'école  de  Platon,  sur  la  beauté  et  la  laideur  de 
l'Ame,  sa  substance,  son  immortalité  ;  sur  Dieu  (I"  livre), 
sur  le  beau  et  le  bien  (IP  livre).  Les  IV  et  V^  livres  consi- 
dèrent les  mêmes  problèmes  au  point  de  vue  théologique.  La 
composition  est  assez  lâche;  le  seul  mérite  de  ces  chapitres 
est  leur  brièveté,  et  l'érudition  de  l'auteur;  il  sait  le  grec  et 
cite  souvent  ses  auteurs  dans  leur  langue. 

Mais  si  la  valeur  apologétique  du  volume  est  mince,  il  nous 
est,  à  cette  date,  un  document  intéressant  pour  constater  la 
montée  de  l'irréligion.  La  préface  le  signale  :  ((  J'ai  été  aussi 
porté  à  écrire  un  livre  pour  la  multitude,  grandissant  de  jour 
en  jour,  des  épicuriens  et  des  athées  de  ce  siècle  ».  Il  va 
essayer  de  les  réfuter  non  seulement  par  les  saintes  lettres 
mais  «  par  les  pensées  des  philosophes  païens  qui  n'ont  pas 
eu  la  lumière  de  l'Evangile  (3)  ». 

C'est  qu'il  a  bien  senti  la  vraie  difficulté;  on  a  retourné 
contre  l'Evangile  son  appui  traditionnel,  Aristote;  et  il  cherche, 

(1)  J.  C.  Scaligerii  Exotericarum  exerritalionum  liber  ado.  Ubrutn  de  subtllitate, 
ad  Hieron.  Cardanum,  Paris,  Vascosan,  1557. 

(2)  Joannis  yeoviliei  GenuiUaui  de  pulchritudine....  secuU.  Ad  Nicolaum  Lctha- 
ringum  comitem  Valrtemontanum.  Parislis,  apud  Galeotum  a  Prato...,  anno  1556, 
285  p.  Le  privilège  qualifie  Jean  de  Neufville  de  "  licencié  en  loix,  Prieur  commen- 
dataire  de  Sainct  Christophe  de  Vie  >>. 

(3)  Préface. 


4(34  JLE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

lui  aussi,  dans  Platon  une  autorité  à  opposer  au  nouvel  héré- 
tique. Cela  est  très  visible  surtout  dans  le  IIP  livre  de  l'ouvrage 
où  il  attacjue  de  Iront  les  disciples  des  padouans,  en  leur  repro- 
chant d'abuser  d'Arislote.  «  Bien  que  la  secte  des  épicuriens  soit 
de  toutes  les  sectes  la  j)lus  pernicieuse,  elle  a  pourtant  un 
certain  soutien  dans  Aristote  sur  qui  elle  essaie  de  s'appuyer  et 
de  s'affermir  (1).  Ils  accusent  Aristote  d'être  athée,  d'avoir  nié 
l'immortalité,  le  libi'e  arbitre,  et  la  Providence,  en  soumettant 
au  Destin  des  stoïciens  tout  ce  qui  est  sublunaire  <2'  ».  Neufville 
reprend  une  à  une  ces  accusations,  proteste  qu' Aristote  a 
souvent  parlé  de  Dieu,  maître  du  monde,  de  l'entéléchie,  et 
à  ce  propos  il  accuse  Alexandre  d'Aphrodisias  et  Averroès 
d'avoir  corrompu  la  pensée  du  maître  et  discute  longtemps 
sur  le  sens  du  mot  hxùlytict.  ^^'.  Pour  le  laUim,  il  reconnaît 
qu'Aristote  présente  quelque  obscurité,  mais  soutient,  avec 
les  platoniciens,  Averroès  et  Bessarion,  que  la  liberté  humaine 
et.  dans  le  monde,  les  êtres  sublunaires,  sont  soustraits  à  son 
influence  <^'.  La  discussion  révèle  un  esprit  assez  superficiel, 
mais  la  manière  franche  dont  il  pose  la  question  et  la  nature 
des  problèmes  qu'il  étudie,  nous  montrent  que  l'aristolélisme 
était  bien  le  vrai  danger  pour  l'orthodoxie. 

Il  a  bien  vu  aussi  que  si  l'on  n'arrivait  pas  à  concilier  la 
raison  et  la  foi,  tout  un  groupe  d'esprits  demeureraient  à  jamais 
fermés  à  des  vérités  non  démontrables,  et,  dans  son  pédan- 
tisme  biblique,  il  leur  applique  la  dénomination  que  Jérémie 
et  Ezéchiel  avaient  donnée  à  l'âme  pécheresse  :  anima  mens- 
Iriiata.  x  On  peut,  dit-il,  appeler  ainsi...  celle  qui  donne  plus 
d'autorité  à  la  vaine  et  pestilentielle  philosophie  (pi'à  la  parole 
de  Dieu  '^'  ».  L'expression  assez  nette  est  affaiblie  par  le  con- 
texte, au  point  de  pouvoir  s'appliquer  aux  hérétiques  presque 


(1    hr  inilchril.  nniin..  p.  169. 
(2)   P.   170 
l3)   P.   170-178. 
(4)   P.  lsTi-193. 

i')'  IV.  VIII,  fin.  p    219-220  :  «  qu*  plus  vanse  pestilcnti(iiie  pliilosophi.e  tribuit 
qu.Tm  verbo  Del  ». 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  465 

autant  qu'aux  rationalistes.  Dans  une  autre  page  cependant, 
il  me  semble  viser  spécialement  Cardan  et  les  averroïsles, 
en  opposant  leur  doctrine  sur  l'âme  à  celle  de  Platon,  qu'il 
essaie  d'expliquer  chrétiennement.  «  Mais,  conlinue-t-il,  ni 
cette  union  future  de  nos  âmes  avec  Dieu  par  l'intermédiaire 
de  Jésus-Christ,  ni  ce  retour,  que  j'explique,  des  esprits  à  l'âme 
du  Tout,  ne  me  paraissent  bien  compris  par  ces  philosophas- 
tres,  pour  ne  pas  dire  par  ces  épicuriens  et  athées,  qui  rêvent 
je  ne  sais  quelle  nouvelle  âme  du  Tout  animant  l'univers  et 
dont  nos  âmes  particulières  sont  comme  des  rayons  consubs- 
tantiels  ou  des  étincelles-  Ni  Pythagore,  ni  Platon,  ni  les 
autres  philosophes,  n'ont  jamais  imaginé  rien  de  tel  ^^^  ». 

Mais  Jean  de  Neufville  sait  mieux  insulter  ses  adversaires 
que  les  convaincre.  Tous  ses  chapitres  se  terminent  par  des 
invectives  aux  athées  et  épicuriens  de  son  temps,  et  souvent 
l'indignation  l'emporte  au  beau  milieu  de  ses  développements. 
((  Si  ces  épicuriens  et  porcs  avaient  encore  une  miette  de 
raison,  ils  rougiraient  des  raisons  et  des  témoignages  de  tant 
de  philosophes  païens  et  reviendraient  à  la  voie  de  la  vérité. 
Mais  surtout,  les  athées  de  notre  temps  rougiraient,  qui  non 
seulement  nient  l'existence  de  Dieu  avec  Diagoras  de  Milet  et 
Théodore  de  Cyrène  (^\  mais,  avec  Dicéarque  et  Aristoxène, 
croient  l'âme  mortelle,  tellement  ils  sont  aveuglés  par  leurs 
mœurs  de  brutes,  la  volupté  immonde  de  la  chair  et  l'habitude 
du  péché  (3)  ».  Il  y  a  des  pages  entières  et  fréquentes,  de  ce 
ton,  il  y  en  a  tant  que  je  m'excuse  de  n'en  pas  citer  davan- 
tage ^^K 

J.  Charpentier,  bien  qu'il  ait  défendu  Aristote  contre 
Ramus,  montre  aussi  dans  la  préface  de  la  traduction  d'Odoni, 
dont  j'ai   parlé  plus   haut   (1558),    une    certaine   défiance   à 


(1)  De  pulchrit.  animœ.  I,  IV,  p.  29-30. 

d)  Les  deux  premiers  noms  sont  pris  au  De  Nattira  Deoriim  (I.  1  ou  I,  23);  les 
deux  seconds  aux  Tusculavef:  (I,  10),  oii  ils  sont  réunis  et  leur  doctrine  sur  l'âme 
caractérisée 

(3)  I,  III,  début,  p.  16-17. 

(4)  Voir  pages  2,  16,  17,  29,  30,  45-46,  71,  84,  125,  127,  138,  195,  197,  248.  etc. 

30 


406  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

l'égard  de  raristotelisine  :  <(  Si  les  fondements  de  notre  reli- 
gion étaient  encore  à  poser,  dit-il,  ou  qu'il  fallût  chercher 
quelque  raison  à  notre  foi,  je  serais  volontiers  de  l'avis 
d'hommes  très  pieux  et  très  savants,  qui  ont  estimé  que,  non 
seulement  sur  cette  question  de  rimmortalité,  mais  sur  l'en- 
semble de  sa  philosophie  naturelle,  la  doctrine  d'Aristote  ne 
doit  être  acceptée  qu'avec  précautions  :  car  cest  à  peine 
—  et  encore  «  à  peine  »  est  trop  dire  —  c'est  à  peine,  donc, 
si  on  acquiert  la  sagesse  divine  enseignée  dans  nos  saints 
livres,  en-sappuyant  sur  cette  sagesse  humaine;  et  celui-là 
sera  un  mauvais  disciple  pour  la  sagesse  divine,  qui  verra 
dans  les  principes  de  l'aristotélisme  la  source  de  la  vérité. 
Mais  puisque  la  foi  est  assurée  sur  ses  fondements,  on  peut 
sans  danger  examiner  ce  qu'Aristote,  que  les  anciens  tenaient 
pour  un  génie,  a  pu  découvrir  par  la  lumière  naturelle  ».  On 
verra  alors  «  non  seulement  chez  lui,  mais  chez  tous  les 
anciens  philosophes,  les  plu's  laborieuses  recherches  unies 
aux  esprits  les  plus  faibles;  on  sentira  de  ce  fait  les  dogmes 
fortifiés  d'une  façon  incroyable  et  on  rendra  grâce  au  Christ 
très  bon  et  très  grand  (jui  en  est  l'auteur  (i)  ». 

Voici  maintenant  un  vieux  magistrat  qui  a  consacré  la  fin 
de  sa  vie  à  lutter  contre  les  athées  et  dont  le  livre  principal 
porte  aussi  un  titre  bien  provocateur  :  VAlhéomachie  de  Charles 
de  Bourgueville  '^^K  Né  à  Caen,  le  6  mars  1504,  il  y  fit  ses 
études  et  y  passa  toute  sa  vie  en  qualité  de  lieutenant  du 
Vicomte  de  Caen,  puis  de  Lieutenant  particulier  du  Bailly, 
enfin  de  Lieutenant  général,  vers  1568.  Il  avait  seulement 
voyagé  un  peu  entre  1535-1540.  étant  entré  fiuelque  temps  au 


(1)  Disputatio  de  animo...,  préface,  A'J.  L'arist^télismo  est  toujours  le  grand 
danger.  En  1557,  le  franciscain  François  Tit-elman  avait  publié  à  Paris  un  traité 
de  philosophie  naturelle  pour  expliquer  chrétiennement  Arist^ot»'  et  le  rectifier  au 
besoin  :  Comiiendium  i>liilosrji)hix  7i(itiuriili<.  sive  de  roiiflilrnitioiie  reniin  natii- 
ralium.  earumque  ad  .-u»w  creatorem  redurtiohem.  libri  XII.  Parisiis.  1557;  Lug- 
dunl,  1596,  apud  Vincentium.  Sur  cet  auteur,  voir  liiMiolh  (oinicinorum.  p.  107. 
Il  a  beaucoup  écrit  et  en  particulier  sur  la  dialectique  d'Aristote. 

(2)  L' Alhéomachie  et  discours  de  l'humortaUté  de  l'dme  et  résurrection  des  corps, 
par  Cil.  de  BouronevUle  de  Caev.  A  Paris,  chez  Martin  Le  Jeune,  156/i. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  467 

service  du  roi  François  I"  qui  lui  lit  voir  «  une  grande  partie 
de  la  France  ».  Sur  ses  vieux  jours  il  se  relira  en  faveur 
de  son  gendre  Jean  Vauquelin  de  la  Fresnaye  ^^',  le  poète  bien 
connu.  Il  mourut  en  1593  (-'.  Belleforest  dans  sa  Cosmographie 
nous  le  repi'ésente  comme  «  docte,  rare  seigneur,  homme  bien 
mérité  du  bien  public,  autant  digne  de  sa  charge  et  entier  en 
lexecution  d'icelle  que  juge  qui  soit  en  ce  royaume  '3)  )>. 

h'Athéomachie  est  précédée  de  plusieurs  pièces  liminaires. 
La  première  est  une  épître  de  Vauquelin  de  la  Fresnaye, 
de  200  vers  environ.  Il  félicite  son  beau-père  de  s'être  retiré 
du  barreau  pour  écrire  ce  livre,  aborde  quelques  questions 
philosophiques,  l'existence  de  Dieu  et  l'immortalité,  dont  il 
donne  pour  gage,  de  la  première.  Tordre  du  monde,  de  la 
seconde,  la  Révélation.  Il  semble  donc  bien  que  lui  aussi 
renonce  à  prouver  cette  dernière  par  la  raison.  Naturellement, 
il  rapporte  à  son  tour  les  opinions  des  anciens  sur  la  nature 
de  l'âme  et  la  liste  de  prodiges  d'intelligence  accomplis  par 
l'homme.  Vient  ensuite  un  sonnet  de  Guy  Le  Fèvre  de  la 
Boderie  contre  les  athées  sans  grande  originalité,  même  pour 
l'image  finale,  courante  alors  : 

Mais  lielas  !  des  Géants  la  race  dépravée, 
Qui  porte  indignement  sasemblance  engravée. 
En  redressant  Babel,  mesle  la  terre  aux  cieiix 

Une  épître  de  35  vers,  signée  G.  P.,  un  sonnet  de  R.  Grimoult 
d'Acqueville.   une  anagramme  de  Léon  Blondel  de  Baveux. 


(1)  Avait  épousé  Anne  de  Bourgueville  en  '559,  dont  il  eut  X.  Vauquelin  des 
Yveteaux  (1567  1649).  le  célèbre  épicurien  (voir  Lachèvre,  Bibl.  de  I600-I6i6,  p,  173- 
17j).  Ch.  de  Bourgueville  était  marié  en  deuxième  noc*s  avec  Philippine  du  Buis- 
son, qui  lui  donna  sept  fils  et  sept  flUes.  Sa  flUe  Anne  est  l'aînée. 

(2)  Sur  sa  vie.  voir  Huet,  Origines  de  la  ville  de  Caen,  ch.  XXIV.  p.  345-346.  et 
DU  Verdier,  Bihl.,  I,  p.  295. 

(3)  Cité  par  Huet  qui  fait  aussi  l'éloge  de  son  caractère,  loc.  cit.  Le  Fèvre  de  la 
Boderie  lui  consacre,  ainsi  qu'à  sa  famille,  plusieurs  pièces  de  vers  'cf.  Recueil  de 
vers  qui  fait  .suite  à  VEncijcIie  de  cet  auteur). 


468  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

sont  sans  intérêt.  Puis  le  même  Blondel  en  une  pièce  de 
21  strophes  de  6  vers  s'essaie  à  refaire  l'histoire  de  l'athéisme . 
L'impie 

discourt  d'une  Ame  impure 

L'infinité  de  Nature 

Et  dict  qu'il  n'est  autre  Dieu. 


Du  blasphème  de  sa  bouclie 
Alaintz  foibles  espiitz  il  touche...  (D. 

Enlin  Gilles  Bigot,  docteur  en  théologie,  d'Avranches,  dans 
une  lettre  latine  datée  de  1562,  félicite  Bourgueville  de  sou 
travail.  Il  ne  croit  pas  qu'il  y  ait  beaucoup  de  véritables 
athées,  mais  il  rappelle  cependant  que  les  grecs  ont  connu 
cette  monstruosité  et  que  c'est  des  grecs  aussi  que  sont  venues 
les  hérésies,  môme  modernes-  Et  pour  finir,  il  résume  les 
raisons  de  croire  à  l'immortalité.  Bourgueville,  dans  le  proème, 
semble  lui  répondre  :  lui  non  plus  ne  croyait  pas  qu'il  y  eût 
des  athées,  mais  ses  fonctions  de  juge  lui  en  ont  révélé  plu- 
sieui^  ^^K 

Au  début  de  V Alhêomachie,  Charles  de  Bourgueville  expose 
la  situation  religieuse  de  la  France  vers  1560.  Il  distingue  : 
1°)  les  Naturalistes,  «  vrays  atheistes...  ne  recoignoissans  le 
Dieu  Eternel  »  2°)  Ceux  qui  nient  V immortalité,  comme  un 
grand  nombre  de  grecs  et  de  latins,  <(  et  de  ce  temps  Pomponat, 
lequel  fut  assez  audacieux  de  disputer  et  soutenir  tel  erreur 
devant  personne  d'authorité  en  l'Eglise  »  3°)  Les  anabaptistes^ 
qui  ne  nient  pas  l'immortahté,  mais  soutiennent  que  l'âme 
dort  jusqu'au  jugement  universel  ^3)  l^  discussion  comprend 
trois  étapes  :  les  raisons  naturelles,  .l'autorité  des  païens,  les 


(1)  Athéomachte,  feuiU.  lira.  C'-C^. 

(2)  Le  proème  est  daté  du  6  juiUet  15(»3.  Le  témoignage  de  Bourgueville  concorde 
donc  avec  celui  de  Viret.  Voir  chap.  XVI,  début. 

(3)  Alhémnachle,  p.  6-8.  On  comprendra  que  nous  ne  reprenions  pas  le  détail  des 
arguments  et  des  auteurs  cités  par  Bourgueville,  pas  plus  que  pour  les  traités  qui 
suivront  et  dont  quelque-  uns  sont  très  volumineux.  Ils  se  répètent  tous.  Nous  n'y 
cherchons  que  ce  qui  peut  éclairer  l'histoire  du  rationalisme 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  469 

textes  des  Ecritures.  La  première  partie  est  surtout  une  réfu- 
tation des  nombreuses  objections  faites  à  l'existence  de  Dieu 
et  à  l'immortalité  :  le  principe  péripatéticien  nihil  ex  nihilo, 
au  nom  duquel  on  nie  la  création;  la  ressemblance  des  animaux 
avec  l'homme;  la  conception  matérialiste  d'Aristoxène  selon 
lequel  la  matière  produit  la  pensée  «  ainsi  que  es  espinettes, 
lutz  et  autres  inslrmiientz,  par  le  mouvement  des  cordes,  se 
faict  un  son  ou  resonnance  que  l'on  appelle  harmonie  »  me 
semblent  les  plus  intéressantes  de  ces  «  objections  »(^'.  La 
deuxième  partie  est  une  compilation  de  tous  les  philosophes, 
historiens,  poètes  de  l'antiquité,  qui  viennent  tour  à  tour 
déposer  en  faveur  de  l'immortalité,  depuis  Mercure  Trismégiste 
à  Lactance  (-',  de  Hérodote  à  Xénophon,  et  même  à  «  Darès 
Frigian  '3'  »,  depuis  Orphée  à  Ovide  et  Lucain.  Après  cette 
énumération,  Bourgueville  reprend  les  preuves  platoniciennes 
de  l'immortalité  et  conclut  contre  Pomponazzi  ^'^)  :  «  Et  si  quel- 
que lucretian,  lucienniste,  épicurien,  ou  atheiste  réplique,  que 
vertu  est  la  fin  et  le  loyer  d'elle-mesme,  on  peult  leur  résister 
et  dire  :  que  vertu  gist  en  acte  et  que  tout  acte  est  mouvement, 
et  que  si  tout  mouvement  tend  naturellement  à  repos,  il  fault 
nécessairement  juger  que  pour  ne  se  reposer  jamais  la  vertu, 
elle  n'est  la  fin  ne  le  loyer  d'elle-mesme  ».  La  troisième  série 
d'arguments  se  compose  d'une  liste  très  longue  des  textes 
de  l'Ecriture  où  il  est  question  de  l'immortalité.  Il  attaque,  en 
passant,  l'hérésie  des  augustiniens  ^^K 

S'il  a  remis  à  donner  ces  arguments  à  la  fm,  c'est  qu'il 
connaît  le  dédain  qu'en  font  les  rationalistes  et  le  peu  d'autorité 
qu'ils  leur  prêtent.  La  page  est  fort  curieuse  à  cette  date.  Il 
entend  leurs  objections  :  «  Nous  ne  scavons  si  telz  livres  sont 
Escripture  saincte,  et  n'avons  veu  advenir  ce  qui  y  est  contenu, 

(1)  Il  y  en  a  onze  en  tout,  p.  11  à  31.  L'exposé  du  système  d'Aristoxène  semble 
pris  aux  Tusculanes,  I,  10,  18,  22. 

(2)  P.  50-68.  Notons  qu'il  n'insiste  pas  sur  Aristote. 

(3)  Sur  Darès  le  Phrygien  et  sa  popularité  dans  le  moyen  âge  et  la  Renaissance, 
voir  Mémoires  de  M.  et  J.  du  Bellay,  IV,  348-349,  note.  Il  a  été  traduit  par 
Bourgueville. 

(4)  PoMPON.\zzi,  De  Anima,  XIV,  p.  120;  Athéomachie,  p.  71. 

(3)  Athéomachie,  p.  76  et  suiv.  Sur  les  anabaptistes  qui  «  ne  mescognoissent  du 
tout  l'Immortalité  de  l'Ame,  mais  dogmatisent  qu'elle  dort  jusques  au  gênerai 
jugement  »,  p.  109-111. 


470  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

nous  ne  sommes  lenuz  de  les  croire  :  ce  sont  hoiunies  tjiii  lés 
ont  faietz,  voire  et  y  a  des  choses  tant  difliciles  à  croire, 
qu'elles  semblent  impossibles  :  ainsi  qu'aux  livres  d'un 
l'Ancelot  du  Lac,  Perceforest,  Roland,  Ogier,  Amadis  de 
Gaule,  ou  autres  chevaliers  errantz,  mesmes  aux  poètes.  Les- 
quelz  hvres  sont  seulement  faietz  pour  la  récréation  de  ceux 
qui  les  veulent  lire  :  et  ne  sçavons  si  ceulx  dont  mention  est 
faicte  ausdictz  livres  de  notre  escripture  saincte  ont  esté  :  et 
si  ne  sommes  tenuz  de  les  croire,  non  plus  que  les  autres 
histoires.  Mesmes  qu'en  le  contenu  esdictz  livres,  ne  sont  que 
certaines  autoritez,  deduictes  ainsi  qu'il  a  pieu  à  ceulx  qui 
les  ont  faietz,  et  du  contenu  ausquelz  ne  se  manifeste  de  pré- 
sent aucune  expérience  :  disantz  qu'il  est  autrement  des  livres 
des  philosophes,  qui  donnent  tousjours  raison  de  leur  dire, 
et  de  leur  quel  dire  s'ensuit  un  effect  et  une  expérience  cer- 
taine, spécialement  aux  livres  et  sciences  mathématiques. 
O  inique,  dépravée  et  infidèle  opinion,  de  comparer  escripture 
tant  précieuse  aux  livres  prophanes  (i)  »  !  Cette  page  éclaire 
toute  une  époque  :  ce  n'est  plus  seulement  les  argumentations 
des  philosophes  qui  se  dressent  contre  la  foi,  mais  la  nature 
même  des  matières  de  foi,  qui  apparaît  aux  contemporains  de 
Bourgueville  inconciliable  avec  la  raison,  l'expérience  et  le 
bon  sens. 

Ceux  qui  professent  sur  l'autorité  de  l'Ecriture  sainte  les 
doctrines  que  nous  venons  de  lire  dans  le  livre  de  Bourgueville 
ne  sont  plus  des  chrétiens.  Ils  ont  dépassé  la  position  prise  par 
les  rationalistes  padouans  et  rejoignent  ceux  que  nous  avons 
appelés  les  «  achrisles  »,  qui  rejettent  la  Révélation.  C'est 
contre  ces  mêmes  incrédules  que  Viret  a  écrit,  dans  ce  même 
lempsi,  son  Insinu  lion  chrclieiine.  Le  2*  volume,  le  seul  que 
je  doive  étudier,  est  de  L564.  Dans  la  préface,  datée  de  1563, 
Viret  dénonce  les  athées  avec  beaucoup  de  netteté  <2);  mais  il 

(1)  Atlii-onidchie.  p.  33. 

2)  Voir  cette  préfarc  plu*^  loin  au  df^biit  (3u  chap    XVI 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  471 

n"a  pas  eu  le  loisir  ou  le  temps  d'écrire  le  3'  volume  de  son 
gigantesque  ouvrage,  (pii  aurait  contenu,  15  ans  avant  les 
traités  de  Plessis  Mornay  et  de  Pacard,  l'exposé  et  la  réfutation 
des  doctrines  anti-chrétiennes  *i).  En  sorte  que  nous  n'avons 
de  son  œuvre  que  la  partie  qui  vise  les  rationalistes  les  moins 
avancés  :  les  disciples  des  padouans. 

Le  volume  se  divise  en  24  dialogues,  dont  un  traite  de  Dieu 
(ch.  5),  deux  de  la  création  (ch.  6,  7),  et  un  de  l'âme  (ch.  24). 
Le  reste  de  l'énorme  in-folio  est  une  encyclopédie,  où  le  savant 
pasteur  a  entassé  pêle-mêie  tout  ce  qu'il  sait  sur  les  choses 
créées  et  particulièrement  sur  l'homme,  et  aussi  ses  griefs 
contre  l'Eglise  romaine.  II  serait  difficile  de  trouver  dans  un 
même  livre  plus  de  variété  et  moins  d'ordre. 

Viret  ne  s'attarde  pas  à  prouver  l'existence  de  Dieu;  en 
revanche  il  consacre  10  pages  à  la  Trinité  '2).  Puis  il  s'attaque 
aux  philosophes  à  propos  de  la  Providence  :  «  ils  disent 
qu'il  n'y  a  aucune  providence  en  luy,  c'est  à  dire  qu'ils  estiment 
Dieu,  comme  s'il  estoit  oiseux,  et  comme  s'il  avoit  aucun 
soin  de  ses  créatures  pour  les  gouverner  ».  A  ce  compte  les 
philosophes  croient  Dieu  «  plus  inhumain  et  plus  cruel  que 
la  povre  rihaude  qui  vint  au  jugement  de  Salomon  :  voire  que 
les  chiens,  les  loups,  les  lions,  les  serpens  et  toute  les  bestes 
sauvages  et  venimeuses  ».  «  Les  chrestiens  ne  cognoissent 
point  de  tel  Dieu  mais  le  laissent  aux  Epicuriens  et  aux 
atheistes  '^l  ». 

La  Providence,   ils  la  remplacent  par  la  nature.   Mais  la 


(1)  Rappelons  que  Pacajd  a  donné  comme  titre  général  à  son  ouvrage  :  Instruc- 
tion chrestienne  en  la  doctrine  de  la  loy  et  de  l'Evangile.  Le  premier  volume  a  pour 
titre  :  Briefs  et  divers  sommaires  et  catéchismes  de  la  doctrine  clirestienne.  Le 
second  est  intitulé  :  Exposition  de  la  doctrine  de  la  foy  chrestienne.  Ils  parurent 
en  1564  à  Genève  chez  Jean  Rivery.  Le  second,  que  j'étudie  ici,  est  un  énorme  in-fo 
de  904  pages  :  on  en  trouvera  le  titre  entier  à  la  Bibliographie.  Pour  le  contenu 
du  premier  volume,  les  détails  sur  la  comix)sition  de  cet  ouvrage  et  le  titre  du 
troisième,  voir  barnaud,  P.  Viret,  p.  693-694. 

(2)  Dial.  V,  p.  67-78.  —  A  propos  de  la  Trinité,  il  effleure  la  question  de  la  divinité 
de  Jésus  et  proteste  contre  ceux  qui  l'assimilent  à  l'apothéose  des  dieu.x  païens 
par  les  poètes  :  «  car  ils  leur  ont  baillé  les  noms  des  hommes  mortels  et  ont  pris 
des  hommes  morts  pour  leurs  dieux  »  {Dialogue  V.  p.  69). 

(3)  Dial    V,  p.  78. 


472  LE   RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

nature  n'a  point  pour  l'homme  les  attentions  maternelles  de 
Dieu.  Elle  est  inflexible  et  Dieu  lui-même  ne  peut  briser  la 
régularité  de  ses  lois  par  un  miracle  :  «  Dieu  a  mis  un  certain 
ordre  naturel  entre  ses  créatures  qui  ne  peut  estre  changé,  mais 
est  nécessaire  que  toutes  choses  adviennent  selon  cet  ordre 
qu'il  a  une  fois  ordonné  dès  le  commencement...  Ils  obligent 
et  lienl  tellement  Dieu  (qui  est  la  première  cause  de  tout  et 
la  cause  des  causes)  aux  causes  secondes  et  à  ses  créatures... 
qu'ils  luy  ostent  toute  puissance  d'y  changer  rien  puis  après... 
Cet  erreur  est  venu  de  l'escole  des  stoïciens  et  des  autres  sem- 
blables philosophes  '^'  ». 

Contre  ces  hérésies,  Viret  n'invoque  que  l'Ecriture.  Il  pro- 
teste qu'il  ne  veut  point  parler  en  «  philosophe  naturel  »,  mais 
en  théologien  ^~\  et  se  contente  de  dénoncer  à  nouveau  les 
épicuriens  et  les  stoïciens,  en  y  joignant  les  péripatéticiens 
sur  l'article  de  l'éternité  du  monde  :  ((  Si  nous  croyons  que 
Dieu  est  créateur  du  ciel  et  de  la  terre  comme  nous  le  con- 
fessons, cela  nous  doit  garder  de  tomber  en  tous  les  erreurs 
qui  ont  esté  tant  entre  les  philosophes  païens  qu'entre  les 
anciens  hérétiques,  touchant  la  création  et  les  commencemens 
de  toutes  choses,  et  touchant  la  providence  de  Dieu.  Il  nous 
devra  pour  le  moins  garder  de  tomber  en  l'erreiu-...  des  Epi- 
curiens abbestis  qui  nient  la  providence  de  Dieu  :  et  de  tomber 
semblablement  en  l'erreur  de  ces  pauvres  philosophes  nommez 
stoïciens,  qui  lient  et  assujettisent  Dieu  à  nature  et  aux  causes 
qu'ils  appellent  secondes...;  mais  aussi  de  tomber  en  celui  des 
Péripatéticiens  et  semblables  philosophes  enragez  qui  ont  tenu 
et  affermé  que  le  monde  estoit  éternel,  et  qu'il  n'avoit  point 
esté  créé  :  qui  est  une  doctrine  pour  renverser  tout  l'ordre  de 
Dieu,  loulc  religion  et  tout  bien  (3)  ». 

Mais   la    grande   question,    pour   Viret   comme   pour   tout 


(1)  Dial    V.  n.  SO 

(2)  Dial.  Yl.  p.   135 

(3)  P.  86. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  473 

le  WI''  siècle,  c'est  l'immortalilé.  Il  consacre  90  pages 
in-folio  '^)  à  étudier  l'origine  et  la  destinée  de  lame. 

Le  fondement  de  toute  religion,  c'est  la  croyance  à  l'immor- 
talité *-',  et  la  première  raison  de  croire  à  l'immortalité,  c'est 
que  l'ensemble  des  hommes  l'admettent  (3).  Toutefois  certains 
s'en  font  une  idée  fausse,  Viret  nous  révèle  là  une  chose 
curieuse  :  c'est  qu'en  1564  il  y  avait  des  gens  qui  croyaient, 
sincèrement,  semble-t-il,  à  la  transmigration  pythagori- 
cienne (^'.  La  Renaissance  aura  tout  connu,  et  jamais  un  tel 
bouillonnement  d'idées  ni  une  telle  reviviscence  de  systèmes 
n'agita  l'âme  française.  Il  y  a,  dit  Viret,  des  pythagoriciens 
parmi  les  chrétiens;  «  il  y  en  a  mesme  qui  sont  docteurs  et 
qui  lisent  parmi  les  universitez,  les  quels  ne  tiennent  pas  ceste 
opinion  si  secrelte  entre  eux  qu'ils  n'en  facent  assez  manifes- 
tement profession  pour  le  moins  entre  leurs  escholiers  et  fami- 
liers. Il  y  en  a  aussi  qui  se  vantent  de  la  cognoissance  de  beau- 
coup de  langues  et  d'avoir  remué  beaucoup  d'anliquitez,  les- 
quels mesme  en  ont  déclaré  leur  opinion  par  livres  qu'ils  ont 
escrils  :  et  se  font  à  croire  et  veulent  faire  à  croire  aux  autres 
avec  eux,  que  leur  ame  est  celle  mesme  de  plusieurs  grands 
personnages  et  fort  renommés  qui  ont  jadis  vescu  au  monde 
et  qu'elle  a  déjà  passé  par  plusieurs  excellents  corps  qui  ont 
fait  de  grandes  choses,  comme  ils  se  promettent  aussi  qu'ils 
en  feront  de  grandes,  puisqu'ils  ont  celle  mesme  (^'  ». 

Philippe  (le  docteur  du  dialogue)  rappelle  ensuite  à  son 
disciple  Nathanael  que  N.  S.  à  plusieurs  reprises  a  proclamé 
l'immortalité;  mais  «  pource  que  les  épicuriens  et  les  atheistes 
se  moquent  »  de  la  parole  de  Dieu,  il  apporte  des  arguments 

(1)  Dial.  XXIV,  p.  813  à  903.  Il  faut  en  retrancher  cependant  quelques  pages  contre 
le  purgatoire.  -Te  ne  relève  pas  sa  discussion  sur  l'origine  et  la  nature  de  l'âme 
qui  n'a  pas  d'intérêt;  .je  signalerai  seulement  qu'il  attaque  Galien  i>arce  qu'il  fait 
consister  l'âme  nutritive  et  l'âme  sensitive  en  esprits  vitaux  et  animaux.  Il  reproche 
à  Aristote  de  professer  la  même  théorie  (p.  317). 

(2)  Ibid-,  p.  831-832. 

(3)  Ibid.,  p.  830-831. 

(4)  On  se  souvient  peut-être  que  Ronsard  à  cette  époque  s'en  moquait.  Voir 
chap.  XII. 

(5)  Ibid.,  p.  842-843. 


474  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

de  raison  :  puissance  de  la  raison  pour  connaîlre  l'universel, 
désir  inné  de  l'immortalité,  nécessité  d'une  sanction  à  la  vie 
humaine,  voilà  à  quoi  pourraient  se  réduire  les  douze  raisons 
que  X'iret  développe  en  près  de  vingt  pages  '•^K  iMais  il  ne  se 
fait  pas  d'illusions  sur  le  résultat  de  sa  démonstration  :  «  Il 
sera  bien  difficile  de  persuader  du  tout  ce  point  à  ceux  qui 
n'adjousteront  plus  de  foy  à  ce  tesmoignage  (de  l'Ecriture) 
qu'à  toutes  les  raisons  humaines  et  naturelles...  Car  combien 
que  les  argumens  des  philosophes  qui  soustiennent  l'immor- 
talité soient  grans,  toutesfois  ils  ne  peuvent  jamais  bien  du  tout 
asseurer  les  hommes  de  lem*  immortalité  si  ce  tesmoignage 
de  Dieu  ne  nous  asseure  »  de  cette  vérité  2), 

Or  «  il  y  a  aujourd'huy  tant  d'épicuriens  et  d'athéistes  qui 
suyvont  plus  en  icelle  l'opinion  d'Epicurus  et  de  Pline  et  de 
Lucrèce  et  autres  semblables  épicuriens,  je  ne  dy  pas  que 
de  tous  les  meilleurs  philosophes,  mais  aussi  que  l'authorité 
des  Saintes  Escritures  !  (3)  ».  Aussi  quand  il  va  entreprendre 
de  les  réfuter,  c'est  à  Pline  qu  il  emprunte  leurs  objections.  Il 
traduit  les  passages  du  VIP  livre  de  IHistoire  naturelle,  que 
l'on  a  vus  en  tète  de  ce  vo;lume  précisément,  et  les  agrémente 
de  réflexions  de  ce  genre  :  «  en  quoy  tu  vois  combien  il  se 
monstre  grosse  beste  (^)  ».  Il  lui  reproche  aussi  d'avoir  «  despité 
et  blasi)hemé  Dieu  »  sous  le  nom  de  nature  (^).  Puis,  rappelant 
la  mort  du  granrl  naturaliste  :  ((  Je  voudroye  bien  luy 
demander,  conclut-il,  comment  il  s'est  trouvé  quand  il  a 
esté  estouffé  auprès  du  mont  Vésuve  par  la  fumée...,  et  quelle 
consolation  il  a  trouvée  en  la  mort,  laquelle  il  dit  estre  le  plus 
grand  bien  de  nature...  Pourquoy  ce  n'est  pas  mei'vcille  s'il... 
l'a  appelée  marastre  et  cruelle  mère...  '6'  ».  Dieu  donc  l'a  puni 
de  ses  blasphèmes.  Et  «  Dieu  a  fait  plusieurs  semblables  juge- 

(1)  Dtol.  XXIV.      P.  Rfrl-SSÎ. 

(2)  Ibid.,  p.  853. 
'3)  IMd.,  p.  873. 

"1)  Ibld.,  p.  891  et  S93. 

(5)  Ibid..  p.  S92. 

(6)  Ibld..  p.  89'i. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  475 

mens  sur  autres  tels  chiens  qui  ont  vomy  semblables  blas- 
phèmes, comme  Lucien  qui  a  esté  deschiré  et  mangé  des 
chiens...  et  Lucrèce  qui  estant  insensé  et  furieux  s'est  tué  et 
deffait  soy  mesme  <^>  )>.  Il  y  a  une  demi-page  de  ce  ton. 

Viret  revient  à  des  considérations  plus  sages  en  s'attaquant 
à  Pomponazzi.  Il  ne  le  nomme  pas,  mais  c'est  une  proposition 
du  célèbre  padouan  qu'il  réfute  quand  il  soutient  «  que  l'ame 
ne  peut  estre  mortelle  n'immortelle  en  partie,  ains  qu'il 
faut  nécessairement  qu'elle  soit  toute  mortelle  ou  immor- 
telle *2)  „,  Et  c'est  la  conclusion  même  de  Pomponazzi  qu'il 
repousse,  quand  il  examine  «  lopinion  de  ceux  qui  disent 
qu'en  la  lumière  de  la  foy  l'ame  est  immortelle,  mais  qu'en 
la  lumière  de  nature  elle  est  mortelle.  En  quoy  se  voulans 
monstrer  philosophes,  ils  se  monstrent  fort  ignorans  et  fort 
sots.  Car  il  n'y  a  qu'une  seule  vérité  et  de  nature  et  de  foy. 
Car  vérité  n'est  point  double,  mais  toujours  une  (3'  ».  Et  même 
quand  il  élargit  la  question,  c'est  encore  Pomponazzi  ou  ses 
élèves  qu'il  poursuit,  quand  il  parle  ((  de  ceux  qui  jaçoit  qu'ils 
tiennent  pour  opinion  vaine  tout  ce  qu'on  dit  non  seulement 
de  l'immortalité  de  l'ame,  mais  aussi  de  Dieu  et  de  la  religion, 
afferment  toutesfois  quil  est  bon  pour  la  vie  humaine,  que  les 
hommes  soient  en  tel  erreur'^)  ».  Expedit  in  religione  civitates 
lalli,  disait  Pomponazzi. 

Les  trois  Acadéinies  (^)  de  Pierre  de  la  Primaudaye  sont  bien 
postérieures  à  l'œuvre  de  Viret,  mais  elles  lui  ressemblent  tant 
que  leur  place  est  ici  à  titre  de  réédition. 


(1)  Dlal.  XXIV,    894. 

(2)  Ibid.,  p.  896.  Pomponazzi.  De  Anima,  ch.  VU.  IX. 

(3)  Ibld.,  p.  896. 

(4)  Ibid.,  p.  883. 

(5)  L'Académie  fî-ançaiae...  divisée  en  dix-huit  journées  (Paris,  1557,  in-fo).  —  Suite 
de  l'Académie  française  dans  laquelle  il  est  traité  de  l'homme,  de  la  création, 
matière,  etc.  (Paris,  1580,  in-f").  —  Philosophie  chrestienne  de  l'Académie  française 
(Genève,  1594,  in-fo).  je  me  suis  servi  de  l'édition  de  Bâle  (Philémon  de  Hus,  1587, 
pour  les  deux  premiers  volumes;  Jacques  Chouet,  1594,  pour  le  troisième).  La  pré- 
face du  dernier  volume  est  datée  de  Paris,  dernier  septembre  1589. 


476  LE   RATIONALISME   DAXS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Sur  les  trois  volumes  qui  composent  l'œuvre  de  la  Primau- 
daye,  deux  seulement  intéressent,  en  partie,  ce  travail.  Le 
tome  II  consacre  trois  «  journées  'i'  »  à  l'étude  de  l'âme;  mais 
elles  n'ont  pas  coûté  beaucoup  de  recherches  à  l'auteur  :  c'est 
une  réédition  des  pages  de  Viret  sur  le  même  sujet  (2).  Le 
tome  III  débute  par  une  étude  sur  la  création  et  vise  les  aver- 
roïstes  (3).  Mais  là  encore  La  Primaudaye  copie  Viret  :  même 
division,  mêmes  remarques,  mêmes  invectives,  reproduites 
textuellement,  contre  Pline.  Lucien  et  Lucrèce  <^'.  Un  sans-gêne 
aussi  impudent  —  môme  pour  un  auteur  du  XYP  siècle  —  est 
un  peu  déconcertant.  Il  me  semble  pourtant  que  La  Primau- 
daye a  développé  un  peu  plus  que  son  modèle  cette  question 
de  la  création.  Il  lui  consacre  dix  chapitres  de  son  livre  et 
soutient,  contre  Aristote,  que  le  monde  a  été  créé  par  Dieu, 
qu'il  a  eu  un  commencement,  que  Dieu  l'a  fait  librement  et 
non  par  une  nécessité  de  sa  nature.  On  a  reconnu  les  thèses 
des  nouveaux  péripaléticiens.  La  Primaudaye  analyse  même 
avec  assez  de  justesse  les  raisons  d'Aristote  contre  la  création  : 
rimmortalité  du  monde  céleste,  le  principe  ex  nihilo  nihil, 
l'impossibilité  de  concevoir  un  espace  nouveau  pour  un  nou- 
veau ciel,  la  nécessité,  selon  l'ancienne  physique,  que  tout  ce 
qui  naît  naisse  de  la  corruption  d'un  être  qui  le  pi"écèd(^  ^""K  Mais 
ces  quelques  centaines  de  pages  consacrées  à  repousser  les 
doctrines  averroïstes  et  padouanes  sont  perdues  —  comme 
celles  de  Viret  —  dans  un  fatras  de  dissertations,  scienti- 
fiques surtout,  où  la  création  entière  est  passée  en  revue. 
Encore  ne  saurais-je,  dans  cette  vaste  encyclopédie,   faire  le 


(1)  Journées  11,  12,  13;  f»»  272  et  suiv. 

(21  Réé'litiori  textuelle,  au  moins  ixjur  certaines  pages.  Par  exemple,  la  page 
que  J'ai  citée  plus  haut  sur  la  renaissance  de  la  métempsycose  est  repnxluite  dans 
\'At:(utémie  française,  f»  2S6  v».  .Je  n'ai  pas  eu  le  loisir  de  confronter  pnge  par 
jtage  les  deux  volumes.  Mais  je  les  ai  lus  ;>  un  .jour  d'iiitei"vallo  et  le  plagiat  est 
éviJeiit 

(3)  Parmi  le?  ennemis  de  la  création,  La  Primaudaye  cite  :  Aristote,  Averroès. 
Moise  l'Egyptien  (.Maïmonide).  Cicéron  fl,  De  Naliira  Denrum)  (ch.  V.  i°  37). 

ii)  F"  330  yo. 

(5)  II,  m.  L'ensemble  de  l'étude  sur  la  création  occuiw  les  huit  chapitres  d^  la 
premi^;re  .journée  du  t.  111  et  les  deux  premiers  de  la  seconde  journée. 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  477 

départ  de  ce  qui  appartient  en  propre  à  la  Primaudaye.  Il 
apparaît  au  premier  abord  que  la  somme  en  est  assez  mince 
et  que  la  plus  grande  originalité  de  la  Primaudaye  a  été  de 
changer  les  deux  interlocuteurs  symboliques  de  \'iret  :  Phi- 
lippe et  Nathanael,  en  deux  autres  personnages  moins  connus  : 
Achitob  et  Amana. 

Il  est  remarquable  que  les  apologistes  français  et  les  ratio- 
nalistes eux-mêmes  antérieurs  à  Montaigne  parlent  peu  des 
miracles.  Il  semble  que  les  expédients  d'Avicenne,  transmis 
par  Cardan,  aient  porté  les  esprits  à  croire  facilement  au  mer- 
vedleux,  quitte  à  l'expliquer  en  attribuant  aux  hommes  et  aux 
choses  une  puissance  non  moins  merveilleuse,  tant  est  vraie 
la  remarque  de  M.  Lecky  :  <(  Au  moyen  âge,  au  XVP  siècle 
et  au  début  du  XVIP,  la  mesm^e  de  la  crédibilité  était  essentiel- 
lement théologique...  L'intelligence  des  hommes  et  leur  ima- 
gination étaient  colorées  par  des  infiltrations  non  laïques  et 
ils  acceptaient  très  facilement  toute  anecdote  qui  s'harmonisait 
avec  leurs  méditations  habituelles.  La  disposition  à  croire  au 
miracle  était  si  grande  qu'ils  construisaient  en  dehors  des  faits 
un  système  vaste  et  compliqué  de  magie W  ».  Il  est  vrai,  et 
nous  trouverons  chez  les  plus  déterminés  des  rationalistes 
eux-mêmes  ce  mélange  curieux  de  la  crédulité  la  plus  naïve 
avec  la  défiance  instinctive  du  mystère  et  du  miracle.  C'est 
chez  les  philosophes  de  profession  qu'il  faut  chercher  le  déter- 
minisme intégral,  et  puisqu'ils  parlent  encore  latin  pour  une 
fois,  lisons  un  livre  latin. 

Jean  Duquesnoy  ^^\  en  1575,  entreprend  de  le  combattre. 
Sa  réfutation  ne  nous  importe  guère.  Mais  voici  comme  il 
résume  les  arguments  des  successeurs  de  Pomponazzi  :  1°) 
L'ordre,  la  beauté  et  la  régularité  de  l'univers  supposent  qu'il 
est  régi  par  des  lois.  Or  la  constance  de  ces  lois  exclut  toute 
exception.  «   C'est  pourquoi  ceux-là  sont  fous,   qui  font  du 


(1)  JU.^ing.  of  rationalhm.,  I,  p.  91. 

(2)  Ou  Quesnoy  ?  /.  Quenœi  Ebroicensix  de  Fati  oppugnatwne  libellus,  Parisiis, 
ex  offlcina  Th.  Brumennii,  1575,  in-4o  de  32  feuillets. 


î/8  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

hasard  un  Dieu  ou  lui  prêtent  des  caprices  'i'  ».  2")  De  lavis 
de  tous  les  philosophes,  rien  n'arrive  sans  cause.  Or  toute 
cause  produit  nécessairement  son  effet.  Donc  tout  est  néces- 
sité; rien  n'arrive  par  hasard;  de  tout  temps  même,  tout  aurait 
pu  être  prévu  et  prédit  à  coup  sûr.  «  Ainsi  c'est  la  nécessité  qui 
règne,  préside  à  tout,  qui  commence,  mène  et  achèvi'  tout  '2)  ». 
3")  Leur  dernier  et  irréfragable  argument,  c'est  que  Dieu  est 
acte  pur,  en  sorte  qu'il  ne  peut  rien  ajouter,  ni  à  sa  bonté, 
ni  à  sa  puissance,  ni  à  sa  science.  Il  connaît  donc  tout  ce 
(jui  est  et  sera,  et  donc  tout  arrivera  comme  il  l'a  prévu '3). 

La  source  de  ce  déterminisme  c'est,  pour  Duquesnoy,  le 
De  Xatiira  Deorum,  le  De  Divinaiione  et  le  De  Falo  de 
Cicéron  '^'. 

L'année  suivante,  Jacques  Marie  d'Amboise  '^)  devenait 
professeur  au  collège  de  France  et  s'en  prenait  aux  padouans, 

(1)  Posteaguam,  inquiunt,  tanto  artlflcio  ac  ornatu  mundum  Deus  condidlt,  quis 
dubitet  ejusdem  sapientia.  consiliis  et  legibus  régi,  a  quo  sit  conditus  et  prima  ejus 
posita  fiinclamenta  ?  Quod  si  sic  res  habet,  necessum  id  sane  apparet  temere  ut  nil 
flat.  Xunquam  enim  temeritas  cum  sapientia  permiscetur  nec  ad  consilium  casus 
admittitur.  Quapropter  uti  a  Deo  sunt  constituta  dispositaque  omnia,  non  fortunae 
casu  ali(|iii)  fient.  Itaque  hallucinantur  qui  fortunam  modo  Deam  canunt,  modo 
inconstantiae  arguunt  ac  Isevitatis  (fo  14). 

?2)  Praeterea  philosophorum  naturalium  nemine  reffragante,  hoc  afflrmabimus, 
nihil  sine  causa  fleri.  Nam  nihil  videtur  Ineptius  quam  factum  quicquam  esse 
ponere.  nulla  cur  ita  factum  sit  causa  assignata,  Omnis  vero  causa  secum  neces^ 
sario  produclt  effectum.  Ex  quo  efflcitur  necessaria  cuncta  esse,  et  caeteris  quse 
contingenter  aut  fortuite  fieri  dicuntur  nihil  quicquam  loci  superesse,  adeoque 
ante  immensa  temixirum  spatia,  idipsum  quod  mo<lo  accidit,  eventurum  tuto  ac 
vere  poterat  affirmari.  Itaque  fatum  est  quod  imperat,  quod  praeest,  quod  inchoat, 
quod  agit  perficitque  universa  (f»  14  vo). 

«3)  Sed  quod  sequitur  argumentorum  omnium  multo  est  firmissimum  ac  poten- 
tissimum  :  et  quod  nuUus  aries  disturbare  aut  evertere  queat,  Deus  nempe,  ut 
in  philosophia  docemur,  actus  est  purissimus,  id  est  in  omni  bonitafe  et  i>erfec- 
tioiie  ita  exuberans  et  inflnitus,  ut  nihil  addi  possit  ad  perfectionem  :  qnamobrem 
Deus  nihil  unquam  novi  addiscit.  Esset  enim  illud  meliorem  ac  perfectiorem  efflci 
ut  in  discentibus  hominibus  claret.  Si  autem  omnia  novlt  Deus,  nec  rel  cujusquam 
ignarus  est,  non  minus  prseterita  et  futura  quam  qnnp  nunc  temporis  geruntur, 
divinitatis  oculo  interiore  contuetur.  l'nde  i>alam  est  necessario  omnia  fore  sicut 
ille  prsascivit  {t°  15). 

<',)  Und.,  fo  20.  Le  seul  rapi)rochement  de-<  deux  premiers  textes  avec  ceux  du 
Dr  Divlvatione  cités  au  chap.  I.  p.  20,  indiquerait  la  filiation  si  l'auteur  ne  la 
signalait  lui-mSme.  Ramus  avait  puisé  aux  m?mes  sources  un  exposé  très  remar 
qu.Tble  du  déterminisme  stoïcien  (Priefntio  iiridrrlmn  i»  lih.  dr  l'nto.  éditi.  fle.-^ 
CdUcrtanew  prœfatinnes...,  1577.  p.  153). 

(5)  Né  à  Arles;  étudia  à  Paris  et  en  Italie,  où  il  resta  deux  ans;  enseigna  en  Italie, 
puis  à  Paris  'à  Salnte-narbe  et  à  Harcourt).  Professeur  de  philosophie  au  Collège 
(le  France  en  ir)76.  Mort  en  1611.  Voir  riOiir.ET.  Mémnire  anr  le  Cnlli-qr  nnynl, 
ed   177«,  II. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  479 

Il  publia  contre  eux  en  1586  De  Rébus  creatis  earumqae  créa- 
tore  liber  tripartitus '^^'i .  Il  y  traite  successivement  du  ciel  et 
du  monde,  de  Dieu,  des  causes  finales.  La  première  partie 
établit,  contre  Aristote,  Averroès  et  les  padouans,  que  le 
monde  et  le  mouvement  ont  eu  un  commencement.  La  seconde 
donne  cinq  raisons  nécessitantes  de  l'existence  de  Dieu  <->. 
Mais  le  professeur  renonce  à  connaître  la  nature  de  Dieu  par 
la  raison.  Dieu  est  inconnaissable,  sauf  par  l'Ecriture  ^3)^  L^g 
attaques  contre  les  athées  y  sont  nombreuses,  et  contre  Poni- 
ponazzi. 

Christophe  Penfentenyou  ou  de  Chet'fontaines  n'est  point 
aussi  philosophe.  Pamphlétaire  plutôt,  il  a  passé  sa  vie  à 
combattre  les  protestants.  Pourtant,  il  fit  taire  un  jour  sa 
haine  des  hérétiques,  interrompit  la  longue  liste  de  ses 
libelles  '^',  et  oublia  un  instant  Calvin  pour  s'attaquer  aux 
athées.  Encore  ne  s'en  console-t-il  qu'en  faisant  des  calvi- 
nistes des  moitiés  d'athées  (^'.  Il  porta  contre  ces  nouveaux 
ennemis  toute  la  fougue  bretonne  qu'il  avait  déployée  contre 
les  premiers  :  le  titre  même  de  son  livre  en  est  une  preuve 
el  il  faut  le  citer  en  entier  :  Novx  illustrationis  christianœ 
lidei  adversLis  impios,  libertinos,  athœos,  epicureos  et  omne 
genus  inlideles,  epitome  f^). 

Cheffontaines  n'est  pas  homme  à  tourner  les  difficultés.  Les 
rationalistes  n'acceptent  que  la  raison  pour  juge  ?  soit;  l'apo- 
logiste aussi.  Et  la  lettre  dédicace  adressée  à  Pierre  de  Gondy, 
évêque  de  Paris,  est  un  long  hymne  à  la  raison.  Depuis  Postel, 


(1)  Paris,  Morel,  1586. 

(2)  Ch.  III. 

(3)  Ch.  IV. 

(4)  Sur  la  vie  de  Cheffontaines  et  ses  ouvrages,  voir  L.  Wadding,  Scriptores 
0.  Minorurn,  p.  S9-90,  193.  Son  principal  ouvrage  de  polémique  est  Fidei  Majorum 
defensio  Christophoro  a  Capite  fontium  auctore-.  trad.  :  Défense  de  la  foy  de  nos 
ancêtres,  Paris,  1564. 

(5)  Dans  l'épître  à  P.  de  Gondy,  en  tête  du  livre.  Il  parle  des  hérétiques  :  promo- 
vpi-uMt  lU  (iui(]iiid  reliquum  erat  Ctiristianae  doctrinœ  totum  simul  ahjicprent.  infe- 
ros  superosque  negarent,  animarumque  immortalitatem...  ullam  esse,  athei...  et 
Epicurc'i  de  grege  porci  facti- 

(6)  Paris,  in-80,  1586. 


480  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

personne,  que  je  sache,  n'en  avait  parlé  avec  cet  enthou- 
siasme :  «  La  raison  natiu'elle,  s'écrie-t-il,  c'est,  à  notre  avis, 
la  lumière  du  visage  divin  qui,  selon  le  psalmiste,  a  été  gravée 
en  nous,  par  laquelle  l'homme  peut  s'appeler  animal  raison- 
nable et  diffère  des  autres  animaux.  Que  cette  raison  serve 
à  éclairer  la  vérité  de  notre  foi  et  y  convienne  merveilleuse- 
ment, c'est  ce  que  l'expérience  nous  a  appris.  Grande  est 
ladmiration  que  j'ai  ressentie  pour  notre  foi  à  la  lumière  de 
la  raison  naturelle  et  j'ai  été  ainsi  poussé  à  l'examiner,  ce 
que  j'ai  fait  dans  ce  livre,  dans  lequel  j'ai  pensé  qu'il  me  fallait 
agir  avec  la  seule  raison  contre  les  philosophes  et  les  autres 
ennemis  de  la  foi.  Car  les  esprits  philosophiques  de  notre 
siècle  me  sont  bien  connus  :  quelqu'amas  d'autorités  que  vous 
leur  apportiez,  ils  ne  lâchent  rien  de  leur  opinion  si  vous  ne 
leur  amenez  une  raison  invincible  qui  leur  enseigne  et  explique 
le  pourquoi  de  ces  auteurs  que  vous  leur  avez  cités.  Autrement 
ils  diront  :  ceux-là  ont  eu  leur  idée,  nous  avons  la  nôtre  :  il 
n'est  pas  convenable  à  un  philosophe  de  s'appuyer  sur  des 
témoignages  (Cicéron  :  De  Divinit.,  II,  W)  ;  mais  il  doit  démon- 
trer par  la  raison  la  vérité  de  ce  qu'il  professe,  parce  que  ce 
qui  est  manifestement  démontré  comme  vrai,  étant  aiTivé  à 
la  certitude  absolue,  n'a  pas  besoin  de  témoins  et  ne  peut  être 
éclairé  de  plus  de  lumière  f^)  ». 

Cheffontaines  ne  se  vante  pas  quand  il  dit  connaître  l'état 
d'esprit  de  ses  contemporains  ;  mais  il  s'abuse  peut-être, 
quand  il  entreprend  de  prouver  par  la  raison  (3)  l'existence 
de  Dieu,  la  Trinité  et  l'immortaHlé.  «  J'en  suis  sûr,  affirme-t-il, 
il  est  impossible  que  les  athées  ne  soient  tous  rappelés  de 
leur  erreur  s'ils  considèrent  avec  un  peu  de  soin  la  force  de 


(1)  .Te  n'ai  pas  trouvé  ce  texte  exact  au  De  Divinationc,  mais  l'idée  y  est  expri- 
mée (II,  38). 

(2)  Philo«or>hi  enim  non  est  testibus  uti,  sed  ratione  cur  fiuicque  dicatur  docen- 
dum  est.  fum  quia  quod  evidenti  demonstratione  verum  esse  demonstratur,  cum 
sic  ad  fxtremum  ccrtitudinis  gradum  pervcntum  sit.  nullls  epeat  testibus  neque 
ulla  majori  hice  illustrari  queat  (lettre  à  P.  de  Oondy  en  tête  du  Novœ  illustrât., 
non   paginée). 

(3)  Inter  naturalis  rationis  limites  consistendo  ilbid.). 


.; 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  481 

ma  démonstration  <•'  ».  Il  est  vrai  qu'il  a  une  méthode  parti- 
culière et  qu'on  n'aurait  guère  prévue  après  les  déclarations 
si  nettes  de  sa  lettre-préface.  La  discussion  est  fondée  sur 
les  effets  admirables  de  l'amour  et  l'établissement  de  ce  pre- 
mier principe  formera  le  premier  dialogue;  le  second  en 
déduira  l'existence  de  Dieu  et  de  l'âme;  le  troisième  traitera 
de  l'utilité  de  l'amour  et  montrera  que,  pour  que  l'amour  ne 
soit  pas  vain,  il  faut  qu'il  soit  récompensé,  et  que  ceux  qui 
en  abusent  soient  punis,  d'où  nécessité  de  la  vie  future  <2)  ; 
enfin,  dans  le  quatrième  dialogue,  le  théologien  étudiera  les 
effets  derniers  du  bon  et  du  mauvais  amour  :  les  joies  et  les 
peines  éternelles  (3). 

Affirmer  l'immortalité  parce  que  l'âmie  dans  l'hypothèse 
contraire  ne  devrait  rien  aimer  (^',  réfuter  l'éternité  du  monde 
en  soutenant  que,  l'éternité  ne  supposant  pas  de  puissance, 
mais  tout  acte,  le  philosophe  qui  croit  à  cette  éternité  du  monde 
aurait  en  fait  des  oreilles  d'ânes  plus  grandes  que  ce  monde  (^). 
c'est  une  plaisanterie  burlesque.  Il  n'est  pas  étonnant  que  les 
amis  mêmes  de  Cheff  on  laines  soient  restés  un  peu  ahuris  devant 
ce  raisonnement  et  se  soient  plaints  de  ne  pas  comprendre  ^^K 
Mais  si  son  apologétique  est  manifestement  sans  efficacité,  il 
reste  qu'il  a  vu  la  vraie  position  de  la  philosophie  nouvelle 
et  que  ses  contemporains  se  fiaient  exclusivement  à  la  raison. 


(1)  Ibid.  Autres  développements  aussi  assurés  dans  le  1er  chapitre  du  livre,  fos  i-6. 

(2)  Voici  un  échantillon  de  ce  passage  :  infertur  tria  haec  immortalia  et  perpé- 
tuas durationis  esse,  remuneratorem,  remunerabllem  et  remujierationem:  remune- 
rator,  Deus  est:  remunerabilis,  anima  amantis;  remuneratio  ipsa  beatitudo  animse 
amantis  (î'^  9  v»). 

i3)  Cet  exposé  est  aux  fos  9  à  12. 

(4)  Ex  natura  et  proprletate  amoris.  probamus  animam  esse  immortalem.  Nam 
alias  id  absurdi  et  vani  secjueretur  animam  scilicet  hominis  nihil  prorsus  amare 
dobere.  Siquidem  si  anima  mortalis  esset.  omnem  cujusgue  rei  amorem  ut  rem  sibi 
perniciossimara  declinare  deberet...  Et  ideo  nec  se,  nec  Deum,  nec  uUum  hominem 
deberet  amare...  Aliquid  autem  amare  débet...:  anima  ergo  immortalis  est  d"  13). 

(5)  F«s  57   vo-58. 

(6)  Fos  13-16,  il  raconta  comment  un  ami  après  avoir  lu  son  chapitre  sur  l'immor- 
talité revint  «  ejus  vim  non  satis  se  percepisse  asserens  ».  L'auteur  recommence 
trois  fois  la  démonstration,  en  assurant  qu'elle  est  irréfutable.  D'autre  part,  il  n'y 
a  pas  de  dialogues  comme  l'annonce  l'exposé  du  début. 

31 


482  LE   RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

J'ai  borné  cette  étude  jusqu'ici  au  rationalisme  spéculatif, 
laissant  de  côté  la  morale  épicurienne,  le  ((  naturalisme  »  qui 
en  fut  la  conséquence  ou  l'accompagnement.  Voici  pourtant 
un  auteur  ^^  pour  qui  je  vais  l'aire  exception,  parce  que  le 
chapitre  qu'il  a  consacré  aux  libertins  intéresse  l'histoire  des 
idées  comme  celle  des  mœurs,  bien  qu'à  un  moindre  degré  ; 
c'est  le  chapitre  XIV  des  Discours  politiques  et  militaires  de 
La  Noue  (1587)  :  <(  contre  ceux  qui  pensent  que  la  piété  prive 
l'homme  de  tous  les  plaisirs  ». 

Le  discours  se  divise  en  deux  parties  :  P)  Exposé  des 
doctrines  épicuriennes;  2°)  Leur  réfutation.  «  Le  nombre  n'est 
pas  petit  aujourd'hui  de  ceux  qui  sont  abreuvez  de  cette 
fausse  opinion  et  qui  la  publient  accortement  es  lieux  où 
ils  fréquentent.  Ce  sont  (à  mon  avis)  certaines  gens  qu'on 
ne  peut  mieux  appeller  qu'Epicuriens  et  Libertins  ».  Leur  com- 
merce est  très  dangereux,  «  car  tout  ainsi  que  les  gouttes 
d'encre  jettees  dedans  l'eau  claire,  si  elles  sont  continuées, 
vienent  non  seulement  à  la  troubler,  ains  à  la  noircir  :  aussi 
quand  les  âmes  tendres  escoutent  telles  instructions,  elles 
impriment  une  mauvaise  disposition  et  après  en  font  une 
habitude.  Or  au  temps  ou  nous  sommes...  il  est  mal  aisé,  han- 
tant parmi  les  hommes,  qu'on  n'oye  souvent  resonner  pareils 
langages  '2)  ». 

La  Noue  classe  les  épicuriens  en  trois  catégories  :  ceux  de 
cour,  ceux  des  villes,  ceux  des  armées.  Les  épicuriens  de  cour 
ressemblent  fort  à  ceux  que  nous  dépeignait  A.  Fumée 
en  1542.  Ils  sont  habiles,  a  merveilleusement  délicats  en 
paroles  et  en  plaisantes  rencontres,  faisant  couler  si  douce- 
ment leurs  raisons  qu'on  se  trouve  pris  avant  d'y  avoir  pensé  »; 
ils  dissimulent  :  s'ils  endoctrinent  un  jeune  page  «  simple  et 
qui  chemine  encore  par  les  sentiers  de  l'innocence  de  la 
jeunesse  »,  c'est  <*  avec  grâce  et  dextérité  ».  Leur  doctrine, 
c'est  le  naturalisme.  Beaucoup,   disenl-ils  aux  jeunes  gens, 

(1)  Sur  La  Noue,  voir  Hat'SER,  François  de  la  Noue  (1531-1595),  Paris,  1892,  In-S». 

(2)  Discours.,  XIV,  p.  7f6-7fJ6.  Je  renvoie  k  l'édition  de  Lyon,  D.  Bellon,  1595,  in-16. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  483 

s'aperçoivent  trop  tard  que  le  seul  but  de  la  vie,  c'est  de  jouir. 
Ils  laissent  sans  y  goûter  quantité  de  plaisirs,  ((  sans  lesquels 
la  vie  de  l'homme  se  rend  d'un  tresgrief  poids  à  celuy  qui  la 
possède,  et...  c'est  contre  lintention  de  nature  ».  Le  vrai 
bonheur  est  aux  villes,  à  la  cour  des  princes.  Ne  parlez  pas 
de  «  l'homme  champestre  qui  ne  bouge  de  sa  maison,  passe 
sa  vie  à  chasser  une  beste  et  à  manger  les  choux  de  son 
jardin  (^'  ».  Vive  la  cour  où  l'on  trouve  continuellement  «  mélo- 
dies, bonnes  odeurs,  douces  faveurs,  compagnies  agréables, 
belles  amitiés  et  courtoisies  ».  Restreindre  la  vie  comme  le 
font  les  chartreux  et  les  religieuses,  c'est  faire  du  monde  une 
prison.  Si  le  paradis  est  à  ce  prix,  ils  laissent  les  belles  places 
à  d'autres  et  «  se  contentent  d'avoir  place  en  un  petit  coin  de  la 
basse  cour  ».  On  a  reconnu  la  morale  de  Ronsard,  de  Tahu- 
reau,  de  -Magny  et  de  tous  les  poètes  de  la  Pléiade. 

Ceux  des  villes  acceptent  l'épicuréisme  fondamental  des 
libertins  de  cour;  mais  au  lieu  que  ceux-ci  ne  «  rejettent  pas 
les  labeurs  et  se  plaisent  en  diversité  d'action  »,  ardents  à 
développer  leur  être  et  leur  énergie,  disciples  en  cela  des 
Italiens,  ceux  des  villes  s'appliquent  plutôt  à  cacher  leur  vie 
et  à  éviter  la  douleur  et  l'effort.  Leurs  philosophes  leur  ont 
appris  <(  qu'entre  les  choses...  les  plus  seures  sont  les  plus 
médiocres  »,  que  la  vraie  formule  du  bonheur  c'est  le  ne  quid 
nimis,  que  vouloir  s'astreindre  à  trop  de  dévotion  c'est  «  ravis- 
sement de  joye  et  récréation  »,  et  se  rendre  «  insensible  à  la 
façon  des  stoïques  ».  «  Ils  pensent  avoir  gaigné  un  grand  avan- 
tage sur  les  autres  hommes,  quand  ils  disent  qu'ils  ne  sont 
point  espouvantez  comme  eux,  des  imaginations  fantastiques 
des  tourments  des  enfers,  et  que  ce  sont  fictions  controuvees 


'D  II  nous  a  donné  ailleurs,  au  chap.  I^r,  le  principe  de  cette  conduite.  Ces  gens 
"  disent  que  la  fortune  des  anciens  païens  iqui  estoit  vaine)  et  l'ordre  que  Dieu  tient 
en  la  conduite  des  choses  inférieures  (qui  est  certain)  sont  des  couvertures  qu'on 
prend  pour  cacher  son  ignorance  et  que  c'est  l'homme  qui,  en  se  guidant  mal 
ou  bien,  attire  son  malheur  ou  son  bonheur...  ».  On  voit  qu'ils  prennent  leurs  res- 
ponsabilité et  déchargent  la  Providence  de  leur  conduite,  en  vrais  disciples  des 
Italiens.  On  aura  remarqué  aussi  qu'ils  dénient  toute  intervention  à  Dieu  dans  le 
monde  sublunaire,  ce  qui  est  la  doctrine  des  Padouans  et  d'Averroès,  Disc,  voiit. 
et   miiit..   XIV,   p.   708-713. 


484  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

pour  contenir  ceux  qui  se  desbordent  à  vivre  contre  nature  ^'  », 
Au  reste,  doctes  et  cultivés,  c'est  par  l'étude  de  la  philosophie 
qu'ils  sont  arrivés  à  cet  idéal  de  sage  ataraxie  :  aussi  »  faci- 
lement attirent-ils  à  eux  par  la  subtilité  de  leurs  arguments 
plusieurs  disciples  ».  Ils  craignent  la  foule,  tout  en  la  mépri- 
sant, «  et  pour  ceste  cause  ils  embrassent  par  beau  semblant 
la  religion  qu'elle  aprouve,  afin  qu'ils  soient  soufferts,  combien 
qu'en  cachette  ils  s'en  moquent '2)  )>. 

Pour  ceux  des  armées,  ((  ils  disent  que  le  soldat  doit  viser 
à  la  proye  et  à  la  joye,  et  fuir  toute  mélancolie,  laquelle 
ils  renvoyent  aux  avaricieux,  et  aux  hermites,  disant  que 
l'avarice  et  la  dévotion  ne  se  peuvent  accommoder  avecques 
les  gens  de  guerre,  d'autant  que  l'une  les  fait  hayr  et  l'autre 
les  rend  craintifs. . .  ;  bref,  que  ceux  qui  veulent  amener  sur  les 
théâtres  où  Mars  joue  ses  sanglantes  tragédies,  les  jeusnes,  les 
bréviaires  et  contemplations,  s'exposent  en  risée  veu  que  là  on 
ne  poursuit  que  trophées,  recompenses  ou  louanges  ».  Ceux-là 
ont  des  idées  bien  voisines  de  celles  de  frère  Jean  des  Entom- 
meures  ^^K  Ceux  de  la  ville  ont  moins  de  relief,  et  il  est  regret- 
table que  la  Noue  soit  plus  moraliste  que  philosophe  et  nous 
ait  donné  plutôt  la  vie  que  les  idées  des  libertins  de  1587.  Tels 
qu'ils  sont  peints,  ils  semblent  l'être  d'après  lecture,  autant 
que  d'après  fréquentation.  La  réfutation  qui  suit  étant  prise 
en  partie  à  Plutarque  <^\  je  chercherais  plutôt  chez  le  moraliste 
grec  le  modèle  de  La  Noue  que  chez  Montaigne,  où  le  veut 
voir  Al.  H  a  user '5). 

La  Noue  a  noté  ailleurs  la  cause  de  cette  décadence  reli- 
gieuse. Trois  maux,  dit-il,  désolent  la  France  :  l'athéisme,  le 


(1)  fbld.,  Ch.  XIV,  p.  714-718  et  737-738. 

(2)  Comparer  avec  les  Libertins  d'A.  Fumée,  ch.  XI. 

(3)  Discours  polit..  XIV,  p.  719-720.  M.  Hauser  dit  que  La  Noue  lisait  beaucoup 
Rabelais. 

W  Traités  SI  ce  mot  cojtnnvn  est  bien  dit  :  cache  ta  vie  et)  Que  l'on  iie  saurait 
vivre  joueusement  selon  la  doctrine  d'Epiciire. 

(5)  La  Noue,  ch.  V,  p.  135-l.=>fi.  La  Noue  étant  prisonnier  à  Limbourg  de  1581  à 
1585,  il  est  peu  probable  qu'il  ait  lu  en  prison  les  premiers  Essais  de  Montaigne. 
De  plus,  l'esprit  épicurien  dépeint  ici  n'est  pas  particulier  à  Montaigne,  c'est  celui 
de  tous  les  poètes  de  la  Pléiade.  Or,  La  Noue  n'aime*  pas  les  poètes  (Hauser, 
Fr.  d"  T.a  .VoT/e.  V,  p.  144).  M.  Tllley  doute  aussi  de  l'interprétation  de  M.  Hauser. 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  485 

blasphème  e(  la  magie.  La  guerre  civile  est  la  cause  prin- 
cipale de  lathéisme  :  <(  Entre  les  autres  fruits,  elle  a  apporté 
cestui-ci,  d'avoir  engendré  un  million  de  épicuriens  et 
libertins  '^)  ».  Les  blasphèmes  et  la  paillardise  ont  augmenté 
surtout  depuis  les  guerres  d'Italie  '^l 

Voici  un  autre  moraliste,  et  protestant  lui  aussi  :  Jean  de 
l'Espine  '3).  Ses  Excellens  Discours  furent  édités  en  1587,  mais, 
à  en  croire  la  préface,  ils  étaient  écrits  depuis  longtemps  et 
M.  Hogu  fixe  leur  composition  à  1557,  au  moins  en  partie  (^>. 
Le  livre,  dans  son  ensemble,  est  sans  intérêt;  mais  il  contient 
comme  un  programme  des  rationalistes.  La  préface  définit 
leur  esprit;  ce  sont  gens  qui  mettent  la  philosophie  au-dessus 
de  la  foi  :  «  Ceux  qui,  destituez  de  la  droite  conoissance  des 
Escritures  saintes,  lisent  les  disputes  des  philosophes  traitant 
de  la  tranquillité  de  l'esprit,  demeurent  comme  ravis  de  si 
hauts  propos  et  pensent  qu'il  n'est  pas  possible  de  trouver  une 
plus  sage  eschole.  En  quoi  ils  se  deçoyvent  et  outreplus  sont 
grandement  à  reprendre,  s'ils  préfèrent  l'instruction  des  pro- 
phanes  à  celle  du  Fils  de  Dieu...  Je  reconnoi  quelque  chose 
de  beau  es  escrits  des  payens.  mais  je  di  que  tout  cela  n'est 
qu'ineptie,  estant  conféré  avec  la  sagesse  manifestée  es  saincts 
livres  '^)  ».  Il  les  attaque  spécialement  au  sixième  livre  '^\  Après 
avoir  blâmé  les  théologiens  qui  s'attardent  après  des  questions 
frivoles,  les  rêveurs  qui  «  se  vont  amuser  à  une  cabale  et  à 
des  fables  judaïques  »,  il  s'en  prend  aux  disciples  des 
padouans  et  aux  libres  penseurs  :  «  Il  y  a  pareillement  des 
ignorants  et  orgueilleux...   qui  languissent  entour  questions 


(1)  Discours.  1,  p.  79  et  267. 

(2)  Ibid.,  I,  p.  9:  et  120-170  pour  la  «  paillardise  »  italienne. 

(3)  Sur  J.  de  l'Espine,  voir  Bayle,  art,  Spina,  et  Hogu,  Jean  de  VEspine,  mora 
liste  et  ViéoloQlen,  Bibl.  des  Hautes  Etudes,  1913.  On  sait  que  .Jean  de  l'Espine  est 
un  moine  angevin  passé  au  protestantisme. 

(4)  Pour  ses  autres  œuvres,  voir  Bayle,  art.  cité,  remarque  B,  ou  Hogu.  oïl  cit., 
Bibliogr. 

(5)  Excellens  discours.  Préface. 

(6)  Sommaire  de  Simon  Goulard  ;  «  Finalement  il  met  en  monstre  les  sophistes, 
mataeologiens,  caljalistes.  spéculatifs,  libertins  spirituels,  athée?  et  prophanes  » 
(P.   556) 


486  I-E   RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

et  débats  de  paroles,  dont  s'engendrent  envies,  noises, 
injures...,  vaines  disputes  d'hommes  qui  sont  corrompus 
d'entendement  et  privés  de  vérité....  Ils  demandent  quoi  ?  ce 
que  Dieu  faisoit  avant  la  création  du  monde  ?  Coumient  en 
un  instant  le  Père  a  engendré  son  fils  ?  Combien  il  y  a  d'estats 
et  d'ordres  entre  les  anges?  Item  qui  sont  ceux  que  Dieu  a 
escrits  ou  effacez  de  son  livre?...  Quelle  est  la  substance  du 
feu  où  les  âmes  des  infidèles  doyvent  estre  tourmentées  ? 
Comment  la  conception  et  iniquité  originelle  se  provigne  du 
père  en  l'enfant  ?  par  quel  moyen  elle  passe  de  la  semence  pro- 
cédante de  l'homme  en  lame  qui  vient  de  Dieu  ?  et  beaucoup 
d'autres  questions  difficiles,  lesquelles  ne  se  finissent  jamais 
non  plus  que  la  fable  d'Oreste  dont  parle  Juvenal  en  la  pre- 
mière de  ses  satyres  <i)  ». 

Le  résultat  de  cette  curiosité,  c'est  le  doute  :  »  il  y  aura  grand 
danger  que  Dieu  ne  nous  punisse  de  nostre  présomption  et 
qu'il  ne  nous  en  prenne  comme  à  ceux  qui  non  contens  de 
voir  les  rayons  du  soleil  à  l'entour  d'eux  et  le  voulans  regarder 
en  son  corps,  sont  aveuglez  de  sa  clarté  ».  Dieu  est  un  Dieu 
caché  :  <(  ce  nous  est  un  reproche  d'estre  nonchalans  à  savoir 
les  choses  qu'il  lui  a  plu  nous  révéler;  aussi  est-ce  louange 
d'ignorer  celles  qu'il  nous  a  celées.  Car  comme  respondit 
l'Egyptien  (qui  portoit  quelque  chose  enveloppée  en  son  man- 
teau) à  celui  qui  lui  demanda  que  c'estoit,  qu'il  l'avoil  couverte 
afin  que  personne  ne  le  sceult  '^^  ».  Le  remède  à  celte  curiosité, 
c'est  de  méditer  la  bonté  de  Dieu  le  Père  et  sa  Providence, 
et  non  discuter  pour  savoir  ce  qu'il  faisait  avant  de  créer  le 
monde  ■'".  l'amour'  du  Fils  et  non  le  mystère  de  son  incarnation. 

(I)  p.  554-556. 

2)  PLUTARQUE,  De  la  Curiosité;  Excel.  Discours,  p.  560-561.  J.  de  l'Espine  a  fait 
un  Traité  de  la  Providence.  La  Rochelle,  HaulUere,  1579.  M.  Hogu  le  juge  peu 
original,  faible  de  démonstration,  et  mal  composé  {Ou.  cit.,  p.  88-95). 

(3)  "  Et  d'autant  que  cela  vient  à  propos,  je  reciteray  une  histoire  de  saint  Augus. 
tin,  lequel  respondit  jadis  fort  pertinemment  à  quelque  curieux  qui  s'en  enqueroit  : 
qu'il  estoit  occur»é  à  bastir  l'enfer  et  ordonner  des  peines  à  ceux  qui  recerchent  de 
tels  secrets  »,  p.  557.  Cette  histoire  se  trouve  infailliblement  chez  tous  ceux  qui 
parlent  de  la  création  et  sont  au  courant  du  mouvement  rationaliste  de  la  Renais- 
sance 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  487 

La  prédostinalion,  le  l'eu  de  l'ciiter,  le  péché  originel,  aulaiil 
de  dogmes  qu'il  faut  accepter  de  confiance  sans  les  scruter. 
De  i'Espine  ici  sort  de  la  philosophie  et  s'avance  sur  le  terrain 
théologique;  mais  avec  quelle  prudence  !  Tant  de  discrétion 
dans  l'étude  des  dogmes,  tant  de  dédain  de  la  «  sophisterie  », 
tant  de  crainte  que  l'étude  approfondie  des  vérités  chrétiennes 
ne  mène  à  l'incrédulité  marquent-elles  chez  Jean  de  I'Espine 
une  foi  bien  sûre  d'elle-même  ? 

Nous  quittons  les  moralistes  et  revenons  aux  philosophes 
avec  le  célestin  P.  Crespet  (^>.  Son  livre  De  lame  (1588),  s'il  est 
une  énorme  compilation,  n'a  rien  d'original.  Il  se  compose 
de  deux  gros  volumes  et  traite  non  seulement  de  l'âme,  mais 
de  toute  la  théologie  naturelle,  au  moyen  de  digressions  conti- 
nuelles (2).  Une  grande  partie  du  premier  livre  par  exemple, 
établit  l'existence  de  Dieu.  Sans  entrer  dans  le  détail  de  sa 
démonstration  peu  originale,  relevons  ses  attaques  contre 
Phne  :  «  Pline  fut  le  plus  asseuré  athée  de  tous  en  son  livre  II, 
ch.  7,  où  il  déifie  la  nature  ».  Pourtant  Pline  ne  croit  pas  à  la 
pluralité  dés  dieux,  dont  il  faut  le  louer,  «  mais  il  est  court  en 
cela  qu'il  ne  se  peut  persuader  que  Dieu  ait  soin  de  tout  ce 
qui  se  fait  en  ce  monde  ».  Cicéron,  de  même,  dans  le  De 
Natura  Deorum  est  plus  à  louer  qu'à  blâmer  d'avoir  réfuté  les 
épicuriens  et  les  stoïciens  ®,  mais  Crespet  désespère  d'arriver 

(1)  Né  à  Sens  en  1543.  prononça  ses  vœux  chez  les  Célestins  de  Paris  en  1562, 
devint  vite  dignitaire  de  l'ordre.  Etant  prieur  à  Paris  en  1587-1590,  prit  parti 
pour  la  ligue.  Suivit  le  cardinal  Cajetan  à  Rome  en  1580.  Mourut  en  France  en 
1592.  Voir  sur  cet  auteur  et  ses  nombreux  ouvrages  Nicéron.  XXIX,  254  et  suiv.; 
Becqxtet,  Gallicae  Cœleftinorum  covgr.  0.  S-  B  monast.  fundat.  virorumque  vita, 
Paris,  1719,  in-4o,  p.  172  et  suiv. 

(2)  Six  livres  de  VoriQine,  excellence,  exil,  exercice,  mort  et  immortalité  de  l'âme, 
où  sont  contenus  salutaires  et  catholiques  discours  et  notaJyJes  digressions  tirées 
tant  des  saincts  comme  des  prophanes  auteurs,  philosophes,  orateurs,  poètes  et 
historiographes  tant  ayiciens  que  modet-nes...  Dédié  au  Roy  trè*  chrestien  Henri  III 
de  nom,  par  F.  Pierre  Crespet,  célestin  de  Paris.  L'épitre  est  datée  du  20  juillet 
1586.  Le  livre  a  paru  en  1588  et  1604.  Le  manuscrit  est  à  la  Mazarine.  A  propos  de 
ce  livre  sur  l'âme,  qu'il  me  soit  permis  de  signaler  aussi  deux  autres  livres  (latins 
ceux-là)  sur  le  même  sujet,  écrits  par  un  protestant  qui  abjura  et  mourut  à  Dijon 
avant  1596  :  Cl  Attîefy.  Oralio  apodictica  de  animœ  immortalité,  15S6;  De  Itesttr- 
rectione  mortuonim  (s.  1.  n.  d).  Sur  cet  autour,  voir  Haag.  France  Protest.,  l^e  éd., 
I,   156;   ce  éd.,    II,    'i40-441. 

(3)  Livre  I,  discours  I,  p.  3-4  du  I^r  vol. 


488  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

par  la  raison  à  connaître  la  nature  de  Dicui.  Il  raconte  lui  aussi 
l'avenlure  de  Simonide  et  de  Hiéron  qu'il  a  prise  (c'est  lui  c]ui 
le  dit)  au  De  Natura  Deorum  et  il  rapporte  d'après  Sozomène 
que  Théodose  défendit  de  disputer  de  la  nature  de  Dieu  pour 
remédier  aux  erreurs  des  Ariens  et  autres  hérétiques'^*. 

Le  chapitre  6  du  même  premier  livre  est  tout  entier  écrit 
contre  le  Fatum  des  stoïciens  et  un  peu  aussi  contre  les 
calvinistes  que  l'auteur  accuse,  après  son  compatriote, 
Feu-Ardent,  de  l'aire  Dieu  auteur  du  mal'"^*.  Mais  si  l'auteur 
a  entassé  sans  ordre  ni  originalité  toutes  les  questions 
contestées  par  les  rationaHstes,  il  ne  se  fait  pas  illusion  teur 
la  portée  de  sa  réfutation.  Comme  Jean  de  l'Espine,  il  croit 
que  Dieu  «  a  celé,  les  secretz  divins  aux  sages  de  ce  monde  » 
et  s'^en  prend  à  ceux  «  qui  les  veuUent  rendre  Communs  et 
partiaux  et  avec  rai'sons  ou  arguemens  tirez  de  la  philosophie, 
sans  déférera  la  foy  (|ui  y  doit  estre  appellée,  les  veulent  mani- 
fester aux  hommes  '^i  ».  Le  fini  ne  saurait  comprendre  l'inlini 
et  la  punition  des  audacieux  qui  ont  essayé  de  «  comprendre 
ce  qui  est  incompréhensible  »,  c'est  qu'ils  «  sont  tombez  au 
précipice  profond  de  l'athéisme  et  ont  blasphémé  le  Saint 
d'Israël...,  puis  ont  péri  en  leur  corruption.  Nous  ne  devons 
pas  mespriser  les  raisons  naturelles  trouvées  par  les  doctes, 
qui  sont  comme  rayons  de  la  vraye  lumière;  ains  il  nous  les 
faut  deligemment  considérer  comme  aidés  qui  nous  pourront 
beaucoup  servir  à  l'intelligence  de  ce  que  nous  cerclions  et 
à  la  confusion  de  tant  d'atheistes  qui  grouillent  en  la  France, 
qui  sont  comme  chevaux  et  mulets  donans  des  coups  de  pieds 
à  la  divine  sapience  (jui  les  a  créez  et  alaictez,  la  reniant  pour 
mère  et  créatrice  <'*'  ». 

Pour  lui,  après  avoir  accordé  ce  maigre  rôle  à  la  raison,  il 
revient  à  sa  mé^,hode  favorite,  l'autorité.  Un  jour  que  les  Pères 


(1)  Livre  I,  disioiirs  I,  p.  4. 

(2)  Livre  I,  discours  II,  p.  30  du  pr  vol. 

(3)  Préface  au  Roy. 

(4)  Ibtd.,  p.  62. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  4§9 

de  NicOe  élaienl  à  toiirl  d  argunienls  devant  un  hérélique,  un 
ermite  se  leva  soudain  et  d'une  voix  de  stentor  débita  devant 
l'hérétique  le  credo  tout  entier.  Crois-tu  cela  ?  dit-il  au 
mécréant.  L'autre,  subjugué,  ne  sut  que  répondre  et  les  Pères 
eurent  gain  de  cause.  Telle  est  la  méthode  que  conseille 
Crespet  '-^K 


II 


Quand  au  milieu  des  horreurs  de  la  guerre  civile,  Du  Vair 
voulut  offrir  à  ses  compatriotes  une  consolation  digne  des 
maux  qu'ils  souffraient,  il  fit  un  traité  de  la  Providence  et  un 
traité  de  l'immortalité.  Ce  sont  les  livres  IP  et  IIP  de  la  Cons- 
tance  et  consolation  es  calamitez  publiques  '-K 

Le  premier  livre  est  une  <c consolation  ».  La  mode  était  aux 
consolations  et  elles  étaient  également  laïques,  de  quelque  mal 
qu'il  y  fut  traité  '3'.  Celle  de  Du  Vair  est  stoïcienne  ;  elles 
l'étaient  toutes,  du  reste.  L'auteur  y  propose  de  bonnes  raisons 
pour  nous  faire  mépriser  l'exil  (p.  819),  la  pauvreté  (821),  la 
perte  des  honneurs  (823).  de  nos  amis  (824),  les  tourments  (825) 
et  les  maladies  (826).  la  mort  enfin  (829).  C'est  le  plan,  ce  'sont 
les  mêmes  arguments  que  nous  lisons  dans  la  Consolation  à 
Helvie  de  Sénèque  et  dans  celle  de  Cardan  où  tous  les  ca!s 
sont  prévus  '^K  Le  deuxième  livre  est  un  traité  de  la  Provi- 

(1)  Livre  II.  discours  I,  digression  I  it.  I.  p.  113-114).  L'histoire  est  prise  à  Rufin, 
HUt.  Eccles..  lib.  I.  Elle  avait  été  racontée  trois  ans  avant  la  parution  du  livre 
de  Crespet  par  Noël  du  Fail,  Contes  d'Eutrnpei.  ch.  XXXIV. 

(2)  1594.  Je  cite  d'après  ledit,  de  Rouen,  Geoffroy,  1629.  Voir  aussi  une  analyse  de 
ce  traité  dans  Strowskt.  Pascal  et  son  temps,  I,  p.  83-94.  M.  Strowski  le  considère 
surtout  du  point  de  vue  stoïcien.  Le  i"  livre  de  Constance  et  consolation  est  en 
effet  purement  stoïcien.  Mais  que  Du  Vair  éprouve  le  besoin  d'y  joindre  la  démons- 
tration des  deux  dogmes  les  plus  comliattus  par  le  rationalisme  italien  :  la  Provi- 
dence et  l'immortalité,  cela  est,  à  mon  avis,  tout  à  fait  significatif. 

(3)  Ce  su.jet  étant  de  la  morale,  .je  n'insiste  pas.  Il  y  aurait  lieu  de  rechercher 
dans  les  lettres  des  padouans  (Longueil,  Epist.,  II,  18.  19;  S-\dolet.  rhilosophicœ 
consola tioties,  1502),  puis  dans  notre  littérature  (Bouchet.  Sérées.  III,  3;  Le  Roy, 
.4  Cather.  de  Médicis:),  l'évolution  de  ce  genre  et  sa  laïcisation. 

(4)  .4.  Hevie  -.  Exil,  pauvreté,  infamie;  Consolation  de  Cardan  -.  !<>  les  maux  en 
général;  2»  les  maux  en  particulier  :  a)  la  mort,  b)  la  pauvreté,  c)  Texil,  d)  les 
injustices,  d)  la  servitude,  e)  l'obscurité,  f)  les  tourments,  g]  les  maladies,  etc. 
Montaigne  :  sur  la  mort,  la  douleur,  la  pauvreté,  I,  XIV  (vol.  I,  p.  61-91). 


490  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

dence.  Du  Vair  se  plaint  d'abord  que  plusieurs  nient  l'action 
de  Dieu  dans  la  création  et  surtout  dans  la  conservation  du 
monde  :  «  combien  que  ceste  Providence...  paraisse  en  effets 
admirables;  si  est-ce  que  la  pluspart  des  hommes  lu.y  fei'ment 
malicieusement  les  yeux. . .  A  la  vérité  peu  s'en  est-il  trouvé,  qui 
ayent  osé  passer  si  avant  en  impieté  que  de  la  nier  du  tout... 
Bien  y  en  a-il  grand  nombre,  desquels  j'ay  souvent  ouy,  et 
t()u>^jours  rejette  les  oi)inions,  qui  advoûans  la  puissance  et 
sagesse  divine  en  la  ])remiere  création  du  monde,  luy  en  ont 
oslé  le  gouvernement,  après  qu'il  a  esté  créé;  les  uns  l'attri- 
buans  à.cest  ordre,  qu'ils  appellent  Nature,  les  autres  à  une 
nece.^^sité  fatale,  les  autres  au  hazard  et  à  la  fortune'^'  ».  Ce 
sont,  dit  Du  \'air,  trois  noms  pour  signifier  une  même  chose, 
la  nature  étant  l'ensemble  des  lois  qui  «  imprimées  »  au  monde 
«  hiy  ont  donné  ce  mouvement  reiglé  par  lecpiel  les  choses  se 
conservent  en  leur  estre,  et  outre  produisent  leurs  effets  ('->  », 
le  Destin  étant  l'action  de  Dieu  quand  «  outre  cest  ordre  reiglé, 
qu'on  appelle  Nature,  (il)  imprime  quelquesfois  aux  choses  du 
monde  dès  qualitez,  et  y  faict  intervenir  des  accidents,  qui  sont 
tanlost  différents,  tantost  contraires  à  leur  naturel  :  et  puis 
compassé  les  rencontres  des  choses  entre  elles  pour  leur  faire 
produire  l'effect  qu'il  a  ordonné  <3)  »:  la  Fortune  enfin  servant 
à  expliquer  tous  les  événements  dont  nous  ne  comprenons  pas 
les  causes  '^K  Du  \'^air  a  bien  soin  de  faire  remarquer  que  la 
nature  n'est  pas  une  puissance  distincte  de  Dieu,  comme  le 
voulait  Vicomercato  et  que  le  Destin  n'est  rien  que  la  pres^ 
cience  de  Dieu.  Sur  ce  dernier  point  il  trouve  même  une  jolie 
comparaison  pour  montrer  l'accord  possible  entre  la  pres- 
cience divine  et  le  libre  arbitre,  entre  l'intervention  providen- 
tielle et  l'immutabilité  divine  :  «  Comme  l'ouvrier  qui  monte 


(1)  Constance  et  consolation.   II.   p.  846. 

(2)  Ibtd.,  p.  847;  autre  définition  :  "  l'ordre  reiglé.  .  qui  produit  et  conserve  chaque 
chose  particulière  selon  la  loy  générale  qui  est  en  toutes  celles  de  mesme  espèce 
[Ibid.,  p.  849). 

(3)  Ibid..  p.  849. 
(i)  Ibid.,  p.  853. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  491 

une  horloge  pour  aller  vingt-quatre  heures,  avant  que  lever 
les  contre-poids,  et  luy  donner  le  mouvement,  peut  prévoir 
ou  que  la  rouille  alenth'a  son  cours,  ou  que  quelque  estourdi 
viendra  remuer  lesguille,  toucher  aux  roues  et  deshaucher 
le  balancier,  et  dès  lors  pourvoir  à  ce  qu'il  faudra  faire  pour 
la  r'adjuster  et  remettre  à  son  poinct;  ainsi  Dieu  qui  a  preveu 
avant  mesme  la  création  du  monde,  ce  qui  devoit  manquer  au 
gouvernement  et  entretenement  d'iceluy,  au  mesme  instant  y  a 
destiné  les  remèdes,  lesquels  encore  qu'ils  se  présentent  à  nos 
yeux  par  succession,  de  temps  et  suitte  de  siècles,  ne  laissent 
pas  d'avoir  esté  préparez  de  toute  éternité  (^)  ». 

Il  montre  ensuite  l'action  de  cette  providence  sur  la  nais- 
sance, la  vie  et  la  mort  des  nations  et  des  individus,  puis 
passe  aux  objections.  Que  les  bons  soient  enveloppés  dans 
les  mêmes  châtiments  que  les  méchants,  c'est  un  mérite  pour 
eux,  s'ils  savent  user  de  la  mauvaise  fortune:  que  les  méchants 
soient  impunis,  ce  n'est  pas  vrai  :  «  la  peine  et  la  meschanceté 
sont  sœurs  jumelles  qui  naissent  ensemble  et  ne  s'abandon- 
nent point  <-)  ».  Aucun  supplice  n'est  comparable  au  remords. 
Que  si  enfin  les  innocents  portent  la  peine  du  péché  qu'ils  n'ont 
pas  commis,. c'est  que  nous  naissons  en  société,  et  que  chacun 
de  nous  est  intéressé  à  empêcher  le  mal  de  se  commettre  et 
à  le  châtier  quand  il  est  commis  <3). 

Le  traité  de  l'immortalité  qui  remplit  le  troisième  livre  de 
la  Constance  et  consolation  a  bien  aussi  quelque  chose  de  l'im- 
personnalité  et  de  l'autorité  un  peu  hautaine  qui  caractérisent 
Du  Vair.  Cependant,  s'il  est  inutile  d'y  chercher  une  discussion 
approfondie  de  la  question,  on  y  trouve  développées  avec  séré- 
nité les  raisons  platoniciennes.  La  inise  en  scène  imite  le 
Phédon.  C'est  un  bon  vieillard,  ancien  magistrat  et«  le  premier 
de  nostre  sénat  en  France  »,  Christophe  de  Thou,  qui,  la  veille 
de  sa  mort,  parle  sur  ce  sujet.  Tel  Socrate  dans  sa  prison, 


(1)  Constance  et  consolation,  p.  851. 

(2)  Ibid..  p.  871. 

(3)  Ibid-,  p.  873. 


492  LE    RATIONALISME    DAXS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

«  Ce  bon  seigneur,  levant  la  teste  de  dessus  le  chevet  et  sappu- 
yant  sur  le  coude  »  se  plaint  dabord  (jue  beaucoup  n'aient 
plus  confiance  en  la  vie  future  :  «  Helas,  nous  en  reculons  le 
plus  loing  que  nous  pouvons  la  pensée  et,  qui  pis  est,  beaucoup 
la  décroycnt  du  tout;...  Ils  font  ce  qu'ils  peuvent  pour  faire 
mourir  leur  anie  avec  leur  corps  et  vont  emprunter  des  raisons 
chez  les  philosophes  anciens  pour  combattre  et  renverser 
l'unique  but,  le  seul  loyer  et  la  dernière  fin  de  la  Philoso- 
phie '^)  ». 

Et  pourtant  tous  les  peuples  y  ont  cru.  Il  est  vrai  que  le 
consentement  universel  est  aux  incroyants  un  argument  bien 
léger,  ((  pource  que  ces  gens  là  mesprisent  pour  la  pluspart 
les  jugements  populaires  et  pensent  que  la  vérité  n'habite 
point  parmi  le  vulgaire  ».  Mais  les  philosophes  anciens  n'ont 
pas  ignoré  cette  vérité.  Et  Du  Vair  nomme  les.  principaux, 
y  compris  .\ristote  '2'.  Il  sait  cependant  que  c'est  des  raisons 
qu'on  lui  réclame  et  non  des  autorités  :  «  industrieux  à  leur 
propre  mal  pour  alléger  Tauthorité  de  ces  grands  hommes-là, 
ils  disent  qu'ils  ne  font  cas  que  des  raisons,  lesquelles  ils 
veulent  séparer  des  personnes,  afin  de  les  peser  toutes  pures 
et  que  la  vérité  ne  soit  point  en  ceste  question  balancée  ou 
enlevée  par  le  poids  du  nom  ou  renom  de  ses  autheurs.  Et 
pource  veulent-ils  assubjettir  ce  discours  aux  reigles  de  l'escole 
et  demandent  que  l'on  leur  demonstre  ce  qu'on  leur  veut  faire 
croire '3)  ».  Il  va  donc  leur  donner  des  arguments. 

L'âme  comprend  l'universel  et  l'infini  f^',  ce  qui  est  incom- 
patible avec  la  matière  finie  et  déterminée;  elle  a  en  elle-même 
son  propre  mouvement  et  il  n'est  pas  vraisemblable  qu'elle 
y  mette  jamais  fin  d'elle-même'^'.   Puis  elle  vit  de  la  vérité 


(1)  Constance  et  consolation,  p.  S93. 

(2)  Ibtd.,  p.  895.  Il  est  regrettable  que  Du  Vair  ne  cite  aucun  texte  et  mette  Arls- 
tote  à  côté  de  Platon  sans  daigner  justifier  s*on  opinion;  d'autant  plii.'^  (pie 
deux  pages  plus  haut  il  reconnaît  que  les  incrédules  vont  chercher  chez  les 
philosoph-s  anciens  d^s  raisins  de  douter  de  1  Immortalité.  Comment  r*ut  H  ;:fflr- 
mer  maintenant  ([ue  tous  ces  ph:i  snphes  y  ont  cm  ' 

(3)  IhUl  .  p.  893, 
Cl)  Ibtd..  p. "897. 
(5)   Ihid..  p.  39^. 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  493 

et,  plus  elle  sait,  plus  elle  veut  savoir  (i).  Elle  tend  vers  l'im- 
mortalité au  point  de  lui  sacrifier  même  le  bonheur  de  la  vie  du 
corps  "-'.  Créée  par  Dieu  et  à  son  image,  au  témoignage  même 
de  Platon  et  de  Zoroastre,  l'àme  cherche  sans  cesse  à 
retourner  vers  son  origine  et  à  ressembler  à  son  Auteur  et 
modèle  par  la  bonté,  la  sagesse,  la  justice  et  la  vie  (3).  Comment 
ne  retournerait-elle  pas  vers  lui?  La  justice  exige  que  les  bons 
soient  récompensés  et  les  méchants  punis  '^\  Telle  est  la 
démonstration  de  Du  \'air.  Il  la  croit  assez  solide  pour  établir 
l'immortalité,  mais  se  réjouit  cependant  que  les  arguments  de 
Platon  soient  confirmés  par  la  Révélation  :  »  nous  autres 
chrestiens  sommes  à  la  vérité  en  cela  principallement  bien  plus 
heureux  que  les  payens,  que  Dieu  ne  s'est  pas  contenté  de  ce 
que  nous  pouvions  apprendre  de  l'immortalité  de  nos  âmes,  par 
le  livre  commun  de  la  nature  et  à  laide  de  nostre  foible  raison  : 
mais  nous  en  a  voulu  luy-mesmes  confirmer  le  tesmoignage 
par  sa  propre  parole  '^^  ». 

L'édition  définitive  de  Montaigne  venait  de  paraître  quand 
surgit  en  son  pays  un  contradicteur  :  Jean  de  Champagnac, 
sieur  du  Mas,  conseiller  du  roi,  lieutenant  au  siège  présidial 
de  Périgueux.  maître  des  requêtes  de  la  reine  Marguerite  de 
Valois  6>.  En  1595,  il  publia  un  Traité  de  l'immortalité  de  Vâme 

(1)  Const  lue  et  consolation,  p.   898. 

(2)  Ibid-.  p,  S99. 

(3)  Ibid..  p.  900-903. 
ri)  Ibid.,  p.  903. 

(5)  Ibid..  p.  fl03-904. 

(6)  Sur  ce  personnage  et  sa  famille,  une  des  plus  grandes  de  Périgueux,  voir 
AUDiERNE,  r.e  Périrjord  illustré,  1851,  p.  114;  A.  de  Roumejoux,  Ph.  de  Gosredon 
et  F.  ViLLEPELET,  Bibliogr.  générale  du  Périgord,  I,  p.  120:  A.  de  Froidefon  de 
BouLAZAC.  Liste  chronologique  des  maires  de  la  ville  et  de  la  cité  de  Périgueux, 
1873,  p.  64;  .Armoriai  de  la  noblesse  du  Périgord,  1891,  I,  p.  146.  —  Quelques  lettres 
de  .Jean  de  Champagnac  ont  été  publiées  par  Gt'essard  dans  son  édition  de? 
Mémoires  et  Lettres  de  Marg.  de  Valois  (1842).  M.  F.  Villepelet  a  publié  cpiatre 
lettres  Inédites  de  Marg.  de  Valois  à  Jean  de  Cliampagnac  dans  le  Bulletin  historique 
et  archéol.  du  Périgord.  t.  XLII,  p.  241.  Ce  sont  des  lettres  d'affaires  relatives  à  la 
pension  que  Henri  IV  voulait  lui  faire  après  son  divorce.  M.  Villepelet  con,iecture 
que  Jean  de  Champagnac  lui  aura  été  indiqué  par  Brantôme,  son  compatriote,  lors 
de  l'internement  de  la  princese  à  L'sson  (Communiqué  par  M.  Dujarrtc-Descombes, 
vice-président  de  la  Société  archéologique  du  Périgord,  qui  a  aussi  publié  un  acte 
notarié  relatif  à  Champagnac  dans  Bulletin  de  In  Société  historique  et  archcolog. 
du  Périgord.  XLII.  p.  311). 


494  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

et  une  Physique  Irançaise.  Ce  dernier  livre  n'était  que 
lebauciie  d'un  ouvrage  plus  vaste  :  J.  de  Champagnac  avait 
conçu  le  dessein  de  mettre  toute  la  philosophie  en  français 
et  le  réalisa  dans  son  Sommaire  des  quatre  parties  de  la  pldlo- 
sophie,  publié  pour  la  première  fois  en  1006  (i).  Le  Sommaire 
de  la  philosophie  n'a  qu'un  mérite,  celui  détre  le  premier 
livre  de  ce  genre  en  français  ^^K  J.  de  Champagnac  a  devancé 
Scipion  Dupleix.  Moins  développé  que  celui  de  son  rival  et 
j)eu  agréable  à  la  lecture,  son  manuel  a  cependant  eu  ti-ois  édi- 
tions, en  1006,  1607,  1610.  Mais  Se.  Dupleix  l'a  fait  oublier '■^'. 
I  ,e  traité  de  Physique  Irançaise  <'^'  contient  un  chapitre  de.^liiic 
à  établir  «  que  la  création  des  choses  venant  de  rien  ne  répugne 
à  la  lumière  naturelle  i^'  >»,  Il  résume  fort  bien  les  objectioiis 

(1)  Sommaire  des  quatre  parlies  de  la  philosophie,  logique,  ethiiiue,  physique  et 
métaphysique,  par  Jean  de  Champagnac,  escuyer,  sieur  du  Mas,  conseiller  du  Roy. 
lieutenant  assesseur  au  siège  presidial  de  Perigueux  et  M.  des  Requêtes  ordinaires 
de  la  maison  de  .\avarre  et  ancien  domaine  et  de  la  Reyhe  Marguerite.  Lequel  livré 
a  été  veu,  corrigé  et  aug-menté  par  l'autheiir,  n'ayant  assisté  à  la  première  impres- 
sion. A  Paris,  chez  Gosselin,  rue  St-Jacques,  à  l'image  Saint-Martin  et  au  Palais  en 
la  Gallerie  des  prisonniers,  MDCVII.  Avec  privilège  du  Roy.  —  Autre  exemplaire 
exactement  semblable  mais  portant  :  par  Fleury  Bourriquant  au  Mont  Saint- 
Tlilaire  près  le  puits  certain.  En  dessous,  anagramme  de  Marguerite  de  Valois. 
"  La  Reine  ilarguerite,  duchesse  de  Valois,  dame  rare,  lumière  des  anciens  Gaulois. 
Flos  libris,  flos  Christian itatis.  Flos  margaritse,  flos  virtutis.  »  Il  est  à  présumer 
que  l'édition  a  été  partagée  entre  les  deux  libraires  dont  chacun  a  mis  sa  marque 
sur  ses  exemplaires.  Quant  à  l'exemplaire  d©  la  bibliothèque  de  Perigueux,  il 
semble  avoir  été  fait  pour  être  offert  à  Marguerite,  à  qui  le  livre  est  dédié.  Il 
provient  de  l'abbaye  de  Chancelade.  Il  est  évident  d'après  l'en-tête  de  cette  édition 
qu'il  y  en  a  eu  une  précédente.  J'en  trouve  mention  dans  une  note  manuscrite 
du  XVlle  siècle  sur  la  garde  de  la  Physique  française  de  la  Bibliothèque  nationale. 
"  Cet  auteur  a  fait  un  Sommaire  des  quatre  parties  de  la  philosophie,  imprimé  à 
Paris,  in-80,  en  1606  ».  La  Bibliographie  générale  du  Périgord  indique  encore  une 
édition  de  1610. 

(2)  Champagnac  le  dit  à  la  lin  de  son  Epitre  dédlcatoire  à  la  Reine  Marguerite. 
Il  la  remercie  de  l'avoir  encouragé  à  "  engendrer  le  sommaire  des  quatre  parties 
de  la  philosophie  en  idiome  françois,  qui  n'ont  encore  esté  veues  ensemble  ». 
Sorel  lui  reconnaît  ce  mérite  "  Pour  les  cours  de  philosophie  plus  complets,  le 
premier  qu'on  a  veu  en  français  a  esté  celuy  de  Jean  <lc  Champagnac...  Sa  brièveté 
a  pu  causer  de  l'obscurité,  mais  cela  estoit  passîible  pour  un  commencement  » 
(Biin.  fr.,  p.  36).  Je  dois  dire  cependant  que  A.  Jamyn.  dans  la  seconde  partie  de 
sa  vie,  a  écrit  quelques  pages  qui  sont  une  sorte  d'abrégé  de  la  philosophie  scolas- 
tique.  Ce  sont  les  Discours  de  la  philosophie  à  Passicharis  et  à  Rodanthe.  Paris, 
Mangnler,  1584. 

(3)  Je  n'en  connais  plus  {{ue  deux  exemplaires  à  la  bibliothèque  municipale  de 
Perigueux.  et  n'en  al  trouvé  mention  dans  aucune  bibliographie. 

(4)  La  Physique  françoise,  Bordeaux.  Millanges,  1595,  in-8o,  ix-528  p.;  2*  édit., 
Bordeaux,  Millanges,  1597,  InS»,  ix-528  p.  La  Physique  est  ensuite  fondue  dans  le 
Sommaire,  dont  elle  fait   la  quatrième  partie. 

(5)  Ch.  IV,  p.  14-28  (éd.  de  1595). 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  495 

des  disciples  d'Aristote  contre  la  création '''  :  «  11  y  en  a  <|ui 
ont  tenu  que  la  création  estoit  impossible  du  tout,  Primo  parce 
(disent-ils)  que  faire  quelque  chose  de  rien  est  autant  comme 
dire  rien  estre  faist  quelque  chose.  Ce  qu'ils  présument  estre 
impossible  (2)...  Secundo;  ils  disent  que  ce  qui  n  est  ni  actuel- 
lement ni  potestativement  est  impossible,  par  exemple  un  arbre 
avant  d'estre  actuellement  produit  est  potestativement  en  la 
matière  <2>...  iertio,  ils  disent  que  nécessairement  la  puissance 
active  présuppose  une  puissance  passive  et  que  par  ainsi 
l'agent  ne  peut  agir  sans  matière  qui  passivement  reçoive  son 
action  ...('^)  Quarto,  ils  disent  que  Testre  et  le  non  estre  seront 
infiniment  distants  l'un  de  l'autre,  si  l'on  osle  la  puissance 
interne  présupposée  par  les  naturalistes  en  la  matière  pre- 
mière, pour  réduire  ce  cpii  n'est  point  actuellement  en  un 
estre  actuel.  Or  est-il  que  nul  agent  ne  peut  outrepasser 
l'intini '^'...  Quinto,  ils  disent  que  la  science  de  l)ieu  est  d'un 
estre  véritable  et  qu'ayant  la  science  de  tout  ce  qui  est  et 
sera  jamais  produit,  il  faut  que  ce  soit  un  estre  véritable  d'où 
cela  soit  produit  et  non  un  pur  rien;  autrement  sa  science 
seroil  d'un  rien  et  non  un  estre  véritable'*^'  ».  A  ces  cinq 
arguments  il  oppose  autant  de  réponses  et  conclut  que  le 
monde  a  été  créé  et  qu'on  peut  le  prouver  par  la  raison*'''. 
Alors  que  ses  prédécesseurs  ou  bien  renonçaient  à  justifier 
par  la  raison  leur  foi  en  l'immortalité,  ou  cherchaient  à  l'ap- 
puyer sur  Platon,  Jean  de  Champagnac,  dans  son  Traité  de 
l'immortalité  de  l'âme  (s)  retourne  tout  droit  à  la  théologie  dé 
saint  Thomas.   Le  livre  comprend  un  <(   proème   »  et  trois 

(1)  A  noter  ceiîendant  qu'il  essaie  d'interpréter  le  ex  nlhilo  niiiil  d'Aristote  en 
l'appliquant  à  la  nature  et  non  à  Dieu. 

(2)  Physique  française,  p.  15. 

(3)  Ibid.,  p.  16. 

(4)  Ibid-,  p.  17. 

(5)  Ibid-,  p.  17-18. 

(6)  Ibid-,  p.  18. 

(7)  Il  revient  encore  sur  la  création  p.  104.  Sa  Physique  contient  aussi  un  chapitre 
sur  la  nature  (ch.  V),  un  contre  la  fortune  (ch.  VIII). 

(8)  Trnicté  de  l'Immortalité  de  l'ame  par  M.  I  de  Chnmpaignac,  advocat  du  Par- 
lement de  Bourdeaus  et  maistre  des  liequestes  de  Madame  la  Princesse,  sœur 
unique  du  lîoy.  Boùrdeaux,  par  S.  Millanges,  1595,  in-S»,  de  157  p.  Le  livre  est  dédié 
à  Jacquette  de  Monbron,  dame  de  Bourdeille. 


49(3  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE    I<  RANrAISE 

parties  :  P)  Etude  des  facultés  de  l'àme;  2")  Raisons  de  l'im- 
morlalilé;  3°)  Réfutation  des  objections.  La  psychologie  de 
J.  de  Champagnac  est  celle  des  scholastiques  :  la  distinction 
des  âmes  végétative  et  sensitive  <^),  des  sens  externes  et 
internes  ''^),  la  localisation  des  facultés  au  cerveau  (3),  la  défini- 
tion des  appétits  naturel,  sensilif  et  raisonnable  '^),  sont  autant 
d'aificles  à  peine  déguisés  de  la  Somme  de  saint  Thomas.  Peut- 
être  faut-il  voir  là  linfluence  du  retour  à  la  scolastique  proné 
par  les  nouveaux  théologiens  :  Vittoria,  Cano,  Solo,  et  les 
Jésuites. 

Cest  à  saint  Thomas  qu'il  prend  aussi  les  raisons  de  croire 
à  l'immortalité  :  ce  qui  caractérise  la  pensée  humaine,  c'est 
l'universalité  de  son  objet.  Or  la  propriété  la  plus  manifeste 
de  la  matière  c'est  l'étendue;  mais  cette  propriété  est  incom- 
patible avec  une  représentation  universelle  produite  par  un 
organe  matériel,  car  ce  qui  est  étendu  est  nécessairement 
déterminé  individuellement.  Donc  un  organe  étendu  ne  saurait 
porter  une  pensée  universelle;  il  faudrait  pour  cela  qu'il  fût 
universel  et  individualisé  (par  l'étendue),  ce  qui  est  contra- 
dictoire. Telle  est  la  thèse  de  saint  Thomas  reprise  par  J.  de 
Champagnac  '■^K  De  plus  les'  corps  matériels  peuvent  avoir 
mouvement,  même  les  astres  '^',  mais  non  l'entendement.  Enfin 
les  opérations  des  choses  montrent  leurs  facultés.  Si  donc 
l'âme  produit  des  opérations  «  séquestrées  de  la  nature  du 
corps  )i.  c'est  qu'elle  même  en  est  séparablc  "^  Or  ])récisément 
le  savoir  est  différent  de  la  sensation  '^^  :  l'intelligence  rectifie 


(1)  Trahie  de  l'Immortalité  de  l'dine.  p.  14;  Suni .  Thrnl..  l,  q.  7S,  art.  1 

(2)  Ibid  ,  p.  15;  Sum.  TheoL,  ibid  ,  art.  3,  i,  5 
'3)  Ibid  .  p.  16;  Sum.  Theol.,  ibid.,  art.  4c. 

(4)  Ibid  .  p.  17-19;  Sum.  Theol..  I.  q.  80,  art    l,  2.  et  I»  Iiap,  (i    23.  art.  'if  et  siiiv. 

(51  Ibid..  p.  21  et  3.«:  .Sum.  TIipoI..  I,  (i.  75,  art.  5;  Garp.xir.  Corps  cl  aine.  Leçons 
sur  saint  Thomas,  p.  229-239. 

(6)  Ibid..  p.  23;  Sum.  Theol  ,  I,  q.  70,  art.  3. 

(71  Sum.  Theol..  I,  q  89.  art  1  :  Ciim  m<xlus  operandi  iiiiiiisrn.jusqiie  rei  .«pqiiatur 
modum  es  end i  Ipsius.  necesse  e.st  animam  a  corp<ire  separatam  intellitrere.  etc. 

(8)  .Sum.  Theol  .  I.  q   85.  art.  2. 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  497 

même  les  données  des  sens  '^'.  Toute  une  séiie  d'objections 
enfin  sont  prises  avec  la  réponse  à  la  Somme  et  entassées 
pêle-mêle  dans  la  troisième  partie  '^K 

A  saint  Thomas  J.  de  Champagnac  a  joint  certains  chapitres 
de  JMarsile  Ficin,  surtout  dans  la  deuxième  partie  de  sa 
démonstration  :  la  liberté  de  l'âme,  qui  se  détermine  au  bien 
«  quelques  mouvements  que  les  sens  et  appétits  corporels  exi- 
tent  en  nous  »  et  même  si  le  corps  en  doit  souffrir,  lui  est  une 
preuve,  aussi  bien  qu'à  Ficin,  que  l'âme  est  indépendante  du 
corps  (3).  C'est  Ficin  aussi,  probablement,  qui  lui  a  suggéré 
ces  arguments,,  que  l'âme  seule  peut  se  replier  sur  elle-même 
et  se  connaître  ^^\  qu'elle  fait  son  aliment  de  la  vérité  et  que 
((  ce  qui  prend  pastm^e  des  choses  corporelles  et  corruptibles 
est  corporel  et  corruptible  et  ce  qui  prend  pasture  des  choses 
incorporelles  et  incorruptibles  est  incorporel  et  incoiTup- 
tible  (5^  »:  sans  compter  que  le  vrai,  le  beau,  le  bon  étant  une 
seule  et  même  chose  et  ayant  leur  «  être  spirituel  »  en  Dieu, 
l'âme  qui  se  nourrit  du  vrai  se  nourrit  de  Dieu  (^'.  L'âme 
recherche  cette  nom-riture  par  l'union  à  Dieu.  Elle  y  arrive 


(1)  Immort.,  p.  28  et  40.  A  ce  propos,  histoire  connue  des  raisins  peints  qu'allaient 
becqueter  les  oiseaux.  Voir  Messie,  Diverses  Leçons,  éd.  de  1610,  p.  299-30O;  du  Bar- 
tas,  6e  journée,  p.  243  dans  ledit,  de  1583  annotée.  Sur  la  thèse,  voir  Sum.  Thcol..  I, 
q.  16,  art.  2. 

(-2)  Il  serait  fastidieux  d'exi>oser  ici  ces  détails.  Voici  les  références  :  Champagnac, 
p.  100  à  105  =  Sum  Theol.,  I,  q.  76,  art.  3  en  entier;  Champagnac.  p.  106  et  120  = 
Sum.  Theol.,  i,  q.  78,  art.  8;  Champagnac,  p.  m  et  ll6  =  S«?7i.  Theol.,  I,  q.  76,  art.  2; 
Champagnac,  p.  133  (sur  l'éternité  du  inonde)  =  Sum.  Theol.,  I,  q.  46,  art.  l  (conclu- 
sion); Champagnac,  p.  142  =  Sum.  Theol.,  I,  q.  79,  art.  2  et  3;  Champagnac,  p.  144  = 
Sum.  Theol.,  I,  q.  79,  art.  10  (conclusion),  etc.  U  suit  saint  Thomas  jusque  dans 
les  détails  :  sur  l'âme  des  bêtes,  p.  21  =  Sum.  Theol.,  I,  q.  75,  art.  3  :  «  quod  animse 
brutorum  non  sunt  subsistentes  »,  etc.;  il  lui  empimnte  jusqu'à  ses  comparaisons; 
«  Leurs  impressions  naturelles  se  peuvent  bien!  estandre  aux  choses  qui  n'ont  ny 
corps  ny  figure  ainsi  que  nous  avons  dit  de  l'inimitié  de  la  brebis  contre  le  loup 
(p.  21)  =  Su??i.  Theol-,  I,  q.  78.  art.  4-79  :  «  Sicut  ovis  videns  lupum  venientem  fugit, 
non  propter  indecentiam  coloris  vel  figuras,  sed  quasi  inimicum  natura?  ». 

(3)  Immorl.,  p.  30-32.  Ficin,  Theol.  plat,  IX,  4. 

(4)  Ibid.,  p.  37,  Theol.  plat.,  IX,  1  :  Animam  a  corpore  non  pendere  quia  mens 
reflectitur  in  seipsam,  voir  aussi  saint  Thomas,  Ousestio.  disputât,  de  veritate, 
I,  art.  9  :  potentiae  naturales  insensibiles  nullo  modo  redennt  supra  selpsas,  etc. 

(5)  Ibid..  p.  45;  Theol.  plat  .  VIII,  p.  107  F  :  Anima  alitur  veritate. 

(6)  Ibid-,  p.  46;  Theol-  plat.,  II,  1  :  Unitas,  veritas,  bonitas,  Idem  sunt  et  super  ea 


nihil  est 


32 


498  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   rRANÇAISE 

d'autant  mieux  qu'elle  s'abstrait  davantage  des  sens,  et  elle 
réalisera  cette  union  parfaitement  à  la  mort  '^'. 

-Mais  Jean  de  Champagnac  est  trop  de  son  temps  pour  se 
confiner  dans  l'étude  saint  Thomas  ou  même  de  Marsile 
Ficin  :  il  a  été  séduit  à  la  fois  et  scandalisé  par  les  Essais 
de  -Montaigne;  il  l'imitera  donc,  le  copiera  même  et  le  réfutera. 
On  voit,  lorsqu'il  imite  -Montaigne,  son  style,  en  général  assez 
terne,  s'illuminer  d'images  familières  ou  de  citations;  le  philo- 
sophe devient  poète,  l'avocat  se  fait  humaniste.  Selon  -Mon- 
taigne, «  ce  que  nostre  raison  nous  conseille  de  plus  vray- 
semblable,  c'est  généralement  à  chacun  d'obeir  aux  loix  de 
son  pays  '^^  ».  Champagnac  a  trouvé  l'image  :  «  -\ous  n'avons 
aucun  plus  assuré  enseignement  que  celui  d'un  adage  commun 
et  naturel,  qui  dit  qu'il  n'est  que  d'entonner  les  chansons  pater- 
nelles '3)  ».  Et  comme  Montaigne  appuie  son  avis  sur  Socrate, 
Champagnac  lui  substitue  un  texte  des  Proverbes.  Il  traduit 
pour  les  démarquer  les  citations  de  son  modèle  '■''\  Ailleurs  il 
développe  une  image  amorcée  par  Montaigne:  l'âme  est  comme 
un  pilote,  disait  Platon:  elle  gouverne  le  corps,  dit  Montaigne 
«  comme  le  nocher  gouverne  son  navire  selon  l'expérience  qu'il 
en  a,  ores  tendant  ou  laschant  une  corde,  ores  haussant  l'an- 
tenne ou  remuant  l'aviron,  par  une  seule  puissance  produisant 
divers  effets...,  et  elle  loge  au  cerveau:  ce  qui  apert  de  ce  que 
les  blessures  et  accidents  qui  touchent  cette  partie  offensent 
inconlinent  les  facuHés  de  l'àme '5'  ».  Chani])agnac,  bien  qu'il 
ait  suivi  saint  Thomas,  qui  exige  une  union  plus  intime  entre  le 


(1)  liKrnort..  p.  41-48;  Theol.  idat..  XIV,  2  :  Quod  anima  appétit  snum  l)(>iiiim  et 
primum  bonum,  id  est  Deum:  IX,  l  :  Mens  qut)  maj^ris  separatur  a  corpnro  eo  melius 
se  habet. 

(2)  E.isais.  II,  XII  (vol.  IV.  p.  121) 

(3)  Traiclé  de  l'Immortalilé,  p  60.  Le  rapppocherment  peut  paraître  forcé,  mais 
les  lignes  suivantes  sont  copiées  textuellement  de  Montaigne,  ce  qui  me  .«omhlo 
l'autoriser. 

(4)  Montaigne,  II,  V.  De  la  conscience  (vol  III,  p.  51)  :  Conscla  mens  ut  cuique 
sua  est,  ita  concipit  Intra  |  Pectora  pro  îacto  si>em((ue  mctumque  suo  (Ovide, 
Faft  ,  I,  p.  485).  Champagnac  traduit  "  Bien  ou  mal  iKiur  ses  faits  attend  la 
conscience  »,  peut-être  aussi  le  vers  de  Chamtpagnac  (p.  66)  :  "  C'est  très  grand 
mal  d'aimer  contre  vertu  la  vie  »  est-11  une  adaptation  des  vers  pnomlques  de 
Stobée  cités  par  Montaigne,  I,  XXXIII  (vol.  II,  p.  151). 

!bi  fssalu,  II,  XII  (vol.  IV,  p.  62). 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  499 

corps  et  l'âme,  reprend  la  comparaison  de  Platon  et  de  Mon- 
taigne :  «  Et  tout  ainsi  que  c'est  par  l'industrie  du  maistre 
nocher  que  le  navire  vogue,  de  mesmie  le  corjjs  se  meut  parle 
moyen  de  nosti'e  ame.  Que  s'il  y  arrive  des  accidents  qui  l'em- 
peschent  et  troublent...,  ils  sont  semblables  aux  tempestes  qui 
ofusquent  et  esblouissent  bien  souvent  l'habilesse  du  maistre 
nocher  'i*  ». 

Si  encore  il  se  contentait  dimiter  Montaigne  !  Mais  il  le 
copie  textuellement  sans  avertir  !  Dans  le  «  proème  »,  le 
passage  suivant  est  pris  en  entier  de  Montaigne  '''\  «  Aussi  il 
s'en  faut  tant  que  nos  forces  conçoivenl  la  hauteiu^  divine  que 
de  ses  ouvrages  ceux-là  portent  mieux  sa  marque  que  nous 
entendons  moins,  étant  une  occasion  de  croire  aux  chrétiens 
lorsqu'ils  rencontrent  une  chose  incroyable.  Car  c'est  à  Dieu 
seul  de  se  cognoistre  et  d'interpréter  ses  œuvres  '3'  ».  Celui-ci 
est  presque  textuel  ^^>  ;  «  Car  encore  que  nous  lui  ayons  baillé 
(Montaigne  :  donné)  des  principes  {certains  et)  infaillibles 
{à  nosire  raison)  et  {encore)  que  nous  illustrions  {éclairions)  ses 
pas  par  la  sainte  lampe  de  la  Foy  {Vérité),  nous  voyons  pour- 
tant à  tous  coups  {lournellenient)  pour  peu  qu'elle  se  détraque 
de  la  voie  tracée  par  nos  ancêtres  {clémente  du  sentier  ordi- 
naire et  qu'elle  se  détourne  ou  écarte  de  la  voie  tracée  et 
battue  pcw  VF.çjlise),  {comme)  tout  aussitôt  elle  {se  perd)  s'em- 
barra.sse  {et  s  entrave)^  flottant  et  tournoyant  dans  la  {cette) 
mer  spacieuse  et  instable  {vaste,  trouble  et  ondoijcmte)  des 
opinions  humaines  ». 

On  a  pu  remarquer  que  presque  tous  les  rapprochements 

<i)  Jmviorl-,  p  118.  Autres  rapprochements  ;  «  Comme  nous  lisons  de  celui  qui  se 
figurait  que  la  navigation  et  trafique  des  navires  qui  arrivaient  au  port  de  la  cité 
estait  dressé  pour  lui,  et  y  recevait  si  grande  délectation,  qu'estant  guery  de  ceste 
resverie  par  le  soin  de  ses  parents  et  amis,  a  peu  s'en  fallut  qu'il  ne  les  mit  en 
procès  pour  l'avoir  distrait  du  merveilleux  contentement  qu'il  y  prenait  ».  C'est 
l'histoire  de  Trasilaus  racontée  par  Montaigne,  II,  XII  (vol.  III,  p.  272).  Epicure 
ordonna  de  faire  un  festin  à  l'anniversaire  de  sa  mort,  p.  55  =  Montaigne,  II,  XII 
(vol.  IV.  p.  190);  qu'il  faut  traiter  par  le  fouet  ceux  qui  doute  de  la  Providence 
ou  qui  font  «'tout  dépendre  de  notre  opinion  »,  p.  58  =  Montaigne.  II.  XII  (vol.  IV, 
p.  53). 

(2)   Ei^aois.   II,   XII   «vol.   III.   p.   277). 

'3)  Traicté  de  l'itnmort.,  p.  3. 

(4)  Champagnac,  p.  60;  Montaigne.  II  (vol.  IV,  p.  1S).  Je  cite  le  texte  de  Cham- 
pagnac  et  mets  entre  parenthèses  les  variantes  de  Montaigne. 


5(JU  LE   RATIONALISME    DANS   LA   LITTERATURE   FRANÇAISE 

de  textes  que  nous  avons  faits  entre  Champagnac  et  Montaigne 
portent  sur  VApologie  de  R.  Sebond.  C'est  que  l'apologiste 
semble  s'être  acharné  principalement  sur  ce  chapitre  des 
Essais.  Montaigne  y  soutient  la  thèse  padouane  que  l'immor- 
talité est  indémontrable,  il  y  met  l'âme  humaine  au-dessous 
de  celle  des  animaux,  ("est  précisément  contre  cette  assertion 
que  s'élève  Champagnac.  Il  ne  nomme  pas  Montaigne,  mais 
il  reprend,  textuellement  quelquefois,  ses  idées  :  «  Certains 
philosophes  voyants  les  actions  et  propriétés  de  certaines 
bestes  qui  despourvues  de  raison  font  ce  qui  appartient  à  leur 
conservation  aussi  parfaitement  comme  si  elles  en  estoient 
douées,  voire  excédent  la  capacité  de  la  raison  humaine,  sont 
tombés  en  rêverie,  que  ces  bestes  en  fussent  illustrées  tout 
ainsi  que  l'homme  (*)  ».  On  a  reconnu  la  thèse  de  Montaigne  : 
«  C'est  par  la  variété  de  ceste  mesme  imagination  qu'il...  taille 
les  parts  aux  animaux  ses  confrères  et  compaignons  et  leur 
distribue  telle  portion  de  facultez  et  de  forces  que  bon  luy 
semble.  Par  quelle  comparaison  d'eux  à  nous  conclud-il  la 
bestise  qu'il  leur  attribue  (2)  ?  ». 

Pour  démontrer  que  les  bestes  sont  intelligentes,  Montaigne 
rapporte  des  histoires  connues,  prises  à  Plutarque,  à  Pline, 
à  Elien  ou  à  Solin.  Le  renard  de  Thrace,  qui  refuse  de  passer 
sur  la  glace,  raisonne  ainsi  :  c  ce  qui  fait  bruit  se  renme,  ce 
qui  se  remue  n'est  pas  gelé,  ce  qui  n'est  pas  gelé  est  liquide 
et  ce  qui  est  liquide  plie  sous  le  faix  (3)  ».  Le  chien  qui,  après 
avoir  perdu  de  vue  son  maître,  arrivé  à  un  carrefour,  essaie 
successivement  plusieurs  routes,  procède  ainsi  par  élimina- 
lions  ^^K  Champagnac  a  refait  le  même  raisonnement  en  l'ap- 
pliquant à  un  exemple  pris  dans  Montaigne  :  «  On  se  trom- 
perait de  dire  avec  Plutarque  et  beaucoup  d'autres  (^)  que  le 
chien  qui  mettait  des  ])icrres  dans  un  pot  pour  faire  hausser 
l'huyle  qui  estait  au  fons,  ne  pouvant  advenir  autrement  à  la 

(1)  Trairic  de  l'imviorl.,  p.  87. 

(2)  KssaU.  II.  XII  (vol.  III.  p.  193). 

(3)  Ihlà  ,  II,  XII  (v<l.  III.  p.  207-208). 

A)  IMd    (vol.  III,  p.  213).  ^ 

(5)  L'exemple  est  dans  Montaifriie.  ihiA    (vol.  III,  p.  21S).  -^ 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  501 

boire,  estoit  pourvu  de  raison,  et  qu'il  argumentoit  en  ceste 
sorte,  deux  corps  ne  peuvent  estre  au  mesme  lieu,  le  corps 
liquide  cède  et  fait  place  au  corps  crasse,  le  corps  crasse  est 
plus  pesant  que  le  liquide,  les  pierres  sont  un  corps  crasse 
et  l'huyle  est  un  corps  liquide,  par  ainsi  les  pierres  estant 
plus  pesantes  que  l'huyle,  si  j'en  mets  en  ce  pot  où  il  est, 
il  montera  au-dessus  des  pierres,  et  montant  au  bout,  je  le 
boiray  ».  Champagnac  singe  assez  bien  Montaigne,  on  le  voit. 
Il  se  dofine  même  le  plaisir  d'ajouter  aux  histoires  étonnantes 
de  son  adversaire  d'autres  anecdotes  aussi  étonnantes  et  non 
moins  authentiques;  celle  du  «  chancre  »  qui,  pour  prendre 
les  huîtres,  leur  lance  une  pierre  tandis  qu'elles  ont  ouvertes 
leurs  coquilles,  celle  du  renard  qui  pour  pêcher  le  «  chancre  » 
reprend  la  méthode  qu'il  enseigna  autrefois  à  Isengrin  pour 
pêcher  les  anguilles  ^^K  Tous  ces  faits,  dit  Champagnac,  ne 
prouvent  pas  que  les  animaux  aient  une  âme  intelligente;  ils 
sont  régis  par  une  universelle  prudence  ((  qui  ne  faut  point  ». 
A  ce  compte  il  faudrait  accorder  aux  animaux  non  la  raison 
seulement,  mais  un  esprit  de  divination  qui  leur  permît  de 
sonder  les  intentions  les  plus  cachées  des  chasseurs.  Et  il  va 
en  donner  deux  jolis  exemples  :  «  Pour  dequoy  faire  une 
évidente  démonstration,  je  me  contenteray,  sans  passer  plus 
avant,  au  rapport  des  propriétés  des  bestes,  d'amener  ici  ce 
que  nous  trouvons  de  l'elephant  et  du  castor,  lorsqu'estant 
poursuivis  par  les  chasseurs  ils  viennent  à  se  deffaire  de  la 
partie  qui  est  en  eux,  pour  laquelle  on  les  poursuit,  à  savoir 
l'elephant  de  l'ivoire  de  ses  dents,  et  le  castor  de  ses  genitoires, 
les  quittant  aux  chasseurs  pour  la  rançon  de  leur  vie  ^3)  ». 

Ainsi  le  grave  périgourdin  s'égayait  du  malicieux  gascon. 
Il  le  prend  à  partie  ailleurs  encore,  comme  lorsqu'il  réfute 
cette  idée  que  la  génération  de  l'homme  étant  semblable  à 

(1)  Tralcté  de  l'immort..  p.  89. 

(2)  Ibid..  p.  90.  L'histoire  du  chancre  est  de  Pline  ifIX,  30).  Du  B.\rt.\s  l'a  mise  en 
vers  (fe  Keni.,  5^  jour,  p.  178  de  l'édition  annotée  de  1583). 

(3^  Ibid.,  p.  93.  Sur  l'éléphant,  voir  Pline,  XI.  61:  II,  75;  VI.  34;  VII,  l  et  suiv. 
Pour  le  castor,  du  Bartas  l'a  mise  en  versi  (/^e  sem.,  6e  jour,  p.  209). 


50:?  LE    RATIONALISME    DANS    LA    LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

celles  des  animaux,  sa  lin  doit  aussi  être  pareille  f*'.  Il  s'attaque 
aussi  aux  averroïstes  assez  longuement  *2),  à  l'éternité  du 
monde '3),  qui!  i-eproche  à  Aristote  d'avoir  soutenue.  On 
rcoueillerail  encore  dans  son  livre  d'autres  anecdotes  qui  mon- 
trent que  Cliampagnac  a  lu  les  rationalistes  padouans  :  l'his- 
toire de  Denis  le  Tyran  et  de  Hieron  (que  la  plupart  attribuent 
à  Simonide)  qui  renonce  à  donner  une  définition  de  Dieu'^^, 
celle  de  Hannon  qui  voulut  se  faire  proclamer  Dieu  par  des 
oiseaux  ^^\  la  liste  grossie  des  merveilles  de  l'esprit  humain  (6). 
-Mais  tandis  que  l'histoire  de  Hannon  est  pour  les  incrédules 
un  argument  en  faveur  de  l'évhémérisme  et  l'énumération 
des  merveilles  humaines  un  argument  contre  les  miracles, 
chez  Champagnac  lune  et  l'autre  concourent  à  prouver  l'im- 
mortalité. Mais  peut-être  ai-je  déjà  donné  trop  d'importance 
au  livre  de  Cham})agnac  ?  Lui-même  sera  mon  excuse.  Il  ne 
fut  point  banal,  ayant  réuni  en  une  seule  figure  la  gravité 
du  magistrat,  la  subtilité  un  peu  sèche  du  scolastique,  la  curio- 
sité éparpillée  et  quelque  peu  incohérente  de  l'humaniste,  le 
sourire  du  périgourdin,  toujours  amusé,  même  quand  il  se 
courrouce  contre  Montaigne. 

Plus  terne,  plus  sermonneur,  mais  plus  cohérent  dans  sa 
doctrine,  et  plus  précis  dans  son  exposé  que  Champagnac, 
est  le  pasteur  Jean  de  Serres^'''.  Quand  après  avoir  raconté 


(1)  Ibid.,  p.  55  et  95.  Voir  Montaigne,  II,  XII  :  «  La  manière  de  naître,  d'engen- 
drer, mourir,  agir,  vivre  et  mourir  des  testes  étant  si  voisine  de  la  nôtre  »,  etc. 

vol.  III,  p.  227). 

(2)  Ibid-,  p.  112-116.  La  réfutation  qu'il  en  donne  me  semble  prise  à  la  Theologla 
platonlca  fie  Ficin,  XV,  XVIII,  p.  287-288,  et  XV,  XIX,  p.    289  et  suiv. 

3)  Ibtd..  p.  133-134. 
(i)  Ibid..  p.  4-5. 

(5)  IhUl..  p.  56  :  «  Nous  lisons  qu'un  nommé  Hannon  carthaginois  fut  biem  telle- 
ment desireu.x  de  s'immortaliser  qu'il  se  travailla  fort  d'apprendre  à  plusieurs 
oyseaux  qu'il  tenait  renfermés  de  chanter  Hannon  est  un  Dieu,  ...Mais  comme  ce 
désir  estait  outrecuidé,  ces  oy.seaux  étants  mis  en  liberté  retournèrent  à  leur  chant 
naturel  et  accoutumé,  rendant  mocquée  la  sote  cupidité  de  cet  ambitieux  >•.  Cette 
histoire  vient  en  première  source  de  Rlien.  Hint.  div.,  XIV,  32.  Voir  Des  Periers. 
Cymbalnm,  4»  dial.,  fin.  On  attribue  ordinairement  cette  aventure  h  Psaphon. 

(6)  Ibid.,  p.  8'i-8ô.  Prises  à  Theol.  ■plat..  XIII,  3,  p.  219  ou  encore  à  du  Bartas 
(/re  sem..  0®  jour,  p.  243)  où  elles  se  trouvent  toutes  rassemblées. 

(7)  Sur  Jean  de  Serres  voir  Baillet,  Jvgcments  des  smmnts,  III,  p.  70-71. 


APOLOGISTES   ORTHODOXES  503 

l'histoire  de  son  leinps  cl  traduit  Platon  'D,  il  voulut  couronner 
sa  vie,  il  fit,  lui  aussi,  un  traité  De  l immortalité  de  Vâme  '^^ 
et  le  publia  deux  ans  avant  sa  mort  (1596). 

Après  deux  discours  assez  creux  à  Henri  IV  et  aux  lecteurs, 
il  divise  son  livre  en  six  «  aphorismes  ».  Le  premier  et  le 
deuxième  montrent  l'excellence  et  la  nature  de  l'âme;  le  troi- 
sième les  preuves  de  l'immortalité,  le  quatrième  et  le  cin- 
quième réfutent  les  objections;  le  sixième  tire  la  conclusion 
morale  du  livre.  Jean  de  Serres  ayant  traduit  tout  Platon,  on 
ne  s'étonnera  pas  qu'il  ait  mis  dans  son  livre  de  larges  extraits 
de  VAlcibiade,  du  Phèdre,  du  Timée,  des  sixième  et  septième 
livres  de  la  République.  Il  est  remarquable  qu'au  rebours  de 
tous  les  platonisans  de  la  Renaissance,  il  renie  les  néo-plato- 
niciens pour  ne  suivre  que  Platon  lui-même  ;  ses  disciples 
((  s'esta ns  premièrement  meslez  avec  les  nues  retombent  enfin 
aux  abysmes  d'une  trop  périlleuse  vanité  en  laquelle  ils  se 
perdent  et  ceux  qui  les  lisent  ».  Il  leur  reproche  entre  autres 
d'avoir  mal  compris  la  théorie  des  idées. 

Le  premier  livre  débute  par  une  belle  page  de  l'Alcibiade 
où  Platon  expose  que  le  tout  de  l'homme,  c'est  son  âme.  Puis 
de  Serres,  toujours  en  citant  Platon,  fonde  l'excellence  de 
l'âme  sur  ce  qu'elle  est  semblable  à  Dieu  par  sa  spiritualité, 
par  sa  facilité  à  se  mouvoir  dans  l'univers,  parce  qu'elle  se 
nourrit  de  la  vérité,  parce  qu'elle  tend  au  souverain  bien.  Mais 
aussi  l'homme  est  un  microcosme,  image  du  monde  :  il  a  en 
effet  un  corps  et  une  âme;  son  corps  est  composé  de  parties 
nobles  et  basses,  image  de  la  composition  harmonieuse  et 
variée  de  l'Univers.  Que  si,  passant  de  Platon  à  l'Evangile, 
nous  examinons  la  valeur  de  l'âme  pour  le  chrétien,  nous  trou- 
vons que  son  excellence  est  fondée  sur  les  circonstances  de  sa 


(1)  Platoni^  opéra  omnia  ex  nova  interprétative  Joannis  Serrant.  H.  Estienne, 
3  info.  1578. 

(2)  De  VImmor taillé  de  Vâme  représentée  par  preuves.....  par  Jean  de  Serres, 
discours  autant  nécessaire  comme  le  temps  est  corrompu,  A.  Lyon,  pour  les  frères 
de   Gabiano,    1596. 


504 


LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTERATURE   FRANÇAISE 


création,  sur  la  profondeur  de  sa  chute,  sur  la  splendeur  de 
sa  régénération,  sur  l'estime  qu'en  a  fait  le  Verbe  qui  s'est 
incarné  pour  elle  et  sur  la  vie  surnaturelle  enfin  qu'il  lui  a 
méritée.  Le  deuxième  livre  est  moins  exclusivement  platoni- 
cien. L'auteur  y  adopte  et  développe  la  définition  de  l'âme 
d'Aristote,  étudie  ses  fonctions  et  surtout  s'applique  à  la  dis- 
tinguer de  lame  des  animaux.  Il  semble  qu'à  plusieurs  reprises 
il  pense  lui  aussi  à  Montaigne.  Le  troisième  livre  porte  un 
titre  triomphant  :  «  Cent  preuves  de  rimmortaliié  de  l'âme 
tirées  de  l'Académie  ».  Il  y  en  a  cent  en  effet,  pas  une  de 
moins.  Les  69  premières  sont  convaincantes,  les  31  dernières, 
moins  probantes;  mais  toutes  sont  des  variantes  de  la  pre- 
mière :  que  l'âme  étant  créée  à  l'image  de  Dieu  immortel  doit 
être  immortelle  comme  lui.  Une  deuxième  série  de  preuves 
est  prise  à  l'Eglise,  la  parole  de  Dieu,  l'autorité  des  Pères, 
l'Ecriture  sainte. 

«  S'il  ne  se  trouve  personne  qui  dit  qu'il  n'a  point  d'âme, 
combien  y  en  a-t-il  qui  vivent  comme  croyans  n'en  avoir 
point  »  ?  De  Serres  attribue  l'impiété  croissante  à  la  «  lon- 
gueur et  licence  de  nos  furieuses  guerres  ».  Et  il  entreprend 
de  réfuter  les  incrédules.  .\u  lieu  d'entrer  dans  le  détail  de 
ses  douze  objections  avec  leurs  réponses  il  sera  plus  important 
-de  savoir  qui  il  accuse  d'avoir  répandu  l'incrédulité;  Epicure, 
Lucrèce,  Pline,  Alexandre  d'Aphrosisias,  Averroès,  Avicenne, 
Pierre  Pomponat.  Il  admire  Aristote,  mais  lui  reproche  d'avoir 
enseigné  l'éternité  du  monde  et  d'être  «  tombé  à  une  autre 
extrémité  en  nous  faisant  douter  avec  trop  de  sujet  qu'il  n'a 
pas  bien  retenu  la  créance  de  l'Académie  louchant  la  nature 
de  l'âme  immortelle  ».  Sans  doute  il  a  parfois  entrevu  la 
vérité  sur  ce  point,  mais  il  a  tort  de  soutenir  «  qu'il  n'est 
pas  bien  clair  qu'est-ce  que  l'entendement  de  l'homme  », 
«  faisant  croire  à  l'homme  que  .son  âme  est  comme  les  âmes 
df'<  aiilres  aniniiiiix,  olaiil  ou  iii<trli-ll<'  a\(M'  elles,  ou  elles 
iniiiiorlelles  avec  elle  »  {W"  livre).  Après  un  livre  entier  sans 
inléivl  con:>acré  à  examiner  les  questions  rehilives  à  la  nature, 


APOLOGISTES    ORTHODOXES  505 

à  l'origine  de  l'âme,  à  la  forme  de  l'immortalité  (livre  V),  Jean 
de  Serres  £ait  un  long  sermon:  (VP  livre)  pour  nous  dire 
de  bien  vivre  et  de  bien  mourir. 

Sorel  énumérant  les  traités  sur  l'âme  du  début  de  XVIP 
siècle  leur  donne  pour  prédécesseur  celui  de  Jean  de  Serres, 
«  dans  lequel  les  propositions  sont  réduites  en  la  forme  de 
l-'Escole  '1'  )'.  C'est  le  seul  traité  du  XVP  siècle  qu'il  connaisse. 
Sans  doute  la  simplicité  de  sa  démonstration,  la  netteté  de 
l'argumentation  l'auront  fait  surnager  quelque  temps  parmi 
tant  de  rivaux,  jusqu'au  jour  où  La  Mothe  le  Vayer  fera  mieux 
encore,  en  réduisant  à  33  syllogismes  très  clairs  et  très  courts 
tous  les  livres  écrits  sur  ce  sujet '^). 

L'année  1596  fut  féconde  en  apologistes  :  après  Cham- 
pagnac  et  Jean  de  Serres.  Infandic  Hotman  publiait,  ou  plutôt 
ses  parents  publiaient  Trois  divers  traitiez  sur  la  Providence, 
sur  le  progrès  de  Vame  raisonnable,  sur  les  diverses  occu- 
pations des  hommes  ^^K  Le  premier  seul  a  quelque  intérêt  et 
quelque  sérieux  philosophique.  On  croit  encore  à  Dieu,  dit 
Hotman,  mais  on  doute  de  la  Providence.  Il  consacre  cepen- 
dant un  chapitre  à  démontrer  l'existence  de  Dieu,  par  la  beauté 
du  corps  des  animaux/^',  par  la  régularité  et  la  fixité  des 
espèces  (^l  par  la  finalité  dont  témoignent  les  sens  de 
l'homme  '^^  par  la  beauté  du  corps  et  de  l'intelligence 
humaine  ^^'.  Mais  il  en  consacre  neuf  à  la  Providence.  C'est 


(1)  Bibl.  franc.,  p.  41. 

(2)  Petit  discours  chrétien  de  l'Immortalité  de  l'âme  avec  le  corollaire  et  un  dis- 
cours sceptique  sur  la  musique,  2«  édit.,  1040. 

(3)  Trois  divers  traitiez  de  feu  sieur  d'infandlc  Hotman  .•  /«  de  la  Providence 
divine.  ?o  Du  progrès  de  Vdme  raisonnable.  3°  Des  dii^erses  occupations  des  hom- 
mes. A  Paris,  chez  G.  .\uvray,  MDXCVII.  La  dédicace  à  M.  Hotman.  sieur  de 
Mortefontaine)  est  signée  Hotman  Villiers.  Les  traités  2  et  3  sont  datés  de  là96 
et  ont  dû.  je  pense,  être  imprimés  du  vivant  de  l'auteur.  Le  premier,  au  contraire, 
est  de  1597.  et  posthume.  La  pagination  est  différente  pour  chaque  traité. 

(4)  Ch.  Il,  fos  4-5. 

(5)  Fo  4   yo. 

(6)  FO  5. 

(7)  Fos  5  vo-6  yo. 


506 


LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTERATURE   FRANÇAISE 


contre  les  péripatéticiens  qu'au  chapitre  III  il  établit  qu  il  y 
a  une  providence  particulière  contre  «  ceux  qui  confessent  une 
divine  providence  seulement  en  ce  qui  se  fait  au  ciel,  et  non 
pas  en  ce  qui  se  fait  sur  la  terre  <^>  ».  Puis  il  examine  le 
problème  du  mal '2).  Il  soutient,  avec  quelque  subtilité,  que 
le  mal  étant  une  privation  du  bien  n'existe  pas  et  ne  saurait 
par  conséquent  avoir  d'auteur (3),  Pourtant  Dieu  permet  le 
mal  qui  nous  arrive  et  même  on  peut  dire  qu'il  nous  envoie 
celui  qui  nous  vient  de  la  nature;  mais  le  mal  a  pour  but 
de  nous  rendre  meilleurs,  de  punir  nos  péchés,  de  nous  faire 
souvenir  de  Dieu  et  nous  porter  à  recourir  à  lui  dans  la  souf- 
france (^^  Les  maux  collectifs  mêmes  qui  affligent  un  peuple 
sont  quelquefois  nécessaires  pour  sa  conversion  '^'.  Entre 
temps  Holman  commente  le  De  Natura  Denrum  pour  prouver, 
contre  Pline,  que  l'homme  est  pourvu  de  tout  ce  qui  lui  est 
nécessaire  pour  atteindre  sa  fin  et  qu'on  ne  saurait  accuser 
la  Providence  de  l'avoir  fait  plus  malheureux  que  les  ani- 
maux '^K 


(1)  Fos  8  vO-9. 

(2)  Ch.  IV. 

(3)  Ch.   V,   fo  12. 

(4)  Ch.   X,    fos  32-34. 

(5)  Ch.  XI,  fos  35  v»  et  suiv. 

(6)  Ch.  VII,  fos  18  \o  et  suiv.  Ces  pages  sont  un  commentaire  des  chapitres  du 
deuxième  livre  du  De  ^aturn  Deoruni  (ch.  LIV  et  suiv.)  où  Cicéron  montre  que 
la  «  Providence  de  la  Nature  »  a  tout  disposé  au  monde  en  vue  de  1  homme  et 
l'homme  lui-même  pour  jouir  du  monde.  C'est  Hotman  lui-même  qui  indique  la 
source  et  même  il  cite  une  phrase  de  Cicéron    De  Satura  Deoruin.  11,  LVI,  début). 

' —  Le  second  traité  de  llotmau  n'a  pas  d'intérêt  ici.  ,Ie  dois  cependant  signaler 
au  chap.  I  une  idée  qui  sera  l'un  des  principes  de  Descartes  :  La  métho<le  pour 
arriver  au  vrai,  c'e-st  d'aller  du  connu  à  l'inconnu  :  "  il  appert  que  pour  argu- 
menter.... les  premières  propositions  de  nostre  discours  doivent  estre  tellement 
certaines  qu'il  n'y  ait  en  elles  aucun  doubte  »  {Du  Prnori>s  de  l'dine  raisonnable, 
p.  9).  —  Le  troisième  traité  est  une  sorte  de  traité  du  souverain  bien  (jui  met  le 
bonheur  de  l'homme  dans  la  philosophie  et  la  souveraine  philosophie  dans  la 
religion. 


LIVRE  II 

«  ATHÉISTES  »    ET    «  ACHRISTES  » 


CHAPITIIE    XVI 
Athées    et    Déistes. 


I.  Dénonciation  de  P.  Viret  (1563),  —  II.  i!  Un  italien  :  P.  Strozzi  (1558j; 
2J  H.  Estienne  :  les  athées  et  les  miracles  (1564);  3!  Un  cicéronien  : 
F.  du  Jon.  —  III.  Un  gnostique  :  G.  Vallée  (1574),  sa  vie  et  sa  doctrine. 
—  IV.  IJ  Les  déistes  du  Tarn  (1576);  2J  Deux  épicuriens  :  Et.  Jodelle 
et  Simon  Nicolas;  3)  Les  protestants  libéraux  de  1564  à  1592. 


,11  est  bien  diflicile  déjà  —  après  155(3  —  de  classer  les 
hérétiques.  Les  divers  courants  que  j'ai  étudiés  se  mêlent 
dans  les  mêmes  intelligences  et  se  renlorcent  sans  qu'il  soit 
toujours  possible  de  savoir  au  juste  quelles  croyances  ils  ont 
déracinées,  quelles  ont  résisté.  D'autre  part,  les  guerres  reli- 
gieuses, en  même  temps  qu'elles  rarélient  la  littérature  «  liber- 
tine »,  donnent  aux  œuvres  de  circonstance  qu'elles  suscitent 
un  Ion  violent  qui  peut  tromper  l'historien.  On  a  vu  par 
exemple  Gentien  Hervet,  Jean  de  Neufville  et  Cheffontaines 
traiter  d'athées  des  gens  qui  doutaient  seulement  de  l'immor- 
talité.  Il   paraît  certain   cependant  qu'il  y   avait  des  athées 


508  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

OU  tout  au  moins  des  déistes  bien  décidés  en  assez  grand 
nombre  en  1560.  A  partir  d-e  cette  date,  en  effet,  les  apologistes 
de  langue  française  —  on  en  trouvera  plus  loin  de  larges 
extraits  '^>  —  dénoncent  leur  existence  et  aussi  réservent  dans 
leurs  livides  plusieurs  chapitres  pour  démontrer  lexistence  de 
Dieu..  Guy  Le  Fèvre  de  la  Boderie,  qui  consacra  sa  vie  à  les 
réfuter,  en  a  même  connu  avant  1560  (^^  Charles  de  Bourgue- 
ville,  s'il  veut  avant  tout  établir  l'immortalité,  s'attaque  cepen- 
dant aux  athées  {AUiêonmchie,  1564)  et  l'on  a  lu  sa  dénon- 
ciation <3).  A  la  même  époque,  à  la  fin  de  1563,  Pierre  Virel,  qui 
venait  de  passer  deux  années  à  parcourir  le  midi  (^'  et  qui 
depuis  un  an  habitait  Lyon,  est  effrayé  par  le  nombre  des 
athées  et  des  déistes.  Il  avait  écrit  autrefois  (1544)  une  Expo- 
sition lainilière  sur  le  symbole  des  aposires;  le  livre  s'est 
grossi  et  en  1563  Viret  le  refond  entièrement.  Les  quatre  pre- 
miers dialogues  deviennent  un  volume  de  904  pages  in-folio  : 
ce  sont  ceux  qui  étabUssent  l'existence  et  la  nature  de  Dieu, 
la  providence  et  la  création  '^). 

Lui-même  du  reste  nous  dit  la  doctrine,  la  vie,  la  situa- 
tion des  «  athéistes  »  et  des  «  déistes  »  qu'il  combat  dans 
une  préface,  datée  de  Lyon,  12  décembre  1563  'i),  et  dont  on 


(1)  Chapitre  XVII  et  XVIII.  La  plupart  d'entre  eux  s'attaquant  à  la  fois  aux 
rationalistes  d'origine  padonane,  aux  athées  et  aux  nouveaux  ariens,  je  préfère 
en  retarder  l'analyse  jusqu'après  l'étude  de  ces  derniers. 

(2)  Vers  1553  si  ses  renseignements  sont  e.xacts.  Voir  la  page  curieuse  qui  sert 
de  préface  à  son  EncycUe.  au  chapitre  XIX. 

(3)  Au  chapitre  précédent. 

(4)  Arrivé  à  Nîmes  le  6  octobre  1561,  s'en  va  évangéllser  successivement  Mont- 
pellier. Nîmes,  Lyon  (1562)  où  il  se  fixe.  Barnaud,  P.  Viret  et  son  œuvre,  Saint- 
Amans,   1911,  in-80,  p.  605-606. 

(5)  On  en  a  trouvé  l'analyse  au  chapitre  XV.  Viret  indique  lui-même  sur  quelles 
matières  et  pour  quelles  raisons  il  a  augmenté  son  livre  :  «  Pour  ceste  cause  (le 
grand  nombre  des  athées),  en  revoyant  mon  Inslntrlion  rhrestlenne,  hujuelle  a 
déjà  esté  par  cl  devant  imprimée,  je  l'ay  beaucoup  augmentée,  et  notamment 
sur  la  matière  die  la  création  du  monde  et  de  la  Providence  de  Dieu  sur  toutes 
créatures  et  singulièrement  envers  l'homme,  principalement  pour  deux  causes  »  : 
1"  parce  que  cei"lains  dédaignent  l'Ecriture  et  s'adonnent  uniquement  à  la  <■  philo- 
sophie humaine  »;  2^  parce  que  "  la  philosophie  naturelle  doit  servir  comme  de 
théologie  aux  chrestlens  »  (Préface,  f°  vi). 

(l)  Préface  à  l'Eglise  de  Montpellier  en  tète  du  second  volume  de  \lnst>urlion 
(lirclienne.  t°  v  vo-vi. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  509 

excusera  la  longueur  en  considération  de  son  importance  : 
<(  Il  n'est  pas  seulement  question  avec  eux  (les  libertins)  des 
traditions  humaines...  :  mais  il  est  question  pour  le  premier 
s'ils  croyent  en  Jesus-Christ  ou  non,  ou  s'ils  ont  du  tout  point 
de  Dieu,  et  sils  croyent  aucune  résurrection  des  corps,  ou 
immortalité  des  âmes,  et  qu'il  y  ait  ne  vie  ne  mort  éternelle 
après  ceste  vie  et  ceste  mort  corporelle  à  laquelle  tous  hommes 
sont  icy  sujets.  Il  y  en  a  plusieurs  qui  confessent  bien  qu'ils 
croyent  qu'il  y  a  quelque  Dieu,  et  quelque  Divinité,  comme 
les  Turcs  et  les  Juifs,  mais  quant  à  Jesus-Christ  et  tout  ce 
que  la  doctrine  des  evangelistes  et  des  apostres  en  tesmoignent, 
ils  tiennent  tout  cela  pour  fables  et  resveries...  Il  y  a  bien  plus 
de  difficulté  avec  ceux-cy  voire  mesme  qu'avec  les  Turcs,  ou 
pour  le  moins  autant.  Car  ils  ont  des  opinions  louchant  la 
religion,  autant  ou  plus  estranges  que  les  Turcs  et  tous  autres 
mescreans.  J'ai  entendu  qu'il  y  en  a  de  ceste  bande,  qui  s'ap- 
pellent déistes,  d'un  mot  tout  nouveau,  lequel  ils  veulent 
opposer  à  atheiste.  Car  poiu*  autant  qu'atheiste  signifie  celuy 
qui  est  sans  Dieu,  ils  veulent  donner  à  entendre  qu'ils  ne 
sont  pas  du  tout  sans  Dieu  à  cause  qu'ils  croyent  bien  qu'il  y 
a  quelque  Dieu,  lequel  ils  recognoissent  mesme  pour  créateur 
du  ciel  et  de  la  terre,  comme  les  Turcs,  mais  de  Jesus-Christ, 
ils  ne  scavent  que  c'est,,  et  ne  tiennent  rien  de  luy,  ne  de 
sa  doctrine  ».  «  Ces  déistes  desquels  nous  parlons  maintenant, 
ajoute  Viret,  se  moquent  de  toute  religion,  nonobstant  qu'ils 
s'accommodent  quant  à  l'apparence  extérieure  de  la  religion 
de  ceux  avec  lesquels  il  leur  faut  vivre,  et  ausquels  ils  veulent 
plaire,  ou  lesquels  ils  craignent.  Et  entre  ceux-cy,  il  y  en  a 
les  uns  qui  ont  quelque  opinion  de  l'immortalité  des  âmes, 
les  autres  en  jugent  comme  les  épicuriens  et  pareillement  de 
la  providence  de  Dieu  envers  les  hommes,  comme  s'il  ne  se 
mesloit  point  du  gouvernement  des  choses  humaines,  ains 
qu'elles  fussent  gouvernées  ou  par  fortune,  ou  par  la  prudence, 
ou  par  la  folie  des  hommes,  selon  que  les  choses  rencontrent. 
J'ay  horreur  quand  je  pense  qu'entre  ceux  qui  pointent  le  nom 


51(1  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

de  chreslien,  il  y  a  de  lels  monstres.  Mais  l'horreur  me 
redouble  encore  d'avantage,  quand  je  considère  que  plusieurs 
de  ceux  qui  font  profession  des  bonnes  lettres  et  de  la  philo- 
sophie humaine,  et  qui  sont  mesme  souventes  fois  estimez  des 
plus  savans,  et  des  plus  aigus  et  plus  subtils  esprits,  sont  non 
seulement  infectez  de  cest  exécrable  athéisme,  mais  aussi  en 
font  profession  et  en  tiennent  escole,  et  empoisonnent  plusieurs 
personnes  de  tel  poison.  Parquoy  nous  sommes  venus  en  un 
temps,  auquel  il  y  a  danger  que  nous  n'ayons  plus  de  peine 
à  combattre  avec  tels  monstres  qu'avec  les  superstitieux  et 
idolâtres,  .si  Dieu  n'y  pourvoit,  comme  jay  bonne  espérance 
qu'il  le  fera.  Car  |»army  des  differens  (|ui  sont  aujourd'huy 
en  la  matière  de  religion,  plusieurs  abusent  grandement  de  la 
liberté  qui  leur  est  donnée  de  suyvre  des  deux  religions  qui 
^<»iii  en  différent,  ou  lune  ou  l'autre.  Car  il  y  en  a  plusieurs 
qui  se  dispensent  de  toutes  les  deux,  et  qui  vivent  du  tout  sans 
aucune  religion  <i)  ». 

On  pense  bien  que  les  incrédules  auxquels  fait  allusion  Viret 
n'ont  pas  laissé  d'œuvres  littéraires  pour  combattre  l'existence 
de  Dieu  ni  même  la  Providence.  De  quelques-uns  cependant 
l'histoire  a  conservé  les  traits.  Ils  ne  se  ressemblent  pas.  L'un 
est  devenu  athée  sous  l'influence  des  Italiens,  l'autre  a  trop 

(1)  Viret  fait  encore  aUusion  aux  athées  clans  d'autres  passages  de  la  Préface  .- 
"  les  épicuriens  et  atheistes,  desquels  le  nombre  est  lieaucoup  plus  grand  que 
plusieurs  ne  pensent  »  (p.  m);  —  ■■  ils  ne  croyent  rien  du  tout,  ains  révoquent 
tout  en  doute  et  ne  tiennent  toute  religion  que  pour  opinions  qui  tourmentent 
las  cerveaux  des  hommes  »  (p.  iii-v»).  Au  cours  du  volume  aussi  (p.  S3'i),  il  les 
compare  aux  athées  d'Athènes  et  en  fait  des  hypocrites  qui  extérieurement  ont 
encore  quelque  apparence  de  religion  quand  en  leur  âme  ils  n'ont  plus  aucune 
foi;  mais  cédant  au  danger  et  capables  de  tout  pour  garder  leur  situation,  même 
de  se  faire  Turcs  si  on  le  leur  demandait.  En  1565.  enfin,  dans  Vliilcrim  fait  par 
dialofiues  (Lyon,  Senneton,  1565),  Viret  a  consacré  un  dialogue  (le  3«)  à  dénoncer 
les  ••  libertins  ».  Il  entend  par  là  les  épicuriens  surtout.  Sur  ce  point  .sa  dénon- 
ciation i>récèd€  celles  de  La  Noue  et  do  Jean  de  l'Espine  dont  on  a  vu  plus  haut 
1  analy.sf.  Mais  il  consacre  aussi  quelques  pages  à  ceux  qui  se  moquent  ouverte- 
ment de  toute  religion.  Ils  tiennent  pour  naifs  et  sots  ceux  qui  «  suyvent  encore 
les  superstitions  et  les  idolâtries  »  et  portent  un  jugement  semblable  sur  ceux  qui 
<■  croyent  en  l'Evangile  et  en  .Jesu.s-Christ  et  aux  sainctes  Ecritures,  excepté  qu'ils 
tiennent  le.s  premiers  plus  sots  et  plus  lourds  que  les  .seconds  »  (p.  199).  .Sur  ce 
dernier  point,  les  libertins  de  Viret  annoncent  le  livre  de  O.  Vallée  dont  on  verra 
tout  à  l'heure  l'analyse  (sur'  ce  chapitre  de  Viret.  voir  Barnaud.  P.  Viret,  p.  616- 
617' 


ATHÉES   ET   DÉISTES  511 

lu  le  De  natura  Deorum,  d'autres  sont  des  libertins.  Des  uns 
et  des  autres  essayons  de  modeler  la  médaille  en  leur  gardant 
leur  physionomie  propre. 


II 


Le  premier  en  date  que  nous  rencontrons,  c'est  un  Italien 
au  service  de  la  France  :  Pierre  Strozzi^).  Dans  le  récit  que 
Vincent  Carloix  nous  a  laissé  de  sa  mort,  nous  trouvons  sur 
les  lèvres  du  maréchal  mourant  l'objection  de  Cicéron  à  la 
création,  la  négation  de  l'immortalité,  de  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  de  la  religion  chrétienne.  Le  maréchal  fut  blessé  au 
siège  de  Thion  ville  (1558)  «  estant  M.  de  Guy  se  fort  près  de 
luy,  auquel  il  dit  :  <(  Ha  !  teste-Dieu,  Monsieur  !  le  Roy  perd 
aujourd'huy  un  bon  serviteur,  et  vostre  excellence  encores  ». 
Et  le  voulant  ce  prince  admonester  de  son  salut,  et  luy  remé- 
morant le  nom  de  Jésus  :  «  Quel  Jésus,  dist-il,  mort-Dieu  ! 
venez-vous  me  ramentevoir  icy  ?  Je  regnie  Dieu,  ma  feste  est 
finie  ».  Et  redoublant  le  prince  son  exhortation,  luy  dist  qu'il 
pensast  en  Dieu,  et  qu'il  seroil  aujourd'hui  devant  sa  face  : 
«  Mort-Dieu,  respondit-il,  je  seray  où  sont  tous  les  aultres  qui 
sont  morts  depuis  six  mille  ans  ».  Le  tout  en  langage  italien; 
et  à  ceste  dernière  parole  il  expira;  qui  estoit  un  testament 
assez  commun  à  ceulx  de  sa  nation  Florentine,  et  digne  de 
la  vie  qu'il  avoit  toujours  démenée,  et  selon  sa  foy  qui  n'estoit 
pas  plus  chrestienne  ny  religieuse  qu'il  ne  falloit,  comme  il 


(1)  Sur  P.  Strozzi.  voir  Brantôme  (éd.  Lalanne.  II,  p.  239-282:  VI.  p.  159-164:  éd. 
Mérimée  I.acour,  II,  p.  246-292:  VII.  p.  311-319):  sur  sa  famille  :  J.-B.  L'Hermite  de 
SoLiERS.  La  Toscane  française.  1661.  p.  523-52'i;  Litta,  Famigtie  cclehri  italiane, 
IV.  disp.  XLIV^  —  Il  était  fils  de  Philippe  Strozzi  et  de  Clarisse  doi  Medicis  et 
cousin  de  Catherine  de  Medici<. 


51:?  LE    RATIONALISME    DANS    LA    LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

le  list  paroistre,  le  soir  précèdent  qu'il  souppa  avec  M.  de 
Vieilleville;  car,  le  soupper  finy,  il  demanda  de  gayeté  de 
cueur  :  «  (jue  foisoit  Dieu  devant  qu'il  fist  le  monde  'i)  ?  ». 
Demande  que  reprima  M.  de  Vieilleville  assez  modestement, 
luy  remonslrant  qu'elle  n'estoit  point  en  toute  la  saincte  Escri- 
ture;  et  quand  elle  cesse  de  nous  enseigner,  il  nous  fault  cesser 
de  nous  enquérir,  car  il  n'y  a  rien  en  icelle  que  ce  qui  nous 
est  nécessaire  au  salut  :  «  C'est  une  belle  chose,  dist-il  lors; 
ceste  saincte  Escrilure  est  fort  bien  inventée  si  elle  estoit 
\Taye.  Incontinent  à  ceste  scandaleuse  et  satanesque  parolle, 
Al.  de  Vieilleville...  se  levé  de  table,  afïin  de  rompre  compai- 
gnie  ))  à  un  tel  «  athéiste  ».  Et  le  vieux  maréchal  et  son  secré- 
taire augurent  que  Dieu  punira  de  tels  blasphèmes,  «  ce  qui 
advint  sans  attendre  le  cours  de  vingt-quatre  heures,  car  le 
lendemain  il  fut  frappé,  environ  midy,  et  rendit  l'esprit,  mais  je 
ne  sçay  à  qui,  veu  les  horribles  blasphèmes  qu'il  vomit  en  mou- 
rant, et  (jue  l'on  iieult  juger  de  sa  créance  par  les  meschantes 
parolles  qu'il  prononcea  le  soir  précèdent,  qui  le  privèrent, 
à  mon  advis,  en  l'article  de  la  mort  de  la  cognoissance  de 
Dieu  (2)  ».  Le  point  de  départ  de  l'incrédulité  de  Strozzi,  c'est, 
on  le  voit,  la  négation  de  l'immortalité  et  de  la  création,  Gicé- 
ron,  Aristote  et  Pomponazzi  se  joignent  dune  façon  curieuse 
en  cette  âme  d'italien. 

Henri  Estienne,  qui  nous  a  conservé  aussi  le  souvenir  de 
P.  Strozzi,  en  fait  un  athée  réel,  de  ceux  qui  «  confessent  estre 
bien  marris  qu'ils  ne  peuvent  croire  qu'il  y  a  un  Dieu  ».  «  Ce 
IH'isonnagc  ronfessoit  souvent,  à  ce  (pie  j'ay  entendu  de  ceux 
f[iii  liiy  estoient  familiers,  qu'il  desireroit  de  croire  en  Dieu 


(1)  Voir  CicÉRoN,  Dr  Satitin  Deorum,  1,  IX  :  Objection  de  l'épicurien  Velleius  au 
stoïcien  Balbu.s,  mais  l'objection  est  alors  courante  chez  les  libertins,  ^k)us  l'avons 
relevée  souvent  au  cours  de  la  première  partie  de  cet  ouvrage. 

,2)  Mémoires  de  la  vie  de  François  de  Scepeaux,  slrc  de  Vieilleville  et  comte, 
de  Duretal,  Maréchal  de  France,...  par  Vincent  Carloix  son  secrétaire,  VIT,  XI, 
tome  IV.  p.  72-75  (éd.  de  1757.  Paris);  éd.  Buchon,  p.  689. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  513 

comme  les  autres,  mais  qu'il  ne  pouvoit  *^>  ».  Combien  plus 
émouvant  il  nous  apparaît  ainsi,  non  plus  blasphémateur  for- 
cené, mais  précurseur  du  uialheiueux  Sull\ -Frudhomme  : 

Je  voudi-ais  bien  prier,  je  suis  plein  de  soupics  ! 
Ma  ciuelle  raison  veut  que  je  les  contienne 

C'est  une  angoisse  impie  et  sainte  que  la  mienne  : 
Mon  doute  insulte  en  moi  le  Dieu  de  mes  désirs 

J"ui  beau  joindre  les  mains,  et,  le  lionl  sur  la  Bible 
Redire  le  Credo  que  ma  bouche  épela 
.Je  ne  sens  rien  du  tout  devant  moi.  C'est  hoiTible  (2) 

Le  même  Henri  Estienne  nous  dépeint,,  à  côté  des  vrais 
athées,  tout  un  groupe  qui  »  nonobstant  le  remors  de  leur 
conscience,  veulent  contrefaire  les  atheistes  »,  <(  se  faschent  de 
ce  qu'ils  ne  se  peuvent  oster  de  la  fantasie  qu'il  y  ait  un 
Dieu  et  {juils  ont  des  remors  de  conscience  alencontre  du 
reniement  de  la  providence  de  Dieu  ^3)  ».  Ce  sont  les  courtisans 
qui  croient  au  roi  et  à  sa  mère  et  que  H.  Estienne  appelle 
trisathéistes.  Tous  sont  allés  en  Italie,  «  ou  sans  bouger  de 
France  ont  fréquenté  avec  ceux  de  ce  pays-là,  ou  pour  le 
moins  ont  conversé  avec  ceux  qui  avoyent  esté  en  leur 
escole...  ».  C'est  là  qu'ils  ont  appris  le  blasphème  et  tous  les 
vices  (''). 


(1)  Itiolofjie  pour  Hérodote,  XIV,  9.  —  La  chute  orlgineUe  et  certains  récits  de  la 
Bible  étaient,  d'après  H.  Estienne,  des  choses  qu'il  ne  pouvait  croire-  Brantôme 
rapporte  aussi  qu'il  blasphémait  surtout  l'Ecriture  .sainte,  n  faut  lire  dans  ce 
dernier  auteur  le  récit  du  joli  tour  que  lui  joua  le  facétieux  Brusquet.  Le  maréchal 
se  trouvant  à  Paris  au  moment  des  Pâques  et  ne  voulant  pas  prendre  part  aux 
fêtes  j-eligieuses,  Brusquet  lui  envoya  deux  cordeliers  pcmr  le  convertir  et  l'exor- 
ciser. Mais  P.  Strozzi  fut  plus  rebelle  à  la  grâce  que  VOncle  Sosthène  de  Guy  de 
Maupassant,  ou  les  deux  cordeliers  moins  i)ersuasifs  que  le  jésuite  de  ce  dernier. 
Us  faillirent  payer  de  leur  vie  leur  zèle  inconsidéré.  Il  résulte  de  ces  pages  que 
P.  Strozzi  était  connu  comme  incrédule  dans  tout  Paris. 

12)  Epreuves,  Doute. 

(3)  Apolog..  XIV,  9.  En  1595,  Montaigne  insinue  aussi  que  les  athées  sont  des 
fanfarons  incapables  de  soutenir  leur  rôle  jusqu'au  bout.  Essais,  II,  XII,  édit. 
Motheau,  vol.  III.  p.  182-183. 

d)  Longs  développements  contre  l'influence  italienne  dans  Apologie  pour  Héro- 
dote spécialement  VI.  10;  XI,  2:  XII.  1;  XI,  1;  XIII,  1;  XIV,  14-15;  repris  plus  tard 
dans  les  Deux  dialogues  du  nouveau  français  italianisé  (1578).  Voir  aussi  Char- 
BOV\EL,  La  Pensée  italienne,  p.  17-18. 

33 


514  LE   RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Le  blasphème,,  si  nous  l'en  crojons,  s'est  vulgarisé  vers  le 
milieu  du  XYl"  siècle,  même  dans  les  maisons  où  on  Taltendrail 
le  moins.  Il  se  plaint  que  les  enfants  profèrent  des  blasphèmes 
qu'autrefois  les  hommes  ne  se  permettaient  pas^^);  que  dans 
les  maisons  des  gentilshommes  <(  on  apprend  plustost  aux 
enfants  à  dire.  Je  renie  Dieu,  qu'à  dire.  Je  croy  en  Dieu  »  ; 
que  les  jeunes  princes  aient  <(  leurs  précepteurs  de  blasphèmes 
comme  de  belle  chose  et  louable,  pour  les  scavoir  changer 
et  diversifier  en  toutes  sortes,  et  les  prononcer  avec  l'accent 
et  l'audace  telle  qu'il  appartient,  sans  aucunement  hésiter  (2)  ». 
11  semble  aussi  que  la  foi  à  la  providence  diminue.  H.  Estienne 
consacre  tout  un  chapitre  presque  à  défendre  Dieu  contre 
l'accusation  d'injustice  et  à  justifier  la  lenteur  avec  laquelle 
il  punit  les  méchants  :  «  Et  m'esbahi  comment  ce  point  ne 
peut  entrer  en  l'entendement  de  tant  de  personnes  qui  portent 
le  titre  de  chrestiens,  attendu  que  les  payens  par  un  seul 
instinct  naturel  sont  montez  jusques  à  ce  secret  de  la  Provi- 
dence divine  <3). 

Les  dénonciations  indignées  de  H.  Estienne  prouvent  que 
sa  foi  à  lui  était  sincère.  On  peut  prendre  pour  du  zèle  aussi, 
bien  que  déjà  certaines  expressions  dénotent  plus  d'amertume 
à  l'égard  du  catholicisme  que  de  sincérité  philosophique,  les 
pages  qu'il  a  écrites  contre  les  miracles  dont  s'ébahissaient 
ses  contemporains.  Est-ce  simplement  esprit  critique,  et 
défiance  naturelle  ?  est-ce  le  fruit  de  l'étude  de  Pomponazzi  ? 
Toujours  est-il  (jue  H.  Estienne  ne  voit  dans  les  miracles  que 
le  résultat  de  la  ruse  des  prêtres.   Il  raconte  par  exemple 


(1)  Aî)ologle,  XI,  2. 

(2)  Ibid..  XIV,  allusion  au  maréchal  de  Retz,  Albert  de  Gondi,  gouverneur  de 
Charles  IX.  Il  y  joint  aussi  les  blasphèmes  des  gens  d'Eglise  (XXV).  Mais  11  faut 
remarquer  que  parmi  les  blasphèmes  qu'il  leur  prCtc  sont  les  dogmes  relatifs  à 
la  Vierge  et  au  pape.  —  Aux  blasphèmes  on  peut  joindre  les  sacrilèges.  En  156'i, 
"  un  miserai)le  et  meschant  homme  osta  la  salncte  hostie  d'entre  les  mains  d'un 
presfre  disant  la  messe  en  l'église  Saincte  Geneviève  ».  Il  fut  brûlé.  Les  protes- 
tants mfimes  le  blâmèrent  (M.  de  Castelxau,  Mémoirrs,  livre  V,  chap.  V.  édit. 
Petltot.  p.  319). 

(3)  Ihid.,  ch.  XXVI. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  515 

comment  un  Saint  Pierre  gravé  sur  un  plat  délain  a  pu 
paraître  saigner  :  on  avait  mis  dans  le  plat  du  boudin;  com- 
ment Notre-Dame  de  Bourges  saignait  aussi  ;  un  pigeon 
blessé  s'était  perché  sur  sa  tête.  Le  grand  miracle  du  temps 
c'était  le  crucifix  de  Muret  «  qui  pleuroit  et  faisoit  plusieurs 
miracles  (i)  ».  H.  Estienne  rapporte  la  façon  dont  on  le  faisait 
pleurer  :  «  les  uns  disent  que  c'estoit  par  le  moyen  de  quelque 
mistion  d'eau  avec  de  l'huile,  les  autres  disent  qu'on  avoit 
mis  un  sep  de  vigne  dedans  la  teste  dudict  crucefis  au  temps 
qu'elle  jette  sa  sève  ».  Quant  aux  malades  guéris,  ils  n'étaient 
point  malades.  C'étaient  les  moines  qui  payaient  ((  quelques 
bons  gueux  de  l'ostiere  »  pour  singer  les  inlirnies  et  les 
miracles.  Les  miracles  qu'on  ne  peut  expliquer,  il  les  attribue 
à  la  magie  (2). 

Passons  maintenant  à  l'un  de  ses  coreligionnaires  chez  qui 
nous  trouverons  plus  que  chez  H.  Estienne  l'impartialité  qui 
sied  aux  savants  et  aux  philosophes  :  le  cicéronien  François  du 
Jon  f3'.  Quand  je  l'appelle  cicéronien,  je  ne  prétends  point 
caractériser  la  tournure  de  son  esprit  ou  indiquer  ses  préfé- 
rences littéraires,  mais  seulement  marquer  l'origine  de  son 
athéisme  momentané.  Il  avait  une  vingtaine  d'années,  semble- 
t-il,  et  étudiait  à  Lyon,  sous  la  direction  de  Barthélémy  Aneau 
lorsque,   sui'  le  conseil  de  son  maître,   il  lut  le  De  Natura 

(1)  Il  y  a  environ  30  ans,  dit  H.  Estienne.  Sur  ce  miracle,  voir  aussi  Scaligertana, 
2,  et  Dejob,  Muret,  p.  l,  note. 

(2)  Ibid.,  XXXIX,  p.  21-29,  Contre  les  saints  guérisseurs,  XXXVIII.  Je  ne  puis 
allonger  indéfiniment  ces  histoires.  Il  faudrait  lire  aussi  sur  les  miracles  l'histoire 
du  curé  de  Bellouet  (Calvados)  qui  vers  156,s  passait  pour  un  thaumaturge  extra- 
ordinaire et  fit  courir  toute  la  France  chez  lui  (ch.  XXXIX,  p.  30-55  inclus).  Cette 
histoire  —  avec  bien  d'autres  —  est  exposée  par  d'Aubigné  dans  les  Aventures 
du  baron  de  Fœneste,  II,  V-VI,  qui,  du  reste,  blâme  l'esprit  de  H.  Estienne. 
Il  y  aurait  beaucoup  de  réserves  à  faire  sur  l'esprit  et  le  ton  de  l'Apologie  pour 
Hérodote.  Ce  serait  faire  bien  de  l'honneur  au  livre  que  d'y  voir  un  livre  de 
doctrine  :  ce  n'est  qu'un  pamphlet  et  même  assez  vulgaire  et  souvent  grossier. 
C'est  pourquoi,  encore  qu'il  ait  probablement  plus  nui  que  profité  à  l'esprit 
religieux  des  contemporains  d'Henri  Estienne,  je  m'abstiendrai  de  l'analyser  en 
son  entier.  On  pourra  se  reporter  pour  une  appréciation  sévère  mais  juste  à 
Brunetière,  Hist.  de  la  Littér.  Franc..  I,  p.  492-494  et  pour  la  justification  de 
cette  sévérité,  relire  l'Apologie  d'Hérodote  aux  chapitres  XXIV,  11;  XXI.  3;  XXXV, 
2,  et  surtout  XVI,  XVII  et  XXXIX. 

(3)  Sur  Du  Jon,  voir  France  Protest..  V.  p.  714  et  suiv.,  et  Bayle,  art.  Junius.  Du 
Jon  a  aussi  écrit  un  traité  de  l'immorfallté  :  De  statu  animœ  a  corpore  separatae 
post  mortem.  Lugduni  Batavor.,  1598,  in-io. 


516 


LE   RATIONALISME    DANS   LA  LITTERATURE   FRANÇAISE 


Dconun  '^K  II  en  avait  fait  des  extraits  et  des  commentaires 
Autour  de  lui  dans  la  maison,  à  table  surtout,  il  avait  les 
oreilles  rebattues  des  impiétés  qu'on  débitait  sur  la  Provi- 
dence. Sur  ces  entrefaites  «  vint  à  lui  un  homme  qui  lui  assura 
avec  beaucoup  de  raison  et  de  soin  la  théorie  d'Epicure  au 
l"  livre;  que  Dieu  ne  se  soucie  ni  de  soi  ni  d'autrui  ».  Le 
jeune  homme  n'avait  pas  de  raison  assurée  pour  répondre  à 
ces  objections  et  ((  peu  à  peu  il  se  laissait  persuader  et  sentait 
le  poison  qu'il  avait  lu  s'infiltrer  en  lui,  et  son  esprit,  tant 
pour  l'autorité  de  son  docteur  que  pour  l'adresse  de  son  argu- 
mentation, s'aveugler  et  devenir  complètement  insensible  (2)  )>. 
La  persécution  éclatant  contre  la  Réforme,  à  laquelle  il 
adhérait,  ranima  sa  foi.  Puis  son  père  ayant  découvert 
quelque  chose  de  ses  doutes,  lui  fit  lire  l'Evangile  :  «  J'ouvre 
donc,  nous  dit-il,  le  nouveau  Testament  :  du  premier  coup  je 
tombe  sur  le  chapitre  auguste  de  Jean  ;  in  principio  erat  ver- 
bum,  etc..  Je  lis  une  partie  du  chapitre  et  mon  émotion  en  le 
lisant  est  telle,  que  soudain  je  sens  que  la  divinité  de  la  pensée, 
la  majesté  et  l'autorité  du  livre  dépassent  de  beaucoup  tous 
les  fleuves  de  l'éloquence.  Mon  corps  tressaillait,  mon  esprit 
était  stupéfié.  Je  passai  ainsi  toute  une  journée  au  point  que 
je  me  demandais  moi-même  ce  que  j'étais  devenu  3)  ». 

N'est-il  pas  touchant,  encore  que  Bayle  ait  voulu  en  rire,  de 
voir  le  futur  théologien  chercher  et  trouver  dans  l'Evangile 
la  certitude  que  lui  ont  ravie  les  philosophes  ?  Tous  les  jeunes 
gens  ont  connu  ces  heures,  où 

Des  fronts  las  divine  ressource  (^), 

la  sainteté  de  l'Evangile  «  était  un  argument  cjui  parlait  à  leur 
cœur  ■^>  ». 


Il;  Du  .Ion  dit  De  Legibits  par  erreur.  Du  Jon  étant  né  en  15'i5  et  ayant  quitté 
Lyon  en  1562,'  le  fait  doit  .«e  passer  aux  environs  de  1560. 

(2)  Voir  les  textes  de  Junlus  dans  Bayle,  art.  Junius,  romarqne  G,  pris  à  sa 
Vie  par  lui-môme,  p.  10. 

(3)  Ibid. 

(4)  Sully-Prudhomme,  La  Justice,  Première  veille. 

'5)  Rot;88EAi',  Emile,  IV,  Profession  de  foi  du  Vicaire  savoyard. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  517 


m 


Voici  maintenant  un  '«  athéisle  »  qui  au  contraire  soutint 
jusqu'au  feu  son  incrédulité  <i^ 

Le  P.  Garasse  nous  raconte  qu'en  1608  il  se  trouvait  à 
Poitiers  lorsque  mourut  le  poète  Rapin  <(  entre  les  mains  des 
quatre  Pères  de  nostre  Compagnie  ».  Avant  de  recevoir  les 
derniers  sacrements,  le  poète  voulut  réparer  les  fautes  de  sa 
vie  en  faisant,  devant  les  notables  de  la  ville  qui  remplissaient 
la  chambre,  un  aveu  de  ses  erreurs.  «  Tout  le  bien  qu'il  se 
souvenoit  avoir  faict  depuis  ses  jeunes  ans,  c'avait  été  d'em- 
pescher  que  l'athéisme  ne  s'enseignât  publiquement  à  Paris  ». 
Voici  à  quelle  occasion  :  «  Il  disoit  que  de  son  -temps  il  se 
trouva  un  certain  maraud  dans  Paris,  homme  incogneu, 
d'esprit  souple  et  remuant,  lequel  s'estant  glissé  dans  la  fami- 
liarité de  ces  sept  braves  Esprits  qui  faisoient  la  Brigade  ou 
la  Plej^ade  des  poètes,  dont  Ronsard  estoit  le  coryphée,  il 
commença  de  semer  de  très  meschantes  et  abominables 
maximes  contre  la  divinité,  lesquelles  avoient  desjà  esbranlé 
quelques  uns  de  la  trouppe...  de  façon  que  m'aperçevant  que 
l'affaire  flottoit  et  la  nouveauté  de  cette  doctrine  charmoit 
quelques  uns  d'entre  nous,  nous  fusmes  quatre  qui  nous  oppo- 
sasmes  à  cette  furie  et  qui  ramenasmes  l'esprit  balançant  des 
autres  trois  et  de  plusieuj's  autres  personnes  de  nostre  cognois- 
sance,  que  ce  galand  avait  halené  et  gasté  par  sa  hantise. 


(1)  Cet  article  était  écrit  loi"sque  j'ai  eu  connaissance  de  celui  que  M.  Lachèvre 
a  publié  dans  ses  Mélanges.  J'avais  même  signalé  quelques  points  intéressants  de 
l'histoire  de  G.  Vallée  dans  la  Revue  du  XF/e  siècle  (1918,  fasc.  1-2,  p.  126-127). 
Je  l'ai  retouché  en  tenant  compte  des  pièces  du  procès  retrouvées  par  M.  Lachèvre, 
mais  j'ai  gardé  quelques  détails  intéressants  (comme  l'éplgramme  de  Sainte- 
Marthe)  que  M.  Lachèvre  publie  aussi  de  son  côté. 


518  LK    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

Ronsard  fut  le  premier,  dil-il,  qui,  suivant  l'ardeur  de  mon 
courage  cria  au  loup  et  fil  ce  beau  poème  contre  les  athées 
qui  commence  : 

O  ciel,  à  teiTe,  ô  mer,  ô  Dieu  Pèie  commun,  etc. 


Tournebu  fit  une  belle  harangue  contre  luy,  Saincte-Marthe 
une  excellente  poésie  en  vers  iambique  qui  porte  pour  titre 
///  McK^nliuin  sans  le  nommer  autrement,  d'autant  ({ue  c'estoit 
un  vaurien  qui  ne  meritoit  pas  de  souiller  et  profaner  le  papier 
de  son  nom.  Et  nous  ne  désistâmes  point,  disoit  Rapin,  jusques 
à  ce  que  nous  eusmes  faict  condamner  cet  infâme  par  arrest 
de  la  cour  à  perdre  la  vie,  comme  il  fit,  estant  pendu  et  puis 
bruslé  publiquement  en  place  de  Grève  :  sans  nostre  forte 
opposition,  je  me  craindrois  disoit-il,  que  la  France  ne  fust 
maintenant  un  esgout  d'athéisme...  Telles  furent  les  dernières 
paroles  de  Rapin  (i)  ».  Plus  loin  il  précise  que  ce  fut  sous  le 
règne  de  Henri  III  que  se  passa  ce  drame  et  il  cite  quelques 
mots  du  poème  de  Sainte-Marthe  (2). 

Il  y  a  du  \Tai  et  du  faux  dans  ce  récit.  Sur  les  trois  pièces 
indiquées  par  le  Jésuite,  une  seulement  se  rapporte  aux  faits 
visés.  Le  discours  de  rurnèbe  n'existe  pas  dans  ses  œuvres 
imprimées.  On  peut  conjecturer  que  Garasse  ne  l'a  pas  lu  non 
plus  :  il  a  bien  soin  en  effet  de  citer  le  premier  vers  du  poème 
de  Honsard.  le  titre  et  le  dernier  vers  de  celui  de  Sainte- 
Marthe;  pour  Turnèbe,  au  contraire,  il  se  contente  de  cette 
formule  vague  :  «  Tournebu  fit  une  belle  harangue  contre  lui  ». 
Enfin  Turnèbe  est  mort  en  1565,  neuf  ans  avant  l'avènement  de 
Henri  III  sous  qui  le  fait  se  serait  pa.ssé.  Le  poème  de  Ronsard 
n'est  autre  que  la  Remorifilrance  au  peuple  de  France  '3). 
Mais  l'ensemble  en  est  dirigé  contre  les  prolestants  et  non 


(1)  Doctrine  Curieuse  drs  hrnux  Eaprlts  de  ce  temps,  II,  3,  p.  124-126. 

(2)  ll)td..  II,  6,  p.  143-144. 

(3)  Ed.  Laumonicr-Lemerre,  V,  p.  366-393. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  519 

contre  les  athées.  Seuls  quelques  vers  visent  les  protestants 
libéraux  ou  les  libertins  :  quel  Turc  voudrait  se  faire  baptiser, 
eu  voyant  le  chrétien 

Manichée,  et  tantosi  Arien, 

Tantost  Calvinien,  tantost  Luherien  ?  -i). 

Plus  loin,  il  accorde  que  la  raison  est  impuissante  à  s'expli- 
quer les  miracles  de  l'Ancien  Testament. 

Tout  hcmime  curieux  lequel  voudra  s'enquerre 
De  quoy  Dieu  fit  le  Ciel,  les  ondes  et  la  terre, 
Du  serpent  qui  parla,  de  la  pomme  d'Adam 
D'une  femme  en  du  sel,  de  d'asne  à  Balaam, 
Des  miracles  de  Moyse,  et  de  toutes  les  choses 
Qui  sont  dedans  la  Bible  estrangement  encloses 
Il  y  perdra  l'esprit  :  car  Dieu  qui  est  caché 
Ne  veut  que  son  secret  soit  ainsi  rectierché. 

Il  faut  borner  nos  disputes  aux  choses  naturelles,  et 

les  choses  divines 

Ne  se  peuvent  loger  en  nos  faibles  poitrines  (2). 

Le  reste  du  poème  est  dirigé  contre  les  protestants.  Rien 
non  plus  n'indique  que  cette  pièce  ait  été  écrite  à  l'occasion 
d'un  fait  comme  celui  que  raconte  Garasse  :  le  poète  n'y  fait 
aucune  personnalité.  Enfin  l'athée  dont  parle  Garasse  a  été 
brûlé  sous  Henri  111  c'est-à-dire  au  plus  tôt  en  1574  et  le  poème 
de  Ronsard  est  de  1563. 

Garasse  s'est  donc  trompé  sur  ces  deux  détails;  on  sait  du 
reste  que  la  précision  n'est  pas  son  fait  et  qu'il  a  plus  d'ima- 
gination  et  de  fougue  que  de  critique.  Mais  il  n'a  pas  inventé 
toute  l'histoire.  L'épigramme  de  Gaucher  de  Sainte-Marthe 
existe  bien,  elle  es!  écrite  contre  un  athée  et  semble  même 

tl)  Ibid.,   p.   370-371. 
(2)  Ibtd.,   p.    36S. 


520 


LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTERATURE   FRANÇAISE 


contenir  des  détails  qui,  transformés  en  j€ux  de  mots  d'un 
goût  douteux,  pourraient  individualiser  le  mécréant  en  ques- 
tion. Voici  cette  pièce. 

lu  Mezenlium  H). 

Cum  sis  Deùm  oontemplor  impurissimus 

Mezentii  te  nomme  appellem  lubens. 

At  ille  fortis  vir  fuit,  tu  semivir. 

Dicam  ergo  Gallum,  membra  cum  careant  viio  ? 

Atenini  sacefdos  Gallus  est  matris  DeCim, 

Tu  sacra  nulla  credis  et  nullos  Deos. 

Dicamne  scurram,  quod  jocis  vernilibus 

Aliéna  captas  impudens  cibaria  ? 

At  scurra  licet  illiberalis,  attamen 

Caret  veneno,  tu  venenum  totus  es. 

Hœc  dum  re\olvo  mente,  lidens  Cynthius. 

Quin  abige,   dixit,  pectore  hanc  curam   tuo. 

Frustra  laboras  nomen  ejus  quœrere 

Qui  nebulo  plane  nullius  sit  nominis  (2). 

Cette  épigramme  paraît  pour  la  première  fois  dans  l'édition 
des  Poèmes  de  1587.  Les  premières  œuvres  de  Sainte-Marthe, 
de  1569,  ne  la  contiennent  pas,  bien  qu'on  y  lise  plusieurs 
pièces  latines.  Elle  a  donc  été  composée  entre  1569  et  1587. 
Ainsi  se  trouve  exclue  toute  relation  entre  le  poème  de  Ronsard 
(1563)  et  celui  de  Sainte-Marthe.  Pour  ce  dernier,  il  est  évident 
qu'il  vise  un  athée  et  un  athée  d'une  naissance  et  d'une 
situation  sociale  inférieure.  Mais  Garasse  nous  raconte  encore 
la  mort  d'un  autre  athée.  L'an  1573,  sous  le  règne  de 
Charles  IX,  à  Paris,  un  vagabond  enseignait  une  doctrme 
secrète.  On  le  mit  en  prison  et  le  procès  languit.  Sorbin,  évoque 
de  Nevers,  qui  était  confesseur  du  roi,  lui  remontra,  le  Jeudi 
saint,  après  sa  confession,  qu'il  dcvail  à  sa  conscience  d'activer 
le  procès  de  ce  malheureux.  Le  jour  même  il  fut  condamné 


,1)  Sur  la  slgnificaUon  de  ce  nom  et  sur  ce  personnage,  voir  chap.  IV,  p.  113. 

(2)  Epiararamat.  lib.  I,  Scœvolœ  Sammarthani  opéra  tum  pœtica  tum  ea  aum 
soluta  nralione  scripult.  Lntetise.  Dvirand,  MDCXVI,  p.  257-'ir)8;  éd.  1633.  p.  193;  éd. 
1587,  p.  172.  On  trouvera  la  traduction  de  oette  pièce  dans  les  Mélanges  die 
M.  Lachèvre  (Champion,  1920),  p.  17. 


ATHÉES   ET   DEISTES  521 

à  èlre  brûlé.  <(  Il  soutenoit  qu'il  n'y  avait  autre  Dieu  au 
monde  que  de  maintenir  son  corps  sans  souillure  et  en  effet 
à  ce  qu'on  dit,  il  estoit  vierge  de  la  mesme  façon  que  les 
frères  de  la  Croix  des  Roses...;  il  avoit  autant  de  chemises 
qu'il  y  a  de  jours  dans  l'année,  lesquelles  il  envoyoit  laver  en 
Flandres  à  une  certaine  fontaine  renommée  pour  îa  clarté  de 
ses  eaux  et  le  blanchissement  excellent  qui  s'y  fait.  Il  estoit 
ennemi  de  toutes  les  ordures  et  de  faict  et  de  parole,  mais 
encore  plus  de  Dieu...  Il  fut  impossible  à  tous  les  docteurs  de 
rappeler  cet  homme  à  son  bon  sens;  il  vomissoit  d'estranges 
blasphèmes,  quoy  qu'il  les  proferast  d'une  bouche  toute  sucrée 
et  d'une  mine  doucette  (*)  ». 

Quelque  part  qu'on  fasse  dans  ce  récit  à  la  crédulité  de 
Garasse,  cet  incrédule  à  une  figure  de  «  libertin  spirituel  » 
d'origine  flamande.  Garasse  le  donne  pour  un  homme  de 
rien,  par  où  il  est  bien  d'accord  avec  Sainte-Marthe.  Sans  doute 
aussi  faut-il  voir  une  allusion  —  bien  grossière  — ^  à  la  virgi- 
nité de  l'hérétique  dans  le  vers  :  Dicam  ergo  gallum,  membra 
cum  careant  viro  ? 

L'identification,  si  elle  ne  s'impose  pas,  est  acceptable. 
Elle  n'offre  qu'une  difficulté  :  c'est  que  Garasse  affirme  que 
c'est  au  premier  athée,  celui  de  1574,  que  Sainte-Marthe 
adresse  ses  reproches.  Il  les  distingue  même  avec  soin  '2). 
Mais  Garasse  ne  s'est-il  point  trompé?  N'a-t-il  point  reçu  de 
Rapin  les  circonstances  du  procès  et  de  la  mort  du  Mezentius 
en  question,  et  d'une  autre  source  le  détail  de  ses  erreurs? 
De  c€s  deux  sources  il  a  fait  deux  personnages.  Rien  n'em- 
pêche de  le  supposer,  pas  même  la  question  de  temps.  Le 
premier,  dit-il,  est  mort  sous  Henri  III;  le  second  le  Jeudi 
saint  1573.  Le  Jeudi  saint  1573,  en  nouveau  style,  est  en  1574. 
Charles  IX  mourut  le  30  mai  1574.  Garasse  n'a  peut-être  pas 
pris  garde  à  la  réforme  du  calendrier  et  en  tout  cas  n'est  pas 


(1)  Doctrine  curieuse,  II,  6,  p.  142-143. 

(2)  Doctrine  curieuse,  II,  6,  p.  143-144. 


522  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

homme  à  regarder  à  d'eux  mois  près*^'.  Ainsi  ou  le  mettrait 
d'accord  avec  Sainte-Marthe,  la  pièce  de  ce  dernier  me  sem- 
blant viser  plutôt  le  second,  tandis  que  pour  Garasse  elle  est 
écrite  contre  le  premier. 

En  réalité  donc  il  n'y  a  qu'un  athée,  puisque  le  poème  de 
Sainte-Marthe  reproduit  les  mœurs  et  l'allure  libertine  de  celui 
qui  d'après  Garasse  fut  brûlé  en  1573,  et  que  Garasse  lui- 
même  reconnaît  que  c'est  contre  le  prétendu  personnage  de 
1574  que  Sainte-Marthe  l'a  écrit  (2).  Mais  cet  athée,  on  en  a 
proposé  depuis  longtemps  l'identification.  Guy  Patin  dans  une 
lettre  à  Ch.  Spon  du  1"  avril  1659,  croit  que  c'était  Geoffroy 
Vallée  et  depuis  G.  Patin  la  plupart  des  érudits  ont  accepté 
sans  contrôle  son  hypothèse  (3).  La  concordance  des  dates 
semble  imposer  cette  conclusion.  M.  Lachèvre,  qui  a  refait 
tout  le  procès  de  G.  Vallée,  supprime  à  son  tour  l'athée  de  1573 
et  identifie  celui  de  1574  avec  G.  Vallée.  11  me  paraît  raison- 
nable de  le  suivre,  bien  qu'il  reste  dans  les  deux  récits  de 
Garasse  quelques  détails  très  précis  qui  demeurent  inex- 
pliqués '^^  et  commandent  quelque  réserve  dans  l'assentiment. 


I\)  .Saint-Romvald  qui  copie  Garasse  pour  la  deuxième  exécution  date  le  fait 
de  1373  comme  Garasse  et  note  que  l'athée  en  question  fut  exécuté  dans  le  même 
temps  que  Montgomery;  or,  ce  dernier  fut  bien  exécuté  en  1574,  bien  que  Saint- 
Romuald  date  sa  mort  de  1573  {Trésor  chrojwi.  III,  p.  665,  éd.  de  I6'i7). 

(2)  Tel  est  aussi  pour  M.  Lachèvre  le  grand  argument.  Le  poème  de  Sainte-Marthe 
est  le  trait  d'union  qui  permet  d'identifier  les  deu.K  personnages  {.Môlanf/cs, 
p.  12,  note). 

(3)  Nouv.  Ménay.,  IV,  p.  311;  Bayle,  art.  Rapin,  Rom.  D,  Note  critique. 

(4)  Ainsi  l'athée  de  Garasse  fut  exécuté  le  Jeudi  .saint;  or,  le  Jeudi  saint  ne 
peut  Jamais  être  antérieur  au  19  mars,  et  G.  Vallée  fut  exécuté  le  9  février. 
Garasse  fait  intei-venir  l'évêque  de  Nevers.  Sorbin,  près  du  roi  pour  presser  la 
condamnation  du  mécréant.  M.  Lachèvre  remarque  que  Sorbin  ne  devint  évêque 
de  Nevei-s  qu'en  1578.  Mais  Garasse  ne  dit  point  qu'il  fut  alors  évoque.  Sorbin 
a-t-il  été  confesseur  du  roi  avant  d'être  évêque?  Garasse,  de  iilus,  traite  son 
homme  de  vagabond  et  Sainte>-Marthe  lui  reproche  d'être  un  parasite  famélique 
qui  paie  ses  dîners  par  des  l>ouffonneries  et  l'appelle  nebulo  nulliuit  noniiiih. 
C'est  même  le  trait  final  de  sa  pièce.  Or,  G.  Vallée  était  d'une  famille  connue, 
qui  eut  assez  de  crédit  pour  retarder  la  condamnation  de  Geoffroy,  même  après 
qu'il  eut  publié  le  fléau  de  la  foy  Lui-même  était  connu.  Il  avait  été  notaire- 
secrétaire  du  roi  de  1563  à  1566.  On  l'appelait  «  le  beau  Vallée  ».  Il  était  né  -Fj 
avec  des  membres  influents  de  La  Pléiade,  selon  Garasse.  Tout  cela  s'accorde 
assez  mal  avec  les  qualificatifs  que  je  viens  de  relever,  et,  quelque  mince  que  ♦ 
soit  l'autorité  de  Gara.'ise.  je  n'adhère  qu'en  hésitant  à  la  conclusion  de  M.  La-  t.* 
chèvre,  on  m'appi'endrait  un  jour  qu'il  y  a  eu  deux  athées  brûlés,  l'un  en  1573,  v 
l'autre  en  1574.  que  je  n'en  serais  pas  trop  surpris.                                                                       il' 

f 


k 


ATHÉES   ET   DÉISTES  523 

Geoffroy  Vallée  naquit  vers  1535-1540.  Secrétaire  du  roi 
en  1563,  il  vendit  sa  charge  en  1566,  fit  un  voyage  à  Rome 
en  1568-1569.  Selon  Maldonat  il  s'est  fait  protestant  avant  de 
devenir  déiste.  Il  était  sujet  à  des  accès  de  fièvre  chaude  et 
même  en  1572  tenta  de  se  jeter  d'une  fenêtre.  Par  prudence, 
ses  parents  lui  avaient  fait  nommer  un  curateur  en  1570;  mais 
il  réussit  à  s'en  défaire  en  1571.  En  mai  1573,  il  publia  Le 
Fleo  de  la  foy  (^).  Dénoncé  par  le  poète  Rapin,  il  est  arrêté 
en  octobre  ou  novembre  de  la  même  année.  On  peut  suivre, 
grâce  aux  pièces  du  procès  retrouvées  par  ^I.  Lachèvre,  le 
détail  de  ce  drame.  Condamné  une  première  fois  le  2  janvier 
1574,  G.  Vallée  en  appela.  On  lui  accorda  des  médecins,  car, 
comme  le  remarque  L'Estoile  «  plusieurs  juges  estoient  d'avis 
de  le  confiner  dans  un  monastère  comme  un  vrai  fou,  tel  qu'il 
étoit  et  se  montra  lorsqu'on  le  mena  au  supplice  ^2)  »,  H  fut 
condamné  au  feu  le  8  février  1574,  refusa  toute  rétractation  et 
fut  exécuté  le  lendemain. 

Certaines  phrases  de  livre  de  Vallée  révèlent  en  lui  un 
déséquilibré  assurément;  mais  l'ensemble  du  livre  est  d'une 
parfaite  logique.  Il  oppose  la  science  et  la  foi  et  classe  les 
hommes  en  six  catégories,  dans  l'ordre  croissant  de  la  science, 
et  décroissant  de  la  foi.  Plus  on  sait,  moins  on  croit  ^3'. 
«  L'homme  n'a  aise,  repos,  béatitude,  consolation  et  félicité 
qu'en  scavoir,  lequel  est  engendré  d'intelligence  et  cognois- 


(1)  C'est  par  une  fausse  interprétation  d'un  text€  de  Maldonat  que  divers  auteurs 
dont  Mersenne  [Impiété  des  déistes,  p.  279),  Bayle,  et  tout  récemment  M.  Char- 
bonnel.  lui  ont  prêté  un  Art  de  ne  rien  croire,  n  ne  reste  du  livre  de-  vallée 
QU'u-n  exemplaire  actuellement  à  la  Bibliothèque  Mejanes  d'Aix.  M.  Lachèvre  en 
a  donné  dans  ses  Métaiifjes  (19-20I  une  réédition  ou  plutôt  une  traduction,  car  il 
le  met  en  français  moderne.  On  trouvera  dans  ce  livre  une  étude  sur  les  éditions 
qui  en  ont  paru  aux  XVIIle  et  XIXe  siècles  et  les  appréciations  des  principaux 
critiques  qui  en  ont  parlé  (p.  53-54). 

(■■2)  Mémoires,  année  1574.  L'Estoile  place  cette  mort,  par  erreur,  en  juillet:  voir 
dans  l'art,  de  M.  Lachèvre  l'explication  de  son  erreur  et  le  texte  de  l'arrêt 
condamnant  G.  Vallée;  cet  arrêt,  du  reste,  a  déjà  été  publié  par  d'Artigny 
{Mémoires,  il,  p.  27S).  et  est  inséré  dans  le  Diction,  de  Chai'ffepié.  —  On  trouvera 
aussi  dans  les  Mélanges  de  M.  Lachèvre  (p.  48)  le  «  tombeau  »  de  G.  Vallée  par 
son  compatriote  Claude  Marcel. 

(3)  Cardan  disait  :  gui  plus  ratlone  valent  minus  habent  fidei  {De  nr.  variet.. 
VIII.  XLIII; 


52-4  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

saiîcc  '1'  )).  Telle  est  la  phrase  initiale  et  comme  l'idée  direc- 
trice du  livre.  11  examine  alors  successivement  létal  intellectuel 
du  papiste,  du  huguenot,  de  l'anabaptiste,  du  libertin,  de 
l'alhée.  A  mesure  qu'on  va  du  papiste  vers  le  libertin,  la  crainte 
de  Dieu  diminue,  la  foi  aussi,  tandis  que  la  science  augmente. 
La  foi  du  catholique  ne  repose  que  sur  la  crainte  de  l'enfer 
et  la  routine,  aussi  il  ((  se  peult  dire  du  tout  beste  et  ne 
scavoir  aucune  chose  (2'  ».  Son  «  croire  »  est  u  engendré  »,  c'est- 
à-dire  qu'il  croit  par  autorité.  Le  huguenot  n'est  pas  mieux 
traité,  parce  que  lui  aussi  croit  «  par  foi  et  crainte  ».  Pourtant, 
comme  on  lui  donne  quelque  démonstration,  il  est  supérieur 
au  papiste.  Mais  sa  science  est  fausse,  autrement  il  saurait 
«  les  blasphèmes,  poisons,  pestilences,  abbominations  et  mes- 
chancelez  qu'apportent  toutes  les  religions,  lesquelles  au  lieu 
de  donner  vraye  cognoissance  de  Dieu  l'ostent  du  tout,  et  ce 
peult  dire  l'homme  estre  en  Enfer  terrestre,  d'autant  qu'il  n'y 
a  dampnation  que  d'estre  privé  de  ce  scavoir  et  intellet,  et 
celluy  qui  croit  et  a  foy  jamais  ne  le  pourra  avoir  (3'  ».  En 
choses  qui  nous  touchent  de  si  près,  il  faut  se  fier  à  notre 
raison,  et  non  aux  assurances  d'autrui  :  «  comme  qui  auroit 
a  nous  rendre  quelque  grand  compte  important,,  il  nous  aurait 
beau  dire,  vostre  compte  y  est,  croyez  moy,  responderions,  je 
le  veux  scavoir  et  l'entendre,  parce  qu'il  n'y  a  repos  et  félicité 
qu'au  scavoir  et  intcllcc,  non  pas  au  croire  ny  en  la  foy, 
ou  bien  si  quelque  autre  à  qui  nous  aurions  payé  une  grosse 
debte  la  nous  revenoit  demander  une  autre  fois,  duquel  des 
deux  est-ce  en  conscience  que  nous  nous  voudrions  servir,  ou 
de  je  croy  l'avoir  payée,  ou  je  scay  l'avoir  payée  :  je  m'assure 
qu'il  n'y  a  si  beau  croyant  qui  ne  renonssat  de  belle  heure  à 


(1)  Manuscrit  de  l'Arsenal,  5792,  fo  6.  J'ai  copié  ce  manuscrit  en  le  confrontant 
avec  celui  de  la  Nationale  (Fr.  Nouv.  acq.,  557).  J'y  renvoie  pour  mes  citations. 
Pour  plus  de  simplicité.  J'ajoute  la  page  du  volume  de  M.  Lachèvre  où  l'on 
en  trouvera  la  traduction,  soit  p.  22  pour  le  passage  auquel  se  rapporte  cette^  note. 

(2)  Arsenal,  f»  7;  lachèvre,  p.  -2^. 

(3)  Ars»nal.   fo  8;   lachèvre,   p.   2/i-25. 


ATHÉES    ET   DEISTES  525 

je  croy  pour  dire  je  scay  ^^^  ».  Ce  fou  n'avail-il  pas  bien  de 
l'esprit? 

Malheureusement  il  n'est  guère  savant.  L'anabaptiste  est 
pour  lui  quelque  chose  comme  le  huguenot  «  hors  qu'il  n'a 
pas  tant  de  craincte  de  Dieu,  aussy  n'est-il  pas  si  fol  et  igno- 
rant ->  ».  Et  pourtant  c'est  par  un  éloge  de  la  science  que  finit 
son  court  portrait.  Le  libertin,  pour  Vallée,  est  un  sceptique; 
il  «  ne  croit  ni  ne  decroit,  ne  se  fiant  ne  deffiant  du  tout,,  ce 
qui  le  rend  toujours  doubteux  î^'  ».  Il  est  au-dessus  des  pré- 
cédents en  ce  qu'il  a  «  monté  en  intellec  »  ;  mais  un  gros  danger 
le  menace  :  l'athéisme.  Vallée  ne  croit  pas  qu'il  puisse  y  avoir 
de  vrais  athées  '^\  et  parmi  ceux  qui  se  disent  tels  il  ne  voit 
que  des  hypocrites.  On  se  souvient  peut-être  que  H.  Estienne 
faisait  aussi  une  classe  à  part  des  athées  honteux,  dont  la 
conscience  était  troublée  :  «  Sa  bouche  profère  qu'il  n'y  en  a 
point  (de  Dieu),  dit  à  son  tour  Vallée,  mais  sa  conscience 
l'accuze '5)  )>.  Ainsi  l'athéisme  n'est  pas  le  repos  de  lâmie,  il 
faut  donc  croire  en  Dieu,  mais  sans  crainte  :  (^  qui  est  en 
craincte,  quelque  craincte  que  ce  soit,  ne  peut  estre  heureux  »; 
mais  «  heureux,  celuy...  qui  ne  sera  point  arresté  à  la  voye, 
beut  et  chemin  du  vulgaire  ignorant,  croyant  et  ayant  foi  (s)  », 
qui,  au  lieu  de  mettre  son  honneur  à  craindre  Dieu  et  savoir 
les  armes,  mettra  «  la  vertu  et  la  noblesse  en  ceste  cognois- 
sance,  scavoir  et  inteHigence  que  c'est  de  Dieu  et  de  l'homme, 
et  la  craincte  et  peur  au  maniement  des  armes;  lors  il  aura 
commencement  de  sapience,  ayant  la  raison  en  sa  teste  sans 
la  chercher  à  son  costé  (''''  ». 

A-voir  donc  de  Dieu  et  de  nos  rapports  avec  lui  l'idée  qu'en 
donne  la  raison,  se  contenter  par  conséquent  de  la  religion 


(1)  Arsenal,   f"  8:   Lachèvre,  p.  25. 

(2)  Arsenal,  î°  9;  lachèvre,  p.  26. 

(3)  Ars.,  f"  9;  Lachèvre,  p.  26. 

(4)  Ars.,  fos  9  et  10;  Lachèvre,  p.  27. 

(5)  Ars.,  fo  10;  Lachèvre,  p.  27. 

(6)  Ars.,  fo  11;  Lachèvre,  p.  28. 

(7)  Ars.,  fo  12;  Lachèvre,  p.  29. 


526  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

naturelle,  telle  semble  être  la  conclusion  de  G.  Vallée  <^),  Son 
livret  ne  contient  rien  qui  dénote  une  pensée  nourrie  d'études 
sérieuses  ni  une  plume  quelque  peu  exercée.  Il  ne  connaît  le 
fonds  d'aucune  des  doctrines  qu'il  prétend  résumer;  une  seule 
idée  domine  tout  le  pamphlet  ;  la  science  doit  remplacer  la  foi, 
ou  conune  il  le  dit  dans  un  des  endroits  où  il  est  bien  compré- 
hensible ;  <■<■  Foy  n'est  faulle  que  de  congnaissance,  car  ou  est 
la  congnaissance,  la  foy  est  morte  et  n'a  aucun  lieu  ^^^  ».  Ace 
titre  et  précisément  pour  son  ignorance,  il  nous  est  un  témoin 
précieux  du  sens  et  de  l'étendue  de  la  route  parcourue  par  le 
rationalisme.  ' 

Il  reste  à  classer  Geoffroy  Vallée  dans  une  des  séries  dincré- 
dules  dont  on  a  suivi  jusqu'ici  la  genèse  et  le  développement. 
M.  Lachèvre  explique  l'incrédulité  de  G.  Vallée  par  l'oxcen- 
tricité  du  personnage  :  a  Un  beau  matin,  sans  cause  déter- 
minée, sauf  ces  sautes  d'humeur  dont  il  était  coulumier', 
G,  Vallée  changea  sa  manière  de  vivre,  qui  avait  été  jusque  là 
celle  de  tout  le  monde  ».  M.  Lachèvre  rapporte  les  fantaisies 
mystérieuses  dont  on  a  lu  le  récit  plus  haut  dans  Garasse  et 
conclut  que  notre  héros  entendait  par  là  «  se  distinguer  du 
commun  des  mortels  autant  par  son  genre  de  vie  que  par 
ses  doctrines  (3)  ».  Il  est  possible,  évidemment.  G.  Vallée  est  un 
esprit  assez  mal  équilibré  :  il  a  une  idée  fixe  (l'opposition  de 
la  science  et  de  la  foi);  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  proclame 
cette  trouvaille  et  se  livre  à  des  excentricités.  Prenons  garde 
pourtant  que  cette  explication  si  simple  soit  trop  simple,  car 
l'idée  fixe  de  G.  Vallée  est  celle  de  tout  un  système,  et,  si  elle 
est  courante  de  nos  jours,  si  même  elle  était  très  répandue  à 
la  fin  du  XVP  siècle,  elle  ne  l'était  que  dans  certains  milieux, 
et  pour  l'avoir  dite  trop  haut  G.  Vallée  a  été  brûlé.  Ses  excen- 


(î)  '<  Le  fond  de  la  doctrine  de  G.  Vallée  n'est  pas  l'athéisme  proprement  dit, 
mais  un  déisme  commode  qui  consiste  à  reconnaître  Dieu  sans  le  craindre  et 
sans  appréhender  aucune  peine  après  la  mort  »  (LA  Montiioie,  Menaf/iana,  IV, 
p.  311). 

(2)    Ars.,  fo  11;  Lachèvre,  p.  28. 
3)  Mélnuges,  p.  8-9. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  527 

lricité<,  d'autre  part,  ne  sont  pas  des  actes  de  folie  (le  livre 
de  Vallée  montre  bien  qu'il  n'était  point  fou);  elles  ont  un  sens. 
Si  donc  je  démontre  que  le  système  intellectuel  (si  le  mot  n'est 
pas  trop  gros  pour  G.  \'allée),  et  les  mœurs,  même  les  plus 
curieuses,  de  ce  personnage,  le  rattachent  à  un  courant  puis- 
sant de  libertinage,  il  faudra  bien  conclure  que  ce  n'est  pas 
par  une  subite  fantaisie  ni  sans  cause  qu'il  a  changé  son 
genre  de  vie. 

J'avais  d'abord  songé  à  voir  en  lui  un  disciple  des  Padouans. 
Leur  dogme  fondamental  est  le  sien  :  opposition  de  la  philo- 
sophie et  de  la  foi.  .Mais  il  apparaît  tout  d'abord  qu'ils  ne  'se 
ressemblent  point.  Les  padouans  sont  savants.  Tahureau, 
Pontus  de  Tyard,,  Montaigne,  le  Bodin  du  Théâtre  de  la  nature, 
sont  des  intelligences  d'une  autre  envergure  que  celle  de 
N'allée.  Ils  ont  étudié  les  philosophes,  Aristote  et  ses  commen- 
tateurs: ils  ont  pris  parti  pour  l'un  d'eux,  Averroès,  Pompo- 
nazzi  ou  Cardan.  Leur  scepticisme  porte  sur  des  points  de 
dogme  précis  .  nnmortaliîé,  création,  déterminisme.  Leurs 
arguments  mêmes  —  on  l'a  assez  vu  —  sont  stéréotypés  et 
se  transmettent  invariablement  répétés.  Le  livre  de  G.  Vallée 
ne  fait  pas  la  moindre  allusion  à  ces  arguments  ni  à  ces  doc- 
trines. Il  est  inutile  d'y  chercher  une  idée,  même  secondaire, 
en  dehors  de  l'idée  fondamentale  :  celui  qui  sait  ne  croit  plus. 
L'auteur  est  manifestement  un  esprit  vide  qui  n'a  rien  étudié, 
si  tant  est  qu'il  lut  capable  de  quelque  étude.  Enfin,  il  parle 
rarement  de  la  raison.  Ce  n'est  pas  elle  qu'il  oppose  à  la  foi, 
c'est  la  «  science  »,  la  «  cognoissance  ». 

Mais  j'ai  déjà  noté  qu'à  ce  point  de  vue  le  mysticisme  des 
libertins  spirituels  rejoignait  le  rationalisme  péripatéticien. 
G.  Vallée  a  toute  l'allure  d'un  libertin.  D'abord  on  aura  remar- 
qué l'étrange  manie  que  Garasse  prête  à  G.  Vallée  d'envoyer 
blanchir  son  linge  en  Flandre.  Je  ne  sais  si  la  chose  a  quelque 
véracité  ^i),  mais  on  peut  en  retenir  du  moins  que  G.  Vallée 


(1)  M.  Lachèvre  semble  admettre  le  récit  de  Garasse.  La  Description  de  l'isLe  des 
Hermaphrodites  nous  apprend  que  c'était  l'usage  à  la  cour  de  Henri  III.  Et 
l  annotateur  du  Journal  de  L'Estoile  nous  apprend  qu'on  en  usait  encore  ainsi 


528 


LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTERATURE   FRANÇAISE 


a  des  relations  avec  les  Flandres.  Or  on  sait  que  les  Flandres 
sont  le  boulevard  des  libertins  spirituels  et  le  lieu  de  culture 
préféré  du  gnosticisme  ^'^K  II  soutenait,  dit  toujours  Garasse, 
que  la  seule  religion  c'est  de  garder  son  corps  pur,  et  il  étoil 
vierge.  Les  vers  de  Sainte-Marthe  insinuent  plus  encore  <2). 
M.  Lachèvre  rappelle  que  Louis  d'Orléans  l'appelle  la  dame  de 
Fronize  et  conclut  que  «  cette  préoccupation  de  la  pureté  et 
de  la  chasteté  est  empruntée  au  christianisme  '3)  ».  Mais  non  ! 
Le  mépris  de  la  chair  poussé  à  ce  point  n'est  pas  chrétien  : 
il  est  l'une  des  conséquences  du  manichéisme.  Les  disciples 
de  Saturnin  et  de  Marcion  principalement  f"^'  prêchent  à  leurs 
adhérents  la  haine  de  la  chair,  élément  mauvais  du  dualisme 
manichéen,  et  repoussent  le  mariage  et  la  procréation  comme 
une  coopération  à  l'œuvre  du  principe  mauvais.  Ce  sont  ces 
mêmes  principes  manichéens  qui  ont  conduit  certaines  sectes 
du  moyen-âge  (les  Béghards,  les  Ortlibiens)  (^'  à  chercher  dans 
Fascétisme  rigoureux  l'oubli  de  la  chair.  Au  XVP  siècle  il 
n'est  pas  douteux  que  des  familles  des  libertins  spirituels 
n'aient  conservé  cette  discipline.  Calvin  affirme  que  la  doctrine 
des  spirituels  n'est  au  fond  que  le  manichéisme  '^>.  Farel, 
quand  il  annonce  à  Calvin  l'arrestation  de  l'anabaptiste  nor- 
mand du  Val  (15^i0).  dit  positivement  :  «  J'entends  dire  que 
ce  garnement  condamne  le  mariage  ''''>  ».  Il  est  vrai  que.  selon 


au  XVIII«  siècle  :  «  On  prétend  qu'il  y  a  des  gourmets  fins  et  délicats  sur  le 
lingre  qui  l'envoient  encore  blanchir  dans  quelques  villes  éloignées.  On  m'a  même 
voulu  faire  croire  que  certains  d'entre  eux  en  envoyoient  jusques  à  Courtras  en 
Flandre  où  l'on  a  la  réputation  de  bien  blanchir  »  {L'Estoile.  Journal  de 
Hcvri  III.  éd.  de  1744,  Preuves,  IV,  p.  21,  note). 

(1)  Voir  l'exposé  du  chapitre  .\. 

(21  At  ille  fortis  vir  fuit,  tu  semivir.  |  Dicam  ergo  Gallum.  mombra  ciim  careant 
vire?   I   etc. 

(3)  Mâlarif/es.  p.  8-9. 

(4)  L.   DucHESNE,  Les  origines  ehrêtifnnes,  p.  141.  164,  170. 

(5)  Lacroix,  Myst.  ail.,  ch.  V. 

(fi)  Après  avoir  montré  comment  les  libertins  opposent  Dieu  qui  est  tout  et  le 
monde  qui  n'est  rien,  11  conclut  :  "  que  si  on  les  poursuit  an  vif  on  trouvera  qu'ilz 
basfissent  tous  leurs  songes  sur  le  fondement  des  manichéens  touchant  !<«;  doux 
principes  •>  (Contre  la  secte...  de.i  nherlins.  Illl. 

(7)  Audio  nebulonem  perditississlmum  damnar.^  matrimonium  iIIkrminj  un»  VI, 
887) 


ATHÉES    ET    DÉISTES  529 

la  rumeur  recueillie  par  Farel,  il  se  dédommageait.  Ce  n'est 
pas  impossible.  l*eul-è!re  aussi  n'est-ce  qu'une  calomnie. 
Florimond  de  Rœmond  classe  parmi  les  anabaptistes  une 
secte  des  Purs  '^*.  Calvin  reproche  aux  nouveaux  manichéens 
d'avoir  des  jours  fixés  pour  la  mortification,  et  à  ce  propos 
les  rapproche  même  d'une  façon  assez  inattendue  des 
Jésuites  '-).  Il  semble  donc  naturel  d'expliquer  cette  affec- 
tation de  chasteté,  chez  un  incrédule,  par  des  rapports  avec  ces 
sectes  (jue  par  l'influence  chrétienne. 

Sa  doctrine  prête  aux  mêmes  assimilations.  Au  cours  de 
son  procès,  on  lui  reproche  d'avoir  mal  parlé  du  baptême  f^) 
Le  baptême  est  le  sacrement  contre  lequel  s'exercent  les  ana- 
baptistes '''\ 

Dans  le  premier  interrogatoire  on  lui  reproche  «  qu'il  a 
escrit  en  la  Bible  où  il  appelle  Moyse  meschant  et  deslyé, 
enchanteur  )>,  et  dans  le  second  interrogatoire  il  avoue  qu'il 
a  pris  cette  doctrine  <(  de  costé  et  d'aultre '^'  ».  Cette  thèse,  en 
effet,  n'est  pas  spéciale  aux  disciples  d'Evhémère;  elle  leur 
est  commune  avec  les  libertins  de  l'école  padouane,  avec  les 
disciples  de  Celse  et  les  libertins  spirituels.  Tous  s'accordent 
pour  faire  de  Moyse  un  politicien  ambitieux  qui  s'est  servi  de 
la  Religion  pour  imposer  son  autorité.  J'ai  moi-même  relevé 
cette  théorie  chez  les  libertins  spirituels  ^^\  chez  Postel  (^', 
chez  Celse  's'  et  chez  Tahureau  *9). 

Vallée  a  dit  aussi  «  que  le  fdz  n'est  de  Dieu  ».  C'est  à 
cette  affirmation  qu'aboutit  la  çhristologie  de  toutes  les  sectes 
gnosliques   et   au   W'P   siècle   celle   des   libertins   spirituels. 


(1)  Naiss-ance  et  progrès  de  l'hérésie,  p.  236. 

(2)  Institution  chrétienne ,  III,  III,  2  et  pour  l'ensemble  de  la  Renal5i=ance  du 
manichéisme,  passini  et  notamment  (édit.  de  1561),  I.  XIII.  1;  I,  XIV,  3-C. 

(3)  2«  interrogat.,  Lachèvre,  op.  cit..  p.  37. 

(4)  Voir  par  exemple  à  la  tahle  de  VInstit.  chrétienne  (éd.  1563)  tous  les  articles 
que  Calvin  consacre  à  les  réfuter  sur  ce  poinf. 

(5)  Lachèvre,  Mélanges,  p.  34  et  37. 

(6)  Lettre  de  A.  Fumée,  voir  cliapiire  Xf. 

(7)  De  orbls  concord.,  III,  V,  p.  280;  cf.  ch.  IM. 

(8)  Contra  Celsxim,  I,   XXVI:  III.  XLVI. 

(9)  Je   dial.,   p     172-176;   cf.   ch.   XI t. 

34 


I 


530  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Jésus  pour  cnix  n'esl  ([ii'un  fanloinc.  Il  a  l'apparence  du  Christ, 
mais  la  divinité  l'a  quitté  avant  la  passion  selon  les  uns;  selon 
d'autres  il  n'est  qu'un  composé  de  «  l'esprit  de  Dieu  qui  est  en 
nous  tous  et  de- ce  qu'ils  appellent  cuider  ou  le  monde '^'  ». 
Il  est  vrai  que  la  négation  du  la  divinité  de  Jésus-Christ  n'est 
pas  spéciale  aux  gnostiques.  xMais  on  remarciuera  cependant 
que  l'interrogatoire  dit  que  G.  Vallée  soutenait  que  c(  le  lilz 
n'est  de  Dieu  »;  et  non  pas  que  Jésus  n'est  pas  Dieu,  ce  qui 
trahit,  à  mon  avis,  une  formule  théologique  et  non  philoso- 
phique. Enlin  on  lui  reproche  d'avoir  dit  «  que  l'oraison  domi- 
nicale n'est  instituée  par  le  fils  de  Dieu,  mais  par  le  diable  ». 
Il  nie,  et  à  l'interrogatoire  suivant  «  a  dict  cjuil  ne  pense  pas 
l'avoir  dit  ainsy  <2)  ».  Non,  il  ne  l'a  pas  dit,  ainsi,  mais  il  a 
dit  quelque  chose  d'approchant.  Les  libertins  spirituels  ne 
condamnaient  pas  tout  le  Pater;  ils  condamnaient  seulement 
un  article  du  Pater  :  Pardonnez-nous  nos  offenses.  Parvenu  à 
la  vie  spirituelle,  régénéré  par  la  purification  et  illuminé  par 
l'Esprit,  le  «  pneumalitjue  »  ne  peut  plus  pécher.  Il  n'agit  plus 
qu'en  union  et  sous  l'influence  de  l'Esprit.  Tout  ce  qu'il  fait 
c'est  Dieu  qui  le  fait*^)  i\  ^'a  donc  plus  à  demander  pardon  et 
il  a  rayé  cette  demande  de  la  «  patenostre  ». 

L'esprit  enfin  de  Vallée  offrait  à  ces  doctrines  étranges  un 
terrain  tout  naturel.  La  gnose  est  la  science  des  âmes  simples 
et  se  concilie  très  bien  avec  l'ignorance  philosophique.  On  se 
souvient  peut-être  de  ce  libertin  de  1527,  dont  j'ai  dit  le  sup- 
plice, qui  niait  la  divinité  de  Jésus-Christ,  dont  le  chroniqueur 
dit  avec  étonnement  qu'il  «  ne  sçavoit  A  ne  B  ».  Ce  que  les 


(1)  Calvin,  Traité  des  Anobapt..  xvil.  Pour  les  rappi'dchement^  avec  les  dis- 
ciples de  Basillde.  de  .Saturnin,  de  Simon,  qui  soutiennent  les  premiers  ces  théories, 
voir  DuCHESNE,  Origines  chrélicnnes,  p.  157,  164,  166;  parmi  les  hérétiques  du 
XVIc  siècle  qui  ont  renouvelé  ces  erreurs,  il  faut  faire  une  place  à  Servet  (Calvin, 
Insl    rhrét..  éd.  1.561.  II,  14-15,  p.  156-157). 

(2)  LACHÈVRE,   op.   cit.,   p.   36-37. 

(3)  Ce  point  du  système  libertin  a  été  développé  au  ch.  X..  On  joindra  aux 
sources  indiquées  Calvin,  Tnst.  chrét.  (éd.  1561),  III,  XX,  45.  ,T'al  signalé  a,u 
ch.  X  que  la  Bibl,  de  l'Arsenal  possède  une  Brievc  espliratioii  de  la  patenostre 
de  source  libertine.  Le  ms.  de  Marguerite  de  Navarre  étudié  par  M.  Parturler 
{Revue  de  la  ncnaiss  ,  1904)  contient  aussi  une  paraphrase  "  libertine  «  du  Pater. 
On  trouvera  un  extrait  caractéristique  de  la  Patenostre,  ch.  XI.  p.  ,362,  note  6. 


ATHÉES   ET    DÉISTES  531 

autres  apprcniieiil  par  une  longue  élude,  le  gnoslique  l'ac- 
quiert par  la  révélation  personnelle.  Son  jinaginalion,  surex- 
citée par  l'ascèse  gnoslique,  lui  lait  croire  à  des  visions  et  à 
une  infusion  directe  de  l'Esprit.  Il  y  a  même  au  XVP  siècle 
toute  une  secte  ({ui  s'appelle  les  Ravis,  «  lesquels  relevés 
de  leur  extase  racontent  mille  nl^erveilles  de  ce  qu'ils  ont  veu 
en  Paradis  ou  en  Enfer 'i)  ».  G.  Vallée  n'en  était  pas  là.  On 
le  crut  un  moment,  tellement  il  alfiraiait  qu'il  avait  une  con- 
naissance spéciale  de  Dieu<-'.  11  connaît  Dieu  «  depuis  l'âge 
de  neuf  ans,  par  le  ciel  et  la  terre  »,  comme  tout  le  monde. 
Mais  depuis  ([uelques  années,  il  le  connaît  mieux,  par  les 
((  docteurs  »  (jui  le  lui  ont  révélé.  On  lui  demande  alors  s'il 
a  lu  des  ouvrages  de  théologie  :  il  répond  (|ue  non,  pas  même 
ceux  de  Luther  ou  de  Calvin;  «  s'il  a' veu  Dieu?  »;  il  répond 
négativement  t^'.  Mais  s'il  n"a  pas  ((  veu  Dieu  »,  il  n'a  point  pâli 
sur  les  livres  non  plus.  Cette  doctrine  mystérieuse,  «  il  l'a 
apprise  des  sages  et  des  docteurs,  en  voyage  ''■)  ».  Un  jour, 
il  a  rencontré  cjuelque  libertin  qui  lui  a  révélé  le  secret  des 
«  spirituels  »  ^^K  Depuis  lor^,  dans  sa  pauvre  cervelle  échauffée, 
il  prend  ses  accès  de  délire  pour  des  révélations  :  il  a  «  ung 
battement  de  cueur  et  quand  ce  battement  cesse,  cela  luy 
monte  en  sa  teste  et  luy  est  de  là  venue  ceste  grande  cognois- 
sance  qu'il  a  de  Dieu  <6)  ».  De  là  cette  certitude  qui  lui  donne 
le  courage  d'affronter  même  la  mort.  Un  pareil  entêtement 
dans  les  rêveries  suppose  une  foi  absolue,  telle  qu'une  révé- 
lation directe  la  peut  seule  produire,   ou  une  initiation.  Les 


fl)   Plorimdnd  de  R.emonu,  op.  clL,  p.  I'i8. 

(2)  3P  interrogafoire.   Lachèvre,   o/<.   cit..  p.   40. 

(3)  3e  interrogatoire.  Lachèvre,  011.  cil-p.  3S. 

(4)  Ibid..  p.  35  et  38. 

(5)  Je  ne  reviens  pas  sur  l'existence  des  sectes  cr illuminés  au  XVIe  siècle  dont 
j'ai  exposé  l'histoire  au  ch  X;  mais  je  ferai  remarquer  que  leurs  adversaires 
font  eux-mêmes  les  rapprochements  que  je  fais  ici  entre  ces  sectes  et  les  gnostiques; 
voir  surtout  Calvin.  Traité  des  .Anahapi L'aies,  III.  où  il  les  compare  aux  gnostiques 
de  Valentin.  et  d'Appelles,  et  aux  manichéens.  Comparer  aussi  les  doctrines  des 
diverses  sectes  dénommées  par  Fl.  de  R«mom)  (op.  cit.,  p.  336)  avec  l'étude  de 
I)i:€HESNE  citée  plus  haut. 

(6)  3>-  interrogatoire,  Lachèvre,  p.  38  et  40. 


532  LE    RATIONALISME    DANS    LA    LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

gnostiques  anciens  i>rali({nai(Mil  rinilialion  ^^  J'imagine  que 
leurs  descendants  du  XVP  siècle  avaient  pareillement  les  rites 
secrets  destinés  à  éblouir  les  initiés  ^^K  Le  vrai  que  les  autres 
hommes  trouvent  à  force  de  recherches,  le  gnostique  l'apprend 
sans  chercher  :  l'intuition  personnelle  et  l'initiation  remplacent 
la  raison;  les  autres  sont  <<  apprins  de  sophisterie  »,  ou 
<(  apprins  de  la  Bible  »,  lui  il  est  «  apprins  de  Dieu '3)  )>;  les 
autres  croient  ou  cherchent  à  savoir  :  le  ><  spirituel  »  .sa/7. 
«  Heureux  qui  scait,  au  scavoir  repos  »,  telle  est  la  sentence 
que  G.  Vallée  à  mise  en  sous-titre  à  son  livre  ^''^\  Mais  sa 
science,  ce  n'est  pas  la  philosophie,  c'est  la  gnose.  G.  Vallée 
n'est  donc  pas  lancètre  des  libertins  du  X\  IF  siècle;  il  est 
l'un  des  derniers  ''"i  fils  des  libertins  spirituels  du  XVP  siècle  : 
ce  n'est  pas  un  rationaliste,  c'est  un  gnostique. 


IV 


Je  trouve  une  autre  preuve  de  l'expansion  du  déisme 
dans  l'affaire  des  déistes  du  Tarn.  Malheui-cusement  je  n'ai 
que  l'acte  d'accusation,  sans  savoir  quelle  suite  y  a  été  donnée  : 
le  5  juin  1576,  les  Etats  provinciaux  des  diocèses  de  Castres, 
Albi,  Lavaur  et  des  montagnes  de  Saint-Pons  et  de  Thonières 
se  réunirent  à  Castres.  Une  première  session  avait  eu  lieu  du 
17  au  20  avril.  «  M.  Bcilrairl  E^pcron '6',  scindic  de  la  ville 

.{!)  Sur  l'initiation  dans  les  sectes  gnosticiues,  voir  DrcHESNE.  Uiigines  chré- 
tiennes, p.  151  (Basilide  exigeait  auparavant  un  noviciat  de  cinq  ans).  158,  162. 

(2)  Ceci  n'est  qu'une  supposition  fondée  sur  l'analogie.  Toutes  les  sectes  orphiques 
ont  eu  leur  Initiation;  celles  de  la  Renaissance  sont  fort  peu  connues,  malheu- 
reusement. 

(3)  C'est  le  titre  d'un  traité  libertin  :  Colloques  chrestleyis  de  trois  personnes,  en 
assavoir  entre  itnu  apprins  de  Dieu,  uncj  apprins  de  la  Bible  et  ung  apprins  de 
sophisterie,  Genève,  15'i.S. 

(•'()  «  L'homme  qui  sait  est  dans  une  situation  morale  supérieure  à  celle  de 
l'homme  qui  ne  sait  pas.  Le  disciple,  l'initié  sont  des  âmes  privilégiées  »  (Duchesne, 
op  rit.,  p.  l'ii).  Voif  aussi  dans  Humbert  {Origines  de  la  Théol  rnod.,  I,  V, 
I».  55)  le  poème  de  Ruysbroek  sur  la  contemplation   : 

La  contemplation  est  une  science  sans  mode 
Qui  re.ste  t/oujours  au-dessus  de  la  raison,  etc. 

(5)  On  en  trouve  encore  au  milieu  du  Wil*"  siècle  (voir  la  r,<>nilusion  de  ce 
livre),  mats  ils  se  font  rares. 

(6)  Sur  Bertrand  Ksperoii,  notaire  à  Castres,  vnir    Wrliivcs  île  (astres.  II.   t"    T- 


ATHÉES   ET    DÉISTES  533 

de  Cublrcs  dil  que  en  l'assemblée  generalle  du  diocèse  derniè- 
rement tenue  aud.  Castres,,  il  fut  dénoncé  par  M.  Floris, 
ministre  de  la  paroUe  de  Dieu,  que  plusieurs  hérésies 
méchantes  et  condampnables  ceptes  (sic)  commenceroient 
pulluler  entre  aucungs  desvoyés  de  la  droicte  religion  se 
nommant  déistes,  mesmes  dans  le  balon  Saint-Amand  et  Aul- 
polois;  à  quoy  estoit  besoing  de  promptement  remédier 
cependant  (ju'ils  ne  prennent  plus  grand  accroissement  ». 
L'assemblée  décida  «  que  seroit  faicte  poursuite  contre  les 
ceptateurs  aux  despans  dud.  pays  (i)  ».  J'ignore  quelle  fut 
la  sanction  de  cette  résolution  du  synode,  mais  par  contre 
l'histoire  de  Saint-Amans  '*>  nous  autorise  à  chercher  chez  les 
libertins  du  moyen  âge  l'origine  des  déistes  du  XVP  siècle. 
Le  Hautpoulois,  en  effet,  fut,  du  XI''  au  XIIP  siècle,  un  des 
centres  les  plus  ardents  des  Albigeois.  Le  château  de  Hautpoul 
appartenait  au  XI IL  siècle  à  leur  chef,  Raymond  Roger, 
vicomte  d'Albi,  qui,  avec  Raymond  IV  de  Toulouse,  organisa 
la  résistance.  C'est  au  château  d'Hautpoul  qu'ils  se  réfugièrent 
lorsqu'en  1212  ils  furent  menacés  par  la  croisade  de  Simon  de 
Alontfort;  c'est  là  qu'ils  furent  massacrés  par  Simon  victorieux, 
le  second  dimanche  après  Pâques  de  cette  môme  année.  Un 
grand  nombre  s'enfuirent  et  plus  tard  fondèrent  la  ville  voisine 
de  Mazamet.  Il  me  semble  naturel  de  supposer  que  les  ferments 
d'incrédulité  des  libertins  du  XIIL  siècle  —  car  les  Albigeois 
sont  une  ramification  des  mystiques  du  moyen  âge  • —  entre- 
tenus pendant  deux  siècles,  se  sont  pris  à  revivre  au  moment 
où  renaissaient  toutes  les  hérésies,  et  qu'ainsi  les  déistes  de 
Saint- Amans  ont  hérité  de  l'esprit  comme  du  sang  des 
Albigeois. 

Baylc  a  voulu  nous  mystifier,  je  pense,  en  renvoyant  ses 
lecteurs  qui  voudront  connaître  les  trois  poètes  de  la  Pléiade 

(1)  Délihération  du  5  juin  1576,  Arcli.  dép.  du  Tarn,  G.  1015,  t°  81.  M.  Vidal, 
d'Albi,  qui  a  tiien  voulu  copier  le  texte  entier  à  mon  intention,  et.  M.  l'Archlvistie 
départenaent-al  ignorent  la  .«.uite  donnée  à  cette  délihération.  M.  Calvet  l'ignore 
aussi. 

(2)  J.  C.\LVET.  Ill-<toire  de  la  ville  de  SahU-Amans.  Castres,  1887. 


534  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

disciples  de  G.  Vallée  aux  Méinoires  de  i Estai  de  France 
sous  Charles  Neuliesme  (i).  A  la  page  indiquée,  en  effet,  on 
trouve  mentionnés  trois  poètes  qui  y  sont  accusés  d'avoir  écrit 
contre  les  protestants  :  Jean  Dorât,  Jean  Ant.  de  Baïf  et 
Et.  Jodelle.  Les  deux  premiers  ne  méritent  point  l'accusation 
d'athéisme  que  Bayle  lance  contre  eux.  Etienne  Jodelle  est 
plus  suspect.  Il  fut  épicurien  en  sa  vie  et  en  sa  mort  si  l'on 
en  croit  P.  de  lEstoile  ((  car  n'ayant  pendant  sa  vie  pas  craint 
Dieu,  il  ne  donna  en  mourant  aucun  signe  de  le  reconnoître; 
el  môme  en  sa  maladie,  comme  il  fut  pressé  de  grandes  dou- 
leurs, étant  exhorté  d'avoir  recours  à  Dieu,  il  repondoit  qu'il 
n'avoil  garde  de  le  prier  ny  le  reconnoistre,  tant  (ju'il  luy 
feroit  tant  de  mal,  et  mourut  de  cette  façon  avec  hurlemens 
epouventables.  Ronsard  a  dit  souvent  qu'il  ût  désiré  pour  la 
mémoire  de  Jodelle  que  ses  ouvrages  ûssent  été  jetés  au  feu. 
Il  étoit  d'un  esprit  prompt  et  inventif,  mais  paillard,  yvrogne 
et  sans  aucune  crainte  de  Dieu,  qu'il  ne  croyoit  que  sous 
bénéfice  d'inventaire  f^)  ».  Ronsard  et  l'Estoile  me  paraissent 
bien  sévères.  Si  la  vie  de  Jodelle  fut  dun  libertin,  son  œuvre 
ne  l'est  pas.  On  y  trouve  même  des  vers  contre  les  protestants 
et  les  anabaptistes  (3).  Tout  au  plus  peut-on  citer  comme 
suspects  les  vers  suivants.  Le  poète  parle  .4  sa  Muse  : 

Tu  sais  que  la  vectu  n'est  point  recompensée 

Sinon  que  de  soymesme  et  que  le  vray  loyer 

De  l'homme  vertueux,  c'est  sa  vertu  passée. 

—  Pour  elle  seule  doncq  je  me  veux  employer 
Me  dussé-je  noyer  moymesme  dons  mon  fleuve, 
Et  de  mon  propre  feu  le  chef  me  foudroyer. 

—  Si  doncq'  un  changement  au  reste  je  n'espreuve, 
Il  faut  que  le  seul  vray  mo  soit  mon  but  dernier. 
Et  que  mon  bien  total  dedans  moy  seul  se  treuve, 

—  Jamais  l'Opinion  ne' sera  mon  colier(4). 

(1)  Bayle,   art.   Rapin,   note   D.   rem.   crit.   Renvoi  à   la  2e  édit.   1579,   tome   I. 
fo  278  vo. 

(2)  L'Estoile,  Journal  de  Henri  m,  i,  p.  63-64. 

(3)  "  Les  faux  Anabaptistes, 

Les  Parfaits,   !es  Dormants,   Frérots  et  Davidistes 
Qui  sont  engendrez  deux  »  (des  Protestants). 

Œuvres  et  Meslangcs.  .sonnet  XXXV.  p.  81. 
'4)  Œuvrrs  el  Mesianrjex  poéL,  éd.  1574,  p.  135. 


ATHÉES    ET    DÉISTES  535 

P.  de  l'Estoile  nous  a  conservé  le  souvenir  d'un  autre  libertin 
qui  fut  aussi  plutôt  épicurien  que  philosophe  :  Simon  Nicolas 
(t  1604).  11  était  secrétaire  de  Charles  IX,  fort  goûté  à  la 
cour  et  «  bien  venu  aux  compagnies  ».  Et  pourtant,  dit  Je 
chroniqueur,  c'était  «  un  beau  corrompu  et  vieil  pécheur  et 
lequel  on  disoit  croire  en  Dieu  par  bénéfice  d'inventaire  ». 
Quand  on  lui  parlait  de  l'au-delà  il  répondait  «  qu'il  eust  quitté 
tousjours  fort  volontiers  sa  part  de  paradis  pour  cinquante  ans 
,  de  plus  de  ceste  vie  ».  Il  composa  lui-même  son  épitaphe  : 

J'ay  vescu  sans  souci,  je  suis  mort  sans  regret. 

Je  ne  suis  plaint  d'aucun,  n'aiant  pleuré  personne. 

De  scavoir  où  je  vais,  c'est  un  trop  grand  secret; 

J'en  laisse  le  discours  à  Messieurs  de  Sorbonne  (D;  » 


Maldonat,  dans  ses  Commentaires  sur  saint  Mathieu,  se 
plaint  que  le  protestantisme  aussi  fût  une  école  dathéigme  <2). 
Il  faut  faire  la  part  de  l'exagération.  De  temps  en  temps  cepen- 
dant un  enfant  perdu  de  la  Réforme  arrivait  à  larianisme  et 
au  déisme  pur.  J'ai  exposé  plus  haut  le  cas  de  Caslellion,,  de 
Claude  d'Aliod,  de  Chapponeaulx,  de  Farel  même  aux  environs 
de  1550.  En  1564  une  longue  controverse  éclate  en  Allemagne 
entre  Jacques  André,  de  Bèze,  et  les  théologiens  de  l'école 


(1)  De  l'Estoile,  Journal  dit  n'gi  e  de  Henri  IV,  értit.  île  La  Haye,  1741.  t.  III, 
p.  163-165. 

(2)  Voici  cette  page  à  titre  de  document  : 

Habet  enim  hseresis  et  incredulita.s  sic  ut  omnis  doctrina  methodum  suara  ut 
ab  his  quae  notiora  nobis  et  propinquiora  sunt  sensibus,  exordiatur  et  per  gradus 
ad  majora  remotioraque  perveniat.  Experientia  docti  loquimur  :  multos  jam 
Calvinistas  videmus  :  qui  ingeniores,  et  magis  increduli  id  est  magis  Calvinistse 
cseteris  erant  :  eo  jam  pervenisse  ut  qua  ratione  hoc  prius  misterium  non  crede- 
bant.  nunc  Trinitatis  misterium  non  credant,  cseterosqUe  Calvinistas  sicut  Calvi- 
nistas nos,  tanquam  nimis  simplices  et  credulos  rideant.  Omnes  enim  Ariani  et 
quos  multis  hodie  locis  succrescere  videmus,  et  qui  Poloniam  jam  omnem  reple- 
verunt  ex  Calvinistis  nati  sunt.  NonnuUi  progressi  sunt  longius,  ut  nihil  crederent, 
quorum  unus  cum  libellum  quemdam  his  annis  de  ai'te  nlhil  credendi  compo- 
siuisset  nihil  in  eo  nisi  hoc  unum  verum  dixit  :  oportere  prius  Calvinistam  fieri 
qui  athseus  esse  volet.  Fuerat  ille  ajitea  Calvinista,  fuit  postea  athœus 
et  unicuique  in  sua  arte  credendum  est.  Verissima  sententia  ;  nam  quisquis 
Calvinista  est,  si  ea  quam  ingressus  est  incredulitatis  via  ire  pergat,  ad 
nihil  credendum  perveniat  necesse  est...  Comm.  in  Math.,  XXVI,  col.  572  A-B 
(1596-1597). 


536  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

d'Ingolstadt  ^^^  Il  ne  s'agit  rien  moins  que  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ,  si  nous  en  croyons  Andréa  lui-même  ^^K  Ces 
luttes  ont  leur  répercussion  à  Paris  où  François  Beaudoin 
publie  en  1565  un  livre  Contre  les  thèses  impies  d'Andréa  <3). 
Lambert  Daneau,  réfugié  à  Genève,  accuse  en  1578  Guillaume 
Génébrard  de  Paris  de  renouveler  l'erreur  de  l'antitrinitaire 
Gentilis  <^).  Dans  le  même  temps  (1582),  on  brûle  à  Metz  Noël 
Journel,  maître  d'école  de  Sainte-Ruffine.  Il  niait  la  Trinité 
et  la  Rédemption.  Le  ministre  Chassanion  écrit  contre  lui  : 
la  réfutation  des  erreurs  esiranges  et  des  blasphèmes  horribles 
contre  Dieu  et  lescriturc  saincte  et  les  saincts  prophètes  et 
aposlres  d'un  certain  malheureux  qui  pour  telles  impietez  a 
esté  justement  bruslé  en  la  cité  de  Metz  (^).  C'est  encore  un 
français  qui  dix  ans  plus  tard  bataille  contre  les  ariens  de 
Pologne,  le  théologien  Du  Jon  dont  on  a  vu  la  crise  d'incré- 
dulité et  la  conversion  (^). 

Par  contre,   les  protestants  accusent  aussi  quelquefois  les 
catholiques  d'être  des  athées.  Du  moins  ils  l'ont  fait  une  fois 


(1^  Livres  de  André  :  Asfiertio  piœ  et  orthodone  tloclrina-  de  i>ersoiiiuili  itnione 
qua  respondetnr  ad  primam  partem  llhri  Th.  de  Bèzc...  cui  tititlum  est  Plactnum 
et  modestum  responsiim  etc.  Tubinge,  1565.  —  Brevis  et  niodesta  npologia  capilum 
dhputationi^  de  mnjestate  hominis  Chrisli  deque  vera  et  consubstantiali  praesentia 
corporis  et  sanguinis  Christi  in  Eucharistia.  Tub.,  1564.  Collatio  ratholicx  et 
orthodoxie  Chrlslianae  fldei  de  persona  Christi.  1582. 

(2)  Non  amplius  aut...  parum  de  verbis  cœnae  litigatur,  sed  de  his  ipsis  fldei 
artlculis  qui  sunt  de  incarnatione  ^'erbi...  (Adversarii)  affirmant  eam  (rem)  nihil 
aliud  esse  quam  duarura  naturarum  divinfe  ac  human:e  in  Christo  eam  conjun- 
xionem  qua  /î-^îç  humanam  naturam  in  sua  persona...  sustenset...  sed  quid...  hoc 
aliud  est  quam  negare  Christum  hominen  esse  Deum...  etc.  Brevis  et  modesta 
apologia,  p.  345. 

(3)  Disputalio  advrrsus  iiiiplos  Jacobi  Aitdrese  thèses  de  mnjestate  hominis 
Christi.  Paris,  1565.  in-S».  Sur  Fr.  Baudoin,  voir  IIaag,  A'r.  Prot.  I,  p.  27; 
2e  édition   :  I,  p.  993  à  1005. 

(4)  .4d  Novas  Gullhelmi  Genebrardi  Doctoris  parisiensis  Caluninias  cujus  tum 
orlhodoTom  Evangcticoiiiin  ominum  de  Trinitate  doctrinam  traducit  :  tum  etiam 
horrendum  Valentinl  GentiUx  crrorem  titetur  ac  rénovât...  responsio.  Genève, 
Vignon.  1578.  Sur  Daneau.  voir  Fr.  Prot.,  V,  p.  69  à  91. 

(5)  Strasbourg,  Nicolas  Wyriot,  1583,  in-4"  non  paginé.  Sur  cette  affaire,  voir 
Fr.  Protest..  III,  p.  78-79. 

(6)  JuNius,  Defensio  catholicie  doctrinœ  de  sanctn  Trinitate  personnarum  in 
unitate  essentiœ  Dci  adversiis  Sarnnsalenicos  errores  speeie  tnanis  pMlosophiœ 
in  Polonia  excudentes.  Hcidelberg,  1590.  Defensio  secundA.  ibid.,  1591.  Defensio 
Tertia,  ibid.,  1592  (Opéra.  II),  /•/■    Prot.,  V,  p.  711  k  729. 


ATHÉES    ET   DÉISTES  537 

contre  le  cardinal  Du  Perron  f^'.  Le  roi  Henri  III  avait  coutume 
de  réunir  au  Louwe  l'Académie  *<  du  Palais  »  qui  avait  rem- 
placé celle  de  Baïf.  On  y  rencontrait  Ronsard,  Baïf,  Pibrac, 
Desportes,  Jamyn,  Pontus  de  Tyard,  d'Aubigné,  Du  Perron  et 
quelques  dames  «  qui  avaient  étudié  ».  On  y  discutait  philo- 
sophie. Ronsard  y  a  traité  de  la  supériorité  des  vertus  moraleç 
sur  les  intellectuelles  <2);  Du  Perron  y  a  aussi  prononcé  un 
Discours  de  lame  dont  la  sécheresse  et  la  psychologie  rébar- 
bative nous  feraient  regretter  Pomponazzi  lui-même  (3).  Le 
25  novembre  1583,  il  y  aurait  prêché  contre  les  athées,  et 
comme  le  roi  le  complimentait,  il  lui  aurait  répondu  :  «  J'ai 
prouvé  aujourd'huy  qu'il  y  a  un  Dieu,  s'il  plaît  à  votre  majesté 
me  donner  audience,  je  lui  prouverai  par  raisons  aussi  bonnes 
qu'il  n'y  en  a  point  du  tout  ».  Le  roi  aurait  menacé  le  cardinal 
d'une  disgrâce.  Ceux  qui  ont  vulgarisé  cette  anecdote  n'ont 
pas  même  le  mérite  de  l'invention.  C'est  une  réédition  de  celle 
que  la  légende  avait  mise  au  compte  du  professeur  Thomas 
de  Cambrai  au  début  du  XIÏP  siècle  (^). 

Je  ne  pense  pas  qu'il  faille  faire  grand  cas  non  plus  de 
r  «  école  d'athéisme  »  qui  aurait  existé  à  Paris  «  au  moment 
de  la  naissance  de  cette  secte  d'athées  ».  Le  P.  Zacharie  de 
Lisieux  raconte  que  les  athées  se  réunissaient  de  nuit  et  que 
dans  ces  réunions  secrètes  on  attaquait  l'immortalité,  la  provi- 
dence, la  rehgion  en  général;  on  y  parlait  aussi  en  faveur  de 
la  liberté  politique.  Il  tient  le  fait  d'un  témoin  qui,  dégoûté, 
s'est  fait  religieux,  et  il  s'en  porte  garant.  Malheureusement, 
il  ne  donne  ni  nom  ni  date.   Et  comme  il  écrit  en  1653  il 


(1)  Sources  :  Goujet,  Bibl.  fr.,  XIV;  Levesque  de  Burigny,  Vie  de  Dv  Perron 
(1758)  ;  Journal  de  Henri  III,  25  nov.  1582,  I,  p.  411  ;  Epistre  dédicatoire  de  la 
confession  de  Sanci;  Gisb.  Vœtius,  cité  par  Bayle,  art.  Du  Monin,  rem.  C. 

(2)  JussERAND.  lionsard.  V,  p.  156.  Sur  cette  Académie,  voir  E.  Fremy,  L'.lca- 
démie  des  derniers  Valois;  Eaif,  Œuvres,  éd.  Marty-Laveaux,  I,  XXXV-XXXVI. 

(3)  Discours  de  l'âme  prononcé  devant  le  Roi  Henri  III  (Œuvres).  Le  discours 
remplit  trois  pages  in-folio.  C'est  un  résumé  de  psychologie  scolastique  (pii 
expose  le  mécanisme  des  puissanoes  de  l'âme,  mais  ne  s'occupe  ni  de  sa  nature 
ni  de  sa  destinée,  et  est  sans  intérêt  ici  par  conséquent. 

(4)  En  voir  le  récit  au  chap.  X. 


538  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

est  difficile  île  reporter  le  fait  au  delà  des  premières  années  du 
X VIP  siècle  ou  des  dernières  du  XVP.  Encore  faut-il  l'accueil- 
lir sous  toutes  réserves.  Il  nest  pas  impossible  cependant 
qu'on  se  trouve  en  présence  de  réunions  de  libertins  ou  de 
membres  d'une  société  secrète  antireligieuse  comme  la  franc- 
maçonnerie  ou  la  Hose-Croix  <^). 

Nous  avons  des  progrès  de  l'athéisme  au  cours  de  la 
seconde  moitié  du  XYI*"  siècle  des  preuves  })lus  sûres  :  ce 
sont  les  livres  qu'on  écrit  pour  y  remédier.  Bodin  même  s'en 
inquiète  (1576),  non  pas  précisément  parce  que  l'athéisme  est 
une  erreur  de  doctrine,  mais  surtout  parce  que  c'est  un  mal 
social  :  «  Peu  à  peu,,  du  mespris  de  la  religion  est  sortie  une 
secte  détestable  d'atheistes,  qui  n'ont  que  le  blasphème  en  la 
bouche  et  le  mespris  de  toutes  loix  divines  et  humaines;  dont 
il  s'ensuit  une  infinité  de  meurtres,  parricides,  empoison- 
nemens,  trahisons,  parjures,  adultères,  incestes;  car  il  ne  faut 
pas  attendre  que  les  princes  et  les  magistrats  rangent  sous 
l'obéissance  des  loix  les  subjects  qui  ont  foulé  aux  pieds  toute 
religion  f^)  ». 


(1)  Seculi  genius  Petro  Formiano  authore,  Parisiis,  Seb.  et  Gabr.  Cramoisy, 
1653,  p.   289-296. 

(2)  népubl.,  VI,  I,  Cité  par  Chauviré,  Bodin  auteur  de  la  Républ  ,  p.  162. 
Quelques  années  plus  tard,  Crespet,  après  avoir  parlé  de  Nool  Joumet,  écrit  : 
«  La  formiliere  d'atheistes  semblables  s'e^t  espandue  par  la  France,  et  sont  receuz 
aux  gages  des  grands  qui  se  couvrent  du  manteau  de  religion  pour  couver  une 
dérision  de  Dieu  et  de  son  essence,  comme  on  les  juge  par  leurs  discours  qui  sont 
làrcis  de  blasphèmes  et  d'impiété.  Tellement  qu'on  ne  peut  estimer  autre  chose 
de  telle  connivence,  que  la  Foy  se  retire  de  nous...  etc  ».  De  l'Arne,  livre  I, 
dise.  II,  tome  I,  p.  35.  Voir  aussi  ibid.,  p.  32  et  d'autres  textes  d'autres  auteurs 
cités  plus  loin  au  cours  du  chap.  XVIII. 


CHAPITRE    XVII 
Un   «  Achriste  »  :  Jean  Bodin. 


I.  Le  disciple  des  Padouans  :  I.  Raison  et  Foi.  —  II.  Eternité  du  monde. 
—  III.  Providence.  —  IV.  Miracles.  —  V.  Déterminisme.  —  VI.  Im- 
mortalité. 

II.  Le  disciple  de  Celse  :  I.  Le  bon  sens  juge  des  mystères.  —  II.  Impos- 
sibilité de  l'Incarnation.  —  III.  Contre  la  divinité  de  Jésus-Christ  ■ 
a)  par  les  textes  scripturaires;  h)  par  les  miracles  et  les  prophéties; 
c)  par  la  personne  de  Jésus-Christ.  —  IV.  Divers  (Trinité,  saciementsi. 


1 


Les  déistes  dont  on  vient  de  voir  quelques  silhouettes  ne 
diffèrent  pratiquement  en  rien  des  «  achi-istes  »,  puisque  les  uns 
elles  autres  rejettent  la  révélation  et  se  contentent  de  la  religion 
naturelle.  L'arianisme  cependant  suppose  une  culture  théolo- 
gique beaucoup  plus  sérieuse  que  le  déisme.  C'est  pourquoi 
on  le  rencontre  surtout  chez  les  théologiens  avancés  de  l'école 
protestante  ou  chez  des  érudits  comme  Bodin.  Je  ne  connais 
pas  de  livre  français  qui  le  soutienne,  sauf  le  manuscrit  de 
Bodin  que  je  vais  étudier  tout  à  l'heure.  Mais  les  théologiens 
s'en  préoccupent.  Il  suffit  d'ouvrir  ÏIndex  hœreseon  et  errorum 
hœreticorumque  qui  termine  les  œuvres  de  Maldonal  pour 
trouver  au  mot  Ariani  un  exposé  et  une  réfutation  en  règle 
de  toutes  leurs  théories.  Les  apologistes  protestants  lui  con- 
sacrent des  volumes.  Ils  sont  nombreux  déjà  dans  certains 
centres.  «.  L'edict  premier  de  pacification  ne  fut  plustost  publié 
en  France  (1561)  que  soudain  s'esclouit  à  Lyon  un  secte 
d'ariens  couvée  dez  longtemps  audit  Lyon,,  et  ailleurs,  par 
un  Aleman  et  un  Italien,   qui  en  esloyent  les  chefs...  Aussi 


5'l(>  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

eï^tovenl  prest  à  se  faire  paroislre  les  poslelliens,  les  trinilaires 
ou  servetisles,  et  autres  jusques  aux  achristes  (i)  et  déistes  : 
(jiii  Ions  pretendoyent  pouvoir  jouyr  du  bénéfice  de  ledict...; 
on  adjoucle  que  tous  les  prénommez  sectaires,  et  autres,  se 
vanloyent  estre  fondez  en  textes,  ou  raisons  tirées  aussi  perli- 
ncmnient  de  l'Escriture,  que  les  Calvinistes  y  scauroyent 
prouver  leurs  opinions  eslre  fondées  <2)  ».  L'année  précédente, 
le  20  octobre  1560,  la  faculté  de  théologie  de  Paris  avait  cen- 
suré comme  «  impie,  blasphématoire,  hérétique  et  détestable, 
la  proposition  suivante,  dénoncée  par  G.  de  Bosset,  doyen  de 
l'Eglise  de  Poligny,,  chanoine  de  Besançon  :  <(  Julius  Caesar 
est  aulant  parfait  que  Jésus  Christ  ».  Le  blasphème  est  de 
Julien  l'Apostat  '^K 

On  peut  donc  dire  que  le  point  d'attaque  du  rationalisme 
s'est  légèrement  déplacé  au  cours  de  la  deuxième  moitié  du 
XVP  siècle.  Les  problèmes  de  l'immortalité,  de  la  providence, 
des  miracles,  qui  absorbaient  toute  l'attention  des  philosophes 
du  deuxième  tiers  du  siècle  vont  passer  au  second  plan.  Si 
ceux  qui  les  étudient  sont  encore  très  nombreux  —  on  en  a 


(I)  «  Achriste  »  est  il  un  néologisme  inventé  sur  le  modèle  de  <■  athéiste  »  ?  Serait- 
il  la  traxluctlon  de  '}:ypiTr<>i  dont  se  sert  A.  Fumée  dans  sa  lettre  à  Calvin  de  1542? 
ou  le  mot  v.-/pt7roi  serait-il  la  traduction  du  mot  «  achriste  »  déjà  usité  à  cette 
époque  ?  Je  n'en  ai  pas  trouvé  d'exemple  avant  celui  que  je  transcris  ici. 

■2)  Pierre  de  Saint-Julien,  Mexlaiiges  hUtor.  (1586),  p.  202-2a4.  Autre  texte  repro- 
duit dans  Bayle,  art.  VLret,  rem.  F,  note  25  :  «  La  liberté  de  conscience  ne  porr- 
roit  estre  permise  que  soudain  une  infinité  de  sectes  (  la  pluspart  abominables) 
ne  so  présentassent  pour  jouyr  du  mesme  privilège;  selon  qu'il  advint  à  Lyon  quand 
par  l'edit  de  pacification  il  fut  dit  que  personne  ne  seroit  re<:herché  en  sa  cons- 
cience, soudain  sortit  en  public  un  Alemanni  avec  une  trouppe  de  renouveliez 
arriens  ^et  beaucoup  pires)  qui,  prétendant  tirer  faveur  de  l'édict,  fut  cause  que 
le  vicaire  général  du  reverendissime  archevesque  de  Lyon  et  maistre  Pierre  Viret, 
superintendant  en  la  prétendue  église  calvinienne  dudit  Lyon,  furent  contraints 
de  se  joindre  pour  rembarrer  ces  arriens...  ».  Sur  l'action  de  Viret  à  cette  occasion, 
voir  Barnaud,  P.  Vitirt.  p.  G«»5-6(X).  On  trouvera  plus  loin  l'analyse  du  traité  qu'il 
écrivit  contre  ces  ariens.  —  M.  de  Castelnau  signale  aussi  l'expenslon  du  soci- 
nianisme  à  Lyon  après  ledit  de  pacification  :  "  En  même  temps  il  y  eut  à  Lyon 
une  nouvelle  secte  de  déistes  et  trinitistes,  qui  est  une  sorte  d'heresié  laquelle  a 
esté  en  Allemagne,  Pologne  et  autres  lieux  :  secte  très  dangereuse,  dont  la  foy  et 
la  doctrine  doit  estre  rejettée  et  laquelle  a  grandement  troul)Ié  l'Allemagne 
{Mémoires,  livre  V,  ch.  V,  édit.  Petltot,  p.  321). 

(3)  m.'i'LESSis  dArgentré,  CollecHo  judic,  II,  p.  289,  col.  1.  Julien,  à  vrai  dire, 
ne  met  pas  César  au-dessus  de  Jésus-Christ,  mais  au-dessus  de  Moise  (SArNT 
Cyrille,  Adv.  JuUan.,  VII,  218  A)*  mais  il  met  Jésus-Christ  au-dessous  des  grands 
capitaines  :  Perse*,  Eaque.  Minos  (Ihld..  VI,  290  C-191).  Tout,  (naturellement  on  l'a 
mis  au.ssi  au-dessous  de  César.  Voir  aussi  Origene,  Contra  Cclsum,  VI,  p.  271. 


UN   <(  ACHRISTE    ))    :   JEAN   BODIN  541 

VU  assez  d'exemples  — ,  de  plus  en  plus  nombreux  el  ardents 
sont  aussi  les  combats  qui  se  livrent  autour  des  dogmes  fonda- 
mentaux du  christianisme  :  l'incarnation,  la  divinité  de  Jésus- 
Christ.  Le  libertin  classique  :  le  Brutus  de  Fernel,  le  Curieux 
de  Pontus  de  Tyard,  le  Démocritic  de  Tahureau,  est  devenu 
savant.  Il  a  lu  Julien  l'Apostat,  Celse  et  Porphyre.  Il  a  étudié 
la  théologie  hétérodoxe  :  il  est  devenu  Jérôme  Senamy  du 
Colloque  des  sept  savants  dé  Bodin. 

Il  y  a  deux  hommes  en  Bodin  (i).  Celui  que  connaissait  le 
public  du  XVP  siècle,  l'auteur  de  la  République,  du  Théâtre 
de  la  Nature  ^-\  de  la  Démonomanie  est  un  magistrat  et  un 
savant.  Quand  il  a  posé  les  fondements  de  la  République,  il 
recherche  les  causes  et  les  principes  des  choses  (3),  ou  la  raison 
des  météores  et  la  composition  des  métaux  ^^\  la  constitution  et 
les  mœurs  des  plantes  et  des  animaux  (^'.  puis,  s'élevant  dans 
l'échelle  des  êtres,  il  étudie  les  facultés  et  la  destinée  de  l'àme  <^) 
les  lois  des  coips  célestes,  et  l'essence  même  de  Dieu  '"'>. 
C'est  un  savant;  il  connaît  la  philosophie,  la  cosmographie, 
celle  des  Chaldéens  et  celle  de  Copernic  *s),  les  mathématiques, 
l'hébreu,,  la  théojogie  des  diverses  religions  connues  y  compris 
le  Kabbale.  C'est  aussi  un  naïf,  que  les  sorciers  et  les  démons 
bons  ou  mauvais,  incubes  ou  succubes,  hantent  ou  affolent. 
Sous  ce  premier  aspect  il  ne  semble  pas  très  hardi  de  doctrine. 
Tout  au  plus  trouverons-nous  ça  et  là  des  idées  courantes 
d'origine  suspecte,  padouane  pour  la  plupart. 

Ni  Theorus  ni  Mystagogus,   le  disciple  très  curieux  et  le 

(1)  Sur  Bodin,  il  me  suffira  d'indiquer  les  thèses  de  M.  Chauviré  :  Jean  Bodin, 
auteur  de  la  République,  Champion,  1914;  Colloque  de  J .  Bodin.  Des  Secrets  cachez 
des  choses  sublimes  entre  sept  scavants  qui  sont  de  différents  sentiments.  Champion, 
1914. 

(2)  Universx  naturae  thealrum,  Lugduni,  apud.  J.  Roussin,  1596. 

(3)  Théâtre  de  la  nature,  l"  livre. 

(4)  Ibid..  2e  livre. 

(5)  Ibid..  3e  livre. 

(6)  Ibid.,  4»  livre. 

(7)  Ibid  .  59  livre 

(8)  Qu'il  expose  et  refuse  de  croi'-e.  M.  Chauviré  voit  surtout  dans  la  Thealrum 
un  livre  de  science  et  11  a  raison  {Bodin,  p.  93);  mais  cette  science  comprend  la 
métaphysique  dans  le  4^  livre,  et  c'est  par  là  que  le  livre  nous  intéresse. 


54'2  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

maître  très  savant  du  Thcàlrc  de  la  iialiue,  ne  sont  hommes 
à  se  contenter  de  mots  m  à  prendre  les  noms  des  grands 
hommc>  pour  des  arguments.  Connue  son  disciple  vient  d'ob- 
jecter à  Alystagogue  un  texte  de  saiid  Augustin  sur  l'âme, 
il  lui  répond  assez  sèchement  :  «  C'est  sur  des  raisons  et  non 
sur  l'autorité  qu'il  faut  appuyer  la  discussion^!)  ».  Theorus 
n'oniilie  pas  la  leçon  :  «  L'autorité  des  grands  hommes  a  beau- 
cou})  de  poids  sans  doute  pour  afi'ermir  la  foi  et  surtout  dans 
les  ((ueslions  dilficiJes  et  cachées  au  sens  humain,  mais  s'il 
est  vi-ai  qu'il  en  est  })eu  (|ui  croient  ceci  ou  cela  parce  qu'ils 
le  veulent,  on  doit  les  [presser  de  démonstrations  irréfutables 
et  pour  ainsi  dire  leur  appliquer  la  question  pour  les  forcer 
à  dépouiller  la  foi  pure  fnudam  assensionein)  et  à  acquérir  la 
science  (xcientianij,  laquelle  ne  peut  subsister  avec  la  foi  ni 
la  crédulité  »,  Le  prudent  disciple  se  couvre  ici  de  lautorilé 
de  Scot  '2). 

Bodin  reprend  celle  distinction  entre  la  foi,  la  science  et 
l'opinion  dans  VHcptaplomeres  :  «  Si  la  religion  n'est  qu'une 
opinion,  elle  est  tousjours  douteuse  et  suspendue  entre  le  vray 
et  le  faulx,  et  par  la  dispute  elle  s'esbranle  cha(|ne  joui-  de  plus 
en  plus.  Si  c'est  une  science,  il  fault  qu'elle,  despende  de  la 
démonstration  et  (ju'elle  soit  fondée  sur  des  ])rin(ipes  certains 
et  soustenue  par  des  conclusions  infaillibles  et  nécessaires. 
Or  \e>  choses  (pii  sont  de  cette  façon  ne  reçoivent  point  de 
contestation  '^K  Mais  il  me  semble  qu'il  n'y  a  personne  qui  de 
(fuehpie  religion  que  ce  soit  ayt  dorme  des  preuves  demons- 
liutives.  encore  (pie  plusieurs  l'aieid  enlrepris  ''''):  en  vain  parce 

(1)  Rationihus  oportet  non  auctontate  disserere  (Thcntr  .  IV.  o.  'i'i6). 

2)  lbi(L.  p.  512.  Autres  textes  tiré  du  Metliodiis  ad  facilem  Hisloriuruin  cnoni- 
lioriPiii  'Paris,  1566),  VIII.  p.  306  et  sulv.  .  «  Pi'ius  originem...  non  tam  authoritate 
fiuip  iilhil  valet  apiid  eos  qui  ratione  duci  volunt  (|uam  necessariis  argumentis 
doceamus  ...  Plus  loin,  en  parlant  de  Moïse  :  "  Sert  quoniam  inii)n)l)i  ejus  aucto- 
pitiilp  se  vinti  non  patiuntur...  necesse  est  eorum  argumenta  consimilibus  argu- 
mentis  refellere  ac  debilitare  ».  cités  par  Chavviré,  B<><ii)\  nul.  de  la  Hrpubl., 
p.  ll-< 

3/  Il  dunne  plus  loin  cette  comrtaraison  :  "  Celluy  cpii  apprend  les  mathema- 
tirpies  et  (lui  croit  une  proposiliDu  que  le  docteur  luy  fait  sans  l'entendre,  on  peut 
dire  r|ull  a  la  foy  et  qu'il  n'a  pas  la  scienc-e;  mais  df;s  qu'il  a  compris  la  leçon 
de  son  maistre.  en  acquérant  la  science  il  perd  la  foi  >.  (F"  2'i2,  éd.  Chauviré,  p.  6'i). 
('()  Ailleurs  Hodin  elle  parmi  ceux-là  Eusèlie,  Oalatinus,  Agostino  Steuco,  Mor- 
nay    K'>  515). 


UN   «   ACHRISTE    »    :  JEAN   BODIN  543 

que  tant  s'en  i'ault  que  la  foy  puisse  estre  et  subsister  où  il  y 
a  démonstration  qu'au  contraire  elle  la  renverse  de  fond  eu 
comble  '^>  ».  Aussi  <i  il  faut  absolument  se  dispenser  de  toutes 
sortes  de  disputes  qui  concernent  la  religion  <2)  ».  Cette  doc- 
trine de  la  science  et  de  la  foi  n'est  pas  nouvelle;  elle  remonte 
jus(jii'à  saint  Thomas  *3).  Mais  ce  qui  est  nouveau,  c'est  l'exi- 
gence d'un  esprit  qui  veut  trouver  à  la  croyance  elle-même  un 
fondement  puremeni  rationnel,  qui  constate  l'échec  de  ceux 
({ni,  comme  Postel,  ont  cherché  jusqu'ici  à  le  trouver,  et  en 
ronclul  à  la  vanité  des  discussions  théologiques.  N'est-ce  pas 
précisément  ce  que  Dolet,  devançant  de  cinquante  ans  le  mou- 
vement qu'il  commençait  en  France,  enseignait  déjà  dau'^  son 
De  linilaiionc  cicevomana^'*^1 

En  vérité,,  pour  certains  esprits,  la  foi  dans  ces  conditions 
n'est  plus  possible  (^>.  Elle  ne  le  sera  plus  du  moins  pour  ceux 
qu'une  grâce  spéciale  n'aura  pas  prévenus,  ou  qu'une  éduca- 
lion  foncièrement  chrétienne  n'aura  pas  familiarisés  de  bonne 
heure  avec  les  mystères  chrétiens,  ou  qui  ne  se  résigneront 
pas  à  croire  sans  raisons  sérieuses.  Bodin  s'en  rend  parfai- 
tement compte  :  «  Voilà  qui  est  bon  entre  chrestiens,  fait-il  dire 
à  l'un  des  interlocuteurs  de  Venise  ^^\  nous  voions  ce  qui  se 
peut  respondre  aux  philosophes,  aux  payens  et  aux  épicu- 
riens qui  ne  reconnoissent  point  de  foy  infuse  ny  d'auctoritez 
evangeliques    pour  ne  pas  tomber  dans  l'inconvénient  dont 

(1)  Oïl  reconnaît  la  thèse  de  Geoffroy  Vallée.  Ailleurs,  à  propos  de  la  Providence 
et  du  Destin.  Federich  oppose  les  théologiens  et  les  naturalistes  Salomon  lui 
répond  :  «  Il  faut  que  ce  qui  est  vray  le  soit  tou.jours.  Et  une  mesme  chose  ne 
peut  point  estre  vraye  selon  les  théologiens  et  fausse  selon  les  naturalistes,  encore 
qu'ils  soient  souvent  d'avis  contraires  sur  une  mesme  proposition  »  {HefitajU..  F°  37). 

t-2)   flpptapl.,  2-44  S-IS;  Chatjvihé,  62-64    11  revient  sur  cette  question  p.  515. 

3)  C'est  Bodin  lui  même  qui  nous  y  renvoie:  Iia-liae,  q.  3.  art.  4. 

(4)  Voir  chap.   IV,  p.  124-125. 

(5)  M'ie  L.  Zanta.  l'historienne  de  la  renaissance  du  stoïcisme,  le  notait  récem- 
ment dans  une  étude  d'âmes  modernes.  Locke  n'a  pas  fait  de  l'intelligence  un 
absolu;  il  a  voulu  garder  la  foi  :  «  Il  y  a  réussi,  lui  dis-je,  mais  il  a.  oublié  ceux 
qui  allaient  le  suivre.  Lorsqu'on  veut  croire  avec  son  cœur  seulement,  sans  la 
lumière  de  son  esprit,  on  reste  seul  dans  sa  croyance,  on  prépare  les  ténèbres  à 
l'heure  qui  suit  "  iLa  science  et  l'amour,  Corres^pondant  du  25  octobre  1920.  p.  319). 

6)  A  Toralbe,  ms.,  F»  516;  autres  textes  semblables  à  propos  du  péché  originel 
fFo  567)  et  de  la  .iustiflcation  (F"  600). 


5i4  LE    KATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

l'Empereur  Julien  blamoit  autrefois  les  Galileens,  de  n'avoir 
en  la  bouche  pour  tous  argumens,  principes  el  démons- 
trations que  le  mot  croyez  ».  Croire?  encore  i'aut-il  queUiue 
raison  de  croire  ceci  plutôt  que  cela  !  qui  sera  le  juge  ?  Jésus- 
Christ  ?  mais  <(  cest  le  premier  différant  d'entre  les  Juifs  et 
les  chrestiens...  assavoir  si  le  Christ  est  Dieu  ou  non  ». 
L'Eglise,  selon  (pie  propose  saint  Augustin  *^)  ?  —  Mais 
quelle  église,  entre  toutes  celles  qui  prétendent  à  la  vérité  ? 
—  L'Ecriture  ?  «  Plusieurs  églises  la  tiennent  pour  corrom- 
pue »,  et  jamais  il  n'y  a  eu  plus  de  divisions  (|ue  depuis  qu'on 
prétend  s'y  reporter.  —  Les  miracles  ?  mais  les  paiens  aussi 
ont  eu  des  oracles  et  des  songes  ^2).  - —  El  nous  voilà  au  rouet, 
dirait  Montaigne. 

On  voit  donc  que  la  séparation  des  domaines  respectifs  de 
la  raison  et  de  la  foi,  prônée  par  l'école  padouane  et  acceptée 
par  beaucoup  comme  une  sauvegarde  pour  cette  dernière, 
aboutit  avant  la  fin  du  siècle  à  rendre  la  loi  impossible  aux 
esprits  exigents.  Sur  ce  point,  Bodin  me  semble  avoir  dépassé 
la  position  de  Montaigne,  ce  dernier  ayant  réussi  à  maintenir 
l'équilibre  intellectuel  au  profit  de  la  foi.  Sur  les  autres 
articles  de  la  philosophie  padouane  Bodin  n'est  pas  aussi 
radical. 

Ainsi  il  combat  l'éternité  du  monde  admise  par  les  nouveaux 
péripatéticiens  au  nom  d'Aristote.  Il  consacre  à  cette  question 
dix-sept  pages  du  Théâtre  de  la  nature  <3)  et  quatre  pages  de 
rileplaplomeres  (^),  et  s'y  attaque  à  la  fois  aux  néoplatoniciens 
et  à  Arislole  lui-même  <^'.  Des  premiers,  Theorus  reproduit 


(1)  Von  crederem  Evangelio  nisi  Ecclesla  id  ipsum  conflrmaret. 

(2)  Hei/tapl.,  IV,  Fo  233.  Chauviré,  p.  53  et  suiv.  Sut  la  corruption  des  textes 
évangéliques,  l'opposition  des  miracles  de  l'histoire  profane  à  ceux  de  l'Evangile, 
voir  Celse  et  Julien  l'AïKDStat,  chap.  XI. 

(3)  P.  35-52. 

(4)  Fo»  47,  48,  49,  50.  Il  convient  d'ajouter  qu'il  avait  d^jà  fait  allusion  à  cette 
question  dans  la  Hépubliciue.  IV,  p.  555  :  "  Mais  quoique  les  Hébreux  ayent  eu  les 
beaux  secrets  de  Nature  et  que  leur  opinion  retranche  l'impiété  de  ceux  qui 
tiennent  l'éternité  du  monde  ou  l'oisiveté  du  créateur,  si  n'ont  ils  jamais  assuré 
ces  choses-là  ». 

(5)  Sur  Platon,  voir  Tlicul  .  p.  35-41:  sur  Aristotc,  ibid..  p.  41-52. 


UX   ((   ACHRISTE    »    :  JEAX   UODIN  545 

les  sublils  arguments.  Si  Dieu  a  voulu  créer  de  loute  éternité, 
le  monde  est  éternel;  si  non,  Dieu  n'a  pas  créé  toute  perfection 
dès  l'origine  '^^  Du  second  il  reprend  l'objection  vulgarisée 
par  ses  disciples  de  la  Renaissance  :  Dieu  n'est-il  pas  Acte 
pur  et  peut-on  le  supposer  en  puissance  un  seul  instant  avant 
l'acte  ?  «  Si  nous  posons  le  cas  que  le  monde  ait  esté  créé,  il 
faudra  ((u'en  tant  et  tant  d'innumerables  millions  de  siècles 
(exceptées  six  mille  années  qui  ne  sont  encore  expirées)  il  y 
avait  eu  une  merveilleuse  obscurité  au  vuide  incompréhensible 
qui  a  précédé  le  monde  :  et  par  ainsi  il  n'y  aurait  pas  long- 
temps que  Dieu,, se  reveillant,  comme  d'un  sommeil,  se  seroit 
adonné  à  la  création  du  monde,  auquel  pourtant  il  deust 
bientost  bailler  la  fin  et  ruyne  pour  retourner  de  son  action 
motrice  à  son  premier  repos.  D "avantage  il  faudra  confesser 
que  Dieu  n'cstoit  devant  la  création  du  monde  que  créateur 
en  pouvoii-,  mais  non  en  effecl;  or  la  majesté  de  Dieu  n'est 
pas  petitement  intéressée  si  devant  l'Acte  il  ne  peut  estre 
appelé  créateur...  ».  Voilà  précisément  ce  qui  a  mu  Proclus  à 
croire  le  monde  éternel  ^^\  dit  Mystagogue,  mais  «  le  temps 
incompréhensible  est  présent  à  l'Eternel,  sans  aucune  succes- 
sion de  ses  parties.  Car  le  temps  qui  passe  ne  délaisse  pas 
Dieu  en  arrière,  ni  Dieu  aussi  ne  l'attend  pas  à  ladvenir,  mais 
plustost  ce  riche  trésorier  le  possède  tout  en  un  moment  indi- 
visible et  qui  ne  se  bouge  jamais,  par  ainsy  il  ne  cognoit  pas 
qu'il  ayt  esté  ou  qu'il  doyve  estre,  mais  cognoit  simplement 
sa  seule  essence  immuable  et  que  sa  puissance  n'a  esté  devant 
son  acte  '3)  ». 

Sans  être  aussi  explicite  sur  la  Providence,   illa  défend 
contre  le  destin  d'Aristote  et  des  stoïciens  (^\  Federich.  dans 

1)  Theat.,  p.  35  et  suiv. 

(2)  On  se  souvient  de  la  forme  populaire  de  l'objection  :  que  faisait  Dieu  avant    ^ 
la  création  ?  Il  serait  difficile  du  reste  de  décider  si  l'argument  vient  de  CicÉROX 
{De  Natura  Deorum,  I,  9)  ou  des  péripatéticiens  (-voir  l'exposé  de  leur  doctrine 
chap.  VII,  art.  sur  Vicomercato) . 

(3)  Theatruni,  p.  49-51;  trad.  p.  56-58.  La  discussion  finit  donc  à  l'avantage  de 
l'orthodoxie.  Mais  est-ce  Mystagogue  qui  représente  les  idées  de  Bodin  ou  son 
adversaire  ? 

[k)  Theat.  nat-,  I,  p.  25-35,  et  Heiita/il.,  fo«  3S-'.l.  Il  emploie  à  peu  près  les  mêmes 
arguments  dans  les  deux  ouvrages. 

35 


5'l6  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

ÏHeptaplomeres,  Theorus  dans  le  Thcalnim  objectent  «  les 
roiilemens  certains  et  iinniuables  des  globes  célestes '^^  »; 
comme  l'apologiste  répond  en  distinguant  les  causes  secondes, 
variables,  et  la  cause  première,  invariable,  Theorus  et  Coroni 
n'acceptent  point  cette  distinction  et  soutiennent  que  «  les 
choses  qui  se  font  s'accomplissent  par  une  force  nécessaire 
et  par  la  puissance  des  causes  supérieures  qui  ne  peuvent 
changer'^)  ».  Mystagogue  et  Toralbe,  qui  défendent  la  Provi- 
dence, rappellent  l'autorité  de  saint  Augustin,  qui  confond 
le  destin  avec  Dieu  '3),  protestent  que  soumettre  Dieu  à  la 
nécessité,  c'est  lui  retirer  tout  droit  à  notre  reconnaissance  et 
détruire  la  base  même  de  la  piété  '■^K  Theorus  cependant,  s'il 
accepte  ces  raisons,  avoue  qu'elles  «  semblent  ridicules  aux 
épicuriens  qui  ne  s'arrêtent  qu'aux  preuves  évidentes  des 
démonstrations  (^)  ».  El  après  que  son  adversaire  a  argumenté, 
d'une  façon  quelque  peu  obscure,  il  est  vrai,  contre  les  épi- 
curiens, Theorus  lui  présente  la  gi-ande  objection,  celle 
d'Alexandre  d'Ai)hrodisias:  «  Si  les  causes  naturelles  ne  sont 
nécessaires,  il  n'y  aura  point  de  science  naturelle;  car  il  faut 
que  les  causes  des  choses  soient  nécessaires,  desquelles  on 
recherche  la  science  f^'  ».  Si  je  relève  l'argument  parmi  bien 
d'autres,  c'est  qu'il  montre  en  Bodin  une  tournure  d'esprit 
toute  voisine  de  la  nôtre. 

Dans  ces  conditions  il  est  évident  que  Bodin  croit  aux 
miracles,  à  l'intervention  des  démons.  Les  (juelques  pages  de 
VHeptaplomercs  où  il  en  parle  sont  dirigées  contre  Pompo- 


(1)  Heptapl..  [0  38  (voir  Theat.,  p.  28). 

(2)  HeptaiiL,  fo  40;  Theat.,  p.  27-28. 

(3)  Heptapl..  fo  38;  Theat.,  p.  28. 
</j)  Heptapl.,  fo  39;  Theat..  29. 

(5)  Theat..  trad.,  p.  33. 

(6)  Theat..  p.  34;  trad  ,  p.  35.  Alexandre,  Métaphys..  lib.  II.  —  Cf.  Heptaplomeres. 
fo  4.5  :  ■'  Il  faut  que  des  choses  qui  dépendent  d'une  science  les  causes  on  soient 
nécessaires,  mais  le  raisonnement  de  Toralba  ostant  la  nécessité  des  causes  fait 
qu'il  n'y  a  plus  aucune  science  touchant  les  choses  naturelles  parce  que  ce  qui 
n'arrive  que  par  hasard  ou  qui  peut  estre  autrement  ne  peut  non  plus  estre  réduit 
soubz  les  règles  d'une  science  que  les  moyens  pour  descouvrir  un  thresor  ».  La 
réfutation  est  la  même  dans  les  deux  ouvrages. 


TN   «   ACHRISTE    »    :   JEAN   BODIN  547 

nazzi,  qui  mail  1  existence  des  démons  *').  Ou  peut  se  demander 
pourtant  si  Bodin  est  toujours  resté  le  crédule  auteur  de  la 
Dénioiwnianie.  Dans  ce  même  Heptaploineres  en  effet, 
Senam\ ,  entendant  raconter  qu'une  religieuse  avait  des  rela- 
tions coupables  avec  un  diable  nommé  Ephialte  et  un  bénédictin 
avec  Hyphialte,  se  récrie  avec  malice:  «  Tltalie  produit  donc  des 
diables  de  l'un  et  l'autre  sexe,  incubes  et  succubes.  Mais  je 
double  fort  que  lés  médecins  ne  tournent  encore  cela  en  rail- 
lerie ^'1  )).  Et  son  compère  Federich  raconte  à  son  tour,  à 
propos  d'exorcisme,  que  Mélanchthon  ayant  aspergé  un  pos- 
sédé deau  ordinaire  au  lieu  deau  bénite,  «  il  faisoit  autant- 
de  grimaces  pour  l'une  que  pour  l'autre  ».  Pourtant  ces  bou- 
tades ne  paraissent  pas  être  la  vraie  pensée  de  Bodin.  Il  croit 
aux  miracles;  il  les  imagine  même  faciles  et  courants  ;  c'est 
par  ce  biais  (piil  reviendra  à  la  théorie  de  Pomponazzi  et  de 
Cardan  :  que  les  plus  grands  miracles  sont  choses  naturelles, 
comme  on  en  verra  un  exemple  bien  curieux  à  propos  de  la 
nativité  de  Jésus.  C'est  à  la  même  école  vraisemblablement 
qu'il  emprunte  la  théorie  de  la  mélancolie  et  il  donne  à  cet 
état  pathologique  un  pouvoir  que  nous  n'avons  pas  trouvé  chez 
Cardan  lui-même,  c'est  que  ceux  qui  en  sont  possédés  ont  le 
don  des  langues.  11  est  vrai  qu'il  ajoute  que  le  médecin  auteur 
de  cette  proposition  «  fut  mocqué  et  sifflé  hautement  *3)  )>. 
Bodin  donc  ne  semble  pas  avoir  accepta  ^l'idée  d'un  déter- 
minisme scientifique.  Il  a  cependant  proclamé,  après  Pontus 
de  Tyard  toutefois  et  après  Cardan  (^),  l'influence  des  climats 
et  de  la  race.  L'idée  n'était  pas  absolument  inconnue  :  depuis 
1550  les  poètes  en  particulier  admettaient  que  la  qualité  de  la 
terre,  la  lucidité  du  ciel,  concourent  à  la  formation  du  génie. 


(1)  HepUwl..  fos  36-37. 

(2)  Heptapl.,  fo  62. 

(3)  Heplapl.,  10  63. 

(4)  Il  faut  ajouter,  comme  source  possible  de  cette  théorie,  saint  Cyrille,  Adv. 
Julianum  imperatorem  (IV,  116  A;  IV,  131  C;  IV,  138;  IV,  143  0,  où  Julien  explique 
la  différence  des  caractères  et  des  aptitudes  des  divers  peuples  par  l'influence  du 
sol  et  du  climat,  s'essaie  à  déterminer  les  aptitudes  propres  à  chaque  peuple,  et 
fait  de  cette  inégalité  un  reproche  à  la  Providence. 


5ï6  LE    RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Mais  Boclin  élargit  la  théorie  réduite  jusqu'alors  aux  génies 
exceptionnels,  poètes  et  prophètes.  11  essaie  une  classification 
des  «  naturels  »  des  divers  peuples  fondée  sur  leur  climat. 
Ceux  du  nord  sont  plus  pesants  et  plus  sanguins,  plus  froids 
aux  pas>ions,,  ceux  des  régions  moyennes  sont  plus  intelligents 
et  moins  forts  que  ceux  du  nord,  plus  forts,  mieux  pondérés, 
mais  moins  rusés  que  ceux  du  midi;  ces  derniers  sont  surtout 
subtils  et  passionnés  (*',  A  ces  tempéraments  divers  corres- 
pondent des  facultés  et  des  aptitudes  différentes.  Les  peuples 
du  nord  ont  en  propre  <;  l'art  qui  gist  es  ouvrages  de  mains  »; 
dans  la  «  republique  universelle  de  ce  monde  »  ils  représentent 
le  peuple,  laborieux  et  adroit.  Ceux  des  contrées  tempérées 
représentent  les  magistrats  et  officiers  dont  la  faculté  domi- 
nante est  la  raison,  dont  le  rôle  est  de  commander  u  de  négo- 
cier, trafiquer,  juger,  haranguer  ».  .Mais  les  peuples  méri- 
dionaux laissant  la  force  aux  hommes  du  nord  et  le  droit  aux 
<c  centraux  »  ont  recours  aux  ruses  et  finesses,  ou  bien  à  la 
religion,  «  estant  le  discours  de  Raison  trop  gentil  pour  l'esprit 
du  peuple  septentrional,  et  trop  bon  pour  le  peuple  méri- 
dional... qui  veult  estre  payé  de  certaines  démonstrations  ou 
d'oracles  divins  qui   sui'passent   les   discours   humains  (2)    ».  |i 

Ils  l'eprésentent  la  caste  des  spéculateurs,  philosophes,  astro-  j^j 

nomes,  fondateurs  de  religions  (3);  aussi  toutes  les  religions 
sont  nées  aux  pays  méridionaux.  Ici  Bodin  rejoint  Cardan  et 
l'on  sent  le  peu  de  cas  qu'il  fait  des  formes  religieuses,  fruits 
éphémères  et  régionaux  d'un  climat  ou  d'une  époque.  La  reli- 
gion de  Bodin  est  plus  générale,  mais  il  n'est  pas  temps  encore 
de  la  définir. 

Bodin  ne  serait  pas  de  son  temps  s'il  n'avait  écrit,  lui  aussi, 
son  traité  de  l'âme.  Et  aussi  il  n'y  a  point  manqué.  Tout  le 

(1)  nep.  VI.  p.  671-672    éd.  OramoMet.  à  Genève.  1029). 

<2)  llep.,  VI,  p.  687. 

(3)  •'  Aus-si  voyons  nous  que  les  peuples  du  midy,  égyptiens,  chaideens.  arabes,  ont 
mis  en  évidence  les  sciences  occultes,  naturelles  et  celles  qu'on  appelle  mathéma- 
tiques... Et  toutes  les  religions  ont  presque  pris  leur  cours  des  peuples  du  midy 
et  delà  se  sont  espandues  par  toute  la  terre  »  {Ibid..  p.  687);  autre  texte  cité  dans 
BRUNETIÈRE,  Hlst.  Mit.  .XF/e  fi^clc.  p.  529. 


UN   «   ACHRISTE    »    :   JE  VX    BODIN  549 

IV^  livre  du  Théâtre  de  la  nature  (i)  est  consacré  à  étudier  sa 
nature,  son  unité,  ses  iacullés.  Mais  comme  Bodin  l'éludie  en 
savant,  plus  qu'en  théologien,  il  s'occupe  peu  de  sa  destinée. 
Seules  les  dernières  pages  traitent  de  l'immorlalilé  '^i  et  celles- 
là  seules  nous  intéressent  ici  avec  deux  pages  de  VHeptaplo- 
meres  sur  le  môme  sujet. 

Un  soir  que  les  sept  savants  avaient  soupe,  iun  d'eux  lut 
le  Phédon.  Sur  la  démande  d'Octave  et  de  Coroni,  on  relut  le 
passage  où  il  est  question  des  momies  embaumées  des  Egyp- 
tiens, et  comme  le  livre  traitait  de  Timmorlalité,  Coroni  s'im- 
patienta :  «  N'avons-nous  pas  assez  agité  cette  question?  Plus 
que  suffisamment  »,  reprit  Salomon,  —  ils  en  avaient  parlé 
dans  les  soirées  précédentes  —  «  plus  que  sulïisamment  pour 
nous,  qui  sommes  assez  persuadés  de  l'immortalité  des  âmes, 
quand  me'sme  nous  n'en  aurions  aucune  démonstration  ».  Mais 
Toralbe  estime  «  qu'il  est  nécessaire  de  rechercher  jusques  au 
fond  les  preuves  de  toutes  choses  et  spécialement  de  celles 
qui  regardent  la  pieté,  pour  ne  pas  tomber  dans  le  malheur 
de  n'avoir  pas  de  quoy  respondre  aux  épicuriens  quand  ils  se 
mocquent  des  choses  divines  ».  Senamy  à  ce  propos  défend 
Epicure:  il  eut  ce  suprême  désintéressement  qu  il  «  fut  très 
respectueux  envers  les  Dieux,  vescut  avec  sobriété  et  tempé- 
rance, aima  la  continence,  la  justice,  la  foy,  l'intégrité  des 
mœurs  et  cependant  creut  l'ame  mortelle  ».  Mais  Toralbe 
estime  qu'il  faut  se  défier  de  l'apparente  piété  d'Epicure  qui 
peut-être  cherchait  seulement  à  éviter  le  sort  de  Diagoras  et 
de  Protagoras,  et  qu'en  tout  cas  «  ostée  l'espérance  d'estre 
recompensé  et  la  crainte  d'estre  puni  éternellement,  la  société 
ne  peut  plus  durer  entre  les  hommes  f^'  ». 


(1)  p.  430-548.  Toutes  les  discussions  sur  la  nature  de  l'âme  n'ont  que  peu  d'inté- 
rêt; à  si^aler  cependant,  p.  482-484,  la  liste  des  opinions  diverses  sur  ce  sujet; 
p.  495,  il  refuse  de  suivre  Platon  sur  ce  que  l'âme  serait  comme  un  pilote  dans 
son  navire  et  maintient  l'union  de  la  matière  et  de  la  forme-,  p.  500-504,  de  longs 
développements  sur  l'extase,  qui  semblent  inspirés  par  Cardan,  cité,  d'ailleurs; 
p.  503. 

(2)  P.  537-548. 

(3)  HepUipl.,  fos  5-6. 


550  LE   RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Bodiii  semble  donc  avoir  renoncé,  lui  aussi,  à  trouver  dans 
la  philosophie  des  raisons  d'assurer  rinimortalilé;  la  foi  et 
l'intérêt  social  en  sont  les  plus  solides  garants.  Dans  le  Théâtre 
de  la  nature  il  donne  comme  preuve  principale  la  croyance 
universelle  des  peuples  à  ce  dogme  (^'.  Certes,  avoue  Theo- 
rus,  chercher  à  démontrer  une  vérité  aussi  claire,  c'est  cher- 
cher le  soleil  avec  des  chandelles.  ]\Iais  la  plupart  pourtant 
ont  nié  l'immortalité,  et  ceux  qui  croyaient  à  la  survivance 
des  âmes,  ils  les  appelaient  superstitieux,  mol  que  Cicéron  dit 
appliqué  à  ceux  qui  demandaient  que  leurs  enfants  leur  sur- 
\  ivent  '"-).  Il  faut  donc  forcer  ces  épicuriens  comme  on  leur 
appliquant  la  question  —  iMystagogue  se  fait  prier  :  ceux-là 
sont  des  bêtes  brutes  qui  mesurent  le  bien  et  le  mal  au  plaisir 
et  à  la  douleur  et  font  tout  naître  de  la  rencontre  des  atomes; 
quant  à  ceux  qui,  bien  élevés  tombent  dans  ces  erreurs,  «  il 
ne  leur  est  pas  plus  possible  de  revenir  à  la  vérité  qu'à  une  fille 
de  retrouver  sa  virginité  :  puisque  donc  cette  démonstration 
leur  serait  inutile  et  que  les  croyants  n'en  ont  pas  besoin,  nous 
perdrions  notre  temps  à  la  chercher  »  <3).  Théo  rus  insiste  et  son 
maître  lui  donne  trois  raisons  d'y  croire;  d'abord  que  l'âme 
est,  selon  Aristote,  indépendante  du  corps  pour  l'exercice  de 
ses  opérations  intellectuelles;  puis  que  c'est  une  loi  de  la 
nature  d'unir  pour  les  séparer  ensuite  les  contraires,  ici  l'âme 
et  le  corps;  l'homme,  enfin,  est  un  résumé  de  la  nature  infé- 
rieure, brutale,  et  supérieure  ou  angélicjue.  A  sa  mort  il  doit 
se  résoudre  en  ces  deux  éléments.  Bien  que  Bodin  développe 
cette  dernière  démonstration  à  l'aide  d'une  parabole  '^^  et  de 
commentaires   de   la   Bible,    de   Léon    Hébreu   el    de    Moïse 


(1)  Theorus  -.  satis  quidem  persuasum  habeo  animas  cadaveribus  superstites  esse, 
aveo  tamen  Intolli^re  an  illud  demonstrari  possit.  —  Mystarj.  -.  demonstratio  vix 
ulla  certior  esse  potest  (juam  populorum  summa  in  eadem  re  conspirationis  fldes 
et  consensio,  quse  quodammndo  nature!  lex  est,  ut  amplius  amblgere  scelus.  dubl- 
tare  nefas  {Theatr.,  IV,  p.  537-538).  Cette  preuve  est  reprise  dans  le  Theatrum, 
p.  .506.  En  revanche,  s'il  ne  r roit  pas  à  la  révélation  chrétienne,  c'est  précisément 
parce  que  la  plus  grande  partie  de  la  terre  l'ignore  HeptapL,  F"  234;  Chauviré, 
p.  56). 

(2)  Thentr    .\aliir..  p.  53S. 
f3)   Ibid.,   p.   538-539. 

(4)  Prise  au  LevH.  XIII  et  XIV. 


UN   ((   ACHRISTE    »    :   JEAN   BODIN  551 

Mainionide  ^".  il  est  pei'mis  de  trouver  sa  démonstralios  assez 
vague.  Pour  sou  intelligence  mystique  et  pleine  de  rêveries 
platoniciennes,  elle  suffirait  cependant.  11  croit  à  l'immortalité 
et,  à  la  fin  de  son  livre,  i'  révèle  à  son  disciple  qu'il  prend 
parti  pour  l'averroïsme  où  toutes  les  âmes  émanent  direc- 
tement de  Dieu,  contre  Avicenne  qui,  après  Platon,  avait 
dressé  une  échelle  des  êtres,  des  âmes  aux  héros,  des  héros 
aux  demi-dieux,  des  demi-dieux  à  Dieu  '^l 

Enfin  c'est  à  Pompon azzi  que  Bodin  me  semble  avoir  pris  la 
justification  du  mensonge  religieux.  Je  n'ai  pas  remarqué 
qu'il  expose  nulle  part  la  théorie  de  l'évhémérisme;  mais  il 
écrit  dans  [Heptajjlomeres  :  u  J'ay  tousjours  fort  estimé  les 
sentimens  de  Platon  (3)  et  de  Xenophon,  qui  veulent  qu'il  soit 
permis  comme  il  a  tousjours  esté  aux  magistrats  et  aux  méde- 
cins de  mentir  quelquesfois  (ainsy  qu'aux  nourices  avec  les 
nourissons),  aux  uns  pour  le  bien  et  la  santé  du  corps,  et  aux 
autres  pour  l'advantage  de  la  Republique  :  à  combien  plus 
forte  raison  se  peuvent  donc  servir  du  mensonge  les  légis- 
lateurs qui  se  donnent  le  soucy  de  l'ame  (^>  ».  Pomponazzi 
avait  dit  la  même  chose  et  d'après  les  mêmes  références  à 
Platon,  dans  son  De  Anima  et  dans  le  De  Incaniationibus  <^). 
Peu  importe  du  reste  que  Bodin  soit  ou  non  un  lecteur  de 
Pomponazzi,  s'il  est  évident  qu'il  est,  en  tout  cas,  son  lointain 
disciple  ^^K 


(1)  Thent.  nat.,  p.  540-540. 

(2)  Ibid.,  p.   547-548. 

(3)  PLATON,  ncti  .   n    21 

li)  Heptapl  ,    Fo   340;    CHAUVIRÉ,    120-121. 

(5)  Pomponazzi.  De  Incantatlonibua,  VIII,  p.  103-lOi,  et  aussi  De  Anima,  XIV, 
p.  123-124 

(6)  A  la  même  page  de  l'Heptaplomeres,  je  relève  cette  proposition  :  «  les  gens 
de  bien  et  les  sages  sont  bien  éloignez  de  suivre  la  vertu  par  espoir  d'en  estre 
recompensez,  elle  qui  porte  en  soy  sa  recompense  ».  Cette  idée  est  développée  aussi 
par  Pomponazzi  dans  son  ne  Anima,  XïV,  p.  120.  Est-ce  simple  coïncidence  ? 


552  LE    RATIONALISME    DANS    LA    LITTÉRATURE    FRAN<  AISE 


11 


Ainsi  Bodin  dans  ses  livres  ne  dépasse  pas  en  haidiesse 
les  humanistes  de  son  temps;  il  est  môme  beaucoup  plus  cré- 
dule que  la  plupart  d'entre  eux.  Et  pourtant,  de  son  vivant 
même,  il  sentait  le  fagot.  Ses  contemporains  et  surtout  les 
libertins  du  XVIP  siècle  et  leurs  adversaires  ont  tous  dit  qu'il 
nélait  j)as  chréiicn  ^'.  On  se  passait  sous  le  manteau,  on  lisait 
et  on  copiait  ce  Colloque  des  secrets  cachez  des  choses 
sublimes,  où  le  savant  libertin  qu'il  était  avait  accumulé  tout 
le  libertinage  de  la  Renaissance  finissante  ^'.  Plaise  au  ciel, 
s'écriait  Naudé,  que  ce  dialogue  ne  soit  jamais  imprimé  '^^  ! 
El  il  le  compare  au  De  subtilitate  de  Cardan. 

Il  y  a  en  effet  bien  des  affinités  intellectuelles  entre  Cardan 
et  Bodin.  L'un  et  l'autre  sont  avant  fout  des  savants  :  «  il 
(Bodin)  avait  une  grande  lecture,  dit  Ménage  "^',  et  il  se  sou- 
venait de  tout  ce  qu'il  avait  lu  ».  De  Thou  rapporte  la  même 
chose  '^*  v\  f|ue  c'est  pour  «  l'incroyable  abondance  des  choses 
curieuses  que  son  excellente  mémoire  lui  fournissait  sur-le- 
champ  »,  qu'Henri  111  l'appela  près  de  lui  pour  s'instruire 
à  son  commerce.  La  façon  même  dont  il  a  composé  son  dia- 
logue suppose  une  énorme  érudition.  Des  sept  savants  qui  y 
prennent  part,  l'un  expose  et  soutient  la  théologie  catholique 
(Paul  Coroni),  l'autre  la  juive  (Salomon  Barcassius),  un  troi- 


(1)  Voir  les  textes  dans  IJaylk.  art.  Bixlln,  rem.  O. 

(2)  f oHoquiuin  ni])Ui]il»tnf'res  de  abditis  rerum  sublimis  arc(ini!<.  Daté  par 
M.  Chauviré  de  1593.  Traduction  française  (Bibl.  nat  ,  F.  1923)  publiée  en  partie  par 
M.  Chauviré  (Champion,  1914).  C'est  sur  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale 
que  j'ai  moi-même  pris  mes  extraits;  quand  les  passages  que  je  cite  sont  dans  les 
extraits  de  M.  Chauviré.  j'y  renvoie  auss.. 

f3)  NAUDAEis,  Bililtorjr.  loUt..  p.  33. 

('0  nemnrfjiies  sur  la  vie  de  P.  Aijraull,  p.  I'i5  et  suiv 

(5)  Tliuan..  Ilb.  CXVII,  p.  771. 


UN   «   ACHRISTE    »    :   JEAN   BODIN  553 

sième  le  calvinisme  (Curtius),  un  autre  est  pour  le  luthéra- 
nisme (F'ederich  Podamicus),  un  cin(iuième  pour  l'islamisme 
(Octave  Fagnola),  un  autre  soutient  la  religion  naturelle  (Diego 
TDralba)  et  le  septième  (Jérôme  Senamy)  estime  que  toutes  les 
religions  se  valent  'i'.  Mais,  comme  Cardan,  Bodin  manque 
de  critique,  et  c'est  une  chose  assez  curieuse  et  qu'on  ne  trouve 
guère  qu'en  ce  siècle,  qu'un  écrivain  joigne  une  telle  liberté 
d'esprit  à  un  pareil  manque  d'esprit  critique.  C'est  que  la 
science  alors  était  encore  dans  l'enfance  et  que  le  respect  des 
savants  anciens  obligeait  à  les  croire  sur  parole.  De  plus, 
suivant  en  cela  Pomponazzi  et  Cardan,  Bodin  utilisait  les 
4)hénomènes  curieux  et  incroyables  racontés  par  la  littérature 
paienne  pour  justifier  une  explication  naturelle  des  miracles 
de  la  littérature  sacrée,  et  ruiner  ainsi  tout  fondement  de  la 
croyance  à  l'intervention  de  Dieu  dans  le  monde.  En  sorte 
qu'au  fond  sa  crédulité  même  sert  sa  mécréance. 

Tout  d'abord  il  a  substitué  la  raison  à  1  autorité  comme  crité- 
rium de  la  vérité  :  «  Comme  il  n'appartient  quà  un  opiniastre 
et  aux  esprits  mal  tournez  de  ne  pas  se  rendre  à  la  raison, 
j'estime  aussy  qu'il  y  a  trop  de  faiblesse  et  de  simplicité  de 
croire  tout.  Il  y  en  a  qui  taschenl  de  nouis  estourdir  par  une 
infinité  de  passages  de  théologiens...;  mais  je  ne  m'y  arrête 
pas,  n'estant  pas  de  facile  créance  ou  pour  me  servir  des  termes 
du  berger  .sicilien  v^ùi  ^i  ne  où  rax.u-ctSy^ç  *2)  »  i\  oppose  la 
raison  à  la  foi  dans  la  personne  de  deux  des  interlocuteurs  : 
Federich  reproche  à  Toralba  de  <(  peser  les  choses  divines  au 
poids  des  philosophes  »  et  de  ne  pouvoir  arriver  par  cette  voie 
à  croire  la  divinité  de  Jésuls-Christ;  et  Salomon  lui  réplique  : 
,«  Il  "me  semble  que  j'entends  parler  de  l'empereur  Caligula 
qui  de  la  mesme  façon  excusoit  les  ambassadeurs  juifs  en  leur 
disant  avec  une  certaine  douceur  qu'ils  estoient  de  bonnes 

(1)  Cn.\rviRÉ.  Ileiitfipt.,  introi..  1-2. 

(2).  Heiitaplom..  ms  ,  p  478.  "  Ce  sera  assez,  dit  ailleurs  Coroni.  si  l'on  peut  con- 
tenter quelqu'un  jus-'ues  à  lui  prouver  tant  par  raisonnemens  démonstratifs  que 
par  auctoritez  que  Jésus  fils  de  Dieu  engendré  de  tout«  éternité  est  Dieu...  .« 
iHepliipl.,  F°  543:  Chat:virè.  176). 


554  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

gens  ol  bioi)  simples  «le  ne  pas  le  reconnois(re  pour  Dieu. 
Ainsy  Federich  nous  accuse  il  de  simplicité  parce  que  nous 
ne  voulons  pas  reconnoistre  pour  Dieu  le  fils  d'un  ai*lisan  (^>  ». 
Bodin  ira  plus  loin  même.  L'un  des  premiers  parmi  nos 
écrivains  il  me  semble  être  arrivé  à  se  dépouiller  assez  com- 
plètement de  l'ambiance  de  toi  (jui  entourait  les  hommes  depuis 
leur  enfance  à  leur  mort,  pour  considérer  les  mystères  reli- 
gieux d'un  regard  de  piofane.  Il  y  a  une  telle  différence  entre 
un  esprit,  môme  j)liilosophe,  qui  a  la  foi,  ou  qui,  sans  s'en 
douter,  juge  encore,  même  quand  il  ne  croit  plus,  d'après  des 
principes  admis  pendant  longtemps,  colore  toutes  ses  pensées 
de  la  couleur  religieuse,  et  celui  qui  aborde  ces  grands  pro- 
blèmes pour  la  première  fois,  comme  une  chose  nouvelle  et 
fju'il  ne  soupçonnait  pas  !.  Seuls  avant  Bodin  Rabelais  et  Los 
libertins  attaqués  par  Calvin  et  Bourgueville  ont  poussé  le 
cri  d'étonnement  de  tout  homme  qui  n'est  pas  prévenu  quand 
il  entend  raconter  pour  la  première  fois  le  mystère  inconcevable 
de  l'incarnation  :  cela  est-il  croyable  f^)  ?  «  Cella  se  peut  per- 
suader aux  chrestiens  et  aux  ignorans,  mais  nullement  aux  phi- 
losophes, qu'un  Dieu  éternel  ayl  demeuré  pendant  une  infinité 
de  millions  d'années  immuable,  et  que  ce  mesme  Dieu  depuis 
quelques  siècles  soit  descheu  de  cette  nature  excellente  pour 
se  revestir  d'un  corps  comme  nous  composé  de  sang,  de  chair, 
de  nerfs  et  d'os  et  pris  une  figure  nouvelle  pour  s'exposer  aux 
tourments  d'une  mort  ignominieuse  et  à  la  puissance  infâme 
des  bourreaux,  a  fin  de  ressusciter  et  de  porter  dans  le  Ciel 
cette  masse  corporelle,  où  jamais  auparavant  il  n'en  esloit 
entré  '3)  ».  La  façon  dont  il  accumule  les  invraisemblances 
montre  bien  que  Bodin  ici  ne  fait  plus  aucun  cas  des  textes 


(1)  //'■/>/'//>/.,  .Vi9;  Chal'viré,  178,   avec  l'excellent  commentaire  qui  suit. 

•2)  Pour  Rabelai.s,  voir  chap.  VI  la  discussion  sur  le  chap  VI  du  I»""  Livre  : 
«  Pour  ce,  dites-vous  qu'il  n'y  a  nulle  apparence  ».  Pour  Calvin,  voir  De  Scanda 
lli  (ch  XI)  :  "  qui  est  l'homme  tant  simple  et  idiot  qui  se  lai.sse  persuader  et  dont 
Il  ne  voit  nulle  raison  ?  ».  Sur  Bocroueville,  voir  fin  de  l'étude  qui  lui  est  consa- 
crée, chap   XV. 

(.3)    HfjiUipl..  F»  bi'i;  CHAUVIRÉ,   177. 


UN   «   ACHRISTE   »    :  JEAN  BODIN  555 

qui  racontent  ces  merveilles,  ni  des  raisons  Ihéologiques  qui 
les  expliquent  :  son  bon  sens  seul  s'étonne  et  refuse  de  croire. 
La  même  révolte  du  bon  sens  le  fait  sursauter  quand  il  songe 
à  l'Eucharistie  :  «  Y  a  il  rien  de  plus  estonnant  et  de  moins 
croyable,  de  plus  contraire  aux  sens  et  à  la  raison,  que  par  le 
moyen  de  cinq  petits  mots...,  une  infinité  de  Dieux  se  puisse 
faire  avec  autant  de  petits  pains 'i)  ?  ».  Quand  il  y  pense,  à 
ces  mystères,  il  prend  même  à  l'occasion  un  ton  sarcastique 
et  persiffleur  qui  ne  lui  est  point  habituel;  lui,  Térudit  diffus 
et  pesant,  il  éclate  d'un  rire  énorme  et  inévérencieux,  comme 
devant  une  déformation  burlesque  de  la  majesté  divine  : 
«  Y  a  il  un  a.ssez  povre  d'esprit,  demande  Toralba,  pour 
ci'oire  que  Dieu  éternel,  après  600  mille  siècles,  voire  après 
un  temps  infiny,  luy  qui  n'a  point  de  corps,  se  soit  advisé 
depuis  peu  de  descendre  du  ciel  pour  entrer  et  demeurer 
durant  neuf  mois  dans  le  ventre  dune  fanielette,  puis  se  mons- 
trer  revestu  de  chair,  d'os  et  de  sang  sorty  de  ce  ventre  sans 
fracture  (2)  et  au  bout  de  quelques  années  eslre  honteusement 
supplicié  et  après  avoir  esté  mis  en  terre  ressusciter  et  porter 
là  haut  dans  les  cieux  cette  masse  corporelle  '3)  ?  ».  Le  «  pieux 
Toralba  »  parle  ici  comme  le  \^oltaire  du  Diiier  du  comte  de 
Boulainvilliers  W. 

On  vient  de  voir  comme  le  Dieu  immuable  d'Aristote  ne 
saurait  sans  déroger  revêtir  la  nature  humaine;  Bodin  revient 
une  troisième  fois  sur  ce  sujet  et  déclare  l'incarnation  «  non 
seulement  contraire  à  la  nature  de  Dieu  et  à  son  essence,  mais 
encore  indécente  à  son  auguste  majesté  )-.  Elle  est  de  plus 
inutile  ''^K  Dieu  pouvant  sauver  l'homme  par  sa  seule  volonté. 


(1)  Heptapl.,  Fo  636-637. 

(2)  Même  quand  il  aura  expliqué  d'une  façon  naturelle  l'enfantement  virginal  de 
Marie,  il  refusera  d'admettre  cette  dérogation  aux  lois  naturelles  {Heptapl.,  F»  416; 
Chauviré,  p.  146,  paroles  de  Senamy). 

(3)  Heptapl.,  478-479;  CHAUVIRÉ,   Bodin,  auteur  ûe  la  liépublique.  p.  155. 

(4)  Voir  Brunetière,  Hist.  litt.  XVIIIe  siècle,  p.  471-472. 

(5)  Heptapl  ,  F»  480  :  «  Et  puis  quand  nous  reconnaistrions  que  l'essence  divine 
ayt  voulu  descendre  dans  le  ventre  d'une  femme,  estait-ce  nécessité  pour  la 
rédemption  du  genre  humain  ?  »  (Fo  544;  Chauviré,  177). 


556  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

pour<|iiui  aurait-il  voulu  souffrir?  Credidinms  caritati,  avait 
répondu  tout  le  moyen  âge,  après  saint  Jean  el  Platon  :  Dieu 
est  amour.  .Mais  le  Dieu  de  la  Renaissance  est  la  Raison  aristo- 
télicienne; il  n'a  point  les  folies  de  l'amour  ni  de  la  croix.  11 
est  Justice  aussi.  Est-il  juste  que  l'innocent  paie  pour  les 
coupables  <^)  ?  «  N'y  a  il  pas  plus  d'apparence  que  Dieu,  bien 
loin  d'avoir  eu  le  sacrifice  de  son  fils  Jésus  pour  agréable,  il 
l'ayt  plustost  eu  en  abomination  ?...  Ce  seroit  encore  une  chose 
plus  ridicule  que  Dieu  ayant  esté  courroucé  contre  les  hommes 
en  voulut  prendre  la  satisfaction  sur  soy  mesmes,  tout  de 
mesme  (jue  si  quelqu'un  avoit  esté  grièvement  blessé,  au  lieu 
den  prendre  la  vengeance  sur  son  ennemy  la  prendroit  sus  soy- 
mesme  en  s'estranglant  '^'  ».  De  dire  que  la  satisfaction  de 
Jésus-Christ  valait  aussi  pour  les  péchés  à  venir,  c'est  une 
impiété  :  «  c'est  ouvrir  la  carrière  à  toutes  sortes  de  péchés 
soubs  prétexte  de  limpunité  proposée  <3)  ».  Encore  cette 
Rédemption  serait-elle  nécessairement  bornée  et  injuste, 
n'ayant  pas  d'effet  rétroactif.  L'âme  de  lliunianiste  se  révolte  à 
la  pensée  que  l'on  o.se  enfermer  <(  pamiy  les  espaisses  ténèbres 
dans  le  noir  cachot  des  entrailles  de  la  terre  ceux  qui  par 
leurs  vertus  héroïques  ont  mcrité  le  nom  d'illustres  f-^)  ».  Quoi  ! 
Christ  aurait  été  «  mis  au  gibet  >  pour  justifier  et  rendre 
innocents  les  plus  grands  pécheurs,  et  «  Aristide  le  juste,  Solon, 
Licurgue,  Socrate.  Chilon,  Phocion,  Platon.  Camille,  Fabrice, 
les  Scipions,  les  Calons...  pour  leurs  vertus  extraordinaires 
ont  mérité  une  gloire  immortelle  au  jugement  de  tous  les 
honitiics.  cependant  de  la  mesme  façon  que  les  scélérats  brus- 
leroient  maintenant  et  seroient  tourmentez  dans  les  enfers  '^>!  ». 
Cela  est  «  contre  toute  sorte  de  raisonnement  »  et  «  peu  facile 
à  persuader,  mesme  à  des  chresliens  qui  ont  quelque  peu  de 
jugement  ^^)  )>. 

(1)  Fo  554. 

(2)  FO  557. 

(3)  FO  559. 

(4)  Fo»  rO'-Oiii»  ^ 

(5)  Fo  601 .  ' 

(6)  Fo  COT 


L.N    ((   ACHKISTE    »    :   JEAX    BODIN  557 

Toralba  n'est  pas  toujours  aussi  iiiécréant;  mais  s'il  croit  les 
mystères,  c'est  à  condition  qu'il  puisse  les  expliquer.  Ainsi 
l'enfantement  virginal  de  Jésus  ne  lui  paraît  pas  si  étonnant 
que  la  génération  de  beaucoup  de  poissons,  oiseaux  et  serpents 
«  sans  le  ministère  du  masle  et  de  la  femelle  »;  ou  que 
la  génération  spontanée  de  quantité  d'animaux,  et  même 
d'hommes  u  dans  une  terre  grasse  tempérée  par  la  chaleur  du 
soleil  ».  Anaximandre,  Empédocle,  Anaxagore,  Platon,  Aris- 
tote  et  tous  les  philosophes  arabes,  au  dire  d'Avicenne. 
racontent  ces  choses.  N'y  a-t-il  pas  en  Portugal  des  juments 
qui  ((  conçoivent  par  le  moyen  du  vent  ?  ». 

Oi'e  onines  versœ  in  Zephiimm  sunt  iTipibus  altis 
Exceptantque  levés  auras  et  saepe  sine  ullis 
Conjugiis  vento  gravidae,  mirabile  dictu  U). 

Avant  Bodin  cette  merveille  avait  étonné  et  pourtant  con- 
vaincu Pionsard  <2)  : 

La  chaude  Afrique  en  certaine  contrée 
A  des  jumens  qui  en  tournant  l'entrée 
De  leur  nature  au  vent  Zephyrien 
Sur  le  printemps  vont  concevant  de  rien. 

«  Ainsi,  conclut  Bodin,  l'enfantement  d'une  vierge  n'est  pas 
chose  si  estrange  (3)  », 


'D  Varrox.  /?ev  Rust  .  Il,  i,  19. 

(2)  Poèmes^  I,  L'ombre  du  cheval  (Bl.,  VI,  123).  Ronsard  consacre  encore  une 
strophe  à  ce  miracle  dans  les  Odes,  il,  x  (Bl.,  II,  637;  Laumonier-Lemerre,  VI, 
p.  91).  A.  Chénler  est  plus  amusant  : 

Comme  on  feint  qu'au  printemps  d'amoureux  aiguillons 
La  cavale  agitée  erre  dans  l>^s  vallons. 
Et,  n'ayant  d'antre  époux  gue  l'air  qu'elle  respire. 
Devient  épouse  et  mère  au  souffle  du  Zéphyre. 

{Poèmes,  fragments  IX,  éd.  Janet-Picard,  p.  237).  Voir  sur  cette  légende  :  Homère, 
Iliade.  XVI.  16.  XX,  2-2-2;  Virgile.  Cenrq..  m,  273277;  Pline,  Hist.  nat..  IV,  16; 
COLUMELLE,  VI.  17:  JusTix.  Hist..  lib  XLIV.  3.  ARISTOTE.  Hist  des  animaux,  VI, 
18,  qui  doit  être  la  vra'a  source  pour  les  humanistes  de  la  Renaissance,  à  moins 
que  ce  ne  soit  Boccace,  Généalogie.  IV,  LXI,  Fo  xxxvii  v».  Chez  les  auteurs  chré- 
tiens Bodin  a  pu  lire  :  Saiîjt  Augustin,  De  civitate  Dei,  XXI,  5;  Origêne,  Contra 
Celsum,  I,  37:  Lactance,  Divin,  institut.,  IV.  12.  On  trouvera  une  dissertation  sur 
ce  sujet  dans  Bayle.  Dissertation  sur  l'Uippomanes,  rem.  C.  édlt.  du  Dictionnaire 
de  1820,   t.   XV,   p.   202-204. 

(3)  HeptapL,   F°^   '.14-416:  CHAUVIRÉ,   144-146. 


558  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Quand  Bodin  se  trouve  en  présence  d'un  mystère  qu'il  juge 
inexplicable  scientifiquement,  il  le  supprime.  Ainsi  il  explique 
le  péché  originel  à  la  façon  de  Philon  et  de  Léon  Hébreu  :  la 
chute  est  une  allégorie;  Adam,  c'est  chacun  de  nous  quand 
nous  nous  livrons  à  la  volupté  '•).  Mais  siu^tout  il  sacharne 
sm"  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Comme  c'est  le  fondement 
même  du  christianisme  qui  est  en  jeu,  que  les  textes  auxquels 
je  fais  allusion  sont,  presque  en  entier  inédits,  et  que  la  posi- 
tion prise  par  Bodin  est  toute  moderne,  j'y  insisterai  quelque 
peu  '2). 

J.  Bodin  passe  en  revue  pour  les  réfuter  tous  les  arguments 
que  l'apologétique  chrétienne  a  toujours  invoqués  en  faveur 
de  la  divinité  du  Christ. 

Ce  qui  caractérise  avant  tout  sa  critique,  c'est  qu'elle  ne  se 
borne  pas  aux  railleries  faciles  Ou  aux  boutades  du  bon  sens  : 
elle  est  d'un  savant.  11  s'attaque  donc  en  philologue  aux  textes 
invoqués  par  les  théologiens,  et  y  oppose  lui-môme  le  témoi- 
gnage des  Ecritures.  La  phrase  célèbre  de  saint  Paul  <3'  :  «  il 
n'a  pas  eu  la  présomption  de  se  dire  égal  à  Dieu  »,  le  récit 
de  saint  Luc  et  saint  Marc  ('^)  où  Jésus  proteste  que  Dieu  seul 
est  bon,  celui  de  saint  Jean  où  il  explique  qu'il  est  fils  de  Dieu 
comme  les  autres  homimes  (^),  les  textes  divers  où  il  dit  son 
père  plus  grand  que  lui,  ne  font-ils  pas  voir  «  qu'il  se  désiste 
de  toute  divinité  comme  ne  luy  appartenant  pas  ?  ».  Saint  Paul 
appelle  toujours  Jésus,  Seigneur,  mais  non  Dieu.  Et  «  le  mot 
hébreu  qui  signifie  Seigneur  ne  veut  dire  autre  chose  que 
docteur,  pédagogue  ou  maistre  ».  Et  puis  bien  des  textes 
invoqués  sont  d'une  authenticité  douteuse;  le  verset  de  l'épitre 
aux  Romains  («)  :  «  Christ  et  juif  selon  la  chair,  qui  en  toutes 


(1)  Fos  565-573. 

(2)  Bodin  consacre  plus  de  soixante  pages  à  cette  question  dans  Vlleiitnidomeres. 
FOI  4/ii-/,05.  M.  Chacviré  n'en  a  donné  que  de  courts  fragments 

(3)  Plillipp..   II.    C    C'est  Bodin  qui   traduit  ainsi. 

(4)  Luc,  XVIII;  Marc.  X. 

(5)  Joan.,  X,  34-37. 
(6)  nom.,   IX,  5. 


UN   «   ACHRISTE    »    :  JEAN   BODIN  559 

choses  doit  èlre  loué  et  réclamé  comme  Dieu  »,  au  rapport  de 
Cyrille  et  d'Epiphaiie,  ne  se  trouve  point  dans  les  vieux  exem- 
plaires; le  témoignage  donné  au  Christ  par  la  voix  céleste  à 
son  baptême  et  au  Thabor  ^^^  :  «  Tu  es  mon  lils  bien-aimé  >>, 
le  récit  des  prodiges  de  sa  moii,  celui  de  sa  résm-rection  et 
d'autres,  non  monis  importants,  sont  rejetés  comme  inter- 
polés par  Epiphane  en  son  livre  contre  les  hérétiques.  Selon 
Salomon  *2),  seraient  encore  interpolés  les  deux  premiers 
chapitres  de  saint  Luc  (annonciation,  voyage  à  Bethléem, 
étoile  des  mages).  De  plus  Bodin  pose  la  question  de  la  concor- 
dance des  Evangiles  synoptiques,  relève  des  anachronismes, 
des  versets  contradictoires  dans  saint  Jean,  des  miracles  rap- 
portés par  un  seul  évangéliste,  etc.  ^^K  Ainsi  il  faut  appeler 
avec  Lucien  Jésus-Christ  grand  sage,  (jlyxy  ao(^i(jT/iy  ,  comme 
Platon  appelle  Pythagore.  Lui-même  nous  y  exhorterait  : 
«  Mahomet...  fait  ainsi  parler  Dieu  '^)  :  O  Jésus,  fils  de  Marie, 
tu  veux  faire  croire  aux  hommes  qu'ils  te  doivent  aus'sy  bien 
que  ta  mère  au  lieu  de  moy  reconnoistre  pour  Dieu.  Sur  quoy 
Jésus  s'écria  :  non.  Seigneur,  je  n'en  ay  jamais  eu  la  pensée. 
Et  tu  m'es  tesmoing  que  j'ay  toujours  recommandé  aux 
hommes  de  n'adorer  que  Dieu,  mon  Dieu  et  le  leur  '^^  ». 

En  vain  Curtius  rabat  les  coups;  l'impression  est  qu'Octave 
et  Salomon  qui  mènent  toute  cette  discussion  triomphent  et 
expriment  la  pensée  de  1  auteur.  Après  avoir  indiqué  que 
l'Incarnation  supposerait  de  l'inconstance  dans  la  volonté  de 
Dieu  et  que  l'union  de  deux  natures  en  fait  naître  une  troi- 
sième et  détruit  ainsi  la  divinité  primitive  supposée  en  Jésus, 
il  passe  à  l'argument  tiré  des  miracles.  D'abord,  certains 
miracles  ne  sont  pas  croyables  :  si  en  le  mettant  au  monde 
sa  mère  est  demeurée  vierge  «  comme  tous  les  chresfiens  lé 


(1)  Math.,   III.  17:  XVII,  5;  Luc,  III,  23;  IX,  35. 

(2)  Heptapl..  fos  144  et  422-427. 

(3)  Ileptaplomeres,  î»  432;  Chauvirè,  p.  147  et  435-441. 
!4)  Azor  ara,  13. 

(5)  Tous  ces  te.xtes  —  et  Jen  passe  —  se  trouvent  dans  V Ileptaplomeres,  !«»  150- 
456. 


560  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE  '^ 

publient,  s'il  a  disparu  devant  ses  ennemis  qui  le  vouloienl 
lapider,  selon  saint  Jean,  s'il  est  entré  et  s'est  trouvé  au 
milieu  de  ses  aposlres  les  portes  estaiis  fermées,  si  comme  un 
autre  Gigès  il  s'est  fait  invisible  aux  hommes  quand  il  l'a  voulu 
et  s'il  a  marché  sur  la  mer  à  pied  sec,  il  faut  qu  il  ayst  esté 
un  spectre  ou  quelque  corps  imaginaire,  parce  qu'il  n'y  a  point 
de  véritable  corps...  qui  souffre  la  pénétration  ^^^  ». 

De  plus,  «  si  les  miracles  font  les  dieux,  qui  empêchera  un 
indigne  magicien  de  se  dire  dieu  ?  De  quoy  les  sorciers  ne  sont- 
ils  pas  capables*'-')  ?  »;  on  reconnaît  l'auteur  de  la  Demono-  t 
manie.  L'histoire  ancienne  noiis  révèle  un  grand  nombre  de            H 
thaumaturges,  mais  le  siècle  de  Jésus-Christ  surtout  «  fut  fertile            | 
en  magiciens  »   :  «  Apollonius,   Dosithée,   Theoda,   Judas  le            m 
(ialiléen  et  Simon  Magus  (3)  qui  s'attribuaient  tous  le  nom  de'           f 
Dieu  ».  En  Arabie  un  imposteur  se  dit  le  Messie  et  fut  assez 
hardi  i>our  se  faire  mettre  à  mort  en  promettant  de  ressus- 
citer^**.  Il  est  vrai  qu'il  ne  ressuscita  point.   Mais  le  plus 
célèbre  fut  Apollonius  de  Thyane  :  «  il  ressuscitoit  les  morts,  il 
faisoit    cesser   les   maladies   contagieuses,,    il    guerissoit   les 
malades  qui  estoienl  à  l'extrémité,  il  predisoit  l'advenir,  par 
sa  prudence  il  delivroit  les  possédez  du  malin  esprit,  tant  qu'il 
a  vescu  il  n'a  jamais  mangé  de  chair  d'aucun  animal...  Les 
arbres  se  courboient  et  parloient  pour  luy  faire  honneur   : 
enfin  il  a  passé  pour  Dieu  dans  toute  la  Grèce  ei  parmy  toute 
l'Asie.  Et  a  tant  mérité  de  louanges  de  toute  ranti(iuité  rpie  l'on 
àlloil  consulter  sa  statue  pour  en  recevoir  les  oracles  dont  on 
ne  faisoil  j)as  moins  de  cas  que  de  ceux  d'Apollon...:  pendant 
quebpies  siècles  il  a  esté  adoré  comme  un  Dieu  et  objecté  aux 


(1)  Ilritlnpl.,   f<>   'i.V(;   CHAIVIRÉ,   p.   153. 

(2)  HfplapL,  fo  4S3. 

fS)  DosiUiée,  Simon  et  Judas  :  Contra  Celsuni.  1.  XI  ef  VI,  XI. 

W)  "  Celse  qui  a  composé  sept  livres  contre  les  clirestiens  dit  que  la  résurrection 
de  Jesus-Chrlst  n'est  point  différente  cle  celle  de  Cleomede  Astypalien  qne  l'oracle 
d'Apollon  avait  assuré  e.stre  ressuiscité  et  qui  .selon  le  témoignage  des  anciens 
ne  se  trouva  pas  dans  son  .sepulchre  après  sa  mort  ...  Hrptafil..  ^iSO;  Chauviré, 
p.  153.  L'histoire  de  Cléomède  se  trouve  dan^  le  (oulrn  frimtin.  111.  I.  'i. 


UN   <(    ACHRISTE    »    :  JEAN    BODIN  501 

chresliens  comme  ayant  bien  plus  faict  de  miracles  que  Jésus 
Christ  ».  On  sait  la  recette  de  ces  prodiges,  «  et  ([uand  Galien 
parle. des  remèdes  d'Homère  il  admire  qu'il  y  en  a  beaucoup 
qui  ne  guerissoienl  pas  un  mal  si  le  patient  n'avoil  pas  con- 
fiance de  l'estre.  Car  tous  les  imposteurs  ne  manquent  jamais 
de  se  servir  de  ces  paroles  ;  croy  et  tu  seras  sauvé  :  ta  foy 
t'a  sauvé  ».  D'autres  que  lui,  du  reste,  voulurent  passer  pour 
Dieux.  Héraclide  de  Pont  corrompit  les  prêtresses  pythiques 
et  mit  dans  sa  litière  un  serpent  afin  de  se  faire  proclamer 
Dieu,  «  ainsi  que  Psaphon  l'Africain  qui  avoit  instruit  de  petits 
oiseaux  à  prononcer  ces  paroles  :  Psaphon  est  Dieu,  et  puis 
les  laissoit  envoller  (^)  ».  Simon  le  Magicien  par  ses  prodiges 
obtint  du  Sénat  Romain  une  statue  avec  l'inscription  Symoni 
Deo  (2).  Comment  dès  lors  distinguer  le  vrai  miracle  des  faux, 
en  un  siècle  où  l'on  ignorait  la  critique,  et  la  divinité  de  Jésus 
de  celle  des  imposteurs,  quand  ses  contemporains  faisaient 
couramment  descendre  les  dieux  et  les  déesses  du  ciel  en 
terre  et  naître  des  héros  des  déesses  et  des  dieux  '3)  ? 

Salomon  nie  aussi  que  les  prophéties  messianiques  aient 
trait  au  Messie,  mais  on  n'insiste  pas'^'.  Puis  après  avoir  ainsi 
récusé  les  arguments  scripturaires  et  extrinsèques  Bodin 
s'attaque  à  la  personne  même  de  Jésus-Christ.  Ce  ne  fut  pas 
un  Dieu,  nous  dit-il„  celui  qui  fut  «  obsédé  du  démon  d'une  si 
estrange  sorte  (^)  »,  qui  fut  ignorant  au  point  de  dire  à  ses 
apôtres  que  le  Saint-Esprit  leur  enseignerait  toutes  choses  <^^ 
Ce  ne  fut  pas  un  Dieu,  celui  que  la  mort  surprit  et  fit  suer 


(1)  Sur  ces  histoires  de  Héraclide  et  de  Psaphon,  voir  les  notes  de  M.  Chauviré 
{Heptapl.,   p.    162). 

(2)  Tous  ces  détails  sont  tirés  des  fs  /i82-499;  quelques  passages  ont  été  publiés 
par  M.  Chauviré  (p.  160  et  suiv.),  mais  l'ensemble  est  inédit. 

(3)  «  Ainsi  il  ne  fault  s'estonner  si  Christ  qui  menolt  une  vie  exemplaire  et  qui 
falsoit  des  miracles  a  esté  creu  par  des  payens  né  d'un  Dieit  et!  d'une  Vierge,  eux 
qui  estoient  desja  persuadés  que  les  Dieux  et  Dessses  engendroient  et  accouchoient  » 
(Heptapl.,  p.  481;  Chauviré,  p.  161). 

(4)  Heptapl.,  fo  552. 

(5)  FO  441-442  :  «  Y  a-t-il  rien  de  plus  indigne  de  la  majesté  de  Dieu  que  d'estre 
possédé  par  un  diable?  » 

(6)  FO  443-444  :  «  S'il  avoit  esté  animé  du  Saint-Esprit...  pourquoy  se  fut-il  servy  de 
ces  parolles  :  quand  le  Saint-Esprit  sera  venu,  il  vous  enseignera  tout?  » 

36 


562  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

du  sang  ''*  et  doiil  l'àine  en  ce  moment  demanda  grâce  à  son 
père.  L'antiquité,  chez  le^  païens  et  chez  les  Juifs,  nous  présente 
des  héros  autrement  trempés.  «  Lorsque  par  le  commandement 
des  tyrans  on  a  pilé  dans  un  mortier  avec  des  marteaux  de  fer 
Zenon  Eliates  et  Anaxarchus  chacun  en  divers  temps,  ils  ont 
souffert  ces  tourmens  avec  un  courage  et  une  constance  inimi- 
table et  par  des  parolles  dignes  de  leurs  belles  âmes  estonnoient 
en  mesprisant  la  cruauté  de  leurs  bourreaux...  L'histoire  des 
sept  frères  dans  Joseph  et  dans  les  Macchabées  est  digne  d'éter- 
nelle mémoire  ».  «  Après  quoi  pourroil  on  s'imaginer  tant  de 
faiblesse  en  la  personne  de  ce  Christ  (pie  l'on  appelle  la  fon- 
taine de  toute  la  sapience  divine  (2)?  ». 

Sa  sainteté  même  qu'on  a  tant  vantée,  Salomon  la  trouve 
rlouteuse;  il  a  toujours  vécu  avec  les  pécheurs  '3).  Ses  miracles 
violent  quelquefois  la  bonne  morale;  au  lieu  de  changer  l'eau 
en  vin,  «c  il  eust  plus  sagement  fait  d'inviter  tous  ceux  du  festin 
à  la  sobriété  (^)  ».  Quelle  leçon  pour  lui  aussi,  si  les  juges  de 
Samarie  lui  eussent  été  aussi  sévères  ([ue  le  tribunal  espagnol 
le  fut  à  un  sorcier?  Ce  dernier,  voulant  imiter  Jésus-Christ, 
avait  exorcicé  un  possédé  et  envoyé  le  démon  dans  un  troupeau 
de  vaches  et  de  bœufs  qui  s'entretuèrent;  il  fut  condamné  à 
mort  ^^K  Et  cette  «  effronterie  de  pardonner  à  un  autre  une 
offense  faicte  à  Dieu  (^)  !  ». 

C'est  par  la  bouche  d'Octave,  semble-t-il.  (jue  Bodin  donne 
la  conclusion  de  cette  longue  discussion.  Renan  l'eût  signée.  Il 

U)  Voir  le  texte  en  entier  dans  Ch.uviré,  p.  -iiS. 

(2)  Hcptapl.,  p.  'i44-4/i6.  Voir  Chaivirê,  p.  149-151,  qui  donne  le  texte  complet. 
M.  Chauviré  remarque  que  cette  argumentation  vise  spécialement  un  passage  de 
Calvin  {Harmoniii  es  Evanrjelistis  composita,  p.  I3'i),  où  le  réformateur  explique 
ces  faiblesses  volontaires  de  Jésus-Christ;  mais  l'ol)ject!on  dépasse  la  polémique 
r>ersonnene.  Elle  est  prise  à  Ct-lse  (II,  25). 

1.3)  •'  Où  est  le  tesmoignage  de  la  sainteté  de  vie  de  Jésus  Christ  veu  qu'au 
rapport  des  apostres  il  a  toujours  rescu  pour  compagnons  les  criminels  et  les 
putains?...  Barnabas  dan.s  une  certaine  eplstre  remarquoit  que  Jesus-Chri.st  n'avoit 
choisi  pour  ses  disciples  que  des  scélérats  et  des  gens  plus  initiues  que  l'iniquité 
mesme...  »  illeptapl.,  f"  497). 

(4)  Heptapl  ,  fo  499. 

(5)  Ibld.,  fo  500. 

(6)  Ibid..  fo  455 


UN   «   ACHEISTE    ).    :  JEAN   BODIN  5(33 

commence  par  rendre  hommage  à  rexcellence  de  Jésus-Christ. 
Il  n'est  pas  Dieu,  mais  il  est  divin  :  «  les  iVlahomelans  à  la 
vérité  ne  disent  pas  que'  le  Christ  soit  Dieu,  mais  ils  disent 
qu'il  a  eu  quel(|ue  chose  de  divin  ».  Il  a  surpassé  Aloïse,  Elie, 
Samuel  et  même  .Mahomet*^'.  Mais  il  lui  reprend  aussitôt  ce 
maigre  avantage  :  «  Accordons  donc  ce  que  Salomon  refuse 
de  reconnoistre,  que  la  doctrine  de  Jesus-Christ  est  excellente, 
sa  vie  très  sain  le,  sa  réputation  illustre,  et  que  ses  miracles 
enfin  sont  divins  et  non  pas  magiques.  Donnons  luy  encore  ce 
que  Mahomet  a  dit,  qu'il  est  plus  esclairé  que  tous  les  autres 
prophètes,  ayant  eu  un  esprit  plus  divin  queux.  Puisque 
toutes  ces  merveilles  se  peuvent  rencontrer  dans  un  homme, 
je  ne  voy  pas  pourquoy  nous  debvions  pour  cella  ladorer  ny 
le  faire  passer  pour  un  Dieu.  Et  en  vérité  il  y  en  eu  de  pluls 
excellens  que  luy,  soit  en  doctrine,  soit  en  sainteté  de  vie, 
comme  Moïse,  Helie,  Samuel,  Josué,  qui  n'ont  pas  faict  de  ces 
miracles  terrestres  qui  sont  si  communs  à  tous  les  sorciers, 
mais  qui  ont  séparé  les  mers,  arresté  les  rivières...,  rendu  la 
lune  et  le  soleil  immobiles  dans  leurs  globes.  Mesme  Helie 
et  Hénoch  n'ont  point  [paru]  après  leur  mort  afin  que  la  chose 
fut  doubteuse,  mais  tous  vivans  ont  disparu  a  la  veue  des 
hommes  et  ont  esté  transportez  dans  le  ciel.  Et  pourtant  les 
chrestiens  croiroient  faire  une  impieté  de  reconnoistre  tous  ces 
grands  hommes  pour  des  dieux  '^l  ». 

On  a  retrouvé  au  cours  de  ce  long  exposé  toute  l'argumen- 
tation de  Celse  et  de  Julien.  Non  seulement  l'ensemble  de  la 
thèse  et  la  conclusion  sont  celle's  des  deux  célèbres  incrédules, 
mais  le  détail  même  des  faits  et  des  raisonnements  leur  est  très 
souvent  emprunté.  Tout  le  passage  en  particulier  où  il  oppose 


(1)  Ibid..  fo  501. 

(2)  Fos  505-506.  —  Autre  texte  fo»  343-344,  Chauviré,  p.  123  :  "  Les  uns  et  les  autres 
larlens  et  mahometans)  croyent  bien  qu'il  est  fils  cruiie  Vierge,  mais  qu'il  est 
créature,  laquelle  opinic/n  a  esté  confirmée  par  huit  conciles  assemblés  à  Tyr, 
Sardes.  Smyrne.  Milan.  Seleucie,  Nycée,  Tarse,  mais  principalement  par  celluy 
tl'Ariminie  où  »m  evesques  tous  d'un  mesme  esprit  et  d  une  me^me  pensée  confir- 

-merent  que  Marie  n'estoit  mère  de  Dieu  ». 


564  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

l'humilité  et  les  souffrances  de  Jésus  à  la  gloire  et  à  la  cons- 
tance stoïque  des  héros  païens  ou  juifs,  les  discussions  sur 
la  valeur  critique  des  textes  évangéliques  sont  pris  certaine- 
ment dans  Celse  (D.  Je  ne  sache  pas,  que  de  tout  le  XVP  siècle 
une  attaque  plus  radicale  ait  été  dirigée  contre  la  base  même 
du  christianisme.  Peu  importent  maintenant  les  attaques  de 
Bodin  contre  TEucharistie  <2),  contre  la  Trinité  (3),  contre 
l'Eglise  elle-même  ^^K  II  est  facile  de  voir  où  il  aboutit  :  à  la 
religion  naturelle,  réduite  à  un  minimum  de  croyances  spiri- 
lualistes  (existence  de  Dieu,  des  anges  et  démons,  immortalité), 
établie  sur  la  seule  raison  et  rejetant  toute  révélation,  sauf 
peut-être  une  teinte  de  Judaïsme  parce  que  celte  religion  lui 
semble  la  plus  naturelle. 

Peu  nous  importe  même  à  présent  l'attitude  personnelle  du 
savant  magistrat  devant  le  problème  religieux  *^).  Si  même  on 
prouvait  qu'il  ne  prenait  pas  à  son  compte  toutes  les  objections 


(1)  Pour  les  détails  des  rapprochements,  compEurer  Hepiapl.,  î°  iii  (Chauviré, 
p.  141)  à  Celse,  I,  62;  Ileptapl.,  fos  444-445  (Chauviré,  p.  149-150)  à  Celse,  II,  25; 
Heptapl.,  fo  445  (Chauviré,  p.  150)  à  Celse,  VII,  54;  HeptapL,  fo  440  (Chauviré, 
p.  152)  à  Celse,  VII,  35;  Heptapl.,  fo  450  (Chauviré,  p.  153)  à  Cel.se,  II,  9. 
L'étude  détaillée  du  manuscrit  révélerait  évidemment  des  rapports  bien  plus 
fréquents  encore.  En  voici  un  qui  nous  reporte  à  Julien  {CyrilU  adv.  Jul.  imp.,  VI, 
200  A).  «  L'empereur  JuUien  voulant  rendre  anneantye  la  mort  expiatoire  du  Christ 
a  mis  en  avant  dans  son  discours  contre  les  salileens  qu'un  Esculape  fils  de  Jupiter 
s'estoit  revestu  de  nostre  nature  afin  de  remédier  aux  maladies  du  conis  comme 
Platon  avait  travaillé  pour  remédier  à  celles  de  l'ame,  mais  non  pas  afin  de 
mourir  pour  la  santé  du  genre  humain  »  (Heptapl.,  fo  553). 

(2)  Heptapl.  fo  640-642. 

(3)  Il  s'attaque  violemment  à  ce  dogme  en  se  basant  sur  l'histoire  des  conciles 
de  Nicée.  Ariminie,  Constantinople.  Ephèse;  voir  le  texte  complet  dans  Chauviré, 
p.  171-173,  ms.  539-540.  Il  résume  encore  cette  discussion  dans  Heptapl.  î°»  310,  342; 
Chauviré,  p.  103,  123. 

(4)  Que  l'Eglise  ne  peut  se  prévaloir  de  son  ancienneté,  le  paganisme  lui  étant 
antérieur  (Heptapl.,  fo  489). 

(5)  L'étude  si  complète  de  M.  Chauviré  sur  la  religion  de  Bodin  nous  interdit 
d'insister  sur  cette  idée.  On  voudra  bien  se  reporter  à  son  livre  sur  Bodin  auteur 
de  la  République,  chap.  III;  et,  pour  les  textes  où  Bodin  développe  l'idée  qu'il 
se  fait  de  la  religion.  VHcptapL,  édition  Chauviré,  p.  38.  45,  87,  95,  lll  (ms.. 
foi  220,  226,  270,  283,  333).  M.  Chauviré  distingue  deux  périodes  dans  la  philosophie 
religieuse  de  Bodin  :  Jusqu'en  1561-1563  il  est  protestant,  ensuite  il  ■<  aboutit  â 
un  déisme  coloré  du  souvenir  des  saints  livres  juifs,  mais  libéré  à  peu  près  de 
tout  dogme  confessionnel  ». 


UN   <(   ACHRISTE    »    :  JEAX   BODIN  565 

de  ses  interlocuteurs,  du  moins  doit-on  croire  qu'il  n'a  pas 
imaginé  ces  personnages  ni  ces  objections.  Sous  d'autres  noms 
ils  sont  la  personnification  renouvelée  et  diversifiée  du  libertin; 
sous  une  forme  diffuse  et  savante,  le  livre  est  la  somme  de 
la  théologie  libertine  de  la  Renaissance. 


CHAPITRE    XVIII 
Les  grands    Apologistes. 

I.  L' Anti-M avhiavcl  (1570i.  —  11.  Du  Plessis-Moinay  iI578),  a'  contip  les 
padouans  :  Dieu,  création,  Providence,  immortalité;  bj  contre  les 
achristes  :  divinité  de  Jésus-Christ.  —  III.  Pacard  1579),  «'  les  athées, 
rôle  de  la  raison  dans  l'acte  de  foi;  bj  contre  les  padouans  :  Dit-u, 
création.  Providence,  immortalité;  c/  contre  les  achristes  :  divinité  de 
Jésus  Christ.  —  IV.  Pierre  Macé  (1584)  et  Noël  du  Fail  ^1585}.  — 
V.  Charron  (1593),  a)  contre  les  athées  :  évhémérisme,  existence  de 
Dieu,  Providence;  b)  contre  les  achristes  :  divinité  de  Jésus-Christ. 


La  violente  altaijue  de  Jean  Bodin  est  isolée  dans  ce  dernier 
quart  de  siècle  et  encore  demeura-t-elle  secrète.  Pourtant 
l'abondance  des  sources  de  Bodin  ne  permet  pas  de  supposer 
qu'il  en  ait  fait  tout  seul  la  synthèse  et  pour  les  retrouver 
toutes  il  faudrait  refaire  à  son  sujet  un  travail  plus  considé- 
rable encore  que  celui  que  j'ai  entrepris  sur  les  sources  du 
rationalisme  de  Pontus  de  Tyard  et  de  Montaigne.  Toute  la 
théologie  catholique,  protestante,  juive  et  rationaliste  forme 
les  ramifications  du  «  mycélium  »  sur  lequel  a  poussé  cette 
fleur  vénéneuse.  J'ai  noté  au  cours  de  cette  étude  les  mani- 
festations principales  du  rationalisme  théologique,  la  résur- 
rection des  sectes  ariennes  entre  1540  et  1550,  la  vogue  des 
livres  de  Celse  et  de  Julien.  Mais  il  faudrait  un  autie  volume 
pour  relever  les  sources  latines  orthodoxes  ou  hérétiques  où 
ce  courant  s'alimente  et  se  diversifie. 

Peut-être  cependant  ne  se  tromperait-on  pas  beaucoup  en 
faisant  à  propos  des  doctrines  ariennes  la  môme  hypothèse  que 
j'ai  déjà  faite  à  propos  de  l'athéisme.  Si  les  premières  attaques 
contre  les  athées  sont  antérieures  à   1550,   c'est  seulement 


i 


LES    GRANDS    APOLOGISTES  507 

vers  1560  qu'elles  se  multiplient,  et  c'est  à  celte  même  date 
qu'apparaissent  les  premiers  livres  français  destinés  à  les  com- 
battre. Quant  aux  incrédules  que  représentent  les  interlocu- 
teurs de  VHeptaploineres,  c'est  seulement  vers  1580  que  les 
théologiens  les  attaquent  en  français.  Encore  leurs  traités 
sont  dirigés  beaucoup  plus  contre  les  padouans  que  contre 
les  disciples  de  Celse.  Mais  c'est  un  signe  important  pour 
l'histoire  du  rationalisme  cependant,  que  les  docteurs  propo- 
sent et  résolvent  en  français  les  objections  à  la  personne,  à  la 
doctrine,  aux  miracles  du  Christ  et  la  date  en  doit  être  retenue. 
Peut-être,  si  j'avais  étudié  les  théologiens  latins  auxquels  je 
faisais  allusion  tout  à  l'heure  la  date  que  je  propose  s'en  trou- 
verait avancée  ?  C'est  douteux.  Les  protestants  en  effet  ont 
le  même  intérêt  que  les  catholiques  à  combattre  ces  hérésies. 
Calvin  nous  a  fourni  par  ses  traités  contre  les  libertins  la 
date  de  leur  expansion  et  l'on  a  vu  que  le  mouvement  libertin 
est  bien  contemporain  de  ces  traités.  Du  Plessis-.Mornay'el 
Pacard  sont  de  même  témoins  de  l'incrédulité.  Il  est  probable 
que  l'étude  de  Cano,  de  Soto,  de  Bannes,  de  Fonseca,  de 
Lainez,  de  Tolet,  de  Molina,  pour  ne  citer  que  les  principaux 
d'entre  les  théologiens  antérieurs  à  Bodin,  ne  ferait  que  com- 
pléter leur  témoignage  sans  y  rien  changer  ^^). 

L'anti- Machiavel  (1576)  <2)  est,  par  certaines  pages,  une  apo- 


(1)  Les  célèbres  Controverses  de  Bellarmin  (1608)  où  sont  exposées  toutes  les 
hérésies  du  temps  sont  hors  du  cadre  de  cette  étude.  Même  les  savants  Commen- 
taires de  Maldonat  (1596-1597)  dont  j'ai  extrait  un  passage  entre  mille  sur  ie 
socinianisme  à  propos  de  G.  Vallée  sont  légèrement  postérieurs  au  livre  de  Bodin 
et  de  beaucoup  à  ceux  que  l'on  va  étudier  dans  ce  chapitreL  Ces  commentaires 
sont  une  mine  — je  l'ai  déjà  noté  —  pour  l'étude  critique  des  textes  scripturaires 
contestés  entre  les  théologiens  orthodoxes  et  les  inci-édules,  juifs,  ariens,  ou  libres 
penseurs.  Sur  Maldonat,  voir  Prat,  Maldonat  et  l'I'niversité  d6  Paris.  On  trou- 
vera aussi  des  renseignements  nombreux  dans  Féret,  La  Faculté  de  tliêologie  de 
Paris,  époque  moderne.  Malsi  il  manque  un  livre  d'ensemble  sur  cette  question, 
qui  fasse  suite  au  volume  de  M.  Hcmbert,  Les  origines  de  la  théologie  moderiie. 
Ce  dernier  s'aiTête  en  1517. 

(2)  Discours  sur  les  moyrns  de  bien  gouverner  et  maintenir  en  bonne  paix  un 
royaume  ou  autre  principauté,  divisés  en  trois  livres,  à  scavoir  du  conseil,  de  la 
religion,  et  police  que  doit  tenir  un  prince.  Contre  Nicolas  Machiavel  Florentin, 
1576.  in-80. 


508  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

logie  religieuse.  Tout  le  deuxième  livre  '^',  en  effet,  est  dirigé 
contre  les  doctrines  irréligieuses  du  Florentin.  La  préface  de 
ce  deuxième  livre  est  à  elle  seule  une  démonstration  de  la 
divinité  de  la  religion  chrétienne  par  son  antiquité,  par  sa 
simplicité  qui  s'oppose  à  la  subtilité  et  à  l'incertitude  des  doc- 
trines des  philosophes,  par  l'excellence  de  sa  morale.  La  fin, 
où  l'auteur  soutient  que  la  religion  réformée  n'empêche  pas 
l'unité  de  la  vraie  église,  est  plus  spéciale  (2).  H  reprend  sa 
démonstration  dans  l'exposition  de  la  deuxième  maxime  de 
Machiavel  (3).  Trois  pages  ^^'  établissent  par  la  beauté  et  la 
finalité  du  monde  que  Dieu  existe,  et  même  que  la  Trinité 
chrétienne  ne  répugne  pas  à  là  raison.  Trois  autres  (^>  démon- 
trent que  Jésus  était  le  messie  attendu  des  Juifs  et  des  gen- 
tils (6)  et  qu'il  est  fils  de  Dieu  comme  le  prouvent  ses  miracles. 
Quant  aux  miracles  que  les  anciens  attribuent  à  Vespasien, 
ce  sont  ceux  de  Jésus-Christ  que  les  païens  ont  prêtés  à  leurs 
empereurs  ^''K  Les  oracles  anciens  non  plus  ne  sont  pas  compa- 
rables à  ceux  de  la  Judée.  Ils  étaient  obscurs  's'  et  ont  cessé 
à  l'avènement  du  Sauveur,  ainsi  qu'en  fait  foi  le  traité  de  la 
Cessation  des  oracles. 

La  perspicacité  de  Gentillet  lui  a  donc  fait  voir  les  points 
principaux  sur  lesquels  devait  porter  l'apologétique  contre 
les  incrédules.  Mais  il  ne  fait  que  les  indiquer.  Avant  d'étudier 
ceux  qui  ont  repris  l'œuvre  qu'il  n'a  qu'ébauchée,  notons  pour- 
tant qu'il  en  a  bien  vu  l'urgence  :  l'athéisme  enseigné  par 
Machiavel  <(  mène  l'homme  au  comble  de  la  meschanceté  <9'  ». 


(1)  De  la  religion  que  doit  tenir  un  prince  (p.  141-170).  La/ démonstraUon  s'étend 
de  la  page  141  à  149. 

(2)  P.  149-170. 

(3)  II*  livre,  2e.  maxime,  p.  184-19.'>. 

(4)  IHd..  p.  186-189. 

(5)  Ibid.,  p.  190-193. 

(6)  P.  190.  Renvoi  aux  pages  célèbres  de  Suétone  {Vespasien,  4)  et  de  Tacite 
llist,  V,  13)  sur  le  Sauveur  qui  devait  venir  de  l'Orient. 

(7)  Ibid.,  p.   191-193.   On  se  .«souvient  gue  ces  miracles  sont   invoqués  par  Pom- 
ponazzl  dans  le  De  Incantatlonibus  et  par  Celse  et  Julien. 

(8)  II«  partie,  Y*  maxime,  p.  215. 

(9)  Ile  partie,  V»  maxime,  p.  212-214. 


LES    GRANDS   APOLOGISTES  569 

Si  les  païens  en  quittant  le  paganisme  devinrent  pires,  ce  n'est 
pas,  comme  le  soutient  Machiavel,  parce  qu'ils  se  firent  chré- 
tiens, mais  parce  qu'ils  allèrent  à  l'athéisme  :  «  autant  en  pour- 
rait-on dire  de  nostre  temps,  auquel  nous  en  voyons  plusieurs 
qui  mesprisent  toute  religion  pour  ne  pas  vouloir  s'enquérir  de 
la  vraie.  »  La  vraie  c'est,  évidemment,  celle  de  Genève.  Les 
païens,  quand  s'éleva  la  clarté  de  l'Evangile,  s'y  rallièrent  tous, 
sauf  «  quelques  Lucians  et  Porphyres  »  :  ((  et  pleust  à  Dieu 
que  nostre  siècle  fust  si  pur  d'athéisme  que  ce  siecle-là  -^)  !   ». 

Mais  la  plus  célèbre  de  ces  apologies,  c'est  celle  de  Du 
Plessis-Mornay  '2)  (1578).  Dans  son  ensemble,  le  livre  vise  les 
trois  catégories  de  libres  penseurs  que  j'ai  signalées  dans  cette 
seconde  partie.  Les  quinze  premiers  chapitres  en  effet  établis- 
sent contre  les  athées  et  les  disciples  des  padouans  les  vérités 
spiritualistes  :  existence  de  Dieu  (ch.  1-4),  création  (ch.  7-10), 
providence  (ch.  11-13),  immortalité  (ch.  14-15),  Les  chapitres 
suivants  (16-30),  sur  le  souverain  bien,  sur  les  marques  de  la 
vraie  religion,  les  prophéties,  ont  moins  d'intérêt,  encore  que 
cette  dernière  étude  fasse  partie  de  l'apologétique  tradition- 
nelle, mais  quand  aux  chapitres  31-33  Mornay  établit  la  divi- 
nité de  Jésus-Christ  contre  les  gentils,  il  semble  refaire  contre 
un  nouveau  Julien  ou  un  nouveau  Celse  les  traités  de  Cyrille 
et  d'Origène. 

Si  Du  Plessis-Mornay  a  consacré  plusieurs  chapitres 
à  étudier  l'existence  et  la  nature  de  Dieu,  c'est  qu'il  en  a 
senti  le  besoin.  La  préface  dénonce  les  athées  :  les  uns  s'amu- 
sent et  noient  leur  raison  «  es  fangeux  et  bestiaux  plaisirs 
de  ce  monde  »;  les  seconds  sont  les  ambitieux;  d'autres  disser- 
tent sur  Dieu,  la  Providence,  l'âme;  mais  voyant  la  diversité 


(1)  Ibid.,  p.  215. 

(2)  De  la  vérité  de  la  religion  chresHenne  cnntrc  les  athées,  épicuriens,  payens, 
juifs  mahomedistes  et  autres  infidèles.  Par  Philippe  de  Mornay  sieur  du  Plessis- 
Marly.  Pour  Antoine  Chappin,  MDCXXXII.  Je  cite  d'après  cett«  édition.  Sur  Du 
Plessis-Mornay,  voir  France  Protestante  \\^»  édit..  VII,  p.  512-542). 


570  !>'    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

des  religions,  u  comme  en  un  quarrel'our  rencontrans  tant  de 
chemins,  au  lieu  de  choisir  le  droit  par  le  jugement  de  la 
raison,  ils  s'arrestent  et  s'estonnent  et  concluent  en  cest  eslour- 
(lisseimenl  que  tout  revient  à  un  (^^  ». 

Je  ne  m'attarderai  pas  à  exposer  les  preuves  de  l'existence 
de  Dieu  que  développe  Du  Plessis-Mornay  '■^\  ni  même  les 
objections  (juil  réfute  '^K  Je  ferai  seulement  remarquer  qu'il 
cit-e  de  temps  en  temps  le  De  Naiura  Deorum  :  c'est  à  lui 
piobablement  qu'il  a  pris  la  liste  des  athées  '-''K  Surtout  il  a  vu 
dans  le  De  Naiura  Deorum  l'expression  de  l'évhémérisme  qui 
ruinait  le  polythéisme  tout  en  maintenant  la  croyance  en 
Dieu  (5). 

Devant  le  problème  de  la  nature  de  Dieu,  Alornay  prend 
une  attitude  très  sage.  Il  reconnaît  que  Dieu  est  inconnais- 
sable —  et  à  ce  propos  prend  au  De  Naiura  Deorum  l'histoire 
d'Hiéron  et  de  Simonide  '6',  —  il  signale  le  danger  de  l'anthro- 
pomorphisme et  cependant  s'essaie  à  définir  la  nature  de  Dieu 
et  les  qualités  qu'implique  sa  perfection  •'').  Il  ne  s'aventure 
pas,  comme  Cheffontaines,  à  essayer  de  prouver  la  Trinité 
par  la  raison  et  reconnaît  humblement  qu'une  telle  idée  ressort  / 


(1)  Epistrc  au  lecteur,  II. 

(2)  Ch.  I.  p.  2-21  :  a)  Ordre  du  monde;  h)  beauté  de  l'homme;  c)  croyance  univer- 
selle des  peuples. 

(3)  1°  Quo  nous  ne  voyons  pas  Dieu.  —  2»  Que  si  Dieu  existait,  il  serait  un 
animal  et,  donc  ne  saurait  être  éf<>rnel  (comparer  avec  Boimr.uEViLLE,  Athéo- 
machie.  et  Pontus  de  Ttaro,  Second  cxirieujc;  les  uns  et  les  autres  ont  dû  prendre 
cette  dernière  objection  au  De  Natura  Deorum,  III,  12-13). 

(4)  Diagoras.  Théodore,  Evhémère,  p.  16.  Mais  cette  liste  a  été  si  souvent  repro- 
duite au  cours  du  XVr»  siècle  qu'on  ne  peut  assurer  la  vraie  source  de  Momay. 

\5)  De  la  nature  des  Dieux  Cicéron  a  escrit  trois  livres,  c'est-à-dire,  a  fait  livres 
de  renverser,  ;i  proprement  parler,  tous  les  dieux  des  Romains,  car  il  reoonoist 
leurs  aages.  leurs  vesteimens.  leur  parure,  leur  race,  leur  parentage,  leurs 
alliances,  que  leurs  temples  sont  sepulchres,  leurs  sacrifices  et  mystères,  repré- 
sentation de  leurs  vies,  et  des  plus  grands  jusques  aux  petits,  (jue  c'estoyent 
hommes  et  toutes  leurs  ivllgions  superstitions  et  contes  de  vieilles.  Du  vrai  Dieu, 
il  en  j)arle  tout  autrement  qu'il  a  tout  créé,  qu'il  luy  est  plus  aisé'  de  l'admirer 
que  de  l'expliquer  'p.  536-537).  Il  fait  allusion  (p.  538)  au  De  Divlnatione;  eu  p.  547, 
11  renvoie  au  Dr  LegiUus  et  aux  Tusculanes  à  propos  de  l'évhémérisme. 

(6)  P.  66-67. 

(7)  Ch.   IV.  p.  64-78. 


LES    GRANDS   APOLOGISTES  571 

(le  la  Hévélalion  <^).  Pourtant  il  croit  en  trouver  des  traces  chez 
les  anciens  *2),  C'est  que  Mornay  pour  l'érudition  peut  lutter 
avec  Bodin,  et  pour  la  qualité  de  cette  érudition  lui  ressemble 
l'orl  aussi  :  Platon,  Zoroastre,  Pléthon  Gémiste,  Proclus, 
Hermès  Trismegiste,  Jamblique,  Orphée,  Plotin,  Josèphe, 
Rabby  Siméon,  Philon,  etc.,  tous  les  poètes,  tous  les  mages, 
tous  les  rêveurs,  authentiques  ou  non,  de  la  Chaldée,  du  néo- 
platonisme, de  la  Kabbale,  sont  ses  sources  ordinaires  '^i. 

«  Retirons-nous  maintenant  d'autour  dé  cest  Abysme  '^'  »  et 
passons  au  monde  sensible.  Ce  monde  n'est  pas  éteniel;  son 
mouvement  a  commencé,  les  êtres  qui  le  composent  ont  une 
origine  et  elle  est  récente  si  l'on  en  juge  par  l'histoire  des 
arts,  des  lois,  des  dieux  mêmes  (^).  On  sent  dans  ces  chapitres 
la  hantise  des  idées  padouanes  et  averroïstes.-  A  son  tour,  il 
reprend  l'objection,  classique,  et  la  réponse  —  non  moins 
connue  —  que  les  padouans  ont  prises  à  Averroès  :  «  Mais 
voici  leur  dernier  efort.  Comment  Dieu,  dit  Averroès,  s'est-il 
tenu  coy  si  long  temps,  et  d'où  luy  est  venu  ce  nouveau  con- 
seil de  bastir  le  monde  ?  0  povre  homme  que  tu  es  !  En 
l'éternité  il  n'y  a  ni  bref  ni  long  temps  :  le  conseil  éternel 
ne  se  tient  point  sur  cas  nouveaux...  Ces  distinctions  de  temps 
et  de  lieux  sont  nées  et  créées  avec  le  monde '^6)  „  Mornay 
développe  gravement  cette  réponse  philosophique  et  n'a  point 
le  sans-gêne  de  Pacard  et  de  bien  d'autres  qui  se  conten- 
taient de  répondre,  après  saint  Augustin,  que  Dieu  avant  de 
créer  le  monde  «  faisait  l'enfer  pour  les  rieurs  ».  «  A  Scipion 
depuis  qu'il  eut  quitté  les  afaires  et  les  armées,  tu  eusses  eu 
honte  de  demander  ce  qu'il  faisoit  en  sa  maison  des  champs, 


(1)  Ch.    V,    p.    78-100. 

(2)  Ch.   VI,  p.   100-137. 

(3)  Notons  (pie  à  propos  de  toutes  les  vérités  de  la  première  catégorie  qu'il  sou- 
tient, il  écrit  un  chapitre  pour  montrer  ce  qu'en  ont  pensé  les  anciens;  ch.  3,  6,  9, 
13,  15,  17,  19. 

(4)  Ch.   VII,   début,  p.   137. 

(5)  Ch.  VII-X,  p.  110-220.  Il  revient  sur  l'origine  des  dieux  dans  la  chapitre  XXII 
(p.  531-567)  qui  est  tout  entier  consacré  à  l'évhémérisme. 

(6)  P.  179  et  suiv. 


572  LE   RATIONALISME   DANS    LA  LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

et  il  t'eust  respondu  qu'il  n'estoil  jamais  moins  oisif  que  quand 
il  esloit  oisif,  moins  seul  que  quand  il  estoit  seul<^)  ».  C'est 
encore  contre  Arislote  et  les  padouans  qu'il  entreprend  de 
démontrer  la  création  ex  nihilo  '^K  «  De  rien  ne  se  fait  rien  », 
telle  était  la  formule  padouane,  JMornay  la  combat  à  son  tour 
et  rejette  même  l'hypothèse  platonicienne  d'une  matière  pre- 
mière préexistante  à  la  création  et  coéternelle  à  Dieu. 

Pour  ceux  qui  nient  la  Providence,  il  faudrait  leur  répondre 
avec  le  fouet '3).  Dieu  se  manifeste  et  se  fait  connaître  par  sa 
Providence.  A  l'encontre  d'Epicure  qui  trouve  la  terre  mal 
faite,  Mornay  proclame  la  beauté  et  l'utilité  des  éléments  qui 
la  composent  (^K  Aux  incrédules  qui  craignent  que  Dieu  ne  se 
rabaisse  à  s'occuper  des  choses  particulières  «  en  ceste  Région 
élémentaire  sujette  à  tant  de  mutations  »,  il  répond  que  Dieu 
est  aussi  admirable  en  une  mouche  qu'en  l'univers,  que  le 
soleil  sèche  sans  se  salir  les  égouts  et  les  cloaques,  et  que 
(t  par  le  mesme  esprit  qui  commandoit  aux  armées  et  aux 
republiques,  Cincinnatus  faisoit  amasser  son  fumier  (^)  ». 
Le  mal  et  l'injustice  ne  sont  pas  une  objection  insoluble  ^^K 
Sénèque  fournit  à  Mornay  la  réponse  :  il  fait  après  le  philo- 
sophe stoïcien,  qu'il  cite  d'ailleurs  à  chaque  page,  la  distinc- 
tion des  biens  et  des  maux  vrais  ou  apparents:  le  prix  de  la 
vertu,  c'est  la  vertu,  la  punition  du  méchant,  c'est  le  mal  : 
In  scelere  sceleris  supplicium  est.  Il  n'y  pas  d'autre  bien  ni 
d'autre  mal  f^'.  Enfin  un  chapitre  tout  entier  est  consacré  à  la 
Fortune  et  au  Destin  »'. 

Le  début  de  son  chapitre  sur  l'âme  ressemble  fort  au  début 


(1)  p.  181.  Pris  à  CicÉRON,  De  Officiis.   III,   i. 

(2)  Ch.   X,   p.   230-239. 

(3)  P.  240.   Mornay  fait  ici  allusion   à  Artstote.   Voir  le  même  apRument   dans 
Champagnac,  Traité  de  l'immortalité,  p.  58. 

(4)  P.  246  et  suiv.,  objections  contre  la  Providence. 

(5)  P.  257. 

(6)  Ch.  XII.   p.  262-296.   Il   revient  sur  le  mal  au  ch.  XVII,  p.  /i46,  à  propos  de 
la  chute  de'lhomrae 

(7)  On   se   souvient  que    c'est    au.ssi    la   thèse   de   Pomponazzi    {De   Anima.   XIV, 
p.  120);  mais  Pomponazzi  peut  fort  bien  l'avoir  prise  au  De  Providendia  de  Sénèque. 

(8)  Ch.   XIII,   p.   296-314. 


'  LES   GRANDS   APOLOGISTES  573 

du  livre  de  Poiiiponuzzi  '^^  :  la  duplicité  de  lanature  humaine, 
la  distinction  des  trois  fonctions  de  l'âme  humaine  et  des  trois 
classes  d'hommes  ^^\  selon  qu'ils  vivent  de  la  vie  végétative, 
sensuelle,  ou  intellectuelle,  se  trouvent  dans  le  début  du  De 
/In/ma  (3).  Puis  Mornay  s'applique  à  démontrer  que  l'àme  est 
immatérielle,  indépendante  du  corps  et  donc  immortelle.  Il 
revient  aux  padouans  au  chapitre  suivant  (^',  où  il  examine  les 
opinions  des  philosophes  anciens  sur  ce  sujet.  Epicure  ni 
Lucrèce  n'ont  douté  sérieusement  de  l'immortalité  selon 
Alornay;  du  moins  le  premier  a  donné  des  preuves  qu'il  y 
croyait  encore  un  peu,  le  second  était  fou  quand  il  écrivait 
son  livre  <^).  Mais  «  à  Aristote  semble  commencer  la  dispute, 
je  parle  entre  ceux  qu'on  daigne  apeler  philosophes,  encor 
que  ses  disciples  prennent  au  poinct  d'honneur  quand  on 
dit  qu'il  a  donné  occasion  de  douter  de  son  opinion  en  cest 
endroit.  Car  il  est  certain  que  sa  nouvelle  doctrine  de  l'éternité 
du  monde  luy  a  troublé  la  cervelle  en  beaucoup  de  choses, 
comme  d'une  erreur  en  naissent  ordinairement  plusieurs  ^^)  ». 
Il  tire  Aristote  à  l'orthodoxie  en  relevant  tous  les  textes  qu'on 
allègue  ordinairement  en  ce  sens.  Il  s'en  prend  ensuite  à  Aver- 
roès  et  Alexandre  d'Aphrodisias  ''''>  et  assez  longuement.  Enfin 
pour  bien  montrer  que  la  première  partie  de  sa  tâche  est 
achevée,  il  résume  tout  ce  qu'il  a  dit  contre  les  rationalistes 
sur  Dieu,  la  création,  la  Providence,  l'immortalité  '•^K 

Pour  la  première  fois,  si  je  ne  me  trompe  ,dans  un  traité 
français,  on  trouve  exposée  tout  au  long  la  discussion  de  la 
divinité  de  Jésus.  Mornay  l'établit  d'abord  contre  les  Juifs '^^ 
que  les  Ecritures,  les  prophéties,  les  commentaires  des  rabbins 


(1)  Ch.  XIV,  p.  314  et  sulv. 

(2)  P.  317  et  346. 

(3)  Chap.  I  :  in  quo  ostenditur  hominem  esse  ancipitis  naturae...  en  entier. 

(4)  Ch.  XV. 

(5)  p.  367-368. 

(6)  P.  370. 

(7)  P.  38.Ô-400. 
(8/  P.  400-401. 

(9)  Ch.    XXVIII-XXXI,    p.   708-S14. 


57  i  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

devraient  convaincre.  Ces  chapitres  n'ont  que  peu  d'intérêt 
ici.  Ceux  qui  suivent  établissent  la  divinité  de  Jésus  contre 
les  gentils  '^K  L'extension  miraculeuse  de  l'Eglise  en  est  le 
premier  témoignage.  Les  miracles  proprement  dits  de  Jésus 
viennent  ensuite,  et  l'apologiste  soutient  contre  les  rationa- 
listes qu'ils  ne  peuvent  être  attribués  ni  à  la  magie  ('-',  ni  à 
l'imagination  des  croyants.  La  première  explication  est,  l'on 
s'en  souvient,  de  Celse  (1,  23  et  42);  la  seconde  est  celle 
d'Avicenne,  de  Pomponazzi,  de  Cardan  et  de  tous  les  incré- 
dules du  XVP  siècle.  ]\Iornay  s'y  arrête  :  «  Et  quand  à  ceux 
qui  attribuent  à  la  forte  imagination  des  chrestiens  les  miracles 
qu'ils  faisoyent,  assavoir,  disent-ils,  entant  qu'elle  est  si  fichée, 
et  si  véhémente  en  ceste  créance  que  Jésus  est  Dieu,  qu'elle 
en  fait  des  choses  que  notre  mortalité  admire,  en  ce  veulent- 
suyvre  l'opinion  d'Avicenne.  Mais,  respondent  donc  ces  bons 
philosophes,  de  tant  de  phantastiques  arabes  qui  ont  bandé 
leur  imagination  toute  leur  vie,  quels  ils  nous  peuvent  nommer 
qui  ait  fait  miracle  '^^  ?  ».  Aussi  les  infidèles  n'onl-ils  pas  nié 
la  puissance  du  Christ,  ni  sa  vertu,  ni  la  valeur  de  sa  doc- 
trine ^^K  <(  Tout  leur  recours  c'estoit  que  Jésus  estoit  un  grand 
personnage,  plein  de  pieté,  et  de  vertu,  admirable  à  un  chacun, 
mais  que  ses  disciples  liiy  faisoyent  tort  de  l'apeler  Dieu,  veu 
que  luy  ni  ses  apostre»  ne  l'avoyent  pas  dit  tel  ''"K  Est-oe  bien 
pour  le  plaisir  de  réfuter  Celse  ^^^  ou  Porphyre  que  Moruay 
examine  ici  leurs  erreurs  ?  Et  lorsqu'à  la  page  suivante,   il 


(1,   Ch     XXX.II-XXXIII,   p.   .Sia-ftG7, 

(2)  •■  La  magie  ne  florit  jamais  plus  qu'au  temps  des  Apostres.  que  ne  s'en  trou- 
voit-il  pour  les  convaincre  ou  pour  les  vaincre  ?  »,  p.  841.  Il  avait  déjà  traité  des 
miracles  de  Jésus-Christ,  ch.  XXX,  p.  764-765.  La  répou=e  que  je  viens  de  citer  est  le 
résumé  de  celle  que  fait  Oriffène  à  Celse. 

(3)  P.  842. 

(4)  Mornay  a  développé  ces  art'uments  intrinsèques  contre  les  .Juifs,  ch.  XXX, 
p.  770. 

(5)  Ch.   XXXUr.    I),   8'iC. 

'6l  Cel.S£  y  est  as.««ez  souvent  cité  :  voir  p.  109.  .V20.  ,t29,  635-636,  670,  755,  818,  871, 
873,  875;  Porphyre  moins  souvent. 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  575 

relève  l'opinion  de  Julien'^',  qui  préférait  Alexandre,  Socrate 
et  Lycurgue  à  Jésus,  ne  pensons-nous  pas  aux  incrédules  de 
la  Renaissance,  depuis  Erasme  qui  lui  préférait  Cicéron  et 
les  libertins  de  1542  qui  lui  préféraient  Platon,  jusqu'à  Bodin 
qui  lui  opposait  tous  les  grands  philosophes  païens  ?  Il  n'est 
pas  jusqu'aux  rêveries  de  Cardan  sur  rinfluence  des  astres, 
sur  la  naissance  des  religions  qui  n'y  soient  discutées'^).  Enfin, 
il  revient  aux  miracles  de  Jésus  pour  en  montrer  la  supériorité 
sur  ceux  de  Simon,  d'Apollonius  de  Tyane,  de  Vespasien. 
Renan  même  lorsqu'il  demandait  que  le  miracle,  pour  être 
croyable,  fût  fait  devant  lui,  avec  toutes  les  garanties  d'une 
expérience,  Rousseau,  lorsqu'il  se  se  plaignait  d'être  obligé 
pour  y  croire,  de  se  fier  au  témoignage  des  hommes  '^^\  ne 
faisaient  que  reprendre  les  plaintes  des  incrédules  de  la 
Renaissance,  si  du  moins  nous  en  croyons  Du  Plessis- 
Mornay  :  <(  Mais  pour  croire  ceux  de  Jésus,  nous  voudrions 
voir  des  miracles.  ■ —  Les  siècles  les  ont  veus,  les  siècles  les  ont 
creus,  les  siècles  ont  changé  de  voye...  —  Mais  nous  en  serions 
plus  asseurez  ^-  Ains  autant  en  eussent  dit  les  siècles  prece- 
dens  :  autant  les  suivans,  et  par  ainsi  à  tous,  et  à  tousjours, 
nous  faudroit  de  miracles'^)  ».  Quand  enfin  l'apologiste  justifie 
l'incarnation,  ce  sont  les  propres  termes  et  les  exemples  de 
Bodin  qu'il  emploie  :  «  Un  homme,  Dieu,  disent-ils,  quelle 
absurdité  ?  Et  comment  est-il  possible  ?  »  »  Il  te  semble  pos- 
sible, ô  Julian,  quand  il  te  plaist,  qui  dis  qu'Esculape  fils  de 
Jupiter  prit  chair  humaine  pour  descendre  en  terre  '^^  ».  C'est 

(1)  <•  Ce  Jesu?,  qu'a-il  fait  digne  de  mémoire  en  toute  sa  vie  si  ce^  n'est  gue 
guarir,  les  aveugles  et  les  boiteux  et  délivrer  les  démoniaques  en  ces  villages  de 
Bethsaida  et  Bethanie,  >oit  chose  dont  on  face  cas"  Prenons  Julian  au  mot...  » 
p.  8iO.  Julien  r.\postat  y  est  cité  à  chaque  instant,  soit  pour  le  réfuter,  soit  plus 
souvent  pour  tirer  parti  des  citations  ou  réfutations  de  saint  Cyrille  :  voir  notam- 
ment p..  30.  51.  57-.58,  104,  106,  1-2S-1-29.  133.    186,  299,  529.  544,  648.  840,  848-849,   857-858. 

(2)  P.  850-856. 

(3)  <•  Dieu  lui  même  a  parlé  écoutez  sa  révélation...  Il  vous  en  garantit  en 
manifestant  la  mission  de  ses  envoyés.  Comment  cela?  Par  des  prodiges...  Et  où 
sont  ces  prodiges?  Dans  les  livres.  Et  qui  a  fait  ces  livres?  Des  hommes.  Et  qui 
a  vu  ces  prodiges?  Des  hommes  qui  les  attestent.  Quoi!  toujours  des  témoignages 
humains!  toujours  des  hommes  qui  me  rapportent  ce  que  d'autres  hommes  ont 
rapporté,  que  d'hommes  entre  Dieu  et  moi!  »  Ernile,  IV.  Profession  du  vie. 
Savoyard,  p.  336-337  (éd.  Garnier). 

(4)  P.  859-860. 

(5)  P.  864.  Cyrilli  Advcrsus  JuUanum  imperat.,  VI.  p.  193. 


576l  LE    RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

pour  répondre  à  Celse  aussi  qu'il  oppose  la  résurrection  de 
Jésus  à  celle  d'Her  et  à  celle  d'Aristée  ^^K 

Tant  il  est  vrai  qu'aux  environs  de  1580  l'incrédulité  lançait 
contre  les  fondements  du  christianisme  les  mêmes  attaques  que 
les  premiers  siècles  avaient  imaginées  et  que. le  nôtre  n'a  guère 
fait   que  renouveler. 

La  Thé'Ologie  nalurdic  du  ministre  Pacard  parut  presque 
en  même  temps  que  celle  de  Uu  l^lessis-.Mornay  '2).  Quand  il 
la  commença,  nous  dit-il,  il  ne  songeait  pas  à  la  publier  ;  il 
cherchait  seulement  «  à  avoir  en  mains  raisons  et  argumens 
pour  résister  aux  épicuriens  et  aux  athées  ».  Car  au  commen- 
cement de  son  ministère  il  a  eu  «  à  combattre  plutost  contre 
telle  sorte  de  gens  que  contre  ceux  qui  nous  sont  adversaires 
du  fait  de  la  religion  '3)  ».  11  ne  se  fait  pas  d'illusions  sur  l'elli- 
cacité  de  son  livre  :  Ulysse  sollicita  en  vain  Gryllus  changé  en 
pourceau  par  Circé  de  consentir  à  redevenir  homme  :  ((  or 
voyons  nous  chose  déplorable  en  ce  siècle,  que  Satan  par 
sa  sorcellerie  des  quelques  années  en  ça  a  transformé  en 
bestes  brutes  grand  nombre  de  ceux  qui  estoient  participans 
de  raison...  Comme  de  fait  nous  voyons  la  terre  et  notamment 
ce  roiaume  couvert  de  déistes,  épicuriens,  atheistes  et  autres 
tels  monstres*^)  ».  Les  sonnets  liminaires  composés  par  ses 
amis  le  félicitent  tous  d'avoir  entrepris  de  vaincre 

T(tus  ces  monstres  hydeux  qui  osent  faire  guerre 
A  Dieu,  comme  jadis  les  Geans  de  la  terre...     (5) 

(1)  p.  S7.5:  Célse,  II,  III;   III.   I.  et  pasuiiv. 

(2)  Je  cite  d'après  l'édition  suivante:  «  Théologie  naturelle  ou  recueil  contenant 
plusieurs  argumens  prlns  de  la  nature  contre  les  épicuriens  et  atheistes  de  nostre 
ternps  par  Georges  Pacard  Segusien.  Seconde  édition  revue  et  augmentée  par 
l'auteur.  A.  Niort  par  Ant.  André,  1611.  Dédidace  à  F.  de  la  Roche-Foucault,  prince 
de  Marillac,  datée  du  5  juin  1574.  La  première  édition  est  de  1579  chez  P.  Haultln 
à  La  Rochelle.  Sur  Pacard,  voir  France  protestante,  ire  éd.,  VIII,  p.  62-63. 

(3)  P.  3  (Dédicace). 

(4)  Dédicace,  p.  4-5.  «  ...La  terre  ne  soustlnt  ni  ne  nourrist  oncques  tant  d'hommes 
corrompus  et  profanes,  l'impiété  n'eust  Jamais  la  vogue  de  la  façon,  siècle  n'est 
pa.ssé  auquel  les  esprits  des  hommes  aient  esté  si  prodigieux  qu'ils  sont  à,  présent. 
Les  uns  sont  déistes,  les  autres  épicuriens,  et  la  plus  part  athées,  bref  II  n'y  a 
plus  de  fidélité  ni  de  foi  au  monde,  de  sorte  qu'avec  bonne  raison  nous  pouvons 
appeler  ce  siècle  et  la  terre  province  d'Iniquité  et  d'infldeUté  »  (Préface,  p.  17-18). 

(5)  P.  9,  sonnet  liminaire  de  Estlenne  Valencier.  Les  autres  pièces  dénoncent  les 
mêmes  ennemis  dei  la  religion.  Voir  surtout  les  sonnets  de  J.  Prévost  (p.  13)  et 
de  E.  Olat  (p.  15). 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  577 

La  grosse  difficulté,  G.  Pacard  l'a  bien  vu,  c'est  que  la  »  gent 
rebelle 

Qui  nie  son  facteur  et  riramortalité  d) 

n'a  plus  la  même  façon  d'apprécier  les  choses  que  les  croyants 
et  a  remplacé  l'autorité  et  la  Révélation  par  la  raison  et  la 
science  :  <(  Ce  grand  philosophe  l^laton  appelloit  ceux-là  pro- 
fanes qui  pensent  qu'il  n'est  rien  en  la  nature  que  ce  qu'ils 
peuvent  appréhender  par  les  sens.  Tels  sont  les  athées  de  ce 
siècle,  car  ils  ne  veulent  pas  croire  aucune  chose  sinon  autant 
qu'ils  l'appréhendent  par  leur  raison,  et  comme  juges  rejettent 
tout  le  reste  comme  chose  feinte,  voire  ils  en  viennent  jusque 
là  qu'ils  estiment  un  hommje  estre  mal  habile  s'il  n'est  de 
leur  advis,  mesprisans  audacieusement  les  secrets  de  nature, 
ce  qu'on  dit  de  la  divinité  et  des  choses  spirituelles;  estiment 
ceux-là  de  bas  et  faible  esprit  qui  ont  la  crainte  de  Dieu  et 
espèrent  à  l  immortalité  bienheureuse  *'2)  ».  Ses  amis  acceptent 
ce  dogme  fondamental  du  rationalisme  :  ((  Ils  mettent  en 
avant...  que  j 'entreprend  une  chose  impossible  quand  je  veux 
persuader  par  raison  naturelle  et  par  l'authorité  des  hommes 
qu'on  peut  croire  ce  qui  est  seulement  appréhendé  par  foi  et 
proposent  ce  dire  des  scholastiques  :  lides  non  habet  mentuni 
uhi  ratio  huniana  prœbet  experinienlwn  <3)  ».  Lui-même  sait 
que  la  raison  ne  suffît  pas  à  fonder  les  choses  de  foi,  ou 
comme  il  dit  :  <(  il  est  impossible  de  faire  croire  par  raison 
humaine  ce  qui  se  cognoit  seulement  par  foi  *^'  »  ;  et  que 
«  toutes  les  raisons  humaines  ne  sauroient  estre  suffisantes 
pour  y  fonder  droilement  certitude  jusques  à  ce  que  le  Père 
de  lumière  y  faisant  reluire  sa  divinité  l'exempte  (l'esprit)  de 
tout  doute  et  qujestion'^)  ».  Et  pourtant  il  est  persuadé  que 

(1)  Sonnet  de  Valencier,  p.  9. 

(2)  Theol.  nat  ,  I,  I.  p.  39. 

(3)  Préface,  p.  27. 

14)  Theol.  7iat.,  Dédie,  p.  5. 

(5)  ma.,  p.  4. 

37 


578  LE    RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

la  raison  n'est  pas  contraire  à  la  foi,  que  la  philosophie  natu- 
relle et  la  science  doivent  aider  la  religion  et  non  la  combattre, 
que  i<  toute  vérité  est  de  Dieu,  et  que  jamais  la  vérité  ne  détruit 
et  ne  fait  la  guerre  à  la  venté  (^)  ».  11  croit  même  que  la  raison 
peut  prouver  au  moins  les  vérités  qui  servent  de  fondement 
à  la  vie  morale  :  et  qu'après  avoir  lu  son  traité  les  athées 
seront  inexcusables  «  s'ils  ne  recognoissent  qu'il  y  a  un  seul 
Dieu  conservateur  et  creatieiu"  de  toutes  choses,  l'iinmorlalilé 
de  l'ame,  la  vérité  et  certitude  des  divins  escrits  coinprins  es 
livres  des  prophètes  et  apostres  de  Jesus-Christ  '^'  ». 

Le  ton  modéré  de  cette  préface,  la  position  orthodoxe  et 
bien  raisonnable  de  G.  Pacard  font  une  excellente  impression. 
L'ouvrage  lui-même  se  divise  en  quatre  livres  consacrés  res- 
pectivement à  démonlier  l'existence  de  Dieu  (I"  livre),  la  créa- 
tion (IP  livre),  l'immortalité  de  l'âme  (IIP  livre),  la  nécessité 
de  la  Révélation  (IV  livre).  Les  trois  premiers  livres  visent 
donc  le  rationalisme  padouan,  le  quatrième,  le  rationalisme 
théologique.  Le  premier  livre  est  pris  en  grande  partie  à 
Cicéron.  Ce  sont  les  mômes  adversaires  qu'il  combat,  que 
Cicéron  a  réfutés  au  II'  livre  du  De  Xatura  Deonun  *3^;  aussi 
il  leur  sert  les  mêmes  arguments  ''^'.  Le  plan  même  de  ce  pre- 
mier livre  est  celui  du  deuxième  livre  du  De  Nulura  Deorum  : 
les  dix  premiers  cha/pitres  (p.  1.-151)  étabhssent  l'existence  de 
Dieu  par  le  consentement  des  peuples  (ch.  2-8),  la  beauté  du 
cor])s  humain  et  la  perfection  et  nos  facultés  (ch.  3-5),  l'ordre 
du  monde  (ch.  4),  la  nécessité  du  premier  moteur  (ch.  6);  les 
cinq  suivants  (p.  151-201)  étudient  la  nalure  de  Dieu  (Trinité); 
les  quatre  derniers  (p.  262-332)  la  Pi-oxidrmce '^'.  11  s'y  élève 
surtout  contre  ceux  qui  veulent  remplacer  Dieu  par  <(  nature, 
fortune,  ou  art  »  et  soutient  que  les  athées  confondent  la  nature 

(1)  Ibid..  p.  4. 

(2)  Préface,  p.  24. 

(3)  "  Ils  usent  de  mêmes  argumens  que  ceux  contre  lesquels  dispute  Platon  au 
loe  livre  des  Loin  ».  En  manchette  .  "  voyez  Cicéron  i  De  Nat.  Deor...  »,  I,  I,  p.  40. 

(4)  P.  40,  63,  71,  171,  288,  270,  274,  2S9  et  passim. 

(5)  Comparer  la  division  de  Cicéron  :  «  Omnino  dividunt  nostrl  totam  Istam  de 
dlis  immortallbus  quBestionem  in  partes  quatuor.  Primum  docent  esse  Deos,  delnde 
quales  .sint.  tum  mundum  ab  his  adminlstrarl;  postremo  consulere  eos  rebus 
humanis  »  {De  Nat.   Deor-.,   Il,  t. 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  579 

el  Dieu,  que  le  hasard  n'existe  pas  puisque  le  monde  est 
ordonné,  que  si  l'art  prouve  l'intelligence  de  l'homme,  à  plus 
forte  raison  le  monde,  la  sages^-e  de  Dieu**'.  Mais  (|uand  il 
en  vient  à  chercher  la  nature  de  Dieu,  il  rappelle  avec  beau- 
coup d'à  propos  la  sentence  de  Platon  qu'il  est  déjà  difficile 
de  connaître  Dieu,  mais  qu'il  est  impossible  de  l'exprimer  *2), 
et  la  légende  connue  de  Simonide  qui  «  enquis  par  un  tyran 
que  c'estoit  que  Dieu  demanda  un  jour  pour  y  penser,  et 
remettant  de  jour  à  autre  interrogé  pourquoi  il  delayoit  tant, 
respondit  que  d'autant  plus  il  y  pensoit,  d'autant  plus  il  y 
Irouvoit  la  question  dillicile '3)  ».  Ce  qui  n'empêche  pas 
G.  Pacard  de  rechercher  la  qualité  de  l'Essence  divine  aux 
deux  chapitres  suivants  (ch.  12-13)  et  même,  avec  quelque 
témérité  peut-être,  de  soutenir  au  ch.  14  que  les  philosophes 
anciens  ont  eu  quelque  idée  de  la  Trinité. 

La  fin  du  premier  livre  (chap.  16-20)  est  consacrée  à  établir 
la  Providence,  «  Nous  voyons,  dit  l'auteur,  cette  perverse 
opinion  avoir  saisi  le  cœur  de  la  plupart  des  hommes  que 
Dieu  est  voirement  créateur  de  toutes  choses,  mais  qu'à  pré- 
sent il  ne  se  soucie  aucunement  de  ce  qui  se  fait  ici-bas  sur 
terre  (^)  ».  Les  uns  tiennent  avec  Averroès  (|ue  si  Dieu  gou- 
vernoit  le  monde  sublunaire  «  rien  narriveroit  par  fortune 

(1)  p.  45  à  5<).  .<  Tout  ce  qui  est,  qui  a  esté,  et  qui,  sera  ci-après  éternellement 
ne  vient  d'ailleurs  que  de  Nature,  Fortune  et  Art.  Par  Nature,  ils  entendent  un 
principe  substantiel  qui  est  le  sujet  de  la  transmutation  ou  qui  l'effectue  :  ou  bien, 
pour  le  dire  plus  clairement,  ils  entendent  ceste  ô-jjr/u.t, ,  faculté,  inclination,  ou 
propriété  d'une  chacune  chose  et  ce  qui  est  en  icelle,  par  le  moien  de  quoi  pro- 
prement et  par  soi,  et  principalement  elle  est  esmue....  Par  Fortune,  ils  entendent 
un  inopiné  événement  des  choses.  ...Ils  appellent  Art  une  droite  raison  de  faire 
les  ouvrages,  c'est-à-dire  l'industrie  des  hommes  qui  par  science  ou  expérience  font 
quelque  chose...  Voilà,  disent-ils,  les  causes  de  Tout  ce  qui  est  en  l'Univers  et 
de  tout  ce  qui  s'y  fa.it  :  et  qu'au  reste»  c'est  abus  d'en  cercher  d'autres  et  folie  de 
croire  rien  de  ce  qu'on  propose  outre  ou  contre  cela  »,  p.  40-42. 

(2;  Le  te.\te  cité  par  Pacard  n'est  pas  exact,  le  vrai  texte  est  dans  le  Tlmée, 
5.  On  le  trouvera  aussi  dans  Bodin,  Hept.,  fo  235  (Chauviré,  p.  57,  avec  une 
liste  d'auteurs  qui  l'ont  reproduit,  parmi  lesquels  Du  Plessis-Mornay,  Vérité 
de  la  reiKjion  chrétienne,  iv,  p.  67,  mais  Du  Plessis-Mornay  y  fait  seulement 
allusion).  Noter  que  ce  te.xte  est  rapporté  dans  saint  Cyrille  (In  JuUnn.  imp.,  I, 
p.  31,  AB)  et  dans  Grigène,  Contra  Celsum,  VII,  42,  où  sans  doute  Pacard.  l'aura 
pris. 

(3)  I,  11,  p.  173-174.  Rappelons  que  cette  histoire  est  prise  au  De  Nat.  Deorum. 
I,  22. 

(4)  I,  XVI,  p.  263. 


580  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

et  par  cas'*)  »;  les  autres  répètent,  après  Epicure  et  Cicéron, 
(juc  «  si  Dieu  avoit  soin  des  choses  basses  et  particulières, 
cela  diminueroit  sa  l'elicité '^j  »;  d'autres  enlin  pensent  que 
Dieu  dans  ce  cas  serait  dans  l'alternative  ou  de  supprimer 
le  mal  du  monde  '3),  ou  d'accepter  la  responsabilité  du  péché  '■^K 
En  tout  cas  la  liberté  serait  supprimée  (^)  et  le  monde  échap- 
perait aux  lois  nécessitantes  qui  l'enserrent,  ce  qui  n'est  pas 
possible.  G.  Pacard  réfute  ces  assertions  à  mesure  qu'il  les 
énonce. 

Puis  il  descend  du  créateur  à  la  création'*^).  Sans  entrer  dans 
tout  le  détail  de  cet  article  que  nous  avons  déjà  trouvé  à  plu- 
sieurs reprises,  notons  que  c'est  l'école  padouane  qu'il 
y  attaque,  quand  il  se  plaint  que  beaucoup  croient  à  l'éter- 
nité du  monde  sur  la  loi  d'Aristote  (■^).  C'est  aux  padouans 
aussi  qu'il  répond  quand  il  reprend  à  son  compte  la  réplique 
bien  connue  de  saint  Augustin  «  à  ceux  qui  s'onquierenl  que 
l'aisoit  Dieu  avant  la  création  du  monde,  disant  qu'il  forgeoit 
un  enfer  pour  les  curieux'^'  ».  Ee  troisième  livre  est  consacré 
à  l'étude  de  l'immortalité '9'.  11  fonde  cette  croyance  surtout 
sur  la  nature  immatérielle  de  l'âme  connue  par  ses  opéra- 
tions'^°\  sur  le  désu'  de  limmortalilé  naturel  à  l'homme '^^' 
et  ne  présente  rien  d'original.  Son  seul  intérêt,  c'est  que 
Pacard  y  attaque  nommément  Pomponazzi  et  Cajetan  comme 


(1)  Ch.   XVI.  p.  270. 

(2)  Ch.   XVII.  p.   276. 

(3)  Ch.   XVI [,  p.  281   et  sulv. 

(4)  P.  292. 

(5)  P.  296  et  sulv. 

(6)  Livre  II,  p.  351-518. 

(7)  Livre  II.  ch.   I,  p.   351   et  suiv.   Pacard  estime  que  la  pensée  d'Aristote  est 
douteuse. 

(8)  P.  362. 

(9)  P.  519-745. 
(lOj  Ch.  V  à  IX. 

(Il)  Ch.  XVI.  Il  ne  saurait  èire  question  de  reprendre  ici  l'analyse  détaillée  de 
ce  livre  après  les  très  nombreux  traités  de  l'âme  que  J'ai  étudiés  et  qui  me  restent 
â  étudier 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  581 

interprètes  d'Aristote  (i),  ainsi  que  Pline  dont  il  réfute  un  argu- 
ment. Sa  conclusion  est  prise  au  premier  livre  des  Tuscu- 
lanes. 

Le  quatrième  livre  ne  vise  plus  les  padouans  mais  ceux 
qu'alors  '  déjà  on  appelait  les  libertins.  Malheureusement^ 
l'auteur  n'a  point  «  amplifié  »  ce  livre  autant  que  les  précé- 
dents. Il  renvoie  ses  lecteurs  à  Mornay,  désespérant  de  faire 
aussi  bien.  Il  s'arrête  assez  longuement  cependant  sur  l'auto- 
rité de  l'Ecriture  Sainte.  Il  concède  qu'  «  elle  est  proposée 
de  façon  elongnée  à  l'apparence,  ou  plutost  parade,  que 
demande  la  raison  humaine  et  naturelle  »  ;  aussi  plusieurs 
en  prennent  occasion  pour  n'en  tenu'  aucun  compte,  <(  se  per- 
suadans  et  (entant  qu'en  eux  est)  aux  autres,,  que  le  tout 
a  esté  inventé  du  cerveau  des  hommes  semblables  à  eux  (^^  et 
par  conséquent  ne  mérite  qu'on  s'y  arreste  de  telle  façon  i^)  ». 
Et  toujours  reparaît  le  même  reproche  :  cela  est  de  foi,  ce 
n'est  point  de  science  »;  Oui  m'asseurera  (disent-ils)  que 
telles  choses  soient  véritables  et  que  Dieu  en  soit  l'auteur  ?  Les 
principes  des  sciences  sont  receuz  voirement  et  approuvez  de 
tous,  pour  ce  qu'il  ne  faut  qu'entendre  les  mots  et  avoir  quel- 
que jugement  et  expérience  pour  estre  amenez  à  y  consentir, 
mais  ceux  de  ceste  théologie  sont  entièrement  contraires  aux 
sens  et  à  la  raison.  Et  au  reste  le  fil  de  l'oraison  est  rude, 
et  si  grossier  que  rien  plus,  et  le  tout  imprimé  comme  le  reste, 
et  le  papier  souffre  tout  (^'  ».  On  aura  remarqué  combien  ces 
propos  ressemblent  à  ceux  de  Julien  <5)  et  des  libertins  que 
A.  Fumée,  vingt-sept  ans  auparavant,  dénonçait  à  Calvin. 

(1)  <c  Et  en  premier  lieu  pource  que  le  cardinal  Cajetan  et  Pomponacius  ont 
donné  occasion  à  quelques  uns  de  faire  bouclier  de  l'authorité  d'Aristote  pour 
en  venir  là  (à  nier  l'immortalité),  il  sera  bon  de  montrer  que  c'est  à  fausfçs 
enseignes  »  (p.  528  et  suiv.).  S^ir  le  cardinal  Cajetan  et  son  livre  Commentaria 
super  très  IWros  de  Anima  (Romse,  1509),  voir  Altamura,  Bibl.  domin.  incremen- 
tum,  p.  258-268.  Cajetan  fut  grand  maître  de  l'ordre. 

'2)  «  Ils  l'accusent  d'infirmité  voire  passent  si  outre  que  de  dire  que  c'est  doc- 
trine simplement  humaine,  procédante  du  cerveaa  humain  et  par  conséquent 
mensongère.  Or  d'autant  qu'aujourd'hui  cela  s'aperçoit  plus  que  jamais  et  que 
le  nombre  de  tels  monstres  est  plus  grand  qu'oncques  ne  fut,  voilà  pourquoi  j'ai 
estimé  qu'il  serait  bon...  »  etc.,  p.  754. 

13)  Ch.  II,  p.  756. 

(4)  P    75C-757. 

(5)  Saint  Cyrille,  rn  Juliaii.  imp..  m,  p.  75  A  et  86  A. 


582  LE   RATIONALISME    DANS   LA   LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

Pacard  reprend  alors  la  démonstration  de  saint  Cyrille  ^'' 
et  d'Urigène  <2)  en  laveur  du  peuple  juif.  Celte  doctrine  pour- 
lant,  riposte-t-il,  est  ancienne,  elle  est  antérieure  aux  religions 
des  gentils  :  «  oyons  maintenant  ce  que  Sathan  par  ses  sup- 
posts  met  en  avant  à  ce  que  ceste  vérité  ne  soit  receue.  Ils 
demandent,  qui  nous  pourra  asseurer  que  Moyse  ait  esté?... 
Estants  convaincus  par  le  témoignage  des  auteurs  qui  en  font 
mention,  replicquent  que  s'il  a  esté,  çà  esté  un  séditieux  et 
séducteur,  qu'il  a  fait  rebeller  les  Israélites  contre  leur  Roy 
et  pour  se  mieux  et  plus  aisément  conserver  en  dignité,  qu'il 
a  establi  la  religion  par  sorcelleries  etencliantemens...  Il  estoit 
magicien  <3)  ».  Julien  avait  aussi  attaqué  violemment  le  carac- 
tère de  Moïse  <^). 

Pacard  leur  oppose  encore  l'admirable  harmonie  de  la  doc- 
trine présentée  dans  les  saints  livres  :  ((  Je  scay  bien  que  les 
malins  y  trouvent  non  seulement  des  contradictions,  mais 
au.ssi  des  obscurilez  si  grandes  qu'ils  estiment  eslre  chose 
imfpossible  d'en  pouvoir  avoir  assez  claire  et  facile  intelli- 
gence ».  Mais  si  Aristote  a  pu  dire  que  nous  avions  des  yeux 
de  chat-huant  à  l'égard  de  la  vérité  naturelle,  comment 
s'étonner  que  la  vérité  révélée  nous  soit  obscure'^'? 

Ils  reprochent  encore  à  Jésus-Christ,  toujours  d'après 
Celse  (^)  et  Julien  <"'  sa  pauvreté  et  l'humilité  de  sa  vie '^'. 
Pacard  leur  répond  par  un  éloge  de  l'humilité.  Il  n'insiste  pas, 
non  plus  que  sur  les  miracles  '^^  ni  sm'  les  martyrs  "").  lui 
revanche  il  s'étend  très  longuement  sur  les  prophéties  relatives 
à  Jésus-Christ  et  à  l'Eglise.  11  leur  (onsacie  sept  chapitres  sur 


(Il  S.MNT  CYRILLE,  In  Juliati    imp..  VI  et  VII,  p.  218,  221-222. 

(2)  Origène,  contra  Ceuum,  VI,  passim,  Freppel,  Oricjtne.  31»  leçon,  II,  p.  281 
et  suiv. 

(3)  Ch.   III,   p.   762-763. 

(4)  In  Jullan.  imp.,  VI,  p.   186 

(5)  Ch.  IV,  p.  770. 

(6)  I,  41:   II,  66;   VI,   572. 

(7)  VI.   p.   190191. 

(8)  P.  77.'i-776. 

(9)  P.  776-777 
(!<•)  P.  778  779. 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  583 

onze  que  contient  le  IV  livre*''.  Sans  doute  ne  voulait-il  pas 
s'étendre  sur  les  autres  preuves  de  la  divinité  de  Jésus-Christ 
et  de  l'Eglise,  Mornay  ayant  épuisé  le  sujet;  on  regrette  cepen- 
dant que  les  discussions,  assez  sommaires  du  reste,  des  textes 
prophétiques  alourdissent  la  fin  de  ce  traité.  L'ensemble  révèle 
une  connaissance  sérieuse  des  couinants  didées  vers  1580. 

Il  serait  curieux  aussi  de  pouvoir  lire  les  livres  de  J.  Gar- 
nier  :  Catholique  démonstration  de  la  Divine  essence  de  Dieu, 
et  de  -Macé.  du  Mans  :  Cinq  points  d'eneur  contre  les  athées. 
La  Croix  du  .Maine  a  vu  le  manuscrit  de  ce  dernier  et  dit 
l'auteui-  «  florissant  »  vers  1585.  Mais  j'ignore  si  ces  livres 
lurent  imprimés. 

Du  succès  de  Mornay  nous  avons  un  exemple  éclatant  :  c'est 
que  Noël  du  Fail,  le  joyeux  compagnon  du  barreau  rennais 
et  le  gras  conteur  des  Contes  et  discours  d  Eutrapel,  ait 
éprouvé  le  besoin  de  résumer  le  traité  De  la  vérité  de  la  reli- 
gion chrétienne  dans  un  chapitre  ajouté  à  son  livre '-^  JXoël 
du  Fail  feint  que  son  correspondant  lui  ait  proposé  les  doutes 
de  certains  voisins  qui  «  attribuent  à  la  nature  le  cours,  Testât 
et  la  conduite  de  toutes  choses;  ne  faisans  cas  de  la  religion 
sinon  autant  quelle  retient  le  simple  peuple  en  obéissance;  mes- 
congnoissans  Dieu,  le  seul  moteur...  et  son  Messias  Jesus- 
Christ  ».  Existence  de  Dieu,  Providence,  origine  politique  des 
religions,  Révélation,  ce  sont  bien  les  thèses  ordinaires  des 
rationalistes '3).  ^'oël  du  Fail  renvoie  d'abord  son  correspon- 

(1)  Ch.  V  à  XI  inclus,  pages  783  à  841. 

(2)  Epistre  de  Polygame  à  un  gentilhomme  contre  les  athées  et  ceux  qui  vivent 
sans  Dieu  Contes  d'Evtr.,  XXXIV).  Le  chapitre  est  de  1585.  Sur  Noël  du  Fail  et 
son  œuvre,  voir  les  deux  thèses  de  M.  Philipot,  La  vie  et  Vœiivre  littéraire  de 
Noël  du  Fail.  —  Essai  sur  le  style  et  la  tanaue  de  Noël  du  Fail,  Paris,  1914.  Mes 
renvois  se  reportent  à  l'édition  Hippeau  (Libr.  des  Bibliophiles.  1875). 

(3)  Noël  du  Fail  revient  sur  la  Providence  qu'il  oppose  à  la  fortune,  ch.  XXX 
des  Contes  d'Eutrapel  (il,  p.  154)  et  dans  l'Epistre  à  Polygame,  il  met  parmi  les 
tentations  du  diable  les  questions  que  l'on  peut  se  poser  sur  la  prédestination; 
on  a  pu  croire  un  instant  qu'il  fut  protestant.  Sur  l'évhémérisme,  il  a  écrit  une 
page  au  début  du  chap.  XXX  :  «  Les  uns  parmi  les  anciens),  comme  Numa  Pom- 
pilius  avec  sa  garse  Egeria,  ont  sous  couleur  et  prétexte  de  quelque  saincte 
révélation  que  leurs  diables  fournissoient  et  d'une  opinion  illégitime  et  bastarde, 
establi  loix,  basti  villes  et  forteresses,  composé  et  adouci  la  grosserie  populaire; 
et,  par  telles  entrées  vestues  de  songea,  il  trompa  religieusement  les  premiers 
Romains,  tellement  qu'il  y  seigneuria,  s'y  fit  le  maistre  et  leur  commanda  »  (II. 
p.  135-136). 


584  LK   RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

dant  à  Du  Plessis-Mornay,  dont  il  fait  grand  éloge,  puis  il 
lui  résume  le  traité  du  théologien  calviniste  sur  Dieu,  Jésus- 
Christ  et  l'Eglise.  Il  a  surtout  été  louché  par  les  prophéties 
messianiques.  Il  serait  donc  sans  intérêt  de  relever  les  argu- 
ments de  du  Fait  :  ils  n'ont  rien  de  personnel  et  quelques-uns 
prouvent  chez  le  malin  conteur  assez  peu  de  critique.  Mais 
on  peut  noter  cependant  que  N.  du  Fail  n'a  pas  confiance  dans 
la  raison  pour  décider  des  choses  religieuses  et  qu'il  préfère 
s'en  rapporter  à  ((  la  crainte  de  Dieu  et  la  faiblesse  de  l'en- 
tendement humain  ».  Il  raconte  même  à  propos  des  chicanes 
sur  la  prédestination  qu'au  concile  de  Nicée  se  rendirent  plu- 
sieurs philosophes  :  «  l'un  desquels  et  le  plus  babillant, 
estonnoi^  les  assistants  par  ses  fins  et  cauteleux  argumens  »; 
ce  que  voyant  «  un  bon  vieillard,  qui  onc  n'avait  estudié  » 
se  dressa  devant  eux  et  leur  débita  le  credo  en  entier.  Il 
ajouta  :  «  ainsi  nous  croyons  très-fermement  cela,  demeurans 
en  ceste  foy  et  asseurance,  sans  en  disputer...  Ne  te  travaille 
pour  néant  chercher  par  démonstrations  et  apparences  natu- 
relles, comme  cecy  ou  cela  est  possible,  ou  autrement.  En  quoi 
il  ne  faut  apporter  que  la  nue  et  la  simple  foy  :  car  Jesus- 
Christ,  et  les  apostres  après  lui,  nous  ont  enseigné  laisser 
tels  langages  curieux  et  superflus,  comme  est  la  philosophie... 
dy-moi,  crois-tu  cela  —  Ouy,  respond  le  philosophe,  confes- 
sant que  ta  parole  m'a  vaincu  »  ;  «  tant  a  de  poids  »,  ajoute 
le  narrateur  ((  la  parole  d'un  homme  de  bien,  et  principalement 
quand  il  s'agist  des  points  et  articles  de  la  religion,  où  les 
chicaneries,  sophisteries  et  prudences  humaines,  sont  froides, 
superflues  et  sans  réplique  '^1  ».  Et  cela  marquerait  chez  du  Fail 
une  àme  bien  simple,  si  nous  ne  savions  par  ailleurs  qu'il  fut 
très  fin  et  qu'en  fait  même  de  religion  il  raisonna  plus  qu'il 
ne  semble.  Mais  encore  une  fois,  celui-là  aussi  doutait-il  de 
la  valeur  de  l'apologie  qu'il  écrivait  pour  conseiller  de  croire 
en  fait  de  religion  ceux  qui  affirment  avec  le  plus  d'assurance, 
et  qui,  à  la  suite  de  Crespet,  voulait  substituer  à  la  recherche 

(1)  contes  d'Eutrapel.  XXXIV. 


LES   GRANDS    APOLOGISTES  585 

pei'ï!;unM€lle,  la  plus  grossière  el  la  plus  vexante  des  autorités  : 
celle  (juc  (ioniieiit  un  aplomb  imperturbable,  une  belle  barbe 
et  une  bonne  voix  ? 

On  pourrait  se  poser  la  même  question  à  propos  de  Charron 
si  l'on  confrontait  sa  Sagesse  et  ses  Trois  vérités  ^i).  Dans 
cette  apologie  il  établit  en  trois  livres  :  1°  La  religion  en 
général,  contre  les  athées;  2°  La  Révélation  chrétienne,  contre 
les  infidèles;  3°  La  religion  catholique,  contre  les  protestants. 
L'auteur  n'avait  dabord  intention  de  traiter  que  la  troisième 
question  '2).  «  Mais  avec  le  temps,  dit-il,  l'expérience  m'a  faict 
cognoistre,  que  plusieurs  monstres  y  a  parmy  le  monde,  qui 
conversent  familièrement  entre  les  hommes,  et  ont  le  visage, 
la  forme,  et  la  façon  humaine,  voire  qui  font  la  mine,  et  tien- 
nent la  contenance  de  chrestiens,  dont  ne  sont  cogneuz  ce 
qu'ils  sont,  qui  mescroyent  la  première  vérité  et  se  mocquent 
de  la  seconde,  comme  d'une  imposture  et  mensonge.  Ce  qu'ils 
déclarent  assez  ouvertement,  quand  en  privé  avec  quelqu'un 
leur  confident,  qu'ils  pensent  estre  de  jugement,  ils  veulent 
monstrer  n'estre  du  commun  et  de  la  presse,  ains  avoir  des- 
couvert quelque  lumière  par  dessus  les  autres  hommes.  Et  de 
ces  gens  icy  me  semble  en  avoir  remarqué  de  deux  sortes. 
Les  uns  n'ont  jamais  guiere  esté  autres  :  les  autres  ont  esté 
quelquefois  religieux,  ayant  franchy  toutes  les  trois  veritez  ; 
mais  scandalisez  et  ennuyez  de  tant  et  si  vilaines,  opiniastres, 
sanglantes  divisions  et  disputes  interminables,  qu'ils  voyent 
durer  si  long  temps,  et  comme  se  nourrir  et  multiplier  tous- 
jours,  en  la  chrestienté  ont,  pour  occasions,  que  Dieu  scail, 
rebroussé  chemin  jusqu'à  la  première  vérité  :  laquelle  mesme 
ils  mettent  en  double  et  surçoyance  :  ou  bien  font  encore 
pis '3)  ». 

(1)  Les  trois  vérités  contre  les  athées,  tdolastres,  juifs^,  mahometans,  hérétiques 
et  schisrnatiques.  Bourdeaux,  par  S.  Millanges.  MDXCIII. 

(2)  Contre  Du  Plessls-Mornay,  car  le  livre  est,  dans  la  pensée  de  l'auteur,  une 
réponse  au  Traite  de  l'Eglise  Aussi  les  deux  premiers  livres,  les  seuls  que  nous 
ayons  à  étudier  ici,  sont-ils  très  peu  développés.  Nous  en  extrayons  seulement  ce 
qui  peut  montrer  la  tournure  personnelle  de  Charron  et  les  objections  cpii  nous 
renseignent  sur  l'état  d'esprit  et  les  idées  des  libertins  de  1593. 

(3)  Trois  vérités,  I,  I,  p.  3-4. 


580  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Charron  distingue  trois  sortes  d'athées  :  a)  les  «  nieurs  » 
qui  disent  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu.  <(  Cette  espèce  d'athéisme, 
première,  insigne...,  ne  peut  loger  qu  en  une  ame  extrême- 
ment forte  et  hardie 

Illi  robur  et  œs  triplex 
Circa  pectus  eral, 

forcenée  et  maniacle  ».  Il  faut  même  «  plus  de  force  et  roideur 
d'âme  à  devemr  athée  qu'à  servir  Uieu 'i)  ». 

b)  Les  ((  doubleurs  »,  soit  qu'à  la  façon  des  académiciens 
et  pyrrhoniens  ils  fassent  profession  de  douter  de  tout,  soit 
que  par  une  nonchalance  naturelle  ils  se  désintéressent  de  la 
rehgion  '2). 

c)  Les  épicuriens  «  qui  semblent  avoir  quelque  Deité  :  mais 
la  croyant  oyseuse,  sans  soing  ne  providence  de  nous  et  de 
ce  monde...,  explodent  et  anéantissent  toute  religion.  Ce  sont 
les  épicuriens,  libertins,  tiercelets  d'atheistes,  irreligieux, 

Parcus  Deorum  cullor  et  iiifrequens, 
Insanientis  dum  sapientiie 
Consultus  eiro, 

et  non  guieres  moins  meschants  et  impies  que  les  précédents 
el  formez  athées  i^'  ». 

("est  contre  ces  trois  sortes  de  libertins  qu'il  va  prouver 
l'existence  de  Dieu  et  la  Providence.  Sur  le  premier  point, 
encore  qu'il  consacre  trois  chapitre^j  à  en  établir  les  preuves, 
peut-être  n'a-t-il  pas  lui-même  assez  de  confiance  en  .sa 
démonstration  pour  qu'elle  soit  efficace.  Charron,  comme 
Montaigne,  est  fidéiste;  el  c'est  sans  doute  ce  que  d'aucuns  lui 
reprochent  en  disant  qu'il  a  mieux  exposé  les  difficultés  que 
leur  solution.  Dieu  ne  saurait  être  prouvé  par  raison  démons- 
trative :  «  S'il  se  trouvoit  raison  humaine  suffisante  pour 
prouver  une  deité,  il  n'y  en  auroil  point...  Toute  deité,  qui  se 
prouve  el  s'établit  par  raison  et  ou  peut  atteindre  ou  approcher 


1    IMd  .  I,  3,  p.  7. 
(2'  Ibid.,  p.  9. 
3)  Ibld .  p    10 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  587 

la  suffisance  humaine  est  fauce  et  non  vraye  deité.  Deité,  c'est 
ce  qui  ne  se  peut  congnoistre,  ny  seulement  s'appercevoir  : 
du  fîny  à  l'infmy  n'y  a  aucune  proportion,  nul  passage  W  ...  ». 
Il  faut  remarquer  pourtant  que  Charron  parle  ici  de  la  nature 
de  Dieu  et  non  de  son  existence,  en  sorte  que  ce  chapitre  — 
car  il  répète  cette  proposition  pendant  douze  pages  —  n'in- 
firme nullement  &a  croyance  en  Dieu,  ni  les  raisons  qu'il  donne 
de  son  existence  '2). 

Parmi  ces  preuves  il  écarte  comme  trop  compromettante 
futilité  sociale  de  la  religion.  Sans  doute  la  religion  est  le 
meilleur  frein  aux  passions,  et  l'irréligion  la  première  cause 
des  crimes 

Xam  prima?  scelernm  causœ  'mortalibus  œgris 
Naturam  nescire  Deum. 

((  Dont  ils  ont  dict  que  la  Religion  avoit  esté  tres-sagement 
inventée,  et  persuadée  aux  peuples  par  les  premiers  et  plus 
sages  politiques  et  fondateurs  de  republiques...,  parquoy  les 
princes  devoyent  toujours  faire  valoir  la  religion,  nourrir 
leurs  peuples  en  la  révérence  et  crainte  d'icelle.  Voila  comme 


(1)  I,  5,  p.  18  et  SUIT. 

[2)  Pour  ne  pas  répéter  sans  cesse  les  mêmes  choses,  je  me  borne  ici  à  donner 
le  schéma  des  chapitres  VI,  VII,  VIII  du  1er  Uvre  de  Charron,  qui  contiennent 
les  preuves  de  l'existence  de  Dieu  (p.  27-48)  : 

10  Naturelles  : 

A.  —  Monde  en  général  : 

a)  Cause  efficiente  du  monde. 

b)  Le  monde  est  fini;  donc  11  n'est  pas  de  soi.  mais  par  un  autre,  qui  est 

Dieu. 

c)  Composé  de  choses  contraires,  qui  donc  ont  été  amenées  de  force  et  har- 

monisées par  une  puissance  qui  leur  est  extérieure. 

d)  Le  mouvement  (pris  à  Platon,  à  Aristote  et  aux  stoïciens). 

e)  Cause  finale. 

B.  —  Monde  en  particulier  .- 

a)  Ordre,  variété,  harmonie  du  monde,   hiérarchie  des  êtres  et   leurs  pro- 

priétés. 

b)  La  bonté  relative  des  créatures  prouve  une  bonté  supérieure. 

c)  L'homme  :  merveilles  de  sa  naissance,  de  son  corps,  de  son  intelligence. 
2"  Raison   morale  .■  Consentement  universel  des  peuples. 

.30  liaisons  surnaturelles  .-  Merveilles  opérées  par  les  puissances  invisibles  (magie, 
sorcellerie,  miracles,  prédictions). 


^88  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FR\X(^AISE 

les  athées  en  parlent...;  mais  ils  adjoustenl  à  lout  cela,  (jue  ce 
n'est  pas  pour  aucune  vérité,  qui  soil  en  la  religion,  ains  pour 
lutililé,  et  que  les  princes  sages  n'en  croient  rien  en  lame, 
mais  qu'ils  s'en  serv-enl  pour  s'en  prévaloir  et  mieux  chevir 
de  leurs  subjects  :  \ulla  res  mulliludiiiein  eHicacius  régit 
quam  supersiitio . . .  :  mais  que  les  habilles  hommes  en  leur  ame 
en  pensent  bien  ce  que  s'en  est  et  sçavent  que  ce  n'est  qu'une 
hapelourde,  un  plaisant  amusement  des  peuples  et  occupa- 
tion des  simples,  pour  extorquer  d'eux  tel  respect  el  obéis- 
sance que  l'on  veut, 

Hœc  faciunt  aiiimos  humiles  formidine  divum 
Depressosque  premunt  ad  lenam. 

Comme  il  est  racomté  de  Minos  et  de  sa  caverne,  où  il  feignoit 
avoir  communication  avec  Jupiter,  et  Scipion  au  Capitole, 
Numa  Pompilius  avec  son  Aegerie,  Sertorius'avec  sa  biche 
blanche,  Marins  avec  sa  marthe  syrienne  ^^)...  »  On  voit  par 
cette  page  combien  l'Evhémérisme  a  fait  de  progrès,  et  que 
c'est  publiquement  et  couramment  qu'on  l'applique  mainte- 
nant à  la  religion  catholique  elle-même,  au  point  que  Charron 
n'ose  arguer  du  rôle  social  du  christianisme,  de  peur  que  son 
argument  ne  se  retourne  contre  sa  cause. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  non  plus  de  relever  les  objections 
des  athées.  La  première  est  prise  au  De  Nalura  Deoruni  ^'^^  et 
nous  l'avons  déjà  trouvée  à  plusieurs  reprises;  s'il  y  avait  un 
Dieu,  ce  serait  un  animal  avec  des  sens,  sujet  à  la  douleur  et 
à  la  mort.  La  seconde  est  prise  à  Pline  et  à  Euripide,  qui 
lui  reprochent  de  n'être  pas  tout-puissant,  puisqu'il  ne  peut 
faire  des  choses  conlradictou-es  ou  injustes '3).  La  troisième 


(1)  I.  4.  p.  13-15. 

(2)  I,  p.  11,  et  III,  p.  12-13.  Charron  Tattribue  à  Sextus  Empiricus,  mai.s  elle  lui 
est  antérieure. 

13)  Pline,  Hlst.  .\(it..  il,  5  :  Imperfcctae  vero  In  homine  naturœ  prsecipua 
solatla  ne  IJoum  quidem  po.sse  omni.i.  .Namqiie  nec  sibi  potest  mortem  consciscere, 
si  velit,  quod  homini  dffllt  f»r)timnm  in  t.antis  vit;E  pœnis;  nec  mortales  aeternltate 
donare  aut  revocare  defunctos;  nec  farere  ut  qui  vi.xlt  non  vixent...  atque  ut 
bis  dena  viginti  non  sint  ac  multa  similiter  cdicere  non  pos.se.  Charron  copie 
textuellement  ces  exemples. 


LES   GRANDS    APOLOGISTES  589 

l'allaque  dans  sa  sagesse  en  soutenant  qu'il  y  a  des  choses 
inutiles  ou  nuisibles  sur  la  terre. 

Charron  expose  bien  clairement  aussi  les  idées  courantes 
des  libertins  sur  la  Providence  :  «  Les  uns,  comme  Aristote, 
luy  ostent  les  choses  corruptibles  et  basses,  luy  laissant  seu- 
lement les  célestes,  hautes  et  incorruptibles,  où  il  se  tient 
caché  et  enserré  sans  se  soucier  d'ici-bas  :  les  autres  luy  lais- 
sent encore  des  inférieures,  l'homme,  à  cause  de  la  dignité 
de  son  esprit  :  d'autres  luy  donnent  toutes  choses,  mais  seule- 
ment en  gros  et  en  gênerai,  non  en  particulier  et  en  détail. 
Aucuns  luy  ostent  les  choses  casuelles  et  fortuites  :  item  les 
choses  nécessaires  qui  dépendent  du  destin*^'  ».  Charron  leur 
répond  que  la  bonté  de  Dieu  demande  et  que  l'ordre  du  mondie 
démontre  la  providence,  même  particulière.  A  ceux  qui  lui 
objectent  le  mal  sur  la  terre,  la  prospérité  des  méchants  et 
les  malheurs  des  bons,  il  répond  par  la  distinction  des  biens 
et  des  maux  vrais  et  fictifs -2).  Il  insiste  sur  ce  dogme  de  la 
Providence,  mais  sans  originalité. 

Sur  le  point  de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  c'est  bien  aux 
libertins  qu'il  a  affaire.  On  se  souvient  des  dédains  pour  Jésus 
de  Julien,  des  libertins  de  1542  et  de  ceux  de  ÏH epiaplomeres . 
Ceux  contre  qui  écrit  Charron  lui  reprochent  aussi  «  l'extrême 
humilité,  bassesse  et  pauvreté  en  toute  sa  vie  et  ignominie  en 
sa  mort  -3)  ».  Un  homme  comme  lui  doit  avoir  plus  de  relief: 
quand  on  est  le  sauveur  du  monde  et  le  fils  unique  de  Dieu,  on 
le  fait  voir  :  «  Pour  esti'e  chef  de  si  grand  part,  le  Sauveur 
et  le  bien  unique  du  monde,  la  lumière,  la  vérité,  la  voye, 
la  vie,  comme  il  se  dit  estre,  il  n'a  eu  aucune  excellence, 
et  sauf  innocence,  bonté  de  nature  et  douceur  de  meurs..., 
il  n'a  aucune  qualité  recommandable  ou  singulière...  par 
ou  il  peut  avoir  quelque  prééminence  par  dessus  les  autres 
hommes...  Qu'a  il  esté,  qu'a  il  dit  ou  faict  approchant  non  seu- 


(1)  I,  Ch.  IX,  p.  48-49. 
l'i)  I.  Ch.  XI,  p,  67-92. 
(3)    II,   11,   p.   157. 


590  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

lement  des  chefs  et  fondateurs  des  autres  religions,  gouver- 
neurs des  peuples  et  polisseurs  d'estats  et  republiques, 
Moyse,  Mahomet,  Lycurgue,  Solon,  Numa  et  autres...,  mais 
des  simples  philosophes,  Socrates,  Platon,  Caton,  Seneque  ? 
Ainsi  pai'loil  l'Enipereur  JuUen  et  les  autres")  »:  ainsi  par- 
laient sans  doute  aussi  beaucoup  d'humanistes  contemporains 
de  Charron. 

A  la  doctrine  de  Jésus,  ils  objectent,  comme  autrefois 
(Jelse '2),  qu'elle  n'est  pas  conioime  à  la  raison  :  elle  est  d'une 
<(  estrangeté  extrême  et  du  tout  incroyable,  abhorante  de 
tout  sens  commun,  de  toute  apparence  de  raison  et  vray  sem- 
blance  principalement  aux  poincts  théoriques  de  la  créance 
et  articles  de  foy  :  qui  sont  toutes  choses  horribles  et  énormes 
à  la  nature  et  au  discours  de  raison  <3)  ».  u  Le  sage  consulte 
tousjours  la  raison  ou  le  sens  et  l'expérience,  la  prend  pour 
caution  en  toutes  choses,  ne  s'esbranle  point  du  cours  ordi- 
naire et  naturel  sinon  forcé  par  quelque  preuve  ou  argument 
pour  le  moins  équivalent.  Le  chrestien  croid  ce  que  sa  propre 
raison  et  tout  l'ordre  des  choses  luy  desconseillent  de  croire, 
et  que  la  nature  ne  peut  supporter;  toute  sa  religion  et  créance 
est  monstrueuse''^'  ».  Charron  répond  comme  Montaigne,  que 
la  chose  à  laquelle  il  faut  moins  se  fier  c'est  la  raison  et  expé- 
rience, puis  il  a  beau  jeu  à  insister  sur  le  rôle  de  la  foi  dans 
la  vie. 

Quand  aux  preuves  qu'il  donne  de  la  supériorité  de  la  reli- 
gion chrétienne  :  miracles,  prophéties,  excellence  de  sa  doc- 
trine, sa  victoire  sur  les  idoles*^)  et  sur  les  nations,  son  har- 
monie parfaite  avec  les  besoins  de  l'homme  <6',  elles  ne  sont 


(\)  fbifi..  p.  160.  SAINT  Cyrille./»  .niiiaii.  huit  .  vi.  p.  190,  191,  193.  —  Celse,  VI. 
p.  272. 

2)  On  trouvera  les  textes  de  Celse  groupés  dans  Freppel,  Origène,  35c  leçon, 
tome  II,  p.  380  et  suiv.  Ils  sont  surtout  pris  au  1er  livre  du  Contra  Celsum  et 
pfiTtent  sur  l'opposition  de  la  raison  et  de  la  foi. 

(3)  II,  12,  p.  163. 

'4)  Ibtd.,  p.  165. 

(5)  A  propos  de  cette  preuve.   11   rappelle  lui   aussi  la  mort  de  Pan   (II,  VIII. 

p.  148). 

6)  Chapitres  V-X. 


LES   GRANDS   APOLOGISTES  591 

guère  qu'un  résumé  de  Du  Plessis-Mornay.  Notons  cependant 
qu'à  propos  des  miracles  de  Jésus,  il  rappelle  l'accusation 
de  Julien  l'Apostat,  qu'ils  étaient  faits  par  magie  et  la  réponse 
de  saint  Cyrille,  «  Julien...  qui  a  reveillé  la  magie  et  avoit 
près  de  soy  de  si  scavants  philosophes,  Jamblicus,  Maximus, 
que  n  a  il  guarry  des  aveugles  et  des  boiteux  comme  il  confesse 
que  Jésus  a  faict^i)  ?  ». 

La  clarté  de  l'exposition,  la  rapidité  et  la  précision  de  la 
riposte  dénotent  dans  P„  Charron  un  esprit  très  lucide.  En 
cette  fin  de  siècle  l'Eglise  catholique  avait  enfin  une  apologie 
française  à  joindre  à  celle  de  Duplessis-Mornay  et  de  Pacard. 

(1)  II,  VI,  p.  135-136. 


.V 


CHAPITRE    XIX 
Poètes    Apologistes 


E.ssais  vers  1555  :  Du  Val.  La  nouvelle  muse  :  Uranie.  La  nouvelle 
poésie  philosophique  (Du  Monin).  —  IL  Le  Fèvre  de  la  IJoderie  et  les 
athées  (1571-1581).  —  IIL  Du  Bartas  (1574-1584)  :  a'  les  athées; 
b'  l'éternité  du  monde;  c'  Providence;  (/'  Immortalité.  —  IV.  Gaucher 
de  ^ainte-Marthe  (1579);  Béroalde  de  Verville  (1583);  J.  Duchesne  de 
la  Violette  :  Dieu,  création,  miracles.  —  V.  Conclusion  :  Le  Triomphe 
de  la  Foi,  par  Du  Bartas. 


Les  poètes  subirent  linflucnce  de  la  réaction  ivligieuse 
de  1570.  La  Pléiade  avait  été,  dans  son  ensemble,  païenne 
d'esprit  cl  s'était  complue  aux  sujets  légers.  Tout  au  plus 
peut-on  signaler  comme  poésie  chrétienne  les  Xocls  de 
Denisot  (1545)  et  ses  Cantiques  (1553).  on  il  {)rolcste  contre 
l'abus  des  sujets  païens  et  de  la  mythologie'^).  En  1552,  Joa- 
chim  Du  Bellay  publiait  aussi  (pielques  pièces  sacrées  et  se 
flattait  d'avoir  changé  de  musc  : 

Moy  ccstuy  I;i  qui  tant  de  fois 
Ai  chanté  la  muse  charnelle, 
ISIainfeiiant  je  hausse  ma  \o\x 
Pour  sonner  la  muse  éternelle  i2). 

Muret,  en  1555,  s'engagea  dans  cette  voie  en  publiant  des 
Chansons  spirilucUcs.  Ronsard  enfin,  nous  lavons  dit.  s'éprit 

(1)  Pour  la  poésie  latine  chrétienne  antérieure  à  1550  et  née  de  la  rénovation 
religieuse  (Sannaxar,  Vida,  Camerarius,  Cordus,  Hessus,  Castellion),  voir  Buisson, 
Castrliioii,  r.  p.  262  et  suivantes  :  Musœ 

Pro  Jove  qute  Christiim  ranitis. 
Salmon  .Macrin  a  aussi  écrit  plusieurs  odes  sur  ce  sujet.  Voir  .ses  Hymnea.  I,  p.  12, 
Christum.  non  Apollinem  aul  Musas  a  poetis  invocandas  :  ibid.,  p.  14,  Deos 
antiqiios  e,s,se  eliminandos:  p.  18.  De  promulgata  Evangclii  luce;  p.  'lO,  l'ode  "  Ad 
Liidovicum  martlianum  ».  Le  même  S(  rnpule  clirétien  avait  amené  dès  le  IV»  siècle 
les  Apollinaires  à  mettre  l'ancien  et  le  nouveau  Testament  en  vers;  voir 
G.  BoissiER.  La  fin  du  paganisym-,  I.  p.  20'(. 

(2»  l.urr  chrétienne,  citée  par  JroÉ,  .V.  Denisot,  p.  9tt. 


POÈTES   APOLOGISTES  593 

un  instant  de  motifs  philosophiques,  et  même,  une  fois,  d'un 
sujet  chrétien  : 

Esl-il  pas  temps  désormais  de  clianler 
Un  vers  chrestien  qui  puisse  contenter 
Mieux  que  devant  les  chrestiennes  oreilles  ? 
Est-il  pas  temps  de  chanter  les  merveilles 
De  nostre  Dieu  ?  (D- 

Mais  Ronsard,  en  écrivant  V Hercule  chrestien,  voulait  se 
faire  pardonner  les  Folastries;  puis  il  était  surtout  philosophe, 
de  même  que  son  ami  Pelletier  dans  ses  Amours  des  amours^^K 

Pierre  du  Val,  évêque  de  Seez,  qui  tenta  aussi  la  poésie 
chrétienne  entre  1552  et  1558  n'y  réussit  guère  mieux.  Ses 
deux  poèmes  principaux  sur  la  grandeur,  la  puissance, 
sagesse  et  bonté  de  Dieu,  se  répètent  comme  des  gloria  Patri 
sans  variantes '3'.  Le  premier  chante  l'harmonie  du  monde 
sidéral  et  terrestre,  preuve  de  l'existence  de  Dieu  <^',  et  Dieu 
lui-même  «  moteur  vivant  et  non  muable  »  de  l'Univers.  Un 
instant^  il  s'en  prend  aux  athées;  mais  il  ne  connaît  que  ceux 
de  l'antiquité  païenne  : 

Arrière  donc,  insensez  Atheistes 
Epicuriens  et  fols  Empedoclistes 
Qui  ne  voulez  aucun  Dieu  recevoir 
Ou  lui  ostez  Providence  et  scavoir  (&). 

Le  poète  apostrophe  encore  Démocrite  et  ses  atomes,  Zenon 
et  son  Destin.  Le  deuxième  poème  ^^J  reprend  le  même  thème 
de  l'existence  de  Dieu,  On  y  trouve  aussi  une  page  sur  l'im- 
mortalité, fondée  sur  notre  désir  de  la  justice  (''''  et  une  sur  les 
miracles  de  l'Ancien  Testament  t^),  le  tout  coupé  de  sennons 
et  de  banalités.  11  manquait  à  P.  du  Val  des  idées  et  quelque 

(1)  Hercule  chrétien.  Hymnes,  II,  II  (Bl.,  V,  p.  168-169). 

(2)  Odes  scentlflques  sur  les  planètes  et  sur  Uranie.  Jugé,  /.  peietier,  p.  234. 

(3)  De  la  grandeur  de  Dieu.  Paris,  1553  et  1555,  in-S».  —  Psalme  De  la  puissance, 
sapience  et  bonté  de  Dieu.  Paris,  1558,  in-S".  —  Sur  Du  Val  et  ses  œuvres,  voir 
France  Protestante,  V,  p.  1090  et  suiv.;  et  Haag,  IV,  p.  521.  Ne  pas  le  confondre 
avec  le  libertin  normand  dont  j'ai  parlé  au  chap.  X. 

(4)  De  la  grandeur  de  Dieu,  p.  85-94    édition  de  1586  à  Paris  chez  Auvray). 

(5)  Ibid.,  p.  95. 

(6)  Psalme  de  la  puissance,  etc.,  édit.  de  1568  chez  Vascosan. 

(7)  Ibid.,  p.  31-32. 
(3)  Ibid.,  p.  37. 

38 


594  LE   RATIONALISME  DANS   LA  LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

originalité,  et  Le  Fèvre  de  la  Bôderie  nous  paraît  bien  indul- 
gent, qui  le  loue  d'avoir  chanté  Dieu  <(  en  un  double  chant 
admirable  '*'  ».  Cet  essai  de  poésie  sérieuse  lut  couvert  par  la 
végétation  luxuriante  du  naturalisme  de  la  Pléiade. 

Il  faut  altendi^e  1570  pour  voir  la  poésie  chrétienne  se  res- 
saisir, sous  l'impulsion  de  Le  Fèvre  de  la  Boderie,  Du  Bartas, 
du  savant  Du  Monin-et  de  Duchesne.  «  Dans  la  poésie  fran- 
çaise, dit  le  commentateur  de  Du  Bartas,  Simon  Goulard, 
on  a  vu  ce  mal  qui  longuement  a  duré  et  dure  encore,  l'ennemi 
de  toute  honnesleté  entassant  ainsi  ordure  sur  ordure  pour 
corrompre  le  monde.  Mais  Notre-Seigneur  a...  suscité  l'esprit 
de  notre  poète,  oppose  les  beaux,  doctes  et  chrestiens  vers 
d'iceluy  à  tous  ces  brouillons  qui  par  leurs  rymes  impures  ont 
desbauché  tant  dames  et  les  noms  desquels  s'esvanouissent 
maintenant  à  la  clarté  dune  si  belle  Uranie^^)  ,>  (j^j,  u^anie 
remplaça  Vénus  et  même  elle  donna  son  nom  au  poème  par 
lequel  Du  Bartas  amionça  au  monde  le  nouvel  idéaH^) 
Dès  1553,  P.  Du  Val  demandait  à  Uranie  l'inspiration  reli- 
gieuse : 

Muse  du  ciel,  ô  divine  Uranie, 

Dy  iTJoy  la  douce  et  plaisante  harmonie 

Que  tient  le  cours  du  monde  spacieux 

Et  le  reslé  mouvement  des  hauts  cieux  ; 

Dy  moy  l'auteur,  et  la  cause  première 

De  la  tousjours  flamboiante  lumière; 

Dy  moy  celuy  dont  provient  tant  de  bien  (■'*)■ 

En  1570,  Le  Fèvre  de  la  Boderie  invoquait  celle  qui,  d'après 
Platon,  «  est  la  première  après  Calliope,  s'occupe  des  sciences 
du  ciel  et  a  de  toutes  la  plus  belle  voix  »  : 

0  Filleule  du  ciel,  qui  vois  de  l'Univers 
Les  Mystères  divins  et  ois  les  Tons  divers 
Que  dix  cercles  tournés  de  roideur  inégale 
Font  retentir  là  haut  par  égal  intervalle,     - 
Je  t'appelle  à  mon  aide    (s). 

(1)  Liî  FÈVRE  DE  LA  BoDERiE,  EncvcUc,  p.  s-i  fépîtrc  dédlcat). 

(2)  Semaine,   1583,   Au   lecteur  Eii.   Sur  la  renaissance  de  la  poésie  religieuse, 
voir  une  page  dans  ViAinïY,  Le  Pétrarqiilsme  en  France  au  XF/e  siècle,  p.  294. 

(3)  L'uranie  ou  Muse  céleste  de  n.  de  Saluste  sieur  du  Bartas.  d  Gabriel  Minut 
seigneur  du  Castera.  1579. 

Ci)  Début  de  lu.  grandeur  de  Dieu,  p.  25  'éd.  do  1586). 
I-,)  Ennjciie  des  secrets,  l"  cercle,  début,  p.  29. 


POÈTES  APOLOGISTES  595 

En  1575,  A.  Jamyn  avait  invo(iué  la  musc  savante  et  grave, 
quand  il  avait  entrepris  de  chanter  les  étoiles  : 

Descens  du  ciel,  haute  Uranie 

Qui  tire  ton  beau  nom  des  deux  (D. 

Du  Barlas  Icint  que  la  muse  lui  ait  apparu.  Elle  le  détourne 
de  la  poésie  mondaine  : 

Je  suis,  dit-elle  alors,  ceste  docte  Uranie... 
Agréable  est  le  son  de  mes  doctes  germaines 
Mais  leur  gosier,  qui  peut  terre  et  ciel  enchanter 
Ne  me  cède  pas  moins  en  l'art  de  bien  chanter 
Qu'au  rossignol  l'oison,  les  pies  aux  syrenes  (2) 

Ailleurs,  le  poète  nous  donne  un  portrait  d'Uranie.  Elle 
habite  un  (<  sainct  cabinet  »,  où  Ton  ne  pénètre  que  par  l'arith- 
métique et  la  géométrie.  Là  se  tient  la  Muse,  ceinte  d'une  cein- 
ture d'or  ornée  de  lumineux  pendants  : 

Elle  a  pour  diadème  un  argenté  croissant. 

Sous  qui  jusqu'aux  talons  à  jaunes  flots  descend 

Un  cornet  allumé;  pour  yeux  des  escarboucles; 

Pour  robe  lin  bleu  rideau,  que  deux  luisantes  boucles 

Attachent  sur  l'espaule,   un  damas  azuré 

D'estoiles,  d'animaux  richement  figuré...  O). 

La  muse  ainsi  attifée  se  plaint  que  la  poésie  française  soit 
pleine  «  de  feints  soupirs,  de  feints  pleurs,  de  feints  cris,  d'im- 
pudiques discours  et  de  vaines  querelles  »,  de  blasphèmes 
aussi  ;  qu'elle  ait  oublié  ses  origines  religieuses,  la  poésie 
ayant  d'abord  servi  à  «  traicter  les  mystères  sacrés  »,  puis  les 
oracles  et  les  prophéties.  Sans  doute  les  fables  antiques  sont 
très  poétiques,  mais  les  mystères  de  la  foi  le  sont-ils  moins  ? 
Et  voilà  Du  Bartas  qui,  comparant  Noé  à  Deucalion,  Babel 
et  les  titans,  commence  la  querelle  que  renouvellera  —  par 


(1)  Odes.  1er  livre  :  les  Etoiles,  f  49  \°  (édit.  de  1375). 

(2)  uranie.  vers  52  et  61-65. 

(3)  //e  semaine,  11?  jour.  Colonnes,  vers  237  et  suiv.  Il  la  décrit  dans  Uranie  aussi 
aux  vers  33-52. 


596  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

le  même  procédé  de  comparaison  —  Chateaubriand.  Il  conclut 
que  les  premières  sont  belles,  mais  les  secondes  sont  utiles, 

Et  seul  celui  là  peut  le  laurier  meiùter 
Qui,  sage,  le  profit  avec  le  plaisir  mesle  (i). 

Le  poète  convaincu  jure  de  s'adonner  à  la  poésie  philoso- 
phique f2). 

La  poésie  philosophique  a  aussi  d'autres  courtisans  et 
admirateurs.  Jean  Edouard  du  Monin  lui  a  dédié  tout  un 
«  discours  )^  dans  ses  Nouvelles  œuvres^^K  Elle  habite  un  châ- 
teau sombre,  presque  inabordable,  et  du  reste  si  difficile  à 
décrire  que  le  poète  se  borne  à  le  comparer  à  toutes  les  mer- 
veilles architecturales  de  l'antiquité  (^), 

L'espoir  tout  empané  lui  est  archer  de  garde. 

Argus  veille  sur  la  philosophie  qui  siège  sur  un  trône  élyséen. 
Le  poète  en  arrivant  fait  à  la  reine  un  discours  sur  l'essence 
de  la  poésie  : 

Le  poète  qui  reçut  ce  divin  héritage 

Que  de  ser\'ir  dhelyce  au  mortel  navigage 

S'il  n'est  matricule  d'Aristote  et  Platon 

N'est  qu'un  rêveur  rimeur  au  bal  noir  de  Plutoni^). 

Lui-même,  Du  Monin,  après  avoir 

Reçu  d'Arist/Ote  un  étemel  froment 

Qu'il  promit  de  semer  sur  la  terre  enfraichie, 

après  avoir  semé  «  dans  un  gros  volume  le  grain  philoso- 
phique »,  il  a  déserté  l'école  d'Aristote.  Il  s'en  repent,  et  la 
muse  bienveillante  l'introduit  dans  son  palais. 

(1)  Urante,  vers  279-280. 

(2)  Ce  temps  que  la  plus  part  des  écrivains  François 
Despend  à  courtiser  les  Dames  et  les  Roys, 
Despendre  Je  le  veux  à  rendre  à  tous  notoire 

Par  ses  puissants  efforts,  du  Tout-puissant  la  gloire. 

f'/re  semaine,  p.  123  verso). 

(3)  Discours  philosophiciue  et  historlal  de  la  poésie  philosophique  à  P.  de  lionsard 
dans  :  Nouvelles  œuvres  de  Jean-Ed.  du  Monin,  poète  philosophe,  B  C.  Parts. 
Pataud,  s.  d.  (1581).  Sur  du  Moniîi,  voir  Bayle;  Nicéron,  XXXI:  Du  Verdier, 
Biblioth.  Franc.,  p.  729.  Bayle  donne  la  llst«  de  ses  livres. 

'4)  n  y  aurait  lieu  de  comparer  ce  château  inaccessible  avec  la  forteresse,  non 
moins  inaccessible,  où  Ronsard  loge  la  philosophie  dans  son  Hymne  d  la  philo- 
sophie (El..  V.  p.  163-164). 

(5)  Du  MONi.N,  Disc,  phtlo.".  et  hist.  de  ta  poésie  philos.,  p.  55. 


POÈTES   APOLOGISTES  597 

Il  y  trouve  les  philosophes  de  tous  les  temps,  mais  pas  un 
français  <^^  La  muse  lui  répond  : 

Quoi  !  lu  ne  te  souviens 

Que  nous  lenons  batars  ces  broillans  écrivains 
Qui  ne  mordillent  onq'  le  laurier  d'Aristote. 

Vois-tu  les  ombres  des  français  qui  rodent  en  vain  pour 
entrer  au  manoir  «  où  logerait  plus  tôt  Marot  ou  Rabelais?  ». 

Et  Du  Monin  voit  en  effet  les  ombres  mélancoliques  des 
poètes  de  la  Renaissance  :  Ronsard,  Belleau,  Jodelle,  et 
Garnier,  <(  l'industrieux  Baïf  et  Reliai  le  mignard  ».  Subitement 
Du  Monin  interrompt  son  énumération  par  cet  avertissement  : 
"  Lecteur,  si  tu  voids  à  mon  huis  plusieurs  autres  poètes  grecs, 
latins  et  français  me  demander  siège  en  ma  sale  des  poètes, 
sache  que  je  les  avais  bien  veus  :  mais  eux  n'estans  habillés  de 
la  livrée  de  nos  noces,  scavoir  la  couleur  d'Aristote,  je  leur 
ai  donné  congé  de  s'al'er  promener  neuf  ans  au  lycée  péripa- 
tetique  pom*  apprendre  à  faire  l'entrechat  en  notre  danse 
nocière  ».  Car  le  but  de  la  poésie  désormais,  ce  sera  de 

renouveler  le  lien  conjugal 

Du  chœur  pieiien  à  l'air  philosophai, 
Leur  menant  pour  hymen  l'angelic  Aristote. 


11 


Guy  Fèvre  de  la  Boderie'^),  rimeur  de  chants  royaux,  épi- 
taphes,  complaintes,  épithalames,  oracles,  cantiques,  acros- 
tiches et  vers  encerclés,  habile  à  retourner  les  noms  et  subtil 


(1)  Du  Monin  s'attaque  à  Erasme  :  «  Mais  c'est  en  vain  qu'Erasme  à  la  haute 
paupière  |  Se  panse  par  ses  vers  affranchir  de  la  bière  »,  et  dans  une  pièce 
latine  des  Aiioiihoreta  catuUiana  :  "  ad  quemdam,  de  philosophia  Erasmi  ». 

f2)  Sur  Le  Fèvre  de  la  Boderie,  voir  La.  Croïx  du  Maine,  I,  p.  297;  Nicéron, 
XXXVIII;  GOUJET,  VI,  p.  325,  et  XIII.  p.  395;  DU  VERDIER,  II,  V'  146-158.  Né  en 
1541  à  la  Boderie  dans  la  Basse-Normandie,  secrétaire  du  duc  d'Alençon  «  et  son 
interprète  aux  lances  étran^-'^res  ».  Mort  en  1.59S. 


k 


598  LE    KAXIOXALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   ERAXyAISE 

à  y  découvrir  d'ingénieuses  et  obscures  anagrammes^**,  savant 
au  reste '2),  mais  l'esprit  obscurci  de  nuées  néo-})latoniciennes, 
entreprit  le  premier  un  vaste  poème  contre  les  libertins  : 
l  Encyclie  des  secrets  de  l'Eternité  ^3'.  L'ouvrage,  ouvertement 
didactique,  a  une  portée  restreinte'^'.  Jl  s'attaque  presque 
uniquement  aux  athées  et  développe  en  quelque  1500  vers  les 
preuves  de  l'existence  de  Dieu. 

Y  avait-il  donc  des  athées  en  1570  ?  «  Il  y  a  plus  de  quinze 
ans  passez,  écrit  l'auteur  en  1568,  qu'à  mon  grand  regret  j'ay 
esté  fait  certain,  que  sous  semblance  humaine  il  se  trouvoit 
de  tels  monstrueus  esprits,  qui  osoyent  pleinement  denier  et 
Dieu  et  sa  Providence  et  tenoyent  pour  résolu  entre  eus  que 
toutes  choses  alloyent  à  l'adventure.  Et  furent  bien  aucuns 
d'entre  eus...  si  témérairement  impudens  que  de  m'en  tenir 
propos,  et  me  voyant  en  ma  première  adolescence,  me  propo- 
soyent  des  doutes  touchant  la  création  du  monde  :  que  foisoit 
Dieu  avant  icelle,  ou  il  estoit,  ou  Ion  pourroit  assigner  le 
lieu  des  Enfers  et  telles  autres  (juestions  vaines  et  curieuses. 
A  quoy  voyans  que  je  ne  prestoye  l'oreille  comme  ils  eussent 
désiré,  ainçois  itout  june  que  j'estoye,  ne  pouvoye  escouter 
telles  demandes  sans  rider  le  front,  rabbatre  le  sourcy  et  par 
tels  signes  pour  leur  faire  paroistre  mon  mécontentement,  se 
désistèrent  de  plus  m'en  parler,  et  moy  de  les  hanter  du  tout. 


(1)  Ces  pièces  sont  réunies  dans  le  Recueil  de  vers  qui  fait  suite  à  l'EiicycLie. 
C'est  un  modèle  de  mauvais  goût.  L'auteur  avait  pour  amis  Bourgueville  et 
Vauquelin  de  la  Fresnaye,  son  gendre,  le  duc  d'Alençon  à  qui  il  dédie  beaucoup 
de  vers,  Ch.  Toustain,  Jean  Dorât.  Il  alla  voir  Postel  à  Saint-Germain-des-Champs 
en  1563.  Les  deux  hommes  me  semblent  de  la  même  famille  intellectuelle. 

(2)  .(  Le  Fèvre  qui  n  est  i>rnorani  IHébraïque.  Arabie,  .Syrien,  Latin  ni  Chal- 
daique  ».  .Sonnet  par  De  Voyer,  vicomte  de  Paulmy,  seconde  des  pièces  qui  suivent 
VEncycUe.  —  La  Kibliotlièqiie  nationale  possède  de  Le  Fèvre  de  la  Boderie  :  Prima 
elementa  lingux  Syrlaae  et  Oralio  de  laudibu>>  iittei'arum  nrUroiraniui.  Plantin, 
1572. 

(3)  L'Encyclie  des  secrets  de  l'éternité  par  Le  Fèvre  de  la  Boderie.  En  Anvers 
de  l'imprimerie  de  Christophe  Plantin,  s.  d.  Le  privilège  est  daté  du  23  octobre 
1570.  Le  livre  était  achevé  en  1568  d'après  la  préface  et  la  première  édition  est 
de  1571,  d'après  Gouget  (Blbl.  fr  ,  vi,  p.  325).  En  tête  du  livre,  portrait  de  l'auteur 
à  30  ans. 

(4)  L'auteur,  à  la  fin  de  l'avertissement  au  lecteur,  annonce  un  deuxième 
ouvrage  qui  devait  «  comprendre  et  encercler  tous  les  articles  de  nostre  Foy 
chrestlenne  »  (p.  7).  Je  ne  sache  pas  qu'il  ait  été  imprimé.  Sans  doute  eût-U 
correspondu  a  la  partie  théologique  des  Apologies  de  Mornay  et  do  Pacard. 


POÈTES   APOLOGISTES  599 

ce  que  paravani  je  faisoye,  pour  quelque  respect  d'érudition 
dond  ils  estoyent  indignement  ornez  (*'  ».  Déjà  en  1564  il  avait 
écrit  pour  la  Théomachie  de  son  ami  Ch.  de  Bourgueville  un 
sonnet  contre  les  athées  <2).  Il  sait  qu'avec  eux,  il  ne  faut  pas 
argumenter  par  autorité,  mais  par  raisons  :  «  Je  n'allègue  en 
cest  œuvre  aucun  autheur,  par  ce  que  je  scay  que  telle  manière 
de  gents  à  qui  j'ay  affaire,  rejettent  et  se  moquent  de  toute 
authorité,  demandans  à  chasque  mot  raison  f^)  ».  Par  le  même 
calcul  que  nous  avons  déjà  noté  à  propos  de  Bouchard,  il 
cherche  dans  Platon  —  la  seule  autorité  que  supporteraient 
les  rationalistes  —  une  force  rationnelle  à  opposer  à  l'incré- 
dulité connue  d'Aristole. 

Son  livre  se  compose  de  huit  chants  ou  cercles,  en  forme 
de  dialogues  entre  le  Secrétaire  et  Uranie...  Le  Secrétaire 
joue  dans  VEnciiclie  le  même  rôle  que  le  Démocritic  de  Tahu- 
reau  et  le  Curieux  de  Pontus  de  Tyard;  il  a  «  prins  le  masque 
et  le  manteau  de  l'incrédule  curieux  pour  mieux  jouer  son 
rolle '^^  ».  De  temps  en  temps  même,  au  cours  du  poème,  le 
poète  a  peur  que  nous  ne  prenions  le  Secrétaire  au  sérieux 
et  nous  avertit  en  manchette  que  «  cette  maxime  est  fausse  » 
qu'il  ne  faut  pas  le  croire,  et  qu'il  n'y  croit  pas  lui-même. 

La  moitié  de  VEpistre  dedicatoire  à  Charles. IX  est  en  réalité 
adressée  «  aux  libertins  et  dévoyez  «  pour  les  inviter  à  con- 

(1)  Advertissement  au  lecteur,  p.  3-4. 

(2)  Cf.  chapitre  XV.  Autre  texte  :  "  En  telle  confusion  et  meslange  de  secties  et 
hérésies  qui  de  notre  t«mps  se  sont  élevées  en  toute  l'Europe,  se  nourrit  secret- 
tement  celle  qui  est  le  comble  de  toutes  les  autres...  je  veux  dire  celle  des  athées  >'. 
Advert.  au  lecteur,  p.  6.  .\illeurs,  il  dit  que  le  protestantisme  en  a  mené  quelques- 
uns  à  l'impiété  et  d'autres  au  doute.  Epistre  dedicatoire  à  Charles  IX,  p.  lO-ll. 

(3)  Advert.  au  lecteur,  p.  6.  Dès  le  début  (p.  1),  il  répond  à  ceux  qui  croient  son 
œuvre  inutile  et  pensent  qu'il  se  serait  «  travaillé  en  vain  de  vouloir  par  raison 
prouver  une  chose  de  tous  connue  et  confessée  ».  Et  quand,  au  premier  cerch\ 
Uranie  a  donné  comme  preuve  de  l'existence  de  Dieu  le  consentement  universel 
des  peuples,  le  Secrétaire  lui  répond  : 

«  Xe  me  produy  donc  plu?  l'humaine  authorité 

Je  veus  pour  tous  tesmoins  raison  et  vérité  »  (p.  31,  cotée  23  par  erreur). 
Car  si  la  démonstration  rationnelle  était  si  évidente,  il  n'y  aurait  pas  eu  d'athées 
aux  siècles  passés,  comme  Diagore,  Théodore,  Protagore,  les  épicuriens  qui  feignent 
un  Dieu  qui  ne  fait  rien  iibld.).  On  aura  remarqué  la  li.ste  des  athées  prise  au 
De  .Satura  Deorum. 

(4)  Advertissement  au  lecteur,  p.  5. 


600  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

templer  Dieu  dans  la  nature.  De  même  qu'un  portrait  prouve 
un  peintre,  que  la  «  boule  sférique  »  d'Archimède  prouvait 
son  intelligence,  de  même  que  le  vaisseau  prouve  un  pilote, 
ainsi  la  sphère  du  monde  prouve  Dieu,  Si  cette  considération 
est  trop  élevée,  regardez  la  terre,  la  beauté  de  ses  productions, 
regardez  la  mer,  l'air,  le  soleil  si  grand  et  paraissant  comme 
«  une  rondelle  »,  regardez  «  la  lune  argentée,  qui  en  l'obscure 
nuit  fait  renaistre  le  jour  »,  les  phénomènes  cosmiques,  les 
<(  errants  »  (planètes)  'i)  et  les  étoiles,  qui 

Autant  que  des  clous  d'or  luisent  au  firmament, 

et  croyez  en  Dieu  t^). 

Les  trois  premiers  <(  cercles  ))  de  VEncyclie  ne  sont  pas  très 
clairs.  Après  que,  dans  la  première  page,  Uranie  a  proposé 
à  son  élève  le  consentement  universel  et  expliqué  par  l'évhé- 
mérisme  «  l'origine  des  Dieus  des  Gentils  <3)  »,  elle  apporte, 
pour  démontrer  l'existence  de  Dieu,  des  preuves  qui  sont,  dans 
le  Phèdre,  des  raisons  de  croire  à  l'immortalité  de  l'âme.  La 
raison  est  supérieure  à  l'instinct  et  mdépendanle  des  sens  dans 
ses  opérations.  Elle  est  donc  immortelle;  c'est-à-dire  si  elle 
l'est  d'elle-même,  divine  ;  si  elle  est  créée,  œuvre  d'un  Dieu^^). 
De  plus  l'esprit  a  des  principes  innés  et  s'il  «  n'y  a  rien  dans 
l'entendement  qui  n'ait  esté  perçeu  des  sens  premièrement  », 
la  raison  corrige  les  erreurs  des  sens  et  abstrait  leurs  don- 
nées <^).  Il  a  aussi  des  principes  de  morale  innés,  qui  ne  peu- 
vent venir  ni  de  l'instinct  ni  de  la  sensation.  Puisque  donc 
l'âme  a  en  elle-même  l'amour  du  bien  et  du  vrai,  les  principes 
fondamentaux  de  la  vie  intellectuelle  et  morale,  c'est  Dieu  qui 

(1)  Cicéron.  au  De  Sut.  Deor.  (II,  20),  fait  remaraiier  qu'on  a  tort  de  les 
appeler  «  errantes  ».  C'est  là  que  Le  Fèvre  de  la  Bodcrie  a  pris  l'idée  de  traduire 
«  planètes  »  par  «  errants  ".  On  verra  tout  à  l'heure  qu'il  a  beaucoup  pratiqué 
le  De  Nal.  Deor. 

(2)  P.  15-22.  L'épitre  est  composée  de  strophes  de  huit  alexandrins  à  six  rimes 
semblables  croisées  plus  deux  rimes  plates  féminines  pour  finir. 

(3)  P.  21-22. 

(4)  ter  cercle. 

(5)  2»  cercle. 


POETES  APOLOGISTES  601 

les  a  mis  en  elle,  car  il  est,  lui,  la  Haison  personniliée  <".  L'or- 
ganisation de  la  société  el  la  subordination  de  ses  divers  élé- 
ments sont  aussi  l'œuvre  de  Dieu '^i  et  non  de  la  nature.  Ici 
le  Secrétaire  interrompt  L'ranie  :  c'est  la  nature  qui  est  Dieu; 
mais  la  Muse  se  refuse  à  accepter  le  panthéisme.  Et  entre 
temps,  elle  lui  applique  l'argument  de  saint  Anselme  : 

Et  puisqu'elle  (l'àme)  attaint  bien  jusqu'à  l'Eternité, 
Il  te  faut  confesser'  une  Divinité  : 
Cai"  s'il  n'en  estait  point,  ton  x\nie  tant  isnelle 
Ne  pourroit  concevoir  une  Essence  éternelle  3). 

Le  monde  est  en  mouvement,  non  pas  de  lui-même,  comme 
le  dit  le  Secrétaire,  mais  par  l'effet  d'un  moteur  premier  : 

Cercle  Spirituel  à  nul  corps  attaché 

Dont  le  Centre  est  partout,  et  la  Circonférence 

N'en  est  en  lieu  qui  soit...  (4). 

C'est  de  lui  que  la  vie  passe  aux  «  sereines  »,  des  sirènes 
aux  âmes  des  sphères,  et  les  chants  qui  accompagnent  cet 
écoulement  perpétuel  de  la  vie  sont  l'harmonie  de  la  nature 
qu'entendent  les  poètes '^L  Nous  voilà  arrivés  à  la  contempla- 
tion du  premier  moteur.  Est-il  immobile  ?  Comment  alors 
donnerait-il  le  mouvement  ?  Est-il  mû  ?  Par  qui  ?  Uranie  né 
peut  considérer  ces  problèmes  sans  «  bluetter  »  des  yeux  et 
elle  s'excuse  près  de  son  élève  en  lui  racontant  le  mythe  de 
la  caverne  de  Platon,  Elle  s'essaie  pourtant  à  fixer  l'énigme. 
Dieu  est  l'Un,  indivisible,  infini,  immuable  et  pourtant  double, 
«  masle  et  femelle,  pair  et  non-jpair  ».  «  Ces  choses-là  sont 

!1)  39  cercle. 

(2)  4«  cercle. 

(3)  5e  cercle,  p.  81.  De  même  argument  lui  sert  à  montrer  (il  n'y  insiste  pas) 
l'immortalité  de  l'àme  : 

"  Et  ne  douteras  plus,  sentant  sa  force  telle 
Qu'elle  malgré  la  mort  ne  demeure  immortelle  », 
car  elle  comprend  «  un  objet  étemel  >>  (5e  cercle,  p.  81). 

(4)  6<*  cercle,  p   103.  Sur  l'origine  de  cette  définition  de  Dieu,  voir  A.  Lefranc. 
Marguerite  de  Navarre  et  le  platonisme  de  la  Renaissance,  p.  24-36. 

(5)  Adore  ici  l'écho  qu'entendait  Pyttiagore.  Lamartine,  Premières  méditât..  Le 
Vallon. 


602  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

rudes  »,  dirait  Hugo.  Mais  le  poète  nous  explique  que  notre 
esprit  est  comme  un  prisme  qui  décompose  l'unité,  en  sorte 
qu'il  lui  est  difficile  de  voir  l'Un^^^  Le  poète  renonce  à  la 
raison  pour  comprendre  le  mystère  de  l'essence  divine,  et 
il  invoque  l'amour  qui  ravit  Elie,  qui  convertit  Paul,  qui 
illumina  Jean  : 

L'Amnur  fait  au  Hibou  prendre  les  yeus  de  l'Aigle  (3). 

El  il  pénètre  au  tabernacle.  Une  longue  allégorie  entre  le 
labernacle  des  Hébreux,  le  monde  et  le  microcosme,  termine 
le  poème  apocalyptique  de  Le  Fèvre  de  la  Boderie.  L'auteur, 
pourtant  se  flatte  d'avoir  convaincu  ses  contemporains  : 

Des  sectes  insensées 
Le  Déluge  se  perd,  la  Divine  Raison 
De  la  Tei')e  et  du  Ciel  refait  la  liaison  (3). 

Le  Fèvre  de  la  Boderie  nous  avertit  lui-même  que  cet 
ouvrage  est  tiré  des  platoniciens,  particulièrement  de  YHar- 
nionic  du  monde  de  Georgio  (^^  Se  prit-il  à  douter  de  l'efTica- 
cité  de  son  livre  ?  Dix  ans  plus  tard  il  publiait  à  nouveau 
un  traité  de  l'existence  de  Dieu,  assez  inattendu,  celui-là  : 
une  traduction  française  du  De  Natura  Deovum  '^>.  11  exhorte 
les  princes  et  les  grands  du  royaume  et  aussi  «  ceux  qui  ne 
sont  pas  versez  aux  bonnes  lettres  et  efi  la  philosophie  »  à 
le  lire  «  pour  des  raisons  et  argumens  d'un  paien  philosophe 
se  fortifier  et  deffendre  à  l'encontre  des  frivoles  objections 
et  vains  discours  d'un  tas  d'imposteurs  mescreans  et  athées 
<|ui  pensent  acquérir  le  nom  de  doctes  et  bien  accoris  quand 
impudemment  ils  disputent  a  rencontre  de  Dieu  et  de  sa 
Providence  ».  J^e  traducteur  estime  que  Cicéron  a  lait  dans 

(1)  "je  cercle,  notamment  p.  116-118.  Renvois  au  Parménide  de  Platon. 

(2)  80  cercle,  p.  130.  Notre  poète  a  écrit  ailleurs  :  «  Où  les  ailes  de  la  nature 
défaillent,  il  faut  prendre  celles  de  la  Grâce,  et  où  la  lumière  naturelle  rebouche 
tt  s'esblouyt.  il  est  besoing  de  requérir  la  lumière  infuse  et  divine  ».  L'Harmonie 
lin   monde,  t"  A*1J. 

3)  Le  Tabernacle,  p.  151. 

(^)  F.  GeorfiU  Venlti  minoritanae  famUiie  De  harmonla  muîtdi  iotius  cantica 
trta  Paris,  Bertelin.  154/1,  info  i,e  Fèvre  de  la  Boderie  l'a  traduit  en  entier  et 
liiildié  en  1578  avec  \'Heptaple,  de  Pic  de  la  Mirandole. 

(5)  De  la  nature  des  dieux  de  Marc  Tul.  Ciceron,  père  de  l'eloiiuencr  et  philo- 
sophie romaine,  traduit  en  François  par  Guy  Le  Fèvre  de  la  Uodrrir  in  roy 
ire$  clirestieii  Henri  111.  Paris,  Ab.  Langeller,  1581. 


POETES   APOLOGISTES  <J0o 

son  livre  une  réfutation  sans  réplique  de  l'athéisme  et  il  lui 
semble  «  n'avoir  rien  obmis  de  ce  qui  appartient  aux  discours 
et  raisons  qu'ameinent  de  nostre  aage  les  mescreans,  lucia- 
nistes,  épicuriens,  libertins,  qui  comme  serpens  rampent  et 
pullulent  de  jour  en  jour^i)  ...  ».  J^  crois  bien  !  Le  Fèvre  de  la 
Boderie  a  quelque  raison  de  croire  que  les  difficultés  proposées 
par  les  libertins  de  1580  sont  résolues  dans  le  livre  de  Cicéron; 
c'est  là  qu'il  les  ont  prises  !  Il  y  allait  de  bonne  foi.  L'analyse  de 
son  poème  nous  a  montré  en  lui  un  esprit  sans  malice  '^.i. 


III 


L'œuvre  de  Du  Bartas  est  bien  plus  chrétienne  dans  ses 
sources  et  bien  plus  vaste  dans  son  plan  que  celle  de  Le  Fèvre 
de  la  Boderie.  Mais  sous  un  aspect  moins  philosophique,  c'est 
encore  une  apologie.  Ce  sont  ces  pages  d'apologétique  que 
je  voudrais  extraire  de  l'épopée. 

Tout  d'abord  Du  Bartas  entreprend  de  fermer  «  des 
hommes-chiens  sans  Dieu  la  blasphémante  bouche  *3)  ». 

Le  monde  décrit  dans  la  Semaine  est  la  grande  preuve  de 
l'existence  de  Dieu'^>;  et  le  chrétien  lui-même.  <■  (jui  reçoit  la 
foi  pour  ses  lunettes  »,  ne  doit  pas  négliger  de  la  fortifier 
par  l'étude  des  merveilles  du  monde;  il  lui  faut  «  pour  mieux 
contempler  Dieu  contempler  l'univers*^'  ».  Le  poète  attaque 
de  front  les  athées,  les  "  chamistes  »,  comme  les  appelle  son 
commentateur  Goulard,  parce  qu'il  les  a  personnifiés  dans 
Cham  '^K  C'est  après  le  récit  du  déluge  que  Xoé  ayant  chanté  un 

"(1)  Préface.  Epistre  au  Roy  Henri  III.  Au  début  de  l'épitre,  il  rappelle  qu'il  y  a 
plus  de  vingt  ans  qu'il  a  commencé  la  lutte  contre  les  athées;  allusion  à  son 
Encyclie.  M^e  l.  Zanta  a  aussi  extrait  une  page  de  cette  préface  dans  sa  thèse 
sur  la  Renaissance  du  stoïcisme  au  .\'F/e  siècle   Paris,  1914),  p.  132. 

(2)  La  traduction  n'est  pas  accompagnée  de  commentaire. 

(3)  ire  semaine,  pr  jour,  vers  104. 

(4)  Ire  semaine,  1er  jour,  vers  120-175. 

(5)  C'est  la  même  preuve  que  A.  Jamyn  glisse  dans  une  Epitre  an  Roy 

«  Contemplant  le  soleil...  qui  ne  voudra  connaistre 
Un  souverain  moteur  de  toute  chose  maistre  >>  ? 

(Poésies,  1"  livre,  éd.  1575,  p.  13). 

(6)  Chajn  est  en  effet  le  chef  des;  athées  et  des  épicuriens  au  XVI*  siècle.  Qn  en 
trouvera  les  raisons  dans  B.wle.  Diction.,  art.  Cham,  rem.  B  et  E. 


604  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

cantique  d'actions  de  grâces  à  Dieu,  son  fris  Cham,  athée  et 
désireux  de  supplanter  Dieu, 

En  lechignant  sa  face  et  fronçant  le  sourey, 
parle  à  son  père.  Il  dit  la  s^ervitude  que  la  religion  impose  à  la 
conscience,  le  contrôle  sévère  que  Dieu  fait  de  ses  actes  et  les 
menaces  de  punition  que  toujours  il  suspend  sur  la  tête  des 
coupables.  Et  puis  ce  Dieu  est  accessible  à  la  colère,  à  la 
pitié, 

Plus  furieux  qu'un  »ours,  plus  lasche  qu'une  femme. 
Celuy  qui,  mol  de  cœur,  pleure  en  voyant  pleurer, 

Semeut  du  mal  d'autruy, 

lai.sse  en  tnuto  saison 

Aux  roides  flots  de  l'ire  emporter  sa  raison, 

,  tantost  se  fond  en  pleurs, 

aussitôt  que  le  doy 

Nous  fait  un  peu  de  mal  ;  et  tantost  il  foudroyé 
Il  ravage,  il  assomme,  il  tue,  il  brusle,  il  noyé  d); 

bref,  ce  n'est  pas  du  tout  le  Dieu  inaccessible  et  imperturbable 
d'Aristote  : 

La  rage  d'un  sanglier  ne  brigande  qu'au  bois, 
Un  tyran  qu'un  pays.  Et  ce  Dieu  toutesfois 
Tempesté  d'un  despit,  et  tout  transporté  d'ire 
Extermine  cruel,  le  monde  son  Empire. 

('liose  plus  grave,  il  est  injuste  : 

Un  ou  deux  d'entre  nous 

Ont  peut-être  pcclieurs  irrité  son  courroux  : 

Tous  en  portent  la  peine  :  et  ses  mains  punissantes 

Frappent  même,  o  pitié,  les  bestes  innocentes. 

Non,  père,  Dieu  n'est  point  un  esprit  inconstant 

Picqué  de  temps,  divers,  passioné,  notant 

Ireux.  vindicatif  :  et  qui  pour  une  injure, 

P»en verse  l'Univers  et  sa  propre  nature. 

Cham  Iradiiit  ici  Julien  l'Apostat '2). 

Le  <•  chamiste  »  de  Du  Bartas  est  sans  doute  de  ceux  aux- 
quels songeait  Charron  lorsqu'il  déclarait  ((ue  l'alhéisme  «ne 
peul  \()iX('r  (|u'fMi  une  amc  extrêmement   forte  et  hardie,   for- 

(1)  l[«  semaine,  lie  jour,  vers  75  et  sulv. 

(2)  //«  semaine.  H»  Jour,  vers  100-130.  Comparer  avec  ce  que  j'ai  dit  de  ranthropo- 
morphtsme  hébreu  selon  Julien  dans  le  chap  XI  ei,  se  reporter  à  Cyrtll.  in  Jniian 
imp.  V,  161  A,  et  V,  16H  B. 


POÈTES   APOLOGISTES  605 

ccnée  et  nianiacle  >'.  La  hardiesse  du  blasphème  fait  de  celui 
qui  lo  proi'ère  non  pas  seulement  le  disciple  loinlain  de  Julien, 
mais  le  frère  aîné  des  grands  blasphémateurs  modernes  :  le 
Caïn  de  Byron  et  des  Poèmes  barbares,  le  \  igny  du  Déluge 
et  du  Monl  des  Oliiiers,  le  Hugo  de  certaines  pages  de  la 
Fin  de  Satan,  ne  seront  pas  plus  âpres  que  le  fils  de  Noé  à 
reprocher  à  Dieu  la  rudesse  de  ses  coups  lorsqu'il  punit  les 
Hébreux,  l'universalité  impitoyable  du  déluge,  et  même  sa  ten- 
dresse pour  Abel  dont  Ca'in  est  jaloux.  Seulement  les  sources 
de  l'inspiration  sont  différentes  dans  le  poème  de  Du  Bartas 
et  dans  les  pages  auxquelles  je  fais  allusion,  celles  du  premier 
étant  surtout  philosophiques,  celles  des  derniers  plutôt  poé- 
tiques, en  sorte  que  l'argumentation  aristotélicienne  un  peu 
sèche  des  athées  de  la  Renaissance  s'est  transformée  en  un 
«  satanisme  littéraire  »  plus  séduisant  et  plus  mélodieux,  mais 
non,  peut-être,  plus  violent'^'. 

Noé  répond  à  Cham  en  déclarant  Dieu  inconnaissable  (2), 
juste  sans  esprit  de  vengeance.  C'est  par  «  anthropopathie  » 

(1)  Voir  sur  ce  dernier  mouvement  :  Claudius  Grillet,  Le  satanisme  littéraire; 
Carre  s  pondant  du  25  février  1922,  p.  716-733. 

(2)  BAÏF  dans  ses'  Mimes  et  proverbes  parus  l'année  suivante  (1579)   (III,  p.  146- 
147),  proclame  Dieu  incompréhensible  : 

Dieu  est  Dieu;  ainsi  le  faut  croire 
Mais  c'est  une  indiscrète  gloire 
S'enquérir  quoy,  comment  il  est. 
S'en  le  fait,  on  révoque  en  doute 
S'il  est  cm  non.  Qui  là  se  boute. 
Son  maudit  propos  ne  me  plaist 
—  Dieu  est  trop  malaisé  d'entendre. 
11  n'est  po.sslble  le  comprendre 
Luy  qui  n'est  corps,  avec  le  corps, 
Luy  parfait,  par  chose  imparfaite 
Luy  étemel,  par  chose  faite 
Pour  peu  durer  en  ses  efforts. 
Dieu  est  à  jamais  :  l'homme  passe 


L'homme  voit  bien  les  corps  visibles. 
Choses  visibles  sont  dicibles. 
Par  de  là  l'homme  est  outrageux 
Car  Dieu  n'a  ny  corporence 
Ny  figure  ny  apparence 
Ny  matière  en  laquelle  il  soit 
En  nos  sens  est  incomprenable 
Dieu  doncques  est  Dieu  1  ineffable 
Dieu  que  nul  mortel  ne  conçoit. 
Moins  en  scait  qui  plus  en  présume. 
Même  théorie  fidéiste'dans  la  Louange  de   la  science,  de  Peletier   (1581)  :  Les 
louanges,  fo  41  y»  :  «  Dieu  est  caché,  analyse  M.  Jugé,  et  son  essence  demeure 


606  LE   KATIOXALISME    DANS   LA    LITTÉRATURE    FRANÇAISE 

que  nous  le  disons  «  jaloux,  repentant,  pitoyable  ».  Et  le  com- 
mentateur remarque  d'abord  que  <(  sous  celuy  là  (Cham),  le 
poète  introduit  tout  autre  prolane  eslrivant  contre  les  juge- 
ments de  Dieu  »,  mais  que  «  es  responses  ici  attribuées  à  Noé 
le  lecteur  trouvera  de  quoy  pour  fermer  la  bouche  à  tous 
atheistes  et  Epicuriens  qui  censurent  audacieusement  tout  ce 
que  l'Escriture  saincte  recite,  tant  de  l'essence  et  nature  de 
Dieu  que  des  œuvres  diceluy,  soit  au  regard  de  la  création 
et  conservation  du.  monde,  soit  au  regard  de  la  rédemption 
du  genre  humain,  soit  qu'on  considère  ses  justes  jugemens  sur 
les  incrédules,  profanes  et  réprouvés*^)  ».  Peut-être  aussi  ne 
sera-t-il  pas  sans  intérêt  de  signaler  que  c'est  d'Italie  que  Du 
Barlas  fait  venir  l'athéisme,  et  par  l'intermédiaire  des  grecs, 
c'est-à-dire  d'Aristole  <2). 

C'est  encore  xVristote  qu'il  attaque  quand  il  s'élève  contre 
l'éternité  de  la  matière  : 

Dieu  ne  fit  seulement  unique  la  nature  : 
Ains  il  la  fit  bornée  et  d'aage,  et  de  figure, 

Vraiment  le  Ciel  ne  peut  se  dire  sans  mesure 
Veu  qu'en  temps  mesuré  sa  course  se  mesure 
Ce  tout  n'est  immortel  :  puisque  par  maint  effort, 
Ses  membres  vont  sentant  la  rigueur  de  la  mort  : 
Que  son  commencemeni  de  sa  fin  nous  asseure. 
Et  que  tout  va  çù  bas  au  change  d'heure  en  heure  0) 

C'est  à  ses  disciples  qu'il  répond,  comme  tous  les  apolo- 

impénétrable.  Les  mêmes  ténèbres  s'étendent  aux  causes  des  phénomènes.  Nous  ne 
saurons  jamais  les  origines  de  la  vie  des  hommes  ».  M.  Jugé  a  raison  de  conclure 
que  PcletiCT  •<  professe  l'agnosticisme  »,  ou  du  moins  lo  fidéisme:  mais  il  a  tort 
d'en  Toir  l'origine  dans  Montaigne.  Peletier  connaît  aussi  et  réfute  ceux  qui 
nient  la  création.  •<  L'un  pose  que  ce  monde  et  sans  fin  e  sans  netre  ».  Lui  aussi 
donc  e<t  au  courant  des  doctrines  padouanes  (Jugé,  Jartpies  peletier.  p.  271).  ''^ 

1    Annotations  sur  //e  semaine  (Rouen,  1602).  p.  597. 
.'  0  peste  de  Grégeois;  tes  racines  lethales 

Pour  germer  dedans  Rome  ont  la  mer  traversé  : 

Et  puis  de  Rome  avant  en  la  France  passé 

A  travers  ces  grands  rocs  qui  bornent  les  Itales. 

(Triomphe  de  ta  foi,  chant  second,  p.  337  de  l'éd.  do  1583). 
f3)  Ire  Hiiiaine,  I"  jour,  vers  335-34'i  et  suivants.  Il  prédit  ensuite  aux  «  sages 
Gre^  .s  M  lo  fin  du  monde.  Autres  vers  sur  la  création  e.r  nihiio  .-  I.  I.  vers  204  et 


POÈTES   APOLOGISTES  007 

gistes  que  nous  avons  étudiés  que,  avant  de  créer  le  monde, 
«  Dieu  batissoit  l'Enfer  pour  punir  les  pervers  (i)  ». 

Dieu  après  avoir  créé  le  monde,  le  conserve.  La  providence, 
son  action  sur  le  monde  et  sur  l'homme,  les  objections  des 
«  épicuriens,  atheistes,  libertins,  idolâtres,  incrédules  et  autres 
tels  aveugles  (2)  ))^  et  lem-  réfutation,  occupent  une  partie  du 
T  jour  de  la  première  semaine.  J.e  Dieu  de  Du  Bartas  n'est 
pas  ((  une  divinité  » 

Qui  languisse  la-haut  en  morne  oisiveté  : 

Un  Dieu  sourd  à  nos  cris,  aveugle  à  noz  sen-ices, 
Fay-neant,  songe-creux,  et  bref  un  Loir  qui  dort 
D'un  sommeil  éternel,  ou  plustost  un  Dieu  mort. 

Tu  dormois,  Epicure,  encor  plus  que  ton  Dieu 
Quand  tu  fantastiquois  un  Dieu  tant  impaifait. 
Pour  ladvouer  de  bouche,  et  le  nier  de  lait  3). 


(1)  Pour  une  fois  que  je  trouve  la  page  de  saint  Augustin,  ou  de  Plessis-Momay 
plutôt,  ici,  en  vers,  on  m'excusera  de  la  citer  en  entier  : 
Prophane  çful  t'enquiers  quel  important  affaire 
Peut  l'esprit  et  les  mains  de  ce  Dieu  solitaire 
Occuper  si  long  temps  :  quel  souci  l'exerça 
Durant  l'éternité  qui  ce  tout  devança. 


Sache,  o  blasphémateur,  qu'avant  cest  Univers, 
Dieu  batissoit  l'Enfer,  pour  punir  ces  pervers. 
Dont  le  sens  oi'gueilleux  en  jugement  appelle 
■  Pour  censurer  ses  faits,  la  sagesse  éternelle. 
Quoi?  Sans  bois  pour  un  temps  vivra  le  charpentier. 
Le  tisserand  sans  teille,  et  sans  pots  le  potier  : 
Et  l'Ouviner  des  ouvriers,  tout  puissant  et  tout  sage 
Ne  pourra  subsister  sans  ce  fragile  ouvrage? 
Quoi?  le  preux  Scipion  lîourra  dire  à  bon  droit 
Qu'il  n'est  jamais  moins  seul,  que  quand  seul  il  se  voit 
Et  Dieu  ne  pourra  point    ô  ciel,  quelle  manie!) 
Vivre  qu'en  loup-garou,  s'il  vit  sans  compagnie  ? 

Sa  gloire  il  admiroit,   sa  Puissance,  Justice 

Providence  et  Bonté 

Et  si  tu  veux  encor.  de  ceste  grande  Boule 

Peust-être  il  contemplait  l'archétype  et  le  moule. 
(Du  Bartas,  /re  semaine,  vers  31-64).  Comparer  certains  détails  avec  la  même 
page  de   Du   Plessis-Mornay   (plus  haut,   chap.    XVIIP.   L'histoire   de   Scipion   est 
prise  de  Plutarque  dans  la  Vie  de  Scipion. 

(2)  Commentaires.  I.  p.  940. 

(3)  /re  semaine,  vile  jour,  vers  9S-117. 


G08  LE   RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Les  épicuriens,  il  est.  vrai,  se  plaignent  que  la  fortune 
semble,  au  lieu  de  Dieu,  mener  le  monde  ;  les  bons-  doutent 
quand 

ils  voient  que  la  troupe 

Qui  plus  le  Ciel  outrage  a  toujours  vent  en  poupe  : 
Qu'elle  a  le  sceptre  en  main,  au  coffre  les  lingots 
Le  diadesme  au  front,  le  pourpre  sur  le  dos   H) 

Du  Bartas  mettant  en  vers  Du  IMessiis-Mornay  *2)  résout 
toutes  les  difficultés.  Je  note  seulement  sa  réponse  à  la  der- 
nière objection,  qui  est  prise  dans  Du  Plessis-Mornay  <3', 
mais  qui  vient  tout  dabord  du  stoïcien  Sénèque  ou  de  Pompo- 
nazzi.  Il  l'a  relevée  par  un  joli  souvenir  d'Horace*'"  : 

Le  seul  vice  est  mauvais,  la  vertu  seule  est  bonne 

De  sa  propre  nature  :  et  tout  le  demeurant 

Outre  vice  et  vertu,  demeure  indiffèrent. 

Que  la  fortune  adverse  aux  champs  mette  ses  forces 

Contre  un  homme  constant,  ses  plus  mdes  entorces 

Ne  luy  feront  changer  ses  desseins  bien  conceus, 

Non  mesmes  quand  le  Ciel  luy  tomberoit  dessus  '^). 

De  même  que  la  création  du  monde  est  à  Du  Bartas  une 
occasion  de  réfuter  les  théories  hérétiques  sur  l'éternité  de 
l'Univers  ou  la  Providence,  de  même  la  création  de  l'homme 
amène  naturellement  une  étude  sur  l'âme.  Elle  comprend  près 
(le  250  vers  (6'  et  traite  successivement  de  l'orignic  de  l'âme, 


(1)  Ire  semaine,  vile  jour,  vers  191  et  suiv.  Les  vers  cités  sont  S-iO-SSa. 

(2)  Eloge  de  Plessis-Mornay,  //»  semaine.  II»  jour,  vers  1665  et  suiv. 

(3)  Simon  Goulard  venait  d'éditer  (1578)  et  de  traduire  le  Traité  de  la  Provi- 
dence de  Théodore!.  Aussi,  il  le  cite  continuellement  dans  ses  Commentaires, 
particulièrement  dans  ceux  de  la  II»  semaine  (//«  semaine,  Ile  jour,  les  Colonies, 
p.  679  sq).  Sur  Simon  Goulard,  voir  l'étude  de  M.  Léonard  Chester  Jones 
(Champion,  1918,  in-80). 

(4)  Odes,  III.  3,  7-8. 

5)  /te  semaine.  Vlie  jour,  vers  S'iM/ig.  Il  a  repris  ailleurs  les  objections  contre  la 
Providence  :  //»  semaine.  Ile  jorir,  vers  659  et  suiv.;  /re  semaine,  IV«  jour,  vers  471 
et  suiv.,  contre  la  nécessité  du  destin;  I,  VI*  jour,  vers  169  et  s:uiv.,  à  propos  des 
animaux  nuisibles  et  du  mal  physique  :  Je  relève  dans  la  réponse  du  poète  ces  trois 
vers  dont  s'est  peut-être  souvenu  Corneille  : 

Et  la  vrayc  vertu  les  couronnes  poursuit 

A  travers  mille  morts,  scachant  que  la  victoire 

Qui  n'apporte  danger  n'apporte  point   de  gloire 

(Vers  216-219). 
(6)  /'•  semaine,  vie  jour,  vers  709  à  949. 


POÈTES   APOLOGISTES  609 

de  sa  nature,  de  son  siège  dans  le  corps,  de  ses  qualités,  et 
des  inventions  extraordinaires  de  lesprit  humain.  Sui'  tous 
ces  chapitres,  le  poète  n'a  fait  que  résumer  les  innombrables 
traités  que  nous  avons  étudiés,  sans  y  rien  ajouter  d'original. 
La  question  de  l'immortalité  n'y  est  qu'effleurée  et  le  poète  se 
contente  de  l'allirmer,  sans  en  entreprendre  la  preuve'".  Le 
commentateur  est  plus  explicite  et  s'en  prend  aux  «  épicuriens 
qui  se  sont  séparez  des  autres  (philosophes),  composans  l'ame 
de  certaines  fanfreluches,  et  grains  de  poussières,  et  la  rendans 
mortelle...  <2)  ».  Mais  lui  aussi,  plutôt  que  d'entreprendre  leur 
réfutation,  renvoie  le  lecteur  aux  philosophes  commentateurs 
du  De  Anima  ou  aux  théologiens  qui  ont  expliqué  les  deux 
premiers  chapitres  de  la  Genèse. 


IV 

C'est  peut-être  l'exemple  de  Du  Bartas  qui  excita  Gaucher 
do  Sainte-Marthe  à  écrire,  lui  aussi,  des  poésies  chrétiennes  (3)  : 

Assez  des-jas  des  nostres  la  faconde 

S'est  alfeimie  aux  vanités  du  monde  ; 

Qui  n'a  chanté  les  craintes,  les  désirs, 

Les  vains  regrets,  les  folastres  plaisirs 

Et  tout  cela  qui  peut  naitre  dans  ràtne  ^ 

Pai   la  fureur  d'une  impudique  flame  ? 

Qui  n"a  donné  du  vi-ay  Dieu  les  honneurs 

Aux  dieux  de  Grèce  et  à  nos  grands  Seigueurs  ? 

Ce  n"esl  plus  moy  doresnavant  qui  veux 
Ainsi  semer  en  un  champ  .sablonneux 
Puisque  je  trouve  en  ma  lyre  sacrée 
Une  moisson  beaucoup  mieux  assurée  (4). 

(1)  /re  semaine,  Vie  jour,  vers  755-760. 

(2)  /re  semante.  VI».  jour,  éd.  de  1583,  f  239  vo;  éd.  de  1602.  p.  701-702. 

(3)  J^es  métoiiiorphoses  sacrées;  avec  autres  poésies  chrétiennes  de  Sainte-Marthe. 
La  préface  est  signée  de  1578.  La  première  édition  est  de  1579.  Je  me  suis  servi 
de  l'édition  des  Œuvres  de  Paris.  Villery,  1629.  Voici  le  contenu  du  recueil  : 
Métamorphoses.  —  Stances.  —  Sur  la  patience  de  Job.  —  De  la  charité.  —  Para- 
phrase  sur  le  premier  psalme  de  David.  —  Du  premier  chapitre  de  la  Genèse.  — 
Chant  de  la  Providence,  pris  du  latin  de  Paleare.  —  Sur  le  premier  advènement 
de  Jésus-Christ.  —  Prières. 

(4)  Métamorphoses  sacrées,  début.  39 


010  LE   RATIONALISME  DANS   LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

Il  va  donc  faire  des  MéianiorpJioses,  à  rimitation  d'Ovide  ; 
mais  il  va  les  prendre  dans  la  Bible  ;  la  chute  de  l'homme 
(métamorphose  du  diable  en  serpent)  ;  la  femme  de  Loth 
changée  en  statue  de  sel  (punition  de  Sodomc);  le  sacrifice 
d'Abraham,  le  combat  de  Jacob  contre  l'ange,  la  lutte  de  Sam- 
son  contre  les  Philistins  ^^K  Puis  suivent  d'autres  poèmes  tirés 
de  la  Bible,  mais  sans  intérêt  pour  nous.  Plus  intéressant,  si 
Sainte-Marthe  avait  quelque  doctrine,  serait  son  Chant  de  la 
Providence,  pris  du  latin  de  Paleare  W,  Le  choix  du  sujet  est 
significatif,  mais  on  a  du  mal  à  retrouver  dans  le  fatras  des 
vers  de  Sainte-Marthe  les  lieux  communs  ordinaires  sur  l'ordre 
général  du.  monde,  la  providence  particulière,  la  prière,  la 
justification  du  mal  sur  la  terre,  et  il  serait  tout  à  fait  impos- 
sible d'y  h'ouver  quelque  chose  de  personnel  ou  une  allusion 
au  mouvement  philosophique  du  temps.  Il  faut  nous  contenter 
d'en  retenir  le  titre. 

Nommerai-je  ici  Béroalde  de  Venàlle  f^)?  L'auteur  du  Moyen 
de  parvenir,  quand  il  était  sérieux,  a  essayé  la  poésie  reli- 
gieuse. On  trouve  dans  ses  Appréhensions  spirituelles  (1583)  '^) 
et  les  Ir/norances  nécessaires  des  pages  sur  Dieu,  sur  la  créa- 
tion, sur  l'éternité  du  monde,  sur  l'âme.  Ce  dernier  sujet  lui 
a  même  inspiré  un  assez  long  poème (^K  Le  chant  De  Vùine  et 


(1)  Métamorphoses  sacrées,  p.  1-27. 

(2)  Ibld.,  p.  40-48. 

(3)  Sur  cet  auteur,  voir  France  Protestante,  II,  p.  406  et  suiv.,  Haag,  MI,  p.  10 
«t  suiv.;  Lachèvre,  Bibliographie  ...de  1600  à  i6i6,  p.  100  et  suiv.  L'auteur,  né  de 
famille  protestante,  passa  au  catholicisme  vers  1593. 

(4)  Les  appréhensions  spirituelles,  poèmes  et  autres  œuvres  philosophiques  avec 
les  recherches  de  la  pierre  philosophale  par  F.-B.  de  Verville.  A  Paris,  pour 
Timothée  Jouan,  libraire.  MDLXXXIII,  in-12o  (Haag  donne  à  tort  la  date  de  1584). 
Ce  recueil  contient  :  l»  Les  appréhensions  spirituelles  ou  entrée  à  la  cognoissance 
des  choses,  en  prose;  —  2°  Les  cognoissances  nécessaires,  poème  contenant  plu- 
sieurs belles  resolutions  philosophiques  avec  le  livre  de  l'ame  où  est  faite  la  des- 
cription entière  de  l'ame  et  de  ses  facilites  -,  —  3°  Stances  de  la  mort  et  de  la 
vie;  —  4°  De  l'ame  et  de  ses  facultés;  —  5°  Dialogue  de  l'honneste  amour-,  —  ô"  Dia- 
logue de  la  bonne  grâce.  —  7°  Du  bien  de  la  mort  commune  qui  est  la  séparation 
de  l'ame  et  du  corps-,  —  8»  Recherches  sur  la  pierre  philosophalc;  ~  9°  La  muse 
céleste  ou  l'amour  divin;  —  10°  Les  soupirs  amoureux. 

(5)  De  l'ame  et  de  ses  facultés,  dans  Cognoissances  nécessaires  (fos  26-47  de  l'édition 
lQ-120  de  1583.  Repris  sous  forme  d'un  iKjème  en  six  chants  De  Vamc  et  de  ses 
excellences  en  1593  (Haag,  loc.  cit.). 


POÈTES   APOLOGISTES  Q\ l 

de  ses  lacultés  Iraile  de  la  nature  de  l'âme,  des  diverses  sortes 
d'âmes,  de  leurs  fonctions  et  facultés.  C'est  le  discours  de 
du  Perron  mis  en  mauvais  vers  ^^K  Mais  ces  pages  })liiloso- 
phiques  sont  entremêlées  de  développements  sur  la  femme, 
le  bruit,  le  sel,  la  lune  morfondante,  le  vent,  l'amour,  l'andro- 
gyne,  et  autres  questions  de  ce  genre.  L'ensemble  fait  un  vaste 
coq-à-l'àne  et  si  le  choix  de  certains  sujets  montre  la  pré- 
occupation des  idées  rationalistes,  il  faut  pourtant  renoncer 
à  y  trouver  d'une  question  précise  un  exposé  sérieux  ou  même 
mtelligible  (2). 

Existence  et  attributs  de  Dieu,  création,  providence, 
miracles,  immortalité,  toutes  ces  controverses  se  retrouvent 
aussi  dans  le  poème  inachevé  de  Jean  du  Chesne  de  la  Violette  ; 
Le  grand  luiroiv  du  monde  3).  l^es  dix  livres  qui  devaient  le 
composer  conduisent  le  lecteur  de  la  contemplation  de  Dieu 
à  celle  de  l'homme,  et  englobaient  dans  une  sorte  d'encyclo- 


(1)  V.  ch.  XVI,  fin. 

(2)  Je  n'ose  mettre  au  nombre  des  poètes  religieux,  A.  Jamyn,  même  le  Jamyn 
de  la  deuxième  manière,  dont  les  vers  parurent  en  1584  (Le  volume  est  rare;  la 
Bibl.  de  l'Arsenal  le  possède  seule  à  Paris).  On  ne  peut  parler  cependant  du 
renouveau  de  la  poésie  religieuse  sans  signaler  que  l'un  des  plus  ardents  adeptes 
du  naturalisme  italien  se  convertit  pour  écrire  des  stances,  prières,  psaumes  : 

Chiche  par  cy  devant  de  fréquenter  le  temple. 
Chiche  de  me  fléchir  à  genoux  devant  Dieu, 


Maintenant  prosterné,  pénitent  je  confesse 

Que  sans  luy  le  bonheur  n'habite  en  aucun  lieu  (p.  3). 

Mais  les  Discours  de  philosophie  à  Passicharis  et  à  Rodanthe,  aussi  bien  que  l€s 
Discours  académiques  montrent  que  A.  Jamyn  ignorait  tout  des  questions  qui 
préoccupèrent  ses  contemporjùns.  Sur  Jamyn,  voir  EGMO>~r  Berthelin,  Etude 
sur  A.  Jamyn,  Troyes,  Bougerot,  1859,  in-So  de  57  pages.  Extrait  des  Mémoires  de 
la  Société  académique  de  l'Aul)e,  t.  XXIII  (1859). 

(3)  Le  grand  miroir  du  mande  par  J.  Du  Chesne  sieur  de  la  Violette  (1587). 
Je  me  suis  servi  de  la  2e  édition,  Lyon,  1593.  La  ire  édition  ne  contient  que  les 
cinq  premiers  livres,  la  seconde  en  a  six.  Le  poème  complet  devait  en  avoir  dix. 
Sur  J.  du  Chesne  et  ses  autres  œuvres,  voir  Fr.  protestante,  V,  p.  631;  B.\yle, 
Dictionnaire,  art.   Chesne  (3^  du). 


612  LE   RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

pédie  toute  la  création  et  toute  la  théologie 'i'.  Le  premier 
livre  démontre  l'existence  de  Dieu,  par  la  contemplation  du 
monde  et  de  Thomme,  et  par  rEcriture,  »  la  vraye  voie  pour 
connoistre  Dieu  »,  dit  le  commentateur  de  la  seconde  édition, 
S.  Goulard;  puis  expose  les  attributs  divins.  Un  instant  le  poète 
songe  qu'il  y  a  des  athées,  mais  il  ne  connaît  que  ceux  que 
signale  Cicéron  au  début  de  De  Natura  Deorum  : 
Vous,  chiens  qui  abayez  contre  la  Deité, 

Athées  qui  de  lair  les  prodiges  voyez, 
Qui  les  hideux  frissons  des  montages  oyez, 
Estes-\"ous  sans  remords  en  vostre  conscience  ? 

Aurez-vOus  donc,  pervei'S,  tousjours  sillez  les  yeux 
Pnur  ne  voir  de  ce  tout  Touvrage  merveilleux? 

Quelle  excuse  as-lu  donc,  superbe  Anaxagore 

Diagore  obstiné,  damnable  Protagore, 

Qui  avez  contre  Dieu  vomi  voslre  poison  ?  !2). 

Le  deuxième  livre  raconte  la  création,  il  est  dirigé  d'abord 
contre  Aristote,  qui  selon  les  averroïstes  et  les  padouans  a  cru 
le  monde  éternel.  Tous  les  changements  qui  se  produisent 
au  monde  «  preschent  la  fin  du  monde  et  son  commen- 
cement'3)  »;  le  ciel  ni  les  astres  ne  peuvent  être  éternels,  puis- 
qu'ils sont  sujets  au  mouvement  : 

Donc  le  ciel,  et  le  Icii.  la  teri'e,  l'air  et  l'ondo 
Tout  le  tout  de  ce  lout,  t^ius  les  membres  du  monde 
El  joints  et  séparés  font  foy  evidemmeni 
Au  monde  que  le  monde  a  eu  commencemetit  i^). 

(1)  Voici  le  plan  de  l'auteur,  d'après  la  préface  : 

1er  livre.  —  Dieu. 

2»  livre.  —  Actions    internes   et   externes   de   Dieu    (création    du    monde, 

bons  anges). 
3e  livre.  —  Les  anges  réprouvés  (l'idolâtrie,  les  faux  miracles). 
4''  livre.  —  Le  monde  réleste. 

ô*  livre.  —  Monde  élémentaire  :  principes  des  choses. 
6*  livre.  —  Eau.  océan.  Meuves,  oiseaux. 
7e  livre.  —  La  nature  et  la  terre. 
8«  livre.  —     Météores,  minéraux,  plantes. 
9e  livre.  —  .Vnimaux. 
lœ  livre.     -  Homme,  Ame,  immortalité. 

(2)  Lr  fjrnrtil  rnirnir  'ihi  nnniiiv    p    /,-.t 

(3)  Ibld..  p.  83. 
(I,)  Ihlil  .  p.  K.5. 


POÈTES   APOLOGISTES  013 

Puis  il  s'en  prend  à  Platon,  qui,  sans  admettre  l'éternité  du 
monde  organisé,  croyait  la  matière  éternelle  : 

Toy  sage  athénien  qui  escrit  la  matière 
De  ce  monde  (ainsi  que  la  cause  piemiei^e 
Son  souverain  ouvrier)  avoir  de  mesme  esté 
Subsistante  de  faict  dès  toute  éternité..., 

tu  te  trompes,  car  la  matière  ne  pouvait  subsister  sans  la  forme. 
Si  l'on  dit  que  cette  matière  était  le  chaos,  qu'est  devenue  la 
l'orme  dont  elle  était  revêtue  (i)  Y 

Le  quatrième  livre  l'amène  à  parler  des  miracles  et  aussitôt 
il  nous  dépeint  les  faux  miracles  des  anciens  tels  qu'il  les  a 
lus  dans  Boaistuau  : 

Qui  veut  voir  plus  avant  les  miracles  pipeurs 
Que  fai.soyent  les  supposts  des  anges  transgresseurs, 
Considère  l'effect  de  l'admirable  ciu^e 
Que  fit  Vespasian  sans  l'aide  de  nature, 
Seulement  de  ses  doigts  et  de  ses  pieds  touchant 
Un  tastonnant  aveugle,  un  eshanché  clochant, 
Considère  que  c'est  de  ceux  qui  des  vipères 
Guerissoyent  tout  soudaint  les  playes  mortifères 
De  Marses  Psilliens  familiers  des  serpents. 
Exagon,  ne  craignant  leurs  venimeuses  dents. 
Consentit  d'estre  mis  dans  une  pleine  cuve 
D'animaux  si  mo>rtels,  qui  parmi  telle  estuve 
Le  leschent  par  le  corps,  qui  le  flattent  soudain 
Faisant  esmerveiller  tout  le  peuple  Romain  (2). 

Duchesne  est  plus  philosophe  que  poète.  Il  est  regrettable 
qu'il  n'ait  pas  achevé  son  œuvre.  Le  dixième  livre  nous  promet- 
tait un  traité  de  l'immortalité  en  vers  à  ajouter  à  tous  ceux 
que  nous  avons  déjà  étudiés. 


(1)  Le  grand  miroir  'du  monde,  p.  84-85. 

(2)  Ibid..  p.  201-202.  Comparer  avec  l'étude  sur  les  miracles  dans  Boaistuau 
(ch.  XIII).  Pour  que  cette  étude  fût  complète,  il  faudrait  ajouter  à  ces  poètes 
Agrippa  d'Aubigné  qui  interrompt  un  Instant  ses  Tragiques  pour  apostropher  les 
«  atheistes  »,  les  "  saduciens  »,  les  «  naturalistes  ».  Il  leur  reproche  de  ne  pas 
croire  à  la  résurrection,  de  ne  croire  que  ce  qu'ils  voient  et  touchent,  de  dédai- 
gner l'Ecriture  parce  que  le  style  n'en  est  pas  «  assez  joly  »,  d'adorer  «  l'image 
de  Nature  ».  L'analyse  de  ce  poème  étant  en  dehors  de  mon  programme,  Je 
signale  seulement  le  passage  :  Trafiques.  Jugement,  édit.  Réaume  et  de  Caussade, 
IV,  p.  283  et  suiv.,  vers  325-650. 


l 


01  i  LE   RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


La  conclusion  enfin  de  ce  vasle  combal  dont  nous  avons  suivi 
les  péripéties  entre  la  raison  et  la  foi,  c'est  Du  Bartas  qui  va 
la  donner.  Avant  de  mourir,  il  chanta  Le  triomphe  et  la  Foi. 
Dans  ses  autres  œuvres,  il  proclame  la  suprématie  de  la  foi 
sur  la  raison  à  plusieurs  reprises  :  il  renonce  par  exemple  à 
scruter  la  composition  des  eaux  par  crainte  de  faire  erreur  ^^^  ; 
lefe  savants  nient  l'existence  du  ciel  de  cristal  et  des  eaux  supé- 
rieures dont  parle  la  Genèse,  mais  bien  que  la  Bible  tienne  plus 
((  du  rustique  ramage  »  que  de  «  l'escole  altique  », 

J'aime  mieux  ma  raison  desmentir  mille  fois 
Qu'un  seul  coup  desmentir  du  Saint  Esprit  la  voix  (2), 

Du  Bartas  rejette  aussi  Copernic  au  nom  de  la  Bible  ^^^ 
Mais  passons  au  poème  lui-même  (^).  Il  est  imité  des  Triomphes 
de  Pétrarque.  Plus  encore  que  les  sonnets  à  Laure,  les  Triom- 
phes eurent  des  imitateurs  en  Italie  et  en  France  's).  Peut-être 
la  gravure  du  Titien  lui  a-t-elle  suggéré  le  titre  f^).  Guillaume 

(1)  Or  cent  fois  j'aime  mieux  demeurer  en  ce  doute 
Qu'en  errant  faire   errer  le  simple  qui  m'escoute 

(/re  semai7ie,  lie  jour,  vers  946-947). 

(2)  /■"«  .temaine,  lie  jour,  vers  1029-1030.  Il  n'accepte  même  pas  ç[u'on  donne  un 
sens  allégorique  aux  récits  de  la  Genèse  {Ile  semaine,  I"  jour,  vers  43  et  suiv.). 

(3)  /re  semaine,  IV*  jour,  vers  130-164.  S.  Goulard  fait  suivre  ces  34  vers  d'un 
commentaire  où  Copernic,  et  Calcagninl,  qui  avait  soutenu  le  système  du  De 
revolutionilus  orbinm  cœlestium,  sont  présentés  comme  des  gens  qui  ne  parlent 
ainsi  que  pour  faire  des  paradoxes  et  qu'il  ne  faut  pas  prendre  au  sérieux. 

(4)  Le  triomphe  de  la  Foy  par  G.  de  S.  s.  d.  B  ,  à  Guy  du  Faur  seigneur  de 
Pybrac,  Paris.  La  Croix  du  Maine  date  la  première  édition  de  1574. 

(5)  Pour  l'économie  du  triomphe  et  la  fortune  de  ce  genre  en  peinture,  tapis- 
serie, sculpture,  gravure,  voir  Mâle,  L'art  religieux  dans  la  fin  du  moyen  âge, 
p.  297  et  suiv.  :  MiiNTZ,  La  renaissance  en  Italie  et  en  France  à  l'époque  de 
Charles  VIII.  Paris,  1885,  in-40,  p.  149  et  suiv.  et  542  et  suiv.  La  mode  on  continua. 
D'Aubigné  termine  le  IVe  livre  du  Baron  de  Fœneste  par  la  description  de  quatre 
triomphes  tissés  .sur  tapisserie  :  ceux  de  l'impiété,  de  l'ignorance,  de  la  poltron- 
nerie, de  la  gueuserle  (Aventures  du  Baron  de  Fœneste,  IV,  XVII  et  suiv.). 

(6)  Titien  avait  gravé  en  1508  un  Triomphe  de  la  foi  devenu  populaire  (MÂLE. 
L'art  religieux  de  la  fin  du  moyen  âge,  p,  299).  Mais  il  est  pi-obable  que  la  mode 
du  triomphe  sufTit  à  expliquer  l'idée  et  le  titre  du  poème  de  Du  Bartas. 


POÈTES   APOLOGISTES  615 

Salluste,  donc,  a  un  rêve  qui  se  dércule  en  quatre  tableaux  : 
î"  tableau  d).  —  La  foi,  accompagnée  de  Constance  et 
Patience,  conduite  par  Zèle  et  Vérité,  paraît,  montée  sur  un 
chariot  traîné  par  un  aigle.  «  Devant  ce  charriot  marche  cap- 
tive la  raison  humaine,  ennemie  jurée  de  la  foi  '-)  ».  Elle  est 
précédée  des  persécuteurs  de  l'Eglise,  de  Gain  à  Soliman  II 
en  passant  par  les  Pharaons,  Hérode  et  Pilate,  les  empereurs 
romains  et  Mahomet. 

2^  tableau.  —  Suite  du  défilé  des  persécuteurs  de  la  foi  : 
«  ce  sont  les  persécuteurs  déguisez  et  sages  mondains  »,  rangés 
par  bandes  :  philosophes  antiques,  indiens,  chaldéens,  grecs. 

Car  les  Sages  bouiils  dune  vaine  science 
Osent  contreroler  les  ouvrages  parfaits 
Du  tres-parfait  omaier,  bien  que  de  ses  hauts  faits 
Il  nous  ait  interdit  l'obscure  cognoissance 
—  Et  bien  que  le  cerceau  de  nos  trop  foibles  ailes, 
Raze  a  peine  la  terre,  encore  toutesfois 
.    Tls  se  guident  au  ciel,  compassant  maintesfois, 
Du  compas  de  leur  sens  les  choses  éternelles. 
Leur  sagesse  n'est  rien  qu'une  pure  ignorance  0). 

Les  grecs  5^  sont  presque  tous  nommés.  Il  faut  cependant 

remarquer  dans  la  longue  liste  PyiTlion,  ((  le  charnel  Epicure  », 

et  surtout  Théodore  et  Aristote. 

Là  le  Stagirien,  qui,  d'un  docte  veine 
A  l'Encyclopédie  en  ses  œuvres  compris. 
Marri  d'avoir  par  eux  abusé  tant  d'esprits, 
Pleure  avec  Theophraste  et  Straton  Lampsacene. 

Celui  de  qui  je  parle  est  ce  fol  Théodore  (■'•) 
Qui  asseure,  effronté,  qu'il  n'y  a  point  de  Dieu. 

Tous  ces  hommes  scavants  ont  mal  senti  de  Dieu, 

Ou  du  souverain  bien,  ou  de  l'àme,  ou  du  lieu 

Où,  morts,  nous  recevons  le  supplice  ou  la  gloire  (5). 

(1)  Chaque  tableau  correspond  à  un  chant  du  poème. 

(2)  Sommaire,  éd.  1583,  p.  331;  éd.  Paris,  1603,  p.  903.  Au  début  du  sommaire, 
le  commentateur  appelle  la  raison  le  "  lieutenant  de  Satan  ».  Le  poète  décrit  la 
raison  aux  vers  65  à  96. 

(3)  Vers  237-245. 

(•4)  Théodore,  Theophraste  et  Straton  de  Lampsaque  sont  tous  les  trois  cités  au 
De  Natura  Deorum,  I.  1,  13,  23,  33. 
(5)  Vers  285  et  suiv.:  293  et  suiv.;  309  et  suiv. 


(316  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Ainsi  voilà  bien  Aristole  devenu  l'un  des  ennemis  de  la  foi 
dont  il  était  au  moyen  âge  le  soutien.  Après  ces  philosophes 
païens  viennent  les  philosophes  postérieui^s  à  Jésus-Christ  : 
Celse,  Porphyre,  Julien  l'Apostat,  les  mahométans,  les  héré- 
tiques de  toute  sorte.  Parmi  les  modernes,  il  signale  Servet, 
les  antitrinilaires  de  Pologne  et  les  Anabaptistes  *^^  Et  pour 
clore  enfin  celle  curieuse  revue,  vient  l'antéchrist  <(  et  la  Grande 
Paillarde  assise  sur  sept  montagnes  ». 

3*  tableau.  —  La  foi  et  ses  soldats,  qui  sont  les  patriarches, 
les  prophètes,  les  martyrs,  les  vierges... 

4*  tableau.  —  Les  victoires  de  la  foy  portées  devant  elle; 
suivies  de  ses  clairons.  Les  victoires  sont  les  actes  de  foi 
remarquables  que  le  poète  a  recueillis  dans  l'Ancien  Testa- 
ment; les  clairons  3ont  les  apôtres.  11  est  regrettable  que 
Du  Bartas  n'ait  pas  fait  ici  le  tableau  correspondant  à  celui 
du  deuxième  chant.  On  aurait  eu  plaisir  à  connaître  les  philo- 
sophes —  s'il  y  en  a  ^ —  qui  représentent  pour  lui  l'orthodoxie. 

Le  poète  se  réveille,  déplore  l'aveuglement  de  ses  contem- 
porains et  souhaite  le  triomphe  ultérieur  de  la  loi  au  dernier 
jugement. 

L'ensemble  de  l'œuvre  de  Du  Bartas  nous  révèle  une  culture 
assez  étendue,  mais  superficielle,  une  exégèse  scrupuleuse  et 
un  mépris  de  la  philosophie  (jui  ne  permettent  à  son  esprit 
aucune  originalité  dans  ce  domaine;  mais  par  contre  on  a  pu 
voir  combien  ce  poète  et  ses  innombrables  admirateurs  sont 
effrayés  des  progrès  de  la  raison  sur  la  foi,  au  point  d'imaginer 
pour  cette  dernière,  en  guise  de  consolation,  des  triomphes 
apocalyptiques  (2). 

(1)  Tairay-je  point  Servet?  talray-je  ces  déistes, 

Dont  or  es  trop  fécond  le  terroir  Polonnols? 

Oublirny  je  Muncer  dont  l'inc^)nstante  voix 

A  pr(»dult  cent  façons  de  fols  anabaptistes  ?  (chant  II.  vers  40r>-408). 
(2)  Rubens  utilisera  en  peinture  le  Trioiuphi'  de  Du  Bartas.  D;ins  son  Triomphe 
de  la  religion,  rpii  est  au  Louvre,  il  a  peint  la  religion  montre  sur  un  char  traîné 
par  deux  anjres;  derrière  le  char  marchent  la  luxure,  la  philosophie  et  la  science. 
D'autre  part.  Christophe  Gamon  essaiera  de  refaire  l'œuvre  de  Du  Bartas,  La 
muse  (llvitie  (Lyon,  1600).  La  semaine  ou  la  création  du  monde  Lyon,  1609.  Voir 
France  Protestante,  VI,  p.  822. 


CONCLUSION 

Que  les  courants  libertins  du  début  du  XVII^  siècle  sont  le  prolongement 
exact  de  ceux  qui  ont  été  étudiés  au  cours  de  ce  livre. 


Si  j'ai  réussi  à  dégager  les  idées  directrices  du  rationalisme 
français  de  la  l^enaissance,  on  doit  pouvoir,  en  fermant  ce  livre, 
suivre  au  cours  du  XYIP  siècle  le  prolongement  des  divers 
courants  que  j'ai  signalés.  Jusqu'à  Pascal  et  Bayle,  en  effet, 
ni  le  rationalisme  n'ajoutera  rien  à  l'arsenal  que  lui  lègue  le 
XVP  siècle,  ni  l'apologélique  ne  renouvellera  ses  méthodes. 
Libertins  —  car  le  nom  a  prévalu  —  et  apologistes  continue- 
ront la  lutte  autour  des  mêmes  objectifs  d). 

Les  maîtres  des  libertins  du  XVIP  siècle  sont  les  mêmes  que 
ceux  du  XVP  siècle.  Le  P.  Garasse,  qui  s'est  essayé  à  dresser 
leur  bibliothèque  philosophique,  cite  au  premier  rang  Pompo- 
nazzi.  Il  ne  l'a  pas  lu,  il  est  vr-ai.  Mais  tout  l^omponazzi  est 
passé  dans  Vanini,  que  l'on  lit  beaucoup  '2).  Au  deuxième  rang 


(1)  Je  n'ai  pas  la  prétention  de  faire  de  cette  conclusion  la  bibliographie  de 
toute  la  littérature  hétérodoxe  du  XVII«  siècle.  Les  listes  que  je  cite  .sont  pure- 
ment indicatives.  Encore  faudrait-il  y  joindre  les  manuscrits.  On  peut  ouvrir  au 
ha.sard  le  Catalogue  de.s'  manuscrits  des  bibliothèques  de  France,  on  trouvera 
partout  de  nombreux  manuscrits  des  XVII''  et  XVIIie  siècles  sur  l'âme,  la  provi- 
dence, etc.,  tous  les  dogmes  qui  font  l'objet  de  cette  étude.  Pour  l'étude  de  l'incré- 
dulité dans  la  fin  du  XVIie  siècle,  on  se  reportera  à  la  série  d'articles  publiés  par 
M.  Lanson  dans  la  Revue  des  cours  et  conférences,  du  12  mars  1908  à  la  fin  de 
1910,  sous  ce  titre  :  Origines  et  premières  manifestations  de  l'esprit  philosophique 
dans  la  littérature  française  de  1675  à  1748.  i 

(2)  Vanini  admire  Pomponazzi  :  Petrus  Pomponatius  philosophus  acutissimus,  in 
cujus  corpore  animum  .Averrois  commigrasse  Pythagoras  judicasset...  ".  Brucker 
qui  cite  cette  phrase  fait  un  parallèle  de  ces  deux  philosophes  et  conclut  que 
Vanini  est  plus  averroïste  que  Pomponazzi  {Ilist.  phil.  crit.,  IV,  p.  186). 


618  LE   RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

se  trouvent  Cardan  (i)  et  Lucilio  Vanini  '2),  Silhon  (juaiul  il  l'ait 
l'histoire  de  l'incrédulité  en  cherche  aussi  les  sources  en  Italie, 
rtan^  Cardan  et  \  aniui*^».  11  essaie  même  un  parallèle  (|ui  ne 
manque  pas  de  justesse  enti'o  Cardan  et  Puniponazzi.  Lui 
aussi  déclare  les  livres  de  ce  dernier  introuvables  ('^). 

Mais  le  plus  sûr  moyen  pour  connaître  la  bibliothèque  d'un 
rationaliste  du  début  du  XVIP  siècle,  c'est  de  s'adresser  à  l'un 
d'eux,  La  Molhe  Le  Vaycr,  par  exemple,  qui  représente  excel- 
lement  l'état  d'esprit  des  padouans  du  XVP  siècle.  Si  on  exa- 
mine le  plus  caractérisli(jue  de  ses  Dinlogiws  de  Tubcro^^), 
le  V^  on  y  rencontre  cités  :  5  fois  les  sophistes  grecs  (Mélissos, 
Zenon.  Xénophane) '°',  4  lois  Aristote ''^'^  1  fois  Alexandre 
d'Aplirodisias  et  Averroès  ^^\  2  lois  Sextus  Empiricus  et 
Lucien  (9),  9  fois  Cicéron  (dont  8  fois,  le  De  Nalura  Deorum)  'i^); 
4  fois  Pline  et  Lucrèce '^^):  1   fois  Lnnius  ronlre   la    Provi- 


(1  "  Dans  SC5  SiibtUitcs  qui  s^nt  moins  dangereuses  que  tout  le  reste  de  ses  œuvres 
les  impietez  y  fourmillent  à  centaines;...  dans  sa  Sapience  il  faict  estât  de  renverser 
les  principes  de  la  religion,  dans  son  Immortalité  il  est  entièrement  brutal  et 
dogmatise  que  lame  de  l'homme  n'est  point  d'autre  nature  que  celle  d'un  cheval, 
dans  son  livre  des  Démons  il  est  ouvertement  magicien  »  (Doct.  curieuse,  VIII, 
10,  p.  1014). 

(■2)  Amphitheatrum  lelernsp  provnlentlœ  divino  maglcum  advcrsua  veteres  philo- 
sophas, atheos,  epicurcos,  peripateticos  et  stolcos.  Lugduni,  1615.  De  admirandis 
naturœ  reginœ  dexque  mortaliiim  arcanis  libri  IV.  Lutetia^.  1616,  Sur  Vanini.  voir 
.STROWSKi,  Pascal  et  son  temps.  I,  p.  142-159;  Charbonnel,  La  pensée  italietme  au 
xr/e  siècle  et  le  courant  libertin,  p.  302-383.  —  «  En  son  Amphithéâtre  il  pairie 
en  hypocrite,  en  sa  Sagesse  11  parle  en  cynique,  en  ses  Dialogues  11  parle  en  parfaict 
atheiste,  et  c'est  le  plus  pernicieux  ouvrage  qui  soit  sorty  en  lumière  il  y  a  cent  ans 
en  matière  d'athéisme  »  (G.\rasse,  Doct.  curieuse,  VIII,  10,  p.  1015) 

(3)  Immort.,  l,  p.  47. 

',4)  <■  On  dit  que  Pomponace  a  plus  de  subtilité  et  plus  de  fcîrcc  et  qu'il  bat 
de  machines  plus  puissantes  l'immortalité  de  l';\me  au  livre  qu'il  en  a  composé. 
Mais  d'autant  que  quelque  diligence  que  j'y  aye  apportée  en  France  et  en  Italie, 
il  m'a  esté  impossible  de  recouvrer  ce  traité,  je  ne  puis  pas  juger  ce  qui  en  est  « 
{ibid..  p.  'iS).  Le  De  .inima  fut  réimprimé  en  1634. 

(5)  Cinq  dialogues  faits  à  l'imitation  des  Anciens  par  Oralius  Tubero.  Au  Liège. 
G.  Rousselin,  1673.  La  date  do  la  première  édition  est  inconnue,  mais  doit  se  placer 
dans  la  première  moitié  du  XVI l"  siècle.  La  deuxième  édition  est  de  1656. 

(6)  r.  81,  3'i3,  345,  357,  390. 

(7)  P.  345.  346,   348,  364. 

(8)  P.  337,  357. 

(9)  P.  358,  .368  et  368,  369. 

(10)  P.  348,  3.53,  356,  358,  361.  ,368,  369,  381,  3Si:>,  384,  38S. 
(11  P.  354,  388,  389,  396  et  361,  377,  368,  37."î 


CONCLUSION  619 

deiice^'!;  3  fois  Sénèque^-);  i  fois  J*oini)()nazzi  (mais  c'est  pour 
raconter  ses  démêlés  avec  rinquisition;  La  Mothe  Le  Vayer 
n'a  pas  lu  son  livre) '3);  3  lois  Cardan''^';  Postei  et  ChaiTon 
1  lois  (5). 

Le  principe  fondamental  de  l'école  padouane,  la  séparation 
des  vérités  philosophiques  et  des  vérités  de  toi  '*^)  est  un  article 
essentiel  du  système  de  Bruno  c^)  et  de  celui  de  Bacon (8'.  Suarez 
se  préoccupera  de  doser  les  parts  de  raison,  de  sentiment  et  de 
liberté  qui  concourent  à  l'élaboration  de  l'acte  de  i'oi^'".  Balzac 
fait  discourir  Socrate  contre  Aristote  et  la  philosophie  et  se 
félicite  que  Jésus-Christ  ait  tranché  les  questions  insolubles  au 
Stagirite(io). 

Mais  les  deux  grands  représentants  du  fidéisme  padouan  à 
la  fin  de  la  première  moitié  du  XVIP  siècle  sont,  à  des  titres 
divers,  La  Mothe  Le  Vayer  et  Pascal. 

Le  premier  unit  en  lui  du  Ferron,  Talon  et  Montaigne,  Aux 
deux  premiers  il  a  pris  le  goût  du  paradoxe,  l'admiration  pour 
les  sophistes  grecs,  la  pratique  de  Y  <(  époche  »  et  de  l'ata- 
raxie(^i).  A  Montaigne  il  a  pris  le  iidéisme.  Il  proclame  que  la 
théologie  chrétienne  n'est  pas  une  science  puisqu'elle  n'a  pas 
de  principes  connus  par  la  raison  et  que  nous  y  «  consentons  à 
des  principes  divins  par  le  seul  commandement  de  nostre 
volonté  fi2)  ».  Et  non  seulemenl  la  théologie,  mais  les  vérités 
philosophiques  elles-mêmes  sont  hors  de  la  portée  de  la  raison  : 

(1)  p.  369. 

(2)  P.  370,  382,   387. 

(3)  P.  359. 

W  P.  340,  357,  378. 

(5)  P.  357,  389. 

(6)  Sur  cette  thèse  au  début  du  XVIle  siècle,  voir  Giraud,  Pascal,  p.  s  et  suiv. 

(7)  Sur  Bruno,  voir  BARTHOLMESS,  J.  Bruno,  Paris,  1847,  2  vol.  in-S";  Saisset, 
dans  nei'iie  des  Deux-Mondes,  1847;  et  Charbonnel,  Pensée  ital.,  p.  459-565. 

(8)  Charbonnel,  La  Pensée  ital.,  p.  632-633. 

(9)  Disputât,  philosoph.  De  Fide,  disp.  III,  s.  VII  et  VIII. 

(10)  Socrate  chrétien  (1652);  voir  surtout  les  six  premiers  discours  et  notamment 
les  pages  22,  23,  45,  50,  109  de  l'édition  Moreau,  Paris,  1854. 

(11)  Dialogues  d'Oratlus  Tuhero,  le^  dialogue  (De  la  philosophie  scepti(iue),  notam- 
ment page  81  (âdit.  de  Liège,  1673).  Sur  cet  auteur,  voir  Charbonnel.  Tm  Pensée 
ital.,  p.  53-59. 

(12)  Ibid.,  se  dialogue,  p.  332. 


620  LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

Dieu  *i) ,  la  création  '2),  la  providence  '^\  l'immortalité  ^^\  toutes 
les  questions  qu'avaient  agitées  les  padouans  de  la  Renais- 
sance. 

Mais  le  fidéisme  est  une  arme  à  deux  tranchants.  Par  une 
conséquence  curieuse  que  nous  avons  souvent  notée  au  cours 
du  XVP  siècle,  et  pour  la  première  fois  chez  Bunel,  il  fait 
de  ce  pyrrhonisme  une  sauvegarde  pour  la  foi.  Non  seulement, 
en  déniant  toute  certitude  aux  sciences,  il  s'abstient  d'attaquer 
la  théologie,  parce  qu'elle  n'est  pas  une  science  et  que  ((  la 
grandeur  de  son  object  avec  la  certitude  de  ses  verilez  révélées 
la  mettent  beaucoup  au-dessus  de  toute's  les  connaissances  de 
nostre  humanité  '^^  »,  mais  li  proclame  (jiie  ce  sont  les  savants 
qui  font  les  hérésies  et  qu'  «  il  n'y  a  point  de  façon  de  philo- 
sopher qui  s'accommode  avec  nostre  foy  et  qui  donne  tant  de 
repos  a  une  ame  chrestienne  que  fait  nôtre  chère  scep- 
tique '6)  ».  Et  de  même  que  nous  avons  vu  l'apologétique  de 
R.  Sebond  aboutir  avec  Postel  à  un  «  rationalisme  chrétien  », 
de  même  le  fidéisme  de  Bunel,  de  Talon,  de  Bruès,  de  Mon- 
taigne, devienfchez  La  Mothe  Le  Vayer  la  «  sceptique  chré- 
tienne ». 

Pascal  tout  jeune,  avait  reçu  de  son  père  ce  principe  «  que 
tout  ce  qui  est  l'objet  de  la  foi  ne  le  saurait  être  de  la  raison 
et  beaucoup  moins  y  êtr^e  soumis  ».  C'est  même  celte  maxin>e 
qui  lui  permettait  d'entendre  sans  danger  les  discours  de  Miton 
et  des  libertins  :  car  «  il  les  regardait  comme  des  gens  qui 
étaient  dans  ce  faux  principe  que  la  raison  humaine  est  au- 
dessus  de  toutes  choses  et  qui  ne  connaissaient  pas  la  nature 
de  la  foi ''^'  ».  Aussi  son  premier  combat  tliéologuinc  lui  pour 

(1)  Dial.  d'Ornt.  Tubero.  p.  344-362. 

(2)  IMd..  p.  336-337. 

(3)  Ibid.,  p.  363-372. 

(4)  Ibid.,  p.  380-382. 

(5)  Ibtd.,  5e  dialogue,  p.  £32-333.  voir  aussi  ses  opuscules  De  la  liberté  pblloso- 
phique  et  de  Pyrrhon  et  de  la  secte  sceptlcjue  (Œuvres,  II,  343-350;  I,  639-6''(9). 

(6)  Ibid.,  p.  333.  Tout  le  5^  dialogue  a  pour  olDjet  d'établir  cette  thèse.  On  se 
.souvient  que 'Talon  n'appliquait  aussi  le  pyrrhonisme  qu'aux  questions  philo- 
sophiques, réservant  la  théologie,  qui  relève  de  la  foi  et  n^m  de  la  raison. 

(7)  Vie  de  Bl    Pascal   par  .sa  soeur  M™«  Perrier.  Ed.  Brunschvicg,  p.   11. 


CONCLUSION  .  621 

défendre  celte  Ihè^e.  Ce  l'ut  coulre  Jacques  Forloii  (1647)  qui 
renouvelait  le  «  rationalisme  chrétien  »  de  Postel  et  soutenait 
«  qu'un  esprit  vigoin-eux  peut,  sans  la  foi,  parvenir  par  son 
raisonnement  à  la  connaissance  de  tous  les  mystères  de  la 
religion,  que  la  foi  n'est  aux  faibles  qu'un  supplément  au  défaut 
de  leur  raisonnement  <i)  ».  Le  lidéisme  est  précisément  la  base 
du  système  apologétique  de  Pascal  (2).  Ses  contemporains  s'en 
aperçurent  si  bien  que  le  livre  fut  attaqué  au  lendemain  même 
de  son  apparition  (1671)  comme  détruisant  les  fondements  de  la 
foi  chrétienne  (3). 

C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  faut  se  placer  pour  comprendre 
la  méthode  de  Descartes.  D'une  part,  il  doit  chercher  un  nou- 
veau critérium  de  la  certitude.  Ni  l'évidence  des  représenta- 
tions des  sens,  ni  la  clarté  des  premières  données  des  sciences 
expérimentales  ou  abstraites  (espace,  temps,  mouvement,  nom- 
bres) ni  la  logique  nécessitante  des  déductions  mathématiques 
ne  nous  garantissent  de  l'erreur  :  <(  il  n'y  a  rien  de  ce  que 
je  croyais  autrefois  être  véritable,  dont  je  ne  puisse  en  quelque 
façon  douter (^)  ».  11  accepte  donc  le  principe  de  la  thèse  pyrrho- 
nienne,  contre  laquelle  son  ami  Mersenne  publiait  en  1625 
La  Vérité  des  sciences  contre  les  sceptiques  et  les  pyrrhoniens. 
Parti  du  doute  méthodique.  Descartes  restreint  l'évidence 
rationnelle  aux  natures  simples  et  aux  premiers  principes:  il 
identifie  l'évidence  de  l'esprit  avec  l'intuition  de  la  conscience. 
Encore  la  certitude  ne  sera  pas  acquise,  parce  qu'elle  suppose 

(1)  MiCHAïu.  Les  époques  de  la  pensée  de  Pascal,  p.  49.  donne  la  bibliogr.  de 
l'aftaire. 

(2)  Voir  Ollé  Laprune,  La  certitude  morale,  p.  129-133.  Pour  la  seconde  moitié  du 
XVIle  siècle,  il  suffira  d'indiquer  que  Bayle  souUent  constamment  l'antinomie 
entre  la  rai.son  et  la  foi  dans  son  Dictionnaire  (voir  notamment  les  articles  : 
Averrôès,  Cardan.  Pomponace);  que  Leibnitz  a  consacré  à  cette  thèse  une  étude 
fort  nourrie  dans  son  Traité  de  la  foi  et  de  la  raison  (1710).  ainsi  que  Huet  dans 
les  O^isestiones  de  concordia  Rationis  et  fidei  (1690)  et  dans  son  Traité  philoso- 
phique de  l'Esprit  humain  (1722). 

(3)  C'est  le  cinquième  des  entretiens  de  l'abbé  de  Villars  Sur  la  délicatesse 
(1571).  Voir  une  étude  de  M.  Brémond.  sur  cette  réfutation  dans  le  Correspondant 
du  10  septembre  1921,  p.  904-914. 

(4)  L.  LiARD,  Descartes,  III.  1,  p.  141-154. 


ij-22  LE    RATIO^^ALISM£    DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISK 

dabord  un  acte  de  la  volonté.  Celte  adhésion  de  la  xolonlc  e<l 
juiîtilîée  par  la  confiance  en  la  véracité  de  Dieu  qui  garantit 
ainsi  la  réalité  des  objets  de  nos  perceptions  et  de  nos  déduc- 
tions*'). En  sorte  que  la  certitude  rationnelle  se  transt'onnn  pour 
Descartes  en  un  acte  de  foi.  La  raison  devient  de  ce  tait  aussi 
infaillible  que  Dieu  même  dans  le  domaine  qui  relève  d'elle  ^^\ 
D'autre  part  les  vérités  de  foi  sont  hors  des  atteintes  de  la 
raison,  mais  aussi  hors  du  doute  méthodique,  comme  elles 
l'étaient  dans  l'école  padouane  et  même  pour  les  pyrrhoniens 
de  la  Renaissance.  Il  n'y  a  donc  ni  à  s'en  scandaliser,  comme 
l'a  l'ail  AI.  Brunetière f^',  m  à  soupçonner  Descartes  d'irréligion, 
comme  l'ont  fait  quelques-uns  de  ses  ennemis.  Encore  que  les 
principes  de  sa  physique  eussent  pour  aboutissenlent  logique 
une  explication  mécaniste  du  monde,  Descartes  s'est  gardé 
avec  beaucoup  de  soin  de  cette  conclusion,  «  ayant  toujours 
eu  grand  soin,  nous  dit  Baillet,  de  terminer  sa  curiosité  aux 
choses  naturelles  ('*'  ».  Dès  qu'il  aborde  une  question  de  méta- 
physique, il  s'enquiert  près  de  Mersenne  de  renseignement  de 
l'Eglise.  Sur  les  dogmes  en  litige,  il  se  range  du  parti  de 
l'orthodoxie.  Ainsi  il  rejette  l'éternité  du  monde.  Pour  l'immor- 
talité, il  y  croit  à  cause  de  la  révélation,  encore  qu'il  la  professe 
indémontrable  à  la  philosophie  :  «  je  confesse  que  par  la  seule 
raison  naturelle,  nous  pouvons  bien  faire  beaucoup  de  conjec- 
tures à  notre  avantage  et  avoir  de  belles  espérances,  mais  non 
point  aucune  assurance  (^'  ».  <(  C'est  presque  le  mot  de  Socratc 
mourant  »,  conclut  M.  Liard.  C'est  surtout  le  mot  de  Pompo- 
nazzi  et  la  do'ctrine  de  tout  le  XVP  siècle. 

La  première  application  de  ce  principe,  le  X'VP  siècle  l'avait 
faite  à  l'immortalité.  Nous  avons  vu  avec  quel  acharnement  on 
a  débattu  celle  question  depuis  Pomponazzi  et  comment  ses 

(1)  L.  LIARD,  Descaries.  I,  l,  p.  20;  III,  2.   p.    155-177;    III.   4,   p.   220-221. 

(2)  Ibld.,  p.  177-181;  Brdnetière,  Cartésiens  et  Jansénistes,  dans  Revue  des  Deux- 
Monrles,  15  août  18S8,  p.  402. 

(3)  BKUNETiÈRE,  art.   cllé,   p.  404-406. 

(4)  Liard,  Descartes,  II,  3.  p.  106-109. 

(5)  LiAKD.  Desiartes,  III,  3.  6.  p.  194  et  270.  Sur  Ja  .sc^iKiration  de  la  raison  et  de 
l.'i  foi  chez  Descarle-i  et  sur  les  dangers  de  cette  altitude.  M.  J.  Maritain  a  écrit 
nn  article  très  documenté  et  d'une  grande  finesse  d'analyse  dans  les  Lettres  du 
1"  mars  1922.  On  y  trouvera  développé  ce  que  je  ne  puis  au'iiTUnuer  ici. 


CONCLUSION  (323 

meilleurs  défenseurs  eux-mêmes  ont  renoncé  à  la  soutenir  au 
nom  d'Aristote.  Au  XVIP  siècle,  «  la  seule  question  dogma- 
tique qui  continuera  d'être  agitée,  c'est  de  savoir,  non  pas  si 
1  ame  survit  au  corps,  mais  si  la  vieille  philosophie  fournit 
quelque  preuve  à  cet  égard.  Pour  l'en  avoir  déclarée  incapable 
Pomponace  était  devenu  le  point  de  mire  des  scolastiques  et 
l'argument  de  Descartes  leur  permettait  seul  de  prendre  moins 
d'intérêt  à  cette  question  capitale.  Encore  tout  le  monde  ne 
_ voyait-il  pas  dans  le  cartésianisme  naissant  une  sorte  d'évan- 
gile. Les  récalcitrants,  gassendistes,  épicuriens,  tièdes  mêmes, 
ne  trouvant  pliis  d'immortalité  établie  que  par  la  foi,  se  déta- 
chaient de  ce  dogme,  fondement  de  toute  religion  (i)  )>.  Le 
grand  philosophe  du  temps,  Cremonini,  s'en  tient  sur  ce  sujet 
à  la  solution  padouane  :  «  Un  mien  amy,  raconte  Silhon, 
demanda  un  jour  à  un  philosophe  de  grand  renom  et  professeur 
en  la  plus  célèbre  Lnivérsité  de  l'Italie  (Cremonini),  ce  qu'il 
en  croyait  »  (si  Arislote  défend  ou  attacjuo  l'immortalité)  : 
«  il  luy  respondit  qu'il  fallait  chercher  l'immortalité  de  l'âme 
dans  le  texte  de  l'Evangile  et  non  pas  dans  ceux  d'Aristote  '3)  ». 
C'est  exactement  la  même  thèse  que  soutient  Perrot  d'Ablan- 
court,  le  descendant  de  cet'  autre  Perrot  que  nous  avons  cité 
parmi  les  étudiants  de  Padoue  :  «  La  parfaite  connaissance  de 
nos  âmes  est  au-dessus  de  la  force  ordinaire  de  nos  esprits  et 
il  n'y  a  point  de  raisons  qui  puissent  prouver  qu'elles  sont 
immortelles  ».  ((  Il  m'est  permis,  dit-il  à  son  ami  Patru,  il 
m'est  permis  de  dire,  parlant  en  physicien,  que  la  résurrection 
ne  peut  pas  se  faire,  pourvu  que  je  croie  que  Dieu  par  sa 
puissance  infniie  peut  faire  des  choses  qui  sont  impossibles 
à  la  nature.  Si  bien  que  je  n'ai  point  parlé  d'autre  sorte  que 
je  devais,  quand  j'ai  dit  que  le  discours  humain  ne  me  pouvait 
faire  comprendre  que  nos  âmes  sont  immortelles;  et  que  c'était 

(1)  Perrens,  Les  libertins,  p.  154.  M.  Strowski  a  aussi  noté  dans  Lessius  {De 
providenlia...  et  animi  immortalît.  Anvers,  1613)  les  applications  du  rationalisme 
que  je  fais  ici,  à  l'immortalité,  la  Providence,  révhémérisme  {Pascal  et  son  temps, 
I,  p.  209-210). 

(2)  Silhon,  Immortalité,  I,  p.  36. 


024  LE   RATIONALISME    DANS    LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

l'Ecriture  Sainte  cl  les  révélations  que  Dieu  a  laites  à  son 
Eglise  qui  nous  avaient  appris  celte  vérité  (^^  ». 

C'est  pourquoi  les  traités  de  rinunortalilé  abondent  dans  la 
littérature  apologélique.  Dès  1000,  les  Jésuites  de  Coïmbre 
publient  les  Conunentaires  sur  les  trois  livres  de  lame  d'Aris- 
lote  '-K  Le  commentaire  du  second  livre  comporte  deux  longues 
dissertations  sur  TEntéléchie  *3)  et  comme  Aristole  ne  traite 
point  de  l'immortalité,  les  doctes  professeurs  ont  fait  suivre 
son  livre  dune  dissertation  de  soixante  six  pages  in-({uarto  sur 
celle  iiuestion.  On  y  prouve  rimmorlalité  «  par  la  lumière  de 
la  raison  (''^  ».  En  1002,  \'eyrat  édile  à  Lyon  ceux  du  jésuite 
'l'olel  ''^'  :  Gérùmo  Dandini  's)  conHnenle  Ai'islote  à  son  tour 
en  1011.  Entre  lemps  on  réimprime  les  CommenUdri's  des 
Jésuites  en  lOO'i  et  1012.  En  1019  Raoul  Fornier  publie  ses 
Discours  Académiques  de  rorigine  de  iûme  '■^)  et  en  1020 
Cl.  !)Ouchard  un  Traite  de  Vàme,  à"  Lyon  (^'.  Richeome  en 
publie  un  autre  à  Paris  lannée  suivante  f^'.  En  1023  Garasse 
consacre  à  l'âme  toute  une  section  de  sa  Dncirine  curieuse  ^^^\ 
conmie  René  Duport  en  1500  y  avait  réservé  qninze  pages 
(le  '^a  l*J){h}Si(>j)}}ie  des  Esprit:  '''^\  Silhon  la  défend  en  deux 
Irailés  ;  lun  de   l()2<),   Inulrc  de   1034  "2).  Le  second  dédié  à 

v'I)  Œuvres  de  Palru,  II,  p.  354  et  suiv.,  éd.  1692.  Voir  ces  textes  et  beaucoup 
d'autres  très  curieux  dans  Bayle,  art.  Perrot,  nem.  L.  On  y  verra  développée  avec 
des  citations  de  Perrot  l'essence  du  rationaliNme  padouan  chez  un  descendant  des 
padouans;  ils  lui  ont  légué  leur  esprit  aussi  bien  que  leur  sang. 

■2)  <  ommcnlarll  coUegii  CoiiimOiicensis  S.  Jcsii  in  très  lihros  de  Atiima  Arts- 
tatelis.  Lugduni.  Cardon,  in  i'\  1600,  I60i.  1612. 

(3)  Lib.  II,  qu^est.  I.  art.  I  et  VII.  édit.  de  1612,  p.  45-46  et  53-55-     , 
•   (4)  Traclatus  de  Anima  separata,  édit.  de  1612,  p.  387-453. 

(5)  Toicti  comviciitariu  una  citm  qiiaestionibvs  in  très  Ubros  de  Anima.  I.uerdiini, 
Veyrat.  1602.  in-S».  Voir  Brlcker,  op.  cit.,  IV,  p.  138-139. 

(6)  Jner.  Dandini  De  corpore  .\nimalo  libri  VII  et  in  Arist.  très  iibro.^  de  anima 
commeniarii  peripatetici.  Paris,  Chappoletus.  1611,  in-f. 

(7)  Paris,  Langlois.  in-12o.  Sur  ce  livre  et  cet  auteur,  voir  Lachèvrk.  liibllogr. 
des  Becueils...  de  t6O0-i6î6,  p.  216-224. 

(8)  CI.  Dourardi  Tract,  peripateticus  de  anima  ralinnali.  Lugd..  Gaudion.  in-12, 
16-20. 

(9)  KiCHEOME,  L'iiiiuiortalilc  de  rdmc  déclarée  anec  raisons  naturelles,  témot- 
gnadcs  tiumains  et  divins  pour  la  foi  catiioU(iuc  contre  les  athées  et  les  libertins. 
I'.■l^i'^.   Cramnlsy.   1621. 

il); Livre  VH.  section  4. 

Ul)  l'Iiilosopliie    des   Esprit:,    p.  505-520. 

(12) Silhon,  Les  deux  vérités,  l'une  de  Dieu  ei  de  la  Providence,  l'autre  de 
VimrnortaUté  de  l  drnc.  Paris,  1626.  —  De  fimmortallté  de  Vdme.  par  Silhon.  Paris, 
r.lUaine.   MDCXXXIV 


CONCLUSION  (325 

Hichelieu,  est  une  véritable  encyclopédie,  l  ne  première  partie 
établit  l'exislence  de  Dieu,  une  autre  attaque  Montaigne. 
L'auteur  ])Our  prouver  l'immortalité  s'appuie  beaucoup  plus 
sur  les  arguments  du  cœur  que  sur  ceux  de  la  raison.  La 
même  année  1626,  D.  Poly carpe  de  la  Rivière  reprend  le 
sujet  sous  forme  de  dialogue  :  Angélique  :  des  excellences  et 
perlection^i  imnwrlellcs  de  Uùine*^).  En  1632  François  d'Abra- 
de  Raconis  donne  un  traité  latin  sur  l'âme  raisonnable  (2).  Celui 
du  jésuite  A.  Simiond  est  l'un  des  plus  célèbres,  qui  parut  en 
1635  '3),  L'auteur  y  l'ait  l'histoire  de  ce  dogme  en  France  au 
cours  du  X'VP  siècle  et  y  attaque  Pomponazzi.  A  1  encontre  deê 
deux  précédents  qui  sont  volumineux,  le  Iraité  de  La  Mothe; 
le  Vayer  (1637)  est  un  petit  manuel'^'.  Il  a  réduit  toute  l'argu- 
mentation orthodoxe  à  trente-trois  syllogismes  mis  en  forme 
sans  aucun  développement.  Il  attaque  Aristole,  Pomponazzi, 
Nipho.  mais  par  contre  il  trouve  les  conciles  de  Vienne  et  de 
Latran  un  peu  téméraires  de  prétendre  qu'on  peut  démontrer 
l'immortalité  par  la  raison.  Il  y  a  démonstration  et  démonstra- 
tion. Peut-être  n'est-il  pas  loin,  malgré  ses  airs  scandalisés,  dé- 
penser comme  ce  philosophe  dont  il  rapporte  l'histoire  :  «  qu'à 
moins  d'être  fort  vieil,  fort  riche  et  alleman,  on  ne  devait  jamais 
s'explicjuer  sur  cette  matière  ^^l  ».  En  1541  Marcassus  traduit 
les  Trois  livres  de  l'âme  's).  L'immortalité  trouve  même  des 
défenseurs  là  où  elle  les  attendait  le  moins;  le  Hbertin  Théo- 
phile durant  son  bannissement  écrit  en  signe  de  repentir  et 


(1)  Lyon,  Pillehote,  1626,  in-4o. 

(2)  Franc.  D'Abra  de  Raconis,  Traclatus  de  anima  rationali  seu  conjuncla 
corporl  seu  a  corpore  separata.  Paris,  Dubray,  1632,  in-8o. 

(3)  A.  Sirmondi  De  immort,  animas  demonstratio  physica  et  Anstoielica  adv.  Pom- 
ponatium  et  asseclas.  Paris,  lleugueville,  1635,  in-S». 

(4)  Petit  discours  chrétien  de  l'immortalité  de  l'âme  avec  le  corollaire  (in-S», 
1637);  2e  éd.,  Paris,  1640.  Dédié  au  cardinal  de  Richelieu.  La  Mothe  le  Vayer 
consacre  aussi  une  partie  du  5«  des  Dialogues  d'Oratius  Tubero  (p.  330-382)  à 
l'immortalité. 

(5)  Dédicace  à  Richelieu. 

(6)  Les  trois  livres  de  l'âme.  Trad.  par  le  P.  de  Marcassus.  Paris.  1641,  In-S". 

40 


626  LE   RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

d'orthodoxie  un  Traité  de  l immortalité  el  une  traduction  du 
Phédon,  à  la  grande  indignation  de  son  ennemi  Garasse  t^*. 

A  l'égard  des  miracles  on  garde  le  même  scepticisme  : 
«  Pomponace  a  voulu  rendie  une  rait^on  naturelle  du  miracle 
du  Lazare  ressuscité  en  son  livre  De  Incantalionibus.  Un 
médecin  de  Montpellier  nommé  La  Porhi  envii-on  l'an  1008  fit 
un  discours  en  public  pour  tâcher  de  prouver  (pi  en  celle  résur- 
rection il  n'y  avait  pas  de  miracle,  s'étanl  iail  dans  le  quatrième 
jour.  Mais  tout  cela  sont  des  contes  verbaque  inania,  ce  sont 
de  pures  impiétés  punissables  par  le  feu,  llamma  el  ferro. 
Pomponace  était  un  athée  ou  du  moins  un  libertin  très  dan- 
gereux parce  qu'il  avait  de  l'esprit.  ...J'ai  vu  aussi  en  Italie 
un  méchant  livret  en  latin  l'ait  par  un  médecin,  intitulé  De 
resurrectione  morluorum  naturali,  où  il  tâche  de  rendre  raison 
naturelle  de  ces  miracles.  Mais  ce  sont  contes,  merœ  nugœ. 
Ea  quae  sunt  fidei  credenda  sitnt  lirmiter  nullaque  indigent 
probatione  (2)  ».  Vanini,  reprenant  les  conclusions  du  De  incan- 
talionibus el  du  De  reruni  varielate,  donne  deux  raisons  de  nier 
les  miracles  :  1"  i)arce  qu'il  y  a  eu  des  miracles  feinLs  dans 
l'histoire  el  qu'on  doit  leur  assimiler  ceux  des  Ecritures.  Le 
populaire  attribuait  ces  prodiges  aux  démons,  mais  «  jamais 


(1)  Doct.  cur.,  VII,  14.  p.  885-886,  898;  Antl  Bcillet,  I,  p.  350.  Après  1650,  citons 
encore  :  les  Commentaires  des  Carmes  d'Alcala  {Collegii  complutensis  discalceat. 
fratTum  orainif  B  Maris  de  Monte  Carnieii  disputationes  in  trea  libros  de  anima. 
Lugduni,  Caudy,  1651.  in-S";  autre  édition  in-fo  à  Lyon  166S):  Kenelmi  Digleset 
demonstratio  iminortalitati.<  animae  rolionalis  (Paris,  Léonard.  1655,  in-fo);  Février. 
Traitez  de  l'immortalité  de  l'âme  (Paris,  Legras,  1656,  in-4o);  la  traduction  de 
Cassiodore  de  1664  {Caxsiodore,  de  l'âme,  trad.  D.  de  Prlezac.  Paris,  de  Sommaville. 
166'i.  In-S"):  et  le  Système  de  Vdme  de  Cureau  de  la  Chambre  (Pari?,  d'AllIn,  1664, 
in-40).  —  Par  contre,  les  libertins  sont  nettement  matériali.stes.  Voir  dans  Perrens 
{op.  cit.,  p.  211-212)  les  citations  de  Salnt-Evremond,  desquelles  il  résulte  que  Salnt- 
Evremond  estime  l'immortalité  indémontrable  et  rejette  la  démonstration  carté- 
sienne, et  p.  263  et  269,  les  vers  du  président  Hénault  : 

Tout  meurt  en  nous  quand  nous  mourons...  etc. 

et  de  M'"*"  Deshoulières  : 

Nous  irons  reporter  la  vie  infortunée 

Que  le  hasard  nous  a  donnée 

Dans  le  sein  de  néant  d'où  nous  sommes  sortis. 

(2)  \iiiid!eaiia.  p.  95-96 


COXCLUSION  027 

il  ne  le  croira  pour  sa  pari,  tant  qua  la  laison  naturelle  ne 
lui  aura  pas  démontré  l'existence  des  démons  »;  2°  certaines 
plantes,  certains  hommes  aussi,  ont  une  puissance  occulte 
extraordinaire,  qui  suffit  à  expliquer  beaucoup  de  phénomènes 
qui  nous  étonnent  <i). 

La  première  de  ces  explications  semble  la  plus  répandue  au 
XVIP  siècle  :  «  11  y  en  a,  dit  Silhon^^)^  à  qui  les  miracles 
de  Moïse  et  de  Jesus-Christ  sont  suspects,  à  cause  que  ceux  de 
Mahomet  sont  évidemment  illusoires;  (jui  condamnent  les 
véritables  apparitions  à  cause  des  fausses,  qui  ne  veulent  point 
qu'il  y  ait  des  Possédez,  d'autant  que  ceux  (|u'ils  ont  veus  ne 
Festoient  pas,  et  qui  veulent  que  les  mystères  de  notre  religion 
soient  invention  humaine  et  non  pas  révélation  divine,  d'autant 
que  dans  l'idolâtrie  du  nouveau  monde  il  y  a  des  mystères  qui 
en  ont  quelques  traits  et  riuehjues  linéaments  ».  On  connaît, 
par  les  historiens  latins  et  surtout  par  Celse,  les  miracles  pré- 
tendus de  Vespasien  et  des  charlatans  comme  Alexandre  que 
Lucien  a  ridiculisé  dans  le  Pseudomantis  et  comme  Apollonius 
de  Tyane<3).  Et  il  ne  serait  venu  à  personne  de  les  tenir  pour 
apocryphes.  Garasse,  (jui  rapporte  les  guérisons  gravées  sur 
les  ex-voto  du  temple  d'Esculape  :  deux  aveugles,  une  pleu- 
résie, un  vomissement  de  sang,  se  contente  de  les  prêter  au 
diable'^'.  C'est  que,  s'il  nie  la  réalité  de  ces  miracles,  comment 
soutiendra-t-il  l'authenticité  des  antres  ?  La  malice  du  procédé 
le  révolte  :  «  C'est,  dit-il,  faire  justement  comme  si  je  voulois 
bien  authoriser  le  changement  de  la  femme  de  Loth  en  statue 
de  sel,  et  que  pour  en  venir  à  bout  j'allois  r' amasser  toutes  les 
Métamorphoses  d'Ovide,  et  au  bout  du  compte  je  disois  comme 

(1)  Xunciuam  ego  subscriham  donec  naturali  ratlone  esse  dtemunes  mihi  proba- 
verint.  Cet  exposé  est  pris  à  Garasse,  Doct.  cur.,  VII,  9.  L'existence  des  démons 
est  déclarée  impossible  à  prouver  par  Pomponazzi  dans  le  De  Incantationibvs. 

^2)  Imviort.,  I,  p.  14-15.  Voir  aussi  dans  le  même  sens  Bayle.  art.  Jonas,  rem.  B. 

(3)  Le  TTî/ît  &ajy.y7««-.i  de  Phlégon  de  Tralles  n'était  pas  connu  encore  (K^  édition 
dans  Gronovius,  Thésaurus  Graecor.  Antiq..  t.  VIII,  col.  2693  «t  suiv.  (1699).  Sur 
les  faux  miracles  au  Ile  siècle,  voir  des  pages  ti'ès  curieuses  dans  LACOrR-GAiET, 
Antonin  le  Pieux  et  son  temps.  Paris,  Thorin,  18S8,  p.  365  et  suiv. 

(4)  Doctrine  cur.,  m,  is,  p  309-311.  n  connaît  ces  miracles  par  Gruxteri-s. 
Trésor  des  a^uiennes  épitaphes,  p.  lxxi. 


t)28  LE    RATIONALISME   DANS   LA   LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

fait  le  maudit  Lucilio  Vanino...  :  Lucianus  responderet  labu- 
losas  esse  has  narvaliunculas  a  inendacibus  Grœculis  excogi- 
tqtas,  et  ah  hypocriticis  Platonicis  sanctitatis  luco  depicias  ». 
Mettre  au  nièiiie  rang  la  résurrection  d'Alcesle,  de  Lamia,  de 
Cœlius  1  ubero,  de  Coroidius,  de  Gabinius  et  celle  de  Lazare 
ou  de  l'enfant  de  Naïm,  (<  n'est-ce-pas  estre  manifestement 
traistre  et  prévaricateur  de  la  cause  de  Dieu  ?  Julian  l'Apostat. .. 
se  servit  de  celte  ruse,  faisani  rciconler  publiquement  des  fables 
parmy  les  histoires  de  la  Bible  i)  ».  Quant  à  la  théorie  d  Avi- 
cenne,  il  la  rapporte  très  fidèlement,  mais  nie  la  puissance  des 
herbes  ou  des  tempéraments  mélancohques.  Pour  lui,  ces  gué- 
risons  surjirenantes  procèdent  d'un  pouvoir  diabolique  ^^J. 

Vanini  refuse  de  même  de  croire  aux  possessions  diabo- 
liques :  il  n'y  a,  dit-il,  que  les  femmes  à  qui  arrivent  ces  acci- 
dents; encore  ne  sont-ils  fréquents  que  dans  les  pays  chauds, 
en  Italie  et  en  Espagne.  La  France  n'en  a  guère;  l'Angeterre 
et  l'Allemagne  n'en  ont  point.  Quant  au  don  des  langues,  il 
l'explique  par  la  théorie  du  «  mens  »  telle  que  l'a  exposée  Car- 
dan'3).  D'Aubigné,  dans  le  Baron  de  FœnesléW^  se  moque 
aussi  des  miracles:  deux  fois  il  ridiculise  les  possédées;  il 
raconte  lui  ausi  la  gloire  et  la  décadence  du  curé  de  Billouet; 
il  explique  par  un  effet  d'optique  1  apparition  du  diable  '^). 

Surtout  les  libertins  voient  dans  la  religion  un  moyen  de 


(1)  Docl.  CUV.,  III,  17,  p.  303.  —  Pascal,  11  est  vrai,  retourne  l'argument  contre  les 
incrédules  :  «  incrédules  les  plus  crédules,  dit-il.  Ils  croient  les  miracles  du 
Vespasien  pour  ne  pas  croire  ceux  de  Moïse  »  (pensées,  n»  8i6,  édit.  Brunschvicg). 

(2)  Doct.  lur.,  III,  18,  p.  311,  et  Somme  des  vérités  chrétiennes,  III,  17,  p.  920-921. 

(3)  Voir  le  détail  et  les  textes  dans  Garasse,  Doct.  cur.,  vu,  9,  p.  851-857. 
M.  Lachèvre  a  reproduit  une  page  d'une  édition  rare  de«  Histoires  mémorables  et 
tragiques  de  ce  temps  (1619)  où  il  est  dit  que  Vanini  «  confessa  librement  au  comte 
de  Cramail  qu'il  croyoit  que  tout  ce  qu'on  dit  de  la  divinité  et  qui  est  contenu 
dans  les  escrits  de  Moyse  n'est  que  fable  et  que  mensonge  :  que  le  monde  est 
étemel,  et  que  les  âmes  des  hommes  et  celles  des  bestes  n'ont  rien  de  différent, 
puisque  les  unes  et  les  autres  meurent  avec  le  corps.  Et  pour  N.  S.  J.  C,  que  tous 
i-es  faictz  n'estoient  qu'Imposture,  de  mesme  que  ceux  de  Moyse  •>  {Mélanges, 
p.  201). 

(4)  Avent.  du  baron  de  Famesle,  11,  v  et  VI. 

(5)  Ibld.,  II,  X.  On  remarquera  que  Pascal  fera  une  grande  i>art)  aux  miracles 
d.ans  son  Apologie  (Pensées,  section  XIII  de  l'éd.  Brunschvicp):  mais  11  a  soin  de 
distinguer  les  vrais  des  faux     Pensée  n»  817  et  jjassim. 


CONCLUSION  Q29 

domination  politique.  Garasse  répète  Pomponazzi  sans  le 
savoir,  quand  il  nous  dit  que  Platon  a  permis  aux  marchands 
et  aux  médecms  à  m-entir'^'.li  n'ajoute  pas  comme  les  Padouans 
que  les  gouvernements  y  sont  aussi  autorisés.  Il  prête  cette 
politique  lui,  à  Machiavel,  dont  en  effet  elle  est  une  maxime 
tondamentale,  et  il  la  relève  à  plusieurs  reprises  dans  Vanini'*^^, 
Silhon  doiuie  également  pour  maxime  courante  que  l'immor- 
talité a  été  inventée  <(  pour  tenir  plus  sûrement  le  peuple  dans 
le  JQug  où  ils  l'ont  mis  et  serrer  davantage  les  fers  qili  le 
pressent  (3)  «^  traduisant  ainsi  Pomponazzi  sans  s'en  douter, 
puisqu'il  nous  avoue  ailleurs'^)  ne  l'avoir  jamais  lu.  Silhon 
accorde  que  certains  législateurs  ont  usé  de  ces  moyens;  pui'Si 
élargissant  la  question,  il  concède  que  les  religions  païennes 
ont  ieur  source  dans  l'ambition  ou  les  bienfaits  de  rois  qiï'on 
a  ensuite  déifiés'^'. 

,  Ainsi  le  système  entier  que  Pomponazzi  avait  tiré  d'Aristote 
vivait  toujours  en  France.  C'est  même  un  pTançais  qui  pen- 
dant cette  première  partie  du  XVIP  siècle  l'enseignait  à 
Padoue  :  Claude  liérigard  (6).  En  1643  il  pubha  à  Udine  son 
Circulus  Pisamis  où  <(  le  système  entier  de  l'impiété  aristoté- 
licienne »  est  exposé  et  défendu.  Sept  ans  auparavant  Campà- 
nella,  dans  son  livre  De  Gentilismo  non  retinendo,  après  avoir 
cité  tous  les  Pères  qui  ont  condamné  ou  combattu  l'Aristo- 
lélisme  et  l'avoir  noté  comme  la  source  de  toute  la  libre  pensée 
du  XVIP  siècle,  conclut  par  un  mot  de  Cano  :  Habent  Aristo- 


(1)  Somme  des  vérités-  III,  2,  p.  715. 

(2)  «  Le  meilleur  moyen  d'entretenir  la  populace  en  son  devoir  et  l'empescher 
de  remuer  c'est  de  controuver  des  miracles  et  de  l'amuzer  par  des  cérémonies 
plausibles  à  son  humeur.  Le  premier  qui  ait  introduit  cette  maJheureu.se  raaxime 
c'a  esté  Machiavel  ».  Puis  il  cite  Vanini,  Dialogue  LVIII  de  la  Résurrection  des 
morts  et  ailleurs.  —  Docl.  cur..  VIII,  6,  p.  986-990;  voir  aussi  de  curieuses  citations 
de  Vanini  {Théâtre  de  la  nature,  préface)  dans  Doct.  cur.,  III,  19,  p.  312. 

(3)  Immortalité,  I,  p  7  et  8. 

(4)  Ibid  ,  I,  p.  48. 

(5)  Bon  exposé  de  l'évhémérisme  :  Immort.,  I,  p.  9  à  11. 

(6)  Ou  Beauregard  d'après  Nicéron.  Né  à  Moulins  en  1578,  mort  à  Padoue  en  1663. 
Sur  cet  auteur,  voir  P.  de  Villemandy,  Sccpt.  réfuté,  p.  il;  Bayle,  art.  Berigardus, 
qui  dans  la  note  A  caractérise  bien  son  système;  Charbonnel,  op.  cit.,  p.  100,  qui 
analyse  son  livre. 


630  LE   RATIONALISME    DANS    LA  LITTKRATURE    l'KANrAlSE 

telem  pvo  Cluislo.  Averroein  pvo  Petro,  Alexandrutn  (Aphro- 
dis.)  pro  PmUo'^K 

En  même  temps  (|iie  le  rationalisme  dorigine  padoiiaiie  se 
développe  dans  le  sens  (jiii  lui  a  été  imprimé  an  W'I"'  siècle. 
le  rationalisme  théologique  continue  aussi  ses  progrès.  «'  Jamais 
la  foy  n'a  eu  plus  besoin  d'être  vivifiée.  Jamais  on  n'a  péché 
plus  dangereusement  contre  la  Religion,  l'e  n'est  plus  le  toii 
ny  les  defences  qu'on  bat,  on  attaque  le  pied  de  la  muraille  : 
on  mine  les  fondements,  on  veut  faire  sauter  tout  l'édilice  '2)  ». 
Ce  sont  bien  les  mêmes  dogmes  (jui  sont  attaqués,  les  mêmes 
objections  qui  leur  sont  laites. 

Les  athées  proprement  dits  ou  les  panthéistes,  rares  au 
XVP  siècle,  deviennent  plus  nombreux:  Bruno  (f  1600),  Vanini 
(t  1629),  Jean  Fontariier  (f  1621),  le  parisien  Claude  Le  Petit 
(f  1022),  sont  les  plus  connus,  pour  avoir  fini  sur  le  bûcher. 
Mais  d'autres  qui  euient  un  sort  moins  rigoureux  n'eurent  pas 
une  religion  plus  orthodoxe  :  le  florentin  Cosme  Ruggieri, 
l'astrologue  de  Cath.  de  Médicis,  dont  le  cadavre  fut  traîne  à 
la  voirie  (1615)  <•''>;  le  prince  Maurice  de  JNlassauC')  (f  1625)  ; 
Théophile,  le  poète;  Claude  de  Chouvigny,  baron  du  Blol 
d'Eglise,  La  Mothe  Le  Vayer'^);  Des  Barreaux,  le  neveu  du 
malheureux  G.  Vallée  et  l'élève  de  Cremonini  '''),  qui  après 
avoir  vécu  en  libertin  fil  une  fin  édifiante;  Claude  Belurgey, 
le  maître  de  Naudéf');  d'autres  encore,  dont  l'incrédulité  est 


(1)  De  Gentil,  non  retinendo.  QuEBstio  I,  pars  II,  p.  18  à  22.  Le  mot  serait  de 
Pétrarque  (Charbonnel,  op.  cit.,  p.  178). 

(2)  SiLHON,  Immort.,  I.  p.  66. 

(3)  Sur  sa  vie  et  sa  mort  athée,  voir  Bayle,  art.  Buggeri  qui  cite  les  sources; 
TALt.EMANT,  t.  I,  p.  67;  Lettre  de  Nicolas  Pasquier,  III.  X,  cJtée  dans  L'Estgile. 
Journal  de  Henri  II l.  I,  p.  68-71,  note.  Je  ne  cite  pa.s  les  Epicuriens  .sur  lesquels 
on  peut  consulter  Strowskt,  Pascal  cl  non  temp.<,  I,  p.  135  sq.  et  les  livres  de 
M.  Lachèvre.  —  Sur  Fontanier,  voir  Lachèvre,  Mélangea,  p.  60-si. 

(4)  Tallemant,  I,  p.  'i93. 

(5)  Bon  article  dans  Baylk.  art.  Patin.  Baylo  le  souiKoniie  d'être  atteint  du 
"  vice  d'esprit  dont  étaient  atteints  Diagoras  et  Protjiicoras  »    art.  cité,  note  B). 

(6)  Voir  Bayle,  art.  Des  Baritvau.v. 
17)  Lachèvre,  Mélanges,  p.  I7'i. 


'  CONCLUSION  631 

moins  notoire  "^  Ils  ont  condensé  leur  doctrine  dans  les  Qua- 
trains du  Déiste.  C'est  contre  eux  que  S.  Goulard  écrivait  ses 
Trois  discours  en  vers  contre  la  prolanité,  Valhéisnie  et  lincré- 
dulité  (1608),  G.  de  Rebreviettes  iimpiélé  combattue  par  les 
inlidèles  (1012),  le  P.  Marin  Mersenne  ses  Ouaestiones  cele- 
herriniae  in  Genesim  (1623),  et  ï Impiété  des  déistes,  athées  et 
libertins  de  ce  temps  (1624),  Naucel  son  Traité  de  Dieu,  l'abbé 
Colin  sa  Théoclée  (2)  (1646),  L.  Cappel  Le  Pivot  de  la  loi  et  de 
la  religion  ou  preuve  de  la  divinité  contre  les  athées  et  les 
profanes  ^^\  T.-B.  Morin  un  traité  latin  sur  Dieu  et  la  créa- 
tion''*'. Deix'don  VAthéisme  convaincu  (1659),  le  P.  Michel 
Mauduit  son  Traité  de  la  religion  contre  les  Athées  et  les 
Déistes  et  les  nouveaux  Pyrrhoniens  (1698). 

Contre  la  Révélation,  on  objecte  comme  Bodin  l'invrai- 
semblance du  fait.  Que  l'on  compare  les  paroles  suivantes  aux 
passages  de  Bodin  que  j'ai  cités,  on  devra  convenir  de  leur 
ressemblance.  On  dirait  que  le  jeune  homme  qui  les  a  pronon- 
cées a  lu  le  manuscrit  de  VHeptaplomeres.  C'est  Garasse  qui 
nous  raconte  l'anecdote.  Un  ancien  élève  des  Jésuites  s'en  vint 
un  jour  trouver  son  ancien  professeur  de  rhétorique  à  Saint- 
Louis  et  lui  dit  :  «  Je  ne  puis  me  persuader  que  le  Fils  de 
Dieu  se  soit  incarné  depuis  1600  ans,  comme  on  nous  voudroit 
faire  croire;  car  quelle  apparence  y  }>eut-il  avoir  en  cela,  que 
Dieu  se  soit  fait  homnxe  »  ?  Il  ne  donnait  aucune  raison  de  sa 
question,  x  sinon  qu'il  ne  le  peut  croire,  et  qu'il  n'y  a  point 
d  apparence  ^)  ». 

A  Jésus-Christ,  ils  reprochent  son  humilité,  ses  souffrances. 


'(1)  Voir  les  noms  et  détails  dans  Perrkns,  op.  cit.,  p.  100  à  150;  voir  aussi  Brun, 
Autour  du  XVIIe  siècle.  Les  libertins  Maijnard,  Dassoxcy  (Grenoble,  1901);  et  sur- 
tout dans  les  travaux  de  M.  Lachèvre,  Le  libertinage  devant  le  parUment  de 
Parts  (Procès  du  poèt«  Th.  Viau,  1623  à  1625).  Champion,  1909,  où  l'on  trouvera  aussi 
les  Quatrains  du  déiste). 

(2)  La  Théoclée  où  les  opinions  des  épicuriens  sur  les  principes  du  monde  sont 
réfutés  par  discours  éloquents  et  doctes.  Paris,  1646,  in-'i°. 

(3)  Saumur,  Leonler,  1643,  in-12o. 

'4)  J.-B.  Morini;  quod  Dcus  sit  mundusque  ab  ipso  creatns  fuerit  in  tempore 
ejusquc  providentia  gubernetur.  Selectn  aliquot  theoremata  adv.  atheos.  Paris, 
Libert,  1635,  in-4o. 

(5)  Doct.  lUrleu.-'e,  III,  10,  p.  267  à  269. 


032 


LE  RATIONALISME   DANS   LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


comme  indignes  d'un  Dieu.  «  Nos  beaux  esprits  prétendus 
enchérissant  (sur  Charron)...  disent  que  c'est  une  sottise  inju- 
rieuse à  la  divinité  de  croire  ce  que  nous  avançons  du  Fils  de 
Dieu  et  qu'après  tout  //  n'y  a  point  dapparence  qu'il  se  soit 
lait  /lomme(i)  ».  Us  objectent  que  les  Juifs  qui  l'ont  connu  l'ont 
pris  pour  un  homme  ordinaire '"2),  rééditant  amsi  la  doctrine 
de  Celse,  des  libertins  de  1542  et  de  Bodin.  C'est  à  eux  que 
Bossue!  répondait  en  1656  3)  :  «  (Juand  j'entends  les  libertins 
qui  disent  que  tout  ce  qu'on  raconte  du  Verbe  incarné,  c'est 
une  histoire  indigne  d'un  Dieu,  que  je  déplore  leur  aveu- 
glement !  ...que  Tertullien  répond  à  propos  :  «  Tout  ce  qui 
e.^t  indigne  de  Dieu  est  utile  pour  mon  salut  »  !  Comme  les 
Italiens  et  les  italianisants,  ils  regrettent  que  la  morale  chré- 
tienne «  nous  ait  proposé  la  Croix  et  les  ignominies...  au 
lieu  de  nous  proposer  l'amorce  des  honneurs  et  du  courage'^)  ». 
L'illuminisme  même  n'a  pas  complètement  disparu.  Si  la 
plupart  des  libertins  spirituels  ont  été  attirés  par  les  sectes 
puissantes  nées  de  l'anabaptisme,  on  en  trouve  encore  jusque 
dans  la  deuxième  moitié  du  XVIP  siècle  à  Paris  un  adepte 
authentique,  comme  un  survivant  d'un  auti^  âge.  Il  s'appelait 
Simon  Morin  et  lut  brûle  le  14  mars  1663  s).  Il  avait  publie 
sa  doctrine  dès  1647  ^c'. 


{D  Ibid.,  III,  11,  p.  275.  —  M.  Lachèvre  cite  l'un  des  liberUns  «  achrlstes  »  du 
temps,  Molière  d'Essertines,  romancier  et  poète  (1599-1624),  «  vrai  diable  Incarné, 
tant  il  avançait  de  propo.sition.s  contre  la  sacrée  humanisé  'de  Jésus-Christ  «i,  dit 
Gérasse  [liecueil...  de  I600-I6i6,  p.  303). 

(2)  Garasse,  ihia.,  p.  274. 

(3)  Sermon  de  Noël  à  Metz.  Lebarq-Urbain,  II,  p.  285. 

(4)  GARASSE,  ibld.,  VI,  7,  p.  709.  Garasse  dit  qu'il  l'a  lu  de  ses  propres  yeux 
«  d^ns  les  papiers  brouillards  d'un  des  principaux  libertins  ». 

(5)  Sur  S.  Morin.  voir  Baylk,  art.  Morin,  qui  cite  d'autres  visionnaires.  Les 
pièces  du  procès  de  Morin  sont  à  l'Arsenal,  ms.  579'2.  L'arrêt  a  été  imprimé  :  Arrest 
de  la  Cour  du  parlement,  rendu  d  l'enconlre  de  Simon  Morin...  portant  condam- 
nation de  faire  amende  honorable,  d'estre  brûlé  vif,  pour  avoir  pris  la  qualité 
du  Fils  de  l'Homme,  entend)!  fli.t  de  Dleu;  ensemble  la  condamnation  de  ses  com- 
plices. Paris,  1663,  ln-40. 

(6)  Pensées  de  Simon  Morin  dédiées  au  lioy  :  naifve  et  simple  déposition  que 
Morin  lait  de  ses  pensées  aux  pieds  de  Dieu,  etc.  Paris.  1047. 


CONCLUSION  (353 

Si  du  resle  l'on  veut  [tar  un  seul  livre  se  faii'e  un6  idée 
d'ensemble  du  libertinage,  dans  la  première  moitié  du  XVII" 
siècle,  il  suffira  de  parcourir  la  Doctrine  curieuse  (1624)'  Ou 
la  Somme  des  vérités  chrétiennes  (1625)  de  Garasse,  ou  encore 
le  Traité  des  religions  d'Amyraut  (lOol)  ^').  La  seule  inspection 
du  plan  suffira  à  résumer  cette  enquête  et  à  compléter  ce  qu'elle 
a  de  sommaire  :  manifestement,  les  libertins  d'avant  Pascal 
sont  les  fils  spii'ituels  de  ceux  d'avant  Montaigne;  les  mêmes 
problèmes  les  préoccupent  :  immortalité.  Providence,  éternité 
du  monde,  miracles,  révélation.  Le  point  d'attaque  du  mouve- 
ment rationaliste  se  déplacera  au  cours  des  siècles  suivants; 
mais  le  principe  fondamental  restera  celui  de  l'école  de 
Padoue  :  la  séparation  de  la  raison  et  de  la  foi.  Combien  après 
Descartes  chercheront  la  certitude  dans  la  première  et,  croyant 
l'avoir  trouvée,  diront  leur  Prière  sur  V Acropole  et  chanteront 
les  litanies  d'Athèna  :  «  Déesse  dont  le  culte  signifie  raison  et 
sagesse....  toi  seule  es  jeune,  ô  Cora,  toi  seule  es  pure,  ô 
Vierge,  toi  seule  es  saine,  0>  ?Iygio  !  ».  Combien,  par  contre, 
depuis  Pascal,  ont  célébré  la  puissance  du  cfjeur  et  du  senti- 
ment pour  trouver  Dieu'^)  et  prédit  la  faillite  de  la  science  ! 
Heureux  qui  peut  les  concilier  !  Sans  crainte  pour  la  foi. 
sans  défiance  de  la  raison,  il  n'éprouve  point  la  nécessité 
cruelle  de  sacrifier  l'une  à  l'autre  et  peut  assi.ster  sans  passion 
à  leur  combat  dramatique  et  sans  issue.  Même  s'il  y  est 
intéressé  —  et  qui  n'a  pris  parti  pour  l'une  ou  l'autre  ?  — , 
même  si  l'histoire  de  la  philosophie  est  pour  lui  autre  chose  que 
«  l'histoire  des  monuments  p.sychiques  propres  à  éclairer  le 


(1)  Le  traité  d'Amyraut  contient  trois  parties  :  1°  contre  les  épicuriens  qui 
nient  la  Providence:  —  2«  nécessité  dune  religion  révélée;  —  3°  vérité  de  la 
religion  chrétienne.  Sur  Amyraut,  voir  France  Prot.,  I,  p.  191.  J'avais  songé  moi- 
même  à  reproduire  le  plan  de  la  Doctrine  curieuse  de  Garasse;  on  trouvera  une 
partie  de  la  Table  dans  Charbonnel,  La  Pensée  ital,  p.  35-38>, 

(2)  PASCAL,  Pensées,  éd.  Brunschvicg,  IV,  nos  251,  267,  277,  278,  279,  282,  283,  287 
et  passim.  Sur  le  fldéisme  au  XIX*  siècle,  voir  un  article  de  M.  E.  Baudin  sur 
Bautain  dans  Revue  def;  Sciences  religieuses,  l,  i  (janvier-mars  1921).  et  OLLÉ- 
LAPRUNE,  La  Certitude  morale,  cli.  IV  (p.  126-227)  pour  le  fldéisme  depuis  Pa-scal 
à  nos  jours. 


634 


LE    RATIONALISME   DANS    LA   LITTERATURE   FRANÇAISE 


'■avjml  >uj-  les  divers  états  iju  a  Iravci'ses  l'esprit  humain  "  »,  il 
regarde  impassible  les  champions  (jui,  toujours  ardents  et 
toujours  déçus,  renouvellent  les  épisodes  de  la  lutte  éternelle 

Entre  la  Foi  sans  preuve  et  la  Raison  sans  charme  (2). 


(1)  An.  France,  Jardin  d'Epicvre,  p.  I3.s-I39.  Précisément,  M.  A.  Fiance  a  inséré 
dans  ce  livre  un  dialogue  entre  les  princip.iux  philosophes  des  temps  passés  et 
modernes  sur  limmortalité. 

(2)  SuLLY-PHiDiioMME,    La   Justice,    lie    veille. 


NIHIL  OBSTAT  : 

.F.  MASSOT,  cens. 


IMPRIMATUR  : 

Rennes,  le  25  septembre  1922. 

F.    SEKKANI). 

Vil',  ce  11. 


BIBLIOGRAPHIK 


I.  —  SOURCES 

I.    -  MANUSCRITES 

BoDiN  (J.).  —  Des  Secrets  cachez  des  choses  subhmos.  Colloque  de 
sept  scavants  qui  sont  de  differens  sentiments  (B.  N.,  Ms.  FY. 
N.  acq.  1923). 

BoNAMico  (L.).  —  Qusedam  physica  Pomponatii  manu  Lazaii  Bona- 
mici  (Codex  ambrosianus,  I.  220  in-f",  fol.  89  à  149). 

Bouchard  (Amaury).  —  De  l'Excellence  et  Immortalité  de  Tâme, 
extrait  non  seulement  du  ïimée  de  Platon,  mais  aussi  de 
plusieurs  aultres  grecz  et  latins  philosophes,  tant  de  la  pytha- 
gorique  que  platonique  famille,  par  maistre  Amaury  Bouchard, 
maistre  des  requestes  ordinaires  de  l'hostel  du  roy  (B.  N., 
Ms.   Fr.   ancien  fonds  1991). 

Geoffroy  Vallée.  —  La  Béatitude  des  chrestiens  ou  le  tleo  de  la  foy 
(Arsenal,  M  s.  5792). 

—  Autre  copie  (B.   N.,  Fr.  24883). 

VicoMERCATo.  —  Délia  Consolalione  Libro  uno  di  Francesco  Vimercati 
alla  Serenissima  et  piissima  Reina  Caterina  de  Medici  Madré 
del  Re  Christianissimo  (Codex  Ambros.,  N.  205). 
--  Francisci  Vicomercati  Regii  philosophiae  professoris  commen- 
taria  in  Aristotelis  ethicam  sive  libros  de  moribus  ad  Nico- 
machum  (Codex  Ambros.,  R  106). 

—  Francisci  Vicomercati  commentaria  in  Aristotelis  de  partibus 

animalium  (Codex  Ambros.,  H  34). 

(Ces  deux  derniers  articles  ne  rh'ont  pas  été  cummuniqués, 
mais  Mgr  Grammatica,  préfet  de  la  Bibliothèque  Ambrosienne 
a  bien  voulu  y  rechercher  h  mon  intention  ce  qui  pouvait  inté- 
resser la  vie  de  \'icomcrcato). 


630 


bibliographe: 


II.  —  IMPRIMEES 
A)  Rationalisme  philosophique. 

(1Il:.ma.\ismi;.   Ecolk   dk   I'aihile,    Itat.ikns) 

Alexandre  d'Aphrodisias.  —  Jai  lu  les  préfaces  de  ses  éditions  de 
la  première  moitié  du  XVP  siècle  en  vue  d'y  chercher  des 
preuves  de  lu  poussée  rationaliste  : 

—  Problcmala  : 

—  Problemaliim   libii    II,    Th.    Gazîi    interprète,    Lyon,    15Ô5. 

in-8°;  1521-,  in-f". 

—  Problernatum  libri  duo,  G.  Valla  interprète,  in-f".  Paris,  1520. 

—  Problcmala...  grœce  et  latine  J.  Davioni  studio  illustrata. 

Paris,  1540-1541,  in-16. 

—  Les    Solutions    d'Alexandre    d'Aphrodisias    sur    plusieurs 
;        -     questions  physiques.  Lyon,   1554,  in-8'^. 

—  Les  Problèmes  d'Alexandre  d'Aprodisias  pleins  Je  matière 

de  médecine  et  de  philosophie,  trad.  du  grec  en  français 
avec  annotations  par  M.  Heret.  Paris,  1555,  in-8°. 
Ces  éditions  sont  sans  intérêt,  aussi  bien  que  le  De  Febribus 
.  (trad.  Champier,  Lyon,  150G);  il  n'en  est  pas  de  même  des  édi- 
,       lions  suivantes  : 

.  .-tr-    Alex,   Aphrod.    commentaria   in   XII   Aristot.    librns   de   Prima 
:.     ,■  -   philosophia,   interprète  J.-G.  Sepulveda.  Paris,  Colines,  1530, 
in-f°. 

—  Alex.  Aphrod.  de  lato...  liber  unus,  a  Gentiano  Herveto  Aurelio 

versus.  Lugduni,  apud  Aeg.  et  J.  Huguetan  fratres,  1544,.  in-8° 
AiiisToïK.  --  1°  Traductions  françaises  :  Œuvres  complètes,-  trad.  par 
Barthélemy-Saint-Hilaire.   Paris,    I8.S-7-1S92,  35  vol  jn-fol. 
~       -Jîi-A  ■iDyy.i,  traduction  Hodier.  Paris,  1000,  2  gr.  in-8°. 

—  Physique,  II,  trad.  O.   Mamclin.   Paris,  1907,   in-8'' 

—  ■>   Traductions   latines   de   la   première   moitié  du   XVI«  siècle 

éditées  en  France  : 
Priorum  .\nalyticornm  libii  duo.  Iiad.  par  Boethius  Severinus. 
Paris,  1537,   in-S°;  1545,  in-S". 

—  Posteriorum   Analyticorum,    trad.    par   Boethius   Severinus. 

Paris,    1537,    in-8°;   15ir},    in-8°. 

—  ..Parva  naturalia.  trad.  par  Leonico  Tomeo.  Paris,.  1530,  1511, 

1542.  De  partihus  animalium.  Paris,  1542. 

Parva  naturalia.  Météréolngiques,  de  generjilione  et  cnrrup- 
lioiie.   Irad.   par  \'a table.    Paris.    151? 


BIBLIOGUAPHIK  (j37 

A^i^XOTEj-^De  Anima,  trad.  par  Fabor  Stapuleusis,  Bàle,  1538,  in-8°. 

■  '-^    •  ■    De  Anima,   trad.   par  Argjiopoulos.    Paris,    154-2,   ih-S".    De 
■■  Caelo.  Paris,  1542. 

— '        Gvijvres  trad.  par  J.  Péiion.  Chez  Vascosan,  1552,  in-i"  con- 
îenant    :  le  De  Xalura,   le  De  Ca^lo.   les  Météorologiques, 
les  Parva  Naturalia,   le  De  Ortu   et  Interitu.   Pour  le  De 
'■■■'■}  •       Mundo  ou  a  reproduit  la  traduction  de  Budé.   ' 

■' — '-'^  "De  Anima  libri  très  e  graeco,  quam  proxime  fîeri  poluit,  in 
linguam  latinam  traducti,  Gentiano  Herveto,  Aurelio,  inter- 
prète. Item  in  eosdem  libros  Joannis  Grammatici  Philo- 
poni  commentarius  ab  eodeni  versus.  Lugduni,  apud  A. 
et  J.  Huguetam  fratres,   1544,   in-f°. 

—  3°  Les  commentaires  sont  classés  par  nom  d'auteurs. 

AvERROÈs.  —  Libri  metaphysica3  XIIII  singulorum  epitomatis  hactenus 
non  impressis  Averioeque  fidelissimo  interpréta  ...Lugduni, 
Se.  de  Gabiano,  1529,  in-f". 

—  '   Collectaneorum  de  re  niedica  Averrhoi...,  a  Joanne  Bruyerino 

Campegio.  Lugduni,  1537,  in-4*'. 

Bellixo  (F.).  —  In  morlem  P.  Pomponatii  elegia  (publiée  dans  Ras- 
.segna  Emiliana,  II''  année,  fasc.  III,  sept.  1889,  p.  145-146). 

Belmissero  (P.).  —  Belmisseri  opéra  poetica.  Paris,  Colines,  1534,  in-8''. 

—  Epitalamium  in  nuptiis  Henrici,   lilii  Christianissimi  Gallonim 

régis  Francisci,   celebratis  Massiliœ,  anno  D"'  1533  die  Divo 
Martine  dedicata.  Paris,  1534,  in-S". 

BoNAMico.  —  Lazari  Bonamici  Bassanensis  carmina  et  epistolas  una 
cum  ejus  vita  a  J.-B.  Verci  conscripta.  Venetiis,  1770,  in-8°.  • 

Breton  (Robert).  —  Epistolaium  libri  duo.  Paris,  Bossozel,  1540,  in-4<'. 

—  Orationes  duae  Burdigalae  quondam  ab  eodem  habitae,  altéra  de 

pace,  altéra  de  philosophia.  Paris,  Michel,  1538,  in-8°. 
. —    Qrationes  quatuor.  De  parsimonia  liber.  Epistol.  libri  très.  De 
virtute  et  voluptate  coUoquium.  Ejus  demura  carminum  liber 
unus.  Toulouse,   1536,  in-4°. 

—  De  ratione  consequendœ  eloquentiae  liber  :  cui  adjunctum  est 

jocosum  fictis  introductis  personis  et  rerum  simulachris  de 

virtute  et  voluptate  et  paterno  amore  in  liberos  colloquium. 

Parisiis,  Lud.  Grandin,  1544.  in-12. 
BuciuN.^N.   —  Geor.    Buchanani   Scoti   poemata   qua?   extant,    editio 

postrema.  Amstelodami,  1641,  in-18. 
Petri   Bunelli,   Paui.i   Manutii   epistolœ  ciceroniano   stylo   scriplœ. 

Aliorium  Gallorum  pariter  et  Italorum  epistolœ  eodem  stylo 

scriptae.   Paris,   Anno  MDLXXXI,   in-8». 


038  i:ilJL10(iRAPHIE 

BuRANA.  —  Exliibenius  tandem,  studiose  lector,  diu  expectata  ArisU)- 
telis  priara  resoluloria  a  Joanne  Francisco  Burana  Veronensi 
jam  recens  et  latino  sermone  donata  et  commentariis  exac- 
lissimis  iilustrata.  Parisiis,  ex  officina  C:h.  Wecheli,  sub  Scuto 
Rasiliensi,  MDXXXIX,  in-f°  (préface  de  nngolini). 

Caukan  (Jérôme).  —  Hieronymi  Cardani  mcdiolanen^is  niedici  de 
rerum  varietate  libri  XVII  cum  Cœsareœ  mojestatis  privi- 
legio;  neque  deest  iUud  christianissimi  régis,  ut  versa  pagina 
indicat.   liasileir  anno  MDLVII  (per  Ilenricbum  Pétri),  m-i°. 

■—  Hieronj'nii  Cardani  medici  mediolanensis  de  sapientia  libri  V. 
Ejusdem  de  consolatione  libri  tres,  aJias  œditi  sed  nunc  ab 
oodem  autbore  recogniti.  Kjusdem  de  libris  propriis  liber 
unus,  omnia  locupleti  indice  decoratn.  1544.  A  la  fm  :  Excusum 
Norlmbergœ,  apud  Johan.  Petreium. 

—  Hieronymi  Cardani  medici  mediol.   liber  de  immortalitate  ani- 

morum.  f.ugduni,  apud  Sebast.  Gryphium,  1515. 

—  Hieronymi  Cardani  de  subtilitate  libri  XXI.  Nurembergae,  1545. 

—  Les  livres  de  Ilierosmes  Cardan...   intitulés  de  la  subtilité  et 

subtiles  inventions,  ensemble  les  causes  occultes  et  raisons 
d'icelles,  trad.  par  Pv.  Le  Blanc.  Rouen,  1642,  in-8" 

CrcÉRON.  —  De  Natura  Deorum  libri  IJI. 

—  De  Eato. 

—  De  Divinatione  libri  II. 

—  Disputationum  Tusculanarum  libri  V. 

—  Academicorum  Posteriorum  liber  I. 

—  Academicorum  Prioium  liber  II. 

CoN'iAni.N'i  (Gasparo).  —  De  Immortalitate  aninuf  adversns  Pompo- 
nalium.  Paris,  1571,  in-f°. 

.l)i;s  l'KiuKns.  —  Cymbalum  mundi.  Ed.  Bibl.  Jacob.  Paris,  1858,  m-16. 

—  flMures,  édition  el/.évirionne.  Lncoiir.  Paris,  18r)G,  2  vol,  in-16. 

Dor.in.  —  Cîirminum  libri  quatuor.  Lyon,  1538,  in-i". 

-    Conuncntariorum  linguœ  latiiue,  tomus  primus.  Lyon   153G,  in-f"; 
torniis  II,   il)..  1538,  in-1". 

—  Dr  iniitalione  rjceroniana.  Lyon,  1535,  in-l°. 

—  De  Be  navali   liber  ad  La/.ainni   nayfiinn    Lugd  ,  ap.   S.   Gry- 

jjliiuni,    1537,   in-1". 

—  St.  Doleti  orationes  in  Tnolosam,  Ejusdem  Epistolarum  libri  duo; 

ad  eumdem  epistol.  amicorum  liber  (s.  1.  n.  d.).  Lyon,  1534. 

—  D(Mix  dialogues  de   Platon,   l'iui   intitulé  Axiocbus  qui  est   des 

misères  do  la  vie  humain'',  do  liinmorlalilé  de  l'Ame  el  par 


BIBLIOGRAPHIE  ^9 

conséquent  du  mépris  de  la  mort;  et  lautre  Hipparcus  qui  est 
de  la   convoitise  de  Thomme  touchant  la  lucrati\o...   Lyon, 
1544,   in-lG. 
Du  Ferron  (Amould).  —  In  consueludiues  Burdigalensium  conimen- 
tariorum  libri  duo.   Lugduni,  Gryphius,   1585,   in-f". 

—  Aristotelis  liber  adversus  Xenophanem,  Zcnonem  et  Gorgiarn, 

interprète  Arnoldo  Ferrono...  A.   F.  pro  Aristotole  adversus 
Ressarionem  libcllus.  Lugduni,  J.  Toinaeus,  1557,  in-8". 
Erasme.  —  Erasmi  Roterodami  colloquia.  Amsterdam,  Elzevii\  1650, 
in-12. 

—  Erasmi  Roterodami  colloquia  familiaria  et  Encomium  Moriœ. 

Lipsiae,   Tauchnitz,    1829,   2  vol.  in-18. 

Fernei,  (Jeiin).  —  De  adbitis  rerum  causis.  Paris,  1548,  in-f". 

Ferrerio  (Giovanni).  —  Joan.  P'<"  Pici  Mirandulœ  Domini...  de  animœ 
immortalitate  docta  et  arguta  digressio  nunquam  prius  in 
Gallis  excusa.  Adjecimus  huic  digressioni  Jo.  Ferrerii  Peda- 
montani  Enteiechiam  cum  nonnullis  aliis.  Parisiis,  ap.  J. 
Roygni,  154^,  in-4°. 

—  Appendix  de  Entelechia  J.  Ferrerio  Pedomont.  aulhore  (même 

vol.,  p.  40-55). 

—  Appendix  altéra  per  cumdem   Jo.   Ferrerium   Pedem.    in  qua 

immortalitas  animorum  ex  divinis  litteris  confirmatur  (même 
vol.,  p.  55-60). 

—  Academica  de  animonim  immortalitate  ex  sexto  T.  L.  Gceronis 

de  republica  libro  enarratio,  J.  Ferrerio  pedemontano  authore. 
Paris,  1589,  in-4^\ 

—  De   vera   cometœ   significatione    contra   astroJogorum   omnium 

vanitatem  libellus,  nuper  editus  J.  F.  P.  authore.  Paris,  1540, 
•  in-4°. 
Fic.rN-.   —  Theologia  Platonica  de  immortalitate  animorum  duodevi- 

ginti  libris  Marsilio  Ficino  Florentino..,  authore  comprehensa 

ad   vetustissimi   codicis   exemplar   summo    studio    castigata. 

Parisiis,  ap.  Aeg.  Gorbinum...,  1559,  in-8°. 
Galt.and  (P.).  —  P.  Galiandii  Litteranim  latinarum  professoris  Regii. 

Pro  schola   Parisiensi   contra  Novam  Academiam   P.   Rami 

oratio.  Ad  ill.  Cardinalem  et  principem  Carolum  a  Lotharingia. 

Lutetia-',  apud  Vascosanum,  1551,  in.-8°. 
GovÉAN  (Ant.).  —   Antonii  Goveani  opéra  juridico,  philologica,  philo- 

sophica.  Rotterdam,  1766,  in-f°. 

—  Pro  Aristotele  responsio,  adversus  P.  Rami  calumnias...  Paris, 

Colines,  1543,  in-8°. 
GuÉROur.T.   —  Le  premier  livre   des   emblèmes   composé   par  Guill. 
Guéroull.  A  Lvon  cli07  Baltha/nr  Ai-noullet,  MDXXXXX,  in-8". 


(j'iO-  BIBLIOGUAPHIE 

LoNGUEiL  (Christophe  de).  —  Chi-.  Longolii  Episfohnuni  l.ibri  IV.  Lyon, 
1565,  in-12. 

Lucrèce.  —  In  C  Lucrelium  proetam  commentarii  a  J.-B.  Pic  editi  : 
codice  lucretiano  diligenter  einendato  :  nodis  omnibus  et  diffî- 
cultalibus  apertis...  Venundatur  ab  Asconsio  et  Jdaruie  Parvo, 
1514,  in-f°. 

MAivnxo  (Spirito).  —  Dialogus  de  entelecliia  Spiiitus  Maitini  Cuneatis, 
ad  Joannem  Macrinum  consiliarium  regium.  Parishs,  ex 
ofTicina  Wecheli,  MDXLIII,  in-4°. 

Muret.  —  Orationum  volumina  duo.  Cadoni,  16Si,  in-li\ 

—  Variarum  lectionum  Ubri  XV   Anveis,  1586,  in-8°. 

NiPHUs.  —  De  immortalilate  animae  libellus.  Venetiis,  1518,  in-1". 

IMsciiAL  (P.  de).  —  Pétri  Paschahi  adversus  Joannis  MauHi  parricidas 
aclio.  Accedunt...  epistolœ  in  itnlica  peregiinntione  exaratiP. 
Lugduni,  1548,  in-8°.  ^ 

l-'LiNE.  —  Naturahs  historiœ  libri  XXXVII.  l^aiis,  1516,  in-f»  (éd.  N. 
Bérauld). 

l'OMPONAZZi  (P.).  —  Pomponatii  opéra.  Basileœ,  ex  otRcina  Henric- 
pcdina,  MDLXVII,  in-S",  contenant  : 

—  De  Naturœ-elTectuum  admirandorum  causis,  seu  de  incantatio- 

nibus  liber. 

—  De  Fato,  libero  arbitrio,  Prœdestinutione,  Providenlia  Dei  libri  V. 

—  P.  Pomponatii  tractatus  de  immortalilate  animorum  (s.  1.),  1534, 

in-lJi. 
Rab-elais.  —  Œuwcs,  éd.  Marty-Laveaux.  Paris,  1868-19^,  G  vol.  in-8°. 

—  Œuvres,  éd.  Ab.  Lefranc.  Paris,  1912,  2  vol.  in^". 

—  Pantagruel  éd.  de  Lyon,  1533.   Réimprimé  par  Babeau,   Bou- 

lenger,  Patiy.  I>aris,  1904,  in-8°. 

—  Le  Quart  Livre  de  Pantagruel,  éd.  de  Lyon,  1548.  Texte  critique 

avec  une  introduction  par  .F.  Plattard.  Paris,   1910,  in-8°. 

Sadolet.  —  Jac.  Sadolefi  de  laudibus  philosophiœ  libri  duo.  Lugduni, 
1538,  in-4<'. 

—  Epistolarum  lii)ri  XVII.  Rome,  1759-1767,  5  vol.  in-80. 

Tai.on  fOmer).  -  .\u(i.  Talaei  Academia,  ad  Cardinalem  Lotharingum 
15'j8.  (Héédilé  fi.ins  P.  Rami  et  .\.  T.ifji'i  Culloctanaa:!  pn-rfa- 
liones,  1577). 

liiEOCnE.NO.  —  Benedicti  Theocreni ^piscopi  Grasserisis,  Regii  Fran- 
cise! liberorurn  praîceptoris,  poemata  qucf}  jnvenis  admodum 
"     lusit.  Pictuvii,  ex  oincina  Maiiiefioium  fiatium,  sub  Policano, 
.MDXXXVI,  in-8°. 


iJliiLlUGUAFHlL  Q41 

Thomf.o   (Leonico).   —  Nicolai   Leonici   Thomaei   opuscula   nuper  in 
lucem  édita.  Paris,  Colines,  1530,  in-f". 

—  Nicolai  Léon.  Thomaei  dialogi.  Paris,   Colines,  1530,  in-f°. 
VicoMF.p.CATo.  —  In  tertiuni  libruni  .Vristotelis  de  anima,   Francisco 

a  Vicomercato  mediolanensi,  Parisiis  stipendio  legio  philo- 
.sophiam  grœce  profitente,  authore.  Ejusdcm  de  anima  ratio- 
nali,  peripatetica  disceptatio.  Parisiis  ex  cfllcina  Christiani 
Wecheli...,  *1543,  in-8°  (B.  N.,  R.  13.110). 

—  Autre  exemplaire,  identique  de  tout  point,  mais  portant  à  la  place 

de  Wechel  :  Parisiis,  apud  Joannem  Roigny,  MDXLIII 
(B.  N.,  R.  53.484). 

^  F^'  Vicomercati  Mediolanensis  in  oclo  Aristotelis  de  naturali 
ausculatione  commentarii.  Et  eorumdem  librorum  e  grœco  In 
latinum  per  eumdem  conversio.  Lutetiœ  Parisiorum,  ap. 
Vascosanum,  MDL,  in-f»  (B.  N.,  R.  160  et  R.  256). 

—  In  eam  partem  duodecimi  libri  metaphys.  .aristotelis  in  qua  de 

Deo  et  cneteris  mentibus  divinis  disserifur.  Pai  i.s,  David,  1551 
in-4°  (B.  X.,  R.  2.761). 
.    —    Francisai  \'icomeicati  mediolanensis  in  quatuoi-  libros  Ansto 
telis  meteorologicorum  commentarii.   Et  eorumdem  librorum 
e  grœco  in  latinum  per  eumdem  conversio.  Lutetiœ  Parisiorum 
ap.  ^'ascosanum,  MDLVI,  2  tomes  en  1  vol.  in-f^  (B.  N.,  R.  257) 

—  De  Principiis  rerum  naluralium  libri  très.  Venetiis,  apud  F"="^ 

Bolzetam  bibliopolam  Pat.nvinum,  159G,  in-i"  (B.  N.,  Res 
R.  885). 

—  Autre  édition  :  Marpurgi,  apud  Egenolphum,  1598,  in-8°  (B.  N. 

R.  12.611). 
ZiMARA  (A.).  —  De  Anima  libri  très  cum  Averrois  cordubensis  com 
mentariis  ac  apostillis  A.  Zimarop.  Lugduni,  Myt,  1530,  in-8'' 


B)  Adversaires  de  la  philosophie  padouane  antérieure  à  1553. 

.A.ILLY  (Kerre  i>').  —  Petrus  ab  Alliaco.  Tractatus  de  anima  et  acci- 
dentibus  ejus  per  R.  D.  P.  de  Allyaco  compilatus  et  parisiis 
solertia  caracteribusque  Johannis  Lamberti...  impressus 
anno  D»*  MDIII. 

BETur.F.ius  (X.  Birsch).  —  Xysti  Betuleii  in  M.  T.  Ciccionis  libros  1res 
de  natura  Deorum  commentarii.  Basilene,  1550. 

Bigot  (Guili.).  —  Cliristianœ  philosopliia;  prœludii  libii  IV,  opus  cum 
aliorium  tum  luiminis  substauliam.  luculentis  expromens  et 
exemplis  et  rationibus.  Gulielmo  Biguiio  Lavalensi  autore. 
Tolûsœ,  ex  Prœlo  G.  Boudovillœ,  MDXXXX\'IIII.  in-K 

41 


642  BIBLIOGRAPHIE 

BuDÉ.  —  BudcOi  de  asse  et  puilibus  ejus  libri  \'.  l'iui.s,  1516. 

—  Budaei  lucubrationes  variœ,   1557,  in-f°. 

—  Budaei  de  tiausitn  Hellenisnii   ad  Christiaiiiyinuiii,    1535,   m-4°. 

Cassiodore.  —  Magni  Aurelii  Cassiodori  variarum  libri  XII,  item  de 

anima  liber  uiius  recens  in\enli  et  in  luce  dati  a  Mariangelo 

Accursio.  s.  1.  (Aug.  Vindel.),  MDCXXIII,  in-f". 
Crockard.  —  Voir  Pierre  de  Braxelles. 
CuRiONE.. —  Cœlii  Seciindi  Curionis  Aianeus  seu  de  Providentia  Dei 

libellus  vere  aureus  cum  aliis  nonnuills  ejusdem  opusculis 

lectu  dignissimis    Basileoe,  MDXLIII. 
Enée   de   Gaza.   —  Tlieophraslus   seu   de   immoi  talitate   animorum, 

Joaime  Vulpio  intei-prete.  Basileœ,  ap.  Episcopum  juniorem, 

1558,  in-f. 
Florido.  —  Francisci  Floridi  Sabini  adversus  St  Doleti  Aurelii  calum- 

nias  liber.  Romœ,  MDXLI,  in-i". 

Héroet.  —  Antoine  Iléroet.  (Pauvres  poétiques,  édition  critique  par 
F.  Gohin.  PaiLs,  19()0,  in-S^. 

Houppelande  (G.).  —  Divinarum  lilterarum  interpretis  viri  profun- 
dissimi  nec  parum  in  sacris  ecclesiœ  canonibus  eruditi  magistri 
Guillermi  Houppelande  libellus  perutilis  de  anime  hominis 

imniortalitate  et  statu  post  mortem A  la  fin  du  volume 

on  lit  :  Qui  quoque  parisiis  exaratus  es!...  Anno  D°'  millesirno 
quingentesimo  primo,  die  vero  penultima  mensis  aprilis. 
Pet.  in-8«  goth. 

Le  Roy  (Louis).  —  Le  Phedon  de  Platon  traictant  de  rimmortalité 
de  l'âme,  présenté  au  Roy  très  chrestien  Henri  II  de  ce  nom, 
à  son  retour  d'Allemagne  (\'oir  page  303,  note  4,  le  détail  des 
extraits  qui  y  sont  joints).  A  Paris,  chez  Séb.  Nyvelle,  1553 
(B.  Mazarine  A.  12156). 

Macrin.  —  Salmonii  Macrini  Juliodunensis  Cubicularii  Regii  hymno- 
rum  libri  sex,  ad  Jo.  Bellaium  S.  R.  E.  Cardinalem  amplis. 
Parisiis,  ex  officina  Roberti  Stephani,  MDXXXVH,  pet.  in-8°. 

Melanxhthon.  —  Commentarius  de  anima  Pliilip.  Melanch(tonis). 
Vitebergœ,  MDXL,  in-S». 

—  De  Anima  commentarius.  Lugduni,  Gryphius,  1542. 
Paleario.  —   Aonii    Palearii   Verulani    de   animarum    immorialitate 

libri  duo.  Lugduni,  15:i6,  in-K 
r>ii:uRE  DE  Biu  XEr.LKs  (Chockart).  —  Argutissimœ,  subtiles  et  fecunde 
quastioncs  phisicales  magistri  Pelri  de  Bruxollis,  alias 
Crpckart,  ordinis  prœdicatoium.  in  octo  libros  phisicorum  et 
in  très  de  anima  ipsius  omnium  philosoplioiuni  facile  princi- 
piis  {sic)  Aristotelis.  Paris,  .Jehan  Petit,  1521,  in-f°  (B.  Maza- 
rine 3813) 


BIBLIOGRAPHIE  0/j3 

G.  PosTEL.  —  De  Hationibus  Spiritns  Sancti  libri  II.  Paris,  154-2,  in-S" 
(B.  N.,  Rés.  D2  5247-8). 

—  Qualuor  iibiorum  de  mbis   terrée  concordia  liber  primus,    G. 

Postello    Bareiituniu,    nialli.     i-eg.     autiiure.     lixcudebat    ipsi 
'  authori  Pelius  Groniorsus  sub  Phœnicis  signo  juxta  scolas 
remenses.  s.  d.  (1542?)  (B.  N.,  Rés.  D^  5248). 

—  Alcorani  seu  legis  Mahometi  et  Evangelistarum  concordiœ  liber 

in  quo  de  calamitatibus  orbi  christiano  imminentibus  trac- 
tatur.  Additus  est  libellus  de  nniversalis  conversionis  judiciivc 
tempore,  et  intra  quot  annos  sit  expectandum  conjectatio,  ex 
jdivinis  ducta  authorihus  veroque  proxima.  Excudebat  ipsi 
authori  Petrus  Gromosus  sub  Phœnicis  signo,  juxta  scholas 
remenses,  1543,  in-8°  (B.  N.,  O^  g.  185). 

—  Sacrarum  Apodixeon  sur  Euclidis   christiani  libri  duo.   Paris, 

1543,  in-S''  (B.  N.,  Rés.  D^  5248). 

—  De  Orbis  concordia  libri  IV.  Basileœ,  1544,  in-8°  (B.  N.,  D^  263). 

—  Abscontlitarum  a  constitutione  mundi  clavis  qua  mens  humana 

tam  in  divinis  quam  in  humanis  pertinget  ad  interiora  vela- 
minis  œternae  veritatis  G.  Postello  ex  divinis  decretis  exscrip- 
tore.  Lector  quisquis  es  aut  perlege  et  si  potes  perpende  et 
intellige  :  aut  abstine  a  censura,  s.  1.  n.  d.  (1546),  in-16  (B.  N., 
Rés.  Z.  42322  et  D^  10156). 

—  De  Nativitate  mediatoris  ultima  nunc  futura  et  toti  orbi  terrarum 

in  singulis  ratione  prœditis  manifestanda,  opus;  in  quo  totius 
naturœ  obscuritas  origo  et  creatio  ita  cum  sua  causa  illus- 
tratur  exponiturque  ut  vel  pueris  sint  manifesta  quae  in  theo- 
sophiœ  et  filosophiœ  arcanis  hactenus  fuere  auctore  spiritu 
christi.  Exscriptore  G.  Postello  Apostolica  professione  sacer- 
dote.  s.  1.  n.  d.  in-4<'  (Bùle,  1547  environ,  d'après  Brunet. 
Un  passage  de  la  page  4  indique  qu'il  a  été  écrit  en  1547), 
(B.  N.,  22  1554). 

—  De  Etruriae  regionis  quœ  prima  in  orbe  europteo  habitata  est 

originibus.  religione  et  nioribus  et  imprimis  de  aurei  sœculi 
doctrina  et  vita  praetantissima  quœ  in  divinationis  sacrœ  usu 
posita  est.  G.  Postelli  commentatio.  Florentia-,  M.  D.  L  I., 
in-i°  (B.  N.,  D^  1555). 

—  Abrahami    patriarchae    liber    lezirah    sive    formationis    mundi. 

Patribus  quidem  Abrahami  tempora  praecedentibus  revelatus, 
scd  ab  ipso  etiam  Abrahamo  expositus  Isaaco  et  per  Prophe- 
tarum  manus  posteritati  conservatus,  ipsis  autem  72  mosis 
auditoribus  in  secundo  divinae  veritatis  loco  hoc  est  in 
ratione  quœ  est  posterior  authoritate  habitus.  Vertebat  ex 
hebraeis  et  commentariis  ilîustrabat  1551  ad  Babylonis  ruinam 


0  i  î  BIBLIOGRAPHIE 

et  concepti  mundi  finem  Gui.  Poslellus  Rc-^titulus.  Parisiis. 
Vœneunt  ipsi  authori  sive  interpreti  G.  Postello.  In  scholis 
Italorum,  1552,  in-l(l  (B.  N.,  A.  6590}. 

—  Eversio  falsorum  AristotclKs  dogmatum,   auctore  Justino  mar- 

tyre, qui  Ilelii  Hadriani  Cresaris  temporibus  et  vixit,  et  ad 
eum  pro  christianis  doctissime  scripsit.  Gulielmo  Postello  in 
tenebrai'um  Babylonicarum  dispulsionem  interprète.  Pmisiis, 
Seb.  Nivcllins,  1552,  in-lG  (B.  N.,  C.  2545-2546). 

—  Satisfaclio  pro  suo  in  Aristotelem  conatu.  Paris,  Seb.  Nivell.,  1552 

—  Liber  de  cau.sis  scii  de  principiis  et  originibus  Naturae  utriusque, 

in.  quo  ita  de  ajlerna  lerum  veritate  agitur  ut  et  authoritate 
et  ratione  non  tantum  ubivis  particularis  Dei  providentia,  sed 
et  animorum  et  corporum  immortalilus  el  ipsius  Aristotelis 
verbis  recle  intcUectis  et  non  detortis  demonstietur  clarissime. 
Contra  athoeos  el  hujus  larvae  Babylonicse  alumnos  qui  suae 
favent  impietati  ex  magnorum  authorum  perv^ersione  —  ad 
finem  autem  potissimum  Aristotelis  authoritas  est  adscripta. 
Autliore  G.  Postello.  ...Parisiis,  apud  Seb.  mvellium  sub 
Ciconiis  in  \  ico  .Jacobœo.  M.  D.  L  II  (B,  N.,  Rés.  Z.  4232),  in-16. 

PuY  Herbault  (Gab.  ue,  dit  Putherbeus).  —  G.  Putherbei  Turonici 
professione  Fontebraldœi  Theotimus  sive  de  tollendis  et  expur- 
gendis  malis  libris  iis  prœcipue  quos  vix  incolumi  fide  ac 
pietate  plerique  légère  queant  libri  très.  Paris,  1549,  in-S*. 

Ramus  (P.).  —  M.  T.  Ciceronis...  somnium  Scipionis  ex  libro  sexto 
Ciceronis  de  Republica  cum  notis...  P.  Rami.  Lugduni,  1556, 
in-4"  (L'édition  princeps  est  de  Paris,  1546). 

—  P.  Rami  Veromandui...  Instilutionum  Dialecticarain  libri  très. 

Paris,  M.  David,  1552,  in-8°. 

—  M,    T.  Ciceionis  De  Fato  liber,  P.  Rarni  praïleclionibus  expli- 

catus.  Paris,  Vascosan,  1550,  in-4°. 

—  P.  Rami  oratio  initio  suœ  prnfessionis  habita  anno  1551,  octave 

calend.  Septembris.  Parisiis  ex  lypographia  M.  Davidis,  1551, 
in-8°. 

—  Pro  philosophica*  Parisiensis  Academiae  disciplina  oratio.  Paris, 

L.  Grandin,  1551,  in-8°. 

—  P.  Rami  professons  regii  et  Audomari  Talœi  collectaneœ  proe- 

fationes,  epistolœ,  orationes,  cum  indice  totius  operis.  Parisiis, 
apud  D.  \'allensem,  1577,  Ce  volume  contient  :  de  Ramus, 
cinq  Grammaticœ  praefationes,  sept  Dialecticae  prœfationes, 
trois  Physicœ  prœfationes,  trois  Moralis  Philosopliiae  prœfat.; 
quinze  lettres,  onze  discours;  de  Talée  :  l'Academia,  l'Admo- 
nitio  ad  Tumebum;  de  l'un  et  de  l'autre,  des  préfaces  et 
discours. 


BIBLIOGRAPHIE  ()45 

Romeo  de  Castiglione.  —  F<"»»  Ronieus  a  Oistellione  Tusco  o.  P.  De 
libertate  opeium.  Brevis  quoquc  annotatio  ejusdem  ad  ani- 
morum  immoitalitatem  chiistiane  ac  peripatetice  .deducla. 
Lugduni  1538  (Bibl.  de  la  Soibonne,  Rés.  945). 

Meixin  de  Saint-Gelms.  —  Œuvres.  Ed.  I'.  Blanchemain,  187o',  3  vol. 
in-l(î. 

Sainte-Marthe  (Charles  de).  ^  In  obitum  iacomparabilis  Margaritœ 
jlluslr.  Navanonim  reginue  oratio  funebris.  Parisiis,  1550 
(B.  \.,  U  K.  1149),  in-4". 

—  Oraison  funèbre  de  l'incomparable  Marguerite...,  trad.  par  luy 

en  langue  françoise.  Paris,  1550  (B.  N.,  L.  K.  1150). 

—  In  psalmum  nonagesimum  pia  ad  modum  et  christiana  medi- 

tatio.  Paris,  1550  (B.  Maz.  23433),  in-î". 
Scaliger  (J.-C).  —  Julii  Cœsaris  Scaligeri  Exotericaruva  exercitatio- 

num    liber    ad    Hieronymum    Cardauum.    Paris,    Vascosan, 

1557,  in-fo. 
Steuc.o  (Agostino).  —   \ug.  Steuchi,  Eugubini,  episcopi  Kisami,  sedis 

apostolicae  bibliolhecarii  de  perenni  philosophia  libri  decem. 

Parisiis,    apud    Mich.    Sonnium,    via    Jacobœa,    1578,    in-P. 

(Première  édition  en  1540). 
Synesios.  —  Synesii  episcopi  Cyren.  opéra  édita  ex  bibliotheca  regia 

studio  Ad.  Tuinebii.  Paris,  1553*,  in-f°. 
Théodoret.  —  Deux  sermons  de  Théodoret,  le  premier  traitant  de 

la  vie  éternelle  et  de  la  résurrection  de  la  chair,   le  second 

de  la  Providence  de  Dieu  et  de  Flncarnation  du  Sauveur,  Lyon, 

1547,  in-12  (trad.  par  Cl.  d'Espences). 

—  Theodoreti  episcopi  Cyri  vetustissimi  scriploris  de  Providentia 

orationes  decem  latinitate  donatœ  Rod.  Gualtero  Tigurino 
interprète.  Parisiis,  ap.  ,T.  Bene  Natum,  1571,  in-8°  (édition 
grecque-latine). 
TuRNÈBE.  —  Adr.  Turnebi  opéra  varia,  nunc  primum  ex  bibliotheca 
Stephani  Tuniebi  in  unum  collecta,  eniendata  et  aucta.  Argen- 
torati,  Loz.  Zetnerus,  1600,  in-f"  (3  tomes  en  un  vol.). 


C)  Rationalisme  théologique  antérieur  à  1553. 

(Libertins,  protestants,  libéraux,  AXARAPTrsTES,  évhémérisme) 

BocCACE.  —  Généalogie  Johannis  Boccacii  cum  micantissimis  arborum 
efïigiacionibus  cujusque  gentilis  dei  progeniem  non  tam 
aperte  quam  summatim  declarantibus,  cumque  prœfœcunda 
omnium  quœ  in  hoc  libro  sunt  ad  finem  tabula.. 


04G  BIBLIOGRAPHIE 

Sectatoribus  oppidoque  neccssarii  Panhisiis  quoque  studio 
perquam  vigili  accuratissimeque  impressi  nunquam  antea 
citra  Alpes  notulis  stanneis  divulgati  visenda  denique  casti- 
galiune  conspicui  (Marque  de  Denis  Roce).  A  la  fin  :  Parrhi- 
siis  excusum  est  stanneis  hoc  opus  notulis  opéra  et  cxpensis 
Dionisii  Roce,  Lodovici  Hornken  et  sociorum  ejus,  Aicesima 
secunda  die  Augusfo,  anno  Domini  millesimo  quingentisimo 
undecimo.  In-1'^  de  157  feuillets  (contient  en  plus  de  la  Généa- 
logie le  Traité  des  montagnes^  fleuve,'^,  mers  etc.  du  môme 
Boccace). 

C.Ar.vtx  (J.).  —  Institution  de  la  religion  chrestienne.  Texte  de  1541 
réimprima'  sous  la  direction  de  A.  Lefranc  par  H.  Châtelain  et 
J.  Pannier.  Paris,  191 1,  2  aoI.  in-8''. 

—  Edition  latine  de  lôoli 

—  Traduction  française  de  1560. 

—  Editions  réunies  dans  le  tome  I  des  Opéra  (édil.  Brunswick). 

—  Traité  par  lequel  il  est  prouvé  que  les  l'inies  veillent  et  vivent 

après  qu'elles  sont  sorties  des  corps,  contre  l'erreur  de 
quelques  ignorants  qui  pensent  qu'elles  dorment  jusques  au 
dernier  jugement.  Réédité  par  P.-L.  Jacob  dans  les  œuvres 
françaises  de  J.  Calvin,  Paris,  1842. 

iiriefve  Instruction  pour  armer  tous  bon  fidèles  contre  les  erreurs 
de  la  sC'Ote  commune  des  anabaptistes  (Opéra,  Brunswick, 
VU,  50-151;  opuscules,  579-646),  Genève  1541-. 

—  Contre  la  secte  phantastique  et  furieuse  des  libertins  :  qui  se 

nomment  spirituels.  Genève,  1545,  pet.  in-8°  (Opéra,  Brunswick, 
VU,  152-247). 

—  Epistre  contre  un  certain  cordelier  supiX)si  de  la  secte  des  liber- 

tins, lequel  est  prisonnier  à  Rouen.  Genève,  154-7  (Opéra, 
VIT,  341-363). 

—  Des  Scandales  qui  empêchent  aujourd'huy   beaucoup  do  gens 

de  venir  à  la  pure  doctrine  de  l'Evangile  et  en  débauchent 
d'autres.  Genève  1550. 

CoMi  (Noël).  —  Natalis  Comitis  mythologiœ  sive  explicationis  fabu- 
larum  libri  X...  nuper  ab  ipso  autore  recogniti  et  locupletati... 
Parisiis,  apud  Seb.  et  Sim.  Aubray,  1606,  in-f°. 

r.Yitii.F.î-:  (Saint).  —  Adversiis  Julianuni  imperalorem  (Up<'ra,  édition 
grecque-latine  par  .\ubert.  Paris,  1638,  tome  VI),  in-f°. 

Dii\ Ar.  (P.).  —  Le  ThéAlie  myslique  de  l^  du  \'al  et  les  libertins  spiri- 
tuels de  Rfiuen  au  X\'I«  sircle,  par  1'..  Picot,  1882. 


BIBLIOGRAPHIE  647 

GiRALDi  (Lelio).  —  Do  Deis  gentiiim  varia  et  multiplex  historia,  in  qua 
simul  de  eorum  imaginibus  et  cognominibus  agitur,  ubi  plu- 
rima  etiam  hactenus  multis  ignota  explicantur  et  pleraque 
clarius  tractantur.  Ad  D.  Herculem  Estens.  Il  Ferrariens. 
ducem  IV.  Lilio  Gregorio  Gyraldo  Ferrariensi  auctore... 
Basileœ  per  Joannem  Oporinum,  in-f°.  A  la  fin  du  volume  : 
Basileœ  ex  offîcina  Joan.  Opoiini,  anno  salutis  humante 
MDXLVIII,  mense  Augusto. 

Herminjard.   —  Correspondance  des  Réformateurs   de   langue  fran- 
çaise, 1878,  9  vol.  in-8°. 
Marguerite  de  Navarre.  —  Heptarneron,   édition  P.   Lacroix.   Paris, 

1872,  4  vol.  in-8°. 

—  Les  Marguerites  de  la  Marguerite  des  Piincesses.  Paris,  Jouaust, 

1873,  4  vol.  in-8°. 

—  Dernières  poésies  de  Marguerite  de  Navarre,  par  A.  Lefranc. 

Paris,   1896,  in-8». 

Origène.  -  Traité  d'Origène  contre  Celse,  "ou  défense  de  la  religion 
chrétienne  contre  les  accusations  des  païens.  Traduit  du  grec 
par  Elle  Bouhereau.  Amsterdam,  1700,  in-f°. 

ScHMiDi  (Ch.).  —  Les  Libertins  spirituels.  Traités  mystiques,  écrits 
dans  les  années  1547-1549,  publiés  d'après  le  manuscrit  ori- 
ginal par  C.  Schmidt,  professeur  à  la  Faculté  de  Théologie 
de  Strasbourg.  Bâle,  H.  Georg.  Paris,  Sandoz  et  Fischbacher. 
1876,  in-12. 

Servet  (Michel).  —  Libri  VII  de  Trinitatis  erroribus  per  M.  Servetum, 
al=as  Rfives  ab  Aragonia  Hispanum,   1531,  in-S",  Basileœ. 

—  Libri  duo  dialogorum  de  Trinitate;  capitula  quatuor  de  justicia 

regni  Christi.  Basilag,  1532,  in-8'^'. 

—  Christianismi  restitutio.  Totius  Ecclesia?  apostolicte  est  ad  sua 

limina  \'ocatio,  in  integrum  restituta  cognitione  Dei,  fidei 
Christi,  justificalionis  nostrse,  regenerationis  baptismi  et  cœnœ 
Domini  manducationis.  Restituto  denique  nobis  regno  cœlesti 
Babylonis  impie  captivitate  soluta  et  Antichristo  cum  suis 
penitus  destructo  (Vienne,  1553).  Réédition,  1790,  in-S". 

Skvssel  (Claude  de).  —  R.  P.  Claudii  Scysselli  archiepiscopi  Tauri- 
nensis  adversus  errores  et  sectam  valdensium  dispectationes 
perquam  eruditaj  ac  piœ.  Paris,  1520,  in-4°  (B.  N.,  D.  5815). 
Traduction:  Disputation  ...contre  les  erreurs  et  la  secte  des 
Vaudois.  Lyon,  s.  d.  (vers  1,520),  in-4°. 


648  lilBLIOGRAPHIE 

Traités  libertins  anonymes  :  Colloques  chrestiens  de  liois  per- 
sonnes, on  assavoir  entre  ung  Apprins  de  Dieu,  ung  Apprins 
de  la  Bible  et  ung  Apprins  de  sophisterie.  Genève,  15^i8,  in-8'' 
de  136  ff.  (Arsenal  9291  T.). 

—  Brieve  Explication  de  la  Potenostre  (s.  1.  n.  d.)  in-8°  de  134-  ff. 

(Arsenal  9292  T.). 

—  Complainte,  doctrine  et  instruction  de  Sapience  à  manifestation 

des  doctes,  s.  1.  20  octobre  look  94  ff. 

—  TJne  belle  et  claire  démonstration  par  laquelle  on  peult  consi- 

dérer scavoir  et  congnoistre  et  veoir,  là  où  et  en  qui  c'est 
quest  la  vraye  Foy  et  qui  s'en  peult  vanter  ou  persuader  de 
consister  soubz  icelle,  s.  1  n,  d.  53  ff.  Ces  deux  derniers 
opuscules  sont  à  la  lîibliothôque  de  la  Société  d'Histoire  du 
Protestantisme  français. 


D)    La   philosophie   padouane   après    1553. 

(Partlsans  et  adversaires) 

Amboise  (.Jacques-Marie  d'),  —  De  Rébus  creatis  earumque  creatore 

liber  Iripartitus.  Paris,  Morel,  1586. 
.\then.\goras.  —  Apologia  pro  christianis  et  de  resurrectione  mor- 

tuorum.  Paris,  H.  Estienne,  1557.  Paris,  Cramoisy,  1615,  in-f". 
Baïf  (Jean-Ant.  de).  —  Œuvres.  Paris,  1572,  2  vol.  in-S*^^. 

—  Mimes,  Enseignements  et  Pro\erbes.  Paris,  1576,  in-12. 

—  Œuvres.  Edit.  Marty-Laveaux.  Paris,  1881-1890,  5  vol.  in-S». 
BÉROALDE  DE  Vera'ille.  —  Lcs  Apprehensions  .spirituelles,  poèmes  et 

autres  œuvres  philosophiques  avec  les  recherches  de  la  pierre 
philosophale  par  F.-B.  de  Verville.  A  Paris  pour  Timothée 
Jouan  libraire  demeurant  rue  Frémentel  près  le  clos  Bruneau. 
MDLXXXTII.  in-12. 

Boaistual  (p.).  —  Le  'Jheatre  du  monde  où  il  est  faict  un  ample 
discours  des  misères  humaines,  composé  en  latin  par  P.  B. 
puis  traduit  par  luy  mesme  en  français.  Paris,  Sertenas,  1558, 
in-8''. 

—  Bref  Discours  de  It^xccllence  et  dignité  de  Ihomme,   faict  en 

latin   i>ar  P.    Bounystuau   surnommé  Launay,    puis   traduict 
par  luy  mesmo  on  français.  Paiis,  Seitenas,  1558,  in-S". 
BODIN  (.!.).  -  -  Theatrum  universœ  noturae.  Lugduni,  1596. 

—  Methodus  ad  facilem  hist'iriarum  cognitionem.  Paii.s.  1566,  in-4°. 

—  Le  Théâtre  de  la  nature  universelle...  traduit  par  F.  de  Fougo- 

rollcs.  Lyon,  1597. 
BoucHET  (Guillaume).  —  Les  Serées  de  G.  Bouche!  sieur  de  Brocourt. 
avec  notice  et  index  par  C.  E.  Roybet.  Paris,  1873',  5  vol.  in-12. 


BIBLIOGRAPHIE  (^49 

BouHOUKViLLf.  —  LAtheomachie  el  Discours  sur  l'immortalité  de 
l'âme  et  résurrection  des  corps  par  Ch.  Oourgiieville  de  Caen. 
A  Paris,  chez  Martin  le  jeune,  156-1,  in^". 

—  Les  discours  de  l'Eglise,  Religion  et  de  la  Justice,  pai'  Gh.  de 

Bourgueville,  de  Caen.  Paris,  chez  N.  Chesneau,  MDLXXIX, 
in-i». 

Bruès.   —  Les  Dialogues  de  Guy  de  Drues  contre  les  noveaux  aca- 
démiciens, que  tout  ne  consiste  point  en  opinion.   Dédiez  à 
tresillustre  et  reverendissime  cardinal  Charles  de  Lorraine, 
i;  A  Paris,  chez  Guillaume  Cavellat,  à  l'enseigne  de  la  poulie 

ï  grasse,  devant  le  collège  de  Gambray,  MDLVII,  in^". 

Champagnac  (Jean  de).  —  La  Physique  française  expliquant  uni\er- 
sellement  la  connaissance  de  toutes  choses  naturelles  par 
Jean  de  Champaignac,  advocat  au  Parlement  de  Bourdeaus 
et  maître  des  requestes  de  Madame  la  Princesse.  Bourdeaus, 
Millanges,   1595,   in-8°. 

—  Traicté  de  Timmoi-talité  de  Tùme  par  1.  de  Champaignac,  advocat 

au  Parlement  do  Duurdeaus  et  rnaistre  des  resquestes  de 
Madame  la  Princesse,  soeur  unique  du  Roy.  A.  Bourdeaus, 
par  S.  Millanges,  Imprimeur  ordinaire  du  Roy,  1595,  in-8°. 

—  Sommaire  des  quatre  parties  de  la  philosophie  :  logique,  éthique, 

physique  et  métaphysique  par  Jean  de  Champeynac  escuyer, 
sieur  du  mas.  rdiiseiller  du  Roy,  lieutenant  assesseur  au  siège 
presidial  de  Pei  igueux  cl  maistre  des  requesti'es  ordinaire  de 
la  maison  de  Navarie  et  ancien  domaine  et  de  la  Royne  Mar- 
guerite. Lequel  livre  a  été  veu,  corrigé  et  augmenté  par 
l'authueur  n'ayant  assisté  à  la  première  impiession.  A  Paris 
chez  Gosselin,  rue  S'  Jacques  à  l'image  S"-  Martin  et  au  Palais 
en  la  gallerie  des  prisonniers.  MDCVII  avec  privilège  du 
Roy.  in-8°. 

Charpentier  (Jacques).  —  Disputatio  de  animo  melhodo  peripalelica 
utrum  Aristoteli  mortalis  sit  an  immortalis.  Ex  R.  Odoni 
Itali  vernacuhs  Latinà  facfa  per  Jacnbum  Carpentarium  Bello- 
vacum.  Adjectis  ejusdem  Carpentarii  Scholiis.  Parisiis.  Ex 
Typographia  M.  Davîdis,  via  Amygdalina  1558. 

—  De  Elementis  et  variis  eorum  effectis  iisque  potissimum  quaa  in 

meteoris  apparent  liber  :  ex  Italorum  vernucalis  latinus 
/actus  per  Jac.  Carpentorium  Bellov.  Ibid.  1558. 

Charron.  —  De  la  Sagesse  livre  trois,  par  Pierre  Le  Chnri  on,  parisien, 
chanoine  théologal  et  chantre  en  l'egli-se  cathédrale  de 
Condom.  A  Bourdeaus,  chez  S.  Millanges,  IGOl,  in-8°. 

Crespet.  —  Six  livres  de  l'origine,  excellence,  exil,  exercice,  mort  el 
immortalité  de  l'àme,  où  sont  contenus  salutaires  et  catho- 
liques discours  et  notables  disgressions.  tirées  tant  des  saints 


650  BIBLIOGRAPHIE 

(X)mme  des  pi'ophanes  auteurs,  philosophes,  orateurs,  poètes 
et  hystoriogruphcs  tant  anciens  que  modernes...,  avec  une 
table  générale  des  matières  y  comprises,  le  sommaire  des 
discoui\s  et  digressions  de  chacun  livre  avec  le  catalogue  des 
autheurs.  Suit  l'I'^pitre  liminaire.  Par  F.  Pierre  Crespet,  celestin 
de  Paris.  Paris,  1088,  2  vol.  in-S".  L'épître  dédicatoire  est  datée 
du  20  juillet  1586.  Ciiaque  volume  est  précédé  d'une  préface. 
L'ouvrage  a  été  réédité  en  1604, 

Des  Autkls  (Guiil.).  —  Amoureux  P«epos.  Lyon,  1553,  in-8-\ 

—  Repos  de  plus  grand  travail.  —  La  suite  du  Repos  du  plus  grand 

travail.  Lyon,  1550,  in-16. 

nuK)NT  (René).  —  La  philosophie  des  Espritz.  Dernière  édition  reveue, 
corrigée  et  augmenlee.  A  Rouen,  par  Seigneuré,  1616  (Edition 
faussée;  c'est  en  réalité  la  troisième  édition  de  1012.  La  pn- 
mière  préface  est  datée  de  1606). 

DuoL'KSNOY  (?)  (J.i.  —  Quenœi  Ebroicensis  de  fati  expugnatione  libellus. 
In  quo  tam  veterum  quam  recentiorum  fati  assertorum  opi- 
niones  necessariis  pariter  ac  Juculentis  rationibus  evcrtuntur. 
Parisiis.  ex  ofTicina  Thomœ  Brumennii,  in  clnuso  Brunello, 
sub  signi)  Olivœ.  1575,  in-4°  (B.  N.  Rés.  R.  886). 

Du  Vaih.  —  Les  Œuvres  du  sieur  Du  Vair,  premier  président  au 
Parlement  de  Provence.  Nouv.  édit.  Rouen,  Osmond  1612,  in-8". 

—  La  Sainte  Philosophie. 

—  De  la  Constance  et  Consolation  es  calamités  publiques. 

—  .\ctions  et  traictez  oratoirps   Edit.  critique  par  Radouant.  Paris, 

1911,  in-8''. 

HoTM.AN  (Inf.).  — Tiois  divi'is  traittez  du  feu  sieur  d'Infandic  Hotmun  : 
De  la  Providence  divine.  —  Du  progrès  de  l'ànie  raisonnable 
depuis  .sa  création  jusques  à  sa  béatitude.  —  Le  p'iilosopjie. 
Advis  sur  les  diverses  occupations  des  hommes.  T'aris,  1596  7 

A.  Jamin.  —  Les  Œuvres  poétiques  dWmadis  lamyn  —  au  Roy  do 
France  et  de  Pologne.  —  A  Paris,  par  .Mamert  Patissoïii 
MDLXXV,  in-4°. 

—  Discours  de  la  Philosophie  à  Passicharis  et  à  Rodanthe.  A  Paris. 

pour  Félix  Le  Manguier  libraire,  au  palais,  en  la  Gallerie 
allant  à  la  chancellerie,  158i,  iu-12. 

JoDKLLi:.  —  Les  Œuvres  et  .Mcslanges  poétiques  d'Est.  Jodelle  sieur  du 
Lymodin.  Paris,  Chesneau,  1579,  in-f°. 

—  Œuvres  et  Mélanges  poétiques.  Paris,  1583,  in-12. 

LAMBi.v-MurtET.  —  Tiium  dissertissimoium   viroruni   pnefationes  ac 
•    Epislolae  familiai-es  aliquot  Mureti,  Lambini  et  Regii,  quibus... 
doctissimi   ac  eloquentissimi   viri  Pauli  Manutii  prœfationes 
adjuxfmus...  Parisiis.  Apud  /'Egidium  Maugi^r,  1570. 


BIBLIOGRAPHIE  ()51 

La  Motiie  Le  Vayer.  —  Petit  discours  cliretien  de  Timmortalité  do 
r.âme  avec  le  oorrollaire.  Paris,  1637,  in-8°. 

—  Cinq   Dialogues   faits    h   liniitation   des   Anciens    par   Oratius 

Tubero.  Au  Liège,  chez  Grégoire  Rou-^selin.  MDCLXXIII,  in-U^ 

—  Œuvres.  Paris,  Courbé,  1656,  2  vol.  in-f°. 

La  Pp.imaudaVe  (Pierre  de).  —  Académie  française  en  laquelle  il  est 
traicté  de  l'institution  des  mœurs  et  de  tout  ce  qui  concerne 
le  bien  et  heureusement  vivre  en  tous  estais  et  conditions... 
par  P.  de  la  Primaudaye.  Seconde  édition.  Paris,  in-f°, 
MDLXXIX. 

—  Suite  de   l'Académie  en  laquelle   il   est  traité   de  l'homme  et 

comme  par  une  histoire  naturelle  du  corps  et  de  l'âme  est 
discouru  de  la  création,  matière,  composition,  forme,  nature, 
utilité  et  usage  de  toutes  les  parties  du  bâtiment  humain  et 
des  causes  naturelles  de  toutes  affections  et  des  vices  :  et 
singulièrement  de  la  nature,  puissances,  œuvres  et  immor- 
talité de  l'âme.  Paris,  1594,  in-f''. 

—  Philosophie  chrcstienne  de  l'académie  française  (Genève,  1584, 

in-fo). 

Le  Carox  (Louis,  dit  Chahoxdas).  ---  De  la  Tranquillité  d'esprit,  livre 
singulier  ...extrait  des  discours  philosophiques  de  L.  Charon- 
das  le  Cai'on,  parisien.  Paris,  J.  du  Puy,  1588. 
--  Les  Dialogues  de  Loys  le  Caron.  parisien.  A  Paris  pour  Jean 
Longis  libraire...  1556,  in-8°  (Peur  le  détail  des  dialogues  voir 
l'étude  sur  L.  Le  Caron). 

LttSTAL  (P.  de).  —  Les  Discours  philosophiques  de  Pierre  de  Lostal  sieui" 
d'Estrem,  esquels  est  amplement  traitté  de  l'essence  de  l'âme 
et  de  la  vertu, morale.  Au  roy  de  Navarre..  Paris,  pour  Jacques 
du  Puys,  libraire  juré,  à  la  Samaritaine  près  le  Collège  de 
Cambray.  MDLXXIX,  in-8°  (Bibl.  de  la  Société  d'hist.  du 
Protest. 'n°  13837). 

Montaigne.  —  Les  Essais,  publiés  d'après  l'édition  de  1588  avec  les 
variantes  de  1595,  par  H.  Motheau  et  D.  Jouaust.  Librairie  des 
Bibliophiles,  7  volumes  in-18. 

—  Les  Essais,  texl^  original  de  1580,  avec  les  variantes  de  1582  et 

1587.    publié  par  R.   Dezeimeris  et   fl.    Barckhausen,   Paris- 
'   Bordeaux,  1870-1873,  2  vol.  in-8''. 
Neufville  (Jean  de).  —  Joannis  Neo\illei  Genuillani  de  pulchritudine 

animi  libri  V.  In  epicureos  et  atheos  homines  hujus  saeculi. 

Paris,  G.  de  Pré,  1556,  in-8°. 
Pasquier  (Etienne).  —  Œuvres.  Amsterdam.  1723,  2  vol.  in-f". 
QuERi.  —  De  Fati  expugnatione  libellus,  1575. 


(jO'2  ElULIOGRAPHIK 

Rir.HFOMi-;  il.oui.s).  —  Irois  [)iscoui-.s  pour  la  religion  catholique,  des 
miracles,  des  saiiicls  el  des  images.  A.  Bouideaus,  par  S. 
Millanges,  15U?,  iii-8''  (Héédilé  à  Rouen  clie/  J.  Osmont,  1602. 
m-12). 

RONS.\RD.  — Œuvres,  édition  Blanchemain.  Paris  1857-1807,  8  vol.  in-lG. 

—  Œuvres,  Marty-Laveaux.   Paris,  1887-1893,  6  vol.  in-8°. 

—  Œuvres,  P.  Laumonier,     Paris,  191i-19]n,  8  vol.  in-S». 

Dk  SEnnES  (Jean).  —  De  Tlmmorlalilé  de  l'clme  représentée  par  pr-euves 
certaines  et  par  les  fiuicts  excellons  de  son  vray  usage,  par 
Jan  de  Serres.. Discours  autant  nécessaire  comme  le  temps  est 
corrompu.  A  Lyon  pour  les  frères  de  Gabiano.  —  A  la  fin  : 
A  Lyon  par  les  héritiers  de  Pierre  Roussin,  1596,  in-8°. 

Stobée.  —  Joannis  Stobaei  eclogamm  libri  duo  quorum  prior  phy- 
sicas,  posterior  ethicas  complectitur,  nunc  primum  grœce 
editi,  interprète  G.  Cantero.  Anlverpiae,  1575,  in-K 

Tahureau.  —  Les  Dialogues  non  moins  profitables  que  facétieux.  Ed. 
Conscience.  Paris,  Lemerre,  1871,  in-16. 

PONTUS  de  Tyard.  —  Mantice.  Lyon,  1558  (B.  N.,  Res.  R.  307),  in-4°. 

—  Deux  Discours  de  la  nature  du  monde  et  de  ses  parties  à  scavoir 

le  premier  curieux  trailtant  de  choses  matérielles  et  le  second 
curieux  des  intellectuelles,  par  Pontus  de  Tyard,  Seigneur  de 
Bissy.  A  Paris,  par  Mamert  Pâtisson,  imprimeur  du  Roy  au 
logis  de  Robert  Eslienne.  MDLXX\qiL  in-i°  (B.  N.,  R.  2873-i). 

—  Discours  philosophiques.   Paris,   Langolier,    1587,   in-4°  (B.    N., 

R.  ;>i37)  édition  des  œuvres  philosophiques  qui  contient  :  Les 
Deux  Solitaires  (1552  et  1555);  Mantice  (1558);  Deux  Di.scours 
de  la  nature  du  monde  (1578):  le  tout  revu  et  augmenté. 

Ej    Athées  et  incrédules  postérieurs  à  1553 

(avec   leurs   ADVERSAHiES) 

Bobi.s  —  Les  Six  Livi'es  de  la  I^epublique,  par  (can  Bodin,  angevin. 
Lyon.   1579,  pet.   in-I". 

—  Colloquium  Ilepfaplomeres  de  abditi»  lerum  sublimiimi  arcanis. 

Traduction  française  publiée  par  .M.  Chauvii'é  :  colloque  de 
.1.  Bodin.  Des  .secrets  cachez  des  choses  sublimes  entre  sept 
scavans  qui  sont  de  différents  sentiments  (Extraits).  Paris, 
191i,  in-8°., 

Chahmo.n.  —  Les  Trois  Vérité/  contre  les  athées,  idolâtres,  juifs,  mahu- 
metans,  hérétiques  et  schismatiques.  Le  tout  traicté  en  trois 
livres.  —  Avec  l'indice  des  principales  matières.  —  A  Bour- 
deaus,  par  S.  Millangfs.  ImprinicMi  ordinaire  du  Roy. 
MDXriH.   pot.   in-8°. 


BIBLIOGRAPHIE  053 

CHEFtONTAiNES.  —  Nuvot;  illustrationis  cliristianœ  ficleL  adversus 
impios,  libertiiios,  atheos,  epicureos  et  omne  genus  infidèles 
a  Christofuro  de  Capite  Fontium  archiepiscopo  Cœsariensi, 
quondam  geueraii  ministro  Ordinis  Alinoium,  consci'iptœ,  epi- 
tome.  Parisiis,  ap.  Arnoldum  Sittard,  1586,  in-8°. 

Du  Bartas.  —  Commentaires  et  Annotations  sur  la  semaine  de  la 
création,  etc.  par  G.  de  Saliiste,  seigneur  du  Bartas.  Paris, 
1583,  in-4°. 

—  Première  Semaine  ou  Création  de  G.  de  S.  Paris,  1603,  in-12. 

—  Seconde  Semaine  de  G.  de  S.  Anvers,  1591,  in-S". 

—  La  Muse  chrestienne  de  G.   de  S.   Bordeaux,   Millanges,   1574, 

in-4°.  —  Pour  les  autres  œu\Tes  je  me  suis  servi  de  la  belle 
édition  citée  ci-dessus  de  1583  commentée  par  S.  Goulard. 

Di  r.HESXE  (J*").  —  Le  Grand  Miroir  du  monde,  par  J^  du  Chesne,  sieur 
de  la  Violette.  Deuxième  édition,  reveue,  corrigée  et  aug- 
mentée en  divers  endroits  et  d'un  livre  entier  par  l'auteur. 
Lyon,  1593,  in-S°.  —  La  première  édition  (1587j  ne  contient 
que  les  cinq  premiers  livres. 

Dti  Faii.  (Noël).  —  Contes  et  Discours  d'Eutrapel,  édition  Jouaust- 
Ilippeau.  Paris,  Librairie  des  Bibliophiles,  1875,  2  vol.  in-4°. 

—  Propos  rustiques.  Texte  original  de  1547  avec  introduction,  éclair- 

cissements et  index  par  A,  de  la  Borderie.  Paris,  Lemerre, 
1878,  in-18. 

Du  MoNiiV.  —  Les  Nouvelles  Œuvres  de  Jean  Edouard  Du  Monin, 
poète  philosophe,  contenant  discours,  hynuies,  odes,  amoure, 
contramours,  etc.  Paris,  1581,  in-12. 
~-  L'Uranologie,  ou  le  Ciel,  contenant,  outre  l'ordinaire  doctrine 
de  la  sphère,  plusieurs  beaux  discours  —  Miscellaneonim 
poeticorum  libri.  Paris,  1583,  in-8°. 

Du  Pr.ESSis-MoRNAY.  —  De  la  Vérité  de  la  religion  chrestiemie  contre 
les  athées,  épicuriens,  payens,  juifs,  mahumedistes  et  autres 
infidèles.  Par  Philippe  de  Mornay  sieur  du  Plessis  Marly,  s.  1. 
Pour  Antoine  Chappin  MDLXXXII  (2=  édition)  in-8».  La 
l'"«  édition  est  d'Anvers  1581,  in-4°. 

Du  ^'AL  (Pierre).  —  De  la  Grandeur  de  Dieu.  Paris,  1553,  in-8«. 

—  De  la  Puissance.  Sapience  et  Bonté  de  Dieu.  Paris,  1558,  in-8". 

Henri  Estienne.  —  L'Introduction  au  traité  de  la  conformité  des 
merveilles  anciennes  avec  les  modernes  ou  traité  préparai  if  à 
r Apologie  pour  Hérodote  (Genève)  1566,  pet.  in-8°. 

Garasse.  —  La  Doctrine  curieuse  des  beaux  esprits  de  ce  temps 
ou  prétendus  tels,  contenant  plusieurs  maximes  pernicinisos 


05i  HIBLlOGHAPHii; 

ù  TEslat,  à  la  religion  et  aux  bonnes  mo3urs,  comballue  cl 
renversée  pai^  le  P.  François  Garassus  de  la  compagnie  de 
Jésus.  A  Paris  chez  Sebastien  Chappelet...,  MDCXXIII,  in-i". 

—  La  Sonune  theologique  des  veritez  capitales  de  la  religion  chrcs- 

lienne.  Paris,  1625,  in-f". 

Gentillet.  —  Discours  sur  les  moyens  de  bien  gouverne)-  et  maintenir 
en  bonne  paix  un  royaume  ou  autre  principauté,  divisés  en 
trois  livres,  à  scavoir  du  conseil,  de  la  religion,  et  police  que 
doit  tenir  \m  prince.  Contre  Nicolas  Machiavel  Florentin.  Paris, 
1576,  in-8°. 

La  Noue  (François  de).  —  Discours  politiques  et  militaires.  Lyon,  1595, 
in-16. 

Le  Fèvre  dk  i.a  Boderie.  —  LEncyclie  dos  .scciet.'s  do  rélornité. 
Anvers,  Plantin,  1570,  in-4°. 

—  La  Galliade  ou  de  la  Révolution  des  arts  et  sciences...  Paris, 

G.  Chaudière,   1578,  in-R 

—  L'Harmonie  du  Monde  divisée  en  trois  cantiques.  Œuvie  singu- 

lier et  plein  d'admirable  eiaidition.  Premièrement  composé  en 
Latin  par  Fc°'=  Georges  Vénitien,  et  depuis  traduict  et  illustré 
par  Guy  Le  Fevre  de  la  Boderie  secrétaire  de  Mgr  frère  unique 
du  Roy  et  son  interprète  aux  langues  estrangeres.  Plus  l'Hep- 
taple  de  Jean  Picus  comte  de  La  Mirandole  translaté  par 
Nicolas  Le  Fevre  de  la  Bodeiie.  A  Paris,  chez  Jean  Macé, 
1578,  in-f°.  (Le  premier  ouvrage  est  la  traduction  du  De  harmo- 
nia  inundi  canlica  Iria,  de  F.  Georgio). 

—  De  la  Religion  chre.slienne  pai'  Maisile  I-'icin  avec  la  harangue 

de  la  dignité  de  l'homme  par  Jean  Picus  comte...  de  la  Miran- 
dole, le  tout  trad.  en  françois  par  G.  Le  Fevre  de  la  Boderie. 
Pari.s,  1578,  in-8°. 

—  De  la  Nature  des  Dieux  de  Marc.  lui.  Ciceron,  père  de  l'élo- 

quence et  philosophie  romaine,  traduit  en  françois  par  Guy 
Le  Fevre...  de  la  Boderie.  A  Roy  très  chresticn  Henri  HL 
Paris,  Ab.  Langelier,  1581,  in-d". 

L'E.splne  (Jean  de).  —  Excellents  Discours  de  Jean  de  l'Espine  angevin, 
touchant  le  repos  et  contentement  de  l'esprit,  contenant  infi- 
nies doctrines  et  fermes  consolations  à  toutes  sortes  de  per- 
sonnes affligées  en  ces  doiniers  temps.  Plus  y  est  ajousté  un 
traité  de  la  Providence  de  Dieu.  Le  tout  revu  et  coriigé  par 
l'auteur.  I^  Rochelle,  Haultier,  1591. 

Mkiisen.n'e  (M.).  —  L'impiété  des  déistes,  athées  et  libertins  de  ce 
temps  combatue  et  renversée  de  point  en  ]X)ïu[  par  rai.sons 
tirées  de  la  philosophie  et  de  la  théologie.  Ensemble  la  refu- 


BIBLIOGRAPHIE  655 

latkui  du  Poème  des  deisies  pur  l\  Marin  Mersenne  de 
rOrdre  des  PP.  Minimes.  A  Paris  cliez  P.  Bilaine,  MDCXXIV. 
Seconde  partie  ibid.  MDCXXIV,  in-8°  (B.  N.,  D.  21572). 
—  l'\  Marini  Mersenni,  O.  M.  V^'  de  Paula,  Quaestiones  celeber- 
rimœ  in  genesim  cum  accurata  textus  explicatione.  In  hoc 
volumine  athei  et  deislœ  impugnantur  et  expugnantur.  Lute- 
tiœ,  Seb.  Cramoisy,  1623,  in-f°. 

Pacard  (Georges).  —  Theqlogie  naturelle  ou  recueil  contenant  plusieui's 
argumens  prins  de  la  nature  contre  les  épicuriens  et  atheistes 
de  nostre  temps,  par  Georges  Pacard  Segusien.  Seconde  édition 
reveue  et  augmentée  par  fauteur.  A  Niort,  par  Ant.  André, 
1611,  in-8°. 

Sainte-Marthe  (Gaucher,  dit  Scévole  I).  —  Scevolae.  Sammarthani 
opéra  tuni  poetica  tum  ea  quœ  soluta  oratione  scripsit.  Lute- 
tiœ,  Durand,  1616. 

SiLHON.  —  De  l'Immortalité  de  Tàme.  Paris,  16S4,  in-4°. 

ViRET  (P.).  —  Exposition  de  la  doctrine  de  la  loy  chrestienne,  touchant 
la  vraye  cognoissance  et  le  vray  service  de  Dieu  :  et  la 
trinité  des  personnes  en  l'unité  de  l'essence  divine,  et  en  la 
manifestation  d'iceluy  en  la  création  tant  du  grand  que  du 
petit  monde,  et  en  sa  providence  en  toutes  les  créatures,  et 
principalement  en  la  nature  Iiumaine  :  et  touchant  la  cheute 
du  genre  humain  :  et  la  naissance  et  accroissement  et  estât 
ordinaire  tant  de  la  vraye  que  de  la  fausse  Eglise.  —  Pai^ 
Pierre  Viret.  —  Par  Jean  Rivery.  15(>-i  Préface  à  l'Eglise  de 
Montpellier,  Lyon,  12  décembre  1563.  In-f°  de  904  pages  (second 
volume  de  l'histruction  chrestienne). 

Zacharie  de  Lizieux  (le  P.).  —  Seculi  genius  Petro  Formiano  authore. 
Parisiis.  Seb  et  Gabr.  Cramoisy,  1653. 


II.  —  ETUDES 

1.  —  Sur  le  Rationalisme  philosophique. 

Balzo  (Carlo  del)  —  L'Italia  nella  letteratura  francese  dalla  caduta 
deir  imperio  romano  alla  morte  di  Enrico  IV.  Roma,  1905,  in-8°. 

Becker  (H,).  —  Un  Humaniste  au  XVP  s.  :  Loys  Le  Roy.  Paris, 
1896,  in-8°. 

Berthelin  (Egmonl).  —  Etude  sur  .\madis  Jamyn.  ix)ète  du  XVI«  s., 
né  à  Chaource  près  Troyes.  Son  temps,  sa  vie,  ses  œuvres, 
par  M.  E.  Berthelin.  Tioyes,  1859,  in-8°  (Extrait  des  Mémoires 
de  la  Société  académique  de  l'Aube,  t.  XXIII,  1859). 


656  BIBLIOGRAPHIE 

BiAGio  Brugi.  —  Gli  aiitichi  Scolari  di  Francia  allô  studio  di  Padova 
(Mélanges  Picot).  Paris,  1913-,  in-S". 

BoNNEFON  (P.).  —  Pierre  de  Pascal,  historiographe  du  roi  (1528-1565). 
l'aris,  1883,  in-i", 

BouLMiER.  —  Estienne  Dolet.  Sa  vie,  ses  œuvres,  son  inarlyre,  par 
Joseph  Boulmier.  Paris,  Aubry,  1857. 

BouRii.LY  (V.-L.).  —  Guillaume  du  Bellay,  seigneui-  de  Langey.  Paris, 
1901,  in-8". 

Charbonnel  (Roger).  —  La  Pensée  itahenne  au  XVP  s.  et  le  courant 
libertin.   Paris,   1917,   in-8''. 

Clément  (L.).  —  De  Adriani  Turnebi  regii  profcssoris  pra?fationibus 
et  poematibus.  Picard,  1899,  in-8°. 

CoMPAVRÉ  (G.).  —  De  Ramundo  Sabundo  ac  de  Theologiœ  naturalis 
libro.  Paris,  1873,  in-8°. 

Copi.EY  Christie  (Richard).  —  Et.  Dolet,  martyr  de  la  Renaissance 
(traduction  G.  Stryenski).  Paris,  1886,  in-8°. 

Costa  (Emilio).  —  Paolo  Belmisseri,  poeta  Pontremolense  del  sec.  XVI. 
Torino,  Ermanno  Lœscher,  1887.  Plaquette  de  31  pages  in-8°. 

Dejob  (Ch.).  —  Marc-Antoine  Muret.  Paris,  Thorin,  1881,  in-8°. 

Delarlelle.  —  Répertoire...  de  la  corresi)ondance  de  G.  Budé.  Paris, 
1907,  in-8°. 

—  G.  Budé.  Paris,  1907,  in-8°. 

—  Notes   biographiques   sur   Nicolas   Bérault   (Revue   des   Biblio- 

thèques, 1902). 

Diecman  (L.-J.).  —  De  naturalismo  cum  aliorum  tum  maxime  Jo. 
Bodini,  ex  opère  ejus  manuscripto  de  abditis  rerum  sublimium 
arcanis,  schediasma  inaugurale  L.  Jo.  Diecmanni  Stadens.  — 
Recusum  Lipsiœ,  a.  MDC.  LXXXIV,  sumptn  Jn  Frid.  Gle- 
distschii.  lypis  Kiiigorianis. 

I-AVRK  (J.).  —  Olivier  de  Magny  (1.529-1561).  Paris,  1885,  in-8°. 

FiGARn  (L.).  —  Un  Médecin  philosophe  au  XVI*  s.  Elude  sur  la  psycho- 
logie de  J.  Fcrnel.  l'aiis,  1903,  in-8°. 

l'i.AMiM.  —  Il  Cinquecento  (Storia  letteraria  dTtalia,  sciitta  da  una 
societa  di  professori.  Milaiio,  8  vol.  in-i".  tome  VI). 

—  Studi  di  Storia  letteraria  italiana  e  straniera. 

I'r.(  ir.LÉE  (Alf.).  —  La  Philosophie  de  Platon.  Exposition,  histoire  et 
critique  de  la  théorie  des  'dées   Paris,  1869,  2  vol.  in-8°. 

GAf.TiER.  —  Etienne  Dolet.  Sa  vie,  son  œuvre,  son  caractère,  ses 
cioyances    Paris,   1^)07,  in-12. 

GAiiliAIR.  — Corps  et  .\me.  lî^ssiii  sur  la  iihilosdphic  de  snint  Thnmas. 
Paris,  1896,  in-16. 


BIBLIOGRAPHIE  ()57 

Gaullieit..  —  IJistoiie  du  collège  de  Guj^enne.  Paris,  1874,  in-8°. 

(ÎEimARi).  —  Rabelais.  La  Renaissance  et  la  Réforme.  Paris,  1877,  in-8°. 

Hamelix  (O.).  —  Le  Système  d'Aristote.  Paris,  Alcan,  1920,  in-8°. 

IlAbVEîTE  (H.).  —  Un  Exilé  florentin  à  la  cour  de  France  au  XVI^  s. 
Luigi  Alamanni.  Paiis,  1903,  in-8°. 

Heui.hard.  —  Rabelais  et  ses  voyages  en  Italie.  Paris,  1894,  in-4". 

Jugé.  —  Nicolas  Denisot,  du  Mans  (1515-1559).  Essai  sur  sa  vie  et  ses 
œuvres.  Pa ris-Le  Mans,  1907,  in-8''. 

—  Jacques  Peletier,   du  Mans   (1517-1582).   Essni   sur  sa  vie,   son 

œuvre,  son  influence.  Pa  ris-Le  Mans,   1907,  in-8°. 

Lanson  (G.).  —  Origines  et  premières  manifestations  de  l'esprit  philo- 
sophique dans  la  littérature  française  de  1675  à  1748  (Revue  des 
cours  et  conférences,   1908-1910). 

r^Ai  MONiER.  —  Chronologie  des  poésies  de  Ronsard.  La  Flèche, 
VM3,  in-S-^. 

LvLNOY  (Jean  de).  —  De  varia  Aristotelis  fortuna  in  academia  paii- 
siensi.  Extraneis  hinc  inde  orna  ta  preesidiis  liber...  Editio 
secunda  et  coriectior.  Hagae  Comitum,  apud  Ad.  Ulacq. 
MDCLVI. 

—  Regii    Navarrœ    gymnasii    parisiensis    historia.    Paris,    1677, 

2  vol.  in-4''. 

LEFR4NC  (A.).  — ■  Les  dernières  Poésies  de  Marguerite  de  Navarre. 
Paris,  1896,  in-8''. 

—  Le  Platonisme  dans  la  Renaissance  (Revue  Hist.  litt.,  1896). 

—  Marguerite  de  Navarre  et  le  Platonisme  (Bibliothèque  de  l'Ecole 

des  Chartes,  1897-8). 

—  Histoire  du  Collège  de  France  des  origines  au  Premier  Empire. 

Paris,  1893.  in-8°. 

—  Les  Idées  religiejises  de  Marguerite  de  Navarre  (Biillet.  d'Hist. 

du  Pnjtest.  franc.ais,  1897). 

Le  P.oux  DE  LiNCY.  —  Recherches  sur  Grolier. .  Paris,  1866,  in-8°. 

Mabilleau.  —  César  Cremonini.  La  pliilosophie  de  la  Renaissance  en 
Italie.   Paris,   1881,  in-8°. 

Maraxconi  (G.).  —  Laz.  Bonamico  c  lo  studio  Padovano  nella  prima 
meta  del  cinquecento  (Nuovo  .\rch.  Veneto,  1901,  p.  306  et  suiv.). 

MÉMGiJiES  de  la  Société  d'Histoire  de  Paris  et  de  llle  de  France 
(t.  XXI,  1894). 

MuGNiER.  —  .\nt.  Govéan,  prof,  de  droit.  Paris,  1901,  111-8". 

—  La  Vie  ot  les  Poésies  de  Jean  de  B<iyssonné.  Paris,  1897,  in-8°. 

42 


058  BIBLIOGRAPHIE 

Noi.HAC  (P.  DE).  —  L'a  Humaniste  aini  de  Ronsard  :  Pierre  de  Paschal. 
Revue  d'Histoire  littéraire  de  la  France,  1918. 

Olll:-L.\prune.  —  De  la  Certitude  morale.  Paris,  1880,  in-8°. 

—  La  Raison  et  le  Rationalisme.  Paris,  190G,  in-8°. 

Paquieii.  —  L'Humanisme  et  !a  Réforme.  Jérôme  Aloandre  (14'80-1529). 
Paris,  1900,  iri-8". 

Picot.  —  Les  Français  à  l'Universilé  de  Ferrare  aux  XV''  et  XVP  s. 
(.Journal  des   savants,  février-mars  1902)  (Tirage  à  part,  in-4°). 

—  Piofesseurs  et  étudiants  de  langue  française  à,  l'Université  de 

Pavie  aux  XV«  et  XVI«  s.  (Rullelin  pliilologique  et  historique, 
1915,  p.  8-90). 

—  Les  Français  italianisants  au  XVF  s.  Paris,  1907,  2  vol.  in-8''. 

—  Les  Italiens  en  Fronce  nu  XVT«  s.  (Bullelin  Italien  de  1901,  1902, 

1903.  1904,  1917,  1918). 

PiNVERT  (L.).  —  Lazare  de  Baïf.  Paris,  1900,  in-S". 
Plattard.  —  L'Œuvre  de  Rabelais.  Paris,  -1910,  in-S°. 
Radouant.  —  Guill.  du  Vair,  L'Homme  et  l'Orateur  jusqu'à  la  (in  des 
troubles  de  la  ligue  (1556-1596).  Paris,  l907,  in-8". 

Renan  (E.).  —  Averroès  et  r.VvevToïsme.  Pari?,  1860,  in-S°.    . 
RuuTZ  Rees  (Carol.).  —  Ch.  de  Sainte-Marthe,   1512-1555.  New  York, 
Columbia  University  press,  1910,  in-8°. 

—  Ch.  de  Sainte-Marthe  (1512-1555),  Etude  sui'  les  premières  années 

de  la  Renaissance.  Trad.  par  Bonnet,  préface  de  A.  Lefranc. 
Paris,  1917,  in-8". 
Sabrié  (J.-B.).  —  De  l'Humanisme  au  Rationalisme.   Pierre  Charron 
(1541-1603);   l'homme,    l'œuvre,    l'inlluence.    Paris,    1913,    in-8°. 

Samolillan  (A.).   De  Petro  Bunello  Tolosano  ejusquc  amicis.   Paris, 

1891,  in-8°. 
SiMAR.  —  Christophe  de  Longueil  humaniste  (1488-1522)  (31«  fasc.  des 

travaux  de  l'Université  de  Louvain,  1911). 
Strowski  (F.).  —  Montaigne.  Paris,  1906.  in-8°. 

—  Saint  François  de  Sales.  Introduction  à  l'Histoiie  du  sentiment 

religieux  au  XVI F'  siècle.  Paris,  1898,  in-8"'. 

—  Pascal  et  son  temps.  Paiis,  1907,  3  vol.  iii-Hl 

Texte  —  Inlluence  italienne  dans  la  Renaissance  française.  Etudes 
de   littérature  européenne.    Paris,   1898,    in-8°. 

ViLLEV.  '-  Les  Sources  et  l'Evolution  des  Essais  d.-  Montaigne.  Paris, 
1908,  2  Vf  1    in-8". 


BIBLIOGRAPHIE  559 

W'addington-Kastls  (C).  —De  f\ami  \it<i,  scriptib.  pliilnsopliiïi.  Paris, 
1848,  ia-8°. 

Weill.  —  De  vita  et  indole  G    Postelli.  l'aiis.   1892,  in-8". 

Zanta  (iM"«  Léontinc).  —  La  Renaissance  du  stoïci^smo  au  XVh  siècle. 
Paiis,    lOli,   in-8°. 


2.  —  Sur  le  Rationalisme  théologique. 

Barnaud.  —  P.  Viret.  Sa  vie  et  son  œuvre.  Sainl-Ainans,  1911,  in-8°. 

Beuzart.  —  Ses  hérésies  pendant  le  Moyen  Age  et  la  Réforme  jusqu'à 
la  mort  de  Philippe  II,  1598,  dans  la  région  de  Douai,  d'Arras, 
et  au  pays  de  l'Alleu.  Thèse  de  doctorat  en  théologie.  Le  Puy, 
1912,  in-8". 

Buisson  (F"^).  — ■  Sébast.  Castellion.  Sa  vie  et  son  œuvre  (1515-1563). 
Paris.  1892,  2  volumes  in-8« 

Calvet  (Jean).  —  Irlistoire  de  la  ville  de  Sainl-.\nians.  Castres,   1887. 

Camp.\nella.  —  Atheismus  triumphatus.  Rome,  Ifôl,  in-f°. 

CiiAUViRÉ.  —  Bodin  auteur  de  la  République.  ■ —  Paris,  1917.  in-8" 

CîiENEViÈRE  (Ad.).  —  Bonaventure  des  Peners.  Pai'is,  1886,  in-8°. 

Cochl.IlUS  (Johannes).  —  XXI  articuli  .Vnabaplistarum..  confutati  et 
unde  originem  habuerint  ostentio.  Colonia-.  s.  d 

Delacroix  (ïl.).  —  Essai  sur  le  mysticisme  spéculatif  en  Allemagne  au 
XIV«  s.  Paris,  1899,  in-8°. 

—  Les  Grands  Mystiques  chrétiens.   Paris,   1908,   in-8^. 

Dide  (Aug.).  —  Michel  Servet  et  Calvin.  Paris,  1908,  in-8°. 

ExKiiouD  (G.).  —  Les  Libertins  d'Anvers,  légende  et  histoire  des  Lo'istes. 
Paris,  1912. 

1''el"gèhe  (G.j.  —  Essai  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Henri  Estienne, 
sui'xi  d'une  élude  sur  Scévole  de  Sainle-Marthe.  Paris,  Delalain, 
1853,  in-8°. 

—  Erasme,  sa  vie  et  ses  œuvres.  Paris,  1873,  in-8^. 

GobET  —  Tragique  Histoire  d'Haymon  de  la  Fosse.  Revue  des  El. 
Rabel..   19H,   p.   168-190. 

Haag.  —  France  prolestante  (1847-1859),  9  vol.  in-8". 

—  2«  édition.  Pari.s,  1877-1888,  6  vol.  in-8^ 

Haïjser.  —  François  de  la  Noue  (1531-1595).  Paris.  1892,  in-8". 

—  De  l'Humanisme  et  de  la  Réforme  en  France,  1512-1552  (Revue 

liist"!  ii{ue.  1897,  p.  258  et  suiv.  Reproduit  dans   :  Etudes  sur 
la  Béfoinie  française.  Paris,  1909,  in-8°). 


660  BIBLIOGRAPHIE 

HoGU  (L.).  —  Elude  sur  Jeau  de  l'Espine.  Biblioth.  de  lEcole  des 
Hautes-Etudes,  1913. 

HUMBERT  (A.)-  —  Les  Origines  de  la  thculogie  iiiuderue.  Paris,  1911, 
in-8". 

Imbarï  de  la  'J "ûur.  —  Les  Origines  de  la  Réforme,  1905-1914,  3  vol. 
in-8°. 

—  Erasme.    L'Evangélisme   catholique   (Revue   des   l^eux-AIondes, 

15  mai  1913). 

JAU.1ARD  (G.).  —  Essai  sur  les  Liberlins  spirituels  de  Genève  d'après 
de  nouveaux  documents.  Thèse  présentée  à  la  Faculté  de 
thé(jlogic  prolestante  de  Paris,  jDar  Georges  Jaujaixl,  1890,  in-8". 

Lichtenberger.  —  .Articles  sur  Suso,  dans  Revue  des  cours  et  confé- 
rences du  i?2  juin  1910,  17  nov.  1910,  24  nov.  1910,  8-15  déc.  1910. 

—  Art.  sur  Tauler  :  Revue  philosophique  du  l^""  septembre  1911. 

NiSARD  (D.).  —  Renaissance  et  Réforme  (Erasme,  Th.  Morus,  Mélanch- 
Ihon).   l^aris,   1877,   in-8°. 

Parturier  (E.).  — Les  Sources  du  mysticisme  de  Mm-guerite  de  Navarre 
ù  propos  d'un  manuscrit  inédit,  par  E.  Parturier.  Revue  de  la 
Renaissance,  1904-,  pages  1-lG,  49-62. 

Perrens.  —  Les  Libertins.  Paris.  1896,  in-8°. 

Pellisster.  —  U\  Vie  et  les  Œuvres  de  Du  Bartas.  Paris,  1882,  in-8". 
PiiiLiPOT  (Em.).  —  Essai  sur  le  style  et  la   langue  de  Noël  du  Fail. 
Paris,  1914,  in-8'>. 

—  La  Vie  et  l'Œuvre  littéraire  de  .N.   du  l<'ai!.    Paris,    1914,  in-8". 

R^MOND  (Florimond  de).  —  LTlishiire  de  la  naissance,  progrez  et  déca- 
dence de  Iheresie  de  ce  siècle,  divisée  en  huict  livres...  Rouen, 
MDCXXIII,  in-4". 

Renaudet.  — ■  Préréforme  et  Humanisme  à  Paris  pendant  les  premières 
guerres  d'Italie  (1595-1517).   Paris,   1916,   in-8°. 

—  Erasme,  Sa  vie,  son  œuvre  jusqu'en  1517,   d'après  sa  corres- 

pondance (Revue  hislor.,  novembre  1912,  févriei-  1913). 


3.    —    Répertoires,    Sources   bibliographiques. 

Amamura    (Aiiib.     (lej.    —    Hibliothecnr'    Dominicana;    incrementum, 
1677,   in-f. 

.Xrgelati.  —    Oibliolheca    scripturum    mediolanensium.    Milan,    1775, 
2  vol,  in-f'^ 


BIBLIOGRAPHIE  661 

Bayle.  —  Dictionnaire  hiskuique  et  critique.  Nouvelle  édition  aug- 
mentée de  notes  extraites  de  Ciiauiepié,  Joly,  La  Monnoie, 
Leductiat,  L.-J.  Lcclerc,  Prospor  Marchand,  etc.  Paris,  Desoer, 
1820,  16  vol.  in-8». 

—  Bibliotheca  scriptorum   Drdinis   iniiiciruin    S.    Fraiicisci   capuci- 

norum,  a  Fr.    Dionysio  Genueiisi,  ejusdein  ordinis  professore, 
contexla,  2*  édit.  Genuœ,  1691,  in-f'\ 

Brucker.  —  Jacobi  Bruckeri  Historia  critica  phiiosophia;.  Lipsiae,  apud 
Bernh.  Chistopti.  Breitkopf.  MDCCXXXXIII,  6  vol.  in-4°. 

Brune'J'.  —  Manuel  du  Libraire,  5^  édit.,  6  vol.  in-S". 

IjLunEus.  —  Traité  de  l'athéisme  et  de  la  .superstition.  Traduit  par 
Louis  Philon.  Publié  par  J.  Chr.  Fischer.  Amsterdam,  1740, 
in-4°. 

Du  BouLAY  (C.-E.).  —  Jlistoria  universitatis  parisiensis.  Paris,  16G5- 
1()7;5.  6  vol.   in-f*^'. 

Du   Plessis  ])"Ap.genïré.   —  Collectin  judiciorum  de  novis  erroribus 
qui  ab  initio  duodecimi  seculi  post  incarnationem  Verbi  usque 
ad  annum  1632  in  ecclesia  proscripti  sunt  et  notati.   Paris, 
.     1721-1736,  3  vol.  in-f". 

Féret.  —  La  Faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus 
célèbres.  L'Epoque  moderne    Paris,  1900  1907,  ô  vol.  in-S". 

François  P"".  —  Catalogue  des  actes  de  François  P''.  l?aris,  1887-1908, 
10  vol.  in-8°. 

Guillebaud  (Pierre,  dit  Pierre  de  Saint-Romuald).  —  Trésor  chrono- 
logique et  historique  contenant  ce  qui  s'est  passé  de  plus 
remarquable  et  curieux  dans  l'Estat  tant  civil  qu'ecclésias- 
tique depuis  l'an  de  .T.-C.  1200  a  l'an  164-7.  Paris,  1642-16i7, 
3  vol.  in-fo. 

Hauser.  —  Les  Sources  de  l'histoire  de  France,  XVP  siècle.  Paris, 
1906-1912,  3  vol.  in-8°. 

Lachè\re  (Frédéric).  —  Le  Libertinage  devant  le  Parlement  de  Paris. 
Le  procès  du  poète  Théophile  de  Vian  (1623-1625).  Paris,  1909, 

2  vol.  in-4*'. 

—  Bibliographie  des  recueils  de  poésies  libres  et  satiriques  publiés 

de  1597  ù  1700.  Paris,  1901  à  1905. 

—  Les  Recueils  de  poésies  libres  et  satiriques  publiés  depuis  1600 

h  la  mort  de  Théophile  (1626).  Paris,  1914. 

—  Le  Prince  des  libertms  du  XVIT«  siècle,  .7.  A'allée  des  Bai  reaux 

n599-1673).  Paris,  1907,  in-8°. 

—  Mélanges.  Paris,  1920. 


002  BIBLIOGRAPHIE 

La  Choix  nu  M-vine.  —  Les  Bibliothèques  liaiXMisos  do  La  (joix  du 
Maine  et  Du  V(?rdior.  Edition  Rigoîcy  de  .)ii\iifiiy,  1777. 
()  volumes  in-4". 

Lecky.  —  llistory  of  tlie  rise  and  iniluence  ol  iati(nialisiii  m  Lurope. 

London,  liJOO,  2  vol.  in-8°. 
Ménage.  —  .\nti-Baillet,  ou  Critique  du  livie  de  M.   Baillet  intitulé 

jugement  des  savants  par  M.  Ménage,  l^a  Haye,   IG'JO,  2  vol. 

in-12. 
MoRHOFF.  —  Dan.  Georg.  Morholii  Polyhistor,  sive  de  jinijiia  auclormn 

et  rerum  commentarii.  Ed.  de  1708,  2  vol.  in-i". 
NicÉRON.  —  Mémoires  jwur  servir  à  Thistoire  des  hommes  illustres 

dans   la  république  des  Lettres,   avec  le  catalogue  raisonné 

de  leurs  ouvrages.   Paris,  1727-1745,  4-3  vol.  in-12. 
Pan'Zer.  —  Annales  typograpliici  ab  artis  inventas  origine  ad  annum 

MD;  ad  auno  MDl  ad  aniium  MDXXWI  (1798-18U3),  6  vol.  in-4«. 
PiCAVET.  —  Esqui.sse  d'une  histoire  générale  et  comparée  des  pliilo- 

sophies  médiévales.   Paris,   1906,  in-S". 
QuétifEchard.  —  Scriptores  ordinis  Prœdicatorum.  l^aris,  1721-1729. 

2  vol.  in-1". 

Reimmann  l.l.-F.).  —  .lac.  l''rid  Reimmanni...  Historia  universalis 
alheismi  et  atheorum  falso  et  mérite  suspectorum,  apud 
Judîfios,  ethnicos,  christianos,  muhamedanos,  ordine  chrono- 
logico  descripta  et  a  suis  initiis  ad  no;5tra  tenip<jra  deducta. 
Hildesine,  1725,  in-8°. 

Renouahd.  —  Annales  de  l'imprimerie  des  Etiennes.  Paris,  1837, 
2  vol.  in-8". 

—    Bibliographie  des  impressions  et  des  œuvres  de  Josse  Badius 
Ascensins.   imprimeur  et   humaniste  (1462-153ri).   Paris,   1908- 
1013,  in-8° 
Salde.nts.  —  De  libris  vaiioque  eoinm  usu  cl  ahnsii  libri  duo.  Amste- 
lodani.  Boom.   1768. 

Sandius.  —  Bibliotheca  Anli-i  rmilariorum,  sive  calalogus  scriplorum 
et  succincta  narratio  de  vila  eorum  auclorum,  qui  prœterito 
saeculo,  vulgo  receplum  dugma  de  Iribus  in  unico  Deo  per 
omnia  œqualihus  personis  vel  impugiiarunl.  vel  docuerunt 
solum  Patrem  D.  N.  Jesu  Christi  esse  illum  vernm  s<'u  altis- 
simum  Deum.  Opus  posthumnm  Chr.  Sandii.  t  reistadii,  apud 
.Toan.  Aconium,  1684,  in-8°. 

.Sorel  (Ch.).  —  La  bibliothèque  françoise.  Paris.   1667,  in-12. 

Symonds  Uohn  .Addington).  —  Renais-sance  in  Italy.  London,  1897, 
8  vol.  in -8°. 

rii.LEV  (Arthur).  -  -  The  Littérature  rjf  ihc  ficiirh  Renaissance.  Cam- 
bridge, l'.H)i,  2  vol.  in-8°. 


BIBLIOGRAPHIE  (j(jO 

TiRABOSCHi.  —  Storia  délia  letteratura  italiaiia.  1787,  16  vol.  in-4°. 

VoETiiJf>,  —  Gisb.  Voetii  Dissertationes  selectœ  theologicœ.  Ultrajecti, 
164^.  ^ 

Wadding  (L.)-  —  Scriptores.  Oïdinis  Minorum.  Rom.T,  1650,  in-f'. 
4.  —  Mémoires,  études  diverses. 

Barillon.  —  Journal  de  Jean  Barillon,  secrétaiie  du  chanceliei-  D'uprat 
(1515-1521),  publié  par  P.  de  Vaissière  (1897-1899).  Bibl.  de  la 
Société  de  rhi.stoire  de  France,  2  vol.  in-S". 

Baudrillard  (Mgr  A.).  —  L'Eglise  catholique,  la  Renaissance,  le 
Protestantisme.  Paris,  1912,  in-12. 

Boi.ssiER  (G.).  —  La  Fin  du  paganisme.  Paris,  1895,  2  vol.  in-8°. 

Cari.oix  (V.).  —  Mémoires  sur  la  vie  du  maréchal  de  Vieilleville  par 
Vincent  Carloix,  son  secrétaire.  Paris,  1757,  5  vol.  in-12;  Paris, 
A.  Desrez,  1836,  in-8°. 

Clerval.  —  De  Judoci  Chichtovei  Neoportuensis  doctoris  Iheologi  pari- 
siensis...  vita  et  operibus.   Paris,   1894,  in-8°. 

Dedieu.  —  Les  Origines  de  la  morale  indépendante  (Revue  pratique 
d'Apologétique,  juin-juillet  1909). 

Desjardins  (A.).  —  Les  Sentiments  m'jraux  au  XVP  s.  Paris,  1886,  in-8°. 

Dezeimeris  (Roinhold).  —  De  la  Renaissance  des  lettres  à  Bordeaux 
au  XVl^  s.  Bordeaux,  1864,  in-8°  de  66  pages. 

Drtart  (P.).  —  Chronique  parisienne  de  Pierre  Driart,'  chambrier  de 
Saint-Victor,  (1522-15o5),  publié  par  P.  Bournon  dans  les 
Mémoires  de  la  Société  d"histoire  de  Paris  et  de  llle-de-France, 
t.  XXII,   1895. 

Du  Verdier  (A.).  —  Les  Diverses  Leçons  d'Antoine  du  Verdier,  sieur 
de  Vauprivaz  suivant  celles  de  P.  Messie.  Lyon,  1576,  in-S". 

Du  Bellay  (J.).  —  Deffence  et  Illustration  de  la  langue  françoyse, 
édit.  Chamard.  Paris,  1904,  in-8". 

Fontaine  (Simon).  —  Histoire  catholique  de  nostre  temps.  Paris,  1562. 
(Il  y  a  une  édition  de  1558). 

Gaillard.  —  Histoire  de  François  I".  Paiis,  1819,  4  vol.  in-8°. 

Goujet.  —  Mémoire  historique  sur  le  (Collège  royal  de  France,  .2*  édit. 
Paris,  1758,  3  vol.  in-12. 

Grin.  —  Journal  de  François  Grin,  religieux  de  Saint-Victor  (1554- 
1570)  par  le  baron  de  Ruble.  —  Collection  de  la  Société  d'his- 
toire de  Paris  et  de  l'Ile-de-France,  t.  XXI,  1894. 

GuiRAUD.  —  L'Eglise  et  les  Origines  de  la  Renaissance.  Paris,  1902, 
in-12. 


064  BIBLIOGRAPHIE 

Guy  (Henri).  —  Jiistoiie  de  ia  poésie  au  Wl*-'  siècle.  Puiis,  11)10, 
in-S°,  t.  I. 

ni'ET,(P.-D.).  —  Oiigiues  de  la  ville  de  Caeii.  Iloueu  (2'-  çdit.),  l~0(i, 
in-S". 

Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris  (1515-1536),  réédiU'  par  Bourrilly. 
Paris,  1910,  in-8^ 

Le  Roy  (L.).  —  Voir  Lambin. 

Mkssie.  —  Les  Diverses  Leçons  de  Pierre  Messie,  gentilhomme  de 
Séville,  mises  de  castillan  en  françois  par  Claude  Gruget,  pari- 
sien. Tournon,  IGIO,  pet.  in-8°. 

Pei.t.issier  (G.).  —La  vie  et  les  œuvies  de  Du  Bai  las.  Paris,  1882,  in-S» 

OujciiERAT.  —  His((jire  de  Sainte-Barbe.  Paris,  18G0-1S04,  2  noI.  in-8". 

Uccue  des  Langues  Romanes  (abrégé  R.  L.  R.),  180;î-t895 

Hçvtie  des  Etudes  Fiabeluisiennes  (abrégé  R.  !•:.  W.)..   190;î-l'.ili?. 

Ilevne  du  XV I^  siècle,  1913-1921. 

■Revue  de  la  Renaissance,  1902-1906 

Rrf:r.0R0Ni  (Ant.).  --  De  Gymnasio  patavino  Anltiiiii  Riccohoni  coinmen- 
tariorum  libii  sex...  Pata\ii  AIDIIC. 

Vaxdep,  H.ehgen.  —  Bibliographie  des  œuvres  dKrasnie.  Gaud,  100<J- 
1907,  5  vol.  in-16. 

\'khso!!Is.  —  Li^Te  de  Raison  de  M®  Nicolas  Versoris,  avocat  au  Par- 
lom'-nt  de  Paris  (1519-1530),  publié  par  Fagniez  dans  les 
.Mémoires  de  la  Société  de  THistoiie  de  P;!!]*^  et  de  l'Ile-de- 
France,  t.  XII  (1885). 


TABLE  DES  NOMS  D'AUTEURS 


AiJtLARD,  10,  1G5  note  1. 

Abra  de  PvACONis  (François  d'),  625. 

AcHiLLiNi  (Alessandro),  138,  153, 
211,  230,  316,  633. 

Adriano  di  Corneto  (C*'),  97  note. 

Alamanni  (Luigi),  149,  150,  151 
note  3,  152. 

Alardet,  84. 

Albert  le  Grand,  30,  46  et  note  3, 
54. 

Alciati  (André),  (J4  note  4,  149. 

Aleandro  (Girolomo),  10,  73,  119, 
149. 

Alessandri  (Alessandro),  82,  412 
note  6. 

Alessandrln'o  (Girolamo),  96. 

Alexandre  d'Aphrodlsl\s.  In  - 
fluence  :  251-252,  504,  518.  — 
Cité  :  30,  31,  33,  35,  38,  41,  57,  63, 
65.  112,  138,  141,  144,  145,  147, 
155,  160  note  3,  166,  174,  209,  210, 
211,  212,  24i,  266,  278.  279,  280, 
298,  430.  464-,  546,  573. 

Al-Farabi,  61. 

Al-Gazel,  &2. 

Aliod  (Claude  d').  358-359,  535. 

Alixant,  66  note  4,  78,  134. 

Amaseo  (Romolo),  77. 

Amaury  de  Bêne,  317,  341. 

Ambroise  (Saint)j  4. 

Ammonios,  160  note  3. 

Amomo,  152. 

.\MYOT  ('.Tacques),  12. 


Anaxagore,  61,  62,  139,  159  note  6, 

216  note  1,  259,  262,  557. 
Anaximandre,  17,  557. 
Andrelini  (Fausto),  149. 
André  (Jacques),  535. 
Aneau  (Barthélémy),  515. 
Apelles,  296,  341,  531  note  5. 
Apollin aires,  92  note  1,  141, 
Appien,  455. 
Apulée,  296. 
Aratus,  391  note  5. 
Arcésilas,  112,  262,  288. 
Aretlmo  (Pietro),  150. 
Argyropoulo  (Jean),   141  note  4. 

170,  171,  209,  245,  273. 
Arioste,  132,  151  note  3,  450  note  1. 
Aristh-pe,  131,  1.32. 
Aristote.  Influence  :  9-10,  14,  52- 

53,   97,   141,   142,   154,   162,   im. 

236,   261,   281,  282-287,   300,   303 

note  3,  ;307,  314,  317,  391,  400- 

411,  444,  464,  466,  476,  495,  544. 

573,  .580-581,  .599,  606,  612,  618. 

625.  —  Cité  :  12  note  4,   16,  .32. 

33,  .34,  36,  37  et  note  4,  45,  55,  57, 

59,  60,  61,  62,  100,  102,  105,  107. 

109,   110,   112,   114  note  2,   120. 

127,  1.34,  135,  136,  137,  138,  139, 

140,  143,  144-,  145,  146,  147,  153. 

1.58,  159,  160,  167.   1()8,  170,  171. 

172;  173,  201,  205,  208,  209,  210, 
.  211,  212,  21.3,  214,  215,  216,  217, 

218,  219,  220,  221,  223,  227,  2.30. 

234,  2.35.  240,  244,  215.  246,  248. 

25o',  2.55,  264,  273,  277.  278,  279. 


660 


TAULE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


200,  296,  21)7,  298,  299,  301,  302. 
304,  309,  310,  :m.  352,  385,  389. 
404,  420,  422  note  3,  430  et  note  4, 
432,  436,  440,  441,  442,  443  et 
note  1,  461,  463,  492,  502,  504-, 
527,  545,  550,  555,  557,  582,  596. 
604,  615,  619,  624,  629. 

.Xristoxène,  465,  469. 

AnLiER  (Antoine),  69,  81. 

Armagnac  (C"  Georges  d),  91. 

Arrivabene  (L.),  250  note  2. 

Athénagoras,  461. 

AuBiGNÉ  (.\grippa  d'),  515  note  2, 
613  note  2,  628,  614  note  5. 

.\UDEBERT  (G.),  70  note  2. 

Audry-Benoît,  324  note  3. 

.\UGUSTIN  (Saint),  4,  16.  17.  19.  45, 

50,  99,  101,  103,  144,  174,  238, 
440,  446  note  i,  150,  455  note  1 . 
542,  544,  546,  571,  607  et  note  1. 

.Vverroès.  Influence  :  9-10,  135. 
136,  137,  154,  162,  430,  433.  504. 
618.  —  Cité  :  26,  31,  33.  34.  39. 
il,  54,  61,  63,  109,  120,  138.  131), 
141,  144,  145,  147,  160,  166,  167, 
170,  172,  174,  177,  208,  209,  210. 
211,  218,  219,  210,  251,  272,  281. 
287,  298,  384-,  396,  398,  443  note  i. 
fô6,   464,   4-83  note  1,   527,   571. 

573,  579. 

AviCE.N'NK.  Doctrine  :  45,  47  note  2. 

51,  62.   —  Influence  :  477,  501. 

574.  —  Cité  :  m,  144,  240,  290, 
551.  557,  628. 


B 


Baugn  (Frunyois),  619. 

Bagoijno  (Girolamo)  57,  138,  13<.). 

Baïf   (Antoine   de),   534,   597.   605 

note  2. 
Baïf  (Lazare  de),  71,  78.  81.  82.  9n. 

134,  450  nnl.'  1.  597. 
Baut.et.  622. 


I3AI.11I.   14!). 

Hai./.ac  (Guez  DE  .  619. 

Balzo,  65  note  3. 

Bannes,  567. 

Barme  (Roger),  72,  76,  89-90. 

Basile  (Saint),  3,  4,  99,  101. 

Basilide,  530  note  1. 

Baudelaire  (Cli.),  317  note  4. 

Bayle,  232  note  2,  241  note  4,  248, 

331,   516,   523  note   1,  533,   607, 

622  note  4,  630  note  5. 
BE..kTus  Rhenanus,  170  note. 
Beaudoin  (François),  20,  536. 
Beaumont  (Jean  de),  20(j. 
Bellarmin,  567  note  1. 
Belleau  (Rémy),  597. 
Belleforest,  467. 
Bellièvrë  (Claude),  178  note  5. 
Bellini  (F=°)  156-7,  74.  150,  152. 
Belmisseri  (P.).  Vie  et  doctrine  : 

152-155.  —  Cité  :  148,  149,  151, 

205. 
Belurgey  (Claude),  111  note  5,  6S0. 
Bembo  (P.),  58.  69,  71,  74,  92.  !)5, 

103,  131,  13i.  13().  150,  156  note  2, 

171. 
Bexoist  (René),  461. 
Bérauld  (Nicolas),  10,  13,  14.  72, 

73,    81   et   note   3,   89.    121.    129 

note  2,  171,  374,  462. 
Bérigard  (Claude),  629  et  n<ite  6. 
Béroalde,  310. 

Béroalde  de  Vervilli:,  610-611. 
Berquin  (Louis  dk\  89  note  1. 
Bertrandi  (Jean),  72,  79. 
Bertulphe  (Hilaire),  119. 
Besch,  28,  408. 
Be.ssario.\,  109,  la").  17H.  171.  210, 

211,  273,  287,  461. 

BÉTHE.\f;OURT  (J.    DE),   67  nn(o   1. 

Beuzart  (P.),  318,  319. 
BÈZE  (Théod.  DE),  362,  535. 
BiAGio  Brugi,  67  note  5,  68. 
Bible.  19,  188-189.  268.  558,  559. 
Bigot  (Gilles).  468. 


TABLE    DES    NOMS    «AUTEURS 


067 


Bigot    (Guillaiiine),    2S0-2SI,    268, 

BiRCK  (Sixt,  dit  Betuleins),  11). 

Blandrata,  StiS. 

Blocqueil,  66. 

Blondel  (Léon),  467-468. 

BoAisTUAU  (Pierre).  Doctrine  :  42:i- 
428.  —  Influence  :  613.  —  Cité  : 
24  note  5. 

KocrACE.  Doctrine  :  371-372,  2i3 
note  2.  —  Cité  :  39,  229  note  1, 
310. 

Bocca-Fero  (L.),  120,  153. 

BoczosEL  (P.  DE,  sieur  de  Chaste- 
lard),  393-394. 

B0DL\  (Jean).  Doctrine  :  541-565.— 
Influence  :  457,  631,  632.  —  Cité  : 
191  et  note  2,  201,  238  note  1, 
271,  288  note  5,  366,  390,  408,  412. 
527,  538,  566,  575,  579  note  2. 

"BoÈCE,  41,  55,  144. 

BoNAMico  (Lazzaro).  Vie  :  58-60.  — 
Doctrine  :  60-63'.  —  Influence  : 
57-58.  —  Cité  :  77,  78.  97,  205. 

Bonati  (Guido),  412. 

BoRDiNG  (Jacques),  77,  81  et  note  6, 
82  note  2. 

Bosset  (G.  DE),  540. 

Bossuet,  220  note  4,  632. 

Bouchard  (Amaury),  175- ns.  265. 
268,  272.  599. 

Bouchard  (Cl.),  624. 

Bouchet  (Guillaume,!.  Dorlrine  : 
449-452. 

Bouliers  (François  de),  255.  .257. 

Boulmier,  121,  128, 130  noie  5,  IIW. 

Bourbon  (Nicolas),  81  note  3.  90. 

Bourbon  (C°'  Antoine  de),  207. 

Bourgeois  de  Paris,  1&5,  182,  186. 

Boltrguevtlle  (Charles  de).  Vie  : 
466-467.  —  Doctrine  :  468-470.  — 
Cité  :  154,  508,  570  note  3,  598 
note  1,  599. 

Boyssoxné  (Girard  de).  6(j  note  4. 


Boyssonxé  (Jean  DE).  Correspon- 
dance :  82-84.  —  Idées  :  87,  95. 

—  Cité  :  18,  68,  72,  81,  a5  note  13, 

86,  90,  117,  118,  123. 
Brachet  (Charles),  68.  72.  7;{.  75, 

.83,  85,  87. 
Brachet  (Marie),  75  note  1. 
Brantôme,  331,  332,  393,  513  note  1. 
Breslay  (Guy),  68,  76,  70,  82,  85, 

87,  88  et  note  5. 

Breton  (Robert).  Idées  :  llC-liO. 

—  Cité  :  73',  83,  22Î). 
Briçonnet    (Guillaume).   90,    177, 

180,   271   note  2,   324.    328,   im) 

note  8. 
Briand  Vallée.  Idées:  114-116.— 

Cité  :  73.  83.  109  note  1,  116.  118, 

119,  175. 
Brie  (Germain  de),  72,  77,  84,  89, 

90,  91,  129  note  2,  374. 
Brisson,  74  note  5. 
Brocard  (Jacques),  364. 
Brucker  (J.),  42,  58.  173.  207.  627 

note  2. 
Bruès  (Guy  de).  Idées  :  419- i23.  ^ 

Cité  :  18,  4<J4,  'hid,  4;î8.  r,2(». 
Brunetière  (F.),  621. 
Brunetto  Latinj,  149. 
Bruno  (Giordano),  619,  630. 
Bruyerin  Chaaipieri  (Jean).  162. 
BucER  (M.),  124,  193,  323,  324.  3i?5. 

350,  353. 
BUCHE.  82. 
Buchanam  (Georges),  7.3.  83,  116, 

117. 
Buddée  (J.-F.),  241  note  4. 
BuDÉ  (Guillaume).  Idées  :  170-172, 

211.  —  Cité  :  12,  67,  72,  74,  80, 

81  notes  3  et  9,  S6,  89.  90.  91, 

129,   161-162,  209,  243,  244,  246, 

247  et  note  2,  272,  273,  a51,  374. 
BuDÉ  (Jean),  68,  85. 
Buisson  (F.),  122  note  2,  123. 
BuLLiOTJD  (Antoine),  85  note  2. 
BuLLiouD  ..Maurice').  (>8.  85. 


()(i8 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


DuLLioUD  (Thomas),  85  noie  2. 
liuNFx  (Pierre).  Idées  :  96-105,  110. 

—  Cité  :  57,  60,  68,  71,  72,  77,  78- 

80.  Gorres{)oiu1anro  :  82,  87,  11:5. 

Ili-,  12:1,  124.  l:"4,  J^).  286,  ;ViS. 

'tM,  m.  620. 
HiiRANA  \J.-V.).  i;!8-i:î'.i. 


C 


CA.IETAN,  10,  ;]1,  80,  145.  • 

Calcagnini  (Gelio),  614  note  3. 
Callimaque.  17,  159  note  6. 
Calvin  (J.).  Idées:  162-163,  307-310, 
.'{36-342,  348-:^l,  359-360.  :fô0-38a 

—  Cité  :  15,  lai,  114,  132,  180, 
182,  191  noie  2,  193,  194,  200,  32i. 
:525,  326,  327,  345,  347,  ;^4,  361, 
363,  374,  376,  378  note  4,  379 
note  3,  461,  479.  531  et  note  5, 
554,  567,  581. 

Camerarius  (Joiirliirn),  592  note  1. 

273  et  note  2. 
Campaxei ta,  10,  629. 
Cano  (Melchior),  181  noie  3.  49(;. 

567.  62i). 
Cai'itox  353. 
CAi'PEr.  (L.),  63-1. 
Caraccioli  (.Jean),  149. 
Cardan-  (Gérôme).  Idées  :  231-241. 

—  InQuence  :  :î94-396,  401,  423, 
m,  i-25,  42S.  '|.29-4:«,  440,  149- 
|50,  452-456.  157,  459,  463,  549 
note  i,  574,  618,  619,  628.  —  Cité  : 
21,  186,  230,  2:il.  268,  279  note  2, 
:»8,  '408,  409,  ill  note  6,  i-65.  489 
et  note  4,  527.  547.  548.  553. 

Carloix  (Vincent),  511. 
Carvéade,  111,  112,  262,  2«>!,  437. 
CxRor.i  (Pierre).  Vie  :  349  note  5.  — 

Idées  :  S49.  _  Cité  :  359. 
C\.«;.SIODORE,      175.      176.     -ii^^.     Cy>{\ 

note  1. 
C\s-rEr.LANE  (A.  ni:!.  67. 
Ca.'îtellaxo  (M.).  74. 


Castellion  (Sébastien).  Idées :3'(il- 
363.  —  Cité  :  92  note  1,  385,  53.5. 

Castelnau  (Michel  de),  540  note  2. 

Catherlne  de  Sienne  (Sainte),  4A^. 

Caturck  (.Jean  de),   123. 

C\ussade  (Jean),  79. 

Cellini  (Bemenuto),  14-8. 

Celse.  Idées:  364-369. —  Influence: 
296,  428,  562  note  2,  563-564,  508 
note  7,  569,  574,  579  note  2,  582, 
590,  627.  —  Cité  :  197,  390,  52^>, 
541,  560  note  i,  560,  616,  6.32. 

Cerdo,  341. 

Champagnac  (.lean  de).  Idées:  49i 
502.  —  Cité  :  2:2-2  note  5. 

Champier  (Sympliorien),  67  noir  1. 
174  note  5. 

Ch.\ndon  (Régna iid  de).  (?.),  70,  7N. 
83,  85,  88. 

Chappoxeai  LX,  360-36 1.  535. 

CHARBONNEr.  (Roger),  30,  31  note  1. 
232  note  1.  2U  note  2,  523  note  1. 

Charpentier  (.Jacques),  ^i65-'i66. 
461. 

Ch.vrron  (Pierre).  Idées  :  4-56-45'.l. 
585-591.  —  Cité  :  61t».  6)11. 

Ch.vssanion  (Jean  dei.  150,  536. 

Chauvtré,  18  note  5.  511  nolf  8. 
564  note  5. 

Chekfontain'ES  (Christoplif  dk,  ou 
PEN-rENiEN^YOu).  Idées  :479-t81. 
—  Cité  :  507,  557  noie  2.  570. 

Chénier  (André),  557  note  2. 

Chouvig.ny  (Claude  de),  OïVJ. 

Chrysippe,  112,  177. 

Chryso.«^tome  (Saint  Jean).  99,  101. 
H»:',. 

CHURNA^,  317  note  4. 

Cir.ÉRON.  Idées  :  20-21.  il.  — 
InHuence  :  9,  16-20.  21-23,  44, 
121-122.  126,  127,  129,  130,  1:$;;, 
156.  159  note  6.  162  nohî  5,  22'.» 
et  note  1,  236,  255-256.  257,  258, 
262-264,  275  et  note  2,  279  note  2. 
282.  295.   371.    110.   .392.   1-29.    1-32 


TAIÎLE    DES    NOMS    DAUTEL'RS 


000 


note  5,  'tSS,  i'i2,  415,  i4l>,  447, 
448,  450-i-52,  4Ô2-4Ô6,  459,  465 
note  2,  409  note  1,  477,  4^7,  4-88, 
506,  512  note  1,  515-516,  546 
note  2,  570,  572  note  1,  578,  580, 
581,  588.  599  note  3,  GOO  noie  1. 
(')()2-G0:J,  612,  615,  618.  —  Cité  : 
1:;  note  4,  13,  45,  71,  ?2,  78,  102, 
105,  116,  123,  131,  132,  140,  143- 
14i-,  lio  note  9,  147,  157,  158, 
167.  168,  171-172,  178  et  note  5. 
180,  192.  209,  211,  2;^,  24-0,  243. 
244-,  245,  246,  247,  24-8,  259,  272, 
273,  287,  292,  351,  398,  4-0o,  408, 
440,  442,  443,  480,  575. 

Clavigny    de    Sainte  -  Hoxorixe, 
16-i-. 

Clitomaqle,  4-37. 

CoGNET  (Georges),  79,  83. 

Colin  (Jacques),  91,  150,  152. 

CoNT.^Rixi  (Gasparo),  102,  462. 

CoNTi  (Noël),  373,  2.29  note  1. 

Copernic,  614  et  note  3". 

Copley  Christie  (Richard),  61. 
121,  128,  133. 

CoppiN,  322,  323  note  1. 

Coras  (Jean  de),  66. 

CoRDUs  (Euricius),  592  note  1. 

CoRiNTHius.  Voir  Pardos. 

Cornaro  (C»i),  67. 

Corneille  (P.),  608  note  5. 

C0RNELIU.S  Agrippa  de  Nettes- 
HEiM,  259.  274,  382,  423  note  1, 
4>38. 

CoRTESE  (Gregorio),  87. 

CoTiN  (Charles),  631. 

CoTTERE.\u  (Claude),  81,  90. 

CouRONNEAu  (Deuis),  67,  86. 

CotnRTOi.s  (Hilaire),  90  et  note  3. 

Coi'RTOis,  pasteur  protestant,  360. 

Cousin  (Gilbert),  76,  131. 

Cremonini  (César),  10,  235,  6:30. 

Ct^espet  (Pierre).  Vie  et  idées  : 
487-489.  —  Cité  :  19  note  1,  27, 
538  note  2,  584-. 


Cresplx  (Jean),  139. 

Crockart  (Pierre  de  Bruxelles), 

169-170. 
CujAS  (Jacques),  68. 

CUREAU  DE  LA  ChAMHRE,  626  IVAti  1. 

CuRiONE  (Celio),  58,  34-9. 
Cyrille   (Saint),    19,    3'&i-369.   .547 
note  4,  559,  582. 


D 


Daffis  (Jean),  69,  78  note  13.  82, 

85. 
Dampierre,  81  note  3. 
Dandini  (Gérôme),  624 
Daneau  (Lambert).  5:36. 
Danès  (Pierre),  69,  70,  78,  79,  86, 

91,  129  note  2,  205,  247,  261.  272. 
Darès  le  Phrygien,  469. 
David  (Georges),  326  et  nute  4. 
David  de  Dixant,  317. 
Decio  (Philippe),  149. 
Delacroix  (Henri),  342  note  2. 
Delaruelle,  149. 
Delrio,  241  note  4. 
DÉMOCRITE,    48,    139,    159   note   6, 

177,  262,  352,  404,  437  note  3,  593. 
Denisot  (Nicolas),  592. 
Deredon,  631. 
Des  Autels  (Guillaume),  306-307, 

398-399. 
Des  Barreaux  (Jacques  Vallée), 

630. 
Descartes    (René),    621-622,    506 

note  6,  633. 
Desiioulières  (M""^),  626  note  1. 
DE.SJARDINS  (Alb.),  347  note  1. 
Des  Moulins  (Bertrand).  323. 
Despences  (Claude),  181,  306. 
Des  Periers  (Bonaventure).  Idées: 

193-201,  365  note  6,  374-376.  — 

Cité  :  11,  119,  125,  161,  229,  311, 

378  note  4,  381,  389. 
Des  Pins  (Jean).  67  note  2.  72.  77, 

S2,  81,  88,  92. 


670 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEUKS 


DiAGOius,  17.  il.  132.  159  note  G, 
549. 

DiOGÈNE,   111. 

Diogène-Laërck,  245,  273,  405. 

DOLET  (Etienne),  idées  :  121-133, 
374,  —  Cité:  11,  18,  60,  65,  69, 
71,  72,  73,  76,  80-82  (Correspon- 
dance), 83,  86,  87,  88,  90,  91, 
92,  95,  -98,  103,  109  note  1,  117, 
118,  180,  185  note  1,  196,  236,  SS5 
note  1,  268  note  2,  259.  291,  :M7. 
382,  mi.  543. 

DoRAT  (Jean),  534,  597  note  1. 

DouEN  (Em.),  132. 

Driard  (Pierre),  183-185. 

Du  Cartas  (Guillaume  de  Sa- 
LUSTE,  sieur).  Idées  :  603-60'J, 
614-616.  —  Cité  :  594,  595. 

Du  Bellay  (Guillaume,  Seigneur 
DE  L.\ngey),  90,  91,  150,  207 
note  7,  274. 

Du  Bellay  (Jean),  67,  255  note  3, 
•281.. 

Du  Bellay  (Joachim),  95  note  1, 
389,  592,  597. 

Du  Boulay,  204. 

Du  Bourg  (Antoine),  66,  69,  70 
note  2,  72,  83,  ^  note  13,  88. 

Du  Chastel  (Pierre),  91-92.  205, 
207,  250. 

DucHES.VE  (Louis),  532  note  4,  594. 

Du  Chesne  (Jean,  sieur  de  la 
:Vl0LETTE),  611-613. 

Du  Fail  (Noël).  r}S2-5S'i.  271  noie  2. 
489  note  1. 

Du  Faur  (Guy),  80. 

Du  Faur  (.facques),  79,  82,  87,  91. 
92. 

Du  Faur  (Pierre),  80. 

Du  Ferrier  fArnaud).  (J8.  79,  82. 
86,  91,  9i. 

Du  Ferron  (Arnould).  Idées  :  W.)- 
112.  —  Cité  :  73,  Si  et  note  4,  85. 
IM.  119.  11.-,.  520.  121.  12:1  438, 
01 '.I. 


Du  JoN  (François,  dit  Junius),  515- 

516,  18,  536. 
Du  MONIN  (Edouard),  594,  596-597. 
DuNS  ScoT  (Jean),  10,  14,  15,  167, 

209,  542. 
Du  Perron  (G"),  527,  611. 
Dupleix  (Scipion),  494. 
Du  Plessis-d'Argentré,  165. 
Du  Plessis-Mornay.    Voir  Mor- 

nay. 
Du  Prat,  66. 
Du  Prat  (Antoine),  37  i. 
DuQUESNOY  (Jean),  477-478. 
DuRFORT  (Amanieu  de),  66. 
Du  Vair  (Guillaume),  '4-89-493. 
Du  Val,  anabaptiste,  327,  528. 
Du  Val  (Pierre),  327,  328. 
Du  Val  (Pierre,  évoque  de  Seez), 

593-594. 
Du  Verdier  (Antoine),  422  note  5. 


E 


Eckart,  316,  3li),  3:};],  :i'>i;  336,  340, 

ECKARD   ZUM    ÏREUBEL,    361. 

Egnazio   (Jean-Bapt.),  26,  71,   75, 

76,  78,  88  note;  2,  90,  121,  131. 
Elien,  500,  502. 
Elgi,  326. 

Emili  (Paolo),  149  note  8,  150. 
Empédocle,  61,  62,  106^  111.  112. 

139,  216  note  1,  557. 
Enée  de  Gaza  (Aeneas  Gazatus  . 

401. 
Ennius,  372. 
Epicure,    41,    111,    132,    IW,    159 

n(.te  6,  177,  229  note  2.  24>5,  256. 

261,  288,  391,  404,  443,  474,  501. 

516,  549.  572,  573,  580,  615.' 
Epiphane,  559. 
Erasme.  Idées  :  5-6,  8,  172-173,  18<J- 

181.  —  Cité:  4  et  note  7,  10,  11. 

22,  74,  75,  81,  89,  90,  93,  12i.  12^.». 


TAJJLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


671 


17s,  179,  23S,  300  note  i-,  37  i,  383, 
575,  597  note  1. 
EsPENCES  (Claude  d').   Voir  Des- 

l'EN'CES. 

EsPEROx  (Dertrand),  532. 
EsTiENNE  (Charles),  69. 
ESTIEN'NE  THenri),  512-51'),  12,  135, 

200  note  1,  288  note  5,  170. 
EsTOUTEViLLE  (Jean  d),  153. 
Euripide,  391,  588. 
EusÈBE,  19,  271,  542  note  4. 
E\-HÉMÈRE,  17,  159  note  6.  228,  370, 

372,  385,  529. 


Fabrice  (Arnold),  117. 

Farel   (Guillaume),   68,    124,   327, 

351,  358,  .359-360,  S^l,  528,  529, 

535. 
Fazio  (Barth.),  425. 
Feretti,  114  note  2,  149. 
Feri  (.Jean),  324. 
Fernel  (Jean).  Idées  :  248-254.  — 

Cité  :  204  note  1,  272,  277,  353, 

541. 
Ferrerio  (Giovaimi).  Vie  et  doc- 
trine :  157-160,  244-.245.  —  Cité  : 

242,  246. 
Ferrerio  (Filiberto),  157. 
Feu-Ardent  (François),  4-88. 
Février,  626  note  1. 
FiciN  (Marsile).  36,  46,  47  note  2, 

173,   174,   /76'-/77.    178.   179,  398, 

442,  461,  497. 
Figard  (L.),  248. 
FiNET.  81  note  9. 
Flamixio  (M. -a.),  74. 
Florido,  131  et  note  3.   247,  272, 

273. 
Fondulo,  74,  78. 
FONSECA.  567. 
Fontaine  (Simon),  â47. 
Fontanier  (Jean),  630. 
Fornier  (Raoul),  624. 


FURXIEU   ou   l'ULUMER   (.Jeau;.    72, 

82,  83,  87  et  note  6. 
Forton    (Jacques,    frère    Ange), 

622. 
Fouillée  (A.),  223  noie  1. 
Foulechat  (Denis),  318. 
Franck,  200  note  2. 
Fregoso  (Frederico),  151. 
Frichon  (Jean),  178. 
François  d'Assise  (Saint),  49.  l»o, 

447  note  1. 
Fumée  (Adam),  66  note  4. 
Fumée  (Antoine).  Vie  :  376  note  4. 

—  Sa  lettre  contre  les  libertins  : 

376-380.  —  Cité  :  66  note  4,  196, 

326,  iS2,  581. 


G 


Gaëtano  de  Tiene,  30. 
Gaillard,  68,  75. 
Galatinus,  542  note  4. 
Galien,   38,  4S,  248,  252  note  3, 

268,  290,  450,  473  note  1,  561. 
Galland  (Pierre).  Idées  :  285-288. 

—  Cité  :  15,  20,  27,  212  note  6, 

245,  ^46,  261,  272,  420. 
Gallaula,  149  note  8. 
Gamon  (Christophe),  616  note  2. 
Garasse  (le  P.  François),  27,  232 

note  1,  236-237,  241  note  4,  348, 

517,  519,  521,  522,  617,  618,  624, 

625,  627,  629,  632,  633. 
Garnier  (Ji).  583. 
Garnier  (Robert),  597. 
Gaspard,  71,  73. 

G.\ULLiEUR,  115  note  1,  119  note  1. 
Gaza  (Théodore),  273. 
Génébrard  (Guillaume),  536. 
Gentilis  (Jean),  113,  363,  536. 
Gentillet  (Innocent),  567-569. 
Genua  (M.  Antonio),  57. 
Georges  de  Trébizonde,  364. 
Georgio  (Frajicesco),  602  et  note  2. 
Gérard  de  Verceil,  71. 


(372 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


Gerson.  :{!!>. 

<Jili.f:.s  de  X'iterbe,  92. 

GiRALDi,  229  note  1,  372-873. 

GiuSTixiANi  (Agostino),  liO,  150. 

Gi.AT  (E.).  ÔTG  note  5. 

Godet  (^M.),  320. 

GoNZAGUE  (Hercule  dkj.   I.')(i. 

GORGIAS,  109,  110. 

Goulard  (Simon),  462,  4S5  note  (>, 

.594,   003",    t)08  note  .1    (')12.    (Ui 

note  3,  615  note  3,  63 1- 
GovÉAN  (André),  115  note  1. 
GovÉAN  (Antoine).  Idées  :  114-115. 

242  note  1.  —  Cité:  73,  109  note  1. 

116,  118,  149,  200.  205.  261,  284 

note  3,  383. 
Grégoire  de  Nysse,  425. 
Gribaldi  (Lelio),  361  note  3. 
Gribaldi    (Mathieu),    Idées  :   118- 

114.  —  Cité  :  83,  04,  123.  149.  Xùi. 

363. 
Grimai. 01  (.Vug.),  87. 
Grimaldi  (Octavien),  75. 
Grimoult  (R.),  467. 
Grollier  (J.),  72,  .90. 
Gruget,  424. 
Gi'Ai/iT.R  (Rod.),  325. 
GuÉROULT  (Guillaume),  307. 
GuiDACERio  (.\gazio),  202,  203. 
GijiDO  GuiDi  (Vidvs  Vidius),  202. 

203. 
Guillaume   de   Hildenis.sem,   iJl.s 

note  5. 
Guillebaud  (Pierre,  dit  /'.  de  Sl- 

Romuald),  522  note  1. 
(  ruiN'TERius,  204  noie  1. 
GuiRAun  (.Jean),  148. 
Gvm.es  (P.),  71. 


H 


llAAG,    176. 

IJauser  (Henri),  191  et  noie  2,  i-8i. 
HÉNAUi.T  (CIk),  626  note  1. 
HÉKAri.iTi:.  111.  256  noie  'A,  260. 


Hhhma.x  de  Gf.uiuh  \.\.  :i24  note  :l 
Hermès     THisMÉnisiK.     167.     21  <i 

note  1,  256,  257,  432,  i:.9.  571. 
Hermolao   Barijaro.    lil    mile    i. 

2i3. 

IIÉHODOTK,    iliU. 

Héroet  (Anioini'i,  175  note  1. 
Hervet  (Gentil!!!),  278-280,  5«J7. 
Hésiode,  216  note  1,  ^7. 
Hessus,  92  note  1. 
Heulhard,  119  note  2,  2()7. 
Hippocrate,  38,  4ô0. 
HoGU  (L.),  485. 
Homère,  38,  111,  130,  26! i. 
Horace,  123,  mS. 
Hotm.'VN  (Fi^aneois),  20. 
IIotman  (Infandic),  505-506. 
Hûuppela.\de     (Guillaume),     I6G- 

169,  307. 
HuET  (Pieire-Daniel),  622  noie  4. 
Hu M BERT,  532  note  4. 


Imbart  de  i.a  Tour,  1411. 

I.SODORUS  DE  ISOLANIS.    139-14<J 

iTTERius  (.Math.),  116. 


.lAtiguEs    dA.mboisi:,    478    noie   5, 

479. 
.Iamblique,  571. 
.lAMYN   (A.),   595,    m\   note  5.    (U 1 

note  2. 

.IAU.IARD,  342. 

.lEA>f  DE  Bruges,  3'62. 

.lEA.v    de    Jandun,    30,    2'W.     ii3 

noie  4. 
.IEA\  SCOT  Erigène.  316,  'M),  34i. 
.Iérôme  (Saint),  3,   1.  6  n..l..'  2,  9'.». 

.lOACIflM  DE  l''LnRA,  317. 
JOANXES    .\1a.I()J(,    169. 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


67?. 


.ToDELLE  (EUenne),  Ô3i,  597. 

JOSÈPHE,  571. 

.JouRNET  (Noël),  53G. 

JovE  (Paul),  58. 

Julien.  Idées  :  3(>4-:^9.  —  In- 
lluence  :  5G3-5(>4-,  568  note  7,  560, 
575,  579,  581,  .582,  589-590,  591, 
604.  —  Cité  :  390,  540,  566,  605, 
616,  628. 

Jugé,  605  note  2. 

JUNDT,  328. 

JusiiN  (P.seudo-).  10  et  note  2,  293'. 
299,  300. 


Lachèvre   (Fr.).  517  note   1,  522, 

523,  526,  628  note  3,  632  note  1. 
Lacour  (L.),  199. 
La  Croix  du  Maine,  582. 
Lactance,   10,   137,  244,  425,  443, 

469,  ;^i-3. 
La  Fontaine,  59. 
La  Fosse  (Ilaymon  be),  320.  ■ 
Lainez,  567. 
Lamartine.  601  note  5. 
Lambert  (l-'iancois),  124. 
Lambin  (Deni.s),  7  note  2,  15-16,  91, 

392  note  2,  i28. 
La    MoNxnvE    (Bernard    de),    .526 

note  1. 
La  Mothe  le  ^"AVER  (François  de). 

Idées  :  619-620.  —  Cité  :  385,  505, 

618,  625,  030. 
Lamy  (Pieri'êi,  81  noip  9.  170  udlc  i. 

171,  175. 
Laisdo  (Ortonsio),  22,  69. 
Langeac  (Jean  de),  71,  80. 
LangeaC  (François  de),  80. 
Langlois  (Jean),  319. 
La  Noue   (François   dk).   /iS2-'iS.'), 

510  note  1. 
La  Porta,  626. 


La  Primaudave   (Pierre  de),  475- 

477. 
La  Rivière  (D.  Polycarpe  de:),  625. 
Lascaris,  149,  170,  273. 
Latimer  Giiill.),  278  note  2. 
Leblanc  (Richard),  425. 
Le  Breton  (Nicolas),  69. 
Le  Caron  (Louis,  dit  Charondas), 

^4  note  2,  390,  104-,  AI  7-41 9,  420, 

421  note,  422,  423,  4o'6. 
Lecky,  56,  180,  346  et  note  3,  43^i, 

477. 
Leconte  de  Lisle,  25,  605. 
Le  Fèvre  de  la  Boderie  (Guy). 

Idées  :  597-603.  —  Cité  :  19^  462 

note  1,  467,  508,  594. 
Le  Fèvre  d'Etaples  (Jacques),  8, 

89  note  2,   103.   141  note  4,   170 

note,  280,  3<X). 
Lefranc   (Abel),    165   note   1,   3^i4 

note  2. 
Leibnitz,  622  note  4. 
Le  Moeste  (Jean),  205  note  1. 
LÉON  Hébreu,  550,  558. 
LÉONARD  DE  ViNci,  148,  435  note  4. 
Le  Petit  (Claude),  630. 
Le  Roy  (Louis),  303-305,  313  note  6. 
L'EspiNE  (Jean  de),  2i-  noie  5,  ISS- 

-iS7,  488,  510  note  1. 
L'EsTOiLE    (Pierre    de),    523,    dM-, 

5S5. 
Le  Titien,  614. 

L'HosPiTAL  (Michel  de),  69,  85. 
Lhuillier  (Jacques),  166. 
Lichtenberger  (H.),  344. 
Linacre  (Thomas),  86,  74,  92. 
Linée,  176. 
Lisset,  153. 
Longueil  (Christophe  de).  Idées  : 

95-96.   —  Cité  :  18,   26,   68,   71, 

73-76  (Correspondance),   77,   81, 

86,  87,  89,  90,  92,  123,  I2i,  129, 

133,  150,  156,  KkS,  171,  180  note  5, 

319  note  5,  374. 
Lorraine  (Jean,  G^'  de).  91,  150. 


4:5 


674 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


LosÉE  (Alex.),  8:i,  150. 

LosTAL    (Pierre    dk.    sieur    olOs- 

trem).   Idées:  429-43;}.         Cili' : 

27,  271. 
LoYNES  (François  de).  Vie  :  89.  — 

Cité  :  72,  81. 
LUCAIN,  469. 
Lucas  (Jacques),  74.  ' 
Lucien,   iO-12,  27,  76  note  1.   81. 

121,  132,  178,  201,  240,  244,  246, 

247,  385,  475,  476,  559,  573,  627, 

628. 
Lucrèce.  Idées  :  13-16.  —  Cité  :  72. 

81,   121,   127,  132,  140,  147,  159 

note  6,  227-228,  290,  428,  442,  475. 

476,  504,  618. 
LuLLE  (Raymond),  30,  296. 
Luther,  124,  125,  193,  199,  348-349. 

383. 


M 


Mabilleau,  3-1  note  1,  213,  221. 

M.\cÉ,  583. 

Machiavel  (Nicolas),  73,  568,  50'.), 
629. 

Macrin  (Salnion),  75  noie  1,  81 
note  3,  92  note  1,  107  note  1,  129 
note  2,  151  note  3,  184  note  4. 

Macrobe,  282  note  2. 

Magny  (Olivier  de),  483. 

Maine,  12*. i  note  2. 

MaldonAt,  523,  539,  567  noie  1. 

Manuce  (Aide),  57,  71,  72,  90,  92, 
138. 

Maxuce  (Paul),  78  note  3,  79-80. 

Marcion,  341,  528. 

Marand,  71,  73,  8:>". 

Marcas.sus  (1(!  1*.  de),  625. 

Marguerite  di:  Navarre.  Idées  : 
.^30-336.  —  Cilécî  :  72,  82.  87,  177, 
201,  203,  271  note  2,  32;i,  324,  :r^8, 
377  noTe  .".,  :189  note  1,  530  note  3. 


.\Iarot,  81  uAi'  3.  13(i  iK.le  .S;  271 
note  2.  310,  3S9,  597. 

Mahti.\o  (Spirito).  Idées  :  245-247. 
—  Cité  :  206  note  8,  229  noie  2, 
242,  250. 

Mathorez,  148. 

Mauduit  (le  P.  Michel),  631. 

Mauléon  (Jean  de),  70,  255  note  4. 

Maumont  (Jean  de),  69. 

Maxime  de  Tyr,  110,  112. 

Mélanchtho.n,  209,  243  note  2, 
246,  266,  268,  272.  :^l-352,  374. 

Melissos,  109,  618. 

Ménage  (Gilles),  552. 

Mersenne  (le  P.  Marin),  241  note  4, 
.523  noie  1,  621,  631. 

MES(iRKT  (Amédée),  321. 

Mes-sie  (Pierre),  271  note  2,  425. 

Minut  (J.),  66  note  4,  72,  84,  88. 

Moïse  Maimonide,  237,  551. 

Molina,  567. 

Montaigne  (Michel  de).  Idées  : 
434-449.  —  Influence  :  456-457, 
459,  498-502,  586,  590,  019,  62(J, 
625.  —  Cité  :  18,  24  notes  4  et  5, 
47,  70,  97,  104-,  348,  361  note  3, 
390,  404,  422,  ifjO,  484,  489  note  4. 
527,  544,  566,  6X1 

Montdoré  (Pierre  de),  69,  85,  93. 

MoNTi.uc  (Jean  de),  69. 

MoRiN  (Jean),  177  et  note  4. 

MoRiN  (Jean-Bapt.),  631. 

MoniN  (Simon),  632. 

MoRNAY  (Philippe  de,  sieur  dl 
Plessis-Mari.y).  Idées  :  569-576. 
—  Influence  :  5^4,  591,  608.  — 
Cité  :  12  note  2,  440  note  5,  471, 
542  note  3,  567,  581,  585  note  2. 

Morus  (Thomas),  10,  86,  131,  178. 

.\fuNERius  (Jean),  56. 

.Muret   (Marc-.\nloine),    120,    .m>- 

:m,  420,  4.34  noie  3,  592. 
Mrzi  no  (.Maico),  58,   71,   1.38. 


l'ABLE    DES    NOMS    D'aUTEURS 


675 


N 


Nassau  (Maurice  de),  630. 

Naucel,  631. 

Naudé,  233,  288  note  .5,  r352,  G3<J. 

Navagero,  73,  95,  150. 

Negri,  58,  76,  136  note  }•. 

Neufville  (Jean  de).  Idées  :  463- 

466.  —  Cité  :  507. 
Neufville  (Simon  de).  Voir  Simox. 
Nicolas  (Simon),  535. 
Nicolas  de  Cusa,  296. 
NiPHO  (Agostino).  10,  ;30,  120,  625. 


0 


OcHiNo  (Bernardino),  364. 
OcKAM  (Guillaume  d),  165,  319. 
Odo  230. 

Odoni  (R.j,  131,  461,  465. 
Œcolampade.  124,  353. 
Ollé-Laprune  (L.).  Avant-propos, 

XI,  note. 
Origène.     .\nalyse     du     Contra 

Celsum  :  364-369.   —  Cité  :  137, 

244,  582. 
Orphée,  139,  176,  216  note  1,  ^6, 

257,  258,  367,  469,  571. 
Ovide,  469,  610,  627. 


PAC,  T2,  82,  86,  123,  330  note  8. 
Pacard  (Georges).  Idées  :  576-583. 

—  Cité  :  19  note  1,  440  note  5, 

471,567,571,591. 
Paleario  (Aonio),  Analyse  de  son 

poème  :  140-141.  —  Cité  :  460,  610. 
Pallavicini  (Jean-Bapt.),  149. 
Paradisi  (Paul),  202,  203. 
Parcker  (Samuel),  241  note  4. 
Pardos    (Gregorios),    dit    Corin- 

thius),  2U,  246,  247. 


Partlrier,  333,  530  note  3. 
Pascal  (Biaise),  220,  621-622,  617, 

620,  628  note  1,  633. 
Paschal  (Pierre  de).  Sur  la  nature: 
255-258.  —  Cité  :  69,  81  note  6, 
^i,  91,  277. 
Pasquier    (Etienne),    390   note   2, 

462-463. 
Patin  (Guy),  31,  288  note  5,  522. 
Patrizzi  (François),  374. 
Paul  de  Venise,  30,  31. 
Paulo  (Antoine  de),  69,  79,  85. 
Peletier  (Jacques),  4O0  note  3,  605 

note  2. 
Pericoli  (Nicolo,   dit  11  Tribolo), 

254. 
PÉRiON  (Joachim),  261,  284  note  3. 
Perrenot,    seigneurs    de    Gran- 

velle,  67. 
Perrens  (Franç»'^),  623,  626  note  1. 
Perrot  (Emile),  68,  71,  72,  78,  81 

note  9,  85,  94,  134. 
Perrot  d'Ablancourt,  623. 
Perseval,  323. 

Perussis  (François  de),  70  note  2. 
Pétrarque  (François),  4,  54,  614. 
Petrucio  (L.),  73,  84. 
Phérécide  de  Cyros,  279  et  note  2. 
Philon,  172,  2a3,  408,  558,  571. 
Philopon,  160  note  3,  209,  246,  252 

note  3,  278,  280,  287. 
Phlégon  de  Tralles,  627  note  3. 
Pic  de  la  Mirandole  (Jean),'  158, 

160,  361  note  5. 
Picavet,  30  note  11,  165  note  1. 
Picot  (E.),  66,  67,  69,  148,  327,  338. 
Pierre  d'Abano,  30. 
Pierre  d'Ailly,  166,  266,  319. 
Pierre  de  Bruxelles.  Voir  Croc- 
kart. 
Pierre  Lombard,  149. 
Pignet  (Antoine),  350. 
PiNACHUS,  122. 
PiNVERT,  419. 
Pio  (Alberto),  138. 


C7G 


T.iBLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


l'io  (Jean-Dapt.),  14,  15,  26. 

PiocHKT,  GD,  78,  8S. 

PLATON'.  Influence  :  174.  ;398,  429, 
448  note  4,  303,  GOO.  —  Cité  :  12 
note  4,  IG,  21,  ^v,  36,  50,  61,  62, 
98,  100,  105,  107,  112,  137,  139  et 
note  5,  li7,  158,  159,  160,  167, 
168,  177,  209,  213,  216  note  1,  217. 
218,  219,  220,  222,  23i,  245,  246, 
248,  249,  250,  256,  25.7,  262,  269, 
279,  297,  301,  304.  300.  310,  :y)2, 
378,  383,  ;589,  30 1,  396,  -404,  108, 
410,  419,  428,  430  note  4,  44-2,  -443 
et  note  1,  463,  4fri,  465,  492 
note  2,  493,  495,  498,  503,  549, 
551,  557,  559,  571,  575,  577,  594, 
599,  613. 

Plattard  (P.),  11,  18  et  note  6,  23 
note  1,  271,  274. 

Pléton  Gémiste,  571. 

Pline  l'Ancien.  Idées  :  23-25.  — 
Inlluence  :  26-27,  190  et  note  1, 
227-228,  4.23-424,  42G,  428,  452- 
456,  474,  588,  618.  —  Cité  :  18,  46, 
50,  72,  73,  78,  121,  132,  147,  159 
note  6,  178,  186  note  3,  191,  274, 
290,  425,  450,  474,  476,  4S7,  500, 
50i.  506.  581. 

Pline  le  Jeune,  49. 

Plotin,  62,  412,  432,  571. 

Plutarque.  Influence  :  12-13,  370, 
419.  -  Cité  :  21,  47,  270,  271,  398, 
424,  442,  4«i,  500,  607  note  1. 

PocQLE  (Antoine),  323,  3.24,  3:îO 
note  8,  37G. 

PoGGio  (Jean-François),  55,  310. 

Politien  (Ange),  171,  209,  243,  245. 
273,  310 

Po.MARO  (Leoiiaido),  89. 

PoMPONAZzi  (Pietro).  Doctrine  :  32- 
56,  60-6:].  —  Influence  :  30,  31, 
58,  97,  126,  156,  231,  232,  235,  236, 
237  note  1,  238,  239,  298-299  (à 
Paris),  428.  4ii.  4i5,  4i6.  4i-7  et 
note  4,    i56.    i57,   459,   468,    1-69, 


475,  477,  479,  504,  551  et  note  G, 
553,  568  note  7,  574,  580,  608,  617, 
618  note  i,  619,  {)^2,  625,  626,  629. 
—  Cité  :  10,  19,  21,  26,  66,  73, 
99,  103,  120.  121.  131,  i:^,  143, 
l'i4,  145,  151,  16:'..  168,  173,  177, 
178,  179,  180,  186  note  3,  196,  205. 
209,  212,  2^7,  2:i0,  239,  264,  267, 
274,  275,  290,  291,  292,  295,  296, 
:»8,  315,  420,  425,  436,  448  note  4, 
451,  464,  514,  527,  537.  547,  57:i, 
618,  622,  627  note  1. 

PoMPONius  Laetus,  310. 

PONYSSON  (Raoul  de),  67. 

Pool  ou  Pôle  (Reginald).  Idées  : 
96-103.  —  Cité  :  58,  59,  74,  77,  92. 
105,  110,  136  note  3,  278,  279,  286^ 

Porphyre,  63,  287,  541,  571,  616. 

PoRZio,  10,  223,  230,  257. 

Postel  (Guillaume).  Doctrine: 288- 
302,  375-376.  —  Cité  :  15,  26,  31, 
86,  88,  91,  230,  250,  268  note  2, 
271  note  2,  277,  280,  347,  379,  420, 
479,  529,  543,  597  note  1,  619,  620, 
622. 

Poullain  (Valerand),  325,  326,  34:{, 
34-7. 

Poyet  (Guillaume;,  87. 

Prévost  (Eustache),  81. 

Prévost  (J.),  576  note  .5. 

Priézac  (D.  de),  626  note  1. 

Proclus,  174,  545,  571. 

pRODicos  DE  Ceos,  159  Dotc  6,  :]71. 

Protagoras,  17,  41,  112,  233,  549. 

Puy-Herrault  (Gabriel  de,  Pu- 
therbeus),  310-311. 

Pyruiion,  110,  437,  615. 

Pythagore,  111,  174,  176,  257,  264, 
279,  :}0G,  :i52,  .4(k5,  473. 


Q 


Quentin  (Jean),  206. 

(JUERI,  22. 

Ouintix.  :i23,  ;124,  l'CU)  note  8,  385. 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


R 


RADBY  SlMÉON,  571. 

Rabelais  (F<=°*«).  Idées  :  miracles, 
179-191,  274-276;  ûme,  265-274: 
éternité  du  monde,  192;  pyrrho- 
nisme,  259-261.  —  Influence  : 
403-404.  —  Cité  :  7,  11,  18  et 
note  6,  72,  81  note  3,  83,  90,  91, 
114,  115  et  note  1,  119,  161,  172, 
175,  176,  177,  178,  193,  194,  200, 
229,  240,  243,  &4.  255  et  note  3, 
256  note  3,  310,  311,  ;351,  383,  384, 
389,  402,  4^,  i08.  420,  438,  447, 
449  note  4.  i51,  554,  597. 

Raemond  (Florimond  de),  289,  o*37 
note  4,  340  note  1,  .343  note  7, 
348,  529. 

Ramus  (Pierre  de  la  Ramée). 
Idées  :  7,  281-288.  --  Cité  :  10 
note  2,  15,  20,  205,  212  note  6, 
242  note  1,  261,  277,  280,  299,  376, 
422  note  6. 

Ranconet  (Ayrnar\  71,  73,  79,  85, 
94. 

Rapin  (Nicolas).  517-518,  523. 

Raymond  de  Sebonde,  104,  106, 
289,  296,  436,  4>37,  620. 

R.WNAUD  (Th.),  241  note  4. 

Rebreviettes  (G.  de),  631. 

Reimmann  (J.-F.),  10  note  1,  59,  64 
note  3,  164,  241  note  4. 

Reinach  (S.),  270  note  3. 

Renan  (E.),  29  note,  31  note  1,  33, 
34  note  1,    43,   55,   56,   64,   ISl 
-note  4,  138,  231  note  2,  237  note  2, 
241,  562,  575,  633. 

Renaudet,  149,  170  note. 

Rhambert  (Benoît),  78. 

Rhodiginus  (Louis  Ricchieri,  dit 
Cœlius),  425. 

Ricci  (Barthol.),  58,  149.     . 

Richeome  (le  P.  Lf)iiis),  192  note  1, 
i52-456,  624. 

Richier  (Christophe).  69,  83,  85. 


RODOCAX.VCHI  (E.),  42. 

Rodriguez  (Pelage),  ^-2  note  1. 

Roland  (Pierre),  425. 

Romeo    de    C.\stiglione.    Vie    et 

idées:   141-145,  243-245.  —  Cité  : 

24  note  4,  272. 
Ronsard  (Pierre  de).  Idées:  391- 

i02.  —  Cité:  75  note  1,  254  note  2. 

172  note  4,  483,  517,  518,  519,  520, 

5:i4,  537,  557,  592,  597. 
Rosis  (François  de),  71,  75,  76. 
Rousseau  (J.-J.),  575. 
Roussel  (Gérard),  72,  82,  95,  330 

note  8. 
RouzERius,  95. 
Rubens,  616  note  2. 

RUELLIUS,    69. 

RUFUS  (P.),  120. 
Ruggieri  (Cosme),  630. 
RUTEBŒUF,  179,  201. 
RuLSSvicH  (Germain),  319. 
Ruutz-Rees    (M"«    Caroline),    136 

note  3,  313. 
Ruysrroek,  319,  ,532  note  4. 
RuzÉ,  72,  87,  89. 


S 


Sabellicus  (Georges),  320  note  4. 

Sadolet  (Jacques).  Idées  :  96-109 
—  Influence  :  418-419*  —  Cité  : 
57,  58,  68,  71,  74,  70,  77,  81 
note  6,  84,  87,  90,  92,  93,  95,  96, 
124,  134,  136  note  4,  150,  171,  259 
286,  307,  374,  KM-.  420,  422.  423. 
436. 

Sagox,  199. 

Saint-Evremoxd,  626  note  1. 

Saint-Gelais  (Mellin  de),  74,   84, 
92,  93,  94.  258  note  1,  259. 

Saint-Romuald.  Voir  Guillebaui). 

SAiNTE-MARTfTE  (ChaTles  de),  311- 
313. 


iuH 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


Sainte-Marthe  (Gaucher  de),  518. 

519,  520,  528,  609-610. 
Saisset   (Eimile),   357  note  4,   ;i58 

note  1. 
Saldenus,  59. 
Salignac  (B.  de),  119. 
Saluste    (Guillaume).    Voir    Du 

Bartas. 
.Sanchez,  423  note  1. 
Sannazar  (Jacques),  592  note  1 
Santi,  119  note  2,  120. 
Sarrazin,  119. 
Saturnin,  528,  530  note  1. 
Sauli  (Etienne),  73,  95,  96. 
Sauli  (Jean),  95,  96. 
Scaliger  (Joseph),  120,  121. 
SCALIGER  (Jules-César).  Idées:  119- 

121.  —  Cité  :  57,  73,  109  note  1. 

132  note  3,  146,  233,  241  note  4, 

273,  430,  463. 
ScÈvE  (Guillaume),  69,  81,  82,  86. 
SCÈVE  (Maurice),  72,  82,  83. 
Schmidt  (Charles),  328,  338,  342. 
Sc:ot.    Voir  Duns   Scot   et  Jean 

Scot. 
Selve  (.Vmbroise  de),  79,  96,' 99. 
Selve  (Georges  de),  79,  87  note  6, 

99,  102,  103. 
Selve  (Jean  de),  85,  87. 
.Selve  (Odet  de).  79,  96,  99,   102, 

113. 
Selve  (Paul  de),  M. 
SÉNÈQUE,  146,   147,  167,  178,  222. 

228,  419,  442.  4i3,  489  et  note  4, 

572.  608,  619. 
Septalio  (Louis),  206. 
Sei'ULveda  (Jean-Ginez  de),  l'iS. 
Serres  (Jean  de),  502-505. 
Servet  (Michel).  Vie  et  doctrine  : 

353-358.    —  Cité  :  39,    113,    352 

note  4,  382,  385,  530  note  1,  616. 
Sextu.s  Empiricus,  423  noie  1.  465. 
■     618. 
Seyssel  (Caude  de),  321-322. 
SiLHON.  618.  623.  621.  627.  621^».  6:i<). 


SiMEONi  (Gabriel),  150. 

Simon,  530  note  1. 

Simon  de  Neufville.  Vie  :  75-76, 

—  Cité  :  11,  67,  71,  80,  88  note  6, 
90,  92,  95,  122,  123,  129  note  2, 
130,  374. 

Simon  de  Tournai,  317. 

SiMPLicius,  63,  160  note  3,  209,  287. 

SiRMOND  (Antoine),  <325. 

SoLiN,  427,  500. 

Sonet  (Claude),  81. 

SoRBiN  (Arnaud),  520. 

SOREL  (Charles),  505. 

Soto,  496,  567. 

sozomène,  488. 

SozziNi  (Lelio),  3-63,  364.    ' 

Sperone  Speroni,  58. 

Spifame  (Jacques),  67,  84,  94,  242 

note  1. 
Steuco  (Agostino).  Idées  :  14t>-147. 

—  Cité  :  23  note  2,  107  note  1, 
121,  162  note  3,  271  note  2,  279 
note  2,  286  note  2,  293,  542  note  3. 

Stobée,  422  note  5,  -461. 
Strowski    (F.),    459    note   3,    489 

note  2,  623  note  1. 
Strozzi  (Philippe),  149. 
Strozzi  (Pierre),  5//-5/3,  58. 
SUAREZ,  619. 
Suétone,  27,  49,  50. 
Sully-Prudhomme,  513,  634. 
Suso,  334. 
Synesios.  459. 


T 


Tacite,  440,  448  note  3. 
Tagliacarne  (Benedetto,  dit  Théo- 

creno).  Vie  :  151-152.  —  Cité  :  74. 

149,  150. 
Tahureau  (Jacques).   Idées  :  402- 

408.  —  Influence  :  448  et  note  4 

Cilé  :  11,  483,  527,  529,  540,  599. 
Taine  (Hippolyte),  370. 


TABLE    DES    NOMS    I)  AUTEURS 


079 


Talon  (Uiiioi;.  Idées  ;  261-2Gi.  — 
Cité:  110,  m,  112  note  2,  259, 
260  note  ;5,  277,  283,  287,  :^1 
note  3,  404  note  4,  415,  420,  421 
et  note,  422  note  5,  423,  438,  611), 
620  et  note  6. 

Tauler,  316,  :Ji^,  M4. 

lERTULiEN,  12  note  4,  137,  244,  323 
note  1. 

Thalès,  106.  110. 

Thémisttus.  -X],  il.  145.  160  note  3, 
170,  209,  210,  211,  282,  287,  294. 

Theocreno.  Voir  Tagliacarne. 

Théodore  de  Cyrène,  17,  159 
note  6. 

Théodoret,  19,  293,  425,  462. 

Théophraste,  145,  160  note- 3,  20i>. 
211,  287. 

Thomas    (Saint),    Influence  :   495- 

497.  —  Cité  :  9,  10,  SO,  32,  34,  33. 
41,  42,  55,  97,  144,  149,  168  note  2, 
169,  170,  209,  210,  211,  212,  214, 
215,  218.  231  note  1,  287.  430 
note  4.  443  note  4.  463  note  1, 

498,  543. 

Thomas  de  Cambrai,  537. 
Thou  (Chrislophe  de).  491. 
Thou  (Jacques  de),  552. 
TiBERIO,    120. 
TiFERNAS,    149. 

TiLLEY  (Arthur),  484  note  5. 

TiRAQUEAU,   175. 

TiTELMAN  (François),  466  not 
ToLET,  567,  624. 
ToLOMEi  (Claudio),  150. 
ToMEO  (LennicoV  Vie  et  idés 

138.  —  Cité  :  58,  68  note  2,  76, 

95,  103,  159,  206,  266. 
TouRNON  (C="  DE),  67.  79.  87.  88. 

91,  150. 
ToussAiN  (.Jacques).  SI  note  3,  87. 

129  note  2. 
TouSTAix  rCh.).  598  note  1. 
Tschudt  (Valent in).  ICw,  169  note  3. 


1. 


136- 


TuRNÈBE  (AUrienj,  302-303,  84,  241 
note  3,  420,  459,  518. 

Tyard  (Ponlus  DE).  Doctrine  :  313 
note  6,  314  (contre  les  rationa- 
listes), 396-398  (prophétisme), 
i'08-416  (philosophie  padouane). 
—  Cité  :  13,  18,  19  note  1,  107, 
390,  429,  527,  541,  547,  566,  570 
note  3,  599. 


Valencier  (Etienne),  576  note  5. 
577. 

Valentin,  341,  531  note  5. 

Valère  Maxime,  450,  455  note  1. 

Valla  (Laurent),  55,  178,'  314 
note  6. 

Vallée  (Geoffroy).  Vie  et  doctrine: 
517-532.  —  Cité  :  510  note  1,  534, 
5i3  note  1,  630. 

Vallière  (Jean),  320-321. 

Vanini  (Lucilio).  Idées  :  626-627. 
—  Influence  :  617-618.  —  Cité  : 
237  note  1,  628,  629,  63^. 

Vatable,  141  note  4. 

Vauquelin  de  la  Fresnaye  (Jean), 
467,  598  note  1. 

Vauquelin  des  Yveteaux  (Ni- 
colas), -467  note  1. 

Verino  (F<=°),  IH  noie  9. 

Vernias,  31. 

Versoris,  30,  31,  184-185. 

ViAU  (Théophile  de),  G25,  630. 

Vicomercato  (Francesco).  Vie  : 
203-207.  —  Doctiine  :  208-231.  _ 
Cité  :  18,  161  note  1,  236,  240,  242 
et  note  1,  243  note  2.  245,  246, 
248  et  note  1,  250.  253,  256  note  3, 
257,  261,  272.  277,  282,  283,  287 
note  1,  292.  294,  295,  297,  298. 
300,  307,  375,  451. 

Vicomercato  (P'rancesco  Bernar- 
dino\  207  note  7. 


680 


TABLE    DES    NOMS    D  AUTEURS 


I 


ViCOMERCATO  (F<^",  lils  piôsuillé  (lu 

précédent),  207  note  7. 
Vida,  374,  592  n<^te  1. 

ViEILLEVII.I.E   (M»'   DE)   .    012. 

Vii.T.ARS  (Abbé  de),  G22  note  5. 

ViLLEPELKT  (F.).    i03  noto  (V. 
ViLLEY,   J],   ?SSi. 

Villon  (François),  17îi,  201. 
Vincent  Ferrier  (Saint),  10. 
ViNTiMiLLE  (.Tarquos  de).  67  noir  1. 

85. 
ViRET  (Pierre).  Iflées  :  :5i'.)-;}50,  470- 

47Ô,  508-510.  —  Tntliience  :  470. 

—  Cité  :  325,  540  note  2. 
VnîGiLE,  72,  78,  113,  122.   127,  130, 

140,  156,  157,  2^8,  282. 

ViTTORIA,   496. 

Vives  (Louis),  461. 
VoETius  (G.),  64,  101. 
Voltaire,  555. 
VOSSIU.S,  140. 


V'ouLTÉ  (Jean  Visagier  de  Vindy, 
dit,),  72,  81  note  3,  83,  88,  90, 
114,  117. 


X 


XÉNOPHANE,      KJO     et     Holo     3,     437 

note  3,  618. 
XÉNOPHON,  131,  128.  i(^),  551. 


Z 


Zacharie     de     Li/.ieux     (Pierre  - 

Firminn,  dit  le  P.),  537. 
Zanta  (Léontine),  543  note  5. 
ZENON,  109  note  2,   112,  201.  -437 

note  3,  592,  618. 
Zimara,  19,  57,  120,  136,  230. 
Zoroastre.  174,  493,  571. 
Zwingle,  12i,  165.  353. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PA0E9 

Préface  vn 

Avant-Propos  xi 

PREMIÈRE   PARTIE 
Sources  et  Infiltrations  (1533-1553). 

LIVRE  PREMIER  (1533-1542) 

CHAPITRE  I.  —  Quelques  sources  antiques.  —  1.  Influence  de 
riiumanisme.  —  2.  Auteurs  grecs  :  Aristote,  Lucien,  Pluiarque. 
—  3.  Auteurs  latins:  Lucièce,  Cicéron  (l'athéisme  du  De  Naiura 
Deoram,  le  déterminisme  du  De  Divinatione);  Pline  (contre  lo 
Providence  et  l'immortalité) o 

CHAPITRE  II.  —  Sources  italiennes.  L" école  de  Padoue  entre 
1520  et  1530.  —  1.  L'école  padouane  avant  Pomponazzi.  — 
2.  Pomponazzi  :  l'immortalité  {De  Anima).  —  3.  Pomponazzi  : 
la  Providence  {De  Fato).  —  4.  Pomponazzi  :  les  miracles  {De 
Incanlationibus)\  l'antinomie  entre  la  raison  et  la  foi.  —  5.  Pom- 
ponazzi :  éternité  du  monde  (d'après  un  manuscrit) 213 

CHAPITRE  III.  —  Les  Français  en  Italie.  —  1.  Noms  de  quel- 
ques  étudiants   français   dans   les   universités   italiennes.    — 

2.  Relations   et   coriespondauce   entre  les   anciens   étudiants 
-     d'Italie;  leurs  situations  en  France;  sei'vices  réciproques.  — 

3.  Leurs  protecteurs .■ ♦>'t- 

CHAPITRE  IV.  —  Les  Français  en  Italie.  Leurs  idées.  —  1.  J.es 
suspects  :  a)  Longueil;  b)  Le  problème  de  la  raison  et  de  la  foi  : 
rationalistes  et  fldéistes  (R.  Pool,  P.  Bunel,  G.  de  Selve. 
Sadolet);  c)  Un  sceptique  :  .\rnould  du  Ferron.  —  2.  Les  déistes  : 
a)  Un  arien  à  Toulouse  :  M.  Gribaldi;  b)  déistes  de  Bordeaux  : 
Briand  Vallée,  A.  Govéan,  R.  Breton;  déistes  d'Agen  :  J.-C.  Sca- 
liger,  P.  Rufus;  c)  Dolet  :  la  raison  et  la  foi,  la  F^rovidence  et 
les  miracles,'  l'immortalité U'i 


OS-J 


TABLE   DES   MATIERES 


CFIAPITRK  V.—  Les  Italiens  en  France  (1529-154-2).—  I.  Auteurs. 

1.  Rationalistes  :  Averroès  (1529)  avec  les  Commentaires  de 
Zimara  (1530):  L.  Tomeo  (1530-1532);  Sepulveda  (1536);  Burana 
(1539).  —  2.  Apologistes  :  Isodorus  de  Isolanis  (1528);  Paleario 
(1536);  Ronioo  de  Castiglicme  (ISS^)  :  raison  et  foi,  libre  arbitre, 
immortalité;  Ag.  Steuco  (1540). 

■  II.  Professeurs.  1.  Divers,  aperçu  général;  2.  Theocreao 
(1522-1536);  3.  Belniisseri  (1533-1534);  4.  Bellini  (1532-15.Vt); 
5.  J.  Fcirerio  (1537-1540).  —  Résultat  :  Budé  et  Calvin  constatent 
la  pénétration  rationaliste  avant  1540 '.    IIU 

CHAl^TRE  VI.  —  Rationalisme  d'origine  française.  —  1.  Les 
problèmes  rationalistes  on  France  avant  1530  :  l'immortalité, 
d'après  P.  d'Ailly,  Houppelande,  Crockart,  Erasme  et  Budé.  — 

2.  Le  platonisme  :  A.  Bouchard  (1532-1533).  —  3.  Rabelais  :  les 
miracles  dans  les  deux  premiers  livres  (1533-1535).  —  Bonaven- 
ture  Des  Periers  (1538) lOi 


LIVRE    II    (1542-1553) 

Skpiion  V".  —  Rationalisme  philosophique. 

CHAPITRE  VII.  —  SouRCE.s  italiennes  {suite).  —  T.  Francesco 
Vicomercato  :  1.  Sa  vie;  2.  Son  enseignement  au  Collège  de 
l-'rance  :  averroïsme,  éternité  du  monde,  déterminisme,  la 
raison  et  la  foi.  —  II.  Cardan  :  1.  Immortalité;  2.  La  théorie  du 
mens:  prophéties  et  miracles  expliqués  naturellement 202 

CHAPITRE  VIII,  —  Les  aspects  du  rationalisme  entre  1542  et 
1553.  —  1.  RatiDualisme  padouan  :  élèves  et  amis  de  Vicomer- 
cato :  rinmiortalitô  chez  J.  Ferrerio,  Spirilo  Martino,  Danès 
(entéléchie).  —  2.  L'alexandrisme  :  le  Brutus  de  J.  Fernel.  — 
3:  Le  naturalisme  :  exposé  et  léfutation  de  Pierre  de  Pasclial. 

—  4.  Le  pyrrhonisme  d'après  Saiiit-Gelais  et  Rabelais  :  VAcu- 
demia  d'Orner  Talon.  —  5.  Rabelais  :  a)  l'immortalité:  b)  les 
miracles  (livres  III,  IV,  V) 212 

CHAPITRE  IX.  —  La  réaction.  —  1.  Aristote  et  ses  commenta- 
teurs ennemis  de  la  foi  :  attaques  de  G.  Hervet,  G.  Bigot, 
Ramus:  riposte  de  Galland.  —  2.  Le  rationalisme  chrétien: 
Postel,  a)  en  1542,  dénonce  les  disciples  do  Pomponazzi  of 
essaie  de  les  réfuter,  b)  vei-s  1552  :  deuxième  série  d'attaques  el 
de  I  éfutations.  —  3.  Platon  contre  Aristote  :  L.  Le  Roy;  aveux 
lidéistes  :  Muret,  Des  Autels,  Guéroult:  Calvin  adapte  son 
Institution  Chrétienne  aux  besoins  de  l'apologétique  nouvollo. 

—  4.  Protestations  de  Piiy-Herbault,  de  Sainte-Marthe  ol  d»- 
P..iitiis  de  Tyard 277 


TABLE   DES   MATIÈRES  583 

SEfTi  iN  11.  —  Rationalisme  théologique 

PAGES 

CHAPITRE  X.  —  Les  libertins  spirituels.  —  1.  Avant  1530.  — 
2.  Les  libertins  spirituels:  histoire  de  leur  renaissance;  examen 
de  leur  doctrine  d'après  leurs  écrits,  ceux  de  Marguerite  de 
Navarre  et  les  réfutations  de  Calvin 315 

CHAPITRE  XI.  —  Les  «  achristes  ».  —  1.  Protestants  libéraux  : 
les  (c  dormants  ». —  2.  L'antitrinitarisme  :  Servet  et  ses  dis- 
ciples français.  —  3.  Celse  et  Julien.  —  4.  L'évhémérisme  : 
sources  antiques  et  italiennes.  Développement  en  France.  — 
5.  Conclusion  du  rationalisme  théologique  :  la  lettre  de  Fumée 
(1542)  et  la  réponse  de  Calvin  {Traité  des  Scandales,  15'o0).  — 
Conclusion  de  la  première  partie 'MS> 


DEUXIÈME  PARTIE 

Le  Rationalisme  dans  la  Littérature  française 
de  la  Renaissance  (1553-1601). 

LIVRE   PREMIER    —   Les  Rationalistes   padouans. 


CHAPITRE  XII.  —  Disciples  des  padouans  avant  Montaigne.  — 

1.  Ronsard  disciple  de  Cardan:  Limmortalité;  le  «  prophétisme  » 
chez  Pontus  de  Tyard  et  Ronsard.  —  2.  Tahureau  (1555)  : 

immortalité,  miracles,  évhémérisme.  —  3.  Pontus  de  Tyard 
(4557-1578)  :  Dieu,  éternité  du  monde,  immortalité,  évhé- 
mérisme      380 

CHAPITRE  XIII.  —  Apologlstes  suspects.  —  Louis  Le  Caron 
(1556)  :  raison  et  foi.  Providence.  —  Bruès  (1557)  :  fidéisme,  la 
nouvelle  académie.  —  Boaistuau  (1558)  :  les  miracles  (influence 
de  Cardan).  —  Lambin  (1563):  fidéisme.  —  Lostal  (157o):  éternité 
du  monde,  averroïsme 417 

CHAPITRE  XIV.  —  De  Montaigne  a  Charron.  —  1.  Montaigne 
(1580-1595)  :   raison    et   foi;    Dieu,    immortalité,    miracles.    — 

2.  Jean  Bouchet  (1584-1598)  :  miracles;  L.  Richeome  (1597)  : 
miracles:  Charron  (1601)  :  immortalité,  déterminisme,  raison 

et  foi  43i- 


C'84  TABLE   DES-'    MATIÈRES 

PAGES 

CHAPITHK  W.  —  Ai'or.ooisTKS  outhodoxes.  —  I.  ,\i;a»i/  Mon- 
taigne :  Rééditions  des  apologistes  anciens:  Pasqnier  (une 
lettre  de  lôôi'i;  de  Neufville  (15Ô6),  contre  rarislolélisine;  Char- 
pentier (1558),  contre  l'arislotélismc  ;  liourgueville  (1564), 
rimmoitalité,  les  Livres  saints:  P.  N'iiet  (15(Vi),  Providence, 
éleinité  du  inonde,  inmioitaiiti'»:  La  Liiniaudaye,  éternité  du 
inonde;  Duquesnoy  (1575),  délenninisme:  Clieffontaines  (1588), 
raison  et  foi;  La  Noue  (1587),  les  épicnrienfi:  J.  de  TEspinf 
(1587).  lidéisme;  Crespet  (1588),  iininorlalité,  tidéisrne. 

H.  Après  Montaifinc  :  Du  \'aiv  (150i),  Providence,  immor- 
talité: (lliampagnac  (1595),  éternité  dn  monde,  immortalité, 
contre  VApolofiie  de  H.  Sebond;  .L  de  Serres  (1590),  immort<\lité: 
tiifaiidic   Hntiiiau   (1596) m) 


LIVRE  II.  —  «  Athéistes  »  et  «  Achristes  » 


CHAPITRE  XVI.  —  Athées  et  déistes.  —  1.  Dénonciation  de 
P.  Viret  (1563).  —  2.  a)  Un  italien  :  P.  felioMi  (1558);  h 
W.  Estienne  :  les  athées  et  les  miracles  (156i):  c)  un  cicéronicn  : 
1'.  du  .Ton.  —  3.  Un  gnostique  :  G.  Vallée  (1574),  sa  vie  et  sa 
doctrine.  —  4.  a)  Les  déistes  du  Tain  (1576);  b)  deux  épicuriens  : 
Et.  Jodelle  et  Simon  Nicolas;  c)  les  protestants  libéraux  de 
\oU  ù  1592 '. 507 

CHAPITRE  XVII.  —  Un  k  achriste  »  :  .Ikan  Bodin.  —  1.  /.c 
disciple  des  padouans  :  1.  Raison  et  lui.  —  2.  Eternité  du 
inonde.  — 3.  Providence.  — 4.  Miracles.  --5.  Déterminisme.  — 
'■»!  Immortalité.  —  IL  Le  disciple  de  (Jelse  :  1.  Le  btin  sms 
juge  des  mystères.  —  2.  Impossibilité  de  l'incarnalioii.  — 
:>'.  Contre  la  divinité  de  Jésus-Christ:  a)  par  les  textes  .scrip-  • 
luraires  ;  b)  par  les  miracles  et  les  prophéties  :  c)  pnr  la 
l)ersonne  de  .lésus.  —  4.  Divers  (Trinité,  sacrements ■! ')■>■> 

<:ilAPliHE  XVm.  —  Les  grands  apologistes.  —  1.  JJAnli- 
Mdcliiavel  (1576).  —  2.  Du  Plessis-Mornay  (1578),  ai  contre  les 
padouans  :  Dieu,  créali'in,  Providence,  immortalité;  b)  contir 
les  achristes  :  divinité  de  .Jésu.s-Christ.  —  '.\.  Pacard  (157!)), 
a)  les  athées,  rAle  de  la  raison  dans  l'acte  de  foi:  h)  contre  les 
padouans  :  Dieu,  création,  Providence,  immortalité:  c)  contre 
les. achristes  :  divinité  de  .Jésus-Christ.  —  i  V.  Macé  (1584)  el 
.Noël  du  Fait  (1585).  —  5.  Charron  (1593),  a)  contre  les  athées  : 
évhémérisme,  existence  de  Dieu,  Pibvidence;  /)-  r-onlrt-  les 
.ichristes  :  divinité  df    h'-siis-Christ •'>(>'; 


TABLE   DES   MATIÈRES  085 

PAGES 

CHAPITRE  XIX.  —  Poètes  apologistes.  —  1.  Essais  vers  1555  : 
Du  Val.  La  nouvelle  muse  :  Uranie.  La  nouvelle  poésie  philo- 
sophique (Du  Monin).  —  2.  Le  Fèvre  de  la  Boderie  et  les  athées 
fl571-1581).  —  3.  Du  Baitas  (1574-1584) :  a)  les  athées;  b)  réternité 
du  monde:  c)  r^o\-idence:  d)  immortalité.  —  4.  Gaucher  de 
Sainte-Marthe  (lôld):  Béroalde  de  Vei ville  (1583);  J.  Duchesne 
de  la  Violette  :  Dieu,  création,  miracles.  —  5.  Conclusion  :  Ij' 
Triomphe  de  la  Foi,  par  Du  Bartas 592 

Conclusion.  —  Que  les  courants  libertins  du  débu!  du  XVII''  siècle 
sont  le  prolongement  exact  de  ceux  qui  ont  été  étudiés  au 
cours  de  ce  livre 617 

Bibliographie  6(^5 

Table  des  noms 665 


>^'  (^ 


Errata 

Page      7,  ligne  1  :  scolastiques  ajouler  :  de  la  décadence. 
19,  note  1,  ligne  2  :  Vellius  lire  :  Velleius 

—  20,  ligne  2  :  siècle,  les  lire  :  siècle.  Les 

—  :itj,  ligne  1  :  lui  '^l  ...inllunce  lire  :  lui  <^'  ».  ...intluence 

—  ;)2,  ligne',)  :da  dix  in  lire  :  de  saint 

—  oi-,  ligne  13  :  àme  est  à  la  fois  lire  :  àme,  à  la  l'ois 
39,  ligne  5  :  comparées  '^^  lire  :  comparées  '■^>  » 

—  49,  note  1,  fin  :  Référence  de  Pline  à  reparler  à  la  note  4 

—  69,  note  10,  ligne  2  :  Charles  Richier  lire  :  Christophe  Richier 

—  72,  ligne  14  :  liens,  lire  :  liens. 

—  73,  lignes  :  Morand  lire  :  Marand 

—  83,  ligne  5.  Boyssonné  est  aussi  ami  de  Rabelais  [l'aDltuir.,  111, 

XXIV.) 

—  87,  note  2.  Reclilier  :  Furnerius  est  Fournier  ou  Fornier. 

—  96,  ligne  21  :  cirénonien  lire  :  cicéronien 

—  98,  note  2,  ligne  G  :  de. la  traduction  lire  :  ou  la  tiaduction 
113,  note .'}  :  1563  lire  :  1573 

120,  note  5  :  p.  41-42.  lire  :  p.  45-46. 
--     130,  lignes  9  et  11  :  j'ai  <^)  —  le  presse  lire  :  jai'^'  —  te  piesse 
141,  ligne  1  :  Palcaris  lire  :  Paleario 
155,  ligne  1  :  oithodoxes  lire  :  à  peu  près  orthodoxes 

—  162,  note  3,  ligne  4  :  auditoris  lire  :  auditorio 

165,  note  6;  325,  note  1;  377,  note  3  :  /îe/or/^fi.v  liic  :  Hclormaleurs 
~-      166,  note  1,  ligne  2  :  1542  lire  :  1452 

—  169,  note  3,  fin  :  n"  19  lire  :  n°  17 

—  171,  ligne  18  et  note  4  :  de  Tactuation  —  i)i'ùdeunl  lire  :  Tacluation 

—  prodeunte 

—  176,  hgne6:  Tliealogia  lire  :  Theoloyia 

—  182,  ligne  13  :  1552  lire  :  1522 

184,  4^  ligne  avant  la  fin  :  certains  lire  :  certain 

—  189,  ligne  1  :  inutiles  aussi  ajouter  :  en  apparence 

—  195,  ligne  9  :  livre  (^'.  lire  :  livre  '^>  ». 

—  197,  ligne  19  :  1537  lire  :  1538 

—  227,  ligne  4  :  nalurain,  lire  :   nalurani  », 

—  22S,  fin  du  paragr.  :  lutter  *i'.  lire  :  lutter  -i*  ». 

—  232.  unte  3  :  1557  lire  :  1576 

—  234.  n<ite  1,  ligne  1  :  forsam  lire  :  l'orsaii 
-  244,  ligne  ^  :  orçianict  lire  :  organici 

—  .250,  avant-deiiiière  ligne  :  reste,  f/re  ;  leste; 

—  255,  ligne  13  :  1548.  lire  :  154-7. 

—  274,3''  ligne  avant  la  fin  :  et  ténébreux  lire  :  ou  ténébreux 

—  275,  ligne  11  :  apostres  ?,  lire  .•  apostres  ?) 

—  279,  lignes  3,  17  :  ruiiènent  —  eioaoixstv  lire  :  amène  —  6io<j.(/.yùv 

—  281,  ligne  16  :  de  sens  lire  :  des  sens 


i%t 


Page  262, 

—  2S8, 

—  201, 
--  2UG, 

—  307, 

—  320, 

~  321 . 
:«7, 

—  317, 

—  3r)3, 

—  308, 

—  3.7'.», 

—  380, 

—  382, 

—  38'), 
:iU2, 

-  40!), 

-  4:5(5, 

—  ici, 


4<0, 

477, 
501, 
522, 
52:J, 
535, 
5i3. 
551, 

570, 
574, 
581, 
5'.)1, 
5'J7, 
5!)8, 
(•.24, 


02ÎJ, 


avant-dernière  ligne  :  nii^cet  '^'  lire  :  niiscet  '^'  ». 

note  5  :  llrplaphomercs  lire  ■:  llcplaiilinnercs 

ligne  5  :  O  Romains  lire  :  a  (J  lluniains 

note  5,  ligne  2  :  1502  lire  :  1542 

ligne  10  :  seulement  lire  :  seulement  : 

note  4,  lignes  2  et  13  :  ressuscita lum  —  Paris  lire  :  lesusci- 

tatuni  —  Paris. 
dernièie  ligne  :  \eliu  //;•(•:  \élin 

note  1,  dernière  ligne  :  de  ce  chapitie  lire  :  de  celle  .secliitn. 
ligne  13  :  entre  lire  :  contre 
ligne  8  :  est  une  lire  :  est,  une 
note  2,  dernière  ligne:  Hkkmix.i  \i;i),  1\',  ]i.  (i3I.  tire:  !li:i(- 

MI.NJARD,    1V,N°  031. 

lignes  4   et    15    :   l'anatiquc.    —  iy.fy^.'^rii  lire  :  lannliqiie  ?   -- 

note  2,  dernière  ligne  :  y.-:r,u.ojj  lire  :  y.rr,ij.vji 

note  1,  ligne  2  :  il  lire  :  id 

4^  ligne   avant   la   fin  :  Villeneuve.   Doiel    lire  :   X'illeiieuve, 

Dolct 
ligne  10  :  ArisLote  :  lire  :  Aristote; 
note,  ligne  6  :  on  composé  lire  :  oui  composé 
lignes  2  et  19  :  livies  —  point  »  lire  :  lè\  res  —  point  », 
note  3,  ligne  1  :  fait  lire  :  faut 
lignes  3',  et  dernière;  note  4,   ligne  3  :  Athenagoras  —  de 

même  -^  Bellaracuni.  lire:  Athenagoras  —  du  môme  — 

Bcllocacum 
note  5,  ligne  1  :  1557  lire  :  1577 
8^  ligne  avant  la  fin  :  latin  pour  lire  :  latin,  pour 
ligne  8  :  buii'ay  ».  lire  :  boiray  »  'i'. 
note  4,  avant-dernière  ligne  :  ,  on  lire  :  .  On 
lignes  0  et  21  :  que  —  Moyse  lire  :  ])\u\n[   qiu;  —  Moïse 
note  2,  lignes  7-8  :  Calvinistas  lire  :  Calvinista- 
4<'  ligne  avant  la  iin  :  nous  voions  lire  :  mais  v( lions 
lignes  1  et  3  :  démnnsti'alios  —  sullirail  lire  :  di^'innnsti  aliori 

—  sullisait 
dernière  ligne  :  res.'^ort  lire  :  est  du  ressort 
3«  ligne  avant  la  fin  :  dit  tel  (^'.  lire  :  dit  li'l  *•''  ». 
ligne  17  :  »;  Qui  lire  :  .  ((  Qui 
dornièro  ligne  :  celle  lire  :  celles 
paragr.  II,  ligne  1  :  Guy  Fèvie  lire  :  (Juy  Le  l-èvre 
avant-dernièie  ligne  :  signes  pour  leur  lire  :  signes  leui- 
3"-'  ligne  avant  la  fin  :  Duport  lire  :  Duponl 
ligne  3  :  ù  mentir  lire  :  de  mentir 


a 


I 


Impr.  Oberthûr,  Rennes— Paris  (809-22). 


I 


I 


p. 


BL  Busson,   Henri 

2765  Les   sources  et  le  développe- 

F8B8         ment  du  rationalisme 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 


UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY