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LES TOMBEAUX
Au Panthéon
LETTRE ADRESSÉE A M. CHAUIMIÉ,
inateur, Ministre de l'Instruction publique
HIPPOLYTE BUFFENOIR
Homme de lettres
Prix : 50 centimes
PARI S
15, Rue des Apennins, 15
Chez l'auteur
1904
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LES TOMBEAUX
10
y
fla Panthéon
LETTRE A M, CHAUMIE
Ministre de l'Instruction publique
Le 26 mars 1904. le journal Le Matin
publiait l'information suivante :
M. Hippolyte Buffenoir, l'historien du dix-
huitième siècle, vient d'adresser une lettre à
M. Ghaumié, ministre de l'Instruction publique,
pour appeler son attention sur la question au-
jourd'hui abandonnée des tombeaux de J.-J.
Rousseau et de Voltaire, qui doivent être élevés
un jour dans l'intérieur du Panthéon: le signa-
taire rappelle le vote du Sénat du 8 mars 1898 et
la promesse faite le 8 février 1901 par M. Georges
Leygues au nom du gouvernement.
Cette information fit le tour de la presse
en France et à l'étranger. De divers cotés
on écrivit à M. Buffenoir pour le féliciter et
l*encourager, et plusieurs journaux voulu-
rent bien reproduire sa lettre à M. Chaumfé.
— 2 —
Voici le texte de celte lettre
Paris, le 20 mars 1904.
Monsibi r le Ministre,
Je m'adresse respectueusemenl à vous pour
appeler votre bienveillante attention sur la
question des tombeaux de Jean-Jacques Rous-
seau et de Voltaire, qui doivent être élevés un
jour dans l'intérieur du Panthéon.
Cette questioD semble être abandonnée. Le
bruit qu'elle a soulevé un moment, au com-
mencement do ['année 1898, s'esl apaisé : les
fervents n'agissent plus, el la réalité ne vienl
point couronner les discours prononcés, les ré-
solutions prises, les promesses faites, les votes
du Sénat, l'attente du public.
Cependant un intérêt moral de premier ordre
s'attache à l'érection de ces monuments qui doi-
vent abriter la cendre de deux hommes de gé-
nie, et devenir pour le peuple français un sujet
de méditation salutaire, un principe d'action
énergique, un souvenir vital de grandeur et de
gloire. Ces tombeaux prestigieux, c'est la Ré-
volution, fille de la Nature, qui les réclame ;
c'est la République, c'est la liaison, le Droit, la
Justice, qui demandent à les bâtir, el à les ren-
dre magnifiques.
Mais, avant d'aller plus loin, je tiens. Mon-
sieur le Minisire, à rappeler à votre souvenir
les circonstances au milieu desquelles est né le
projet dont j'ai l'honneur de vous parler ici.
Le 18 décembre 1897, sur l'initiative de M
Ernest llamel, sénateur, el avec l'autorisation
de M. Alfred Rambaud, un de vos prédéces-
seurs au ministère de l'Instruction publique,
avait lieu, dans les cryptes du Panthéon, l'ou-
verture des cercueils de Voltaire el de Rous-
seau. Leurs restes s'y trouvaient, contrairement
à une légende intéressée des ennemis de ces
puissants penseurs : La Restauration de 1815
avait jugé bon de la laisser s'implanter dans les
esprits, afin do ralentir le zèle passionné qu'ex-
cite toujours, sous un régime d'oppression, la
dépouille mortelle des réformateurs illustres.
Deux problèmes historiques furent résolus
ce jour-là : D'abord les cendres de Voltaire et
de Rousseau n'avaient point été profanées, ni
jetées au vent. Ensuite, on reconnut que Jean-
Jacques Rousseau ne s'était point tiré un coup
de pistolet dans la tète, et ne s'était point suici-
dé, comme de perfides adversaires, puis des
sots nombreux l'avaient cyniquement affirmé
pendant plus d'un siècle. Son crâne fut trouvé
intact : les savants présents. M Berthelot no-
tamment, le constatèrent, ainsi que toute l'as-
sistance. J'étais là, moi aussi, j'ai vu, et je puis
rendre hommage à la vérité en témoin à qui
rien n'a échappé.
La journée du 18 décembre 1897 est une date
importante pour l'histoire des lettres et les pro-
grès de l'esprit humain.
Cette découverte faite et ces constatations
établies, il était urgent d'en saisir sans retard
les pouvoirs publics, et de leur demander de
rendre un hommage durable à l'écrivain d'Emi-
le et à l'auteur du Dictionnaire philosophique.
Le Panthéon est presque nu : Ne convenait-il
pas de leur élever dans ce temple auguste un
tombeau digne de leurs travaux, de leur in-
fluence, de leur génie ?
Dès le 21 décembre. Ai. Ernest Hamel dépo-
sait sur la tribune du Sénat un projet de réso-
lution tendant à faire exécuter en marbre les
mausolées qui nous occupent. Le Gouverne-
ment, aussitôt, se montrait favorable, et la Hau-
te A— emblée votait l'urgence. Ce fut le dernier
acte public d'Ernest Hamel, bien en harmonie
d'ailleurs avec les convictions et les admira-
tions de toute sa vie. La mort guettait le vaillant
historien qui s'éteignait dans la quinzaine.
Puisque j'ai prononcé son nom, qu'il me soit
permis de rendre hommage à cette noble fi-
gure. Ernest Hamel eut la plume courageuse,
L'espril clairvoyant, l'âme pleine de générosité.
La politesse de l'ancien temps revivait en lui.
Grâce à di' longues cl Bavantes recherches, il
parvint à laver la mémoire des grands Répu-
blicains de la Convention, des chefs de ta Mon-
tagne, des souillures abjectes de la calomnie ra-
ie- encore par l'ignorance :
Cette rude besogne, on peu! le dire a rempli
son existence entière,aussi son souvenir restera
attaché à celui des tribuns Incorruptibles qu'il
a si bien vengés, et dont la mâle effigie désor-
mais ne sera plus ternie dans l'histoire.
Une Commission fut nommée par le Sénal
pour examiner la proposition des tombeaux.
M. Berthelot en tut le président, M. Joseph Fa-
bre le rapporteur. Le 3 mars 1898, le rapporl
était lu à la tribune. Il 3e terminait parce pro-
jel de résolution :
« Le Sénat,
Considérant que la Commission désignée
par le Gouvernement pour rechercher si les
- de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau
existaient bien encore au Panthéon, contraire-
ment à une légende accréditée depuis près de
quatre-vingts ans, a constaté que ci - restes pré-
cieux étaient toujours dans les cercueils où ils
avaienl été renfermés en 1778 :
« Considérant que les sarcophages en bois
peint, véritables maquettes, sous lesquels ils
-■■ut. l'un depuis 1791, l'autre depuis 1794,
sont dan- un triste état de délabrement :
Invite le Gouvernement de la République
à faire exécuter deux monuments en marbre
qui seront substitués aux sarcophages provi-
• i donner ainsi un»' sanction définitive
le l'Assemblée Constituante et de
avention Nationale, qui ont décernée Vol-
taire et à Jean-Jacques Rousseau les honneurs
du Panthéon. »
Le 8 marftj La discussion publique avail lieu.
Après une escarmouche entre M. i i, sé-
nateur de la Droite, et M. Joseph Fabre, au
nom de la Commission, le projel de résolution,
que je viens de rappeler, était adopté par le Se-
nal par 232 voix contre 28. C'était le triomphe
de l'idée d'Ei nest Hamel et de ses collègw s qui
avaient signé sa proposition.
Il ne restait qu'à passer à l'action au Minis-
tère de l'Instruction publique, à la direction des
Beaux-Arts. Je crois qu'on s'occupa un mo-
ment de la question, et que des pourparlers
curent lieu dan- le but de confier le travail à
M. Falguière. La mort de ce grand artiste ar-
rêta la mise en train de l'œuvre. Rien depuis
n'a été l'ait. Le projet des tombeaux du Pan-
théon dort dans les bureaux, et l'oubli, l'oubli
fatal menace d'en effacer le souvenir.
Le 8 février 1001. cependant. M. Berthelot.
un fidèle du philosophe de Genève, intervenait
dans la discussion du budget des Beaux-Arts
devant le Sénat, el interrogeait le Gouverne-
ment.
« Je viens, disait-il, demander à M. le Minis-
I l'installation des
mausolées . -'il y a quelque commencement
d'exécution, quelque projet adopté : en un mot.
je demande ce qui a été ou ce qui sera l'ait pour
l'exécution du vœu qui a été émis par le Sénat.
vœu qui touche aux grandes gloires nationales
de la France. » -
M. Georges Leygues, ministre de l'Instruction
publique, répondit que, à son grand regret.
l'état des crédits de son administration ne lui
avait pas permis encore de réaliser le vœu du
Sénat. Il dit en terminant :
Quoi qu'il en -oit. le projel que nous a rap-
pelé l'honorable .M. Berthelot ne peut être dif-
féré plus longtemps. Je vais le remettre immé-
diatement à l'étude et je n'hésiterai pas, le
échéant, à déposer une demande de crédi -
cial, assuré d'avance que le >t-n;ï\ et in Cham-
bre lui réserveront un accueil favorable. »
M. Leygues quitta le ministère *'i ne put
donner suite à l'engagemenl qu'il avail pris de
demander aux Chambres un crédit spécial pour
rendre hommage comme il convienl ;'i Vol-
taire M à Rousseau.
- 6 —
Tout récemment, enfin, le 26 décembre 1903,
M. Antoine Renier, sénateur de la Savoie, de-
mandai! dans un beau discours m111' les Char-
mettes de Chambéry fussenl acquises an nom
de l'Etat. Amené ;'i parler des tombeaux du Pan-
théon, il prononça ces paroles : ti Si je suis bien
informé, je dois tristemenl ajouter que celle ré-
solution n'a pas encore été mise à exécution. »
L'honorable sénateur n'étail que trop bien
renseigné. Le LOmars L904, en effet, un person-
nage bien placé pour connaître ;i fond toute
l'affaire m'écrivail ces lignes : « J'ai le regrel de
vous informer que la question des tombeaux de
Voltaire cl de Jean-Jacques Rousseau au Pan-
théon en est tOUJOUrS au Mlème point. Alirllll
crédit n'a été volé', et même aucun projet n'a
encore été fait. »
Voilà, Monsieur le Ministre, un bref exposé
de la question. Pour vous personnellement, il
était inutile, car vous avez suivi toutes les pha-
ses iln projet avec intérêt, et j'ai plaisir à cons-
tater ici que voire signature se trouve au bas 'le
la première proposition faite par Ernest Hamel.
si j'ai tra c'est afin de rappeler
précision ce qui s'esl passé ;'i ceux qui, eu
dehors de vous, pourront lire ma lettre, et je
l'avoue, j<' désire vivement qu'elle soit lue un
peu partout, non eeite- par vanité, mais pour
qu'elle suscite «le- énergies el fasse agir les
cœurs généreux. Que ne peut la puissance de
la presse !
Celle lettre, d'ailleurs, Monsieur le Ministre,
ne peut ei ne veut être qu'un simple et respec-
tueux rappel, car, pour le fond, la cause est
gagnée devanl le Gouvernement tout entier,
comme devanl l'opinion publique, devanl le
Peuple.
Puisqu'il en est ainsi, ne trouverons-nous pas
le moyen d'édifier enfin ces mausolées que, de-
puis plu- d'un siècle, la démocratie française
réclame avec raison ? Admirateurs bénévoles,
(il- timide- de- deux plu- grands génies du dix-
huitième siècle, n'aurons-nous jamais que le
— 7 -
courage des paroles, et reculerons-nous tou-
jours (levant l'action ?
Que de titres pourtant possèdent à notre gra-
titude le prodigieux Voltaire et le sublime Jean-
Jacques ! Le premier nous éblouit par son bon
sens et son esprit qui firent tomber* en pous-
sière les autels des taux dieux, le second nous
enquiert par les cris de son âme aimante. Vol-
taire l'ut heureux. Rousseau connut l'infortune:
De là un rayon de gloire qui est propre à ce
dernier, et qui nous attire, nous retient, nous
émeut C'est lui. de plus, qui a trouvé la for-
mule du droit moderne, les axiomes de liberté
et de justice des temps nouveaux : c'est lui dont
la magique influence a fait sortir de terre la Ré-
volution frémissante : c'est lui qui a peint les
bonheurs vrais de l'homme, les affections dou-
ces et les riants paysages, les vertus du citoyen,
le charme d'une vie simple, le culte de la na-
ture et celui de l'amitié.
Votre pensée, j'en suis sur. Monsieur le Mi-
nistre, est que ces tombeaux désirés soient ma-
gnifiques, comme je le disais au début. Devant
de pareilles mémoires, la nation française, et
avec elle toute l'Europe attendent des chefs-
d'œuvre.
Quel haut enseignement rayonnera autour de
i ausolées ! Quelles impression- fécondes
en emportera le visiteur, le passant, l'étranger
accueilli dans nos murs ! Toutes les classes de
la société puiseront là des leçons utiles,
leur commune admiration sera un lien pré-
cieux qui les rapprochera et les fera se com-
prendre et -apprécier davantage.
Le philosophe et le poète y viendront médi-
ter, et y apprendront comment s'acquiert la vé-
ritable gloire : l'ouvrier, l'artisan, l'homme des
champs, en lisanl les inscriptions du marbre.
auront le sentiment qu'ils doivent leurs droits
politiques et sociaux à ces grands remueurs
d'idées.
La femme du monde se souviendra que Vol-
taire fut l'ami de la marquise du Chàtelet, et fut
admiré parla grande Catherine de Russie, que
Rousseau eut pour amies la comtesse d'IIoude-
tol el la maréchale de Luxembourg : la femme
du peuple verra s'ouvrir devant clic des hori-
zons lointains de lumière, et, rentrée dans son
logis, voudra lire la vie des deux écrivains.
Parfois, on y verra venir un père avec ses cil-
lant- : il leur dira la bi i icomplie par
Voltaire et Rousseau, il citera leurs ceu\ res, il
rappellera leurs plus belle- pages apprises
dans nos écoli s, il expliquera la différence de
leur génie, et ce ne sera poinl là une journée
perdue.
J «n ai ilil assez, Monsieur le Ministre : ma
lettre même est trop longue. Mon excuse est
dan.- l'ardenl désir de voir s'achever une tâche
sacrée.
.1 • résume donc, et je dis : Devant le vote
du Sénal du S mai- isus. devanl la pron
laite le 8 février L90d par M. Georges L»eygues
parlanl an nom du Gouvernement, c'est-à-dire
devanl la nécessité de créer pour la nation un
foyer de hante- pensées el d'émotions fortes,
en même temps m1"' d'acquitter une dette de
gratitude en souffrance depuis pin- de cent an-
nées, vous -âme/.. Monsieur le Ministre, trou-
ver le moyen de ré] dre aux vieux de tous, ci
d'aboutir enûn.
Quelle gloire pian- un homme d'Etat de pou-
voir remplir uni' pareille mission ! Je ne crains
pa- d'affirmer qu'elle vous tient à cœur et
qu'elle von- esl chère.
Recevez, Monsieur le Ministre, l'expression
i\r mon profond et respectueux dévouement.
HlPPOLYTB BUFFENOIR.
Les personnes qui voudraient s'occuper
de la question des tombeaux de Voltaire et
île "Rousseau >m Panthéon^ et contribuer à
/nirc aboutir le projet, //cuvent écrire à
M. Hij'I'oj.vtk BUFFENOIR, i5, rue des
. ipennins, Paris.
Principaux Ouvrages d'Hippolyte BUFFENOIR
POESIES
I-es Premiers Baisers (Épuisé)
fr. c.
3 »
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
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University of Ottawa
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