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LES TOMBEAUX
DES ROIS
sous LA TERREUR
LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS EN 1830
[Bihliothcquc Nationale).
D» MAX BILLARD
LES TOMBEAUX
DES ROIS
sous LA TERREUR
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
PERRIN ET G'«, LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES GHANDS-AUGUSTINS, 35
1907
Tous droits de reproducUon et de traduction réservés pour tous pays.
X\bRA^.
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MAY 21968
AVANT-PROPOS
Ceux qui s'imagineraient trouver dans
cet ouvrage un travail d'architecte, pré-
cis, technique, écrit le mètre à la main,
ou encore une étude rappelant les grands
récits des historiens de la Révolution,
pourront fermer notre opuscule à la pre-
mière page. Il s'adresse seulement aux
curieux des choses et du décor du vieux
temps, qui trouvent un charme suggestif
dans les antiques masures à tourelles,
les cachots à verrous dramatiques, les
vieux monastères ou les cathédrales go-
thiques remplis de sépulcres, tous les
•2 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TEUREUK
endroits consacrés par de tragiques sou-
venirs.
A notre époque de curiosité rétrospec-
tive, nous avons pensé qu'il était possible
d'écrire, non un volume, mais quelques
pages sur un sujet un peu trop dédaigné
par la grande Histoire. Et en simple
annotateur, en modeste anecdotier, nous
avons compulsé quelque peu les biblio-
thèques et gratté encore, après tant
d'autres, les terrains fatigués par la herse
et la charrue.
En juxtaposant des documents épars,
nombreux, écrits ou recueillis sous la
dictée des événements par les acteurs ou
les témoins du drame, nous croyons avoir
formé un récit exact d'une des pages les
plus poignantes de cette sombre époque,
où la profanation ne respecta même pas
les lieux de la mort.
AVANT-PROPOS
N.-B. — MM. Neurdein, dont nous n'oublierons
jamais l'obligeance et le bienveillant accueil, ont
bien voulu mettre à notre disposition leur collection
si artistique et si intéressante concernant le vieux
Saint-Denis et les monuments de la Basilique. Nous
tenons à leur exprimer, à celte première page, toute
notre gratitude.
Nous ne saurions également trop exprimer notre
reconnaissance à un érudit distingué, M. l'abbé Du-
perron, qui connaît mieux que personne Saint-Denis
et son histoire, et qui a bien voulu nous autoriser
à mettre à profit ses précieuses connaissances et ses
innombrables documents.
D' B.
x>ovembre 1906.
LES
TOMBEAUX DES ROIS
sous LA TERREUR
CHAPITRE PREMIER
LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS
ET SES TOMBEAUX
Le déluge prédit par le vieux roi était
venu : le 2 1 janvier 98, sur l'ancienne place
Louis XV et devant le palais désert des Rois,
la Convention décapitait, dans la personne
de Louis XVI, huit siècles de monarchie. La
Révolution marchait bon train : aux périodes
cicéroniennes des Girondins avaient succédé
les mugissements de Danton et les hurle-
ments sanguinaires des tricoteuses. Au mois
de septembre 92, on avait tué, dans la vieille
bâtisse de l'Abbaye, à peu près comme on
6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
tue à l'abattoir. Rien qu'à Lyon, on fusillait
deux cents personnes par semaine ; et, à
Paris, c'était chaque jour le lugubre spectacle
d'un défilé de charrettes allant déverser leur
contenu sous le couperet de la guillotine.
Et Camille Desmoulins pouvait écrire un
matin dans son journal : « Aujourd'hui, il y
a eu un miracle à Paris : un homme est mort
dans son lit '. »
Le vent de folie qui passait sur la France
avait altéré à ce point le sens moral, qu'on
accoutumait les enfants à jouer à l'échafaud ;
on vendait des petites guillotines, comme
aujourd'hui « des petits soldats » ; et l'on
pouvait voir l'après-midi, sous les ombrages
des Champs-Elysées, à quelques pas de l'écha-
faud dressé sur l'emplacement actuel de
l'obélisque des Pharaons, l'on pouvait voir,
disons-nous, les papas, les mamans et leurs
bébés, s'esclaffer de rire à la parade de polichi-
nelle, où la scène traditionnelle de la potence
>■ Arsène Houssaye. TV. Z>. de Thermidor. Pion, Paris 1866.
LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS 7
était remplacée par celle de la guillotine ^
Etrange époque où l'on élevait à la hauteur
d'une vénérable institution, cet échafaud qui
tuait tout, la beauté, la vertu, le génie, ses
amis et ses ennemis, jusqu'au jour où le
régime lui-même fut tué.
Il y avait partout une telle monomanie de
guillotine, qu'on tranchait la tête des statues
de pierre qui racontaient, sur la façade des
églises, l'histoire du passé : tous les porches
mutilés des cathédrales sont les témoins,
restés debout, de ce vandalisme révolution-
naire qui avait brûlé les archives, pillé les
bibliothèques, saccagé le garde-meuble, au-
quel il ne restait plus, pour parfaire son œuvre
de destruction, qu'à violer l'asile des morts.
Le 3i juillet 1793, pour consommer tous
les actes de la vengeance révolutionnaire, la
Convention, sur un rapport de Barère ", pensa
1 Voir Charles Nodier. — Souvenirs de la Révolution.
^ Dans ce rapport, Barère exprimait le vœu « Que pour
« célébrer la journée du lo août qui a abattu le trône, il
« fallait, dans son anniversaire, détruire les mausolées fa-
« meux qui sont à Saint-Denis, Dans la monai'chie les tom-
O LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
qu'on ne pouvait mieux célébrer l'anniver-
saire du lo août 92, qu'en violant les sépul-
tures royales de Saint-Denis, qu'en dispersant
la poussière de tant de rois, qu'en purifiant
le sol de la République de ces derniers ves-
tiges de la royauté ^ Et alors, dit Chateau-
briand, c( on fouilla les cendres de nos pères,
(( on enleva leurs restes, comme le manant
« beaux mémos, avaient appris à flatter les rois ; l'orgueil et le
« faste royal ne pouvaient s'adoucir sur ce théâtre de la
« mort, et les porte-sceptre, qui ont fait tant de maux à la
« France et à l'Humanité, semblent encore, même dans la
« tombe, s'enorgueillir d'une grandeur évanouie. La main
« puissante de la République doit effacer impitoyablement
« ces épitaphes superbes, et démolir ces mausolées qui rap-
« pellent des rois l'effrayant souvenir. » Ajoutons que ce
rapporteur célèbre, qui avait présidé le procès de Louis XVL
porta avec ostentation, en 181 5, la décoration du Lys [Rapport
de police, 20 juillet, Arch. nat. F7. S^SS), et que cet homme
qui n'avait jamais eu à la bouche que les grands mots :
« Vivre libre ou mourir », s'éteignit tranquillement dans son
lit à 85 ans, après avoir approuvé le coup d'Etat de brumaire
et exalté le premier Consul dans des écrits payés par Tou-
ché. Il lit paraître, sous le titre de Mémorial anti-hritan-
nique, un journal qui, malgré la protection de Napoléon,
n'eut aucun succès,
^ « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport
« du Comité du salut public, décrète ce qui suit : Les tom-
« beaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l'église
« de Saint-Denis, dans les Temples et autres lieux, dans
« toute l'étendue de la République, seront détruits le 10 août
« prochain. » Séance de la Convention, présidence de Dan-
ton, 3i juillet 1793. — Voir le Moniteur.
LA. BASILIQUE DE SAINT-DENIS 9
« enlève dans son tombereau les boues et les
(( ordures de nos cités.
« Il fut réservé à notre siècle de voir ce
« qu'on regardait comme le plus grand mal-
ce heur chez les anciens, ce qui était le dernier
« supplice dont on punissait les scélérats,
« nous entendons la dispersion des cendres ;
« de voir, disons-nous, cette dispersion
« applaudie comme le chef-d'œuvre de la phi-
« losophie^ »
Et Chateaubriand poursuit : « On voyait
« autrefois, près de Paris, des sépultures
« fameuses entre les sépultures des hommes,
« L'abbaye gothique où se rassemblaient ces
c( grands vassaux de la mort, ne manquait
« point de gloire : les richesses de la France
« étaient à ses portes ; la Seine passait à l'ex-
« trémité de sa plaine ; cent endroits célèbres
« remplissaient, à quelque distance, tous les
« sites de beaux noms, tous les champs de
« beaux souvenirs ; la ville de Henri IV et de
* Génie du Christianisme, /'f P., Chap. vi.
lO LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
« Louis le Grand était assise dans le voisi-
« nage ; et la sépulture royale de Saint-Denis
« se trouvait au centre de notre puissance et
« de notre luxe, comme un trésor où l'on dépo-
« sait les débris du temps et la surabondance
(( des grandeurs de l'empire française »
Les origines de la Basilique, destinée à
honorer la mémoire et le souvenir du mar-
tyre de l'apôtre des Gaules ^ la description
de ce majestueux édifice, témoin, resté de-
bout, des plus glorieux faits de notre his-
toire, ne rentrent pas dans le cadre de cette
étude. Rappelons seulement que c'est au
grand abbé Suger qu'il appartient d'avoir
donné à ce monument, un des premiers spé-
cimens du style gothique à peine dégagé du
roman, sa forme et ses dimensions défini-
tives^.
1 Génie du Christianisme, 4° partie, chap. ix.
^ Suivant M. Julien Havct, la colline de Montmartre n'au-
rait pa& été le théâtre du martyre de saint Denis ; de nou-
veaux textes établiraient nettement que l'apôtre des Gaules
aurait été supplicié sur le territoire même de Saint-Denis.
Questions Mérovingiennes. Les origines de Saint-Denis, p. 25.
'^ On attribue à sainte Geneviève l'honneur d'avoir, la per-
LA. BASILIQUE DE SAINT-DENIS II
Ce qui frappe, quand on arrive au pied de
la Basilique, c'est cette muraille sombre et
crénelée qui forme la façade de l'édifice et
lui donne le caractère d'une forteresse. Trois
portes en plein ceintre donnent accès dans le
porche intérieur ; le travail des chapiteaux,
des voussures et des tympans est remar-
quable ; on retrouve dans les sculptures les
thèmes favoris du moyen âge : l'histoire de
la passion, la parabole des Vierges, la Résur-
rection, les travaux de l'année, jusqu'aux
signes du zodiaque.
Il y a seulement soixante ans, cette façade
était encore surmontée de deux tours, dont
l'une, celle de gauche, se terminait par une
flèche de pierre d'une hauteur prodigieuse
qu'on démolit, en i84i, dans la crainte d'une
catastrophe qu'inspirait son peu de solidité.
mière, élevé, à la fm du v^ siècle, une chapelle sur le lieu de
la sépulture de saint Denis. Un siècle plus tard, ce petit
oratoire était remplacé par une église plus importante. Mais
ce fut sous Dagobert que l'importance et la magnificence de
l'abbaye royale commença réellement. Le roi Pépin com-
mença un nouvel édifice ; Charlemagne l'acheva et le fit con-
sacrer en 775.
Il LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS L.V TERREUR
C est la vue de cette flèche sépulcrale qui,
attristant Louis XIV, lui fit abandonner Saint-
Germain, pour aller habiter'Versailles. Il ne
reste plus aujourd'hui que la tour de droite,
qui a conservé son aspect sévère duxif siècle.
A l'intérieur, la hauteur de la nef, la mer-
veilleuse hardiesse des voûtes, l'immensité
de l'édifice donnent à l'église un caractère
frappant de grandeur. Trois étages de ver-
rières historiées versent dans cette nef splen-
dide des flots de lumière ^ Mais ce que le
regard perçoit d'abord, c'est le labyrinthe de
statues, de sarcophages, de mausolées, ces
* Malheureusement aujourd'hui les vitraux sont tous mo-
dernes, faibles de couleur et pauvres de dessin. Il n'y a plus
que dans la chapelle de Saint-Pércgrin que l'on puisse voir
des restes des admirables vitraux fabriqués sous la direction
de l'abbé Suger. Les amateurs, qui cherchent encore le mys-
tère de ces vieilles colorations, nous sauront gré d'une cita-
tion de Doublet, historien de l'abbaye, qui a recueilli, d'après
les mémoires que Suger nous a laissés, les détails suivants
sur leur fabrication. « Il raconte, écrit Doublet, et met entre
les choses admirables advenues en ce superbe et magnifique
monument, comment il a trouvé des faiseurs de vitres et
compositeurs de verres de matière très exquise, à savoir des
saphirs en grande abondance qu'ils ont pulvérizez et fondus
parmi le verre pour donner la couleur d'azur, ce qui le ravis-
sait véritablement en admiration. »
M) fliot.
VUE D'ENSEMBLE DES TOMBEAUX
L\ BASILIQUE DE SAI>T-DENIS 1 i
spectres de monarques, tout ce défilé royal
de fantômes, qui racontent de si éloquente
façon riiistoire de l'antique Basilique;, écrite
en marbre et en granit. Trois nefs j)arallèles
s'étendent jusqu'au transept ; quatre escaliers
de pierre montent au sanctuaire et à ses col-
latéraux. C'est sous cette partie de la Basi-
lique que se trouve la galerie souterraine,
reste d'une église carlovingienne, qui, depuis
Henri IV, était le cimetière des Bourbons.
Depuis huit siècles, pas une pierre n'a
changé de place : là sont toujours les sept
chapelles circulaires qui ont été placées par
l'abbé Suger sous des invocations qu'elles
ont gardées ; au milieu, écrasé par l'édifice
qui le surmonte, le vieux caveau central, avec
ses murailles noircies, contenait jusqu'au
XVI® siècle les châsses des saints patrons ;
ses piliers romans et ses chapiteaux grossiers,
frustes et lépreux, semblent certainement
antérieurs au xif siècle ; et, tout autour,
le collatéral avec ses colonnes courtes et
vigoureuses, ses voûtes basses et humides,
i4 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
indique bien, en entrant, que c'est là une
demeure funèbre qui convenait au sommeil
de S^int-Denis.
Les princes et princesses des deux pre-
mières dynasties, ensevelis dans la Basilique,
n'étaient qu'en petit nombre. Bien qu'un fils
de Ghildebert y ait été enterré, dit-on, en 58o,
Dagobert, mort en 638, fut le premier roi de
France qui eut son tombeau dans l'abbaye
royale. Après lui. Pépin, Charles Martel,
Glovis 11, Charles le Chauve y furent portés
successivement. Mais depuis Hugues Capet,
tous les rois de France furent inhumés à
Saint-Denis, sauf trois, qui avaient désigné
ailleurs leur sépulture : Philippe P'", dans
l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, dont il
était le fondateur ; Louis VII , à Barbeau, près
de Melun, et Louis XI, à Cléry. Saint-Louis y
fit transférer aussi les cendres de plusieurs
des premiers rois, inhumés dans différentes
églises de Paris ; mais les diverses recons-
tructions ayant mutilé ou anéanti beaucoup
de leurs monuments, il fit ériger des tom-
LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS i5
beaux sur leurs sépultures, ainsi que sur
celles de ses prédécesseurs qui reposaient
dans la Basilique depuis Dagobert. Ce n'est
donc que du xiii^ siècle que datent les plus
anciens tombeaux.
Gomme le fait très judicieusement remar-
quer un érudit archéologue, le baron de Guil-
hermy, « les effigies consacrées par saint
Louis à la mémoire des anciens rois ne peu-
vent être considérées comme des portraits,
La première statue qui paraisse attester une
étude de la physionomie, une recherche de
la ressemblance est celle de Philippe le Hardi.
L'usage d'élever un tombeau à chaque prince,
aussitôt après sa mort, s'est maintenu jusqu'à
Henri III. La Chapelle des Valois était le der-
nier monument funéraire de la monarchie.
En vain, après la mort de Henri IV, la reine
régente fut-elle suppliée de faire construire
à ce grand prince un tombeau digne de lui et
de la France ; ce vœu si légitime ne reçut pas
d'accomplissement. La coutume prévalut, dès
lors, de ne plus élever de monument à aucun
i6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERHEUU
des princes de la Maison des Bourbons dont
les corps étaient portés à Saint-Denis. Le
sanctuaire de la crypte devint le caveau
royal. Des cercueils de plomb, posés sur des
tréteaux de fer, y formaient, en 1793, deux
longues lignes qui ne laissaient entre elles
qu'un étroit passage. Le nombre des corps
était de cinquante-quatre^ depuis Henri IV
assassiné en 1610, jusqu'au Dauphin, fils aîné
de Louis XVI, mort le 4 juin 1789^ »
A côté des sépultures royales, plusieurs
personnages, célèbres par leur vaillance pour
l'Eglise ou pour leur roi, avaient été inhumés
dans la Basilique : les uns comme Suger, le
cardinal de Bourbon, Mathieu de Vendôme
et le cardinal de Retz, par un privilège
accordé à leur dignité d'abbé'; les autres,
comme Duguesclin, Bureau de la Rivière,
Armand de Guilhem, seigneur de Barbazan, le
1 Baron de Guilhermy. L Abbaye de Saint-Denis. — Arnoult-
Lépine, 1891.
- Les simples religieux avaient leurs tombcauv sous les
voûtes mêmes du cloîtrej
L\ BASILIQUE DE SAINT-DEKIS 17
connétable Louis de Sancerre et Turenne, en
vertu d'une faveur octroyée à leurs brillants
exploits.
Louis XV, le dernier roi descendu dans
cette crypte, attendait sur les degrés du sou-
terrain Tarrivée de son successeur. Mais déjà
la crypte était pleine, et le gouvernement de
Louis XVI songeait à établir une nouvelle
sépulture, faute de place. La Révolution allait
se charger de déblayer la galerie.
CHAPITRE II
LES DESTRUCTIONS
DES 6, 7 ET 8 AOUT 1793
La physionomie de la Basilique était le
6 août 93 ce qu'elle est aujourd'hui : les nefs,
les chapelles n'ont point changé ; les cénota-
phes de Glovis II et de Garloman sont aux
mêmes places, à quelques pas du maître-autel ;
dans le croisillon nord, les figures de Louis XII
et de la reine Anne, à genoux et les mains
jointes, surmontaient, comme aujourd'hui,
la plate-forme du mausolée. Seulement, ce
jour-là, la vieille église s'éveillait soudain de
sa morne et majestueuse somnolence : elle
était toute grouillante de soldats à bonnet
rouge, d'ouvriers armés de marteaux et de
20 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
leviers\ de groupes nombreux avides devoir.
Un homme était là, un témoin oculaire qui
nous a laissé une relation fort précieuse des
événements". C'était un ancien religieux de
* « Les ouvriers étaient dirigés par un entrepreneur
connu, SccUier, sous la surveillance des commissaires de la
Convention, des délégués de la Commission des Arts et de
préposes de l'administration municipale ». Manuscrit de
Gautier, organiste de l'Abbaye. Bibliothèque nationale, sous
la cote M. Fr. 11681. Ajoutons que parmi les membres de
la Commission des Arts figuraient Alexandre Lenoir dont nous
parlerons plus loin, et deux médecins, les citoyens Thourel
et Puison.
2 « Journal historique de l'extraction des cercueils royaux,
dans l'Église de Saint-Denis, fait par le citoyen Druon, ci-
devant bénédictin. » Ce récit, signé de lui, forme un cahier
de i6X'.iO de dix feuillets, d'une grosse écriture droite et
serrée, contenant dix-huit pages de texte et quelques ligues
seulement au verso du dernier feuillet, paraphé en marge de
la première page et au bas de la dernière : « Penthoin,
Dombray, Canet, le 18 janvier 1807 », et portant au bas de la
dernière page encore : « J'ai trouvé et pris ce journal chez
un ci-devant révolutionnaire, le 3 janvier 1804. »
Cette pièce est inscrite, aux Archives nationales, sous la
cote AE i i5 et renfermée dans l'armoire de fer avec les pièces
les plus précieuses, munies de sceaux d'or et d'argent, le
testament de Napoléon I**'', les étalons du mètre et du kilo-
gramme.
Dans la même liasse se trouvent trois autres manuscrits
autographes :
1° L'un est de feu dom Lafoi'cade, ancien religieux de
l'Abbaye de Saint-Denis, portant sur la couverture cette men-
tion : (( Ce manuscrit a été remis par les jnaire et adjoints
de la ville de Saint-Denis, entendus comme témoins, le i3 jan-
vier 181 7 ». Il contient le récit des exhumations à peu près
dans les mêmes termes que le manuscrit de dom Druon, avec
DESTRUCTIONS DES 6, 7 ET 8 AOUT 179'^>
l'Abbaye, doni Druon, qui assista à l'œuvre
profanatrice: attentif, prudent, silencieux, il
en suivit tous les détails, la plume à la main,
et en dressa le journal avec le relief saisis-
sant des choses vues \ C'est à lui qu'est due
la relation émouvante de l'ouverture et de la
profanation de ces grands sépulcres ; on ne
le vit s'en éloigner que quand l'œuvre fut
quelques renseignements sur l'exhumation de Turenne et une
page de réflexions philosophiques et religieuses au dernier
feuillet .
2° Le deuxième est pour ainsi dire une copie presque tex-
tuelle du manuscrit de dom Druon, avec une addition impor-
tante et précieuse sur 1 exhumation de Turenne. Il porte sur
la couverture la mention suivante : « Procès-verbal commu-
niqué par Monsieur Tinthouin, officier de la garde nationale
de Saint-Denis. » — « Le journal de Tinthouin avait été trouvé
parmi les papiers d'un sieur Boneufaux, ancien secrétaire du
district de Saint-Denis ». Procès-verbal du 8 janvier 1817.
Arch. nat. AE ^ i5.
3° Et un manuscrit donnant le détail des destructions du
mois d'août, et, à la suite, la relation littérale de dom Druon,
portant cette mention sur la couverture : « Ce manuscrit a
été confié à mon fils par M. l'abbé de Verneuil, curé de Saint-
Denis, le 6 janvier 1817. » Il a été relaté en entier par Cha-
teaubriand dans ses notes du Génie du Christianisme.
* Ce ne fut pas sans quelque difficulté que dom Druon par-
vint à rédiger son journal. Gautier parle « des disgrâces qu'il
a éprouvées des cannibales. Dom Druon mourut à Saint-
Denis, le jeudi 2 juin 1796. » Mémoires de Gautier, dernier
organiste de l'Abbaye. Exemplaire de la Bibliothèque de
Saint-Denis, p. 120.
'l'i LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS L\ TEIIHEUR
achevée. Bien qu'un peu trop tracé avec la
rigidité d'un procès-verbal, son récit est, néan-
moins, du plus grand intérêt. C'est lui que
nous allons suivre*, en élaguant certains dé-
tails superflus et en comblant les lacunes à
l'aide de nombreuses notes émanant toutes
de témoins oculaires.
Est-il utile de rappeler que nous n'avons
pas entrepris la description des effigies et des
monuments qui exigerait à elle seule tout un
volume, et que notre but est seulement d'en
^ A l'exception de notre érudit confrère le Docteur Robinet,
tous les auteurs qui citent ce document, ceux du moins que
nous avons consultés, font une erreur grossière au sujet du
signataire du journal : les uns, comme d'Heylli, Viollet-le-
Duc et de Guilhermy, citent dom Poirier comme auteur du
rapport ; d'autres, comme M™" d'Ayzac, nous donnent dom
Poirier et dom Puthod de Maison-Rouge comme témoins
oculaires de la dévastation et auteurs de la relation.
Cette erreur vient d'une confusion qui s'est faite dans
l'esprit des historiens qui n'ont pas consulté les documents
originaux, mais seulement la table des documents des Ar-
chives qui contiennent deux rapports sur la dévastation : le
premier, celui de dom Druon qui seul a trait aux 'exhuma-
lions, et le second, celui de Poirier, Mouchi, Puthod et Mo-
reau, commissaires du gouvernement, qui furent chargés de
surveiller les travaux de destruction des monuments et qui
rédigèrent un rapport le i4 août 1793 sur la destruction seu-
lement des tombes royales. Il figure aux Archives nationales,
vitrine 122 n^ 1374.
DESTRUCTIONS DES G, 7 ET 8 AOUT 179'^) 'J.''>
retracer la destruction ? Disons pourtant que,
sous l'habile direction de Viollet-le-Duc, les
tombeaux échappés au massacre ont repris ou
à peu près leur place primitive dans la Basi-
lique et que les statues de pierre d'empereurs
carlovingiens qu'on voit dans la crypte ont
été sculptées du temps de Napoléon I*"" pour
une chapelle qui ne fut pas construite.
Les premiers coups de marteau étaient don-
nés le 6 août 1793. Chose digne de remarque !
le premier tombeau que rencontra le marteau
des démolisseurs fut la chapelle funéraire du
fondateur de l'Abbaye, de Dagobert inhumé
dans l'église le iG janvier 638. Cet élégant
monument ogival occupait, comme aujour-
d'hui, une place d'honneur à côté de l'épître.
Les ouvriers brisèrent la statue couchée du
roi^ ; mais ils respectèrent celles debout de
Nanthilde et de leur fds Clovis II. On con-
serva également le bas-relief à trois étages
représentant, dans un ordre ascensionnel, la
* Celle que l'on voit aujourd'hui est due à M. Geoffroy-
Dcchaume.
■^4 LES TOMHEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
vision légendaire qu'un saint solitaire eut à
son sujet \ « parce que — style de l'époque —
ce morceau de sculpture pouvait servir à
l'histoire de l'art et à celle de l'esprit hu-
main, »
On n'ouvrit pas le cercueil : sa profa-
nation devait faire partie des journées d'oc-
tobre.
Sans perdre de temps, les ouvriers passè-
rent aux tombeaux de Clovis II et de Charles-
Martel. On ne brisa pas les statues qu'on se
contenta de desceller. Sous la dalle tumulaire
des cercueils en forme d'auge ne contenaient
que quelques osa peine reconnaissables et un
peu de cendre.
On souleva ensuite la statue de Pépin le
1 Voici le résumé de cette légende : un saint, dont l'ermi-
tage était situé non loin d'une bouche de l'enfer, avait vu
passer une nacelle dans laquelle une troupe de démons em-
portait aux tourments l'Ame de Dagobert, accablée de dou-
leurs et chargée de fers. Ce dernier n'avait d'autres res-
sources que d'invoquer les trois saints auxquels il avait montré
le plus de dévotion, Denis, Maurice et Martin. Accourus
tout à coup, ils arrachèrent des mains infernales l'âme du
dévot roi et la portèrent au ciel où la sculpture ligure la
mam de Dieu sortant d'un nuage pour la recevoir. (Gestes
de Dagobert, 44. — Chronique de Saint-Denis, V, 19.)
Tombeau de Dagobert.
(Cl. Reymond).
DESTllUCTIO^'S DES 6, 7 ET 8 AOUT 179'^ '^^7
Bref : un cercueil de pierre, grossièrement
taillée, contenait un peu de cendre et quel-
ques fds d'or, vestiges des vêtements con-
sumés. C'est tout ce qui restait du premier
roi de la dynastie carlovingienne, après un
peu plus de mille ans.
Puis, ce fut le tour des tombes de Berthe,
femme de Pépin, dont le nom fut si aimé et
si populaire ; de Carloman, frère de Gliarle-
magne ; d'Hermentrude ; de Louis III et de
son frère Carloman, ce Nemrod français qui
s'était fait tuer par un sanglier à quelques
lieues de la basilique ; d'Hugues le Grand ;
d'Hugues Capet ; d'Henri P'" ; de Louis le
Gros ; de son fds Philippe et de Constance de
Castille.
Elles contenaient des cercueils d'environ
trois pieds de long, recouverts d'une pierre
en dos d'âne ; tous ne renfermaient que des
ossements.
Une lame de plomb, apposée sur chaque
cercueil, donnait le nom du défunt et la date
de son décès, très lisibles encore.
28 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
On songe au vers de V. Hugo :
Et voyez la poussière
Que fait un empereur !
Savez-vous ce qu'un jour il en reste ? — O démence!
Celte pierre ! et du titre et du nom triomphants ? —
Quelques lettres, à faire épeler des enfants !
Dans le cercueil de Constance de Castille,
pourtant, on trouva son sceau d'argent de
forme ogivale pesant trois onces et demie.
Il fut déposé à la municipalité \
On soulevait le 7 août les statues de mar-
bre de Philippe le Hardi" et d'Isabelle d'Ara-
gon. L'inscription qu'on lit au-dessous de la
dalle de marbre noir qui supporte la statue
de la reine et qui fut respectée par les ouvriers
mérite d'être reproduite, comme la plus
ancienne épitaphe rimée en français qu'il y
eût à Saint-Denis.
* Il se trouve actuellement au Cabinet des Antiques de la
Bibliothèque Nationale, salle de la Renaissance.
■^ Rappelons l'opinion émise par les archéologues, en par-
ticulier le baron de Guilhermy, que cette effigie ouvre la
série authentique des portraits des rois de France à wSaint-
Denis.
Sceau en argent, grandeur naturelle, de la reine Constance de
Castille, femme de Louis Vil : trouvé dans le cercueil de cette
princesse.
DESTRUCTIONS DES G, 7 ET 8 AOUT 17^3 3l
Dysabel lame ait païadys
Dom li cors gistsouz ceste yniage
Femme av roi Phelipe ia dis
Fin lovis roi mort en cartage
Le iovr de sainte agne seconde
L'an mil CC dis et soisente
A cysance Iv morte av monde
Vie sanz fin dex li consente
Ces deux tombeaux contenaient chacun un
coffret de plomb d'environ trois pieds de lon-
gueur sur huit pouces de haut. Ils renfer-
maient leurs ossements assez bien conservés.
On transporta immédiatement les coffrets de
plomb à l'Hôtel de Ville.
La destruction suivait son cours : c'était le
tour des tombes de Philippe IV, de Louis le
Hutin, de son fils Jean, de sa fdle Jeanne, de
Philippe le Long, de Charles IV et de Jeanne
d'Evreux, de deux princesses, de Philippe de
Valois et de ses deux femmes, Jeanne de
Bourgogne et Blanche de Navarre, de Char-
les V, de Charles VI, de Charles VII et de
sa femme Marie d'Anjou et du roi Jean.
On continua l'hécatombe par la destruction
32 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
du massif du monument de Charles VIII, dont
l'effigie et les quatre anges qui entouraient
l'édifice funèbre avaient déjà été enlevés
en 17921.
On descella, pour finir, les marbres de
Henri II et de Catherine de Médicis qui se
trouvaient dans la Chapelle de Notre-Dame-
la-Blanche", l'un et l'autre, en costume d'ap-
parat, couches sur un lit recouvert de lames
de cuivre doré, aux chiffres des époux : la
reine encore jeune et belle, évoquant, au
milieu du massacre des sépulcres, un règne
aussi où la mort était à l'ordre du jour, où
l'on convertissait à coups d'arquebuse, où les
parfums de René, la lame effilée des gen-
tilshommes et la massue de Boelim étaient
des armes d'Etat.
En mèmetemps,on descendait dans la Cha-
pelle de Turenne le monument de Dugues-
clin représentant le connétable couvert de
1 Le mausolée de ce prince, où il clail représenté de
grandeur naturelle et en bronze, fut porté à la fonte.
- Ces ligures, en marbre blanc, sont l'une des plus belles
œuvres du ciseau de Germain Pilon.
DESTRUCTIONS DES G, 7 ET 8 AOUT 1 7y'i 33
ter, les mains jointes, portant à Tœil la mar-
que cVun coup de lance de l'ennemi.
Ces destructions accomplies du 6 au 8 août
1793 n'étaient que le lever de rideau; la
grande pièce allait commencer le douze
octobre.
Le nombre des monuments démolis s'éle-
vait à cinquante et un. On n'avait pas tra-
vaillé de main morte : en trois jours on avait
détruit l'ouvrage de douze siècles. Encore
quelques semaines de profanation et Chateau-
briand aura le droit de s'écrier : « Elles ne
sont plus, ces sépultures ! Les petits enfants
se sont joués avec les os des puissants mo-
narques ; Saint-Denis est désert, l'oiseau l'a
pris pour passage, l'herbe croît sur ses autels
brisés ; et au lieu du cantique de la mort qui
retentissait sous ses dômes, on n'entend plus
que les gouttes de pluie qui tombent par son
toit découvert, la chute de quelque pierre
qui se détache de ses murs en ruine, ou le
son de son horloge , qui va roulant dans
34 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
les tombeaux vides et les souterrains dévas-
tés ^ »
Les cendres des rois et des reines furent
déposées dans une fosse creusée dans un ter-
rain attenant au nord de l'église, qu'on appe-
lait la Cour ou Cimetière des Valois. Au
XVI* siècle, on avait construit sur cet em-
placement une somptueuse chapelle en forme
-de rotonde, où reposaient, avec d'autres
princes, le roi Henri II et la reine Catherine
de Médicis-. En 1719, ce monument qui
menaçait ruine, fut démoli. Une partie des
colonnes corinthiennes, qui décoraient à l'ex-
térieur la Chapelle des Valois, servirent à
composer au parc Monceau cette ruine factice
dont les promeneurs admirent aujourd'hui le
pittoresque, sans se douter probablement de
l'origine'*.
1 Loco citato. — 4" partie, chap. ix.
2 On y accédait par la porte de sortie de la croisée du tran-
sept.
■'' C'est à quelques mètres de ces ruines que furent entassés
dans des fosses les restes de Danton, Camille Desmoulins,
DESTRLCTIONS DES 6, -; ET 8 AOUT 179^ 35
Les monuments de métal avaient été tous
sacrifiés : témoin celui de Charles le Chauve,
grande tombe en cuivre qui supportait son
effigie en ronde bosse, couchée, encensée par
deux anges et gardée par quatre docteurs de
l'Eglise. Sept lampes d'argent brûlaient jour
et nuit par fondation de l'empereur autour
de cette sépulture \ Un décret spécial avait
ordonné la fonte de ces monuments, pour
en faire des bouches à feu destinées à fou-
droyer les ennemis de la République.
Les grands mausolées de Louis XII, de
François P^ de Henri II, de Turenne. restè-
rent quelques semaines encore dans la Basi-
lique. Plus tard, ils allèrent rejoindre dans le
Lucilc, Chaumetlc, Robespierre, Saint-Just, Lcbas et tant
d'autres. — Michelet. Les Cimetières de la Terreur.
1 D'Ayzac, loc. cit. « En vertu du décret de l'Assemblée
nationale du 16 août 1792, les bronzes qui étaient dans les
différents édifices du royaume tels que mausolées et autres
objets, surtout ceux qui concernent les rois, seront retirés et
convertis en bouches à feu ; en conséquence le vendredi 17 et
le samedi 18 août on a retiré de l'église Saint-Denis le tom-
beau de Charles le Chauve, qui était en cuivre... le tombeau
de Charles VIII... et le tombeau d'Harman de Guillem, sei-
gneur de Barbazan... 11 était en bronze. » Gautier, loc. cit.,
p. 112.
36 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
cimetière les autres tombeaux en partie muti-
lés ou détruits, exposés aux injures du temps.
Plusieurs tombeaux furent totalement bri-
sés, comme ceux du roi Eudes et de Hugues
Gapet ; on en prit d'autres, au hasard, pour
en composer une montagne symbolique, au
sommet de laquelle se trouvait une statue de
la Liberté, en face le portail de ^église^
Et ce ne dut pas être un spectacle banal de
voir le 19 vendémiaire an III (10 octobre 179/4,
style esclave) les restes de Rousseau, qu'on
portait au Panthéon, s'arrêter à Saint-Denis
au pied de cette montagne symbolique', pour
entendre le maire de la commune, le citoyen
PoUart', debout entre une statue deCarloman
et une effigie de Glovis II, prononcer un dis-
^ Nous possédons un curieux croquis de Pei'cicr, fait sur
place, et qui montre cet amas étrange de monuments empilés
confusément.
2 Bournon, Saint-Denis, 1892.
3 Pollart, élu maire 1792 — 22 fructidor an V. « Le maire
d'alors était un ci-devant religieux bénédictin de l'Abbaye de
Saint-Denis, dont je parlerai ailleurs, lequel fut nommé député
au conseil des Cinq-Cents, en germinal de l'an six de la
République ou avril 1798 vieux style pour un an seulement,
il se nommait Pollart. » Gautier, loc. cit., p. i-i3.
DESTRUCTIONS DES G, 7 ET 8 AOUT 1 79'i i'j
cours ému sur les vertus du sage Caton et de
Timpétueux Brutus, l'âge d'or de la philoso-
phie et le bonheur du genre humain. L'his-
toire ne nous le dit pas, mais l'on dut chanter,
pour finir, un Hymne à l'Humanité, et les
larmes durent couler des yeux des vieillards
qui pouvaient se croire transportés en Arca-
die.
Toujours est-il que le plus grand nombre
des statues de pierre et de marbre furent
sauvées de la destruction ^ Un homme s'était
présenté, dont le nom doit rester honoré par
tous les amis des arts, qui fut en quelque
sorte leur providence au milieu des tour-
mentes qui bouleversaient le sol de la patrie
et dont le courageux dévouement ne saurait
être assez vanté, Alexandre Lenoir% qui les
^ « Vingt-trois statues do pierre et 24 en marbre détachées
des monumenls détruits étaient déposées dans le cimetière des
Valois. » Rapport des commissaires déjà cité, Archives natio-
nales, vitrine 122, n^ 1374.
2 Alexandre Lenoir, archéologue, né à Paris 1761-1839.
Parmi ses ouvrages, citons le Musée des monuments français,
qui contient un récit des dévastations de Saint-Denis, au.\-
quelles il assista au nom de la Commission des Arts Ce récit,
:^8 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
revendiqua, au nom de la commission des
arts, pour le musée des monuments français
dont l'Assemblée nationale avait décrété la
création dans l'ancien couvent des Petits-
Augustins\ et dont il était conservateur. Il
ne tarda pas à justifier ce titre, en s'opposant,
au péril de sa vie, à la destruction du mau-
solée du cardinal de Richelieu : il fut alors
blessé d'un coup de baïonnette à la main
qui n'est que la reproduction littérale du manuscrit de dom
Druon, offre un grand intérêt par les interpolations qu'y a
faites A. Lenoir, pour le compléter, mais sans rien modifier du
texte original. On voit à Carnavalet un portrait d'A. Lenoir
dessiné au crayon par David.
^ Fondé en 1606 par Marguerite de Valois, là où est actuel-
lement l'École des Beaux-Arts. La plupart des monuments
funéraires étaient installés dans un vaste iardin qu'on appelait
l'Elysée. C'est là que Lenoir déposa les mausolées de Saint-
Denis échappés à la destruction et qu'il réunit, dans des
sarcophages de sa composition, les restes de Turenne, de
Molière et de La Fontaine. « Il alla aussi exhumer à Nogent-
sur-Seine les dépouilles mortelles d'Héloïse et Abailard, et
fit construire avec les débris du Paraclet une chapelle go-
thique où il déposa les ossements de ces amants malheureux.
Tout dans ce séjour des morts respirait l'antiquité ; les cours
qui conduisaient au jardin étaient décorées et formées, en
quelque sorte, avec les démolitions des châteaux d'Anet, de
Gaillon et d'un cloître gothique qu'il avait achetés à des
démolisseurs ». Le Bas. Dictionnaire encyclopédique, 1843.
C'est à lui quon doit encore, en 1820, la restauration du
Palais des Thermes. \
DESTRL'CTIO>'S DES 6^ ij ET 8 AOUT 179'^ U)
droite'. C'est du musée des monuments fran-
çais que les tombes royales revinrent en 1816
dans la Basilique, quand une ordonnance
royale du 24 avril prescrivit la fermeture du
musée historique.
- Le Bas, loc. cit.
CHAPITRE m
LES JOURNEES D'OCTOBRE
La destruction et rouvcrturc des tombeaux
poudreux des Mérovingiens et des Carlovin-
giens n'avaient pas produit à Saint-Denis
une sensation profonde. Ce Glovis II, ce Pépin
le Bref, ce Carloman semblaient des mythes.
C'était si loin ! Ces fantômes de l'antique
monarchie, avec leurs effigies gothiques, les
mains jointes et les yeux fermés, avaient
depuis longtemps l'oubli pour second linceul.
Leurs tombeaux ne contenaient que quelques
ossements desséchés, et en les ouvrant on
n'avait respiré qu'un peu de poussière des
temps passés. Plus impressionnantes allaient
être les journées d'octobre : les événements
4a LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
avaient écrit sur les tombes des Bourbons
des dates plus ineffaçables.
Le samedi au matin, r2 octobre 98, les
mêmes ouvriers que nous avons vus à l'œuvre
dans les chapelles hautes de la Basilique
étaient accompagnés, cette fois, d'un a com-
missaire aux plombs », en frac noir et cha-
peau à cocarde tricolore, et descendaient,
avec des lanternes, dans la galerie souter-
raine, pour pénétrer dans le caveau des Bour-
bons. Ce caveau qui a seize mètres de lon-
gueur sur six de largeur contenait, nous
l'avons dit, les restes de Henri IV et ceux de
toute sa postérité, placés un à un dans ce
rendez-vous de famille depuis iGio. C'était
chose difficile de pénétrer « dans cet empire
du néant delà gloire humaine et du triomphe
de la mort \ » Trois dalles, dans la nef, à
côté des tombes de Philippe le Hardi et d'Isa-
belle d'Aragon, fermaient l'entrée du caveau
royal entièrement muré du côté de la crypte ^
^ D'Ayzac, loc. cit.
* C'est là qu'était la V2jt • • ; ; f.
LES JOURNÉES d'oCTOBRE 4^
Cette' ouverture supérieure se prêtant mal à
l'œuvre de destruction qu'on allait entre-
prendre, les ouvriers pratiquèrent, non sans
peine, une brèche entre deux colonnes à cha-
piteaux carlovingiens, et, au bout de quel-
ques heures de démolition, ils pénétraient
dans l'enceinte funèbre. ^
Ce dut être un saisissement religieux.
Cinquante-quatre cercueils de bois de
chêne, « couverts d'une application de velours
ou de moire rayée d'une croix de tissu d'ar-
gent^ )), étaient posés sur des tréteaux de
fer, rongés par la rouille.
Henri IV, Louis le Juste, Louis XIV, Anne
d'Autriche dormaient là ! A la lueur des
lampes, le premier objet qui frappa les yeux
fut, au bas du degré, le cercueil du dernier
roi décédé, attendant sur un socle de pierre
l'arrivée de son successeur, de celui qui,
avec ses philosophes et ses favorites, avait
du dernier roi décédé, reproduction exacte du cercueil d'une
proportion grandiose, dressé sur un socle de deux pieds.
^ D'Ayzac, loc. cit.
44 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS L\ TERREUR
commencé l'œuvre de destruction que les
ouvriers de la mort allaient achever en bri-
sant tous ces cercueils.
On commença par tirer celui de Henri IV,
mort le i4 mai 1610, à Tàge de 57 ans.
Quels avaient été les ravages de la mort
pendant les deux siècles qui venaient de
s'écouler ?
La première enveloppe de chêne fut bri-
sée à coups de marteau; puis Ton ouvrit
avec le ciseau le cercueil de plomb; on
souleva le suaire blanc encore intact, et le
corps du roi apparut admirablement con-
servé, avec sa barbe presque blanche, les
traits à peine altérés.
C'était bien sa tête noble et chevaleresque :
il semblait dormir.
On le dressa contre un pilier, au bas des
marches de la crypte où il demeura jus-
qu'au lundi i4 octobre. Chacun eut la liberté
de venir le contempler. « Un soldat, mû par
un martial enthousiasme, se précipita sur le
cadavre du vainqueur de la Ligue, et, après
01.
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Cl. Reymond.
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ir_r/.'/m^H- •*rj*>Af*/M *V^vr-*//' ,w^/^/^ rru/,^^^-uMÛ ^4fM^ ^* *W^4t,rilf
LES JOUR^•EES D OCTOBRE 43
un long silence d'admiration, il tira son sabre,
lui coupa une longue mèche de sa barbe qui
était encore fraîche, et s'écria en même
temps en termes énergiques et vraiment
militaires : « Et moi aussi je suis soldat fran-
« çais ! Désormais, je n'aurai plus d'autre mous-
ce tache )),et plaçant cette mèche précieuse sur
sa lèvre supérieure ; « Maintenant je suis sûr
(( de vaincre les ennemis de la France, et je
« marche à la victoire! ». Il se retira »*. On
mit le corps du roi debout sur une pierre :
une femme, à la figure haineuse, voulut bra-
ver le cadavre du vainqueur d'ivry qui était là,
adossé contre un pilier, avec sa barbe grise,
la figure pâle et les dents serrées. Elle s 'avança
le poing tendu vers le visage du roi, le souf-
fleta et le fit tomber par terre -. Un assistant
ne craignit pas d'enlever deux dents au cada-
vre desséché, un autre d'arracher une manche
de sa chemise qu'il promena dans l'église,
* Alexandre Lenoir. Musée des monuments français. Le
mérite de ce détail est d'émaner d'un exécutant, témoin ocu-
laire, absolument digne de foi.
- Poujoulal. Histoire de la liévolution, 1847.
46 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
fier comme un soldat qui a conquis un dra-
peau \
Chose étonnante, un sculpteur présent fit
sur le cadavre du roi, cent-quatre-vingt-trois
ans après la mort, le moulage de sa tète qu'un
laps de deux siècles n'avait nullement altérée'.
Ce masque pris par des mains révolution-
^ Journal de Paris, 29 août 1814.
2 Citons, au sujet du moulage de la tète du roi, un extrait
d'une lettre adressée à M. Claretie en 1866, et rapportée par
M. G. d'Heylli. Les Tombeaux de Saint-Denis, 1872.
« Souvent j'ai entendu parler de la violation des tombeaux
à Saint-Denis.
<i A cette époque, un officier municipal fut envoyé par la
commune de Paris pour extraire les rois des caveaux et les
jeter dans un trou de chaux. Cet ofilcier nommé Compérot
était bon sculpteur et savait très bien mouler.
« En ouvrant le cercueil de Henri IV, on trouva son corps
si bien conservé qu'on fit un moulage de sa tête. Ce moulage
très bien fait, très ressemblant, fut le type de toutes les
épreuves qui se vendirent depuis chez tous les mouleurs. Le
masque de Henri IV, moulé sur nature, se trouvait chez eux
vers 1834, et il doit encore en exister dans Paris.
« Le fils de cet officier Compérot, sculpteur de talent, a été
employé aux travaux de sculpture du nouveau Louvre. Enfant,
il {issistait à l'ouverture des sépulcres, et je tiens de lui ces
détails.
P... R...
« Sculpteur à Yssy. »
On voit une épreuve de ce moulage, peut-être même le t^pe
original, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, place du Pan-
théon.
Masquk Diï Henri IV,
tel qu'il fut pris lors de son exhumation
par le sculpteur Compérot.
LES JOURNÉES D OCTOBRE /|9
naires, figure dans plus d'un musée et en
maint ouvrage, évoquant, dans sa tragique
sincérité, Fimage d'un grand roi, le souvenir
d'une France paisible et heureuse, et aussi
cette idée nouvelle, proclamée par le vain-
queur d'Ivry , que le monde n'avait pas
connue depuis seize siècles et qui n'est pas
encore triomphante dans notre pays, que
« l'État doit s'élever au-dessus des partis
religieux, pour leur imposer le respect de la
paix publique. »
Le lundi, à deux heures de l'après-midi,
les ouvriers portèrent le corps du roi sur un
lit de chaux, au fond d'une immense fosse
creusée dans le cimetière des Valois.
Il était trois heures quand on procéda à
l'ouverture du cercueil de Louis XllI. Il était
moins bien conservé que Henri IV, « mais
très reconnaissable à sa moustache » noire,
fine et retroussée, rappelant encore,. par l'al-
lure de ses traits, cette époque de grands
4
yo LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA. TERREUR
seigneurs aux bottes blanches et garnies
d'éperons, batailleurs et rétifs, qui tiraient
l'épée pour un mot, aussi bien à la borne
du carrefour que dans la ruelle de Marion
Delorme.
Ce fut le tour de Louis XIV, a ce Louis si
fameux par l'obéissance que les nations lui
portaient ». On déplaça la bière, et sur une
plaque de cuivre portant les armes de France
et de Navarre, entourées du collier de Saint-
Michel et du grand cordon du Saint-Esprit,
on lut à la lueur des lampes :
ICI EST LE CORPS DE LOUIS 14, PAR
LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE
ET DE NAVARRE, TRÈS CHRESTIEN;
DÉCÉDÉ EN SON CHASTEAU DE
VERSAILLES LE PREMIER JOUR DE
SEPTEMBRE 1715.
REQUIESCAT IN PACEi.
1 « En 1793, cette plaque fut arrachée, ainsi que toutes
celles des sépultures royales, et ce n'est que dans ces der-
nières années qu'elle a pu être retrouvée, en même temps
que celle de la princesse Marie-Adélaïde, duchesse de Bour-
gogne, mère du roi Louis XV, et celle de la princesse Louise
Êïisabeih de France, sa fille. M. Debret, l'ancien architecte
'Louis 14- r
v.K qujT: vc cAa^ IN- pacj:
' /. Iti j/mond,
PLAQUE TUIVIULAIRE ARRACHÉE EN 1793 AU CERCUEIL DE LOUIS XIV
et découverte à Saint-Denis, dans la boutique d'un chaudronnier,
qui l'avait associée à deux autres du même gçnre,
pour former une casserole de cuisine. '
LES JOURNEES D OCTORHE 5i
« Il était encore tout entier dans son cer-
cueil ». Le suaire soulevé, la lace apparut
« noire comme de l'encre » S conservant à tra-
vers les ravages de la mort, un air sévère
encore imprégné d'une imposante majesté.
« En vain, pour défendre son trône, il
parut se lever avec la majesté de son siècle
et une arrière-garde de huit siècles de rois ;
en vain son geste menaçant épouvanta les
ennemis des morts, lorsque, précipité dans la
fosse commune, il tomba sur le sein de
Marie de Médicis : tout fut détruit^. »
de la Basilique de Saint-Denis, les a découvertes dans la
boutique d un chaudronnier de cette ville ; elles avaient été
réunies ensemble et formaient une casserole de cuisine dont
les rivets ont laissé leurs traces encore apparentes. »
G. d'Heilly, loc. cit.
La plaque de Louis XIV ne présente pas de trous : elle
formait probablement le fond de la casserole ; celle de la
1111e de Louis XV, Musée de Cluny, n° 7400, présente la
trace d'un rivet; celle de sa mère, n° "Sgg, présente trois
perforations en triangle, à la partie inférieure droite, là où
était ajusté le manche de l'ustensile.
* La couleur qui frappa l'assistance s'explique par les livi-
dités qui apparaissent surtout sur les parties non déclives du
corps, pour former souvent un réseau très serré qui devient
vert ou brun et envahit peu à peu toute la surface des tégu-
ments. (Voir Vibert, Médecine légale, 189'j.)
2 Chateaubriand, loc. cit. ch, ix;
S-i LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Marie de Médicis, Anne d'Autriche, Marie
Thérèse, Louis Dauphin, fils de Louis XIV,
étaient en « putréfaction liquide. »
Le mercredi i5 octobre, à sept heures
du matin, les ouvriers se remettaient à l'œuvre
et procédaient à l'ouverture des cercueils de
Marie Leczinska, de Marie Anne Christine Vic-
toire de Bavière, épouse de Louis, grand
dauphin, et de dix-neuf autres princes ou
princesses de la famille des Bourbons, dont
les restes allèrent rejoindre à la fosse com-
mune les cadavres jetés la veille.
Au-dessous de chaque cercueil se trouvait
une. boîte de plomb en forme de cœur, con-
tenant le cœur et les entrailles du défunt.
Sur le couvercle était appliqué un cœur de
vermeil surmonté d'une couronne de même
métal. On détacha les emblèmes qui furent
déposés à la municipalité, pendant que le
commissaire aux plombs faisait emporter les
cercueils et les vases dans un angle du cime-
tière.
LES JOURNÉES d'oCTOBRE 53
De toutes les exhumations, ce furent celles
du i5 octobre qui offrirent le tableau le
plus repoussant au point de vue de la putré-
faction des cadavres : « la plupart des corps
étaient en putréfaction. Il en sortait, écrit le
témoin oculaire, une vapeur noire et épaisse,
d'une odeur infecte, qu'on chassait à force
de vinaigre et de poudre qu'on eut la pré-
caution de brûler, ce qui n'empêcha pas
les ouvriers de gagner des dévoiements et
des fièvres qui n'ont pas eu de mauvaises
suites ))^
Le mercredi i6 octobre, vers les sept
heures du matin, on continua l'extraction des
cercueils du caveau : on ouvrit successive-
ment les bières d'Henriette de France, fdle
de Henri IV, d'Henriette d'Angleterre, immor-
1 Observation de pathologie très vraie. Le séjour dans les
amphithéâtres de dissection est suivi, chez les individus non
habitués, de troubles assez fréquents. Les matières organi-
ques, les germes en suspension dans le milieu pénètrent dans
les voies respiratoires et ensuite dans tout l'organisme. De
là des diarrhées, des dysenteries fréquemment observées
chez les jeunes étudiants.
54 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
talisée par Bossuet, de Philippe d'Orléans, dit
Monsieur, frère unique de Louis XIV, et de
vingt princes ou princesses de la famille des
Bourbons.
A onze heures, au moment même où Marie-
Antoinette, au milieu des imprécations et
des clameurs de la foule hurlante, quittait
la charrette de Sanson pour monter à l'écha-
faud, on déplaçait le cercueil de Louis XV,
déposé au pied d'une niche occupée par une
statue de la Vierge au bas de l'escalier,
« comme pour inviter sa postérité à des-
cendre ». On n'ouvrit son cercueil que dans
le cimetière au bord de la fosse. Aux pre-
miers coupsde ciseau un jet de miasmes fétides
sortit de la seconde enveloppe de plomb et
fit reculer l'assistance. Le corps retiré en
entier parut tout d'abord bien conservé ; « la
peau était blanche, le nez violet et les fesses
rouges comme celles d'un enfant nouveau-né,
et nageant dans une eau abondante formée
par une dissolution du sel marin dont on
l'avait enduit, n'ayant pas été embaumé sui-
LES JOUR>ÉES D OCTOBRE 55
vant l'usage ordinaire^ ». Mais dégagé de
tout ce qui l'enveloppait, il n'offrit plus
l'aspect d'un cadavre ; les chairs en putréfac-
tion dégageaient une telle odeur nauséa-
bonde qu'il ne fut pas possible de rester pré-
sent ; on brûla de la poudre, et des soldats
tirèrent plusieurs coups de fusil, nous dit
dom Druon, pour purifier l'atmosphère. On
le jeta bien vite dans la fosse, sur un lit de
chaux vive, et on étendit par-dessus quel-
ques pelletées de terre. La fosse restait
ouverte pour la fournée du lendemain.
Les cercueils de plomb devenaient par trop
encombrants : aussi le commissaire aux
plombs prit le parti d'installer, dans un coin
de la cour, une fonderie pour accélérer la
besogne.
^ Alexandre Lenoir, loc. cit.
M. Maurice Pascal possède les photographies des dessins
originaux, faits d'après nature par Alexandre Lenoir, des
cadavres de lleari lY, Louis XV, Louis YIII et Turenne.
Les plus curieuses sont celles de Louis YIII dont la tête est
coiffée d'une petite calotte, et de Louis XY dont le corps
vigoureux et trapu supporte une tête émaciée de vieux comé-
dien.
56 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
La crypte était vide, mais le travail de pro-
fanation n'était pas fini.
On vient de suivre le récit dramatique d'un
témoin oculaire, d'une authenticité absolue.
On s'est représenté les ouvriers, en bras de
chemise, fouillant tous ces cercueils, le bruit
assourdissant des marteaux, et aussi le
désordre des lieux, les voûtes qu'éclairaient
mal les torches fumeuses, ce sombre couloir,
cette petite porte où passèrent cinquante-
quatre cercueils éventrés, et par-dessus tout
l'odeur fétide qui s'exhalait des tombes. Quel
spectacle ont vu ces vieilles voûtes^ !
Il nous faut remonter avec les ouvriers
dans les chapelles hautes.
Il était trois heures de l'après-midi et l'on
ouvrit, dans la chapelle des Charles, le caveau
^ « Ces différentes opérations se firent avec un acharne-
ment qui tenait de la rage, il s'y est commis des atrocités
dignes de pareilles gens, mais dont l'histoire ne fournit
aucun exemple et dont le récit fait horreur et ferait tache
dans ce recueil. » Gautier, loc. cit., p. i-io.
LES JOURNÉES d'oCTOBRE 57
de Charles V, dit le Sage, mort en treize
cent quatre vingt : le squelette était assez
bien conservé; on trouva près de son crâne
une couronne de vermeil, à droite du cer-
cueil un sceptre d'au moins cinq pieds de
long, surmonté de feuilles d'acanthe en ver-
meil qui avaient conservé tout leur éclat ; à
gauche une main de justice d'argent, peut-
être celle qu'il tenait, quand, encore dauphin,
il présida, sous un dais de satin d'or, les
Etats Généraux de i3j']. On ouvrit ensuite
la tombe de Jeanne de Bourbon, son épouse ;
il y avait à côté du squelette un reste de cou-
ronne, un anneau d'or, les débris de plusieurs
bracelets, une quenouille de bois doré, des
souliers de forme pointue S brodés d'or et
d'argent.
x\ côté, on trouva les ossements de son
^ Souliers à la Poulaine,àu nom de Poulain, son inventeur,
sous Philippe le Bel ; ils se terminaient en pointe plus ou
moins longue, selon la qualité des personnes. Ils étaient de
deux pieds de long pour les princes et les grands seigneurs,
d'un pied pour les riches, et d'un demi-pied pour les gens du
peuple. De là est venue l'expression : Se mettre sur un bon
pied. Etre sur un grand pied.
58 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
petit-fils Charles de France, et dans des cer-
cueils de bois vermoulu ceux de ses trois
filles mortes en bas âge.
La fosse était pleine ; les ouvriers creusè-
rent immédiatement une seconde tranchée au
pied du portail du croisillon nord.
Le jeudi 17 octobre, à la première heure,
on fouillait dans deux tombeaux qui rappe-
laient l'un et l'autre une fatale éclipse de la
royauté, ceux de Charles VI, un roi dément,
et d'isabeau de Bavière, une reine aussi per-
verse qu'indolente, qui trahit son fds et la
France. Ils ne contenaient que des ossements
desséchés. Au mois d'août dernier, on avait
pillé « ce qui pouvait être précieux dans leurs
cercueils '. »
Dans les tombes de Charles VII et de Marie
d'Anjou, on trouva les restes d'une couronne
et d'un sceptre d'argent doré.
i Le soubassement des cfCigios de Charles VI el d'isabeau,
qu'on voit actuellcmeul, sont modernes.
LES JOURNÉES DOCTOBRE Si)
« Une singularité de rembaumement du
corps de Charles VII, c'est qu'on y avait par-
semé du vif-argent qui avait conservé toute
sa fluidité. »
A deux heures de l'après-midi, on procédait
à l'extraction des deux cercueils de Blanche
de Navarre et de Jeanne de France, sa fille ;
ils renfermaient leurs squelettes, moins la
tète de cette dernière qui avait été vraisem-
blablement dérobée quelques années aupara-
vant, lors d'une réparation faite au caveau.
Puis, on fit l'ouverture du caveau de
Henri II qui contenait dix cercueils. Le pre-
mier qu'on ouvrit fut celui de ce roi éphémère
qui passa, comme une ombre, à travers les
bras de Marie Stuart ; on brisa, ensuite, ceux
de Marguerite de France, femme de Henri IV,
de François, duc d'Alençon, quatrième fils de
Henri II, et d'une fille de Charles IX.
La nuit tombait ; on ouvrit, pour finir la
journée, le caveau de Charles VIII, dont le
nom évoquait une royauté qui de bourgeoise
6o LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
et populaire était devenue avec lui conqué-
rante et chevaleresque : son cercueil de plomb,
porté sur des barreaux de fer, contenait son
squelette court et desséché \
Le lendemain vendredi i8 octobre, dès
Taube, on continuait l'extraction et Fouver-
ture des cercueils du caveau de Henri II :
c'étaient ceux de Henri H lui-même, de Cathe-
rine de Médicis, de leurs trois enfants, de
Charles IX et Henri III.
Puis on descendit dans le caveau de
Louis XII et d'Anne son épouse'. Sur cha-
cun des cercueils était incrustée une cou-
^ Charles VIII était de très petite taille.
- On distingue, dans la vue d'ensemble des sépultures que
nous avons reproduite plus haut, le tombeau de Louis XII
et d'Anne de Bretagne, oeuvre de Jean Juste, sculpteur du
roi. Un soubassement quadrangulaire porte un édifice à jour,
percé de douze arcades, sous chacune desquelles est la figure
d'un apôtre. Aux quatre angles se voient les statues de la
Justice, de la Force, de la Prudence et de la Tempérance,
vertus cardinales des princes défunts. Le roi et la reine sont
figurés couchés dans l'attitude et la nudité de la mort. Au-
dessus du monument, sur la plate-forme, sont les deux sta-
tues agenouillées des deux monarques, portraits de la plus
grande fidélité. Les bas-reliefs représentent les campagnes de
Louis XII en Italie.
LES JOURÎSÉES DOGTOBRE 6i
ronne de cuivre doré. Ils contenaient leurs
squelettes dans un état parfait de conser-
vation.
Successivement on ouvrit les tombes de
Jeanne de France, reine de Navarre, dont les
ossements étaient renfermés dans une pierre
creuse, tapissée de plomb ; de Louis le Hutin
dont « les os desséchés », avec une couronne
de cuivre et un reste de sceptre rongé par la
rouille, formaient tout le contenu d'une pierre
creuse en forme d'auge ; du petit roi Jean
dormant au pied de son père, après un règne
de quelques jours ; de Hugues le Grand,
dont il ne restait que les os presque en pous-
sière.
On alla ensuite, au milieu du chœur, décou-
vrir la fosse de Charles le Chauve, mort en
877 : il fallut creuser profondément pour trou-
ver une espèce d'auge en pierre, dans laquelle
était un petit coffre de bois contenant le reste
de ses cendres*.
1 Le corps déposé, à sa mort, au prieuré de Mantui, n'avait
été transporté à Saint-Denis que sept ans après.
bï LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Le jour suivant 19 octobre, au matin, Fou-
verture de la tombe de Philippe, fils de Phi-
lippe Auguste, ne donnait rien de remarquable
que l'empreinte de la tête creusée dans le
cercueil de pierre.
La tombe de pierre, en forme d'auge, d'Al-
phonse de Poitiers, frère de saint Louis, ne
contenait que des cendres ; mais sa chevelure
était encore intacte.
Rien ne restait du corps de Philippe Au-
guste.
Le corps de Louis VIII \ père de saint
Louis, était enveloppé dans un sac de cuir fort
épais ; il était presque consumé ; mais on trou-
va, mêlé à ses cendres, un morceau de sceptre
de bois, son diadème composé d'une bande
d'étoffe tissée d'or et d'une calotte de satin
très bien conservée, et quelques morceaux de
suaire tissé également de fils d'or.
On fouilla au milieu du chœur, en bas des
i Philippe Auguste et Louis VIII avaient eu des tombes en
argent ciselé : trop précieuses pour échapper au pillage, elles
avaient disparu depuis plusieurs siècles. Baron de Guilhermy.
Loc. cit.
LES JOUR>ÉES d'octobre 63
marches du sanctuaire, et on creusa bien
avant en terre sans rien rencontrer. Enfin, au
fond d'une auge, on retrouva deux petits os
et une rotule : c'est tout ce qui restait de
Marguerite de Provence; puis on découvrit
un cercueil fort étroit. C'était celui de ce
vrai héros du Moyen âge que Rome a canonisé
et que le peuple voit encore, grand entre
tous, sous le chêne de Vincennes, ayant pour
trône un tertre de gazon : il était vide\
On procéda, ensuite, au décarrelage de tout
1 « La raison pour laquelle son cercueil était moins large
et moins long que les autres, c'est que, suivant les historiens.
SCS chairs furent portées en Sicile : aussi on n'a rapporté à
Saint-Denis que les os, pour lesquels il a fallu un cercueil
moins grand que pour le corps entier ». Note de dom Druon.
Les ossements de saint Louis avaient été retirés lors de sa
canonisation par Boniface VIII, en 1297.
On sait que Philippe le Hardi, l'exemple delà piété liliale,
fit faire des obsèques magnifiques à son père, qu'il le porta
lui-même, pieds nus, à Saint-Donis, chargé sur ses épaules.
« Les monuments qui étaient placés de distance en distance
sur la route de Paris à Saint-Denis, furent élevés de son temps,
pour consacrer à la postérité le souvenir de ce dévouement
religieux. Ils indiquaient les lieux où ce vertueux fils s'était
reposé pendant le convoi.
«Les révolutionnaires ont détruit ces espèces de tours, qui
s'élevaient à 40 pieds de terre ; elles contenaient les statues
de grandeur humaine, de Louis IX, du comte de Nevers, de
Philippe III et celle de Robert* comte de Provence. » Alex.
Lenoir, loc. cit.
64 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
le haut du chœur, et Ton ne retrouva que le
cercueil de Philippe le Bel, ce roi qui le pre-
mier avait convoqué les Etats Généraux et
révélé au peuple ses droits et son avenir. Il
ne pensait pas, en i3o2, que les arrière-ne-
veux des députés de la nation s'enhardiraient
un jour jusqu'à porter la main sur la couronne
et les tombeaux des rois. Son cercueil de
pierre, recouvert d'une large dalle, était
tapissé intérieurement d'une lame de plomb.
Le squelette était intact ; on trouva à côté un
anneau d'or, un sceptre de cuivre doré de
cinq pieds de long, terminé par une touffe de
feuillage et un oiseau de cuivre doré, « revêtu
de ses couleurs naturelles, et qui ressemblait
à un chardonneret. »
La nuit était venue : on voulut, avant de
terminer, ouvrir la sépulture de Dagobert,
mort en 638. Le cercueil de pierre de plus de
deux mètres ne portait ni titres pompeux, ni
épitaphe, pas même le nom du roi qui fut
le Salomon des Francs, qui, comme le fds
LES JOURNÉES d'oCTOBRE 65
de David, aima la magnificence des palais.
Devant ce cercueil, plus encore que devant
celui de Henri IV, on avait le droit de se
demander quels avaient été les ravages de la
mort, au bout de onze siècles et demi. N'était-
ce pas un monarque presque légendaire
qu'on allait exhumer ?
Dans une partie creuse, où selon un usage
assez fréquent, on déposait la nuque du dé-
funt, se trouvait seul le squelette de la tête.
Au milieu du cercueil était un coffre de bois
d'environ deux pieds de long, garni intérieu-
rement d'une lame de plomb. Une planchette
de bois séparait le coffre en deux parties.
Sur un côté du coffre était apposée une
plaquette de plomb avec cette inscription :
Hic jacet corpus Dagoberti.
Sur l'autre côté une lame de plomb portait
l'inscription :
Hic jacet corpus Nanthildis.
Les ossements étaient enveloppés dans une
étoffe de soie. Le crâne de la reine ne s'y
66 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
trouvait plus, resté sans doute dans l'endroit
de sa première sépulture, à l'époque où saint
Louis lit élever le monument actuel'.
Le dimanche 20 octobre, dans la chapelle
dite des Charles, on fit l'ouverture du cercueil
de plomb de Bertrand Duguesclin, qui portait
l'épitaphe sur une plaque de cuivre : « Haut
et puissant messirc, connétable de France ».
Son squelette était entier, « la tête bien con-
servée, les os propres et tout à fait dessé-
chés ». Voici ce que relate Gautier, organiste
de l'abbaye : « Le susdit jour 20 octobre,
j'eus trois dents du susdit Duguesclin, ayant
été présent lorsqu'on releva ses restes, qui
consistaient en sa tête et plusieurs ossements,
lesquelles dents furent retirées de sa mâchoire
en ma présence^. »
Auprès de Duguesclin reposait, dans un cer-
cueil de plomb de trois pieds de long seule-
* Le monument antérieur avait été détruit par les Normands.
Dulaure. Histoire de Paris, 1839.
2 Gautier, loc. cit. p. 121! Le cœur du connétable, légué
par lui à la ville de Dinan, qu'on voit encore aujourd'hui, dans
l'église de Saint-Sauveur, renfermé dans une espèce de céno-
TOMBEAU DE FRANÇOIS I <"•
LES JOURNEES D OCTOBRE b'j
ment, Bureau de la Rivière, chambellan de
Charles VII.
Après bien des recherches, on finit par dé-
couvrir l'entrée du caveau de François P'\ Il
était grand et bien voûté : six cercueils de
plomb, posés sur des barres de fer, renfer-
maient les corps de François \^^, de Louise de
Savoie, sa mère, de Claudine de France, son
épouse, du Dauphin son fils et de ses frère
et sœur.
Tous ces corps étaient en « putréfaction
liquide » et exhalaient une odeur insuppor-
table. L'assistance fut frappée « de la taille
taphe de marbre noir, « fut au moment d'être broyé par un
vitrier pour servir à faire de la peinture ». Chateaubriand,
Mémoires d^ Outre-Tombe, Garnier, Paris, t, I, p. 128.
^ Nous donnons ici la reproduction du tombeau de Fran-
çois P"". C'est un des plus admirables chefs-d'œuvre de l'ar-
chitecture et de la sculpture. Philibert Delorme en a donné
le dessin et dirigé la construction. Jean Goujon, Germain
Pilon, Pierre Bontemps, Ambroise Perret, d'autres encore
ont collaboré à son accomplissement. Il se compose d'une
haute voûte avec deux passages latéraux. Sur la plate-forme
sont en costumes de cour, agenouillés, le roi, la reine et
leurs trois enfants. Sous la voûte sont les effigies des deux
monarques, sans autre vêtement que le suaire mortuaire.
Tout autour du monument se trouvent d'admirables statues
des évangélistes et de génies symboliques ; sur les côtés, des
bas-reliefs retracent les campagnes de François P"",
68 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
extraordinaire et de la structure du corps de
François P"" ; Tun des fémurs de ce prince,
que je mesurai, portait vingt pouces des con-
dyles à la tête de l'os » ^ On alla vider chaque
bière dans la fosse ; et à travers les fissures
des cercueils brisés « une eau noire et nausé-
abonde coulait des enveloppes de plomb dans
le trajet qu'on fit pour gagner le cimetière. »
Enfin, sur le soir, on trouva, près de la
grille du côté du midi, le tombeau de Mathieu
de Vendôme, abbé de Saint-Denis et régent
du royaume sous saint Louis. 11 n'avait pas
de cercueil, ni de pierre, ni de plomb. Il avait
été mis en terre dans une bière de bois dont
il restait encore des morceaux de planches
vermoulues, après plus de cinq cents ans.
Le corps était entièrement consumé ; on re-
trouva le haut de sa crosse de cuivre doré et
des lambeaux de riche étoffe, indiquant qu'il
avait été enseveli avec ses plus beaux orne-
ments d'abbé.
^ Alexandre Lenoir, Zoc. cit. Ce qui donne une longueur de
55 centimètres.
LES JOUR3SÉES d'oCTOBRE 69
Le lundi 21 octobre, les ossements de six
princes et une princesse dé la famille de saint
Louis étaient portés au cimetière*.
Le mardi 22, dans la chapelle des Charles,
on trouvait encore deux cercueils l'un sur
l'autre : celui de Barbazan, premier chambel-
lan de Charles VII et celui de Louis de San-
cerre, un des vainqueurs de Rosebecque : la
tète du connétable « était encore garnie de
cheveux longs et partagés en deux cadenettes
bien tressées \ »
On souleva, ensuite, la pierre perpendicu-
laire qui couvrait les tombeaux en pierre de
l'abbé Suger^ et de l'abbé Troon : ils ne ren-
fermaient que quelques ossements,
* Ils avaient été rapportés le i""" août 1791 « de l'abbaye
de Royaumont en celle de Saint-Denis et posés dans un caveau
creusé exprès, au milieu du chœur, entre ceux de Charles le
Chauve et de Marguerite de Provence ». Gautier, loc. cit.
p. 107.
^ « Il fut trouvé ayant encore trois longues tresses, d en-
viron 40 centimètres. » Alex. Lenoir, loc. cit.
^ La pierre indiquant la sépulture du grand Suger portait
cette simple épitaphe :
Hicjacet Sugerius ahhas.
70 LES TOMBEAUX DES ROlS SOUS LA TERREUR
On s'en tint là, et, pour finir la journée,
on alla dans la chapelle du « Lépreux » lever
la tombe de Sédille de Sainte-Croix, femme
de Jean Pastourelle, conseiller de Charles V :
elle renfermait quelques os à peine reconnais-
sablés.
Le mercredi matin, on découvrait la tombe
de Philippe de Valois : elle était de pierre,
tapissée de plomb intérieurement, fermée par
une lame épaisse de même métal, soudée sur
des barres de fer : quelques os, une couronne,
un sceptre surmonté d'un oiseau de cuivre
doré, voilà tout ce qui restait de l'impétueux
roi qui avait donné le signal de la guerre de
Cent ans.
Plus près de l'autel, on trouva dans le cer-
cueil de sa femme, Jeanne de Bourgogne, son
anneau d'argent, une quenouille et ses os
desséchés.
Le jeudi 24, on fit l'ouverture du tombeau
de Charles le Bel : il était à gauche de celui
LES JOURNEES D OCTOBRE 7I
de Philippe de Valois, et sa construction
était identique. Le squelette était tout entier :
près du crâne une couronne de vermeil, à
ses côtés un sceptre de cuivre doré haut de
sept pieds, un anneau d'argent, un reste de
main de justice, un bâton de bois d'ébène, un
oreiller de plomb sous le crâne, ainsi appa-
rurent, au bout de cinq siècles, les restes du
dernier roi des Capétiens.
On fut surpris de trouver le cercueil de
Jeanne d'Evreux brisé, dépouillé ; la tête
même avait été enlevée la nuit. C'était de la
besogne faite pour les ouvriers qui procé-
daient à l'ouverture du tombeau de Philippe
le Long. On allait voir les restes de ce prince
grand et beau dont la mort prématurée à vingt-
huit ans avait été regardée par le peuple, avec
celle de son frère et de son neveu, comme un
signe de la vengeance du ciel sur cette famille
qui avait souffleté Boniface VIII et brûlé les
Templiers. Son squelette entier apparut,
admirablement conservé , « le crâne coiffé
d'une couronne de vermeil enrichie de pierre-
72 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
ries » % le bord inférieur des côtes garni
d'une étoffe satinée, avec une boucle de ver-
meil. On trouva, sur les côtés du cercueil,
une agrafe de son manteau en losange, une
autre plus petite, toutes deux en argent et un
sceptre de cuivre doré.
Au pied de son cercueil était un petit caveau,
où l'on découvrit une cassette de bois ver-
moulu, avec l'inscription sur une lame de
cuivre : Cœur de Jeanne de Bourgogne, épouse
de Philippe de Valois.
Dans le tombeau du malheureux et cheva-
leresque roi Jean, mort en i364, on trouva son
squelette intact, une couronne, un sceptre
brisé et une main de justice de vermeil^.
C'était fini^
Huit jours après, cependant, par une mati-
1 Alexandre Lenoir. Loc. cit.
' Le i8 janvier i794> la démolition du tombeau de F'ran-
cois P'' permit de découvrir le cercueil de Marguerite, lille
de Philippe le Long et femme de Louis, comte de Flandre :
on y trouva ses ossements bien conservés et quelques restes
de planche de châtaignier.
^ Une tombe avait échappé au vandalisme révolutionnaire,
LES JOURNÉES DOCTOBRE 78
née d'automne froide et brumeuse, les ou-
vriers, accompagnés du commissaire aux
plombs, allaient au Couvent des Carmélites
soulever la tombe où reposait une fille de
France, née infirme \ mais d'une âme noble
et élevée, qui toute sa vie, les yeux tournés
la tombe du célèbre Gondi que son roi irrité aurait voulu
éloigner à jamais de la royale sépulture, à laquelle lui donnait
droit sa dignité d'abbé de Saint-Denis, qu'on y avait enterré
clandestinement, en pleine nuit, avec ordre de Louis XIV de
n'indiquer par aucune épitaphe le lieu de sa sépulture. Et ce
fut le seul qui, malgré toutes les recherches et les boulever-
sements du sol, y resta.
En effet, on rechercha vainement à l'endroit si minutieuse-
ment et si clairement indiqué par le plan de Felibien, le cer-
cueil du cardinal, du Catilina en soutane qui avait renversé
Mazarin alors au faîte du pouvoir, maître de la France,
presque de l'Europe. Viollet-le-Duc retrouva le cercueil du
Grand Gondi à l'endroit indiqué, à côté du tombeau de Fran-
çois P'". Il fut transporté dans le caveau de Turenne, où nous
le retrouverons plus loin. (Voir G. d'Heilly, loc. cit.)
^ Dans une étude parue dans la Revue des Deux Mondes et
reprise dans son ouvrage sur le xviii" siècle, M. Soury étu-
diant les tares pathologiques des filles de Marie Leczinska,
écrit au sujet de Louise : elle « était un être débile, chétif,
manifestement rachitiquc ». Cité par Cabanes. Les Indiscré-
tions de r Histoire, i*'" série. Albin Michel, 1903.
Louise de France entrait au couvent des Carmélites de la
ville de Saint-Denis le 11 avril 1770. Elle apportait un mer-
veilleux trousseau. Selon la règle de l'ordre, elle était tenue,
comme simple postulante, d'éplucher les herbes et de parti-
ciper aux travaux les plus grossiers de la cuisine. La supé-
rieure voulut lui interdire tout travail matériel pour ne pas
lui faire « perdre » ses riches vêtements. C'est alors que la
74 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
vers le ciel, n'avait connu que l'humilité et
la prière. Ils trouvèrent le corps de Louise
postulante écrivit au roi, son père, lui demandant des vête-
ments les plus simples pour les travaux communs du ménage.
Louis XV, qui n'y regardait pas de près, lui fit l'envoi d'un
costume de « satin rose. » Louise l'avait à peine revêtu qu'elle
le souilla par maladresse avec le contenu d'une casserole. On
montre un fragment de cette robe de salin au couvent des
Religieuses de la Sainte-Famille du Sacré-Cœur, qui ont rem-
placé les Carmélites à Saint-Denis rue de la Légion d'Hon-
neur, 44.
Le 10 septembre 1770, Louise de France prenait l'habit, et
le premier octobre 1771, elle faisait profession.
Elle mourut supérieure du couvent le aS décembre 1787 et
fut enterrée dans la salle du chapitre du monastère. Une
plaque de marbre blanc, placée au-dessus du cei'cueil, portait
cette épitaphe :
ICI REPOSE
LE CORPS DE LA TRÈS REVERENDE MERE
THÉRÈSE DE SAINT-AUGUSTIN
FILLE
DU ROI TRÈS CHRÉTIEN LOUIS XV
ET
PRIEURE DE CE MONASTÈRE
Son sacrifice honora sa religion ;
Son courage prouva sa foi ;
Sa naissance releva son humilité ;
Son zèle maintint la règle ;
Sa ferveur en inspira l'amour ;
Son exemple en adoucit l'observance.
Elle décéda le XXIII décembre MDCCLXXXVII,
Dans la LI° année de son âge,
Dans la XVIII° année de son entrée en religion.
Dans la IIP année de son second Priorat.
Priez pour elle.
LOUISE DE FRANCE
Gravure de Le Beau
Collection de M. l'abbé Duperron.
LES JOURNÉES DOCTOBRE 75
de France, fille de Louis XV, morte le 23 dé-
cembre 1787, à l'âge de cinquante ans : il était
tout entier, enveloppé de ses vêtements de
carmélite, mais en pleine décomposition. On
prit le plomb du cercueil, et le corps, avec
sa robe de bure, sa guimpe et son manteau
noir, fut jeté quelque part \
^ Le chiffre total des « journées des citoyens qui avaient
travaillé à l'exhumation des corps des ci-devant rois, prin-
ces et princesses » montait « à quatre-vingt-onze journées,
auxquelles il en avait été ajouté huit en faveur de Pierre
Dantan » blessé au cours des travaux. « A raison de sept
livres dix sols » les frais s'étaient élevés à « sept cent quarante
deux livres dix sols ». Procès-verbal du 17 brumaire l'an
deuxième de la République française, une et indivisible.
— huit heures du matin — Registre 5 des procès-verbaux
du conseil municipal de Saint-Denis, f° 35.
67. Reymond.
MAUSOLEE DE TURENNE
DANS LA BASILIQUE DE SAINT-DENIS, EN 1793
[Bihliothèque Nationale).
Ce mausolée, actuellemcnl déposé dans l'église des Invalides, était adossé
i\ l'un des côtés de la chapelle de Saint- Eustache , dans le collatéral
septentrional. Le groupe qui nous montre Turenne dans les bras de l'Immor-
talité est de Tuby ; les statues de la Sagesse et de la Valeur sont de Marty.
CHAPITRE IV
LE TOMBEAU DE TURENNE
Le II octobre 1793, un seul monument res-
tait debout dans la Basilique silencieuse et
dévastée : c'était celui du vainqueur de Sin-
zlieim, de Ladenbourg, de Turckheim, dont le
retour à Versailles, en 1674, avait été salué
par le canon, les fanfares et les acclamations
de la foule. Turenne mort ne devait pas être
protégé par sa gloire, et son tombeau allait
crouler, comme tous les autres, sous le mar-
teau des barbares.
Le monument qui était adossé à Tun des
côtés de la chapelle de Saint-Eustache était
le même qui figure aujourd'hui sous le dôme
des Invalides : c'était la même effigie du capi-
78 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA. TERREUR
taine avec sa cuirasse et son manteau. La
statue de l'Immortalité le recevant dans ses
bras n'a pas changé ; les figures allégoriques
de la Sagesse et de la Valeur, qui ornent le
monument, sont les mêmes personnifiant les
vertus cardinales du maréchal : la Sagesse,
avec un vase d'où s'écoulent des pièces de
monnaie rappelant les libéralités du prince ;
la Valeur, dans l'attitude d'un guerrier que la
douleur accable.
On sait trop que les sépultures qui rem-
plissent aujourd'hui la Basilique de Saint-
Denis n'ont rien gardé de leurs poussières,
et qu'elles ont par là même perdu tout leur
effet. Ici, du moins, nous avons un tombeau
qui ne sert pas seulement à l'histoire de
l'Art, mais qui dit quelque chose à l'imagi-
nation et au cœur : seul de tous les sépulcres
violés en 1793, le mausolée de Turenne a
gardé toutes ses cendres.
Or, le 12 octobre au matin, avant de péné-
trer dans le caveau des Bourbons, les ouvriers,
LE TOMBEAU DE TURENNE 79
impatients de voir les restes d'un grand
liomme, s'empressèrent d'ouvrir le tombeau
de Turenne. Ce fut le premier !
« Quel fut leur étonnement, lorqu'ils eurent
démoli la fermeture du petit caveau placé
immédiatement au-dessous du tombeau de
marbre que sa famille lui avait fait ériger, et
qu'ils eurent ouvert le cercueil ! Turenne fut
trouvé dans un état de conservation tel, qu'il
n'avait pas été déformé et que les traits de
son visage n'étaient point altérés ; les spec-
tateurs, surpris, admirèrent dans ces restes
glacés le vainqueur de Turckheim, et oubliant
le coup mortel dont il fut frappé à Salzbach,
chacun d'eux crut voir son âme s'agiter encore,
pour défendre les droits de la France ^ »
Ce corps, « nullement flétri et parfaite-
ment conforme aux portraits et médaillons
que nous possédons de ce grand capitaine,
était en état de momie sèche et de couleur de
bistre clair". »
* Alexandre Lenoir. Loc. cit.
2 « Procès-verbal communiqué par Tinthouin » déjà cité
8() LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
On allait le jeter dans la fosse préparée
pour les Bourbons, quand « sur les observa-
tions de plusieurs personnes de marque » * qui
se trouvaient présentes à cette première opé-
ration, il fut remis au nommé Host, gardien
du lieu, homme rangé, méthodique, qui con-
serva cette momie dans une boîte de chêne,
et la déposa dans la petite sacristie de l'église
où il l'exposa pendant plus de huit mois aux
regards des curieux.
Jusqu'au mois de juin 1794 une foule de
visiteurs vinrent des quatre coins du pays
dans cette dépendance de l'église. Et ce ne
dût pas être un spectacle banal que celui de
ce gardien de la vieille église, veillant, du
fond de sa loge, sur sa relique funèbre, pre-
nant un air de circonstance pour recevoir son
monde et montrer, « moyennant une petite
Ce paragraphe qu'on retrouve littéralement transcrit dans
le texte d'Alexandre Lenoir, sans indication de la source, et
que tous les auteurs citent comme émanant de lui, est extrait
du manuscrit en question, dont nous avons eu l'original entre
les mains.
1 Alexandre Lenoir. Loc. cit.
LE TOMBEAU DE TURENNE Oi
rétribution » \ les restes du héros. Détail
d'ignoble cupidité, qui nous montre que le
citoyen Host avait également le génie du
trafic, « cet homme vil se permit d'ôter toutes
les dents de Turenne pour les vendre à ceux
qu'un spectacle aussi curieux que touchant
attirait dans l'église » ". Le jeune orateur de
la Révolution, si connu par son exaltation répu-
blicaine et sa poétique inspiration du Palais-
Royal, était venu, lui aussi, contempler la cu-
rieuse relique. Il voulut posséder un souvenir
du grand capitaine et, à défaut de dents épui-
sées, il coupa un doigt au cadavre desséché^
De la capitale, pendant la belle saison, des
milliers de curieux vinrent contempler ce que
le barnum de Turenne faisait voir comme un
étrange bibelot. Un beau jour, en juin 1794,
M. Desfontaines'*, professeur de Botanique au
^ Alexandre Lenoir, loc. cit.
■^ Le même.
^ Cabanes etNaas. La Névrose révolutionnaire. Paris, igoS.
' Desfontaines (René-Louis), membre de l'Académie des
sciences, professeur de Botanique au Muséum d'histoire natu-
relle et à la Faculté des sciences de Paris, né en 1761 à Trem-
6
S'2 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Jardin des Plantes, attiré aussi par tout le
tapage fait autour du cadavre exhumé, frappé
de l'étonnante conservation du corps, réclama
Vohjet historique et l'obtint pour le Cabinet
d'Histoire naturelle.
Le vaillant capitaine dont, en d'autres
temps, on eût transféré les restes aux roule-
ments des tambours drapés et aux salves inin-
terrompues du canon, n'eut pas une grande
pompe étalée autour de son cercueil, lors de
cette translation à Paris. Ce que nous en
savons se résume dans ces deux lignes de
dom Laforcade : « On m'a assuré que ce fut
deux manouvriers ou journaliers qui le trans-
portèrent à bras jusqu'à Paris *. »
Il fut déposé au Muséum, dans ce vieux
bâtiment, aux murailles lépreuses et moisies,
qui comprend encore aujourd'hui différentes
galeries d'Histoire naturelle-. Ce corps qui
blay, en Bretagne, mort à Paris, en i833. On a de lui une
Flore du Mont Atlas, 1798, et un Mémoire sur les tiges des
monocotylédonées. Lebas. Dictionnaire encyclopédique.
^ Manuscrit de dom Laforcade, cité plus haut.
- Le Cabinet d'Histoire naturelle ne se composait, à cette
LE TOMBEAU DE TURENNE 83
fut debout sur tant de champs de bataille et
qu'atteignit un boulet tiré au hasard, demeura
exposé, pendant quatre ans, à la curiosité
publique, avec les bêtes empaillées, les fos-
siles fantastiques et les animaux rares. Pen-
dant des semaines, ce fut la grande attrac-
tion, et Ton fit queue^ le dimanche, à la porte
du Muséum.
Le cadavre du grand capitaine était là,
quand, le 2 août 1796, un député de l'Isère,
Dumolard, monta à la tribune du Conseil des
Cinq-Cents :
« Je parcourais dernièrement le Jardin des
Plantes, dit-il ; entré dans les diverses salle-s
du bâtiment, quelle a été mon affliction en
voyant les restes du grand Turenne placés
entre ceux d'un éléphant et d'un rhinocéros !
Ne devait-il échapper à la fureur de ces
modernes vandales, que pour obtenir un tel
asile ? Il est des faits, citoyens, qui suffisent
époque, que de quatre grandes salles. Belin, 7" édition anno-
tée par lui de l'Histoire de Paris par Dulaure, 1839.
«4 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
seuls pour dépraver un gouvernement et le
déshonorer aux yeux de l'étranger. Tel est
celui que je vous dénonce...
« Ce n'est pas que je veuille demander que
vous honoriez la mémoire de Turenne, je pro-
pose seulement de ne pas diminuer quelque
chose de notre suprême gloire en l'oubliant.
Je ne demande pas pour cet homme illustre
les honneurs du Panthéon... ; mais vous avez
le droit d'éveiller l'attention du Directoire
sur un objet d'intérêt national ; c'est ce que
je vous propose de faire, en demandant au
Directoire, par un message, les mesures qu'il
a dû prendre pour faire déposer dans un lieu
plus convenable et plus décent les restes du
grand Turenne K »
La proposition fut adoptée, mais elle n'eut
pas de suite immédiate. Ce fut seulement le
24 germinal an VII, que le Directoire exé-
cutif ordonna la fin de ce scandale et arrêta
que les restes de Turenne seraient transportés
1 Séance du Conseil des Cinq-Cents, présidence de Boissy
d'Anglas, i5 thermidor an V. — Moniteur du 10 août 1796.
LE TOMBEAU DE TURE>NE 85
dans le Musée des Monuments français, etqu'ils
seraient déposés dans un sarcophage placé
dans le jardin Elysée de cet établissement.
Et c'est ainsi que le 24 prairial, à la nuit
tombante, le citoyen Lesieur, dans une car-
riole que lui avait procurée un nommé Berthier,
officier de l'arsenal, se rendait au Jardin des
Plantes « pour retirer les restes du guerrier
recommandable par sa valeur et ses vertus
civiques, d'un lieu où il était confondu avec
des objets de curiosité publique » ^ . Arrivé
au Muséum à huit heures du soir, il trouvait
là Alexandre Lenoir, administrateur du Musée
des Monuments français, les citoyens Binart
etPachez, et les frères Sauvé qui l'attendaient
pour procéder à l'enlèvement du cercueil.
Le lecteur nous saura gré de citer textuel-
lement un extrait du procès-verbal de cette
translation, lui épargnant ainsi tous les orne-
1 Procès-verbal de translation des restes de Turenne, du
24 prairial an Vil. L'original de ce document est conservé
dans les archives de M'' Jousselin, aujourd'hui titulaire de
l'étude du citoyen Potier, chez qui il fut déposé par acte du
29 vendémiaire an VIII.
86 LES TOMBEAUX DES ROIS SOLS LA TERREUR
ments oratoires, susceptibles de lui enlever
quelque chose de sa saveur :
« Nous étant fait donner connaissance du
lieu où étaient déposés les restes de Turenne,
nous fûmes introduits dans un local servant
de laboratoire, au milieu duquel était posée,
sur une estrade de bois peint en granit, une
caisse en forme de cercueil, aussi de bois
peint, vitrée par dessus, de la longueur de
T mètre 97 millimètres, dans laquelle on nous
a déclaré que le corps de Turenne était
enfermé. Nous remarquâmes, en effet, au tra-
vers du vitrage qui couvrait ce cercueil, un
corps étendu, enveloppé d'un linceul, lequel
avait été déchiré et découvrait la tête jusqu'à
l'estomac : ce qui nous ayant portés à le con-
sidérer plus attentivement, il nous parut que
ce corps avait été embaumé avec soin dans
toutes ses parties, ce qui en avait conservé
toutes les formes. Le crâne avait été coupé et
remplacé ou recouvert d'une calotte de bois
de la même forme, mais excédant dans toute
sa circonférence. Toutes les formes du visage
LE TOMBEAU DE TURENNE 87
ne nous parurent pas tellement altérées, que
nous ne pûmes reconnaître les traits que le
marbre nous a laissés de ce grand homme ; il
restait encore des effets du funeste coup qui
l'enleva au milieu de ses triomphes, et qui lui
causa sans doute une violente convulsion
dans la figure, ainsi qu'il nous a paru parl'état
de la bouche extrêmement ouverte. Et con-
tinuant à considérer ces respectables restes,
nous aperçûmes que les bras étaient étendus
de chaque côté du corps, et que les mains
étaient croisées sur la région du ventre ; le
reste était enveloppé du linceul et offrait les
formes ordinaires. Sur le côté du cercueil
était attaché une inscription gravée sur une
plaque de cuivre, qui paraît être celle qui avait
été placée sur l'ancien cercueil où ce corps
avait été renfermé, sur laquelle nous lûmes
ce qui suit :
« Ici est le corps de sérénissime prince
Henri de la Tour d^ Auvergne ^ vicomte de
Turenne, maréchal général de la cavalerie
légère de France^ gouverneur du haut et du
ois LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA. TERREUR
bas Limousin, lequel fut tué d'un coup de
canon à Salzbach, le XXVII Juillet, Fan
M.DC.LXXV )).
Cette constatation terminée, les ouvriers
chargèrent dans la carriole ce cercueil dont
le couvercle de verre laissait voir la face mo-
mifiée du héros, les yeux clos et la bouche
ouverte ; et très tard dans la nuit, la berline,
qui ne rappelait guère le deuil triomphal, ni
l'enthousiasme funèbre de 1675, entra avec
son lugubre chargement dans la cour du
Musée des Monuments Français. La bière tirée
hors de la voiture fut déposée dans un coin
de Timmeuble, en attendant le sarcophage
commandé en son honneur ^
Pendant deux ans, lès restes de Turenne
1 C'est le lieu de signaler l'intéressante page qua consacrée
notre distingué confrère, le D'" Cabanes, à l'odyssée du cœur du
vaillant capitaine, dans son Cabinet secret de l'Histoire, 3° s.
p. 3io. Ce cœur, échappé au vandalisme révolutionnaire, est
conservé aujourd'hui au château de Saint-Paulet « dans une
enveloppe de plomb, revêtue d'un sac de velours cramoisi »,
pour emprunter à notre érudit collègue des détails toujours
si précis et si minutieux.
- Ce sarcophage fut exécuté sur un dessin de A. Lenoir. —
Procès-verbal cité plus haut. Une couronne et des attributs
LE TOMBEAU DE TURENNE 89
figurèrent clans le nouveau Musée, mais
guère plus noblementqu'au Jardin des Plantes,
à côté d'une tombe mérovingienne, des effi-
gies d'Héloïse et d'Abailard et du sarcophage
peut être d'une petite-fille de Sésostris. En
1800 seulement, à peine investi de toutes les
attributions du pouvoir suprême, le Premier
Consul trouva la place qui convenait aux
dépouilles du capitaine du Grand Siècle, qui
avaient eu une si étonnante odyssée : il
ordonna leur translation sous le dôme des
Invalides, dans ce lieu silencieux et sacré où
vont se reposer les soldats de la patrie, et
où lui-même devait dormir un jour, au milieu
du temple consacré par la Religion au Dieu
des armées.
Le 22 septembre 1800, le canon des Inva-
lides annonçait la solennité. C'était la même
de guerre décoraient ce tombeau à quatre faces et de forme
antique, avec cette inscription :
Passant, va dire aux enfants de Mars que Turenne est dans
ce tombeau.
Des lauriers, des chênes et des sapins ombrageaient ce mo-
nument.
90 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
foule, le même enthousiasme qu'on devait
voir quarante ans plus tard, lorsque le cer-
cueil du grand Empereur, longtemps bercé
par les murmures de l'Océan, entra sous le
dôme digne de lui. A deux heures de l'après-
midi, le corps de Turenne placé sur un char
de triomphe, traîné par quatre chevaux blancs
quittait le Musée des Monuments français.
Sur le cercueil était placée l'épée du héros \
Un cheval pie^ harnaché comme au temps du
grand roi et conduit par un nègre, ouvrait la
marche. Le pompeux cortège traversa Paris
au milieu d'une foule immense, saluant de
ses acclamations le vaillant capitaine dont le
caractère égala le génie. Il était trois heures
quand le précieux dépôt pénétra sous le dôme
où l'attendait le Premier GonsuP.
Ce fut Garnot, ministre de la guerre, qui
parla, devant le cercueil pompeusement paré,
1 Elle avait été conservée dans la famille 'le Bouillon et
prêtée pour la cérémonie.
^ Comme celui que montait Turenne.
3 Moniteur universel du 3 vendémiaire an IX.
LE TOMBEAU DE TURENNE 91
au nom du gouvernement : « Vos yeux sont
fixés sur les restes du grand Turenne ; voilà
le corps de ce guerrier si cher à tout Français,
à tout ami de la gloire et de l'humanité...
Demain nous célébrons la fondation de la
République. Préparons cette fête par l'apo-
théose de ce que nous laissèrent de louable et
de justement illustre les siècles antérieurs.
Ce temple n'est pas réservé à ceux que le
hasard lit ou doit faire exister sous l'ère répu-
blicaine, mais à ceux qui, dans tous les temps,
montrèrent des vertus dignes d'elle. Désor-
mais, ô Turenne ! tes mânes habiteront cette
enceinte ; ils demeureront naturalisés parmi
les fondateurs de la République, ils embelli-
ront leurs triomphes et participeront à leurs
fêtes nationales.
« Aux braves appartient la cendre du brave ;
ils en sont les gardiens naturels ; ils doivent
en être les dépositaires jaloux. Un droit reste
après la mort au guerrier qui fut moissonné
sur le champ des combats : celui de demeurer
sous la sauvegarde des guerriers qui lui sur-
9-i LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
vivent, de partager avec eux l'asile consacré à
la gloire ; car la gloire est une propriété que
la mort n'enlève pas...
c( C'est au nom de la République que ma
main doit déposer ces lauriers dans sa tombe.
Puisse l'ombre du grand Turenne être sen-
sible à cet acte de la reconnaissance nationale,
commandé par un gouvernement qui sait ap-
précier les vertus * ! »
Le ministre de la guerre déposa sur le cer-
cueil une couronne de laurier, et une sympho-
nie militaire termina la cérémonie -.
1 « Discours prononcé par le citoyen Carnot, ministre de la
guerre, dans le temple de Mars, à la cérémonie de la transla-
tion du corps de Turenne, le cinquième jour complémentaire
an VIII ». — Moniteur universel, i'^'^ et % vendémiaire an IX.
^ Moniteur universel, 3 vendémiaire an IX.
CHAPITRE V
LES TOMBEAUX DE LOUIS VII, DE LOUIS XI
ET DE PHILIPPE I"
« Dormez votre sommeil , grands de la
terre, et demeurez dans votre poussière »,
s'était écrié le plus éloquent des orateurs, et
cent ans après, Saint-Denis, le sépulcre im-
mense, était vide. Quels mouvements oratoires
le grand évèque eut ajoutés aux chefs-œuvre
de son éloquence, si, en montrant les cer-
cueils des rois sous les arches funèbres, il
eût pu prévoir l'avenir ! De toutes les sépul-
tures royales, une seule, celle de Louis VII
inhumé à Barbeau, à dix lieues des flèches
de Saint-Denis, échappa au vandalisme révolu-
tionnaire.
94 LES TOMBE.VUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
A Cléry, le mausolée du monarque dont
nous pouvons encore après quatre siècles
apprécier la grandeur de l'œuvre, l'unité de
la France, fut entièrement démoli \ La tête
du roi fut séparée d'un coup de pioche, et
les débris du mausolée furent jetés dans une
charbonnière à côté de l'église'. Recueillis
plus tard par Alexandre Lenoir, ils allèrent
rejoindre à Paris, au musée des Monuments
français, tous les débris des sépulcres de Saint-
Denis. En 1816, la statue du roi, après de
nouvelles réparations faites particulièrement
1 Le mausolée primitif de Wrino, sculpteur, et Conrad
orfèvre, avait été détruit par les Calvinistes. Le mausolée en
marbre blanc, rétabli par Louis XIII, était l'œuvre de Michel
Bourdin, artiste Orléanais.
S'il faut en croire les historiens, « les Huguenots sous la
conduite de Condé ont violé les tombeaux de Cléry, en parti-
culier celui du roi. Ils arrachèrent de la tombe les os de
* Louis XI qu'ils espéraient trouver dans un cercueil d'argent
et les jetèrent aux chiens comme ses cendres au veut. On pré-
tend même que le soldatesque jouait à la boule avec la tète du
roi. » Jarry, Ilist. de Cléry, Herluison, Orléans, 1899.
Ajoutons que la sépulture royale, creusée sous la statue,
renfermait non seulement le cercueil de Louis XI, mais les
restes mortels de Charlotte de Savoie, sa femme, ceux de
Louis, leur lîls, le cœur de Charles VIII, enfin les restes de
François de France, troisième fils du souverain.
'■'' Le prix de la démolition s'éleva à 23 livres li sols
6 deniers.
LOUIS VII, LOUIS XI, PHILIPPE F' <)5
à la tête, aux mains et au manteau, reprit le
chemin de Gléry : elle fut placée sur un nou-
veau piédestal, orné de quatre colonnes ^
Dans le pays, on savait, à n'en pas douter,
que, lors de la destruction du mausolée, aucun
ossement n'était sorti de l'église, et pour
tout le monde Louis XI restait toujours couché
dans sa demeure funèbre, à l'ombre de sa sta-
tue ébréchée et sous la bonne garde de la
Vierge du pays.
Ce ne fut que vingt-trois ans après la viola-
tion des tombes qu'on sut ce qui s'était passé
au mois d'octobre 1793, lorsqu'un jour le
sculpteur Romagnesi fit une visite du caveau :
« L'entrée dont la voûte avait été détruite,
dit Vergnaud Romagnesi, est tournée vers
l'est. Dix à douze marches conduisent dans
l'intérieur peu spacieux , et alors obstrué
par quelques décombres. Une tombe en pierre
de grande dimension et découverte, contenait
des ossements, des fragments d'étoffes et de
' Le monument fut réparé par M. Pagol, architecte, et
M. Romagnesi, sculpteur.
<j6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
velours de soie rouge, mêlés avec de la terre
et des débris de vitraux peints. Les ossements
ayant été extraits, il nous a semblé en recon-
naître une portion appartenant à un squelette
d'enfant. Deux têtes, dont une évidemment
sciée, probablement pour être embaumée, se
trouvaient en dessus et en dessous des dé-
combres. A gauche du caveau, sur des pierres
était une boîte en bois qui tomba presque
entièrement en poussière ; elle avait été liée
par des rubans scellés d'un cachet de cire
d'Espagne rouge, portant les armoiries d'un
évêqueetd'un abbé, ayant en chef trois fleurs
de lys surmontées de trois épées nues. Près
delà était déposé un vase de verre, enveloppé
d'un enduit blanchâtre semblable à du plâtre.
Le verre, sans être altéré, était cependant
très irisé ; il contenait une substance semblable
à une éponge à demi-consumée, et sa forme
indiquait un cœur. »
Durant cette visite, ajoute M. Touchard-
Lafosse, au livre duquel nous empruntons
tous ces détails, « on vit un nom charbonné
LOUIS VII, LOUIS XI, PHILIPPE I "^ 97
sur le mur avec la date de 1793. L'individu, qui
s'était révélé ainsi, habitait Beaugency ; on
l'envoya chercher par des gendarmes afin d'en
obtenir, s'il était possible, quelques rensei-
gnements. Cet homme dit que le cercueil
de plomb avait été enlevé par ordre de l'au-
torité, et que les ossements avaient été reje-
tés pêle-mêle dans celui de pierre qui était
resté découvert. De là cette confusion de
terre, de vitraux, de débris souverains qu'on
avait trouvés dans le caveau'. »
Aujourd'hui, deux sarcophages contiennent
toutes ces poussières.
Dans l'ancien cercueil de pierre 2 qui n'a pas
changé de place, ont été déposés avec ordre
les deux crânes et une partie des ossements
reconstituant deux squelettes entiers qu'on
considère comme les dépouilles mortelles de
Louis XI et de Charlotte de Savoie. Un cou-
* Touchard-Lafossc. La Loire historique , pittoresque et
anecdotique. Delahays, Paris, i856.
'■* Il mesure 2™,3o de long, o"", 80 de haut, o'°,63 do largeur
aux pieds et o'",83 à la tète.
pS LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
vercle de pierre moderne, avec une ouver-
ture vitrée, permet d'apercevoir les crânes
présumés des deux monarques.
Un autre cercueil de pierre, plus petit,
construit pour la circonstance, contient les
autres ossements.
A dix lieues de Gléry, sur les bords
mêmes du fleuve où une jeune fille des
champs, fièrement armée d'une épée fleur-
delisée, vint de Lorraine rendre le prin-
temps à la patrie, au milieu des prairies
verdoyantes efdes blés jaunissants du Val
d'Or, s'élève la Basilique qui a gardé le nom
et le souvenir de Saint-Benoît, et qu'un roi
de France avait choisie pour l'abri de son
repos éternel.
Lorsqu'au mois d'octobre 1798, les spolia-
teurs de tombeaux vinrent exécuter le décret
de la Convention, ils s'arrêtèrent « sous la
coupole de la Basilique, au point central de la
LOUIS VII, LOUIS XI, PHILIPPE I 99
croisée » S devant un tombeau de pierre vieux
de sept cents ans, sur lequel était couchée
l'effigie de Philippe I", les yeux fermés, une
couronne de trèfle sur la tête et un épervier
à la main. Le fils de Henri P'", en désignant
cette église pour sa sépulture, avait pensé
avec justesse qu'un sépulcre à Saint-Denis
ne valait pas un paisible monument dans la
vallée de la Loire, près du flot languissant
du beau fleuve. En effet, les administra-
teurs du district d'Orléans firent preuve, ce
jour-là, d'une surprenante modération. On se
contenta de démolir le mausolée qui fut jeté
hors de l'église, sans toucher au cercueil du
solitaire qui demeure aujourd'hui encore sous
la voûte abbatiale, comme une relique du
vieux monde détruit ^
* L'abbé Rocher. Description archéologique de l'église
abbatiale de Saint-Benoit-sur-Loire. Jacob, Orléans, i865.
2 L'ouverture en eut lieu le i^"" juillet i83o, suivant procès-
verbal dressé en présence du préfet du Loiret et Pagot, archi-
tecte : « Le roi était placé à découvert, dans un cercueil qui
paraissait être do chêne, autant qu'on en pouvait juger, étant
très consumé. Il paraissait être d'une haute stature; on dis-
tinguait tous les membres et leurs formes : la tête présentait,
dans la mâchoire supérieure, les dents placées dans leurs
lOO LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
alvéoles et blanches comme de l'ivoire. On ne découvrit rien
de la mâchoire inférieure. Les bras étaient allongés près du
corps. Le tout, en conservant ses formes, s'était affaissé et
couvert d'une croûte que du linge et des bandelettes embau-
més avaient formée. On y voyait encore des plantes odorantes
dont quelques débris faisaient présumer que c'était de la
menthe et autres plantes d'une forte odeur. Les bandelettes
qui enveloppaient tout le corps depuis les épaules jusqu'aux
pieds étaient tissues de soie à fleurs et feuilles courantes sur
chaîne de soie écrue. On a trouvé vers l'abdomen, sous ces
bandelettes, des débris de linge qui semblaient tissu de chan-
vre et de lin. Malgré les assertions historiques qui rappor-
tent que Philippe mourut sous la bure monastique, on n'a
trouvé dans son tombeau aucuns débris d'habits religieux. »
CL' Iteymond.
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale.
CHAPITRE VI
LOUISE DE LORRAINE. — L'ODYSSÉE
D'UN CERCUEIL ROYAL
Au début de ce chapitre, qui termine le
récit proprement dit des profanations, un
court prologue historique nous semble néces-
saire pour l'intelligence des faits.
Le 2 août 1389, le dernier des Valois, qui
avaient donné treize rois à la France, tombait,
à Saint-Cloud, sous le couteau d'un jeune
frère du couvent des Dominicains^ Henri III
avait eu le temps de frapper son assassin au
1 L'Estoile rapporte que le roi venait de se lever, qu'il était
assis sur une chaise percée, ayant une robe de chambre jetée
sur ses épaules. D"" Rondelet, La Médecine internationale ^
L'hygiène d'autrefois, igoS.
lO'2 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
visage. Il expirait à l'âge de trente-huit ans,
et la race des Valois disparaissait après avoir
plongé la France dans le chaos, laissé la
couronne avilie et la Ligue près de triom-
pher.
La reine, Louise de Lorraine S qui, toute sa
vie, avait été pieuse, charitable, aimant sur-
tout à soigner les malades et à consoler les
prisonniers, se retirait à Chenonceaux pour
pleurer et prier. Et c'est ainsi que, dans l'an-
cien château de cette belle Diane dont le sou
rire avait illuminé plusieurs règnes, la veuve
de Henri III passa la fin de ses jours, repliée
sur son deuil, vénérée et sainte, comme dans
le silence, la solitude et la paix profonde d'un
couvent.
Une fois l'an, pourtant, dès les premiers
beaux jours, elle quittait son château de la
Renaissance pour venir à Paris. Elle traver-
1 Née à Nomény, i553-i6oi, fille de Nicolas de Lorraine,
comte de Vaudemont, épousa Henri III, deux jours après le
sacre, non par une pensée politique, mais par une fantaisie
amoureuse du roi de France.
LOUISE DE LORRAINE Io3
sait le village de Saint-Gloud, longeait le vieux
château, — quel tragique souvenir ! c'est là
qu'il avait été assassiné ! — gagnait la capi-
tale, et y restait quelques semaines. Elle visi-
tait les couvents, aimant à partager l'existence
calme et recueillie des religieuses ; elle avait
eu si peu de joies, la pauvre femme ! Dégoû-
tée des orages et des tristesses de la cour, la
placidité de ces retraites lui plaisait comme
le frais d'une oasis au sortir d'une plaine brû-
lante. Elle visitait aussi les pauvres et prodi-
guait partout la double aumône de la richesse
et de la bonté.
En 1601, ayant poussé son voyage jusqu'à
Moulins, elle y tomba malade et fut forcée de
s'aliter. Elle devait finir là une vie toute de
douceur et de chagrin : elle mourut au bout
de quelques jours*, en demandant la cha-
pelle d'un couvent pour son repos éternel,
sous la dernière dalle destinée à quelque
capucine.
^ Le 29 janvier 1601.
Io4 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Le corps de Louise de Lorraine fut, sans
doute, inhumé provisoirement à Moulins ;
mais, faute absolue de documents, nous
sommes forcé de rester à ce sujet dans un
vague plein de prudence. Ce qui est certain,
c'est que son cercueil fut transporté à Paris
et qu'il y subit des translations successives,
comme le prouve, sans conteste, la suite du
récit.
Louise de Lorraine qui avait passé presque
tout son règne dans lecliâteau de Bourges, dans
l'effacement et étrangère aux fêtes de la Cour,
avait conçu le dessein de fonder dans cette
ville un couvent de Capucines. Elle ne put
l'exécuter; mais, à sa mort, elle laissa pour
cette fondation une somme de 600000 livres.
En i6o5, M"^ de Luxembourg, duchesse de
Mercœur, sa belle-sœur, exécutait en partie la
volonté de la défunte reine, et au lieu de fon-
der un couvent à Bourges, elle le fondait à
Paris. Après avoir habité une maison que
possédait la duchesse au faubourg Saint-An-
LOriSE DE LORRAINE lo5
toine, les Capucines se fixèrent en 1G08, dans
la rue Saint-Honoré, vis-à-vis les Capucins*.
Elles portèrent d'abord le titre de Filles de la
Passion, et, suivant TEstoile, elles figuraient
aux processions publiques, les pieds nus avec
des sandales, la capuce renversée, portant
une couronne d'épines sur la tête.
En i683, Louvois, qui cherchait à caresser
l'orgueil de son maître, eut l'idée de créer
une place grandiose dans le genre de celle qui
se formait à l'autre extrémité de la rue des
Petits-Champs, la place des Victoires. L'em-
placement choisi était occupé dans son centre
par l'hôtel de Vendôme, bâti par Henri IV
pour son fils bien-aimé, César de Vendôme,
l'aîné des enfants que lui donna Gabrielle
d'Estrées. Louis XIV, qui aimait la magnifi-
cence et les majestueux espaces, fit acheter
l'hôtel, toutes les terres, jardins et propriétés
qui l'entouraient, même le couvent des Capu-
^ Pompiers de l'époque : jusqu'en 1712, ils étaient seuls
chargés d'éteindre les incendies dans la capitale.
lo6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
cines, qui fut transféré rue Neuve-des-Cliamps.
On démolit l'hôtel en 1687, et les travaux
commencèrent sur un plan qui devait faire de
cette place la plus gigantesque de l'Europe.
Elle fut appelée la place Louis-le-Grand^ .
Mais le déclin du soleil du grand siècle
était venu : c'était la tristesse du crépuscule
qui s'étend avec le poids du jour sur la fin des
longs règnes comme sur celle des belles jour-
nées. Tout fut interrompu, et cette interrup-
tion dura jusqu'en 1698, à la paix de Ryswick.
Gomme la France semblait se relever, M. de
Pontchartrain, alors ministre, proposa une
reprise des travaux. Mais le roi s'y opposa en
raison de la misère qui désolait le royaume.
On se borna à construire la place de forme
octogone, dans le style corinthien, sur un
dessin de Mansard, telle qu'on la voit aujour-
d'hui.
La nouvelle église des Capucines avait sa
* Pendant la Révolution, elle prit le nom de Place des
Piques ; mais le public routinier, lui continuant la dénomina-
tion de l'hôtel qu'elle remplaçait, l'appela constamment Place
Vendôme ; ce nom a prévalu.
LOUISE DE LORRAINE 107
façade dans l'axe même de la place et servait
de perspective et de décoration à cette place.
Elle contenait de fastueux mausolées qui lui
donnaient un caractère de mystérieuse et
funèbre poésie : c'était ici le tombeau qui
rappelait la colère du nouvel Assuérus et les
fautes du nouvel Aman* ; là le mausolée du
maréchal de Gréquy soutenu par l'Espérance^ ;
plus loin le tombeau du ministre auquel le
règne de Louis XIV doit presque toute sa
* Le roi avait ordonné que Louvois fût inhumé dans les
caveaux de l'église des Invalides, et cet ordre fut exécuté.
Mais en 1699, ^^ famille de l'ancien ministre obtint l'autori-
sation de faire transporter ses dépouilles mortelles dans l'é-
glise des Capucines.
Le tombeau de Louvois, œuvre de Girardon, de Desjardins
et van Clève. fut transféré sous la Révolution, au musée des
Monuments français. Un groupe de marbre représentait le
ministre d'Etat à demi couché, s'appuyant sur le bras droit et
portant la main gauche à son cœur, et sa femme, agenouillée
à ses pieds, offrant l'image de la douleur.
Adossées au piédestal, deux statues en bronze figuraient
l'une la Prudence et l'autre la Vigilance.
A la suite de la suppression du Musée, les descendants
de Louvois obtinrent en 1819 l'autorisation de transférer son
mausolée à Tonnerre, dans la chapelle de l'hôpital fondé en
1293 par Marguerite de Bourgogne, femme de Charles, frère
de saint Louis.
2 Le monument du duc de Créquy, dû aux ciseaux de Maze-
line et Hurtrelle, figure aujourd hui dans l'église Saint-
Roch.
Io8 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
grandeur'; et aussi dans une petite chapelle,
celui de l'intrigante marquise qui avait su
joindre la direction des affaires à celle des plai-
sirs du vieux roi, et, à côté, celui de sa fille'.
La Révolution éclate, les troubles politiques
répandent l'effroi, les capitaux languissent, la
monnaie s'enfouit. L'Assemblée législative
décrète 4ooooo.ooo d'assignats forcés, et la
chapelle des Capucines devient l'hôtel des
Monnaies de la Révolution. On y établit des
presses à imprimer; et l'on vit alors, sous la
voûte de l'ancienne église abbatiale, le tableau
insolite d'une bande de graveurs et de typos
^ Le tombeau de Colberl, par Coysevox, décore aujour-
d'hui l'intérieur de l'église Saint-Eustache.
^ Alexandrine-Jeanne, née du mariage de M™° de Pompa-
dour avec Le Normant d'Etiolés, neveu d'un fermier géné-
ral.
Madame de Pompadour fut inhumée dans un caveau de
l'église des religieuses capucines, conformément aux volontés
qu'elle avait exprimées par un testament du mois de novem-
bre 17^7. Sa famille avait demandé que l'inhumation fut pré-
cédée d'une oraison funèbre. Voici comment le religieux,
chargé de cette mission difficile, s'en acquitta : « Je reçois
le corps de la très haute et très puissante dame, madame la
marquise de Pompadour, dame du palais de la reine ; elle
était à l'école de toutes les vertus, car la reine modèle de
bonté, de piété, de modestie, d'indulgence, etc. »
LOUISE DE LORRAINE 109
gouailleurs, installés dans le sanctuaire qui
avait abrité les plus saintes et les plus
muettes des existences. De là sortirent ces
assignats qui inondèrent le pays. Leur planche
ne fut brisée qu'en 1796, après qu'il en eut
été tiré pour 4^ milliards.
La tourmente était passée, et Napoléon
entrait en scène avec son génie et ses vic-
toires. La chapelle fut mise en vente : un
bourgeois de l'époque, moins épris d'archi-
tecture que d'arithmétique, mit le compas et
l'équerre dans le monument consacré par tant
de souvenirs; il crépit les murs, dressa des cloi-
sons, entassa des constructions de plusieurs
étages, en fit^ en un mot, une véritable cité
avec des fenêtres toutes blanches et des bou-
tiques marron à filets d'or au rez-de-chaussée.
Or, il arriva qu'au cours de ces divers amé-
nagements, les ouvriers mirent à jour l'orifice
d'un caveau abandonné. Ce fut pour l'archi-
tecte un coup d'inspiration subite : esprit
pratique, songeant de suite aux détails les
Iio LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
■0
plus éminemment familiers de l'existence, il
fit édifier sur cette fosse toute trouvée, un de
ces édicules que la pruderie française baptise
aujourd'hui d'un nom d'outre-manche, et pen-
dant de longues années, nos lecteurs se l'ima-
ginent facilement, ce fut un va-et-vient continu
des locataires de cette nouvelle cité qui pas-
sèrent à tour de rôle, dans cet endroit écarté,
des minutes de solitude tout à fait étrangères
à là misanthropie.
En 1 806 * , ce quartier populeux était démoli
et la chapelle désaffectée de l'ancien couvent
n'échappait pas à l'inévitable démolition qui
faisait disparaître tous les monuments étouffés
parles nouvelles constructions. On l'abattit^.
Mais quand les ouvriers furent appelés à vider
la fosse donnant sous l'édicule où, depuis dix
ans, toute une population se livrait tranquil-
* Lors du percement de la rue de la Paix, qui porta le nom
de Napoléon jusqu'en 1814.
2 Ue l'église des Capucines on conserve à Notre-Dame un
bas-relief en bronze doré, la Mise au tombeau (Van Clève),
qui décore le socle de \a Pieta de Coustou, dei-rière le maître-
autel.
LOUISE DE LORRAINE III
lement à Tantithèse de la soif et de la faim,
ils furent tout ébahis, en barbottant au fond de
la fosse d'aisances, de trouver, enfouie sous
la vase, une immense caisse rectangulaire,
à son métallique, dont la présence, en pareil
lieu, leur parut inexplicable.
On parvint à retirer cette caisse étrange,
et la stupéfaction fut à son comble quand,
après avoir grossièrement débarrassé une
immense enveloppe de plomb de son enduit
noirâtre et peu parfumé, on lut sur une plaque
de marbre noir, scellée au mur au-dessus du
cercueil :
CY GIST
LOUYSE DE LORRAINE
ROYNE DE FRANCE Eï DE POLOGNE
QUI DÉCÉDA A MOULINS, L'AN MIL SIX CENS UN,
ET LAISSA VINGT MIL ESCUS
POUR LA CONSTRUCTION DE CE CONVENT,
QUE MARIE DE LUXEMBOURG,
DUCHESSE DE MERCŒUR SA BELLE-SŒUR
A FAICT BASTIR, L'AN MIL SIX CENS CINQ.
PRIEZ DIEU POUR ELLE i
1 Cette épitaphe était gravée en lettres rouges et encadrée
par une bordure de larmes et de croix de Lorraine.
Elle portait les Armes, d'or à la bande de gueules chargée
112 LES TOMBEAUX DES ROIS SOLS LA TERREUR
Un cercueil royal dans une fosse d'aisances !
C'était à n'en pas croire ses yeux. Cent ans
après, l'étonnement dure encore.
Et ce ne dut pas être un tableau d'un effet
bien poétique, ni un beau sujet de fresques
pour panthéons, que la vue de ces ancêtres
des ouvriers de la Compagnie Riclier, allant,
venant, tout ébahis et ne sachant que faire,
autour de ce cercueil dégouttant d'un liquide
nauséabond, objet historique tout à coup
exhumé d'un lieu dont l'histoire n'offre pas
d'exemple.
Le jour même, le ban, l'arrière-ban, tout le
clan des antiquaires et des archéologues
accouraient en hâte voir le nouveau trésor
archéologique, et, le mouchoir sur la bouche,
les narines serrées, les curieux demeurèrent,
toute une après-midi, penchés sur ce cercueil
et sur l'abîme de leurs méditations.
Le Gouvernement prévenu, le Conseil des
ministres s'assembla, sous la présidence de
de trois alerions d'argent; au lambcl d'azur en chef brochant
sur le tout.
^^^iJ^lii'
-A
LOUISE DE LORRAINE Ii5
l'Empereur, pour arrêter ce qu'il y avait à
faire. Mais le maître du monde, au milieu du
sens dessus dessous général des peuples, avait
bien autre chose en tête, et il ne fixa pas long-
temps son attention sur un objet aussi insigni-
fiant que le cercueil d'une femme. 11 ordonna
l'achat d'une concession de deux mètres
carrés de terrain au Père-Lachaise ^ et l'on
déposa administrativement, dans un coin de
terre ^ les restes de l'ancienne reine de France,
à peu près comme on enterre les suppli-
ciés.
1 Ce cimetière fut ouvert aux morts le i<"" prairial an XII
(21 mai i8o4). Le premier corps enterré dans la fosse com-
mune fut celui du porte-sonnette de l'un des commissaires de
police du faubourg Saint-Antoine. Notons, à ce propos, que
jusque vers 1840, époque où fut établie la taxe du balayage,
les propriétaires et boutiquiers étaient chargés de l'entretien
de la chaussée ; et tous les matins, vers les huit heures, un
employé subalterne du commissariat parcourait les rues en
agitant une sonnette, pour avertir les habitants du passage du
commissaire de police, chargé d'infliger une amende aux
personnes retardataires ou négligentes.
2 La sépulture de Louise de Lorraine se trouvait au Père-
Lachaise entre le chemin Suchet et le chemin Abadie, à l'en-
droit où l'avenue des Acacias fait un coude pour rejoindre
l'allée transversale no i ; la tombe se trouvait sur la droite
dans le massif 29 (actuellement 38" division) ; elle a été rem- J
placée depuis par la tombe de Rouillé du Coudrai. Guide j ji
dans les cimetières de Paris, Faure, t865. v
Ii6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
On était en t8i5, l'ère du glaive était finie...
Tandis que Napoléon se retirait à la Malmai-
son avec TEmpire tombé, Louis XVllI rentrait
aux Tuileries sous une voûte de drapeaux
blancs. Dès les premiers moments de son
retour, il songeait à Louis XVI et à Marie-
Antoinette dont les restes reposaient au cime-
tière de la Madeleine. Il voulait aussi réu-
nir à Saint-Denis tous les débris dispersés de
ses ancêtres. Le 21 janvier i8t5, comme nous
le verrons plus loin, les dépouilles mutilées
de son frère et de sa belle-sœur étaient
portées solennellement à Saint-Denis, et
Louis XVI et Marie-Antoinette reprenaient
leur couche dans le caveau où le soldat, assis
depuis dix ans sur le trône des Bourbons,
avait commencé une sépulture pour sa race^
Peu de temps après, le cercueil de Louis VII,
1 La crypte destinée à la dynastie napoléonniene, en vertu
d'un décret du 20 février 1806, ne fut terminée que sous le
second Empire. L'entrée est placée au milieu du transept.
LOUISE DE LORRAINE I17
inhumé dans l'abbaye de Barbeau ^ près Melun,
et qui avait échappé aux profanations d'oc-
tobre 1793, était, à son tour, porté dans l'an-
cien caveau des rois.
Et alors des gens se souvinrent qu'un autre
cercueil, échappé aussi au vandalisme révolu-
tionnaire, séjournait dans un coin du Père-
Lacliaise. Un soir, en 1816, au cercle du roi,
on conta à Louis XVIll l'odysséede ce cercueil
longtemps enfoui en un lieu si étrange et qu'un
hasard avait seul exhumé.
A ce récit, le roi, vivement frappé, qui réu-
nissait à Saint-Denis les cendres des princes
de sa famille, s'empressa d'ordonner la trans-
lation, dans le caveau des Bourbons, de ce
cercueil égaré dont l'étrange odyssée peut être
rangée au nombre des plus surprenantes
curiosités de l'histoire.
Le 16 janvier 1817, « à trois heures de
l'après-midi, en présence de M. de Lalane,
^ Ancienne abbaye d'hommes de l'ordre de Citeaux, fondée
par Louis VII, à 8 kilomètres sud-est de Melun.
Il8 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
conseiller d'Etat, de M. Jalabert, premier
vicaire de la métropole, d'un aumônier du
Roi, de M. le curé de Charonne, etc., on com-
mença à procéder, dans le cimetière du Père-
Lachaise, à l'exhumation du corps de Louise
de Lorraine, reine de France et de Pologne,
épouse de Henri III. Les travaux et les dispo-
sitions nécessaires à l'ouverture de la fosse,
à la fouille et à l'exhumation, joints aux céré-
monies et prières usitées en pareilles circons-
tances, durèrent jusqu'à sept heures du soir.
Le cercueil fut trouvé entier ; les ossements
qu'il renfermait furent déposés dans un autre
cercueil préparé à cet effet ». Puis le cortège
se mit en marche : « deux forts détachements,
l'un de gardes du corps, l'autre de dragons,
formaient l'escorte^ », tous portant l'arme
* La Quotidienne, 17 janvier 1817. Le journal ajoutait :
« Louise de Lorraine avait fondé de son vivant un couvent de
Capucines à Moulins ; c'est de l'église de ce couvent où elle
avait été inhumée que son corps avait été transféré à l'église
abbatiale de Saint-Denis. » Le Moniteur donnait la même
version. Mais le lendemain, on lisait dans la Quotidienne :
« Nous tenons de la bouche d'un homme respectable, qui a
signé, comme commissaire assistant, le procès-verbal de
l'exhumation de Louise de Lorraine, qu'elle était morte à
LOUISE DE LORRAINE 1 19
SOUS le bras gauche, les étendards et instru-
ments voilés de serge noire. Et très tard dans
la nuit, « à la lueur des flambeaux^ », le cor-
tège arriva sous la voûte de cette vieille basi-
lique où étaient venus tour à tour s'engloutir
tous les rois.
La scène eut un caractère de grandeur
véritablement saisissante. La nuit était magni-
fique ; un plein clair de lune répandait sur la
façade de l'église cette lumière si favorable
aux grands effets.
Le clergé entonna le psaume des morts
devant le catafalque qui entrait dans la Basi-
Moulins en 1601, dans sa 47" année ; que, d'après une dispo-
sition expresse de son testament, son corps avait été trans-
féré de Moulins à Paris, au couvent des Capucines, dont elle
était fondatrice et où il est resté, tant que les religieuses ont
subsisté et même quelques années après leur abolition.
« L'acquéreur de ce couvent ayant trouvé ce monument, et
par l'épitaphe inscrite sur un marbre noir, ayant connu qu'il
renfermait la dépouille mortelle d'une Reine de France, en
lit son rapport aux autorités d'alors (on croit que c'est en
l'an VIII). Les magistrats prirent toutes les dispositions
nécessaires pour l'exhumation du corps et sa translation au
cimetière du Père-Lachaise. Ainsi la fin de notre article
d'hier, sur cette princesse, n'était pas tout à fait exacte ». La
Quotidienne, 18 janvier 181 7.
^ La France catholique, années 1 833-1 834, P- 83.
ï'-iO LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
lique. Après le Dies irœ chanté en sourdine,
l'absoute fut donnée, et le cercueil pénétra
dans la crypte au bruit des cloches interrompu
seulement par les versets de l'hymne de la
douleur et de l'espérance ^
* 11 fut dépose provisoirement dans l'ancien caveau de
Turenne. La même.
CHAPITRE VII
L'ENLÈVEMENT DU TRÉSOR
DE LA BASILIQUE
Dans les chapitres qui précèdent, nous
venons de voir comment l'ouragan révolu-
tionnaire avait soufflé sur la cendre des rois
et dispersé leurs sépultures. Il nous semble
que l'enlèvement du trésor de la Basilique,
chargée de siècles et de souvenirs % est un
post-scriptum obligé au récit de la destruc-
tion et de la violation des tombes.
^ Le Trésor, avant la Révolution, fut plus d'une fois sur le
point d'être pillé. Pendant la guerre civile entre les Arma-
gnacs et les Bourguignons, l'abbayo eut fort à souffrir des
deux partis ; néanmoins le Trésor fut respecté. A la lin du
XYii*^ siècle, les huguenots et surtout les ligueurs saccagèrent
l'église; mais assez à temps le Trésor' avait été déposé à
Paris dans l'église Sainte-Croix de la Bretonnerie.
l'il LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Or, le 12 novembre 1793, il se passait un
événement sur la place de la Basilique : toute
une foule se pressait, se bousculait devant
les portes de l'église ; des gens accouraient
des quatre coins de la ville ; des patriotes,
cocarde au bonnet, entonnaient des chants
d'allégresse et de patriotisme. Devant l'église,
six lourds chariots, chargés de caisses de
bois, ornés de drapeaux tricolores, entourés
d'hommes vêtus de surplis, de chasubles, de
chapes et de dalmatiques, et chantant le Çà
ira^ prenaient le chemin de la Convention.
Vêtu de la carmagnole de rigueur, avec une
large écharpe aux couleurs nationales, le
citoyen Pollart, maire de la commune, mar-
chait en tête du cortège : c'était un ancien
bénédictin, le premier prêtre du district qui
avait rompu ses vœux et jeté son froc par-
dessus les moulins ^ Etait-ce lui ou une autre
forte tête de la municipalité qui précédait
les chariots, à califourchon sur un âne affublé
^ Moniteur du 14 novembre 1793.
Q s
o .2
-uj i
uj j::.
ui -^
L'E>'LÈVEMENT du trésor de la. basilique 123
d'habits sacerdotaux ? Les renseignements ne
sont pas précis à ce sujet; mais le fait d'un
patriote monté sur un mulet, rappelant les
montures des prêtres de Cythère, qui figu-
rait dans le cortège, est d'une incontestable
authenticité*.
Il était dix heures.
Ce préambule ne dit pas ce que contenaient
ces six chariots. C'est pourquoi nous deman-
dons au lecteur de nous permettre une di-
gression.
Au moment de la Révolution, la Basilique
renfermait des objets de valeur inestimable.
A côté de souvenirs d'une absolue authenti-
cité, des reliques les plus précieuses, d'objets
^ « Les habitants de Saint-Denis vinrent faire hommage à
la Convention des ornements de leurs opulentes églises. Ceux
charges de présenter ces offrandes étaient couverts de cha-
subles, de surplis et d'autres ornements de cette nature. On
avait même affublé un âne d'habits sacerdotaux. » Beaulieu,
Les Souvenirs de V Histoire , ou le Diurnai de la Révolution,
pour Van de grâce 1797. L'auteur, emprisonné pendant la
Terreur, eût l'idée de composer une sorte d'almanach pour
l'an 1797, où chaque jour a pour éphéraérides ce qui est
arrivé le jour correspondant en 1793.
llk LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
et de bijoux du plus grand prix, on conser-
vait, depuis un temps immémorial, des reli-
ques d'une authenticité plus contestable,
naïfs échos des siècles pieux : citons la lan-
terne de Malchus ^ des reliques d'Isaïe, une
des amphores de Ca/ia^ du sang de Jésus-
Christ^ du lait de la Sainte Vierge ! etc..
Nous croyons intéresser le lecteur en don-
nant ici, avec l'orthographe et le caractère
typographique de l'époque, le Mémoire du
Trésor de Saint-Denis, tel que nous l'avons
trouvé dans un exemplaire rarissime, que
nous possédons, d'un ouvrage intitulé Voyage
en France, par Du Verdier, Mathieu Libéral,
i685. Nous devons ajouter que l'état du tré-
sor, tel que nous le reproduisons, s'était con-
servé intact jusqu'à la Révolution et consti-
tuait l'inventaire complet des six chariots
qui roulaient, en ce moment, vers la Conven-
tion*.
* L'enlèvement et la mise en caisse s'étaient eireclués dans
la nuit du ii au ii novembre, en présence du commissaire
du district, du citoyen maire Pollart et de la municipalité de
Saint-Denis. La salle du trésor se trouvait entre le collatéral
l'enlèvement du trésor de la basilique 125
MÉMOIRE DES RELIQUES
qui font dedans le Trefor de
S. Denys en France.
premièrement:
UN des Cloux de Nôtre Seigneur ^
Une grande corne de Licorne - de valeur inelli-
maale.
La Lanterne de Malcus'^, qu'il portoit lors que
N Seigneur fut pris par les luifs au lardin d'Olives.
méridional de la Basilique et le pavillon qui terminé de ce
côté la façade de la maison de la Légion d'Honneur. Elle fût
démolie au commencement du siècle. Une lampe y brûlait
sans cesse par respect pour les saintes reliques enfermées
dans ce trésor. Les objets différents qui le composaient étaient
placés dans cinq grandes armoires, (Voir Félibien.)
1 Cette relique provenant du Trésor d'Aix-la-Chapelle, avait
été offerte à l'abbaye de Saint-Denis par Charles le Chauve.
^.Animal fabuleux qui avait la forme d'un cheval, avec une
longue corne aiguë sur le front. « Si la crédulité du peuple
était grande, l'ignorance des médecins ne l'était pas moins :
Ambroise Parré, lui-même, dans son Traité des venins, a
écrit une dissertation sur des animaux légendaires et mons-
trueux, véritable monument de grossière superstition; son
discours sur la Licorne est le chef-d'œuvre du genre *.
Cabanes. Les Poisons, Paris, igoS. La corne en question était
une défense de narval.
3 « Judas donc, ayant accepté une cohorte et les serviteurs
des princes des prêtres et des pharisiens, vint en ce lieu
avec des lanternes... Simon Pierre frappa un serviteur du
grand-prètre et lui coupa l'oreille. Cet homme s'appelait
Malchus » Jean XVIII.
i-l(y LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Le Chef de S. Denys tout d'or maffif, porté par deux
Anges, enrichy de pierreries ^
En la pj'emiere Armoire.
LA Croix de Saint Laurent qui eft d'or, enrichie de
pierreries, dedans laquelle il y a une verge du
gril ou S. Laurent fut martyrizé.
Le Menton de S. Louys- enchaffé en argent doré enri-
chy de Pierreries.
L'Efpaule de faint lean Baptille, enchaffée en argent
doré, dans laquelle il y a plufieurs faintes Reliques,
que l'on appelle des Tables de tous les Saints, enrichie
de pierreries.
Le Bras de faint Euftache en argent doré.
Le Doigt de faint Barthélémy Apoftre, enchaffé en
argent doré.
Le Bâton de la Confrairie de faint Denis, qui eft
d'argent doré.
Vne petite Tefte d'enfant, qui eft d'agate.
Des Reliques de faint Louis, Evefque de Marfeille,
enchaffé en argent doré.
* C'était un reliquaire en forme de tête.
2 A sa mort, on avait fait bouillir son corps dans de l'eau
salée, afin de séparer les os de la chair et les transporter à
Saint-Denis. Après sa canonisation les restes du roi furent
exhumés. Le menton resta à la basilique de Saint-Denis; on
attribua le crâne au Palais de Justice, une côte à l'abbaye de
Pontoise, un os de la main à la Faculté de Paris, une pièce
de l'épaule à l'abbaye de Royaumont, etc.
//-. T.
Etat actuel du Vase des noces de Cana .
L ENLÈVEMENT DU TRESOR DE LA BASILIQUE 129
La Cruche ou nollre Seigneur changea l'Eau en Vin *.
Les Anneaux des Reynes, qui font d'or, enrichie de
pierreries.
L'ongle d'un griffon -.
Le Cornet de Roland le Furieux neveu de Charle-
magne.
Les Reliques de faint Panthaleon, enchaffé en argent
doré.
Deux couronnes, que le Roy Henry IV, à fait faire,
l'une d'or, et l'autre d'argent doré enrichie de pierre-
ries.
Vne belle petite Image de Noftre-Dame, qui ell
d'yvoire,
Vn Nouveau Teftament d'argent doré, enrichy de
pierreries^.
' « Grand vase en albâtre, dit de Xerxès. Ce vase, qu'on a
appelé jadis a vase des noces de Cana », porte sur sa panse
une inscription bilingue, en caractères cunéiformes du sys-
tème perse, où on lit : « Xerxès, roi grand », et dans un car-
touche hiéroglyphique égyptien, le nom de Xerxès. » Babe-
lon, Cabinet des Antiques, Leroux, Paris, 1900. On voit ce
vase au Cabinet des Antiques, dans la vitrine XXII, derrière
le Grand Camée.
Il y a là une erreur de qualilîcation. Ce vase de Xerxès
provient de la collection Caylus. Le vase, considéi'é à Saint-
Denis comme ayant servi aux noces de Cana, était déjà à demi
brisé à l'époque où écrivait Félibien ; les restes de cette urne
d'albâtre, dont nous donnons la reproduction, sont conservés
dans une vitrine d'une salle non publique du cabinet des
Médailles.
^ Tout le monde sait que cet animal fabuleux, moitié lion,
moitié aigle, était chargé de garder les paillettes d'or dun
fleuve de Scythie, appelé Arismaspius.
•^ Doublet en décrit ainsi la reliure : « Un très beau livre
9
l3o LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Le Livre d'Epiftres couvert d'argent.
La Couronne de Louis XIIL enrichie de pierreries.
Des Reliques d'Ifaye le Prophète, qui vivoit mil ans
devant noftre Seigneur.
La féconde A rmoire .
LE Chef de faint Hilaire Evefque de Poitiers, en-
chaffée en argent doré ^.
Une Mittre bien enrichie de pierreries.
Des Reliques de faint Denys, enchaffées en argent
doré, lefquelles furent inhumées par les Anges au
mont de Sinay.
Des Reliques de faint Nicolas Evefque de Myrrhe,
enchaffées en argent doré.
Vne Image de Noftre Dame qui eft d'argent doré,
qui tient en fa main des Drapeaux dont noltre Seigneur
fut enveloppé en fon enfance.
Des Reliques de fainte Marguerite enchaffées en
argent doré.
en parchemin couvert d'or et sur ledit or un crucifix d'ivoire,
et à ses costez les images de Nostre-Dame et de saint Jean,
d'ivoire, plus exquises que l'or pour estrc délicieusement
taillées. Ce livre aussi enrichi de grenats, saphirs, grisolites,
ametistes, émeraudes et quantité de perles. »
1 C'était un capsa ayant la forme du buste du saint, en
habits pontificaux. Il ne reste de ce reliquaire qu'un camée
en sardonyx représentant la tète de profil d'Auguste, avec
une monture d'argent dont les bords sont découpés à jour et
soutiennent une couronne composée de trois rubis et de trois
saphirs, alternant avec des bouquets de perles. On le voit à
la Bibliothèque nationale, Cabinet des Antiques, dans la
vitrine centrale.
VASE DE XERXÈS
laussemcnl qualiCié de Vask dk Caaa.
l'e>'Lèveme>'t du trésor de la basilique i3i
Vn Calice ou faint Denys celebroit fa Meffe, fes
Burettes et fon Ecritoire K
Le Sceptre de la main de luftice d'Henry Quatrième
Le Sceptre que l'on porte aux Feftes folemnelles,
qui eft d'or.
Vn os d'une des mains de faint Denys, enchaffées
en argent doré.
L'effigie de la Reyne de Sabba-, qui efl d'agate gar-
nie d'or.
Vn petit Crucifix taillé fur du Chriltal de Roche.
Vne petite Fiole d'agate.
L'effigie de Marc-Antoine qui elt d'agate.
La troifiéme Armoire.
UNE belle Croix toute d'or, enrichie de pierreries,
dans laquelle il y a du bois de la vraye Croix.
Une petite Chappelle d'argent doré, dans laquelle
y a toutes les reliques qui font à la fainte Chappelle de
Paris : fçavoir du fang de Nollre Seigneur, de fes
' Ce calice et ces burettes étaient en béryl (variété d'éme-
raude appelée aussi aigue-raarine,), garnis d'argent doré, et
ornés de pierres précieuses.
^ Rappelons que c'était une souveraine d'une ville d'Arabie
qui, attirée par la renommée de Salomon, se rendit en Israël
et devint la femme du roi. Elle retourna ensuite dans son
pays, suivant la tradition, et y accoucha d'un fils qui prit le
nom de David. Elle l'envoya alors à Jérusalem auprès de son
père, pour y faire son éducation. Devenu héritier de la cou-
ronne de sa mère, il introduisit la religion juive dans ses
États : d'où l'origine de tant de cérémonies juives conservées
encore en Ethiopie.
i3'2 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Cheveux, de fon Sepulchre, de fon faint Suaire, de
rEfponge, le linge, dont il fut couvert en l'arbre de
la Croix, de la terre du Mont de Calvaire, de la Verge
de Moyfe ^, du Laict de la Vierge Marie, de fes Che-
veux, et du Couvre-Chef-.
* Mort en i585 av. J.-C. Ce qui eut fait de cette baguette un
bibelot vieux d'environ 3. 400 ans.
2 C'est en l'an i2o5, que Baudoin 1°', empereur de Coustanti-
nople, lit présent à Philippe-Auguste des cheveux de Jésus-
Christ et de sa robe de pourpre, dont ce roi lit don à Henri,
abbé de Saint-Denis.
Le sang de Jésus-Christ, le lait de la Vierge, ses cheveux,
la Verge de Moïse, etc., provenaient de la vente qu'en avait
faite Baudoin II à saint Louis, le 14 septembre 1241? moyennant
deux millions de francs, monnaie du temps. Sur un tableau,
contenu dans la Sainte-Chapelle, se trouvaient la description
de ces reliques, en langue latine, et les originaux des lettres
de l'empereur Baudouin, datées du mois de juin 1247, par les-
quelles il confirmait la cession qu'il avait faite des saintes
reliques. Elles portaient toutes le sceau impérial, avec la
iuention « l'an 12^7, huitième de notre empire. » Nous en
trouvons la copie et la traduction dans l'ouvrage de Corrozet,
Gilles, imprimeur-libraire : Fleurs des antiquités et singula-
rités de la bonne et triomphante ville et cité de Paris, et les
noms des rues, églises et collèges, i56i, in-S".
La couronne d'épines, provenant d'une vente antérieure faite
séparément à saint Louis par ce même Baudoin, avait été
payée cent mille francs en monnaie de l'époque. L'empereur de
Constantinople l'avait engagée, pour cette somme, à un riche
Vénitien, se réservant de la racheter dans un délai fixé,
moyennant le paiement de la somme prêtée. Quand l'échéance
arriva, Baudoin ne pouvant payer, le saint roi racheta la cou-
ronne qui fut apportée en France, enveloppée dans trois cas-
settes successives de bois, d'argent et d'or. C'est quelques
mois après, que l'Empereur de Constantinople, voyant que le
commerce des reliques lui était profitable, lit proposer au
roi de France de lui en vendre plusieurs autres. Outre celles
Sceau de l'empereur Baudoin II, et sa signature, écrite en
caractères grecs avec du cinabre sur l'original de ses lettres sur
parchemin, conservées avant la Révolution aux archives de la
Sainte-Chapelle.
(Reproduction de dessins empruntés à an ouvrage sur les Saintes
Reliques paru en 1828, voir p. 146, note 2.)
l'enlèvement du trésor de l\ basilique i35
La main de faint Thomas.
Le doit qu'il mift au cofté de noftre Seigneur, en-
chaffé d'argent doré, enrichy de pierreries.
Une Image de Noftre Dame, qui tient une fleur de
lis en fa main, dedans laquelle y a de fes Cheveux.
Une couronne d'or que leanne d'Evreux Reyne de
Navarre a fait faire, qui eft enrichie de pierreries.
Une Image de faint lean l'Evangelifte, qui eft d'ar-
gent doré, où il y a de fes Cheveux.
Un Vafe d'agate et demeraudes, où le Roy Salomon
beuvoit.
La Croffe de faint Denys, garnie d'or et d'efmail.
Une belle Mittre toute couverte de perles et de pier-
reries.
Le Bafton du Chantre, qu'il porte en Proceffion
énumérées dans le Trésor des antiquités nationales de Saint-
Denis, figuraient dans l'acte de vente rapporté par Corrozet,
« un grand morceau de bois, qu'on disait avoir fait partie de
la croix que sainte Hélène apporta de Constantinople ; un
morceau de fer, qu'on disait être le fer de la lance dont avait
été percé le côté de Jésus-Christ sur la croix ; le roseau dont
on lui fit un sceptre ; un morceau de linge dont Jésus-Christ
se servit pour essuyer les pieds de ses apôtres ; la chaîne
dont fut lié Notre-Seigneur ; une croix, nommée Croix de
triomphe, parce que ceux qui la portaient à la guerre étaient
sûrs d'obtenir la victoire ». On se demande comment Baudoin,
toujours en guerre et toujours vaincu, put vendre cette der-
nière et si précieuse relique dans une circonstance oîi lui-
même avait le plus grand besoin de sa prodigieuse vertu.
Toutes les reliques que nous venons d'énumérer faisaient
partie du convoi. Sur ordre du roi, les reliques de la Sainte
Chapelle avaient été envoyées à Saint-Denis le 12 mars 1791
pour être « remises en la garde des religieux bénédictins
provisoirement ». Gautier, loc. cit., p. io3.
136 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
quand il fait l'Office les bonnes Fêtes qui efl; d'argent
doré.
Plufieurs belles agrafifes, qui font d'or enrichies de
pierreries.
L'agraffe du Manteau du Roy Dagobert.
L'agrafife du Manteau de faint Denys.
Une petite Roze de Drap d'or, dedans laquelle y a
plufieurs anneaux de Reynes.
Un beau Calice émaillé.
La main de Juftice de faint Louis qui efl: d'Or.
La quatrième Armoire.
UNE belle Croix enrichie de pierreries, de Charles
le Chauve fils de Charlemagne, toute d'or, enri-
chie de belles pierreries, dedans laquelle y a des
Reliques de faint Georges, de faint Ordre, et de faint
Apolinaire, qu'il mettoit fur fon Cabinet quand il trai-
toit les Princes de la Cour, et mettoit un Flambeau de
cire pour faire reluire les pierreries.
Un beau Vaze d'agate, qui eft ellimé à cinquante mil
écus, que Philippes le Hardy fils de faint Louis a
apporté d'Egypte, dans lequel boivent les Reynes,
quand elles font couronnées ^
* Ce vase d agate orientale, une clos plus rares antiquités
que possède la France, fut transféré dans le Cabinet des
Antiques de la Bibliothèque nationale, où il se trouve dans
la vitrine centrale. « Les bas-reliefs représentent tous les
objets nécessaires aux fêtes de Bachus Cephalen, et, entre la-
cippe et cette tête, la peau de panthère qui caractérise ce
dieu ». Dulaure, Histoire de Paris, 1839. Ce vase est connu
Vase d'agate ^dit coupe de Ptolémée.
l'enlèvement du trésor de la basilique 1^9
Un Vaze de Chriilal de Roche, qui afervi au Temple
de Salomon^
Un Vaze d'agate, qui tient une chopine,
Colomna referens veram longitudinem
Domini no/tri'. Ibidem ver a forma lapi-
dis quem remotum à Sepulchro miraban-
tur mulieres^.
Un autre Vaze d'argent qui eftgodronné.
Un Vase d'agate où il a deux cordon d'or.
sous le nom de coupe de Ptolémée, parce qu'on suppose qu'il
a appartenu à Ptolémée XI, frère et mari de Cléopâtre. Il
fut donné à lEglise de Saint-Denis, au i\P siècle, par Charles
le Simple ou Charles le Gros. (Renseignement puisé à la
Bibliothèque nationale.) La reproduction que nous donnons
est empruntée à l'ouvrage de Dulaure. Ajoutons qu'à une époque
qu'on ne peut préciser, on avait transformé en calice cette
coupe toute pleine des souvenirs des Bacchanales ; elle était
montée sur pied d'or rehaussé de pierreries.
Le i6 février 1804, elle fut volée, et retrouvée seulement
en brumaire an XIII, enterrée sous une haie, dans le jardin
de la mère d'un des voleurs, à Rozoy-sur-Serre, entre Laon
et Rocroy. La monture en avait malheureusement été fondue,
et c'est dépouillé de tout ornement que le célèbre canthare a
repris sa place dans la vitrine d'honneur. (Voir Babelon,
Cabinet des Antiques. Leroux, Paris 1900.)
1 On le voit aujourd huiau Louvre, dans la galerie d'Apollon.
- Colonne de jaspe qui passait pour offrir la mesure exacte
de la taille de Jésus-Christ.
•' Table de marbre blanc, façonnée en dos d'âne et suppor-
tée par deux colonnes, taillée sur le modèle de la pierre qui
avait fermé le Saint-Sépulcre.
l-iO LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Le chef de faint Benoift, qui eft d'argent enrichy de
pierreries. Et un Osde fon bras enchaiïé en argent doré.
La Couronne de faint Louis, qui eft toute d'or, enri-
chie de pierreries, où il y a un Ruby, ellimé vingt-cinq
mil écus, dedans lequel il y a une Efpine de la Cou-
ronne de N. Seigneur.
L'Epée Royale que les Roys portent quand ils font
couronnez^.
Le Sceptre- Royal et la main de Juftice que les
Roys portent quand ils font Couronnez et Sacrez, qui
font d'or.
Spéculum quo Virgilius Maro
dicitur iifus^.
L'agraffe du Manteau Royal toute d'or enrichie de
pierreries.
L'agraffe du Manteau du Chantre, qui eft toute d'or,
enrichie de pierreries; et y a un Ruby eftimé 12 mil
écus.
' Cette épée du xii'^ siècle est exposée au Louvre dans la
galerie d'Apollon.
2 Ce sceptre, qu'on voit au Louvre dans la galerie d'Apol-
lon, longtemps qualifié de sceptre de Charlemagne, se com-
pose de deux parties de provenances différentes : une sphère
terminale sur laquelle est placée une image de Charlemagne,
exécutée pour Charles VI, et, portant le véritable sceptre,
une hampe qui était le bâton du chantre Guillaume de Roqué-
mont.
^ Miroir fait d'une pierre de jais, qui passait pour avoir
appartenu à Virgile.
l'enlèvement du trésor de l\ basilique i4i
Un petit Crucifix de la vraye croix, que le Pape
Clément III, a taillé, lequel eft enchafle en or.
L'effigie de l'Empereur Néron, qui el1: d'agate, gar-
nie d'or, et enrichie de pierreries.
La Coupe de Salomon, garnie d'or, enrichie de
pierreries, dedans laquelle il bevoit^
Les Efperons des Roys qu'ils portent quand ils font
couronnez, qui font d'or-.
Les habits du Roy Charles IX, qui font fur l'effigie
dHenry IV.
Les Habits du Roy, qui règne à prefent.
L'Efpée de Saint Louys.
L'Epée de la pucelle d'Orléans.
L'Efpée de TArchevefque Turpin, Chancelier de
Charlemagne.
Les Reliques qui font dans lEglife.
Les trois corps Saints, S. Denys, S. Ruftic et S. Eleu-
there ^
^ Coupe de Chosroës I'^'', actuellement dans la vitrine cen-
trale du Cabinet des Antiques de la Bibliotlièque nationale.
Cette coupe transparente se compose d une armature en or
massif et de trois rangées circulaires de dix-huit médaillons
en cristal de roche, servant d'encadrement à un médaillon
principal représentant Chosroës I""", roi de Perse, de 53i à
570. Cette coupe, selon toute vraisemblance, aurait été rap-
portée par les Croisés, à la suite du pillage de Constantinople
en 1204.
- Ils figurent actuellement au Louvre, dans la galerie
d'Apollon.
^ « Les trois cercueils d'argent où étaient renfermées les
reliques de saint Denis et de ses deux compagnons martyrs
étaient de la longueur approchant de dçux pieds ou deux
pieds et demi ; ils étaient faits dans la forme exacte des
ik'i LES TOMBEAUX DES ROIS SOLS LA TERREUR
Nous sommes à la Convention, où nous
allons retrouver nos six chariots et notre
députation de la commune de Saint-Denis,
apportant le Trésor de la Basilique. C'est
Laloi^ qui préside : comme toujours, une
foule agitée et bruyante remplit les galeries
et les couloirs ; de l'amphithéâtre aux tri-
bunes, tout aussi est plein. Tout à coup des
cris s'élèvent, la porte s'ouvre, un remous
s'opère dans le vestibule : c'est la députation
de la Franciade^ A la vue de ces citoyens,
vêtus de chasubles, de surplis, et coiffés de
bonnets rouges, l'enthousiasme de la Con-
vention ne connaît plus de bornes. Un ton-
bières ». Gautier, loc. cit., p. i23. Le prieur doui Verneuil
avait pu soustraire, la veille de l'enlèvement du trésor, la
plus grande partie des reliques, qu'il avait soigueusement
cachées dans un sarcophage mérovingien.
^ Laloi (P. -A.) administrateur de la Haute-Marne, député
de ce département à la Convention.
2 Le nom de Saint-Denis « rappelant un souvenir de la
féodalité » avait été remplacé par celui de Franciade, en
vertu d'un décret de la Convention.
l'e>léveme>t du trésor de la. basilique l^'i
nerre d'applaudissements éclate ^ On dépose
à la barre les ostensoirs, les saints ciboires,
l'épée de Jeanne d'Arc, les statues d'or et
d'argent. Et l'orateur de la députation s'avance
près de la tribune, tenant dans ses mains le
crâne de saint Denis, sorti de son reliquaire
d'or.
« Un miracle, s'écrie-t-il, fit voyager de
Montmartre à Saint-Denis la tète du saint
que nous vous apportons. Un autre miracle,
plus grand, plus authentique, le miracle de
la régénération des opinions, vous ramène
cette tête à Paris. Une seule différence existe
dans cette translation: le saint, dit la légende,
baisait respectueusement sa tête à chaque
pose, et nous n'avons pas été tentés de
baiser cette relique puante ; ce crâne et les
guenilles sacrées qui l'accompagnent vont,
enfin, cesser d'être le ridicule objet de la
vénération du peuple et l'aliment de la supers-
tition, du mensonge et du fanatisme. L'or et
^ Moniteur du i4 novembre 1793.
l44 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS L\ TERREUR
l'argent qui les enveloppent vont contribuer
à affermir l'empire de la raison et de la
liberté... »
Puis, se retournant vers les reliques, il
adresse, non plus à Laloi, ni aux convention-
nels, mais aux saints eux-mêmes cette singu-
lière allocution : « O vous, instruments du
fanatisme ! saints, saintes, bienheureux de
toute espèce, soyez enfin patriotes, levez-
vous en masse ; marchez au secours de la
patrie, partez pour la Monnaie, et puissiez-
vous, par votre secours, faire en ce monde
notre bonheur que vous nous promettiez pour
un autre.
« Nous vous apportons, citoyens législa-
teurs, toutes les pourritures dorées qui exis--
talent à la Franciade... nous en avons rempli
six chariots. Il ne reste plus à Franciade
qu'un autel d'or que nous n'avons pu trans-
porter ; nous vous prions de donner ordre à
la Commission des monuments de nous en
débarrasser sans délai, pour que le faste catho-
lique n'offense plus nos yeux républicains.
L E^'LÈVEME^'T DU TRESOR DE LA BASILIQUE l45
« On ne pouvait faire mieux escorter les
bienheureux que par le maire de notre com-
mune qui, le premier de tous les prêtres du
district, a sacrifié à la philosophie les erreurs
sacerdotales, en se déprêtrisant et en se
mariant.
« Je jure, au nom de tous les citoyens de
la ville de la Franciade, de ne reconnaître
d'autre culte que la Liberté et l'Egalité ' ».
Et là-dessus l'orateur sans-culotte entonne
un hymne révolutionnaire ; on boit^ tour à tour,
dans les calices et les ciboires, et l'enthou-
siasme devient indescriptible dans toute la
salle : au banc des conventionnels comme
sur les banquettes des tribunes, ce sont des
battements de mains, des trépignements de
pieds, des cabrioles de jubilation.
La Convention, électrisée surtout par les
effets oratoires du citoyen de la Franciade,
^ Moniteur du i4 novembre 1793. L adresse lue par Pol-
lart n'était pas de sa composition : le citoyen maire avait mis
à contribution le talent oratoire et les couleurs du style du
citoyen Blanc, instituteur, maître de pension à Saint-Denis,
auteur du morceau. Gautier, loc. cit., p. 127.
1^6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
vote l'insertion de son discours à son Bulletin
officiel^, et la députation tout entière défile
devant la barre, en chantant des Alléluia et
en régalant les conventionnels de danses
patriotiques".
* Moniteur du 14 novembre 1793.
2 Séance tenante, la Convention chargea le député Sergent
de procéder au transport de toutes ces richesses kV Hôtel des
Monnaies. Là les reliquaires furent presque tous impitoya-
blement brisés ; après quoi, on fit transporter les Reliques
et les objets précieux à la Commission tonporaire des Arts,
établie pour examiner les objets enlevés aux édifices du
culte et faire le discernement de ceux qui méritaient une
conservation. « Ce fut pendant cet examen que M. Jean Bon-
voisin, peintre, membre delà commission, eut le bonheur do
sauver, en grande partie, la portion de la vraie Croix qu'on
avait coutume d'exposer, en certains jours, à l'adoration des
fidèles, dans l'église delà Sainte-Chapelle. Comme on parais-
sait faire très peu de cas de ces objets sacrés, dépouillés de
leurs riches ornements, M. Bonvoisin eut la liberté de
prendre, sur la table où ils étaient rassemblés, la précieuse
Relique. Il s'empressa de la porter à sa mère, qui était une
dame recommandable par sa piété, et qui, après l'avoir con-
servée religieusement pendant la Révolution, se fît un devoir
de la remettre, en 1804, au chapitre de Paris. M. Bonvoisin
et sa pieuse mère attestèrent depuis, avec serment, pour ce
qui les concernait, la vérité des faits que nous venons de rap-
porter. D'après cette déclaration, qui eut lieu le i3 avril
1808, Ms"' le cardinal de Bell/Sy, alors archevêque de Paris,
fit enfermer, avec toutes les précautions convenables, cette
précieuse portion de la vraie Croix dans le reliquaire de
cristal où on la voit aujourd'hui. Ce reliquaire a huit pouces
et demi de long, sur un pouce et demi de large. Il est à
quatre faces, et monté dans une garniture de vermeil qui en
couvre les angles et les extrémités. Il est rempli tout entier
L ENLEVEMENT DU TRESOR DE LA BASILIQUE 147
Tels étaient les boniments grotesques, les
élucubrations et les répugnantes mascarades
qu'applaudissait la Convention. Ce serait à
par la sainte Relique, dont une des extrémités est encore
échancrée, parce qu il fallut la scier pour en ôler l'or qui la
couvrait autrefois. La couleur du bois est dun brun pâle,
avec quelques nuances rougeâtres, et paraît annoncer un
vieux bois de cèdre ». Notice historique sur la sainte cou-
ronne d'épines et sur les autres instruments de la Pas-
sion, etc. Adrien Leclère, Paris, 18.28, p. 64-
Quant à la « sainte Couroune », après avoir été extraite
de son reliquaire à l'Hôtel des Monnaies, on la « rompit en
trois parties à peu près égales, et on en porta les débris,
avec les autres reliques de la Sainte-Chapelle et de Saint-
Denis, à la Commission temporaire des Arts où ils furent mis
sous la garde du secrétaire de cette commission, nommé
Oudry. Ce fut des mains de ce dernier que l'abbé Barthé-
lemi, un des conservateurs des médailles antiques de la
Bibliothèque Nationale, obtint, en 1794, les débris de la
sainte Couronne, pour les conserver parmi les objets confiés
à sa garde. La sainte Couronne demeura donc à la Jiihlio-
thèque Nationale iusqu au mois d'octobre 1804. Acette époque
MB"" le cardinal de Bellay, ayant été bien instruit de tous ces
détails, et jugeant les circonstances favorables pour récla-
mer la sainte Couronne, avec plusieurs autres Reliques dépo-
sées dans le même établissement, s'adressa pour cet objet à
M. Portalis, alors ministre des Cultes. Celui-ci donna ordre
à M. Millin, conservateur des médailles antiques, de donner
les Reliques à l'église de Notre-Dame; et M. Millin les
remit en effet, le 26 octobre 1804, à M. l'abbé d'Astros, alors
grand vicaire de Paris... Elle fut transférée avec une grande
pompe dans l'église de Notre-Dame, le dimanche 10 août
1806 ». La même, p. 114.
Voici enfin comment « l'un des clous de Notre Seigneur »,
dont il est question dans le Mémoire du Trésor (le Trésor de
Notre-Dame en possède un autre provenant de l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés), put être sauvé. A la Commission tem-
I48 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
n y pas croire si le Moniteur n'était là, con-
servé dans les Archives, pour prouver que, à
un moment de son histoire, la France fut
gouvernée par des fous.
poraire des Arts, « M. Le Lièvi'c, membre de l'Institut et
inspecteur général des mines, qui faisait partie de cette
commission, obtint la permission de prendre le saint Clou,
comme un objet de minéralogie qu'il voulait examiner et ana-
lyser. Layant, par ce moyen, sauvé de la destruction et de la
profanation, il le conserva soigneusement jusqu'au mois
d'avril 1824. A cette époque, il le remit à Mb"" l'Archevêque
de Paris, en lui assurant, avec serment, que c'était véritable-
ment le saint Clou provenant du trésor de l'abbaye de Saint-
Denis, qu'il avait sauvé de la profanation en 1793.
D'après ce témoignage, M^"^ l'Archevêque reconnut la
sainte Relique, et la fit placer dans le reliquaire où on la
voit aujourd'hui. C'est un tube de cristal d'environ quatre
pouces de long, en forme de clou, orné d'une tête et d'une
pointe en vermeil. Le saint Clou paraît avoir environ trois
pouces et trois lignes de long. La tête en est échancrée, et la
pointe un peu altérée ; il est couvert de rouille dans toute sa
longueur. En l'examinant de près, on y remarque un petit
morceau de bois, qui s'y est attaché sans doute lorsqu'on le
relira de la Croix, et qui, examiné avec la loupe, paraît être
de même espèce que le morceau de la vraie Croix prove-
nant de la Sainte-Chapelle ». La même, p. i5o.
Avec ces derniers objets, plusieurs reliques, retrouvées
encore en 1804 au Cabinet des Médailles, furent remises à
l'église métropolitaine de Paris, entre autres un morceau de
la pierre du Saint-Sépulcre, une discipline de fer ayant servi
à saint Louis et une tunique du même prince.
CHAPITRE VIII
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR
Le 9 septembre 1792, pour la dernière fois,
les bénédictins avaient officié dans la Basi-
lique dont, depuis onze siècles, ils étaient les
maîtres : pour la dernière fois on vit, un di-
manche, la longue file des religieux, à la face
glabre et le crâne rasé, assis dans les stalles
sculptées du chœur, le prieur dom Verneuil
présider l'office divin, et, la messe dite, les
vieux bénédictins promener solennellement
sous les arcades les châsses somptueuses des
trois patrons. Le i4 septembre, les religieux
quittèrent leur cloître ; et quelques jours
après, l'église abbatiale était affectée au ser-
vice paroissial. L'odeur nauséabonde qui se
l5o LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
répandit dans la Basilique, à la suite des vio-
lations d'octobre, fit que l'on dût célébrer
la messe dans l'Hôtel-Dieu \ et, plus tard,
dans cette chapelle des Carmélites dont Louise
de France avait doté son monastère.
La Basilique qui avait vu tant de levées de
roriflamme% l'antique drapeau des temps che-
valeresques, tant de couronnements et d'ob-
sèques royaux, vit bientôt substituer, dans ses
murs, les fêtes de la Raison aux cérémonies
chrétiennes, et des précepteurs de morale et
des droits de l'Homme faire des prônes là, où
debout dans la chaire de vérité, un évêque,
* « Le lundi 14 octobre, les portes de l'église furent fermées
et n'ont plus été ouvertes pour le culte catholique ; les basses
messes se sont dites ainsi que les offices des dimanches et
fêtes jusqu'au samedi 16 novembre inclusivement à l'Hôtel-
Dieu ; il n'y eut par conséquent pas d'oflices le jour de l'oc-
tave saint Denis 16 octobre, et d'ailleurs il n'aurait pas été
possible d'habiter l'église dans ces jours, vu la mauvaise
odeur qui s'était répandue, laquelle était occasionnée par
l'exhumation des différents corps. » Gautier, loc. cit., p. 119.
- « C'était à savoir un étendard d'un sandal fort épais, fendu
par le milieu en façon d'un gouffanon, fort caduque, enveloppé
autour d'un baston de cuivre doi'é et un fer longuet et agu au
bout ». Dom Doublet. 11 était suspendu au pilier attenant à
l'autel des saints Martyrs, du côté de l'épitre. En 1694, il était
consumé de service et de vétusté.
LA BASILIQUE APRES LA TERREUR l5i
avec toute la majesté de l'art oratoire, lais-
sait tomber de sa bouche ce fameux cri :
« Madame se meurt, Madame est morte ».
Mais elle était tellement dévastée, cette église,
qu'on transféra le nouveau culte dans l'an-
cienne chapelle des Carmélites ; et la Basi-
lique devint, tour à tour, un dépôt d'artille-
rie, un théâtre de saltimbanques S un maga-
sin de fourrages.
L'Eglise, qui était toute couverte en plomb,
fut découverte et le plomb porté à Paris en
1795'; elle devint alors un marché public ;
ensuite elle recela des moulins à bras '\ On
eût, un instant, le projet désastreux de
faire passer une rue — rien que cela! —
entre les deux tours , d'entasser dans les
côtés delà Basilique des constructions de plu-
sieurs étages, avec des maisons numérotées,
d'en faire, en un mot, une vaste cité dont
^ D'Ayzac. Loc. cit.
- Ce ne fut qu'en 1796, le 6 septembre, qu'on apporta de la
tuile et de l'ardoise pour la recouvrir. Dom Druon. Loc. cit.
^ D'Ayzac. Luc. cit.
ia2 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
la nef centrale eût été la principale artère.
Tout semblait perdu, quand, Napoléon en-
trant en scène avec ses victoires, on décida
la transformation de l'Abbaye et de FEglise
en hôpital militaire pour les armées républi-
caines. Cette attribution temporaire dura plus
de dix ans. Dans cette longue période, « on
vit les milices terrestres envahir le camp dé-
vasté des saintes milices de Dieu. Les vies
leis plus aventureuses vinrent temporairement
faire halte au cœur intime des retraites qui
avaient abrité les plus immobiles et les plus
muettes des existences ; et peut-être, plus
d'un soldat, blessé au pied des Pyramides, y
déroula, dans des récits pleins de verve et
d'animation, les tableaux alors insolites des
bivouacs français au Caire, à Rosette ou aux
bords du Nil, au lieu même où le Religieux,
bercé dans les écrits des Pères, parcourait la
nuit, dans ses rêves, les solitudes de Nitrie
et le grand désert de Scété ^ »
*■ D'Ayzac. Loc. cit.
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR 1^3
Malgré les décrets révolutionnaires et mal-
gré la guillotine, la Monarchie renaissait, et
le soldat heureux, en qui elle s'incarnait, ve-
nait faire retentir du bruit de ses éperons la
vieille Basilique des rois : il ordonnait sa res-
tauration, et par un décret du 20 février 1806,
il décidait que cette illustre église serait le
lieu de sépulture de la nouvelle dynastie.
Mais, comme dit Chateaubriand, « le moment
n'était pas où Buonaparte devait se souvenir
qu'il lui fallait un tombeau ; il lui eut été
difficile de deviner le lieu où la providence
avait marqué le sien » K En tout cas, « Napo-
léon ne pensait pas à rendre à Saint-Denis
tous les monuments transportés au Musée
des Monuments français, auquel d'ailleurs il
portait un intérêt très vif, mais il eut voulu
signaler le passage de tant de princes dans
la vieille église par une série de statues,
d'épitaphes ; et sous cette inspiration , des
^ Il fut question, sous le second Empire, de placer le mau-
solée de Napoléon I"'' au bas et à gauche du maître-autel, en
lace le monument de Dagobert.
i54 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
travaux furent commencés. Malheureusement,
ils ne répondirent pas à l'attente de l'Em-
pereur, qui, visitant au commencement de
i8i3 les ouvrages déjà faits, manifesta son
mécontentement avec vivacité , au point
que, dit-on, Tarchitecte en mourut de cha-
grin ^ . »
Au retour des Bourbons, le 21 janvier 181 5,
avait lieu l'imposante cérémonie du transfert
dans la Basilique des restes de Louis XVI et
de Marie-Antoinette, dont une bière de six
francs ^ avait remplacé au cimetière de la
1 Viollet le Duc, Article i'ai/i^-Z'e/ii*-, Paris-Guide. Lacroix,
Paris, 1867, t. I, P- 708.
2 Mémoire du fossoyeur Joly, possédé par M. Fossé d'Ar-
cosse, rapporté par E. et J. de Goncourt, Histoire de Marie-
Antoinette. Un fidèle royaliste, M. Desclozeaux, avait acheté
le cimetière de la Madeleine, afin de pouvoir y conserver les
restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il avait fait
entourer la place où reposaient les restes de la reine de
France, d'une haie de charmille et d'arbres allégoriques. Ce
fut là que, le 18 janvier i8i5, les recherches firent découvrir
ses ossements, sa tête intacte, ses jarretières et quelques lam-
beaux de ses bas. Le lendemain on trouva les restes de
Louis XYI. On les mit, ainsi que ceux de la Reine, dans un
cercueil de plomb.
Nous avons jugé superflu de parler plus amplement des
exhumations de Louis XVI et de Marie-Antoinette. M. G. Le-
( l n iino ni
CIMETffiJRE DE LA MADELEINE.
TOMBEAU DE M A R I E - A NTO I N ETTE AU CIMETIÈRE DE LA MADELEINE
Gravure de J)e Saulx. Cabinet des Estampes de la Bibliothèf/ue Nationale
! ■
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR l55
Madeleine les tombeaux de Saint-Denis. A
sept heures du matin, tous les régiments de
Pans, sous les armes et crêpes aux bras, fai-
saient la haie depuis la rue d'Anjou jusqu'à
la barrière de Saint-Denis. Le cortège se mit
en marche : il se composait des princes, des
grands dignitaires de l'Etat, des carrosses
royaux, du char funèbre, des cent suisses et
des gardes du corps. Arrivé à midi et demi à
la porte de Paris, le cortège se rendit à l'église
par l'étroite rue de la Boulangerie ^ ; les gardes
du corps du roi portèrent les deux cercueils
dans l'intérieur du monument. Mgr de Bou-
logne, évêque de Troyes, prononça l'oraison
funèbre. 11 avait pris pour texte les paroles
de David : « Gardez-vous de le tuer, car qui
pourrait porter la main sur l'oint du seigneur
et être sauvé ? » ^ L'absoute fut donnée, et
les deux cercueils, pendant qu'éclatait une
nôtre a traité la question d'une façon trop remarquable dans
son ouvrage sur Marie-Antoinette, pour qu'il nous soit permis
d'y revenir.
^ Bournon, lac. cit.
^ La Quotidienne, -i-i janvier i8i5.
l56 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
salve d'artillerie, pénétrèrent dans la crypte
désolée et vide.
Peu de temps après, une ordonnance royale
prescrivait la fermeture du Musée historique
dont nous avons déjà parlé, et Ton transpor-
tait à Saint-Denis les tombeaux et les statues
qui avaient survécu au massacre du mois
d'août, ainsi qu'un grand nombre d'autres
mausolées provenant des abbayes de Royau-
mont, de Maubuisson, des Jacobins, desCéles-
tins de Paris, etc. « De cette réunion, on
composa, dans les cryptes, le plus singulier
mélange. Voulant présenter une suite non
interrompue de rois et princes du sang par
ordre chronologique, des statues furent bapti-
sées à nouveau ; d'un tombeau on en fît deux
ou trois. D'un Charles V et d'une Jeanne de
Bourbon, qu'on possédait en double, on fit un
saint Louis et une Marguerite de Provence, ce
qui fut pour nos peintres d'histoire, l'occasion
de singulières méprises. Quelques person-
nages changèrent de tète, et l'on vit, par
suite, chez tous les mouleurs de Paris, une
Kr
LA BASILIQUE APRES LA TERREUR 1^7
certaine Nantliilde, femme de Dagobert, à
laquelle on avait adapté la tête d'un jeune
prince. S'il manquait un tombeau à la collec-
tion, on en composait un avec des fragments
pris à des retables, à des autels, puis on
posait là-dessus une statue inconnue, que l'on
baptisait suivant le besoin. Cette méthode
avait été déjà suivie (il faut le reconnaître)
par Alexandre Lenoir dans son musée. C'est
de cette façon qu'il composa le célèbre tom-
beau d'Héloïse et d'Abailard, aujourd'hui
transféré au cimetière du Père-Lachaise. Ce
tombeau, qui vit verser tant de larmes et pous-
ser tant de soupirs, est fait avec des morceaux
d'une arcature de l'église de Saint-Denis, des
bas-reliefs provenant des monuments de Phi-
lippe et de Louis, frère et fils de saint Louis,
des rosaces appartenant à la chapelle démo-
lie de Saint-Germain-des-Prés, et de deux sta-
tues, du xiv^ siècle, de personnages incon-
nus V »
^ VioUet-le-Duc, loc. cit.. p. 708.
i58 LES TOMBEAUX DES ROTS SOUS LA TERREUR
Durant trente années, les malheureux
monuments rendus à Saint-Denis restèrent
entassés dans la crypte. En 1846 seulement,
Viollet-le-Duc commença à les rétablir dans
l'église à leur place primitive, avec leurs noms
et leur décoration véritables, laissant dans la
voûte souterraine les statues modernes sculp-
tées sous l'Empire et la Restauration, sans
intérêt historique ni architectural.
Au mois de janvier 1817, une autre céré-
monie solennelle avait lieu dans la cour des
Valois, là où avaient été entassés, dans un
horrible pêle-mêle, les restes des rois et de
leur famille pendant les journées d'octobre.
Rien n'était triste et désolé comme ce coin de
terre : les orties avaient envahi le seuil de
la porte où passèrent les cercueils, avant de
basculer leur contenu dans les fosses. C'était
partout un inextricable fouillis de brousailles,
d'herbes folles et d'arbustes avec la verdure
maladive des lieux abandonnés.
Depuis plus de cent ans, le décor de cette
ÉTAT ACTUEL DE L'ANCIEN EMPLACEMENT DES FOSSES
où furent entassés les restes des rois de France
et de leur famille, au mois d'octobre 1793.
LA BASILIQUE APRES LA TERREUR i St)
scène n*a pas changé : c'est le même terrain
inculte et désolé, les mêmes arbres rabou-
gris, le même pignon aigu qui projette son
ombre sur l'ancien emplacement des fosses,
les mêmes frises brodées, la même rosace
épanouissant les magnificences de sa corolle.
Mais nous sentons qu'il faudrait un autre talent
que le nôtre, pour retracer une scène qui nous
semble la plus tragique de nos révolutions.
Le 18 janvier, vers onze heures du matin,
les ouvriers creusaient une première tranchée
devant le portail du croisillon nord, et com-
mençaient à « découvrir un amas considérable
d'ossements mêlés dans les terres. ^ »
Ce dût être un tableau d'un effet drama-
tique que celui de ces arrière-neveux des
fossoyeurs à'Hamlet, fouillant cette terre
humide, faite de la poussière de douze siècles
de rois, soulevant le crâne de Dagobert, un
tibia de Louis XIV et une côte de Marie de
Médicis. Et à la vue de ces ouvriers, en
i Procès-verbal du i8 janvier i^i-], Arch. nat. AE^iS.
ifio LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
manches retroussées, munis d'une pioche et
recherchant, dans un espace de six mètres
carrés, ce qui restait de la famille de Glovis,
de saint Louis et de Henri IV, jetée là, il y a
vingt-trois ans, comme on jette la boue des
cités, l'esprit des assistants dût se reporter,
sans doute, vers le cérémonial qui avait pré-
sidé jadis aux inhumations de tous ces rois,
avec ces chevaux parés de plumes, ces roule-
ments de tambours, le bruit des cloches et du
canon, toute cette pompe étalée autour de
leurs cercueils. Gela ne dépasse-t-il pas VEru-
elimini de Bossuet ?
On vida les fosses de la poussière de tant
de générations royales ; « malgré les précau-
tions qu'on fit prendre pour relever les terres
et les ossements, on ne trouva plus rien d'en-
tier, si ce n'est les portions inférieures de
trois corps gisant dans leur position naturelle
en état complet de dessication, comme tous
les autres ossements » \
^ Procès-verbal du i8 janvier 1817.
z
PQ
\
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR i63
On renferma ces cendres dans deux im-
menses cercueils de bois, tendus de noir,
et le lendemain seulement, à onze heures du
soir, eut lieu leur transfert dans l'intérieur
de la Basilique. La scène eut un caractère de
grandeur véritablement saisissante. La nuit
était magnifique, « la lune éclairait les tours ;
les flambeaux que portaient les assistants
reflétaient les murs de Tédifice '. »
A la lueur des torches, le clergé entonna
l'hymne des morts devant les deux catafalques,
et les cercueils, escortés de piquets d'honneur,
pénétrèrent dans la Basilique au bruit des
cloches répondant au Dies irœ. On les
déposa dans l'ancien caveau de Turenne,
derrière deux grandes tables de marbre noir,
énumérant les noms de tous ces malheureux
princes que la fatalité avait poursuivis jusque
dans le lieu du repos ^.
C'est là, comme nous l'avons dit plus haut,
1 Manuscrit d'Alexandre Lenoir, elle par d'Hcilly. loc. cit.
2 Les inscriptions n'énumèrent pas le nom des personnages
dont les cendres avaient été dispersées au moment de la pre-
mière destruction des tombeaux.
l64 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
que fut déposé le cercueil du cardinal de Retz,
au pied des deux tables de marbre, où il ser-
vit longtemps d'escabeau et de marchepied,
profané par les curieux qui voulaient lire les
noms des victimes des violations d'octobre,
sans se douter qu'ils avaient sous leurs pieds
les restes non seulement d'un privilégié de la
fortune et de la naissance, mais du terrible
frondeur qui fut le plus mortel ennemi de
Mazarin*.
Plus de cent ans après la violation des
sépultures, quand dans une pénombre funèbre
on visite ces lieux sinistres, qu'on parcourt
ces caveaux, qu'on croise ces piliers romans,
ces chapiteaux carlovingiens, un recueille-
ment vous saisit qui ressemble à de la stu-
peur, et on frémit, malgré soi, au souvenir
des scènes de profanation qu'ont vues toutes
ces vieilles pierres.
^ Le cercueil du cardinal de Retz a été relégué dans un
caveau dont la porte d'entrée se trouve à droite et au bas de
l'escalier qui conduit à la crypte, en face le caveau des Bour-
bons.
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR l65
Éventré en 98 par les profanateurs , fermé
sous le premier Empire par une porte de
bronze , muré , à nouveau , au retour des
Bourbons, le caveau a été démuré définiti-
vement de nos jours, et une petite porte de
bronze en permet raccès. Le public toute-
fois n'entre pas dans le caveau central ; mais
le regard y pénètre au travers d'une lucarne
grillée . Deux cercueils posés près de la
lampe funéraire contiennent les restes de
Louis XVI et de Marie-Antoinette^; à côté
^ A côté du cercueil de Louis XVI, on distingue une boîte
en chêne contenant des ossements royaux. C'est là toute une
histoire presque invraisemblable. En 1898 , un employé du
Musée du Louvre découvrait dans un carton poudreux toute
une collection d'ossements. Ils étaient munis d'une étiquette;
et l'on s'imagine si la stupéfaction fut à son comble, quand on
lut successivement sur ces étiquettes : Omoplate de Hugues
Capet, fémur de Charles V, tibia de Charles YI, vertèbre de
Charles VII, côte de Philippe le Bel, etc.
D'où venait cet ossuaire, ou plutôt ce squelette démonté,
dont chaque roi avait fourni son échantillon?
Le 3o mars iSgS, le Figaro reproduisait une lettre adressée
à M. de Nieuwerkerke, alors organisateur, au Louvre, du
Musée des Souverains, datée de 1864, et contenant l'histoire
de « ce squelette de la monarchie française » :
« Monsieur le Surintendant,
« Lorsque j'ai eu l'honneur de vous voir, il y a quinze jours,
vous m'avez invité à vous faire une notice historique au sujet des
ossements royaux qui se trouvent en ma possession ; je vais être
l66 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
du cercueil de la reine se trouve celui de
obligé d'entrer dans quelques détails, mais je tâcherai d'être aussi
bref que possible. Vous m'avez dit que les ossements ne vous
étaient pas inconnus et que vous aviez déjà été informé de leur
existence, Je n'entreprendrai pas dès lors d'expliquer comment
M. Ledru, ancien maire de Fontonay-aux-Roses se les était pro-
curés. Il me suffira de vous faire connaître que M. Ledru avait
été l'ami intime du chevalier Lenoir, le fondateur du Musée des
curiosités, dit des Petits-Augustins, lequel, créé en 1793, fut formé
sous la Restauration ; et que le chevalit-r Lenoir avait assisté,
comme inspecteur, à l'exhumation des cadavres, lors de la profa-
nation des tombes royales de Saint-Denis qui eut lieu au mois
d'octobre 1793. Ce que je dois surtout vous expliquer, c'est com-
ment les objets ont quitté le cabinet de curiosité du maire de
Fontenay pour devenir ma propriété. M. Ledru est mort vers i834
ou i835; c'est sa veuve. M'"» Ledru, née Lemaire, ma tante, qui
me les a donnés en 1842 ou 1843. J'avais quinze ou seize ans,
j'apprenais le dessin..., et M">« Ledru me remit les ossements en
me disant qu'ils pourraient mètre utiles pour l'étude de l'Acadé-
mie. Elle ne me parla aucunement de leur origine, mais elle me
recommanda de les conserver soigneusement, de ne pas les donner
et de les ensevelir s'ils n'étaient pas utiles.
« Ce n'est que lorsque ma tante mourut, au mois d'octobre 1848,
que j'appris l'importance du cadeau qu'elle m'avait fait.
« Comme j'assistais, quelques jours après, au dépouillement de
ses nombreux papiers, j'entendis un homme d'affaires lire à haute
voix une liste d'ossements dont la réunion paraissait assez étrange.
Je fus frappé du rapport qui existait entre cette liste et les objets
dont j'étais possesseur. Je réclamai le papier, et aussitôt que je
fus rentré chez moi, je fis une comparaison à la suite de laquelle
je fus convaincu que j'avais entre mes mains une omoplate de
Hugues Capei, un fémur de Charles F, un tibia de Charles \ /, une
vertèbre de Charles VII, une cote de Philippe le Bel, une côte de
Louis XII, etc.,
« Quelques mois plus tard, je lisais dans un roman intitulé :
Les mille et un fantômes, chapitre iv, un passage où l'illustre
conteur parle de ces ossements qu'il avait eu l'occasion de voir,
en i83i, chez M. Ledru lui-même...
« Ce n'est pas sans effort, je vous en fais l'aveu, que je m'en
sépare... »
Lemaire
Avenue de Neuilly , 165.
Lo 3 juillet 1893. le même M. Lemaire, qui avait écrit cette
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR 167
Louis XVIII, avec sa housse de velours violet
lettre à M. de Nieuverkerke et qui vivait encore, adressait la
lettre suivante au Directeur de l'Intermédiaire des chercheurs
et curieux :
« Xeuilly, 3 juillet 1893.
« Monsieur le Directeur.
« Dans le numéro du 20 octobre iSga, de l'Intermédiaire,
M. Edouard Montagne demandait, ce qu'étaient devenus les osse-
ments royaux qui avaient appartenu à M. Ledru, oncle de
M. Ledru-Rollin. Je ne répondis rien, parce que je me demandais,
moi-même, alors, ce qu'ils étaient devenus.
« Le 3o mai dernier, j'apprenais encore par les Nouvelles de
l Intermédiaire qu'on les avait trouvés dans le» greniers du musée
du Louvre, et, le môme jour, le Figaro reproduisait une lettre de
moi à M. de Nieuwerkerke, datée de 18G4, et contenant l'histoire
de ces ossements.
« Tout le monde connaissant maintenant cette lettre et cette
histoire dont tous les journaux ont parlé, je crois inutile de don-
ner de nouvelles explications. Cette lettre de 18G4 avait, d'ailleurs
été déjà reproduite en i883 dans Y Artiste par M. de Chennevières,
dans un article intitulé : Souvenir d'un ancien Directeur des
beaux-arts.
« Aujourd'hui, on paraît généralement convaincu de leur authen-
cité. Dans les lignes qu'il ajoutait à ma lettre dans l'Artiste,
M. de Chennevières disait que la liste qui les accompagne, sur
papier à entête de la neuvième mairie de Paris, lui semblait indu-
bitablement de Vécriturejbien connue cV Alexandre Lenoir, et il ajou-
tait cette réflexion : Quels applaudissements de la conscience pu-
blique n'accueilleraient pas, aujourd'hui, le ministre qui rendrait
à l'abbaye de Saint-Denis les ossements de nos rois.
« Quelques journaux ont cependant émis des doutes et ont
demandé qu'ils fussent simjilement rendus à la terre à laquelle
ils appartiennent.
« Pour moi, ma conviction n'a pas changé sur l'origine de cette
collection, qui était connue de M. Dulort, comme l'a dit Fournier,
d'Alexandre Dumas père [Les Mille et un fantômes, tome I"), de
Ledru-Rollin et de M. de Nieuwerkerke lui-même, et c'est avec le
plus grand étonnement que j'ai appris qu'elle n'avait pas été res-
tituée à la Basilique de Saint-Denis, comme M. le Surintendant
des beaux-arts, sous le second Empire, me l'avait promis en der-
nier lieu.
« En résumé, si, comme le Temps vient de l'annoncer tout
l68 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
dont l'or des eralons brille encore sous la
récemment, en donnant mon nom et mon ancienne qualité au
ministère de l'intérieur, le chapitre de Saint-Denis est invité à
reprendre ces ossements et qu'il y consente, c'est bien, l'affaire
est terminée.
« Mais si cette restitution présente des difficultés, il restera
encore la question de savoir dans quelle tei-re, dans quel cime-
tière on mettrait ces débris humains.
« Dans ce cas, comme j'ai eu l'honneur de le dire, le 26 mai
dernier, à M. le Directeur des musées nationaux, je croirais lui
rendre service en exprimant le désir qu'on me les rendît.
« Je solliciterais de M. le Préfet de la Seine l'autorisation de
les déposer dans mon caveau de famille, où j'irais les rejoindre
tôt ou tard.
« Après avoir eu ces ossements comme modèles pour mes pre-
mières études de la charpente humaine, quand j'avais quinze ans;
après les avoir conservés vingt ans comme un pieux souvenir de
famille, je me sentirais encore honoi'é de les avoir auprès de moi
dans ma dernière demeure.
« Agréez, etc.
Léon Lemaire,
Ancien Commissaire Inspecteur de l'Im-
primerie et de la Librairie.
Un an après, satisfaction était enfin donnée à M. Lemaire
qui pouvait lire le 10 juillet 1894, dans l'Intermédiaire des
chercheurs : « La direction des musées nationaux, déférant au
vœu exprimé par M. Lemaire, dans l'Intermédiaire, décida,
au mois d'août tSgS, que ces ossements seraient déposés
dans la Basilique de Saint-Denis. Mais le transfert définitif
ne put s en effectuer, par suite de formalités administratives,
que le ii'^ mai dernier, où M. ïrawinski, secrétaire des
musées nationaux, remit à M. Darcy, architecte de la Basi-
lique, les ossements royaux provenant d Albert Lenoir et
donnés par M. Lemaire. »
La^^^boîte en chêne, longue de 60 centimètres sur 40 de
large, 'placée à côté du cercueil de Louis XVI, porte l'inscrip-
tioujsuivante gravée sur une plaque de cuivre :
Ossements déposés dans la Basilique de Saint-Denis, aux
termes d'une décision de M. le Ministre de l instruction pu-
blique, des beaux-arts et des cultes, en date du 1 août 1898
L'ARMOIRE DES CŒURS
"te ^°^ °^ ^ («^ •**• Lo^-^-XVlla-»^ it <l<:f«^ i">~ U R>^otJai!c <U IÏ30.
INTERIEUR DE L'ARMOIRE DES CŒURS
Dessins d après nature de M. J. Beuzon.
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR 169
poussières ceux du prince de Gondé et de
son fils, trouvé pendu à une fenêtre de son
palais; en face gisent les cercueils de deux
filles de France, mortes en exil, Mesdames
Victoire et Adélaïde, du duc de Berry, tombé
sous le poignard de Louvel, et de deux de ses
enfants, de Louis VII, de Louise de Lorraine,
femme de Henri III, et de deux princes de la
branche de Gondé, échappés aux profanations
d'octobre.
Au milieu de l'hémicycle qui termine le
caveau royal du côté de l'orient, une armoire
en pierres, reposant sur deux colonnettesà cha-
piteaux du XIII* siècle, contient quelques par-
celles des corps de Marie de Médicis, Henri IV
et Louis XIV, et les cœurs de Louis XIII, d'un
enfant du duc de Berry et de Louis XVI ir\
rendue sur le rapport du Directeur des musées nationaux et
de l'école du Louvre.
Dans son Cabinet secret de l'Histoire, notre érudit con-
frère, le D"" Cabanes, a consacré aux migrations de ces osse-
ments et d'autres reliques royales, tout un chapitre qui ne
peut manquer d'intéresser, à la fois, les historiens et les
curieux.
1 Lenôtre, loc. cit.
- Le cœur de Louis XIII proviendrait de l'ancienne église
ï'jo LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Et voilà ce qu'il reste dans « ces sombres
de la maison professe des Jésuites ; mais nous tenons à dire
que, malgré des recherches minutieuses, nous n'avons trouvé,
au sujet de cet auguste viscère, aucun document établissant
d'une façon indiscutable son authenticité.
Pour ce qui a trait aux restes de Marie de Médicis, Henri IV
et Louis XIV, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire
le procès-verbal do leur dépôt, sans on tirer aucune déduc-
tion ;
« Ce aujourd'hui, 22 octobre 1824, en vertu de l'autorisation
et des ordres donnés par le- roi Louis XVIII à son grand
aumônier, au mois de juillet dernier, pour procéder au dépôt
dans les tombeaux de S'-Denis de quelques parcelles des
corps de la Reine de France Marie de Médicis, de Henri IV
et de Louis XIV ; vu le mémoire de M. Manteau, actuellement
bibliothécaire de la ville de Laon, lequel a eu le bonheur et
le courage de sauver ces précieux restes de la profanation
des tombeaux de S'-Denis en 1793 ; vu les deux attesta-
tions jointes au mémoire du sieur Manteau et données succes-
sivement par M. le marquis de Nicolaï, ancien préfet du dépar-
tement de l'Aisne, l'autre par M. le comte de Floirac, préfet
actuel dudit département, qui constatent la véracité du sieur
Manteau et l'authenticité de ces illustres parcelles ; vue la
lettre du Ministre de la maison du roi en date du 28 juillet
dernier et celle de M. le baron de la Porté, directeur des fêtes
et des cérémonies du 29 du même mois, pour régler, de concert
avec le grand aumônier de France, la manière de procéder au
dépôt des dites parcelles ; avons prince de Croy, grand
aumônier de France, en présence de M. l'abbé de Grand-
champ, doyen du chapitre royal de S'-Denis et de M. l'abbé
de Cugnac, dignitaire dudit chapitre et gardien des tombeaux,
nommés par nous commissaires à cet effet, et en présence de
M. Cahier orfèvre du roi et chargé de clore les boîtes qui ren-
ferment les dites parcelles, les avons déposées chacune dans
celle des boîtes à ce destinée et portant l'inscription con-
forme aux précieux restes qu'elles contiennent, lesquelles
boîtes ont été closes et vissées en notre présence par ledit
sieur Cahier, pour être de Paris transportées aux tombeaux
de S'-Denis, les jour et heure qui auront été désignés; en foi
LA BASILIQUE APRÈS LA TERREUR 171
lieux, dans ces demeures souterraines « dont
de quoi nous avons signé, avec les témoins ci-dessus, ce procès
verbal qui ne sera clos que le jour du dépôt fait dans les tom-
beaux de S^-Denis.
-|- G. prince de Crov
g^ A'" de France.
Le Bon de L\ Fertk
L'abbé de Graxdchamp
Doyen de S^-Denis.
L'abbé de Cvgnac
Ch"» g^'"" des tombeaux.
Conformément aux dispositions précédentes, le jour etl'heure
de la déposition des trois susdites boîtes ayant été fixés au
jour même de l'inhumation du corps de S. M. Louis XVIII,
en présence de M. le marquis de Brézé, grand-maître des
cérémonies, ce jourd'hui i5 octobre 1824, en présence de
MM. les Commissaires ci-dessus désignés et de M. le baron
de La Ferté, directeur des fêtes et cérémonies de la Cour, nous,
grand aumônier de France, avons assisté à la déposition dans
les tombeaux de S*-Denis des trois boîtes contenant des par-
celles des corps de Marie de Médicis, de Henri IV et de
Louis XIV, en foi de quoi nous avons signé et clos ledit procès-
verbal, et arrêté qu'une copie signée de nous en sera envoyée
au sieur Manteau, comme un témoignage authentique de son
courageux respect pour les cendres de nos rois et de l'accom-
plissement de ses pieuses intentions; et ont signé avec nous
MM. les témoins ci-dessus nommés.
A St-Denis, le 25 octobre 1824
-(- G. prince de Croy
gà _4ioi- (ig France.
L'abbé de Grandchamp
Doyen de S^-Denis.
Le baron de La Ferté
L'abbé de Gugnac <
Ch^o giien dgg to77ibeaux.
Il nous reste à transcrire, au sujetdu cœur de Louis XVII,
une intéressante communication de M. Maurice Pascal, qui a
bien voulu nous autoriser à reproduire le dessin, pris sur
17'^ LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
parle Bossuet, où l'on pouvait à peine ranger
les rois et les princes anéantis, « tant les
rangs y sont pressés, tant la mort est prompte
à remplir ces places. »
Une petite lampe, allumée du dehors, pro-
jette une lumière douteuse dans cette lugubre
enceinte qui n'évoque plus aujourd'hui que
des souvenirs d'exil, de meurtre, de suicide
et d'échal'aud.
nature, de l'armoire des cœurs, lors d'une visite qu'il fît à la
sépulture royale le 24 mars 1896 : « Le dernier socle de
l'ai-moire des Cœurs devait soutenir le cœur de Louis XVII,
que le roi Charles X avait accepté et fait déposer à l'arche-
vêché de Paris entre les mains deMonseigneurde Quel en. De
l'archevêché le cœur de Louis XVII devait être déposé, et au
préalable porté en grande pompe à Saint-Denis, auprès des
autres cœurs de sa Race. Mais la Révolution de i83o survint
avant que parussent les décrets octroyant les honneurs qu'on
devait lui rendre, et c'estpourquoilesocle resta vide. Depuis,
ce cœur de Louis XVII fut porté par M. Maurice Pascal à
l'aîné des Bourbons, Mk"" le duc de Madrid, qui le lit déposer
dans la chapelle royale de Froshdorff où il est actuellement
avec plusieurs souvenirs de la Famille Royale, entre autres
le fichu ensanglanté que portait sur l'échafaud Marie-Antoi-
nette ».
APPENDICE
APPENDICE
La remarquable conservation du corps de
Henri IV, et, quoiqu'à un degré moindre, celle
des corps de Louis XIII et Louis XIV, nous
ont engagé à résumer, sous ce titre, les
causes d'une pareille résistance à la destruc-
tion, qui ont pu piquer la curiosité de certains
lecteurs.
Il faut reconnaître, d'abord, que les circons-
tances, qui influent sur la marche de la décom-
position cadavérique, sont loin d'être toutes
élucidées, et que l'on observe parfois, à cet
égard, des différences considérables sur des
corps placés dans des conditions en apparence
absolument analogues. « Un exemple frappant
de ces différences est rappelé par Briand et
i'j6 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Chaude. Les corps d'individus qui avaient été
tués pendant l'insurrection de i83o, à Paris,
furent inhumés côte à côte dans le même
terrain et exhumés dix ans après ; on observa
alors sur ces divers individus tous les degrés
de décomposition, depuis la dessiccation
complète des ossements jusqu'à une conser-
vation si parfaite des parties musculaires, que
les traits étaient reconnaissables^ ».
On sait, en tout cas, que l'accès de l'air, ou
du moins de l'oxygène, est une des conditions
qui favorisent le plus les progrès de la putré-
faction ; qu'elle se fait plus rapidement
avec l'élévation et l'humidité de la tempéra-
ture ; que l'électricité atmosphérique hâte sa
marche ; que le froid, au contraire, la retarde,
et que la congélation l'arrête.
Mais, quelle est, en son essence, la cause
de la désorganisation des tissus, en vertu de
quels phénomènes intimes s'accomplit-elle,
et quelles sont les diverses phases de cette
^ Vibcrt. Médecine légale, 1893.
APPENDICE 177
destruction ? Les travaux d'Armand Gauthier
sur les ptomaïnes et les leucomaïnes, et ceux
de Duclaux sur la décompobition des matières
organiques nous permettent aujourd'hui de
répondre scientifiquement à cette question
jusqu'ici si obscure et de comprendre égale-
ment les phénomènes qui peuvent arrêter la
marche dutravail de décomposition. D'ailleurs,
dussions-nous n'esquisser qu'une explication
incomplète, le lecteur n'aura rien à regretter,
puisque, à notre connaissance, cette étude
n'a jamais été tentée, au point de vue qui nous
occupe.
Dans le cas ordinaire d'un cadavre enseveli
dans un cercueil plus ou moins perméable à
Vair, mais assez hermétiquement clos pour
empêcher la destruction, concomitante avec
celle des microbes, de cette autre faune des
tombeaux qui comprend les insectes diptères,
coléoptères, lépidoptères, etc., le travail de
destruction des tissus s'accomplit en vertu des
phénomènes suivants :
178 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
i" Des microbes qu'on appelle anaérobies,
c'est-à-dire vivant sans air, se livrent à une
première transformation des matières albumi-
noïdes, base de nos éléments organiques, en
ammoniaque. Phénomène curieux, ces mi-
crobes anaérobies sécrètent, en même temps,
une toxine qui suspend rapidement leur vita-
lité, et arrête ainsi le premier travail de des-
truction qui modifie à peine l'aspect extérieur
des tissus.
2" A ce travail microbien succède rapide-
ment un nouveau phénomène, produit par
certains microbes aérobies (auxquels l'oxygène
de l'air est nécessaire) , qu'on appelle microbes
de Vinogradski, qui transforment, à leur tour,
en azotes nitreux les matières albuminoïdes
déjà transformées par les microbes de la pre-
mière phase.
S** Un dernier phénomène se produit enfin,
dû à une série de microbes encore aérobies .^
dit nitrifiants^ qui achèvent la décomposition
de la matière albuminoïde, en transformant
les azotes nitreux en azotes nitriques.
APPENDICE 179
Tous phénomènes accompagnés de dégage-
ment de gaz acide carbonique, hydrogène
sulfuré, hydrogène carboné, etc., et de for-
mation d'acide acétique, d'eau, d'alcaloïdes
ou ptomaïnes, et de sels qui constituent un
résidu terreux.
La décomposition de nos organes s'accom-
plit donc en vertu d'un travail de transforma-
tion dû à des équipes successives de microbes,
qui peut varier et se modifier, d'ailleurs, sui-
vant certaines circonstances atmosphériques
plus ou moins favorables à la vie microbienne,
l'état du cadavre, le genre de mort (les sujets
qui ont succombé à des affections septiques,
comme Louis XV, se putréfient très rapide-
ment), l'humidité du milieu et le degré d'hy-
dratation des organes.
Dans le cas de Henri IV qui nous occupe
particulièrement, il s'agit : 1° d'un corps
soustrait à l'influence atmosphérique par les
soudures hermétiques d'une enveloppe de
l8o LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
plomb ; 2° du cadavre d'un roi tué en pleine
santé, sans altération préalable des tissus,
comme celle qui résulte d'une affection sep-
tique ; 3° d'un accident dû à une hémorragie
foudroyante qui a déshydraté les organes, ce
qui a une importance capitale, étant connue
l'influence de l'humidité sur la vitalité micro-
bienne.
Ces conditions étant établies, aussitôt
après le décès du roi, le premier travail des
microbes anaérobies a pu s'accomplir, travail,
nous l'avons dit, de courte durée, qui modi-
fie les tissus d'une façon inappréciable à la
vue. Par suite de la faible quantité d'air que
contenait le cercueil, les microbes aérobies de
la deuxième phase n'ont pu accomplir qu'une
transformation de très courte durée égale-
ment, l'oxygène de l'air leur faisant défaut.
Et le travail de destruction s'est arrêté de
bonne heure, dans des conditions d'ailleurs
défavorables à la vie microbienne, puisqu'il
s'agissait d'un cadavre exsangue, plus ou
moins deshydraté.
'^
«^
APPENDICE
La fermeture hermétique de Fenveloppe de
plomb, qui est la condition première de toute
conservation, n'est pas toujours facile à réa-
liser : le défaut d'occlusion absolue peut tenir
à l'imperfection du travail qui a laissé une
fissure minime, à celle qu'a occasionnée
l'oxydation d'un point faible de la soudure, ce
qui explique pourquoi, sur cinquante-quatre
cercueils de Bourbons embaumés, cinquante
ne présentaient guère qu'une masse informe
à la dévastation de 1793.
Et ceci nous amène à dire un mot des
embaumements des rois que quelques années
réduisaient à des ossements désunis au milieu
d'une « putréfaction liquide. »
Nous ne pouvons choisir un plus beau
modèle d'embaumement que celui qui fut
fait pour M"" la Dauphine par M. Riqueur,
apothicaire du roi.
« Cet embaumement s'est exécuté avec tout
le désintéressement, l'habileté et la prudence
qu'on a pu désirer, en présence de M. d'Aquin,
alors premier médecin du roi ; de M. Fagon,
i82 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
premier médecin de la feue reine, et qui l'est
présentement du roi ; de M. Petit, premier
médecin de monseigneur le dauphin ; de
M. Moreau, premier médecin de feue M""^ la
dauphine ; de M. Félix, premier chirurgien
du roi ; de M. Clément, maître chirurgien de
Paris et accoucheur de la dite princesse.
M. Dionis, son premier chirurgien, opérait,
étant aidé de M. Baillet, chirurgien ordinaire,
et d'un autre chirurgien du commun : M"'' la
duchesse d'Arpajon, sa dame d'honneur,
M™" la maréchale de Rochefort, dame d'atour,
et plusieurs femmes présentes.
Description du baume qui a été fait
pour M^^ la dauphine.
% Racines d'iris de Florence, 3 livres.
Souchet, I livre 2 •
Angélique de Bohême, gingembre, calamus aroma-
ticus, aristoloche, aa i livre.
Impératoire, gentiane, valériane, ââ 5 livre.
Feuilles de mélisse, basilic, ââ i livrer^.
Sauge, sariette,thym, ââ i livre.
Ilyssope, laurier, myrrhe, marjolaine, origan, rhue,
ââ "2 livre.
APPENDICE l83
Auronne, absinthe, menthe, calament, serpolet, jonc
odorant, scordium, ââ 4 onces.
Fleurs d'oranger, i livre g •
Lavande, 4 onces.
Romarin, i livre.
Semences de coriandre, 'i livres 5 .
Cardamome, i livre.
Cumin, caris, ââ 4 onces.
Fruits et baies de genièvre, i livre.
Gérofle, i livre :, .
Muscade, i livre.
Poivre blanc, 4 onces.
Oranges séchées '^ livres.
Bois de cèdre, 3 livres.
Santal citrin, roses, ââ 1 livres.
Ecorces de citron, d'orange, de cannelle, ââ^ livre.
Styrax, calamité, benjoin, oliban, ââ i livre ■^.
Myrrhe, 'j. livres ^ .
Sandarac, ^ livre.
Aloès, 4 livres.
Esprit-de-vin, 4 pintes ; — de sel, 4 onces.
Térébenthine de Venise, 3 livres.
Styrax liquide, 2 livres.
Baume de copahu, j livre.
Baume du Pérou, 2 onces.
Toile cirée.
Le cœur, après avoir été vidé, lavé avec de
l'esprit-de-vin et desséché, fut mis dans un
vaisseau de verre avec cette liqueur ; et ce
même viscère, ayant été ensuite rempli d'un
l84 LES TOMBEAUX DES ROIS SOLS LA TERREUR
baume fait de cannelle, de gérofle, de myrrhe,
de styrax et de benjoin, fut enfermé dans un
sac de toile cirée de sa figure, lequel fut mis
dans un cœur ou boîte de plomb, qu'on souda
aussitôt pour être donné à M™^ la duchesse
d'Arpajon, qui le mit entre les mains de
M^''" Févèque de Meaux, premier aumônier de
feue M""" la Dauphine, qui le porta après au
Val-de-Grâce. L'ouverture du corps fut faite
le plus exactement qui se puisse par M. Dio-
nis, son premier chirurgien. M. Riqueur rem-
plit toutes les capacités d'étoupes et de
baume en poudre. Les incisions furent faites
le long des bras jusque dans les mains, les-
quelles furent munies de cette poudre aroma-
tique, après qu'on eut exprimé tout le sang
et qu'on les eut lavées avec de l'esprit-de-
vin ; on en fît autant aux cuisses, qui furent
incisées de part et d'autre depuis les reins
jusque sous les pieds, et le tout fut propre-
ment recousu. — On se servit d'une grosse
brosse pour frotter le corps d'un baume
liquide et chaud, fait avec de la térében-
APPENDICE l85
thine, du styrax et des baumes de copaliu et
du Pérou, comme il est dosé ci-devant. Cha-
que partie fut enveloppée avec des bande-
lettes trempées dans Tesprit-de-vin ; l'on mit
autant que l'on put de ladite poudre aroma-
tique entre le corps et les bandelettes. Le
corps fut revêtu d'une chemise et d'une tuni-
que religieuse et environné d'autres marques
de dévotion particulière, comme d'une petite
chaînette de fer, au bout de laquelle il y
avait une croix, que cette princesse gardait
dans un coffre qu'elle avait fait apporter avec
elle de Bavière. On l'enveloppa ensuite dans
une toile cirée et on le lia fort étroitement
pour être posé dans un cercueil de plomb,
au fond et autour duquel il y avait quatre
doigts dudit baume en poudre. Ce cercueil,
étant bien soudé, fut enchâssé en un autre
de bois, tous les espaces vides ayant été
remplis d'herbes aromatiques séchées. Les
entrailles, bien préparées, furent mises dans
un baril de plomb avec une grande quan-
tité des mêmes poudres aromatiques ; on le
l86 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
souda bien et on l'enferma dans un baril de
bois. ^ »
On se demande comment d'aussi horribles
mutilations n'ont pas détourné les familles
royales de la pieuse pensée de recourir à
l'embaumement de ceux qui leur étaient
chers, comment un art ainsi compris a pu
rester en honneur près des grands jusqu'à
Louis XVlll. Un sujet ainsi tailladé, morcelé
et farci « ressemble plus à des viandes prépa-
rées, dit Ganal, qu'à un embaumement » ; et,
certes, une pareille mutilation ne pouvait
être utile qu'à accélérer la décomposition.
On était loin de la pratique des embaume-
ments modernes, dont l'honneur de la décou-
verte revient à Ganal, vers i83o, procédés qui
permettent, sans mutilation, sans soustrac-
tion d'organes, de conserver indéfiniment un
cadavre, sans aucune altération.
C'est sur l'antisepsie, c'est-à-dire sur la
puissance de certains liquides de suspendre
* Voir Ganal, Histoire des Embaumements, i838.
APPENDICE 187
OU de détruire la vitalité des micro-organis-
mes qui sont, avec la cessation de la vie, les
agents destructeurs de nos organes, que
repose l'embaumement moderne.
Aujourd'hui, avec une incision de quelques
centimètres au col, sans que le corps soit
dépouillé de ses vêtements, il suffit d'injecter
dans la carotide une solution de chlorure de
zinc^ ou encore mieux une solution de formol,
pour obtenir la conservation d'un corps, qui
peut rester exposé à l'air, pendant des mois,
sans éprouver aucune altération. Si l'exposi-
tion à l'air était prolongée plus longtemps, le
corps embaumé se dessécherait complète-
ment, dans un temps plus ou moins long,
suivant l'état hygrométrique de l'atmosphère
et l'élévation de la température qui président
aux phénomènes d'évaporation^
^ Elle doit être concentrée jusqu'au degré où le maniement
donne aux doigts la sensation d'un picotement.
^ Les momies des Egyptiens devaient leur conservation à l'in-
fluence seule des circonstances atmosphériques. La preuve
en est que, sans être préparées et seulement couvertes d'une
couche de sable, des corps promptement desséchés par une
atmosphère chaude et aride se sont conservés inaltérés pen-
i88 LES TOMBEAUX DES ROIS SOUS LA TERREUR
Mis à l'abri de Tair dans un cercueil hermé-
tiquement clos, les corps embaumés se con-
servent indéfiniment ; et si Ton veut rendre
aux tissus à peu près leur couleur naturelle,
il suffit de pousser, avant le liquide conser-
vateur, un demi-litre de glycérine tenant en
dissolution une matière colorante rouge. Les
sujets ainsi traités présentent un simulacre
de vie ou plutôt Tapparence du sommeil
dans le repos sans fin.
Avant d'achever cette étude où le lecteur
pourra nous reprocher d'avoir tiré un médio-
cre parti d'un sujet aussi plein de situations
dramatiques, nous tenons à ajouter qu'on
chercherait en vain dans ces quelques pages
une intention politique, et que jamais nous
dant des siècles. C'est ce qu'on nomme les momies des sables.
On comprend alors que les cadavres égyptiens, préparés par
n'importe quel procédé, aient résisté à l'action destructive du
temps, lorsqu'ils étaient placés dans des caveaux où la tem-
pérature constante était de 20° et où l'hygromètre restait fixe
à 0°. (Voir. Ganal. Loc. cit.)
APPENDICE 189
n'avons confondu, dans notre esprit, l'idée
de la Révolution avec les atrocités de la Ter-
reur. Néanmoins, à notre époque où l'on élève
chaque jour une statue nouvelle à la Révolution ,
il est bon de rappeler certaines pages de
son histoire qui peuvent fournir des bas-reliefs
à son piédestal. Quoi qu'il en soit, en ce qui
touche au sujet de notre récit, apologistes
comme détracteurs de cette époque tragique,
tous doivent en convenir, les hommes abomi-
nables, qui violèrent l'asile des morts, ont
commis à la fois un crime et une monstrueuse
absurdité, comme si la violation des sépulcres
était utile à la cause de la liberté, comme si
les passions des hommes avaient le droit de
fouiller les tombeaux.
TABLE DES GRAVURES
1. La basilique de Saint-Denis en 1830, d'après une litho-
graphie de la Bibliothèque nationale. Frontispice.
2. La ville de Saint-Denis en France avec la royale Abbaye,
d'après une gravure ancienne, p. 9.
3. Vue d'ensemble des tombeaux de la Basilique, p. 12.
4. Tombeau de Dagobert. Dessin de E, Le Tellier, p. aS.
5. Sceau de Constance de Castille, trouvé dans le cercueil
de cette princesse. Dessin de Riolet, p. 29.
6. La sépulture des Valois à Saint-Denis , d'après une gra-
vure du temps, p. 34-
7. Henri IV exhumé, d'après le dessin d'un témoin oculaire,
gravé au début de la Restauration, p. 44-
8. Masque de Henri IV, pris lors de son exhumation, p. 47.
9. Plaque tumulaire de Louis XIV, d'après une photogra-
phie, p. 5o.
10. Tombeau de François I'^'', p. 67.
11. Louise de France, gravure de Le Beau, p. 74.
12. Mausolée de Turenne dans la basilique de Saint-Denis,
d'après une gravure du temps, p. 77.
i3. Louise de Lorraine, d'après une gravure du temps, p. loi. !
14. Exhumation de Louise de Lorraine. Dessin de Drane/, {'"'^^^
p. 1x3. (^'Vftv.<^/^..
1^. Mascarade de l'enlèvement du Trésor de la Basilique de
Saint-Denis, d'après une aquarelle de l'époque, p. laa.
ïçyjL TABLE DES GRAVURES
i6. État actuel du i/ase des noces de Cana, dessin de M. de
la Tour, p. liS.
17. Vase de Xevxès, faussement qualifié de Vase de Cana,
p. i3o.
18. Sceau et signature de l'Empereur Baudouin II. p. i33.
19. Vase d'agate dit coupe de Ptolemée, p. 137.
20. Tombeau de Marie- Antoinette, au cimetière delà Made-
leine, d'après une gravui'c du temps, p. lo/j.
21. État actuel de l'emplacement des fosses où furent entas-
sés les restes des rois de France et de leur famille,
au mois d'octobre 1793, p. 159.
in. Plan de l'emplacement des fosses, d'après un plan déposé
aux Archives nationales, p. 161.
■i3. Le soupirail et la porte du caveau central, p. 164.
24. Intérieur du Caveau des Bourbons. Dessin d'après nature
de M. Joseph Beuzon, p. 166.
25. L'armoire des CtPHys. Dessin d'après nature de M. J. Beu-
zon, p. 169.
26. Assassinat de Henry le Grand, roi de France, d'après une
gravure du temps, p. 180.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
AvANT-PKOPOS j
Chapitre I. La Basilique de Saint-Denis et ses Tom-
beaux 5
— II. Les Destructions des 6, 7, et 8 août 1793. 19
— III. Les Journées d'octobre 41
— lY. Le Tombeau de Turcnnc 77
— V. Les Tombeaux de Louis YII, de Louis XI
et de Philippe 1*='' 93
— VI. Louise de Lorraine. L'odyssée d'un cer-
cueil rojal loi
— YII. L'Enlèvement du Trésor de la Basilique. 121
— YIII. La Basilique après la Terreur 149
Appendice 1^3
Table des gkavlkes. . . . , 191
DC Billard, Max
1B3 Les tombeaux des rois sous
.5 la Terreur
B5
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
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