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Full text of "Les tombeaux des rois sous la Terreur"

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LES  TOMBEAUX 

DES  ROIS 

sous  LA  TERREUR 


LA     BASILIQUE    DE    SAINT-DENIS    EN    1830 
[Bihliothcquc  Nationale). 


D»   MAX  BILLARD 


LES  TOMBEAUX 

DES  ROIS 


sous    LA    TERREUR 


PARIS 

LIBRAIRIE    ACADÉMIQUE 

PERRIN    ET    G'«,    LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35,    QUAI    DES    GHANDS-AUGUSTINS,     35 

1907 

Tous  droits  de  reproducUon  et  de  traduction  réservés  pour  tous  pays. 


X\bRA^. 


ï% 


MAY    21968 


AVANT-PROPOS 


Ceux  qui  s'imagineraient  trouver  dans 
cet  ouvrage  un  travail  d'architecte,  pré- 
cis, technique,  écrit  le  mètre  à  la  main, 
ou  encore  une  étude  rappelant  les  grands 
récits  des  historiens  de  la  Révolution, 
pourront  fermer  notre  opuscule  à  la  pre- 
mière page.  Il  s'adresse  seulement  aux 
curieux  des  choses  et  du  décor  du  vieux 
temps,  qui  trouvent  un  charme  suggestif 
dans  les  antiques  masures  à  tourelles, 
les  cachots  à  verrous  dramatiques,  les 
vieux  monastères  ou  les  cathédrales  go- 
thiques   remplis   de   sépulcres,    tous   les 


•2         LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TEUREUK 

endroits  consacrés  par  de  tragiques  sou- 
venirs. 

A  notre  époque  de  curiosité  rétrospec- 
tive, nous  avons  pensé  qu'il  était  possible 
d'écrire,   non  un  volume,  mais  quelques 
pages  sur  un  sujet  un  peu  trop  dédaigné 
par   la   grande    Histoire.    Et    en    simple 
annotateur,  en  modeste  anecdotier,  nous 
avons  compulsé  quelque  peu  les   biblio- 
thèques   et    gratté    encore,     après    tant 
d'autres,  les  terrains  fatigués  par  la  herse 
et  la  charrue. 

En  juxtaposant  des  documents  épars, 
nombreux,  écrits  ou  recueillis  sous  la 
dictée  des  événements  par  les  acteurs  ou 
les  témoins  du  drame,  nous  croyons  avoir 
formé  un  récit  exact  d'une  des  pages  les 
plus  poignantes  de  cette  sombre  époque, 
où  la  profanation  ne  respecta  même  pas 
les  lieux  de  la  mort. 


AVANT-PROPOS 


N.-B.  —  MM.  Neurdein,  dont  nous  n'oublierons 
jamais  l'obligeance  et  le  bienveillant  accueil,  ont 
bien  voulu  mettre  à  notre  disposition  leur  collection 
si  artistique  et  si  intéressante  concernant  le  vieux 
Saint-Denis  et  les  monuments  de  la  Basilique.  Nous 
tenons  à  leur  exprimer,  à  celte  première  page,  toute 
notre  gratitude. 

Nous  ne  saurions  également  trop  exprimer  notre 
reconnaissance  à  un  érudit  distingué,  M.  l'abbé  Du- 
perron,  qui  connaît  mieux  que  personne  Saint-Denis 
et  son  histoire,  et  qui  a  bien  voulu  nous  autoriser 
à  mettre  à  profit  ses  précieuses  connaissances  et  ses 
innombrables  documents. 

D'  B. 

x>ovembre  1906. 


LES 


TOMBEAUX  DES  ROIS 

sous  LA  TERREUR 


CHAPITRE  PREMIER 

LA  BASILIQUE  DE   SAINT-DENIS 
ET  SES  TOMBEAUX 

Le  déluge  prédit  par  le  vieux  roi  était 
venu  :  le  2  1  janvier  98,  sur  l'ancienne  place 
Louis  XV  et  devant  le  palais  désert  des  Rois, 
la  Convention  décapitait,  dans  la  personne 
de  Louis  XVI,  huit  siècles  de  monarchie.  La 
Révolution  marchait  bon  train  :  aux  périodes 
cicéroniennes  des  Girondins  avaient  succédé 
les  mugissements  de  Danton  et  les  hurle- 
ments sanguinaires  des  tricoteuses.  Au  mois 
de  septembre  92,  on  avait  tué,  dans  la  vieille 
bâtisse  de   l'Abbaye,   à  peu  près  comme  on 


6         LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA  TERREUR 

tue  à  l'abattoir.  Rien  qu'à  Lyon,  on  fusillait 
deux  cents  personnes  par  semaine  ;  et,  à 
Paris,  c'était  chaque  jour  le  lugubre  spectacle 
d'un  défilé  de  charrettes  allant  déverser  leur 
contenu  sous  le  couperet  de  la  guillotine. 

Et  Camille  Desmoulins  pouvait  écrire  un 
matin  dans  son  journal  :  «  Aujourd'hui,  il  y 
a  eu  un  miracle  à  Paris  :  un  homme  est  mort 
dans  son  lit  '.  » 

Le  vent  de  folie  qui  passait  sur  la  France 
avait  altéré  à  ce  point  le  sens  moral,  qu'on 
accoutumait  les  enfants  à  jouer  à  l'échafaud  ; 
on  vendait  des  petites  guillotines,  comme 
aujourd'hui  «  des  petits  soldats  »  ;  et  l'on 
pouvait  voir  l'après-midi,  sous  les  ombrages 
des  Champs-Elysées,  à  quelques  pas  de  l'écha- 
faud dressé  sur  l'emplacement  actuel  de 
l'obélisque  des  Pharaons,  l'on  pouvait  voir, 
disons-nous,  les  papas,  les  mamans  et  leurs 
bébés,  s'esclaffer  de  rire  à  la  parade  de  polichi- 
nelle, où  la  scène  traditionnelle  de  la  potence 

>■  Arsène  Houssaye.  TV.  Z>.  de  Thermidor.  Pion,  Paris  1866. 


LA    BASILIQUE    DE    SAINT-DENIS  7 

était  remplacée  par  celle  de  la  guillotine  ^ 
Etrange  époque  où  l'on  élevait  à  la  hauteur 
d'une  vénérable  institution,  cet  échafaud  qui 
tuait  tout,  la  beauté,  la  vertu,  le  génie,  ses 
amis  et  ses  ennemis,  jusqu'au  jour  où  le 
régime  lui-même  fut  tué. 

Il  y  avait  partout  une  telle  monomanie  de 
guillotine,  qu'on  tranchait  la  tête  des  statues 
de  pierre  qui  racontaient,  sur  la  façade  des 
églises,  l'histoire  du  passé  :  tous  les  porches 
mutilés  des  cathédrales  sont  les  témoins, 
restés  debout,  de  ce  vandalisme  révolution- 
naire qui  avait  brûlé  les  archives,  pillé  les 
bibliothèques,  saccagé  le  garde-meuble,  au- 
quel il  ne  restait  plus,  pour  parfaire  son  œuvre 
de  destruction,  qu'à  violer  l'asile  des  morts. 
Le  3i  juillet  1793,  pour  consommer  tous 
les  actes  de  la  vengeance  révolutionnaire,  la 
Convention,  sur  un  rapport  de  Barère  ",  pensa 


1  Voir  Charles  Nodier.  —  Souvenirs  de  la  Révolution. 

^  Dans  ce  rapport,  Barère  exprimait  le  vœu  «  Que  pour 
«  célébrer  la  journée  du  lo  août  qui  a  abattu  le  trône,  il 
«  fallait,  dans  son  anniversaire,  détruire  les  mausolées  fa- 
«  meux  qui  sont  à  Saint-Denis,  Dans  la  monai'chie  les  tom- 


O         LES   TOMBEAUX    DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

qu'on  ne  pouvait  mieux  célébrer  l'anniver- 
saire du  lo  août  92,  qu'en  violant  les  sépul- 
tures royales  de  Saint-Denis,  qu'en  dispersant 
la  poussière  de  tant  de  rois,  qu'en  purifiant 
le  sol  de  la  République  de  ces  derniers  ves- 
tiges de  la  royauté  ^  Et  alors,  dit  Chateau- 
briand, c(  on  fouilla  les  cendres  de  nos  pères, 
((  on   enleva  leurs  restes,  comme  le  manant 

«  beaux  mémos,  avaient  appris  à  flatter  les  rois  ;  l'orgueil  et  le 
«  faste  royal  ne  pouvaient  s'adoucir  sur  ce  théâtre  de  la 
«  mort,  et  les  porte-sceptre,  qui  ont  fait  tant  de  maux  à  la 
«  France  et  à  l'Humanité,  semblent  encore,  même  dans  la 
«  tombe,  s'enorgueillir  d'une  grandeur  évanouie.  La  main 
«  puissante  de  la  République  doit  effacer  impitoyablement 
«  ces  épitaphes  superbes,  et  démolir  ces  mausolées  qui  rap- 
«  pellent  des  rois  l'effrayant  souvenir.  »  Ajoutons  que  ce 
rapporteur  célèbre,  qui  avait  présidé  le  procès  de  Louis  XVL 
porta  avec  ostentation,  en  181 5,  la  décoration  du  Lys  [Rapport 
de  police,  20  juillet,  Arch.  nat.  F7.  S^SS),  et  que  cet  homme 
qui  n'avait  jamais  eu  à  la  bouche  que  les  grands  mots  : 
«  Vivre  libre  ou  mourir  »,  s'éteignit  tranquillement  dans  son 
lit  à  85  ans,  après  avoir  approuvé  le  coup  d'Etat  de  brumaire 
et  exalté  le  premier  Consul  dans  des  écrits  payés  par  Tou- 
ché. Il  lit  paraître,  sous  le  titre  de  Mémorial  anti-hritan- 
nique,  un  journal  qui,  malgré  la  protection  de  Napoléon, 
n'eut  aucun  succès, 

^  «  La  Convention  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport 
«  du  Comité  du  salut  public,  décrète  ce  qui  suit  :  Les  tom- 
«  beaux  et  mausolées  des  ci-devant  rois,  élevés  dans  l'église 
«  de  Saint-Denis,  dans  les  Temples  et  autres  lieux,  dans 
«  toute  l'étendue  de  la  République,  seront  détruits  le  10  août 
«  prochain.  »  Séance  de  la  Convention,  présidence  de  Dan- 
ton, 3i  juillet  1793.  —  Voir  le  Moniteur. 


LA.    BASILIQUE    DE     SAINT-DENIS  9 

«  enlève  dans  son  tombereau  les  boues  et  les 
((  ordures  de  nos  cités. 

«  Il  fut  réservé  à  notre  siècle  de  voir  ce 
«  qu'on  regardait  comme  le  plus  grand  mal- 
ce  heur  chez  les  anciens,  ce  qui  était  le  dernier 
«  supplice  dont  on  punissait  les  scélérats, 
«  nous  entendons  la  dispersion  des  cendres  ; 
«  de  voir,  disons-nous,  cette  dispersion 
«  applaudie  comme  le  chef-d'œuvre  de  la  phi- 
«  losophie^  » 

Et  Chateaubriand  poursuit  :  «  On  voyait 
«  autrefois,  près  de  Paris,  des  sépultures 
«  fameuses  entre  les  sépultures  des  hommes, 
«  L'abbaye  gothique  où  se  rassemblaient  ces 
c(  grands  vassaux  de  la  mort,  ne  manquait 
«  point  de  gloire  :  les  richesses  de  la  France 
«  étaient  à  ses  portes  ;  la  Seine  passait  à  l'ex- 
«  trémité  de  sa  plaine  ;  cent  endroits  célèbres 
«  remplissaient,  à  quelque  distance,  tous  les 
«  sites  de  beaux  noms,  tous  les  champs  de 
«  beaux  souvenirs  ;  la  ville  de  Henri  IV  et  de 

*   Génie  du  Christianisme,  /'f  P.,  Chap.  vi. 


lO      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

«  Louis  le  Grand  était  assise  dans  le  voisi- 
«  nage  ;  et  la  sépulture  royale  de  Saint-Denis 
«  se  trouvait  au  centre  de  notre  puissance  et 
«  de  notre  luxe,  comme  un  trésor  où  l'on  dépo- 
«  sait  les  débris  du  temps  et  la  surabondance 
((  des  grandeurs  de  l'empire  française  » 

Les  origines  de  la  Basilique,  destinée  à 
honorer  la  mémoire  et  le  souvenir  du  mar- 
tyre de  l'apôtre  des  Gaules  ^  la  description 
de  ce  majestueux  édifice,  témoin,  resté  de- 
bout, des  plus  glorieux  faits  de  notre  his- 
toire, ne  rentrent  pas  dans  le  cadre  de  cette 
étude.  Rappelons  seulement  que  c'est  au 
grand  abbé  Suger  qu'il  appartient  d'avoir 
donné  à  ce  monument,  un  des  premiers  spé- 
cimens du  style  gothique  à  peine  dégagé  du 
roman,  sa  forme  et  ses  dimensions  défini- 
tives^. 

1  Génie  du  Christianisme,  4°  partie,  chap.  ix. 

^  Suivant  M.  Julien  Havct,  la  colline  de  Montmartre  n'au- 
rait pa&  été  le  théâtre  du  martyre  de  saint  Denis  ;  de  nou- 
veaux textes  établiraient  nettement  que  l'apôtre  des  Gaules 
aurait  été  supplicié  sur  le  territoire  même  de  Saint-Denis. 
Questions  Mérovingiennes.  Les  origines  de  Saint-Denis,  p. 25. 

'^  On  attribue  à  sainte  Geneviève  l'honneur  d'avoir,  la  per- 


LA.    BASILIQUE    DE    SAINT-DENIS  II 

Ce  qui  frappe,  quand  on  arrive  au  pied  de 
la  Basilique,  c'est  cette  muraille  sombre  et 
crénelée  qui  forme  la  façade  de  l'édifice  et 
lui  donne  le  caractère  d'une  forteresse.  Trois 
portes  en  plein  ceintre  donnent  accès  dans  le 
porche  intérieur  ;  le  travail  des  chapiteaux, 
des  voussures  et  des  tympans  est  remar- 
quable ;  on  retrouve  dans  les  sculptures  les 
thèmes  favoris  du  moyen  âge  :  l'histoire  de 
la  passion,  la  parabole  des  Vierges,  la  Résur- 
rection, les  travaux  de  l'année,  jusqu'aux 
signes  du  zodiaque. 

Il  y  a  seulement  soixante  ans,  cette  façade 
était  encore  surmontée  de  deux  tours,  dont 
l'une,  celle  de  gauche,  se  terminait  par  une 
flèche  de  pierre  d'une  hauteur  prodigieuse 
qu'on  démolit,  en  i84i,  dans  la  crainte  d'une 
catastrophe  qu'inspirait  son  peu  de  solidité. 


mière,  élevé,  à  la  fm  du  v^  siècle,  une  chapelle  sur  le  lieu  de 
la  sépulture  de  saint  Denis.  Un  siècle  plus  tard,  ce  petit 
oratoire  était  remplacé  par  une  église  plus  importante.  Mais 
ce  fut  sous  Dagobert  que  l'importance  et  la  magnificence  de 
l'abbaye  royale  commença  réellement.  Le  roi  Pépin  com- 
mença un  nouvel  édifice  ;  Charlemagne  l'acheva  et  le  fit  con- 
sacrer en  775. 


Il      LES    TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   L.V   TERREUR 

C  est  la  vue  de  cette  flèche  sépulcrale  qui, 
attristant  Louis  XIV,  lui  fit  abandonner  Saint- 
Germain,  pour  aller  habiter'Versailles.  Il  ne 
reste  plus  aujourd'hui  que  la  tour  de  droite, 
qui  a  conservé  son  aspect  sévère  duxif  siècle. 
A  l'intérieur,  la  hauteur  de  la  nef,  la  mer- 
veilleuse hardiesse  des  voûtes,  l'immensité 
de  l'édifice  donnent  à  l'église  un  caractère 
frappant  de  grandeur.  Trois  étages  de  ver- 
rières historiées  versent  dans  cette  nef  splen- 
dide  des  flots  de  lumière  ^  Mais  ce  que  le 
regard  perçoit  d'abord,  c'est  le  labyrinthe  de 
statues,   de  sarcophages,   de  mausolées,  ces 


*  Malheureusement  aujourd'hui  les  vitraux  sont  tous  mo- 
dernes, faibles  de  couleur  et  pauvres  de  dessin.  Il  n'y  a  plus 
que  dans  la  chapelle  de  Saint-Pércgrin  que  l'on  puisse  voir 
des  restes  des  admirables  vitraux  fabriqués  sous  la  direction 
de  l'abbé  Suger.  Les  amateurs,  qui  cherchent  encore  le  mys- 
tère de  ces  vieilles  colorations,  nous  sauront  gré  d'une  cita- 
tion de  Doublet,  historien  de  l'abbaye,  qui  a  recueilli,  d'après 
les  mémoires  que  Suger  nous  a  laissés,  les  détails  suivants 
sur  leur  fabrication.  «  Il  raconte,  écrit  Doublet,  et  met  entre 
les  choses  admirables  advenues  en  ce  superbe  et  magnifique 
monument,  comment  il  a  trouvé  des  faiseurs  de  vitres  et 
compositeurs  de  verres  de  matière  très  exquise,  à  savoir  des 
saphirs  en  grande  abondance  qu'ils  ont  pulvérizez  et  fondus 
parmi  le  verre  pour  donner  la  couleur  d'azur,  ce  qui  le  ravis- 
sait véritablement  en  admiration.  » 


M)  fliot. 


VUE    D'ENSEMBLE     DES    TOMBEAUX 


L\    BASILIQUE    DE    SAI>T-DENIS  1  i 

spectres  de  monarques,  tout  ce  défilé  royal 
de  fantômes,  qui  racontent  de  si  éloquente 
façon  riiistoire  de  l'antique  Basilique;,  écrite 
en  marbre  et  en  granit.  Trois  nefs  j)arallèles 
s'étendent  jusqu'au  transept  ;  quatre  escaliers 
de  pierre  montent  au  sanctuaire  et  à  ses  col- 
latéraux. C'est  sous  cette  partie  de  la  Basi- 
lique que  se  trouve  la  galerie  souterraine, 
reste  d'une  église  carlovingienne,  qui,  depuis 
Henri  IV,  était  le  cimetière  des  Bourbons. 

Depuis  huit  siècles,  pas  une  pierre  n'a 
changé  de  place  :  là  sont  toujours  les  sept 
chapelles  circulaires  qui  ont  été  placées  par 
l'abbé  Suger  sous  des  invocations  qu'elles 
ont  gardées  ;  au  milieu,  écrasé  par  l'édifice 
qui  le  surmonte,  le  vieux  caveau  central,  avec 
ses  murailles  noircies,  contenait  jusqu'au 
XVI®  siècle  les  châsses  des  saints  patrons  ; 
ses  piliers  romans  et  ses  chapiteaux  grossiers, 
frustes  et  lépreux,  semblent  certainement 
antérieurs  au  xif  siècle  ;  et,  tout  autour, 
le  collatéral  avec  ses  colonnes  courtes  et 
vigoureuses,   ses  voûtes  basses   et   humides, 


i4       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

indique  bien,  en  entrant,  que  c'est  là  une 
demeure  funèbre  qui  convenait  au  sommeil 
de  S^int-Denis. 

Les  princes  et  princesses  des  deux  pre- 
mières dynasties,  ensevelis  dans  la  Basilique, 
n'étaient  qu'en  petit  nombre.  Bien  qu'un  fils 
de  Ghildebert  y  ait  été  enterré,  dit-on,  en  58o, 
Dagobert,  mort  en  638,  fut  le  premier  roi  de 
France  qui  eut  son  tombeau  dans  l'abbaye 
royale.  Après  lui.  Pépin,  Charles  Martel, 
Glovis  11,  Charles  le  Chauve  y  furent  portés 
successivement.  Mais  depuis  Hugues  Capet, 
tous  les  rois  de  France  furent  inhumés  à 
Saint-Denis,  sauf  trois,  qui  avaient  désigné 
ailleurs  leur  sépulture  :  Philippe  P'",  dans 
l'abbaye  de  Saint-Benoît-sur-Loire,  dont  il 
était  le  fondateur  ;  Louis  VII ,  à  Barbeau,  près 
de  Melun,  et  Louis  XI,  à  Cléry.  Saint-Louis  y 
fit  transférer  aussi  les  cendres  de  plusieurs 
des  premiers  rois,  inhumés  dans  différentes 
églises  de  Paris  ;  mais  les  diverses  recons- 
tructions ayant  mutilé  ou  anéanti  beaucoup 
de  leurs  monuments,   il  fit  ériger  des  tom- 


LA    BASILIQUE    DE     SAINT-DENIS  i5 

beaux  sur  leurs  sépultures,  ainsi  que  sur 
celles  de  ses  prédécesseurs  qui  reposaient 
dans  la  Basilique  depuis  Dagobert.  Ce  n'est 
donc  que  du  xiii^  siècle  que  datent  les  plus 
anciens  tombeaux. 

Gomme  le  fait  très  judicieusement  remar- 
quer un  érudit  archéologue,  le  baron  de  Guil- 
hermy,  «  les  effigies  consacrées  par  saint 
Louis  à  la  mémoire  des  anciens  rois  ne  peu- 
vent être  considérées  comme  des  portraits, 
La  première  statue  qui  paraisse  attester  une 
étude  de  la  physionomie,  une  recherche  de 
la  ressemblance  est  celle  de  Philippe  le  Hardi. 
L'usage  d'élever  un  tombeau  à  chaque  prince, 
aussitôt  après  sa  mort,  s'est  maintenu  jusqu'à 
Henri  III.  La  Chapelle  des  Valois  était  le  der- 
nier monument  funéraire  de  la  monarchie. 
En  vain,  après  la  mort  de  Henri  IV,  la  reine 
régente  fut-elle  suppliée  de  faire  construire 
à  ce  grand  prince  un  tombeau  digne  de  lui  et 
de  la  France  ;  ce  vœu  si  légitime  ne  reçut  pas 
d'accomplissement.  La  coutume  prévalut,  dès 
lors,  de  ne  plus  élever  de  monument  à  aucun 


i6       LES    TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERHEUU 

des  princes  de  la  Maison  des  Bourbons  dont 
les  corps  étaient  portés  à  Saint-Denis.  Le 
sanctuaire  de  la  crypte  devint  le  caveau 
royal.  Des  cercueils  de  plomb,  posés  sur  des 
tréteaux  de  fer,  y  formaient,  en  1793,  deux 
longues  lignes  qui  ne  laissaient  entre  elles 
qu'un  étroit  passage.  Le  nombre  des  corps 
était  de  cinquante-quatre^  depuis  Henri  IV 
assassiné  en  1610,  jusqu'au  Dauphin,  fils  aîné 
de  Louis  XVI,  mort  le  4  juin  1789^  » 

A  côté  des  sépultures  royales,  plusieurs 
personnages,  célèbres  par  leur  vaillance  pour 
l'Eglise  ou  pour  leur  roi,  avaient  été  inhumés 
dans  la  Basilique  :  les  uns  comme  Suger,  le 
cardinal  de  Bourbon,  Mathieu  de  Vendôme 
et  le  cardinal  de  Retz,  par  un  privilège 
accordé  à  leur  dignité  d'abbé';  les  autres, 
comme  Duguesclin,  Bureau  de  la  Rivière, 
Armand  de  Guilhem,  seigneur  de  Barbazan,  le 


1  Baron  de  Guilhermy.  L Abbaye  de  Saint-Denis.  —  Arnoult- 
Lépine,  1891. 

-  Les   simples  religieux  avaient  leurs   tombcauv   sous   les 
voûtes  mêmes  du  cloîtrej 


L\    BASILIQUE    DE    SAINT-DEKIS  17 

connétable  Louis  de  Sancerre  et  Turenne,  en 
vertu  d'une  faveur  octroyée  à  leurs  brillants 
exploits. 

Louis  XV,  le  dernier  roi  descendu  dans 
cette  crypte,  attendait  sur  les  degrés  du  sou- 
terrain Tarrivée  de  son  successeur.  Mais  déjà 
la  crypte  était  pleine,  et  le  gouvernement  de 
Louis  XVI  songeait  à  établir  une  nouvelle 
sépulture,  faute  de  place.  La  Révolution  allait 
se  charger  de  déblayer  la  galerie. 


CHAPITRE   II 

LES  DESTRUCTIONS 
DES  6,   7   ET   8  AOUT    1793 


La  physionomie  de  la  Basilique  était  le 
6  août  93  ce  qu'elle  est  aujourd'hui  :  les  nefs, 
les  chapelles  n'ont  point  changé  ;  les  cénota- 
phes de  Glovis  II  et  de  Garloman  sont  aux 
mêmes  places,  à  quelques  pas  du  maître-autel  ; 
dans  le  croisillon  nord,  les  figures  de  Louis  XII 
et  de  la  reine  Anne,  à  genoux  et  les  mains 
jointes,  surmontaient,  comme  aujourd'hui, 
la  plate-forme  du  mausolée.  Seulement,  ce 
jour-là,  la  vieille  église  s'éveillait  soudain  de 
sa  morne  et  majestueuse  somnolence  :  elle 
était  toute  grouillante  de  soldats  à  bonnet 
rouge,    d'ouvriers  armés   de  marteaux  et  de 


20      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

leviers\  de  groupes  nombreux  avides  devoir. 

Un  homme  était  là,  un  témoin  oculaire  qui 

nous  a  laissé  une  relation  fort  précieuse  des 

événements".    C'était  un  ancien  religieux  de 

*  «  Les  ouvriers  étaient  dirigés  par  un  entrepreneur 
connu,  SccUier,  sous  la  surveillance  des  commissaires  de  la 
Convention,  des  délégués  de  la  Commission  des  Arts  et  de 
préposes  de  l'administration  municipale  ».  Manuscrit  de 
Gautier,  organiste  de  l'Abbaye.  Bibliothèque  nationale,  sous 
la  cote  M.  Fr.  11681.  Ajoutons  que  parmi  les  membres  de 
la  Commission  des  Arts  figuraient  Alexandre  Lenoir  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  et  deux  médecins,  les  citoyens  Thourel 
et  Puison. 

2  «  Journal  historique  de  l'extraction  des  cercueils  royaux, 
dans  l'Église  de  Saint-Denis,  fait  par  le  citoyen  Druon,  ci- 
devant  bénédictin.  »  Ce  récit,  signé  de  lui,  forme  un  cahier 
de  i6X'.iO  de  dix  feuillets,  d'une  grosse  écriture  droite  et 
serrée,  contenant  dix-huit  pages  de  texte  et  quelques  ligues 
seulement  au  verso  du  dernier  feuillet,  paraphé  en  marge  de 
la  première  page  et  au  bas  de  la  dernière  :  «  Penthoin, 
Dombray,  Canet,  le  18  janvier  1807  »,  et  portant  au  bas  de  la 
dernière  page  encore  :  «  J'ai  trouvé  et  pris  ce  journal  chez 
un  ci-devant  révolutionnaire,  le  3  janvier  1804.  » 

Cette  pièce  est  inscrite,  aux  Archives  nationales,  sous  la 
cote  AE  i  i5  et  renfermée  dans  l'armoire  de  fer  avec  les  pièces 
les  plus  précieuses,  munies  de  sceaux  d'or  et  d'argent,  le 
testament  de  Napoléon  I**'',  les  étalons  du  mètre  et  du  kilo- 
gramme. 

Dans  la  même  liasse  se  trouvent  trois  autres  manuscrits 
autographes  : 

1°  L'un  est  de  feu  dom  Lafoi'cade,  ancien  religieux  de 
l'Abbaye  de  Saint-Denis,  portant  sur  la  couverture  cette  men- 
tion :  ((  Ce  manuscrit  a  été  remis  par  les  jnaire  et  adjoints 
de  la  ville  de  Saint-Denis,  entendus  comme  témoins,  le  i3  jan- 
vier 181 7  ».  Il  contient  le  récit  des  exhumations  à  peu  près 
dans  les  mêmes  termes  que  le  manuscrit  de  dom  Druon,  avec 


DESTRUCTIONS    DES    6,    7    ET    8    AOUT     179'^> 

l'Abbaye,  doni  Druon,  qui  assista  à  l'œuvre 
profanatrice:  attentif,  prudent,  silencieux,  il 
en  suivit  tous  les  détails,  la  plume  à  la  main, 
et  en  dressa  le  journal  avec  le  relief  saisis- 
sant des  choses  vues  \  C'est  à  lui  qu'est  due 
la  relation  émouvante  de  l'ouverture  et  de  la 
profanation  de  ces  grands  sépulcres  ;  on  ne 
le  vit  s'en  éloigner   que  quand    l'œuvre  fut 


quelques  renseignements  sur  l'exhumation  de  Turenne  et  une 
page  de  réflexions  philosophiques  et  religieuses  au  dernier 
feuillet . 

2°  Le  deuxième  est  pour  ainsi  dire  une  copie  presque  tex- 
tuelle du  manuscrit  de  dom  Druon,  avec  une  addition  impor- 
tante et  précieuse  sur  1  exhumation  de  Turenne.  Il  porte  sur 
la  couverture  la  mention  suivante  :  «  Procès-verbal  commu- 
niqué par  Monsieur  Tinthouin,  officier  de  la  garde  nationale 
de  Saint-Denis.  »  — «  Le  journal  de  Tinthouin  avait  été  trouvé 
parmi  les  papiers  d'un  sieur  Boneufaux,  ancien  secrétaire  du 
district  de  Saint-Denis  ».  Procès-verbal  du  8  janvier  1817. 
Arch.  nat.  AE  ^  i5. 

3°  Et  un  manuscrit  donnant  le  détail  des  destructions  du 
mois  d'août,  et,  à  la  suite,  la  relation  littérale  de  dom  Druon, 
portant  cette  mention  sur  la  couverture  :  «  Ce  manuscrit  a 
été  confié  à  mon  fils  par  M.  l'abbé  de  Verneuil,  curé  de  Saint- 
Denis,  le  6  janvier  1817.  »  Il  a  été  relaté  en  entier  par  Cha- 
teaubriand dans  ses  notes  du  Génie  du  Christianisme. 

*  Ce  ne  fut  pas  sans  quelque  difficulté  que  dom  Druon  par- 
vint à  rédiger  son  journal.  Gautier  parle  «  des  disgrâces  qu'il 
a  éprouvées  des  cannibales.  Dom  Druon  mourut  à  Saint- 
Denis,  le  jeudi  2  juin  1796.  »  Mémoires  de  Gautier,  dernier 
organiste  de  l'Abbaye.  Exemplaire  de  la  Bibliothèque  de 
Saint-Denis,  p.  120. 


'l'i      LES   TOMBEAUX    DES   ROIS    SOUS   L\   TEIIHEUR 

achevée.  Bien  qu'un  peu  trop  tracé  avec  la 
rigidité  d'un  procès-verbal,  son  récit  est,  néan- 
moins, du  plus  grand  intérêt.  C'est  lui  que 
nous  allons  suivre*,  en  élaguant  certains  dé- 
tails superflus  et  en  comblant  les  lacunes  à 
l'aide  de  nombreuses  notes  émanant  toutes 
de  témoins  oculaires. 

Est-il  utile  de  rappeler  que  nous  n'avons 
pas  entrepris  la  description  des  effigies  et  des 
monuments  qui  exigerait  à  elle  seule  tout  un 
volume,  et  que  notre  but  est  seulement  d'en 


^  A  l'exception  de  notre  érudit  confrère  le  Docteur  Robinet, 
tous  les  auteurs  qui  citent  ce  document,  ceux  du  moins  que 
nous  avons  consultés,  font  une  erreur  grossière  au  sujet  du 
signataire  du  journal  :  les  uns,  comme  d'Heylli,  Viollet-le- 
Duc  et  de  Guilhermy,  citent  dom  Poirier  comme  auteur  du 
rapport  ;  d'autres,  comme  M™"  d'Ayzac,  nous  donnent  dom 
Poirier  et  dom  Puthod  de  Maison-Rouge  comme  témoins 
oculaires  de  la  dévastation  et  auteurs  de  la  relation. 

Cette  erreur  vient  d'une  confusion  qui  s'est  faite  dans 
l'esprit  des  historiens  qui  n'ont  pas  consulté  les  documents 
originaux,  mais  seulement  la  table  des  documents  des  Ar- 
chives qui  contiennent  deux  rapports  sur  la  dévastation  :  le 
premier,  celui  de  dom  Druon  qui  seul  a  trait  aux  'exhuma- 
lions,  et  le  second,  celui  de  Poirier,  Mouchi,  Puthod  et  Mo- 
reau,  commissaires  du  gouvernement,  qui  furent  chargés  de 
surveiller  les  travaux  de  destruction  des  monuments  et  qui 
rédigèrent  un  rapport  le  i4  août  1793  sur  la  destruction  seu- 
lement des  tombes  royales.  Il  figure  aux  Archives  nationales, 
vitrine  122  n^  1374. 


DESTRUCTIONS    DES    G,    7    ET    8    AOUT     179'^)         'J.''> 

retracer  la  destruction  ?  Disons  pourtant  que, 
sous  l'habile  direction  de  Viollet-le-Duc,  les 
tombeaux  échappés  au  massacre  ont  repris  ou 
à  peu  près  leur  place  primitive  dans  la  Basi- 
lique et  que  les  statues  de  pierre  d'empereurs 
carlovingiens  qu'on  voit  dans  la  crypte  ont 
été  sculptées  du  temps  de  Napoléon  I*""  pour 
une  chapelle  qui  ne  fut  pas  construite. 

Les  premiers  coups  de  marteau  étaient  don- 
nés le  6  août  1793.  Chose  digne  de  remarque  ! 
le  premier  tombeau  que  rencontra  le  marteau 
des  démolisseurs  fut  la  chapelle  funéraire  du 
fondateur  de  l'Abbaye,  de  Dagobert  inhumé 
dans  l'église  le  iG  janvier  638.  Cet  élégant 
monument  ogival  occupait,  comme  aujour- 
d'hui, une  place  d'honneur  à  côté  de  l'épître. 

Les  ouvriers  brisèrent  la  statue  couchée  du 
roi^  ;  mais  ils  respectèrent  celles  debout  de 
Nanthilde  et  de  leur  fds  Clovis  II.  On  con- 
serva également  le  bas-relief  à  trois  étages 
représentant,  dans  un  ordre  ascensionnel,  la 


*  Celle  que  l'on  voit  aujourd'hui  est  due   à  M.   Geoffroy- 
Dcchaume. 


■^4       LES   TOMHEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

vision  légendaire  qu'un  saint  solitaire  eut  à 
son  sujet  \  «  parce  que  —  style  de  l'époque  — 
ce  morceau  de  sculpture  pouvait  servir  à 
l'histoire  de  l'art  et  à  celle  de  l'esprit  hu- 
main, » 

On  n'ouvrit  pas  le  cercueil  :  sa  profa- 
nation devait  faire  partie  des  journées  d'oc- 
tobre. 

Sans  perdre  de  temps,  les  ouvriers  passè- 
rent aux  tombeaux  de  Clovis  II  et  de  Charles- 
Martel.  On  ne  brisa  pas  les  statues  qu'on  se 
contenta  de  desceller.  Sous  la  dalle  tumulaire 
des  cercueils  en  forme  d'auge  ne  contenaient 
que  quelques  osa  peine reconnaissables  et  un 
peu  de  cendre. 

On  souleva  ensuite  la   statue  de  Pépin   le 

1  Voici  le  résumé  de  cette  légende  :  un  saint,  dont  l'ermi- 
tage était  situé  non  loin  d'une  bouche  de  l'enfer,  avait  vu 
passer  une  nacelle  dans  laquelle  une  troupe  de  démons  em- 
portait aux  tourments  l'Ame  de  Dagobert,  accablée  de  dou- 
leurs et  chargée  de  fers.  Ce  dernier  n'avait  d'autres  res- 
sources que  d'invoquer  les  trois  saints  auxquels  il  avait  montré 
le  plus  de  dévotion,  Denis,  Maurice  et  Martin.  Accourus 
tout  à  coup,  ils  arrachèrent  des  mains  infernales  l'âme  du 
dévot  roi  et  la  portèrent  au  ciel  où  la  sculpture  ligure  la 
mam  de  Dieu  sortant  d'un  nuage  pour  la  recevoir.  (Gestes 
de  Dagobert,  44.  —  Chronique  de  Saint-Denis,  V,  19.) 


Tombeau  de  Dagobert. 


(Cl.  Reymond). 


DESTllUCTIO^'S    DES    6,    7    ET    8    AOUT     179'^         '^^7 

Bref  :  un  cercueil  de  pierre,  grossièrement 
taillée,  contenait  un  peu  de  cendre  et  quel- 
ques fds  d'or,  vestiges  des  vêtements  con- 
sumés. C'est  tout  ce  qui  restait  du  premier 
roi  de  la  dynastie  carlovingienne,  après  un 
peu  plus  de  mille  ans. 

Puis,  ce  fut  le  tour  des  tombes  de  Berthe, 
femme  de  Pépin,  dont  le  nom  fut  si  aimé  et 
si  populaire  ;  de  Carloman,  frère  de  Gliarle- 
magne  ;  d'Hermentrude  ;  de  Louis  III  et  de 
son  frère  Carloman,  ce  Nemrod  français  qui 
s'était  fait  tuer  par  un  sanglier  à  quelques 
lieues  de  la  basilique  ;  d'Hugues  le  Grand  ; 
d'Hugues  Capet  ;  d'Henri  P'"  ;  de  Louis  le 
Gros  ;  de  son  fds  Philippe  et  de  Constance  de 
Castille. 

Elles  contenaient  des  cercueils  d'environ 
trois  pieds  de  long,  recouverts  d'une  pierre 
en  dos  d'âne  ;  tous  ne  renfermaient  que  des 
ossements. 

Une  lame  de  plomb,  apposée  sur  chaque 
cercueil,  donnait  le  nom  du  défunt  et  la  date 
de  son  décès,  très  lisibles  encore. 


28      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA    TERREUR 

On  songe  au  vers  de  V.  Hugo  : 

Et  voyez  la  poussière 

Que  fait  un  empereur  ! 

Savez-vous  ce  qu'un  jour  il  en  reste  ?  —  O  démence! 
Celte  pierre  !  et  du  titre  et  du  nom  triomphants  ?  — 
Quelques  lettres,  à  faire  épeler  des  enfants  ! 

Dans  le  cercueil  de  Constance  de  Castille, 
pourtant,  on  trouva  son  sceau  d'argent  de 
forme  ogivale  pesant  trois  onces  et  demie. 
Il  fut  déposé  à  la  municipalité  \ 

On  soulevait  le  7  août  les  statues  de  mar- 
bre de  Philippe  le  Hardi"  et  d'Isabelle  d'Ara- 
gon. L'inscription  qu'on  lit  au-dessous  de  la 
dalle  de  marbre  noir  qui  supporte  la  statue 
de  la  reine  et  qui  fut  respectée  par  les  ouvriers 
mérite  d'être  reproduite,  comme  la  plus 
ancienne  épitaphe  rimée  en  français  qu'il  y 
eût  à  Saint-Denis. 


*  Il  se  trouve  actuellement  au  Cabinet  des  Antiques  de  la 
Bibliothèque  Nationale,  salle  de  la  Renaissance. 

■^  Rappelons  l'opinion  émise  par  les  archéologues,  en  par- 
ticulier le  baron  de  Guilhermy,  que  cette  effigie  ouvre  la 
série  authentique  des  portraits  des  rois  de  France  à  wSaint- 
Denis. 


Sceau  en  argent,  grandeur  naturelle,  de  la  reine  Constance  de 
Castille,  femme  de  Louis  Vil  :  trouvé  dans  le  cercueil  de  cette 
princesse. 


DESTRUCTIONS    DES    G,    7    ET    8    AOUT     17^3         3l 

Dysabel  lame  ait  païadys 
Dom  li  cors  gistsouz  ceste  yniage 
Femme  av  roi  Phelipe  ia  dis 
Fin  lovis  roi  mort  en  cartage 
Le  iovr  de  sainte  agne  seconde 
L'an  mil  CC  dis  et  soisente 
A  cysance  Iv  morte  av  monde 
Vie  sanz  fin  dex  li  consente 

Ces  deux  tombeaux  contenaient  chacun  un 
coffret  de  plomb  d'environ  trois  pieds  de  lon- 
gueur sur  huit  pouces  de  haut.  Ils  renfer- 
maient leurs  ossements  assez  bien  conservés. 
On  transporta  immédiatement  les  coffrets  de 
plomb  à  l'Hôtel  de  Ville. 

La  destruction  suivait  son  cours  :  c'était  le 
tour  des  tombes  de  Philippe  IV,  de  Louis  le 
Hutin,  de  son  fils  Jean,  de  sa  fdle  Jeanne,  de 
Philippe  le  Long,  de  Charles  IV  et  de  Jeanne 
d'Evreux,  de  deux  princesses,  de  Philippe  de 
Valois  et  de  ses  deux  femmes,  Jeanne  de 
Bourgogne  et  Blanche  de  Navarre,  de  Char- 
les V,  de  Charles  VI,  de  Charles  VII  et  de 
sa  femme  Marie  d'Anjou  et  du  roi  Jean. 

On  continua  l'hécatombe  par  la  destruction 


32      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

du  massif  du  monument  de  Charles  VIII,  dont 
l'effigie  et  les  quatre  anges  qui  entouraient 
l'édifice  funèbre  avaient  déjà  été  enlevés 
en  17921. 

On  descella,  pour  finir,  les  marbres  de 
Henri  II  et  de  Catherine  de  Médicis  qui  se 
trouvaient  dans  la  Chapelle  de  Notre-Dame- 
la-Blanche",  l'un  et  l'autre,  en  costume  d'ap- 
parat, couches  sur  un  lit  recouvert  de  lames 
de  cuivre  doré,  aux  chiffres  des  époux  :  la 
reine  encore  jeune  et  belle,  évoquant,  au 
milieu  du  massacre  des  sépulcres,  un  règne 
aussi  où  la  mort  était  à  l'ordre  du  jour,  où 
l'on  convertissait  à  coups  d'arquebuse,  où  les 
parfums  de  René,  la  lame  effilée  des  gen- 
tilshommes et  la  massue  de  Boelim  étaient 
des  armes  d'Etat. 

En  mèmetemps,on  descendait  dans  la  Cha- 
pelle de  Turenne  le  monument  de  Dugues- 
clin   représentant  le   connétable   couvert  de 

1  Le  mausolée  de  ce  prince,  où  il  clail  représenté  de 
grandeur  naturelle  et  en  bronze,  fut  porté  à  la  fonte. 

-  Ces  ligures,  en  marbre  blanc,  sont  l'une  des  plus  belles 
œuvres  du  ciseau  de  Germain  Pilon. 


DESTRUCTIONS    DES    G,    7    ET    8    AOUT     1 7y'i         33 

ter,  les  mains  jointes,  portant  à  Tœil  la  mar- 
que cVun  coup  de  lance  de  l'ennemi. 

Ces  destructions  accomplies  du  6  au  8  août 
1793  n'étaient  que  le  lever  de  rideau;  la 
grande  pièce  allait  commencer  le  douze 
octobre. 

Le  nombre  des  monuments  démolis  s'éle- 
vait à  cinquante  et  un.  On  n'avait  pas  tra- 
vaillé de  main  morte  :  en  trois  jours  on  avait 
détruit  l'ouvrage  de  douze  siècles.  Encore 
quelques  semaines  de  profanation  et  Chateau- 
briand aura  le  droit  de  s'écrier  :  «  Elles  ne 
sont  plus,  ces  sépultures  !  Les  petits  enfants 
se  sont  joués  avec  les  os  des  puissants  mo- 
narques ;  Saint-Denis  est  désert,  l'oiseau  l'a 
pris  pour  passage,  l'herbe  croît  sur  ses  autels 
brisés  ;  et  au  lieu  du  cantique  de  la  mort  qui 
retentissait  sous  ses  dômes,  on  n'entend  plus 
que  les  gouttes  de  pluie  qui  tombent  par  son 
toit  découvert,  la  chute  de  quelque  pierre 
qui  se  détache  de  ses  murs  en  ruine,  ou  le 
son    de    son    horloge ,    qui     va  roulant  dans 


34       LES   TOMBEAUX    DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

les  tombeaux  vides  et  les  souterrains  dévas- 
tés ^  » 

Les  cendres  des  rois  et  des  reines  furent 
déposées  dans  une  fosse  creusée  dans  un  ter- 
rain attenant  au  nord  de  l'église,  qu'on  appe- 
lait la  Cour  ou  Cimetière  des  Valois.  Au 
XVI*  siècle,  on  avait  construit  sur  cet  em- 
placement une  somptueuse  chapelle  en  forme 
-de  rotonde,  où  reposaient,  avec  d'autres 
princes,  le  roi  Henri  II  et  la  reine  Catherine 
de  Médicis-.  En  1719,  ce  monument  qui 
menaçait  ruine,  fut  démoli.  Une  partie  des 
colonnes  corinthiennes,  qui  décoraient  à  l'ex- 
térieur la  Chapelle  des  Valois,  servirent  à 
composer  au  parc  Monceau  cette  ruine  factice 
dont  les  promeneurs  admirent  aujourd'hui  le 
pittoresque,  sans  se  douter  probablement  de 
l'origine'*. 

1  Loco  citato.  —  4"  partie,  chap.  ix. 

2  On  y  accédait  par  la  porte  de  sortie  de  la  croisée  du  tran- 
sept. 

■''  C'est  à  quelques  mètres  de  ces  ruines  que  furent  entassés 
dans  des  fosses  les  restes  de  Danton,   Camille  Desmoulins, 


DESTRLCTIONS    DES    6,    -;    ET    8    AOUT     179^         35 

Les  monuments  de  métal  avaient  été  tous 
sacrifiés  :  témoin  celui  de  Charles  le  Chauve, 
grande  tombe  en  cuivre  qui  supportait  son 
effigie  en  ronde  bosse,  couchée,  encensée  par 
deux  anges  et  gardée  par  quatre  docteurs  de 
l'Eglise.  Sept  lampes  d'argent  brûlaient  jour 
et  nuit  par  fondation  de  l'empereur  autour 
de  cette  sépulture  \  Un  décret  spécial  avait 
ordonné  la  fonte  de  ces  monuments,  pour 
en  faire  des  bouches  à  feu  destinées  à  fou- 
droyer les  ennemis  de  la  République. 

Les  grands  mausolées  de  Louis  XII,  de 
François  P^  de  Henri  II,  de  Turenne.  restè- 
rent quelques  semaines  encore  dans  la  Basi- 
lique. Plus  tard,  ils  allèrent  rejoindre  dans  le 


Lucilc,    Chaumetlc,   Robespierre,  Saint-Just,  Lcbas  et    tant 
d'autres.  —  Michelet.  Les  Cimetières  de  la  Terreur. 

1  D'Ayzac,  loc.  cit.  «  En  vertu  du  décret  de  l'Assemblée 
nationale  du  16  août  1792,  les  bronzes  qui  étaient  dans  les 
différents  édifices  du  royaume  tels  que  mausolées  et  autres 
objets,  surtout  ceux  qui  concernent  les  rois,  seront  retirés  et 
convertis  en  bouches  à  feu  ;  en  conséquence  le  vendredi  17  et 
le  samedi  18  août  on  a  retiré  de  l'église  Saint-Denis  le  tom- 
beau de  Charles  le  Chauve,  qui  était  en  cuivre...  le  tombeau 
de  Charles  VIII...  et  le  tombeau  d'Harman  de  Guillem,  sei- 
gneur de  Barbazan...  11  était  en  bronze.  »  Gautier,  loc.  cit., 
p.    112. 


36      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

cimetière  les  autres  tombeaux  en  partie  muti- 
lés ou  détruits,  exposés  aux  injures  du  temps. 

Plusieurs  tombeaux  furent  totalement  bri- 
sés, comme  ceux  du  roi  Eudes  et  de  Hugues 
Gapet  ;  on  en  prit  d'autres,  au  hasard,  pour 
en  composer  une  montagne  symbolique,  au 
sommet  de  laquelle  se  trouvait  une  statue  de 
la  Liberté,  en  face  le  portail  de  ^église^ 

Et  ce  ne  dut  pas  être  un  spectacle  banal  de 
voir  le  19  vendémiaire  an  III  (10  octobre  179/4, 
style  esclave)  les  restes  de  Rousseau,  qu'on 
portait  au  Panthéon,  s'arrêter  à  Saint-Denis 
au  pied  de  cette  montagne  symbolique',  pour 
entendre  le  maire  de  la  commune,  le  citoyen 
PoUart',  debout  entre  une  statue  deCarloman 
et  une  effigie  de  Glovis  II,  prononcer  un  dis- 


^  Nous  possédons  un  curieux  croquis  de  Pei'cicr,  fait  sur 
place,  et  qui  montre  cet  amas  étrange  de  monuments  empilés 
confusément. 

2  Bournon,  Saint-Denis,  1892. 

3  Pollart,  élu  maire  1792  —  22  fructidor  an  V.  «  Le  maire 
d'alors  était  un  ci-devant  religieux  bénédictin  de  l'Abbaye  de 
Saint-Denis,  dont  je  parlerai  ailleurs,  lequel  fut  nommé  député 
au  conseil  des  Cinq-Cents,  en  germinal  de  l'an  six  de  la 
République  ou  avril  1798  vieux  style  pour  un  an  seulement, 
il  se  nommait  Pollart.  »  Gautier,  loc.  cit.,  p.  i-i3. 


DESTRUCTIONS    DES    G,    7    ET    8    AOUT     1 79'i         i'j 

cours  ému  sur  les  vertus  du  sage  Caton  et  de 
Timpétueux  Brutus,  l'âge  d'or  de  la  philoso- 
phie et  le  bonheur  du  genre  humain.  L'his- 
toire ne  nous  le  dit  pas,  mais  l'on  dut  chanter, 
pour  finir,  un  Hymne  à  l'Humanité,  et  les 
larmes  durent  couler  des  yeux  des  vieillards 
qui  pouvaient  se  croire  transportés  en  Arca- 
die. 

Toujours  est-il  que  le  plus  grand  nombre 
des  statues  de  pierre  et  de  marbre  furent 
sauvées  de  la  destruction  ^  Un  homme  s'était 
présenté,  dont  le  nom  doit  rester  honoré  par 
tous  les  amis  des  arts,  qui  fut  en  quelque 
sorte  leur  providence  au  milieu  des  tour- 
mentes qui  bouleversaient  le  sol  de  la  patrie 
et  dont  le  courageux  dévouement  ne  saurait 
être  assez  vanté,  Alexandre  Lenoir%  qui  les 


^  «  Vingt-trois  statues  do  pierre  et  24  en  marbre  détachées 
des  monumenls  détruits  étaient  déposées  dans  le  cimetière  des 
Valois.  »  Rapport  des  commissaires  déjà  cité,  Archives  natio- 
nales, vitrine  122,  n^  1374. 

2  Alexandre  Lenoir,  archéologue,  né  à  Paris  1761-1839. 
Parmi  ses  ouvrages,  citons  le  Musée  des  monuments  français, 
qui  contient  un  récit  des  dévastations  de  Saint-Denis,  au.\- 
quelles  il  assista  au  nom  de  la  Commission  des  Arts  Ce  récit, 


:^8       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

revendiqua,  au  nom  de  la  commission  des 
arts,  pour  le  musée  des  monuments  français 
dont  l'Assemblée  nationale  avait  décrété  la 
création  dans  l'ancien  couvent  des  Petits- 
Augustins\  et  dont  il  était  conservateur.  Il 
ne  tarda  pas  à  justifier  ce  titre,  en  s'opposant, 
au  péril  de  sa  vie,  à  la  destruction  du  mau- 
solée du  cardinal  de  Richelieu  :  il  fut  alors 
blessé   d'un  coup   de  baïonnette  à    la    main 


qui  n'est  que  la  reproduction  littérale  du  manuscrit  de  dom 
Druon,  offre  un  grand  intérêt  par  les  interpolations  qu'y  a 
faites  A.  Lenoir,  pour  le  compléter,  mais  sans  rien  modifier  du 
texte  original.  On  voit  à  Carnavalet  un  portrait  d'A.  Lenoir 
dessiné  au  crayon  par  David. 

^  Fondé  en  1606  par  Marguerite  de  Valois,  là  où  est  actuel- 
lement l'École  des  Beaux-Arts.  La  plupart  des  monuments 
funéraires  étaient  installés  dans  un  vaste  iardin  qu'on  appelait 
l'Elysée.  C'est  là  que  Lenoir  déposa  les  mausolées  de  Saint- 
Denis  échappés  à  la  destruction  et  qu'il  réunit,  dans  des 
sarcophages  de  sa  composition,  les  restes  de  Turenne,  de 
Molière  et  de  La  Fontaine.  «  Il  alla  aussi  exhumer  à  Nogent- 
sur-Seine  les  dépouilles  mortelles  d'Héloïse  et  Abailard,  et 
fit  construire  avec  les  débris  du  Paraclet  une  chapelle  go- 
thique où  il  déposa  les  ossements  de  ces  amants  malheureux. 
Tout  dans  ce  séjour  des  morts  respirait  l'antiquité  ;  les  cours 
qui  conduisaient  au  jardin  étaient  décorées  et  formées,  en 
quelque  sorte,  avec  les  démolitions  des  châteaux  d'Anet,  de 
Gaillon  et  d'un  cloître  gothique  qu'il  avait  achetés  à  des 
démolisseurs  ».  Le  Bas.  Dictionnaire  encyclopédique,  1843. 
C'est  à  lui  quon  doit  encore,  en  1820,  la  restauration  du 
Palais  des  Thermes.  \ 


DESTRL'CTIO>'S    DES    6^    ij    ET    8    AOUT     179'^  U) 

droite'.  C'est  du  musée  des  monuments  fran- 
çais que  les  tombes  royales  revinrent  en  1816 
dans  la  Basilique,  quand  une  ordonnance 
royale  du  24  avril  prescrivit  la  fermeture  du 
musée  historique. 

-  Le  Bas,  loc.  cit. 


CHAPITRE   m 


LES  JOURNEES   D'OCTOBRE 


La  destruction  et  rouvcrturc  des  tombeaux 
poudreux  des  Mérovingiens  et  des  Carlovin- 
giens  n'avaient  pas  produit  à  Saint-Denis 
une  sensation  profonde.  Ce  Glovis  II,  ce  Pépin 
le  Bref,  ce  Carloman  semblaient  des  mythes. 
C'était  si  loin  !  Ces  fantômes  de  l'antique 
monarchie,  avec  leurs  effigies  gothiques,  les 
mains  jointes  et  les  yeux  fermés,  avaient 
depuis  longtemps  l'oubli  pour  second  linceul. 
Leurs  tombeaux  ne  contenaient  que  quelques 
ossements  desséchés,  et  en  les  ouvrant  on 
n'avait  respiré  qu'un  peu  de  poussière  des 
temps  passés.  Plus  impressionnantes  allaient 
être  les  journées  d'octobre   :  les  événements 


4a       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

avaient   écrit  sur  les   tombes    des  Bourbons 
des  dates  plus  ineffaçables. 

Le  samedi  au  matin,  r2  octobre  98,  les 
mêmes  ouvriers  que  nous  avons  vus  à  l'œuvre 
dans  les  chapelles  hautes  de  la  Basilique 
étaient  accompagnés,  cette  fois,  d'un  a  com- 
missaire aux  plombs  »,  en  frac  noir  et  cha- 
peau à  cocarde  tricolore,  et  descendaient, 
avec  des  lanternes,  dans  la  galerie  souter- 
raine, pour  pénétrer  dans  le  caveau  des  Bour- 
bons. Ce  caveau  qui  a  seize  mètres  de  lon- 
gueur sur  six  de  largeur  contenait,  nous 
l'avons  dit,  les  restes  de  Henri  IV  et  ceux  de 
toute  sa  postérité,  placés  un  à  un  dans  ce 
rendez-vous  de  famille  depuis  iGio.  C'était 
chose  difficile  de  pénétrer  «  dans  cet  empire 
du  néant  delà  gloire  humaine  et  du  triomphe 
de  la  mort  \  »  Trois  dalles,  dans  la  nef,  à 
côté  des  tombes  de  Philippe  le  Hardi  et  d'Isa- 
belle d'Aragon,  fermaient  l'entrée  du  caveau 
royal  entièrement  muré  du  côté  de  la  crypte  ^ 

^  D'Ayzac,  loc.  cit. 

*  C'est  là  qu'était  la  V2jt  •  •  ;  ;  f. 


LES    JOURNÉES    d'oCTOBRE  4^ 

Cette'  ouverture  supérieure  se  prêtant  mal  à 
l'œuvre  de  destruction  qu'on  allait  entre- 
prendre, les  ouvriers  pratiquèrent,  non  sans 
peine,  une  brèche  entre  deux  colonnes  à  cha- 
piteaux carlovingiens,  et,  au  bout  de  quel- 
ques heures  de  démolition,  ils  pénétraient 
dans  l'enceinte  funèbre.  ^ 

Ce  dut  être  un  saisissement  religieux. 

Cinquante-quatre  cercueils  de  bois  de 
chêne,  «  couverts  d'une  application  de  velours 
ou  de  moire  rayée  d'une  croix  de  tissu  d'ar- 
gent^ )),  étaient  posés  sur  des  tréteaux  de 
fer,  rongés  par  la  rouille. 

Henri  IV,  Louis  le  Juste,  Louis  XIV,  Anne 
d'Autriche  dormaient  là  !  A  la  lueur  des 
lampes,  le  premier  objet  qui  frappa  les  yeux 
fut,  au  bas  du  degré,  le  cercueil  du  dernier 
roi  décédé,  attendant  sur  un  socle  de  pierre 
l'arrivée  de  son  successeur,  de  celui  qui, 
avec  ses  philosophes   et   ses   favorites,  avait 

du  dernier  roi  décédé,  reproduction  exacte  du  cercueil  d'une 
proportion  grandiose,  dressé  sur  un  socle  de  deux  pieds. 

^  D'Ayzac,  loc.  cit. 


44       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   L\   TERREUR 

commencé  l'œuvre  de  destruction  que  les 
ouvriers  de  la  mort  allaient  achever  en  bri- 
sant tous  ces  cercueils. 

On  commença  par  tirer  celui  de  Henri  IV, 
mort  le  i4  mai  1610,  à  Tàge  de  57  ans. 

Quels  avaient  été  les  ravages  de  la  mort 
pendant  les  deux  siècles  qui  venaient  de 
s'écouler  ? 

La  première  enveloppe  de  chêne  fut  bri- 
sée à  coups  de  marteau;  puis  Ton  ouvrit 
avec  le  ciseau  le  cercueil  de  plomb;  on 
souleva  le  suaire  blanc  encore  intact,  et  le 
corps  du  roi  apparut  admirablement  con- 
servé, avec  sa  barbe  presque  blanche,  les 
traits  à  peine  altérés. 

C'était  bien  sa  tête  noble  et  chevaleresque  : 
il  semblait  dormir. 

On  le  dressa  contre  un  pilier,  au  bas  des 
marches  de  la  crypte  où  il  demeura  jus- 
qu'au lundi  i4  octobre.  Chacun  eut  la  liberté 
de  venir  le  contempler.  «  Un  soldat,  mû  par 
un  martial  enthousiasme,  se  précipita  sur  le 
cadavre  du  vainqueur  de  la  Ligue,  et,  après 


01. 


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Cl.  Reymond. 


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LES    JOUR^•EES    D  OCTOBRE  43 

un  long  silence  d'admiration,  il  tira  son  sabre, 
lui  coupa  une  longue  mèche  de  sa  barbe  qui 
était  encore  fraîche,  et  s'écria  en  même 
temps  en  termes  énergiques  et  vraiment 
militaires  :  «  Et  moi  aussi  je  suis  soldat  fran- 
«  çais  !  Désormais,  je  n'aurai  plus  d'autre  mous- 
ce  tache  )),et  plaçant  cette  mèche  précieuse  sur 
sa  lèvre  supérieure  ;  «  Maintenant  je  suis  sûr 
((  de  vaincre  les  ennemis  de  la  France,  et  je 
«  marche  à  la  victoire!  ».  Il  se  retira  »*.  On 
mit  le  corps  du  roi  debout  sur  une  pierre  : 
une  femme,  à  la  figure  haineuse,  voulut  bra- 
ver le  cadavre  du  vainqueur  d'ivry  qui  était  là, 
adossé  contre  un  pilier,  avec  sa  barbe  grise, 
la  figure  pâle  et  les  dents  serrées.  Elle  s 'avança 
le  poing  tendu  vers  le  visage  du  roi,  le  souf- 
fleta et  le  fit  tomber  par  terre  -.  Un  assistant 
ne  craignit  pas  d'enlever  deux  dents  au  cada- 
vre desséché,  un  autre  d'arracher  une  manche 
de  sa  chemise  qu'il  promena  dans    l'église, 

*  Alexandre  Lenoir.  Musée  des  monuments  français.  Le 
mérite  de  ce  détail  est  d'émaner  d'un  exécutant,  témoin  ocu- 
laire, absolument  digne  de  foi. 

-  Poujoulal.  Histoire  de  la  liévolution,  1847. 


46      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

fier  comme  un  soldat  qui  a  conquis  un    dra- 
peau \ 

Chose  étonnante,  un  sculpteur  présent  fit 
sur  le  cadavre  du  roi,  cent-quatre-vingt-trois 
ans  après  la  mort,  le  moulage  de  sa  tète  qu'un 
laps  de  deux  siècles  n'avait  nullement  altérée'. 
Ce  masque   pris  par  des    mains    révolution- 


^  Journal  de  Paris,  29  août   1814. 

2  Citons,  au  sujet  du  moulage  de  la  tète  du  roi,  un  extrait 
d'une  lettre  adressée  à  M.  Claretie  en  1866,  et  rapportée  par 
M.  G.  d'Heylli.  Les  Tombeaux  de  Saint-Denis,  1872. 

«  Souvent  j'ai  entendu  parler  de  la  violation  des  tombeaux 
à  Saint-Denis. 

<i  A  cette  époque,  un  officier  municipal  fut  envoyé  par  la 
commune  de  Paris  pour  extraire  les  rois  des  caveaux  et  les 
jeter  dans  un  trou  de  chaux.  Cet  ofilcier  nommé  Compérot 
était  bon  sculpteur  et  savait  très  bien  mouler. 

«  En  ouvrant  le  cercueil  de  Henri  IV,  on  trouva  son  corps 
si  bien  conservé  qu'on  fit  un  moulage  de  sa  tête.  Ce  moulage 
très  bien  fait,  très  ressemblant,  fut  le  type  de  toutes  les 
épreuves  qui  se  vendirent  depuis  chez  tous  les  mouleurs.  Le 
masque  de  Henri  IV,  moulé  sur  nature,  se  trouvait  chez  eux 
vers   1834,  et  il  doit  encore  en  exister  dans  Paris. 

«  Le  fils  de  cet  officier  Compérot,  sculpteur  de  talent,  a  été 
employé  aux  travaux  de  sculpture  du  nouveau  Louvre.  Enfant, 
il  {issistait  à  l'ouverture  des  sépulcres,  et  je  tiens  de  lui  ces 
détails. 

P...  R... 
«  Sculpteur  à  Yssy.  » 

On  voit  une  épreuve  de  ce  moulage,  peut-être  même  le  t^pe 
original,  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  place  du  Pan- 
théon. 


Masquk  Diï  Henri  IV, 

tel  qu'il   fut   pris  lors    de    son  exhumation 

par  le    sculpteur  Compérot. 


LES    JOURNÉES    D  OCTOBRE  /|9 

naires,  figure  dans  plus  d'un  musée  et  en 
maint  ouvrage,  évoquant,  dans  sa  tragique 
sincérité,  Fimage  d'un  grand  roi,  le  souvenir 
d'une  France  paisible  et  heureuse,  et  aussi 
cette  idée  nouvelle,  proclamée  par  le  vain- 
queur d'Ivry ,  que  le  monde  n'avait  pas 
connue  depuis  seize  siècles  et  qui  n'est  pas 
encore  triomphante  dans  notre  pays,  que 
«  l'État  doit  s'élever  au-dessus  des  partis 
religieux,  pour  leur  imposer  le  respect  de  la 
paix  publique.  » 

Le  lundi,  à  deux  heures  de  l'après-midi, 
les  ouvriers  portèrent  le  corps  du  roi  sur  un 
lit  de  chaux,  au  fond  d'une  immense  fosse 
creusée  dans  le  cimetière  des  Valois. 

Il  était  trois  heures  quand  on  procéda  à 
l'ouverture  du  cercueil  de  Louis  XllI.  Il  était 
moins  bien  conservé  que  Henri  IV,  «  mais 
très  reconnaissable  à  sa  moustache  »  noire, 
fine  et  retroussée,  rappelant  encore,. par  l'al- 
lure   de  ses  traits,  cette  époque    de  grands 

4 


yo      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA.   TERREUR 

seigneurs  aux  bottes  blanches  et  garnies 
d'éperons,  batailleurs  et  rétifs,  qui  tiraient 
l'épée  pour  un  mot,  aussi  bien  à  la  borne 
du  carrefour  que  dans  la  ruelle  de  Marion 
Delorme. 

Ce  fut  le  tour  de  Louis  XIV,  a  ce  Louis  si 
fameux  par  l'obéissance  que  les  nations  lui 
portaient  ».  On  déplaça  la  bière,  et  sur  une 
plaque  de  cuivre  portant  les  armes  de  France 
et  de  Navarre,  entourées  du  collier  de  Saint- 
Michel  et  du  grand  cordon  du  Saint-Esprit, 
on  lut  à  la  lueur  des  lampes  : 

ICI  EST  LE  CORPS  DE  LOUIS  14,  PAR 
LA  GRACE  DE  DIEU  ROY  DE  FRANCE 
ET  DE   NAVARRE,   TRÈS  CHRESTIEN; 
DÉCÉDÉ  EN   SON  CHASTEAU  DE 
VERSAILLES  LE  PREMIER  JOUR  DE 
SEPTEMBRE   1715. 

REQUIESCAT  IN  PACEi. 


1  «  En  1793,  cette  plaque  fut  arrachée,  ainsi  que  toutes 
celles  des  sépultures  royales,  et  ce  n'est  que  dans  ces  der- 
nières années  qu'elle  a  pu  être  retrouvée,  en  même  temps 
que  celle  de  la  princesse  Marie-Adélaïde,  duchesse  de  Bour- 
gogne, mère  du  roi  Louis  XV,  et  celle  de  la  princesse  Louise 
Êïisabeih  de  France,  sa  fille.  M.   Debret,  l'ancien  architecte 


'Louis  14-  r 


v.K  qujT:  vc  cAa^        IN-     pacj: 


'  /.  Iti  j/mond, 
PLAQUE    TUIVIULAIRE    ARRACHÉE     EN     1793    AU    CERCUEIL     DE    LOUIS    XIV 

et  découverte  à  Saint-Denis,   dans  la  boutique  d'un  chaudronnier, 

qui  l'avait  associée  à  deux  autres  du  même  gçnre, 

pour  former  une  casserole  de  cuisine.  ' 


LES    JOURNEES    D  OCTORHE  5i 

«  Il  était  encore  tout  entier  dans  son  cer- 
cueil ».  Le  suaire  soulevé,  la  lace  apparut 
«  noire  comme  de  l'encre  »  S  conservant  à  tra- 
vers les  ravages  de  la  mort,  un  air  sévère 
encore  imprégné  d'une  imposante  majesté. 

«  En  vain,  pour  défendre  son  trône,  il 
parut  se  lever  avec  la  majesté  de  son  siècle 
et  une  arrière-garde  de  huit  siècles  de  rois  ; 
en  vain  son  geste  menaçant  épouvanta  les 
ennemis  des  morts,  lorsque,  précipité  dans  la 
fosse  commune,  il  tomba  sur  le  sein  de 
Marie  de  Médicis  :  tout  fut  détruit^.  » 


de  la  Basilique  de  Saint-Denis,  les  a  découvertes  dans  la 
boutique  d  un  chaudronnier  de  cette  ville  ;  elles  avaient  été 
réunies  ensemble  et  formaient  une  casserole  de  cuisine  dont 
les  rivets  ont  laissé  leurs  traces  encore  apparentes.  » 
G.  d'Heilly,  loc.  cit. 

La  plaque  de  Louis  XIV  ne  présente  pas  de  trous  :  elle 
formait  probablement  le  fond  de  la  casserole  ;  celle  de  la 
1111e  de  Louis  XV,  Musée  de  Cluny,  n°  7400,  présente  la 
trace  d'un  rivet;  celle  de  sa  mère,  n°  "Sgg,  présente  trois 
perforations  en  triangle,  à  la  partie  inférieure  droite,  là  où 
était  ajusté  le  manche  de  l'ustensile. 

*  La  couleur  qui  frappa  l'assistance  s'explique  par  les  livi- 
dités qui  apparaissent  surtout  sur  les  parties  non  déclives  du 
corps,  pour  former  souvent  un  réseau  très  serré  qui  devient 
vert  ou  brun  et  envahit  peu  à  peu  toute  la  surface  des  tégu- 
ments.  (Voir  Vibert,  Médecine  légale,  189'j.) 

2  Chateaubriand,  loc.  cit.  ch,  ix; 


S-i       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

Marie  de  Médicis,  Anne  d'Autriche,  Marie 
Thérèse,  Louis  Dauphin,  fils  de  Louis  XIV, 
étaient  en  «  putréfaction  liquide.    » 

Le  mercredi  i5  octobre,  à  sept  heures 
du  matin,  les  ouvriers  se  remettaient  à  l'œuvre 
et  procédaient  à  l'ouverture  des  cercueils  de 
Marie  Leczinska,  de  Marie  Anne  Christine  Vic- 
toire de  Bavière,  épouse  de  Louis,  grand 
dauphin,  et  de  dix-neuf  autres  princes  ou 
princesses  de  la  famille  des  Bourbons,  dont 
les  restes  allèrent  rejoindre  à  la  fosse  com- 
mune les  cadavres  jetés  la  veille. 

Au-dessous  de  chaque  cercueil  se  trouvait 
une.  boîte  de  plomb  en  forme  de  cœur,  con- 
tenant le  cœur  et  les  entrailles  du  défunt. 
Sur  le  couvercle  était  appliqué  un  cœur  de 
vermeil  surmonté  d'une  couronne  de  même 
métal.  On  détacha  les  emblèmes  qui  furent 
déposés  à  la  municipalité,  pendant  que  le 
commissaire  aux  plombs  faisait  emporter  les 
cercueils  et  les  vases  dans  un  angle  du  cime- 
tière. 


LES    JOURNÉES    d'oCTOBRE  53 

De  toutes  les  exhumations,  ce  furent  celles 
du  i5  octobre  qui  offrirent  le  tableau  le 
plus  repoussant  au  point  de  vue  de  la  putré- 
faction des  cadavres  :  «  la  plupart  des  corps 
étaient  en  putréfaction.  Il  en  sortait,  écrit  le 
témoin  oculaire,  une  vapeur  noire  et  épaisse, 
d'une  odeur  infecte,  qu'on  chassait  à  force 
de  vinaigre  et  de  poudre  qu'on  eut  la  pré- 
caution de  brûler,  ce  qui  n'empêcha  pas 
les  ouvriers  de  gagner  des  dévoiements  et 
des  fièvres  qui  n'ont  pas  eu  de  mauvaises 
suites  ))^ 

Le  mercredi  i6  octobre,  vers  les  sept 
heures  du  matin,  on  continua  l'extraction  des 
cercueils  du  caveau  :  on  ouvrit  successive- 
ment les  bières  d'Henriette  de  France,  fdle 
de  Henri  IV,  d'Henriette  d'Angleterre,  immor- 


1  Observation  de  pathologie  très  vraie.  Le  séjour  dans  les 
amphithéâtres  de  dissection  est  suivi,  chez  les  individus  non 
habitués,  de  troubles  assez  fréquents.  Les  matières  organi- 
ques, les  germes  en  suspension  dans  le  milieu  pénètrent  dans 
les  voies  respiratoires  et  ensuite  dans  tout  l'organisme.  De 
là  des  diarrhées,  des  dysenteries  fréquemment  observées 
chez  les  jeunes  étudiants. 


54      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA  TERREUR 

talisée  par  Bossuet,  de  Philippe  d'Orléans,  dit 
Monsieur,  frère  unique  de  Louis  XIV,  et  de 
vingt  princes  ou  princesses  de  la  famille  des 
Bourbons. 

A  onze  heures,  au  moment  même  où  Marie- 
Antoinette,  au  milieu  des  imprécations  et 
des  clameurs  de  la  foule  hurlante,  quittait 
la  charrette  de  Sanson  pour  monter  à  l'écha- 
faud,  on  déplaçait  le  cercueil  de  Louis  XV, 
déposé  au  pied  d'une  niche  occupée  par  une 
statue  de  la  Vierge  au  bas  de  l'escalier, 
«  comme  pour  inviter  sa  postérité  à  des- 
cendre ».  On  n'ouvrit  son  cercueil  que  dans 
le  cimetière  au  bord  de  la  fosse.  Aux  pre- 
miers coupsde  ciseau  un  jet  de  miasmes  fétides 
sortit  de  la  seconde  enveloppe  de  plomb  et 
fit  reculer  l'assistance.  Le  corps  retiré  en 
entier  parut  tout  d'abord  bien  conservé  ;  «  la 
peau  était  blanche,  le  nez  violet  et  les  fesses 
rouges  comme  celles  d'un  enfant  nouveau-né, 
et  nageant  dans  une  eau  abondante  formée 
par  une  dissolution  du  sel  marin  dont  on 
l'avait  enduit,  n'ayant  pas  été  embaumé  sui- 


LES    JOUR>ÉES    D  OCTOBRE  55 

vant  l'usage  ordinaire^  ».  Mais  dégagé  de 
tout  ce  qui  l'enveloppait,  il  n'offrit  plus 
l'aspect  d'un  cadavre  ;  les  chairs  en  putréfac- 
tion dégageaient  une  telle  odeur  nauséa- 
bonde qu'il  ne  fut  pas  possible  de  rester  pré- 
sent ;  on  brûla  de  la  poudre,  et  des  soldats 
tirèrent  plusieurs  coups  de  fusil,  nous  dit 
dom  Druon,  pour  purifier  l'atmosphère.  On 
le  jeta  bien  vite  dans  la  fosse,  sur  un  lit  de 
chaux  vive,  et  on  étendit  par-dessus  quel- 
ques pelletées  de  terre.  La  fosse  restait 
ouverte  pour  la  fournée  du  lendemain. 

Les  cercueils  de  plomb  devenaient  par  trop 
encombrants  :  aussi  le  commissaire  aux 
plombs  prit  le  parti  d'installer,  dans  un  coin 
de  la  cour,  une  fonderie  pour  accélérer  la 
besogne. 


^  Alexandre  Lenoir,  loc.  cit. 

M.  Maurice  Pascal  possède  les  photographies  des  dessins 
originaux,  faits  d'après  nature  par  Alexandre  Lenoir,  des 
cadavres  de  lleari  lY,  Louis  XV,  Louis  YIII  et  Turenne. 
Les  plus  curieuses  sont  celles  de  Louis  YIII  dont  la  tête  est 
coiffée  d'une  petite  calotte,  et  de  Louis  XY  dont  le  corps 
vigoureux  et  trapu  supporte  une  tête  émaciée  de  vieux  comé- 
dien. 


56      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA  TERREUR 

La  crypte  était  vide,  mais  le  travail  de  pro- 
fanation n'était  pas  fini. 

On  vient  de  suivre  le  récit  dramatique  d'un 
témoin  oculaire,  d'une  authenticité  absolue. 
On  s'est  représenté  les  ouvriers,  en  bras  de 
chemise,  fouillant  tous  ces  cercueils,  le  bruit 
assourdissant  des  marteaux,  et  aussi  le 
désordre  des  lieux,  les  voûtes  qu'éclairaient 
mal  les  torches  fumeuses,  ce  sombre  couloir, 
cette  petite  porte  où  passèrent  cinquante- 
quatre  cercueils  éventrés,  et  par-dessus  tout 
l'odeur  fétide  qui  s'exhalait  des  tombes.  Quel 
spectacle  ont  vu  ces  vieilles  voûtes^  ! 

Il  nous  faut  remonter  avec  les  ouvriers 
dans  les  chapelles  hautes. 

Il  était  trois  heures  de  l'après-midi  et  l'on 
ouvrit,  dans  la  chapelle  des  Charles,  le  caveau 


^  «  Ces  différentes  opérations  se  firent  avec  un  acharne- 
ment qui  tenait  de  la  rage,  il  s'y  est  commis  des  atrocités 
dignes  de  pareilles  gens,  mais  dont  l'histoire  ne  fournit 
aucun  exemple  et  dont  le  récit  fait  horreur  et  ferait  tache 
dans  ce  recueil.  »  Gautier,  loc.  cit.,  p.  i-io. 


LES    JOURNÉES    d'oCTOBRE  57 

de  Charles  V,  dit  le  Sage,  mort  en  treize 
cent  quatre  vingt  :  le  squelette  était  assez 
bien  conservé;  on  trouva  près  de  son  crâne 
une  couronne  de  vermeil,  à  droite  du  cer- 
cueil un  sceptre  d'au  moins  cinq  pieds  de 
long,  surmonté  de  feuilles  d'acanthe  en  ver- 
meil qui  avaient  conservé  tout  leur  éclat  ;  à 
gauche  une  main  de  justice  d'argent,  peut- 
être  celle  qu'il  tenait,  quand,  encore  dauphin, 
il  présida,  sous  un  dais  de  satin  d'or,  les 
Etats  Généraux  de  i3j'].  On  ouvrit  ensuite 
la  tombe  de  Jeanne  de  Bourbon,  son  épouse  ; 
il  y  avait  à  côté  du  squelette  un  reste  de  cou- 
ronne, un  anneau  d'or,  les  débris  de  plusieurs 
bracelets,  une  quenouille  de  bois  doré,  des 
souliers  de  forme  pointue  S  brodés  d'or  et 
d'argent. 

x\   côté,    on  trouva   les   ossements   de  son 


^  Souliers  à  la  Poulaine,àu  nom  de  Poulain,  son  inventeur, 
sous  Philippe  le  Bel  ;  ils  se  terminaient  en  pointe  plus  ou 
moins  longue,  selon  la  qualité  des  personnes.  Ils  étaient  de 
deux  pieds  de  long  pour  les  princes  et  les  grands  seigneurs, 
d'un  pied  pour  les  riches,  et  d'un  demi-pied  pour  les  gens  du 
peuple.  De  là  est  venue  l'expression  :  Se  mettre  sur  un  bon 
pied.  Etre  sur  un  grand  pied. 


58       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

petit-fils  Charles  de  France,  et  dans  des  cer- 
cueils de  bois  vermoulu  ceux  de  ses  trois 
filles  mortes  en  bas  âge. 

La  fosse  était  pleine  ;  les  ouvriers  creusè- 
rent immédiatement  une  seconde  tranchée  au 
pied  du  portail  du  croisillon  nord. 

Le  jeudi  17  octobre,  à  la  première  heure, 
on  fouillait  dans  deux  tombeaux  qui  rappe- 
laient l'un  et  l'autre  une  fatale  éclipse  de  la 
royauté,  ceux  de  Charles  VI,  un  roi  dément, 
et  d'isabeau  de  Bavière,  une  reine  aussi  per- 
verse qu'indolente,  qui  trahit  son  fds  et  la 
France.  Ils  ne  contenaient  que  des  ossements 
desséchés.  Au  mois  d'août  dernier,  on  avait 
pillé  «  ce  qui  pouvait  être  précieux  dans  leurs 
cercueils  '.  » 

Dans  les  tombes  de  Charles  VII  et  de  Marie 
d'Anjou,  on  trouva  les  restes  d'une  couronne 
et  d'un  sceptre  d'argent  doré. 

i  Le  soubassement  des  cfCigios  de  Charles  VI  el  d'isabeau, 
qu'on  voit  actuellcmeul,  sont  modernes. 


LES    JOURNÉES    DOCTOBRE  Si) 

«  Une  singularité  de  rembaumement  du 
corps  de  Charles  VII,  c'est  qu'on  y  avait  par- 
semé du  vif-argent  qui  avait  conservé  toute 
sa  fluidité.  » 

A  deux  heures  de  l'après-midi,  on  procédait 
à  l'extraction  des  deux  cercueils  de  Blanche 
de  Navarre  et  de  Jeanne  de  France,  sa  fille  ; 
ils  renfermaient  leurs  squelettes,  moins  la 
tète  de  cette  dernière  qui  avait  été  vraisem- 
blablement dérobée  quelques  années  aupara- 
vant, lors  d'une  réparation  faite   au   caveau. 

Puis,  on  fit  l'ouverture  du  caveau  de 
Henri  II  qui  contenait  dix  cercueils.  Le  pre- 
mier qu'on  ouvrit  fut  celui  de  ce  roi  éphémère 
qui  passa,  comme  une  ombre,  à  travers  les 
bras  de  Marie  Stuart  ;  on  brisa,  ensuite,  ceux 
de  Marguerite  de  France,  femme  de  Henri  IV, 
de  François,  duc  d'Alençon,  quatrième  fils  de 
Henri  II,  et  d'une  fille  de  Charles  IX. 

La  nuit  tombait  ;  on  ouvrit,  pour  finir  la 
journée,  le  caveau  de  Charles  VIII,  dont  le 
nom  évoquait  une  royauté  qui  de  bourgeoise 


6o      LES   TOMBEAUX   DES    ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

et  populaire  était  devenue  avec  lui  conqué- 
rante et  chevaleresque  :  son  cercueil  de  plomb, 
porté  sur  des  barreaux  de  fer,  contenait  son 
squelette  court  et  desséché  \ 

Le  lendemain  vendredi  i8  octobre,  dès 
Taube,  on  continuait  l'extraction  et  Fouver- 
ture  des  cercueils  du  caveau  de  Henri  II  : 
c'étaient  ceux  de  Henri  H  lui-même,  de  Cathe- 
rine de  Médicis,  de  leurs  trois  enfants,  de 
Charles  IX  et  Henri  III. 

Puis  on  descendit  dans  le  caveau  de 
Louis  XII  et  d'Anne  son  épouse'.  Sur  cha- 
cun des   cercueils   était    incrustée  une    cou- 


^  Charles  VIII  était  de  très  petite  taille. 

-  On  distingue,  dans  la  vue  d'ensemble  des  sépultures  que 
nous  avons  reproduite  plus  haut,  le  tombeau  de  Louis  XII 
et  d'Anne  de  Bretagne,  oeuvre  de  Jean  Juste,  sculpteur  du 
roi.  Un  soubassement  quadrangulaire  porte  un  édifice  à  jour, 
percé  de  douze  arcades,  sous  chacune  desquelles  est  la  figure 
d'un  apôtre.  Aux  quatre  angles  se  voient  les  statues  de  la 
Justice,  de  la  Force,  de  la  Prudence  et  de  la  Tempérance, 
vertus  cardinales  des  princes  défunts.  Le  roi  et  la  reine  sont 
figurés  couchés  dans  l'attitude  et  la  nudité  de  la  mort.  Au- 
dessus  du  monument,  sur  la  plate-forme,  sont  les  deux  sta- 
tues agenouillées  des  deux  monarques,  portraits  de  la  plus 
grande  fidélité.  Les  bas-reliefs  représentent  les  campagnes  de 
Louis  XII  en  Italie. 


LES    JOURÎSÉES    DOGTOBRE  6i 

ronne  de  cuivre  doré.  Ils  contenaient  leurs 
squelettes  dans  un  état  parfait  de  conser- 
vation. 

Successivement  on  ouvrit  les  tombes  de 
Jeanne  de  France,  reine  de  Navarre,  dont  les 
ossements  étaient  renfermés  dans  une  pierre 
creuse,  tapissée  de  plomb  ;  de  Louis  le  Hutin 
dont  «  les  os  desséchés  »,  avec  une  couronne 
de  cuivre  et  un  reste  de  sceptre  rongé  par  la 
rouille,  formaient  tout  le  contenu  d'une  pierre 
creuse  en  forme  d'auge  ;  du  petit  roi  Jean 
dormant  au  pied  de  son  père,  après  un  règne 
de  quelques  jours  ;  de  Hugues  le  Grand, 
dont  il  ne  restait  que  les  os  presque  en  pous- 
sière. 

On  alla  ensuite,  au  milieu  du  chœur,  décou- 
vrir la  fosse  de  Charles  le  Chauve,  mort  en 
877  :  il  fallut  creuser  profondément  pour  trou- 
ver une  espèce  d'auge  en  pierre,  dans  laquelle 
était  un  petit  coffre  de  bois  contenant  le  reste 
de  ses  cendres*. 


1  Le  corps  déposé,  à  sa  mort,  au  prieuré  de  Mantui,  n'avait 
été  transporté  à  Saint-Denis  que  sept  ans  après. 


bï      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA    TERREUR 

Le  jour  suivant  19  octobre,  au  matin,  Fou- 
verture  de  la  tombe  de  Philippe,  fils  de  Phi- 
lippe Auguste,  ne  donnait  rien  de  remarquable 
que  l'empreinte  de  la  tête  creusée  dans  le 
cercueil  de  pierre. 

La  tombe  de  pierre,  en  forme  d'auge,  d'Al- 
phonse de  Poitiers,  frère  de  saint  Louis,  ne 
contenait  que  des  cendres  ;  mais  sa  chevelure 
était  encore  intacte. 

Rien  ne  restait  du  corps  de  Philippe  Au- 
guste. 

Le  corps  de  Louis  VIII  \  père  de  saint 
Louis,  était  enveloppé  dans  un  sac  de  cuir  fort 
épais  ;  il  était  presque  consumé  ;  mais  on  trou- 
va, mêlé  à  ses  cendres,  un  morceau  de  sceptre 
de  bois,  son  diadème  composé  d'une  bande 
d'étoffe  tissée  d'or  et  d'une  calotte  de  satin 
très  bien  conservée,  et  quelques  morceaux  de 
suaire  tissé  également  de  fils  d'or. 

On  fouilla  au  milieu  du  chœur,  en  bas  des 

i  Philippe  Auguste  et  Louis  VIII  avaient  eu  des  tombes  en 
argent  ciselé  :  trop  précieuses  pour  échapper  au  pillage,  elles 
avaient  disparu  depuis  plusieurs  siècles.  Baron  de  Guilhermy. 
Loc.  cit. 


LES    JOUR>ÉES    d'octobre  63 

marches  du  sanctuaire,  et  on  creusa  bien 
avant  en  terre  sans  rien  rencontrer.  Enfin,  au 
fond  d'une  auge,  on  retrouva  deux  petits  os 
et  une  rotule  :  c'est  tout  ce  qui  restait  de 
Marguerite  de  Provence;  puis  on  découvrit 
un  cercueil  fort  étroit.  C'était  celui  de  ce 
vrai  héros  du  Moyen  âge  que  Rome  a  canonisé 
et  que  le  peuple  voit  encore,  grand  entre 
tous,  sous  le  chêne  de  Vincennes,  ayant  pour 
trône  un  tertre  de  gazon  :  il  était  vide\ 
On  procéda,  ensuite,  au  décarrelage  de  tout 

1  «  La  raison  pour  laquelle  son  cercueil  était  moins  large 
et  moins  long  que  les  autres,  c'est  que,  suivant  les  historiens. 
SCS  chairs  furent  portées  en  Sicile  :  aussi  on  n'a  rapporté  à 
Saint-Denis  que  les  os,  pour  lesquels  il  a  fallu  un  cercueil 
moins  grand  que  pour  le  corps  entier  ».  Note  de  dom  Druon. 
Les  ossements  de  saint  Louis  avaient  été  retirés  lors  de  sa 
canonisation  par  Boniface  VIII,  en  1297. 

On  sait  que  Philippe  le  Hardi,  l'exemple  delà  piété  liliale, 
fit  faire  des  obsèques  magnifiques  à  son  père,  qu'il  le  porta 
lui-même,  pieds  nus,  à  Saint-Donis,  chargé  sur  ses  épaules. 
«  Les  monuments  qui  étaient  placés  de  distance  en  distance 
sur  la  route  de  Paris  à  Saint-Denis,  furent  élevés  de  son  temps, 
pour  consacrer  à  la  postérité  le  souvenir  de  ce  dévouement 
religieux.  Ils  indiquaient  les  lieux  où  ce  vertueux  fils  s'était 
reposé  pendant  le  convoi. 

«Les  révolutionnaires  ont  détruit  ces  espèces  de  tours,  qui 
s'élevaient  à  40  pieds  de  terre  ;  elles  contenaient  les  statues 
de  grandeur  humaine,  de  Louis  IX,  du  comte  de  Nevers,  de 
Philippe  III  et  celle  de  Robert*  comte  de  Provence.  »  Alex. 
Lenoir,  loc.  cit. 


64       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

le  haut  du  chœur,  et  Ton  ne  retrouva  que  le 
cercueil  de  Philippe  le  Bel,  ce  roi  qui  le  pre- 
mier avait  convoqué  les  Etats  Généraux  et 
révélé  au  peuple  ses  droits  et  son  avenir.  Il 
ne  pensait  pas,  en  i3o2,  que  les  arrière-ne- 
veux des  députés  de  la  nation  s'enhardiraient 
un  jour  jusqu'à  porter  la  main  sur  la  couronne 
et  les  tombeaux  des  rois.  Son  cercueil  de 
pierre,  recouvert  d'une  large  dalle,  était 
tapissé  intérieurement  d'une  lame  de  plomb. 
Le  squelette  était  intact  ;  on  trouva  à  côté  un 
anneau  d'or,  un  sceptre  de  cuivre  doré  de 
cinq  pieds  de  long,  terminé  par  une  touffe  de 
feuillage  et  un  oiseau  de  cuivre  doré,  «  revêtu 
de  ses  couleurs  naturelles,  et  qui  ressemblait 
à  un  chardonneret.  » 

La  nuit  était  venue  :  on  voulut,  avant  de 
terminer,  ouvrir  la  sépulture  de  Dagobert, 
mort  en  638.  Le  cercueil  de  pierre  de  plus  de 
deux  mètres  ne  portait  ni  titres  pompeux,  ni 
épitaphe,  pas  même  le  nom  du  roi  qui  fut 
le  Salomon   des  Francs,  qui,    comme   le  fds 


LES    JOURNÉES    d'oCTOBRE  65 

de  David,  aima  la   magnificence    des  palais. 

Devant  ce  cercueil,  plus  encore  que  devant 
celui  de  Henri  IV,  on  avait  le  droit  de  se 
demander  quels  avaient  été  les  ravages  de  la 
mort,  au  bout  de  onze  siècles  et  demi.  N'était- 
ce  pas  un  monarque  presque  légendaire 
qu'on  allait  exhumer  ? 

Dans  une  partie  creuse,  où  selon  un  usage 
assez  fréquent,  on  déposait  la  nuque  du  dé- 
funt, se  trouvait  seul  le  squelette  de  la  tête. 
Au  milieu  du  cercueil  était  un  coffre  de  bois 
d'environ  deux  pieds  de  long,  garni  intérieu- 
rement d'une  lame  de  plomb.  Une  planchette 
de  bois  séparait  le  coffre  en  deux  parties. 

Sur  un  côté  du  coffre  était  apposée  une 
plaquette  de  plomb  avec  cette  inscription  : 

Hic  jacet  corpus  Dagoberti. 

Sur  l'autre  côté  une  lame  de  plomb  portait 
l'inscription  : 

Hic  jacet  corpus  Nanthildis. 

Les  ossements  étaient  enveloppés  dans  une 
étoffe   de   soie.  Le  crâne  de  la   reine  ne  s'y 


66      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

trouvait  plus,  resté  sans  doute  dans  l'endroit 
de  sa  première  sépulture,  à  l'époque  où  saint 
Louis  lit  élever  le  monument  actuel'. 

Le  dimanche  20  octobre,  dans  la  chapelle 
dite  des  Charles,  on  fit  l'ouverture  du  cercueil 
de  plomb  de  Bertrand  Duguesclin,  qui  portait 
l'épitaphe  sur  une  plaque  de  cuivre  :  «  Haut 
et  puissant  messirc,  connétable  de  France  ». 
Son  squelette  était  entier,  «  la  tête  bien  con- 
servée, les  os  propres  et  tout  à  fait  dessé- 
chés ».  Voici  ce  que  relate  Gautier,  organiste 
de  l'abbaye  :  «  Le  susdit  jour  20  octobre, 
j'eus  trois  dents  du  susdit  Duguesclin,  ayant 
été  présent  lorsqu'on  releva  ses  restes,  qui 
consistaient  en  sa  tête  et  plusieurs  ossements, 
lesquelles  dents  furent  retirées  de  sa  mâchoire 
en  ma  présence^.  » 

Auprès  de  Duguesclin  reposait,  dans  un  cer- 
cueil de  plomb  de  trois  pieds  de  long  seule- 

*  Le  monument  antérieur  avait  été  détruit  par  les  Normands. 
Dulaure.  Histoire  de  Paris,  1839. 

2  Gautier,  loc.  cit.  p.  121!  Le  cœur  du  connétable,  légué 
par  lui  à  la  ville  de  Dinan,  qu'on  voit  encore  aujourd'hui,  dans 
l'église  de  Saint-Sauveur,  renfermé  dans  une  espèce  de  céno- 


TOMBEAU     DE     FRANÇOIS    I  <"• 


LES    JOURNEES    D  OCTOBRE  b'j 

ment,  Bureau  de  la  Rivière,  chambellan  de 
Charles  VII. 

Après  bien  des  recherches,  on  finit  par  dé- 
couvrir l'entrée  du  caveau  de  François  P'\  Il 
était  grand  et  bien  voûté  :  six  cercueils  de 
plomb,  posés  sur  des  barres  de  fer,  renfer- 
maient les  corps  de  François  \^^,  de  Louise  de 
Savoie,  sa  mère,  de  Claudine  de  France,  son 
épouse,  du  Dauphin  son  fils  et  de  ses  frère 
et  sœur. 

Tous  ces  corps  étaient  en  «  putréfaction 
liquide  »  et  exhalaient  une  odeur  insuppor- 
table. L'assistance  fut  frappée  «   de  la  taille 

taphe  de  marbre  noir,  «  fut  au  moment  d'être  broyé  par  un 
vitrier  pour  servir  à  faire  de  la  peinture  ».  Chateaubriand, 
Mémoires  d^ Outre-Tombe,  Garnier,  Paris,  t,  I,   p.  128. 

^  Nous  donnons  ici  la  reproduction  du  tombeau  de  Fran- 
çois P"".  C'est  un  des  plus  admirables  chefs-d'œuvre  de  l'ar- 
chitecture et  de  la  sculpture.  Philibert  Delorme  en  a  donné 
le  dessin  et  dirigé  la  construction.  Jean  Goujon,  Germain 
Pilon,  Pierre  Bontemps,  Ambroise  Perret,  d'autres  encore 
ont  collaboré  à  son  accomplissement.  Il  se  compose  d'une 
haute  voûte  avec  deux  passages  latéraux.  Sur  la  plate-forme 
sont  en  costumes  de  cour,  agenouillés,  le  roi,  la  reine  et 
leurs  trois  enfants.  Sous  la  voûte  sont  les  effigies  des  deux 
monarques,  sans  autre  vêtement  que  le  suaire  mortuaire. 
Tout  autour  du  monument  se  trouvent  d'admirables  statues 
des  évangélistes  et  de  génies  symboliques  ;  sur  les  côtés,  des 
bas-reliefs  retracent  les  campagnes  de  François  P"", 


68      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

extraordinaire  et  de  la  structure  du  corps  de 
François  P""  ;  Tun  des  fémurs  de  ce  prince, 
que  je  mesurai,  portait  vingt  pouces  des  con- 
dyles  à  la  tête  de  l'os  »  ^  On  alla  vider  chaque 
bière  dans  la  fosse  ;  et  à  travers  les  fissures 
des  cercueils  brisés  «  une  eau  noire  et  nausé- 
abonde coulait  des  enveloppes  de  plomb  dans 
le  trajet  qu'on  fit  pour  gagner  le  cimetière.  » 
Enfin,  sur  le  soir,  on  trouva,  près  de  la 
grille  du  côté  du  midi,  le  tombeau  de  Mathieu 
de  Vendôme,  abbé  de  Saint-Denis  et  régent 
du  royaume  sous  saint  Louis.  11  n'avait  pas 
de  cercueil,  ni  de  pierre,  ni  de  plomb.  Il  avait 
été  mis  en  terre  dans  une  bière  de  bois  dont 
il  restait  encore  des  morceaux  de  planches 
vermoulues,  après  plus  de  cinq  cents  ans. 
Le  corps  était  entièrement  consumé  ;  on  re- 
trouva le  haut  de  sa  crosse  de  cuivre  doré  et 
des  lambeaux  de  riche  étoffe,  indiquant  qu'il 
avait  été  enseveli  avec  ses  plus  beaux  orne- 
ments d'abbé. 

^  Alexandre  Lenoir,  Zoc.  cit.  Ce  qui  donne  une  longueur  de 
55  centimètres. 


LES    JOUR3SÉES    d'oCTOBRE  69 

Le  lundi  21  octobre,  les  ossements  de  six 
princes  et  une  princesse  dé  la  famille  de  saint 
Louis  étaient  portés  au  cimetière*. 

Le  mardi  22,  dans  la  chapelle  des  Charles, 
on  trouvait  encore  deux  cercueils  l'un  sur 
l'autre  :  celui  de  Barbazan,  premier  chambel- 
lan de  Charles  VII  et  celui  de  Louis  de  San- 
cerre,  un  des  vainqueurs  de  Rosebecque  :  la 
tète  du  connétable  «  était  encore  garnie  de 
cheveux  longs  et  partagés  en  deux  cadenettes 
bien  tressées  \  » 

On  souleva,  ensuite,  la  pierre  perpendicu- 
laire qui  couvrait  les  tombeaux  en  pierre  de 
l'abbé  Suger^  et  de  l'abbé  Troon  :  ils  ne  ren- 
fermaient que  quelques  ossements, 

*  Ils  avaient  été  rapportés  le  i"""  août  1791  «  de  l'abbaye 
de  Royaumont  en  celle  de  Saint-Denis  et  posés  dans  un  caveau 
creusé  exprès,  au  milieu  du  chœur,  entre  ceux  de  Charles  le 
Chauve  et  de  Marguerite  de  Provence  ».  Gautier,  loc.  cit. 
p.  107. 

^  «  Il  fut  trouvé  ayant  encore  trois  longues  tresses,  d  en- 
viron 40  centimètres.  »  Alex.  Lenoir,   loc.   cit. 

^  La  pierre  indiquant  la  sépulture  du  grand  Suger  portait 
cette  simple  épitaphe  : 

Hicjacet  Sugerius  ahhas. 


70      LES   TOMBEAUX   DES   ROlS   SOUS   LA   TERREUR 

On  s'en  tint  là,  et,  pour  finir  la  journée, 
on  alla  dans  la  chapelle  du  «  Lépreux  »  lever 
la  tombe  de  Sédille  de  Sainte-Croix,  femme 
de  Jean  Pastourelle,  conseiller  de  Charles  V  : 
elle  renfermait  quelques  os  à  peine  reconnais- 
sablés. 

Le  mercredi  matin,  on  découvrait  la  tombe 
de  Philippe  de  Valois  :  elle  était  de  pierre, 
tapissée  de  plomb  intérieurement,  fermée  par 
une  lame  épaisse  de  même  métal,  soudée  sur 
des  barres  de  fer  :  quelques  os,  une  couronne, 
un  sceptre  surmonté  d'un  oiseau  de  cuivre 
doré,  voilà  tout  ce  qui  restait  de  l'impétueux 
roi  qui  avait  donné  le  signal  de  la  guerre  de 
Cent  ans. 

Plus  près  de  l'autel,  on  trouva  dans  le  cer- 
cueil de  sa  femme,  Jeanne  de  Bourgogne,  son 
anneau  d'argent,  une  quenouille  et  ses  os 
desséchés. 

Le  jeudi  24,  on  fit  l'ouverture  du  tombeau 
de  Charles  le  Bel  :  il  était  à  gauche  de  celui 


LES    JOURNEES    D  OCTOBRE  7I 

de  Philippe  de  Valois,  et  sa  construction 
était  identique.  Le  squelette  était  tout  entier  : 
près  du  crâne  une  couronne  de  vermeil,  à 
ses  côtés  un  sceptre  de  cuivre  doré  haut  de 
sept  pieds,  un  anneau  d'argent,  un  reste  de 
main  de  justice,  un  bâton  de  bois  d'ébène,  un 
oreiller  de  plomb  sous  le  crâne,  ainsi  appa- 
rurent, au  bout  de  cinq  siècles,  les  restes  du 
dernier  roi  des  Capétiens. 

On  fut  surpris  de  trouver  le  cercueil  de 
Jeanne  d'Evreux  brisé,  dépouillé  ;  la  tête 
même  avait  été  enlevée  la  nuit.  C'était  de  la 
besogne  faite  pour  les  ouvriers  qui  procé- 
daient à  l'ouverture  du  tombeau  de  Philippe 
le  Long.  On  allait  voir  les  restes  de  ce  prince 
grand  et  beau  dont  la  mort  prématurée  à  vingt- 
huit  ans  avait  été  regardée  par  le  peuple,  avec 
celle  de  son  frère  et  de  son  neveu,  comme  un 
signe  de  la  vengeance  du  ciel  sur  cette  famille 
qui  avait  souffleté  Boniface  VIII  et  brûlé  les 
Templiers.  Son  squelette  entier  apparut, 
admirablement  conservé ,  «  le  crâne  coiffé 
d'une  couronne  de  vermeil  enrichie  de  pierre- 


72       LES   TOMBEAUX  DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

ries  »  %  le  bord  inférieur  des  côtes  garni 
d'une  étoffe  satinée,  avec  une  boucle  de  ver- 
meil. On  trouva,  sur  les  côtés  du  cercueil, 
une  agrafe  de  son  manteau  en  losange,  une 
autre  plus  petite,  toutes  deux  en  argent  et  un 
sceptre  de  cuivre  doré. 

Au  pied  de  son  cercueil  était  un  petit  caveau, 
où  l'on  découvrit  une  cassette  de  bois  ver- 
moulu, avec  l'inscription  sur  une  lame  de 
cuivre  :  Cœur  de  Jeanne  de  Bourgogne,  épouse 
de  Philippe  de  Valois. 

Dans  le  tombeau  du  malheureux  et  cheva- 
leresque roi  Jean,  mort  en  i364,  on  trouva  son 
squelette  intact,  une  couronne,  un  sceptre 
brisé  et  une  main  de  justice  de  vermeil^. 

C'était  fini^ 

Huit  jours  après,  cependant,  par  une  mati- 

1  Alexandre  Lenoir.  Loc.  cit. 

'  Le  i8  janvier  i794>  la  démolition  du  tombeau  de  F'ran- 
cois  P''  permit  de  découvrir  le  cercueil  de  Marguerite,  lille 
de  Philippe  le  Long  et  femme  de  Louis,  comte  de  Flandre  : 
on  y  trouva  ses  ossements  bien  conservés  et  quelques  restes 
de  planche  de  châtaignier. 

^  Une  tombe  avait  échappé  au  vandalisme  révolutionnaire, 


LES  JOURNÉES  DOCTOBRE  78 

née  d'automne  froide  et  brumeuse,  les  ou- 
vriers, accompagnés  du  commissaire  aux 
plombs,  allaient  au  Couvent  des  Carmélites 
soulever  la  tombe  où  reposait  une  fille  de 
France,  née  infirme  \  mais  d'une  âme  noble 
et  élevée,  qui  toute  sa  vie,  les  yeux  tournés 


la  tombe  du  célèbre  Gondi  que  son  roi  irrité  aurait  voulu 
éloigner  à  jamais  de  la  royale  sépulture,  à  laquelle  lui  donnait 
droit  sa  dignité  d'abbé  de  Saint-Denis,  qu'on  y  avait  enterré 
clandestinement,  en  pleine  nuit,  avec  ordre  de  Louis  XIV  de 
n'indiquer  par  aucune  épitaphe  le  lieu  de  sa  sépulture.  Et  ce 
fut  le  seul  qui,  malgré  toutes  les  recherches  et  les  boulever- 
sements du  sol,  y  resta. 

En  effet,  on  rechercha  vainement  à  l'endroit  si  minutieuse- 
ment et  si  clairement  indiqué  par  le  plan  de  Felibien,  le  cer- 
cueil du  cardinal,  du  Catilina  en  soutane  qui  avait  renversé 
Mazarin  alors  au  faîte  du  pouvoir,  maître  de  la  France, 
presque  de  l'Europe.  Viollet-le-Duc  retrouva  le  cercueil  du 
Grand  Gondi  à  l'endroit  indiqué,  à  côté  du  tombeau  de  Fran- 
çois P'".  Il  fut  transporté  dans  le  caveau  de  Turenne,  où  nous 
le  retrouverons  plus  loin.  (Voir  G.  d'Heilly,  loc.  cit.) 

^  Dans  une  étude  parue  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  et 
reprise  dans  son  ouvrage  sur  le  xviii"  siècle,  M.  Soury  étu- 
diant les  tares  pathologiques  des  filles  de  Marie  Leczinska, 
écrit  au  sujet  de  Louise  :  elle  «  était  un  être  débile,  chétif, 
manifestement  rachitiquc  ».  Cité  par  Cabanes.  Les  Indiscré- 
tions de  r Histoire,  i*'"  série.  Albin  Michel,  1903. 

Louise  de  France  entrait  au  couvent  des  Carmélites  de  la 
ville  de  Saint-Denis  le  11  avril  1770.  Elle  apportait  un  mer- 
veilleux trousseau.  Selon  la  règle  de  l'ordre,  elle  était  tenue, 
comme  simple  postulante,  d'éplucher  les  herbes  et  de  parti- 
ciper aux  travaux  les  plus  grossiers  de  la  cuisine.  La  supé- 
rieure voulut  lui  interdire  tout  travail  matériel  pour  ne  pas 
lui  faire   «  perdre  »    ses  riches  vêtements.  C'est  alors  que  la 


74      LES    TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

vers  le  ciel,  n'avait  connu  que  l'humilité  et 
la  prière.   Ils   trouvèrent  le  corps  de  Louise 

postulante  écrivit  au  roi,  son  père,  lui  demandant  des  vête- 
ments les  plus  simples  pour  les  travaux  communs  du  ménage. 
Louis  XV,  qui  n'y  regardait  pas  de  près,  lui  fit  l'envoi  d'un 
costume  de  «  satin  rose.  »  Louise  l'avait  à  peine  revêtu  qu'elle 
le  souilla  par  maladresse  avec  le  contenu  d'une  casserole.  On 
montre  un  fragment  de  cette  robe  de  salin  au  couvent  des 
Religieuses  de  la  Sainte-Famille  du  Sacré-Cœur,  qui  ont  rem- 
placé les  Carmélites  à  Saint-Denis  rue  de  la  Légion  d'Hon- 
neur, 44. 

Le  10  septembre  1770,  Louise  de  France  prenait  l'habit,  et 
le  premier  octobre  1771,  elle  faisait  profession. 

Elle  mourut  supérieure  du  couvent  le  aS  décembre  1787  et 
fut  enterrée  dans  la  salle  du  chapitre  du  monastère.  Une 
plaque  de  marbre  blanc,  placée  au-dessus  du  cei'cueil,  portait 
cette  épitaphe  : 

ICI  REPOSE 

LE    CORPS    DE    LA    TRÈS    REVERENDE    MERE 

THÉRÈSE    DE    SAINT-AUGUSTIN 

FILLE 

DU    ROI    TRÈS    CHRÉTIEN    LOUIS    XV 

ET 

PRIEURE    DE    CE    MONASTÈRE 

Son  sacrifice  honora  sa  religion  ; 

Son  courage  prouva  sa  foi  ; 

Sa  naissance  releva   son  humilité  ; 

Son  zèle  maintint  la  règle  ; 

Sa  ferveur  en  inspira  l'amour  ; 

Son  exemple  en  adoucit  l'observance. 

Elle  décéda  le  XXIII  décembre  MDCCLXXXVII, 
Dans  la  LI°  année  de  son  âge, 
Dans  la  XVIII°  année  de  son  entrée  en  religion. 
Dans  la  IIP  année  de  son  second  Priorat. 
Priez    pour   elle. 


LOUISE    DE    FRANCE 

Gravure  de  Le  Beau 

Collection  de  M.  l'abbé  Duperron. 


LES  JOURNÉES  DOCTOBRE  75 

de  France,  fille  de  Louis  XV,  morte  le  23  dé- 
cembre 1787,  à  l'âge  de  cinquante  ans  :  il  était 
tout  entier,  enveloppé  de  ses  vêtements  de 
carmélite,  mais  en  pleine  décomposition.  On 
prit  le  plomb  du  cercueil,  et  le  corps,  avec 
sa  robe  de  bure,  sa  guimpe  et  son  manteau 
noir,  fut  jeté  quelque  part  \ 


^  Le  chiffre  total  des  «  journées  des  citoyens  qui  avaient 
travaillé  à  l'exhumation  des  corps  des  ci-devant  rois,  prin- 
ces et  princesses  »  montait  «  à  quatre-vingt-onze  journées, 
auxquelles  il  en  avait  été  ajouté  huit  en  faveur  de  Pierre 
Dantan  »  blessé  au  cours  des  travaux.  «  A  raison  de  sept 
livres  dix  sols  »  les  frais  s'étaient  élevés  à  «  sept  cent  quarante 
deux  livres  dix  sols  ».  Procès-verbal  du  17  brumaire  l'an 
deuxième  de  la  République  française,  une  et  indivisible. 
—  huit  heures  du  matin  —  Registre  5  des  procès-verbaux 
du  conseil  municipal  de  Saint-Denis,  f°  35. 


67.  Reymond. 


MAUSOLEE    DE    TURENNE 
DANS    LA    BASILIQUE    DE    SAINT-DENIS,    EN     1793 


[Bihliothèque  Nationale). 


Ce  mausolée,  actuellemcnl  déposé  dans  l'église  des  Invalides,  était  adossé 
i\  l'un  des  côtés  de  la  chapelle  de  Saint- Eustache ,  dans  le  collatéral 
septentrional.  Le  groupe  qui  nous  montre  Turenne  dans  les  bras  de  l'Immor- 
talité est  de    Tuby  ;  les  statues  de  la  Sagesse  et  de  la  Valeur  sont  de  Marty. 


CHAPITRE  IV 


LE   TOMBEAU   DE   TURENNE 


Le  II  octobre  1793,  un  seul  monument  res- 
tait debout  dans  la  Basilique  silencieuse  et 
dévastée  :  c'était  celui  du  vainqueur  de  Sin- 
zlieim,  de  Ladenbourg,  de  Turckheim,  dont  le 
retour  à  Versailles,  en  1674,  avait  été  salué 
par  le  canon,  les  fanfares  et  les  acclamations 
de  la  foule.  Turenne  mort  ne  devait  pas  être 
protégé  par  sa  gloire,  et  son  tombeau  allait 
crouler,  comme  tous  les  autres,  sous  le  mar- 
teau des  barbares. 

Le  monument  qui  était  adossé  à  Tun  des 
côtés  de  la  chapelle  de  Saint-Eustache  était 
le  même  qui  figure  aujourd'hui  sous  le  dôme 
des  Invalides  :  c'était  la  même  effigie  du  capi- 


78      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA.   TERREUR 

taine  avec  sa  cuirasse  et  son  manteau.  La 
statue  de  l'Immortalité  le  recevant  dans  ses 
bras  n'a  pas  changé  ;  les  figures  allégoriques 
de  la  Sagesse  et  de  la  Valeur,  qui  ornent  le 
monument,  sont  les  mêmes  personnifiant  les 
vertus  cardinales  du  maréchal  :  la  Sagesse, 
avec  un  vase  d'où  s'écoulent  des  pièces  de 
monnaie  rappelant  les  libéralités  du  prince  ; 
la  Valeur,  dans  l'attitude  d'un  guerrier  que  la 
douleur  accable. 

On  sait  trop  que  les  sépultures  qui  rem- 
plissent aujourd'hui  la  Basilique  de  Saint- 
Denis  n'ont  rien  gardé  de  leurs  poussières, 
et  qu'elles  ont  par  là  même  perdu  tout  leur 
effet.  Ici,  du  moins,  nous  avons  un  tombeau 
qui  ne  sert  pas  seulement  à  l'histoire  de 
l'Art,  mais  qui  dit  quelque  chose  à  l'imagi- 
nation et  au  cœur  :  seul  de  tous  les  sépulcres 
violés  en  1793,  le  mausolée  de  Turenne  a 
gardé  toutes  ses  cendres. 

Or,  le  12  octobre  au  matin,  avant  de  péné- 
trer dans  le  caveau  des  Bourbons,  les  ouvriers, 


LE    TOMBEAU    DE    TURENNE  79 

impatients  de  voir  les  restes  d'un  grand 
liomme,  s'empressèrent  d'ouvrir  le  tombeau 
de  Turenne.  Ce  fut  le  premier  ! 

«  Quel  fut  leur  étonnement,  lorqu'ils  eurent 
démoli  la  fermeture  du  petit  caveau  placé 
immédiatement  au-dessous  du  tombeau  de 
marbre  que  sa  famille  lui  avait  fait  ériger,  et 
qu'ils  eurent  ouvert  le  cercueil  !  Turenne  fut 
trouvé  dans  un  état  de  conservation  tel,  qu'il 
n'avait  pas  été  déformé  et  que  les  traits  de 
son  visage  n'étaient  point  altérés  ;  les  spec- 
tateurs, surpris,  admirèrent  dans  ces  restes 
glacés  le  vainqueur  de  Turckheim,  et  oubliant 
le  coup  mortel  dont  il  fut  frappé  à  Salzbach, 
chacun  d'eux  crut  voir  son  âme  s'agiter  encore, 
pour  défendre  les  droits  de  la  France  ^  » 

Ce  corps,  «  nullement  flétri  et  parfaite- 
ment conforme  aux  portraits  et  médaillons 
que  nous  possédons  de  ce  grand  capitaine, 
était  en  état  de  momie  sèche  et  de  couleur  de 
bistre  clair".  » 

*  Alexandre  Lenoir.  Loc.  cit. 

2  «   Procès-verbal  communiqué  par  Tinthouin  »   déjà  cité 


8()      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

On  allait  le  jeter  dans  la  fosse  préparée 
pour  les  Bourbons,  quand  «  sur  les  observa- 
tions de  plusieurs  personnes  de  marque  »  *  qui 
se  trouvaient  présentes  à  cette  première  opé- 
ration, il  fut  remis  au  nommé  Host,  gardien 
du  lieu,  homme  rangé,  méthodique,  qui  con- 
serva cette  momie  dans  une  boîte  de  chêne, 
et  la  déposa  dans  la  petite  sacristie  de  l'église 
où  il  l'exposa  pendant  plus  de  huit  mois  aux 
regards  des  curieux. 

Jusqu'au  mois  de  juin  1794  une  foule  de 
visiteurs  vinrent  des  quatre  coins  du  pays 
dans  cette  dépendance  de  l'église.  Et  ce  ne 
dût  pas  être  un  spectacle  banal  que  celui  de 
ce  gardien  de  la  vieille  église,  veillant,  du 
fond  de  sa  loge,  sur  sa  relique  funèbre,  pre- 
nant un  air  de  circonstance  pour  recevoir  son 
monde  et  montrer,   «   moyennant  une  petite 


Ce  paragraphe  qu'on  retrouve  littéralement  transcrit  dans 
le  texte  d'Alexandre  Lenoir,  sans  indication  de  la  source,  et 
que  tous  les  auteurs  citent  comme  émanant  de  lui,  est  extrait 
du  manuscrit  en  question,  dont  nous  avons  eu  l'original  entre 
les  mains. 

1  Alexandre  Lenoir.  Loc.  cit. 


LE    TOMBEAU    DE    TURENNE  Oi 

rétribution  »  \  les  restes  du  héros.  Détail 
d'ignoble  cupidité,  qui  nous  montre  que  le 
citoyen  Host  avait  également  le  génie  du 
trafic,  «  cet  homme  vil  se  permit  d'ôter  toutes 
les  dents  de  Turenne  pour  les  vendre  à  ceux 
qu'un  spectacle  aussi  curieux  que  touchant 
attirait  dans  l'église  »  ".  Le  jeune  orateur  de 
la  Révolution,  si  connu  par  son  exaltation  répu- 
blicaine et  sa  poétique  inspiration  du  Palais- 
Royal,  était  venu,  lui  aussi,  contempler  la  cu- 
rieuse relique.  Il  voulut  posséder  un  souvenir 
du  grand  capitaine  et,  à  défaut  de  dents  épui- 
sées, il  coupa  un  doigt  au  cadavre  desséché^ 
De  la  capitale,  pendant  la  belle  saison,  des 
milliers  de  curieux  vinrent  contempler  ce  que 
le  barnum  de  Turenne  faisait  voir  comme  un 
étrange  bibelot.  Un  beau  jour,  en  juin  1794, 
M.  Desfontaines'*,  professeur  de  Botanique  au 


^  Alexandre  Lenoir,  loc.  cit. 

■^  Le  même. 

^  Cabanes  etNaas.  La  Névrose  révolutionnaire.  Paris,  igoS. 

'  Desfontaines  (René-Louis),  membre  de  l'Académie  des 
sciences,  professeur  de  Botanique  au  Muséum  d'histoire  natu- 
relle et  à  la  Faculté  des  sciences  de  Paris,  né  en  1761  à  Trem- 

6 


S'2      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA    TERREUR 

Jardin  des  Plantes,  attiré  aussi  par  tout  le 
tapage  fait  autour  du  cadavre  exhumé,  frappé 
de  l'étonnante  conservation  du  corps,  réclama 
Vohjet  historique  et  l'obtint  pour  le  Cabinet 
d'Histoire  naturelle. 

Le  vaillant  capitaine  dont,  en  d'autres 
temps,  on  eût  transféré  les  restes  aux  roule- 
ments des  tambours  drapés  et  aux  salves  inin- 
terrompues du  canon,  n'eut  pas  une  grande 
pompe  étalée  autour  de  son  cercueil,  lors  de 
cette  translation  à  Paris.  Ce  que  nous  en 
savons  se  résume  dans  ces  deux  lignes  de 
dom  Laforcade  :  «  On  m'a  assuré  que  ce  fut 
deux  manouvriers  ou  journaliers  qui  le  trans- 
portèrent à  bras  jusqu'à  Paris  *.  » 

Il  fut  déposé  au  Muséum,  dans  ce  vieux 
bâtiment,  aux  murailles  lépreuses  et  moisies, 
qui  comprend  encore  aujourd'hui  différentes 
galeries    d'Histoire  naturelle-.   Ce  corps   qui 

blay,  en  Bretagne,  mort  à  Paris,  en  i833.  On  a  de  lui  une 
Flore  du  Mont  Atlas,  1798,  et  un  Mémoire  sur  les  tiges  des 
monocotylédonées.  Lebas.  Dictionnaire  encyclopédique. 

^  Manuscrit  de  dom  Laforcade,  cité  plus  haut. 

-  Le  Cabinet  d'Histoire  naturelle   ne  se  composait,  à  cette 


LE    TOMBEAU    DE    TURENNE  83 

fut  debout  sur  tant  de  champs  de  bataille  et 
qu'atteignit  un  boulet  tiré  au  hasard,  demeura 
exposé,  pendant  quatre  ans,  à  la  curiosité 
publique,  avec  les  bêtes  empaillées,  les  fos- 
siles fantastiques  et  les  animaux  rares.  Pen- 
dant des  semaines,  ce  fut  la  grande  attrac- 
tion, et  Ton  fit  queue^  le  dimanche,  à  la  porte 
du  Muséum. 

Le  cadavre  du  grand  capitaine  était  là, 
quand,  le  2  août  1796,  un  député  de  l'Isère, 
Dumolard,  monta  à  la  tribune  du  Conseil  des 
Cinq-Cents  : 

«  Je  parcourais  dernièrement  le  Jardin  des 
Plantes,  dit-il  ;  entré  dans  les  diverses  salle-s 
du  bâtiment,  quelle  a  été  mon  affliction  en 
voyant  les  restes  du  grand  Turenne  placés 
entre  ceux  d'un  éléphant  et  d'un  rhinocéros  ! 
Ne  devait-il  échapper  à  la  fureur  de  ces 
modernes  vandales,  que  pour  obtenir  un  tel 
asile  ?  Il  est  des  faits,  citoyens,  qui  suffisent 


époque,  que  de  quatre  grandes  salles.  Belin,  7"  édition  anno- 
tée par  lui  de  l'Histoire  de  Paris  par  Dulaure,  1839. 


«4      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

seuls  pour  dépraver  un  gouvernement  et  le 
déshonorer  aux  yeux  de  l'étranger.  Tel  est 
celui  que  je  vous  dénonce... 

«  Ce  n'est  pas  que  je  veuille  demander  que 
vous  honoriez  la  mémoire  de  Turenne,  je  pro- 
pose seulement  de  ne  pas  diminuer  quelque 
chose  de  notre  suprême  gloire  en  l'oubliant. 
Je  ne  demande  pas  pour  cet  homme  illustre 
les  honneurs  du  Panthéon...  ;  mais  vous  avez 
le  droit  d'éveiller  l'attention  du  Directoire 
sur  un  objet  d'intérêt  national  ;  c'est  ce  que 
je  vous  propose  de  faire,  en  demandant  au 
Directoire,  par  un  message,  les  mesures  qu'il 
a  dû  prendre  pour  faire  déposer  dans  un  lieu 
plus  convenable  et  plus  décent  les  restes  du 
grand  Turenne  K  » 

La  proposition  fut  adoptée,  mais  elle  n'eut 
pas  de  suite  immédiate.  Ce  fut  seulement  le 
24  germinal  an  VII,  que  le  Directoire  exé- 
cutif ordonna  la  fin  de  ce  scandale  et  arrêta 
que  les  restes  de  Turenne  seraient  transportés 


1  Séance  du  Conseil  des  Cinq-Cents,  présidence  de  Boissy 
d'Anglas,  i5  thermidor  an  V.  —  Moniteur  du  10  août  1796. 


LE    TOMBEAU    DE    TURE>NE  85 

dans  le  Musée  des  Monuments  français,  etqu'ils 
seraient  déposés  dans  un  sarcophage  placé 
dans  le  jardin  Elysée    de  cet  établissement. 

Et  c'est  ainsi  que  le  24  prairial,  à  la  nuit 
tombante,  le  citoyen  Lesieur,  dans  une  car- 
riole que  lui  avait  procurée  un  nommé  Berthier, 
officier  de  l'arsenal,  se  rendait  au  Jardin  des 
Plantes  «  pour  retirer  les  restes  du  guerrier 
recommandable  par  sa  valeur  et  ses  vertus 
civiques,  d'un  lieu  où  il  était  confondu  avec 
des  objets  de  curiosité  publique  »  ^  .  Arrivé 
au  Muséum  à  huit  heures  du  soir,  il  trouvait 
là  Alexandre  Lenoir,  administrateur  du  Musée 
des  Monuments  français,  les  citoyens  Binart 
etPachez,  et  les  frères  Sauvé  qui  l'attendaient 
pour  procéder  à  l'enlèvement  du  cercueil. 

Le  lecteur  nous  saura  gré  de  citer  textuel- 
lement un  extrait  du  procès-verbal  de  cette 
translation,  lui  épargnant  ainsi  tous  les  orne- 


1  Procès-verbal  de  translation  des  restes  de  Turenne,  du 
24  prairial  an  Vil.  L'original  de  ce  document  est  conservé 
dans  les  archives  de  M''  Jousselin,  aujourd'hui  titulaire  de 
l'étude  du  citoyen  Potier,  chez  qui  il  fut  déposé  par  acte  du 
29  vendémiaire  an  VIII. 


86      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOLS   LA   TERREUR 

ments  oratoires,  susceptibles  de  lui  enlever 
quelque  chose  de  sa  saveur  : 

«  Nous  étant  fait  donner  connaissance  du 
lieu  où  étaient  déposés  les  restes  de  Turenne, 
nous  fûmes  introduits  dans  un  local  servant 
de  laboratoire,  au  milieu  duquel  était  posée, 
sur  une  estrade  de  bois  peint  en  granit,  une 
caisse  en  forme  de  cercueil,  aussi  de  bois 
peint,  vitrée  par  dessus,  de  la  longueur  de 
T  mètre  97  millimètres,  dans  laquelle  on  nous 
a  déclaré  que  le  corps  de  Turenne  était 
enfermé.  Nous  remarquâmes,  en  effet,  au  tra- 
vers du  vitrage  qui  couvrait  ce  cercueil,  un 
corps  étendu,  enveloppé  d'un  linceul,  lequel 
avait  été  déchiré  et  découvrait  la  tête  jusqu'à 
l'estomac  :  ce  qui  nous  ayant  portés  à  le  con- 
sidérer plus  attentivement,  il  nous  parut  que 
ce  corps  avait  été  embaumé  avec  soin  dans 
toutes  ses  parties,  ce  qui  en  avait  conservé 
toutes  les  formes.  Le  crâne  avait  été  coupé  et 
remplacé  ou  recouvert  d'une  calotte  de  bois 
de  la  même  forme,  mais  excédant  dans  toute 
sa  circonférence.  Toutes  les  formes  du  visage 


LE    TOMBEAU    DE    TURENNE  87 

ne  nous  parurent  pas  tellement  altérées,  que 
nous  ne  pûmes  reconnaître  les  traits  que  le 
marbre  nous  a  laissés  de  ce  grand  homme  ;  il 
restait  encore  des  effets  du  funeste  coup  qui 
l'enleva  au  milieu  de  ses  triomphes,  et  qui  lui 
causa  sans  doute  une  violente  convulsion 
dans  la  figure,  ainsi  qu'il  nous  a  paru  parl'état 
de  la  bouche  extrêmement  ouverte.  Et  con- 
tinuant à  considérer  ces  respectables  restes, 
nous  aperçûmes  que  les  bras  étaient  étendus 
de  chaque  côté  du  corps,  et  que  les  mains 
étaient  croisées  sur  la  région  du  ventre  ;  le 
reste  était  enveloppé  du  linceul  et  offrait  les 
formes  ordinaires.  Sur  le  côté  du  cercueil 
était  attaché  une  inscription  gravée  sur  une 
plaque  de  cuivre,  qui  paraît  être  celle  qui  avait 
été  placée  sur  l'ancien  cercueil  où  ce  corps 
avait  été  renfermé,  sur  laquelle  nous  lûmes 
ce  qui  suit  : 

«  Ici  est  le  corps  de  sérénissime  prince 
Henri  de  la  Tour  d^ Auvergne ^  vicomte  de 
Turenne,  maréchal  général  de  la  cavalerie 
légère  de  France^  gouverneur  du  haut   et  du 


ois      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA.  TERREUR 

bas  Limousin,  lequel  fut  tué  d'un  coup  de 
canon  à  Salzbach,  le  XXVII  Juillet,  Fan 
M.DC.LXXV  )). 

Cette  constatation  terminée,  les  ouvriers 
chargèrent  dans  la  carriole  ce  cercueil  dont 
le  couvercle  de  verre  laissait  voir  la  face  mo- 
mifiée du  héros,  les  yeux  clos  et  la  bouche 
ouverte  ;  et  très  tard  dans  la  nuit,  la  berline, 
qui  ne  rappelait  guère  le  deuil  triomphal,  ni 
l'enthousiasme  funèbre  de  1675,  entra  avec 
son  lugubre  chargement  dans  la  cour  du 
Musée  des  Monuments  Français.  La  bière  tirée 
hors  de  la  voiture  fut  déposée  dans  un  coin 
de  Timmeuble,  en  attendant  le  sarcophage 
commandé  en  son  honneur  ^ 

Pendant   deux  ans,  lès  restes  de  Turenne 

1  C'est  le  lieu  de  signaler  l'intéressante  page  qua  consacrée 
notre  distingué  confrère,  le  D'"  Cabanes,  à  l'odyssée  du  cœur  du 
vaillant  capitaine,  dans  son  Cabinet  secret  de  l'Histoire,  3°  s. 
p.  3io.  Ce  cœur,  échappé  au  vandalisme  révolutionnaire,  est 
conservé  aujourd'hui  au  château  de  Saint-Paulet  «  dans  une 
enveloppe  de  plomb,  revêtue  d'un  sac  de  velours  cramoisi  », 
pour  emprunter  à  notre  érudit  collègue  des  détails  toujours 
si  précis  et  si  minutieux. 

-  Ce  sarcophage  fut  exécuté  sur  un  dessin  de  A.  Lenoir.  — 
Procès-verbal  cité  plus  haut.   Une  couronne   et  des  attributs 


LE    TOMBEAU    DE    TURENNE  89 

figurèrent  clans  le  nouveau  Musée,  mais 
guère  plus  noblementqu'au  Jardin  des  Plantes, 
à  côté  d'une  tombe  mérovingienne,  des  effi- 
gies d'Héloïse  et  d'Abailard  et  du  sarcophage 
peut  être  d'une  petite-fille  de  Sésostris.  En 
1800  seulement,  à  peine  investi  de  toutes  les 
attributions  du  pouvoir  suprême,  le  Premier 
Consul  trouva  la  place  qui  convenait  aux 
dépouilles  du  capitaine  du  Grand  Siècle,  qui 
avaient  eu  une  si  étonnante  odyssée  :  il 
ordonna  leur  translation  sous  le  dôme  des 
Invalides,  dans  ce  lieu  silencieux  et  sacré  où 
vont  se  reposer  les  soldats  de  la  patrie,  et 
où  lui-même  devait  dormir  un  jour,  au  milieu 
du  temple  consacré  par  la  Religion  au  Dieu 
des  armées. 

Le  22  septembre  1800,  le  canon  des  Inva- 
lides annonçait  la  solennité.  C'était  la  même 


de  guerre  décoraient  ce  tombeau  à  quatre  faces  et  de  forme 
antique,  avec  cette  inscription  : 

Passant,  va  dire  aux  enfants  de  Mars  que  Turenne  est  dans 
ce  tombeau. 

Des  lauriers,  des  chênes  et  des  sapins  ombrageaient  ce  mo- 
nument. 


90      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

foule,  le  même  enthousiasme  qu'on  devait 
voir  quarante  ans  plus  tard,  lorsque  le  cer- 
cueil du  grand  Empereur,  longtemps  bercé 
par  les  murmures  de  l'Océan,  entra  sous  le 
dôme  digne  de  lui.  A  deux  heures  de  l'après- 
midi,  le  corps  de  Turenne  placé  sur  un  char 
de  triomphe,  traîné  par  quatre  chevaux  blancs 
quittait  le  Musée  des  Monuments  français. 
Sur  le  cercueil  était  placée  l'épée  du  héros  \ 
Un  cheval  pie^  harnaché  comme  au  temps  du 
grand  roi  et  conduit  par  un  nègre,  ouvrait  la 
marche.  Le  pompeux  cortège  traversa  Paris 
au  milieu  d'une  foule  immense,  saluant  de 
ses  acclamations  le  vaillant  capitaine  dont  le 
caractère  égala  le  génie.  Il  était  trois  heures 
quand  le  précieux  dépôt  pénétra  sous  le  dôme 
où  l'attendait  le  Premier  GonsuP. 

Ce  fut  Garnot,  ministre  de  la  guerre,  qui 
parla,  devant  le  cercueil  pompeusement  paré, 


1  Elle  avait  été  conservée  dans   la   famille   'le   Bouillon  et 
prêtée  pour  la  cérémonie. 

^  Comme  celui  que  montait  Turenne. 

3  Moniteur  universel  du  3  vendémiaire  an  IX. 


LE    TOMBEAU    DE    TURENNE  91 

au  nom  du  gouvernement  :  «  Vos  yeux  sont 
fixés  sur  les  restes  du  grand  Turenne  ;  voilà 
le  corps  de  ce  guerrier  si  cher  à  tout  Français, 
à  tout  ami  de  la  gloire  et  de  l'humanité... 
Demain  nous  célébrons  la  fondation  de  la 
République.  Préparons  cette  fête  par  l'apo- 
théose de  ce  que  nous  laissèrent  de  louable  et 
de  justement  illustre  les  siècles  antérieurs. 
Ce  temple  n'est  pas  réservé  à  ceux  que  le 
hasard  lit  ou  doit  faire  exister  sous  l'ère  répu- 
blicaine, mais  à  ceux  qui,  dans  tous  les  temps, 
montrèrent  des  vertus  dignes  d'elle.  Désor- 
mais, ô  Turenne  !  tes  mânes  habiteront  cette 
enceinte  ;  ils  demeureront  naturalisés  parmi 
les  fondateurs  de  la  République,  ils  embelli- 
ront leurs  triomphes  et  participeront  à  leurs 
fêtes  nationales. 

«  Aux  braves  appartient  la  cendre  du  brave  ; 
ils  en  sont  les  gardiens  naturels  ;  ils  doivent 
en  être  les  dépositaires  jaloux.  Un  droit  reste 
après  la  mort  au  guerrier  qui  fut  moissonné 
sur  le  champ  des  combats  :  celui  de  demeurer 
sous  la  sauvegarde  des  guerriers  qui  lui  sur- 


9-i       LES    TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

vivent,  de  partager  avec  eux  l'asile  consacré  à 
la  gloire  ;  car  la  gloire  est  une  propriété  que 
la  mort  n'enlève  pas... 

c(  C'est  au  nom  de  la  République  que  ma 
main  doit  déposer  ces  lauriers  dans  sa  tombe. 
Puisse  l'ombre  du  grand  Turenne  être  sen- 
sible à  cet  acte  de  la  reconnaissance  nationale, 
commandé  par  un  gouvernement  qui  sait  ap- 
précier les  vertus  *  !  » 

Le  ministre  de  la  guerre  déposa  sur  le  cer- 
cueil une  couronne  de  laurier,  et  une  sympho- 
nie militaire  termina  la  cérémonie  -. 


1  «  Discours  prononcé  par  le  citoyen  Carnot,  ministre  de  la 
guerre,  dans  le  temple  de  Mars,  à  la  cérémonie  de  la  transla- 
tion du  corps  de  Turenne,  le  cinquième  jour  complémentaire 
an  VIII  ».  —  Moniteur  universel,  i'^'^  et  %  vendémiaire  an  IX. 

^  Moniteur  universel,  3  vendémiaire  an  IX. 


CHAPITRE  V 


LES  TOMBEAUX  DE    LOUIS  VII,   DE   LOUIS  XI 
ET  DE  PHILIPPE  I" 


«  Dormez  votre  sommeil  ,  grands  de  la 
terre,  et  demeurez  dans  votre  poussière  », 
s'était  écrié  le  plus  éloquent  des  orateurs,  et 
cent  ans  après,  Saint-Denis,  le  sépulcre  im- 
mense, était  vide.  Quels  mouvements  oratoires 
le  grand  évèque  eut  ajoutés  aux  chefs-œuvre 
de  son  éloquence,  si,  en  montrant  les  cer- 
cueils des  rois  sous  les  arches  funèbres,  il 
eût  pu  prévoir  l'avenir  !  De  toutes  les  sépul- 
tures royales,  une  seule,  celle  de  Louis  VII 
inhumé  à  Barbeau,  à  dix  lieues  des  flèches 
de  Saint-Denis,  échappa  au  vandalisme  révolu- 
tionnaire. 


94   LES  TOMBE.VUX  DES  ROIS  SOUS  LA  TERREUR 

A  Cléry,  le  mausolée  du  monarque  dont 
nous  pouvons  encore  après  quatre  siècles 
apprécier  la  grandeur  de  l'œuvre,  l'unité  de 
la  France,  fut  entièrement  démoli  \  La  tête 
du  roi  fut  séparée  d'un  coup  de  pioche,  et 
les  débris  du  mausolée  furent  jetés  dans  une 
charbonnière  à  côté  de  l'église'.  Recueillis 
plus  tard  par  Alexandre  Lenoir,  ils  allèrent 
rejoindre  à  Paris,  au  musée  des  Monuments 
français,  tous  les  débris  des  sépulcres  de  Saint- 
Denis.  En  1816,  la  statue  du  roi,  après  de 
nouvelles  réparations  faites  particulièrement 

1  Le  mausolée  primitif  de  Wrino,  sculpteur,  et  Conrad 
orfèvre,  avait  été  détruit  par  les  Calvinistes.  Le  mausolée  en 
marbre  blanc,  rétabli  par  Louis  XIII,  était  l'œuvre  de  Michel 
Bourdin,  artiste  Orléanais. 

S'il  faut  en  croire  les  historiens,  «  les  Huguenots  sous  la 
conduite  de  Condé  ont  violé  les  tombeaux  de  Cléry,  en  parti- 
culier celui  du  roi.  Ils  arrachèrent  de  la  tombe  les  os  de 
*  Louis  XI  qu'ils  espéraient  trouver  dans  un  cercueil  d'argent 
et  les  jetèrent  aux  chiens  comme  ses  cendres  au  veut.  On  pré- 
tend même  que  le  soldatesque  jouait  à  la  boule  avec  la  tète  du 
roi.  »  Jarry,  Ilist.  de  Cléry,  Herluison,  Orléans,  1899. 

Ajoutons  que  la  sépulture  royale,  creusée  sous  la  statue, 
renfermait  non  seulement  le  cercueil  de  Louis  XI,  mais  les 
restes  mortels  de  Charlotte  de  Savoie,  sa  femme,  ceux  de 
Louis,  leur  lîls,  le  cœur  de  Charles  VIII,  enfin  les  restes  de 
François  de  France,  troisième  fils  du  souverain. 

'■''  Le  prix  de  la  démolition  s'éleva  à  23  livres  li  sols 
6  deniers. 


LOUIS   VII,  LOUIS  XI,   PHILIPPE    F'  <)5 

à  la  tête,  aux  mains  et  au  manteau,  reprit  le 
chemin  de  Gléry  :  elle  fut  placée  sur  un  nou- 
veau piédestal,  orné  de  quatre  colonnes  ^ 

Dans  le  pays,  on  savait,  à  n'en  pas  douter, 
que,  lors  de  la  destruction  du  mausolée,  aucun 
ossement  n'était  sorti  de  l'église,  et  pour 
tout  le  monde  Louis  XI  restait  toujours  couché 
dans  sa  demeure  funèbre,  à  l'ombre  de  sa  sta- 
tue ébréchée  et  sous  la  bonne  garde  de  la 
Vierge  du  pays. 

Ce  ne  fut  que  vingt-trois  ans  après  la  viola- 
tion des  tombes  qu'on  sut  ce  qui  s'était  passé 
au  mois  d'octobre  1793,  lorsqu'un  jour  le 
sculpteur  Romagnesi  fit  une  visite  du  caveau  : 
«  L'entrée  dont  la  voûte  avait  été  détruite, 
dit  Vergnaud  Romagnesi,  est  tournée  vers 
l'est.  Dix  à  douze  marches  conduisent  dans 
l'intérieur  peu  spacieux ,  et  alors  obstrué 
par  quelques  décombres.  Une  tombe  en  pierre 
de  grande  dimension  et  découverte,  contenait 
des  ossements,  des  fragments  d'étoffes  et  de 

'  Le  monument  fut  réparé  par  M.  Pagol,  architecte,  et 
M.  Romagnesi,  sculpteur. 


<j6      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

velours  de  soie  rouge,  mêlés  avec  de  la  terre 
et  des  débris  de  vitraux  peints.  Les  ossements 
ayant  été  extraits,  il  nous  a  semblé  en  recon- 
naître une  portion  appartenant  à  un  squelette 
d'enfant.  Deux  têtes,  dont  une  évidemment 
sciée,  probablement  pour  être  embaumée,  se 
trouvaient  en  dessus  et  en  dessous  des  dé- 
combres. A  gauche  du  caveau,  sur  des  pierres 
était  une  boîte  en  bois  qui  tomba  presque 
entièrement  en  poussière  ;  elle  avait  été  liée 
par  des  rubans  scellés  d'un  cachet  de  cire 
d'Espagne  rouge,  portant  les  armoiries  d'un 
évêqueetd'un  abbé,  ayant  en  chef  trois  fleurs 
de  lys  surmontées  de  trois  épées  nues.  Près 
delà  était  déposé  un  vase  de  verre,  enveloppé 
d'un  enduit  blanchâtre  semblable  à  du  plâtre. 
Le  verre,  sans  être  altéré,  était  cependant 
très  irisé  ;  il  contenait  une  substance  semblable 
à  une  éponge  à  demi-consumée,  et  sa  forme 
indiquait  un  cœur.  » 

Durant  cette  visite,  ajoute  M.  Touchard- 
Lafosse,  au  livre  duquel  nous  empruntons 
tous  ces  détails,  «  on  vit  un  nom  charbonné 


LOUIS  VII,   LOUIS  XI,    PHILIPPE   I  "^  97 

sur  le  mur  avec  la  date  de  1793.  L'individu,  qui 
s'était  révélé  ainsi,  habitait  Beaugency  ;  on 
l'envoya  chercher  par  des  gendarmes  afin  d'en 
obtenir,  s'il  était  possible,  quelques  rensei- 
gnements. Cet  homme  dit  que  le  cercueil 
de  plomb  avait  été  enlevé  par  ordre  de  l'au- 
torité, et  que  les  ossements  avaient  été  reje- 
tés pêle-mêle  dans  celui  de  pierre  qui  était 
resté  découvert.  De  là  cette  confusion  de 
terre,  de  vitraux,  de  débris  souverains  qu'on 
avait  trouvés  dans  le  caveau'.  » 

Aujourd'hui,  deux  sarcophages  contiennent 
toutes  ces  poussières. 

Dans  l'ancien  cercueil  de  pierre  2  qui  n'a  pas 
changé  de  place,  ont  été  déposés  avec  ordre 
les  deux  crânes  et  une  partie  des  ossements 
reconstituant  deux  squelettes  entiers  qu'on 
considère  comme  les  dépouilles  mortelles  de 
Louis  XI  et  de  Charlotte  de  Savoie.  Un  cou- 

*  Touchard-Lafossc.  La  Loire  historique ,  pittoresque  et 
anecdotique.  Delahays,  Paris,  i856. 

'■*  Il  mesure  2™,3o  de  long,  o"", 80  de  haut,  o'°,63  do  largeur 
aux  pieds  et  o'",83  à  la  tète. 


pS      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

vercle  de  pierre  moderne,  avec  une  ouver- 
ture vitrée,  permet  d'apercevoir  les  crânes 
présumés  des  deux  monarques. 

Un  autre  cercueil  de  pierre,  plus  petit, 
construit  pour  la  circonstance,  contient  les 
autres  ossements. 


A  dix  lieues  de  Gléry,  sur  les  bords 
mêmes  du  fleuve  où  une  jeune  fille  des 
champs,  fièrement  armée  d'une  épée  fleur- 
delisée, vint  de  Lorraine  rendre  le  prin- 
temps à  la  patrie,  au  milieu  des  prairies 
verdoyantes  efdes  blés  jaunissants  du  Val 
d'Or,  s'élève  la  Basilique  qui  a  gardé  le  nom 
et  le  souvenir  de  Saint-Benoît,  et  qu'un  roi 
de  France  avait  choisie  pour  l'abri  de  son 
repos  éternel. 

Lorsqu'au  mois  d'octobre  1798,  les  spolia- 
teurs de  tombeaux  vinrent  exécuter  le  décret 
de  la  Convention,  ils  s'arrêtèrent  «  sous  la 
coupole  de  la  Basilique,  au  point  central  de  la 


LOUIS   VII,    LOUIS  XI,    PHILIPPE   I  99 

croisée  »  S  devant  un  tombeau  de  pierre  vieux 
de  sept  cents  ans,  sur  lequel  était  couchée 
l'effigie  de  Philippe  I",  les  yeux  fermés,  une 
couronne  de  trèfle  sur  la  tête  et  un  épervier 
à  la  main.  Le  fils  de  Henri  P'",  en  désignant 
cette  église  pour  sa  sépulture,  avait  pensé 
avec  justesse  qu'un  sépulcre  à  Saint-Denis 
ne  valait  pas  un  paisible  monument  dans  la 
vallée  de  la  Loire,  près  du  flot  languissant 
du  beau  fleuve.  En  effet,  les  administra- 
teurs du  district  d'Orléans  firent  preuve,  ce 
jour-là,  d'une  surprenante  modération.  On  se 
contenta  de  démolir  le  mausolée  qui  fut  jeté 
hors  de  l'église,  sans  toucher  au  cercueil  du 
solitaire  qui  demeure  aujourd'hui  encore  sous 
la  voûte  abbatiale,  comme  une  relique  du 
vieux  monde  détruit  ^ 


*  L'abbé  Rocher.  Description  archéologique  de  l'église 
abbatiale  de  Saint-Benoit-sur-Loire.  Jacob,  Orléans,  i865. 

2  L'ouverture  en  eut  lieu  le  i^""  juillet  i83o,  suivant  procès- 
verbal  dressé  en  présence  du  préfet  du  Loiret  et  Pagot,  archi- 
tecte :  «  Le  roi  était  placé  à  découvert,  dans  un  cercueil  qui 
paraissait  être  do  chêne,  autant  qu'on  en  pouvait  juger,  étant 
très  consumé.  Il  paraissait  être  d'une  haute  stature;  on  dis- 
tinguait tous  les  membres  et  leurs  formes  :  la  tête  présentait, 
dans   la    mâchoire   supérieure,   les  dents  placées  dans  leurs 


lOO      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

alvéoles  et  blanches  comme  de  l'ivoire.  On  ne  découvrit  rien 
de  la  mâchoire  inférieure.  Les  bras  étaient  allongés  près  du 
corps.  Le  tout,  en  conservant  ses  formes,  s'était  affaissé  et 
couvert  d'une  croûte  que  du  linge  et  des  bandelettes  embau- 
més avaient  formée.  On  y  voyait  encore  des  plantes  odorantes 
dont  quelques  débris  faisaient  présumer  que  c'était  de  la 
menthe  et  autres  plantes  d'une  forte  odeur.  Les  bandelettes 
qui  enveloppaient  tout  le  corps  depuis  les  épaules  jusqu'aux 
pieds  étaient  tissues  de  soie  à  fleurs  et  feuilles  courantes  sur 
chaîne  de  soie  écrue.  On  a  trouvé  vers  l'abdomen,  sous  ces 
bandelettes,  des  débris  de  linge  qui  semblaient  tissu  de  chan- 
vre et  de  lin.  Malgré  les  assertions  historiques  qui  rappor- 
tent que  Philippe  mourut  sous  la  bure  monastique,  on  n'a 
trouvé  dans  son  tombeau  aucuns  débris  d'habits  religieux.  » 


CL'  Iteymond. 


Cabinet  des  Estampes  de  la  Bibliothèque  Nationale. 


CHAPITRE  VI 

LOUISE  DE  LORRAINE.  —  L'ODYSSÉE 
D'UN  CERCUEIL  ROYAL 


Au  début  de  ce  chapitre,  qui  termine  le 
récit  proprement  dit  des  profanations,  un 
court  prologue  historique  nous  semble  néces- 
saire pour  l'intelligence  des  faits. 

Le  2  août  1389,  le  dernier  des  Valois,  qui 
avaient  donné  treize  rois  à  la  France,  tombait, 
à  Saint-Cloud,  sous  le  couteau  d'un  jeune 
frère  du  couvent  des  Dominicains^  Henri  III 
avait  eu  le  temps  de  frapper  son  assassin  au 

1  L'Estoile  rapporte  que  le  roi  venait  de  se  lever,  qu'il  était 
assis  sur  une  chaise  percée,  ayant  une  robe  de  chambre  jetée 
sur  ses  épaules.  D""  Rondelet,  La  Médecine  internationale ^ 
L'hygiène  d'autrefois,  igoS. 


lO'2       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

visage.  Il  expirait  à  l'âge  de  trente-huit  ans, 
et  la  race  des  Valois  disparaissait  après  avoir 
plongé  la  France  dans  le  chaos,  laissé  la 
couronne  avilie  et  la  Ligue  près  de  triom- 
pher. 

La  reine,  Louise  de  Lorraine  S  qui,  toute  sa 
vie,  avait  été  pieuse,  charitable,  aimant  sur- 
tout à  soigner  les  malades  et  à  consoler  les 
prisonniers,  se  retirait  à  Chenonceaux  pour 
pleurer  et  prier.  Et  c'est  ainsi  que,  dans  l'an- 
cien château  de  cette  belle  Diane  dont  le  sou 
rire  avait  illuminé  plusieurs  règnes,  la  veuve 
de  Henri  III  passa  la  fin  de  ses  jours,  repliée 
sur  son  deuil,  vénérée  et  sainte,  comme  dans 
le  silence,  la  solitude  et  la  paix  profonde  d'un 
couvent. 

Une  fois  l'an,  pourtant,  dès  les  premiers 
beaux  jours,  elle  quittait  son  château  de  la 
Renaissance  pour  venir  à  Paris.  Elle  traver- 

1  Née  à  Nomény,  i553-i6oi,  fille  de  Nicolas  de  Lorraine, 
comte  de  Vaudemont,  épousa  Henri  III,  deux  jours  après  le 
sacre,  non  par  une  pensée  politique,  mais  par  une  fantaisie 
amoureuse  du  roi  de  France. 


LOUISE    DE    LORRAINE  Io3 

sait  le  village  de  Saint-Gloud,  longeait  le  vieux 
château,  —  quel  tragique  souvenir  !  c'est  là 
qu'il  avait  été  assassiné  !  —  gagnait  la  capi- 
tale, et  y  restait  quelques  semaines.  Elle  visi- 
tait les  couvents,  aimant  à  partager  l'existence 
calme  et  recueillie  des  religieuses  ;  elle  avait 
eu  si  peu  de  joies,  la  pauvre  femme  !  Dégoû- 
tée des  orages  et  des  tristesses  de  la  cour,  la 
placidité  de  ces  retraites  lui  plaisait  comme 
le  frais  d'une  oasis  au  sortir  d'une  plaine  brû- 
lante. Elle  visitait  aussi  les  pauvres  et  prodi- 
guait partout  la  double  aumône  de  la  richesse 
et  de  la  bonté. 

En  1601,  ayant  poussé  son  voyage  jusqu'à 
Moulins,  elle  y  tomba  malade  et  fut  forcée  de 
s'aliter.  Elle  devait  finir  là  une  vie  toute  de 
douceur  et  de  chagrin  :  elle  mourut  au  bout 
de  quelques  jours*,  en  demandant  la  cha- 
pelle d'un  couvent  pour  son  repos  éternel, 
sous  la  dernière  dalle  destinée  à  quelque 
capucine. 

^  Le  29  janvier  1601. 


Io4      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA  TERREUR 

Le  corps  de  Louise  de  Lorraine  fut,  sans 
doute,  inhumé  provisoirement  à  Moulins  ; 
mais,  faute  absolue  de  documents,  nous 
sommes  forcé  de  rester  à  ce  sujet  dans  un 
vague  plein  de  prudence.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  que  son  cercueil  fut  transporté  à  Paris 
et  qu'il  y  subit  des  translations  successives, 
comme  le  prouve,  sans  conteste,  la  suite  du 
récit. 

Louise  de  Lorraine  qui  avait  passé  presque 
tout  son  règne  dans  lecliâteau  de  Bourges,  dans 
l'effacement  et  étrangère  aux  fêtes  de  la  Cour, 
avait  conçu  le  dessein  de  fonder  dans  cette 
ville  un  couvent  de  Capucines.  Elle  ne  put 
l'exécuter;  mais,  à  sa  mort,  elle  laissa  pour 
cette  fondation  une  somme  de  600000  livres. 

En  i6o5,  M"^  de  Luxembourg,  duchesse  de 
Mercœur,  sa  belle-sœur,  exécutait  en  partie  la 
volonté  de  la  défunte  reine,  et  au  lieu  de  fon- 
der un  couvent  à  Bourges,  elle  le  fondait  à 
Paris.  Après  avoir  habité  une  maison  que 
possédait  la  duchesse  au  faubourg  Saint-An- 


LOriSE     DE    LORRAINE  lo5 

toine,  les  Capucines  se  fixèrent  en  1G08,  dans 
la  rue  Saint-Honoré,  vis-à-vis  les  Capucins*. 
Elles  portèrent  d'abord  le  titre  de  Filles  de  la 
Passion,  et,  suivant  TEstoile,  elles  figuraient 
aux  processions  publiques,  les  pieds  nus  avec 
des  sandales,  la  capuce  renversée,  portant 
une  couronne  d'épines  sur  la  tête. 

En  i683,  Louvois,  qui  cherchait  à  caresser 
l'orgueil  de  son  maître,  eut  l'idée  de  créer 
une  place  grandiose  dans  le  genre  de  celle  qui 
se  formait  à  l'autre  extrémité  de  la  rue  des 
Petits-Champs,  la  place  des  Victoires.  L'em- 
placement choisi  était  occupé  dans  son  centre 
par  l'hôtel  de  Vendôme,  bâti  par  Henri  IV 
pour  son  fils  bien-aimé,  César  de  Vendôme, 
l'aîné  des  enfants  que  lui  donna  Gabrielle 
d'Estrées.  Louis  XIV,  qui  aimait  la  magnifi- 
cence et  les  majestueux  espaces,  fit  acheter 
l'hôtel,  toutes  les  terres,  jardins  et  propriétés 
qui  l'entouraient,  même  le  couvent  des  Capu- 

^    Pompiers  de  l'époque  :  jusqu'en   1712,  ils  étaient   seuls 
chargés  d'éteindre  les  incendies  dans  la  capitale. 


lo6      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

cines,  qui  fut  transféré  rue  Neuve-des-Cliamps. 
On  démolit  l'hôtel  en  1687,  et  les  travaux 
commencèrent  sur  un  plan  qui  devait  faire  de 
cette  place  la  plus  gigantesque  de  l'Europe. 
Elle  fut  appelée  la  place  Louis-le-Grand^ . 

Mais  le  déclin  du  soleil  du  grand  siècle 
était  venu  :  c'était  la  tristesse  du  crépuscule 
qui  s'étend  avec  le  poids  du  jour  sur  la  fin  des 
longs  règnes  comme  sur  celle  des  belles  jour- 
nées. Tout  fut  interrompu,  et  cette  interrup- 
tion dura  jusqu'en  1698,  à  la  paix  de  Ryswick. 
Gomme  la  France  semblait  se  relever,  M.  de 
Pontchartrain,  alors  ministre,  proposa  une 
reprise  des  travaux.  Mais  le  roi  s'y  opposa  en 
raison  de  la  misère  qui  désolait  le  royaume. 
On  se  borna  à  construire  la  place  de  forme 
octogone,  dans  le  style  corinthien,  sur  un 
dessin  de  Mansard,  telle  qu'on  la  voit  aujour- 
d'hui. 

La  nouvelle  église  des  Capucines  avait  sa 

*  Pendant  la  Révolution,  elle  prit  le  nom  de  Place  des 
Piques  ;  mais  le  public  routinier,  lui  continuant  la  dénomina- 
tion de  l'hôtel  qu'elle  remplaçait,  l'appela  constamment  Place 
Vendôme  ;  ce  nom  a  prévalu. 


LOUISE    DE    LORRAINE  107 

façade  dans  l'axe  même  de  la  place  et  servait 
de  perspective  et  de  décoration  à  cette  place. 
Elle  contenait  de  fastueux  mausolées  qui  lui 
donnaient  un  caractère  de  mystérieuse  et 
funèbre  poésie  :  c'était  ici  le  tombeau  qui 
rappelait  la  colère  du  nouvel  Assuérus  et  les 
fautes  du  nouvel  Aman*  ;  là  le  mausolée  du 
maréchal  de  Gréquy  soutenu  par  l'Espérance^  ; 
plus  loin  le  tombeau  du  ministre  auquel  le 
règne   de   Louis  XIV  doit  presque  toute  sa 


*  Le  roi  avait  ordonné  que  Louvois  fût  inhumé  dans  les 
caveaux  de  l'église  des  Invalides,  et  cet  ordre  fut  exécuté. 
Mais  en  1699,  ^^  famille  de  l'ancien  ministre  obtint  l'autori- 
sation de  faire  transporter  ses  dépouilles  mortelles  dans  l'é- 
glise des  Capucines. 

Le  tombeau  de  Louvois,  œuvre  de  Girardon,  de  Desjardins 
et  van  Clève.  fut  transféré  sous  la  Révolution,  au  musée  des 
Monuments  français.  Un  groupe  de  marbre  représentait  le 
ministre  d'Etat  à  demi  couché,  s'appuyant  sur  le  bras  droit  et 
portant  la  main  gauche  à  son  cœur,  et  sa  femme,  agenouillée 
à  ses  pieds,  offrant  l'image  de  la  douleur. 

Adossées  au  piédestal,  deux  statues  en  bronze  figuraient 
l'une  la  Prudence  et  l'autre  la  Vigilance. 

A  la  suite  de  la  suppression  du  Musée,  les  descendants 
de  Louvois  obtinrent  en  1819  l'autorisation  de  transférer  son 
mausolée  à  Tonnerre,  dans  la  chapelle  de  l'hôpital  fondé  en 
1293  par  Marguerite  de  Bourgogne,  femme  de  Charles,  frère 
de  saint  Louis. 

2  Le  monument  du  duc  de  Créquy,  dû  aux  ciseaux  de  Maze- 
line  et  Hurtrelle,  figure  aujourd  hui  dans  l'église  Saint- 
Roch. 


Io8       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

grandeur';  et  aussi  dans  une  petite  chapelle, 
celui  de  l'intrigante  marquise  qui  avait  su 
joindre  la  direction  des  affaires  à  celle  des  plai- 
sirs du  vieux  roi,  et,  à  côté,  celui  de  sa  fille'. 

La  Révolution  éclate,  les  troubles  politiques 
répandent  l'effroi,  les  capitaux  languissent,  la 
monnaie  s'enfouit.  L'Assemblée  législative 
décrète  4ooooo.ooo  d'assignats  forcés,  et  la 
chapelle  des  Capucines  devient  l'hôtel  des 
Monnaies  de  la  Révolution.  On  y  établit  des 
presses  à  imprimer;  et  l'on  vit  alors,  sous  la 
voûte  de  l'ancienne  église  abbatiale,  le  tableau 
insolite  d'une  bande  de  graveurs  et  de  typos 

^  Le  tombeau  de  Colberl,  par  Coysevox,  décore  aujour- 
d'hui l'intérieur  de  l'église  Saint-Eustache. 

^  Alexandrine-Jeanne,  née  du  mariage  de  M™°  de  Pompa- 
dour  avec  Le  Normant  d'Etiolés,  neveu  d'un  fermier  géné- 
ral. 

Madame  de  Pompadour  fut  inhumée  dans  un  caveau  de 
l'église  des  religieuses  capucines,  conformément  aux  volontés 
qu'elle  avait  exprimées  par  un  testament  du  mois  de  novem- 
bre 17^7.  Sa  famille  avait  demandé  que  l'inhumation  fut  pré- 
cédée d'une  oraison  funèbre.  Voici  comment  le  religieux, 
chargé  de  cette  mission  difficile,  s'en  acquitta  :  «  Je  reçois 
le  corps  de  la  très  haute  et  très  puissante  dame,  madame  la 
marquise  de  Pompadour,  dame  du  palais  de  la  reine  ;  elle 
était  à  l'école  de  toutes  les  vertus,  car  la  reine  modèle  de 
bonté,  de  piété,  de  modestie,  d'indulgence,  etc.  » 


LOUISE     DE    LORRAINE  109 

gouailleurs,  installés  dans  le  sanctuaire  qui 
avait  abrité  les  plus  saintes  et  les  plus 
muettes  des  existences.  De  là  sortirent  ces 
assignats  qui  inondèrent  le  pays.  Leur  planche 
ne  fut  brisée  qu'en  1796,  après  qu'il  en  eut 
été  tiré  pour  4^  milliards. 

La  tourmente  était  passée,  et  Napoléon 
entrait  en  scène  avec  son  génie  et  ses  vic- 
toires. La  chapelle  fut  mise  en  vente  :  un 
bourgeois  de  l'époque,  moins  épris  d'archi- 
tecture que  d'arithmétique,  mit  le  compas  et 
l'équerre  dans  le  monument  consacré  par  tant 
de  souvenirs;  il  crépit  les  murs, dressa  des  cloi- 
sons, entassa  des  constructions  de  plusieurs 
étages,  en  fit^  en  un  mot,  une  véritable  cité 
avec  des  fenêtres  toutes  blanches  et  des  bou- 
tiques marron  à  filets  d'or  au  rez-de-chaussée. 

Or,  il  arriva  qu'au  cours  de  ces  divers  amé- 
nagements, les  ouvriers  mirent  à  jour  l'orifice 
d'un  caveau  abandonné.  Ce  fut  pour  l'archi- 
tecte un  coup  d'inspiration  subite  :  esprit 
pratique,   songeant  de  suite   aux  détails  les 


Iio      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

■0 

plus  éminemment  familiers  de  l'existence,  il 
fit  édifier  sur  cette  fosse  toute  trouvée,  un  de 
ces  édicules  que  la  pruderie  française  baptise 
aujourd'hui  d'un  nom  d'outre-manche,  et  pen- 
dant de  longues  années,  nos  lecteurs  se  l'ima- 
ginent facilement,  ce  fut  un  va-et-vient  continu 
des  locataires  de  cette  nouvelle  cité  qui  pas- 
sèrent à  tour  de  rôle,  dans  cet  endroit  écarté, 
des  minutes  de  solitude  tout  à  fait  étrangères 
à  là  misanthropie. 

En  1 806  * ,  ce  quartier  populeux  était  démoli 
et  la  chapelle  désaffectée  de  l'ancien  couvent 
n'échappait  pas  à  l'inévitable  démolition  qui 
faisait  disparaître  tous  les  monuments  étouffés 
parles  nouvelles  constructions.  On  l'abattit^. 
Mais  quand  les  ouvriers  furent  appelés  à  vider 
la  fosse  donnant  sous  l'édicule  où,  depuis  dix 
ans,  toute  une  population  se  livrait  tranquil- 


*  Lors  du  percement  de  la  rue  de  la  Paix,  qui  porta  le  nom 
de  Napoléon  jusqu'en  1814. 

2  Ue  l'église  des  Capucines  on  conserve  à  Notre-Dame  un 
bas-relief  en  bronze  doré,  la  Mise  au  tombeau  (Van  Clève), 
qui  décore  le  socle  de  \a  Pieta  de  Coustou,  dei-rière  le  maître- 
autel. 


LOUISE    DE    LORRAINE  III 

lement  à  Tantithèse  de  la  soif  et  de  la  faim, 
ils  furent  tout  ébahis,  en  barbottant  au  fond  de 
la  fosse  d'aisances,  de  trouver,  enfouie  sous 
la  vase,  une  immense  caisse  rectangulaire, 
à  son  métallique,  dont  la  présence,  en  pareil 
lieu,  leur  parut  inexplicable. 

On  parvint  à  retirer  cette  caisse  étrange, 
et  la  stupéfaction  fut  à  son  comble  quand, 
après  avoir  grossièrement  débarrassé  une 
immense  enveloppe  de  plomb  de  son  enduit 
noirâtre  et  peu  parfumé,  on  lut  sur  une  plaque 
de  marbre  noir,  scellée  au  mur  au-dessus  du 
cercueil  : 

CY  GIST 

LOUYSE  DE  LORRAINE 

ROYNE  DE  FRANCE  Eï  DE  POLOGNE 

QUI   DÉCÉDA   A   MOULINS,  L'AN  MIL   SIX   CENS  UN, 

ET  LAISSA  VINGT  MIL  ESCUS 

POUR  LA  CONSTRUCTION  DE  CE  CONVENT, 

QUE  MARIE  DE  LUXEMBOURG, 

DUCHESSE  DE  MERCŒUR  SA  BELLE-SŒUR 

A  FAICT  BASTIR,  L'AN  MIL  SIX  CENS  CINQ. 

PRIEZ  DIEU  POUR  ELLE  i 

1  Cette  épitaphe  était  gravée  en  lettres  rouges  et  encadrée 
par  une  bordure  de  larmes  et  de  croix  de  Lorraine. 

Elle  portait  les  Armes,  d'or  à  la  bande  de  gueules  chargée 


112       LES   TOMBEAUX  DES   ROIS   SOLS   LA   TERREUR 

Un  cercueil  royal  dans  une  fosse  d'aisances  ! 
C'était  à  n'en  pas  croire  ses  yeux.  Cent  ans 
après,  l'étonnement  dure  encore. 

Et  ce  ne  dut  pas  être  un  tableau  d'un  effet 
bien  poétique,  ni  un  beau  sujet  de  fresques 
pour  panthéons,  que  la  vue  de  ces  ancêtres 
des  ouvriers  de  la  Compagnie  Riclier,  allant, 
venant,  tout  ébahis  et  ne  sachant  que  faire, 
autour  de  ce  cercueil  dégouttant  d'un  liquide 
nauséabond,  objet  historique  tout  à  coup 
exhumé  d'un  lieu  dont  l'histoire  n'offre  pas 
d'exemple. 

Le  jour  même,  le  ban,  l'arrière-ban,  tout  le 
clan  des  antiquaires  et  des  archéologues 
accouraient  en  hâte  voir  le  nouveau  trésor 
archéologique,  et,  le  mouchoir  sur  la  bouche, 
les  narines  serrées,  les  curieux  demeurèrent, 
toute  une  après-midi,  penchés  sur  ce  cercueil 
et  sur  l'abîme  de  leurs  méditations. 

Le  Gouvernement  prévenu,  le  Conseil  des 
ministres  s'assembla,    sous  la  présidence  de 

de  trois  alerions  d'argent;  au  lambcl  d'azur  en  chef  brochant 
sur  le  tout. 


^^^iJ^lii' 


-A 


LOUISE    DE    LORRAINE  Ii5 

l'Empereur,  pour  arrêter  ce  qu'il  y  avait  à 
faire.  Mais  le  maître  du  monde,  au  milieu  du 
sens  dessus  dessous  général  des  peuples,  avait 
bien  autre  chose  en  tête,  et  il  ne  fixa  pas  long- 
temps son  attention  sur  un  objet  aussi  insigni- 
fiant que  le  cercueil  d'une  femme.  11  ordonna 
l'achat  d'une  concession  de  deux  mètres 
carrés  de  terrain  au  Père-Lachaise  ^  et  l'on 
déposa  administrativement,  dans  un  coin  de 
terre  ^  les  restes  de  l'ancienne  reine  de  France, 
à  peu  près  comme  on  enterre  les  suppli- 
ciés. 

1  Ce  cimetière  fut  ouvert  aux  morts  le  i<""  prairial  an  XII 
(21  mai  i8o4).  Le  premier  corps  enterré  dans  la  fosse  com- 
mune fut  celui  du  porte-sonnette  de  l'un  des  commissaires  de 
police  du  faubourg  Saint-Antoine.  Notons,  à  ce  propos,  que 
jusque  vers  1840,  époque  où  fut  établie  la  taxe  du  balayage, 
les  propriétaires  et  boutiquiers  étaient  chargés  de  l'entretien 
de  la  chaussée  ;  et  tous  les  matins,  vers  les  huit  heures,  un 
employé  subalterne  du  commissariat  parcourait  les  rues  en 
agitant  une  sonnette,  pour  avertir  les  habitants  du  passage  du 
commissaire  de  police,  chargé  d'infliger  une  amende  aux 
personnes  retardataires  ou  négligentes. 

2  La  sépulture  de  Louise  de  Lorraine  se  trouvait  au  Père- 
Lachaise  entre  le  chemin  Suchet  et  le  chemin  Abadie,  à  l'en- 
droit où  l'avenue  des  Acacias  fait  un  coude  pour  rejoindre 
l'allée  transversale  no  i  ;  la  tombe  se  trouvait  sur  la  droite 
dans  le  massif  29  (actuellement  38"  division)  ;  elle  a  été  rem-  J 
placée  depuis  par  la  tombe  de  Rouillé  du  Coudrai.  Guide  j  ji 
dans  les  cimetières  de  Paris,  Faure,  t865.  v 


Ii6      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 


On  était  en  t8i5,  l'ère  du  glaive  était  finie... 
Tandis  que  Napoléon  se  retirait  à  la  Malmai- 
son avec  TEmpire  tombé,  Louis  XVllI  rentrait 
aux  Tuileries  sous  une  voûte  de  drapeaux 
blancs.  Dès  les  premiers  moments  de  son 
retour,  il  songeait  à  Louis  XVI  et  à  Marie- 
Antoinette  dont  les  restes  reposaient  au  cime- 
tière de  la  Madeleine.  Il  voulait  aussi  réu- 
nir à  Saint-Denis  tous  les  débris  dispersés  de 
ses  ancêtres.  Le  21  janvier  i8t5,  comme  nous 
le  verrons  plus  loin,  les  dépouilles  mutilées 
de  son  frère  et  de  sa  belle-sœur  étaient 
portées  solennellement  à  Saint-Denis,  et 
Louis  XVI  et  Marie-Antoinette  reprenaient 
leur  couche  dans  le  caveau  où  le  soldat,  assis 
depuis  dix  ans  sur  le  trône  des  Bourbons, 
avait  commencé  une  sépulture  pour  sa  race^ 

Peu  de  temps  après,  le  cercueil  de  Louis  VII, 

1  La  crypte  destinée  à  la  dynastie  napoléonniene,  en  vertu 
d'un  décret  du  20  février  1806,  ne  fut  terminée  que  sous  le 
second  Empire.  L'entrée  est  placée  au  milieu  du  transept. 


LOUISE    DE    LORRAINE  I17 

inhumé  dans  l'abbaye  de  Barbeau  ^  près  Melun, 
et  qui  avait  échappé  aux  profanations  d'oc- 
tobre 1793,  était,  à  son  tour,  porté  dans  l'an- 
cien caveau  des  rois. 

Et  alors  des  gens  se  souvinrent  qu'un  autre 
cercueil,  échappé  aussi  au  vandalisme  révolu- 
tionnaire, séjournait  dans  un  coin  du  Père- 
Lacliaise.  Un  soir,  en  1816,  au  cercle  du  roi, 
on  conta  à  Louis  XVIll  l'odysséede  ce  cercueil 
longtemps  enfoui  en  un  lieu  si  étrange  et  qu'un 
hasard  avait  seul  exhumé. 

A  ce  récit,  le  roi,  vivement  frappé,  qui  réu- 
nissait à  Saint-Denis  les  cendres  des  princes 
de  sa  famille,  s'empressa  d'ordonner  la  trans- 
lation, dans  le  caveau  des  Bourbons,  de  ce 
cercueil  égaré  dont  l'étrange  odyssée  peut  être 
rangée  au  nombre  des  plus  surprenantes 
curiosités  de  l'histoire. 

Le  16  janvier  1817,  «  à  trois  heures  de 
l'après-midi,  en   présence  de  M.   de  Lalane, 


^  Ancienne  abbaye  d'hommes  de  l'ordre  de  Citeaux,   fondée 
par  Louis  VII,  à  8  kilomètres  sud-est  de  Melun. 


Il8      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

conseiller  d'Etat,  de  M.  Jalabert,  premier 
vicaire  de  la  métropole,  d'un  aumônier  du 
Roi,  de  M.  le  curé  de  Charonne,  etc.,  on  com- 
mença à  procéder,  dans  le  cimetière  du  Père- 
Lachaise,  à  l'exhumation  du  corps  de  Louise 
de  Lorraine,  reine  de  France  et  de  Pologne, 
épouse  de  Henri  III.  Les  travaux  et  les  dispo- 
sitions nécessaires  à  l'ouverture  de  la  fosse, 
à  la  fouille  et  à  l'exhumation,  joints  aux  céré- 
monies et  prières  usitées  en  pareilles  circons- 
tances, durèrent  jusqu'à  sept  heures  du  soir. 
Le  cercueil  fut  trouvé  entier  ;  les  ossements 
qu'il  renfermait  furent  déposés  dans  un  autre 
cercueil  préparé  à  cet  effet  ».  Puis  le  cortège 
se  mit  en  marche  :  «  deux  forts  détachements, 
l'un  de  gardes  du  corps,  l'autre  de  dragons, 
formaient  l'escorte^   »,    tous  portant   l'arme 

*  La  Quotidienne,  17  janvier  1817.  Le  journal  ajoutait  : 
«  Louise  de  Lorraine  avait  fondé  de  son  vivant  un  couvent  de 
Capucines  à  Moulins  ;  c'est  de  l'église  de  ce  couvent  où  elle 
avait  été  inhumée  que  son  corps  avait  été  transféré  à  l'église 
abbatiale  de  Saint-Denis.  »  Le  Moniteur  donnait  la  même 
version.  Mais  le  lendemain,  on  lisait  dans  la  Quotidienne  : 
«  Nous  tenons  de  la  bouche  d'un  homme  respectable,  qui  a 
signé,  comme  commissaire  assistant,  le  procès-verbal  de 
l'exhumation   de   Louise   de   Lorraine,   qu'elle   était  morte   à 


LOUISE    DE    LORRAINE  1 19 

SOUS  le  bras  gauche,  les  étendards  et  instru- 
ments voilés  de  serge  noire.  Et  très  tard  dans 
la  nuit,  «  à  la  lueur  des  flambeaux^  »,  le  cor- 
tège arriva  sous  la  voûte  de  cette  vieille  basi- 
lique où  étaient  venus  tour  à  tour  s'engloutir 
tous  les  rois. 

La  scène  eut  un  caractère  de  grandeur 
véritablement  saisissante.  La  nuit  était  magni- 
fique ;  un  plein  clair  de  lune  répandait  sur  la 
façade  de  l'église  cette  lumière  si  favorable 
aux  grands  effets. 

Le  clergé  entonna  le  psaume  des  morts 
devant  le  catafalque  qui  entrait  dans  la  Basi- 


Moulins  en  1601,  dans  sa  47"  année  ;  que,  d'après  une  dispo- 
sition expresse  de  son  testament,  son  corps  avait  été  trans- 
féré de  Moulins  à  Paris,  au  couvent  des  Capucines,  dont  elle 
était  fondatrice  et  où  il  est  resté,  tant  que  les  religieuses  ont 
subsisté  et  même  quelques  années  après  leur  abolition. 

«  L'acquéreur  de  ce  couvent  ayant  trouvé  ce  monument,  et 
par  l'épitaphe  inscrite  sur  un  marbre  noir,  ayant  connu  qu'il 
renfermait  la  dépouille  mortelle  d'une  Reine  de  France,  en 
lit  son  rapport  aux  autorités  d'alors  (on  croit  que  c'est  en 
l'an  VIII).  Les  magistrats  prirent  toutes  les  dispositions 
nécessaires  pour  l'exhumation  du  corps  et  sa  translation  au 
cimetière  du  Père-Lachaise.  Ainsi  la  fin  de  notre  article 
d'hier,  sur  cette  princesse,  n'était  pas  tout  à  fait  exacte  ».  La 
Quotidienne,  18  janvier  181 7. 

^  La  France  catholique,  années  1 833-1 834,  P-  83. 


ï'-iO      LES  TOMBEAUX   DES  ROIS   SOUS  LA  TERREUR 

lique.  Après  le  Dies  irœ  chanté  en  sourdine, 
l'absoute  fut  donnée,  et  le  cercueil  pénétra 
dans  la  crypte  au  bruit  des  cloches  interrompu 
seulement  par  les  versets  de  l'hymne  de  la 
douleur  et  de  l'espérance  ^ 


*   11    fut   dépose    provisoirement    dans   l'ancien   caveau   de 
Turenne.  La  même. 


CHAPITRE  VII 

L'ENLÈVEMENT  DU  TRÉSOR 
DE  LA  BASILIQUE 

Dans  les  chapitres  qui  précèdent,  nous 
venons  de  voir  comment  l'ouragan  révolu- 
tionnaire avait  soufflé  sur  la  cendre  des  rois 
et  dispersé  leurs  sépultures.  Il  nous  semble 
que  l'enlèvement  du  trésor  de  la  Basilique, 
chargée  de  siècles  et  de  souvenirs  %  est  un 
post-scriptum  obligé  au  récit  de  la  destruc- 
tion et  de  la  violation  des  tombes. 


^  Le  Trésor,  avant  la  Révolution,  fut  plus  d'une  fois  sur  le 
point  d'être  pillé.  Pendant  la  guerre  civile  entre  les  Arma- 
gnacs et  les  Bourguignons,  l'abbayo  eut  fort  à  souffrir  des 
deux  partis  ;  néanmoins  le  Trésor  fut  respecté.  A  la  lin  du 
XYii*^  siècle,  les  huguenots  et  surtout  les  ligueurs  saccagèrent 
l'église;  mais  assez  à  temps  le  Trésor' avait  été  déposé  à 
Paris  dans  l'église  Sainte-Croix  de  la  Bretonnerie. 


l'il      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA  TERREUR 

Or,  le  12  novembre  1793,  il  se  passait  un 
événement  sur  la  place  de  la  Basilique  :  toute 
une  foule  se  pressait,  se  bousculait  devant 
les  portes  de  l'église  ;  des  gens  accouraient 
des  quatre  coins  de  la  ville  ;  des  patriotes, 
cocarde  au  bonnet,  entonnaient  des  chants 
d'allégresse  et  de  patriotisme.  Devant  l'église, 
six  lourds  chariots,  chargés  de  caisses  de 
bois,  ornés  de  drapeaux  tricolores,  entourés 
d'hommes  vêtus  de  surplis,  de  chasubles,  de 
chapes  et  de  dalmatiques,  et  chantant  le  Çà 
ira^  prenaient  le  chemin  de  la  Convention. 
Vêtu  de  la  carmagnole  de  rigueur,  avec  une 
large  écharpe  aux  couleurs  nationales,  le 
citoyen  Pollart,  maire  de  la  commune,  mar- 
chait en  tête  du  cortège  :  c'était  un  ancien 
bénédictin,  le  premier  prêtre  du  district  qui 
avait  rompu  ses  vœux  et  jeté  son  froc  par- 
dessus les  moulins  ^  Etait-ce  lui  ou  une  autre 
forte  tête  de  la  municipalité  qui  précédait 
les  chariots,  à  califourchon  sur  un  âne  affublé 

^  Moniteur  du  14  novembre  1793. 


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L'E>'LÈVEMENT   du   trésor   de   la.   basilique        123 

d'habits  sacerdotaux  ?  Les  renseignements  ne 
sont  pas  précis  à  ce  sujet;  mais  le  fait  d'un 
patriote  monté  sur  un  mulet,  rappelant  les 
montures  des  prêtres  de  Cythère,  qui  figu- 
rait dans  le  cortège,  est  d'une  incontestable 
authenticité*. 

Il  était  dix  heures. 

Ce  préambule  ne  dit  pas  ce  que  contenaient 
ces  six  chariots.  C'est  pourquoi  nous  deman- 
dons au  lecteur  de  nous  permettre  une  di- 
gression. 

Au  moment  de  la  Révolution,  la  Basilique 
renfermait  des  objets  de  valeur  inestimable. 
A  côté  de  souvenirs  d'une  absolue  authenti- 
cité, des  reliques  les  plus  précieuses,  d'objets 


^  «  Les  habitants  de  Saint-Denis  vinrent  faire  hommage  à 
la  Convention  des  ornements  de  leurs  opulentes  églises.  Ceux 
charges  de  présenter  ces  offrandes  étaient  couverts  de  cha- 
subles, de  surplis  et  d'autres  ornements  de  cette  nature.  On 
avait  même  affublé  un  âne  d'habits  sacerdotaux.  »  Beaulieu, 
Les  Souvenirs  de  V Histoire ,  ou  le  Diurnai  de  la  Révolution, 
pour  Van  de  grâce  1797.  L'auteur,  emprisonné  pendant  la 
Terreur,  eût  l'idée  de  composer  une  sorte  d'almanach  pour 
l'an  1797,  où  chaque  jour  a  pour  éphéraérides  ce  qui  est 
arrivé  le  jour  correspondant  en  1793. 


llk      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

et  de  bijoux  du  plus  grand  prix,  on  conser- 
vait, depuis  un  temps  immémorial,  des  reli- 
ques d'une  authenticité  plus  contestable, 
naïfs  échos  des  siècles  pieux  :  citons  la  lan- 
terne de  Malchus  ^  des  reliques  d'Isaïe,  une 
des  amphores  de  Ca/ia^  du  sang  de  Jésus- 
Christ^  du  lait  de  la  Sainte  Vierge  !  etc.. 

Nous  croyons  intéresser  le  lecteur  en  don- 
nant ici,  avec  l'orthographe  et  le  caractère 
typographique  de  l'époque,  le  Mémoire  du 
Trésor  de  Saint-Denis,  tel  que  nous  l'avons 
trouvé  dans  un  exemplaire  rarissime,  que 
nous  possédons,  d'un  ouvrage  intitulé  Voyage 
en  France,  par  Du  Verdier,  Mathieu  Libéral, 
i685.  Nous  devons  ajouter  que  l'état  du  tré- 
sor, tel  que  nous  le  reproduisons,  s'était  con- 
servé intact  jusqu'à  la  Révolution  et  consti- 
tuait l'inventaire  complet  des  six  chariots 
qui  roulaient,  en  ce  moment,  vers  la  Conven- 
tion*. 


*  L'enlèvement  et  la  mise  en  caisse  s'étaient  eireclués  dans 
la  nuit  du  ii  au  ii  novembre,  en  présence  du  commissaire 
du  district,  du  citoyen  maire  Pollart  et  de  la  municipalité  de 
Saint-Denis.  La  salle  du  trésor  se  trouvait  entre  le  collatéral 


l'enlèvement   du   trésor   de   la   basilique        125 

MÉMOIRE  DES  RELIQUES 

qui  font  dedans  le  Trefor  de 

S.  Denys  en  France. 

premièrement: 

UN  des  Cloux  de  Nôtre  Seigneur ^ 
Une  grande  corne  de  Licorne  -  de  valeur  inelli- 
maale. 

La  Lanterne  de  Malcus'^,  qu'il  portoit  lors  que 
N  Seigneur  fut  pris  par  les  luifs  au  lardin  d'Olives. 

méridional  de  la  Basilique  et  le  pavillon  qui  terminé  de  ce 
côté  la  façade  de  la  maison  de  la  Légion  d'Honneur.  Elle  fût 
démolie  au  commencement  du  siècle.  Une  lampe  y  brûlait 
sans  cesse  par  respect  pour  les  saintes  reliques  enfermées 
dans  ce  trésor.  Les  objets  différents  qui  le  composaient  étaient 
placés  dans  cinq  grandes  armoires,  (Voir  Félibien.) 

1  Cette  relique  provenant  du  Trésor  d'Aix-la-Chapelle,  avait 
été  offerte  à  l'abbaye  de  Saint-Denis  par  Charles  le  Chauve. 

^.Animal  fabuleux  qui  avait  la  forme  d'un  cheval,  avec  une 
longue  corne  aiguë  sur  le  front.  «  Si  la  crédulité  du  peuple 
était  grande,  l'ignorance  des  médecins  ne  l'était  pas  moins  : 
Ambroise  Parré,  lui-même,  dans  son  Traité  des  venins,  a 
écrit  une  dissertation  sur  des  animaux  légendaires  et  mons- 
trueux, véritable  monument  de  grossière  superstition;  son 
discours  sur  la  Licorne  est  le  chef-d'œuvre  du  genre  *. 
Cabanes.  Les  Poisons,  Paris,  igoS.  La  corne  en  question  était 
une  défense  de  narval. 

3  «  Judas  donc,  ayant  accepté  une  cohorte  et  les  serviteurs 
des  princes  des  prêtres  et  des  pharisiens,  vint  en  ce  lieu 
avec  des  lanternes...  Simon  Pierre  frappa  un  serviteur  du 
grand-prètre  et  lui  coupa  l'oreille.  Cet  homme  s'appelait 
Malchus  »  Jean  XVIII. 


i-l(y      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

Le  Chef  de  S.  Denys  tout  d'or  maffif,  porté  par  deux 
Anges,  enrichy  de  pierreries  ^ 

En  la  pj'emiere  Armoire. 

LA  Croix  de  Saint  Laurent  qui  eft  d'or,  enrichie  de 
pierreries,  dedans  laquelle  il  y  a  une  verge  du 
gril  ou  S.  Laurent  fut  martyrizé. 

Le  Menton  de  S.  Louys-  enchaffé  en  argent  doré  enri- 
chy de  Pierreries. 

L'Efpaule  de  faint  lean  Baptille,  enchaffée  en  argent 
doré,  dans  laquelle  il  y  a  plufieurs  faintes  Reliques, 
que  l'on  appelle  des  Tables  de  tous  les  Saints,  enrichie 
de  pierreries. 

Le  Bras  de  faint  Euftache  en  argent  doré. 

Le  Doigt  de  faint  Barthélémy  Apoftre,  enchaffé  en 
argent  doré. 

Le  Bâton  de  la  Confrairie  de  faint  Denis,  qui  eft 
d'argent  doré. 

Vne  petite  Tefte  d'enfant,  qui  eft  d'agate. 

Des  Reliques  de  faint  Louis,  Evefque  de  Marfeille, 
enchaffé  en  argent  doré. 


*  C'était  un  reliquaire  en  forme  de  tête. 

2  A  sa  mort,  on  avait  fait  bouillir  son  corps  dans  de  l'eau 
salée,  afin  de  séparer  les  os  de  la  chair  et  les  transporter  à 
Saint-Denis.  Après  sa  canonisation  les  restes  du  roi  furent 
exhumés.  Le  menton  resta  à  la  basilique  de  Saint-Denis;  on 
attribua  le  crâne  au  Palais  de  Justice,  une  côte  à  l'abbaye  de 
Pontoise,  un  os  de  la  main  à  la  Faculté  de  Paris,  une  pièce 
de  l'épaule  à  l'abbaye  de  Royaumont,  etc. 


//-.  T. 


Etat  actuel  du    Vase  des  noces  de  Cana . 


L  ENLÈVEMENT   DU   TRESOR   DE   LA    BASILIQUE        129 

La  Cruche  ou  nollre  Seigneur  changea  l'Eau  en  Vin  *. 

Les  Anneaux  des  Reynes,  qui  font  d'or,  enrichie  de 
pierreries. 

L'ongle  d'un  griffon  -. 

Le  Cornet  de  Roland  le  Furieux  neveu  de  Charle- 
magne. 

Les  Reliques  de  faint  Panthaleon,  enchaffé  en  argent 
doré. 

Deux  couronnes,  que  le  Roy  Henry  IV,  à  fait  faire, 
l'une  d'or,  et  l'autre  d'argent  doré  enrichie  de  pierre- 
ries. 

Vne  belle  petite  Image  de  Noftre-Dame,  qui  ell 
d'yvoire, 

Vn  Nouveau  Teftament  d'argent  doré,  enrichy  de 
pierreries^. 

'  «  Grand  vase  en  albâtre,  dit  de  Xerxès.  Ce  vase,  qu'on  a 
appelé  jadis  a  vase  des  noces  de  Cana  »,  porte  sur  sa  panse 
une  inscription  bilingue,  en  caractères  cunéiformes  du  sys- 
tème perse,  où  on  lit  :  «  Xerxès,  roi  grand  »,  et  dans  un  car- 
touche hiéroglyphique  égyptien,  le  nom  de  Xerxès.  »  Babe- 
lon,  Cabinet  des  Antiques,  Leroux,  Paris,  1900.  On  voit  ce 
vase  au  Cabinet  des  Antiques,  dans  la  vitrine  XXII,  derrière 
le  Grand  Camée. 

Il  y  a  là  une  erreur  de  qualilîcation.  Ce  vase  de  Xerxès 
provient  de  la  collection  Caylus.  Le  vase,  considéi'é  à  Saint- 
Denis  comme  ayant  servi  aux  noces  de  Cana,  était  déjà  à  demi 
brisé  à  l'époque  où  écrivait  Félibien  ;  les  restes  de  cette  urne 
d'albâtre,  dont  nous  donnons  la  reproduction,  sont  conservés 
dans  une  vitrine  d'une  salle  non  publique  du  cabinet  des 
Médailles. 

^  Tout  le  monde  sait  que  cet  animal  fabuleux,  moitié  lion, 
moitié  aigle,  était  chargé  de  garder  les  paillettes  d'or  dun 
fleuve  de  Scythie,  appelé  Arismaspius. 

•^  Doublet  en  décrit  ainsi  la  reliure   :    «   Un  très  beau  livre 

9 


l3o      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

Le  Livre  d'Epiftres  couvert  d'argent. 
La  Couronne  de  Louis  XIIL  enrichie  de  pierreries. 
Des  Reliques  d'Ifaye  le  Prophète,  qui  vivoit  mil  ans 
devant  noftre  Seigneur. 

La  féconde  A  rmoire . 

LE  Chef  de  faint  Hilaire  Evefque  de  Poitiers,  en- 
chaffée  en  argent  doré  ^. 

Une  Mittre  bien  enrichie  de  pierreries. 

Des  Reliques  de  faint  Denys,  enchaffées  en  argent 
doré,  lefquelles  furent  inhumées  par  les  Anges  au 
mont  de  Sinay. 

Des  Reliques  de  faint  Nicolas  Evefque  de  Myrrhe, 
enchaffées  en  argent  doré. 

Vne  Image  de  Noftre  Dame  qui  eft  d'argent  doré, 
qui  tient  en  fa  main  des  Drapeaux  dont  noltre  Seigneur 
fut  enveloppé  en  fon  enfance. 

Des  Reliques  de  fainte  Marguerite  enchaffées  en 
argent  doré. 

en  parchemin  couvert  d'or  et  sur  ledit  or  un  crucifix  d'ivoire, 
et  à  ses  costez  les  images  de  Nostre-Dame  et  de  saint  Jean, 
d'ivoire,  plus  exquises  que  l'or  pour  estrc  délicieusement 
taillées.  Ce  livre  aussi  enrichi  de  grenats,  saphirs,  grisolites, 
ametistes,  émeraudes  et  quantité  de  perles.  » 

1  C'était  un  capsa  ayant  la  forme  du  buste  du  saint,  en 
habits  pontificaux.  Il  ne  reste  de  ce  reliquaire  qu'un  camée 
en  sardonyx  représentant  la  tète  de  profil  d'Auguste,  avec 
une  monture  d'argent  dont  les  bords  sont  découpés  à  jour  et 
soutiennent  une  couronne  composée  de  trois  rubis  et  de  trois 
saphirs,  alternant  avec  des  bouquets  de  perles.  On  le  voit  à 
la  Bibliothèque  nationale,  Cabinet  des  Antiques,  dans  la 
vitrine  centrale. 


VASE    DE    XERXÈS 
laussemcnl  qualiCié  de  Vask  dk  Caaa. 


l'e>'Lèveme>'t  du  trésor  de  la  basilique      i3i 

Vn  Calice  ou  faint  Denys  celebroit  fa  Meffe,  fes 
Burettes  et  fon  Ecritoire  K 

Le  Sceptre  de  la  main  de  luftice  d'Henry  Quatrième 

Le  Sceptre  que  l'on  porte  aux  Feftes  folemnelles, 
qui  eft  d'or. 

Vn  os  d'une  des  mains  de  faint  Denys,  enchaffées 
en  argent  doré. 

L'effigie  de  la  Reyne  de  Sabba-,  qui  efl  d'agate  gar- 
nie d'or. 

Vn  petit  Crucifix  taillé  fur  du  Chriltal  de  Roche. 

Vne  petite  Fiole  d'agate. 

L'effigie  de  Marc-Antoine  qui  elt  d'agate. 

La  troifiéme  Armoire. 

UNE  belle  Croix  toute  d'or,  enrichie  de  pierreries, 
dans  laquelle  il  y  a  du  bois  de  la  vraye  Croix. 
Une  petite  Chappelle   d'argent  doré,  dans  laquelle 
y  a  toutes  les  reliques  qui  font  à  la  fainte  Chappelle  de 
Paris  :    fçavoir  du  fang  de  Nollre  Seigneur,    de  fes 

'  Ce  calice  et  ces  burettes  étaient  en  béryl  (variété  d'éme- 
raude  appelée  aussi  aigue-raarine,),  garnis  d'argent  doré,  et 
ornés  de  pierres  précieuses. 

^  Rappelons  que  c'était  une  souveraine  d'une  ville  d'Arabie 
qui,  attirée  par  la  renommée  de  Salomon,  se  rendit  en  Israël 
et  devint  la  femme  du  roi.  Elle  retourna  ensuite  dans  son 
pays,  suivant  la  tradition,  et  y  accoucha  d'un  fils  qui  prit  le 
nom  de  David.  Elle  l'envoya  alors  à  Jérusalem  auprès  de  son 
père,  pour  y  faire  son  éducation.  Devenu  héritier  de  la  cou- 
ronne de  sa  mère,  il  introduisit  la  religion  juive  dans  ses 
États  :  d'où  l'origine  de  tant  de  cérémonies  juives  conservées 
encore  en  Ethiopie. 


i3'2       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

Cheveux,  de  fon  Sepulchre,  de  fon  faint  Suaire,  de 
rEfponge,  le  linge,  dont  il  fut  couvert  en  l'arbre  de 
la  Croix,  de  la  terre  du  Mont  de  Calvaire,  de  la  Verge 
de  Moyfe  ^,  du  Laict  de  la  Vierge  Marie,  de  fes  Che- 
veux, et  du  Couvre-Chef-. 

*  Mort  en  i585  av.  J.-C.  Ce  qui  eut  fait  de  cette  baguette  un 
bibelot  vieux  d'environ  3. 400  ans. 

2  C'est  en  l'an  i2o5,  que  Baudoin  1°',  empereur  de  Coustanti- 
nople,  lit  présent  à  Philippe-Auguste  des  cheveux  de  Jésus- 
Christ  et  de  sa  robe  de  pourpre,  dont  ce  roi  lit  don  à  Henri, 
abbé  de  Saint-Denis. 

Le  sang  de  Jésus-Christ,  le  lait  de  la  Vierge,  ses  cheveux, 
la  Verge  de  Moïse,  etc.,  provenaient  de  la  vente  qu'en  avait 
faite  Baudoin  II  à  saint  Louis,  le  14  septembre  1241?  moyennant 
deux  millions  de  francs,  monnaie  du  temps.  Sur  un  tableau, 
contenu  dans  la  Sainte-Chapelle,  se  trouvaient  la  description 
de  ces  reliques,  en  langue  latine,  et  les  originaux  des  lettres 
de  l'empereur  Baudouin,  datées  du  mois  de  juin  1247,  par  les- 
quelles il  confirmait  la  cession  qu'il  avait  faite  des  saintes 
reliques.  Elles  portaient  toutes  le  sceau  impérial,  avec  la 
iuention  «  l'an  12^7,  huitième  de  notre  empire.  »  Nous  en 
trouvons  la  copie  et  la  traduction  dans  l'ouvrage  de  Corrozet, 
Gilles,  imprimeur-libraire  :  Fleurs  des  antiquités  et  singula- 
rités de  la  bonne  et  triomphante  ville  et  cité  de  Paris,  et  les 
noms  des  rues,  églises  et  collèges,  i56i,  in-S". 

La  couronne  d'épines,  provenant  d'une  vente  antérieure  faite 
séparément  à  saint  Louis  par  ce  même  Baudoin,  avait  été 
payée  cent  mille  francs  en  monnaie  de  l'époque.  L'empereur  de 
Constantinople  l'avait  engagée,  pour  cette  somme,  à  un  riche 
Vénitien,  se  réservant  de  la  racheter  dans  un  délai  fixé, 
moyennant  le  paiement  de  la  somme  prêtée.  Quand  l'échéance 
arriva,  Baudoin  ne  pouvant  payer,  le  saint  roi  racheta  la  cou- 
ronne qui  fut  apportée  en  France,  enveloppée  dans  trois  cas- 
settes successives  de  bois,  d'argent  et  d'or.  C'est  quelques 
mois  après,  que  l'Empereur  de  Constantinople,  voyant  que  le 
commerce  des  reliques  lui  était  profitable,  lit  proposer  au 
roi  de  France  de  lui  en  vendre  plusieurs  autres.  Outre  celles 


Sceau  de  l'empereur  Baudoin  II,  et  sa  signature,  écrite  en 
caractères  grecs  avec  du  cinabre  sur  l'original  de  ses  lettres  sur 
parchemin,  conservées  avant  la  Révolution  aux  archives  de  la 
Sainte-Chapelle. 

(Reproduction  de  dessins  empruntés  à  an  ouvrage  sur  les  Saintes 
Reliques  paru  en  1828,  voir  p.   146,  note  2.) 


l'enlèvement  du  trésor  de  l\  basilique      i35 

La  main  de  faint  Thomas. 

Le  doit  qu'il  mift  au  cofté  de  noftre  Seigneur,  en- 
chaffé  d'argent  doré,  enrichy  de  pierreries. 

Une  Image  de  Noftre  Dame,  qui  tient  une  fleur  de 
lis  en  fa  main,  dedans  laquelle  y  a  de  fes  Cheveux. 

Une  couronne  d'or  que  leanne  d'Evreux  Reyne  de 
Navarre  a  fait  faire,  qui  eft  enrichie  de  pierreries. 

Une  Image  de  faint  lean  l'Evangelifte,  qui  eft  d'ar- 
gent doré,  où  il  y  a  de  fes  Cheveux. 

Un  Vafe  d'agate  et  demeraudes,  où  le  Roy  Salomon 
beuvoit. 

La  Croffe  de  faint  Denys,  garnie  d'or  et  d'efmail. 

Une  belle  Mittre  toute  couverte  de  perles  et  de  pier- 
reries. 

Le  Bafton  du  Chantre,  qu'il  porte   en   Proceffion 

énumérées  dans  le  Trésor  des  antiquités  nationales  de  Saint- 
Denis,  figuraient  dans  l'acte  de  vente  rapporté  par  Corrozet, 
«  un  grand  morceau  de  bois,  qu'on  disait  avoir  fait  partie  de 
la  croix  que  sainte  Hélène  apporta  de  Constantinople  ;  un 
morceau  de  fer,  qu'on  disait  être  le  fer  de  la  lance  dont  avait 
été  percé  le  côté  de  Jésus-Christ  sur  la  croix  ;  le  roseau  dont 
on  lui  fit  un  sceptre  ;  un  morceau  de  linge  dont  Jésus-Christ 
se  servit  pour  essuyer  les  pieds  de  ses  apôtres  ;  la  chaîne 
dont  fut  lié  Notre-Seigneur  ;  une  croix,  nommée  Croix  de 
triomphe,  parce  que  ceux  qui  la  portaient  à  la  guerre  étaient 
sûrs  d'obtenir  la  victoire  ».  On  se  demande  comment  Baudoin, 
toujours  en  guerre  et  toujours  vaincu,  put  vendre  cette  der- 
nière et  si  précieuse  relique  dans  une  circonstance  oîi  lui- 
même  avait  le  plus  grand  besoin  de  sa  prodigieuse  vertu. 

Toutes  les  reliques  que  nous  venons  d'énumérer  faisaient 
partie  du  convoi.  Sur  ordre  du  roi,  les  reliques  de  la  Sainte 
Chapelle  avaient  été  envoyées  à  Saint-Denis  le  12  mars  1791 
pour  être  «  remises  en  la  garde  des  religieux  bénédictins 
provisoirement  ».  Gautier,  loc.  cit.,  p.  io3. 


136       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

quand  il  fait  l'Office  les  bonnes  Fêtes  qui  efl;  d'argent 
doré. 

Plufieurs  belles  agrafifes,  qui  font  d'or  enrichies  de 
pierreries. 

L'agraffe  du  Manteau  du  Roy  Dagobert. 

L'agrafife  du  Manteau  de  faint  Denys. 

Une  petite  Roze  de  Drap  d'or,  dedans  laquelle  y  a 
plufieurs  anneaux  de  Reynes. 

Un  beau  Calice  émaillé. 

La  main  de  Juftice  de  faint  Louis  qui  efl:  d'Or. 

La  quatrième  Armoire. 

UNE  belle  Croix  enrichie  de  pierreries,  de  Charles 
le  Chauve  fils  de  Charlemagne,  toute  d'or,  enri- 
chie de  belles  pierreries,  dedans  laquelle  y  a  des 
Reliques  de  faint  Georges,  de  faint  Ordre,  et  de  faint 
Apolinaire,  qu'il  mettoit  fur  fon  Cabinet  quand  il  trai- 
toit  les  Princes  de  la  Cour,  et  mettoit  un  Flambeau  de 
cire  pour  faire  reluire  les  pierreries. 

Un  beau  Vaze  d'agate,  qui  eft  ellimé  à  cinquante  mil 
écus,  que  Philippes  le  Hardy  fils  de  faint  Louis  a 
apporté  d'Egypte,  dans  lequel  boivent  les  Reynes, 
quand  elles  font  couronnées  ^ 

*  Ce  vase  d  agate  orientale,  une  clos  plus  rares  antiquités 
que  possède  la  France,  fut  transféré  dans  le  Cabinet  des 
Antiques  de  la  Bibliothèque  nationale,  où  il  se  trouve  dans 
la  vitrine  centrale.  «  Les  bas-reliefs  représentent  tous  les 
objets  nécessaires  aux  fêtes  de  Bachus  Cephalen,  et,  entre  la- 
cippe  et  cette  tête,  la  peau  de  panthère  qui  caractérise  ce 
dieu  ».  Dulaure,  Histoire  de  Paris,  1839.  Ce  vase  est  connu 


Vase  d'agate  ^dit  coupe  de  Ptolémée. 


l'enlèvement   du    trésor   de   la   basilique        1^9 

Un  Vaze  de  Chriilal  de  Roche,  qui  afervi  au  Temple 
de  Salomon^ 

Un  Vaze  d'agate,  qui  tient  une  chopine, 

Colomna  referens  veram  longitudinem 
Domini  no/tri'.  Ibidem  ver  a  forma  lapi- 
dis  quem  remotum  à  Sepulchro  miraban- 
tur  mulieres^. 

Un  autre  Vaze  d'argent  qui  eftgodronné. 
Un  Vase  d'agate  où  il  a  deux  cordon  d'or. 

sous  le  nom  de  coupe  de  Ptolémée,  parce  qu'on  suppose  qu'il 
a  appartenu  à  Ptolémée  XI,  frère  et  mari  de  Cléopâtre.  Il 
fut  donné  à  lEglise  de  Saint-Denis,  au  i\P  siècle,  par  Charles 
le  Simple  ou  Charles  le  Gros.  (Renseignement  puisé  à  la 
Bibliothèque  nationale.)  La  reproduction  que  nous  donnons 
est  empruntée  à  l'ouvrage  de  Dulaure.  Ajoutons  qu'à  une  époque 
qu'on  ne  peut  préciser,  on  avait  transformé  en  calice  cette 
coupe  toute  pleine  des  souvenirs  des  Bacchanales  ;  elle  était 
montée  sur  pied  d'or  rehaussé  de  pierreries. 

Le  i6  février  1804,  elle  fut  volée,  et  retrouvée  seulement 
en  brumaire  an  XIII,  enterrée  sous  une  haie,  dans  le  jardin 
de  la  mère  d'un  des  voleurs,  à  Rozoy-sur-Serre,  entre  Laon 
et  Rocroy.  La  monture  en  avait  malheureusement  été  fondue, 
et  c'est  dépouillé  de  tout  ornement  que  le  célèbre  canthare  a 
repris  sa  place  dans  la  vitrine  d'honneur.  (Voir  Babelon, 
Cabinet  des  Antiques.  Leroux,  Paris  1900.) 

1  On  le  voit  aujourd  huiau  Louvre,  dans  la  galerie  d'Apollon. 

-  Colonne  de  jaspe  qui  passait  pour  offrir  la  mesure  exacte 
de  la  taille  de  Jésus-Christ. 

•'  Table  de  marbre  blanc,  façonnée  en  dos  d'âne  et  suppor- 
tée par  deux  colonnes,  taillée  sur  le  modèle  de  la  pierre  qui 
avait  fermé  le  Saint-Sépulcre. 


l-iO      LES    TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

Le  chef  de  faint  Benoift,  qui  eft  d'argent  enrichy  de 
pierreries.  Et  un  Osde  fon  bras  enchaiïé  en  argent  doré. 

La  Couronne  de  faint  Louis,  qui  eft  toute  d'or,  enri- 
chie de  pierreries,  où  il  y  a  un  Ruby,  ellimé  vingt-cinq 
mil  écus,  dedans  lequel  il  y  a  une  Efpine  de  la  Cou- 
ronne de  N.  Seigneur. 

L'Epée  Royale  que  les  Roys  portent  quand  ils  font 
couronnez^. 

Le  Sceptre-  Royal  et  la  main  de  Juftice  que  les 
Roys  portent  quand  ils  font  Couronnez  et  Sacrez,  qui 
font  d'or. 

Spéculum  quo  Virgilius  Maro 
dicitur  iifus^. 

L'agraffe  du  Manteau  Royal  toute  d'or  enrichie  de 
pierreries. 
L'agraffe  du  Manteau  du  Chantre,  qui  eft  toute  d'or, 
enrichie  de  pierreries;  et  y  a  un  Ruby  eftimé  12  mil 
écus. 

'  Cette  épée  du  xii'^  siècle  est  exposée  au  Louvre  dans  la 
galerie  d'Apollon. 

2  Ce  sceptre,  qu'on  voit  au  Louvre  dans  la  galerie  d'Apol- 
lon, longtemps  qualifié  de  sceptre  de  Charlemagne,  se  com- 
pose de  deux  parties  de  provenances  différentes  :  une  sphère 
terminale  sur  laquelle  est  placée  une  image  de  Charlemagne, 
exécutée  pour  Charles  VI,  et,  portant  le  véritable  sceptre, 
une  hampe  qui  était  le  bâton  du  chantre  Guillaume  de  Roqué- 
mont. 

^  Miroir  fait  d'une  pierre  de  jais,  qui  passait  pour  avoir 
appartenu  à  Virgile. 


l'enlèvement  du  trésor  de  l\  basilique      i4i 

Un  petit  Crucifix  de  la  vraye  croix,  que  le  Pape 
Clément  III,  a  taillé,  lequel  eft  enchafle  en  or. 

L'effigie  de  l'Empereur  Néron,  qui  el1:  d'agate,  gar- 
nie d'or,  et  enrichie  de  pierreries. 

La  Coupe  de  Salomon,  garnie  d'or,  enrichie  de 
pierreries,  dedans  laquelle  il  bevoit^ 

Les  Efperons  des  Roys  qu'ils  portent  quand  ils  font 
couronnez,  qui  font  d'or-. 

Les  habits  du  Roy  Charles  IX,  qui  font  fur  l'effigie 
dHenry  IV. 

Les  Habits  du  Roy,  qui  règne  à  prefent. 

L'Efpée  de  Saint  Louys. 

L'Epée  de  la  pucelle  d'Orléans. 

L'Efpée  de  TArchevefque  Turpin,  Chancelier  de 
Charlemagne. 

Les  Reliques  qui  font  dans  lEglife. 

Les  trois  corps  Saints,  S.  Denys,  S.  Ruftic  et  S.  Eleu- 
there  ^ 

^  Coupe  de  Chosroës  I'^'',  actuellement  dans  la  vitrine  cen- 
trale du  Cabinet  des  Antiques  de  la  Bibliotlièque  nationale. 
Cette  coupe  transparente  se  compose  d  une  armature  en  or 
massif  et  de  trois  rangées  circulaires  de  dix-huit  médaillons 
en  cristal  de  roche,  servant  d'encadrement  à  un  médaillon 
principal  représentant  Chosroës  I""",  roi  de  Perse,  de  53i  à 
570.  Cette  coupe,  selon  toute  vraisemblance,  aurait  été  rap- 
portée par  les  Croisés,  à  la  suite  du  pillage  de  Constantinople 
en  1204. 

-  Ils  figurent  actuellement  au  Louvre,  dans  la  galerie 
d'Apollon. 

^  «  Les  trois  cercueils  d'argent  où  étaient  renfermées  les 
reliques  de  saint  Denis  et  de  ses  deux  compagnons  martyrs 
étaient  de  la  longueur  approchant  de  dçux  pieds  ou  deux 
pieds   et  demi  ;    ils    étaient  faits   dans   la    forme    exacte    des 


ik'i      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOLS   LA   TERREUR 


Nous  sommes  à  la  Convention,  où  nous 
allons  retrouver  nos  six  chariots  et  notre 
députation  de  la  commune  de  Saint-Denis, 
apportant  le  Trésor  de  la  Basilique.  C'est 
Laloi^  qui  préside  :  comme  toujours,  une 
foule  agitée  et  bruyante  remplit  les  galeries 
et  les  couloirs  ;  de  l'amphithéâtre  aux  tri- 
bunes, tout  aussi  est  plein.  Tout  à  coup  des 
cris  s'élèvent,  la  porte  s'ouvre,  un  remous 
s'opère  dans  le  vestibule  :  c'est  la  députation 
de  la  Franciade^  A  la  vue  de  ces  citoyens, 
vêtus  de  chasubles,  de  surplis,  et  coiffés  de 
bonnets  rouges,  l'enthousiasme  de  la  Con- 
vention ne  connaît  plus  de  bornes.  Un  ton- 
bières  ».  Gautier,  loc.  cit.,  p.  i23.  Le  prieur  doui  Verneuil 
avait  pu  soustraire,  la  veille  de  l'enlèvement  du  trésor,  la 
plus  grande  partie  des  reliques,  qu'il  avait  soigueusement 
cachées  dans  un  sarcophage  mérovingien. 

^  Laloi  (P. -A.)  administrateur  de  la  Haute-Marne,  député 
de  ce  département  à  la  Convention. 

2  Le  nom  de  Saint-Denis  «  rappelant  un  souvenir  de  la 
féodalité  »  avait  été  remplacé  par  celui  de  Franciade,  en 
vertu  d'un  décret  de  la  Convention. 


l'e>léveme>t  du  trésor  de  la.  basilique      l^'i 

nerre  d'applaudissements  éclate  ^  On  dépose 
à  la  barre  les  ostensoirs,  les  saints  ciboires, 
l'épée  de  Jeanne  d'Arc,  les  statues  d'or  et 
d'argent.  Et  l'orateur  de  la  députation  s'avance 
près  de  la  tribune,  tenant  dans  ses  mains  le 
crâne  de  saint  Denis,  sorti  de  son  reliquaire 
d'or. 

«  Un  miracle,  s'écrie-t-il,  fit  voyager  de 
Montmartre  à  Saint-Denis  la  tète  du  saint 
que  nous  vous  apportons.  Un  autre  miracle, 
plus  grand,  plus  authentique,  le  miracle  de 
la  régénération  des  opinions,  vous  ramène 
cette  tête  à  Paris.  Une  seule  différence  existe 
dans  cette  translation:  le  saint,  dit  la  légende, 
baisait  respectueusement  sa  tête  à  chaque 
pose,  et  nous  n'avons  pas  été  tentés  de 
baiser  cette  relique  puante  ;  ce  crâne  et  les 
guenilles  sacrées  qui  l'accompagnent  vont, 
enfin,  cesser  d'être  le  ridicule  objet  de  la 
vénération  du  peuple  et  l'aliment  de  la  supers- 
tition, du  mensonge  et  du  fanatisme.  L'or  et 

^  Moniteur  du  i4  novembre  1793. 


l44       LES    TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   L\   TERREUR 

l'argent  qui  les  enveloppent  vont  contribuer 
à  affermir  l'empire  de  la  raison  et  de  la 
liberté...  » 

Puis,  se  retournant  vers  les  reliques,  il 
adresse,  non  plus  à  Laloi,  ni  aux  convention- 
nels, mais  aux  saints  eux-mêmes  cette  singu- 
lière allocution  :  «  O  vous,  instruments  du 
fanatisme  !  saints,  saintes,  bienheureux  de 
toute  espèce,  soyez  enfin  patriotes,  levez- 
vous  en  masse  ;  marchez  au  secours  de  la 
patrie,  partez  pour  la  Monnaie,  et  puissiez- 
vous,  par  votre  secours,  faire  en  ce  monde 
notre  bonheur  que  vous  nous  promettiez  pour 
un  autre. 

«  Nous  vous  apportons,  citoyens  législa- 
teurs, toutes  les  pourritures  dorées  qui  exis-- 
talent  à  la  Franciade...  nous  en  avons  rempli 
six  chariots.  Il  ne  reste  plus  à  Franciade 
qu'un  autel  d'or  que  nous  n'avons  pu  trans- 
porter ;  nous  vous  prions  de  donner  ordre  à 
la  Commission  des  monuments  de  nous  en 
débarrasser  sans  délai,  pour  que  le  faste  catho- 
lique  n'offense  plus    nos   yeux   républicains. 


L  E^'LÈVEME^'T   DU    TRESOR   DE    LA   BASILIQUE        l45 

«  On  ne  pouvait  faire  mieux  escorter  les 
bienheureux  que  par  le  maire  de  notre  com- 
mune qui,  le  premier  de  tous  les  prêtres  du 
district,  a  sacrifié  à  la  philosophie  les  erreurs 
sacerdotales,  en  se  déprêtrisant  et  en  se 
mariant. 

«  Je  jure,  au  nom  de  tous  les  citoyens  de 
la  ville  de  la  Franciade,  de  ne  reconnaître 
d'autre  culte  que  la  Liberté  et  l'Egalité  '  ». 

Et  là-dessus  l'orateur  sans-culotte  entonne 
un  hymne  révolutionnaire  ;  on  boit^  tour  à  tour, 
dans  les  calices  et  les  ciboires,  et  l'enthou- 
siasme devient  indescriptible  dans  toute  la 
salle  :  au  banc  des  conventionnels  comme 
sur  les  banquettes  des  tribunes,  ce  sont  des 
battements  de  mains,  des  trépignements  de 
pieds,  des  cabrioles  de  jubilation. 

La  Convention,  électrisée  surtout  par  les 
effets  oratoires  du  citoyen  de  la  Franciade, 


^  Moniteur  du  i4  novembre  1793.  L  adresse  lue  par  Pol- 
lart  n'était  pas  de  sa  composition  :  le  citoyen  maire  avait  mis 
à  contribution  le  talent  oratoire  et  les  couleurs  du  style  du 
citoyen  Blanc,  instituteur,  maître  de  pension  à  Saint-Denis, 
auteur  du  morceau.  Gautier,  loc.  cit.,  p.  127. 


1^6      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

vote  l'insertion  de  son  discours  à  son  Bulletin 
officiel^,  et  la  députation  tout  entière  défile 
devant  la  barre,  en  chantant  des  Alléluia  et 
en  régalant  les  conventionnels  de  danses 
patriotiques". 

*  Moniteur  du  14  novembre  1793. 

2  Séance  tenante,  la  Convention  chargea  le  député  Sergent 
de  procéder  au  transport  de  toutes  ces  richesses  kV  Hôtel  des 
Monnaies.  Là  les  reliquaires  furent  presque  tous  impitoya- 
blement brisés  ;  après  quoi,  on  fit  transporter  les  Reliques 
et  les  objets  précieux  à  la  Commission  tonporaire  des  Arts, 
établie  pour  examiner  les  objets  enlevés  aux  édifices  du 
culte  et  faire  le  discernement  de  ceux  qui  méritaient  une 
conservation.  «  Ce  fut  pendant  cet  examen  que  M.  Jean  Bon- 
voisin,  peintre,  membre  delà  commission,  eut  le  bonheur  do 
sauver,  en  grande  partie,  la  portion  de  la  vraie  Croix  qu'on 
avait  coutume  d'exposer,  en  certains  jours,  à  l'adoration  des 
fidèles,  dans  l'église  delà  Sainte-Chapelle.  Comme  on  parais- 
sait faire  très  peu  de  cas  de  ces  objets  sacrés,  dépouillés  de 
leurs  riches  ornements,  M.  Bonvoisin  eut  la  liberté  de 
prendre,  sur  la  table  où  ils  étaient  rassemblés,  la  précieuse 
Relique.  Il  s'empressa  de  la  porter  à  sa  mère,  qui  était  une 
dame  recommandable  par  sa  piété,  et  qui,  après  l'avoir  con- 
servée religieusement  pendant  la  Révolution,  se  fît  un  devoir 
de  la  remettre,  en  1804,  au  chapitre  de  Paris.  M.  Bonvoisin 
et  sa  pieuse  mère  attestèrent  depuis,  avec  serment,  pour  ce 
qui  les  concernait,  la  vérité  des  faits  que  nous  venons  de  rap- 
porter. D'après  cette  déclaration,  qui  eut  lieu  le  i3  avril 
1808,  Ms"'  le  cardinal  de  Bell/Sy,  alors  archevêque  de  Paris, 
fit  enfermer,  avec  toutes  les  précautions  convenables,  cette 
précieuse  portion  de  la  vraie  Croix  dans  le  reliquaire  de 
cristal  où  on  la  voit  aujourd'hui.  Ce  reliquaire  a  huit  pouces 
et  demi  de  long,  sur  un  pouce  et  demi  de  large.  Il  est  à 
quatre  faces,  et  monté  dans  une  garniture  de  vermeil  qui  en 
couvre  les  angles  et  les  extrémités.   Il  est  rempli  tout  entier 


L  ENLEVEMENT   DU   TRESOR   DE   LA   BASILIQUE        147 

Tels  étaient  les  boniments  grotesques,  les 
élucubrations  et  les  répugnantes  mascarades 
qu'applaudissait  la  Convention.  Ce    serait  à 

par  la  sainte  Relique,  dont  une  des  extrémités  est  encore 
échancrée,  parce  qu  il  fallut  la  scier  pour  en  ôler  l'or  qui  la 
couvrait  autrefois.  La  couleur  du  bois  est  dun  brun  pâle, 
avec  quelques  nuances  rougeâtres,  et  paraît  annoncer  un 
vieux  bois  de  cèdre  ».  Notice  historique  sur  la  sainte  cou- 
ronne d'épines  et  sur  les  autres  instruments  de  la  Pas- 
sion, etc.  Adrien  Leclère,  Paris,  18.28,  p.  64- 

Quant  à  la  «  sainte  Couroune  »,  après  avoir  été  extraite 
de  son  reliquaire  à  l'Hôtel  des  Monnaies,  on  la  «  rompit  en 
trois  parties  à  peu  près  égales,  et  on  en  porta  les  débris, 
avec  les  autres  reliques  de  la  Sainte-Chapelle  et  de  Saint- 
Denis,  à  la  Commission  temporaire  des  Arts  où  ils  furent  mis 
sous  la  garde  du  secrétaire  de  cette  commission,  nommé 
Oudry.  Ce  fut  des  mains  de  ce  dernier  que  l'abbé  Barthé- 
lemi,  un  des  conservateurs  des  médailles  antiques  de  la 
Bibliothèque  Nationale,  obtint,  en  1794,  les  débris  de  la 
sainte  Couronne,  pour  les  conserver  parmi  les  objets  confiés 
à  sa  garde.  La  sainte  Couronne  demeura  donc  à  la  Jiihlio- 
thèque Nationale iusqu  au  mois  d'octobre  1804.  Acette  époque 
MB""  le  cardinal  de  Bellay,  ayant  été  bien  instruit  de  tous  ces 
détails,  et  jugeant  les  circonstances  favorables  pour  récla- 
mer la  sainte  Couronne,  avec  plusieurs  autres  Reliques  dépo- 
sées dans  le  même  établissement,  s'adressa  pour  cet  objet  à 
M.  Portalis,  alors  ministre  des  Cultes.  Celui-ci  donna  ordre 
à  M.  Millin,  conservateur  des  médailles  antiques,  de  donner 
les  Reliques  à  l'église  de  Notre-Dame;  et  M.  Millin  les 
remit  en  effet,  le  26  octobre  1804,  à  M.  l'abbé  d'Astros,  alors 
grand  vicaire  de  Paris...  Elle  fut  transférée  avec  une  grande 
pompe  dans  l'église  de  Notre-Dame,  le  dimanche  10  août 
1806  ».  La  même,  p.  114. 

Voici  enfin  comment  «  l'un  des  clous  de  Notre  Seigneur  », 
dont  il  est  question  dans  le  Mémoire  du  Trésor  (le  Trésor  de 
Notre-Dame  en  possède  un  autre  provenant  de  l'abbaye  de 
Saint-Germain-des-Prés),  put  être  sauvé.  A  la  Commission  tem- 


I48      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

n  y  pas  croire  si  le  Moniteur  n'était  là,  con- 
servé dans  les  Archives,  pour  prouver  que,  à 
un  moment  de  son  histoire,  la  France  fut 
gouvernée  par  des  fous. 

poraire  des  Arts,  «  M.  Le  Lièvi'c,  membre  de  l'Institut  et 
inspecteur  général  des  mines,  qui  faisait  partie  de  cette 
commission,  obtint  la  permission  de  prendre  le  saint  Clou, 
comme  un  objet  de  minéralogie  qu'il  voulait  examiner  et  ana- 
lyser. Layant,  par  ce  moyen,  sauvé  de  la  destruction  et  de  la 
profanation,  il  le  conserva  soigneusement  jusqu'au  mois 
d'avril  1824.  A  cette  époque,  il  le  remit  à  Mb""  l'Archevêque 
de  Paris,  en  lui  assurant,  avec  serment,  que  c'était  véritable- 
ment le  saint  Clou  provenant  du  trésor  de  l'abbaye  de  Saint- 
Denis,  qu'il  avait  sauvé  de  la  profanation  en  1793. 

D'après  ce  témoignage,  M^"^  l'Archevêque  reconnut  la 
sainte  Relique,  et  la  fit  placer  dans  le  reliquaire  où  on  la 
voit  aujourd'hui.  C'est  un  tube  de  cristal  d'environ  quatre 
pouces  de  long,  en  forme  de  clou,  orné  d'une  tête  et  d'une 
pointe  en  vermeil.  Le  saint  Clou  paraît  avoir  environ  trois 
pouces  et  trois  lignes  de  long.  La  tête  en  est  échancrée,  et  la 
pointe  un  peu  altérée  ;  il  est  couvert  de  rouille  dans  toute  sa 
longueur.  En  l'examinant  de  près,  on  y  remarque  un  petit 
morceau  de  bois,  qui  s'y  est  attaché  sans  doute  lorsqu'on  le 
relira  de  la  Croix,  et  qui,  examiné  avec  la  loupe,  paraît  être 
de  même  espèce  que  le  morceau  de  la  vraie  Croix  prove- 
nant de  la  Sainte-Chapelle  ».  La  même,  p.  i5o. 

Avec  ces  derniers  objets,  plusieurs  reliques,  retrouvées 
encore  en  1804  au  Cabinet  des  Médailles,  furent  remises  à 
l'église  métropolitaine  de  Paris,  entre  autres  un  morceau  de 
la  pierre  du  Saint-Sépulcre,  une  discipline  de  fer  ayant  servi 
à  saint  Louis  et  une  tunique  du  même  prince. 


CHAPITRE   VIII 


LA  BASILIQUE  APRÈS  LA  TERREUR 


Le  9  septembre  1792,  pour  la  dernière  fois, 
les  bénédictins  avaient  officié  dans  la  Basi- 
lique dont,  depuis  onze  siècles,  ils  étaient  les 
maîtres  :  pour  la  dernière  fois  on  vit,  un  di- 
manche, la  longue  file  des  religieux,  à  la  face 
glabre  et  le  crâne  rasé,  assis  dans  les  stalles 
sculptées  du  chœur,  le  prieur  dom  Verneuil 
présider  l'office  divin,  et,  la  messe  dite,  les 
vieux  bénédictins  promener  solennellement 
sous  les  arcades  les  châsses  somptueuses  des 
trois  patrons.  Le  i4  septembre,  les  religieux 
quittèrent  leur  cloître  ;  et  quelques  jours 
après,  l'église  abbatiale  était  affectée  au  ser- 
vice  paroissial.  L'odeur  nauséabonde  qui  se 


l5o      LES   TOMBEAUX   DES  ROIS   SOUS  LA   TERREUR 

répandit  dans  la  Basilique,  à  la  suite  des  vio- 
lations d'octobre,  fit  que  l'on  dût  célébrer 
la  messe  dans  l'Hôtel-Dieu  \  et,  plus  tard, 
dans  cette  chapelle  des  Carmélites  dont  Louise 
de  France  avait  doté  son  monastère. 

La  Basilique  qui  avait  vu  tant  de  levées  de 
roriflamme%  l'antique  drapeau  des  temps  che- 
valeresques, tant  de  couronnements  et  d'ob- 
sèques royaux,  vit  bientôt  substituer,  dans  ses 
murs,  les  fêtes  de  la  Raison  aux  cérémonies 
chrétiennes,  et  des  précepteurs  de  morale  et 
des  droits  de  l'Homme  faire  des  prônes  là,  où 
debout  dans   la  chaire  de  vérité,  un  évêque, 


*  «  Le  lundi  14  octobre,  les  portes  de  l'église  furent  fermées 
et  n'ont  plus  été  ouvertes  pour  le  culte  catholique  ;  les  basses 
messes  se  sont  dites  ainsi  que  les  offices  des  dimanches  et 
fêtes  jusqu'au  samedi  16  novembre  inclusivement  à  l'Hôtel- 
Dieu  ;  il  n'y  eut  par  conséquent  pas  d'oflices  le  jour  de  l'oc- 
tave saint  Denis  16  octobre,  et  d'ailleurs  il  n'aurait  pas  été 
possible  d'habiter  l'église  dans  ces  jours,  vu  la  mauvaise 
odeur  qui  s'était  répandue,  laquelle  était  occasionnée  par 
l'exhumation  des  différents  corps.  »  Gautier,  loc.  cit.,  p.   119. 

-  «  C'était  à  savoir  un  étendard  d'un  sandal  fort  épais,  fendu 
par  le  milieu  en  façon  d'un  gouffanon,  fort  caduque,  enveloppé 
autour  d'un  baston  de  cuivre  doi'é  et  un  fer  longuet  et  agu  au 
bout  ».  Dom  Doublet.  11  était  suspendu  au  pilier  attenant  à 
l'autel  des  saints  Martyrs,  du  côté  de  l'épitre.  En  1694,  il  était 
consumé  de  service  et  de  vétusté. 


LA    BASILIQUE    APRES    LA    TERREUR  l5i 

avec  toute  la  majesté  de  l'art  oratoire,  lais- 
sait tomber  de  sa  bouche  ce  fameux  cri  : 
«  Madame  se  meurt,  Madame  est  morte  ». 
Mais  elle  était  tellement  dévastée,  cette  église, 
qu'on  transféra  le  nouveau  culte  dans  l'an- 
cienne chapelle  des  Carmélites  ;  et  la  Basi- 
lique devint,  tour  à  tour,  un  dépôt  d'artille- 
rie, un  théâtre  de  saltimbanques  S  un  maga- 
sin de  fourrages. 

L'Eglise,  qui  était  toute  couverte  en  plomb, 
fut  découverte  et  le  plomb  porté  à  Paris  en 
1795';  elle  devint  alors  un  marché  public  ; 
ensuite  elle  recela  des  moulins  à  bras  '\  On 
eût,  un  instant,  le  projet  désastreux  de 
faire  passer  une  rue  —  rien  que  cela!  — 
entre  les  deux  tours ,  d'entasser  dans  les 
côtés  delà  Basilique  des  constructions  de  plu- 
sieurs étages,  avec  des  maisons  numérotées, 
d'en  faire,   en  un  mot,   une   vaste  cité  dont 


^  D'Ayzac.  Loc.  cit. 

-  Ce  ne  fut  qu'en  1796,  le  6  septembre,  qu'on  apporta  de  la 
tuile  et  de  l'ardoise  pour  la  recouvrir.  Dom  Druon.  Loc.  cit. 

^  D'Ayzac.  Luc.  cit. 


ia2       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

la  nef  centrale  eût  été  la  principale  artère. 
Tout  semblait  perdu,  quand,  Napoléon  en- 
trant en  scène  avec  ses  victoires,  on  décida 
la  transformation  de  l'Abbaye  et  de  FEglise 
en  hôpital  militaire  pour  les  armées  républi- 
caines. Cette  attribution  temporaire  dura  plus 
de  dix  ans.  Dans  cette  longue  période,  «  on 
vit  les  milices  terrestres  envahir  le  camp  dé- 
vasté des  saintes  milices  de  Dieu.  Les  vies 
leis  plus  aventureuses  vinrent  temporairement 
faire  halte  au  cœur  intime  des  retraites  qui 
avaient  abrité  les  plus  immobiles  et  les  plus 
muettes  des  existences  ;  et  peut-être,  plus 
d'un  soldat,  blessé  au  pied  des  Pyramides,  y 
déroula,  dans  des  récits  pleins  de  verve  et 
d'animation,  les  tableaux  alors  insolites  des 
bivouacs  français  au  Caire,  à  Rosette  ou  aux 
bords  du  Nil,  au  lieu  même  où  le  Religieux, 
bercé  dans  les  écrits  des  Pères,  parcourait  la 
nuit,  dans  ses  rêves,  les  solitudes  de  Nitrie 
et  le  grand  désert  de  Scété  ^  » 

*■  D'Ayzac.  Loc.  cit. 


LA  BASILIQUE  APRÈS  LA  TERREUR      1^3 

Malgré  les  décrets  révolutionnaires  et  mal- 
gré la  guillotine,  la  Monarchie  renaissait,  et 
le  soldat  heureux,  en  qui  elle  s'incarnait,  ve- 
nait faire  retentir  du  bruit  de  ses  éperons  la 
vieille  Basilique  des  rois  :  il  ordonnait  sa  res- 
tauration, et  par  un  décret  du  20  février  1806, 
il  décidait  que  cette  illustre  église  serait  le 
lieu  de  sépulture  de  la  nouvelle  dynastie. 
Mais,  comme  dit  Chateaubriand,  «  le  moment 
n'était  pas  où  Buonaparte  devait  se  souvenir 
qu'il  lui  fallait  un  tombeau  ;  il  lui  eut  été 
difficile  de  deviner  le  lieu  où  la  providence 
avait  marqué  le  sien  »  K  En  tout  cas,  «  Napo- 
léon ne  pensait  pas  à  rendre  à  Saint-Denis 
tous  les  monuments  transportés  au  Musée 
des  Monuments  français,  auquel  d'ailleurs  il 
portait  un  intérêt  très  vif,  mais  il  eut  voulu 
signaler  le  passage  de  tant  de  princes  dans 
la  vieille  église  par  une  série  de  statues, 
d'épitaphes  ;    et  sous   cette  inspiration ,    des 


^  Il  fut  question,  sous  le  second  Empire,  de  placer  le  mau- 
solée de  Napoléon  I"''  au  bas  et  à  gauche  du  maître-autel,  en 
lace  le  monument  de  Dagobert. 


i54       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

travaux  furent  commencés.  Malheureusement, 
ils  ne  répondirent  pas  à  l'attente  de  l'Em- 
pereur, qui,  visitant  au  commencement  de 
i8i3  les  ouvrages  déjà  faits,  manifesta  son 
mécontentement  avec  vivacité ,  au  point 
que,  dit-on,  Tarchitecte  en  mourut  de  cha- 
grin ^ .  » 

Au  retour  des  Bourbons,  le  21  janvier  181 5, 
avait  lieu  l'imposante  cérémonie  du  transfert 
dans  la  Basilique  des  restes  de  Louis  XVI  et 
de  Marie-Antoinette,  dont  une  bière  de  six 
francs  ^  avait  remplacé    au    cimetière    de   la 

1  Viollet  le  Duc,  Article  i'ai/i^-Z'e/ii*-,  Paris-Guide.  Lacroix, 
Paris,  1867,  t.  I,  P-  708. 

2  Mémoire  du  fossoyeur  Joly,  possédé  par  M.  Fossé  d'Ar- 
cosse,  rapporté  par  E.  et  J.  de  Goncourt,  Histoire  de  Marie- 
Antoinette.  Un  fidèle  royaliste,  M.  Desclozeaux,  avait  acheté 
le  cimetière  de  la  Madeleine,  afin  de  pouvoir  y  conserver  les 
restes  de  Louis  XVI  et  de  Marie-Antoinette.  Il  avait  fait 
entourer  la  place  où  reposaient  les  restes  de  la  reine  de 
France,  d'une  haie  de  charmille  et  d'arbres  allégoriques.  Ce 
fut  là  que,  le  18  janvier  i8i5,  les  recherches  firent  découvrir 
ses  ossements,  sa  tête  intacte,  ses  jarretières  et  quelques  lam- 
beaux de  ses  bas.  Le  lendemain  on  trouva  les  restes  de 
Louis  XYI.  On  les  mit,  ainsi  que  ceux  de  la  Reine,  dans  un 
cercueil  de  plomb. 

Nous  avons  jugé  superflu  de  parler  plus  amplement  des 
exhumations  de  Louis XVI  et  de  Marie-Antoinette.  M.  G.  Le- 


(  l     n    iino  ni 


CIMETffiJRE  DE  LA  MADELEINE. 

TOMBEAU    DE    M  A  R  I  E  -  A  NTO  I  N  ETTE    AU    CIMETIÈRE    DE    LA    MADELEINE 
Gravure  de  J)e  Saulx.  Cabinet  des  Estampes  de  la  Bibliothèf/ue  Nationale 

!  ■ 


LA    BASILIQUE    APRÈS    LA    TERREUR  l55 

Madeleine  les  tombeaux  de  Saint-Denis.  A 
sept  heures  du  matin,  tous  les  régiments  de 
Pans,  sous  les  armes  et  crêpes  aux  bras,  fai- 
saient la  haie  depuis  la  rue  d'Anjou  jusqu'à 
la  barrière  de  Saint-Denis.  Le  cortège  se  mit 
en  marche  :  il  se  composait  des  princes,  des 
grands  dignitaires  de  l'Etat,  des  carrosses 
royaux,  du  char  funèbre,  des  cent  suisses  et 
des  gardes  du  corps.  Arrivé  à  midi  et  demi  à 
la  porte  de  Paris,  le  cortège  se  rendit  à  l'église 
par  l'étroite  rue  de  la  Boulangerie  ^  ;  les  gardes 
du  corps  du  roi  portèrent  les  deux  cercueils 
dans  l'intérieur  du  monument.  Mgr  de  Bou- 
logne, évêque  de  Troyes,  prononça  l'oraison 
funèbre.  11  avait  pris  pour  texte  les  paroles 
de  David  :  «  Gardez-vous  de  le  tuer,  car  qui 
pourrait  porter  la  main  sur  l'oint  du  seigneur 
et  être  sauvé  ?  »  ^  L'absoute  fut  donnée,  et 
les  deux  cercueils,   pendant  qu'éclatait   une 


nôtre  a  traité  la  question  d'une  façon  trop  remarquable  dans 
son  ouvrage  sur  Marie-Antoinette,  pour  qu'il  nous  soit  permis 
d'y  revenir. 

^  Bournon,  lac.  cit. 

^  La  Quotidienne,  -i-i  janvier  i8i5. 


l56      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

salve  d'artillerie,   pénétrèrent  dans  la  crypte 
désolée  et  vide. 

Peu  de  temps  après,  une  ordonnance  royale 
prescrivait  la  fermeture  du  Musée  historique 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  Ton  transpor- 
tait à  Saint-Denis  les  tombeaux  et  les  statues 
qui  avaient  survécu  au  massacre  du  mois 
d'août,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'autres 
mausolées  provenant  des  abbayes  de  Royau- 
mont,  de  Maubuisson,  des  Jacobins,  desCéles- 
tins  de  Paris,  etc.  «  De  cette  réunion,  on 
composa,  dans  les  cryptes,  le  plus  singulier 
mélange.  Voulant  présenter  une  suite  non 
interrompue  de  rois  et  princes  du  sang  par 
ordre  chronologique,  des  statues  furent  bapti- 
sées à  nouveau  ;  d'un  tombeau  on  en  fît  deux 
ou  trois.  D'un  Charles  V  et  d'une  Jeanne  de 
Bourbon,  qu'on  possédait  en  double,  on  fit  un 
saint  Louis  et  une  Marguerite  de  Provence,  ce 
qui  fut  pour  nos  peintres  d'histoire,  l'occasion 
de  singulières  méprises.  Quelques  person- 
nages changèrent  de  tète,  et  l'on  vit,  par 
suite,  chez  tous  les  mouleurs  de  Paris,   une 


Kr 


LA    BASILIQUE    APRES    LA    TERREUR  1^7 

certaine  Nantliilde,  femme  de  Dagobert,  à 
laquelle  on  avait  adapté  la  tête  d'un  jeune 
prince.  S'il  manquait  un  tombeau  à  la  collec- 
tion, on  en  composait  un  avec  des  fragments 
pris  à  des  retables,  à  des  autels,  puis  on 
posait  là-dessus  une  statue  inconnue,  que  l'on 
baptisait  suivant  le  besoin.  Cette  méthode 
avait  été  déjà  suivie  (il  faut  le  reconnaître) 
par  Alexandre  Lenoir  dans  son  musée.  C'est 
de  cette  façon  qu'il  composa  le  célèbre  tom- 
beau d'Héloïse  et  d'Abailard,  aujourd'hui 
transféré  au  cimetière  du  Père-Lachaise.  Ce 
tombeau,  qui  vit  verser  tant  de  larmes  et  pous- 
ser tant  de  soupirs,  est  fait  avec  des  morceaux 
d'une  arcature  de  l'église  de  Saint-Denis,  des 
bas-reliefs  provenant  des  monuments  de  Phi- 
lippe et  de  Louis,  frère  et  fils  de  saint  Louis, 
des  rosaces  appartenant  à  la  chapelle  démo- 
lie de  Saint-Germain-des-Prés,  et  de  deux  sta- 
tues, du  xiv^  siècle,  de  personnages  incon- 
nus V  » 

^  VioUet-le-Duc,  loc.  cit..  p.  708. 


i58      LES    TOMBEAUX   DES   ROTS    SOUS   LA   TERREUR 

Durant  trente  années,  les  malheureux 
monuments  rendus  à  Saint-Denis  restèrent 
entassés  dans  la  crypte.  En  1846  seulement, 
Viollet-le-Duc  commença  à  les  rétablir  dans 
l'église  à  leur  place  primitive,  avec  leurs  noms 
et  leur  décoration  véritables,  laissant  dans  la 
voûte  souterraine  les  statues  modernes  sculp- 
tées sous  l'Empire  et  la  Restauration,  sans 
intérêt  historique  ni  architectural. 

Au  mois  de  janvier  1817,  une  autre  céré- 
monie solennelle  avait  lieu  dans  la  cour  des 
Valois,  là  où  avaient  été  entassés,  dans  un 
horrible  pêle-mêle,  les  restes  des  rois  et  de 
leur  famille  pendant  les  journées  d'octobre. 
Rien  n'était  triste  et  désolé  comme  ce  coin  de 
terre  :  les  orties  avaient  envahi  le  seuil  de 
la  porte  où  passèrent  les  cercueils,  avant  de 
basculer  leur  contenu  dans  les  fosses.  C'était 
partout  un  inextricable  fouillis  de  brousailles, 
d'herbes  folles  et  d'arbustes  avec  la  verdure 
maladive  des  lieux  abandonnés. 

Depuis  plus  de  cent  ans,   le  décor  de  cette 


ÉTAT    ACTUEL    DE    L'ANCIEN     EMPLACEMENT    DES    FOSSES 

où  furent  entassés  les  restes  des  rois  de  France 

et  de  leur  famille,  au  mois  d'octobre  1793. 


LA  BASILIQUE  APRES  LA  TERREUR       i  St) 

scène  n*a  pas  changé  :  c'est  le  même  terrain 
inculte  et  désolé,  les  mêmes  arbres  rabou- 
gris, le  même  pignon  aigu  qui  projette  son 
ombre  sur  l'ancien  emplacement  des  fosses, 
les  mêmes  frises  brodées,  la  même  rosace 
épanouissant  les  magnificences  de  sa  corolle. 
Mais  nous  sentons  qu'il  faudrait  un  autre  talent 
que  le  nôtre,  pour  retracer  une  scène  qui  nous 
semble  la  plus  tragique   de  nos  révolutions. 

Le  18  janvier,  vers  onze  heures  du  matin, 
les  ouvriers  creusaient  une  première  tranchée 
devant  le  portail  du  croisillon  nord,  et  com- 
mençaient à  «  découvrir  un  amas  considérable 
d'ossements  mêlés  dans  les  terres.  ^  » 

Ce  dût  être  un  tableau  d'un  effet  drama- 
tique que  celui  de  ces  arrière-neveux  des 
fossoyeurs  à'Hamlet,  fouillant  cette  terre 
humide,  faite  de  la  poussière  de  douze  siècles 
de  rois,  soulevant  le  crâne  de  Dagobert,  un 
tibia  de  Louis  XIV  et  une  côte  de  Marie  de 
Médicis.   Et    à    la  vue   de    ces   ouvriers,    en 

i  Procès-verbal  du  i8  janvier  i^i-],  Arch.  nat.  AE^iS. 


ifio      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

manches  retroussées,  munis  d'une  pioche  et 
recherchant,  dans  un  espace  de  six  mètres 
carrés,  ce  qui  restait  de  la  famille  de  Glovis, 
de  saint  Louis  et  de  Henri  IV,  jetée  là,  il  y  a 
vingt-trois  ans,  comme  on  jette  la  boue  des 
cités,  l'esprit  des  assistants  dût  se  reporter, 
sans  doute,  vers  le  cérémonial  qui  avait  pré- 
sidé jadis  aux  inhumations  de  tous  ces  rois, 
avec  ces  chevaux  parés  de  plumes,  ces  roule- 
ments de  tambours,  le  bruit  des  cloches  et  du 
canon,  toute  cette  pompe  étalée  autour  de 
leurs  cercueils.  Gela  ne  dépasse-t-il  pas  VEru- 
elimini  de  Bossuet  ? 

On  vida  les  fosses  de  la  poussière  de  tant 
de  générations  royales  ;  «  malgré  les  précau- 
tions qu'on  fit  prendre  pour  relever  les  terres 
et  les  ossements,  on  ne  trouva  plus  rien  d'en- 
tier, si  ce  n'est  les  portions  inférieures  de 
trois  corps  gisant  dans  leur  position  naturelle 
en  état  complet  de  dessication,  comme  tous 
les  autres  ossements  »  \ 

^  Procès-verbal  du  i8  janvier  1817. 


z 


PQ 


\ 


LA    BASILIQUE    APRÈS    LA    TERREUR  i63 

On  renferma  ces  cendres  dans  deux  im- 
menses cercueils  de  bois,  tendus  de  noir, 
et  le  lendemain  seulement,  à  onze  heures  du 
soir,  eut  lieu  leur  transfert  dans  l'intérieur 
de  la  Basilique.  La  scène  eut  un  caractère  de 
grandeur  véritablement  saisissante.  La  nuit 
était  magnifique,  «  la  lune  éclairait  les  tours  ; 
les  flambeaux  que  portaient  les  assistants 
reflétaient  les  murs  de  Tédifice  '.  » 

A  la  lueur  des  torches,  le  clergé  entonna 
l'hymne  des  morts  devant  les  deux  catafalques, 
et  les  cercueils,  escortés  de  piquets  d'honneur, 
pénétrèrent  dans  la  Basilique  au  bruit  des 
cloches  répondant  au  Dies  irœ.  On  les 
déposa  dans  l'ancien  caveau  de  Turenne, 
derrière  deux  grandes  tables  de  marbre  noir, 
énumérant  les  noms  de  tous  ces  malheureux 
princes  que  la  fatalité  avait  poursuivis  jusque 
dans  le  lieu  du  repos  ^. 

C'est  là,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut, 

1  Manuscrit  d'Alexandre  Lenoir,  elle  par  d'Hcilly.  loc.  cit. 

2  Les  inscriptions  n'énumèrent  pas  le  nom  des  personnages 
dont  les  cendres  avaient  été  dispersées  au  moment  de  la  pre- 
mière destruction  des  tombeaux. 


l64       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

que  fut  déposé  le  cercueil  du  cardinal  de  Retz, 
au  pied  des  deux  tables  de  marbre,  où  il  ser- 
vit longtemps  d'escabeau  et  de  marchepied, 
profané  par  les  curieux  qui  voulaient  lire  les 
noms  des  victimes  des  violations  d'octobre, 
sans  se  douter  qu'ils  avaient  sous  leurs  pieds 
les  restes  non  seulement  d'un  privilégié  de  la 
fortune  et  de  la  naissance,  mais  du  terrible 
frondeur  qui  fut  le  plus  mortel  ennemi  de 
Mazarin*. 

Plus  de  cent  ans  après  la  violation  des 
sépultures,  quand  dans  une  pénombre  funèbre 
on  visite  ces  lieux  sinistres,  qu'on  parcourt 
ces  caveaux,  qu'on  croise  ces  piliers  romans, 
ces  chapiteaux  carlovingiens,  un  recueille- 
ment vous  saisit  qui  ressemble  à  de  la  stu- 
peur, et  on  frémit,  malgré  soi,  au  souvenir 
des  scènes  de  profanation  qu'ont  vues  toutes 
ces  vieilles  pierres. 

^  Le  cercueil  du  cardinal  de  Retz  a  été  relégué  dans  un 
caveau  dont  la  porte  d'entrée  se  trouve  à  droite  et  au  bas  de 
l'escalier  qui  conduit  à  la  crypte,  en  face  le  caveau  des  Bour- 
bons. 


LA    BASILIQUE    APRÈS    LA    TERREUR  l65 

Éventré  en  98  par  les  profanateurs ,  fermé 
sous  le  premier  Empire  par  une  porte  de 
bronze ,  muré ,  à  nouveau ,  au  retour  des 
Bourbons,  le  caveau  a  été  démuré  définiti- 
vement de  nos  jours,  et  une  petite  porte  de 
bronze  en  permet  raccès.  Le  public  toute- 
fois n'entre  pas  dans  le  caveau  central  ;  mais 
le  regard  y  pénètre  au  travers  d'une  lucarne 
grillée .  Deux  cercueils  posés  près  de  la 
lampe  funéraire  contiennent  les  restes  de 
Louis  XVI  et  de  Marie-Antoinette^;  à   côté 


^  A  côté  du  cercueil  de  Louis  XVI,  on  distingue  une  boîte 
en  chêne  contenant  des  ossements  royaux.  C'est  là  toute  une 
histoire  presque  invraisemblable.  En  1898 ,  un  employé  du 
Musée  du  Louvre  découvrait  dans  un  carton  poudreux  toute 
une  collection  d'ossements.  Ils  étaient  munis  d'une  étiquette; 
et  l'on  s'imagine  si  la  stupéfaction  fut  à  son  comble,  quand  on 
lut  successivement  sur  ces  étiquettes  :  Omoplate  de  Hugues 
Capet,  fémur  de  Charles  V,  tibia  de  Charles  YI,  vertèbre  de 
Charles  VII,  côte  de  Philippe  le  Bel,  etc. 

D'où  venait  cet  ossuaire,  ou  plutôt  ce  squelette  démonté, 
dont  chaque  roi  avait  fourni  son  échantillon? 

Le  3o  mars  iSgS,  le  Figaro  reproduisait  une  lettre  adressée 
à  M.  de  Nieuwerkerke,  alors  organisateur,  au  Louvre,  du 
Musée  des  Souverains,  datée  de  1864,  et  contenant  l'histoire 
de  «  ce  squelette  de  la  monarchie  française  »  : 

«  Monsieur  le  Surintendant, 

«  Lorsque  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  voir,  il  y  a  quinze  jours, 
vous  m'avez  invité  à  vous  faire  une  notice  historique  au  sujet  des 
ossements  royaux  qui  se  trouvent  en  ma  possession  ;  je  vais  être 


l66      LES   TOMBEAUX    DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

du   cercueil    de  la  reine   se  trouve   celui   de 

obligé  d'entrer  dans  quelques  détails,  mais  je  tâcherai  d'être  aussi 
bref  que  possible.  Vous  m'avez  dit  que  les  ossements  ne  vous 
étaient  pas  inconnus  et  que  vous  aviez  déjà  été  informé  de  leur 
existence,  Je  n'entreprendrai  pas  dès  lors  d'expliquer  comment 
M.  Ledru,  ancien  maire  de  Fontonay-aux-Roses  se  les  était  pro- 
curés. Il  me  suffira  de  vous  faire  connaître  que  M.  Ledru  avait 
été  l'ami  intime  du  chevalier  Lenoir,  le  fondateur  du  Musée  des 
curiosités,  dit  des  Petits-Augustins,  lequel,  créé  en  1793,  fut  formé 
sous  la  Restauration  ;  et  que  le  chevalit-r  Lenoir  avait  assisté, 
comme  inspecteur,  à  l'exhumation  des  cadavres,  lors  de  la  profa- 
nation des  tombes  royales  de  Saint-Denis  qui  eut  lieu  au  mois 
d'octobre  1793.  Ce  que  je  dois  surtout  vous  expliquer,  c'est  com- 
ment les  objets  ont  quitté  le  cabinet  de  curiosité  du  maire  de 
Fontenay  pour  devenir  ma  propriété.  M.  Ledru  est  mort  vers  i834 
ou  i835;  c'est  sa  veuve.  M'"»  Ledru,  née  Lemaire,  ma  tante,  qui 
me  les  a  donnés  en  1842  ou  1843.  J'avais  quinze  ou  seize  ans, 
j'apprenais  le  dessin...,  et  M">«  Ledru  me  remit  les  ossements  en 
me  disant  qu'ils  pourraient  mètre  utiles  pour  l'étude  de  l'Acadé- 
mie. Elle  ne  me  parla  aucunement  de  leur  origine,  mais  elle  me 
recommanda  de  les  conserver  soigneusement,  de  ne  pas  les  donner 
et  de  les  ensevelir  s'ils  n'étaient  pas  utiles. 

«  Ce  n'est  que  lorsque  ma  tante  mourut,  au  mois  d'octobre  1848, 
que  j'appris  l'importance  du  cadeau  qu'elle  m'avait  fait. 

«  Comme  j'assistais,  quelques  jours  après,  au  dépouillement  de 
ses  nombreux  papiers,  j'entendis  un  homme  d'affaires  lire  à  haute 
voix  une  liste  d'ossements  dont  la  réunion  paraissait  assez  étrange. 
Je  fus  frappé  du  rapport  qui  existait  entre  cette  liste  et  les  objets 
dont  j'étais  possesseur.  Je  réclamai  le  papier,  et  aussitôt  que  je 
fus  rentré  chez  moi,  je  fis  une  comparaison  à  la  suite  de  laquelle 
je  fus  convaincu  que  j'avais  entre  mes  mains  une  omoplate  de 
Hugues  Capei,  un  fémur  de  Charles  F,  un  tibia  de  Charles  \  /,  une 
vertèbre  de  Charles  VII,  une  cote  de  Philippe  le  Bel,  une  côte  de 
Louis  XII,  etc., 

«  Quelques  mois  plus  tard,  je  lisais  dans  un  roman  intitulé  : 
Les  mille  et  un  fantômes,  chapitre  iv,  un  passage  où  l'illustre 
conteur  parle  de  ces  ossements  qu'il  avait  eu  l'occasion  de  voir, 
en  i83i,  chez  M.  Ledru  lui-même... 

«  Ce  n'est  pas  sans  effort,  je  vous  en  fais  l'aveu,  que  je  m'en 
sépare...  » 

Lemaire 
Avenue  de  Neuilly ,  165. 

Lo  3  juillet  1893.  le  même  M.  Lemaire,  qui  avait  écrit  cette 


LA    BASILIQUE    APRÈS    LA    TERREUR  167 

Louis  XVIII,  avec  sa  housse  de  velours  violet 

lettre  à  M.  de  Nieuverkerke  et  qui  vivait  encore,  adressait  la 
lettre  suivante  au  Directeur  de  l'Intermédiaire  des  chercheurs 
et  curieux  : 

«  Xeuilly,  3  juillet  1893. 
«  Monsieur  le  Directeur. 

«  Dans  le  numéro  du  20  octobre  iSga,  de  l'Intermédiaire, 
M.  Edouard  Montagne  demandait,  ce  qu'étaient  devenus  les  osse- 
ments royaux  qui  avaient  appartenu  à  M.  Ledru,  oncle  de 
M.  Ledru-Rollin.  Je  ne  répondis  rien,  parce  que  je  me  demandais, 
moi-même,  alors,  ce  qu'ils  étaient  devenus. 

«  Le  3o  mai  dernier,  j'apprenais  encore  par  les  Nouvelles  de 
l  Intermédiaire  qu'on  les  avait  trouvés  dans  le»  greniers  du  musée 
du  Louvre,  et,  le  môme  jour,  le  Figaro  reproduisait  une  lettre  de 
moi  à  M.  de  Nieuwerkerke,  datée  de  18G4,  et  contenant  l'histoire 
de  ces  ossements. 

«  Tout  le  monde  connaissant  maintenant  cette  lettre  et  cette 
histoire  dont  tous  les  journaux  ont  parlé,  je  crois  inutile  de  don- 
ner de  nouvelles  explications.  Cette  lettre  de  18G4  avait,  d'ailleurs 
été  déjà  reproduite  en  i883  dans  Y  Artiste  par  M.  de  Chennevières, 
dans  un  article  intitulé  :  Souvenir  d'un  ancien  Directeur  des 
beaux-arts. 

«  Aujourd'hui,  on  paraît  généralement  convaincu  de  leur  authen- 
cité.  Dans  les  lignes  qu'il  ajoutait  à  ma  lettre  dans  l'Artiste, 
M.  de  Chennevières  disait  que  la  liste  qui  les  accompagne,  sur 
papier  à  entête  de  la  neuvième  mairie  de  Paris,  lui  semblait  indu- 
bitablement de  Vécriturejbien  connue  cV Alexandre  Lenoir,  et  il  ajou- 
tait cette  réflexion  :  Quels  applaudissements  de  la  conscience  pu- 
blique n'accueilleraient  pas,  aujourd'hui,  le  ministre  qui  rendrait 
à  l'abbaye  de  Saint-Denis  les  ossements  de  nos  rois. 

«  Quelques  journaux  ont  cependant  émis  des  doutes  et  ont 
demandé  qu'ils  fussent  simjilement  rendus  à  la  terre  à  laquelle 
ils  appartiennent. 

«  Pour  moi,  ma  conviction  n'a  pas  changé  sur  l'origine  de  cette 
collection,  qui  était  connue  de  M.  Dulort,  comme  l'a  dit  Fournier, 
d'Alexandre  Dumas  père  [Les  Mille  et  un  fantômes,  tome  I"),  de 
Ledru-Rollin  et  de  M.  de  Nieuwerkerke  lui-même,  et  c'est  avec  le 
plus  grand  étonnement  que  j'ai  appris  qu'elle  n'avait  pas  été  res- 
tituée à  la  Basilique  de  Saint-Denis,  comme  M.  le  Surintendant 
des  beaux-arts,  sous  le  second  Empire,  me  l'avait  promis  en  der- 
nier lieu. 

«  En  résumé,   si,   comme   le    Temps  vient    de     l'annoncer    tout 


l68      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

dont   l'or    des  eralons  brille    encore    sous   la 


récemment,  en  donnant  mon  nom  et  mon  ancienne  qualité  au 
ministère  de  l'intérieur,  le  chapitre  de  Saint-Denis  est  invité  à 
reprendre  ces  ossements  et  qu'il  y  consente,  c'est  bien,  l'affaire 
est  terminée. 

«  Mais  si  cette  restitution  présente  des  difficultés,  il  restera 
encore  la  question  de  savoir  dans  quelle  tei-re,  dans  quel  cime- 
tière on  mettrait  ces  débris  humains. 

«  Dans  ce  cas,  comme  j'ai  eu  l'honneur  de  le  dire,  le  26  mai 
dernier,  à  M.  le  Directeur  des  musées  nationaux,  je  croirais  lui 
rendre  service  en  exprimant  le  désir  qu'on  me  les  rendît. 

«  Je  solliciterais  de  M.  le  Préfet  de  la  Seine  l'autorisation  de 
les  déposer  dans  mon  caveau  de  famille,  où  j'irais  les  rejoindre 
tôt  ou  tard. 

«  Après  avoir  eu  ces  ossements  comme  modèles  pour  mes  pre- 
mières études  de  la  charpente  humaine,  quand  j'avais  quinze  ans; 
après  les  avoir  conservés  vingt  ans  comme  un  pieux  souvenir  de 
famille,  je  me  sentirais  encore  honoi'é  de  les  avoir  auprès  de  moi 
dans  ma  dernière  demeure. 
«  Agréez,  etc. 

Léon  Lemaire, 
Ancien  Commissaire  Inspecteur  de  l'Im- 
primerie et  de  la  Librairie. 

Un  an  après,  satisfaction  était  enfin  donnée  à  M.  Lemaire 
qui  pouvait  lire  le  10  juillet  1894,  dans  l'Intermédiaire  des 
chercheurs  :  «  La  direction  des  musées  nationaux,  déférant  au 
vœu  exprimé  par  M.  Lemaire,  dans  l'Intermédiaire,  décida, 
au  mois  d'août  tSgS,  que  ces  ossements  seraient  déposés 
dans  la  Basilique  de  Saint-Denis.  Mais  le  transfert  définitif 
ne  put  s  en  effectuer,  par  suite  de  formalités  administratives, 
que  le  ii'^  mai  dernier,  où  M.  ïrawinski,  secrétaire  des 
musées  nationaux,  remit  à  M.  Darcy,  architecte  de  la  Basi- 
lique, les  ossements  royaux  provenant  d  Albert  Lenoir  et 
donnés  par  M.    Lemaire.  » 

La^^^boîte  en  chêne,  longue  de  60  centimètres  sur  40  de 
large, 'placée  à  côté  du  cercueil  de  Louis  XVI,  porte  l'inscrip- 
tioujsuivante  gravée  sur  une  plaque  de  cuivre  : 

Ossements  déposés  dans  la  Basilique  de  Saint-Denis,  aux 
termes  d'une  décision  de  M.  le  Ministre  de  l instruction  pu- 
blique, des  beaux-arts  et  des  cultes,  en  date  du  1  août  1898 


L'ARMOIRE     DES    CŒURS 


"te      ^°^    °^    ^    («^   •**•    Lo^-^-XVlla-»^  it   <l<:f«^  i">~    U   R>^otJai!c   <U    IÏ30. 


INTERIEUR     DE    L'ARMOIRE    DES    CŒURS 
Dessins  d  après  nature  de  M.  J.  Beuzon. 


LA    BASILIQUE    APRÈS    LA    TERREUR  169 

poussières  ceux  du  prince  de  Gondé  et  de 
son  fils,  trouvé  pendu  à  une  fenêtre  de  son 
palais;  en  face  gisent  les  cercueils  de  deux 
filles  de  France,  mortes  en  exil,  Mesdames 
Victoire  et  Adélaïde,  du  duc  de  Berry,  tombé 
sous  le  poignard  de  Louvel,  et  de  deux  de  ses 
enfants,  de  Louis  VII,  de  Louise  de  Lorraine, 
femme  de  Henri  III,  et  de  deux  princes  de  la 
branche  de  Gondé,  échappés  aux  profanations 
d'octobre. 

Au  milieu  de  l'hémicycle  qui  termine  le 
caveau  royal  du  côté  de  l'orient,  une  armoire 
en  pierres,  reposant  sur  deux  colonnettesà  cha- 
piteaux du  XIII*  siècle,  contient  quelques  par- 
celles des  corps  de  Marie  de  Médicis,  Henri  IV 
et  Louis  XIV,  et  les  cœurs  de  Louis  XIII,  d'un 
enfant  du  duc  de  Berry  et  de  Louis  XVI ir\ 

rendue  sur  le  rapport  du  Directeur  des  musées  nationaux  et 
de  l'école  du  Louvre. 

Dans  son  Cabinet  secret  de  l'Histoire,  notre  érudit  con- 
frère, le  D""  Cabanes,  a  consacré  aux  migrations  de  ces  osse- 
ments et  d'autres  reliques  royales,  tout  un  chapitre  qui  ne 
peut  manquer  d'intéresser,  à  la  fois,  les  historiens  et  les 
curieux. 

1  Lenôtre,  loc.  cit. 

-  Le  cœur  de  Louis  XIII  proviendrait  de  l'ancienne  église 


ï'jo      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

Et  voilà  ce  qu'il  reste  dans  «  ces  sombres 

de  la  maison  professe  des  Jésuites  ;  mais  nous  tenons  à  dire 
que,  malgré  des  recherches  minutieuses,  nous  n'avons  trouvé, 
au  sujet  de  cet  auguste  viscère,  aucun  document  établissant 
d'une  façon  indiscutable  son  authenticité. 

Pour  ce  qui  a  trait  aux  restes  de  Marie  de  Médicis,  Henri  IV 
et  Louis  XIV,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  reproduire 
le  procès-verbal  do  leur  dépôt,  sans  on  tirer  aucune  déduc- 
tion ; 

«  Ce  aujourd'hui,  22  octobre  1824,  en  vertu  de  l'autorisation 
et  des  ordres  donnés  par  le-  roi  Louis  XVIII  à  son  grand 
aumônier,  au  mois  de  juillet  dernier,  pour  procéder  au  dépôt 
dans  les  tombeaux  de  S'-Denis  de  quelques  parcelles  des 
corps  de  la  Reine  de  France  Marie  de  Médicis,  de  Henri  IV 
et  de  Louis  XIV ;  vu  le  mémoire  de  M.  Manteau,  actuellement 
bibliothécaire  de  la  ville  de  Laon,  lequel  a  eu  le  bonheur  et 
le  courage  de  sauver  ces  précieux  restes  de  la  profanation 
des  tombeaux  de  S'-Denis  en  1793  ;  vu  les  deux  attesta- 
tions jointes  au  mémoire  du  sieur  Manteau  et  données  succes- 
sivement par  M.  le  marquis  de  Nicolaï,  ancien  préfet  du  dépar- 
tement de  l'Aisne,  l'autre  par  M.  le  comte  de  Floirac,  préfet 
actuel  dudit  département,  qui  constatent  la  véracité  du  sieur 
Manteau  et  l'authenticité  de  ces  illustres  parcelles  ;  vue  la 
lettre  du  Ministre  de  la  maison  du  roi  en  date  du  28  juillet 
dernier  et  celle  de  M.  le  baron  de  la  Porté,  directeur  des  fêtes 
et  des  cérémonies  du  29  du  même  mois,  pour  régler,  de  concert 
avec  le  grand  aumônier  de  France,  la  manière  de  procéder  au 
dépôt  des  dites  parcelles  ;  avons  prince  de  Croy,  grand 
aumônier  de  France,  en  présence  de  M.  l'abbé  de  Grand- 
champ,  doyen  du  chapitre  royal  de  S'-Denis  et  de  M.  l'abbé 
de  Cugnac,  dignitaire  dudit  chapitre  et  gardien  des  tombeaux, 
nommés  par  nous  commissaires  à  cet  effet,  et  en  présence  de 
M.  Cahier  orfèvre  du  roi  et  chargé  de  clore  les  boîtes  qui  ren- 
ferment les  dites  parcelles,  les  avons  déposées  chacune  dans 
celle  des  boîtes  à  ce  destinée  et  portant  l'inscription  con- 
forme aux  précieux  restes  qu'elles  contiennent,  lesquelles 
boîtes  ont  été  closes  et  vissées  en  notre  présence  par  ledit 
sieur  Cahier,  pour  être  de  Paris  transportées  aux  tombeaux 
de  S'-Denis,  les  jour  et  heure  qui  auront  été  désignés;  en  foi 


LA     BASILIQUE    APRÈS    LA    TERREUR  171 

lieux,  dans  ces  demeures  souterraines  «  dont 

de  quoi  nous  avons  signé,  avec  les  témoins  ci-dessus,  ce  procès 
verbal  qui  ne  sera  clos  que  le  jour  du  dépôt  fait  dans  les  tom- 
beaux de  S^-Denis. 

-|-  G.  prince  de  Crov 

g^  A'"  de  France. 
Le  Bon  de  L\  Fertk 

L'abbé  de  Graxdchamp 

Doyen  de  S^-Denis. 

L'abbé  de  Cvgnac 
Ch"»  g^'""  des  tombeaux. 

Conformément  aux  dispositions  précédentes,  le  jour  etl'heure 
de  la  déposition  des  trois  susdites  boîtes  ayant  été  fixés  au 
jour  même  de  l'inhumation  du  corps  de  S.  M.  Louis  XVIII, 
en  présence  de  M.  le  marquis  de  Brézé,  grand-maître  des 
cérémonies,  ce  jourd'hui  i5  octobre  1824,  en  présence  de 
MM.  les  Commissaires  ci-dessus  désignés  et  de  M.  le  baron 
de  La  Ferté,  directeur  des  fêtes  et  cérémonies  de  la  Cour,  nous, 
grand  aumônier  de  France,  avons  assisté  à  la  déposition  dans 
les  tombeaux  de  S*-Denis  des  trois  boîtes  contenant  des  par- 
celles des  corps  de  Marie  de  Médicis,  de  Henri  IV  et  de 
Louis  XIV,  en  foi  de  quoi  nous  avons  signé  et  clos  ledit  procès- 
verbal,  et  arrêté  qu'une  copie  signée  de  nous  en  sera  envoyée 
au  sieur  Manteau,  comme  un  témoignage  authentique  de  son 
courageux  respect  pour  les  cendres  de  nos  rois  et  de  l'accom- 
plissement de  ses  pieuses  intentions;  et  ont  signé  avec  nous 
MM.  les  témoins  ci-dessus  nommés. 
A  St-Denis,  le  25  octobre  1824 

-(-  G.  prince  de  Croy 

gà  _4ioi-  (ig  France. 
L'abbé  de  Grandchamp 
Doyen  de  S^-Denis. 

Le  baron  de  La  Ferté 

L'abbé  de  Gugnac         < 
Ch^o  giien  dgg  to77ibeaux. 

Il  nous  reste  à  transcrire,  au  sujetdu  cœur  de  Louis  XVII, 
une  intéressante  communication  de  M.  Maurice  Pascal,  qui  a 
bien  voulu  nous   autoriser  à    reproduire  le    dessin,    pris  sur 


17'^       LES   TOMBEAUX    DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

parle  Bossuet,  où  l'on  pouvait  à  peine  ranger 
les  rois  et  les  princes  anéantis,  «  tant  les 
rangs  y  sont  pressés,  tant  la  mort  est  prompte 
à  remplir  ces  places.  » 

Une  petite  lampe,  allumée  du  dehors,  pro- 
jette une  lumière  douteuse  dans  cette  lugubre 
enceinte  qui  n'évoque  plus  aujourd'hui  que 
des  souvenirs  d'exil,  de  meurtre,  de  suicide 
et  d'échal'aud. 

nature,  de  l'armoire  des  cœurs,  lors  d'une  visite  qu'il  fît  à  la 
sépulture  royale  le  24  mars  1896  :  «  Le  dernier  socle  de 
l'ai-moire  des  Cœurs  devait  soutenir  le  cœur  de  Louis  XVII, 
que  le  roi  Charles  X  avait  accepté  et  fait  déposer  à  l'arche- 
vêché de  Paris  entre  les  mains  deMonseigneurde  Quel  en.  De 
l'archevêché  le  cœur  de  Louis  XVII  devait  être  déposé,  et  au 
préalable  porté  en  grande  pompe  à  Saint-Denis,  auprès  des 
autres  cœurs  de  sa  Race.  Mais  la  Révolution  de  i83o  survint 
avant  que  parussent  les  décrets  octroyant  les  honneurs  qu'on 
devait  lui  rendre,  et  c'estpourquoilesocle  resta  vide.  Depuis, 
ce  cœur  de  Louis  XVII  fut  porté  par  M.  Maurice  Pascal  à 
l'aîné  des  Bourbons,  Mk""  le  duc  de  Madrid,  qui  le  lit  déposer 
dans  la  chapelle  royale  de  Froshdorff  où  il  est  actuellement 
avec  plusieurs  souvenirs  de  la  Famille  Royale,  entre  autres 
le  fichu  ensanglanté  que  portait  sur  l'échafaud  Marie-Antoi- 
nette ». 


APPENDICE 


APPENDICE 


La  remarquable  conservation  du  corps  de 
Henri  IV,  et,  quoiqu'à  un  degré  moindre,  celle 
des  corps  de  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  nous 
ont  engagé  à  résumer,  sous  ce  titre,  les 
causes  d'une  pareille  résistance  à  la  destruc- 
tion, qui  ont  pu  piquer  la  curiosité  de  certains 
lecteurs. 

Il  faut  reconnaître,  d'abord,  que  les  circons- 
tances, qui  influent  sur  la  marche  de  la  décom- 
position cadavérique,  sont  loin  d'être  toutes 
élucidées,  et  que  l'on  observe  parfois,  à  cet 
égard,  des  différences  considérables  sur  des 
corps  placés  dans  des  conditions  en  apparence 
absolument  analogues.  «  Un  exemple  frappant 
de  ces  différences  est  rappelé  par  Briand  et 


i'j6      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOUS   LA   TERREUR 

Chaude.  Les  corps  d'individus  qui  avaient  été 
tués  pendant  l'insurrection  de  i83o,  à  Paris, 
furent  inhumés  côte  à  côte  dans  le  même 
terrain  et  exhumés  dix  ans  après  ;  on  observa 
alors  sur  ces  divers  individus  tous  les  degrés 
de  décomposition,  depuis  la  dessiccation 
complète  des  ossements  jusqu'à  une  conser- 
vation si  parfaite  des  parties  musculaires,  que 
les  traits  étaient  reconnaissables^  ». 

On  sait,  en  tout  cas,  que  l'accès  de  l'air,  ou 
du  moins  de  l'oxygène,  est  une  des  conditions 
qui  favorisent  le  plus  les  progrès  de  la  putré- 
faction ;  qu'elle  se  fait  plus  rapidement 
avec  l'élévation  et  l'humidité  de  la  tempéra- 
ture ;  que  l'électricité  atmosphérique  hâte  sa 
marche  ;  que  le  froid,  au  contraire,  la  retarde, 
et  que  la  congélation  l'arrête. 

Mais,  quelle  est,  en  son  essence,  la  cause 
de  la  désorganisation  des  tissus,  en  vertu  de 
quels  phénomènes  intimes  s'accomplit-elle, 
et  quelles  sont   les  diverses  phases  de  cette 

^  Vibcrt.  Médecine  légale,  1893. 


APPENDICE  177 

destruction  ?  Les  travaux  d'Armand  Gauthier 
sur  les  ptomaïnes  et  les  leucomaïnes,  et  ceux 
de  Duclaux  sur  la  décompobition  des  matières 
organiques  nous  permettent  aujourd'hui  de 
répondre  scientifiquement  à  cette  question 
jusqu'ici  si  obscure  et  de  comprendre  égale- 
ment les  phénomènes  qui  peuvent  arrêter  la 
marche  dutravail  de  décomposition.  D'ailleurs, 
dussions-nous  n'esquisser  qu'une  explication 
incomplète,  le  lecteur  n'aura  rien  à  regretter, 
puisque,  à  notre  connaissance,  cette  étude 
n'a  jamais  été  tentée,  au  point  de  vue  qui  nous 
occupe. 

Dans  le  cas  ordinaire  d'un  cadavre  enseveli 
dans  un  cercueil  plus  ou  moins  perméable  à 
Vair,  mais  assez  hermétiquement  clos  pour 
empêcher  la  destruction,  concomitante  avec 
celle  des  microbes,  de  cette  autre  faune  des 
tombeaux  qui  comprend  les  insectes  diptères, 
coléoptères,  lépidoptères,  etc.,  le  travail  de 
destruction  des  tissus  s'accomplit  en  vertu  des 
phénomènes  suivants  : 


178      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

i"  Des  microbes  qu'on  appelle  anaérobies, 
c'est-à-dire  vivant  sans  air,  se  livrent  à  une 
première  transformation  des  matières  albumi- 
noïdes,  base  de  nos  éléments  organiques,  en 
ammoniaque.  Phénomène  curieux,  ces  mi- 
crobes anaérobies  sécrètent,  en  même  temps, 
une  toxine  qui  suspend  rapidement  leur  vita- 
lité, et  arrête  ainsi  le  premier  travail  de  des- 
truction qui  modifie  à  peine  l'aspect  extérieur 
des  tissus. 

2"  A  ce  travail  microbien  succède  rapide- 
ment un  nouveau  phénomène,  produit  par 
certains  microbes  aérobies  (auxquels  l'oxygène 
de  l'air  est  nécessaire) ,  qu'on  appelle  microbes 
de  Vinogradski,  qui  transforment,  à  leur  tour, 
en  azotes  nitreux  les  matières  albuminoïdes 
déjà  transformées  par  les  microbes  de  la  pre- 
mière phase. 

S**  Un  dernier  phénomène  se  produit  enfin, 
dû  à  une  série  de  microbes  encore  aérobies .^ 
dit  nitrifiants^  qui  achèvent  la  décomposition 
de  la  matière  albuminoïde,  en  transformant 
les  azotes  nitreux  en  azotes  nitriques. 


APPENDICE  179 

Tous  phénomènes  accompagnés  de  dégage- 
ment de  gaz  acide  carbonique,  hydrogène 
sulfuré,  hydrogène  carboné,  etc.,  et  de  for- 
mation d'acide  acétique,  d'eau,  d'alcaloïdes 
ou  ptomaïnes,  et  de  sels  qui  constituent  un 
résidu  terreux. 

La  décomposition  de  nos  organes  s'accom- 
plit donc  en  vertu  d'un  travail  de  transforma- 
tion dû  à  des  équipes  successives  de  microbes, 
qui  peut  varier  et  se  modifier,  d'ailleurs,  sui- 
vant certaines  circonstances  atmosphériques 
plus  ou  moins  favorables  à  la  vie  microbienne, 
l'état  du  cadavre,  le  genre  de  mort  (les  sujets 
qui  ont  succombé  à  des  affections  septiques, 
comme  Louis  XV,  se  putréfient  très  rapide- 
ment), l'humidité  du  milieu  et  le  degré  d'hy- 
dratation des  organes. 

Dans  le  cas  de  Henri  IV  qui  nous  occupe 
particulièrement,  il  s'agit  :  1°  d'un  corps 
soustrait  à  l'influence  atmosphérique  par  les 
soudures    hermétiques   d'une   enveloppe    de 


l8o       LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

plomb  ;  2°  du  cadavre  d'un  roi  tué  en  pleine 
santé,  sans  altération  préalable  des  tissus, 
comme  celle  qui  résulte  d'une  affection  sep- 
tique  ;  3°  d'un  accident  dû  à  une  hémorragie 
foudroyante  qui  a  déshydraté  les  organes,  ce 
qui  a  une  importance  capitale,  étant  connue 
l'influence  de  l'humidité  sur  la  vitalité  micro- 
bienne. 

Ces  conditions  étant  établies,  aussitôt 
après  le  décès  du  roi,  le  premier  travail  des 
microbes  anaérobies  a  pu  s'accomplir,  travail, 
nous  l'avons  dit,  de  courte  durée,  qui  modi- 
fie les  tissus  d'une  façon  inappréciable  à  la 
vue.  Par  suite  de  la  faible  quantité  d'air  que 
contenait  le  cercueil,  les  microbes  aérobies  de 
la  deuxième  phase  n'ont  pu  accomplir  qu'une 
transformation  de  très  courte  durée  égale- 
ment, l'oxygène  de  l'air  leur  faisant  défaut. 

Et  le  travail  de  destruction  s'est  arrêté  de 
bonne  heure,  dans  des  conditions  d'ailleurs 
défavorables  à  la  vie  microbienne,  puisqu'il 
s'agissait  d'un  cadavre  exsangue,  plus  ou 
moins  deshydraté. 


'^ 


«^ 


APPENDICE 


La  fermeture  hermétique  de  Fenveloppe  de 
plomb,  qui  est  la  condition  première  de  toute 
conservation,  n'est  pas  toujours  facile  à  réa- 
liser :  le  défaut  d'occlusion  absolue  peut  tenir 
à  l'imperfection  du  travail  qui  a  laissé  une 
fissure  minime,  à  celle  qu'a  occasionnée 
l'oxydation  d'un  point  faible  de  la  soudure,  ce 
qui  explique  pourquoi,  sur  cinquante-quatre 
cercueils  de  Bourbons  embaumés,  cinquante 
ne  présentaient  guère  qu'une  masse  informe 
à  la  dévastation  de  1793. 

Et  ceci  nous  amène  à  dire  un  mot  des 
embaumements  des  rois  que  quelques  années 
réduisaient  à  des  ossements  désunis  au  milieu 
d'une  «  putréfaction  liquide.  » 

Nous  ne  pouvons  choisir  un  plus  beau 
modèle  d'embaumement  que  celui  qui  fut 
fait  pour  M""  la  Dauphine  par  M.  Riqueur, 
apothicaire  du  roi. 

«  Cet  embaumement  s'est  exécuté  avec  tout 
le  désintéressement,  l'habileté  et  la  prudence 
qu'on  a  pu  désirer,  en  présence  de  M.  d'Aquin, 
alors  premier  médecin  du  roi  ;  de  M.  Fagon, 


i82      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

premier  médecin  de  la  feue  reine,  et  qui  l'est 
présentement  du  roi  ;  de  M.  Petit,  premier 
médecin  de  monseigneur  le  dauphin  ;  de 
M.  Moreau,  premier  médecin  de  feue  M""^  la 
dauphine  ;  de  M.  Félix,  premier  chirurgien 
du  roi  ;  de  M.  Clément,  maître  chirurgien  de 
Paris  et  accoucheur  de  la  dite  princesse. 
M.  Dionis,  son  premier  chirurgien,  opérait, 
étant  aidé  de  M.  Baillet,  chirurgien  ordinaire, 
et  d'un  autre  chirurgien  du  commun  :  M"''  la 
duchesse  d'Arpajon,  sa  dame  d'honneur, 
M™"  la  maréchale  de  Rochefort,  dame  d'atour, 
et  plusieurs  femmes  présentes. 

Description   du  baume   qui   a  été  fait 
pour  M^^  la  dauphine. 

%  Racines  d'iris  de  Florence,  3  livres. 
Souchet,  I  livre  2  • 
Angélique  de  Bohême,  gingembre,  calamus  aroma- 

ticus,  aristoloche,  aa  i  livre. 
Impératoire,  gentiane,  valériane,  ââ  5  livre. 
Feuilles  de  mélisse,  basilic,  ââ  i  livrer^. 
Sauge,  sariette,thym,  ââ  i  livre. 
Ilyssope,  laurier,  myrrhe,  marjolaine,  origan,  rhue, 
ââ  "2  livre. 


APPENDICE  l83 

Auronne,  absinthe,  menthe,  calament,  serpolet,  jonc 

odorant,  scordium,  ââ  4  onces. 
Fleurs  d'oranger,  i  livre  g  • 
Lavande,  4  onces. 
Romarin,  i  livre. 

Semences  de  coriandre,  'i  livres  5 . 
Cardamome,  i  livre. 
Cumin,  caris,  ââ  4  onces. 
Fruits  et  baies  de  genièvre,  i  livre. 
Gérofle,  i  livre  :, . 
Muscade,  i  livre. 
Poivre  blanc,  4  onces. 
Oranges  séchées  '^  livres. 
Bois  de  cèdre,  3  livres. 
Santal  citrin,  roses,  ââ  1  livres. 
Ecorces  de  citron,  d'orange,  de  cannelle,  ââ^  livre. 
Styrax,  calamité,  benjoin,  oliban,  ââ  i  livre  ■^. 
Myrrhe,  'j.  livres  ^  . 
Sandarac,  ^  livre. 
Aloès,  4  livres. 

Esprit-de-vin,  4  pintes  ;  —  de  sel,  4  onces. 
Térébenthine  de  Venise,  3  livres. 
Styrax  liquide,  2  livres. 
Baume  de  copahu,  j livre. 
Baume  du  Pérou,  2  onces. 
Toile  cirée. 

Le  cœur,  après  avoir  été  vidé,  lavé  avec  de 
l'esprit-de-vin  et  desséché,  fut  mis  dans  un 
vaisseau  de  verre  avec  cette  liqueur  ;  et  ce 
même  viscère,  ayant  été  ensuite  rempli  d'un 


l84      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS    SOLS   LA   TERREUR 

baume  fait  de  cannelle,  de  gérofle,  de  myrrhe, 
de  styrax  et  de  benjoin,  fut  enfermé  dans  un 
sac  de  toile  cirée  de  sa  figure,  lequel  fut  mis 
dans  un  cœur  ou  boîte  de  plomb,  qu'on  souda 
aussitôt  pour  être  donné  à  M™^  la  duchesse 
d'Arpajon,  qui  le  mit  entre  les  mains  de 
M^''"  Févèque  de  Meaux,  premier  aumônier  de 
feue  M"""  la  Dauphine,  qui  le  porta  après  au 
Val-de-Grâce.  L'ouverture  du  corps  fut  faite 
le  plus  exactement  qui  se  puisse  par  M.  Dio- 
nis,  son  premier  chirurgien.  M.  Riqueur  rem- 
plit toutes  les  capacités  d'étoupes  et  de 
baume  en  poudre.  Les  incisions  furent  faites 
le  long  des  bras  jusque  dans  les  mains,  les- 
quelles furent  munies  de  cette  poudre  aroma- 
tique, après  qu'on  eut  exprimé  tout  le  sang 
et  qu'on  les  eut  lavées  avec  de  l'esprit-de- 
vin  ;  on  en  fît  autant  aux  cuisses,  qui  furent 
incisées  de  part  et  d'autre  depuis  les  reins 
jusque  sous  les  pieds,  et  le  tout  fut  propre- 
ment recousu.  —  On  se  servit  d'une  grosse 
brosse  pour  frotter  le  corps  d'un  baume 
liquide  et  chaud,   fait   avec  de     la    térében- 


APPENDICE  l85 

thine,  du  styrax  et  des  baumes  de  copaliu  et 
du  Pérou,  comme  il  est  dosé  ci-devant.  Cha- 
que partie  fut  enveloppée  avec  des  bande- 
lettes trempées  dans  Tesprit-de-vin  ;  l'on  mit 
autant  que  l'on  put  de  ladite  poudre  aroma- 
tique entre  le  corps  et  les  bandelettes.  Le 
corps  fut  revêtu  d'une  chemise  et  d'une  tuni- 
que religieuse  et  environné  d'autres  marques 
de  dévotion  particulière,  comme  d'une  petite 
chaînette  de  fer,  au  bout  de  laquelle  il  y 
avait  une  croix,  que  cette  princesse  gardait 
dans  un  coffre  qu'elle  avait  fait  apporter  avec 
elle  de  Bavière.  On  l'enveloppa  ensuite  dans 
une  toile  cirée  et  on  le  lia  fort  étroitement 
pour  être  posé  dans  un  cercueil  de  plomb, 
au  fond  et  autour  duquel  il  y  avait  quatre 
doigts  dudit  baume  en  poudre.  Ce  cercueil, 
étant  bien  soudé,  fut  enchâssé  en  un  autre 
de  bois,  tous  les  espaces  vides  ayant  été 
remplis  d'herbes  aromatiques  séchées.  Les 
entrailles,  bien  préparées,  furent  mises  dans 
un  baril  de  plomb  avec  une  grande  quan- 
tité des  mêmes  poudres  aromatiques  ;  on    le 


l86      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

souda  bien  et  on  l'enferma  dans  un  baril  de 
bois.  ^  » 

On  se  demande  comment  d'aussi  horribles 
mutilations  n'ont  pas  détourné  les  familles 
royales  de  la  pieuse  pensée  de  recourir  à 
l'embaumement  de  ceux  qui  leur  étaient 
chers,  comment  un  art  ainsi  compris  a  pu 
rester  en  honneur  près  des  grands  jusqu'à 
Louis  XVlll.  Un  sujet  ainsi  tailladé,  morcelé 
et  farci  «  ressemble  plus  à  des  viandes  prépa- 
rées, dit  Ganal,  qu'à  un  embaumement  »  ;  et, 
certes,  une  pareille  mutilation  ne  pouvait 
être  utile  qu'à  accélérer  la  décomposition. 

On  était  loin  de  la  pratique  des  embaume- 
ments modernes,  dont  l'honneur  de  la  décou- 
verte revient  à  Ganal,  vers  i83o,  procédés  qui 
permettent,  sans  mutilation,  sans  soustrac- 
tion d'organes,  de  conserver  indéfiniment  un 
cadavre,  sans  aucune  altération. 

C'est  sur  l'antisepsie,  c'est-à-dire  sur  la 
puissance  de  certains  liquides  de  suspendre 

*  Voir  Ganal,  Histoire  des  Embaumements,  i838. 


APPENDICE  187 

OU  de  détruire  la  vitalité  des  micro-organis- 
mes qui  sont,  avec  la  cessation  de  la  vie,  les 
agents  destructeurs  de  nos  organes,  que 
repose  l'embaumement  moderne. 

Aujourd'hui,  avec  une  incision  de  quelques 
centimètres  au  col,  sans  que  le  corps  soit 
dépouillé  de  ses  vêtements,  il  suffit  d'injecter 
dans  la  carotide  une  solution  de  chlorure  de 
zinc^  ou  encore  mieux  une  solution  de  formol, 
pour  obtenir  la  conservation  d'un  corps,  qui 
peut  rester  exposé  à  l'air,  pendant  des  mois, 
sans  éprouver  aucune  altération.  Si  l'exposi- 
tion à  l'air  était  prolongée  plus  longtemps,  le 
corps  embaumé  se  dessécherait  complète- 
ment, dans  un  temps  plus  ou  moins  long, 
suivant  l'état  hygrométrique  de  l'atmosphère 
et  l'élévation  de  la  température  qui  président 
aux  phénomènes  d'évaporation^ 

^  Elle  doit  être  concentrée  jusqu'au  degré  où  le  maniement 
donne  aux  doigts  la  sensation  d'un  picotement. 

^  Les  momies  des  Egyptiens  devaient  leur  conservation  à  l'in- 
fluence seule  des  circonstances  atmosphériques.  La  preuve 
en  est  que,  sans  être  préparées  et  seulement  couvertes  d'une 
couche  de  sable,  des  corps  promptement  desséchés  par  une 
atmosphère  chaude  et  aride  se  sont  conservés  inaltérés  pen- 


i88      LES   TOMBEAUX   DES   ROIS   SOUS   LA   TERREUR 

Mis  à  l'abri  de  Tair  dans  un  cercueil  hermé- 
tiquement clos,  les  corps  embaumés  se  con- 
servent indéfiniment  ;  et  si  Ton  veut  rendre 
aux  tissus  à  peu  près  leur  couleur  naturelle, 
il  suffit  de  pousser,  avant  le  liquide  conser- 
vateur, un  demi-litre  de  glycérine  tenant  en 
dissolution  une  matière  colorante  rouge.  Les 
sujets  ainsi  traités  présentent  un  simulacre 
de  vie  ou  plutôt  Tapparence  du  sommeil 
dans  le  repos  sans  fin. 


Avant  d'achever  cette  étude  où  le  lecteur 
pourra  nous  reprocher  d'avoir  tiré  un  médio- 
cre parti  d'un  sujet  aussi  plein  de  situations 
dramatiques,  nous  tenons  à  ajouter  qu'on 
chercherait  en  vain  dans  ces  quelques  pages 
une  intention    politique,  et  que  jamais  nous 

dant  des  siècles.  C'est  ce  qu'on  nomme  les  momies  des  sables. 
On  comprend  alors  que  les  cadavres  égyptiens,  préparés  par 
n'importe  quel  procédé,  aient  résisté  à  l'action  destructive  du 
temps,  lorsqu'ils  étaient  placés  dans  des  caveaux  où  la  tem- 
pérature constante  était  de  20°  et  où  l'hygromètre  restait  fixe 
à  0°.  (Voir.  Ganal.  Loc.  cit.) 


APPENDICE  189 

n'avons  confondu,  dans  notre  esprit,  l'idée 
de  la  Révolution  avec  les  atrocités  de  la  Ter- 
reur. Néanmoins,  à  notre  époque  où  l'on  élève 
chaque  jour  une  statue  nouvelle  à  la  Révolution , 
il  est  bon  de  rappeler  certaines  pages  de 
son  histoire  qui  peuvent  fournir  des  bas-reliefs 
à  son  piédestal.  Quoi  qu'il  en  soit,  en  ce  qui 
touche  au  sujet  de  notre  récit,  apologistes 
comme  détracteurs  de  cette  époque  tragique, 
tous  doivent  en  convenir,  les  hommes  abomi- 
nables, qui  violèrent  l'asile  des  morts,  ont 
commis  à  la  fois  un  crime  et  une  monstrueuse 
absurdité,  comme  si  la  violation  des  sépulcres 
était  utile  à  la  cause  de  la  liberté,  comme  si 
les  passions  des  hommes  avaient  le  droit  de 
fouiller  les  tombeaux. 


TABLE    DES    GRAVURES 


1.  La  basilique  de  Saint-Denis  en  1830,    d'après  une  litho- 

graphie de  la  Bibliothèque  nationale.  Frontispice. 

2.  La  ville  de  Saint-Denis  en  France  avec  la  royale  Abbaye, 

d'après  une  gravure  ancienne,  p.  9. 

3.  Vue  d'ensemble  des  tombeaux  de  la  Basilique,  p.  12. 

4.  Tombeau  de  Dagobert.  Dessin  de  E,  Le  Tellier,  p.   aS. 

5.  Sceau  de   Constance    de    Castille,  trouvé  dans  le  cercueil 

de  cette  princesse.  Dessin  de  Riolet,  p.   29. 

6.  La  sépulture  des    Valois  à  Saint-Denis ,  d'après  une  gra- 

vure du  temps,  p.  34- 

7.  Henri  IV exhumé,  d'après  le  dessin  d'un  témoin  oculaire, 

gravé  au  début  de  la  Restauration,  p.  44- 

8.  Masque  de  Henri  IV,  pris  lors  de  son  exhumation,  p.  47. 

9.  Plaque  tumulaire    de  Louis  XIV,  d'après  une  photogra- 

phie, p.  5o. 

10.  Tombeau  de  François  I'^'',  p.  67. 

11.  Louise  de  France,  gravure  de  Le  Beau,  p.  74. 

12.  Mausolée  de  Turenne  dans   la  basilique  de  Saint-Denis, 

d'après  une  gravure  du  temps,  p.   77. 
i3.  Louise  de  Lorraine,  d'après  une  gravure  du  temps,  p.  loi.    ! 
14.  Exhumation  de  Louise  de  Lorraine.  Dessin  de  Drane/,    {'"'^^^ 

p.  1x3.  (^'Vftv.<^/^.. 

1^.  Mascarade  de  l'enlèvement  du  Trésor  de  la  Basilique  de 

Saint-Denis,  d'après  une  aquarelle  de  l'époque,  p.  laa. 


ïçyjL  TABLE    DES    GRAVURES 

i6.  État  actuel  du  i/ase  des  noces  de  Cana,  dessin  de    M.  de 
la  Tour,  p.  liS. 

17.  Vase  de  Xevxès,    faussement  qualifié  de  Vase    de   Cana, 

p.   i3o. 

18.  Sceau  et  signature  de  l'Empereur  Baudouin  II.  p.  i33. 

19.  Vase  d'agate  dit  coupe  de  Ptolemée,  p.   137. 

20.  Tombeau  de  Marie- Antoinette,  au  cimetière  delà  Made- 

leine, d'après  une  gravui'c  du  temps,   p.    lo/j. 

21.  État  actuel  de  l'emplacement  des  fosses  où  furent  entas- 

sés les  restes  des  rois  de  France  et  de   leur  famille, 

au  mois  d'octobre   1793,  p.  159. 
in.  Plan  de  l'emplacement  des  fosses,  d'après  un  plan  déposé 

aux  Archives  nationales,  p.   161. 
■i3.  Le  soupirail  et  la  porte  du  caveau  central,  p.   164. 

24.  Intérieur  du  Caveau  des  Bourbons.  Dessin  d'après  nature 

de  M.  Joseph  Beuzon,  p.  166. 

25.  L'armoire  des  CtPHys.  Dessin  d'après  nature  de  M.  J.  Beu- 

zon, p.  169. 

26.  Assassinat  de  Henry  le  Grand,  roi  de  France,  d'après  une 

gravure  du  temps,  p.   180. 


TABLE   DES  MATIÈRES 


Pages 

AvANT-PKOPOS j 

Chapitre  I.          La  Basilique  de  Saint-Denis  et  ses  Tom- 
beaux          5 

—         II.       Les  Destructions  des  6,  7,  et  8  août  1793.      19 

—  III.      Les  Journées  d'octobre 41 

—  lY.       Le  Tombeau  de  Turcnnc 77 

—  V.        Les  Tombeaux  de  Louis  YII,  de  Louis  XI 

et  de  Philippe  1*='' 93 

—  VI.      Louise  de  Lorraine.  L'odyssée  d'un  cer- 

cueil rojal loi 

—  YII.     L'Enlèvement  du  Trésor  de  la  Basilique.   121 

—  YIII.   La  Basilique  après  la  Terreur 149 

Appendice 1^3 

Table  des  gkavlkes.    .    .    .    , 191 


DC  Billard,  Max 
1B3       Les  tombeaux  des  rois  sous 

.5  la  Terreur 

B5 


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